SESSION DE 1819,
}

SESSION DE 1819,
OU


RECUEIL DES DISCUSSIONS


LÉGISLATIVES
AUX DEUX CHAMBRES


PENDANT CETTE SESSION.




14 Le


1 % e SESSION DE 1019,


DE L'IMPRIMERIE DE CORDIER>


OU


RECUEIL DES DISCUSSIONS.


LÉGISLATIVES
AUX DEUX CHAMBRES


PENDANT CETTE SESSION,


er..N DU PLAN DE CHAQUE CHAMBIIT


PAR COLLIN.


TOME SECOND,


PARIS,
CHEZ CORE. É AR D , LIBRAIRE — ÉDITEUR, Palais - Royae


Galerie .de Bois, n.° 258.




,4;e)e»..




1820.




• ••


e


TABLE DES MATIÈRES.


AVIS.


Jaloux de remplir envers le Public l'engagement que nous
avons pris de donner la Session de 1819 en entier, et d'eu re-
produire ainsi le tableau fidèle , nous nous trouvons forcés, par
l'abondance des matières, à ajouter un Supplément aux deux
volumes que nous avons publiés. Le prix de ce supplément sera
en raison des feuilles qu'il contiendra. 11 paraîtra quelques jours
après la Session.


Le prix des deux premiers volumes est de 12 francs sans les
plans , et 14 francs avec tes plans par la poste, 3 fr. 4o cent.
de plus pour les deux volumes.


SE rnouvr lussx


( BRISSOT-THIVAR.S, rue Neuve -des- Petits -Champs,
2


Chez )1 WURTZ ET TREUTTEL , rue de Bourbon, ;
(.• REY ET GRAVIER, quai des Augustins, ;.1.. 55.


7 clam) CHAMBRE DES Datrris.—Continuation de la discussion
sur la liberté individuelle. Pag.


( 8 niers.) Continuationde la discussion sur la liberté individuelle. 3e
( 9 mars.) Ci/Axiez DES l'Anis. La chambre adopte la loi relative


à la libératidn des différentes classes d'acquéreurs de domaines
de l'état. 76


( 9 mars.) CIU•ERE DES DiritTis. — Continuation de la discussion
sur la liberté individuelle. Fin de la discussion générale.. . • ibid.


( Io mars.) Discussion sur les amendemens au projet de loi sur la
liberté individuelle sia
mars.) Continuation de la discussion sur les amendemens au
projet de loi sur la liberté individuelle 539


( 1 3 mars.) Rapport de la commission des pétitions ,sur cent trente-
une nouvelles pétitions relatives à la loi des élections. Débats
et ordre du jour sur ces pétitions. Réclamations sur ce que les
journalistes ne peuvent plus se placer clans les couloirs. Déci-
sion-de la chambré, qui-excepte le illbniteur. Continuation
de la discussion sur les amendemens au projet de loi sur la li-
berté individuelle. s 162


(15 Mars.) Continuation de la discussion sur les amandentens au
projet de loi sur la liberté individuelle. La chambre adopte ij
projet de loi. Roms des 115 députés gui ont voté contre son
adoption


197
(16 mars.) Rapport de la commission chargée de l'examen du


projet de loi sur les journaux
224


( 17 mars.) ClIAMBRE DES PALES. — Présentation élu projet de loi sur
la liberté , adopté le 15 par la chambre des
députés. 233


(2o mars.) CHAMBEE DES DEPLTES.— Rapport concernant la liqui-
dation des dépenses pour l'approvisionnement des subsistances,
pour diverses contrées de la France


235
21 mars.) Ouverture de la discussion sur le projet de loi relatif


à la censure des journaux
ibid.


(as mars.) CnAmanr. Drs —!;apport de la commission spé-
ciale chargée de l'examen du projet de loi relatif à la liberté
individuelle.


a68
(22 77IC/C. ) CIUMBRE DES DÉPUTÉS. — Cont inuation& la discussion


sur la censure des journaux
275


(23 mars.) Continuation de la discussion sur la censure des jour-
naux


(23 mars. ) ClIA.M8EE DES PAIES. —Commencement de la discussion
du projet de loi relatif à la liberté individuelle 3:4


(21. mars.) Cucusue nEs Dic>uTi:s. — Continuation de la discus-
sion sur la censure des journaux


350
(21. mars.) CI1A mnnE nes Kim. —Suite de la discussion du projet


de loi relatif à la liberté individuelle
382




il )
( 25 mars.) CHAMBRE DES DÉ pn.rs. — Continuation de la discus-


sion sur la censure des journaux


39a
( 25 mars.) CHAMBRE nes Pelas. — Suite de la discussion du projet


de loi relatif à la libertéi ndividuel le. La chambre adopte la loi.
( 27 mars. ) ChAMBRE DES DEPUTS, — Continuation de la discus-


sion sur la censure des journaux.


(28 mars.) Continuation de la discussion sur la censure des jour-
naux


( 29 mars.) Continuation de la discussion sur la censure des jour-
naux


(3o mars.) Continuation de la discussion du projet de loi sur la
censure des journaux. La chambre adopte la loi sur lu cen•
sure. Noms des 1 10 députés qui ont voté contre 5xo


( 3 avril.) Pétition des donataires du Mont- Milan , et d'un grand
nombre d'officiers de la marine. La chambre rejette la plo-
position de M. Benjamin-Constant, tendant à améliorer les
articles 15 22, et 33 du régiment


529
( 4, 5 , 6 avril.) Discussion du projet de loi relatif aux comptes


arriérés des exercices antérieurs à 1819. La chambre ferme la
discussion générale.


532
( 7 avril.) Pétition des parons de 21 condamnés à la peine de mort*


à l'époque des événemens de Grenoble , en 1816. Continuation
de la discussion du projet de loi sur les comptes arriérés. .. . 555


(8 avril.) Continuation de la discussion sur les comptes arriérés. 56a
(10 avril.) Rapport de la commission spéciale chargée de l'examen


du projet de loi sur les douanes. Continuation de la discussion
sur les comptes arriérés


563
(r 1 avril.) Suite de la discussion sur les comptes arriérés




564.
(12 avril.) Suite de la discussion :.aur les comptes arriérés


565
( 13 avril.) Suite de la discussion sur les comptes arriérés


ibid.
(14 avril.) Suite de la discussion sur les comptes arriérés


ibid.
(15 avril.) Suite de la discussion sur les comptes arriérés




5i 64


4o8


4 13


445


476


FIN DE Li TAUD.




SESSIO -N- DE 1819.


CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
CONTINUATION DE LA DISCUSSION SUR LA LIP,ERT4 INDIVIDUELLE.


Séance du 7 mars.


M. Chabron de Sdilhac. Messieurs, un horrible attentat
vient de consterner la France et l'Europe entière; le sang royal
a été répandu par un misérable assassin. Le poignard des régi-
cides estencore levé sur la famille de nos Rois , et la société, at-
taquée dans son chef et dans ses bases, est menacée de la plus
affreuse dissolution.


Dans cetteterrible conjoncture, le Roi s'adresse à votre sollici-
tude, àvotre patriotisme, Il vous demande les moyens qu'il juge
nécessaires à la conservation de sa personne et de sa dynastie.
Avez-vous le droit de les refuser ces moyens ? pouvez-vous
rejeter la proposition royale qui vous est faite? Je ne le pense pas.


Que Louvel ait été l'agent d'une conspiration ; que seul il ait
médité son crime dans les ténèbres et dans le silence, son at-
tentat n'en appartient pas moins à la faction qui inonde la so-
ciété de ses doctrines empoisonnées ; il n'en serait pas moins
réclamé par elle, si elle venait à triompher. Le crime de Louvel
nous redit, et la révolution nous crie depuis trente ans , que les
hommes qui méconnaissent l'existence du Roi du ciel , sont les
implacables ennemis des rois de la terre ; ce sont eux qui ont
résolu la chute des trônes; c'est à leur profit que le crime a
désolé et ravagé le monde, et c'est dans leur intérêt que l'attentat
de Louvel a été consommé.


Vous considérerez la position actuelle du royaume, les causes
du mal dont on se plaint, et vous jugerez si des moyens
ordinaires peuvent sauver l'état des dangers qui le menacent.


Depuis trois ans la religion est attaquée dans ses dogmes ,
dans sa morale et dans ses ministres; tous lès droits, toutes
les prérogatives du monarque sont révoqués en doute ; la fidé-
lité est l'objet des sarcasmes et des persécutions; partout elle
est honnie, partout elle est chassée. Toutes les fureurs ont été
déchaînées par la presse, et le citoyen ne fait plus un pas sans
être provoqué à la rebellion; il la lit dans les journaux ; il la




ti


( 2 )
voit sur les murs de la capitale : elle est partout, jusque dans
l'air qu'il respire.


Veulent. ils la stabilité du trône ,.on plutôt n'appellent-ils
Pas à grands cris les révolutions, ces écrivains qui injurient,
calomnient sans cesse tous les gouvernemens de l'Europe; qui
appellent année const:tutionnelle une troupe de soldats révoltés
contre leur Roi; qui s'attachent à nous montrer la sédition
triomphante chez nos voisins, et la légitimité menacée et suc-
combant partout sous des revers qu'ils inventent à plaisir ou
qu'ils exagèrent, en dédaignant de dissimuler qu'ils ont placé
leurs voeux et leurs espérances dans le désordre et la révolte?


La mort du duc de Berri est encore venue agrandir le gouffre
des révolutions; elle a signalé une guerre de poignards, qui me-
nace les rois et les sujets; et. la France travaillée, excitée sur
tous les points, offre d'un volcan prêt à tout embraser.


Voilà, messieurs, les dangers que vous devez conjurer, et
les maux que vous êtes appelés à réparer.


On nous dit que le projet de loi viole la charte, qu'il détruit
la liberté des citoyens, et qu'il tend à porter la terreur et l'effroi
dans tous les rangs de la société.


La liberté, messieurs, a péri bien plus souvent par les excès
de la licence et de l'anarchie que par les envahissemens du pou-
voir. Ce ne furent ni l'orgueil, ni les prétentions du sénat qui
tuèrent à Rome la liberté; elle succomba sous les attaques des
tribuns; et. César, le vainqueur et l'oppresseur de sa patrie,
était le successeur du populaire Marius.


Une loi transitoire, et qui ne doit avoir de durée que celle
du danger de ce moment, ne saurait porter atteinte à la charte.
D'ailleurs , messieurs, la personne du Roi n'est-elle pas in-
violable comme la charte ? Le coup qui fait périr la dernière
tige de la famille royale, ne tend-il pas à détruire le pacte social
avec la dynastie? Le Roi et la charte ne sont-ils pas tellement
inséparables , tellement nécessaires l'un à l'autre, que la main
qui tue le Roi tue aussi ' la charte?


Je ne saurais concevoir l'inquiétude de ces amis ombrageux
qui crient à la dissolution du corps politique toutes les fois qu'il
flint donner des secours au Roi, et assurer la durée de nos
institutions; qui accusent notre dévouement et notre fidélité,
lorsque nous voulons offrir des gages de sécurité à la France
qui les réclame. A les entendre, la charte serait elle donc un
malade qu'il faudrait laisser périr de peur de le toucher? De-
viendrait- on profane et sacriléee pour vouloir détruire un
principe de mort qui attaquerait l'existence du pacte social?


( 3 )


Mais, messieurs ., cette loi qui excite aujourd'hui tant de
défiance, tant de scrupule, nous l'avons presque tous votée
en 81.7


, dans des circonstances où la nécessité n'en était pas
-démontrée comme aujourd'hui, et il n'en est résulté rien de
fâcheux pour la sécurité des citoyens , ni pour la stabilité de
nos institutions.


Et je vous le demande, messieurs, quels moyens avez-vous
opposer à la trahison dans un danger imminent ? Votre légis-


lation est imparfaite, le jury n'est pas organisé, votre adminis-
tration municipale ne l'est pas davantage, chaque jour vous
révèle l'insuffisance de vos lois, même pour les délits ordi-
naires. Pourriez-vous, dans cet état de choses, ne pas consentir


quelques sacrifices passagers, mais salutaires? Pilotes itnpru.
tiens, abandonneriez-vous le vaisseau de l'état aux fureurs de la
tempête , et refuseriez-vous de jeter à la mer une parlie de la
cargaison pour sauver l'équipa e?


Les peuples libres, pour donner à leurs lois de la stabilité,
ont placé à côté d'elles de fortes garanties contre l'anarchie; ils
n'ont pas craint.d'armer l'autorité d'un pouvoir immense, dans
les dangers ou dans les calamités extraordinaires.


Rome déchirée par ses enfims , envahie jusque dans ses murs,
nomme des dictateurs; Rouie sort triomphante de ses ruines et
de ses cendres. Mais, sans chercher des exemples dans l'anti-
quité, l'Angleterre, si souvent agitée par des factions, n'a-
t-elle pas recours, dans les dangers publics, à la suspension de
l'habeas corpus? Qu'aurait-elle opposé à des armées innom-
brables de radicaux, si quelques lois d'exception eussent efr
frayé les conseils d'une nation qui veut une liberté sans désordre,
et qui abhorre avant tout la licence et l'anarchie?


Chez nous , au contraire , le législateur e toujours craint
d'effaroucher la liberté. Trop souvent il a caressé les voeux de
la multitude, et enflammé ses passions. On l'a vu désarmer
l'autorité, lorsque l'anarchie rompait toutes ses digues; il criait
à la tyrannie, il accusait le pouvoir, lorsque le peuple renver-
sait le trône et enchaînait le monarque. Craindrait-on que le
ministère n'abusât des pouvoirs qui lui seraient confiés par la
loi? craindrait-on qu'il n'opprimât les citoyens, et qu'il ne
tournât contre les royalistes et les amis de la liberté, des
armes qui lui auraient èté fournies pour réprimer les factieux et
les conspirateurs? Mais la France ne partage . pas ces craintes.
Depuis la mort du duc de Berri, elle ne cesse de nous dire grue
ce ne sont pas les lois d'exception qu'elle redoute; qu'elle
Connaît qu'un danger, celui de la famille royale; qu'elle in:




( 4 )
feit qu'un voeu, n'a qu'une volonté, c'est la . conservation de
sa dynastie, c'est la sûreté de nos princes qu'elle réclame . à
.grands cris.


Et qu'on ne vienne pas dire qu'accuser une faction , c'est ou-
traoor•la nation entière ; que prévenir le crime et le poursuivre
à outrance, c'est renverser les libertés et asservir les citoyens.
Non , messieurs , ce n'est pas nous , ce n'est pas le Roi qui
sollicitons des mesures extraordinaires de répression. Lisez ces
adresses qui arrivent en foule des villes et des hameaux; voyez
combien sont grandes. l'affliction et les terreurs des Français :
ils vous signalent à l'envi la faction qui veut ramener les orages
de 93; ils vous crient d'arrêter le torrent dévastateur : Nous
ne voulons pas , vous disent-ils, que les pages clr notre his-
toire soient souillées par de nouveaux attentats ; nous ne vou-
lons pas que le sang des rois coule encore sous le fer der
assassins et des bourreaux. Ce sont les magistrats, les maires,
les conseils municipaux, les citoyens les pins recommandables
par leurs vertus ; ce sont les organes naturels de la nation qui
vous tiennent ce langage.


Non , messieurs, ce n'est pas lorsque le Roi et la nation ré-
clament une mesure extraordinaire, lorsque l'un des héritiers
du trône vient de succomber, que. nous considérerons nos pro-
pres dangers. Il ne nous est plus permis de fonder notre sécurité,
celle de nos amis, sur le refus d'une loi qui doit conserver la
famille royale! Où seraient donc ces sermens si souvent, si nou-
vellement répétés, de tout accorder pour la conservation de la
dynastie, de verser notre sang pour la défense du trône ? Pour-
quoi aurions-nous , tout récemment encore, offert dans une
adresse au Roi, des secours que nous devions bientôt lui
refuser ?


Si vous faisiez éprouver un échec au gouvernement du Roi le
lendemain de l'assassinat d'un prince de sa famille, si vous re-


. fusiez de vous serrer autour du trône et d'en défendre les appro-
ches aux conspirateurs, vous consterneriez les serviteurs fidè-
les, vous désarmeriez les courages les plus intrépides , et pré-
pareriez de vos propres mains le triomphe de l'anarchie. Si par
suite de vos refus le sang royal devait encore couler, si la guerre
civile devait-encore ensanglanter nos provinces, quelle affreuse
responsabilité n'appelleriez-vous pas sur vos têtes! Que répon-
driez-vous à la pa trie .


qui vous montrant ses flancs déchirés,
ses campagnes couvertes de veuves, d'orphelins errans et sans
asile, vous dirait : Qu'avez-vous fait de votre _Roi?


Je ne saurais partager les alarmes de quelques-uns des ho-


( 5 )
norfibles collègues qui m'ont précédé à cette tribune : non,
messieurs, la loi qui vous est proposée ne transformera pas la
France en un vaste cachot où seront entassés les jurys, les juges,
les députés et les ministres eux-mêmes; les citoyens ne seront
pas dans le trouble et les 'alarmes , parce que le crime aura perdu
sa sécurité et son audace. Les ministres d'un Roi dont to.us
Ies peuples admirent la sagesse et la clémence, ne se laisseront
pas entraîner subitement par un esprit de vertige- et de frénésie•
qui les porterait à attenter à toutes les libertés, et à violer
toutes les garanties. Gardons-nous de manifester des inquiétudes
vaines et illusoires; ne faisons pas naître la crainte et germer
la défiance dans des coeurs qui no connaissent jusqu'à présent.
que la douleur et les regrets.


Je vote pour le projet de loi :- quand' il's'agit de défendre le
eoi et sa dynastie, il ne saurait y avoir. deux partis en France.
Toutes les préventions, tous l'es ressentiinens doivent se taire,.
et tontes lés opinions doivent se réunir sur la tombe d'Un prince
qui est mort le pardon sur les lèvres, qui ne faisait-échapper
en expirant que des accens de tendresse, de bonté et de clé-
mence, et dont Pâme sans fiel ne qualifiait pas même le
Monstre qui l'enlevait à notre amour.


Espérons que le sang royal si criminellement répandu cimen-
tera le trône; que le prince objet de nos regrets, sera pour la
patrie un nouveau rédempteur, qu'il réconciliera les Français
avec les Français , et qu'un si grand forfait fers tomber le han-
dem de l'erreur qui couvrirait encore les yeux de quelques-
uns de nos frères.


M. Martin dé Gray. Messieurs, Se viens repousser l'acte-
d'accusation que le ministère, au milieu de la douleur qui nous
accablait, au milieu de hi désolation publique, a osé vous pro-
poser contre la nation.


Oui, messieurs, en vous demandant de livrer à leur discré-
tion la liberté individuelle, les ministres accusent la nation ;
car sur quels motifs appuient-ils la nécessité d'une si -terrible,:
mesure?'


Le ministère nous dit cc que l'attentat sur lequel-la France
aura si long-temps à gémir démontre la nécessité de prendre
des précautions pour arrêter les progrès d'un fléau, universel
qui menace.d'une subversion entière la et la morale, la
Monarchie et la liberté, tout ordre public et toute combinaison
sociale.


Il faut, a dit le ministre, nous donner le pouvoir 'd'arrêter
les mains parricides prêtes à frapper. L'orateur auquel-je sue:-




( 6 )
cède à cette tribune, n'a fait que commenter cette déplorable
accusation.


La note secrète et les plus grands ennemis de la nation . fmn-
çaise ne l'ont jamais peinte de couleurs si noires. Quoi! mes-
sieurs, la nation est donc tellement déchue de ce haut degré de
civilisation qui faisait sa gloire et sa prospérité, tellement per-
vertie, tellement corrompue; elle est donc tellement en proie
aux ravages d'une lèpre universelle qui menace d'anéantir la re-
ligion, la morale , la monarchie, la liberté , tout ordre public,
toute combinaison sociale, qu'on ne peut la sauver d'une si
menaçante subversion , la retirer d'une si infâme dégradation,
qu'en livrant et la sûreté des personnes et la liberté de la pensée
à la discrétion du ministère , qu'en livrant ce malheureux peu-
ple, corps et âme , à l'arbitraire le plus illimité de la police?


Je vous le demande, messieurs , j'en appelle à tous les coeurs
français, n'est ce pas flétrir par de noires calomnies le carac-
tère et les sentimens du peuple le plus digne de la liberté?
n'est-ce pas insulter à son deuil et à ses larmes? et c'est à vous
qu'on ose proposer de sanctionner un tel outrage ! et la cham-.
.bre daibère! Ali! sans doute c'est la stupeur où TOUS étiez
p ongés qui vous a empêché d'y répondre de la seule manière
digne de vous.


« Ce sont, nous dit le ministère , les paroles consignées dans
le. projet d'adresse au Roi, proposé dans la chambre des pairs. »
Mais, messieurs, peut-on nous donner un projet d'adresse
comme l'authentique et fidèle expression des sentimens de la
chambre des pairs ?


« Elle n'en a pas moins exprimé, continué le ministre, sa
disposition à seconder toutes les mesures que la gravité des cir-
constances peut exiger. Cette disposition est partagée par la
chambre des députés. D> Oui, messieurs; nous nous sommes
empressés de le déclarer, nous sommes prêts à concourir de
tous nos efforts au même but.; mais dans l'ordre de nos devoirs
constitutionnels. Telle est la condition expresse littéralement
consignée dans votre adresse à S. M. Ainsi, messieurs, TOUS
avez d'avance rejeté le projet de loi manifestement inconstitu-
tionnel qu'on vous présente. Quel devoir plus constitutionnel,
en effet, que de maintenir la sûreté des personnes, consacrée
par la charte, comme l'un de nos premiers droits publics, et
garantie par les articles 4 et 62 de la charte? Mais que parlé-je
de la charte et de nos devoirs constitutionnels ! messieurs, c'est
un devoir imposé par l'humanité et la justice éternelle. La sû-
reté des personnes est le plus saint de tous les droits. Ce n'est


(ï)
pas seulement dans des chartes, ouvrage ei.is hommes, niais
dans les entrailles ou dans le cœur des peuples les plus barbares,
qu'il a été gravé par la main de Dieu même; c'est pour le ga-
rantir que tout gouvernement a été établi, que la société même
a été fondée : sans elle , plus de gouvernement, plus d'ordre
social. En suspendant le droit de la sûreté des personnes,
suspend tous les autres droits; il n'y a plus de citoyens, il n'y •
a plus que des suspects; et le gouvernement assez insensé pour
briser d'un seul coup toutes les garanties sociales, se frappe.
lui-même de la plus terrible suspicion.


Et que sera-ce, messieurs, si, pour mettre un peuple Ger et
sensible en interdit ,• le gouvernement s'aveugle au point. de.
motiver sur un forfiiit que la France déplore , une si révoltante
interdiction!


Mais, dit le ministre, « cet attentat n'est pas le crime d'un
seul linin g:lue; il est le fruit trop amer des opinions qui per-
yertissseut les esprits, et qui se publient chaque jour avec im-
punité. » Comme si le ministère n'était pas investi d'une force
de répression immense ! comme s'il n'était pas armé, sous tous
les rapports judiciaires et administratifs, de toute la puissance
impériale! comme si la liste des jurés n'était pas encore dans la
main de ses préfets ! comme si, sur les sept mille jurés de la
capitale, il ne pouvait pas trouver soixante j urés disposés à pu-
nir la licence! comme si, en supposant cette impunité, le mi-
nistère ne s'accusait pas lui-même et ne donnait pas à penser
qu'il ne tolère la licence que pour détruire la liberté !


C'est pour ne pas rester désarmé devant des opinions, le
ministère nous le dit formellement dans l'exposé des motifs,
c'est pour ne pas rester désarmé devant des opinions qu'il vous
demande un pouvoir discrétionnaire sur les personnes. .
. Ainsi, messieurs, le ministère aurait le droit d'arrêter et de


retenir dans les fers, sans forme de procès, non-seulement
ceux qui seraient_ soupçonnés de crimes et de délits , comme
en 1815, les suspects d'action, mais les suspects d'opinions!


Ainsi ce n'est pas assez d'étouffer la manifestation de la
pensée par la censure , de condamner la pensée au silence; mais
on la poursuivrait encore par une police inquisitoriale, jusque
dans les foyers sacrés de la fil-mille, jusque dans les épanche-
mens de l'amitié, jusque dans le fond des coeurs! on poursui-
vrait, on frapperait jusque dans leur silence, les hommes soup-
çonnés d'idées perverses ! Qui serait le juge de ces idées per-
verses? Le ministère. 11 serait l'accusateur; la partie et le juge.
Mais que disje? le ministère ! ce sont les agens du pouvoir,




fis)
les agens de la police, qui seraient: les accusateurs et les juges,
puisque le ministère ne pourrait entendre , ne pourrait voir
que par eux : et quel serait ce jugement? des lettres de cachet.


Encore une fois, est-il possible de fiire aux Français un plus
sensible outrage que de leur dire : L'opinion est tellement per-
verse , est nécessaire de me donner le droit de la bâillon-
ner par la censure; et vous êtes tellement pervertis par l'opi-
nion, qu'il faut encore me donner le droit de vous emprisonner
à mon gré et de vous Cire pourrir dans les cachots?


C'est la perversité de t'opinion , c'est l'esprit du siècle, c'est
ce fléau universel, que vous accusez de l'attentat que nous dé-
plorons. Quoi donc! n'est - ce que dans les siècles éclairés,
n'est-ce que chez les peuples qui ont joui d'institatiOns libé-
rales , que l'on a frappé de pareils coups? Tout au contraire,
l'histoire démontre- que c'est dans les siècles d'ignorance et de
barbarie, dans les contrées soumises au plus absolu despotisme,
que les maîtres des nations sont le plus souvent en butte au
poignard des assassins ou au glaive de la révolte. Les empe-
reurs de Rome, de Constantinople, de Russie, n'ont-ils pas
plus souvent péri de mort violente que les rois d'Angleterre,
les stathouders de Hollande et. les présidens des Etats-Unis?
Ouvrons notre propre histoire; Henri III, Henri IV, Louis XV,
:n'ont-ils pas été frappés par des assassins ? en accuserez vous la
liberté de la presse et les idées libérales? Sont-ce les lettres de
cachet qui ont manqué à Louis XV? Mais dans la seule et ridi-
cule affaire de. cette• bulle unigen;tus obtenue par les jésuites,
quatre-vingt mille lettres de cachet Rirent lancées contre les
plus honnêtes gens du royaume, et l'on sait que dans ce bon
vieux.régime., si regretté, les lettres de cachet étaient .envoyées


-


en blanc aux intentions. Enfin, messieurs, jetez les yeux sur
un état voisin ;.le roi .


de la péninsule n'a négligé ni ce qu'on
appelle les principes monarchiques , ni . ses moyens extrêmes.
Un clergé ultramontain et intolérant, des légions de moines
de toutes les couleurs, les jésuites, les censeurs , les geôliers
et les bourreaux de l'inquisition sont à ses ordres ; •en art-il
moins été en butte à onze conspirations? en est-il plus en
sûreté ?
• Un misérable des dernières classes du peuple, d'un esprit.
sans culture., menant une vie solitaire el. farouche, commet un


He
meurtre affreux ; tout ce qu'on a pu connaître jusqu'à cette


ure des dispositions de cet homme, semble prouver qu'il
avait conçu et médité son crime depuis plus de quatre années
c'est-à- dire long-temps avant que la nation ait joui de ces


( 9 )
bottés qu'on veut incriminer et lui ravir; tout semble démontrer
que ce crime est un crime isolé ; toute la nation est dans lé deuil
et dans les larmes , et toute la nation sera mise en interdit et
frappée de suspicion ! Les funérailles du prince seront les funé-
railles de toutes nos libertés! Mais la nation est-elle coupable
du crime qu'elle déplore? sommes-nous donc un peuple d'as-
sassins ?


Un forcené, enivré de fanatisme , livré à l'exaltation et au
délire des affections religieuses , Ravaillac, a égorgé le bon et
grand Henri 1V. Fallait-il donc déchirer l'Evangile , briser les
autels , et renier l'ineffable nom de la Divinité ? Un autre for-
cené en proie â une autre démence , frappe un de ses descen-
dans , faut-il donc déchirer la charte, fouler aux pieds tous les
droits de la nation, et maudire le premier des biens, la liberté?


Cet attentat, dit le ministère ,' ne se d aucun conr-
plot ? Mais si les ministres daignaient colorer leurs accusations
de la moindre . apparence .de bonne foi , ils •uraient cherché à
prouver la liaison qu'ils supposent entre l'effet etles causes ; ils
auraient attendu que les débats qui vont s'ouvrir devant la
chambre des pairs, eussent.prouvé la nécessité de leurs mesures.


On a souvent cité l'exemple de la suspension de l'acte d'ha-
beas corpus en Angleterre ; mais l'adoption d'une mesure si ex-
traordinaire est toujours précédée de l'enquête la plus .solen-
nelle , et toujours appuyée sur les documens les plus authen-
tiques : la chambre des communes nomme à: .-cet effet un comité
de vingt-un membres chargés de recevoir tous les documens . des
ministres, et de faire toutes les recherches, tontes leS inves-
tigations nécessaires. Et vous, messieurs, sans une ombre d'en-
quête, sans une ombre de document ; que dis-je! lorsque, mal-
gré la prière réitérée de votre commission, le ministre n'a pas
daigné lui transmettre le moindre renseignement ; sans attendre
la procédure, sur un exposé de motifs ou trageans pour la nation,
irons vous hâteriez de livrer à la merci du ministère un droit
dont tous les autres dépendent , un droit 'consacré par la charte ,
ou plutôt par la loi naturelle, par la charte du genre humain 1


Et d'ailleurs , messieurs , les Anglais ont un acte d'habeas
corpus , .un' acte. de véritable garantie pour la liberté indivi-
duelle , qui remonte à des siècles reculés, et -qu'Un parlement
a eu la gloire immortelle de renouveler sous le règne tyrannique
et sanglant de Charles II ; et nous , Français du 19 e siècle
nous n'avons aucune garantie pour la sûreté de nos Personnes
sous l 'emp ire de l a charte, sous le sceptre d'un Roi constitu-




('o)
lionne', .nous.sommes .


encore régis par leslois de fer de t uo-
na parte .


La puissance mystérieuse de la police , à la fois administra-
tive et judiciaire, enveloppe toutes les têtes d'un retz immense.
Sur toute la surface du royaume, les agens de l'administration,
les agens (le la police judiciaire, tous dans la main du ministère,
et tous révocables , peuvent arrêter les citoyens et les retenir
dans les fers autant qu'il plaît à l'autorité ; car nul délai n'est
déterminé par la , entre l'arrestation des prévenus et leur
mise en jugement ; et telles sont au contraire les lenteurs que
le Code impérial autorise , tels sont les obstacles habilement
combinés par le machiavélisme de la loi pour retarder la marche
de l'instruction , que les agens du pouvoir sont les maîtres de
prolonger à leur gré les procédures.


Aussi, pour les crimes ordinaires, il est rare qu'un prévenu
soit jugé avant le cinquième on le sixième mois de son arresta-
tion; et souvent, lorsqu'il est traduit devant une cour d'assises,
on le renvoie à une autre session sous de frivoles prétextes ; il'
suffit- (l'une requête au procureur-général , en prorogation de
délai, on. (lu moins de la simple et unique décision du prési-
dent <le la cour.


Mais s'il s'agit de crimes politiques , la procédure devient
entre les mains de l'autorité une chaîne qu'elle appesantit et
prolonge à son gré de la manière la . plus effrayante. Parmi tant
d'exemples, je ne rappellerai que quelques - uns de ceux qui
sont le plus connus.


Un homme arrêté en 1814, et qui s'est évadé avant d'être
jugé ( le marquis de Maubreuil ) , conduit de tribunaux en tri-
bunaux , a subi quatre années de détention et cinq cents jours
de secret.
.


Les prévenus de la prétendue conspiration du Lion dormant
sont restés neuf, dix et; quinze mois en prison avant d'être
acquittés.




Les prévenus de la ridicule association de PEpingle noire ont-
été retenus dix- huit mois dans les fers avant l'arrêt de leur
acqui ttem ent.


Des Français accusés du projet qualifié coupable d'avoir
voulu délivrer In France du joug des étrangers , n'out été ac-
quittés qu'après une détention de dix-huit. mois pour les uns ,
de quinze et treize pour les autres.


Deux individus accusés d'une tentative de meurtre sur un gé-
néral étranger ont été détenus quinze mois avant leur acquit-
tement.


( i1 )
Les estimables et courageux auteurs du Censeur ont été re-


tenus sept mois clans les fers, pour arriver à une condamnation,
de trois mois.


Le général Carmel et ses co-prévenus ont été détenus trois ou
quatre' mois , pour arriver seulement à une ordonnance de la
chambre du conseil qui a déclaré qu'il n'y avait lieu à suivre.


Et remarquez, messieurs, qu'après que des accusés ont gémi au
cachot: durant des mois entiers, des années entières, et lorsque
leur innocence est reconnue et proclamée, la loi ne leur accorde
aucun dédommagement.


Mais ce qui rend encore ce système d'arbitraire plus déplo-
rable , c'est que les lois ne nous laissent aucun moyen de lui
échapper ; car , d'après l'art. 7 5 de la constitution impériale,
encore en vigueur, aucun agent du pouvoir ne peut être pour-
suivi Pour un fait relatif à ses fonctions, qu'en vertu d'une auto-
risation du conseil d'état, c'est - à - dire du ministère. Mais ,
messieurs , lorsque cette disposition vraiment orientale de la
constitution de l'an 8 serait abrogée, lors même que l'organi-
sation des tribunaux serait plus rassurante, ne pensez pas que
les citoyens seraient plus sûrs d'obtenir justice contre les agens
du gouvernement ; car, d'après le Code d'instruction criminelle,
le ministère public qui représente le gouvernement auprès des
tribunaux et qui est révocable à sa volonté , est : seul investi du
droit de poursuivre.


Les opprimés , enveloppés de toutes parts par l'arbitraire ,
de quelque côté qu'ils se retournent , peuvent être repoussés
par des fins de non-recevoir et des dénis de justice, et rester
Écrasés par l'autorité.


Ainsi , messieurs, les agens du pouvoir , disséminés sur toute
la France , peuvent légalement , puisqu'il finit donner le nom
de loi à un Coae aussi tyrannique, ils peuvent , d'après la lé-
gislation existante, arrêter les citoyens au gré des ordres qu'ils
reçoivent ; ils peuvent les arrêter par mandat d'amener et de
dépôt , sans que le signataire du mandat soit mêmetenu de dé-
signer le fait pour lequel il est décerné , et de citer la loi en.
vertu de laquelle ce fait est un crime ou un délit ; ils peuvent
les plonger dans les prisons ; et dans quelles prisons'. D'im-
pures cloaques où les prévenus et les accusés sont jetés pèle-
mêle avec les condamnés et les malfaiteurs, où l'innocence et
la pudeur sont confondues avec le crime ; ils peirvent les retenir
dans ces lieux infernaux des mois entiers, des années entières;
ils peuvent les condamner à un supplice peut-être plus cruel en-




( 12 )
core ,à un supplice plus terrible que la mort , ils peuvent les
fairedépérir lentement- dans l'épouvantable torture du secret.


Et les ministres nous demandent un pouvoir discrétionnaire !
Mais ils Pontdéjà.... ils sont armés du plus redoutable des ar-
bitraires, de l'arbitraire légal ; ils ne nous demandent donc que
l'étalage du despotisme. Avec plus d'habileté, ils chercheraient
à :alléger ou du moins à nous déguiser nos chaînes ; mais ils
veulent les secouer et les faire retentir sur vos têtes; ils veulent,
sous le prétexte le plus outrageant , et avec la main des repré-.
sentans de la nation, la marquer au front, comme un troupeau,
d'un signe de servitude.


A l'ouverture de cette session , le chef de l'état nous a an.
nonce des lois qui assureront la liberté individuelle et l'impar-
tialité des jugemens
des institutions libres.


l Je veux, nous a dit le fondateur cie la charte, donner à touses intérêts garantis par la charte, cette pro/Onde sécurité que.
nous leur devons.


Plus heureux que d'autres états, ce n'est pas dans des me-
sures provisoires , mais dans le développement naturel de nos.
institutions que nous puiserons notre force.


Vous entendez encore ces royales paroles, et voilà que les
ministres osent vous demander la suspension de la liberté indi-
viduelle. et de la: liberté de la presse ! Des lettres de cachet et
la censure sont-elles donc ces institutions libres, ces garanties
pour la. . liberté individuelle et l'impartialité des jugemens que
naii- tient Promettre avec tant dé solennité? les lettres
de cachet et. la censure sont-elles donc le développement naturel
cic mas institutions? sent-elles donc le moyen de donner à tous
les intérêts garantis par la charte , cette profonde sécurité pie
noies leur devons ? Oà en sommes-noirs, grand Dieu !. A-t-on
pensé que nous avons perdu, je ne dirai pas tout sentiment de.
nos devoirs , niais jusqu'à la pudeur et jusqu'à la mémoire?


Maintenant, messieurs, si nous jetons un coup-d'oeil rapide
sur les dispositions accessoires du projet de loi, et sur les amen-
demens de la commission , nous verrons que c'est un tissu d'ex-
ceptions pour couvrir et colorer l'arbitraire , et que par consé-
quent le Vien essentiel de la loi n'en devient que plus dangereux.


cc- Tont individu pré-venu de complots ou de machinations •
'contre la. personne du -B oi , la sûreté de l'état et les personnes
de la famille royale , pourra, sans qu'il y ait néCeàsité de le
traduire devant les tribunaux, être arrêté et détenu en vertu.


yy d'en ordre délibéré dans le- conseil des ministres, et signé'
do'trois ministres an moins..)




( 13 )
Ainsi-donc les représentans de la na-Toutindividu


tion se dépouilleraient eux-mêmes de l'inviolabilité dont les ar-
ticles 34 et 5a de la charte les ont revêtus'. Les ministres pour-
raient incarcérer les représentans de la nation comme suspects
d'opinions perverses, et lancer des lettres de cachet dans • le
sanctuaire des lois !




ri"venu puidvdiinTout d'être suspect ; car l'interven-
tion des juges, la justice seule, fait des prévenus ; l'arbitraire
ne fait que des suspects.


Prévenu de complots et de machinations „ . . Voilà les
termes que l'on substitue à ceux de crimes et de délits, em-
ployés dans la loi de 18i 5 , et qui étaient au moins définis par
le Code pénal , tandis que ce terme de machination n'est , au
contraire , en aucune manière défini ni par le Code pénal , ni
par aucune de nos lois.


L'ordre doit. être signé par trois ministres : mais comme des
ministres ne peuvent signer que d'après les documens que leur
fournit le ministre.charge de la police , il est évident qu'il n'y
a pas plus de garantie que si l'ordre n'était signé que par un seul.


Le conseil du Roi , nous dit l'article 2, statuera ; 'mais sûr
quoi statuera-t-il ? Sur la dénonciation du ministre (lare de
la police. Qui sera entendu? le ministre chargé de la police.-Le
procureur du Roi entendra le prévenu; mais quels seront ses
moyens de défense? C'est dans les ténèbres des prisons qu'il
est interrogé par un agent du pouvoir ; et, comme dans les
procédures du saint-office et du conseil secret de Venise, il
ignorera même le motif de sa détention.


Loin de nous, messieurs, ces tristes palliatifs, cette parure
légale qui ne fait que rendre la tyrannie plus hideuse ! C'est
vouloir étouffer les opprimés sous le manteau sacré de la loi.


Voyons si les amendemens de la commission sont plus
heureux.


11 impossible, messieurs, que vous ne soyez pas
frappés du vague effrayant des termes du premier article des
amendemens. C'est sur des discours , des écrits, des faits quel-
conques, que tout individu qui se sera mis dans le cas d'être
inculpé d'attentat ou de complot, etc. , peut être arrêté
détenu par ordre des ministres. Quoi ! messieurs, les définitions
du crime de lèse-majesté, burinées par la main de fer de Buo-
naparte , vous paraîtraient insuffisantes? son Code criminel,
arrangé tout exprès pour un gouvernement absolu, et dont je
n'ai tracé qu'une faible .esquisse, ne suffirait pas aux ministres
d'un gouvernement constitutionnel




(14+)
Mais pour connaître encore mieux , messieurs, l'esprit dans


lequel cet étrange article est conçu, écoutons le rapport de votre
com mission : Nous avons précisé quelques faits susceptibles
de devenir, d'après leur caractère, des causes d'arrestation.
• Vous avez précisé des faits! et c'est surdes faits quelconques
que l'on pourrait être arrêté et détenu! mais nous nous sommes
bien gardés, continue le rapporteur, de poser à cet égard au-
cune limite. Nous en avons au contraire voulu exclure jusqu'au
soupçon, par une généralité à laquelle tout peut titre ramené...


Voilà donc les maximes que l'on veut faire adopter aux dé-
putés de la France! on ne veut pas que vous soyez soupçonnés
de poser la moindre limite à l'arbitraire !


La commission nous dit que par l'article 2, elle soustrait
les détenus aux arrestations arbitraires. Je dis, moi, que l'arbi-
traire dont vous armeriez le gouvernement exposerait !es citoyens,
non-seulement à être arrêtés et détenus au gré du ministre
chargé de la police, niais encore qu'il leur ferait courir le dan-
ger d'un bannissementforcé ; car il y a bien peu d'individus qui,
menacés d'un tel emprisonnement, et sur le moindre avis de
l'autorité, n'aimeraient mieux s'exiler eux-mêmes d'une terre
si futaie à ses habitans , que de gémir dans les fers, et sous le
poids encore plus accablant d'une horrible suspicion.


La commission nous donne comme une amélioration de rem-
placer le proCureur du Roi, pour entendre le prévenu, par le
procureur-général ou l'un de ses substituts; mais n'est- ce pas là,
pour le suspect ou pour l' inculpé , comme on voudra l'appeler,
In chose du monde la plus indifférente ?


La commission remplace encore le mot d'entendre par celui
d'interroger; mais n'oublions pas que les détenus ignoreront le
motif de leur arrestation, et que le ministère, suivant les
termes du rapporteur, demeurerait maitre absolu des documens
sur lesquels ils seraient interrogés.


L'article 3, il est vrai, vent qu'en cas de la mise en liberté
du détenu, il lui soit donné, par écrit, connaissance des
causes qui l'ontfrit arrêter.


-


Eh! messieurs, votre commission n'a pas craint de tomber
dans une étrange contradiction, ou plutôt de trahir tout le sys-
tème de déception de ses amendemens , en vous déclarant que
la connaissance à donner à un inculpé des causes de son dépôt
dans une maison d'arrdt, dont on lui ouvre les portes, est, de
sa nature, livrée, pour le plus ou le moins de développpemens ,
à la discrétion du pouvoir qui Pavait fait arrêter, et que les
ministres ne lui donnent à ce sujet d'autres notions`clue celles


( )
(Tu' ils jugent eux -mêmes compatibles avec les grands intérêts
dont ils sont chargés ; qu'enfin , le ministère doit obéir à sa
conviction, lie incommunicable, malgréce que lui prescrit


cet article additionnel.
. Je n'opposerai à cette doctrine politique qu'un seul trait.
Dans un temps d'effroyable mémoire, en 93, la convention elle-
même prescrivit à son comité de sûreté générale, non-seulement
de n'ordonner des arrestations que par une délibération com-
mune, et à la majorité des trois-quarts des voix , mais elle lui
imposa l'obligation d'interroger les détenus dans vingt-quatre
heures, et enfin de leur donner immédiatement copie des motifs
de leur arrestation.


Quant à l'amendement d'après lequel le suspect , après trois
ou quatre mois d'emprisonnement par lettre de cachet, devrait
être mis en liberté, ou renvoyé devant les juges compétens, en
vérité, messieurs, j'aurais honte de vous arrêter sur un pareil
amendement: La commission a-t-elle bien songé à la dignité de
la chambre, en lui faisant ainsi marchander l'arbitraire 2 en
auriez-vous moins violé la charte? en auriez-vous moins violé
le plus précieux et le plus saint de tous les droits ? en auriez-
vous moins -replongé le gouvernement dans le précipice des lois
d'exception? Et qui ne voit d'ailleurs que cet amendement
n'est qu'un leurre grossier, un pitoyable subterfuge-qui ne peut
tromper aucun de vous, messieurs, ni personne ? car il n'y a
personne qui ne sache qu'avec notre système d'instruction cri-
minelle, l'autorité a mille et mille moyens de retarder la mise
en jugement . des prévenus. Il y a bien peu de personnes qui ne
sachent qu'en matière de haut criminel , les prévenus sont né-
cessairement détenus au moins trois mois avant leur mise en
jugement., par l'effet inévitable de la complication des formes,
de la combinaison des délais, et de l'intervention du grand
nombre d'officiers ministériels et de magistrats. Je ne crains pas
d'en appeler, sur cette assertion, au témoignage des magistrats
qui siègent dans cette enceinte. Je ne prétends point accuser
le zèle de la magistrature, mais l'imperfection de la loi. Il n'y
a personne enfin qui ne sache que de nombreux officiers de po-
lice et de justice, aux ordres du gouvernement, répandus sur
toute la 'France, sont tout prêts, au moindre signal de l'autorité,
à emprisonner tous les citoyens soupçonnés de crime d'état, et


formel.


puissent être élargis avant que le ministre chargé de
la police ou de la justice ait donné son agrément tacite ou
fs


Que feriez-vous donc, messieurs, par Votre loi de 'suspect ,




( iG )
que d'ajouter l'arbitraire sur l'arbitraire, sans augmenter d'un
atôme la puissance réelle de la police ?


D'après un dernier amendement, les ministres feraient aux
chambres un rapport sur l'exécution de cette loi, et .y joindraient
la liste des personnes qui auraient été arrêtées. -


Je n'élève aucun doute sur la modération du ministère qui
serait chargé de son exécution ; mais, messieurs, jamais la scène
du monde n'a été si mobile, et jamais le ministère n'a été livré
à tant d'instabilité et de vicissitude. La victoire peut voler de
l'un à l'autre camp , et la hache à deux tranchons de la dicta-
ture passer en , des mains ennemies : il n'y a de salut pour les
rois, pour les peuples, et même pour les partis, que dans lajustice.


Et d'ailleurs , quoique nous soyons loin de soupçonner la
probité politique du ministère qui serait chargé de l'exécution
de la loi, il n'en est pas moins vrai que, comme le gouverne-
ment est déjà investi par notre système d'instruction criminelle,
du pouvoir de faire arrêter ou détenir à son gré les prévenus de
crimes quelconques, il ne tiendra qu'à lui de ne faire paraître,
sous le couvert de la présente loi, que le nombre de détenus
pour crimes d'état qui lui semblerait convenable, et que cette
prétendue garantie pourrait se réduire à une pure momerie
politique.


Reconnaissons , messieurs, pie l'arbitraire légal , que le pou-
voir discrétionnaire dont vous investiriez les ministres, échap-
perait. nécessairement à toute responsabilité. Les abus et les
erreurs tiennent à l'essence même de l'arbitraire, et en sont in-
séparables; ce ne sont pas les avens de l'arbitraire , mais ceux
qui l'ont autorisé, ceux qui ont mis dans leurs mains un tel
fléau, (111'1 faut accuser. C'est pour le salut des sociétés hu-
maines que Dieu n'a pas permis qu'il soit possible d'allier
l'ordre et le désordre , la j ustice et l'arbitraire. Vous seuls,
messieurs, seriez coupables, parce que vous auriez affranchi le
pouvoir (les barrières de la loi et de la morale publique dont
vous êtes les gardiens ; vous seriez responsables à vos concitoyens
et à la postérité; et lorsque vous gémiriez sur votre ouvrage,
lorsque vous feriez entendre des plaintes, on vous dirait, et
l'on aurait le droit de vous dire : repentir tardif! regrets
impuissans ! c'est vous qui avez armé l'autorité du glaive de
l'a rbitraire.


Et comment, dans tons les cas, pourrait-on parler dela res-
ponsabilité des ministres? Ne sait-on pas que, malgré les récla-
mations de la chambre des pairs et de la chambre des députés,


( )
ivalgré le cri de l'opinion publique, elle n'existe encore que sur
le papier de la charte.
. Nous dira-t-on qu'il y a une responsabilité morale , et qu'elle
est exercée par l'opinion? mais , messieurs, les ministres ne
veulent4ss •pas,asservir l'opinion, en suspendant la liberté' de
La presse? Ne veulent-ils pas que NOM mettiez à-la-fois dans
leurs mains et des lettres de cachet et les ciseaux de la censure?,
Ainsi, il faut le reconnaître, c'est un arbitraire sans limites.,,
sans aucune responsabilité , que vous donneriez aux ministres.


Mais ne voyez-vous pas, messieurs, combien le malheur des
irconstances rendrait cette dictature plus redoutable? D'après


l'exposé des motifs et le texte du projet de loi, il est évident:
que quiconque serait emprisonné sinvant le nouvelle forme de
l'arrestation dont -vous armeriez. le gouvernement, sans aiig-
mente.


en 'aucune manière son 'po u voir , serait, par cela même,
flétri de la plus atroce suspicion. Quoi, messieurs, il serait loi-
sible au ministère, c'est-a,dire au ministre chargé de la police,
de former une classe de suspects! et dé quels suspects? d'un
exécrable parrieidel et dans quel temps? C'est au milieu de- la.
fermentation des esprits, c'est lorsque des cris sinistres de ven-
geance et de'prèseription se inêlent


• -à la douleur publique, lors-
que des poignards son taignisés sur un tombeau; c'est après tant
d'orageuses révolutions, lorsqu'il n'y 'à pas un homme en
France, grand ou petit, qui .


il manque quelque ennemi, et
qui ne puiSse'redoutertout ce qu'il y a de plus vil: au monde, la
délation et l'espionnage, et tout ce qu'il y a de plus aveugle et
de plus- férnce , l'esprit de parti; c'est dans de si désolantes
circonstances, :qu'un citoyen serait tout d'un coup frappé !d'un.
sceau de réprobation, lui, sa famille, ses amis ;- ;fie l` verrait
rejaillir sur lui le


"


es d'une auguste victime; qu'i Userait
-Signalé,


par le fait même et la forme .'de• son arrestation, comme un.
inonstre, à l'univers entier ; qu'il serait plongé dans les cachots,
qu'il y resterait des mois entiers, écrasé sous le poids du régi-
cide! Ah ! messieurs, quel est l'homme digne du nom d'hemme,
à qui une telle pensée ne-glace le ceux? -


Je vous en conjure, messieurs; annom de la patrie , au nomde ce que vous avez 'de plus cher,. rejetez ce funeste projet ;
rejetez uneloi quine viole pas


- seulement la loi constitutionnelle
de l'état, mais les lois éternelles • de l'humanité. Ne déineratez.pas les solennelles promesses si récemment émanées du trône;
me vous démentez pas vous—mêmes et soyez fidèles à vos de=
noirs constitutionnels. Ne sanctionnez pas, par vos suFfrages ,
un acte d'accusation injurieux pour le peuple que vous; reps;;«'-


2




( 18 )
sentez; et si l'on veut absolunient le considérer comme complice
d'un attentat qui lui fait horreur , et le punir par la privation
de toutes ses garanties, ne le condamnez pas sans enquête, sans
aucun document, et ne le traitez pas plus rigoureusement
qu'un horrible assassin: Rejetez une loi qui, loin de fortifier
le pouvoir, lui ravirait sa véritable force, la confiance et l'a-
mour des citoyens; une loi qui serait le prélude sinistre de la
destruction de toutes nos libertés.


Je vote le rejet du projet de loi.
M. Bastérreche. Mess i eurs, je n'ai pu obtenir, il y a quel-


ques jours, d'être entendu dans une discussion oii je tenais à
venir rendre hommage aux voeux présentés par mes concitoyens,
et le sentiment qui me-remplit aujourd'hui , en prenant. pour
la première fois la parole, est une sorte de regret de l'avoir
demandée.


C'est • moi qui dois attendre de vous tous les cônseils dans le
projet de loi -qui nous occupe , et qui même nous trouble.


Des questions de commerce, d'administration municipale et
départementale seraient tout-à-fait de mon ressort; elles sont
entrées dans mes études et dans les expériences de toute ma vie;
ie suis presque étranger à quelques-unes de ces grandes ques-
tions sur les principes de l'ordre social„ approfondies et éclaircies
si souvent par vos lumières.


Cependant , lorsqu'il s'agit de liberté individuelle , le sen-
timent a sa lumière aussi, et je me suis senti invinciblement
pressé de vous , exprimer le mien devant la nation qui nous re-
garde et nous écoute plus attentivement que jamais : il faut,
dans cette circonstance si importante, que nos départemens ne
puissent ignorer quelles ont été nos opinions : se taire en pareil
cas, a trop l'air de se cacher.


Mon premier mouvement est de rendre grâces au rapporteur
d'avoir dit si franchement, dès l'abord , que c'est le crime de
Louvel , ce crime si horrible pour tous , qui a poussé ou décidé
les ministres à vous présenter un projet tendant à couvrir de
nouveau la sainte image de la charte des mystères effrayons du
pouvoir arbitraire. Ainsi, parce qu'il s'est trouvé un scélérat qui
a pénétré la nation entière d'horreur et d'affliction. les ministres
veulent que la liberté individuelle perde ses plus sûres ga-
ranties! ils veulent que la nation entière soit considérée en état
de:suspicion , qu'elle soit mise et tenue en état de prévention!


C'est de tous les ministres qui ont paru autour des trônes,
dans les pays esclaves , et même dans les pays libres, qu'on a


( 19-)
1,.1é fondé à dire : Dès qu'on leur est suspect, on n'est plus


es ont eu beau couvrir de quelques formes, dans
innocent


ies nôtres
r


leurs projets, le pouvoir au-dessus des lois qu'ils vous deman-
dent, ces formes n'ont rien de judiciaire, tout y est ministériel
ou sous-ministériel ; tout commence par eux, et pendant trois
grands mois, s'ils le trouvent bon pour eux, ils pourront tenir


leurs verroux le plus honnête homme de la France, l'ami
le plus sincère des princes régnons et des lois.


Trois mois de détention... est-ce donc là seulement une pré-
caution prise? Durant ces trois mois, le détenu pourra tout
perdre; sa-famille dévorée d'inquiétude ; sa fortune, sur la-
quelle il ne veillera plus lui-même; la santé, qui se ruine pres-
que toujours dans les prisons, même lorsqu'on sera parvenu à
écarter tout ce qui les remplit d'infection et de contagion.


A la suite des mots que j e viens de prononcer, messieurs,
une observation vous frappera et vous affligera sans doute au.,-
tant que moi : ils• pourraient faire tant de mal à un innocent-,
nos ministres, et il n'y a pas un seul article de leur projet de
loi qui parle d'une indemnité pour cet innocent ou pour sa fa-
mille; quelle justice, grands Dieux !


Et voilà ce que c'est que de sortir des lois, que de vouloir
un pouvoir absolu et arbitraire : on perd tout sentiment d'équité
et d'humanité ; on parle de prévenir des crimes, et sans le vou-
loir, sans s'en douter, on en commet soi-même qui feraient
frissonner, si l'on était resté sous cet empire de la loi qui ne
borne la puissance des Rois, que pour la rendre sainte et chère
à tous les coeurs.


Mais je veux examiner, je veux voir par moi-même , mes-
sieurs , ce que vous me ferez voir mieux encore à votre toue.
Est-il vrai que l'arbitraire et l'absolu soient les seuls moyens ou
les meilleurs d'arrêter les assassins avant qu'ils aient pu frapper?


Il n'y a que deux moyens qui puissent 'être assez bons pour
être infaillibles. Le premier, c'est la surveillance d'une police




active, infatigable, éclairée, qui aura partout les yeux et la
main; qui sera servie non pas seulement. par d'infantes espions,
que je ne crois pas très-nécessaires, niais par tous les hommes
qui aiment l'humanité, la royauté constitutionnelle, la paix
publique, et la dynastie qui l'assure.


Eh bien'. cette police l'a-t-on refusée aux ministres? n'est-
elle pas dans leurs mains avec toutes les forces et tout l'argent


ajoutnécessaires ? qu'est-ce que l'absolu et l'arbitraire peuvent. ser? Rien.
- • •




I )
Seulement, d'honorable qu'elle peut être avec facilité, ils ia


rendront redoutable , odieuse, abhorrée même aux plus lion,
nêtes-gens; et par-là les scélérats la craindront moins.


Le second moyeu, c'est de hâler, de précipiter même, si
l'on veut, l'action du .pouvoir judiciaire qui doit mettre au plus
grand jour le crime, le coupable, les complices, ou l'innocence
complète de ceux que- la .police a déjà arrêtés et interrogés
-Eh bien ! qu'est-ce qui manque aux organes de la justice ordi-
naire pour remplir cette mission sacrée avec assez 'de rapidité?
-n'y pas dans _toute la France une police et une justice
tris-prés l'une de l'autre?
- Quel temps y aurait-il à perdre à faire passer de l'Une à
l'autre le prévenu que l'on tient sous la main? tout ce qui donne
.des soupçons. des préventions ou des preuves, ne peut-il pas
être mis sous.ies yeux des juges de la loi avec la même célérité
que sous les yeux des ministres et du conseil d'état?
- Des magistrats accoutumés à instruire et à juger des affaires
criminelles, ont-ils dans leur esprit, de par la-nature, quelque
chose de moins pénétrant, de moins prompt et de moins'juste
que des ministres si souvent troublés et étourdis par le-fracas de
tant d'affaires et de tant d'intrigues politiques?


Hélas ! en laissant même les lois et les j uges dans leur état
actuel, il ne reste à des ministres que trop de moyens d'une in-
fluence pernicieuse sur-tous ceux qui, même légalement en ap-
parence , commencent, poursuivent et terminent les procédures
criminelles.


Les annales de taus les pays et de tous les siècles n'offrent que
trop d'exemples de tribunaux judiciaires, qui n'ont pas su ou
-voulu refuser*au pouvoir le sang qu'il leur a demandé. Ce qui
.devrait être toujours le plus saint sur la terre,-,. la justice, n'a
été que trop souvent ce qui a le mieux servi te despotisme, la
tyrannie et leurs ministres. Home sous les empereurs , l'Angle-
t 'erre sous les Tudor et les Stuart, la France tout-à-l'heure sous
ses ministres, dans Nismes , dans Lyon et dans Grenoble, n'ont
fourni que trop de sanglantes preuves à cette vérité qui semble
une accusation contre le coeur humain.


Conjurons donc nos ministres de laisser nos lois criminelles
telles qu'elles sont , la France en croira davantage à toutes leurs
lionnes intentions ; s'ils persistent à les changer , 'elle ne leur
en supposera plus que de mauvaises ; et nous, messieurs , si la
minorité, qui plusieurs fois a approché si près de la majorité,
ne l'atteint pas et ne la dépasse pas enfin dans cette -haute cause
nationale , tenons pour certain qu'il n'y aura pas dans toute la


( 2r )
nation un seul-individu indépendant d'Allie et de caracP.,e, qui
ne nous fisse un blâme , et peut-être un crime d'avoir sacrifié
aux vues égarées des ministres , la plus sainte des garanties na-
tionales, la liberté individuelle


J'allais finir , messieurs , niais le rapport d'ailleurs plein de'
sagesse qui vous a été fait, vous propose, comme amendement
du projet des ministres,„ (les dispositions qui, à mon avis , ren-
draient la loi d'exception moins constitutionnelle àto beaucoup
moins libérale encore. La commission juge utile de . spécifier ,
que pour arrêter moins arbitrairement , il y ait au moins des
discours , des menaces, des écrits, des faits quelconques ; elle
croit beaucoup exiger des ministres ! Mais loin d'amender l'ar-
bitraire.„ c'est l'accroître monstrueusement. Qu'y a-t il au monde
de plus inexactement rapporté que des paroles , qui s'envolent
au moment où on les prononce? Et quand elles seraient exac-
tement retenues et rapportées , que sont des paroles sujettes à
tant d'interprétations , sans ce qui les a précédées, sans le-ton,
qui les a accompagnées? Des écrits paraissent avoir plus de con-
sistance; mais qui écrit, qui. lit avec' précision ? Avec . des mil-
liers d'écrits sur le sens dans lequel une seule pensée, une seule
intention a été écrite, on peut nager et on nage dans une. mer
d'incertitudes.,


Messieurs, aucun de vous ne peut l'ignorer-,


puisque je le
sais, moi; des dénonciations et des arrestations sur des paroles.
et sur des écrits ont toujours soulevé l'indignation de tous les
publicistes qui n'ont pas été les rédacteurs ou les- commentateurs
salariés des axiomes


pas
la tyrannie.


Je ne sais s'il est vrai , ce qui s'est répandu- à l'occasion de
cet exécrable crime qui a frappé de mort un Bourbon, du crime •
dont on ne rougit pas de vouloir se faire un appui pour frapper
aussi de mort la liberté de- la nation ; mais on a débité qu'un
maître de poste, qui avait le tic de dire k chape-nouvelle- ra-
contée-devant lui, je lé savais, entendant annoncer l'assassinat
du duc de Berri par un courrier de Paris , s'écria je le-savai
suivant son tic , et qu'il a été arrêté et conduit aux interroga-
toires ; et en effet ne voilà


-t-il pas unnnot qui semble proUver-
un complice on au moins,


un-confident?
Vo ici un autre fait consigné dans toutes les histoires de rAn-.


gleterre, et qui rend aussi sensible pour les rois que pour les
peuples l'extrême danger de ces lois criminelles portées conirei
les paroles. Henri VIII, le roi Henri.VIII, ce mari, cet, égor-
geur successivement de trois on quatre femmes, prononcé, avait prono
/a, peine de mort contre çeux qui prédiraient sa mort. Dans sz




( 22 )
dernière maladie, son médecin n'osa ni la prédire, ni ordonner
les remèdes qui auraient été aussi une espèce de prédiction. Le
Roi mourut, et mourut, dit-on, beaucoup plus tôt par suite
des effets de sa loi contre les paroles. Et ce second exemple ne
M'autorise-t-il pas, messieurs, à adresser ici aux ministres ces
mots qu'un de nos plus grands orateurs, un de nos orateurs sacrés,
adressait aïx puissances d'alors : Et emdimini - qui judicatis
terrant ?


J'ai reconnu que les écrits ont quelque chose de plus per-
manent, mais il n'ont rien de plus probant, s'il ne s'y joint
quelqu'acte, quelque fait extérieur. Et ce n'est pas un fait
quelconque, comme le dit l'amendement de la commission,
c'est un fait relatif aux écrits et aux crimes dont on recherche
les preuves et les auteurs. A-propos d'écrits , messieurs , une
puissante considération me pénètre et doit vous pénétrer.


On parle de censure, après un an de liberté , pour ceux des
écrits qui influent le plus rapidement.et le plus continûment
sur l'opinion publique ; les delinquans , si la censure passe, ne
pourront subir que des peines correctionnelles; mais la loi des-
tinée à mettre les jours augustes de nos princes en sûreté ,
associée à celle destinée à. garantir les ministres de la sagacité
des journaux, peut bien aisément faire d'un écrit qui ne sera
que hardi contre un pouvoir responsable, un crime dé lèse-
majesté : une partie de l'Histoire romaine, sous les empereurs,
est composée de tels faits.


Mes collègues , et je ne me tourne préférablement d'aucun
côté en vous donnant cette appellation , nous sommes tous éga-
lement collègues , j'en suis saur, dans cette question ; le plus
superbe de nos Rois, celui qui n'a pas eu le bonheur de donner
aucune liberté constitutionnelle à son siècle , niais qui lui a
donné une autre espèce de grandeur, Louis XIV, qui avait bien
plus encore les principes que la caractère du despotisme, admi-
rait et aimait par-dessus tous les gouvernemens , celui du Grand-
Ture. Voilà du moins de le franchise; et si ce prince n'eût pas
été franc et loyal, il n'eût pas élevé très-haut la nation par
son règne. Voilà aussi un modèle pour des ministres; qu'il nous
disent avec la même franchise que ce qui leur plaît le plus, ce
Serait de pouvoir nous gouverner en visirs !


Quand ils nous auront déclaré ce qu'ils préfèrent , nous leur
déclarerons à notre tour ce que peut faire le peuple dont nous
sommes les représentons; et déjà je commence par dire pour
ma part , à ces ministres : Vous empiétez sur la liberté légale,
vous restreignez le bénéfice de la loi vous brisez nos plumes ,


l 2J )


-vous nous réduisez réellement au silence en nous imposant
votre censure; vous nous présentez comme le chef-d'œuvre de
votre sagesse et de votre candeur une loi d'élections si déraison-
nable , si ridicule même dans son exécution, qu'on est presque
tenté de dire qu'un de ses moindres défituts est dé . mettre la
réalité du résultat à la disposition et dans . la volonté de vos
subordonnés , c'est-à-dire dans la vôtre , dans les mains de
vos 'gagistes, dans les mains d'un juge que vous pouvez déplacer,
dans celle d'un maire, d'un juge de paix que vous pouvez des-
tituer ; et c'est là ce que vous appelez du gouvernement repré-
sentatif! Ah! soyez plus sincères. Ce que les Français détestent
par-dessus tout; bien plus, ce qu'ils méprisent , c'est l'hypocrisie
et la fausseté : agissez donc avec plus de franchise,. montrez
plus de courage ; fermez aussi cette tribune d'où s'échappera
toujours la voix sévère de la vérité, chassez de cette enceinte
les députés du peuple, et-vous aussi gouvernez-vous à la russe,
à la turque ; nous verrons après qu i parmi des Français sent
assez lâche pour subir Te knout ou pour'sceepter le cordon.


Fils d'Henri c'est surtout à un député de nos Pyrénées
qu'il appartient de redire tes derniers momens ; c'est en faisant
des voeux pour le bonheur de la France que ion âme s'est en-
volée; les anciens regardaient les dernières paroles des mourons
comme des oracles, elles étaient exécutées comme des ordres
suprêmes; les tiennes n'ont pas obtenu cette consécration.'


Et lorsqu'une affliction si générale et qui devait être si
longue , courait porter des larmes au Louvre, là précipitation
d'un zèle inhabile et peut-être perfide, de la part de quelques
ministres, est venue ajouter à la douleur sincère de ta perte,
une autre douleur . publique non moins profonde : des hommes
ennemis de ta famille et de ta patrie „plus occupés de parer ton
cercueil par de vains ornemens , que de l'embellir de tes der-
nières paroles et des pleurs de tes concitoyens, , n'ont pas craint


- de mêler à des souvenirs d'amour, des souvenirs de reproches;
ils ont voulu que l'arbre de la servitude planté sur ta tombe
couvrît tout de son silence , et c'est le premier rameau dont ils
cherchent à environner le berceau de ton héritier. -


Illustre et malheureuse famille ! .repousse avec indignation
ces conseillers fUnestes qui osent fonder l'extension de ton au-


, torité- sur l'aliénation des sentiMens de la France; toujours
disposés à semer des divisions entrela nation et ses Rois, c'est
dans ce calcul régicide qu'ils placent la durée de leur puissance
et la nécessité de


-leurs services ; niais tout député loyal et dé-
sintéressé s'écriera avec moi :


;
il n'y 1 désormais d'





( 2-4 )
pouvoir solide et durable que celui qui est fondé sur l'amour
des peuples ; il n'y a plus pour vous de repos constant et assuré
que celui qui s'appuiera sur la confiance inspirée et rendue ; et
ce n'est pas par des lois de circonstance, par des lois d'excep-
tions et contraires au pacte fondamental , que l'on peut ac-
quérir désormais l'amour des Français et la certitude de leur
obéissance.


M. de la Bourdonnale. Messieurs, il n'a pas sans doute
échappé à la chambre, et ce ne sera pas sans étonnement, je
pense , qu'elle aura remarqué que les adversaires du projet
soumis à la discussion, n'ont presque combattu une loi de cir-
constance que sous les seuls rapports de la violation de la charte,
-et- du danger d'abandonner toutes les garanties des libertés
publiques et privées, et de confier un pouvoir arbitraire aux
dépositaires de l'autorité, lorsque , exception avouée de la


• législation constitutionnelle, et suspension momentanée de nos
droits les plus chers, le projet de loi que vous discutes n'est
Glue la demande légale et toujours juste, quand elle est néces-
saire, d'un pouvoir. discrétionnaire réclamé par la situation
des esprits et les dangers de l'état.


Sans doute, en ne considérant les choses que d'une manière
abstraite , il n'est. pas permis aux amis des principes constitu-
tionnels de suspendre à-la-liais toutes les garanties de la liberté,
de permettre au pouvoir de substituer la volonté de Phomme.à
la fixité de la loi , et le caprice du magistrat à l'impartialité de
h justice.




Mais si, après avoir Otite les douceurs d'une liberté cons-
titutionnelle, nous craignons de la voir remplacer par l'arbi-
i raire de la licence, par la terreur de l'anarchie, par l'esclavage.
iseepètriel d'un despotisme usurpateur, si nous avions une pro.-
..fonde, conviction que l'édifice social, relevé sur tant de débris,
cimenté du sang de-tant de victimes, ne peut plus s'écrouler sans


- nous ensevelir sous ses ruines, sans écraser à-la-fois la monar-
chie et la liberté, nos institutions politiques nia civilisation
elle-même , peut-être serait-il permis depenser, après tant de
funestes expériences, que nous ne devons pas répéter cette
maxime révolutionnaire. du bon temps : périsse la monarchie
"At .* qu'un . seul pelizeipe ; peut-être pourrions-nous croire qu'il
n'est pas permis-do sacrifier en un jour le prix de tant de sacri..
aces, et je ne dis Pas . seillement l'avenir de la franee , l'avenir
e la génératiOn qui s'avance , mais même cet avenir si pro-


chain de là génération qui s'éteint, à laquelle de nouveaux
troubles ne •emettrgient pas de descendre lentement dans ln.


(
tombe, mais qu'ils y précipiteraient toile vivante ,'tandis
moissonneraient l'autre dans les fatigues de la guerre et les périls
des combats. •


Envisagée sous ce point de vue; neuve encore, la question qui
nous occupe• mérite de sérieuses réflexions, et les exemples ne
nous manqueraient pas pour vous démontrer que si des circons-
tances impérieuses exigeaient le sacrifice momentané de nos
droits les plus sacrés pour consolider toutes les libertés, nous
ne ferions qu'user d'un droit constitutionnel en suspendant le
règne intégral de la charte, parce que la première loi du pacte
social est la conservation de la société pour laquelle il est établi


Et l'histoire des républiques, cantine celle des monarchies
tempérées par des corps politiques nous prouverait que plus le
pacte constitutionnel protège les libertés privées, plus il fut
toujours nécessaire de recourir, dans les temps difficiles, à la
dictature des magistrats ou à la dictature de la loi, parce que le
contrat social ne peut accorder aux individus cette indépen-
dance qui les -soustrait di •ra-rbitreire de l'homme, et ces garan-
ties précieuses de tous les droits privés, sans restreindre le
gouvernement au- pouvoir rigoureusement nécessaire pour foire
exécuter les lois dans les momens-decalme, et que ce pouvoir
ainsi circonscrit n'est plus suffisant pour résister à des attaques
séditieuses ou comprimer des flietions turbulentes qui menacent
la constitution de l'état.


C'est alors qu'il faut instituer ces pouvoirs temporaires qui
mettent le magistrat suprême an-dessus des formes lentes, mais
protectrices de la justice, l'arment d'un arbitraire d'autant plus
irrt'sistibie qu'il est-de son essence dePaccroître par Tu résistance
et de ne tomber que par la victoire. •


C'est ainsi que Boille vertueuse encore , mais agitée par des
filetions ou compromise par de grands revers, trouva . tant de
fois son salut et la garantie de ses droits dans une dictature qui
né semblait menacer la liberté que parce qu'elle était armée
contre la licence qui .en est l'abus.


C'est ainsi que chez un peuple voisin, amant passionné de
ses institutions politiques, les pouvoirs de la société ne refiisent
jamais la suspension de la liberté individuelle. et p•oportion-
nent toujours la puissance dictatoriale de l'arbitrilire an danger
des circonstances et. à l'imminence du péril.


Et il ne Vint jamais dans l'esprit 'le ces peuples de donner
des règles à cet arbitraire, parce que, créé par hi nécessite comme
elle, il ne connaît pas de lois, et que ne pouvant s'élever que
dur leur ruine, il est lui-même l'unique et la suptîme loi.


• -




( 26 ) .
Ce ri'est donc point de savoir si la loi proposée est contraire


aux principes constitutionnels, si elle donne plus ou moins
d'arbitraire qu'il s'agit ; mais si cet arbitraire est réclamé par
les circonstances et les dangers de l'état.


Personne n'a encore contesté la gravité de ces circonstances.
Je vais plus loin ; je soutiens qu'elles sont périlleuses et deman-
dent prompt remède.


ceux-là même qui nieront une conspiration manifeste et
flagrante, que l'on voit chaque jour se développer davantage ;
ceux-là même .qui traiteront de rumeurs populaires ce bruit si
général de l'existence d'un comité dirigeant et d'une organisa-
lion de parti, d'une caisse centrale alimentée par des cotisations
volontaires, pour la distribution de secours mensuels ; ceux-là
du moins ne pourront pas contester ce débordement d'écrits
séditieux qui redoublent au moment des crises politiques : ces
persécutions , ces mouvemens anarchiques dirigés avec tant
de fureur contre les apôtres de cette morale religieuse qui ne
prêche le pardon des injures que pour calmer ces haines qu'on
s'obstine à fomenter sans cesse ; ceux-là du moins ne pourront
contester ces signes de ralliement renouvelés sans cesse et tou-
jours aperçus ; ces bruits sinistres partout répandus, ces avis si
nombreux, hélas ! avant-coureurs inutiles d'un assassinat poli-
tique, qui voulut éteindre tant de droits dans le sang du dernier
rejeton de cette famille auguste sur laquelle reposent les desti-
nées de la France et la paix.


de l'Europe; ceux-là du moins ne
contesteront pas ce système trop visible de désaveu qui, préve-
nant d'avance toute complicité, se trahit lui-même par l'excès de
ses précautions, et loin d'isoler le parricide, révèle l'intérêt d'une
faction à en dissimuler les fauteurs. Enfin „ceux-là du moins ne
contesteront pas l'élection scandaleuse d'un régicide trouvant
partout d'audacieux défenseurs. Faits constans, faits simultanés
dont la concordance, si elle n'était que l'eftà du hasard, serait
plus étonnante et plus désastreuse que la conspiration elle-
•même , prouverait une dépravation générale des
esprits; accusation que repoussent le calme et la résignation du


_peuple au milieu des agitateurs qui le provoquent et cherchent
à l'égarer ; accusation que repoussent la consternation générale
et l'horreur qu'inspirent et le coupable qui la cause, et ceux


•qu'on aceuse.d'a.voir armé son bras et bouleversé sa tête.
Ainsi, soit que ces déplorables événemens soient les symp-


t Ornes d'une conspiration agissante ou le résultat de la dépra-
vation des esprits d'une portion de la société, ils n'en sont ni


( 27 )
Moins graves ni moins dangereux, et réclament également des
mesures promptes et énergiques à-la-fois.


Pourrions-nous, messieurs, dans de telles circonstances, re-
fuser au gouvernement les mesures qu'il croit nécessaires pour
arrêter les progrès d'un mal qu'il connaît mieux que nous? Ne
craindrions-nous pas d'assumer sur nos têtes une responsabilité
d'autant plus terrible, qu'etrangers à la marche de l'adminis-
tration qui les réclame, vous ne pouvez prévoir ni les événe-
mens 'fortuits , ni les fautes et les erreurs qui pourraient amener
la plus funeste catastrophe?


Sans doute, et je n'essaierai pas de le dissimuler ici, sans
doute d'étranges combinaisons ministérielles pourraient quelque
jimr tourner contre la légitimité les armes que vous auriez don-
nées pour la défendre.


Mais alors, messieurs, qu'ajouteraient des lois d'exception
aux moyens qu'a toujours un gouvernement qui se détruit lui-
ménie ?


C'est dans la haute 'sagesse du monarque que nous devons
mettre toute notre confiance.


Placé entre ce . palais deux fois témoin des efforts désespérés
du fanatisme dés factions, et cette place sanglante, monument
-déplorable dés eonsèqUenceS funestes et terribles qu'entraîne
une confiance imprudente dans la générosité d'ennemis impla-
cables, sa prévoyance attentive fixée sur ces grandes leçons ne
permettra jamais à la 'pérfidiede s'asseoir près du trône pour
l'ébranler et le renverser encore; et réservée à contenir les mé-
dians et prévenir , leurs attaques, la puissance extraordinaire
confiée aux dépositaires de l'autorité ne sera jamais employée que
dans l'intérêt de la monarchie constitutionnelle et de la liberté,
dont elle est le plus sûr garant.


Je vote en faveUr du projet de loi.
M. Benjamin-constant. Messieurs, il est des questions


qu'on ne peut aborder sans un profond découragement et sans
une amère tristesse. Telle est celle qui nous occupe aujourd'hui.
Recommencer sans cesse un - travail infructueux, faire quelques
pas dans la carrière de la liberté légale, concevoir quelque espé-
rance-, et se voir repOiissé . par une autorité pour le moins aveugle,
dans le chaos de l'arbitraire, sera-ce donc là éternellement le
sort de ta France? Lés gouvernentens qui se succèdent s'obsti-
neront-ils toUjours à lutter eux-mêmes contre leur propre sta-
bilité? Héritiers des théories que, par une:erreur bien-étrange,
ils s'applaudissent d'emprunter des autorités déchues, héri-
tiers quelquefois, ce qui est plus fâcheux encore, des instru-




(2O)
mens.de ces autorités, instrumens qui ne semblent s'être mis à
part du naufrage de leurs anciens maîtres que pour pousser vers
les mêmes écueils leurs maîtres nouveaux, voudront-ils toujours
rester ou rentrer dans le sentier. funeste oà leurs devanciers se
sont perdus? Je l'a.voue,•messieurs, quand je vois tant d'expé-
riences obstinément repoussées, mon courage.est près de m'aban-
donner. Je Me dis qu'il est inutile de vouloir défendre l'autorité
centre les conspirations qu'elle ourdit sans cesse contre elle-
même. l'importe , remplissons jusqu'au bout notre pénible
tâche; et tant que notre voix ne sera pas étouffée, prouvons à
notre malheureuse patrie qu'elle peut compter sur des défenseurs.


Sur des défenseurs! dis-je; et cependant elle n'a pas dans
cette enceinte le nombre complet de défenseurs qu'elle devrait
avoir : les députations de quatre départemens sont mutilées,
restent mutilées, malgré les déclarations, les promesses solen-
nelles d'un ministre ; promesses tellement positives, que c'est en
se confiant à ces -promesses que vous avez ajourné depuis deux
.mois les réclamations que vous vouiez adresser an trône. Les
députations de quatre départemens restent mutilées, tandis qu'il
s'agit de savoir si les habitans de ces départemens qui, de la
sorte, ne sont qu'imparfaitement représentés, verront leur li-
berté personnelle livrée à des pouvoirs illimités et discrétion-
naires. Les députations dé•uatre départemens restent mutilées,
tandis que quatre voix forment aujourd'hui la majorité.


Que ces départemens sachent au moins que sont privés
de. leurs légitimes organes, la faute n'en.est pas à celte chambre.
Des engagemens ont été pris, des faits affirmés. La chambre
s'est reposée sur ces engagemens, elle a ajouté foi à. ces faits;
les engagemens sont restés sans exécution, les faits étaient sans
exactitude. Luttons néanmoins, quelque incomplet que soit notre
nombre. Il est des époques on,- bien que le succès soit difficile,
tout homme consciencieux trouve une consolation à réclamer
sa part de revers.


Toutefois, messieurs, ce n'est-point dans une discussion de
principes que je nie propose de vous engager. Les principes sur
la liberté individuelle ont été proclamés' ans toutes nos assem-
blées, dans celles même qui, comme 'on vous invite à. le..fai re
aujourd'hui, ne leur rendaient hommage que. pour les violer.
Rien de neuf ne peut être dit sur cette matière. L'arbitrai , e
conventionnel, directorial, a depuis trente ans épuisé
tous :ses .sep ismes, et la liberté toutes ses réfutations. victo-
rieuses, et malheureusement inutiles.


D'ailleurs, messieurs >
que. pour-rais-je ajouter aux raisonne7.


( 2 9 )
.tiens lumineux, soumis, sur le même sujet, à cette Mtniechatn4
bre , dans les années antérieures, -par d'honorables membres que
nous-avons l'avantage de compter encore parmi nos-collegnes


.cc Ce ne sera pas avec de tels moyens, disait, en r 817-„M. de
•Villèle, en parlant de la loi qu'en veut ressusciter; ce ne sera
pas avec linetelle justice qu'on calmera les haines qu'ow Mein.-
cira les divisions, qu'on étouffera les partis dans notretouvelle
France; pas plus qu'on n'y fondera le règne de la charte:en-nous
privant des garanties qu'elle nous avait <tonnées. »


«Trois articles de notre constitution , disait M. de 'Castel:
bajac, consacrent les droits des Français. L'article 8 assure la
'liberté de la presse; l'article 4, la liberté individuelle; l'art. 4z
garantit que nul ne pourra être distrait .de ses juges naturels.
C'est la totalité de ces droits qui serait aujourd'hui suspendue
par les propositions ministérielles ! Serait il politique de voter
nue loi qui semblerait dire que nous sommes convaincus que le
gouvernement ne peut point gouverner avec sa force 'Militaire,
sa gendarmerie, ses préfets et touteS ses administrations? Se-
rait-il politique de dire : Nous avons besoin (le potiVoir arrêter
à volonté, nous avons besoin de comprimer la pensée?»


On parle de responsabilité.., continuait M. Josse de Beau-
voir. Comment le ministre pourrait-il être' responsable d'un
pouvoir dictatorial , tel que celui dont cetteloi l'investirait ? La
responsabilité morale est invoquée; mais du moment girelle en.
parle, elle exclut la responsabilité légale. Le prévenu Sera né-
cessairement jugé par l'autorité qui l'accuse , et la dictature
s'étendant sur les journaux, les plus justes réclamations n'auront
nul moyen de se faire entendre.


cc Si le président du conseil signe de confiance, s'écriait enfin
M. de la Bourdonnaie, et son observation s'applique à la signa-
ture de-trois aussi bien que de deux ministres, c'est un cachet
anis à côté d'un autre. Loin de trouver une garantie dans ces




secondes ou troisièmes signatures, il est évident. que le prévenu
ne trouve que des adversaires de plus:;. car, pour peu qu'on ait
étudié le coeur humain-, l'on sait que l'homme aime à défendre
-son ouvrage. Quanta là garantie que peuvent offrir les -procu-
.reurs,généraux , sans doute il est des magistrats intègres- et
.courageux. Mais t les procureurs-généraux sont anioviblèsi . et
•..cependant voilà-ne-malheureux détenu sans confrontation, sans
•communication -des soupçons •à sa charge, sur lequel on pro-
nonce sans le voir, sans l'entendre, et cela non pas comme la
lettre du projet le,


porte, pour une seule année,- mais la loi




4'


( 3o )
pouvant etre renouveiee, pour autant d'années que les ministres
réussiront à prouver qu'il est utile de violer la charte ».


Certes , messieurs, je croirais faire injure aux honorables
collègues que je viens de citer, si je ne m'en reposais sur eux
pour défendre aujourd'hui des principes qu'ils ont si éloquem-
ment développés jadis. Ils ne les ont point abjurés ces principes ;
ils ne les professaient point, sans doute, uniquement dans leur
intérêt: loin de moi , loin de nous tous la coupable et injurieuse
pensée, qu'ils ne réclamaient la justice que parce qu'ils seraient
prêts à la 'dédaigner, pour peu qu'ils espérassent être les plus
forts. Ce n'est donc point en vous entretenant de doctrines gé-
nérales que l'évidence même et l'expérience de trente années
ont rendues triviales et rebattues, que je viens combattre le
projet de loi. -Je viens vous parler de la circonstance sur la-
quelle on le motive, et des prétendus adoucissemens que votre
commission vous propose; adoucisSemens tellement illusoires,
hormis un seul, que j'aurais préféré, je l'avoue, que le projet
vous fût présenté dans toute . 1a. linreté de son arbitraire, parce
qu'alors vous auriez été plus frappés dé ses vices, les amen-
demens de la commission enveloppent et déguisée sans les
atténuer.


La circonstance „messieurs, l'horrible circonstance., vous la
connaissez. Un crime épouvantable


_a été commis; un crime
qui a porté la consternation dans tous les coeurs, et plus pro.
fondement dans ceux des amis sincères de la liberté : car ils
n'ont pas conçu le coupable espoir d'exploiter à leur profit et
crime épouvantable..Mais qu'a.de commun ce crime avec l'état
de la France ? .


Un Ministre nous dit qu'il est le fruit amer de la fermenta.
tion qui existe depuis un an. Où est la preuve ? Le fait d'abord
est inexact. Ce n'est point depuis un an. que des symptômes de
fermentation ont pü alarmer les esprits sages.


Il y a un an, il y à peu-de mois, aucune fermentation n'agi-
tait la France: -Une-amélioration calme et progressive se faisait
partout -remarquer. Une vie animée , -telle que la créée une vé-
ritable et sage liberté, circulait activement-dans toutes les par:.
ties de ce superbe royaume. L'espoir remplissait toutes les âmes.
L'attachement aux institutions pénétrait dans tous les esprits.
Des plaintes s'élevaient sans doute encore contre des abus de
détail ; mais ces plaintes inséparables de la condition humaine,
inséparables surtout d'un gouvernement représentatif, ne trou-
blaient ni l'ordre public iules espérances générales.


( 3t )
Tout-à-coup des ministres qui prenaient l'exercice des droits


nationaux pour des révoltes, et nos oppositions constitution-
nelles pour des projets de bouleversement , ont déclaré la
guerre à toutes nos garanties. Alors, en effet, la France s'est
alarmée. L'on a pu remarquer d'une extrémité du royaume à
l'autre une fermentation douloureuse : mais comment cette fer-
mentation s'est-elle manifestée? Par la chute de l'industrie,
par l'interruption des spéculations, par la baisse de la valeur
vénale des propriétés, enfin par des pétitions respectueuses
trop peu écoutées. Qu'ont de commun ces symptômes d'inquié-
tude avec l'exécrable assassinat d'un prince étranger à toutes les
questions politiques; d'un prince séparé du trône, suivant la
marche de la nature, au moins pour bien des années encore ;
d'un prince enfin dont la mort déplorable, en le rendant l'ob-
jet du regret juste et profond de quiconque admire la bonté, la
générosité, le courage, ne servait , grâces au ciel , aucun des
criminels systèmes auxquels on voudrait l'attribuer??


Mais, nous dit un ministre, ce crime est l'effet d'opinions
perverses. Eh messieurs , qui peut calculer c.omment les idées
s'enchaînent dans la misérable tête d'un frénétique? Le crime
heureusement est inintelligible avec des hommes comme nous ;
nous devons l'abhorrer, nous devons le punir ; niais nul ne peut
plonger dans l'effroyable labyrinthe d'une nature pervertie
pour rattacher à des opinions des attentats. Je vous le demande,
auriez-vous trouvé juste, apres les assassinats des protestans de
Nîmes, un pouvoir discrétionnaire contre tous les membres de
communions différentes? et quand le général Ramel a péri à
Toulouse, n'auriez-vous pas été indignés si l'on dit voulu sou-
mettre à des lois exceptionnelles tous les suspects d'exagération
de royalisme?


Je ne prononce point sur les causes du crime d'un abominable
assassin ; mais la nation ne doit certes pas en porter la peine.
Vous ne pouvez appuyer par l'adoption d'un projet de loi qui
fait planer sur la nation tout entière d'horribles calomnies°qus
n'ont été que trop répétées. J'ai Frémi de ne pouvoir répondre à
ceux qui repoussaient tant d'honorables pétitionnaires au nom
du forfait de Louvel, et je saisis du moins cette occasion tardive
de protester contre cet odieux rapprochement.


La circonstance n'excuse donc point la mesure que l'on vous
propose. Cette mesure, comme les deux autres qu'on-nous pré-
sente simultanément, fait partie d'un système médité-, rédigé,
annoncé d'avance; d'un- système qui ne tend à rien moins qu'if
renverser tout le gouvernement actuel, à déchirer la ,ehàrte




)
Substituer à nos institutions la monarchie absolue. C'est à part
d'un souvenir déplorable que vous devez examiner çe systèMel
et le sang précieux, le sang à jamais regrettable qui a été versé,
ne saurait servir de prétexte à donner des fers à une; nation
innocente, irréprochable, qui . a reculé d'horreur devant ce
forfait.


Je-passe à l'examen des amendemens que votre commission
vous propose; car personne, jusqu'à présent, n'a défendu le
projet primitif du ministère. Tous les orateurs se . sont rejetés
sur les amendemens, parce que le mot d'ainendemens semble
avoir quelque chose de rassurant et de spécieux. 'Mais vous
verrez combien est illusoire l'espérance que cen.icit.d'ainende:-
mens a pu vous donner. •


Je commencerai par relever un -des raisonnemens de votre
commission , qui m'a beaucoup frappé. Peur justifier ks projet
d'accusation d'inconstitutionnalité, votre commission vous fait
observer , que vos prédécesseurs ;,'auraient pas émis la loi du
-12 février 181 7 , si elle avait poussée par la charte. Mes-


. 11'S, ne moyen-vous pas mien argument vous conduirait, vous
les députés qui vous suivi-tint? Si, dans une session prochaine,


Ou'dëniandait à vos successeurs une loi pareille, on s'appuierait
de-Vous pour la réclamer. Parce que vos prédécesseurs ont eu
le tort déléguer à l'arbitraire un précédent de plus, vous conti-
nueriez cette tradition si désastreuse ! et l'histoire s'en prendraitihstéhieht à vous, non-seulement du mal que vous auriez fait,
inais'de celui qu'à 'l'avenir on ferait d'après votre exemple !


l4tIcentnission se fait un mérite d'avoir retranché du projet
fi e loi' les mots trop vagues, dit-elle „de sgret4dePétat ; mais;
Messieurs, quand le pouvoir discrétionnaire ,- quand , ainsi que
vous le verrez tout-à-l'heure, l'autorité n'est tenue à rien pré.-
Viser, à •t-leit publier7,-qUan .eelle peut. refuser à l'inculpé tous


docuiriens qui sont à sa . chargo,-. quand elle est exhortée
d'après lespareles de M. le rapporteur, z se déterminer par une
considérâtion incommunicable, et d'après des adminicules in-
susceptibles' .de précision, que m'importe seus quel prétexte
ParrestetiOn peut avoir lieu? Quand un fonctionnaire voudra
plonger un ennemi dans les cachots, il ne pourra pas dire, il
est vrai, qu'il l'emprisonne pour complots contre la sûreté de
fiait, mais it dira -qu'il Penapeisonne pour discours ou faits
-quelconques attentateires41. la conservation du gouvernement.
N'étant obligé de rien expliquer, de rien prouver, que fait la
rédaction, .et , où est la garantie qu'est censé fournir cet insigni-
fiant-synonyme ?L'amendement que votre commission appelle-k


( 33 )
principe, est . mil et dérisoire. Les mots ne changent rien au
fond des choses ; et quand l'arbitraire est au fond des choses,j e voudrais être préservé du moins des subterfuges des Mots.


Il nous a semblé, poursuit votre commission, qu'il n'est pas
sans intérêt pour la liberté individuelle , que copie soit donnée
à l'individu arrêté. Mais dans cette copie ne se trouveront ni
les noms des dénonciateurs, ni la dénonciation elle-même, ni
ce que vous entendiez tout-à-l'heure votre commission nommer
des ouvertures coedentielles, qui ont donné lieu à l'arrestation.
Que servira donc au détenu de savoir que trois ministres, dont
deux, au milieu du tourbillon des affaires, devront nécessaire-
ment signer de confiance, et dont le troisième, tout au plus,
aura reçu du préfet, du maire, du commissaire de police, de
l'officier de gendarmerie, de l'évêque ou du curé, des ouver-
tures confidentielles qu'il n'aura pas le temps d'examiner, et
qu'il aura soin de tenir secrètes?


Cet amendement, messieurs, est illusoire comme le premier.
J e vous ferai grâce de la distinction entre les mots de prévenu


et d'inculpé. Comme le sort du détenu est le même, le nom
qu'on lui donne me semble, je l'avoue, assez indifférent ; il
s'agit ici de la liberté des citoyens , et non d'un article du
Dictionnaire de l'Académie.


Pour calmer des inquiétudes, continue votre commission,
nous avons précisé quelques faits susceptibles de devenir des
causes d'arrestation : mais nous nous sommes bien gardés de
poser à cet égard aucune limite. Nous en avons, au contraire,
voulu exclure jusqu'au soupçon, par une généralité à laquelle
tout pût être ramené. Certes, si, après cette explication, les
inquiétudes se calment, je les en félicite ; quant à moi, je ne
conçois pas pourquoi, messieurs, vos commissaires ont rejeté le
mot de machination.s, comme présentant un vague dont l'ima-
gination s'effraie. Quand on adopte avec intention une géné-
ralité à laquelletout peut être ramené, Pen ne peut pas redouter
le vague; et en introduisant dans la Iodes mots de faits quel-
conques, on donne, ce me semble, la perfection du vague à ce
beau idéal de l'infini.


En écoutant la partie du rapport qui ordonne qu'après trois
mois le prévenu ou l'inculpé, comme on le voudra , remis en
liberté, -aura connaissance par écrit des causes qui l'auront fait
arrêter, j'avais cru voir dans cette disposition une espèce de


•garantie, bien insuffisante, sans doute, mais que, faute de
mieux , j'acceptais. Je ne suis pas resté long=temps dans cette
illusion consolante.




1


( 34 )
Entendre cette obligation imposée à l'autorité, dit votre


commissi n , dans un sens qui mît à la merci de la personne
qu'on 'relâche les documens de tout genre recueillis sur son
compte, serait manquer évidemment le but de la loi. On ne
peut concevoir qu'après un pareil système on osât jamais-faire
au gouvernement la moindre ouverture confidentielle.


Poserai demander quelle est cette expression si adoucie ,
une ouverture confidentielle, quand cette ouverture-tend à faire
arrêter un homme, et que l'auteur de cette ouverture craint
d'être nommé? Ne serait-ce pas ce que nous appelons grossière-
Ment une délation? Je ne me permettrai plus de dire que la
loi ne contient aucune garantie. Voici , je le reconnais, une
garantie formelle pour les délateurs.


Est-ce sérieusement, messieurs, que vous pourriez adopter
ce système, renouvelé du Bas-Empire, ou, si l'on veut, de
Buonaparte? car les agens de Buonaparte n'ont fait autre chose
qu'user_ sans loi expresse, ou plutôt d'après des lois expresses
émanées de la convention, précisément du pouvoir que veut
créer la loi actuelle. Dans ce temps j'ai quitté la France, parce
que MM. les préfets de police de Buonaparte pouvaient mefaire arrêter sur des ouvertures confidentielles , d'après leur con-
viction incommunicable. Je ne m'attendais pas à me retrouver à
la merci de ces ouvertures confidentielles et de cette incommuni-
cable conviction sous un gouvernement constitutionnel.


Je passe sous silence trois autres amendemens, qui , dit
votre commission, viennent au secours de l'humanité et de lajustice. Je n'y ai rien vu qui offrît le moindre appui à la justice
et à l'humanité. Le choix de•a prison remis à l'autorité, ou,
pour mieux dire, au dénonciateur, qui peut choisir lui-même
le théâtre des faits qu'il invente, expose toujours l'inculpé à
être traîné fort loin de son domicile. -La substitution des pro-
cureurs-généraux aux procureurs du Boi n'est qu'un déplace-
ment d'arbitraire que le hasard peut rendre tout aussi fâcheux
qu'utile. L'interrogatoire sur des documens qui ne seront com-
muniqués à l'accusé que discrétionnairement et en partie, est
une vraie cérémonie. Il n'y a dans toutes ces améliorations
prétendues rien qui me rassure.


Mais ce que j e remarque, c'est que votre commission ne
s'est point expliquée sur ie secret, sur cette épouvantable peine
de solitude absolue , qui conduit les détenus à leur ruine en les
séparant de l'administration de leurs-intérêts . , et qui les con-
duit à la démence en les arrachant à_ leurs affections. Ainsi le
secret, ce supplice qu'un peuple vraiment libre considère comme


( 35 )
le châtiment le plus douloureux ; ce supplice, que sous nos
divers ministres tous les partis ont subi tour-à-tour, , pourra
être infligé pour trois mois à tout homme qu'un subalterne aura
honoré de sa haine, un délateur de ses impostures, et trois
ministres de leur insouciance ! • Messieurs , si j e votais cette loi,
je ne jouirais plus d'un instant de repos; je verrais toujours
autour de moi l'image des malheureux, peut-être innoeens ,
que mon vote aurait livrés à des tourmens destructifs de leur
fortune de leurs facultés morales ou de leur vie ; et si, par
une .combinaison incroyable, une autre loi tuait à la même
époque la publicité, l'ignorance on je serais du nombre de mes
victimes doublerait mon eugoisse et mes remords.


Mais, vous dit-on, le rapport que les ministres devront
mettre sous les yeux des chambres, les contiendra dans de justes
bornes jusqu'à la prochaine session. Eh ! savons-nous quelles
chambres aura la France à la session prochaine ? Je ne veux
point anticiper sur les discussions qui se préparent ; mais dai-
gnez peser cette considération ; réfléchissez aussi à l'effet que
la loi qui vous est soumise aura peut-être sur les élections
mêmes.


J'ai lu dans une opinion célèbre d'un noble pair, qu'en
1816, le ministère, pour influer sur les choix, ouvrit les prisons,
et remit en liberté beaucoup d'électeurs détenus en vertu de la
loi du 2 9


octobre. Ce qu'on obtint alors, si le fait est vrai, par
des mises en liberté, ne pourrait-on par l'obtenir par des
arrestations à une autre époque ?


Messieurs, la loi qu'on vous propose est la ruine non-seule-
nient de la liberté, mais de la justice, de la morale, du crédit,
de l'industrie, de la prospérité de la France. 11 n'est aucune_
vertu qui ne soit dégradée, aucun intérêt qui ne soit froissé par
une loi pareille. Quand j'entends , !es hommes qui peut-être se
préparent à voter pour cette loi, parler de puissance paternelle,
de sainteté du mariage , de nécessité de liens domestiques;
quand j'en entends d'autres parler de spéculations et de com-
merce, je .reste stupéfait de leur aveuglement.


La puissance paternelle ! Mais le premier devoir d'un fils
est de défendre son père opprimé ; et lorsque vous enlevez un
père du milieu (le ses enfans, lorsque vous forcez ces derniers
à garder im lâche silence, que devient l'effet de vos maximes et
de vos codes, de vos déclamations et de vos lois?
• La sainteté du mariage! Mais sur une dénonciation téné-
breuse, sur un simple soupçon, par une mesure prise par des
ministres avec la précipitation des affaires et l'insouciance dé-




( 36 )
daigneuse du pouvoir, on sépare un époux de sa femme, une
femme de son époux.


Les liens domestiques ! Mais la sanction des 1 iens domestiques,
c'est la liberté individuelle, l'espoir fondé de vivre ensemble
vivre libres, dans l'asile que la j ustice garantit aux citoyens.


Le crédit, le commerce, l'industrie ! Mais celui que vos Mi-
nistres arrêtent a des créanciers dont la fortune s'appuie sur la
sienne, desassociés intéressés à ses entreprises. L'effet de sa dé.
tendon- n'est pas seulement la perte momentanée de sa liberté,
mais l'interruption de ses spéculations, peut-être sa ruine. Cette
ruine s'étend à tous les co-partageans de ses intérêts. Elle
s'étend plus loin encore ; elle ébranle toutes les sécurités. Lors-
qu'un individu souffre sans avoir pu démontrer son innocence
et sans avoir été convaincu d'un crime, tous se croient menacés,
et avec raison , car la garantie est détruite. On se tait, parce
qu'on a peur; mais toutes les transactions s'en ressentent. La
terre tremble, et le sol ébranlé ne menace pas moins, songez-y,
les palais des gouvernans . que la chaumière des opprimés.


'Mais, vous dit-on, cette loi que l'on représente comme si
terrible , a existé en 18 / 7 ; et l'année 181 7 n'a pas été une
époque de tyrannie. Sans m'arrêter inutilement à vous prouver
que, dans plus d'un article , la loi actuelle est plus vicieuse que
la précédente, je vais m'expliquer avec franchise sur les chances
de douceur et de modération qu'on espère. Daignez m'écouter
avec impartialité.


Messieurs, depuis que la tribune est libre , plusieurs de nos
honorables collègues ont usé du droit inviolable de la parole,
pour vous communiquer leurs craintes sur ce qu'ils appelaient
une tendance révolutionnaire. L'esprit révolutionnaire, vous
ont-ils dit, se fait remarquer dans plusieurs lois, dans plusieurs
actes, et cet esprit nous pousse vers un abîme. Vous avez res-
pecté en eux leur légitime indépendance, et ceux mêmes qui
ne regardaient point leurs inquiétudes comme fondées, ont
senti qu'ils avaient le droit de les exprimer. J'ose penser que
j'ai le même droit, et j'attends de vous la même tolérance.


Je n'inculpe les intentions de personne ; niais de même qu'une
portion de cette assemblée croit à une tendance révolutionnaire,
je crois à une tendance contre-révolutionnaire. Je crois qu'un
esprit contre-révolutionnaire s'annonce par des symptômes cer,
tains ; je crois que l'abîme de la contre-révolution s'ouvre devant
nous.


J'entends, messieurs, par contre-révolution, un système qui
attaquera graduellement tous les droits, toutes les garanties que


( 37 )
la nation voulut en 1 789 , et qu'elle avait obtenues en 1814;j 'entends par la «entre-révolution , le retour de l'arbitraire, tel
qu'il existait en 1 788, et tel qu'il existera par les trois lois que
l'on vous propose. Car ce qui caractérisait le régime de 1788,
c'était les lettres .dè cachet, c'était l'esclavage de la presse,
c'était des organes imposés au peuple contre son choix, et sans
son aveu. Or, si nous avons les trois lois proposées, nous aurons
et les lettres de cachet, et l'esclavage de la presse et des organes
imposés au peuple, sans qu'ils soient librement élus.


Je crois que la contre-révolution ainsi opérée pourra feindre
d'abord de ménager ce qu'on appelle les intérêts matériels de la
révolution; mais je suis convaincu qu'elle ne se condamnera
pas long-temps à ces ménagemens incommodes, et qu'aucun des
intérêts créés par les transactions de trente .années, ne sera
complètement respecté.


L'expérience de tous les temps, celle surtout d'une révolu-
tion désastreuse à plus d'une époque, nous apprend que lors-
qu'un gouvernement cède à un parti, ce parti ne tarde pas à le
subjuguer : je prends acte de ce que je dis ici à cette tribune
aujourd'hui. Oui, messieurs, la digue qu'oppose avec indécision
et mollesse à la contre - révolution imminente le ministère ac-
tuel, cette digue cède, plie, s'ébranle ; elle est sur le point
d'être brisée : le ministère lui-même ne le prévoit pas encore
peut-être ;. niais toutes les lois que vous allez faire, la contre-.
révolution en profitera. J'applique ce principe à la loi actuelle
comparée à celle de 381 7 . Autant la loi de 181 7


a été exécutée,
je ne dirai pas avec justice, la justice n'a rien de commun avec
de telles lois, mais avec réserve, autant celle-ci sera exécutée
avec violence et rigueur. Ce qui en 181 7


n'était qi•irrégu-
lier, • en 1820


.sera terrible ; ce qui en 181 7 n'était vicieux
qu'en principe, en 1820 sera effroyable en application.


J'ai dû parler ainsi . , messieurs, parce que c'est ainsi que je
pense; et j'ai eu encore un autre motif pour dire nia pensée.


J'ai toujours regardé comme enviable le sort des amis de la.
liberté qui, lors du commencement des fureurs révolutionnaires,
ont été les premiers frappés : cette destinée les a préservés
d'être les témoins d'autres fureurs encore plus affreuses. Le sort
de ceux .qui seront les premières victimes de la contre-révolu-
tion, si-elle s'opère, nie semblerait également digne d'envie; ils
ne :verront pas cette contre-révolution dans toutes ses horreurs.


Messieurs , deux routes vous sont ouvertes. Depuis deux ans,
• lors même que les ministres se sont égarés, les représeutans.de
la nation ont marché dans la ligne constitutionnelle. Voudrez-.




I
j


( 38 )
vous en sortir? voudrez-vous rentrer dans les lois d'exception ?


• La convention , le directoire, Bonaparte, ont gouverné par des
lois exceptionnelles : Où est la convention? où


gouvern


le directoire?
où est Bonaparte? •


Je vote le rejet des deux projets, tant de celui des ministres
que de celui de la commission,


Séance du 8 mars.


L'ordre du jour.appelle la continuation de la discussion sur
le projet de loi relatif à la liberté individuelle.


M. de Bonald. Je surmonte r messieurs, l'extrême répu-
gnance que j'éprouve à prendre la parole dans cette chambre,
après ce qu'elle a entendu dans la séance d'hier, à Mêler la voix
de la raison et. de la vérité aux exagérations de la passion et aux
artifices de l'erreur.


Peut-être devrions-nous désormais dérober à la France et à
l'Europe la connaissance de nos tristes .débats, et, comme nos
réglemens nous y autorisent, en ensevelir le scandale dans le si-
lence d'un comité secret, et étouffer les brandons, si nous
n'avons pu émousser les poignards.


Mais la question qui nous occupe n'a pas même été discutée.
Je cède au devoir d'y.répandre quelque lumière, et je ne crains
pas d'avancer que ce n'est pas une exception à la loi positive
que l'on nous demande, mais une exception à la loi naturelle
qu'on vient nous demander de faire cesser.


C'est au milieu des grands désordres de la société qu'il faut
en rappeler les principes conservateurs : ainsi, un vaisseau en
péril ,


ette , au fort de la tempête, sa dernière ancre.
Je parle de principes, et cependant un orateur, homme (le


bien, distingué par ses connaissances autant que par le rang
qu'il occupe dans l'administration , a jeté hier de la défaveur
sur les principes : qu'il nu:soit permis de les défendre. L'insensé
qui disait : Périssent les colonies plutôt qu'un principe, et
ceux (l ui le répétaient après lui, prenaient peur un principe
l'article . er d'une loi qu'ils avaient faite ; mais ils ignoraient
que l'univers périrait plutôt qu'un seul des principes conserva-
teurs de son existence morale ou physique, parce que les prin-
cipes qui méritent ce nom sont les axiômes de la législation na-
turelle, émanée de Dieu même. Une maxime qui renferme des
conséquences funestes n'est pas un principe, comme un germe
qui n'a pas la vie en lui-même, ne saurait la donner.


.Je parlerai avec simplicité, malgré les exemples contraires


( 3 9 )
qui pourraientm'entratner vers un genre plus bruyant et sur-
tout plus facile. Je ne déclamerai point; car la déclamation n'a
jamais. été à mes yeux que l'éloquence de l'erreur.La mesure que. le gouvernement vous propose estelle légi-
time? est-elle nécessaire ?est-elle suffisante ?Ces trois questions
embrassent tous les rapports sous lesquels on peut la considé-
rer. Est-elle légitime ?


Tout' citoyen doit à la société dont il est membre, et dont,
quelque obscur qu'il soit:, ou quelque élevé qu'il puisse être,
il recueille les avantages, une garantie d'obéissance aux lois et.
de respect .pour l'ordre établi : la garantie , qui est profitable de
sa protection , ne lui causera aucun dommage ; et non - seule-•
ment il s'abstiendra du crime, mais ne manifestera pas de dis-
position habituelle ou prochaine a le commettre.


Si l'on niait ce principe, il faudrait renoncer à raisonner, et
même à gouverner. •


Toute association d'êtres humains demande cette garantie à
chacun de ses membres .; et aucune société, méme.de.commerce,
n'est possible qu'à cette condition.


Ces-garanties, quels société peut ne pas demander dans des
temps ordinaires, elle doit en demander de plus expresses dans
les temps (le trouble ; et elle ne flétrit pas plus une nation par
cette précaution , qu'un chef d'administration ne flétrit ses su,
bordonnés , lorsqu'il enjoint des mesures plus sévères dé comp-
tabilité, s'il s'aperçoit de quelque infidélité dans les comptes ;
mesures auxquelles les honnêtes gens-sont toujours leSJareniiers
à applaudir, parce qu'ils craignent bien plus le soupçon qui pèse
sur tous, que les précautions dirigées contre quelques-uns.


Cette garantie que la société demande à ehamin .de nous , elle
l'avait hypothéquée sur- nos biens et sur nos personnes, qu'elle
protège les unes comme les autres, et dont la protection lui
coûte si cher. La loi lui a retiré l'hypothèque sur les biens , en.
abolissant la -confiscation ; et nous voulons liii . retirer celle sur
les personnes, en lui refusant le , droit d'arrestation, hors les cas
prévus par la loi, qui ne prévoit pas tout, et qui ne peut pas
tout prévoir, et qui n'a été faite que pour des temps et des délits
OrdEireirepees.n


dant , messieurs, cette garantie que l'état nous de-
mande à tous, dans l'intérêt de sa conservation, dans l'intérêt
public , nous nous la demandons perpétuellement les uns aue.


. autres , et nous nous l'accordons réciproquement dans notre in-
térêt personnel; et l'ordre domestique comme l'ordre public et
politique, est tout entier fondé sur des garanties. Nous n'accor-




( 4o )
dons pas un avantage à un de nos semblables, nous ne prenons
pas avec lui un engagement dont il paisse retirer quelque fruit ;
nous ne traitons pas avec un domestique, .un fermier, un loca-
taire, un•ontreprene.urom débiteleri..qabe nous n'en exigions des
garanties sousrune forme ou sous une autre, caution réelle, cau-
tionnement, certificats de bonne conduite, dépôts d'argent,
termes payés d'avance, hypothèques, contraintes par corps ; et
lorsque nous ne pouvons exiger que des garanties morales, nous
interdisons.Pentrée de notre maison et l'accès dans nos familles,
à l'homme, quel qu'il soit, dent la conduite ou la réputation
ne nous offrent pas une garantie de probité ou seulement de
discrétion ; et notre exigence snr,


ce point va si loin., que dans
nos moeurs , et même dans nos lois, inconnu est presque l'équi-
valent de suspect, et vagabond, ou sans domicile fixe, le syno-
nyme, ou peu s'en faut, de coupable..


Ce qu'il y a de plus singulier et de véritablement remarquable,
est que dans cette Europe où l'on s'échauffe si fort sur la liberté
individuelle, la moitié peut-être de ses habita.ns , et des plus
riChes et des plus honnêtes, est actuellement sous le lien volon-
taire de la contrainte par corps ; et qu'à parler en général , ce
sont eux qui, par état et tous les jours , pour la plus petite
sornme . d'argent , engagent à l'homme la liberté personnelle de
I'laôname, quiréclament le plus hautement contre toute atteinte


la liberté individuelle de la part de l'autorité, et.pour l'intérêt.
public.


Qn.me dira peut-être (Inn n'y a :pas de .commerce possible,
sans la. faculté de faire arrêter un débiteur en retard : je le
crois, Mais je crois encore, avec plus de motifs, qu'il n'y a pas
de gouvernement possible sans la faculté de &ire arrêter un
homme reconnu dangereux, et que l'une est la condition néces-
saire de l'état de société, comme l'autre est la condition néces-
saire de la profession du commerce.


Outre cette garantie générale que nous devons tous à la so-
ciété pour les avantages généraux dont elle nous fait jouir, elle
nous en demande de spéciales pour les grandes faveurs qu'elle
nous accorde , ou pour les services spéciaux qu'elle nous impose.
Ainsi elle n'accorde de maniement de deniers publics que sous
la garantie d'un cautionnement ; elle ne nous permet le plus
court voyage que sous la garantie d'un passeport; et même ,
pour les fonctions les plus éminentes, nous-mêmes, pairs ou
députés, nous sommes soumis à un cautionnement d'âge et de
fortune.


Messieurs, la tranquillité publique est un fonds commun dont


nous avons tous le manieniént.; il suffit d'un homme pour la
troubler, et la société .doit exiger de chacun de nous la garantie
guenons ne dissiperons pas ce fonds confié à un degré différent
à chacun de nous.


Cette parité que j'ai établie entre les garanties que nous de-
vons à l'état, et celles que nous nous demandons les uns .aux
autres, entre l'ordre public •sur ce point et l'ordre particulier,
est si bien sentie par nos voisins, qu'habitués qu'ils sont à tout
évaluer en argent, et même les choses qui en sont les moins
susceptibles, ils demandent une caution pécuniaire à Plioairtie
reconnu dangereux, comme ils l'exigeraient d'un fermier en re-
tard ou d'un débiteur insolvable ; et ils cherchent dans la pro-
priété cette garantie que nous qui considérons l'homme sous un
aspect plus moral , nous ne demandons qu'à l'homme en nous
assurant de sa personne , si par ses propos, ses écrits, ses de-
Mandes, ses liaisons, ses habitudes, ses intérêts, sa vie entière,
il donne à l'autorité de justes sujets de suspicion et d'alarmes.


Ainsi , c'est une loi naturelle , un état légitime de législation,
que la loi qui ordonne de punir le coupable; c'est une Loi nabi


-relie, un état légitime de législation, que la loi qui ordonne
d'arrêter le prévenu du crime commis; c'est une loi naturelle ,
un état de législation, quels loi qui permet d'arrêter celui qui,
sans être reconnu coupable ou déclaré prévenu du crime com-
mis, est inculpé , ou plutôt inculpable , je veux dire légi-
timement suspect de disposition habituelle ou prochaine à le
com m ettre.


Si l'on appelle exception à la loi usitive, la loi qui permet
d'arrêter hors des cas prévus par la loi, j'appellerai avec plus
de raison encore exception d la loi naturelle, la loi qui or-
donne de détenir le prévenu, puisque la détention est une peine,
et que le prévenu n'est pas aux yeux de la loi, et peut n'être pas
le coupable ; et si le temps me le permettait, je vous prouve-
rais, messieurs, que les plus grands intérêts do


. la société re-
posent sur des lois d'exception à des lois naturèlles : telle est
entre autres la loi de la prescription, qui défend de toute pour-
suite , après trente ans de possession tranquille, l'usurpateur
même de mauvaise foi; elle n'est qu'une. grande exception à la
loi naturelle : tu n'usurperas pas le bien d'autrui , loi fonda-, .
mentale, sans doute, mais qui le cède à une autre loi plus gé-
nérale et plus fondamentale encore, la loi de la tranquillité
publique.


Cette faculté de prévention., l'autorité la demande seulement
flans l'intérêt de l'état, et pour le grand objet de la tranquillité




( 42 )
publique ; et cependant, dans quelques législations, et je crois
jadis dans la nôtre, elle était donnée à la , et pour sa_
tranquillité particulière ; c'est qu'un homme sérieusement et con-
tinuellement menacé par un ennemi personnel d'attentat à sa
personne ou à ses propriétés, pouvait le mettre en état de pré-.
vention, et demander contre lut une sauve-garde à la justice.


Ainsi, messieurs, loin que la loi que le gouvernement nous
demande soit une loi d'exception, c'est au contraire une excep-
tion à la loi naturelle , nécessaire, qu'il nous demande de faire
cesser.


La charte dit que tout homme ne sera arrêté que dans les cas•
prévus par la loi; mais la loi ne prévient ni ne peut prévoir tous
les cas , pas plus la loi criminelle que la loi civile; et si dans le
jugement, en matière civile, on s'en tenait judequement aux
cas prévus et spécifiés dans la toi, la décision de beaucoup de
questions deviendrait impossible.


Et remarquez les étranges inconséquences de notre état social.
Nous ne craignons pas de nous assurer momentanément de la
persienne d'un homme reconnu dangereux, et nous ne craignons
pas d'enlever à leurs familles des jeunes gens irréprochables,
pour les dévouer malgré eux è une profession qui ne leur offre en
perspective que les fatigues, les humiliations et la mort ; . et nous
retenons en prison quelquefois toute sa vie, et pour un salaire de
quelques francs, le malheureux débiteur d'un créancier usuraire.
En vérité, on peut s'étonner que la discipline militaire et com-
merciale soit si rigide, et la discipline politique si molle et si
lâche, ou plutôt en ne s'étonne plus que des gouvernemens si
forts à défendre leur territoire contre l'étranger, soient si faibles
à défendre leur tranquillité intérieure contre .des factieux, et
de les-voir périr au milieu de toutes leurs forces, semblables à
des paralytiques qui,: en conservant tous leurs membres, en
perdent Peiage 'et le mouvement.


.Messieurs; c'est avec des lois sévères qu'on fait des peuples
forts, comme c'est avec une discipline sévère qu'on fait une
bonne armée; et les hommes que vous voulez faire faibles et
indulgens pour le vice, seront indifférens à la vertu.




La mesure proposée est donc une conséquence naturelle et
aujourd'hui nécessaire de la loi suprême , de la première de toutes
les lois, la loi de la conservation de la société contre les passions
de l'homme; c'est la garantie qu'elle a le devoir clé nous deman-
der à tous pour sa propre. sûreté, qui au fond est la nôtre, et
que nous avons tous le- devoir de lui donner.


( 4 3 )
Cette mesure est donc légitime, et le gouvernement ne peut


vous demander que de la rendre légale ; c'est-à-dire qu'il vous
demande des exceptions à la loi humaine ou positive pour rentrer
dans la loi-commune ou naturelle.


Cette mesure est - elle nécessaire? Messieurs, nous sommes
tous embarqués surie même vaisseau : les vigies placées aux
hauts des mâts signalent l'approche de l'ennemi, et nous crient
de nous préparer à la défense. Nous, placés sur le pont, et qui
n'avons aucun motif de suspecter leur vigilance et leur fidélité,
leur dirons-nous : Vous ne les voyez pas ? et leur dirons-nous,
dans le moment où a retenti autour de nous cette explosion
épouvantable; lorsque nous ne sommes que trop assurés qu'il
existe en Europe une race inconnue d'hommes étrangers à l'hu-
manité, accourus sans doute de régions où la civilisation n'a pas
pénétré, et qui errent dans des espaces imaginaires, cherchant
une société oi§ ils puissent déployer en liberté toutes les passions
qui les dévorent, indifférens aux crimes, inaccessibles aux re-
mords, et. qu'il faut., par pitié, défendre d'eux-mêmes, et contre
lesquels il faut, par devoir, défendre la société? car je le de-
mande plus encore dans leur intérêt •que dans le nôtre; et quand
une épidémie afflige un pays, c'est surtout à ceux-qui en sont
atteints que le gouvernement doit son secours et le moyen de
guérison.


Cette mesure est-elle insuffisante? Après ce que nous avons
entendu dans la séance d'hier, je conçois la nécessité de mesures
même plus fortes. Jamais l'honnête homme n'a redouté la sévé-
rité des lois criminelles 5 .et , quand il est appelé à les faire, il
ne doit pas penser qu'il puisse - jamais en être la victime. Et il
y a aussi trop d'orgueil ou trop de modestie à dire : « On pro-
s) pose des mesures contre les mauvais sujets ; je dois y prendre


.s> garde , car j'en pourrais être atteint.
Quant à l'éternelle accusation d'arbitraire , il y a de la niai-


serie à répondre à la mauvaise foi, qui ne croit pas.elle-même
à ce qu'elle dit. Je dirai aux hommes de bonne foi : Redoutez
les erreurs permanentes de la législation; et, homme vous-
même, faible et imparfait, souffrez dans l'administration les.
erreurs passagères d'hommes faibles et imparfaits comme vous;
car l'auteur de toute législation n'n
faites qu'à des êtres imparfaits, et des 't


pu donner des lois impar‘


pas' besoin (le lois.


es êtres parfaits n'auraient


.Je vote pour le projet de loi du gouvernement, me réservani
de voter sur les ameudemens.


/J
F




Ç 4 4 )
M. Lainé de Villevéque. Un affreux attentat a répandu le.


deuil et la consternation sur toute la France. Dans le palais des
grands, comme dans la chaumière du pauvre, les pleurs ont
coulé de tous les yeux , les gémisseniens ont éclaté de toutes
parts.


Les plaisirs , les affaires , tout a été suspendu , tout a été ou-
blié; et cette douleur si vraie, si universelle et si profonde, en
manifestant l'amour des Français pour la postérité du bon Roi,
les a vengés de tous leurs détracteurs.


Hélas 1. le sa.n.g de l'auguste victime tombée sous le fer assassin
fumait encore, lorsque les ministres, doués d'uie ame bien plus
ferme que le vulgaire des citoyens, ont fait trève à leur afflic-
tion, .et se sont hâtés d'exploiter cette grande calamité publique
au profit du pouvoir.


En effet, c'est presqu.'àla vue du cadavre sanglant d'un prince
si digne de notre ,amenr..et de nos regrets , c'est pour ainsi dire .
en présence d'une jeune princesse inconsolable, inondant de
ses pleurs les restes ksanimés d'un . épcyux si cruellement mois-
sonné dans la fleur .4 son âge, c'est .au bruit des sanglots de la
royale famille , c'est au milieu'de l'effro•et du désespoir de tous
les Français , qu'ils ont tout-à-coup enfanté des lois subversives
de la charte constitutionnelle, des lois destructives des droits et
des franchises de la nation , des lois enfin propres à fonder .et à•
cimenter à jamais le despotisme le plus absolu.


Mais nous, à qui l'honneur et la patrie ordonnent de veiller
sur le dépôt sacré des libertés publiques, malgré l'abattement
où nous sommes encore plongés, nous essaierons d'examiner
en peu de mots, si la loi qu'on nous propose est commandée
par les circonstances, si elle est utile, et si au contraire elle na
serait pas funeste pour le peuple et nuisible même à la monar-
chie légitime, objet de notre culte et de notre amour.


Et d'abord si le crime que déplore la France était le résultat
d'une vaste conspiration qui , par le danger des ramifications.
inconnues , menacerait le gouvernement ou les jours précieux
du souverain et de sa famille, toute hésitation pour la déjouer
serait criminelle, et tout retard funeste; que dis-je? le devoir
et la fidélité obligeraient les ministres mêmes à prendre l'initia-
tive des mesures respectives et préventives les plus sévères ;. et.
nous-mêmes , nous nous hâterions de voiler temporairement la
charte et de jeter pendant l'orage 'un crêpe funèbre sur le temple
de la Liberté.


Qui de nous , .en .
de . pareils monsens , refuserait d'armer l'au-


torité des foudres du. pouvoir absolu-1:Le salut du Roi et de sa


11


( 4 5 )
famille est le•salut de la patrie, et le salut de la patrie la pre-
mière des lois. Prévenir le crime,. enchaîner tous les bras' qu'on
peut supposer ennemis , voilà où doivent tendre tous les efforts.
Et certes l'innocent, frappé dans ces instans de crise par une
arrestation non méritée, pardonne sans peine à l'autorité cette
erreur involontaire : mais jusqu'ici, loin de concevoir le soup-
çon d'une .odieuse conspiration , les documens présentés par le
gouvernement, les rapports consignés dans les journaux offi-
ciels, attestent que ce forfait est le forfait d'un scélérat isolé.


Et l'on voudrait que la France en fût punie par la perte de
ses libertés 1


Lorsque le ministère anglais réclame du parlement la suspen-
sion de la loi d'habeas corpus, il met sous ses yeux la preuve
irréfragable de la cruelle nécessité qui l'y contraint; il fait part
des violences et des désordres commis dans les comtés ; il com-
munique les informations, les enquêtes, les , dispositions qui
ont révélé les trames secrètes, et les projets des conspi-
rateurs; car enfin le salut de l'état peut seul légitimer d'aussi
funestes atteintes à • la liberté individuelle.


Ici, le ministre ne motive la latitude de . ses effrayantes. de-.
mandes que sur de frèles allégations- que le moindre examen
fait évanouir.


Est-cela lettre d'un' furieux en délire, détenu depuis long-
temps dans les prisons , qui peut servir de prétexte à des
nistres constitutionnels, pour étendre sur vingt-huit millions
de citoyens fidèles, dévoués à la monarchie légitime, les filets
de l'arbitraire? Fonderont - ils le scandale d'une loi qui anéantit
la liberté de tous, sur des propos vagues tenus par des inconnus,
et. recueillis dans des cabarets par les plus ignobles agens de la
police, lorsque ceux-ci ont dédaigné même d'arrêter des misé-
rables abrutis par l'intempérance, et stupides . d'ivresse ?


"immense majorité des Français était plongée dans la plus
profonde douleur, et quelques hommes, dites-vous, ont laissé
entrevoir une joie féroce. Est-ce sur la dégoûtante pantomime
de quelques vagabonds, que doivent reposer l'existence politique
et les destinées de la nation? est-ce sur leur physionomie qu'est
empreinte la nécessité de lamettre dans- les fers ? Du reste, qui
vous. empêche' de soumettre sans cesse ces individus à. vos
investigations? Mais cessez d'invoquer fastueusement de fis-
tules prétextes, pour justifier l'effroi qu'inspirent vos projets
liberticides.


Une grande nation est-elle coupable, doit-elle être punie du
forfait d'un scélérat atrabilaire, fa' natisé par la solitude,




`15!I


( 46
)


rance et l'impiété, d'un monstre qui. depuis cinq ans se re-
paît avec délices de l'horrible idée de commettre un atroce
assassinat?


Hélas ! 'tous les âges, tous les pays ont enfanté de ces êtres
pervers, nés pour la honte et le malheur des nations. Le seizième,
le dix-septième et le dix-huitième siècles, les temps les plus
reculés , encore ont vu sans cesse renouveler ces attentats.






Cinq fois le fer parricide a été levé sur le meilleur des rois :
nos pères ont eu aussi à gémir sur un pareil forfait.


Les peuples étrangers ont partagé l'opprobre et la douleur de
ces affreuses catastrophes.


Idole de l'Angleterre, objet d'amour et de respect pour ses
sujets, Georges III a vu sept fois le stylet meurtrier, ou la balle
homicide menacer son existence. Un de ses fils a failli périr
sous un poignard domestique. La Suède a pleuré naguères le
trépas d'un de ses plus grands rois; et la Russie peut rougir à
son tour de ces déplorables événemens.-


A-t-on , à toutes ces .époques , dans tous ces pays, renversé
sur ce prétexte les libertés publiques?


Sans doute une inquiétude vague agite les Français ; mais
ce n'est point une inquiétude révolutionnaire, une inquiétude
séditieuse qui menace nos institutions; c'est une inquiétude
honorable, c'est une inquiétude légitime qu'a fait naître, de-
puis quelques mois, le projet des ministres d'attenter aux
libertés publiques et d'asservir la chambre.


N'est-ce pas pour parvenir plus sûrement à ce .but déplo-
rable qu'ils veulent disposer de la liberté des citoyens par une
nouvelle loi des suspects, et par la rénovation des lettres de
cachet? n'est - ce pas pour cela qu'ils veulent éteindre le 'fanal.
de la presse ?


En demandant la suspension de la loi d'habeas corpus, le.
ministère anglais a-t-il jamais osé envelopper la liberté de la
presse dans ses lois d'exception ?


Mais la loi qui nous est présentée est encore inutile : les au-
torité&adm inistrat ives et judiciaires ne sont-elles pas investies,
par nos lois, de tous- les moyens nécessaires pour arrêter les
individus qu'elles soupçonnent?






Et certes, si Pm '
pouvait craindre que la France ne recelât


encore au milieu d'elle quelques-uns de ces monstres, l'écume
de l'humanité et- le fléau des états, qui empêche une police
active et vigilante d'explorer leurs pas et leurs- démarches,
d'épier l'indiscrétion ou la menace de leurs propos, de saisir


C47)
leurs papiers, enfin de les retenir dans les liens d'une légale
arrestation ?


Bien plus, grâces à la despotique prévoyance du Code impé-
rial qui nous régit encore, la détention, le redoutable secret
lui-même, peuvent se prolonger indéfiniment par les longs et
interminables détails de l'instruction auxquels la loi n'a pas fixé
de terme.


Certes, de pareilles institutions n'ont pas besoin d'une amplia-
tio tortionnaire ; ne peuvent-elles pas suffire pour prévenir tous
les complots?


Mais enfin, quand le ministre aurait eu depuis trois mois la
liberté d'appesantir sur Paris et-sur la France le joug du plus
ombrageux despotisme, quand depuis trois mois sa sombre dé-
fiance eût lancé sur les Parisiens cinquante mille lettres de ca-
chet, aurait-il frappé , aurait-il atteint, par cette mesure si
tyranniquement préventive., l'obscur scélérat qui vient de dé-
chirer le sein de la patrie, en immolant un jeune prince, objet
de notre amour, hélas ! et de tant d'espérances ?


Ainsi donc les mesures qu'on nous propose sont inutiles ; et
les lois existantes donnent à l'autorité une puissance sans limites
pote prévenir les complots, arrêter et détenir les prévenus.


Mais de plus , la loi qui vous est présentée est funeste pour
le peuple et nuisible au gouvernement légitime. Eh quoi ! ne
déchainerait-elle pas sur nos départemens la délation et l'es-
pionnage? toutes les passions, toutes les haines ne se réveille-
raient-elles pas plus violentes et plus implacables'que jamais ?


Au cri des factions, avec une pareille loi renaîtraient tout-à-
coup ces comités délateurs dont le zèle effronté fatiguait naguères
le pouvoir de l'audace et de la perversité de leurs rapports men-
songers ; ces comités dont les odieuses instances et les menaces
arrachèrent plus d'une fois à la faiblesse des administrations
intimidées l'arrêt de la pérsécution d'un innocent.


Ah ! de puissantes affiliations, des ligues secrètes et redou-
tables asserviraient bien vite l'autorité.


Quelles barrières opposerait-elle à leurs prétentions, à leurs
excès, à leurs fureurs , que combattraient aussitôt des fureurs


rivale's?Avec de pareilles lois d'exception, la consternation et la
terreur planeraient sur nos provinces ; toute confiance, tout
épanchement entre les citoyens s'évanouiraient ;tous les liens de
la société . seraient rompus; la douleur des familles s'éleverait
'vers le ciel pour accuser votre coupable déférence aux volontés
du pouvoir; Iajustice ne serait plus la sauve-garde del'innocence.




( 48 )
L'autorité locale frapperait avec une verge de fer. Son haineux
ressentiment ferait expier à celui-ci sa résistance à des ordres
arbitraires; à celui-là, le crime de la publicité d'une vexation.
L'avarice ou la vanité blessée épargnerait-elle le téméraire
qui aurait révélé le mystère d'une dilapidation ou la' honte
d'un acte administratif marqué au coin de l'ignorante et de
l'incapacité ?


C'est en vain que vous dites que les armes terribles qu'on.
sollicite, ne reposeraient que dans les mains des ministres : vains
sophismes! illusion décevante !


Et de qui les ministres recevront - ils les plaintes, les ren-
seignemens et les rapports? Oui, la tyrannie et la vengeance
aux mains des administrations locales , ravageraient toute la
France.


La plus insupportable des tyrannies, c'est la tyrannie locale'.
Elle laisse dans les cœurs une irritation difficile à calmer, et
l'exaspération dont quelques localités conservent encore les
traces funestes , et qu'ont manifestée la vengeance de leurs
haines, n'a pas une autre origine.


Le vague effrayant de la loi semble d'ailleurs ne laisser au-
cunes limites à l'arbitraire.


La loi du ,j février 18.1 7 ne frappait que les hommes prévenus
de complots et de machinations contre l'état.


Ici les ministres réclament d'être investis du droit d'arrêter
arbitrairement les citoyens , pour ne pas rester désarmés, disent--
ils , devant des opinions. Ainsi donc des opinions, des paroles
fugitives interprétées au gré des passions, des circonstances du
moment même, seront des crimes !


Le motifde l'arrestation n'étant pas communiqué au prévenu,
que signifie l'hypocrite et dérisoire adoucissement que lui ac-
corde l'article 2 de la loi : Le procureur du Roi vient entendre
le prévenu, dresser procès-Verbal de ses dires, recevoir ses
mémoires et ses réclamations?


Cette étrange faveur , exhumée sans doute des archives de
l'inquisition, ne semble-t-elle pas lui imposer l'obligation' de
s'accuser lui-même?


Le tout est adressé au rninisere de la justice, pour faire un
rapport au conseil du Roi.


Mais sur quoi sera basé ce rapport ? sera-ce sur les dénon-
ciations primitives de l'autorité locale, qui frémirait à l'idée
d'avouer qu'elle a été trompée , ou qu'elle a été volontairement
injuste et persécutante?


Quo signifient les dires d'un détenu, qui ignore les motifs de


( 49 )
son arrestation et le nom de ses dénonciateurs, qui n'a pu les
confondre, ni par des témoignages respectables, ni par des
confrontations, et qui enfin ne peut présenter pour sa défense


, que l'impuissante protection de sonà des juges prévenus
innocence?


voûtes de saeslduanq prison retentiront de ses cris dou-Et
loureux , quand ses gémissemens réclameront la cause .de. sa
captivité et le nom de ses accusateurs , on lui répondra peut-
être par les horreurs du secret, et -par la torture d'une longue
détention, qu'on pourra renouveler encore sur le plus frivole
prétexte, après quelques jours d'élargissement.


Le résultat des lois d'exception. est la tyrannie et l'oppression_
Et si la trahison et la perfidie voulaient affaiblir l'amour des
peuples pour le gouvernement légitime , elles ne pourraient
imaginer de plus - infaillibles moyens. Le respect de l'autorité
pour les lois de l'état et les libertés publiques, est la plus sûre
garantie de sa durée. Et c'est lorsque l'on médite de leur porter
des coups aussi terribles et de plus terribles peut-être, que l'on
veut enchaîner la presse et s'en, réserver la puissance exclusive.
Craint-on qu'elle ne puisse explorer les causes des arrestations,
et qu'elle ne répète. les plaintes des .


familles , les soupirs des
détenus et les vastes espérances des dépositaires de l'autorité?
Et la France si sage , si tranquille, si fidèle, attendait naguères
dans l'ivresse de. l'espérance, les institutions qui devaient à
jamais garantir ses libertés et son bonheur; au lieu d'une sage
organisation municipale, au lieu de la réforme du jury et de la
lresponsabilité des agens du pouvoir, c'est l'esclavage des col-èges électoraux, c'est l'asservissement de la chambre, c'est la
loi des suspects , ce sont les lettres de cachet et la censure
dont on lui fait l'odieux présent !


On veut la courber sans réclamation et sans défense sous le
glaive d'une administration investie de la toute-puissance .; et
couverte • de l'égide -de l'impunité.
• Et par quelle étrange fatalité le gouvernement légitime . le


gouvernement constitutionnel veut-il emprunter sa législation
aux époques les plus déplorables de notre histoire? Assez et
trop long-temps la charte a été foulée aux pieds par les agens
au pouvoir ; élevés pour la plupart à l'école du gouvernement
impérial, pénétrés de son système de déception , de son machia-
vélisme, imbus de ses funestes maximes, combien de fois la pa-
cifique docilité de la chambre a-t-elle consacré des dilapidations
et des désordres ! Aujourd'hui ils veulent la rendre , par les lois
qu'ils


• présentent , le servile instrument de leurs projets urbi-
4TI.




( 5o )
traites ; ils veulent l'avilir par la complicité des attentats qu'ils
dirigent contre les libertés publiques. Ah ! ne doit-on pas -
craindre que le gouvernement représentatif ne soit plus à leurs
yeux qu'un fantôme éblouissant, indispensable encore pour en
imposer à la multitude , et qu'appuyés bientôt sur une chambre
asservie et couverts du masque constitutionnel, ils n'aspirent c4
ne réussissent à régner sans contradictions sur un peuple esclave,
condamné à dévorer en silence tous les outrages, toutes les
spoliations d'une autorité imprévoyante, prodigue et absolue?


Ah ! s'il est des-conspirateurs contre le.trône légitime, ce sont
ceux-qui conspirent contre les libertés publiques, ce sont ceux
qui attaquent et qui ébranlent la charte : c'est ainsi qu'ils ré-
pandent de toutes parts la défiance , le ressentiment et la haine
peut-être. Fasse le ciel qu'ils n'en recueillent pas des révolutions
et des tempêtes!


Quant-à-nous , •qui nous glorifions de la plus inébranlable fidé-
lité envers Paugustelimille des Bourbons ; qui, pour la défendre,
nous-ensevelirions sous les .débris de cette antique monarchie;
qui voyons dans l'exécution franche et loyale du pacte constitu-
tionnel, dans le respect pour les droits •ét les franchises de la
nation, dans l'indépendance de la chambre, l'affermissement et
le plus sûr appui du: tete-le-légitime, pourrions-nous donner au
despotisme qu'on réclame l'avantage des formes légales?


Couvert •du bandeau sacré de la légalité, le despotisme m'eût -
il pas été et. plus funeste et plus durable?


Ah ! sileciel irrité lui livre-encore notre chère et malheureuse
patrie , •y règne du moins par des coups d'état , et dans son
horrible difformité!


Mais que nos têtes , du moins, ne soient pas chargées des
larmes et. des malédictions du peuple, ni de l'effrayante res-
ponsabilité des malheurs et des orages qui en seront. la suite
inévitable.


Du reste, si, par des événemens•que Pintrigne infatigable re-
nouvelle saris cesse dans toutes les cours, le sceptre de la puis-
sance ministérielle venait à se briser dans la main de ses dépo-
sitaires ; si le terrible pouvoir qu'lleréclament devenait la proie
de leurs implacables ennemis, les auteurs de cette loi désastreuse
en tomberaient peut-être eux-mêmes les premières victimes.


Et vous, qui naguères encore, en 18,7, vous êtes-élevés avec
une noble énergie contre <les mesures analogues, voudrez- vous
aujourd'hui souiller la gloire •que vous avez -alors acquise aux
yeux delirnation? Fourriez ',."011S- oublier que les hommes passent
t disparaissent comme ,l'ombre, mais que les institutions leur


( )
survivent? Vous ne tardâtes pas à gémir de voire imprudente
adhésion aux mesures de 1815; rappelez-vous les paroles mé-
morables qui foudroyèrent toutes vos réclamations en faveur d'un
détenu que vous honoriez de votre sollicitude.


C'est mal à propos (vous dit une bouche él-piente , celle
» du président actuel de cette chambre) , c'est mal à propos
» que vous vous plaignez de l'application de vos lois d'exception
» de x815; c'est In j ustice telle que vous l'avez faite. »


Du reste, adopter une pareille loi, même avec les amende-
mens de la commission, c'est violer la charte sans nécessité et
sans avantage, c'est flétrir l'honneur d'une nation fidèle, c'est
déverser sur elle le soupçon infamant de complicité dans un at-
tentat qu'elle abhorre.




Et dans ces jours de deuil, sa consternation , sa douleur et
ses sanglots ont été son unique et bien éloquente .


réponse aux
téméraires accusations de ses calomniateurs.


Certes, le prince:que nous pleurons , ce. prince si bon , si gé-
néreux, dont la noble familiarité retraçait celle du grand Henri,
son aïeul ; ce prince qui, sur son lit de mort, baigné des pleurs
de sa jeune épouse, de son père , de toute sa famille, invoquait
encore la royale clémence en faveur de son assassin; ce prince
dont les dernières pensées, dont les derniers voeux furent pour
le bonheur de cette France qui lui fut toujours si ehère , s'in-
dignerait de voir immoler sur sa tombe les libertés publiques :
ses mânes sacrés repousseraient Poutrage, ou plutôt le sacrilége
de cet hommage prétendu expiatoire. Hélas! les larmes d'un
peuple innocent, que l'arbitraire ferait couler, peuvent-elles
j amais être une hécatombe digne d'un Bourbon?


Ah! la seule qui soit digne de cet excellent. prince, la seule
qui consolera son ombre, c'est la concorde, l'union parmi nous ;
c'est l'oubli de nos fatales divisions, de nos funestes discordes,
c'est l'oubli des torts réciproques, c'est l'oubli des injustes et
calomnieux soupçons, dont mous nous faisons sans cesse des
armes perfides pour nous déchirer.


M. Saulnier a ensuite pris la parole, et a également voté
contre le projet de loi amendé par la commission.
d'exception,


de Villèle.
s
Messieurs,pénétré de lpa eu confiant dans l'utilité des lois


des circonstances , j'a-
vais cru pouvoir me borner à voter en faveur de la loi deman-
dée, sans monter à cette iribune- pour y exposer les motifs de
mon opinion. Si je change de déterminatinti , ce n'est' ni l'accu-
sation d'incorrigibilité do M. Lafayette, ni celle de variationdans• les opinions de M. Benjamin-Constant qui m' y


&ter,




( 5z )
minent; c'est .à la conduite et au caractère bien cousins de
Phoinnie public à répondre pour lui : les discours n' y font rien;
et je; consacrerai les momens d'attention que vous voulez bien
m'accorder, à la défense d'intérêts qui me sont bien plus pré-
cieux , et sur lesquels il ne . m'a pas paru possible de garder le
silence , puisque j'avais le droit de parier, et que ce n'est qu'avec
des raisons qu'on peut détruire l'effet des sophismes.


On ne-nous les a pas épargnés dans cette discussion : cher-
chons-a les rappelerl ,et à y :répondre.


DéjàM. le ministre de l'intérieur a prouvé que la mesure
proposée n'était point contraire a. la charte, puisqu'elle tend â
obtenir de la loi le droit que la charte elle-même, dans ses ar-
ticles 4 et 68 lui a positivement réservé.: en stipulant que uni
ne pourrait être arrêté que dans le cas prévu par la loi., et dans
la ferme qu'elle prescrit, la charte a autorisé la proposition pli
-vous est faite. En maintenant le Code et les lois existantes jus--
qu'a ce. qu'il y ,fût légalement dérogé , elle a réservé le droit .de
déroger par une loi aux lois existantes sur cette Matière comme
sur toutes les autres. Il faut donc écarter cet argument banal (le
la violation de la .


charte , avec lequel on peut bien exalter les
méfiances et les passions, mais qu'on ne peut opposer avec suc-
cès à l'adoption de la loi, dans une chambre composée d'hommes
raisonnables.


Mais si la mesure n'est pas inconstitutionnelle, elle compro-
met du,


moins la liberté individuelle de tons. les Français, en
livrant le droit de les arrêter à l'arbitraire des ministres ; elle
est une insulte à toute la nation, lorsqu'on la réclame à la suite
d'un assassinat exécrable, dont on semble ainsi supposer tous
les Français complices; enfin, c'est le retour des lettres de ca-
chet, de la loi des suspects : le comité du salut public était
soumis lui-même à des: formes plus rassurantes.


L'énoncé seul de çes argumens en démontre l'absurdité. Quoi !
c'est,Pobservation des formes,dont vous réclamez le maintien,
et pour m'en faire aussitôt sentir l'insuffisante barrière, vous
me rappelez celles qui étaient prescrites au comité qui a couvert
mon pays d'échafauds, qui a fait tomber la tête d'Un million de
nos concitoyens innocens !


Vous prétendez.que j'accuse tous les Français, en vous de-
mandant les moyens d'arrêter ceux qui tenteraient de compi•i-;
mettre la,


sûreté du, Roi, des membrés de son auguste famille,
ou celle de l'état ; et vous ne voyez pas que volis seul, - en faisant
Cette application à la généralité des Français, vous vous portes
leur accusateur, vous leur faites injure, et, suivant une habitude


( 53 )
ridiçule , donnez le nom de la nation à une imperceptible poignée
de perturbateurs et de factieux !


que ue je vais accorder aux ministres ParbitraireVous nie
le plus indéfini sur la liberté individuelle , et c'est en prouvant
l'arbitraire illimité qui résulte déjà des dispositions du Code


prouver le danger de la nouvelleexistant , Tm vous voulez me
mesure! Eh!! ne voyez-vous pas qu'au -contraire vos raisonne
mens tendent à l'atténuer dans l'esprit de tout homme parfait.
Si les ministres ont déjà les moyens. de faire arrêter et détenir
presque indéfiniment celui qu'ils soupçonneront de complots ou
de machinations , en laissant planer sur lui toute la défaveur
d'une poursuite judiciaire, qu'ai-je : à craindre pour l'innocent à
leur donner le droit de l'arrêter et de le détenir, avec des formes
qui portent avec elles l'aveu rassurant de l'absence de toutes
preuves? Quand j'aboute aces considérations l'impossibilité abso-
lue où seraient les ministres de se permettre des arrestations in-
justes en présence dés: chambres, et queje vois qu'à peine quatre
mois s'écouleront entre la fin de cette session et l'ouverture for-
cée , parla nécessité de l'impôt , de celle qui doit la suivre, et
.durant laquelle la loi que je vais voter doit être renouvelée, ou.
atteindre le terme de son existence ,..j'avouerai que si je conserve
des doutes sur son efficacité, du 'moins je ne puis partager les
craintes qu'on manifeste de sa fatale influence sur nos libertés.


Ce mot me ramène à une autre-objection tirée de l'ensemble
des projets de loi soumis en ce moment à votre acceptation.


Ce n'est pas sur de telles bases que petit s'établir l'édifice cons-
titutionnel. Nous ne pouvons adopter de semblables garanties
pour la conservation de nos-libertés publiques.


C'est dans l'autorité du monarque , c'est dans l'élévation de
cette autorité, au niveau des efforts faits pour la renverser,
que je vois la première de ces garanties , celle qui peut seule me
conserver les autres.


Je ne puis craindre en. ce moment pour- nos libertés- de la
part de l'autorité; je crains pour l'autorité et pour nous l'inva-
sion de l'anarchie. Je me porte du côté Menacé, et je vote pour
.Padoption du projet.


C'est Aans le moment où on va nous priver de la liberté de
la presse , qu'on va nous priver dela liberté des élections, qu'on
nous demande le sacrifice de la liberté individuelle : c'est une
véritable- contre-révolution , c'est vouloir faire peser sur nous
le plus intolérable despotisme.


vous" le savez aussi :bien que l'orateur qui s'estliv,éle:usi.eir
s


'cesujet aux pathétiques
.
déclamations, le ,


despotisme




( 54 )
se prend et ne se demande pas ; aussi n'est-ce ni son établis-
sement sous le Roi et le régime actuel, ni ce qu'on veut appeler
du none de contre-révolution, pour ranimer de vieilles mé-
fiances, mais de l'anarchie et d'une nouvelle révolution qui
menacent vos libertés publiques. C'est pour les combattre que
le gouvernement se trouve entraîné à vous demander des lois
préventives , des précautions contre l'asservissement des élec-
tions à l'esprit de parti, ennemi de l'ordre actuel. Des orateurs
que je combats sont encore tombés ici dans une étrange erreur :
élevés dans une école funeste, ils ne connaissent de libertés
publiques que les garanties prises contre le pouvoir royal,
comme s'il pouvait en exister dans un pays comme le nôtre,
dont le Roi ne fût et le plus sitr garant, et le défenseur le plus
puissant et le plus intéressé !


Ainsi, chang. r la combinaison d'une loi si faible contre les
ennemis du trône qu'elle a produits, l'élection d'un régicide, c'est
veiller à la conservation de nos libertés ! la maintenir, ce se-
rait. les compromettre, ce serait les détruire ! Prendre les moyens
de tenir en appréhension les provocateurs au régicide, à l'as-
sassinat des membres de la famille royale , au renversement de
l'ordre établi, c'est prévenir le retour de tous les maux qui
fondraient sur nous, si ces provocateurs trouvaient de nouveaux
Louvel , organisaient de nouvelles révoltes ; c'est garantir le
repos de ma famille et de mes enfans ; c'est garantir la conser-
vat; on des' moyens d'existence que nies travaux et mon économie
auront ménagés, que d'accorder au gouvernement le droit de
se saisir de moi et de me détenir, si je deviens assez fou pour
vouloir compromettre tout cela en conspirant contre la vie du
Roi ou le repos de mon pays.


Enfin , je soutiens que les mesures proposées sur la libre cir-
culation des journaux, ne font pas, comme on le représente, le
sacrifice de la liberté de la presse, ne gênent en rien l'usage de
l'arme défensive qu'accorde à tous les Français l'article de la
charte qui leur permet de publier librement leurs opinions.


Mais ces mesures atténuent les dangers de l'aggression jour-
nalière dont est susceptible cette arme funeste dans des temps
d'agitation publique et de faiblesse du gouvernement ; sous ce
rapport, elles doivent aussi garantir nos libertés , car la liberté
n'est pas la provocation, n'est pas la licence; et c'est la licence


-


j
et la provocation qui règnent aujourd'hui dans la direction des
ournaux.


Malheureux ! pays qui volt reproduire depuis trente ans les
mêmes sophismes, les mêmes déclamations, les mêmes principes,


( 55 )
les mêmes doctrines subversives de tout ordre social , ant ipathi-


publique, , avec' lesquelles on l'a traîné deques de toute liberté
l'anarchie au despotisme, et avec lesquelles on tente encore-Ili:
l'arracher à la véritable liberté !


A quelle époque en avez-vous. joui comme aujourd'hui, pro-
vocateurs insensés de cette liberté que vous appelez sans cesse


et qui ne vous trouve plus quand vos foliesquand vous l'avez,
voulez,fousV? nous dites-vous, la charte avecNOUS l'ont ravie ,


toutes ses conséquences; et quelles sont ces conséquences, selon
vous? Une loi d'élection qui n'amène que vous ou ceux que vous
désignez ; une organisation municipale et départementale, qui
abandonne à la démocratie l'administration du royaume , que la
charte a réservée an Roi ; une organisation et une telle extension
au jury, que les citoyens seraient bientôt appelés à tout juger,
au lieu des tribunaux nommés par le Roi ; une loi constitutive
de la garde nationale, pour mettre les armes à la main à toute
la population , dans un temps oà l'esprit de parti et des décla-
mations journalières provoquent les citoyens à la méfiance, à la
division, à l'exaltation , et presque à la révolte.


Ce n'est pointdans de telles garanties qu'il faut chercher celles
de la véritable liberté ; c'est dans l'autorité du monarque qu'elles
résident : seu le cette autorité les renferme toutes .Je ne cra ins point
que l'autorité abuse des pouvoirs qui lui sont confiés; mais je
redoute les progrès alarnians de l'anarchie, et je nie porte du
côté que je vois menacé. Je vote pour le projet de loi présenté
par le gouvernement. ( Très-vif mouvement d'adhésion à droite
et au centre. )


M. de Lafayette. Lorsque, dans les premiers temps de la
révolution, quelque déplorable attentat : avait navré le coeur
des promoteurs de la liberté, notre affliction s'accroissait de
tout l'empressement de ses ennemis à profiter de ce prétexte
pour calomnier la liberté elle-même; et depuis, après que toutes
les barrières constitutionnelles eurent été renversées par les


.


efforts combinés de l'anarchie intérieure et de l'invasion contre-
révolutionnaire, lorsque les crimes et les douleurs eurent dé-
passé l'attente des plus impitoyables partisans du système du
pessimisme, toutes les âmes sensibles et vraiment malheureuses ,
à quelques opinions qu'elles appartinssent, s'indignèrent en-
semble des froids calculs de l'esprit de faction, qui, spéculant
sur les malheurs les plus affreux, sur les regrets les plus légi_
times , se demandait encore quel parti on pouvait en tirer. Les
orateurs qui m'ont précédé vous ont rappelé comment, au mo_
ment d'une catastrophe universellement déplorée, les ministres




( 56 )
du 'II oi avaient renouvelé ce scandaleux exemple ; ils auraient


jpu ajouter qu'un sentiment général d'indignation en avait faitustice.
Appelés aujourd'hui à délibérer, non sur les trois projets de


loi , mais sur un seul , : loi des suspects, lettres de cachet , le
nom n'y fait rien , permettez-moi de renouveler l'interpellation
déjà faite à la conscience de chacun de vous ; en est-il un seul
qui puisse penser que cette loi, antérieurement promulguée,
eût pu détourner le coup fatal ; qui puisse penser que si un mi-
nistre, un fonctionnaire, un citoyen quelconque en eût eu la
Moindre connaissance, il n'y avait pas dans les ressources ac-
tuelles de la police, dans un Code où certes la sûreté des
familles régnantes n'a pas été oubliée, dans notre procédure et
dans les vices mêmes de notre forme d'instruction, plus de
moyens qu'il n'en fallait pour avoir prévenu le crime, arrêté
son auteur, et pour le tenir long-temps en prison? M. de Villèle
vient d'eeconvenir ; mais il voudrait qu'on y ajoutât l'arbitraire.
C'est.une affaire de goût; je ne la partage pas.


Il est donc clair, messieurs , qu'il n'y a ici qu'un prétexte-,
très-respectable sans doute; mais


.
c'étaient aussi des prétextes


très-respectables que ceux dont on s'est servi pour demander la
première loi des suspects, l'invasion du territoire, une guerre
d'extermination , le partage de la France, une-connivence sup-
posée entre un parti intérieur et l'émigration armée, soldée par
l'étranger; enfin, jusqu'au nom de Salut public usurpé par un
comité . révolutionnaire telles furent les excuses offertes à la
faiblesse pour obtenir cette loi, signal de tant de crimes, source
dé tant de larmes, et à laquelle il y a tant à regretterqu'au dé-
faut de la convention, la nation tout entière n'ait pas opposé
une vigoureuse résistance.


Peut-être ces regrets sur la non résistance à l'oppression
révolutionnaire paraîtront-ils une de ces doctrines pernicieuses
dont on . fait tant de bruit. C'est le mot d'ordre du jour ; il fais
écho' dans tous les cabinets de l'Europe; on le retrouve dans
ces adresses calquées sur celles de l'empire, où il ne faut à la
plupart des rédacteurs et des signataires qu'un peu de mémoire,
et dont le talent consiste à profiter de l'expression d'un senti-
ment national pour y joindre l'expression obligée qui peut ser-
yir ou flatter le pouvoir absolu. Du moins faudrait-il que les
magistrats des communes redevinssent les élus du,peuple dont
ils se-font les interprètes.


Ce mot d'ordre a aussi retenti à cette tribune ; il a été pro-
nonce officiellement par le ministre que je vois devant moi.


( 57 )
Qu'il veuille bien dire s'il a prétendu parler de cette déclara-


..


tion de principes qui appela les Français à la liberté, sur la-.
93 demandaient qu'on étendit un


'4011,1: lteasnidisvoqlnu'tesiollneneatiariets deinvoquée au nom d'un culte opprimé
dans le premier manifeste des Vendéens , et , au nom de l'hu-
manité égorgée, dans les proclamations de l'illustre et géné-
reuse ville de Lyon? On en parlait mal aussi dans les anticham-
bres et les conseils de cette époque, désignés par M. le ministres
avec un noble dédain-, sous le nom de régime de Bonaparte..
:Je l'avertis néanmoins que, dans la nouvelle carrière d'instruc-
tion que la confiance du Roi lui a ouverte, et peut-être dans
ses dernières dépêches, il reconnaîtra que les nations de l'Eu-
rope sont beaucoup plus disposées à s'accommoder de la pra-
tique de leurs droits im prescriptibles que de la théorie de toutes
les préfectures de police. • •


Un autre ministre nous à vanté hier la théorie des doctrines


flexibles ; il a cité son expérience: mon expérience, à moi,
m'append au contraire que tous les maux de la France ont été
produits bien moins par la perversité des méchans et par l'exa-
gération des fous , que par l'hésitation des faibles , les compo-
sitions avec la conscience et les ajournemens du patriotisme :
que chaque député, chaque Français montre ce qu'il pense, ce
qu'il sent, et nous sommes sauvés.


Grâces soient donc rendues aux préopi flans de tous les partis,
et nommément à mon collègue de la Sarthe ! la question a été


ettement posée ; d'un côté -la révolution faite avec tous ses
vantages moraux, politiques et matériels; de l'autre, la con-
re-révolution à faire, avec ses privilèges et ses périls. C'est
a chambre, c'est à la France à choisir.


Messieurs, il y a trente-trois ans qu'à l'assemblée des nota-
)les de s87 , je demandais le premier l'abolition des lettres de
.achet; je vote aujourd'hui contre . 1eUr rétablissement. (Mou-


vement d'adhésion à gauche. )
M. le baron Pasquier, , ministre des affaires étrangères. Je


ne m'attendais pas, messieurs, il n'y a qu'un moment , en me.
préparant à monter .à cette tribune que j'aurais à répondre à
:ne interpellation aussi positive que celle qui vient de m'être


faite. Ion, messieurs ;le n'ai pas entendu par les doctrines
pernicieuses, la déciaration'des droits de l'homme. Cependant je
dois. dire que cette déclaration n'ayant pas été accompagnée
d'une déclaration des.devoirs , fut une des grandes imprudences
qui ontsignalé les commencemens de notre révolution , et une
des principales 'causes des malheurs qui out pesé sur nous.




( 58
)


L'honorable collègue auquel je succède à cette tribune, parait
avoir desiré que j'eusse fait part. à l'assemblée des documens que
mes fonctions peuvent me mettre dans le cas de recueillir sur
l'importance que toute l'Europe attache à cette déclaration des
droits. Je lui demande à mon tour si c'est en Angleterre, au
milieu des compagnons de Thistlewood , qu'il desire que je
prenne des renseignemens , ou bien en Allemagne au milieu de
ces écoles où Sand a puisé les doctrines qui ont armé son bras?
Il se pourrait que là , en effet , on se fût beaucoup, et beaucoup
trop occupé des droits de l'homme , séparés de ses devoirs les
plus sacrés.


Maintenant j'entre dans la question qui est le sujet de votre
délibération. Je viens appuyer le projet de loi qui vous est pré-
senté. Je le demande dans son intégrité, sans les amendemens
que votre commission a cru devoir vous proposer. Ainii j'a-
borde franchement la question avec toute sa défaveur. Heureu-
sement je parle à des esprits supérieurs qui savent se mettre au-
dessus des mots, et qui ne craignent pas de pénétrer dans le
fond des choses. Oui, je demande l'arbitraire, niais pour deux
motifs. Le premier, parce que quand on sort de la légalité, ce
ne peut être que pour un but important , pour un grand objet
à remplir, et qu'il faut être certain que l'on atteindra l'un et
l'autre. Le deuxième, parce qu'il ne faut pas que l'arbitraire
ressemble en rien à la légalité.


Je pense que ma première proposition se démontre suffisam-
ment d'elle-même, et j'ajoute qu'elle est en même temps sou-
mise à cette autre considération, qu'elle ne peut être justifiée
que par la nécessité. A cet égard, je crois-n'avoir rien à ajouter
à ce que M. le comte Siméon , mon honorable collègue, vous
a si bien développé dans la séance d'hier. Il est au moins im-
possible de ne pas conclure de ce qu'il vous a dit, que si , comme
j'aime à le croire , il n'y a pas' de complicité dans le crime , il
y e au moins concordance dans les sentimens atroces ; que s'il
n'y a pas complicité dans le crime, il y a malheureusement com-
plicité dans les passions qui poussent au crime, et que, quand
le crime est commis, les passions sont là pour en recueillir le
fruit.


Je reconnais combien est juste -et mérité tout ce qu'on a dit
de la douleur publique qui a suivi l'horrible attentat sur lequel
nous aurons à gémir si long-temps. Personne n'honore .cette
douleur plus que moi 5 aussi n'est-ce pas contre la douleur pu-
blique que nous voulons armer le gouvernement : ces mesures
que nous demandons ne doivent pas s'adresser à cette masse


( 59 )
immense dePrançais qui pleurent et qui gémissent, mais à un petit
nombre de conspirateurs, s'il en existe; car ceux-là insultent à


inotifde ma demande, et je dis que nulla douleur publiqueaubdlJe passe
inconvénient n'est plus grand que celui de l'arbitraire déguisé
introduit dans un gouvernement libre. C'est alors véritablement
la corruption de toutes les constitutions. Au contraire, l'arbi-
traire nettement exprimé peut être un remède salutaire dans de
grands périls. Il ne faut pas ici s'arrêter à de vains mots. Les
hommes ne sont pas les maîtres de reculer devant les lois d'ex-
ception , parce que ces lois sont commandées par des circons-
tances d'exception , qui se produisent malgré eux , et en dépit
de leur volonté. Il faut encore ajouter que les lois d'exception
n'appartiennent qu'aux libres , et qu'eux seuls
ont le droit d'en avoir, si je puis me servir de cette expression.
Qu'arrive-t-il enfin dans les gouvernemens plus ou moins ab-
solus? la puissance publique y est si terriblement armée, même
dans l'état le plus ordinaire, qu'elle n'a jamais rien de nouveau
à demander à la législation.


Mais dans les gouvernemens libres, la puissance publique est
constituée de manière à porter un tel respect à la liberté des ci-
toyens , que quand viennent les événensens extraordinaires ,
elle doit demander secours à la législation.


Voilà, messieurs, le principe et l'histoire des lois d'exception.
Si les exemples étaient nécessaires à l'appui de ce principe , ils
ne nie manqueraient certainement pas. Mon honorable collègue
M. Siméon vous a suffisamment développé hier ceux qui se ren
contrent à toutes les pages de l'histoire d'Angleterre. Il vous a
aussi parlé des temps anciens : sur ceux-là l'Insisterai plus que
lui. Les deux républiques les plus célèbres de l'antiquité; Athènes
et Rome, me fourniraient , si je le voulais , des autorités sans
nombre ; mais je dois surtout vous faire remarquer que dans
cette dernière les cas d'exceptions étaient si formellement pré-
-vus , qu'ils faisaient en quelque sorte partie de la constitution.
C'est ainsi que la dictature entrait , dans l'essence du gouverne-
ment romain.


Celui de mes collègues qui a cru devoir invoquer hier devant
vous le nom de Cicéron, mis en opposition à celui de Catilina,
vous a dit que Cicéron, lors de la conjuration de ce dernier,
n'avait pas demandé la dictature, et que si elle lui eut été con-
fiée, il s'en serait démis le lendemain même du jour où la. cons-
piration avait été déjouée. Mais en faisant une telle supposition,
a-t-il donc'oubliéteette formule si célèbre : Caveant consules?




( 6o )
l'étendue des pouvoirs qu'elle conférait ? t re se rap-


pelle-t-il pas qu'elle l'accordait comme une dictature, et qu'elle
avait été prononcée ? Faut-il que je lui rappelle le compte que
Cicéron rendit au peuple des pouvoirs extraordinaires qui lui
avaient été remis contre les conj urés ? Ils ont vécu, s'écria-t-il
en traversant la place publique ; et Cicéron fut proclamé le père
de la patrie.


Mais du moins il n'est pas besoin de vous le dire, les lois
d'exception que nous demandons ne donnent pas cette puissance
illimitée du Cavcant consules ; elles ne ressemblent pas à la dic-
tature romaine ; et quant à celles qu'on semble vouloir nous re-
procher, peut-être sommes-nous fondés à dire qu'on doit être
tranquille sur l'exercice qui en sera fait, quand on se rappelle
comment il en a. été usé dans des circonstances encore assez ré-
•centes ; et cette sécurité, messieurs , que je m'efforce ici de vous
.inspirer, elle doit:être d'autant plus grande , qu'elle ne tient
pas , il faut, le dire , au mérite des hommes ; elle est tout en-


. tière dans la nature des choses. lin effet , par-tout où le pouvoir
absolu est limité dans le temps, j'en excepte cependant les pou-
voirs populaires , il est nécessairement limité dans ses effets; et
le despote qui serait certain de descendre de son trône an bout
de trois mois on de six mois, ne serait pas un despote bien re
doutable , à moins qu'on ne le suppose un insensé.
, L'histoire n'offre qu'un Sylla dans le cours de ses annales;
•et j'ose dire que les peuples modernes seraient moins patiens
envers les Sylla modernes, s'il en pouvait exister, que ne le fut
le peuple romain, malgré toute sa grandeur.


Ceci répond suffisamment, je le suppose du moins, au ta-
bleau qui a été fait devant vous des persécutions sans nombre qui
pourraient atteindre la foule des fonctionnaires publics, des
magistrats, des jurés, des députés même, si la chambre venait
à être dissoute. Vous ne pouvez sans doute y arrêter votre at-
tention, et il n'y faut opposer qu'un seul mot. Dans l'état actuel
de notre civilisation, dans l'ordre social actuel, rien de ce qui


. ressemble à un excès de pouvoir si furieux n'est possible. Il suf-
firait que l'abus fût seulement sensible pour que de tous les
points. du royaume il s'élevât .une voix accusatrice, contre la-


. quelle ne pourrait tenir le ministre insensé qui abuserait d'un
pouvoir qui ne lui aurait été confié que dans la vue du repos et
du bonheur public.


Ainsi ,,donc, je demande franchement l'arbitraire, je le de-
mande à. des Français libres, mais dévoués à leur Roi, à leur
patrie, ;et
sans doute, voudront donner un grand exemple


6t )
:les sacrifices dont ils sont capables pour défendre et conserver
de si chers intérêts.


'Qu'avec l'accent de la conviction, qu'avec tout le• prestige du
talent, on vous prédise solennellement à cette . 4ribunela des-
truction de la charte, l'établissement d'un système& gouverne-
ment attaquant tous les droits, le retour à Parbitrafrede 1788;
qu'on vous •représente comme également mentmés , ntème tes in-
térêts matériels, nés depuis trente années au 'milieu de nous
qu'on prononce enfin à cette tribune le mot .de .contre-révolu-
lion ; qu'on ne craigne pas d'annoncer cette colntrerévolution
comme imminente, cela est malheureusementleaucOup plus
sérieux, beaucoup plus grave que je ne le Voudrais. -•


La contre-révolution, messieurs , ! Ah que: je Plains f celni-
qui s'est cru obligé de prononcer ce mot terrible, contemporain
de nos plus grands désastres, ce mot..•qui retentissait chaque joui
dans une tribune que je he veux:pas nommer, alors que les têtes
de nos meilleurs, de nos plus grands, de nos plus-illustres ci-
toyens tombaient de toutes parts sur l'échafahtli , VOus le savez.;
messieurs; défenseurs du trône, amis zélés de la liberté,
toyens ou guerriers, tous ont 'été , iMmolés.commecontre-révo-
lutionnaires. Cette terrible accusation a• également précipité
dans la, tombe le vertueux Malesherbes, lepatriote Barnave et
le général Custine (vive sensation) ;:elle a .préhideconstamment
aux plus déplorables journées:. qui aient ,'souillé.mos annales.
Sans doute je ne serai pas démenti en citant cellesdu Io août,
du 2 septembre, de prairial, du 13 vendémiaire ,•du )8 fruc-
tidor. (Mêmes mouvemens.)


La contre-révolution , messieurs! il faut bien que jele dise,. je
ne croyais plus l'usage de ce mot possible, alors,"qu'imillourbbn;
assis sur le.trône de France, avait ramené avec lui cette liberté•,
cette sécurité inconnues parmi nous depuis l'époque qui nous


o avait si violemment séparés de cette auguste famille.. • .
Si on m'avait parlé d'une révolution, j'aurais -,frémi,• Mais


enfin j'aurais pu comprendre.
Mais une contre-révolution ! que;mon honorable collègue


souffre que je fasse pour un moment une supposition qui ne
pourra l'offenser, car elle ne • sera qu'un .hommage rendu à la
droiture naturelle (le son esprit. .


- Je suppose donc qu'un de ses amis (et an temps oit nons.v.i..
vons on en -peut avoir dans toutes' les opinions, même les plus
étranges) vienne l'entretenir un jour d'espérances qu'il aurait
conçues; que ces espérances réposent sur une contre-révolution
telle qu'on nous en a menacés hier, c'est-à-dire le re tour des dîmes..




( 62 )
des droits féodaux, l'établissement de la corvée, l'annulation


jdes ventes de domaines nationaux de toute espèce, tout enfinusqu'au rétablissement destrois ordres : ne vovez-vous pas d'ici.
notre honorable collègue foudroyant de si absurdes suppositions,
tantôt avec l'arme du raisonnement le plus puissant, tantôt avec
celle du dédain le plus amer, de l'ironie la plus sanglante ? Le
fleuve du temps, dirait-il à cet insensé, ne remonte point à sa
source; il n'y a pas dans l'histoire d'exemple d'une contre révo-
lution connue vous l'entendez. Des révolutions succèdent à desjrévolutions, à la bonne heure ; mais alors la suivante est tou-ours obligée d'accepter l'héritage de destruction que la précé-
dente lui a légué; ruines sur ruines, voilà le produit des révo-
lutions : la France a eu le bonheur insigne de terminer la sienne
d'une manière inespérée; ce ne sera pas le gouvernement de ses
Rois qui la rejettera de nouveau dans cette carrière de misères
et de désastres sans fin. (Mouvement général d'adhésion. )


Ainsi parlerait sans cloute notre honorable collègue ; et moi
aussi, messieurs, je dirai que ce ne sera pas le gouvernement
du Roi auquel vous devez la charte, qui aurait jamais de telles
conséquences : elles. ne sortiront jamais, quoiqu'on en dise, des
lois (WU vous propose et qu'il soutient. Non, ce ne sera pas
eu ôtant, pour un temps court et déterminé, aux agens les
plus furieux des factions les chances d'une impunité trop assu-
rée; ce lie sera pas en enchaînant pour un temps pareil quelques
plumes, furibondes qui déversent le fiel le plus amer, en atten-
dant qu'elles. fassent couler le sang ; ce ne sera pas en assurant
plus complètement la liberté, l'indépendance des suffrages dans
les élections, ni même en plaçant dans les mains des plus no-
tables prOpriétires une saluta ire influence , que le gouvernement
du Roi amènera ni une révolution nouvelle, ni une contre-
révolution, puisqu'on a voulu se servir dé ce mot.


Que mon honorable collègue me permette cependant d'en


j
reproduire encore une fois la sincère expression ; qu'il rende
ustice à mes intentions comme je la rends aux siennes; qu'il


veuille reconnaître que le zèle de la liberté a aussi ses égare-
mens, et qu'il peut entraîner au-delà des bornes légitimes même
l'esprit le plus juste, le coeur le plus droit, et il me pardon-
nera de faire encore retentir à cette tribune ces mots qui sont
le prix de ma conviction la plus intime. Cezi.v-ld veulent en-
core des révolutions qui fomentent d'aussi absurdes craintes !
(Même mouvement.)


Quelques membres réclament la clôture de la d isc ',ssion.
—D'autres: Non, non, laissez parler ! — Laissez épuiser la liste!...


( 63 )
I. de Corcelles. Messieurs, la mesure qu'on nous propose


n'est pas nouvelle, disent les ministres pour nous tranquilliser.
Je conçois le calme de M. Pasquier, qui, sans doute, sera l'un
des trois proscriptems temporairement. ( Des murmures se font
entendre. ) Vétéran des proscriptio ns , je ne suis pas payé pour
partager une telle sécurité. Toute mesure discrétionnaire est
suivie d'une proscription; elle est imminente aujourd'hui
(Nouveaux murmures : les cris cil'ordre se font entendre à droite
et au centre.) Lorsqu'on considère l'état actuel de l'Europe et
l'état de sujétion dans lequel la médiocrité nous rabaisse de
plus en plus, M. Pasquier, qui siége au milieu de nous comme
collègue et cousine ministre des relations extérieures, pourrait
peut-être nous révéler le secret d'une mesure dont l'initiative peu
française semble.nous être importée par quelque main invisible.


Mais qu'une telle largesse nous vienne de Carlsbad ou de
Londres, peu importe; on nous a cité pour nous dépister les
temps anciens, les temps modernes, ,8i 7 , Cicéron, Catilina ;
voilà bien de l'érudition pour nous enchaîner. La nation fran-
çaise:ne se laisse pas prendre à ce piège grossier; nous sommes
tous experts en matières discrétionnaires : les uns y ont trouvé
des richesses et des dignités ; la foule en est sortie couverte de
larmes ou du deuil .de ses amis. Le temps des jongleries est
passé; de l'audace et de la force, voilà comme on;exécute les
mesures discrétionnaires, les grandes mesures ; seulement gare
au lendemain lorsque le peuple les réprouve !


La grande question, messieurs, je vais l'aborder franche-
ment : Toute dictature, tout triumvirat exploitent nécessaire-
ment au profit d'une faction, et malheur au peuple qui en souffre
l'usage ' Les Marius, les Sylla, les Octave précédèrent de
bien peu la ruine des libertés et de l'honneur du peuple romain...
Je vois autour de nous plusieurs factions qui se disputent ce
sceptre dangereux, pendant qu'un peuple sage et fidèle leur
crie de respecter ses lois.... Si l'on disait aux ministres actuels,
au centre de cette chambre, aux députés qui siègent à gauche,
que le triumvirat attend leur vote pour être exercé par trois
députés choisis entre les plus ardens et les plus résolus du côté
droit, quelle serait leur réponse 2 (On rit.)


Si l'on disait, au contraire, au centre, au côté droit de cette
chambre, que trois de nies honorables collègues de gauche, des
plus résolus aussi, sont appelés à cette die. tature, sans doute
qu'il serait assez inutile de compter sur la majorité absolue ; et
quelle main serait donc assez pure pour l'exercer ? Serait-ce
celle de M. Pasquier 2 (A ces mots, les murmures qui eé-




( 64 )
taient élevés éclatent violemment ; un grand nombre de membres
de la droite et du centre se lèvent en s'écriant : l'ordre ! d
l'ordre !)


M. le président. Quelqu'un demande-t-il la parole pour
faire la proposition formelle du rappel à l'ordre?


• .


Bois Je la demande, moi (à la tribune.) Messieurs,
je demande le rappel à l'ordre de l'orateur, à raison .des ex-
pressions dont il s'est servi et des personnalités qu'il vient de
se permettre. M. Pasquier, comme membre de cette chambre,
comme individu , a certainement droit à être respecté; il a des
droits à tous les égards de ses collègues ; niais il y a plus, il est
ministre du Roi; c'est au nom du Roi qu'il vient


• de parler
dans cette enceinte, vous ne pouvez tolérer des personnalités
auxquelles ajoute le ton d'une ironie si déplacée. Je demande
le rappel à l'ordre




Une .. foule/de voix : Appuyé ! appuyé !
Demarca y. Je ne viens ni approuver ni improuver ce


qui a été dit. Je viens seulement m'opposer au rappel à l'ordre.
Je conviens que l'orateur eest servi.•'.d'une appellation Peu
usitée; mais ce n'est pas une raison pour que la chambre sévisse
contre lui ; quant à ce qu'on dit de l'ironie qui régnerait dans le
commencement de ce discours, j'observerai que ce serait la
faire tourner coutre soi-même que d'en paraître piqué. je
mande que l'orateur continue , et je ne doute pas que , prévenu
par le mouvement qui vient d'avoir lieu , il ne supprime la
forme inusitée, je le répète, dont il s'est servi.


M. de Chauvelin. Toutes les Bisque, dans une discussion, on
rappellera à la chambre la gravité (le ses délibérations, le res-
pect qu'elle se doit à elle-même et au public admis à.ses séances,
on fera une chosetrès-utile , et je suis loin.de le contester; mais
ici je ne sais .à quel point un orateur contrevient à l'ordre qui
doit régner dans cette chambre, en nommant un ministre par
son nom. Je sais qu'il est beaucoup mieux, plus convenable,
plus dans les formes parlementaires de se servir de cette expres-
sion : M. le ministre du Roi ; mais ce qui a été dit ne•me
semble pas justifier la' mésure.-dezigueur que l'on propose ; ce
serait Pappliquer.à un mouvement de _vivacité bien naturelles
un homme qui a si cruellementsouffert• de l'arbitraire— ( Des
murmures interrompent à droite...) Messieurs, les dispositions
de chacun de vous peuvent n'être pas précisément les miennes.
Ce que je remarque, c'est que trois lois indivisibles, et qu'on
peut regarder comme n'en faisant qu'une, nous sont .presentées
à -


-la-fois, et embrassent toutes nos libertés pour les restreindre,


( 65 )
garanties pour y porter atteinte. Certes, e, s'il l


jamais ns une occasion où la tribune dût être respectée, c'est celleoù nous sommes. Je demande que l'orateur continue, et sans
doute il reconnaîtra la convenance de se conformer à l'usage de


Voix à gauche : Continuez ! continuez'cette chambre '
M. Blanquart-Bailleul. C'est en vain , messieurs, qu'on


voudrait ici vous faire prendre le change ; non, messieurs, ce
n'est pas parce que l'orateur a .désigné un ministre par son nom
qu'on e demandé son rappel à l'ordre ; c'est parce qu'il s'est
servi plusieurs fois de l'expression de ministre proscripteur.
Ainsi il n'-a pas seulement attaqué le ministre, mais présenté le
projet de loi comme un projet de proscription. Je demande le
rappel à l'ordre.


Couivoisier. Chacun de nous sent l'avantage de ne
jamais négliger dans nos dicussions les marques de déférence
et d'égards que nous nous devons à nous - mêmes , et que
nous devons particulièrement aux ministres chargés •de porter
la parole dans cette énceintenu nom du Roi. L'opinant s'est-il
écarté de ces convenances ? Il a dû le reconnaître lui-même, et
voir combien la chambre desirerait qu'on resta attaché à ses
anciens usages. Il doit lui suffire de l'avoir remarqué pour ne
pas exciter des nouveaux signes de mécontentement. Je de-
mande l'ordre du jour.


M. de Cordelles. Je demande un mot d'explication.. .....
.Messieurs, sept années de proscriptions de ma vie, ont pu
m'entraîner à nie servir d'une expression que je désavoue dans
le sens qu'on lui prête


1W. Bourdeau et un grand nombre de membres de la droite
et du centre
C'est bien ! très-bien


continuez !
M. de Cordelles. Considérez, messieurs, les chances que


nous réserve l'avenir au. milieu du bouleversement de nos ins-
titutions. La mesure proposée n'est pas seulement injuste pour
le présent ; elle ouvre la porte à plus d'un danger. Reste à savoir
si nos commettons l'approuveront. Quant à moi, que ne distrait
aucune fonction publique , je suis loin de le penser.


Il est évident à mes yeux qu'on inédite le renversement de
nos lois, lorsque je vois les dispositions militaires qui me-
nacent la capitale, lorsque je vois nos légions remplacées par
des régimens concentrés de la garde




(A ces mots un nou-
veau mouvement très-vif interrompt




Une foule de voix d
droite : Qu'est-ce que cela signifie 2 De quoi vous mêlez-
Vous 2 Respect à l'autorité du Roi!




A l'ordre! à l'ordre!)
5




( 66 )
- M. le comte d' Aintbrüb'ffeac se levant dn centre de ifroite : Je
demande la parole pour le rappel 'à l'ordre.


M. le président. Vous avez la parole •
M. d' Anibrugenc. Au -milieu du tumulte qui a accompagné


le discours de l'orateur, cru remarquer ces paroles : La
n capitale est menacée par l'éloignement des légions et leur
D, remplacement par des régimens de la garde royale. 5, (..V. de
Corcelles : Ce n'est pas encore tout, je n'ai pal fini nia phrase).
Je pense que cette première partie de la phrasé de l'orateur.est
assez claire, assez précise pour ne pas demander de plus amples
développemens. Eh. quoi ! messieurs, le retour des régimens
de la gardé royale dans les environs de Paris menacerait la
capitale ! De quel droit l'orateur ose-t-il juger des sentimens
patriotiques et du dévouement sans borne des légions et de la
garde royale? Les uns a les autres sont les soldats du Roi, et
se font honneur de ne pas délibérer, et d'agir quand on leur
commande. Ainsi , que la garnison de Paris soit formée par la
garde royale ou par des légions , du moment où le Roi; chef de
l'armée, e communiqué ses ordres, ces ordres ne peuvent être.
soumis à aucun contrôle. ( Mouvement très-vif d'adhésion. )....
( Une foule de voix : Bien !- très-bien ) Il y a inconvenance, il
y a outrage envers une garde qui, j'ose le dire , et vous me
croirez sans peine , est le plus ferme appui de l'autorité royale,
et vouloir s'élever contre elle , ce serait lutter en vain contre
ùn roc inébranlable qui résistera à toutes les tentatives des fac-
tieux. ( Le même mouvement éclate. ) Je demande le rappel à
l'ordre de l'orateur


M. le géndrel Foy. Il est impossible , messieurs, que la
discussion prenne une marche aussi contraire à nos régleinens
et. à l'esprit de la charte que celle qu'on veut lui donner en ce
moment. Je suis loin de partager plusieurs des sentimens
l'orateur, surtout la manière de les exprimer. On se doit, dans
une asiettiblée française, dés égards personnels avant tout ; et
nous serons pour notre compte, touj ours prêts à soutenir cette
théorie et à 'la mettre en pratique. Quant au fond de la ques-
tion , on peut dépasser les limites mêmes de choses très-géné-
raleinent senties, sans devoir exciter des murmures et des
rappels.à l'ordre ; la tribune est là pour qu'on y dise tout ce
qu'on pense.. Je ne sais ce que -contait dire l'orateur relative-
ment er la-garde royale ;- il-n'a fait que commencer, il fallait au
moins l'entendre jusqu'à la fin. Si vous ne voulez pas écouter
des choses peuvent paraître à quelques esprits inconve-
nantes et: désordonnées . , il- n'y aura plus de tribune. .Si vous me


,( 67 )
.pernettez pas d'y exprimer une opinion, quelque déplacée,


lelq dangereuse qu'elle soit, jamais vous n'aurez le liberté.que
de discussion que vous est .riéressaire. Il faut donc qui chacun
s'arme de résignation à l'égard des idées et des expressions qui
pourraient lui déplaire. Sommes-nous ou non une assemblée
,défibérante? Si nous sommes une assemblée délibérante , nous
.nons•devons inutu,ellemeut,.une extrême tolérance, et ce n'est
pas seulement dams, les intérêts réciproques des orateurs , mais
encore dans Pintée de la liberté publique. Qu'on ne fasse pas
que ,cetté,eliambre ressemble aux assemblées tumultueuses de
la, résolution Quand même :un: orateur d t, un dangereux
exemple, il vaut mieux pour la liberté le laiser .aller, que de
l'interrompre par des Murmures. (Interruption. ) Je dis, ,ceci
dans :l'intérêt de la lilerté .edu Rtii , parce que les,intérêts du
,Roi . de la liberté sont inséparables . Je le dis aussi flans votre
intérêt à tous. Ce n'est . q jte par respect pour les minerit•s que
la liberté pour la discussion peut -être maintenue. Je le répète:,
quand même on .dirait .des Aloses nui ne seraient pas dans les
bornes strictes de la convenance, il y a .plus ,à :gagner.pOur
paix et la liberté publique à les tolérer, qu'à les réprimer..


Je demande que Porate.ur continue. 1`-l'.ous devons espérer du
sen gni:doit l'ailiMer amia-senlement. pou r la .personne du
Roi, mais encore ponr les troupes . auxquelles'là.garde du RoIest
con fiée qu'il ne lui ééchappera •riezt:d'inconv.enant.


On demande de notiveau,lerap,pel . à l'ordre.
.Ill. de ,ÇPreelles. Si l'orateur qui demande un rappel à l'or-


dre avait .çonsenti à m'entendre jusqu'au bout, il aurait v.0 que
je n'ai rien youln.dire que d'honorable pour la garde royale : la
suite .du-passage interrompit contient .undinin age elairement


esPiiVir .inci6;Anzhrugee. Le commencement de la phrase a
raître à:toutleanoncle,comme à,moi....


Un grandnombre dee-zendes à 111.deCorcelles:Contirmez !
continuez !


M. de eorc.etiès reprend la première ,partie de sa phrase, et4
continue ainsi : Les fidèles mandataires de la rance . ne cr
gisent pas. les soldats de la garde, parce qu'ils ,sont nos frère
parce que ,plusieurs d'entre nous les ont conduits.à.-la gloire
neur et à l'indépendancee




l aux lois de tenues, à Phon-parce qu'ilssont ,fidèles au Roi,


stipendiés d'une faction.
xclusive.


na lona e, parce qu'ils. ne, s!abeissero utjamais à devenir les t.


besoin d'être .éclaire : la triste nécessité de suspen
ceOn invoque aussi la nécessité,,et j avoue que sur nt j'ai




t


( 68 )
nous le cours des lois, de livrer les citoyens à l'arbitraire, de
perdre tout à-la-{bis la liberté individuelle , lu liberté de la
presse et la loi des élections, cette fatale nécessité a besoin de
nous être démontrée d'une manière complète-avant de passer
outre.


Un coup-d'oeil sur la sûreté du trône, sur la vraie situation
de la France, sur les redoutables antécédens d'un pouvoir dis-
crétionnaire qui fit tant de ravages parmi nous , le respect enfin
que nous devons aux opinions et.aux voeux hautement manifes-
tés des départemens , suffiront pour nous guider. Hors de ce
cercle, je déclare que la France déshéritée de ses lois et de ses
libertés, livrée à la merci d'une faction insatiable , n'aurait plus
de ressource que dans sa noble énergie. (Nouveaux murmures. )


Depuis ce terrible événement qui a jeté l'épouvante et le deuil
parmi nous, chacun s'interroge, chacun répond sans hésiter :
cc Aucun complot n'a peséeur la France. »


Par quelle fatalité , par quel délirant calcul , un ministère in-
compréhensible a-t-il cherché à répandre le plus atroce soupçon
sur tout un peuple alarmé ? Il l'accuse, il le dénonce à la face
de l'Europe.


Non, la France n'est pas coupable ; elle rougirait de se dis-
culper; elle s'indigne qu'une froide ambition ait osé s'emparer
d'un attentat pour la diffamer, pour l'asservir.
. Depuis long-temps, messieurs, le pouvoir qui sans doute se
figure qu'on oublie ses démarches antérieures, méditait, avouait
le renversement de nos lois : voyez avec quelle avidité il a saisi
un événement lugubre pour servir de prétexte à ses funestes
projets ! Seul de sang-froid au milieu d'une douleur univer-
selle, il ne s'attache aux restes inanimés du prince qu'on re-
grette, que pour consommer la ruine des lois et des libertés de
la France.


A peine étions-nous délivrés d'une époque dont les fureurs
menacèrentd'anéantir l'ordre social dans notre malheureuse pa-
trie; nos plaies saignaient encore, plus que jamais nous avions
'iesoin de consolations, et l'on nous aborde avec dés accusations,




avec des outrages !
Telle est , messieurs, la vérité dans tout son jour ; c'est à


vous de voir maintenant si , vous associant aux projets d'une
faction exclusive, vous livrerez de nouveau votre pa ys à ses fu-
reurs, à sa haine.


Sans doute il peut convenir à ses vues ambitieuses de rouvrir,
par un redoublement de méfiance, l'abîme des dissensions ci-
viles. C'est là qu'ou essaya mille fois d'engloutir nos institu-


( 69 )
tions. Aurait-on supposé guenons, mandataires fidèles, pourrions
délibérer froidement sur un projet qui les anéantit toutes?


LaFrance entière. est tombée dans la stupeur, à la simple me-
nace de l'arbitraire ; les délateurs, les bourreaux lèvent de tous
côtés une tête menaçante ; déjà les portes sont marquées par les
proscripteurs ; on insulte publiquement les citoyens paisibles ;
on a osé poursuivre les modestes vétérans de la gloire française !
Serait-elle flétrie, la gloire française, parce qu'elle est réduite à


Des mains étrangères sans doute à cettela demi-solde 2
gloire, ont osé se porter sur la poitrine des braves, ont profané
des décorations encore noircies par la fumée des canons enne-
mis ; les citoyens s'évitent entr'eux , se fuient en prononçant
avec effroi le mot dont retentissaient nos cachots : le mol discré-
tionnaire L'horrible souvenir de ce pouvoir destructeur de
toute loi glace tous les coeurs; la terreur s pénétré dans toutes
les familles ; toutes, comme en 1815, aperçoivent déjà dans
leur sein une nouvelle victime ! Les murs, au besoin ,.rendraient .
encore témoignage contre cette dictature atroce : oui, messieurs,
les murs; ce n'est pas ici une vaine figure oratoire, et si vous
hésitiez à repousser la dangereuse loi qu'on vous propose, je
ferais parler les murs en votre présence.... Ordonnez, et je dé-
roule à l'instant à vos yeux une preuve, entre mille, des atten-
tats du pouvoir discrétionnaire une preuve dont les suites
étendues jusqu'à nos jours pèsent encore sur de malheureuses
familles de nos départensens.... La voici, telle qu'elle affligea
toute une population; elle porte encore l'empreinte du mur... 5
elle est tout entière écrite et signée par la main qui s'en rendit
coupable.


Mairie de Trévoux.
cc Le maire de la ville •de Trévoux fait savoir au public que


n S. Exc. le ministre de la police générale assure une gratifi-
» cation de . ] ,zoo fr. à ceux qui livreront à la justice l'un ou
n l'autre des nommés Barthélemy et Antoine Bacb.eville frères,
» le premier lieutenant, et le second capitaine dans l'ex—garde;
» et 2,400 fr. à ceux qui les arrêteront tous les deux.


