Lr
}

Lr


DROIT DES GENS.


SECONDE PARTIE.




SE TROUVE AUSSI.


L. JANET, Libraire, rue Saint-Jacques, n o 39;
DELESTRE ROULAGE, Libraire de l'Éole de Droit, rue des


Mathiirins-Saint--Jacques, n o
s; . .


ALEX-GOBELET , Libraire, rue Soufflot;
DzSCHAMPS, Libraire , rue Saint-Jacques;
ANT. BAVOLIX , Libraire, rue Git-le-cceur.


CHEZ


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CHEZ JANET ET COTELLE, LIBRAIRES, /:-';\t4Ci.;i'-
jeee;!'e'''.,


DE L'IMPRIMERIE DE
CELLOT.


RUE NEUVE—DES •PETITS—CHAMPS, N° 17.


1820,


LE


DROIT DES GENS,
OU


PRINCIPES DE LA LOI NATURELLE


APPLIQUÉS A LA CONDUITE ET AUX AFFAIRES


DES NATIONS ET DES SOUVERAINS.


PAR VATTEL.
.e7


NOUVELLE ÉDITION, AUGMENTÉE, REVUE ET CORRIGÉE,
AVEC QUELQUES NOTES DE L'AUTEUR ET DES ÉDITEURS.


Villa est enim illi prineipi Deo, qui °muet/1 hune mundum regit,
quod guident in terris Lai, acceptius, (intim ccetusque
hoinintun jure sociati , (lute civitates appellantur.


CIcER. Soma. Scipion.


A PARTS,


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.r ra .0,c,


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LIVRE TROISIÈME,


DE LA GUERRE.


11AVAA....4VVVV.4,1,M1W\N'to


CHAPITRE PREMIER.


De la Guerre et de ses différeites espèces; et du Droit de
tiare, la guerre.


S LA guerre est eet état dans lequel on poursuit son
droit par la ppm On entend aussi par ce mot , l'acte
même ou la maniùre de poursuivre son droit par la [force;
mais il est plus conforme à l'usage, et plus convenable dans
un traité du droit de la guerre , de prendre ce terme dans
le sens que nous lui donnons.


S 9. La guerre publique est celle qui a lien entre les
nations ou les souverains, qui se fait au nom de la puis-
sance publique et par son ordre. C'est celle que nous avons
à traiter ici. La guerre privée, qui se fait entre particuliers,
appartient au droit naturel proprement dit.


5 5. En traitant du droit de sûreté, nous avons montré
que la nature donne aux hommes .le droit d'user de f)rte
quand cela est nécessaire pour leur défense et pour la con-
servation de leurs droits. Ce principe est généralement
reconnu ; la raison le démontre, et la nature elle-même l'a
gravé dans le cœur de l'homme. Quelques fanatiques seu-


32


e34 Ois
ara


'./.;*cerirt en %se"




498 . LE Ditorr DES GENS.


lement, prenant à la lettre la modération recommandée
dans l'évangile , se sont mis en fantaisie de se laisser égor-
ger, ou dépouiller, plutôt que d'opposer la force à la vio- •
lence. Mais il n'est pas à craindre que cette erreur fasse
de grands progrès ;• la plupart des hommes s'en garanti-
ront d'eux-mêmes ; heureux s'ils savaient aussi bien se
tenir dans les justes bornes que la nature a mises à un droit
accordé seulement par nécessité? C'est à les marquer exac-
tement , ces justes bornes, c'est à modérer par les règles
de la justice , de l'équité, de l'humanité , un droit triste
en lai-même et trop souvent nécessaire , que ce troisième
livre est destiné.


5 4. La nature ne donnant aux hommes le droit d'user
de force que quand il leur devient nécessaire pour leur
défense et pour la conservation de leurs droits ( liv. II ,
5 4 9 et suiv.), il est aisé d'en conclure que, depuis l'éta-:
blissement des sociétés politiques, un droit si dangereux
dans son exercice n'appartient. plus aux particuliers , si ce
n'est dans ces rencontres où la société ne peut les protéger,
les secourir


. Dans le sein de la société, l'autorité publique
vide tous les différends des citoyens , réprime la violence
et les voies de fait. Que si un particulier veut poursuivre
son droit contre le sujet d'une puissance étrangère, il peut
s'adresser au souverain de son adversaire, aux magistrats
qui exercent l'autorité publique; et s'il n'en obtient pas
justice, il doit recourir à sen propre souverain , obligé de'
le protéger. Il serait trop dangereux d'abandonmeà chaque
citoyen la liberté de se faire lui-même . justice contre les
étrangers; une nation n'aurait pas un de ses membres qui
ne pût lui attirer la guerre; et comment les peuples con-
serveraient-ils la paix, si chaque particulier avait le pou-
voir de la troubler? Un droit d'une si grande importance,


LIV. ni, CliA P. I. 490
k droit de juger si la nation a un véritable sujet de
plaindre , si elle est clans le cas d'user de force, de prendre
les armes avec justice , si ta prudence le lui permet , si le
bien de l'état l'y invite; ce droit, dis-je, ne peut appartenir
qu'au corps de la nation, ou au souverain qui la représente.
Il est sans doute au nombre de ceux sans lesquels on ne
peut gouverner d'une manière salutaire, et que "on appelle
droits de ma jesté ( liv. ler, 5 45 ).


La puissance souveraine est donc seule en pouvoir de
faire la guerre. Mais Comme les divers droits qui forment
cette puissance, résidante originairement dans le corps de la
nation, peuvent être séparés ou limités suivant la volonté de
la nation (liv. °r , 55 51 et 45 ), c'est dans la constitution
particulière de channe état qu'il faut chercher quelle est la
puissance autorisée à faire la guerre au nom de la société.
Les rois d'Angleterre , dont le pouvoir est d'ailleurs si li-
mité , ont le droit de faire la guerre (a) et la paix : ceux de
Suède l'ont perdu. Les brillants et ruineux exploits de
Charles XII n'ont que trop autorisé les états du royaume
à se. réserver un droit si'intéressant pour leur salut (1)..


5 5. La guerre est
défensive ou ofreasive. Celui qui


prend les armes pour repousser un ennemi qui l'attaque,
fait une guerre défensive ; celui qui prend les armes le
premier, et attaque une nation qui vivait en paix avec lui,


(a) Je parle du droit en lui-même. Mais un roi d'Angleterre ne pouvant
ni lever de l'argent, ni contraindre ses sup.:: à prendre les armes, sans le
concours du parlement, son droit do faire la guerre se réduit en cet à peu
de chose, si le parlement ne lui fournit les moyens.


( ) Du temps de l'auteur, les rois do Suède n'avaient effectivement ni le
droit en lui-même, ni aucune influence à cet égard; mais la nonvi 1;c forme
&gouvernement, introduite en Suède à la révolution de


„ cunser.


vant aux états le droit cm lui-métne, donne au roi des prérogatives qui lu
rendent suffisamment maitre du fait. D.


32.




à 00 LE DLOIT DES GENS.
fait une guerre offensive. L'objet de la guerre défensive
est simple , c'est la défense de soi-même : celui de la guerre
offensive varie autant que les diverses affaires des nations;
mais , en général , il se rapporte ou à la poursuite de
quelques droits, ou à la sûreté ; on attaque une nation ,
ou pour se faire donner une chose à laquelle on forme des
prétentions, ou pour la punir d'une injure qu'on en a
reçue, ou pour prévenir celle qu'elle se prépare à faire ,
et détourner un danger dont on se croit menacé de sa
part. Je ne parle pas encore de la 'justice de la guerre :
ce sera le sujet d'un chapitre à part. Il s'agit seulement
ici d'indiquer en général les divers objets pour lesquels on
prend les armes, objets qui peuvent fournir des raisons
légitimes, ou d'injustes prétextes, mais qui sont au moins
susceptibles d'une couleur de droit ; c'est pourquoi je ne
mets point au rang des objets de la guerre offensive , la
conquête, ou le désir d'envahir le bien d'autrui. Une pa-
reille vue, dénuée même de prétexte, n'est pas l'objet d'une
guerre en forme , mais celui d'un brigandage , dont nous
parlerons en son lieu.


,,,VIMAWIAMAMM,,,,,NVIAANA,AVNINW .V,N4Mustlaaft


CHAPITRE IL


De ce qui sert à &ire la guerre, de la levée des troupes, etc. ;
de leurs commandants, ou des puissances subalternes
dam la guerre.


6. La souverain est le véritable auteur de la guerre,
laquelle se fait en son DOM et. par son ordre. Les troupes ,
officiers, soldais, et en général tous ceux par le moyen


LIV. CHAP. H. Soi
desquels le souverain fait la guerre, ne sont que des instru-
ments dans sa main. Ils exécutent sa volonté , et non la
leur. Les armes, et tout l'appareil (les choses qui servent à
la guerre , sont des instruments d'un ordre inférieur. Il
est important , pour décider les questions qui se présente-
ront dans la suite, de déterminer précisément quelles sont
les choses qui appartiennent à la guerre. sans entrer ici
dans le détail, nous dirons que tout cc qui sert particuliè-
rement à faire la .guerre , doit être mis au rang des ins-
truments de la guerre; et les choses qui sont également
d'usage en tout temps , comme les vivres, appartiennent à
la paix , si ce n'est en certaines occasions particulières
où l'on voit que ces choses-là sont spécialement destinées
à soutenir la guerre. Les armes de toute, espèce , l'artil-
lerie, la poudre à canon, le salpêtre et le soufre qui




servent à la fabriquer, les échelles , gabions , outils, et tout
l'attirail d'un siégé , les matériaux de construction pour
les vaisseaux de guerre , les tentes , les habits de sol-
dats , etc. tout cela appartient constamment à la guerre.


s 7 . La guerre ne pouvant se faire sans soldats , il est
manifeste que quiconque a le droit de faire la guerre , a
naturellement aussi celui de lever des troupes. Ce dernier
droit appartient donc encore au souverain (5 4), et il est
au nombre des droits de majesté (liv.


. I er , 5 45). Le pou-
voir de lever des troupes , de mettre une armée sur pied,
est d'une trop grande conséquence dans l'état, pour qu'il
puisse être confié à d'autres qu'au souverain. Les puis-
sances subalternes n'en sont point revêtues : elles l'exercent
seulement par ordre ou par commission du souverain;
mais il n'est pas toujours nécessaire qu'elles en aient un


:ordre exprès. Dans ces occasions pressantes , oû il est im-
possible d'attendre les ordres suprêmes , un gouverneur




502 LE DROIT DES GENS.
de province, un commandant de place, peuvent lever des
troupes pour la défense de la ville ou de la province qui
lenr est confiée ; et ils le font en vertu du pouvoir que leur
donne tacitement leur commission, pour des cas de cette
nature.


Je dis que ce pouvoir éminent est l'apanage du sou-
verain ; il fait partie de l'empire suprême. Mais on a vu
ci- dessus que les droits dont l'assemblage constitue la
souveraineté, peuvent être divisés (liv. SS 5i et 45),
si telle est la volonté de la nation. Il-peut donc arriver que
la nation ne confie pas à son conducteur un droit si dan-
gereux à sa liberté , celui de lever des troupes et de les
tenir sur pied, ou qu'elle en limite au moins l'exercice ,
en le faisant dépendre du consentement de ses représenta-
tions. Le roi d'Angleterre, qui a le droit de faire la guerre,
a bien aussi celui de délivrer des commissions pour la
levée des troupes; mais il ne peut 'contraindre personne à
s'enrôler ni entretenir une armée sur pied, sans le concours
du parlement.


58. Tout citoyen est obligé de servir et de défendre l'é-
tat, autantqu'il en est capable; la société ne peut se conser-
ver autrement ; et ce concours pour la défense commune.
-est une des premières vues de toute association politique.
Quiconque est en état de porter les armes, doit les prendre,
au premier commandement de celui qui a le pouvoir do
faire la guerre.


9. Autrefois,:et sur-tout dans les petits états, dès que
la guerre se déclarait, tout devenait soldat, le peuple
entier prenait les armes et faisait la guerre. Bientôt on fit
un choix, on forma des armées de gens d'élite, et le reste
(lu peuple se tint à ses occupations ordinaires. Aujourd'hui
1" ‘Ntge des troupes réglé% s'est établi presque par-tout,


5LIV. III, CHAP. II. 50


et principalement- dans les..grands états. La . puissance . pu-
blique lève (les soldats , les distribue en différents corps,
sous l'autorité des chefs et autres officiers , et les entre-
tient aussi long-temps qu'elle le trouve à propos. Puisque
tout citoyen ou sujet est obligé de servir l•état , le souve-
rain est en droit d'enrôler qui il lui plaît., dans le besoin ;
mais il ne doit choisir que des gens propres au métier de
la guerre; et il est tout-à-fait convenable qu'il ne prenne ,
autant que.cela se peut , que des hommes de bonne volonté
qui s'enrôlent sans contrainte.


5 Io, Naturellement nul n'est exempt de prendre les
armes pour la cause de Pet -a, L'obligation de tout citoyen
étant la même. Ceux-là seuls sont exceptés, qui ne sont
pas capables de manier les armes , ou de soutenir les fati-
gues de la . guerre. Par cette raison , on exempte les vieil-
lards , les enfants et les femmes. Quoiqu'il se trouve des
femmes a ussi robustes et aussicourageuses que les hommes,
cela n'est pas. ordinaire; et les règles sont nécessairement
générales, elles se forment sur ce qui se voit plus commu-
nément. D'ailleurs les femmes sont nécessaires à d'autres
soins dans la société: enfin le mélange des deux sexes dans
les armées entraînerait trop d'inconvénients.


Autant qu'il est possible , un bon gouvernement doit em-
ployer tous les citoyens, distribuer les charges et-les fonc-
tions , de manière que Pétat soit le mieux servi clans toutes
ses affaires. Il (kit donc , quand la nécessité ne le presse
pas, exempter de la. milice tous ceux qui sont-voués. à des
fonctions utiles, ou nécessaires à la société. C'est pourquoi
les magistrats sont ordinairement exempts ; ils n'ont pas
trop de tout leur temps pour rendre la justice et maintenir
le bon ordre.


Le clergé ne peut naturellement, et de droit, s'arroger




504 LE DEOIT DES GE.Ns.
aucune exemption particulière. Défendre la patrie n'est
point une fonction indigne des mains les plus sacrées. La
loi de l'église , qui défend aux ecclésiastiques de verser le
sang, est une invention commode pour dispenser d'aller
aux coups, des gens souvent si ardents à souiller le feu de
la discorde et à exciter des guerres sanglantes. A la vérité,
les -mêmes raisons que nous venons d'alléguer en faveur
des magistrats, doivent faire exempter des armes le clergé
véritablement utile , celui qui sert à' enseigner la religion ,
à gouverner l'église et à célébrer le culte public (a).


Mais cette immense multitude d'inutiles religieux, ces
gens , qui , sous prétexte de se consacrer à Dieu , se vouent
en effet à une molle oisiveté , de quel droit prétendent-ils
à une prérogative ruineuse à l'état ? Et si le prince les
exempte des armes , ne fait-il pas tort ail reste des citoyens,
sur qui il rejette le fardeau? Je ne prétends pas ici conseil-
ler à un souverain de remplir ses armées de moines ; mais
de diminuer insensiblement une espèce inutile, en lui ôtant
des priviléges abusifs et mal fondés. L'histoire parle d'un


(a) Autrefois les évêques allaient à la guerre, à raison de leurs fiefs, et
y menaient leurs vassaux. Les évêques danois ne manquaient point à une
fonction qui leur plaisait davantage que les soins paisibles de l'épiscopat.
Le fameux Absalon, évêque de Roschild et ensuite archevêque de Lundc;n ,
était M principal général du roi Valdemar t o*; et depuis que l'usage dcs
troupes réglées a mis fin à ce service féodal, on a vu des prélats guerriers
ambit onner le commandement des armées. Lc cardinal de La Valette;
Sourdis, archevêque de Bordeaux , endossèrent la cuirasse sous le minis-
tère de Richelieu, qui s'en revêtit lui-même à l'attaque du pas de Suse.
C'est un abus auquel l'église s'oppose avec raison. Un évêque est mieux à
sa place dans son diocèse, qu'a l'armée ; et aujourd'hui les souverains ne
manquent pas de généraux et d'officiers plus utiles que ne pourraient l'être
des gens d'église. En général, il convient que chacun reste dans ses fond-
rions. Je necooteste au clergé qu'ut" exemption de droit, et dans les cas
eteei:ceeité.


LIV. III, CHAP. 1. 505


évêque guerrier (a) qui combattait avec une massue, es-
sommant les ennemis , afin de ne pas encourir l'irrégularité,
en répandant leur sang. Il serait plus raisonnable , en dis-
pensant les rcligieux.de porter les armes, de les employer
aux travaux et au soulagement (les soldats. Plusieurs s'y sent
prêtés avec zèle dans la nécessité : je pourrais citer plus d'un
siége fameux , ois des religieux ont servi utilement à la dé-
fense de la patrie. Quand les Turcs assiégèrent Malte, les gens
d'église, les femmes, les enfants mêmes, tous contribuèrent ,
chacun selon son état ou ses forces, à cette glorieuse dé-
fense qui rendit vains tous lus efforts de l'empire ottoman.


Il est une autre espèce dé fainéants, dont l'exemption
est plus criante encore ; je veux parler de cc tas de valets
qui remplissent inutilement les maisons des grands et des
riches ; gens dont la vocation est de se corrompre eux-
mêmes, en étalant le luxe de leur maître.


S11. Chez les Romains la milice fut gratuite pendant
que tout le peuple y servait à son tour. Ma : lès que l'en
fait un choix, dès que l'on entretient des troupes sur pied ,
l'état doit les soudoyer; car personne ne doit que sa rote
part du service public ; et si les revenus ordinaires ne suf-
fisent pas , il faut y pourvoir par des impôts. Il est juste que
ceux qui ne servent pas, payent leurs défenseurs.


Quand le soldat n'est pas sous la tente , il faut nécessai-
.,rement le loger. Cette charge tombe naturellement sur ceux
qui possèdent des maisons. Mais comme elle est sujette à
bien des inconvénients, et très-filcheuse, aux citoyens, il
est d'un bon prince, d'un gouvernement sage et équitable,
de les en soulager autant qu'il est possible. Le roi de France


(a) Un évêque de Beauvais, sous Philippe-Auguste. Il combattit à la
bataille de Bovines.




5o6 DES
yer.pourvu magnifiquement en bien des places, par des
dsernes, construites pour le logement de la garnison.


S 12. Les asiles préparés aux soldats et aux officiers
pauvres, qui ont blanchi sous le harnois , que les fatigues
ou le fer de l'ennemi ont mis hors d'état de pourvoir à leurs
besoins , peuvent être envisagés comme une partie de la
solde militaire. En France et en Angleterre, de magnifiques
établissements en faveur des invalides, font honneur au
souverain et à la nation, en acquittant une dette sacrée.
Le soin de ces infortunées victimes de la guerre, est un
devoir indispensable pour tout état, à proportion de son
pouvoir. Il est contraire, non pas seulement à l'humanité,
mais à la plus étroite justice , de laisser périr de misère , ou
indignement forcés à mendier leur pain , de généreux ci-
toyens , des héros qui ont versé leur sang pour le salut de
la patrie. Leur entretien honorable serait une charge bien
convenable à répartir sur les riches couvents et sur les gros
bénéfices ecclésiastiques. 11 est trop juste que des citoyens
qui fuient tous les dangers de la guerre, emploient une
partie de leurs richesses à soulager leurs vaillants défen-
seurs.


S 13. Les soldats mercenaires sont des étrangers qui
s'engagent volontairement à servir l'état pour de l'argent,
pour une solde convenue. Comme ils ne doivent aucun
service à un souverain dont ils ne sont pas sujets , les
avantages qu'il leur fait sont-leurs motifs. Ils


- contractent,
par leur engagement, l'obligation de le servir; etleTrince,
de son côté , leur promet des conditions stipulées dans
leur capitulation. Cette capitulation, règle et mesure des
obligations et des droits respectifs des contractants, doit
être observée religieusement. Les plaintes de quelques his-
toriens français contre des troupes suisses qui , en di-


LIV. CII ip. 5.ce;


verses occasions , ont autrefois refusé de marcher à l'en-
nemi , et se sont même retirées , parce qu'on ne les payait
pas , ces plaintes , dis-je , ne sont pas moins ridicules
qu'injustes. Par quelle raison une capitulation lierait-elle
plus fortement l'une (les parties que l'autre? Dès que le
prince ne tient pas ce qu'il a promis, les soldats étrangers
ne lui doivent plus rien. J'avoue qu'il y aurait peu de gé-
nérosité à abandonner un prince lorsqu'un accident le met-
trait pour un temps hors d'état de payer, sans qu'il y eût
de sa faute. Il pourrait même se trouver des circonstances
dans lesquelles cette inflexibilité serait, sinon injuste à la
rigueur, au moins fort contraire à l'équité; mais ce n'a
jamais été le cas des Suisses. lls ne quittaient point à la
première montre qui manquait ; et lorsqu'ils ont vu dans
un souverain beaucoup de bonne volonté , jointe, à une vé-
ritable impuissance de les satisfitire , leur patience et leur
zèle se sont constamment soutenus. Henri IV leur devait
des sommes immenses ; ils ne l'abandonnèrent point dans
ses plus grandes nécessités; et ce héros trouva dans la
nation autant_ de générosité que de bravoure.


Je parle ici des Suisses , parce qu'en effet ceux dont il
est question étaient souvent de simples mercenaires. Mais
il ne faut pas confondre avec des troupes de cette espèce ,
les Suisses qui servent aujourd'hui diverses puissances ,
avec la permission de leur souverain et en vertu des al-
liances qui subsistent entre ces puissances et le corps hel-
vétique , ou quelque canton en particulier. Ces dernières
troupes sont .de véritables auxiliaires , quoique payées par
les souverains qu'elles servent.


On à beaucoup agité la question , si la profession de
soldat mercenaire est légitime ou non; s'il est permis à
!les particuliers de s'engager pour de l'argent-, ou pc;ur




508
LE DROIT DES GENS.


(l 'autres récompenses , à servir un prince étranger dans
ses guerres. Je ne vois pas que cette question soit Ibn dif-
ficile à résoudre. Ceux qui s'engagent ainsi sans la per-
mission expresse ou tacite de leur souverain , pèchent
contre leur devoir de citoyens. Mais dès que le souverain
leur laisse la liberté de suivre leur inclination pour les
armes , ils deviennent libres à cet égard. Or il est permis
à tout homme libre de se joindre à telle société qu'Uni
plaît et où il trouve son avantage, de faire cause com-
mune-avec elle, et d'épouser ses querelles. Il devient en
quelque façon , au moins pour un temps , citoyen (le l'état
où il prend du service ; et comme , pour l'ordinaire , un
officier est libre de quitter quand il le -trouve à propos , et
le simple soldat au terme (le son engagement, si cet état
entreprend une guerre manifestement injuste ,. l'étranger
peut prendre son congé (t). Ce soldat mercenaire , en ap-
prenant le métier de la guerre , se sera rendu plus capable
de servir sa patrie , si jamais elle a besoin de son bras.
Cette dernière considération nous fournira la réponse à
une instance que l'on fait ici. On demande si le souverain
peut honnêtement permettre à ses sujets de. servir indis-
tinctement des puissances étrangères , pour de l'argent ?
Il le peut, par cette seule raison , que de cette manière
ses sujets vont à l'école d'un métier qu'il est utile et né
cessaire de bien savoir. La tranquillité , la paix profonde
dont jouit depuis long-temps la Suisse au milieu des guerres


(1) A. la bonne heure pour l'officier, qui peut quitter quand il ie trouve
d propos; mais te simple soldat, qui ne pele quitter qu'aux termes de son
engagement, devra donc servir jusque-là à une guerre manifestement in-
juste? La difficulté subsiste dans son entier ; et la question, si facile à ré-
soudre selon l'auteur, n'est point résolue, ni ne saurait l'arc , si ce n'est en
admettant pour principe, que par le droit des gens le particulier n'est pas
'juge compétent de la justice d'une cause d'état à état. D.


LIV. III, CIIÀP. 509
qui agitent l'Europe ce long repos lui deviendrait_ bien-
tôt funeste , si ses citoyens n'allaient pas dans les services
étrangers, se former aux opérations de la guerre et entre-
tenir leur ardeur martiale.


S 14. Les soldats mercenaires s'engagent volontaire-
ment ; le souverain n'a aucun droit de contraindre des
étrangers; il ne doit même employer ni surprise , ni ar-
tifice , pour les engager à un contrat , lequel , aussi-bien
que tout autre , doit être fondé sur la bonne foi.


5 15. Le droit de lever des soldats appartenant unique-
ment à la nation, ou au souverain ( 5 7 ) , personne ne
peut en enrôler en pays étranger sans la permission du sou-
verain ; et avec cette permission même on ne peut enrôler
que des volontaires; car il ne s'agit pas ici du service de
la patrie ; et nul souverain n'a le droit de donner ou de
vendre ses sujets à un autre.


Ceux qui entreprennent d'engager des soldats en pays
étranger sans la permission (lu souverain , et en général
quiconque débauche les sujets d'autrui , viole un des droits
les plus sacrés du prince et de la nation. C'est le crime
que l'on appelle plasiat , ou vol'd'homme. Il n'est aucun
état policé qui ne le punisse très-sévèrement. Les enrôleurs
étrangers sont pendus sans rémission (t) , et avec justice.
On ne présume point que leur souverain leur ait com-
mandé de commettre un crime ; et quand ils en auraient
reçu l'ordre , ils ne devaient pas obéir, le souverain Ife-.
tant pas en droit de commander des choses contraires à
la loi naturelle. On ne présume point , dis-je , que ces eu-


(1) Il faut entendre ici la justice ou plutôt l'injustice du droit des gens
volontaire , car le droit des gens fondé sur la nature désavoue les meurtres
commis sans nécessité. J'en dis autant des déserteurs, dont il est question
au suivant. D.




JiO
LE DUOIT DES GENS.


agissent par ordre de leur souverain ; et on se con-
tente, pour l'ordinaire , de punir, quand on peut les at-
traper, ceux qui n'ont mis en œuvre que la séduction.
S'ils ont usé de violence , on les réclame lorsqu'ils ont
échappé , et on redemande les hommes qu'ils ont .enlevés.
Mais si l'on est assuré, qu'ils ont eu des ordres, on est
fondé à regarder cet attentat d'un souverain étranger
comme une injure , et comme un sujet très légitime de lui
déclarer la guerre, à moins qu'il ne fasse une réparation
convenable.


5 16. Tous les soldats , sujets ou étrangers , doivent
prêter serment de servir avec fidélité , et de ne point dé-
serter le service : ils y sont déjà obligés, les uns par leur
qualité de sujets, et les autres par leur engagement; mais
leur fidélité est si importante à l'état , qu'on ne saurait
prendre trop de précautions pour s'en assurer. Les désér-
teurs méritent d'être punis très-sévèrement, et le souve-
rain peut même décerner contre eux une peine capitale,
s'il le juge nécessaire. Les émissaires qui les sollicitent. à la
désertion sont beaucoup plus coupables encore que les en-
rôleurs dont nous venons 'de parler.


5 1 7 . Le bon ordre et la subordination, par- tout si
utiles, ne sont nulle part si nécessaires que dans les troupes.
Le souverain doit déterminer'exactement les fonctions, les
devoirs et les droits des sens de guerre, soldats, officiers,
chefs des corps, généraux; il doit rigle.r et fixer l'autorité
des commandants dans tous les grades, les peines attachées
aux délits, la forme des jugements, etc. Les lois et les or-
donnances qui concernent ces différents points , forment le
code militaire.


5 18: Les r&e,,lements qui tendent en particulier à main-
tenir l'ordre dans les troupes, et à les mettre en état de


Liv. III, CJIA-P. 5i
servir utilement, forment ce qu'on appelle la discipline
militaire : elle est d'une extrême importance. Les Suisses
sont la première nation moderne qui l'ait remise en vi-
gueur.-Une bonne discipline, jointe à la valeur d'un peuple
libre , produisit dès les commencements de la république
ces exploits éclatants qui étonnèrent toute l'Europe. Ma-
chiavel dit que les Suisses sont les 'maîtres de l'Europe
clans l'art de la guerre (a). De nos jours , les Prussiens
ont l'ait voir ce que l'on peut attendre d'une bonne disci •
pline et d'un exercice assidu : des soldats ramassés de tous
côtés, ont exécuté, par la force de l'habitude et par l'im-
pression du commandement, ce que l'on pourrait espérer
des sujets les plus affectionnés.


5 19. Chaque officier de guerre, depuis l'enseigne jus-
qu'au général , jouit .des droits et de l'autorité qui lui sont
attribués par le souverain ; et la volonté du souverain , à
cet égard, se manifeste par ses déclarations expresses , soit
dans les commissions qu'il délivre , soit dans les lois


oit elle se déduit, par conséquence légitime, de la na-
ture (les fonctions commises à un chacun; car tout homme
en place est présumé revêtu de tous les pouvoirs qui lui
sont nécessaires poùr bien remplir sa charge , pour s'ac-
quitter heureusement de ses fonctions.


Ainsi la commission du général en chef, quand elle est
simple et non limitée, donne au général un pouvoir absolu
sur Parmée , le droit de la faire marcher où il juge à pro-
pos , (l'entreprendre telles opérations qu'il trouve conve-
nables au service de l'état, etc. Il est vrai que .souvept on
limite son pouvoir ; mais l'exemple du maréchal de Turenne
montre assez que, quand le souverain est assuré d'avoir
fait mi


bon choix, il lui est avantageux et salutaire de
(a) Disceners sur Tite-Lima.