» A Trévoux, hôtel de la.Mairie, le 25 avril 1816.
» Signé , RA.PFIN maire. »


Quels étaient, messieurs, ces coupables dont le pouvoir dis-
crétionnaire exigeait la tête à tout prix? Deux jeunes militaires
sans reproches, oui, messieurs, sans reproches : voici encore
.les témoignages authentiques de leur conduite irréprochable
dans tous les temps.




, pendant. les cent jours même qui ser-




( 7° )
virent de prétexte à leur proscription. Ces témoignages sont
signés dés maires, des sous-préfets, dit magistrat lui-même qui
plus tard se hâta de mettre leur tête à prix.


Au centre. Lisez ces pièces!
L'orateur en lit sine qui atteste que lès dén' fières Radie-


ville ont protégé l'ordre publie dans leur pays â. l'époque dg
20 mats.


VictitnéS de la calomnie, poursuivis par les situ d'inie . po-
lice infernale, poursuivis jusque dans les pays étraagers, voici
encore leur signalement, l'ordre publié affiCliêen Suisse de les
arrêter, et de lès livrer à leurs bourreaux.' • EChappeS à tra-
vers mille dangers de Cette terre inhospitalière peur dé
reux réfugiés français, errant d'asile bis asile, ils espéraient
enfin trouver qUélipie sir confins de l'Europe


• A
Constantinople, une alitbaSsade .qui .


se tilt française, ét plus
barbare que la police de i 8i 5; n'eut pas honte de poursuivre
deux malheureux militaires français mutilés, dé les accabler de
menaces, lorsqu'après tretià abiiées d'injustes soiiffranees, sans
ressources, sans asile sais protection, ilà étaient 'réduits à
chercher ci loin de leur pats* ta 'terre et 1;


L'tin d'eue, celui qui était condamné à iiltirt rii'écOurant 'que
son ' désespoir, est Venu lisirbr sa tété au glaive di ()ie.... Eh
bien ! niésSieurs, il y a peu de semaines, les juges convoqués
pour décider de "son sort, ont déclaié à, l'unanimité lei/ n'y
avait pas ni'dnie eu lieu d iniursuit'e.... Et leur tête avait été
misé à prix _par le pOutisii•discrétiosinafre! Elle 'attrait roulé
sur Péchaland , COMnié celle 'de tant de tietiffieS des assassinats
discrétionnaires, si, par.prodige , ils n'avaient échappé à lents
bourreaux ; et, pendant huit joùrs consécutifs, la guillotine pré-
senta .


l'image de leur supplice sous les fenêtres d'un vieillard
respectable, de leur oncle sexagénaire, qui lui-Même , sur ses
vieux jours ; expia, par six mois de cachots ,.le crime d'avoir
reçu chez lui ses neveux, militaires sans reproches.
• •.




encoreEt quelle justice ,
est enc rendue aujourd'hui à ces deux


infortunés, par suite de cet acte discrétionnaire? L'aîné ee cri-
blé de blessures une balle lui a traversé


• la tête; il ne peut se
livrer à aucune occupation suivie; il a eu les pieds gelés en
Russie , le 'Céte traverse d'une baïonnette; il souffre par inter-
valle des douleurs aigeés ! Il a consacré toute jeirnes'se au
service de son pays.... Sans fortune, il n'avait d'antres


• res-
sourees que son état. Eh bien ! on lui refusé uné niedique re-
traité, si bien due -à de longs servies; à son grade, acheté par
la vaillance sur
champs de bataille ; à son sang, Versé 'par


( 7 1 )
dt ree n


la


t epbl.après quatre annéestliesss;tirroccseppozséacuptaiotrnie!;..si. bien due,


Son Jeune, frère plus malheureux encore, errant dans les
Echellos . du fouie, sans moyens d'existence (il a perdu la
main droite au service de son pays ), expire peut-être au mo-
ntent où dééltire


_expire peutsadénoncevousje
être de besoin et de chagrin à la porte de quelque consul frau-


nte situation,


çais ' Son innocence est reconnue-- a - t- on daigné lui
envoyer quelque consolation2 .daigne faciliter son
retour dans une patrie, dans une famille éplorée, qui depuis
(paire années lui tendent les bras e Aucun sentiment de pi-
tié n'est sorti de ces tueurs de bronze, de ces coeurs 5
Ce sont eux qui redemandent le pouvoir discrétionnaire.


Oui, messieurs, les mêmes proscripteurs proscriront de tous
côtés sur nos departenseus.... (le- sont eux qui , depuis six mois,
troublent nolre.ntalltP•tlf(41Se France, pour obteui • le renverse-
ment de la liberté individuelle, de la liberté de l s presse et de la
loi des élections, • de toutes nos institutions qui seules pouvaient
sous garantir tlu retour de tant de foreits !I l'ion, messieurs,
vous ne serez pas leurs complices. (Du calé gauche.) Votez !
votez! L'orateur poursuit :


1l , ,Is-nous, je le répète, de rejeter bette exécrable loi ; elle
seuil •- calculée pour soulever tontes les passions; elles étaient
si bien ,éteintes avant les menaces imprudemment faites à nos
lois! Pressons-nous plus que jamais sous Pégide tutélaire de
ces lois.


Je. vote le rejet des amendemens et de tout le projet de loi,
comme attentatoires à nos libertés, comme calomnieux pour la
France et provoquant la guerre civile.


Castelbajae. Quelques-uns de nos honorables collègues
ont bien voulu rappeler ce que je disais à cette tribut 81C. en x7,
au sujet .de Je question qui S'y renouvelle aujourd'hui ; heureux
de voir que mon opinion a :eu quelque poids auprès de la leur,
je les remercie de m'avoir mis à même de leur dire que ma satis•
faction &t'a été complète, si des mêmes principes nous eussions
tiré les mêmes conséquences.


Je le déchue, je suis d-ss nombre de ceux qui pensent que le'
meurtre du dernier fils .de Fronce, etla volonté hautement ms
nifestée d'éteindre la race de nos Rois , sont des motifs sulfisans
pour suspendre momentanément la liberté individuelle.


d'auj
Je ne crains pas ,.en m'exprimant ainsi, que de mon opinion


ourd'hui on en appelle à mon opinion d
demandais on étaient les motifs d'




d'hier. En 8 1 7 , je
une loi de circonstance, parce




( 72
)


que ce ne sont que les circonstances qui peuvent motiver de
telles lois. Aujourd'hui je voteconsé.quemment à mes principes.
Je n'ai point varié de doctrine ; j'ai toujours pensé le no
comme le / 9 , et c'est de grand coeur que j'accepte à cet égard
toute espèce de responsabilité.
• On a dit à cette tribune que le crime que nous pleurons tous
était un crime solitaire, dont on a voulu rendre la nation
complice. Messieurs, on ne rend pas la nation complice du for-
fait d'un individu, en disant. que ce forfait est le résultat fu-
neste de doctrines impies et factieuses. On ne rend pas une
nation complice en attribuant aux principes révolutionnaires
qui firent égorger les Rois, la possibilité de faire assassiner les
princes. Certes, la nation ne fut point complice du meurtre de
Louis XVI , et ce crime aussi fut solitaire dans ce sens, qu'il
appartient seul à la Convention ; et cependant ne pas le
résultat de ce même débordement d'effroyables doctrines qui se
renouvellent de nos jours?
. Louvel est seul coupable, vous a-t-on dit; les monstres dans


la nature marchent seuls. Oui , dans l'ordre physique ; mais,
hélas ! dans l'ordre moral en est-il donc ainsi ? Est-ce à nous,
tristes débris échappés à un long orage, jouets infortunés de
toutes les vicissitudes humaines, roseaux battus par toutes les
tempêtes, est-ce à nous qui avons vu des monstres de toutes les
espèces venir en troupes incarcérer, mitrailler, noyer les géné-
rations entières et démolir nos villes, est-ce à nous de dire que
les monstres marchent seuls ?


Nous les avons vus dépeupler ainsi la France en se disant les
amis de cette liberté dont le souvenir a laissé dans notre histoire
une longue trace desang..


Mais ce mot de liberté, rendu à son acception honorable et
pure dans la bouche d'un franc militaire, n'a-t-il donc pas été
profané ? Des factieux n'en abusent-ils pas encore tous les jours;
ne fut-il pas applaudi jadis par les tricoteuses de Robespierre?
Et, dans la position où nous sommes, où trouver la vraie li-
berté, si ce n'est dans la force nécessaire au gouvernement pour
établir l'ordre et le maintenir? l'eut-il exister de vraie liberté.
là où il y a désordre dans l'état et danger pour la société ? Je ne
le pense pas, messieurs; et certes, il y a désordre dans un état,
quand toutes les maximes anti-monarchiques , quand toutes les
doctrines impies et factieuses y sont ouvertement propagées : il


a désordre dans une -monarchie, lorsqu'après une révolution
comme la nôtre on peut y prêcher avec impunité la souveraineté
dn peuple : il y à désordre, quand, par suite de tant d'aberra-


( 73 )
tions criminelles, le sang des princes a coulé ; et certes, il y a
danger pour la société quand les princes sont assassinés. C'est
donc clans l'intérêt de la société, dans celui de la vraie liberté,
que nous ne pouvons pas prendre sur nous la responsabilité de
l'avenir, en refusant au ministère le secours qu'il demande. En
le lui accordant, je crois faire mon devoir; il fera sans doute le
sien s'il en était autrement et qu'il en abusât , la France, qui


juge nos débats , ne nous en rendra pas responsables.On a comparé le forfait de Louvel à celui de Ravaillac; on
a loué les mesures prises par le gouvernement , quand Henri IV
fut assassiné. La sagesse . de ses conseils , a-t-on dit , lui avait
survécu ; et c'est à cette conduite, à la fois politique et loyale,
que la France doit de conserver intacte la fidélité des peuples.


Si les adversaires du projet trouvent que le crime (supposé
solitaire ) qui a privé la France d'un Bourbon n'est point un
motif suffisant pour la suspension temporaire de la liberté in-
dividuelle, je les conjurerai de fixer le nombre de crimes néces-
saires pour provoquer des mesures extraordinaires, et je leur
dirai;encore trois crimes solitaires, et le dernier des descendans
directs d'Henri IV, en France, aura cessé de vivre. Je vote pour
le projet de loi. ( Mouvement d'adhésion à droite et au centre
de droite. )


Saulnier émet une opinion dans laquelle il combat le
projet de loi, ainsi que les amendemens- de la commission.


M. le président. La parole est à M. Toupot de Bevaux.
On demande la continuation de la discussion au lendemain.
Le président. Je dois donner connaissance à la chambre


d'une lettre •que je viens de recevoir.
M. le président donne lecture de cette lettre, qui lui est


adressée par M. Benjamin-Constant. L'honorable membre rap-
pelle que la chambre a prise en considération sa nproosition
tendant à des modifications dans le mode du-scrutin.


positi
rap-


pelle que la circonstance est pressante, et que c'est au moment
de voter sur une loi de la plus haute importance, qu'il est utile
que la chambre statue sur sa proposition. 11 invite donc M. le
président à vouloir bien convoquer la chambre dans ses bureaux
le lendemain à midi, pour y examiner la proposition et'nom-
mer une commission. ( Vola:- d gauche : Oui ! oui )


(In grand nombre de menib-res
Non! non'


Rien ne doit int n •
de la droite et du centre:


demain ! à demain !


crio ipie la discussion 4


Beaucoup de membres quittent leur place. La gauche reste
en place et en silence.




( 74 )
Cetsimir Perrier. Puisque la chambre a pris la demande


en considération , c'est sans doute pour l'examiner , la rejeter
ou l'adopter; elle ne peut donc se refuser à nommer la cons-
mission qui devra lui faire un rapport. sur cette proposition,
et il faut que ce rapport soit prompt. La décision est urgente;
vous allez -avoir -à voter sur la loi la plus importante; deux
autres suivront. Si donc quelques personnes ont cru reconnaître
des vices, des inconvéniens, et la possibilité de quelque abus
dans la formation actuelle du scrutin, vous devez être einpres-
sés de les réformer, ou du moins de statuer sur la proposition
qui vous en est faite. Je demande qu'à cet effet la chambre se
réunisse demain à midi dans ses bureaux.— ( Voix d gauche
Et en séance générale-et secrète! )


M. Cornet-dUncourt. Nous délibérons on ce moment sur
un projet de loi présenté par le gouvernement. Pouvons-nous
intervertir l'ordre de cette discussion pour nous occuper (le la
proposition d'un de nos collègues? Dans tout ce quia été dit
sur le scrutin, je n'ai pas entendu avancer qu'il y avait eu des
abus et des irrégularités; il ne s'en est offert aucun exemple. Il
ne paraît donc pas si urgent de s'occuper de la proposition, et
interrompre la discussion.... (Foix d gauche : Cela ne Pin ter-
rompt point !...) Je demande que l'ordre du jour soit continué,


M. Benjamin-Constant. Vous avez pris la proposition en
considération, et vous l'avez renvoyée dans les bureaux : il faut
donc que les bureaux s'en occupent, et,


qu'ils nomment une
commission. Cela peut se faire en quelques instans , avant la
séance publique ; cela n'empêche nullement- que cette séance
n'ait lieu, et cela n'interrompt pas la discussion.


Voix à gauche : Oui ! oui! clans les bureaux demain à midi.
M. le président.. Je vais consulter la chambre. Une première


épreuve est douteuse.
l'3 M. les secrétaires se placent à la tribune. Vite seconde


épreuve est frite. —M. le président déclare unanimement qu'il
y a du doute
On réclame à gauche et très-vivement l'appel


nominal.
Cette proposition est repoussée -par la droite. ;Un grand


nombre de membres de la droite et du centre : A demain , : dà demain ! La plupart de ces membres se répandent .dans la
salle, dans.


les couloirs, et sortent-dans le salon 4es conférences.M. de Restez , messieurs , restez; c'est donner un
mauvais exemple ; on en profitera contre vous.....


M. Barthe- Labastide. Si l'appel nominal a lieu, il faut
rester, et voter; il faut faire son devoir.


( 75 Y
Plusieurs voix à droite : On ne peut faire l'appel nominal ;


le chambre est inctineere I
Voix à gauche : Rentrez! rentrez !
M. Casimir Perrier. M. le président, si vous voulez user


dans cette circonstance de l'influence que vous laites si souvent
valoir, vous déterminerez ces messieurs à rester en placé.


M. le président. Le :président:de la chambre n'a jamais abusé
de son influence; il lui est impossible de retenir ceux des
membres qui veulent sertir ; le réglement ne lui donne aucun
moyen à cet égard. Si l'assemblée 'était complète , le président
n'userait 'de son autorité que pour rappeler à l'ordre celui des
membres qui se permet contre lui une interpellation offensante.


M. Casimir Perrier. Je n'ai. point dit, monsieur le prési-
dent, que vous abusiez de votre influence : j'ai dit qu'en ce
moment vous pouviez user de l'influence que vous exercez
si souvent. Or, user 'et abuser sont deux expressions fort
différentes.


On réclame de nouveau l'appel nominal.
'aident. On va procéder à l'appel nominal.


Un de les secrétaires commence l'appel. Les membres
de la gauche sont en place; le centre de gauche est également
garni, ainsi que . le centre droit; Un petit nombre de membres
de là Clroite sont restés à leurs places:


de Chauvelin. M. le président posez, s'il vous plaît-, la
question : Comment votera-t-on?


M. lé _résident. Il est étonnant que vous leviez cette
gîtes -Vous le savez parfaiteinent; vous avez assez souvent
-Voté 1 uurcela. Il s'agit ,de savoir si on 'se réunira demain à. midi
dans les bureaux pour l'examen de la proposition de. M. Ben-
jamiu-ConstanL Le vote est .done affirmatif. Ceux qui voudront
la réunion mettront la boule blanche . ; ceux qui ne la voudront
pas, mettront la boule .. (Mouvecuent général cPadlté-
sion -à gauche. )


L'appel et le réappel sont bits.
La:Séance allait être levée. 'lorsque M. le président a '.donné é


pour but. n
dcee d'ile'ïtzendleetrtfciéedel -a'1\. Be, arje-ü21-C


réunît le
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lendemain
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itudi'd: os bureaux, pour s'occuper dersann
id)r(›nrinilbtiirde


relat
au itio<i, procéderais


iv
n g -


bres réclament l'ajournement.
deux, , .e.dhéacm indber e, laqu'elle


elle majorité,seréun dle ee cent cinq voiecontre trente-
pour s'occuper de la proposition de M. Benjamin-Constant.




CHAMBRE DES PAIRS.


( 76 . )


La chambre adopte la loi relative à la libération des différentes
classes d'acquéreurs des domaines de l'état.


M. le duc d'Albufera obtient ensuite la parole pour payer un
tribut d'éloges à la mémoire et aux longs services du maréchal
Serrurier, décédé.


La chambre a ordonné l'impression du discours prononcé par
ce pair.


La séance est levée à quatre heures, avec ajournement au il
du mois.


CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance rlu 9 mars.


Conformément à la décision prise dans la séance de la veille,
les députés se sont réunis dans leurs bureaux pour s'occuper de
la proposition de M. Benjamin-Constant, tendant à ajouter au
règlement une disposition pour constater le nombre des membres
qui ont voté au scrutin secret.


L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion géné-
rale du projet de loi concernant la liberté individuelle.


M. Tozipot de Revaux prononce un discours dans lequel il
se range à l'opinion de M. Courvoisier, et modifie les amende-
mens proposésPar la commission.


Bignon. Messieurs, si le ministère, qui a proposé, en un
même jour, aux chambres trois projets de loi destructifs de nos
droits les plus chers, avait auparavant, par d'importuns ser-
vices, tuérilé de la France une confiance sans bornes ; si, fidèle
à ses engagemens, il s'était, dès l'ouverture de la session , em-
pressé de leur souate.ttre , pour l'organisation des institutions
qui nous manquent, des projets de loi fondés sur la chaste cons,
titutionnelle; si tous les actes de l'administration avaient ga-
ranti à la France le respect des ministres pour les libertés natio-
nales , et que tout-à-coup, surpris au milieu de leurs travaux
par l'attentat qui nous a tous plongés dans le deuil, ils fussent
venus, dans le délire de la douleur, vous demander l'anéantis-,
sevrent de toutes nos libertés, vous eussiez dit encore, messieurs,
sentinelles inflexibles, repousser une si funeste aggression ; mais


( 77 )
du moins l'égarement d'une affliction que vous partagez eiit ex-
cusé à vos -veux la violence des propositions ministérielles. Vous
n'auriez blâmé que l'erreur de leur esprit; vous auriez pleuré




avec Sully venant, au moment de la mort de Henri IV, deman-
der les mesures les plus extraordinaires , les plus inouies ; mais
vous eussiez combattu Sully lui-même, et, pour le rappeler à
deplus saines pensées , c'est Henri IV que vous eussiez invoqué
contre lui. Vous lui auriez présenté l'ombre de Henri IV s'in-
dignant de dispositions qui eussent fait rejaillir sur toute la
France l'opprobre d'un crime individuel, d'un crime qui, mé-
dité cinq ans, n'a point, ne peut point avoir eu de complice,
d'un crime qui jamais sans doute n'eût été commis, si une seule
personne eût été dans le secret criminel.


Nous pouvons le dire, messieurs, avec l'orgueil de la vérité ;
de tous les genres de crime, l'assassinat est celui que notre ca-
ractère repousse avec plus d'horreur. Lorsque ,.depuis cinq ans,
des rigueurs sans mesures, des actes cruels sans nécessité ont.
blessé tous les intérêts, toutes les fortunes, toutes les passions,
entre tant d'hommes ruinés, persécutés, proscrits, en est-il un
seul qui ait chercbé une vengeance dont l'assassinat fût le moyen?
Dans un moment où nos guerriers, chargés de blessures, ont été
livrés à des épurations, à des injustices, à des outrages de toute
espèce, nous en avons vu un trop grand nombre qui, fatigués
du poids du malheur, s'y sont dérobés en terminant leur propre
vie ; nul n'a songé à se souiller d'un meurtre, et jamais surtout
deux Français n'eussent pu méditer ensemble un meurtre aussi
exécrable que celui d'un prince de la famille royale.


Lorsque tel est le caractère général de notre nation, c'est un
pareil peuple que des ministres plus qu'imprudeus semblent,
par la nature des projets de loi qu'ils présentent, signaler, dé-
noncer à l'Europe entière, traduire à la barre du genre humain,
comme chargé du soupçon d'une exécrable complicité !


Loin de nous assurément la pensée de mettre en doute la
sincérité de leur affliction ! Mais comment n'ont-ils pas senti
qu'ils outrageaient en même temps l'honneur-dela-famille royale
comme l'honneur de la nation çfranaise ; qu'ils outrageaient
tout ce qu'il y a de plus sacré, la religion du cercueil où repose
une grande infortune, en aiguisant 'sur ce cercueilles armes
avec lesquelles ils veulent frapper la liberteiblique•? Si lc
douleur est respectable jusque dans ses écar ,Ia..douleur est
difficile à expliquer, lorsqu'on la voit siniéuse à faire de
son expression même un calcul, lorsque sous les voiles du deuil




( 78 )
-le génie du despotisme ministériel s'élance-,de- son ambuecade
pour nous surprendre au milieu du trouble d'une grande çalemité


C'est une chose remarquable, messieurs, que la rapidité de
la marche des gouvernemens dans la route de Pinconstit.etion
nalité, dès qu'ils se sont,décielés à y faire un premier fee•
point où nous en sommes arrivés en peu de jours, la violation
de la charte est devenue un grief si familier., qu'à peine., pou
rejeter les propositions ministérielles, osons-nous peser .un
gument de cette violation. Cet argument n'est déjà plus un ar,
-g-un-tent banal, ainsi que l'a qualifié un honorable orateAr-
est banal, il est nul, parce que nous serons forcés de le reps;,
duire demain sur la liberté de la presse, après demain sur la
loi des élections. C'est à force d'audecedans les aggressions que
le ministère désavoue la-défense. Une atteinte unique portée à
.la charte eût suffi pour exciter de votre part les plus vives
réclamations: Pour vous forcer au eileixce,.ie ministère met la
charte_ eu lambeaux. En osant tout, en breyant tout, il semble •
avoir calculé que l'indignation seraittonffée par l'étonnement
et la stupeur.


C'est donc, messieurs, une bien déplorable .destinée
d'.être obligé de gouverner selon les lois constitutionnelles? vou s
vous rappelez -quels combats il vous a fallu livrer pour l'afro
sortir les ministres de l'enceinte deslois d'exception . , _avec quelle
opiniâtreté ils les -ont .successivement: défendues, et .comment,
par l'impuissance de se maintenir en -possession de la loi du


.29 février ; 815 , ils se réfugièrent dans la loi du '12 février, I
comme dans une ,dernière redoute oie ils conservèrent l'arbi-
traire un an de plus ! A peine un an s'est écoulé depuis que le,
dernière de ces lois fatales a cessé d'avoir son effet, et à •'oc-
casion -d'un crime dont nous gémissons tous, dans le moment




même où ce crime vient d'être commis, les ministres, poussant
jusqu'au prodige -le :sang-froid que la politique conseille aux
hommes d'état, ont eu le talent dé- rédiger en vingt-quatee
heures deux -projets -de loi destructifs -des articles 4, 8 et.62
la charte. Ils se sont hâtés, ainsi qu'ilsl'ont déclaré eux-Mêmes,
de proposer au Roi ces .mesures.extraordinaires. Ardens à .pro-
fiter de l'affliction royale, ils- arrivent,au milieu de vous, non
•pour mêler 'leurs larmes à NOS larmes, mais pour répandresur
la France entière la menace et l'eft'roi , pour ajouter au malheur
peiblicsla crainte de malheurs-nouveaux, pour venir étaler et
faire retentir (eant nous les nouveaux fers dont ils .sontimpae
tiens -de ,garotter toutes les libertés nationales.


Il--faut, messieurs, que la science du despotisme soit bien'


( 79 )
étroite et bien sï l eaire , pour -qu'on puisse ainsi , en un seul


trouble é.t. île milieu de l'émotion la plus vive,jour , dans le
composer des pop• ts de loi qui frappent d'un même coup deux
de ces précieuses libertés, pour lesquelles la France combat
depuis 'trente ans , et dont, depuis •une année seulement, elle
commença •it à-troire poSsession•assurée . Des fers et le silence,
le silence et des—fers, voilà les merveilleux secrets avec lesquels
le ministère prétend encore aujourd'hui faire le-bonheur de la
France ! Les peuples consument de longues annéesnnées polir se faire
accorder quelques dispositions protectrices; il leur faut passer


travers d'effroyables révolutions pour arriver à un pacte fon-
damental comme dans an port où ils espèrent être à l'abri des
tempêtes; ce pacte fondamental, à peine l'ont-ils reçu , que les
gouvernemens s'agitent pour l'anéantir! Vingt-quatre heures
suffisent pour leur ravir le fruit d'un combat de trente ans! Ah!
messieurs, faudra-t-il donc qu'il en coûte autant à la France
pour maintenir ou pour reconquérir sa charte, qu'il lui en a
calté pour l'obtenir?•


Je ne m'attacherai pas à prouver de nouveau ce qui a été
déjà-si vivement-établi., que toute loi de la nature de-celle qui
vous est proposée est inutile et inefficace. L'inutilité est avouée
par le ministère même. L'arbit raire, ils en conviennent, ne leur
manque pas:, niais pour que l'arbitraire leur plaise, il faut qu'il
ait ponreux lecharmed'être une nouvelle violation delacharte.


I ne vous échappera pas, messieurs, par quels motifs les
ministres réclament, à titre de violation de la charte, une lati-
tude pouvoir qui, s'ils ne veulent que défendre et non op-
primer, existe déjà- dans le Code actuel. Ils savent que chaque
pas 'que-vous ferez hors la ligne constitutionnelle leur donne
sur vous un immense avantage. Ils savent qu'une fias que vous
serez sortis des retrandiemens de la charte , il leur sera facile
de vous empêcher • d'y rentrer.


Quant à l'inefficacité de toute loi , quelle qu'elle soit, contre
la possibilité d'un crime individuel , elle n'est malheureusement
que trop démontrée. Il n'est point de loi humaine qui puisse
donner au pouvoir la faculté de pénétrer dans les replis d'une
àme- égarée par le fanatisme politique, ou par le.fanatisme re-




I igie,- delire dans le projet d'un être isolé , de saisir la pensée,
cle
ministère eût été-armé, il y et quelques mois:,


(1, :ier la méditation , de comprendre le silence. Que le
plus illimité ; qu'il eût- soupçonne'


l pr ie -crdile2c"arrilbnietr,ale'reemle.


bien de milliers d'innocens •eussent pu être en butte à ses
cruelles prétentions viCtimes- de sa haine ,


-ou de la haine de




( 8o )
cent mille auxiliaires officiels ou officieux qui le. secondent,
sans qu'il eût songé, sans qu'il eût pu même songer à chercher
le vrai criminel, le seul criminel, dans un coin obscur des
ateliers de la sellerie royale !


Un ministre a osé demander s'il n'existait qu'un seul fana-
tique en France. A cette horrible demande, 'mus ne pouvons
répondre qu'en priant le ciel de rendre impossible l'existence
d'un second ; mais s'il est sur la terre des moyens de causer de
grands malheurs, d'amener d'affreuses catastrophes, ce sont
ceux que peut employer une administration vexatoire; c'est de
blesser tous les esprits, d'aigrir tous les coeurs; c'est de Violer
tous les droits des citoyens, de détruire des lois tutélaires par
des lois oppressives , d'établir enfin le. règne de l'arbitraire sur
les ruines de la charte constitutionnelle. Légaliser l'arbitraire,
c'est avilir, c'est déshonorer la loi; c'est la dépouiller de sou
caractère protecteur, pour la changer en instrument de vexation
c'est lui ôter son glaive pour l'armer d'un poignard.


Vous qui présentez de pareilles lois, si vous craignez les ré-
volutions, ne voyez-vous pas que c'est constituer la France en
révolution que d'organiser .


l'arbitraire? Qu'est-ce qu'un gouver-.
nement révolutionnaire ou contre-révolutionnaire, si ce n'est
l'arbitraire en action? Vous avez beau changer les mots, vous
ne pouvez changer les choses. Que l'arbitraire soit établi sous
prétexte du salut . public , qu'il soit établi sous le prétexte de
pourvoir à la sûreté de la dynastie et de l'état, l'arbitraire fait
les révolutions, et ne les empêche ,pas : loin de les prévenir „.
il les accélère; il est déjà lui-même une révolution. Appelé par
des hommes imprudens au secours des états, des dynasties et
du salut public, il perd le salut public , les états et les dynasties.


Avant de proposer, non pas des lois destructives de la charte,
mais une seule disposition qui ajoutât aux moyens du pouvoir,
une enquête solennelle était assurément mi préalable rigoureu-,
sement nécessaire. Je ne veux pas caractériser les détails que
nous a donnés avant hier M. le ministre de l'intérieur; mais
quelque juste horreur qu'inspire l'affreux langage d'un misérable
placé dans les dépôts de la police, et qui , ne pouvant être
regardé que comme un homme en démence, doit par conséquent,
être détenu comme tel , il m'est impossible de voir dans les•
autres allégations de paroles et de chansons séditieuses, des motifs
valables pour frapper d'acusation la France entière. C'était.
aussi sur de pareilles allégations que se rendaient les barbares,
qui créaient des classes de suspects. Un de mes malheureux:
amis périt sur l'échafaud pour le crime d'une chanson. Jamais,


( 81 )
même , dans ces assemblées terribles, dont nous ne nous


effroi,
sou-




jamais, quand une première mesurevenons qu'av c e,
extrà-légale fut adoptée, on eût prévu de quelles autres mesures


suivie.êtreevaitdelle Que leur exemple, messieurs, ne soiti
pas perdu pour vous .
• A défaut d'argumens solides en faveur de la loi, on s'attache
à en atténuer les inconvéniens. La mesure proposée n'est, Bit-
on, que comminatoire; elle ne sera que temporaire : l'exemple
de la conduite du ministère, lorsqu'il avait à sa disposition la loi
de 1 81 7 , garantit la modération avec laquelle il usera de celle-ci.


La loi ǹ 'est que comminatoire ! ... La seule menace sur laquelle
doive s'appiiver un bon gouverneihènt, est la crainte salutaire
qu'inspire l'impartiale exécution des lois; C'est dans l'invariabilité
du cours de la justice que résident toutes les garanties sociales.
Le cours de la justice ordinaire une fois interrompu, il n'y a plus
respect pour la loi, il y a terreur.


La mesure ne sera que temporaire !... Sommes-nous donc ,
messieurs, assez peu éclairés par l'expérience pour ne pas pré-
voir que si le ministère parvient à nous faire adopter aujour-
d'hui la loi qu'il nous propose, il lui sera bien plus facile de la
faire maintenir dans la session prochaine?


L'exemple de la modération du ministère dans l'usage dé la
loi de 181 7 , garantit de sa part la même modération dans
l'usagé de la loi nouvelle! La situation, messieurs, n'est pas la
même. La lei de 181 7 remplaçait l'affreuse loi du 2 9 octobre1815,
et vous savez tous quels effets cette loi antécédente avait pro-
duits. Si celle de 18i 7 n'a pas eu les mêmes résultats, c'est
qu'au sortir de 1815 et 1816, l'horreur récente de tout ce qu'on
venait de souffrir emportait le gouvernement lui-même vers un
ineilleer ordre de choses. Aujourd'hui on dirait qu'il y a ten-
dance à nous reconduire au système d'opposition dent, en 1817,
nous commencions à nous affranchir. Le ministère actuel ignore'
lui-même comment il exécutera la loi qu'il vous propose; il
ignore pins, si c'est lui qui l'exécutera. L'exemple de 8
prouve donc rien pour 182o.




e 1 7 ne


Afin de pallier lès dangers qu'elle avoue être attachés à la
loi, la commission vous soumet un article qui oblige le ministère
à présenter aux chambres la liste des personnes arrêtées. C'est
un singulier genre de consolation offert aux malheureux, que des
ouvertures confidentielles auront précipités dans les cachots !
Pour les dédommager d'avoir langui plusieurs mois dans ces de.
meures du crime,


d
on apprendra au monde qu'ils ont été soup•


Onnes du plus exécrable des forfaits
or.e a ;.ts : cette révélation sera pro.




( )
clamée par les feuilles officielles , qui se garderont bien de laisser
croire que le ministère ait pu être injuste dans ses actes. La vertu
la plus pure pourra être ainsi marquée du fer de la prévention;
Bailly et Malesherbes pourront se voir inscrits dans les listes
ministérielles, comme des conspirateurs et des assassins.


C'est ainsi que la publicité est utile, lorsqu'elle est devenue
un monopole. On dirait que la commission regarde déjà comme
décidé l'asservissement de la presse ; et c'est dans une publica-
tion faite par le gouvernement, qu'elle cherche pour les victimes
des préventions ministérielles un adoucissement et une compen-
sation à leurs peines! En effet, la liberté de la presse eût pu ve-
nir au secours de la liberté individuelle : elle eût signalé les
odieux motifs d'une détention arbitraire ; il flint que le ministre
ait la puissance d'être injuste avec impunité. La censure inter-
dira le seul genre de publicité qui puisse être redoutable pour
les ministres , la publicité par la voie des journaux.


Dans le double naufrage de la liberté individuelle et de la li-
berté de la presse , l'obligation imposée au ministère de commu-
niquer aux chambres la liste des personnes arrêtées, est ainsi la
seule planche de salut à laquelle votre commission se soit atta-
chée ! Eh! messieurs , si la commission l'oublie, pouvez-vous
aussi oublier que toutes vos libertés sont attaquées à-la-fois , et
qu'avec le sacrifice de la liberté de la presse, de la liberté indi-
viduelle, on vous demande aussi le sacrifice de la liberté élec-
torale? L'indépendance électorale, fondée par la loi existante,
a.envoyé à cette chambre des mandataires fidèles à leurs devoirs,
et zélés pour la défense des droits de leurs concitoyens. Une loi
nouvelle amènera dans cette chambre des hommes dévoués d'a-
vance aux volontés du ministère. C'est à des hommes nommés
sous leur influence que les ministres auront- à rendre compte des
arrestations ordonnées par eux !


Qui de nous peut savoir si les chambres nommées d'après le
nouveau projet , ne seront pas composées de manière à encou-
rager les arrestations, plutôt qu'à les combattre, de manière à pro-
voquer des rigueurs, plutôt qu'à en arrêter le cours ? Qui de
nous peut savoir si cette tribune, qui ne retentit aujourd'hui
que des accens de l'humanité et de la justice, ne retentira pas
dans six mois de cris de haine et de proscription? Qui de nous
peut savoir si dans un an, si dans six mois, un d.éputé qui vou-
drait dénoncer à cette tribune des crimes commis dans les dé-
partemens , ne verrait passa voix étouffée et son courage puni ?
Qui vous répond à vous-mêmes, à vous qui appuyez une propo-
sition si funeste, que voies ne serez pas frappés par elle sur la


( 83 )
dénonciation de quelques-uns de ces délateurs qui ont obtenu,
il y a quelques années, de si horribles succès, et qui n'attendent
que le moment d'aller poursuivre de nouvelles victimes ? Ce
péril menace toute la France : il vous menace tous, si vous ne
TOUS attachez étroitement à la charte, si vous souffrez qu'elle


s
soit violée dans une seule de sesiedinsopsoscitriaoinste..


sont exagérées,On vous dit, messieurs , g
que le langage des oppositions dépasse toujours les justes me-
sures ! N'avez-vous pas vous-mêmes entendu d'honorables ora-
teurs vous parler de vastes complots, de vastes conspirations
accompagnées de vastes ramifications? Supposez un moment
l'exécution de la loi proposée remise aux mains des hommes qui
voient partout des conspirations et des complots, 'demain la
France sera couverte de nouvelles Bastilles.


Cette France, messieurs, à laquelle on rend si peu de justice,
elle était, il y a six mois, calme et tranquille, heureuse d'espé-
rance, plus, il est vrai, que de réalité, mais heureuse de cette
disposition confiante qui attend le bonheur et qui en jouit déjà.
On prétend que la suspension soudaine de notre commerce et
de notre industrie est une suite du malaise général de l'Europe!
Sans doute l'activité d'un pays comme la France se ressent tou-
jours du plus ou moins (l'activité des autres pays; mais une pa-
reille cause n'eût pu avoir sur notre état intérieur qu'une action
lente et graduelle. La cause qui a tout -interrompu en France
n'est point une cause étran gère, c'est une cause domestique :
l'effet a été brusque et rapide, comme il devait l'être. Dès qu'on
a vu la charte menacée, toutes les garanties sociales ébranlées,
la confiance a disparu, la patrie a tremblé pour son avenir, et
dès-lors plus de travaux, plus de spéculations utiles, plus d'in-
dustrie, plus de commerce.


Cependant, au milieu de sa souffrance, quel spectacle a offert
et offre encore la nation française !Quel contraste honorable pour
nous que celui qui existe entre la France et les divers pays étran-
gers ! Jetons les yeux sur la rive droite du Rhin, .de l'uautrpee,côletés
de la Manche, par de-là les Pyrénées : dans-toute i'Ero
peuples, fatigués de leurs anciennes lois, gouvernés sans cons-
titutions ou par des constitutions oppressives, demandent la ré
forme de ces lois, le changement de ces constitutions. Partout
les peuples appellent, les uns, par des murmures et des complots
trop réels, les autres, par des mouvemens armés, dmitrhuma-
lité s'épouvante, des changemens, des améliorations , des ré-formes.tation est dans l'esprit


.
des peuples ; l'anxiété. dans


le coeur .des .princes; les trônes sont ébranlés; les dynasties




( 84 )
tremblent. Au milieu de cet ébranlement des nations et des
trônes, il existe une nation, une seule nation qui ne veut rien ,
lui.ne.demande rien que de conserver sa charte, que de conser•
ver les lois dérivées de sa charte.


Combien les gouvernemens étrangers se trouveraient heureux,
si leurs peuples ne leur adressaient que de semblables .prières1
Quel est le prince qui ne donnât sur-le-champ une constitution
à ses 'peuples, .s'il avait la certitude de voir ces mêmes peuples
ne lui demander dans l'avenir, comme le demande la France à
son Roi , rien autre chose que de conserver son ouvrage? Et .dans
ce, ays unique qui veut conserver, qui veut maintenir, c'est le
ministèrequi veut innover, c'est le aninistére qui s'agite pour
détruire !


La question qui nous occupe, messieurs, s'éclaircit, se sim-
plifie de jour en jour, d'heure en heure, de moment en moment.
La séance d'hier surtout a été infiniment remarquable, et elle
ne sera pas inutile à l'instruction de la France. Trois orateurs
ont, par une bonne foi que j'honore, rendu un éminent service
à la came de la liberté. Le premier nous a donné 'à entendre à-
peu -prés que la.déstination primitive de l'homme estl'obéissanee
passive, que la liberté n'est qu'une exception, et que c'est la
servitude qui est de droit naturel. Cette doctrine n'est pas neuve;
niais , aprèsle 9 . e siècle, elle a, en 189o, le mérite de la mou,
venté. Je remercie, pour mon compte, l'honorable orateur qui
l'a professée. Avec cette franchise d'opinion, du 'moins on sait
à quoi s'en tenir.


J'adresse de mêmes remercimens à un 'autre honorable ora-
teur, qui nous a aussi exprimé sans détour et ce qu'il veut et ce
qu'il espère. Non .content de nous faire connaître son assenti-
ment aux lois d'exception actuellement proposées, il:nous ap-
prend que no us nous somm es livrés à de tirasses espérances,.quand
nous avons cru à l'établissement prochain de meilleures lois pour
l'organisation del'administration municipale, de la garde natio-
nale et du jury. Vainement le monarque nous a renouvelé la
promesse de nous donner bientôt ces amportantes institutions
l'honorable orateur,,ouee veut pas d'institutions de cette nature,
on ne les veut 'pas telles .que la France les réclame.


Il est important surtout de remarquer l'opposition qu'il parai t
mettre à l'organisation de la garde nationale. Il craint de voit
la nation armée ! Et comment .ne craint-il pas au contraire de
voir sans armes ou mal organisée cette nation pacifique et labo-
rieuse? comment ne s'afflige-t•il pas de voir sans armes de bons
citoyens intéressés à l'ordre public, tandis qu'on a vu , dans


( 85 )
certaines villes, des bandes armées de prolétaires commettre,


lessousueqr yeux des magistrats , d'horribles meurtres,presque meilleure organisation de la garde nationale eût pu pré-
venir?


Mais l'orateur auquel est due la palme de la naïveté, est M. le
'
ministre des affaires étrangères. C'est ainsi qu'un ministre doit


fixeripourmontrer


publique. Un homme moins ha-se
bile eût tâché d'affaiblir à vos yeux l'arbitraire qu'il vous de-
mande. M. le ministre des affaires étrangères ne descend point
à une si vulgaire hypocrisie. C'est l'arbitraire que je veux, nous,
dit-il , et l'arbitraire dans toute sa pureté. Ne vous en plaignez
pas ; si je vous fais une telle demande., c'est que vous êtes un
peuple libre. Il y a bientôt un an que l'arbitraire a cessé ; en
vous le demandant de nouveau , je vous prouve qu'il n'existait
plus. D'ailleurs., à quoi vous servirait d'avoir une charte, si ce
n'est pas pour qu'elle soit violée ?


J'avoue, messieurs, qu'il est bien difficile de répondre à une
sipuissante argumentation ; mais ce n'est pas là peut-être ce
qU'il y avait de plus admirable dans la pompeuse oraison de M.
le ministre des 'affaires étrangères. Parmi les trésors d'érudition
qu'il nous a prodigués, remarqué principalement la gravité
la dignité, la solennité avec laquelle il a répété les mots de l'ora-
teur romain : Ils ont vécu. C'est à leur amour pour ces beaux
traits de fermetéa rai que quePon reconnaît les grands magistrats..
Aussi n'ai-je pas été étonné d'entendre ensuite le même ministre
accuser de faiblesse les amis de Henri IV , dont se composait le
conseil au moment de la mort de ce prince ; hommes d'état pu-
sillanimes, qui n'eurent pas alors la pensée de prendredeeic,eetsoinnc-,
sures extraordinaires par lesquelles on anathématise n
on la décrète d'accusation et de prise de corps. Les exemp les


i


d'une telle énergie sont rares. Devons-nous desirer,
, ou devons-


nonscraindre que cet avantage ne soit pas refusé à notre époque?
Au milieu des éloges que je donne si volontiers à M. le mi-


nistre des-affaires étrangères, je dois cependant lui faire un r, -
proche , c'est d'aller chercher trop loin les traits qu'il cite pour
l'apologie clos lois d'exception, c'est de remonter à vingt siècles
pour trouver ce que lui présentait un temps bien mieux- connu
de lui et de nous, l'année 816. Au lieu de citer le fameux ils
ont vécu de Cicéron, ne pouvait-il pas, demoinsnonavec
vérité, et en restant bien mieux dans son sujet, nous rappeler
l'éloquence laconique du télégraphe de Grenoble.?


Après avoir payé ce tribut de reconnaissance aux orateurs
qui, dans la séance d'hier, ont donné à la discussion une cou-




( 86 )
leur-franche et prononcée, je reviens à ceux qui ne traitent pas
les questions de si haut , vais qui ne mettent pas dans leurs opi-
nions moins de droiture et de sincérité.


Un de nos honorables collègues, après avoir reconnu et
tilité et les inconvéniens de la loi, a cru devoir appuyer le pro:-
jet de la commission. Le motif qui le détermine est son desir
de donner une marque de respect et de dévouement au Roi et à
son auguste famille. Tout ce qui tient à un mouvement de gé-
nérosité est digne d'admiration et d'éloges. On ne peut qu'ap-
plaudir au sentiment de celui qui fait abnégation de soi-même,
et qui consent à livrer au pouvoir ses droits , sa liberté et sa
personne. Mais n'y a-t-il pas ici confusion dans les idées? Est-ce
faire preuve de dévouement au Roi , est-ce lui donner-un écla-
tant témoignage de respect, que de livrer la France et les Fran-
çais au pouvoir discrétionnaire des ministres? Quand même cha-
cun de nous, plein de confiance dans les ministres d'aujourd'hui,
dans les ministres de demain , croirait pouvoir leur remettre le
dépôt de sa liberté particulière , de quel droit leur remettrions-
nous le dépôt bien plus sacré de la liberté-publique? De quel
droit abdiquerions-nous en leurs mains toutes garanties natio-
nales , le repos, la sécurité, h fortune, l'existence de nos con-
-cil ()Sens? Songeons bien plutôt à l'étonnement , è l'effroi qu'ins-
pirent à toute la France les incroyables discussions qui nous oc-
cupent en ce moment : entendez la France cpitvous crie de
toutes parts :


Que m'ont produit trente années de malheurs et de souf-
frances , si chaque année vient une reprendre ce que m'avait
donné l'année précédente ? Quoi .1 depuis trente ans je souffre
pour arriver à la possession paisible <le la liberté individuelle,
de la liberté de la presse, du droit d'élire librement des députés
qui défendent mes intérêts; et quand mes voeux, si long-temps
inutiles, semblent enfin avoir été exaucés, vous allez, en 182o,
agiter de nouvelles lois d'élection , enchaîner de nouveau la li-
berté de la presse et la liberté individuelle , remettre enfin en
question tout ce qui devait être irrévocablement décidé !»


Tel est le cri qui s'élève vers vous, et ce cri est celui de l'épou-
vante la plus légitime. Peu t-êt re , messieurs , vous abusez-vous
sur les suites des concessions qu'on vous demande. Peut-être
croyez-vous qu'en cédant à quelques-unes des premières propo-
sitions du ministère vous pourrez ensuite mieux disputer le ter-
rain sur une _antre question. Sortez de votre erreur ; la brèche
une fois ouverte, vous ne-serez plus maîtres d'arrêter les progrès
de l'invasion. Si vous abandonnez un




seul de vos postes consti-


( 87 )
tutionnels, vous serez forcés sur tous les points. ( Vive sensa-
tion à gauche ).La question qu'il s'agit de décider dansla session actuelle est


franchiseavecposéen elle a été posée dans la séance d'avant-enfihier. La séance d'hier en a démontré particulièrement la justesse.
Cette question , messieurs , est celle de la révolution et de la
contre-révolution . Je suis persuadé que toutes les intentions
sont pures • niais les actes attestent l'existence d'un système qui,
s'il n'a pas la contre-révolution pour objet, doit cependant l'avoir
pour nécessaire résultat. Pour la première fois peut-être le mi-
nistère a été conséquent avec lui-même. Il a senti qu'il ne suffi-
sait pas de nous arracher une seule de nos libertés ; il les a at-
taquées toutes ensembles , il veut nous les ravir toutes à-la-fois.
Le résultat , si ce n'est le but de ce système , doit être de faire
prévaloir les intérêts d'une minorité sur ceux de la majorité.


On s'est fortement élevé contre les principes absolus , et on
a prétendu que ces principes absolus étaient quelquefois la perte
des états que des lois d'exception eussent seules pu -sauver. Pour
moi , messieurs, je ne connais pas dans l'histoire un seul état
qui ait péri par son attachement aux principes absolus de la li-
berté et de l'éternelle-justice ; je ne connais que des états ren-
versés pour avoir violé les saintes lois de la justice et de la li-
berté , que -des états renversés par les lois d'exception, qui sont
les principes absolus <lu despotisme.


Les lois d'exception n'ont jamais un effet salutaire dans Pin-
térêt des nations : c'est par de pareilles lois que les minorités
dominent. Que faut-il au contraire aux majorités? des lois fixes ,
des lois permanentes. Le cours régulier de la justice ordinaire
suffit à la sécurité des nations et des princes. L'arbitraire est
indispensable pour le règne des minorités ; mais , messeurs ,
les minorités ne savent pas toujours elles-mêmes dans quelles
routes elles s'engagent. Toute minorité régnante, par cela seul
que-c'est un parti qui opprime une nation, devient violente par
nécessité, souvent même plus violente qu'elle n'eût voulu l'être.


Ceux qui aujourd'hui réclament l'arbitraire avec le plus de
force, sont loin peut-être de juger tout ce qu'il produira, soit.
par eux-mêmes , soit avec eux , soit peut-être contre eux. Ils
sont bien aveugles s'ils n'aperçoivent point toute la profondeur
de l'abîme. qui s'ouvre sous leurs- pieds, s'ils ne découvrent pas
tout ce qu'il y a de malheurs renfermés dans h. transformation
d'un régime constitutionnel en un régime arbitraire.


Ce n'est pas
consolider. Non j e suppose que la contre-révolution puisses messieurs , la liberté est désormais impé-




(88).
•issable en France : on pourra frapper ses défenseurs , la liberté
ne succombera pas : mais qui peut calculer ce qui doit résulter
de ce dernier combat , ce qui doit y périr, ce qui doit y survivre?
Pour moi, si „comme citoyen, comme Français, comme homme,
je repousse les mesures qu'on vous propose , je les repousse sur-,
tout comme ami de l'ordre actuel, comme desirant sincèrement
le maintien de ce qui existe , l'affermissementdutrône constitu-
tionnel. ( Mouvement d'adhésion à gauche ).


C'est dans l'intérêt du trône constitutionnel que je rejette au-
jourd'hui , que je rejeterai demain toute loi d'exception. Si le
trône constitutionnel peut être ébranlé , c'est par les lois d'ex-
ception, c'est par les Wei qu'elles produisent, par le mécon-
tentement qu'elles excitant , par l'état de guerre qu'elles font
naître et qu'elles entretiennent entre-la nation et le gouverne-
nient. Votez aujourd'hui la violation de la charte, et si vous la
votez aujourd'hui , vous la voterez encore demain , c'est voter
le bouleversement de la monarchie. ( Nouveaux mouvemens ).


Je vote donc également contre le projet du ministère et contre
les amendeinens de la commission.


M. Lainé. Messieurs , il a toujours été facile, en faisant abs-
traction des dangers de la société , de jeter de l'odieux sur les
opinions qui demandent des restrictions à la liberté individuelle.
Mais les esprits graves savent bien que lorsque la société est
compromise , les libertés individuelles disparaissent bientôt avec
la liberté publique.
. .


Aux frayeurs qu'on démontre , on dirait qu'il est question
d'incarcérer toute la nation, et qu'au nom de la cc arorine on va
ourdir une vaste conjuration contre tous les Franeais; et cepen-
dant c'est la couronne qui est menacée, c'est la couronne qui a
été. frappée d'un coup si rude, que la douleur publique semble
vous supplier de la mieux défendre dans l'intérêt de toute la
France


On se complaît à dire que c'est le fanatisme politique qui a
conduit l'assassin. Eh bien ! s'il est vrai que tous les genres de
fanatisme s'exaltent ou s'aigrissent dans la solitude , il est en-
core plus certain que cet.affreux sentiment ne s'empare de l'âme
qu'à la suite des discours, des écrits, des imprécations qui le
soufflent. Il y a donc des bouches, il v a donc des écrivains qui
ont répété à Louvel que les Bourbons étaient des tyrans, et qu'il
était beau, comme il s'en vante, de délivrer son pays de tels
ennemis : il y a donc des hommes qui professent les principes
dont l'assassin a tiré les horribles conséquences, il y a donc des
esprits infernaux qui ont répandu et qui répandront en d'autres


( 89 )
tunes ces homicides imprécations ; car ce serait grand hasardqu'un seul élève. Aussi le dernier his-qtour'ieelnlesden formassent Putiil:apperte des crimes semblables , nous.
apprend-il que ces dangereux fanatiques d'état sont bien plus
nombreux qu'on ne croit (1).


La profonde méditation du crime n'a échappé à personne ;
ce n'est pas un seul homme que l'assassin a voulu immoler ,.c'est
une race qu'il a voulu éteindre; et quoique les probabilités de
la vie humaine ne promettent pas à cette auguste race une longue
durée, le temps a paru encore trop long, et le même bras s'était
chargé d'anticiper l'oeuvre trop lente de la mort naturelle. Il y
avait des poignards destinés pour tons les autres princes. N'est-ce
pas là, messieurs, un;crime de génie? et croyez-vous qu'un garçon
sellier en eût seul prémédité la profondeur et calculé les suites?


Toutes les causes qui ont inspiré le crime, sont encore vi-
vantes; elles sont pleines d'activité. La haine et la fureur qui
ont forgé le poignard de Louvel sont- elles apaisées? II l'a
trempé , il est vrais dans les eaux froides ;de la politique et de
l'athéisme, qui promettent le néant au crime. et au criminel ;
mais le cours de ces eaux est-il desséché? Ne grossit-il pas- au
contraire tous les jours? Ne devient-il pas un torrent propre à
transformer en poignards animés les hommes qui s'y plongent,
ou qu'on y plonge tous les jours? (Vive sensation.)


Il est donc vrai de dire que le caractère seul du crime est ,
pour la société, d'un symptôme effrayant, qu'il révèle des pé-
rils étranges, qu'on ne peut conjurer que par des lois plus
puissantes.


En moins de deux ans, nous avons vu s'écrouler au milieu
de nous, et l'empire qui avait créé tant d'intérêts, tant d'am-
bitions, tant 4'espérances , et le Bas-Empire, qui , se méfiant
de la gloire même, a soulevé les discordes assoupies, et semé parl
tout . la défiance et la haine. Si deux grandes abdications ont en
lieu comme pour compromettre les peuples et les surprendre,
la vengeance n'a point abdiqué ses fureurs, l'ambition ses pro-
jets, la politique ses systèmes, alors même imprudemment évo-
qués. Elles ont gardé leurs moyens de nuire; elles ont répandu
au-dedans et au-dehors leurs craintes simulées, leurs espérances
réelles. Tantôt elles ont dit clandestinement que les Bourbons
étaient incompatibles avec la France , tantôt elles l'ont déclaré
publiquement ; elles répètent sans cesse .


que la gloire nationale
en est flétrie, signalant ainsi aux poignards des Louvel les Bour.


(1) Anquetil, règne d'Henri 11'




( 9° )
Ions comme des tyrans, comme des ennemis de notre patrie.
Ces passions haineuses ne se sont: pas amollies devant. une clé-
nieriee inera ble; car se jouant de cette divine vertu comme d'une
faiblesse, elles l'ont nommée fille de la Peur, et y trouvent de
nouvelles raisons de maudire et de se venger.


S'il -est vrai que ce monstre ait jusqu'à-présent marché soli-
taire, ses desseins n'en ont pas moins été enfantés par des causes
toujours fécondes, et. prêtes à produire de semblables monstres.


j'
Aussi ne serions-nous pas rassurés , quand bien même, ce que


ai peine à croire, le crime de Louvel serait un crime isolé.
M. le ministre de l'intérieur, qui n'a pu lever le voile dont le
devoir couvre l'instruction criminelle, nous a révélé assez de
faits, donné assez de renseigneinens pour nous convaincre que
si l'assassin n'a pas de complices immédiats, il peut avoir des
imitateurs, pour nous persuader que d'autres complots se mé-
ditent ou sé préparent ; et dans la situation des choses, des es-
prits en France et en Europe, je serais bien plus étonné de ne pas
être témoin de grandes perturbations, que de voir régner l'ordre,
la paix et la liberté sous l'abri des lois ordinaires. (Mêmes mou-
vemens.)


Comment ne serais -je pas ainsi affecté? tout ce qui se débite
des deux parts à çette tribune depuis trois jours est sinistre; on
dirait que nous avons pris à tâche de-. prouver au monde que
notre situation est périlleuse, que le danger est imminent, s'il
n'est promptement conjuré. N'avons-nous pas entendu un ora-
teur opposé à la loi, déclarer que la terre tremble, et que la
contre-révolution nous .


menace d'un proehainbouleversement ?
Ce n'est pas sans doute contre l'autorité., royale qu'il forme une
pareille accusation; lepeuple français ne l'en soupçonne pas, et si :-
vous pouviez lui faire ajouter quelque créance à ce danger-là
c'est alors surtout,qu'il vous prierait d'armer l'autorité ro-yale ,
en laquelle il se repose , afin de lui éviter ce malheur.


Mais l'orateur était agité d'une terreur imaginaire: il se trom-
pait ; ce n'est pas la terre qui tremblait, ce n'était que la
tribune étonnée de ce qu'il disait.


Oui pourtant, la terre e tremblé ; mais il y a près detrente
ans, impie les secousses de la révolution ont aplani des mon-
tagnes , semé des rochers dans les vallées, et renversé les co-
lonnes de l'ordre social; depuis lors, le sol et la société ont pris
une autre assiette, et la main de Dieu même ne lui restituerai,
peut-être pas son




ancien état par un nouveau cataclisme.
C'est avoir une folle espérance dans la crédulité des hommes-,


que de leur dire que les trois projets de loi peuvent avoir cet


( 9 1 )
épouvantable effet. Demander pour quelques mois des restric-
tions à la liberté individuelle , comme on le fait ailleurs, connue
on le fait ici pour de moindres périls , les demander à la loi, à
vous-mêmes, au vu et au su de la nation, ce n'est pas demander
un instrument de contre-révolution.


Proposer de modérer, pour quelque temps , la partie la plus
active, la liberté de la presse, sans mettre aucune entrave au gé-
nie, ou même à l'esprit, ce n'est pas demander qu'on étouffe la
raison ou qu'on éteigne les lumières ; c'est essayer d'en jouir,
en se préservant de l'incendie.


Non, ce n'est pas vouloir un instrument de contre-révolution
que de laisser subsister la loi du 5 evrier, en facilitant aux élec-
teurs la faculté de voter dans les arrondissemens , en ajoutant
les moyens desirés par vous-mêmes d'agrandir la représenta-
tion, d'empêcher la puissance incontestable qui s'est formée de
rendre la loi actuelle un instrument de partialité, d'exclusion,
et peut-être de proscription. (Nouveau mouvement.)


Oh ! vous le savez bien, ni ces moyens légaux , ni d'autres,
ne peuvent ramener en France ce que vous appelez la contre-
révolution ; car c'est peut-être la seule espèce de révolution qui
soit impossible parmi nous. Je ne vous fatiguerai pas, messieurs,
je ne vous affligerai pas par de fâcheux augures sur la naturedes révolutions ou des malheurs publics dont. notre pays peut
être menacé : le patriotisme les démêle, et mille symptômes les
lui font: pressentir. Je n'avais d'autre tâche à remplir aujour-
d'hui, que de montrer que l'état de la nation , les malheurs
éprouvés , et les dangers évidens , justifient la loi proposée.


Ah, messieurs! nos scrupules font sourire de pitié les hommes
qui, soit en prenant les lois pour instrumens, soit en les bri-
sant, méditent des complots et des conspirations. Ce sont eux
seuls qui songent à tirer parti d'un horrible attentat. Ce crime,
qu'ils appellent aussi un crime de génie, n'est pas à leurs
celui-là, unefizrzte inutile. C'est un crime d'exception dont notre
devoir nous oblige à prévenir les suites, à dissiper les causes,
par quelques lois d'exception, qui, pour avoir ce nom, -n'en sont
pas moins des lois, et des lois salutaires.


Le bras de l'administration est paral ysé comme celui de la
justice ; et l'on ne voudrait pas que, clans une nation' les


d-en
gers croissent, en même temps que Pautorites'atfaiblit, sou-


OU


vernement de S. M. ftit muni d'une loi temporaire destinée â-
c xlaia


-fuois!às7 refuser, c'est et à relever l'influence des pouvoirs so-


de toutes parts.


es -t vouloir la chute de l'édifice déjà attaqué




( 2 )
En revenant sur moi-même, je trouve que les principes de la


loi sont peu contestés, si la nécessité en est établie
. ; et quant


aux Lits, à la crise , aux dangers sur lesquels on fonde la néces-
sité, il me semble que chaque député, pour juger l'état critique
de son pays, remplit ici les fonctions de juré. En cette qualité,
me croyant assez averti par un effroyable assassinat, je n'ai pas
besoin d'être mieux éclairé par des incendies.


Je crois à des dangers réels, à des complots imminens.
Pénétré de la vérité des assertions du ministère, ii suffit


que des mesures soient demandées à ma conscience, pour que
nia conscience les accorde.


Qu'on m'accuse, si l'on veut, (le juger la question par des
sentimens ou des pressentimens, plutôt que par la raison ; per-
suadé que la conviction de l'âme est un guide aussi sûr que l'art
du raisonnement, je m'abandonne A sa lumière.


Tandis qu'un. orateur nous disait hier que s'il votait pour la
loi, son âme n'aurait jamais un instant de repos ; la mienne




s'inquiétait vivement de l'espèce de supplice dont elle pourrait
être déchirée par le reins de la loi. En effet, messieurs, si après
l'avoir rejetée, un forfait semblable au. analogue souillait une
seconde fois ma patrie, à la douleur plus amère, s'il se peut,
s'uniraitalors le tourment plus durable quela douleur, desregrets;i
etrpeut-être des remords.


En exprimant ce pénible sentiment, messieurs, je crois être
l'organe des hommes paisibles que j'aurais bien. à coeur de re-
présenter; et puisque chacun se forme ici une nation, une
France, comme chaque voyageur se fait un horizon, permet-
tez-moi d'user de la même faculté. J'ai la confiance que les fa-
milles étrangères aux factions, et qui forment la majorité de la
nation, desirent avec moi que des lois plus fortes en rassurant
l'état, préservent een cette famille royale, de qui toutes les.
autres attendent protection, et sans laquelle il n'est de sécurité,
pour aucune.


Je vote pour la loi proposée.
(Mouvement général d'adhésion au centre et à droite.)
M. le baron Médan. Messieurs, j'entre tardivement dans


la lice; elle ne s'ouvre pour
moi qu'après que mes concurrens


l'ont parcourue avec un éclatant succès ; mais dans une cause si
belle et si juste, combattre, c'est vaincre; succomber, c'est
triompher encore.


D'ailleurs, à ma droite, à nia gauche, je trouve des rivaux
qui, dans d'antres temps, ou dans ces trois derniers jours si nié-


( 9 3 )
AocabIes, ont glorieusemen t défendu la liberté publique; et sij'arrête mes regards suries bancs placés en face de cette tribune,
je les députés du peuple, qui ne.ovieltisparouverts udltos'h norablessietplibérales qu'elles leur de-
3nandent, reporter à leurs provinces les fers de la servitude.


J'invoque les quatre-vingt-douze suffrages qui, il y a trois
,


repoussèrent la loi qui vousest présentée
ans à la même époque,de nouveau; j'invoque les suffrages de tous ceux qui l'auraient
encore repoussée il y a quelques jours, car leur conscience n'est
point aniovible . comm e le ministère ; j'invoque les suffrages de
tous •ce.ux ,cle mes collègues qui doivent au choix des collèges
électoraux libres, et telsqu'il nous convient de les conserver,
l'honneur de siéger dans cette enceinte; j'invoque les suffrages de
tous ceux qui, jaloux de l'honneur national, ne veulent pas lui
laisser imprimer une cruelle et injuste flétrissure ; j'invoque les
suffrages des fonctionnaires publics assis à côté de nous, et qui
saisiront, en faisant noblement leur devoir, cette occasion so-
lennelle de repousser ces maximes odieuses à l'aide desquelles
-on voudrait les dé pouiller cle leurs consciences ; maximes inouies,
qui transformeraient en-coupable ce généreux vicomte d'Orthe,
dont la conscience ne fut point celle des ministres de Charles IX,
et cet immortel évêque de Lisieux, qui, fidèle serviteur du Roi,
ne voulut pas être complice des fureurs de sa cour ; maximes
honteuses qu'auraient livrées aux flammes expiatoires ces ma-
gistrats d'autrefois, qui préféraient l'exil et les prisons à une
criminelle complaisance , et qui, frappés eux-mêmes de lettres
de cachet., flétrissaient par des arrêts:solennels les ministres et
les favoris qui faisaient un si criminel usage du pouvoir; ma-
gistrats :grands citoyens sous la monarchie absolue, et dont
l'ombre s'indignerait de ne voir que des sujets avilis sous la mo-
narchie constitutionnelle. Enfin j'invoque les suffrages de ceux-


d'une part, rassurés par la loi vraiment nationalelà même qui,
et constitutionnelle des élections .qu'on veut nous ravir, et qui
avait été promulguée sept jours auparavant, et craignant de
l'autre, au milieu d'une foule de causes d'irritation réunies, la
transition trop subite des ténèbres du régime exceptionnel à la
vive lumière de la liberté, laissèrent, en gémissant, tomber dans
l'urne la boule Tai valut auAinistre une honteuse et lamentable
victoire.


Que dans les premiers momens d'épouvante et d'horreur, des
hommes d'état aient oublié l'impassibilité qui doit les caracté-
eser; qu'ils aient d'abord consulté leurs sentimens . .plus que leur
raison, je le conçois, :et je pourrais l'excuser; mais que le ré,,




( 94 )
flexion ne les ait point détournés de leurs premiers desseins ,
voilà ce qui a droit de me confondre.


Qu'un homme vénérable, depuis long-temps objet de l'estime
publique ; qu'un ministre qui n'est point solidaire de projets
que, comme député de la Fiance, il eût certainement rejetés;
que l'un des plus intègres pontifes du culte de la loi, éprouvé dans
tant de positions diverses ; qu'un ancien représentant de la na-
tion, qui paya de l'exil et de la proscription sa fidélité aux
principes de la liberté constitutionnelle, ait, en faveur de l'ar-
bitraire, fait retentir les accens d'une voix qui si long-temps
commanda le silence et la persuasion voilà ce lui sera pour moi •
un éternel sujet d'étonnement et de douleur.






Quoi qu'il en soit, mon devoir est de le combattre, et je le
ferai avec franchise , et toutefois sans nie départir de la haute
considération que je lui porte, même dans l'erreur où je le plains
d'être engagé.


Messieurs ,,lans ces temps d'épouvantable mémoire qui dé-
voreraient ceux qui veulent les recommencer, si jamais ils étaient
assez malheureux pour y parvenir, n'était-ce point au nom du
salut public qu'on venait arracher des mesures homicides et
sacriléges ? N'était-ce point au nom de la sûreté de l'état qu'on
venait vous demander l'enchaînement de la liberté ?


Lorsque la funeste loi des suspects de 1 79 3 ouvritte drame
sanglant dont nous avons tous été les témoins ou les victimes,
ne vit-on pas aussi livrer à la dérision et à l'insulte ceux qui en r
invoquaient les principes?


Ah ! si ces hommes à jamais recommandables, si cet illustre
pair qu'on voit, à toutes les époques, se jeter entre les victimes
et les bourreaux, si ces hommesà principes enfin, eussent été
entendus, que d'infortunes, que de crimes, que de sang eussent
été épargnés à ma noble et malheureuse patrie !


Dans les afliiires politiques, messieurs, j e ne connais que deux
sortes d'hommes : les hommes•-à principes, et les hommes à cir-
constances. Vous m'accorderez au moins qu'il y a plus de sûreté
dans le commerce des uns , que dans le commercedes autres.


Les hommes à principes sont fidèles à leurs doctrines, parce
qu'ils ont la conviction de leur vérité, parce que la vérité est
une et immuable, parce que c'est sur des principes que•repose
l'ordre social , et que, hors des principes, il n'y a qu'instabilité,
erreur et péril.


Les hommes à principes ont cela de commode du moins,
qu'au jour du danger comme au jour du triomphe, on sait où
les trouver.


( 95 )


Les hommes à circonstances n'ont point de doctrines par
conviction ; ils les déposent ou les reprennent selon qu'elles leur
paraissent une arme favorable ou funeste à leurs intérêts, et
selon l'ennemi qu'ils ont à . combattre; ils défirent la dictature
à Catilina ou à Cicéron, selon que l'un ou l'autre leur promet
le pouvoir et l'abaissement de leurs rivaux.


Mais ces hommes à circonstance s , qui marchent près de vous
aujourd'hui, êtes-vous sûrs de les trouver demain à vos côtés?


Mais ces hommes à circonstances, ces adversaires dédaigneux
des principes sont seuls ou n'ont qu'une faction à leur suite;
les hommes à principes précèdent la nation tout entière, et
marchent au bruit de ses applaudissemens.


cc Les factions, a dit le ministre, ont toujours invoqué les
principes. D) Ah! veuillez, monsieur, vous qui avez long-temps
vécu, veuillez vous souvenir que c'est toujours la nation qui,
dans les principes, cherche un refuge contre ces éternelles et
hypocrites raisons d'état et de saint , public, invoquées par le
pouvoir quand il est dévoué à une :faction! Si les.' principes qui
consacrent la liberté individuelle, et que nous réclamons,
eussent conservé' l'empirequi leur appartient, eussiez-vous,
monsieur, été arraché de votre chaise cire'Piour être traîné
dans l'exil ?


Périssent les colonies plutd qu'en principe, était sans doute
le cri d'un insensé ; mais eussent-elles péri, ces colonies, si une
application sage, modérée des principes n'eût pas été repoussée
par l'opiniâtreté brutale de l'orgueil et de plus d'Un préjugé?


Vous nous accusez d'exagération, d'imputations exagérées !...
Nous exagérons en disant que les mesures proposées sont incons-
titutionnelles, inutiles, dangereuses pour le gouvernement,
odieuses par elles-mêmes et par les circonstances qui les ont
inspirées ! La France qui nous entend nous jugera.


Oui, messieurs, la loi proposée est inconstitutioÉnelle ; mes
honorables amis l'ont démontré jusqu'au-delà de l'évidence. Je
ne veux pas répéter ce qu'ils ont dit avec tant d'éloquence et de
vérité; mais abandonnons de misérables sophismes qui ne
peuvent imposer à personne.


Une loi rétablira le système des lettres de cachet, et l'art.
4 (le


la charte ne pourra être invoqué ! et, par une dérision cruelle,
on continuera à nous assurer que la liberté de tous les Francais
leur est garantie! U •levers à ma t'unit › ordre arbitraire, émané du cabinet, m'en-


,


éplorée et à mes affaires, détruira ma fora une,
mon crédit, me fera languir dans la douleur et dans la misère




( 96
)


au fond des cachots
et l'on ose nie dire que la liberté


individuelle m'est garantie !
Vainement j'invoquerai l'article 62 de la charte constitution-


nelle, et on me dira qu'on est bien loin de me distraire de mes
juges naturels, mais qu'on ne m'en donnera pas !


En vérité, messieurs, ne semblerait-il pas, à voir la facilité
avec laquelle on transige sur la première de toutes nos libertés ,
celle à qui les autres sont subordonnées, et sans laquelle il n'en
est aucune, que nous tous qui, dans le cours de nos longs mal-
heurs, avons été victimes de la fureur des partis, nous n'avons
trouvé que des douceurs dans les prisons où ils nous ont plongés
tour-à-tour ? Trois mois dans la solitude des cachots ! trois mois
dans la torture du secret ! trois mois pendant lesquels les objets
de nos plus chères affections peuvent expirer dans la douleur
ou tomber dans la Misère !


Voilà le léger sacrifice que votre commission ne craint pas
d'offrir au pouvoir ! Voilà cette faible satisfaction que l'on
veut bien accorder au ressentiment de la puissance! Mais à cette
détention arbitraire de trois mois pourra succéder une longue
procédure, et trois mois de souffrances inutiles seront le prélude,
Sans conséquence , dit-on, d'une procédure de plusieurs mois,
d'une année, de plusieurs années peut-être! Si mon innocence
est proclamée, j'ilurai souffert pour, le- bon . plaisir; j'aurai
souffert sans pouvoir demander réparation des dommages faits
à mon honneur et à ma fortune, tandis que, tranquille au fond
de son palais, l'homme puissant qu'aura réjoui le bruit de mes
chaînes, rira de ma plainte et insultera à mon malheur!


Et c'est ce régime que vous appelleriez un régime constitu,
tionnel ! Et vous vous diriez encore les religieux observateurs
de la charte ! Et vous croiriez pouvoir opposer ses sages dis-
positions à des entreprises nouvelles ! Et vous oseriez l'invoquer
encore dans vos délibérations !


Un noble pair trouvait dans la loi de 181 7
la violation ex--


presse de neuf articles de la charte constitutionnelle, et. on ne
lui a pas répondu. Il eût pu y voir l'abrogation de la charte tont
entière; car son but spécial est de garantir à l'homme la pro-
priété de l'homme. Qu'importe les lois et les constitutions
celui que.l'arbitraire met hors de toutes les garanties légales et
constitutionnelles?


Mais que dis-je? j'oublie le temps Oit je suis. Ce pacte fonda-
mental, monument de paix et de sagesse, s'écroule de toutes
parts. Vainement il est l'oeuvre de malus ro yales , vainement la
nation entière le tient étroitement -embrassé . .. vainement on


( 97 )
juré cent fois, vainement, du haut du trône, est descendue
cette assurance auguste et solennelle, qu'il était inviolable.
N'avons-nous pas la douleur de combattre tous les jours pour
en sauver les débris, au risque d'être mis par les novateurs au
rang des factieux et des perturbateurs de l'état ?


La charte aura été assez puissante pour écarter une loi qui
créait une disposition réglementaire sur les finances; niais tou-


j
j ours, il faut le dire, elle a succombé lorsqu'il s'est agi d'en
couvrir, comme d'un bouclier sacré, les libertés publiques. Au-
ourd'hui, pour la quatrième fois en moins de six années, on


vous propose de jeter un voile sur la statue de la liberté et de la
constitution.


Oui , les mesures inconstitutionnelles qui vous sont proposées
sont encore inutiles.. Elles ne sont justifiées ni par l'affreux at-
tentat sur lequel on tente de les motiver, ni par la situation
intérieure du royaume, ni par l'insuffisance de nos lois.


Le pouvoir arbitraire n'est-il pas celui qui est toujours le plus
souvent saisi au dépourvu? S'il n'a pas su prévenir le poignard
qui a fait couler le sang de trois de nos rois, pouvait-il alors s'en
prendre aux dispositions législatives qui restreignaient son ac-
tion, et gênaient la surveillançe? La tyrannie la ;lus odieuse qui
ait pesé sur un peuple, a-t-elle su, à l'aide de ses satellites,
de ses délateurs, de ses prisons, de ses échafauds, prévenir le
complot généreux qui, le 9 thermidor, fit pousser à la patrie
un cri de j oie et de délivrance? Quand un pays est menacé d'une
invasion, quand la guerre civile l'embrase, ou que des symp-
tômes certains annoncent ses fureurs; quand la rébellion est
partout et l'obéissance nulle part ; quand les tributs cessent
d'être acquittés, que nulle sécurité n'existe; quand enfin la dé-
composition de la société est imminente, alors , mais seulement
alors , un pouvoir dictatorial peut être nécessaire.


Mais, messieurs , qui oserait reconnaître la France au tableau
rapide que je viens d'esquisser? Qui oserait la reconnaître en-
core dans les extraits des bulletins de police et de feuilles pé-
riodiques qu'un ministre dit Roi nous a lus avant-hier, et qu'il
faut réduire à leur juste valeur ? Je l'avoue, messieurs, je ne
pouvais croire qu'au lieu de l'enquête tant et si inutilement
sollicitée, on ne viendrait nous soumettre que des fraginens de
ces rapports vagues,


couvrent leurs feuilles i
obscurs, recueillis dans les tavernes, etdont impures ces observateurs secrets,


dont l'antre nom, consacré par l'usage, ne doit point souiller
cette auguste enceinte.


Je m'attendais à entendre dénoncer quelques nouveaux Ca-
n,


7




( 98 ).
filins, rassemblant des conjures, anmssant des armes,. entrete-
nant avec un étranger perfide des rapports criminels, échan-
geant contre les instructions de cabinets conspirateu rs des notes
secrètes ; ou bien, d'accord avec les factieux de l'intérienr
préparant, par des correspondances, à travers l'Atlantique, le
retour de Phomme . que la fortune a séparé de l'univers . J'ai été
bientôt rassuré; des soldats ivres ont bu à la . santé d'un M. du
Rocher, et cette allusion à leur ancien général, désigné sous bien
d'autres noms, tous aussi. menaçans que celui-ci, est une preuve
que le rocker de Saint-Hélène est à la veille de nous renvoyer
son prisonnier ! Eh! messieurs, depuis quatre ans ce propos est,
vulgaire, et la police n'a même pas ici le mérite de lanouveaute.
Dans certaines provinces , on a vu des joies féroces. Messieurs,
la capitale, que nous avons vue tout entière dans le deuil, nous
garantit le deuil des provinces. Les innombrables adresses
portées au pied du trône, qui expriment la plus vive, la plus
sincère douleur, répondent à une pareille accusation, et. j'en
crois davantage ces témoignages de la douleur des provinces,
que ces récits mensongers , réchauffés. des feuilles furibondes
qu'une inexplicable protection encourage. On tient des propos
alarmans ! Il circule des chansons dont le double sens annonce.
des intentions équivoques ! Des propos ! des chansons ! Dignes.
sujets «épouvante, raison péremptoire, et nécessité de jeter
un interdit sur la nation entière ! ! messieurs, le monde,
depuis qu'il existe , est livré aux propos et à la dispute; les
propos prennent la teinte des événemens ; joyeux aux jours de
la prospérité, ils deviennent sombres dans les jours de deuil.
On en sommes-nous ?Des propos pourront au premier moment
faire suspendre , puis faire suspendre encore les libertés consti-
tutionnelles! Des chansons nous coûteront des pleurs , et parce
qu'on a chanté, les cachots s'ouvriront pour ceux qui chantent
comme pour ceux qui ne chantent pas ! Plus habile était ce mi-
nistre ne au-delà des monts,. etsi persécuté par les amis exclusifs
du Roi, parce qu'il jouissait de la faveur ro yale, qui n'eut pas
le ridicule de se constituer en France l'ennemi personnel de la
chanson. Plus habile surtout était ce Roi, le père du peuple, ce
digne précurseur de Henri, ce Roi que l'insolence aristocra-
tique appelait le Roi roturier, ce bon, ce grand Louis Mi,
qui assistait aux comédies que ses courtisans faisaient contre
lui-même. Mais la chanson peut être séditieuse ; alors ouvrez
nos Codes, arrêtez, détenez, et faites punir. Nos Codes n'ont
rien oublié ; les armes ne vous y manqueront pas, et leur arsena l;
est abondamment pourvu. On parle , dit-on , aux petzpie,s du


( 99 )
rétablissement de la dîme et des droits féodaux ! Messieurs, les


jours dé la franchise sont arrivés : Veuillez me dire si, il y aune année, on eût répandu dans la France la nouvelle que la
charte allait être déchirée, la liberté individuelle enchaînée, la
liberté d'écrire replacée sous la censure, vous n'eussiez pas re-
gardé les colporteurs de ces nouvelles comme des séditieux
punissables? Aujourd'hui elles circulent partout; et qu'y a- t- il
d'étonnant , quand , depuis six mois, le gouvernement annonce
que la charte contient des articles réglementaires qui peuvent
être modifiés et abrogés, et quand les voeux exprimés pour la
conservation du pacte fondamental sont frappés de réprobation?
La charte est la seule barrière qui nous sépare du régime
de 1 788, et cette barrière renversée, les flots des calamités
passées ne menacent-ils pas la France , comme un torrent dé-
vastateur? L'ancien régime, pour l'homme des champs, n'est-iii
pas la dîme et les corvées, et les droits féodaux? Pour le citadin,
pour l'écrivain politique, les lettres de cachet et les exils arbi-
traires ; pour tous, l'anéantissement de l'égalité des droits
devant la loi? Ainsi donc, quand la charte est menacée, quand
elle est attaquée ou violée, l'ancien régime et tout son. cortéze
paraissent, et les alarmes que votre imprudence répand elle-
même sont des alarmes légitimes.


Enfin, et j'ai gardé ce trait, pour le dernier, car c'est celui qui.
a fait le plus d'impression sur cette assemblée, un vagabondjeté dans les prisons de la préfecture de police, rt•écrit une lettre.pleine d'atrocités et de démence.... Depuis quinze j ours !es jour-
naux nous l'avaient fait connaître; et cet acte, aussi atroce que.
ridicule, en éveillant plus d'une conjecture, inspire plus de mé-
pris encore que d'horreur.


A ces esquisses tourmentées j'oppose le facile tableau de- la.
France entière consternée et pleurant avec son Roi, _partout
soumise , partout docile , devançant le terme des tributs, et.
tranquille au milieu de l'agitation de tous les peuples. Et tandis
qu'ici, les armes à la main, on demande des. cortes; que là, tu-
multueusement, on sollicite des constitutions libérales, non
contens de ce que nous tenons de la munificence l'ovale, nous
nous bornons à supplier lemonarque de ne pas souffrir qu'on
altère ses bienfaits, on nous a cité, et l'on nous cite sans cesse la
Grande-Bretagne! on envie ses lois, et l'on nous oppose se_-
exemples! L'Angleterre, nous dit-on, a vu clans un demi-siècle
suspendre neuf fois l'habeas corpus. Hélas ! en moins de cinq
années la France l'aura vu suspendre trois fois.


Bcoutons avec quel talent M. de Villèle répondait autrefois




( zoo )
à ce misérable argument : «A-t-on dit, s'écriait-il, que l'Angle-
» terre accordât par cette suspension le droit au ministre d'ar-


rêter un prévenu, et de refuser à la chambre des communes
» la communication des motifs de cette- arrestation? On n'a pas
» dit pie l'Angleterre eût mis à la disposition du même mi-
» cistre toutes le presses du royaume; on ue nous a pas dit que
» l'Angleterre eût à fonder, sous ce régime arbitraire, une
» constitution nouvelle, dont la garantie principale reposait
» sur l'indépendance des élections.... Il eût fallu pourtant éta-
» .blir tous ces faits, avant de pouvoir prétendre comparer la
» suspension de la liberté individuelle , en Angleterre , à. la
» mesure que nous discutons en ce moment


» Tel était
alors le langage de l'honorable M. de Villèle, tel était celui de
ses amis. Je vous avouerai, messieurs, que je suis fatigué de
traverser si souvent le détroit, et je porte un coeur trop français
pour aller journellement rendre hommage à un gouvernement
pie j'estime sans doute, mais dont les abus ne me paraissent
point être un objet d'importation desirable.


Depuis que-le parlement d'Angleterre n'a plus eu d'autre vo
lonté que celle des ministres, l'habeas corpus, fréquemment
suspendu, a-t-il produit des fruits si précieux ? Voulez-vous ; ,
aux mêmes conditions, cent mille radicaux réunis au Champ:-
de-Mars ? voulez-vous des conspirations sans cesse renaissantes?
voulez-vous:des luddistes qui brisent les métiers de vos manu:,
factures? voulez-vous de ces émigrations qui peuplent. les deux
Amériques , et restituent au continent une partie de l'or que la
Grande-Bretagne lui a ravi par son commerce exclusif?


-Voulez-
T-011s ces processions politiques sous toutes les bannières, qui
troubleraient bien autrement le sommeil ministériel que les doc-
trines que vous poursuivez, fantômes légers, impalpables, dont
la propriété est d'échapper à tous les efforts? Cessez donc de
nous fatiguer•


de ces exemples d'outre•mer, ou, si vous avez la
fureur des institutions exotiques, prenez avec ce que vous trou-
vez chez nos voisins de favorable au pouvoir, les institutions
de liberté qu'ils ont su conserver. Comme eux tolérez les clubs,
la liberté indéfinie des journaux , les élections bruyantes, et la
licence d'une multitude qui regarde le privilége de l'insulte
comme une partie essentielle de ses franchises. eourez le risque
de ses polis tumultueux ; lancez vos candidats sur les hustings ;
et , pour compléter notre éducation libérale , formez des
boxeurs qui fassent triompher à coups de poings les élus du
ministère.


Mais Français, restons Français, restons nous—mêmes.


, i%
J'aurais à examiner maintenant les moyens que la législation


en vigueur a confiés au gouvernement pour sa défense et notre
protection. J'ai été prévenu, aucune réplique ne me paraît
possible.


L'un de nos honorables collègues , qui professe , comme
nous, la plus•uste et la plus profonde horreur pour l'arbitraire,
a cependant incliné à lui foire des concessions qui m'ont surpris,
venant de sa part. « Comme un sacrifice expiatoire, nt-il dit,
» consentons à ce que tout individu prévenu d'attentat à la
» personne sacrée du monarque, ou aux personnes de sa fa.-
» mille, puisse être détenu ; mais fixons le ternie de sa déten-
» fion à trois mois ; qu'à ce terme il soit jugé ou mis en
» berté. »


Le mot prévenu, qu'il a employé, lui a fait 'illusion eût
fallu dire soupçonné; car rien n'arrête l'action de la justice
contre un prévenu. Contre un prévenu, les mesures exception-
nelles ne sont pas nécessaires : il en est dans les lois de surabon-
dantes , d'efficaces , d'inévitables. Que résulterait-il de son
amendement? Rien autre chose, si ce n'est que l'on pourrait
être arrêté comme suspect d'attentat contre la personne sacrée
du Roi, au lieu de- l'être concurremment contre la sûreté de
l'état. Peu importe le prétexte de la détention , si un jugement
n'en est pas une suite nécessaire. Le prétexte de la détention
importe peu à l'exercice du pouvoir arbitraire; il suffit qu'il y
ait un prétexte.


Quant- à l'orateur dont l'apparition imprévue dans cette dis-
cussion a produit quelque sensation , je n'ai pour le réfuter qu'àl'opposer à lui-même, et à renvoyer mes auditeurs à son opi-
nion dei817.


Ai-je bien entendu que cet orateur ait demandé que des
Français fussent détenus sans jugement, sur le soupçon de
conspiration contre les jours du prince et de sa famille"? Quels
traités l'ont forcé de renoncer à ses anciens principes? Quels en-
gagemens l'ont déterminé à perdre la place qu'il avait acquise
dans une autre discussion sur la même matière? Peu après, j'ai
entendu M. Castelbajac parler du ben-heur de la France en 1835,
sous la loi du 29


octobre, du bonheur au temps
tions ! Chacun parle comme il est affecte', et jerrespecte


cpize-otsocur itpe s-


les convictions.
;Messieurs, permettez-moi une réflexion que je livre à Nos


méditations profondes et à votre sagesse prévoyante.
Lorsqu'on voit ceux qui proscrivirent autrefois l'arbitraire le


défendre aujourd'hui, peut-on s'empêcher de croire qu'ils ne le




( 1o2 )
revendiquent bientôt à leur bénéfice; que les dépositaireS'ac-
tuels du pouvoir leur sont dévoués, et qu'ils n'en sont que des
fidèles commissaires ? Car enfin l'arbitraire est un fléau qui ne
peut convenir à personne, si ce n'est à ceux qui , placés hors de
ses atteintes, peuvent le faire impunément peser sur les autres.


Encore une fois, messieurs, point de transaction possible
avec l'arbitraire, sans opprimer les sujets, sans mettre le prince-
en perd. Qui peut le nier? qui peut contester les leçons de l'ex-
périence, si récentes, si solennelles? L'arbitraire enfante l'ar-
bitraire, le droit d'arrêter accroît le besoin d'arrêter encore.
Bientdt entraînés sur cette pente rapide, rien ne peut vous re-
tenir,- ni vous empêcher de vous précipiter dans l'abîme. Point
de terreur qui n'ait son 9 thermidor ; et la terreur prend la
place de là sécurité que les lois inspirent , lorsque la loi Lit
place à l'arbitraire. Vous userez de la loi avec modération, je
veux le .croire; niais cette loi, suspendue sur la tête de tous les
citoyens, ne rend-elle pas leur situation intolérable? Ne s'em-
presse-t-on pas d'abandonner un abri dont le toit menace à
chaque instant de s'écrouler?


La signature de trois ministres responsables nous est offerte
comme une garantie ! La responsabilité nous est offerte comme
une garantie r La responsabilité des ministres' Est-ce bien
sérieusement qu'on nous en parle, it




nous qui attendons depuis
si long-temps la loi qui doit la déterminer? Eh bien! j'y con-
sens ; mais ces trois ministres, dont les lumières, la sagesse, la
probité, la modération, l'impartialité surtout, pourraient com-
mander mon respect, sont-ils une Providence dont l'oeil scru-
tateur pénètre les consciences, et qui embrasse à-la-ibis l'espace
qui s'étend de Dunkerque à Perpignan ? Le renseignement, que
dis-je? le soupçon qui les fera disposer de ma liberté, partira du
dernier terme de la surveillance de la police, sans que j'aie tou-
jours l'avantage qu'un renseignement puise dans la houe, passe
-à travers plusieurs filtres qui pourraient au moins l'épurer.


Mais je viens encore de me livrer à une illusion que j'aimais :
j'ai parlé de voire modération ; vous m'avez enlevé la consola-
tion d'y croire ; vous l'avez dit ailleurs , votre système de gou-
vernement sera la partialité; vous l'avez dit ici : le moyen de
gouvernement qui vous manque, et que vous sollicitez, c'est
l'arbitraire.


Ainsi les dépositaires immédiats de l'autorité royale , en
amassant sur eux l'odieux de ces mesures ténébreuses, ne s'ex-
posent-ils pas à la compromettre, et à lui faire perdre le respect
et l'amour qui lui sont dus ?


( io3 )
Est-ce des conseils du Roi que doit. sortir la proposition


d'une loi révolutionnaire? Je dois qualifier telle une loi qui ne
trouve son analogné qu'en 1 7 93. Si le besoin de l'arbitraire


on eut pu choisir des précédonstourmentait impérieusement ,
plus modérés.


Les ministres que le Roi a appelés près de sa personne sacrée,
depuis trente années, précédés,


'tous moins Un, nous ont,
accon !,1«iés ou suivis dans les affaires publiques; ils ont été,
à leu. ;,',ur, témoins ou coopérateurs des mesures qui ont si-
gnalé chaque époque, et , ils ont pu les comparer. ils se rap-
pellent ces jours d'épouvante, où une constitution éphémère
s'écroulait au milieu : un homme qu'ils ont servi,
et auquel tant de souvenirs divers se rapportent, s'empare de
l'autorité; c'est à qui s'empressera •de seconder sa puissance
nouvelle : on se précipite sous son bras vigoureux; point de sa-
crifice qu'en ize soit prêt à faire. Il est entouré d'ennemis ;
chaque j our, ,.liaque heure m enace sa tête. Eh bien ! quel.est le
moyen: extraordinaire qu'il invoque, et que lui confie l'art. 46-
de la constitution de l'an 8? Le droit de faire arrêter par ses
ministres les prévenus de complots contre l'état et contre sa per-
sonne, et de les détenir sans jugement..... dix iours après
quoi la justice devra reprendre son action; et les dix jours
.eussent été superflus, après que les Codes rédiges sous son in-
fluence eurent cimenté le gouvernement le plus.éneroiqUe
fut jamais.


Et vous, sous l'empire d'une constitution devenue d'autant
plus chère qu'elle est plus menacée; vous, ministres die des-
cendant de nos Bois, vous ei deviez frire bénir son sceptre,
vous invoquez l'arbitraire ! vous demandez, tranchons le-mot,
le rétablissement temporaire des lettres de cachet ! Vous qui
avez Phdnneur de vous asseoir autour de la table sur laquelle
l'immortel Malesherbes fit signer à l'infortuné monarque dont
l'image est sous nos yeux , l'abolition de ce détestable abus de
l'autorité. suprême, cessez (le dire que les lettres de cachet
étaient plus dangereuses, parce qu'elles n'étaient pas consacrées
par la loi ! Quelle erreur ! L'arbitraire consacré' par la loi est le
dernier ternie des malheurs publics. M. le ministre des affaires
étrangères nous a professé une doctrine contraire à celle de son
collègue, ce qui prouve au moins que le conseil du Boi - n'a pas
une doctrine arrêtée sur la matière.


Il me reste à prouver ce que j'ai avancé , que votre loi est
odieuse., surtout par les circonstances qui l'ont inspirée et -oit




o4. )
elle nous est proposée; ma tâche est malheureusement trop
facile.


Si un monstre n'eût pas frappé un prince éternel objet de re-
grets et de douleurs, auriez-vous recouru aux mesures que vous
nous apportez teintes de son sang? Non , si l'on veut vous en
croire. Cependant le prince meu rt, et la patrie est frappée dans
toutes ses libertés ! le prince meurt, et vous dites que vous n'ac-
cusez pas la nation, quand c'est elle que vous punissez!


Pourquoi la punissez-vous donc, si vous ne l'accusez pas ?
Vous la punissez de la manière la plus cruelle, car est-il pour
tout un peuple un châtiment plus terrible que celui de se voir
ravir à-la-liais toutes ses libertés ? libertés conquises par trente
années de travaux, de périls et de désastres; de se voir arracher
la seule consolation de sa gloire éclipsée, et le prix du sang de
deux millions de ses enfiins ?


Quelles suppositions je viens d'entendre il y a quelques ins-
tans ! Ici, à la tribune des communes de France, on a osé pré-
dire plus d'un Louvel


Grand Dieu ! comment notre patrie a-t-elle mérité le mal-
heur d'entendre de semblables choses ?


Quoi ! c'est en environnant le monarque de terreur, et en
altérant, s'il était possible, l'affection de ses peuples, que vous
prétendez fortifier davantage la sûreté de sa personne sacrée !


Quoi ! c'est en armant de rigueur le père de la grande fa-
mille , que vous prétendez lui concilier davantage l'amour de --
ses enfans !


L'amour, le premier, le plus solide fondement de la puis-
sanee.et de la sûreté des rois; l'amour, le prix le plus cher, le
seul tribut digne du père de .famille : voilà ce que vous lui ra-




viriez, si son sceptre paternel, grâce à vos mesures, devenait
jamais un sceptre redoutable!


Vous ne réussirez pas : nous veillerons sur les jours (lu prince
et nous sauverons la liberté. La liberté !... Elle ne périra point;
elle -trompera toutes les combinaisons perfides, et déjouera tous
les calcul de l'intrigue ambitieuse. Et quoi que l'on essaie, cette
chambre se remplira de mandataires courageux et fidèles. Avec
eux arrivera une majorité homogène et nationale, seul appui
durable du trône et de la dynastie constitutionnelle; avec eux y
rentreront , ,si elles pouvaient périr entre nos mains, la liberté
individuelle, la liberté de la presse, la liberté politique; avec
eux la sagesse du gouvernement dotera la France de ces insti-
tutions qui concilient la reconnaissance et l'amour des peuples.
Devant eux s'évanouiront les doctrines serviles et les systèmes


( 105 )
d'arbitraire-conçus, quoi qu'on en dise, bien avant le coup fatal
dont tous les coeurs français ont été simultanément frappés ; ces
systèmes conçus dans la vue de commander par la terreur, et
qu'on n'a pu obtenir par la confiance, qu'il était pourtant si
facile de mériter.


C'est en vain que se forment sous nos yeux les alliances les
plus inattendues; que des intérêts opposés semblent se diriger
dans un but commun; c'est en vain que la politique des partis
change Wun jour à l'autre, et que les palinodies les plus subites
et les plus étranges viennent, nous frapper d'étonnement, si
quelque chose pouvait nous surprendre encore.


Au-dessus de toutes ces tristes et déplorables agitations
planent les regards de la France, qu'il est aussi impossible de
tromper que d'asservir, qui saura distinguer la voix de ses ser-
viteurs sincères et faire la part de chacun : d'une nation toute
puissante par son union intime avec son monarque, qu'elle envi-
ronne d'amour et de respect.; calme, parce qu'elle est forte ; forte,
parce qu'elle est éclairée, et qui, entraînant dans ses destinées
de gloire et de liberté le trôneconstitutionnel, la placera si haut
que n'en pourront bientôt plus approcher ceux qui l'environ-
nent aujourd'hui de soupçons et d'alarmes, et qui s'efforcent (le
séparer le Roi de son peuple.


J'ai rempli mon devoir. Je-suis loin de désespérer de la liberté
de mon pays; mais si les voeux qu'il m'inspire étaient trompés,
mon nom du supins-ne serait pas gravé sur ses chaînes.


Je vote le rejet de la loi proposée.
M. de Corbières. Messieurs, personne ne songe . à. contester


ce principe de toute législation raisonnable, que nul ne peut
être arrêté que pour être conduit devant ses juges.


Personne aussi ne fait difficulté (le reconnaître qu'il est des
temps où il faut suspendre un principe établi pour protéger la
sûreté individuelle, lorsqu'il pourrait compromettre la 'Sûreté
publique.


A-quels signes doit-on reconnaître la nécessité de s'écarter de
la règle commune? Telle est toujours la véritable question dans
les délibérations semblables à celle qui nous occupe.


A la fin de /815, la France sortait d'une convulsion terrible;
les- esprits, chauds encore d'une lutte violante. restaient dans
une.fermentation menaçante, et cela ne pouvait être autrement ;
on manifestait hautement des regrets , nôn sur cequ'on avait
fait, mais sur ce qu'on n'avait pas
tion se faisaient entendre là même ' la -d


t dû
pu faire ;- les cris dc la sédi-


fer, si le délire


e ou a pu eur eu u les étouf-
pouvait


la pudeur. Les députés de la




( o6)
France s'assemblèrent; les ministres du Roi leur demandèrent
des lois d'exception, elles furent votées.


L'année suivante, l'état des choses n'était plus le même;
tondes ennemis n'étaient pas sans doute devenus des amis; niais
d'autres espérances étaient nées, d'autres combinaisons s'étaient
établies, ce n'était plus de violences soudaines que l'ordre publie
était alors menacé. La plupart de ceux dont on s'était. assuré
avaient déjà été.rendus à !a liberté. Cependant on continua de
demander les mêmes lois d'exception ; les députés qui avaient
concouru à les accorder l'année précédente ne crurent pasdevoir
les proroger alors. Il est vrai que, sans elles, le ministère de la
police était menacé de devenir une espèce de sinecure ; mais ils
ne virent pas là un motif suffisant pour habituer le gouverne-
ment et les peuples à des mesures qui doivent toujours paraître
redoutables, afin d'être quelquefois efficaces.


Ces députés furent-ils mconséquens pour avoir voté différem-'
ment dans des circonstances. qui leur avaient paru différentes?
et pour être toujours d'accord avec eux-mêmes, que doivent-ils
iàire encore aujourd'hui ,• si ce n'est ce qu'ils ont toujours fait,
considérer ce qui est, pour y trouver la règle de leur conduite?


Si, depuis 181 7, la France était provisoirement retombée
dans une situation telle, que le gouvernement eût encore besoin
de lois d'exception, nous devons• les lui donner, non pour en'
perpétuer le déplorable usage, suais pour sortir de l'état qui
les exige.


Les lois d'exception sont nécessaires quand les esprits sont
préparés à de grands houleversemens, quand le gouvernement
est réduit à proclamer Pim puissance des lois faites pour les temps
de calme; quand la société est menacée de cette espèce de
crimes qu'on est obligé de prévenir, parce qu'on ne serait pas
assuré de les punir, parce que leur exécution pourrait garantir
leur triomphe.


C'est à nous de juger si tel n'est pas l'état présent de notre
malheureux pays.


Dans les questions semblables, on n'est jamais réduit à s'en
rapporter exclusivement aux renseignemeus fournis par le gou-
vernement. C'est lui, sans doute, qui peut réunir et éclaircir
le plus de faits particuliers; mais l'effet général doit être senti
par tous : tous peuvent juger sans peine sur la physionomie
de la société, sur l'agitation égale des uns et des autres, quoi-
qu'en sens contraire, sur la réserve ou l'audace de certains
voeux, sur l'expression plus ou moins timide d'autres espé-
rances plus légitimes , s'il y a tendance vers l'ordre ou le dé-


( 1°7 )
, quelle est la force de cette tendance, et clans quelle


sordre,
vitprogression eenimouvement


se


apercevoir


esen imprimé vpourrait.
dans


s ins'accélérer an e
partie.


ie encore.


Une que les symptômes ont été de nature à n'êtredapeplr'Eécuiérospgee.e'ln
par les


les
yeux exercés, on 'a pu les contester; mais


actuellement que, chaque j our, quelque événement nouveau vient
révéler l'invasion du mal, il ne peut plus y avoir d'incrédules.
Si les doctrines qui menacent chez nos voisins l'ordre social
isont prêchées publiquement chez nous; si on s'efforce de les
faire circuler dans toutes les classes; si les révoltes qu'elles amè-
nent ailleurs sont applaudies sans détour ici; s'il est des hommes
qui s'associent hautement à leurs sucrés, qui ne cachent pas l'in-
fluence qu'ils en attendent sur notre propre pays, qui sentent
trop bien où ils doivent trouver des obstacles, et s'apprêtent à
les renverser; si à tant de signes menaeans vient se joindre tout-
à-coup l'avertissement le plus sinistre; si cette capitale vient
d'avoir l'effrayant exemple du plus grand crime politique de
l'époque présente; a-t-on pu penser que les amis de l'ordre
établi resteraient spectateurs immobiles de ce qui se fait et de
ce qui se prépare? Croit-on que; pour arrêter r leurs efforts, il
suffira de leur répéter cette vieille menace, qu'ils calomnient là
nation? Ah ! sans doute cette malheureuse nation est bien loin
d'être complice des lâches manoeuvres dont elle n'est depuis si
long-temps que le jouet et la victime; il s'agit de la protéger
contre le retour de nouvelles souffrances, et ce n'est pas avec
d'ironiques respects qui ne l'abuseront plus, que l'on doit venir
à son secours.


On a affecté de ne voir dans l'attentat qui nous a épouvantés
qu'un crime isolé. Je viens d'indiquer, au contraire, combien de
dispositions alarmantes l'avaient déjà précédé : ces dispositions
on•elles an moins changé depuis? a-t-on recueilli une salutaire
leçon de la consternation générale ? a-t-on paru mieux com-
prendre que quand le pouvoir était menacé, toute liberté pu-
blique chancelait avec lui ? Je voudrais apercevoir cet utile
retour vers des idées meilleures; je ne suis pas assez heureux.


On nous a souvent affirmé que l'assassin n'avait point de
complice; commuent le sait-on ? Ce n'est pas, sans doute, sur
ses premières déclarations qu'on peut avoir cette assurance. Cè
n'est non plus sur les renseigneine


- ns du gouvernement que l'on
s'appuie; jusqu'à présent il ne nous a parlé ,•il n'a pu nômis
parler ees,erulr i de ses doutes, et nous ne pouvons que les partager


si nous n'avons rien de plus positif à mettre à la
place. Est-ce parce que tonte complicité aurait paru une chose




( 108 )
impossible ? est-il donc impossible qu'un assassin soit enhardi
par l'espoir de quelque appui ? Une sécurité si légèrement ac-
quise serait loin de m'en donner à moi-même.


Mais admettons que cet homme n'ait été poussé au crime
que par son propre finalisme; cc fanatisme même doit avoir
des causes.


S'il a trouvé son germe dans un caractère naturellement per-
vers , ce germe a eu besoin d'être développé; il lui a fallu des
alimens; vous savez où il les a trouvés; ce sont ces alimens em-
poisonnés qu'il faut enlever à quelque nouveau parricide ; tel
a été le cri de la France, tel sera celui de votre conscience.


Auprès de pareilles considérations, j'ai trouvé bien faibles,
je l'avoue, de vagues doléances sur les dangers de l'arbitraire.
L'arbitraire est mauvais en soi; qui peut songer à le nier ? qui
n'en a pas fait l'expérience? Et cette expérience doit être au
moins un bon garant de la sincérité de tous. Mais l'anarchie
n'est pas bonne non plus, et l'expérience ne nous manque pas
encore ici. Quand on a amené les choses au point où elles sont,
toutes plaintes sur le passé seraient désormais déplacées ; je n'ai.
plus le choix du remède, et j'accepte l'arbitraire.


Pour qu'il soit tout à-la-fois efficace et le moins dangereux
possible, j'aime qu'il soit court et purgé de tout mélange d'une
légalité trompeuse; c'est ainsi que j e le demande aujourd'hui.


Je vote pour le projet de loi.
M. Dupont (de l'Eure). Messieurs, lorsque je m'étais ins-


crit pour combattre le projet de loi qui vous est soumis, je me
proposais, en essayant de mettre en évidence les secrètes inten-
tions des ministres qui l'ont conçu ,.de montrer à quel point il
est inconstitutionnel, arbitraire et inutile; combien seraient
funestes ses résultats, non moins dangereux pour le gouverne-
ment que pour le pays. Mais cette tâche honorable a été rem-
plie avec une telle supériorité de raison et d'éloquence; la dis-
cussion a fait jaillir une telle masse de lumières, qu'il ne M'est
plus permis de rien ajouter à tant de vérités qu'ont fait entendre
la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune. -


-


Si je prends la parole pour quelques instans . ce n'est donc'
ni pour reproduire des argumens dont je- craindrais d'affaiblir
l'impression, ni même, j e dois le dire, avec l'espérance de
porter ma propre conviction dans les consciences où elles.
raient pu pénétrer encore, mais uniquement pour remplir un 1
devoir sacré que m'impose la gravité des circonstances. Je veux
déclarer hautement à mon pays combien, 'ii' mes- yeux - .est-bw-


( 109 )
minent le danger qui menace ses libertés, et lui donner, avant
de terminer ma carrière législative, un dernier gage de ma fidélité.


Dans tout autre temps, un vote silencieux pourrait suffire au
strict accomplissement de mes devoirs; mais telle est l'univer-
selle réprobation dont est justement frappé le projet de loi , tel


qu'il'prépare à la France, que j'éprouveest l'avenir périlleux q
'1


le besoin d'unir nia voix à celle de mes honorables amis, que
déjà peut-être leur franchise a si nalés à des rigueurs qu'ils
cherchent à détourner avant tout de a tête de leurs concitoyens.


Un ministère, ou,- pour mieux dire, un ministre tout-puis-
sant, dont, il faut l'espérer, l'histoire signalera la politique
mystérieuse et fausse, et les continuelles abstractions, avait
promis des institutions réclamées depuis long-temps, et surtout
une loi de garantie pour la liberté individuelle ; vous savez,
messieurs, comme il a tenu parole! C'est en vous proposant
d'enchaîner la liberté individuelle, la liberté de la presse, et la
liberté des élections.


Ce ministère a succombé sous les coups de ceux-là mêmes
dont il avait cru acheter l'appui par ses déférences; mais en
tombant, il a légué à des successeurs encore mal affermis, un
héritage d'arbitraire qu'ils ont accepté, non pour en jouir long-
temps, peut-être, mais pour le transmettre à un troisième mi-
nistère-qui s'apprête à se l'approprier. Ainsi l'arme dont vou-
lait se. servir l'homme d'état qui vient de déchoir, ceindra
également bien l'autorité qui lui a succédé tout-à-coup, et celle
qui succédera plus tard ; et la France, balottée de législation
provisoire et exceptionnelle en administration .transitoire , sera
livrée au pouvoir discrétionnaire de quiconque, par des combi-
naisons presque toujours étrangères au bien public, surgira à la
tête des affaires? heureuse si, privée de la liberté individuelle et
réduite au silence, elle n'est pas du moins forcée de le rompre
pour célébrer les bienfaits d'une administration aussi fugitive,
et lui témoigner la reconnaissance nationale.


Tel n'est pas, messieurs, le sentiment qu'a fait. naître l'ap-
parition subite de trois projets de loi présentés, contre toute
espèce de convenance, le jour même où un de nos princes tom-
bait sous les coups d'un assassin. La.nation n'a pu qu'être pro-
fondément blessée, en voyant les ministres du Roi s'empres-
ser de faire tourner au profit de leur pouvoir une ho lal
tastrophe qu'elle déplore ;
en expiation d'un crime qu'elle


en les entendant lui demander .
ses libertés les plus chè


horrible ca-


na pas commis, le sacrifice de


ma nation et son noble rceasiacet";n:wi


pa
messieurs , qui honore


ere , je partage l'indignation coin,-




(']. fo )`
urane, et je 'reproche au: ministère d'avilir aperçu dans un
forfait exécrable, un, moyen de nous arracher des loisklont il.
voudrait nous persuader que les circonstances lui ont suggéré
le projet, tandis qu'il le. méditait depuis long-temps.


Je sais que ces projets sont soutenus aujourd'hui par des
membres de la chambre qui, naguère, menaçaient hautement
de les rejeter, soit qu'ils les trouvassent alors d'une médiocre
nécessité, ou trop peu conformes aux principes dont ils se cons-
tituent les défenseurs; soit, beaucoup plus apparemment, qu'ils
en subordonnassent l'adoption à la disgrâce d'un ministre. Mais
que sont devant la justice et. la vérité, toutes ces variations
d'opinion:, presque toujours déterminées par l'intérêt du mo-
ment? jamais elles ne fausseront la raisin publique, et cette-
raison publique ne se laissera pas persuader facilement par des
orateurs qui repoussaient comme inconstitutionnelle , en 8
une loi d'exception, dont au besoin, et d'accm•d avec le minis-
tère, ils trouveraient aujourd'hui la théorie dans la charte elle-'
même. 11 ne m'appartient pas de prévoir la durée de la confé-
dération que paraît avoir formée le ministère, ni de déterminer
les avantages qu'il en pourra retirer, ce qui, je l'avoue, m'im-
porté assez peu. Mais ce qu'il importe davantage de biein
connaître, s'il est possible, ce sont les vues ultérieures de cette
confédération. Or, l'un de ses principaux orateurs disait, à la
séance du .] 5 janvier, que se refluer à modifier la charte ou, hu,
loi des élections, ce serait s'exposer à voir le gouvernement
recourir à des moyens etrêmes , en d'autres te" rmes, un,
coup d'état, et vous savez, messieurs, de quelle manière s'ex<
pliquait hier le même orateur sur les lois. relatives à l'adminis- '
tration municipale, ati , jury et à la garde nationale, sur ces lois-
ri universellement réclamées par la nation, et jamais accordées.
Si telles sont les conditions du traité, je rends grâce à celui
qui a bien voulu nous les révéler, car la question étant plus
nettement posée, chacun de nous apercevra un peu mieux en-,
core les conséquences du système inconstitutionnel qui commence
à se développer aujourd'hui.


Le ministère interpellé de produire enfin les documens qui
prouvent la nécessité de la loi d'exception qu'il demande, vous
a présenté l'insignifiant résultat de son investigation. Forcé de
convenir que jusqu'ici du moins l'instruction du procès de
Louvel ne se lie à aucune. complicité, il est réduit à produire
une lettre qui, écrite d'une prison au préfet.de police, n'est
évidemment qu'un acte de démence; des chansons, des propos
de carrefour, et je ne sais quels on dit de police ou de gazette,


(bii)
sans la moindre consistance. Mais, de bonne foi, est-il dans un
vaste empire -une époque quelconque où , sur quelque point, il
ne se tienne des discours irréfléchis? A-t-on jamais songé à
transformer des propos isolés en un délit natienal? Et serait-ce
-sur une semblable base que vous feriez reposer une loi qui tout
à-la-fois aliénerait la liberté individuelle de tous les Français,
et flétrirait, pour le crime d'un seul homme, tout ou partie de
la nation, du soupçon odieux d'une complicité morale? •


En écoutant le discours de M. le ministre de l'intérieur, j'ai
été frappé des plus pénibles. réflexions. Au moment même où
des souvenirs honorables me disposaient à l'entendre avec con-
fiance et recueillement, j'ai reconnu combien étaient vaines les
garanties que l'on fondait sur les personnes contre l'abus des
mauvaises lois. Celle que je repousse n'est encore qu'un projet,
et voyez à quels étranges moyens on est déjà obligé de recourir
pour la faire adopter ! lln ministre du Roi, oubliant, malgré
Jui, la majesté de la loi , ne craint pas, à défaut de motifs, de
descendre, pour justi fier une mesure arbitraire, jusqu'à de
simples propos, jusq ti'à des chansons, de ridicules commérages,
et à ce que l'on u si bien qualifié de basse police; et c'est ainsi
qu'un gravemagistrat donne l'exemple d'une inquiète crédulité,
et la mesure des puériles rumeurs qui justifieront aux yeux
d'agens subalternes l'application de la lei! Oui, messieurs,
la manière même dont on défend cette mesure nous apprend
combien elle sera funeste. L'impression est donnée par la pré-
tendue enquête du ministre de l'intérieur : c'est un texte que
la délation qui va surgir autour de nous saura bien étendre. Si
l'on e surpris la religion du ministre, on surprendra celle de
bien d'autres. S'il a trouvé qu'une loi de suspects n'a rien d'ar-
bitraire dans la théorie ,. beaucoup d'autres trouveront aisément
qu'elle n'a rien que de salutaire dans sa plus vaste application.


Et j'ai parlé d'un ministre qui semblait offrir le plus de
gages d'impartialité! Que devrait donc attendre la France, si la
loi était exécutée par un ministre qui attachât moins de prix à
cette vertu? Que serait-ce si la partialité dont certains hommes
se font un mérite, présidait à l'exécution d'une mesure qui peut
créer des coupables autant qu'on voudra, envelopper dans une
ruine commune autant d'ennemis qu'on a pu en susciter, et sa-
tisfaire aux vengeances personnelles comme à la politique, que


trous,


cVa7ance?


-Que serait-ce surtout si quelques
uns de ces hommes qui acceptent le pouvoir à tontes les condi-


o


, quelques
q ue& fanatiques d'ambition, quelque familier de labasse


-police, venait à apparaître auininistere? Est-ce donc à




( 1.1.2 )


cet homme-là que vous voudriez confier l'espèce de dictature que
l'on vous demande aujourd'hui? Pour moi, messieurs, qui ne
veux que la dictature des lois , et jamais celle des hommes, je
ne la confierai ni à Catilina, ni à Cicéron.


Député, je vote contre un projet de loi qui viole la charte
dans sa plus précieuse garantie: Français, je ne veux ni prendre
part à une odieuse accusation contre la France , ni m'associer à
une législation d'espionnage et de délation. Ami de l'humanité,
je ne me prêterai jamais à une mesure que je trouve plus bar-
bare que la loi du 29 octobre -1815 elle-même , puisqu'au lieu
de frapper de simples opinions qui ne flétrissent pas, elle doit
appliquer à ses victimes l'ineffaçable inculpation d'avoir eu l'idée
d'attenter à la vie et à la personne du Roi.


Ami de l'ordre et bon citoyen, je ne favoriserai point les
desseins de ceux qui veulent donner à notre gouvernement cons-
titutionnel les formes acerbes et silencieuses du gouvernement
absolu, courberencoreune fois la France sous le joughonteux de
l'arbitraire , ou la jeter de nouveau dans l'abîme des révolutions.


Voilà , messieurs, mon immuable profession de foi. J'aime
mieux encourir toutes les chances de la réaction, que de m'ex-
poser aux remords de l'avoir favorisée, sous le prétexte de
prudence, ou par aucune considération de l'intérêt personnel.


Je vote contre le projet de loi des ministres, et contre celui.
amendé par la commission.


On demande, et la chambre ferme la discussion.
La séance est levée à six heures.


Séance du io mars.


L'ordre du jour appelle à la tribune M. Rivière , chargé de
résumer la discussion générale sur le projet de loi relatif à le
liberté individuelle.


M. Rivière. Messieurs, vous venez de consacrer quatre de
vos séances à la discussion de l'ensemble du projet qui vous est:
soumis. Tout. ce qu'il y avait d'utile à dire pour et contre paraît
avoir été épuisé, et je ne m'exposerai pas au reproche d'avoir
affaibli les impressions profondes que vous en avez reçues, en
essayant de reproduire les moyems multipliés et divers qui leur
ont. donné naissance.


La délibération va s'ouvrir, et dans l'état où sont les choses,
je crois que la tâche du rapporteur de votre commission se
borne à serrer, dans un cadre étroit, le rétablissement des
motifs principaux qui doivent en déterminer l'issue.


( 1.3.3 )
"Vous remarquerez d'abord, messieurs, que malgré les .vives


,a.tiaque , dirigées de. cette tribune contre.le.projet de loi , aucun
de ses . , rsaires n'a osé soutenir qu'il fallait le repousser, s'il
était exige par le besoin de l'état.


La charteelle-même, avec laquelle on le prétend ,antipathique,
estreconnee nePoint être un obstacle à. son admission, si la


.
.


.. .


néces,sité en est prouvée. .....
il donc de la présence de cette•néces-Mais'quels signes . faut-


sité,-sile déplorable événement dm 15 février ne suffit pas pour
l'établir?


11 s'agit de la silreté du Roi et de la Famille •oyale ! un de
nos princes vient de périr sous le poignard d'un assassin, et le
doute subsiste encore !


Ahl messieurs, transportons-nous un instant, par là pensée,
à une époque antérieure au jour fatal qui a couvert la France de
deuil : supposons qu'en nous inspirant la •crainte réelle dé la
perte que.nous venons de faire, on nous-eût proposé, pour la
prévenir, la mesure qui nous est aujourd'hui, soumise; ne l'au-
rionSLnous .pas votée à l'instant, en . nous affranchissant pour
cela de la lenteur des formesqui accompagnent nos délibérations
ordinaires? .


.


Vos vents français .ne me permettent pas d'étre incertain-Sur
leur réponse à une question semblable.


•.
:,


.


Mais la victime est frappée, :tout son sang est répandu
-, et


c'est 1 elle qui nous crie d'environner de sûretés nouvellés!la
personne du Roi, les restes infortunés de là fa.milleréyale! , 1..;


Messieurs, il est possible que la sensibilité soit souvent ,.. en
législation, une mauvaise conseillère; mais un stoïcisme glacial
nous conseille-t-il mieux, dans la situation où rions. soinu'res?.


Je ne saurais le croire,. et je ne -vais pas in -oins cependan't ;ti.
.


cher -de remplir les devoirs que ma qualité •in'impose ,.en
-.re-


mettant sous vos
• veux les objections fonclaineritales de ceui,de


nos honorables collègues quiprofessent une, kt- pinion Contraire. -.
Ils ne voient dans le crime de Louvel rine la . conception et


l'ouvrage d'un seul homme!
Mais ou est...jusqu'ici •le. fondement solide d'une .


e lifte pareilleopinion?
Je sens avec ceux qui la soutiennent, nous sentons tous avec


s
sento s


.


. . .


force le besoin de lui voir acquérir, autant
..qu'il soit possiblele caractère d'une lié ' . 1.1.




,e lui
-rendre étranger


à jamais;


ssi le,
v rité incontestable.


Mais ce caractère lui man ue encore;
en attendant, de nouvelles




• •


iger jamais; et si dés complices frappaient,
q é


. • une découverte peut


•elles victimes, il n'y aurait plus de paix' -1
II.




( )
pour nous; nous aurions à gémir toute notre vie sous le poids du
remords et des suites funestes d'une impardonnable sécurité. .


Craindrons-nous, en votant la loi, de dresser, comme on
nous l'oppose, une sorte d'acte d'accusation contre la nation
entière?


Ses sentimens inépuisables, la profonde douleur dont elle est
pénétrée, la mettent trop au-dessus du soupçon , pour que nous
devions nous arrêter à un pareil obstacle.


Elle ne se dissimule pas que , comme toutes les nations du
monde, elle a aussi sou écume ; et il n'échappera pas à son dis-
cernement que c'est contre cette écume, et non contre elle, que
te gouvernement vous demande de l'armer.


Mais ces armes, ajoute-t-on, la loyauté les tiendra-t-elle
toujours? Une révolution dans le ministère ne peut-elle pas les
faire passer dans des mains oppressives ? •


Une révolution pareille ne pourrait être que l'ouvrage du
Roi,.et sa haute sagesse, ses sentimens bien connus ne nous
permettent de nourrir aucune crainte sur de semblables dangers.


Nous ne devons pas en nourrir davantage sur le mouvement
rétrograde et subversif dont l'imagination trop.active de quelques
orateurs a voulu effrayer la nation.


Des forces et 'des combinaisons bien autrement puissantes
que celles qu'ils supposent, sont obligées de s'arrêter-devant les
bornes de l'impossible, et l'impossible est ici l'argument sans
réplique contre les projets dont on est loin d'ailleurs d'avoir
établi l'existence.


Ecartons , messieurs, écartons les vains fantômes enfantés,
je n'en doute pas, par la bonne foi, mais qui ressemblent beau-
coup, quand on les examine de près, aux enfans d'une peur
trop légèrement conçue...


Ce n'est pas dans le temps où nous vivons, qu'un ministère
quelconque essaierait , sans se perdre à l'instant même, de
rendre à_ un régime qu'ils ne voudraient plus, vingt-huit millions
de-Français , investis,-de la plénitude de leurs droits, et résolus
à ne pas s'en laisser dépouiller.


Ce n'est-pas dans ce temps non plus qu'on oserait multiplier
des détentions arbitraires, comme moyen de succès d'une pa-
reille entreprise.


»uelqu'4 .-pe4.1 fondée que soit cependant la terreur qu'on vou-
drait nous inspirer à ce sujet, il n'en faudrait pas moins rejeter
Ittmesure qu'on nous propose, si elle ne devait rien ajouter aua
Moyens que le gouvernement possède déjà contre les dangers
que nous voulons prévenir.


( 11'5
Mais est-ce bien iérieusebent, mesSièiirk, qu'on s'obstine à


nous répéter 'sans cesse cette déplorable Objection?
- Je céhhais, comme un autre, les lacunes et les vices de notre


législation criminelle: J'ai aperçu le parti qu'un arbitraire cou-
pable pourrait impimeinent, peut-être -, en tirer dans certains
cas : mars à la vue d'es règleà d'instruction relatives au flagrant
délit, an* •enéiatiéns, aux plaintes, je n'ai jamais su conce-
voir qu'un n.:.gistrat pût, sans péril, disposer de la liberté d'un
de seà . éiiheitoyéns, sans des antécédens que la loi ait avoués
d'avatiee, cuises légitimes d'arrestation.


.


Mais èi k autrement, messieurs, est-ce d'ici que de-.
Trait partir une sorte d'encouragement à l'abus du pouvoir,
par la proclamation imprudente de l'impunité légale dè ses
auteurs?


Gardons-nous, gardons
-nous


d'un pareil langage; il pourrait
faire proMpteinent geriner,. sur plusieurs points du. pays ., le.
mal que ceux qui paraissent si soucieux de pré-
venir.


Je ne pousse pas plus loin mes réflexions à cet égard. J'en ai
assez dit pour être entendu; et, sans ajOuter autre chose en fa-
veur de l'adoption des bases dn projet qüi nous est soumis, je
n'attaquerai qu'une partie des reproches généraux faits aux
ainendemenS que -Votre commission wons propose de lui faire.
subir.


Que les adversaires dé tenté mesurecreiceptionreprochent
à ces amendemens, ainsi qu'au rapporequi en est le commen-
taire, de laisser beaucoup trop en danger le liberté indivi-
duelle, c'est dans l'ordre.


Qne d'autres kir reprochent de n'être qu'une parure de Par-.
hitraite , je le conçois encore.


Mais que, clans l'eXagératiCet
.de leur censitre, certains ora-


teurs aient• soutenu qu'ils rendaient la loi plus arbitraire dans
son application, et plus accablante dans ses effet; possibles
c'est ce (plie je n'ai pas pu concevoir.


Je réponds aux premiers, que la liberté individuelleà Pré-
munir contre tout dauber réel, et à phis forte raison contre des
dangers possibles, .est à-fait inconciliable avec un droit de
détention arbitraire, dans quelque main qu'il soit.


Je réponds aux seconds, qiié-biéli loin d'avoir cherché à dis..
si


muler l'arbitraire qui caractérisé essentiellement le projet
soit amendé, sert non' amendé, avons,


, au contraire, ex-•,
pressément déclaré qu'il én était le principal appui.


réponds aux derniers, avec lesquels le ministre du Ro; pa-




( 116 )
raissait ne' pas .être plus d'accord qu'avec la commission, quesi
celle-ci s'est trompée au point d'aggraver un joug qu'elle entend
alléger, rien n'est plus facile que de rendre à ce joug son carac-
tère primitif.


•}Notre objet, en opposant dans la Ui d'utiles barrières à la
possibilité de certains abus, n'est pas difficile à deviner : il fut
évidemment de prévenir une partie des inquiétudes qu'on n'est
que frop.disposé à répandre à la vue du premier article.


C'est ainsi, par exemple, que, pour exclure la recherche d'une
opinion simplement théorique, niais non empreinte d'inten-
tions ..coupables, nous associâmes, jans limitation de leur na-
ture ni précision de leur caractère, l'existence de faits quelcon-
ques, ,


connue condition nécessaire.des•rrestations qui seraient
ordonnées.


Hors de là, et d'après la rédaction du projet , des bornoies
moins loyaux •que ceux à qui l'exécution doit en être commise.,
pourraient faire arrêter le premier venu, sans qu'il se fût ,


donné ,*
aucun tort préalable, sans même qu'il se présentât contre lui la
plus. petite apparence de tort.
• Ce n'est là, ce me semble, ni rendre le pouvoir plus dur


dans des mains oppressives, ni l'énerver dans des mains pures..
- Ce n'est pas non plus ajouter à son- danger que de réduire les
causes qui peuvent en autoriser l'emploi, en retranchant les
faits qui concernent la• sûreté intérieure de l'état, de même
qu'une partie de ceux relatifs à la sûreté de hi famille royale.


Il èst vrai qu'on noie a reproché, d'une part, ce etranche-.
ment, tandis qu'on reproche de l'autre de ne l'avoir pas assez
étendu. •


Ces objections croisées sont sans force ; l'une parce qu'elfe ne
prouve pas que le droit commun soit insuffisant: en ce qui con-
cerne les faits retranchés. ; l'autre, en ce qu'elle est contradic7
toire avec son Objet fondamental.


Cet objetest de consacrer dans la loi spéciale tout ce qui ga-
rantit, d'après la loi commune, la sûreté du Roi et des personnes
de la famille royale; et il Méconnaît que le retranchement de-
mandé tombe sur des dispositions expressément établies pour
cette sûreté. •


J'abuserais de vos momens, messieurs, en réfutant avec quel-
que soin la critique.plus qu'amère, subie aussi. par le rapport
de la commission lins la partie•qui se rattache soit aux docu-
mens qui nous ont. semblé devoir précéder l'interrogatoire, soit
à la connaissance à donner à un individu qu'on relâche , des
causes qui avaient donné lieu à sou arrestation.


( 117 )
Sur ce chef, comme sur un précédent, je nie borne à répéter


que danger possible et liberté suspendue merdent toujours SW
7177é «n'one parallèle ; que votre commission ne possède pas les
moyens d'empêcher que l'arbitraire ire soit l'arbitraire, et que
quand il y a nécessité de l'employer, y a nécessité aussi ,
quelque précaution qu'on prenne, d'en subir la coxiséquence
inévitable.


M. le président lit l'article r.er du projet .de loi , et l'ar-
ticle . er amendé par la. commission ; rappelant ensuite les sous-
amendemens , il annonce que c'est .d'abord .sur les sous-amen-
demens que devra se porter la discussion.


Il rappelle celui de M. 'Torrpot, tendant à modifier l'amen-
dement de la commission. Cet amendement n'est pas appuyé.


M. Harle'. Je l'appuie !
M. Manuel. L'amendement étant appuyé , la discuss ion


peut s'ouvrir sur les articles.... Plusieurs membres de la gauche
réclament la parole.


M. le ministre de•'intél'ieur demande ?l 'être entendu.
M. le comte Siméon. Messieurs, les amendeinens sur Par-


ticle i.er du projet, soit. celui de Toupot , soit celui de
la commission, Me paraissent à-peu-près annuler le but- de la
loi proposée. Cet amendenient n'accorderait au gouvernement
que ce qui appartient de droit cominuriuu, ministère public.
Toutes les fois que par des discours, des écrits, des. menaces,
des faits quelconques, on est dans-le cas d'être inculpé d'atten-
tat ou de complot, orr est soumis à l'action de la justice..Nous
vous demandons un ponvoi• arbitraire, ainsi que. Pont appelé
plusieurs de ceux (le nos honorables collègues qui appuient le
projet de loi, et que j'appellerai plus exactement, peut-être,
discrétionnaire.


Ce n'est pas un discours, Un écrit, une menace qui doit nous
autoriser icarrêter et détenir nn individu ; ce ne sont pas les cas
prévus dans cette section du Code pénal ; c'est , en général,
toute machination quele.cOnseil des mi nistres, opinant comme
juré, jugera assez dangereuse pour que leurs auteurs soient non-
seulement arrêtés, niais détenus, sans qu'il soit nécessaire
les traduireen justice.


On a parlé.avec 1111 feint mépris des renseigneinéns que nous
avons donnés. Ce sont, a-t-'on dit, des rapports de, police. Et
quand ce sêraiend des rapp•es de police, je voudrais bien qu'on
nie dît si l'on conçoit un état, é elle
n'est


société,
sans police . et si une


d la
ans pas l'oeil de tous les gouvernemens. Sans doute il y a


l police, comme dans le corps humain , des ressorts et




( 118 )
des fonçtions auxquels. s'attache une sorte de pudeur et de
honte, sans qu'elles cessent pour cela d'être elles et né.ces,.
saires à son existence ; mais ce n'est point des résultats de sim-
ple, de basse police, ainsi qu'on s'est plu à le dire, que je vous
ai présentés. J'avais dit (pie les faits étaient la plupart constatés
par des procès-verbaux. C'est le résumé de la correspondance
des préfets et des procureurs-généraux que je vous ai fait con-
naître ; et certes s'il était dans nos usages et dans nos pouvoirs
de faire des enquêtes, comme on en fait en Angleterre


• , quels
autres témoins auriez-vous entendus ?N'y a-t-il de témoignages
suspects que ceux dès agens du gouvernement? «assertions
croyables que celles de ses ennemis? J'aurais , pu produire des
placards séditieux affichés suc divers points ,


éloignés de la
tale, et dans quelques-uns desquels on retrouve les, sentimens
exprimés dans la lettre de Lucet. Ces chansons, dont on a parlé
avec tant de mépris, sont, à mesure qu'elles se répandent,


au-
tant de mots d'ordre et de reconnaissance: c'est avec des chan-
sons que l'on préluda aux excès de 1 793; c'est avec les chants
de la Marseillaise qu'on les consomma.


p
Ceci n'est point étranger à l'amendement que je combats. Le


ouvoir discrétionnaire que donne l'article 1
• er (ln projet et


que l'amendement veut niai-à-propos restreindre, est appuyé
par les renseignemens•que j'ai donnés. Ces renseigneinens sont
fondés sur les rapports les plus authentiques, ou, rien ,


ne peut
l'être de la part. du gouvernement. J'ai dû les: donner, puisqu'on
les demandait. Il était sans doute dans le droitde ceux quiçoin,
battent le projet, de chercher à les atténuer ; niais jene sais si
ce droit de réfuter le ministre et son opinion, et. les moyens dont
il l'appuyait , devaient s'étendre jusqu'à sa personne. Quoi qu'il
en soit, aux leçons, assaisonnées d'une certaine bienveillance,
qu'on a bien voulu donner à ,


ma vieillesse, j e répondrai qu'on
s'est trompé, lorsqu'on a cht que j'aurais, comme député, re-
poussé, le projet que je défends comme ministre. Une.opinion
imprimée que je fis distribuer dans la discussion de.la loi du
3 2


février 181 7 , atteste que je défendis la même loi que je dé-
fends a Ajourd'hui. Qu'on nie réfute, niais qu'on ne m'accuse pas
de changer,


môn opinion avec mes habits. Les reproches pers'on.r.
nefs qu'on m'a faits, et qui m'ont, semblé sortir des borties de
la discussion, m'autorisent àdire qu'il n'est pas vrai que je dé-
mente ma vie quand je remplis mes devoirs. las scipt„ gomme
député, de voter selon mes lumières, et nullenienP an gré de
eenk qui arrogent à leurs , o i rC3 le titre d'opinicer% publique.
Mes devoirs sont cemme min -tre de répondre à la confiance


7


( 119 )
dont le Roi m'honore, et de ne pas chercher dans une vaine et
fausse popularité des éloges que ma raison et. ma conscience re-
pousseraient. Je vote contre l'amendement.


M. d'Argenson. M. le ministre de l'inférieur, en prenant la
parole « sur ce premier article, est rentré dans la discussion de
l'ensemble du projet de loi : ce qui était inévitable , puisque ce
premier article est lui-même la loi tout entière. Je m'autorise-
rai de son exemple , et j'userai du même droit que lui, niais avec
ménagement.Quels que soient les efforts de la flatterie, de l'esprit de parti
ou de la ruse, fût-elle dégradée par la censure, ren-
dra témoignage des faits quii se sont passés sous nos yeux, du
iugement


qu'en ont porté les peuples.
Après nos revers de 4, le sénat fit une constitution; le


lieutenant-général du royaume, nommé par ce corps.... (Mur-
mures , interruption du côté droit. )
.* M. d'Argenson continue. Par un décret du. 14 avril 1814,


inséré an Bulletin des Lois, le sénat déféra le gouvernement
provisoire et le titre de lieutenant-général du . royaume....


Une voix d droite : Il n'en avait pas le droit l ( Nouvelle in-
terruption. )


_M. d'Argenson. Messieurs, je n•avance rien sans y avoir
bien réfléchi. J'ai mûrement pesé toutes les expressions 'dont je
ferai usage. Ceux qui m'interrompent pourront y répondre et
nie prouver que j'ai -eu tort de les employer, je le reconnaîtrai
volontiers. Mais jusque-là je déclare que je n'en désavoue au-
cune, et je réclame la liberté dont tout. membre de la chambre
doit. jouir à cette tribune.


Le lieutenant-général du royaume, nommé par ce corps par
un décret du a 4 avril i814, indiqua les bases•d'en acte consti-
tutionnel; l'a déclaration de Saint-Ouen le garantit, la solennité
du 4 juin. le proclama. -


Quell jugement porta la nation sur cette suite d'événemens?
Elle fut convaincue que dès-lors les droits de la couronne repo-
saient sur la charte , el. en étaient inséparables.


Parmi les dispositions prisicipales de. cet acte fondamental ,
Yen distingue trois, sans lesquelles il n'y aurait plus pour tousde charte , qui suffiraient seules pour tenir lieu• du-reste . ; réalité
d'une représentation. vraiment nationale liberté dé la presse,
sûreté des citoyens, qui ne peuvent être distraitS• de leurs juges'
naturels.


Et qu?on ne vienne pas. vous- vanter quelques particularités
accessoires, telles que l'oubli des votes e•opinions Pirrevoca-




( 120 )
Mite des ventes nationales, etc. C'est offenser la nation que.de
supposer qu'elle attache une importance exagérée à des intérêts
aussi secondaires. Ce n'est pas la nation française qui a besoin.
d•ainnistie, et quand elle sera légitimement représentée, elle
saura bien faire respecter les actes de sa puissance.


Portons maintenant nos regards sur un autre point de vue de
notre situation politique.


Aujourd'hui encore, et depuis cinq ans, les ministres, par
une négligence hautement coupable , privent la •nation et le
trône de la garantie que la liberté de l'une et l'inviolabilité de
l'autre ne peuvent obtenir que d'une loi Organique de la respon-
sabilité de• tons les agens du pouvoir, loi qui ne sera complète
que lorsqu'elle aura mis nos droits constitutionnels à l'abri non
seulement des atteintes dont ils seraient l'objet par des actes
illégaux, mais encore de celles qui pourraient leur être portées
par l'usage de l'initiative royale, puisque cette initiative ne sau-
rait être exercée sans le conseil et la participation des ministres :
loi qui doit. être tellement précise, claire, impérative, qu'elle
ne laisse à la majorité d'une chambre , quelque docile qu'ont,
puisse la supposer, aucun prétexte pour négliger de poursuivre
des ministres coupables, et qui aurait ainsi prévenu ,.par la cer-
titude d'une inévitable accusation, non, comme l'a dit 'un ora-
teur, le scandale de cette discussion , mais celui de l'odieuse
proposition qui; y donne lieu : lei enfin qui donne une sexis-
tence évidente, incontestable, palpable, an dogme politique qui
s'exprime par ces mots : Le Roi ne peut avoir tort:


Et c'est lorsque les faits historiques que je viens de rappeler
sont encore récens , lorsque les conséquences qu'on en peut ti-'
rer sont gravées dans presque tous les esprits, lorsque toute la
France sait que la responsabilité ministérielle n'est qu'un vain
mot, que d'imprudens ministres ont osé concevoir l'audacieuse.
pensée de frapper d'un même coup de foudre la: réalité de la re
présentation nationale, la liberté des personnes, la liberté de la
pensée !


Les réflexions qui auraient dû les retenir, c'est à vous, mes-
sieurs, de les faire. Voyez les dangers où ils sont réellement..
Gardiens de tous les intérêts, jugez quels sont ceux que vous
avez à préserver aujourd'hui des périls auxquels peuvent exposer


je
j
trop- de. témérité , <le confiance et d'aveuglement. e vote le re-
et de cet .


article et des suivans , ainsi que des amendemens de
la commission-.


M. de Saint-,hilaire: J'accepte le projet
, parce que.


n'ai pas la force de le refuser, parce- que ce serait,vottkir.


sat • )


qu'un frère ne demande pas des garanties pour son Roi, un fils
pour son père, une épouse pour sou époux, une auguste
l


fa-


entier.
mille pour sa sûreté , qui est celle de l'état tout


Je ne saurais dire que de' telles alarmes sont désormais chi:-
mériques ; je ne saurais dire qu'il n'y à point de danger à re-
douter, quand, depuis vingt-cinq années, huit membres de la
famille royale ont succombé, les uns sur l'échafaud, un autre
empoisonné , deux autres . déchirés et traînés dans les rues de
cette capitale, d'autres fusillés dans les cachots, un antre enfin
poignardé dans un jour de fête! ( Très-vive sensation. )


dernière,Un de nos honorables collègues a dit, dans une dernière,rn
séance. , qu'il voyait: un orage se former, et qu'il ne pouvait . mé-
connaître les signes de grands malheurs. Je n'accepte pas, mes-'
sieurs, ces sinistres augures ;. mais vous ne pouvez pas rester
étrangers aux circonstances difficiles qui vous environnent. Je
ne parlerai pas de la contre-révolution, qu'on vous a peinte.
comme méditée, et comme menaçante; mais je crois qu'il y a à
redouter une réaction possible, et que si elle avait lieu , elle me-
nacerait en effet le trône et l'état des plus grands malheurs.


M. de Lafayette a dit'que nos malheurs étaient dus peut-être
moins à la perversité et à la folie, qu'a la faiblesse; j'ai accepté
cette leçon pour moi. 1 est arrivé sans doute bien des événe-
mens malheureux occasionés par la faiblesse des gens de bien;
mais ce n'est pas une raison pour abandonner cette ligne inter-
médiaire ennemie de tous les excès, et pour accuser ceux quine
veulent pas s'en écarter : elle peut appartenir à une fausse On-
tique; mais on peut y erre maintenu par sa conscience et il y a
quelque courage à denieurerinébranlable dans un poste où l'on
est attaqué de tout le monde, et où l'on s'est défendu en per-.
zi01111C. (Nouveau mouvement. )


M. Dupont (de l'Eure) a dit que l'histoire ferait justice de
cette politique incertaine et vacillante : nous attendrons ce ju-
gement de l'histoire; mais si elle est impartiale et fidèle•, elle
ne désignera peut-être pas comme les plus véritables amis de
la liberté ceux qui se sont montrés d'une constante intolérance
pour les opinions modérées, ceux qui ont sans cesse harcelé le
pouvoir au moment . où il s'efforçait de tenir la balance entre les
partis, et de les comprimer également en les sauvant de leurs
propres excès ; ceux enfin qui ont compromis les institutions les
plus chères à notre pays, en en faisant un si déplorable usage.
(Nouvelle et vive sensation.)


Ainsi, messieurs, on ne peut en appeler ici qu'à votre con-




1 23
science; il s'agit, je le sais, de tout sauver ou de tout perdre :
s'il arrivait que les ministres ne justiEent pas mes espérances ,
s'il arrivait que les pouvoirs que la loi proposée peut leur donner
devinssent entre leurs mains, ou dans celles de leurs succes-
seurs, des instrumens de haine, de vengeance et de persécution ;
alors, je l'avoue, sua conduite serait blâmable, et je la blâmerais
moi-même; mais j'aurais la consolation que si les jours de la
persécution arrivaient, j'en serais avec ce que j'ai de plus cher
-une des premières victimes; j'en ai pour garans des haines bien
connues, et que je ne chercherai certainement jamais à calmer.


Je vote pour le projet de loi présenté pàr le gouvernement.
. Demarray. Messieurs, je n'ai point été envoyé ici pour
défendre les intérêts du trône proprement dits. (Des éclats de
rire et des murmures interrompent à droite ).... Messieurs, dans
la dernière séance, un membre l'ut menacé du rappeIà l'ordre,
parce qu'on ne lui avait pas permis d'achever sa phrase, et
quand il eut achevé, on reconnut qu'il n'avait rien dit de blâ-
mable.— Je répète que je n'ai point été envoyé ici pour dé-
fendre les intérêts• du trône proprement dits, suais ceux dis
peuple. Le trône trouve dans la charte des moyens de défense


q
et de conservation directs, et je ne dois 'm'en occuper qu'autant
u'ils se trouvent liés aux droits des citoyens. Dans la circons-


tance actuelle, je ferai cependant abstraction de ceux-ci, et je
parlerai presque exclusivement dans les intérêts de la couronne.
(Le silence se rétablit. )


La mesure que l'on nous propose , et dont le but est de violer
la charte, ois, si vous le préférez, d'en suspendre l'exécution,
est bien plutôt un attentat contre le Roi que contre l'a charte
elle-même. Les principes dé celle-ci sont gravés dans tous les
coeurs français : ils peuvent cesser d'être en action, niais ils
reviendront; tandis que le pouvoir du Roi peut succomber sous
de semblables attaques.


Comme on vous l'a très-bien dit, les go
-
uvernemens- ont en-


core plus besoin de la force morale que de la fonce physique.
Cette dernière est:une conséquence de l'autre. Un gouvernement
aura la force morale quand il marchera. avec •epinion.


Cette opinion publique- de laquelle chaque parti se dit ap-
puyé, sans peut-être croire à cette assertion , est cependas,11
bien facile_ à reconnaître. Elle a été, elle est et sera toujours
une conséquence des intérêts du plus grand.


nombre. ramonr.
de la patrie, de la gloire, de son Roi, de son général, ont par-
l'Ois produit de très-grands effets, et je crois la nation française
aussi susceptible qu'auçune autre d'en ressentir les impressions,


( 123 )
Mais remarquez bien, messieurs , que ces sentimens résultent
des passions mises" en jeu, et l'effet des passions- est toujours
passager et peu durable. S'il se prolongeait par trop., les nations
comme les individus succomberaient sous ces, effets violons.


Ce n'est point sur des impressions passttOres, de leur nature
que les gouvernemens doivent fonder leur existence, mais sur
des sentimens durables et iesere1,1,S A, 1,0‘, nature humaine. Ils
doivent aujourd'hui repriser toua sur des intérêts matériels et
calculés. Ces idées, ne. scust pas, poétiques, mais elles sont vraies.
`Fout gouvernement. qui , ,e anne pus. e-wc ettStyest& la garantie
de ces' droits, est nééessaireeee un gouve•n,emee.chancelant
et peu durable. Le sol de la patrie est Oser a. tous les hommes;
les Français ont donné- et . desment tous les jours d,es: preuves
d'un grand attachement à la personne. du. Roi ' ;. mais croyez-
vous qu'ils persévérassentlenoemps, dans ee&sentiMens, s'ils
n'avaient . l'espoir d'être lie. nretts3t, 4/,1.: le sol, natal, et d'éprouver
la protection bienfaisante d,u souverain ? Croyea=vous, mes-
sieurs, que le projet de loi, qu'on vcius • propose tende à fortifier
ces sentimens chez nous? quoique je sois forcé de corsvenir qu'il
eût été fort commode de faire tale les indiscnets au moyen de
la censure, de faire dispmdtv le candidat désagréable envertu
du projet actuel , et d'être assuré du vote des électeurs. timides
dans les collées. électoraux, par l'heureuse• composition des
burésux.


Quand veut-ou nous priver des droits. dont, nous : axons, suie
pleine connaissance, qui ont été prochtmes, tant de- fois parmi
nous, et dont, à differens intervalles, , noms; avons. jo.ui dans
toute leur plénitude ?. C'est quand notre expérience nous. a
prouvé que les. nations' seules_ qui ont joui dela. liberté ont été
puissantes et heureuses.
". Si ce que nous avons souffert depuis trente ans lieus fût ar-
rivé sous l'ancienne monarchie, notre. population, se, trouverait
réduite à moitié ,et plongée,


dans une misère dont - il; serait dif-
ficile de se faire ridée.


sommes., att, contraire ., sortis do
cette lutte inouie el: sans exemple„ ,


pins:forts , plus riches, plus
éclairés, et je ne crains pas. .de le dire, meilleurs que nous:
sommes entrés. Qui de nous niera,• que ces. conséquences ne
Soient dues ?i la révolution et à.l.sliberte,?,Et ce sont lesliornmes.
qui savent tout cela,, quilo sentent, qui l'éprouvent à chaque
heure, à chaque instante , que .


vous- prétendez. ramener tous à
•la ntonarchie.abseine ai;itée:


par, les..turbulentes prétentions de
l'oligarchie! Je vous laiss


.e..à penser si ces projets.. sont dénués,
' de . raison :s'• ls sont .


exécutables. Cette. 'cluktukse entière .. les-


à




( 124 )
trois branches du pouvoir législatif adopteraient à l'uranimit


r


s


le système de gouvernement dans lequel on vous entraîne, qu'il
ne serait que passager, et finirait par le brusque renversement
d'un ordre de choses si contraire aux intérêts de la société. Je
dis plus, la totalité des Français- y donnerait aujourd'hui son
assentiment , que la catastrophe n'en aurait pas moins lieu,
parce qu'il est impossible que les hommes veuillent pendant
long•temps ce qui est contraire à leur bonheur.


croit-on que l'Allemagne, si elle n'était, depuis long-temps


j
divisée en une foule de petits gouvernemens rivaux, si elle eût
oui de ses droits, même pendant très-peu de temps, se fût


soumise aux impolitiques mesures arrêtées à Carlsbad. Voyez
l'Espagne, la moins avancée des nations de l'Europe, par rap-
port à l'état des lumières et de la civilisation; elle a connu la
liberté, elle en a joui un instant, elle veut la recouvrer aujour-
d'hui. Cependant son gouvernement a suivi précisément les
mêmes erremens dans lesquels on veut nous ramener; il n'avait
même pas le tort d'avoir donné une constitution libérale; il n'a
fait que rejeter celle que les cortes voulaient lui imposer ; elle
n'était pas son unique ouvrage', il ne l'avait pas solennellement
proclamée; il n'avait pas plusieurs fois juré de la respecter, et
moins encore mise à exécution. Cependant la nation réclame ses
droits; le gouvernement est sur le bord de l'abîme, et s'il ne
succombe à cette attaque, il périra incessamment sous un autre.
(Des murmures s'élèvent à droite.)


M. Cornet-elneourt. M. le président, c'est un manifeste
contre le roi d'Espagne que nous entendons ici, et non la dis-
cussion du projet de loi.


M. le président. Il est impossible de rouvrir la discussion
générale, j'invite l'orateur à se renfermer dans la discussion de
l'article 1.. er du projet de loi.


M. de Chauvelin. L'article i . P r est tout le projet de loi.
21. Demarray continue. C'est la nation française qui e ces


exemples sous les yeux, qui a des droita.aequis dont elle est en
pleine jouissance; c'est cette nation vive, spirituelle, belli-
queuse, et même un peu turbulente et inquiète dans les temps
passés., mais que l'expérience de la liberté a rendue sage, polie
et réfléchie, que vous voulez ramener à l'état d'où les Espagnols
veulent sortir, car ce sont là les idées du jour, on ne peut le
contester ! Et vous osez le prétendre'. imprudens qui compro-
mettez de .si grands intérêts, que la lenteur de l'action qui se
passe au-delà des Pyrénées ne vous rassure pas. La cause de la
ii.b.erte, n'agit que sur les hommes qui connaissent leurs droits,


( 125 ) .
le nombre en est encore peu considérable dans la péninsule, et
leur succès ne sera fondé que sur l'extrême justice de leurs pré.-
tentions, tandis que ce nombre est immense en France. On a
voulu nous faire un crime des voeux que l'on formait pour la
délivrance de cettenation généreuse. Quel homme assez injuste
pourrait opposer l'impunité de quelques avens du pouvoir ab-
solu , à la proscription et à la mort de plusieurs milliers
d'innecens!


Je ne .suis point inquiet sur le résultat de la lutte que vous
engagez aujourd'hui, je n'ai aucune crainte sur le sort de la li-
berté; mais le choc qui en résultera m'épouvante. (Murmures
à droite.) «Je puis, nous pouvons tous, ainsi que les personnes
qui nous sont les plus chères , .en être les victimes. Que dis-je ?
nous en avons la presque certitude. Aucune révolution ne peut
e-voir lien sans excès, et les hommes sages et modérés qui ers
sont toujours les enhemis , sont les premiers frappés. Nous avons
été persécutés en 93, nous l'avons été en 1816, nous le serons
encore dans des circonstances semblables.


Je conçois que les malheurs que nous redoutons ne sont pas
prévus de ceux qui provoqpent aujourd'hui l'anéantissement de
nos droits ; niais le mouvement une fois donné, espèrent-ils pou-
voir l'arrêter, ou même le modérer.à leur volonté ? Ne voient-ils
pas quels ressentimens exciteront leurs premières erreurs, et
ne chercheront-ils pas, par honneur comme par raison de sûreté,
à les comprimer bienpluS qu'à en détruire la cause.? Vous vou-
lez, dites-vous, revair au calme et à la . tranquillité; et c'est
par la tempête que vous voulez y arriver ! Vous voulez qu'on
apprenne à faire un usage plus modéré de sa-liberté et de ses
discours; et c'est en nous bâillonnant, en nous plo:seant dans
les cachots, que vous voulez nous y accoutumer! (On rit à
gauche.) Croyez-vous enfin que le gouvernement aura moins
d'ennemis quand vous aurez fait passer vos trois projets de loi?
Croyez-vous que cette nouvelle disposition des- esprits soit plus
propre à prévenir le crime qu'uu système modéré et consti-
tutionnel?,


Je ne - pense pas, messieurs, qu'on puisse:, avec bonne foi et
réflexion , contester la vérité de ce que je viens de vous dire.
Je vous ai fait entrevoir l'effet, à mes yeux inévitable, qu'au-
ront les mesures qu'on vous propose. Supposez que le résultat
n'en sait qu'éventuel vous qui proclamez le désintéressement
personnel, et un attadiementIllimité ,nanteégr.enastidYlaà
croyez-vous qu'il soit prudent de l'exposer à de tels


de s dangers?
. que l'avantage de réàner 'constitutionnellement sur la jation




( 126 y'
. .


.française , de jouir d'une listé civile de quarante millions , de
pouvoir 'contribuer, d'une Maniéré e directe, au bonheur de
trente millions d'hommes , soit :un si mince avantage et si
facile à remplacer, qu'on doive le Ciamprbinettre pour des


. inté-
rêts contestés, -incertains, et en réalité, Sentpresque tous
d'amour-propre?


On nous a, depuis quelque temps, laissé prëSsentir
fluence de l'étranger, qui exigerait la coopération dü gOnVer-
liement français-a ses masures anti4ibéralé8; ( Kix d droite :
A la question 1) et afin que les craintes


.
S'accrussent daitS le


vague et! dans l'ignorance, on a employé tente son influence
prévenir les discussions sur cet objet, sens' prétexté qu'elles
étaient dangereuses-1 Je n'e);anlinerai lias si, comme on le dit,
le gouvernement français a protoqué cette influence. Je veux
croire le contraire. Toujours est-il *rai Tee je ne vois aucun
danger à examiner la situation des pniSsanees étrangères par
rapport à nous. (Nou-feaüt mutin-tira.) (»and on n'a que des
intentions amicales envers l'es mattes, S. disenssion.ne peut les
blesser, Le succès de tonte •guerre à soutenir par la


. iiation fran-çaise serait dans la question
-de savoit.si ejlè éSt juste ou injuste,


nationale ou asti-nationale. Des le premier cas, le succès serait
certain; dans le second', il 'serait plus que


S'il'étranger
a deux: fois envahi Yrdfre territoire, c'est parce que nous n'avons
pas votrin le défendre. On. doit «bit pie jamais nos voisins
n'oseront.nous attaquer, dans lé seul bilteénipèclier le peuple
français d'être libre et indépendant. Cela ne peut être mis en
dotite, puisque la charte est garantie par les traités.


Ne pourrait-on pas dire aux partisans du projet de loi : titis
ne voulez, dises-vous, qteaSstrtet et garantir à la nation ses
droits et ses libertés! ét depuis éprouve votre influence,
vous n'avez cheeché qu'à l'en priver; TOUS avez conspiré contre
la charte du jbut elle vous a été connue. Les promesses que
vous tons faites, il ne dépend pas de vous de les tenir, cela
serait contraire à la nature Jerne des choses. il est. impossible
que les hommes contre qui a été Lite la révolution; qu'elle
blesse dans leurs intérêts, dans leur amour-propre, dans ce
que les hommes <>utile purs Cher, en deviennent les amis; eux
etlenrs enfans seront contraies dits droits qu'elle a reconnus
et .aux.intleta qu'elle à predbit


.S. ectus avons, à la vérité, de
beaux•exentples du contraire, niais ce ne sont Glue des excep-
tions; et Si les pères sont. pour nous, nous ne pouvons encore'
compter. sur leurs enflins; et vous voudriez que la nation au-
ztise


remît ses• plus; chers-intérêts ,.vous donnât une pro-


( 127 )
curation illimitée! La force seule pourrait l'arracher, elle serait
révoquée le lendemain.


Vous parlez de conserver les droits nationaux, et vous, vous
attachez avec une. force invincible à toutes les institutions illi-
bérales du dernier gouvernement. Il avaitvétabli les majorats;
vous les multipliez. Les plus circonspects d'entre vous réclament
indispensablement le droit d'aînesse. Vous provoquez le réta-
blissement des couvens, des confréries sous toutes les dénomi-
nations, de toutes les couleurs, d'hommes et de femmes. Tout
ce qui tend à éclairer le peuple, à le rendre digne de la liberté,
est par vous proscrit et repoussé. Vous vous indignez de ce
qu'on veut mettre les armes à la main de tonte la nation, quand
NOUS savez très-lien qu'une nation ne peut être libre pie par
ce moyen. Enfin, si quelquefois vous prenez le masque de l'in-
térêt public, c'est uniquement quand vous le croyez favorable
à l'intérêt de quelques familles privilégiées, et à l'affermisse-
ment du pouvoir absolu que vous volts réservez d'exploiter.


Permettez-moi d'ajouter quelques réfutations à ce qui vient:
d'être dit. M. le ministre de l'intérieur Vous a dit que les mi-
nistres jugeraient comme jurés; mais, messieurs, les jurés ont
les accusés sous les yeux; ils prennent connaissance des faits ,
des dépositions, et des pièces qui s'y rapportent ; ruais quand
il s'agira d'examiner la conduite ..d'un citoyen habitant un dé-
partement éloigné, les ministres ne pourront s'en rapporter
qu'à leurs agens. Or, ici, quelle garantie, quelle confiance
peut-il y avoir?


Mais, dit-on encore, quel reproche n'aurions-nous 'pas à
nous faire si. nous rejetions le projet et qu'un nouveau malheur
arrivât! Mais, messieurs, il est démontré que la loi même exis-
tante n'eût pas prévenu un crime semblable et commis de la
même manière.


Je ne parierai pas de la lettre . qui e été citée par le ministre.
nous faut d'autres faits pour nous convaincre ; et quand on


cite des faits, il faut citer les lieux , les personnes , lés témoins.
et les circonstances ; il faut citer tons les.renseiimernens
pensables. Or, messieurs ., M. le ministre de l'intérieur n'a rien.
cité.


Avant d'entrer dans l'examen plus particulier du projet de loi
(des murmures éclatent à droite et au centre ) , je crois devoir
aux électeurs qui m'ont nommé, à leurs intentions' bien con-
nues, à moi-même, de déclarer ici qu'ayant fait serment d'o-
béissance à la charte constitutionnelle, comme: électeur et
comme député, il m'est impossible de voter pour le ,projet de




( 128 )
loi qui nousest présenté ; que je ne-pourraisle faire qu'aiitant
.


aue le salut de l'état, la conservation de cette même charte, et
celui de la dynastierégnante seraient compromis d'une manière
parfaitement elaire , et rééonnue par la presque totalité de la
chambre; - que non-seulement cette vérité ne m'est pas démon-
trée, Mais qu'au contraire le projet de loi actuel et les deux
autres qui vont. le suivre, ne tendent qu'a donner une existence
À-Celle à des dangers prétendus. Je.- proteste en conséquence ,
autant qu'il est:en moi, contre l'adoption de ce projet, et que
si je prends part à la présente discussion, cc n'est que pour éviter
de plus grands maux.


L'orateur conclut en déclarant qu'il vote eontre l'article, mais
en présentant les sons-amendemens qu'il croit ,devoir proposer
aux amendem eus le commission..


M. de Puymaurin demande la parolé.—On demande à droite
la clôture de la discussion.


M. Benjamin-Constartt. Il nie 'semble que ceux qui deman
dent la clôture de la discussion sont daIS,Perrenr; on peut dire
qu'elle n'est pas buvette, onit"a'p,, nebre parlé sur l'art. .er.
Je demande que M. de Puytriatirin soit e;Utendu.




_M .
de I) uynauri n Je-n'attache aucune gloriole à mon -opi-


rtiW. (On rit:Y Si la chambre" veut fermer la discussion, je
re ace la F . ,1 e. ( Voix gauche : Pariez ! parlez!)


Corner:-dincoUrt. La discussion, n'a pas encore été




de Villèle. Il faut parler sur l'article, ou 'décl'ar
de


nonteau.que.la:disqussion • énéride est fermée.
M. le président renon à MM. les orateurs Pin-% ion de


se renfermer-dans la disc, ,lide ,er
1V1
. çk Puymaurin. 141,: leurs, je demande le -•ain;le.i de


rartielet ,çr tebcpiele ministre du Roi l'a présent(' - lc.fegsrde
Comnie.essentieLà la conservation de


abw•• (.•••
ment actuel du Roi: est dans Ifurn'elitè, •i etadk eou-
liernemen -rey cn .1 7 92. On conspir:.
il le savait, et ne.pouvait l'empêcher. 20 jnin-4yait dévoilér
les-desseins des factieux, comme le sinistre 1.3 Iii'rier 18'2C,
dévoilé .ceux de la faCtionrégicide- qui eut détr u ire la Monarchie
et l'auguste maison des Bourbons; un monstre, en gssassinant
le duc de, Berri, a détruit l'espoir de la France::
toute une dynastie..Je nie (trouais complice des nouveaut,Louvel
qui menacent la vie_ denotreIOn (Roi et de son -auguste
si je votais l'article tel qu'il a été mutilé par la commission.


( 129 ) .
Le héros victime, le premier martyr de la nouvelle révolu-


tion, le magnanime duc de Berri, veillant sur les destinées de
la malheureuse France, vous dit du haut des régions célestes :
Sauvez le Roi, sauvez la France, sauvez les Bourbons !


Je demande le maintien de l'article tel qu'il a été présenté par
le gouvernement, et je vote pour la loi sans aucun amendement.


M. Daunou. L'article I . er porte que les arrestations et dé-
tentions auront lieu en venin d'ordres délibérés dans le conseil
des ministres et signés de trois ministres au moins. Je demande
à la chambre la permission (le lui exposer quelques doutes sur la
régularité et l'utilité de cette disposition particulière. Je ne viens
point parler ici de responsabilité légale ; il n'en saurait exister
aucune à l'égard (l'actes purement arbitraires. Mais quand la
responsabilité légale est impossible , n'importe-t-il pas de con-
server cette responsabilité morale ou de simple opinion, qui ne
peut guère-acquérir d'efficacité que lorsqu'elle s'exerce sur un
seul homme, ou qui du moins perd sa force réprimante à me-
sure que le nombre des solidaires s'accroît? Voilà , si je ne m'a-
buse , voilà pourquoi, dans l'ordre commun, toute ordon-
nance, tout acte du gouvernement est signé d'un seul ministre,
qui , par-là , le produit comme son propre fait , et s'en constitue
personnellement responsable devant l'opinion ou devant la loi.
Loin que j'aperçoive dans trois ou (lustre signatures des garanties
de plus pour les personnes que ces ordres doivent atteindre, je
n'y vois qu'une exception nouvelle au régime commun , qu'un
partage de la responsabilité, qu'un moyen de la rendre plus
vague et plus faible. Assurément il n'est point d'autorité plus
respectable et plus auguste qu'un conseil qui délibère auprès du
trône , et quelquefois sous la présidence du monarque. C'est le
gouvernement proprement dit : c'est le centre d'où émanent
tous les actes du pouvoir suprême. Mais le caractère éminent de
ce conseil l'affranchit, à mes yeux, de toute responsabilité, et
semble étendre en quelque sorte sur lui l'inviolabilité du prince
qui le préside. Je crois aussi que de leur nature ses délibérations
sont secrètes , que les résultats n'en deviennent publics qu'en
prenant la forme ou d'un projet de loi, ou d'une ordonnance
contresignée par un ministre , ou enfin d'un ordre, d'une déci-
sion ou d'une instruction émanant de l'un des départemens mi-
nistériels. En admettant comme actes publics. reconnus par la
loi , des ordres qui s'intituleront délibération du conseil des mi-
nistres ,. je craindrais de dénaturer les fonctions ministérielles,
et d'altérer l'une des formes essentielles du gouvernement mo-
narchique.


9




( 13o )
Toutefois, messieurs, quand je vous propose ces doutes, je


n'hésite point à rendre hommage à l'intention qui a dicté cette
disposition du projet. On a craint de confier à un seul homme
un si terrible pouvoir; on a considéré les délibérations du con-
seil, et la triple ou quadruple signature, comme des limites ou
des garanties; et sans contredit si, dans l'intérieur et dans le
secret du gouvernement, il est convenu qu'aucun ministre
n'exercera jamais ce pouvoir qu'en vertu d'une délibération pa-
reille, cette précaution sera tout-à-fait digne de la sagesse du
gouvernement. Mais je crois qu'elle est du genre de celles que
la loi ne peut ni ne doit prescrire. Je crois aussi qu'en la ren-
dant légale et publique, vous placeriez dans une position beau-
coup trop défavorable les individus qui subiront ces arrestations.
Remarquez, messieurs, qu'ils peuvent être mis en jugement :
voulez-vous qu'ils s'y présentent déjà frappés par deux délibé-
rations du pouvoir suprême, dont la seconde aura 'été prise
après.un plus. mûr examen des interrogatoires , mémoires, ré-
clamations et autres pièces? Et dans le cas où sans traduire en
justice, les ministres, par leur seconde délibération, prolonge-
raient l'emprisonnement, ne serait-ce pas là une véritable peine
judiciairement appliquée par un conseil auquel nos maximes et
nos institutions n'attribuent aucune fonction judiciaire ? Ne fai-
sons pas, de ce conseil révéré une sorte de conseil des dix; et si
nous croyons que les circonstances exigent l'exercice momen-
tané d'an pouvoir arbitraire, du moins envisageons-le comme
devant être exercé toujours sous la responsabilité morale d'un
seul ministre.


Votre commission, messieurs, vous a proposé de retrancher
de l'article les expressions vagues de machiruztions et de sil-
reté• de l'état, ainsi que la ligne qui dit , au moins inutilement,.
qu'il. n'y aura .pas nécessité de traduire les détenus devant les tri-
bunaux. J'applaudirais à ces amend-emens , aussi Lien qu'à celui
qui consiste dans l'énumération des causes immédiates d'arres-
tation, savoir : les discours , écrits , menaces et actions ; mais
i•.me reste à vous soumettre quelques idées qui tendraient à ne
pas substituer le mot inculpé au mot prévenu, à ne point em-
ployer l'expression de faits quelconques, et à modifier sur un.
autre point la rédaction de l'article.
.. Le terme d'inculpé-, bien qu'il ait pu se glisser déjà en quel-


- pies lois, n'a point de signification précise_ et légale. C'est une
nuance tont-à-fait indéfinissable .entre suspect et. prévenu, ou


. plutôt, ces n'est, sous d'autres syllabes, que ce mot Même de
suspect, devenu si odieux. Le mot prévenu, employé dans le


(iii) •
projet du gouvernement, me semble à tous égards préférable.
A la vérité, il indique le premier des trois états par lesquels doit
successivement passer l'homme que poursuit la justice; et, dans
l'ordre commun , si, à un des délais déterminés, la prévention
n'aboutit point à l'accusation, et celle-ci à là condamnation, la
justice rend à la liberté celui qu'elle avait commencé de pour-
suivre. Mais vous faites, messieurs, une loi d'exception , et, à
mon avis , l'exception serait. encore bien assez forte , quand vous
la réduiriez à prolonger arbitrairement l'état (le prévention. Le
gouvernement ne vous demande pas davantage : si le mot in-
culpe; accorde plus, c'est un motif de le rejeter ; et s'il équivaut.
à prévenu, il n'y a aucune raison de ne pas s'en tenir à ce der-
nier; le sens est mieux établi, plus déterminé.


A l'égard de l'expression /aies quelconques, il doit me suffire
de vous rappeler ce qu'en a dit mon collègue M. Benjamin-
Constant. Ce nom , beaucoup plus général que celui d'action ,
pourrait s'appliquer à des relations, à des circonstances, à. de
simples manières d'être. Il ouvrirait une carrière sans bornes
à tous les genres de rapprochemens et d'inductions. Il donne-
rait à la loi une telle latitude, qu'autant vaudrait déclarer net-
tement que les ministres arrêteront et détiendront qui bon leur
semblera. •


Mais le principal défaut de l'article i . er est de n'exiger dans
l'ordre signé des ministres, et dont votre commission desire
avec raison qu'il soit laissé copie au détenu, aucune indica-
tion précise des causes immédiates de l'arrestation. L'article tel
que le gouvernement nous le présente, suppose qu'il sera pos-
sible, par exemple, d'ordonner simplement, et sans autres
explications, que telle personne sera arrêtée et détenue comme
prévenue de machinations contre la sûreté de l'état. Je ne puis
me persuader que la chambre veuille consentir, non-seulement
à rétablir le pouvoir arbitraire, niais à le dispenser même
d'énoncer d'une manière réelle et positive les motifs de• ses
déterminations.


Du reste, messieurs, il ne m'appartiendrait pas de vous pro-
peser aucun amendement, étant disposé, comme je le suis, à
voter contre cet article, quelque amendé qu'il puisse être. La
discussion, fermée sur l'ensemble du projet, l'est sans doute
aussi sur la disposition principale de l'article s. er , savoir,
sur le rétablissement d'un régime exceptionnel, et par consé-
quent je dois m'abstenir de vous soumettre le très-petit nombre
d'observations que j'aurais pu joindre à celles de plusieurs de
nies collègues contre le fond de l'article. . Mais enfin , persuadé




( 132 )-
qu'il ne m'est pas permis , et qu'il n'est jamais utile d'adopter
des dispositions contraires soit à la lettre, soit à l'esprit de
la charte, je vote contre l'article 1. er . ( Mouvement d'adhé-
sion à gauche. )


.1W. ‘le ministre des affaires étrangères. Je conviendrai que
l'honorable collègue auquel je succède à cette tribune, en en-
trant dans la discussion de l'article n


. er , a abordé une . des ques-
tions les plus importantes qui puissent être traitées dans les
véritables principes du gouvernement représentatif, et qui con-
siste à exercer la responsabilité morale là où il n'y e pas de
responsabilité physique ; mais je crois qu'il s'est trompé en pen-
sant que cette espèce de responsabilité doit s'attacher à un mi-
nistre seul, et qu'elle perdrait de sa force en la faisant partager
par trois ministres. Il n'a peut être pas complètement rattaché
son idée à ce qui fait l'objet du projet de loi ; il a comparé deux
choses lien différentes. Dans le cas de l'article, il ne s'agit pas
d'une ordonnanceroyale contresignée par un ministre là où le
nem du Roi est apposé, il se présente un caractère auguste
d'aine telle gravité , que


. la signature d'un ministre suffit, parce
quelle ne faitqu'attester que cet acte émane du Roi. 11 S agit ,j e le répète. encore, de l'arbitraire, qui doit être déposé entre
les mains de plusieurs ministres : je pourrais citer ici une auto-
rité qui ne serait.peut-être pas refusée par une partie des hommes
qui me combattent; ce serait celle du Contrat social. Rousseau
;établit les différentes manières de sortir du régime légal ; il
Montre comment l'arbitraire peut remplacer le régime légal ; il
_fait voir l'indispensable .


nécessité de l'arbitraire pour le maintien
du régime légal , et comment cet arbitraire peut être
placé dans plusieurs mains, lorsque des circonstances graves
l'exigent; ensuite, lorsque le mal devient plus grand, il veut
que le pouvoir arbitraire soit concentré dans une seule main,
comme la dictature à Rome, parce qu'alors il faut une plus
grande intensité de force.


Mais ici il ne s'agit que d'une disposition qui autorise Parres-
tation. des citoyens hors des formes légales; et il est évident que
ce-sera pour eux une plus grande garantie lorsque l'ordre d'ar-
restation sera signé par trois ministres, que s'il ne l'était que
par un seul. La délibération préalable qui a lieu dans le con-
seil des ministres n'est-elle pas la plus forte garantie qu'ou
puisse offrir aux citoyens? On a voulu par-là que cet ordre, qui
doit être terrible puisqu'il est arbitraire, ne puisse pas être dé-
livré d'après un travail inconnu fait dans les bureaux, et sur le
rapport d'un déiateur obscur; on a voulu que ce travail fût


( 133
transporté dans le conseil même du Roi, et que l'ordre d'arres-
tation ne Vit être mis à exécution que s'il obtenait la signature
de trois ministres. Je crois donc que la chambre doit être
satistàite du motif qui a dicté cette disposition, et re-
connaîtra que, dans l'espèce , il n'était pas possible d'offrir plus
de garantie.


Toutefois l'honorable préopinant à aussi élevé quelques doutes
sur la manière dont la loi serait .exécutée. par les ministres; ,il
voudrait qu'ils motivassent l'ordre d'arrestation; mais ici, mes-
sieurs, et il finit toujours s'exprimer franchement, n'est-il pas
évident qUela loi qui vous est demandée n'a pour objet quo de
poursuivre et d'atteindre des commencemens de crimes, qui ne
seraient encore susceptibles d'être traduits devant les tribu -
naUx n a pour objet, dis-je., que d'atteindre des faits qui
doivent encore rester secrets?


Par ces motifs, j'appuie l'article proposé par le gouvernement.
M. le général Foy. Je viens combattre la proposition de


mon honorable -collègue M. Daunou Mais par un autre
pie ceux qui viennent de vous' être présentés par M. le ministre
des affaires étrangères. Il est évident que la 'signature d'un mi-
nistre seul nous conduit directement au rétablissement d n 'i
ministère de la police générale ; or, rien ne pourrait s'opposer
davantage au développement complet 'de notre système 'coAi-
tutionnel , et connue je lié •deiirë rien de plus que ce-c,,. 'et
développement, je m'oppose à une disposition qui en rCsui:St
lui serait contraire.


Mais j'aiune tout autre proposition 'à faire ; au lieu de la signa-
ture d'un ou de trois ministres , je •demande que la loi exige. la
signature de tous les ministres présens au conseil. Ce n'est pas
que si cette disposition est établie, je' nie détermine à voter
pourl'article. (Voix d droite: Pourquoi l'amender?) Messieurs,
nos efforts, doivent tendre à améliorer le plus possible, et 'à
adoucir les dispositions du projet 5. niais après avoir 'combattu
pour son adoucissement, je voterai toujours contre le projet
131i-même , parce que je le regarde comme odieux, comme dan-
gereux., comme contraire aux intérêts clit-'Roi et de la famille
royale. J'insiste pour qu'on exige la sigatnre de toué les ininisti'es.


M. Benoît vote l'article sans amendeinens.
Benjamin-Constant. Je viens proposer quelques


cuités et demander quelques éclairciésernens; Car
semblé désapprouver les adversaires du projet,
clarent qu'ils voteront contre l'article, et qU'ils prope




-


•"




( 134
)


moins des antendemens , je n'y vois pas d'inconséquence. J'entre
dans l'examen de l'article, et je demande d'abord aux ministres
si les arrestations seront publiées. n me paraît que c'est une
question très-importante, dans un montent surtout oit la censure
va veiller à atténuer tons les moyens de publicité. Il finit savoir
si les ministres voudront bien nous faire connaître officielle-
ment les hommes qu'ils mettront dans les cachots; ou si au
malheur d'être emprisonnés, ils joindront le malheur de n'avoir
pas de défenseurs (levant le conseil des•ministres, qui deviendra
un véritable tribunal. Que les ministres disent si pendant trois
mois une nuit épaisse couvrira le sort des détenus 1.


Je demande encore si les ministres auront le droit de détenir
les citoyens au secret? Vous savez tous de quelle importance est
cette question , et l'expérience dé tonte rassemblée peut m'ap-
puyer, car il n'y a pas un de nous qui n'ait eu des amis languis-
sans dans les tortures •••du secret.. Je demande si la puissance
donnée aux ministres les autorisera à détenir au secret pendant
trois :


-mois les malheureux -prévenus. Ou a vu de déplorables
exemples à la suite de ce supplice; •on a


vu • des malheureux
Sortir du secret, privés de leurs facultés intellectuelles. J'en
ai iei la preuve. Je tiens à la main la lettre écrite à ce sujet par
Madame Travot. Un général qui a servi dans nos années
que la cl'mence ou la justice du Roi avait sauvé des 'effets d'unj ugement rigoureux, le -général Travot


.
est sorti de sa prison


privé de ses facultés ; il est maintenant en état de démence, et
il n'avait été tenu au secret que pour trois mois, et au cachot
pendant quarante huit heures. Si vous donnez aux' ministres
cette épouvantable puissance, je demande qu'ils s'expliquent.
3e crois -que les prévenus ou inculpés, comme on voudra les"
appeler, et qui ne sont que de véritables suspects, ont des
droits-; l'humanité, qu'ils doivent être préservés de ce supplice.
Je sais bien qu'on-va me parler de la sûreté de l'état. Je conçois
qu'on prenne des mesures sous un gouvernement qui veut ins-
pirer la terreur; mais dans le nôtre on ne doit vouloir inspirer
que l'amour , et ne pas imiter les formes d'un comité ,
au nom du salut public, a exercé sur la France les horribles
persécutions.


Je'dernandersi ensuite que les ministres veulent bien s'ex-
pliquer sur les motifs d'une disposition que je ne puis admettre.
La commission in% paru désapprouver ce tte disposition. Cepen-
dant tout en la retranchant de l'article elle l'a remise .dans
l'article 3, sans qu'a y ait nécessité de le traduire devant les
tribunaux.. C'est une dispositien très-importante; car si les


( 135 )
ministres étaient obligés de mettre en jugement ceux qu'ils
auraient arrêtés, il y aurait beaucoup moins d'arrestations ; la
perspective d'un jugement servirait de frein aux ministres. Si
celte disposition avait existé en 1816, il y aurait eu peut-être
cinq, six oa même .dix mille arrestations de ( Des
murmures s'élèvent à droite.... M. de Camelles : Il y en a eu
plus de cinquante mille !...)) Il est impossible de ne pas recon-
naître que la responsabilité morale qui résulterait d'un grand
nombre d'acquittemens arrêterait les ministres.


Certes, beaucoup de prévenus mis en liberté après trois
mois n'auront pas envie de demander à être jugés; ils--se croi-
ront heureux d'être relâchés ; et cependant ils ne pourront l'être
que pour quelques instans. En afin, comme les ministres ne
seront pas tenus de motiver l'arrestation , après une captivité
de trois mois , ne peuvent-ils pas mettre en liberté un individu
pendant quelques jours, afin de le reprendre ensuite pour lui
faire subir uns-nouvel emprisonnement de trois mois? et certes
la chose ne sera pas difficile, on ne manquera pas de prétextes;
car si le malheur a voulu qu'un invidu ne fêt pas bien affee-
tioune pour le gouvernement, ce n'est pas une détention de trois
mois qui l'aura rendu plus affectionné, et l'on aura facilement.
un nouveau. motif pour le détenir. ( -Vive sensation à- gauche: )


On motive la loi demandée sur l'exéc •eble assassinat (pire
te commis. On vous dit que c'est pour préserver la vie du Roi


et dus membres de la famille royale d'un crime semblable.
L'homme arrêté le sera donc en vertu de suspicion de,ineurtrél
contréde Roi ou la: famille, royale. il en résultera que ce mal-
heureux sera flétri dans l'opinion. Si une loi pareille dit pu em-
pêcher le crime de Louvel, nous aurions à regretter que cette
loi n'eût pas existé. Mais je suppose qu'elle eût. existé, et
qu'avant le crime de Louvel, plusieurs individus eussent été
arrêtés comme complices d'attentat contre la vie du Roi et des
membres de la famille royale, ne sentez-vous pas combien leur
position eût été affreuse ? Quel cri d'horreur aurait retenti
contre eux, non-seulement dans la France, mais par toute.
l'Europe, si au bout dé trois-mois ils avaient été •mis en liberté!


- La seule réparation pie les ministres peuvent offrir aux sus-
pects , est de leur donner la possibilité de se justifier après la
détention arbitraire qu'ils auront subie. Vous ne voudrez pas
qu'ils. sortent de leur prison , flétris dans l'opinion , san.3
pouvoir -se justifier. Il est cloue impossible que les ministres
persistent à maintenir cette disposition.


Je.desire que quelques-uns des, membres qui veulent adoucis




(x36 ).
le projet de loi pèsent ces difficultés , et en fassent l'objet d'une'
proposition que je ne puis faire moi-même; car je suis déter-
miné à voter par assis et levé pour l'adoucissement de la loi , .et
àvoter contre l'ensemble de ses dispositions. J'invite les membres
que leur conscience moins inflexible , quoique non moins pure
que la mienne, porte à adopter une portion dela loi, à garantir les
prévenus du secret , et de la funeste situation dans laquelle ils
seraient placés , s'ils étaient relâchés sans jugement , et d'em-
pèeher qu'on ne leur fasse pas




encore subir aine détention plus
considérable.


Je ne dirai qu'un mot sur une phrase de M. lé ministre des
affaires étrangères. Toutes les fois qu'on--a voulu proposer des
lois contre la liberté , -on s'est appuyé de l'autorité de J .-J .
seau. Je déclare'qu'avec beaucoup d'idées de liberté , Rousseau
a toujours été cité par ceux qui ont voulu établir le despotisme.
Rousseau a servi de prétexte au despotisme, parce qu'il avait
le sentiment de la liberté-et qu'il n'en avait •pas là théorie. •


Rousseau a soutenu • deux dogmes ••également dangereux ,
l'un le droit divin, l'autre la - souveraineté




-dnikiiple.-L'un et
l'autre ont fait beaucoup-de mal, divin que la
Divinité ; il ai'y a rien 4e.souverain que la justice. Il ne faut
pas prendre les avis d'un ami fougueux, mais peu éclairé- de la
liberté .


, à une époque où- la liberté n'étaitpas- encore établie,
et le proposer pour modèle à des hommes qui ont acquis le
droit de la connaître par une expérience de trente ans de
malheur. (Nouveaux murmures à gauche.).


On demande -vivement. à droite la
.
.clôture de la discussion.111-. Rivière, rapporteur, répond que les noms des inculpés


ne doivent être rendus publics, parce que-la loi est une loi ex-




...
,


ceptionnelle , et.nue loi qu'il ne peut nommer autrenieneepeune
loi de nécessité et.de confiance. Le gouvernement demande une
mesure extraordinaire et: temporaire, et ce qu'on propose la
rendrait de toute nullité.


Qu'il serait contraire aux dispositions de la justice ordinaire,
que l'inculpé, après sa détention, soit mis en jugement. En
thèse ordinaire ,. un homme est arrêté, traduit devant la chambre
d'accusation; il est long-temps détenu; la chambre d'accusa-
tion le renvoie absous. A-t-il droit de demander qu'on lefmette
en jugement? a-t-il droit de demander des réparations?pitais.
Ainsi vous établiriez dans vos lois d'exception , des garanties


Q
que n'ont pas les citoyens sous l'empire de la justice ordinaire!


ue l'objection plus sérieuse: l'inculpé paraîtrait plus &tri
, si il ne peut être détenu. que comme ayant' al-fent:4'


( 137 )


M. Bedock. Je ne parlerai point. de l'article niais serild:''
ment contre la clôture. Il nie semble qu'il -y -elirait une bien
grande précipitation à-fermer une telle discussion.; elle n'as
été.Véritablement approfondie , ni sur lesumendemens danShie
ensemble, ni sur les amendemens et les sousaffiendeinensee,
particulier. Or, ceux qui ont fait des am endemens et sous.amen- . •
deviens doivent avoir le droit de les développer, et cependant'
ils n'ont pas encore été entendus. M. le ministre de l'intérieur
les a combattus dans leur. ensemble ; mais ce n'est pas de cette


*manière qu'il faut procéder. Il y a des amendemens faits par des.
membres, sous-amendés par ,d'autres.membres ;.il y a •ceUx'd,.
la commission ; ils doivent tous être présentés, développés et
discutés l'un après l'aut re, et non adoptés. ou rejetés nsi'lè.:."
vent votre règlement, votre constante jurisprudence.
bien que toute la loi est dans l'article . 1 ; nous- ne poiMine"-
clone pas prononcer avec précipitation -sur . les- antexideinehS:
que l'on propose à ce même:article. Je demande donc-'1a •
tinuation de la : digussion et , coniniotPhetire est


la sûreté du Roi, n'est point: fondée ; • car si le crime le plus
grand est un attentat à la sûreté du Roi, conspirer pour le ren-
versement de son gouvernement n'est pas un • attentat qui mérite
dans l'opinion .une moindre flétrissure; et quant à la distinc-
tion entre l'expression de prévenu et d'inculpé,


il déclare y
attacher peu d'importance ; qu'enfin, la commission persiste
'dans ses ameudemens.


M. le ministre des affaires étrangères. Parmi les -excellentes
choses qu'a dites M. le rapporteur , il-en est une positive,
que le projet de loi qui vous est présenté est en même temps
une loi de nécessité et une loi de confiance. Ainsi , : saiià con.-
fiance dans le gouvernement, je conçois qu'on la repousse.;mais
si - l'on est fondé à avoir de la confiance dans le gouverne-
ment, on trouve dans cette confiance la solution des-questions
posées par M. Benjamin-Constant. J'insiste pour l'adoption de .


.er tel qu'il est présenté par le gouvernement.
Un mouvement très-vif d'adhésion éclate au centre et à droite.


On. cleniande à grands.eris4 aller aux '
Une foule de voix clôture de la discussion sur 1 article
M. bemarçai : Laissez-parler M. Bedoehlreelaine ht


parole.-- —1‘es cris à droite : La clôture' la cldizire? S'élèvent
de nouveau.


M. Becloch. Je demande la parole •contre la eTôtUre de la
discussion....


M. k président. -Vous avez la parole contre la clôture:




( 138 )
je demande la continuation à demain.... Une vive opposition se
manifeste à droite et au centre....


On demande de nouveau la clôture.
M. de Chauvelin. A cette heure, il est impossible qu'on


veuille forcer la chambre à continuer la discussion.... On ne
peut refluer le renvoi à demain.... Les cris d demain , à de-
main.... continuez:, continuez.... s'élèvent à-la-fois de la gauche
et de la droite.


M. le président. Je dois annoncer que M. Toupot a retiré
J'amendement à l'article . er , qui faisait l'objet. de la délibéra-
tion; M. Delong a aussi retiré le sien, en se référant à.celui de
M. Courvoisier: il me reste donc à appeler la discussion sur
l'amendement de M. Courvoisier.


Foix d droite : La question préalable?...
Courvoisier. Quand j'ai pris la parole dans la discussion


générale, je nie suis surtout livré à l'examen des principes é--
néraux de la loi que je combattais. J'ai annoncé que l'amende-
ment que j'ai proposé, amendement tendant à n'appliquer la
loi qu'aux complots contre la sûreté du Roi et des princes de sa
famille, serait susceptible. à _sou tour de développemens et des
motifs sur lesquels je l'appuie; je nie suis à cet égard réservé la
parole au moment de la discussion des articles. La chambre ne
peut donc refuser de.m'entendre.


Une foule de voix d droite : Eh bien ! parlez ! parlez ! Voix.d gauche
: Cela est impossible?... Il est cinq heures et demie! à


demain! à demain !
Courvoisier. Le moment où l'on réclame de moi la coin-


.


mnnication et le développement des motifs sur lesquels j'appuie
mon amendement, annonce bien de l'impatience : je n'étais
point préparé à parler; mais je vais essayer de répondre au voeu
de ceux qui ne veulent pas permettre d'ajournement. Je pré-
sente un amendement qui modifie toute la loi. Je propose de
supprimer de l'article 1 les mots contre la sûreté de l'état;
de supprimer les mots qu'il soit nécessaire de les livret aux
tribunaux; enfin, je demande que la copie de l'ordre soitlaissée au prévenu : vous voyez done.que j'attaque à.la-fois et
le projet et les amendeluens de la commission. Je chercherai à
renfermer nies développemens dans Ie.-cercle le plus étroit....


j Ou demande de nouveau, et très-vivement, -à gauche, l'a-ournement à demain.--.La droite insiste.— Voix à n;auche :
M. le président, consultez la chambre!


.111. le président. On persiste pour l'ajournement : je vais
consulter la, chambre.,;


( 139 )
La chambre prononce l'ajournement au lendemain , à une


majorité composée de toute la gauche et de la plus grande partie
du centre de gauche.


La séance est levée à près de six heures.


Séance du i i mars.


L'ordre du jour appelle la reprise de la délibération sur les
articles du projet de loi relatifà la liberté individuelle.


M. le président rappelle que le sujet de cette discussion est
l'amendement de M. Courvoisier.


M. Courvoisier. On vient de vous rappeler l'amendement
que j'ai proposé. Vous voyez qu'il a deux objets : le premier
consiste à donner au gouvernement la faculté d'arrêter et de dé-
tenir tout individu soupçonné de complot ou de machination
contre la personne du . Roi, ou là personne des membres de la
famille royale, en retranchant ces mots : sûreté de Pétai. Son
second objet est de restreindre les arrestations arbitraires à la
èause trié . je . ViEdl$ :d'énoncer, de . procurer aux Citoyens plus de
sécurité et d'enlever tont prétexte d'attenter à leur liberté sans
une cause légale.


L'attentat contre la sûreté de l'état , prévu par le Code pénal,
consiste dans le crime qu'on a consommé ou tenté de .com-
Mettre , mais il faut un commencement d'exécution. La défini-
tion du complot se trouve aussi dans le Codé pénal. Il existe
dans la volonté arrêtée entre deux personnes, ou mi plus grand
nombre, de commettre un crime ; mais est un troisiérne degré
de culpabilité, c'est la machination. Voilà pourquoi j'ai de-
mandé que la Chanibre préférât la rédaction du projet de loi à
celle de la commission. Qu'est-ce cite la machination ? Ce mot se
trouve dans le Code pénal. Machiner, c'est former un mau-
vais dessein. La machination , dans le sens légal , c'est
Pacte extérieur duquel on doit conclure que tel ou tel individu
tramé un mauvais dessein. Il y a une différence énorme entre
la machination et le complot. Il y a complot lorsque la volonté
de commettre le crime a été concertée entre deux ou un plus
grand nombre de personnes. Je rendrai cette différence encore
plus saillante par des exemples qui prouveront l'insuffisance de
notre Code. Supposez qu'un homme se soit muni d'un poignard ,
et qu'on ait la preuve écrite de sa main qu'il veut commettre lé
crime. On verra cet homme rôder autour de la demeure royale;
quoiqu'il ait écritla lettre s'il -n'a pas son poignard sur lui au
moment de son arrestation, il ne sera pas possible b l'arrêter




( )
',également. Vainement on reproduira l'arme qui était chez lui,
et l'on montrera la lettre; il n'y a pas complot , puisqu'il n'y a
pas de volonté formée entre deux on plusieurs personnes; il n'y
a pas non plus d'attentat, parce qu'il n'y a pas de commen-
cement d'exécution. Vous voyez donc qu'il existe une lacune
dans le Code.


Le texte du projet de loi n'est pas aussi terrible que celui de
la loi de 1815, et ne peut air les mêmes conséquences ; ce
n'est pas même celui de 181 7 ; ce dernier donnerait encore une
bien plus grande latitude que ce qui vous est proposé.


Il nie reste à motiver la deuxième partie de mon amendement,
celle relative à ces mots la sii'rete" de l'état.