:Ji 2 LE 131101T DES GENS.


donner carte blanche au général. Si le duc de Marlborough
eût dépendu , dans ses opérations , de la direction du cabi




net, il n'y a pas d'apparence que toutes ses campagnes
eussent été couronnées de succès si éclatants.


Quand un gouverneur est assiégé dans sa place, toute
communication lui étant ôtée avec son souverain , il se
trouve par cela même revêtu de toute l'autorité de l'état,
en ce qui concerne la défense de la place et le salut de la
garnison. Il est nécessaire de bien remarquer ce que nous
disons ici , afin d'avoir un principe pour juger de ce que
les divers commandants, qui sont dès puissances subal-
ternes ou inférieures dans la guerre , peuvent faire avec
un pouvoir suffisant. Outre les conséquences que l'on peut
tirer de la nature même des fonctions , il faut encore con-
sulter ici la coutume et les usages reçus. Si l'on sait que
chez une nation les officiers d'un certain grade ont cons-
tamment été revêtus (le tels ou tels pouvoirs , on présume
légitimement que celui à qui on a affaire est muni des mêmes
pouvoirs.


S 2o. Tout ce qu'une puissance inférieure, un comman-
dant dans son département, promet dans les termes (le sa
commission, et suivant le pouvoir que lui donnent natu-
rellement son office et les fonctions qui lui sont commises,
tout cela, dis-je , par les raisons que nous venons d'ex-
poser, est promis au nom et en l'autorité du souverain , et
l'oblige comme s'il avait promis lui-même immédiatement.
Ainsi, un commandant capitule pour sa place et pour sa
garnison ; et le souverain ne peut invalider ce qu'il a
promis. Dans la dernière guerre, le général qui comman-
dait les Français'


Lintz , sengagea à ramener ses troupes
en- deçà du Rhin. Des gouverneurs de place ont souvent
promis que, pendant un certain temps, leur garnison ne


11/, CHAP. H. 5 13
porterait point les armes contre l'ennemi avec qui ils
capitulaient; et ces capitulations ont été fidèlement ob


, '''a


ii Mais si la puissance inférieure va plus loin , et
Sel'


es


passe le pouvoir de sa charge , sa promesse n'est plus qu'un
engagement privé , ce que l'on appelle sponsio , et dont
nous avons traité ci-dessus (liv. ch. XIV). C'était le
cas des consuls romains aux Fourches-Caudines. Ils pou-
vaient bien consentir à livrer des otages , à faire passer l'ar-
mée sous le joug, etc. ; mais ils n'étaient pas en pouvoir
de faire la paix , comme ils eurent soin d'en avertir les
Samnites.


5 22. Si une puissance inférieure s'attribue un pouvoir
qu'elle n'a pas, et trompe ainsi celui qui traite avec elle,
même un ennemi, elle est naturellement tenue du dom-
mage causé par sa fraude, et obligée à le réparer. Je dis
même un ennemi ; car la foi dans les traités doit être gar-
dée entre ennemis , comme en conviennent tous ceux qui
ont du sentiment, et comme nous le prouverons dans la
suite. Le souverain de cet officier de mauvaise foi doit le
punir et l'obliger à réparer sa faute; il le doit à la justice ,
et. à sa propre gloire.


5 25. Les puissances subalternes obligent par leurs pro-
messes ceux qui sont sous leurs ordres, à l'égard de toutes
les choses qu'elles sont en pouvoir et en possession de leur
commander ; car , à l'égard de ces choses-là , elles sont re-
vêtues de l'autorité du souverain, que leurs inférieurs sont
tenus de respecter en elles. C'est ainsi que dans une capi-
tulation le gouverneur de la place stipule et promet pour
sa garnison , et même pour les magistrats et les citoyens.


33




5 4 LE DROIT DES t;ENS.


,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,,


C1-1A.PURE III.


Des justes Causes de la guerre.


5 9.4. QUICONQUE aura une idée de la guerre, quiconque
réfléchira à ses effets terribles , aux suites funestes qu'elle
traîne après elle , conviendra aisément qu'elle ne doit poin t
être entreprise sans les plus fortes raisons. L'humanité se
révolte contre un souverain qui prodigue le sang de ses
plus fidèles sujets sans nécessité ou sans raisons pressantes ,
qui expose son peuple aux calamités de la guerre , lorsqu'il
pourrait le faire jouir d'une paix glorieuse et salutaire. Que
si à l'imprudence , au manque d'amour pour son peuple , il
joint l'injustice envers ceux qu'il attaque , de quel crime,
ou plutôt de quelle effroyable suite de crimes ne se rend-il
point coupable? Chargé de tous les maux qu'il attire à ses
sujets, il est coupable encore de tous ceux qu'il porte chez
un peuple innocent. Le sang versé , les Villes saccagées ,
les provinces ruinées , voilà ses forfaits. On ne tue pas un
homme , on ne brûle pas une chaumière dont il ne soit
responsable devant Dieu et comptable à l'humanité. Les
violences, les crimes, les désordres de toute espèce , qu'en-
traînent le tumulte et la licence des armes , souillent sa
Conscience et sont mis sur son compte , parce qu'il en est
le premier auteur. Vérités certaines, images terribles , qui
devraient inspirer aux conducteurs des nations dans leurs
entreprises guerrières une circonspection proportionnée à•
l'importance du sujet.


5 25. Si les hommes étaient toujours raisonnables, ils


LIV. III, CHAP. III. 515
ne combattraient que par les armes de la raison. La justice
et l'équité naturelle seraient leur règle, ou leur juge. Les
voies de la farce sont une triste et malheureuse ressource
contre ceux qui méprisent la justice et qui refusent d'écoué.
ter la raison. Mais enfin il faut bien venir à cc moyen ,
quand tout autre est inutile. Une nation juste et sage, un
bon prince , n'y recourt qu'à l'extrémité , comme nous l'a-
vons fait voir dans le dernier chapitre du livre II. Les rai-
sons qui peuvent l'y déterminer sont de deux sortes : les
unes font voir qu'il est en droit de faire la guerre, qu'il en
a un légitime sujet ; on les appelle raisons justificatives;
les entres sont prises de l'utilité et de la convenance ; par
elles on voit s'il convient au souverain d'entreprendre la
guerre; ce sont des motifs.


5 26. Le droit d'user de force, ou de faire la guerre,
n'appartient aux nations que pour leur défense et pour le
maintien de leurs droits (5i Or si quelqu'un attaque
une nation , ou viole ses droits parfaits, il lui fait injure.
Dès-lors, et dès-lors seulement, cette nation est en droit de
le repousser et de le mettre à la raison ; elle a le droit en-
core de prévenir l'injure , quand elle s'en voit menacée
-( liv. II, 5 5o ). Disons donc en général , que le fondement,
ou la cause de tonte guerre j uste, est l'injure , ou déj.; faite,
ou dont on se voit menacé. Les raisons justificatives de la
guerre font voir que l'on a reçu une injure, ou qu'on s'en
voit assez menacé pour être autorisé à la prévenir par les
armes. Au reste , on voit bien qu'il s'agit ici de la partie
principale qui fait la guerre , et non de ceux qui y prennent
part en qualité d'auxiliaires.


Lors donc qu'il s'agit de juger si une guerre est juste,
il faut voir si celui qui l'entreprend a véritablement reçu une
injure, ou s'il en est réellement menacé. Et pour savoir




Sil) LE DROIT DES cExs.
ce que l'on doit regarder couune une injure, il faut con-
naître les droits proprement dits , les droits parfitits d'une
nation. Il en est de bien des sortes , et en très-grand nombre;
mais on peut les rapporter tous aux chefs généraux dont
nous avons déjà traité, et dont nous traiterons encore dans
cet ouvrage. Tout ce qui donne atteinte à ces droits est une
injure, et une juste cause de la guerre.


5 2 7 . Par une conséquence immédiate de ce que nous
venons d'établir , si une nation prend les armes lorsqu'elle
n'a reçu aucune injure , et qu'elle n'en est point menacée,
clic fait une guerre injuste. Celui-là seul a droit de faire la
guerre , à qui on a fait, ou à qui on se prépare à faire in-
jure.


S 28. Nous déduirons encore du même principe le but
ou la fin légitime de toute guerre , qui est de venger ou de
prévenir l'injure (t). Venger signifie ici poursuivre la ré-
paration de l'injure , si elle est de nature à être réparée ,
ou une juste satisfaction , si le mal est irréparable ; c'est


(i) Pourquoi se servir de termes qui dans l'usage signifient tout autre
chose que ce qu'un leur fait signifier ici? Poursuivre la r6paration d'une
injure, et pourvoir notre sûreté pour l'avenir, sont des expressions claires.
Pourquoi leur substituer celles de venger et punir, dont on peut énormé-
ment abuser en les prenant dans le sens qu'y attache le vulgaire? La ven-
geance est toujours criminelle : c'est le talion, que l'auteur lui•ême ré-
prouve (iiv. .11 , Q 559); ce l'est, dis-je, à la ridicule impossibilité près dans
laquelle se perd le talion, en voulant faire soulrrir à l'offenseur précisément
le même mal que l'offensé a souffert de sa part. Quant au terme punir,
s'il ne doit pas être synonyme avec celui de venger, il faut bien le ramener
à sa vraie notion, que j'ai tâché de fixer dans mes remarques précédentes
depuis la douzième. J'y renvoie, parce que je crois en avoir assez dit. J'a-
jouterai seulement ici qu'on ne peut punir que soi•naême, son enfant, et
l'esclave de la peine. Dans les deux dcrnieis cas, le supérieur est père on
maitre : dans le premier, c'est la raison, et l'inférieur est la partie animale.
Je mets le .fieuntentimmoneries le premier, parce qu'il faut avoir appris
par soi à bien punir les autres. D.


LIV. III, CHAP. 51 7
encore , si le cas l'exige , punir l'offenseur dans la vue (le
pourvoir à notre sûreté pour l'avenir. Le droit de sûreté,
nous autorise à tont cela (liv. 1I, 55 4q, 52). Nous pou-
vons donc marquer distinctement cette triple fin de la
guerre légitime : 1" nous faire rendre ce qui nous appar-
tient , ou cc qui nous est dû ; 2° pourvoir à notre sûreté pour
là suite , en punissant l'agresseur ou l'offenseur ; 5° nous
défendre , ou nous garantir d'injure, en repolissant une
injuste violence. Les deux premiers points sont l'objet de
la guerre offensive; le troisième est celui de la guerre dé-
fensive. Camille , sur le point d'attaquer les Gaulois , ex-
posa en peu de mots à ses soldats tous les sujets qui peuvent
fonder ou justifier la guerre : Omnia qua; defendi, rcpcti-
que et ulcisci fas sit (a).


S 2 9 . La nation ou son conducteur, n'ayant pas seule-
ment à garder la justice dans toutes ses démarches, mais
encore à les régler constamment sur le bien de l'état. , il
faut que des motifs honnêtes et louables concourent avec
les raisons justificatives , pour lui faire entreprendre la
guerre. Ces raisons font voir que le souverain est en droit
de prendre les armes , qu'il en a un juste sujet ; les mo-
tifs honnêtes montrent qu'il est à propos, qu'il est conve-
nable , dans le cas dont il s'agit , d'user de son droit : ils se
rapportent à la prudence , comme les raisons justificatives
appartiennent à la justice.


S .5o. J'appelle motifs honnete,s et louables , ceux qui
sont pris du bien de l'état , du salut et du commun avan-
tage (les citoyens. Ils ne vont point sans les raisons justi-
ficatives , car il n'est jamais véritablement avanlageux de
violer la justice. Si une guerre injuste enrichit l'état pour
un temps , si elle recule ses frontières , elle le rend odieux


(e) Tit.•Liv. liv. V, cap. XLIX.




5 18 LE DROIT DES GENS.
aux autres nations , et l'expose au danger d'en être acca-
blé. Et puis, sont-ce toujours les richesses et l'étendue
des domaines qui font le bonheur des états? On pourrait
citer bien des exemples ; bornons-uous à celui des Romains.
La république romaine se perdit par ses triomphes , par
l'excès de ses conquêtes et de sa puissance. Rome, la maî-
tresse du inonde , asservie à des tyrans , opprimée sous le
gouvernement militaire , avait sujet de déplorer les succès
de ses armes, de regretter les temps heureux où sa puis-
sance ne s'étendait pas au dehors de , ceux-là même
où sa domination était presque enferme dans l'enceinte de
ses murailles.


Les motifs vicieux sont tous ceux qui ne se rapportent
point au bien de l'étai. , qui ne sont pas puisés dans cette
source pure , niais suggérés par la violence des pa ssions ;
tels sont l'orgueilleux désir de


. commander, l'ostentation de
ses forces, la soif des richesses , des conquêtes , la
haine, la vengeance.


S 51. Tout le droit de la nation , et par conséquent
celui du souverain, xient, du bien de l'état., et doit se me-
surer sur cette règle. L'obligation d'avancer et de mainte-
nir le vrai bien de la société , de l'état , donne à la na-
tion le droit de prendre les armes contre celui qui menace
ou qui attaque ce bien précieux. Mais si , lorsqu'on lui
fait injure, la nation est portée à prendre les armes, non
par la nécessité de se procurer une juste réparation , nais
par un motif vicieux , elle abuse de son droit : le vice du
motif souille des armes qui pouvaient être justes; la guerre
ne se fait point pour le sujet légitime qu'on avait de l'en-
treprendre , et ce sujet n'en est plus que le prétexte.
Quant au souverain en particulier, au conducteur de la
nation , de quel droit expose-t-il le salut de l'état , le sang


LIV. III, CHAP. III 519
et la fortune des citoyens , pour satisfaire ses passions ?
Le pouvoir suprême ne lui est confié que pour le bien de
la nation ; il n'en doit faire usage que dans celle unique,
vue, c'est le but prescrit à ses moindres démarches; et il
se portera à la plus importante , à la plus dangereuse , par
des motifs étrangers ou contraires à cette grande fin
Rien n'est plus ordinaire cependant qu'un renversement
de vues si funeste ; et il est remarquable que , par cette
raison, le judicieux Polybe appelle causes (a) de la guerre,
les motifs qui portent à l'entreprendre, et prétextes (b) les
raisons justificatives dont on s'autorise. C'est ainsi, dit-il,
que la cause de la guerre des Grecs contre les Perses fut
l'expérience qu'on avait faite de leur faiblesse , et Phi-
lippe , ou Alexandre. après lui , prit pour prétexte le désir
de venger les injures que la Grèce avait si souvent reçues ,
et de pourvoir à sa sûreté pour l'avenir.


S Toutefois , espérons mieux des nations et de leurs
conducteurs. ll est de justes causes de guerre, de vérita-
bles raisons justificatives; et pourquoi ne se trouverait-il
pas des souverains qui s'en autorisent sincèrement , quand
ils ont d'ailleurs des motifs raisonnables de prendre les ar-
mes? Nous appellerons donc prétextes, les raisons que
l'on donne pour justificatives , et qui n'en ont que l'appa-
rence, ou qui sont même absolument destituées de fonde-
ment. On peut encore appeler prétextes, des raisons vraies en
elles-mêmes et fondées , niais qui n'étant point d'une assez
grande importance pour faire entreprendre la guerre , ne
sont mises en avant que pour couvrir des vues ambitieuses,
ou quelque autre motif vicieux. Telle était la plainte du
czar Pierre I ci', de ce qu'on ne lui avait pas rendu


(a.) 'A‘Uze. Maar. lib. HI, cap. VI.
(/))1.1t0;,iwue.




52o LE p rion' DES GENS.
assez d'honneurs à son passage dans Riga. Je pe touche
point ici à ses autres raisons pour déclarer la guerre à la
Suède.


Les prétextes sont au moins un hommage que les injustes
rendent à la justice. Celui qui s'en couvre témoigne encor('
quelque pudeur. Il ne déclare pas ouvertement la guerre
à tout ce qu'il y a de sacré dans la société humaine. Il
avoue tacitement que l'injustice décidée mérite l'indigna-
tien de tous les hommes.


S 55. Celui qui entreprend une guerre sur des motifs
d'utilité seulement, sans raisons justificatives, agit sans
aucun droit, et sa guerre est injuste ; et celui qui ayant en
effet quelque juste sujet de prendre les armes, ne s'y porte
cependant que par des vues intéressées, ne peut être à la
vérité accusé d'injustice, mais il manifeste des dispositions
vicieuses; sa conduite est répréhensible et souillée par le
vice des motifs. La guerre est un fléau si terrible que la
justice seule, jointe à une espèce de nécessité, peut l'au-
toriser, la rendre louable, ou au moins la mettre à couvert
de tout reproche.


S 54. Les peuples toujours prêts à prendre les armes
dès qu'ils espèrent y. trouver quelque avantage , sont des
injustes, des ravisseurs; mais ceux qui semblent se nourrir
des fureurs de la guerre, qui la portent de tous côtés,
sans raisons ni prétextes , et même sans autre motif que
leur férocité, sont des monstres indignes du nom d'hommes:
ils doivent être regardés comme les ennemis du genre
humain, de même que, dans la société civile, les assas-
sins et les incendiaires de profession ne sont pas seulement
coupables envers les victimes particulières de leur bri-
gandage, mais encore envers l'état dont ils sont déclarés
ennemis. Toutes les nations sont en droit de se réunir


LIV. HI, III. 521
pour châtier , et même pour exterminer ces peuples
féroces . Tels étaient divers peuples germains dont parle
Tacite ; tels ces barbares qui ont détruit l'empire romain :
ils conservèrent cette férocité long-temps après leur con-
version au christianisme. Tels ont été les Turcs et d'autres
Tartares , Gengis-kan , Timur-Bec ou Tamerlan, fléaux de
Dieu comme Attila, et qui faisaient la guerre pour le plaisir
de la faire. Tels sont dans les siècles polis, et chez
les nations • les mieux civilisées, ces prétendus héros,
pour qui les combats n'ont que des charmes , qui font
la guerre par goût , et non point par amour pour la
patrie.


§ 55. La guerre défensive est juste quand elle se fait
contre un injuste agresseur. Cela n'a pas besoin de preuves.
La défense de soi- même contre une injuste violence n'est
pas seulement un droit , c'est un devoir pour une nation ,
et l'un de ses devoirs les plus sacrés. Mais si l'ennemi qui
fait une guerre offensive a la justice de son côté , on n'est
point en droit de lui opposer la force , et la défensive alors
est injuste; car cet ennemi ne fait qu'user de son droit :
il a pris les armes pour se procurer une jtetice qu'on lui
refusait ; et c'est une injustice que de résister à celui qui
use de son droit.


S 5G. La seule chose qui reste à faire en pareil cas,
c'est d'offrir à celui qui attaque une juste ati4action.
S'il ne veut pas s'en contenter, on a l'avantage d'avoir
mis le bon droit de son côté ; et l'on oppose désormais de
justes armes à ses hostilités, devenues injustes parce qu'elles
n'ont plus de fondement.


Les Samnites , poussés par l'ambition de leurs chefs ,
avaient ravagé les terres des alliés de Rome. Revenus de
leur égarement, ils offrirent la réparation du dommage et




022 LE DROIT DES GENS.


toute sorte .de satisfaction raisonnable; mais leurs soumis-
sions ne purent apaiser les Romains. Sur quoi Caius Pon-
tins , général (les Samnites, dit à son peuple : « Puisque
» les Romains veulent absolument la guerre , elle devient
»juste pour nous par nécessité; les armes sont justes et
»saintes pour ceux à qui on ne laisse d'autre ressource
» que les armes : » Justum est bellum, quitus neee,ssa-
rium, et pia arma., quitus natta niai in arrois
quitte spes (a).


5 3 7
. Pour juger de la justice d'une guerre offensive,


il faut d'abord considérer la nature du sujet qui fait prendre
les armes. On doit être bien assuré de son droit pour le
faire valoir d'une manière si terrible. S'il est donc ques-
tion d'une chose évidemment juste, comme de recouvrer
son bien, de faire valoir un droit certain et incontestable,
d'obtenir une juste satisfaction pour une injure manifeste,
et si on ne peut obtenir justice autrement que par la force
des armes , la guerre offensive est permise. Deux choses
sont donc nécessaires pour la rendre juste , un droit à
faire valoir, c'est-à-dire, que l'on soit fondé à exiger quelque
chose d'une nation; 2° que l'on ne puisse l'obtenir autre-
nient que par les armes. La nécessité seule autorise à user
de force. C'est un moyen dangereux et funeste. La nature,
mère commune des hommes , ne le permet qu'à l'extré-
mité et au défaut de tout autre. C'est faire injure à une
nation que d'employer contre elle la violence avant de
savoir si elle est disposée à rendre justice ou à la refuser.
Ceux qui , sans tenter les voies pacifiques, courent aux
armes pour le moindre sujet, montrent assez que les
raisons justificatives ne sont, dans leur bouche que des pré-
textes ils saisissent avidement l'occasion de se livrer à


(a.) Ti t.-Liv. lib. IX, irait.


LIV. 11t, CUAP. 525


leurs passions, de servir leur ambition, sous quelque cou-
leur de droit.


S 38. Dans une cause douteuse , là où il s'agit de droits
incertain s , obscurs , litigieux, tout ce que l'on peut exiger
raisemnablement , c'est que la question soit discutée (liv. II,
5 551), et s'il n'est pas possible de la mettre en évidence,
que le différend soit terminé par une transaction équitable.
Si donc l'une des parties se refuse à ces moyens d'accom-
modement, l'autre sera en droit de prendre les armes pour
la forcer sà une transaction. Et il faut bien remarquer que
la guerre ne décide pas la question; la victoire contraint
seulement le vaincu à donner les mains au traité qui ter-
mine le différend. C'est une erreur non moins absurde que
funeste , de dire que la guerre doit décider les controverses
entre ceux qui , comme les nations , ne reconnaissent point
de juge. La victoire suit d'ordinaire la force et la prudence,
plutôt. que k bon droit. Ce serait une mauvaise règle de
décision ; mais c'est un moyen efficace pour contraindre
celui qui se refuse aux voies de justice ; et il devient juste
dans les mains du prince qui l'emploie à propos et pour
un sujet légitime.


S 5 9 . La guerre ne peut être juste des deux côtés. L'un
s'attribue un droit , l'autre le lui conteste; l'un se plaint
d'une injure , l'autre nie (le l'avoir faite. Ce sont deux
personnes qui disputent sur la vérité d'une proposition : il
est impossible que les deux sentiments contraires soient
vrais en même temps.


5 4o. Cependant il peut arriver que les contendants soient
l'un et, l'autre dans la bonne foi ; et dans une cause dou-
teuse , il est encore incertain de quel côté se trouve le droit.
Puis donc que les nations sont égales et indépendantes


II, 5 36 , et Prélim. 55 18, 19), et ne peuvent s'é-




V


524 LE DROIT DES GENS.
Figer en juges les unes des autres, il s'ensuit que, dans toute
cause susceptible de doute, les armes des deux parties qui
se font la guerre doivent passer également pour légitimes,
au moins quant aux effets extérieurs , et jusqu'à ce que la
cause soit décidée. Cela n'empêche point que les autres
nations n'en puissent porter leur jugement pour elles-mê-
mes, pour savoir ce qu'elles ont à faire, et assister celle
qui leur paraîtra fondée. Cet effet de l'indépendance des
nations n'empêche point non plus que l'auteur d'une guerre
injuste ne soit très -coupable. Mais s'il agit par les suites
d'une ignorance ou d'une erreur invincible, l'injustice de
ses armes ne peut lui être imputée.


S 41 (t). Quand la guerre offensive a pour objet de
punir une nation , elle doit être fondée , comme toute autre
guerre, sur le droit et la nécessité. i° Sur le droit : il faut
que l'on ait véritablement reçu une injure. L'injure seule
étant une juste cause de la guerre ( 5 26), on est en droit
d'en poursuivre la réparation; ou si elle est irréparable de
sa nature, ce qui est le cas de punir, on est autorisé à pour-
voir à sa propre sûreté, et même à celle (le tontes les na-
tions , en infligeant à l'offenseur une peine capable de le
corriger, et de servir d'exemple. 2° La nécessité doit justi-
fier une pareille guerre , c'est-à-dire , que pour être légitime,
il faut qu'elle se trouve l'unique moyen d'obtenir une juste
satisfaction, laquelle emporte une sûreté raisonnable pour
l'avenir. Si cette satisfaction complète est offerte, ou si on
peut l'obtenir sans guerre, l'injure est effacée , et le droit
de sûreté n'autorise plus à en poursuivre la vengeance.
(Voyez liv. Il, SS 49, 92.)


La nation coupable doit se soumettre à une peine qu'elle
(1) Tout ce que con tieutce paragraphe est ou confus, ou faux. Je ne ferais


que me répéter un relevant tout cela. Voyez mes remarques 12 et suiv. V.


LIV. CHAP. lit. 525


et la souffrir en forme de satisfaction ; mais elle
an,n


é'
eisitoméritée


de se livrer à la discrétion d'un ennemi
irrité. Lors donc qu'elle se voit attaquée , elle doit offrir sa-
tisfaction , demander ce qu'on exige d'elle en forme de


peine , et si on ne veut pas s'expliquer, ou si on prétend
lui imposer une peine trop dure, elle est en droit de ré-
sister; sa défense devient légitime.


Au reste, il est manifeste que l'offensé seul a droit de
punir des personnes indépendantes. Nous ne répéterons
point ici ce que nous avons dit ailleurs (liv. II, 5 7) de
l'erreur dangereuse , ou de l'extravagant prétexte de ceux
qui s'arrogent le droit de châtier une nation indépendante
pour des fautes qui ne les intéressent point , qui , s'érigeant
follement en défenseurs de la cause (le Dieu , se chargent
de punir la dépravation des mœurs, ou l'irréligion d'un
peuple qui n'est pas commis à leurs soins.


S 42. Il se présente ici une question célèbre et de la
plus grande importance. On demande si l'accroissement
d'une puissance voisine par laquelle on craint d'être un jour
opprimé est une raison suffisante de lui faire la guerre? si
l'on 'peut avec justice prendre les armes pour s'opposer à
son agrandissement, ou pour l'affaiblir, dans la seule vue
de se garantir des dangers dont une puissance démesurée
menace presque toujours les faibles? La question n'est pas
un problème pour la plupart des politiques : elle est plus
embarrassante pour ceux qui veulent allier constamment
la justice à la prudence.


D'un côté , l'état qui accroît sa. puissance par tous les
ressorts d'un bon gouvernement, ne fait rien que de loua-
ble; il. remplit ses devoirs envers soi-même , et ne blesse
point ceux qui le lient envers autrui. Le souverain qui ,
par héritage , par une élection libre , ou par quelque autre




526 LE 'DROIT DES GEN.
voie juste et honnête, unit à ses états de nouvelles pro
vinces , des royaumes entiers , use de ses droits , et ne fait
tort à personne. Comment serait-il donc permis d'attaquer
une puissance qui s'agrandit par des moyens légitimes P
faut avoir reçu une injure, ou en être visiblement menacé,
pour être autorisé à prendre les armes, pour avoir un juste
sujet de guerre (55 26 et 27). D'un autre côté, une funeste
et constante expérience ne montre que trop que les puis-
sances prédominantes ne manquent. guère de molester leurs
voisins , de les opprimer, de les subjuguer même entière-
ment, dès qu'elles en trouvent l'occasion et qu'elles peu-
vent le faire impunément. L'Europe se vit sur le point de
tomber dans les fers, pour ne s'être pas opposée de bonne
heure à la fortune de Charles-Quint. Faudra-t-il attendre
le danger, laisser grossir l'orage qu'on pourrait dissiper
dans ses commencements, souffrir l'agrandissement d'un
voisin , et attendre paisiblement qu'il se dispose à nous
donner des fers? Sera-t-ii temps de se défendre quand on
n'en aura plus les moyens ? La prudence est nn devoir pour
tous les hommes, et très-particulièrement pour les conduc-
teurs des nations , chargés de veiller au salut de loto un
peuple. Essayons de résoudre cette grande question , con-
formément aux principes sacrés du droit de la nature et des
gens. On verra qu'ils ne mènent point à d'imbéciles Sent-
pules, et qu'il est toujours vrai de dire que la justice est
inséparable de la saine politique.


5 45. Et d'abord, observons-que la prudence , qui est
salis doute une vertu bien nécessaire aux-souverains, ne
peut jamais conseiller l'usage des moyens illégitimes, pour
une fin juste et louable. Qu'on n'oppose point ici le salut
du peuple , loi suprême de l'état ; car le salut même du
peuple , le salut commun des nations , proscrit l'usage des


LIV. III, CHAI'. nt. 527
moyens contraires à la justice et à l'honnêteté. Pourquoi
certains moyens sont-ils illégitimes ? Si l'on y regarde de
près , si l'on remonte jusqu'aux premiers principes , on
verra que c'est précisément parce que leur introduction
serait pernicieuse à la société humaine , funeste à toutes
les nations. Voyez en particulier ce que nous avons dit en
traitant de l'observation de la justice ( liv. H, chap. V).
C'est donc pour l'intérêt et le salut même des nations , que
l'on doit tenir comme une maxime sacrée , que la fin ne
légitime pas les moyens. Et puisque la guerre n'est per-
mise que pour venger (1) une injure reçue , ou pour se
garantir de celle dont on est menacé ( 5 , c'est une
lei sacrée du droit des gens , que l'accroissement de puis-
sance ne peut seul, et par lui-même, donner à qui que ce
soit le droit de prendre les armes pour s'y opposer.