Vous remarquerez , messieurs, la différence qui existe entre
la machination contre la personne du Roi, et la machination
contre la sûreté de l'état. Dans la première hypothèse, c'est
dans le secret qu'on machine; on n'a pas même besoin de com-
plices dans l'ànte"e t ,i1:. :: .a41.écessairemea t. complot, et alors lapolice est én mesure d'observer la machination. On attend pour
la répriner'qleY ait commencement d'exécution.


Il faut des complices , des- communications, des rapports ;
l'autorité peut .être avertie, et partout:où l'autorité est avertie,
le magistrat peut prévenir et réprimer. Le repos des citoyens,
la sûreté du gouvernement et du trône sont suffisamment garan-
tis , et a pas de motif pour ne pas rester ici dans le droit
commun. C'est le premier moyen sur lequel je nie fonde pour
demander la, suppression des mots la elretéide


On a parlé de bruits alarmans , de chansons, de propos atroces.
Ne savons.


.-nous pas, messieurs, que ce fut sous l'empire de la
loi de 181.5 que de. pareils symptômes se sont manifestés par
toute_ la:


France ? Ces délits ne se sont lila nifestés que sous Peul-
pire es lois d'exception : les lois d'exception ont cessé, et les
délits avec elles. ( Murmures à droite) ; d'où je conclus que si
vous voulez les voir renouveler, il faut rappeler les lois d'excep-
tion. Cette espèce de délits est caractérisée par les lois ordi-
naires: pourquoi donc des mesures arbitraires, lorsque la loi les
a prévus, et que le magistrat peut les poursuivre en vertu de


q J'aborderai maintenant le motif le plus grave de totW: Ceuxui ont appuy&le projet de loi; ont prétendu qu'il èxistait une
conspiration contre le trône des


- Bourbons. Les uns ventent queles conspirateurs soient en grand nombre; les autres, qu'il n'y
ait qu'une poignée de fàctieux : je partage cette dernière opi-


( 1.4 1- )
nion. Mais, sous ce rapport, pourquoi demander des mesures
arbitraires? les lois ordinaires doivent suffire.


Est-ce Bonaparte que la nation regretterait? et d'abord sons
.quel rapport? sous celui de la gloire? mais cette gloire appartient
à la nation bien plus qu'à lut. Et ici, messieurs, je rappellerai
les expressions de l'illustre victime dont nous déplorons la perte.
« Il a vaincu, disait-il à des grenadiers de la vieille garde; mais
avec des hommes tels que vous, qui n'aurait pas vaincu le
monde? » Ainsi la France n'a pas à le regretter sous le rapport
de la gloire. Le regrettera-t-e lle par rapport à l'oppression, et
au sceptre de fer sous lequel il l'a fait gémir? mais vos conci-
toyens ont-ils si tôt perdu -la mémoire des temps où il sacrifiait
à son ambition des générations entières, où elles engraissaient
de leurs cadavres les sillons des pays lointains ? Que voulez-vous
donc que la nation regrette en lui? ces cruels souvenirs sont en-
core présens à sa mémoire. Et n'est-ce pas là nous présenter
l'idée la plus absurde ? S'il existe quelques conspirateurs, dé-
masquer-les; maiun'associez pas les Français à,leurs projets cou-
pables. Le seul moyen de combattre les conspirateurs, c'est,
j e le répète, de les démasquer, et de les livrer -ensuite aux tri-
bunaux.


Craindrait-on le jacobinisme? Mais le jacobinisme, la France
n'en a pas été ,complice; elle n'en a été que la victime. Qui de
vous pourrait Mer qu'en 1814 le jacobinisme était dans la fange
sur toute notre-surface? Comment se ferait-il donc que ce soit
l'empire légitime du Roi qui pourrait l'en tirer? Je ne crains
donc pas le jacobinisme : c'est à mes yeux un fantôme que la
raison fait évanouir.


Mais, messieurs, il y a une chose qui excite véritablement
les alarmes de la nation : il y a une chose que la nation redoute
en effet c'est le retour du régime de 1815 (Vif mouvement
d'adhésion à gauche.)


De violons murmures s'élèvent à droite.
Plusieurs voix : Nous y voilà!


' M. Cornet-d' Incourt : Nous attendions celui-là!...
M. Castelbajac : Nous nous souvenons du 20 mars '- •
M. Courvoisier : L'un de nos honorables collègues, placé à


l'extrémité des bancs, me rappelle que la France doit craindre
le retour du 20 mars. La France n'y a pas coopéré ; et si je ne
craignais pas de sortir de la discussion , mes pensées se présentent
en foule pour démontrer que la France n'en a pas été complice,
Mais je reviens à l'autre idée. •


TiFC




( 142 )
Je disais que les Français craignaient le retour de 1815, etque c'était lé leur véritable crainte.
On a parlé des choix que la loi des élections avait produits.


Remarquez bien que la plupart des élus ont été choisis Unique-
ment parce qu'ils furent victimes en 1815. tin département u
été lu


' ulé plus qu'aucun autre, et bien plus qu'aucun autre il
choisit des hommes qui ont été, comme lui, victimes de ?arbi-
traire. Il les nommait précisément, parce qu'ils avaient éprouvé
le même sort, et quelqueleis c'était là leur principal titre.


Pensez-vous que ces choix peuvent menacer le trône des Bour-
bons? Qui ne sent qu'en France ce trône est dans les besoins de
la nation? Pensez-vous que ces bornoies peuvent menacer la dy-
nastie? Ils sont aigris, non contre la dynastie, mais contre un
parti qui s'est montré exclusif, violent et persécuteur. Mais
comment est-il possible de concevoir une telle crainte, quand
en France il n'est pas d'homme si borné qui ne comprenne que
la dynastie ne peut tomber sans entraîner dans sa chute et la
patrie et la liberté ;4tiand il n'est personne qui ne sente- que si
un nouvel usurpateur était porté sur le trône, il ne


,
pourrait y


régner que par le sabre; car le sabre seul l'y aurait élevé sur le .
pavois? Il n'y a donc rien qui menace le trône et la dynastie
dans les nominations des collèges électoraux.


M. Castelbajac. Et Grégoire!...
M. le président. Le règlement défend d'interrompre. Vous


répondrez
M. Courvoisier. Je disais, en répondant à mon honorable


collègue M. Cornet-d'Incourt, pie si fa France craignait le retourde - 1825, il n'y avait dans cette frayeur rien
'qui pût menacer-le


trône. J'insiste sur l'adoption de mon ani'eniteinent.
M. Boardeau. toujours pensé 4iie. les Mots citz Roi


et des personnes de sa fizmille, et • eéux-ciigreté dé l'état,
n'offraient qu'une seule idée. L'état et la farnillerégnante sontà nies yeux une chose indivisible. Qui attente à , attente
évidemment à l'autre; il paraît donc impossible de ne pas réu-nir les deux expressions : ne fussent-elles pas réunies dans l'ar-
ticle, le même sens devrait être entendu, et la même


i applientionen devrait être' fité.
Nous avons à préserver et le trône :et l'état contre léS entre-


prises des flictieux , et ce ne sont pas seulement de complots
obscurs que nous avons à nous défendre-; la conspiratioitest pa-
tente ; elle éclate dans le débordement des écritS


. coupables,
dans la propagation des doctrines les plus destructives de l'état
soeial , et dans l'abus.criminel .des principes les plus sacrés;: et


( 143
)


c'est ainsi que dans tous les temps les factions en ont agi: Au
nom de la liberté, on conspire contre la liberté ; au nom de la
charte, contre la charte; an nom du Roi, contre la royauté : et
en voyant les périls qui menacent la famille royale, en voyant
le coup dont elle a été frappée, on veut consoler cette auguste
fa mille en l'isolant de la sûreté de l'état ! ( Mouvement d':1dhé-
sion à droite.)


Le gouvernement, messieurs, vous a demandé une loi de
confiance, et un pouvoir absolu dans les cas déterminés par cette
loi temporaire; il vous en a prévenus, il vous Pa dit : en vain
dira-t-on que la nation ne regrette pas Buonaparte, qu'elle ne
regrette pas le jacobinisme; non, elle ne regrette pas Buona-
parte , mais elle redoute les tentatives des factieux , mais elle
craint les trou bles, mais elle veut la liberté et le trône légitime ,
sans lesquels elle sait qu'il n'y aurait pas de liberté pour elle.
Elle ne regrette pas le j acobinisme : non sans doute; en 18i4
le jacobinisme était dans la houe, et vous avez vu comme en


815 il a relevé sa tête audacieuse (vive sensation à droite) ; et
aujourd'hui il faut se refuser à voir ce qui est évident à tous les
veux, si on'ne- reconnaît pas que les provocations séditieuses ,
les outrages contre l'autorité , l'injure contre les meilleurs ci-
toyens , et les machinations de toute nature , nous font un devoir
d'armer le pouvoir de toute la force dont il a besoin, non
pour opprimer, mais pour se défendre. Je demande le rejet de
l'amendement.


M. le général Sébastiani. Messieurs, si je croyais que l'ar-
bitraire pût réserver la dynastie régnante des dangers dont il
vous a été tint le tableau, je ne balancerais pas à le voter,parce
que je crois les destinées de la France et de ses libertés attachées
à la conservation de la dynastie, comme je crois les destinées de
la dynastie attachées à celles de son pacte social. Mais.uue pen-
sée contraire à l'utilité de l'arbitraire me préoccupe. J'ai habité
un pays où l'arbitraire est dans toute sa beauté native; les en-
traves constitutionnelles n'y entravent pas la marche du gou-
vernement, les journaux n'y _pervertissent pas les opinions ; lajustice y est prompte et expéditive; et cependant, en moins dedeux ans,. j'ai vu périr, par des conspirations, onze ministres ;
et, ce qui est plus grave, deux souverains.


J'appuie donc l'amendement de M. Courvoisier, parce qu'il
tempère l'arbitraire.


Je sais que notre position n'est pas celle de la Turquie, et
que notre civilisation nous garantit des dangers-auxquels elle est




( 1 44 )
exposée. Pourquoi donc calomniercette civilisation où se trouvent
nos garanties les plus précieuses?


Pourquoi calomnier la civilisation elle-même? pourquoi ren-
trer dans une route où existent tant de dangers? On a dit que
le despotisme se tuait lui-même. J'ai vu le pouvoir le plus- fort
tomber sous le poids de sa propre force,. et parce qu'il s'était
successivement débarrassé de toute entrave. En votant l'amen-
dement, c'est donner au gouvernement des moyens suffisans et
non exagérés. J'appuie cet'amendement.


M. le ministre de l'intériew.
Dans les dangers particuliers,


il faut attendre un commencement d'exécution. C'est le droit
commun. Il est fondé en raison, parce que le danger particu-
lier ne peut faire qu'un mal privé; mais dans les dangers pùblics
il faut prévenir, il fuit sortir du droit commun. Seulement on
ne doit pas en sortir de sa propre autorité, il faut que la loi le
permette , cela n'est pas moins fondé en raison. J'en conclus que
le pouvoir qu'on nous accorde, pour veiller plus particulière-
ment à la sûreté du Roi et de sa , doit nous être accordé
pour veiller aussi à la sûreté de .l'état. Il n'y


. a pas de raison de
séparer l'un de l'autre. Le Roi et son auguste famille mettent
moins d'intérêt à leur sûreté personnelle ciu'à celle de l'état. Et
si d'un côté vous leur offrez des garanties pour leurs personnes,
ils vous en demandent pour l'état.


Reste la partie de l'amendement qui retranche sans qu'il y
ait nécessité de le traduire devant les tribunaux. Nous regar-
dons comme illégale toute détention qui non -seulement n'est
pas autorisée par la loi , mais celle qui étant autorisée prendrait
un caractère d'arbitraire, Si elle se prolongeait sans que . les
tribunaux s'enquissent des causes de la détention et les ju-
passent. C'est pour cela que nous demandons la faculté de ne
pas traduire incontinent aux tribunaux.
. Nous refuser cette faculté, c'est nous enlever le bénéfice de la


loi; car si elle n'autorise qu'à arrêter et détenir sur les graves
soupçons qui seuls détermineront le conseil 1


o4 ne nous accorde.3,-„


. .


que•ce pelions pouvons obtenir par l'interm édiaire desprocu-
reurs du Roi : nous n'aurons qu'a leur faire parvenir, soit di-
reetement, soit par les préfets, les renseignen


' lens que nous pos-âilerons ; -ils .
rendront plainte : mais cette vraie, qui est la voie


ordinaire, nous forcera ou à hâter'uneaCcusation qu'il faut lais-
ser neirir, ite4cItouéra, pour avoir été précoce,


, ou à.laisser
trop avancer les faits qui la motiveront, et exposer l'état, par
le'défaut d'une arrestation néces saire, des dangers qu'il serait
urigènt de 'prévenir.


dévient illusoire ; elle doit nous être . accordée complète, ou il
file nous la refuser toùt entière.


On demande la clôture de la discussion. —M. Tronchon ré-
clame la parole. — La droite insiste.


M. deCourvoisier. La seconde partie des observations que vous
venez d'entendre n'est pas fondée. Je ne demande pas le rejet
des atnendemens de la commission sur l'article 3;.on les discutera.


M. le président. L'amendement tendant à laisser copie de
l'ordre est consenti. Il ne reste plus qu'à voter sur les amende-




mens de M. de Courvoisier.
de Villèle. Sera-t-On.... "obligé ou non. de traduire devant


les tribunaux dans un délai déterminé?
' M. de Coiirvoisier. Ce n'est pas ici que la question se pré-
sente, c'est à l'article 3, et la chambre en décidera.


On demande que la discussion, continue. •
M. Tronchon. Messieurs, ou Nous l'a pas dissimulé ; vous


vous occupez d'une loi qui denneaUZ fnit istres un pouvoir ar-
bitraire. Que vous réduisiez i d isOsit t on'à la sûreté du-Roi -t


cicjèz sitotzit9,élse l'sét1.1,aitiin
aseerasatorauljlO1 'le9uMgêntearbitra,cs
effets t-or, quel est le résultat; certain, inéVitable4erarbitralre?
Il ne 'ealMe pas les esPrits, il:leS e.Il n'alferMit . pas le pu-
eérnement , il le met en péril ; car le gouvernement n'est. affermi
que par leieeipect qu'il 'porte lui-tuêtne aux lois. Je rends hom-
mage au- seninitent tel listél'amende4iei4, La: douleur que
nous partageons tous av ec Phe nerable membre l'a ému ; il a
voulu en donner. un témoignage particulier ; mais qu'il apprécie
eéa rjume valeur l'arbitraie tel , qu'il est réclamé.:.; c'est un pré,
sent qu'il est convenable de'faire à ceux que l'on hait, bien.plus
qu'à ceux qu'on aiMe et `qu'on veut servir.


Messieurs j'ai médité long temps le projet présenté, jai
écolitéla discussion avec la plus profonde attention. je. me suis.
'constamment demandé si le projet était néceSsaire , .et regt4t
plissait le fiut'qu'on se propose,: et je me suis de plus en plus
convaincu qu'il n'en était rien. Acbelletrent., que le prcjet soit
ou nen amendé, it me cela importe peu....Je vote donc
contre le projet, centre tes amendemens ., et contre tout ce qui
pourrait avoir trait à de pareilles combinaisons.


Fradin. J'appuie l'amendement de:M. Courvoisier, je le.
déclare, et je 'déclare avec la lente fr saitChise que je.yoierali,
contre l'ensemble du projet de loi. J'ai la conviction que le


10




(1 5 )
Le droit d'arrêter et de détenir devient nul, s'il , n'est pas ac-


compagne de celui de ne pas déférer aux 'tribunaux. La mesure




( %46)
projet est inutile; si j'avais la conviction au contraire qu'il pût
garantir le trône et l'état , .si je croyais qu'il fût de nature à mn,
êcher le crime, à prévenir d'odieux attentats sans compro-


mettre la liberté publique, je le voterais avec empressement,
et nous serions tons d'un avis unanime. Mais je suis loin, mes-
sieurs , d'avoir cette conviction,: Le projet n'ajoute rien à la
force des lois actuelles, que l'arbitraire. Les dispositions du
Code pénal vous sont présentes : leur sévérité vous est con,
nue, vous savez les formes qu'elles, établissent, les moyens qu'il
donne au gouvernement ; et comment ne seraient-elles pas suf-
fisantes pour déjouer un complot contre la sûreté de l'état?


Vous ne pouvez redouter le zèle et l'activité des fonction-
naires-de Pordreindisiaire ; il n'en est pas un auquel les circons-
tances et ses propres sentimens ne commandent le zèle et rac,
tivité dont il est susceptible; ne craignons donc pas.l'inipunité,
mais craignons de donne.rau pouyoi• des armes, fatales dont tôt
Ou tard on pourrait abuser.


On parle du ministère actuel, et de. la confiance que sa mo-
dération doit inspirer; mais sommes - nous sûrs que ce même
ministère sera toujours appelé au timon des affaires , et ne
confionsL nous pas un glaive à deux tranchans ?


La loi n'a été présentée qu'à l'Occasion du funeste attentat
qui a mis la ► rance- en. deuil:. Assurément si cet attentat n'eûtpas eu lieu, ,


et qu'un, complot contre lx sûreté de l'état eût
éclaté, on,


ne l'aurait pasgée,44esSaire ;. il eût été atteint par
le moyen ordinaire qu'offko,la législation. Je vote donc pour que
le projet de loi reçoive tous anierideinens dont il est suscep-
tible, et je demande l'adoption, de celui de M. Coureoisier. (On
demande, la cl ô tu re.).


M. Manuel réclame ]a droite et le centre insistent


pour la clôture.
M. le président Consulte la chambre:—.Une première.épreuve


est . faite.
M. le président. La chanibre ferme la dismession•
On réelanae.k gplehe l'appel nominal surPamendement.
M. pré.sident. L'appel:nominal , aux. termes du régiment,


n'a. lieu qu'après clonm.épreuVesdopteAses; mais je vais consulter
snr•I'appetneMina.l.


La chambre consultée décide qu'elle ne procédera pas à l'appel
nominal.


Bedoch. L'amendement de-M. Courvoisier a des parties
distinctes ; il faut les séparer. — La demande de la division est
appuyée.


( 1 47 )
M. le président. Je rappelle que l'amendem ent de M. Cour.-


voisier a trois objets : le premier de retrancher les mots sûreté
de l'état ; le second, de retrancher les mots


sans qu'il soit be-


soin de traduire devant les tribunaux ; le troisième, qu'il soit
laissé copie de l'ordre d'arrestation: Cé dernier amendement
étant consenti par le gouvernement, n'est plus l'objet d'une dé-
libération , et il sera annexé à l'article premier : restent donc
les deux preinièresparties de l'amendement. C'est sur ces deu


que l'on réclame la division.
Voix générale : Cela est juste!
M. le président met aux voix la première partie de Mien-


dement tendant au retranchement des mots siiiketé de l'état.
La gauche et une partie du centre de gauche se lèvent. Toute


la droite, le centre de droite et la majorité du centre de gauche
se lèvent à la contre-épreuve.


M. le président. L'amendement est rejeté dans sa première
partie.


M. le président met aux voix la seconde Partie tendant à sup-
primer ces mots sans qu'il y ait nécessité de traduire devant
les tribunaux.


La seconde partie de l'amendement est rejetée à la même
majorité.


M. le président met aux voix l'amendement de la commis-
sion à l'article premier. Cet amendement est rejeté presque sans
opposition.


L'article premier est mis aux voix avec la disposition consen-
tie par le ministère, et adopté à une forte majorité, ainsi 'ilnst qu
suit :


cc Art. i. er Tout individu prévenu de complots ou de ntachi-
n nations contre la personne du Roi , la sûreté de l'état et les
» personnes de la famille royale, pourra, sans qu'il y ait né-
» cessité de le traduire devant les tribunaux, être arrêté et dé-
» tenu en vertu d'un ordre délibéré dans le conseil des ministres,




» et signé de trois ministres au moins, et dont il lui sera laissé
» copie. »


Une longue et vive agitation succède à cette délibération.
M. le président donne lecture de l'article 2 , et des amende-


mens de la commission.
M. le général Foy. M. le ministre des affaires étrangères a


dit hier, à la séance, que la loi que vous discutez en ce moment
est une loi de confiance envers le ministère. .


Je vais examiner, en peu de mots, si le ministère a votre




(
14e )


confiance, et, dans la supposition de cette confiance, jusqu'où
doivent s'en étendre les effets.


Les ministres du Roi ont pour eux la présomption favorable
qui résulte du choix que S. M. a fait d'eux pour conduire les
affaires de l'état dans un temps difficile; ils ont pour enx la-con-
sidération qu'ils ont acquise chacun dans d'autres fonctions ou
dans d'autres positions. Mais la confiance qui résulte non pas
.du mérite personnel des individus, mais de l'homogénéité de
vues et de sentimens des ministres entre eux et avec les cham-
bres; cette confiance, qui a ses racines dans le passé, qui se vi-
vifie par le présent , et qui promet des résultats pour l'avenir,
cette confiance , le ministère ne la possède pas. La chambre des
députés est presque unanime pour la lui refuser.


En effet, messieurs , si le ministère n'obtient pas cette con-
fiance. de ceux de nos collègues (lui voteront contre les mesures
d'exception qu'on nous propose, elle ne lui est pas accordée
davantage. par la portion qui votera en faveur. du projet. Cette
portion , trop considérable peut-être-, se divise-en deux fractions
bien nettes et bien distinctes : l'une regarde le ministère actuel
comme une composition incomplète. Hommes modérés et amis .
de l'ordre, ils s'offensent moins que d'autres des suites funestes
que la suspension du régime constitutionnel peut entraîner,
parce qn'ils savent que toute réaction a son 5 septembre, et,
les yeux tournés vers le sud-ouest-de la France, ils attendent
un second .5-septembre de celui qui a fut le premier. Mais ne
vaudrait-il pas mieux, sans calculs étroits de coterie, et en sui-
vant une marche large et consciencieuse, donner enfin la paix à
ce pays?Cette paix sera l'ouvrage de notre Roi, aidé et conseillé
d'un ministère composé d'hommes forts


. , désintéressés, aimant
>Roi, la patrie et la-gloire, d'un- ministère imbu de la puissance
du gouvernement représentatif; car cette forme du gouverne-
nient etla dynastie régnante, se soutiennent mutuellement; et je


parce que j'en ai la conviction , il ne peut y avoir de véri-
,40table gouvernement représentatif en France, qu'avec la maisononrbon.


L'autre fraction de cette assemblée, dont l'accession systé-


n
matique a, depuis l'ouverture de la session actuelle, donné une


iajorité presque constante, cette fraction assurément ne sera
pas accusée de subordonner aveuglément ses opinions aux opi-
nions de.ceux qui .gouvernent. On connaît son esprit de con-
disite et quandunus


• oyons d'honorables collègues .avouer dans
lés causeries des bureaux, et ailleurs, que la loi d'exception
proposée . neyleur paraît pas nécessaire, an moment même oà


( 149 )
leurs amis l'appuient à la tribune de toute leur éloquence, nous
sommes autorisés à croire qu'ils entendent bien employer eux-
mêmes et à leur usage, les armes qu'ils paraissent forger en ce
moment pour d'autres que pour eux. Et je ne prétends pas dire
pourcela que telle combinaison qui les amènerait au pouvoir,
ferait la ruine de la • France et de la liberté. Des hommes qui ont
l'esprit droit et le coeur français, ne tarderaient pas à apprendre
dans le maniement des affaires, -que rien ne peut aller ni durer
aujourd'hui en France, sans le respect des droits de tous, et
sans la consommation des intérêts créés par la.4.évolution. Leur
marche, nécessairement constitutionnelle, ne tarderait pas à
leur attirer l'appellation de jacobins de la part des Salons du
faubourg Saint-Germain : ou bien les passions de ces queues de
partis dans lesquels gît tout le venin , triompheraient de leur
sagesse; et alors, mais seulement alors, on verrait éclater ce
qu'on appelle ici, .suivent la nuance des •opinions, contre-révo-
lution , réaction, réparation, et ce que j'appellerai , moi ,
attaque des intérêts généraux par les intérêts particuliers.


Or, je ne conçois pas qu'une puissante majorité puisse-jamais
être opprimée par une faible minorité autrement qu'avec le
secours des étrangers. Au nom des étrangers, il n'y aurait plus
assurément de division dans cette chambre Omis , quelles que
soient les opinions , quelles que soient les bannières sous les-,
quelles on ait servi autrefois, marcheraient pour les combattre.
Les chants de guerre, qui seraient bientôt des chants de vie-
toirey retentiraient encore dans nos villes et dans nos cam-
pagnes, et ce n'est pas sans dessein que je' parle de nos vieux
chants-de guerre. Un ministre du Roi voulant rappeler l'in-
fluence exercée, dans des temps de malheur, par des chansons,
a cité la IVIarscillaise. 11 aurait pu, dans le système de son opi-
nion. , d'ailleurs fort estimable, et avec plus de vérité, rappeler
le Ça ira, et d'autres chants ignoblement atroces, qui servirent
de prélude aux échafauds de la terreur. Mais la Marseillaise
fut inspirée par un sentiment qui est de tous les temps et de tous
les régimes, l'horreur de l'invasion étrangère. Je défie qu'on-y
trouve un vers, un mot, qui puisse s'appliquer d'une manière
directe à nos troubles intérieurs de cette époque. • J'étais, bien




jeune encore, au nombre de ceux qui enlevèrent les retranché-
mens .de Jemmapes• en chantant la Marseillaise. A ce titre,
j'aurais voulu qu'on épergteit à nos souvenirs même 'l'ombre
d'une




.avec l'esprit qui anima les Ravaillac et les


• Au reste, -messieurs ces dangers-du dehors, quela prudence




( i5o )
excessive du législateur peut lui indiquer, sont loin de nous, et
nous savons bien qui nous en sauvera. La sagesse du Roi nous
a délivrés deux fois des étrangers, la sagesse du Roi les empê-
chera de revenir. 4 nous conservera les bienfaits de la charte,


lité
son plus I. onyrage. Et vrac, messieurs, si un instinct de fidé-


et d'amour vous porte à offrir au trône 'en deuil un hoin—
m iv,e extraordinaire de votre dévouement , vous rie voudrez pas
pour cela que la loi que vous aurez votée devienne, par sa témé-
raire application, funeste à nos citoyens, funeste par conséquent
an pire de la patrie. Vous ne refuserez pas_ d'accueillir les tern-
péranteus propres à restreindre et à circonscrire dans des
limites raisonnables Faction de l'arbitraire.


C'est dans cet e.writ „ et pour empêcher les préfets et les
maires d'intervenir dans les arrestations , que je.propose l'amen-
dément suivant à l'article z.


L'ordre d'arrestation sera envoyé au procureur du Roi de
» l'arrondissement où se trouvera l'individu à arrêter, pour
n être exécuté à sa diligence et conformément aux articles io8
» et ]09.


du Code d'instruction criminelle )›.
M. &ministre des affaires étrangères. Dans le discours que


vous venez d'entendre, discours prononcé à propos dé l'article 2
du projet de loi et des arnendemens de la commission, l'ora-
teur a établi beaucoup de choses


.
auxquelles je n'entreprendrai


pas de répondre. Je remarquerai seulement avec satisfaction ,
quelle que soit la rigueur dont l'honorable collègue ait usé en-
vers le ministère actuel , qu'il a laissé au moins à la France une
confiance bien douce , et que j'aime. à partager; c'est que quels
que soient les ministres, de quelque partie de la chambre qu'ils
soient tirés, on les trouvera toujours, comme nous >animés de
llamo•r du Roi, dela patrie et de la liberté. Puisqu'il a cette
confiance, je crois. qu'il s'est donné à lui-même et qu'il nous a


j
donné la plus forte garantie que la loi proposée n'entraînera
amais les abus qu'on paraît redouter.


Maintenant, messieurs, j'examine l'amendement dont il s'agit
avec la sincérité qui m'est commune avec celle des autres ora-
teurs et avec toute la chambre. Notre but est. d'entourer la loi
proposée de toutes les garanties qui peuvent rassurer sur son
exécutiun..Les intentions des ministres chargés de la faire exé-
cuter seront entièrement remplies , c'est-à-aire qu'aucune ri-
gueur inutile ne sera ajoutée à la triste nécessité dans laquelle '
pourra se trouver le ministère de prononcer sur la liberté indi-
viduelle : nécessité qui , j'ose le dire ici , sera bien loin d'être
poussée aussi loin qu'on a voulu le croire. Je rappellerai ce qui


( 151 )
a été dit dans cette enceinte : cinq et même da Mille arresta-
tions avaient eu lieu en vertu de la loi de 1816. 11 n'est, inee,.
sieurs , aucun de vous qui ne sache que penser de telles suppo-
sitions. Quelles que soient les comparaisons de temps passé avec
les temps présens , il faudrait remonter trop haut dans nôs
-volutions , il faudrait arriver à des époques ttop déSa.sti'etfsée.9
et dont nous voulons tons effacer la mémoire pour en trotiVee
une qui présente de semblables arrestations:


Je l'espère, messieurs, les arrestations commandéespât jette
loi seront infiniment rates; et le Ministère aura polir , en
les prononçant , la sécurité de sa' céeseiende, parce qu'elles ne
se feront que dans l'intérêt du troue ét de l'état.


Maintenant je,vais examiner l'aMendeMètit dé la Cerramission..
La première partie dé cet anlendementtend à dé§igtier là


son dans laquelle le pri.4Velitt Sea. -Canditit. Cet amendemétite
pour but d'empêcher que deS vexations partieulières, G lue de
haines locales n'aggravent le sort dés Il rie • faut' -pa4
qu'ils soient emprisonnés à. t1n trop grand éleigneinetit dé Petit'
domicile , oil ils • telf,z,eüt- des seetrtirs. J':idepté èetté
disposition , elle Me pareltjtiste et mage ; elle entre dans l'in.'
tention du ministère.


Quant à la seconde partie consisté à edigel'
du Roi à rendre conepte de l'ati"éstatietî relit géit3éral
je crois qu'ab lien l'é'Cre ataritifgensë 5 erie lut scia
contraire, Ellu ,oiiéra: une perte de teino -inutilè-DÉnr sajustification. Jé pense (lcine que cet amendéifie- oit 3ti-e rejeté:Quant à Me qui vient d'être proposé' 1)Kcepinaiit , il
consisté à ne permettre qu'ail ernétireur L ,.i4tiré arrêter
le prévenu. Je rendSjustiter aû géntinient etni a dicté Cet enten-
dement; mais je ne' crois pas qu'il soit justieé•Éi pat 'é& qui se
passe actuellement , n1 par 1: . ilui en résillféralérit.
Les arrestations de la nattire a cNllcs commandées pftr-la" loi
proposée , et qui ont pour objet la sûreté de l'état et de la' fa--
mille royale , doivent être' eeciitées Kompfedent. C ' la
promptitude qui e assure tè' succès. Ainsi On 'ne' d'Oit pi, s les
assujettir à des formalités• plUS Inngties gaie celles ipüi `se {r3iïEjlYtir-
nellement à Paris, -,,lice•ùse du droit de fair ,‘ ,Ittéter.
L'administration , cal i vigilante quelle sort d'ens
pitale , si elle n'avait pas ce pouvoir, serait iMpuiseant . •.,ut'
d écou vrir des in lfaiten 'se • catlWit t pl'fs(tite tÔUjou rs dans
l'ombre ; et dans une villetélle qUe'PariS' , l'ombre est plais paisse
qu'ailleurs. il y aurait donc souvent un'&impossibilité'presee


. absolue à exécuter ce que' deniande




( /52 )
J'ajouterai que cela serait sans aucune espèce d 'avantage pourle prévenu ; car peu importe que l 'a rrestation soit faite par


tel ou tel individu , cela ne change rien au fait d'a.rrestation ;
mais ce qu'il importe pour Phoninie


arrêté, c'est qu'à l'instant


de
même le magistrat soit averti , afin qu'il puisse remplir le devoirue la loi lu i im pose..Ainsi, messieurs, vous devez être frappésl'inutilité de cet amendement qui irait contre le but même
l'adopter
de la loi , et par c


onséquent je ne pense pas que vous puissiez
.


En me résumant, je
conclus à la première partie de l'amen-


.


dement de la commission ; j'ai présenté des observations sur ladeuxième ,. et je repousse le dernier
amendement.M. Be'doch. J'appuie l'avis de la commission, qui tend à subs-tituer le mot interrogé au mot sera entendu. Il y a à cet égard


une grande différence entre le projet de loi et l'avis de la com-
mission. Le projet dit que le prévenu sera entendu ; mais sur
quoi , s'il n'est pas interrogé ?. Eh quoi ! on ne lui donnera au-cun document, aucune.com munication


, il ne saura pas les mo-tifs de son ar
restation, et Vous voulez qu'on lira _demande cequ'il a à dire? Vous ne l


'interrogez pas, et vous demandez cequ'il a à répondre !
-Vous voulez qu'il soit entendu, et vous lelaissez .


dans une incertitude complète ; vous le laissez frappé
dans sa personne, dans celle de sa femme , de.


..ses,enfa-pré-
sens sa pensée ; vous le laissez sous le poids des plus ns


gravespréventions, en proie à des
angoisses mortelles ! cela n'est pas .possible ; c'est un outrage à l'humanité : il faut au moins qu'unin


terrogatoire lui fisse connaître ce dont on parait l'accuser. Ilfaut au moins
-qu'il puisse avoir une idée de ce que l'on croit être.


son crime. Messieurs , si vous croyez le projet nécessaire,
ilfaut au moins .qu'il lie viole pas les premières


.
notions de la jus-tice& du droit. J'appuie l'avis de la


commission, etje demande
terme.
qu'il soit dit, au lieu de sera entendu, que le prévenu sera in-


M. Courvoisier. Il me semble qu'on attache à Iule partie del'a niendement plus d'importance qu'elle n'en mérite ; les deuxarticles du projet du gouverneraient et de celui de la commissionsont à-peu-près
les mêmes. Le gouvernement propose de direque 16 p i‘éèhi,..sera entendu ; la commission demande qu'il soitinterrogé : c'est la même chose dans des ternies différens. Quantà ce que propose la commission , que le procureur giciira / doiveentendre le prévenu ,


au lieu du procureur du Roi , je _n'y vois-avàjge p911 ='; . te:prév
J'y vois , an conti:aii


•e , unepe r te de temps qui - pezit prolonge,r sa détention ; • car le procu-


I


I


( 153 )
reur du Roi est sdr lés lieux de l'arrestation , et le procureur
général peut en être éloigné. Je m'oppose à l'adoption de la
modification proposée par la commission.


M. Lacroix-Frainville. Je propose d'ajouter à l'article se-
cond cette disposition : qu'après l'interrogatoire subi par le pré-
venu, il aura le droit d'appeler un cônseil. ( Vif mouvement
d'adhésion à gauche ). On dira qu'il est dans l'intention de la
loi que le prévenu soit au secret ; non, ce n'est pas une volonté
exprimée par la loi , et la loi ne peut méconnaître le principe
et le droit de défense naturelle. La loi proposée dit que le pro-
cureur du Roi recevra lés renseignemens , pièces et mémoires
que le prévenu présentera. pour sa défense. La loi lui réserve
donc un moyen de.défense , elle reconnaît donc le droit :-après
avoir présenté verbalement les moyens de justification, elle lui
permet donc de les exposer par écrit ; mais il est possible que le
prévenu n'ait pas les dispositions nécessaires pour préparer, ré-
diger, présenter dans tout leur jour ses moyens de défense; il
est possible qu'il soit inhabile, qu'il ne sache pas écrire, que
même, il ne sache pas lire. Vous approuverez, je l'espère, mes-
sieurs, que cet-amendement vous soit présenté par un collègue-
qui,a consacré cinquante années de sa vie à. un droit de défense
naturelle, dont il s'honorera toujours de maintenir le même
principe. ( Même mouvement ).


Courvoisier.- Je ne regarde pas cet amendement comme
admissible. Il dérange toutes les formes habituelles dela juris-
prudence, et l'ordre constant de la procédure. A quelle époque ,
dans l'instruction criminelle ordinaire, le prévenu obtient-il un
conseil? Est-ce au moment de son arrestation ? Non, sans doute.
Est-ce devant le juge d'instruction ? Non , encore. Est--cc de-.
vant la chambre d'accusation ? Nullement. Ce n'est que lorsque
la chambre d'accusation a prononcé, et qu'il est. devant la cour
d'assises, qu'il peut se choisir un défenseur. de ne puis-être sus-
pect de vouloir rendre la loi rigoureuse, puisque je me suis assez
expliqué sur son principe ; mais il faut être conséquent avec soi-
même. Vous savez qu'il est possible que le prévenu soit détenu
au secret;_ or, comment concilier la détention au secret, avec
la faculté .


d'avoir un défenseur ? Je crois que l'amendement ne
peut être adopté.


Bédoch. L'opinant vient de nous citer les règles de la
jurisprudence ordinaire et du droit commun mais là loi pro-
posée sort de ces règles et de ce droit. Eh quoi ! on est arrêté,
interrogé , -détenu hors du droit commun , et quand vous recta-.
mez un droit de défense naturelle, c'est le droit commun que




( 154
)


l'on cite pour vous priver de l'exercice de cette défense !! Eh quoi!
un prévenu pourra être détenu pendant trois mois , six mois s'il
est arrêté de nouveau ; vous lui permettrez d'adresser des ren-
seignemens et des mémoires ; mais qui les réunira ces rensei-
gnemens? .


qui les rédigera ces mémoires, si le prévenu ne sait
ni lire ni écrire , et si au moins il n'a pas l'instruction et les


entendu par le procureur général ne ferait que prolonger, sou.'
dement de la commission. est évident que la nécessité d'être


moyens nécessaires ?
S'appuie au reste l'avis qui a été émis relativement à l'amen-


vent inutilement, la détention des prévenus.
J'appuie l'amendement de M. Lacroix-Frainville.
M. Jacquinot-Panzpelune. Il n'est pas difficile, messieurs,


de jeter beaucoup d'intérêt sur un tableau tel que celui d'un dé-
tenu prévenu d'être dangereux à l'état, de ses inquiétudes et des
angoisses de se famille, des tourmens qu'il éprouve au secret ,
et de sa pénible situation. Tout cela est vrai, et tout cela est
vrai dans le cours de la. justice ordinaire. Mais ne perdez pas de
vue, messieurs , l'esprit de la loi et 1,e- système dans lequel elle
est conçue. L'article dont vous vous occupez n'arrive qu'après


. er que vous avez adopté , et il en est la conséquence
immédiate ; si vous en annulez les dispositions par une modifi-
cation qui en détruit tout l'effet, .vous avez rapporté l'article
1 » et' : vous ne pouvez , sans une destruction entière de la loi ,
ordonner que les motifs seront communiqués, et que le détenu
sera autorisé à recevoir un conseil.


Lacroix-Frainville. Si l'on refuse la faculté d'avoir un.
conseil , il faut rayer de la loi la faculté de remettre au procu-
reur du Roi , pour les transmettre au gouvernement , les ren-
seignemens et mémoires justificatifs ; car si vous donnez cette
faculté en en retirant les moyens, autant vaut retirer cette fa-
cuité elle-même; quels que soient le caractère et les dispositions
de l'individu, qu'il soit capable de rédiger un mémoire, ou qu'il
ne le soit pas, il est toujours du droit qu'un accusé ait le moyen
de trouver un défenseur. La loi autorise la production d'un mé-
moire ; je me renferme dans la loi en demandant pour le détenu
le moyen de le faire rédiger, s'il ne sent pas qu'il ait lui-même
les Moyens de le faire.


11/I I{iviè , rapporteur. Il y e ici deux objets qu'on ne peut:
perdre de vue : le caractère de la loi , la nécessité que son
expression soit claire et franche. Il ne paraît pas qu'il y ait ici de
piège tendu ni à l'autorité , ni au détenu, c'est-à-dire, qu'il y
ait la in-oindre équivoque. La commission a été fondée à exa.-


( 155 )
miner Si en effet être interrogé ou être entendu étaient la
même chose. Or elle n'a pu le croire , et vous ne le croirez pas
davantage. La commission propose de dire que le détenu sera
interrogé , et je crois que M. le . ministre des affaires étrangères
n'y a pas mis d'opposition , et même qu'il y a consenti en des-
cendant de la tribune.


A l'égard de la faculté donnée au détenu d'avoir un d éfenseur,
c'est une autre question; et j'avoue que je ne crois pas que vous
puissiez adopter la- proposition sans tomber en contradiction
avec l'article que vous avez adopté.Quoi ! le détenu pourrait être à-la-fois au secret, privé de la
connaissance 'des inotifs'de son arrestation et il aurait un con-
seil admis près de lui ! mais que devient le mystère indispensable
dans de telles affaires ? Comment suivre en silence la trame du
complot? comment faire que les agens et les machinateurs ne
soient pas avertis à temps , ne soient pas prévenus, s'ils sont ar-
rêtés, de ce qu'ils auront à dire? coniment prévenir un concert
entre les chefs et les instrumens du complot ? Renfermé dans
le sein des magistrats , le secret peut et doit être gardé. Mais
l'avocat est un homme libre dans l'exercice de sa fonction. En
sortant d'avec le détenu, qui l'empêche de dire à sa famille, à
ses amis, au premier venu , tout ce qu'il aura appris, et tout
ce dont il s'agit ? Alors le secret , qu'il importe tant de garder
dans de telles affaires, devient qu'on me passe cette expres-
sion , le secret de la: comédie ( Des murmures s'élèvent
à gauche ) Messieurs, il est assez pénible d'avoir à sou-
tenir, dans l'intérêt de l'état, des principes rigoureux. . . .


M. de Chauvelin. Il est bien plus pénible de 'les entendre....
.M. cirière. Je n'ai pas saisi cette interruption ; voulez-vous


bien répéter
M. Dupont ( de l'Eure ). Nous disons, monsieur, qu'il est


bien plus penible de les entendre
M. le président. Je rappelle à messieurs les membres de la


chambre, que toute interruption- est interdite par le règlement.
Si on veut répondre, on doit demander la parole.


M. Rivière. Je ne doute pas que la sensibilité de l'honorable
préopinant ne souffre beaucoup des rigueurs auxquelles nous
condamne une cruelle nécessité ; mais je le prie de rendre la
même justice à ceux qui discutent le projet de loi , en l'envisa-
geant (dans l'intérêt de la-sûreté du trône et de l'état , de ceux
qui ne veulent pas -faire. de victimes, mais qui veulent au con-
traire, par une mesure préventive, indispensable, sauver peut-
être des ouillions de victimes ,.en'préservant Ntat-desa subver-




( 156 )
sion• ( Mouvement général d'adhésion au •centre•


et à droite );J'insiste pour le rejet de l 'amendement de M. Lacroix-Frain•-ville.
.111. 111anuel. Quel que soit le...résultat de la discussion quis 'élève sur l 'amendement de M. Lacroix-Frainville, elle aura


du moins l'avantage de vous {tire encore mieux connaître la gra-
vité de la mesure que les ministres vous proposent, et toutes
ses odieuses conséquences.


Toutefois cet amendement nie parait susceptible d'être dé-.fendu par des considérations décisives.
Le projet de loi n'a pas cru pouvoir refuser à l'individu arrêté


le moyen d'éclairer l'autorité par des mémoires , aussitôt que
son interrogatoire a eu lieu. Mais pour que cette àisposition ne
soit pas inutile dans la plupart des circonstances, il faut que le
détenu ait la faculté de faire rédiger ces mémoires, et c'est pré;


:.
cisément cette faculté qu'on lui refuse en lui déniant les secours
d'un conseil. Etrange résultat de cette loi qui ne contient qu'une
seule disposit ion:favorable à ceux qu'elle frappe , qui , dans
cette disposition même, est encore injuste et inconséquente !


Remarquez , en effet, que cette disposition telle qu'elle, est ,
laisse précisément sans ressource tous ceux qui, par


. défaut:dle,ducat ion , d'intelligence ou de caractère , -éprouveront le: plus
d'embarras pour se, défendre contre les soupçons et les délationsdont ils seraient atteints, projetaccorde d'au tant moins
de secours au détenu , én 0..uit plus grand besoin. Il est in-dispensable de faire disparaître:cette inégalité.et cette injustice.Il faut adopter l


'amendement qui complète la mesure faire
disparaître du projet une disposition qui ne favorise qu'un.cer-
tain nombre de détenus. C'est bien assez d'être dur, ne faut
pas encore se montrer inconséquent.


Puisque je suis à la tribune , j'en profiterai pour soumettre à
la chambre quelques observations générales sur les divers amen,
demens qui lui sont proposés.


Si j"avais le malheur de partager l'opinion de ceux qui sont
convaincus que des lois d'exception sontnécessaires pour le sa-
lut de l'état, bien loin d'admettre des modifications


à
celle qui


vous est présentée, je -.me:plaindrais4e ce que les ministres ne
l'effnous en présentent une plus efficace, plus propre à préveniret des complots. L


'expérience a démontré en effet que ,celle-
ciserait insuffisante pour atteindre ce but. Ne vous souvient-il,
pas de celni.qui éclata en 1812, malgré l'existence des


mesuresde hante-police les plus sévères , du pouvoir di scrét i onnaire. leplus'étendn i - de ce complot d'autant plus remarquable que ses


(157)
principaux auteurs étaient détenus eux-mêmes en vertu de me-
sures de haute police ?


Il serait inutile , sans doute de retracer ici les détails de cet
événement. Ils sont trop connus, et le sont surtout parfaitement
de l'un des ministres qui me font l'honneur de m'entendre.


Mouvement général ).
Mais, messieurs, convaincu , au contraire, comme je le


suis , que la loi proposée sera à-la-fois et inutile et funeste, je
ne puis pas ne pas m'affliger de voir quelques-uns de nies hono-
rables collègues qui partagent cette opinion, dont quelques-uns
même l'ont hautement énoncée , se montrer pourtant disposés
à voter dans le sens du projet , sous la seule condition qu'il
éprouvera des modifications plus ou moins importantes ; j'é-
prouve le besoin de leur dire que le principe de l'a rbi'mire une
fois admis , aucune précaution ne sera suffisante pour én res-
treindre les funestes effets ; qu'ils se font à cet. égard une dé-
plorable illusion. Et pour arriver plus sûrement à les convaincre,
je laisserai là les raisonnemens , et ferai parler de mémorables
exemples.


Pour essayer de calmer nos alarmes sur les abus du pouvoir
discrétionnaire , les ministres ont affecté de nouSparier des ré-
sultats de-la loi de 181 7 , époque où la réaction était mourante.
Mais ils n'ont pu nous faire oublier que le même régime avait
existé en 1815 et 1816. Eh bien qu'on se rappelle lés terribles
effets qui le signalèrent à l'exécration de tous les hommes amis
de la liberté publique et de l'humanité! Et ne croyez pss quee
veuille seulement nie prévaloir en ce moment du nombre infini
de détentions arbitraires qui furent exécutées sur tous les points
du royaiime.'Ce qu'il m'importe de faire remarquer, c'est que
la loi d'alors ne (tonnait pas à l'autorité plus de droits que la loi
actuelle; et cependant bientôt le gouvernement, ajoutant son
propre arbitraire à . l'arbitraire de la loi, ne se contenta point de
remplir de suspects les prisons de l'état ; un nombre plus con-
sidérable encore fut soumis à des cautionnemens énormes ;
d'autres furent placés en surveillance dans des communes eloi-
gnées de leurs familles et de leur domicile; et, pour comble
d'attentat, on vit des milliers de Français forcés de rache-
ter leur liberté par leur exil, ne sortir des cachots que sous la.
condition imposée par le ministre de fuir sur une terre etranH
gère. C'est ainsi que fut peuplé le Champ-d'Asile ; c'est ainsi
qu'on a vu des Français , qui n'avaient d'autre crime que celui
d'aimer leur pays, réduits à aller chercher un asile et du puni
chez toutes le.nations du monde. Ces rigueurs nouvelles




( t58 )
taiënt pas autorisées par la loi du mois d'octobre 1815.. Elles
n'en furent: pas moins exercées ; elles le furent impunément , et
elles prouvent à quels regrets doivent s'attendre ceux qui
croient pouvoir régler la marche de l'arbitraire lorsqu'il est une
fois déchaîné.




je Comment ne m'affligerais-je pas encore, messieurs, lorsquevois un ou -plusieurs députes qui, malgré leur répugnance
pour la mesure qu'on leur propose, se déterminent à la voter,
par des considérations toutes étrangères au salut de l'état; lors-
que j'entends l'un me dire que son vote n'est. qu'un témoignage
d'affection à la dynastie régnante, un sacrifice expiatoire sur la
tombe de l'infortuné duc de Beni ; celui-là me parler de la
consternation royale; d'autres enfin , .de la nécessité de mé-
nager le ministère actuel, d'empêcher qu'un revers ne hâte sa
chute? Ce n'est point ici le montent de faire justice de toutes
ces considérations ; mais je dirai que ce n'est point par de si
vains et de si dangereux ménagentens que Sully répondit à la
confiance de son Roi, lorsque Henri lui demanda son avis sur
une promesse inconsidérée qui compromettait et sa gloire et son
repos. Il vous souvient, messieurs, par quel geste énergique,
par quelles expressions plus énergiques encore le ministre mat-
nifesta sa désapprobation ; et vous savez s'il en resta.moins honoré
de l'estime et de l'amitié de son maître. Et ce qu'un ministre a
làit vis-à-vis d'un monarque absolu, les représentans de la
France hésiteraient: de le fifre vis-à-vis les ministres respon-
sables d'un roi constitutionnel ! Pour essayer de nous rassurer
sur les conséquences de l'arbitraire qu'on nous demande , on '
nous a dit que le despotisme eeprenait , et ne se d emandait pas.
L'histoire de tous les despotes s'élève contre celte prétendue
maxime. Elle atteste que c'est toujours par le peuple ou par la
religion que les chefs de l'état se sont fait donner le pouvoir ab-
solu. C'est par des sénatus-consultes que Bonaparte a obtenu
successivement et le consulat à vie, et la couronne impériale,
et ces moissons anticipées de jeunes Français qui allaient périr
victimes d'une désastreuse manie de-conquêtes. Tibère lui-même
ne detuandait-il pas au séhat romain toutes les Vieillies qu'il
voulaitiinmolee ?


Il est vrai que, prompts à flétrirlee instrumens dont ils s'étaient
servis, ils s'écriaient en sortant du complaisantaréopage


lesclaves que trint Cela! Mais le dos Centile de Ces esclaves neeur avait pas moine servi dé marche-pied pour arriver à un des-
potisme plus facile et plus complet.


Pour nous, qui n'appartenons pas, comme on a osé le dire,.


( 159 )
à une école funeste qui apprend à ne vouloir de garanties que
celles qui s'arment contre le pouvoir, si nous nous armons en
ce jour contre lui, c'est pour le forcer, dans son propre intérêt
comme dans celui de la. liberté, à se renfermer dans ses bornes
constitutionnelles. En politique les limites sont aussi des garan-
ties, et peut-être de toutes les garanties les plus solides.


Pour vous, messieurs, si vous vous décidez à exagérer les
pouvoirs du trône, si vous lui accordez l'arbitraire qu'il vous
demande dans son aveuglemen t , craignez de vous préparer des
regrets amers, et de lui faire un funeste présent. Songez que
lors même que les ministres n'abuseraient pas de votre confiance,
lors même qu'ils ne feraient de cette confiance qu'un usage mo-
déré, bien que le passé et le présent soient peu faits, j'ose
le dire, pour nous rassurer sur l'avenir ; songez que, par cela
même que vous mirez rendu l'abus possible, l'abus sera toujours
supposé, et qu'ainsi le gouvernement sera responsable devant
l'opinion publique, non-seulement du mal qu'il aura fait, mais
de celui qu'il aura pu l'aire. Si c'est là servir le pouvoir , je ne
le servirai jamais. Je vote pour l'amendement. ( Mouvement
d'adhésion à gauche.


M. le ministre des affaires étrangères. L'orateur qui m'a
précédé à cette tribune a fort bien établi, par un exemple très-
connu, que les précautions d'ente police, même vigilante, peu-
vent être déjouées, et que les conspirateurs: peuvent être plus
habiles que cette police elle-même. Cet exemple peut être plus
ou moins applicable ; il peut être dirigé d'une manière plus ou
moins convenable. contre telle ou telle personne : n'empêche
pas qu'il ne soit nécessaire de surveiller les coespirateurs, né-
cessaire de découvrir leurs complots ; et cette nécessité n'a ja-
mais de être mieux sentie que quand il s'agit de préserver tout
ce que nous avons de plus cher et de plus précieux, l'état et la
personne sacrée de nos Rois.


Là est la question tout entière.
Si ce premier rapprochement n'a pas• été heureux pour la cir-


constance présente, je crois quo le même orateur n'a pas été
mieux fondé en raison, en comparant la loi proposée uvec celle
dont il vous avait une si terrible peinture quant ses effets, Je
ne crains pas de le dire, cette loi ne ressemble en aucune ma-
nière à celle de 1815. Celle-ci avait le grave inconvénient de
disséminer le. pouvoir alors qu'il eût fallu le concentrer, de
répandre ce pouvoir par toute la France, au lieu de le placer là:
où il pouvait être le plus assuré. Alors , à cette mente tribune
je me suis .opposé à•une telle disposition. J'étais aidé d'utaelare-:




( 16o )
voyance que des intécédens, et peut-être l'expérience des
affaires, ine permettait d'avoir plus que quelques-uns de nies
honorables collègues; et quoiqu'elle ait été justifiée, elle ne l'a
pas encore été autant que je le craignais. Cette loi de 1815 don-
nait, .dis-je, un pouvoir qu'on. a rappelé, c'est-à-dire le pou-


. voir de mise en. surveillance; on a pu en Lire un usage plus ou
moins étendu ; mais ce pouvoir ne se trouve nullement dans la
loi présentée. Ainsi cette comparaison est sans aucune espèce
de fondement.


Maintenant, sortant de la thèse générale de laquelle il est
bien temps de sortir, pour venir à la discussion de l'article, il
est à remarquer qu'il ne reste plus qu'un seul point, c'est celui
relatif à l'amendement proposé par M. Lacroix-Frain ville , et
qui consiste à donner un défenseur au détenu aussitôt après son
interrogatoire.


J'observerai que, lorsqu'on fait une loi qui a un caractère
déterminé, on ne peut changer le caractère: primitif de cette loi
ni l'accompagner d'une disposition qui porte un caractère étran-
ger. La loi proposée doit donner au gouvernement des moyens
d'atteindre par des voies qui ne sont. pas ordinaires. Mais ce
pouvoir n'est accordé aux ministres que pour un temps déter-
miné, et avec des formes qui garantissent, plus qu'on ne pour-
rait le dire, contre les abus qu i


pourraient être commis. Ainsi,
il ne faut pas aller chercher des garanties là-où:elles ne sont pas,
et nier leur existence là'où elles sont de toute évidence.


On propose de donner un défenseur à l'individu arrêté, aus-
sitôt qu'il aura été interrogé par le procureur du Roi; mais cette
obligation n'est pas même imposée dans le droit commun. Dans
la jurisprudence actuelle, on n'est obligé de donner un conseil
au prévenu , que lorsque les détails•de l'instruction sont tenni-
néS. Sans doute le pige 'd'instruction , quand il n'y voit pas
d'incenVéniens,peut bien permettre 'au prévenu d'avoir un
conseil _avant la fin detinstruction. Les ministres sont dans le
même cas, et ils pourront aussi l'accorder ; mais il n'est pas pos-
sible de leur en fa i re un devoir, parce .qu'il pourrait aller contre
le but de la loi et l'intérêt même de l'accusé.


En effet, je. dis qu'une telle disposition pourrait aller contre
le liut de la loi, Se:«rfo,4;a ut le gouvernement


.
à étendre la.con-


• fidérieè -. des faits-"P6u'r 'lesquels l'arrestation
.
aurait.été faite.,


ne pourrait-il pas craindre d'en manquer le résultat? Ainsi le
'but de 'aloi ne:serait pas rempli.


-


De plus, je -dis qu'elle serait contraire à l'accusé.
'Le - gétiverneni.:. réCevoir du prévetn,tous..lesmoyens;:et


it)


( 161 )
documens d'où pèut résulter son innoCenCe. Et c'est pour cela
que la commission a préposé un amendement qui indique que
le gouvernement fera. connaître au détenu les motifs de sou
arrestation.


Les ministres rempliront cette disposition aussi franchement
qu'il dépendra d'eux.


Les motifs de l'arrestation 'communiqués au détenu, lui don-
nent les mo yens de se défendre. Quel que soit le caractère de
la personne arrêtée, peut-on supposer un homme assez . Simple
pour ne pas'ptinvOir donner une explication plus Satisfaisante,
plus convaincante que ne le sont souvent les raisonnemens tra-
vaillés ?


Mais supposez le contraire. Si volis obligez le gouvernement
à donner un défensetir, vous l'obligez én Même temps à retran-
cher une partie des communications qu'il aurait faites à l'accusé ;
la partie qu'il voudra tenir secrète ne sera pas communiquée.
Ainsi vous privez par-là l'accusé d'Une partie de ses Meyens de
défense. L'article permet à l'accnieliè id cis
pour sa justification ; mais il faut coiièevoir mémoires
que ceux rédigés par des avocats; il faut co1:4veir des mé-
moires rédigés parle simple bon sens, et dictés par l'innocence
dn prévenu.


Je ne crois pas que la chambre puisse adopter l'amendement
sana détruire 'entièrement l'effet de là


On demande et.la chambre ferme la discussion.'
présideiitrappel le l'aMendment dè"M. tacroix-Frai n-


Nine , et-consulte l'assemblée sut son "ad opi ion.
Une première épreuve est faite. M. le président déclare qu'elle


paraît douteuse au bureau:
On -réclame -vivement à gauche l'appel 'nominal. r.oix


droite, : On ne passe à l'appel nominal que lorsqU'il y a eu deux
épreuves douteuses !... Une seconde épreuve l
: le président consulte la chambre de nouveau"; MM. lès
secrétaires se'platent à la tribune.


k président, après les avoir consultés, déclara e qu'il y a
du doute. On va procéder è l'appel nominal.


«AC ie président invite MM. les 'Menâmes à deirieurer en
place et ensilence, et à ne se présenter que succeement et
:au moment de l'appel.


Yendairt qiiétees interruptions ont lieu, par suite
de l'encombrement formé dans le couloir deigauche, où de noni-
bretix -étrangers introduits, et prés'en
autour des' pupiti'és'ires-WarnirliStea." •




'séance , pressent


n.




( 162 )
M. le président invite les personnes étrangères à la chambre


à ne pas troubler l'ordre de ses délibérations.
L'appel et le réappel terminés, M. le président en reçoit le


résultat de MM. les secrétaires.
M. le président. Voici le résultat de l'appel nominal : II y


avait deux cent quarante-sept votans. Boules blanches, cent
quatorze ; boules noires, cent trente-trois. La chambre rejette
l'amendement de M. Lacroix-Frainville.... Une longue et vive
agitation succède.... Une voix générale s'élève: A demain


,demain!...
POyfiiM de Cère. Je demande la parole.


M. le président. Sur quel objet ?
Poyféré de Cère. Messieurs, j'ai à réclamer l'exécution


stricte du régleraient. L'article 99 du régiment porte : Nul
étranger ne peut, sous aucun prétexte, s'introduire dans l'en-
ceinte où siègent les membres de la 'chambre. n Je réclame que
M. le président fasse exécuter cet article.


M. le président. La•chambre a pu apprécier les motifs qui
m'ont empêché jusqu'ici de faire exécuter cet article du règle-
ment; mais, puisqu'on le réclame, je donnerai •des ordres en
consêquence.


La séance est levée à six heures.


Séance du i3 mars.


M. le chevalier Lemore , rapporteur de la commission des
pétitions. Votre précédente Commission a délibéré sur cent qua-
rante


-deux nouvelles pétitions. Cent trente-une sont relatives
Diu maintien dela-charte et de la loi ides élections, et onze pour


le
tin but-con-traire-à-cette loi ;;de ce nombre quatre vous désignent


s tuanoeuvres pratiquées -parles colporteurs de pétitions; deux
témoignent des regrets pour avoir signé des pétitions -dont ils
ignoraient le contenu , et cinq demandent des ehangemens à la
-loi des élections.
•- Conséquente avec elle-même et avec votre résolution du 15
février dernier, votre commission avait émis, avant la séance
•du•n de


-ce mois, et à une ',très-forte majorité, le vœu-formel
d'ordre du jour, sans aucune distinction.


Nous étions préparés, messieurs, à vous donner quelques
déveioppemens sur la similitude de- ces pétitions avec les pré-
cédentes, sur le danger qu'il y aurait de-les accueillir, surleur
inutilité pour une. disposition législative:quelconque., et sur ce


( i63 )
que la chambre se devait à el le-même, sur ce qu'elle devait encore
aux intentions manifestées par la majorité,. Il serait inutile au-
jourd 'hui , et ce serait vous faire perdre des momens précieux
que de vous entretenir plus lons-tempssur une question décidée
par deux résolutions mémorables. Tel est d'ailleurs le voeu de
votre commission. J'ai l'honneur de vous proposer l'ordre du
jour sur toutes ces p,'titions.-


M. BasterMche. Je viens, messieurs, m'oppose r à l'ordre
du jour proposé par la commission, quoique cet ordre duj our soit conforme à la délibération que vous avez déjà prise
sur le .même sujet. Nous avons éprouvé une très-grande dou-
leur en voyant repousser 'par-un ordre du jour un nombre si
considérable de pétitions renfermant le voeu du maintien de la
loi des élections. Eh bien ! c'est un 'iris qui ne saurait être con-
testé, que depuis cette délibération , loin de s'arrêter dans sa
progression , loin de diminuer, le nombre des pétitionnaires
s'est accru, et le voeu des pétitionnaires ne s'est manifesté
qu'avec plus de force. Les voix qui se sont élevées jusqu'à vous
sont devenues en si grand nombre , qu'elles ont pris un carac-
tère très-recommandable ; elles:commandent votre attention ,
elles demandent votre examen. ..Ce ne sera pas, comme on l'a
dit , des.ordres qu'on vous intime, il y aurait crime à le tenter;
ce sont des prières pour le maintien de vos lois, et ces prières
n'ont rien de commun avec la demande de lois nouvelles et avec
l'initiative qui appartient au pouvoir royal. De nombreux indi-
vidus ont exposé leurs pensées , ils vous ont exposé ce qu'ils
croient être dans leur intérêt; mon intention'n'est ici ni de traiter
la question principale, ni de l'éloigner ; mais quelques réflexions
à présenter sur certaines opinions qui ont été émises sur la
question , ce n'est pas anticiper sur cette même question, ce
n'est pas discuter le projet de loi qui nous a été présenté. Mais
je desire saisir cette occasion de rappeler des principes que je
crois utiles, et-de repousser des doctrines que je crois suscep-
tibles d'être attaquées.. Je sollic i terai donc de vous, messieurs,
la même indulgence .que celle que vous avez accordée aux ora-
teurs que je me propose-de réfuter, sans rentrer dans l'examen
des points capitaux de la discussion qui a eu lieu devant vous...
( L'orateur est interrompu... )


-Un grand nombre de voix à droite : Cette discussion a été
f
:o


rumvéeeliesvous ne pouvez la rouvrir à l'occasion de pétitions
La chambre a prononcé du


jour proposé par la commission'
Aux voix l'ordre


Tin grand.nombre de voix à gauche : Laissez parler'


I




( 164 )
laissez parler'


Continues'
- opposition se manifeste à droite




Plusieurs voix : L'ordre
du four


M. de Chauvelin. Je ne viens pas me plaindre des interrup-


Q
tions qui ont eu lieu; elles sont quelquefois très-légitimes.


uelques personnes entendent des phrases sur lesquelles il est.
donné à l'instant une réponse, et cela peut abréger et éclairer
à-la-fois le débat. Il échapper avec beaucoup de sincérité et
dans les meilleures intentions, une phrase qui peut éclaircir
beaucoup la discussion. Mais ces interruptions qui,ont été
•assez fortes pour être entendues .de l'orateur, ne l'ont pas été
assez-pour être entendues des journalistes à la place où on les a
Mes aujourd'hui




(Une vive agitation se manifeste. ) Oui,
messieurs, j'avoue que lorsque j'ai entendu, àla dernière séance,
mon collègue M. Poyféré de Cère foire une motion pareille à
celle qu'il avait faite l'année dernière




Des murmuresinterrompent. )
M. le président.


.Te dois faire observer à l'orateur que je ne
l'empêche pas de parler....
• de Chauvelin. M. le président, je vous remercie. Je de-


. . .


1kirtande à la chambre la permission de lui expliquer que ce que
J'ai à lui dire n'est pas aussi étranger qu'on le croit à la discus-
sion. Dans ces discussions qui se sont produites depuis la session,
et clin menacent de prendre encore un caractère plus grave d'in-
té)* public chaque jour, chaque séance, il était à desirer que
les discours dés membres dela chambre des députés,et leurStioin-
dres paroles, fussent entendus de la France tout entière. M. Pei :y-
féré de Cère e renouvelé une proposition qu'il avait faite l'année
dernière. On a accédé l'année dernière à sa proposition ; l'entrée
dés couloirs.


de la chambre a été refusée aux curieux qui s'y
introduisaient par des préférences qu'ils obtenaient ; mais alors
cette mesu s'est bornée à l'exclusion, et les journalistes ont
continué à. Se placer clans les couloirs , excepté le Moniteur, qui


•parait avoir une préférence que je ne sais à qui attrib .
'er ; car


nous espérons bien que la rédaction
- de nos séances ne nous estdonnée dans le Moniteur comme officielle. ( Un grand


ntinibre de voix : Non sans doute l) Ainsi je ne vois pas à quel
titrell a obtenu cette préférence. D'ailleurs, tous les journalistes,
à • quelque nuance d'opinions qu'ils appartiennent , sont placés


•dans-une
•positioe0i, ceux de nos concitoyens placés sur la même


iie'dans-leS tribunes voisines, nous disent qu'ils •perdent la
cegiti se dit , soit par la construction.deTa salle, un


peu sourde, ou parce qu'en est dérangé par le mouvement des


( X65.)
personnes que l'on e à cOté de soi. Il en résultera-, messieurs,
que vos séances seront, non pas à' dessein mais fissile de bien


mal rendues à la France tout :entière Or, quel estentendre ,qui ne désire que son opinion, le•eri de sa consciencele députépuisse être entendu ? car il n'y a•que les consciences qui :s'expli-
quent ici. Il est donc intéressant pour tont le monde qu'en 'ne
prenne pas une rigueur qui est tout-à-thit .arbitraire, qui n'a
pas même son antécédent, puisque l'année-dernière les journa-
listes n'ont pas été exclus des couloirs. Pourquoi cette année eu
est-il autrement? est-ce par anticipation , une mesure de ri-
gueur contre la liberté de la presse? est-ce Une manière de nous
accoutumer à une censure plus grave et _plus, oppressive encore?
( Voix à droite : A la questionl parlez des pétitions !) Je
conclus, et je demande, pour que l'ordre de. la délibération
soit toujours aussi bon , aussi -parfaitement régulier que nous
devons le desirer, que les rédacteurs de tous les j ournaux soient
replacés dans-les couloirs , et que M. le président veuille bien ne
pas prendre sur lui d'interpréter le réglement. Le règlement
dit bien qu'aucun:éttangernepéritêtreintroduit dans l'enceinte
de nos séances; niais les .rédacteurs. du•. Moniteur sont. aussi
étrangers que ceux du Journal des Débuts.;j1.,ne peut y. avoir.
de préférence. Je demande que tonesoient exclus sans exception
des couloirs ou y solen t t ous .adin is. (-• U/L grozd o m1)re
de voix à gauche : Appuyé I appuyé ! )


_ill. le préside ri t. L'article .92 de notre réglernent. porte : «21.77/1
eiran ger ne T;ent, sinus aucun prétexte, s';ntroduire dans


enceinte oi les.ntembres de la ehainbre )) L'exécution
de cet ortie] ea éL récliiMée en séance publique. En conséquence,
J'ai donné les ordres nécessaires. Si notre honorable collèguepense que. notre réglep&ebt doive être modifié en ce point, il
ne peut pas, sons prétexte de parler sur l'ordre d'une antre
discussion interrompt et dont. il ne s'occupe point, pro-
poser à la tribune cette modification. 'Une telle propositiondoit être déposée par écrit, coniniuniquée dans les bureaux de
la chambre, et soumise-aux formes que notre règlement prescrit.


La• chambre a fait avec lé rédacteur da Moniteur universel
un traité pour qu'il recueillît et imprimât . en entier, les opinions
émises par • nos honorables collègues. Ce rédacteur n'est-il pas
ainsi devenu employé dela chambre., et le président pouvait-il,
sans une décision expresse donnée par.vous, messieurs,
sidérer ce•r4acteur comme étranger à la chambre, t 1 ap-
pliquer l'article 92 du règlement.? C'est la qualité que vous


continuez' La même




( 146 )
attribuez au rédacteur du Moniteur universel qui résoudra laquestion.


On demande de nouveau l'ordre chi ,jour.•
M. Casimir Percier. Le traité dont vieil': de parler M. le


président ne peut pas luire déroger à l'article 9 2 du réglement.
n'est pas nécessaire pour cela qu'il y ait Une proposition faite;


car le traité n'a pas pu annuler cet article. Le traité n'a pas été
fait dans cet objet. Je demande, comme mon collègue M. Chau-
velin, ou que tous les journalistes soient réunis dans la placequ'ils Occu paientprécédemment, ou que le Moiziteur sorte,Moins que la chambre ne s'explique di ,


7-,:iiuveati sur nue prbpo-
sition spéciale de changer l'Ortiëlô des r églement , et de faire
une exception particulière pur le Moniteizr.M. le :président. Le rédacteur du Moniteur universel est-il,
comme les outrés journalisfs, étranger à la chambre, malgré
le traité qu'elle a fait' avec lui , ou qui a été fait de l'autorité
de la chambré ? Voilà la point à résoudre ; et je suis prêté mettre
aux voix cette proposition.


M. Rogne de'Fiz7r. Je crois deVoirftire observer à la Cham-
.


bre que le tralef'dOnt il s'agit n'a été stipulé que pour une
année ; il peut ne pas se perpétuer; la chambre est toujours
mattreSse de le renouveler ou non.


On demande de nouveau à aller aux voix


Vo/ d gauche : Mais sur quoi? Posez donc la question
Vois d droite : Sur l'ordre du jour !...
On demandé la clôture de la discussion.


iVianuel


M. Chauvelin a fait une observation qui pa-
raissait raisonnable, que le règlement étant exécuté rigoureu-
sement envers les uns, il fallait aussi l'exécuter vis-à-vis des
-outres. M. lé président nous a dit qu'un traité avait été fait
avec te Moniteur, et 'qu'il s'agissait de savoir s'il fallait consi-
dérer ses rédacteurs ou comme employés de la chair \re , ou
coni,Lie étrangers. Je ne viens pas pour examiner cette question


jugéeen elle-même, mais pour dire qu'elle ne peut être agitée nien ce moment, par une raison toute simple, c'est qu'elle
vient incidemment à- une discussion qui doit avoir là‘ priorité.Sans doute vous


.


ne voulez pas, au profit d'un journal, établirle môhuple de transmettre vos opinions à la Franco. Tel Serait
cependant le résultat de l'exception faite en faveur dn
Je viens m'opposer à cet abus, et demander l'ordre


•du jour sur .44
liéprOposition sur laquelle vous êtes appelés à délibérerUn gnend nombre de voix d gaude : L'ordre du jour La


( 167 )
chambre., à nue majorité composée de la droite , du centre de
la droite et du centre de la gauche, rejette l'ordre du jour.


M. le président . Je
mets aux voix la proposition •tendant à


déclarer que le Moniteur
n'est point considéré comme étranger


à la chambre.
M. Manuel. Je demande .


à parler centré. la proposition. Si
la chambre, contre toutes les règles ordinaires, pense qu'il
a lieu à savoir si le, rédacteur du Moniteur


est ou n'est ras
.dans l'application des règles établies pour les autres journalistes,
je demand e qu'on veuille bien éclairer la chambre sur le traité.
br ous ne pouvons délibérer qu'en connaissance de cause. Aucun
de nous n'a vu Ce traité . , ni ne .tonnait. ses circonstances. Ce
n'est qu'après avoir pris connaissance de ce traité , que nous
pourrons décider s'il y a lien ou non d'agiter cette question. Ce
qui nie ferait croire que ce traité n'existe pas, c'est qu'en at-
teste que le Moniteur axefusé d'insérer des discours de divers
membres de :cette chambre.


Thl grand nombre de voix : Citez! citez'
de Camelles'. On annonce que. le eniteur e pris l'en-


gagementd'insére r le . texte .de toutes les opinions, et j e déclare,
I. a refuse . cl'anSérer la Mienne ( Très-. v ive sensation .)


0,i'clelliaiidïde'nUtiveau à aller aux voix. La chambré di:-
clare que le Moniteur ne sera point considéré comme étranger,
et que l'article 92de- sen règlement nebui'kera pas appliqué.


BaSterrèehe continue le développement de ,sOn oPi•rion
sur le rapport de la commission des'petitions. D s'attache
exprimer les .alarmes qu'il dit avoir été excitées au sein de la
nation par la présentation du projet de loi. Ce n'est pas les
intérêts de la grande propriété. dans le sens de la protedici•




constitutionnelle due à toutes.les propriétés, que le . projet fie
à lui assurer, c'est cette grandepropriété. tellequ'elle existe en
Allemagne, telle qu'elle existait autrefois en Fiance, dans cet
admirable régime , selon quelques personnes, cita y avait des
droits, des servitudes, des vassaux enfin (Des murmures
interrompent.) La masse des Français si unie , si forte, si


reuse, ne eut
nom-


b use,


pas épouvanter; tant de millions de ci-p
toyens ont des intérêts contraires ! Messieurs ; nous devons
écouter leurs réclamations et leurs voeux..Sachons nous honorer
nous-mêmes en accueillant des voeux inspirés par l'amour de
l'ordre, de la paix et le désir du maintien de nos institutions.
Je demande que les pétitions dont il vient.de ,vous être fait
rapport, soient renvoyées à la commission chargée de l'examen
du projet :de loi sur les élections.




( /68 )
M. le président rappelle que deux propositions sont faites : la


première, l'ordre du jour proposé par la commission ; la seconde,
le renvôi à la commission chargée d'examiner le proj et de loi—.Un grand nom/ne .de ?m'id : La:question a eté deux fois dé-
cidée


L'ordre du jour !
La chaMbre passe à l'ordre du jour une forte Majorité.
L'ordre du jour ay"


pilla la continuation de la discussion sur
le projet de ?cil. relatif à la liberté , et sur l'article 2
amendé par commission.


M. rapporteur. La chambré a jugé convenable d'é-
carteries amendemens gni


.
lui ont été.p,réSentés clans sa séance


d'hier. Leur rejet nécessite des modiec4i ts à la rédaction del'article 2. Le vœu a paru général que ]e.s Procureurs du Roi
lussent aPpelês à entendre les Prévenits. Je -vais présenter à la
chambre la rédaction de l'article 2 du projet de loi, telle
qu'elle a été concertée et convenue avec M. le ministre du Roi, 0,quia été charg_éspeCialernent de soutenir la discussion du projet,


cc ART. 2 T
. oid -prévenu ,4-rèté en vertu du précédent a r.


ticle, sera immédiàement conduit dans la maison d'arrêt
..
dutribunal de ParroirClissement dé sa , ou de celui Où il•


aura été-donné lieu à ladite prévention. Le geolier ou gardien
de ladite maison d'arrêt remettra dans les vingt quatre heures
la coe'de l'ordre d'arrestation au procureur du Roi, à l'effet
d'entendre et d'interroger le. prévenu, voit'parlui, soit par


, l'un
de ses substituts, tant sur les faits qui seront à la connaissance
dudit -procureur que sur les documens transmis par le gouver-
nement. Le procureur du Roi, ou l'un des substituts, rédigera
le procès-verbal des dires ou des réponses du prévenu, recevra
ses nu moires , réclamations età1::-e, pièces, et enverra le tout


justi
eu procureur-général,' lequel le fera parvenir eu ministre de la,


ce; pour en être fait rapport an conseil du Roi, qui statuera.),
M. le président. Je mets aux voix l'article z tel qu'il est pré-


senté par la commission et consenti par le gouvernement.
Il est adopté à la mime majorité que l'article .er
La discussion s'établit.sur l'article 3 proposé par la commis-


sion, et ainsi conçu : ccAnr. 3. Ce rapport, la décision du
conseil , soit pour le renvoi de l'inculpé devant les juges. com-
pétens , soit pour sa mise en liberté, en lui donnant connais-
sance par éprit des causes de son arrestation', devront avoir lieu
dans les trois mois au plus tard qui suivront l'envoi Ot des
pièces ci-desSusau ministre de la justiceparleprocureur-général.».


M. Bo ne de Faye. Messieurs, l'amendement qui vous est
présenté par votre commission comme devant former letroisiam.




( 169 )
article de la . loi, a pour but, ainsi que le suivant .


, de mettre
quelques bornes au pouvoir discrétionnaire que cette même loi
doit accorder. Mais si c'est une raison pour que ces amende-
mens soient combattus, c'en est une aussi pour nous de cher-
cher à les défendre. Après avoir démontré combien les effets de
telles mesures pouvaient devenir funestes, après avoir démontré•
tout l'odieux de cette loi, notre devoir encore est de lui enlever,
s'il se peut, une partie de cet odieux, en mit igeant ses rigueurs.


En effet , messieurs, si l'individu est coupable, la durée le-
gale de sa détention, qui serait de quatre mois au moins, en y
a joutant le délai qu'entraînera les envois de pièces, doit. paraître
suffisante pour réunir assez de preuves contre lui afin de pouvoir
le mettre en jugement. Et remarquez encore que, même alors,
én ordonnant le renvoi du prévenu devant les juges compétens,
l'instruction de son attire commencera seulement ; que cette
instruction peut durer plusieurs mois, et que, dans l'hypothèse
de l'innocence du prévenu, il aura subi une captivité de sept à
huit mois, et,,peut-êt're , plus , avant d'être mis en liberté. Une
telle rigueur it'st-elle pas assez grande, ne peut-elle suffire
pour expier 'd'injustes Soupçons? Et c'est ici, messieurs, l'in-
nocende q:ui en porte la peine.


Mais il eût encore été possible de, recommander cette dispo-
sition à votre attention sous un autre point de vue. Un mal-
heureux plongé dans les cachots peut y être oublié. L'innocence
trouve-t-elle de zê','s défenseurs, et ne sera-ce pas les écarter'
messieurs, que de ,hacher par des préventions aussi odieuses
que celles qui auront déterminé l'arrestation ? La crainte d'en-
courirIeS Soupçons n'empêchera-t-elle pas de se présenter
pour essayer d justifier:les prévenus? L'ami s'éloignera d'un
ami malheureux. Les parens Même repousseront celui qui, par
un aussi affreux soupçon, aura entaché sa famille. L'infortuné
pourra donc être abandonné de tous, et les ministres en conclu-
ront, n'en doutez pas, qu'il est bien plus criminel. Ce tableau
ne serait peut-être: que trop vrai, messieurs, si nous ne devions
être r •éà par la générosité si naturelle au caractère français.
Et d'ailleurs, messieurs , si les arrestations se multiplient,
comme-on .peut au moins le craindre, penserez-vous qu'en dé-
laissant. -tous les autres soins de l'état, et même ceux peut-être
aussi puissans que leur impose la conservation de leurs places,
MM. les ministres donneront tout leur temps à l'examen de la
position de chacun des détenus ? Beaucoup se verront oubliés.
si vous ne prescrivez la mise en liberté ou la traduction devant
les juges cons es, de tout prévenu, dans un délai donné.




( 170 )
Ah, messieurs! que vous auriez à vous féliciter si les effetsde cette loi, que je persiste à regarder comme désastreuse, pou-


vaient être mitigés au moins par la disposition qui vous est re-;
commandée! Non, Vous ne condamnerez pas à l'oubli les mal-
heureux que cette loi fera jeter dans les fers. En ne fixant pas
de terme pour qu'ils soient ou jugés, ou rendus à la liberté,
vous ne ravirez pas l'espérance à ces victimes le plus souvent
de calomnies haineuses ; et vous ne flatterez pas leurs infâmes
délateurs de la barbare jouissance de s'être préparé une ven-
geance éternelle. Espérons même que la crainte de voir bientôt
leurs calomnies dévoilées, et de se trouver en présence de leurs
victimes ( car dans ces temps de divisions et de discorde les dé-
lateurs pourront•ils tous se cacher?) espérons, dis-je, que cette
crainte salutaire suffira pour en arrêter quelques-uns.


J'ai fait pressentir que ces arrestations pouvaient devenir
perpétuelles; et l'on répondra ce quia déjà été répondu , que
cette loi n'était que temporaire , et pour sauver la monarchie
et l'état des périls qui les entourent, quoiqu'à mon sens ce sont
de pareilles lois qui peuvent faire naître ces périls; que ceux
dans les mains de qui vous la déposeriez; en rendraient l'exécu-
tion douce, et,


je ne sais même s'ils n'ont pas ajouté paternelle;
et MM, les ministres ont encore ajouté et n'ont cessé de ré-
péter que cette loi était une loi de confiance, et qu'ils vous de-
mandaient toute votre confiance.


Cette loi ne sera-t-elle, en effet, que temporaire ? Qui peut
le garantir ? D'abord messieurs, on vous dira avec bien plus
de raison à la session prochaine, qu'on ne le fait à celle-ci, que
vous ne pouvez être retenus Fr la crainte de la violation de la
charte, puisque. déjà vous aure:jugé qu'il pouvait être utile de
la violer. Afin d'être conséquens avec vous-mêmes, vous devrez
donc encore voter cette même loi. Mais, messieurs, êtes-vous
assurés d'avoir encore cette faculté de l'accorder ou de la refu-
ser ? ou, en d'autres ternies, siégerez-vous encore sur ces baltes ?
Une nouvelle loi d'élection peut vous en exclure, et le droit de
prolongation, ainsi que l'exécution de ces lois destructives de
nos libertés, que vous êtes appelés aujourd'hui à voter, peuvent:
être concentrées alors dans les mains de ceux qui vous en ex-
cluront. Ainsi donc ces lois discrétionnaires a.equéreraient un
perpétuité de. durée qui effraie, dès çe moment, l'imagination.


L'exécution dé cette loi sera douce; c'est une loi de confiance,
et MM. les ministres vous demandent toute la vôtre. D'abord,
messieurs, la 'confiance se demande-t-elle? J'avais toujours
pensé qu'il fallait attendre qu'elle s'accordât. Mais admettons


ici que MM. les ministres, dont l'aggrégation toutefois est bien
récente, méritent toute la vôtre, et voyez , messieurs, OU cela
vous engage. MM. les ministres ne peuvent ni tout voir ni tout
faire par eux-mêmes : ils sont donc environnés d'autres hommes
à qui ils accordent aussi leur confiance. Cette même confiance
ensuite s'étend à MM. les préfets, les sous-préfets, etc., etc. ;
de ceux-cià tous leurs délégués, à leurs commis, et enfin aux
maires et jusqu'aux gendarmes et aux gardes-champêtres. Noyez,
messieurs, quelle Masse de confiance mise en jeu , et cela non.
compris celle que beaucoup de ces fonctionnaires accorderont
eux-mêmes . aux révélations qui leur seront faites par des gens
aussi très-dignes de' confiance. Daignez réfléchir si une telle
subdivision de celle qu'on vous demande n'a vraiment pas (le
quoi effrayer I Et cependant, messieurs sur lés informations
de qui les ministres ordonneront-ils des arrestations ? Sur les
renseignentens de qui . le conseil statueral-ilsur la prolongation
de la détention des-prévenus? Ce n'est donc pas seulement pour
eux seuls que ces ministres vous demandent avec-tant d'instance
une confiance illimitée; c'est encore pour tous leurs subordonnés.


Mais ces Ministres, messieurs, peuvent-ils, au nombre de
toutes garanties dont ils nous parlent, ajouter celle qu'ils
seront toujours chargés de l'exécution de cette loi ? L'inaMovi-
bilité peut être un rêve dont beaucoup de ministres se soient
flattés, et dont beaucoup se flatteront encore ; niais ce n'est
qu'un rêve. , connue 1,- responsabilité reste pour une chimère.


Je Me hâte dé Énir. ::ependant il me reste à dire un mot sur
la manière dont cette loi vous a été présentée, et sur la innelé-
rat ion, la douceur qui présideront à son exécution. Permettez-
moi à ce sujet une citation qui s'y rattache. Le plus grand de
nos publicistes dit. : a On voit dans les guerres de Marius et de
n jusqu'à quel point les Antes cher les nomains s'étaient
» peu-à-peu dépravées. Dés choses si funestes firent croire
D> qu'on ne les reverrait plus. Mais ,. sous les triumvirs, on
» -voulut être plus cruel et le paraître moins. On 'est désolé de
n voir les sophismes qu'employa la cruauté. On trouve dans
» Appien la formule des proscriptions. Vous diriez qu'on n'y
» d'autre objet que le bien de la république, tant on y parle
» de sang-froid , tant on Y montre d'avantages, tant les moyens
»• que l'on prend sont préférables à d'autres, tant les riches
» seront en sinité , tant le bas peuple sera tranquille,


Mess4.


tant on
» craint de mettre en danger la. vie des citoyens, tant enfin on


sera heureux ».
, les plus mauvaises lois ont toujours été présentées




( '72
)


de manière à prouver que de grands avantages devaient en .rë-
sulter pour l'état. On s'est trompé souvent en les adoptant avec
trop'ele précipitation. Nous regretterons tous que l'on en ait
tant apporté à nous demander celles dont vous vous occupez.


Je Voterai pour l'amendement de la commission et bienassurément ' Centre la loi.
M. Devaux. La clôture de la discussion générale ne m'a pas


permis d)exprimer mon opinion:pour le rejet absolu de la loi.
Je n'en éprouve aucun regret


.


. On e tout dit, et tout était inu-
tile à dire ; on,n'eût rien dit-, ,que le. résultat eût été le même.


Je n'ai voulu prendre jusqu'à présent aucune part à la
• discus-


Sion sur les amendemens Je la .conSidère comme un jeu ;
puérile.


Qu'il y ait un motif d'arrestation arbitraire ou qu'il y en ait
dix, c'est la même chose ; ii n'est pas plus difficile de motiver
un mandat d'arrêt pour complot que pour proposition de
complot, pour sûreté de l'état que pour attentat.


Le mot nécessaire -se trouvera .
toujours bien sous la plume


du rédacteur de ces lettres de cachet.
. Qu'on laisse ou.qu'on ne laisse pas copie de l'ordre, cela est
indifférent au ministère, parce que cela n'entrave en rien le
pouvoir arbitraire. Cette copie n'apprendra rien au détenu, si
ce n'est qu'il est arrêté par ordre du conseil, ce qui pourrait
bien l'effrayer plus que le consoler.


Qu'on entende ou qu'on interroge
.
le détenu, la différence


est presque imperceptible : elle .est nulle dans la réalité. On
l'interrogera sur ce qu'on voudra.


Le seul amendement qui pouvait
•,)r: séduire a été propos,:


par un de nos honorables collègues qui appartient, comme moi.
à un ordre aussi noble que la vertu.


On permet des mémoires justificatifs; donc il flot admettre
des conseils pour les rédiger, au moins en fitveur de ceux qui-
ne savent pas écrire. En bonne logique, l'argument était sans
réplique.


Mais il est évident que placer un défenseur' de la liberté et
de l'humanité à côté d'une victime dè l'arbitraire, c'est donner
à celui-ci un ennemi trop redoutable. Que deviendraient les
mesures de secret, de.cachots , de privations, de secours ah-
ITtenta.ires de prohibitions de livres et toutes vexations luté-


, rieures. dei prisons d'état
.


Fallait-il exposer
.


toutes ces cruelles turpitudes aux regards
sévères d'un .


ami de la justice et de l'humanité, prêt à les ré-
véler à l'indignation publique? Quand on veut les ténèbres on
écarte la lumière.


( 173 )
L'arbitraire a été conséquent avec lui-même, et ceux qui


prétendent régulariser sa• marelle contredisent sa nature.
Je viens appuyer l'article 3 du projet de la commission, parce •


que restreindre la détention à trois mois, ce n'est pas amender
l'arbitraire, c'est y mettre fin ; et comme je n'en veux point
-du tout, je poursuis toujours nia pensée en suppliant ceux qui
l'adoptent d'y mettre au moins un terme.


Trois mois sont suffisons pour acquérir les moyens de tra-
duire en jugement ou de mettre en liberté. le suspect.


Le projet du ministère favoriserait des détentions pour un
temps indéfini.


Le lendemain de la promulgation de la loi , un citoyen peut
être arrêté.


Si la loi dure jusqu'à la fin de la prochaine session, il peut
rester quinze mois en prison.


Si la loi est renouvelée, il peut y rester un an de plus.
Si, par renouvellement, la loi se perpétue, il n'est pas im-


possible qu'un homme passe sa vie dans les prisons.
Vous ne pouvez pas répondre que ces remniVellentens n'auront


pas lien.
Les motifs qui vous déterminent aujourd'hui n'auront pas


perdu leur empire dans qiiinze mois. Les circonstances auront
encore plus de gravité, parce que les mauvaises lois accroissent
les difficultés en irritant l'opinion'.


Vous aurez d'ailleurs probablement cédé la- place à d'autres
députés, qu'on n'ira pas, je crois, `chercher dans les rangs de
l'opposition actuelle, ni parmi ceux qui deViendraient.'ennemis
de la loi après l'avoir votée, parce qu'on en aurait abusé.


On peut varier sur le temps à fixer pour la Mise en liberté
ou en jugement ; je pense bien que le temps le plus court Sera
le meilleur ; mais ce sera toujours un très-grand soulagement
accordé aux malheureux que de 'ne les vouer aux misères de la
détention que pour un temps quelconque.


Leur imagination ne• sera pas effrayée par l'incertitude de
leur sort.


Que ce soit trois mois comme le demande la commissiorr;
Cinq mois comme le desire l'honorable M. Cardonnel;
Six mois comme peuvent le demander d'autres enchérisseurs;
On saura du moins en entrant en prison, par ordre du conseil


des ministres, quelle sera la durée de cet esclavage.
Le détenu s'armera. de courage : il comptera les heures, les


jours, les semaines, les mois ; à chaque minute écoulée, il




( 1.7 4 )
pourra se dire à lui-menue : Voilà un ennemi passe; encore tant
de ininetes la liberté est.au bout.
. Je crois qu'un potinait raisonner ainsi pour fixer le temps de
la détention.


Plus vous penserez que le ministère fera arrêter
-
de personnes,


pi= yr9us,4evez lui .accorder de temps pour décider la mise en
liberté ou en jugement.


S'il se borne aux six personnes qu'il nous a
.
données pour


exemple de la modération de :81 7 , ce qui prouve pi'on veut
l'imiter, quinze jours' devraient suffire; car, sans trop prendre
sur leur sommeil, et avec une correspondance active, les agens
du pouvoir peuvent savoir réellement à quoi s'en tenir en qtunie
jours sur un ou deux suspects.


Mais s'il faut atteindre tous les partisans des doctrines dé-
clarées perverses, tous les professeurs d'opinions jugées dange-
reuses, trois mois ne suffiront certainement pas au conseil 'des
ministres pour prendre des résehitiens snr;dhaque détenu.


Alors je m'en rapporte à votre discrétion: tout ce que je
demande, c'est qu'il y ait un terme.


Le ministère ne le veut pas; il ne 'veut que l'arbitraire, tout
l'arbitraire, rien que l'arbitraire ; il nous l'a dit avec la même
franchise pie j'emploie à vous dire que je veux la loi, toute
la loi, et rien que la loi.


'Ce sont là (les pensées bien communes., je l'avoue. Mais le
ciel ne m'a donné d'atteindre à cette. letutene d'où le génie:su-
périeur de nos hommes .d'état aperçoit le (salut de la France
dans le mécontentement du peuple, lnffermnissementdela charte
dans sa violation, -la consolidation .de liberté dans la servi-
tude , le triomphe de la loi dans l'arbitraire.


Je 'veux donc un terme .fixé à la détention.
veux plus encore,




je veux qu'on me puisse prolonger la
détention au-delà du ternie que vous aurez fixé, sens encourir
une responsabilité réelle.


Non pas celte responsabilité cicéronienne qui consiste dans
un niot; niais cette responsabilité anglaise bien physique, bien
matérielle, qui consiste dans des dommages-intérêts prononcés
contre les auteurs d'une détention /qui .sera illégale si elle se
prolonge au-delà du terme fixé pour la -mise ,.en liberté ou enjugement.


A ce mot d'une 'responsabilité anglaise, on ne devrait pas se
tant effrayer; on nous a cité tant de.fois„ avec tant.de ,complai-
sance les neuf suspensions de l'habeas corpus, les mesures prises
contre les radicaux. gui pourtant demandent des changemens 7


( 175)
tandis que les radicaux français paraissent y répugner si forte-
ment. On nous a fait preuve de tant de prédilection pour les
mesures ministérielles anglaises, qu'on pourrait bien nous per-
mettre d'imiter quelques-unes des institutions anglaises favo-
rables à la liberté.


Je desire donc que toute action soit accordée au détenu au-
delà du terme fixé, contre les auteurs de cette détention illéga-
lement prolongée, sans qu'il soit besoin d'une autorisation du
conseil d'état.


Si yens fixez un terme sans attacher une peine à son infrac-
tion, c'est comme si vous ne fixiez aucun terme.


Si l'on ose me parler du recours au conseil d'état, je ne crain-
_


drai pas de répondre, que, d'après l'expérience, c'est une dé-
rision, parce que ce remède a toujours été illusoire.


Quelle confiance inspire une institution composée d'hommes
amovibles au gré du ministère , qui punit, vous le savez , l'un
de vous.au• moins le sait, par la destitution l'indépendance des
opinions ?


Une institution composée d'hommes qui prêtent serment de
garder les édits et ordonnances, et les réglemens du conseil,
niais qui exceptent de leur serinent la charte, comme pour se
placer plus librement au-dessus de la constitution ;


Une institution dont la maxime favorite est qu'il ne .faut ja-
mais affaiblir l'administration en reconnaissant publiquement
les torts de ses-agens;


Maxime qu'elle garde avec une si religieuse fidélité, que les
innombrables vexations commises, et sous l'empire; et derniè-
rement au-delà des limites de la loi du 29 octobre 1815 , n'ont
pu obtenir une seule autorisation d'en poursuivre les coupables
auteurs ;


Une institution dont la manière de procéder est effrayante,
par ses formes dispendieuses d'assignation, de productions, de
rédactions , de significations, de mémoires ; par l'absence de
toute fixation et délais pour statuer sur les réclamations souvent
poursuivies pendant des années entières avant de . recevoir une
solution ; par le danger même de ces sortes de réclamations ott
l'autorité inculpée se 'défend par de calomnieuses récriminations
pour déconsidérer le plaignant, pour inspirer de fâcheuses pré-
ventions à l'autorité supérieure, et je veux sauver au moins par
l'excuse du zèle, de la honte d'un débat public et judiciaire.


Puisque vous créez un pouvoir d'exception, il fàut placer à
côté de lni la crainte d'une action judiciaire, publique et libre,




( '76
)


s'il étend son empire sur la liberté individuelle an-delà dit
terme que vous lui aurez assigné.


Cette dispense d'autorisation est d'autant moins dangereuse
pour l'autorité, qu'il lui est facile d'en prévenir les conséquences,
et que les agens du pouvoir n'ont pas à craindre d'e voir leurs
actes expliqués ou interprétés par le pouvoir judiciaire, dans
un sens contraire à leurs intentions.


Tout se réduira pour eux à un fait, à une question : la dé-
tention a-t-elle été prolongée au-delà du ternie ?


En appuyant l'article 3 du projet de la commission, je pro-
pose l'amendement suivant : cc Toute détention sans - mise en
» liberté ou en jugement, prolongée au-delà de trois mois fixés


par le présent article, est qualifiée de détention arbitraire et
D) illégale. Elle pourra 'donner lieu à des poursuites judiciaires
» contre ceux qui en seront les auteurs ou participons, sans
» qu'il soit besoin d'aucune autorisation du conseil d'état »


M. _Daunou. Messieurs, l'article 3 proposé conserve au gouver,
nement de prolonger arbitrairement durant trois mois la faculté
après l'envoi des pièces, l'état de prévention ou de détention,
sans nécessité de traduire en justice ni pendant ni après ce délai.
Ces trois mois, sans parler des jours qui les auront précédés
entre l'arrestation et l'envoi des pièces par le procureur-général,
suffiront assurément pour obtenir tous les renseignemens
possibles et sur le détenu lui-même, et sur les rapports que les
{faits qui le rendent. suspect pourraient avoir avec les soupçons
du même genre qui auraient déterminé l'arrestation de quelques
autres personnes. Il nie paraît inoui qu'après ce terme , les mi-
nistres n'aient point une opinion fixe sin.4a question de savoir
s'il faut le présumer ou coupable ou innocent. Dans le premir
cas , je ne conçois aucun motif de le soustraire aux pour
suites régulières de la justice ; dans le second, la prolongation
de l'emprisonnement me parait non-seulement arbitraire, mais
tout-à-fait injuste. Ordonnée par une décision du conseil du Roi,
elle serait, non plus comme on l'a tant dit, une -mesure de


j
sûreté générale, mais une véritable peine appliquée sans formes
udiciaires, sans intervention de jurés ni de juges. Les mi-


nistres condamneraient à six mois, à un an d'emprisonnement
un prévenu qu'ils n'auraient pu ni voir ni entendre, et qui lui-


, privé de conseils, ne sachant pas peut-être quels faits
précis etmatériels on lui impute, n'aurait eu aucun moyen de
se justifier.


On répondra qu'il s'agit de l'arbitraire, et que par consé-
quent il finit se résigner à tontes les irrégularités possibles. La


( '77 )
discussion n'est-plus ouverte sur l'arbitraire même, dont je
persisterais à contester l'utilité : mais est nécessairement
illimité? c'est justement la question que la commission a posée,
en vous présentant 'l'article- 3. Sans posséder assurément la
théorie de l'arbitraire, il me sembleptiiirtant-facilede le dis-
tinguer de l'indéfini ; il ne perd point sa nature ni sa pureté pour
admettre des bornes soit dans sa durée, soit dans ses effets : il
en a reçu de telles Partout. où il n'a point «été la tyrannie pro-
prement dite. Arrêter un citoyen sur un soupçon, le séquestrer,
le détenir durant trois ou quatre mois, pour lerenvoyer ensuite
sans dédain magement, ou lé livrer aux tribunaux après que deux
décisions du conseil supréine de l'état ont élevé contre lui le
plus redoutable préjugé, n'est-ce donc pOint assez d'irrégu-
larités discrétionnaires ; et peut-on concenir, , imaginer un in-
térêt public qui en exige davantage? Ori'reproche à ceux qui
s'attachent aux règles constitiitionnelles d'aspirer à une per-
fection chimérique, et l'on s'étudie scrupuleusement à ne rien
laisser d'imparfait dans rarbitrnirelOnne vent point que l'équité
soit absolue, que la morale- soit « "inflexible, et lorsqu'il est
question de suspendre sans restriçtion •preinière des'eranties
personnelles et l'une des lois fondamentale de Pétât', on re-
commande .rigorisme , on .s'effraie de toute apparence de
limites ou de restrictions ! • • -«


-


Certes, si l'arbitraire entité pouvait maintenir la tranquil-
lité d'un état, la France jnuiritildepuis long-temps d'une paix
inaltérabl; car, sans remonter -aux époques où son bonheur
était garanti par deelett•es de cachet; notas n'avons jamais man-
qué, depuis trente ans, de ces exceptions indéfinies , de ces sus-
pensions parfaites qui devraient nous préserver de tous les périls
de la.libertéludividuelle , ou, disait-on, la fonder elle-même
à foree7deleccomprimer et de la mutiler: Ah! je dirai bien quels
ont.été.les funestes effets de ce système absolu ; comment il a
porté., à tant de reprises, l'affliction dans les familles, la dé-
solation dans les' provinces , la confusion dans le rovamne '•
comment il ei-entreténules discordes, armé et blessé tous les
partis; nourri-et--renouvelé le-despotisme, ranimé l'anarchie,
renversé l'un sur l'autre tous les gouvernemens faibles ou forts ,
imprudens ou timides; niais fallait dire quel bien il à opéré,
quel péril il a détourné, queldésastre il a prévenu ; non, dans
cette longue et lamentable histoire des événemenS qui se set
accumulés sous sa perpétuelle influence, je ne trouverais pas un
seul fait à citer en son honneur ou pour son excuse.


-Ainsi,. messieurs quoique disposé à rejeter la loi tout en-
IL 12




( 178 )
fière, je vote pour les amendemens qui peuvent la rendre moins
funeste et moins odieuse, et particulièrement pour la limite que
donne au pouvoir arbitraire l'article que votre commission vous
propose sous le numéro 3.


M. Basson. Messieurs , lorsque ceux qui, respectant leurs
sermens, ont fait tous leurs efforts pour conserver à tout Fran..
çais la sécurité qui lui est due, et que cependant une mesure
extra-légale arme les ministres du pouvoir terrible d'arrêter un
citoyen sans lui en déduire les motifs, et sans être forcés de le
traduire en justice; lorsqu'enfin le refus d'un conseil au détenu,
établissant une inégalité aussi injuste que cruelle entre celui
qui peut par lui - même écrire sa justification , et celui qui
en est incapable, vient ajouter à tant d'autres une nouvelle
violation de la charte , que reste-t-il à faire aux amis de la
liberté ? 11 leur reste un dernier devoir à remplir, celui d'es-
sayer d'aiLiblir, autant que possible, la rigueur de cette mesure
déplorable et inconstitutionnelle; c'est ce devoir qui m'a appelé
à la tribune.


L'article 3 du projet de la loi et l'article 4 de celui de la com-
mission, mettent pour termes à la faculté donnée aux ministres
d'arrêter et de détenir sans jugement, la fin de la session
prochaine des chambres.


Mais quel sera le terme de la détention des citoyens frappés
par cette fatale mesure? je n'en vois aucun dans le projet de loi.
Ainsi si ce projet. passait sans amendement, celui contre lequel
un tribunal ne pourrait prononcer aucune peine, serait exposé
cependant à subir la peine épouvantable d'être enfermé, et de
rester au secret autant de temps qu'il plairait à l'autorité, et même
à perpétuité ! Il est impossible de laisser une latitude de malheur
aussi effrayante..


Arrêtons-nous d'abord à la durée de l'arbitraire. S ;
la session


des chambres qui doit suivre celle actuelle doit durer aussi long-
temps qu'elle, le pouvoir exorbitant des ministres durera plus
d'une année, et dojà cette disposition serait plus pénible pie
celle du in février i 8 1 7 , dont le terme avait été précisé et fixé
au I . er janvier 1818.


Il me semble, messieurs , qu'il faut fixer un terme positif à
l'action arbitraire du pouvoir , et présenter plutôt l'espoir de
faire rentrer avec certitude les citoyens sous l'égide de la charte,
que la crainte d'être indéfiniment privés de toute sécurité. Je
ne pense pas même que le terme indiqué dans le projet de loi
doive être aussi long. Plus une mesure est désastreuse, plus


( 1 79 )
elle s'écarte des principes du droit commun et de la. légalité, et
plus elle doit être passagère.


Je crois donc qu'il faut borner à six mois le pouvoir de faire
des arrestations, parce que cette période me semble suffisante
pour remplir le but proposé.
. Je crois que la détention sans mise en jugement doit aussi
avoir un terme, et que celui de trois mois•proposé par la coin-
mission doit être adopté.


citoyen qui aurait été arrêté et détenuJe pense enfin que le r
en vertu du pouvoir discrétionnaire des ministres, ne doit pas
subir deux fois cette épreuve douloureuse, et que s'il est re-
lâché, soit aux termes des trois mois , soit avant , il rentre dans
le droit commun et ne peut plus être poursuivi et détenu que
par les autorités, et suivant les formes indiquées par le Code
'd'instruction criminelle.


M. le ministre des affaires étrangères, après avoir cherché
à justifier le ministère et le conseil d'état, ajoute :


Après tout ce que j'ai entendu dire dans cette discussion, il
est pénible de répéter que c'est une loi de confiance; et cepen-
dant il faut encore bien le dire, parce qu'il faut dire la vérité,
et je nè nie reprocherai jamais de l'avoir dite trop f•anéhement
à cette tribune.


Et cependant j'ai à répondre au reproche qu'on m'a fait à
cette tribune d'avoir prononcé le mot arbitraire. Jamais je ne
chercherai à abuser de ces formes de langage, de ces précau-
tions qui tendraient à présenter une loi nécessaire sous Un autre
caractère que celui qu'elle doit avoir réellement; c'est dans cette
intention que j'ai prononcé le mot arbitraire, et que je le
prononce encore ; et c'est pour cela que je dis encore que c'est
une loi de confiance. Si la chambre croit qu'il y a nécessité,
cette con-fiance doit être entière èt dénuée de tout soupçon : ici
le soupçon ne pourrait avoir aucune espèce de fondement, et
ne servirait qu'à atténuer la mesure proposée, à lui faire 'Man-
quer son hut.


Je ne puis donc adopter les amendemens de la commission;
car vous voyez qu'ils tombent d'eux-mêmes. Le préopinant au-
quel je réponds, me parait avoir bien saisi l'état de la question
et l'inutilité de la pro-position faite par la eomMission , quand il
a dit que celui qui aurait été détenu en vertu de cette loi ne
pourrait plus l'être que dans les formes ordinaires. Il est
certain que, pour se conformer à l'exécution littérale de la loi,
les ministres auraient pu ordonner l'élargissement-du détenu ,
et le reprendre au bout de quelques jours. Or, que voulez-vous?




( 180 )
Vous voulez donner au gouvernement les moyens qui lui sont
nécessaires pour mettre le trône et la sûreté de l'état à l'abri
d'une tentative criminelle; vous devez donc accorder une con-
fiance entière aux ministres, pour que les hommes véritable-
ment dangereux pour l'état, pour le Roi et la fitmille royale,
puissent être, pendant l'espace d'un an, arrêtés arbitrairement.
Je persiste à demander que cette faculté leur soit accordée.


On demande la clôture de la discussion.
M. de Corcelles demande la parole pour des articles addi-


tionnels.
le président. S'ils sont additionnels, ils seront présentés


après l'article.
Laisné de Villév(lque. Je ne m'attacherai point à répon-


dre à M. le ministre des affaires étrangères ; selon moi, il n'a
pas détruit les motifs sur lesquels se fonde l'amendement des
trois mois qu'elle vous propose. Le ministre nous dit de nou-
veau que la loi proposée est une loi de confiance ; mais il ne
s'agit. pas seulement du ministère auquel nous l'accordons, mais
de celui qui peut lui succéder.... (Interruption. ) Je demande
une explication à MM. les ministres du Roi. En acceptant les
l'onctions de député , j'ai juré de défendre le trône et la liberté,jsans perdre de vue les _intérêts de l'humanité. La question quee vais faire peut influer puissamment sur vos esprits. Dans
l'ancien régime, objet de tant de censures, qu'il méritait à cer-
tains égards, les prisonniers d'état avaient un régime à raison
de six francs par jour ; mais sous le régime impérial, et depuis,jla somme donnée par l'état pour leur nourriture a été réduite,usqu'à six sous par jour. Je demande si les prisonniers d'état,
en vertu de la loi nouvelle, seront assujettis au régime écono-
mique et diététique de- ( Quelques murmures en sens
divers s'élèvent. ) L'observation n'a pas d'autre suite.


La chambre rejette l'amendement de M. Toupot, ter lent
à fixer à deux mois le terme que la commission propose d'éta-
blir à trois mois.


L'article 3, tel qu'il est proposé par la commission par
amendement au projet , est. mis aux voix et adopté par la gauche
et la majorité du centre de gauche. Nombre de voix d gauche:
EraVo ! bravo!


M. le président rappelle l'amendement de M. Devaux.
M. Manuel. Je viens appuyer l'amendement p arroposé p


mon honorable collègue. Nous faisons une loi d'exception ; à
quel propos nous rappeler le texte du droit commun? Vous ac-


0


(181 )
cordez aux ministres , non pas les droits que la législation ordi-
naire leur confie, car alors nous serions obligés de nous contenter
des garanties de la législation ordinaire; mais un pouvoir extra-
ordinaire ; et nous avons pensé dès-lors qu'il fallait aussi pren-dre des mesures extraordinaires pour empêcher les abus. Ainsi,
il s'agit de savoir si le recours au conseil d'état sera ou non néces-
saire,lersqu'on aura une action à exercer contre un ministre,
ou contre tout autre agent de l'autorité qui aura abusé de la
loi qu'on vous propose. Ce serait en effet, messieurs, une ga-
rantie bien illusoire, que celle dirigée contre un ministre , et
qui dépendrait d'un conseil qui est sous les ordres des ministres
eux-mêmes.


La loi constitutionnelle de l'an 8 , en déclarant que les agens
de l'autorité ne pourraient pas être recherchés sans l'autorisa-
tion du conseil d'état, n'entendait parler que des agens subal-
ternes, et non des ministres. Et cependant alors le conseil d'étai
avait été établi sous des formes distinctes du pouvoirministériel;
il avait une existence indépendante des ministres, le droit de
contrôler leurs actes et de les réformer. Voilà dans quelles cir-
constances les règles relatives au conseil d'état ont été établies.
Sommes-nous dans une position semblable? Non, messieurs;
le conseil d'état, comme vous le savez , n'est plus qu'un simple
conseil du trône, un conseil supplémentaire . de celui des mi-
nistres ( Ili. le général Foy : Non, c'est un conseil des mi-
nistres ! ), mais sous dépendance absolue, et n'ayant d'autre
mandat que de préparer le travail pour les ordonnances,
comme pourraient le faire les employés d'un ministère. -


Au surplus, puisqu'il est ici question de confiance, et de
confiance extrême , il est. temps de se demander s'il est bien vrai
(pie le.ministère , qui la réclame de vous en soit aussi digne
qu'ont paru le croire une foule de membres qui votent en fa-
veur de la loi et contre les amendemens.


Lorsqu'en 18i 5 nous avons été témoins de tant d'excès
(Interruption à droite.) Dans le temps que je-rappelle à. regret,
on avait aussiaccordé des pouvoirs discrétionnaires; mais à qui?.
Etait-ce aux organes d'un parti qui pouvait être plus ou moins
à craindre à cause des projets qu'on lui suppose? Non, mes-
sieurs; le ministère était alors dans un état d'opposition avec
ceanearpaui , et, dans cette opposition, semblait se trouver . une


e suffisante contre les excès auxquels ce parti triomphant
Pouvait être disposé à se livrer. Cependant, quels Ont été, à
cette


l'arbitraire
malgré, et cette garantie, les effroyables résultats


d




182 )
Et qu'on ne dise pas que ce n'est pas à l'influence de ce


même parti qu'il faut les attribuer ; lors même que ce ne serait
pas aujourd'hui une notoriété publique, je pourrais invoquer à
ce sujet le témoignage du in inistère lui-même. Il y a unau qu'un
ministre de S. M., qui l'est encore, nous disait à cette tri-
bune que les excès de 1815 ne pouvaient être imputés qu'à cette
influence; que c'était à elle qu'il fallait reprocher et les Malheurs
de Nîmes, et ceux de Toulouse, et l'assassinat de Fualdès, et
l'impunité des assassins




(Très-vive sensation dans toutes
les parties de la ) Ainsi nous savons quelles furent les
lois d'exception dans un temps où se trouvait à la tête du mi-
nistère le président. actuel, où leur exécution était spécialement
confiée à un ministre de la police qui était en état d'activité
violente et déclarée avec la faction que je signale. Or, je vous le
demande, messieurs', fàllût-il s'arrêter à ce premier rappro-
chement, qui peut nous répondre que cette fatale influence
-dont les ministres se plaignaient encore l'année dernière, les
ministres actuels n'y seront pas encore soumis? .• est. vrai que
l'ordonnance du 5 septembre vint enfin adoucir les maux qui
pesaient sur la France ; mais par combien de souffrances n'a-t-il
pas fallu l'acheter? et quand on nous promettrait un semblable


?
bienfait.,ait., serait-ce assez pour nous dédommager d'un si grand
s rifice


Maintenant, messieurs, il nous reste à remarquer que les
ministres actuels sont loin de nous offrir les •garant ies , eu moins
apparentes, que nous présentaient les ministres de 18


a 6. Sont-ils en effet dans une situation semblable? peuvent-ils se pré-
senter comme luttant sans cesse contre le parti que je signale ?
Eh quoi ! n'est-ce pas ici tout le contraire? Ne les voyons-nous.
pas signaler à chaque pas leur alliance avec ces anciens ennemis,
et s'appuyer sur eux en ce moment. même pour le succès des me-
sures qui vous sont proposées ?... (A gaucher Bravo ! bravo!)
Oui , messieurs, il s'appuie sur ce parti ; et s'il en était au' re-
nient,. oserait -il se présenter ici pour réclamer des lois d'ex-
ception? Non, je le dis hautement, et ne saurais trop le dire;
il n'y a que les ennemis de la liberté qui puissent donner au
trône des conseils si perfides,


et lui prêter un appui aussi dan-
gereux. Le ministère , je le répète, et vous le savez tous, n'a "1
proposé des lois d'exception , que lorsqu'il a été assuré de pou-
voir se faire appuyer par un parti ennemi de la liberté...


•(Le mouvement le phis vif éclate à droite..... Un très-grand
nombre de membres se lèvent à-la-fois de ce côté,... Les cris d
l'ordre à l'ordre ! se font entendre.


i83 )
M. Castelbajac à la tribune. Messieurs, je demande le rap-


pel à l'ordre de l'orateur. Depuis un quart-d'heure l'orateur
se permet les personnalités les plus inconvenantes contre les
membres de ce côté : il ose les signaler comme les ennemis des
libertés publiques.


M. de Villèle avec la plus grande vivacité. L'orateur dé-
signe ce côté comme formant un parti ennemi des libertés
publiques. Je demande qu'il s'explique, qu'il nomme ceux qu'il
croit ennemis des libertés publiques de ce côté.... de tout
autre côté.... dans toutes les parties de la chambre, (Mouvement
d'adhésion à droite.)


Le rappel à l'ordre est .de nouveau demandé.
M. Manuel. J'ai dit deux choses ; l'une, que le ministère


s'appuie sur ce parti dont l'influence a été caractérisée à cette
tribune par les ministres eux-mêmes; l'autre, que ce parti ine
paraissait être celui qui était contraire à la liberté.


M. de Villèle et M. Bruyère- Chalabre : Vous avez dit
ennemi de la liberté.


M. Manuel. lin parti ennemi de la liberté : sont-ce là les
mots dont je me suis servi? Eh bien , ce sont ceux-là que je
vais justifier, et sans sortir pour cela de la discussion , car mon
intention n'est lias de dresser en ce moment un acte d'accusa-
tion qu'il ne nie sera que trop facile d'établir ailleurs que dans
une discussion incidente. Il est prouvé que le ministère se place
maintenant dans une position qui le met beaucoup moins en
état de se garantir des excès de ce parti, qu'il ne l'était en 1816.
Je dis que ce parti sur lequel il s'appuie est ennemi de la liberté,
et je le prouve par le vote même de ce parti dans la discussion
qui nous occupe.


(Un nouveau mouvement plus -vif que le premier éclate du
même côté. )


M. de Villèle. Actuellement, c'est la majorité tont entière
de la chambre que vous insultez Vous manquez de respect
à la chambre entière Non, nous ne sommes pas les ennemis
des libertés publiques , mais nous ne les livrerons pas aux
conspirateurs.. ..


M. de Macarthy: Nous ne sommes ennemis que des factieux !
M. Corbière. Vous avez entendu l'orateur se permettre de


dire que la preuve qu'il y avait un parti ennemi des libertés ,
c'était le vote même de ce parti. Je maintiens qu'il n'y a pas de
chambre qui puisse souffrir une pareille explication sans se
manquer à elle-même. Je demande que l'orateur explique sa




( /84 )
pensée de manière à satisfaire l


'assemblée, ou qu'il soit rappelé
*à l'ordre.


M. Manuel. C'est une singulière tactique que de demander
à un orateur l'explication de ce qu'il a voulu dire , de l'inter-
rompre à chaque instant lorsqu'il s'occupe de donner cette
satisfaction à ses adversaires. Au reste, messieurs, je ne viens
point rétracter ce que j'ai avancé; s'il ne s'agissait que d'une
expression déplacée qui nie fit échappée dans la chaleur del
'improvisation, je ne rougirais point de m'en accuser; mais


lorsqu'il s'agit d'un fait historique, et d'une pensée de mon
coeur, quelques conséquences qui puissent en résulter, je suis
incapable de les désavoner. Je serais bien plutôt disposé à me
glorifier de les avoir exprimées, quand je pense pie cette ma-
nifestation peut être utile à l'intérêt public. Je dirai seulement
que lorsque j'ai parlé d'un parti sur lequel le'ininistère actuel
s'appuyait, certes ceux qui se trouvent au centre de cette
chambre savent bien que ce n'est pas d'eux qu'il s'agit dans
cette circonstance.


J'ai parlé d'un parti qui ne craint pas de se mettre en con-
tradiction avec.lui-même aux yeux de toute la France, lorsque
dans un moment où nous défendons la liberté individuelle
comme un fondement nécessaire à-la-fois à la sûreté du. trône
et au repos des citoyens, ils venaient livrer au pouvoir cette
liberté qu'ils avaient défendue de toutes leurs forces, alors que
le ministère leur paraissait hostile (MT. fosse de .Beauvoir: Etl
'assassinat du duc de Berri.... ). Ceci ,est une tout autre ques-


tion. Selon vous, les circonstances vous servent de justification.
Mais qui ne sait que les circonstances et les principes sont
toujours tour-à-tour invoqués par les ennemis de la liberté ?
Ce n'est pas d'aujourd'hui qu'éclate cette tactique. La liberté
demande-t-elle des concessions, on invoque contre elle la ri-
gueur des principes. S'agit- il de lui imposer des sacrifices, les
circonstances sont toujours là pour servir de prétexte. Mais la
question est de savoir, si lorsque vous vous permettez témé-ai-
renient de dire que nous sommes agités d'un esprit révolution-
naire qui menace le trône, nous ne serons pas autorisés, même
sous le rapport des formes parlementaires , de dire à notre tourque vous êtes agités d'un esprit contre- révolutionnaire qui
menace nos libertés. ( On interrompt de nouveau à droite.) Je
n'ai fait que désigner les parties de cette chambre d'après les
principes que chacun y a professés.


M. le président. La demande du rappel à l'ordre continue-t-elle d'être appuyée?,. (Grand nombre du voix: Oui ! oui !.. )


( 185 )
m. Benjamin-Constant. Je demande la parole contre le


rappel à l'ordre Messieurs, je n'ai qu'un mot à dire ; je
n'entrerai nullement dans le fond de la discussion ; niais j'ai
une observation à frire qui doit frapper tous vos esprits, et
dont vous reconnaîtrez la justesse. Oui , messieurs, cent fois
les orateurs de ce côté désignant le droit) se sont tournés vers
le côté opposé, en déclamant contre ce qu'ils nomment les
doctrines révolutionnaires , les principes anarchiques , et un
honorable membre. que je vois d'ici, doit se rappeler que dans
la mémorable séance où il fut question des bannis, avec toute la
véhémence de son talent , qui ne fut pas exempte d'armertume,
il désigna cette partie de la salle (la. gauche) comme livrée à
une faction révoltitionnaire. Nous ne l'avons peint interrompu;
nous avons respecté la liberté de la tribune ; nous avons répondu
avec moins de talent peut-être, mais nous avons dignement re-
poussé d'injustes accusations et d'injurieuses -suppositions. je
suppose ici que les membres de ce côté sont de bonne foi ,j 'aime'àle croire:ils peuvent, par une inconcevable prévention;
s'imaginer que nous sommes des révolutionnaires, ils nous le
disent tous les , jours. .Eh bien pourquoi ne conçoivent - ils
pas que,nous puissions-1 nous, par erreur aussi, les regarder
des ennemis de la libertépublique et de nos institutions?.. (Foix
ci gauche : Bien 1 bien !) Je demande l'ordre du jour sur la
demande du rappel à l'ordre....


de Villèle. Vous venez d'entendre déclarer à cette
tribune qu'il existait dans cette chambre un parti ennemi des
libertés publiques , et l'orateur, en s'exprimant ainsi, se tour-
nait de ce côté; et quand nous avons demandé qu'il désignat
'parmi 'nous les ennemis des libertés publiques, il e dit que le
ministère s'appuyait sur nous. Je déclare , messieurs, que le
ministère ne s'appuie pas sur nous , mais que nous appuyons le
gouvernement. du Roi... ( Vifmoilvement d'adhésion à droite...
Un cri général s'élève en inênte-temps à gauche : Nous tons :
nous tous !...) Non nous ne : sommes pas les ennemis des libertés
publiques, car c'est par elles que le trône doit s'affermir -, et
que l'opinior• doit cesser d'être-égarée.


On a parlé des réactions de . 3815 ; mais si quelques égaremens
ont eu lieu à cette époque, leur retour ne peut être redouté
au moment eti nous sommes; les circonstances ne sont plus les
inêMes.S'ily e eu des excès en a 815 , c'est qu'ils avaient été
précédés par ceux du ao mars. ( Mouvement d'adhésion à
à droite. ) Nous n'avons à redouter rien de semblable et nous
n'avons à craindre-ni les excès des uns ni les excès des autres, si




( 186 )
nous restons fermement réunis pour faire respecter l'autorité
royale, les lois et les -vrais principes constitutionnels. (Nouveau
mouvement. ) Je demande le rappel à l'ordre de l'orateur.


On demande à aller aux voix.
M. le président consulte la chambre sur le rappel à l'ordre,


Toute la droite, le centre de droite, et la majorité du centre
de gauche se lèvent.


-M. le président. Au nom de la chambre je rappelle M. Ma-
nuel à l'ordre.


Une longue et vive agitation succède.
M. Manuel. Cette circonstance ne m'empêchera pas de conti- .


fluer le d éveloppem en t de mon idée; et sans doute elle n'em péchera
pas non plus la chambre d'y avoir égard si cette idée a quelque
mérite. Je' ne ferai qu'une observation sur ce qui vient de se
passer : c'est que les ministres de S. M. qui viennent de voter
contre moi, eussent été plus justes ou plus généreux s'ils eussent
provoqué le rappel à l'ordre, lorsqu'un d'entre eux a <lit dans
un autre sens l'équivalent de ce que je viens de dire à cette
tribune. Au reste, ils se sont mépris s'ils ont pensé que leurjsévérité détournerait nies idées de l'examen important auquele Me livrais sur leur compte au moment où j'ai été,interrompu.


Je disais donc que le ministère actuel ne tue paraissait pas
devoir mériter assez de confiance pour qu'on lui accordât un
pouvoir discrétionnaire aussi étendu ; j'en avais donné pour
raison ce qui s'était passé du temps d'un ministère sous lequel
l'influence d'un parti était moins dangereuse qu'aujourd'hui.


,•


Je disais que l'ordonnance du 5 septembre avait été un re-
mède trop tardif et trop cher pour qu'on pût l'offrir en com-
pensation. Je faisais remarquer en second lieu qu'il y avait une
grande différence entre la position du ministère actuel et celui
de 1816. Ce ministère était dans un état d'opposition avec le
parti, tandis que celui-ci paraît-avoir fait une alliance avec lui ;
cette alliance sera-t-elle contestée? Ce qu'il y a de certain, c'est
que dans ce cas tous les actes de ce ministère s'élèveraient rentre
lui pour lui donner en quelque sorte un démenti.


Ainsi , par exemple, ,
de ce côté on a parié de contre-révolu-


tion à craindre, un ministre est monté à cette tribune, et vous a.
dit , qu'il ne concevait pas comment on pouvait prononcer ce
mot, et avoir des soupçons de ce genre. Pourquoi les ministres
n'ont-ils pas remarqué la même surprise, lorsqu'on a supposé
au contraire qu'il existait dans une partie de cette chambre des
intentions révolutionnaires? Ces reproches ont souvent éclaté à
cette tribune, et jamais un ministre n'a pris la parole contre


( 187 )
ceux qui ont porté la témérité à ce point. Déjà de cette circons-
tance je crois pouvoir conclure que le ministère n'est pas im-
partial entre les deux oppositions , et qu'il a cru devoir pactiser
avec l'une d'elles , et ce n'est pas avec nous.


Ce n'est donc plus ce ministère qui avait déclaré que c'était au
milieu de la nation qu'il voulait planter son étendard, niais un
ministère qui s'appuie sur un parti qui paraissait si redoutable
autrefois, et dans lequel il ne voit plus aujourd'hui aucun danger.


C'est avec ce parti que le ministère concerte ses mesures pour
les défendre ; il compte sur les discours de ses orateurs , comme
sur les votes de tous ses memtres ; c'est ceparti enfin qui pré-
side à tout. Voilà ce que hi France , ce que la chambre voit , et
ce' qui doit nous commander <le meut re plus de circonspection
et de défiance dans l'examen de la mesure proposée.


Comment, en cet état <le choses, pourrai -je partager l'opinion
d'un honorable membre de cette chambre, qui a prétendu que
ce ministère lui paraissait la seule ressource pour prévenir de
grands attentats contre nos libertés , et qu'il fallait tout faire


_pour le conserver, afin d'éviter que la place ne fût occupée par
une faction qu'il redoute autant et plus que nous? J'oserai dire,
au contraire, que s'il y avait ici un ministère _composé par les
chefs de cette faction , la position de la France et la nôtre seraient
moins dangereuses aujourd'hui : alors, en effet, tous les yeux
seraient à l'instant -Vive sensation à gauche ). On ne
serait plus trompé par une vaine apparence de modération et
de neutralité. Et il n'est que trop vrai que de bons Français,
dans cette chambre, victimes de cette apparence funeste , sa-
crifient:à une protection illusoire le cri de leur conscience, et
se laissent aller à une confiance dangereuse.


Voilà ce que je vois ce que la France voit mieux que moi
peut-être, et ce qui effraie et afflige tons les bons citoyens. L'in-
térêt public se trouvé bien plus exposé lorsque ses ennemis se
déguisent , et qu'on croit voir en eux des protecteurs ; si cette
prétendue protection était remplacée par une hostilité évidente,
alors , j'en suis sûr, tons ceux qui *n'ont d'autre intérêt que
nous-mêmes, n'hésiteraient pas à ne considérer que leur devoir;
et le parti qui combat contre nos libertés ne trouverait plus dans
cette chambre qu'une majorité ennemie , lorsqu'il viendrait lui
proposer de suspendre toutes les libertés.


Le même membre que j'ai déjà cité vous a dit: à cette tribune
que ce qui le consolait si sa confiance était trompée, c'est qu'il
serait une des premières 'victimes frappées. Messieurs , il est




I


( 188 )
beau sans doute d'attendre la mort sur sa chaise curule ; niais
il y a quelque chose de mieux à faire ; c'est de ne pas ouvrir laporte aux Gaulois.


Je vote pour l'amendement.
On demande à aller aux voix.


M le ministre des finances demande à être entendu. Un grand
silence s'établit.


M. Roy, ministre des finances. Messieurs , la loi que vous
discutez est une loi d'exception dans ce sens qu'on donne aux
ministres le droit de faire arrêter,' sans être dans la nécessité de
iraduire les prévenus devant les tribunaux : mais c'est par cela
même qu'elle est une loi extraordinaire et d'exception, qu'elle
delàne peut pas être étendue au-delà des cas qu'elle détermine , au-de l'exception qu'elle autorise : or, cette exception a seu-
lement pour objet d'autoriser les ministres de faire arrêter pen-
dant sa durée, les prévenus de complots contre le Roi , sa
famille et l'état , sans être tenus de les traduire devant les tri-
bunaux. Mais elle ne les dispense pas de mettre les détenus en
liberté à l'expiration du délai qu'elle fixe : elle leur en impose,
au contraire, l'obligation ; et tous rentrent alors évidemment
dans les dispositions du droit commun. L'amendement qui vous
est proposé est donc inutile sous ce premier rapport. Il est sub-
versif de l'ordre public et constitutionnel, sous celui sous le-
quel il tend à vous fifre décider que les ministres qui se ren-
draient coupables de détention arbitraire pourraient être traduitsdevant . Ies tribunaux, sans autorisation préalable.


Les ministres sont responsables ; la chambre des députés a le
droit delles accuser et de les traduire devant la chambre des pairs,
qui seule a le droit de les juger : c'est aux chambres seules qu'il
:peut appartenir d'autoriser de poursuivre, de poursuivre et de
Juger des ministres qui se seraient rendus coupables dans l'exer-
cice de leurs fonctions.


Les ministres ne craignent point la responsabilité que le piajet
de loi fait peser sur eux , et il ne sera jamais dans leur inten-
tion de chercher à s'y soustraire , parce qu'il n'existe personne,
dans cette chambre ou ailleurs, qui mette plus de prix qu'eux
à la conservation de la liberté publique mais de la liberté avec
le maintien de l'ordre établi , mais de la liberté avec les lois.


Très-,vif mouvement d'adhésion dans toute la partie du centre
et à droite ).


On demande la clôture de la discussion.


( 189 )
Un cri général ii-droite et au centre demande la clôture de la


discussion.
M. Demarçay. Je demande la parole contre la clôture....
Voix à droite : Mais ce sera encore la discussion!
M. Benjamin-Constant. Je conçois que plusieurs membres


desirent terminer cette discussion ; tuais il y a des questions qui
n'ont pas été abordées. Je ne ferai qu'indiquer ces questions, pour
vous déterminer contre la clôture. M. le ministre des finances a
parlé de la responsabilité des ministres , et de leur poursuite
devant les chambres ; mais cette poursuite n'a lieu que dans
les cas de concussion et de trahison. Il n'en est pas de même des
actes arbitraires. ( Voix à gauche.: Cela est vrai! ) Et d'ailleurs
il ne s'agit pas seulement ici des ministres , mais de ceux de
leurs agens qui prolongeraient arbitrairement la détention d'un
citoyen.


Le conseil d'état devra- t il être consulté pour autoriser la
poursuite de ces agens et des auteurs des ordres illégaux? Voilà
des questions que je n'aborde pas, parce qu'il ne m'est permis
que de›parler de la clôture ; mais je demande que la discussion
continue.


On demande de nouveau la clôture de la discussion.
La chambre ferme la discussion sur l'amendement de M.


Devaux.
On demande vivement à gauche l'appel nominal sur cet amen-


dement.-- Vive opposition.
M. le président. Je vais consulter la chambre. — La propo-


sition de passer à l'appel nominal est mise aux voix, et rejetée
à une très-forte majorité.


L'amendement est mis aux voix et rejeté à une forte majorité.
M. le président. M. Benjamin-Constant a demandé la parole


pour un article additionnel , tendant à ce qu'après trois jours de
secret une personne de la famille du détenu puisse être intro-
duite devant lui.


AI. Benjamin-Constant. Messieurs, j'ai à plaider devant
vous la cause de l'humanité ; les développemens dans lesquels je
serai forcé d'entrer sont un peu longs Voix à gauche :


Il est cinq heures et demie !Après demain
foule de voix à droite: Non! non ! Parlez ! parlez !Une fon


La chambre décide que M. Benjamin-Constant sera entendu à
l'instant.


M. Benjamin-Constant. Messieurs, avant notre dernière
séance , j'aurais craint de voir l'amendement que je vous pro-
pose considéré par vous comme injurieux à l'autorité. J'aurais




( 90 )
craint que vous ne m'acccusassiez de vouloir jeter de odieux
sur les ministres , en concevant la pensée qu'ils pourraient re-
fuser 'es des malheureux sans défense et chargés de fers la triste


jet faible consolation que je réclame pour eux. L'événement au-ourd'hui nie justifie. Toutes les rigueurs , toutes les aspérités,
toutes les mesures acerbes doivent être prévues ; et mainte..
.nant que la discussion nous a fait pénétrer jusqu'au fond du
système des ministres, nous devons reconnaître qu'il est aussi
impossible, dans tout ce qui tient à l'arbitraire, de les calomnier
que de les attendrir. Il a été établi et décrété que les détenus
n'auraient point de conseils; qu'autorisés par une faveur illu-
soire à présenter leur justification , ils n'obtiendraient personne
pour la rédiger ; qu'ignorant les lois, ils ne pourraient apprendre
de personne quelles étaient les lois ; qu'ignorant pont-être l'art
d'écrire , aucune main secourable ne pourrait écrire pour eux.
Le système est complet. Les suspects auront pour juges leurs ac-
cusateurs, et pour avocats leurs geoliers. Pour consolider l'écha-
faudage de cette doctrine, l'on n'a pas craint d'inculper le corps
entier des défenseurs. Car l'on e dit que par cela seul qu'un
d'entre eux serait admis à recevoir les confidences de l'inculpé ,
le secret serait divulgué, comme si en écoutant le prisonnier le
défenseur devait incontinent devenir son complice! Tel est l'effet
naturel de toutes les lois de ce genre : des soupçons sans bornes


«forment le cortège inévitable d'une autorité qui veut être sans
bornes ; et comme elle aspire à pouvoir partout supposer le
crime , elle se condamne à voir partout la complicité.


Après cette décision d'avant-hier, messieurs , rien ne doit
nous surprendre ; et mon amendement devient excusable, car
il est naturel de tout redouter.


Peut - être l'inflexibilité des principes voudrait- elle qu'on
n'amendât jamais une )oi mauvaise. Elle resterait alors dans
tout son odieux , et l'on pourrait se flatter d'obtenir contre elle
quelques suffrages de plus. Mais , d'un autre coté , si l'on n'ob-
tenait pas ces suffrages , n'aurait-on point à regretter de n avoir
pas introduit dans cet horrible Code quelques adouciSsemens


. 'qui rendissent aux opprimés un peu de courage, et fissent luirejun rayon de joie au fond des cachots ? Je n'ai pas ce stoïcisme ,e l'avoue. Je ne salirais prendre sur moi la responsabilité qu'il
entraîne. Si cette mesure affreuse triomphe, je ne veux pas
avoir à nie reprocher de n'avoir point invoqué l'humatiité lors-
que les lois étaient impuissantes , et sous un régime qui sera,
au moins en théorie, celui de l'inquisition et du


'despotisme. Je
-ne rougis point de nie traîner en suppliant aux pieds du pouvoir


( 191 )
pour épargner à d'infortunés captifs de longues et solitaires an-
goisses dont, même sous ce funeste régime , il sera facile de les
préserver. Si c'est une faiblesse , que nies honorables amis la
pardonnent. Heureusement elle n'est pas dans notre intérêt.
Ceux qui défendent la liberté n'ont rien à espérer de ceux qui
la détruisent , et si je réclame , c'est uniquement pour des vic-
times plus obscures et moins désignées.


Mon amendement, messieurs, tend à accorder à tout détenu
auquel le ministère jugera convenable d'infliger la torture du
secret , le droit, après trois jours, de voir pénétrer dans sa pri-
son une personne de sa famille , et je consens que ce soit sous
la condition expresse que cette personne ne pourra plus sortir
de prison ni communiquer au dehors sans la permission de l'au-
torité.


Certes, messieurs , la prière est humble. Il y a quelques mois
nous ne nous serions pas cru réduits à des supplications de ce
genre; suais enfin, acceptant les conséquences du régime qu'on
veut donner, daignez réfléchir au bienfait immense qui résul-
tera pour ceux qu'il va frapper, de l'adoucissement que j'im-
plore. Représentez-vous un malheureux prisonnier séparé de
tout être humain depuis trois fois vingt - quatre heures-, on
n'ayant vu que les gendarmes qui l'ont saisi, le procureur-gé-
nétal qui l'a questionné , sans lui dire quel est son crime : enfin
le geolier sévère et brutal qui le tient sous les verroux : et tout-
à-coup , grâce à mon amendement , il entend une voix amie ,
le funèbre silence de son cachot est interrompu , il apprend qu'il
n'est pas délaissé dans la nature. Je ne sais point, messieurs,
m'étendre sur des tableaux pathétiques , j'abandonne ce soin à
ceux qui viennent d'une -voix si douce vous demander contre
leurs semblables tout ce qu'une législation captieuse a de rigou-
reux , et tout ce que l'arbitraire a d'horrible : qu'ils déplorent
éloquemment ce qu'ils font , qu'ils modulent des gémissemens
habiles, destinés à nous attendrir non sur le malheureux qui est
frappé , mais sur l'autorité qui frappe ; qu'ils protestent de leur
sensibilité, quant à moi , c'est parce que je parle à votre 'âme,
que, n'ayant pas besoin d'excuse, je n'étalerai pas devant vous
le fatigant spectacle de regrets fastueux et d'émotions stériles.
Je demande, messieurs, ce que les gou'vernemens les moins
libres, les moins constitutionnels ont souvent accordé aux dé-
tenus, ce qu'un gouvernement opposé à nos principes , au mi-
lieu d'une guerre d'extermination , n'a pu refuser à un homme
qui a en la gloire de réunir constamment les haines de tous les
ennemis extérieurs et intérieurs de la liberté . M. Lafiivette ,




( 192 )
proscrit en France pour avoir défendu le trône abandonné. par
d'autres dans ses périls , gémissait au fond des cachots de l'Au-
triche. Tous les soupçons , tous les ressentimens des vieux ca-
binets de l'Europe pesaient sur la tête dé l'ami de Washington ,
et ces ressentimens et ces soupçons étaient. encore aigris par le
travail actif' d'ennemis qui , en attendant qu'ils pussent ,asservir
leur patrie , charmaient leur impatience en perséciitant leurs
concitoyens dans l'étranger. Eh bien . ! messieurs , modèles des
vertus conjugales et filiales , madame Lafayette et ses filles se
présentèrent à la porte du cachot, cette porte s'ouvrit pour elles,
la consolation descendit, sous ces voûtes funèbres , et c'est peut-
être au soin de ces affections courageuses et tendres que nous
devons la conservation du grand et bon citoyen que nous pré-.
centons avec orgueil-et à l'ancien et au nouveau Monde. ( Voix
d gauche : C'est bien très-bien! )


Ce que le respect,pour les liens domestiques, pour la sainteté
du nom de père et. d'époux , obtint d'une politique ombrageuse
sous un régime absolu, je le réclame d'un ministère qui se pré-
tend encore constitutionnel ; je le réclame , dis-je , pour tous
les français.


Quelles objections pourrait-on me faire? Dira-t-on quele dé-
tenu, instruit de celui s'est passé au-dehors depuis son arres-
tation, pourra concerter ses réponses avec ses complices.?.Eh !-
messieurs, puisque la personne qu'on laissera pénétrer jusqu'à
lui ne ressortira plus, comment pourrait-elle reporter aux pré-
tendus complices des infOrmations propres à les soustraire
l'autorité ? Je nie suis conformé en tout au système-qu'on nous
présente. Je n'ai point Proposé d'accorder : aux citoyetisfla libre
société des êtres qui leur sont chers. J'ai senti qu'en .entrant
dans ce nouveau régime il fallait imposer silence aux droits aussi
bien qu'aux affections naturelles ; que, puisqu'on frappait aes
h:Munies qui n'étaient pas reconnus coupables., il sera it :puérile
d'exiger pour les innocens un respect scrupuleux. Je me suis
soumis à Mutes les précautions que l'inquisition peut desirer. Il
me Semble même que j'entre dans les intentions de l'autorité.


eut des prisonniers, et je lui en livre deux au lieu d'un.
...nrtireS ).•
.is ce que je veux,


• moi , c'est que ces prisonniers ne soient
ptis exposés , comme je Vous l'ai dit il y a quelques. jours,,:à
enirfous par la sol it u de . Personne ne. m'a répondu .,Messie rs ;


les
Ministres,


en réclamant ce .pouvoir horrible. n'ont point
nié les faits que j'avais allégués.


nous,on_tpoint.-dit.
eussent découvert quelque remède pou, L'aliénation ment lie


( 193 )
qu'auront causée leurs trois signatures. C'est là pourtant ce qu'ils
auraient dû nous dire , à moins qu'ils ne placent la démence de
leurs prisonniers parmi leurs moyens de surveillance, et qu'ils
ne regardent comme un perfectionnement merveilleux de leur
police, de faire succéder aux prisons d'état l'hospice des insensés.


Messieurs , refuser mon amendement , c'est nous dire , ce
qu'au reste on nous a déjà dit à satiété , qu'on veut une légis-
lation de fer , et sans pitié comme sans justice. Si telle est l'in-
tention , il est bon qu'on la proclame ; mais qu'on le fasse du
moins hautement. Qu'on ne nous parle pas de la peine qu'on
éprouve, de l'intérêt qu'exciteront les détenus auprès de ma-
gistrats sensibles , par leur isolement , leur dénueinent , leur
misère ; qu'on nous fasse grâce de ces lamentations doucereuses
que j'ai repoussées déjà.


Enfin, pour rejeter cet amendement si faible et si légitime ,
répondra-t-on encore qu'il faut s'en remettre à MM. les mi-
nistres, parce que cette loi est une loi de confiance ? La con-,
fiance elle ne saurait être dans la loi, puisque, de l'aven des
ministres , la loi n'est que l'arbitraire. Il faut donc que cette
confiance soit dans les hommes.


Je demanderai donc à MM. les ministres si le ministère est
composé d'hommes qui n'aient jamais été les instrumens d'un
pouvoir qu'ils déclarent. maintenant illégitime , d'un système
qu'ils proclament à-présent blâmable ; d'hommes qui n'aient
jamais fait exécuter des lois iniques et dures , dont , je veux
le croire puisqu'ils le disent, ils gémissaient intérieurement? Je
leur demanderai si aucun d'eux n'a eu des complaisances ou
même du zèle pour une autorité despotique ou pour ses alen-
tours , 'et si durant les douze 'années de la tyrannie ils ont
toujours offert à la France le noble spectacle d'une résistance
patriotique, d'une civique inflexibilité? La réponse leur est aisée.
Que MM. les ministres montent à cette tribune , et que , la


éprouvémain sur le ccenr , ils nous disent : Nous n'avons ' • '
pour la puissance aucune faiblesse ; nous n'avons été les organes
d'aucune injustice ; aucun ordre arbitraire n'est sorti de notre
bouche , aucun n'a été revêtu de nos signatures ; nous n'avons
ni encouragé l'espionnage, ni porté la délation jusqu'à l'oreille
d'un maître ombrageux, ni retenu, pour lui complaire, l'inno-
cence dans l'exil et dans les fers -; nous sommes purs de toute
connivence , et notre courage est connu ; qu'ils prononcent ici
ces paroles, et je vote la loi de confiance.


Mais si MM. les ministres gardent le silence, je leur propo-
u. 13




)
serai ce dilemme : ou le précédent gonverneMent étaitillégal,
violent et vexatoire, ou il était légal, juste et modéré. S'il était
violent, vexatoire et illégal comme MM. les ministres le décla-
rent souvent â cette tribune ( et je Suis de leur convient-
il alors aux sens lés phis immédiats et lès plus actifs dé ce
gouvernement réprouvé, de venir, au nom d'un autre gouver-
nement, nous demander pour eux une confiance sans bornes?
Pour dire qu'ils la méritent, il leur faudrait prétendre que l'ad-
ministration antérieure dont ils ont fait partie, n'a jamais été
injuste ni despotique, et ce n'est pas ce qu'ils veulent établir.


.jU
Mais si Cette administration antérieure a été despotique et in -


Ste , ils l'ont secondée, ils l'ont servie : n'ont-ils pas de la
sorte perdu en partie les droits qu'ils réclament à notre con-
fiance? Ce qu'ils ont fait pour un maitre absolu , et contre une
nation asservie, qui nous répond, qui leur répond à eux-mêmes
que si une faction les domine, ils ne


. le feront pas contre cette,
infim e pourtette faction puiseabbe?.>on , messieurs, je
respecte coffime je lé dois les noininationi de S. M.; je recon-
fiai% fontine:Une hanté sagesse clans


- des choix qui, malgré leurs
incOrreéniens, par le S 'inv. 'r, la.,,France ancienne à la
France nouvelle, et la restauration à l'empire ; niais nia con-
fiance se renferme dàns lés borneitOistitutionnelles : elle peut
st-Corder à MM. les miniStees un P'6ÿ $0bir 144 sur lequel pèse la
responsabilité; elle ne saurait


un pouvoir discré-.
tionnaire. Véga »obi le présent, (thé séra-ce si j e passé. à l'a-
venir?


Un de nés hbribrables collègues, M. legéberal , Foy , vous adit ' avant-hieilne sa conviction, quels finie fussent les hommes
qui parviendraient Su pén-frbir, était qu'ils Marcheraient ' dans
la ligne constitutionnelle ( M.Té général Foy Je n'ai pa isdit
cela!... Je deni.Sitdë là parole aiires l'orateur! ) Je ne doua C pas
que telle ne soit I'à'P'élisee mais jé *vais expliquer franchement


- la mienne.
Je puis me
et je ne


:x désigner persortne.i.Mais
. les hommes etité


rois voir derrière lé Ministère, loin de me
laisser aumitie espérante


constitution ou de liberté, sont, â
mon Svis , ÉS:1- suite


•d'uné série 'd'idées qu'ils croient
raisonnable%:, et 'sans iittentiOns nrativaises , esSehtiellement dan-


- gereui à tbittë liberté, à tente crifistitiition. Ainsi, nyébus
la porté -hi pt!étiVoir,


, ils én ai irois fois été repoussée par
l'opinion publique effrkye. Utir'S h iris, honorables soifs d'au-
tres rapports, portent :l'in'éptiétude d'un bo, de la France te
l'autre. ( Très-vive 'interbiïption du côté droit.... )


c 1 95 )
M. de Limezrac. Parlez donc de la discussion qui tteao


Occupe.
L'orateur reprend. Messieurs, vous allez anéantir la liberté


individuelle, vous allez étouffer la liberté de la presse, vous
allez peut-être nous bannir de la tribune par des élections primo
vilégiées ; nous pouvons vous dire ce que des proscrits disaient
à Tibère : Ce sont des mourans (lui vous parlent; laisses-nous
parler. Ces hommes, quand ils ne le voudraient pas, seraient
forcés, par le vulgaire de leur parti, à faire peser de nouveau sur
nous tous les manx que nous avons éprouvés, et des maux plus
grands ; car une liberté momentanée a laissé s'échapper les
plaintes èt se dévoiler les sentimens. Une sécurité trompeuse a
séduit les opprimés : ils ont cru pouvoir donner un libre cours
à leurs justes et nombreux griefs; ils ont appelé sur eux des
haines plus qu'actives , et leur liberté passagère n'aura été qu'un
piège pour eux.


Tel , dans mon opinion , peut être notre avenir., et je ne suis
pas le seul à : penser ainsi.


Certes, avec la possibilité d'Un',peeil fléau , je ne voterai pas
des lois de confiance, quand ces lors 'arbitraires peuyent tomber
en des mainsqui m'inspirent la défiance la plus invincible et la
plus profbnde; (étiorsque je verrai ces lois près 'd'être votées,
je cliercherai-414ditelée moyens qui sont en nia:puissance, à
en mitiger les cruels. efféts.


Messieurs , l'innelidentent que je Vous propose est malheu-
reusement de nature à ne rien changer à: . la loi. Vous avez mis
tous les citoyens à la discrétion des ministres , c'est-à-dire des
délateurs qui se presSeront autour des ministres; vons.avez


les suspects de leur liberté; Vous leur avez refuse des'.défen-
eurs; vous avez permis le tourment du secret : de


v6tis un acte de pitié; ce n'est plus de liberté , c'est d'huma-
nité que je vous parle. Je ne réclame plus les droits des déte-
nus, je demande un léger adoucissement au plus affreux.
supplice.


Une foule de vif â gauche : Appuyé ! appuyé !...
M. Pasquier, , ministre des affaires étrangères, monte à la tri-


'inné , et, pour se,
ustifier expose ce qu'il a'été . et ce qu'il a fait


depuis 4 révolution.
M. le général Foy. M. Benjamin-Constant m'a tépuma


comme m'étant. renduSfitis une dernière séance le garant' des
principes constitutionnels de ceux que j'ai cru pouvoir • consi-
dérer comme se disposant à remplacer le ministère Setuel. Je
n'ai-jamais-garanti les principes constitutionnels des, perannnes




( 1 96 )
qui composent ce parti, et cela je le dis sans passion aucune.
J'ai-dit que si ces personnes arrivaient au ministère, il n'y au-
rait pas de milieu pour elles ; ou qu'il faudrait qu'elles embras-
sassent les intérêts nationaux avec franchise et fermeté; ou
qu'elles cherchassent leur appui dans une minorité, si faible,
que cette minorité n'a pu dominer qu'au moment où les étran-
gers occupaient notre territoire. C'est à l'aide des étrangers que
cette minorité est parvenue à établir quelque temps son empire :
sans eux, dix mille insurrections se seraient succédées, tant étaient
multipliés les actes arbitraires les plus révoltans, les vexations, les
persécutions, les humiliations de tout genre ; et croyez-vous que
sans l'étranger, sans la crainte de voir -notre pays livré à toutes
les horreurs de la dévastation, nous aurions souffert les outrages
d'hommes que pendant trente ans nous avions vus dans l'humi-
liation et dans l'ignominie? ( Les plus violens murmures s'élè-
vent à droite. )


M. de Corday, se levant et descendant de la droite : Vous
êtes un insolent:1 (té même mouvement éclate dans les autres
parties de la salle: Le président rappelle à l'ordre et au respect
qui est dû à la - clutinbre , le membre qui s'est permis l'emploi
d'une telle expression. )


M; le général.Foy. Nous a-.5.ms été en butte à,tous les outra-
ges ,•.a toutes les persécutions, à tous les dangers


. ; vingt fois on
est venu me conseiller, me presser de chercherin asile sur une
terre étrangère. Voilà ce que nous avons souffert ; et après cette
cruelle expérience, je déclare qu'on ne peut gouverner la France
qu'en respectant sa liberté et en l'assurant par 'les lois. Cette
liberté .


nous est assurée par la constitution ;que le Roi nous a
donnée dans sa sagesse. Soyons unis, et elle triomphera-de tous
les Obstacles, et elle assurera le bonheur d'un peuple rallié au-
tour 1,1


trône et, de la charte.


;rejL.unendement de M. Benjamin-Constant est mis aux voix eteté,... Des réclamations s'élèvent à gauche.
- Ciisindr-Perrier: Une seconde épreuve !


quelô
2",eprésident. Le règlement n'ordonne une seconde épreuve
àqù'il ya du douté sur la première.


M. le président lit l'article dernier du projet.
On réclame l'ajournement : l'ajourneinent,est prononcé.


( 1 97 )
Séance du )5 mars.


L'ordre du jour appelle la. continuation de la .discussion sur
le projet de loi relatif à la liberté individuelle.


Le président donne lecture de l'amendement de M. Busson,
ainsi conçu : cc Toute personne mise en arrestation en vertu
» dupou-voir conféré aux ministres par l'article- . er , qui aurait


»
été mise en liberté , soit à l'expiration des trois mois, soit


» antérieurement, ne pourra plus être arrêtée et poursuivie que
» par les autorités désignées dans le Code d'instruction crimi-


nelle, et dans les formes qui y sont prescrites. » •
M. le président. L'article additionnel est - il appuyé 2


Foix à gauche : Oui! oui ! •
L'article est mis aux voix et rejeté à la même majorité que


les précédens.
M. Guitarci.J..a chambre entend sans doute que les arresta-


tions ne pourront : avoir lieu que dans les formes autorisées par
les lois. Il en. est. une qui tient essentiellement à la sûreté des
citoyens et à la paix publique ; c'est celle qui défend la violation
du domicile pendant la nuit. Il serait à'craindre que. les agens
de l'autorité voulussent mettre dans l'exécution de la loi cet ar-
bitraire que les- - ministres ont avoué réclamer par la loi elle—
même. plais-ici l'expérience nous tient-avertis ; les •persécutions
de iSi5 et 18/6 ne sont pas oubliées. Les gendarmes ne sdbbr-
naierit pas à investir les incisons, coniOrmément à la loi, ils les
faisaient parcouraient tous les appartemens, 'faisaient
lever les maîtres et les domestiques, sans distinction d'age
sexe, pour fouiller jusque dans le lit. Cela paraîtrait encore au-
j ourd'hui, comme alors, du dévouement et-du zèle, et mijote-Ani coname alors, tout cela resterait impuni. Il n'est sans
doute pas dans l'intention des ministres de permettre . des ri-
gueurs illégales, qui rendraient l'autorité odieuse, et qui i.é.vol-
teraient ceux même qui n'en- seraient pas l'objet, parce qu'en
fait de liberté individuelle i tous les citoyens se regardent comme
personnellement attaqués. Si l'on m'objecte que les lois, ordi-
naires y ont pourvu , j e répondrai que la loi actuelle étant tout
exceptionnelle, hors du droit commun, ceux qui seriiient
Os de l'exécuter, pourraient se croire aussi hors•du droitoin-
mon et autorisés à •suivre . des règles exceptionnelles. Si la
chambre entend que les arrestations puissent être faites la.nuit
alors il faut le dire expressément dans la loi, parce qu'autre-
nient les citoyens n'étant pas avertis que leur domicile cesse




( 1 98 )
d'être inviolable, pourraient opposer une résistance dont les


isuites pourraient être très-fâcheuses. Je propose une disposition
additionnelle, conçue en ces termes : cc Les exécuteurs de l'ordre


.


s..) d'arrestation observeront les lois relatives au mode d'ar-•
D) restation et à l'inviolabilité.d ir domicile des citoyens pendant» la nuit. »


je
Cela.ne


m'empêchere pas de voter contre leprojeude loi, quetrouve inconstitutionnel, impolitique, inutile et .dangereux ,
parce quo les lois violentes aigrissent les peeples ,.-au lieu de les
rallier à leur :gouvernement.


M. le ministre de l'intérieur, du banc des_ ininestres. Il me
semble inutile de monter-:à la tribune ponde seulenbservation
que j'ai à fàire. Ce qü'ondernande est du droit commun ; toutes
les lois existantes Pordrinnent et le garantissent. Il ne faut pas
perdre de vue que le proietn"a que cela d'exceptions, qu'il au-
torise à arrêter sans conduire devant:les'. trib linaux .nC'est ainsiqu'à la dernière séance, on a parlédu traitement et de le
^rtiurg .d


prisonniers ; toufceleest réglé: par lealoieexistantes.On demande à aller aux voix.
Nl: :léprésident


rappelle.fa proposition de M. Gu itard. —Une première épreuve est 'faite, La gauche et une partie du centre
de gauche se lèvent pour l'affirmative.—Le reste-de le chambrepour la. négative. -


Le ministre des affaires,étrangèresid-eultendnit
être entendu.Une vive agitation se manifeste à e,rauehe„MMI-Chetirveliii,esulitziir-,Perrier .


-33tipont (de l'Eure), Slanuel;..Beniamin-Mns-
tant., Demarçay,- et ane,ikruked.'autres réclament.... Uri grandnombre de voie : On-ne parle pas entre deux épreuves!




:..Mrfasquier descend de la tribune, et reprend sa place au bancdes-Ministres.
M. Castelbajac.- Ces messieurs ont souvent parlé entre deux


épreuves.;:-,un ministre du Roi doit être entendu toutes les fi skqu'il le demande.
Une foule de voix d ganche : Non! pas entre deux épreuves!•M. de Chauvelin:


• épreuvelaite, la délibération estcommencée.
M.


le président. Vous-mêmes, messieurs, vous avez dit, lors
d'une délibération précédente, qu'en effet :Aes Ministres. de-valent .


toujours être entendus , puisqu'il serait possible qu'ils -
apportassent l'ordonnance de dissolution de la chambre.


( 199 )
cée. Or une ipremère épreuve sur laquelle vous n'avez pas
prononcé , n'est quun commençem eol de délibération.


M. le président. la parole est à M. le ministre des affaires
étrangères.


M. de Chauvelin. Oui, quand la discussion est ouverte , les
ministres peuvent prendre la parole toutes les fois qu'ils le croient
nécessaire; Irais, messieurs, la, délibération est commencée et
ne peut être arrétée..•• ( La plus vive agitation dans la
partie gauche.)


M. .Bogne de Faye e.,t l'extrémité gauche.
Interromprez


-vous un scrutin, un appel nominal, pour entendre un ministre?..


c'est la même chose.
M. de Chauvelin. Il nly a qu'une ordonnance de dissolution


de la chambre qui puisseinterronepre une délibération.


Un gra. ndnombre de qseoix. d•n/ni:droite :
M. le. président,


faites cesser ce débat ÇonsUlteada chambre!
cle.Fillèle-Castelbaftiçjepotz silence, et consultez


la cbaulleel.:,..
.X.../.epristdertt. 4e texte de iet charte est formel.


Un grand
nombre de .voix : Uni! oni !......
_coit,e140,.ce.i:is,ell.eftete,t);gieniges.,é.t.,..,,,,gér etus est tribune ;


Peeegrett,y4k: faut deeicle:F_là, question, il faut que.-la
chambre agit ,c,ousdtée... —les cris à


l'ordre, d l'ordre:A-
lè-ve4tieif 44J dee ep4a centre 'La plus: :Yi:4e agitation réine
dmaseuseiânblee',..e,i,s -


M de Çlt aeaie• le préSi..nt, consultez---Paisendilée
j 'aime mieux. obéir à la chamWe 41.4:viols seul . • • • -Les cris à l'ordre Pordreee•xenovielleut


-le président. . e ,Chauvéli.4,1 je ne vous cnfnniande
point, je n'ambitionne point de vous commander; mais la charte
V.ous . eonnuancle à vous comme a-raoh , La parole est à M. le
ministre des affaires étrangère*.: les merobreeei voodront.par


-ler après lui n'auront qu'a demander la parole... -,••• tin profond
silence s'établit.


M. le ministre des affet'es étrcingères.le neileni_pas m'é-
lever contre la proposition qui a été faite; je viens 'seulement
f hire observer à la chambre qu'il parait plus convenable de là
renfermeridans les termes généraux.dans lesquels une-semblable
disposition est ordinairement énoncée à la suite du..texte des
lois. e,}m effet, pie veut-on 2 On veut que tout ce qui est.prévu
par la nlooi proposée,.. déroge tout ce qui est deulroit . coinin un
pour le reste. Si on veut réclamer le droit commun, il faut le
dire,


fasuccile pour le respect du domicile pendant la


M. deChauvelin.M.le présidentdei dit que l'article de- la g!
eharte" devait-être exécuté ; niais il a été reconnu peuh-ministre
du Roi ne-:pouvait pas interrompre une délibérationumtuniett-




( 200 )
nuit., mais encore pour toutes les circonstances possibles de
l'arrestation ; et alors il doit suffire de meure à la fin de la loi.:
cc La présente loi ne déroge en rien aux autres dispositions des
lois existantes sur la matière. n


(Mouvement d'adhésion dans
toutes les parties, de la salle.......


Grand nombre de voix dgauche : A la bonne heure


c'est cela! )•
11/1". le président. La chambre parait adopter relie disposition


générale, qui évite toute disposition: particulière ; alors c'est
une disposition qui devra naturellement


-trouver sa place à la finde la loi
Voix d gauche : Oui ! oui! très-bien




M. Deniareaj,. Je demande la parole pour une observation
sur le réglemént. Mon observation est bien' simple. Quand la
discussion est fermée, c'est un acte de la chambre sur lequel elle
ne peut revenir; or, la discussion avait été 'fermée.— ( Foixdroite : Pas du tout .... elle n'avait pas été ouverte !....) Une
épreuve avait été faite : je demande-si M. le ministre des affiiires
étrangères avait le droit d'empêcher que le résultat ne frit pro- ,
damé, ou qu'en cas de .doute , une seconde épreuve n'efit.
lieu.... Un grand npul4re de -voix : C'est fini!! il n'est plus
question de cela! L'ordre cln jour'


M. Ben:antin-Consianti.,J'4voue que depuis le moment oit
M. le président nous a déclaré, qu'après que M. le ministre au-
rait parlé,. nous pourrions.répondre , j'ai regardé lé droit qu'on
lui accordait de parler comme n'a yant aucun inconvénient. Je
prends acte de cette explication, et je demandé la Continuation.
de la discussion.


M. Manuel. Jé ne puis partager l'opinion 'émisepar le préo-
pinant.(une vive sensation). Il me semble qu'il interprète mal
la charte, ou bien qu'il tolère un abus, et qu'il cherche seule-
ment .à . en tirer parti. La. chambre doit décider si un ministre
pourra à son.gré rouvrir une discussion lorsqu'elle est•ferniée,
et lorsque déjà on a commencé la délibération: TOilâ'la. seule,
la véritable question. Maintenant qu'on viènne dire


. : Mais
elle est rouverte, vous aurez le droit de parler et de faire les
observations que vous jugerez convenables. Je ne vois là•qih'un
moyen de rendre le danger moins grave, mais non de faire dis-
paraître l'abus. En effet, les ministres seuls auraient le droit de
rouvrir la discussion ; et quand un député voudrait réclamer la
même faculté, on lui refuserait la parole ce n'est pas


• là , mes-
sieurs, de la justice, de l'égalité. Lit.question reste donc tout
entière. Il s'agit de savoi




.si l'article dela charte doit être inter-
prété comme les ministres le prétendent : je soutiens la négative.


Comment supposer que l'auteur de la charte ait voulu que
les ministres pussent manquer à ce point à une chambre, qu'il


( 201 )
dépendit d'eux -de revenir sur une délibération prise? Une
chambre décide qu'elle, est fatiguée des discussions, suffisam-
ment instruite, et qu'elle. ne veut plus entendre personne; et,
malgré cette décision, il...dépendrai t d'un ministre de rouvrir la
discussion! cela ne peut se supposer. L'article de la charte a
voulu. assimiler les ministres aux députés i afin que dans toutes
les questions ils puissent prendre la parole. Mais la police de la
chambre est indépendante <le cette règle générale. 1 nlous aussi ,
nous avons le droit de prendre la parole ;mais suivant les formes
prescrites par le règlement. Les uns et les autres doivent être
soumis à <les règles; sans quoi, que deviendrait. la discussion?
Ainsi l'article de la charte doit être entendu <le manière à ce




qu'un ministre puisse prendre la parole dans toutes les discus-
sions , mais en se soumettant au réglement de la chambre.


Quanti à cette objection, qu'un . ministre peut avoir à pré-
senter l'ordonnance de dissolution de la chambre, je répon-
drai : Que s'il montait à la tribune pour déclarer qu'il vient
apporter une ordonnance royale pour dissoudre ;les chambres,
ce serait en vertu d'un autre article de la charte . qui porte que
le Roi a le pouvoir de dissoudre les chambres. Ainsi cela ne
porterait sucune.atteinte ni à l'utilité, ni à la liberté de vos dis-
cussions. Peut-être mense, dans cette hypothèse,' Serait-il vrai de
dire que les ministres devraientrattendre pela délibération2eit
terminée. Il s straordinaire , en effet, que les riii7
nistres pussent iltcrroulpre une délibération sur un projet qu'ils
auraient présenté. Suppose qu'on eût déjà commencé à procé-
d .et ;cm, les,de.ux tiers des membres eussent déjà


nus le dermilde, .un ministre pourraitif remettre la
délibération? Je crois donc devoir protester contre


Pinte, Cation donnée a l'article <le la charte, et la marche que
la a suivie.


M. de Corolles. Messieurs, ravaiS .crn peu nécessaire de
proposer des amendemens à. une loi que 'j'espérais voir rejeter
par cette chambre à l'immense majorité. Le résultat de nos der-
nières délibérations a dû ,changer mes résolutions. Je n'hésite
pas à concourir avec mes honorables collègues à des mesures de
modération; elles deviennent un devoir pour chacun de nous ,
maintenant qne les dispositions des esprits dans cette enceinte
et porc vette enceinte ,prouvent jusqu'à la dernière évidence


.roposition intempestive de cette funeste loi répand
dans le pava le,




et la méfiance.
Tel devait être son déplorable effet, puisqu'elle nous rappelle


de si doulon souvenirs, puisqu'elle change 182.o en 1815


fi




( 202 )
mais 1815 nous avait montré le spectacle A jamais déchirant
d'un camp anglais aux Champs-Elysées. La France alors était
dans le délire de l'indignation ; elle frémissait à la vue d'un dic-
tateur anglais, se promenant orgueilleusement de la capitale à
la frontière, et de la frontière à la capitale. Fallait-il aujour-
d'hui sans nécessité, sans provocation , renouveler les plaies de
nos coeurs ? Ne devait-on pas plutôt avoir égard au magnanime
silence que la nation avait gardé après un aussi juste ressenti-
ment.? Le pouvoir était témoin de notre résignation ; il avait
reconnu, il avait loué lui-même le calme, la modération de la
nation , jusqu'à l'instant où les plus menaçantes lois Pont acca-.
Liée gratuitement et coup sur coup. Par quel endurcissement le
ministère méconnu le. cri de la France? Elle lui disait :
Voyez,


nies sacrifices, voyez ma soumission ; je ne vous deman-
dais en retour que le maintien de mes institutions et un peu de
confiance' Mais le temps presse; déjà toute justice est foulée
aux pieds : on a refusé un conseil à celui que l'arbitraire va
saisir; on a refusé jusqu'à la religieuse consolation du lien con-.
jugal et de la piété filiale, s'immolant avec la victime de
traire dans le silence des cachots! Volons le temps presse, vo,-
Ions au secours de l'humanité, au secours-de la civilisation que
menace le despotisme !


Je demande pour premier amendement que• l'on délivre à la
famille du. suspect un procès-verbal de son• emprisonnement
dans les vingt-quatre heures, si elle habite le lieu de l'empri-
sonnement, et dans un délai proportionné à la distance, lors-
qu'elle habitera loin dudit lieu. J'observe à cet égard qu'un grand
nombre de détenus avaient gémi plusieurs mois sous les ver-
roux de 18,5 , avant que leurs familles eussent été instruites
officiellement du sort de ces infortunés. Enlevé moi- ,même A la
mienne en 1815, parce que je m'étais réuni à ceux de tuesjbraves compatriotes qui s'étaient armés pour repousser Pe-rerni,e merappelle que je subissais à Paris depuis trois semaines la
torture.du secret, et que cependant une rumeur vague put seule
apprendre à ma femme et à mes enfans que j'étais arrêté.


Ne pourrai•il pas.
arriver aussi qu'un citoyen arrêté là nuit


sur la voie publique, vint à périr dans les -fers? Et de tels
exemples ne seront pas rares, à en juger par l'acharnemen t de
ceux qui soupirent après cette.tnesure. On connaît phnpression
funeste que produit sur certaines personnes les coups inattendus
du despotisme; et il n'est que trop vrai de le dire, ces cours
sont toujours portés par des mains dépouillées de.tOute pitié.


.J'ajouterai que, jeté inopinément en 1815 dans-une maison


( 203 )
d'arrêt, confié à la discrétion du préfet de police de Paris, on
m'enferma dans un réduit de douze pas de long, sur six de large.
Nous étions trois, et bien souvent quatre, suivant le nombre
des victimes dont le pouvoir discrétionnaire encombrait nos ca-
chots ; nous étions quatre enfermés dans ce réduit empoisonné,
ne respirant l'air extérieur qu'au moyen d'une espèce de fenêtre
à bascule placée à six pieds au-dessus de nos têtes, et que nous
entr'ouvrions à peine avec -une chaîne! Le service indispensable
de ce réduit infect lie se faisait que toutes les vingt-quatre
heures. (Excusez, messieurs, si je vous dévoile d'aussi tristes
détails; mais puisque nous revenons en 18zo aux tortures de


. 1815 , cherchons du moins à rendre utiles à l'humanité celles
que nous avons endurées à cette déplorable époque.) Pendant
vingt-quatre heures nous étions ensevelis dans une atmosphère
inéphytique , pour respirer la même le jour, la nuit, le lende-
main , et tant qu'il plaisait au pouvoir discrétionnaire ; car nous
ne sortions ni nuit ni jour ; nous n'avions ni conseil, ni ami
ni secours.... On- ne nous distribuait de l'eau filtrée que lors-
qu'il eu restait après la consommation de Son Excellence et de
ses valets. Telle était du moins la réponse qu'adressait l'inflexible
geolier à notre soif brûlante, qui nous était adressée au moyen
d'un pouvoir qu'on ose appeler aujourd'hui un pouvoir de con-
fiance ; et cependant nous étions détenus dans la saison de Pen-
née où les eaux sont les plus fangeuses, clans le mois de dé-
cembre; et cependant aussi, l'un .de mes compagnons de souf-
france, menacé de la pierre, demandait au milieu de ses angoisses
de Peau. filtrée -


Et que l'esprit de piirti ne dédaigne pas les souffrances de cet
infortuné, parce qu'il le supposerait un fédéré, un buonapar-
tiste ; Cet infortuné avait organisé des volontaires royaux pen-
dant les cent. jours ; il avait régularisé une correspondance clan
destine avec Gand ; il avait fait arborer la cocarde blanche
pendant que les étrangers entraient dans Paris ; mais il était
coupable aux yeux du pouvoir discrétionnaire de cette époque,
pour avoir servi sans réserve les intérêts d'un comité directeur,
dont l'influence a toujours varié suivant les circonstances : mais
il importait par-dessus tout au pouvoir discrétionnaire de fon-
der, comme il s'efforce de le faire aujourd'hui, un despotisme
durable. Et pour mieux atteindre cebutoù


lesertrouva
imcr inel,


it; attachait; il les courageuses résolutions partout
à la même chaîne et le Français de Gand


il flétrissait


et le Français qui avait
voulu défendre son pays; il , redoutait alors, comme il redoute
encore aujourd'hui , de voir les gens de coeur de tous les temps ,




( 204
)


de tous les partis, se coaliser contre le despotisme qui les pros-
crit également plus qu'il ne traînera jamais aucun vrai Français,
aucun vrai courage à sasuité.1


Certes, messieurs, il peut arriver qu'un malheureux , exposé
aux indignes traitemens que je vous dénonce, contracte une
maladie pestilentielle , périsse dans les fers. Je demande done
pour second amendement, que, dans le cas où mi suspect yien•
droit à expirer pendant la détention, sans que l'on pût consta-
ter son crime , il fût loisible à sa famille on à ses amis de pour-
suivre en dommages et intérêts devant les tribunaux ordinaires,
et sans aucun recours au conseil d'état , lé ministre ou les-mi-
nistres qui auraient Sigel'ordre de l'emprisonnement arbitraire.
A définit d'un tel amendement, les fàmilles seront exposées à la
cupidité des délateurs et aux méprises toujours si cruelles de
l'arbitraire.... Mais ce que je demande surtout, c'est le rejet
absolu d'une loi inutile , impolitique , et attentatoire à nos
libertés.


- leprésident. Le premier amendement de M. de Corcelles
est-il appuyé 2


Un grand nombre de voit d gauche : Oui , sans doute


L'amendement est mis aux voix et. rejeté. — Le second amen-
ciment est mis aux voix, et également rejeté à une moins forte
minorité.


M. le président donne lecture du dernier article du. projet
de loi, et: de l'article 4 du prôjet amendé par la commission.


Le ministère sera tenu de mettre sous les yeux des Chan
bres , à la prochaine session, le tableau des personnes arrêtée
par ses ordres, et d'y joindre un rapport sur l'exécution reçu
par la présente, qui cessera de plein droit d'avoir son effet., s
elle n'est pas renouvelée dans le courant de la session susdite.»


M. Bogue de Faye. J'ai pensé, messieurs , qu'il importai
que l'amendement de votre commission énon çât plus explicite—.
ment encore les indications que devra contenir le tableau r re le
m inistère vous soumettra.


Ce ne sera pas, nous devons le desirer, une vaine nomencla-
ture, peut-être, hélas ! trop volumineuse, qui, parsonpoids
et son incorrection, viendrait nous rappeler cette autreliste
qui vous fut distribuée à votre avant-dernière session, et que
l'on sut rendre , par une habileté ultramontaine „si, inistile au%
recherches auxquelles elle aurait pu donnerlieil , et dans la vue
desquelles son impression avait été ordonnée.


Afin' er, pp arer à l'avance; toutefois il est-et-vôtre pouvoir
d'obliger M. les ministres de donner les premiers l'exemple


( 205 )
de la stricte observation des lois, j'ai l'honneur de vous -pro
poser d'insérer dans l'article de votre commission , que le tableau
des personnes arrêtées devra indiquer, 1. 0 L'âge, le lieu de nais-
sance et le domicile desdites personnes ; 2.° la date de leur
arrestation, et celle de leur mise en liberté ou en jugement;
3.0 le lieu où elles ont été arrêtées, et celui où elles auront
été détenues; 4. 0 et enfin, le motif qui aura donné lieu à leur
arrestation.J'appellerai ensuite votre attention sur un objet non• moins
important. Par la loi que vous discutez, vous créez des prison-
niers d'état ; niais vous n'avez pas de prison d'état. Je ne vous
conseillerai pas toutefois de faire bâtir de nouvelles bastilles, et
-d'ajouter pour cela aux fardeaux qu'imposent les budjets. Déjà
la prodigalité des deniers publics, qui y est si manifeste, les
rend assez impopulaires, sans qu'il soit besoin d'y ajouter en-
core l'odieux d'une pareille dépense. Toutefois on ne peut
imaginer que des personnes arrêtées sur de simples soupçons
que des hommes de bien (et ce sont ici les expressions mêmes
de votre commission qee je répète), victimes, peut -être , de
calomnies haineuses, ou de l'erreur, puissent être confondues
avec les plus vils criminels. Ce serait déjà un supplice auquel
vous les auriez condamnés.


Lorsque le gouvernement vient vous demander des prisonniers
d'état, colonie jadis on demandait une conscription , il importe
que vous sachiez comment seront traités les infortunés que vous
livres ainsi à la discrétion des ministres. Il ne vous a été donné
à cet égard aucune explication; et comme on ne se dispose pas
à vous en fournir., j'ai l'honneur de vous proposer l'amen-
dement suivant :Les personnes détenues en vertu de la pré-
» sente loi, jusqu'au moment traduites en jugement, elles
?) rentreront dans la classe des prisonniers ordinaires, seront
» logées dans les parties les plus commodes et les plus saines des
» maisons d'arrêt; elles recevront , pendant toute la durée de
» leur détention , jusqu'à leur mise en jugement, six francs


j» par jour, qui leur seront payés sur les fonds du ministère de
» l'intérieur affectés à la police générale. »


La première partie de cet aMendement n'a pas besoin d'être
longuement commentée. La réflexion seule fera sentir qu'un
prévenu de machinations contre la silreté de l'état, qu'un sus-
pect enfin, ne peut être confondu avec des hommes convaincus
de crimes. Taudis que ces derniers attendraient avec. effroi
l'heure de leur supplice, condamneriez-vous les premiers à
gémir sous los mêmes verroux, à languir dans les mêmes cachots,




eo6 )
jusqu'à ce que leur innocence élit été reetitinue? C'est id, mes-
sieurs, que la loi et ceux qui l'exécuteraient pourraient être
ateusés de barbarie. Vous ne lions exposerez point à ce repreclie.


Je propose par le même amendement d'accorder une rétribu-.
Lion à chaque détenu jusqu'à ce qu'il soit mis en jugement. Je me
flatte, messieurs, que vous ne verrez dans cette proposition
rien qui ne soit conséquent avec le système dans lequel nous
entrons, rien enfin que de juste et de conforme à l'humanité.


Sous l'ancien régime, les prisonniers d'état recevaientsix francs
par jour. Ce ne sera donc pas faire trop pour ceux qui seront
arrêtés en vertu dé la présente loi, que de leur allouer la tnêtne-
somme. Celui qui se verra arracher à une honnête industrie, à'
son commerce, aux soins qu'exige une modique fortune, etnni
nient vivra-t-il, sans les secours que vous êtes invités à lui
accorder ? Sa détention pourra causer sa ruine et celle de sa
famille; ne le laissez pas encore aux prises avec le besoin et le
plus affreux dénuement., lorsque déjà tant d'autres souffrances
t'accableront! ne le condamnez pas à se nourrir du pain du
crime; ne vous condamnez. pas vous-mêmes à des regrets , si son
innocence allait vous être prouvée!


'Cette rétribetiontlemandée pourchaque détenu sera-t-elle une
nouvelle charge pour l'état? J'aime à me flatter que ceux qui
voteront pour le projet de loi, se croient assurés du contraire;
Mais qu'ils ne refuseront pas de tristes secours aux infortunés
qui pourront être atteints par l'arbitraire qu'ils accordent, lors
Même que l'état devrait y contribuer par tin fonds spécial.•Vous
voudrez bien remarquer, messieurs , que je propose de-faire
supporter cette rétribution par les fonds générant affectés:à la
police, et ma pensée sera facile 'à saisir.


Si, comme on l'a souvent répété, le nombre des arrestatiime
doit être infiniment borné, ce ne sera pas une très-grande charge
que vous imposerez au budget de la police. Si, au contraire ,
usant et abusant du pouvoir discrétionnaire qui vous
mandé, les prisons se remplissent de suspects, alors, il est vrai,
messieurs, cette police aura à payer plus de prisonniers, mais
aussi elle pourra dirninue•_le nombre de .ses agens. Il y aura
donc compensation dans ses dépenses : ce sera ci pour elle une
affaire de calcul. En faisant renfermer - toue ro= qui lui sont
suspects, elle n'a plus besoin de les faire surveiller, la chose est
incontestable : un geôlier et des verroux en répondront suffi-.
samment 5 dès-lors elle peut congédierune grande partie de• sa
milice.


Dans les années 181.5 et 183:6 cette milice s'était accrue au


( 207 )
point que dans . les plus petites villes on en trouvait quelques
détachemens. Elle fut licenciée, au moins je le crois , depuis
cette époque; mais ce sont, messieurs , de nouvelles places fort
utiles, et assez bien rétribuées, que nous allons voir recréer. Il
est fiicile d'imaginer que partout où il se trouve ainsi:des déla.
teurs à gage , il doit nécessairemen t y avoir des personnes sus-
pectes. Alger mourrait de faim , si Alger était en paix avec
tout le monde. Aussi , messieurs , gardez-vous de penser que
ces agens du despotisme ministériel ne le serviront pas merveil-
leusement. Il n'est si petit hameau où bientôt, grâce à leur
vigilance, on ne dei:ouvre quelque conspiration.


Le département que j'ai rhonneurde représenter a été inondé
de ces agens et de délateurs bénévoles. Un grand nombre d'ar-
restations y eurent lieu ; on ne put trouver un seul coupable.
Les jugemens des tribunaux, de la cour prévôtale même en font
foi. Des destitutions nombreuses y eurent lieu également. C'é-
tait la guerre aux places; c'était , messieurs , une époque de
vengeance.


C'est sur ces agens méprisables, cependant , que la confiance
des ministres va reposer, et ces ministres vous demandent
toute la vôtre! Qu'ils ne nous disent pas que les hommes revêtus
des fonctions publiques sauront les entourer d'une lumière plus
pure: Ces fonctionnaires seront pour la plupart intimidés ou
entraînés comme en 1815 et en 1816. Le mal se fera sous leurs
yeux, et ils n'oseront s'y opposer, et ce n'est ici', messieurs,
accuser que leur faiblesse.


Non, messieurs, cette loi n'est pas une loi de confiance, c'est
une loi de terreur. Mais rappelez-vous combien cette terreur est
une arme redoutable. Elle 'blesse à-la-fois ceux qu'elle atteint,
ceux qui s'en servent, et ce serait servir l'autorité , sans doute,
que de la lui refuser. Vous allez, en l'accordant, intimider
tous les citoyens, étendre le voile le plus sombre sur les destinées
de la patrie. Vous allez enfin d'un seul trait „ et pour dernière
considération que je veux vous présenter, étoignerde no's belles
contrées ces étrangers que la constitutionnalité do nos Ibis, plus
encore que la douceur de notre climat, devait Y attirer Le
droit d'aubaine les en éloignait moins que le droit de les Mettre
arbitrairement en prison ne le fera.


M. le ministre de l'intérieur. Il est évident que plusieurs des
honorables membres opposés à la loi poussent le soin de la li-
berté individuelle jusqu'aux détails les plus minutieux. Vous
les voyez s'occuper de la manière d'arrêter, la police des
,prisons, dein nourriture des prisonniers, de leur traitement, et




( 208 )
de toutes choses qui, étant du droit commun , n'ont pas besoin
d'être énoncées dans une loi dont l'objet unique est de permettre
les arrestations que tout officier de police j udiciaire a le droit
de faire , lorsqu'il croit qu'il y a lieu , et ensuite de dispenser le
ministère qui ordonnerait ces arrestations, de traduire le
prévenu en justice, ainsi qu'il le devrait dans le droit commun;
car c'est là ce qu'il ne faut pas perdre un moment de vue
dans cette discussion.


L'objet de la loi, dis-je est de permettre de détenir en
prison un certain temps, sans traduire le prévenu devant les
tribunaux, ainsi qu'on le devrait dans le droit commun.


Mais la loi proposée ne déroge à aucune autre disposition du
droit commun. Ainsi ce droit sera observé ; et c'est sans doute
pour surcharger la loi d'inutiles amendemens , et retarder la
délibération, qu'on se plaît à vous entretenir de propositions....
(Des murmures interrompent à l'extrême gauche.) Est-ce avec
plaisir -ou avec peine que vous proposez ces amendemens ?


M. Casimir Ferrier et M. Dupont (de l'Eure.) C'est avec
plaisir.


M. le ministre de l'intérieur. J'avais donc raison de dire que
vous vous plaisiez à en proposer.


M. de Chauvelin. Mais ce n'est pas pour retarder la déli-
béra tion


M. le président. Je rappelle qu'il est interdit par le règlement
d'interrompre l'orateur.


M. Dupont (de l'Eure). Alors ne souffrez pas qu'on dise—e
M. le président. Vous avez la parole pour répondre




M. le ministre de l'intérieur. Messieurs, je viens demander
le rejet de l'article proposé par la commission, non que je pré-
tende dérober aux chambres la connaissance de ce qui pourra
avoir été fait en exécution de la loi, mais pour conserver la
division des pouvoirs , l'une des bases essentielles de notre.
constitution : j e m'explique.


Les chambres exercent collectivement avec le Roi la puis-
sance législative ; mais l'exécution des lois auxquelles elles con-
courent appartient exclusivement au Roi, qui pourvoit. à cette
exécution par ses ministres et les agens inférieurs de son autorité.


Les ministres sont les hommes du Roi; c'est à S. M. qu'ils
doivent compte ; c'est à elle qu'ils font des rapports sur l'exé-
cution des lois qu'il leur confie. La disposition qui les obligerait
à présenter directement un tableau et un rapport aux chambres
sur l'exécution d'une loi , est une innovation inouie jusqu'à


( 209 )
ce jour, et subversive, j'ose le dire, de la distinction des
pouvoirs.


A l'appui du budget, les ministres communiquent aux
chambres les rapports qu'ils ont faits au Roi; ils les communi-
quent comme ,renseignemens et nullement comme un compte
qu'ils rendent aux chambres. ils leur soumettent les tableaux des
dépenses et des recettes. Ces tableaux sont nécessaires pour
régler le budget de la loi des finances, loi d'une nature différente
de toutes les autres.


Les chambres ont le droit de demander des renseignemens
sur l'exécution des lois , mais des renseignemens particuliers ,
et non des tableaux généraux, pour savoir de quelle manière
une loi a été exécutée. Les ministres n'administrent pas pour
les chambres , qui ne sont pas chargées de l'administration ; ils
administrent pour le Roi, sauf leur responsabilité. Je crois donc
que les chambres ne peuvent leur enjoindre de leur faire des
rapports et de leur fournir des tableaux sur l'exécution des lois.


Vainement dirait-on qu'il s'agit ici d'un pouvoir extraordi-
naire accordé aux ministres. Tout extraordinaire qu'il est, une
fois qu'il est accordé , il entre dans l'action de l'administration.
Les ministres, agens du pouvoir administratif, n'en doivent pas
plus compte que des autres parties de l'administration ; ils en
doivent compte en cas de plainte, et non autrement.


J'insiste avec .d'autantplus de • confiance sur ces réflexions,
qu'il n'est pas besoin de l'article proposé pour que les chambres
protégera ceux que la loi abandonnerait temporairement à
l'arbitraire des ministres. Le jour de la justification des ministres
arrivera, et ils ne le négligeront pas.


On demande à aller aux voix.
M. Sappey. Messieurs, les lumières sont aujourd'hui telle-


ment .répandues sur la discussion, les vcemMe mes honorables
amiam.uront trop bien retentis dans toute la France, pour que,
quoiqu'en dise M. le ministre de l'intérieur qui m'a précédé à
cette tribune, notre opposition aux lois d'exception soit mé-
connue , et pour que la responsabilité des mots, dont on veut
encore faire le cruel et dangereux essai, pèse jamais sur nos
têtes. Quant à nos soins pour en atténuer les rigueurs, ils auront
eu de si faibles résultats, qu'il restera toujours assez de vexa•
tions pour lasser ceux.même qui én réclament l'emploi, et qui
reconnaîtront, du moins je le présume, que le meilleur moyen
dtoeugs les eoîiteruinitsroesmmeil paisible, est de laisser dormir tranquillement2 2


11.




142




(210 )
C'est d'après ces dernières réflexions que je itasarde à ap.•


puver l'amendement de votre commission , qui tend à imposer
au ministère l'obligation de mettée sous les veux des chambres,
an Commencement de la prochain.: session, le tableau, par
département, des personnes arrêtées par ses ordres, et d'y
joindre un rapport sur Pekécntion de cette loi et susses résultats.




j'aWrte , comme vous le volez, très-peu de changemens à
Cet amendement , mais ils 'sont essentiels. Il importe que le
tableau soit publié an commencement de la session, afin que
chaque député ait le temps d'en constater l'exactitude, et afin
aire les oublis puissent être réparés. Ce tableau doit être divisé
par dpartgment, pour être plus"facileinent vérifié , et pour que
les administrateurs sages ét modérés recueillent la gloire due à
leurs travaux. Enfin, les résultats de la loi seront un témoi-
gnage rendu en faveur du peuple, et à la prévoyance de ceux
qui la soutiennent inutile et vexatoire.


Sans doute, messieurs, cc sera une triste consolation peur
victimes de l'arbitraire ( et qui le sait mieux qu'un député d'un
tlépartetnent où les lois d'exception ont fait tant de mal et
causé tant d'effroi?), que de voir proclamer leurs noms dans
des cOnjonctimes aussi déplorables ; niais cette publicité doit
§èrvir la patrie et la- liberté.


Si la mesure est adoptée, chaque agent qu'aucune considé-
ration n'aurait -pu retenir, saura qu'il doit•exister un lendemain
pour lui et !pour -ses victimes , et son prétendu zèle s'arrêtera
( peut-être) devant 'cet inévitable avenir. S'il franchit cette
barrière, ce ne pourra être que pour frapper des individus
réellement repréhensibles., ou pour servir les fureurs d'une
faction ou des vengeances particulières. Dans le premier cas,
on reconnaîtra combien les coupables sont étrangers à la nation
qu'on ;.dansla seconde hypothèse, nos pressentimens
auront été justifiés , et l'on verra si c'est nous qui nous trom.-
pions
. . .


en nous portant garans de la tranquillité du peuple, de
Son attachetnent'A ses"institutions , dont il ne séparait aucun des
intérêts qui s'ÿ trouvaient et qu'il aimait à voir confondre
dans une smil., et même existence.


'Hélas ! quelles mains, depuis quelques mois, s'appliquent-elles
à diviSer . Ce qui étiiit fini, et à lancer encore au milieu destem-
pêtes le vaisseau de l'état battu par :de si longs orages , et qui
semblait enfin devoir se reposer dans le port? Cette entrepose
`est si étrange , que , comme ces peuples victimes de grandes
Catastrtiphes, "ions 'Serions "tentés • eittrihtier nos infortunes à
des dieux inconnus qu'on ne peut apaiser.


( 211 )
En effet, messieurs, ces hommes sont bien coupables, qui


demandent qu'on ouvre les cachots quand il faut fermerl'abîme
des révolutions, qui représentent au Roi le voeu de son peuple
comme un attentat à son pouvoir, le besoin du système consti-
tutionnel corniste une révolte encore quelques jours, et les
soupirs du malheur seront des accens séditieux.


Comment se fait-il que notre tranquillité et notre bonheur,
"ii.:.ndés sur une charte dont notre monarque avait confié le dépôt
A notre courage et à. notre fidélité, soient toujours menacés par
ceux-là même qui supportaient avec tant de soumission notre
ancienne effervescence ? Quoi! la fidélité d'une grande nation,
son union avec son Roi, toute son activité tournée vers l'agri-
culture, les arts et le commerce, seraient d'un dangereux
exemple ! Quoi ! il taud ra révolutionner une nation qui frémit au
souvenir de sa révolution ; on la forcera de remuer lorsqu'elle
aspire au repos ; de craindre, lorsqu'elle se plaît dans la con-
fiance , et de fermer son cœur au sentiment de l'amour 1 Tout
un peuple sera mis en prévention pour un criminel ! Cette•en-
ceinte même deviendra, comme nous le voyons malheureusement:,
une arène où les débats prendront un caractère si peu . conve-
nable à notre dignité, et où les députés auront à supporter,
chaque jour , les résultats d'une première et d'une trop grande
condescendance ! Ab, messieurs ! kit•ons -.nous de contraindre le
ministère à sortir de la fausse route où il s'est engagé; et. si vous
n'êtes pas aussi pénétrés que je le suis du danger de la loi , ac-
cueillez du moins un amendement qui, semblable à ces cris que
les anciens triomphateurs étaient obligés d'entendre près de
leurs chars, rappellera aux ministres qu'il y aura aussi un len-
demain pour eux, que l'humanité a ses droits, et que la. puis-
sance doit avoir ses bornes comme l'Océan a ses limites.


Je vote pour -l'amendement de la commission., .avec les
.changemens que j'ai indiqués.


11/1. Vezmozt. lgessieurs, nous ne savons que trop comment
se perpétue l'em:pire des lois inconstitutionnelles; il est plus
.aisé de ne pas établir le pouvoir arbitraire, que de l'éteindre
quand il a.. duré d ix-h u i mois,-quand il est devenu une habi tude
pour ceux qui l'exercent et même pour ceux qui le subissent,
quand les uns se sont: accoutumés à le regarder comme une
.arme nécessaire, et les autres comme une destinée inflexible.


:Sans contredit , est extrêtren ent probable que ce régime ex-
traordinaire. sera maintenu 4 dans la prochaine session ; nous
:n'avons aucun besoin d'en proclamer d'avance la possibilité.
,Cependant , messieurs , .puisqu'on a cité à l'appui du projet de




tif


( 212 )
loi l'opinion d'un écrivain célèbre, et qu'on s'est autorisé de
ce qu'il a compté la dictature au nombre des moyens de sauver
la liberté, il doit m'être permis d'observer qu'il ajoute que de
quelque manière que celte commission extraordinaire soit con-
férée, il importe d'en fixer la durée à un terme très-court,
qui jamais (dit-il ) ne puisse être prolongé, parce que, dans
les crises qui la font établir, l'état est bientôt détruit ou sauvé,
et que passé le besoin pressant, la dictature devient tyrannique
ou vaine. Ainsi, loin de supposer qu'on pourra l'an prochain
renouveler cette loi , l'auteur dont il s'agit vous inviterait au
contraire à déclarer expressément que cette prolongation ne
pourra se faire.


Préserver le pays du renouvellement futur de ce régime dis-
crétionnaire , après que vous l'aurez établi , n'est pas, mes-
sieurs , en votre puissance. Ce que vous pourriez faire serait de
limiter l'objet de votre propre délibération par un terme fixe et
précis qui ne dépendît point du cours plus ou moins prolongé
d'une session prochaine. Il n'est point indifférent en une matière
si grave, de connaître exactement. la durée du pouvoir que l'on
acc'orde. Si vous cherchez cette mesure chez un peuple voisin
dont. on se plaît à vous proposer les exemples, vous trouverez
que la durée moyenne d'une suspension de l'habeas corpus n'ex-
cède ou n'atteint pas trois mois; et si vous recourez à des exemples
anciens qui ont été aussi allégués vous ne serez jamais conduits
qu'à doubler cet espace. L'idée d'un plus long délai, d'un temps
indéterminé, est parmi nous une tradition purement révolution-
naire.


Je me place, messieurs, dans le système de ceux qui com-
parent la mesure qui vous est proposée, ou à l'extension du pou-
voir consulaire , ou à la dictature chez les Romains. Pour mon
compte , je n'y apercevrais aucune sorte de ressemblance , et
je penserais surtout, avec notre honorable collègue M. Devaux,
que l'un des avantages éminens du gouvernement monarchique,
tel que la charte l'établit, est de préserver l'état de la nécessité
et des périls de toute dictature. Mais puisqu'enfin on a fait va-
loir cette comparaison , et que les articles déjà provisoirement
arrêtés la supposent, il semble juste de l'appliquer à celui qui
reste encore à discuter. Avant l'époque où la dictature devint,
à Rome, indéfinie et tout-à-fait tyrannique , la loi l'avait bor-
née à six mois , et l'on usait ordinairement de la faculté de l'ab-
diquer bien avant ce terme, quelquefois dès le quinzième ou
seizième jour. Si à Route quelque événement horrible, pareil à
celui qui vient de nous pénétrer de douleur et d'indignation,


( 213
avait provoqué l'activité d'un pouvoir discrétionnaire , ce pou-
voir soudainemen t créé aurait expiré au moment même où il com-
mencera d'exister parmi nous, quand l'une et l'autre chambre
y auront consenti. C'est sous cet aspect que la dictature a été,
soit historiquement , soit théoriquement envisagée par Mon-
tesquieu. Créée, dit-il, _pour une seule affaire, elle n'était une
autorité sans bornes que pour cette affaire , et ne devait durer
que peu de temps.


J'ai donc l'honneur de vous proposer de limiter à six mois
l'exercice du pouvoir arbitraire dont vous j ugeriez à propos d'in-
vestir le conseil des ministres , et je vais essayer de répondre en


. .peu de mots à deux objections qui peuvent s'élever en des sens
très-opposés contre cette détermination. D'un côté , l'on peut
craindre que cet espace de temps n'embrasse celui des élections
publiques , durant lesquelles il importe évidemment de mettre
les électeurs et les éligibles à l'abri de toute atteinte et de toute
poursuite qui ne serait pas judiciaire. Mais d'un autre côté, l'ima-
gination , toujours féconde en hypothèses , peut concevoir des
craintes d'une espèce toute différente , s'effrayer d'un intervalle
entre l'expiration de la puissance arbitraire et la convocation
des chambres, la représenter comme une carrière ouverte aux
conspirations, aux manoeuvres des filetions, aux attentats contre
la tranquillité publique. Non, messieurs, en se dégageant de l'ar-
bitraire, ce n'est point dans l'anarchie qu'on retombe, mais sous
la main auguste


• et puissante de la véritable justice ; et puis-
qu'enfin sit e régime arbitraire n'est pas l'ordre constant des
sociétés , il faut bien , un jour ou l'antre, l'abandonner ou du
moins le suspendre à son tour : toutes les expériences nous ap-
prennent que le retour à l'état constitutionnel et régulier est
d'autant plus périlleux qu'il a été plus tardif. Craignons donc
d'outre-passer le plus long des ternies assignés par la sagesse an-
tique , et. ne dévouons à la dictature ministérielle que la moitié
d'une année : c'est un assez grand sacrifice. Que vos successeurs
en fassent un autre pour leur propre compte , si telle est leur
volonté; maisla'ils ne puissent pas dire au moins qu'ils ne font
que continuer le vôtre.


Je préférerais donc à l'article proposé par votre commission ,
celui qui serait conçu en ces termes : L'effet de la présente loi
D) cessera , de plein droit, au 1 , er octobre 1820 s).


On demande la clôture de la discussion.
M. Benjamin-Constant. ll me semble, messieurs, que vous


ne pouvez fermer la discussion sur les amendemens sans les avoir
lai ssé discuter. Cela est d'autant plus nécessaire, que les amen-




( 214 )
demens ont été rejetés sans discussion ; il y eu a trois sur les-
quels les ministres n'ont fait aucune observation; on présumait
qu'ils étaient consentis; et ils ont été rejetés. Ainsi , quand
vous avez refusé la communication avec le défenseur, avec une
personne de la famille. ( Voix d droite : Cela est décidé !
parles des amendemens nouveaux ) J'essaie, messieurs , dé
prouver qu'il ne fallait pas fermer la discussion sans entendre.
Je m'oppose à la clôture de la discussion , et je demande que
les amendemens soient mis aux voix successivement , ét de
Manière que les membres qui voudront parler puissent avoir la
parole sûr chacun d'eux....


Voixd droite : C'est juste l C'est dans l'ordre'
La clô-


ture de la discussion sur les divers amendemens....
On continue à demander la clôture de la discussion.... ( Vive


opposition ).
M. Benjamin-Constant. Il Lut que la chambre s'explique-.


Ordonne-t-elle la clôture de la discussion sur les divers amen-
demens quand ils seront rappelés ?


211. de Chauvelin. Ce serait alors proposer non la clôture,
mais la suppression de la discussion.


Voix d droite :Non ! non !...
M. Cornet-d'Incourt. La discussion a été générale sur divers


amendemens proposés ; elle peut être fermée en ce sens. Quand
chacun de ces amendemens sera reproduit à son tour, il est clair
que chaque membre pourra demander la parole....


Voix d gauche : A la bonne heure !... Nous ne demandons
que cela I


La chambre ferme la discussion sur l'article.
Le président annonce que M. Méchin présente un nouvel


amendement, tendant à ce que la loi cesse d'avoir son effet au
moment où l'ordonnance du Roi convoquera les collèges électo-
raux, et qu'alors les personnes arrêtées et non traduites en je-
'gement soient mises en liberté. Il met ensuite aux voix l'amen-
dement de M. Toupot , tendant à ce que , dans la première
quinzaine de la prochaine session , le tableau des personnes ar-
rêtées soit mis sous les veux de la chambre , et à ce que l'effet
de la loi cesse un mois après l'ouverture de la session.


Cet. amendement est mis aux vois et rejeté.
M. le -président rappelle l'amendement de M. Sappey,


ten-
dant à ce que le tableau soit présenté par départemens.


L'amendement est mis aux voix etrejeté.


( 215 )
M.le président rappelle l'amendement ae.M. Bogue de Faye...


(Ou demande à aller aux voix ).
.M. Manuel. A propos de l'amendement de M. Bogue de


Paye , M. le ministre de l'intérieur a présenté à cette tribune
des observations, qui me paraissent trop graves pour rester spis
réponse. Il a d'abord remarqué que ces divers amende-mens ea-
valent pour objet. que de retarder la marche de la discussion ;
et cependant il pouvait offrir A son esprit un motif plus légitime;
c'était celui de rendre la loi moins dure. Cortes-, c'c .:st. reaJrc
service à ceux qui demandent un pouvoir arbitraire que de che, •


-cher à. environner ce pouvoir de plus de précautions possibles,
afin que la loi paraisse moine odieuse; et puisque ce parti si na-
turel se présentait à l'esprit , peut-être il était plus juste et plus
raisonnable de supposer celui-là que d'eu supposer tout autre.


Passant au texte de l'amendement et aux motifs sur lesquels
il pouvait être Budé , M. le ministre de l'intérieur a prétendu
que tout compte à rendre de la.part du ministère aux chambres,
entraînerait une subversion des pouvoirs , que le ministère n'é-
tait comptable •S. M.


Il semble que cet: argument n'est pas suffisant ponr repousser
l'amendement de la cç;,. , ni celui de M. Rogne de Faye.
On a souvent cherché àéia blir la divisiqn des pouvoirs et les rap-
ports des ministres avec les chambres. Si .quelques réflexions
générales pouvaient être licites , je dirais due de tout
temps, sous les irouvernemens représentatifs, les ministres n'ontjamais refusé la qualité de serviteurs du peuple. i.: r n homme qui
sans doute savait faire respecter les préro gatives du trône ali-
tant que les ministres actuels, M. Pitt, disait au parlement
d'Angleterre, que les ministres étaient les premiers serviteurs
du peuple. Et pourquoi en serait-il autrement? S'il est -vrai qu'ou
soit comptable de son administration devant les chambres, daims
les cas prévus par la loi 7 Si l'on est accusable par elles , et que
les chambres doivent être juges , il n'est pas possible qu'elles
restent étrangères à l'action du ministère. Je n'at pas cru devoir
laisser s'établir.des principes par lesquels .on usurperait ainsi sur
le pouvoir des chambres; il faut que chacun reste dans la sphère
de ses pouvoirs. Il faut sans doute que la prérogative du teôue
soit maintenue , non pas seulement dans l'intérêt du trône , de
la dynastie , mais dans l'intérêt de ce salutaire équilibre qui a
été établi par la sagesse de l'auteur de h charte lui-même.


Je passe A la question spéciale dont il s'agit. Est-il vrai qu'en
demàmlant le compte réclamé par la commission et sons amendé
par M. Bogue de Faye, on fasse quelque chose qui puisse le




( 216 )
moins du monde prêter matière à critique ? Indépendamment
de toute règle générale, n'est-il pas vrai que c'est un droit ex-
traordinaire que le ministère. demande, et pour lequel il a be-
soin d'une confiance extrême de notre part ? Mais je demande ,
à mon tour, comment un ministre ne trouve pas tout simple et
tout naturel, qu'en accordant cette confiance extraordinaire,
nous prenions plus ou moins de précautions pour que ce pouvoir
soit renfermé dans les bornes prescrites ? Le ministère a-t-il ou-


j
blié qu'en présentant, il y a à peine quinze jours, un autre pro-
et de loi sur les journaux, il e cru devoir offrir aux chambres


une garantie , en leur proposant une commission composée de
membres de la chambre des pairs et de celle des députés, qui
aurait exercé la censure qu'il réclamait ? Certes, c'était bien là
introduire les chambres dans l'administration , et cependant le
ministère n'y a pas vu les mêmes inconvéniens. Il a pensé que
lorsqu'on réclamait un pouvoir extrême, il était tout naturel de
recourir à quelques mesures extraordinaires. Ce n'est pas seule-
ment dans cette circonstance. Vous avez nominé une commission
pour surveiller la caisse d'amortissement ; cette commission est
composée de membres de la chambre des pairs et de celle des.
députés. Or ceci pourrait bien paraître jusqu'à un certain point
faire entrer les chambres dans l'administration. Cependant, il
vous a paru tout simple d'autoriser cette surveillance, hors de
vos attributions. Pourquoi donc , dans une hypothèse où vous
voulez faire abrogation de toutes les règles, ne pas admettre
l'intervention des chambres? Mais, dit-on , c'est soumettre le
ministère a.ux.cliambres. Non , messieurs : le ministère propose
une loi, vous jugez à propos d'y ajouter une disposition : quand
elle y sera , elle n'appartiendra plus à la chambre , ce ne sera
plus la chambre qui paraîtra plus ou moins exigeante vis à-vis
de tel ministre ; ce sera la loi qui aura cru pouvoir prendre
telle ou telle précaution ; ainsi les ministres ne se soumettront
pas à la chambre, mais.à une loi.


Je n'ai plus qu'un mot à dire. On s'est étonné de ce que nous
avons supposé que le ministère pouvait arriver au despotisme,
et l'on a dit qu


-


'il était plus à craindre que les chambres n'em-
piétassent sur les attributions de l'autorité. Je crois que ces
observations n'ont pas été assez réfléchies-. L'expérience de tous
Les temps nous 'a démontré que si des usurpations lentes , pro-
gressives, accidentelles, momentanées, pouvaient être à craind re,
ce n'étaitjamais de la part du pouvoir populaire. (AL Bec915',de sa 'dace : Et l'assemblée législative '
n'arrive-t-il pas quelquefois, d'après la positiLAdneccoenuts-rài(rqui


( 21 7 )
administrent, que peu à. peu , et par une funeste habitude dit
pouvoir, et par l'avantage qu'on trouve à l'exercer plus com-
modément, on se permet des atteintes successives , sans doute
dans des vues qui ne sont pas perfides, mais on ne les réalise
pas moins ; et les prérogatives du trône se trouvent augmentées
aux dépens de la liberté


Messieurs, si le pouvoir populaire intervient, c'est quand les
excès du trône sont assez graves pour le provoquer. Il n'inter-
vient que lorsque le mal es- t à son comble , et alors ce sont des
révolutions. Voilà ce que l'histoire nous e appris, et ce que
nous ne devons pas perde de vue quand on vous reproche
d'empiéter sur le pouvoir A trône.Quand nous avons parlé du despotisme, nous l'avons fait
avec d'autant plus de raison , que nous avons vu les défenseurs
de la loi nous présenter des doctrines qui tendent en effet au
despotisme. N'est-ce pas une doctrine de ce genre, que de sou-
tenir que par cela sen. l que le trône fait une proposition, il ne
NOUS appartient pas de la juger, et que le trône ayant une fois
parlé, vous devez vous soumettre? Ce sont bien là les marques
du despotisme. La chambre se respectera trop pour avoir à se re-
procher de les suivre. S'il en était ainsi, il serait inutile de réunir
les chambres, ou, pour mieux dire, elles ne seraient là que pour
servir le despotisme. Mais , grâces au ciel , mon pays n'est pas
réduit à cette extrémité , et les représentons qu'il envoie ici
sauront bien maintenir la hiérarchie des pouvoirs constitués.
J'appuie l'amendement présenté.


M. le ministre des affaires étrangères. Le dernier reproche
qui vient d'être fait aux ministres et aux membres qui ont parlé
comme eux, est bien peu fondé et se réfute par les faits. Ce
n'est pas la - première fois que j'ai l'honneur de représenter à la
chambre que tous ces reproches adressés aux ministres contre
le despotisme et l'inconstitutionnalité des lois qu'ils présentent,
disparaissent devant cette considération , que les ministres ne
font que proposer ces lois à ce de plus respectable,
aux chambres, composées de Français libres, envoyés ici en
vertu de la loi ; et qu'en s'adressant à de tels hommes , le mi-
nistère est toujours- stil: de recevoir des conseils éclairés, et
d'arriver aux décisions les plus sages, décisions après lesquelles
il n'y a plus rien à redouter de sa conscience.


On a demandé si les ministres n'étaient que les serviteurs du
Roi. Les ministres , messieurs, sont les serviteurs du Roi et du
peuple, parce qu'en défendant les prérogatives du trône , ils
défendent aussi le peuple. Le trône et le peuple ont toujours


'*




( 218 )
été en France intimement liés, et l'on sait que c'est au trône
que le peuple doit le degré de liberté dont il a successivement
reçu les avantages.


Aujourd'hui il est évident pie le ministère étant placé en pré-
sence des chambres, obligé d'obtenir leurs suffrages pour les lois
qu'il propose, il ne peut exister sans une majorité dans les cham-
bres. Se trouvant placé dans une position aussi utile àla liberté, il
est bien obligé de faire connaître aux chambres tout ce qu'il juge
nécessaire et propre à gagner leur confiance. Ainsi, à la suite
de l'exercice d'un pouvoir extraordinaire , il est dans la nature
des choses que les ministres du Roi soient les premiers à faire
connaître aux chambres de quelle manière ils ont usé de ce
pouvoir. Il y a deux ans, la même chose eut lieu, parce qu'il
était impossible qu'il n'en fût pas ainsi. La chambre n'a clone
pas à délibérer pour obtenir une chose qui ne peut pas ne pas
arriver; mais il est impossible qu'elle mette dans une loi une
telle disposition Cela ne peut pas faire un point (le législation.
(Mouvement d'adhésion. )


On demande à aller aux voix.
M. le président rappelle l'amendement de M. Bogue de Faye.


Il est mis aux voix et rejeté..
Les amendemens de M. Basson et M. Daunou sont mis aux


voix et successivement rejetés.
M. le président lit l'amendement de M. Méchin. Cet amen-


dement est ainsi conçu :
La présente loi cessera d'avoir son effet le jour où sera


DD publiée l'ordonnance du Roi portant convocation des collèges
électoraux, et les individus alors détenus, s'ils ne sont pas


D) renvoyés par-devant les tribunaux, seront. mis en liberté. »
Méchin. Messieurs, je supplie la chambre d'écouler sans


prévention ce que je vais me permettre de lui dire, et qui me
parait fécond en réflexions importantes et en conséquences
graves. Il n'y a pas de gouvernement représentatif là °à les
électeurs ne sont pas indéfiniment libres ; là où tous les partis,
toutes les opinions, toutes les influences ne peuvent exercer leur
action sans craintes, sans entraves. Or, 'comment pourrez-vous
prétendre être encore sous le régime representatif, si une lei
d'arbitraire peut arrêter l'électeur dont vous redouteriez l'in-
fluence, et laisser dans les cachots oti vous l'auriez plongé,
l'homme de bien qui serait appelé à siéger parmi les mandataires
de la nation ?


Quelque rigoureuse que soit votre loi , elle ne peut dépouiller
aucun citoyen de ses droits politiques; elle ne peut les ravir


( 219 )
un homme qui n'est ni accusé , ni prévenu , ni suspect, mais
seulement soupçonné. Les droits politiques suivent partout celui
que la loi en a i nvesti. Il ne peut les perdre et les voir suspendre
en sa personne que dans les cas déterminés par la loi. La sils
pension des droits politiques n'est prononcée par elle que centre


les débiteurs faillis; les détenteurs, à titres gratuits, de la
Y,


succession entière d'un failli ; les serviteurs ou domestiques à
n gages attachés au service de la personne ou du ménage; les
), interdits judiciairement ; les contumaces, et enfin les per-


'' C"ensnceosnseidnééra
tatitodn':ica= frappé


;:pé le dernier ministère, et il
: avait cru ne pouvoir se dispenser de rendre à la liberté une
partie des personnes que le retour des élections appelait à
l'exercice de leurs droits.


Vainement me promettrait-on d'agir encore de même, je
suis fâché de ne pouvoir nrXtre ma confiance entière dans les
promesses ministérielles; je n'y suis pas encouragé quand je
vois la manière dont on interprète le mot incessamment que
l'on avait employé lors de la d iscussion de laloi du 5 février 3817,
pour rassurer les esprits ombrageux. Incessamment, moins de
de huit jourseprès la Vacance connue, devaient être prises les me-
sures nécessaires pour compléter les députations qui offriraient
des lacunes.... , et voilà bientôt quatre mois que nous attendons
ce complètement qui devait avoir lieu incessamment.


Un autre motif de confiance avait, en 18,7, déterminé plu-
sieurs (le nos collègues à voter une loi à-peu-près semblable
à celle que nous avons la douleur de discuter ; mais, cinqjours auparavant, on venait de publier la loi des élections qu'on
s'efforce de ravir. Cette loi offrait des garanties sèlides, et
•donnait dé légitimes espérances.


Aujourd'hui nous-sommes dans une position inverse. Vous
allez voter l'arbitraire , et vous êtes menacés de perdre quelques
jours après la loi des élections !


Réfléchissez, ineSsieurs, sur cette circonstance, qui me paraît
-tin texte fécond de méditations . de plus, d'une nature.


Vous 'avez refusé anx malheureux détenus un conseil qui les
aidât à se justifier d'un crime que vous ne leur notifierez point ;
Vous vous opposez à ce qu'uni épouse, un fils, un ami, un
serviteur fidèle viennent partager leur captivité ; vous ne voulez
point donner à leurs familles la consolation d'apprendre au
moins quel est leur sort; vous accumulez sur eux toutes les
rigueurs; vous abrogez implicitementles ordonnances d'Orléans,
de Blois et de Moulins, qui accordaient des dommages et inté-




( 220 )
rets aux victimes des lettres de cachet obtenues subrepticement
et par importunité; vous détruisez en un instant ce qu'avaient
fait pendant plus de trois siècles la sagesse et l'humanité des
Rois; enfin, la raison d'état a prévalu sur la cause de l'huma-
nité. J'en rougis et, je m'en afflige ; mais je dois respecter
ce que vous avez décidé.


C'est au nom de la raison d'état , au nom de la politique ,
seule divinité qu'on puisse invoquer encore , que je conjure le
gouvernement de ne pas s'exposer à ce qu'on dise qu'il a médité
d'imposer par la terreur la loi d'élections qu'il prétend substi-
tuer à celle que la France veut conserver; que les choix qu'elle
produira auront été commandés par lettres de cachet, et qu'a-
près avoir épuré à son gré les électeurs et les éligibles, il pourra
encore replonger dans les fers les élus qui viendront ensuite
s'asseoir à coté de nous.


Je persiste dans mon amendement.
M. Benjamin-Constant. J'ai peu de mots à dire sur la ques-


tion, mais un fait important à citer. Vous vous rappelez qu'en
a 816 , et c'est un fait qui n'a point été contredit par le ministre,
on a-ouvert la porte des prisons à des électeurs qui étaient dé-
tenus. Cette disposition était dans la tendance du ministère ;
car s'ils eussent été en prison, ils n'eussent pas voté dans le sens
où le ministère desirait alors qu'on votât. (Vive sensation à
droite.) Aujourd'hui, la tendance est tout autre: ce n'est plus
dans le même sens que le ministère desire influencer les suf-
frages, et vous lui mettez une arme dangereuse dans la main;
car il peut prendre une mesure tout opposée, et faire arrêterjou les électeurs ou les éligibles qui lui déplairont ; et dès-lors,e le demande, que deviendra le gouvernement représentatif?
(Des murmures interrompent. ) On me dira, je le sais bien,
que cela n'arrivera pas. Mais si cela ne doit pas arriver, quel
inconvénient y a-t-il à le prévoir par la loi? Je pourrais citer
des exemples où des personnes ayant à réclamer justice devant
les tribunaux, ont cité l'autorité de ce qui avait été dit à la
tribune; et les tribunaux ont répondu qu'ils ne connaissaient
point ce qui s'était dit à la tribune, mais seulement ce qui
était écrit dans la loi. Si donc vous ne voulez pas que les élec-
tions soient une vaine parodie, il faut ..dopter l'amendement
proposé.


Et d'ailleurs, messieurs, la loi elle-même n'ôte pas le droit
d'élire un homme qui aurait !t.é arrêté. Or, je suppose qu'un
gi ble soit détenu, direz-vous; s'il est élu, qu'on n'avait pas le droit
de l'élire? Croyez-vous qu'il soit convenable, qu'il soit fàvorable


( 221 )


au gouvernement qu'un homme sortant des cachots , paraisse à
cette tribune 2 (Des murmures interrompent à droite. ) Mes-
sieurs , c'est par respect pour le trône , pour l'autorité royale,
que je fais ces observations : c'est parce que je veux le maintien
de la monarchie et la stabilité du trône, que je desire que vos
lois leur fassent le moins d'ennemis possible. Plus votre loi sera
sévère, plus elle paraîtra suspecte, et plus le mal sera grand.
Je demande, surtout dans l'intérêt du trône, que l'amendement
soit adopté.


M. le ministre des affaires étrangères. Quant à la dernière
observation faite par l'honorable membre auquel je succède, je
crois que Parg,umentpeut être retourné contre lui. Ce qu'il a dit
est précisément une nouvelle garantie de la circonspection que
les ministres seront obligés de mettre dans l'exercice de la loi
proposée. Dans un gouvernement représentatif, où un homme
injustement détenu par un ministre peut jtouours arriver dans
cettechambre par le choix de ses concitoyens, si son mérite
et sa vertu l'y appellent, comment pourrait-on craindre de sem-
blables persécutions? Ainsi cetargument même doit vous rassurer
,contre l'abus qui pourrait être fait de la loi.


Je n'ai plus qu'un mot à dire. Si vous pensez que le ministère
puisse se servir de la loi pour arrêter soit des électeurs , soit des
éligibles sur le point d'être élus , vous n'avez qu'une chose
faire, c'est de rejeter la loi. ( Très-vif mouvement d'adhésion
au centre et à droite ). Voix d. gauche : Ainsi ferons-nous !
- On demande très-vivement d'aller aux voix.....


M. le président; met aux voix l'amendement de M. Méchin.
Cet amendement est rejeté. ( Murmures à gauche ).
M. le président met aux voix l'amendement de M. Toupot ,


tendant à ce que la loi cesse d'avoir son effet un mois après l'ou-
verture de la session prochaine. — L'amendement est rejeté.
( Nouveaux murmures à gauche ).


M. le président met aux voix l'amendement de la commission,
tendant à demander que les ministres rendent compte de l'exé-
cution de la loi.


Le rapporteur rend compte des débats qui ont eu lieu auprès
de la commission sur les amendemens , et de la controverse
qui s'y est établie sur les raisonnemens semblables à ceux pré-
sentés par M. le ministre de l'intérieur. La majorité de la
commission , dit-il , a pensé qu'il s'agissait ici d'un pouvoir ex-
traordinaire et spécial , et que sous se rapport , il était impos-
sible de ne pas convenir qu'une loi exceptionnelle de sa nature


rir




2213 )


pouvait entraîner, par son exécution et par la responsabil ité
ceux chargés de son exécution , des dispositions également ex-
ceptiennilles ; qu'elle pouvait exiger des précautions particu-
lières , et qu'étant hors du droit commun, elle pouvait rendre
nécessaires des précautions prises aussi hors des règles ordinaires.


Mais, messieurs , en soutenant la nécessité de ces précau-
tions et de ces garanties , qu'il me soit permis d'ajouter quel-
ques réflexions. Le gouvernement ne peut avoir de force que
s'il a la confiance générale ; et comment voulez


. vous qu'il la
possède , en répétant sans cesse contre lui l'accusation d'op-
pression , de félonie, de despotisme, l'accusation de vouloir la
ruine du pays? Je termine ces réflexions , messienv , elles me
sont arrachées par notre situation. Je le répète , en cessant de
nous rendre les uns aux autres une mutuelle justice, nous plon
]cons un poignard dans le sein de la patrie. ( Mouvement très
vif d'adhésion dans les deux centres et à droite. )


M. de Chauvelin. Mais la commission persiste-elle dans son
amendement ?


M. Rivière, en reprenant sa place : Très-certainement !
M. de Chauvelin et plusieurs autres membres: Dites-le doncà la tribune.
On demande la clôture de la discussion.
M. de Saint-Aulaire. L'amendement de la commission me


,paraît fort raisonnable. Je pense que la loi proposée a l'incon-
vénient nécessaire de laisser la liberté des.citoyens sans garantie
judiciaire ; il le faut bien , puisque ce n'est pas une loi judiciaire
•que vous faites , mais une loi politique. Ainsi, vous ne devez
pas vous étonner qu'elle redonne aucune garantie judiciaire ;
.mais au moins il faut lui demander des garantiespolitiques. Ces
_garanties politiques sont toutes dans la publicité. Je crois qu'il
est de votre devoir de répandre:sur tous ces.aetes le plus grand
faisceau de lumière. J'avais d'abord été frappé de cette consi-


j'
dération lors de la discussion préparatoire dans les bureaux, et
avais eu le desseinde proposer de rendre publique:parle jour-


nal officiel toutes les arrestations. J'ai été ensuite arrêté parles
:inconvéniens de cet amendement. D'après les raisonnemens que
M. le ministre de l'intérieur a présentés dans cette séance,
m'a semblé qu'obliger les .ministres à rendre compte à cette
tribune des arrestations' , était une espèce d'empiétement sur
l'autorité exécutive , et


. faire entrer la chambre dans l'adminis-
tration. Dansla vue de concilier les droits de la prérogative royale
avec l'intérêt des citoyens, je propose cette disposition : cc Le


( 223 )
ministère sera 'tenu de rendre public le tableau des personnes
arrêtées par ses ordres n.


Plusieurs membres appuient cette proposition.
Le président met aux voix l'amendement de M. de Saint-


Auleire. — 11 est rejeté.
Le président met aux voix l'article de la commission. — Il est


rejeté à une forte majorité.
L'amendement additionnel de M. Bogne de Faye est mis aux


voix et rejeté.
M. Charlema gne présente et développe un amendement por-


tant que nul ne pourra être arrêté en vertu de la présente loi ,
dans ses fonctions d'électeur.


Un grand nombre de membres d. droite : Cet amendement est
décidé par le rejet de celui de M. Méchin


L'amendement est rejeté.
L'article du projet de loi est mis aux voix et adopté.
M. le président. 1l reste la disposition présentée par M. Guit


tard , sur laquelle M. le ministre des affaires étrangères a pré-
senté une rédaction.


M. le ministre ,des affaires étrangères. Voici la rédaction queje propose; elle remplit, j e crois, toutes les intentions de wonhonorable collègue : La présente loi ne déroge en rien aux dis-
positions du droit commun, relatives à la forme des arrestations
et au temps pendant lequel elles pourront être faites».


Cette rédaction est mise aux voix et unanimement adoptée.
M. le président. On va procéder à l'appel nominal pour le


scrutin sur l'ensemble de la loi.
L'appel et le réappel ont lieu dans le plus grand ordre et en


silence.
M. le président. Voici le résultat du scrutin. Votans , deux


cent quarante-neuf; majorité nécessaire, cent vingt-cinq: boules
blanches , cent trente-quatre ; boules noires, cent quinze.


La chambre adopte le projet de loi.
Noms des cent quinze députés qui ont voté contre :
MM. Camille Jordan ; Bodet 5 le baron Girod,; Lecarlier ;


le baron Méchin ; le comte Foi ; Labbey de Pompières ; baron
d'Alphonse ; Burelle 3 baron Calvet - Madaillan; Geitterd ;
Ganilh; Ad myrauld ; Faure; Beausejour; Boin; Devaux ;
comte d'Ambrugeac 5 BedochSebastiani; Ramolino ; Caumar-
tin ; Hernoux ; Chauvelin ; fluperou ; Bellay ; Carré ; Néel;
Verneilh de Puyraseau ; Barbary de Langlade; de Courvoisier;
Clément ; Dupont; baron Bignen ; Dumeilet; Buisson ; De-
lacroix - Frainville; Keratry 3 Desbordes Borgnis; Guilhem;




2/1- )
Daunou ; baron Cliabaud ',atour; baron Lascours; de Cassai-
gnolles 3 Le Graverend ; Tréhu de Monthierry ; comte de Bon-
dy; Charlemagne; Savoye Rollin ; comte François de Nantes ;
Sappey (Charles) ; Jobez; baron Cardeneau ; Populle ; de Sa int-
Aignan ; Laisné de Villevêque ; Ferrier (Alexandre); Moyzen
baron Brun de Villeret; chevalier Si-yard de Beaulieu ; Royer
Collard ; Toupot de Bevaux ; Delaunay ( Prosper ); Paillard
du Cléré ; Lepescheux; baron Louis ; Saulnicr ; Vallée ; Ville-
main ; Robert ; baron Fabre ; Rolland; Simon; comte Gre-
nier; chevalier Bogue de Faye; Revoire ; baron de Brigode;
Fremicourt ; Gossuin ; Tronchon ; de Nully d'Hecourt Harlé;
Basterrèche ; Backenb offer : Lambrechts ; baron de Turckheim ;


; de Serre; Voyer
-d'Argenson ; Mon; de Corcelles; de


Grammont; baron Martin de Gray ; Paccard ; Hardouin ; de
Lafayette; Benjamin — Constant; Picot Desormaux ; Lafitte
baron Delessert ( Benjamin); Ferrier (Casimir); Ternaux; ba-
.1:on Ménager ; baron Dela .itre; Delaroche ; Cabanon ; le Sei-.


i1l
rneur ; comte de Girardin (Stanislas); baron Jard-Panvilliers ;


anuel; Perreau ; Esgonnière ; Fradin ; Demarçay 5 Falatieu ;
Welche ; Doublat.


La séance est levée à six heures.


Séance du i6 mars.


21O. le géndral Foy. Permettez- moi , messieurs, d'exprimer
à cette tribune la doulenr et l'étonnement que m'a causé l'in-
terprétation donnée aux paroles que j'ai prononcées à la fin de
la séance du 13. J'ai voulu désigner cette poignée de délateurs
et d'oppresseurs de 18,5, que, pendant ma carrière active de
trente ans, je n'avais rencontrés sous aucune bannière, ni dans
'aucun des chemins de l'honneur. La vivacité même de mes ex-
pressions ne prouve-t-elle pas suffisamment qu'on ne devait pas,
111'031 ne pouvait pas les «uppliquer à une classe nombreuse de ci-
toyens qui a beaucoup 'et long-temps souffert, à des hommes
que j'ai combattus corps-à-corps, et par conséquent avec estime,
à Ober-Kamlath et dans vingt. autres rencontres ; à des Français


rentrés en France depuis dix-neuf ans, y retrouvèrent tout:
de suite la considération qui, dans les temps paisibles, s'attache
naturellement à tout cc qui est élevé dans la société ?


J'ai été offensé, par un de mes collègues, qui , lui-mêi..e, s'était.
cru offensé par moi dans la cause de ses anciens compagnons
d'exil. Mais, comme citoyen, comme député, il me restait un


( 225 )
devoir à remplir, et je le remplis ici avec loyauté et confiance.
Je serais le plus malheureux des hommes si de Busses inter-
prétations données à mes paroles, par des anciens et nombreux.
compagnons d'armes ou par d'autres, introduisaient de nou-
veaux élémens de discorde dans notre pays, qui n'a besoin que
de paix et d'union. (Une foule de voix dans toutes les parties de
la salle : Bien ! bien ! très-bien !) Notre sang à tous, quelque
ligne que nous avons suivie précédemment, ne doit plus couler
que pour la défense de là patrie, du trône et de nos institutions
constitutionnelles. (Nouveau et très-vif mouvement d'adhésion
générale. )


M. de .Corday. Je déclare que l'expression dont je me suis
servi dans cette même séance du 13, n'aurait pu être applicable
qu'à celui qui aurait - eu l'intention d'insulter ceux dont je in'ho-
noce d'avoir fait partie, et qui partagent encore mes sentimens.


M. de Corday descend de la tribune, s'avance vers le général
Foy, placé sur le premier banc de la gauche, et tous deux se
serrent la main.


L'ordre du jour appelle le rapport de la commission chargée
de l'examen du projet de loi sur les journaux.


M. Froc de la Êoulaye. Messieurs, lorsque la mort frappe
dans nos familles les objets denos plus douces affections, lorsque
de grandes adversités renversent nos fortunes et nous dépouil-
lent de nos honneurs, nous allons, loin du bruit du monde,
chercher des consôlations dans la retraite et la méditation.
Toutes les familles françaises viennent d'être frappées du même
coup, toutes sont dans la consternation, toutes ont besoin de
silence, et ce n'est pas seulement parce qu'elles ont une grande
perte à déplorer, c'est parce que cette perte remue l'état jusque
dans ses fondemens, évoque les plus douloureux souvenirs, et
nous saisit au moment où les opinions s'entrechoquent avec
violence. Faut-il que dans de telles circonstances des milliers
de feuilles, messagères souvent infidèles des partis dont elles
se proclament les organes, sèment impunément chaque jour,
sur tous les points du royaume, de- nouveaux germes' de divi-
sion et de•baine ! La discussion et la critique de tous les projets
et de tous les actes de l'administration, la publicité des abus
et des griefs, la liberté des livres et les débats des chambres
ne peuvent, ne doivent-ils pas suffire, jusqu'à ce que des lois
répressives plus efficaces nous garantissent des écarts des jour-
naux? La chambre des pairs l'a pensé : la majorité de votre
commission a suivi son exemple.


Dès qu'on médite sur les maux de la patrie, dès qu'on re-
¶: 15




( 226 )
monte aux sources de .ces inquiétudes vagues, mais réelles', qui
vous ont été signalées du haut du trône , on entend d'abord et
de toutes parts accuser la licence et le scandale des écrits pério-
diques : un mal avoué presque universellement, et dont les
progrès sont rapides , appelle un très-prompt remède.


Est•il applicable, celui qui nous est. proposé, si, comme on
le prétend, la charte le repousse ? Cette question constitution-
nelle a été d'abord traitée dans vôtre commission ; on a desiré
qu'elle vous fôt soumise. La charte dit (article 8) : cc Les Fran-
» çais ont le droit de publier et de faire imprimer leurs opi-
» nions, en se conformant-mik lois qui doivent réprimer les
» abus de cette liberté ».




• Prévenir n'est pas réprimer, objectent les partisans de la
liberté des journaux. La censure prévient; on n'a donc pas le
droit de la rétablir. Que l'on fasse des lois répressives fortes et
même sévères, elles seront consenties. Mais que la charte soit
respectée; que le gouvernement, bientôt maître d'attenter à la
liberté individuelle, ne puisse pas disposer tout à-la-fois des
personnes et des pensées. La liberté des journaux est insépa-
rable de celle de la presse. Sentinelles vigilantes, gardes avan-
cées, ces feuilles sont au gouvernement représentatif ce que la
parole est à l'homme ; elles servent de correspondance et de
lien entre tous les intérêts semblables; elles ne laissent aucune
opinion sans défense, aucun abus dans l'ombre, aucune injus-
tice sans vengeurs. Le ministère sait d'avance ce qu'il doit es-
pérer ou craindre ; le peuple, ce qui lùi sert ou lui nuit ; les
1 ournaux donnent des ailes à la pensée, et on leur doit cette
publicité soudaine et cette manifestation opportune de voeux et
de sentiniens que rien ne peut suppléer. Attaquez franchement
la liberté de la presse, ou respectez celle des écrits périodiques :
mais songez que la charte ne les sépare pas, et qu'elle les sous-
trait également à toute espèce de censure. Tel est, messieurs,
l'avis de trois des membres de votre commission.


Beaucoup de bons esprits n'admettent pas que l'article de la
charte implique les journaux. Tous les Français peuvent publier
leurs opinions sans les soumettre à la censure; la charte le veut,
et nul n'y con tredi t.


• Mais les journaux publient les opinions des
autres bien plus que les leurs; ils parlent plutôt qu'ils n'écri-
vent; tribunaux d'exception, juges mobiles, ils exercent une
sorte de magistrature qui s'arroge le droit de vie et mort sur
toutes les réputations; et leurs arrêts, trop souvent sans appel,
sont signifiés tous les jours partout où se trouve un lecteur. In-
vestis.d'un caractère public, ils discutent en présençe de tout


( 227 )
le peuple, non-seulement les intérêts du pays, mais ceux des
nations étrangères; chargés de nouvelles vraies ou fausses, qui
troublent les imaginations, ils parlent, excités ou condamnés
par leur intérêt à remplir leurs pages de réflexions, de critiques,d'anecdotes, qui doivent devenir de plus en plus piquantes,
pour garder ou multiplier les abonnés : ce sont de véritables
entreprises faites par des hommes plus ou retoins honorables ,
plus ou moins habiles , pour exploiter à leur profit les intérêts
des partis, les craintes, les espérances ou les passions de la
multitude. Il en pourrait être autrement, sans doute. Que n'ont- .
ils écouté l'honorable rapporteur de la loi qui les a émancipés ?
CC Portez , leur disait-il, la lumière dans les esprits et la mollé-
» ration dans les coeurs; inspirez l'attachement à la liberté et


le respect pour l'autorité légitime; interpoez-vous entre les
gonvernons et les gouvernés, comme les truchernans impar-
tiaux de leurs voeux et de leurs besoins réciproques tel est


» votre noble ministère ». Les journalistes ont-ils suivi de si
sages conseils ? Non , messieurs ; et l'orateur que je viens de
citer n'osait l'espérer lui-même , puisqu'il ajoutait bientôt a près :


Il ne faut pas se dissimuler que l'on réarme une grande puis-
. » sauce, et le coeur humain a voulu qu'elle fût encore plus


» énergique dans le mal que dans le. bien , parce qu'il est plus
» facile de remuer les hommes que de les éclairer, et parce que
» la raison est l'ouvrage du temps> tandis que les passions sont
» la misère de tous. les momens


Ces craintes n'ont été que trop justifiées. Ecoutons le ministre
du Roi: il se plaint que le gouvernement a été avili dans la per-
sonne de ses agens ; que les actes.de l'autorité ont été censurés
avec amertume, mépris et injures; qu'au lieu de se borner à dé-
noncer des erreurs, on a accusé les intentions, et enfin que l'on
s'est cru fout permis, parce qu'on était libre. Je ne vous citerais
pas ces plaintes., messieurs, si la bouche qui les a proférées ne
leur donnait un touchant caractère; et me bornant à vous faire
remarquer que , lorsqu'on se croit permis de tout dire, on est
bien près de penser qu'il est permis de tout faire, j'en appelle-
rais immédiatement à vous-mêmes.


Mais il ne s'agit encore que de la question constitutionnelle..
Plusieurs d'entre nous sont d'avis qu'on peut imposetla censure
aux journaux sans faire une loi d'exception.. Tous les anteCédens
viennent à l'appui de cette opinion ; la législation actuelle est
spéciale ; les précautions qu'elle wprises peuvent être étendues
ou modifiées; la majorité de votre commission croit qu'il y a
tout au moins sujet 4 controverses, et que, dans tous les cas,




de fortes restrictions, et même la censure, peuvent être infli•
Bées aux journaux, lorsque le Roi et les chambres le jugent in-
dispensable.


C'est donc de la nécessité qu'il s'agit. Quoi de plus nécessaire,
messieurs, que d'apaiser, dans un pays tel que la France, les
récriminations , les dissentimens et les haines ? Que l'on trouve
en Europe une situation qui ressemble à la nôtre , nous irons
volontiers prendre ailleurs des exemples; que l'on cherche dans
l'histoire, et nous y puiserons des leçons. Mais nous interroge-


. rions en vain nos 'contemporains et les annales du monde.
Après une révolution de vingt-cinq ans, le déplacement de


presque toutes les propriétés, la destruction pièce à pièce de
tont ce qui constituait les franceses et les v' filles libertés du
royaume; après les longs revers de la famille royale et•des classes
élevées de la société ; après que


., de la chaumière du laboureur,
dés ateliers de l'artisan, des bancs de l'école et des derniers
rangs de la milice, il est sorti des hommes qui se sont honora.-
blement placés, et qui ont titre pour rester à la tête de la haute
administration, de la magistrature, de la diplomatie et de ?ar-
mée ; après des succès et des revers immenses , relbulés deux
fois sur nous-mêmes par l'Europe, que l'ambition gigantesque
d'un homme avait tout entière armée ; deux fois l'antique fa-
mille de France nous apparaît et la paix avec elle, et avec elle
ce cortège d'illustres ou d'obscures infortunes , si long-temps
compagnes de l'exil et du malheur; et avec elle les craintes exa-
gérées et les folles espérances ; mais avec elle aussi la liberté ,
car dé droit ou de fait, nous n'en avons jamais joui que sous les
Bourbons.


Ces craintes, ces espérances, ces guerriers des Pyramides
sous les mêmes drapeaux que ceux du Boccage ; cette soif des
conquêtes passant du soldat au lévite; celle de l'égalité qui dé-
vore la société; ces illustrations de toutesles dates en présence;
ces vanités de tous les temps aux prises; ce rôle des contribu-
tions devenu les seules archives de nos droits politiques ; et le
murmure de la gloire, les gémissemens des ambitions déçues,
l'imprudente irruption (les ambitions renaissantes, s'unissent
pour armer le génie du mal qui plane sans cesse sur notre pa.‘
trié; tout cela, messieurs, ne la place-t-il pas dans une situation
spéciale, terrible , sans analogue dans le présent, ni dans le
passé ? Tout cela n'exige-t-il pas des remèdes extra-rdinaires
appliqués avec une prudence plus que humaine ?


Réunissons-nous, messieurs, il en est temps encore ; c'est:1k
qu'est le salut. Maintenons les droits acquis, mais sans haine


( 229 )
cousine sans violence. Vous dont les ancêtres ont donné, jadis,
au inonde de hantes leçons 'de dévouement, venez lui en donner
encore ; confondez-vous dans nos rangs; partout où vous le.
pourrez, exercez un noble patronage ; députés du peuple, re-
levez de lui : c'est à cette condition qu'il vous tend les bras,
et que vous obtiendrez de sa confiance ce que vous savez bien
que vous n'obtiendrez jamais du privilège. Qu'il n'y ait plus
qu'une France. Donnons aux douleurs de notre Roi cette grande
consolation. •


Mais comment y parvenir sans une tréve entre les opinions
belligérantes, sans fermer les portes de cet arsenal d'inj ures et
de diffamation, où chacun Na se munir d'armes empoisonnées,
sans que les partis s'abjurent et fléchissent sous la loi commune ;
en un mot, sans murmurer le passé, pour me servir de l'éner-
gique expression de l'un de mes honorables collègues?


On objecte des craintes de réaction et de tyrannie ! L'un de
ces mots du moins devrait être rayé de notre vocabulaire, mes-
sieurs; les leçons de l'expérience et le spectacle de la scène ac-
tuelle du monde, nous garantiraient des réactions et 'de la. ty-
rannie , s'il fallait des garanties à ceux qui ont pour eux le Roi,
la force et la raison. Le pouvoir ne menace . point la liberté ,
niais la licence menace le pouvoir et la liberté tout ensemble.


Jaloux comme nous le sommes de l'égalité des droits, pour-
quoi reconnaîtrions-nous cette puissance licencieuse et fatale ?
Cette aristocratie de plume qui paralyse partout l'exercice des
fonctions publiques, qui , pour sceptre , est armée du fouet de
la satyre, et qui, jusque dans cette enceinte, ose nous dicter ses
volontés? N'avez-vous pas vu des journalistes, méconnaissant
les lois de l'hospitalité , lois saintes pour ceux qui la donnent
comme pour ceux qui la reçoivent, prendre acte ici des mots
qui nous échapjent sur nos bancs, y marquer.nos places, tra-
vestir nos opinions, les dénaturer, lespervertir, commander
nos votes et les menacer d'avance d'une flétrissure publique?


Ils ne savent pas, les imprudens , que les ennemis de la li-
berté applaudissent à leurs excès , et qu'ils se flattent dans leurs
rêves que lorsque la mesure sera comblée, c'en sera fait et des
folliculaires et de leurs doctrines, et même de cette liberté sage
que les antes généreuses veulent sauver ?




Sous de pareils maîtres, la modération serait condamnée au
silence. Jamais satisfaits , jamais reconnaissans, une conces-
Sion ne serait pour eux que le droit d'exiger une concession
nouvelle; remuée de mille manières , la mition sans cesse




( 23o )
appelée aux partis violéns, ne saura plus ce qu'elle doit espérer
ou craindre, respecter ou mépriser, aimer ou haïr. Le Roi, sa
famille, son gouvernement, les chambres , la religion, les lois,
rien n'imposera , ne commandera; rien ne sera sacré.


Opposons une digue au torrent, veillons à notre salut, veil-
lons à celui de cette bouillante jeunesse dont l'àme pure est
accessible à tous les nobles sentimens; de cette jeunesse qu'en-
flamme l'amour de la patrie et de la liberté , mais qui n'a pas
vu comme nous la liberté constamment vaincue par la licence,
et la patrie toujours dupe et victime des excès I Comment la
génération qui va nous succéder ne serait-elle pas sous le charme
de ces illusions? Nous y avons plus ou moins cédé nous-mêmes;
nous avons cru que les fautes' des pères ne seraient pas perdues
pour les enfans. Mais lorsque l'expérienfe nous prouve le
contraire, lorsque nous apercevons


• les premiers symptômes
d'un mal contagieux dont nous avons failli périr, il t de notre
devoir, il est de notre conscience de nous préserver et de sauver
l'état et nos libertés.


En sommes-nous donc si dénués ? plus que jamais le peuple
intervient dans ses affaires; plus que J amais ses propriétés , son
industrie, son admissibilité à tous les emplois, l'exercice de son
culte, son amour-propre même, sont à l'abri de toute at-
teinte. Qu'il le sache, et qu'il sache encore queses flatteurs sont
ses plus mortels ennemis.




Que nous faut-il en effet? L'ordre, le repos la paix. Nos
finances sont florissantes , et, sans tant de fracas, dès l'an der-
nier nous avons notablement réduit les impôts. Notre repos est
profond, et n'est troublé que par ceux qui veulent, à tout prix,
nous créerdes agitations , q ue par ces écrivains de parti qui nous
excitent impitoyablement les uns contre les autres, et se dis-
putent à nos dépens


• la victoire. Ces mêmes écrivains, seuls
encore, sont capables de jeter la discorde entre l'Europe et
nous. Ligués avec tons ceux qui veulent ailleurs attaquer ou se


•défendre, ils appellent, par leur imprudente intervention dans-
les discussions des autres, l'intervention des étrangers dans la
discussion de nos propres affaires. Ils veulent que la France soit


•un pays d'immunité pour tous ceux qui, postés sur ses fron-
tières, attaquent de là leurs propres gouvernemens


ou d'autres
puissances, et ils se flattent qu'une telle alliance, qu'une telle
protection peut être sans inconvéniens pour nous, comme sans
réclamation de la part.de nos voisins !


Non, sans doute,
• et si l'on a le droit de vous parler ici de


l'agitation des peuples et de l'ébranlement des trônes, on a


( 231 )
droit de vous dire aussi que toute l'Europe jette des yeux in-
quiets sur la France, qui, pendant tant d'années, ne l'a pas
fait impunément trembler.


Personne ne se mêlera de nos affaires, si nous ne nous mêlons
point des affaires d'autrui, personne ne réveillera le lion qui
sommeille; mais si notre beau ciel se chargeait de nouveaux
orages, toute l'Europe y serait encore attentive.


Lé sacrifice momentané de la portidn de liberté que l'on de-
mande aux journaux ne doit pas être mis en balance avec de si
grandis intérêts.


Votre commission ne se dissimule pas que la censure, dont
le gouvernement avait desiré diviser le poids, est un lourd far-
deau; elle ne se dissimule pas davantage que c'est un pas rétro-
grade dans la carrière de la liberté. La faute en est à ceux dont
les intentions sont sans doute tu ès-pures , mais dont le zèle ex-
cessif nous effraie. Il faut que le mal soit grand, puisque, les
défenseurs et lés antagonistes du projet de loi s'unissent peur
déplorer le scandale donné par les journaux. D'un commun
accord on reconnaît., on avoue leurs•imPrudences; elles ont été
si fortes, qu'on est fondé de tous côtés à craindre qu'après
s'être eux-mêmes compromis, ils compromettent aussi la,
pour laquelle ils combattent.


Certes, messieurs, cette chambre a prouvé qu'elle était dé-
vouée aux libertés publiques ; mais qu'a-t-elle gagné dans l'in-
térêt du peuple par sa déférence à la puissance tri bunitienne?
Le gouvernement a été d'aut.fmt plus attaqué, qu'il s'est montré
plus franchement constitutionnel. La France est, à ce que l'on
affirme , troublée par les projets de loi que l'on discute ; elle
l'était, disait-onauparavant , pour un autre projet que l'on de-
vait discuter. N'y eût.-il pas eu de propositions de lois , elle
l'eût été par une élection contestée. A définit de cette élection,
c'est été tout autre chose. La force de la dialectique, la grâce
du langage, la sainteté dela cause , l'habileté des combinaisons,
l'acharnement au combat, rien ne manque à nos adversaires ;
ils voient leur Capitole, ils y montent ils •rtouchent. Ah !
qu'ils nous arrachent donc notre expérience, qu'ils nous fassent
oublier les hommes et les choses; qu'ils fassent que, nouveaux
Epiménides, nous nous réveillions après un sommeil de trente
ans, étrangers à nos malheurs ! Mais la révolution nous a causé
trop d'insomnies, notre mémoire est encore trop chargée de
souvenirs, pour que nous puissions, sans inquiétude et sang
crainte, applaudir à leur triomphe.




CHAMBRE DES PAIRS.


Séance du 1 7 mars.


(2i2)
Quoi, messieurs! vous voulez un gouvernement représentatif,


et l'on couvre de mépris tous ceux qui le soutiennent! et la
majorité de la chambre elle- même n'est pas chez el.e à l'abri de
l'insulte


Il est temps de sentir notre dignité et de la faire respecter.
Nos commettans auront quelque jour à nous demander compte,
non-seulement du bien que nous aurons fait, mais encore du
mal que nous n'aurons pas empêché. Le maintien de l'autorité
royale est aussi dans notre mandat. Si cette autorité tutélaire
est énervée d'heure en heure par les presses imprudentes qui
s'enrichissent de ses pertes, donnons au gouvernement la cen-
sure qu'il demande, quelque pénible qu'il soit de revenir sur
nos pas. Votre commission pense d'ailleurs , messieurs, que
notre constitution permet à la législature de faire, sur la propo-
sition du Roi, tout ce que le salut de l'état commande; elle
vous propose doncHe voter le projet de loi sans amendemens
tel qu'il a été adopté par la chambre des pairs; mais en même
temps elle exprime formellement son voeu pour que des lois
répressives et sévères soient incessamment présentées.


M. le président. Là chambre veut-elle ouvrir la discussion
le no?—MM. de Chauvelin , Dupont( de l'Eure), Manuel et un
grand nombre d'autres, demandent l'ajournement au 21.—On
insiste-à droite et au centre pour le 20,


M. Laisné de Itilleveque. Nous ne pouvons prendre con-
naissance du rapport que samedi 18; certainement ce n'est pas
assez d'un jour pour se préparer.à une discussion d'une telle
.tenportance. J'insiste pour que la discussion n'ait lieu que
mardi 21 . ( Cet avis est fortement appuyé à gauche. )


La chambre décide que la discussion s'ouvrira le mardi ni .
Elle entend ensuite le développement de la proposition de


M. Maine de Biran, ayant pour objet d'apporter des modifi-
cations au réglement , en ce qui concerne les pétitions.


La proposition .
de M. Maine de Biran est combattue par


MM. Manuel et Benjam in-Constant , et défèndue par M. Laisné.
La chambre arrête qu'elle prend en considération la proposition
de M. Maine de Biran, et la renvoie à l'examen des bureaux.


La chambre procède ensuite au scrutin pour la nomination
de trois candidats pour les fonctions de commissaire de surveil-
lance de la caisse d'amortissement et des consignations.


( 233 )


Le ministre de l'intérieur, en présentant le projet de loi sur
la liberté individuelle adopté par la chambre des députés le 15:
Messieurs, de grands malheurs portent à de grandes précau-
tions. Il est naturel de chercher à se garantir d'en éprouver de
nouveaux ; et quand même ils ne seraient pas probables , on
encourrait le reproche d'insensibilité et d'imprévoyance, si Non
ne se prémunissait pas.


Ce que la prudence prescrit à tous les pères de famille est un
devoir pour les rois et pour les gouvernemens. La famille du
souverain ne peut être frappée sans que le contre-coup ne se
fasse ressentir dans tout l'état ; et si le crime qui enlève à la dy-
nastie régnante le plus jeune et le plus fécond de ses rejetons a
pour motif avoué de l'éteindre tout entière, il n'est pas moins
dirigé contre l'état qui a' un si grand intérêt à la stabilité du
trône et à la conservation de ses héritiers, que contre la famille
elle-même.


C'est donc comme chef de famille et comme Roi que S. M. aj ugé devoir, à l'occasion de l'assassinat de monseigneur le ducde Berri, proposer que ses ministres soient investis temporaire-
ment d'un pouvoir extraordinaire, celui de frire arrêter et déte-
nir, sans Obligation de les traduire en justice, les individus
qui seraient prévenus de complots ou de machinations contre la
personne du Roi, la sûreté de l'état et les personnes de la fa-
mille royale.


Un pouvoir tout semblable avait été déjà accordé par une loi
du 12 février 181 7. Il a souffert dans l'autre chambre des con-
testations bien autrement vives que celles qu'il avait éprouvées
il y a deux ans. Cependant le gouvernement n'avait pas abusé
de la loi (le 181 7 , et les circonstances sont aujourd'hui bien au-
trement graves.


La chambre des députés l'a reconnu. Néanmoins elle a cru
devoir entourer de précautions nouvelles le pouvoir qu'elle con-
sentait à accorder au gouvernement. Le Roi les a adoptées,
parce que tout ce qui peut rassurer les citoyens et tempérer le
pouvoir sans l'affaiblir , est dans ses intentions. Ses ministres
s'en écarteraient, s'ils abusaient d'une arme qui ne doit être que
défensive, que peut-être ils n'auront pas besoin d'employer,
qu'en tout cas ils n'emploieraient qu'avec la plus grande cir-




( 234 )
conspection , qu'ils n'ont pas demandée contre les citoyens, et
qui n'est préparée que contre les médians, contre des machina-
tions que les lois ordinaires peuvent punir sans doute, mais qui
exigent quelquefois , pour être découvertes et. déconcertées, des
mesures extra-judiciaires. L'action de la justice ordinaire ne
sera que momentanément suspendue à l'égard même de ceux
contre lesquels ces mesures seront employées.


Il s'agit d'une loi d'exception , mais la durée en est bornée
'dans un court espace de temps ; mais l'action en est restreinte
à trois mois, à l'égard de ceux qui pourraient en êtreofrapPés.
Si leur liberté individuelle est un moment menacée , c'est pour
assurer la liberté publique, qui ne peut se maintenir que par la
conservation du Roi, de sa famille et de la paix intérieurs.


Telles sont1 messieurs, les principales considérations qui ont
'déterminé la résolution dela chambre des députés, et que mous
présentons à l'examen de celle des pairs.


Projet de loi.
ART. 3 el« . Tout individu prévenu de complots ou de machina-


tions contre la personne du Roi , la
-sûreté de l'état, et les per-


sonnes de la famille royale, pourra, sans qu'il y ait nécessité de
le traduire devant les tribunaux, être arrêté et détenu en vertu
d'un ordre délibéré dans le conseil des ministres, et signé de
trois ministres sumoins, et dont il lui sera laissé copie.


ART. 2. Tout prévenu arrêté en exécution du précédent ar-
ticl , sera directement. conduit dans la maison d'arrêt du tri-
bunal de l'arrondissement de sa résidence ou de l'arrondissement
dans lequel -il aura donné lieu à ladite pré -,ntion.


Le .geolier ou gardien de la maison d'arrêt remettra dans les
vingt-quatre heures une copie, de l'ordre d'arrestation au procu-
reur du.


Roi, qui, soit parlui-même , soit par l'un de ses subs-
tituts, .entendra immédiatement le détenu, 'l'interrogera tant
sur les faits qui seront à sa connaissance, que sur' les documens
transmis par le ministère, dressera procès—verbal des dires et
des réponses du détenu, recevra de lui tous mémoires, réclama•
Lions et autres pièces, et enverra le tout sans délai, par l'inter-
médiaire du procureur-général , au ministre de la justice, pour
en être fait rapport au conseil .du Roi, qui statuera.


ART. 3. Ce rapport, la décision du conseil , soit pour le ren-
voi du prévenu devant les juges couipétens, soit pour sa mise
en liberté ; en lui donnant: connaissance par écrit des causes de
son arrestation devront avoir lieu- dans les trois mois, au plus


( 235
tard , qui suivront l'envoi fait des
de la justice par le procureur—gen


ART. 4. Si la présente loi n'est
chaine session des chambres, elle
ion effet.


ART. 5. La présente loi ne déroge en rien aux dispositions du
droit commun, relatives à la forme des arrestations et au temps
pendant lequel elles peuvent être faites.


Ce projet est renvoyé. à l'examen des bureaux, qui se réuni-
ront le lendemain i8.


Le reste de la séance est consacré au renouvellement des bu-
reaux et du comité des pétitions.


CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance du 20 mars.


M. le général Foy , organe de la commission des pétitions,
fait un rapport sur diverses pétitions qui ne donnent lieu à au-
cun débat , et toutes les conclusions soumises par M. le rappel--
teur sur ces pétitions sont adoptées par la chambre sans discus-
sion.


M. Beslay , député des Côtes-du-Nord , développe ensuite
avec beaucoup d'étendue la partie des comptes soumis à la
chambre , concernant la liquidation des dépenses occasionées
par la nécessité où s'est trouvé le gouvernement de pourvoir à
l'approvisionnement des subsistances pour diverses contrées de
la France , et principalement pour la ville de Paris.


.Le- rapporteur (le la commission chargée d'examiner la pro-
position de M. Benjamin-Constant. et prise en considération pa
la chambre , tendant à assurer la régularité dans les scrutins
fait son rapport.


La chambre décide qu'elle ouvrira la discussion sur cette pro-
position immédiatement après qu'elle aura statué sur le projet
de loi concernant les journaux.


L'assemblée se forme en comité' secret.


Séance du ai mars.


L'ordre du jour appelle l'ouverture de la discussion sur le
projet. de loi relatif aux journaux.


M. Lainé de Fillev4we. Messieurs , le régime absolu vers


pièces ci-dessus au-ministre
end.
pas renouvelée dans la pro-
cessera de plein droit d'avoir




236, )
lequel on nous entraîne si rapidement, ne pourrait se maintenir'
avec la liberté de la presse , qui déchirerait tous les voiles de


, qui révélerait tous les traités, qui dénoncerait tous les
projets qui menacent nos droits constitutionnels. Il a donc paru
à nos régénérateurs politiques indispensable de l'enchaîner,
et c'est le but de la loi adoptée par les nobles pairs , à laquelle •
on demande votre adhésion.


Fier de tenir dans ses mains dictatoriales la liberté de tous
les Français, le ministère poursuit le cours de ses triomphes,
en dépit de l'amertume des réclamations et des conseils de la sa-
gesse. La censure des journaux, et bientôt la mutilation et l'as-
servissement des collèges électoraux ; vont couronner la voûte
du temple qu'il élève avec tant d'ardeur et de précipitation au
pouvoir absolu, sur les ruines de nos institutions les plus chères.


Malgré la certitude de l'impuissance de nos efforts pour con-
jurer l'orage qui gronde autour de nous , nous ne trahirons
point les voeux de la confiance de nos commettans ; fidèles a nos
sermens , nous défendrons jusqu'à la fin leurs libertés mourantes,
avec le même zèle que nous mettrions à défendre le trône, s'il
était menacé. Défendre lés libertés du peuple, c'est défendre
le trône qui n'a qu'elles pour véritable appui.


Mais, dans cette importante discussion,„ il ne nous sera pas
difficile de prouver, que, par la censure réclame, le gou-
vernement se prive des immenses avantages qu'il retirerait de la
liberté de la presse; qu'en repoussant. cette institution réprouvée
par la charte , il trouverait. sans peine des moyens efficaces,
avoués;


par elle , pour réprime 'la licence de la presse.
Et d'abord , il se prive des avantages qu'elle procure. Les


hommes les plus dévoués à l'arbitraire ne peuvent nier que la
presse libre ne soit l'âme du gouvernement représ statif. Sous
mi


régime constitutionnel , elle est le guide de l'opinion , et le
fanal de l'administration au milieu des écueils du pouvoir. Sen-jtinelle vigilante , elle inspire aux fonctionnaires publics, tou-ours si enclins au despotisme-, une crainte sa lutaire ; par le
frein de la publicité, elle les dirige et les retient dans le sentier
du devoir. Les dilapidations, les abus d'autorité redoutent ses
révélations ; il est, dans l'ordre social , peu d'améliorations
qu'elle n'ait indiquées à la sagesse des législateurs.


Des journaux libres sont également dans l'intérêt du monarque;
ils l'avertissent des dangers quk.menacent le trône , des projets
et des espérances des factions vdes désetrdres de l'administration,
de l'arbitraire et de l'incapacité -de ses agens. Son intérêt n'est-il
pas de connaître la vérité . , les,vretix, et les besoins de ses sujets?


( 237 )
Un journal d'opposition l'instruit mieux que les rapports de ses
ministres .etles récits adulateurs de ses courtisans.


L'opinion -se forme par la discussion publique. Les journaux
sont une tribune qui retentit dans toute la France , et qui a la
nation pour auditeur. Enfin , l'opinion est devenue la reine du
Monde , et malheur aux gouvernemens qui la méprisent et en
bravent la toute-puissance ! Peut-on oublier que c'est elle qui
a rompu les liens de crimes et de sang avec lesquels la conven-
tion avait garrotté la France? N'a-t-elle pas brisé le glaive de sa
terreur ? ne l'a-t-elle pas brisée elle-même ? Malgré ses éclairs
de violences et de proscriptions, la faiblesse et l'incapacité du
directoire n'ont-elles pas expiré sous ses coups ? N'a-t-il pas été
renversé par elle, cc colosse qui, pendant quinze années, sous
un sceptre de fer tenu par la Victoire y avait écrasé toutes les
puissances continentales.?


A côté des grands avantages que procure la presse , nous
avouerons sans peine que sa licence entraîne aussi de graves in-
convéniens. Le scandale journalier des écrits périodiques , les
outrages, les calomnies , les diffamations qu'ils répandent sans
cesse contre les personnes , alarment les citoyens paisibles ; ils
aginentent le feu de la discorde , ils réveillent les haines , les
ressentimens et les espérances des partis. Leur licence, appuyée
sur l'impunité, brave les efforts du pouvoir et les regards de la
justice. La religion , la morale, les doctrines constitutionnelles
impunément outragées, accusent l'insuffisance de nos lois de ré-
pression sur les délits de la presse. Mais le ministère netrouve-t•il
que la censure pour comprimer l'audace séditieuse de quelques
folliculaires ?


Des doctrines pernicieuses ont été répandues : mais était-ce
par de stériles plaintes -e l'inaction des poursuites, que le
ministère a cru les réprimer ? Quatre accusés sur huit avaient
échappé à la condamnation ; mais de ce que des jurys trop indul-
gens avaient absous niai-à-propos , devait-on en conclure que
d'autres jurys auraient en la même faiblesse, qu'ils auraient
suivi les mêmes traces, surtout lorsque l'opinion publique avait
frappé de son blâme le scandale de ces absolutions? Non , l'au-
torité a dédaigné à ce sujet les nouveaux efforts que l'on .devait
attendre de la persistance de son zèle. Elle semble avoir cons-
piré contre' la liberté de la presse par la timidité de la répres-
sion. On croirait qu'elle a spéculé sup,l'inexpérience et l'indul-
gence dit jury' pour incriiriiner, , renverser cette institution.


Enfin, j'adnettrai'qiie l'insuffisance de nos lois répressives
sur les délits de la" presse soit démontrée , la violation de- le




( 233 )
charte et l'établissement de la censure sont-ils donc les seids
remèdes à opposer a ces désordres? 1. 0


Ne pourrait.on pas d'abord
donner au ministère public le droit de poursuivre d'office dans
tous les cas d'injures et de diffamation ? La responsabilité,
pour n'être pas illusoire , ne devrait-elle pas frapper les véri-
tables auteurs, les véritables éditeurs des articles repréhensibles?
Et par la tolérance ou la lacune de nos lois, elle n'atteint qu'un
servile prête-nom, qui a consenti , d'après le tarif insolent d'un
salaire j ournalier , à subir à leur place la peine de détention.
Une disposition législative est donc réclamée pour remédier à
cet abus. 3. 0


L'indulgence des jurés a pu être motivée encore
par la sévérité ou par la partialité connue de quelques mugis:-
trats.


Les jurés ont pu craindre qu'en déclarant l'accusé coupable,
le tribunal n'appliquât le maximum de la détention et de l'a-
mende pour des délits qu'ils regardaient comme légers. Si la loi
eût permis au jury de motiver sa déclaration, en l'adoucissant
par ces mots : coupable avec des circonstances atténuantes ou
avec des intentions susceptibles d'indulgence, et qu'alors elle
eût établi une gradation sans la peine aucun coupable n'eût
échappé sans doute au châtiment.


Du reste, lorsqu'à la voix imprudente d'une administration
livrée au délire de l'imprévoyance les factions se réveillent me-
naçantes, lorsque les partis enivrés d'espérances, applaudissent
dans leur aveuglement aux blessures que la haine et souvent la
calomnie portent à leurs adversaires , les délits de la presse,
qui sont presque toujours des délits d'opinion , sont difficiles à
réprimer par la voie du jury. Entraîné souvent par la passion ,
la crainte des réactions l'intimide , et une funeste impunité en-
hardit les coupables. Alors , au lieu d'imposer aux journaux le
bâillon (le la censure, il convient d'investir temporairement les
durs royales des fonctions de juger la culpabilité des écri-
vains, et d'appliquer la peine. Mais dans les délits d'opinion , ne
serait-il pas évidemment dangereux d'admettre la forme actuelle
des jugemens correctionnels? Alors , l'honneur, la liberté et la
fortune d'un écrivain, seraient livrés à l'influence du vote d'un
seul magistrat, puisque trois voix sur cinq décident du sort
d'un accusé ; cette faible majorité pourrait ainsi appesantir sur
lui de ruineuses amendes et cinq ans de captivité.


Je voudrais donc que treize magistrats désignés par le sort
et sur lesquels l'accusé exercerait quatre récusations ( cat les ré-
cusations sont indispensables dans les jours de troubles et d'agi-
tations) , jugeassent les délits . de la -presse ; la 'condamnation


( 23 9 )
ne pourrait avoir lieu à h simple majorité de cinq voix' contre
quatre, niais seulement a celle de six contre trois. Alors nous
n'aurions à gémir ni de l'indulgence des jurés actuels, ni d'avoir
livré sans défense un accusé aux passions , à l'erreur, à la sé-
vérité d'un juge prévenu ou dévoué à un parti. L'esprit de parti,
vous le savei , messieurs, franchit souvent le seuil du temple.
de la Justice, et pénètre jusques dans son sanctuaire.


Du reste, par la véhémence de leurs reproches, par des prin-
cipes exagérés de liberté , on ne peut accuser les journalistes
d'avoir exalté l'esprit infernal du monstre qui a plongé la France
dans le deuil. Il l'a dit avec ce terrible sang-froid d'un fanatisme,
qui fait frémir : il méditait ce crime depuis quatre années. C'est
donc sous le joug de la censure, c'est donc au milieu de la ter-
reur et de l'oppression que faisaient planer sur la France les lois
d'exception de 1815 , qu'il a été conçu. Que sais-je ? c'est
peut - être à l'ombre des échafauds des cours prévôtales , que
lette âme de fer en a juré l'exécution. Les lois d'exception ne
préviennent pas les crimes , elles les inspirent.


Mais à entendre l'honorable rapporteur , l'Europe est épou-
vantée de l'audace de nos gazettes, qui osent improuver la con-
duite politique des gouvernemens voisins ; elles vont jeter la
discorde entre eux et nous. Quoi ! pour punir les sarcasmes de
quelques journalistes, les • monarques s'oublieraient assez pour
rouvrir l'arêne des combats ! Heureuse Angleterre, si tu n'étais
pas défendue par le rempart de l'Océan , la licence de tes jour-
naux t'exposerait donc à de perpétuelles hostilités ! mais ap-
puyée sur le trident , tu fais comparaître impunément les rois
et les peuples au tribunal de ta censure. Et nous par h crainte
des baïonnettes étrangères, on veut nous imposer h défense de
penser et d'écrire , si ce n'est avec la permission des diplomates




de la Germanie
Non ! non ! un peuple libre et digne de l'être, ne s'épou-


vante pas de ces vaines menaces.
Il sait que le génie de l'arbitraire lutte en Europe contre le


génie de la liberté constitutionnelle; mais, jaloux d'être en paix
avec tous les gouvernemens , il ne se mêle point des querelles
qui divisent les princes et les sujets. Du reste , les Français
libres, sous l'égide de la légitimité, sauraient braver les foudres
de Carlsbad , comme leurs pères ont bravé ceux de Pilnitz. Que
l'on cesse donc, pour violer la charte et enchaîner la presse et
la pensée, après avoir livré à la discrétion du pouvoir la liberté
de tous les citoyens, d'invo,quer les formules banales de la raison
d'état , du salut du trône. et de la patrie ! Quiconque a voulu




( 240 )
fonder le despotisme n'a jamais tenu un autre langage. Hélas !
la liberté de la presse , et le droit de choisir ses députes, ont été
jusqu'ici les uniques garanties de la nation pour défendre ses li-
bertés, et sous de futiles prétextes on veut les lui ravir !


La liberté des journaux constitue essentiellement la liberté
de la presse , puisque l'universalité des citoyens , livrés à de
graves occupations, ne peut lire que ces feuilles éphémères. En
Angleterre, quand la liberté individuelle est suspendue, la presse
veille encore pour la défendre.


La presse est , selon vous , une arme redoutable , mais ré-
servée exclusivement an ministère : osez dire quels en seraient
les résultats et l'influence , s'il visait au despotisme, ou s'il ve-
nait à être subjugué par une faction ? Les trônes tremblent de
toutes parts , nous dit-on encore , et au milieu des tempêtes
des révolutions, la foudre frappe et renverse les chaumières
comme les palais : ainsi donc dans nos intérêts , comme dans
ceux des monarques , il est urgent de fortifier leur autorité de
la puissance de l'arbitraire et de la violence des lois d'exception.


Insensés ! si vous voulez que les trônes ne tremblent pas , et
que les palais ne soient pas frappés , donnez donc la paix aux
chaumières, donnez donc la sécurité aux familles ; respectez
donc les larmes et les craintes de la nation ; ne repoussez donc
pas les humbles prières d'un peuple si bon, si paisible, si sou-
mis , qui vous conjure de maintenir le pacte social qu'il a reçu
de la sagesse royale ; cessez donc de méconnaître ou d'envahir
les libertés publiques ; renoncez donc au fatal projet d'établir
un simulacre de représentation nationale, pour consacrer, pour
légitimer les prétentions du pouvoir.


Et les trônes qui reposent sur le respect envers les droits cons-
titutionnels des peuples et sur la justice ne tremblent pas. Que
dis-je? ils reposent sur une base inébranlable, sur leur amour et
leur reconnaissance. Les abus et les excès de l'arbitraire, voilà
les infatigables conspirateurs contre les trônes.


Mais en terminant ce discours, qu'il me soit permis de venger
en peu de mots la presse des calomnies qu'élèvent sans cesse
contre elle les partisans de la censure, parmi lesquels on comp-
terait peut-être les apôtres et les défenseurs des despotismes de
toutes les époques. Si des insurrections éclatent, si les peuples,
si les trônes chancellent, c'est toujours la presse (lui a provoqué
ces convulsions politiques, c'est toujours son flambeau qui a
allumé ces incendies populaires , en répandant au loin des doc-
trines pernicieuses , et dans cet anathême ou enveloppe les doc-
trines constitutionnelles.


( Q4 1 - )
Li bienveillance de ces censeurs n'accuse jamais le pouvoir de


ces calamités: il est; toujours innocent de tous les désordres, il
est pur de toutes les révolutions. Ainsi il faudrait conclure de
Pintàillibilité des oracles proclamés par ces nouveaux docteurs,
qu'avant la découverte de l'imprimerie, qu'avant l'invention et
la circulation des journaux, lorsque les hommes les plus émi-
n
é;aniesnet souverainement


s'honoraient de ne pas savoir lire , les nations
verai e ent heureuses, et les états toujours tran-


quilles; que dans cet êge d'or, les monarques, sans inquiétude
et sans soucis, sommeillaient sur des lits de roses, et que les
peuples, dociles et soumis , respectaient les abus , vénéraient
l'oppression et l'injustice,. et, inaccessibles au ressentiment,
ignoraient la résistance et l'insurrection. A ces assertions si en-
courageantes. pour le despotisme, ennemi des lumières, il ne
manque que la vérité; et l'histoire, à chaque page, en a buriné


ale démenti. Et en effet, sur plus de trois cents princes •qui.,
depuis le sombre Tibère jusqu'à l'infortuné Constantin Paléo-
logue, ont occupé à Rente et à Constantinople le trône des Cé-
sars , plus de deux cents ont péri de mort violente; plus de cinq
cents conspirations ont troublé leurs régnes malheureux ; l'em-
pire était en proie à des séditions renaissantes; les trônes s'écrou•
laient sur les débris des trônes; et pourtant il n'existait alors
ni presse ni journaux. Les seules querelles des maisons d'Yorck
et de Lancastre ont arraché la vie à soixante rois ou , princes du
sang en Angleterre ; en accuserez-vous la presse et les journaux,
pli étaient alors ignorés? Depuis près de quatrd siècles. seule-
ment, que le croissant souille les tours de Bysance , les deux
tiers des.empereurs ottomans sont tombés sous le tranchant du
cimeterre, ou ont expiré dans les noeuds du fatal cordon. Et un
de nos plus estimables' collègues vous a dit tout récemment,
que pendant un séjour de treize mois dans cette capitale, il.avait
assisté aux sanglantes funérailles d • d.eux sultans et de onze mi-:
nistres. Il aurait pu ajouter encore que trois fois dans ce court
intervalle, les torches de la révolte avaient réduit en cendres le
vaste faubourg de Fera, et une partie de la cité même.


Ces peuples cependant ne sont corrompus ni par. l'imprime-
rie ,.ni par


• les journaux ; ils jouissent dans toute leur plénitude
des bienfaits si regrettés de l'ignorance, des aménités du pouvoir
absolu, et des douceurs du sabre !


Mais serait4diffiCile de trouver des exemples plus rappro-
chés et plus récens ? Un gouvernement était naguères présenté
sans cesse à notre admiration, comme le beau idéal de tous les
goliVernemens; objet du culte, objet de la vénération d'un grand.




(
242 )


nombre d'individus et d'écrivains, il était offert comme TOR
modèle A. tous les rois.


Le plus célèbre de nos prosateurs avait consacré 'sa plume
brillante à nous en décrire lés charmes et le bonheur; il en ju-
rait par l'épée du Cid et par la tombe de'Chimène. Sa destinée
était de voir à jamais expirer à -ses pieds les flots des insurrec-
tions populaires. Tranquille au sein d'un heureux arbitraire, il
devait contempler bientôt le naufrage de nos monarchies cons-
titutionnelles; bientôt les débris de nos libertés et de nos insti-
tutions allaient rouler et se perdre à ses yeux dans le gouffre
de l'anarchie. La délation, les lettres de cachet, la plus ombra-
geuse censure, veillaient à la conservation de ce gouvernement
si vanté, et lui promettaient, disait-on, une éternelle durée. Ap-
puyé sur la base si rassurante de l'ignorance, défendu par l'in-
quisition, par la terreur et les cachots,, il bravait...3 mais je
m'arrête ; imprudent que. je suis ! j'allais dérouler à vos yeux le
déplorable tableau des longues souffrances de l'Espagne, et
j'oubliais que son jeune monarque, trompé par de funestes con-
seils , est malheureux, et peut-être captif; j'oubliais que sou
front, presque découronné, est battu déjà par les tempêtes et.
les calamités des résolutions; j'oubliais, dans mes indiscrètes
peintures, que le prince dont nous -déplorons les erreurs, et
dont nous plaignons le sort , est le petit-fils du magnanime
Henri ! Ainsi donc les excès et les violences du pouvoir absolu,
et•non la presse et les journaux, ont de tout temps allumé


deeipeuples, fait chanceler les trônes, creusé l'abîme
des révolutions, et souvent le tombeau des empirés.


Après tant d'exemples, gémissons de l'aveuglement de ceux
qui . déchirent la charte par lambeaux, pour se traîner dans les
sentiers battus du despotisme, dans l'ornière périlleuse des lois
d'exception.


Fasse le ciel que parmi nous l'autorité prête l'oreille aux con-
seils de la sagesse et de la modération, qu'elle daigne éco-eer la
voix suppliante et les instances de ceux qui , fiers de


- leur cons-
tante fidélité et étrangers à toutes les factions, ne craignent
pas de -déplaire pour faire entendre les accens sévère's de la
vérité !


•.


Fasse le ciel que les lois dont l'adoption nous fait gémir, ne
soient pas funestes au monarque et à.la patrie ;


guet les persécutions, compagnes inséparables de leu l.ui e es iuX itin`custtiiesocn,
ne répandent pas le mécontentement et la haine! Je vote le rejet
du projet de loi.


M. le COM te de Labourdonnaye. Lorsque , répondant aux


à


( 243 )
orateurs qui reprochaient aux ministres du Roi de recourir sans
cesse à. des lois de circonstances, je disais, dans la dernière dis-'
cussion, que c'est dans les gouvernemens où le pacte Constitu-
tionnel protée le plus les libertés privées, qu'il est plus souvent
nécessaire de recourir à la dictature des lois ou nia dictature des
magistrats , cette maxime, justifiée parole nombreux exemples,
ne trouzia pas de contradicteurs dans Cette enceinte.Personne n'osa
nier que plus le contrat social accorde d'indépendance aux indivi-
dus pour les soustraire à l'arbitraire de l'homme , plus il énerve
l'action du gouvernement, plus il le réduit au pouvoir stricte-
mentnécessaire pour maintenir l'ordre et faire exécuter les lois .
dans les momens paisibles:personne n'osa contester que ce pouvoir
ainsi circonscrit, insuffisant pour comprimer des factions turbu-
lentes ou résister à des attaques séditieuses, ne peut alors se main-
tenir que par des moyens extraordinaires, qui, plaçant le magis-
Crat au- dessus (les lois, l'élèvent assez haut pour dominer tous les
obstacles et surmonter toutes les résistances : personne, par
conséquent, n'osa soutenir que les lois d'exception ne fussent
pas quelquefois nécessaires dans les gouvernemens représentatifs:-


Adoptant ainsi tacitement le. principe, et peu-disposé à traiter
à fond la question véritable,, la question des circonstances du
montent, les adversaires du projet de loi se bornèrent à attaquer
l'usage qu'ont fait de. la dictature des lois tous les gouvernemens
qui se Sont succédés pendant trente années. Tous, vous
dit, recoururent à ce pouvoir immense , • tous périrenttOur-à-
tour..Enfin, résumant son attaque contre tous les gouvernemens
qui recoururent, à l'arbitraire, l'un des orateurs termina son
discours par ces paroles sinistres : La convention , le directoire,
litionaparte ,ont gouverné par des lois d'exception. Où est la
convention? où est le directoire? où est -Buonaparte? laissant
ainsi à notre imagination le soin d'achever sa pensée.


-


C'est ainsi, messieurs, que confondant l'abus du remède avec
le remède lui-même, les circonstances du passé avec la situa-
tion du moment , la légitimité avec l'usurpation , la modération
du pouvois'.avec la tyrannie la plus dure , on s'est efforcé de ré-
pondre par des sophismes et des exemples sans application, à
des maximes éprouvées par :


le tcmps,..que la d uree4le piusieurs
empires justifie.


Non, messieurs! ce n'est pas pour s'être arrogé la dictature ,
ce n'est point-pour avoir comprimé des factions turbulentes par
des lois d'exception que la convention , que le directoire ont
péri : c'est pour avoir fait triompher par les lois des factions san-
guinaires i c'est pour avoir proclamé l'injustice . et opprimé._




( 244 )
l'innocence; c'est pour avoir déchaîné les passions et créé l'anar-
chie ; c'est pour avoir anéanti la morale et les principes re-,
ligieux , fondemens de tous les empires et. gages de toute stabi-
lité. Non! ce n'est point pour avoir asservi la presse et étouffé les
libertés publiques que l'usurpation a péri. Douze ans victo-
rieuse, elle opprima la France ; elle périt le jour où la force
manquant à la tyrannie, elle ne put pas fouler la nation pour en
exprimer le dernier homme et le dernier écu.


Nui, messieurs ! ce ne sont pas les lois d'exception qui tuent
la liberté . ; c'est l'abus des lois d'exception; c'est l'impunité
qu'on accorde à ceux qui en ont abusé. Et ne nous en prenons
qu'à. nous-mêmes, qu'à nos perpétuelles dissentions', de cette
impunité, de ce retour trop fréquent des circonstances déplo-
rables qui commandent les lois d'exception. La liberté peut en-.
core périr, lorsque les peuples agités par des factions inquiètes,
par des passions tumultueuses, ne la réclament que pour abuser
plus impunément de la licence.


Et dans quel temps les factions furent-elles plus actives et les
passions plus agitées? dans quel temps la fermentation fut-elle
plus générale et l'inquiétude plus universelle? C'est donc à cal--
mer les passions, à réprimer les partis, à calmer les agitations ,
à faire cesser la licence, que vous devez travailler, si vous


. vou-
lez sauver la liberté publique. Et quel moyen plus direct d'arri-
ver à ce but, que de couper le mal clans sa racine ; que de sus-
pendre cette liberté de la presse qui fonde l'anarchie sur la ruine
de tous les pouvoirs; que de suspendre cette liberté, dont, non
contens d'abuser pour réveiller les haines et exciter des troubles,
des écrivains factieux, plus souvent faméliques, abusent encore
pour semer chaque jour ces doctrines funestes, ces maximes
exécrables qui , répandues sur une terre préparée, germent dans
toutes les tètes, et enfantent ces Séides, instrumens de partis,
qui, nourris pour le crime, armés par le mystère, frappent en
fanatiques, et meurent en martyrs ; monstres prétendus • -1i-
taires que la politique désavoue , que la prudence sacrifie ; mais
dont 1 opposition révélant toujours des complots, signale la
fermentation des esprits et l'audace des factions !


Mais quand il serait vrai , messieurs , que la liberté de la presse
n'eût égaré qu'une seule tête, n'eût produit qu'un seul crinle
pourquoi la même cause ne produirait-elle pas les mêmes résul-
tats? Toutefois est-il bien certain qu'elle n'ait enfanté qu'un
seul crime? et cet te chaleur d'opinion et le mécontentement gé-
néral au milieu des douceurs d'une paix si long-temps desirée,
sous..uif gouvernement paternel qui ne pèche que par trop de


( 245 )
bonté, accusent-ils les malheurs du peuple, ou les insinuations
de ces feuilles journalières qui, dirigées dans l'intérêt d'un parti,
fondent leurs succès sur la ruine du pouvoir? Sont-ce les mal-
heurs du peuple ou les écrivains factieux qui soulèvent les pas-
sions et aigrissent les esprits?


Oui, messieurs ! je ne crains pas de le dire , ce sont les écri-
vains factieux, qui n'ignorant point que l'amour des peuples est
la force des rois, sapent dans le coeur des Français les fonde-
mens du trône et la base de la légitimité. Eh! qui peut en douter
encore, après tant d'expériences, que c'est par la liberté de la
presse que les mécontentemens circulent et se multiplient ? que
c'est à l'aide de la liberté .de la presse que , réunies par la pen-
sée et.dirigées par une seule volonté ., les factions tout entières
se meuvent comme un seul homme ? qu'opposant partout à-la-
fois la force numérique de la multitude ou de l'opinion à la vo-


'douté du pouvoir, elle le paralyse, elle établit de fait la souve-
raineté du peuple, et rend tout gouvernement impossible ? -


Oui , messieurs ! tout gouvernement impossible : car la théo-
rie du pouvoir est fondée sur ce principe , que la force publique,
fraction minime de la population, mais dirigée par une seule
volonté et opposée tout entière, quand il le faut, à une por-
tion égarée de la multitude, suffit pour tout contenir. Cepen-
dant si , au moyen d'une liberté indépendante de la presse, vous
unissez de volonté et d'action toute cette multitude à-la-fois
sur tous les points de l'empire, la force publique n'est plus en
proportion avec tant de résistance, et le gouvernement périt.


En effet, supposons que dans le camp le mieux discipliné ,
où les volontés isolées de chaque individu, les mécontentemens
partiels n'osent pas s'exhaler, n'osent pas réclamer d'appui , où
chacun trop faible pour résister à la voix générale mise en action
à le voix du chef, est obligé de fléchir sous les lois de la subor-
dination ; supposons que dans ce camp un orateur se présente,
qu'il réunisse l'armée, qu'il lui parle de ses souffrances , de ses
dangers, de ses privations ; qu'il lui peigne la dureté . 'de ses
chefs, leurs vexations; en un mot , qu'il soulève les passions,
qu'il leur promette des richesses, le repos et la liberté ; cro yez-
vous, messieurs, qu'il fût bien facile de maintenir dans l'obéis-
sance une population armée, unie d'intérêt et de volonté , qui
d'un coup-d'œil apprécie sa force et la faiblesse numérique de
ses officiers ? Eh bien l ce qu'un seul homme ferait dans un
camp, vingt journalistes le font chaque jour au milieu d'une
nation spirituelle et légère. Chaque jour, cent mille feuilles éta-
lées dans les lieux publics réunissent les hommes des ukêmes.




( 246 )
-piétions, exaltent leurs passions, excitent leur audace par Pen-
dace de leurs attaques furibondes ; chaque jour cent mille feuilles
répandant des doctrines subversives, des maximes anti-sociales,
pénètrent peu-à-peu -la masse d'une nation sans doute éclairée
par une funeste expérience, et en garde contre les nouveautés ;
rnais dont chaque individu isolé, sans habitude de la discussion,
sans méthode pour découvrir les sophismes, ne peut pas lut ter
con t re•des écriVains exercés à déguiser leurs poisons, et à Couvrir
de miel les bords du vase qui les contient.


Ainsi , chaque jour cent mille journaux, régulateurs de l'o-
pinion , échos des cris séditieux des fictions, de provocations


• plus ou moins déguisées., remuent. la multitude , lui présentent
Je tableau exagéré de ses souffrances, gémissent avec elle sur
ses. privations, lui font entrevoir les chances


. d'un changement,
les espérances d'une révolution nouvelle ;,. et surtout lui font
connaitre sa force, et l'appellent à l'exercice.d'une souveraineté
qu'ils proclament sans cesse. Quel gouvernement peut long-
temps résister à de


.
telles attaques ; milieu de ce conflit


d'intérêts personnels mis sans cesse en présence, faire respecter
pacte social , fondé sur l'abnégation


. d'une partie lie ces inté-
res,,pour en composer cet iutér4général d'ordre, 4protectionet


d défense, dont les esprits,même les plus exercés ne sentent
Sou
t la ,nécessité que quand lu dissolution de la société l'a


anéanti?


Mais, dira-t-on, c'est la liberté de la presse,que volis atm-
quez , et c'est.. la licence que vous nous peignez? Messieurs, ce


peins,,c7est, ce.qui est., ce que je
_vois (:e. .que nous voyons


tous. C'est contre ce que nous voyons tous, que le gouverne-
ment; vous demande des arabes , que la société réclamé secours
et garantie.


Si ce qui existe est la licence de la presse, c'est. la licence de
. .


• •


la:presse qu'il faut arrêter. Mais comme ce qui existe est orga-
nisé par vos lois „et organisé sous le nom, de liberté della press' ,
et


que; ce n'est que par l'impuissance de votre législation'.que
cette liberté est dégénérée en licence, c'est la liberté de la presse
elle-même qu'il faut suspendre, jusqu'à ce qu'il soit possible de
d'organiser par des lois plus fortes : car si la licence de


. .la presse
est la ruine de toute autorité., la liberté de la presse est la yie
du gouvernement représentatif, parce que la publicité,,de• ses
actes est aussi nécessaire pour contenir le pouvoir, que


. la tranche
discussion des lois est utile pour éclairer l'opinion obtenir les
sacrifices qu'elles im posent, et déterminer une obéissance
que la raison sanctionne.


( 247 )
Ces aVantages, disais-je à cette tribune le 25 janvier 18o-7•,


n ces avantages, vous ne les obtiendrez que' de l'indépendance,
n des journaux , que de leur concurrence ; c'est. là que dan; des
» extraits fidèles de nos discussions, dans la lutte perpétuelle de
n toutes les opinions, c'est là que la nation, journellement celai-
» rée sur ses intérêts; s'identifiera avec ses rePrésentans ; et l'es-
D>


prit public constamment dirigé vers tout ce qui est -grind
ss. utile ethonorable , sera toujours disposé aux plus grands sa-
» cri Les, quand il s'agira de la conservation de ses droits et
» de l'intéretimtiona/.. •• •


» Mettre aujourd'hui en prOblême l'indépendance des jour-
s'/u,-naux, c'est mettre en •plestion • s'il faut créer l'esprit public
n en France, s'il faut attacher la nation au gouvernement ce-
» présentai if lui-meme ; c'est le renverser sans rien mettre à la
» place pour défendre les libertés nationales. Quels que soient


dont, messieurs, les dangers - de l'indépendance des jour-
» naux , elle a l'avantage d'éclairer l'opinion par le choc des
» discussions et (les débats : et si cette indépendance à cOti::
n d'immenses avantages dans le gouvernement 'représentatif, là


côté d'avantages essentiels â-son existence, offre'de graves-in-
» conviMiens, eestaii goevernement à les diminuer, én proposant


undoi répressive de la liberté de la presse.» Ce que je"pensais
alors ,- messieurs, je le pense encore frujourd'hui. Sans indépen-
dance des journaux , point de • responsabilité morale, point
d'opinion publique, point de gouvernement représentatif'.


Mais comment Maintenir l'indépendance des journaux , sans
tomber dans-Celte licence effrénée dont: nous déplorons les écarts?
Tel est le prehlême le plus' difficile de la législation -dans l'état
actuel dela sociélé, • dans une telle' s itu ation des esprits' . ciiie• 'là
raison même la plus éloquènte, étrangère à tout esprit de-parti;
trouverait à peine des leetetirs.


Exiger que le gouvernement résolve à l'instant ce problême,
vouloir' qu'il improvise une" loi si difficile, qui même exigé' des
méditations-si prof aides , neserait-ce pas la demander insuffi -
santé' et-sans garantie? nè serait-ce pas nous-exposer à retont. .•
encore dans le danger d'cià nous voulons sortir? Accordons aux
ministres le délai 'nécessaire pour la préparer ; demanddriagiii
qu'elle soit forte, que remise dans les mains d'une magistra-
ture élevée, elle trouve dans le nombre, dans l'indépendance
des juges, -une égale garantie pour le trône-et pour la liberté';
qu'elle n'enchaîne point la presse , mais qu'elle en punisse
les écarts par des-dispositions sévères ; que toute discUssién soitlibre, mais seulement dans l'intérêt •général' de la société; dans •




( 248 )
l'esprit du système constitutionnel et des lois du royaume,


etdans le respect pour la morale et les principes sur lesquels re-
pose toute doctrine religieuse ; qu'appréciés dans leur esprit et
non sur quelques expressions vagues, ce soit dans leur


ensembleque les écrits soient condamnés ou absous, que la vie privée, à
l'abri de toute investigation, ne puisse, dans aucun cas, être
soumise ù- l'examen public; qu'enfin la quotité des


amendeset des dommages et intérêts,proportionnés aux facultés des dé-
linquans et des offensés, soit laissée à l'arbitrage des juges , pour
punir le riche insolent ou 1 écritain se fait l'instrument ou
le prête-nom d'un parti ; en un mot, que la sévérité de la loi
nous assure les fruits d'une sage liberté, sans nous faire


redouterles maux de la licence.
Tels sont mes voeux : c'est pour qu'ils puissent se


réalisersans com promettre le sort de mon pays, que j e consens à la sup-
pression momentanée de la.liberté de la presse. Et serait-ce au
moment où la vieille. Europe, ébranlée, jusque dans ses fonde-mens , chancelle, et, entraînée parles écrivains et le fanatismede la jeunesse, semble prête à se precipiter dans l'abîme des ré-
volutions i que je pourrais hésiter? serait


-ce au moulent où unpeuple généreux, après avoir si courageusement résisté aux sé-
ductions de la politique, aux attaques des armées les plus aguer-
ries, tombe devant des doctrines subversives de toute société.,
qu'averti par ce nouvel exemple l'hésiterais encore? serait


-ceenfin au moment où sortant. à peine et comme par miracle de ce
cratère sans fond qui menace de tout engloutir, la France encoretoute


meurtrie de sa chute et couverte de blessures qu'un siècleà peine cicatrisera peut
- être, réclame par tous ses organes,.


protection et secours contre l'invasion des sophismes et des
maximes


encore?
lidlacieuses qui cansèreùt fsa ruine, que je pourraishésiter


Non, sans doute ! et puisque des lois sans force, des juge-
mens sans justice sont d'impuissantes barrières contre les atten-tats de la presse; puisque ces attentats journaliers sont devenuss
i:nombreux , qu'aucune loi, qu'aucune peine ne pourrait lesréprimer aujourd'hui; puisque l'effervescence des passions nous


liberplace dans cette alternative cruelle de périr par les exçès de la.té de la presse, ou de la soumettre à des mesures préven-tives oe
temporaires, je cède, mais je ne cède qu'a la nécessité ,et je ne vote leprojet de loi qu'en bornant sa durée à la fin deçe t te .


sessiou , et seulement pour donner le temps aux ministresdu Roi de
nous présenter une loi farte et sévère, basée surt a liberté de la presse et l 'indépendance des journaux. .


( 249 )
Ail Chauvelin. Messieurs, étouffer la voix de ceux qu'on


proscrit, commander le silence à ses victimes, tel est depuis
long-temps l'ordre naturel de toutes les-persécutions.


J'ai voulu de l'arbitraire pour vous enfermer; je veux de la
sécurité pour cet arbitraire ; je ne veux pas être importuné de
vos plaintes, parce que je veux être dispensé d'y répondre ; je
veux plus encore, j'aurai à moi seul le privilège constant de la


seul nies doctrines, , et , je ferai retentirparole ; je ferai régner seu
mes louanges au milieu de la consternation générale. Tels sont
les calculs ordinaires du pouvoir, et tel est l'objet du projet de
loi que je m'étonne encore d'avoir à discuter au milieu de vous,
et qui porte la seconde atteinte à ce pacte fondameutal , dont
l'auguste et solennelle garantie avait cimenté en 1814 le rappro-
chement d'une dynastie et d'un peuple séparés depuis plus de
vingt ans par l'état de la guerre.


On nous accorde que le droit de publier et de faire imprimer
leurs opinions était garanti par la charte à tous les Francais;
on convient que la charte n'a fait aucune distinctiers entre lesjournaux et tous les autres genres d'écrits; on 'veut bien quela
charte n'ait admis que des lois répressives contre les abus de la
presse ; oit ne peut contester que la censure frappe de mort le
gouvernement représentatif; usais on nous dit que la loi propo-
sée est une IZti d'exception; et par ce seul mot on se croit fondé
à faire disparaître une disposition fondamentale et eOnstitution-
nelle, sauf à dénaturer les circonstances, à tronquer les faits ,
se déchaîner contre les doctrines, à accuser les écrivains eux-
mêmes du bon emploi des lois répressives, et à donner pour
cause des malheurs publics la licence des journalistes.


Assez de voix plus fortes que la mienne, embrassant toutes
les questions que renferme un pareil sujet, détruiront ces allé-
gations hasardeuses; elles rappelleront à votre mémoire tout ce
qui a été dit ici sans contradiction, à tant de reprises , sur les
funestes effets de la censure pour le peuple qui - la subit et pour
le gouvernement qui l'exerce ; ces voix vous diront qu'il n'est
pas vrai que l'expérience ait prouvé l'insuffisance des Moyens
répressifs de la loi actuelle, et qu'aucun des faits propres è éta-
blir cette insuffisance n'ont pu être nettement cités jusqu'ici
par les orateurs du gouvernement ; que si de grand&exc•s ont été
commis par ceux des écrivains auxquels M. le min istre d es affaires
étrangères a promis sa partialité dans l'autre chambré, on ne
peut en rechercher la cause que dans le ddiut des poursuites du
ministère, et dans cette . partialité même qui s'était déjà long-
temps exercée avant d'êtresolemnellement promise: Enfin ces


4




( 250 )
voix, messieurs, vous présenteront l'état de la France agitée
dans tous ses premiers intérêts, et condamnée à ne les voir trai--
ter, chaque jour, au milieu d'elle, que par les ministres quiles
menacent ; -de la France tout-à-coup isolée, silencieuse au
lieu de l'Europe, et tenue désormais au secret sur tous les évé -
siemens qui l'environnent. Je ne veux examiner ici qu'une seule
question et ses conséquences. Une charte telle que la nôtre
admet-elle les lois d'exceptions aux garantiesqu'elle e promises,
ou plutôt n'est-elle pas anéantie.


de fait par toute loi d'exception
à ces garanties?


J'entreprends, messieurs, une tâche que la voix impérieuse
de ma conscience peut seuleme décider à poursuivre au milieu
de vous ; je n'attends aucun succès de mes efforts; déjà la pré-
cédente discussion nous l'a démontré. La parole a perdu ici tout
crédit, elle y est frappée de stérilité ; et si , au sortir de cette
enceinte, elle peut retrouver toute sa force ; si , n'ayant rencon-
tré ici qu'une dédaigneuse indifférence, elle peut être ailleurs
recueillie avec un religieux empressement , quelles faibles con-
solations portera-t-elle partout où les lois projetées envoient
l'épouvante et la douleur !


J'ai dit la charte et les lois d'exceptions incompatibles. Pour
le prouver, il suffirait de l'exemple nitee nous cite sans
cesse et jusqu'à satiété, celui de l'Angleterre. L'Angleterre n'a
pas un corps de constitution écrite fixé; ses lois et ses institu-
tions ont reçu des améliorations de différons événemens poli-
tiques, et à des époques éloignées ; mais elle ne s'est 'pas-trouvée,
comme nous, dans le cas de voir consacrer en une fois lés garan-
ties de ses libertés ; elle ne les a pas vues non plus fixer par
l'un de ses rois stipulant à lui seul pour la nation et Our lui.


La charte constitutionnelle a été offerte à la France comme
un pacte de réconciliation et de paix, comme un moyen d'éta-
blir le trône des Bourbons au milieu de la France nouv:el le : gage
des droits du peuple, gage de ceux du trône, gage de l'ordre et
de la stabilité en France, elle a dei seule et pouvait seule 'alors
prévenir des déchirernens, et faire cesser l'état de guerre ou do
vengeance entre la nation et ceux qui avaient été armés si long-
temps contre elle , qui se trouvaient avec elle en présence.
En jurant cette' charte qui avait reçu une destination si impo-
sante, en la faisant jurer aux princes de son sang, aux membres
des cieux chambres , son auteur en a reconnu la hante'impor
tancé. Mais quelle importance surtout a dû attacher la nation à
tous ces sermens? celle de voir la couronne liée et engagée par
de tels sermens à l'obligation de la faire jouir à toujours des.


( 251 )
elroits reconnus et garantis par la charte. (Mouvement d'adlié-‘
lion ù gauche. )


.Quelques exceptions à ces, droits, non comprises dans les
et cachées sous sonternies de la harte, sens, y auraient-elles


été sous-entendues? Non; et l'article seul qui tolèrel'établisse
ment, par l'autorité législative, des cours prévôtales, prouve
assez qu'aucune autre exception da été conçue, n'a été admise;
et c'est parce que de telles exceptions ne pouvaient être sous-
entendues, que la charte a présenté à la nation un motif suffi-
sant de tranquillité, et qu'on y a vu une garantie assurée que


jlej
amais nulle autorité ne pourrait suspendre l'effet des franchises


établies par la charte, nt priver les citoyens de l'exercice et de
ouissance des droits qu'elle leur avait reconnus. /


La France apercevait encore dans sa conviction sur l'immu-
tabilité de la charte un autre motif de sécurité : le gouverne-
ment, retenu entre les bornes que le trône lui-même avait
posées, ne pouvait concevoir d'autre système pour conduire lés
affaires de l'état, que ,,celui du maintien de toutes les garanties
données par la charte ; et les principes sur lesquels reposaient
ces garanties devaient servir de règle à tous les actes de
Bistre:ion, à toutes les propositions de lois.


Dans cet ordre de choses, messieurs, que deviennent, les lois
d'exception? Comment un gouvernement peut-il en reconnaître
le besoin , .sans s'apercevoix qu'il est déjà sorti des limites qu'il
lui était interdit de franchir comment peut-il en faire la de-


. mande,, sans déclarer lui-même qu'il e méconnu la seule condi-
tion de son existence? Et comment pouvez-vous accepter. ces
lois, sans violer le serment que vous ayez fait, sans détruire
vous-mêmcs,.ponr vos commettans, la seule resspurce • dont
TOUS vous .êtes trouvés armés pour eux au moment où iis vous
ont. confié leur défense?


Mais il est, nous dit-on, des époques né les .gouverneinens
ont besoin d'un. accroissement de forces pour résister à des dan-
gers nouveaux et imprévus : je réponds que les gouvernemens
qui pourraient éprouver de tels besoins, ne seraientpas apparem-
ment investis des pouvoirs immenses dont la charte et toutes
les lois qu'elle a maintenues ont , pourvu le gouvernement de la
France ; que si, au milieu de.toutes ces forces, le.gouvernement
trouve le secret de s'afihiblir, c'est qu'il s'est affaibli clans •sa
force morale et dans la confiance des peuples, et qu'il ne peut
retrouver des forces qu'en se rattachant aux principes sur les,.


fait.
quels son


qu'il
existence s' est fondée; je répondrai que chaque de-


mande des lois d'exception, chaque atteinte qu'il nié-




( 252 )
dite de porter à l'acte fondamental, doivent inspirer contre lui
plus de défiance, et répandre mitemr de lui plus d'alarmes,.ainsi
que nous le voyons aujourd'hui. (,Même mouvement.)


j' Dans de telles circonstances, messieurs, et quel que soit,oserai le dire, l'esprit d'aveuglewent qui a pu saisir jusqu'ici
la majorité de cette assemblée, les dangers du trône. doivent
tous frapper. Vous le voyez, par suite de l'impardonnable im-
prudence de ses conseils, dénué de la seule sauve-garde stable
et solide pour l'inviolabilité des trônes constitutionnels, je veux
dire des lois qui assurent efficacement la responsabilité des mi-
nistres et celle de tous leurs agens secondaires : vous -voyez par
le seul effet des projets odieux conçus depuis cinq mois, et
par suite...de l'état de défiance et d'inquiétude dans lequel ils
ont plongé toute la France, l'incertitude , les vacillations, l'im-
prévoyance se déceler de plus en plus dans les conseils du gou-


jvernement : vous voyez dans les révolutions ministérielles, etusque dans la composition informe, précaire et douteuse du
présent ministère, des signes de l'affaiblissement du pouvoir.


Craignez que, resserré de plus en plus dans ces choix., entre
ceux que les suggestions passionnées de la minorité qui l'obsède
semblent lui interdire, et ceux dont l'immense majorité de la
France serait si justement effrayée, le ;renie ne se voie de plus
en plus isolé et successivement dépourvu de serviteurs qui pour-
raient au moins .le tenir informé des voeux et des besoins de la
nation qu'il gouverne.


( 253 )
de l'hospitalité, prenaient actes ici des mots qui nous échap-
paient sur nos bancs , travestissaient nos opinions , comman-
daient nos votes, et les menaçaient d'avance d'une flétrissure
publique. Mais d'abord pouvons-nous avoir la prétention de ca-
cher ce. qui se dit ici? Cet te salle ne parle-t-elle pas, et ne doit-
elle pas parler à la France? Loin de desirer qu'on ignore ce qui
s'y passe, n'est-il pas de la plus haute importance, au contraire,
qu'on le sache? n'est-ce pas par la publicité seule qu'on pont
apprécier nos débats, se fixer -sur nos opinions, nous juger nous-
mêmes, et ne devons-nous pas souhaiter de l'être par nos con-
citoyens? Quant à la supposition que l'opinion d'un journaliste
peut commander le vote . d'un député, je ne m'y arrêterai pas :
cette idée me répugne. Le vote d'un député est dans sa con-
science : jamais je ne penserai qu'il aille le chercher ailleurs.
(Mouvement général d'adhésion.) Je ne m'arrêterai pas davan-
tage à l'idée que les journalistes dénaturent et travestissent nos
opinions : je ne sais pas ce que la censure à cet égard peut espé-
rer d'améliorations.; et il nie paraît que le reproche est peu, à
propos dans le moment où l'hospitalité que l'on cite, se borne
à avoir relégué les journalistes dans une place éloignée d'où ils
ne peuvent ni voir ni entendre, où par conséquent ils sont à
même de commettre des erreurs , qui dès-lors , quelques graves
qu'elles fussent, ne pourraient motiver aucune plainte fondée.


Sur quoi'peut se fonder la mesure proposée ? Possédons-nous
la liberté de la presse, ou bien n'en avons-nous que la i licence?
La licence ne détruit-elle pas la vraie-liberté? Voilà à mon avis
l'état de la question. A voir tout ce qui s'imprime, ne peut-on
pas penser que nous ne jouissons pas du droit consacré par la
charte, mais que nous souffrons de tous les abus de ce droit ?
Vous êtes comme si vous étiez sans lois ; celles que vous avez ne
précisent. pas la liberté , car elles sont impuissantes contre la li-
cence ; elles n'établiront point le droit, car en déterminant mal
l'abus, elles vous livrent à tous ces dangers , 'et dès-lors, loin
de jouir du droit que la charte a voulu vous donner, vous en êtes
réellement privés : c'est sous ce point de -vue, 'messieurs , que la
question me parait devoir être examinée. La charte consacre le
droit d'émettre librement son opinion ; mais Dieu, la monar-
chie , la royauté, sont-ce donc là des opinions? Et depuis quand
ne sont-ce plus des principes? S'ensuit-il du droit consacré par
la charte, que chacun puisse impunément émettre à sa fantaisie
toute opinion sur ce qui est hors du domaine des opinions? telle
est pourtant notre position , messieurs. Sous prétexte de liberté
d'opinion, on peut aujourd'hui imprimer, frouder4•vAIout.'e les


s


. Craignez , messieurs, que séparé des masses, ignorant la réa-
lité des faits, entraîné par l'impulsion contre-révolutionnaire,
aujourdlai si difficile à ralentir, il ne s'y laisse bientôt aban-
donner ; craignez alors des résistances multipliées ,
toujours renaissantes, et quelqu'un de ces bouleversemeus dé-
plorables au milieu desquels les nations seules ne périssent pas...
( Une assez vive agitation se manifeste. ) Je vote le rejet du
projet de loi.


M. Castelbajac. Messieurs, dans les différens motifs pré-
sentés par le rapporteur de votre commission, il en est,. je
l'avoue, qui me paraissent peu coneluans, Les craintes des mi-
nistres ,.par exemple, pour la censure de leurs actes sont loin


jde motiver, à mon avis, la mesure demandée ; car en principee ne conçois pas le go av.ernernent représentatif là.où le minis-
tère ayant le :montiple des journaux, on n'aurait pas : le droit
d'examiner ses actes, et où par suite. ii v aurait impossibilité de
Savoir s'il agit ou s'il n'agit pas dans les intérêts du pays.


Les journalistes, nov a-t-on dit, méconnaissant .les droits




( 2;4 )
principes constitutifs de toute société. On peut émettre sur la
divinité-tout sentiment subversif de toute idée religieuse ; sur la
royauté, toute doctrine destructive du repos des monarchies.
Au lieu d'être renfermé dans le cercle des discussions utiles aux
développemens des lainières et au bien Oublie, on peut se jeter
sans crainte dans le -vague de ces théories perdent les peu-
ples et les rois.. Au lieu de lie trouver penné carrière ouverte
au talent, on peut s'agiter avec impunité dans l'arène des
passions.


Je ne m'occupe pas ici des attaques personnelles, des morti-
fications-d'amour-propre ou du malaise ministériel ; tout cela
nie touche peu; je ne songe qu'au danger de mon pays, et, je
l'avoue, il me paraît impossible qu'il résiste au débordement de
libelles ou de pamphlets qui vont


.
périodiquement porter dans


Pâme de leurs lecteurs le poison dont ils sont infectés. Il me pa-
raît impossible qu'une jeunesse ardente et facile à tromper puisse
se prémunir contre les pièges que l'on tend sans cesse. à son
inexpérience. Les gouvernemens, messieurs, sont cousine les
familles : pour pouvoir vivre ensemble, il faut être sûrs les uns
des autres, et on 'ne l'est plus le jour oUce qui est un devoir
peur l'un, est un objet de mépris pour l'autre, où ce qui est hon-
neur., vertu, loyauté pour les uns, paraît aux autres erreur, fai-
blesse ou préjugé. Les hommes nés avant Pa révolution peuvent.
avoir moins à redouter peut-être des, doctrines prêfessées par
certains-fidliculaires ils ont une expérience qui leur coûte assez


j
cher; mais cette jeunesse, aujourd'hui ]'espoir de la patrie., cette
eunesse appelée-à la consoler de ses longs malheurs, et à faire


oublier par ses vertus
. lés fautes et les Crimes du passé, cette


je-il-nesse -peutelle, je le répète, 'éviter d'être entraînée? Dans.
l'âge des passions, où puisera-i-elle des forces contre ces fhéo-
ries pernicieuses, qui, sous le prétexte d'élever Pâme, la !' --
trissent et la dessèchent; contre ces idées de liberté qui ne
que l'horreur de .


tout frein ? Où trouvera-t-elle des garanties.
contre cette doctrine d'une égalité chimérique? fille de l'orgueil
et de nos discordes


• civiles; contre cet esprit > empiété qui se
couvre du- manteau d'une fausse philosophie, et qui n'apprend.


Qui
à -l'homme qii'à vivre sans remords et à mourir sans espérance?


préservera cette jeunesse des crimes que l'on prépare à son
avenir, s'il est toujours permis de lui dire ce qu'on lui répète
sans cesse, 'et si des lois protectrices ne se halent de fermer
l'abîme qu'un esprit de révolution et de vertige a ouvert sous
ses pas?


J'entends .
dire souvent . , messieurs, que la France est une ma-


( 255 )
tion nouvelle. Je ne comprends pas trop , je l'avoue, ce qu'on
entend par un peuple qui ne se lie ainsi en afflue manière, ni
à la religion ni aux moeurs de ses aïeux ; mais je me résignerais
encore à né pas le comprendre, si l'on consentait du moins que
ce peuple eût un avenir.Qu'on ne répète pas l'accusation banale que nous consentons
au sacrifice de nos libertés. Ce n'est pas sacrifier la liberté que
de chercher la cessation de cette licence' qui tue la liberté, qui
porte le troublé dans les états et qui: fait assassiner les princes.
Que ceux-là s'en prennent à l'abus , qui en e été fiait, s'ils sont
momentanément , privés du droit .; qu'ils regardent quelles sont
les doctrines qui en ont. motivé' la nécessité? quels sont lesjournaux qui , dans le royaume très-chrétien, ont constammentinsulté la religion de l'état et ses ministres? quelles sont les
feuilles qui, dans une monarchie, ont sans cesse prêché la sou-
veraineté du peuple? quels sont les écrits qui ont applaudi à la
révolte, justifié le parjure , et outragé la vertu? Si c'est dans
nos opinions qu'on trouve de telles pages., qu'on nous accuse !
mais si nous souffrons ici pour les. fautes des . autres, qu'on
respecte du moins les sacrifices dont ôn nous impose la nécessité.
Mais, me dira-t-on, n'existe-t-il -Lias d'autrer inoyen que la
censure pour échapper aux maux gui nous menacent? C'est en-
eore ici que je suis d'un autre avis que le rapporteur de la com-
mission. Je pense que c'était des lois >répressives qu'il apparte-
nait au ministère d'apporter, et non la'demande de la censure.
Je pense que ces lois étaient faciles à faire, et .ips'en attendant
des lois coniplètes,.il aurait suffi peut-être, même pour préve-
nir, d'augmenter fortement les pénalités, de comprendre la re-
ligion dans les lois existantes , et d'attribuer aux cours royales
les jmYemens des délits. Telle est mon opinion , messieurs, et


Aje pense que le 'ministère eut ainsi mieux concilié l'intérêt pU-
Ilic avec le droit de tous , le repos,de la France avec son propre
repos. Irefit ainsi évité l'effrayante responsabilité qui va peser
sur lui : car du moment où la censure lui sera accordée, il de-
viendra comptable de la direction de Popinion.'11 ne peut pas
plus se dissimuler que nous les inconvéniens de la censure, et le
résultat qu'elle a eu entre les mains -du ministre qui en fut long-
temps investi. Il prend sans doute l'engagement de s'en servir
dans un sens contraire; car c'est sous la censure qu'a commencé
ce débordement de principes , ee système. de diffamation
contre 1a vertu et d'outrages contre l'honneur, qui a fait depuis
de-si effrayans progrès. Ùest sous la censure • qu'on e VII calom-
nier la fidélité, flétrir les plus nobles sentimens et avilir les




( 256 )
choses les plus sacrées. Le ministère actuel tt d'autres intentions
sans doute, car il promet les lois qu'on nous refusait alors, et
que je lui demande formellement en ma qualité de député, gar-
dien des libertés publiques. La seule différence qui me parait
exister entre son opinion et la mienne, c'est qu'il veut, comme
moi, arrêter le mal , mais que, comme moi, il n'en voit pas la
possibilité dans les mêmes moyens. Or, pressé eetnme je le 'suis
entre les principes révolutionnaires qui nous menacent, et l'ira-
puissance avouée par le ministère pour y mettré un frein, il
répugnerait à ma conscience de prendre sur moi la responsabi-
lité réclame.


Messieurs, on fait souvent parler la nation à cette tribune ;
on y dit : la nation pense telle ou telle chose. Le droit, je
suppose, est égal entre nous ; et tous envoyés par une par-
tie de cette nation, nous pouvons également tous invoquer
son nom. Eh bien ! pour ma part, je suis convaincu que la partie
de la nation à qui je dois l'honneur de siéger parmi vous „m'y
a envoyé pour défendre la religion, le trône et la charte. Or,
c'est pour défendre la religion que je consens à donner au
nistère le temps qu'il croit nécessaire pour préparer les lois eiri
doivent la protéger : c'est pour défendre le trôné que je ...di
donne les moyens d'arrêter le cours des doctrines qui font r&-
volter les peuplés et tuer les rois : c'est pour conserver la
charte et les libertés publiques, que je lui accorde un pouvoir
momentané contre cette licence effrénée qui détruirait bientôt
et la charte et toutes les libertés publiques. Mais e» lui accor-
dant ce pouvoir temporaire, je lui dirai : u Le bonheur de la
France ne tient pas à ce que vos actes soient plus ou moins cen-
surés, mais à ce que tous vos actes soient monarchiques :. vous
arrêteriez en vain momentanément la pensée; en vain vous
croiriez-vous forts par des lois d'exception ; il n'est pour les
empires qu'un seul vrai moyen de force, c'est d'ent.rerdans la
ligne des principes qui rassurent les bons et qui inspirent aux
médians une crainte salutaire. Ce n'est point en composant
avec des opinions 'que vous établirez des principes : ce n'est
point en transigeant avec des débris de. révolution que vous fe-
rez de la monarchie. »


Dans •un autre temps je votai contre la censure. La


France
était alors victime de ses abus. Aujourd'hui elle est victime des
abus de la licence, je dois vouloir des armes contre elle; et en
accordant au ministère le temps de me les apporter, je ne crains
ni le reproche de ma conscience, ni celui de tout homme de
bien.


( 257 )


M. Daunou. Votre commission reconnaît que tous les Fran-
çais ont le droit de publier leurs opinions sans les soumettre
préalablement à la censure; elle avoue que telle est la volonté
expresse de la charte, le sens immédiat et incontestable de l'ar-
ticle 8. Ainsi elle ne reproduit pas l'étrange maxime qui , en
confondant le pouvoir de prévenir avec celui de réprimer, ré-
duisait le droit établi par cet article à la faculté de publier et
d'imprimer toutes les fois qu'on n'en serait pas empêché d'a-
vance par le gouvernement. Mais la périodicité paraît à votre
commission une circonstance essentielle qui exclut les journaux
de la classe générale des écrits qu'il est permis de mettre libre-
ment au jour. Déjà, dit-elle, ils sont soumis à une législation
spéciale, et vous pouvez à votre gré étendre indéfiniment, jus-
qu'à la censure même, les précautions que vous avez prises.


En s'emparant des motifs allégués dans votre dernière session
à l'appui de cette législation spéciale, M. le rapporteur ne s'est
pas souvenu qu'alors le gouvernement désavouait expressément
la conséquence que la commission en tire aujourd'hui. Quand
on objectait cette conséquence à ceux qui faisaient valoir les
considérations reproduites par M. le rapporteur, ils répon-
daient que la charte affranchissait les journaux autant que les
autres écrits de la censure préalable , mais que la rédaction de
ces feuilles était. une sorte de fonction publique, dont on ne de-
vait permettre l'exercice qu'à celui qui aurait donné à la société
quelque gage qui la prit rassurer contre l'abus qu'il en pourrait
faire. Ils assimilaient ce genre d'entreprises à. quelques autres
qui deviennent libres dès qu'une fois on a, par des cautionnemens
ou par d'autres garanties légales, acquis le droit de s'y..livrer.
Ils vous disaient en un mot : C'est parce que vous ne pouvez
pas établir la censure, que vous devez exiger une caution ; et
aujourd'hui l'on vient vous dire : Puisque vous avez pu imposer
l'obligation d'un cautionnement, vous pouvez, par la même rai-
son, rétablir des censeurs. Ainsi, messieurs, ceux qui ont con-
signé des fonds considérables, afin d'être affranchis de ce joug
(le la censure .,_ alors reconnu par vous-mêmes comme inconsti-
tutionnel, vont reprendre les chaînes que vous aviez brisées,
dont cous aviez cru les délivrer à jamais par le gage même que
Tous. leur demandiez : ils vont les reprendre, sans recouvrer la
disposition des capitaux engagés sous la foi de votre loi 41J., 8
juin 1819. Je l'avouerai, j'ai peine à comprendre.pou •quoi il
faut un cautionnement a y a censure, et comment la censure
devient légitime parce qu'il y a un cautionnement. Quand vous
aurez défendu d'imprimer aucune feuille qui n'ait passé sous les


15. 17




Ç 259
yeux d'un examinateur, quel droit, après tout, et quel besoin
meane aurez-vous d'exiger un autre gage?


En partant donc du fait de la loi du 8 juin 81 9
, et en ad-


/1101 ,w les motifs qui vous ont déterminés à la rendre, j'en dé-
duiriis une conclusion dismétralensent opposée é celle que vous
a présentée M. le rapporteur; et nie plaçant dans le système
qui vous a été exposé l'an dereier par les orateurs du gOuver-
liement et par quelques-uns de nos honorables collègues je
conclurais avec eux que le cautionnement, loin d'amener la.
censure, l'exclut nécesSairement:


Peu seii est fallu que le droit obtenu par la consignation des
capitaux ne fût méconnu et anéanti par le nouveau projet de
loi : il n'a été conservé que par une disposition que l'équité de la
chambre des pairs a inséré dani l'article 2. Mais les premieres
lignes de cet article n'en sont pas moins, à l'égard des entre-
prises son encore formées, d'une- inconcevable injustice. En
vain un citoyen viendra dire : "Voici le cautionnement que vous
exigez; de plus, je soumettrai chacune de mes feuilles à l'exa-
men des censeurs qiie vous me donnerez; et si. d'ailleurs il m'ar-
rivait d-e commettre quelques délits, je subirais les peines dé-
terminées par vos lois. 1v4. on, lui répondront les ministres; il n
nous plaît pas que vous fermiez cette entreprise. Voilà ines
sieurs un arbitraire bien pluesepur encore, bien plus parfait que
la censure ; et l'on prend mie idée fort incomplète du projet,
lorsque l'on suppose qu'il se borne à-réclamerl'examen préliH
minaire des feuilles périodiques. Il détruit la liberté de ce genre
d'industrie; niais le système général sur lequel il est fondé; y a
introduit bien d'autres dispositions incompatibles avec l'ordre
constitutionnel.


On demande que par le seul fait de la poursuite commencée
contre un journaliste prévenu d'avoir publié un article non
communiqué ou non approuvé, le gouvernement soit investi du
Pouvoir de prononcer hi


suspension du journal jusqu'au juge-
ment. Mais ce pouvoir, messieurs, vos lois le refusent, même
dans le cas d'une poursuite pour les plus graves délits à com-
mettre par la voie de la presse; et vous l'accorderiez lorsqu'il.
n'y a qu'une simple contravention ! Car c'est, à mon avis, . le
seul terme applicable au cas où un article en soi irrepréhen


.si-
Lle aurait été imprimé sans avoir passé à la censure. En toute
hypothèse, cette prévention ne doit jamais entraîner aucune
peine proprement dite. L'arrestation même et la détention d'un
prévenu ne sont que des moyens de s'assurer de sa personne,
et ne sauraient autoriser à lui: faire éprouver, dans son indus-


259 )
trie 5 dans ses affaires privées, d'autres dommages que ceux qui
résultent de son absence. L'équité ne punit que ceux qu'elle a
condamnés.


Cependant; après le jugement même, le gouvernement vent
intervenir encore pour aggraver la peine. Les juges auront pro-
noncé un emprisonnement d'un à six mois, une amende. de
deux cents à douze cents francs (et pour le dire en passant, ces
peines sont excessives, quand il n'y arque simple contravention,
c'est-à-dire publication prématurée de lignes tont-à-fait inno-
centes). Que vous demandent les ministres? La faculté de par-
faire ces jugemens , en y ajoutant la suspension, ou, en cas de
récidive, la suppression -du journal. Pourquoi, s'il y a lieu à
une troisième peine, ne pas laisser aux juges le pouvoir pure-
ment judiciaire de la prononcer? Quand il est question d'éten-
dre les attributions de la puissance législative, on réclame avec
infiniment de raison contre cette confusion de pouvoirs;. et
nous devons applaudir à la sagesse de la chambre des pairs, qui a
écarté du projet le concours inconstitutionnel des deux cham-
bres à la nomination des censeurs : c'est bien assez qu'elles con,-
tribuent à la formation d'une loi pareille, sans qu'il leur faille
encore s'iMmiscer dans l'exécution; suais ces mêmes principes
dont l'empire devrait être toujours inflexible, refusent au gou-
vernement, après qu'il a nommé les juges et dirigé les actes du
ministère public, toute participation aux jugemens, toute fa-
culté de les réformer ou de les étendre. Le Roi s'est réservé le
droit de faire grace et d'adoucir les peines; c'est l'une des plus
augustes prérogatives de la couronne; mais jamais il n'a réclamé
ni pour lui ni pour ses ministres le droit d'aggraver, les con-
de mutions •


Hors des lignes constitutionnelles, tontes les irrégularités af-
fluent. d'elles-mêmes, tontes les illégitimités s'accumulent. Pour
n'en plus citer qu'un exemple, j'appellerai votre attention sur
l'article 8 du projet. Sans doute, messieurs,- il doit appartenir
à la police d'empêcher l'exposition publique des dessins qui
fautent les personnes, offensent les moeurs , outra gent l'autorité:




sans doute encore la publication et la distribution de ces per-
nicieuses images sont des délits que les lois doivent prévoir,
que la justice doit- poursuivre et réprimer; Mais on vous invite
à déclarer, dans les termes les plus généraux, que nul dessin sans
exception et quel qu'en soit le sujet , que nul dessin imprimé ,
gravé ou lithographié , ne pourra être , non pas seulement ex-
posé dans les voies publiques , mais annoncé , distribué , mis
-'n vente sans l'autorisation préalable du gourvernemenL C'est




( 26o )
l'art du dessin tout entier , c'est toute une profession , tout un
genre d'industrie qui, par amendement à une loi sur les écrits
périodiques, se trouve condamné à soumettre chacun do ses pro-
duits à des regards inquiets et peut-être malveillans; car les mi-
nistres ne sauraient se charger eux - mêmes d'un tel examen.
Voilà le génie des lois exceptionnelles et l'immensité de leurs
-usurpations! Infailliblement il vous sera dit que l'on n'a ici en
vue que les dessins ayant trait à des circonstances politiques :
niais pour discerner ceux-là, il faut bien se faire présenter tous
les autres ; aussi l'article n'énonce-t-il , ne suppose-t-il aucune
restriction ; et comme le champ des interprétations et des pré-
tendues allusions est illimité , le pouvoir de prohiber veut être
inépuisable. En cette matière, comme en toute autre , un sys-
tème régulier satisferait pleinement à tous les besoins de la so-
ciété ; d'une part, en empêchant l'exposition publique des pro-
duits pernicieux, de l'antre, en réprimant judiciairement les at-
tentats aux droits privés ou publics. Mais l'arbitraire veut bien
davantage ; il s'autorise de la possibilité de ces délits pour as-
sujettir à ses caprices l'activité , les entreprises et les succès
de l'un des beaux-arts.


Je m'attendais à trouver au moins quelques explications su-
ce point et sur plusieurs autres dans le rapport de votre com•
mission ; niais elle a pensé qu'il était superflu d'entrer dans ces
détails ; elle n'a pris la peine de justifier aucune des dispositions
particulières du projet ; elle est persuadée que la sûreté de l'état
vous commande de les adopter toutes sans amendement , et
pour ainsi dire sans examen. La sûreté de l'état! Il serait bien
étrange qu'elle pût être garantie par l'injustice , qu'elle ne fût
compromise que par l'équité. Je crois tout au contraire que les
lois inconstitutionnelles ont toujours rendu et rendraient encore
les périls plus graves et plus imminens.


Dès l'instant où en 1 769 la presse devint libre par l'extinc-
tion de la censure, les vrais amis de cette liberté réclamèrent
pour elle la répression de la licence. Long-temps on leur a ré-
pondu, et tous les partis ont tour-à-tour soutenu cette doctrine,
qu'il ne fallait pas plus de li mites que d'entraves ; que la calom-
nie, la dem:du-in , l'injure, étaient des inconvéniens attachés à
ce régime, et qui n'en contrebalançaient pas les avantages ; que
les libelles , décrédités par leur violence même , n'attiraient le
mépris public que sur leurs propres auteurs ; que l'équité na-
tionale finissait par élever les hom mes de bien au-dessus des traits
de la malveillance et de l'envie. Mais de fatales expériences ont
fait reconnaître qu'outre les dommages réels que ces injures quo-


( 26-1 )
tidiennes font quelquefois éprouver aux personnes privées, elles
troublent inévitablement la paix publique .; qu'elles tiennent: tous
les esprits dans un funeste état d'agitation, d'exaspération d'hos-
tilité ; et que cette licence impunie est un symptôme de troubles,
un avant-coureur de dissentions éclatantes. Les écrits deviennent
des actions coupables, lorsqu'ils nuisent à des particuliers, et
lorsqu'ils outragent ou menacent l'empire sacré des lois et des
pouvoirs. Le droit de publier ses opinions sur tous les actes de
l'autorité n'est pas celui de la mépriser ou de la méconnaître.
Ni la liberté, ni le gouvernement, choses devenues indivisibles,
ne seraient garantis dans un pays où la réputation des citoyens
et la dignité de la pu issancepublique demeureraient abandonnées
aux attaques des libellistes et des séditieux. Il faudrait se hâter
de remplir dans la législation une lacune si déplorable.


S'il en est ainsi , me dira-t-on , et si tant de désordres ne
sont point efficacement réprimés par les lois existantes , pour-
quoi repousser le bienfait momentané d'une censure impartiale?
des lois répressives demandent de longues méditations : au con-
traire , le travail des lois d'exception est extrêmement rapide ;
elles s'improvisent ; on en peut concevoir , rédiger , proposer
deux ou trois. en un seul jour ; et tandis qu'elles sont en vigueur
durant cinq ans, ou jusqu'à la clôture d'une session prochaine,
on prépare à loisir des lois répressives.


1\ on , messieurs, le moyen de faire de bonnes lei& n'est pas
de se placer dans une situation où l'on n'en sentira plus le be-
soin. A force de reprendre les habitudes du pouvoir arbitraire,
on n'aura plus confiance (Weil lui , et l'on s'accoutumera telle-
ment à ses traditions et à ses . maximes , qu'elles s'introduirontj usque dans les lois répressives qu'on -voudrait essayer enfin , etqui, perdront par ce mélange leur rectitude et leur efficacité.
Si l'on renonçait pleinement à l'idée et à l'espoir de prévenir ,
on discernerait bien plus aisément les meilleurs moyens de ré-
primer. Le premier danger•u recours à la censure, est de re-
tarder et d'altérer d'avance. les lois définitives que l'on se promet
d'établi • en un temps indéterminé.


Un second résultat du régime préventif appliqué aux, seuls
journaux, est de redoubler la licence des autres écrits, à moins
qu'on ne finisse par les soumettre à un'examen préalable ; ce
qui serait , de l'aveu. de votre commission , trop ouvertement
contraire à la charte. Déjà vous êtes obligés d'étendre votre loi
aux feuilles périodiques , aux ouvrages qui pvaissent par livrai-
sons , et ce dernier terme est si vague , qu'il fait entrevois: la
possibilité d'appliquer la censure à, des livres historiques et à des




( 262 )
traités génératx ou particuliers de politique, dont les volumes
seraient successivement mis en vente. Mais ne prévoyez-vous.
pas que bientôt les désordres que vous prétendez éteindre, pro-
voqués et multipliés peut-être par vos mesures inquisitoriales,
vont refluer des journaux en des feuilles isolées, auxquelles la
diversité de leurs titres et de leurs formes ne laissera aucune ap-
parence de périodicité ! Quand vous serez inondés de ces pam-
phlets audacieux , le progrès du mal vous forcera dé déterminer,
ainsi qu'en 18141, le nombre de feuilles nécessaires pour échap-
per à vos recherches préventives. On trouvera (les subterfuges
comme vous en aurez trouvé vous-mêmes ; et vos lois déréglées
seront poursuivies par la licence , jusqu'au ternie où vous serez
enfin réduits à effacer toutes les traces de l'art. 8 de la charte
constitutionnelle.


Cependant ces journaux mêmes qui seront surveillés de si près,
espérez-vous qu'ils s'abstiendront d'injures personnelles ? Non,
messieurs; la censure est essentiellement partiale; elle l'a tou-
jours été , il est impossible qu'elle ne le soit pas, surtout quand
elle n'est point l'état ordinaire (les choses , et qu'elle n'est réta-
blie que par suspension (lu droit commun ; seulement le mono-
pole de la diffamation est livré ou au pouvoir absolu, ou à. quel-
que fiction puissante. Il se présentera immanquablement dt..s
ennemis (le la liberté pour s'emparer de ce privilège. Les mi-
nistres entre les mains desquels vous l'aurez déposé , sont digues
de la plus parfaite confiance ; mais l'arbitraire n'en mérite au-
cune : se flatter qu'il ne sera pas malfaisant, c'est espérer un
prodige qui a été- toujours promis et qui n'a jamais apparu.
Chargés d'ailleurs de tant d'autres soins, auxquels vous venez,
par votre dernière résolution , d'en ajouter (le si délicats et de
si sacrés, les ministres se borneront à nommer des censeurs ,
dont il me semblerait bien téméraire de vouloir garantir l'im-
partialité.


En vous parlant de ces censeurs, M. le ministre (le l'intérieur
a tracé les règles qu'ils auront àsuivre et à la sagesse desquelles
il est impossible (le ne pas rendre hommage ; mais elles sont et
elles seront toujours , par leur nature même , conçues en des
termes si généraux , que , dans l'application, elles laisseront à
décider arbitrairement la plupart des difficultés. Par exemple,
entre les opinions qu'on ne doit pas tolérer, M. le ministre de
l'intérieur comprend celles qui sont évidemment contraires aux
principes de la.charte ; et j'avouerai au contraire que je crois de--
voir non-seulement de la tolérance, mais les plus grands égards
aux opinions exprimées, soit dans les journaux , soit ailleurs ,


( 26 3 )
en faveur des projets que nous discutons, quoique ces opinions
et ces projets soient à lues veux si évidemment contraires aux
principes de la charte, que je ne conçois pas comment il -serait


damen


jamais possible de contredire phis ouvertement et plus directe-
ment la lettre et . l'esprit, et tous les principes docelte.loi fon-


tale.
Déjà, messieurs , vous àvez consenti à là lits de la


liberté imlivid n'elle 3 je ne reproduirai pas l'exem ve de r An-
.
p,leterre , où cette suspension quoique Moins longue'et
fréquente eue parmi 3,olt?,, est au moins compensée par l'invio-
lable maintien de la b de la presse; je dirai qu'en sonmet-
tant les journaux à la vous ajoutez beaucoup , aux ri-
gueurs des &tent ionS arbitraires, e: vous pri vez lés iniuistrés
des moyens d'être avertis des erreurs qu'ils peuvent commettre
dans l'exercice d'un si redoutable pouvoir. Per surcroît, il vous
a.été proposé de:mutiler le droit de pétition, et cela sauSle'con-
cours-du Roi ni (le l'autre chanibre , et par


-


l'effet de quelques
articles que vous ::jouteriez à iotre reglement intérieur. Il ne
reste plus *que la liberté de cet te tribune, et je ne me permets
pas d'ekanimer en ce inoniént si elle servivrait à une autre


vous est detiiiiiulée; mais dès cet instant elle
Compromise ou affaiblie par la censure s'exercera siu
les récits de vos discussions. Si 'vous n'ête's n effrayés d'une si
brusque démolition de tout censtit i tionlicl , je ne puis
partager cette sécurité. Je vote contre Je projet.


/e comte Maré ellas. J'ai. toujours regardé la liberté illi-
mité (le la presse comme le plus ;.<:,,rand fléau des peuples. Les
circonstances politiques les Mus délicates n.'Ontjamais pu M'est-
gager à la défendre. Il doit, donc iii'être permis aujourd'hui de
combattre une liberté dégénérée en licence, déjà si hautement
accusee.par les malheurs qu'elle a produits. Je crois qu'il faut
accorder aux ministres ce qu'ils nous demandent, et ratifier le
voeu de la chambre des pairs. "..mettez, messieurs, qu'aban-
donnant un instant les Con i. ions politiques, j'examine la
question qui nous occupe sous un rapport moins anstiire et plus
conforme à des g,otitS que j'ai iong .-temps nourris dans la re-
traite, et auxquels mon zèle pour mon payse pu seul M'arracher.
La. licence de la presse n'est-elle pas l'ennemie de la . gloire
des muses françaises? ne tue-t-elle pas la littérature comme la
société? cette question mérite assurenientl'attention
leurs soigneux de procurer à leur pavs tous les genres d
et qui savent que l'état de la littérature d'un peup l e est l'in age
de son état social. Oui, piessieUrs , la déruarie:. ,eabou d'écrir e


ie




( 264
)


qu'encouragent des succès trop faciles, fait avorter avant leur
maturité les plus heureux talens. Dans cet âge brillant qui ne
connaît encore dela vie que ses illusions, on se laisse tromper par
des élogesperfides; on s'abandonne à une dangereuse fécondité.
On passe à écrire et à se faire lire, avant le temps, des années
précieuses qui étaient données au génie pour nourrir et épurer
dans la solitude sa flamme sacrée, pour s'aguerrir aux diffi-
cultés, méditer sur les secrets de l'art, pour étudier les grands mo-
dèles, en recueillir les merveilles dans le trésor d'une mémoire
heureuse, et apprendre ainsi à les imiter. On se bateau contraire
de produire une nuée d'écrits éphémères et fugitifs, et l'on s'é-
nerve pour les grands ouvrages : on se rend ainsi pour toujours
incapable des grand


conceptions et des vastes pensées. On
renonce au génie; on se contente de l'esprit. : et tel homme , né
peut-être avec tout ce qu'il faut pour se faire un grand nom dans
les lettres, se borne à la gloire frivole et lucrative des articles de
journaux et des pamphlets. N'eut-i1 pas été heureux pour lui de
trouver dans la rigueur d'une loi salutaire un guide sage qui eût
modéré son ardeur précoce, tempéré sa fougue, dirigé ses talens,
etqui lui eût appris à en réserver l'usage pour


.
le temps des grandes


entreprises et des véritables succès? (Mouvement d'adhésion. )
Oui , la littérature elle-même réclame contre cet abus immo-


déré de la presse, et ma voix qui autrefois dans cette enceinte
s'est élevée pour elle, croit encore la servir aujourd'hui en de-
mandant qu'une mesure législative vienne arrêter cette abon-
dance stérile et laisser au génie le temps de mûrir ses fruits. On
peut appliquer à ces utiles entraves ce qui a été dit avec tant dej ustesse et de grâce des règles sévères du plus beau des arts :
que cette contrainte rigoureuse resserre l'esprit pour l'élever, et
ne retarde l'essor de sa veine que pour en rendre les élans plus
brillans et plus vifs.


Que sera-ce, si nous considérons les suites bien plus funestes
encore qu'entraîne pour la société ce désordre de l'esprit? On
vent être ha, on veut être loué ; on se fait des partisans dans l'or-
gueil et les passions des hommes; on a recours à l'adulation
pour suppléer à ce qui manque du côté de la profondeur des
études et de la plénitude du talent; on se rend sourd à la voix de
la vérité et de la vertu, qu'on était né pour aimer et entendre ; on
se fait l'apologiste du vice et de l'erreur ; on altère la justesse
naturelle de son jugement en s'appliquant à défendre et à colorer
des sophismes; on étincelle peut.-être d'esprit et de talent,;
mais on ne répand -que des lumières désastreuses dont le faux
éclat annonce et donne la mort ; comme ces sinistres mé-


( 265 )
téores qui ne brillent sur l'horizon que pour menacer et désoler
le monde. On prêche enfin ouvertement l'irreligion et la ré-
volte, et l'on devient le fléau de la société dont on aurait pu
être le flambeau et l'honneur. Ah ! messieurs, combien peut-


`être d'esprits supérieurs, séduits par ces appas perfides, ont
manqué à leur gloire et à celle (le leur siècle, et, pouvant être
de grands écrivains , sont restés d'obscurs pamphlétaires


Ce n'est pas ainsi que se sont formés tant de grands hommes
l'ornement du plus beau des siècles , ces hommes qui ont élevé
notre littérature au - dessus de toutes les littératures modernes
et à l'égal de celles des deux grands peuples de l'antiquité. On
ne publiait alors ses opinions que lorsqu'elles étaient conformes
à la religion , à la vérité, à la morale. Aussi le génie avait le
temps de méditer ses chefs- d'oeuvre. Un petit nombre de pages
étaient le fruit de plusieurs années de travail; un petit livre
assurait l'immortalité.


Les intérêts des lettres comme celui de l'ordre social, vous
demandent donc le sacrifice de cette liberté illimitée de la presse,
qui n'en n'est plus que la licence. Il me reste à combattre les
obj ections qu'on oppose à cette mesure.


De bonnes lois répressives suffisent, nous dit-on. Mais ces
lois répressives , nous ne les avons pas. Je les cherche dans
l'amas immense de nos lois, je les cherche telles que l'état de la
société les exige, et je les cherche en vain. Je les demande
au gouvernement : niais le gouvernement ne les a pas encore
présentées, et le nial se fait et s'accroî ichaquejour. La loi que la
session a vu éclore est nulle, puisque le seul principe qui pou-
vait lui donner l'être et la vie en a été repoussé. La religion
s'est vue bannie de nos institutions: La religion a été vengée;
elle a laissé faire l'impiété : messieurs, vous ne savez que trop
le reste.


Mais la censure gêne le progrès des lumières. Je voudrais
d'abord qu'on me fit voir ce qu'ont gagné les véritables lu-
mières à la licence de la presse; d'ailleurs , il est évident que
la censure n'atteint ni les arts, ni les lettres, ni les sciences
exactes ou naturelles. Veut-on parler de ce qu'on appelle les
lumières de la civilisation? Ah ! messieurs, ne serait - il pas
temps de laisser enfin dormir les peuples à l'ombre du pouvoir
de l'autorité légitime, sans venir les troubler, les agiter sans
cesse de ces dangereuses théories , de ces questions épineuses
sur des droits qui , on l'a dit depuis long-temps, ne s'accordent
» jamais mieux que dans le silence?» Oui , ces lumières tant
vantées, trop souvent ne sont que ténèbres, et plus souvent




266 )
encore se transforment en des feux dévorons qui ravagent
l'un i


ion, messieurs, les écrivains sages et modestes, qui n'ont
en vue que le bonheur de leurs contemporains, ne craignent ni
la vigilance , ni la sévérité des lois. Toujours enclins à se dé-
fier de leurs pensées, si, contre leur •attente, leurs ouvrages
offraient des principes qui pussent nuire à la société, ils seraient
les premiers à les condamner, et se trouveraient heureux d'être
avertis. Ils présentent sans crainte leurs écrits é la censure et
aux tribunaux. Celui qui ne cherche que la vérité ne redoute
que la censure et le jugement de sa conscience.


La mesure préventive établie pour la conservation de la
Société ne doit" frapper que les doctrines qui tendent à la dé-
truire. 11 fàut qu'elle arrête dans leurs crimes ou dans leurs
écarts ces écrivains imprudens ou coupables dont le fun..ste
génie, séduit par de Musses et orgueilleuses théories, lance
à-la-fois dans le Monde civilisé le mensonge et la discorde :
insensés qui, égarés par la perversité de leurs pensées, ignorent
ce que sentait si profondément, daiis la droiture de son coeur,
un des Rois les plus vertueux qui ait jamais porté la couronne :
éc que la paix dans un état et la vérité dans les doctrines sont
» inséparables. (Ezdchias• 3 9 .) );


Oui , c'est à ces productions corruptrices.et mensongères qui
Ont préparé et causé tous nos malheurs; c'est à ces écrits sédi-
tieux et impies qui depuis long-temps abusant de la co•nalle
indulgence <le l'autorité pour saper "dans l'ombre les fonde-
Mens de toute autorité religieuse et civile, attendaient l'anarchie
de la presse pour dévoiler audacieusement toute la noirceur de
leurs complots, amoncelant ainsi les orages long . temps a Vent que
la foudre ait éclaté; c'est à ce fléau des peuples civilisés que tous
les hommes de bien de l'univers doivent déclarer une sainte
guerre. Dans ces nobles combats on défend la vérité contre le
mensonge, la vertu contre le crime, la félkit é des, peuples
contre toutes les calamités réunies, leur véritable liberté contre
le plus épouvantable esclavage. Lisez l'histoire; vous y verrez
que ces grands. mots de droits des peuples , de liberté des
citoyens ont toujours préparé et souvent amené la tyrannie et
la servitude. La liberté des peuples ne prospère que sous la
protection des droits imprescriptibles de la royauté : et notre
terrible révolution n'est autre nose que Paccontplissement de
cet oracle <lu plus grand des hommes en politique comme en
éloquence : cc Ceux qui vont flatter dans te coeur <les peuples ce
» secret principe d'indocilité et cette liberté farouche qui est 11


( 267 )
cause des révoltes , sous prétexte de flatteries peuples, sont


»
en effet les flatteurs des usurpateurs et des tyrans. Le peuple


D) se laisse flatter et reçoit le joug : et il se trouve que ceux qui
» flattaient le peuple sont en eftk les suppôts de la tyrannie. »
( Bossuav, 5° Avert. aux Protest.)


O vous que la confiance du Roi appelle au secours <le son
trône ébranlé par les doctrines perverses 1 vous que nous.allons
armer, polir les combattre, d'un pouvoir que tant de malheurs
ont rendu trop nécessaires, défendez votre maltreet le nôtre !
défendez sa Mmille auguste ! défendez la France ! défendez-
nous Protégez nos adversaires même contre leurs propres
fureurs. Ah ! la foudre 'qu'ils ‘provoquent tomberait bientôt
sur eux. Songez enfin, songez si, pour vaincre l'anarchie révo-
lutionnaire qui nous envahit, il. Mut lui opposer ses complices •
ou ses victimes? Dépositaires du pouvoir, défendez donc contre
la conspiration des doctrines le trône, seule garantie de nos
destinées, et. qui n'a lui-même d'autre garantie que la reli-
gion. Que sous ces deux autorités tutélaires tous les Français,
quelles que soient leurs Opinions et leur croyance , quels
qu'aient été leurs divisions et leurs égaremens, trouvent enfin
le repos, la liberté, l'union et le bonheur ! Si c'est là la-contre-
révolution , je ne crains pas de dire que mon coeur l'appelle de
tous ses wsux. Dans cette espérance, je vote pour le projet
<le loi.


Plusieurs membres <i droite : La clôture de la discussion'
( On rit à gauche , et mie vive Opposition se manifeste. )


On insiste à droite pour la clôture de la discussion.
M. le président Se dispose à consulter la chambre.
M. de Chauvelin. Je ne puis croire , Messieurs , qu'on pro-


pose sérieusement de fermer une discussion qui est à peine com-
mencée. Il est cinq heures : les membres appelé s dans l'ordre
de la parole ne sont pas présens ou n'ont pas eu le temps de
se préparer. Après la discussion solennelle qui a eu lieu sur la
liberté , vous ne voudrez pas -que lorsqu'il s'agit
d'un autre droit non moins précieux , la discussion ne. 1 11ISSe.
avoir la male étendue -et le même caractère. Je demande que
la discussion soit continuée. à demain.


La chambre adhère à cet avis.




( 268 )


CHAMBRE DES PAIRS.


Séance du ai mars.


L'ordre du jour appelle le rapport de la commission spéciale
chargée de l'examen du projet de loi relatif à la liberté indi-
viduelle.


.111. le marquis Garnier, au nom de la commission spéciale.
Messieurs, votre commission e examiné le projet de loi sous les
trois points de vue suivans : r .0 Ce projet de loi est-il contraire
aux principes de la constitution qui lions régit et aux dispo-
sitions textuelles de la charte ? est-il nécessaire ou au'
moins utile dans les circonstancesparticulieres on nous sommes?
3.0 les abus dont la loi pourrait être susceptible clans son exé-
cution peuvent-ils entrer en balance avec la gravité des malheurs
qu'elle est destinée à prévenir ? Telles sont les trois questions sur
lesquelles nous allons vous exposer et vous soumettre le résultat
de nos observations.
§ i er , Le projet de loi est-ilcontraire ans dispositions de la


charte ?
L'article 4 de la charte est ainsi conçu : cc Leur liberté indi-


» viduelle (celle.-des-Français) est également garantie, personne
»ne pouvant être poursuivi ni arrêté que dans les cas prévus
m-par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit. D)


Le projet de loi indique les cas dans lesquels les indiviaus
peuvent être soumis à une arrestation, et elle prescrit les l'ormes
dont l'arrestation doit être'accompagnée. Ne pouvoir être arrêté
qu'en vertu d'une disposition de la loi, et non pas par la seule
volonté de l'homme; ne perdre momentanément sa liberté que
sous la garantie des formes tutélaires et protectrices qui assurent
à l'individu que cette liberté lui sera rendue, si la prévention
qui a motivé l'arrestation vient à cesser , voilà ce que l'article 4
de la charte a voulu assurer aux Français ; et le projet ne ren-
ferme rien qui soit contraire à cette base fondamentale de nos'
libertés.


Il est vrai que, d'après la loi proposée, l'autorité adminis-
trative se trouve investie d'un genre de pouvoir qui, dans le
droit commun , est attribué aux autorités judiciaires; mais la
charte, dans aucune de ses dispositions , n'a entendu attribuer
exclusivement aux seuls magistrats de l'ordre judiciaire le droit
d'arrestation. La charte n'interdit pas la puissance législative.
d'étendre ce droit, quand celle-ci le jugera convenable, aux


( 269 )
magistrats de l'ordre administratif; et pourvu que les cas d'as-
redation soient prévus par la loi , et que les formes dans les-
quelles erra eu lieu cette arrestation soient prescrites, une
telle loi ne présente rien de contraire aux principes de nos
constitutions.


Le devoir de la législature est de régler ces formes de manière
à ce que la liberté individuelle ne soit jamais qu'en dépôt, à ce
qu'un tel sacrifice soit toujours fait à la tranquillité publique,
et enfin à ce qu'il existe des dépositaires comptables de ce dépôt,
et tenus d'en rendre compte sous des l'ormes qui ne puissent
être éludées. Nous aurons lieu d'examiner ailleurs si le projet
de loi a satisfait à ce voeu de la justice et de l'humanité ; quant
à présent, nous nous bornons à établir que, sans blesser aucun
de nos principes constitutifs, le droit d'arrestation provisoire
dont usent journellement les officiers de l'ordre judiciaire, peut
être étendu aux officiers de l'ordre administratif, pourvu que
ce droit soit renfermé clans de sages limites, et réglé par des
formes qui en préviennent l'abus.


Toutes les libertés, sans exception, sont placées sous la pro-
tection du . Roi, chef du pouvoir exécutif. Toute arrestation,
quel que soit l'office du magistrat glana fait , est faite au
nom et de l'ordre du Roi. Les administrateurs et les juges n'a-
gissent que comme représentans du souverain. cc Toute justice
émane du Roi, » porte l'article 5 7 de la charte. La • liberté in-
dividuelle ne sera donc pas violée, parce que le droit d'arresta-
tion provisoire sera commun à des magistrats dont l'autorité
remonte à la même source que le pouvoir judiciaire.


Le droit d'arrestation provisoire est essentiellement différent
du droit de juger ; et même, dans la marche de la juridiction
criminelle, ces deux droits ne s'exercent pas par la même auto-
rité. Le droit d'arrestation provisoire est confié à un juge
d'instruction, qui seul décerne le mandat d'arrêt ou de dépôt,
et sur sou rapport, lorsque l'instruction est complète, la chambre
du conseil prononce la mise en jugement ou la liberté dudétenu.
La loi proposée n'innovant rien quant aux formes du jugement,
la seule question que nous ayons à examiner ici, est de savoir
si, en conférant aux magistrats de l'ordre ad ministra.tif le simple
droit; d'arrestation provisoire, le projet de loi porte une at-,
teinte aux garanties que la charte e voulu assurer à la liberté
individuelle.


Enfin, nous observerons que, clans l'état actuel de notre
législation , il existe déjà des cas dans lesquels l'autorité admi-
nistrative est investie du droit, non-seulement d'arrêter, mais




( 270 ),
de détenir indéfiniment , sans aucun concours de


rite judiciaire. Par l'action seule du magistrat administrateur,
les mendians et vagabonds sont arrêtés et détenus dans les
dépôts de mendicité, quoique cependant il ne puisse y avoir
lieu , à l'égard de cette classe d'individus, à aucune instruction
eu forme, ni à aucune mise en jugement, l'acte de mendier et
de mener mue vie vagabonde ne pouvant en soi être .considéré
comme un délit proprement dit, et n'étant. réellement autre
chose qu'un , motif de suspicion, un simple caractère présomptif,
qui signale l'individu comme ne tirant ses moyens d'existence
d'aucune source légitime, ce qui suffit pour le faire séquestrer
de la société . , à laquelle on craint qu'il ne devienne nuisible.


Votre commission,, messieurs , n'a donc pu voir dans la dis-
position de la Loi proposée, qui investit les ministre:s du Roi
d'un simple droit d'arrestation provisoire, aucune atteinte aux
droits de la liberté individuelle , tels que la charte constitu-
tionnelle a entendu les garantir,


2. La mesure proposée est-elle nécessaire, ou mérite utile?
Votre commission n'a pu s'assurer si la mesure proposée doit


ti tre considérée .
comme étant d'une indispensable nécessité.


Cette question n'aurait pin être résolue que par une connaissance
précise et approfondie de faits et docu meus vele gouvernement
Seul g les moyens de recueillir, et dont on ne pourrait, sans
indiscrétion et sans danger, exiger une entière communie- 'ion.


doit nous suffire d'examiner 'si cette mesure présente quelque
caractère d'utilité, nuisque , dans. des circonstances ti:traordi-
na ires , aucune précaution ne doit être négligée ; que ce qui est
-utile devient par cela même indispensable, et que la chambre,
A ce qu'il nous a semblé, se chargerait envers ,


l'opinion publique
d'une grave responsabilité, si elle refusait aux ministres du Roi
une mesure utile, par le seul motif que la.•nécessité absolue ne
lui en serait pas parfaitement démontrée.


Dira-t-on que l'autorisation demandée par les ministres est
superflue, plusquetout homme prévenu des complots et machi-
nations spécifiés dans le projet de. loi, peut être arrêté, sur le
rerisitotre de tout procureur 4 9 Roi , et sur le mandat d,écerné
par tout juge d'instruction , dans le lieu o.ù leprévenu a encouru
la suspicion, ou dans le lien de sa résidence? Mais le gouverne-
ment, placé dans un poste d'observation infiniment plus élevé,
ne peut-il pas découvrir une foule d'indices qui échapperaient
nu juge local dans Phorizon circonscrit. qui borne sa vtie? Ce-
juge d'ailleurs ne peut:il pas être retenu dans ses poursuites


( 271 )
et dans ses recherches par des considérations personnelles qui
résultent de sa position? D'un autre .côté, une personne à la
connaissance de laquelle seraient, parvenues des informations ou,
des documens d'une certaine importance, peut craindre, par
des raisons particulières, d'en donner avis au jt . ou au mal
gistrat d'un simple tribunal, tandis qu'elle peut, avec toute S n.T.11-iité, déposersa confidence dans le sein des premiers.déposimires
du pouvoir exécutif. Alors l'ordre immédiatement émané du
ministère trouve dans son exécution plus. de célérité et moins
d'obstacles, deux conditions dontpeutdéperidre, en certains cas,
la sûreté de l'état. Ainsi ce droit d'arrestation provisoire, çOnfié
à t rois ou quatre cents magistrats disséminés sur tous les différens
points du royaume, et dont chacun n'exerce immédiatement
son action et sa surveillance que sur la portion de. territoire qui,
lui est attribuée, se trouvant concentré dans les mains où abou-
tissent. tons les renseiguemens , où les informations, recueillies
avec promptitude de toutes parts, peuvent être rapprochées et
confrontées en nn moment, ponr s'éclaircir mutuellement les
unes par les autres, BOUS a paru présenter, pour des affi J ires qui
intéressent si éminemment la tranquillité nationale, une orga,
pisation infini mentplus avantageuse, et qui, les
garanties assurées à la liberté individuelle, ne seront pas moins,
favorables à la , justification des innocens qu'à la conviction des,
coupables. . .


P. nous reste à vous entretenir, messieurs, du troisième point
de vue sous lequel nous avons dît examiner le projet
§ 3. Les abus dont le loi pourrait être susceptible , dans :von


exécution , peuvent-ils entrer en balance (70- r la' .gravité des
malheurs que .cette loi est destinée é prévenir?
Les abus dont la loi proposée serait susceptible ,1.:Ins son


ou
é
lacution , ne peuvent avoir que deux sources.: 1.,


partialité des ministres; 2. 0 les erreurs involonta,..--,5 Jans l'ap-
plication du droit qui leur est confié„ , Quant au . premier .:cure
d'abus, nous éprouvons quelque répugnance à Je su, 'os-
sible i Croire que des sinistres honorés de la
verain , et auxquels un choix si auguste imprime déjà-uT? «carac
aère respectable ; abuseront d'un moyen que la loi Met en leurs
mains, pour satisfaire leurs passions personnelles , ou peur
l'exercer d'une inanière injuste et partiale, c'est une supposition
Sinon incompatible avec une monarchie constitutionnelle du
moins difficilement admissible. La charte a armé les chambres
du droit d'accuser et de juger le ministre prévaricateur 3 et si




( 272 )
nonobstant cette disposition , on environne continuellement les
ministres d'une défiance injurieuse, on semble ne pas se reposer
assez sur la charte et présumer que le remède qu'elle a proposé
n'est pas proportionné aux dangers de l'abus. Toutefois pour ne
pas laisser cette discussion incomplète, nous avons à examiner
si le droit d'arrestation provisoire confié aux ministres peut être
plus libre et plus abusif dans leurs mains qu'il ne l'est actuellement
dans celles des juges qui en sont investis.


L'article 1. e,
du projet de loi exige que l'ordre d'arrestation


soit délibéré dans le conseil des ministres, et signé au moins de
trois d'entre eux. Ces formalités ne peuvent être éludées, car la
loi, dans le même article, prescrit de laisser au détenu copie
de l'ordre , pour qu'il puisse s'assurer si cet ordre a été délibéré
et revêtu dn nombre de signatures requis.


Le juge d'instruction, investi d'un pouvoir moins circonscrit
que celui que les ministres vous demandent , décerne les man-
dats d'amener , de dépôt et. même d'arrêt , sans délibération
préalable, avec sa seule signature , et d'après l'opinion per-
sonnelle où il est que les indices de prévention sont assez forts
pour qu'il y ait lieu à une détention provisoire.


L'article 2 a pourvu à ce que l'arrestation provisoire ne puisse
être ignorée des pareils, amis ou relations du prévenu, ni même
des officiers judiciaires qui exercent le ministère public dans le
lieu du domicile ou dans le lieu dans lequel se seront passés les
faits qui sont le motif de la prévention. Cet article a pour u: éga-
lement à ce que le détenu eût, dans le délai le plus bref pos-
sible , connaissance des faits qui ont donné lieu à son arresta-
tion , et ait les moyens d'y répondre ; et, pour mieux assurer
l'exécution de la dernière formalité, cette exécution est placée
sous la responsabilité personnelle du geolier ou gardien de la
maison d'arrêt.


L'article 3 prescrit un délai dans lequel le conseil du Roi dé-
cidera. si le prévenu doit être renvoyé devant les juges compétens,
ou doit être mis en liberté; et dans ce dernier cas, le détenu
aura connaissance par écrit des causes qui ont donné lieu à son
arrestation. Ce délai est de trois mois , au plus tard , à compter
de l'envoi fait au ministère de la justice du procès-verbal de l'in-
terrogatoire du prévenu.


Ce terme de trois mois n'est point prescrit au juge d'instruc-
tion , qui ne fait de rapport définitif à la chambre du conseil
que lorsqu'il trouve l'instruction complète. Cette chambre du
conseil, qui se compose de deux juges seulement, joints au juge
d'instruction , n'est point tenue, quand elle prononce la Mise


( 273 )
en liberté du prévenu, de lui donner connaissance par écrit
des causes qui ont motivé sa détention.


Ainsi, quand même on supposerait dans les ministres du Roi
les intentions les plus -contraires- à la dignité de leurs hautes
fonctions, il serait toujours impossible que l'arme nouvelle mise
en leurs mains • par la loi proposée, devînt un instrument de
haine ou de vengeance, puisqu'ils s'environnent eux-mêines de
toutes les formes propres.à prévenir un abus d'autorité ou à ga-
rantir au détenu son j uste recours dans le cas où quelque dispo-
sition de la loi aurait été violée à son préjudice.


Le second genre d'inconvéniens dont la loi peut être suscep-
tible dans son exécution .,*ce sont les erreurs involontaires, c'est-
à-direl'arrestation d'une personne innocente, compromise par
des indices trompeurs ou par des dénonciations mal fondées.
Mais un tel inconvénient, donties magistrats les plus circons-
pects n'ont aucun moyen de sedéfendre, est une condition iné-
vitable des jugemens humains. Celui qui est appelé à prononcer
sur la liberté d'un individu dans les cas de prévention , n'a
pour élérnens de sa décision que des probabilités et des conjec-
tures , et il ne peut que les peser dans sa conscience ; mais sa
conscience est nécessairement dirigée par le jugement plus ou
moins droit, plus ou moins pénétrant qu'il a reçu de la nature.
Très-peu de juges manquent d'intégrité ; mais la rectitude de
l'esprit , cette j ustesse, cette sagacité gni 'démêle et reconnaît
les traces de la vérité parmi tant d'indices contradictoires, ce
sont des qualités rares et précieuses dont peu d'hommes ont été
doués. Il est pourtant plus probable qu'elles se rencontreront
plutôt dans le conseil des ministres du Roi que dans le cabinet
d'un juge d'instruction.


Il ne fautes s'attendre néanmoins qu'aucune erreur ne pourra
être commise-, puisque c'est un mal que la législation des honi nies
n'a jamais Prouvé moyen, de prévenir. Tout ce que la loi peut
faire, c'est de protéger la liberté individuelle contre l'arbitraire
despassions ; niais elle ne peut aller plus loin. L'innocent qui
souffre une privation temporaire de sa liberté paie un tribut à
la tranquillité générale de la société dont il est membre. Quel-
quefois, malheureusement, ce tribut ne se borne pas , pour
quelques-uns, au sacrifice de deux ou trois mois de liberté. Les
cours criminelles ne nous offrent que trop souvent le doulou-
reux spectacle d'accusés compromis . par le concours fortuit des
chances et du hasard des événemens , qui , après avoir subi
une longue et pénible détention•, après avoir éprouvé toutes
les angoisses d'une rigoureuse instruction , sont proclamés in-
ar.18







( 274 )
nocens et rendus à la liberté , sans que la société les indemnise
de tout ce qu'ils ont eu à souffrir pour elle. Chercher à préserver
la liberté individuelle- contre des atteintes de ce genre , c'est se
créer un problème évidemment insoluble , c'est se jeter dans le
pays des 'chimères , et perdre entièrement de vue la nature et
les principes de l'organisation sociale.


L'article 4 du projet fixe la durée de la loi au terme de la
prochaine session des chambres à moins qu'elle ne soit renou-
velée.


Enfin l'article 5 déclare que cette•oi ne déroge en.rien aux
dispositions du droit commun, relatives à la forme des arres-
tations et nu temps pendant lequel elles peuvent être faites.


Ce dernier article, qui pourrait être regardé comme superflu,
a sans doute été inséré dans le projet pour prévenir jusqu'aux
inquiétudes mal fondées ; car il est bien évident que le &oit
commun subsiste pour toutes les parties auxquelles la loi d'ex-
ception n'a pas expressément dérogé.


Votre commission , messieu rs, après avoir mûrement exa-
miné le projet de loi dont vous lui avez ordonné de vous rendre
compte sous les trois rapports qui viennent de vous être suc-
cessivement exposés , a été unanimement d'avis :


/ .0 Que ce projet ne renferme rien de contraire aux principes
de la .constitution ; qu'il ne porte aucune atteinte aux garanties
gni:la:charte a voulu assurer à. la liberté individuelle , ei yen
n'entraîne aucune confusion entre les pouvoirs judiciaire et ad-
ministratif; le droit d'arrestation et d'instruction provisoire
étant, de sa nature , essentiellement extra-judiciaire , et se
trouvant par nos lois dévolu à des juges civils formellement ex-
clus de. toute participation aux jugemens criminels;


Que la mesure proposée offre des moyens plus actifs et
plus efficaces d'assurer la tranquillité de l'état et la conservation
des intérêts les plus chers et les plus précieux à la France ;


3.° Enfin , que les formes prescrites pour l'exécution de la loi
sont propres à garantir contre tous les abus que la sagesse hu-
maine puisse prévenir dans de semblables matières, et tous ceux
qui ne sont pas inséparables de la nature même des choses.


En conséquence, elle vous propose, avec la même unanimité,
d'adopter le projet de loi dans toutes ses dispositions.


La chambre ajourne au 23 l'ouverture de la discussion sur le
projet de loi.


Le président observe ensuite que le duc de Lévis a demandé
1


( 275 )
la parole pour exposer sommairement à la chambre l'objet et les
motifs d'une proposition.


La chambre décide qu'il sera entendu.
M. le duc de Lévis expose que malgré l'heureux effet qu'a


déjà produit sur notre industrie agricole l'entière abolition du
droit d'aubaine prononcée dans la dernière session, une partie
considérable des capitaux étrangers prêts à passer en France,
est arrêtée par les entraves qu'apportent nos lois actuelles à la
transmission héréditaire des biens-fonds. Il existe, à la vérité ,
pour quelques. grands propriétaires un moyen légal, mais res-
treint par certaines .conditions et subordonné à la volonté du
monarque , (le transmettre intégralement à leurs descendans
les biens qu'ils se sont plus à embellir ; ce moyen est la forma-
tion d'un majorat. La proposition de l'opinant a pour objet d'é-
tendre l'usage de ce moyen , et de le mettre à la portée même
des étrangers, en rendant la création des majorats indépendante
de toutes concessions de titres honorifiques. Outre les avantages
qui résulteraient d'une pareille disposition pour l'accroissement
de nos capitaux, elle aurait celui d'arrêter le progrès véritable-
ment effrayant de la subdivision des propriétés territoriales. Aux
yeux de l'opinant ce fléau , propagé par l'esprit de destruction,
qui, après avoir démoli les châteaux , s'exerce aujourd'hui à
démolir les fermes, est l'un de plus grands dangers qui mena-
cent la richesse et la prospérité de l'état. Il pense que le moyen
le plus efficace pour arrêter les ravages , serait de conférer au
Roi le pouvoir de constituer en majorat, .sur la demande du
propriétaire , et sans aucune concession de titres honorifiques ,
les biens-fonds héréditairement disponibles entre les mains de
celui-ci.


La chambre, décide qu'elle s'en occupera.


CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance du 22 mars.


L'ordre du jour appelle la continuation. de la discussion sur
la liberté des journaux.


M. Manuel. Messieurs, si le gouvernement nous demandait
'l'ajouter de nouvelles mesures répressives à celles que la loi a
prescrites contre les abus de la liberté de la presse, nous aurions
à. examiner si les inconvéniens dont il se plaint ne sont pas au
nombre de ceux qui, comme inévitables et. nécessaires à sup-
porter, ont été prévus lorsque les avantages immenses de la li-




( 276 )
berté de la presse ont fait. adopter l'emploi de ce ressort indis-
pensable dans tout gouvernement représentatif.






Mais ce n'est pas, vous le savez, une simple modification
aux lois actuelles qu'on vous propose. Il s'agit de savoir si ces
lois doivent être suspendues; si les bases de la charte doivent
être violées; si l'une (les garanties les plus importantes de la li-
berté individuelle et de la liberté publique doivent être livrées
au gouvernement, contre lequel elle fut surtout destinée à' pro-
téger ces libertés ?


•Ce serait tromper vos voeux, ceux de la France et du gouver-
nement lui-même, que de considérer cette mesure extraordi-
naire indépendamment de celle que la chambré a


.déjà adoptée
sur la liberté individuelle, et de celles qu'on lui propose au sujet
des élections.


Ces mesures elles-mêmes ne doivent point être isolées du
nouveau retard que vont éprouver tant d'institutions impor-
tantes que la France attend avec une impatience si juste, dont
l'absence laisse incomplet notre édifice constitutionnel, restreint
et compromet les avantages du système représentatif.


Il faut enfin que le même coup-d'oeil embrasse de graves et
nombreux abus, nés dans un temps de réaction , dont la répara-
tion avait paru nécessaire et avait été promise, et qui semblent
recevoir au contraire une protection plus que jamais éclatante.


C'est donc un système tout entier que nous avons à considérer.
Le gouvernement vous le présente comme devenu nécessaire


pour remédier au. mal dont la France est travaillée, pour con-
jurer les dangers qui menacent la paix publique, le trône et la
liberté.


Ce n'est plus une catastrophe récente qui sert de prétexte,
et nous n'avons plus à démontrer que le crime fia solitaire, et
n'a fourni qu'une excuse déplorable à d'odieuses déclamations.


Le système dont je parle était connu et arrêté avant ce triste
événement. Il était fondé sur des causes préexistantes, sur la
disposition générale des


.
esprits, sur l'état d'inquiétude et d'ir-


ritation qui se manifestait chaque jour, sur les sentimens d'hos-
tilité et sur lés menaces de trouble que le gouvernement croyait
apercevoir; et c'est surtout dans la. direction que prenait les
élections que ces menaces et ces sentimens hostiles lui parais-
saient- éclater.


Ces.derniers mots nous disent assez que ce ne sont point les
périls dont les opinions et les projets du parti qui nous est op-
-posé peuvent menacer l'état , qui ont frappé le gouvernement.
Mais vous savez, messieurs, si l'attitude de ce parti, a.0 milieu


( 277 )
de ces graves circonstances, n'a pas déjà résolu tous les doutes à
cet égard ; si son empressement à aecueillir, et même à provo-
quer les lois d'exception, n'a pas suffisamment prouvé que ce
n'est pas contre lui qu'elles ont été préparées ? •


Et nepensez pas , messieurs, que mon objet, en faisant-cette
reinarque , soit d'accuser le gouvernement de partialité, ni d'ex-
primer le regret que ce ne soit pas contre le parti que. je signale,
que des mesures extraordinaires aient été dirigées. Quelque
dangereux que puissent nous paraître et ses opinions et ses pro-
j ets, jamais ni mes honorables amis•ni moi n'appelleront contrelui cet arbitraire dont il veut armer le gouvernement contre
nous. Le secours de la justice suffira , lorsque le jour de la justice
sera venu; et la marche naturelle de la loi d'élection, la seule
de nôs institutions qui soit en activité, a assez prouvé que c'est
à elle qu'il faut se fier du soin de mettre à leur place les factions
comme les individus, et de laisser à chacun l'influence que lui
mérite sa part réelle dans la masse des intérêts nationaux.


Je n'ai voulu que fixer l'attention de la chambre sur ce point
important : que c'èst uniquement contre les opinions qui ont
dominé dans les dernières élections, que la sollicitude du minis-
tère e cru devoir s'armer.


Eh bien, messieurs cette' sollicitude est-elle légitime? •Je
n'hésite point à répondre affirmativement. Loin de moi, la
pensée impie de taire ou de déguiser la vérité dans un moment
où le repos et l'avenir de mon pays tiennent peut-être à ce
qu'elle soit connue tout•entière.


Il n'est pie trop vrai qu'une inquiétude grave et réelle préoc-
cupe depuis long-temps tous les esprits ; il n'est que trop vrai
qu'un sentiment de défiance et même de désaffection s'est glissé
dans toutes les classes de la société, et s'y propage chaque jour
de manière à exciter de justes alarmes.


Mais quelles sont les causes d'un état aussi extraordinaire et
aussi affligeant ?


Ce n'est qu'après les. avoir explorées avec soin., ce n'est . qu'a-
près les avoir reconnues avec franchise qu'on pourra se dire
quels remèdes conviennent, et si ceux que le ministère propose
sont de nature à apaiser le mal ou à l'irriter.


Ici, on le sent, la plus légère erreur peut être funeste, et ce
n'est pas dans l'état de crainte et d'exaspération où les esprits


peut être permis de hasarder des expé-sont parvenus


La direction que je vais donner à mes idées une fois. connue,.
volls.ne vous étonnerez pas, messieurs, de me voir ramener vos




4




278
regards sur l'espace qui nous sépare de la catastrophe à laquelle
la Providence a rattaché le retour des Bourbons en France.


L'âe,e et les malheurs ajoutaient pour les chefs de cette illustrefa.
mille, à l'intérêt respectueux qu'inspiraitchac ti n de ses membres.


La couronne allait reposer sur un front qui se para le premier
des couleurs nationales ; la France allait avoir pour monarque
un prince dont la sagesse et les sentimens populaires .s'étaient
fait remarquer parmi les promoteurs de la révolution , et qui
savait mieux que personne que les excès dont elle fut troublée,
doivent être attribués à ses ennemis bien plus qu'à ses défenseurs.


D'ailleurs, la révolution n'avait plus d'ennemis apparens. Les
éliminations et les amnisties avaient depuis douze ans ramené a ax
pieds du chef de l'état , et confondu dans les rangs du peuple
ou de l'armée, presque tous ceux qui étaient allés chercher sur
des terres étrangères un asile ou la vengeance. La France croyait
ne plus former qu'une famille; tous les-cœurs s'ouvraient à l'as-
pérance ; chacun se flattait que du sein de nos premiers revers
naîtrait enfin le Calme et le repos qu'on n'avait pu obtenir de
vingt-cinq ans de travaux, de gloire et de succès.


Est-il besoin de rappeler les événemens qui vinrent presque
aussitôt altérer cette confiance ?


Je n'entends pas juger ces événemens : on peut les expliquer
peut-être par l'influence étrangère ou par l'ignorance où l'on
était du véritable état de la irance. Mais, puisqu'il s'agit de
remonter à la source de nos discordes, il faut bien exposer les
faits : nous ne pouvons plus servir et la France et le trône nue
par la franchise de nos opinions et de nos conseils.


Parmi les événemens dont je veux parler, je place donc la
proscription des couleurs qui n'appartenaient. point au prince
détrôné , qui n'étaient la livrée d'aucune famille, mais le sym-
bole de l'indépendance nationale, et que la victoire avait fait
respecter dans les deux mondes; (une vive agitation se mani-
feste à droite ou au centre. )


Cette cession imprévue des places fortes pie nos braves pro-
mettaient de défendre encore, et ce refus d'accepter une consti-
tution dont les imperfections pouvaient être facilement corrigées
par les grands corps de l'état qui se trouvaient alors assemblés.


Ces premiers nuages furent dissipés par la publication de la
charte promise.


Une constitution libre et monarchique ne pouvait que rem-
plir l'attente de la France, de l'Europe éclairée ; elle devait
tare de longue durée, parce qu'elle n'était pas seulement la libre
concession du monarque; elle était aussi le vœu du peuple,


( 279 )
l'expression . d'un besoin réel et d'une situation incontestable ;
elle assurait à la nation des droits qui avaient appartenu à :ses
ancêtres, dont elle avait été dépouillée par le trône et par Poli-
garchie , et qu'elle avait reconquis par vingt-cinq ans d'efforts,
de gloire et de malheurs.


La nation y lut avec confiance, que le voeu le plus cher de
son Roi était que les Français vécussent en frères, et que jamais




aucun souvenir amer ne troublât le sécurité qui devait suivre
cet acte solennel.Qui •lonc a trahi ce voeu d'un coeur royal ? qui a dédaigné cette
fraternité que le monarque voulait voir régner parmi-ses sujets?


Qui a troublé cette sécurité que devait donner l'oeuvre de. la
sagesse?Qui? Ceux qui protestèrent publiquement ou en secret coutre
la charte; ceux qui lui portèrent une première atteinte ; en subs-
tituant la censure à la liberté dont la presse devait jouir; ceux
qui déclamaient ouvertement contre tout régime d'égalité cons-
titutionnelle, parce que l'égalité n'avait pas cessé de leur être
odieuse; ceux gni, tantôt par l'intrigue et tantôt par la vio-
lence , tentaient de recouvrer des droits dont l'abolition était
confirmée; ceux qui outrageaient. la morale publique, en s'ef-
forçant de donner un caractère de vertu à des actes que la jus-
tice dé tous les'temps a punis comme des crimes, et à faire passer
pour des crimes ce que tous les peuples honorent et récompen-
sent comme des vertus.


Toutefois lé gouvernement public ne soutenait point ces pré-
tentions condamnables et. turbulentes, mais il ne se prononçait
point contre leurs auteurs; il ne les .excluait pas de la prodigue
effusion des pensions et des lronneurs ; il ne paraissait pas fa-
voriser les tentatives des anciens privilégiés, mais il les laissait
impunies. Il promettait bien de protéger les acquéreurs de do-
maines nationaux contre les attaques de la violence, mais on
souffrait l'essai des menaces sur les esprits faibles et les cons-
ciences timides. Personne ne se mettait à la tête des ennemis
de la révolution pour diriger leurs coups, maison se traînait. à
leur suite pour tempérer leur impatience, et l'on semblait n'af-
fecter. de Pindorence que pour ne point entraver l'activité d'un
gouvernement caché qui marchait sourdement à la sape de toutes
nos institutions.


De là ce mécontentement du peuple et de l'armée, que de
caresses apprêtées, de tardifs regrets et des sermena solennels
ne purent tout-à-coup apaiser ; de là les alarmes conçues par
toutes les• classes de citoyens pour , qui le plan et les projets




( 280
d'Une contre-révolution paraissaient sensibles; de là cettè dé-
fiance générale qui fit if:Mt le succès du 20 mars.


Qu'il est facile cependant de recouvrer la confiance des peu-
pies Il suffit de la proclamation de Cambrai, de ce simple aveu
que le gouvernement pouvait avoir commis des fautes, pour
faire espérer qu'elles al laient être réparées. Et pourquoi cet espoir
n'aurait-il pas été coneu?L'intérêt du prince n'offrait pas moins
de garantie que ces promesses; l'expérience était récente, et,
les souverains étrangers eux-mêmes avaient si bien reconnu la
nécessité d'un gouvernement franchement constitutionnel pour
le repos de la France, qu'ils avaient cru devoir le stipuler en


Q
quelque sorte dans leur traité avec le gouvernement français.


uelles étaient donc ces fautes si franchement avouées? on peut
les réunir toutes sous un seul chef, l'inexécution de la charte.


Fut-elle-depuis plus rigoureusement exécutée? en confia4-on
le soin à des mains plus fidèles ou moins ennemies?


Ouvrez lés lugubres fastes de 38,5 et 1816. Etait-ce réparer
les fautes que. d'en faire retomber le poids sur la nation qui en
avait été déjà victime? était-ce tarir la source du mécontente-
ment que de suspendre la liberté de la presse et d'autoriser les
arrestations et les exils arbitraires ?


Etait-ce réparer ses fautes que de laisser imputer à crime
à la nation tout entière, une révolution qui fut son ouvrage ;
une révolution qu'on ne peut injurier sans outrager la charte
qui en a consacré les principes et les résultats, sans outrager le .


lui-même.dont la charte est l'ouvrage ?
Parce que nos guerriers, enveloppés presque tous dans


dégradation commune, ont supporté avec une patience héroïque
les exils, les injures, toutes les vexations d'une police inquiète
et soupçonneuse; parce que nos grandes villes ont vu dans le
calme et le silence de la stupeur leurs citoyens bannis, empri-
sonnés, proscrits, moissonnés par le fer des bourreaux et le
poignard des assassins; parce que ces mesures qui s'exerçaient


j
en présence de l'ennemi, sous sa protection, et dont il n'eût
amais osé faire usage lui-même, s'il avait immédiatement tenu


les rênes du gouvernement, parce que ces mesures, dis:je , n'ont
point excité d'émeutes et de vengeances, on ne prétendra pas
sans doute qu'elles aient effacé tous les sujets antérieurs de
plaintes et de mécontentemens, ni qu'elles en aient arrêté les
progrès. -Ils ne cédèrent, en effet, qu'à l'ordonnance du 5 sep-
tembre. (Mouvement d'adhésion à gauche.) -


Vous avez entendu les ministres du Roi attribuer à cet acte
de sagesse le salut de la patrie; les lois d'exception, ces lois.


( 28 )
toujours inutiles et tôujours désastreuses l'avaient donc mise
en danger?


Ah' sans douté, cette ordonnance pousvait sauver la patrie
et ramener la confiance, si on en eût rempli la pensée et. suivi
les directions; mais, par une bizarre inconséquence, les hommes
dont l'exagération avait le plus contribué à aliéner l'esprit du
peuple furent conservés au - dedans ; au- dehors, les boulines
qui ne cessaient de calomnier la nation.


Ainsi naquirent ces conspirations factices, dans lesquelles on
vit quelques misérables et quelques ambitieux compromettre le
repos et la vie de la population entière, pour créer d'inemes
prétextes aux ennemis de la liberté publique; ainsi subsista cette
correspondance qui donne aux cabinets étrangers de si fausses
idées sur notre situation et tant d'influence sur nos affaires,
tandis qu'elle inspira aux ennemis nationaux de la révolution
de si folles espérances sur le secours des cabinets étrangers.


Cependant deux lois importantes, celle des élections et celle
du •ecrutement, vinrent enfin annoncer à la France qu'elle était
destinée à vivre sous un gouvernement représentatif. Aussitôt
le calme et les espérances renaissent. (Mêmes mouvemens..) •


Les lois . d'exception existent encore; mais.elles sont encore
supportées avec résignation ., toutes flétrissantes et tout injustes
qu'elles soient. La nation s'y résigne, parce queles baïonnettes
étrangères sont encore sur nos frontières ( elles savent que le
gouvernement n'est point à l'abri de leur influence); et s'immo-
lant elle-même au repos qu'elle appelle, elle ajoute sans regret
•au sacrifice de. ses trésors le sacrifice momentané de ses libertés.


Enfin, l'indépendance nationale est proclamée. Une nouvelle
ère semble s'ouvrir pour la France, et dorénavant, seule avec
elle-même, elle doit s'attendre à jouir de ses droits, que n'en-
traveront plus ni des précautions injurieuses, ni une résistance
coupable et désormais ridicule.


Qui le croirait? C'est au moment même où tout semblait jus-
tifier de si douces espérances , que les plus graves dangers sont.
venus menacer son avenir


Permettez-moi, messieurs, d'emprunter d'une bouche élo-
quente le tableau de cette crise nouvelle.


«La France affranchie, disait à cette tribune M. le garde-des-
sceaux, presqu'a pareil jour, l'an dernier, la France se livrait
leur perfectionnement,


de jouir de la paix, du repos, de ses institutions, de
i , enfin, du fruit de ses souffrances et de


sa résignation. Tout-à-coup une crise inattendue se manifeste,
tout le royaume eu fut ému, le gouvernement lui-même en fut




( 282 )
ébranlé; l'Europe étonnée se demandait si nous allions périt
au port, si nous allions rouvrir aux peuples effrayés la carrière
de révolutions nouvelles? Chacun cherchait la cause secrète d'un
trouble aussi imprévu : on apprit bientôt qu'une institution fon-
damentale, la loi des élections, et avec elle nos destinées fu-
tures étaient mises en question. »


•'ébranlement donné à l'état fut si grave en effet, qu'un
changement de ministère devint indispensable pour conjurer le
danger.


Mais bientôt la faction ennemie du repos de la. France osa
reproduire, malgré la résistance du gouvernement, le projet
qu'elle avait d'abord concerté avec lui.