5 44. On n'a point reçu d'injure de cette puissance;
la question le suppose: Il faudrait donc être fondé à s'en
croire menacé , pour courir légitimement aux armes. Or
la puissance seule ne menace pas d'injure , il faut que
la volonté y soit jointe. Il est malheureux pour le genre
humain , qüe l'on puisse presque toujours supposer la vo-
lonté d'opprimer là où se trouve le pouvoir d'opprimer
impunément. Mais ces deux choses ne sont pas nécessai-
rement inséparables ; et tout le droit que donne leur union
ordinaire , ou fréquente , c'est de prendre les premières
apparences pour un indice suffisant. Dès qu'un état a
donné des marques d'injustice, d'avidité , d'orgueil , d'am-


(i) Il faut se souvenir que Danger, chez notre auteur ( 28 de ce livre ),
signifie poursuivre la réparation ou la satisfaction d'une injure : que, selon
lui, cet te dernière doit avoir lieu quand la réparation est impossible, et
qu'elle consiste en une peine à laquelle une nation indpendante peut être
condamnée et doit se soumettre; le tout pour corriger l'agresseur, et le
faire servir d'exemple (S 41). Tout cela est bien gratuit. D.




528 LE DROIT DES GENS.


bidon , d'un désir impérieux de faire la loi , c'est un voisin
suspect dont on doit se garder : on peut le prendre au
moment où il est sur le point de recevoir un accroissement
formidable de puissance , lui demander des sûretés , et s'il
hésite à les donner, prévenir ses desseins par la force des
armes. Les intérêts des nations sont d'une toute autre im-
portance que ceux des particuliers ; le souverain ne peut
y veiller mollement , ou sacrifier ses défiances par gran-
deur d'âme et par générosité. Il y va de tout pour une
nation qui a un voisin également puissant et ambitieux.
Puisque les hommes sent réduits à se gouverner le plus
souvent sur les probabilités , ces probabilités méritent leur
attention à proportion de l'importance du sujet ; et pour
me servir d'une expression de géométrie , on est fondé à
aller au-devant d'un danger, en raison composée du degré
d'apparence et de la grandeur du mal dont on est menacé.
S'il est question d'un mal supportable, d'une perte légère,
il ne faut rien précipiter, il n'y a pas un grand péril à
attendre , pour.s'en garder, la certitude qu'on en est me-
nacé. Mais s'agit-il du salut de l'état, la prévoyance ne
peut s'étendre trop loin. Attendra-t-on , pour détourner
sa ruine, qu'elle soit devenue inévitable 2 Si l'on en croit
si aisément les apparences , c'est la faute de ce voisin , qui
a laissé échapper divers indices de son ambition. Que
Charles Il, roi d'Espagne, au lieu d'appeler à sa suc-
cession le duc d'Anjou , eût nommé pour son héritier
Louis XIV lui-même , souffrir tranquillement. l'union de
la monarchie d'Espagne à celle de France, c'eût été, sui-
vant toutes les règles de la prévoyance humaine, livrer
l'Europe entière à la servitude, ou la mettre au moins
dans l'état le plus critique. Mais quoi ? Si deux nations in-
dépendantes jugent à propos de s'unir pour ne former dé-


LIV. III, (M'A.P. 1114 55
sormaiS qu'un même empire , ne sont-elles pas en droit
de le faire' Qui sera fondé à s'y opposer ? Je réponds
qu'elles sont en droit de s'unir, pourvu que ce ne soit •
point dans des vues préjudiciables aux autres. Or si cha-;
cune des deux nations est en état de se gouverner et de
se soutenir par elle-même , de se garantir d'insulte et d'op-
pression , on présume avec raison qu'elles ne s'unissent
en un même état que dans la vue de dominer sur leurs
voisins. Et dans les occasions où il est impossible ou trop
dangereux d'attendre une entière certitude , on peut jus-
tement agir sur une présomption raisonnable. Si un in .
connu me couche en joue au milieu d'un bois , je ne suis
pas encore. certain qu'il veuille me tuer ; lui laisserai-je le
temps de tirer, pour m'assurer de sou dessein ? Est-il un
casuiste raisonnable qui me refuse le droit de le prévenir?
Mais la présomption devient presque équivalente à une cer-
titude , si le prince , qui va s'élever à une puissance
énorme, a déjà donné des preuves de hauteur et d'une
ambition sans bornes. Dans la suppositieit que nous ve-
nons de faire , qui eût osé conseiller aux puissances de
l'Europe de laisser prendre à Louis XIV un accroissement
de forces si redoutable ? Trop certaines de l'usage qu'il
en aurait fait , elles s'y seraient opposées de concert; et
leur sûreté les y autorisait. Dire qu'elles devaient lui laisser
le temps d'affermir sa domination sur l'Espagne , de con-
solider l'union des deux monarchies , et , dans la crainte
de lui faire injure , attendre tranquillement qu'il les ac-
cablât, ne serait-ce pas interdire aux hommes le droit de
se gouverner suivant les règles de la prudence, de suivre
la probabilité, et leur ôter la liberté de pourvoir à leur
salut, tant qu'ils n'auront pas une démonstration ma-
thématique qu'il est en danger ? On prêcherait vainement




53e unour DES GENS.
une pareille doctrine. Les principaux souverains de l'Eu-
rope , que le ministère de Louvois avait accoutumés à
redouter les forces et les vues (le Louis XIV, portèrent
la défiance jusqu'à ne pas vouloir souffrir qu'un prince de
la maison de France s'assit sur le trône d'Espagne , quoi-
qu'il y tût appelé par la nation , qui approuvait le testa-
ment de son dernier roi. Il y monta malgré les efforts de
ceux qui craignaient tant son élévation , et les suites ont
fait voir que leur politique était trop ombrageuse.


S 45. 11 est plus aisé encore de prouver que , si cette
puissance formidable laisse percer des dispositions injustes
et ambitieuses, par la moindre injustice qu'elle fera à une
autre , toutes les nations peuvent profiter de l'occasion , et
en se joignant à l'offensé réunir leurs forces pour réduire
l'ambitieux et pour le mettre hors d'état d'opprimer si fa-
cilement ses voisins , ou de les faire trembler continuelle-
ment devant lui ; car l'injure donne le droit de pourvoir
à sa sûreté pour l'avenir, en ôtant à l'injuste les moyens
de nuire ; et il est permis , il est même louable , d'assister
ceux qui sont opprimés , ou injustement attaqués. Voilà de
quoi mettre les politiques à l'aise , et leur ôter tout sujet
de eraindi'e que se piquer ici d'une exacte justice , ce ne
fût courir à l'esclavage. Il est peut-être sans exemple,
qu'un état reçoive quelque notable accroissement de puis-
sance sans donner à d'autres de justes sujets de plainte.
Que ton tesles nations soient attentives à le réprimer, et elles


•n'auront rien à craindre de sa part. L'empereur Charles-
Quint saisit le prétexte de la religion pour opprimer les
princes de l'Empire et les soumettre à son autorité absolue.
Si, profitant de sa victoire sur l'électeur de Saxe , il fût
venu à bout de ce grand dessein , la liberté de l'Europe
était en danger. C'était donc avec raison que la France as-


LIV. III, CIIA.P. 111. 551
sistait les protestants d'Allemagne; et elle y était appelée
par le soin de son propre salut. Lorsque le même prince
s'empara du duché de Milan , les souverains de l'Europe
devaient aider la France à le lui disputer, et profiter de
l'occasion pour réduire sa puissance à de justes bornes.
S'ils se fussent habilement prévalus des justes sujets qu'il
ne tarda pas à leur donner de se liguer contre lui , ils n'au-
raient pas tremblé dans la suite pour leur liberté.


5 46. Mais supposé que cet état puissant, par une con-
duite également juste et circonspecte, ne donne aucune
prise sur lui , verra-t-on ses progrès d'un oeil indifférent ;
et, tranquille spectateur des rapides accroissements de ses
forces , se livrera-t-on imprudemment aux desseins qu'elles
pourront lui inspirer ? Non sans doute. L'imprudente non-
chalance ne serait pas pardonnable dans une matière de si
grande importance. L'exemple des Romains est une bonne
leçon à tous les souverains. Si les puissants de ces temps-


,


là se fussent concertés pour veiller sur les entreprises de
Rome, pour mettre des bornes à ses progrès , ils ne seraien t
pas tombés successivement dans la servitude..Mais la force
des armes n'est pas le seul moyen de se mettre en garde
contre une puissance formidable. Il en est de plus doux et
qui sont toujours légitimes. Le plus efficace est la confédé-
ration des autres souverains moins puissants, lesquels , par
la réunion de leurs forces, se mettent en état de balancer
la puissance qui leur fait ombrage. Qu'ils soient fidèles et
fermes dans leur alliance , leur union fera la sûreté d'un
chacun.


Il leur est permis encore de se favoriser mutuellement,
à l'exclusion de celui qu'ils redoutent ; et par les avantages
de toute espèce , mais sur-tout dans le commerce ,
feront réciproquement aux sujets des alliés, et qu'ils refu-


31..




552 LI; DROIT DES GENS,
seront à ceux (le cette dangereuse puissance , ils augmen-
teront leurs forces en diminuant les siennes , sans qu'elle
ait. sujet de se plaindre , puisque chacun dispose librement
de ses laveurs.


S 4 7 . L'Europe fait un système politique, un corps où
tout est lié par les relations et les divers intérêts des nations
qui habitent cette partie du monde. Ce n'est plus , comme
autrefois , un amas confus de pièces isolées, dont chacune
se croyait peu intéressée au sort des autres , et se mettait
rarement en peine de ce qui ne la touchait pas immédiate-
ment. L'attention continuelle des souverains à tout ce qui
se passe, les ministres toujours résidents , les négociations
perpétuelles , font de l'Europe moderne une espèce de ré-
publique dont les membres , indépendants , mais liés par
l'intérêt commun , se réunissent pour y maintenir l'ordre et
la liberté. C'est ce qui a donné naissance à cette fameuse
idée de la balance politique, ou de l'équilibre du pouvoir.
On entend par-là une disposition des choses , au moyen de
laquelle aucune puissance ne se trouve en état de prédomi-
ner absolument et de faire la loi aux autres.


5 48. Le plus sûr moyen de conserver cet équilibre se-
rait de faire qu'aucune puissance ne surpassât de beaucoup
les autres ; que toutes, ou au moins la meilleure partie ,
fussent à-peu-près égales en forces. On a attribué cette vue
à Henri IV ; mais elle n'eût pu se réaliser sans injustice et
sans violence. Et puis , cette égalité une fois établie, com-
ment la maintenir toujours par des moyens légitimes P Le
commerce, l'industrie, les vertus militaires la feront bien=
tôt disparaître. Le droit d'héritage, même en faveur des
femmes et de leurs descendants , établi avec tant d'absur-
dité pour les. souverainetés , mais établi enfin , bouleversera
votre système.


LIV. III, C.11111'. III. 555
Il est plus simple, plus aisé et plus juste , de recourir au


moyen dont nous venons de parler , de former des confé-
dérations pour faire tête au plus puissant, et l'empêcher
de donner la loi. C'est ce que font aujourd'hui les souve-
rains de l'Europe. Ils considèrent les d'eux principales puis-
sances , qui , par-là même , sont naturellement rivales,
comme destinées à se contenir réciproquement ; et ils se
joignent à la plus faible ; comme autant de poids que l'on
jette dans le bassin le moins chargé , pour le tenir en équi-
libre avec l'autre. La maison (l'Autriche a long-temps été la
puissance prévalante; c'est aujourd'hui le tour de la France.
L'Angleterre , dont les richesses et les flottes respectables
ont une très-grande influence , sans alarmer aucun état
pour sa liberté, parce que cette puissance paraît guérie
de l'esprit de conquête , l'Angleterre , dis-je , a la gloire de
tenir en ses mains la balance politique. Elle est attentive à
la conserver en équilibre. Politique très-sage et très-juste
en elle-même , et qui sera à jamais louable, tant qu'elle ne
s'aidera que d'alliances, de confédérations, ou d'autres
moyens également légitimes.


5 49. Les confédérations seraient un moyen sûr de con-
server l'équilibre , et de maintenir ainsi la liberté des na-
tions , si tous les souverains étaient constamment éclairés sur
leurs véritables intérêts , et s'ils mesuraient toutes leurs dé-
marches sur le bien de l'état. Mais les grandes puissances
ne réussissent que trop à se faire des partisans et des alliés
aveuglément livrés à leurs vues. Éblouis par l'éclat d'un
avantage présent, séduits par leur avarice, trompés par des
ministres infidèles, combien de princes se font les instru-
ments d'une puissance qui les engloutira quelque jour , eux
ou leurs successeurs P Le plus sûr est donc d'affaiblir celui
qui rompt l'équilibre , aussitôt qu'on en trouve


.
l'occasioe




554 LE DROIT DES GENS.


favorable , et qu'on peut le faire avec justice ( S 45) , ou
d'empêcher.par toute sorte de moyens honnêtes , qu'il ne
s'élève à un degré de puissance trop formidable. Pour cet
effet, toutes les nations doivent être sur-tout attentives à ne
point souffrir qu'il S'agrandisse par la voie des armes , et
elles peuvent toujours, le faire avec justice; car si ce prince
fait une guerre injuste, chacun est en droit de secourir
l'opprimé. Que s'il fait une guerre juste , les nations neutres
peuvent s'entremettre de l'accommodement, engager le
faible à offrir une juste satisfaction , des conditions raison-
nables , et ne point permettre qu'il soit subjugué. Dès que
l'on offre des conditions équitables à celui qui fait la guerre
la plus juste, il a tout ce qu'il peut prétendre. La justice
de sa cause , comme nous le verrons plus bas , ne lui donne
jamais le droit de subjuguer son ennemi , si ce n'est quand
cette extrémité devient nécessaire à sa sûreté, ou quand il
n'a pas d'autre moyen de s'indemniser du tort qui lui a été
fait. Or ce n'est point ici le cas, les nations intervenantes
pouvant lui faire trouver d'une autre manière et sa sûreté
et un juste dédommagement.


Enfin il n'est pas douteux que, si cette puissance formi-
dable médite certainement des desseins d'oppression et de
conquête , si elle trahit ses vues par ses préparatifs , ou par
d'autres démarches , les autres sont en droit de la prévenir ,
et, si le sort des armes leur est favorable , de profiter d'Une
heureuse occasion pour affaiblir et réduire une puissance
trop contraire à l'équilibre et redoutable à la liberté com-
mune.


Ce droit des nations est plus évident encore contre un
souverain qui, toujours prêt à courir aux armes sans rai-
sons et sans prétextes plausibles , trouble continuellement
la tranquillité publique.


LIV. CHAP. III. 555
5o. Ceci nous conduit. à une question particulière qui


a beaucoup de rapport à la précédente. Quand un voisin ,
au milieu d'une paix profonde , construit des forteresses
sur notre frontière, équipe une flotte , augmente ses troupes ,
assemble une armée puissante , remplit ses magasins , en un
mot, quand il fait des préparatifs de guerre , nous est-il
permis de l'attaquer pour prévenir le danger dont nous
nous croyons menacés? . La réponse dépend beaucoup des
mœurs , du caractère de ce voisin. Il faut le luire expliquer ,
lui demander la raison de ces préparatifs. C'est ainsi qu'on
en use en Europe. Et si la foi est justement suspecte , on
peut lui demander des ,sûretés. Le refus serait un indice
suffisant, de mauvais desseins , et une juste raison <le les
prévenir. Mais si ce souverain n'a jamais donné des marques
d'une lâche perfidie, et sur-tout si nous n'avons actuelle-
ment aucun démêlé avec lui, pourquoi ne demeurerions-
nous pas tranquilles sur sa parole , en prenant seulement
les précautions que la prudence rend indispensables ? Nous
ne devons point, sans sujet, le présumer capable de se
couvrir d'infamie en ajoutant la perfidie à la violence. Tant
qu'il n'a pas rendu sa foi suspecte , nous ne sommes point
en droit d'exiger de lui d'autre sûreté.


Cependant il est vrai que si un souverain demeure puis-
samment armé en pleine paix, ses voisins ne peuvent s'en-
dormir entièrement sur sa parole; la prudence les oblige à
se tenir sur leurs gardes. Et quand ils seraient absolument
certains de la bonne foi de ce prince, il peut survenir des
différends qu'on ne prévoit pas ; lui laisseront-ils l'avantage
d'avoir alors des troupes nombreuses et bien disciplinées ,
auxquelles ils n'auront . à opposer que (le nouvelles levées ?
Non sans doute ; ce serait se livrer presque à sa discrétion.
Les voilà donc contraints de


, d'entretenir comme




558 LE nrtoir DES GEris.
lui une grande armée. Et quelle charge pour un état ! Au,
trefois , et sans remonter plus haut que le siècle dernier,
on ne manquait gère de stipuler dans les traités de paix
que l'on désarmerait de part et d'autre , qu'on licencierait
les troupes. Si en pleine. paix un prince, voulait enentrete-
nir un grand nombre sur pied , ses voisins prenaient leurs
mesures , formaient des ligues contre lui , et l'obligeaient
à désarmer. Pourquoi cette coutume salutaire ne s'est-elle
pas conservée ? Ces armées nombreuses entretenues en
tout temps, privent la terre do ses cultivateurs , arrêtent
la population , et ne peuvent servir qu'à opprimer la liberté
du peuple (lui les nourrit. Heureuse l'Angleterre ! sa situa,
tion la dispense d'entretenir à grands frais les instruments
du despotisme. Heureux les Suisses , si continuant à exer-
cer soigneusement leurs milices , ils se maintiennent en état
de repousser les ennemis du dehors , sans nourrir dans roi-
siveté des soldats qui pourraient un jour opprimer la liberté
(lu peuple , et menacer même l'autorité légitime du souve-
rain ! Les légions romaines en fournissent.un grand exemple.
Cette heureuse méthode d'une république libre , l'usage de
former tous les citoyens au métier de la guerre, rend l'état
respectable au dehors, sans le charger d'un vice intérieur.
Elle eût été par-tout imitée , si par-tout on se fût proposé
pour unique vue le bien public. En voilà assez sur les prin-
cipes généraux par lesquels on peut juger de la justice
d'une guerre. Ceux qui posséderont bien les principes, et
qui auront de justes idées des divers droits des nations , ap-
pliqueront aisément ces règles aux cas particuliers,


LIV. ITT, CITAI). IV. 557


et,


CHAPITRE IV.


De la .Déclaration de gUerre, et de la Guerre en forme.


s 51. LE droit de faire la guerre n'appartient aux nations-
que comme un remède contre l'injustice: c'est le fruit d'une
malheureuse nécessité. Ce remède est si terrible dans ses
effets , si funeste à l'humanité , si fâcheux même à celui
qui l'emploie , que la loi naturelle ne le permet sans doute
qu'à la dernière extrémité , c'est-à-dire , lorsque tout autre
est inefficace pour le soutien de la justice. Il est démontré
dans le chaPitre précédent , que pour être autorisé à
prendre les armes , il faut , que nous ayons un juste
sujet de plainte ; 2° que l'on nous ait. refusé une satis-
faction raisônnable ; 5° enfin nous avons observé que le
conducteur de la nation doit mûrement considérer s'il est
du bien de l'état de poursuivre son droit par la force des
armes. Ce n'est point assez. Comme il est possible que la
crainte présente de nos armes fasse impression sur l'esprit
(le notre adversaire , et l'oblige à nous rendre justice , nous
devons encore ce ménagement à l'humanité , et sur-tout au
sang et au repos des sujets , de déclarer à cette nation in-
juste , ou à son conducteur, que nous allons enfin recourir
au dernier remède , et employer la force ouverte pour le
mettre à la raison. C'est ce qu'on appelle déclarer la guerre.
Tout cela est compris dans la manière de procéder des Ro-
mains, réglée dans leur droit ecial. Ils envoyaient pre-
mièrement le chef des féciau x , ou héraut d'armes, ap-
pelé pater-pcetrattes , demander satisfaction au peuple qui




53b LE DROIT DES GENS.


les avait offensés ; et si , dans l'espace de trente-trois jours ,
ce peuple ne faisait pas une réponse satisfaisante, le héraut
prenait lés dieux à témoins de l'injustice, et s'en retournait
en disant que les Romains verraient ce qu'ils auraient à
faire. Le roi, et clans la suite le consul , demandait l'avis
du sénat, et la guerre résolue , on renvoyait le héraut la
déclarer sur la frontière (a). On est étonné de trouver chez
les Romains une conduite si juste , si modérée et si sage ,
dans un temps où il semble qu'on ne devait attendre d'eux
que de la valeur et de la férocité. Un peuple qui traitait la
guerre si religieusement , jetait des fondements bien solides
de sa future grandeur.


5 52. La déclaration de guerre étant nécessaire pour
tenter encore de terminer le différend sans -effusion de sang,
en employant la crainte pour faire revêtir à l'ennemi des
sentiments plus justes, en même temps qu'elle dénonce la
résolution que l'on a prise de faire la guerre , elle doit exposer
le sujet pour lequel on prend les armes. C'est ce qui se pra-
tique constamment aujourd'hui entre les puissances de
l'Europe.


S 53. Lorsqu'on a demandé inutilement justice , on
peut en venir à la déclaration de guerre, qui est alors
pure et simple. Mais si on le juge à propos, pour n'en pas
faire à deux fois, on peut joindre à la demande du droit,
que les Romains appelaient rerum repetitio , une déclara-.
tion de guerre conditionnelle, en déclarant que l'on va
commencer la guerre , si l'on n'obtient pas incessamment
satisfaction sur tel sujet. Et alors, il n'est pas nécessaire
de déclarer encore la guerre purement et simplement; la
déclaration conditionnelle suffit, si l'ennemi ne donne pas
satisfaction sans délai.


(«j
• Tit.-Liv. lib. 1, cap. XXXII.


LIV. III, CHAP. 559


S 54. Si l'ennemi, sur l'une ou l'autre déclaration de
guerre , offre des conditions de paix équitables, on. doit
s'abstenir de la guerre; car aussitôt que l'ou vous rend jus-
tice , vous perdez tout droit d'employer la force ; l'usage
ne vous en étant permis que pour le soutien nécessaire de
vos droits. Bien entendu que les offres doivent être accom-
pagnées de sûreté ; car on n'est point obligé de se laisser
amuser par de vaines propositions. La foi d'un souverain
est une sureté suffisante, tant qu'il ne s'est pas fait con-
naître pour un perfide; et on doit s'en contenter. Pour ce
qui est des conditions en elles-mêmes, outre le sujet prin-
cipal , on est encore fondé à demander le remboursement
des dépenses que l'on a faites en préparatifs.


5 55. .II faut que la déclaration de guerre soit connue
de celui à qui elle s'adresse. C'est tout ce qu'exige k droit
des gens naturel. Cependant , si la coutume y a introduit
quelques formalités , les nations , qui , en adoptant la cou-
tume, ont donné à ces formalités un consentement tacite ,
sont obligées de les observer, tant qu'elles n'y ont pas re-
noncé publiquement (Prélim. S 26). Autrefois les puis-
sances de l'Europe envoyaient des hérauts , ou des ambas-
sadeurs , pour déclarer la guerre : aujourd'hui on se con-
tente de la faire publier clans la capitale, dans les princi-
pales villes, ou sur la frontière; on répand des manifestes ,
et la communication devenue si prompte et si facile depuis
l'établissement des postes, en porte bientôt la nouvelle de
tous côtés.


5 56. Outre les raisons que nous avons alléguées, il est
nécessaire de publier la déclaration de guerre pour l'ins-
truction et la direction de ses propres sujets , pour fixer
l'époque des droits qui leur appartiennent dès le moment
de cette déclaration, et relativement à certains effets que le




540 LE DROIT DES GENS.


droit (les gens volontaire attribue à la guerre en forme,
Sans cette déclaration publique de la guerre, il serait trop
difficile de convenir, dans le traité de paix, des actes qui
doivent passer pour des effets de la guerre, et de ceux
que chaque nation peut mettre en griefs, pour en deman-
der la réparation. Pans le dernier traité d'Aix-la-Chapelle,
entre la France et l'Espagne d'un côté, et l'Angleterre de
l'autre , on convint que toutes les prises faites de part
et d'autre, avant la déclaration de guerre, seraient res-
tituées.


5 5 7
. Celui qui est attaqué, et qui ne fait qu'une guerre


défensive, n'a pas besoin de déclarer la guerre; la déclara-
tion de l'ennemi, ou ses hostilités ouvertes étant suffisantes
pour constater l'état de guerre. Cependant le souverain
attaqué ne manque guère aujourd'hui de déclarer aussi
la guerre, soit par dignité, soit pour la direction de ses
sujets.


5 58. Si la nation à qui on a résolu de faire la guerre ne
veut admettre ni ministre ni héraut pour la lui déclarer,
on peut, quelle que soit d'ailleurs la coutume, sc contenter
de la publier dans ses propres états, ou sur la frontière; et
si la déclaration ne parvient pas à' sa connaissance avant le
commencement des hostilités, cette nation ne peut en ac-
cuser qu'elle-même. Les Turcs mettent en prison et mal-
traitent les ambassadeurs même des puissances avec les-
quelles ils ont résolu de rompre ; il serait périlleux à Un
héraut d'aller chez eux leur déclarer la guerre. On est
-dispensé de le leur envoyer, par leur propre férocité.


5 5 9
. Mais personne n'étant dispensé de son devoir, par


cela seul qu'un autre n'a pas rempli le sien , nous ne.
pouvons nous dispenser de déclarer la guerre à une nation
avant de commencer les hostilités, par la raison que, dans


LIV. CHAP. IV. 541


une autre occasion , elle nous a attaqués sans déclaration
de guerre. Cette nation a péché alors contre la loi naturelle
( S ), et sa faute ne nous autorise pas à en commettre
une pareille.


5 Go. Le droit des gens n'impose point l'obligation de
déclarer la guerre pour laisser à l'ennemi le temps de se
préparer à une injuste défensive. Il est donc permis de faire
sa déclaration seulement lorsque l'on est arrivé sur la
frontière avec une armée, et même après que l'on est entré
dans les terres de l'ennemi et que l'on y. a occupé un
poste avantageux , toutefois avant de commettre aucune
hostilité; car de cette manière on pourvoit à sa propre
sûreté, et on atteint également le but de la déclaration de
guerre, qui est de donner encore à un injuste adversaire
le moyen de rentrer sérieusement en lui-même, et d'éviter
les horreurs de la guerre en faisant justice (a) . Le géné.
reux Henri IV en usa (le cette manière envers Charles-
-Emmanuel, duc de Savoie, qui avait lassé sa patience par
des négociations vaines et frauduleuses.


5 61. Si celui qui entre ainsi dans le pays avec une ar-
mée , gardant une exacte discipline , déclare aux habitants
qu'il ne vient point en ennemi , qu'il ne commettra aucune
violence , et qu'il fera connaître au souverain la cause de
sa venue,- les habitants ne doivent point l'attaquer, et s'ils
osent l'entreprendre , il est en droit de les châtier. Bien
entendu qu'on ne lui permettra point l'entrée dans les
places fortes, et qu'il ne peut la demander. Les sujets ne
doivent pas commencer les hostilités sans ordre du souve-
rain; mais s'ils sont braves et fidèles, ils occuperont en
attendant les postes avantageux, et se défendront en cas
que l'on entreprenne de les y forcer.


(a) Voyez le4
de Sully-.




542
DEOIT DES GELS.


5 69.. Après que ce souverain , ainsi venu dans le pays,
a déclaré la guerre, si on ne lui offre pas sans délai des
conditions équitables, il peut commencer ses opérations ;
car, encore un coup, rien ne l'oblige à se laisser amuser.
Mais dans tout ce que nous venons de dire, il ne faut jamais
perdre de vue les principes établis ci-dessus ( 55 2 G et 51)
touchant les seules causes légitimes de la guerre. Se porter
avec une armée dans un pays voisin , de la part duquel
on n'est point menacé , et sans avoir tenté d'obtenir par la
raison et la justice une réparation équitable des griefs que
l'ou prétend avoir, cc serait introduire une méthode fu-
neste à l'humanité et renverser les fondements de la sûreté,
de la tranquillité des nations. Si cette manière de procéder
n'est pas proscrite par l'indignation publique et le concert
des peuples civilisés , il faudra demeurer armés et se tenir
sur ses gardes aussi-bien en pleine paix que dans une guerre
déclarée.


5 65. Le souverain qui déclare la guerre ne peut: retenir
les sujets de l'ennemi qui se trouvent dans ses états au
moment de la déclaration , non plus que leurs effets. Ils
sont venus chez lui sur la foi publique : en leur permettant
d'entrer dans ses terres et d'y séjourner, il leur a promis
tacitement toute liberté et toute sûreté pour le retour.
doit donc leur marqiier un temps convenable pour se re-
tirer avec leurs effets, et s'ils restent au- delà du terme
prescrit , il est en droit de les traiter en ennemis, toutefois
en ennemis désarmés ; mais s'ils sont retenus par un cm,
pêchement insurmontable, par une maladie , il faut néces-
sairement, et par les mêmes raisons , leur accorder un
juste délai. Loin de manquer à ce devoir aujourd'hui, on
donne plus encore à l'humanité , et très-souvent on ac-
corde aux étrangers, sujets de l'état auquel on déclare


LIV. III, CII41). 545
la guerre , tout le temps de mettre ordre à leurs affaires.
Cela se pratique sur-tout envers les négociants , et l'on a
soin aussi d'y pourvoir dans les traités de commerce. Le
roi d'Angleterre a fait plus que cela ; dans sa dernière dé-
claration de guerre contre la France, il ordonne que tous
les Français qui se trouvent dans ses états pourront y de-
meurer avec une entière sûreté pour leur personne et leurs
effets pourvu qu'ils s'y comportent comme ils le doivent.