De toutes les parties de la France de nouveaux cris d'alarmes
se firent entendre. Ces alarmes étaient-elles factices et menson-
gères ? Ecoutez, messieurs, ce que proclamait alors le gouver-
nement lui-même. «Notre conscience nous dit assez ( tac la
nation entière est attentive , qu'elle a ressenti avec effroi l'at-
teinte portée à l'une des bases de la monarchie constitution-
nelle, et c'est dans l'anxiété, dans la douleur de tous les bons
citoyens, que•tous , monarque, députés, ministres, nous pou-
vons lire nos devoirs énergiquement tracés. Alarmes pénibles,
sans doute, pour ceux-là même qui les ont excitées; alarmes
rassurantes toutefois, puisqu'elles nous attestent que la France
tient par-dessus toutes choses aux institutions qu'elle a reçues
de son Roi; que la France conçoit qu'à ces institutions sont at-
tachées toutes ses destinées ». Tel était alors le lar , nge des
ministres du Roi.
-


Et cependant, alors comme aujourd'hui, des orateurs s'effor-
çaient de montrer les véritables dangers de la monarchie dans
le prétendu esprit révolutionnaire de ceux-là même qui récla-
maient le maintien de la loi. On reprochait au ministère d'être
indifférent à ces dangers. «Non, messieurs, répondait-il, nous
n'y sommes point indifférens, mais c'est ailleurs que nous avons
vu le péril. Nous l'avons vu céder à l'attaque d'un parti, et
porter une main téméraire sur une loi fondamentale à laquelle
la nation s'est fortement attachée, comme au rempart le plus
sûr de ses droits et de ses libertés, comme à l'infaillible garantie
que Peffet des promesses royales ne lui sera jamais. ravi. Les
ministres ont vu le danger d'altérer, de détruire peut-être cette
confiance entre le monarque et ses peuples, première force de
tous les gouvernemens, besoin le plus impérieux d'une monar-
chie nouvellement restaurée. Le Roi, nous osons le nommer,
le Roi et ses ministres ont pensé que la confiance appelle la


( 283 )
confiance, et la bonne foi la bonne foi; ils ont pensé que c'était
au milieu de la nation même qu'il fallait planter l'étendard royal.;
que là, s'il en était besoin, des millions de bras se laveraient
pour sa défense ».


Vous savez, messieurs, par quels élans de reconnaissance la
nation accueillit cette franchise et ces pensées généreuses qu'elle
était si peu accoutumée à trouver dans des bouches ministé-
rielles; vous savez quelle popularité elles valurent au nouveau
ministère, et avec quelle loyauté, quelle confiance et même
quel dévouement, mes honorables amis et moi, nous soutînmes
les premières mesures qui vous furent par lui proposées. (Mou-
vement d'adhésion à gauche.)


Mais peu de mois s'étaient écoulés, et déjà son zèle réparateur
s'était attiédi ; et déjà il avait subi les effets de cette influence
fatale, qui déjà si souvent avait ruiné les espérances des bons
citoyens ; de cette influence d'autant plus terrible qu'elle est plus
mystérieuse, et qui dispose de nos destinées au mépris des pactes
et des sermens les phis solennels, au mépris des intérêts com-
muns entre le peuple et le trône; de cette force illégale qui,
ressuscitant à chaque jour la lutte entre l'ancien et le nouveau
régime, persiste à compromettre les intérêts de tous pour servir
l'ambition d'un petit nombre:


On le vit défendre des lois d'exception qui lui avaient paru
d'abord contraires à la charte, à l'humanité et aux intérêts de
l'état.


On attendit vainement qu'il arrêtât le zèle perturbateur de
ces apôtres dont les paroles de paix sèment la discorde, qui pro-
voquent à la vengeance en prêchant le pardon des injures, op-
posent les puissances du ciel à celles de la terre, et propagent
toutes les idées d'intolérance avec le mépris de toutes nos lois.
(Murmures à droite.)


Vainement on se flatta que, sous son administration, l'édu-
cation de la jeunesse ne serait plus confiée à ces congrégations
chassées autrefois de France pour la perversité de leurs doc-
trines; qu'il ne laisserait plus compromettre l'indépendance de
la nation, et opprimer son commerce par des ambassadeurs qui
le dédaignent et l'abandonnent, comme si nous étions déjà re-
venus au siècle de la féodalité.


,Déjà des projets que la loi avait consacrés étaient suspendus.
L'armée voyait arrêter sa réorganisation, et l'on ne parlait pins
d'organiser ce corps de vétérans qui devait être pour la vieille


éeounhommage
sécurité.


ci té. de la confiance nationale, et pounla nation
un gage de




( 284 )
Mais de plus graves alOrmes devaient bientôt troubler les


esprits, et les replonger dans les angoisses dont
.
ils sortaient àpeine.


L'exemple d'une nation voisine nous a vainement appris que
ce n'est que parce. que sa constitution est devenue l'obj et (l'un
culte populaire que le gouvernement a résisté pendant plus (l'un
siècle à d'horribles secousses. Ce culte est proscrit par nos mi-
nistres, et, pour nous en dégoûter, des mains sacriléges flétrissent
la divinité à laquelle nous adressions nos hommages, nos espé-
rances et nos voeux.


Et, comme pour augmenter le trouble et l'épouvante que ré-
pandent dans le royaume ces projets révolutionnaires, c'est avec
ceux que la masse de la nation est accoutumée depuis long-temps
à regarder comme ennemis (le ses libertés, que ces projets sont
concertés, ,ç'est par eux qu'ils sont appuyés ; devant
laquelle ont reculé d'effroi depuis 1815 tous les ministres de
S. M. , cette alliance monstrueuse vient de se réaliser. Les con-
seillers du trône confondent encore une fois des intérêts sacrés
aux yeux de la France tout entière avec des intérêts ennemis
que toute la France repousse; ils confient encore une fois ses
destinées à cette faction qui, en 1 79 1, l'entraîna dans sa chute,
et à laquelle l'histoire imputera la catastrophe de 1815 et tous
les malheurs qui l'ont suivie.


Faut-il maintenant ajouter à ce tableau l'accueil qu'a reçu,
cette fois l'expression des alarmes publiques ?


Faut-il dire que ces alarmes, que cette consternation dont
chacun de nous a sous les yeux de si éclatans témoignages, qui
paraissaient si naturelles, si légitimes et si vraies au gouverne-
ment., alors que la loi d'élection seule était menacée, le minis-
tère aujourd'hui les appelle perfides et mensongères ?


Faut-il rappeler qu'on a traité de factieux quatre-vingt mille
citoyens parmi les plus recommandables en France, parce qu'ils
avaient exprimé leurs voeux pour la stabilité des institutions
qui leur ont été données, et que c'est pour avoir demandé le
maintien de ce qui existe qu'ils ont merité le titre de révolu-
tionnaires ?


Et les ministres s'étonnent, au milieu de telles circonstances,
de trouver partout dans les esprits une inquiétude grave et
réelle d'entendre des réflexions chagrines et hostiles ; de lire
des écrits qui respirent le mécontentement, et quelquefois un
sentiment d'indignation contre les auteurs de tant de maux !


Ils s'étonnent qu'au milieu de cette irritation générale, qu'a-
près tant de déceptions et de si graves sujets de défiance sans


( 2,85 )
cesse renaissans, des électeurs aient confié leurs intérêts à des
hommes qu'ils ont crus les plus capables de les défendre avec
intrépidité , contre un ministère qui semble s'être placé vis-à-Yis
d'eux dans un état d'hostilité !


Ils s'étonnent de voir l'opinion publique se détacher d'un
gouvernement qui se vante de la mépriser, et semble affecter de
s'isoler lui-même !


Et c'est enfin par de nouvelles mesures oppressives, c'est
par une alliance au moins téméraire qu'ils se proposent de ra-
mener la confiance et la sécurité !


La loi des élections est une troisième fois menacée, et cette
fois c'est le ministère qui•l'a si bien défendue qui s'arme pour
la détruire. Jugez, messieurs, de quels sentimens à dû se rem-
plir le coeur des citoyens, lorsque voyant ainsi reproduire, par
le gouvernement lui-même, un projet qui fut autrefois son ou-
vrage, ils ont pu croire que ce projet n'avait pas éré sérieuse-
ment abandonné par lui, alors même que les ministres avaient
paru le combattre d'une manière aussi. franche et aussi formelle;
lorsqu'ils ont réfléchi au peu d'espoir qui restait de sauver une
loi contre laquelle le ministère s'unissait à une faction ennemie,
tandis que le danger avait été si grave alors même que cette
faction seule la menaçait?


Vainement la . moitié du ministère, fidèle aux intérêts natio-
naux, oppose une honorable résistance à de si funestes projets.


Cette résistance ne sert qu'à leur assurer l'estime publique et
à mieux constater toute l'étendue du péril et toute la puissance
de la faction..


Cette puissance, vous le savez, n'a pas moins éclaté dans
une dernière occasio. n , et la nation n'a pas été plus que vous
inattentive aux circonstances de la chute d'un ministre dont le
crédit paraissait si solide, et qui est tombé aussitôt qu'il a tenté
de renoncer à l'alliance qu'il avait si témérairement entamée
avec ses anciens ennemis.


Quoi qu'il en soit, c'est sous de tels auspices que la session
est ouverte, que le système de gouvernement se manifeste, et
que la nation se voit tout-à-coup reportée sur le terrain dela i 5-


Jugez , messieurs, s'il n'en est pas ainsi ! La nation atten-
dait avec impatience les institutions importantes qui seules
peuvent consolider l'édifice constitutionnel : hier encore, elles
étaient solennellement annoncées ; aujourd'hui, on les refuse'.


Elle attendait que l'administration réorganisée fût mise enfin
en harmonie avec le système représentatif, et que les adminis-
trateurs . fussent choisis dans l'intérêt de ceux qu'ils doivent ad-


4




( 296 )
ministrer : l'administration reste la même; et si elle fait moing
éclater ses principes contre-révolutionnaires, elle n'en est pas
moins prête' à seconder la contre-révolution, aussitôt que celle-
ci aura encore une fois déployé ses drapeaux!


Elle sentait le besoin de voir réorganiser une garde nationale
intéressée à réprimer les désordres : il flint qu'elle y renonce et
qu'elle se résigne à être livrée sans défense aux dangers dont
les factieux menacent son repos!


Elle s'affligeait du scandale des missions et de la protection
illégale accordée aux Pères de la foi; et les uns et les autres re-
çoivent plus que jamais une protection éclatante!


La France se plaignait de ce que la liberté individuelle res-
tait compromise pail'existence d'un Code qui sacrifie tout à lajsécurité du pouvoir et à sa vengeance, par une organisation duury qui rend cette institution si peu capable des bienfaits qu'on
a droit d'en attendre ;




Et voilà que la liberté individuelle, déjà si peu protégée par
la loi, est livrée à l'arbitraire du gouvernement!


Au milieu de tant de privations, de regrets et dé sujets d'a-
larmes, la liberté de la presse restait; il faut que la presse se
taise!


Le droit de pétition offrait une ressource : cette tribune du
moins eût pu faire retentir quelques vérités utiles condamnées
par la censure; des mesures sont proposées pour que ces vérités
soient étouffées !


Une loi d'élection promettait un remède à tant de maux; et
quelque lent que fût ce remède, la nation se résignait à l'attendre,
parce que de terribles épreuves ont mûri sa raison ; parce qu'elle
ne sait que trop à quels dangers les secousses violentes et les
désordres exposent la liberté et le repos des nations; parce que
son instinct lui disait. de ne pascompromettre le fruit de tant de
sacrifices et d'une patience héroïque; parce qu'enfin elle était
heureusement convaincue que les obstacles graves, qui s'oppo-
saient sans cesse à l'établissement d'un véritable système re-
présentatif en France, céderaient infailliblement à l'opinion
publique, aussitôt que cette opinion serait représentée par la
majorité de cette chambre ;


Eh bien ! c'est cette loi qui est surtout menacée; c'est cette
garantie qu'on va détruire ! Elle fit destinée à défbndre plus
spécialement les opinions et les intérêts de la masse contre le
pouvoir et l'aristocratie; et 'c'est à la double influence de quel-
ques grands propriétaires et du pouvoir qu'il s'agit de la livrer !


Ainsi, tandis que par un bonheur et un instinct admirables',


( 237 )
la nation s'était habituée à faire dépendre ses destinées d'une
charte octroyée, dans laquelle le monarque seul était intervenu,
où seul il avait posé et établi les garanties respectives, c'est le
gouvernement qui vient ébranler ce monument de réconcilia-
tion, ce gage de sécurité commune !


Tout atteste que les alarmes, la défiance et le mécontente-
ment n'ont d'autre cause que les atteintes portées à la cons-
titution ; et c'est par de nouvelles atteintes qu'ils espèrent les
calmer


Et c'est à nous que l'on s'adresse pour favoriser un tel aveu-
glement !


Eh quoi ! tous ne nous. dit-il pas qu'il n'est d'autre remède
qu'un changement absolu de système.?


Hâtez-vous donc, il en est temps encore, de réparer le niai
que cons avez fait.


Hâtez - vous d'enlever au corps social cette fièvre que vous
lui avez donnée, que vous excitez, que vous aggravez chaquej our, et bientôt vous verrez disparaître d'eux-mêmes des acci-dens qui n'en sont que. les résultats nécessaires.


Faites enfin jouir la France d'un régime franchement consti-
tutionnel; que des actes non équivoques rendent à la nation sa
sécurité , elle vous rendra sa confiance. Les lois retrouveront
alors leur empire, et la justice et l'autorité le respect dont elles
ont besoin.


Quelques ambitieux , quelques intrigans s'agiteront peut-
être encore ; niais le mécontentement public ne leur servira plus
de prétexte , et par cela même leurs efforts ne seront plus dan-
gereux. Fiez - vous à l'intérêt général , fiez-vous à l'opinion
publique désormais trop éclairée sur cet intérêt, du soin de les
réprimer ou d'en assurer la punition.


Ce n'est que lorsque les masses sont atteintes que le niai est
grave, que les lois sont insuffisantes, et que la stabilité des
empires est menacée.


Ce ne sont pas les écrits révolutionnaires qui amènent les
révolutions , mais le besoin des réformes qui fait naître les écrits
révolutionnaires. Les auteurs subissent et reproduisent l'esprit
de leur temps ; te'n'est pas le dix-huitième siècle qui a créé le
nouvel ordre. social, il lui a seulement appris à se connaître.


La révolution de 1 789 n'a éclaté que parce que le besoin de
changement était partout, même dans l'esprit de ceux qui
devaient y perdre le plus.


C'était la niasse qui souffrait au 9 thermidor;
C'est elle qui appela de ses voeux la révolution duie n brumaire




( 288 )
C'est elle, enfin, qui laissa se consommer la crise de 1814 et


celle <le 18i 5.
Je sais qu'il est des hommes qui n'hésitent pas à conclure


de ces nombreuses révolutions que la liberté est une ;aine
chimère ; que les gouvernemens représentatifs sont d'une exé-
cution impossible en France; que l'Angleterre et l'Amérique
ne doivent les bienfaits qu'elles en ont recueillis qu'à des cir-
constances extraordinaires, à leur position topographique, à
leurs moeurs, et à telle autre cause qui ne se rencontre point
parmi nous.


Ces hommes concluent, je le sais, qu'il n'y a qu'un bras de
fer qui puisse ramener le calme dans une nation où l'on voit,
disent-ils, déchaînées toutes les passions ennemies du repos
public, et qui ne laisse éclater que le besoi.t de révolutions
nouvelles; et je ne serais point étonné que cette opinion . , qui
n'a pas même le mérite d'être hautement professée, fût celle
de tous les ministres que le gouvernement représentatif fati-
guerait, chez qui l'amour du pouvoir se rencontrerait avec
l'absence du talent.


Mais j'interpelle ces 'détracteurs d'un système qu'ils ne con-
naissent peut-être pas, d'une nation qu'il connaissent si mal,
de citer une seule époque mémorable dans laquelle le peuple
ait eu le tort de se plaindre et de s'agiter ; où le gouvernement
ait fait tout ce qu'il devait faire pour lui donner une liberté sage
et une sécurité raisonnable ; où il ait tenu les promesses faites,
les engagemens pris; où il ait gouverné dans les intérêts de la
masse , et non dans les intérêts d'une faction ou de quelques
hommes; où le peuple n'ait long-temps souffert avant de pro-
voquer des révolutions ou de s'y prêter.


Non, messieurs, il .
n'est heureusement pas vrai que le mal


qui travaille la France soit dans la nature des choses, et dans
une espèce d'antipathie entre le caractère national et le gou-
vernement représentatif; car alors il faudrait désespérer.
, S'il est un peuple qui soit digne de la liberté', c'est sans doute


celui qui l'a achetée par de si nombreux et de si grands sacrifices;
c'est celui à qui une terrible expérience a fait connaître les dan-
gers de l'anarchie, comme ceux du despotisme et de l'oligarchie;
celui qui, pendant ces premières années, au milieu de tanfde
sujets de trouble et d'exaspération , a fait éclater avec tant de
courage et de persévérance son amour de l'ordre et de la paix.


S'il est un peuple qui doive sentir le prix des institutions,
c'ést celui qui a eu tant à gémir de leur absence; c'est celui qui


( 289 )
eut si souvent à se plaindre des hommes appelés à le gouverner,
dont les libertés, soumises chaque jour à une nouvelle influence,
ont. subi tour-à-tour, , depuis cinq ans, les fautes de l'incapa-
cité, et les dangers du favoritisme,et les travers de l'ambition, et
les attentats de l'esprit de parti.


Pourquoi donc le gouvernement ne se hâte-t-il pas de revenir
à ce système si sage dont la nécessité a été si loyalement pro-
clamée à cette tribune par l'un de ses ministres? N'est-il donc
plus vrai aujourd'hui cc que la confiance entre le monarque et le
n peuple est la première force de tous les gouvernemens , le
» besoin le plus impérieux d'une monarchie nouvellement res-


taurée ? n n'est-il donc plus sage de dire que c'estpar la con-
fiance qu'on appelle la confiance?Que le gouvernement renonce donc à ce système de défiance
et d'arbitraire si bien condamné par lui-même, et dont il a fait
déjà de si tristes essais Qu'il se dise bien que celui qui ne pou-
vait pas régner avec. la justice, régnerait bien moins encore avec
le secours <le la violence.


Un volcan existe, il est vrai , sous ses pieds ; eh bien ! il faut
travailler à l'éteindre; mais le murer, c'est vouloir en rendre
l'explosion plus terrible, c'est appeler les révolutions, au lieu de
les prévenir ;


C'est vouloir que l'opinion publique si utile à tous quand
elle se manifeste sans obstacle, comprimée , amoncelle ses flots,
et bientôt rompant violemment ses digues , torrent furieux ,
elle aille encore, par ses ravages, attester sa puissance à ceux qui
la nient ou la méprisent.


Croyez-m'en, messieurs, repoussons l'arbitraire qu'on nous
propose de voter; et c'est surtout à ceux qui nous le demandent,
comme à ceux qui l'appuient, que nous aurons rendu un service
signalé.I1 n'y a que des ennemis ou amis imprudens qui puissent
vouloir amonceler autour d'eux de nouveaux sujets de défiance
et de mécontentement. Je vote contre le projet.


M. le comte Portalis. La première de toutes les garanties
c'est la sûreté publique; car, pur que les droits publics des ci-
toyens soient conservés, il faut qu'il existe une cité. Le premier
besoin, le premier devoir, c'est donc la conservation de l'ordre
politique et social. Les peuples les plus jaloux de leur liberté
ont rendu de tous les temps hommage à ce principe conserva-
teur. Lorsqu'ils se sentaient travaillés par une fermentation
universelle, lorsque des passions long-temps comprimées fai-
saient subitement explosion au sein <le la société, lorsque l'in-
quiétude ombrageuse de certaines âmes dégénérait en esprit de


;9




( 290 )
fiction, ils avaient recours à de rigoureux, mais utiles expe-
diens. Ils fortifiaient momentanément le pouvoir, afin qu'il re-
montât les ressorts de la société, et ils imposaient aux passions,
durant quelque temps, un calme forcé pour les ramener à ce
calme volontaire, sans lequel il ne saurait exister ni félicité pu-
blique, ni bonheur individuel. Ils consentaient à des restric-
tions passagères pour échapper au risque de perdre à jamais des
garanties protectrices. Ils sacrifiaient l'intérêt de quelques ins-f
tans au grand intérêt de la perpétuité. De - là la dictature chez
les Romains, la suspension de l'acte d'habeas corpus chez les
Anglais ; dé-là la nécessité reconnue par Montesquieu de voi-
ler quelquefois la statue de la liberté , pour empêcher qu'elle
ne soit détruite.


S'il ést des circonstances Où l'on peut, où l'on doit même
suspendre l'usage de quelques garanties constitutionnelles, la
libre publication des journaux doit-elle être exceptée dé cette
règle commune ? Nous ne saurions le croire.


Et d'abord la libre publication des journaux n'est pas la
liberté de la presse 'proprement dite. La liberté de la presse
consiste dans le droit de publier librement ses opinions, de fifre
entendre à la nation entière des griefs dont la publicité est dé-jà une espèce de redressement; mais l'établissement des joui,
naux est une extension de ce droit plutôt qu'il n'en est l'exer-
cice. Les éérits périodiques ne sont point des cadres prêts à
recevoir les opinions et les réclamations de tous les citoyens , et
paraissant à jour et à heures fixes pour la commodité et l'usage
de ceux qui voudraient y déposer leurs plaintes où leurs ré-
flexions. Ils ne sont point des véhicules communs où les pen-
sées de tous puissent trouver leur place; ils ne mettent en cir-
culation que celles de leurs auteurs.


Ce sont des entreprises particulières formées dans le but
d'influer sur les atlàires publiques. L'intérêt privé en est le res-
sort secret ; ce n'est que par occasion que l'intérêt public trouve
son compte aux spéculations qui le font naetivair. L'existence
des journaux dans un gouvernement constitutionnel peut avoir
l'efià d'éclairer les citoyens sur la situation politique de l'état,
de les mettre en rapport avec les assemblées législatives; mais
il n'est pas plus essentiellement lié à leur existence, que la
presse ne l'est à la liberté. Bien avant l'invention de l'imprime-
rie, il y a eu des peuples libres, et rien n'empêche qu'il n'y ait
-dés gouvernemens constitutionnels sans journaux : leur impoi,
tancé est exagérés par leurs partisans. Quand il serait vrai qu'un
gouvernement constitutionnel n'est que le gouvernement de l'o-


( 29 1 )
pinion publique, il ne serait pas exact de diré qu'il lie périt
exister sans le secours des journaux ; car si les Ails prétendent
que les journaux sont les organes et comme l'écho de l'epinieh
publique, les autres assurent qu'ils sont bien pie& destinés à
la diriger et à la former, et qu'ils usurpent l'espèce de souve-
raineté qu'ils lui attribuent.


Il est certain qu'ils s'arrogent dans l'état une sorte dé magis-
trature; qu'ils sont autant de chaires publiques, d'où se répan-
dent, jusque dans les hameaux lés plus isolés, dés doctrines
utiles ou nuisibles; qu'ils forment habituellement la nourriture
intellectuelle et la bibliothèque exclusive d'un grand nombre
de citoyens ; que leurs insinuations modifient peu-à-peu les
opinions, altèrent les sentimens, s'emparent des esprits, Chan-
gent les âmes; que la répétition opiniâtrê des meures idées
présentées aux mêmes lecteurs sous toutes les formes, les pénè-
tre insensiblement, et finit par les placer en quelque sorte sous
une seule et même inspiration.


Et que Ion ne dise pas que c'est précisément lorsqu'on Vient
de suspendre quelques-unes des garanties-quo les lois du royaume
accordent à la liberté individuelle, qu'il importe de ne porter
aucune atteinte à la liberté de la presse. La presse ne sera point
enchaînée parce que les journaux serent censurés. De nobles et
courageuses voix savent à leur défaut se l'aire entendre, frapper
l'attention publique, et rallier. tous les sentimens dans l'intérêt
de la vérité et de la justice. Les plus grands services rendus par
la presse à la liberté des peuples, l'ont été sans le concours des
journaux. Il né manquera jamais parmi nous de défenseurs à
l'innocence, et l'écrivain généreux dont la voix s'élèvera pour
elle, trouvera d'autant plus de faveur, se sera moins pro-
digne. Mais la fureur des systèmes aveugle les hommes les plus
modérés sur les funestes conséquences dé leurs principes; ils
s'enivrent de leurs propres pensées; il faut lès sauver d'eux-
mêmes et du dérèglement de lent esprit.


On a demandé quelles Sent ces doctrines pernicieuses que
l'on signale comme le principal danger de la liberté des jour-
naux? Et d'abord, messieurs, l'offense grave centre des per-
sonnages augustes, contre les principaux dépositaires, contre
les organes nécessaires de l'autorité royale, contre les magistrats
qui sont la loi vivante, et qui rendent au milieu de nous les
oracles de la justice, est déjà un mal, un attentat qui altère,
surtout s'il se multiplie, les principes de vie du corps politi-
que; l'esprit d'injure qui la dicte , est déjà bien voisin de l'es-
prit de sédition. Il s'efforce d'affaiblir cette vénération religieusc




( 292 )
dont les respects des peuples ont de tout temps entouré la ma-
jesté souveraine ; vénération salutaire, qui incline les coeurs
'par un sentiment indélibéré à la soumission volontaire, lorsque
sans elle l'appareil de la force et de la puissance peut bien cour-
ber les fronts, mais ne fait le plus souvent que révolter les
âmes. Il détruit cette confiance publique qui facilite aux hom-
mes qui gouvernent et qui administrent le bien qu'ils ont à faire,
et qui leur rend en quelque sorte impossible le mal qui la leur
ferait perdre. Il ravit aux tribunaux la considération dont ils ont
besoin pour que leurs arrêts rassurent et encouragent les bons,
portent une terreur salutaire dans l'âme des médians, et soient
eu quelque sorte acquiescés par. tous.


Mais ce ne sont pas seulement l'offense et l'injuwe que l'on
peut reprocher à certains journaux • ce sont des doctrines dan-
gereuses, attentatoires à la paix publique, menaçantes pour
l'ordre social , destructives de la charte. Ces doctrines sont
celles qui représentent la religion de l'état comme incompati-
ble avec les libertés publiques, et qui cherchent à mettre en
'opposition les devoirs religieux et la croyance des citoyens avec
leurs intérêts politiques et civils. Ces doctrines sont celles qui
représentent le peuple comme un souverain toujours en action,
devant lequel les .


Idis mêmes se taisent, et qui peut sans cesse se
jouer de ce qu'elles ont déclaré ,


sacré et. inviolable. Ces doctri-
nes sont celles qui peignent sous les couleurs les plus noires la
résista nce aux révolutions, tandis qu'elles encouragent, qu'elles
excitent, qu'elles provopient à l'insurrection contre les paver-
nemens légitimes. Ces •doctrines sont celles qui sapent les fon-
demens de toute religion positive pour élever sur leurs ruines
on ne sait quel échafaudage métaphysique, aussi impuissant que
fragile, qui n'est que l'apparence et le mensonge de la religion
elle-même. Ces doctrines sont çelles qui enseignent aux soldats
quelles- sont les limités de l'obéissance, et qui tournent ainsi
contre l'ordre public et la société, la plus puissante garantie
qui leur soit donnée. Ces doctrines sont celles qui, transfor-
mant le. gouvernement représentatif en système purement dé-
mocratique, et la monarchie constitutionnelle en un amas de
républiques éparses, entées les unes sur les autres, tendent à
pulvériser le pouvoir et à disséminer la souveraineté dans un
sens inverse, sans doute-, ;nais précisément comme l'iMarchie
'féodale .l'avait morcelée. Ces doctrines sont celles qui , repré-
aent eut le régicide entouré du sacrilège abus dequelquesfbrines
1t islatives.," comme moins détestablemoins , funeste que
avait été commis par un 'asSaSsiii isolé. Ces doctrines, sont celles


( 293 )
qui chaque jour dénoncent aux citoyens les gouvernemens éta-
blis pour les protéger, comme uniquement occupés à' Méditer
l'usurpation de leurs droits; les distinctions sociales comme des
établissemens contre nature; les princes et les rois comme les
ennemis des nations, éternellement armés contre leur indépen-
dance , toujours prêts à appeler les armées étrangères â. leur
aide, et ne pouvant se maintenir que par la violence. Nous se-
rions infinis si nous voulions énumérer tous ces paradoxes' in=
constitutionnels autant qu'ils sont insociaux ; mais n'en avons-
nous pas rappelé assez, messieurs , pour justifier uné'MeStire
dont ceux même qui affectent de déplorer hautement la rigueur,
reconnaissent tout bas l'indispensable nécessité?


Certes, nous sommes bien loin de penser que les défenseurs
de la liberté des journaux approuvent leurs excès et en adoptent
les funestes conséquences. Nous respectons le sentiment géné-
reux qui les porte à s'armer en faveur de la liberté, à présumer-
l'innocence, à atténuer les inconvéniens de l'abus dans la crainte
de gêner l'usage. Mais nous leur demandons si lorsqu'ils sollici-
tent eux-mêmes des .


mesures de répression sévères, énergiques
et promptes, il n'est pas permis à ceux qui jugent que de telles
mesures seraient encore insuffisantes dans des circonstances
difficiles , d'en réclamer d'autres dans des formes constitution-
nelles et légales , en les soumettant à l'épreuve d'une
discussion publique et d'une 'double délibération? Ritn aSsui&-
ment dans cette çonduite de la part du -gouvernement d'u Roi
ne menace nos institutions auxquelles il recourt, et l'ordre
constitutionnel auquel il se conforme.


Cependant, nous dit-on , la censure n'est pas seulement in-
constitutionnelle c'est un remède dangereux 'en lui-méme
parce


.ciu'i/ est impopulaire et' qu'il tend à accroître le mal.•
Osons le dire, messieurs, la censuré n'est point aussi impopu-*
luire qu'on veut Lien le dire. Lorsque subitement affranchie pari
le miracle de la restauration la France aspirait à jouir de tous.
lés-genres de libertés, l'établissement de la Censuré put lui pa-
raître une restriction pénible; elle -put accuser d'excès Cette
prudence de la loi qui ne l'admettait à jouir qu'en 'partie de la"
liberté de la presse. Mais aujourd'hui les circonstances sont
bien changées.: c'est après l'expérience de la liberté des jour-
naux pendant une année entière que la question se présente.
On sait aujourd'hui ce qu'on est en droit d'en attendre : on sait
quelles nouvelles huilières ils' ont répandues, quels griefs ils ont
redressés, quels excès ils ont prévenus : ou plutôt on sait que
les haines, les. scandales, les outrages ont' seuls signalé leur


4




g94 )
bre publication. La France a vu livrer à la diffamation les noms
les plus révérés, les réputations les plus justement acquises;
elle a vu mettre en question ses intérêts les plus chers, ses ins-
titutions et ses lois. Des germes de discorde ont été jetés entre
les diverses classes de la société, dans les cités, dans les familles.
Cette conspiratiou permanente et secrète de toutes les vanités
que l'organisation sociale froisse, a éte fomentée et encouragée.
La sécurité de tous a été troublée, des inquiétudes inconnues
jusqu'alors sont venues agiter les hommes paisibles quine soup-
çonnaient pas même qu'il fût possible de menacer leurs imérêts.
Ah! dans cette situation des esprits, que l'on ne s'y trompe
pas, la censure n'est point impopulaire; c'est l'abus de la liber-
té, c'est la licence des jpArnauxque l'opinion générale repousse;
c'est contre elle que .nation veut. être rassurée..


:Une censure tnoderee, .cae . i) peut exister une censure modérée
comme il y a des gouvernemens tempérés; une censure modérée,
intervenue dans de telles circonstances, n'accroîtra pas le mal,
elle en arrêtera les Fogne,s elle deviendra la transition natu-
relle qui con 4nirasans seeolisseet comme par une gradation in-
sensible , à l'établissement du régime légal. Elle naturalisera
pari nous, j'ose le dise, en la dégageant de toute son âcreté,
la liberté des journaux.


Depuis que la liberté de la presse a été proclamée en France
il y a. plusde trente ans, on en.cessé de se plaindre de ses abus,
et on a tenté d'y remédier par une législation répressive. Jus-
qu'au règne de >convention ., tous les efforts furentinfructueux.
Alors une loi intervint, digne de l'époque. Chacun de ses ara-
cles prononçait la peine fie mort, mais sa propre rigueur la tra-
hit sous un gouvernement moins énergiquement révolutionnaire.
Aussi le directoire voulut-il obtenir une loi plus modérée .dont
il sentait vivement ln besoin : il le tenta vainement. Un des ho-
noxieges députés.pi ont park. bier à cette tribune, fit un rep,
port an conseil•des cinq-cents, sur un projet de loi portant
répression des délits de la presse. Voici comme il_ s'exprimait
an sujet des jeurnaa% cc L'bonne r des citoyens exposé sans
» défense aux inéyitables traits de , la, calomnie : les premières
» autorités nationales, non pas éclairées par une juste et libre
» censure, niais accablées chaque jour des plus audacieux ou-
» traes ; les lois elles-Mêmes, non pas discutées avec décence
» et franchise, mais insultées, blasphé'mées- avec le frénétique
» accent de la sédition ; le dépravateur sentiment de la Ven-
» geance allumé , entretenu, exalté dans toutes les eunes•; Pa-
z) •erçhie provoquant sans détour la révolte et les brigandages


( 295 )
sa révolutionnaires, et préparant surtout , par de trop efficaces
» moyens, la ruine du gouvernement représentatif; tels sent les
» affligeans désordres dont le progrès de plus en plus rapide
» excite aujourd'hui les alarmes des amis de la constitution. »


Les conseils législatifs n'adoptèrent point le projet du direc-
toire. Depuis, on a toujours réclamé, on n'a pu faire cette loi
si desirée par les partisans de la liberté de la presse et . si néces
saire au maintien de l'ordre public. En 1814, on ne . trouva
d'autre remède que des mesures préventives. En 1811, aine loi
de responsabilité fut présentée et rejetée après une longue et
brillante discussion. En 18, 9 , trois lois ont été portées, dont
l'expérience a démontré l'insuffisance. Une bonne législation
sur la répression des délits de la presse nous manque donc en-
core; et l'on vous demande d'improviser en quelqueSjiMrs, ce
que vingt assemblées législatives et sept ou huit gouvernemens
n'ont pu faire en trente ans !


Ce n'est point une arme offensive que le gouvernement du
Roi vous demande pour garantir le trône et la liberté des atta-
ques qui lui sont portées, c'est un bouclier : vous ne lé lui re-
fuserez pas. Dans d'autres temps on imposait. aû nom de la re-
ligion, des trèves momentanées au fléau des guerres privées qui
ravageaient cet état; aujourd'hui vous imposerez, par l'autorité
des lois , une trève nen moins salutaire à. cette guerre 'civile
écrite qui désole la patrie.


M. Daunou réclame la parole pour un fait qui lui est per
sonnel dans ce'que vient de dire l'orateur du gouvernement.


Plusieurs -voix d droite : On ne peut interrompre 'la dis-
cusssion


M. de Chauvelin : C'est pour un fait personnel! cela n'a
jamais été refusé !...


M. Daunou. Messieurs, en 1 7 9 7 , le gouvernement de-
manda la censure; je fus chargé de faire un rapport, dont le
premier résultat était de repousser toute censure, et le second
de proposer une loi répressive. Je parlais au nom d'une com-
mission dont M. Siméon, aujourd'hui ministre de l'intérieur,
était membre. Il peut lui-même déclarer que la commission par-
tageait unanimement cette opinion. A cette époque ,-j'avais les
mêmes principes qu'aujourd'hui. Je crois aux incônvéniens de
la liberté de la presse ; mais , pour me réduire en un seul mot,
'ce que j'ai dit alors et ce pie j'ai dit hier, c'est la même doc-
trine; il n'y a pas la plus légère contradiction : point de censure,
mais des lois répressives. (Mouvement d'adhésion à gauche. )


Geitard. Messieurs, donner e n gouvernement la censure





( 296 )
des journaux , c'est lui en donner le monopole. La liberté
d'imprimer ce qu'on veut , est incompatible avec la censure,
qui peut rayer ce qui lui plaît. Les journaux, copiés les uns sur
les autres, ne seront que de petits journaux officiels. La dé
fiance repoussera la vérité même; et les finisses nouvelles, qui
sauront bien trouver d'autres organes, n'en auront que -plus
de poids, n'étant point démenties.


Le. tableau que nous a fait M. le ministre de l'intérieur de
la manière avec laquelle la censure serait exercée, prouve sa
candeur et ses bonnes intentions, mais ne peut séduire ceux
qui connaissent le coeur burnain et le cours ordinaire des choses.


La censure est réprouvée par la charte. Mais M. le rappor-
teur nous. apprend que plusieurs des commissaires sont d'avis
qu'on peut l'imposer aux journaux sans faire une loi d'excep-
tion, , et M. pense qu'il y a tout au moins sujet à con-
troverse. Un ancien a dit : Dans le doute, abstiens-toi. La
majorité de la commission décide la controverse contre la
charte. C'est au surplus la doctrine du jour, qu'elle n'est qu'une
loi (H contient des articles fondamentaux et des articles régle


. . :res, et qui peut être modifiée sans plus d'examen et de
formalités qu'une loi pour un échange ou pour le monopole du
tabac; et c'est ainsi qu'au lieu de nous inspirer pour la charte


pa
nt son.auguste auteur le respect religieux qui doit fonder


rmi nous le culte de la royauté constitutionnelle, on nous en-
seigne, en parlant de morale, à nous jouer de la sainteté
depacte social et de la religion des sermens. Il paraît an reste
que la .censure de la commission serait encore moins libérale
que celle `du ministère, puisque les journalistes ne pourraient
publier les opinions d'autrui, ni discuter les intérêts de leur
pays et ceux des nations étrangères.


On vient .
de parler de Rome; l'exemple ne me paraît pas


ire. senierit
• choisi à propos de la liberté de la presse; et


(111:1 à l'Angleterre, jamais les Anglais ne suspendent en même
temps l'habeas corpus et la liberté de la presse. Leur constitu-
tion a eu le temps de se fondre dans leurs moeurs. Ils jouissent
ite toutes leurs institutions; le retour de l'une, momentanément




,tue, est garanti par toutes les autres. La position de
erril;Oire les met à l'abri de l'influence étrangère, et leur


permis d'éviter celle de l'armée. Rien de cela n'est applicable
la France.




La charte,,jenne encore, à peine implantée dans nos moeurs,
sur lesquelles elle n'a pu agir, est sans cesse commentée et
wiéconnue par ceux qui sont chargés de lui donner le mauve-


( 297 )
nient. Des institutions toujours promises sont encore attendues ;
le gouvernement constitutionnel va de secousse en secousse
s'appuyant sur les Codes , les décrets et les sénatus-consultes
du despotisme impérial. Le budget nous dit assez que les
étrangers se sont mêlés de nos affaires; ils peuvent s'en mêler
encore ( mouvement à gauche), et des ordres du jour de quel-
ques chefs de corps annoncent suffisamment leurs dispositions
à y prendre part; et c'est dans cc moment qu'on nous demande
le sactifice.de tout ce que nous avons obtenu jusqu'à ce jour!


Vous avez accordé la suspension de la liberté individuelle ;
vous délibérez sur celle de la liberté de la presse pour les
écrits périodiques. Bientôt vous discuterez un Code électoral
dont le seul but est de donner au ministère les moyens d'éloi-
gner quelques députés, et de recruter la chambre de ses créa-
tures; Code qui , avec un peu plus de franchise, aurait pu être
remplacé par un seul article portant., que les députés seront
désignés par les préfets, sous la surveillance d'un nouveau
directeur-général. ( On rit.)


Restait un droit dè pétition , bien illusoire sans doute; mais
enfin les Français étaient conteras, lorsque leurs plaintes, leurs
voeux•étaient connus de leurs representans el de la France. Un
de nos collègues propose d'arranger le règlement de manière
que les pétitions qu'il appelle législatives, comme, par exemple,
celles qui demandent le maintien de la charte et , de la loi des
élections , viennent s'accumuler dans les cartons dira bureau des
renseignemens, sans que leur objet soit annoncé à la tribune,
afin que, privés de tout moyen de publicité, les Français ne
puissent désormais se communiquer leurs idées que par lettres.


Et c'est ainsi que ,. sous le prétexte de -venir au secours du
gouvernement représentatif, on le tourmente pour étouffer l'opi-
nion, qui en est. l'élément et la vie. Ne sachant où la trouver
ni commentla saisir, ils s'en prennent à la parole et à la pensée::
ils établissent des censeurs et des geoliers , comme s'ils pou-'
vaient arrêter les nations, qui toutes aujourd'hui pensent et
parlent; et dans leur préoccupation , ils ne voient pas que cette
opinion qu'ils poursuivent, est, jusque dans les armées , des-
tinée à la combattre. O comble de l'aveuglement ! ils ne cedu
prennent pasie secret si fécond en conséquences, que Pile de
Léon .vient de lenr dévoiler ; et l'on peut leur appliquer ces
paroles du psalmiste :.flores habens et non, audient, ocuto
lichent et non videbunt.


Que veulent ces nations si coupables ? des constitutions qui
garantissent leurs libertés et les trônes de leurs souverains. Que




( 2 98 )
veut cette France si révolutionnaire? elle veut conserver ce qu'on
lui a donné, la charte et la loi des élections. ( Vif mouvement
d'adhésion à gauche.) Notre honorable collègue, M. Benoisi ,
ne veut voir l'op p ion que dans les collèges électoraux. Eh bien !
que demandent les députés envoyés par les trois séries ?la charte
et la loi des élections. (Mémes inouvemens. )


Et l'on répond aux députés : Vous violerez la charte que vous
avez, jurée ; vous consentirez des lois d'exception. Et l'on répond
à la France : Tu les subiras ; tes citoyens n'auront plus de sri,
rené pour leurs personnes ; leurs plaintes et leurs voeux resteront
inconnus, et nous leu r donnerons des mandataires de notre choix.


Ici les esprits timorés sont opposés de sentimens; les uns..
s'imaginent qu'une oligarchie toute ministérielle va remplacer':
le gouvernement représentatif; d'autres, plus timorés encore,
craignent que parmi les ministères , qui passent si rapidement,
il ne s'en trouve un composé d'adversaires de l'ordre actuel , et
que, disposant des citoyens, des journaux, des élections , du
trésor et de la force publique, il n'essaie mn retour vers le
régime tant regretté.


Je ne partage aucune de ces craintes. Plein de confiance dans
les lumières et dans la haute sagesse du monarque, me reposant
sur la royale parole de l'auteur de la charte, je ne doute pas
qu'il ne conserve son ouvrage; et si l'oligarchie bâtarde, ou
l'oligarchie rétrograde pouvait envahir le pouv:)ir, il y aurait
bientôt un autre 5 septembre. Mais je suis profondément affligé
de voir que tous les ministères jouent aux constitutions, comme
si le repos et le bonheur de vingt-huit millions d'hommes ne
servaient pas d'enjeu ; et que tous cherchent des chemins dé-
tournés et périlleux, au lieu de parcourir loyalement la voie
large et sûre de la charte , dans laquelle la nation n'aspire qu'à
les suivre. Ceux qui veulent aller en avant et ceux qui veulent
retourner en arrière n'oseraient se compter , et seraient entraînés
malgré eux par l'immense majorité de la nation , qui veut le
trône et la liberté. ( Très-vif mouvement à gauche.)


J'avoue avec la commission qu'il flint apaiser les récrimi-
nations et. les haines , ou, pour mieux dire, les empêcher de
nuire ; mais nous différons sur les moyens. El:Invent l'arbitraire,
qui encourage les haines et les réactions, en leur fournissant
des occasions de vengeance faciles et impunies ; et moi , avec
de forts moyens de répression contre la licence , je veux con-
server la publicité, dont la seule crainte prévient les vengeances


.


et les réactions. Nous en avons la preuve sous les yeux. L'in-
quiétude vague , mais réelle, qui s'est manifestée_ avant la


99 )
réunion des chambres, provenait de l'attaque projetée contre la
charte et la loi des élections. Elle s'estacerne depuis la présen-
tation des trois lois, et cependant la paix publique n'est peint
troublée, les lois sont obéies, et les contributions payées.
L'arbitraire n'existe pas encore, on peut donc se passer de lui.


Quant à Pagitatiod que produit la diversité des avis et des
intérêts, elle est au gouvernement représentatif ce que la circu-
lation du sang est an corps humain. L'opinion , qui sert de
fondement et de régulateur, est le résultat des oppositions
partielles, et le gouvernement serait bientôt déneigé si les
citoyens s'abstenaient des affaires publiques, et voyaient avec
indifférence les débats de leurs représentans.


Instruit par l'expérience des dangers de l'arbitraire , effrayé
des. maux qu'il appellerait sur mon pays, je répudie d'avance
Cette terrible responsabilité. Convaincu d'ailleurs qu'au point où
nous en sommes parvenus, la ruse , terreur, la force sont
des moyens usés, et que la raison, lansticeet la bonne f'oi sont
aujourd'hui les seuls moyens- possibles de gouvernement, je
vote pour le rejet. •


,Tosse de Beauvoir. Messieurs , il y a trois ans , je de-
mandais des lois restrictives des abus de la presse .; l'émancipa.-




tion des journaux n'a que trop justifié mes pressentimens. Les
lois prétendues répressives des 1 7 niai et 9 juin eerpler n'ont
rian réprimé ,-ne peuvent rien réprimer. En attendant une loi
plus forte, mieux conçue et surtout moins confiante, effrayé de
l'excès du mal, j'invoque le remède le plus prompt ,. et je viens
appuyer la demande que fait le ;.:puyernement d'une censure
13ssagère sur les journaux, pour donner le temps au pouvoir
Législatif de peser avec sagesse les bornes qui doivent séparer
la liberté de la licence, Je vous demande donc hantement la
censure.


Qu'ont produit, messieurs , les lois des I 7 mai et 9 juin 1819 ,
la première sur la répression des crimes et des délits commis par
la . voie .4 la presse, la seconde sur les journaux et sur les ga-
ranties exigées d'eux ?I.,es récriminations odieuses , les injures ,
les diffamations se sont débordées comme un torrent ., aussitôt
àp y , • la promulgation de ces lois. Les çantionnemens demandés
eux propriétaires ou éditeurs ont été entièrement illusoires. La
loi avait-elle prévu, lorsqu'elle attendait de ces.eautionnemens
la'garantie d'une éducation soignée, d'une instruction positive,
qu'ils seraient fournis par des prête-noms, qui.consentiraient
Par complaisance, à immobiliser leurs rentes sur le grand-
livre, pendant quelques années, en touchant les arrérages?




3oo )
avait-elle prévu que les articles des journaux ou écrits périodiques
seraient censés rédigés par des écrivains pseudonymes, presque
sûrs d'éviter ou touj ours prêts à subir une condamnation juri-
dique,- moyennant une indemnité pécuniaire après laquelle ils
soupirent plutôt, qu'ils ne craignent les châtimens, sortant
plus riches de la prison qu'ils n'y étaient entrés?


Les journaux sont à la politique, ce que les romans :histo-
riques sont à l'histoire. On s'intéresse , on se passionne pour
les acteurs des scènes politiques ; on les garantit , on les ra-
baisse à son gré. Le mensonge qui plaît est une demi - vérité;
on ne demande la-preuve de rien ; on croit sans examen ; l'ab-
surdité même est ce que l'on goûte le plus, parce c'est de l'ex-.
traordinaire qu'on veut. Ain-i la chute du trône, .en 3 ,y 9 2, ne
fut qu'un accident ; ce n'était pas à lui qu'on en voulait (on
disait qu'il s'était trouvé là par hasard ). Ainsi , Buonaparte
revint sans conspiration au 2 0


mars. A Grenoble à Lyon , il
n'y a pas eu de conjuration ; mais il y en a eu aux Tuileries ,
sur la terrasse de l'eau. Le crime de Louvel est isolé ; l'attentat
contre la vie des ministres, en Angleterre, a été inventé par
eux. Enfin , les libéraux ont toujours raison, les royalistes
toujours tort. (Vif mouvement d'adhésion à droite. )Quel remède


• aVàit- on préparé, messieurs, aux récrimina-
tions


'


aux injures, aux- diffamations prévues? On avait trouvé,
le jury : il a- été introduit dans la répression des délits de
la presse.


La loi du .26 mai dernier, par une faveur déplorable, rom-
pant l'uniformité de la législation criminelle, attribua aux cours
d'assises la connaissance des délits de la presse. On trouva
était avilissant pour des hommes de lettres, qui occupaient
quelquefois un rang distingué dans la société, de figurer à la
police correctionnelle sur les bancs des escrocs et des prosti-
tuées. Les cours royales qui sont d'une juridiction plus haute,
ne -parurent même pas assez élevées en dignité ; et ces délits,
dont l'examen et. la discussion demandaient une instruction :PinS.
qu'ordinaire, des connaissances approfondies de la langue 'fran-
çaise et, de la valeur intrinsèque de l'ex pression, ou de sa valeur
relative, par l'appréciation de la période, ces délits, dis-je ,.
forent soumis kl'analyse de , génS lien. lettrés, qui s'en' rappor-
taient nécessairement à ceux qui, dans le jury, leur semblaientjplus instruits, ou qui prononçaient négativement, parce qu'auury ils n'est pas permis de s'abstenir dans le doute, et que,
dans l'ignorance, on aime mieux absoudre que condamner,
Cela seulsuffisait pour que la société restât sans garantie.


( 3o )
Ainsi donc , répondront nos adversaires, vous faites le procès


à l'institution du jury ! Non, messieurs , je le réclame : pour ce
que le Code pénal a déclaré crime; niais je tends de toutes mes
forces à lui ôter la connaissance des délits de la presse.


On a parlé long-temps, messieurs, des abus de la censure;
je ne serai pas le dernier à en convenir ; ils ont été graves. Mais
si je ne m'abuse, messieurs , le gouvernement ne tardera pas à
Vous présenter une loi répressive des abus de la presse. Il sera
'embarrassé dans la censure. Cette sorte de magistrature sera
trop complexe pour offrir une garantie positive : un tel tribunal,
dans la situation où nous sommes , n'est pas facile à composer.


Mais il est une autre précaution bien autrement nécessaire ,
commandée par l'intérêt public et qui a échappé à la prudence
de la 'chambre des pairs. La loi que nous discutons ne concerne
que les journaux et écrits périodiques , ou semi-périodiques,
s'occupant de matières politiques ; elle ne parle point des bro-
chures et des pamphlets; si leur libre circulation est permise,
le but de la loi est totalement manqué. En vain attachez-vous
à la censure des journaux, l'espoir d'une trêve entre les dissen-
timens d'opinions , l'espoir de la cessation des diffamations et
des outrages, l'espoir enfin de la paix publique, si des feuilles
Mensongères aigrissant les ressentimens , propageant les in-
quiétudes , semant les haines, peuvent se répandre sur tous les
points de la Franèe, et' trouver d'autant plus facilement des lec-
teurs, que l'effet. de la censure est de ne pas appeler une con-
fiance entière. Je demande donc que toute brochure qui ne
^ontient pas cinq feuilles d'impression soit soumise à la censure.
.àedévelopperai cet amendement à l'époque de la loi. Je vote
pour la loi avec l'amendement que j'ai proposé.


M.• Devaux. Messieurs , S. Ex. le ministre de l'intérieur,
en vous présentant la loi suspensive de la liberté des journaux,
vous a fait un tableau séduisant de. la censure ; il fallait de la
confiance en son talent pour entreprendre de donner quelque
grâce à cette tête de Méduse dont la liberté ne peut soutenir
l'aspect. « Laisser dire tout ce qui est utile dans le but légitime
» des écrivains , d'après leur propre jugement et quelque opi-


nion qu'en aient les censeurs ; ne rayer que les injures et les
» outrages; tolérer toutes les opinions, à. moins qu'elles ne
» ,soient évidemment contraires aux principes de la morale , de
» la religion , de la charte et de la monarchie ; abandonner tous
» les actes de l'administration et des fonctionnaires à l'investi-


gation la plus curieuse, au développement de tous les griefs
n qui en naissent, mais proté&er les personnes et les fonctions




)
» contre des accusations mille fois phis redoutables que celles
» qui sont portées aux tribunaux, ou l'on trouve des juges ,
» tandis que l'on est sans défense devant les journaux : telles
» sont les règles que le gouvernement se propose de donner à
» la censuré qui lui sera accordée, si vous adoptez le projet
» qui vous est présenté. »


Si telle pouvait être en effet la censure, an lieu d'une conces-
sion temporaire, on devrait en faire une institution perma-
nente; car on ne peut rien demander de plus que l'accomplis-
sement de ces règles parfàitement demitati yes de la licence et dela liberté.


. Mais l'image de cette perfection idéale, de la censure
ne peut vous séduire.


Sans remonter à la censure impériale qui' Marquait. du timbre
de l'esclavage tous les Ouvrages de l'esprit , nous avons
connu la censure depuis la restauration, et cinq années d'ex-
périence nous ont révélé l'incompatibilité absolue de cette
institution avec la liberté.


Le monopole de la pensée sur les affaires publiques placé
dans la main chi-ministère; l'impossibilité de liure entendre la
plus juste réclamation contre les abus d'autorité ; la liberté des
opinions opprimée dans cette chambre même, où l'on Vit,
en 18,5, un député ne pouvoir, comme rapporteur de la com-
mission du budget, obtenir le rétablissement dans les..jOurilail
d'une réponse qu'il avait faite au ministre , pour laver cette
commission d'une inculpation grave dirigée contre elle; la cen-
sure devenue une direfidri générale de l'opinion publique , unbureau d'esprit public, disant à la nation la plus spirituelle :
voilà ce que vorisdeve penser ; au peuple le plus habile à deviner
les ruses du pouvoir : voilà ce dite vous devez croire ; entre-
prendre de diriger l'Opinion piailigtie dans un gouvernement
représentatif, est une tentative aussi heureuse que- celle d'un
pilote qui prétendrait diriger le vent parce qu'il Manquerait
d'habilité' pour manoeuvrer sous son impulsion ; le blâme large-
ment distribué, sans réfutation possible, à tout ce qui ne paraissait
pas ministériel, en telle sorte que tont' ce qui n'était pas modelé
sur ce type de perfection dont la censure avait seule le secret,




était indigne d'être exposé aux regards (les honnies : voilà,
messieurs , la censure telle (pie notiS l'avons 'vie; elle: est un
peu différente de celle qu'on notis promèt. Je suppose que


.•


ceux qui accorderont la censure croiront à sa régénération. Je
n'ai pas une foi si robuste, et mon incrédulité s'accroît par
tous les motifs employés pour obtenir le renouvellement de
cette institution.


( 3o3 )
On vous représente les passions irritées, les esprits en effer-


vescence, les opinions dans une agitation violente; on met
beaucoup d'art à rembrunir le tableau. Alors , quels sont donc
ces sages auxquels le ministère confiera la censure? ils n'ont
donc ni opinion agitée, ni passions irritées, ni esprit en effer-
vescence? Quoi ! ils sont restés calmes, impassibles ! ils seront
toujours maîtres d'eux-mêmes, toujours froids au milieu (le cet
immense foyer de chaleur ! Ils laisseront passer tout ce qui con-
trariera leurs pensées, tout ce qui choquera leurs opinions! ils
seront assez indépendans pour donner un libre essor à une sage
critique des opérations ministérielles! ils ne s'armeront pas de
leurs ciseaux, même pour retrancher les justes plaintes que l'on
voudrait publier contre eux ! Où sont donc ces êtres divins qui
connaissent toutes les passions de l'homme, sans en éprouver
aucune ? Ah ! s'ils existent, ce n'est pas à la censure qu'il
faut les placer, c'est au ministère que mes voeux les appellent
pour le bonheur de nia patrie. ( On rit, et une vive agitation
succède.)


Abandonnons , messieurs, cette chimère d'une censure équi-
table et amie de la liberté. La censure et la liberté ne peuvent


. faire d'alliance : entre ces ennemis il n'est point de traité. »
La censure sera toujours conforme à son essence , c'est-à-dire
imprégnée de tontes lés passions de ceux qui exercent un pou-
voir arbitraire. Plus on nous dit que la société est agitée, plus la
censure attentera à la liberté des opinions, qu'elle prétend
comprimer pour les calmer. Si donc , pour Obtenir mon assen-
a' nent à la censure, on sent la nécessité de nie flatter d'une
censure impartiale , je dois le refuser par l'évidente impossibi-
lité d'accomplir cette promesse. J'examine maintenant ce qu'il
y a de réel dans cet empire de circonstances .qui l'emporte avec
tant de facilité sur l'empire des lois constitutionnelles.


A l'ouverture de la session, le discours royal nous avait an-
noncé que le gouvernement ne chercherait piitaforée dans
des mesures provisoires, mais dans le développenient naturel
de nos institutions. Le 9.9 novembre dernier, la censure était
donc loin de la pensée du gouvernement. Que s'est-il passé
depuis? Je le sais , un grand crime a épouvanté la nation ;
niais, comme l'a dit le noble pair rapporteur de cette loi :
cc Le malheur qui nous accable ne peut pas être regardé comme
» le fruit de la liberté des journaux, et même de leur licence;
)) il ne peut servir de motif à leur esclavage, et la vérité, comme
» la justice , interdisent également cette conclusion. n


Cependant, c'est sur ce déplorable événement que le ministère




( 3°4 )
a fondé toutes ses lois d'exception : la nation, digne de la
liberté le 29 novembre dernier, ne méritait plus que la servi=
tude le 13 février, et cela à cause d'un attentat qu'elle détestait
cependant avec une expression de sentimens si unanimes, que,
pour lui rendre justice, il fallait dire, au contraire, qu'un
peuple qui sait aimer ainsi ses princes , n'est pas incapable d'en
recevoir le doux présent de la liberté. ( Mouvement d'adhésion
à gauche. ) L'attentat du 13 février parut un moment si propice
à la chute de nos libertés, qu'on ne déguisa point le projet de
rendre la censure perpétuelle.
. Il y eut dans la chambré ades pairs un voeu presque unanime
pour compléter les lois de répression. Je suis persuadé, mes-
sieurs, que si l'on nous présentait des dispositions législatives „.
propres à renforcer les lois de répression, elles obtiendraient
une préférence unanime sur la loi préventive. Il faut bien qu'il
y ait quelque raison pour nous tenir en état de division sur la
censure, quand on pourrait nous faire voter unanimement des 4
moyens de répression. C'est dans le projet de rendre la censure
perpétuelle, qu'il faut chercher l'explication de ce phénomène.
On a d'abord demandé la censure pour cinq ans ; on espérait,
pendant ce temps, nous si bien accoutumer au repos de la ser-
vitude, que nous n'aurions plus le courage de lui préférer les
agitations de la liberté. L'intention est toujours la même, et
ce n'est pas le facile consentement accordé par le ministère à
une censure de quinze mois qui m'en impose.


A côté de cette concession, je trouve toute la théorie de l'es-
clavage perpétuel des journaux. Un ministre a dit à la chambre
des pairs : « Il en sera du sort de la liberté des journaux comme,
» de toutes les institutions humaines; malheur à ceux qui


"r eu-
lent les fonder, et qui ne savent pas attendre.! » Je croyais la


liberté de la presse fondée par la charte, j'étais dans l'erreur ;
mais combien de temps devons-nous attendre pour jouir de
cette liberté dont cependant le monarque législateur nous avait
jugés dignes en nous la concédant? L'orateur ne l'a pas dit ;
mais je doute qu'il ait assez bonne opinion de nous pour croire
que quinze mois suffiront à celte éducation ministérielle qui
doit nous préparer au régime fort et vigoureux de la liberté.
.D'ailleurs, le ministère nous a clairement exprimé ses espérances
du renouvellement de la censure, en disant, cc Que les minis-
» tres , toujours assurés (le trouver dans les chambres , à


• •


• l'époque de leurs sessions , le secours et l'appui que les cir-
» constances pourraient exiger, ne s'opposent point à cette res-


triction du temps de la censure. » Il est vrai que le ministère


( 305 )
nous a fait l'aveu d'une grande responsabilité qui pesait sur lui ;
mais, messieurs, je le dis sincèrement, je ne suis point touché
de ce motif; et les dangers de la responsabilité ministérielle
sont la plus légère de nies inquiétudes pour ceux qui ont le
courage de s'y exposer, comme ils sont pour moi la plus faible
des garanties de. l'abus du pouvoir arbitraire.


Pour préparer les esprits à cette censure perpétuelle, on re-
met en question les principes mêmes sur la liberté cons; itut io n-


us journaux in-
q u en elle des journaux. Le rapporteur de votre coi(n


des ss7 ditrois membres seulement ont jugé la censure I
constitutionnelle; cc que plusieurs ont été d'avis qu'on peut
» imposer la censure aux journaux sans faire une loi d'excep-
tion. » Et, dans l'embarras extrême de qualifier la puissance
des journaux pour leur créer une théorie de lois préventives ,
tantôt on dit que c'est une magistrature à laquelle cependant il
serait difficile de trouver les deux caractères essentiels de toute
magistrature, la juridiction et le commandement; tantôt,
cédant à un esprit singulier de démocratie, on dit que c'est
une aristocratie de plume : ce qui nous rappelle seulement un
autre temps bien malheureux, où l'on parlait aussi de l'aristo-
cratie des gens de lettres.


Ce qu'il y a de plus clair pour moi dans ces définitions bâ-
tardes, dans cette haine prononcée contre les journaux , c'est
le désir de les tenir dans l'esclavage, et la censure temporaire
n'est à mes yeux qu'un moyen transitoire pour arriver à ce but.


Lors de la loi du 1 7 mai 181 9 , le ministère professa de plus
nobles principes. La presse, disait M. le garde.des.sceaux,« n'est
» qu'un instrument dont on peut se servir pour commettre un.
» crime ou un délit. » Cette définition excluait toute idée de
censure. Un noble pair, rapporteur de cette loi , disait : «Point
» de liberté publique ni individuellesans la liberté de la presse;
» point de. liberté de la presse sans la liberté des journaux. »
C'est peut-être par justesse de raisonnement et par suite de
cette liaison intime de la liberté de la presse et de la liberté
individuelle, qu'on nous ravit ces deuxlibertés ; mais
en remarquant cette extrême différence de principes ministériels
en /81 9 et en 1820, on peut présager quel sort est réservé à la
liberté de la presse dans la pensée de nos hommes d'état.Pé,iiiiiéi-e
tré ,de cette vérité, -que la censure temporaire n'est qu'une
préparation à la censure perpétuelle, je la rejeterais par ce
motif seul.


On a montré beaucoup d'habileté à vous alarmer sur les dan•
Bers qui naissent de la liberté; on n'a pas manifesté la plus lé-


no




( 307 )
contre les agens du pouvoir arbitraire. ; tout débordera contre
lui pour l'écraser, s'il se peut, sans retour. C'est bien alors que
vos lois répressives seront impuissantes pour arrêter ce torrent
qui puisera sa force dans la violation de la charte et dans les
abus du pouvoir arbitraire, A moins que, comme le ministère a
la bonté de nous le promettre, nous soyons destinés ,à voir ce
prodige d'une censure amie de la liberté, et seulement insti-
tuée pour donner à la critique le sentiment des convenances,
ou pour apprendre aux journalistes les règles de la politesse et


, de l'urbanité.
La censure qui renaît çst cent fris plus irritante. On ne passe


pas sans frémir de la liberté'à la servitude; et il y a bien quelque
courage, il faut en convenir, à se charger du fardeau de la
haine publique inhérente à ces mesures attentatoires à nos liber-
tés constitutionnelles.. Ces lois d'exception sont discréditées
d'avance par. la plus éclatante discussion, où la force (les rai-
sons et la solidité des principes des défenseurs de la liberté
n'ont certainement 'pas échoué devant cette petite doctrine des
circonstances , source si féconde 'd'ingénieuses palinodies ,
moyen si facile d'éluder les principes, (pie cette facilité même
la livre sans défense à ce mortel ridicule dont l'esprit français
abonde:.


On s'efforce en vain de calculer les majorités nunaérique's
obtenues en faveur (le ces lois. La nation n'est pas tout-à-fut
inhabile à ces calculs ; elle en connaît tous les élémens, et les
journaux ont déjà pris soin de l'initier à celte arithmétique


1
. 1.


2olitique.
A la création du pouvoir arbitraire se rattacheront malgré


vous des idées' de contre-révolution, c'est•à-dire de destruction
de la charte ; éri la rendant possible, vous invitez à y croire.
Supposez la réalité de ce dessein ; pourrait-on Lire plus


.
pour


en préparer l'accomplissement? Avec le pouvoir des. lettres de
cachet, on peut intimider le plus grand nombre et paral,ser
les efforts (les plus ardeur défenseurs de la conStitution.;
la censure, on prévient le cri d'alarme des journaux ; on opère
dans le silence.


L'opinion pourra-t-elle être avertie par. les pamphlets? Noir;
car la détention arbitraire des auteurs ou. éditeurs de ces écrits
préviendra la publicité de ceux-ci. Les pétitions viendront-elles


tres
ont les craintes des citoyens ? :Non; les pétitions collec-
n été


qualifiées de séditieuses, tout en demandant le
maintien de la charte,


- et d'ailleurs on prépare le moyen d'en-


( 3o6 )
gère crainte sur les périls d'un état livré au pouvoir arbitrairé
A cet égard, la sécurité du ministère est parfaite ; tâchons ,de
suppléer à ce silence. L'ambition et la trahison redoutent la
liberté des journaux; ce sont des éclaireurs qui vont au-devant
de l'ennemi. Si jamais une conspiration prenait naissance au
sein d'un ministère, le pouvoir royal et légitime périrait par lés
moyens immenses de succès qui résultent du droit d'emprison-
lier sans mettre en jugement, et de la censure qui commande le
silence aux journaux, à toutes ces sentinelles perdues de la li-
berté. Le gouvernement ue peut plus dire un mot qui inspire
de la confiance, parce qu'il n'a plus de contradicteurs. La cri.,
tique, bannie des journaux, se fréfugie.dans les pamphlets, dans
les libelles clandestins. Avide de vérités , le peuple les recherche
partout ailleurs que dans les journaux. Les calomnies les plus
atroces, les anecdotes les plus scandaleuses, les bruits les plus
absurdes sont reçus comme des vérités soustraites à l'odieux
empire de la censure. Rappelez-vous, messieurs , comment en
1815 et: en • /816 les fables les plus extravagantes circulaient
parmi le peuple, et présageaient chaque jour la chute du gou-
vernement royal. La censure existait alors. Si les journaux par,
laient, on ne les croyait pas; on çroyait même tout le contraire
de ce qu'ils disaient, et le gouvernement restait sans défense
contre les attaques de la malveillance , parce . qu'll avait brisé
les seules armes qu'elle redoute, la liberté des journaux.


La police poursuit en vain les libelles. Ses recherchés leur
donnent plus de prix et un plus grand nombre de lecteurs.
L'opinion, incompressible de sa nature, chassée des jourr-
nanx, corrompue par des libelles, aigrie par ce système de dé-
ception qui donne et retire sans cesse la liberté , saisira toutes
les occasions (le se faire. entendre. Voyez déjà comment, dans
les théâtres, elle applaudit à toutes les allusions ennemies du
pouvoir arbitraire. La censure vous conduira, comme sous
l'empire, à rayer des répertoires les pièces- où le génie de nos
grands tragiques -a déclaré-la guerre à toutes les tyrannies. Vos
lois d'exception mettront aussi au secret. Corneille, Racine,
Voltaire, et ceux de nos poètes contemporains dont la muse
tragique a été inspirée par l'amour de la patrie.


La censure doublera les dangers du retour-à la liberté des
journaux. Les uns s'empresseront de tout dire, les autres seront
avides de tout entendre. Les abus qui auront eu lieu pendant le
sommeil de la liberté, seront décrits. avec exagération ; les
plaintes auront le ton aigre du ressentiment; le ridicule n'aura
point assez d'âcreté; le sarcasme ne sera jamais trop mordant




( 3o8 )
fouir les pétitions dans l'incognito des bureaux, sans rapport ii
la tribune.


On élabore un nouveau s ystème électoral, destiné à ne repro-
duire dans cette chambre que les échos des projets ministériels. On
vous a dit avec une rare franchise, dans le discours explicatif de
la loi, que les fonctionnaires doivent voter comme le ministère,
sous peine de trahison ; de sorte que cent trente députés fonc-
tionnaires , formeraient dans cette chambre une majorité sans
libre-arbitre, et acquise de droit au ministère. N'est-ce pas là le
complément des moyens possibles de renverser la constitution ?


• Ce n'est pas qu'on essaie, de moins je le pense, de suppri-
mer jusqu'au nom de la charte ; on laissera volontiers le nom ,
mais c'est la chose qu'on nous enlèvera. Qu'importe, en effet,
qu'il soit écrit dans la charte que la liberté individuelle est ga-
rantie, si de fait on a l'usage des lettres de cachet ; que les
Français ont la liberté de publier leurs opinions , si de fait la
censure les réduit au silence; que le droit de pétition soit établi,
si de fait les pétitions vont se perdre silencieusement dans la
poussière des bureaux ; que la nation doit être représentée par
•ses députés, si de fait la majorité de la chambre est élue de
manière à ne représenter que le ministère?


Ce système de laisser le nom et d'enlever la chose , n'est pas
nouveau ; nous l'avons vu se développer dal.s toute son étendue
sous le régime impérial, où nous avions la liberté écrite et l'es-
clavage en réalité. On nous avait donné de fastueuses commis-
sions sénatoriales de la liberté individuelle, ce qui n'empêchait
pas la haute-police de nous mettre en prison selon son bon plai-
sir; de la liberté de la presse, ce qui ne gênait en rien la cen-
sure : à voir le titre de toutes nos institutions, nous devions
être la nation la plus libre du monde. Cet exemple frappant
d'une constitution libre, réduite à une existence nominale, est
une leçon assez instructive pour se mettre en sarde contre tout
ce qui pourrait le reproduire. Il serait trop honteux pour la na-
tion française de se laisser ravir den,: fois de suite ses libertés à
l'ombre d'institutions destinées à les garantir.


On me demande de livrer de confiance toutes les libertés au
ministère ; niais cette confiance doit: naître de la sécurité qu.'ins-
pire le caractère personnel des ministres ; niais alors ils devraient
donc nous proposer de faire cesser les lois d'exception avec le
ministère actuel ; car on ne conçoit pas la possibilité d'avoir
dès ce moment de la confiance dans tous les ministres futurs
et inconnus.


C'est cette idée d'une censure d'abord demandée pour cinq ans,




( 3(:) )
eonhan espère ensuite obtenir annuellement la prorogation, qui
porte le ministère à résister aux voeux d'une amélioration dans
nos lois de répression. J'ai tort même de parler d'amélioration
dans les lois actuelles ; un ministre a dit à la chambre des pairs,
« que c'était une législation entière à faire et bien faite sur la
» liberté de la presse, et sur tous les abus qu'elle peut entrai-
» nen » Ainsi ce sont de nouvelles lois, conçucs .sur un plan
nouveau, dont le ministère pense que nous avons besoin et
celles (le i81 9 lui paraissent trop vicieuses pour être suscep-
tibles d'améliorations. Or, pour se livrer à ces hautes et nou-
velles conceptions, il faut du temps, de la tranquillité d'esprit,
savoir au moins combien de jours on a encore à être ministre ;
et vous apercevez dès-lors, messieurs , comhiende motifs s'op-
posent à ces nouvelles expériences législatives auxquelles la na-
tion française est encore condamnée. Il est vrai que d'excellens
esprits, qu'on est sûr de rencontrer toujours dans le chemin de
la liberté, tels que M. le duc de la Rochefoucault et M. le duc-
de Broglie, ont démontré la facilité de renforcer rios lois ré-
pressives; mais rien n'égale la simplicité, et par conséquent la:
bonté de la censure.


Quelquespersonnes timorées ont bien fait remarquer que la
censure était inconstitutionnelle; mais, messieurs , cette objec-
tion est usée ; et telle est l'efficacité de notre éducation minis-
térielle, que l'on rougit presque de manifester un scrupuleux
attachement à la charte.


Je me hâte de conclure en disant que je rejette la loi,
.° parce que la censure est essentiellement ennemie de la


; 2. 0 parce que la véritable pensée du ministère est de
rendre la censure perpétuelle ; 3.. parce que la censure prive le
gouvernement des lumières produites par la liberté des opinions;
4.0 parce que la censure réunie aux lettres de cachet, à la sup-
pression effective du droit de pétition, et à l'asservissement
déjà préparé de la représentation nationale , place dans les
mains du ministère les moyens d'une double conspiration contre
la royauté légitime et contre la liberté publique ; 5.. parce que
les lois d'exception compromettent la sûreté du gouvernement
légitime, en irritant , en aliénant les coeurs, en


pouvoirs


affai-
des par la violente irrégularité deblissant l'action douvoir


leurs procédés ; parce que la censure temporaire rendrait
beaucoup plus dangereux le retour à la liberté des opinions ;


lois
parce me parait démontré que ceux qui votent pour les
d'exception,


n'ont pas plus de confiance \dans leur utilité
que ceux qui les réprouvent ; 8.. parce que le plus grand danger
pour la royauté légitime serait, à mes yeux, d'accréditer cette




( 3 o )
idée, qu'on veut nous réduire à une constitution purement no-
minale, et que rien n'est plus 'propre à jeter cette alarme dans
les esprits que toutes ces lois d exception ; 9 . 0 parce que si les
lois ri.pressives sont insuffisantes, il est facile au ministère de
nous proposer des améliorations; 10.0 enfin , et j'en conviens,
ce motif est maintenant le plus fiaible , parce que la censure est
inconstitutionnelle. ('Mouvement général d'adhésion à gauche.)


M. de Salis vote pour le projet de loi, se fondant, 1 sur ce
que les journaux sont un pouvoir, que ce pouvoir n'est point
dans la charte, dont toutes les garanties seraient affaiblies si un
seul excès y était garanti ; .2. 0 sur ce que la loi proposée n'est
pas une loi d'exception à aibent de la presse, et qu'alors même•
qu'elle pourrait être considérée- connue telle , les journaux Ont
complètement justifié une mesure dont les chambres ont le.
droit, acquis par le fait et la raison ; et quant à •'urgence , sur
ce qu'elle sort abondamment des mêmes considérations.


La chambre continue la discussion au lendemain.


Séance du 23 mars.


L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion re-
lative aux journaux.


de Lafayette: Messieurs , individuelle des
Français vient d'être aliénée par vous au profit du pouvoir ar-
bitraire; vous demande aujourd'hui , au mépris des droits de
la pensée; lin privilége exclusif pour la distribution périodique
de ses doctrines, de ses assertions, et pour la plus grande sé-
curité de ses complots. Le droit de pétition, le droit d'élection
sont aussi attaqués, et déjà l'indiscrète impatience a décelé
d'autres projets.


Ainsi , tandis que la liberté européenne marche à pas de géant;
que la .France veut et doit rester à la tête de ce grand dévelop-
pement dé la dignité et des facultés humaines , un gouvernement
auquel enfin on ne peut plus reprocher l'hypocrisie , prétend
vous entraîner dans son mouvement rétrograde, et agrandit de
plus en plus l'intervalle qui le sépare de la nation.


Je ne r :pttel'ai point ce qui a été dit sur la cumulation des
lettres de cachet et 'de la censure ; mais, sans nie faire le pané-
gyriste du gouvernement anglais, je crois, avec nies amis, qu'on
n'y trouverait pas un ministre assez hardi pour proposer la sus-
pension simultanée de' l'acte d'habeas corpus et de la liberté de
la presse, un membre du parlement assez ennemi de lui-même
pour la soutenir , un sujet britannique assez résigné pour la ta,


( 311 )
lérer. On ne m'accusera pas sur ce point de citer les Etats-Unis,
attendu que la civilisation politique y est trop avancée pour que
non-seulement l'idée d'une pareille cumulai ion , niais même la
suspension d'aucun de ces droits puisse être une hypothèse ad-
missible. Et cependant est-il une ville européenne de cent mille
âmes dont vous osassiez garantir, pour un temps donné, la tran-
quillité, au même prix d'assurance que vous accepteriez pour
garantir celle des villes de "N.esv-Yorck ou de Philadel plaie ?


Sans m'arrêter sérieusement à la prétendue concordance entre
l'article 8 de la charte et la censure des:journaux , comme à la
synon imie des mots prévenir et réprimer,


sur laquelle on ergo-
tait encore peu de temps avant le 20 mars , je m'étonnerai dé
voir les serviteurs du trône se jouer ainsi de la charte , comme
si le trône et la charte n'avaient pas une existence et des racines
communes!


En effet, pourquoi retrouvons-nous dans l'esprit public tant
d'attachement à la charte ? c'est que la nation y a vu un acquies-
cement formel à beaucoup de droits proclamés par elle-même
en 89 ; une garantie spéciale de beaucoup d'intérêts généraux
et particuliers ; le renoncement nécessaire à beaucoup de pré-
ventions et de déclarations précédentes ; enfin , le véritable ap-
pui d'un trône , gage de liberté et de repos, qui , au sortir de
la contre- révolution impériale , et rappelant des souvenirs. du
pacte social de 9 1 , venait s'asseoir sur des bases constitution-
nelles. Et lorsque la révolution française se contentait de cette
charte royale aVec ses conséquences naturelles , et d'un système
électoral qui n'admet que les quatre-vingt mille principaux ci-
toyens , les serviteurs du trémie , au lieu de se croire trop heu-
reux de la prendre au mot , ont follement remis en question
tous les intérêts , tous les droits, et par conséquent tous les en-
gagemens. Pensent-ils donc qu'il existe un Français assez ab-
surde pour ne pas: voir qu'après la chute des barrières qU'on
démolit à présent , il ne restera plus de garanties pour aucun
des avantages que la révolution lui avait créés depuis trente ans.


A peine avons-nous une loi relative aux délits dont la. presse
peut être l'instrument, loi bonne en principes, mais dont quel-
ques restrictions ne seraient pas admises dans d'autres. pays
libres, et déjà on veut nous rejeter dans un état d'intermittence
et d'exception. Quelque latitude que j'aie toujours réclamée pour
La manifestation de toutes les opinions et pour la critique de
tous les actes et de tous les hommes publics , je hais autant que
personne la.diffamation domestique également lâche et cruelle ;
mais je crois que sa rt-',pressidn se trouvera plutôt encore dans




(3m )
l'impartialité des magistrats , dans une organisation du jury
pins indépendante, et dans le perfectionnement de l'esprit pu-
blic et de nos habit iules constitutionnelles , que dans des dispo-
sitions détaillées qui ne peuvent jamais tout atteindre. Au reste,
il n'est question aujourd'hui que de la censure préventive.


On a plus parlé des inconvéniens des publications périodiques
que de leur influence salutaire ; et néanmoins, lorsque des pro-
v tions séditieuses, des mandemens calomniateurs , des ordres
du jour sanguinaires ont alarmé les citoyens , la liberté des jour-
naux a souvent servi à réprimer ou neutraliser leur effet.


Que sont devenus , comme on Nous l'observait hier, ces bruits
populaires , sur la prétendue arrivée de l'ancien chef de l'état ,
depuis que les journaux libéraux ont éclairé l'esprit de parti ou.
de mécontentement, et lui ont fait honte de s'exhaler ainsi en
regrets pour la servitude ?


Aujourd'hui même qu'il circule des alarmes sur un envoi de
troupes, sur un passage d'étrangers pour l'Espagne, qui peut
mieux que les journaux rappeler que tant qu'un acte formel
d'accusation contre le ministre des affaires étrangères n'aura pas
été déposé sur cette tribune, on ne peut admettre l'absurde
pensée d'une opposition à la noble émancipation du peuple ma-
gnanime qui déj à sur la frontière nous appelle ses amis et vient
fraterniser avec nous ? ( Vif mouvement d'adhésion du côté
gauche. )


• Et quand on s'épuise à trouver quelqu'analogie entre la liberté
de la presse et l'assassinat qui a réuni tous les partis dans une
même affliction , je me rappelle cette époque de l'empire où ,
en se communiquant avec inquiétude certaines rumeurs sinistres
sur de perfides avis- donnés à d'augustes exilés , sur d'infâmes
engagemens exigés par le despotisme et acceptés par la bassesse,
sur un projet de débarquement inspiré au prince infortuné dont
noirs déplorons la mort, on se disait que sans la censure de la
prt-sse , il eût suffi d'un article de journal pour déjouer ces viles
mach imitions.


Mais revenons è la crise générale où se trouve l'Europe , et
où l'on s'obstine à nous replacer nous-mêmes. Partout les pri-
vilég(s et les droits sont en présence ; partout on voit renaître
ces sentimens d'une sympathie libérale et mutuelle qui avaient
d'abord uni tous les peuples à notre grande cause de $9, et:
que les crimes de l'anarchie et les excès de l'ambition avaient
momentanément éteints. Chaque gouvernement reste en lice de'
la nation qui le paie et liai obéit ; .mais dont l'obéissance et le
paiement cesseraient au moment où il attaquerait , .dans la li-


( 313 )
belle d'aucun autre peuple, les droits aujourd'hui connus, ré-
clamés ou desirés par tous. La coalition de Pilnitz, qui fut au-
trefois une criminelle et fatale étourderie, ne serait plus au-j ourd'hui qu'un radotage diplomatique. (On rit à gauche ; quel-ques murmures s'élèvent à droite. ) Contemplez l'Espagne.
Nous avions déjà vu , en 1 789 , les soldats français s'identifier
avec leurs concitoyens , et de là sont sortis la plupart de ces gé-
néraux qui , traversant rapidement les rangs, ont illustré nos
armes ; ici, cc sont les troupes elles-mêmes, qui, sans désordre,
sans chefs ambitieux , ont les premières redemandé la constitu-
tion émanée de la volonté générale du peuple, pour me servir
d'une expression royale et récente , et la nation tout entière a
prouvé une fois de plus , que pour recouvrer ses droits il lui
.suffisait de le vouloir. Puisse-t-elle persister dans sa généreuse
modération, et ne se venger des ennemis de la liberté qu'en
leur infligeant le supplice de son paisible et irréprochable éta-
blissement ! ( Adhésion à gauche. )


Quant à nous, messieurs, il est temps encore de maintenir notre
liberté dans les limites posées par la charte ; que la loi des sus-
pects s'arrête dans sa marche ; rejetons la censure de la presse;
que le gouvernement retire son projet de loi d'élection et lui
substitue les institutions si long-temps promises : que la charte
soit respectée , car la violer c'est la dissoudre, c'est dissoudre
les garanties mutuelles de la nation et du trône, c'est nous rendre
nous-mêmes à toute l'indépendance primitive de nos droits et
de nos devoirs.


Je vote contre le projet de loi. Un mouvement général
d'adl 'csion se manifeste à. gauche. )


111. le baron Pasquier..Messieurs , dans le système d'effroi
qu'on a voulu établir contre tout ce qui émane de l'autorité , on
n'a pas manqué de dire que toujours la liberté avait couru les
plus grands dangers de la part du pouvoir ; que toujours elle
avait succombé dans cette lutte dont le pouvoir était toujours
sorti triomphan t..


La liberté, dit-on , est fondée par la charte , et le pouvoir
veut détruire la charte. Quelle est la nature du pouvoir défini et
déterminé par la charte ? N'est-ce pas d'abord cette grande et:
salutaire institution du pouvoir législatif dont la forme propor-
tionnée à. tous les besoins , à. tous les intérêts , à tous les droits
de la société, je dirai plus , à toutes ces -icissitudes de pros-
pérités et d'adversités, n'est que l'intervention de la société elle-
même dans la délibération et dans la formation de la loi? .Eh bien
dans la question qui nous occupe, dans celles qui doive-nt nous




( 3 '4 )
occuper encore, où sont les violations de la charte dans la pré-
sentation et dans la délibération de la loi ? Et que fait réellement
le pouvoir? placé au sommet de la société , il voit des dangers
et il vous les signale. Mais Prend-il une autorité arbitraire?
est-ce dans le silence du despotisme ou devant la nation elle-
même qu'il porte la loi ?


Cependant, les orateurs que je combats voudraient faire pré-
valoir un autre systèrele. Au-dessus du pouvoir législatif cons-
titué par,


la charte , ils conçoivent en certains cas , et ils pré-
sentent nébuleusement je ne sais quel autre pouvoir qui ne serait
plus un pouvoir législatif, mais bien un pouvoir Lé g islateur,
devant lequel tous les autres apparemment se tairaient.


j
Ici


messieurs , je crois apercevoir ce qu'ils imaginent) . mais e ne
l'aperçois pas sans lut


inerte! effroi ; car aussitôt , à l'instant
même , mon imagination me présente la dissolution absolue .de
l'ordre social. Messieurs, la France a subi une fois une conven-
tion :, c'est assez peut-être dans son histoire. ( Très--vive sensa-
tion. )


J'admire, il faut bien que je le dise, cette singulière manière
d'aimer la charte , et de la mettre en certaines occasions (et
n'en doutons pas , dans l'ordre (ridées où l'on vomirait nous
placer, ces occasions pourraient être fréquentes) , de la mettre,
dis-je, aux prises avec un prétendu pouvoir souverain qu'elle
n'a pas reconnu , qu'elle n'a point prévu . , devant -qui tous les
autres pouvoirs tomberaient à l'instant, et dont la première ac-


•tion serait de détruire cette charte elle-même. Eh bien! puis-
qu'il est donné aux circonstance où nous sommes de voir sans
cesse agiter les peuples par des questions qu'il faudrait ppeut être
.envelopper dans de mystérieux nuages, ces questions je ne les
fuirai pas , et les ministres du Roi ne craindront pas que leurs
paroles retentissent de cette tribune. aux dernières extrémités
de la France.


De quoi parle-t-on quandconteste au pouvoir législatif le
droit de portertelle ou telle loi ? On parle, messieurs, d'une
autre souveraineté que la souveraineté réelle ; on parle de je
ne sais quelle souveraineté, toujours présentée et jamais définie,
d'une souveraineté qui ne serait•point le poni-oir conservateur
de la société, d'une sonvereinetiqui est libéralement accordée
à tous , parce que la souveraineté, de tous est toujours indivi-
dridlement exercée par ceux qui la proclament. La souveraineté,
messieurs , n'est point une de ces vérités inaccessibles aux inteh-
ligences ni6me'les plus communes, et à- cet égard le temps bit


( 315 )
nous vivons, les événemens récens qui le signalent et que l'on
nous donne déjà pour exemples , m'avertissent qu'il faut exa-
miner la force:réelle des exemples relativement à nous.


La souveraineté , messieurs , est pour toute société ce que
l'intelligence est. pour l'homme. Elle existe, non pas telle que
les passions voudraient la former. ou la dénaturer, mais telle
que la raison suprême l'a faite pour la conservation , la durée ,
la perpétuité des grandes familles de la race humaine. Séparée.
de son principe, détournée de son but, qui est l'ordre , placée
violemment où elle ne peut l'être, il y a nécessairement désord rej usqu'à ce que le principe triomphe ou que la société périsse :
car la souveraineté existe pour la société et- non contre elle,
pour que la société vive et non pour qu'elle se détruise.


Dans les républiques ou dans les monarchies , le principe est
le même , les Moyens seuls de se manifester sont différeras ; mais
toute société a son intelligence suprême ,seuVeraine, qui anime


-


et conduit tous ses membres : sans elle il n'y a que des individus
et point de société.


Or, en France, et d'après la charte , -qui a réglé l'exercice de
la souveraineté , où chercherait - on de nouvelles règles à cet
exercice ? Quel est ce système d'une autre souveraineté. (pie l'on
élèverait au-dessus d'une souveraineté qui suffit à tous les temps
comme à tous les besoins? Je né vois là que l'ancien et absurde
manichéisme appliqué à la politique. Renonçons enfin, mes-
sieurs , à ces illusions dangereuses <le l'esprit et peut-être de
l'orgueil. En France, toutes les grandes questions sont résolues, •
toutes les difficultés qui se rattachent au principe de la souve-
rt,:neté sont heureusement conciliées ; et puisque la loi fonda-
mentale a déterminé la forme et l'action du .pouvoirli ,
qui peut avec raison contester maintenant à ce pouvoir le droit
et l'autorité nécessaire de pourvoir aux besoins toujours renais-
sans et toujours nouveaux de la société ? Est-ce clone autrement


• que s'est maintenue, fortifiée , perpétuée cette constitution
voisine que nous avons si oing-temps admirée , mais pour la-
quelle je ne puis m'empêcher d'observer que nos grands publi-
cistes affectent depuis quelque temps un dédain bien superbe?
Je nie suis demandé quelquefois, quels si grands reproches ils
avaient donc aujourd'hui à lui faire ; et rai fini par penser que
ce pourrait bien être celui de son importune durée.


Ce que je viens d'exprimer rue conduit naturellement à ces
mots de charte octroyée que l'on répète avec une ftktation très-
marquée dans les écrits politiques , et dont quelques orateurs
si. Je ne me trompe , ont fait usage dans cette discussion et dans




4




( 316 )
la précédente. Oui , la charte est octroyée ; et c'est pour cela
même que nous la possédons ; parce que , délibérée , jamais les
esprits ne seraient tombés d'accord ni sur ses principes , ni sur
ses conséquences, ni même sur sa forme. C'est pour cela que
nous l'avons avec certitude, parce qu'elle fut donnée librement;
c'est pour cela enfin qu'elle est durable, parce que délibérée,
une délibération nouvelle la: mettrait toujours en question , et
pourrait en produire une autre.. Mais on insinue, encore au
besoin , que la charte n'a pas été acceptée par la nation. Veut-
on dire qu'elle devait l'être comme toutes les constitutions qui
ont été acceptées depuis 1789? Etranges acceptations, où il n'a
manqué jamais que la conviction et la liberté I Est-ce donc ainsi
lue l'on se joue des hommes et des nations? Oui, messieurs,
c'est ainsi que la France a été conduite , par les prétendues cons-
titutions toujours acceptées, à cette perpétuelle déception de
liberté dont un orateur a parlé hier, et qui, j'en conviens avec
lui , constitua surtout le gouvernement de Buonaparte. Mais
puisque cet exemple nous a été offert, sachons du moins l'exa-
miner tel qu'il est, et en tirer de justes conséquences.


Si Buonaparte a trouvé tontes les routes faciles à ses desseins
et aux grandeurs suprêmes , c'est parce qu'il sut se placer sur
les ruines de l'anarchie , et que nous devions l'anarchie au dé-
lire de la liberté. Aussi lui sut - on gré , pour ainsi dire , de
n'offrir à la France que le simulacre d'une liberté dont elle n'avait
ressenti que les excès. C'est ainsi que nous lui dénies tour-à-tour
les constitutions consulaires et impériales ; celles - là n'avaient
point été octroyées en effet ; elles avaient été délibérées et ac-
ceptées , à la manière dont on délibérait et dont on acceptait
alors. C'est ainsi que l'usurpation affecte le respect des formes
dont elle se joue ; mais la légitimité a une autre marche. La lé-
gitimité, c'est l'ordre naturel ; aussi elle n'admet de formes que
celles qui sont réelles , et elle les respecte quand elle les a ad-
mises. ( Mouvement d'adhésion au centre et à droite. )


On répète encore avec beaucoup de soin que la charte ne fut
d'abord qu'un mot, et que jusqu'au 20 mars elle n'exista que
de nom. Peut-être en effet, comme tout ce qui commence , la
charte n'a pas été parfaitement comprise en 1814 ; et peut-être
n'était-il pas encore possible de l'exécuter parfaitement. Mais
je le demande à ceux qui en tirent des inductions si sévères, et
j'ose le dire si dangereuses : quel gouvernement au inonde a été
plus doux, plus libéral dans le fait , que celui qui a régi la
France j•usqu'au 20 mars ? Ah ! dans un état si nouveau , dans
une situation si extraordinaire , lorsque tous les actes émanés


( 31 7 )
de l'autorité étaient empreints de confiance et d'amour pour la
France , qui oserait les discuter rigoureusement ? Ecartons tout
ce qui appartient trop naturellement à des amours-propres mé-
contens ou à des passions chagrines , qu'il était aussi difficile de
satisfaire que de concilier; et voyons la France telle qu'elle était.
On ne contestera pas sans doute qu'elle avait recouvré, de fait
et de droit, toute cette liberté dont elle cherchait en vain la dou-
ceur inespérée depuis le renversement de la royauté. La paix
rendue à l'état l'était aussi aux familles ; les enfans avaient été
restitués à leurs pères ; de toutes parts le commerce déployait
ses voiles ; l'industrie multipliait ses heureux efforts ; l'agricul-
ture prospérait également du Nord au Midi ; l'étranger, arrêté
sur nos bords , admirait sans la comprendre cette prospérité
dont rien jusqu'alors n'avait donné l'idée : tout-à-coup appa-
rurent les cent jours; devant eux tout disparut, tout s'évanouit.
Je ne veux m'appesantir ni sur leur cause ni sur leurs suites ,
niais je dirai : si en 1815 il fut des hommes étrangers à cette
chaleureuse animadversion qui s'éleva contre ceux qu'avait en-
traînés cette révolution ; s'ils excusèrent une erreur fatale au-
tant qu'elle pouvait être excusée ; s'ils ne cherchèrent point le
crime dans l'erreur, il leur appartient peut-être plus qu'à d'autres
de repousser aujourd'hui des apologies au moins indiscrètes sur
cette époque funeste, car je ne veux pas me servir du mot d'é-
loges. Il leur appartient encore de dire que si , pour l'immensité
de ceux qui s'y trouvèrent engagés, l'erreur qui les domina dut
être excusée par leur vie antécédente, par de certains sentimens
qu'il far . savoir comprendre même quand on ne les partage pas,
il n'en est pas moins vrai que jamais erreur plus funeste n'attira
sur la patrie un déluge de maux plus effroyables, que les fruits
de cette révolution à jamais déplorable. ( Même mouvement ).
Que l'on songe en effet à ce que serait aujourd'hui cette belle
France , sans les malheureux cent jours ! que de sacrifices elle
a dé faire Combien de capitaux détournés de leur source pour
n'y jamais revenir ! que d'industries paralysées ! niais surtout
combien de haines qui ne seraient jamais nées !


Le gouvernement, dit-on , est avide de pouvoir ; il soupire
après les douceurs de l'arbitraire ! En vérité, messieurs, ceux-là
peuvent aussi se vanter de quelque courage et de quelque dévoue-
ment, qui ne craignent pas d'affronter, pour le service du Roi,
pour le bien du pays, cet orage de sarcasmes, d'insinuations
plus ou moins habiles, qui ne tendent qu'à dénaturer les inten-
tions les plus droites et à calomnier les résolutions , j'ose dire,
les plus vertueuses ; oui, messieurs, il faut quelque vertu, dan.




( 48
)


quelque temps que l'on Vive, .1-Mur:bravent puissance da j'Oui,
Et qui de votas. ignore où est cette puissance parmi nous? N'ap...
partient-elle pas à ces écrivains qui fout et défunt chaque jour
les réputations? Ce sont eux cependant que nous osons attaquer
dans leur retranchement le plus redoutable ; et quelle (lue soit ;
quelle qnepuisse être notre victoire aujourd'hui , croyez vous
lie nous ignorions combien leur haine est • active, vivace et per-
sévérante? . .


Au milieu des reproches adressés aux ministres , on n'a pas
craint de placer celai de compter parmi les personnes qui votent
avec eux, tels ou tels dépités phitkit que • tels ou. tels autres.


Cette appréciation du Mérite récip •inine des. suffrages est
chose assez nouvelle dans nos assemblées. Il restera tonjetirs
d'art tel langage cette inductiOn.


fradffise , que celui qui
parle se croit 1:e droit d'exprinfer tout liant que lui et ses amis
yalentleuu:loup Mieux , ent un mérité dé beaucoup sup'é'rieur à
celui de ses advertain qn'à!lui et aux siens appartiennent ex-


ustvement le bon spi t, patribt imite éclairé;
sent enfin


let- seuls organes avoués des


ria'tio4iau L
Cela te pense


usés souvent , je le tais ; mais juse
prés cela' .ne' S'était


guère dit'en tare. Je Veut. ai mire étaient:nes
-sentiniens ; ils sont heureaseitiefit de nature à se peavoir avouer
haidement , en tout temps, eti tout lien.' Mouvedelit d'adhé-
sion au centre et à. droite ).


M. Stanislas Girardin. Messieur ,l é tontes lés doctrines
pernicieuses dont o, parle depuis quelque in.


avec un art
savamment étudié, Je' n'en COfinais 'certes pàs de plus perni-
cieuse que celle qui ,vous a été si loyalement exposée par
l'honorable rapporteur de votre commission.


Je lui demanderai d'abord , où .
il trouve cette permission


quiil suppose que la constitution donne à la législature;. elle
n'est nulle part dans la charte; elle ne résulte ni dé lettre ni
de son esprit, elle est une doctrine . commode et flexible pour
Masquer et faire réussir les attaques que roll a -partées et que
l'on veut continuer de porter à la charte.


Cette charte pourrait-elle être considérée comme une loi fon-
damentale de l'état, comme une garantie donnée aux intérêts
nouveaux, comme une digue inexpugnable contre les tentatives
qui pourraient être faites pour nous ramener le passé ou nous
faire rétrograder vers lui? Que deviendraient, d'après un


système, la recorinaissanee des ventes de biens nationaux',.
lés récompenses promises à nos braves soldats i • le maintien de


( 31)
la légion-d'honneur, e jusqu'aux engagemens- sur lesquels
repose la dette publique?


D'après un pareil système, que rien ne motive et que rien
n'excuse ; que deviendraient nos droits les plus sacrés, droits
dont hi nomenclature compose le titre premier de notre charte,
et que nous sommes destinés bientôt peut-être.à .ne plus con-
naître que <le non,? D'après un pareil système, tout serait pro-
visoire dans notreordre social. Je le .demande aux hommes de
bonne foi , où serait fe...régilpe représentatif, où Seraient, nos
libertés ,.s'il était vrai que la charte, destinée . à.,les : garanti


• ,


nous en •faire jouir, pouvait. nous être ravie dans .son ensemble
ou dans ses principales dispositions . , sur la proposition du Roi,
par les deux branches du pouvoir législatif? . .


Combien serait :faible cette barrière que pourrait opposer la
législature aux entreprises du pouvoir !


*'.Le Roi n'est–il pas une partie intégrante de cette législature?
La chambre des pairs n'en est-elle pas une antre, mais tellement
dans la .dépendance de la Première, qu'elle n'en est, pour ainsi
dire; , qu'une 4manation? . • ;


Reste donc la chambre des
députés,


composénde deux.cent
cinquante-huit membres, lorsqu'elle se présente dans toute son
immensité ;, et si, dans cette chambre, l'autorité parvenait :P.-
mai,s,à, acquérir invariablement la majorité d'une seule voix,
elle pourrait alors, à'son gré, fo.iiler aux .pieds nos- libertés,
nos droits, nos intérêts.


C'est par une telle majorité que la nation pourrait: se trouver
privée de la liberté Liividuelle, de la liberté de la presse, du
droit de pétition, de l'égalité devant la loi, d'une répartition
égale dans les contributions, de la liberté des :, cultes !


Repoussons, messieurs, une doctrine anti-francaise , qui
présente d'aussi graves inconvéniens , sa n s .offrir aucun avantage
en compensation ; refoulons vers la Tamise ce système que l'on
voudrait introduire en France; et qu'on .ne dise pas chez nous
comme on dit en Angleterre : Le parlement peut tout
excepté de changer un homme en femme.


Ceci n'est point vrai en France, et ne peut l'être, 'et l'un
de nos honorables collègues l'a démontré j usqu'à, l'évidence.
Nous sommes. élus en vertu de la charte, nous ne sommes
réunis que pour la défendre, et nous ne pouvons concourir à
la renverser. Le pouvoir qui s'élèverait contre elle se mettrait
par cela seul en état d'usurpation. N'admettons pas surtout
cette excuse banale de salut de l'état, que l'on a toujours mise
en avant pendant la durée de notre interminable révolution.




( 32o )
pour servir de passeport à des mesures bien plus propres à le
perdre qu'à le conserver.


Ce sont toujours ces mesures invoquées au nom du salut de
l'état qui l'ont conduit au bord du précipice, et ce n'est qu'en
rapportant ces mêmes mesures que l'on est parvenu à l'empêcher
de s'y engloutir.


Qu'a donc de commun le salut de l'état avec la mesure que
l'on vous propose? Où en serait donc réduite la France , si son
salut dépendait de l'établissement d'une censure provisoire? A
quels maux remédierait donc cette censure si ces maux étaient
portés au point oà.ils ont été présentés par M. le rapporteur ?
Ils ont été exagérés à dessein, et l'on a cherché bien plutôt à
vous effrayer qu'à vous convaincre.


La liberté de la presse est de la nature des armes de toute
espèce, elles servent à se défendre comme elles servent à at-
taquer; et, depuis quand imagine-t-on que la. toute-puissance
des journalistes soit portée à ce point qu'ils ont le droit de vie
et de mort sur toutes les réputations? Depuis quand ne sait-on
plus que le mal qu'un journal dit de vous , est écarté par le bien
plus autre en imprime? depuis quand ne sait-on pas que le
danger des fausses doctrines est neutralisé par la publication des
vraies ? depuis quand ne sait-on pas que les maximes favorables
au pouvoir arbitraire, sont anéanties par la publicité donnée
aux maximes d'une sage liberté? depuis quand imagine-t-on
que les journaux doivent être soumis à la censure, parce qu'ils
publient plutôt , dit-on, les opinions des autres que les leurs ,
et surtout parce qu'ils parlent bien plutdt qu'ils n'écrivent ?
Je-vous avoue que ceci est une chose toute nouvelle, et l'on


, ne pourra du moins enlever à l'honorable rapporteur le mérite
de cette invention.


Eh bien ! que les journaux parlent au lieu d'écrire, je le
veux ; mais depuis quand donc est-il défendu de parler; depuis
quand faudra-t-il aller s'adresser à autrui pour savoir ce qu'il
sera permis de dire? Celui qui parle est sans doute responsable
de ses paroles : si elles sont séditieuses , il est traduit devant les
tribunaux; si elles sont insultantes , elles provoquent des répa-
rations. Vouloir prévenir les délits qui peuvent être commis par
les paroles ou par les écrits, serait vouloir fermer toutes les
bouches et briser toutes les plumes.


Le rapporteur s'est appesanti avec complaisance sur tous les
maux qui, selon lui, dérivent de la liberté des journaux; et, â
l'occasion d'un attentat exécrable , il s'écrie : Toutes les fa-
milles françaises On


•besoin de silence ! Ce besoin dont il est,


(.321 )
nessieers, l'interprète auprès de vous , serait-il pleinement
satisfait par la censure qu'on invoque? Elle n'ordonne pas losi.-
tivement de se taire, niais recommande seulement de parler
dans tel ou tel sens. Il faudrait donc quelque chose de plus, pour
que le voeu exprimé par M. le rapporteur soit pleinement


Comment M. le rapporteur s'imaginé-t-il que tout-à-coup
les dissent imens et les ha ives se trouveraient abolis pa r isse-
ment de la censure? comment n'avoue-t- il pas que cette censure'
ne s'exerçant que sur une partie des écrits qui peuvent être livrés
à l'impression, laisse aux autres la plus grande liberté., et que
ce que la censure retranchera dans ceux-ci , se retrouvera dans
ceux-là?


Le rapporteur convient pourtant que la censure est un pas
rétro rade dans le carrière de la liberté ; il convient aussi que
la censure sera un pesant fardeau pour le gouvernement chargé
de l'exercer. Ces aveux sont précieux dans la bouche de M. le
rapporteur ; il faut les recueillir avec soin. Oui sans doute, la
censure sera un pesant fardeau pour le gouvernement; il en.
avait l'intime conviction lorsqu'il a proposé d'abord d'en re-
mettre l'exercice à une commission composée de pairs et de
députés. Cette proposition, subversive de l'ordre constitutionnel,
a été repoussée, comme elle devait l'être, par la chambre des
pairs. Le ministère, plutôt que de retirer son projet de loi ,
déclaré en accepter la responsabilité tout entière. Il y a sans
doute du courage lui à ne pas s'en effrayer; mais quel usage
fera-t-il de cette censure, de cette arme terrible et dangereuse,
de cette arme terrible dont il ne pourra se servir sans avoir
des comptes à rendre aux hommes de-toutes les opinions, et
des plaintes à essuyer de la part de. ceux qui émettent journel-
lement les maximes les plus opposées? Se servira-t-il seulement
de la censure pour faire prévaloir telle ou telle opinion poli-
tique? ne l'emploiera-t-il que dans son propre intérêt? La
censure ne donne-t-elle pas aux journaux un caractère officiel
qui rend. le ministère responsable, et solidairement e-ponsable
de tout ce que contiendront ces MeDICS journaux, non-seulement
envers les puissances étrangères, niais encore envers . tous les
individus? Une injure adressée à un citoyen dans une feuille
censurée , est un véritable outrage ; ti'voir autorisé cet. outrage,
c'est s'en être rendu coupable, et s'être placé dans une posi-
tion à ne pouvoir en refuser satisfaction.


La censure tend à isoler la France au milieu de l'Europe
à la rendre pour ainsi dire étrangère à tout ce qui s'y passe . : la


21




./J


( 322 )
censure tend à soustraire, : les actes de l'autorité â la connaissance
du public : la censure a le grave inconvénient, dans un gou-
vernement représentatif, d'anéantir les journaux de l'opposition,
puisque tous seront forcés, pour continuer à paraître, de
prendre les couleurs ministérielles ; et • cependant l'opposition
est la vie du gouvernement: représentatif; sans elle il n'existe.
pas, et sans la liberté de la presse, non-seulement la représen-
tation nationale n'est bonne à rien, mais elle n'est: qu'un
instrument de servitude de plus.


La censure vous épargnera du moins , dira-t-on, les cala-
mités dont le rapporteur de votre commission vous a fait la
lamentable histoire; mais elle nous privera des biens dont M. le
rapporteur ne vous a point parlé, et dont je vais avoir l'honneur
de vous entretenir.


Depuis que la liberté des journaux existe , tous les actes arbi--
haires ont cessé, et l'on n'a point eu à en reprocher ni à Pau-
tolite. supérieure, ni aux autorités locales. Cependant , il faut.
bien l'avouer, parmi les fonctionnaires publics, il.en est encore
un bien trop grand nombre de ceux qui cominirentdes actes
arbitraires. Pourquoi ont-ils cessé tout-à-coup d'en commettre
à l'époque où la presse a cessé d'être esclave? c'est parce qu'ils
ont acquis alors l'intime conviction que l'éclat de la publicité'
frapperait tous leurs actes.


Craignez donc qu'au moment où cette liberté des journaux
sera suspendue, tous les maux qu'elle contenait avec tant de
rigueur, ne reparaissent, et que nous ne soyons destinés à voir
se reproduire , avec plus de violence qu'en 1815. peut-être ,
tous ceux dont nous avons été les -victimes ou les témoins.
Quand les craintes que j'indique viendront à se réaliser , c'est
alors que M. le rapporteur sera forcé de convenir qu'il n'a en-
visagé la question que sous un seul rapport, qu'il n'a vu que
les inconvéniens de la liberté des journaux, et n'en a point
aperçu les incontestables avantages.


Mais ce que M. le rapporteur n'a point vu non plus , c'est la
complète inutilité de la censure des journaux dans les mains du
gouvernement , qui en aura tout. l'odieux et. n'en retirera pas le
plus léger bénéfice. Ce qu'il empêchera de dire quotidiennent,
sera dit plusieurs fois dans un mois ; ce qu'il empêchera de pa-
raître sous un petit volume , paraîtra sous un plus gros. Les
articles censurés des journaux deviendront des ouvrages dont il
ne pourra prévenir la publication ; ils trouveront d'autant plus:
de lecteurs, qu'ils auront tout le piquant du fruit défendu.


Si le gouvernement est habile à créer des entraves, l'on sera


( 323 )
phis habile encore à trouver les moyens de s'en préserver. lis
verront combien est industrieux le génie que l'on persécute, et
combien il rend vaines toutes les pratiques mises en usage pour
en arrêter : l'essor ; combien l'opinion de la majorité , car c'est
elle que l'on veut comprimer, a de ressources pour éclater.


Il existe dans le corps politique, comme dans le corps humain,
des humeurs que l'on rend plus âcres en les y concentrant ;
renfermer, c'est en rendre l'explosion plus violente. Ces maux
si terribles et si menaçans , sont: considérablement adoucis par
la liberté des journaux ; les passions qui s'y exaltent continuel-
lement sont moins fortes; toutes les espérances s'y montrent,
toutes les craintes s'y présentent, tons . les desirs s'y placent. Ils
sont pour les gouvernemens la leçon la plus utile ; ils lui .oifrent
le seul moyen qu'ils puissent avoir de connaître et d'étudier les
besoins <le la société. Partout où cette liberté n'existe pas, le
gouvernement ignore les maux du corps social, les crises qui
peuvent arriver, les remèdes qu'il làut employer pour les atténuer
ou les empêcher.


Ce que je viens de vous dire, messieurs, pourrait être ap.
payé par une foule d'exemples. Je n'en, citerai qu'un seul ; vous
le trouverez assez frappant , j'espère, pour n'en pas demander
d'autres.


Dans un pays voisin de celui-ci , non-seulement tous les jour.-
maux étrangers étaient interdits, mais un seul journal était
permis; il paraissait uniquement pour donner connaissance au
public des maria'


des princes et des princesses, et pour in,
<tiquer les deuils de cours ; c'était enfin la bonne Gazette de
.France, ressuscitée sans être rajeunie..


Ces précautions contre les dangers de la liberté de la presse
ne se bornaient point aux seuls journaux tous les écri ts étaient
sévèrement prohibés ; il était défendu d'àvoir chez soi ',t'entes-
quieu'et Voltaire, Rousseau et Mably, Locke et Condillac ; et.
dans ce pays, messieurs, l'on ne se bornait point: à livrer 'aux
flammes les écrits, les hommes aussi en étaient quelquefois la
proie. Ceux qui conservaient chez eux ces livres proscrits, ceux
qui les prêtaient, ceux qui les lisaient, étaient: également cou=
pables aux yeux d'un tribunal pour lequel le mot de clémence
était un mot vide de sens.


Eh,
ien! messieurs, cela n'empêchait pas que dans presque


toutes les maisons dont les propriétaires jouissaient d'une hon-
nête.


aisance, il n"y efit des endroits qui paraissaient inaccessibles
e toutes les recherches de l'inquisition, et où était déposé ce
qu'ils appelaient leur trésor. Combien de fois, pendant ce peu.




( 324 )
de temps pie j'ai habité oe pays , ces propriétaires m'ont-ils
conduit dans ces réduits mystérieux, pour étaler à nies regards
de véritables trésors en effet, car c'étaient ceux du génie!


Les doctrines dites pernicieuses, qui paraissaient n'avoir au-
cun cours dans ce pays, que l'on croyait devoir y être inconnues,
n'y ont-elles pas fuit tout-à-coup une soudaine et terrible ex-
plosion? Puisse celte leçon n'être point perdue pour les gou-
vernans ! puisse- t-elle servir à leur démontrer que la plus en-
tière et la plus complète publicité leur est aussi avantageuse
qu'aux peuples qu'ils gouvernent !, Mouvement d'adhésion à
gauche. )


N'allez pas conclure, messieurs, de l'opinion que je viens
d'émettre, que j'approuve la licence des j ournaux. Non sans
doute, et j'ai été un des premiers à soutenir qu'elle devait être
réprimée, niais qu'elle devait: l'être par les lois. Si celles exis-
tantes sont imparfaites, perfectionnez-les; si elles n'offrent
point assez de garanties, demandez-en davantage; si la firme
des ju ,_.emens est vicieuse , améliorez-la : niais n'allez pas cher-
cher de la force là où vous n'en pouvez trouver ; ne violez pas
la charte pour augmenter le pouvoir; loin de le fortifier par ce
moyen , NOUS l'affaibliriez.


Je suis un aillant trop passionné de la liberté pour n'être point
un véritable ami du pouvoir légal. Il protège la liberté contre
la licence , et la liberté le préserve à son tour de l'anarchie.
Tous les deux se prêtent un mutuel appui, et dans le gouver-
nement représentatif, ils sont nécessaires l'un à l'autre. Leurs
existences sont liées, elles sont inséparables.


C'est parce que je suis un ami du pouvoir légal, que je veut
éloigner de lui tout ce qui tend à l'énerver et à lui enlever la
confiance du peuple, en tout ou en partie.


C'est parce que je suis 1O1 ami du pouvoir légal , que je lui
crie done point solliciter de mesures arbitraires. Il est -fait pour
rassurer tous les citoyens, et il manque son but lorsqu'il de-
mande des mesures qui , de leur nature, répandent des
inquiétudes générales.


Oui, messieurs, si le trône était menacé de dangers réels ,
croyez que les amis de la liberté s'empresseraient de volez, à son
secours ; croyez que si des troubles avaient éclaté sur un ou
plusieurs points du royaume; que si des rassembleniens sous
des bannières illégales; que si des contributions légalement con-
senties étaient capricieusement refusées, ils iraient au-devant
de l'autorité pour lui offrir leur puissante intervention, et que


( 325
!leur zèle aurait peut-être alors besoin d'être tempéré par-
l'autorité elle-même.


Ah ! si vous voyez aujourd'hui les amis de la liberté se refuser
avec tant de persévérance à vous accorder les mesures que vous
demandez, c'est qu'elles ne sont point légitimées par des dan-
gers réels. Les craintes que vous manifestez sont chimériques ;
celles énumérées si longuement par M. le rapporteur, n'exis-
tent que dans son imagination , et les apparitions fantasmago-
riques que l'on est convenu de montrer à chaque fois que l'on
demande à violer la charte, ne sont aperçues par personne que
par les ennemis de cette même charte.


Où M. le rapporteur pourrait:-d me montrer des troubles
réels en France? Et combien il avait raison, M. le rapporteur,
lorsqu'il vous a dit : a Que l'on me trouve en Europe une
situation qui ressemble à la nôtre ! Yous iriez vainement l'y
chercher. Ici tout est. calme , ailleurs tout est agité. Partout
l'on exige que les lois anciennes soient changées, et • ici l'on
conjure le gouvernement de nous conserver les lois nouvelles
dans toute leur pureté. Partout ailleurs tout est trouble et con-
fusion; ici, tout est repos et bonheur ; et pour que cette heu-
reuse situation, si rare, il est vrai, dans l'espace des siècles,
se consolide à jamais , il ne faut qu'une seule chose, c'est que-
le gouvernement rende au peuple français confiance pour-
confiance.


Je vote contre le projet de loi, en me réservant d'en discuter
les articles.


M. Becquey,- le Ministère, et parle en faveur du projet
de loi.


B%non. Messieurs , un honorable orateur nous disait
dernièrement que l'art d'attaquer les trônes ayant depuis trente
ans acquis une grande perfection, il fallait aussi perfectionner
l'art de les défendre. Pour le moulent, je n'examine point si les
hommes qui se présentent comme les soutiens exclusifs des.
trônes ne choisissent pas pour cette défense des armes bien
plutôt. propres à les renverser. Je me 'borne à faire remar-
quer ici que c'est surtout l'art d'attaquer la liberté des peuples
qui, depuis un certain temps, .a fait d'inconcevables progrès.
En 1 790 (1), un membre de l'assemblée constituante proposa ,
par un projet de décret, une contre-révolution complète de
tout point. L'assemblée constituante fit justice de ce projet,
en passant à l'ordre du jour, par la considération qu'il était


(1) M. Despréménit (séance du 29 septembre.




I




( 326 )
produit d'une inuwination en délire- : c'était alors l'enfance de
Part : il est arrive à un tout autre degré. On ne commet point
de pareilles fautes en 1820. Aujourd'hui , c'est pour sauver la
charte qu'on viole la charte; c'est pour l'affermir qu'on en dé-
molit une à une les parties les .plus importantes. C'est pour
pe,"server nos institutions qu'on nous les enlève, ou seulement
qu'on les prend en dépôt, pour nous les rendre, dit-on, quand
nous en serons plus dignes : du moins on nous le promet ainsi
en ce qui concerne la liberté individuelle et la liberté de la
presse. A l'égard de la loi des élections, il n'en est pas de même;
on ne dissimule pas que c'est bien pour toujours qu'on entend
nous la ravir. Par cette même raison nous pouvons apprécier la
bonne foi des promesses relatives aux deux autres. Quoi qu'il'eu
doive advenir, on ne saurait méconnaître l'habileté de l'agrts-
sion actuellement dirigée contre notre. pacte fondamental.. Ce


p
n'est plus en masse, c'est en détail que la. contre-révolution se
répare; c'est avec méthode qu'on y procède : on traite la


charte comme d'ambitieuses puissances ont traité la Pologne;
C'est •en trois . acles que se consomme sa ruine. Autant le m inis-
tère a soin. de diviser l'attaque, autant nous devons unir la dé-
pense. Le ministère attaque toutes les libertés en un même jour,
Mais il les attaque par des projets différons. Comme il sait que
la liberté individuelle, la liberté de la presse et la liberté élec-
torale sont solidaires les unes des autres, il cherche à vous les
ravir dans des combats séparés : c'est une raison de plus pour
nous de les ramener sans cesse et toutes trois sur le même ter-
rain. Dès à présent, en deflindant la liberté de la presse, je
défends la loi des élections : je titis plus, je continue à défendre
la liberté individuelle. Oui, messieurs, pourquoi renoncerions-


inous à tout espoir quand le mal n'est pas consommé? La liberténdividuelle ne nous est pas entièrement ravie. Il manque en-
core à la loi qui nous en dépouille la sanction du trône. Pour-
quoi n'espérerions-nous pas qu'une inspiration vraiment royale
pourra bien rejeter ce funeste présent offert au pouvoir par
Une majorité de quelques voix? Que de malheurs cet acte d'une
haute prévoyance pourrait empêcher ! Et ce ne serait pas seule-
ment,, messieurs, un acte de générosité et de modération, ce
Serait avant tout un acte de haute politique. Ce que nous ne
imuvOns attendre des mini, tres , pourquoi, jusqu'au del'oier
moment, ne l'attendrions-nous pas des lumières et de la sagesse
du Roi ?


Tandis que je m'occupe encore de la liberté individuelle, la
liberté de la presse court déjà les mêmes dangers. J'avoue que


( 327 )je suis peu étonné du -débordement des passions qui s'élèvent
contre elle. Comme sans la liberté de la presse il n'y a point de
.gouvernement représentatif, il est naturel qu'elle ait pour pre,
miers adversaires tous les hommes qui veulent faire du gouver-
nement représentatif . un vain simulacre, destiné seulement à
légaliser les aberrations du pouvoir. Il est naturel que tous les
agens de l'autorité s'irritent contre un gardien qui les ,...'onserve,
contre un argus indiscret qui voit tout, qui révèle tout; et qui
assure à tout acte repréhensible sa juste et prompte récompense.


Il est naturel que tous les hommes timides, et le nombre
- en est grand, s'effraient de la licence des écrits, et que des


considérations d'intérêt particulier les disposent à se montrer
complaisans sur le sacrifice d'une liberté qui ne profite qu'à
l'intérêt public. Je ne relèverai point les futiles et minutieuses
objections tant de fois reproduites et tant de fois réfutées par les
.deux côtés de cette chambre, et tont il semble qu'une certaine
pudeur d'esprit devrait désormais interdire la fastidieuse répé-
tition. Je ne répéterai point que si dans un pays voisin Pha-
brus corpus se prête à une suspension momenta.uée , la presse
veille pour lui et fait constamment sentinelle. Je ne rappellerai
point que rétablir la censure, ce n'est point détruire la licence
de la presse, c'est en faire l'adjudication à un parti , c'est en
-déférer l'odieux privilège au ministère ou au parti qui dominera
le ministère. Je ne redirai point qu'il est abusif de prétendre
que la loi existante ne suffit pas pour réprimer le désordre,
quand il est connu que cette loi n'a été que très-imparfaitement
exécutée. Enfin ie ne supposerai pas qu'en laissant impunis les
.écarts de quelques folliculaires, on ait voulu faire présumer Pin-
.suffisance de la loi pourêtre fondé à en demander une plus sé-
vère, ou plutôt pour avoir un prétexte de revenir aux mesures
préventives. En remarquant que sur neuf ou dix jugemens qui
ont eu lieu, il y a eu cinq condamnations, on trouve difficile à
croire que si vingt ou trente procès avaient été entamés, la
crainte n'eût pas bientôt rendu les écrivains plus mesurés et plus
circonspects. La loi actuelle, comme on le prétend, n'est-elle
pas assez rigoureuse? Que l'on propose des dispositions plus
fortement répressives; pour tranquilliser le gouvernement, nous
les adopterions, même sans la certitude de leur absolue néces-
sité; mais que l'on cesse de nous alléguer l'impossibilité de faire
ces changemens clans le cours de la présente session. C'est de la
part du ministère un excès de modestie que nous ne .pouvons
admettre. Des hommes si habiles à détruire en un jour plusieurs
articles de la charte, ne peuvent-ils donc pas rédiger.ou net mois




( 328 )
quelques articles additionnels, ou renforcer la pénalité exis-
tante? Le eolivernement est bien à plaindre , si ses premiers
mens n'ont de talent que pour la destruction , et ne se signalent
que .par des ruines. Je m'abstiens de pousser plus loin ce genre
d'observation. Mes honorables amis ont déjà épuisé tout ce que
le bon-droit, la raison , la justice fournissent sur cette matière
d'arga.mens solides et substantiels. Aucun raisonnement puisé
dites la charte , puisé dans le serment. que nous avons fait de la
1.11:Entenir,


n'a eu et n'aura de prise sur les ministres : ils ont
opposé, ils opposeront à tous nos efforts l'argument banal sur
leel ont été fondées toutes les tyrannies, les circonstances.
Eh bien ! messieurs , j'abandonne la charte et nos sermens : je
veux pour un moment laisser de côté tons les intérêts nati,o-
112MX je ne veux, comme les ministres, considérer que les in-
terêts du pouvoir. Je veux e.uminer si le ministère n'agit pas,
au moment où nous sommes en sens inverse de ses intérêts les
plus chers; mais j'en demande pardon à l'honorable rapporteur
de votre commission, pour être en état de juger les intérêts du
pouvoir royA en France., lorsque le pouvoir vient de porter la
main sur le pacte fondamental, il est permis sans doute de
considérer si cette effrayante entreprise est un acte 'sûrement
intérieur, conçu par l'esprit faux d'un ministère inhabile, ou si
elle n'est pas liée à un système plus étendu , à une sorte de sys-
tème général embrassé par plusieurs gouvernemens pour Passer-
visseiiient des peuples.


Lorsque l'honorable rapporteur e dit que tout ce qui se passe
en France rend l'Europe attentive, je ne puis penser qu'il ait
voulu enièrmer dans ces paroles indécises ni une crainte qui
serait absurde, ni une menace qui serait révoltante. Assuré-
ment l'Europe est attentive à ce qui se passe dans cette enceinte.
Les rois et lus peuples vous écoutent, messieurs : les rois, pour
s'instruire à donner d'eux-mêmes à leurs peuples ce que la
France a obtenu; les peuples, pour apprendre de vous la science
de la liberté unie au respect envers l'autorité royale. Mais il
est entre les princes et: les peuples une classe qui, conduite par
un intérêt privé, s'efforce de rompre tout accord entre eux ;
classe désignée dans l'antiquité par le nom de faction. dia petit
nombre (i); classe dont la funeste influence a créé et entretient
l'ta.t de guerre qui existe entre les nations et les gouvernem£.ns.


C'est à cet état de guerre que le ministère du Roi s'est associé,
lorsqu'il a conçu le projet de renverser la loi des élec:ions , et


(à) Thucydide.


( 329 )
qu'ensuite , profitant du crime du 1 3 février pour avancer plut
rapidement dans les routes inconstitutionnelles, il vous a pro-
posé les deux lois par lesquelles nous préludons à la destruction
de l'indépendance électorale. Quand les projets du ministère,
odieux eu eux-mêmes, plus odieux encore par le scandale des
prétextes dont on les appuie, ont une évidente connexion avec
des projets de même nature qui se sont peu auparavant dévelop-
pés en d'autres pays, il est impossible, si l'on veut les combat-
tre, de ne pas s'élever à des considérations d'ordre général ; et
il serait absurde de discuter la question du maintien ou du ren-
versement de la charte, c'est-à-dire de toute liberté, comme
nous discuterions les articles d'un Code rural ou d'un Code de
police correctionnelle.


Trente ans de coalitions armées ont démontré à l'Europe
que ce n'est plus l'épée à la main qu'on réduit les peuples à l'es-
clavage. D'éclatans exemples ont appris et apprennent en ce
luoment aux princes que les peuples qui ont tiré l'épée pour
repousser l'oppression étrangère, ont entendu s'assurer avec
cette même épée l'indépendance intérieure. Dans la guerre ac-
tuellement dirigée contre la liberté, on ne stipule plus, comme
dans les coalitions précédentes, le nombre respectif des troupes
à fournir; ce n'est plus sur les baïonnettes que l'on s'appuie
pour arrêter le développement de la liberté là où elle existe
déjà , ou pour l'empêcher de naître là où elle n'existe pas
encore; c'est par des systèmes insidieux, par des mesures ex-
traordinaires, ostensiblement motivées sur le salut public, ou
sur le salut du tre,e-, c'est par des dispositions prétendues lé-
gislatives que le pouvoir absolu cherche ou à conserver ou à
rétablir son empire. Les conseils de guerre ont fait place aux
conseils de cabinet. La déception des lois est venue suppléer.
l'inutilité du glaive. Les armes actuelles des gouvernemens sont
des arguties; leurs tacticiens sont des sophistes; le pouvoir
absolu a ses Séides ; la colère du despotisme a eu son Homère,


Cette croisade contre la liberté a-t-elle été pour quelque autre
pays un calcul raisonnable? C'est ce qui nous importe peui.
niais, même en supposant ce calcul raisonnable ailleurs, l'était-
il pareillement en France? Rien ne serait si facile à établir que
la négative. Cependant je vais plus loin ; j'admets l'hypothèse
contraire; j'admets que, dans l'intérêt du pouvoir, ce calcul
offrait-, il y a six mois, quelques chances de réussite ; j'admets, si
Pon veut, que le succès en était. assuré, infaillible ; en est-il de
même encore aujourd'hui? C'est une autre question.


Dans toute entreprise politique, le point important est l'op-




^9




( 33o )
portunité. Ce n'est pas assez de former un plan exécutable
en soi, il faut savoir l'exécuter à propos : une fois l'à-propos
inanqiié, il faut renoncer au projet ou en ajourner l'exécution.
L'erreur des ministres est grave, s'ils croient que l'à-propos
subsiste encore. A la vérité, un crime qui a plongs la France
dans le deuil est venu leur offrir un secours exécrable qu'ils
ont eu le courage d'accepter. Le crime leur a livré la liberté in-
dividuelle, il va leur livrer la liberté de la [gesse; mais il y a
loin encore d'une législation odieuse, révoltante, inconstitu-
tionnelle, au rétablissement d'un despotisme qui puisse avoir
de la solidité et de la consistance. La France n'était qu'une
partie dans un grand ensemble : il y avait, pour le triomphe du
pouvoir absolu , accord presque général entre les gouvernemens.
La face des choses a tout-à-coup changé; le concert qui existait
est détruit ; le principal anneau est brisé ; la chaîne tombe. On
'voit encore aujourd'hui ce qu'on voyait il y a six mois, une
grande fermentation parmi les peuples, un vif mouvement des
esprits vers l'indépendance; mais ce qu'on ne voit plus aujour-'
d'hui, on voyait alors, dans une belle contrée de l'Europe , la
liberté enchaînée en apparence pour des siècles par le bras
réputé, invii+le du pouvoir absolu. J'admets donc qu'a lors Per-
reur a été , que les gouvernemens ont pu se laisser
prendre au charme de l'exemple ; mais ce même exemple, tant
célébré naguère , si effrayant aujourd'hui , est-il donc possible
de l'imiter encore? Non , messieurs; la théorie du despotisme
est convaincue de faux ; ses trompeuses maximes, ses doctrines
perverses sont contredites par les événemens , réfutées par les
faits , démenties par les résultats. Ce qui .eût pu être regardé
comme devant réussir en r 819 , ne peut plus être tenté sans
péril en ,82o.


Dans toutes les hypothèses , si les lois qu'on vous propose
sont adoptées, c'est au gouvernement surtout que leur adoption
sera funeste. Il me paraît difficile de répondre au dilemme sui-
vant : Ou bien le ministère usera de ces lois avec la modération
qu'il vous annonce, ou bien il en fera une tyrannique applica-
tion. Dans le premier cas , il aura , sans utilité , commis une
faute capitale ; il aura, par une capricieuse .et gratuite violation
de la charte , soulevé les passions et exaspéré les esprits : il aura
fait pis qu'être cruel , il aura montré la cruauté qui veut !kapper
et qui ne l'ose pas. En même temps que l'on détestera en lui là
volonté du droit de persécution, on dédaignera une menace gaie
ne suivent peint les effets. On verra dans sa réserve (le la tai-
blessei; .dans sa .prétendue modération ,.de la lâcheté. Il recueil-


( 331 )
lera les déplorables fruits doit la justice du ciel paie l'intention
du mal, sans en avoir recueilli les criminels avantages. Mais qu'im-
porte en de si graves conjonctures le déshonneur, la chute , la
ruine de tels ou tels ministres ? C'est vers la famille royale que
doit s'élever notre sollicitude : c'est à elle que l'audacieuse inex-
périence de ses conseillers porte les coups les plus sensibles en
privent le trône de son plus solide appui, l'amour des peuples.
(V ive sensation à gauche. )


Dans le cas où le ministère , soit celui-ci , soit tout autre,
voudrait appliquer les lois exceptionnelles dans toute leur ri-
gueur, l'exécution (le ces lois est désormais impossible, à moins
de vouloir livrer la France à d'inévitables bouleversemens. C'est
un premier ulallieur pour le gouvernement , que l'adoption de
la loi destructive sur la liberté individuelle : ce sera un malheur
plus grand , parce que ce sera une seconde violation de la charte,
que l'adoption de la loi destructive de la liberté de la presse : ce


„glet enfin le plus grand des malheurs et pour la famille royale
et pour la France , que le renversement de la loi actuelle des
élections.


Je ne balance pas, messieurs, à faire ici une éclatante pro-
fession de foi. Si, comme de lâches calomniateu .rs . osent nous en
accuser, nous étions des révolutionnaires, des ennemis de la
maison régnante, loin de nous plaindre du ministère, nous de-.
vrions applaudir à ses actes, nous voterions avec. une barbare
joie les lois désastreuses qu'il nous propose. Au lieu de lutter
contre lui pour l'arrêter dans la route fatale où il s'engage nous
précipiterions sa Ir.- che , et la destinée politique de la France
serait bientôt changée. Mais, messieurs , nul de nous ne veut
des révolutions nouvelles : nous savons trop que, s'il est facile
de les commencer, il est malaisé d'y mettre un terme. La vie
Ordinaire d'un homme suffit à peine à une rf,•volution ; c'est au
bruit du canon qui brisait les portes de la Bastille que la plupart
d'entre nous prenaient la robe virile.


Nous avons traversé trente années, non sans périls, mais purs
du sang innocent qui a été versé. Eclairés par les terribles leçons
que nous avons eues sors les yeux de nous pourrait vouloir
livrer aux hasards d'une révolution nouvelle et son existence et
son honneur? Est-il encore besoin de semblables protestations?
n'est-il pas suffisamment reconnu que ce ne sont pas les peuples
qui font les révolutions , mais les gouvernemens eux-mêmes,
niais les perfides ou'imprudens conseillers des princes? C'est la
Action du petit nombre, a ttachée aux pas des princes et maî-
tresse de leurs cabinets ; c'est l'inexpérience et l'incapacité des




( 332 )
ministres ; c'est leur audace à se jouer de l'opinion , à braver le
voeu 'national, qui font les 14 juillet , les 2 0 mars, les 7 mars
qui amènent l'ébranlement des trônes et des dynasties.


Vainement le ministère actuel se croirait - il assez fort pour


tenir la France clans une muette oppression; vainement délivré
de la 'crainte d'un redoutable ennemi , il se regarderait comme
placé clans une meilleure position que ne l'était le ministère de
1814. Nous pourrions lui dire ce que' Démosthènes disait aux
Athéniens : « Qu'importe que Philippe soit. mort ou vivant? il
» serait mort , vous vous feriez bientôt à vous-mêmes un autre'
5> Philippe. » 'Vous vous seriez bientôt créé de nouveaux enne-
mis, quand vous n'en auriez plus.


Le danger, messieurs, est partout pour ceux qui l'appellent :
il est au sein de la paix , dans la sérénité du plus beau jour.
Tout était serein en France il y a dix mois : les ministres ont
invoqué les nuages : la France en a été couverte aussitôt. La
voilà, pour un temps peut-être indéfini, livrée au démon des
tempêtes ! ( Des murmures s'élèvent au centre. )


L'honorable rapporteur de votre commission, en vous encou-
rageant à une nouvelle violation de la charte, ne craint pas de
vous présenter ce redoublement d'une périlleuse témérité comme
un salutaire recours : cc lienestencore temps, vo uscrie-t-il : c'est
ici qu"est le salut. » C'est avec une effrayante vérité que nous
renvoyons au ministère ce salutaire avis , il en est encore temps.
Retirez, abandonnez les odieuses lois qu'a proposées votre aveugle
imprudence, rentrez dans la ligne constitutionnelle, attachez-,
vous à la charte , seul point commun qui offre à la nation et au
trône une égale sûreté.. Au milieu de la tourmente qui agite l'Eu-
rope , placez-vous dans la charte comme clans le seul port oà
vous puissiez braver le naufrage : il en est temps encore, c'est
hi qu'est le salut. Vous ayez cru , il y a six mois , que le mo-
ment était venu d'anéantir la liberté et de Lire rétrograder la
France d'un régime constitutionnel à un régime despotique. En
supposant que , dans votre système , vous eussiez raison alors ,
TOUS avez tort aujourd'hui : vous étiez alors coupables seule-
ment comme citoyens , vous Pètes aujourd'hui et connue ci-
toyens et comme hommes d'état. Vous avez cru à la réalité de
circonstances favorables à vos vues : les circonstances ont changé,
ehangez avec elles. Songez que la responsabilité qui pèse sur vous
est celle de la sûreté du trône, de la sûreté de la dynastie.


Mais lorsqu'une si grande responsabilité pèse sur les mi-
nistres, une partie de sou poids ne retombe-t-elle pas aussi sur


( 333 )
notre tète? Si , par suite de l'adoption des lois proposées, la
France est en proie à d'horribles déchiremens , si la famille
royale elle-même se voit en butte à de nouveaux dangers , se-
rons-nous innocens des maux qui peuvent fondre sur l'une et
sur l'autre? La chaleur très-excusable de nos discussions a fait
retentir dans cette enceinte les noms de révolutionnaires et
d'ennemiS de la liberté : sans doute ces dénominations récipro-
ques manquent également d'exactitude. On n'est pas révolution-
naire quand on demande le maintien des lois , et surtout de la
loi fondamentale. Nous aimons de même à croire qu'on peut
n'être pas ennemi de la liberté, quoiqu'on vote pour la des-
truction de toutes les libertés : chacun conçoit la liberté à sa
manière. C'est, il est vrai, une étrange manière de l'entendre,
que d'adorer son nom quand on la frappe dans tous ses attributs ;
mais enfin je respecte toutes les opinions dès qu'elles sont
loyales et sincères. C'est parce que je les respecte toutes , que
je ne balance pas à signaler ici la véritable position des deux.
opinions qui divisent la France, et dont la lutte prolongée nous
a conduits à la crise où nous sommes, crise qui doit nécessai-
rement se terminer sous peu par le triomphe définitif de l'une
ou de l'autre.


Messieurs, on ne peut plus se le dissimuler, le combat qui.
dure en France depuis trente ans touche à sa fin. La question
est posée en termes différens, selon les différens intérêts; mais
au fond elle est une et partout la même. Selon le ministère, le
but de ses propositions est de donner plus de force :ni pouvoir,
et il enveloppe ch. s de captieuses argumentations des projets
qui tendent à le revêtir d'un despotisme illimité !


Dans cette chambre, la question se présente comme ayant
pour objet de renforcer le principe aristocratique dans le gou-
vernement, sous prétexte qu'il y a trop de démocratie dans une
constitution qui, sur une population de vingt-huit millions de
citoyens, réserve l'exercice des principaux droits politiques à,
quatre-vingt mille d'entre eux. Hors de cette chambre, l'ex-
pression du point en litige est beaucoup plus simple. On se
demande s'il y aura retour vers un ordre de choses abhorré, s'a
y aura domination d'une classe sur tout le reste des Français ;
enfin, si la nation sera gouvernée dans son intérêt propre
pour l'intérêt et dans l'intérêt de la fiction du petit nombre.
C'est là, messieurs, ce qui, dans ce moment, occupe en France
tous les esprits. D'une extrémité du royaume à l'autre, les deux
opinions sont aux prises; il y a, comme on vous l'a dit , dans
chaque ville, dans chaque village, un côté droit et un . côté




( 334 )
gauche. La même division existe dans les ministères, dans les
administrations, dans les tribunaux, dans l'armée, dans cha-
que régiment de l'armée. Songeons-y bien, messieurs, l'explo-
sion pourrait n'être pas sans péril ; gardons-nous de la provoquer,
et par conséquent gardons-nous de tout ce qui peut produire de
l'irritation et du mécontentement ; gardons-nous d'ajouter à
une loi d'exception déjà rendue une loi d'exception nouvelle ! Si
le pouvoir ou le parti qui domine le pouvoir ne peut plus ignorer
le danger des concessions tardives, comment ne.comprend-il pas


déjà
qu'il y a plus de danger encore à vouloir révoquer des concessions


faites, violer ce qui est établi, reprendre ce qui a été
donné? Tel peuple qui, il y a trois mois, eût accepté comme un
bienfait une constitution dans laquelle l'autorité monarchique
eût gardé une grande latitude, ne veut plus aujourd'hui pour
base de son gouvernement qu'un contrat dressé par lui-même,
dans lequel il dicte les conditions, et enchaîne le pouvoir royal
comme un ennemi dont il se défie.


Mais, messieurs, peut-être n'est-ce pas seulement: de ques-
tions de droit , de questions de principes, qu'il s'agit pour
nous en ce moment; c'est de questions de paix , de sûreté pu-
blique. Le ministère et l'esprit aristocratique veulent des lois
violentes, de l'arbitraire, des cachots et le silence. La nation
veut la liberté des personnes, la liberté de la pensée, la liberté
des élections; elle a l'arbitraire en horreur.


Vous avez beau violer la charte par des lois exceptionnelles ; .
il. existe aussi des lois qui confient le maintien de la charte à
la garde de tous les citoyens. En vain vous mettrez la tyrannie
dan' s la loi, la' tyrannie en lira ne peut plus exister, du moins .
comme vous prétendez l'établir. La masse de la nation repousse
les mesures extraordinaires; elle les repousse surtout comme
avilissantes et injurieuses pour elle.


Oui, messieurs, nous le disons avec toute la France, nous
sommes humiliés des lois de persécution que nous sommes
condamnés à discuter en ce moment, mais nous n'en sommes
point effrayés ; nous en bravons , nous en dédaignons l'insul-
tante menace. Nul de nous ne veut ni exercer ni souffrir


. la
proscription : nous ne voulons proscrire personne, mais nous
ne voulons pas être proscrits. S'il est des périls à craindre, c'est
surtout pour les insensés qui voudraient ramener les régnes
de fer et de sang de 1 793 et de r 815. Les armes perfides qu'ils
aiguisent contre les amis de la liberté , seront peut-être bientôt
tournées contre eux-mêmes ; ce sont les amis de la liberté
qui seuls les couvriront du bouclier d'une généreuse protection.


( 335 .))
Puisse le salutaire avertissement que nous leur donnons aujour-
d'hui n'être pas entièrement perdu! puisse ma voix n'être pas
destinée line fraprer l'air que -de sons inutiles ! Messieurs , au
point où nous sommes arrivés , après de si longues agitations
et de si terribles catastrophes, si la liherié individuelle, si la-
liberté de la presse, si la liberté électorale sont anéanties en
France, non-seulement il n'y a plus ni charte ni gouvernement
représentatif, ni monarchie constitutionnelle , niais il n'y a
plus ni monarchie, ni despotisme même, ni gouvernement
d'aucune sorte; il y a révolution et anarchie. Le pouvoir, dans
un tel état de choses, appartenant au plus fort , quel est.
l'homme de bien, de l'ordre , l'ami de l'humanité qui ne
frémisse à l'idée des dangers que peut courir alors la nation
entière, et surtout la faction dia petit nombre? Dans le juste.
effroi d'un si menaçant avenir , je vote contre le projet de loi.
(Mouvement général d'adhésion à gauche. )


Delong. Avant de rendre aux journaux cette faculté de
tout dire, cette liberté indéfinie de publier, dans des feuilles
quotidiennes, des opinions diverses, liberté qu'on réclamait avec
tant de véhémence, vous aviez exigé des garanties qui sein-
blaient devoir nous préserver de la licence qui fut une des
premières causes des calamités qui ont pesé sur notre mal- . -
heureuse patrie. Mais l'expérience de quelques mois nous a
prouvé que le nom d'un éditeur responsable , le dépôt d'un cau-:


n;
tionnement, quelque considérable qu'il


parûtd'abord,-apu
point


diminué le nombre <les écrivains périodiques , et n'a maux
tenir dans de sages idnites ceux qui, par calcul beaucoup plus
que par zèle, se dévouent à l'éducation politique de la génération:
présente.


La cause des écrivains est défendue avec beaucoup de chaleur
à cette tribune. Ce sont, vous dit-on, les défenseurs de la vé-
rité que nous devons protéger contre leurs oppresseurs. Mais
nous ne connaissons ici ni secte , ni corporation la loi qui au-
torise la publication des opinions , n'a pu restreindre ce droit;
le simple cultivateur, Partissan , le banquier, le fonctionnaire
public, peuvent essayer de faire gémir les presses aussi bien que
ceux qui se Croient appelés à éclairer leurs concitoyens sur les
intérêts de la patrie. Ainsi ne cherchons pas à agrandir une
question qui est loin de pouvoir intéresser tous les Èrançais. il
ne s'agit ici que de ces écrivains que la législation actuelle n'a pu
atteindre , et qui ont trouvé l'impunité et la continuation du
scandale dans l'insuffisance de nos lois.


Il ne peut y avoir aucune comparaison entre la faculté de pu-




( 336 )
Biler ses opinions par la voie des journaux ou par la voie ordisi
naire de la presse. Cette difièrence a été tellement reconnue,
qu'une législation spéciale a été donnée pour les journaux ; mais
cette législation n'a consacré jusqu'ici pie l'impunité des écri-
vains. Mais l'impunité augmenta leur licence , et nous sommes
arrivés à ce terme MI il faut appliquer un remède quelconque
aux maux qui nous pressent; et bien que je regarde la censure
comme contraire aux lois constitutionnelles, que je reconnaisse
que les censeurs auront bien de la peine à tenir avec impartialité
l'arme redoutable qui leur est confiée pour arrêter les fureurs
.des différens partis , je.sens que nous ne pouvons plus vivre au
milieu de cette licence qui, parvenue à un plus grand degré
d'exaltation, produirait des convulsions qui menaceraient notre
existence sociale. Je cède donc, mais je cède à regret, je cède
à. l'impérieuse nécessité; et en votant pour la censure provi-
soire, j'ai l'espoir que Je gouvernement présentera dans le cours
de cette session un projet de loi qui , en consacrant cette liberté
d'écrire et de' publier ses opinions, hase certaine et positive du
gouvernement. représentatif


•, saura maintenir, par la crainte des
amendes considérables, les écrivains qui se sont emparés-du mo-
nopole des feuilles publiques. Et s'il est vrai que l'intérêt pécu-
niaire n'est pas étranger à leurs travaux d'habitude , ce même
intérêt sera pour eux un avertissement salutaire, et pour nous
la meilleure garantie du :)ut que nous voulons atteindre, la re-
cherche de la vérité, mais par des discussions que la calomnie et
la diffamation ne viendront pas empoisonner.


Je vote pour le projet de loi, avec l'amendement développé
par M. de Labourdonnaye, et déposé sur le bureau , qui limite
à la fin de la présente session le temps de la censure.


W. Benjamin-Constant. Messieurs, à Dieu ne plaise qu'a-
près tant d'orateurs sur un projet de loi , le cinquantième peut-
être qui ait été présenté à cette tribune, sous divers régimes,
pour enchaîner la liberté de la presse et tuer la, publicité, seule
garantie réelle des citoyens, je fatigue la chambre de longs dé-
veloppemens. Je demanderai au ministère s'il a bien réfléchi à
une conséquence qu'entraînera inévitablement la suspension
temporaire ou non (le la libre circulation des journaux. Cette
conséquence, c'est l'ignorance dans laquelle il sera lui-même de
tout ce qui se passera'. au-delà du cercle de ses courtisans.4
ses flatteurs. Tons les g,ouvernemens , tant libres que despo-
tiques, ont pour leur sûreté (yens voyez que, j'abjure les mots
surannés de liberté ou de droits du peuple) .besoin de savoir
ce qui se passe dans leurs états. Même en Turquie, les visirs se


( 337 )
trouvent quelquefois très-mal d'avoir été trompés par les pachas
sur la situation des provinces! et peut-être faut-il attribuer à la
connaissance inexacte qu'un prince voisin de la France parait
avoir eue de la disposition des garnisons un peu éloignées de sa
capitale, la surprise fâcheuse qu'il doit avoir éprouvée en les
voyant se déclarer contre lui:


Maintenant je pose ce- fait, messieurs, qu'en suspendant la
libre circulation des journaux, le gouvernement se condamne à
ne rien savoir que pariesrenseignemens de ses salariés, c'est-à-
dire à ne savoinjamais que la moitié de ce qui- est , et quelque-
fois le contraire de-ce qui est. Pour vous démontrer cette vérité,
ce n'est pas au raisonnement que j'aurai recours; le raisonne-
ment ressemble trop à la liberté pour être de mise. Ce -sont des
faits que j'invoquerai, parce que les faits sont les mêmes sous
tous les régimes. On peut, nous le voyons, mettre en pièces
les chartes deueuples ; mais tout l'arbitraire du monde ne peut
rien contre des faits.


Or donc, messieurs, veuillez vous retracer ce qui est arrivé
juin 181 7 .à Lyon en La France se trouvait alors sous les lois


d'exception sous lesquelles vous la remettez ; la liberté indivi-
duelle était, comme elle va l'être , à la merci des ministres , et
la censure faisait des journaux ce qu'elle en faire d'ici à huit
jours , si vous adoptez le projet de loi. Qu'est-il advenu, mes-
sieurs? une conspiration, vraie ou fausse, a éclaté; des mesures
très-sévères ont été prises; beaucoup d'hommes ont été unis à
mort, et durant un assez long temps l'instruisent du:supplice
a parcouru les cameagnes. Lh bien ! tout cela s'est fait sans que
le gouvernement sût précisément ce dont il s'agissait. Le gou-
vernement en est convenu lui-même; car, après que les exécu-
tions avaient eu lieu , après que tout-, par conséquent, était
irréparable, un maréchal de France a été- envoyé sur le théâtre
sanglant de tant•de :


sévérités redoublées; il a été envoyé pour
éclairer enfin les ministres sui: le véritable état des choses. En
attendant, l'on avait incarcéré, jugé, condamné, exécuté, le
tout sans bien savoir pourquoi : car si l'on n'eût pas senti le
besoin de l'apprendre, la mission tardive de M..le Maréchal
Marmont n'eût pas été reconnue nécessaire.


Que la.eonspiration ait été vraie ou fausse, cela n'importe en
rien à ce que je prétends prouver. Ce qui importe, c'est- que,
durant plusieurs mois , le gouvernenient est resté dans l'igno-
rance des faits , et qu'il lui a fallu l'envoi d'un témoin oculaire
pour lui apprendre enfin à quoi s'en tenir. Mais, messieurs, ne
-sentez-vous pas qu'il n'en aurait point été ainsi, s'il y eût eu


s




( 318 )
alors dans le département du Rhône un seul journal libre ? Ce
journal, jacobin, révolutionnaire, comme on voudra l'appeler,
aurait présenté les choses sous un point de vue autre que celui
sous lequel les présentait l'autorité locale; le gouvernement
aurait entendu les deux parties : il n'eût pas commencé par
frapper sans connaissance de cause, pour eim)yer ensuite exa-
minrr sur place s'il avait eu raison de frapper. ( Mouvement
d'adhésion à gauche. )


En suspendant la libre circulation des journaux, le ministère
déclare qu'il ne veut rien apprendre que par ses agens c'est-à-
dire que lorsque ses agens , soit par imprudence, soit par quel-
que motif ou passion personnelle, se seront engagés dans une
fausse route, il n'apprendra d'eux que ce qu'ils croiront con-
venable pour mettre leur mérite en évidence ou pour assurer
leur justification. Cela est-il dans son intérêt? C'est sous ce
rapport uniquement que j'invite MM. les ministres à y réfléchir.


Toutefois, si je ne traite cette question que sous le point de
vue de l'intérêt des ministres, c'est que je cherche à leur parler
une langue qu'ils ecoutent ; car je suis loin de vouloir me faire
un mérite qu'assurément je n'ai pas. S'il ne s'agissait que d'eux
seuls, je n'aurais point pris la parole. Que l'autorité porte la
peine de ses empiétemens , de ses vexations, de ses fausses me-
sures, rien n'est plus juste ; et ce qui peut en résulter pour
M1-i. les ministres m'est fort indifférent. Mais, comme l'exem-
ple de Lyon nous le démontre, le peuple s'en ressent aussi ; et
je voudrais épargner à ce pauvre peuple une partie des souf-
frances que lui prépare infailliblement le nouveau régime vers
lequel on nous conduit. J'appelle ce régime nouveau, parce
qu'il est différent de celui que la charte avait commencé d'in-
troduire en France. Mais je pourrais tout aussi bien, et plus
justement , l'appeler l'ancien régime; car c'est l'ancien régime
que nous reconstruisons pièce à pièce : lettres de cachet, cen-
sure, élections oligarchiques, voilà les bases de l'édifice; les
colonnes et les chapitaux viendront après. ( Mouvement à
droite. )


Je demande à MM. les ministres si leur intention est de gou-
verner la France sans la connaître, de prendre des mesures sur
des événemens dont ils ne seront instruits que par des hommes
intéressés peut-.être à les déguiser, de commettre ainsi:, sans
profit pour eux, beaucoup d'injustices qu'ils ne pourront plus
réparer? Si leur intention est telle, suspendre fa liberté des
journaux est un moyen sûr de la remplir; mais s'ils trouvent
que le peuple français vaut la peine d'être entendu avant d'être


339 )
condamné, et que les vingt-huit millions de citoyens des dépar-
temens ne doivent point être frappés d'après des données incer-
taines et des rapports peut-être faux, il faut qu'ils laissent les
j ournaux libres. Quelle que soit au reste leur détermination. je
suis bien aise d'avoir pu poser la question ainsi. La France
saura, en cas de refus, combien peu d'importance MM. les
ministres mettent à son sort, et avec quelle légèreté ils la trai-
tent. J'ajouterai que je les supplie, s'ils me font l'honneur de
nie répondre, de me réfuter sur l'exemple que j'ai puisé dans
l'affaire de Lyon, et. de ne pas s'égarer dans des déclamations
vagues , quand je leur cite un fait précis.


Je passe à un autre sujet, sur lequel je crois que deux mots
d'explication seraient très-utiles. Suspendre la libre circulation
des journaux, c'est mettre les journaux dans la main (lu minis-
tère ; mettre les journaux dans la main du ministère, c'est l'au-
toriser à faire insérer dans les journaux ce qu'il lui plaira. Or,
avez-vous oublié, messieurs, ce qui est arrivé lorsqu'une loi
pareille à celle dont on vous demande la résurrection, donnait
au ministère cette faculté ? Ce n'est pas des élections que je veux
parler ; j'aurais honte de raconter des faits si connus. D'ailleurs,
il ne faut savoir mauvais gré aux gens que du dommage qu'ils
causent ; et, dans trois élections successives, le ministère avait
tellement décrédité les articles officiels, qu'en faisant attaquer
les candidats, il contribuait à-leur élection. Je lui dois, pour
nia part, de la reconnaissance en ce genre, et je pardonne l'in-
tention en faveur du résultat.


Par la loi conne la liberté individuelle, vous avez mis à la
discrétion des ministres toutes les personnes. Par la suspen-
sion des journaux, vous allez mettre à leur merci toutes les
réputations.


Car je ne m'arrêterai point à examiner les promesses de
M. le .ministre de l'intérieur sur cette censure anodine qui re-
poussera les personnalités, encouragera les lumières, et laissera
les écrivains libres, quelque opinion qu'aient les censeurs.


M. le ministre des affaires étrangères s'est chargé , à la cham-
bre des pairs , de réfuter son collègue : la nature des 'choses
l'aurait réfuté à définit du ministre. Les censeurs ne sauraient
jouir d'aucune indépendance , ni pour empêcher- l'invective , ni
pour respecter les opinions. Quand on fait pour de l'argent un
métier peu noble-, c'est l'argent qu'on veut mériter. On paie les
censeurs pour rayer ce qu'on ne veut pas qui s'imprime ; on les
paiera pour ne pas rayer ce qu'on voudra qui soit imprimé. Le
gouvernement aura, comme par le passé , le monopole des re-




(34o)
tranchemens et celui de l'injure. Quant à la liberté des doc-
trines, M. le commissaire du Roi qui a parlé dans une de nos
dernières séances, s'en est expliqué avec une louable franchise.
Il a fait l'énumération de toutes les. doctrines pernicieuses.
Cette énumération a duré une demi-lieue , et l'orateur a fini
par nous annoncer qu'il y avait encore bien d'autres doctrines
dignes d'anathème. Si les censeurs se sentent gênés par les pa-
roles de M. le ministre, ils n'auront qu'à consulter le discours.
de M. le commissaire du Roi pour se retrouver à leur aise.


Les censeurs sont à la pensée ce que leo opinions sont à l'in-
nocence : les uns et les autres gagnent à ce qu'il y ait des cou-
pables; et quand il n'y en a pas, ils en font. Les censeurs se
prennent ordinairement dans la classe dite lettrée, qui ne pro-
duit rien par elle-même; et l'on e toujours de l'humeur de sa
stérilité. Aucun écrivain qui se respecte ne consentirait: à être
censeur. Le titre de censeur royal était presque un reproche
sous l'ancien régime; croit-on qu'il se soit réhabilité sous les
censeurs impériaux ? Ces hommes apporteront dans notre mo-
narchie toutes les traditions de l'empire. 11 en sera de la liberté
de la presse comme de l'administration 3 . nous marcherons sur
les erremens de Bonaparte, moins le prestige de la gloire et.le
repos de l'unité.


Je me 'permettrai encore deux observations : l'une est rela-
tive à cet argument perpétuel tiré des circonstances et du droit
qu'a l'état de se conserver. Hélas ! messieurs , cette logique n'a
pas même le mérite de la nouveauté; elle n'est autre que celle
du salut public, et vous n'ignorez pas ce que tons les gouverne-
mens de la France ont fait au nom du salut public. Toutes les
fois que l'autorité aspire à l'arbitraire, elle suppose des dangers
chimériques pour s'arroger des droits usurpés, et les gouverne-
mens les plus légitimes sont réduits alors à reproduire les so-
phismes des gouvernemens les plus illégaux. Si vous prenez les
discours de MM. les ministres, et si vous substituez au mot de
monarchie celui de république, et à l'épithète de régicide celle
de liberticide, vous trouverez leurs phrases dans les plus illus-
tres des conventionnels : ;mêmes idées, mêmes expressions,
même système. MM. les ministres ne s'irriteront pas j'espère,
de ce rapprochement. L'un d'eux s'est appuyé, en propres.pa-
roles , de l'exemple de la convention à la chambre des pairs :,et
en effet, le discours qu'il a prononcé dans cette chambre
semble copié du Moniteur.




Ma seconde observation, messieurs, se rapporte à cette licence
des journaux qui motive la violation de la charte. Oui, sans


( 34.1 )
doute, il y a eu des journaux qui ont franchi les bornes de la
convenance. ll y en a eu qui ont été plus loin , et .qui ont foulé
aux pieds ce y a de plus respectable et de plus sacré. Parmi
les premiers, je reconnaîtrai, si l'on veut, pour un petit nombre:
d'articles, quelques journaux libéraux. Des railleries person-..
nelles , des anecdoctes privées ont donné de temps à autre à
certaines feuilles une apparence de malignité c'est un tort,
elles en portent la peine. Car, disons-le de bonne foi , oies col-
lègues, il y a dans l'indignation généreuse quiéclate contre les
écrivains périodiques , au moins autant. d'impatience des petites
attaques dont on a été l'objet, que de zèle pour les grands
intérêts de l'ordre social Les journaux ont ce défaut capital
qu'ils troublent cette paix si douce, que bien des fonctionnaires
publics regardent comme un privilège de leur place. Mais on se
dessine mieux en s'armant pour le trône, et les paroles reten-
tissent plus sonores quand on a l'air de plaider plutôt pour la
patrie que pour soi.


Les journaux qui ont foulé aux pieds les lois de la décence
et dela morale, ne sont pas, je dois le dire, les journaux libéraux
(M. de Puymaudn: Et la Minerve !) ce sont au contraire ceux
qui, au grand détriment de k monarchie , se sont dits exclusi-
vement: royalistes. C'est dans ces journaux qu'on a trouvé
des appels au meurtre et à la guerre civile ; ce sont ces jour-
naux qui vous . ont appelés, vous, mes collègues , des députés
traîtres et parjures; ce sont ces journaux qui ont renouvelé les
déclamations féroces et les fureurs ignobles dont la lie des dé,
magogues de , 1 7 -9 ' épouvanta jadis l'Europe.


Mais côntre ces journaux, certes, les lois répressives étaient
suffisantes. Une seule ligne de leurs provocations incendiaires
aurait forcé les jurés les plus indulgens à sévir contre eux.
Pourquoi l'autorité, qui se pla i nt aujourd'hui de ces excès , a-t-elle
gardé le silence ? Est-ce une suite de la partialité que M. le mi,
nistre des affaires étrangères a promise aux pairs ? A- t - il cru
devoir respecter la devise de ces journaux : vive le Roi, quand
mime ! a4-il pensé que le parti qui demandait du sang, qui
accusait les élus du peuple de trahison , et un ancien 'collègue
et un ami de M..le ministre des affaires étrangères de. complicité
dans un assassinat, était le parti de la monarchie, de la France,
de la charte , de la maison de Bourbon? Ou bien le ministre
a-t-il voulu se ménager, par l'inexécution des lois pénales, un
moyen de conclure à la nécessité des lois préventives? ( Nou veau
Mouvement à gauche. )
• Quoi qu'il en soit de ces motifs, c'est le ministère et non la




( 342 )
liberté des journaux qui est coupable ; et les faits sur lesquels
il s'appuie pour vous proposer les dispositions que je combats ,
devraient nous conduire à un résultat tout différent, résultat
qui ne serait pas la suspension des journaux , niais la mise en
accusation des ministres pour n'avoir pas fait exécuter les lois.


Les considérations générales que je pourrais ajouter seraient
fort inutiles : vous êtes trop éclairés pour ne pas vous rendre un
compte de ce que vous faites.


Vous n'ignorez pas que la loi que vous avez votée le i5 de
ce mois était un pas rétrograde. Celle que vous discutez main-
tenant, serait, si vous l'adoptiez , un second pas dans le même
sens. Vous remonteriez à des époques dont nous nous flattions
d'être pour jamais sortis, avec cette aggravation de plus, que
ce serait précisément au moment où une loi qui menace tonies
nos libertés vous est présentée , que vous interdiriez aux jour-.
naux de s'occuper de cette loi, loi funeste, loi décréditée par
les précautions mêmes que l'autorité prend en sa fiveur. Car elle
confesse, par ces précautions, que pour empêcher que l'opinion
ne frappe cette lei d'une réprobation rigoureuse , il faut soi-
gneusement bâillonner ses organes. Enfin, messieurs, l'adop-
tion du nouveau mode d'élection qui doit déshériter le peuple
français serait le troisième et dernier pas : car je ne vois guères
après celui-là ce qui resterait encore à faire.


Mais avant: d'aller plus loin , messieurs , daignez regai der
autour de vous. Je lé dis dans toute la sincérité de mon âme aux
hommes , quels qu'ils soient, à quelque rang qu'ils soient placés,


jqui veulent. la contre révolution ; s'il n'y a personne qui la veuille,e n'offense personne; mais permettez-moi de continuer, comme
s'il y. avait quelqu'un ; cette contre-révolution que vous voulez,
vous ne la ferez pas. Vous remettrez la France en péril , tout en
courant à votre .ruine ; vous vous êtes crus souvent bien prés
d'atteindre votre but , et quand vous avanciez la main pour y
toucher , une circonstance imprévue , ce que vous nommez un
hasard malheureux, le caprice ou !a perfidie de tel ou tel homme,
dites-vous , vous ont rejetés hien loin en arrière. Mais quand
les hasards se répètent ainsi ; quand l'intervention de tel ou tel
homme arrive toujours tellement à point nommé , c'est que , ce
hasard ou cette intervention sont conformes àla nature des choses.


La chance aujourd'hui vous semble favorable ; mais il y a ti4,
-ois


mois, quand vous censuriez ce qui n'était pas d'accord avec vos
doctrines , ne nous citiez-vous pas l'exemple de l'Espagne ? Là
point de limites au pouvoir, point de révolutionnaires tolérés ,
point de journaux portant les idées libérales dans tous les vil-


( 343 )
luges , point de législation séparée de la religion de l'état , point
de loi . d'élect ion démocratique. Au contraire , tout ce que- vous
voulez nous donner , l'Espagne le possédait. Votre loi contre
la liberté individuelle n'est qu'une faible copie des mesures qui
peuplaient les châteaux-forts, les consens, les galères. Vos res-
trictions à la presse auraient fait sourire les inquisiteurs . Votre
loi d'élection oligarchique ne vaudra jamais le conseil de Castille.
Eh bien ! qu'est-il résulté pour l'Espagne de tout ce que vous
tâchez d'introduire en France?


Rentrez donc en vous-mêmes ; ne repoussez pas la leçon des
faits. Les •fiiits ont cet avantage qu'on peut .leur céder sans que
l'amour-propre en souffre..


Je suppose que vous obteniez momentanément toutes les lois
que vous desirez ; ces lois d'exception, ces lois torturées, alam-
biquées, remises sans cesse sur le métier , ne vous mèneront
à rien : rien ne durera contre ce pie la France a voulu depuis
trente ans , et ce qu'elle veut encore. Vous êtes des gens de beau-
coup d'esprit ; malheureusement vous vous étourdissez vous-
mêmes de formules convenues que nous vous laissons dire parce
que nous sommes polis , muais qui n'ont plus..ni sens ni force.
Rien n'est fort que ce qui est national. nationalisez-sous , et
surtout ne dénationalisez pas le trône. Ne vous trompez pas sur
votre parti ou sur votre nombre. La moitié,de ceux qui vous
suivent vous redoul ent et vous observent ; ils se concertent déjà
contre vous ; votre alliance les importune.: ils craignent que
d'alliés vous ne deveniez maîtres ; et ils savent que si la chose
arrivait, vous et -lx seriez perdus.


Je vous dis ceci, je le répète, dans la sincérité de mon âme;
car c'est une vraie pitié de voir des talons distingués , des qua-
lités.privées , des connaissances positives, tout ce qui pourrait
vous rendre des citoyens utiles et éminens , s'engouffier dans
le tourbillon d'une faction sans ressource, qui n'aura jamais de
triomphe durable , qui tout au plus , si le mauvais génie de la
France l'ordonnait ainsi , pourrait. amener des révolutions, niais
qui en serait victime, et que peut-être ceux qui la combattent
seraient , dans leur esprit de justice, obligés de protéger.


Quant à. moi , quoi qu'il arrive , je me féliciterai toujours
d'avoir pu manifester mon opposition à une tendance que je dé-
clare de nouveau contrerrévolutionnaire , et c'est avec la con-
viction que je remplis mon devoir envers la France , que je vote
le rejet du projet . de 16i entier. ( "Vif mouvement d'adhésion
dans la partie gauehe. )




( 344 )
On demande la clôture de la-diSeuesion'..M.M. les membres


de la chambre quittent leurs places.— M. le président prononce
la continuation de la discussion au lendemain.


CHAMBRE DÉS PAIRS
Séance du 23 mars,


L'ordre du jour appelle la discussion en assemblée générale
du projet de loi relatif à la liberté individuelle.


M. le maréchal comte Jourdan. Pour me déterminer à re-
fuser mon assentiment au projet dont il s'agit, il ne fuit rien
moins que la conviction profonde que j'ai de son inutilité et de
ses dangers même; sans cette conviction, quel Français, ami de
son pays, oserait combattre une loi à laquelle on donne pour
motif' lii.sttreté d'il monarque ? J'ai peine à croire qu'elle soit
effectivement menacée : la France repousse l'arbitraire, mais
elle.


aime les Bourbons. A Dieu ne plaise cependant que je re-
proche aux ministres leurs alarmes, mais je leur demanderai si,
avec le secours de la loi qu'ils proposent, ils eussent prévenu le
Crime que nous déplorons? Louis XV fut frappé au milieu de sa
cour, dans un temps Mi les ressources de l'arbitraire ne man-
quaient pas au pouvoir. Un fanatique peut se rencontrer au
milieu du peuple le plus dévoué. Quelle prévoyance arrêtera son
poignard ? Les seuls atiëntats qu'il soit possible de prévenir,
sont les complots - dont l'explosion est annoncée par quelques
indices; mais alors lés lois ordinaires sont appliquables. Celle
qu'on proposé est donc inutile; j'ajoute qu'elle est dangereuse.
Au lieu d'assoupir les haines, de calmer les partis, elle ne fera
que les irriter. Le moyen de rétablir parmi nous l'union et la
paix,' t'est


• de,
rassurés chacun sur ses intérêts les plus chers,


c'est de donner en effet à la France les institutions qui ne sont
qu'en principe dans la charte. En vain les ministres promet-
traient-ils d'user.avec modération du pouvoir qu'on leur confie;
seront-ils les maîtres de tenir leur promesse? quelle confiance
même doit-elle inspirer, quand on les voit repousser tous les
amendemens qui adoucissaient la sévérité de. la loi ? On desire
que lé gouvernement soit fort : je partage ce vœu; mais je pense
que, pour fortifieile gouvernement, c est à de bonnes lois ré-
pressives, non à l'arbitraire qu'il faut recourir. Je m'oppose
système adopté par les ministres. La loi proposée n'aurait d'autre
effet que d'aggraver, s'ils existent, les dangers auxquels on l'op-
pose comme remède. Je vote le rejet,


(345 )
le comte de Sèze. Je •déclare que je partage avec les


adversaires du projet de loi-, l'admiration et la reconnaissance
qu'ils témoignent pour les grands principes consacrés dans
charte. Mais au-dessus de ces principes je suis forcé d'en recon-
naître un qui les domine tous, c'est le principe du salut public,
premier objet de toute société. Que serviraient enfin les lois les
plus.parfaites si, dans la crainte d'y faire une exception mo-
mentanée , on laissait périr Pilat ? Tous les,peuples libres ont
rendu hommage à cette vérité. Rome en péril nommait un dicta-
teur. En Angleterre on suspend la liberté individuelle, et neuf
fois en un demi-siècle on a eu recours à ce moyen Cher nous la
même liberté a déjà été deux fois suspendue. «NOnslonnaissiens
alors nos droits comme aujourd'hui, mais nous obéissions
une impérieuse nécessité ,.à la loi shprême du saint du peuple.
C'est là qu'est toute la question. En examinant sous ce rapport
la loi qu'on •qiscute, je demande si cette loi est véritablement
nécessaire, ou-si les motifs dont on l'appuie ne sont qu'un pré-
texte pour opprimer nos libertés. Cette dernière supposition me
paraît insoutenable. Comment contester la nécessité d'une loi
qu'appelle à grands cris le voeu général .de la France? Peut-ou
voir un prétexte dans ces adresses multipliées dont l'es auteurs
conjurent le monarque de sauver sa personne,. sa famille, la
religion et la société? Si des alarmes aussi fondées, si le crime
dont nous avons été les témoins ne paraissent pas des motifs
suffisans , il faudra donc, pour solliciter une mesure salutaire
attendre la ruine entière dé l'état?.On a présenté la loi proposée
comme injurieuse à la Jerance : la France ne se croira pas of-
fensée par une loi qu'elle sollicite, qu'elle implore comme un
bienfait. En quoi ses dispositions pourraient-elles inquiéter le
citoyen tranquille ? jamais rien à démêler avec elle ?
Ce n'est qu'aux méchans qu'elle sera redoutable; et qui pourrait
s'intéresser à leur tranquillité ? La gravité des motifs aurait pu
excuser dans le projet des dispositions plus sévères, et cepen-
dant la rigueur en est tempérée- par toutes les précautions con-
ciliables avec le but de la loi. Ce but n'est pas de réprimer, mais
de prévenir le crime. Il ne s'agit pas de punir des coupables,
mais d'empêcher l'exécution de leurs attentats. On dira que
l'autorité peut être trompée, qu'un innocent. peut être privé
momentanément de


• sa liberté. Cet inconvénient inséparable
des -lois humaines, est-il comparable au danger de laisser sans
défense tous les intérêts sociaux, de refuser au. Roi et à la,patrie
les secours qu'ils réclament ? Je suis persuadé que ce,n'est




( 346 )
en vain qu'ils les auront réclamés auprès de la chambre. Je vote
en mon particulier l'adoption du projet de loi.


.M. le comte le Mercier. J'aperçois dans la loi proposée une
contravention à l'art. 33 de la charte, qui attribue à la chambre
des pairs la connaissance des crimes de hante trahison et des
attentats à la sûreté de l'état; c'est bien dans cette classe qu'il
faut ranger les complots et machinations dont parle l'art. s •'r
du projet ; on ne peut donc autoriser les ministres à en connaître,
même extrajudiciairement , sans dépouiller la chambre des pairs
d'une compétence qui, pour elle, n'est pas seulement un droit,
mais un devoir. Il ne paraît pas que jusqu'à ce moment aucun
adversaire du projet ait élevé contre lui cette objection, qui,
aux yeux ,


de l'opinant, est de la plus haute importance. On a
invoqué en faveur de la loi proposée le besoin du secret dans
les poursuites qu'elle autorise. Ce secret est conciliable avec les
formes de procéder en usage à la chambre des pairs. Ainsi,
sous ce rapport, la loi devient. inutile. D'un autre côté, la célé-
rité possible des opérations, le pouvoir discrétionnaire attribué
au président de la chambre, ses relations immédiates avec le
Roi et ses ministres, facilite, dans l'intérêt du gouvernement et
de la société, une instruction prompte et sûre, en même temps
que la justice de la chambre et l'observation des formes légales
doivent tranquilliser les individus. Dira-t-on que la charte n'est
pas violée, parce qu'il ne s'agit . que d'arrêter et déteni ,. , non
de juger les prévenus? Je soutiens que la dispense de le traduire
en justice est une violation formelle de la charte. Craindrait-on,
en adoptant ce principe, de faire de la chambre des pairs une
cour de justice permanente? Je répondrai qu'elle est. en ce mo-
ment appelée à juger le crime qui sert de motif au projet de loi:
pourquoi ne connaîtrait-elle pas de tous ceux du même genre ?
Heureusement les monstres sont rares , et la chambre n'aiira pas
souvent à_ juger de pareilles atrocités. Mais dût-elle prolonger
ses travaux judiciaires au• delà du terme.de la session législative,
son devoir ne lui permet pas de remettre en d'autres mains le


• dépôt qui lui est confié par la charte. Si la chambre adopte ces
vues, je me féliciterai de l'avoir mise à portée de rethser son as-
sentiment à une Mesure contre laquelle pourrait s'élever l'opi-
nion publique. Je vote le rejet de la loi.


JIŒ. le comte de Ségur. J'applaudis à la franchise des mi-
nistres qui du moins ne 'dissimulent pas que c'est l'aretmire
qu'ils demandent. On a essaye vainement de le rendre moins
odieux en donnant le nom . plus doux de pouvoir discrétion-.


347 )
naire. De quelque nom qu'on l'appelle, c'est un pouvoir con-
traire-à la charte; et qu'on ne dise pas qu'avec le Roi et les
chambres il est permis d'y déroger : ce serait dire qu'il est per-
mis de détruire constitutionnellement la constitution. L'exemple
de l'Angleterre est ici sans autorité. Il faudrait, pour nous le
rendre applicable, créer autour de nous les mêmes circonstances.
En Angleterre, la presse veille, quand la liberté in-
dividuelle est suspendue. Ici on enchaîne en même temps la
voix des journaux. C'est une loi de confiance; a-t-on dit, que
sollicitent les ministres. Je me confierais volontiers aux ministres
actuels, mais je connais la mobilité de la cour ; et, sans doute,
on n'exigera pas de moi la même confiance pour tous les mi-
nistres qui pourraient se succéder. Ces ministres, d'ailleurs ,
quand on leur supposerait les meilleures intentions, résisteront-
ils à l'attrait du pouvoir ? échapperont-ils aux artifices de la ca.
lomnie, aux ruses des délateurs ? S'ils repoussent la délation,
ils en seront bientôt eux-mêmes les victimes. On les accusera
de négligence, de complicité, l'affection même de -leur maître
ne pourra les. garantir. Il y a peu de mois, la France était tran-
qüille , de toutes parts, les orages politiques gron-
daient en Europe; pourquoi ne jouissons-nous plus de cette
tranquillité ? Un crime affreux a été commis, et l'on veut abso-
lument en trouver la source clans les doctrines pernicieuses ré-
pandues clans le peuple. On ne voit de remède à nos maux que
dans l'arbitraire; mais; avant d'appliquer ce remède, s'est-on
bien assuré que la. cause du mal était celle qu'on lui assigne?
Il en est des maladies morales des états, comme des maux phy-
siques du corps huri...:in ; une erreur dans la cure peut rendre
le mal irrémédiable. C'est dans la bonne foi, dans la j ustice qu'il
faut: chercher un remède aux grandes crises politiques. L'arbi-
traire ne fait que les aggraver. Il transforme en fanatisme la
passion contrariée de la liberté. Le siècle des Antonins dut ses
beaux jours au courage avec lequel Nervis, Trajan, Marc-Au-
rèle repoussèrent le despotisme qui leur était offert. Heureux
siècle où l'on.ne comptait d'exilés que les délateurs Sous nos
yeux, l'arbitraire a-t-il bien défendu les trônes de l'Orient, du
Midi et du Nord ? a-t-il soutenu en France la convention et le
directoire ? La gloire même n'y trouve d'appui qu'autant qu'elle
est favorisée par la fortune. Sans insister surles dangers de Par--
bitraire; dangers que signalent.tous nos publicistes une consi-
dération paraît su ffisante pour le repousser clans la circonstance
actuelle, c'est sa parfaite inutilité. Quel besoin, en effet, de
chercher dans une loi d'exception ce que nous avons avec une




348
sorte de, luxe dans le Code pénal et dans le Code d'instruction
•criminelle ? Craint-on que dans une circonstance importante,
dans un . com plot tramé contre la personne du Roi , contre son
auguste famille, l'action de ces lo i s ne soit suffisante? Quel mi-
nistre, en pareil cas, hésiterait:à s'exposer pour des intérêts
aussi sacrés à une honorable responsabilité ? Son dévouement,
sûr de l'approbation des chambres, obtiendrait-encore leur re-
connaissance. Ce n'est pas un acte passager d'arbitraire qui peut
arayer ; ce qui choque, -c'est l'arbitraire. converti en loi. Plais,
dira-t-on, que filut-il faire pour réprimer la licence, prévenir
les séditions, éteindre le fanatisme politique ? Il faut rassurer
les,esp•its au lieu de les alarmer, affermir nos institutions au lieu
de les ébranler, compléter enfin les lois organiques, sans les-
.quelles la charte ne peut avoir de vie et de force. Si d'abord
on ef'It fait usage de ces moyens, Pagifation qui nous tourmente
serait calmée depuis long-temps. Plein de confiance dans leur
secours, j'appuie. le rejet de la loi proposée.


M. le comte de Saint-Roman. J'appuie, au contraire, l'a-
doption de cette loi. Environner le pouvoir d'une force suffi-
sante pour résister aux attaques multipliées dont il est l'objet,
et pour dompter par la crainte les factieux que le devoir ne peut
contenir, tel est le but du projet soumis à la chambre. Tel est missi
l'unique moyen de sauver la société, que menace d'une prompte
disseintion le progrès des doctrines funestes répandues en France
depuis quelque temps. On repousse ce projet comme introdui-
sant nnarbitraire incompatible avec les libertés:que la charte a,
garanties. Je connais tout le prix de ces libertés; mais c'est
peti r les conserver que. je consens à en suspendre momentané-
nient l'exercice, puisque, l'état périssant, elles s'engloutiraient
avec lui dans Pabime. Cette suspension momentanée, la charte
ne l'a pas-interdite; car elle exige seulement qu'un Français ne
puisse être arrêté que dans les cas prévus par la loi, et .suivant
les j'Ormes qu'elle prescrit, sans borner les cas que la loi pourra
prévoir, ni les formes qu'elle pourra déterminer. Il ne s'agit
done que de prouver l'utilité, la nécessité de la mesure prepo


Qui pourrait les révoquer en doute, après le coup terrible
qui vient.de frapper la France ? Avertis par ce coup affreux des
dangers qui nous menacent, hésiterions-nous à confier au gour
yernement les armes dont il a besoin pour nous en garantir?
Oublierions-nous que la chute des états est phis souvent ta suite
de la faiblesse que de l'abus du pouvoir? On e prétend itintéresser
la nation au rejet d'une loi qui , dit-on, lui fait injure. Los dé-
fenseurs du projet sont loin d'attribuer à la nation les sentimens


( 349 )
des hommes contre qui cette loi est dirigée, mais ils veulent
arrêter le débordement de ces doctrines de mort dont les fana-
tiques apôtres infestent la France depuis un demi-siècle: Les
insensés ! ils ont rêvé la recomposition de la société, de la re-
ligion, et ils n'ont enfanté que l'anarchie et l'athéisme! ils ont
bâti sur un cratère, et le volcan a dévoré leur ouvrage ! Profi-
tons au moins de cet exemple. Craignons le retour des malheurs
auxquels nous sommes échappés ;. craignons surtout d'entraîner
à notre suite, dans la route déjà marquée par tant de désastres,
un peuple que 'nos premières erreurs ont peut-cure encou-
ragé dans les écarts auxquels il se livre aujourd'hui. Donnonsr.
lui du moins l'exemple d'un retour sincère aux principes cour
serviteurs de la société. Qu'il apprenne de nous que le pouvoir
des Rois Lit la sûreté dés peuples, et peut seul assurer la pros-
périté des empires. Je conclus à l'adoption du projet de loi.


M. le comte de - Valence. Je regrette de me voir placé, ainsi
qu'un grand nombre de mes collègues , dans la pénible alterna-.
ttve, ou de refuser au gouvernement un secours qu'il réclame
avec instance, ou de manquer à l'engagement qu'ils ont con-
tracté de défendre de tout leur pouvoir la charte constitution-
nelle. Cet engagement ne sera point trahi par moi. Je défendrai
la charte que j'ai jurée, la charte qui, donnée par le Roi, reçue
avec reconnaissance par le nation, est devenue le patrimoine
de tout Français. Sans le crime affreux dont gémit la France,
les ministres, sans doute, n'eussent pas sôngé â proposer Une
loi qui viole cette charte dans plusieurs de ses dispositions les
plus essentielles. Seps la politique funeste qui vent que le poti.
voir ait toujours rais,,n „ ils se seraient empressés de la retirer
depuis qu'on a démontré l'inutilité, les dangers même de son
adoption. La faible majorité qu'elle a obtenue. dans l'autre
chambre, l'avis unanime- de la commission dans celle-ci, ne
m'empêcheront pas de la combattre. J'observe d'abord que soit
article f . er , contraire aux dispositions 4 et '62 de la charte, puis-
qu'il suspend la liberté individuelle, et distrait les justiciables
de leurs juges naturels, présente encore,- dans la généralité de
ses termes, un moyen dont on pôurrait abuser pour exercer sur
les élections une dangereuse influence.. En effet, dans cette ap,
pellation générique tout individu, se trouvent nécessairement
compris les électeurs et les éligibles. Qui peut douter que la
haine et l'esprit de parti . n'abusasSent de cette disposition , pour
dénoncer et faire priver de leur liberté les Français sur lesquels
on craindrait dé voir se réunir les suffrages du peuple ? Je
réserve de proposer dans la discussion des articles du projet . nia




( 35d )
amendement tendant à faire excepter des dispositions de la loi,
si elle est adoptée, les électeurs et les éligibles. L'article z, par
une étrange contradiction, en accordant au prévenu la faculté
de présenter un mémoire, lui refuse le secours d'un conseil sans
lequel souvent il lui sera impossible de le rédiger. Enfin, Par-.
ticle 3 laisse le prévenu déclaré innocent, et relâché comme tel,
sans aucun moyen de poursuivre ses dénonciateurs, et•d'obtenir
la réparation 4;i préjudice qu'il aura éprouvé. Je nie réserve pa-
reillement de proposer sur cet article un amendement qui ré-
pare l'omission que j'y remarque. J'insiste sur l'inutilité, sur les
dangers de l'arbitraire, condamné, dès 7 8 9 , par l'opinion pu-
blique, exprimée dans les cahiers des bailliages. Je reproche
au projet de loi de faire participer le gouvernement à des me-
sures rigoureuses qu'il faut écarter du trône pour lui conserver
ramons des peuples,. en les habituant à n'y voir dans tous les
temps qu'une source de bienfaits et de grâces. Déterminé par
ces motifs, je Vote le rejet de la loi proposée.


La chambre ajourne aulendemain la suite de la discussion.
La séance est levée.


CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance du 24 mars.


La discussion générale est reprise sur le projet de loi relatif
aux journaux.


Liz«. Revenons, messieurs, à la seule question qui doit
nous occuper. Il s'agit de savoir si des écrivains, qui ont abusé
de la liberté qui leur a été donnée de répandre leurs productions,
seront, pendant un an, obligés de les soumettre à la censure
avant de les publier.


Le mal est reconnu; mais on indique un autre remède que
celui proposé par le gouvernement. Il faut, dit-on , établir des
peines plus rigoureuses pour les délits de la presse. On ajoute
que le gouvernement. aurait d à poursuivre un plus grand nombre
de délits de ce genre. Messieurs, une peine plus forte pour un
délit commis par la voie de la presse, serait, si le jury continuait
de connaître de ces sortes d'affaires, l'accroissement du mal
auquel il est urgent de'remédier. Nous savons tous, eh>, effet,
que plus la peine est sévère, et plus le jury est disposé à l'in-
dulgence.


D'un autre côté, le ministère public a poursuivi la répression
des délits le plus graves, de ceux qui étaient propres à exciter


( 35/ )
l'attention et toute la sévérité du jury. Ces poursuites ont été
terminées par une déclaration portant que les accusés étaient
innocens. Et l'on dit voulu que, pour remédier à ce scandale,
le ministère public en dit provoqué de nouveaux par d'autres
poursuites qui auraient eu indubitablement le même résultat,
et qui, en supposant le contraire, auraient occasioné un autre
scandale, celui de voir punir les moins coupables !


Ce n'est donc pas seulement la pénalité qui est à changer
dans la loi sur la presse, c'est une législation entière qu'il fitut
substituer à celle actuelle , et cette législation ne peut s'impro-
viser comme un amendement. Je desire que bientôt les ministres
soient en état de nous présenter sur la presse un Code plus par-
fait que celui qui, contre mon opinion, fut adopté l'année der-
nière. Mais en attendant, je vote pour le projet de loi, parce
qu'il me paraît propre à remédier à une partie du mal qu'il faut
faire cesser si l'on veut arrêter la désorganisation complète de
l'ordre social.


M. Camille Jourdan- Messieurs , membre de la commission
qui a examiné le projet de loi, n'ayant point partagé l'avis de
la majorité, j'ai cru convenable d'expliquer les motifs de mon
dissentiment de ne point émettre un vote entièrement silen-
cieux dans cette grande occasion. Mais j'obéis à la voix de sua
conscience ; ce n'est qu'après un examen scrupuleux, fondé
sur la conviction la plus-entière,' que je me suis décidé à une
dissidence et à son expression publique. Il m'a semblé que
c'était à nous spécialement, vieux partisans (le la royauté, an-
ciennes victimes dos persécutions révolutionnaires , qu'il appar-
tenait d'élever ici sa voix, et de donner à l'opposition que le
ministère éprouve, le caractère véritable qu'elle doit avoir,
celui d'une opposition que n'anime aucun sentiment d'amer-
tume, qui se fonde sur les principes seuls , qui s'effraie des
périls du trône, encore phis que de ceux de la liberté même.


Il ne s'agit point d'une loi isolée , mais d'une loi qui se
rattache à d'autres lois, qui se. place au centre d'un vaste sys-
tème. On ne peut 'voter sur cette loi sans embrasser le système
entier , sans le caractériser. Sans doute elles peuvent tare
droites les intentions des auteurs d'un tel système; sans doute
ils furent loin., à l'origine, de 'prévoir toutes les conséquences
qui devaient en sortir; mais jamais erreur plus fatale vint-elle
entraîner un ministère éclairé ? jamais mésentendu plus déplo-
rable put-il s'établir entre un gouvernement et un peuple que
tout appelait à s'unir? et jamais situation plus belle fut-elle plus
gratuitement compromise par la plus injuste défiance?




•( 552, )
Rappelez-vous en effet, messieurs, quelle était la .situation


de la Fiance il y a un an à peine, avant que ces funestes projets
eussent été conçus. Combien elle se montrait paisible, rassu-
rante , honorable ! Avec quelle dignité nous avions supporté
nos malheurs , acquitté nos engagemens, fondé le crédit public
au sein même de nos disgrâces ! Toutes les sources de la
prospérité se rouvraient , l'obéissance aux lois s'établissait
sans réserve. Chaque jour voyait .croître l'union entre le prince
et son peuple; chaque jour les Français sentaient mieux que
cette liberté, qu'ils avaient vainement poursuivie pendant
trente ans, n'avait commencé à naître, ne pouvait fleurir que
sous l'abri tutélaire du-trône légitime. De toutes les parties de
cette Europe agitée par des troubles divers, les étrangers
accouraient au sein de notre belle France ; ils y admiraient,
en les enviant , les progrès d'une restauration inespérée ; ils
avouaient que nul pays n'était désormais ni plus doux ni plus
sûr à habiter.


A la vérité, au milieu de circonstances si prospères, nous
étions loin encore de la perfection absolue ; il arrivait cc qui
était inévitable à l'origine d'un gouvernement représentatif;
des fautes étaient réciproquement commises. Trop d'hésitation
se remarquait dans les actes du pouvoir; trop d'impatience dans
les vœux de la multitude; des restes dé partis s'agitaient: en-
core; la malveillance des uns, l'inexpérience des autres al-m.:aient
de nos institutions naissantes : un esprit d'opposition trop in-
quiet, trop peu juste, s'introduisait dans quelques corps élec-
toraux, y inspirait un besoin exagéré de garanties contre le
pouvoir, y faisait redouter des choix indiscrets, inconvenans....
C'était , pour l'avenir je ne dirai pas un danger menaçant,
mais m'embarras véritable, un sujet d'attention sérieuse. Nous
le sentions tous, messieurs , nous partagions la sollicitude du
gouvernement, nous étions disposés à lui prêter toutes les as,.
sistances légitimes; suais , plus de bons esprits avaient médité
sur ces anomalies dans les élections, plus ils les voyaient se
rattacher uniquement à des circonstances locales, à de passa-
gères défiances, à des l'alites dans la direction ; plus ils se
persuadaient que le véritable remède se trouverait dans le
développement paisible et régulier du gouvernement représen-
tatif lui-même. ( Mouvement d'adhésion au centre de guiche
et à gauche.)


Ce remède, c'était, suivant eux non de réformer les lois,
-mais de les faire mieux exécuter. ; non de rétracter les institu-
tiens , mais, de les compléter .; d'ôter les derniers prétextes et la


( 353 )
. et de stabilité; surtout de savoir attendre, de se' confier à la


par l'esprit de suitedéfiance, par la franchise ; à l'inquiétude ,


nation , à la vérité au temps.
Au lieu de cela , qu'a-t-on fait? dans quelles voies extraor-


dinaires et détournées on est venu se jeter ! Quel esprit de ver-
tige et d'erreur a tout-à-coup plané sur d'augustes conseils !
quelle conjonction fatale s'y est surtout opérée entre deux
génies divers et presque contradictoires ! , celui des plus ti..
n' ides alarmes ; l'autre, celui des innovations les plus téméraires.


C'est dans ces circonstances qu'un attentat exécrable , en
navrant tous les cœurs français , a achevé de, troubler des con-
seils déjà si peu sûrs, et qu'a sande fautes s'est jointe la faute
si grande de rattacher de telles mesures à cet attentat lui-même,
d'y chercher des mcitifs pour des projets antérieurement conçus,
et d'abuser en quelque sorte des émotions publiques, pour en
imposer à le raison publique.


Ainsi s'est achevé, s'est produit ce fatal système de boule-
versement, qui, attaquant la liberté individuelle, restreignant
la liberté de la presse, dénaturant les élections, violant la
charte, a semblé réunir à lui seul tous les traits qui pouvaient le
plus profondément blesser l'instinct national.