5 64. Nous avons dit (5 56) que le souverain doit pu-
blier la guerre dans ses états, pour l'instruction et la di-
rection de ses sujets. ll doit aussi aviser de sa déclaration
de guerre les puissances neutres, pour les informer des
raisons justificatives qui l'autorisent, du sujet qui l'oblige à
prendre les armes, et pour leur notifier que tel ou tel peu-
ple est son ennemi , afin qu'elles puissent se diriger en
conséquence. Nous verrons même que cela est nécessaire
pour éviter toute difficulté, quand nous traiterons du droit
de saisir certaines choses que des personnes neutres con-
duisent à l'ennemi , de ce qu'on appelle contrebande ,
en temps de guerre. On pourrait appeler déclaration cette
publication de la guerre, et dénonciation, celle qui se no-
tifie directement à l'ennemi; comme en effet elle s'appelle
en latin denunciatio belli.


On public aujourd'hui et l'en déclare la guerre par des
manifestes. Ces pièces ne manquent point de contenir les
raisons justificatives, bonnes ou mauvaises , sur lesquelles
on se fonde pour prendre les armes. Le moins scrupuleux
voudrait passer pour juste, équitable, amateur de la paix;
il sent qu'une réputation contraire pourrait lui être nuisi-
ble. Le manifeste qui .porte déclaration de guerre, ou, si
l'on xu,ecutd:mlsa :10é4claration même publiée, imprimée et ré-


lp , contient aussi les ordres géné-




5 44 L E DROIT D .ES cEDis.
raux que le souverain donne à ses sujets à l'égard de la
guerre (*).


S 65. Est-il nécessaire , dans un siècle si poli , d'obser-
ver que l'on doit s'abstenir dans ces écrits, qui se publient
au sujet de la guerre, de toute expression injurieuse, qui
manifeste (les sentiments de haine, d'animosité, de fureur,
et qui n'est propre qu'à en exciter de semblables dans le
cœur de l'ennemi ? Un prince doit. garder la plus noble
décence dans .ses discours et dans ses écrits ; il doit se
respecter soi-même dans la personne de ses pareils ; et s'il
a le malheur d'être en dillérend avec une nation ira-t-il
aigrir la querelle par des expressions offensantes, et s'ôter
jusqu'à l'espérance d'une réconciliation sincère? Les hé-
ros d'Homè,re se traitent d'ivrognes et de chiens; aussi se
faisaient- ils la guerre à toute outrance. Frédéric-Barbe-
rousse, d'autres empereurs , et les papes leurs ennemis,
ne se ménageaient pas davantage. Félicitons-nous de ms
moeurs plus douces, plus humaines, et ne traitons point
de vaine politesse, des ménagements qui ont (les suites
.bien réelles.


5 66. Ces formalités , dont la nécessité se déduit dei
principes et de la nature même de la guerre , caractérisent
la guerre légitime et dans les formes (jusium
Grotius (a) (lit qu'il faut deux choses pour qu'une guerre
soit, solennelle, ou dans les .formes, selon le droit des
gens : la première, qu'elle se fasse de part et d'autre par


(1 On remarque comme une chose fort singulière, que Charles II, roi
de la Crande-Bretagne, dàns sa déclaration de guerre contre la France, du
9 février i GGS promet sûreté aux Français qui se comporteront tomme its doi-
vent, et de plus sa protection et sa fureur à ceux d'entre eux qui voudraient
se retirer dans ses royaumes.




-


(e) Droit de la guerrc et de ta paix, liv. I, chai. IV.


L i , c A . tv. 54'5
autorité du souverain; la seconde, qu'elle soit accompagnée
de certaines formalités. Ces formalités consistent dans la
demande d'une juste satisfaction (rerum repetido),et dans
la déclaration de guerre , au moins de la part de celui qui


,carq ca la guerre défensive n'a pas besoin d'une dé-atta u
(S .57) , ni même , dans les occasions -pressantes.,


d'un ordre exprès du souverain. En effet , ces deux con-
ditions sont nécessaires à une guerre légitime selon le droit
des gens, c'est-à-dire telle que les nations ont droit de la
faire. Le droit de faire la guerre n'appartient qu'au souve-
rain (5 , et il n'est en droit de prendre les armes que
quand on lui refuse satisfaction (5 5 7 ) , et même après
avoir déclaré la guerre ( 5 51).


On appelle aussi la guerre en forme , une guerre réglée,
parce qu'on y observe certaines règles, ou prescrites par
la loi naturelle , ou adoptées par la coutume.


5 67. 11 faut soigneusement distinguer la guelte légi-
time et dans les formes, de ces guerres informes et
gitimes , ou plutôt dé ces brigandages qui -se font, ou saris
autorité légitime , ou saris sujet apparent , comme sans
formalités et seulement pour piller. Grotius, tiv. HI ,
chap. III , rapporte beaucoup d'exemples de ces dernières.
Telles étaient les guerres des grandes compagnies qui s'é-
taient formées en France dans les guerres des Anglais
armées de brigands, qui couraient l'Europe pour la rava-
ger. Telles étaient les courses des flibustiers , sans com-
mission et en temps de paix , et telles sont en._ général les
déprédations des pirates. On doit mettre au niêtne rang
presque toutes les expéditions des corsaires de Barbarie
quoique autorisées par un Souverain , elles se font sans au-
cun sujet apparent, et n'ont pour cause que la soif du
butin. 11 faut, dis-je , bien distinguer ces deux sortes de


J3




546 LE D11011: DES GEAIS.
guerres, légitimes et illégitimes., parce qu'elles ont des ef.
lets et produisent des droits bien différents.


5 68. Pour bien sentir le fondement de cette distinc-
tion , il -est nécessaire de se rappeler la nature et le but de
la guerre légitime.La loi naturelle ne la permet que comme
un remède contre l'injustice obstinée. De là les droits qu'elle
donne , comme nous l'expliquerons plus bas : de là encore
les règles qu'il y faut observer. Et comme il est également
-possible que l'une ou l'autre des parties ait le bon droit de
son côté, et que personne ne peut en décider, vu l'indé-
pendance des nations (5 vo ), la condition des deux enne-
mis est la même tant que dure la guerre. Ainsi, lorsqu'une
nation ou un souverain a déclaré la guerre à un autre sou-
verain au sujet d'un différend qui s'est élevé entre eux , leur
guerre est cc que l'on appelle entre les nations une guerre
légitime et dans les formes , et , comme nous le ferons voir
plus en détail (a) , les effets en sont les mêmes de part et
(l'autre , par le droit des gens volontaire, indépendamment
de la justice de la cause. Rien de tout cela dans une guerre
informe et illégitime, appelée avec plus. de raison un bri-
gandage. Entreprise sans aucun droit , sans sujet même
apparent, elle ne peut produire aucun effet légitime , ni
donner aucun droit à celui qui en est l'auteur. La nation
attaquée par des ennemis de cette sorte n'est point obligée
d'observer envers eux les règles prescrites dans les guerres
en forme ; elle peut les traiter comme des brigands. La
ville de Genève, échappée à la fameuse escalade (G), fit
pendre les prisonniers qu'elle avait faits sur les Savoyards,
comme des voleurs qui étaient venus l'attaquer sans sujet et


(a) . Ci-dessous , chap. XII.
(b) En l'année 1602.


LIV. III, CHAP. V. 547
sans déclaration de guerre. Elle ne fut point blâmée d'une
action qui serait détestée dans une guerre en forme.


Vt1,411.1/


CHAPITRE V.


De l'Ennemi, et des Choses appartenantes à l'ennemi.


5 69. L'ENNEMI est celui avec qui on est en guerre ou-
verte. Les Latins avaient un terme particulier ( /astis)
pour désigner un ennemi public , et ils le distinguaient
d'un ennemi particulier (inimicas). Notre langue n'a
qu'un môme terme pour ces deux ordres de personnes ,
qui cependant doivent être soigneusement distinguées.
L'ennemi particulier est une personne qui cherche notre
mal , qui y prend plaisir : l'ennemi public forme (les pré-
tentions contre nous, ou se refuse aux nôtres, et soutient
ses droits , vrais ou prétendus , par la force (les armes. Le
premier n'est jamais innocent ;. il nourrit dans son coeur
l'animosité et la haine. Il est possible que l'ennemi pu-
blic ne soit point animé de ces odieux sentiments , qu'il
ne désire point notre mal , et qu'il cherche seulement à
soutenir ses droits. Cette observation est nécessaire pour
régler les dispositions de notre coeur envers un ennemi
public.


5 7o. Quand le conducteur de l'état, le souverain , dé-
clare la guerre à un autre souverain , on entend que la
nation entière déclare la guerre à une autre nation ; car
le, souverain représente la nation , et agit au nom de la so-
ciété entière ( liv. Fr , 55 4o et 41) ; et les nations n'ont
affaire les unes aux autres qu'en corps , dans leur qu a litéIl 1


35.




548
LE DROIT DES GENS.


de nations. Ces deux nations sont donc ennemies ; 'et tous
les sujets de l'une sont ennemis de tous les sujets (le l'autre.
L'usage est ici conforme aux principes.


7 1. Les ennemis demeurent tels , en quelque lieu
qu'ils se trouvent. Le lieu du séjour ne fait rien ici ; les
liens politiques établissent la qualité. Tant qu'un homme
demeure citoyen de son pays , il est ennemi de ceux avec
qui sa nation est en guerre. Mais n'en faut pas conclure
que ces ennemis puissent se traiter comme tels par-tout
où ils se rencontrent. Chacun étant maître chez soi, un
prince neutre ne leur permet pas (l'user de violence dans
ses terres.


S 72. Puisque les femmes et les enfants sont sujets de
l'état , et membres de la nation , ils doi%ent être comptés
au nombre des ennemis. Mais cela ne veut pas dire qu'il
soit permis de .les traiter comme les hommes qui portent
les armes , ou qui sont capables de les porter. Nous ver-
rons que l'on n'a pas les mêmes droits contre toute sorte
d'ennemis.


5 75. Dès que l'on a déterminé exactement qui sont les
ennemis , il est aisé de connaître quelles sont les choses
appartenantes à l'ennemi (ves hostiles). Nous avons fait voir
que non-seulement le souverain avec qui on a la guerre,
est ennemi, mais aussi sil nation entière , jusqu'aux femmes
et aux enfants; tout ce qui appartient à cette nation , à
l'état, au souverain , aux sujets de tout âge et de tout sexe,
tout cela, dis-je, est donc au nombre des choses appar-
tenantes à l'ennemi.


5 74. Et il en est encore ici comme des personnes ;
les choses appartenantes à l'ennemi demeurent telles en
quelque lieu qu'elles se trouvent. D'où il ne faut pas con-
clure , non plus qu'à l'égard des personnes ( 5


) , que


LIV. 111, GIIAP. v. 549


l'on ait par-tout le droit de les traiter en choses, qui appar.
tiennent à l'ennemi.


5 75. Puisque cc n'est point le lieu où une chose se
trouve , qui décide de la nature de cette chose-là , mais la
qualité de la personne à qui elle appartient, les choses appar-
tenantes à des personnes neutres qui sc trouvent en pays
ennemi , ou sur des vaisseaux ennemis , doivent être dis-
tinguées de celles qui appartiennent à l'ennemi. Mais c'est
au propriétaire de prouver clairement qu'elles sont à ,Itti ;
car, au défaut de cette preuve , on présume naturelle-
ment qu'une chose appartient à la nation .chez qui elle se
trouve.


S 76. Il-s'agit des biens mobiliaires dans le paragraphe
précédent. La règle est différente à l'égard des immeubles,
des fonds de terre. Comme ils appartiennent tous en
quelque sorte à la nation , qu'ils sont de son domaine ,
de son territoire , et sous son empire ( liv. Pr, 55 204,
255 ; et liv. Il , 5 114) ; et comme le possesseur est tou-
jours sujet du pays en sa qualité de possesseur d'un fonds,
les biens (le cette flattire ne cessent pas•d'être biens de
l'ennemi ( res hostiles) , quoiqu'ils soient possédés par un
étranger neutre. Cependant aujourd'hui , que l'on fait la
guerre avec tant de modération et d'égards , on donne des
sauve-gardes aux maisons , aux terres , que des étrangers
possèdent en pays ennemi. Par la même raison , celui qui
déclare la guerre ne confisque point les biens immeubles
possédés dans sou pays par des sujets de son ennemi. En
leur permettant d'acquérir et de posséder ces biens-là , il
les a reçus, à cet égard , au nombre de ses sujets. Mais
on peut mettre les revenus en séquestre , afin qu'ils ne
soient pas transportés chez l'ennemi.


5 77. Au nombre des choses appartenantes à l'ennemi




55o LE DROIT DES GENS.
sont les choses incorporelles, tous ses. droits, noms et ac-
tions; excepté cependant ces espèces de droits qu'un tiers
a concédés et qui l'intéressent, en sorte qu'il ne lui est pas
indifférent par qui ils soient possédés; tels que des droits
de commerce, par exemple. Mais comme les noms et ac-
tions, ou les dettes actives ne sont pas de ce nombre , la
guerre nous donne sur les sommes d'argent que des nations
neutres pourraient devoir à notre ennemi , les mêmes droits
qu'elle peut nous donner sur ses autres biens. Alexandre,
vainqueur et maître absolu de Thèbes, fit présent aux
Thessaliens de cent talents que ceux-ci devaient aux
Thébains (a). Le souverain a naturellement le même droit
sur cc que ses sujets peuvent devoir aux'ennemis. Il peut
donc confisquer des dettes de cette nature, si le terme
du paiement tombe au temps de la guerre , ou moins
défendre à ses sujets de payer tant que la guerre durera.
Mais aujourd'hui l'avantage et la sûreté, du commerce ont
engagé tous les souverains de l'Europe à se relâcher de
cette rigueur; et dès que cet usage est généralement reçu,
celui pli v donnerait atteinte blesserait la foi publique;
car les étrangers n'ont confié à ses sujets que dans la ferme
persuasion que l'usage général serait observé. L'état ne
touche pas même aux sommes qu'il doit: aux ennemis ; par-
tout, les fonds confiés au public sont exempts de confisca-
tion et de saisie en cas (le guerre.


va) Voyez Grotius, Droit de la 5Iterre et de ta Faix, liv. III, eh. VIII,
§Iv.


LIV. III, CHAP. VI.
551


CHAPITRE VI.


Des Associés de l'ennemi; des Sociétés de guerre., des
Auxiliaires , des Subsides.


S 78. Nous avons assez parlé des traités en général, et
nous ne toucherons ici à cette matière que dans ce qu'elle
a de particulièrement relatif à la guerre. Les traités qui se
rapportent à la guerre sont de plusieurs espèces , et varient
dans leurs objets et dans leurs clauses, suivant la volonté
de ceux qui les font. On doit d'abord rappliquer tout ce
que nous avons dit des traités en général ( liv. II, chap.
XII et suivants); et ils peuvent se diviser de même en traités
réels et personnels , égaux et inégaux, etc. Mais ils ont
aussi leurs différences spécifiques, celles qui se rapportent
à leur objet particulier , à la guerre.


S 7 9 . Sous cette relation , les alliances faites pour la
guerre se divisent en général en alliances défensives et
alliances offensives. Dans les premières on s'engage seu-
lement à défende son allié au cas qu'il soit attaqué; dans
les secondes on se joint à lui pour attaquer, pour porter
ensemble la guerre chez une autre nation. 11 est des al-
liances offensives et défensives tout ensemble ; et rarement
une alliance est-elle offensive sans être défensive aussi. Mais
il est fort ordinaire d'en voir de purement défensives ; et
celles- ci sont en général les plus. naturelles et les plus légi-
times. Il serait trop long, et même inutile , de parcourir
en détail toutes les variétés de ces alliances. Les unes se




J;)2 LE DROIT DES GEX S.
font sans restriction envers et contre tous; en d'autres on
excepte certains états; de troisièmes sont formées nommé-
ment centre telle ou telle nation.


5 80. Mais une différence qu'il est important de. bien
remarquer , sur-tout dans 1:-,s alliances défeneives , est celle
qui se trouve entre une alliance intime et complète, dans
laquelle on S'engage à l'aire cause commune , et une autre
dans laquelle on se promet seulement un secours déter-
miné. L'alliance dans laquelle on fait cause commune , est
une société, de guerre: chacun y agit de toutes ses forces;
tous les alliés deviennent parties principales dans la guerre;
ils ont les mêmes amis et les mêmes ennemis. Miiis nue
alliance de cette nature s'appelle plus particulièrement
société de guerre quand elle est offensive.


5 81. Lorsqu'un souverain, sans prendre part directe-
ment à la guerre que fait un autre souverain, lui envoie
seulement un secours de troupes , ou de vaisseaux de.
guerre, ces troupes ou ces vaisseaux s'appellent auxi-
liaires.


Les troupes auxiliaires servent le prince à qui elles sont
envoyées, suivant les ordres de leur souverain. Si elles
sont données purement et simplement, sans restriction,
elles serviront également pour l'offensive et pour la défen-
sive , et, elles doivent obéir, pour la direction et le détail des
opérations, au prince qu'elles viennent secourir; mais ce
prince n'en a peint cependant la libre et entière disposi-
tion comme de ses sujets. Elles ne lui sont accordées quo
pour ses propres guerres , el il n'est pas en droit de les
donner lui -même , comme auxiliaires, à une troisième
puissance.


Quelquefois cc secours d'une puissance qui n'entre
r;int directement dans la guerre , consiste en argent , et


LIV. CHAT'. 5à5


alors on l'appelle subside. Ce terme se prend souvent au
jourd'hui dans un autre sens, et signifie une somme d'ar-
gent qu'un souverain paie chaque année à un autre souve-
rain én récompense d'un corps de troupes que celui-ci lui
fournit dans ses guerres, ou qu'il tient prêt pour son ser-
vice. Les lrailé.s par lesquels on s'assure une pareille res-
source , s'appellent traités de subsides. La France et l'An-
gleterre ont aujourd'hu• des traités de cotte nature. avec
divers princes du nord et de l'Allemagne, et les entre-
tiennent même en temps de paix.


S 85. Pour juger maintenant de la moralité de ces di-
vers traités ou alliances, de leur légitimité selon le droit
des gens , et de la manière dont ils doivent être exécutés ,
il faut d'abord poser ce principe incontestable : Il est per-
mis et louable de secourir et d'assister de toute manière
une nation qui fait Une guerre juste; et ineme cette assis-
tance est un devoir pour toute nation qui peut la donner
sans se manquer à elle-manie. Mais on ne peut aider d'au-
cun secours celui qui fait une guerre injuste. Il n'y a rien
là qui ne soit démontré par tout ce que nous avons dit des
devoirs communs des nations les unes envers les autres
(liv. II , chap. 11. 11 est toujours louable de soutenir le
bon droit quand on le peut ; mais aidei; l'injuste , c'est par-
ticiper à son crime, c'est être injuste comme lui.


84. Si au principe que nous venons (l'établir, vous
joignez la considération. de ce qu'une nation doit à sa pro-
pre sûreté , des soins. qu'il lui est si naturel et si convenable
de prendre pour se mettre en état de résister à ses ennemis ,
vous sentirez d'autant plus aisément combien elle est en
droit de faire dot alliances pour la guerre, et sur-tout des
alliances défensives qui ne tendent qu'à maintenir un cha-
cmn dans la possession de ce qui lui appartient.




554


LE p ilon: nes GENS.
Mais elle doit. user d'une grande circonspection , quand


il s'agit de contracter de pareilles alliances. Des engage-
ments qui peuvent l'entraîner dans la guerre au moment
qu'elle y pensera le moins, ne doivent se prendre que pour
des raisons très-importantes, et en vue du bien de l'état.
N9 us parlons ici des alliances qui se font en pleine paix , et
par précaution pour l'avenir.


5 85. S'il est question de contracter alliance avec une
nation déjà engagée dans la guerre, ou prête à s'y enga-
ger,


, deux choses sont à considérer : la justice des armes
de cette nation ; 2° le bien de l'état. Si la guerre que fait,
ou que va faire un prince, est injuste, il n'est pas permis
d'entrer dans son alliance , puisqu'on ne peut soutenir l'in-
justice. Est-il fondé à prendre les armes, il reste encore à
considérer si le bien de l'état Vous permet, ou vous con-
seille d'entrer dans sa querelle ; car le souverain ne doit
user de son autorité que pour le bien de l'état; c'est là que
doivent tendre toutes ses démarches, et sur-tout les plus
importantes. Quelle autre considération pourrait l'autoriser
à exposer sa nation aux calamités de la guerre


5 86. Puisqu'il n'est permis de donner du secours , ou
de s'allier que pour une guerre juste, toute alliance , toute
société de guerre, tout traité de secours fait d'avance en
temps de paix , et lorsqu'on n'a en vue aucune guerre par-
ticulière, porte nécessairement et de soi-môme cette clause
tacite que le traité n'aura lieu que pour une guerre juste.
L'alliance ne pourrait se contracter validement sur un
autre pied ( liv. II, 55 161 et 168 ).


Mais il faut prendre garde de ne pas réduire par-là les
traités (l'alliance à des formalités vaines et illusoires. La
restriction tacite ne doit s'entendre que d'une guerre évi-
demment injuste ; autrement, on ne manquerait jamais


LIV. III, CHAP. VI.


de prétexte pour éluder les traités. S'agit-il de vous allier à
une puissance qui fait actuellement la guerre , vous devez
peser religieusement la justice de sa cause ; le jugement
dépend de vous uniquement, parce que vous ne lui devez
rien qu'autant que ses armes seront justes , et qu'il vous con-
viendra de vous joindre à elle. Mais lorsque vous êtes déjà
lié, l'injustice bien prouvée de sa cause peut seule vous
dispenser de l'assister; en cas douteux, vous devez présu-
mer que votre allié est fondé, puisque c'est son affaire.


Mais si vous avez de grands doutes, il vous est permis,
et il sera très-louable de vous entremettre de l'accommo-
dement. Alors vous pourrez mettre le droit en évidence en
reconnaissant quel est celui des deux adversaires qui se ro
fuse à des conditions équitables.


5 8 7 . Toute alliance portant la clause tacite dont nous
venons de parler , celui qui refuse du secours à son allié•
dans une guerre manifestement injuste, ne rompt point
l'alliance.


5 88. Lorsque des alliances ont été ainsi contractées
d'avance , il s'agit dans l'occasion , dé déterminer les cas
dans lesquels on doit agir en conséquence de ,
ceux oit la force des engagements se déploie ; c'est ce quon
appelle le cas de l'alliance , casus firderis. Il se trouve dans
k concours des circonstances pour lesquelles le traité a été
fait, soit que ces circonstances y soient marquées expres-
sément, soit qu'on les ait tacitement supposées. Tout ce
qu'on a promis par le traité d'alliance est dû dans le casus
etule.ris , et non autrement.


8 9 . Les traités les plus solennels ne pouvant obliger
personne à favoriser d'injustes armes ( 5 86) , le casus
fia.e. idenieirsrene se trouve jamais avec l'injustice manifeste de
l




556 Li: DROIT
5 9o. Dans une alliance défensive, le casus fitderis


n'existe pas tout de suite dès que notre allié est attaqué.
ll faut voir encore s'il n'a point donné à son ennemi un juste
sujet de lui faire la guerre ; car on ne peut s'être engagé
à le défendre pour le mettre en état d'insulter les autres,
ou de leur refuser justice. S'il est dans le tort , il faut l'en-
gager à offrir une satisfaction raisonnable ; et si sou ennemi
ne veut pas s'en contenter, le cas de le défendre arrive
seulement alors.


5 9 e . Que si l'alliance défensive porte une garantie de
toutes les terres que l'allié possède actuellement , le casus
foederis se déploie dès que ces terrés sont envahies, ou
menacées d'invasion. Si quelqu'un les attaque pour une
juste cause, il faut obliger l'allié à donner satisfaction ;
mais on est fondé à ne pas souffrir que ses possessions lui
soient enlevées; car le plus souvent on en prend la garantie
pour sa propre sûreté. Au reste , les règles d'interprétation
que nous avons données dans un chapitre exprès (a) , doi
vent être consultées pour déterminer dans les occasion&
particulières, l'existence du casus foederis.
• 5 92. Si l'état qui a promis un secours ne se trouve pas


en pouvoir de le fournir, il en est dispensé par son impuis-
sance même ; et s'il ne pouvait le donner sans se mettre
lui• même dans un danger évident , il en serait dispensé
encore. Ce serait le cas d'un traité pernicieux à l'état,
lequel n'est point obligatoire (liv. 11, 5 16o). Mais nous
parlons ici d'un danger imminent, et qui menace le salut
même de l'état. Le cas d'un pareil danger est tacitement
et nécessairement réservé en tout traité. Pour ce qui est
des dangers éloignés , ou médiocres , comme ils sont in-
séparables de toute alliance dont la guerre est l'objet, a


(a) Liv. II, chap.


LIV. III, CIIAP. 557
serait absurde de prétendre qu'ils dussent faire exception;
et le souverain peut y exposer sa nation en faveur des
avantages qu'elle retire de l'alliance.


Eu vertu de ces principes , eeldi -là est dispensé d'en-
voyer du secours à son allié, qui se trouve lui-même,em-
barrasse dans une guerre , pour laquelle il a besoin de
toutes ses forces. -S'il est en état de faire face à ses enne-
mis , et de secourir en même temps son allié , il n'a point
de raison de s'en dispenser. Mais en pareil cas , c'est à
chacun (le juger de ce que sa situation et ses forces lui
permettent (le faire. Il en est de même, des autres choses'
que l'on peut avoir proMises , des vivres, par exemple. On
n'est point obligé d'en fournir à un allié lorsqu'on en a
besoin pour soi-même,


5 95. Nous ne répétons point ici cc que nous avons
dit de. divers autres cas en parlant des traités on général ,
comme de la préférence qui est due au plus ancien allié
(liv. Il , 5 3G9) , et-à un protecteur (ibid. 5 204) ; du
sens que l'on doit donner au terme d'alliés , dans un traité
oti ils sont réservés (ibid. S 5o9 ). Ajoutons seulement
sur cette dernière question , que dans une alliance pour
la guerre , qui se fait envers et contre tous , les alliés ré-
servés, cette exception ne doit s'entendre que des alliés
présents. Autrement il serait aisé dans la suite d'éluder
l'ancien traité par de nouvelles alliances; on ne saurait
ni ce qu'on fait , ni cc qu'on gagne, en concluant un pareil
traité.


Voici un cas dont nous n'avons pas parlé. Un traité
d'alliance défensive s'est fait entre trois puissances; deux
d'entre elles se brouillent, ci se font la guerre : que
fera la troisième? Elle ne duit secours ni à l'une , ni à
l'autre, en vertu du traité ; car il serait absurde de dire




558
LE DBOIT DES GENS.


qu'elle a promis à chacune son assistance contre l'autre,
on à l'une des deux au préjudice de l'autre. L'alliance ne
l'oblige donc à autre chose qu'à interposer ses bons of-
fices, pour réconcilier -ses alliés ; et si elle ne peut y réussir,
elle demeure en liberté de secourir celui des deux qui lui
para îtra fondé en justice.


5 94. Refuser à un allié les secours qu'on lui doit, lors-
qu'on n'a aucune bonne raison (le s'en dispenser,c'est lui
Lire une injure, puisque c'est violer le droit parfilit qu'on
lui a donné par un engagement formel. Je parle des cas
évidents ; c'est alors seulement que le droit est parfait :
car dans les cas douteux, chacun est juge de ce qu'il est
en état de faire ( S 92 ). Mais il doit juger sainement, et
agir de bonne foi ; et comme on est tenu naturellement à
réparer le dommage que l'on a causé par sa faute, et sur-
tout par une, injustice , on est obligé à indemniser un allié
de toutes les pertes qu'un injuste refus peut lui avoir
causées. Combien de circonspection faut-il donc apporter
à des engagements , auxquels on ne peut manquer sans
faire une brèche notable ou à ses affaires ou à son hon-
neur, et dont l'accomplissement peut avoir les suites les
plus sérieuses !


5 95. C'est un engagement bien important que celui
qui peut entraîner dans une guerre : il n'y va pas de moins
que du salut de l'état. Celui qui promet dans une alliance
un subside , ou un corps d'auxiliaires , pense quelquefois
ne hasarder qu'une somme d'argent., ou un certain nombre
de soldats ; il s'expose souvent à la guerre et à toutes ses
calamités. La nation contre laquelle il donne du secours
le regardera comme son ennemi ; et si le sort des armes
la favorise, elle portera la guerre chez lui. Mais il nous
reste à voir si elle peut le faire avec justice, et en quelles


LIV. III, CIIAP. 559


occasions. Quelques auteurs ((i) décident en général que
quiconque se joint à notre ennemi , ou l'assiste contre
nous d'argent , de troupes , on en quelque autre manière
que ce soit , devient par là notre ennemi , et nous met en
droit de lui faire la guerre. Décision cruelle , et bien fu-
neste au repos des nations ! Elle ne peut se soutenir par
les principes ; et l'usage de l'Europe s'y trouve heureuse-
ment contraire. Il est vrai que tout associé de mon ennemi
est lui-même mon ennemi. Peu importe que quelqu'un me
fasse la guerre directement et en son propre nom , ou qu'il
me la fasse sous les auspices d'un autre. Tous les droits
que la guerre me donne contre mon ennemi principal ,
me les donne de même contre tous ses associés; car ces
droits me viennent de celui de sûreté , du soin de ma propr e
défense ; et je suis également attaqué par les uns et les
autres. Mais la question est de savoir qui sont ceux que je
puis légitimement compter comme associés de mon en-
nemi , unis pour me faire la guerre.


5 96. Premièrement, je mettrai de ce nombre tous ceux
qui ont avec mon ennemi nue véritable société de guerre,
qui font cause commune avec lui, quoique la guerre ne se
fasse qu'au nom de cet ennemi principal. Cela n'a pas
besoin de preuves. Dans les sociétés de guerre ordinaires
et ouvertes. , la guerre se fait au nom de tous les alliés , les-
quels sont également ennemis ( 3 8o ).


5 9 7 . En second lieu , je regarde comme associés de
mon ennemi ceux qui l'assistent dans sa guerre , sans y
être obligés par aucun traité. Puisqu'ils se déclarent contre
moi librement et volontairement , ils veulent bien être mes
ennemis. S'ils se bornent à donner un secours déterminé ,
à accorder la levée de quelques troupes , à avancer de Var-


(a) Voyez Wolin JuYgenit:/cm, S§ 75o et 756.




560 LE n 'ion nEs
gent, gardant d'ailleurs avec moi toutes les relations de
nations amies ou neutres, je puis dissimuler ce sujet de
plainte ; mais je suis en droit de leur en demander raison.
Cette prudence, de ne pas rompre toujours ouvertement
avec ceux qui assistent ainsi un ennemi , afin de ne les point
obliger à se joindre à lui avec toutes leurs forces , ce mé-
nagement , dis-je , a insensiblement introduit la coutume
de ne pas regarder une pareille assistance , sur-tout quand
elle ne consiste que dans la permission de lever des troupes
volontaires , comme un acte d'hostilité. Combien de fuis
les Suisses ont-ils accordé des levées à la France, en même
temps qu'ils les refusaient à la maison d'Autriche , quoique
l'une et l'autre puissance fût leur alliée P Combien de fois
en ont-ils accordé à un prince et refusé à son ennemi ,
n'avant aucune alliance ni avec l'un ni avec l'autre? Ils
les accordaient on les refusaient, -selon qu'ils le jugeaient
expédient pour eux-mêmes. Jamais personne n'a osé les
attaquer pour ce sujet. Mais la prudence qui empêche
d'user de tout son droit, n'ôte pas le droit pour cela. On
aime mieux dissimuler que grossir sans nécessité le
nombre de ses ennemis.


S 98. En troisième heu, ceux qui , liés à mon ennemi par
une alliance offensive , l'assistent actuellement dans la guerre
qu'il me déclare, ceux-là, dis-je concourent au mal qu'on vent
me faire; ils se montrent mes ennemis , et je suis en droit
de les traiter comme tels. Aussi les Suisses , dont nous ve-
nons (le parler , n'accordent-ils ordinairement (les troupes
que pour la simple défensive. Ceux qui servent en France
ont toujours eu défense de leurs souverains de porter les
armes contre l'Empire , ou contre les états de la maison
d'Autriche en Allemagne. En 16/1 4 , les capitaines du ré-
giment de Guy, N eufaiitelois, apprenant qu'ils étaient des-


LIV. III,


v 56i
tinés à servir sous le maréchal de Turenne en Alletna,,,>:ne,
déclarèrent qu'ils périraient plutôt que de désobéir à leur
souverain et de violer les alliances du corps helvétique.
Depuis que la France est maîtresse de l'Alsace , les Suisses
qui combattent dans ses armées ne passent point le Rhin
pour attaquer l'Empire. Le brave Daxelhoffer, , capitaine
bernois , qui servait la France à la tête de deux cents
hommes dont ses quatre fils formaient le premier rang,
voyant que le général voulait l'obliger à passer le Rhin,
brisa son esponton , et ramena sa compagnie à Berne.


5 99. Une alliance même défensive, faite nommément
contre moi , ou , ce qui revient à la même chose , conclue
avec mon ennemi pendant la guerre, ou lorsqu'on la voit
sur le point de se déclarer, est un acte d'association contre
moi ; et si elle est suivie des effets , je suis en droit de re-
garder celui qui l'a contractée comme mon ennemi. C'est
le cas de celui qui assiste mon ennemi sans y être obligé, et
qui veut bien être lui-même mon ennemi. ( Voyez le 5 97 . )


5 100. L'alliance défensive, quoique générale et faite
avant qu'il fût question de la guerre présente, produit en-
core le même effet , si elle porte une assistance de toutes
les forces (les alliés; car alors c'est une vraie ligue ou so-
ciété de guerre; et puis il serait absurde que je ne pusse
porter la guerre chez une nation qui s'oppose à moi de
toutes ses forces, et tarir la source des secours qu'elle
donne à mou ennemi. Qu'est-ce qu'un auxiliaire qui vient
me faire la guerre à la tète de toutes ses forces ? Il se joue,
s'il prétend n'être pas mon ennemi. Que ferait-il de plus
s'il en prenait hautement la qualité? Il ne. me ménage
donc point ; il voudrait se ménager lui•même. Souffrirai-je
qu'il conserve ses provinces en paix, à couvert de tout
danger, tandis qu'il me fera tout le niai qu'il est capable


36




562 DEOIT DES oExs.
de me faire ? Non ; la lei (le la nature, le droit des gens,
nous obligent à la justice , et ne nous condamnent point à
être dupes.


5 Io t . Mais si une alliance défensive n'a point été faite
particulièrement contre moi , ni conclue dans le temps que
je me préparais ouvertement à la guerre, ou que je l'avais
déjà commencée , et si les alliés y ont simplement stipulé
que chacun d'eux fournira un secours déterminé à celui
qui sera attaqué , je ne puis exiger qu'ils manquent à un
traité solennel que loua sans doute pu conclure sans me
faire injure; les secours qu'ils fournissent à mon ennemi
sont une dette qu'ils paient ; ils ne me font paie injure en
l'acquittant ; et, par conséquent, ils ne me donnent aucun
juste sujet de leur faire la guerre (5 2G). Je ne puis pas
dire non plus que ma sûreté m'oblige à les attaquer; car
je ne ferais par-là qu'augmenter le nombre de mes ennemis ,
et m'attirer toutes les forces de ces nations sur les bras,
an lieu d'un secours modique qu'elles donnent contre moi.
Les auxiliaires seuls qu'elles envoient sont donc mes enne-
mis. Ceux-là sont véritablement joints à mes ennemis, et
combattent contre moi.


Les principes contraires iraient à multiplier les guerres ,
à les étendre sans mesure à la ruine commune des nations.
Il est heureux pour l'Europe , que l'usage s'y trouve en
ceci conforme aux vrais principes. Il est rare qu'un prince
ose se plaindre de ce qu'on fournit pour la défense d'un
allié, des secours promis par d'anciens traités, par des
traités qui n'ont pas été faits contre lui. Les Provinces-
Unies ont long-temps fourni des subsides , et môme des
troupes à la reine de Hongrie dans la dernière guerre ; la
France ne s'en est plainte que quand ces troupes ont mar-
ché en Alsace. pour attaquer Sa frontière. Les Suisses


Li'V. lit, t:llsr.
emnent, à la France de nombreux corps de troupes, en
vertu de leur alliance avec cette couronne; et ils vivent
en paix avec toute l'Europe.


Un seul cas pourrait former ici une exception ; c'est
celui d'une défensive manifestement injuste ; car alors on
n'est plus obligé d'assister un allié ( SS 86, 8 7 et 89 ). Si
l'on s'y porte sans nécessité , et contre son devoir, on fait
injure à l'ennemi et on se déclare de gaieté de coeur
contre lui. Mais ce cas est très-rare entre les nations. Il
est peu de guerres défensives dont la justice ou la nécessité
ne se puisse fonder au moins sur quelque raison apparente;
or, en toute occasion douteuse, c'est à chaque état de ju-
ger de la justice de ses armes; et la -présomption est en
faveur de l'allié (S 86). Ajoutez que c'est à vous de juger
de ce que vous avez à faire conformément à vos devoirs et
à vos engagements , et que par consépent l'évidence la
plus palpable peut seule autoriser l'ennemi de votre allié à
vous accuser de soutenir une cause injuste, contre les lu-
mières de votre conscience. Enfin le droit des gens volon-
taire ordonne qu'en toute cause susceptible de doute, les
armes des deux partis soient regardées , quant- aux effets
extérieurs, comme également légitimes ( 5 4o ).


5 io2. Les vrais associés de mon ennemi étant mes
ennemis, j'ai contre eux les mômes droits que contre l'en.
nervi principal (5 95). Et puisqu'ils se déclarent tels eux-
mêmes, qu'ils prennent les premiers les armes contre moi,
je puis leur faire la guerre sans la leur déclarer ; elle est
assez déclarée par leur propre fait. C'est le cas principale-
ment de ceux qui concourent en quelque manière que ce
soit à me faire une guerre offensive; et c'est aussi celui de
tous ceux dont nous venons de parler dans les paragraphes
96 , 98, 99 et leo.




564 ," LE DROIT DES GENS.
Mais il n'en est pas ainsi des nations qui assistent mon


ennemi dans sa guerre défensive , sans que je puisse les
regarder comme ses associés (S loi). Si j'ai à me plain-
dre des secours qu'elles lui donnent , c'est un nouveau
dinreud de moi à elles. Je puis leur en demander raison,
et, si elles ne me satisfont pas, poursuivre mon droit et
leur faire la guerre ; mais alors il faut la déclarer (5 Si).
L'exemple de Manlius , qui fit la guerre aux Galates parce
qu'ils avaient fourni des troupes à Antiochus , ne convient
point au cas. Grotius (a) blâme le général romain d'avoir
commencé cette guerre sans déclaration. Les Galates , en
fournissant des troupes pour une guerre offensive contre
les Romains, s'étaient eux-mêmes déclarés ennemis de
Rome. 11 est vrai que la paix étant faite avec Antiochus ,
il semble que Manlius devait attendre les ordres de Rome
pour attaquer les Galaies; et alors , si on envisageait cette
expédition comme une guerre nouvelle , il fallait non-seu-
lement la déclarer, mais demander satisfaction , avant
d'en venir aux armes (5 51). Mais k traité avec le roi de
Syrie n'était pas encore consommé; et il ne regardait que
lui, sans faire mention de ses adhérents. Manlius entreprit
donc l'expédition contre les Galates , comme une suite ou
un reste (le la guerre d'Antiochus. C'est ce qu'il explique
fort bien lui-inème dans son discours au sénat (G) ; et
même il ajoute qu'il débuta par tenter s'il pourrait enga-
ger les Galates à se mettre à la raison. Grotius allègue
plis à propos l'exemple d'Ulysse et de ses compagnons ,
les L'amant d'avoir attaqué sans déclaration de guerre les
Ciconiens , qui, pendant le siége de Troie, avaient envoyé
du secours à Pri am (e).


(a.) Droit de la guerre et dela paix , liv. III, chap. III
(b) Lb. XXXV (c) Grotius, obi net.


LIV. III, CHAP. VII. 565


CHAPITRE VII.


De la neutralité, et des troupes en pays neutre.


10 5. Lns peuples neutres , dans une guerre , sont ceux
qui n'y prennent aucune part, demeurant amis communs
des deux partis , et ne favorisant point les armes (le l'un
au préjudice de l'autre. Nous avons à considérer les obli-
gations et les droits qui découlent de la neutralité.


5 i o4. Pour bien saisir cette question , il faut éviter de
confondre ce qui est permis à une nation libre de tout
engagement, avec ce qu'elle peut faire , si elle prétend
être traitée comme parfaitement neutre dans une guerre.
Tant qu'un peuple neutre veut jouir sfire.ment de cet élàt,
il doit montrer en toutes choses une exacte impartialité
entre ceux qui se font la guerre; car s'il favorise l'un au
p réjudice de l'autre, il ne pourra pas se plaindre quand
celui-ci le traitera comme adhérent et associé de son en-
nemi. Sa neutralité serait. une neutralité frauduleuse dont
personne ne veut être la dupe. On la souffre quelquefois
parce qu'on n'est pas en état de s'en ressentir; on dissi-
mule pour ne pas s'attirer de nouvelles forces sur les bras.
Mais nous cherchons ici ce qui est de droit et non ce que
la prudence peut dicter selon les conjonctures. Voyons
donc en quoi consiste cette impartialité qu'un peuple neu-
tre doit garder.


Elle se rapporte uniquement à la guerre , et comprend
deux choses : i° Ne point donner de secours quand on n'y
est pas obligé ; ne fournir librement ni troupes, ni armes,




5 0 LE 1,1:011' LIES GEIS.
là munitions , ni rien de ce qui sert directement à la
guerre. Je dis ne point donner de secours, et non pas en
donner également; car il set-ait absurde qu'un état secourût
en même temps deux ennemis; et puis il serait impossible,
de le faire avec égalité; les mêmes choses , le même
nombre de troupes , la même quantité d'armes , de muni-
tions, etc. , fournies en des circonstances différentes , ne
forment plus des secours équivalents. 2° Dans tout ce qui
ne regarde pas la guerre , une nation neutre et impartiale
ne refusera point à l'un des partis , à raison de sa que-
relle présente, ce qu'elle accorde à l'autre. Ceci ne lui ôte
point la liberté dans ses t négociations , dans 'ses liaisons
d'amitié , et dans son commerce , de se diriger sur le plus
grand bien de l'état ; quand cette raison l'engage à des
préférences pour des choses dont chacun dispose libre-
ment , elle ne fait qu'user de son droit ; il n'y a point là
de partialité. Mais si elle refusait quelqu'une de ces choses-
là à l'un des partis , uniquement parce qu'il fia la guerre
à l'autre , et pour favoriser , elle ne garderait plus
une exacte neutralité.


5 1o5. J'ai dit qu'un état neutre ne doit donner du se-
cours ni à l'un ni à l'autre des deux partis , quand il n),
est pas obligé. Cette restriction est. nécessaire. Nous avons
déjà vu que quand un souverain fournit le secours modéré
qu'il doit en vertu d'une ancienne alliance défensive, il ne
s'associe point à la guerre ( 5 I oI ) ; il peut donc s'acquit,
ter de ce qu'il doit, et garder du reste une exacte neutra-
lité. Les exemples en sont fréquents en Europe.


5 io6. Quand il s'élève une guerre entre deux nations ,
toutes les autres qui ne sont point liées par des traités , son t
libres de demeurer neutres; et si quelqu'un voulait les
çontraindre à se joindre à lui , il leur ferait injure , puis-


LIV. cnxp. 567


qu'il entreprendrait sur leur indépendance dans un point
très-essentiel. C'est à elles uniquement de voir si quelque.
raison les invite à prendre parti; et elles ont deux choses
à considérer : La justice de la cause. Si elle est évidente,
on ne peut favoriser l'injustice; il est beau au contraire de
secourir l'innocence opprimée , lorsqu'on en a le pouvoir.
Si la cause est douteuse , les nations peuvent suspendre
leur jugement, et ne point entrer dans une querelle étran-
gère. 2° Quand elles voient de quel côté est la justice, il
reste encore à examiner s'il est du bien de l'état de se mêler
de cette affaire et de s'embarquer dans la guerre.


5 1° 7 . une nation qui fait la guerre, ou qui se pré-
pare à la faire, prend souvent le parti de proposer un traité
de neutralité à celle qui lui est suspecte. 11 est prudent de
savoir de bonne heure à quoi s'en tenir , et de ne point
s'exposer à voir tont-à-coup un voisin se joindre à l'ennemi
dans le plus fUrt de la guerre. En toute occasion oit il est
permis de rester neutre, il est permis aussi de s'y engager
par un traité.


Quelquefois même cela devient permis par nécessité.
Ainsi , quoiqu'il soit du devoir de toutes les nations de se-
courir l'innocence opprimée ( liv. 11 , 5 A ) , si un con-
quérant injuste, prêt à envahir le bien d'autrui , me pré-
sente la neutralité lorsqu'il est en état de m'accabler, que
puis-je faire de mieux que l'accepter? J'obéis à la nécessité,
et mon impuissance me décharge d'une obligation natu-
relle. Cette même, impuissance me dégagerait même d'une
obligations parfaite contractée par une alliance. L'ennemi
de mon allié me menace avec des forces très-supérieures ;
mon sort est en sa main. 11 exige que je renonce à la li-
berté de fournir aucun secours contre lui. La nécessité, le
soin de mon salut , me dispensent, de mes engagements.




568 LE DROIT DES GENS.
C'est. ainsi que Louis XIV força Victor-Amédée , duc de
Savoie, à quitter le parti des alliés. Mais il faut que la né.
cessité soit. très-pressante. Les lâches seuls, ou les perfides,
s'autorisent de la moindre crainte pour manquer à leurs
promesses, Ou pour trahir leur devoir. Dans la guerre qui
suivit la mort de l'empereur Charles VI , le roi de Pologne ,
électeur de Saxe, et le roi de Sardaigne, tinrent ferme
contre le malheur des événements, et ils eurent la gloire
de ne point traiter sans leurs alliés.


5 /08. Une autre raison rend des traités de neutralité
utiles et même nécessaires. La nation qui veut assurer sa
tranquillité , lorsque le feu de la guerre s'allume dans son
voisinage, n'y peut mieux réussir qu'en concluant avec les
deux partis des traités dans lesquels on convient expressé-
ment de ce que chacun pourra taire ou exiger en vertu de
la neutralité. C'est le moyen de se maintenir en paix., et
de prévenir toute diaiculté, toute chicane.


S 109. Si l'on n'a point de pareils traités , il est à
craindre qu'il ne s'élève souvent des disputes sur' ce que
la neutralité permet ou ne permet pas. Cette matière offre
bien des questions que les auteurs ont agitées avec chaleur,
et qui ont excité entre les mitions des querelles pins dan-
gereuses. Cependant le droit de nature et des gens a ses
principes invariables, et pont fournir des règles sur cette
matière comme sur les autres. Il est aussi des choses qui
ont passé en coutume entre les nations policées , et aux-
quelles il faut se conlbrmer,


, si l'on ne veut pas s'attirer le
blâme de rompre i njustement le paix (*). Quant. aux règles


(-) En voici un exemple : Les Hollandais jugèrent qu'un vaisseau entra!) t
dans un port neutre après avoir fait des prisonniers sur les ennemis de sa
nation en pleine mer, on devait lui faire relâcher lesdits p risonniers, parce
qu'ils étaient tombés ensuite au pôuvoir n'une puissance neutre entre les


LIV. III, CHAP. VII.


du droit des gens naturel, elles résultent d'une juste com-
binaison des droits de la guerre avec la liberté , le salut ,
les avantages , le commerce et. les autres droits des nations
neutres. C'est sur ce principe que nous formerons les règles
suivantes.


S Premièrement, tout ce qu'une nation fait en
usant de ses droits , et uniquement en vue de son propre
bien, sans partialité , sans dessein de favoriser une, puis-
sance an préjudice d'une autre , lotit cela , dis-je, ne peut
en général être regardé comme contraire à la neutralité ,
et ne devient tel que dans ces occasions particulières oit il
ne peut avoir lieu sans faire tort à l'un des partis , qui a
alors un droit particulier de s'y opposer. C'est ainsi que
l'assiégeant a droit d'interdire l'entrée de la place assiégée.
( Voyez ci-dessous, 5 117. ) Hors ces sortes de cas , les
querelles d'autrui m'ôteront-elles la libre disposition de mes
droits, dans la poursuite des mesures que je croirai salu-
taires à ma nation ? Lors donc qu'un peuple est dans l'u-
sage, pour occuper et pour exercer ses sujets, de per-
mettre des levées de troupes en faveur de la puissance à
qui ii veut bien les confier , l'ennemi de cette puissance ne
peut traiter ces permissions d'hostilités , à moins qu'elles
ne soient données pour envahir ses états , Ou pour la dé-
fense d'une cause odieuse et manifestement injuste. Il ne
peut même prétendre de droit qu'on lui en accorde autant ,
parce que ce peuple petit avoir des raisons de le refuser ,
qui n'ont pas lieu à l'égard du parti contraire; et c'est à
lui de voir ce qui lui convient. Les Suisses , comme nous
l'avons déjà dit, accordent des levées de troupes à qui il
leur plaît, et personne jusqu'ici ne s'est avisé de leur faire
parties militantes. La même règle avait été observée par l'Angleterre pen-
drit la guerre entre l'Espagne et les Pro% inces-li nies.




5 7e I,ti unorr DES cr.sg.
la guerre à ce sujet. Il faut avouer cependant que si ces
levées étaient considérables, si elles faisaient la principale
force de mon ennemi , tandis que, sans alléguer de raisons
solides , on m'en refuserait absolument , j'aurais tout lieu
de regarder ce peuple comme ligué avec mon ennemi ; et
en ce cas, le soin de ma propre sûreté m'autoriserait à le
traiter comme tel.


Il eu est de même de l'argent qu'une nation aurait cou.
turne de prêter à usure. Que le souverain ou ses sujets
prêtent ainsi leur argent à mon ennemi , et qu'ils me le
refusent parce qu'ils n'auront pas la même confiance
en moi , ce n'est pas enfreindre la neutralité. Ils placent
leurs fonds là où ils croient trouver leur sûreté. Si cette
préférence n'est pas fondée en raisons, je puis bien l'attri-
buer à mauvaise volonté envers moi, ou à prédilection
pour mon ennemi; mais si j'en prenais occasion de décla-
rer la guerre, je ne serais pas moins condamné par les
vrais principes du droit des gens, que par l'usage heureu-
sement établi en Europe. Tant qu'il parait que cette nation
prête son argent uniquement pour s'en procurer l'intérêt,
elle peut en\


disposer librement et selon sa prudence , sans
que je sois en droit de me plaindre.


Mais si le prêt se faisait manifestement pour mettre un
ennemi en état de m'attaques, ce serait concourir à me
faire la guerre.


Que si ces troupes étaient fournies à mon ennemi par
l'état, lui-même, et à ses frais , ou l'argent prêté de même
par l'état , sans intérêt, ce ne serait plus une question de
savoir si un pareil secours se trouverait incompatible avec
la neutralité.


Disons encore , sur les mêmes principes , que si une na-
tion commerce en armes , en bois de construction , cri


LIV. TH. cuAr. 5-


4'aisseaux , en munitions de guerre , je ne puis trouver
mauvais qu'elle vende de tout cola à mon ennemi , pourvu
qu'elle ne refuse pas de m'en vendre aussi à un prix rai,
sonnable : elle exerce son trafic , sans dessein (le me nuire ;
et eu le continuant, connue si je n'avais point de guerre,
elle ne nie donne aucun ju:;te sujet de plainte.


S 111. Je suppose , dans ce que je viens de dire , que
mon ennemi va acheter lui-même, dans un pays neutre.
Parlons . maintenant d'un autre cas , du commerce que les
nations neutres vont exercer chez mon ennemi. Il est cer-
tain que ne prenant aucune part à ma querelle, elles ne
sont point tenues de renoncer à leur trafic , pour éviter de
fournir à mon ennemi les moyens de me faire la guerre.
Si elles affectaient de ne tue vendre aucun article , en pre-
nant des mesures pour les porter en abondance à mon en-
nemi , dans la vue manifeste de le favoriser, cette partialité
les tirerait de la neutralité. Mais si elles ne font que suivre
tout uniment leur commerce , elles ne se déclarent point
par-là contre mes intérêts : elles exercent un droit que
rien ne les oblige 'de me sacrifier.


D'un autre côté , dès que je suis en guerre avec une na-
tion , mon salut et ma sûreté demandent que je la prive,
autant qu'il est en mon pouvoir, de tout ce qui peut la
mettre en état de me résister et de me nuire. Ici le droit
de nécessité déploie sa force. Si ce droit m'autorise bien ,
dans l'occasion , à me saisir de ce qui appartient à autrui,
ne pourra-t-il m'autoriser à arrêter toutes les choses appar-
tenantes à la guerre, que des peuples neutres conduisent
à men ennemi? Quand je devrais par-là me faire autant
d'ennemis de ces peuples neutres , il me conviendrait de le
risquer, plutôt que de laisser fortifier librement celui qui
me fait actuellement la guerre. Il est donc très à propos,




5 7 2 LE DROIT 1ES GENS.
et très-convenable au droit des gens qui défend de multi-
plier les sujets de guerre , de ne point mettre au rang des
hostilités ces sortes de saisies faites sur des nations neu-
tres. Quand je leur ai notifié ma déclaration de guerre à
tel ou tel peuple, si elles veulent s'exposer à lui porter des
choses qui servent à la guerre, elles n'auront pas sujet de
se plaindre au cas que leurs marchandises tombent dans
mes mains; (le même que je ne leur déclare pas la guerre
pour avoir tenté de les porter. Elles souffrent , il est vrai ,
d'une guerre à laquelle elles n'ont point de part : mats c'est
par accident. Je ne m'oppose point à leur droit , j'use sen-
/cillent du mien, et si nos droits se croisent et se nuisent
réciproquement, c'est par l'effet d'une nécessité inévita-
Me. Ce conflit arrive tous les jours dans la guerre. Lorsque.
usant de mes droits j'épuise un pays d'oit vous tirez votre
subsistance , lorsque j'assiége une ville avec laquelle vous
faisiez un riche commerce , je vous nuis sans doute, je vous
cause des pertes, des incommodités , mais c'est sans des-
sein de vous nuire ; je ne vous fais point injure, puisque
j'use de mes droits.


Niais afin de mettre des bornes à ces inconvénients , de
laisser subsister la liberté du commerce pour les nations
neutres autant que les droits de la guerre peuvent le per-
mettre, il est des règles à suivre, et desquelles il semble
que l'on soit assez généralement convenu en Europe.


S 112. La première est de distinguer soigneusement. les
marchandises communes , qui n'ont point de rapport à la
guerre , de celles qui y servent particulièrement. Le com-
merce des premières doit être entièrement libre aux na-
tions neutres ; les puissances en guerre n'ont aucune raison
de le leur refuser, d'empêcher le transport de pareilles
marchandises chez l'ennemi : le soin de leur sûreté, la


LIV. III, CHAP. VII. 5-3
nécessité de se défendre , ne les y autorisent point, puisque
ces choses ne rendront pas l'ennemi plus formidable. En-
treprendre d'en interrompre , d'en interdire le commerce,
ce serait violer les droits des nations neutres , et leur faire
injure; la nécessité , comme nous venons de le dire , étant
la seule raison qui autorise gêner leur commerce et leur
navigation dans les ports de l'ennemi. L'Angleterre et les
Provinces-Unies étant convenues le 22 août 1689, par le
traité de Whitehall, de notifier à tous les états qui n'étaient
pas en guerre avec la France , qu'elles attaqueraient , et
qu'elles déclaraient d'avance de bonne prise, tout vaisseau
destiné pour un (les ports de ce royaume , ou qui en sorti-
rait; la Snède et le Danemarck , sur qui on avait fait
quelques prises , se liguèrent le 1 7 mars 1695 , pour sou-
tenir leurs droits et se procurer une juste satisfaction. Les
deux puissances maritimes , reconnaissant que les plaintes
des deux couronnes étaient bien fondées, leur firent jus-
tice (a).


Les choses qui sont d'un usage particulier pour la
guerre , et dont on empêche le transport chez l'ennemi ,
s'appellent marchandises de. contrebande. Telles sont les
armes , les munitions de guerre , les bois et tout cc qui
sert à la construction et à l'armement des vaisseaux de
guerre, les chevaux, et les vivres même , en certaines
occasions où l'on espère de réduire l'ennemi par la faim (*).


(a) Voyez d'autres exemples dans Grotius, liv. III chap. § 5 , not. 6.
(*) Le pensionnaire de Witt, dans sa lettre du 14 janvier 1654, convient


qu'il serait contraire au droit des gens de vouloir empêcher des nations
neutres de porter du blé dans les pays ennemis; mais il dit qu'on peut
les empêcher d'y porter des agrès, et tout ce qui sert S l'équipement des
vaisseaux de guerre.


En 1597 la reine Elisabeth ne voulut point permettre aux Polonais et
aux Danois de porter en Espagne des vivres, beaucoup moins des armes,




LE DP.OIT DES


S 115. Mais pour empêcher le transport des marchait
dises de contrebande chez l'ennemi , doit-on se borner à les
arrêter, à les saisir, en en payant le prix au propriétaire
ou Lien est-on eu droit de les confisquer? Se contenter
d'arrêter ces marchandises , serait le plus souvent un
moyen inefficace , principalement sur mer, oit il n'est pas
possible de couper tout accès aux ports de l'ennemi.
On prend donc le parti de confisquer toutes les marchan-
dises de contrebande dont on peut se saisir, afin que la
crainte de perdre servant de frein à l'avidité du gain , les
marchands des pays neutres s'abstiennent d'en porter à
l'ennemi. Et certes il est d'une si grande importance pour
une nation qui fait la guerre, d'empêcher, autant qu'il
est en son pouvoir, que l'on ne porte à son ennemi des
choses qui le fortifient et le rendent plus dangereux , que
la nécessité , le soin de son salut et de sa sûreté , l'auto-
risent à y employer des moyens efficaces, à déclarer qu'elle
regardera comme de bonne prise toutes les choses de cette -
nature que l'on conduira à son ennemi. C'est pourquoi


disant que, selon l'ordre de la guerre, il est permis de dompter son en-
.netni par la faim même, pour l'obliger à la recherche de la paix. » Les
Provinces-mies, obligées à plus de ménagements, n'empêchaient point
les autres nations d'exercer toutes sortes de commerce avec l'Espagne. Il
est vrai que leurs propres sujets vendant aux Espagnols et des armes et des
vivres, elles auraient eu mauvaise grâce de vouloir interdire ce commerce
aux peuples neutres. Grotius, Hist. des troubles des Pays-Ras , liv. VI.
Cependant en 164.6, les Provinces-unies publièrent un édit, portant dé-
limse à tous leurs sujets, mémo aux nations neutres, de porter en Éspagne
ni vivres ni autres marchandises , so fondant sur ce que les Espagnols , ares
avoir, sous une apparence de commerce, attiré chez eux les vaisseaux étran-
gers, les retenaient et s'en servaient eux-memcs à la. guerre. Et pour cette
cause le même édit dee/arait que les confédérés allant assiéger les parts
de leurs ennemis, feraient leur proie de fous tes vaisseaux qu'ils l'erraient
neer en ces pays-là. Ibid. liv. XV, pac. 27n.