Et qui pouvait en effet le blesser davantage, cet instinct si
délicatet si fier, qu'une défiance si mal déguisée pour l'élite de
la nation dans les corps électoraux ; des combinaisons si bi-
zarres pour assujettir l'expression de son voeu à des influences
tantôt ministérielles, tantôt oligarchiques ; ces autres atteintes à
des droits non mo chers que les droits électoraux ; ces . chan-
gemens surtout de la charte, proposés sans même daigner. en
avertir, sans distinguer de la loi la plus ordinaire cette réforme
si grave du pacte fondamental , qui ouvre la brèche aux inno-
vations de tous les . genres, et remet en question toutes les
garanties à-la-fois?


Et pour ajouter à tant d'impressions défavorables , quel
spectacle de voir le ministère qui présente de tels projets ne
pouvoir les défendre sans contredire tout ce qu'il avait professé
jusqu'alors, commencer par ôter tout crédit à son propre ju-
.ement, à l'instant même où il réclame de nous la confiance la
plus illimitée!


Quel spectacle de le voir séparé de tous ses appuis naturels,
errant sans direction fixe au sein d'une chambre divisée, pres-
que dissoute par ses longues incertitudes , réduit à se ménager


.1a. majorité 1.4 plus incertaine, par son alliance presque mons-
23




( 354 ).
trueuse avec cette minorité qu'il a si long-temps accablé de ses
mépris, que lui-même a si longtem ps poursuivie de ses reproches


Aussi, dans quelle progression effrayante et rapide avons-
nous vu, depuis quelques mois , décroître le respect pour une
telle administration ; la défiance .du peuple répondre à la .dé-
fiance de son gouvernement; l'inquiétude sur l'avenir paralyser
tous les ressorts de l'a•tisité et de la prospérité publique .! Et
c'est ainsi qu'en supposant de chimériques dangers, un ministère
imprudent en a créé. de véritables : ses remèdes intempestifs
sont devenus la maladie elle-même.


Mais heureusement , messieurs, au milieu d'une carrièresi fu-
neste, il est possible de s'arrêter encore. La portion la plus impor-
tante de ces mesures n'est encore qu'un projet soumis à votre dé-


- libération, à la révision du prince. Que n'est-il pas permis d'es-
pérer de la sagesse de ce prince auguste, que dei ministres trom-
pés peuvent environner sans doute de quelques illusions passa-
gères, mais auquel il suffit que les besoins et les Voeux de ses
peuples soient présentés sous leur véritable jour , pour qu'il les
embrasse à l'instant, et qu'il dissipe d'un mot les nuages dont
l'horizon est couvert ? Que n'est-il pas permis d'espérer aussi
des lumières et de hi fermeté dont cette chambre . a donné déjà,
en d'autres sessions, d'éclatans témoignages, que tout l'appelle
à manifester aujourd'hui, pour le saint dn• pays en péril?


Vous sentirez la nécessité d'examiner avec une sévérité nou-
velle chaque mesure qui vous est demandée , non pas seulement
eu elle-même, mais dans son rapport avec le système général
dont elle fait partie, avec les circonstances qui vous entourent,
avec l'état de l'opinion. C'est ainsi que vous envisagerez le
projet de loi qui vous est soumis en ce jour. S'il se présente
secondé de quelques motifs plus spécieux que le projet sur la
liberté individuelle, vous n'oublierez pas qu'il s'agit aussi d'une
concession plus importante , d'un sacrifice dont les conséquences
peuvent être bien plus étendues et hien plus funestes.


Tout en convenant de l'abus déplorable de la libertédes
journaux, de l'insuffisance de la répression actuelle, de la né
cessité d'une répression plus énergique, on vous a, je crois,
démontré qu'une telle répression devait être essentiellement
cherchée dans les moyens légaux, qu'il serait facile de l'y
trouver d'après les indications d'une récente expérience que
l'opinion publique conspirait elle-même à l'adoption des me-
sures les plus sévères ; qu'il importait d'autant plus au gouver-
nement de profiter d'une telle disposition, que par-là il attein-
drait non-seulement les délits des journaux, -mais ceux des autres


( )
écrits; qu'il les atteindrait, non pas pour un temps berné, mais
pour une durée-indéfinie.


On vous a fait sentir combien il serait peu sage qu'en atten-
dant ces lois répressives, et sons le prétexte de s'en ménager
une recherche plus calme, on vînt se rejeter clans l'ornière si
décriée des lois préventives, recourir à cette censure qui réunit
tant d'inconvéniens à-la-fois, repoussée par la lettre même de
la charte , contraire an génie du gouvernement représentatif.
Supprimant une foule de révélations inutiles, leur substituant
un langage officiel et trompeur, tantôt instrument d'oppression
et de calomnie contre les citoyens, quand le gouvernement est
violent et fort ; tantôt fardeau accablant et principe de décon-
sidération pour ce gouvernement luimême, quand il est modéré
ou faible.


On a confirmé toutes ces assertions par d'irrécusables expé-
riences empruntées, soit des gouvernemens successifs de lit
France, soit des gouvernemens étrangers.


On n'a point manqué de vous faire observer qu'après avoir déjà
suspendu !a liberté individuelle, il serait plus imprudent en-
core de restreindre cette portion si importante de la liberté de
la presse, de supprimer en quelque sorte la faculté de la plainte,
en établissant la faculté de l'oppression.


Toutefbis , messieurs , malgré tant d'argumens irrésistibles
contre la censure, et quoiqu'ils m'aient frappé autant qu'aucun
de nies collègues , déclaré au sein de la commission , et
j'aime à le répéter au sein de cette assemblée, s'il avait été
possible, en l'aient quelques concessions en ce genre, de ras-
surer un gouvernement elfrayé , d'obtenir de lui quelques dé-
sistemens de son projet relatif aux élections, de se ménager le
maintien de ces libres élections, la plus efficace garantie de
tous les droits , j'eusse été fortement incliné à une telle con-‘
descendance; j'eusse probablement 'voté; la censure pour un
temps court, non comme loi bonne et utile, mais comme une
concession politique et sage. Je n'eusse pascru acheter trop cher
à un tel prix et le maintien. de l'institution la plus iinpOrtante,
et une conciliation toujours si desirable avec le gouvernement.


Mais dans l'état actuel, nulle parole favorable de désistement
n'étant encore donnée par le ministère, le projet sur les élec-
tions continuant à menacer tout notre avenir, je ne vois , je
l'avoue, aucun motif raisonnable pour aucune concession, pour
aucune déviation des principes; j e vois an contraire tous les
principes fortifiés ici-.par toutes- les circonstances.


Quoi nous ilions en eff t nous priver de cette liberté des




• ( 356 ) .
journaux, à l'époque même où elle nous devient le plus utile ;
lorsque toutes nos destinées sont en échec ; lorsque notre prin-
cipal appui, dans la discussion qui va s'ouvrir, sera l'opinion
au-dehors ; lorsqu'il nous importe si fort de conserver avec cette
opinion les Communications les plus actives, non-seulement
par le fidèle récit de nos séances, niais par cc libre commen-
taire de ces séances, que peuvent seuls offrir des journaux
affranchis de contrainte ! Eh! messieurs, si les journaux n'exis-
taient pas, c'est précisément dans un tel moulent qu'il fàudrait
les inventer ! ("Vive sensation à gauche. )


Quoi ! surtout après cette discussion sur les élections ter-
minée, après son • dénouement peut-être malheureux, nous
risquerions d'abandonner la censure, pour un temps plus ou
moins long, à un gouvernement inconnu ! Nous confierions
cette arme terrible, sans savoir ni quels ministres en useront,
ni quelle chambre en surveillera l'exercice, ni quelles institutions
pourront concourir à le tempérer, car tout cela est enveloppé
dans un égal nuage !
• Que signifient, comme on vous l'a si justement observé, les


dispositions Modérées des ministres actuels, leur desir de ne point
laisser dominer le parti dont ils s'appuiend en est-il moins
Véritable qu'en recherchant son secours , ils se sont placés
dans sa dépendance? qu'ils peuvent, d'un moment à l'autre,
après lui avoir forgé des armes, être contraints à lui céder le
pouvoir? Et quel avertissementplus effrayant deleur instabilité,
lorsque le ministre lui-même, qui avait présenté ces lois, n'est
plus là pour les défendre, lorsque nous l'avons vu• succomber
sous les efforts de ce même parti! Lequel de ses successeurs, dé-
pourvu des profondes racines qui l'attachaient au pied du trône,
pourrait se flatter d'opposer à de semblables attaques- une
résistance plus efficace?


Même incertitude sur la chambre future ; car, qui peut pré-
dire, messieurs, si vous serez conservés, quelles modifications
vous recevrez, quel caractère prendra la chambre dans, ce
système nouveau , où des influences si, diverses sont appelées
à lutter contre l'influence nationale, dans des proportions si mal
déterminées encore?


Pareil doute enfin sur le sort des autres institutions ; car,
après les restrictions successives à la liberté individuelle, à la
liberté de la presse, au droit de pétition, au droit d'électitn;
après l'exemple donné (lu changement de la charte, qui peut
marquer où s'arrêtera l'ébranlement, quelles garanties il nous
sera permis de conserver ?


( 3 57 )
Ainsi, ne 'vous abusez pas, messieurs, voilà l'état véritable


de la question ; c'est avec la possibilité, même avec la proba-
bilité d'un ministère de 181 b, d'une chambre aristocratique-
ment réformée, d'institutions restrictives de toutes les libertés,
que vous êtes appelés à voter la censure.


Elle risquera d'être exercée par les hommes d'un parti qui
vous est bien connu, livrés , suivant leurs tristes habitudes; à
la plus sombre défiance envers les doctrines et les personnes;
voyant, rêvant partout l'impiété, la sédition, la révolte


C'est d'un tel pouvoir sur la presse que vous les aurez armés,
après leur avoir livré déjà la liberté individuelle. Heureux en-
core si, dans leurs mains, l'abus de cette double puissance
n'est dirigée que contre les droits des citoyens ! Mais ( lui osera
répondre de l'abus possible contre l'autorité même du prince?
Dans quel état d'isolement, d'aveuglement , de dépendance ne
pourrait pas tomber le prince même le plus éclairé, le plus
ferme, sous l'influence d'un tel ministère, pourvu de tels
moyens d'oppression et de calomnie, s'en servant pour écarter,
frapper quiconque tenterait de fisire pénétrer la vérité jusqu'au
pied du trône, de révéler au monarque l'étendue de l'esclavage
qu'il partagerait avec son peuple !
- Tous les motifs se réunissent donc, messieurs, pour nous


détourner d'accorder ie pouvoir extraordinaire , illégal qui nous
est demandé ; aussi dangereux pour l'autorité que pour la li-
berté des citoyens; inutile pour la répression des abus de la
presse, à laquelle doivent suffire de plus fortes lois répressives ,
combinées avec une action plus vigilante du gouvernement lui-
même.


Mais au défaut d'argumens qui convainquent notre raison ,
les partisans du 1)rojet de loi essaieront-ils , comme dans la
discussion précédente, de nous ébranler au dernier moment,
par des appels aux sentimens de nos coeurs?


Invoquera-t-on notre respect , notre amour pour lé prince,
en faveur des lois qui nous sont proposées en son nom? cantine
si ce- n'était pas lui donner le plus vrai témoignage de notre
fidélité que de concourir à écarter de son trône des illusions si
fatales ! comme si c'était nous, royalistes éprouvés , que les
Bourbons ont toujours trouvés, qu'ils retrouveront toujours
au moment de leurs véritables périls, qui ayons à recevoir ici
des leçons de royalisme de la part d'hommes si nouveaux dans
le service denos princes, plutôt formés à l'école du dévouement
aveugle,, qu'à celle des libres et loyales affections.


Nous objectera-t-on ces liens qui devraient, dit-on, enchaîner




( 358 )
lés fonctionnaires publics à toutes les opinions du gouvernement?
comme si notre premier devoir n'était pas de détendre ici, en
qualité de députés, et cette charte, et les lois fondamentales
qui dominent toutes les autres obligations? comme si, en sup-
posant que nous dussions reconnaître cette convenance morale,
d'adopter aveuglément le symbole ministériel , il nous serait
possible de discerner un symbole quelconque, un dogme fixe
depuis un an, au milieu de la perpétuelle instabilité du mi-
nistère, des perpétuelles contradictions de ceux qui le composent?


Poudra-t-on nous reprocher aussi de voter , dans ces grandes
questions, avec des hommes dont nous avons pu ne pas partager
en d'autres.


temps, toutes les nuances d'opinions? Singuliers
reproches, en -vérité, de la part de ceux que nous voyons
contracter dans cette chambre de si bizarres alliances ! !
qui a mieux travaillé, en effet, pour le succès d'une telle op-
position, que les auteurs de ces projets funestes , en la plaçant
tout-à-coup sur le terrain le plus honorable, en lui laissant.,
en quelque sorte , , non-seulement la liberté publique, mais le
trône lui-même à défendre?


Qui peut douter, après tout, que si du sein de cette même
opposition, venaient à s'élever un jour d'autres pensées et
d'autres vues, que je suis loin de bd attribuer, mais qu'une
inquiète méfiance lui a quelquefois imputées, nous ne fussions
aussi ardens à la combattre alors, que nous sommes empressés
à le seconder aujourd'hui?


Dira-t-on enfin, en paraissant tomber d'accord de quelques
imperfections dans les lois présentées, que nous' risquons au
moins, en les repoussant avec tant d'opiniâtreté, d'opérer un
mal plus grand que celui d'ébranler, de renverser un ministère
déjà trop chancelant, notre dernière garantie peut-être contre
ce régime de 1815, que nous paraissons si vivement redouter?


Oui sans doute, messieurs, tout en reconnaissant l'imperfec-
tion d'un tel ministère, nous sommes prêts aussi à en avouer
l'utilité, nous souhaitons concourir efficacement à son main-
tien; mais quelle est en effet cette manière véritable d'affermir
son existence? est-ce donc de le seconder dans des projets dont
l'adoption le conduit rapidement à sa perte, comme à celle du
pays, et non plutôt de l'arrêter sur cette-pente fatale, de l'aider
à rompre les nceuds d'une alliance funeste, de le contraindre à


,
replanter l'étendard royal au sein de cette immense major i té
nationale, qui lui tend les bras encore, qui est toute prête à lui
pardonner ses erreurs pour ne se souvenir que de ses services?...


40.vielqs de p,a •le• d'une majorité nationale; pourriez-vous_


( 359 )
eroirc en effet, messieurs, que le partage presque égal des
opinions dans cette chambre, vous soit un s y


mbole d'un par-
tage semblable au - dehors? Pourriez -Nous méconnaîtr e ces
voeux presque unanimes qui s'élèvent de toutes les parties de la
France, qui s'associent à toutes les alarmes que nous avons
exprimées , qui vous demandent de protéger la liberté et le
trône contre des innovations téméraires? .


Ah! puisse un tel appel être entendu dans la chambre
Puisse-t-il déterminer surtout ce petit nombre de députés, in-
certains encore, qui fixeront par leur vote, aveç le sort de ces
lois, les destinées de la France, sur la tête desquelles repose
une responsabilité si redoutable!


Que de maux ils peuvent épargner à la patrie! Quo de dan-
gers ils peuvent écarter d'un trône plus menacé que la liberté-
même !


Pour moi du moins, messieurs, j'aurai accompli mon devoir
par cette expression publique de mon vote; j e n'aurai pas
manqué aux principes de ma vie entière ; j'aurai donné à, ana
patrie et à mon prince ce dernier témoignage de fidélité. Et
quels que soient les sacrifices qu'il puisse nie coûter, il servira
à répandre la consolation d'une conscience paisible sur les
derniers restes d'une existence affaiblie ( Mouvement très-
vif d'adhésion au centre de gauche et à gauche.) Je vote conte,
le projet de loi.


M. le comte de Saint-Cricq. Je hâte de tous mes voeux,
aussi sincèrement que qui que ce soit , le temps où il nous sera
donné de jouir impunément de la liberté des jmirnaux, nous re-
posant sur la h ' commune du soin de réprimer leurs écarts. Il
sera prouvé alors que tous les esprits sent d'accord sur les bases
de notre organisation politique; que tous les pouvoirs, tous les
droits , tous les devoirs sont reconnus ; que rien de ce qui est
fondamental n'est plus contesté ; qu'il n'y a plus à disputer que
sur des conséquences, à régler que desapplications plus au moins
indifférentes ; enfin , que la société est définitivement assise et
le gouvernement inébranlable.


En sommes-nous là messieurs? En filmes-Wons là à aucune
époque des six années . qui viennent de s'écouler? C'est à la bonne
foi , à la conscience de répondre.


Un colosse élevé sur les ruines de la révolution , renversé en-
suite sur elles ; relevé , précipité de nouveau , et couvrant la
France de ses débris ; les souvenirs se reproduisant après vint.;
cinq ans d'oubli ; des regrets anciens se confondant avec les re-.
grets du jour; des ambitions déçues aux prises avec des préten-.




( 36o )
thans nouvelles, des espérances ruinées et des desirs comprimés;
des vanités empressées de renaître et des vanités se prétendant
offensées; toutes les passions humaines excitées à-la-fois ; l'agi-
tation du présent. fomentée par le passé, et la défiance de l'ave-
nir; telle nous vîmes la France en 18 11., telle surtout en 1815.


Dans une situation si difficile , que pouvait être la liberté des
journaux ? Une arme offensive , la plus meurtrière de toutes
les armes , celle à l'aide de laquelle les partis devaient bientôt
convertir -la liberté sage, rapportée au milieu de nous par la lé-
gitimité remontée au trône, en cette liberté violente, précurseur
infaillible de l'anarchie qui nous avait fait tant de niai, et bientôt
du despotisme militaire dont nous étions à peine affranchis. Le
gouvernement le comprit, les chambres s'en effrayèrent ; et les-


•journaux demeurèrent soumis à la surveillance de l'autorité.
-Plus tard, les circonstances semblèrent devenues meilleures ,


/es .esprits parurent: plus calmes ; l'essai fut jugé raisonnable ,
il fut tenté. Quels en ont été les effets ? précisément ce qu'ils
furent il y a vingt ans.


Soyons vrais , messieurs ; qui de nous, en appelant des me-
su; es capables de rassurer le trône et la France, n'appelait des
lois extraordinaires, capables d'agir sur les personnes en préve-
nant le crime, sur les esprits en prévenant les appels au crime ?
Telles sont les deux lois que la sagesse du Roi a fait soumettre
à la prévoyance des chambres.


Devaient-elles ,' pouvaient-elles réunir toutes les• opinions ?
non sans doute. Si -tel était l'état de la chambre, tel a pparem-
ruent serait aussi l'état du pays , et par cela seul se trouverait
constatéel'heureuse inutilité de ces lois. Mais, ou je me trompe,
ou l'esprit même qui a présidé à leur discussion est la triste,
mais aussi la plus sûre preuve de leur nécessité.


Nous avons voté la première ; niais qui oserait dire que le dé-
bat n'a pas aggravé le mal auquel nous nous sommes efforcés de
porter remède? qui oserait dire qu'il n'a pas dépouillé d'avance
la loi même dû seul caractère qu'aient voulu lui imprimer et son
auguste auteur, et ceux qui l'ont consentie ? caractère •de pré-
voyance et de force, habilement travesti en un caractère de ven-


• geance et d'oppression.
C'est ainsi qu'une loi transitoire , limitée dans son objet et


dans sa durée, trop cruellement commandée par un effroyable
attentat , environnée de toutes les précautions capables _d'en
prévenir l'abus, confiée exclusivement aux premiers déposi-
taires de l'autorité de la couronne qu'elle doit garant ir d'attentats


( 361 )
nouveaux, est bautementsignalée comme le tombeau des libertés
publiques , la ruine de toutes les libertés privées !


Quelques misérables artisans (le destructions, dont les trames
et les complots échapperaient à la vengeance des lois générales,
pourraient être saisis par l'autorité , et mis dans l'impuissance
d'accomplir leurs affreux desseins ; et voilà qu'on nous présente
les cachots trop étroits pour les nombreux citoyens que lés mi-
nistres du Roi se feront un barbare plaisir (l'y entasser !


Les loisgénérales veulent que tout prévenu puisse se voir m o-
mentanément interdites des communications qui rendraient laj ustice impuissante à suivre les traces du crime ; et parce quela loi exceptionnelle n'est point dépouillée de Ce moyen d'inves-
tigation quelquefois indispensable, voilà que les ministres sont
résolus à imposer à toutes les victimes un secret éternel et
d'éternelles tortures!


La loi donne . un conseil à tout accusé ; mais cet acte de ri-
goureuse justice suit et ne précède point les secrètes informa-
tions jugéesnécessaires par le magistrat ; et parce que des hommes
dont les machinations auront éveillé l'attention du gouvernement
demeurent assujettis à cette loi commune; voilà que les ministres
veulent leur ravir jusqu'à la défense .personnelle ; et jusqu'aux
secours d'un ami bienveillant ! •,


Les ministres ne rendent compte qu'au Roi , mais ils doivent
aux chambres, investies du droit de les accuser et de les juger,
la connaissance de l'usage qu'ils «Unit des pouvoirs que la loi
leur a confiés pour la sûreté de tous'; et parce que les ministres
demeurent dans cette ligne tracée par la charte elle-même, voilà
que la liberté des c : ovens leur est livrée sans contrôle, sans res-
ponsabilité, et les chambres dépouillées du droit de faire entendre
le, plaintes publiques et d'exercer leurs attributions-constitu-
tionnelles!


Aujourd'hui , même langage.
Le gouvernement vous appelle à son aide pour suspendre une


guerre déjà si furieuse, des combats déjà si cruels. Il invoque le
secours de la loi pour la religion outragée, pour la morale foulée
aux pieds , pour l'autorité méconnue , pour la liberté aux prises
avec l'anarchie. Il vous demande que des feuilles qui ont déjà
semé tant de discordes, réveillé tant de ressentirnens, enflammé
tant. d'imaginations, ne puissent pour un temps se produire que
dégagées de ce qui pourrait encore agiter les esprits, attiser les
ha ines , tromper les citoyens, les tourmenter d'alarmes chimé-
riques , les exciter les uns contre les autres , les soulever même
contre les lois et les pouvoirs publics.




( 362 )
Ln vain vous expose-t-il quelles règles il vent imposer à sa


censure ; en vain vous assure-t-il que toutes les opinions conti-
nueront de se faire entendre, que le mépris et l'insulte seront
seuls interdits ; on croit à sa modération , mais on veut que sa .
modération soit suspecte ! On sait que là est son véritable intérêt,
mais on veut qu'il soit juge aveugle sur ses intérêts ! ses paroles
sont celles du pouvoir, et l'on veut que les paroles du pouvoir
ne soient jamais crues ! Parce que les opinions devront s'expri-
mer avec décence, les opinions cesseront d'être libres! parce
que la critique sera tenue d'être mesurée , la critique deviendra
impossible! parce que l'outrage cessera d'être prodigué aux dé-
positaires du pouvoir, il sera interdit de juger leurs actes ! parce
que la calomnie sera comprimée , la pensée sera enchaînée !
parce quo le mensonge sera contenu , la vérité sera muette ! le
flambeau .des lumières s'éteindra , parce que des méchants ne
secoueront-plus chaque jour les torches de la discorde! ( Même
mouvement. )


On s'est efforcé de nous peindre le gouvernement du Roi placé
à la tête d'une fiction , conspirant avec elle contre nos libertés,
méditant avec son appui ce qu'on a appelé du nom de contre-
révolution. -Une contre-révolution, messieurs ! ah! certes, ceux
qui essaient de nous en effrayer savent aussi bien que nous qu'elle
est impossible, à moins cependant que l'on n'appelle de ce nom
le retour de nos princes au trône que leur noble race a si glo-
rieusement occupé pendant tant de siècles. Celle-là est consom-
mée aux applaudissemens de la France entière ; et elle sait bien
cette France que nul pouvoir humain ne serait capable de lui en
imposer une a utre..C'est aussi se jouer par trop de sa crédulité,
que de lui montrer une contre-révolution dans la force légale-
ment donnée à son Roi pour la protéger , dans le frein imposé
par la loi même à des feuilles qui rivalisent de violence pour
l'égarer , dans l'appel fait par la sagesse royale à la sagesse des
chambres pour rechercher en commun les améliorations recon-
nues indispensables dans son système électoral. C'est se jouer
par trop de sa crédulité, que de lui parler de contre-révolution ,
en ,


présence du monarque qui nous a donné la charte; qui nous
a constitués dans le plein et libre exercice de nos droits , dont
l'anarchie révolutionnaire et le despotisme nous ont violemment
dépouillés pendant vingt-cinq ans ; qui affermit par charnu do
*es actes , comme il les a consacrés par ses sermens , tous les
intérêts que la révolution a créés et que la charte a reconnus ;
qui n'a pas levé sur ses peuples un seul écu que lems députés,
s'aient librement voté et consenti ; ordonné une seule dépense


( 363 )
sur laquelle il n'ait appelé leur plus scrupuleux examen ; qui ,
juste envers les gloires acquises à son service ou au service des
rois ses ancêtres , s'est noblement approprié toutes les gloires
acquises -pendant son long exil au service de la patrie ; qui
compte-enfin dans les premiers rangs de ses années , dans les
grands corps de l'état, dans ses conseils , dans la magistrature,
dans l'administration publique , presque tous les hommes qui
depuis %ingtans se sont illustrés par leur mérite et leurs travaux.


ive sensation. )
Non, le gouvernement du Roi n'est à la tête d'aucune faction ;


mais il est, il doit être à la tête des Français de toutes les époques
qui veulent la dynastie, l'ordre, le repos, les libertés publiques,
telles que la charte franchement , loyalement entendue , les a
fdtes ; il est, il doit être à leur tête , pour défendre avec eux
les droits du trône , premier appui des droits du peuple , pour
combattre avec eux l'usurpation, l'anarchie , et ces appels, trop
souvent répétés jusque dans cette enceinte, à la puissance du
nombre, puissance dont le débordement signalerait l'épouvan-
table naufragee où périraient confondus et ceux que l'on ne craint
pas d'en menacer , et les imprudens qui l'invoquent. Le gouver-
nement ne trouvera sur cette route ni contre-révolution, ni ré-
volution nouvelle; niais il y trouvera ce que la France appelle
de-tous ses voeux le repos et la liberté sous la protection de
son Roi. ( Même impression. ) Je-vote pour le projet de loi.


Méclzin. Messieurs, la censure des journaux et des
lettres de cachet, voilà donc les fruits•de cette session qui de-
vait être si féconde en bienfaits! voilà donc les secours que
nous nous somm s.engagés à donner au gouvernement, dans
l'ordre de nos devoirs constitutionnels - Pourquoi n'a-t-on
pas , de préférence, recouru à des moyens extrêmes, aces coups.
d'état dont on nous a si long-temps parlé? Ils nous eussent at-
teints les premiers. sans doute, mais ils eussent épargné à la•
France la douleur de voir ses mandataires appelés à démolir
l'édifice de ses lois ; ils eussent épargné à des hommes d'état la
dure-nécessité devenir à cette tribune épuiser l'art des sophismes
pour tâcher de nous démontrer que la charte constitutionnelle




peut, au gré des circonstances, avoir la fragilité ou d'une loi
réglementaire, ou d'une ordoannance transitoire ; que, du
reste, jamais. le pacte fondamental ne fut plus respecté que.
lorsque l'on le sape dans ses bases essentielles , et que la liberté
des personnes et de la pensée sera mieux que jamais garantie
par.


la protection de l'arbitraire ; qu'enfin des élections sous-
traites à l'influence des opinions contradictoires, jouiront




( 364 )
d'une indépendance inaltérable, lorsqu'elles n'obéiront plus
qu'à l'impulsion ministérielle.


Ces coups d'état, ces mesures violentes, dont l'usage, dans
une monarchie voisine, était l'objet d'une admiration si naïve
et si bien justifiée par les événémens , eussent épargné à des
hommes recommandables de pénibles palinodies , d'autant plus
pénibles surtout, qu'elles embarrassent la confiance que nous
arguions à mettre dansla sincérité de leurs opinions. Le ministère,
en prenant sur lui toute la responsabilité, eût fait une action
magnanime , et donné à ses nouveaux amis un gage aussi
touchant que solennel de sou dévouement inaltérable.


Quelle gloire , si, après avoir triomphé seul, et dédaignant de
rendre compte des moyens qui lui eussent valu une victoire si
brillante, • il eût entraîné


• ses phalanges au Capitole, pour y
rendre grâces. aux dieux! Mais, soit prudence, soit. desir de
donner à une entreprise difficile, à un combat périlleux, un
théâtre où la profondeur des combinaisons, l'habileté de l'at-
taque, la vigueur des assaillons donnent un grand spectacle et
une grande leçon à l'Europe attentive, on a voulu que ce fût
au milieu des mandataires de la nation que les franchises natio-
nales reçussent.


leurs premières blessures , et on s'est proposé
de ne quitter l'arène que lorsque la liberté aurait, au milieu de
ses premiers défenseurs, reçu le coup mortel. Le gant nous a
été jeté, nous l'avons relevé : advienne que pourra, nous
ferons notre devoir.


Quoi qu'.on en dise, il n'y a pas plus d'exagération dans nos
discours que dè gravité dans les faits ; on a vainement prodigué
les épithètes de factieux, de révolutionnaires, dénaturant la
signification des mots., ou en en déplaçant l'application, nos
adversaires répondent à nos argumens par des accusations
réfutées d'avance.


.En vain, tourmentant une imagination féconde, M. le mi-
nistre des affaires étrangères a-t-il trouvé qu'il restait à nous
désigner sous l'heureuse dénomination de manichéens politiques
ou doctrinaires nébuleux; nous n'en poursuivrons pas moins
notre route, renvoyant le reproche d'hérésie aux dissidens de
la foi constitutionnelle, et restituant les nébuleuses doctrines
qu'on nous -attribue à ceux qui nous les prêtent avec un-désin-
téressement qui mérite tonte notre reconnaissance. Ce n'est en
effet, messieurs, que dans une région bien nébuleuse qu'en a
pu trouver la synonymie de prévenir et réprimer, l'heureux
secret de gouverner pur l'arbitraire et la partialité, la démons-
tration de cet axiome nouveau , que détenir ans jugement, c'est


( 365 )
ne pas distraire.> détenu de ses juges naturels ; que des jour-
naux n'imprimant que les opinions des autres , peuvent, plus
constitutionnellement, n'imprimer que les opinions des mi-
nistres, et la solution de tant d'autres problêmes rencontrés
dans les régions de la plus haute métaphysique , et que l'on
nous soumettra dans la discussion de la loi des élections , pour
nous prouver que les électeurs ont eu tort de nous élire , et que
rien ne nous importe plus que de condamner notre propre ori-
gine. En poursuivant son opinion, et autant qu'il m'a été permis
d'en retenir quelques parties, M. le ministre, notre collègue,
a ajouté qu'il était des questions qu'il convenait de laisser dans
une mystérieuse obscurité; et bientôt, à notre légitime étonne:.
ment, il nous a parlé d'un dogme politique qu'il nie, et auquel
il substitue une souveraine et suprême intelligence qui préside
à toutes les sociétés humaines. Tout cela peut être vrai, mais
du moins n'est pas clair : hors les mystères de la foi, qu'un
profond respect nous défend d'aborder, nous n'en connaissons
point que l'analyse ne puisse sOuniettre à ses lois ; les mystères
politiques ont tous été dévoilés; et, à l'exemple d'un de nos
plus illustres prosateurs, nous n'admettons plu s quepoétiquenzent
le mot mystère.


Oui, messieurs, il est une souveraine et suprême intelligence
qui préside à toutes les sociétés humaines, c'est la loi ; '-la loi
qui tient unis tous les coeurs, tous les intérêts , toutes les vo-
lontés. 11 est une souveraine et suprême intelligence, et c'est
encore la loi , n.- ; s la loi vivante; c'est le prince,. par qui vit
la lei, par qui la loi a une action sur les hommes et sur les
choses. Et voici pourquoi la sagesse des institutions modernes
veut que, comme la loi écrite, la loi vivante soit inviolable :
voilà. pourquoi celui-là qui brise les tables de la loi est aussi
coupable que s'il attentait à l'inviolabilité - de son auguste
organe; voilà pourquoi nous avons placé le mon:in i tie et la
loi constitutionnelle dans une région élevée au-dessus des pas-
sions des hommes et de leur ambition aveugle. Que faites-vous
donc lorsque vous portez une main hardie sur cet objet du culte
de tous, sur ce palladium de toutes les libertés? Vous croyez-
vous absous parce que vous voulez .


faire appeler loi l'instrument
avec lequel vous vous proposez de renverser ce que, confiant
dans la parole du Roi, nous avions dû croire étab'i sur des
bases inviolables?


Non pas, messieurs, que notre manichéisme soit exalté au
point de croire que toute amélioration des lois fondamentales
doive être constamment repoussée. Ce n'est pas à nous qu'ou




o'66 ) •41;
reprochera d'être les ennemis de la perfectibilité des institutionS
sociales; mais nous voulons qu'une si haute entreprise soit en-
tourée de tant de formes, de solennit és, de délais, de difficultés,
qu'on ne l'aborde qu'avec un saint effroi, et qu'on ne la con-
duise à son terme qu'après de longues et profondes délibérations.
M. le ministre des affaires étrangères a trop de goût et d'Itabi‘.
lete pour remettre en avant ces raisons de sûreté de l'état et de
salut public dont on a fait un texte obligé, un argument banal
pour justifier toutes les tentatives illégitimes; mais empruntant
à je ne sais quel écrivain une expression plus nouvelle, il s'est
écrié : cC Voulez-vous donc qu'une nation se condamne au
suicide? » Et:, pour la sauver de ce suicide (métaphore qui me
remplit d'épouvante), il faut que le ministère , • tel qu'il est, ou
tel qu'il sera, ou'tel qu'il a déjà été, puisse arrêter et détenir
arbitrairement , et chaque matin, dans cent mille feuilles poli-
tiques , disséminer l'esprit qui l'anime et l'influence du dieu
qui l'inspire ! Pour préserver là nation du suicide , il faut lui
ravir ses lois, armes trop dangereuses dans ses mains, et dont
elle pourrait se frapper à mort;




il faut que les ministres,
ses tuteurs, pleins de sollicitude, substituent leur sagesse à
celle de cette nation , trop jeune encore pour faire un usage
raisonnable des lois qu'on lui a données !


Comprimez ma pensée, jetez-moi dans les cachots, si tel
est votre bon plaisir, et c'est à vous que je devrai le bonheur
d'être préservé du suicide ! En vérité, messieurs , on dirait, à
entendre de pareilles choses, que la nation est une nation,de
fous qu'il faut garotter au plus têt.


-


• L'un de nos collègues , conseiller d'état , nous a raconté plie
sieurs circonstances qui l'honorent, et nous avons eu grand
plaisir à les entendre (M. Necquey); mais il a cité un fait: que
je ne dois pas laisser tomber, et dont il rue semble qu'il a tiré
une fausse conséquence. Pour démontrer la nécessité d'une loi
préventive contre les journaux , il a dit qu'un digne repré-,
sentant du peuple, signa lé par les feuilles d'alors comme s'étant
opposé à un décret d'accusation contre un illustre général qui
siége avec nous, avait payé de sa tête cette


.
action généreuse..


Eh ! messieurs, jouissions-nous, à l'époque on il périt si.
malheureusement, de la liberté de la presse? n'était-elle point
alors à la disposition exclusive du parti dominant, comme ellc
va l'être sous peu de jours, comme elle le sera infailliblement;
car le ministère s'est-il mis dans une situation qui lui permette
de s'interposer comme une puissance neutre, entre tous les.


( 3 67 )
partis ? Loin de là, il ne peut avoir d'existence qu'en s'alliant
avec un parti, qu'en étant partial, comme il l'a dit lui-même.


D'ailleurs, eu 1 792, les appels nominaux étaient publics, lesjournaux les recueillaient comme les autres détails de chaque
séance ; et s'il est à jamais déplorable que des monstres aient
puisé dans ces feuilles le motif d'une injuste condamnation,
faudrait-il en tirer la conséquence qu'il conviendrait d'interdire
aux feuilles publiques la liberté de rendre compte de ce qui se
passe dans cette chambre?


Lorsque la presse veille pour tous , lorsqu'elle est A l'usage de
tous, il est vrai de dire que ses blessures sont guéries par elle-
même ; il est vrai encore que ses blessures ne sont jamais dan-
gereuses, quand des lois répressives, exécutées de bonne foi,
les contiennent dans les limites qu'elle ne dort jamais franchir.


Loin de moi l'idée de me faire l'apologiste des excès dont les
feuilles publiques, à quelque parti qu'elles appartiennent, se
sont rendues'coupables. La licence tue la liberté; et quoique l'un
affecte de confondre les époques et les hommes, il n'est aucun
de nies honorables amis qui, victime de la licence, n'ait tour-
à-tour, au péril de sa vie, combattu les armées du dehors ou la
faction de l'intérieur ; mais ils s'effraient à bon droit quand ,
travers un amas de motifs hasardés, et au milieu de la profusion
d'allégations vagues et des récriminations injustes , ils entre-
voient un plan qui se développe, en profitant d'un événement
fatal et imprévu pour frapper simultanément la nation dans
tout ce qui lui est le plus cher. -


Personne de nous, messieurs, n'a pu s'y tromper : les me-
sures que vous avez consenties, celles qu'on sollicite en ce mo-
ment, ne sont point le but qu'on s'est proposé ; elles ne sont
que des moyens qu'on veut recevoir de vous, contre vous-
mûmes, pour atteindre sûrement un but plus élevé, pour
obtenir un résultat plus important et plus décisif. La nécessité
de réprimer la licence des j ournaux, n'est qu'an prétexte ; et,
faut-il - le dire? le parricide qui fit couler sous nos yeux le san a;
royal, peut être une occasion dont on s'empare pour accomplir
des vues profondes. Et n'êtes-vous pas fondés à considérer comme
systématique cette indulgence prolongée, opiniâtre à l'égard
des journaux qui se sont le plus signalés par leurs fureurs, et
dont les lignes coupables appellent au meurtre et à la guerre
civile ? ,Heureux toutes les fois qu'ils peuvent faire quelques
emprunts au parlement britannique, nos hommes d'état n'au,.
l'ont peut-être pas dédaigné d'imiter en cette occasion l'un des
plus•célèbres ministres de cette Angleterre, pour qui nous n'al.-




( 368 )
fectons pas , comme on l'a dit, un dédain superbe , mais que
nous ne consentons pas à adopter comme le type et le modèle
de toutes les organisations sociales.


Le ministre qui se vantait d'avoir dans sa poche le tarif de
toutes les consciences parlementaires, voulut. soumettre les
théâtres à sa censure. (1.a censure est pour les ministres (le tous
les pays un objet de convoitise.) Il s'imagina de composer lui-
même une comédie infâme., qui fut représentée au scandale de
tous les honnêtes gens; on en fut révolté : la ruse découverte,
l'indignation se partagea entre Pœuvre et son auteur; la cen-
sure n'en fut pas moins par lui proposée , et le parlement tarifé
l'adopta. En guerre parlementaire la ruse. est, dit-on, admise ;
je ne veux point disputer sur cet axiome; mais ces jeux d'adresse
sont bien cruels quand la chance tourne contre lés peuples..


On accuse les jurés. Eh! messieurs, que doivent faire les jurés
quand, aussi bien que nous, ils devinent les intentions et les
arrières-pensées? quand ; d'ailleurs , au lieu de délits contre
lesquels ils eussent été unanimement sévères, on ne leur défère
que des doctrines livrées à la controverse? Est-ce d'ailleurs si
peu que cinq condamnations sur neuf procès? Et qui a le droit
de s'interposer entre l'accusé et la conscience du juré qui l'absout
ou le condamne?


Mais tout ne s'explique-t-il pas, et le système de nos adver-
saires peut-il nous en imposer encore, qnand nous voyons entre
des opinions et des partis naguères si opposés, une alliance si
intime ? quand on accorde au ministère d'aujourd'hui ce qu'on
refusait au ministère d'hier, et qu'on proclame comme bon et
utile ce qui, il y a trois ans, comme il y a six semaines , était
proclamé absurde et funeste ? Si je cherche quelle est la divinité
qui détermine une si brusque apostasie, je ne puis reconnaître
dans des métamorphoses si promptes et si faciles, l'inspiration
de la patrie ; et l'intérêt du trône 'qu'on 'ne peut séparer d'elle,
n'est pas le dieu auquel on sacrifie.


J'ai dit et j'avoue qu'il m'est bien pénible de revenir sur ces
souvenirs affreux ; j'ai dit que l'assassinat d'un prince magna-
nime avait été l'occasion, saisie avec un empressement: au moins
indiscret, de dérouler un plan depuis long-temps cônçu.


Ce plan fut imposé à un ministre naguères au faîte de là puis-
sance.Ce ministre voyait, avec anxiété, arriver l'époque'où une
quatrième élection pouvait détruire la majorité qu'il lui Vivait
été si difficile de se concilier . : une expérience récente est venue


• détruire une illusion trop douce. Lesiilections,.disait-il l se sent
montrées rebelles : sur dix-huit de cescandidats, ces élections


( 369 )
rebelles n'en avaient adopté que treize ! Ce succès en eût con-
tenté de plus difficiles, ce n'était pas assez pour lui; il trem-
blait pour ses admirables combinaisons de bascule et de contre-
poids. H frémit à l'idée de s'allier avec une majorité vraiment
nationale, qui lui eût prescrit des devoirs rigoureusement cons-
titutionnels. Eperdu, il attaque ce qu'il avait défendu avec éner-
gie ; il proscrit aujourd'hui la doctrine d'hier ; il brave les re-
proches d'inconséquence et de perfidie, et dévorant tous les
outrages, épuisant la coupe de l'humiliation , il va mendier la
protection de ceux qui l'avaient accablé, et se mettre à la dis-
crétion de ses ennemis.


On sait à quel prix ils la lui accordèrent, cette protection
d'un jour : il fallut qu'il s'engageât à renverser tout ce qu'il
avait édifié, et surtout cette loi des élections, précieuse garais-
rantie de la liberté publique, et en faveur de laquelle il avait
soulevé toutes les puissances de l'opinion et fatigué la préroga-
gative royale, par la création soudaine de soixante pairs de
France.


Mais comment faire accepter à la nation des changemens si
brusques et si dangereux? comment dénoncer la ma jorité des
députés à elle-même comme le corps du délit sue lequel elle
aura à prononcer? Que de cris, que de pétitions, que de dis-
sertations , d'accusations, de reproches, vont répandre les im-
placables journaux de l'opposition ! Comment déclarer au mo-
narque qu'on trompé ou qu'on s'est trompé? comment sor-
tir d'un tel embarrras? On calomniera les électeurs et les élus.
— Mais ils se justifieront. — On leur imposera silence, en pros-
crivant les pétitions et en censurant les journaux. — Mais on
écrira des pamphlets"-, et au besoin, on imprimera des livres.
— Nous arrêterons les auteurs et les imprimeurs , et , s'il le
faut, les lecteurs aussi. — Mais la charte' — On y
trouve tout ce qu'on veut, et quand il est opportun, on la mo-
difie. — Mais les lois! — On les fera taire par d'autres lois ; et
pour tout cela , il ne faut qu'une majorité. Il l'obtient cette
majorité ; mais après l'avoir obtenue et s'être compromis sans
retour, il disparaît de la scène politique. Heureux encore que
ces nouveaux alliés n'aient pas trouvé des auxiliaires sur d'autres
bords ; car pour prix de tant de sacrifices, le ministre déchu
eût pu.cette fois apprendre que la responsabilité n'était pas tou-
jours une chimère. ( Vive sensation à gauche.)


Ses successeurs ont recueilli son héritage ; ils l'exploitent à
l'aide d'une majorité incertaine qui peut leur faillir au premier


24




( 37° ).
instant, et ils obtiennent de petits succès qu'ils veulent en vain
célébrer comme de grandes victoires.


Ainsi, c'est pour arriver à la nouvelle loi des élections sans
cotre importunés par les plaintes , les murmures , qu'on veut
marcher escorté de la censure et muni des lettres de cachet ; on
veut vous imposer cette loi d'élection par les moyens dont on a
fait usage pour imposer à nos pères la bulle Unigenitus ( ou
rit); moyen sublime, comme l'on sait, et dont la tradition s'est
précieusement conservée dans les familles de nos anciens parle-
mentaires.


Espérons, messieurs , que l'on ne nous parlera plus de dicta-
.


ture ; c'est un mot trop fastueux pour les circonstances; c'est
trop rapetisser une grande institution, et citer bien mal-à-pro-
pos un exemple qui n'a pas ici d'application raisonnable. Dans
cette crise qu'on a bien voulu amener, ce n'est pas à nous à
nous écrier : Caveant consules ; mais c'est à nous qu'il appar-
tient de condamner et de flétrir les doctrines serviles ; c'est à
nous. (l'écouter la nation qui nous demande de ne point lui lais-
ser enlever le dernier objet de son culte, le prix de son héroïque
courage, la consolation de ses nobles revers. Ecoutons les leçons
de ces hommes, l'honneur de l'humanité et la gloire des deux
mondes ; osons penser comme l'illustre Jefferson, lorsqu'il di-
sait au congrès américain : « Affranchissons les journaux de


tout impôt, afin que la presse jouisse de toute sôn indépen-
» dance, et qu'aucun rayon de cette vive lumière qui circule


par la voie des papiers publics, ne soit perdu pour le gon-
» vernement. »


Ecoutons le vertueux, l'infortuné Malesherbes : C'est de
» la nation, écrivait-il, que les députés doivent recevoir leurs
» instructions ; c'est à elle qu'ils doivent compte de leur mis-
» sion ; c'est donc la nation qu'il faut instruire. Si la nation


avait été instruite, elle n'eût pas laissé , en 1355 , un petit
» nombre de bourgeois de Paris s'emparer d'une autorité qui,
» dans leurs mains, devint de la tyrannie; elle n'eût pas, sous


Benri III, laissé les ligueurs maîtres de la représentation na-
» tionale, et demander l'exclusion de l'héritier légitime de la
» couronne; elle n'eût pas, sous Louis XIII , permis aux re-
» présentans de s'opposer au voeu de déclarer la couronne
» indépendante de la tiare. »


Et si ces lumières dont les feuilles publiques sont le :plus
puissant moyen de dissémination, n'eussent pas été intercep-
tées à diverses époques de nos malheurs par une odieuse tyran-
nie, combien de victimes nous n'aurions pas à regretter ! ll eût


( 371 )
vécu, et peut-être vivrait-il encore le monarque que Malesherbes
a mérité de défendre; il eût vécu, et peut-être vivrait-il encore,
vénérable doyen de notre âge, ce grand citoyen, ce Malesherbes
à qui nous allons élever une statue tardive. Fortifiés par tant
d'autorités, nous ne croyons pas être dans l'erreur. Du reste,
nous ne rougirions pas de nous tromper avec Jefferson, ou d'er-
rer avec Malesherbes. (Mouvement d'adhésion à gauche. ) Je
vote contre le projet de loi.


M. le ministre des affaires étrangères. Messieurs, qu'il nie
soit permis d'expliquer devant vous comment ;j'entends, com-
ment je comprends les devoirs d'un ministre du Roi vis-à-vis de
la chambre, et même vis- à-vis des membres de cette chambre
qui parlent à cette tribune en qualité d'orateurs.


D'abord , vis-à-vis de la chambre j'ai toujours pesé , j'ai
toujours professé , j'ai toujours pratiqué autant qu'il dépendait
de moi i (pie nul renseignement utile ne devait lui être refusé
par les ministres du Roi ; que leur premier besoin étant celui
de la confiance de la chambre , ils devaient appeler cette con-
fiance par la plus grande , par la plus entière franchise dans les
communications.


J'ai pensé encore qu'il leur était plus impérieusement com-
mandé de monter à cette tribune quand ils avaient à défendre
les principes fondamentaux du trône et de la liberté , et de re-
pousser ceux qui pourraient mettre en péril des intérêts si chers.
Je n'ai pas pensé que je dusse suivre les divers orateurs dans
tous les détou.. plus ou moins habiles où ils se sont jetés , soit
pour prolonger la discussion , soit pour détourner l'attention
de la question principale ; ce serait abuser de la patience de la-
chambre, et l'empêcher de fixer son attention là où elle doit
principalement la porter; ce serait la détourner des intérêts gé-
néraux pour la ramener à des intérêts presque individuels.


Cette espèce de profession de foi vous explique suffisamment,
messieurs, de quelle manière j'entends répondre en ce moment
aux orateurs qui m'ont précédé ; vous comprenez assez que je
ne m'arrêterai pas à celle des opinions qui a pu vous paraître
la plus spirituelle ou la plus habilement présentée , et. lui au-
rait pu faire quelqu'impression sur des esprits moins solides et
moins profonds que les vôtres.


Ainsi, par exemple , . je rappelle cefait parce qu'il iné paraît
tenir à une circonstance remarquable. Je dirai qu'au sujet d'une
toi suspensive de la liberté momentanée des journaux, c'est une
singulière pensée de demander aux ministres du Roi qu'ils ren-
dent compte à la chambre des détails d'une alLire malheureu.-




( 372 )
sem ent célèbre, qui s'est passée dans la ville de Lyon il y a prés
de trois ans.


Il résulterait du système de l'orateur auquel je réponds , que
si des journaux libres avaient été à cette époque publiés dans la
ville de Lyon , le gouvernement eût été suffisamment instruit. ,
et qu'alors serait devenue inutile la mission d'un des plus grands
personnages de France, que le Roi a cm' devoir investir de sa
confiance , 'parce que , dans une circonstance où il s'agissait de
la vie et de l'honneur de seesujets $. M. ne croyait pas pou-
voir charger d'une telle mission un:


personnage trop éminent ,
puisqu'il s'agissait de tout voir , de tout entendre, et d'em-
ployer tous les moyens qui étaient dans le cœur du Roi, pour
apporter un prompt remède au suai dont il était profondément
affligé. Ainsi, messieurs, selon l'orateur, tout cela devenait
inutile s'il avait existé alors des journaux libres.


Je ne m'attendais pas, il y a peu de jours , quand je parlai
de ce gouvernement des journaux qui. semblait devoir rempla-
cer tous les autres, que si tôt on mettrait cette idée en pratique ;
je ne m'attendais pas qu'on dût. en fournir si tôt un si brillant
exemple. Ainsi, au moyen des journaux, la machine du gou-
vernement devient désormais bien simple : sans doute, les jour-
naux vont devenir les yeux, les organes du gouvernement ; ils
se chargeront de vous proposer des lois ; ils seront les seuls ins-
tru mens du gouvernement; ils remplaceront les salariés de l'état
sur lesquels on se plaît à répandre tant de défaveur ! Ainsi , plus
de salariés, mais beaucoup d'abonnemens aux journaux! Un tel
système est sans doute bien propre à ramener l'âge d'or des jour-
naux. Mais je crois qu'il n'y a pas d'assemblée dans le monde ;
je crois qu'il n'existe aucun peuple qui se contente d'une telle
assurance , qui ne se sente pas le besoin d'autre garantie que
celle fondée sur l'existence des journaux , dont la véracité est
apparemment si évidemment prouvée.


Il y a six mois si quelqu'un avait prêté un semblable langage,
une telle idée à l'honorable membre auquel je réponds , sans
doute il aurait crié à la calomnie et l'aurait repoussée avec toute
la supériorité de son talent. Toutefois la citation que je fais de
ce qu'il a dit est claire, simple et bien exacte. J'aurais souhaité
qu'il eût eu lui-même une égale exactitude en citant le discours
que j'ai prononcé dans l'autre chambre ; car alors il n'aurait
laissé aucun doute sur la constitutionnalité de ce discours, et
sur les -vrais principes qui y sont professés.


Mais sortons d'une guerre, engagée plutôt sur le terrein de


( 373 )
l'esprit que tur celui de la raison ; passons à des questions plus.
graves . , et d'une plis hante importance.


Vous avez entendu tout-à-l'heure un discours prononcé par
un de mes honorables collègues : il était fait sans doute pour
produireisne grande impression. Prononcé avec tout le prestige,
du talent, avec l'accent de la conviction et de la conscience,
avait sans doutenüssi le droit de parler à vos propres consciences;,
niais celles qui sont les plus pures peuvent errer quelquefois. Je.
rends hommage aux principes qui animent mon honorable cel7
lègue : ces principes j e les partage presque tous; mais . s'il fallait
les suivre dans toutes leurs conséquences , il m'arriverait ce qui
arrive aux hommes qui se fondent sur les principes1 es plus sûrs ;
car ce n'est pas là que se trouve le plus souvent l'erreur ,,, c'est
dans la manière de tirer dés conséquences des principes poses.


Mon honorable collègue a commis l'erreur grave de placer la
question dans la question même , d.e placer la cause dans les .
effets , et les effets clans la cause. Certes , messieurs , si vous
devez adopter une loi qui détruise la liberté, qui arrache l'élec-
t ion- à cette immense majorité de la nation , dont les suffrages
doivent être recueillis, sans doute il a raison. Pelais c'est là pré-
cisément ce qui est en question 3 c'est ce que vous aurez A exa-
miner , et que les ministres discuteront avec vous avec franchise.-
et bonne foi ; c'est alors seulement que vous saurez s'il est vrai
que vos libertés sont en péril , on plutôt s'il ne s'agit pas de lés
assurer à jamais sur des fondemens inébranlables.


Je passe A d'autres orateurs. Ils me ramènent malgré moi à
de bien plu., hautes considérations et à de bien plus tristes ré-
flexions : pourquoi faut-il que j'aie à remplir le pénible devoir
de vous les faire partager?


Trois orateurs de la même opinion ont hier successivement.
occupé cette tribune ;animés ani és des mêmes princi pes , mus par
mêmes sentimens , leur langage, différent clans seS,fOrmes , de-
vait être le même clans ses résultats , dans ses conséquences.


Aussi nue sera-t-il facile . de traduire en peu de mots leurs
trois discours à-la-fois , et. d'en extraire ainsi la substance com-
mune,si je puis me servir de cette expression. J'ai lieu de pen-
ser que ce simple exposé sera la meilleure réfutation• de leurs
doctrines.


Voici donc ce qu'ils vous ont dit :


Trois lois sont présentées ; nous regardons ces trois lois comme
contraires aux principes de la liberté. Dès - lors , si ces lois
viennent à passer, elles auront beau avoir été adoptées par la.
majorité dans cette chambre , par la majorité dans la chambre




( 374 )
des pairs, elles auront beau avoir été sanctionnées par le Roi,
nous ne les en déclarons pas moins contraires aux principes., et,
comme telles , contre-révolutionnaires , puisqu'elles déchirent,
puisqu'elles anéantissent la charte ; or, comme les contre-révo,
lutionnaires amènent et justifient les révolutions, nous vous
annonçons une révolutiert..




Une révolution se fait par la forée du plus grand nombre
contre le plus petit. Nous avons pour nous ce grand nombre ,
nous serons donc les plus forts. Délibérez constitutionnellement
tant que vous voudrez, repaissez-vous de cette victoire insigni-
fiante ; pour nous, une victoire plus solide


.
nous attend , et ne


peut manquer de nous être acquise. Il est vrai, messieurs, que
lé cas arrivant , on vous donne l'assurance d'une fraternelle et
généreuse protection. ( Vive sensation à droite. )


Si je ne me trompe , messieurs , ce langage est clair ; on le
donne connue un avertissement ; d'autres pourront aussi juste-
ment le 4ualifier de menace ; et de quelle menace ? rien que
l'insurrection, rien que la force du nom bre opposée à la majorité
ayant délibéré constitutionnellement; et pour que cette menace
ou cet avertissement aient tout leur effet , on ne vous a rien
épargné , messieurs, on a fait devant vous le dénombrement de
ces forces, on les a en quelque sorte passées en revue, Vous
n'êtes pas obligés, à la vérité, de croire à ce dénombrement ,
mais vous devez an .


moins le remarquer, puisqu'au défaut
.
de


raisons on vous oppose des soldats.
Ainsi donc , on e rangé citoyens contre citoyens , on a rangéi si


soldats contre soldats ; et de ceux-ci , peu s'en est fàllu qu'on
ne vous ait dit ; nous en avons tant dans les légions , tant dans
la garde royale, tant &Metz , tant à Lille, tant à Paris ; et tout
de suite l'heureuse mémoire d'un de mes honorables collègues
s'est rappelé et vous a reproduit le souvenir des jours de 1 789


,


<le l'insurrection qui éclata à cette époque, et de la manière
dont elle fit secondée par des soldats dont il recoMmande, la
mémoire à la reconnaissance publique.


Je conçois qu'on prenne l'habitude de s'endormir au milieu
des rêves de sa gloire ; mais je pense qu'on devrait être plus en
garde contre les indiscrétions de son réveil. ( Même mouvement
au centre et à droite. )


Il se trompe beaucoup, au reste, notre honorable collègue.,
s'il croit que la France entende aujourd'hui la liberté comme i:-
l'entendait et la pratiquait en 1 7 89 . Elle n'a pas perdu encore
tons les fruits de son expérience ; elle sait où mènent les insur-
rections. Sa propre histoire lui dit. que celles des soldats surtout


( 375 )
sont les plus mortelles à la liberté. Que dis -je , leurinsurrection !
ne suffit-il pas de leur intervention, pour la détruire le plus sou-.
vent? Les j ournées des 13 vendémiaire , 18 fructidor et 18 bru-
maire vivent encore dans nos fiistes , et elles y sont écrites en
caractères de sang ; et ce sont des citoyens, et des citoyens qui
disent aimer la liberté , qui proclament ainsi que la .force doit
imposer silence aux lois ! Ne semble-t•il pas voir l'épée de Brennus
jetée dans la balance et emportant tout avec elle? Mais, heureu-
sement pour la patrie, un tort s'ajoute ici à un autre tort. Ces
prétendus amis de la liberté calomnient nos guerriers, qui sont
plus citoyens , meilleurs citoyens que ceux qui osent leur prêter
leurs Sentimens. J'ignore si quelques nuances d'opinions poli-
tiques ont pu pénétrer parmi eux, mais ce dontje suissûr, , c'est
qu'il n'en est point, soldats, officiers, généraux, qui ne sachent
qu'armés pour défendre la patrie , leur devoir le plus sacré est
de respecter son indépendance, d'obéir aux lois, et que la pre-
mière de ces lois est celle qui les place sous l'autorité suprême
du Roi auquel ils ont prêté serment, auquel seul appartient de
les commander par lui ou par ses lieutenans. ( Mouvement gé-
néral et très-vif d'adhésion. )


Mais ce n'est pas tout , messieurs, que de proclamer ainsi la
résistance aux lois, du jour où ces lois ne seront pas telles que
les vent un parti , et qu'elles auront le tort de n'être que l'ou-
vrage d'une majorité constitutionnelle.


Ce n'est pas tout que d'exciter ainsi les citoyens à s'armer
coutre les citoyens , les soldats contre les soldats ; on cherche
encore par toute l'Europe s'il n'y aurait pas quelque étincelle à
recueillir , et dont on pourrait se servir utilement pour allumer
l'incendie dont on nous promet le brillant spectacle. ( Vive sen-
sation. )


. Je ne suivrai pas l'un des orateurs auxquels je réponds dans
ses nombreuses excursions. Depuis trois ans , nous sommes ac-
coutumés à entendre ses augures diplomatiques. Ils ont été quel-
quefois bien sinistres, mais ils n'ont pas empêché la libération
de notre territoire , et notre gouvernement constitutionnel sera
bien encore assez fort pour y résister. Cependant. il est un point
du inonde européen qui fixe particulièrement l'attention de tous
les hommes qui ne sont point. indifférens à ces grandes scènes
où se jouent pour des siècles les destins des générations. Il parait
que c'est particulièrement sur ce point que reposent les espé-
rances des honorables collègues que je réfute. C'est là qu'ils vont
chercher leurs exemples et qu'ils trouvent le fondement de leurs,
plus chères espérances,




( 37 6. )
Uh grand mouvement: a eu lieu en-Espagne; les troupes -y ont


pris part, elles en ont été le premier mobile. On en pousse des
cris de joie; et l'un.de nos honorables collègues, dans sa naïve
philantropie , songe déjà à mettre en accusation le ministre des
affaires étrangères-,' si le gouvernement de France ne s'était pas
modtré aussi favorable qu'il doit l'être selon cet orateur , à
Cette révolution, nouvelle.


.Je ne prétends , Messieurs , la juger ni dans ses causes , ni
dans ses .èffets. Je souhaite Vivement qu'elle fasse le bonheur du.
petiple espagnol ; je souhaite qt3 'en cimentant sur de nouvelles.
p
baSes - Pallialice du trône et (le la nation , elle donne aux libertés


ubliques conime 33Ux droits de la couronne toutes les garanties
desirables Ce n'est certes pas au ministère (lu Roi qui a donné
la charte aux Français ., que l'on reprochera de ne pas souhaiter
ilu'un tel bienfait puisse s'étendre jusqu'aux peuples que régit le
sceptre dé la seconde branche des Bourbons ; mais en même
temps , je né crains pas de le dire , si la liberté ne fait pas dès
Sein aurore tomber les armes des mains de ces soldats qui ont pu
Oublier :un moment ne les avaient reçues qu'en prêtant le
Serment d'obéissance à leur Roi; s'il arrive-que cet égarement se
prolonge au-delà des premiers momens qui l'ont va


- naître , c'en
est fait de la liberté , du repos, du bonheur des Espagne. Tout
Sera bientôt compromis dans ce malheureux pays. Les légions
romaines pouvaient bien à leur gré ,


disposer du sceptre des Césars;
elles pouvaient hien tour-ààoilr saluer leur général empereur,
et massacrer leur empereur ; Mais jamais la liberté romaine n'a
pu rellenrir à l'ombre dù camp des Prétoriens. (Nouveau et très-


f mouveurent d'adhésion.. ) .
Que l'Espagne soit donc libre, grande -et heureuse aVec son


Roi ! Nous devons lé souhaiter , je le veux espérer. Mais sa-
dions reconnaître que le but auquel elle veut atteindre est pré-
eisément celui auquel nous sommes arrivés. Ils sont vraiment
bien préoccupés du bonheur des révolutions, il faut qu'ils s'en
Lissent une bien- douce idée , ceux qui , s'emparant si vite de
l'exemple d'un peuple auquel tout reste à faire dans la route de
là liberté , viennent (air Cet exemple à un peuple chez lequel
tout est acquis, peuple qui n'a rienn conquérir, niais tout
il conserver (Interruption à gauche ) , et qui pour tout conserver
n'a besoin que de se tenir en garde contre les factions , et de for-
tifier
's s lois contre les 'efforts de ceux (lui confondent encore la
licence avec la liberté.


Ah messieurs! que si l'Espagne avait eu la moitié des biens
;1"33e nous possédons,. si elle n'avait eu à craindre que le despo.-


( 3 77 )
tisane qu'eu affecte Je redouter . qu'ils seraient:done coupables
ceux qui seraient venus la tirer d'un état si heureux pour la jeter
dans des chances inséparables d'un ordre de choses tout nouveau!
Et nous, messieurs, ce serait après avoir franchi tant d'écueils,
après avoir été réduits à faire si souvent la part du naufrage
qu'on voudrait nous repousser sur cette mer des orages ! Non ,
messieurs , on n'y réussira pas , on le tenterait vainement ; le
temps des déceptions est passé ; tous les artifices du langage sont
connus , sont usés en France ; la vérité seule domine , les faits.
parlent plus haut que les sophistes. Le peuple français sait ce
qu'il do( à son Roi ; il l'aime, il sait qu'il en est aimé ; on ne
lui persuadera jamais que ses droits, ses libertés doivent être
mis en péril par des lois présentées , discutées , -délibérées , ac-
ceptées dans les formes constitutionnelles. ( Nouveau
nient. )


On demande la .elôture de la discussion._
M. le général Foy. Je demande à parler contre- la . clôture ,


M.. le ministre des affaires étrangères vient d ' être entendu en fa-
veur du projet de loi. Si la clôture de la discussion a lieu, M. le
rapporteur sera entendu dans le même sens ; il semblerait con-
forme au régleinent qu'on entende un orateur contre le projet.


Un grand nombre de voix d droite -: Parlez ! ... parlez! ... -
M. le-général Foy. Après qu'une révolution, terrible a mis


la société à jour et a réveillé tous les principes d'action qui som-
meillaient depuis un siècle , il n'est donné à personne de dire
où le mouvement des esprits s'arrêtera. Que si une main vigou-
rense-a paru mattriser le torrent, regardez-y de près, vous verrez
qu'elle ne l'a pas même ralenti , et qu'elle n'avait fait que lui
donner un autre cours.


Un certain degré d'agitation étant désormais inhérent à notre
état social, le gouvernement, quelle que soit: sa forme, est con-
damné -à en subir les conséquences.


Nos désastres de 1 8 ) 4 , en refoulant Vers nous l'esprit de con-
quête, avaient brisé le système ascendant sur lequel nous vivions
depuis plusieurs années. Le retour de l'ancienne dynastie ne pou-
vait manquer de causer quelques alarmes aux intérêts et aux ha-
bitudes. Elle nous réconcilia i t, il est vrai , avec l'Europe ; mais
ce bienfait vivement senti dans les . jours qui suivirent la bataille
perdue , devait bientôt peser à un grand peuple accoutumé à dic-
ter la paix à ses ennemis. Dans cette disposition des esprits ,
qu'avaita faire la maison de Bourbon, pour replanter ses vieilles
'racines dans le terrain de la France nouvelle ?


Sa conduite lui était tracée par les souvenirs de sa propre




( 378 )
grandeur. Toujours les rois de France ont marché à la tête des
intérêts de la commune contre les attaques de l'aristocratie.
y avait. accord naturel entre la liberté publique et .le caractère
modéré deeinces qu'une longue infortune avait déshabitués du
pouvoir. La charte nous t'ut donnée en signe de paix et d'alliance.
Mais le 'régime constitutionnel , altéré dès sa naissance par la
marche rétrograde des dépositaires responsables de l'autorité,
et bouleversé bientôt après par les tempêtes politiques, ne se re-
leva qu'en 181 7


par la loi des élections. Alors la masse du peuple
ne demandait :'qué. confiance et liberté. Notre jeunesse se préci
pitait dans la carrière de l'industrie avec une ardeur que ne re-
_butait pas le malheur des temps ; elle inondait les écoles , elle
se pressait autour dés chaires publiques, comme si la pensée
philosophique-eût dû en sortir pour la première fois. Il y avait
chez tous une tendance manifeste vers les arts et les théories de
la paix , et l'exploitation du domaine de la. charte offrait un ali-
ment suffisant à toutes les ambitions généreuses.


Avec de pareilà•âémens de félicité publique, que devait faire
un. ministère appréciateur du présent et prévoyant de l'avenir?
Aider au mouvement national sans prétendre le diriger; éloigner
des.,emplois publics ceux qui s'étaient faits oppresseurs et ceuX à
qui:iÉn'est.pes:_denné de comprendre ce qu'est le pouvoir dans


étattlibre- 5; entrer franchement et noblement dans le gouver--
nemeirt•représentatif. La nation appelait par ses voeux l'accom-
plissement des promesses qui lui avaient été faites ; elle récla
maiOesedressement dés Codes qui proscrivent les associations
politiques ,-et qui réduisent .. le•jury à l'alternative de n'être qu'une
institution inefficace, ou de servir d'instrument au pouvoir ; elle
sou pipait après une organisation de communes, de départemens,
de gardes nationales, qui éparpillât sur la surface du royaume
les principes de vie dont l'accumulation en un seul point pou-
vait produire une fermentation trop active : il était nécessaire
que toutes les pièces du gouvernement représentatif fussent anises
en action , sinon à-la-fois , du moins à des distances assez
proche es l'une de l'autre pour que la jouissance de ce qu'on P os


-sédait ne servît pas à mieux faire remarquer le manque de ce
qu'on ne possédait pas encore.


La charte , l'opinion , la raison repoussaient la censure. Après
une longue et opiniâtre taquinerie , nous avons obtenu des jour-.
naui qui n'étaient plus censurés. Aussitôt a tarit explosion .; de
la part des journalistes, une joie indisciplinée et effervescente;
presque tous ont cherché à frapper fort plutôt qu'à frapper juste:
Faut-il s'en étonner ? ils voulaient être lus. Ce sont, avant tout,.


( 379 )
des émotions , dé l'effet , des catastrophes que demandent les
lecteurs de journaux , comme les spectateurs de mélodrames.


Permettez-moi de vous le dire avec franchise, messieurs : l'ef-
froi que vous inspire la licence des journaux n'a fait honneur ni
à votre prévoyance de l'année dernière , ni à votre prévoyance
de cette année. Tout ce qui est arrivé était dans l'ordre naturel
desévénemens ; et , de ce côté au moins, l'avenir n'est pas aussi
nébuleux qu'on voudrait le faire croire. Descendez au fOnd,de
vous-mêmes : • n'éprouveriez-vous pas à travers ce débordement
d'écrits quotidiens , un peu de l'émotion que ressentirait le ci-
tadin paisible transporté subitement , et pour la première fois,
au milieu d'une mer agitée. Dites, messieurs , quelle confiance
aurait-il dans le navire sur lequel il serait embarqué? ne se ver-L
rait2i1 pas à -chaque instant prêt à 'être englouti par les vagues
qui montent. jusqu'aux nues? Pt cependant. quels sont après tout
les dangers réels d'une navigation lorsqu'on n'a à vaincre que
la violence des vagues , 'et lorsqu'on n'a pas affaire à d'imprit -.
dem pilotes qui commencent la traversée par jeter la boussole
à la mer?


Mesurons froidement l'étendue du mal qu'ont fait les .jour-
naux. On leur reproche leur déchaînement contre la religion !
Mal avisés et mal accueillis seraient ceux qui attaqueraient au-
jourd'hui , soit par le raisonnement , soit.avec l'arme du ridi-
cule, l'esprit religieux en général ou les dogmes positifs qui
servent de base à la croyance du plus grand nombre de nos ci-
toyens. Aussi, à l'exception de certains cas très - remarqués ,
parce qu'ils sont isolés , je ne sache pas que les folliculaires se
soient livrés .à de pareils excès. Ce n'est même pas sur .Pétablis-
setnent ecclésiastique formé par la constitution et par les lois de
l'état , qu'a porté la malignité de leurs réflexions : je ne les ai
vus actifs qu'à la poursuite d'innovations introduites dans le
culte par l'esprit de parti plutôt que par l'intérêt bien entendu
de la religion,




On parle beaucoup de doctrines anti-sociales , ennemies des
principes qui fondent la liberté et conservent les empires. Ces
doctrines , dans leur nudité . , n'ont rien qui m'épouvante. Si
ceux qui les professent sont de mauvaise foi, vous les verrez bien-
tôt descendre à l'application , et il sera facile à la loi répressive
de les saisir. Si , au contraire , ils sont de bonne foi , vous les
trouverez presque toujours errans dans les sphères de l'abstrac-
tion et vous leur accorderez cette-justice que , dans leurs de-
sirs inquiets de perfectionnement, ils font ordinairement mie




3!-lo )
part avantageuse de respect et de devoir au gouvernement du
pays.


Redirai-je les attaques directes:contre la personne sacrée du
nui ou contre les princes de sa famille? Assurément, messieurs,
ce genre d'offense à la morale publique n'a jamais été, plus rare
que depuis que l'on jouit. de la liberté de la' presse. On n'a
plus vu circuler sous le manteau des libelles outrageans ; on a
moins entendu de nouvelles absurdes, d'injures grossières. Bien
plus, il s'est formé dans•quelqiies journaux un langage de con-
venance, gni dans tout es les questions met l'inviolabilité du trône
hors. de cause , et , reportant les griefs sur les véritables Un:
teurs des maux, a repopularisé l'axiome tout français, tout cons-
titutionnel, le Roi nefait pas de mal.


Cependant les personnalités, Ics,calomnies Jcs,:f4its et les
opinions travesties, les injures dégai tantes ont afflué . de partout,
et ont été recueillis dans les archivés du. mensonge: Mais. contre
qui sont aiguisées ces armes plus redoutées qu'elles ne sont lueur-
trières .? contre les membres des deux chambres , les ministres,
lei magistrats, quelquefois contre de simples particuliers, presque.
toujours contre des Nommés qui se sont offerts volontairement
au jugement du public. Les uns paient leur part des ennuis at,
tachés à la célébrité, les autres subissent la mpensat ion mo-
rale dü bien-être matériel que l'état leur procure. A-t-on vu
poeeela l'ardeur des emplois se ralentir ? a-t-on été obligé,
comme au festin du riche, de chercher les hommes sur la place.
publique pour les traîner par force aux ministères, aux direc-.
lions générales et aux préfectures?


.1.1 serait indigne de nous , messieurs , que les blessures qu'a
pu nous faire la lance d'Achille fermassent nos yeux sur les nom-
breuses guérisons qu'elle opère. Ceatibien de 'révélations utiles,
n'a pas fait éclore la liberté de la presse! Dites s'il y a eu des
injustices et des oppressions possibles quand les journaux étaient
si ardens à dénoncer même des injueSces et des oppressions qui.
n'existaient pas. Ne voyez-vous .


pas que nos moeurs commen-
çaient à se modeler dans le moule 'de nos institutions nouvelles
et que, revenant sur nos pas après avoir fait les deux tiers du
chemin qui nous séparait :des habitudes constitutionnelles, tout
sera à recommencer à une autre époque , à moins que la ruine.
totale de nos libertés ne nous évite la peine de recommencer
jamais.


Aujourd'hui , messieurs qui a voulu , qui veut la censure?
M. le ministre de l'intérieur vous a dit que le rétablissement en
était préparé avant le funeste événement du 3 3 février. Ainsi t


( 38 )
Mous sommes .autorisés à considérer le projeLde loi comme con-
temporain de l'attaque dirigée contre notre système électoral.
La censure a été demandée à la chambre des pairs pour cinq ans
par les mêmes moyens et par les mêmes motifs qu'on vous a,
proposé l'inconstitutionnelle quinquennalité de cette chambre.
Le temps n'est pas encore venu d'examiner jusqu'à quel point
toutes ces combinaisons étaient, dans leur principe , désinté-
ressées et patriotiques.: niais dussent-elles nous nieller à bien,
c'est en vérité les payer trop cher que d'en acheter le problé-
matique succès au prix de. scette charte qui devait, comme un
triple rempart, détendre les intérêts . de la révolution , de la li-
berté et du trône..


L'hou°. rable rapporteur de votre commission vous a entretenu
des inquiétudes que lui suggère l'Europe attentive à ce qu'on dit
et à ce qu'on écrit clans le pays. A de pareilles.inquiétudes ,
c'est par un sentiment chaleureux plutôt que par un raisonne-
ment serré, qu'il faut répondre. Je sais qu'autrefois les prudens
de la Hollande faisaient peur au gazetier de Leyde de la colère
de Louis XIV : niais la France n'est pas la Hollande, et les
gouvernemens et les peuples ont acquis à leurs dépens des no-
tions exactes sur les droits et les libertés de la souveraineté ter-
ritoriale. Qu'avons - nous d'ailleurs à débattre avec l'Europe ?
N'avons - nous pas fidèlement rempli les obligations qui nous
furent imposées? ne sait-on pas que pour nous résigner à payer
des tributs, il nous a fidlu remporter sur nous-mêmes une vic-
toire plus difficile , plus héroïque peut-être que les mille vic-
toires qui nous avaient attiré tant d'ennemis? Nous sommes ,
nous serons désormais paisibles et inoffensifs , parce que nous
n'avons pas l'âme rancuneuse , et surtout parce que nos souve-
nirs remontent plus haut que nos derniers revers. Mais puisque
cette nation est appelée à ranger les autres sous l'empire de ses
idées , alors même qu'elles se sont soustraites au joug de ses
armes , ce n'est pas nous , Français , qui essaierons de changer
l'ordre des destinées. Et après tout, nous avons trop à faire avec
les passions qui nous,agitent , pour nous tourmenter beaucoup
de ce qui arrivera au-dehors par suite de nos débats.


Je rentre dans la question et je conclus.
Toute loi préventive en matière de liberté de la presse étant


contraire au texte de la charte et à l'esprit du gouvernement re-
présentatif, je repousserais la censure quand même il nie se-
rait démontré qu'on ne veut en user que comme d'une mesure
temporaire et provisoire : mais je concourrai loyalement à la
confection d'une loi qui retienne le jugement par jurés et qui




ê
s


( 382 )
pourtant soit plus efficacement répressive que la loi actuelle. Je
me complairai surtout dans les dispositions qui , en agrandis..
sant et en rendant plus difficiles les entreprises de journaux ,
feront. reposer les garanties publiques sur une base plus large et
plus solide.


Au reste, comme on doit supposer que l'approche d'une autre
loi et la crainte d'une pénalité plus sévère contiendront les jour-
nalistes dans dte justes. bornes , je ne crois pas qu'il y ait lieu à
adopter à leur égard des mesures extraordinaires de répression
pour le court espace du temps qui s'écoulera d'ici à la présen-
tation du nouveau projet. Je vote le rejet du projet de loi actuel-
lement en discussion.


On demande et la chambré ferme la discussion à une très-
grande majorité. La séance est levée à cinq heures.


CHAMBRE DES PAIRS.


Séance du 24 mars.


L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet
de loi relatif à la liberté individuelle.




M. le comte Cornudet. Le plus précieux des droits sociaux,
consacrés par la charte, est la liberté individuelle dont on pro-
pose aujourd'hui la suppression. Ce n'est pas seulement dans
l'article 4 que cette liberté est garantie, on peut dire qu'elle a
également pour sauve-garde, et l'article 6a, qui veut que nul
ne soit distrait de ses juges naturels, et les articles 58 et 63,
dont le premier assure pour juges aux Français des magistrats
nominés par le Roi et inamovibles. Le second défend toute
création de commissions et de tribunaux extraordinaires. Ces
dispositions, précisées dans l'ancien droit de la France, et dont
la possession est en quelque sorte immémoriale parmi nous, sont
toutes violées par le projet de loi. En vain le rapporteur de la
commission a-t-il prétendu que, sans porter atteinte à la charte,
on pouvait communiquer à des administrateurs nommés par le
Roi, et qui exercent en son nom le droit d'arrestation provi-
soire habituellement confié aux tribunaux ? en vain a4-il
tingu&entre l'arrestation et le jugement ? L'un n'est pas l'autre
sans doute; mais le droit d'arrêter suppose celui de juger ; et
l'arrestation même est un acte de jugement, puisqu'elle doit
etre faite en connaissance de cause. Alti :el-titre ce droit sertit-il
exercé par des magistrats étrangers à l'ordre judiciaire, et com-
ment assimiler à des juges inamovibles des administrateurs E4S-


( 383 )
sentiellement révocables? Les exemples cités à l'appui de cette
doctrine, ne sont pas moins fautifs que les principes sur lesquels
on l'établit. Ils ne peuvent pas plus qu'elle j ustifier l'attribution
faite aux ministres par le projet de loi d'un pouvoir qui, par sa
nature, appartient aux tribunaux. Mais pourquoi déroger ainsi
au nouveau comme à l'ancien droit de la France ? est-il donc
impossible de trouver dans ses lois un moyen également sûr et
prompt d'atteindre le but qu'on se propose ? Je ne crains pas
d'assurer que, sur ce rapport, la loi existante offre au gouver-
nement autant de ressource que la loi proposée. On donne pour
motifs à celle-ci l'effervescence des passions, la fureur des partis;
c'est-à-dire qu'on réclame un pouvoir sans bornes dans un mo-
ment où son abus est le plus à craindre. La dictature dont on
parle tant ne durait que peu de jours, elle opprima la liberté dés
qu'elle devint perpétuelle. On invoque, en faveur du projet, les
deux lois semblables rendues en 7 815 et 181 7 : c'est flétrir la
charte que de tirer de sa violation un argument pour la violer
encore. Quel fruit, d'ailleurs, le gouvernement a-t-il recueilli
des deux lois précédentes ? N'est-ce pas aux rigueurs exercées
sous leur autorité qu'il doit de voir aujourd'hui dans les élec-
tions les suffrages du peuple se réunir sur les victimes de ces
rigueurs ? On intéresse à l'adoption de la loi la douleur publique
soulevée par un grand crime : quelque juste, quelque profonde
qu'elle soit, cette douleur ne doit -pas nous égarer, elle ne peut
autoriser de notre part l'inutile sacrifice de la liberté des ci-
toyens. Les doctrines pernicieuses sont encore au nombre des
motifs du projet. Mais la censure des journaux donne aux mi-
nistres un moyen d'arrêter le cours de ces doctrines : pourquoi
ajouter à la suspension de la liberté de la presse , liberté secon-
daire, la suspension bien autrement importante de la liberté
individuelle? Si j'ai bien compris l'exposé des ministres, c'est
aux doctrines prêchées depuis trente ans qu'ils déclarent la
guerre ; mais en remontant à cette époque, en usant de cette
latitude, où aie trouvera-t-on pas des coupables ? C'est une véri-
table inquisition politique dont l'établissement serait autorisé
par le projet ainsi entendu. Je me révolte à la seule pensée d'une
pareille institution ; et, pour en garantir la France, je vote le
rejet de la loi proposée.


Le ministre de l'intérieur répond aux objections sur l'incons-
titutionnalité, l'inutilité et le danger de la loi proposée, et la
défend comme légale, utile et sans danger.


M. le comte Cornet. Des reproches faits au projet par les
adversaires, le plus apparent est l'inconstitutionwilité z mais




( 384 )
avant de l'admettre, il faudrait statuer d'abord sur une questibn-
délicate , celle de savoir si, en matière de législation, tout ce
qui se fait avec le concours du Roi et des chambres , n'est pas
essentiellement constitutionnel. Un orateur a dit hier, qu'en
admettant cé principe, on pourrait détruire Constitutionnelle.: 4
ment la constitution. It faudrait pour le craindre supposer la
démence des corps constitués; il faudrait supposer qu'à l'exemple
de l'assemblée législative, de la convention, du sénat, ils se dé-
terminassent à un véritable suicide. J'avouerai que je redoute
mn pareil sort pour la chambre des pairs , si elle n'est pas abso-
lument monarchique. On a vainement opposé à l'adoption du
projet divers articles de la charte ; la question est tout entière
dans l'article 4. Or, suivant cet article, un citoyen peut être ar-
rêté dans les cas prévus par la loi et avec les formes qu'elle a
prescrites; mais la loi qu'on propose pour être une loi d'excep-
tion, une loi temporaire, en sera-t-elle moins, pendant sa durée,
une loi d'état? On vante le prix de la liberté individuelle ! Maie
plus elle est précieuse, plus il faut Veiller à sa conservation ; et
si elle ne peut être sauvée que par le sacrifice momentané des
droits qu'elle nous garantit, il faut bien se résoudre à ce sacri-
fice. Les lois existantes, dit-on, offrent avec profusion tous les
moyens de pourvoir à la sûreté de l'état ; le Code pénal a tout
prévu. Non, ce Code n'est pas aussi complet qu'on le suppose,
parce que le gouvernement (lui les e créés se réservait d'y sup.:.
pléer suivant.les circonstances. On compare la loi proposée.auz
lois les plus désastreuses; elle n'est qu'une mesure de prudence
et de sagesse, pourquoi supposer des abus qui•ne . peuvent avoir
lien? pourquoi créer des fantômes pour les combattre? Cette loi,
d'ailleurs, n'est que transitoire; elle ne concerne par sa nature
qu'un petit nombre d'individus, et la modération du gouverne-
ment nous répond qu'à leur égard même elle sera exécutée avec
clémence. Son adoption aura sur l'état de l'Europe une influence
utile. On ne peut se dissimuler que la civilisation générale est
aujourd'hui menacée. L'attitude que prendra la France peut
décider du salut des peuples, qui, plus encore que les rois , ont
intérêt au maintien des gouvernemens réguliers. Je conclus à
l'adoption du projet de loi.






M. le comte Lanjuinais. Je m'étonne qu'on prétende jus-
tifier l'arbitraire accordé aux ministres dans le pro jet de loi , en
observant que cet arbitraire sera revêtu des formes légales. Mai
avec ce raisonnement, on justifierait de même, et l'inquisition
religieuse d'Espagne, et l'inquisition politique de Venise, qui,
l'une et l'autre, étaient aussi légalement établies. Qui prouve


JUJ )
t rop lie prouve rien ; c'est le reproche que je ferai au rapport
ale la


•commission. J'ai peine à concevo i r l'adoption qu'on y
propose d'une loi qui, dans mon opinion, réunit tout ce que
les lettres de cachet, la loi des suspects et la loi des ôtages
frirent jamais (le plus effrayant. On a torturé l'article 4 de là
charte pour l'expliquer d'une manière favorable au projet; 'ma iS
en ^8i 7, dans une discussion du même genre, j'ai prouvé qu'in
dépendaimirent de cet article, il y en avait sept autres qui s'op-
posaient à l'arbitraire qu'on veut établir. Si les ministres avaient
plus de confiance dans leurprojet , ils le défendraient avec moins
de modestie. C'est une loi de confiance 'demandent; mais
l'arbitraire peut-il être demandé, peut-ii être accordé à ce titre?
Nfavons-nous pas juré l'observation' de la charte, qui proscrit
tout arbitraire ? On invoque les 'circonstances, argument ordi.
naire du 'despotisme, argument satanique, ainsi que l'appelait
un saint pape; niais les circonstances ne peuvent soutenir un
projet dont l'inutilité, même sous ce rapport, a élé démontrée.
On a démontré pareillement que la loi proposée ne serait pas
moins dangereuse dans ses conséquences, qu'elle n'est funeste
dans son principe. Je ne reviendrai point sur tes preuves ; mais
dans l'intérêt du peuple, comme dans celui du trône j je com-‘
battrai de tout mon »pouvoir un système qui ne-tend a rien moins
qu'a mettre à la disposition des ministres la liberté de trente
millions de Français. La proscription qu'à une époque désaS-
treuse j'ai éprouvée pour avoir défendu la' même cause, ne
m'empêchera pas aujourd'hui d'y être fidèle, et d'engager la
-chambre à saisir l'occasion qui se présente dé rendre hommage
à des principes dont elle a juré' le maintien, et dont elle ne pour-
rait s'écarter qu'aux dépens de sa considération -et de sa gloire..
Il suffirait, pour écarter le projet, des sinistres présages qui sc.-
compagnent sa présentation. C'est en attaquant, d'un côté, la loi
des élections, en suspendant, de l'autre, la liberté des journaux,
'qu'on -propose de 'suspendre également' la liberté individuelle.


On attaque en même temps, on restreint le droit de pétition;
une théorie des indignes estproclam ée ; la charte, dans plusieurs
de ses dispositions, est présentée comme réglementaire. Qui
pourrait se défendre d'apercevoir dans ces symptômes les indices
d'une morale rétrograde,- bien faite'pour alarmer les citoyens ?
Aussi l'effroi qu'elle leur inspire est-il attesté par la stagnation.
du commerce et de l'industrie.


Le lut avoué du projet est de sauver la religion, le trône,
la société d'une destruction prétendue inévitable. On -vent arra-
cher I•a France anx fureurs dei partis, aux.


désordres de Vanar-
25




4


4


( 386 )
chie ; mais la violation des droits les plus sacrés, des lois les plus
solennelles , l'oubli de toutes les règles , la dispense de toutes les
formes, l'arbitraire enfin dans sa 'hideuse nudité, ne consti-
tuent-ils pas une anarchie aussi effrayante que celle qu'on veut
combattre? S'il faut aux ministres de pareils moyens pour gou-
verner, s'ils ne peuvent, avec la charte, avec les lois dont la
France est aussi abondamment pourvue , répondre du vaisseau
de l'état, que n'en résignent- ils la direction à des 'mains plus
habiles ? Je vote pour le rejet de la loi proposée.


M. le comte Becker. A nies yeux la stabilité des institutions
fondamentales est la première base de la durée des empires.
Pourquoi cette maxime est-elle sans cesse méconnue? pourquoi,
dans le projet en discussion , ébranler de nouveau le principe
consacré par l'article 4 de la charte ? Après de longs orages les
destinées de la France paraissaient fixées par ce pacte solennel
dont elle a juré le maintien. Sait-on les funestes conséquences
que peut avoir sa violation sur un point qui intéresse tous les
Français, celui de la liberté individuelle ? La discussion du
projet dans cette chambre et dans l'autre, a prouvé qu'il était
inconstitutionnel, injuste, dangereux. Un mot du ministre le
prouve davantage : c'est l'arbitraire' qu'il demande.


Beaucoup de gouvernemens ont péri par l'arbitraire; en est-il
un qui ait eu à se repentir d'être juste ? On se rassure par la
courte durée de la loi, sans songer que chaque instant devient
un siècle pour le malheureux privé de sa liberté. En livrant celle
des citoyens, la chambre livrerait aussi celle de ses membres, car
l'article . er de la loi ne distingue pas, et ces mots tout indi-
vidu, comprennent sans doute la nation entière. Je suis loin de
réclamer à Cet égard une exception que je trouverais injuste
dans mon opinion : le législateur qui consacre l'arbitraire doit
commencer par s'y soumettre. Mais, au lieu de le consacrer eu
s'y soumettant, la chambre ne jugera-t-elle pas plus convenable
de le repousser à-la-fois loin d'elle et de la nation ? C'est un
espoir dont je me flatte. J'aime à penser que l'assemblée ne
laissera pas échapper l'occasion qui lui est offerte de témoigner,
en rejetant la loi proposée, son respect pour la charte et son
zèle pour le maintien des libertés publiques. En . défendantles
'droits du peuple, elle suivra les intérêts du trône, et rendra
plus cher aux Français le gouvernement du Roi et sa dynastie.
Ce double motif me dicte le rejet auquel je conclus. • -


.2lI. le duc de Fitz-James. J'aime la liberté de toute l'ardeur
avec laquelle je déteste la révolution. Mais la liberté que j'aime
n'est Point celle qui a couvert la France de prisons et d'écha-


( 387 )
Tauds, celle dont-la statue, élevée sur lés du trône, fut
arrosée du sang du monarque. La liberté chère à mon coeur,
celle dont j'osai espérer le retour à une époque on ses nouveaux
adorateurs encensaient encore les autels du despotisme ; celle
.qui, dès la .fin (le 1813, m'inspirait, et à quelques amis, la.
respectueuse confiance de faire dire au Roi ce que déjà lui avait
révélé sa sagesse, qu'il n'y avait d'espoir pour les Bourbons, de
salut pour la France que dans un gouvernement représentatif;
ma liberté enfin est celle qui, étrangère aux passions comme aux•
intérêts des partis, embrasse tout un peuple dans un commun
amour, et le tient en quelque sorte couvert du même bouclier.
C'est sous l'empire dé cette liberté, que je prétends vivre, et
c'est pour la conserver que j'en voterai la. suppression momen-
tanée. Je l'accorde avec d'autant plus de confiance ., qu'elle est
demandée avec plus de franchise. Si j'éprouve un regret, c'est
que le ministre qui demande l'arbitraire ne s'en soit pas em-
paré sans le demander; car alors il aurait pu agir dès le moment
où l'attentat du i 3 février n révélé tous les dangers de la France.
On peut réduire à deux objections toutes celles qui ont été pré-
sentées contre le projet. Ses adversaires nient la gravité des cir-
constances; ils supposent ensuite que, même en l'admettant,
on trouverait dans la législation actuelle tous les secours néces-
saires. A cette dernière objection jelléponds par des faits, dont
je conclus que la législation actuelle est loin d'offrir au gouver-
nement des secours proportionnés aux circonstances. Quant à
la gravité de celle-ci, si quelque chose m'étonne, c'est qu'elle
puisse être contestée; c'est qu'on persiste


•à voir un crime isolé
dans l'attentat du 13 février. Sans doute on veut par-hi justifier
le ministre, qui, par une circulaire, crut devoir apprendre à
la France que le crime était étranger à la politique, et le résultat
d'une vengeance particulière. Mais, pour adopter une pareille
opinion, pour nier les dangers de l'état, ceux du Roi et de sa


Q
mille, il Ludrait depuis•un mois n'avoir rien vu, rien entendu.
uoi ! ces chants féroces, répétés avec une si constante persévé-


rance, et qui ont commencé la nuit même de l'assassinat ; ces
placards, ces lettres anonymes où la vie du chef de l'état est •
menacée ; ces injures prodiguées à un .


père dont l'auguste dou-
leur aurait attendri des tigres.; ces médailles, ces images de
-Marie.Lonise et de son fils, qui déjà reparaissent, tout ce qu'on
voit en France, tout ce qui se passe an-dehors ne prouve pas,


démontrée
pas la gravité des circonstances ! Elle n'est pas


n ee par les transports de joie qu'on a si indiscrètement
Lit éclater à la première nouvelle de la révolution d'Espagne,




36; )
par l'enthousiasme qu'on affecte pour la constitution des coitès,
par les regrets dont on a plibliquement honoré la cocarde trice,-.
fore Ceux qui s'obstinent à &mer les yeux à de pareilles clar-
tés, ne se laisseraient pas convaincre par mes cris et mes efforts.
Je renonce à les combattre, et je me contente de voter l'adop-
tion du projet de loi.


M. le maréchal prince d'Eckmühl. J'aperçois dans la loi
proposée le rétablissement, an moins. temporaire, des lettres de
cachet. Les défenseurs du projet en sont à peine disconvenus.
Si c'étairlà un des fruits que la charte dût produire , elle méri-
terait. peu nos respects et notre gratitude ; niais je suis loin de
lui reprocher une mesure qu'elle condamne, et qui dans cette
chambre .comme dans l'autre, aeté démontrée missi inconstitu-
tionnelle en principe que dangereuse'dans ses conséquences. Je
m'étonne seulement que le ministère propose comme moyen de
salut l'arbitraire qui a détruit tant de gouvernemens. C'est la
première fois peut-être qu'il est si franchement demandé ; mais
pour en justifier la demande , a-t-on prouvé qu'il fût néces-
saire à la sûreté de l'état à celle de la dynastie? Non ; l'inutilité
est, après leur opposition à la charte, le principal caractère
des dispositions présentées. Dès l'apparition de la loi , je m'étais
demandé comment le Code d'instruction criminelle, ouvrage
d'un gouvernement que prusieurs de ses anciens admirateurs
s'accordent aujourd'hui à charger des épithètes les plus odieuses,
n'offrait .aucun moyen d'arrêter à temps les prévenus de
complots contre la vie du monarque et de sa famille,- ou de
machination contre l'état. interrogé des jurisconsultes, qui
m'ont pleinement rassuré à cet égard. Suivant eux, il n'existe
dans ce Code que trop de moyens d'arrêter, de détenir, même
au secret, et de prolonger la détention du prévenu bien au-
delà du terme fixé par ce projet de loi. Mais si le projet n'est
pas destiné à suppléer à l'insuffisance des lois actuelles, n'a-t-on
pas droit de le regarder cousine la conséquence d'un système
rétrograde que chaque jour développe, et qui menace presque
simultanément toutes nos libertés? Qu'en semblable projet ait
été présenté dans les premiers lumens d'indignation et d'alarmes
qui suivirent un grand crime, on peut le concevoir ; mais com-
ment y insister aujourd'hui que la réflexion, sans adoucir nos
regrets, a dû nous convaincre que la loi proposée n'eût pas con-
servé à notre amour le prince qui les cause? Est-il en effet
quelque sûreté possible contre un misérable qui brave à la fois
la mort et Pinfamie? Si, à l'occasion d'un si lâche attentat, et
parce que la France a produit tin monstre, on suspend la liberté


( 3p9 )
individuelle, qUand nous sera - t-elle rendue? Croirons - nous:
qu'à l'expiration de la loi on manque de prétextes pour en sol-
liciter le renouvellement ? L'exception deviendra donc perpé-
tuelle, et il faudra. renoncer aux droits les plus précieux, de,
peur qu'un scélérat n'en abuse. En. vain nous promet-on d'user
modérément du pouvoir qu'on réclame Les meilleures inten-
lions ne résistent pas long-temps a l'entraînement des circons-
tances, à l'obsession des subalternes, eux suggestions de l'esprit.
de parti. Et quand les ministres nous répondraient d'eux--
mêmes. Tai peut répondre aux ministres de la place qu'ils oc-
cupent? C'est dans ses lois, non dans les hommes q:i'une nation
doit placer sa confiance. La charte régnait il v e six mois et la
Feance était tranquille; rentrons dans la charte pour rendre à
la France sa tranquillité. Il serait également téméraire et dan-
gereux de.prétendre qu'elle pût être compromise par le 'dévelop-
pement de nos institutions. Alarmé pour la monarchie .des, suites.
funestes d'une pareille doctrine, je conjure les ministres du Roi
de se faire autoriser par S. M. à retirer un projet. désastreux.
S'ils persistent à le soutenir, j'en vote le rejet..


On demande la clôture de la discussion.
. Plusieurs 'membres s'y opposent. D'autres membresinsistent
sur la. clôture. Le vote par scrutin est riklatué.


La proposition, de consacrer à l'audition des orateurs inscrits;
le temps qu'absorberaient inutilement les opérations du scrutin.-
est appuyée, mise aux voix et adoptée. •


• M. le comte de la eourclonno) e-Blossac appuie l'adoption.
pure et simple du projet. Je vois dit-il , peu de choses à dire
pour l'esprit dans une question qui doit être décidée par le
sentiment. •


M. le comte Daru. Accepter la censure,.4:la charge de con-
tenir et de contenter tous les partis; le droit de disposer de la
liberté des citnyens, à la charge de répondre de la .sûreté pu-
blique et individuelle , c'est le conseil que pourrait tlo.nner à
un ministre son ennemi le plus dangereux. Quand d'eux-mêmes.
les ministres «free de se charger d'une pareille tâche, la
chambre est-elle dispensée d'examiner-si le pouvoir qu'il solli-
citent n'est pas contraire à nos lois 1)1,1clameniales., ci les bons
effets qu'ils s'en promettent ne sont pas. compensés et au-delà.
par les abus dont il est susceptiblc„. Persuadé Tne. cet . examen,
est nécessaire,ie discuterai successivement. le loi proposée, sous:
le triple rapport (le se coustituti9nnalitè,. dc.son
dangers. L'un des ministres Tui l'ont défendue dans. l'autre




cbambre , a demande si . l'on 'musait .d'ar4itraire.




( 39 0 )
arrestation délibérée dans le conseil des ministres , et dont
l'ordre serait au moins signé de . trois d'entre eux. Ils suivrait
de cet argument qu'aucun


.
acte arbitraire ne peut être commis


par une autorité délibérante, principe que sans doute le mi-
nistre n'a pas voulu établir, èt que réfuterait à ses propres yeux
l'injuste décret dont, en haine de ses vertus, il fut atteint à
une époque désastreuse. Ce qui constitue l'arbitraire c'est l'abus
de la force, et on peut


• en-abuser dans tonte assemblée „même
dans un conseil de ministres. Ici , d'ailleurs , tandis qu'un
ministre écarte le reproche d'arbitraire , un autre le réclame,
et déclare ouvertement que c'est l'arbitraire qu'il demande ;
s'ils ne s'accordent pas entre eux sur le caractère de la loi,
comment s'entendront-ils sur son exécution ? L'article . e ;- exige
que l'ordre d'arrestation soit revêtu de trois signatures. Pour-
quoi ce nombre? Est-ce pour constater le résultat de la délibé-
ration? Une signature aurait suffi. Est-ce pour donner à trois
ministres qui pourraient former la minorité du conseil le ter-


.Q
rible droit de Lire arrêter un citoyen? je répugne à le croire.


uel que soit au surplus le but de cette disposition, il est aisé
de prévoir qu'elle n'aura d'autre effet que d'affaiblir, en la divi-
sant , la responsabilité d'un' acte rigoureux. On sè plaint de
l'insuffisance des lois ; on accuse de timidité- le Code pénal, à.
qui l'année dernière on reprochait de favoriser les abus du pou-
voir, les détentions arbitraires! 11 y a petit -être, je le soup-
çonne, il y a des lois insuffisantes; suais ce ne sont pas nos lois
criminelles et pénales (celles-ci offrent au pouvoir tout ce qu'il
peut desirer pour sa conservation); ce sont nos lois fondamen-
tales et constitutionnelles, ce sont les lois qui devraient et qui
ne peuvent garantir de nouvelles atteintes qu'on leur porte
chaque jour : le droit de pétition, la liberté individuelle, la
liberté de la presse. A mes yeux rien n'est légal que ce qui se


j
Lit en vertu de la loi et par ses organes. Or, en matière de
ustice les organes de la loi sont les tribunaux. Dépouiller ceux.;


ci de leur attribution pour en revêtir les ministres , c'est ren-
verser tous les principes, confondre tous les pouvoirs, enlever
aux citoyens leurs plus précieuses garanties, exposer l'autorité
royale-à des mépris qui, en excitant de justes plaintes, peuvent
altérer le respect des peuples. j'ajouterai que c'est empiéter sur
la juridiction de la chambre, à qui la constitution réserve la con-
naissance des attentats contre la personne du Roi et la sûreté
de l'état. Que serait-ce si, par le vague de ses expressions, la loi
proposée menaçait même la liberté des membres de l'une et
t'autre chambre? si elle .attaquait cette inviolabilité dont ils'


( 391 )
sont revêtus, noix pour leur avantage personnel , mais dans Pin-
térêt de la sûreté générale? Je regarde comme fondé ce dernier
reproche qui achève d'établir l'inconstitutionnalité de la loi.
Passant à l'examen de son utilité, je demande à quels maux elle
servira de remède : l'effervescence des passions, l'irreligion
les mauvaises doctrines , voilà ce qu'on a signalé. Quoi ! parce
qu'il y a de mauvaises doctrines, et tant qu'il y est aura, de
mauvaises lois seront nécessaires? Pour - contenir les passions ,
il faudra s'écarter des formes légales, seules capables de leur
en imposer. J'avoue que je suivrais une marche toute différente.
Avec celle-là, du moins, préviendra-t-on le crime? on ose l'as-
surer. Mais on répandra, dit-on , un effroi salutaire. Ce motif
serait concevable. si la loi proposée offrait à l'autorité quelque
nouveau moyen d'effrayer les médians sans alarmer les bons
citoyens. Mais à quel titre les premiers seraient - ils effrayés
d'une loi qui ne rendra ni la découverte du crime plus facile,
ni sa punition plus sévère? Et comment les bons ne s'alarme-
raient-ils pas d'un arbitraire qui peut si facilement les attein-
dre? Quel avantage peut-on s'en promettre, que n'offre dans un
égal degré l'action régulière des tribunaux? Pourquoi substi-
tuer à cette action, dont personne n'a droit de se plaindre,
pouvoir qui , fût-il exempt d'injustice , ne le- sera plus jamais de
reproche? A-t-on oublié ceux auxquels tout récemment a donné
lieu l'exercice d'un semblable pouvoir? 11 sera concentré, dit -
on, et par-là moins dangereux. Sans méconnaître l'avantage
'de cette concentration, je sontiens que le pouvoir dont il s'agit
est tel, de sa nature, qu'on peut à peine l'exercer modérément.
.Je ne doute pas-à cet égard des bonnes intentions du ministère;
niais s'il se trompait, si les hommes qui le composent étaient
remplacés par des hommes -moins modérés , que deviendrait
cette confiance ? Il y a plus; quand la loi proposée ne devrait
avoir aucune exécution, son existence seule serait une calamité..
On ne peut admettre le principe•qui lui sert de base, sans être
conduit à des conséquences monstrueuses;' et la raison comme
l'humanité se révoltent' l'idée d'un tribunal qui juge sans ac-
cuser, condamne sans entendre et relâche sans absoudre. Dira-
t-on qu'il ne s'agit pas ici de justice, mais de haute police ?


-Qu'entend-on par ce mot? désignerait-il une sorte de dictature?
Celle-ci a été vantée par de grands politiques; mais si dans
l'histoire de Rouie et de Venise , les•seuls états qui aient admis
la dictature, on veut en suivre les progrès, on verra que cette
institution, après avoir fait aux deux républiques autant démet
que de bien, pendant qu'elle fut temporaire, finit par les détruire
en devenant perpétuelle. Un tel résultat justifie mal tant d'é-





4


( )
loges; mais quand on fait des citations, il faut les faire complètcs,
Enfin c'est au nom de la France en deuil qu'on réclame le sa-
crifice de nos libertés ; niais la juste douleur de la France rend-
elle le sacrifice plus utile , plus nécessaire? Ab ! ce cpt.'it faudrait
sacrifier sur la tombe du prince que nous pleurons, ce sont les
haines qui nous. divisent, les passions qui nous. égarent. Au
lieu d'attaquer, de mutiler cette charte, le plus grand bienfilit,.
Je plus beau, titre de gloire d'un Roi, père de son peuple , que
n'employons-nous à la maintenir, à la préserver de toute at-
teinte, nos soins-et nos efforts? Pourrions-nous consentir à, pri,
ver nos enfans d'un si noble héritage ;. à substituer à cette loi
sainteune. loi superflue, impuissante pour le bien, dangereuse. 10,11
pourle trône même, puisqu'elle tend à lui faire (les ennemis?


Pour une nation puissante et éclairée., point de liberté sans
la monarchie; point de monarchie stable, si elle n'est tem,
pérée; point de monarchie tempérée sans 'constitution ;. point
de constitution avec des lois exceptionnelles. Je vote le rejet de.le loi propose.


La clôture de. la discussion est de nouveau réclamée par divers
membres ;. d'autres proposent de renvoyer au lendemain la suite
de la discussion. Le vote au scrutin est une seconde *fois ré--
clamé; Mais la chambre déclare quela discussion est continuéet
et elle l'ajourne an lendemain.


CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance du a5. mars.




L'ordre du jour appelle à la tribune M. de la Boullaye, rap,
porteur de ia commission., pour présenter à la chambre. le ré-


d
sumé de la discussion générale sur le projet de loi4


relatif aux
iurnaux..
M. de la. Entillaye. Messieurs, le gouvernement—demande


une censure temporaire; 'en la lui conteste,.
Parce.qu'elle.est inutife-;,
Parce qu'elle est inconstitutionnelle ;.


• Pa rce.qu'elle doit, être éternelle;
Et parce que toutes nos libertés sont à


-là - fois attaquées..
. Mais si la censure est inutile , si les journalistes doivent: trou-.
ver mille moyens de. l'éluder,. si ions les abus du pouvoir n'en
sont pas moins promulgués, ai toutes les opinions n'en sont pas
moins contredites, pourquoi tant dedebats?.


•Au reprbche dlit.constitutionnelité nous répondrons mille
fois.


que la plus fondamentale de toutes les lois est pour chaque.
•iàdividu de conserver son honneur, sa foi, sa fertune , sa lir.


( 3 93 )
fierté, sa vie, et pour les rois de garantir àleurs sujets ces biens
sacrés.


Eternelle, dites-vous, sera le censure ; n'est-ce donc pas une
loi qui la prononce et la limite? Cette loi, ne la délibérez-vous
pas? 'Ne serez-vous pas là pour veiller à son exécution ?
peuple sen - t- il sans représentans répondez -vous ,


'toutes nos libertés sont compromises, et d'abord on peut atten-
ter à nos personnes. Ah ! vous ne le craignez pas „puisque cer-
tains plus tôt ou phis tard du succès, vous promette!, d'avance
d'en bien user, de traiter vos antagonistes avec indulgence, et
de les protéger (le votre pitié.


Mais une nouvelle loi d'élection nous Menace ;et cette loi ne
la, délibérez-vous pas encore? Parce que certaines conditions
vous sont favorables, bien,prouvé qu'elles le soient éga-
lement aux intérêts de tous et doivent-elles être inamovibles?
Ce: qu'un article de budget peut faire, est-il interdit de tout
autre façon ?


Pourquoi nous menacer du retour des privilèges , quand le
Roi et la loi les repoussent? Pourquoi mêler sans cesse les grands
intérêts du peuple à de petits intérêts particuliers, et armer le
ciel et , la terre contre un parti que vous reconnaissez vous-
-mêmes faible ..impuissant, sans racines dans la nation, et inca-
pable de vous 'disputer long-temps la victoire.


Plusieurs. amendemens ont été proposés, soit pour étendre la
censure aux pamphlets au-dessous de cinq feuilles d'impression,
soit pour la limiter à la fin de cette session , soit enfin pour in-
troduire dans la loi diverses autres modifications : votre com-
mission, qui regarde la loi comme une loi d'urgence, est d'avis
de. n'en admettre aucun. Si la chambre en décidait autrement
et qu'à certains égards elle modifiât la loi, on tronverait peut-
être convenable de profiter du retard, pour y introduire des
dispositions que beaucoup de membres regrettent. La chambre
décidera.Votre commission doit, jusqu'à ce qu'elle ait prononcé,
persévérer dans ses premièresConclie,ions.


Le président lit l'article premier du projet de loi.
/il. le président. M. le comte'de La bourdonnaye a demandé,


par entendement, que le terme fût fixé à la fin de la présente
session; M. Ternaux a présenté un amendement dans le même
sens; M. Caumartin a présenté un amendement tendant à ce
qu'aucun des journaux ne pût être officiel. D'autres amende-
mens ont été présentés , tendant à étendre la censure aux écrits
ayant moins de cinq feuilles d'impression. Enfin M. de Corcelles
a -présenté des ainendemens dont il n'a pas déposé la rédaction.




( 394 )
Ternaux. Je demande la parole pour développer mon


amendement.
M. Sébastiani. Je demande la parole contre l'article premier.
M. le président. La discussion doit s'établir sur l'amende-


ment principal . celui de M. de Labourdonnaye , dans lequel se
renferme celui 'de M. Ternaux.


M. de Villèle. Je demande la parole sur la position de la
question. L'article premier de la loi est présenté, c'est cet ar-
ticle qui est la matière essentielle de la discussion ; or, cet article
porte que le ternie de l'exécution de la loi sera déterminé par
les articles suivans : c'est donc sur le terme qu'il faut établir
d'aliord la discussion , et il sera indiqué à l'article dernier de
la loi.


M. le président. La parole est à M. Ternaux.
Ternarts. Messieurs, en général les lois d'exception


sont plus fâcheuses par leur durée que par leur rigueur ; si le
terme en est rapproché, l'autorité ne peut en abuser. D'ailleurs,
sous un gouvernement représentatif, l'arbitraire trouve des
obstacles qu'une violence momentanée ne peut détruire.


Cette considération me porte, messieurs, à vous proposer un
amendement à l'article premier du projet de loi ; cet amende-
ment n'accorde la censure sur les journaux et. écrits périodiques
que jusqu'à la fin de la session actuelle. Si le gouvernement ne
vent abuser -de la loi, ce terme lui suffit; et nous ne pouvons,
dans aucun cas , créer, même temporairement, dès lois d'excep-
tion 'qu'autant qu'elles deviennent indispensables pour remédier
à un mal contre lequel les lois ordinaires sont insuffisantes. Les
lois des 1 7 mai et 9 juin 18/ 9 n'offrent pas assez de moyens de
répression, pour contenir dans de justes limites les partis qui s'a-
lgite-nt , l'un pour détruire les intérêts créés par la révolution,'autre pour les défendre avec plus ou moins d'exagération.


„La licence dont les journaux et écrits périodiques ont usé
cet -égard, .a été portée si loin, qu'on la regarde avec raison
comme intolérable.


Mais ce-n'était point une lord'eXception qu'aucun de vous,
Messieurs, ne peut voter qu'àiegret, que l'on <levait vous pro-
poser, c'était la prompte révision de. la loi sur la libert& de là
presse: Eh que l'on ne vienne pas me dire que la réforme <l'une
pareille loi ne peut s'improviser, qu'il faut du temps pour y
penser.


L'an dernier, le gouvernement a profondément médité cette
nuitière ; vous l'avez , messieurs , approfondie vous-mêmes , et
depuis lors l'expérience e dis-vous fixer sur ses avantages et ses


( 395 )
inconvéniens. Le temps que nous consacrons à discuter une loi
préventive, nous eût suffi 'pour remédier aux vices que peut
renfermer la loi de répression.


En nous demandant une loi d'exception, au lieu d'une loi de
révision, les ministres du Roi commettent, selon moi, une
faute grave. La droiture de leurs intentions , comme l'intérêt de
la monarchie, les porteront sans doute à la réparer, en propo-
sant, pendant la session même, les additions indispensables à
la loi actuelle.


Je demande que la censure réclamée par le gouvernement sur
les journaux et écrits périodiques, soit restreinte à la session
actuelle.


'Cet amendement est fortement appuyé à gauche et au centre
de gauche. — M. Royer-Collard réclame la parole.


3/1. Le Graverend. Je demande à parler contre l'article pre-
mier, et sur l'amendement.


M. le président. La parole est à M. Royer-Collard. — Un
profond silence s'établit.


M. Royer-..Collard. Messieurs, le. moment est venu où les
serviteurs invariables de la monarchie légitime , ceux qui ne
l'ont pas désertée dans ses revers, et qui ne manqueront à au-
cun de ses .périls , ne peuvent garder honorablement le silence ,
soit qu'ils approuvent, soit qu'ils blâment la direction présente
des affaires. En appuyant l'amendement de M. le comte de La-
bourdonnaye, je voterai donc moins sur la loi proposée, que sur
le système du gouvernement dont elle fait partie.


La censure des journaux est, sans nul doute, une loi d'excep7.
fion. Quand cela ne serait pas vrai grammaticalement, cela se-
rait vrai politiquement, parce que la liberté des journaux est
un des besoins de notre gouvernement, et qu'elle est insépa-
rable de la liberté de la tribune. Une autre loi d'exception a
précédé.Une loi qui agite les principes fondamentaux de la charte
et de la société, doit suivre; c'est celle-ci surtout qui caractérise
le système dont j'ai parlé.


Or, ce système, j e le crois infiniment dangereux; je crois
qu'il ébranle la monarchie; et puisque je le crois, je <lois le dire.
Les lois d'exception sont des emprunts usuraires qui ruinent le
pouvoir, alors même qu'ils semblent l'enrichir ; clans l'intérêt:
di/ gouvernement, il faut s'en abstenir, autant qu'il est possible,
comme d'une mauvaise conduite , d'un désordre. Le ministère
doit être maintenant convaincu qu'il ne retirera pas même des
lois proposées l'utilité du moment ; elles ne profiteront qu'A
ceux qui les ont combattues. amenées par une réaction, elle




â


s


ê


s


( 396 )
traînent à leur suite une réaction contraire, qui déjà se fait sen;
tir. Les partis s'en emparent. Plus ils sont redoutables et me-
naçans , plus il y a d'imprudence à leur donner pour manifeste
l'apologie de la charte et la défense des libertés publiques.
( Adhésion au centre de gauche et à gauche.)


L'imprudence du nouveau mode d'élection est bien plus
grande encore. Il serait moins difficile à mon avis, quoique cela
k extrêmement, de renverser de fond en comble le gouver-
nement représentatif, que de. le fausser à la .face du monde;
moins difficile d'abolir les élections, que d'y introduire l'inéga-
lité des votes , c'est-à-dire le privilégo, La tutèle du privilège
ne peut plus être imposée à cette nation; les droits acquis ne
peuvent pas être humiliés ; l'état de la société, scélé de nos
malheurs, de notre gloire, de tant. de sang répandu, ne peut
pas être remis eu problême. Quels que soient les périls de la mo-
narchie, qu'elle se garde d'appeler à son aide le privilège ; cette'
alliance•serait un péril de plus,. le plu& grand de tous : elle se-
rait mortelle. Les forces de la monarchie contre ses ennemis
sont eu elle-même et dans l'affection des peuples; on les trou-
vera inépuisables, si l'on sait s'en servir. (Même ihouvement.)


Nous offrons, messieurs, il faut le dire, un spectacle aussi nou-
veau qu'il est affligeant. L'anarchie, Tchou ssée de la société par le
besoin Universel de l'ordre et du repos, s'est réfugiée au coeur
de l'état. On dirait que le pouvoir s'ignore , qu'il n'a pas la
conscience de sa force, ou qu'il désespère de .son énergie. Les
partis, mal protégés, mal réprimés, lui ont échappé; ils existent
désormais hors de lui , et, s'il en est besoin, contre lui. L'éten-
dard royal , que l'ordonnance du 5 Septembre avait planté au
milieu de la nation, semble errer, inconstant ou incertain ; où
vous l'avez vu hier, vous ne le retrouverez pas aujourd'hui-
Point de volonté durable; point de but. fixe et immobile. Cepen-
dant les esprits s'abattent ou s'irritent ; de tristes pressentimens
Jes.assiégent ; une anxiété inexprimable les.désole ; pleins de vie
et d'avenir, ainsi qu'on l'a dit avec une effrayante énergie, nous
assistons à nos propres funérailles:, sans pouvoir ou sans oser
les interrompre ; et le temps s'écoule, et chaque jour nous dé
vote. Le dirai-je, messieurs? ouï., parce que le sentiment pro-•
fond du danger fait taire tout autre sentiment, l'anarchie est
au sein de cette chambre ; vous n'avez plus de majorité , je veux
dire, de majorité véritable, unie dans les mêmes sentimens,
les mêmes opinions et: les mêmes desseins. Celle qui durant trois
sessions e si honorablement ouvert la carrière de notre gouver-
nement représentatif, cette majorité prudente et courageuse


( '3 97 )
appui du trône et fidèle au peuple, pour qui la révolution se
réduisit toujours à la charte, la contre-révolution au Roi et à sa
dynastie, elle est dissoute; nous en sommes les débris épars et
dissidens. Les majorités trompeuses qui se succèdent ne sont au
fond que des minorités accidentellement grossies d'opinions
différentes, ou mène opposées. (Vive sensation.)


Qu'y.a-t-il à faire dans ces déplorables circonstances , et d'où
viendra le salut? De vous, messieurs, si, vous souvenant de ce
que volis avez été , de ce que vous avez fait et de ce que vous
avez empêché, vous vous revendiquez avec force, et si vous vous
hâtez de vous arracher aux partis qui vous envahissent. Que la
majorité dont j'ai parlé sorte de ses ruines; qu'elle se montre à
lai Trance qui.la cherche ; qu'elle s'élève, et qu'elle élève le gou-
vernement avec elle au-dessus des partis. Alors, mais seulement
alors , les passions se tairont, et de coupables espérances seront
confondues.


L'amendement de M. le comte de Labourdonneye est une
occasion où la chambre peut manifester à-la-fois sa sagesse et
son indépendance, sa volonté de secourir te gouvernement, et
son respect inaltérable pour les libertés publiques.


On vous demande la censure provisoire des journaux; ne la
refusez pas, parce que dés aujourd'hui il est besoin d'un reinède
contre la licence impunie. On vous demande une année; ne
l'accordez pas, parce que , cette chambre présente , il n'est pas
besoin d'une autre chambre pour 'établir une répression prompte,
sàre , efficace. En cédant à la nécessité, renfermez-la dans ses
vraies limites. Ainsi vous obéirez aux considérations d'état,
sans abandonner l'une des plus importantes libertés de votre
pays, et le remède sera inséparable du mal. J'appuie l'amen-
dement.


M. Lainé combat l'amendement de M. de Labourdonnaye,
et. vote contre.


M. Le Graverend. Je disais naguère à cette tribUne, en
émettant une opinion sur le projet de loi relatif à la suspension
de la liberté individuelle, je disais que toutes les fois qu'il s'a-
girait d'une proposition contraire à la charte , sans une indis-
pensable nécessité pour le salut de l'état , jamais je n'y souscri-
rais. Fidèle à cette doctrine, je viens me joindre à ceux de mes
honorables collègues qui combattent comme inconstitutionnelles
la suspension de la libre circulation des journaux et écrits pé-
riodiques, et la mesure préventive du rétablissement de la




• Ne croyez pas 7 messieurs, qu'en refusant d'adopter l'art,./.1:




( 398 )
du. projet de loi, je veuille l'impunité des abus de la presse : je
réclame au contraire avec les plus vives instances des mesures
sévères qui répriment ces abus. Mais ce sont


• ies mesures ré-
pressives que j e demande avec la charte , et non pas un régime
préventif, et non pas le rétablissement de la censure préalable,
Si manifestement contraire à l'article 8 de cette charte.


On n'eût point eu à gémir d'abus si fréquens de la liberté de
la presse, si les mesures répressives prescrites par les lois exis-
tantes, eussent: été mises plus soigneusement


. à exécution. Si les
lois actuellement en vigueur paraissent insuffisantes pour répri-
mer tous les abus de la presse, que le gouvernement propose
des dispositions additionnelles, elles seront, je n'en doute pas,
accueillies par les chambres sans nulle difficulté ; et certes ,
ne faut pas un long délai pour rédiger ces dispositions addition-.
nelles ; déjà (les nobles pairs ont: présenté à cet égard des vues
qui sont bien propres à faciliter beaucoup ce travail.


En dernier résultat , point de suspension de la libre circula-
tion des journaux et écrits périodiques; point de censure préala-
ble; mesures répressives et sévères , rigoureusement mises à
exécution : voilà le seul moyen constitutionnel de remédier au
mal que peut produire la licence des journaux et des pamphlets.


Le projet de rétablir des lois d'exception n'a déjà excité que
trop d'agitation dans toute.


la France : hâtons-nous, messieurs,
d'étouffer ces fermons de discorde. Il appartient.surtout à un dé-
puté de l'un de ces départemens de l'Ouest qui ont éprouvé
toutes les horreurs de la guerre civile , de s'opposer avec force
et constance à tout ce qui pourrait opérer le retour de ce ter-
rible fléau. Oui, messieurs , plus les Bretons sont sincèrement,
dévoués à la monarchie légitime et constitutionnelle , plus ils
redoubleront d'efforts pour saliver le trône avec la liberté. Je
vote le rejet de l'article 1. er du projet de loi.


Jacquinot- Pampelune. Messieurs, j'ai constamment
pensé que la censure appliquée aux journaux n'avait rien d'at-
tentatoire à la liberté de la presse, dont lés journaux ne sont
qu'un moyen et un instrument particulier. Oui, messieurs, j'ai
toujours pensé et toujours professé cette doctrine, qu'en parlant
des lois qui doivent réprimer les abus de la presse, la charte
avait entendu et dû entendre non-seulement les dispositions
pénales, mais les mesures d'ordre et de police... (Des mur-
mures interrompent à gauche. )


Pour juger le mérite des lois il faut être éclairé par leurs
effets. Examinons donc rapidement les trois lois rendues sur le


( 399 )
projet en )819 ,`toutes trois présentées alors avec tant de bonne.
foi et soutenues par un si beau talent.


La première loi, la loi pénale, n'a reçu aucune application.
En voici le motif : le système de cette loi a été de soumettre à
l'épreuve d'une rigoureuse analyse toutes les modifications du
langage, et de classer toutes celles qui porteraient atteinte à
l'ordre public sous un petit nombre de désignations, telles que
la provocation, l'attaque formelle, l'offense, etc. , désigna-
tions qui ont été déclarées délits. Mais, d'une part, ces classifi-
cations sont incomplètes et laissent impunis de véritables délits;
d'autre part, la conscience des jurés a presque toujours résisté
à l'opération métaphysique qu'on exigeait d'eux, et leur con-
viction a constamment échoué devant ce vice radical de la loi.


La seconde loi renferme aussi plusieurs vices essentiels; elle
a désarmé le ministère public , elle lui a .ené le droit dans le cas
de diffamation, non-seulement contre les individus, mais contre
les corps, de poursuivre de son propre mouvement. Ainsi, on a
altéré, on a dénaturé, on a anéanti même pour cette partie
cette belle institution du ministère public, institution que nos
voisins nous envient, et qui est l'une des plus hautes concep-
tions de notre législation civile et criminelle. (Des murmures
s'élèvent à gauche. — Un grand nombre de voix au centre ét,
d droite : Oui! oui ! cela est vrai!


Un autre vice de cette loi, c'est d'avoir porté atteinte au
grand principe de • notre législation, la division des crimes-et
.dés délits, et leur attribution à des juridictions différentes ; ce
vice est d'avoir donné à des jurys la connaissance des délits de
la presse. Qu'en est-il résulté? L'impunité ; c'est là la cause
principale du mal. On a reproché au gouvernement-de n'avoir
pas poursuivi plus souvent ; mais pouvait-il multiplier les
.poursuites sans multiplier aussi les acquittemens scandaleux
dont nous avons été témoins? Mais 'il est une autre cause du
mal que je dois signaler : le jour où il a été permis aux journaux
d'imprimer la liste des jurés, tous moyens de répression ont.
été anéantis. Et en effet, messieurs, pensez.à ce qu'est le jury
et à la position d'un citoyen appelé pour la première, peut-être
pour la seule fois de sa vie, à juger ses concitoyens sur une
affaire d'opinion, sur un écrit politique. Et voyez si. sa con-
science se croit bien engagée à maintenir la sévérité de la loi
aux dépens peut- être de sa propre tranquillité. On vous a
menacés, messieurs, de vous compter; vous avez répondu en
vous comptant vous-mêmes; on a aussi . menacé les magistrats
de les compter, et ils ont continué à remplir leur devoir et à




(400)
;rendre justice, parce qu'ils sont magistrats ef dignes de. ce beatt
titre; mais on a menacé les jurés, c'est-à-dire des citoyens isolés;
sans caractère, sans garantie; qu'est-il arrivé? c'est que beau-
coup d'entre eux n'ont pas eu assez de fermeté pont' s'exposer
aux vengeances des folliculaires, et pour braver les poignards de
la calomnie, (Très-vif mouvement d'adhésion au centre et à
droite Un grand nombre de voix C'est cela! Très-bien!)


Il existe encore, messieurs , un autre vice dans la loi exis-
tante; c'est celui qui forme une espèce de classe d'Idiotes des
fonctionnaires publics qu'elle livre sans défense et salis garantie
à tous les traits de la calomnie. Aussi, quel est le fonctionnaire
qui les a invoqués? ils ont été obligés de se taire, et quoi qu'on


•en dise, les calomnies sans cesserépé,tées , pour être méprisées
autant que méprisables, ne laissent pas que de porter atteinte
à l'autorité elle-même dans la personne des dépositaires du.
pouvoir.


Quant à la loi sur les journaux, on e cru s'être élevé à une
très-haute c')nception , que• de leur laisser toute liberté en éta-
blissant la responsabilité et un cautionnement sur la tête d'un
éditeur. Qu'en est-il arrivé? Les véritables propriétaires, ceux
qui reçoivent les fruits de la spéculation ne se sont: point nommés.
Ils se sont facilement soustraits aux amendes, à l'emprisonne-
ment. La plupart d'entre eux ont mis en avant un mercenaire
'qui ne savait même pas lire. On lui a dit : Prête ton nom; s'il
y a des amendes , nous les paierons; s'il y a quelques jours de
prison, ou quelques mois, nous te dédommagerons. C'est ainsi
qu'on est parvenu à offrir un personnage stipendié , en expiation


• des torts de l'auteur , qui , ;joutant à ses torts celui de garder
l'anonyme , est parvenu à se soustraire même à la honte et •au
-blâme public, qui du moins, au défaut de la loi, n'eussent pas




manqué dt le flétrir :
Voilà, messieurs, quelle a été la respom,-


sabilité des éditeurs et voilà comme on s'est joué de ta loi.
Aussi vous avez été dhaque jour les témoins des progrès du mal t
vous avez vu la religion blasphémée, son culte avili, la royauté
attaquée, la famille royale indignement calomniée, la morale
publique dégradée, les dépositaires de l'autorité, et ceux qu'on
affecte de nommer les agens du pouvoir, eu hutte à tous les
traits de la calomnie. Enfin


. , vous avez vu le sanctuaire de h;
vie privée indignement violé , et devenir le domaine où les folli-
culaires ont été chercher des alimens à la diffitmation. Voilà,
messieurs, ce dont nous sommes les témoins depuis un an. Or,
je le demande, est-il un gouvernement possible avec de tels
élémens de destruction? est-il une société possible. quand de


(yo t )
pareils excès ne rencontrent que des lois sans force pour les
réprimer?


Il faut que cet état de choses cesse , messieurs ; il faut que ce
qui de tout temps a été respecté par les nations, que la reli-
gion.; l'autorité royale, la morale publique , soient pour jamais
vénérés par les écrivains. Chez les Grecs, messieurs, la calom-
nie était punie de la peine capitale; et chez les Romains, où
cette peine était réservée à un petit nombre de crimes, elle était
portée dans la loi des douze Tables contre le calomniateur, et
nous, nous hésiterions à porter des peines correctionnelles
contre des hommes qui font un trafic journalier de mensonges!
Je vote le rejet de l'amendement et l'adoption de l'article.


'On demande la clôture de la discussion. M. de. Chauvelin ré-
clame la parole. — On insiste. — M. de Chauvelin monte à la
tribune. — Le silence se rétablit.


111-. de Chauvelin. Messieurs, si par suite de l'usage qui
paraît s'être introduit , j'avais eu le dessein, à propos d'un arti-
cle du projet et d'un amendement présenté , de rentrer dans la
discussion de toutes les questions qu'il peut élever, l'orateur
qui m'a précédé m'aurait, sous ce rapport, mis dans une grande
aisance; mais je chercherai à m'adresser à l'attention de la
chambre, et à ne l'entretenir que de ce qui a paru lui faire le
plus d'impression. Je me propose de faire quelques observations
sur les discours que vous avez entendus. Et d'abord je déclare
que je vote contre l'article, et même contre l'amendement. J'es-
père cependant ne pas nuire à. la cause que je défends, et ne pas
perdre les suffrages de ceux qui, résolus à. éviter un grand mal,
cherchent cependant à en atténuer le danger; (•sr tout ce que je
pourrais dire du danger en lui-même, ne ser virait, en ce sens,
qu'à augmenter le nombre des partisans de l'amendement.


J'ai attentivement: écouté l'orateur qui e développé l'amende-
ment et celui qui l'a àppuyé .; mais en entendant M. Lainé leur
répondre , j'ai reconnu que son raisonnement était destructif
de l'amendement, et je me suis de plus en plus confirmé dans
l'opinion qu'il serait impossible de ne pas écarter le système de
l'orateur qui a si bien exprimé des sentimens que je partage.
En effet, après avoir fait une peinture si vraie de la situation
funeste où nous sommes, M. Royer-Collard a proposé un de ces
moyens termes, et fait une de ces concessions qui de tout temps,
dans les assemblées délibérantes, ont été des ressources dange-
reuses, et qui me paraissent tout-à-fait incompatibles avec la
position ;Lins laquelle nous avons été entraînés.
- Déjà, dans la discussion sur la liberté individuelle, nous


sr. n6


f




( 402 )
avions vu • un de nos honorables collègues, qu'une nouvelle
élection a rappelé pour cinq ans dans cette chambre, dérouler
les dangers des lois d'exception , établir leur inutilité , et cepen-
dant finir par conclure que, pour satisfaire le gouvernement
pour lui donner une preuve de confiance et de déférence, il
consentait à lui prêter ses forces et à lui assurer celles de ses
amis.


M. -Royer-Collard me semble n'avoir pas évité de tomber
dans un inconvénient à-peu-près semblable. Il a exprimé les,
sentimens qu'il .


partage avec celui de ses collègues que nous.
avons entendu hier, et il l'a fait dans une forme et avec des
convenances très-bien adaptées à leur position. Vous avez vu
que la voix de leur conscience était encore comprimée par cette
position ; elle vient de déterminer l'un de ces orateurs à con-
sentir une censure provisoire pour un temps plus rapproché ; il
m'impose la nécessité de le combattre, car ce que je connais de
plus pernicieux sous un régime constitutionnel, c'est une cen-
suré sur la presse, au moment où les autres libertés sont dé-
truites ou menacées, où la plus importante de toutes est près
de subir une discussion.


M. Lainé a facilement réfuté les argumens que les lois d'ex-
ception pouvaient être comparées à des emprunts usuraires :
M. Lainé a. facilement prouvé que dans une situation embar-
rassée, des emprunts même usuraires peuvent rétablir une
fortune, et restaurer . un crédit; tandis qu'en empruntant de
nous la triste faculté de mettre en prévention toute la France,
de fermer la bouche à ses défenseurs, au lieu de se retirer du.
danger, il se précipite à sa perte.


Mais aussitôt que M. .F.ainé a cherché à présenter sous un jour
avantageux et intéressant ce parti qu'on a si bien nommé du
petit nombre, quand il s'est attaché à plaider sa cause avec cette
facilité oratoire qu'il déploie sur tout lorsqu'il parle sans prépa-
ration, quand il a parlé d'un parti vaincu, tandis qu'il n'est per-
sonne ici qui etit voulu qu'il y eût de parti vaincu, mais seulement
un parti dangereux placé dans l'impuissance de nuire (M. de
Marcellus : Il n'y a ni parti ni vaincu ) en cherchant à amollir les
coeurs du parti qu'il croit apparemment vainqueur, en faisant
un appel à sa générosité, M. Lainé a oublié de remarquer qu'on
n'a travaillé depuis, l'ouverture de votre session, qu'à faire de ce
parti qu'on nous dit vaincu, le parti oppresseur et triomphant.


M. Lainé s'est bien gardé de suivre les orateurs qu'il a com-
battus sur le vrai terrain de cette discussion ; il s'est borné à la
discussion spéciale du projet de loi sur la presse; il n'a pas en-


.


(4o3)
visage, connue ses -adVersaires, l'ensemble des trois lois subver-
sives 5 il a décliné cette discussion , et il suffit de cette seule re-
marque P.ou• détruire tout ce qu'il avance sur l'impuissance
d'un parti qui a tout à gagner à l'adoption de la nouvelle loi
des élections que l'on vous propose.


Non que je veuille supposer que s'il arrivait par elle au pou-
voir, il osât. y chercher les mêmes moyens de persécutions dontje ne puis le croire avide après l'expérience cruelle qui a étéfaite; mais il est certain qu'il arriverait à une position ministé-
rielle profitable à lui et à ceux de ses sectateurs dont il ne
pourrait bientôt plus satisfaire les prétentions ni arrêter les vio-
lences; il obtiendrait encore une position oligarchique par la
nature même des élections qu'on nous réserve. Ces deus posi-
tions avantageuses. une fois occupées, je demande comment
on pourrait traiter ce parti de parti vaincu ? ( Vive sensation à
gauche.)


Cc triste état de choses où nous nous trouvons est évidem-
ment le résultat de la faiblesse et. de l'incertitude, et des funestes
projets du ministère. La crise est forte; mais plus vous ap-
procherez du moment où vous discuterez la loi des élections,
plus on s'approchera de nos personnes et de nosintérêts acquis,
et plus elle sera violente; ceux qui dirigent le mouvement
agiront alors avec 'une détermination plus franche ; ils manoeu-
vreront avec plus d'audace, et bientôt la position ministérielle
sera emportée par eux. Quantà la position oligarchique, je n'en-
trerai pas dans une longue discussion pour prouver qu'elle leur
serait bientôt également acquise. Il suffit de j eter un coup-d'oeil
sur le projet de loi des élections , si absurde, si grossièrement
informe, mais dont le but et les résultats sont si évidons.


Passant à la discussion de l'amendement, je commence par
repousser l'insinuation souvent répétée, qui nous présente una-
'liniment d'accord sur l'insuffisance des lois existantes. C'est
cette insuffisance que je suis loin de reconnaître; et pour jus-
tifier cette opinion, il suffit de dire quelles ont été ces lois, et
quel usage on en a fait, quel a été le point de départ, et où,
par elles , on est arrivé.


Au moment où les lois ont été rendues, il régnait un assen-
timent victorieux à un. systénae.de concordance entier avec la
charte : on voulait en embrasser franchement les conséquences;
on voulait former les mœurs publiques d'une manière conforme
an gouvernement représentatif. On examina donc si, dans un.
état où le pouvoir est si étendu , et s'est réservé tant de moyens
d'oppression il n'était pas utile de conserver des garanties aux




( 4 04 )
citoyens; on se demanda si la première de toutes n'était pas la
-liberté de la presse, secondée par l'admirable invention des
journaux. (On rit au centre et à droite.) Aujourd'hui on nous
déclare que ces moeurs publiques sont au-dessus de notre position
présente ; que nous ne pouvons entendre ni pratiquer la liberté;
qu'il finit ajou nier la continuation de notre éducation constitu-
tionnelle, et que des lois préventives sont indispensables.


Et cependant, par une étrange contradiction , on trouve ces
rimeurs publiques si avancées ; on trouve la franchise du système
constitutionnel si bien en harmonie avec . tous les esprits , que
l'on ne craint pas d'en exiger la preuve la plus forte et la dé-
monstration la plus éclatante , en introduisant le vote public
dans les élections. (Vive sensation.)


On a prévu ce que répondraient les partisans de la loi exis-
tante, qu'ils parleraient de l'action ouverte devant les tribunaux,
et on s'est hâté de répliquer que le gouvernement avait trouvé
la loi impuissante pour réprimer la licence. Je dirai, messieurs,
que le gouvernement a fait bien peu d'efforts, et que ceux qu'il
a faits sont concluans contre lui.


Je sais bien que M. le ministre .des affaires étrangères, qui
était ministre de la justice à l'époque Où la loi fut rendue, a
avancé dans L'autre chambre, que le gouvernement n'avait pas
une influence directe et positive sur le ministère public; que ce
ministère était indépendant ; qu'il ne pouvait croiser sa marche,
ni l'accélérer , ni la prescrire. Ceci , messieurs, a besoin d'être
contredit. Le ministère ne peut nier son action sur des procu-
reurs du sur des procureurs généraux amovibles. Certes,
je ne les encourage pas à méconnaître son autorité, et il suffit
d'ouvrir les lois, les ordonnances et l' Almanach royal, pour
voir ce qu'il faut penser de l'assertion du ministre.


Je le répète, quand la loi a été rendue, on était dans une
ligue constitutionnelle. D'autres signes se sont manifestés, et
la loi e éte mise de côté.:En Angleterre la loi épouvante , mais
le jury rassure. Parmi nous ,a-des dispositions plus favorables
pour le pouvoir s'étant montrées, on a fait usage de la loi qu'on
avait long-temps oubliée. Sur neuf actions intentées, il y a eu
quatre condamnations pour diffamations et écrits séditieux ;
diffiunations qui ont dû prendre un caractère plus grave ,
mesure qu'on s'efforçait d'effhcer cette devise empreinte clans la
charte, d'union et oubli, à mesure qu'on faisait un appel aux
souvenirs pour multiplier les incriminations; qu'à l'aide des an-
ciens journaux, on rappelait les opinions émises, pour les


( 405 }
altérer, et qu'en citait à faux et les faits et les époques, pour
obtenir une élimination au sein de cette chambre.


Si le gouvernement n'avait pas laissé commettre-ces infrac-
tions à. sa propre-loi, on n'aurait pas vu ces attaques scandaleuses,
ces récriminations ; ces personnalités outrageantes dont nous
evons gémi.


Deux procès ont été intentés en diffamations, l'un contre
M. 'Dunover, par un caporal qui n'avait pas été-nonimé, lirais
qui prétendait avoir été calomnié, parce que M. Dunoyer avait
publié quelques-doutes sur le suicide d."uri :itiallieureux,percé
trois reprises par la baïonnette d'un soldat. -M. Dunoyer à ét•.
condamné à trois mois d'emprisonnement :et à une amende; et
l'on ne dira pas qu'il y a eu ici l'Une- de ces influences dont un.
homme puissant 'accable si souvent'S on adversaire ! Dans cette
affaire, le plaignant était un caporal....


Dans le second procès, il s'agissait, • comme on sait , d'un
autre suicide, celui de M. k maréchal Brune :la famille de cet,
infortuné guerrier trouvant sa mémoire offensée par un article
d'un joyrnal, poursuivit en réparation M.Martainville ; et dans
cette action intentée par sa veuve, c'est sur les conclusions
du ministère public, et après toutes les épurations. exercées sur
le jury, et - par le ministère public et par l'accusé, pie M. MaC-
tainliille a été.


acquitt4, Vous voyea . , i niessieurs, de quel côté
a constamment penché la balance.. -


Et c'est après avoir fait de la loi un .
tel usage


dire qu'elle est insuffisante et qu'il faut. la remplacar par la
censure ! Envisagez enfin, messieurs, toute la conséquenc
d'une pareille détermination, sa liaiSOn -avec toutes les autres.
atteintes portées à notre liberté , et le soin pris pour frire taire
ceux qui pourraient être tentés de parler en faveur de ceux
qu'on voudra détenir.


Je le sais, messieurs, il règne dans cette enceinte et bien
plus que partout ailleurs, une mortelle prévention contré les
journaux; beaucoup de membres les ont pris eu aversion,. à ce
point que, bien décidés à l'avance pour tes détentions arbitraires,
ils s'avouaient en même temps qii'it y aurait plus d'empresse-
ment encore et une sorte de- plaisir dans leur vote- contre les.
journaux. ( On rit à gauche. )


Il est des personnes auxquelles les journaux semblent dimner
des crispations;- je ne sais quelle idée si flatteuse ils s'étaient
faite de leur propre mérite, et quel prix ils attachent à un repos
que rien ne puisse altérer un instant; mais ils ont pour les.
Journaux une horreur qu'on ne peut comparer qu'a la plus ai-


(




4


1


(4o6)
freuse maladie qui: puisse affliger l'humanité ; ils ont pour lesj ournaux Cetfeybiarrenr.de , l'eau qu'éprouvent les seuls hy-
drophobes (Uniretlyeine nt <l'agitation interrompt.) Vous
e.navez vin récemment:une . preuve bien remarquable, lorsque,
anticipant sur une décision la , .chambre , et interprétant
votre 'règlement, on a relégué les journalistes si loin de vous,
que l'on pourrait dire . .sans injustice que de l'horreur des jour-
naux on a passé à l'horreur même des journalistes.... ( On rit ,.
et quelques murmures s'élèvent.) •
• Je termine cette disciissiOn , messieurs; niais avant <le voter
sur l'article et sur l'amendement, pour les rejeter l'un et l'autre,.
j'ai quelques explications à demander à'IVIM. les ministres du Roi,


M. le ministre des -affaireS étrangères s'est, vous le savez,
arrangé de sorte â --iiinplei''beancoup la question. 11 a, 'dans
cette chambre, demande - rbitraire , et dans l'autre il a pro-
inis - la partialité:Cela étal ,:1!--1ilitement clair; Mais il est une
difficulté le langage de M. - ministre de l'intérieur n'a pas
etc celui de . M.'le ministre des affaires étran gères. Je coudrais
bic-. être assuré sont ,L'accord éntie eaX: L'm e dit avec


'bise font ce que devions attendre ; Mais l'antre a
promis là perfection de , de la justice nous a fait
espérer le beau. ideirde 1;: censure. (On


serait naturel
de connaître ici le'véritable fond -US et de savoir si
nous serons traités à la . fiiçon M. le ministre de l'intérieur, ou
len à. la manière de' M. te ministre des affaires étrangères.z›.


. (407)
enfin si nous serons privés d'un aliment qu'on croira trop fort
pour nos tenapéramens, et si tous les Français seront censés
habiter des casernes. (Quelques murmures in centre.)


Je voudrais savoir si, fi la faculté de rayer, sera réunie la
faculté de faire paraître; si on aura à-la-fois le droit de faire
taire et celui de faire parler ; si on pourra envoyer non-seule-
nient des articles officiels, mais de ceux qui , sous un nom
pseudonyme, ou sous le voile de l'anonyme, sont destinés à la
direction de l'esprit public.


Déjà une disposition de la dernière loi permet aux ministres
d'accabler les journaux de pages officielles, et il est à remarquer
que jamais l'autorité ne néglige de ramasser en passant les dis-
positions éparses qui peuvent lui être utiles dans les lois précé-
dentes; mais, je le répète, l'autorité qui pourra empêcher unj ournal de publier un article pourra-t-elle lui commander d'en
mettre un autre? Nous serions exposés alors à voir arriver de
nouveau ce dont nous avons été témoins, la publication d'articles
de la nature de celui qui s'été inséré dans le Journal des Dé-
bats contre le général Cannet. Certes, ce journal, qui n'est
pas sans importance, et qui paraît en ce moment placé sous une
direction : telle , que les gens qui savent lire les journaux ont à
ie consulter pour savoir quel temps il Lit; ce journal , dis-je,
ne t-leit pas s'être officieusement prêté à une telle publication ;
nul doute qu'il ne l'ait fait sous la main pesante du •pouvoir.
Or, cette main se retrouve toujours, quand les lois l'ont armée
du moyen d'opprimer.


Quant A la quatrième question que j'avais à adresser aux
st


mi-
i (Des murmures s'élèvent ; un membre de la droiten res


interrompt.) J'allais -vous faire le plaisir de yous . dire - qne c'était
la dernière.... (On rit beaucoup.) Cette question vous int éresse
vous-mêmes, car elle intéresse les membres de la chambre des
députés, la nation entière. Comment les discours des députés
seront-ils publiés? seront-ils soumis dans les journaux à la cen-
sure? Dans la dernière loi, on avait pris des précautions à cet
égard, plusieurs les avaient trouvées neine insuffisantes ; il pa-
raît plus urgent de les prendre encore. VOilà des objets sur les-
quels j'espère que des explications ne peuvent nous être refusées.


Je vote le rejet de l'amendement et le rejet de l'article. (Une
vive et longue agitation succède.)


On demande la clôture de la discussion.
M. Demarcay. Sur quoi la clôture?... Ume foule de voie


Sur l'amendement de M. Ternanx '


(On rit de moireeau.)
La seconde questientest ; Les gazettes étrangères en-


treront-elles en France?pottrra-t7en s'y abonner? on ne pourra-
i-on se les faire adresser qu'avec des. protections dans tes bu-
reaux de la direction des postes? Déjà , par une disposition
qu'on peut considérer C.0111111e avant-goét de la censure,
l'administration a élevé les tarifs pour rendre leur circulation
moins facile, et j'espérais une explication à cet. égard , quand
M. le directeur-général des douanes est:monté à la tribune pour
parler sur l'ensemble de la loi. (On rit aux éclats.).


Quant aux nouvelles étrangères transportées des papiers étran-
gers dans les nôtres, quelle sera la décision de :la censure? Je


•desire savoir si nous sorons;tenus au secret sur • les événemens
de P1 -in:ope:0i :on se propose de relever les Pyrénées, et s'i


e nous sera pas perMWde suivre les développemens de la.li
>rté et du beau earactère. espagnol: (lut errup t ion à droite.....
Vie, voix Ne faites pas EaPoloaiele la .'révolte ! Me demande




t 4o8)
Demarçay. 3.e demande à présenter un atit.re amende-


ment Les meules; voix : Laissez terminer sur celui-ci'
M. le président. C'est seulement sur l'amendement en dis-


cussion que l'on demande la clôture. Cette demande est-elle
appuyée 2 (Voix générale d droite et au centra : Oui!
oui!.,... )


Li:Chambre, à une très-forte majorité, ferme la discussion
sur l'amendement de M. Ternaux. M. lé président met aux
voix l'amendement. 'Foute la gauche et la seconde section du
centre de gauche se lèvent avec quelques membres isolés du
centre de droite. A droite, M. de la Bourdonnaie se lève seul.
A la contre-épreuve, la droite, le centre de droite, et la pre-
mière section du centre de gauche se lèvent. L'épreuve paraît
douteuse. Un grand nombre de voix à ganche : L'appel no-
minal! M.Courvoisier, de sa place : Puisqu'il y a du doute,
la discussion doit continuer




M. le président. La discussion continue quand il y a du'
doute sur la clôture; mais ce n'est pas de la clôture qu'il s'agit.
L'appel nominal est - il de nouveau demandé ? ( Une voix
générale : Oui ! oui' ) La chambre décide unanimement
qu'elle va passer à l'appel nominal sur l'amendement de
M. Ternaux. L'appel et le réappel sont faits. Cent vingt-Sept
boules noires contre cent treize boules blanches.


CHAMBRE DES PAIRS.


Séance du 25 mars.


L'ordre du jour appelle la suite de la discussion sur le projet
de loi relatif à la liberté individuelle.


M. Je marquis d'Herbouville. J'ai voté contre la censure ,
parce que dans mon opinion il était possible d'y suppléer par
une bonne loi répressive. Si j'appuie aujourd'hui la loi proposée




ce n'est pas que j'ignore l'abus qu'on peut en faire; niais je
pense que lorsqu'il s'agit du salut de l'état , les intérêts privés
doivent céder à l'intérêt public. Je ferai sansréserve , si ce n'est
pas sans regret, le sacrifice qu'on me demande. Une loi sollicitée
par le besoin doit être accordée par la confiance. Il faut d'ailleurs
laisser aux ministres toute la responsabilité <le la mesure qu'ils
proposent.. On peut discuter en détail une loi d'administration ;
mais sur une loi politique , il n'y a que deux choses à examiner:
est-elle nécessaire? a-t-on confiance dans le ministre qui Pelé-


( 4°9 )
entera ? La nécessité de la loi me paraît démontrée; je n'hésite
donc pas à suspendre momentanément une liberté précieuse,
quand à ce prix il en assure l'existence. Sans doute les excep-
tions sont un mauvais moyen de gouverner, et il n'y a de véri-
table bonheur pour un peuple que sous des lois fixes et perma-
nentes. ; sans doute aussi la France pourrait jouir de ce même
bonheur, si depuis cinq ans , au lieu de lois provisoires, on se
fét'occupé de lui donner des institutions définitives. Mais l'er-
reurcosi:mise' à cet égard a eu des conséquences funestes ;
laisserons-nous sans. remède les maux qu'elle a produits? Le re-
mède qe'ori propose est l'arbitraire , principe vital des gou-
vernemens despotiques , .moyen passager de salut dans les
gonvernemens représentatifs où l'usage en est confié à quelques
ministres qui répondent de ses abus. Plusieurs fois chez gin
pcuplevoisin, ce pouvoir a été confié à un ministre célèbre, qui',
chaque fois qu'il a rendu. compte de sou usage , e pu dire comme
Cicéron : J'ai sauvé la patrie. Puissent nos ministres avoir
droit de se rendre le même témoignage à l'expiration de la loi
proposée ! Une . grande obligation résulte pour eux des moyens
extraordinaires qu'ils réclament. J'espère que la durée de la loi
suffira aux ministres pour asseoir sur des bases solides la tran-
quillité de la France, en lui donnant enfin des institutions monar-
chiques. Le compte qu'ils auront à rendre, soit à l'expiration
de la loi , soit lors du renouvellement qu'ils en proposeraient ,
j ustifiera sans doutela confiance qu'on leur aura témoignée...II
convient en attendant de leur en laisser toute la responsabilité.
je vote en conséquence l'adoption pure et simple du 'projet
<le loi.


M. le comte Belliard. Plus j'aime le gouvernement ,plus je
me crois obligé de lui parler avec franchise, de lui découvrir
toute la profondeur de l'abîme ouvert sous ses .paS.:- Loin de
fortifier les gouvernemens , l'arbitraire les affaiblit. :.il,sème au-
tour d'eux la défiance, et, en rendant leur autorité Suspecte
multiplie les résistances qu'il éprouve. Il n'y a pour les gourer-
nemens de véritable force que dans la justice , dans les lois qui
protègent l'honneur ét la liberté des citoyens ; celle . qu'on pro-
pose, directement contraire à ces principes, . •éunit.trois carac-
tères dont un seulsuffirait pour la faire rejeter. 'Elle est à-la-fois
inconstitutionnelle, injurieuse à la nation et parfaitement inu-
tile. Trop d'orateurs ont insisté sur le premier reproche , pour
qu ' il soit besoin de reproduire les preuves qu'ils en ont admi-
nistrées. Le second n'est pas moins grave, et résulte des motifs
mêmes de la loi. N'est-ce pas insulter la nation que de suspendre, à




( 410 )
l'occasion d'un lâche assassinat., la liberté individuelle de tous les
Français ? Beaucoup d'entre eux, froissés par les derniers évé-
nemens, n'ont pas eu le courage de supporter la vie, mais ils ont
respecté celle d'autrui. Je suisgioin d'imputer aux ministres qui
ont proposé la loi cet te intention injurieuse qui sort de ses motifs.
J'aime à croire qu'ils ne l'ont pas aperçue ; mais ont-ils pu ne
pas apercevoir l'inutilité de la loi proposée? Leur donnera-t-elle
un moyen de lire au fond des coeurs? Et, s'ils n'ont pas ce
moyen, quel avantage retireront-ils de la loi dont il s'agit , -que
ne leur offrent déjà les lois existantes? Ce n'est ni le pouvoir
d'arrêter, ni celui de tenir au secret, ni enfin celui de prolongerla détention au -delà même du temps que la loi lui assigne,
qui manque à l'autorité dans l'étato


•dinaire de notre législation.
Pourquoi 'donc recourir -à l'arbitraire? pourquoi lui emprunter
un secours offert avec tant d'abondance et plus d'efficacité par
le droit-commun? Ici l'on suppose des complots, de vastes cons-
pirations; mais sur quoi cette supposition-est-elle fondée? Au-
rait-on:. pris pour une conspiration cet empressement d'une
foule de-pétitionnaires..1 réclamer le nraintien de la charte et
dès institutions que le Roi nolià.ei données ? A l'ombre de cette
charte., la France jouissait, il y a six mois , d'ulu repos envié
-par tous les autres peuples : d'où naissent les inquiétudes qui
remplacent aujourd'hui cette heureuse-tranquillité? C'est à l'in-decisiondu gonwrneinerity4 la perpétuelle remise.-en question ledu système


• éonstitutionneLqu'il rant les attribuer, et ce malqu'a produit l'arbitraire, c'est avec l'arbitraire qu'on prétend leguérir ! On deMan-de-l'arbitraire sur la tombe et presque au
nom du prince enlevé à- nos espérances ! Croyons plutôt qu'il
s'indignerait devoir accuser de sa mort-la France qui le pleure;
de -lui voir enlever sous Ce préteee . ses libertés les plus pré-
cieuses: Comment, après ce que hors avons.souffert des lois
d'exception, peut-on en demander encore? 1815 est-il déjà
oublieCust à la , chanibredes pairs qu'il appartient d'être à-la-
-fois du:trône et des-libertés-publiques, de défendre l'un
contre l'anarchie. et les autres contre le despotisme. Elle reim-
plira cette dOuble tâche, en rejetant une loi dont l'adoption. ne


•serait pas moins funeste pour le Roi que pour le peuple.- Je•crois,î
servir aussi utilement ma patrie, en repoussant à la tribune lésa t-
taques. dirigées contre la charte., que si l'épée•'à la• mairi je'
m'opposais , .surles•frontières à une invasion ennemie. •


Laclôturede la discussion est réclamée par plusieurs membres.
Le commissaire du Roi, chevalier Delamalle, demande à être'.
entendu pour-la défense du projet de loi


)
M. le comte de Boissy - d'Angles propose.de différer la


clôture de la discussion , jusqu'après le discours du commissaire
du- Roi. •La chambre suspend la clôture de la discussion jusqu'après
ce discours.Le commissaire du Roi combat toutes les objections contre le
projet de loi , et en demande l'adoption.


La chambre prononce la clôture:de la discussion, et passe de
suite:à-la délibération des articles.


Aucune réclamation ne s'élevant contre l'article i . n• , il est
provisoirement adopté dans les termes du projet..


La délibération s'établit sur l'article 2.
M. le comte de Brigode. Je propose sur cet article un amen-


dement déjà écarté parrantre chambre, niais dont les motifs
ne me paraissent pas avoir : été suffisamment appréciés, et queje modifie d'ailleurs par des conditions qui peuvent me mériter
un accueil plus favorable. Il s'agit de la proposition qui a été
faite . d'accorder au prévenu la faculté de choisir et d'appeler un
conseil.• On ne peut -se dissimuler que , sans cette faculté , celle
qui lui est accordée dé remettre au procureur • du Roi tous mé-
moires, rédanüztions et autres pièces , deviendra illusoire dans
un grand nombre de cas..Or, la loi-doit - être égale , et la justice
ne permetpas -que la condition d'un prévenu soit , à cet égard ,
pire que elle d'un autre. Il faut donc que celui qui netrouve-
rait pasenluimême les moyens de se.défendre . , puisse réclamer
leseeonia d'un conseil. En 18,5 , 1816 , 1817, -Sous Peinpire
d'une lor 'al:mu-près semblable à celle qu'on propose,. des.enn-
seils ont été accordés à plusieurs détenus; -ils ont été:Tefiisés. à
d'autres : qu'en est-il arrivé ? que les premiers ont obtenu un
prompt élargissement , pendant que la détention de ceux-ci
s'est prolongée. Le ministre a dit hier qu'en certains cas le pré-
venu Obtiendrait un conseil mais si c'est l'autorité qui l'accorde,
elle pourra donc aussi le refuser. Est-ce bien-è elle qu'il appar-
tient de juger si le prévenu qu'elle accuse aura le droit de se
défendre? Ce droit même ponta être mis en question ? Qui
veut la fin veut les moyens. La loi permet au prévenu de.re-
mei tri des mémoires pour sa défense il faut -qu'elle lui rende
possible la rédaction de ces Mémoires ; et c'est le but- de l'a-
mendement que je propose ; a . Tout détenu en vertu de la pré-
» sente loi aura le droit de choisir et d'appeler un conseil. Ce
» conseil , avant d'être admis auprès- du détenu, prêtera ser-
-"- ment, si le procureur du-Roi l'exige, dé: ne. révéler aucun
edes points sur lesquels aura porté. l'interrogatoire. n




( 412 )


je dois saisir tous les moyens d'en adoucir la rigueur. Ce•n'est
posé, sans renoncer toutefois à voter le rejet absolu de la loi;


admettre ici l'arbitraire de l'homme , et n'est-ce pas déjà trop
que celui de la loi ?


.


niais dans le cas où , contre mon opinion , elle serait adoptée ,


point un praticien. versé dans tous les artifices de la chicane
qu'il s'agit d'admettre près du détenu, mais un homme de bon


dit qu'au besoin ce secours serait accordé; mais • pouvons-nous
sens , assez instruit pour éclairer son ignorance. Le ministre a


AI le-comte Boissy-d'An
J'appuie l'amendement • pro-,


Divers membres invoquent.la .question préalable sur.l'amen-
dement dont il s'agit ; d'autres membres appuient cet amen-
dement. . _


M. le-comte I,anfreinals. Je regardela• faculté d'appeler un
conseil comme d'autant plus nécessaire au prévenu , qu'il n'aura


. pas ici contre les- Ministres la voie légale de la prise à partie,
qui, dans le droit commun, lui est ouverte contre les juges or-
dinaires. Veut-on se décider par les faits? Des -cOnseils ont été.
accordés aux anciens suspects C pourquoi serait-on, plus sévère


l'égard des prévenus ?
M. le comte Belliard. J'invoque en faveur de l'amendement


proposé mon expérience-personnelle. Détenu à une époque dont
j e ne rappelle le souvenir que pour le besoin de la discussion,
j'obtins, ainsi que mes compagnons d'infortune, la permission
de faire parvenir au gouverneinent mes observations et. mes
suppliques. Elles étaient reçues par des hommes chargés de fà,
ciliter à chacun des détenus les moyens de.prouver leur inno,-
cence. Beaucoup d'entre nous durent à.cet utile secours le proMpt
renouvellement de leur liberté. Il faudrait donc , si l'on refuse
:un conseil aux :prévenus, y suppléer du moins par quelques
dispositions .


du même genre.
. M. le président met sous les yeux (le la chambre la rédaction
proposée•de l'amendement. Om insiste sur la question préalable;
elle est mise aux voix et adoptée.


M. le duc de Praslin. J'observe que, suivant l'article 5
du projet, il n'est dérogé en rien aux dispositions du droit
commun relatives à la forme des arrestations. Or, l'article 96
du Code d'instruction criminelle veut que tout mandat d'arrêt
contienne l'énonciation du fait pour lequel il est décerné, et-
la citation de la loi qui déclare que ce fait est un crime ou dé-
lit. On ne peut douter que cette disposition soit applicable aux.,
arrestations autorisées par le projet. Il aurait donc fallu énon-


. cer dans celui-ci que l'ordre d'arrestation dont, aux ternies des


( 4 13 )
urticles 1." et 2. e , il doit être donné copie-, tant au détenu
qu'au procureur du Roi, contiendra les détails exiges par lo
Code pour les mandats d'arrêt. Je propose, pour suppléer à
cette omission, d'ajouter à l'article 2 le paragraphe suivant :
« L'ordre d'arrestation en contiendra les motifs, ainsi qu'il est
» prescrit par le Code d'instruction criminelle pour les mandats
» d'arrêt. »


Cet . amendement , appuyé par divers -membres, est combattu
par le commissaire du Roi, qui ne voit dans l'addition propo-
sée qu'une précaution absolument inutile.


M. le comte de Stkur. J'appuie l'utilité de l'amendement
sur l'espèce de contradiction que-je crois apercevoir entre les
différens moyens invoqués en faveur du projet par les ministres
et commissaire du Roi , qui, tour-à-tour, en ont pris la dé-
fense. L'un a demandé franchement l'arbitraire, afin sans doute
d'être dispensé de toutes les formes ; l'autre assure que toutes
les formes seront observées, et cherche à disculper la loi du re-
proche d'arbitraire. L'un voudrait pouvoir agir sur des soup-
çons; l'autre déclare qu'il faudra une véritable prévention, une
sorte de flagrant délit. Si les défenseurs du projet s'accordent
si peu sur le sens de ses dispositions , et sur la manière dont il
devra être exécuté, comment pourrait-on regarder comme su-
perflue la précaution indiquée par l'auteur de l'amendement?
J'en vote l'adoption.


D'autres membres invoquent la question préalable : elle est
adoptée par la chambre.


La discussion s'engage sur l'article 3.
M. le duc de Praslin. Ii résulte des explications données


dans la séance d'hier, par le ministre de l'intérieur, et dans
celle de ce jour par le commissaire de S. M., que l'intention
de la loi est de borner à trois mois la durée des détentions.
Cette intention est mal exprimée dans l'article 3 du projet. En
effet, suivant cet article, les trois mois se comptent à partir de
l'envoi des pièces au ministre de la justice ; mais cet envoi peut
être retardé par différentes causes. Il n'a point, quant au pré-
venu, de date certaine. La détention de celui-ci pourrait donc
se prolonger indéfiniment. Je propose de faire courir du jour
de l'arrestation du prévenu , le délai de trois mois pendant les-
quels on pourra se dispenser de le traduire en justice.


M. &comte Germain. Il y aurait de l'inconvénient à chan-
ger ainsi l'économie de la loi. Elle charge, dans son article 2,
le procureur du Roi qui aura procédé à l'interrogatoire, d'en-
voyer sans délai au ministre de la justice le procès-verbal de




( 4 1 4 )
cet interrogatoire, ainsi q ne les mémoires, réclamations et
tres pièces fournies par le prévenu. L'article 3 veut que la dé-
tention, sans mise en jugement, ne puisse être prolongée au-
delà des trois mois qui suivront cet envoi. On doit présumer
qu'il n'éprouvera point de retard; mais il importe d'en convain-
cre le prévenu. Pour le tranquilliser' à ce sujet, il suffirait de
lui notifier la date de l'envoi des pièces. C'est un sous-amendeL
nient que je propose, et qui serait la matière (l'un article addi-
tionnel placé à la • snite de l'article 2. Je le crois plus favorable
aux détenus que la proposition originaire , car l'envoi dont il
s'agit étant ordonné dans leur intérêt, on pourrait craindre,
en pressant trop cet envoi , d'ôter au magistrat qui en est
chargé les moyens d'y comprendre plusieurs pièces utiles pour
leur justification. .•


M. le duc de Broglie appuie le sous-amendement proposé.
11 lui paraît impossible de laisser dans le vague où elle est relé-
guée par le projet de loi, une date aussi importante pour le
prévenu que celle de l'envoi des pièces au ministre , envoi (POU




commencent à courir les trois mois fixés pour le ternie de la
détention. Autant vaudrait supprimer entièrement l'article 3,
que de tolérer dans ses dispositions une incertitude qui en rend
l'effet complètement illusoire.


Le commissaire du Roi• défend l'article. Il soutient que l'a-
mendement




,-


originaire a pour base une supposition erronée
celle d'un terme absolu (le trois mois, fixé à la détention par le
projet de loi. • •


M. le comte Boissy-d'Anglas. J'appuie l'amendement ori-
ginaire. A mon avis, ori ne saurait assez restreindre l'arbitraire
dans une loi qui en e tant. On oppose vainement l'adoption de.
l'article 2, où déjà il est question de l'envoi des pièces. Cet
article n'est adopté que provisoirement, et la chambre ne peut
trouver dans son adoption un obstacle à l'amélioration du sur-
plus de la loi.


M.' le comte de Ségur. La nécessité de fixer une date est
reconnue ;il ne s'agit donc que de savoir comment elle sera fixée:


En admettant, avec le commissaire. du Roi, que ce fût par la
réception des pièces, on aggraverait le sort du détenu , à qui la
loi promet la liberté trois mois après leur envoi, et la différence
peut être grande. Si les pièces étaient envo yées de certains points
de la France, ne peut-il pas -arriver qu'elles s'égarent en clip-
min; qu'à leur arrivée on néglige d'en faire registre dans les 4
bureaux du ministre? L'envoi , au contraire , est certain ; sa
date, qu'il importe au procureur du Roi de conserver soi-


( 415
gneusemeni pour sa responsabilité , est le terme d'où la loi e
voulu faire partir les trois mois durant lesquels peut se prolon-


-
• la détention. Quel inconvénient à faire notifier sa date au
prévenu , qui a tant d'intérêt à la connaître?


La chambre rejette l'amendement.
L'article 3, mis aux voix, est adopté par la chambre dans


les termes du projet.
M. le duc de Richelieu. Je déclare que, sans avoir besoin à


cet égard d'une disposition impérative, le gouvernement s'en-
gage à f laire donner connaissance au prévenu de l'époque précise
où les pièces qui le concernent seront envoyées au ministre cle,
la justice.


La chambre adopte pareillement l'article 5, et le président
appelle ensuite à la tribune le premier des opinans qui a de-
mandé la parole pour un article additionnel.


M. le comte de Valence. J'observe que mon intention, an-
noncée à la tribune dans le discours que j'y ai prononcé sur le
projet de loi , était de soumettre à la chambre deux amende-
mens.. Le premier tendait à empêcher l'abus qu'on pourrait
faire de la loi proposée, pour exercer sur les élections une dan-
gereuse influence. J'aurais proposé, à cet effet , d'excepter des
dispositions de la loi les électeurs et les éligibles. J'ai été dé,-
tourné de cette proposition par le peu d'espoir qu'on m'a laissé
da:la voir adopter, et par la crainte d'inspirer sur un objet ha-
la-Orant des alarmes inutiles. Le second amendement. a pour
objet de procurer aux détenus qui recouvreraient leur liberté
sans avoir été mis en jugement, les moyens de poursuivre leurs
dénonciateurs, et d'obtenir une juste indemnité. Cet amende-
ment, dont les motifs, évidens par eux-mêmes , n'ont pas be-
soin d'être développés, est inaccessible au reproche qu'on a fait
à tous les autres de contrarier la marche de l'instruction ; il
n'arrive qu'après elle. C'est lorsque, par le résultat de cette
instruction, l'innocence du prévenu a été reconnue , que je.
propose de le venger de ses calomniateurs, et de l'indemniser
des maux qu'il . a•soufferts. L'article additionnel dont je réclame
l'adoption est. conçu eu ces termes : « Dans le cas où gin pré-
» venu arrêté en vertu de la présente loi, sera mis en liberté
» sans avoir été traduit en justice, les ministres qui auront si-
» gné l'ordre de son arrestation seront tenus de


. lui délivrer,
» sur sa demande, copie certifiée des mémoires et dénoncia-
» tions d'après lesquels l'arrestation aurait eu lieu, à l'effet par


» desdits


de réclamer, s'il le juge convenable, contre les auteurs
mémoires ou dénonciations, les dommages-intérhs




( 4 t6 )
» auxquels il aura droit de prétendre. La demande en dom.
» mages-intérêts sera portée devant le tribunal d'arrondisse-
), ment du domicile des auteurs desdits mémoires et dénoncia-
» Lions; et, dans le cas où ceux-ci seraient insolvables, ou ne
» seraient pas suffisamment solvables pour acquitter les con-
» damnations prononcées , il y sera pourvu jusqu'à chie con-
» currence sur le domaine de l'état. »


M. le comte Boissy-d'Anglas. La disposition (le cet article
est de justice rigoureuse. Elle est confoyine, d'ailleurs, à l'an-
cien droit de la France. On accordait anciennement d'éclatantes
réparatims aux citoyens qui , en vertu d'ordres arbitraires,
avaient été injustement privés de leur liberté. il existe, dans
une 'affaire de ce genre, des remontrances fameuses adressées au
Roi par M. de Malesherbes , alors premier président de la cour
des aides de Paris, et qui • ne contribuèrent pas peu dès cette
époque, à rendre cher aux Français le nom de cet ami de l'hu-
manité. Aujourd'hui la disposition réclamée est nécessaire pour
effrayer les délateurs, et déjouer les perfides manoeuvres qu'à
la première apparition de la loi ils vont employer pour sur-
prendre le gouvernement.


M. le marquis de Catelan. On distinguait autrefois deux
sortes de préventions : l'une régulière, en vertu de laquelle un
décret de prise de corps était: lancé par les tribunaux ; l'autre
irrégulière, qui servait de motif aux lettres de cachet. Dans le
premier cas, la prévention était ordinairement déterminée par
les charges résultantes de l'information; mais quelquefois , par
exemple, dans le cas d'un meurtre dont l'auteur était inconnu,
la justice était réduite à poursuivre sur la foi d'un dénonciateur
qui signait sa déclaration sur un registre tenu à cet effet. Si, par
l'événement du procès, le prévenu était acquitté, il pouvait exi-
ger qu'on lui fit connaître son dénonciateur, et souvent il obte-
nait Contre lui une éclatante satisfaction. J'ai vu dans une affaire
le procureur-général se luire condamner lui-même aux dépens,
qui furent acquittés par le domaine. Les lettres de cachet
étaient de même ou expédiées proprio motu, ou provoquées
par une dénonciation particulière. Dans le premier cas, il
n'était pas rare que le gouvernement indemnisât le citoyen qu'il
reconnaissait avoir induement privé de sa liberté ; mais dans le
second , jamais la victime d'une surprise faite au gouverneinent
ne manquait d'obtenir devant les tribunaux la juste indemnité
du préjudice qu'elle avait souffert. Dira-t-on que le ministère.
saura distinguer la vérité de la calomnie? Qui peut s'assurer
d'être jamais assez en garde contre celle-ci? Cependant, C0.113 De'


)
. .


la crainte d'un recours judiciaire pourrait effrayer quelques
hommes timides , et empêcher qu'un avis important ne parvint
ait gouvernement, il conviendrait peut-être de lui- laisser- le
choix ou de nommer le dénonciateur, ou de faire supporter
par le domaine le montant des condamnations qui pourraient
être prononcées. Je propose à la chambre de sous-amender en
ce sens l'article additionnel qui lui . est soumis.


Le commissaire du Roi combat cet article.
M. le marquis de Castelan. Sans doute le prévenu ne sera


mis en liberté que lorsqu'il n'y aura pas de charges suffisantes
pour le traduire en jugement. On pourra donc regarder son
élargissement comme une déclaration d'innocence. Pourquoi ne
j ouirait-il par alors du droit que les lois accordent à l'accusé
absous ? Puisqu'on veut écarter de la loi le reproche d'arbi-
traire, puisqu'au dire de ses défenseurs cette loi .s'éloigne à
peine du droit commun, pourquoi .


refissent-ils de lui en appli-
quer les règles? Quant à l'intérêt de l'état, le principe décisifen
pareille matière est écrit dans l'article Iode la charte.• Aux
termes de cet article, si l'état exige d'un citoyen le sacrifice d.e
sa propriété, ce ne peut être qu'à la charge d'une indemnité
convenable. Quelle propriété plus précieuse à l'homme que celle
de sa personne? Et ce serait la seule dont on pût le priver sans
dédommagement! Observons de plus qu'après une arrestation
dont les motifs. doivent être supposés extrêmement graves,
puisqu'il s'agit de complots et de machinations ; après une clé-7
tention prolongée pendant: trois mois, le prévenu, indépen-
damment du préjudice qu'il aura éprouvé dans ses affaires et
dans sa fortune , ne pourra reparaître dans la société qu'avec
une sorte de•flétrissure. Il faut, pour l'effacer, qu'une répara-
tion éclatante proclame son innocence.


La mise aux -voix de l'amendement est réclamée par divers
membres; d'autres invoquent la question préalable : elle est
mise aux voix et adoptée.


M. le comte <le Brigode propose par amendement ; que , tout
individu détenu en vertu de la loi puisse appeler près de lui un
ministre de la religion. M. le marquis de Catelan appuie cette
Mesure, qui est combattue par MM. le comte Jules de Polignac,
le comte


q•
Ferrand , le baron de Barante. et le vicomte de Mont-
o en


La question préalable est invoquée et adoptée sur
. cet amen-


dement. Aucun autre amendement n'étant proposé, la chambre
vote au scrutin sur l'ensemble du projet, dont les articles avaient
été sé parément adoptés:


II. 27




( 413 )
La loi est adoptée : deux cent sept votans ; cent vingt-un


pour, quatre-vingt-six contre.
La chambre se sépare sans ajournement fixe.


CHAMBRE DES DÉPUTÉS.
Séance du 27


mars.


L'ordre du jour appelle la continuation de la délibération sur
le projet de loi concernant les journaux.


Le président rappelle que l'amendement relatif au terme de
la loi ayant été rejeté, la chambre a à prononcer sur celui de
M. Benjamin-Constant, relatif aux écrits périodiques paraissant
moins d'une fois par mois; et celui de M. Méchin , tendant à
déclarer que la loi cessera d'avoir son effet au moment de la
publication de l'ordonnance du Roi convoquant les collèges élec-
toraux.


M. Benjamin-Constant. Dans toutes les lois précédentes,
les écrits-périodiques ont toujours été définis de cette manière
Les écrits périodiques paraissant soit à jour fixe, soit irrégu-
lièrement, et par livraison et plus d'une fois par mois. Je ne
comprends pas pourquoi dans la loi actuelle on a omis ces der-
niers mots par livraison et plus d'une fois par mois. Aucun
ouvrage, l'Encyclopédie même, les OEuvres de Voltaire, ne
pourraient paraître par livraisons, puisqu'ils renferment des
matières politiques. Je demande donc que les mots qui ont été
omis soient rétablis dans cette loi.


M. le ministre des affaires étrangères, de sa place : Les
ministres s'opposent très-certainement à l'admission de l'amen-
dement.... (Vive sensation.)


211. Benjamin-constant. Alors, messieurs, je demanderai
jsi par contrebande, si, sous le prétexte de n'attaquer que lesournaux et les écrits périodiques, on ne veut pas, en effet, at-
taquer toutes les libertés de la pressent est évident que, d'après
l'opposition des ministres, l'article peut s'appliquer à tous les
ouvrages qui paraîtraient par livraisons ; qu'ainsi les voyages du
célèbre Humboldt ne pourraient être publiés par livraisons. (Des
murmures s'élèvent.) Je suis bien aise d'avoir provoqué cette ex-
plication de MM. les ministres.. Ainsi c'est à vous à décider si
les ministres replongeront une nation civilisée dans toutes les
ténèbres de la barbarie. (Nouveaux murmures.) Messieurs, j'ai
compris le système dirigé contre les journaux; je sais que l'au-
torité est toujours inquiète à l'égard -des journaux; mais je ne-


( 4 1 9 )
comprends pas le système qui tendrait à refuser aux éditeurs.la
faculté de faire paraître des ouvrages par livraisons. Ce système
serait celui de l'inquisition. (Murmures.) L'esprit et la lettre
de la charte s'y opposent également. Dans un pays voisin, il y
a quelques mois de telles mesures auraient pu être exécutées ;
et je croirais presque que ses inquisiteurs fuyant le pays soustrait
à leur domination, sont venus donner à nos ministres des con-
seils aussi dangereux. Sous l'ancien régime, et à toutes les épo-
ques de la révolution , la liberté de la presse n'a jamais été
dans une telle contrainte : c'est attenter à toute espèce de dis-
sémination des lumières; c'est un système qui vous est arrivé
d'un pays voisin, qu'on a voulu cacher dans l'ombre, et que je
siis heureux de dévoiler à cette tribune. Non, messieurs, vous
n'adopterez pas un article destructif de toutes les libertés de la
presse. Remarquez bien qu'il ne s'agit plus ici de .la seule cen-
sure des journaux, mais des lumières et de la civilisation. Je
persiste dans mon amendement.


M. le ministre des affaires étrangères. Je crois que l'orateur
auquel je réponds aurait mis moins de chaleur à défendre son
amendement, s'il avait lu l'article avec plus d'attention. Je
demanderai si la différence d'un jour ou de deux entre les pu-
blications, peut changer la nature d'un ouvrage. Par exemple,
en reculant d'un jour l'époque de la publication d'un écrit qui
paraît chaque mois, pourrait-on lui ôter le caractère de périodi-
cité qu'il a réellement ? pourrait-on, par cet artifice, le sous-
traire à la censure qui doit atteindre les écrits périodiques ? As-
surément l'artifice serait facile et la loi éludée. Vous ne croirez
donc pas pouvoir adopter un tel amendement. (On demande à
aller aux voix.)


Demarcay. L'incident qu'a provoqué l'amendement de
M. Benjamin-Constant, a fait naître une question entièrement
nouvelle et de la plus haute importance. Cette question, résolue
d'une manière favorable aux prétentions des ministres, pourrait
empêcher de publier par livraisons toute espèce d'ouvrage où il
serait question de politique. Cette disposition pourrait donc at-
teindre les ouvrages de morale, de droit public, de statistique,
d'économie politique, et même les ouvrages de sciences où les
sentimens de l'auteur ne peuvent s'exprimer qu'en se liant à des
questions de politique ; elle pourrait même anéantir la liberté
de la presse par rapport à des ouvrages anciens, et attaquer la
propriété des libraires qui n'auraient pas le moyen de faire pa•
trraeîtnrteeà,-,olal-ufnolicssl:édition entière d'un ouvrage composé de vingt ou


car il ne pourrait le faire paraître par livraisons.




(42ô)
Cependant, dit-on, cette. prétention est fondée sur ce que.


les ministres du Roi méritent toute votre confiance, qu'ils sont
incapables d'abuser des mesures qu'ils vous demandent, et qu'ils
se contenteront de ce qui sera strictement nécessaire pour main-
tenir la tranquillité dans l'état. Il est d'abord.extraordinaire que
ce soient les ministres (lu Roi qui viennent proclamer ici qu'ils
sont éminemment dignes de la confiance de la chambre. Inde-.
pendaminent de ce .qu'iine -telle assertion peut avoir de déplacé
dans la bouche de ceux qui la finit, le motif qui résulte des
trois projets qui vous sont présentés n'est-il pas suffisant ? N'y
voit-on pas une violation: manifeste de la charte ? L'étonnement
seul a pu empêcher de porter mi• acte d'accusation. On paraît
fidèle à cette maxime, que quand on attaque son ennemi, il faut
le tuer; et cet ennemi, c'est la liberté.


La nation Française, après le rôle qu'elle a joué depuis 8 9 ,
est-elle destinée à devenir l'opprobre et l'ignominie des nations,
en se voyant privée des droits qui ne lui ont pas été contestés,
même sous la monarchie de Louis XIV ? Et cette privation des
droits les plus sacrés, qui tiennent le plus éminemment à la
dignité de•'homine, à celle des nations éclairées, reposent sur
la confiance que vous imposent les ministres ! Quant à moi, je
le déclare, je suis loin d'accorder ce degré de confiance, et je
pense qu'il y a plusieurs membres-dans cette chambre qui par-
tagent. mon avis. J'appuie l'amendement de M. Benjamin-
Constant.




M. de Villèle. Si nous avions à craindre toutes les consé-
quences que l'auteur de l'amendement paraît redouter de l'ar-
ticle présenté, je SétiliS le premier à appuyer son amendement;
mais j e lis l'article, jo vois qu'il ne s'applique qu'aux journaux et
écrits périodiques consacrés aux nodvelles et Matières politiques.
Or, je ne -vois attaqué par cet article aucun ouvrage de la nature
de ceux dont on a parlé: Je ne vois point attaquer la liberté que
chaque citoyen a d'exprimer et de publier son opinion per-
sonnelle, soit pour se défendre, soit peur attaquer, soit pour
émettre un voeu, soit pour établir un système. Tant que tout
citoyen aura le droit d'imprimer son opinion personnelle, sauf à
à en répondre devant la loi, je ne puis rien craindre pour la
liberté réelle de la presse; je no puis craindre qu'on abuse de la
faculté .qui vous est demandée; l'art. 8 de.la charte est respecté.


Ilen est de même:à l'égard de la censure pendant les élections.
Je ne craindrai pas d'être calomnié aux yeux de mes concitoyens,
et d'are présenté comme indigne de la confiance tant qu'il me


)
sera permis d'imprimer et de publier ma justification, de faire
connaître mon opinion, nies principes, mes sentimens.


L'amendement proposé rendrait votre loi illusoire ; le public,
toujours avide d'oppositions, rechercherait particulièrement- les
écrits que, par artifice, on parviendrait à soustraire à la censuv,,
de sa nature impopulaire, et toute fliveur s'attacherait à des écrits
qui lui auraient échappé. Je demande le rejet de l'amendement.
(On demimde vivement à aller aux voix.) •


Courvoisier. Les défenseurs du projet , de loi accusent la
licence; ils veulent qu'on la réprime. Eh bien ! qu'ils votent.avec
nous pour le rejet de la censure : nulle répression n'est possible,
si l'on n'a recours préalablement à ce moyen. Si les journaux
menacent l'ordre social, je desire qu'on donne aux magistrats les
'moyens de le préserver; il faut suppléer on cette matière à l'in-
suffisance de nos lois.


Avouons pourtant que notre position n'est plus la même , et
qu'elle a changé depuis trois mois. Alors , pour inculper le gou-


-.vernement, les journalistes manquaient de ressources; et main-
tenant, pour imprégner leurs feuilles de cet amer ou piquant chi
la critique, ils n'ont plus à fouiller péniblement dans les divers
-coins dé notre surface : ce sont nos droits et nos institutions
défendent; les détracteurs haineux 'ou intéressés -du pouvoir
Sont devenus les défenseurs de nos libertés. (Vive sensation.)


Avouons-que les journaux et autres feuilles périodiques com-
mençaient à s'user, -à se déconsidérer par leurs excès, et que la
diffamation et la calomnie succombaient déjà sous le mépris.
Et maintenant l'opinion, qu'ils fatiguaient naguère, va les en-
tourer de son égide ; .on oubliera. leurs écrits pour n'envisager
que leurs services : leur cause bientôt sera celle de le France,
parce que la nation alarmée croit avoir besoin de leur appui.


J'ai parlé de ; on ne peut ; en effet, s'en dissimuler
la force; le nom seul de notre gouvernement la décèle : le gon-
vernemenrreprésentatif est le gouvernement de , on
ne peut régner ni gouverner sans elle aussi cItticuo l'invoque
el veut s'en aider, mais • chacun la voit là on il la Osée; qui
jugera dans ce conflit? La raison, sans doute : interrogeons-la
sans prévention. .


Croyez-vous ; messieurs, que l'opinion publique, c'est-à:dire
la majorité, des Français dont. la sollicitude embrasse l'avenir et
pèse, sans autre. poids que l'intérêt du trône et dé la patrie, les
conséquences_ du système que depuis trois mois on élabore et
qu'on met en œuvre en ce moment ; crovez,vons dis-je, que
,cette foule .puisse envisager Sans alarmes les mesures qui, loin




( 422 )
de compléter les garanties qui nous sont promises, nous enlèvent
par un retour que rien ne motive, les garanties déjà concédées


Croyez-vous que l'opinion publique applaudisse ou qu'elle
sommeille, quand, pour affecter une représentation spéciale à
des hommes qui, sous l'empire de la charte, ne peuvent former
une classe isolée dans la nation, on menace brusquement la
charte et la loi que le Français, fatigué de révolutions, révère
comme l'asile sacré de son repos ?


Croyez-vous que l'opinion se plie sans peine à regarder comme
des auxiliaires utiles des hommes que le gouvernement lui-même
lui apprit long-temps à redouter, et qu'un acte' émané de l'au-
torité royale lui a signalés comme dangereux ? (Vif mouvement
d'adhésion à gauche. )


On nous dit que le danger de la monarchie les a touchés, et
que leur retour est aussi désintéressé que sincère : je le desire.
Ils pourront alors, niais seulement de ce jour, servir efficace-
ment le prince et la patrie; mais il est permis d'être incrédule,
quand le seul symptôme qui nous frappe, quand la seule clause
manifeste du nouveau traité qu'on nous révèle, c'est le retour
aux lois d'exception et la formation d'un collège où leur nombre
puisse se grossir et leurs prétentions se retremper. (Nouveau
mouvement.)


Non, messieurs,
publique ne peut se lier à. ces me.


sures, puisqu'elles menacent l'intérêt commun ; puisqu'elle ne
peut s'y lier, elle les repousse; puisque les journaux les combat.
tent, elle protégera les journaux; et saisir, peur les comprimer,
l'instant oà le gouvernement leur a rendu toute la Faveur qu'ils
avaient . perdue , ce n'estpoint réprimer la licence, C'est en as-
surerle succès. Bannie desjournaux, elle se réfugiera dans les
brochures; et, pour triompher sans périls, elle usera de mille
moyens : on croira tout, et l'on supposera plus encore; l'opi-
nion aigrie sera plus crédule; sans approuver la licence, elle en
sera l'indulgente amie; sans haine envers le pouvoir, elle en
punira l'usurpation.


L'opinion pourtant est une puissance dont aucun effort ne
triomphe ; c'est en :France surtout que rien ne peut la vaincre.
En ce jour, comme en 1789 , on peut négliger de sages conseils ;
alors , comme en ce


.
jour , un homme d'état dont on dédaigna


par trop le zèle et la prudence, l'annonçait comme
. plus invin-


cible que toutes les phalanges de la vieille Rome.
Dans l'état actuel des esprits, la censure, loin de remédier


au mal, ne ferait qu'en aggraver l'effet et la cause : souffrez que
quelques.


exemples viennent justifier cette assertion. En 1818


( 423 )
la censure était établie , et pourtant le gouvernement et la
chambre ne furent jamais plus audacieusement ni plus impu-
nément diffamés. Nous le savez , messieurs , si toutefois de tels
écarts ont pu laisser quelques traces dans votre mémoire, jamais
vos opinions ne furent plus altérées , plus dénaturées, plus tra-
vesties. La censure veillait sur les journaux ; non censurées alors,
les feuilles périodiques avaient obtenu phis de succès. Soumettez
en ce jour à la censure les feuilles périodiques et les.journaux,
d'autres écrits n'en obtiendront que plus d'empire ( Voie:


gauche : C'est vrai 1 ) A cette époque les lois étaient sévères,
car le Code pénal et la loi du 9 novembre pouvaient effrayer la
témérité des écri4ains; le ministère public pouvait agir sans qu'il
ftst besoin d'une délibération ou d'une plainte. On n'intenta
pOurtantque peu de poursuites ; votre commission, l'an dernier,
reconnut ce fait ; elle en fut touchée ; j'eus l'honneur de vous
l'exposer dans le rapport soumis en son nom : la censure n'est
donc pas un remède contre la licence. Lorsque l'opinion l'im-
prouve et la repousse, elle paralyse l'action du ministère public
et le jugement des tribunaux.