L1 V. I, C A.P. VIL 57:15
elle notifie aux états neutres sa déclaration de guerre
( 5 63 ).; sur quoi ceux-ci avertissent ordinairement leurs
sujets de s'abstenir de tout commerce de contrebande
avec les peuples qui sont en guerre , leur déclarant que
s'ils y sont pris , le souverain ne les protégera point. C'est
à quoi les coutumes de l'Europe paraissent aujourd'hui
s'être généralement fixées après bien des variations , comme
on peut le voir dans la note de Grotius que nous venons
de citer, et particulièrement par les ordonnances des rois
de France , des années 1545 et 1 ii à4 , lesquelles per-
mettent seulement aux Français de se saisir des marchan-
dises de contrebande , et de les garder en eu payant la va-
leur. L'usage moderne est certainement ce qu'il y a de
plus convenable aux devoirs mutuels des nations , et de
plus propre à concilier leurs droits respectifs. Celle qui
fait la guerre a le plus grand intérêt à priver son ennemi
de toute assistance étrangère ; et par-là elle est en droit
de regarder, sinon absolument comme ennemis, au moins
comme gens qui se soucient fort peu de lui nuire, ceux
qui portent à sou ennemi les choses dont il a besoin pour
la guerre ; elle les punit par la confiscation de leurs mar-
chandises. Si le souverain de ceux-ci entreprenait de les
protéger, ce serait comme s'il voulait fournir lui-même
cette espèce de secours : démarche contraire sans doute
à la neutralité. Une nation , qui , sans autre motif que l'ap-
pal du gain , travaille à fortifier mon ennemi , et ne craint
point de me causer un mal irréparable, cette nation n'est
certainement pas mon amie (a) , et elle me met en droit


(a) De nos jours le roi d'Espagne a interdit l'entrée de ses ports aux
vaisseaux de Hambourg, parce que cette ville s'était engagée à fournir des
munitions de guerre aux Algériens, et l'a ainsi obligée à rompre son traité
avec les Barbaresques.




576 LE linon. nEs GENS.
de la considérer et de la traiter comme associée de mon
ennemi. Pour éviter donc des sujets perpétuels de plainte
et de rupture , on est convenu, d'une manière tout-à-
fait conforme aux vrais principes , que les puissances en
guerre pourront saisir et confisquer toutes les marchan-
dises de contrebande que des personnes neutres transpor-
teront chez leur ennemi , sans que le souverain de ces
personnes-là s'en plaigne; comme d'un autre coté, la puis-
sance en guerre n'impute point aux souverains neutres
ces entreprises de leurs sujets. On a soin même de régler
en détail toutes ces choses dans des traités de commerce
et de navigation.


S t 14. On ne peut empêcher le transport des effets de
contrebande , si l'on ne visite pas les vaisseaux neutres
que l'on rencontre en mer. On est donc en droit de les
visiter. Quelques nations puissantes ont refusé en différents
temps de se soumettre à cette visite. « Après la paix de
»Vervins , la reine Elisabeth continuant la guerre avec
»l'Espagne , pria le roi de France de permettre qu'elle fit
» visiter les vaisseaux français qui allaient en Espagne ,
»pour savoir s'ils n'y portaient. point de munitions de
» guerre cachées ;. mais on le refusa , par raison que ce
» serait une occasion de favoriser le pillage, et de troubler
»le commerce (a). » Aujourd'hui un vaisseau neutre
qui refuserait de souffrir la visite , se ferait condamner
par cela seul comme étant de bonne prise. Mais pour éviter
les inconvénients , les vexations et tout abus , on règle ,
dans les traités de navigation et de commerce, la manière
dont la visite se doit faire. Il est reçu aujourd'hui que l'on
doit ajouter foi aux certificats, lettres de nier, etc. , que
présente le maître du navire; à moins qu'il n'y paraisse


((t) Grotius, Zabi suprti.


L I V. 111, C11 A P. Tr I I. j 7;
7


tie la fraude, ou qu'on n'ait de bonnes raisons d'en soup-
çonner.


5 115. Si Con trouve sur un vaisseau neutre des effets
appartenant aux ennemis , on s'en saisit par le droit, de
la guerre ; mais naturellement on doit payer le frèt au
maitre du vaisseau , qui ne peut souffrir de cette saisie (*).


5 116. Les effets des peuples neutres , trouvés sur un
vaisseau ennemi , doivent être rendus aux propriétaires,
sur qui on n'a aucun droit de les confisquer, mais sans in-
demnité pour retard, dépérissement , etc. La perte que
les propriétaires neutres souffrent en cet4eoecasion est un
accident, auquel ils se . sont exposés en chargeant sur un
vaisseau ennemi ; et celui qui prend ce vaisseau ,.en usant
du droit de la guerre , n'est point responsable des acci-
dents qui peuvent en résulter, non plus que si son canon
tue sur un bord ennemi un passager neutre qui s'y ren-
contre pour son malheur.


5 11 7 . Jusqu'ici nous avons parlé du commerce des
peuples neutres avec les états de l'ennemi en général. Il
est un cas particulier oit les droits de la guerre s'étendent
plus loin. Tout commerce absolument est défendu avec
une ville assiégée: :Quand je tiens une place assiégée, ou
seulement bloquée , je suis en droit d'empêcher que per-


(*) ti J'ai obtenu, écrivait l'ambassadeur Borcel au grand-pensionnaire
»de Witt , la cassation de la prétendue loi française, que robe d'ennemi
D confisque cale d'ami ; en male que s'il se trouve à l'avenir dans un s ais-
»seau franc hollandais des tirets appartenant aux ennemis des Français
»ces seuls-effets seront confiscables, et l'on relâchera le vaisseau et les
»autres dicta; car il est impossible d'obscnir le Contenu de rariele XXIV
»de nies instructions, où il est dit que, la franchise du haliment esv af-
»francleit la cargaison, Mêniè. aipartenanf


Lettres et ,u:yot.
do Jean de
, tom. I, !mg. 80. Cette dereière loi serait plus naturelle


que la première.




5 . 8 r.t DROIT 1)ES GENS.
sonne n'y entre, et de traiter en ennemi quiconque en-
treprend d'y entrer sans ma permission, ou d'y porter
quoi que ce. soit ; car il s'oppose à mon entreprise , il peut
contribuer à la faire échouer, et par-là nie faire tomber
dans tous les maux d'une guerre malheureuse. Le roi Dé-
métrius fit pendre le maître et le pilote d'un vaisseau qui
portait des vivres à Athènes, lorsqu'il était sur le point
de prendre cette ville par famine (a) . Dans la longue et
sanglante • guerre que les Provinces-Unies ont soutenue
contre l'Espagne pour recouvrer leur liberté , elles ne vou-
lurent point souffrir que les Anglais portassent des mar-
chandises-à Dunkerque , devant laquelle elles avaient une
flotte (b).


3'118. lin peuple neutre conserve avec les deux partis
qui s4 font la guerre , les relations que la nature a mises
entre les nations : il doit, être prêt à leur rendre tous les
offices d'humanité que les nations se doivent mutuelle-
ment ; il doit leur donner, dans tout ce qui ne regarde
pas directement la guerre , toute l'assistance qui est en
son pouvoir, et dont ils ont besoin. Mais il duit la donner
avec impartialité , c'est-à-dire, ne rien refuser à l'un des
partis par la raison qu'il fait la guerre à l'autre ( .3 ioti o ) :
ce qui n'empêche point que , si cet état neutre a des re-
lations particulières d'amitié et de bon voisinage avec l'un
de ceux qui se font la guerre , il ne puisse lui accorder,
dans tout ce qui n'appartient pas à la guerre , ces préfé-
rences qui sont ducs aux amis. A plus forte raison pourra-
i-il sans conséquence lui continuer, dans le commerce
par exemple, des faveurs stipulées dans leurs traités. il
permettra donc également aux sujets des deux partis ,.au-


(a) Plutarque, in Demetrio.
(b) Grotius , dans ta note déjà citée.


LIV. III, CH tP. VII. 579
tant que le Lien public pourra le souffrir, de venir dans
son territoire pour leurs affaires , d'y acheter des vivres ,
des chevaux , et généralement toutes les choses dont ils
auront besoin , à moins que par un traité de neutralité il
n'ait promis de refuser à l'un et à l'autre les choses qui
servent à la guerre. Dans toutes les guerres qui agitent
l'Europe , les Suisses maintiennent leur territoire dans la
neutralité; ils permettent à tout le monde indistinctement
d'y venir acheter des vivres , si le pays en a de reste ;des
chevaux , des munitions , des armes.


S 1 1 9. Le passage innocent est dû à toutes les nations
avec lesquelles on vit en paix ( liv. If , 5 125 ) ; et ce de-
voir s'étend aux troupes comme aux particuliers. Mais
c'est au maître du territoire de juger si te passage est in-
nocent ( ibid. $ 128 ) ; et il est très-difficile que celui d'une
armée le soit entièrement. Les terres de la république de
Venise , celles du pape , dans les dernières guerres d'Italie,
ont souffert de très-grands dommages par le passage des
armées , et sont devenues souvent le théâtre de la guerre.


5 120. Le passage des troupes , et sur-tout d'une ar-
mée entière, n'étant donc point une chose indifférente ,
celui qui veut, passer dans un pays neutre avec de; troupes,
doit en demander la permission au souverain. Entrer clins
son territoire sans son aveu , c'est-violer ses droits de sou-
veraineté- et de haut domaine , en vertu desquels nul 118
peut disposer de ce territoire , pour quelque usage que ce
soit , sans sa permission expresse ou tacite. Or on ne peut
présumer une permission tacite pour l'entrée d'un .


corps
de troupes ; entrée qui peut avoir des suites si sérieuses,


5 19,1. Si le souverain neutre a de bonnes raisons de
refuser le passage , il n'est point obligé de l'accorder , puis -
qu'en ce cas le passage n'est plus innocent (


Il ,$ 197 ).
37.




580 LE DROIT DES GENS.
S 122. Dans tous les cas douteux, il faut s'en rappor-


ter au jugement du maître sur l'innocence. de Pesage qu'on
demande à faire des choses appartenant à autrui ( liv. 11,
55 128 et 15o) , et souffrir son refus bien qu'on le
croie injuste. Si l'injustice du refus était manifeste , si
l'usage et, dans le cas dont nous parlons, le passage était
indubitablement innocent, une nation pourrait se faire
justice à elle-même, et prendre de forcé ce qu'on lui re-
fuserait injustement. Mais , nous l'avons déjà dit , il est
très-difficile que le passage d'une armée soit entièrement
innocent:, et qu'il le soit bien évidemment. Les maux.qu'il
peut causer, les dangers qu'il peut attirer, sont si variés,
ils tiennent à tant de choses , ils sont si compliqués , qu'il
est presque toujours impossible de tout prévoir, de pour-
voir 4 tout. D'ailleurs l'intérêt propre influe si vivement
dans les jugements des hommes! Si celui qui demande le
passage peut juger de son innocence, il n'admettra au-
cune des raisons qu'on lui opposera , et vous ouvrez la
porte à des querelles , à des hostilités continuelles. La
tranquillité et la sûreté ,


commune des nations exigent donc
que chacune: soit maîtresse de son territoire, et libre d'en
refuser l'entrée à toute armée étrangère , quand elle n'a
point dérogé là-dessus à sa liberté naturelle par des traités.
Exceptons-en seulement ces cas, très-rares, où l'on peut
faire voir , de la manière la plus évidente, que le passage
demandé est absolument sans inconvénient et sans danger.
Si le passage est forcé en. pareille occasion , on blâmera
moins celui qui le force que la nation qui s'est attiré mal-à-
propos cette violence. Un autre cas s'excepte de lui -même
et sans difficulté, c'est celui d'une extrême nécessité. La
nécessité urgente et absolue suspend tous les droits de pro-
nri ( liv. SS 119 et 125); et si le maître n'est Pas


LIV. CHAP. VII. 581
dans le même cas de nécessité que vous , il vous est per-
mis de faire usage malgré lui de ce qui lui appartient. Lors
donc qu'une armée se voit exposée à périr, ou ne peut re-
tourner dans son pays à moins qu'elle ne passe sur des
terres neutres, elle est en droit de passer malgré le souve-
rain . de ces terres, et de s'ouvrir un passage l'épée à la
main. Mais elle doit demander d'abord le passage, offrir
des sûretés , et payer les dommages qu'elle aura causés.
C'est ainsi qu'en usèrent les Grecs en revenant d'Asie sons
la conduite d'Agésilas (a).


L'extrême nécessité peut même autoriser à se saisir pour
un temps d'une place neutre, à y mettre garnison, pour
se couvrir contre l'ennemi , ou pour le prévenir dans les
desseins qu'il a sur cette même place, quand le maître
n'est pas en état de la garder. Mais il faut la rendre aussi-
tôt que le danger est passé , en payant tous les frais, les
incommodités et les dommages que l'on aura causés.


5 19,5. Quand la nécessité n'exige pas le passage , le
seul danger qu'il y a à recevoir chez soi une armée puissante
peut autoriser à lui refuser l'entrée du pays. On peut
craindre qu'il ne lui prenne envie (le s'en emparer, ou au
moins d'y agir en maître , d'y vivre à discrétion ; et qu'on
ne nous dise point avec Grotius (b) , que notre crainte in-
juste ne prive pas de son droit celui qui demande le pas-
sage. La crainte probable , fondée sur de bonnes raisons ,
nous donne le droit d'éviter cc qui peut la réaliser ; et la
conduite des nations ne donne que trop de fondement à
celle dont nous parlons ici. D'ailleurs lé droit (le passage
n'est poiut uu droit parfait, si ce n'est dans le cas d'une


(e) Plutarque, Vie el'itgésilas.
(.4e) Liv. II, chap. II, XIII, n. 5.




582 LE DROIT DES GINS.
nécessité pressante , ou lorsque l'innocence du passage est
de la plus parfaite évidence.


5 I 24. Mais je suppose , dans le paragraphe précédent ,
qu'il ne soit pas praticable de prendre des sûretés capables
d'ôter tout sujet de craindre les entreprises et les violences
de celui qui demande à passer. Si l'on peut prendre ces
sûretés, (lent la meilleure est de ne laisser passer que par
petites bandes, et en consignant les armes , comme. cela
s'est pratiqué (a) , la raison prise de la crainte ne subsiste
plus. Mais celui qui veut passer doit se prêter à toutes les
sûretés raisonnables qu'on exige de lui , et par conséquent
passer par divisions et consigner les armes, si on ne veut
pas le laisser passer autrement. Ce n'est point à lui de choi-
sir les sûretés qu'il doit donner. Des otages , une caution ,
seraient souvent bien peu capables de rassurer. De quoi me
servira-t-il de tenir des otages de quelqu'un qui se ren
(Ira maitre de moi? Et la caution est bien peu sûre contre
fui _prince trop puissant.


S 12. 5. Mais est-on toujours obligé de se prêter à tout
cc qu'exige une nation pour sa sûreté, quand on veut passer
sur ses terres? il faut d'abord distinguer entre les causes
du passage, et ensuite- on ,


doit faire attention aux moeurs
de la nation à qui on le demande. Si on n'a pas un besoin
essentiel du passage, , et qu'on ne puisse l'obtenir qu'à des
côn<l iliops, suspectes ou désagréables, il ïaut s'en abstenir,
comme dans le cas d'un; refus ( 5 122 ). Mais si la nécessité
m'autorise à passer, les conditions auxquelles on. veut me, le
permettre peuvent se. trouver acceptables , ou suspectes et
dignes (l'être rejetées ; selon les moeurs du peuple -à qui
j'ai affaire. Supposé que j'aie à traverser les terres d'une


(a) Chez les Él,:ens et chez les anciens
• habitant
CeJogne. Soyez


Grotius ; lis .ctap. § XIII, n.


585
nation barbare, féroce et perfide , me remettrai . je à sa dis-
crétion, en livrant nies armes , en faisant passer mes troupes
par divisions ? Je ne pense pas que personne me condamne
à une démarche si périlleuse. Comme la nécessité m'au-
torise à passer, c'est encore une espèce de nécessité pour
moi de ne passer que dans une posture à me garantir de
toute embûche, de toute violence. J'offrirai toutes les sû-
retés que je puis donner sans m'exposer moi-même fol-
lement , et si l'on ne veut pas s'en contenter, je n'ai plus
de conseil à prendre que de la nécessité et (le la prudence :
j'ajoute et de la modération la plus scrupuleuse , afin de
ne point aller au-delà du droit que me donne, la nécessité.


5 i 26. Si l'état neutre accorde ou refuse le passage à
l'un de ceux qui sont en guerre , il doit l'accorder on le
refuser de même à l'autre , à moins que le changement
des circonstances ne lui fournisse de solides raisons d'en
muser autrement. Sans des raisons de cette nature , accor-
der à l'un ce que l'on refuse à l'autre, ce serait montrer de
la partialité, et sortir de l'exacte neutralité.


S 12 7 . Quand je n'ai aucune raison de refuser le pas-
sage , celui contre qui il est accordé ne peut s'en plaindre,
encore moins en prendre sujet de me faire la guerre
puisque je n'ai fait que me conformer à ce que le droit
des gens ordonne (5 i i q). Il n'est point en droit non plus
d'exiger que je refuse le passage , puisqu'il ne peut m'em-
pêcher de faire ce que je crois conforme à mes devoirs ;
et dans les occasions même où je pourrais avec justice
refuser le passage il m'est permis de ne pas user (le 111011
droit. Mais sur-tout, lorsque je serais obligé de soutenir
mon refus les armes à la main , qui osera se plaindre de
ce que j'ai mieux aimé lui laisser aller la guerre , que de
la détourner sur moi ? Nul ne petit exiger que je prenne




b84 LE Dliely DES GENs.
les armes en sa faveur, si je n'y suis pas obligé par un
traité. Mais les nations , plus attentives à leurs intérêts
qu'à l'observation d'une exacte justice, ne laissent pas
souvent. de faire sonner bien haut ce prétendu sujet de
plainte. A la guerre principalement, elles s'aident de tous
moyens; et si par leurs menaces elles peuvent engager un
voisin à refuser passage à leurs ennemis , la plupart de
leurs conducteurs ne voient dans cette conduite qu'une
sage politique.


S 128. Ln état puissant bravera ces menaces injustes;
et ferme dans ce qu'il croit être de la justice et de sa gloire,
il ne se laissera point détourner par la crainte d'un res -
sentiment mal fondé; il ne souffrira pas même la menace.
Mais une nation faible , peu en état de se soutenir avec •
avantage, sera forcée de penser à son salut ; et ce soin im-
portant l'autorisera à refuser un passage qui l'exposerait à
de trop grands dangers.


5 129. Une autre crainte peut l'y autoriser encore,
c'est celle d'attirer dans son pays les maux et les désordres
de la guerre ; car si même celui contre qui le passage est
demandé garde assez de modération pour ne pas employer
la menace à le faire refuser , il prendra le parti de le de-
mander aussi de son côté; il ira au-devant de son ennemi;
et de cette manière, le pays neutre deviendra le thé,atre,
de la guerre. Les maux infinis qui en résulteraient sont
une très-bonne raison de refuser le passage. Dans tous ces
cas, celui qui entreprend de le forcer, fait injure à la na-
tion neutre , et lui donne le plus juste sujet de joindre
ses armes à celles du parti contraire. Les Suisses ont pro-
mis à la France , clans leurs alliances , de ne point donner
passage à ses ennemis. Ils le refusent constamment à tous
les souverains qui sont en guerre, pour éloigner ce fléau


LIV. 111, ClIAP. VII. 585


de leurs frontières; et ils savent faire respecter leur ter
ritoire. Mais ils accordent le passage aux recrues qui passent
par petites bandes et sans armes.


5 13o. La concession du passage comprend celle de
tout ce qui est naturellement lié avec le passage des trou-
pes, et des choses sans lesquelles il ne pourrait avoir lieu.
Telles sont la liberté de conduire avec soi tout ce qui est né-
cessaire à une armée, celle d'exercer la discipline militaire
sur des soldats et officiers, et la permission d'acheter à juste
prix les choses dont l'armée aura besoin ; à moins que ,
dans la crainte de la disette, ou n'ait réservé qu'elle por-
tera tous ses vivres avec elle.


5 151. Celui qui accorde le passage doit le rendre sûr,
autant qu'il est en lui ; la bonne foi le veut ainsi : en
user autrement, ce serait attirer celui qui passe dans un


5 152. Par cette raison, et parce que des étrangers ne
peuvent rien taire dans un territoire contre la volonté du
souverain, il n'est pas permis d'attaquer sort ennemi dans
un pays neutre, ni d'y exercer aucun autre acte d'hostilité.
La flotte hollandaise des Indes orientales, s'étant retirée dans
le port de Bergue en Norvége , l'an 1666 , pour échapper
aux Anglais , l'amiral ennemi osa l'y attaquer; mais le
gouverneur de Bergue fit tirer le canon sur les assaillants;
et la cour de Danemarck se plaignit, trop mollement peut-
être , d'une entreprise si injurieuse à sa dignité et à ses
droits (a). Conduire des prisonniers , mener son butin en
lieu de sûreté, sont des actes de guerre ; on ne peut donc


(a) L'auteur anglais de l'État présent du D auernarch prétend que les
Danois axaient donné parole de livrer la flotte hollandaise, mais qu'elle fut
sauvée par quelques présents faits à propos t la cour de Copenhague.
E tat présent du D anClItarr h chap. X.




1


586
Ln nnorr DES GEIM


les faire en pays neutre; et celui qui le permettrait, sor-
tirait de la neutralité, en favorisant l'un des partis. Mais
je parle ici de prisonniers et de butin qui ne sont pas en-
core parfaitement en la puissance de l'ennemi , dont la
capture n'est pas encore pour ainsi dire pleinement con-
sommée. Par exemple , un parti faisant la petite guerre ne
pourra se servir d'un pays voisin et neutre, comme d'un
entrepôt, pour y mettre ses prisonniers et son butin en
sûreté; le souffrir, ce serait favoriser et soutenir ses hos-
tilités. Quand la prise est consommée, le butin absolu-
ment en la puissance de l'ennemi , on ne s'informe point
d'où lui viennent. ces effets ; ils sont à lui , il en dispose en
pays neutre. Un armateur conduit sa prise dans le premier,.
port neutre , et l'y vend librement. Mais il ne pourrait y
mettre à terre ses prisonniers, pour les tenir captifs, parce
que garder et retenir des prisonniers de guerre, c'est une
continuation d'hostilités.


5 155. D'un autre côté, il est certain que si mon voi-
sin donnait retraite à mes ennemis lorsqu'ils auraient du
pire et se trouveraient trop faibles pour m'échapper, leur
laissant le temps de se refaire et d'épier l'occasion de ten-
ter une nouvelle irruption sur mes terres , cette con-
duite , si préjudiciable à ma sûreté et à mes intérêts, se-
rait incompatible avec la neutralité. Lors donc que mes
ennemis battus se retirent chez lui , si la charité ne lui
permet pas de leur refuser passage et sûreté, il doit les
faire passer outre le plus tôt possible , et ne point souffrir
qu'ils se tiennent aux aguets pour m'attaquer de nouveau ;
autrement il me met en droit de les aller chercher dans ses
terres. C'est ce qui arrive aux nations qui ne sont pas en
état de faire respecter leur territoire : le théâtre de la
euerre s'y établit bientôt ; on y marche , on y campe ,


LIV. III, CHAP. VII. 587


on s'y, flat, comme dans un pays ouvert à tous venants.
5 154. Les troupes à qui l'on accorde passage , doivent


éviter (le causer le moindre dommage dans le pays , suivre
les routes publiques, ne point entrer dans les possessions
des particuliers , observer la plus exacte discipline, payer
fidèlement tout ce, qu'on leur fournit ; et si la licence du
soldat, ou la nécessité de certaines opérations, comme de
camper , de se retrancher , ont causé du dommage , celui
qui les commande , ou leur souverain , doit le réparer. Tout
cela n'a pas besoin de preuve. De quel droit. causerait-on
des pertes à un pays où l'on n'a pu demander qu'un pas-
sage innocent?


Rien n'empêche qu'on ne puisse convenir d'une somme
pour certains dommages dont l'estimation est difficile, et
pour les incommodités que cause le passage d'une armée ;
mais il serait honteux de vendre la permission même (le
passer, et de plus injuste , quand le passage est sans aucun
dommage , puisqu'il est dû en ce cas. Au reste le souverain
du pays doit veiller à ce que le dommage soit payé aux
sujets qui l'ont souffert ;:et nul droit ne l'autorise à s'ap-
proprier ce qui est donné mur leur indemnité. 11 arrive
trop souvent que. les faibles souffrent la perte, et que les
puissants en reçoivent le dédommagement.


5 155. .Enfin le . passage même innocent ne pouvant être
dû que pour de justes causes , on peut le refuser à celui
qui le demande pour une guerre manifestement' injuste ,
comme , par exemple , pour envahir un pays sans raison ni
prétextes. Ainsi Jules-César refusa le passage aux lIelvé-
tiens qui quittaient leur pays pour en conquérir un meilleur.
Je pense bien que la politique eut plus de part à son refus
que l'amour de la justice ; mais enfin il put en cette occa-,
sien suivre avec justice les 'maximes de sa prudence. Un




588 LE DROIT DES GENS.
souverain qui se voit en état de refuser sans crainte , doit;
sans doute le faire dans le cas dont nous parlons ; ruais s'il
y a du péril à refuser , il n'est point obligé d'attirer un
danger sur sa tête pour en garantir celle d'un autre ; et
même il ne doit pas témérairement exposer son peuple.


,,,,,,,,,,I,VIAVOANW,W,V,VONIAMNIAANAVVVVOèt,I.SNAVVVVVW
.V.VM,AWM.1,111.,Ol


CHAPITRE VIII.


.Du Droit des nations dans la guerre; et 1° de ce qu'on
est en droit de tiare et de ce qui est permis, dans une
guerre juste, contre le personne de l'ennemi.


S 156. TOUT ce que nous avons dit jusqu'ici se rapporte
au droit de faire la guerre ; passons maintenant au droit
qui doit régner dans la guerre même, aux règles que les
nations sont obligées d'observer entre elles , lors même
qu'elles ont pris les armes pour vider leurs différends. Com-
mençons par exposer les droits de celle qui fait une guerre:-
juste ; voyons ce qui lui est permis contre son ennemi. Tout
cela doit se déduire d'un seul principe , du but de la guerre
juste; car, dès qu'une fin est légitime , celui qui a droit.
de tendre à cette fin est en droit , par cela même , d'em-
ployer tous les moyens qui sont nécessaires pour y arriver.
Le but d'une guerre juste est de, venger, oit de pré/venir
l'injure (5 28) , c'est-à-dire , de se procurer par la force ,
une justice que l'on ne peut obtenir autrement ; de con-
traindre un injuste à réparer l'injure déjà faite , ou à don-
ner des sûretés contre celle dont on est menacé de sa part.
Dès que la guerre est déclarée, on est donc en droit de
faire contre l'ennemi tout ce qui est nécessaire pour at-


LIV. CEA.P. 589


teindre à cette fin , pour le mettre à la raison pour obte-
nir de lui justice et sûreté.


5 157. La fin légitime ne donne un véritable droit
qu'aux seuls moyens nécessaires pour obtenir cette fin ;
tout ce qu'on fait au-delà est réprouvé par la loi naturelle,
vicieux et condamnable au tribunal de la conscience. De là
vient que le droit à tels ou tels actes (l'hostilité varie sui-
vant les circonstances. Cc qui est juste et parfaitement in-
nocent dans une guerre , dans une situation particulière ,
ne l'est pas toujours en d'autres Occasions; le droit suit
pas à pas le besoin , l'exigence du cas; il n'en passe point
les bornes.


Mais comme il est très-difficile de juger toujours avec
précision de ce qu'exige le cas présent , et que d'ailleurs il
appartient à chaque nation de juger de ce que lui permet
sa situation particulière ( Praim. 5 16 ) , il faut néces-
sairement que les nations s'en tiennent entre elles , sur
celte matière, à des règles générales. Ainsi , dès qu'il est
certain et bien reconnu que tel moyen , tel acte d'hostilité ,
est nécessaire dans sa généralité pour surmonter la résis-
tance de l'ennemi et atteindre le but d'une guerre légitime,
ce moyen , pris ainsi en général, passe pour légitime et hon-
nête dans la guerre , suivant le droit des gens , quoique
celui qui l'emploie sans nécessité , lorsque des moyens plus
doux pouvaient lui suffire , ne soit point innocent devant
Dieu et dans sa conscience. Voilà ce qui établit la diffé-
rence de ce qui est juste , équitable , irrépréhensible dans
la guerre , et de ce qui est seulement permis ou impuni
entre les nations. Le souverain qui voudra conserver sa
conscience pure , remplir exactement les devoirs de l'hu-
utanité., ne doit jamais perdre de vue ce que nous avons
déjà dit plus d'une fois, que la nature ne lui .accorde le droit




590 LE DROIT DES GESS.


de faire la guerre à ses semblables que par nécessité, et
comme un remède toujours fâcheux, mais souvent né-
cessaire contre l'injustice opiniâtre , on contre la violence.
S'il est pénétré de cette grande vérité, il ne portera point
le remède au-delà de ses justes bornes , et se gardera bien
de le rendre plus dur et plus funeste à l'humanité que
le soin de sa propre sûreté et la défense de ses droits ne
l'exigent.


5 i38. Puisqu'il s'agit , dans une juste guerre , de
dompter l'injustice et la violence , de contraindre par la
force celui qui est sourd à la voix de la justice , on est en
droit de faire contre l'ennemi tout ce qui est nécessaire
pour l'affaiblir et pour le mettre hors d'état de résister,
de soutenir son injustice ; et l'on peut choisir les moyens
les plus efficaces , les plus propres à cette fin , pourvu
qu'ils n'aient rien d'odieux , qu'ils ne soient pas illicites
en eux-mêmes et proscrits par la loi de la nature.


S 15 9
. L'ennemi qui m'attaque injustement, nie met


sans doute en droit de repousser sa violence; et celui qui
m'oppose ses armes , quand je ne demande que ce qui
m'est dû, devient le véritable agresseur, par son injuste
résistance ; il est le premier auteur de la violence ; et il
m'oblige à user de force pour me garantir du tort qu'il
veut ine faire , dans nia personne ou dans nies biens. Si
les effets de cette force vont jusqu'à lui ôter la vie , lui seul
est coupable de ce malheur ; car si , pour l'épargner, j'é-
tais obligé de souffiir l'injure , les bons seraient bientôt la
proie des méchants. Telle est la source du droit de tuer
les ennemis , dans une guerre juste. Lorsqu'on ne peut
vaincre leur résistance et les réduire par des moyens plus
doux , on est eu droit de leur ôter la vie. Sous le nom
d'ennemis, il faut comprendre, comme nous l'avons ex-


LIV. III, ClIAP.


pliqné , non-seulement le premier auteur de la guerre ,
mais aussi tous ceux qui se joignent à lui et qui combat-
tent pour sa cause.


5 ; 4o. Mais la manière même dont se démontre le droit
de tuer les ennemis, marque les bornes de ce droit. Dès
qu'un ennemi se soumet et rend les armes , on ne peut
lui ôter la vie. On doit donc donner quartier à ceux qui
posent les armes dans un combat ; et quand on assiège
une place , il ne faut jamais refuser la vie sauve à la gar-
nison qui offre de capituler. On ne peut trop louer l'hu-
manité avec laquelle la plupart des nations de l'Europe
font la guerre aujourd'hui. Si quelquefois , dans la cha-
leur de l'action , le soldai refuse quartier, c'est toujours
malgré les officiers , qui s'empressent à sauver la vie aux
ennemis désarmés (*).


S 4 Il est un cas cependant où l'on peut refuser la
vie à un ennemi qui se rend , et toute capitulation à une
place aux abois; c'est lorsque cet ennemi s'est rendu cou-
pable de quelque attentat énorme contre le droit des gens,
et en particulier lorsqu'il a violé les lois de la guerre. Le
refus qu'on lui fait de la vie n'est point une suite naturelle
de la guerre , c'est une punition de son crime ; punition
que l'offensé est en droit, d'infliger. Mais pour que la peine
soit 'juste , il faut qu'elle tombe sur le coupable. Quand
on est en guerre avec une nation féroce , qui n'observe


(•) On voit en plusieurs endroits de l'Histoire des trouilles des . i)Pays-
Bas, par Grotius, que la guerre se faisait sur mer sans Ménagement
entre les Hollandais et les Espagnols, quoiqu'ils fussent convenus de litire
bonne guerre sur terre. Les étals confédérés ayant appris que, par lu
conseil de Spinola, lus Espagnols avaient embarqué des troupes à


bonne pour les amener en . Flandre, envoyèrent une escadre pour ks
attendre au ras-de-Calais, avec ordre de noyer sans rémission tous les
soldats que Ibn prt-ndrait . Ce qui rut exécuté. Liv. XIV, pag. 55o.




592
LE DROIT DES


aucunes règles , qui ne fait point donner de quartier , on
peut la châtier dans la personne de ceux que l'on saisit
( ils sont du nombre des coupables) , et essayer par cette
rigueur de la ramener aux lois de l'humanité. Mais par-
tout où la sévérité n'est pas absolument nécessaire, on
doit user de clémence. Corinthe fut détruite pour avoir
violé le droit des gens en la personne des ambassadeurs
romains. Cicéron et d'autres grands hommes n'ont pas
laissé de blâmer cette rigueur. Celui qui a même le plus
juste sujet de punir un souverain son ennemi , sera tou-
jours accusé de cruauté s'il fait tomber la peine sur le
peuple innocent. Il a d'autres moyens de punir (1) le sou-
verain ; il peut Ini ôter quelques droits , lui enlever des
villes et des provinces. Le mal qu'en souffre toute la na-
tion est alors une participation inévitable pour ceux qui
s'unissent en société politique.


S 142.. Ceci nous conduit à parler d'une espèce de ré-
torsion qui se pratique quelquefois à la guerre, et que l'on
nomme représailles. Le général ennemi aura fait pendre ,
sans juste sujet, quelques prisonniers; on en fait pendre
le même nombre des siens, et de la môme qualité, en
lui notifiant que l'on continuera à lui rendre ainsi la pa-
reille , pour l'obliger à observer les lois de la guerre. C'est
une terrible extrémité que de faire périr ainsi misérable-
ment un prisonnier, pour la faute de son général ; et si
on a déjà promis la vie à ce prisonnier, on ne peut sans


(t) J'ai déjà fait voir qu'on ne peut pas punir un souverain. Tout ce que
l'auteur dit ici pose sur d'autres fondements, sur la nécessité de la défense
et sûreté de soi-même. Il faut seulement prendre garde que la nécessité
de tuer soit réellement urgente; autrement rien ne justifie cette atrocité.
Si l'ennemi ne mérite pas que je l'épargne, c'est moi qui mérite de ne
pas le tuer quand il est en mon pouvoir, à moins qu'il ne soit tout-à-fait
comme une bête enragée incapable de s'apprivoiser. D.


LiV. III, CHAP. VIII. 593
injustice exercer la représaille sur lui (*). Cependant ,
comme un prince , ou son général , est en droit de sacri-
fier la vie de ses ennemis à sa sûreté, et à celle de ses gens,
il semble que , s'il a affaire à un ennemi inhumain , qui
s'abandonne souvent à de pareils excès, il peut refuser la
vie à quelques-uns des prisonniers qu'il fera , et les traiter
comme on aura traité les siens (**). Mais il vaut mieux
imiter la générosité de Scipion. Ce grand homme ayant
soumis des princes espagnols qui s'étaient révoltés contre
les Romains , leur déclara qu'il ne s'en prendrait point à
d'innocents otages , mais à eux-mêmes , s'ils lui man-
quaient ; et qu'il ne se vengerait pas sur un ennemi dé-


(') Voici ce qu'écrivait à ce sujet le grand pensionnaire de Witt. « Rien
»n'est plus absurde que cette concession de représailles; car, sans s'arrêter
s à cc qu'elle vient d'une amirauté qui leen a pas le droit sans attenter à
,Pautorité souveraine de son prince, il est évident qu'il n'y a pas de
' souverain qui puisse accorder ou faire exécuter des représailles que
:pour la défense ou le dédommagement de ses sujets, qu'il est obligé
»devant Dieu de protéger; usais jamais il ne peut les accorder en faveur
• d'aucun étranger qui n'est pas sous sa protection, et avec le souverain
' duquel il n'a aucun engagement à cet égard, ex pacte vel &dere; outre
»cela, il est constant qu'on ne doit accorder de représailles qu'en cas d'un
• déni manifeste de justice. Enfin il est encore évident qu'on ne peut,
• même dans le cas de déni de justice, accorder des représailles à ses
asujets, qu'après avoir demandé plusieurs fois qu'on leur rende justice,
• en ajoutant que, faute de cela, on sera obligé de leur accorder des lettres


de représailles. n On voit, par les réponses de M. Boreel , que cette con-
duite de l'amirauté d'Angleterre fut fort blâmée à la cour de France; le
roi d'Angleterre la désapprouva, et fit lever la saisie des vaisseaux hollan-
dais, accordée par représailles.


(**) Lysandre ayant pris la flotte des Athéniens fit mourir les prison-
niers, à cause de diverses cruautés que les Athéniens avaient exercées
pendant le cours de la guerre, et principalement parce que l'on sut la
résolution barbare qu'ils avaient prise de couper la main droite à tous les
prisonniers s'ils demeuraient vainqueurs. Il n'épargna-que le seul Adi-
mante, qui s'était opposé à cette infâme résolution. Xcnoph. Hist. ersec.


38




594 LE DROIT DES GENS.
sarmé , mais sur ceux qui auraient les armes à la main (a).
Alexandre-le-Grand ayant à se plaindre des mauvaises pra




tiques de Darius, lui fit dire que s'il faisait la guerre de
cette manière, il le poursuivrait à toute outrance , et ne
lui ferait point de quartier (b) . Voilà comment il faut ar-
rêter un ennemi qui viole les lois de la guerre , et non en
faisant tomber la peine de son crime sur d'innocentes
victimes.


S i/5. Comment a-t-on pu s'imaginer, dans un siècle
éclairé, qu'il est permis de punir de mort un commandant
qui a défendu sa place jusqu'à la dernière extrémité , ou
celui qui, dans une mauvaise place , aura osé tenir contre
une armée royale? Cette idée régnait encore dans le der-
nier siècle; on en faisait une prétendue loi de la guerre; et
on n'en est pas entièrement revenu aujourd'hui. Quelle
idée, de punir un brave homme, parce qu'il aura fait son
devoir I Alexandre-le-Grand était dans d'autres principes ,
quand il commanda d'épargner quelques Milésiens , it cause
de leur bravoure et de leur fidélité (e). « Phyton se voyant
»mener au supplice , par ordre de Denys le tyran , parce
» qu'il avait défendu opiniâtrément la ville de Rhegium ,
» dont il était gouverneur, s'écria qu'on le faisait mourir
»injustement, pour n'avoir pas voulu trahir la ville , et
» que le ciel vengerait bientôt sa mort. » Diodore de Sicile
appelle cela une injuste punition (d). En vain objecterait-


(a) A7equc se iv. obsides 211710:C20S sert in Ipsos, si defecerint, sccv;itu-
atttn nec ab iverini , ceci set armato lioste, ?menas expetiturum. Tit.-
Liv. (ib. XXVIII.


(4.) Quint. Curt., IV, cap. I , et cap. XI.
(c) Arrian. de Exped. Ales. cap. XX.
(d) La,. XIV , cap. 113, cité par Grotius, , cap. XI, 5 XVI,


. 5.


LIV. III, c u A P. ill.
b9


qu'une défense opiniâtre , et sur-tout dans une mauvaise
place , contre une armée royale , ne sert qu'à faire verser
du sang. Cette défense peut sauver l'état, en arrêtant l'en-
nemi quelques jours de plus; et puis , la valeur supplée
au défaut dés fortifications (*). Le chevalier Bayard s'é-
tant jeté dans Mézières , la défendit avec son intrépidité
ordinaire (a) , et fit bien voir qu'un vaillant homme est ca-
pable quelquefois de sauver une place , qu'un autre ne
trouveraitpas tenable. L'histoire ditfameuxsiége de Malte,
nous apprend encore jusqu'où des gens de cœur peuvent
soutenir leur défense, quand ils y sont bien résolus. Com-
bien de places se sont rendues , qui auraient pu arrêter en-
core long-temps l'ennemi , lui faire consumer ses forces et
le reste de la campagne, lui échapper même, par une dé-
fense mieux soutenue et plus vigoureuse ?. Dans la der-
nière guerre (1) , tandis que les plus fortes places des Pays-
Bas tombaient en peu de jours , nous avons vu le brave


(•) La fausse maxime que l'on tenait autrefois à cet égard, se trouve
rapportée dans la relation de la bataille de Muscleborough (de Thou. t. I,
pag. 287 ). a On admira alors la modération du général ( le duc de Som-
»mcrset ), protecteur ou régent d'Angleterre, lui fit épargner la vie
»des assiégés (d'un château en Écosse), malgré cette ancienne maxime de
»la guerre, qui porte qu'une garnison faible perd tout droit à la clémence
»du vainqueur, lorsqu'avec plus de courage que de jugement elle s'opi-
»niâtre à défendre une place mal fortifiée contre une armée royale, et que
»sans couloir accepter des conditions raisonnables qui lui sont offertes?
»elle entreprend d'arrêter les desseins d'une puissance à qui elle n'est
»point capable de résiner. C'est ainsi que César répondit aux A duaticicns
»( B. G. liv. II ), qu'il épargnerait leur ville s'ils se rendaient avant que le
» belicr eût touché leurs murailles; et que le duc d'Albe




blâma beaucoup
»Prosper Colonne d'avoir reçu à composition un château qui n'avait parlé
D de se rendre qu'après avoir essuyé le feu du canon. » Ilayward ,
cl'Edouard Vi.


(a) Voyez sa Via.
(t) En 1744-


38.




596 LE DDOIT DES GENS.


général de Leutrum défendre Coni contre les efforts de
deux armées puissantes, tenir, dans un poste si médiocre,
quarante jours de tranchée ouverte , sauver sa place, et
avec elle tout le Piémont. Si vous insistez , en disant qu'en
menaçant un commandant de la mort , vous pouvez abré
ger un siége meurtrier, épargner vos troupes, et gagner
un temps précieux; je réponds qu'un brave homme se me-
quera de votre menace, ou que, piqué d'un traitement si
honteux , il s'ensevelira sous les ruines de sa place , vous
vendra cher sa vie , et vous fora payer votre injustice. Mais
quand il devrait vous revenir un grand avantage d'une
conduite illégitime , elle ne vous est pas permise pour cela.
La menace d'une peine injuste est injuste elle-même ; c'est
une insulte et une injure. Mais sur-tout il serait horrible
et barbare de l'exécuter : et si l'on convient qu'elle ne
peut être suivie de l'effet, elle est vaine et ridicule. Veus
pouvez employer des moyens justes et honnêtes , pour'en-
gager un gouverneur à ne pas attendre inutilement la der-
nière extrémité; et c'est aujourd'hui l'usage des généraux
sages et humains. On somme un gouverneur de se rendre
quand il en est temps , on lui offre une capitulation honora-
ble et avantageuse , en le menaçant, que s'il attend trop
tard, il ne sera plus reçu ( lue comme prisonnier de guerre,
ou à discrétion. S'il s'opiniâtre , et qu'enfin il soit forcé de,
se rendre à discrétion, on peut user contre lui et ses gens
de toute la rigueur du droit (le la guerre. Mais ce droit ne
s'étend jamais jusqu'à ôter la vie à un ennemi qui pose les
armes (S 1/o) (1), à moins qu'il ne se soit rendu coupa-
ble (le quelque crime envers le vainqueur (5 141 ).


La résistance poussée à l'extrémité, ne devient punis-


(i) Point d'exception, si ce n'est celle d'une absolue nécessité. D.


LIV. III, cil A. VIII. 597
sable dans un subalterne , que dans les seules occasions où
elle est manifestement inutile : c'est alors opiniâtreté , et
non fermeté ou valeur. La véritable valeur a toujours un
but raisonnable. Supposons , par exemple , qu'un état soit
entièrement soumis aux armes du vainqueur, à l'exception
d'une seule forteresse, qu'il n'y ait aucun secours à atten-
dre du dehors , aucun allié , aucun voisin , qui s'intéresse à
sauver le reste de cet état conquis : on doit alors faire savoir
au gouverneur l'état des choses , le sommer de rendre sa
place , et on peut (i) le menacer de la mort, s'il s'obstine .à
une défense absolument inutile , et qui ne peut tendre qu'à
l'effusion du sang humain (*). Demeure-t-il inébranlable,
il mérite de souffrir la peine dont il a été menacé avec jus-
tice. Je suppose que la justice de la guerre soit probléma-
tique , et qu'il ne s'agisse pas de repousser une oppression
insupportable. Car si ce gouverneur soutient évidemment
la bonne cause , s'il combat pour sauver sa patrie de l'es-
clavage, ou plaindra son malheur ; les gens de coeur le
loueront de ce qu'il tient ferme jusqu'au bout et veut
mourir libre.


5 Ill. Les transfuges et les déserteurs que le vainqueur
trouve parmi ses ennemis, se sont rendus coupables envers


(s) Mais on ne le doit pas, et encore moins exécuter une telle menace.
Ce serait une férocité pire que son opiniâtreté. D.


(') Mais toutes sortes de menaces ne sont pas permises pour obliger le
gouverneur ou le commandant d'une place dc guerre à sc rendre. Il y en a
qui révoltent la nature et font horreur. Louis X[, assiégeant Saint-Orner
en 1477 , irrité dc la longue résistance qu'on lui opposait, fit dire au gou-
verneur Philippe, fils d'Antoine, bâtard de Bourgogne, que si l'on ne ren-
dait la place, il ferait mourir à ses yeux son père qu'il tenait prisonnier.
Philippe répondit qu'il aurait une douleur mortelle de perdre son père:
mais que son devoir lui était plus cher encore, et qu'il - connaissait trop k
roi pour craindre qu'il voulût se déshonorer par une action si barbare..
Hist. de Louis 1I, VIII. •




598 LE DROIT DES GENS.


lui ; il est sans doute eu droit (1) de les punir de mort.
Mais on ne les considère pas proprement comme des enne-
mis ; ce sont plutôt des citoyens perfides, traîtres à leur
pairie ; et leur engagement avec l'ennemi ne peut leur faire
perdre cette qualité , ni les soustraire à la peine qu'ils ont
méritée. Cependant aujourd'hui que la désertion est mal-
heureusement si commune, le nombre des coupables oblige
en quelque sorte à user de clémence ; et dans les capitula-
tions il est fort ordinaire d'accorder à la garnison qui sort
d'une place , un certain nombre de chariots couverts dans
lesquels elle sauve les d4„erteurs.


S 145. Les femmes, les enfants, les vieillards infirmes ,
les malades, sont au nombre des ennemis ( SS 7o et 7 2) ;
et l'on a (les droits sur eux, puisqu'ils appartiennent à la
nation avec laquelle on est en guerre , et que <le nation à
nation les droits et les prétentions affectent le corps de la
société avec tous ses membres (


.H , 55 31 , 82 et 54
Mais cc sont des ennemis qui n'opposent aucune résistance ,
et par conséquent on n'a aucun droit de les maltraiter en
leur personne, d'user contre eux de violence, beaucoup
moins de leur ôter la vie (S i4o). 11 n'est point aujour-
d'hui de nation un peu civilisée , qui ne reconnaisse cette
maxime de justice et d'humanité. Si quelquefois le soldat
furieux et effréné se porte à violer les filles et les femmes,
ou à les tuer, à massacrer les enfants et les vieillards , les
officiers gémissent de ces excès, ils s'empressent à les ré-
primer, et même un général sage et humain les punit
quand il le peut. Mais si les femmes veulent être absolu-
ment épargnées, elles doivent se tenir dans les fonctions
de leur sexe, et ne point se mêler du métier des hommes,


(1) Il faut entendre ce droit des gens volontaire, qui n'est pas le droit
des gens naturel. 1).


LIV. III, CHAP. VIII. 599
en prenant les armes. Aussi la loi militaire des Suisses qui
défend de maltraiter les femmes, excepte-t-elle formelle-
ment celles qui auront commis des actes d'hostilité (a).


5 146. J'en dis autant des ministres publics de la reli-
gion , des gens de lettres et autres personnes dont le genre
de vie est fort éloigné du métier des armes. Non que ces
gens-là, ni même les ministres des autels , aient nécessaire-
ment et par leur emploi aucun caractère d'inviolabilité , ou
que la loi civile puisse le leur donner par rapport à l'en-
nemi ; mais comme ils n'opposent point la force ou la vio-
lence l'ennemi , ils ne lui donnent aucun droit d'en user
contre eux. Chez les anciens Romains , les prêtres portaient
les armes ; Jules-César lui-même était grand-pontife ; et
parmi les chrétiens on a vu souvent des prélats , des évêques
et des cardinaux, endosser la cuirasse et commander les
armées: Dès-lors ils s'assujettissaient au sort commun des
gens de guerre. Lorsqu'ils combattaient, ils ne préten-
daient pas sans doute être inviolables.


5 14 7 . Autrelbis tout homme capable de porter les
armes devenait soldat quand sa nation faisait la guerre ,
sur-tout quand elle était attaquée. Cependant Grotius (G)
allègue l'exemple de divers peuples et de plusieurs grands
hommes de guerre (e) , qui ont épargné les laboureurs , en
considération de leur travail si utile au genre humain (*).
Aujourd'hui la guerre se Ihit par les troupes réglées ; le
peuple , les paysans , les bourgeois ne s'en mêlent point,


(a) Voyez Simler, De itetvat.
(6) Liv. III, chap. XI, $ XI.
(e) Cyrus, Bélisaire.
(') Cyrus fil proposer au roi d'Assyrie d'épargner réciproquement les la-


bodreUrs , et de ne faire la guerre qu'aux gens armés; et sa proposition
fut-emeeptée..Cyrop. ./iv. V, pag. top.




fioo LE DROIT DES ms.
et, pour l'ordinaire , ils n'ont rien à craindre du fer de
l'ennemi. Pourvu que les habitants se soumettent à celui qui
est maître du pays, qu'ils payent les contributions imposées,
et qu'ils s'abstiennent de toute hostilité, ils vivent en sûreté
comme s'ils étaient amis; ils conservent même ce qui leur
appartient; les paysans viennent librement vendre leurs
denrées dans le camp , et on les garantit , autant qu'il se,
peut, des calamités (k la guerre. Louable coutume, bien
digne des nations qui se piquent d'humanité, et avanta-
geuse à l'ennemi même qui use de cette modération ! Celui
qui protège les habitants dearmés ,.qui retient ses soldats
sous une sévère discipline, et qui conserve le pays, y
trouve lui-même une subsistance aisée, et s'épargne bien
(les maux et des dangers. S'il a quelque raison de se défier
des paysans et des bourgeois , il est en droit de les désar-
mer , d'exiger d'eux des otages ; et ceux qui veulent s'é-
pargner les calamités de la guerre, doivent se soumettre
aux lois que l'ennemi leur impose.


5 148. Mais tous ces ennemis vaincus , ou, désarmés ,
que l'humanité oblige d'épargner, toutes ces personnes
qui appartiennent à la nation ennemie , même les femmes
et les enfants , on est endroit de les arrêter et de les faire
prisonniers , soit pour les empêcher de reprendre les
armes , soit dans la vue d'affaiblir l'ennemi (S 158) , soit
enfin qu'en se saisissant de quelque femme ou de quelque
enfant cher au souverain , on se propose de l'amener à
des conditions de paix équitables, pour délivrer ces gages
précieux. Il est vrai qu'aujourd'hui , entre les nations polies
de l'Europe , ce dernier moyen n'est guère mis en usage.
On accorde aux enfants et aux femmes une entière sûreté,
et toute liberté de se retirer où elles veulent.


Mais cette
modération , cette politesse ; louable sans doute, n'est




LIV. III, CIL VIE!. 601


pas en elle-même absolument obligatoire; et si un général
veut s'en dispenser, on ne l'accusera point de manquer
aux lois de la guerre ; il est le maître d'agir à cet égard.
comme il le trouve à propos pour le bien (le ses affaires.
S'il refuse cette liberté aux femmes , sans raison et par
humeur, il passera pour un homme dur et brutal ; on le
Maniera de ne point suivre un usage établi par l'huma-
nité; mais il peut avoir de bonnes raisons de ne point
écouter ici la politesse , ni même les impressions de la
pitié. Si l'on espère de réduire par la famine une place
forte , dont il est très-important de s'emparer, on refuse
d'en laisser sortir les bouches inutiles. Il n'y a rien là qui
ne soit autorisé par le droit de la guerre. Cependant on
a vu de grands hommes , touchés de compassion en des
occasions de cette nature, céder aux mouvements de l'hu-
manité, contre leurs intérêts. Nous avons parlé ailleurs
de ce que fit Henri-le-Grand pendant le siége de Paris.
Joignons à ce bel exemple celui de Titus au siége de Jé-
rusalem. Il voulut d'abord repousser dans la ville les alfa-
més qui en sortaient; mais il ne put tenir contre la pitié
que lui inspiraient ces misérables ; les sentiments d'un
egccénéral.ursensible et généreux prévalurent sur les maximes (lu


5 14. Dès que votre ennemi est désarmé et rendu,
vous n'avez plus aucun droit sur sa vie ( 5 î 4o) , à moins
qu'il ne vous le donne par quelque attentat nouveau ,
qu'il ne se fût auparavant rendu coupable envers vous




d'un crime digne de mort ( 5 ). C'était donc autrefois
une erreur affreuse , une prétention injuste et féroce, de
s'attribuer le droit de: faire mourir les prisonniers de.
guerre , même par la•main d'un bourreau. Depuis long--
temps on est revenu à des principes plus justes et plus bu-




602 DIIOIT DES GENS.


mains. Charles Ier, roi de Naples, ayant vaincu et fait pri-
sonnier Conradin son compétiteur, le fit décapiter publi-
quement à Naples , avec Frédéric, d'Autriche, prisonnier
comme lui. Cette barbarie fit horreur, et Pierre III , roi
d'Arragon , la reprocha au cruel Charles , comme un crime
détestable et jusqu'alors inouï entre princes chrétiens (a).
Cependant il s'agissait d'un rival dangereux , qui lui dis-
putait la couronne. Mais , en supposant même que les pré-
tentions de cc rival fussent injustes, Gbarles pouvait le re-
tenir en prison jusqu'à ce qu'il y eût renoncé, et qu'il lui
eût donné des sûretés pour l'avenir.


S 15o. On est en droit de s'assurer de ses prisonniers,
et pour cet effet de les enfermer, de les lier même s'il y.
a lieu de craindre qu'ils ne se révoltent , ou qu'ils ne s'en-
fuient ; mais rien n'autorise à les traiter durement, à moins
qu'ils ne se fussent rendus personnellement coupables en-
vers celui qui les tient en sa puissance. En ce cas , il est
le maitre de les punir. Hors de là il doit se souvenir qu'ils
sont hommes et malheureux (*). lin grand coeur ne sent
plus que de la compassion pour un ennemi vaincu et sou-


(a.) Epist. Pctr. Arras. aplid Par. de Minois.
(') Le comte de Fuentes, en 1593, fit résoudre dans le conseil des Pays-


Bas,
, de ne plus observer avec les Provinces-Unies ces ménagements que


l'humanité rend si nécessaires à la guerre. On ordonna le dernier supplice
contre ceux qui seraient faits prisonniers, el l'on défendit sous les mêmes
peines de payer des contributions à l'ennemi. /liais les plaintes de la no-
blesse et du clergé, dont les terres étaient ravagées, et plus encore les
murmures des gens de guerre qui se voyaient exposés à une mort infàfne
s'ils tombaient entre les mains des ennemis, forcèrent les Espagnols à
rétablir ces usages indispensables que l'on appelle, eaprès Virgile, betlb
commercia, la rançon ou l'échange des prisonniers, et les contributions
pour se racheter du pillage; et alois la rançon de chaque prisonnier fut fixée
à un mois de sa solde. Grotius, Histoire des Pays-Bas, liv. HI, rte
comme-pi:muni.


LIV. III, CHAP. VIII. 6o5


mis. Donnons aux peuples de l'Europe la louange qu'ils
méritent ; il est rare que les prisonniers de guerre soient
maltraités parmi eux. Nous louons, nous aimons les An-
glais et les Français ,. quand nous entendons le récit du
traitement que les prisonniers de guerre ont éprouvé de
part et d'autre chez ces généreuses nations. On va plus
loin encore, et par un usage qui relève également l'hon-
neur et l'humanité des Européens, un officier prisonnier
de guerre cst renvoyé sur sa parole; il a la consolation
(le passer le temps de sa prison dans sa patrie, au sein
de sa•famille ; et celui qui l'a relâché se tient aussi rît' de
Iui , que s'il le retenait dans les fers.


S 151. On eût pu former autrefois une question embar-
rassante. Lorsqu'en a une si grande multitude de prison
niers , qu'il est impossible de les nourrir ou de les garder
avec sûreté , sera-t-on en droit de les faire périr, ou les
renverra-t-on fortifier l'ennemi , au risque d'en être accablé
dans une autre occasion ? Aujourd'hui la chose est sans
difficulté ; on renvoie ces prisonniers sur leur parole , en
leur imposant la loi de ne point reprendre les armes jus-
qu'à un certain temps , ou jusqu'à la fin de la guerre. Et
comme il faut nécessairement que tout commandant soit
en pouvoir de convenir des conditions auxquelles l'ennemi
le reçoit à composition, les engagements qu'il a pris pour
sauver sa vie , ou sa liberté , et celle de sa troupe , sont
;Aides , comme faits dans les termes de ses pouvoirs (5 19


et suiv.), et son souverain ne peut les annuler. Nous en
avons vu divers exemples dans le cours de la dernière
guerre (1) ; plusieurs garnisons hollandaises ont subi la
loi de ne point servir contre la France et ses alliés pendant
une ou deux années : un corps de troupes francaises, in-


(1) De t 7i.t à 1748.


il!


s


s




604 Lin DROIT DES cENs.
vesti dans Lintz , fut renvoyé en deçà du Rhin , à condi-
fion de ne point porter les armes contre la reine de Hon-
grie, jusqu'à un temps marqué. Les souverains de ces
troupes ont respecté leurs engagements. Mais ces sortes
de conventions ont des bornes, et ces bornes g onsistent à
ne point donner atteinte aux droits du souverain sur ses
sujets. Ainsi l'ennemi peut bien imposer aux prisonniers
qu'il relâche , la condition de ne point porter les armes
contre lui jusqu'à la fin de la guerre , puisqu'il serait en
droit de les retenir en prison jusqu'alors; niais il n'a point
le droit (l'exiger qu'ils renoncent pour toujours à la liberté
de combattre pour leur patrie, parce que, la guerre finie ,
il n'a plus de raison de les retenir ; et eux ,.de leur coté,
ne peuvent prendre un engagement absolument contraire
à leur qualité de citoyens Ou de sujets. Si la patrie les
abandonne, ils sont libres, cl, en droit de renoncer aussi
à elle.