Je conclus au rejet de l'article 3.. er an projet de loi, ne fût-ce
pie pour réduire le gouvernement à la nécessité de présenter
une loi de répression avant la fin de la session actuelle ; con-
vaincu que (le sages modifications seront accueillies , tandis
qu'elles échoueraient à la session prochaine , quelque revers
qu'on éprouve ou quelque succès qu'on obtienne dans les chan-
gemens qu'on veut apporter à la loi sur les•colléges électoraux.
En effet , messieurs , à cette époque et quelles que soient , je
le répète, la nature des nouveaux choix et la composition de la
chambre , le niai que nous reconnaissons aujourd'hui ne sera
plus présent à la pensée , on aura oublié la licence, on ne verra
plus que la censure , et l'on n'aura plus qu'un voeu, ce sera de
rendre à la presse sa liberté. 'Voilà ce-que je prévois , et ce qui
m'engage à desirer qu'une loi repressive soi t présentée dans cette
session; c'est dans cette intention que je vote le rejet de l'ar-
ticle. (Nouveau et viCmouvement d'adhésion an cent*de aauche
et à .gauche. )


M. Corbière traite moins la question de la censure et la loi en
elle-même, 4.1 ce des moyens par lesquels on a attaqué les diverses
lois présentées ; se livre à des réflexions sur la loi des élec-
tions, et il vote pour l'adoption de l'article sans amendement.


k général S'ébastiani. Messieurs jusqu'ici les discours
des ministres du Roi et des orateurs qui marchent sous leurs
bannières 7 ne nous ont entretenu que d'inquiétudes et d'alarmes




( 424 )
conçues sur la tranquillité de la France. Leur imagination me
parait épiiuvantée, mais les•causes de leur effroi me sont incon-
nues. Si une conjuration menace la sûreté du trône et de l'état,
pourquoi nous le laisser ignorer? pourquoi les conjurés ne sont-ils
pas arrêtés et. traduits devant leurs juges ? Des prolétaires, des
radicaux .


inondent-ils les plaines des Sablons et nos places pu-
bliques? dei luddistes brisent-ils lés ateliers deLyon et de Rouen;
les pressoirs de la Bourgogne, de la Champagne et de la Guienne
sont-ils.détruits? Quelque mutinerie s'est-elle manifestée dans
l'armée ? Mais l'armée est disciplinée, fidèle et dévouée ; nos
ateliers sont paisibles et tranquilles, nos vignerons travaillent
en paix leurs coteaux fertiles; Paris et la France entière offrent
le spectacle- rassurant (rime tranquillité profonde. Oui , me ré-
pondrmt MM. les ministres et les orateurs qui défendent le pro-jet de loi ; mais les journaux, mais les doctrines perverses qu'ils
propagent ?


Je l'avoue, cette armée ennemie nie rappelle presque les géans
du héros de la Manche. De bonne foi, le ministère peut-il croire
-une monarchie en danger parce qu'une vingtaine de feuilles pu-


- l'igues viennent tous lei matins amasser ou ennuyer la millième
partie de la population? Mais, messieurs, c'est pour la surveil-
lance des ministres que lés journaux politiques sont spécialement
établis. Demandez-le ,


à•PAnglèterre : et ce sont les ministres
qui veulent si impérieusement qu'on soumette les journaux è
leur censure : Y
des jours de relâche pour la police des


gouvernemens et du pouvoir? Pourquoi veut-on qu'il y en ait
pour les sentinelles des libertés publiques ? Quelle idée déme-
surée se font les ministres et leurs adbérens de la puissance de
ces feuilles ?. ce ne sont pas des lignes toujours écrites avec plus
ou moins de réflexion qui peuvent ébranler des gouvernemens.
-Une telle puissance, si elle pouvait exister, appartiendraitbeau-
coup plus à- la-parole. Des mots écrits sont froids commue la mé-ditation; d'ailleurs ceux qui conspirent: parlent peu , écrivent
encore..!
s•


Un M.
e exécrable a puisé dans le fanatisme politique


abominable de son crime : Clément et Ravaillac puisèrent la
leur dans le Iknatisme religieux. La religion et la liberté les re-
poussent et les maudissent également avec horreur ; mais dans
l'ordre moral comme dans l'ordre physique le même sol produit
la plante nourricière et la plante Véllé110t1M.


La France est tranquille, les dangers sont encore imaginaires,
)11 a isles- mesures qui nous 'sont proposées. nous entraîneraient
vers des dangers réels. Permettees-moi , messieurs , de jeter un-


( 425 )
regard sur notre situation , et de me livrer un instant à l'inves-
tigation des causes perturbatrices de notre ordre social.


Il existe en France deux partis , et il n'en existe que deux
celui de l'égalité des droits et celui des privilèges. Le premier
qui a eu lieu , a acquis et peut conserver ; le second , vaincu
et dépouillé , a perdu et veut reprendre. Le premier est , •par
la nature de sa position et de ses intérêts , sur la défensive ; le
second est forcément agresseur. Le trône, désintéressé dans cette
querelle, peut faire cesser cet état de division ; mais il ne le peut
qU'en •se séparant du dernier qui a toujours combattu le pouvoir
royal , et qui, dans ce moulent, cherche à l'entraîner dans des
dangers. Le trône , en se séparant de l'aristocratie, prise comme
parti,, peut efficacement la protéger et lui conserver aine exis-
tence .constitutionnelle ; réuni à l'aristocratie, il s'affaiblit. de
toute la force que donnent la confiance et l'amour de la nation.


Un orateur, M. Lainé, a dit à cette tribune, dans une séance
précédente , que l'opinion des publicistes de toutes les nations
et la sienne étaitqu'en France l'aristocratie était trop faible. Je
pense moi qu'elle est tout ce qu'elle peut être, et que , sous les
rapports politiques , elle est beaucoup plus élevée, beaucoup
plus puissante qu'elle ne l'était avant la révolution.


L'aristocratie occupe exclusivement tous les emplois de la.
cour et tous ceux de la diplomatie ; tout cc qu'elle peut offrir
pour le service de l'armée s'y trouve honorablement et avan-
tageusement placé ; on a même oublié pour elle d'anciens et glo-
rieux services. Les-places de l'administration qu'elle dédaignait
jadis . lui ont été prodiguées ; les portes (le la magistrature ne
lui ont pas été fermées. Telle est sa position dans l'ordre civil
et militaire ; dans l'ordre politique, ses avantages sont immenses;
elle partage avec le Roi et les communes, dans une proportion
égale , le pouvoir législatif; il est héréditaire pour elle comme
pour le monarque.


Tous ces avantages me paraissent: d'un assez haut prix pour
qu'elle daigne s'en contenter. On a parlé dans cette enceinte des.
flatteurs du peuple ; l'aristocratie du peuple n'en a pas manqué.
Je n'adresse pas des reproches à cette portion distinguée et im-
portante de la société, qui, dans tous les temps a rendu de
grands et éminens services ; son existence constitutionnelle et
politique est une condition nécessaire du gouvernement repré-
sentatif . ; mais ses prétentions doivent avoir pour limites les
bornes posées par la charte.


Un: de nos plus grands mallieursest d'avoir une aristocratie
'lors de l'aristocratie constitutionnelle , parce qu'elle n'a aucun


éle




( 426 )
droit, et conserve les mêmes prétentions. C'est elle qui insinue
qu'il faut trouver une combinaison électorale qui protège ce
qu'elle appelle la haute propriété , et qui transformerait en
chambre aristocratique élective la chambre des députés ; c'est
elle peut-être qui conseille l'arbitraire pour parvenir plus sûre-
ment au but qu'elle se propose. Ne pourrait-on pas adresser à
son ambition ce vers si connu :


Mais si vous ne régnez, vous vous plaignes toujours
Non, les dangers qu'elle signale n'existent pas , et mon de-


voir est de le dire, afin de prévenir ceux qui pourraient résulter
des mesures proposées. Que l'expérience ne soit pas perdue pour
nous ; je ne parle pas de celle qu'on acquiert par l'étude des
temps anciens, mais de l'expérience toute récente, toute pra-
tique , qui naît des événemens au milieu desquels nous avons
vécu, au milieu desquels nous—vivons.


Nous avons vu s'écrouler un trône entouré de gloire, appuyé
sur une force gigantesque , occupé par le génie le plus extraor-
dinaire et le plus puissant qui ait paru depuis César. Il aurait
survécu aux désastres de la Russie, aux défaites de la Saxe, aux
efforts de l'Europe, si la France ne se fût vengée de la perte de
ses libertés par l'abandon et l'immobilité. ( Vive sensation à


..gauch.e. )
• L'Espagne offre dans ce moment- un spectacle terrible et à
jamais mémorable. Un jeune prince, naguère l'amour et l'espoir
de ses sujets , vient de subir la loi de ces mêmes soldats qui ,
en. 1814 , . lui prêtèrent leur appui pour renverser une constitu7
lion qui lui est imposée aujourd'hui. Si des conseillers perfides
et intéressés ne l'eussent pas trompé , il serait encore aujour-
d'hui.chéri , béni de ses peuples. Le pouvoir et la forcé sont
maintenant insuffisans pour gouverner les nations ; il faut encore
l'autorité morale , qui naît de la confiance et de l'estime. Lors-
qu'une nation est mécontente, ne tarde pas à l'être, et
devient plus dangereuse qu'utile : les mêmes élémens , les mêmes
intérêts produisent les mêmes résultats. ( :Des murmures s'élèvènt
à droite et au centre. )


Tout est sécurité , messieurs, dans un système de confiance
et d'union avec la nation ; tout est denger dans une Marche
soupçonneuse et oppressive.


Que le trône , uni désormais avec Io peuplé, son ancien et
constant allié, rentre. dans les maximes de gouvernement: qui
ont fait. sa gloire et sa force; que son ministère, franchement et
complètement constitutionnel, cimente chaque jour cette heu-
reuse union 5 que l'aristocratie constitutionnelle conserve




l'équi-


( 427 )
libre qui est le but de son institution , et. que l'ancienne aris-
tocratie se console (le la perte de ses privilèges pa • les services
qu'elle peut rendre à l'état dans la condition glorieuse de ci-
toyens ftancais!


Je termine, messieurs ; il n' y a ni écrits ni paroles qui puissent
faire perdre l'amour despcuples et par conséquent la puissance
au Roi et à sa dynastie, qui a rétabli un trône jadis absolu sur
les mêmes foudemens que la liberté de la nation. Le trône et la
charte seront ou immuables ensemble ou ensemble ébranlés. Je
vote pour le rejet de l'article 1.er


On demande la clôture de la discussion. — M. Mestadier
-
réclame la parole..


M. Mestadier prononce une opinion développée sur l'article
du projet de loi , et en l'appuyant , il se livre à des considéra-
tions générales sur l'ensemble des lois proposées, et sur celle re-
lative aux élections. L'orateur est rappelé par plusieurs membres
à la question de l'amendement... — 'Une fi:iule de voix s'élè-
vent à gauche: Laissez parler! laisses parler !


Cornet-elncourt. Messieurs, depuis quelques jours nous
délibérons d'une manière vraiment extraordinaire ; on ne sait
plus ce que c'est qu'une décision de la chambre qui e fermé la
discussion , car on la rouvre , et sur l'article et r chacun -dés
amendemens. M. Courvoisier a donné. le premier, dans cette
séance, l'exemple de sortir de la question; il était naturel que
notre honorable collègue M. Corbière l'y suivît ; M. Mestadier
renouvelle la digression , je crois que la chambre a à décider si
l'on rentrera dans la discussion générale, ou si l'on se bornera à
la question.


M. Courvoisier. L'orateur m'ayant cité dans le cours de son
observation , je dois repousser le reproche qu'il m'a adressé.
Un homme d'esprit a dit, en parlant des discussions générales ,
qu'elles ressemblaient à deux corps d'armées marchant et pas-
sant à côté l'un de l'autre sans se combattre ; c'est aux articles
qu'arrive la discussion véritable, car les discours prononcés dans
la discussion générale sont entendus sans que l'un réponde à7, •l'autre. La discussion en ce moment est ouverte sur l'article et
sur l'amendement, il est impossible de les séparer l'un de l'autre.
Je n'ai fait que parler sur tous deux , et en cela j'ai suivi avec
plus ou


ez •l


mo ins de développement l'exemple de M. de Villèle...
Un grand nombre de voix à _M. Mestadier : Continuez !i
M. Mestadier poursuit, et présente les développemeus de


sou opinion , favorable au projet de loi.




( 428 )
M. Labbey de Pompières. Messieurs , je me bornerai à ob-


server, avec un des plus grands écrivains de l'antiquité ; qu'il
-n'y a plus de liberté partout où l'on ne peut pas penser ce que
l'on veut , et dire ce que l'on pense.


Cette vérité, qui date de près de deux mille ans, n'a été con-
testée par personne à cette tribune. Nous avons entendu les par-
tisans les plus prononcés des lois d'exception s'écrier : l'un, point
de journaux, point de gouvernement représentatif; mais, par
ce principe de Machiavel, que plus le contrat social assure de
droits aux citoyens, plus le gouvernement doit chercher à les
leur enlever, et conclure très-conséquemment, donc il faut sou-
mettre les journaux à la censure.


Un autre a prétendu que la loi d'exception loin de violer la
charte, lui rendait hommage, parce que c'était une reconnais-
sance évidente de la part du gouvernement




que l'art. 8 était
applicable aux journaux. -•


Un troisième a reconnu que les journaux sont au gouverne-
ment représentatif ce que la parole est à l'homme ; qu'ils sont


• des sentinelles vigilantes, des gardes avancées, mais qui doivent
se taire au moment du péril. O d'Assas ! avec de tels principes
ton nom n'eût jamais été connu.


j D'une part M. le rapporteur de la commission refuse auxournaux la protection de l'art. 8 ,'parce qu'ils n'émettent que
l'opinion d'autrui; d'une autre, M. l'orateur du gouvernement
la leur dénie, parce qu'ils usurpent la place de l'opinion pn-
Mique pour faire prévaloir la leur. Conclure unanimement par
deux motifs diamétralement opposés, c'est sans doute lé sublime
de la raison !


Il est un point sur lequel orateurs du gouvernement , rap-
porteur de la commission , partisans des lois d'exceptions sont
d'accord ; celui d'accuser les journaux d'avoir avili les ministres.


Messieurs , l'homme public ne peut être avili que .par ses
actes ; fais bien et laisse dire, voilà sa devise. En vain la ca-
lomnie le poursuivrait, l'opinion publique est la pour le venger.
Tout ministre qui la redoute perd ses droits à la confiance du
peuple ; il ne lui inspire plus que de la crainte.


Vous n'avez point oublié, messieurs-, ce moment où un mi-
nistre, se-croyant au moins un consul romain, prononça sans
hésiter ces terribles paroles : Ils ont vécu. d'avoue qu'alors ma
douleur fut grande. Je me rappelai aussitôt et l'exil du consul ,
et la- maison rasée, et cet horrible triumvirat , type de celui
qu'on vient de créer, qui fit clouer la tête et les deux mains de


( 429 )
grand orateur à cette même tribune qui avait si souvent retenti
de sa male éloquence.


Les grands et nombreux services .que ce ministre a rendus,
ainsi qu'il nousl'a assuré dans sa biographie syncopée, ne peuvent
être pour personne des motifs de sécurité. On n'a point oublié
que le consul avait sauvé la vie et l'honneur à ce Popilius Lœna
nui lui ravit si lâchement la sienne.


Messieurs, après avoir accordé l'arbitraire, gardez-vous de
tisser un voile pour le couvrir. Ce serait un crepe.funèbre qui
bientôt envelopperait toute la France.


J'ai voté contre cette loi des suspects , plus hideuse que celle
qui sortit du cerveau de Pantropophage Robespierre ; je voterai
contre celle-ci qui en est le complément, et j e commence par
demander le rejet de l'article .er


Benoist. Messieurs , on semble croire , en général , que-
la, liberté de la presse est un point de doctrine positif entière-
ment résolu , un principe auquel les lois ne font que poser des
exceptions. La vérité, au contraire ; est qu'aux yeux de tous
les publicistes c'est une de ces questions insolubles qui se ren-,
contrent dans toutes les branches des connaissances humaines,
et que dans tous les pays où elle a été établie elle -a.toujours été-
soumise à un arbitraire plus ou moins déguisé.


Deux oppositions ont à-la-fois attaqué le gouvernement; et
clans quelques-uns de leurs écrits , on a porté si loin l'usage de
cette liberté , que toute la société en est troublée , l'autorité
publique en est déconsidérée ; sa force en est diminuée et comme
suspendue ; et aujourd'hui c'est le gouvernement lui-même qui
vient prier les deux oppositions dont les opinions ont , dans
cette chambre , leurs partisans , de le laisser respirer, pour se
conserver, pour rétablir l'ordre, pour conserver le pays!


L'une de ces oppositions accueille cette proposition : elle ou-
blié ce qu'elle a pu regarder comme des inj ures ; elle aine
mieux courir des dangers que d'encourir des reproches . ; elle
aime mieux l'ordre que la victoire:


L'autre se refuse aux demandes du gouvernement ; elle veut
la victoire , elle la veut entière , complète, aux risques de l'au-
torité , aux risques de la société elle-même. Pour raisons , elle
objecte d'abord qu'on offense la mation. 11 faut donc bien.dire
une fois que cette expression qui désigne la nation, en la dis-
t i nguant „de son gouvernement , manque de justesse et de con-


é.s(,0)1ititoini l.us dit que nous voulons, que nous faisons la contre-
révolrrtiou. La c ntre-révolution est faite , messieurs , elle est




( 43o )
faite depuis long-temps ; elle a été opérée par la charte. ( Vives
réclamations du côté gauche. L'orateur répète à trois reprises: )
La contre-révolution a été. opérée par la charte ; car la charte
n'a pas consacré la révolution ni implicitement ni explicitement;
elle a conservé ( cela il faut le dire ) pour l'avantage des intérêts•
nés de la révolution, elle a conservé certains faits., certains ré-
sultats de la révolution; par quoi elle a converti en droit ce qui
jusqu'alors n'était qu'un fait. ( Nouvelles réclamations du côté
gauche. ) Nul doute à cet égard; on ne peut pas contester que
le principe de notre gouvernement n'est pas la révolution mo-
difiée par la charte; mais la charte qui a admis, par exception ,
des droits et. des intérêts créés par la révolution. La charte a de
même consacré divers faits, différens avantages nés du gouver-
nement impérial ; et certes , on ne peut pas dire pour cela
qu'elle a maintenu le principe de l'usurpation. Nous n'avons
donc ni de ce gouvernement ni de la révolution que ce que la
charte nous en a donné.


Quelques personnes , je le crois ,y voudraient un peu plus
de cette révolution ; d'antres peut-âtre desireraient y en trouver
moins. Ce ne sont. pas choses en notre pouvoir ; les uns et les
autres doivent obéir à la charte et s'en contenter.


On veut que la charte ait défendu toutes lois autres que des
lois de répression. S'il était encore à propos de revenir sur cette
difficulté grammaticale, je ferais observer que la charte qui n'a
rien défini à cet égard, semble bien avoir prévu que la liberté
de la presse devait être soumise à l'empire des circonstances ,
puisqu'elle n'a pas dit que l'on dût: se conformer à la loi , mais
bien aux lois qui devaient en réprimer les abus , expression qui
prouve assez que les lois doivent être conformes aux besoins et
aux circonstances du moment où on les frit.
• Or , qui oserait,dire aujourd'hui que notre position n'exige
rien d'extraordinaire ? et que faut -il de plus pour nous con-
vaincre du contraire, que la manière même dont on combat ici
la proposition du gouvernement , que les avertissemens qui res-
semblent à des menaces , que les imputations dirigées contre
une partie de la société au nom de ce qu'on appelle la majorité
de la nation.


Ne nous a-t-on pas dit aujourd'hui que l'aristocratie était en-
core toute-puissante , et que le trône n'avait rien de mieux à
faire que de se réunir contre elle au peuple, qui était son cons-5
tant allié? L'orateur qui parlai t ainsi a confondu des choses très.i',
distinctes. L'aristocratie considérée comme classe de la société,
comme groupe de familles et d'individus , est aujourd'hui une


( 43 1 )
chimère, un vain nom auquel à peine on peut attacher quelques
souvenirs. Mais il y a une ligue d'opinions qu'on cherche à flétrir
de cet ancien refrein de parti , et ces opinions sont celles des
hommes attachés à la religion , à la France et à la monarchie.
Est-ce donc contre ces hommes qu'on veut armer et le trône et
le peuple ? Je vote le premier article de la loi proposée.


M. de la Bourdonnaye. Messieurs , la discussion générale a
démontré d'une manière invincible la licence . actuelle de la presse
et la nécessité de l'indépendance des journaux.


Pour mettre un terme à l'une et donner le temps d'organiser
l'autre , j'avais proposé un amendement qui nie paraissait con-
cilier tous les intérêts, satisfaire à tous les besoins. On a soutenu
qu'il était dangereux, en ce qu'il détruiraide projet dans son es-
sence, et ne donnait pas le temps de préparer une loi répressive.
Par leur silence , les ministres ont admis le motif de l'insuffi-
sance du délai ; vous l'avez admis vous-mêmes ; mon amendement
a été rejeté.


Replacé dans la cruelle alternative dont j'avais essayé de sortir;
forcé de rejeter la loi ou de paralyser pendant dix-huit mois le
gouvernement représentatif, je ne puis accorder une si longue
dictature. La dictature est une loi de confiance; je puis bien l'ac-
corder aux ministres•actuels qui me sont connus, mais jamais
à des ministres que je ne connais pas encore ; et s'il est démontré
à. tout homme de bon sens que le ministère actuel ne peut pas
se promettre dix—huit mois de durée , il est impossible à tout
homme de bon sens de voter pour un si long terme la suspension
de l'indépendance des journaux.


Je rejette donc l'article . er , qui contient toute la loi. Je• le
rejette parce que , d'après leur aveu , si je puis croire à l'im-
puissance des ministres de nous présenter dans cette session
une bonne loi répressive de la liberté de la presse, je ne suis
pas convaincu que la chambre soit frappée de la même impuis-
sance. Je ne me persuaderai jamais que parmi un si grand
nombre d'hommes de loi que possède cette chambre, si la loi
que nous discutons était rejetée , il manquerait d'orateurs'pour
vous proposer le plan d'une bonne loi répressive , et la formation
prochaine d'une commission pour s'occuper de son examen.


Je la rejette encore parce que la vue de la licence effrénée de
la presse contribuera, j'espère, à aiguillonner le zèle de tous les
amis de leur pays, à disposer le ministère lui-même à seconder
celte mesure, en mettant entre les mains de la commission tous
les renseignemens qu'il s'est procurés sur une matière aussi im-
portante„Je vote contre l'amendement et l'article.




(43a ) )
On demande la clôture de la discussion. — M. Manuel de-


mande la — On insiste à droite pour la clôture.
M.Demarçay. Je demande le maintien de l'ordre suivi jus-


qu'à ce jour ; vous vous réservez toujours (l'entendre l'orateur
qui e proposé l'amendement (M. Castelbajac : Il a été entendu!)
ou un membre qui appuie l'amendement ; on ne . peut pas dire
que l'amendement ait été discuté ; ona parlé de toute autre chose.
Je demande que la discussion continue.


On demande de nouveau la clôture. —
Manuel. Je de-


mande la parole contre la clôture—. •••-./lŒ. le président: Voits
avez la parole.


M. Manuel. Messieurs , j'ignore si la chambre se rappelle le
sujet de cett e longue discussion, l'amendement de M. Benjamin-
Constant. Ce qui me paraît démontré, c'est qu'il n'a pas été
défendu : on n'a pas entendu un seul orateur parler pour sa
défense. La raison en est simple; on s'est occupé de la discus-
sion générale , et non pas de l'amendement en lui-même. Cepen-
dant cet amendement a été combattu par un ministre et par
d'autres orateurs ; il nie semble qu'il serait de la justice de la
chambre d'entendre quelques observations à l'appui.


Un grand nombre de voix : Parlez ! parlez !....
M. de Villèle : Eco:dons écoutons I
On demande de nouveau à droite la clôture de la discussion.


La chambre rejette la clôture à une forte majorité.
M. Manuel. Messieurs , l'amendement proposé par M. Ben;


jamin-Constant . consisterait à introduire dans les dispositions
de la loi quelques expressions qui expliqueraient que la censure le
ne doit pas atteindre.les écrits qui ne paraîtraient pas plus d'une
fois par mois. M. le ministre des affaires étrangères a déclaré
que l'intention du projet de loi était en effet de comprendre
même les livraisons et les brochures qui ne paraîtraient qu'une
fois par mois. (M. Pasquier: Je n'ai pas parlé de brochures ! )
Enfin., des ouvrages quelconques.qui ne paraîtraient qu'une fois
par mois. Il nie semble qu'entendre ainsi la loi c'est d'avance
donner gain de cause à l'amendement proposé par M. Josse;•
Beauvoir, et qui •tend à comprendre toutes les brochures dans
la mesure projetée.


`routes les ibis qu'on est 'venu vous demander une règle par-
ticulière contre les journaux ou écrits périodiques, quel a été le
motif de cette exception à la loi générale en faveur de la liberté
de la presse? C'est que les journaux formaient une puissance à
part, une véritable tribune, une espèce d'association, une en-
treprise de Commerce, dont l'objet est l'effet •de transmettre


( 433 )
jour par jour, d'un bout de la France à l'autre, des nouvelles
vraies ou fausses, et qui, par ce moyen, peuvent chaque jour
troubler le repos public , et altérer la confiance. En un mot , on
a attaqué les journaux tels qu'ils sont, comme périodiques,
comme paraissant à des époques rapprochées , et par conséquel:t
comme offrant. des dangers qui se succèdent avec rapidité ; :nais
jareàs on n'a paru frappé de dangers qui ne se signaleraient
qu'une fois par mois. Le système que le gouvernement avoue
nous conduirait donc à adopter l'amendement de M. Josse-
Beauvoir, c'est-à-dire à soumettre à la censure toutes les bro-
chures sans distinction. Il vous conduirait plus loin encore ;
puisque le projet de loi ne s'arrête point au nombre de feuilles
plus ou moins considérables dont l'ouvrage serait composé.'


Mais alors, messieurs , ce n'est plus s'armer d'une sévérité
plus au moins grande contre les journaux ou écrits périodiques,
c'est s'armer contre la liberté (le la presse tout entière. Si c'est
là la pensée du ministère, il faut au moins qu'elle soit connue,
afin que celte chambre sache tout reflet du vote qu'on lui
4.1emande..


Messieurs, au milieu des circonstances où nous nous trouvons ,-
il nie semble impossible que la chambre ne sente pas comme
moi le besoin de recueillir et de fixer deux déclarations procla-
mées tout-à-l'heure à, cette tribune. , et qui me paraissent im-


Elles
pour notre édification pour celle de la France entière;


les sont de nature, en effet, à fixer aux yeux de tout le
monde la véritable situation de cette chambre et celle du gou-
vernement lui-même. Ces déclarations ont été émises , l'une par
notre honorable collègue M. Benoist, l'autre par M. de Cor-
bière. Le premier, croyant devoir s'expliquer sur les craintes
d'une contre-révolution , n'a pas hésité à professer que déjà la
contre-révolution était. faite par la charte. Certes, messieurs,
jusqu'à ce jour on avait cru en France que la charte avait voulu
consacrer et les principes raisonnables, et les résultats utiles de
laaévolulion; et comme c'est là tout ce que les prétendus révo-
lutionnaires d'aujourd'hui défendent, ils étaient satisfaits d'y
voir exaucés les voeux de .5789, et les intentions généreuses
qulanimatent alors l'immense majorité des Français. Telle


. a été
jusqu'à ce jour l'opinion générale; et c'est parce que cette opi-.
nion a été accueillie :en effet par la nation tout entière, que la
charte a obtenu de la masse cet assentiment, ce respect qui fait
toute sa force, et qui semblait devoir assurer sa stabilité. A
l ' époque de sa publication, ceux-là même qui l'expliquent
d'une si étrange manière, ne manquaient pas de se plaindre de,


28




( 434 )
leur côté de ce qu'elle avait consacré la révolution , protégé les
principes et les intérêts nouveaux, aux dépens des principes et
des intérêts anciens.


Eh bien, messieurs , lorsqu'on vient aujourd'hui vous pré-
senter la charte sous un aspect si différent, que faut-il en con-
dure? C'est que, renonçant à l'espoir insensé de briser cet
obstacle à la contre-révolution, on a conçu le projet d'en faire
un instrument pour y arriver. Ors vous dit que la charte a fait
elle-même la contre-révolution! c'est vous dire qu'on se pro-
pose de la faire avec là charte et par elle. Voilà le véritable es-
prit de ce que vous avez entendu, - et ce n'est pas la première
fois que ce secret est échappé à des poitrines oppressées depuis
long-temps. Nous aVons vu dans des écrits qui étaient PpriVrage
du même parti, que la charte, bien interprétée, pouvait offrir
tous les. moyens nécessaires pour obtenir des institutions et un
gouvernement purement monarchiques. Mais aujourd'hui l'on
va plus loin, et désormais l'on pourra avouer hautement des
intentions contre-révolutionnaires, puisqu'on prétend que lu.
Charte redonne les principes de la contre-révolution. Et déjà,
messieurs, le discours d'un autre orateur sem ble avoir été des-
tiné à vous montrer les conséquences et l'application d'un sys-
tème aussi hardi.


M. de Corbière a: voulu vous expliquer à quoi tenait la réu-
ilion de son parti".avée le ministère ; et vous pouvez à présent
•en juger d'après les aveux de ce parti lui-même. En résultat, à
quoi tient-elle? On n'approuve ni les lois contre la liberté in-
dividuelle, ni celles contre la presse ; on sent bien qu'elles
peuvent nuire: tout le monde ; suais on est décidé à faire ces
concessions au gouvernement. Et quel en est le prix? On vous
l'a dit franchement, messieurs-: ce prix, c'est le changement ig,
de la loi des. élections ; c'est-à cette condition que l'alliance a


1
été faite. ( Vive sensation. ) • f:


Et ce changement de la loi des élections, auquel le parti
attache tant d'importance, comment l'a-t-on motivé ? quelles
sont lés raisons qui doivent le faire consacrer? C'est afin de
rendre à la France la majorité de 1815. Voilà ce qu'on vous a
dit, ce qu'on a déclaré franchement A cette tribune. (.2W. Benoit :
Personne ne l'a-dit ! ) Quoi l • quand vous vous plaignez en pro--
pros termes de ce que votre parti a été déjà quatre fois décimé...
(Interruption. )


Il n'y a aucun inconvénient à ces interruptions , comme je.
Paf déjà observé dans une autre occasion; elles ne manifestent .
ci qu'une chose, et la chambre ne s'y-méprendra pas ; c'est


( 435 )
gülaprès avoir laissé écliapperun


secret dangereux, On -.cutinit
pouvoir l'étouffer. ( Plusieurs membres à droite : Le fait est
faux ! ) Au reste, j'ai entendu les expressions que je viens de
répéter; la chambre les a entendues comme moi : elle jugera si
les inductions que j'en tire sont exactes ou fausses. Mais 'vous
messieurs ,


•confiez- vous donc un peu plus à vos in tentions , à votre
langage , à la justice de ceux qui nous écoutent; à quoi bon
chercher sans cesse, lorsqu'on vous répond, à interrompis;
l'orateur qui croit devoir vous combattre?.


Si j'adopte .des bases-
inexactes, si j'en tire de fausses .


conséquences, n'est-ce pas là;
précisément ce qui peut arriver de plus heureux pour vous..?.
*Vous remonterez alors à. cette tribune pour me confondre ,.et
l:-chambre saura faire justice à qui elle est due. Voilà des .ré-
flexions dont mes honorables adversaires devraient se pénétrer
plus souvent.


Quoi qu'il en soit, vous aurez remarqué , messieurs, cet aveu
loyal de M. de Corbière, que lors même qu'il ne s'agit encore
que de la liberté de la presse, la question est toute dans la loi
des élections, et qu'il ne fallait donc pas s'étonner qu'elle se fût
établie sur ce sujet. Maintenant, nos honorables adversaires se
plaignent de ce que cette loi est contraire aux intérêts du parti
qu'ils représentent clans cette chambre; ils prétendent que ce.
parti , qu'on appelle souvent dans cette discussion le parti des.
privilèges... ( M. de Marcellus : Nous ne sommes pas un
parti ! ) M. de .


Marcellus aime-t-il mieux que je l'appelle une
fàction?( Un grand nombre de voix d droite : C'est trop fort !...
à l'ordre !... à l'ordre ! )


M. Cornet-d 'Accrut. Je demande la parole pour le rappel
à l'ordre.


-M. do Yillcle : Non ! non ! laissez cela !
M. Cornet-eincourt. L'article a3 du règlement perte :


cc Toute personnalité, tout signe d'approbation ou d'improba-
» tion sont interdits. » Je demande si ce ne sont pas des per-
sonnalités que l'orateur s'est permises? Venir à chaque instant
diviser. la salle, s'adresser . à tel côté plutôt qu'à tel autre; ce
sont là des personnalités.qui ne devraient pas être permises à la.
Tribune. La chambre délibère en commun ; les décisions qui
sont prises par la majorité sont les décisions de la chambre. Il
n'y a dans la chambreni parti ni faction ., et toutes les fois qu'on
parle de parti et. de faction dans cette chambre, on l'insulte.
Je demande -que l'orateur soit rappelé à l'ordre.


M. le président. Cette proposition est-elle appuyée?
M. de Villèle: Non!...


Peu de voix :Oui! ...




( 436 )
M•. Cornet-d'Ineourt. Je conclus 31 ce que M. le président


veuille bien inviter l'orateur à se renfermer dans la question.
( On rit à gauche. )


M. _Manuel. Le silence de la chambre m'apprend assez que
je n'ai pas besoin de répondre aux obser•ations qu'elle "vient
d'entendre... (Murmures à droite..)


Ce serait d'ailleurs une chose bien bizarre que de voir se
plaindre de ce qu'on divise la chambre en partis, ceux-là même
qui tout-à-l'heure, à cette même place, sont ventis établir la'
même division ; et-ceci ne m'écarte pas de mon sujet. Que vous
disait-on , en effet; au sujet de la loi d'élection?...


Maccharty. C'est l'amendement qu'il faut traiter !...
M. de Lastours. Donnez-nous des nouvelles de l'amende-


ment ! Nous l'avons perdu-de vue..
M. Manuel. On Vous disait que depuis quatre ans le nombre


de ceux qui siégent de ce côté de la cita tare , et qui représentent
encore la majorité de 1 815;• diminuait sans cesse, tandis que le
nombre de. ceux qui-siégent au côté opposé augmentait clans une
proportion égale. On avançait que c'était depuis ce moment que
les véritables intérêts de la France voyaient diminuer linombre
de leurs véritables défenseurs. On vous disait que la France était
réellement représentée par ceux-ci, et l'on en concluait par
conséquent qu'elle n'était pas valablement représentée par ceux-
là. était Phypothèse


• établie devant vous.
-


Sans doute, messieurs, -chacun de nous a sur ce . point des
prétentions bien opposées; chacun-de nous croit qu'il est appelé
à défendre les intérêts de la masse. Lequel de nous


.se trompe?
Nous pourrions bien, en—luisant-très-peu de frais de mémoire,
mettre sous les yeux de la chambre ce qui peut servir à résoudre
cette question; remonter à lai 5 , voir ce quii s'est passé depuis
lors; examiner les principes et la conduite


- de ceux-ci, lés prin-
cipes et la conduite de ceux-là; quels sont ceux qui ont défendu
les intérêts nationaux ;quels sont ceux qui les ont attaqués


M. Castelbajac. Nous ne le craignons pas I
M. _Manuel. Mais à quoi cela servirait-il ?,La France en-


tière a été témoin, et nos juges sont là
M. Maccarthy- Et les cent jours:— (Vive agitation.)
.11/1. Manuel. Oui,•nressieurs„ même pendant les cent jours,


la France nous a vu élever•a vois pour oser défendre les libertés
publiques. Au reste, croit-on par ces interruptions changer le
cours de nos idées, et dénaturer la question qui s'agite en ce.
moisent? Croit-on, en rappelant les cent jours avec de pareilles
intentions, faciliter le dénouement du drame qui se prépare ?


( 43 7 )
(Nouvelles interruptions. Quelques rois r M'am endement !...)
Les cent jours ne devraient pas être rappelés, surtout par ceux
qui les rappellent...Cette époque, au reste, a été j ugée, appré-
ciée par S. M. elle-même ; et, ceux .quise prétendent les défen-
seurs exclusifs du trône devraient-ils se permettre d'attenter à
Pceuvre de sa sagesse? devraient-ils oublier qu'elle a proclamé
a qu'une nation tout entière ne pouvait pas.être criminelle, et
qu'il fallait oublier le passé quand on voulait consolider le pré-
sent?» (Vif mouvement d'approbation à gauche.)


Quoi qu'il en soit, messieurs, il demeura plus que jamais
avéré que la véritable question qui nous occupe depuis un mois,
qui nous occupera longtemps encore, est celle de savoir si c'est
dans l'intérêt de la masse de la France, et dans le sens du mouve-
ment actuel des élections, qu'il faut avoir une représentation, ou
bien s'il faut l'avoir dans l'intérêt de la majorité de1815. Cette
question se résoudra assez d'elle-même, aussi-long-temps que
la véritable, opinion publique sera- appelée par la loi à se pro-
noncer. La loi actuelle des élections a répondu sur le point de
Savoir quels étaient les..véritables représentans de la nation; -et
quand elle. a appelé les linsf.à la. place des autres',. il est' bien
hardi de venir déclarer, aux quatre cinquièmes des électeurs,
que les véritables représentans. de la, nation, sont précisément
ceux qu'ils réprouvent. Déjà . , lorsqu'il s'est agi des pétitions
relatives au maintien de la loi des élections,- on a osé signaler
comme des factieux laniasse. des électeurs du royaume, et l'on
ne s'est pas aperçu qu'on tendait ainsi à ébranler la•base la plus
solide qui puisse nous garantir un avenir sans trouble et sans
désordre Eh quoi ! le peuple français est parvenu à ce degré de
raison et d'instinct qu'il se contente de se voir représenter par
une véritable aristocratie, par les quatre-vingt mille citoyens
les plus riches de la France ! et c'est. là les factieux qui ont été
chargés de donner. des représentans à la nation ! et c'est cette
représentation qu'on réprouve I Est-ce-Tanarchie, est-ce le dé-
sordre qui parle par la bouche des quatre-vingt mille-citoyens
de France qui offrent le plus de-garanties à l'état ? et l'Europe
entière ne sera-t-elle pas. étonnée d'apprendre: que ce sont ces
gages de sécurité, ces élémens d'ordre et de paix- que nous sommes
obligés de défendre contre le gouvernement lui-même.?


Il reste à. savoir si l'alliance qui s'est . fitite . entre le gouverne-
ment et le parti qui, nous est opposé changera à ce point toutes
les idées, que ce soit à l'avenir au petit nombre à. représenter
les intérêts de la majorité? si, taudis que la révolution s'est faite
pour amener une égalité constitutionnelle, il .faut rétablir des'




t




( 433 )
privilèges au profit de ceux contre lesquels la révolution s'est
armée : car ce serait établir des




n
priviléces, en effet, que de con-


sacrer la loi d'élection proposée ? ( Foix à droite : Parlez sur
l'amendement ! )


Vous ne serez -pas étonnés, messieurs, que quelque chaleur
se soit mêlée à cette discussion, vous qui avez pu juger que nos
adversaires n'ont négligé aucun moyen pour essayer de la rendre
plus vive encore. La chambre se dira : Si je pouvais garder le
silence sur ce qui s'est dit aujourd'hui à cette tribune! elle sen-
tira combien il était important de profiter des circonstances pour
recueillir et fixer nettement dans cette séance , et les prétentions
de ceux qui disent que la contre-révolution est faite dans la
charte, lorsque naguère ils soutenaient qu'elle avait eu tort do
consacrer la révolution, et les motifs de leur alliance avec le
ministère; motifs qui ne sont pas les embarras du moment, ni
la nécessité pour le gouvernement d'un pouvoir extraordinaire,
mais le besoin, mais le desir de ramener ici ceux que la loi ac-
tuelle en a repoussés, d'y rappeler en un mot la majorité de 1815.
(Vif mouvement d'approbation à gauche.).


M. le ministre des affaires étrangères. Je n'abuserai point
de la patience de l'assemblée ; je sens parfaitement que le mo-
ment est venu de mettre un terme à' cette discussion ; mais,
messieurs, il est un point sur lequel je ne saurais lue taire, parce
que toutes les fois que le nom de la charte est prononcé dans
cette enceinte., par cela sent on y parlé à tous les intérêts les
plus élevés et les plus graves.


On s'est attaché de part et d'antre à dire ce que la charte
avait fait : on a dit d'une part qu'elle avait consommé la contre-
révolution, et de l'autre, que la révolution a été cimentée par elle.
Non, messieurs, elle n'a rien fait de tout cela; elle a donné à la
France ce qui lui manquait depuis vingt-cinq ans, la paix , le repos
et un gouvernement stable et assuré ; et par cela, elle a pris à la
contre-révolution ce qui vivait toujours dans le coeur des Fran-
çais, et qui devait en être pris pour rendre le reste impossible,
la royauté, la légitimité. (Très-vif mouvement d'adhésion.).
Elle a conservé (le la révolution tont ce qui devait l'être; elle a
garanti tons les intérêts sur des evénemens passés et accomplis;
elle a rendu justice à tous les mérites, à toutes les loyautés, et
reconnu tous les services rendus ; et c'est ainsi qu'en conser-
vant, en reconnaissant tout ce qui était utile , en récompensant
tout ce qui méritait de l'être, le Roi a fondé le gouvernement
représentatif, assuré notre bonheur et celui de nos descendans,
(Nouveaux raouvem en s .)


( 439 )


M. de Chauvelin, de sa place. La charte n'at-elle fait tout
cela que pour cinq anse


On demande généralement à aller aux voix.
L'amendement de M. _Benjamin-Constant est mis aux voix


et rejeté à une évidente majorité.
M. le président. M. Méchin e présenté un autre amendement.


Il tend à limiter l'effet de la loi au moment où une ordonnance
du Roi convoquera les collèges électoraux.


M. .Méchin. L'amendement que je propose se reproduit avec
non moins de force et de raisonque celui:que:rai présenté dans
la discussion sur la liberté individuelle. Assurément c'est au
montent où le gouvernement porte atteinte à la liberté indivi-
da:elle et à la liberté de la presse, que la liberté des élections
est indispensable. Sans être accusé de témérité , Sans être initié
dans les secrets du gouvernement , on peut croire que cette
chambre sera renouvelée fout entière ; on peut croire que le
nombre des députés sera considérablement augmenté, et que
tous les collèges de France seront mis en mouvement pour cette
élection générale. Or, de telles élections ne seraient-elles pas
viciées, si elles avaient lieu pendant la suspension de la liberté
de la presse? Quand je vois. un gouvernement réunir tant de
moyens de force et d'action ; quand je vois qu'il a des trésors
immenses à sa disposition, une si grande quantité de, fonction-
naires intéressés it le servir, j'ai peine à concevoir cornaient
ne se contente pas de sa puissance légale, et comment il croit-
avoir encore besoin d'une puissance arbitraire. En ce sens, il
est ou mal habile, ou ne mérite pas notre confiance.


Ainsi, quand, au moven des lois rendues, toutel'influence
sur les élections sera rendue an gouvernement, l'opinion, qui ne
peut en avoir d'autre que celle de la presse et des journaux, en
sera entièrement privée.


Il faut céder à son étonnement, quand' on voit-de telles pré-
tentions avouées, et de telles entreprises conçues. Examinons
cependant quel peut être le résultat de ce système ou les col-
leges, électoraux céderont partout à l'influence ministérielle, et
alors quel contrôle, quelle surveillance de l'administration pré-
sentera la chambre des députés? Ne sera-t-elle pas un vrai si-
mulacre? pourra-t-on direqu'elle est l'organe et l'expression de
l'opinion? D'un autre côté, je suppose que les électeurs, indi-
gnés de tant de mesures tyranniques , retUsent leur confiance au.
gouvernement, et fassent des choix hostiles contre son système
politique, n'y a-t-il pas lieu à un péril extrême; et peut-on en
envisager les conséquences?




( 44°)




Et cependant c'est au nom de la confiance qu'on réclame des
mesures semblables. Vous demandez de la confiance! mais don-
nez donc de la confiance en retour. Loin de là, tout ce que
vous faites, tout ce que .vous dites annonce de votre part une
défiance injurieuse à la nation : et de qui vous méfiez-vous? de
la haute propriété de France, des quatre-vingt mille plus riches
habitons de ce pays, dont vous regardez sans doute les élus
comme de vils prolétaires, indignes de siéger sur les bancs de
cette chambre ! 111essieurs, nous' avons dévoré long-temps de
semblables outrages; ils sont devenus intolérables.


Je n'irai pas réfuter les exemples tirés de l'histoire des peuples
anciens. Je n'irai pas vous parler d'Athènes et de Rome; le
rapprochement 'n'est pas heureux à l'occasion de la liberté de la
presse, et il y a peu de comparaison à faire entre Caton le cen-
seur et un censeur royal. Je termine cette discussion. Mon
amendement tient à l'essence du gouvernement représentatif :
s'il était repoussé, je serais forcé , je l'avoue , de douter de la
fidélité des opposons à ce système. Je nie borne à vous citer, à
l'appui de ma proposition, ces paroles d'un moraliste du quin-
zième siècle, bien faites pour continuer à éclairer le nôtre :
« Celui qui donne le branle à un état.est le premier absorbé par.
sa chute. Le fruit du trouble n'est pas pour lui : il brouille l'eau
pour d'autres pêcheurs. )) (Foix à droite : A l'application ! )J'insiste sur mon amendement.


.M. de Villèle. L'amendement sonnais est un de ceux qui
pouvaient être présentés avec plus de raison dans l'intention de
ceux qui pensent que les jmirnaux représentant, exprimant
l'opinion publique, doivent conserver leur influence sur les
élections. Si en effet les journaux étaient l'expression de l'opi-
nion publique, je serais de l'avis du préopmant... (Voix dgauche.: Ils expriment tontes les opinions!) Non, messieurs, ils
en expriment seulement l'excès et l'exagération. (Vif mouve-
ment d'adhésion au Centre et à droite.) Les cinquante, soixante,
cent personnes qui travaillent à la rédoetiOn des journaux, et
qui expriment telles et telles opinions dans tous les sens oppo-
sés, ne représentent ni n'expriment l'opinion véritable. Or,
voulez-vous laisser cette puissance des journaux influencer les
élections, ou prékrez-vous accorder momentanément cette in-
fluence au gouvernenient? De quel côté y a-t-il plus de danger?
Je crois qu'il y en a beaucoup moins du côté du gouvernement
que du côté des factions.




( Des murmures interrompent àgauche.... M. de Chauvelin : &mitons écou t ons !...) J'ai dit
qu'il valait mieux subir l'influence momentanée da gouverne-,


( 44 1 )
muent que celle des factions; je n'ajouterai qu'un mot : c'est sur
la nature de l'influence qui est le plus à craindre ; c'est cetté
élection de l'année dernière qui a produit un de ces scandales
les plus propres à prouver le danger de ces influences. Je vote
contre l'amendement.


On demande vivement à aller aux voix.
M. de Chauvelin. Dans une situation aussi grave que celle


où. nous irons trouvons, rien n'est plus avantageux que les dis-
mssions ; elles avancent et forment beaucoup • cette opinion.
publique, contre laquelle je vois qu'on se débat. en vain.


Cette séance a déjà donné lieu de prendre sur le fait deux dé-
clarations qui peuvent avancer beaucoup cette opinion publique;
mais ici je me renfermerai dans ce que j'ai à dire sur .ce que
vient d'énoncer le préopinant.


Je vrais, et je le dis dans l'intérêt de la question seulement,
et sans aucune prévention personnelle contre aucun des côtés
de cette assemblée, je vois ici les orateurs d'un côté qui votent
toujours ensemble, et auxquels je réponds, ne cesser de faire
leurs affaires dans chacune des discussions qui se présentent ,
et qui cette année . aboutissent toutes au même sujet; prêts à
toute espèce de concession, et à voter pour toutes les lois pro-
posées, quoiqu'elles choquassent le plus les lumières et l'esprit
j uste de ceux cLui font ces concessions. La condition de ce vote
est toujours le changement de l'ordre actuel des élections ,
parce que c'est le changement de l'état actuel de la France que
la charte a opéré; la charte, dont le nom seul est rappelé avec
respect, et dont la chose doit être détruite cette année !


On vous e dit qu'on ne voulait pas de journaux libres, parce
qu'ils disposent à leur gré du pouvoir des électeurs, et qu'on
aimait mieux le donner aux ministres. On n'aurait-pas dit, cette
parole il y a un mois ; pourquoi échappe-t-elle aujourd'hui ?
C'est parce qu'on a un ministère sur lequel on s'appuie molle-
ment, et on croit pouvoir se reposer en attendant mieux. (On
rit.) Ceci est sérieux, quand on fiait une concession aussi ex-
traordinaire. Nous nous rappelons , nous, ce qui a été dit par
les mêmes personnes contre le scandale de l'influence ministé-
rielle dans les élections. On préfère eu ce moment, dit-on,
l'influence ministérielle à celle des journaux! Voyons quelle est
cette influence ministérielle dont on desire l'aCcroissement .à
ce point. Ce sera, indépendamment de celle que les ministres
ont dans tous les temps, l'influence qui résultera du pouvoir
immense, annoncée .dans les motifs qui vous ont été apportés
par M. le duc Decazes, à l'appui du projet de loi d'élections ;




( 442 )
influente qui fera agir comme des automates, comme des ma-
chines, tous les fonctionnaires publics, tous les innombrables
agens du pouvoir, dépouillés dès-lors de la faculté de conserver
eux-mêmes quelques restes de leur propre estime.


Si a tant d'influence on veut joindre celle des rédacteurs de
tous les journaux, je vous le demande, à quel prix vient-on de
d'aire cette concession, n'est-ce pas parce qu'on est sûr de di-
riger dès aujourd'hui le timon des affaires dans les débiles mains
de ceux qui le tiennent encore? (Vive sensation.)


Rappelons-nous, messieurs, qu'au moment où la liberté de la
presse fit t réellement donnée à la France, qu'au moment où la li-
berté des journaux fut établie avec des restrictions, comme on l'a
dit avec raison, plus rigoureuses que dans aucun pays réputé libre
au monde, nous avons vu les auteurs des journaux qui sont mais
de sentimens et d'opinions avec ceux des orateurs auxquels je
réponds, s'applaudir de ce que cette grande conquête leur don-
nait enfin le moyen de former l'opinion publique , de les sauver
de l'espèce de discrédit dans lequel Us étaient tombés , d'éclairer
l'Europe , et de faire dominer en France leurs opinions. L'ora-
teur auquel je réponds n'aurait-il plus, ainsi que nous qui ne
réclamons pas la liberté pour nous seuls, une portion de jour-
naux qui pourraient continuer de parler à l'opinion suivant ses
vues? Pourquoi les journalistes d'une autre opinion auraient-ils.
plutôt que les siens disposé de la France? Ce n'est pas, certes,
qu'ils aient ni plus d'adresse ni plus d'astuce ; qu'ils soient plus.
ménagés, plus protégés, plus encouragés par l'autorité ; non,
mais c'est parce qu'ils /l'ont pas prétendu régenter la France,
qu'ils n'ont exprimé que ses voeux, qu'ils ont su -reconnaître
ses besoins, qu'ils ont bien observé, bien écouté , bien répété.
On tombe ici dans l'erreur de celui qui briserait l'aiguille de sa
montre, parce qu'elle indiquerait une heure qui contrarierait
ses arrangemens et ses projets , tandis qu'elle aurait été montée
par lui-même. (Nouveau mouvement.)


Oui, c'est parce que ces journaux ont vu où étaient ces in-
quiétudes et qui les excitaient, c'est parce qu'ils ont défendu
les principes, c'est parce qu'ils ont soutenu les résultats de cette
révolution qu'on nous dit avoir été renversée par la charte,.
c'est parce qu'ils ont signalé dès sa naissance ce système per-
turbateur qui déjà commençait à poindre dès les, dernières
élections, et qui s'est si fort agrandi, que ces journaux que vous
accusez ont acquis une si grande faveur ; en attaquant l'effet,
vous n'aurez pas détruit sa cause. (Mouvement d'adhésion à
gauche.) Je vote pour l'amendement.


( 443 )
On demande de nouveau à aller aux voix.
L'amendement de M. Méchin est mis aux voix et rejeté à la


même nutjeri té.
L'article premier est mis aux voix.


Hernoux. Messieurs, c'est au nom de la tranquillité pu-
blique et du salut de l'état, que les ministres du Roi , dans l'ex-
cès de leur sollicitude, nous appellent à dCibérer sur le point
de savoir s'il est convenable d'aj outer au sacrifice de la liberté
individuelle, celui de la liberté de la presse.


Ils ont. pensé, messieurs, qu'ils devaient obtenir de votre
confiance le droit d'étouffer arbitrairement la plainte en même
temps que celui de la faire naître ; et pour parvenir à ce but
important , ils ont cru devoir vous demander (le mettre à-la-fois
à leur disposition la publication des journaux , la liberté des
élections et le droit de pétition.


Ils vous proposent de laisser la liberté se fortifier à l'ombre
du despotisme ; de confier la garde de nos droits à l'arbitraire,
et d'assurer le maintien de l'égalité par les privilèges.


Je demanderai aux imprudens auteurs du pro j et de loi s'ils
ont bien réfléchi que nulle convention parmi les hommes n'est
obligatoire qu'autant qu'elle 'est religieusement exécutée par
chacune des parties contractantes ; je leur demanderai s'ils es-
pèrent qu'après avoir anéanti toutes les stipulations de notre
pacte fondamental qui constituent les. 5aranties accordées aux
droits imprescriptibles de la nation, ils pourront contraindre
cette nation justement irritée à respecter, dans le seul intérêt
du pouvoir, les débris d'une constitution qu'elle a eu la géné-
reuse confiance de recevoir de son Roi telle qu'il a cru devoir
la lui offrir?


Cette censure inconstitutionnelle , qui enlèverait aux cham-
bres le vmoen le plus puissant de juger de l'opinion publique,
et de connaître les abus dont les ministres et leurs agens peuvent
se rendre coupables , offrirait-elle du moins au gouvernement
ou aux particuliers de nouvelles et plus sûres garanties contre
les dangers qui menacent leur tranquillité? Non, messieurs , la
censuré détruirait toutes les garanties de sécurité que nous pos-
sédons ; c'est aux dépens de tous les intérêts qu'elle créerait le
despotisme et armerait les factions.


Vainement tous les journaux seraient-ils écrits sors la dictée
des ministres , et répéteraient-ils- à l'envi les louanges de leur
administration ; il n'en résulterait aucun bien'*pour l'état. Les
nouvelles mensongères et les doctrines mobiles des hommes
qui achètent le pouvoir à tout prix obtiendraient moins d'em-




( 444 )
pire que jamais sur des esprits forcés à la défiance; la vérité
même deviendrait suspecte dans la bouche d'un pouvoir armé
de la censure , et le gouvernement inhabile à démentir les ru-
meurs les plus vagues, impuissant pour repousser les accusations
les moins fondées, me trouverait plus dans la nation une con-
fiance qu'il aurait cessé de mériter. Les actes les plus iniques
de l'autorité resteraient ensevelis dans l'ombre ; la calomnie
privilégiée frapperait ses victimes sans qu'il leur restât l'espoir
de se défendre; l'honneur des citoyens, la paix des familles,
livrés aux attaques des agens du pouvoir, attendraient en vain
de nos journaux asservis cet appui tutélaire et désintéressé
qu'ils offrent à présent contre tous les genres d'oppression.


Et •c'est à vous, messieurs, qu'on ose demander la sanction
d'une mesure aussi pernicieuse ; à vous qui trahiriez à-la-fois
votre mandat et vos sermens, si vous permettiez qu'il fût
porté la plus légère atteinte à des droits sacrés dont la nation
vous a confié la garde, et non la disposition! Quels sont donc les
motifs qu'on allègue pour vous décider à braver l'indignation
nationale par une violation aussi manifeste de tous vos devoirs?
ll en est deux , messieurs; l'insuffisance de la loi actuelle, et
l'empire des circonstances.
. Mais avant d'arguer dé l'insuffisance d'une loi répressive qui
me semble plutôt trop sévère, il faudrait au moins que le gou-
vernement nous citât les délits qui n'y sont pas prévus ou suffi-
sainment punis; il y a, je ne crains pas de le dire, peu de
bonne foi à invoquer l'impunité des nombreux abus qu'on at-
tribue à la presse ; ce malheur, dont je reconnais la réalité , ne
faut-il pas l'imputer à l'incurie ou aux combinaisons peu scru-
puleuses des ministres? La poursuite des délits n'est-elle pas
confiée à leurs agens? ne sont-ce pas eux qui nomment les juges
chargés de prononcer? et enfin les jurys mêmes sont-ils autre
chose que des commissions à leur choix?


Avant de terminer, j'entreprendrai, messieurs, de combattre
en peu de•mots l'argument que le despotisme de tous les temps
et de toutes les espèces a tiré des circonstances pour se faire
autoriser à détruire les libertés publiques par des lois d'excep-
tion; j'examinerai cette dangereuse théorie de la nécessité,
peut-être trop facilement adoptée dans cette chambre.


Tant que les gouvernemens et les lois protégent impartia-
lement tous les droits et tous les intérêts , les résistances sont
faibles et les me-ens d'exécution sont immenses; au besoin, la
nation tout entière se lèverait pour maintenir un ordre de choses.
qui assure son bonheur.


( 445 )
Mais si lés lois sacrifient lés intérêts de la masse à cenx du


petit nombre, si les gouvernemens sont ou veulent devenir
'tyranniques, s'ils consentent à se rendre Pinstrument•des fac-
tions, alors, mais seulement alors , ils sentent le besoin des lsbis
d'exception ; il faut bien qu'ils opposent à la force réelle dela
nation opprimée, la force passagère et factice de l'arbitraire.


Obligés de multiplier les victimes dans une progression crois-
sante comme la. haine qu'ils inspirent, ils ont bientôt plus
d'ennemis que dé défenseurs, et succombent enfin sous le poids
de l'indignation générale qu'a soulevée contre eux le despotisme
qu'ils exercent ou celui qu'ils autorisent.


Je le répète, messieurs , il n'est aucune circonstance qui
puisse rendre l'arbitraire nécessaire aux gouvernemens qui
Veulent marcher dans les intérêts nationaux; ils trouvent tou-
jours assez de force pour faire exécuter des lois qui sont chèresà tous , ou du moins à l'immense majorité.


L'adoption d'un système d'exception est le signe assuré que
les gouvernemens séparent leurs intérêts de ceux des nations,
et qu'ils cherchent ailleurs une force qu'ils ne trouveront plus
dans leur attachement; la nécessité n'est qu'une grossière
excusa dont ils colorent leurs desseins.


Plein de respect pour mes engagemens , d'amour pour la
liberté de mon pays, de haine pour toute idée subversive de
l'ordre établi, et jaloux pour nia part d'épargner au gouver-.
riment une faute grave qui compromet sa sécurité comme celle
'de l'état, .je vote le rejet de l'article.


On.demande à aller aux voix.
L'article i . er est mis aux voix et adopté en ces ternies :•
cc La libre circulation des journaux et écrits périodiques,


» consacrés en tout ou en partie aux nouvelles et aux matières
» politiques, paraissant soit à jour fixe, soit irrégulièrement
» et par livraison, est suspendue temporairement jusqu'au délai


ci-après fixé. n
M. le président lit l'article 2. —On demande la continuation


au lendemain -: la chambre la prononce.
La séance est levée à 6 heures.


Séance du 28 mars.


L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion de la
loi sur les journaux.


M. le président lit l'article 2, ainsi conçu : Art. 2. Aucun
desdits j ournaux et écrits périodiques ne pourra être publié




( 446
)


» qu'avec l'autorisation du Roi. Toutefois les journaux et
D> écrits périodiques actuellement existons, continueront de
» paraître en se conformant aux dispositions de la présente loi.


Caumartin. Messieurs, mon amendement a pour but
d interdire à tout. journal de pouvoir, en tout ou en partie,
s'arroger le tire d'officiel. Mes motifs sont puisés dans le resp
que nous devons aux droits de chacun , et clans l'inutilité et
inconvéniens de la mesure contraire.


Je me demande d'abord ce que doit être un journal officiel et
ce que peuvent etredesjournaux semi-officiels. Le premier est
un j ournal sur lequel le ministère appose son cachet, et dont
se sert pour transmettre au public ses actes, ses doctrines, et
dont la rédaction entière est son fait. Une feuille périodique
peut être semi s


- officielle de deux manières, ou-en recevant du.
gouvernement la communication officielle de ses actes, et se,
chargeant à la suite de donner, sous la dénomination de non-offi,
cie'1e-, des articles de doctrines communiquées par lui, ou en ne
se trouvant chargéeque de cettederniére espèce de commucations.


je sais que jusqu'à ce jour nous n'avons pas eu de journaux
officiels proprement dits; tuais ils peuvent paraître , et s'ils sont
dangereux, il faut les proscrire. Quant aux feuilles serai-offi-
cielles, nous lés connaissons toutes, et personne aujourd'hui
ne se méprend sur leur caractère distinctif.


Vous savez„. messieurs, que l'égalité des droits de chacun est
le premier article de notre loi politique; c'est le pivot sur lequel
elle roule, et auquel on ne peut toucher sans risquer d'en dé-
truire l'équilibre. Vous ne le sauriez pas, que vous ne tarderiez
pas à vous -en . apercevoir , par l'ardeur avec laquelle les amis
des privilèges renouvellent .contre ce point leurs attaques infit-
tigables. Portons-nous-y donc pour le défendre avec le même
zèle; et partant de ce principe et de ce fait, dès:Pinstant qu'il s'a-
git de l'intérêt: de plusieurs, nous pouvons nous attendre qu'il
se présentera- un privilège, et notre devoir est de le combattre:


Si les journaux, par la censure ministérielle, doiventétre tous
trempés dans la même couleur, ou rabaissés. au même niveau,
il est évident qu'ils ne seront pas plus, ou qu'ils seront autant
officiels les uns que les autres. Dés qu'ils ne pourront nous
dire que ce que le ministère leur permettra de dire, e'est comme
si le ministère nous le disait lui-même par ses divers organes.,
qui seront assujettis à son inspection ; pourquoi donc s'en élé,
verait-il un qui s'arrogerait le titre d'officiel? pourquoi , parm
eux, en autoriseriez-vous un à donner ce titre d'officiel à dés
communications qui lui seraient- adressées de préférence,


(,447)
dont les autres seralentréduits à n'être que des copistes? Ce
serait accroître les inconvéniens de la censure pour ces derniers,
sans aucune nécessité. La faveur doit cesser dès que la rigueur.
pèse, et l'inégalité doit s'arrêter à la porte du bagne, où, pour
la sûreté de tous les individus, vous croyez utile d'en enchaîner
quelques-uns.


Le but d'ailleurs des communications officielles du gouverne-
ment , est de faire connaître, par ce ministère des ;journaux,
ce qu'il fuit, ce qu'il pense, om . çe qu'il sait. Mais la connais-
sance seule des actes du gouvernement est utile, et doit être au-
torisée par vous; quant au surplus rien ne vous garantit que
la propagation de ses doctrines. ne sera pas dangereuse, ni
que son savoir ne sera pas de l'ignorance. S'il importe que
l'on connaisse les actes dn gouvernement, la plus grande et la
plus prompte publicité devient un devoir pour lui et un besoin.
pour la nation. Comment, se Tait-il donc que, jusqu'à ce jour,
pour opérer la transmission officielle de ces actes, il ait choisi
le journal qui, par son prix, est le moins à la portée des
moyens, de tous,, qui ainsi compte le moins.. d'abonnés, et
qui est encore inconnu dans tant de localités?' On dirait ,. ers
vérité, que le gouvernement a imité sur ce point'. ces écoliers
indisciplinables, qui, attreintefic . remplir un devoir, prennent,
par dépit, le meilleur moyen. de le mal faire.


Puisqu'on ne peut disconvenir que, pour que la publicité
soit utile, il faut qu'elle soit' prompte et répétée autant que
possible, il ne faut plus que le ministère s'attache de préférence
au journal le moins répandu 5:W-faut que la transmission (le ses
actes soit simultanément fuite à toutes. les feuilles quotidiennes
qui paraissent dans le lieu où siégé le gouvernement : ce sera
pour ses bureaux une bien.légère augmentation de travail,
comparée à l'utilité qu'en retirera le public, et il est bon de
songer quelquefois aux intérêts- de ce dernier.


Vous avez imposé aux journaux, par l'article 8 de votre loi
du juin , Pold i gai i ou. d' inscrire les publications, f qui
leur seraient adressées à cet effit par gouVernement, le lende-
main du jour de l'envoi de ces pièceS,.sous la seule condition du
paiement des fiais d'inscription. Cette disposition doit être
aujourd'hui restreinte aux seuls actes du gouvernement, tels que
ses lois et ses ordonnances. Quant aux instructions, elles n'inté-
ressent que ceux qui sont chargés de les exécuter;. il est si sou-
vent arrivé. 'qu'elles sé sont trouvées en contradiction avec
l'esprit et lalettre des lois et des ordonnances, qu'en vérité cela
ne vaut pas la peine de les faire jouir du moindre privilège.




( 448
)


J'ai dit que les doctrines du gouvernement pouvaient parfois-
âtre dangereuses, ou du moins que rien ne nous garantissait
qu'elles ne le fussent pas quelquefois. En eflèt , 'on ne peut
s'empêcher de reconnaître dans l'ordre politique deux intérêts
divers et presque toujours opposés, celui du. pouvoir, et celui
des gouvernés; car s'il n'y avait pas divergence, et quelquefois
opposition entre ces deux intérêts, tellement qu'on dût en
principes les regarder comme confondus dans le même signe,]
d'où viendrait cette nécessité de contrôle, ce droit de pétitions,!'•
cet appel aux gouvernés de concourir à la confection des lois
d'en surveiller l'exécution, d'en accuser et d'en punir même
les infractions dans l'ordre le plus élevé ? Il y a donc opposition
naturelle et même légale entre ces deux intérêts ; or, s'il y a.
opposition entre ces intérêts, les doctrines qui-lie sont que le
développement théorique de ces mêmes intérêts, peuvent sou-
vent ne pas s'entendre; leur collisiOn ne peut devenir dangereuse;
et irdoit être libre à chacun d'en prendre ce qu'il trouvera con-
venable; mais il ne peut être assujetti à leur soumettre sa pensée,
comme il est tenu de soumettre sa conduite aux actes du gou-
vernement, qui ne lui apparaissent que comme l'expression de
la volonté générale.


Si donc ces doctrines ministérielles ne peuvent pas être cons-
tamment accompagnées de la garantie qu'elles ne seront pas en
opposition avec l'intérêt des gouvernés , on ne peut réclamer
de ces dernières de donner un privilége à une propagation qu'ils
ne croiraient pas nécessaire, qu'ils jugeraient même dangereuse,
et encore moins leur en faire supporter les frais.


En un mot, ou ces publications officielles, qui n'auraient' 4
que les doctrines pour objet, sont une •faveur pour les journa-
listes , ou bien une charge qui leur serait imposée : dans le
premier cas, la justice veut que tous y puissent prétendre ;- ét
dans le second , le danger doit être également supporté par
tous. Je vous avoue qu'à ce sujet je crains bien que, pour la
plupart, la charge ne 'paraisse plus pesante que la faveur profi-
table, surtout quand j e vois que ces journaux,


• qui sont' les
messagers habituels du gouvernement, sont, précisément .ceie:
dont la fortune est la moins brillante. Mais au reste ce sera -il!
inconvénient qui s'affaiblira nécessairement en se généralisant
comme .


cela doit toujours arriver : la justice dimintiera
nombre des plaintes.


Il m'est encore arrivé de dire plus haut que je n'étais pa41
.frappé de la nécessité de l'établissement d'un privilége , poile
connaître ce que le gouvernement pouvait savoir, parce\ que''


( 449 )
snit'vent sa science n'était pas à l'abri de l'erreur. D'abords
comme, par le secours de la censure, je m'attends que l'on ne nie
dira de ce qu'on sait que ce qu'on voudra, je n'ai pas besoin
de donner un privilége dont on se servira pour me laisser dans
l'ignorance de ce qu'il m'importerait de connaître. La volonté
ou le caprine du gouvernement lui tiendront lieu, à cet égard,
de toutes les concessions que je pourrais lui faire. Si du moins
je pouvais espérer qu'avec la cerisute le gouvernement par-
viendras mieux savoir ce qui se passera au-dehors de son enceinte,
et se décidera à me le dire franchement, à coup mie je pourrais
déféreri Sa.volonté, parce que le résultat m'en serait utile
ainsi qu'à lui; mais si, au contraire, par la censure, le gouver-
nement sait moins bien que par les j ournaux libres ce qui se
passera en France, je n'ai pas besoin de lui donner un privilége
pour me Lire savoir d'une manière toute particulière ce qu'il
ne saura pas, ou ce que je saurai peut-être inieu i que lui.


J'appelleà mon secours un homme connu pour n'avoir jamais
été dans sa•Conduite en contradiction avec les principes qu'il lui
arrivait de professer, et qui, s'il vivait aujourd'hui, ne rougirait
pasdejoindre au titre de ministre fidèle Celui de ministre popu-
laire. Voici une.lettrè écrite de la main de M. Malesherbes , qui
nous apprend qu'au bon temps de la censure, des lettres de cachet
et des .nriviléges, le gouvernement n'en était pas phis instruit sur
ce qu'il lui importait de savoir, Cette lettre, adressée au précep-
teur de M. le dauphin, .accompagnait l'envoi de mémoires
imprimés par le plus pur patriotisme, et destinés à l'instruction
de cet auguste élève. En voici le dernier paragraphe : cc Au


reste, je sens parfaitement, monsieur, qu'il y aurait eu de
» l'inconvénient à laisser transpirer la correspondance qui est
» entre yous.et moi à ce sujet, et je sais que nous vivons dans
» un siècle et dans un pays où on fait un crime de s'instruire et
• de s'intéresser au bien public à tous entres qu'a ceux qui
» ont un brevet pour cela, C'est ce qui fait que ceux qui oui-
» vent dans les grandes places ne savent ordinairement rien et
» n'ont plus le• temps' dé rien apprendre. Je suis, etc., de
» Lamoignon de Male Berges. Paris, 28 mai 1 7 5 9 . »


Vous le voyez, messieurs , on tremblait dans ce temps-là de
dire ce que l'on croyait utile; il fallait un brevet pour s'instruire,
il en fallait un pour s'intéresser au bien public; on en faisait
un crime à tout autre, et vous savez de quelles ressources
étaient les lettres de cachet pour prévenir les fautes ou pour
Punir celles qu'on ne voulait pastonjours déférer aux tribunaux<
Toute -conunnnication libre des lumières était interdite; aussi.


29




( 45° )
ceux qui arrivaient aux grandes places ne savaient commun“
ment rien, et une fois paivehns , n'avaient plus ni le temps ni
les moyens d'en apprendre davantage. De pareilles réflexions
vous paraîtront peut-être entachées de libéralisme ; et je ne sais
si je dois m'en affliger. pour celui qui les a fiites en 759, mi
m'en applaudir pour ceux qui s'honorent à juste titre de re'
garder ce vertueux citoyen comme un libéral du temps passé. ,


Après avoir parlé de l'injustice et de l'inutilité qu'il yi n ei
permettre qu'il parût des journaux revêtus plus ou moins d'in
caractère officiel , il me reste à vous parler des inconyénien
de cet abus, et vous allez voir le cercle de lues observation
s'agrandir.


''fout le monde convient que la liberté de la presse devaitfi
avoir ses abus; mais on-avoue plus difficilement que des abus;-,
qu'il est toujours possible de punir, dussent être jamais u4.
prétexte d'anéanti sr la liberté. Néanmoins on a raisonné ainsi;
et on s'est 'dit : Une faculté dont on peut prouver les abus
doit être restreinte : Ins,done aurd d'abus d alléguer,
plus aisément nous obtiendrons la restriction desirée. Lois-
sons donc les abus se multiplier , aidons-lés même ,
nous serons plus têt débarrassés de leur source. Il est difficile
de croire que ce n'est pas ainsi que le ministère a raisonné à
l'occasion de l'émancipation des journaux, quand on réfléchit
sur sa maladresse dans ses poursuites , son hésitation dans l'ap--
plication des peines répressives , son empressement à les rem-
p•acer par des mesures préventives , et surtout sa desolanie
partialité, dont heureusement il ne fait plus aujourd'hui un
i'ustère.


Un des moyens les plus eus qu'il ait employés pour accroître
la licence des journaux , pour avoir ensuite plus de raisons de
s'en plaindre, est, àmon avis , d'être descendu lui-même dans
Patène, et de s'être 'présenté pour se mesurer, sous une ban-
nière anonyme, avec tous ceux (pli ont paru à l'entrée du Camp. ,
En butte à deux partis opposés, par son rêve de créer à lui s:-ul
un parti 'mitoyen , il s'est trouvé tout-à-coup . exposé aux traits
qui lui arrivaient de tous les côtés , et qui lui étaient lancés avec,
d'autant plus d'ardeur, qu'on espérait atteind'•e celui quise ca-
cludtsous un déguisement qui avait l'apparence de promettr e ,
l'impunité. Aussi, dans une pareille lutte, les forces du mi-
nistère ont été bientôt épuisées ; l'impuissance a engemW
l'humeur ; et, forcé de renoncer au combat, l'athlète découragé,
en déposant ses armes, ne s'est consolé dosa défaite qu'en nour-
rissant des projets de vengeance; et c'est sans doute pour cola


que nous avons vu les foudres du ministère Venger les injures
reçues par le journal semi-kifficiel. A ces traits, messieurs, ne
reconnaissez-vous pas ce quia dû souvent arriver aux rédacteurs
-occultes du illôniteur, , du Journal de Paris, et d'autres de
cette *espèce?


114.1 s messieursy souffrez que je me laisse aller à. une idée
consolante qui ne m'abandonne jamais. Des obstacles sans nom-
lire • se multiplient contre l'établissement du régime constitu-
tionnel triompliera-t-il de cette lutte? Je le pense, je le crois,
et voici les londoniens de mua conviction :


L'histoire connue du genre humain nous fait remarquer quel-
ques grandes époques que l'ignorance peut regarder comme for-
tuites, niais dont une réflexion éclairée trouve la nécessité dans
ce qui les a précédées, et la démonstration dans•ce qui les a
suivies.


Le dévergondage d'un polythéisme tombe dans le mépris ne
. suffisait plus ni aux-besoins de la morale, ni à l'état social' de
l'époque dont j'ai à vous entretenir; d'autres idées religieuses
devenaient nécessaires, et étaient appelées à remplacer un culte
qui-, créé pour le plaisir des sens, avait péri. par leur satiété.
Le christianisme parut ‘, et• il jeta de suite de profondes racines,
parce qu'il était alors ce qui était nécessaire, ce qui était appelé
par tous les besoins, et qu'il ne détruisait que ce qui n'existait
déjà plus. En vain des persécutions cherchent à l'étouffer dans
son berceau, en vain des divisions intestines déchirent son en-
fance, en vain est-il souvent menacé de succomber par les excèS
même de sa prospérité; il a résisté et il possède .


encore aujour-
d'hui le trône que , dès son origine, il avait conquis sur les
maîtres du monde. Premier exemple du succès infaillible des
institutions qui arrivent à temps parmi, nous.


.Mais du sein même des écartsde ce nouvel être, de la com-
bina•son gigantesque d'un pouvoit temporel sans bornes, appuyé
sur un pouvoir spirituel indéfini, partent des éclairs gin font
apercevoir que la vérité peut bien ne pas être sans erreur, -et
servent à distinguer l'abus de sa source salutaire. Des inécon-
tenteinens arrivent en- même temps que les lumières se propà-
'gent , les' esprits s'irritent par le choc continuel dés plaintes, et
mie étincelle, partie du fond d'un cloître obscur, -fait éclater la
réformation. Ainsi que l'institution primitive, la nouvelle a
Missi ses persécutions à souffrir, ses divisions supporter; mais
forte comme elle est des circonstances qui l'ont fait-naître-et des
abus qui Petit appelée, elle triomphe des foudres dn Vatican ;
et ce qui était pour elle d'un -plus.grand danger, de la coslition




( 45ti
armee des int érêtstemporels. Ceux-ci, à la fin plus éclairés sur la
véritable situation des •choses, ont cédé à cette innovation. On
peut croire qu'ils'n'Ont pas lieu de s'en repentir, en comparant
la prospérité de leurs états à celle de ceux .qui ont gardé la
croyance primitive, et sur lesquels ils ont encore l'avantage
d'avoir été exposés à moins de revolutions et d'en avoir fourni
moins d'exemples. On pourrait même tirer de cette dernière
observation, la preuve que ce m'est pas sur tel autel plutôt: que
sur tel autre, que les trônes sont le plus solidement appuyés,
comme le prétendent-ceux qui parmi nous compromettent une
religion . dont ils se nroient les défenseurs privilégiés, en la pre-
nant pour un levier politique.


La réformation me paraît donc une seconde époque remar-
quable


par la puissance des abus pour établir un nouvel ordre
de choses.


Me voici, messieurs, arrivé à l'époque de nos jours. Jn.s
idées religieuses subsistent, mais elles ont perdu de leur force,
et on ne peut s'empêcher d'en convenir. Les aines cependant
ne sont pas moins actives, ales idées politiques me semblent
s'emparer de la place qui leur a été abandonnée. Le pouvoir
arbitraire est usé, malgié les efforts que l'on fait pour le rajeu-
nir et pour masquer sa décrépitude 5 les monarchies absolues
sont sur le point de s'éteindre, accablées de leur propre vétusté.
Le règne des idées superstitieuses, des préjugés fabriqués, des
institutions usurpées est passé. Celui de la justice et de la raison.
arrive,. et celui-là seul peut se fonder, parce qu'il est seul en
rapport avec ce qui existe. Ainsi que dans le corps humain , on
a vu des maladies cruelles affliger à certaines époques son exis-
tence , braver tous les remèdes, le menacer même d'une des-
truction inévitable, disparaître cependant et n'être plus connues
aujourd'hui que par-le souvenir de leurs ravages. Ainsi nous
devons voir s'éteindre tous ces virus politiques à qui la force
avait donné la naissance et que l'ignorance avait entretenus. La
légitimité de la force le cède aujourd'hui à celle de la raison , et
Vignot


-suée g disparu devant les lumières. Les monarchies abso-
lues tombent par la seule raison qu'elles ont existé long-temps.
Par-tont elles seront remplacées par des institutions constitu-
tionnelles qui s'étendront bientôt sur la surface du inonde entier.
Ainsi que la religion chrétienne, la religion constitutionnelle,
si je peux ire servir de ce terme, aura à compter ses persécu-
tions, ses divisions, les excès même de ses plus zélés sectateurs;
elle aura ses martyrs, ses hérésies , ses abus. Elle pourra être
arrêtée dans sa marche; mais vous ne la verrez jamais rétrogra-


( 45)
der, jusqu'à ce que son triomphe soit complèt ; parce qu'elle est
ce qui est nécessaire, et que ce qu'on l'accuse de détruire n'existe
déjà plus en réalité. Comme ces corps légers qui, jetés dans un:
fleuve rapide, obéissent à-la-ibis au courant qui les entraîne et
à la loi qui les ramène constamment à la surface, triomphent
de la fureur des flots, bravent les abîmes dans Lesquels on les,
voit entraînes et vingt fois submergés, vingt fois reparaissent à
la lumière, jusqu'à ce qu'enfin ils soient recueillis par la main
qui pourra les utiliser; ainsi, messieurs, les institutions. cons-
t i tutionnelles triompheront de tous les obstacles qu'on leur'
suscitera, et seront recueillies par l'universalité des peuples qui
les attendent. Puisse cette vérité faire renoncer aux efforts qui
s'opposent à leur développement! il 'y aurait du temps à gagner..
et bien des maux à: épargner.


Je vous propose d'ajouter seulement à l'art. 2 ces mots :
» Sans que nul d'entre eux puisse jamais prendre en tout ou en
partie un titre officiel. ».


M. Cornet-d' ken urt. Jen"esseierai pas de réfuter l'orateur
par une bonne raison, c'est que je ne.l'ai pas entendu. (On rit,
et des murmures s'élèvent.) . •


Il a prétendu qùe le journal qui reçoit les communications
du gouvernement. et qui imprime ses actes, jouissait d'un privi-
lège. Il me semblè quihne serait: pas plus possible d'interdire au
gouvernement la l'acuité de faire imprimer ses actes dans le
j ournal-qui lui plaît, ou de l'obliger à les faire impriMer dans:
tous les journaux, qu'on ne pourrait obliger la cour royale à ne
pas faire imprimer ses actes, ou à les faire imprimer par toue
les journaux de Paris, ou bien le préopinant lui-même à ne pas
livrer son discours à l'impression , ou à le faire imprimer à-la-
Ibis par tous les imprimeurs de Paris. -Je pense que la proposi-
tion du préopinant ne peut pas être admise.


NI. Caumartin. Il m'avait toujours semblé,, messieurs, que
pour répondre à un orateur il fallait d'abord l'avoir entendu.
( On rit ), Je réponds à son observation : je ne m'oppose nulle-
ment à ce que le gouvernement ait . un moyen de publier ses>
actes, niais je m'oppose à ce qu'il les transmette de préférence.
et par privilège à un seul journal.. La publication des actes du-
gouvernement est un acte (Futilité publique. Cette publication
doit être la plus rapide possible, elle, duit s'étendre à tous les"
lieux; et. si les actes du gouvernement étaient à-la-fois publies:
dans les journaux, cette publication serait beaucoup plus utile
que celle faite avec l'attache d'un seul journal.


Al le ministre des affaires étrangères. Je ne crois pas qu'on..




( 454 )
puisse refuser au gouvernement, à titre particulier, le 4roit:cte
signer ses actes et de les faire insérer avec L. signature légale là
oit il le trouve convenable ; c'est un droit qui appartient à tout le
inonde, et qui ne peut pas être plus refusé au gou vernement qu'à
pn particulier Il y a pour le gouvernement et pour le public itir
intérêt réel à ce qu'il y ait un


.
ournal affecté pour faire connaî-'




tre Jes actes du gouvernement ; ,journal saur lequel tout le monde..
ait les yeux pour y chercher les actes du gouvernement, journal
enfin dans lequel le public soit sfir de trouver tout ce qui est:.
officiel, imprimé avec correction et exactitude.


On demande à alleraux voix.
L'amendement. de M. Caumartin est mis aux voix et rejeté à


une forte majorité.
Tronchon. Messieurs, dans l'article


.2 qui est soumis à/a . d iscussion, les m ets sans ?autorisation da
, se traduisent


nécessairement pa r
ceux-ci, sa7z. ?autorisation des ministres.


"Il ni'a paru qu ainsi ttraduits -,;i1eeiposaient .si clairement la
pensée de détruire legonvernement représentatif, qu'il devenait
imposSibled'accorder cette mesure aux;ministres sans se rendre. .
complice de l'attentat médité contrela forme de gouvernement 4
que le-Roi-a voulue pour la France, et que la France veut con-
server.




On.a dit millé" foislue le gouvernement représentatif ne pou-
vait exister sans.la liberté de la


.
presse. Il faut dire pourquoi,


et l'on reconnaîtra plus facilement ce que l'on se propose en_
voulant supprimer cette liberté.


Le gouvernement représentatifest un gouvernement dans le-
quel tous. les individus qui composent la nation , sont reconnus
avoir des droits et des intérêts, mais dans lequel aussi se trou-
vant trop nombreux pour délibérer et agir tous par eux-mêmes,
ils se voient, par la nature des choses, forcés


. à confier 'à- une.
partie d'entre eux, la défense et l'administration de leurs
rets. C'est tune grande société qui ne peut se passer d'avoir une
multitude d'agens qui suivent ses immenses relations, et qui sti-
pulent pour elle. Pour que cette grandesociété puisse se soutenir.jet prospérer, ne lui faut-il pas des moyens de connaître chaque.our ce que ses nombreux avens liant pour elle? Eh bien: c'est.
cette tache qui , dans un gouvernement représentatif, doit être
reMplie par les journaux et écrits périodiques qui traitent de
matières politiques. Ils sont le tableau que chacun des intéressésj la chose publique doit, s'il le veut, pouvoir consulter chaque.our pour connaître tout ce qu'il lui importe de savoir,


( 45.J )
Si vous: exigez., que l'on ne publie que ce que tes ministres


voudront qui soit publié, il y aura un despotisme mi nistériel, t
non un gouvernement représentatif, puisque les représentés ne
verront du tableau des opérations • faites par eux et en leurs noms..
et avec leur argent, que ce qu'il plaira aux ministres çie leur
faire voir. Il •n'y aura pas jusqu'au- Roi lui-même, qui ne soit
assujetti à ne voir que ce que les ministres voudront bien qu'il
voie et qu'il sache. 'Vainement dira-t-on que-cette mesure n'est
demandée par • lés ministres que tem pora ire-nient. Cependant
lorsque mcssieurs • tes ministres sont venus demander la ses--
pension de la liberté. de Li presse.pour les journaux, pour com-
bien de temps l'ont-ils demandée ?. Pour cinq ans. Je demande
alors à tout homme de bonne foi, si c'est une suspension tem-


piiraire que•les ministres pouvaient avoir en vue, lorsqu'ils pro-posaient une suspension de cinq ans, pour une chose qu'ils re-
connaissent être le principe vital du gouvernement représentatif?


Ce fait seul nie suffirait pour prononcer, comme juré, que
les Ministres se sont proposé l'anéantissement de la liberté de
la presse et l'anéantissement du gouvernement représentatif,
qu'ils savent ne pouvoir subsister sans elle. Je voté contre l'ar-
ticle et contre la loi. •


M. Basson. Faut-il aggraver une loi déjà trop sévère? telle
est la question. Or, l'art. z entraine.une véritable aggravation.
Tout homme doit pouvoir embrasser la profession qui lui con-.
vient, sans avoir besoin: peur cela d'une autorisation spéciale.
Or ici, si l'on conçoit le besoin d'une autorisation lorsque la
censure n'existe pas, peut- on le concevoir lorsque la censure
existe ? Pour-moi, je ne saurais imaginer que le gouvernement


-


ayant à son pouvoir tous les moyens d'empêcher les journaux
du dire ce qui ne lui conviendrait pas, pourrait vouloir encore-
Ies obliger à obtenir une autorisation.


L'article er était conçu en ternies généraux t l'amendement
adopté par la-chambre des pairsn établi que les journaux exis-
-tans avec autorisation : n'auraient ets besoin d'en obtenir une
nouvelle, mais pour les.journalistes futurs ; car il peut s'en pré-
senter ; quoique l'établissement de la censure ne soit. pas -cet
égard fort encourageant. Ainsi, vous établissez une •différence
entre les journaux exista ns et ceux qui pourraient s'établir. "Vous,
établissez un privilège en faveur du premier ; il y e une inégalité•
-choquante entre les journalistes breveté par la loi et ceux qui
auront besoin de demander 'l'autorisation au gouvernement ;


violer le Principe de l'égalité établi par la charte- c'était





( 456 )
bien assez d'avoir violé l'article 8, qui garantit la liberté de la
presse. Je vote le rejet de l'article 2.


M. le ministre des affaires étrangères. Les journaux exis-
tans avaient obtenu l'autorisation nécessaire pour continuer à
paraître; l'objet de l'amendement de la chambre des pairs n'a
été que de les exempter de l'obligation de demander une auto-
risation nouvelle.


Demarçay.'Il a des journaux qui n'ont point obtenu
l'autorisation qu'ils demandaient.


.M. Benjamin-Constant. Les journaux qui ont été établis
depuis la loi de 181 9


n'ont pas eu besoin d'autorisation : ils ont
été assujettis à un cautionnement. Il en résulte que si


'VOUS auto-.
riiez les journaux préexistans par le texte de votre loi nouvelle,
vous établissez en leur faveur un monopole et un privilège. La
loi a bien assez (le vices sans cela.


M. de Villèle. Je crois qu'il est impossible de nier la néces-
sité d'exiger une autorisation du geuvernement pour qu'Un:70u u-
ns] paraisse : ceci est de la plus haute importance. En effet, une
des pénalités établies par la loi, est la suspension ; et; en cas
d'un délit par récidive, la suppression. Mais si l'on supprime
un journal existant aujourd'hui, et que• demain les niàlleS éd i-
teurs, les mêmes rédacteurs, avec des changernens de titre ,au
d'imprimeur, puissent. le faire reparaître, votre loi est 11
L'article qui maintient la nécessité de l'autorisation est donc
dispensable.


On demande la clôture de la discussion.
M.Méchin réclame la parole. — On insiste.


Méchiiz. Je demande la parole contre la clôture de la
discussion.


On insiste à droite.
Médiin. Messieurs, l'article


•que vous discutez est très-,
important. La profession de journaliste est une profèssion tout
Comme une autre. Là loi a déterminé des conditions; les jour,
eaux existans s'y sont conformés; tous les autres doivent: avoir
les mêmes droits; s'ils en abusent, n'avez-vous pas tous les.
moyens de prévention? que craignez-vous, n'avez-vous pas la
censure ? n'avezvons pas les-lettres de cachet ?... (111ouvernets
à droite.) Quellesoifinsatiable d'arbitraire ! où nous mène-t-on ?•
oà veut-on aller ? N'est,ce pas une vaste conspiration contre
toutes les libertés du peuplé français ?-(Nouveaux mouvemens


centre et à droite.) Les articles 2 et 3 du projet sont inutiles.
Si les journaux se rendent coupables, vous les punirez; mais
vans.


pouvez pas même, les punir, puisqu'ils sont censurés,


( 4 57 )
Le censeur est:-seul responsable . Je'deniande le rejet- de _
( On demande à aller aux voix.)


le président. Je mets l'article aux voix.
.114«. de Chanvelin. Et l'amendement de M...Busson 2
M. le président. La proposition de M. Basson n'est point


un amendement. Il a demandé le rejet de. l'article.
•L'article est mis aux "VOIx et adopté.




•.


M. le président lit l'article 3, ainsi conçu « Art. 3. L'au-
torisation exigée par l'article précédent ne pourra être accordée
qu'à ceux qui justifieront s'être conformés aux Conditions pres,
cites par l'article 1.." de la loi du. 9 juin /819. ». -
.M. Dernarçay. Les journaux existans à l'époque où la der-


nière loia été rendue, ont été assujettis au cautionnement ; depuis
il s'est formé des entreprises de journaux qui ont été astreints
-à la même nbligation. Les entreprises qui subsistaient antérieu-
rement à la loi, ont fait leur cautionnement d'après les•éné,-
lices qu'elles feraient et ceux que la loi leur promettait ; il en
été de même des journaux établis postérieurement à cette même
loi. . •


Des cautionneniens ont été établis pour garantir. le paiement
des amendes auxquelles pourraient être condamnés les éditeurs
responsables des journaux ; . aujourd'hui qu'il n'y aura 'plus de
liberté des journaux , qu'ils-seront soinnis à la censure, il estjuste qu'ils soient replacés dans le même état °à ils étaient avantla loi du e juin. Les eautionnemens qu'ils fournissent sont com-
plètement. inutiles, puisque, y a des torts dans les journaux,
ces torts seront en dernière. analyse le résultat de la conduite
des censeurs. Or, l'obligation de fournir un cautionnement a
coûts-des sacrifices à ceux qui les ont•lits.


Les entreprises de journaux qui ont eu lieu depuis la loi du
9 juin, ont été fondées sur les avantages que leur promettait la
liberté de la presse ; cette liberté étant . enlevée, il en résulte
qu'elles sont privées de ces avantages qui leur étaient garantis
par la loi du 9 1.1 111 vous devez-donc ordonner que leur cau-
tionnement scit rendu •, et de plus, qu'ils seront indemnisés des:
sacrifices qu'a pu leur coûter le fournissement de ce cautionne-
ment, et même des pertes qu'ils éprouveront pour des entre-
prises légitimement formées, mais dont les avantages seront
restreints ou- diminués par' la loi actuelle.


easrtticauinliesirs,que cela se passerait entre individus soumis.an•
droit commun. Le gouvernement doit être aussi juste envers.
les


C'


que les particuliers seraient obligés de l'être
e4•e eux; c'est à lui à donner l'exemple. Cette vérité me paraît




( 4:58 Y
si évidente i que je ereis inutile, d'y donner un plus long déve-
loppement. MM. les ministres veulent s'éviter le désagrément
d'entendre la vérité ; ils devraient bien psyer cet avantage au,
moins de quelque manière, par des économies faites sur leurs
dépenses.; car il pourrait arriver qu'onneveatett pas augmenter
Je budget pour rendre le cautionnement des' journaux. (On rit
à gauche.)




:M. Média. La proposition 'qui vous est faite est si claire
et si juste; que j'ai quelque honte cle l'appuyer. de sais bien que
nous rie fiisoiss ici que protester sans parvenir à feîre adopter,
les modifications les plus justes; nuis ici, comment pourrie?.
Irons Conserver la disposition du cautionnement à l'égard des
journaux qui ne publieront que ce que le gouvernement voudra
leur permettre? mais qu'est-ce qu'an cautionnement ? C'est une
garantie de bonne conduite.. Envers qui l'exige-t-on ? -Ç'est
envers celui qu'on met en liberté•. Mais enfin en exige-t-on ja-
spais de celui qu'on nid; en prison ?•Ce sont là des raisonnemens
bien simples; mais, au lieu de raisonnemens,. 'on nous accable.
parla majorité. 11 n'importe, nous pronveronsjusqu'au dernier.
moment à la France, que sa liberté aura toujours ici , des défen-
seurs. J'appuie l'amendement.


On demande à aller aux




Courvoisier: On demande la suppression 4u cautionne
ment; cela ne se peut pas. Le cautionnement est destiné à stip.,
porter les 'condamnations essnyées par le journaliste. Il y aura
censure, dit-on ; mais il peut y avoir infraction ade présenter manuscrit aucenseur. Il y a donc ici responsas•
blairé pour l'infraction, et responsabilité pour l'article soustrait
an censeur; il y a double spécialité ; efaut clone qu'un caution-
nement garantisse la responsabilité de l'infraction, et celle des.
.amendes pour les diffamations et les délits prévus par la loi.
Messieurs, ou a fait tous les efforts possibles pour combattre la
loi présentée; mais il•fiset être de bonne foi, et convenir qu'il est
des amendemens qui ne peuvent être soutenus, et celui-ci-est
d•ce nombre .: Je m'oppose son admission.


L'amendement est mis aux voix et rejeté.
L'article 3 est mis aux voix et adopté.
M. le pré.sident lit l'article 4, ainsi conçu.: cc Art. 4. Avant
la publication de-toute feuille ou livraison, le manuscrit devra


s).
être soumis par le propriétaire an éditeur responsable, à -un


n examen préalable. »
M. Tosse de leecluvoir. Toute loi ineoniplète, messieurs,


manque le but, embarrasse le gouvernement plus qu'elle ne


(' 4 59 )
et devient souvent dangereuse. Ne pas soumettre la pu -


blicatiOn des écrits d'une composition facile , et en quelque.
sorte improvisée , ou en d'autres termes leS 'pamphlets; nu merise
examen que les journaux et écrits périodiques s'occupant de
Matières 'politiques , c'est vouloir ne pas vouloir ; c'est permettre
et défendre une même chose à-la-fors. •


La .censure., restreinte aux journaux, ne sera plus' qu'une.
prime d'encouragement pour les pamphlets: En effet, messieurs,
par la censure la vérité . tout entière n'est pas connue-. Les réti-
cences exercent l'esprit sans le satisfaire; il se livre .aux , .:n-j éctures , dont le domaine est'san'S bornes.
- Par la raison qu'on est eu défiance contre te gous'ernesucnt
on accorde une confiance illimitée aux.'d'éCla ynal :mc
gères de ces écrits qui affirment et ne discutent trnawent
par la couleur, et substituent à la fideur dès jOnct....x censurés
le fiel dela satyre et le mordant de tu n dst•d'aistaist
plus affamé' de ces écrits, que • le besoin qu'ils excitent n'est ja-
mais régulièrement satisfait. Avec la liberté' dies-pampldcts i2les
injureS•et les diffiimationsse multiplieront ail lien de .s'arrêter
elles ne frapperont Pas•la victime en face. Une diffaistatien dans
un journal est nécessairement connue Mes journaux se lisentjusque dans les moindres bourgs.


.Si le mal ne va pas en poste, manquera-t-il de moyens pour
arriver au but? A qui persuadera-t-on que les pamphlets ren-
ferment des idées uti!es?


Les pamphlets sont comme les caustiques ; ils liraient sans
dégaiement: de lumière. Celui qui n'a point médité, celui qui
n'aspire qu'à faire du bruit en excitant les passions, en stimulant
lés ressentimens, a moins lé don de persuader, que la puissance'
d'aigrir. Ces malheureux pamphlets, amusemens ou ressource
de la jeunesse qui communique l'exaltation de ses idées avec la
ciseleur de la fougue de son âge; ces pamphlets, quine cherchent'
qu'à frapper fort, sans s'occuper de frapper juste, n'apprennent
aux jeunes gens échappés des bancs-de l'école, qu'a vivre dus
produit du vice plutôt que d'un travail honorable , mais pénible
une•leis qu'ils auront: bu dans la coupe de la haine, ils seront
libellistes toute leur ; quel que soit le gouvernement., ils seront'
toujours'ses ennemis, par le besoin d'être factieux.


J'ai demandé que les écrits de Moins de cinq feuilles, d'im-
pression hissent soumis à la censure. On prétend que si cette
disposition est admise, on l'éludera en cousant ensemble cinq ft
six pamphlets, ou. bien en ,employant les caractères les plus
gros de l'imprimerie pour remplir la condition imposée. C'est




46
convenir avec moi qu'on est . .iugénieux à tromper le voeu (le la
loi. Alors si l'on ne peut obvier à tous les inconvéniens,
Lut admettre la conséquence que l'on doit faire à la licence une
Guerre de postes, qu'il faut multiplier les difficultés. 11 en est
deux très-puissantes; les frais.d'impression., et l'ennui. Une
longue lecture. convient peu aux esprits vifs et légers,. qui se dé-
goûtent bien vite.. de chercher dans quatre-vingts pages ce.qu'ils
trouvaient si facilement dans quatre à cinq. La caisse des. fac-
tions ne pourrait lutter .contre une franchise-, qu'il faudrait
acheter aussi cher. Il me semble déraisonnable d'étoullèr les.
journaux pour Lire pulluler les pamphlets.•


Je demande l'examen préalable des écrits de moins de cinq
feuilles d'impressicm dans l'intérêt de la propriété des journa-,
listes. L diminution des abonnemens suivra la censure , et


• suivra danS,la progression croissante de ces pamphlets qui par.'
courront .


la France. Cependant, 1/04 avez:sonniis.les.fourna.
listes à un cautionnement, c'est-à-dire que, vous vous êtes.
engagés à protéger leur entreprise littéraire. Il. n'y a poi nlassu-
renient d'entrepriselegalede pamphlets; l'examen préalable .ne,
fait aucun. tort à des libellistes


.
qui n'existent pas, et que vous..


érée•ez de lait en donnant aux pamphlets un caractère d'exemp-
tion. C'est les préférer aux journaux, c'est blesser la justice et
encourager l'immoralité. je. persiste dans mon amendement.


M. le. président. L'amendement de M. Josse de Beauvoir.-
?... Aucune voix ne s'élève... On rit à droite.


L'amendement n'a pas de suite.
Savoye-.Rollin. Messieurs, l'article 4 du projet de loi.


que vous discutez, veut qu'avant la publication de toute feuille
ou livraison, le manuscrit soit soumis à un examen-préalable;.
le compte rendu par lesjournaux des séances (les deux chambres
sera-t-il compris dans cette mesure? Telle est la. question
qu'élève cet article, et qu'il importe de décider.


Le serait-elle d'avance par la , loi du 1 7 mai .18, 9 , qui dit,
article 22 , que le compte fidèle des séances publiques de la
chambre des députés, rendu de bonne foi dans les journaux,
ne donnera lieu à aucune action? » Si les censeurs vont être les.
juges de la liberté, de ce compte et de la bonne foi des rédacteurs,
n'en résultera-t-il pas que les débats de la chambre n'obtiendront.
de publicité que celle


•qui ne contrariera pas la censure? L'ar-
ticle 9 de la loi proposée porte, il est vrai , cc que les dispo-
sitions des lois antérieures, auxquelles il n'est point dérogé par
la présente loi, continueront à être exécutées 3 » mais la question ., »1
reste entière t malgré cette disposition..


( 461 )
La publicité des débats de la chambre est fondamentale datte


une constitution représentative; la chambre seule peut Y •ap,..
porter les restrictions qui sont énoncées par la charte, et elle
ne peut, elle-même en créer de nouvelles. Si la publication de
nos séances est arbitrairement tronquée ou suspendue par des
agens ministériels, la chambre tombe absolument sous leur
pouvoir ; sa liberté n'excède pas les murs de cette enceinte.
L'auditoire .présent à nos discussions n'aura aucun moyen de
redresser les erreurs , ou de réparer les omissions qui seront
imposées aux journaux par la censure ; le public sera trompé
ou sans cesse menacé de l'être par les organes destinés à l'éclairer:
la vérité ne pénétrera -jusqu'à lui qu'à travers mille détours
refusera de la reconnaître long- temps même après l'avoir ap-
prise; une défiance générale armera tous les citoyens contre ia
marche du gouvernement et ses obscures publications. • Le
résultat le plus immédiat (le la censure exercée sur l'histoire
de nos séances, sera d'en rendre la coinuunication impossible
le lendemain de leur tenue, à moins que les censeurs ne pas-
sent les nuits dans les imprimeries; les mêmes obstacles qui la
reculeront (le vingt-quatre .heures, pourront l'ajourner indéfi-
niment , si la théorie des circonstances vient •kiger.


Ces atteintes diverses portées à l'autorité constitutionnelle
de la chambre et au système représentatif sont tellement évi-
dentes, que je crois inutile d'y insister. En conséquence, je
propose de rédiger ainsi l'article 4 : u Avant la publication de
toute feuiJle ou livraison , le manuscrit devra être soumis par le
propriétaire ou l'éditeur responsable à un examen préalable, n'
l'exception des comptes rendus des séances des deux chambres. ))


Cet amendement. est fortement appuyé à gauche et au centre
de gauche.


le*Ministre des affaires étrangères. L'honorable collègue
auquel je réponds, a fort bien et fort justement pressenti qu'une
loi existait déjà, qui met le compte fidèle des séances , rendu
de bonne foi, à l'abri de toute censure. Commirent se pourrait-
il qu'il existât un ministère capable de donner aux censeurs une
impulsion contraire à ce qui est prescrit par une loi? ( Mouve-
ment gauche. ) Je le répète, on ne croira jamais qu'il puisse
y avoir un ministère assez étranger à ses devoirs, assez Inhabile-
dans sa conduite pour donner 'à des censeurs 'une instruction en
opposition à des lois formelles, à des lois existantes. (Adhésion
au centre et à droite.) Les censeurs n'auront aucune censure
à exercer sur. les discours prononcés à cette tribune par les
membres de la chambre; mais ils ne manqueront 'pas d'écarter




. , , 4 -)
rci u


te: réflex lois offiisante .qui pourrait litre faite.ouse
ou sur la délibération de la•ehanibre.






'On demandes aller aux voix.
.111. Benjamin-Constant. Un m eu e particul ier accompagne'


tous lés amendemens qu'on vous propose.;On déclare superflus
ceux que l'expérience a démontrés les plus nécessaires. Des mi-


' nistres viennent vous dire à cette tribune le contraire des faits
qui sont consignés dans vos registres . , le contraire des.


faits qui
se sont passés sous vos yeux; et•quand on leur prouve que , par
erreur sans doute, ils ont dit précisément le contraire de ce que
vous savez tous , de ce que là France entière sait, ils gardent
lesilenee , et l'amendement, dont le but est de prévenir ce qui
s'est passé, est rejeté : c'est peut-être aussi le sort de cet
amendement.


M. le ministre des affaiees 'étrangères vient de dire qu'il est
impossible que des 'censeurs mutilent nos discours, 'qu'il est
impossible que le ministère ose porter atteinte à la liberté de la
représentation nationale ; cependant ce fait est arrivée dus de
nos honorables collègues pourront attester que, par l'ordre da
ministre qui2était le collègue de M. le. ministre .des affaires
étrangères, des discours ont été mutilés., -et que ee


. ininistre (eue
alors les ministres n'avaient pas• tris le parti de ne répondre
presque jamais) avait expliqué à la chambré 'les motifs qui Pa-
vaient obligé à faire mutiler le discours de M. Corbière. Un
.autre fait est. encore certain : un journal à été supprimé pour


• avoir inséré le discours de M. Cauluartin tout entier; }ce journal
'n'a pu reparaître que plusieurs jours après.


Je•demande s'il n'yu pas quelque chose de bizarre, que je ne
Yeux pas qualifier, à venir dire à une assemblée, que ce.qui
s'est lait (liais un temps où certes le gouvernement ne demandait
pas plus l'arbitraire qu'aujourd'hui•, ci, l'on regardait comme
fâcheuse •l'époque où il y avait eu beaucoup d'arrestations, où
l'on était ramené .à un système d'adoucissement, ne peut être
fait aujourd'hui.; que le ministère, appuyé sur la confiance qu'il
s'accorde ( on tin, je dis sire la confiance qu'il des:re.et qu'il
demande, vient nous dire : nous: voulons l'arbitraire,. afin


.'de disposer à notre gré de la liberté des citoyens, et la censure,
pour détruire la liberté de Ta pressé? Et Malgré cela, nous See
rions plus confiansen.ce ministère-qu'en.celui qui marchait alors
dans les voies de-réparation !Non, messieurs, vous ne le croises
pas.
:




. M. le ministre des affaires étrangères fions e dit 'gué. les cet,
seurs seraient .


obligés de recevoir de conliance
. le compte de nos


séances. fi paratt que, dans cette loi tout est de coirflartee ,
ministère et les censeurs; Mais s'ils y voient une disposition
dangereuse, ne voudront-ils pas . la CenSurer? •On met alors nos
séances à • la merci des censeurs. Ces censeurs sont,- pour la
plupart, des gens de lettres attachés surtout au ministère.de la
police et à là préfecture dç police : voilà.quels seront ceux qui
j ugeront -tout .ce que vous dites à cette nation, tout ce que vous
prononcez à la tribune dans l'intérêt de la nation! Envérité,
c'est une dérision; il est impossible que vous y consentiez. •


ministre des affaires étrangères vous a dit, qu'il
(Irait supposer le ministère insensé, pour croire. qu'il pût Hire
tronquer nos séances. Eh messieurs ! quand la Frauce s'attache
si fortement à ses institutions, et qu'on voit le ministère les
démolir successivement sous de vains prétextes ; quand la
France estmenocée de perdre à jamais ses institutions. et quiet)•
laisse ces•craintes fermenter dans toutes les -imaginations d'un
bout du royaume à l'autre, et qu'on ne fait rien•pour rassurer
ceux qui sont alarmés;' que le ministère se présente un jour
avec trois lois qui forment une organisation 'complète de ty-
rannie , nim pas aussi féroce, aussi sanguinaire eu fiait, niais
aussi complète mi droit que eellee• qui ont existé. à quelque
époque de la révolution que cc soit , même à celle de la loi
du 1 7 septembre sur les suspects, car elle n'était pas plus
mauvaise que celle que vous avez rendue dernièrement (vie-
lens murmures); avant que ces lois ne fussent présentées,
vous n'auriez pas voulu y croire; vous auriez dit :- Non, le mi-
nistère ne sera pas assez insensé pour les proposer. Eh bien!
tout cela est arrivé, cela arrive encore ,• malgré la voix des
hommes qui ont bien mérité de la liberté à plusieurs .époques ,
et dont il suffisait de citer les noms honorables pour rassurer
l'opinion: Quand on voyait ces hommes appuyer les mesures du
ministère, quoiqu'elles _éprouvassent beaucoup d'opposition,
on pensait qu'il était possible que le gouvernement- eût raison;
niais aujourd'hui qu'ils Pahandon»ent, • la douleur dans le coeur ;


dé-
qu'ils viennent rompre des liens qui leur étaient chers, et
clarer que le ministère compromet la dynastie . en perdant la
liberté ,. le ministère persiste dans ses projets, appuyé par quatre
ou cinq .yoix , foule aux pieds l'opinion• publique , celle <le ses
amis, viole enfin 'la charte tout entière. (Des murmures s'élè-
vent.... A gauche : Oui! oui! c'est -vrai !.)


Ce ministre viendra noue dire qu'il faut s'en remettre à 'sa
*rai son qu'il n'abusera pas de la lei; Mais il ne m'inspire pas
assez de confiance pour cela. Ce que je puis faire de mieux,




( 464 )
c'est de-croire qu'on a raison de l'abandonner, et je soutiens
dans cette circonstance et dans aucune autre, vous ne pouvez
vous en remettre à lui. J'appuie de toutes mes forces l'amen-
dem eut.


M. le ministre des affaires étrangères. J'insiste pour le rejet
de l'amendement.


On demande à aller aux voix.
M. Médita. Je-n'ai qu'un mot à dire ; ils'appuie.stir le texte


même de la loi citée ; il y est dit : Un compte des séances
rendu de bonne foi; mais qui sera juge de cette bonne foi ?
Cela ne dit rien.de l'exactitude.... ceci ne garantit pas la liberté
de la publication de ce qui aura été dit à la tribune. La loi ne
concernait ici que la responsabilité du journal qui aurait rendu
un compte- infidèle de vos séances, et les aurait à dessein
travesties ; ce n'est qu'un cas d'exception




On demande vivement à droite el au centre à aller aux voix.
Le président met l'amendement aux voix. Une premiere'épreuve
paraît douteuse.


On, demande l'appel nominal. Le président .consUlte
• la


chambre, qui décide qu'on procédera à l'appel nominal sur
l'aniendeMent..
• L'appel et le réappel sont faits. L'amendement est rejeté.
(Une très-longue et vive agitation succède.)


M. le baron de Brig•de. Messieurs lorsque tous les esprits
étaient préoccupés du besoin de donner à la France la liberté
de la presse, si inséparable de l'existence du gouvernement re- ,
présentatif, il était difficile de songer à proposer, et moins
encore à obtenir des lois • répressives de cette liberté, puisque
l'on ignorait le résultat de ses abus. En tout, le meilleur conseiller,'
c'est l'expérience.


Aujourd'hui les choses sont plusAvancées : le bien et le mal
sont connus. Je dis le bien, messieurs; car, quelle que soit là
disposition actuelle, quels que soient les excès de là liberté des
journaux, on ne petit nier qu'elle n'ait produit, sous plus d'un
rapport, des résultats assez heureux. A cette occasion, per-
mettez-moi une seule remarque. Avant que les journaux- fus-
sent libres, le plus grand,monibre des pétitions envoyées à la
chambre avait pour buttides réclamations contre les abus d'an-
torité. Il ne nous est pas encore parvenu ,danscettesessionone
seule pétition sur des faits :de ce genre, postérieure à l'abolit ion
de la censure. ( Vive sensation. )


Quoi qu'il en soit-, les esprits sont maintenant. dans une di-
rection tout autre qu'il y a deux ans. Alors, comme je•


( 465 )
de ie dire, lalongue oppression de la censure n'inspirait que le
desir de se débarrasser de ses entraves ; aujourd'hui, de sin-
cères amis de la liberté demandent qu'on la restreigne clans des
limites moins éstielneduaesu.v


11° ernement représentatif pouvait exister
sans la liberté de la presse, la censure serait avec raison consi-
dérée comme le moyen le plus efficace contre les abus dont on
se plaint; mais la censure est incompatible avec notre gouver-
nement; mais elle doit cesser, et cesser prochainement; la loi
elle-même vous l'annonce. C'est donc simplement un provi-
soire, une loi d'exception, une suspension de droits indes-
tructibles que l'on vous propose aujourd'hui ; et son effet, si
gênant, si oppressif• , sera immanquablement de ramener
pion vers l'utilité, vers la nécessité d'un régime libre ; d'inspirer
au plus grand nombre un éloignement absolu pour nos lois de
répression, une impatience nouvelle de ressaisir la liberté dans
son entier usage ; enfin, de nous replacer précisément dans la
position où nous étions il y un an.


En adoptant la mesure qu'on vous propose dans l'article,
vous aurez donc perdu une occasion que de nouveaux excès
pourront seuls ramener, celle d'obtenir , ayec l'appui de l'opi-
nion publique, une loi dirigée contre l'action même de la
liberté de la presse.


A cela vous répondez Je le sais , niais des lois répressives
sont. impossibles et inexécutables dans l'état de notre législation ;
les jurés ne condamnent pas. Nous pouvons vous dire : Si cette
objection est fondée, pour qui devient- elle un reproche? est-ce
pour nous , qui avons demandé si instamment et depuis si long-
temps une organisation nouvelle des jurés ? ou pour vous, qui
avez répondu à cette demande par l'organisation de la censure?
Toutefois on vous a fait une autre réponse. On vous a prouvé
que plus de la moitié des jugemens rendus par les jurys en rim.
tière de délits de la presse, avaient prononcé des condamnations.
Enfin, on pourrait vous faire observer que, lors même que ces
réponses ne seraient pas satisfaisantes à la rigueur, vous aviez
encore à nous proposer contre les inconvéniens actuels, des pro-
y isoires moins inconstitutionnels et moins dangereux que la ce/1..
sure, quand ce ne serait que celui du recours aux tribunaux.


Soyons donc de bonne foi, et convenons que les motifs sur
lesquels on s'appuie, ne sont autre chose que les excuses ba-
nales dont un pouvoir, qui ne .sait pas régler ses forces sur l'état
de la société, s'est servi et se servira-, dans tous les temps et à
toutes les époques, dans la même occurrence. Je le répète, en


n. 3o




( 466 )
laissant échapper l'occasion qui vous est offerte, vous regretterez
bientôt ce que vous aurez fait ; vous ramenerez , comme on Pa
dit hier , la nation à toutes les dispositions contraires à la ré-
pression des abus qui la blessent. J'en suis si intimement con-
vaincu , que , si je ne croyais , comme je le fais , que la liberté
a passé toutes les bornes raisonnables ; si je ne croyais, commeje l'ai toujours cru, à la nécessité absolue d'opposer un frein à ses
excès , je ne serais pas éloigné de voter actuellement pour la
censure, dans l'intérêt même , dans la certitude où je serais du
rétablissement inévitable et prochain d'une liberté plus grande.


Messieurs , si je ne desirais sincèrement des lois répressives
de l'abus de la presse , je ne serais pas éloigné de voter pour la
censure, parce que je ne la considérerais que comme forcément
passagère, et devant ramener l'usage le plus entier de la liberté;
parce que son effet me paraît devoir être de faire perdre de vue
l'inconvénient des excès de la liberté dont tous les esprits sont
.actuellement occupés , parce que je ne serais retenu par aucune
crainte en faisant cette concession , pas même celle d'un minis-
tère ultra qui parviendrait après celui qui nous gouverne , et
qui ne voudrait plus s'en dessaisir. Mais c'est parce que je suis
fortement frappé de la nécessité d'empêcher le mal , et que je
crois le moment utile pour Y porter remède , que je demande
que l'on en profite; et c'est ce qui fait que je vote contre la cen-
sure , et contre l'article dont nous nous occupons


On demande à aller aux voix.
M. le président met aux voix l'article 4. ll est adopté à la


même majorité.
On den.:aude l'ajournement au lendemain.
M. de. Corcelles. Je serai un peu long mais ce ne sera


qu'une nuit perdue pour la censure.... Messieurs, nos conci-
toyens en deuil attendent dans cette enceinte et hors de cette en-
ceinte l'issue de nos délibérations. Ils tiennent d'aine main le
livre de nos lois, de l'autre nos serin ens. Dans peu de jours nos
lois, nos serinons , ceux du pouvoir , tout aura disparu. La
France seule restera, niais pour nous juger. Et chacun de nous ,
livré aux hasards d'un arbitraire témérairement assis sur la hache
et les faisceaux contre-révolutionnaires , attendra tout des dé-
mens de la fortune ; d'une fin:tune devenue par la violence, par
le parjure, plus incertaine pour nous, pour le trône, pour l'Eu-
yope. Tel est l'arrêt que prononce dans cette chambre une in-
flexible majorité. En vain la plus persuasive éloquence , le pa-
triotisme le plus éclairé , l'amour du trône constitutionnel et la
bonnè foi ont voulu la fléchir : forte du pouvoir qui propose,


( 467 )
oui 'délibère et'vdte avec elle, ,sa voix 'a dédaigné - le vieu des


(111)a4Qtri'leilirs.soit permis au moins de proposer quelques palliatifs à
des mesures de rigueur dont la menace a suffi pour répandre au
loin la méfiance et la terreur.


Les amendemens que j'aurai l'honneur de vous proposer sont
puisés dans les 'assertions mêmes des orateurs du pouvoir. En
les adoptant , le pouvoir j ustifiera sa bonne foi, et la France
sera rassurée autant qu'elle peut l'être au milieu des plus vives
appréhensions. La gravité des circonstances exige que je leur
donne quelques développemens; veuillez, messieurs, m'accorder
un instant d'attention.


Je ne reproduirai pas les divers motifs allégués parle pouvoir,
ils sont encore présens à votre souvenir , et vous les avez victo-
rieusement combattus. Deux de ces motifs seulement sont restés
sans réponse , et je dois les mettre sous vos yeux ; le premier ,
parce qu'il nous donne le degré de confiance que le pouvoir a le
droit d'attendre de nous ; le second , parce qu'il fait pressentir
à la France le coup mortel que l'on médite , que l'on s'apprête
peut-être à lui porter. On nous a dit qu'il était temps de mettre
un frein à l'audace de quelques écrits périodiques qui s'étaient
permis d'attaquer l'inviolabilité des ventes de biens nationaux_


'avoue qu'il ne peut entrer dans nia pensée qu'aucun acquéreur
de ces biens ait sollicité la protection de la censure. A qui pré-
tendrait-on persuader que la censure sera exercée par des mains
protectrices des intérêts matériels de la révolution , surtout lors-
que ceux qui nous l'imposent ne font pas difficulté de proclamer
4 cette tribune que la charte c'est la contre-révolution? Les an-
técédens d'ailleurs, et les menaces qu'aujourd'hui on ne déguise
plis, ont bien assez prouvé que de tels intérêts n'avaient de
salut 'que dans une liberté de la presse sans réserve. Chacun en
France est las de tant de duplicité. Puisqu'on nous ôte la charte•,
que du moins on nous l'ôte sans insulter à. la nation par des
prétentions dérisoires.


Mais ce qui a donné lieu surtout aux plus vives alarmes, ce
qui ne peut être passé sous silence, ce sont les insinuations de
bon voisinage dont on a l'air de nous faire confidence dans cette
chambre, à-propos des mesures d'exception et d'une réforme
(de commande à cc qu'il parait) dans nos lois. Est-ce conseil,
est-ce menace? Nous avons reconnu à ces insinuations caute-
leuses les vieilles habitudes de 91, le vieux levain de Piluitz.
La France a été trente années France ; et les menaces, bien loin
de l' intimider, lui rappellent ce qu'elle sut faire pour sa dignité.




( 468 )
Elle est indignée que l'on ait osé revenir sur des prétentions
surannées ; elle repousse fièrement. des titres qu'une coterie ap-
précie toujours sur l'intérêt étranger bien plus que sur les
nôtres. Notre intérêt à nous, c'est que l'on administre en France
pour la France. Je le demande à ce ministère si fbrt en cita-
tions, si faible en pratique ; est-ce ainsi que l'on gouverne chez
nos voisins ? Le parlement. d'Angleterre , que tou jours il cite,
consulte-t-il nos chambres pour muscler ou pour démuseler les
citoyens de Londres? On dirait, en vérité, que nos hommes
d'état prennent la France pour une Nababie de la compagnie
anglaise. Ils allèguent, pour démontrer la nécessité de la verge
discrétionnaire dont ils veulent nous frapper (et c'est là leur
plus solide argument), ils allèguent que de toutes les parties de
l'Europe des correspondus sôrs , des diplomates ambulans
leur annoncent qu'en Angleterre les radicaux, les rubaniers
's'assemblent en tumulte; qu'en Allemagne les sociétés secrètes,
les Sand , menacent l'ordre social ; qu'en Italie les carbonari,
semblables aux feux souterrains de ce pays volcanisé, font trem-
bler la terre sous les pas du pouvoir ; qu'en Espagne, enfin,
l'explosion a tout renversé.


Certes, messieurs, nous n'avions pas besoin de correspon-;
dans étrangers ni de voyageurs du parti, nous qui ne corres-
pondons qu'avec nos commettans , pour être convaincus de ces
alarmantes vérités. Depuis long-temps nous les avions prévues;
mais nous en déduisions la seule conséquence raisonnable pour
la France, lasse des révolutions , celle de maintenir nos lois,
.d'être'fidèles à nos sermens, à nos institutions.


Quoi ! l'Europe entière est dans le malaise , de toutes parts
les peuples demandent des réformes, conspirent , se soulèvent
pour les arracher à un pouvoir qui tour-à-tour les promet et les
refuse : On en convient, on le proclame à cette tribune, et l'on
en conclut, par le pins inconcevable vertige, que le moment
est verni de renverser nos lois ; que nous devons, à l'exemple
de l'Europe, prendre part à l'incendie général !..... nous qui
axions terminé nos révolutions ; nous qui nous reposions pleins
de confiance à l'ombre sacrée de la charte! Seuls en Europe
nous ne demandions qu'à maintenir ce qui est, ce qui nous a
coûté trente années de guerres et de dissentions; les larmes et le •
sang de deux générations et l'on s'acharne à nous révolu-
tionner, parce que l'Europe est en travail de révolution ! .....
Il y a, je ne crains pas de le dire, attentat ou démence dans
une telle entreprise; la France la réprouve, car l'évidence est
complète.


( 46 ç )
Le


sang nous intimider,
françaisnurait-il cessé de couler dans nos veines?


nous ravir nos institutions par de
vaines menaces, par ces bruits qui chaque jour s'accréditent
en Allemagne, d'un camp de quarante mille Autrichiens à
Mayence, du renfort des garnisons prussiennes sur la rive du
Rhin. Les Français , inébranlables dans leurs institutions, ap-
pu •és sur leurs droits, et forts de l'amour de leur pays, feront
un rempart de leurs corps , comme ils l'ont toujours fait, pour
défendre leur honneur et leurs droits.


En -vain la violence prétendit , à diverses époques séenleires,
maîtriser une opinion universellement répandue. Les tortures,
les bûchers luttèrent au quinzième siècle contre la réformation
religieuse ; la réformation triompha , s'étendit en raison des sup-
plices. Aujourd'hui le cri des peuples annonce des quatre coins
de l'univers qu'une nouvelle ère est survenue pour eux; tous,
entraînés par les lumières et. les habitudes du siècle, aspirent à
une réformation dans leur droit public. La France séule , déli-
vrée par sa vaillance de la tourmente„ a fourni sa carrière. Ses
mandataires pourraient-ils hésiter, lorsqu'on leur présente l'ab:.
ternative de subir le joug flétrissant d'une faction , ou de main-
tenir courageusement leurs lois? D'un côté l'opprobre nous
attend ; de l'autre , la France, fière de notre généreuse résolu-
tion, se présente à l'univers comme un phare protecteur, et
l'Europe qu'agite à son tour la tempête, lui devra son salut.


Cependant, messieurs , on nous impose la censure des jour-
naux ; mais une expérience récente, qui Vous' déchira le sein,
serait-elle donc perdue pour nous ? Il vous souvient, messieurs,
lorsque Napoléon, dégarnissant la ligne du Niémen et de la Vis-
tule , vint fondre sur la péninsule, nos vétérans, enivrés par
la victoire, avaient oublié l'indomptable résistance dont naguère
ils avaient montré l'exemple , en combattant pour leurs droits
contre l'Europe conjurée; ils attaquaient en aveugles un peuple
fièrement appuyé sur te bouclier de l'indépendance. La presse
était alors asservie en France, et la France, abusée sur les vraies
dispositions d'un peuple magnanime, mérita ses imprécations..
L'affranchissement de la presse, en nous éclairant alors, aurait
détourné le faux encens que la flatterie prodiguait aux désas-
treuses entreprises du despotisme. Que de larmes, que de sang.
la liberté de la presse eût épargnés. è deux peuples faits pour
s'estimer, parce qu'ilssavent être libres


La même cause , messieurs, peut nous menacer bientôt d'un
danger semblable; la rapidité des événenaens vient de foudroyer
au Ileum de nous, t l'instant où ils se cons9ritan4ent des pre›,•




( 47 0 )
jets coupables; il est dans l'ordre 'naturel des choses que cft
projets se reportent contre l'indépendance de nos valeureux
voisins. Jugez alors dans quel abîme un aveugle dépit d'une lac-
tien pourrait nous entraîner! C'est vous, messieurs, qui se-
riez responsables des maux qu'en repoussant une loi inconsti-
tutionnelle vous auriez pu éviter à l'humanité.


Ft. ce danger s'accroîtrait, si le ministère prétendait jeter,
par la censure, une ligne de ténèbres entre un peuple redevenu
libre, et nous qu'il voudrait asservir. L'étendard constitution-
nel qui flotte sur la cime des Pyrénées, parlerait plus haut à
des coeurs ulcérés , que la censure. Elle rampe la censure ! et le


essa ger de la liberté traverse les airs; , sa course serait. d'autant
plus rapide, que n'os chaînes seraient phis pesantes. Déjà on ré-
pète en -deçà et au-delà des monts, ces mots deux fois consa-
crés par le despotisme conquérant : Plus de .Pyrénées ! s'écrie-
t-on de part et d'autre. Et du moins cette fois l'humanité
applaudit à ce cri d'une alliance indissoluble , paire qu'elle
Sera fondée sur des droits réciproques, sur la liberté, sur la
vertu.


"Un ministre de la péninsule, accrédité auprès d'une puissance
étrangère, disait, il y a peu de mois, à un proscrit. de 1615 :
Je ne connais qu'une manière de gouverner les homnIes : des


joréclicatio et des gibets. Il y en a une autre, répondit le re-
fugié français : la justice et la .coeance. Pourquoi n'adresseL.
rions-nous pas cette réplique à un ministère que•Pévidence ne
peut convaincre? Les pré.dirateurs ne nous manquent guère; la
confiance nous fuit, et les gibets s'apprêtent. Les prédicateurs
travertissent P.Evangile lorsqu'ils se couvrent du manteau de la
politique. La confiance est repoussée par la terreur, qui rem-
place, sans nécessité, les lois partout religieusement observées,
et que nous devions aux méditations des trois pouvoirs: le gibet
enfin est bien digne de compléter un système que des ministres
inconsidérés bâtissent eu trois semaines, et que l'ambassadeur
étranger appliquait follement en quatre mots.


Alors, messieurs, les conseils du malheur et de l'expérience
seraient superflus, parce que le triomphe éphémère d'une fac-
tion, devenue de plus en plus odieuse, aurait fini d'aliéner le
coeur des, peuples.


On nous a cité. jusqu'à satiété l'Angleterre. Berlin et Jes
congrès, lorsqu'on a voulu nous soumettre à l'arbitraire. Il est
-juste qu'à notre tour nous citions un pays voisin pour le repous-
ser. Songez , messieurs, que l'arbitraire et•a terreur, que le sang




( 47 1 )
des Perlier et desLascy, que les tortures de Balesteros enfantè-
rent les Riego et les Quiroga.


Je voterai le rejet de la loi ; mais je demande, si elle est
adoptée, qu'à la suite du premier article, il soit a jouté que là
censure ne sera pas applicable aux nouvelles textuellement tra-
duites des feuilles étrangères; qu'elle ne sera pas applicable aux
citations tendantes à nous éclairer sur des machinations qui
appelleraient l'ennemi sur le territoire français; qu'elle ne sera
point applicable aux citations qui dévoileraient une atteinte
portée à la liberté des consciences ; qu'elle ne soit point appli-
cable'enfin aux citations qui tendraient à déjouer tome violence
contre les acquéreurs de biens nationaux.


Si l'on nous refuse ces amendemens, c'est que l'on. veut sé-
questrer la France de tonte communication extérieure ; c'est.
que l'on veut introduire l'ennemi sur le territoire; que l'on veut
renouveler lesdragonnades, et la révocation de l'édit des Nantes ;
c'est enfin que l'on veut revenir sur les ventes clé biens nationa ux.


Le président donne une nouvelle lecture des amendemens de
M. de Corcelles.


M. de. Chauvelin La division
Le président met successivement aux voix les amendemens


de M. de Corcelles.
ils sont rejetés à la même majorité que les précédens.


Sappey. Messieurs , c'est une opinion assez répandue
parmi les bons citoyens., que, s'il était bien évident que tons
les efforts des vrais amis du trône et de la patrie dussent échouer
contre l'opiniâtre résolution d'enchaîner les libertés de la nation
française, il serait du devoir des députés fidèles. à leur mandat ,
de ne concourir en rien à l'adoucissement des. mesures. qu'une
fausse terreur s'est empressée de nous proposer. On pense géné-
ralement que plus l'arbitraire, si hautement invoqué à cette
tribune, marchera sans entraves, plus ses. mouvemens. seront
violent, et plutôt il se brisera contre le roc désormais inébran-
lable de l'opinion publique: vouloir diminuer ses inconvéniens,
c'est prolonger ses abus ; c'est multiplier- les chances de soit
existence.


Mais tel député 'qui, par un scrupule respectable pour la
rigueur de ses principes, croit devoir rejeter le projet de loi,
se sentira néanmoins soulagé en rentrant dans ses foyers, si ce
projet adopté, malgré son vote, a subi des restrictions . C'est
ce qui m'a déterminé à vous proposer un amendement tendant
à donner a une personne inculpée d'un délit ou d'un crime dans.
un journal . , la faculté de faire insérer dans ce même journal,.




( 472 )
sans l'autorisation du censeur, ses réponses, qui, pour plus de
garantie, devront être signées par elle et par son conseil.


Si vous accordez, messieurs, aux ministres le monopole des
journaux, vous ne souffrirez pas du moins qu'on étouffe la voix
de celui qui sera l'objet des attaques du ministère, dont on peut
d'ailleurs surprendre la religion; vous ne réduirez pas à un si-
lence plus cruel que la mort les victimes des agens du pouvoir.


Non, messieurs, vous ne mettrez pas ainsi les réputations
des citoyens à la merci du ministère, et surtout des délateurs
qui marchent à sa suite : j'en appelle aux députés de toutes les
opinions ! Les considérations générales que je pourrais ajouter
sont inutiles j'ose espérer que vous accueillerez un amende-
ment que je vous propose au nom de la justice et de l'humanité.


Au reste, en descendant de cette tribune, j'emporte avec
moi , malgré l'opiniâtre résistance que nous éprouvons, la con-
viction que les ministres, éclairés par cette discussion et par la
précédente, sur los dangers de cette mesure inconstitutionnelle,
n'attendront pas la fin de la session pour vous présenter une loi
répressive des abus de la liberté de la presse , et conforme à l'ar-
ticle 8 de la charte, qui peut seule, ainsi que je l'ai dit dans
une autre circonstance, assurer nos libertés et la durée du règne
de la dynastie.


L'amendement est fortement appuyé à gauche. —Le président
relit l'amendement et se dispose à consulter l'assemblée.


M. de Chauvelin : Personne ne conteste l'amendement ;
est adopté !


L'amendement est mis aux voix. La gauche et la première
section du centre de gauche se lèvent : la droite, le centre de
droite et la seconde section du centre de gauche se lèvent à la
contre-épreuve. (Très-vive agitation.)


L'épreuve est douteuse. Uneseconde épreuve est faite. L'amen-
dement est rejeté... ( De vives réclamations s'élèvent à gauche )....
MM. de Chauvelin, Manuel, Benjamin-Constant, Demarçay
erlent avec chaleur au milieu des murmures de l'assemblée....
La question n'a pas été posée!...Il yavait des membres absens!...
On n'a pas entendu!


M. le président. J'ai prononcé sur la déclaration unanime
du bureau.... ( L'agitation et les réclamations continuent. )


M. le président à un membre de la gauche. Je vous prie de.
croire , messieurs , que les membres du bureau partagent les.
sentimens d'honneur et de loyauté qui vous animent...


M. de Chauvelin. Il y a des membres qui rentraient et qui
n'ont point entendu, et qui ont pu voter coutre leur avis... L'agi-


( 47 3 )
tation est extrême... Là gauche éclate en murmures et en récla-
mations... Les cris à l'ordre, à l'ordre, retentissent dans tout
le reste de la salle.


M. le président. Messieurs, vous ne ferez pas à un membre
de cette chambre l'injure de croire qu'il aura voté sans avoir
entendu la question en délibération.... L'amendement a été re-
jeté.... La parole est à M. Benjamin-Constant pour développer
'son amendement. — On demande à gauche l'ajournement au
lendemain. — La plus vive opposition s'élève. La chambre
consultée , décide qu'elle n'ajournera point au lendemain.


112. Benjamin- Constant. Si l'évidence ne 'n'avait prouvé
qu'il faut souvent démontrer des choses que personne ne con-
teste , ou bien que des choses qui n'étant pas niées , et qui
avaient l'air d'être consenties , ont cependant été rejetées je
n'aurais pas fatigué la chambre du développement d'un amen-
dement dont la vérité est évidente, et que je défie MM. les mi-
nistres de contester, à moins qu'ils ne veulent faire de la loi un
monopole d'injures et de calomnies. ( De violeras murmures s'é-
lèvent an centre et à droite. On demande le rappel à l'ordre. )
Je n'ai pas dit qu'ils le Erraient,


'


j'ai dit que s'ils le contestaient,
nous pourrions en tirer cette conclusion.


La censure a été funeste à tous les partis, à tous les individus:
ceux qui prenaient quelque part aux affaires publiques ont ré-
clamé contre l'abus que le pouvoir d'alors faisait des journaux.
Si vous réfléchissez maintenant que vous donnez au ministère
le droit de choisir des censeurs qu'il pourra les prendre par:mt
ses -créatures, ses protégés , ses salariés , vous sentirez que ce
ne sont pas du tout les censeurs , mais les ministres qui doivent
être responsables de tout ce qu'ils feraient insérer d'injurieux
dans les journaux. Certes , c'est pour le ministère une bien pe-
tite peine de s'abstenir de l'injure quand il a commandé le si-
lence; c'est bien le moins de ne pas invectiver des hommes qu'on
aura bâillonnés; et si l'expérience ne m'avait pas prouvé que le
contraire était possible, certes, je n'aurais jamais pu le soup-
çonner. Je ne vois donc pas de raisons qui puisse engager le
.ministère à repousser un article dont il ne pourra jamais , s'il
le veut , encourir la rigueur.


La responsabilité des articles injurieux insérés dans les jour-
naux doit retomber sur le ministère, et non sur les censeurs ;


t car ces censeurs , pris parmi les employés du ministère, parmi
ces hommes qui se pressent toujours à la suite du pouvoir , et
qui écrivent tout ce qu'on voudra pourvu qu'on les salarie , on
ne les soupçonnera certainement pas d'indépendance ; et si 3e




471 )
zninistère leur dit de ne pas attaquer tel ou tel individu, je ne
vois pas comment on peut craindre qu'ils les attaquent.


Je sais bien que cela obligera les ministres à une réserve qui
peut leur être incommode ; que s'il leur échappe des choses fâ-
cheuses contre un individu qui sera dans l'opposition , ils auront
peur.


que quelque ami trop zélé , que quelque serviteur trop di-
ligent n'aille transmettre aux journaux dont ils se sont réservés
le monopole, ces choses fâcheuses échappées A l'impatience mi-
nistérielle; mais quand on prend les bénéfices, il faut. supporter
Ies charges. Quoi! nous ne pourrons plus dire un mot dans les
journaux que vous ne mutiliez, et vous ne voudriez pas consentir
à ne pas frapper des hommes que vous avez désarmés etgarottés!
Je. ne ferai pas aux ministres l'injure de croire qu'ils voudraient
se réserver le privilège de l'attaque contre des hommes qu'ils
ont volontairement rendus sans défense.


Messieurs , vous vous souvenez tous des élections qui ont. eu
lieu lorsque les journaux étaient censurés. Vous devez avoir tous
présentes à la mémoire les inconcevables invectives que ces jour-
naux censurés renfermaient contre les candidats qui avaient le
malheur de ne pas plaire aux ministres. Je pourrais citer des
élections où un ministre s'est trouvé en concurrence avec tel ou
tel candidat ; celui eci se voyait chaque jour exposé aux accusa-
tions les plus virulentes dans les journaux censurés par le mie
nistère , j e ne dis pas par ce ministre. Malgré ce que nous a dit
hier un membre, qu'il valait mieux que les élections fussent sous.
l'influence du gouvernement que sous celle d'un parti , vous
conviendrez que c'est livrer toutes les réputations aux ministres,
c'est leur permettre de flétrir les hommes en qui des électeurs
vraiment Français a uraient pu placer leur confiance; c'est causer
la ruine et le désespoir des hommes ainsi flétris.


Après tous les pouvoirs que vous avez donnés au ministère,
il ne reste plus qu'à lui accorder encore celui-là , pour faire de
notre gouvernement le plus despotique qui puisse exister ; car
un gouvernement est d'autant plus despotique, qu'il a plus les
formes de la liberté, et que dans la réalité cette liberté n'existe
pas. Malheur au pays où l'on voit le ministère dans la minorité.
Il ne faut pas laisser aux ministres des moyens propres à ramener
cette époque désastreuse: Comme les ministres peuvent éviter:
tous les moyens qui résulteraient pour eux de mon amendement,
et qu'il dépend d'eux qu'aucun individu ne soit attaqué dans les
jo maux censurés , je ne crois pas qu'il y ait des motifs pour
rejeter mon amendement; car nous ne demandons pas le libre
privilège de la défense , mais seulement à n'être pas frappés,


( 47 5 )
déshonorés , quand on nous a lié les pieds et les mains, quand
on nous e mis à la discrétion du ministère.


Je demande donc qu'à la mesure en vertu de laquelle on peut
mettre nos personnes dans les cachots , vous ne joigniez, pas
celle qui mettrait nos réputations à la merci des ministres, qui
pourraient bien encore renouveler ce qui s'est fait contre leurs
ennemis et leurs concurrens. Je persiste dans mon amendement.
— L'amendement est vivement appuyé .à gauche. ) -


On demande à aller aux voix. L'amendement de M. Benja-
min-Constant est mis eux voix et rejeté.


14. Basterrèche. Messieurs, je consens, si on le veut , que
tout dans les journaux soit soumis A la censure , pourvu qu'on
en excepte les comptes qu'ils rendent à la France des questions
législatives que nous discutons dans cette enceinte ; pourvu que
tous les intérêts et tous les principes de l'ordre politique soient
formellement libres de toute censure dans les journaux , comme
dans les livres, comme dans les conversations.


Et qu'on ne s'écrie point que ce sont précisément les maximes
et les questions de cet ordre politique, constitutionnel et légis-.
latif qu'on veut asservir à une censure arbitraire et despo-
tique; non, messieurs, c'est le contraire qui résulte évidem-
ment de la manière même dont votre commission et son rap-
porteur volis ont demandé la censure. Presque tout ce qui a été
dit dans le rapport en faveur de la censure, on pourrait rem-
ployer pour la combattre. Certes, je n'aurai pas là témérité de
troubler ici le charme sous lequel nous e placé la brillante rhé-
torique du rapporteur. Au milieu de cet. ingénieux rapproche-
ment des Pyramides et du Bocage, je ne me permettrai pas
même de lui reprocher (l'avoir laissé dans l'ombre certains ex-
ploits un peu moins éclatons.


Que la censure ne porte ses scrupules , sa tyrannie que sur
ce que les journaux pourront dire des personnes , des vies pri-
vées , et sur tons ces actes assez scanda leux . pour être des crimes,
qui doivent être portés devant les tribunaux aussitôt que devant
la nation ; mais écartons des feuilles périodiques tous les ciseaux,
et des lumières tous les boisseaux , lorsqu'elles agiteront, comme
nous et en /lierne temps que nous, des questions constitution-
nelles et législatives, qui seront. bientôt traitées avec une liberté
sans bornes et sans censure dans presque toute l'Europe•


Que gagneriez-vous à leur imposer des chaînes en France
lorsque, dans la plus grande partie de l'Europe, des révolutions
achevées ou commencées vont rendre la liberté des journaux
complète et presque universelle' Ce que vous voulez étouffer




( 47 6
)


chez nous viendra de tonte l'Europe plein de vie , de force, et
peut-être alors d'indignation et de colère. Etablirez-vous donc
une barrière de douanes contre les feuilles étrangères, comme
une barrière de censeurs contre les vôtres ? Dans ce cas, j'avertis
les ministres de deux choses ( peut-être ils m'en sauront gré ) t
la première, c'est qu'il n'y a rien dans le projet de loi qui puisse
les y autoriser ; voilà dès-lors pour eux l'occasion de rendre plus


ranchans , par un même article , les ciseaux que je veux &tous-
ser, moi .


, par un amendement. Mon second aVertiSsement, c'est
que les barrières des douanes , dont la surveillance est si sou-
vent trompée dans tous les genres de contrebande , ne peuvent
rien du tout, mais rien du tout, contre l'introduction des feuilles
étrangères prohibées. Ces feuilles , qui ont si peu de volume et
de poids , volent comme sur l'aile des vents , sed non sine- lu-dibria ventis, mais elles n'en sont pas les jouets ; on les saisit
au vol, on en fait des recueils , et des mains sûres les font cir-
cele •


dans l'un et l'autre hémisphères.j Messieurs, si les écrivains publics et les feuilles de tous lesours ne pouvaient plus parler de politique ; si , lorsqu'on a
préparé des prisons, on pouvait encore im poser silence et fermer
bientôt la porte de cette enceinte aux véritables amis du trône
constitutionnel et de la liberté ; alors aussi tout ami sincère de
sa patrie devra s'écrier ici : cc Français, c'est à vous seuls main-
tenant à prendre soin de vos libertés, de Votre honneur ; vous
ne le pourrez que par une inébranlable fermeté.


*Voici mon amendement : Je demande qu'il soit ajouté à la
fin de l'article 5 ces mots : « Ne pourront néanmoins les cen,


seurs supprimer rien de ce qui concerne l'examen des ques-
» tions politiques. D>


•L'amendement de M. Basterrèche est mis aux voix et rejeté..
On demande à aller aux voix sur l'article.
La chambre continue la discussion au lendemain.
La séance est levée à six heures.


Séance du 29 mars.


L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion sur
le projet de loi relatif aux journaux et écrits périodiques.


211. Devaux. Le ministère a tracé des règles à la censure. Il
nous a promis de les faire religieusement observer; c'est nous 7'
faire espérer la liberté sous le règne de l'arbitraire. Je viens ré-
clamer quelque faible garantie de l'accomplissement de cette
promesse et de la réalisation de cette espérance.-




( 477 )
Je trois trouver quelque adoucissement à ce rude arbitraire


de la censure dans la conversion des règles proposées par le mi-
nistère en dispositions législatives. Ces règles ne peuvent effrayer
l'arbitraire , quelque ombrageux qu'il soit de son naturel , car
elles sont son ouvrage. Elles acquièreront plus de force si elles
sont insérées dans la loi : elles cesseront d'appartenir à unetbéorie
dont il est toujours plus facile de se jouer ., ou qu'il est plus aisé
de condamner à l'oubli , qu'une loi positive.


Les écrivains auront le droit de consulter ces règles pour s'y
conformer clans leurs compositions et la certitude de ne les avoir
point enfreintes ; l'espérance légale que la censure doit rester
désarmée devant leur respect pour la loi, leur donnera le cou-
rage de dire des vérités utiles.


Ces règles garantiront les écrivains des caprices de la censure,
ou leur donneront un point d'appui dans le développement de
leurs justes réclamations auprès du ministère.


Leur insertion dans la loi sera utile aux censeurs eux-mêmes.
Dans le vague où l'autorité les a toujours laissés, ils étaient portés,
par la peur de se compromettre, à une excessive sévérité ; si les
règles ne font pas disparaître l'arbitraire, elles peuvent servir à
en diriger l'exercice.


Elles ne permettraient pas non plus à la censure de supprimer
dans les journaux les débats de vos séances , ou d'y faire insérer
une analyse infidèle des discussions, ou de défendre l'insertion
des opinions des députés contraires aux vues ministérielles. Il
y aurait de la part des censeurs abusant ainsi de leur pouvoir,
une prévarication que les règles mettraient à découvert, et dont
le ministère deviendrait lui-même responsable , si quelque jour
ce mot de responsabilité acquérait dans notre droit public une
signification réelle.


Voici l'amendement que je propose à l'article 4 : cc Les cen-
» seurs devront, dans les écrits soumis à leur examen préalable ;
» laisser dire tout ce qui est utile dans le but légitime des écri-
» vains , d'après leur propre jugement, et quelque opinion qu'en
» aient les censeurs; ne rayer que les injures et les outrages; to-
» lérer toutes les opinions , à moins qu'elles ne soient évidem-
» ment contraires aux principes de la morale , de la religion ,
» de la charte et de la monarchie ; abandonner tous les actes
» de l'administration et des fonctionnaires à l'investigation la.
» plus curieuse , au développement de tous les griefs qui en
» naissent ; mais protéger les personnes et les fonctions. »


ill. le ministre de l'intérieur. On a indiqué, dans l'exposé des
anetifs de la lei, la manière dont la Censure serait exetee ., parce.




( 478
)


que, comme il y avait beaucoup de préventions contre cette cen-
sure , il était tout simple que le gouvernement fît connaître ses
intentions à cet. égard. Il nie semble qu'il n'y a pas lieu du tout
à insérer dans la loi , par amendement, la partie.citée de l'ex-
posé des motifs. — On demande à aller aux voix.


M. Manuel. J'ai peine à croire, messieurs, que les obser-
vations que vous venez d'entendre aient pu vous satisfaire , et
qu'elles vous paraissent anéantir les motifs de l'amendement.
En vain le ministère dirait : n'avez-vous pas assez de confiance?
on lui répondrait que cette confiance pourrait ne pas suffire le
lendemain du jour où elle admit accordée, qu'un moment d'hu-
meur pourrait faire oublier les promesses Ministérielles , et: que
ces promesses faites, le ministre pourrait bien ne pas concevoir
la censure telle qu'il l'aurait annoncée. Et la chose est ici d'au-
tant plus importante, qu'il y a divergence dans la manière de
voir des ministres. On disait assez plaisamment dans une der-
nière séance , qu'il restait à savoir si la loi serait exécutée à la
façon de l'un ou de l'autre ministre qui ont été entendus. L'état
de cette divergence vous convaincra qu'il serait dangereux de
rien laisser dans le vague, et que la pensée du gouvernement
doit el re fixée dans la loi. Or, cette pensée est dans les motifs
exposés, et je ne sais quel inconvénient il pourrait y avoir à ne
pas les énoncer dans la loi. Il ne faut pour cela que cinq lignes
ae plus qui n'embrouilleraient pas la loi et n'y répandraient au-
imne confusion ; n'en voulez-vous que quatre , que trois , que
deux, réglez-en le nombre ce sont des principes généraux que
nous demandons, et des principes généraux d'exécution très-
essentiels à fixer dans la loi.


Quand la censure existait, les ministres avaient aussi pris l'en.
gaiement que la loi serait exécutée de manière à ce qu'on ne
pût leur faire aucun reproche ; on avait dit qu'on n'empêcherait
de rien dire que ce qui serait contraire à la monarchie , à la re-
ligion, à la morale ; or, voulez-vous savoir comment on a res-„
pecté les opinions tout. à-fait étrangères à ces objets dignes de
tous les respects? Voulez-vous savoir comme on a observe


. , sous
la précédente censure, ces règles qui malheureusement n'étaient
pas écrites dans la loi : le voici. ( Profond silence. )


Il existait. un système de colonisation , dont les avantages ou
les inconvéniens pouvaient être utilement débattus. Le 24. mai


j
18, 7


, ordre du ministre de la police de n'en pas parler dans les
ournaux.


Une lettre écrite sur les affiiires de Saint-Domingue devait


( 479 )
assurément intéresser la France : ordre du 28 octobre 181 7 de
n'en faire aucune mention dans les journaux.


Les Lettres Normandes étaient un ouvrage périodique : ordre
le 17 novembre i 81 7 de ne pas l'annoncer.


Une brochure sur les officiers à demi - solde parait : même
ordre de silence.


M. Berenger jurisconsulte distin gué, compose sur notre
justice criminelle un ouvrage plein d'instruction et de talent ,qui ne porte atteinte à qui que ce soit; seulement il indique
ouelques abus et certaines imperfections de la législation exis-
tante : eh bien ! le 4 mai 1818 , M. le ministre de l'intérieur
déclare que l'ouvrage de M. Bérenger ne pourra paraître men-
tionné dans les journaux.


La Chionicle scandaleuse paraît : il est défendu aux journaux
d'en parler. Même défense à l'égard de la comédie intitulée :
Orgueil et Vanité.


On compose un recueil des documens ouais dans la collection
du Moniteur : ordre de ne point annoncer cet ouvrage, qui pou-
vait renfermer des matériaux importans pour l'histoire.


On annonce un cours de jurisprudence littéraire d'après les
doctrines de MM. 'Vatimesnit et Marchangy ; ordre de n'en pas
parler dans les journaux.


Voilà de quelle manière on a agi lorsqu'il était question de
l'énonciation de la pensée et des opinions des écrivains.


Voyons maintenant comment on a agi lorsqu'il était question
des intérêts particuliers.


Le i 3 juin 181 7 , le sieur Maubreuil fut encore l'objet de
poursuites qui ont donné lieu à de longues procédures ; il se
plaint d'avoir été livré à un . secret épouvantable , et d'avoir été
victime de graves sévices ; ordre aux journaux de ne parler de
l'affaire Maubreuil que lorsqu'il serarendii compte du jugement.


M. le comte de Crequembourg est arrêté à Paris, jeté dans
un cachot ; et le rédacteur est invité à ne point mentionner cette
arrestation. Plus tard il est mis au secret, et la prohibition est
renouvelée.


MM. Boubers et Collier, fournisseurs de fourrages, élèvent
une réclamation dans les intérêts particuliers de leur entreprise ;
je ne sais quel motif a pu porter le ministre à défendre de par,.ler de cette affaire ; niais l'ordre prohibitif a été donné.


Le 29 septembre 1818 , S. Ex. desire qu'on ne répète pas
dans les journaux un article du Moniteur, dans lequel on dit que
le sequestre des biens des Français en Espagne n'est pas encore
levé : assurément un fait aussi grave intéressait un grand nombre




( 48° )
de familles françaises ; c'était le Moniteur lui-même qui avait
annOncé ce fait , et les autres journaux reçoivent la défense de
le répéter.


Le Roi donne une audience ; rien n'est plus naturel sans
doute que de laisser connaître à qui le Roi accorde cette faveur;
défense aux journaux de parler des audiences du Roi.
, Le sieur Marchand, dont le frère a péri si malheureusement
parce qu'au lieu d'exécuter un jugement qui le condamnait au
Bannissement, on l'a enseveli dans un cachot, s'adressait aux
chambres pour demander justice de cet acte arbitraire; les jour-
naux ont reçu ordre de ne point. rendre compte de sa pétition.
( Très-vifs murmures à gauche. )


Voyons ce qui s'est passé à l'égard des nouvelles d'intérêt
général.


Le 4 mai 181 7 , M. le rédacteur est invité à ne pas répéter
Un article du Journal des Débats, extrait du Illorning-Chro-
nide , relatif à une dépêche du gouvernement anglais qui aurait
!!;té ouverte. Il était peu à craindre que l'on présumât que ce
moyen de corruption eût été employé par les agens du gouver-
nement français, mais il était important que le fait fût éclairci,
et pour cela il ne fallait pas défendre qu'on en parlât.


Une conspiration éclate à Bordeaux . ; c'était l'affaire Randon
ordre, le 5 mai 181 7 , de n'en pas parler.


Relativement aux actes de l'autorité, l'on vous dit qu'on veut
les laisser. livrés à l'investigation la plus scrupuleuse.


Eh bien! le 20 mai 181 7 , le maire de Rouen avait fait une
proclamation ; ordre de ne pas la répéter dans les journaux.


M. le duc de Trévise avait donné un ordre du jour; M. le
préfet de la Seine-Inférieure avait. pris un arrêté conformémentjaux ordres de S. Exc. ; il est défendu d'en faire mention dans lesournaux.


Le concordat. était sans doute d'un intérêt assez général; eh
bien! le 8 août i81 7 , il.est défendu de parler du concordat avec
le pape, et en général des affaires ecclésiastiques. Voilà de quelle
manière la liberté était entière sur des matières si graves et qui
intéressaient si puissamment l'état de la France.


Le rédacteur est invité à ne pas parler des nouvelles de Bor-
deaux jusqu'à nouvel ordre ; ainsi on aurait eu beau à Paris être
intéressé à savoir dans quelle situation cette ville se trouvait, il
_fallait à Paris qu'on ignoreit.ce qui se passait à Bordeaux.


Vous parlerai-je de l'affaire Fualdès, de l'article du Journal
de Paris, de l'insulte grave faite à la France par un noble lord.
au sein du parlement _anglais, de l'indignation qu'elle excita


des réponses qui liai furent faites; et vous dirai-je que le rédee
Leur est encore invité à n'en parler en aucune manière. C'en est
assez, ce me semble, pour vous prouver qu'on ne s'est pas soues
mis aux règles que le ministère avait reconnu être celles d'après
lesquell es la censure devait être dirigée: . Et pourquoi? c'est que
ces rées n'étaient nulle part écrites dans la loi , parce qu'elles
fie liaient ni le' ministère, ni les censeurs. Si elles eussent été
dans la loi , le ministère aurait en vain prétendu donner un or-
dre arbitraire ; les censeurs trouvant dans la loi les régies de leur
devoir, se seraient crus obligés de s'y soumettre, et nous aurions
eu une garantie que le ministère n'aurait pas excédé lés bornes
dans lesquelles la censure devait se renfermer.


Ainsi •'amendement proposé ne nie semble pas susceptible
d'une controverse sérieuse ; si vous n'enchaînez pas les censeurs
par les termes précis de la loi, vous les mettez dans le cas de
consulter l'humeur quotidienne des ministres, et non pas des
règles constantes. J'espère donc que si la chambre se décide à
accorder l'arbitraire , elle voudra qu'au moins il soit renfermé
dans des limites telles, qu'il ne puisse s'élever un cri d'indigna-
tion trop fort contre l'es abus.


En finissant, Permettez-moi de repousser une insinuation
qui a été faite pour vous déterminer à rejeter tous les amende-,
mens. Cette insinuation consiste à dire qu'en adoptant un seul
amendement, vous serez obligés de renvoyer la loi à la cham-
bre des pairs. Eh messieurs ! quel si grand inconvénient.y aurait-
il? cela n'occasionerait qu'un retard de trois à quatre jours
dans l'exercice de la censure ; et . convient-il, pour éviter ce
retard, de compromettre les intérêts les pies chers de la justice
et de la liberté; certes vous ne pouvez le penser. Je demande
l'adoption de l'amendement.


Cet avis est fortement appuyé à gauche.)
.M. le ministre des affaires étrangères. Sur le fond de la


question, je crois n'avoir rien à ajouter en principe à ce qu'a dit
M. le ministre de l'intérieur. if me semble qu'il a exposé la
véritable théorie des lois, lorsqu'il a dit qu'il ne faut pas insérer
dans les lois des instructions relatives à leur exécution, instrue--
fions qui ne feraient qu'y jeter de la confusion et rendre leur
exécution impossible.


Quant aux faits qui ont été cités à cette tribune , il serait fort
difficile.de les discuter. Personne de vous n'ignore que de tels
fiiits pa rticuliers, présentés sans contradiction, sous la forme la
plus avantageuse, peuvent souvent trouver leur application dans
nn ple éclaircissement, dans un renseignement. je répéterai;


ir.


iii




( 48. 2 )
ici ce que j'ai eu l'honneur de dire dans la séance d'hier, que peu- •
dant le régime de la dernière censure, la France paraissait dans
une position toute particulière, position malheureuse , je dois
le répéter, où d'autres que des Français étaient placés en France
de manière à observer ce qui s'y disait et ce qui s'y 'faisait.
Cette circonstance explique parfaitement une censure qui, ne
doit pas, qui ne peut se reproduire aujourd'hui.


M. de Chauvelin- Messieurs je n'ai qu'une seule observation
à faire sur ce que vient de dire M. le ministre des affaires
étrangères ; ce ministre ayant d'ailleurs si peu répondu au dis-
cours de mon honorable collègue, je ne vois qu'une observation
à faire , qui tient. au fond de la loi. M le ministre vient de vous
dire que l'impartialité qui était dans l'intention du ministère
résultait. parfhaement de la proposition qui faisait d'abord partie
du projet de loi, c'est-à-dire d'une commission de censure prise
dans les deux chambres. Les motifs qui ont déterminé la cham-
bre des pairs à rejeter cette C01111.111651011 de - censure, telle qu'elle
était composée, sont parfaitement justes, et si cette proposi-
tion avait été soumise dans cette chambre, sans doute elle eût
eu le même sort. Mais de ce qu'elle n'a pas été adoptée, ce qui
paraissait assez probable, puisqu'il semble même qu'elle n'a pas
été mise en avant pour être fortement soutenue, it n'en résulte
pas moins que ce fâcheux établissement d'une censure n'ait
besoin d'un correctif. Le correctif qu'avait proposé le gouver-
nement ne pouvait être admis dans la chambre des pairs, ni dans
celle-ci; il en faut donc un u t re , cela me semble de toute
dence, L'amendement de M. Devaux est ce véritable correctif;
il écarte ce vague de la censure, qui est plus effrayant qu'une
institution déjà si effrayante par elle-même; et sous ce rapport,
il me semble impossible d'éviter l'un des deux partis, ou d'a-
dopter ce qui est proposé, ou de convenir aux yeux de la
France que nous abandonnons la censure à tous ses écarts, à
tous ses abus , à tous ses dangers.


Je ne vois plus qu'un seul argument. eu apparence contraire
à l'amendement ; mais en vérité, il me semble si misérable que
j'ai quelque honte de m'attacher à le réfuter devant vous , c est
celui du renvoi à la chambre des pairs ; c'est lui saris doute qui
a déterminé le rejet .des amendernens les plus justes , les pins
fondés en raison. Dans la discussion précédente on a été beau-
coup plus coulant, et cela parce qu'on avait commencé par pré-
senter la loi dans cette chambre, et qu'il ne s'agissait que de
lui faire suivre sa route naturelle vers la chambre des pairs. Cela
ne retardait point l'exécution des moyens de se préparer ; celaI


( 483 )
la'empêchait point d'augmenter le nonibre des gendarines:.•i
< Des murmures s'élèvent. ) Mais ici les censeurs attendent , et
on ne veut pas qu'ils attendent deux jours de trop; mais puisque
déjà oh petit faire arrêter, l'inconvénient de laisser encore deux
jours de plus devient infiniment moindre. Je vota pour l'amen-


delLn enpt r. ésident met aux voix l'amendement de M. Devaux. Il
est rejeté à là même Majorité. (De violeus murmures éclatent à
gailelte.)


M. .13eguseiJour. Toutes les tentatives pour faite i'êtrog•ader
la marche de l'esprit public n'ont d'autre résultat que de rendre
odieux le goto eietement assez aveugle pour les employer ; et
vouloir gouverner les peuples contre l'opinion générale, les
empêcher de connaître la vérité et les abus du pouvoir que com,
mettent quelquefois ses agens , c'est matcher directement contre
son objet..


L'a iïament que les journaux attaquent et tuent lés réputations
est bien faible pour :11.1.e. ' tin des principaux motifs de lac
renvir e , pour sauver l'état.


De deux Choses l'une ou les réputations sont usurpées ; et
(dors je nevois aucun inconvénient que le fourbe soit dénias,
que.; ou les réputations sont bien et justement acquises , et alors
?es injures d'un journaliste n'y feront aucun échec; ou bien si le
fait avancé est faux, calomiiieus ou contraire aux bonnes fureurs,
l'offensé peut s'adresser aux tribunaux pour en obtenir les ré-
parations qu'il croit lui être dues; chacun est garant de ces
faits; les éditeurs responsables en répondent en effet.


. Mais parce qu'on aura attaqué par des faits vrais un homme
qui voudrait jouir dans l'ombre , par l'ignorance de ceux qu'il
a su duper, d'une réputation que les faits publiés contre lui dé-
truiraient , je ne suis pas da tout convaincu qu'il faille empêcher
le publicité de ces frits, hi que l'état soit en péril, parce qu'on
aura démasqué un fourbe ou un fripon ; ou que, rapprochant
les discours ou les opinions de tel homme public à. telle ou
telle époque, on aura fait voit que par suite du progrès des lu-
mières, on par le résultat de nouvelles réflexions Ou de nouvelles
dignités, il ne pense ou n'agit pas aujourd'hui comme il a pensé
ou agi à telle autre époque. Il me semble, pour adopter cette
opinion, qu'il faudrait penser que l'existence de l'état tient à
bien peu de chose, si on la faisait dépendre d'une cause aussi
peu importante.


Je conçois, en effet, qu'il serait beaucoup plus agréable de
.pouvoir commettre comme autrefois, toutes sortes d'abus.




( 484 )


toutes sortes de vexations, toutes sortes d'actes arbitraires sans
que ceux qui en sont l'objet ou ceux qui en .sont témoins ,
eussent. le moindre moven de faire connaître au public leurs
justes plaintes. Ce serait proprement vouloir mettre un bâillon
éceux que l'on immole, pour s'épargner le désagrément d'en-
tendre leurs gemissemens.


On vous fait envisager l'abus énorme qui résulte pour le
gouvernement de cette liberté, au moyen de laquelle, dit-on,
on l'avilit en la personne de ses agens : eh! messieurs, est-il
de l'essence', du gouvernement représentatif d'adorer d'une ma-
nière stupide, comme cela doit être dans le gouvernement des-
potique, tous les actes que casques de l'administration; tous
sont au contraire soumis à l'examen.


S'il est de l'essence du gouvernement représentatif que tous
les hommes aient droit de juger ses actes, il faut de toute né-
cessité qu'ils puissent en être instruits; que toutes les raisons
pour et contre soient discutées, pour qu'ils puissent former leur
opinion en connaissance de cause; et que, dans la session sui-
vante des chambres, les dépetés puissent apporter de leur dé-
parlement le résultat de cette opinion pour ou contre telle ou
telle mesure . adoptée par le gouvernement.


L'institution des cahiers ., .lors des anciennes assemblées des
états-généraux, n'avait pas d'autre objet ; aujourd'hui c'est l'o-
pinion générale qu'il fhut consulter, à défaut de cahiers ; et ne
craignons pas pue jamais elle s'égare sur les objets importuns
ni qu'elle soit détournée par les sophismes des journaux. La
nation en masse est toujours sage, et ce ne sont pas les feuilles
périodiques qui l'égarent : mais pour juger sainement, il faut
qu'elle soit instruite des faits et des circonstances; elle ne peut
l'être que par les feuilles publiques et leurs discussions.


On a semblé craindre que cela n'influe sur la liberté de vos
discussions, de .os délibérations; il me semble que quand on n'a
rien à dire de contraire à l'intérêt public, on n'a soi-même au-
cun intérêt à le. cacher; ainsi nul inconvénient a ce que la pu-
blicité des journaux le porte aux extrémités de l'Europe.,


Il nie paraît fort étrange que l'on tous vante la part que
le peuple prend dans les aflaires publiques, tandis qu'il n'y a
pas un seul maire de ville ou de campagne , pas un adjoint ,
pas un membre du .


conseil municipal, pas un juge de paix, pas
un percepteur, pas un receveur, pas un préfet, un sous-préfet,
un curé de village, un officier de la garde nationale, jusqu'au
garde champêtre enfin, dont la nomination ne soit faite par
l'autorité seule et sans la participation de ce même peuple qui


4i15 )
prend dit-on , une part si considérable à ses affàires : il ne lui
restait plus que le droit de pouvoir en être informé, et Pen
veut l'en priver aujourd'hui!


Si le peuple a paru à l'autorité un animal féroce si (lange:.
reux, il faut convenir que l'on e pris bien des précautions pour'
le museler de manière à ce qu'il ne pût pas même se plaindre,
dans l'état de servitude et d'avilissement oirl'en veut le retenir.


Les élections, les pétitions et les journaux lui 'permettaient
encore de rappeler quelques souvenirs de son existence
tique. Les élections sont réduites à ne plus exprimer que la vo-
lonté des ministres par l'absurde projet de loi qui vous a été
présenté, et qui va incessamment être soumis à votre discussion.
Le droit de pétition, expressément conservé par la Charte, est
aussi menacé d'être réduit à rien par le projet qui vous s été
développé dans une des dernières séances; celui des journaux
va être anéanti. J'oserai demander aux partisans de ces divers
projets, en quoi consisteront alors les droits du peuple? Sera-ce
uniquement. dans le droit de choisir nécessairement les candidats
qu'on lui aura imposés, ou dans l'obligation de payer les impo-
sitions qu'ils auront Votées ? Il était inutile de faire la révolu-
tion , de combattre trente ans contre toute l'Europe, pour ob-
tenir ce beau résultat , qui compromet même tous les intérêts
matériels de la révolution par la combinaison de cette loi avec.
celle sur la liberté individuelle et celle des élections.


Mais je vois tous les partisans de ce système nous menacer
du courroux de toute 'l'Europe, si on ne réprime pas quelques
journaux ri Paris, ou plutôt si la censure n'en est pas remise à
la police. Pour nous compter de pareilles rêveries, il-faut qu'on
nous prenne pour des imbécilles, où pour de t, onfans à qui on
fàit peur des revenans et des fantômes, pour les empêcher d'aller
en tel ou tel lieu dont on veut leur interdire l'entrée.


Mais, de bonne foi, peut-on espérer de faire croire à des
hommes raisonnables que toute l'Europe veuille s'armer, parce.
que, dans telle ou telle rue obscure de Paris, ou de telle autre
.ville, on imprime telle ou telle feuille périodique ? que toute
l'Europe veuille compromettre sa tranquillité, peut-être l'exis-
tence de ses gouvernemens, pour empêcher un écrivain obscur-
de faire savoir ce qu'il pense de telle ou telle mesure de l'admi-
nistration, de telle ou telle action d'un. in inistre , ou d'un autre-
personnage remarquable? En vérité, de pareilles assertions sont.
trop puériles pour qu'on y réponde•sérieusement.


Mais le vrai motif pour lequel oh veut à tout prix détruire la
liberté des journaux, c'est qu'en faisant connaître le résultat de




( 486 )
l'opinion, et transmettant au public tous les faits, tous les actes
administratifs, avec les réflexions que leur suggère souvent telle
ou telle mesure administrative, ils réveillent l'attention au sujet
de ces actes, et quelquefois rappellent au public des abus d'au-
torité , dont certains administrateurs ne sont pas toujours assez
économes. C'est pour se soustraire à la responsabilité morale qui
en résulte pour eux, que l'on cherche toutes sortes de moyens
d'anéantir les journaux. Et si ce n'était en effet là le but, pour-
quoi argumenterait-on du mépris que cette publicité attire sur
les agens du pouvoir ? Eh ! messieurs, qu'ils se conduisent tou-
jours sagement et d'après la loi , cette publicité ne sera pas à
redouter pour eux. Mais ils veulent être d'une espèce distincte.
des autres hommes , faire ce qui leur plaît sans égard au droit,
et ils ne veulent pas qu'on puisse se plaindre ; cela est un peu
fort. Au fait, qui est-ce qui les paie? qui est-ce qui acquitte le
budget? Ne gouvernent-ils pas pour le bien de tons? tous n'ont-
ils pas intérêt de savoir comment on les gouverne? tous ne de-
sirent-ils pas l'être au meilleur marché possible ? tous ne sont-ils
pas intéressés aux affaires publiques ? tous ne doivent-ils pas y
prendre une part plus ou moins active ? Puisque tous en sup-
portent les charges, ce serait une doctrine bien étrange dans
un gouvernement représentatif, que la division en deux classes
d'hommes pour les droits.


L'une, et c'est la plus forte, la plus nombreuse, la plus puis-
sante, représentant tous les intérêts appréciables ou non appré-
ciables de la révolution, réduite en quelque sorte à la seule
fonction automate de payer les dépenses de l'état, de fournir
les soldats, les marins, les agriculteurs, n'aurait pas la faculté de
s'informer ni quelles sont les dépenses ni les charges de ce même
état chaque année; si elle peut: espérer un soulagement dans la
masse de celles qu'elle supporte; si elle peut avoir un débouché
pour les productions de sa récolte; ou si les intérêts divers des
nations lui permettront de tenter l'établissement d'une fabrique,
une spéculation lucrative ou un armement maritime pour na
pays éloigné.


L'autre, au contraire, composée de tous les agens de l'admi-
nistration, n'aurait d'autre but, d'autre objet et d'autre occu-
pation, que d'exploiter de la manière qu'elle croirait la Plus
lucrative et la plus agréable toutes les branches de cette admi-
nistratinn, sans pouvoir même y être troublée par la moindre


Vplaisanterie. Un pareii gouvernement est le gouvernement deenise; niais en France, avec l'égalité des droits, il ire Fut
être reçu.


( 487 )
On voudrait persuader à tous les employés civils depuis le


*


garde champêtre jusqu'aux ministres de S. M:, et à tous les
Militaires, depuis le dernier tambour de l'armée jusqu'au ma-


réchal de France , qu'ils sont d'une espèce distincte du reste de
la nation , dont on essaie de les séparer autant que l'on peut,
en s'efforçant de leur faire considérer la masse de cette nation
comme le peuple, fait uniquement pour les payer et les nourrir.
Mais ceux qui voudraient leur suggérer ces idées sont sur cela
dans une extrême erreur : cette même armée, composée en
entier d'hommes qui étaient citoyens avant d'être soldats, n'a
j amais renoncé à cette qualité honorable ; sortis de la classe
nombreuse destinée à acquitter les charges de l'état, et devant
v rentrer aussitôt que la défense de la patrie à laquelle ils se sont
consacrés cessant d'exiger d'eux le sacrifice de leurs plus belles
années, ils déposeront ces mêmes armes qu'elle leur a confiées
pour la défendre et non pour l'asservir, ou dès qu'ayant payé
heur dette à cette même patrie, ils transmettront ces armes à
leurs jeunes frères.


Vain espoir, tous les efforts que l'on ferait pour séparer la
cause de l'armée de celle de la nation dont elle est extraite , et
pour faire considérer ceux qui la composent connue une classe
d'hommes supérieure, une aristocratie permanente (comme sous
l'ancien gouvernement), ces efforts seront toujours impuissans
près du soldat français : il restera toujours fidèle .à cette devise
sacrée qui fut la sienne dans tous les temps : Honneur et patrie !


Dans l'intérêt du gouvernement, aussi bien que dans celui
de la nation , qui devraient toujours être le même , je vote le
rejet absolu de toute la loi; mais si elle est adoptée, je demande
que l'on amende l'article 4 ainsi : ((Le censeur donnera un reçu
» constatant le moment du dépôt du manuscrit, et ne pourra
» le garder plus de vingt-quatre heures, à dater de ce reçu,
-» sous peine de. dommages-intérêts envers l'éditeur. D>


L'amendement que je vous propose a principalement pour
objet d'empêcher le monopole de certains journaux, en faisant,
pour ainsi dire, avorter entre les mains des censeurs les nou-
velles que les autres voudraient annoncer. En . effet, messieurs,
;je suppose que les censeurs soient intéressés dans une entreprise
de.journal; alors ils retiendront les nouvelles qui leur seront
soumises un, deux ou trois jours, sous prétexte de n'avoi • pas
eu le loisir de les examiner, niais en effet pour accréditer le
journal auquel ils seraient intéressés ou dont la gratcation
serait la plus avantageuse. Je persiste donc à demander que la
loi, que je rejette d'ailleurs en entier, soit amendée dans cet


a




( 488 )
article, de manière à conserver la propriété des éditeurs, pro-
p riété garantie par la charte, tout aussi. bien que celle des biens
nationaux.


M. le président. La proposition de M. d•Beausejour ;
rela-


tivement à son amendement, est-elle appuyée 2 (Voix àgauche : Oui ! oui !)
L'amendement est mis aux voix, et rejeté.
M. le président lit l'article 5 du projet de loi , ainsi conçu
Art. 5. Tout propriétaire ou éditeur responsable qui aurait
Lit •imprimer et distribuer une feuille ou livraison d'un jour-
nal ou écrit périodique, sans l'avoir communiquée au censeur
avant l'impression, ou qui aurait inséré dans une desdites
feuilles ou livraisons un article non communiqué ou non ap-
prouvé, sera puni correctimmellement d'un emprisonnement
d'un mois à six mois, d'une .amende de deux cents francs à
douze cents francs. sans préjudice des poursuites auxquelles
pourraient donner lieu le contents de la feuille, livraison et
a rticle.
M. Daunou. Messieurs , l'amendement que j'aurai l'honneur


de vous proposer sur l'article 5, 'tend à ne pas laisser aux juges
la faculté d'étendre l'emprisonnement jusqu'à six mois , et l'a-
mende jusqu'à douze cents francs. Que les peines soient pro-
noncées par le tribunal de police correctionnelle ou par la cour
d'assises, toujours est-il injuste et dangereux de laisser à des
ijuges quelconques, dans nue matière en soi simple et uniforme,e pouvoir de doubler, tripler, sextupler à leur gré l'une et
l'autre peine. Vous n'avez voulu poser aucune limite au pouvoirjarbitraire des tenseurs : mettez au moins une borne à celui desuges; et, par respect pour le caractère de leurs fonctions , ne
les exposez point à' parteger,avec la censure la honte de la par-
tialité .


.. Que la censure soit partiale, c'est sa nature; il faut n'en
las vouloir ou la vouloir telle. Mais il ne doit entrer jamais
rien de pernicieux, ni, je le crois, d'arbitraire dans les actes
de la justice.


Cependant, si vous n'introduisez pas dans l'article des diapo-
sitioas plus précises, il est trop aisé de prévoir que les con-
damnations s'aggreveront à raison du contenu même des feuilles
soustraites à la censure. Le ministère public ne se bornera point
à se plaindre de cette soustraction; il discutera, pour provoquer
des jugemens plus sévères, le fond, les principes, ou, comme on
a dit ;les doctrines des écrits périodiques, publiés en tout ou ers
partie, sans approbation préliminaire. Or, c'est ce qui arrivent
unnianqueblement I à moins que vous n'y mettiez obstacle, ,


( 489 )
Pour concevoir toute l'étendue de ce danger, il lite observer


qu'outre les crimes et délits prévus par la loi du 1 7 niai, outre
ceux-mêmes que d'autres lois pourraient prévoir encore, on
s'accout ume à parler vaguement des doctrines perverses, perni-
cieuses, condamnables, que l'on ne détermine point, et don t
il serait même tout-à-fait impossible de fiiire.un exposé clair,
précis et applicable. Assurément vous n'avez pas, et à moins
que vous n'abolissiez en France toute liberté d'opinions, vous
n'aurez jamais un corps de doctrine politique consacré par une
loi , et hors duquel il n'y ait que des théories prohibées, comme
erronnées et funestes. C'est pourtant d'après cette hypothèse
chimérique, et qui se réduirait, pour ceux qui voudraient s'en
rendre compte, à dire qu'ils condamneront toute doctrine qui
ne sera pas la leur propre ; c'est d'après des décisions si vaines,
si dénuées de tout genre d'autorité , qu'on prétend établir, non
pas une législation, niais je ne sais quelle jurisprudence de la
presse. En cette matière, comme en toute autre, il appartient à
la lui de déterminer les actions coupables, les attentats privés
ou publics. Dors delà, toute faculté laissée aux juges de punir,
par des aggravations de peines, les opinions qui leur déplaisent,
est un désordre beaucoup plus déplorable que ceux que vous
vouiez ou réprimer ou prévenir. Je parie des juges, messieurs,
et de leurs fonctions honorables, je ne parle pas des censeurs
dont. la mission essentielle est de Com primer les pensées, et de
mettre obstacle à la publication de certaines (-minions. On vous
proposait hier de soustraire à leur examen les discussions de
questions politiques : c'est justement pour prendre ce soin qu'ils
sont institués , sans cela , leur ministère serait aussi inutile
qu'odieux. Mais, après la censure préalable nécessairement ar-
bitraire, il vous est possible encore de ne point appeler les tri-
bunaux à exercer, dans la graduation des peines, un pouvoir
arbitraire du même genre.


Quand il s'agit de peines encourues pour avoir publié ce qui
n'a point.été communiqué ou approuvé, si vous laissez aux j u-
ges la &cuité d'arbitrer les peines d'après ce qu'ils penseront
des doctrines professées dans un journal, vous leur conférez un
pouvoir quo la loi elle-même n'a point encore pris. Si ces pei-
nes sont graduées à raison de délits prévus par la loi du t 7 mai
)819, il y aura confusion de juridiction et renversement de
l'ordre établi par la loi du 26 mai. En conséquence, j'ai l'hon-
neur de proposer à la chambre ou de supprimer dans l'art. 5 les
mots d ais mois et d douze cents lAines, ou du moins d'ajou-
tee à l'article que l'aggravation des peines au-delà d'un mois


Y)


y)


I)


Y)


y,


y)


D)




( 49 0
)


de prison et de deux cents francs d'amende, n'aura lieu qu'eu,
raison du nombre et de l'étendue des articles soustraits à la
censure ou à cause de récidives.


Bunjamin- Constant. Il est clair que la question se ré-
duit à des termes bien simples. Dans la publication d'un article
non communiqué, ou non approuvé, il y a le délit de publica-
lion contre la loi censoriale que vous allez faire ; il peut y avoir
un autre délit qui résulterait du contenu de l'article.


Lest clair que la première condamnation ne peut jamais avoir
lieu que pour la simple publication de l'article non communiqué.jSi un tribunal qui jugera correctionnellement ce délit, est tou-ours le même dans toutes les circonstances; si vous donnez la
faculté (le prononcer des peines dierentes , vous lui accordez


`gratuitement, sans aucun motif quelconque, un pouvoir arbi-
traire, qui s'introduit là je ne sais comment. On serait tenté
de croire que c'est une distraction d'arbitraire venue de l'habi-
tude. ( On rit. )


Puisque je suis à cette tribune, je ferai une autre observation
sur le vice de l'article. Je crois que mon honorable collègue a
été trop loin dans une concession qu'il a faite. 11 ne m'est pas
prouvé que le délit sera nécessairement soumis an jugement par
jury. La loi pénale e établi des faits pour lesquels on est passi-
ble du jugement par jury ; le fait de publication d'articles non
commun iqués à la censure n'a pu être mis au nombre de ces
frits, puisqu'il n'existait pas alors de censure. Je crois que le
gouvernement ne peut soustraire les citoyens au jugement par
jury. C'est un vice dans la loi, et le ministère pourrait être fort
embarrassé, lorsqu'un écrivain se sera rendu coupable des in-
fractions dont il est question, s'il venait à réclamer le jugement
par jury.


Je reviens à l'amendement. Je soutiens qu'il n'est pas néces-
saire de laisser du juge la fiteulté de graduer la peine, puisque
le délit est toujours le même, et que k cas de récidive est pré-
vu. C'est donc ici un luxe d'arbitraire; j'espère que ia chambre
en fera justice, en adoptant l'amendement de mon honorable
collègue.


Le ministre de l'intérieur défend. l'article. On demande
aller aux voix.


Lacroix-
• rainville. Je demande la suppression de la


disposition de l'article, relative à l'emprisonnement. Si vous
voulez faire de bonnes lois répressives, il ne faut esu'ellqasp
soient trop sévères; il faut honorer les écrivains ' et les punir
quand ils abusent de la liberté qui leur e8 donnée. Pourquoi


( 49t )
des emprisonnemens? ils ne sont faits que pour les malfaiteurs
( 'ive adhésion à gauche). C'est ici à des peines pécuniaires
qu'il faut vous attacher : la peine de prison serait ici fort mal


1, article a deux parties : il comprend l'infraction .et la dis-
position relative à la censure; cette contravention n'est pas un
délit très- grave, et ce n'est que par une peine pécuniaire que
vous pouvez l'atteindre. Si l'article soustrait au censeur n'est
pas coupable en lui-même , pourquoi prononcer l'emprisonne-
,mend et quel sera le tribunal qui prononcera? Si vous admet-
tez l'emprisonnement, il y aura du doute; mais si vous le
rejet ez, et s'il n' y a qu'une peine pécuniaire, il ne peut plus yavoir de doute, 1"affaire est naturellement en police correctioe-
nelle. Je demande que la peine portée clans l'article soit bornée
à l'amende. ( Cet avis est fortement appuyé à gauche. )


M. Bedoch, Quant à l'infraction , le délit est un, il ne peut
ti avoir qu'une peine, et elle ne peut être laissée à l'arbitraire
du tribunal. Cette infraction est une simple contravention; elle
ne peut entraîner la peine de l'emprisonnement. Ainsi, mes-
sieurs, quelque répugnance que la majorité manifeste à, adopter
des amendemens , il me semble que celui-ci est d'une telle j us-
tice , et qu'on ne lui a opposé qu un raisonnement si futile, que
vous ne pouvez vous refuser à l'adopter. J'appuie l'amendement
et le sous-amendement de M. Lacroix Frainville.


Le sous-amendement de M. Lacroix-Frainville est mis aux
vola. et rejeté. L'amendement de M. Dauuou est ensuite mis
aux voix et également rejeté•. L'article 5 est mis aux voix et
adopté.


A1*. Benjamin-Constant. Messieurs, je crois les lois qui
sont présentées à notre adoption , détestables , aussi détestables
qu'aucune de celles qui ont été faites à. aucune époque de la ré-
volution; je les crois plus mauvaises , beaucoup plus mauvaises
que celles dont le ministère de 1817 s'est fait un inérite tde nous
délivrer graduellement. Je crois que la promulgation de ces lois
'détruira en un instant tout le bien qui s'était opéré dans l'opi-
nion depuis le 5 septembre; et-rentends par ce »ion opéré dans


, l'attachement croissant du peuple à ses institutions
. constitutionnelles et au gouvernement qu'il croyait dans. l'in-
tention de les maintenir. Il est donc bien- simple, bien excu-
sable, bien légitime en moi , de chercher, par tous les moyens.
en ma puissance, à retarder un moment que je regarde comme
funeste au repos de mon pays, -à l'établissenient d'une liberté
(lue je me flattais de' voir assurée:, à la stabilité du trône CUIQ




( 492 )
desire inséparable de la liberté; enfin au bien-être privé, à la
sécurité domestique de tous mes concitoyens. Eh messieurs!
quand je n'aurais retardé que d'une nuit l'adoption de la loi de
suspicion et de détention arbitraire, n'aurais-je pas dît me féli-
citer de ce que, pendant une nuit de plus, les Français auraient
pu dormir tranquilles ( murmures à droite), sans avoir, à cha-
que bruit qui eût frappé leurs oreilles, la pensée qu'un délateur
inconnu les a désignés au pouvoir discrétionnaire qui peut les
plonger dans les cachots ? Et si maintenant je parvenais à faire
ajourner d'un jour la loi qui tuera la manifestation de la pen-jsée , et qui étouffera les réclamations des opprimés, ne devrais-e pas lue trouver heureux d'avoir laissé, durant vingt-quatre
heures de plus , une chance à la vérité pour se faire connaître,
pour se glisser peut-être aux pieds du trône, et peur l'éclairer
sur le système ministériel qui tend à perdre et le trône et la
nation? ( Vive sensation n gauche. )


-J'accepte donc pour ma part l'accusation que l'on croit si
propre à décréditer nos derniers efforts. Dans la situation dé.-
sespérée dans laquelle me semblent placées la liberté et la
France>gagner du temps, gagner un peu de tempsest beaucoup.
Cependant le motif que j'avoue ici avec franchise, n'est pas le
seul qui me détermine ; les amendemens que nous proposons,
messieurs, sont sans résultat positif, je le sais; mais ils noms
font pénétrer dans le labyrinthe du système dont on se flattait
de ne nous offrir que les contours extérieurs. Le rejet de dia-
cun des amendemens est une révélation pour nous et pour
la France.


Sans un de ces amendemens, aurions-nous su qu'en vertu (le
la loi précédente sur la liberté individuelle


. , on prétendrait sé-
parer à. discrétion les détenus de leurs familles, leur refuser des,
• doucissemens que l'ancien régime, le despotisme impérial , et
le gouvernement absolu d'Autriche n'osaient leur refuser?


Sans.un autre amendement, aurions-nous su que les détenus
seraient dénués de tous défenseurs? sans un troisième, que si
leur détention les ruinait, ou si leur pauvreté antérieure les
privait des moyens de se nourrir au fond (les cachots, on leur
refuserait les secours alimentaires one le gouvernement de
Louis. XV accordait à ses prisonniers d'état ? Aurions-nous su,
sans un quatrième amendement, que les détenus , dans leur
désespoir ou leur agonie, n'obtiendraient pas même les secours
de cette religion qu'on veut, dit-on, rétablir, et dont les 7.é.hs
défenseurs ont disputé à des captifs les consolations ; car c'est
disputer à des hommes les consolations religieuses, que les con-


( 49 3 )
damner à ne les recevoir que par l'entremise (le prêtres étran-
gers à leur croyance. ( Nouveau mouvement à gauche—. Vive
agitation dans le reste de la salle. )


li en est de même de la loi que nous discutons maintenant.
C'est un amendement qui nous a appris que lorsqu'un homme


serait calomnié dans un journal censuré, lorsqu'il y serait ac-
cusé d'un délit ou d'un Crime, il n'aurait pas le droit même
en adoptant les formes judiciaires, en s'adjoignant la signa-
ture d'un conseil , de lhire rétablir dans le journal calomniateur
la vérité outragée-


C'est par un amendement que nous avons su que nos propres
discussions seraient censurées par des salariés à six ou douze-
cents francs , et que nos commettans perdraient le droit de sa-
voir si nous défendons leurs intérêts, si nous remplissons leur
mandat à cette tribune.


C'est par un amendement qu'il nous a été révélé que les ma-
chinations tendant à introduire des troupes étrangères au sein
de la France, à porter atteinte à la liberté des cultes , à attaquer
les biens nationaux, ne pourraient pas , si dans l'avenir un
ministère favorisait ces coupables manœuvres, être portées à la
connaissance du prince ou du public: Messieurs , ces décou-
vertes sont précieuses ; et l'on doit savoir gré aux auteurs des
amendemens qui nous les ont. procurées.


Celui que je prends la liberté (le vous proposer, et qui sera
rejeté comme les autres, probablement sans qu'on daigne le dis-
cuter, aura cet avantage, que son rejet prouvera que ce n'est
pas uniquement pour réprimer la licence des journaux qu'on
veut la censure, mais pour entourer les journaux, même inno-
cens , de tant de dangers et de tant d'obstacles, qu'on parvienne
à fatiguer les hommes qui ne sont pas doués d'une persistance à
toute épreuve; sauf à frapper ensuite du pouvoir discrétion-
naire ceux qui montreraient plus de ténacité. En effet, quel est
le but avoué de la censure? de confier à des hommes eu qui le
gouvernement a confiance l'examen de tous les articles destinés
aux journaux , de manière à. ce qu'aucun article ne paraisse qui
puisse ébranler les principes que le gouvernement veut mainte-
nir. Or, il est clair que lorsqu'un auteur, soumis à la volonté de
l'autorité , porte au censeur nominé par elle le fait ou l'opinion
qu'il desire publier, c'est à ce dernier à examiner si ce tait ou
celte opinion ont des inconvéniens de doctrine ou de circons-
tance. L'auteur n'est pas libre de choisir, pour juger son écrit,
Nomme dans les lumières duquel il a le plus de confiance; le
eèriaeur lui -est imposé. N'est-il pas souverainement injuste de




( 494 )
lui faire porter la- peine de l'incapacité, .de I sineptie , du date
de tact de ce juge qu'il n'a pas choisi ? Que pouvait-il flaire de
plus que ce qu'il a fait? N'est-ce pas aux ministres qui nomment
les censeurs, it chercher dans leurs bureaux, dans leurs anti.
chambres 'et dans leurs polices, des instrumens qui répondent
tà leurs vues? Ils peuvent leur donner des instructions se:.:rètes
ils peuvent. les mettre dans la confidence de ce qu'ils veulent qui,
soit la vérité d'aujourd'hui, et de ce qui devra être la"vérité de
demain. S'ils ne le font pas, en punir des écrivains
étrangers à tous leurs calculs, des écrivains qui croiront peut-


re avoir écrit dans leur sens, mais qui se trouveront avoir écrit
contre, parce que dans la nuit ce sens aura changé?


Permettez-moi , messieurs , de vous citer un exemple qui
vous frappera. Il y e un an que les censeurs auraient refusé tout
article tendant à Porter atteinte à la loi des . élections. Tel était
l'ordre du ministère d'alors, ministère composé de trois des
membres qui siègent aujourd'hui dans l'ad min isi ration décidée à
détruire cette loi d'élection de fond en comble. Et bien , je sup.
pose un écrivain moins heureusement flexible ; je ne veux point
même lui prêter des motifs bien relevés ; il croit plaire aux
ministres en leur prouvant combien ils avaient raison; il ne se
doute pas que c'est leur faire à présent une injure mortelle. ll
porte son article au 'censeur; celui-ci , adzui dans l'intimité de
quelque protégé du secrétaire de quelque ministre, a recueilli
quelques mots d'embarras ou d'impatience, échappés au maitre
sur l'entreprise clans laquelle il s'est engagé. Le subalterne voit
dans ces paroles plus qu'elles ne signifient : il s'imagine que,
comme les ministres ont déjà varié, ils varient une fois de plus;
la chose est possible, et ,


la conjecture n'est pas criminelle. Il
croit servir leurs vues secrètes ; il permet au malheureux écri-
vain de faire l'éloge du ministre de l'an passé , qui est encore le
ministre d'aujourd'hui. L'écrivain se repose sur la pénétration
du censeur, homme considérable, qui apprend dans la domes•
ticité ministérielle les secrètes intentions du gouvernement ;
a rempli tous les devoirs que vous lui avez prescrits; et c'est lui,
("j'est son journal , c'est sa propriété que vous puniriez de cette
erreur commise clans une antichambre où il n'a jamais péné-
tré Cela serait, messieurs , contre toute justic(. ( Nouveau
mouvement.


Les censeurs sont ries guides que vous donnez à la pensée de
tous les Français. L'auto'


rité prend ces guides où elle veut. Le
ministère n'est pas tellement dépourvu de mémoire, que,se
;.nenuhres ne puissent se souvenir des hommes qui aaient.,g44


( 495 )
un nuire gouvernement, des agens dévoués et dociles. Il peut
rappeler ces hommes à sou service, si toutefois ils en sont sor-
tis : ce sera un acte de reconnaissance; il est doux d'obliger
d'anciens amis. Il a sous la main la matière censoriale. Mais
quand il a fait son choix; quand les écrivains s'y sont confor-
més; quand, humbles et soumis, ils suivent les guides auxquels
l'autorité remet la direction de la chaîne, ils doivent être à
l'abri de toute poursuite.


J'ai cru devoir vous démontrer la nécessité et la raison de
mon amendement, parce que , clans la discussion du projet de
loi de 18,7 sur la presse , il a été contesté par M. le Ministre
des affaires étrangères, alors garde-des-sceaux. Le venin caché,
c dit M. le ministre, peut n'être découvert qu'avec effort et
contention d'esprit. Mais, messieurs, (l'abord ce venin caché
n'est pas bien dangereux s'il faut tant d'efforts pnir le décou-
vrir; et les lecteurs des journaux, feuilles éphémères qu'on par-
court à la hâte avec une attention bien légère, ne démêleront
certainement pas ce qu'un censeur, payé pour cela, et dont ce
ecure de découverte fait la seule gloire et le seul mérite , n'aura
pas remarqué. D'ailleurs les censeurs sont là pour se donner de
la peine, pour faire des efforts, pour s'imposer de la contention
d'esprit. C'est pour cela qu'on les salarie ; c'est leur métier,
c'est la condition de leurs gages, c'est leur gagne-pain. On bien
MM. les ministres croiraient-ils que, par cela seul qu'on est
choisi par eux pour de telles fonctions, on perd toute sagacité
toute pénétration , toute perspicacité. Un poète ancien a dit :
il est vrai , que le jour où un homme libre est mis aux fers, la
moitié de ses facultés l'abandonne; et je conviens que le talent
qui se dégrade cesse d'être du talent. Mais, pour être l'agent
du pouvoir, et surtout du pouvoir discrétionnaire, ce n'est pas
du talent qu'il faut : il suffit d'avoir une certaine intelligence
subalterne , que l'on trouve même clans des créatures autres que
les hommes , une certaine sagacité de police, qui est au moral ce
qu'est au physique l'odorat. MM. les ministres trouveront faci-
lement des censeurs doués de cette qualité, la seule nécessaire;
ils les trouveront clans les gardes-meubles impériaux , qu'ils
connaissent beaucoup mieux que vous et moi.


Messieurs, si vous voulez que les écrivains soient respon-
sables, laissez-les libres ; car la liberté est une condition essen-
tielle de la responsabilité. Si -vous les enchaînez, la responsabi-
lité doit passer d'eux à leurs geôliers , à moins qu'ils ne se ré-
voltent. S'ils se soumettent à vous demander la permission pour




( 46
)


tout ce qu'ils doivent dire , vous ne pouvez les punir ensuite
s'ils ne disent pas autre chose que ce que vous aurez permis.


Mon intention, dans mon amendement, est de forcer MM. les
les ministres à reconnaître, soit dans leur réponse, soit par n n
silence qui sera aussi bien entendu qu'une réponse, que s'ils
veulent que l'autorité puisse atteindre 'les écrivains censurés,
c'est qu'ils veulent pouvoir frapper des innocens pour épouvan-
ter tout le inonde, pour épouvanter tout le ménde , dis-je, et
pour faire taire tout le monde. C'est en.effet , je le dis franche-
ment , ce que le ministère me paraît vouloir. Il n'est pas satis-
fait de n'avoir que des journaux esclaves , il veux le moins de
journaux possible. Il a dans les articles précédens accumulé les
entraves ; en rejetant les amendemens, il accumulera les périls.


Messieurs, comme je le disais hier, la tyrannie n'est dans le
fait que par accident : elle est tout entière dans k droit. Il y a
tyrannie là où il n'y e plus de liberté individuelle; il y a tyran-
nie là où il n'y a plus de liberté de la presse. Les murmures, les
accusations, messieurs, ne changent rien au fond des choses.
Or, la tyrannie a toujours ses résultats. Ces résultats sont de
deux espèces : ou l'abâtardissement, la stupeur, la dégradation
du peuple opprimé ; alors ce peuple descend au dernier rang
des nations. On vous e cité l'Espagne moderne, je vous citerai
l'Espagne ancienne. Libre sous ses anciens Cortés, l'Espagne
était la reine du monde, l'arbitre du commerce, la souveraine
des mers; elle avait trente millions d'habitans. Le despotisme
politique et les persécutions religieuses ont pesé sur elle;' sa sa-
préntatie a disparu, ses trésors se sont dissipés, ses'flottes n'ont
plus été redoutables, et neuf millions d'habit ans pauvres et uns
ont erré sur son territoire.à peine cultivé. Puisse-t-elle aujour-
d'hui que sa liberté renaît, se relever glorieuse, et offrir un
asile à la liberté dont ses voisins sont dépouillés. !


Cependant, cet abâtardissement des peuples. n'est pas tou-
jours le seul résultat de la tyrannie. Ici , messieurs, j'entends
des accusations. On prend des avertissemens pour des menaces,
des - craintes pour des desirs. Hélas! nous ne préparons pas ce
qui pourra être; nous déclarons ce qui est ; BOUS ne le déclare•
rions pas , que la chose serait la même, et ce qui pourra etre
nous remplit d'inquiétude ; car ce n'est pas nous, fidèles à la
monarchie constitutionnelle et satisfaits de la. charte, qui pour-
rions voir sans effroi se rouvrir l'abîme des révolutions.


Messieurs, si, le 31 décembre 8)9, de bons citoyens , de
loyaux Espagnols avaient entouré Ferdinand VII, et lui avaient
exposé respectueusement toutes leurs alarmes, avec quelle rage


( 497 )
les inquisiteurs ne les auraient-ils pas dénoncés? combien de
cachots se seraient ouverts ! combien de tortures auraient puni
cette franchise Eh bien, messieurs , qui aurait en raison? Je
persiste dans mon amendement. (Un mouvement d'adhésion
très-vif se manifeste à gauche.)


.21/.1. le président. L'amendement d M. Benjamin-Constant
est-il appuyé? Voix :;rénérale•à fauche: Oui ! oui !... —Silence
à droite et au centre....


M. Caumartin. La justice et l'honneur de cette chambre me
forcent à dire combien je suis étonné de voir que des amende-
mens si fondés en raison, développés d'une manière si puis-
sante, restent sans réponse.... ( Voix d droite : C'est une ma-
nière de répondre !... D'autres: On ne veut que prolonger la
discussion !.. M. de Villctle : Quand on voit que ce n'est que
pou • -alonger • ) Au palais, messieurs, c'est en plaidant sa
cause ou en la faisant plaider qu'on parvient quelquefois à. la ga-
gner : ici , c'est tout le contraire ; ceux qui ne disent rien ga-
gnent tous leurs procès i et ils sont perdus pour ceux qui par-
lent.... (On rit beaucoup.) Votre commission nomme un rap-
porteur, pourquoi ne défend-il pas les articles du projet contre
les amendemens? Le Roi nomme un commissaire du Roi pour
soutenir la discussion, du projet, pourquoi ne prend-il pas
la parole? Je demande que la délibération soit suspendue jus-
qu'au moment où on aura répondu aux motifs en faveur de „
l'amendement.


brn grand nombre de voix d gauche. La parole au rappor-
teur M. Froc de la Boullaye se lève et se dispose à. monter à
la tribune ; plusieurs de ses voisins le retiennent : il reprend sa
place. On demande à aller aux voix sur l'amendement par appel
nominal. La chambre consultée déclare qu'elle ne procédera pas
à l'appel nominal.
. le président. Je mets l'amendement aux voix...(Tres-vive
opposition à gauche Un tumulte violent règne dans la cl:am--
Ire).- —M. le général Foy : Je demande la parole !...


M. le général Foy. Messieurs, j'en appelle à l'honneur,
l'indépendance des membres de cette chambre , sur quelque
banc qu'ils soient assis n'est-il pas vrai que des amendemens
d'une vérité, d'une lucidité incontestables ont été rejetés sans
avoir été discutés, sans qu'on y ait fait la moindre réponse ?
Certes , celui-ci est susceptible d'une discussion .


sérieuse.1Qrieien,at


étrange


drrilngsenQu'arrive-t-il?
ar


-il ? c'est prjet qui a éprouvé un amende-n
la chambredes pairs , est traité dans celle-ci avec


u


partialité. Eh, messieurs, la loi ne sortirait-elle pas
3e




( )
plus profitable au trône et à la liberté, si des amendemens tels
-que ceux de MM. Saveye-Rollin, Sappey et tels que celui que
vous venez d'entendre, en adoucissaient la rigueur? Vous vous
plaignez souvent que nous cherchions un appui hors de cette
chambre ; mais continent n'en serait-il pas ainsi, puisque nous
ne trouvons pas même ici quelqu'un qui se donne la peine de
combattre les amendemens que nous proposons dans l'intérêt
du trône et de la liberté, que nous regardons comme insépa-
rables? Au nom de l'intérêt même de la loi et de son effet sur
l'opinion publique, je demande que l'amendement soit l'objet
d'une discussion approfondie....


Personne ne réclame la parole contre l'amendement.
M. le président. Je mets l'amendement aux voix.... M. Méchin


réclame vivement. la parole....
M. Méchin. Il paraît que ceux de nos honorables collègues


qui ne partagent pas nos opinions ( si du moins je juge des
choses par la surface) et à qui nous offrons le combat, nous en
refusent l'honneur; soit : niais il est ici une personne officielle
préposée par Je Roi pour soutenir la discussion et combattre,
s'il le juge convenable, les amendemens proposés ou les objec-
tions faites. Je vois devant moi M. le conseiller d'état Portalis
chargé de cette importante mission, je l'engage à me succéder
à cette tribune. (Des murmures s'élèvent au centre et à droite.)


M. Bourdeau. Je n'ai qu'un mot à dire pour combattre l'a-
mendement; il me suffit de m'emparer de ce qu'a dit son au-
teur , qu'il était dans l'intention de prolonger la discussion....
(Vif mouvement d'adhésion au centre et à droite.) On demande
vivement à aller aux voix.


Demarfay. Il y a des convenances qui sont d'une grande
importance aux yeux de la nation , parce qu'elles lui prouvent
le degré d'égards et de respect qu'on a pour elle, surtout quand
il s'agit de lui enlever le plus précieux de ses droits. Le mo-
ment et la composition de cette chambre sont-ils bien choisis
pour lui imposer les lois qu'on lui présente, pour les arracher
uvec ce froid mépris qu'on remarque ici ? (V ive agitation à droite.
Ecoutons ccoutons 1)


Dans la composition de cette chambre, deux cinquièmes ont
été choisis par les collèges électoraux de Bonaparte, formés
sous le pouvoir le plus arbitraire, le plus despotique qui fut ja-
mais, par des collèges électoraux accommodés et perfhctionnés
par l'adjonction des hommes choisis par les préfets de 18,5.
Voilà d'abord les élémens de deux cinquièmes de -Cette chambre.
Te respecte infiniment les vertus publiques èt privées des


( 499 )
hommes qui sont sortis de ces élémens; mais enfin, croyez-vous
qu'ils soient nationaux , c'est-à-dire conformes à la volonté
du peuple , laquelle ne peut jamais être contraire à sés intérêts?
(Adhésion à gauche ; silence à droite.) Or, matériellement, vos
intérêts sont contraires A ceux de la nation ; cela est dans la nature
des choses ; cela est indépendant de vos volontés. Je vous l'ai déjà
dit i messieurs, et il eût -été à desirer que des hommes d'un ta-
lent supérieur eussent voulu développer cette pensée : dans les
trois antres cinquièmes „nommés sous le bénéfice de la Meil-
leure, dé la phis nationale de nos lois, examinons comment
les résultats ont dû arriver. Cette loi, quelque bonne, quelque:
claire sbit , est cependant d'un mécanisme assez com-
pliqué. Lés résultats n'étaient pas aussi bien prévus qu'ils
auraient pu l'être ; et certainement, quand les collèges électo-
raux dé toute la France auront procédé encore pour deux cin-
quièmes, si nous avons le bonheur de conserver 'cette loi, les
résultats qui en sortiront représenteront d'une manière bien
plus exacte les intérêts et. la volonté du peuple. (Vifmouvement
d'adhésion é gauche. ) Si ce que je vous ai dit est vrai , et je
crois que cela ne peut être contesté, est-il Lien convenable de
choisir le moment où la chambre est composée de cette manière,
pour venir lui proposer de semblables lois, surtout quand elles
ne Sont justifiées par aucun motif? car ceux qu'on a. donnés,
en homme de sens aurait honte de les alléguer dans ses affaires
particulières ; il ferait tort à sa raison et à son discernement.


Je me résume, en appuyant sur l'irrévérence et sur la légèreté
avec laquelle ces questions sont traitées, et sur l'intempestivité
avec laquelle de tels projets nous sont soumis.


M. de la Boullaye , rapporteur. La chambre me permettra
de répondre à l'interpellation qui m'a été faite : on m'a invité
à monter à la tribune et à combattre les amendemens. Telle
n'est point l'obligation du rapporteur. Lorsque drus la discus-
sion des articles il se présenté une foule d'amendemenS succes-
sifs, comment le rapporteur devrait-il les combattre? à quel
titre? Ce ne pourrait être qu'en son nom, car il n'a pu consul-
ter la commission , et ne pourrait parler en son nom. Les anté-
cédens de la chambre justifient cette réserve, que vous ne
pouvez désapprouver.


111. de Chauvelin. Mais M. Portalis, qui est orateur du.
gouverneraient, n'a pas la même raison 1


M. le prince de Broglie. La minorité a toute la latitude né-
cessaire ; mais elle ne se contente pas de parler autant et aussi
souvent qu'elle le desire; elle veut que la majorité soit con-




5ob )
trainte de lui répondre, probablement pour se réserver le droit
de réplique , et de prolonger encore la discussion. Les amende-
mens présentés ont reçu, de la part de leurs auteurs, tous les
développeinens que ceux-ci ont desirés. Quel reproche a-t-on
donc à faire à la majorité qui consent à tout écouter, et qui a la
générosité de ne pas se défendre ? Quant à ce que l'un des préo-
pinans a dit de la loi des élections, qu'il a déclarée être la
meilleure loi et la loi la plus nationale, et des divers cinquièmes
dont celte chambre se compose, il sera permis de lui fisire ob-
server que quand cette loi, dont il établit l'excellence, a été
votée, elle l'a été précisément par les cinquièmes contre lesquels
il a dirigé on opinion, et avant ]'.arrivée des nouveaux cin-
quièmes dont il a parlé... (Adhésion au centre de droite. )


M. de Chauvelin. C'était donc alors le voeu de la France....
L'amendement de M. Benjamin-Constant est mis aux voix et


rejeté à la même majorité.
Le président lit l'article 6 : cc Lorsqu'un propriétaire ou


» éditeur responsable sera poursuivi , en vertu de l'article pré-
» cédent, le gouvernement pourra prononcer la suspension d'un
» journal , ou écrit périodique, jusqu'au jugement. »


M. Dumeilet. Messieurs, je conçois l'empressement que
met le ministère à arriver au terme d'une discussion dans la-
quelle ses succès ont été si chèrement achetés, et lorsqu'une
minorité toujours croissante pourrait rencontrer une chance fa-
vorable dans la prolongation de la lutte. Cet accroissement de
la minorité peut seul expliquer cette inconcevable impatience
de rejeter des amendemens pleins de sens et de raison , conser-
vateurs de la dignité et de l'indépendance de la chambre, sans
même qu'ou se soit donné la peine de les réfuter. Le véritable
motif de cette persistance ne serait-il pas, cousine on vient de
le dire à cette tribune , qu'il fallait bien se garder de renvoyer
le projet à la chambre des pairs, oit le spectacle d'une minorité
croissante, malgré sa défaite , venait aussi de se manifester.
C'est sans doute par suite de cet empressement qu'un véritable
phénomène s'est manifesté dans la séance d'hier, lorsqu'on a vu
une partie de cette chambre oublier une heure jusqu'ici si fa-
tale aux orateurs, les appeler successivement à cette tribune,
non pour les écouter ou pour leur répond re, mais pour repous-
ser leurs demandes -par un vote compact et soumis. ( Vive sen-
sation ài gauche. )


Toutefois que les ministres se rassurent. Dans ces jours con-
sacrés aux sacrifices et aux expiations, la liberté de la presse
ne peut manquer de leur être immolée ( murmures), eu répa-:


( )
ration des tribulations qu'elle leur avait imposées ; et plus heu-
yeux qu'un de leurs prédécesseurs, ils n'en seront plus réduits à
répéter douloureusement avec lui que les gouvernemens repré-
sentatifs n'avaient pas été inventés pour le repos desiministres.
Aussi, messieurs, est-ce sans espoir de succès que je me hasarde
dans cette discussion, et la brièveté de mes paroles n'apportera
pas même un léger retard aux jouissances de nos adver•aires.


'L'article 4 de la loi astreint les éditeurs des feuilles pério-
diques à soumettre à la censure leur manuscrit avant sa publi-
cation , et l'inobservation (le cette formalité est punie des peines
énoncées dans l'article 5. On pouvait. regarder ces peines comme
suffisantes avec d'autant plus de raison, que si l'écrit non commu-
niqué renfermait, soit des provocations à des crimes ou délits,
sait des outrages à la morale publique et religieuse, soit. enfin
des offenses envers la personne du Boi et des princes de la fa-
mille royale, ou même de simples diffamations ou injures , le
ministère public conservait tous les moyens de répression déter-
minés par les lois des 1 7 mai et g juin derniers. Cependant;
l'article 6 vient aggraver ces premières dispositions , en ren-
dant le gouvernement maître absolu de l'existence des écrits.
périodiques.


Ainsi , à propos d'une contravention dont la répression a été
sévèrement déterminée, mais réellement dans le seul intérêt
d'un amour-propre offensé, ou en punition de révélations in-
discrètes, un ministre pourra prononcer la ruine d'Une entre-
prise formée d'après la confiance • qu'inspirait la législation
précédente, et sans égard pour des engïtgemens onéreux, con-
tractés à l'effet dé fournir des cautionnemens qui, dans le
principe, avaient été exigés des éditeurs de journaux, comme
le prix et la condition de leur affranchissement...


ll résultera de cette bizarrelégislation- que les propriétaires.
des écrits périodiques, poursuivis en raison d'une simple con-
travention à une mesure de police, pourront être-condamnés à
une amende et à un emprisonnement, et qu'en même-temps ils
seront soumis à un pouvoir extrajudiciaire-, investi du droit de
prononcer sur l'existence de leurs établissernens , sans attendre
que leurs juges naturels aient statué sur leur culpabilité, et lors
même que plus tard il pourrait être reconnu que cette culpabilité
n'existait pas.


J'ai voté contre la loi sur la suspension de . la liberté indivi-
duelle, qui est une violation des articles 4 et 62 de la charte
constitutionnelle, et qui n'a pas même le triste avantage de rien
ajouter au pouvoir dont l'autorité a été investie par nos Codes-




:50 .2 )
Je voterai seulement le rejet de la loi que nous discutons,


parce que le rétablissement de la censure entretiendrait le pou-
voir dans une sécurité dan gereuse, en le privant des renseigne-
mens qu'il ne doit pas se «borner à attendre de ses agens; je le
votera i


enfin , parce que toute censure préventive est inconsti-
tutionnelle et destructive des garanties données par l'article 8
de la charte. En ce moment, je remplis un devoir en vous si-
gnalant un article qui organise l'arbitraire d'une manière
odieuse ; et, convaincu que l'arbitraire est également funeste à
celui qui en fait usage et à celui qui en est la victime, je vote le
rejet de l'article 6.


M. le ministre des affaires étrangères. Messieurs, l'article
dont il s'agit vient d'êt-e


.
attaqué en ce sens, qu'il présentait


l'idée d'un pouvoir exorbitant. Non , messieurs ; il faut se pé-
nétrer de l'esprit clans lequel cette loi a été rédigée. L'éditeur«
d'un journal contrevient à la loi; il soustrait un article ou plu-
sieurs articles au censeur. Cet article peut être insignifiant, peu
coupable, presque innocent ; et cependant, pour le fait seul dejla contravention, il n'est pas possible qu'il reste impuni. Maise suppose l'article ou ces articles incendiaires, attaquant dans
leur base nos institutions les plus chères; je suppose qu'il ma-
nifesté un acte d'hostilité contre la société, n'est-il pas évident
qu'il est du devoir du gouvernement d'arrêter à l'instant même
la publication de ce journal ? voilà le sens dans lequel l'article
est rédigé. Aussi vous voyez que cet article ne prononce pas la
suspension, mais seulement la possibilité de la suspension. Je -
crois, messieurs, qu'en vous arrêtant sur cette distinction et
sur cette seule possibilité, vous reconnaîtrez que l'article res-
pecte les intérêts de la justice en satisfaisant aux besoins de la
Société.


On demande vivement à aller lux voix.
M. le comte de Bondy. Messieurs, les quatre premiers ar-


ticles du projet de loi comprennent toutes les inhibitions, toutes
les précautions que leurs auteurs ont cru nécessaires pour faire
taire à-la-fois tous les échos de l'opinion nationale, désormais
condamnée au plus lugubre silence. L'article 5 renferme des
dispositions pénales qui garantissent également et l'usage et
l'abus d'une censure toute arbitraire.


Jusque-là l'oeuvre est complète; rien ne manque à Cet ins-
trument de dommages. Mais les articles 6, 7 et 8, qui aggra-
vent injustement la peine infligée, qui violent la propriété et
qui étendent et font peser les chaînes de la censure jusque sur
l'industrie des arts du dessin, sont un raffinement et un luxe de


no3 )
rigueur que repousse l'équité, et qu'aucune des prétendues rai-
sons d'état alléguées par les défenseurs de la loi , ne peut même


justifier. usti ( Voix d gauche : Cela est vrai T.)
de demande donc la suppression de ces trois articles, et voici


mes motifs : e quant à l'article 6, parce que la poursuite dirigée
contre un libraire et éditeur en vertu de l'article 5, c'est-à-dire
après que, pour s'être soustrait à la censure, il aura déjà été
puni correctionnelleMent par l'emprisonnemen t et l'amende,
ne peut avoir lieu que selon les voies légales. Jusqu'au prononcé
du jugement, vous ne pouvez sans iniquité le priver des droits
qui lui sont garantis par la charte ; c'est un citoyen prévenu,
accusé , vous «ne pouvez pas pressentir sa condamnat i on


; vous


ne pouvez pas arbitrairement le punir d'avance de ce que vous
l'avez accusé ; puisque vous faites intervenir des juges, vous
êtes sa partie adverse. (Adhésion à gauche.)


Quant à l'article 7 ; l'application de la peine prononcée
par un jugement légal que le ministère a lui-même provoqué,
suit immédiatement la condamnation; par conséquent la sus-
pension du journal, c'est-à-dire la destruction de la propriété
du condamné, est une double peine; c'est la plus manifeste vio-
lation du droit commun, non bis in idem.


Enfin , messieurs, l'article 8 est une ridicule superfétation de
mesures arbitraires , vaine dans son objet, et indigne de la
majesté des lois : faut-il donc les faire descendre aux réglemensde la basse police? Exigez qu'en se renfermant dans la stricte
et suffisante exécution des lois, vos édiles fassent leur devoir,
qu'ils purgent la voie publique des immondices, des obscénités,
des images et des représentations scandaleuses ; et n'allez pas
vous en prendre aux arts d'imitation, à la plus belle partie
de l'industrie française , et l'une des plus profitables , de ce que
des magistrats négligens souffrent sa prostitution. Vous le savez,
messieurs, le ministère lui-même n'avait pas cru devoir vous
demander cette extension révoltante-des rigueurs de la loi.


Si on parvenait à dissimuler au Roi les vraies causes et les
graves conséquences de la loi d'exception qui vous est proposée,
et surtout des articles que je viens d'indiquer, l'opinion natio-
nale n'en absoudrait jamais ceux qui auraient eu le malheur
d'en encourir la responsabilité. (Nouveau et vif mouvement
d'adhésion à gauche.) Je vote la suppression des articles 6 , 7
et 8 du projet de loi.


M. Fradin, L'article 6 présenté, et l'article . 7 nie paraissent
impliquer une contradiction évidente avec les principes de notre
législation criminelle; ils tendent à confondre entièrement le




( 5o4 )
pouvoir administratif et le pouvoir judiciaire. En effet, d'abord
le pouvoir administratif peut suspendre le journal jusqu'au ju-
gement qui interviendra : on voit déjà que cette suspension est
sine peine ; c'est déjà une action de l'autorité contre le contre-
venant. On voit ensuite que les tribunaux seront appelés à
connaître de la même contravention, et pourront- appliquer la
peine de l'amende et de l'emprisonnement : voilà donc pour un
3nênie délit non-seulement deux peines, mais deux juridictions.
jAinsi tous /es pouvoirs seraient confimdus : il y a plus, l'autoritéudiciaire perdrait de son caractère d'indépendance, car l'acte
administratif aurait: d'abord sur lui une influence incontestable,
puisque déjà le fait de la contravention aurait été, jugé. Il faut au
3noins que la question arrive entière à l'autorité judiciaire- Vous
aie pouvez pas lui livrer un délinquant déjà reconnu coupable ;
c'est à elle seule à le reconnaître , à elle seule à le punir.


La même confusion se fait remarquer dans l'article 7 . 11 ne
peut être admis. Il faut abandonner l'action entière à l'un ou à
l'autre pouvoir, sans cela vous excédez toutes les limites, et
vous pervertissez toutes les règles établies par l'ordre de hié-
rarchie, et la compétence du pouvoir. ( Adhésion


. à gauche. )
Je demande le rejet des articles 6 et 7 du projet..... (Cet avis
est fortement appuyé. )


M. le comte Portalis, commissaire du Roi. Messieurs , il
ne me sera pas difficile de prouver combien il est peu fondé,
le reproche qui m'a été fait. Dans la discussion du projet. dejloi, le commissaire du Roi n'est chargé que de démontrer lasstesse des motifs qui ont déterminé le gouvernement du Roi
à proposer la loi. Lorsque cette têche est remplie , que la con-
liction est portée dans tous les esprits ,. et que l'opinion se
manifeste hautement, il n'est plus du devoir du commissaire
1u Roi de prolonger une délibération dont les motifs sont




connus.


Mais je viens présenter sur l'amendement une considération
qui paraît avoir échappé é ceux qui ont traité la question avant
moi. On a dit à cette tribune que le projet de loi , outre beau-
coup d'autres inconvéniena , et particulièrement sur l'intempes-
tivité , avait pour but d'aggraver le régime censorial qui avait
été établi antérieurement. Je soutiens au contraire qu'il a pour
objet de mitiger ce que le système de la censure paraissait avoir
de trop aggravant. En effet , dans ce système, le gouvernement
pouvait, par le simple acte de sa volonté, suspendre Un
journal : il avait à cet égard une autorité absolue. Le Roi qui
autorisait un journal, pouvait retirer cette autorisation par le


( 505 )
simple fait de sa volonté : les journaux étaient absolument à la
discrétion de l'autorité. Dans le système du projet, on a voulu
limiter ce droit absolu et on a pensé que la suspension ne
pouvait avoir lieu que dans deux cas. Le premier, lorsque la
contravention aura été constatée , car il faut qu'elle le soit. je
sais qu'on dit qu'alors le gouvernement pourra prononcer la
suspension, mais il n'est pas moins vrai qu'il ne pourra pro-
noncer cette suspension qu'après qu'un jugement sera intervenu
sur le fait de la contravention. Le second cas, c'est lorsque lejournal sera déeré aux tribunaux pour un autre délit que pour
celui de contravention , et cette disposition ne semble pas avoir
besoin d'être justifiée. Il m'a paru que cette observation était né-
cessaire pour faire connaître qu'il s'en faut bien que le projet de
loi ait été rédigé dans le but d'aggraver le système de la
censure.


Ainsi, l'objet des deux dispositions de la loi, au lieu d'ag-
graver la législation , est de tempérer la censure, de la renfermer
dans de justes bornes, et. d'empêcher le renouvellement des
abus dont on s'est plaint pendant l'exercice de la censure
précédente. •


Méchin. Chaque pas que nous faisons nous signale les
écueils que l'on rencontre lorsqu'on s'i(froigne des voies légitimes
et de l'ordre constitutionnel. C'est la première fois que, dans
une loi d'exception , on introduit des dispositions pénales ;
qu'on mêle de la pénalité à des dispositions préventives. Le
pouvoir administratif doit surveiller et prévenir autant qu'il
dépend de lui; Mais jamais il n'a le droit d'infliger des peines.
Admettre un autre système, c'est confondre tous les pouvoirs,
et la confusion <les pouvoirs est la tyrannie. Le rédacteur'de la
loi, lorsqu'il s'occupait de l'article 5, avait cette vérite présente;
car , pour établir une peine contre l'omission de la . présentation
du manuscrit à l'examen préalable du censeur , il cherche et
trouve une analogue dans l'art. 6 de la loi du i 9 juin 1819.


Ainsi donc, l'écrivain qui n'aura pas obtempéré à l'art. 4
de la déplorable loi que vous discutez, pourra être puni de six
mois d'emprisomement et d'une amende de deux cents à. douze
cents francs; cela n'est pas équivoque. Si le manuscrit soustrait
à l'examen du censeur contient des choses coupables, il est
entendu qu'il sera passible des peines portées en la loi de 1819.


Ce n'est pas tout : non-seulement la seule soustraction du
manuscrit à l'examen du censeur sera punie des peines ci-dessus,
mais l'éditeur même, avant d'être jugé, pourra. encore voir
frapper à mort son industrie et sa propriété ; car la suspension




5o6
d'un journal le tue, s'il plaît au gouvernement d'user de toutejsa rigueur; au gouvernement qui , se substituant au pouvoirudiciaire, aura prononcé une peine aussi grave, et qui équivaut
à la confiscation réprouvée par nos lois et nos principes. Ce
raisonnement est sans réplique, niais il ne prévaudra pas contre
un parti pris. Il a filin pourtant le produire pour ne laisser.
échapper aucune occasion de faire entendre le langage de la
raison et da la justice.


On demande à droite à aller aux voix.
liai Courvaisier. Lorsque nous discutions la loi relative à la


suspension de la liberté individuelle, la commission volts pro-
posait d'assujettir les ministres à vous rendre compte de l'exé-
cution que la loi aurait reçue. Je vous représentai que ;vous
ne le pouviez sans violer le principe essentiel qui refuse à l'une
des branches de la législature toute action sur les agens de la
puissance exécutive, tout autre voie que l'accusation. Vous
rejetâtes l'amendement : je ne me flatte point , messieurs,
d'avoir décidé vos suffrages ; vous l'eussiez rejeté sans doute,
lors même que je ne vous eusse point soumis mes observations ;
mais vous n'avez pas cieux poids et deux mesures; et ce que
vous avez fait pour préserver l'ordre constitutionnel qu'établit
la charte, vous le ferez en ce jour encore, si vous ne pouvez,
sans l'enfreindre, adopter la disposition de l'article 7 du projet
de loi.


La séparation du pouvoir exécutif et du pouvoir judiciaire est
l'une des bases de notre constitution ; c'est même l'une (les
plus importantes : le pouvoir exécutif est chargé de procurer
l'exécution des lois;.


il peut, en certains cas, recourir à des
mesures préventives. Vous avez pensé, messieurs, que la cen-
sure était de ce nombre, vous l'avez adoucie; mais il ne peut
prononcer des peines; le droit de punir est exclusivement dans
les attributions des tribunaux. Ici donc, toute la question se.jréduit à reconnaître si la suspension ou la suppression d'un-ournal est une peine nouvelle dont le gouvernement frapperait
le journaliste après une première condamnation.


Or, comment nier que le journaliste, objet de la mesure,.
ne subisse effectivement une peine, puisqu'il éprouve effecti-
-veinent une perte; une peine plus forte que la plus farte amende,
puisque l'amende ne peut excéder telle Ou telle somme, tandis
que le dommage qu'il éprouve , par suite de la suppression de
son journal , est incalculable? Comment nier qu'il ne subisse
une peine, quand une décision dont on le frappe, lui enlève


( 507 )
sa propriété? 'La suppression ou la suspension est une peine ;
donc le pouvoir exécutif ne peut l'appliquer.


Si le gouvernement vous proposait d'autoriser les tribunaux
à prononcer la suppression ou la suspension , vous pourriez dé-
libérer sur ce point : la loi du 9 juin leur a refusé ce pouvoir,
vous pourriez le leur attribuer; mais investir le gouvernement
d'un droit que le pouvoir judiciaire doit exercer gouvernemen , vous e
le pouvez sans porter le trouble dans l'ordre constitutionnel
quinous régit.


Veuillez d'ailleurs considérer, messieurs, que pour espérer
d'une loi quelque effet, il ne faut pas que sa rigueur la rende
illusoire : cette maxime vous fut exposée l'an dernier; elle vous
toucha ; elle fut souvent votre règle. Or, que de condamnations
pour un délit' amende et. emprisonnement en vertu de l'art. 5 :
amende et emprisonnement en vertu de l'article 6. Le juge peut,
conformément à l'un des articles de la loi du 9 juin, elevercontre
un journaliste ramende au double, et, en cas de récidive, au qua-
dr,:iple de celle que supporterait l'auteur detout autre écrit ; est-
il convenable d'autoriser, en outre, la suspension Ou la suppres-
sion du journal, sur le vu du jugement que les tribunaux
auront prononcé?


La disposition de l'article 7 est inconstitutionnelle ; elle est
trop sévère : cette double considération doit en motiver le rejet.
(Mouvement d'adhésion au centre de gauche et à gauche. )


Le ministre des affaires étrangères défend l'article attaqué.
M. Manuel réclame la parole.
M. de Chauvelin. La question est trop importante; l'ajour-


nement à demain. ( La chambre rejette l'ajournement. )
M. Manuel. L'article 7 porte la faculté de suspendre pen-


dant six mois , sur le vu du jugement et de la récidive, celle de
la suspension définitive du journal ; et c'est sur cet article, mes-
sieurs, c'est sur de telles dispositions que M. le ministre des af-
faires étrangères vient d'établir l'extrême douceur de la loi , et
avec quel soin on avait modéré les peines. il y a peu de choses à
dire pour vous faire apprécier une telle assertion ; il suffit de
récapituler les peines. D'après l'article 5 , l'éditeur pourra être
puni d'une amende de douze cents francs et d'un emprison-
nement de six mois; il pourra, aux termes de la loi répres-
sive des délits de la presse, être puni d'une amende de dix mille
francs et d'un emprisonnement de quatre ans ; il pourra enfin
être puni pour le même fiait, la première fois, par la suspension
du journal, et en cas de récidive par la privation de sa propriété.
\''ons pouvez juger vous-mêmes, messieurs, si en effet cette loi




5oS )
est tellement ménagère des peines , que l'on puisse en dire ce
que M. le ministre .des affaires étrangères vient de vous expri,
3ner. Je soutiens , au contraire , le ministère a déployé
vériniblement un luxe d'arbitraire et de sévérité.


D'abord, il vous demande que par cela seul qu'un article aura
échappé à la censure, un éditeur soit puni aussi sévèrement que.
le porte l'article 5. Mais cependant dans ce cas il peut arriver
que le juge, appréciant les circonstances, trouve que la peine.
est trop grave ; parce que ne pas soumettre un article à un cen-
seur peut fort bien avoir lieu sans qu'il y ait d'intention cri mi-.
relie. Ainsi , lorsque le tribunal et à regret ,-aura
prononcé les peines les plus légères , il peut arriver que le gou-
vernement, usant de son pouvoir discrétionnaire, prononce la.
peine la plus grave, la suspension du journal pendant six mois.
Mais on dit qu'il ne s'agit pas encore de la propriété. Eh ! mes-
sieurs, un établissement de cette nature qui a été suspendu pen-
dant six mois, est un établissement mort. Dans cet intervalle,
les autres journaux ont pu se partager son héritage; il est im-
possible que des abonnés attendent pendant six mn' is qu'il plaise
au gouvernement de faire lever la suspension. Ain5i la suspen-
sion pendant six mois est la mort du journal ; et voilà ce que le


i nistère peut prononcer en punition d'une légère contravention!
La loi répressive des délits de la presse, quelque grave que


soit le crime dont l'éditeur du journal ou l'auteur de l'article se-
serait rendu coupable , ne donne pas le pouvoir de suspendre
le journal. On a considéré que c'était l'exercice d'une industrie
tout comme une autre , et qu'elle devait être respectée , sauf à
punir les délits au far et mesure qu'ils pourraient se commettre:
Eh Lien, aux termes de cette loi , quoiqu'un éditeur se fût rendu
coupable d'un crime de lèse-majesté , il sera puni , mais son
journal ne pourra être suspendu. Et ici , parce qu'un article
n'aura pas été soumis à la censure soit par l'absence ,


du censeur,
soit par la négligence d'un commis , soit pour faire passer quel-
que trait de malice dirigé contre un fonctionnaire , malice pour
laquelle il ne faut pas bouleverser l'état ; parce que ce journal
se sera permis sur son compte une observation maligne, ou bien
parce qu'il aura porté atteinte à l'honneur d'un valet-de-chambre
de je ne sais qui , un ministre pourra, pour ce fait insignifiant, pro-
noncersa suspension pendant six mois , c'est-à-dire tuer l'entre
prise!Voilà,inessieurs, de quelle manière les peines sont graduées!
voilà comme on essaie de justifier l'excessive douceur de la loi!


Ce n'est pas tout ; il faut rappeler un fait que le ministère.
oublie, et qui pourtant devrait être présent à sa mémoire-. Lorsque


( 50 9 )
projet de loi a été présenté à la chambre des pairs, il portait


(pie la censure serait surveillée et jugée par une commission
composée de membres des deux chambres ; alors on conçoit
comment le ministère avait pu se donner carrière, et laisser une
grande latitude au pouvoir discrétionnaire dont cette commis-
sion devait être investie , parce que son autorité eût été en de-
hors de l'action du gouverneineut. Alors on conçoit que la sus-
pension n'aurait pu être prononcée que d'après de graves motifs.
Quelle plus grande garantie pouvait-on avoir que celle qui re-
posait sur des hommes aussi recommandables que des membres
des deux chambres ?


Aujourd'hui c'est le gouvernement qui assume à lui seul tout
le pouvoir discrétionnaire ; or , j'adjure les auteurs du projet de
déclarer s'ils l'eussent conçu tel qu'il est, s'ils eussent de prime
abord proposé, pour le compte du gouvernement , une dispo-
sition aussi abusive, aussi exorbitante ? Non , messieurs, ils ne
l'eussent pas fait. Et ne pensez-vous pas à la nature des pro-
priétés dont il s'agit ? ne savez-vous pas qu'elles sont très-con-
sidérables.? Il est tel journal qui en ce moment produit un re-
venu qui excède le capital d'un million , ce capital est subdivisé
entre vingt ou trente familles peut- être ; il en fait vivre un
nombre beaucoup plus considérable, et il dépendrait des mi-
nistres , pour un moment d'humeur , de faire disparaître cette
propriété ! Iton, messieurs, quel que soit votre empressement
à seconder l'arbitraire réclamé par des ministres , vous ne lais-
serez pas subsister une disposition qui est contradictoire avec le
changement survenu clans la loi.


Ce n'est-pas d'aujourd'hui qu'on a dit , que si un ange venait
sur la terre pour ceindre le bandeau royal parmi les hommes ,
il faudrait faire disparaître toutes les lois , comme présentant.
des entraves inutiles au bien qu'il voudrait faire. Je ne sais si,
séduit par les formes presqu'aériennes du ministre que rions
voyons souvent à cette tribune, on a pensé que ce prodige s'était
enfin réalisé. ( Des murmures s'élèvent au centre et à droite. )


Pour nous, s'il en était ainsi , je voudrais qu'on ne discutât
plus sur les objets de détails , et qu'au lieu de nous arracher
pièce à pièce des lois d'exception , et de faire disparaître peu-
à-peu toutes nos garanties constitutionnelles , je voudrais qu'on
nommât ce ministre , ou tout autre, dictateur, et qu'on le char-
geât d'exercer le Pouvoir arbitraire d'une manière absolue. Alors
nous pourrions avec la sécurité que nous inspirerait son auto-
rité , aller nous reposer chez nous , et nous n'assisterions pas
au spectacle dégoûtant et absurde qui se passe en ce moment


di




11
( 510 )


( de violens murmures interrompent à droite et au centre..„
Les cris à l'ordre s'élèvent) spectacle, messieurs, qui consiste
à tiens fifre voir le gouvernement représentatif ne se servant
de ses forces que pour se donner la mort à lui-même. ( Vif mou-
vement d'adhésion à gauche. ) Je demande là suppression de
articles 6 et 7 du projet de loi.


On demande à aller aux voix.
M. de Chauvelin. Je demande la continuation à demain et


la parole pour la ineti Ver.: .. Messieurs, en mettant à part toutes
les opinions divergentes sur la censure, ce qu'il y a de plus im-
portant dans le projet se trouve réuni dans les art. 6 et 7
e amené à discuter cumulativement. Ce sont les seuls articles
Sur , au sein de la commission , la majorité ne se soit
pas formée sans une discussion approfondie. Vous ne pouvez
trancher légèrement les gravés questions que ces articles ren-
ferment , et sacrifier à un moment d'impatience , à un mouve-
ment de précipitation les intérêts cmSidérables qu'il s'agit de
respecter ou de compromettre. Pour revenir sur les articles
adoptés , et sans attenter aux décisions de la chambre , il est
impossible de ne pas voir sur quelle échelle de rigueur se pro-
portionnent successivement les peines accumulées dans la loi ;
ici elles deviennent au comble , puisqu'elles atteignent le fond.
Même d'une importante propriété. Je demande, sans traiter le


jfond de la question , puisque j e n'ai la parole que sur la clôture,e demande , dis-je, la continuation de la discussion à demain.
On insiste à droite et au centre de droite pour la clôture de


la discussion sur l'article 6. «La chambre, à une évidente majo-
rité , prononce l'ajournement au lendemain. ( Vif mouvement à
gauche. )


La séance est levée à cinq heures ét demie.


Séance du 3o mars.


L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion sur
le projet: de loi relatif aux journaux.


M. Daunou. De quoi ;'agit-il , messieurs , dans lé projet
que vous discutez ? de suspendre la libre publication des écrits
périodiques , d'établir des Censeurs , d'interdire la circulation
des feuilles qu'ils n'auront point autorisées, de prévoir les con-
traventions à cette prohibition , de déterminer les peines en-
courues par les contrevenons ; voilà tout. Des délits ou crimes,
des attentats privés on publics , il n'en est pas question, c'est
l'objet des lois répressives faites ou à faire , et dont on vous a


( 511 )
,i,claro qu'on ne pouvait s'occuper en ce moment. C'est aussi


l'objet des poursuites ultérieures que réserve expressément l'ar-
ticle 5 du projet. Et cependant on vous propose d'établir des
peines qui n'ont de proportion qu'avec ces délits !


Supposez , messieurs, (les lignes tout-à-fia irrépréhensibles
en elles-mêmes, mais publiées sans approbation préalable; (c'est
le seul cas que vous ayez à envisager dans votre délibération ac-
tuelle; car pour tous les autres , l'action des lois répressives
est la seule légitime ) or, je demande si celte contravention
n'est point assez punie par six mois d'emprisonnement et douze
cents francs d'amende? Vous avez fait plus encore; en adoptant
l'art. 6 , vous avez conféré au gouvernement le droit de déclarer
notoire, incontestable le fait de contravention, qui ne doit être
pourtant vérifié, reconnu que par les juges. Comment se fait-il
que tant de rigueurs Toits paraissent insuffisantes ? pourquoi
faut-il encore qu'après le ju.ernent une peine plus forte , plus
accablante que toutes les autres , soit appliquée par une au-
torité qui , de sa nature , n'a le droit d'en appliquer aucune?


Cela vient, dit-on , précisément de ce qu'il faut distinguer
l'ordre administratif et l'ordre judiciaire. Qu'y aura-t-il d'ad-
ministratif en vertu du projet. que nous discutons? le voici :
Accorder ou refuser l'autorisation aux nouveaux journaux ,
nommer des censeurs, les diriger, leur donner des instructions
qui seront fort sages, si ce sont celles que M. le ministre de
l'intérieur vous a expOsées , et qui auraient honoré votre loi nou-
velle, si vous les y aviez insérées ; provoquer enfin le jugement
de ceux qui auront publié des feuilles ou parties de feuilles non
approuvées. Là finissent les actes administratifs et commencent
les actes judiciaires, entre lesquels doivent demeurer fort. dis-.
tincts ceux qui tendent à punir les contraventions dont je viens
de parler, et ceux qui ont pour objet les délits déterminés par la
loi répressive. Le vice de l'article 7 est de confondre toutes ces
idées contraventionset délits, pouvoir administratifet pouvoir
judiciaire. Pourquoi le dissimuler , messieurs? Ce désordre si sensible,
si 'palpable et si facile à éviter , ne saurait avoir pour but que
d'atteindre et de punir, au-delà des contraventions et des délits,
certaines opinions qu'aucune loi n'a réprouvées encore, et par-
ticuliereinent celles qui sont les plus conformes aux principe>
de la charte constitutionnelle. C'est à ceux qui professeront ces
opinions qu'on réserve aujourd'hui, s'ils onibent ou paraissent
tomber en quelque contravention à la loi de la censure , les eni-
prisonnemns de six mois, lès amendemens de douze cents francs,




( 512 )
les suspensions provisoires , les suspensions de six mois et les
suspensions définitives 5 je dis aujourd'hui , parce que dans le
cours des - 15 ou 18 mois, et plus peut-être, qui vont s'écouler
sous l'empire des lois inconstitutionnelles , autrement dites. ré-
volutionnaires , il est fart possible , et si nous consultons les
expériences passées , fort probable que les opinions contraires
seront traitées à leur tour avec la même injustice.


Vous avez exigé de tous les journaux actuels un cautionne-
ment qui devait être le prix de leur liberté ; vous l'exigez de
ceux qui s'établiront , et vous voulez de plus qu'ils obtiennent
l'autorisation des ministres ; vous les soumettez tons à. une cen-
sure arbitraire; s'ils :osents'y soustraire, ils peuvent être pro-
visoirement suspendus jusqu'au jugement qui doit prononcer
à-la-fois deux autres peines, emprisonnement jusqu'à six mois,
et amende jusqu'à douze Cents francs 5 le tout avec réserve de
poursuites à exercer en tous les cas,, même après approbation
des censeurs: pour les délits déterminés par les autres lois. Je
Note contre le surplus, c'est-à-dire contre l'article 7 . Si j'avais
adopté ces dispositions, je n'en serais que plus porté it voter
contre le surplus , c'est-à-dire contre l'article 7.


M. le ministre de l'intdrieur. La faculté contestée est déjà
préjugée par l'article 6, où vous l'avez accordée jusqu'au juge-
ment. Il s'agit maintenant de savoir si elle pourra être exercée
après le jugement. Je sais bien qu'aux yeux des adversaires du
projet, ce que vous avez décidé, même ce que les deux chambres
ont adopté et ce que le Roi a sanctionné, n'est d'aucune valeur.
11 n'y a de bonnes lois que celles qui passent de leur avis. Ils
accusent. le gouvernement de tyrannie, et ils s'arrogent celle
de l'opinion, dont ils se constituent les organes exclusifs. Tout
ce qui est refusé à l'inépuisable fécondité de leurs amendemens,
est un sacrilège; ils s'étonnent: que leur éloquence ne triomphe
pas de votre raison. L'un d'eux a même usé de la liberté de la
discussion jusqu'à regarder comme un spectacle dégoûtant le
jugemeut de la chambre, parce qu'éclairée souvent sur la valeur
de certains amendemens, soit par les déclamations qui les dé-
veloppaient, soit par les menaces qui les accompagnaient, elle
les a rejetés sans autre contradiction que celle qui s'élevait dans
l'esprit de la majorité. Mais 'qu'est-ce que lu majorité pour
ceux qui se persuadent qu'eux seuls savent ce quiconvient à nos
circonstances; qu'eux seuls sont de fidèles députés', et que
quiconque ne vote pas comme eux est traître à la patrie?


Les journaux et les ouvrages périodiques, à la différence des
autres écrits, ne peuvent paraître qu'avec l'autorisation du


( 513 )
eut/verne/mut. Pourquoi cette autorisation serait-elle irrévô-
caî)le , lorsqu'un jugement aura constaté qu'on a violé les règles?
Il ne la révoquera pas arbitrairement, puisque ce ne sera que
sur le vu du jugement qui aura déclaré la contravention ; il ne
la révoquera pas nécessairement, puisque cette révocation est
facultative, et par conséquent elle ne sera exercée que suivant
la gravité des cas.


L'autorisation pourra être retirée, parce que toute concession
peut d'être, qui, de sa nature, n'est pas irrévocable. Or, les
autorisations de ce genre sont révocables. Ainsi, on peut, pour
contravention, retirer à un imprimeur son brevet; ainsi on re-
tire un brevet d'invention ; ainsi, lorsqu'un officier public,
révocable, a subi un jugement , suivant les causes de ce jugement,
l'administration le révoque, le destitue, sans qu'on imagine
de dire qu'il y a confusion de pouvoirs , parce que l'autorité
judiciaire a agi dans sa sphère , et l'autorité administrative dans
la sienne ; parce que l'une a jugé et condamné; parce que Vautre
n'a plus voulu se confier à un homme qui a violé les règles de
sa profession ,_


qu'il exerçait sous son attache. Ou il•aut dis-
penser les journaux de la censure, ou il faut les y soumettre
sous les mêmes. peines et les mêmes risques que les autres.


Mais cette révocation est, dit-on, préjudiciable à la pro-
priété; elle peut détruire une grande et lucrative entreprise;
elle est plus rigoureuse que la peine quifaura été prononcée par
le tribunal. Le tribunal punit la contravention ; le gouverne-
ment retire sa confiance. Si ce retrait est plus cuisant que la
peine, c'est une des conditions de cette propriété, qui n'est
fondée que sur une autorisa t ion révocable de sa nature , et donnée
comme telle. La loi peut attacher à l'autorisation dont elle pres-
crit la nécessité, telle condition qu'elle veut ; c'est sous cette
condition que l'on se fera autoriser. Qu'on ne contrevienne pas,
et l'on ne subira pas cette condition onéreuse. L'article ne con-
tient donc point les vices qu'on lui reproche; il permet , en
cas de contravention jugée, <le retirer une autorisation qui
n'est pas irrévocable, qui peut être révoquée comme tout
privilége , par l'inexécution des conditions sous lesquelles il est
accordé. Il ne nuit à cette propriété conditionnelle, qu'autant
que le propriétaire aura voulu, le sachant, s'exposer a ce
préjudice.
• M. Méchin. M. le ministre de l'interieur.s'est attaché par-


ticulièrement à développer ce principe, que le Roi peut retirer
l'autorisation qu'il e accordée; mais il y a des journaux- qui
existaient avant que la loi exigeât cette autorisation. Ils exis-


. 1x 33




( 5i4)
tent parce qu'ils existaient avant la loi. Le gouvernement ne
les a pas autorisés, il n'a donc pas le .


droit de les suspendre. Je
demande une exception en faveur des journaux de cette caté-
gorie , et qu'au lieu de la suspension de six mois , elle soit
réduite à huit jours. ( Appuyé à gauche. ).


M. Demarçay, Je n'ai qu'une observation à faire , bien per-
suadé que je suis que cela ne changera rien à votre détermination.
Mais le grand procès qui va se terminer sera révisé un jour,
et il importe que toutes les pièces en soient Connues des juges à
venir. Le reproche fia à l'article 7 est très-grave. Je ne dirai
cependant pas que cet article est inconstitutionnel, car cet ar-
gument est devenu le plus faible qu'on puisse employer ; mais
cet article autorise , sur le vu du jugement , une suspension de
six mois. Or, une suspension de six mois est l'anéantissement
d'une propriété qui peut rapporter à diverse .; fami Hes trois à
quatre cent mille francs par an. Vous voyez que c'est ici d'un
capital de plusieurs millions qu'il s'agit ; vous voyez qu'on ne
peut considérer cette peine comme une amende, niais comme
unevé rit able confiscation. Or. la charte a proscrit. la confiscation.


Le président rappelle les deux amendemens de M. Méchin :
ils sont. successivement rejetés.


L'article 7 est mis aux voix et adopté.
Le président lit l'article 8, ainsi conçu : cc Nul dessin im-


» primé,gravé ou lithographié , ne pourra être publié, exposé,
D> distribué ou mis en vente sans l'autorisation préalable du


e v e rnment,
Ceux qui contreviendraienfà cette dispositionr.<


» seront punis des peines portées en Part.5 dela présente loi.»
M. le général Foy. L'art id 8, relatif aux dessins imprimés,


gravés ou lithographiés, ne faisait pas originairement partie du
projet de loi. Il a été intercalé par suite d'un amendement
qui a pris naissance dans l'autre chambre, et il est resté comme
ee-dehors de la loi que vous discutez. En effet, votre loi est
privative et temporaire; l'article est général, et, dans sa ré-
daction isolée, il se présente comme définitif. Votre loi n'a
d'action que sur l'avenir ; l'article est susceptible d'un effet
'rétroactif, et peut, au grand détriment d'une branche impor-
tante de commerce, s'appliquer aux productions de j'art, qui
ont déjà été déposées à la direction de la librairie. Votre loi ré-
serve l'exercice de la liberté de la presse pour les écrits autres
que les écrits périodiques; l'article comprend indistinciement
toutes les oeuvres graphiques, de sorte que l'éditeur d'un ou-
vrage considérable, du Dictionnaire des Arts et Métiers, par
exemple, pourra, après avoir imprimé librement le texte . de


( 515 )
;on livre, être empêché par le gouvernement de publier les
planelles. Voire loi frappe les journaux, parce que chaque
j ournal va trouver chaque jour cinq cent mille citoyens pour les
haranguer; les estampes, au contraire, attendent paisiblement,
et seulement dans quelques grandes villes , des regardeurs et
des acheteurs, qui sont toujours en très-petit nombre, compa-
rativement à la masse de la population de la France. Enfin,
votre loi a pour objet de suppléer à l'insuffisance de la législation
en vigueur. Or, je ne sache pas qu'on ait reproché au systèMe.
répressif d'avoir manqué de force au sujet des désordres qui ont
pu être commis à l'aide du burin ou du crayon lithographique.
Dites le, messieurs, connaissez-vous des caricatures séditieuses
qui, dénoncées à la justice, n'aient pas disparu aussitôt pour
ne reparaître jamais?


En voilà assez, messieurs, pour prouver que l'art 8 n'ap-
partient en rien à l'économie du projet de loi. Mais cet article
se rattache à de plus graves considérations ; il aborde l'opinion
avec un caractère particulier de menace. Les citoyens craignent
qu'on n'en profite pour leur enlever ces nombreux dessins
gravés et lithographiés , où ils se complaisent à voir retracer
nos faits d'armes et nes héroïques douleurs, ( Très-vive sensation
à gauche.)


Il faut le dire à cette tribune : les dix-neuf vingtièmes de
ceux qui tirèrent l'épée pendant les cent jours pour la défense
de la patrie, n'avaient contribué ni directement , ni indirecte-
ment à la réussite du eo mars. Ils marchèrent, comme leurs pèrés
avaient marché vingt-trois ans auparavant, aux cris de l'Europe
coalisée contre la France. Vouliez-vous que, pour la première
lois, nous nous fussions arrêtés devant: les ennemis, et que nous
eussions demandé , combien sont-ils? (Nouveaux mouvemens. )
Nous avons couru à Waterloo comme les Grecs aux Thermo-
pyles, tous sans crainte, presque tous sans espoir'. Ce fut l'ac-
complissement d'un magnanime sacrifice; et voilà pourquoi ce
souvenir, tout douloureux qu'il puisse être, nous est resté
précieux à l'égal de nos plus glorieux souvenirs.


De pareils sentimens, messieurs, et l'avidité avec laquelle les
arts du dessin en recueillent l'expression, n'ont rien d'hostile -
envers qui que ce soit, rien qui ne recoWbrte le patriotisme
français, rien que ne puisse et ne doive s'approprier la monar-
chie constitutionnelle. ( Vo.,'.2.7 à quaehe : Très- bien !) Aussi
ai-je de la répugnance à croire que 'le gouvernement d i rig,e l'exé-
cution de l'article d'après les intentions qu'on lui suppose. Mais
à quoi bon laisser courir des inquiétudes qui ne doivent point




('516 ).


à personne, puisqu'il est né dans la chambre des pairs, où il a


les sentimens français vivent dans tons les coeurs; là, comme
été discuté et adopté à une fort grande majorité. Là, comme ici,
ici, il y a des témoins et des acteurs de notre gloire militaire et
politique. (Adhésion au centre et à droite.) Si cet article avait


être 'réalisées ? à quoi bon ranger dans la même catégorie des.
choses si différentes que les journaux et les estampes ?


ont dirigé la rédaction de cet article ne peuvent être suspectes
ill le ministre des affaires étrangères. Les intentions qui
Je vote le rejet de l'article 8.


pu tendre à effacer la mémoire de nos faits militaires, il ne serait
pas né dans cette chambre, ou bien elle lui eût refusé son assen
timent. (Même mouvement.)


Quant à l'effet rétroactif que le préopinant croit y avoir re-
marqué, je ferai observer que cet article est conçu dans des
ternies qui portent son effet dans l'avenir. On y lit : Ne pourra
être, etc. Il est donc évident que le danger signalé n'est nulle-
ment à craindre, en ce qui concernerait le passé.


Quant à la nature de l'autorisation qui doit être accordée, ce
n'est pas une formalité nouvelle; elle résulte déjà d'un dépôt
qui est obligatoire pour toute espèce d'estampe et de 'gravure.


Qui pourrait avoir la pensée .que le gouvernement. eût
teution de faire disparaître OU des gravures qui représenteraient
soit des chefs-d'cèuvre de l'art, ou celles qui représenteraient
des actions héroïques? Mais on' peut comprendre parfaitement
qu'un gouvernement a intérêt de repousser des allégories fu-
nestes qui tendraient à nourrir; ou plutôt à faire revivre dans le
cour de quelques Français, des sentimens qui doivent y être
effacés pour leur propre bonheur comme pour celui de leur pays.
C'est là le bit de l'article ; s'il est atteint, vous jugerez de ses
résultats et pour l'opinion et pour le gouvernement. Tous les
inconvéniens qu'on e craints sont impossibles. Je me borne à
ce peu de mots ; je crois avoir suffisamment répondu aux nobles
craintes du général auquel je succède à cette tribune.


.211. le comte Stanislas Girardin. Messieurs, l'article 8 du
projet de loi soumis aujourd'hui à votre délibération ne faisait
point partie du projet primitif présenté à la chambre des pairs4par les ministres de S. M. Il 'y a . été inséré sur la proposition
(l'un membre de cette même chambre, sous le titre modeste
d'amendement. Cependant, messieurs, un tel amendenient est
à lui seul une loi tout entière, et cette loi n'émane pourtant
pas du pouvoir qui seul, aux ternies de l'article 16 de la charte,
en a l'initiative exclusive. Cet exemple ne sera malheureusement


( >17)
pas le seul qui vous conduira à reconnaître beaucoup trop tard,
sans doute, combien il est dangereux, pour le salut de l'état
et le repos des citoyens, de ne point respecter religieusement
la charte dans toutes ses dispositions. Un prétendu amendement
qui compose à lui seul un article du projet de , a été pincé
tout-à-coup au milieu d'une discussion que son objet rendait et
devait rendre très-animée. Son auteur a pris soin de s'appuyer.
par quelques faits plus ou moins contestables ; il s'est étendu
complaisamment sur les dangers attachés à l'exposition publique
de quelques gravures que la police locale a eu le tort, sans doute,
de laisser offrir aux regards des passans, et le tort plus réel
encore de n'en avoir point fait poursuivre et punir les auteurs.


Eh bien 1 c'est sur ce tort, développé avec amertume, que l'on
s'est fondé pour obtenir d'une assemblée agitée ce clur, sans
doute, n'aurait point été obtenu d'elle si l'amendement soumis
à sa délibération, eût été discuté dans le calme des bureaux. Là,
il eût été examiné sous tous ses rapports. Les inconvéniens en
eussent été facilement démontrés, et son peu d'avantage eût été
reconnu. Les ministres de S. M. étaient eux-mêmes convaincus
de ce que je viens d'avancer et de ce que je démontrerai dans le
courant de mon opinion, puisque l'article 8 ne faisait pas partie
de leur projet. Ils l'ont adopté, il est vrai, d'arts ce proverbe
qui dit : Que ce qui abonde ne vielepas.'


L'Angleterre, si souvent citée dans.cette chambre, l'Angle-
terre que nous considérions, il y a quelques 'années, comme la
terre classique de la liberté, que nous ne citions que pour aider
à son triomphe, mais que l'on ne semble Mettre aujourd'hui à
contribution que pour en emprunter les pratiques qui peuvent
nuire le plus à. cette même liberté; l'Angleterre sera pourtant.
surprise lorsqu'elle apprendra que la toute-puissance nationale
se développe pour fidre la guerre aux gravures de tous les genres,
et pour exterminer, avant qu'elles ne soient. nées; toutes les ca-
ricatures que la gaîté française pourrait inspirer. Je crains bien
pour l'auteur de cette guerre d'extermination, que la gravité
anglaise ne s'oppose point à ce que sa proposition à. la chambre
des pairs ne devienne elle-même le sujet d'une , caricature qui
n'aura point à craindre dans Saint-James-Street et dans
cadily les recherches inquisitoriales de la police française, qui
pourra même parvenir à tromper l'active surveillance des nom-
breux agens des douanes, si elle essaie de franchir nos frontières.


Le noble pair ne s'est pas borné aux seules caricatures;, sa
proscription comprend les dessins imprimés, gravés ou litho-
grap4iés. Bien. de ce qui pourra t'Ire soupçonné appartenir, par




( 518 )
un point quelconque, à l'art de la gravure, ne.pourra
plié, exposé, distribué ou mis en vente sans l'autorisation
préalable d gouvernement. L'on s'est empressé de remplir le
voeu du noble pair aussitôt qu'il'-été connu, et l'on n'a point
attendu qu'il ait été revêtu du caractère de la loi, pour faire
disparaître des boutiques de tous les marchands d'estampes,
non-seulement les caricatures dénoncées par le noble-pair, mais
même aussi tous les dessins lithographiés qui pouvaient con-.
tribuer à consoler de défaites récentes par le souvenir de vic-
toires plus anciennes, qui pouvaient, par la contemplation des
traits héroïques de nos braves militaires, enflammer le courage
de nos jeunes guerriers, et les porter à imiter les exploits des
soldats et des généraux de notre vieille armée.


Toutes les boutiques de nos marchands d'estampes, dont Pas-
pect parlait avec tant d'éloquence de tout ce qui pouvait flatter
l'orgueil national , ou lui ofi'rir de nobles consolations , sont
muettes aujourd'hui, et veuves de leurs plus beaux ornemens.


Le'peuple s'en étonne et s'en afflige ! c'était pour lui une
récréation bien innocente, en quittant ou reprenant ses travaux,
de s'arrêter, pendant quelques instans, pour contempler les traits
chéris de quelques grands guerriers, d'entendre expliquer per
des braves quelques-unes des nombreuses batailles où les Fran-
sais


point été vaincus (vive sensation); et s'ils se permet-
taient-de rire'en regardant une caricature qui tournait un peu
les courtisans en ridicule, ce rire sans doute n'avait rien de bien
répréhensible. On aimait entendre dire au peuple avec un accent
énergique, lorsqu'il arrêtait ses regards sur l'estampe qui repré
sente le départ des troupes étrangères c Bén•voyage! mais n'y lr
revenez pas. (Mouvement à gauche,)


Aujourd'hui, messieurs, on l'entend se plaindre hautement
de ce que la police met un soin minutieux à le priver d'un di-
vertissement: innocent et quotidien, et la proposition du noble-
duc n'a pas pour elle la voix du peuple. Elle n'a pas non plus
pour elle cette foule d'artistes, d'ouvriers, d'imprimeurs en
taille-douce, de femmes et d'enfans qui sont employés à enlu-
miner les estampes. Toute cette masse d'artistes et d'artisans
laborieux va être condamnée à un état de misère qui sera par-
tagée par les marchands et colporteurs qui exploitaient à leur
profit cette branche de notre industrie-.


Toutes les questions qui intéressent l'ordre social tiennent:
plus ou moins à l'économie politique; et, avant de les présenter
à l'investigation des chambres, il faudrait les avoir-considérées
sous toutes les faces, et savoir jusqu'à quel point leur adoption


( 5 1 9 )
peut nuire à la richesse nationale, à la circulation du numéraire
et à l'aisance d'un grand nombre de citoyens.


Je le demande aux hommes modérés de tous les partis, où
"irouver, dans la mesure proposée, les avantages qui peuvent
compenser le mal positif qui en résulte ? Celui qu'offrent les
épigrammes plus ou moins piquantes qui se publient tous les
matins sous la l'orme de caricatures, peut effrayer-.quelques
el:its ombrageux ; mais je pourrais affirmer que ce mal n'a
jamais inspiré d'inquiétudes réelles aux véritables hom nies d',.tat.
Combien de fois n'ei-je pas vu Williams Pitt et Charles Fox, en
allant à la chambre des communes, s'arrêter devant dés mar-
chands d'estampes, pour y regarder attentivement les caricatures
satyriques que la malignité venait de composer contre eux !
combien de Ibis ne les ai-je pas vus joindre leur sourire aux
bruvans. éclats de rire de John Bull ! (Mouvement d'adhésion
el gauche.)


Ces grands hommes n'attachaient pas d'importance aux pe-
tites choses. L urs occupations étaient trop multipliées pour
quele soin de supprimer de misérables caricatures pèt en faire
partie; mais comme tous les hommes ne sont pas. taillés sur let
même patron , il est tout simple qu'il s'en -trouve qui ramassent
minutieusement ce qui serait dédaigné par d'autres. Il est des
hommes qui voient les choses de halite, en est dont l'horizon
est moins étendu, et il s'en rencontre, comme vous n'en pouvez
douter, qui classent parmi les grands deneers dont ils préten-


.


dent que la France est menacée, la pubis. journalière de
caricatures plus ou moins spirituelles... La proscription aurait
dû se borner du moins aux seules caricatures., et ne pas s'étendre


- à tous les genres de gravures. C'était là le casnle-séparor l'ivraie
du bort grain, et de ne pas. vouloir que l'étude d'une-plante et le
portrait d'un prince soient soumis:à la censure, avant qu'ilsoit
permis à un marchand de les. exposer en vente..


Pourquoi la proscription, qui enveloppe teintes. les produc-
tions de la peinture et du dessin. , ne eest-elle pas étendue à la
musique, et pourquoi les deux sœurs n'ont-elles pas été frap-
pées du même coup? Il y avait d'aussi bonnes raisons à faire
valoir contre la musique que contre la gravure. La musique
donne à des paroles une force plus grande encore. Elle sert à
la faire voler de bouche en bouche, et tout le inonde sait que
les chansons agissent avec bien plus de puissance' sur l'esprit des
peuples, que les caricatures ne peuvent agir sur leur imagina-
tion. La. musique qui ne sert pas d'interprète à des paroles peu:
ncee les rappeler; et sous ce rapport, elle a ses dangers..




( 52.o )
est certain pot pourri qu'on peut regarder comme séditieux, et
Il n'est-pas absolument impossible à un délateur zélé de trouveè
une conspiration dans une composition musicale. (On rit.) .Ce
que j'ai dit de la musique, 'ce que l'on pourrait ajouter encore
f
à mes paroles, ne saurait •empêcher qu'il ne partit au moins


j'
utile de vouloir la soumettre à la censure. J'ai dit futile, et
ai bien peur que si l'on voulait approfondir davantage la ques-


tion qui nous occupe en çe moment, ce mot n'en devint la so-lution.
Quant à moi, messieurs, qui ne crains nullement les épi-


grammes écrites ou gravées, qui crois que le fonctionnaire pu-
blic ne peut être à P'abri des sarcasmes, ni Même des calomnies;
moi qui suis convaincu qu'en écoutant les inspirations de sa
conscience, il peut répondre par sa conduite â tout ce que la
méchanceté peut-inventer contre lui, et que les hommes finis-
sent toujours par lui rendre justice lorsque cette conduite a été
constamment honorable, je conclus au rejet de l'article 8. (Nou-
veau mouvement d'adhésion.)


Je tiens d'autant plus à mes conclusions, que l'article que je
viens de combattre frappe de stérilité une branche assez produe--
tive de l'industrie nationale, à une époque où tant d'autres sont
presque entièrement desséchées; que cet article n'a point été
proposé par le ministère, et qu'il n'a aucun but dont l'utilité
soit positivement démontrée, et que celui que l'auteur de cet
article s'est proposé d'atteindre, le sera bien certainement par
les soins d'une police active et vigilante, et que cet article aug-
mente, sans nécessité, la sévérité d'une loi déjà trop sévère.


Je veux encore, messieurs, avant de quitter la tribune, fixer
un instant votre attention sur l'importance du commerce des
gravures, et vous serez sans doute surpris d'apprendre qu'outre
l'immense quantité qui s'en vend en France, il s'en exporte
annuellement pour la valeur de cinq ou six millions. Un capital•
de près de soixante millions est donc consacré à cette branche
d'industrie, et dés-lors vous ne serez plus étonnés qu'elle fasse
vivre une foule d'individus, et d'apprendre que le quartier Saint-
Jacques est presque entièrement habité par des artistes et des
artisans, dont les uns sont employés à graver des planches, et
les autres à les tirer et à les enluminer. Ce genre de travail oc-
cupe un grand nombre de femmes et d'enfiins; le nombre s'é-
lève, à Paris seul, à plus de vingt mille personnes. C'est à la
liberté, qui vivifie tout, que ce genre de commercé doit le haut
degré de prospérité où il est parvenu. Il en a besoin pour fleurir;
si vous la lui retirez, vous le verrez décroître très-promptement.


( 521 ')
La liberté a d'autant moins de dangers dans cette branche


d'industrie, qu'elle est garantie, par des lois existantes, des
dangers de la licence; elle ne peut, d'après ces Mêmes lois,
porter aucune atteinte aux moeurs sans que la police n'en soit
avertie sur-le-champ, puisqu'elle est expressément chhrgée par
la loi de veiller à ce que des gravures obscènes et séditieuses ne
puissent être exposées en vente ni vendues.


Craignez , si vous mettez d'autres entraves à la publication
des gravures que celles déjà établies, que l'industrie n'en soit
effrayée ,.que les ateliers ne deviennent déserts, et qu'elle aille
chercher un pays où elle puisse se développer sans inquiétude,
et n'entraîne avec elle les arts qu'elle s'associe si utilement en
France, et les fabriques secondaires qu'elle alimentait. Je vous
prie, messieurs, de peser dans votre sagesse les dernières ré-
flexions que je viens de vous soumettre ; elles sont puisées dans
des renseignemens qui m'ont été fournis par ceux des princi-
paux négocians de Paris dont les capitaux sont entièrement
consacrés à soutenir et à faire prospérer le commerce des
gravures.-


M. le général Foy. Je rétablis les termes de mon amende-
ment ; je demande une , exception aux dispositions de la pré-
sente à l'égard des dessins et gravures déjà déposés à la direction
générale de la librairie.


M. de Villèle et un grandnornh'r &membres de la droite :
C'est de droit !... C'est entendu de la sorte !


M. le général Foy. Messieurs, on dit toujours : cela est de
droit ., c'est ainsi qu'on doit l'entendre; et il n'en est pas moins
vrai que tous lei jours les dispositions- des lois sont outrepassées:
il n'en est pas moins vrai que de vives alarmes se sont répandues
parmi les artistes et les négocians dont il s'agit, et que c'est
sur les documens fournis par eux que j'ai présenté nia réclama-
tion ; ainsi il est juste, il est loyal, convenable que la loi les ras-
sure y a tant de choses qui ne'sont pas de droit et qui se font!
Prévenons l'abus autant qu'il est en nous ; trois ligues suffisent.
J'insiste sur mon amendement.


M.. le ministre des affaires étrangères. Je crois qu'il est im-
possible de mettre dans une loi un article qui pourrait faire pré-
sumer qu'il a été rendu én France une loi contre tous les prin-
cipes, contre les principes de toute notre législation, et particu-
lièrement du Code civil , qui défend expressément qu'aucune loi
puisse avoir d'effet. rétroactif. C'estlà la principale garantie dee
citoyens; elle résulte du droit commun.


M. Benjamin-Constant. Considérez la rédaction de la loi


dei




( 52.2 )
et dites-moi si avec ses f enfles le gouvernement n'a pas le
droit de contester la filculte de continuer à exposer et à mettre
vente des objets existons ? Je ne vois pas dans quelle condi-
tion occulte de la loi on tr.-uverait l'obligation de ne pas en
faire l'usage que nous redoutons. L'effet rétroectif est , dit-on,
contraire au principe de toutes nos lois mais trop d'exemples
nous doivent inspirer de le défiance; quant à moi, si j'avais le
malheur d'être l'agent d'un pouvoir discrétionnaire, ce qui , je
l'espère ne m'arrivera jamais, je me croirais autorisé par la loi
de l'entendre dans le sens que nous voulons prévenir ; car la ré-
klaction est claire, il est impossible de l'entendre autrement
que nous ne ie faisons. J'insiste sur l'amendement prsenté.


M. de Chauvelin. Je n'ai qu'une observation à frire; elle
doit avoir votre approbation car elle est puisée dans la loi elle-
Même. Le premier . article était absolu ; par son amendement, la.
chambre des pairs y a porté une. dérogation exceptionnetle.
C'est par le même motif que nous en elemandons une autre;
-sans cela la loi peut être mal interprétée: il ne restera que la
déclaration du ministre; mais qui nous garantira que lui même
ou tout autre qui peut lui succéder tiendra compte de cette dé-
claration? assurément la garantie n'est pas suffisante. J'appuie
l'amendement de toutes nies forces.


M. le ministre des alAires étrangères. Les gravures déjà
publiées , et pour lesquelles on a satisfait à la loi, sont un fait
existant que la loi ne peut atteindre; celles qui paraissent ne
sont existantes qu'au muaient même de leur mise au jour, et ce
n'est qu'à elles quela loi peut s'appliquer.


On demande à aller aux voix. M. Bedoch réclame la parole.
—On insiste.


M. de Chauvelin aux membres da centre. Messieurs, nous
n'avons pas promis que la loi ne retournerait pas à la chambre
des pairs.... Nous n'avons pas pris d'engagement, nous... Lais-
sez-nous entendre et discuter.... (On rit.) On demande très-
vivement à aller aux voix. —M. Bedoch réclame la parole.--
On demande la clôture.


Bcdoch. Je demande à parler contre la clôture—. Mal-
gré toute votre impatience , messieurs, vous m'accorderez sans
doute deux ni inates pour répondre à M. le ministre du Roi. On
ne vous a rien dit de plausible sur le texte de la loi, sur sa ré-
daction en elle-Même. Aux termes de la loi on ira chez un'mar-
clmnd de gravures; il dira qu'il s'est conformé à l'ancienne loi,
qu'il a déposé les exemplaires. On lui répondra : Ou i,vous avez
exécuté l'ancienne loi ;


mais voici les dispositions de la loi non--


( 523 )
selle, qui déroge formellement à la loi précédente ; d'après celte
il n'est pas un agent de police qui ne pût se croire autorisée
empêcher la vente, la distribution et l'exposition des objets
qu'on déclare ne pas vouloir atteindre.


Un grand nombre de voix au centre et à droite e Mais non!...
On vous déclare que cela ne se peut pas!... Aux voix! aux voix!
L'amendement de M. le général Foy est mis aux voix et rejeté-


M. Casimir Perrier. Messieurs, je propose, comme amen-
dement, que les articles de journaux qui auraient pour objet
d'examiner les plans de finances du gouvernement, les projets
d'emprunts , les comptes des administrations et les comptes
de MM. les ministres, ne soient point soumis à la censure
préalable.


Nous nous occupons, messieurs, d'une loi toute de confiance;
et déjà, par suite de ce motif si bien établi par MM. les mi-
nistres , nous avons livré à leur merci la liberté individuelle de
nos concitoyens; et encore quelques momens, la liberté de la
presse sera dans leur entière dépendance. Après une abnéga-
tion aussi illimitée d'une portion de nos droits les plus chers,
il est difficile de présumer que les ministres veuillent nous de-
mander encore que les comptes matériels de leur administration
ne soient soumis à aucune investigation de la part du public,
et , en nous privant de ses lumières, nous forcer en quelque
sorte d'adopter également leurs comptes de confiance. Sans
doute si leurs calculs financiers pouvaient être aussi sors et
aussi exacts que jusqu'ici leurs combinaisons politiques ont été
profondes et invariables, je n'hésiterais point à leur eu donner
ce dernier témoignage.


Du moins il est résulté de cette discussion, que, sous les rap-
ports politiques, MM. les ministres n'ont jamais été dans l'er-
reur, que toujours ils ont suivi et professé les mêmes principes,
servi et défendu le même gouvernement. Mais, messieurs, ce
n'est pas pour leurs propres comptes que MM. les ministres ont
réclamé une aveugle confiance et le privilége de l'infaillibilité :
ce serait leur faire injure que de leur supposer une pareille
pensée ; l'arbitraire de leur confiance en eux-mêmes ne va pas
jusques-là ; ce n'est. que pour les comptes moraux qu'ils auront
à nous rendre, qu'ils demandent à être dispensés de tout con-
trôle. \ous pourrez bien ne pas savoir pourquoi vos concitoyens
auront été plongés dans les cachots ; mais à Dieu ne plaise que
MM. les ministres veuillent vous priver de la faculté de vérifier
ce qu'auront coûté les alimens des prisonniers qu'ils auront faits,
et d'en allouer la dépense!




( 524 )
C'est parce que' je suis bien convaincu que l'intention de


MM. les ministres est que la loi sur la liberté de la presse ne
puisse point être interprétée d'une manière défavorable contre
ceux qui voudront examiner leur administration financière, que
j'ai proposé un amendement clair et précis sur cet objet. En le
proposant, je n'ai kit que .prévenir l'impul§ion de leur propre
délicatesse. Aussi m'estimerai-je heureux de pouvoir faire dis-
paraitre uné lacune qui avait échappé à le rédaction plutôt
qu'à la sagacité de MM. les ministres, et de détruire par-là tout
prétexte à leurs ennemis de• les accuser d'avoir voulu soumettre
à la censure préalable de leurs propres agens , ceux qui vou-
dront examiner les comptes que d'après-la loi ils sont tenus de
nous rendre.


Je ne sais si men amendement éprouvera le même sort que
ceux de mes honorables collègues ; cependant il me semble, de sa
nature, devoir échapper aux critiques de nos adversaire. Il ne
s'agit ici ni de sauve-garde pour les doctrines, ni de pitié pour
les malheureux. Je parle seulement en faveur du langage des
chiffres, langage toujours sûr et toujours vrai, niais seulement
lorsqu'il peut être contrôlé.


Dans tous les cas, j'ose compter sur la noble intercession de
MM. les ministres en faveur de mon amendement, auprès de
cette immense et impitoyable majorité de huit voix, qui jus-
qu'ici n'a kit cr rfice à -aucun de ceux qui ont été présentés;
et si pour la première fois, dans le cours de cette discussion, les
votes de sentiment et de confiance devaient être rebelles à l'ap-
pel de MM.. les ministres, ne devons-nous pas espérer d umoins
que leurs quatre suffrages ne viendront pas grossir le vote de
nos adversaires? (Des murmures s'élèvent au centre et à droite.)
Je persiste dans mon amendement.


M. le président met aux voix l'amendement de M. Casimir
Ferrier. Cet. amendement est rejeté à la même majorité.


M. le président donne lecture d'un nouvel amendement de
M. Manuel, tendant à appeler de la décision


. d'un censeur à
tous les censeurs réunis.


M. Manuel. Il est une réflexion que chacun pourra faire.
Ce projet se ressent singulièrement de la 'lette avec laquelle il a
été préparé. Il est bien vrai qu'il s'agissait de profiter d'une
occasion qui paraissait favorable. Il était probable qu'on obtien-
drait plus facilement de la chambre ce qu'on lui demandait au
nom de k douleur publique. C'est une excuse suffisante pour
expliquer ce que le projet a d'incomplet. On ne devrait donc
pas se refuser à le compléter,


( 525 )
Ce projet n'a presque rien prévu de ce qu'il fallait prévoir :


on n'a pas pensé aux moyens de constater les contraventions,
ni à déclarer de quelle manière les jugemens des censeurs se-
raient revisés. Ainsi, il suffira de l'avis d'un seul homme pour
priver la société d'un ouvrage qui peut lui être plus ou moins
utile. Cette lacune est d'autant plus extraordinaire, que ce n'est
pas d'aujourd'hui que la censure a été établie. Elle existait sous
le régime impérial et sous celui de 1815. On n'a pas manqué
alors de l'organiser, -de tracer les règles dont je viens de rele-
ver l'omission. Il n'y avait qu'a prendre la peine de copier, et
l'on en pu trouver de quoi vous satisfaire. On n'en a rien fait.
Ainsi, par exemple, dans le décret impérial sur la censure,
on avait prévu le cas o.à un censeur rejeterait un article, et
l'on avait dit, que si L'auteur réclamait, il serait procédé à un
autre examen par un autre censeur, et que les censeurs impé-
riaux se réuniraient pour prononcer. ES 1815, on n'a pas laissé
non plus Fauteur sous le poids d'une condamnation prononcée
par un seul homme, sans appel, sans révision. Lorsqu'un cen-
seur attaché à un journal jugeait à propos de repousser un ar-
ticle, l'auteur pouvait réclamer, et alors c'était la commission
tout entière de la censure qui se réunissait pour prononcer
d'une manière définitive. Voilà ce que toutes les Censures ont
adopté. 11 est étonnant sans cloute qu'on n'ait pas cru devoir se
soumettre à ces règles ; il faut qu'on ait compté ou sur une ab-
sence de réflexion, ou sur une excessive complaisance. .


Je crois que signaler cette lacune , c'est faire sentir la nécesr
sité de la remplir. Je vous propose d'adopter, que toutes les
fois qu'un article aura été refusé par un censeur, et que l'au-
teur voudra réclamer contre cette décision , il pourra le faire,
et qu'alors les censeurs réunis prononceront sur cette réclama-
tion , après avoir entendu ce censeur. (Cet amendement est for-
tement appuyé à gauche.).


M. le ininistre des (elles étrangères. Le préopinant a tou-
ché un point . particulier, savoir, si la censure serait exercée par
un seul individu ou par une commission. Cette question est
très-importante ; elle sera soumise à la sagesse du Roi , qui dé-
cidera si. la censure sera collective, ou si elle sera exercée par
un seul individu sur chaque journal. (Vive sensation.) Ce que je
puis affirmer, c'est que dans l'exécution de cette loi, rien de
ce qui est-sage, de ce qui est justement libéral ne sera négligé.
(Mouvementà gauche.) Le gouvernement entend assez bien ses
intérêts pour établir toutes les règles propres à faire exécuter
la loi, et pour s'imposer même toutes les gênes qui pourraient




( 5a6 )
être utiles, et pour empêcherles abus qui pourraient en résulter:
(On demande vivement à aller aux voix.)


M. Benjamin-Constant. Il importe de savoir jusqu'à quel
point. la censure seta vexatoire, s'il y aura un appel. Jamais
l'appel d'un tribunal à un autre n'a été regardé comme la simple
exécution d'une loi. Cela doit changer la position des écrivains,
et la manière dont vous envisagez les entraves apportées à la ma-
Iiifestation de leurs pensées; car, s'il y a un recours, ils peuvent
-espérer plus de justice que de la part d'un seul censeur; ils
;peuvent s'en flatter au moins, car ni oi je n'oserais l'espérer.
sC"est donc améliorer la condition des parties, et- ce n'est pas
introduire un article exécutoire dans le texte de la loi. Si la cen-
sure doit être organisée saur une forme tout- à4ait nouvelle; s'il
doit y avoir une commission de censure, pourquoi n'avoir pas
daigné nous le dire? Plusieurs membres auraient pu avoir moins
de répugnance pour une censure collective que pour une censure
individuelle. Je ne conçois pas qu'on puisse traiter la chambre
-avec assez de légèreté pour insérer dans la loi des dispositions
obscures, tandis qu'on j ette dn haut de cette tribune des demi-
aveux, des demi-révélations pour montrer que la loi serait autre
qu'elle nous est présentée. Mais quand même les révélations fe-
raient voir que la loi serait meilleure qu'elle ne paraît devoir
l'être, il y aurait, je le répète, de la légèreté à nous laisser dis-
cuter•pendant quatre jours saris nous dire une chose qui aurait..
pu influer sur notre décision. Toutefois je ne crois pas -que cette
supposition puisse vous déterminer à rejeter l'amendement:


Le gouvernement trouvera certainement quinze ou vingt
hommes dociles à ses volontés. Il ne doit pas en désespérer;
d'après ce (fui arrive souvent, le danger ne serait pas extrême.
Il y a des exemples qui prouveraient que le gouvernement a
trouvé dans plus de quinze hommes une complète docilité
(Vif mouvement à gauche.) J'appuie donc de toutes mes forces
l'amendement de mon honorable collègue.


L'amendement est mis aux voix-et rejeté à. la même majorité.
M. le président lit l'article 9 , ainsi conçu : cc Les dispositions


» des lois du 27
mars, du 26 mai et du 9 juin 181 9 , auxquelles


» il n'est point dérogé par les articles ci-dessus, continueront
» d'être exécutées. »


L'article est adopté.
M. le président lit l'article ainsi conçu : «La-présente loi


» cessera de plein droit d'avoir son effet à la fin de la session de
» 1 820.»


Méchin. Messieurs, en février 18i 7, vous avez limité


(527)
"existence d'une loi pareille à celle-ci au mois de février 1818;
cependant alors les étrangers, sous le nom d'alliés, occupaient
une grande partie du territoire, et les esprits étaient dans un
état de firmentation que vous avez fait souvent valoir dans cette
discussion; anjourd'hui ii est évident que la France est calme,
et vous n'avez de la persévérance à la faire considérer comme
agitée, que pour mener à leur terme vos désastreux projets. Il
est. en outre reconnu, par .toutes les opinions qui divisent cette
chambre, que la censure en elle- même est un mal. Les uns la con-
sidèrent comme un mal utile; d'autres comme un mal superflu;
et nous comme un mal qui n'est. que mal, comme une mesure
aussi fimestequ'inconstitution celle. Toujours est-il -vrai quecet te
censure est MI mal, et il faut arrêter le mal aussitôt qu'il est
possible de le faire. J'ajouterai que quand on propose une loi
temporaire, il faut en préciser le terme, si l'on ne veut pas flaire
soupçonner l'arrière-pensée de la rendre déjinitive. Tels sont les
principaux motifs qui m'ont dicté un dernier amendement, que
du reste je modifie. en demandant que le terme de la loi soit
fixé au 3o mars prochain, pour me conformer à votre précédent.


Enfin, messieurs, nous touchons au terme de cette longue et
douloureuse discussion. Quel que seit son résultat, nous aurons
combattu avec courage et loy, auté. Cette discussion sera instruc-
tive pour la France entière (interruption); oui , pour la France
entière, qui sera bien surprise en voyant des minorités, dont la
conduite précédente, les vues, les intérêts, les habitudes ont
toujours différé, se réunir paur nous accabler du poids d'une
majorité composée d'élémens qui se repoussent.


Elle sera portée à. faire d'étranges conjectures sur l'état des
choses et sûr les vues ultérieures, en considérant l'union des
débris de la majorité de 1815 avec.nne portion de la majorité du
ministère qui a suivi cette époque déplorable, et ces deux majo-
rités marchant d'accord avec le groupe de fonctionnaires publics
qui s'attachent à la fortune du ministère actuel. Quel est le lien
politique entre ces partis? On sait que dans tout système repré-
sentatif, dans toute assemblée délibérante, les cealitions sont
fréquentes, et sont même nécessaires pour composer une majo-
rité; mais elles ont un but commun qui est ordinairement de
soutenir le ministère en exercice.


Il n'en peut être de même ici, puisque nous avons vu la mi-
norité de 1815 déclarer qu'elle n'appuyait pas le ministère,
mais que le ministère s'appuyait. sur elle quelques jours après,
le Chef de la seconde section de la majorité du jour est venu
adresser à la minorité de 1815 des paroles qui n'ont pas en. le


4





( )28 )
bonheur de lui plaire, et qui ont été relevées le lendemain avec
l'expression du mécontentement.


Telle est, messieurs , ma manière de voir ; il faut donc tirer
de tout ceci cette conséquence, que l'une et l'autre minorité,
ou que les deux sections de la majorité travaillent non à sou-
tenir le ministère, mais à le faire remplacer chacune par les
siens. (Murmures à droite. PluSienrs voix : Qu'en savez7vous ?)
La troisième section attend l'événement pour reporter- au mi-
nistère nouveau l'appui qui, encore une fois, déterminera la
majorité au profit de la-puissance du moment. Voilà la situation
de cette assemblée.


Cette discussion sera instructive pour les électeurs qui, juges
de nos .


débats, feront la part à chacun en parfaite connais.
sance de cause, quelle que soit la gêne qu?on leur impose et le
mode d'élection qu'on substitue'au mode actuel. Ils se souvien-
dront que si tout Français réunissant les conditions voulues est
éligible , il doit déposer des fonctions déclarées incompatibles
avec l'honorable mandat de député, par toutes les lois existantes
et exécutées religieusement jtisqu'en 1815.


.Cette discussion sera instructive ponr la chambre qui nous
remplacera, et qui reconnaîtra que, dût-on succomber, il y a
toujours avantage et honneur à professer les saines doctrines.


Cette discussion sera instructive pour le ministère lui-même,
qui y aura puisé d'utiles leçons, et qui recueillera des fruits
amers, j'ose le prédire, du système qu'il e adopté,.


et dans
lequel il a montré une persévérance que la France et l'Europe
sauront. apprécier.


:En terminant, encore une réflexion, une seule' réflexion : il
est pour une nation des jours fastes et néfastes : il y• au jour
d'in» six ans, à pareil jour, la capitale de la France a subi une.
première invasion ; à pareil jour, six ans .après, la France se voit
enlever les plus précieuses de ses libertés.... Recueillons-nous,


,


méditons, et bisons des voeux pour un meilleur avenir. (Vive
sensation à gauche.)


On demande à aller aux voix. L'amendement de M. Méchin
est mis aux voix- et rejeté. L'article Io est' adopté.


On procède à l'appel nominal sur le projet de loi relatif aux
journaux.


L'appel et le rappel sont faits.
Votons, deux cent quarante-cinq ; boules blanches , cent


.trente-cinq; houles noires, cent . dix. La, chambre adopte le


projet de loi sur la censure des j OU rnaux , à la' majorité de vingt-
six voix.


Noms des cent dix députés qui ont voté contre : MM. Camille-
Jordan ; Rodet ; Lecarlier; le baron Méchin ; le comte Foy ;
Labbey de Pompières ; baron d'Alphonse ; Burelle; baron Cal-
vet-Madaillan ; Guittard ; Ganilh 3 Admyrauld ; Faure ; Beau-
séjour ; Boin ; Deveaux ; Bedoch ; Sébastiani ; Ramolino ;
Caumartin; Hernoux ; Chauvelin ; Ruperon ; Beslay- ; Carré ;
Neel ; Verneilh de Puirazeau ; Barbary de Langlade ; Clément ;
Dupont.; baron Bignon ; Dumeilet ; Blason ; R.ératry ; Des-
bordes-Borgnis ; Gunitent; Daunou ; baron Chabaud-Latour ;
baron Lascour ; de Cassaignolles ; Legraverend ; Tréhu de
Monthierry ; comte de Bondy ; Charlemagne; Savoye Rollin 5
comte Français de Nantes ; Sappey ( Charles) Jobez ; baron.
Cardenau ; Populle ; de Saint-Aignan ; Laisné de Villevêque;
Ferrier ( Alexandre ) Moyzen ; baron Brun de Villeret ;
Sivard de Beaulieu ( Charles ) Toupot de Bevaux ; Delaunay
Prosper ; Paillard du Cleré ; Lepescheux ; baron Louis ; Seul-
nier; Vallée ; 'Villemain ; Robert ; baron Fabre ; Rolland ( Mo-
selle ) ; comte Grenier ; chevalier Bogne de Faye ; Revoire ;
baron de Brigode ; Fremicourt ; Gossuin; Tronchon ; de Nully
d'Hécourt ; Harle ; Basterrèche ; Backenhoffer ; Lambrechts ;
baron de Turckheim ; Saglio ; Voyer d'Argenson ; Moll ; de
Corcelles ; de Grammont ; baron Martin ; Paccard ; Hardouin ;
de Lafayette ; Benjamin-Constant ; Picot Desormeaux ; Lafitte ;
baron Delessert ( Benjamin )Ferrier ( Casimir ) ; Ternaux ;
baron Delaitre ; Delaroche ; 'Cabanon ; Leseigneur ; comte (le
Girardin ; baron Jard I'anvilliers ; Manuel ; Perreau ; Esgon-
nière Fradin ; Demarçay ; Falatien ; Velche; Doublat ; Cour-
voisier.


La chambre s'ajourne au lundi 3 avril, pour l'examen de la
proposition de M. Benjamin-Constant , relative à une modifi-
cation du règlement concernant le mode de scrutin.


La séance est levée à cinq heures.


Séance du 3 avril.


M. le général Foy, organe de la commission des pétitions.-
Messieurs, plus de quinze cents donataires du Mont-de-Milan ré-
clament la propriété de leurs dotations garanties par les traités. Si
les Français les plus ignorés avaient, par suite d'opérations com-
merciales ou financières, acquis à l'étranger une créance consi-
dérable , et s'il était arrivé que les princes ou les particuliers


/1. 34


4


( 529 )




( 530 )
débiteurs eussent.profité d'un ascendant momentané de la force
miiitaire pour retarder indéfinitivement des paiemens légalement
obligés , il serait du devoir de notre gouvernement d'intervenir
près des autres gouve


•nemens pour faire rendre justice aux sujets,
et pour restituer àla France une portion de la richesse française.


Dans la question du Mont-de-Milan, les intéressés ne sont
pas des hommes ignorés•; ce sont ceux qui, pendant vingt-cinq
mis, ont versé leur sang pour la patrie. La créance ne provient
pas de spéculations privées; elle est le produit de la munificence
nationale exercée dans une mesure et suivant des formes com-
patibles avec les droits de la souveraineté. Les'actes diploma-
tiques qui ont donné et repris l'Italie à la France, n'ont pas
emporté avec eux la dispense des obligations qu'impose aux gou,
vernemens le droit: public de l'Europe. Ainsi , les souverains
actuels de ce pays ont dû reconnaître les aliénations de domaines
et les constitutions de dette publique faites par le souverain
précédent. Ils l'ont en eifi/t solennellement reconnu. L'article
r3 du traité du 1 r avril 1814 porte : cc Que les obligations du
» Mont-Napoléon envers tous ses créanciers, soit Français, soit.
n étrangers, seront exactement remplies , sans qu'il soit fait
» aucun changement à cet égard. » Et plus tard les hautes puis-
sances contractantes au congrès de Vienne ont stipulé par l'art.
97 de l'acte du 9 juin 18/ 5, que -: r Pour conserver à l'établis-
n sentent connu sous le nom de Mont-Napoléon à Milan , les
» moyens de remplir ses obligations envers ses créanciers , les
/s bien-fonds et antres immeubles, de même que les capitaux


appartenant audit établissement, et placés dans difterens pays,
» resteraient affectés à la même destination. n C'est ainsi que le
droit a Cté établi ; voyons maintenant. ce qui est arrivé.


La France, en r 8 4 , effrayait encore l'Europe des souvenirs
tout récens de sa puissance : il eût été facile de recouvrer toutes
les dotations situées dans des pays où les traités avaient sanc-
tionné les droits acquis par la victoire. Mais loin de protéger
les intérêts nouveaux , notre diplomatie les a traités avec une
froide indifférence. Survinrent les calamités de / 815 ; la France
fut accablée par l'Europe coalisée. Ce n'est pas quand on payait
des tributs qu'on dut penser à . réclamer des dotations. Tout ce
qui a le coeur français n'était occupé qu'à former des vcenx pour
le prompt départ des troupes étrangères , el, quand l'acte signé
à Aix-la-Chapelle , le 16 novembre /818 , nous en délivra , les
donataires du Mont-de-Milan prirent une part trop vive à !a joie
nationale pour s'enquérir si leurs intérêts particuliers avaient été
garantis ou au moins respectés.


( 531 )
Cependant-on-apprit plus tard qu'il avait été réglé par l'acte


de délivrance, que les arrérages dus aux donataires du Mont-de-
Milan leur seraient pavés jusqu'au 3o mai / 8/4 , date du traité
de Paris. Sur quelle bise était établie cette convention? Notre
cabinet a-t-il fait des protestations ou des réserves? a-t-il ré-
clamé de nouveau après le départ des étrangers pour obtenir les
arrérages postérieurs au traité de Paris et la consolidation défi-
nitive des créances? C'est ce qu'on ignore , car depuis six ans
ee qui concerne les dotations , l'attaque comme la défense ,
tout est resté enveloppé d'un voile mystérieux. C'est: à la dé-
robée et comme par hasard que les intéressés ont pu faire quel-
ques découvertes sur leurs propres affaires. Enfin , il paraît , et
ie me sers de l'expression dubitative parce que notre gouver-
nement ne nous en a appris rien de certain , que le 21 septembre
/ 8 / 9 les commissaires plénipotentiaires des puissances intéres-
sées à l'exécution de l'article 97 de l'acte du congrès de Vienne,
ont formellement déclaré les dotations françaises sur le Mont-
de-Milan éteintes en vertu de prétendues conventions. Ainsi'
nous sommes dépouillés au mépris des principes (lu droit publie
et des articles positifs des traités. Ce n'est pas dans un pays soumis
au régime constitutionnel et avec des ministres responsables que
de pareilles violations de droit passeront silencieuses et inaper-
çues. Le gouvernement ne peut se dispenser <l'intervenir de
toute sa force en faveur des donataires du. Mont- de-Milan. Le
grand nom de la France n'est pas tombé assez bas en Europe
pour que nos réclamations n'y soient point écoutées , je ne dirai
pas avec bienveillance , mais avec respect , lorsqu'elles sont fon-
dées sur la justice et présentées avec l'énergique modération que
donnent la certitude du bon droit et la conscience de la puis-
sance réelle.


Votre commission vous propose le renvoi de la pétition à M.
le ministre des affaires étrangères. ( La chambre ordonne ce
renvoi. )


M. le rapporteur expose ensuite qu'un grand nombre d'offi-
ciers de l'artillerie dela marine demandent que l'ordonnance du
9 décembre / 815 , en tant qu'elle concerne l'artillerie de la
marine, soit révoquée, attendu qu'elle est une transgression des
lois préexistantes sur le traitement de réforme auquel ils out
droit de prétendre.


Votre commission , dit le rapporteur , vous propose le renvoi
des pétitions à M. le ministre de la marine et des colonies, et-
à votre commission des dépenses.


La chambre prononce ces deux renvois.


s




r'''J32. )
L'ordre du jour appelle la discussion sur le rapport de la pro-


position de M. Benjamin - Constant , tendant à améliorer les
articles t 5 , 22 et 33 du règlement de la chambre sur la ma-
nière de constater les votes. La proposition est combattue par
MM. Blanquart-Bailleul , et de la Boullaye , et défendue par
MM. Benjamin Constant , Demarçay et Méchin. La chambre
rejette la proposition de M. Benjamin-Constant , et s'ajourne
au lendemain pour l'ouverture de la discussion sur les comptes.


Séances des 4, 5 et 6 avril.


L'ordre du jour appelle la discussion générale sur le projet
de loi relatif aux comptes arriérés des exercices antérieurs
à 1819.


MM. Labbey .
de Pompières, Gaina et Caumartin attaquent


le règlement des comptes des exercices antérieurs à 1819, dont
ils relèvent les inexactitudes dans toutes leurs parties, et votent:
pour le rejet du projet de loi.


M. Benjamin. Messieurs, j'ai contracté l'année dernière un
engagement que je dois remplir. Cet engagement, vous l'avez
contracté vous-mêmes ; c'est à vous à voir si vous croirez devoir
y rester fidèles. Le 24 mai 1$1 9, j'ai eu l'honneur de proposer
à la chambre, tout en renvoyant à cette année le réglement dé-
finitif des comptes de 3818, de demander au ministre des finan-
ces, 1.° communication de toutes les pièces relatives aux deux
emprunts de quatorze millions six cent mille deux cents
francs , et de vingt-quatre millions, ainsi que de toutes celles
qui se rapportent aux opérations faites sur les rentes avec les
fonds du trésor, à dater du mois de juin jusqu'au mois de no-
vembre 1818; 2.° l'impression de la distribution de la liste de
souscription de l'emprunt de quatorze millions six cent mille
francs, et celle de la répartition de cet emprunt.


-Vous n'avez passé à l'ordre du jour qu'en déclarant expressé-
ment que votre seul motif était que le moment de statuer sur le
budget de 1818 n'était pas venu. Telle fut l'unique raison allé-
guée par tous les orateurs. M. le garde-des-sceaux , alors pré-
sent, observa eue nia proposition ne trouverait son application
que cette année. M de Villèle ajouta que l'examen que je ré-
clamais allait de droit à notre session prochaine, c'est-à-dire la
session actuelle; et mon honorable ami M. Larme, en quali-
fifutt mon amendement de prématuré, dit ces paroles qui déci-
dèrent la chambre : Nous n'avons rien à statuer dans ce moment
sur les opérations de 18 1 8. La chambre en a renvoyé le régie-


( 533 )
ment à la session prochaine. C'est alors qu'on demandera au
ministère tous les renseignemens qu'on croira utiles, et particu-
lièrement la liste (les souscripteurs des quatorze millions et des
vingt-quatre millions. Ainsi, messieurs, vous vous êtes engagés
envers la France à lui procurer une connaissance exacte des
transactions étranges qui donnèrent heu , il y a deux ans, A tant
de réclamations véhémentes et à tant. do soupçons fâcheux. Le
moment fixé par vous-niâmes est arrivé. J'ose espérer que vous
remplirez votre engagement.


Messieurs, vous ne pouvez avoir oublié l'histoire des emprunts
sur lesquels je viens appeler votre attention. Je suis toutefois
forcé de vous en retracer quelques circonstances, et de rentrer
dans quelques détails que je vous ai déjà soumis une fois ; mais
je tâcherai de les abréger autant que la nécessité d'être clair
pourra me le permettre. Je commencerai par l'emprunt de vingt-
quatre millions, parce que sur celui-là mes observations seront
plus longues. Nous savez que cet emprunt. fut livré à des étran-
gers. On nous a dit dans le temps que les puissances Pas-aient
exigé, qu'elles avaient réclamé la garantie de MM. Hope et
Baring. Il faut qu'on nous le prouve, car il est de notoriété pu-
blique qu'à la même époque les ambassadeurs de ces mêmes,
puissances démentaient ce bruit et le repoussaient comme inju--•
rieux à leurs souverains. Il faut qu'on nous le prouve, car je lis
dans un traité du 18 août une clause portant que la France in-
terposerait ses bons offices pour que six millions de rentes, dont
les puissances avaient à disposer, fussent données à MM.
et Baring, , clause qui certes semble indiquer que le choix de ces
deux capitalistes n'était pas un résultat de la volonté des puis-
sances elles-mêmes.


Vous savez aussi que parmi les conditions de l'emprunt, était
une clause résolutoire , dans le cas de la non évacuation du ter-
ritoire français. Cette clause était légale. Le crédit voté par les
chambres était conditionnel. Mais une autre question reste à
résoudre. Cette clause résolutoire était pour les prêteurs un im-
mense avantage. Elle plaçait les étrangers que le ministre avait
adoptés pour cet: emprunt, dans une condition bien meilleure
que les Français admis à l'emprunt de quatorze millions six
cent mille francs.


Ceux-ci avaient el supporter les chances les plus fâcheuses
comme les plus favorables. Si le territoire n'eût pas été évacué,
les rentes auraient baissé; cette baisse eût été à la charge des
prêteurs français. Les étrangers, au contraire, étaient, dans
leur emprunt, à l'abri de tout danger par la clause résolutoire.


:11




( 534 )
Si le territoire n'était pas évacué , leurs engagemens étaient
nuls ; ils se retiraient sans perte. Si le territoire était évacué, le
hausse était infaillible et leurs bénéfices assurés.


Comment se fait-il donc que dans cet emprunt, les rente§
aient été données aux prêteurs, qui ne pouvaient que gagner à
un prix inférieur à celui qu'avaient payé les préteurs des qua-
torze millions qui pouvaient perdre?


Pour excuser le ministre , il faudrait qu'on prouvât que les
puissances avaient fixé le prix de nos rentes. Je crois que la
preuve ne serait pas facile à fournir. Dira-t-on que les prêteurs
étrangers ne les auraient pas prises é un prix plus raisonnable?
:Mais ils ne couraient point de chances; ils ne pouvaient, grâce
à la clause résolutoire, que gagner et jamais perdre. A qui per-
suadera-t-on qu'ils ne se seraient pas contentés d'un bénéfice
infaillible , lors même qu'il eût été moins exorbitant? Nul ne
peut concevoir le motif du ministre dans cette Opération rui-
neuse, pi seule, en la séparant (le toutes les autres , a coûté à
l'état plus de vingt millions.


Troisième question. Messieurs , pourquoi cette négociation
entamée aux mois de mars a-t-elle été conclue subitement et


jpresque clandestinement dans le mois de mai, tandis que huitours plus tard elle ellf été moins défavorable d'un dixième? On
vou lait, dira-t-on, devancer le congrès d'Aix-la-Chapelle. Mais
il n'a eu lieu que quatre mois après. Ne pouvait-on pas attendre
huit jours? les puissances avaient- elles fixé l'époque? A moins
qu'on ne vous le démontre, je ne pense pas que vous le croyiez;
et personne que je sache n'a osé le dire.


Quatrième question. Pourquoi le ministre, au moment de
conclure cet emprunt, a-t-il rendu une baisse inévitable par une
vente de deux millions de rentes? Pourquoi cette vente a-t-elle
eu lieu à l'instant où la baisse qu'elle devait produire était si fu-
neste aux opérations qu'il négociait ? Ne pouvait-il subvenir
a (lx besoins de l'état pour quelques jours, en empruntant •sur le
dépôt de ces rentes ? La différence de quelques jours aurait con-
sidérablement diminué les désastres de ses négociations finan-
cières.


Cinquième question. Cette baissé occasionée par une vente-
intempestive et précipitée , pourquoi le ministère l'a-t-il encore
favorisée, en exigeant des prêteurs français vingt pour cent de
leurs capitaux en quatre jours, et cinquante pour cent dans deux
mois? Les besoins,


du trésor n'y étaient pour rien ; car le mi-
nistre plaçait la même époque d'abord onze millions , plus
tard trente-sept millions à la bourse, et, par ces plaçetnens. i5 /


( 535 )
ramenait la hausse , mais il la ramenait quand les emprunts
étaient conclus , quand les rentes étaient dans les mains des
étrangers, quand cette hausse était toute en leur faveur. Ainsi,
avant l'emprunt, il faisait baisser les rentes comme pour les li-
vrer aux étrangers à vil prix; après l'emprunt, il les faisait
hausser connue pour augmenter leurs bénéfices.


Certes , messieurs, vous penserez, comme moi , qu'il faut
éclairer toutes ces transactions, et que le ministre lui-même est
intéressé à nous expliquer pourquoi il a sacrifié de la sorte la
France à des capitalistes anglais.


Dernière question sur cet emprunt. Six millions de rentes ont
été rendues par MM. Hope et Baring après l'opération çon-
sommée. De quel droit le ministre les reprenait-il? la loi lui
avait accordé un crédit de vingt-quatre millions; il en avait usé;
tout était fini. Annuler la vente de six millions de rentes, c'é-
tait les racheter, c'était excéder son pouvoir par une opération
illégale qui nous a causé une perte de vingt-six millions. Car
nous avons de plus six millions de rentes qui en valent soixante-
quatorze, et de moins cent millions que nous payons cette année
et l'année prochaine. Mes questions sur l'emprunt de quatorze
millions six cent mille francs seront moins multipliées, tuais
non moins importantes; elles se réduiront à deux : Pourquoi le
mode de la concurrence indiqué parla discussion des chambres
a-t-il été écarté? De quelle manière le ministre, après avoir re-
poussé la concurrence, choisi parmi les souscripteurs?


Quant à la premiere question, il faut que le ministre nous
prouve qu'il a été forcé de renoncer à la concurrence, ou il res-
tera convaincu d'un tort grave. Quant à la seconde question,
puisqu'il s'arrogeait le droit de choisir entre les divers soumis-
sionnaires, il a dû faire les choix les plus convenables : les a-t-
il faits? S'il a fait des choix arbitraires , s'il n'a point eu égard à
la solvabilité des souscripteurs, s'il a enrichi par des dons gra-
tuits, quoique déguisés, ses créatures, celles de ses amis, de
ses protégés, ou de ses collègues, c'est un second tort plus grave
que le premier.


Ceci me ramène, messieurs, à la demande que j'avais déjà
formée l'an dernier, de l'impression de la liste. Cette impression
seule peut lever les doutes, et vous ne pouvez prendre une dé-
.cision isur cette partie de la loi des comptes, que lorsque ces
.doutes seront levés. Objectera-t-on que l'impression de cette
liste donnera lieu à des révélations scandaleuses ? Mais le scan
dale est dans les faits. Pourquoi fait-on ce qui est scandaleux à
révéler? Le plus grand scandale, messieurs, et malheureuse-




( 536 )
ment le plus permanent des scandales, c'est l'impunité. Le phis
grand scandale, ce sont des opérations qui ont fait perdre plus
de quatre-vingts millions à la France, à cette France dont on
semble traiter les intérêts pécuniaires avec la même légèreté, les
mêmes insultes que ses garanties politiques et ses droits acquis..
( Vive sensation à gauche... Des murmures s'élèvent au centre et
à droite.)


Messieurs , je vous ai retracé des faits anciens , mais ils tien-
nent à une question présente, à une question que vous avez
professé vouloir examiner cette année.


Luttons jusqu'au dernier moment. Si des élections factices
nous bannissent de cette tribune ; si une loi torturée , alambi-
quée, refaite cent fois, et qui n'est plus , dit-on , celle qui nous
a été soumise, vient balayer les derniers vestiges du système
représentatif, alors seulement toute espérance sera perdue ;
alors reparaîtront ces deux degrés, objets des voeux ardens de
ceux qui veulent s'imposer comme députés du peuple, et qui
pour cela ne veulent avoir besoin que de leurs propres voix; ces
deux degrés que notre honorable collègue M. Lainé a foudroyés
dans cette enceinte d'une éloquence alors puissante par la vérité,
et qu'il a démontré être incompatibles avec toute élection fran-
che, destructifs de toute participation réelle de la masse des
électeurs, et contraires par conséquent à l'esprit et au texte de
la charte. Alors reparaîtront ces cent ou. deux cents plus impo-
sés, invention perfectionnée d'un despote qui les portait à six
cents; combinaison de l'oligarchie pour transformer au profit de




dix mille privilégiés les véritables électeurs en une classe d'hi-
lotes , et pour ramener exclusivement sur ces bancs ces hommes
de l'ancien régime, que, dans un discours plein de force et de
verve, notre honorable collègue M. l3eugnot qualifiait à cette
tribune de courtisans révoltés, d'ennemis des rois et d'auteurs






de tous les troubles qui ont calté tant (le sang et de larmes à la
France.


Votre décision fera voir à la France si la majorité de la cham-
bre veut que la gestion (les ministres soit connue, ou si l'examen
de leurs comptes n'est qu'une dérision; si elle veut que justice
soit rendue à tous : au ministre s'il n'a pas de torts, au trésor
s'il a été lésé; ou si elle préfère que des opérations qui ont coûté
à l'état, et par conséquent aux contribuables, plus de quatre-
vingts millions inutilement, deviennent son ouvrage Par son in-
dulgence, et soient, par sa sanction, couvertes d'un voile offi-
cieux. Je propose, comme l'année dernière, la disposition
suivante : a s°. Toutes les pièces relatives aux deux emprunts-,


( 537 )
de quatorze millions six cent mille francs et de vingt - quatre
millions seront produites à la chambre par le ministre des finan-
ces, ainsi que toutes celles qui se rapportent aux opérations
faites sur les rentes avec les fonds du trésor, à dater du mois de
juin jusqu'au mois de novembre 1818; z.° la liste de souscrip-
tion de l'emprunt de quatorze millions six cent mille francs , et:
celle de la répartition de cet emprunt sera imprimée et distri-
buée aux chambres. »


Sans cet amendement, je vote le rejet du projet de loi portant
règlement définitif' du. budget de l'exercice de 1818.


M. Rogne de Faye prononce une opinion dans laquelle il
donne de nouveaux dévcloppemens aux objections présentées
contre le projet de loi.


On demande la clôture de la discussion.
Le ministre des finances répond que c'est au Roi, comme ad-


ministrateur suprême du royaume, à déterminer l'emploi de
l'impôt voté, et. que lesFrançais obtinrent entièrement l'emprunt
de seize millions quatre cent mille francs, et plus de la moitié
de celui de vingt-quatre millions.


M. le ,.?énéral Denzarfay. Messieurs, MM. les ministres
invoquent toujours le nom du Roi, et ils se font de ce nom
auguste un rempart derrière lequel ils croient se rendre inatta-
quables. Je ne vois que les ministres dans les actes de l'adminis-
t ration, et surtout en matière de finances; je ne vois en eux que
des agens responsables qui veulent en vain se couvrir du man-
teau de la majesté royale, et qui doivent, quand nous sommes
appelés à juger leurs comptes, répondre à toutes les objections,
à toutes les demandes que nous croyons devoir leur adresser, et
nousdonner tous les renseignemens dont nous croyons avoir be-
soin pour décider avec toute connaissance de cause et d'une
manière digne de la haute confiance dont la nation nous a
honorés.


MM. les ministres se retournent de toutes les manières pour
échapper à notre investigation ; ils invoquent le pouvoir royal
qui apparemment, disaient-ils, existe encore. Ils nomment le
Roi l'administrateur général de son royaume, et emploient
beaucoup d'autres mo yens qui sont hors de la question, et dont
ils cherchent à nous éblouir pour détourner notre attention du
point dont il s'agit. Je n'invoquerai, quant à moi, que la charte,
qui , à la vérité , n'existe plus qu'en partie, niais (pi devrait
exister tout entière, et le régime constitutionnel sous lequel
nous devrions exister.


M. le ministre des finances a dit , que nous devions .voter




•53e )
l'impôt, et que c'était au Ro; -e'-tizizistrateur générai, à ee
régler et à en faire l'emploi qu'il jugerait être le plus utile. Je
ne m'attendais pas, quand depuis plus de trente ans les prin-
cipes constitutionnels ont été proclamés parmi nous; quand ils
Ont été souvent et pleinement mis en pratique; quand le gouver-
nement absolu , auquel ce gouvernement-ci succède, les a Lienjéludés et violés, mais n'a jamais osé les désavouer ouvertement,e ne m'attendais pas, dis-je, à voir proclamer une semblable
doctrine à cette tribune.


effet, messieurs, je vois que les finances de l'état ont
pour objet d'acquitter les dépenses de la liste civile et les dépen-
ses publiques. La législation actuelle ne nous permet pas d'exa-
miner l'emploi des sommes affectées aux dépenses de la couronne;
mais je ne pense pas qu'on puisse nous contester le droit d'affec-


. ter telle ou telle somme à telle ou telle branche du service public,
et d'exiger des comptes sur l'emploi qu'on en a fiait. Quelles
conséquences n'auraient pas les principes mis en avant par M. le
ministre des finances! On voterait une somme pour avoir une
armée , et sur-tout une armée nationale; MM. les ministres
vous donneraient un nombreux état-major composé de courti-
sans parasites ou même de vieux ennemis ! on voterait des fonds
pour réparer les routes, creuser des canaux et vivifier l'indus-
trie et le commerce ; au lieu de cela, on bâtirait des palais, des
théâtres, on paierait des spectacles, on commanderait des statues
et autres établisseniens parfaitement inutiles, et qui n'ajoutent
rien au bonheur public ! on voterait des fonds pour que l'ins-
truction fût gratuite ; vous paieriez pour avoir des éteblisse-
mens et des institutions favorables à la liberté, et on vous en
donnerait qui conduiraient directement an despotisme !


Pour me borner à un petit nombre de faits parmi les imputa-
tions aussi graves que claires et positives qui ont été adressées à
MM.. les ministres en matière de finances, je me bornerai à ce
qui est relatif aux deux emprunts de quatorze millions six cent
mille francs, et de vingt-quatre millions; à ces deux emprunts
qui ont, excité dans le temps un cri unanime d'indignation,
contre lesquels on fit des récriminations si fortes, qu'on déses-
péra de voir jamais répondre A ces justes reproches, de manière
même à les excuser. Qu'ont répondu et que répondent les mi-
nistres à cet égard ? ils viennent faire leur éloge, vanter leur
bonne foi, faire l'énumération de leurs vertus. Pressés dans la
session de 1818 de fournir les documens, les pièces et autres
renseignemens relatifs à ces désastreuses opérations, ils avouè-
rent que ces demandes étaient justes niais qu'elles étaient in-


( 339 )
tempestives , et qu'il fallait les réserver pour la session de 1819 ;
qu'alors on expliquerait comment ces emprunts avaient été par-
tagés à un taux bien inférieur à celui du cours de la rente, au
lieu de se conformer aux intentions de la loi qui avait autorisé
cet emprunt ; qu'on dirait pourquoi et comment l'emprunt de
vingt-quatre millions, bien autrement scandaleux et ruineux pour
l'état, avait été, sans aucune publicité ni concurrence, exclusive-
ment donné à des étrangers, qui n'en avaient cédé qu'autant que
cela leur avait: été agréable, à quelques maisons françaises qu'on
avait cru devoir ménager; enfin, d'après les ministres, dans la
session précédente , nous devions tout savoir dans la session ac-
tuelle, rien ne devait nous être caché. Que viennent-ils nous
dire aujourd'hui? qu'on a beaucoup trop parlé de cet emprunt;
qu'il serait inutile et même dangereux de poursuivre une sem-
blable discussion ; qu'il y aurait. de graves inconvéniens à publier
la liste des souscripteurs du premier emprunt, et des inconvé-
niens plus graves à publier le nom des prêteurs admis ; que ce
serait divulguer le secret dei fortunes et des affaires particulières ;
en un mot, on a tout promis en 1819 pour ne rien tenir en 18go;
et voilà ce qu'on appelle gouverner loyalement, constitution-
nellement!


Vous avez déjà, messieurs, entendu quatre discours aussi
clairs que lumineux sur le sujet qui nous occupe , faits par des
hommes profondément versés dans cette matière ; ces discours
qui ne sont pour ainsi dire remplis que de reproches, d'abus de
pouvoir, d'irrégularités, adressés aux ministres en matière de
finances ; de faits tels enfin que si le plus léger de tous vous était
imputé dans votre vie privée , vous le repousseriez à l'instant et
avec la plus -vive indignation ; eh bien , messieurs , qu'ont ré-•
pondu :MM. les commissaires du Roi qui couvrent les deux
bancs qui sont devant moi? rien. Ils n'ont sans doute pas trouvé
ce qui -a été dit d'une importance telle qu'ils dussent y ré-
pondre ?


M. le ministre des finances, au lieu de donner les renseigne-
mens et documeris qui lui étaient demandés, a répondu que ses
bureaux seraient toujours ouverts pour ceux de MM. les dépu-
tés qui voudraient aller v puiser des éclaircissemens. De bonne
foi, messieurs, une telle manière de donner des renseignemens
est-elle possible? est-elle convenable? est-elle même décente?
Convient-il à. nes travaux, à la dignité de notre mission,
nous instruire de cette manière? et si tous les députés qui ont
besoin d'éclaircissernens pour y voir clair dans les comptes des
ministres, allaient dans les bureaux de la trésorerie, ces bureaux




( 54o )
n'en seraient-ils pas obstrués? les travaux du ministère n'en
souffriraient-ils pas? M. le ministre sait bien comment il faut
nous adresser les renseignemens qu'il veut nous communi-
quer; mais il en agit autrement relativement aux emprunts, pour
lesquels nous ne sommes que des profanes.


Du reste, messieurs , l'horizon , quoique chargé des nuages les
plus Mena çans ,nous présente cependan t quelques éclaircissemens.
La discussion de la. loi des élections, et l'importante pétition de
M. Madier Monjaud (conseiller à la cour royale de Nîm is),
peuvent nous servir à prédire le temps qu'il fera. nous a.-ons
encore d'autres remercîmens à adresser à MM. les ministres.
On a parlé dans cette chambre , avec autant d'esprit que de
justesse, de la manière de M. le ministre des affaires étrangères,
et de la fàçon de M. le ministre de l'intérieur , dans l'exécu-
tion des lois. La manière dont ils viennent de traiter un de nos
honorables collèges pourvu d'une place importante dans l'ad-
ministration , niais qui ne vote pas Comme LL. FE., est une
preuve sans réplique que c'est à la façon du premier que nous
serons traités à l'avenir. Ce fait apprendra en outre à MM, les
électeurs qui sont appelés à nommer des députés dans le
courant de ce mois, que ce serait rendre un mauvais service
aux bons citoyens qu'ils auraient en vue, que de les nommer
s'ils sont fonctionnaires publics.


J'appuie les amendemens de M. Benjamin-Constant, pour
qu'on nous fournisse tous les renseignemens et documens rela-
tifs aux cieux emprunts de r 4 millions 600 mille francs et de 24
millions , et surtout pour qu'on nous distribue la liste des sous-
cripteurs et des donataires du premier.


M. Manne/ répond aussi au ministre des finances, dont il
réfute le moyens de défense, et il vote pour les amendemens
proposés.


M. le ministre des affaires étrangères répond aux objections.
faites au ministère relativement aux emprunts.


M. legénéral Sébastiani. Je ne veux pas soulever toutes les
questions qui pourraient ici être agitées; mais cette réserve de-
vrait être appréciée par MM. les ministres, qu'a l'avenir il n'y
ait ni emprunts ni marchés faits dans le secret ; que tout soit
public, que tout soit à la concurrence. Que les grands consom-
mateurs , les ministres de l'intérieur et de la guerre fassent pu-
bliquement leurs marchés ; sans cela vous n'obtiendrez point
d'économies. Voilà quelle est ma manière de voir : je nie réserve
de parler sur les articles du projet.


M. le général Foy. Messieurs, je vous demande la permission


541. )
de répondre, en peu de mots, à ce qu'a' dit M. le ministre des af-
faires étrangères. Ii vous a dit que le ministère der 818 a fait partir
les troupes étrangères , et il faut en conclure que la chambre ne
doit pas demander des comptes rigoureux. A Rome, Scipion
l'Africain , accusé de concussion , répondit à ses accusateurs :
Il y a un an, à pareil jour, j'ai vaincu Cartilage; allons au
Capitole rendre grdces aux dieux. Scipion, messieurs, était un.
fort mauvais comptable. ( On rit.) Mais nos ministres n'ont ni
vaincu Carthage, ni délivré la France. Les étrangers sont partis
parce que la France était lasse de les supporter. Il était temps
et: plus que temps qu'ils s'en allassent.


M. le ministre des affaires étrangères vous a dit qu'il y au-
rait de l'inconvénient à faire imprimer les noms de ceux qui
ont profité de l'emprunt, et que ce serait entrer dans les af-
fa ires des particuliers. Ces affaires-là, messieurs, sont aussi celles
de la nation ; ce sont les nôtres. La distribution des profits de
l'emprunt a été pour le ministère un moyen, je ne dirai pas de
corruption, niais d'action sur un certain nombre d'hommes. Il
faut que le public sache le nom des préteurs, afin qu'il puisse
apprécier l'influence que cette opération financière a eue sur la
conduite politique de chacun.


M. le ministredes affaires étrangères vous a dit que l'état
avait gagné au jeu de la bourse. Si on a gagné, on pouvait per-
dre ; clui a conféré aux gérans des deniers publics le droit de lesjouer sur la place?M. le ministre des affaires étrangères s'est récrié au sujet de
ces grands qu'il a appelés petits, et qui sont toujours prêts à s'en-
richir aux dépens de la fortune publique; il a presque nié l'exis-
tence de cette classe avide, comme si elle n'était pas de tous
les temps, de tous les lieux, de tous les régimes! comme si on
pouvait jamais prendre assez de précautions contre son instinct
dévorateur!


M. le ministre des affaires étrangères vous a dit que si le bud-
jet était divisé par chapitres, les ministres du Roi ne seraient
plus que les ministres des chambres. C'est ainsi cependant que
le budjet est réglé en Angleterre. Dans le gouvernement repré-
sentatif', le Roi choisit les ministres parmi les individus qu'in-
digue la majorité des chambres législatives. Mal avisé serait le
ministre qui voudrait couvrir du nom sacré du monarque ses
•fautes ou ses désordres !


On demande vivement la Clôture de la discussion.
M. Labbey de Pompières réclame ( Voix au centre :




( 542 )
C'est la clôture de la discussion générale !


On parlera sur les
articles.... )


M. Labbe y de Pompières. Messieurs, la discussion générale
ne peut être fermée : il y a des choses très-importantes qui n'ont
pas été traitées. Est-on suffisamment entré dans le détail des
emprunts, des frais de négociation, des opérations de la bourse?
On n'a pas seulement dit un mot sur les opérations relatives
aux grains; et cependant votre commission


.
vous a présenté à


leur égard un travail de la plus haute importance. Quoi'. o aura
nourri la France pendant un jour et un quart, et il en aura
coûté 70 millions, et aucune discussion ne s'établira sur des
faits aussi graves ! et les voix éloquentes que nous voyous réu-
.nies pour la défense du projet ne se feront pas entendre! Mes-
sieurs, ce serait se jouer de la France, que de discuter ainsi
ses plus grands intérêts. Je demande pour elle, pour vous-mêmes,
et pour l'honneur de cette chambre, que la discussion soit con-
tinuée à demain


Aucune opposition soutenue ne se manifeste.
B4iyzoiz. Messieurs, après avoir combattu sans succès


pour la défense de nos' libertés les plus chères, il me semblait
presque inutile de venir réclamer justice sur une mauvaise ad-
ministration, déjà perdue dans le passé avec toutes les fautes
précédentes du ministère ,. que des fautes plus grandes, que desjentreprises bien autrement funestes fent presque oublier au-ourd'hui. Du moins sous le ministère qui dissipait nos finances,
nous marchions avec quelque espoir de succès à la suppression
des lois exceptionnelles alors existantes, et au triomphe de la
liberté légale. Aujourd'hui, quand nous avons examiner les
erreurs financières des ministres de 181 7


et 818, nous gémis-
sons sur des pertes hien plus graves que des pertes d'argent,
sur la perte de nos libertés les plus précieuses, sur le renverse-
ment déjà commencé de la charte, déjà opéré même dans quel-
ques-unes de ses plus im portantes dispositions. J'aurais donc, mes -
sieurs , gardé le silence sur les maux du passé, si, à la justifi-
cation du passé , le ministère n'eût mêlé des doctrines, dange-
reuses dans tous les temps. Je ne les releverai pas tontes :
plusieurs ont été déjà réfutées avec un éclatant avantage; mais
je ne puis m'empêcher d'admirer l'exagération toujours crois-
sante des prétentions ministérielles. Ponr réduire en France le
gouvernement représentatif à un ridicule simulacre, il ne reste
plus, en ôtant aux chambres la surveillance de l'emploi des
fonds , qu'à faire du vote de l'impôt une vaine et trompeuse
formalité. On ose aujourd'hui vous dire que l'affictation de


( 543 )
fonds faite par les chambres pour un usage déterminé, n'a rien
(l'obligatoire pour les ministres, et que, vouloir rendre cette
sfrectation obligatoire, c'est transporter l'administration dans
les chambres.


Ainsi, d'après cette manière de raisonner, un ministre qui
aurait tin budget de cent millions devrait être à l'abri de toute
enquête. s'il n'avait dépensé que ces cent millions, lors même
que quatre-vingts millions auraient pu suffire à la dépense!
ainsi il aurait le droit de venir vous demander un supplément
de fonds pour un objet particulier auquel la somme affectée eût
été insuffisante , et il ne devrait mil compte de l'excédant, là
mi un excédant existe! L'absurdité d'une telle prétention éclate
par son seul exposé. Où est en effet, avec un pareil système,
la possibilité des améliorations et des économies? Heureusement
cette doctrine n'a pas été celle de tous les ministres. Il est plu-
sieurs ministres qui ont procédé d'après de meilleures maximes;
il en est un surtout qui a donné un grand exemple d'ordre et
d'exactitude. Je me fais un devoir de signaler plus d'un genre
de mérite dans les comptes du dernier ministre (le la guerre.
Outre une observation rigoureuse des ,règles de la spécialité , le
travail de ce ministre a le grand avantage de constater qu'il est
possible de resserrer infiniment l'espace dans lequel les minis-
tres doivent rendre leurs comptes , et de rapprocher l'époque
à laquelle doit se terminer celui de chaque exercice. S'il a été
possible, dans une administration aussi vaste , aussi détaillée,
aussi minutieuse que celle de la guerre, d'apurer les dépenses
de l'exercice 1818 dans l'espace de vingt-un mois, et de faire
solder pendant cet intervalle toutes celles qui appartenaient à
cet exercice, il n'est certainement aucun ministère qui n'ait les
moyens d'obtenir les mêmes résultats. Vous jugerez sans doute
utile et juste, messieurs, d'imposer aux ministres l'obligation
de rendre, dans un délai donné, le compte de l'emploi des cré-
dits .,et vous consacrerez cette obligation par une disposition
législative. La possibilité existe., comme vous le démontre
l'exemple du précédent ministre de la guerre. A la vérité ce
ministre est un de ces hommes qui pensent que violer la charte
c'est hasarder la destinée du trône et.de l'état, qui pensent que
pour former une bonne armée royale, c'est d'élé.mens vraiment
nationauxqu`i.lfinit la composer. Mais pour des ministres qui
se soucient fort peu de respecter la charte , peut-être est-il au•
dessous d'eux de s'asservir à de vulgaires règles de spécialité.


A l'appui du faux système établi par M. le ministre des fi-
nances , un autre ministre est venu vous présenter , comme un




( 544 )
argument: irrésistible, cette insignifiante allégation : cc Les mi-
nistres ne seraient plus alors les ministres du Roi , ils seraient
les ministres des chambres. n C'est une singulière façon de rai..
sonner que de répondre à des objections par de misérables jeux
de mots. Les ministres, messieurs, sont les instrumens du Roi
pour l'exécution des lois; et le Roi, dans sa haute administra-
tion, dans l'exercice de ses grandes prérogatives, n'est lui-même
que le bras de la loi, que le premier serviteur de la loi : c'est
le sentiment de ce devoir royal qui dicta à Louis XII cet édit
si justement célèbre, par lequel il ordonne qu'on suri
jours la loi, malgré les ordres contraires d la loi que l'impor-
tunité pourrait arracher au monarque. Si le Roi lui-même n'est
que l'exécuteur des lois délibérées dans les chambres et sanc-
tionnées par lui-même, quel est cet inconcevable orgueil de
ministres, agens du Roi, qui craignent d'être considérés, en
exécutant les lois, comme les ministres des chambres ? Un or-
gueil qui touche à l'absurde, ne méritait peut-être pas une si
sérieuse reponse. J'en dois une plus grave à une autre alléga-
tion du même ministre, et celle-là il est utile que la France
entière l'entende.


M. le ministre des affaires étrangères s'est plaint que l'un de
mes honorables amis , M. Benjamin-Constant, eût mêlé à des
discussions de finances, des regrets pour les libertés qui viennent
de nous être ravies. Ces regrets sont aux yeux de M. le ministre
un manque de respect à la loi rendue, et il est venu vous crier :
Respect, respect à la loi ! C'est ici, messieurs, une première
occasion pour vous de remarquer combien le ministre sait peu
lui-même où il va; combien il connaît mal la route où il s'égare,
et juge à faux la position où il s'est placé. Nous le lui avons vai-
nement représenté dans la discussion des lois récemment adop-
tées; il n'a pas voulu nous comprendre, et le voilà déjà lui-même
embarrassé de sa situation nouvelle. Les ministres ont voulu
transformer en loi l'arbitraire, et ils viennent nous dire : respect
à la loi ! Ne sentent-ils donc pas que c'est nous dire : respect. à
l'arbitraire? Mais l'arbitraire est-il donc respectable?
traire a-t-il jamais été respecté? Il est craint , il est haï, il est
abhorré ; voilà les seuls respects auxquels il doit prétendre. Oui,
MM. les ministres, c'est là tout ce que l'arbitraire peut exiger;
c'est là tout ce qu'il peut obtenir, tout ce qu'il obtient, je De
dis pas seulement chez les peuples qui ont quelque sentiment de
liberté , niais dans les états les plus despotiques, sous la main
de fer du pouvoir absolu. Vous avez demandé de l'arbitraire,
on vous en a donné: mais avec de l'arbitraire, ne demandez


( 545 )
pas de la confiance et de l'amour, vous n'aurez que de l'effroi
e de la haine,


Vous avez voulu avoir le droit de nous imposer silence , de.
nous jeter dans des cachots, de nous livrer à la torture du secret,
selon votre bon plaisir ; c'est par la terreur, par la force que
vous avez cru qu'il était beau de gouverner. Eh bien! gouvernez
par la force, régnez par la terreur ; voilà vos instruniens de
pouvoir ; vous n'en avez pas voulu d'autres, vous n'en avez
plus d'autres. Bâillonnez la France, emprisonnez quiconque
aura le malheur de vous déplaire; mais n'attendez pas di: nous
du respect pour ce Lâillon qui étouffe nos plaintes, de l'amour
pour ces cachots où vous pouvez nous faire descendre. Vous
vouliez l'arbitraire avec ses bénéfices seulement : nous en
sommes fichés, nous n'avons pu vous le donner qu'avec ses
charges. Voilà déjà que cette arme pesante accable votre faible
,bras. Vous ne saviez donc pas combien il est lourd à manier,
le javelot du despotisme? Vous avez été séduits par un exemple
trompeur ; mais ce qu'un Briarée politique a pu faire, est-ce à
des hommes ordinaires de l'entreprendre? Et, d'ailleurs, cet
homme dont vous ne savez répéter que les erreurs, imiter que
les fautes, ne savez-vous pas quel cortège de faits éclatans était
pour lui l'auxiliaire du pouvo i r absolu? ne savez-vous pas que,
tout puissant qu'il était , il n'a pu faire du despotisme qu'avec
de la gloire? Et vous voulez qu'aujourd'hui, dans vos mains,
parce que le nom de la loi a été profané, parce que l'arbitraire
s'est couvert de ce nom sacré qu'il déshonore, vous voulez
que l'arbitraire soit respecté ! Non, il ne le sera pas, il ne peut
pas l'être.


Vainement vous criez : Respect à la loi , qui établit Parbi-•
-traire! la nation entière vous répond : Respect à la charte, qui
proscrit l'arbitraire! Elle ne cessera de vous répondre : Respect
à la charte , à I outes les libertés consacrées- par la charte ! hor-
reur à l'arbitraire qui détruit la charte! Elle invoquera la charte,
tant que vous invoquerez la loi qui en est la violation : vous
n'aurez de paix et de trève que quand vous serez rentrés dans
la charte. C'est là le résultat forcé du système que vous avez em-
brassé volontairement ; il faut maint enant prendre-votre parti.


Lorsque le ministère s'est placé , de son propre choix , par
sa. seule volonté, dans un état ouvert d'hostilité contre toute la
France du trô


n e
, ii


Is'étonne que l'on vienne lui dire qu'il compromet la


Nous le lui répéterons encore , nous le lui répéterons tou-
3ours ; jusqu'à ce que les atteintes portées à la charte aient é4


si.
35




( 54.6 )
réparées, le trône est compromis par l'établissement de l'arbi-
traire, par la violation de la charte ; il ne cessera de l'être que
le jour où la violation de la charte aura cessé, que le jour où
les actes nommés lois, qui établissent l'arbitraire, auront été ré-
voqués : il n'y e plus sur la terre de pouvoir assuré que celui


repose sur la loi fondamentale des états. Vous avez voulu
dominer an trône une autre hase : en l'asseyant sur l'arbitraire ,
vous avez hasardé son ,existence ; et c'est nous qui, ennemis de
l'arbitraire, nous qui n'avons point voulu l'admettre , nous qui
maintenant déplorons son établissement, c'est nous seuls T ui ,
par cela même , travaillons à rendre au trône la sûreté qui lui a
été ravie ; c'est nous qui la lui rendrons , parce que la France,
qui veut le trône constitutionnel avec la charte, veut la charte,
et la charte inviolée , pour l'affermissement du trône constitu-
tionnel.


Parmi les allégations ministérielles qui avaient déjà été Lites
l'an dernier , et auxquelles nous pensions alors avoir suffisam-
ment répondu , il en est une que j'ai été surpris d'entendre ré-
péter cette année , et surtout par M. le ministre des affaires
étrangères. C'est M. le ministre des affaires étrangères qui vient
TOUS dire ingénument que nous devons donner peu d'attention
aux sacrifices maladroits qui ont pu être faits par le ministère
de 1818 , attendu que c'est du plus ou du_ moins de ces sacri-
fices pécuniaires que dépendait l'évacuation de notre territoire.
En nous félicitant du résultat , nous ne devons pas , selon lui,
nous plaindre des sommes qu'il nous a coûtées. Mais si ces sa-
crifices , tels qu'ils ont eu lieu , n'étaient plus nécessaires ; si
NOUS avez surpassé , étonné l'avidité étrangère elle-même pat
l'étendue de vos complaisances , avez-vous droit encore à la re-
connaissance de la nation , dont vous avez gratuitement dissipé
la fortune ?


Vit-on jamais , eu effet, des négociateurs plus accornmodans ?
Les étrangers avaient imposé à la France des conditions oné-
reuses , et des conditions onéreuses en pareil cas, ne sont ja-
mais entièrement exécutées : elles ne l'ont jamais été dans au-
cun des pays conquis par la France. En France, on a une autre
manière de négocier ; on dit aux étrangers : Tous nous avez
demandé telle somme , gardez-vous bien d'en rien diminuer ,
je l'ai tout entière à vos ordres ; je ferai plus , je vous donnerai
plus que vous ne demandez. Et en effet, on se dispose à donner
aux étrangers plus qu'ils ne demandent, plus que ne portent les
traités dctés par eux-mêmes. Dans ces traités impitoyables il
existaitune clause , une seule clause favorable à nos intérêts ,


( 547 )
et c'est la seule qu'oublie le ministère. Cette clause portait que
les sept millions de rentes donnés en gage aux étrangers seraient
pris par eux au cours du jour, pour entrer dans le paiement des
derniers cent millions dont la France était redevable. Et le mi-
.nistère oublie presque l'existence de ces sept taillions de l'entes;
il oublie qu'aux termes du traité du zo novembre les étrangers
doivent prendre ces rentes en paiement, et il traite avec MM.
Hope et Baring pour sept millions de rentes de plus qu'il n'était
nécessaire d'en porter dans l'emprunt.


11 faut que ce soient les journaux , ces journaux auxquels il a
maintenant imposé silence, qui l'avertissent de cet inconcevable
oubli ; il faut quo ce soit la clameur publique qui le force à la
résiliation d'un marché par lequel il allait payer en espèces ache-
tées à un prix très-bas , ce qu'un article formel du traité l'au-
torisait à payer en rentes au cours de la place clans le jour du.
paiement; et ce sont de pareils actes que l'on vient nous vanter
aujourd'hui comme un chef-d'œuvre d'habileté! J'en aurais fait
autant , nous dit M. le ministre des finances d'aujourd'hui , qui
n'était pas ministre alors. Il faut avoir un beau courage de res-
ponsabilité pour réclamer ainsi une part d'association dans une
conduite qui n'a été marquée que du sceau de l'incapacitéet de
l'inexpérience ! Nais je reviens à l'allégation de M. le ministre
des affaires étrangères. Toutes les opérations de finances d'alors
doivent être excusées , nous dit-il, car c'est à ces opérations
qu'a été dei le plus grand des biens, l'évacuation de notre ter-
ritoire. Oui, messieurs , l'évacuation de notre territoire fut le
plus grand des biens.


Le premier mot que j'aie fait entendre à cette tribune, en 18 7,
,% où j , •le jour même ou y suis monté pour la première fois, a éti . pour


demander, sous le régime des lois d'exception, l'abrogation de
ces lois ; sous la présence de l'étranger, le prompt. départ des
étrangers. Ce cri national, le coeur de la France entière le pro-
nonçait: la dignité, la fermeté de cette chambre, la courageuse,
la fièreIrésimmation de la nation entière , le commandaient à l'Eu-
rope : la politique le commandait en même temps à de puissans
monarques. C'est au beau et grand caractère déployé par la na-
tion française dans ses malheurs ; c'est à la politique que la ré-
solution de l'affranchissement de notre territoire appartient
tout entière : elle n'appartient point, messieurs , à quelques
insignifiantes négociations d'emprunts faites avec tel ou tel ban-
quier, à tel ou tel prix , avec telle ou telle complaisance de la
part du ministère français. L'évacuation de notre territoire, le
retour de la France à son indépendance politique auraient dé-




( 548 )
pendu de cinquante millions de plus ou de moins , de tel on tel
anode de paiement , de telle ou telle préférence donnée à telle


- ou telle maison de banque'. la destinée de la France aurait été
une attitire d'argent , une opération de bourse ! Que M. le garde-
des-sceaux de 1818 nous ait présenté de semblables argumens ,
je le conçois ; mais en 1820 dans la bouche de l'1. le ministre
des affaires étrangères , un pareil langage ! en vérité , je crains
que la diplomatie européenne ne l'ait entendu.


Messieurs, les réponses faites par MM. les ministres aux de-
mandes de mon honorable ami M. B.-Constant , se réde*.sent
des dénégations vagues , à de vaines assurances puisées nous
disent-ils, dans leur propre conviction sur le bon emploi qui a
été fait des fonds de l'état : cette conviction peut suffire à la
tranquillité de MM. les ministres ; elle ne suffit pas à la vôtre.
L'intérêt sacré que vous avez à défendre ne vous permet pas de
vous contenter de semblables raisons. Pour que vous avez la
certitude que les fonds de l'état n'ont point été abandonnés à
un pillage scandaleux, que non-seulement ils n'ont pas été livrés
sans défense à la cupidité étrangère , mais qu'ils n'ont pas été
non plus un moyen de séduction dans les mains des ministres ,
il faut que les documens qui en constatent l'emploi soient mis
sous vos yeux. Vous allez, nous a dit M. le ministre des affaires
étrangères , porter un oeil inquisiteur dans les fortunes privées..


Quiconque traite avec un gouvernement s'associe à l'action de
ce gouvernement ;- il se dévoue à ha publicité par cela même
qu'il met sa fortune privée en contact avec la fortune publique.
Pour qui donc redouterait-on cette publicité ? serait-il honteux
d'avoir pris part à cet emprunt, d'y avoir pris part dans une plus
ou moins grande proportion ? De riches capitalistes ont dû de-
mander ou dû recevoir clans cet emprunt des parts considé-
rables pour eux-mêmes, pour leur clientèle. Il n'y a rien là qui
puisse porter atteinte à leur réputation ," à leur- honneur. En
relnsant la pu blica fion demandée, que de présomptions ne faites-
Vous pas naître ! que de soupçons n'inspirez-vous pas ! Qui sait
si ces soupçons ne s'étendent pas jusque sur nous-mêmes, sur
nous qui sommes encore ici, sur d'autres qui sont sortis derniè-
rement de cette chambre? Tant; que les faits ne sont pas con-
nus, le soupçon peut planer sur tout le monde. Dans un gou-
vernement représentatif, le seul remède à une foule crinconvé-
niens , c'est la publicité.


Je viens de vous faire remarquer., messieurs , que le minis-
tère par le refus de publicité dont il s'agit , pouvait accréditer
d'étranges suppositions , et par-là nuire à la considération d'un


( 549 )
certain nombre de personnes , peut-être même de quelques fonc-
tionnaires. Je dois me hfiter de joindre à ce reproche un juste
et légitime correctif. Si le ministère ne craint pas quelquefois de
jeter de la défaveur sur les fonctionnaires qui le secondent, jedois avouer aussi qu'il sait quelquefois distribuer à-propos des
couronnes civiques. Rien n'est plus simple à la vérité. Il est loi-
sible à tout gouvernement de prendre où il veut ses auxiliaires,
de briser ses instrumens actuels , et de les remplacer par d'autres
instrumens. Loin de moi donc la pensée de toucher à la préro-
gative du trône , de vouloir même gêner en rien le mouvement
'des fantaisies ministérielles , en ce qui concerne le choix des
agens qui doivent les servir ! Mais cet incident, messieurs, fait
naître de graves réflexions , et ces réflexions qui naissent da
moment, qui appartiennent au jour, à l'heure , doivent trouver
place partout, même et surtout peut-être dans une discussion
de budjet.


Quand nous discutons le budget , nous discutons le premier
intérêt de la France après la liberté. Quand nous discutons tout-
à-la- fois et des questions de liberté et des questions d'argent: ,
il est une chose que chacun de nous doit se demander, c'est de
savoir si la chambre est: complète , si hi représentation nationale
est pleine et intacte. Cette question , messieurs , vient: en ce
moment , malgré vous , se présenter à tous les esprits. Les col-
lèges électoraux , en nommant pour députés des hommes dont
quelques-uns sont fonctionnaires publics , ont dit à tous leurs
mandataires également : Allez, défendez les intérêts de la na-
tion, et votez selon votre conscience. Le ministère est intervenu,
et il a dit aux fonctionnaires :Votez avec moi, ou je vous destitue.
Le ministère l'a dit, il le dit, il le proclame par ses actes. Il
va plus loin , il l'établit en doctrine ; il en pose le principe , et
il le développe dans l'exposé des motifs de sa nouvelle loi d'élec-
tions. En attendant , il nous en montre, par des faits, l'applica-
tien et la pratique actuelle.


Je n'examine point , poulie moment , si cette doctrine peut
ou non se soutenir, si l'exemple inexactement présenté d'un
pays voisin doit nous entraîner dans la même voie ; tout ce que
j e remarque aujourd'hui , c'est la proclamation qu'en fait, le
ministère ; et si je m'applaudis de voir mes honorables amis si-
gnalés par le ministère à la reconnaissance de la nation, j'avoue
que je m'afflige des nuages filcheux que par cela même il peut
élever sur l'indépendance des sentant des fonctionnaires qui
-votent avec lui. J'insiste sur les deux amendemens proposés.


de Chauve lin. Messieurs , l'histoire de notre gouverne-




( 550 )


jment représentatif, dans les six années qui nous séparent au-ourd'hui du 31 mars 1814 , se partage en deux époques bien
distinct es.


L'ordonnance du 5 septembre 1816 est le point de séparation
de ces deux époques.


Pour qui peut éviter, autant qu'il est possible, de prononcer-
des vérités trop dures, pour qui repousse toute occasion d'aug-
menter l'exaspération des esprits , rappeler chacune des trois
années de la première époque, c'est assez les qualifier.


Qu'il nous suffise de remarquer ici que les trois années de la
seconde époque ont vu cesser graduellement les proscriptions,
disparaître les lois (l'exception , s'établir quelque •-unes des ins-
titutions constitutionnelles et se fonder le crédit public.


Ce fut dans les années 181 7 , 1818 et 18i9 que notre légis-
lation , honorée par la loi des élections , par celle du recrute-
ment par des dispositions données de bonne foi en garantie de
la liberté de la presse, fut. aussi sensiblement améliorée quant
aux finances , par les lois des 25 mars 181 7


et 15 mai 1818.
Le titre XII de la première sur les comptes à présenter aux


chambres , l'article 1 0 2 de la seconde qui fixe le mode du ré-
gletnent des budjets , l'époque de la présentation de ces comptes
avaient fait l'aire, vous le pensez tous , un pas immense à votre
gouvernement représentatif.


Ces dispositions décisives, quant au droit des chambres, sur
les ministres et sur leurs comptes , avaient bien rencontré des
contradicteurs dans cette assemblée et dans l'autre chambre; on
y avait bien essayé d'établir que du droit de voter l'impôt ne
dérive pas celui de se faire rendre compte de son emploi, et
qu'au Roi seul appartient ce droit ; mais la saine majorité qui
existait alors dans les deux chambres a pensé autrement ; elle
a jugé que le Roi n'étant pas chargé par la constitution d'accu-
ser le ministres, ni de poursuivre leurs malversations, ce n'était
pas non plus à lui à recevoir d'eux les comptes qui doivent ac-
quitter leurs responsabilités comme ordonnataires ; elle a jugé
que le vote de l'impôt, pour chaque année, ne pouvant se ré-
gler que sur les besoins, ces besoins ne pouvaient être constatés
que par la connaissance approfondie de l'emploi des f'onds pré-
cédemment accordés et des fonds qu'ils pouvaient laisser libres
et de ces principes reconnus par les chambres, sont sorties les
'dispositions que j'ai déjà citées, et qui, il quelques imperfec-
tions près, assuraient la garantie de ces principes.


tue année comme celle où nous délibérons, consacrée au
rapport de fait de l'ordonnance du 5 septembre, au renverse-


( 551 )
nient de toutes les hases du gouvernement représentatif, ne
pourrait nous faire espérer de voir disparaître ces imperfections,
mais devrait, au contraire , nous montrer ou laissées sans effet
utile, ou même menacées , des institutions financières qui sé-
paraient à l'avenir, j'en conviens, l'ensemble du système qu'on
nous réserve.


Aussi, messieurs, ni le rapport de 'M. le ministre des fi-
nances au Roi, ni l'exposé des motifs du projet de loi que nous
discutons, ni ce projet même, ni les comptes produits à l'appui,
ne consacrent-ils , à l'exception des comptes de la guerre,
oeuvre d'un ministre disgracié, aucune amélioration, et ne
contiennent-ils pas un seul mot qui ne tende unique ment à
obtenir de vous les votes d'usage et les formalités nécessaires
pour rendre vaines toutes vos lois.


Aussi, messieurs, presque tout le rapport. de votre commis-
sion, quant aux comptes, loin (l'éclairer aucune des questions
que les lois de 181 7 et 1818 ont pu. laisser douteuses , loin de
les traiter eu profit des vues et des principes dans lesquels
furent rendues ces lois, nous ramènerait-il bien plutôt aux
théories et aux systèmes pour lesquels on avait ici combattu
ces lois.


Aussi, messieurs, avez-vous entendu hier professer ici des
principes auxquels la tribune a reconnaître ces voix minis-
térielles de 1816, et qui confondent, soit par ignorance, soit
à dessein, toutes les idées sur l'exercice du pouvoir du Roi,
des ministres , des chambres dans un gouvernement représenta-
tif, faisaient-ils du Roi le grand administrateur du royaume, et
des ministres des personnages sans doute inviolables et irres-
ponsables. Je suis exposé, je le sais, à entendre dans cette ses-
sion débiter avec satisfaction de soi-même et une sorte de com-
plaisance de telles hérésies constitutionnelles ; je puis même
craindre, les faits m'y autorisent , de les voir souvent adopter
de confiance et voter presque par acclamation ; je puis persister
dans la conviction de l'entière inutilité de mes paroles; mais
n'importe, je ne manquerai par à ce que je regarde comme de
mon devoir; je poursuivrai même, sans espoir, l'entreprise que
;rayais commencée il y a deux ans, au milieu de vous, secondé
alors par quelques encouragemens de votre part, et je vous pro-
poserai le perfectionnement des dispositions de la loi du 25
mars relatives aux crédits ouverts aux ministres, après en avoir
démontré la nécessité.


Sans doute il pèsera encore à ma conscience de ne m'être
pas expliqué suffisamment sur toutes les autres questions que




( 552 )
traite, ou plutôt que sanctifie le rapport de votre commission;
sans doute i! est pénible de ne pas s'expliquera fond sur toute>
les imperfections, les confusions et les infractions à vos lois,
qui ressortent de l'examen des comptes, sur toute la gestion
des finances de cette année 38i 8, dont les régulateurs igno-
rans ou coupables voient avec tant de joie les résultats tout près
d'échapper à jamais à votre examen ; sans doute j'aurais voulu
m'unir plus explicitement encore que par mon vote, à ce qui vous
a si bien été présenté par plusieurs de nos collègues sur ces em-
prunts ruineux , qu'il n'était pas temps d'examiner l'année der-
nière, et qu'il n'est plus temps de juger cette année, sur la con-
currence dérisoire par laquelle on a scandaleusement éludé vos
intentions prononcées; sans doute il reste à répéter vérités
inutiles sur ces jeux de bourse illicites, inexcusables, sur ces
spéculations du trésor qui n'ont abouti qu'à fomenter la fureur
du jeu, à servir les calculs étrangers et à ruiner les porteurs de
rentes français; sans doute il est à regretter de ne pouvoir se-
conder assez efficacement les orateurs qui , casuistes plus sé-
vères que M. votre rapporteur, et ne partageant pas la facilité et
l'aisance (le ses principes sur le droit du gouvernement d'acqué-
rir, de posséder, de vendre des rentes, proposent l'anéantisse-
ment de celles qui sont au pouvoir du gouvernement , qui re-
présentent une valeur de plus de cent cinquante millions, et
qui, dans les mains de ministres coupables, pourraient de-
-venir d'un jour à l'autre le fonds de réserve de, la contre-révo-
lution et le budget des coups d'état. (Vifmouvement d'adhésion
à ga uche.)


Je voudrais enfin me distraire de tant d'idées pénibles, par
les éloges si justement dus au beau travail de votre commission
sur les subsistances, travail où semblent s'être réfugiées la rai-
son, les idées justes, les saines doctrines, et auquel on n'a rien
répondu parce qu'il n'y avait rien à répondre.


Tous ces objets, messieurs, réclameraient encore , vous le
voyez, une forte prolongation de la discussion ; niais déjà hier
vous vouliez la clôture; vous êtes pressés de terminer; nous
sommes les uns et les autres préoccupés d'idées bien plus
graves : les élus de l'oligarchie sont à nos portes, ils s'indignent
de nos retardeniens, ils s'annoncent à cette minorité imposante
dont je parlais hier, avec (les attributs et des entours qui sont
peu propres à ramener clans nos esprits le calme et le repos né-
cessaires à la discusssion qui nous


.
occupe ; et nous pouvons, à


quelques égards, nous comparer dans nos recherches et dans
nos investigations financières, à ce savant célèbre de l'antiquité,


( 553 )
qui, dans Syracuse, traçait encore des figures géométriques au
milieu d'une invasion ennemie. (Vive sensation.)


Je me bornerai clone à la discussion de l'amendement dont je
vous ai annoncé l'objet.


Ose vous l'a dit hier avec toute raison , le point le plus im-
portant de votre discussion, c'est le sens à donner ou les chan-


lens à faire aux articles 153 et 3 5z de la loi du 25 mars 3817;
mais l'importance de cette question n'est pas clans le danger de
transporter l'administration dans les chambres; elle est tout
entière clans le danger de rendre tout-à-fait illusoire le vote de
l'impôt, de detruire tout moyen d'économie des dépenses, de
soulagement des sueurs du peuple.


'Vous connaissez parfaitement , messieurs , le texte et l'objet
de ces deux articles 351 et 352; mais leur sens a été, à diverses
reprises, différemment interprété dans vos discussions , et ce fait
à lui seul me parait démontrer assez que le texte de ces articles
est précieux et a besoin d'être rectifié.


Ce n'est pas seulement sur cette obscurité que je m'appuie
pour demander la réformation de ces articles, je conviens au
contraire avec le rapporteur de votre commission, que le sens
naturel à donner an texte de ces deux articles est le sens abusif,
dangereux, inconstitutionnel, et c'est sur ces motifs que jeme
fonde pour en réclamer le changement.


Ce qui est abusif, dangereux dans l'article 151, c'est que la
faculté qu'il laisse aux ministres de changer par la répartition
qu'ils soumettent au Roi, toutes les allocations principales ou
particulières de chapitres ou d'articles de leurs budgets, rende
nulle et dérisoire la discussion des chambres sur la loi des dé-
penses, et ôte aux chambres toute possibilité d'assurer des éco-
nomies en demandant compte de chacun des fonds restés sans
emplois.


Ce qui est abusif et dangereux dans l'article 15 i , c'est que
ces répartitions que l'article suppose devoir être faites à l'avance
et demeurer irrévocables ensuite, ne sont , ne peuvent être que
l'ouvrage du ministre lui-même, du ministre seul , peuvent et
doivent varier sans cesse pendent toute la durée de l'exercice,
ou plutôt encore n'être soumises au Roi qu'au moment où toutes
les dépenses sont consommées , tous les reviremens faits, toutes
les économies absorbées.


Que faut-il au bien de l'état, aux vrais intérêts du Roi, du
peuple et des chambres? Que tous les besoins du service soient
assurés, que les reviremens indispensables d'un - article de dé-
tail âme autre soient largement faciles ; que des grandes divi-




( 555 )
n la loi des finances, ni s'en écarter dans leurs ordonnances ;
D) et le ministre des finances ne pourra, sous la même respon-
,) sabilité, autoriser des paiemens contraires à ces crédits, que
D) dans les cas extraordinaires et urgens, et en vertu des ordon-
DD nances du Roi, qui devront être converties en lois à la plus
D) prochaine session , conformément à l'article z 1 de la loi du
D) 27 juin 1819, sur le régiment des budgets. Les articles 151
D) et 1 5z de la loi du 25 mars 1817 sont abrogés. » Voix
gauche : Appuyé ! appuyé!)


( 554
)


sions , des chapitres suffisamment considérables, en répondant
à chaque grand objet. de dépense, offrent seuls des sommes dont
les crédits législatifs ne puissent pas être dépassés; qu'enfin,
dans les cas extraordinaires et ure,,ens , l'autre règle cède à
celle de la nécessité, mais sous la condition expresse d'ordon-
nance du Roi, à convertir en loi à la plus prochaine session
des chambres.


Tel est, messieurs, tout le système de l'amendement que je
vous propose.


D'a près le texte des articles 151 et 152, cette obligation
d'ordonnance du Roi à convertir en loi, n'est imposée que pour
les cas où le crédit ou masse de chaque ministre se trouve ox-
cédé ; je la réclame, moi, cette obligation pour tous les cas où
le crédit accordé à chaque chapitre est outrepassé.


D'après le texte des articles 151 et 152 , c'est le Roi qui est
obligé par ces articles d'approuver la répartition des ministres,
de manière que la dépense ne puisse excéder le crédit en masse
ouvert à chacun d'eux; dans mon système, je laisse les ministres
à toute la responsabilité de leurs actes : ils emploient les sommes
portées aux différens articles de leurs budgets sans pouvoir dé-
passer les grandes divisions de crédits que la loi des finances
aura fixées et comprises dans son texte, et dans les cas urgens
et extraordinaires, les ministres conservent toujours le moyen
d'être autorisés par des ordonnances du Roi, soit à dépasser te
crédit total , soit à déroger aux allocations des chapitres , niais
en étant soumis à l'obligation de faire adopter par les chambres
les motifs de,leurs opérations.


J'ai annoncé qu'il y avait quelque chose d'inconstitutionnel
dans les dispositions de l'article 151, et je viens, messieurs,
de faire ressortir cette inconstitutionnalité en vous disant que cet
article charge le Roi de donner son approbation aux budgets des
ministres, de manière que la dépense ne puisse excéder le
crédit en masse ouvert à chacun d'eux ; c'est là ce qui est
inconstitutionnel ; aucune de vos lois ne peut imposer au Roi
une obligation indépendante des ministres, puisque ce serait
dégager ceux-ci de leur responsabilité , ou charger le Roi d'as-
surer cette responsabilité ; ce qui serait absurde.


J'ai rédigé le texte de mon amendement dans la forme d'un
article additionnel à la loi que vous discutez; il serait compris
sous le titre de dis.positionparticulidre: il serait destiné à rem-
placer seul les deux articles 151 et 152 de la loi du 25 mars, et
serait conçu en ces termes : cc Les ministres ne pourront, sous


leur responsabilité, excéder les divisions de crédit fixées par


M. Lainé combat la modification proposée par M. Chauvelin
à la loi du 25 mars 181 7 , et répond aux observations contenues
au rapport de M. Beslaysur lesopérations du ministère de 1817,
relatives aux subsistances.


Le général Sébastiani appuie l'amendement de M. Chauvelin.
Le ministre des finances discute cet amendement dans son


principe et dans ses conséquences.
On demande de nouveau la clôture générale. Le président la


met aux voix. L'épreuve paraît douteuse':: le bureau déclaré
qu'il n'y a pas de doute sur l'épreuve. La chambre ferme la
discussion générale.


Séance du 7 avril.


M. .Dubruel , organe de la commission des pétitions. Mes-
sieurs, les pareils de vingt-un condamnés à la peine de mort
à l'époque des déplorables évé,nemens qui ontéclaté à Grenoble,
se plaignent d'un déni de justice de M. le procureur duRoi
pries le tribunal du département de la Seine , et de M. le garde-
des-sceaux. Ils portent en même temps à la chambre une accu-
sation contre le général Donadieu, contre le comte Montlivaut
et consorts.


Dans le mois de mai 1819 , les pétitionnaires adressèrent
au procureur du Roi près le tribunal de la Seine, -une plainte
contre le général qui, à l'époque dt la révolte, commandait la
force armée dans le département de l'Isère , et contre le
préfet de ce département.


M. le procureur du Roi jugea que les accusés ne pouvaient
être poursuivis pour des tàits relatifs aux fonctions qui leur
avaient été déléguées, avant d'en avoir obtenu l'autorisation du
gouvernement. Ce magistrat renvoya la plainte à M. le procureur
général , celui-ci la transmit à M. le garde-des-sceaux; alors les
.plaignans adressèrent une requête à ce ministre pour obtenir




( 556 )
le renvoi des pièces au procureur du il oi afin que cette affaire
fût jugée suivant les formes ordinaires.


Dans le mois le novembre dernier, il fut décidé en conseil
d'état, qu'il n'y avait pas lieu à poursuivre les accusés.


Les accusateurs réclament aujourd'hui contre cette décision,
et ils fondent leurs motifs, a. 0


sur l'article 62 de la charte, qui
porte que nul ne pourra titre distrait de ses juges naturels;


2.0 Sur ce qu'il implique qu'une accusation dirigée contre des
agens inférieurs qui peuvent avoir obéi à des impulsions supé-
rieures, soit en exécutant les ordres mêmes du ministre, soit
en agissant sous sa sauve-garde, soit portée au conseil d'état où
siègent des ministres, des directeurs généraux et des personnes
subordonnées aux ministres, naturellement portées à repousser
toute accusation qui pourrait , suivant les circonstances,
sur quelqu'un des membres de ce conseil ;


3.0 Sur le s •or chapitre de la charte, qui garantit les droits
généraux des citoyens, leur égalité devant la loi, leur liberté '
individuelle.


Or, disent-ils; toutes les fois qu'un homme aura été lésé dans
quelqu'un de ses droits par un agent de l'autorité, ne sera-t-il
pas dérisoire de ne lui présenter d'autre ressource que dans
la décision du conseil d'état ?


Après avoir raisonné dans l'hypothèse de l'existence légale
du conseil d'état , les pétitionnaires la contestent, et de ce que
la charte n'en parle pas, ils concluent que cette institution n'a
point: d'existence légale, et qu'il est impossible de créer un
corps aussi redoutable sans l'intervention des trois branches du
pouvoir législatif.


C'est d'après ces principes que les parons des condamnés à Gre-
noble dirigent leurs plaintes eu déni de justice; et. ils soutien-
nent en même temps que ;


dans tous les cas , la décision prise
en conseil d'état ne pourrait être que provisoire, jusqu'dp/us
ample informé. C'est ainsi , ajoutent-ils, que les chambres d'ac-
cusation des cours royales, d'après le articles 346 et 347 du
code d'instruction criminelle , sont toujours censées prononcer
qu'il n'y aura pas lieu d accusation tant qu'il n'y aura pas de
charges nouvelles.


Après cet exposé, et pour établir que la décision prise en
conseil d'état, dans la supposition qu'elle fût régulière, n'a pas
été rendue avec connaissance de cause, et qu'ainsi elle ne doit
être considérée que comme une décision provisoire , sujette à un
plus ample informé, les accusateurs entrent dans les détails qui


( 557 )
ont précédé et suivi les tristes événemens qui ont eu lieu dans
le département <le l'Isère.


Les pareils des condamnés ne contestent pas l'existence réelle
d'une conspiration; mais ils soutiennent que les dépositaires de
l'autorité civile et de la force Militaire pouvaient facilement la
prévenir , ou du moins en arrêter les funestes effets, sans qu'il
f.ht nécessaire do répandre tant de sang : ils vont même jusqu'à.
avancer que le général , mais bien plus encore le préfet , loin
d'être disposés à comprimer la rébellion dans le principe ,
avaient fondé des espérances criminelles sur ses résultats et sur
des rigueurs injustes et inutiles.


Ils conviennent- néanmoins que les premiers jours de l'ad-
ministration du comte Montlivaut furent marqués par des actes
de justice et de modération , et que le général , dès son ar-
rivée à Grenoble, donna des preuves (le prudence et montra des
sentimens d'humanité , et lui donnent des éloges à ce sujet ; ils
ajoutent que ce dernier persévéra plus long-temps que le préfet
dans un système de modération qui aurait pu préserver le dé-
partement de l'Isère des calamités qu'il a éprouvées; mais que
bientôt l'un et l'antre renoncèrent à ces sages moyens , et
qu'alors des agens inférieurs se livrèrent, d'après leurs ordres, à
tous les genres d'arbitraire et de cruauté, non-seulement envers
les malheureux qui ont été condamnés, mais même envers des
individus dont l'innocence fut reconnue.


Ils remarquent que tandis qu'il existait à Grenoble une cour
prévôtale pour juger les prévenus, vingt-un individus ont été
condamnés au dernier supplice par une commission militaire
créée sans pouvoir, contre toutes les lois, et formée d'une ma-
nière arbitraire ; que la précipitation avec laquelle ces juge-
mens ont été rendus, a excité une indignation générale. Ils
ajoutent que les registres qui contiennent ces condamnations
sont remplis de ratures, de surcharges et de transpositions,
sans approbation ni du président , ni du greffier ; niais, tout
en signalant, d'une manière spéciale, la conduite du co-
lonel qui présidait ce tribunal redoutable, les accusateurs
rendent néanmoins hommage aux sentimens de justice et d'hu-
manité <le quelques juges qui en faisaient partie. — Parmi les
malheureux qui ont subi la peine de mort, ils citent trois jeunes
gens; l'un ûgé seulement de seize ans, l'autre de dix-huit, et
l'autre de dix-neuf, comme étant les victimes de la légèreté avec
laquelle. ces trois infortunés ont été entendus et condamnés.


Tels sont, messieurs, les principaux points sur lesquels les




( 553 )
parens des condamnés établissent leur plainte en déni de justice,
leur accusation et leur demande en révision de la décision prise
en conseil d'état.


En même temps, un des principaux accusés, après avoir ex..
posé qu'il a passé sa vie dans les camps à défendre sa patrie,
qu'il a été constamment l'ennemi de l'injustice et de l'arbitraire,
sous quelque couleur qu'ils se soient montrés, déclare qu'il
n'acceptera jamais la réputation d'un assassin de ses concitoyens,
et qu'il n'entend pas confier le soin de son honneur à une in-
dulgence dont il n'a pas besoin. En conséquence, le général
Donadieu se joint à ses accusateurs , et se présente à la chambre
pour demander que leurs conclusions soient accueillies.


J'ai l'honneur de proposer à la chambre, au nom de sa coin
mission, le renvoi de la pétition des parens des condamnés , et
celle du général Donadieu, à M. le président du conseil des
ministres, et à M. le ministre de la justice.


M. Sappey réclame la parole. MM. Macarthy,
, Castelbajac,


Clausel de Coussergues demandent également la parole après
M. Sapney.


Sappey. Messieurs, autrefois les haines tombaient de-
vant l'infortune ; et si elle parvenait à faire entendre sa voix
suppliante, tous les cœurs volaient au-devant d'elle, et sem-
blaient se croire solidaires de la justice tardive qu'enfin il lui
était permis de réclamer.


Les exemples ne nous manqueraient pas, si le sentiment avait
besoin de s'appuyer sur des faits; et ce ne serait ni chez les an-
ciens, ni chez les étrangers que j'irais puiser mes autorités.
François I. er , agité par le souvenir des épouvantables exécutions
de Cabrières et de Mérindol, exigea de son successeur, au lit
de la mort, la promesse de donner des juges aux bourreaux et
à leurs victimes. Le parlement de Provence devint justiciable
de celui de Paris ; les 13ésultats de la procédure et la vengeance
la plus éclatante parurent destinés à contenir dans les bornes de
leur devoir les imprud'ens émules des d' Oppède et des Guérin.


Dans le siècle dernier , en réhabilitant la mémoire de Calas
et de Lally, en signalait assez le châtiment que l'histoire
devait infliger aux magistrats odieux qui tendirent la main
pour recevoir le prix du sang innocent. Enfin, la convention
elle-même céda à la nécessité d'apaiser les mânes errans sur
les rives de la Loire, en livrant au glaive de la justice le Monstre
dont je m'abstiens de prononcer l'exécrable nom à cette tribune.


Ainsi la France, à des époques si diverses, a toujours vu le
gouvernement proclamer ce grand principe, que personne ne


( 55 9 )
peut se placer impunément au-dessus des lois, ni substituer ses
caprices a leur rigueur : sous le régime constitutionnel , le mal-
heur doit se présenter avec encore plus de confiance et de
sécurité . Les infortunes du département de l'Isère ont retenti
dans toute la France et même dans toute l'Europe; son deuil,
qui date de 2826, se prolonge depuis quatre années, et c'est à
la justice, c'est à vous, messieurs, qu'il demande des consolations.


Qui peut ignorer aujourd'hui que la précipitation, déjà si
scandaleuse, de l'instruction suivie à Grenoble en mai 1816,
a été inhumainement surpassée par celle avec laquelle on a
improvisé les débats ? Qui n'a point frémi en apprenant que ce
conseil , s'intitulant tantôt conseil de guerre , tantôt commission
militaire, et dont les minutes informes , couvertes de ratures
pas même approuvées, portant non-seulement sur des faits ,
-niais encore sur des prénoms, ne s'assembla qu'à onze heures
du matin, et qu'avant la nuit il avait déjà terminé le procès
de trente accusés, et condamné à mort vingt-un individus?
(Profonde impression.) Il n'est personne qui ne puisse calculer
l'impossibilité morale de statuer en si peu de temps sur l'inno-
cence ou la culpabilité d'un si grand nombre d'infortunés, et
qui ne se demande si nous citons des faits advenus sous le
régime constitutionnel.


Qu'aurai-je besoin après cela, messieurs , pour obtenir de
vous la justice qu'on a droit d'en attendre, de retracer et les
excès de l'arbitraire, et tant de destitutions lancées sur tous les
fonctionnaires du département; enfin , tant d'actes multipliés
par les dépositaires de l'autorité, dans le but évident de pousser
au désespoir le malheureux département de l'Isère ?


Parlerai-je des habitans du Grand-Lemps , de ceux-là même
qui, en 1 7 93, eurent le courage d'arracher à une mort certaine
plusieurs prêtres âgés qu'on voulait égorger? Par quelle fata-
lite fit-on sur cette commune l'essai déplorable des mesures
acerbes, si outrageantes pour la majesté du trône, au nom
duquel on avait l'audace de les adopter? Ferai-je paraître à vos
yeux , messieurs , et Muller de la Tronche , et Alban de
Séchillienne et Santon de Pasquier ( vieillards octogénaires),
tous arrachés de leurs domiciles, sans motifs comme sans for-
malités, tous assaillis de coups de fusils sous les yeux de leurs
f amilles, tous condamnés par tant de traitemens barbares, à
rester estropiés pour le reste de leurs jours? ( Vive sensation.)


Dirai-je enfin comment aux cachots et à tant de supplices,
fatigable vengeance fit succéder ces longues vexations, ces


exils multipliés, d'autant plus odieux qu'ils frappaient les ci-




( 56o )
toyens les plus paisibles, les plus recommandables par leurs pro-
fessions, par de grands biens, et par la juste considération
dont ils étaient environnés?


Qu'il Me suffise, messieurs, de vous rappeler ces arrêtés qui
se terminaient par cette formule si expéditive c, Sera livré d la


commission


, condamné d la peine de mort,.... sa
D, maison rasée n Monumens épouvantables d'une
fureur qu'on ne peut expliquer, et dont il faut aller chercher
l'horrible modèle dans ces anathèmes qui, en 1793, couvrirent
de ruines et inondèrent de sang Lyon, cette cité antique et


j
célèbre, où les richesses d'un commerce immense ne portèrent
amais atteinte à l'éclat d'un grand courage et à l'héroïsme d'un


'noble dévouement.
Votre intervention, messieurs, est devenue nécessaire, in-


dispensable, puisque toutes les autres voies ont été inutilement
tentées, et que vous seuls pouvez faire ouvrir les portes du
temple que l'on tient encore fermées au malheur. Outre
l'équité de la demande qui vous est soumise, une autre consi-
dération importante milite en sa faveur ; considération unique
dans son genre, et qui doublerait le déni de justice s'il pou-
vait avoir lieu dans de telles circonstances ; le plus remar-
quable des accusés, le général Donadieu, vous presse lui-même
de lui donner des juges ; et la vivacité de ses instances prouve
que les tribunaux seuls peuvent éclairer l'opinion et satisfaire
au cri des consciences. Il est temps de mettre un terme à la
consternation de toute une vaste contrée, et d'expliquer enfin
une funeste énigme.


Vous le voyez, messieurs, en appuyant cette pétition, vous
seconderez les voeux d'un département auquel nous devons.
d'autant plus franchement prêter notre secours, qu'il a été plus
constamment, plus perfidement calomnié qu'aucun autre. Sa
conduite pendant la plus terrible des révolutions, a été


.
pure :


aucun excès n'a souillé son territoire ; aucune loi n'a éprouvé
d'opposition : malheureusement il fut un de ceux que l'on choisit
en 1815 et 1816 pour y tenter des essais , et pour y exciter des
désordres sur lesquels on espérait bâtir l'édifice d'une ambition
particulière ou du gouvernement absolu. Cette prédilection pour
l'Isère, y a &à ranimerplus qu'ailleurs l'horreur pour les mesures
acerbes : c'est l'effet naturel , et aujourd'hui inévitable , de tous
les genres d'oppression. Mais il lui a été facile dereconnaltre la


jdestinée à laquelle on voudrait le vouer, quand il a se qu'unournal avait annoncé, le 1 9
février dernier, que le drapeau


tricolore flottait sur Grenoble sur Embrun , au moment même


{561)
eu' tous les habitans de l'Isère s'empressaient (le signer des
adresses pour témoigner au Roi la profonde douleur que leur a
causé l'exécrable attentat , où tous les plaisirs et les affaires
même étaient suspendus , tous les salons étaient fermés,
toutes les promenades désertes. Je le demande, qui peut ac-
corder ainsi le privilège de déverser les plus horribles calom-
nies sur tout un département? qui a le droit de disposer de.la
réputation d'un si grand nombre de bons Français ; de rouvrir
des plaies encore saignantes, et d'empêcher de profondes bles-
sures de se cicatriser? Croit-on que de pareilles manoeuvres
servent le gouvernement du Roi? La machine aux complots
n'est-elle donc pas usée et brisée? les débris n'en ont-ils pas
été jetés dans le Rhône et l'Isère ; ou plutôt ne suit-on pas tou-jours le mémo plan, pour précipiter unegrande population dansles horreurs du désespoir? C'est là le -vrai complot que nous
devons déjouer ; et si le ministère veut nous seconder, il n'aura
pas à étendre la main bien loin pour arracher et pour éteindre
les torches incendiaires que l'on veut lancer au milieu (le tant
de matières inflammables. Le premier, le plus sur moyen de
prévenir les excès que l'on affecte de craindre, est d'éviter sur-
tout de laconiques, de sanglanS messages à nos télégraphes,
c'est d'être justes. Je renouvelle la proposition de renvoyer au
président du conseil des ministres et à M. le garde-des-sceaux
la pétition de François Régnier et autres habitans de Grenoble,
ainsi que celle de M. le général Donadieu.,


M. Siméon, ministre de l'intérieur, défend l'institution du
conseil d'état d'après les lois anciennes, et sa décision quant
à la poursuite du général Donadieu : il ne s'oppose pas au renvoi
demandé, qui donnerait lieu à un nouvel examen.


M. le comte Maccarthy appuie le double renvoi de la pétition ,
en faveur du général Donadieu.


La chambre ordonne le renvoi de la pétition au président du
conseil des Ministres et au garde-des-sceaux.


L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion sur
le projet relatif aux comptes arriérés.


M. Beslay, l'un des rapporteurs de la commission des comptes
arriérés, présente de nouvelles observations sur les opérations
de 181 7 , relatives aux subsistances. M. Lainé y répond de
nouveau, et M. Beslay réplique.


M. Benoist , rapporteur de la commission sur la partie des
comptes, répond aux diverses objections présentées dans les
discussion.


51.
36




( 562 )
M. Beslay,


, rapporteur , justifie le travail de la commission
de l'examen des approvisionnemens, contre les reproches de M.
Lainé , et donne de nouveaux développemens sur les bases et
les conclusions du rapport de la commission.


M. Lainé répond et cherche à justifier les ministres.
M. Benoist , rapporteur de la commission de l'examen des


comptes arriérés, est ensuite entendu. Ii développe de nouveau
les motifs de la commission ; il rappelle les diverses objections
présentées dans la discussion générale, et s'attache à la réfuta-
tion de ces objections.


La chambre s'ajourne au lendemain.


Séance du 8 avril.


M. D ubruel demande, au nom de la commission des pétitions,
dont. il est rapporteur, le renvoi au bureau des renseigneinens
de la pétition du sieur Louis Brunet, ex-maire de Villars-Fon-
taine, qui se plaint à la chambre d'un arrêté de M. Girardin ,
préfet de la Côte-d'Or , qui a déplacé quarante-deux maires ou
adjoints de ce département , sous prétexte de non-résidence ,
parmi lesquels le pétitionnaire est compris.


M. Caumartin analyse la pétition , en développe les causes
et: l'esprit , combat le rapporteur , et demande l'ordre du jour
sur les conclusions de la commission.


M. Girardin donne des é•laircissemens sur les motifs de ses
arrêtés de destitution , justifie le bon esprit des habitons de la
Côte-d'Or contre les assertions (lu pétitionnaire , et demande
que la pétition soit envoyée au ministre de l'intérieur, et qu'un
double en s . iit déposé au bureau des rcnseignemens.


M. Chauvelin appuie les raisons de M. Girardin , et conclut
au renvoi de la pétition au ministre de l'intérieur.


La chambre prononce l'ordre du jour sur la pétition.
L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion sur les


comptes arriérés.
Cette discussion a pour objet particulier l'allocation du crédit


pour l'élévation de douze à vingt centimes de l'indemnité pour
logement des troupes étrangères pendant l'occupation.


MM. de Mézy , Sébastiani , Foy, de Salis, de Brigode par-
lent sur cette question. Le ministre des finances et M. Cour-
voisier envisagent l'amendement de la commission sous les rap-
ports constitutionnels.


La discussion, est continuée au lundi Io.


( 563 )


Séance du Io avril.


L'ordre du jour appelle le rapport de la commission spéciale
chargée de l'examen du projet de loi sur les douanes.


M. Morgan du Belloy est appelé à la tribune, il rend compte
du travail de la commission ; il embrasse toutes les parties de
l'industrie agricole , les manufactures, tous les produits natio-
naux et étrangers, et établit. dans quelles combinaisons l'impôt
peut être fixé à leur entrée ou à leur sortie , sans que les prix
s'élèvent trop au-dedans, et sans qu'une utile exportation de-
vienne impossible.


La chambre décide que la discussion s'ouvrira après la déli-
bération sur les comptes.


L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion sur
les comptes , et sur l'amendement de la commission ; tendant à
accorder un fond de cieux millions quatre cent mille francs à
répartir entre les départemens qui ont été occupés.


M. de Brigode soutient l'amendement: comme juste , et la
chambre ayant le droit d'amender les projets de loi , droit que
lui contestaient les ministres.


On a dit que nous desirions soulager la légion-d'honneur ,
et nous comptions employer cette somme à la solde de son trai-
tement. Noble pensée ! pensée vraiment heureuse et singuliè-
rement politique ! sage conseil à donner au monarque, et bien
propre à populariser sou gouvernement , que celui de manquer
à des engagemens contractés envers cinq à six millions de Fran-
çais, pour satisfaire à une dette non moins sacrée, mais dont
le paiement , permettez-moi de vous le dire , doit être puisé.,
selon nous, à des sources un peu plus pures ! Aussi , messieurs,
vous avez entendu comment le digne défenseur de la légion
d'honneur a reçu cette proposition. Les membres de la légion
d'honneur, qui auraient tous volontiers versé leur sang pour épar-
gner à la France le joug , la honte et les souffrances de l'occupa-
tion , certes, ne voudraient pas plus voir compléter le traitement
qui leur est dû par les dépouilles des départemens occupés , que
les départemens occupés ne voudraient de l'indemnité que vous
leur devez, si Tolis ne la leur proposiez qu'en dépouillant la légion
d'honneur du reste de son traitement. Observez , messieurs,
ce qui mérite encore votre attention dans ce singulier projet.
La somme due, et destinée aux départemens occupés, ne doit
être payée qu'une seule fois ; elle provient d'une économie, et
n'est le résultat d'aucun fonds axe. Gomment trouvez-vous cette


.i4




( 564
)


manière d'assurer pour l'avenir le traitement de la légion-d'hom-
neur qui doit être invariable ? Apparemment dans l'intention


rainist re , pour l'avenir comme pour le passé , on continuera
de la payer quand on le pourra , et sans doute avec les fonds
des (lettes que l'on ne paiera pas ? ( Des murmures s'élèvent. )


Que l'on examine cette question sous quelque fiice que l'on
veuille l'envisager, nous ne pouvons , sans manquer à la justice,
sans manquer à nos devoirs et à nos droits , à la confiance pu-
blique , nous refuser d'adopter le projet auquel s'est réuni la
commission.


budje
Si j'adopte la proposition du gouvernement faite dans le


t de la guerre et appuyée par la commission , c'est parce
que je la crois juste , raisonnable et essentiellement politique.
Si vous la rejetez, messieurs, nos huit départemens et nos trente-
deux députés , n'oublieront pas que c'est principalement à M.
le ministre actuel des finances qu'ils en a.uront l'obligation. ( Des
murmures prolongés s'élèvent au centre et à droite. )


M. Corbière répondant au discours prononcé le 8 par M. Ma-
nuel , envisage la question sous le rapport constitutionnel , et
établit que la chambre ne pouvait voter par amendement une
dépense non proposée par le gouvernement.


aj
M. Manuel traite la même question dans un sens opposé , il
oute de nouveaux développeniens à son opinion , et l'appuie


par des antécédens de 18,6 et de l'année dernière.
M. Corbière réplique , et établit que les antécédens cités-


ll'étaiebt point applicables, puisque les amendemens faits avaient
été consentis par le ministre.


M. Beugnot et M. le ministre des finances soutiennent la
même doctrine. 'M. Beugnot soutient que le fond de l'amende-
ment devait être l'objet d'une proposition spéciale , et prend
l'engagement de l'appuyer. — L'amendement est rejeté à une
très-forte majorité et la discussion continuée au lendemain.


Séance du st avril.


L'article 2 est adopté.
On procède à l'appel nominal pour le scrutin sur le premier


projet de loi. La chambre l'adopte. Vingt•un votans seulement
le rejettent.


La discussion s'établit sur le second projet de. loi 5 la chambre
en adopte l'article 2. ; à l'article 3, la chambre adopte un amen-
dement de la commission qui annule un crédit d'un million sur
le budjet de l'intérieur, pour l'exercice de 1818.


( 565 )


Séance du 52 avril.


L'amendement de la commission, tendant à l'annulation da
crédit de cent quarante mille francs sur le crédit du ministère
de la marine , art. 3 du second projet de loi, est adopté , ainsi
que cet article, avec addition de cinq cent cinquante-neuf mille
quatre cent soixante-dix francs pour l'indemnité de l'occupation
des troupes étrangères , qui porte l'annulation des crédits spé-
cifiés dans l'article à cinq millions sept cent quatre vingt-dix-
neuf mille cinq çant quatre-vine-un francs.


La discussion s'établit sur l'article 4 , tendant à reporter à
l'exercice de 1819 le crédit de un million six cent mille francs
de rentes non employées en 818.


M. Labbey de Pompières,-appuyé de MM. Manuel et Chau-
velin, demande l'annulation de ces rentes. Le ministre des
finances et M. Breton établissent la nécessité de les maintenir
pour couvrir le déficit de 1818 , et comme moyen de crédit.
M. de Villèle propose de ne rien statuer sur leur annulation ,
et. de réserver cette discussion à l'époque des voies et moyens.
M. Lafitte établit la nécessité de déclarer cette réserve comme
une chose convenue si on laissait les rentes en question à la dis-.
position du ministre.


La chambre consent cette réserve et adopte l'article 4 en ce
sens.


Séance du 13 avril..


La délibération s'établit sur les quatre articles additionnels.
proposés par M. Ganillt 5 ils donnent lieu à une longue discus-
Sien.


La chambre rejette les deux premiers amendemens de M.
Ganilh , qui retire les deux autres..


M. le général Foy présente des vues générales surie septième
de la reddition des comptes, et les améliorations dont il est
susceptible. Il entre dans des détails particuliers sur les dépenses
de la comptabilité du département de la Seine.


Séance du / avril.


L'amendement de M. le général Fov donne lieu à une longue
discussion, dans laquelle le ministre des finances, MM. le gé-
néral Sébastiani, Chauvelin , Bedoch Albert et Benoist sont
entendus.


L'amendement est rejeté,




( 566 )
M. Casimir terrier ouvre la discussion sur l'article 8, et


traite de nouveau la question des emprunts de 1818 : il attaque
vivement les opérations du ministère de cette époque.


Séance du 15 avril.


MM. Sappey , Benjamin-Constant et Bignon parlent égale-
ment sur la question des emprunts, et attaquent lès opérations
du ministère de 1838.


Le ministre des affaires étranWq-eg , M. Lainé et le ministre.
des finances, traitent successivement la même question , et s'at-
tachent à établir que les opérations du ministère ont été justes,
nécessaires ; que tous les intérêts du commerce ont été respectés,
et qu'elles ont eu un résultat, unique voeu des chambres et da
gouvernement , la libération du territoire.


La chambre adopte l'article sur les comptes de 1818 , et re-
jette l'amendement de M. Benjamin-Constant, tendant à la pu-
blication des listes de souscription à l'emprunt de vingt-quatre.
millions et à celle des traités et conventions.


FIN DU SECOND VOLUME,


Cr.