Mais si nous avons affaire à une nation également féroce,
perfide et formidable, lui renverrons-nous des soldats qui
peut-être la mettront en état de nous détruire? Quand no-
tre sûreté se trouve incompatible avec celle d'un ennemi ,
même soumis, il n'y a pas à balancer. Mais pour faire pé-
rir de sang-froid un grand nombre de prisonniers , il faut ,
I° qu'on ne leur ait pas promis la vie (1), et 9 0 nous de-
vons bien nous assurer que notre salut exige un pareil sa-
crifice. Pour peu que la prudence permette ou de se .fier
à leur parole, ou de mépriser leur mauvaise foi, un ennemi
généreux écoutera plutôt la voix de l'humanité que celle
d'une timide circonspection. Charles XII , embarrassé de


(s) Un homme qui s'est laissé désarmer et prendre, a par-là même
stipulé pour sa vie, et on la lui a promise, au moins tacitement. La promesse
articulée n'ajoute rien de plus à sa sûreté à cet égard, D.


LIV. III, CHAP. VIII. Goy;
ses prisonniers après la bataille de Narva , se contenu de
les désarmer, et les renvoya libres. Son ennemi , pénétré
encore de la crainte que lui avaient donnée des guerriers
redoutables , fit conduire en Sibérie les prisonniers de Pul-
tava. Le héros suédois fut trop plein de confiance dans sa
générosité : l'habile monarque de Russie fut peut-être un
peu dur dans sa prudence; mais la nécessité excuse la du-
reté , ou plutôt elle la fait disparaître. Quand l'amiral
Anson eut pris, auprès de Manille, le riche galion d'Aca-
pulco , il vit que ses prisonniers surpassaient en nombre
tout son équipage : il fut contraint de les enfermer à fond
de cale , où ils souffrirent des maux cruels (a) . Mais s'il se
fût exposé à se voir enlevé lui-même avec sa prise et son
propre vaisseau , l'humanité de sa conduite en eût-elle jus-
tifié l'imprudence? A la bataille d'Azincour, Henri V, roi
d'Angleterre, se trouva après sa victoire , ou crut se trou-
ver dans la cruelle nécessité de sacrifier les prisonniers à
sa propre sûreté. « Dans cette déroute universelle, dit le
» P. Daniel, il arriva un nouveau malheur qui coûta la vie
» à un grand nombre de Français. lin reste de l'avant-garde
»française se retirait avec quelque ordre, et plusieurs s'y
» ralliaient. Le roi d'Angleterre les voyant de dessus une
» hauteur, crut qu'ils voulaient revenir à la charge. On lui
» vint dire en même temps qu'on attaquait son camp, où il
» avait laissé ses bagages. C'était en effet quelques gentils-
» hommes picards , qui, ayant armé environ six cents pay-
.» sans , étaient venus fondre sur le camp anglais. Ce prince
» craignant quelque fâcheux retour, envoya des aides-de-
» camp dans tous les quartiers de l'armée , porter ordre
» de faire main basse sur tous les prisonniers; de peur que


to) Voyez la relation de son voyage.




6o6
LE unotr DES


» si le combat recommençait , le soin de les garder n'em-
»barrassât ses soldats , et que ces prisonniers ne se rejoi-


gnissent à leurs gens. L'ordre fut exécuté sur-le-champ,
»et on les passa tous au fil de l'épée (a). » La plus grande
nécessité peut seule justifier une exécution si terrtie , et
on doit plaindre le général qui se trouve dans le cas de
l'ordonner.


§ t 52. Peut-on réduire en esclavage les prisonniers de
guerre? Oui, dans les cas oit l'on est en droit de les tuer,
lorsqu'ils se sont rendus personnellement coupables de
quelque attentat digne de mort. Les anciens vendaient pour
l'esclavage leurs prisonniers de guerre : ils se croyaient
en droit de les faire périr. En toute occasion où je ne
puis innocemment ôter la vie à mon prisonnier, je ne suis
pas en droit d'en faire un esclave (t).


Que si j'épargne
ses jours, pour le condamner à un sort si contraire à la na-
ture de l'homme , je ne fais que continuer avec lui l'état de
guerre : il ne me doit rien. Qu'est-ce que la vie, sans la li-
berté ? Si quelqu'un regarde encore hi vie comme une fa-


(a) histoire de France, règne de Charles VI.
(i) Voilà encore une de ces assertions tout-à-fait gratuites. Ce n'est pris le


pouvoir de faire mourir un prisonnier, c'est mes droits contre
- lui qui son t le


fondement de son esclavage. L'ennemi que j'ai désarmé et pris me doit
dédommager pour m'avoir fait la guerre. S'il n'a que sa personne, c'est-
à-dire son travail, à m'olfrir en paiement, j'en dispose comme il me
convient. Je m'eu sers ou je le vends. ll est vrai qu'il ne me doit plus
rien après cela; mais c'est pour qu'il ne me doi% e plus qu'il est esclave
et vendu. Voilà comme raisonnaient les anciens. C'..•tait leur droit de
guerre. Ils s'attendaient à un pareil sort au cas qu'ils se laissassent prendre;
et ils ne trouvaient rien d'injuste à un tel arrangement. Ce n'est pas que
celui de nos temps ne vaille mieux. J'en veux seulement venir à ceci , que
hors le cas de la défense nécessaire de nous-nièmes, il n'en est aucun où
l'on puisse innocemment Mer la vie z quelqu'un, mais bien la liberté ,
pour l'obliger à réparer le mal qu'il a fait, l'empêcher d'en faire à l'ave-
nir, et le punir, c'est-à-dire, corriger. D.


nt'. III, CHAP. VIII 607
veur , quand on la lui donne avec des chaînes , à la bonne
heure : qu'il accepte le bienfait , qu'il se soumette à sa
condition , et qu'il en remplisse les devoirs. Mais qu'il les
étudie ailleurs : assez d'auteurs en ont traité fort au long.
Je n'en dirai pas davantage : aussi bien cet opprobre de
l'humanité est-il heureusement banni de l'Europe.


S 155. On retient donc les prisonniers de guerre, ou
pour empêcher qu'ils n'aillent se rejoindre aux ennemis
ou pour obtenir de leur souverain une juste satisfaction,
comme le prix de leur liberté. Ceux que l'on retient dans
cette dernière vue , on n'est obligé de les relâcher qu'après
avoir obtenu satisfaction. Par rapport à la première vue ,
quiconque fait une guerre juste est en droit de retenir ses
prisonniers., s'il le juge à propos, jusqu'à la fin de la
guerre ; et lorsqu'il les relâche, il peut avec justice exiger
une rançon, soit à titre de dédommagement à la paix, soit,
si la guerre continue, pour affaiblir au moins les finances
de son ennemi, en même temps qu'il lui renvoie des soldats.
Les nations de l'Europe, toujours louables dans le soin
qu'elles prennent (l'adoucir les maux de la guerre, ont in-
troduit, à l'égard des prisonniers, des usages humains et
salutaires. On les échange ou on les rachète, môme pen-
dant la guerre , et on a soin ordinairement de régler cela
d'avance par un cartel. Cependant, si une nation trouve un
avantage considérable à laisser ses soldats prisonniers entre
les mains de l'ennemi pendant la guerre, plutôt que de lui
rendre les siens , rien n'empêche qu'elle ne prenne le parti
le plus convenable à ses intérêts, si elle ne s'est point liée
par un cartel. Ce serait le cas d'un état abondant en
hommes , et qui aurait la guerre avec une nation beaucoup
plus redoutable par la valeur que par le nombre de ses
soldats. Il eût peu convenu à l'empereur Pierre-le-Grand




Go y
LE DROIT DES GENS.


de rendre aux Suédois leurs prisonniers pour un nombre
égal de Russes.


Q' 154. Mais l'état est obligé de délivrer à ses dépens ses
citoyens et soldats prisonniers de guerre, dès qu'il Iréttt le
faire sans danger et qu'il en a les moyens. Ils ne sont tom-
bés dans l'infortune que pour son service et pour sa cause.


doit , par la même raison , fournir aux frais de leur en-
tretien pendant leur prison. Autrefois les prisonniers de
guerre étaient obligés de se racheter eux-mêmes ; mais
aussi la rançon de ceux que les soldats ou les officiers pou-
vaient prendre leur appartenait. L'usage moderne est plus
conforme à la raison et à la justice. Si l'on ne peut déli-
vrer les prisonniers pendant la guerre , au moins faut-il
s'il est possible , stipuler leur liberté dans le traité de paix.
C'est un soin que l'état doit à ceux qui se sont exposés pour
lui. Cependant il faut convenir que toute nation peut , à
l'exemple ?les Romains , et pour exciter les soldats à la plus
vigoureuse résistance, faire une loi qui défende dé rache-
ter jamais les prisonniers de guerre. Dès que la société
entière en est ainsi convenue, personne ne peut se plaindre.
Mais la loi est bien dure , et elle ne pouvait guère convenir
qu'à ces héros ambitieux, résolus de tout sacrifier pour de-
venir les maîtres du monde.


5 155. Puisque nous traitons , dans ce chapitre , des
droits que donne la guerre contre .la personne de l'ennemi,
c'est ici le lieu d'examiner une question célèbre , sur la-
quelle les auteurs se sont partagés. Il s'agit de savoir si on
peut légitimement employer toutes sortes de moyens pour
ôter la vie à un ennemi ; s'il est permis de le faire assas-
siner ou empoisonner. Quelques-uns ont dit que, si l'on a
le .droit d'ôter la vie , la manière est indifférente. Etrange
maxime, heureusement réprouvée par les seules idées con-


LIV. III, CHAP. VIII. G09
fuses de l'honneur. J'ai droit , dans la société civile, de
réprimer un calomniateur, de me faire rendre mon bien
par celui qui le détient injustement : la manière sera-t-elle
indifférente:' Les nations peuvent se faire justice les ar-
mes à la main quand en la leur refuse : sera-t-il indiffé-
rent à la société humaine qu'elles y emploient des moyens.
odieux, capables de porter la désolation dans toute la
terre, et desquels le plus juste , le plus équitable des sou-
verains , soutenu même de la plupart des autres , ne sau-
rait se garder ?


Mais, pour traiter solidement cette question , il faut d'a-
bord ne point confondre l'assassinat avec les surprises , très-
permises sans doute dans la guerre. Qu'un soldat déterminé
se glisse pendant la nuit dans un camp ennemi ; qu'il
pénètre jusqu'à la tente du général et le poignarde , il n'y
a rien là de contraire aux lois naturelles de la guerre, rien
même que de louable dans une guerre juste et nécessaire.
Mutins Scévola a été loué de tous les grands hommes de
l'antiquité ; .et Porsenna lui-même, qu'il avait voulu tuer,
rendit justice à son courage (a). Pepin , père de Charle-
magne, ayant passé le Rhin 'avec un seul garde, alla tuer
son ennemi dans sa chambre (G) . Si quelqu'un a condamné
absolument ces coups hardis, ce n'est que pour flatter
ceux d'entre les grands qui voudraient laisser aux soldats et
aux subalternes tout le danger de la guerre. 11 est vrai
qu'on en. punit ordinairement les auteurs par de rigoureux
supplices; mais c'est que le prince, ou le général attaqué
de cette manière , use à son tour de ses droits ; il songe à
sa sûreté, et il essaie , par la terreur des supplices, d'ôter


(a) Voyez Tit. Li•., ii-5. , cap. XII; Cirer., ro P. Sextio. Valer.
Maxim. Hi,. III, cap. III; Plutarque, Fie de Puieceda.


(1,) Voyez Grotius, liv. III, chap. IV, XVIII, n. /.
3 cj




610 DROIT DEI.; GENS.
à ses ennemis. l'envie de l'attaquer autrement qu'à force
ouverte : il peut proportionner sa rigueur envers un en-
nemi , à ce qu'exige sa propre sûreté. 11 est vrai encore
qu'il sera beaucoup plus louable de renoncer, de paet et
d'autre , à toute espèce d'hostilité qui met l'ennemi dans
la nécessité d'employer les supplices pour s'en défendre :
on peut en faire un usage , une loi conventionnelle de la
guerre. Aujourd'hui les entreprises de cette nature ne sont
point du goût de nos généreux guerriers ; et ils ne les ten-
teraient que dans ces occasions rares où elles deviendraient
nécessaires au salut de la patrie. Pour ce qui est de ces six
cents. Lacédémoniens qui , sous la conduitede Léonidas ,
pénétrèrent dans le camp de l'ennemi , et allèrent droit à
la tente du roi de Perse (a) , leur expédition était dans les
règles ordinaires de la guerre, et n'autorisait point ce roi à
les traiter plus rigoureusement que d'autres ennemis. Il
suffit de faire bonne garde pour se garantir d'un pareil
coup de main ; et il serait injuste d'y employer la terreur
des supplices : aussi la réserve-t-on pour ceux qui s'intro-
duisent subtilement, seuls ou en très-petit nombre , et sur-
tout à la faveur d'un déguisement.


J'appelle donc assassinat, un meurtre commis par tra-
hison , soit qu'on y emploie des traîtres , sujets de celui
qu'on fait assassiner , ou de son souverain , soit qu'il s'exé-
cute par la main de tout autre émissaire , qui se sera in-
troduit comme suppliant, ou réfugié, ou comme transfuge,
ou enfin comme étranger ; et je dis qu'un pareil attentat
est une action infâme et exécrable dans celui qui l'exé-
cute, et dans celui qui la commande. Pourquoi jugeons-
nous qu'un acte est criminel, contraire à la loi de la nature,
si ce n'est parce que cet acte est pernicieux à la société


(c •• Justin., 14£,. Il, cap. S 15.


LIV. III, CHAP.
611


humaine, et que l'usage en serait funeste aux hommes?
Et quel fléau plus terrible à l'humanité que la coutume
de faire assassiner son ennemi par un traître? £ncore un
coup, introduisez cette licence; la vertu la plus pure, l'a-
mitié de la plus grande partie des souverains, ne seront
plus suffisantes pour mettre un prince en sûreté. Que Ti-
tus eût régné du temps du Vieux de la montagne, qu'il eût
fait le bonheur des hommes , que fidèle observateur de la
paix et de l'équité il eût été respecté et adoré .de tous les
potentats; à la-première querelle que le prince des assas-
sins eût voulu lui susciter , cette bienveillance universelle
ne pouvait le sauver, et le genre humain était privé de ses
délices. Qu'on ne me (lise point que ces coups extraordi-
naires ne sont permis qu'en faveur du bon droit. Tous
prétendent , dans leurs guerres , avoir la justice de leur
Ctité. Quiconque, par son exemple, -contribue à l'introduc-
tion d'un usage si funeste , se déclare donc l'ennemi du
genre humain , et mérite l'exécration de tous les siècles (*).
L'assassinat de Guillaume, prince d'Orange , fut générale-
ment détesté, quoique les Espagnols traitassent ce prince de


(`) Voyez le dialogue entre J. César et Cicernn, Mélanges de letératuve.
cl de pocsies.


Farrudge, sultan d'Égypte, envoya à Timur-bec un ambassadeur ac-
compagne de deux scélérats qui devaient assassiner cc conquérant pendant
l'audience. Ce dessein inf.:ne ayant été découvert, Timur dit : Ce n'est
point la maxime des rois de tuer les ambassadeurs; mais celui-ci, qui,
revêtu d'un habit de religieux, est un monstre de corruption et de ?terti-


o die, ce serait un crime de le laisser vivre lui et ses camarades. Il ordonna
donc que, suivant le passage de l'Alcoran , qui dit que la trahison retombe
sur le traître, ii fût expédié avec le même poignard dont il voulait faire
son abominable action. L'on brûla ensuite son infâme cadavre pour donner
exemple aux autres. Ou se contenta de couper le nez et les oreilles aux
deux assassins, et on ne les lit pas mourir, parce qu'on voulut /es reg -
voyer avec une lettre zu sultan d'Egyp te. .11 istoire de Timap


-bee, lie. V;
chap. XXIV.




612 LE DROIT DES GENS.
rebelle; et, ces mêmes Espagnols se défendirent , comme
d'une calomnie atroce , d'avoir eu la moindre part à celui
de Henri le Grand, qui se préparait à leur faire, une, guerre
capable d'ébranler leur monarchie.


Le poison donné en trahison a quelque chose de plus
odieux encore que l'assassinat ; l'effet en serait plus inévi-
table, et l'usage pins terrible : aussi a-t-il été plus géné-
ralement détesté. On peut voir les témoignages recueillis
par Grotius (a). Les-consuls C. Fabricins et Q.
rejetèrent avec horreur la proposition du médecin de Pyr-
rhus , qui offrait d'empoisonner son maître; et même ils
avertirent ce prince d'être en garde contre le traître, ajou-
tant fièrement : Ce n'est point pour vous faire la cour
que nous vous donnons cet avis, mais pour ne pas nous
couvrir nous-mêmes d'infamie (b). Et ils -disent fort bien,
dans la même lettre , qu'il est de l'intérêt commun des na-
tions , qu'on ne donne point de pareils exemples (c). Le
sénat romain tenait pour maxime, que la guerre devait se
faire avec les armes, et non par le poison (d). Sous Ti-
bère même on rejeta l'offre que faisait le prince (les
Caftes d'empoisonner Arminius, si on voulait lui envoyer
du poison ; et On lui répondit que le peuple romain se
vengeait de ses ennemis à force ouverte, et non pas par
de mauvaises pratiques et de secrètes machinations (e);


(a.) Liv. III, chap. IV, § XV.
(6) yèee o-Or.,./r-a ci; 2,-...iFer boor,:omr, ;WIds ri: cor •fo5or


1r17», etc. Plutarc. in Vxt. Perte.
(e) Sed communis exempli et /idci erg°


est, asti te satvum yeti--
mus ; ut esset , pana armis vincere possemus. Apud Au!. ioct.
Attic., lib. III, cap. VIII.


(d) /tends hala, non venais, gcri debeve. Valer. Max. , lib. VI , cap. V,
num. /r.


(e) Non fraude, napic occultis, sccl palan:. et armature paput 1011 roma-
%uni hostes suas uteisci. Tacit. Annal., cap. 88.


LIV. CHAP. 615
Tibère se glorifiant d'imiter ainsi la vertu des anciens ca-
pitaines romains. Cet exemple est d'autant plus remarqua-
ble qu'Arminius avait fait périr par trahison Varus avec
trois légions romaines. Le sénat et 'l'ibère lui-même ne
pensèrent pas qu'il fût permis d'employer le poison, même
contre un perfide, et par une sorte de rétorsion ou de re-
présailles.


L'assassinat et l'empoisonnement sont donc contraires
aux lois de la guerre , également prescrits par la loi natu-
relle et par le consentement des peuples civilisés. Le sou-
verain qui met en usage ces moyens exécrables , doit être
regardé comme l'ennemi du genre humain; et toutes les
nations sont appelées, pour le salut commun des hommes,
à se réunir contre lui , à joindre leurs forces pour le clui-
tier. Sa conduite autorise en particulier l'ennemi attaqué
par des voies si odieuses , à ne lui faire aucun quartier.
Alexandre le Grand déclara « qu'il était résolu de pour-
» suivre Darius à toute outrance, non plus comme un en-


nemi de bonne guerre, mais comme un empoisonneur et
» un assassin (a). »


L'intérêt et la sûreté de ceux qui commandent , exigent
qu'ils apportent tous leurs soins à empêcher l'introduction
de semblables pratiques , bien loin de l'autoriser. Eumènes
disait sagement « qu'il ne croyait pas qu'aucun générai.
»d'armée voulût se procurer la victoire en donnant un
»exemple pernicieux, qui pourrait retomber sur lui •
» même (b). » Et c'est sur le même principe qu'Alexandre
jugea de l'action de Bessus , qui avait assassiné Darius (e).


(a) Quint. Cura., lib. IV, cap. XI, num. 1$.
(1) Nec Antioonum, nec quemquam ducum, sic mile vincere, ut ipso


in se CXenUpttnn reSSiMUM statuat. Justin, lib. XIV, cap. 1, num. 12.
(e) Quent luidem ( Bessum ) cruci aderum vider° festin°, omnibus




614 LI: DROIT DES GENS.
S 156. Il y a un peu plus de couleur à excuser, ou à


défendre l'usage des armes empoisonnées. Au moins n'y a-
t-il point-là de trahison , de voie sécrète. Mais cet usage
n'en est pas moins interdit par la loi naturelle , qui ne per-
met point d'étendre à l'infini les maux de la guerre. Il faut
bien que VOUS frappiez votre ennemi pour surmonter ses
efforts ; mais s'il est une fois mis hors de combat, est-il
besoin qu'il meure inévitablement de ses blessures D'ail-
leurs si vous empoisonnez vos armes , l'ennemi vous imi-
tera; et, sans gagner aucun avantage pour la décision de
la querelle, vous aurez seulement rendu la guerre plus
cruelle et plus affre:!se. La guerre n'est permise aux na-
tions que par nécessité; toutes doivent s'abstenir de ce
qui ne tend qu'à la rendre plus funeste; et même elles sont
obligées (le s'y opposer. C'est donc avec raison , et con-
formément à leur devoir, que les peuples civilisés ont mis
au nombre des lois de la guerre la maxime qui défend
d'empoisonner les armes (a) ; et tous sont autorisés par
l'intérêt de leur salut commun à réprimer et à punir les
premiers qui voudraient enfreindre cette loi.


S 157. On s'accorde plus généralement encore à con- -
damner l'empoisonnement des eaux , des fontaines et des
puits , parce , disent quelques auteurs , que par-là on peut
donner la mort à des innocents, à d'autres qu'aux enne-
mis. C'est une raison de plus; mais ce n'est ni la seule ,
ni même la véritable ; car on ne laisse pas de tirer sur un
vaisseau ennemi, quoiqu'il ait à bord des passagers neutres.
liais Cori doit s'abstenir d'employer le poison , il est très-
permis de détourner l'eau , de couper les sources, ou de


rceibus yettiLuseme fidti, quam violavit, meritas menas n►ve-Tacna.
Quint, Curt., lib. VI, cap. III, num. 14.


(a) Voyez Grotius, liv. III, chap. IV, XVI.


LIV. III, CHAI'. VIII. 615
les rendre inutiles de quelque autre manière , pour forcer
l'ennemi à se rendre (a). C'est une voie plus douce que
celle des armes.


S 158. Ne quittons point cette matière de ce qu'on est
en droit de faire contre la personne de l'ennemi , sans dire
un mot des dispositions que l'on doit conserver envers lui.
On peut déjà les déduire de ce que nous avons dit jus-
qu'ici , et sur-tout au chapitre ler du . livre Il. N'oublions
jamais que nos ennemis sont hommes. Réduits à la fâcheuse
nécessité de poursuivre notre droit par la force des armes,
ne dépouillons point la charité qui nous lie à tout le genre
humain. De cette manière nous défendrons courageusement
les droits de la patrie, sans blesser ceux de l'humanité (1.
Que notre valeur se préserve d'une tache de cruauté , et
l'éclat de la victoire ne sera point terni par des actions in-
humaines et brutales. On. déteste aujourd'hui Marias , At-
tila; on ne peut s'empêcher d'admirer et d'aimer César ;
peu s'en faut qu'il ne rachète par sa générosité, par sa clé-
mence , l'injustice de son entreprise. La modération, la


(a) Grotius, Lia .III, chap. IV, XVII.
(') Les lois de la justice et de l'équité ne doivent pas moins être respec-


tées, même en temps de guerre. J'en citerai cet exemple remarquable.
Alcibiade, général des Athéniens, assiégeait Bysance qui ctait occupée par
les Lacédémoniens; et voyant qu'il ne pouvait emporter la ville de force,
il pratiqua des intelligences qui la lui livrèrent. Anaxilaiis , citoyen de
Bysance, était un de ceux qui Y avaient eu part.il fut clans la suite accusé
pour ce fait il Lacédémone; mais il représenta que, s'il avait livré la ville
aux Athéniens, ce n'était ni par haine pour les Lacédémoniens, ni qu'il eût
été corrompu par argent, mais pour sauver les femmes et les enfants qu'il
voyait mourir de faim. En effet, le commandant avait donné aux soldats
tout le blé qui était dans la place. Les Lacédémoniens, par un trait d'équité
admirable et bien rare en pareilles occasions, le déclarèrent absous, disant
qu'il n'avait pas trahi la ville, mais qu'il l'avait sauvée; et sur-tout faisant
attention que cet homme était de Bysance, et non pas de Lacédémone.
Xénophon, Hist. Grisi:., I , pag. 34e.




616 LE DROIT DES GENS.
générosité du vainqueur lui est plus glorieuse que son cou-
rage ; elle annonce plus sûretnent une grande âme. Outre la
gloire qui suit infailliblement cette vertu, on a vu souvent
des fruits présents et réels de l'humanité envers un en-
nemi. Léopold, duc d'Autriche, assiégeant Soleure en l'an-
née 1518 , jeta un pont sur l'Aar,


, et y plaça un gros corps
(le troupes ; la rivière , enflée extraordinairement , emporta
le pont et ceux qui étaient dessus. Les assiégés vinrent au
secours de ces malheureux , et en sauvèrent la plus grande
partie. Léopold, vaincu par ce trait de générosité , leva le
siége , et fit la paix avec la ville (a). Le duc de Cumber-
land , après la victoire de Dettingue (b) , me paraît plus
grand encore que dans la mêlée. Comme il était à se faire
panser d'une blessure , on apporta un officier français blessé
beaucoup plus dangereusement que lui. Le prince ordonna
aussitôt à son chirurgien (le le quitter pour secourir cet of-
ficier ennemi. Si les grands savaient combien de pareilles
actions les font respecter et chérir, ils chercheraient à les
imiter, lors même que l'élévation de leurs sentiments ne les
y porterait pas. Aujourd'hui les nations de l'Europe font
presque toujours la guerre avec beaucoup de modération
et de générosité. De ces dispositions naissent plusieurs
usages louables, et qui vont même souvent jusqu'à une ex-
trême politesse (*). On enverra quelquefois des rafral-


(a) De Wattevrille, .Histoire dela confédérat. helvétique, tom. 1, pag.
726, 127.


(h) En 7743.
(*) Timur-hec fit la guerre à Joseph Soty, roi de Carezem , et conquit


son royaume. Dans cette guerre ce grand homme lit voir qu'il possédait,
xneme au milieu des combats, cette modération, cette politesse que l'on
croit particulières à nos guerriers modernes. Comme il assiégeait Joseph
dans la ville d'Eskiskus, on lui apporta des melons; il résolut (l'en envoyer
à son ennemi, supposan t que ce serait manquer ti la civilité de ne pas
partager acre ce prince ces fruits nouveaux, étant si proche de lui ; et


CHAP. vin. 6.17
cbisse.ments à un gouverneur assiégé. On s'abstient pour
l'ordinaire de tirer sur le, quartier du roi ou du généraL Il
n'y a qu'à gagner dans cette modération, quand on a
affaire à un ennemi généreux; mais elle n'est obligatoire
qu'autant qu'elle ne peut nuire à la cause que l'on défend;
et l'on voit assez qu'un général sage se réglera à cet égard
sur les conjonctures, sur ce qu'exige la sûreté de l'armée
et de l'état, sur la grandeur du péril, sur le caractère et
la conduite de l'ennemi. Si une nation faible, une ville ,
se voit attaquée par un conquérant furieux qui menace de
la détruire , s'abstiendra-t-elle de tirer sur son quartier ?
C'est-là , au contraire , s'il était possible , qu'il faudrait
adresser tous les coups.


S 59 . Autrefois , celui qui pouvait tuer le roi ou Ic, gé-
néral ennemi , était loué et récompensé. On sait quel hon-
neur était at ache aux dépouilles opimes. Rien n'était plus
naturel: les anciens combattaient presque toujours pour leur
salut, et souvent la mort du chef mit. fin à . la guerre. Aujour-
d'hui, au moins pour l'ordinaire, un soldat n'oserait se vanter
d'avoir ôté la vie au roi'enneini. Les souverains s'accordent
ainsi tacitement à mettre leur personne en sûreté. Il faut
avouer que clans une guerre peu échauffée , et où il ne
s'agit pas du salut de l'état, il n'y a rien que de louable
dans ce respect pour la majesté royale, rien même que de
conforme aux devoirs mutuels des nations. Dans une pa-
reille guerre , ôter la vie au souverain de la nation enne-
mie, quand on pourrait l'épargner , c'est faire petit-être à
tette nation plus de mal qu'il n'est nécessaire pour finir


ordonna qu'on ira mit dans un 1,.assin d'or et qu'on les Lui portât. Le roi
de Carezem reçut brutalement cette galanterie ; il fit jeter les melons dans
le fossé et donna le bassin au portier de la ville. La Croix, Hist. de Timur-
1,ce , liv. V, chap. XXVII.




618 LE DROIT DES GENS.
heureusement la querelle. Mais cc n'est point une lei de la
guerre, d'épargner en toute rencontre la personne du roi
ennemi ; et on n'y est obligé que quand on a la facilité de le
faire prisonnier (*),


vt,WIA11.I.WWW,WV41.,,,,,,VVVVVVVV1b,1V V1AWYSNWMALMMWMAnN,N.1,1,,,,,,A.


ClIAPITRE IX.


Du Droit de la guerre à l'égard des choses qui appar-
tiennent à l'ennemi.


5 16o. L'ÉTA• qui prend les armes pour un juste sujet, a
un double droit contre son ennemi ; 1 . 1e droit de se mettre
en possession de ce qui lui appartient et que l'ennemi lui
refuse ; à quoi il faut ajouter les dépenses faites à cette fin,
les frais (le la guerre et la réparation des dommages ; car
s'il était obligé de supporter ces frais et ces pertes , il n'ob-
tiendrait point en entier ce qui est à lui , ou ce qui lui est
dû. 2° Il a le droit d'affaiblir l'ennemi , pour le mettre hors
d'état de soutenir une injuste violence (5 158), le droit de


(') Rapportons à ce sujet un trait de Charles XII , roi de Suède, égale-
ment plein de raison et du plus noble courage. 0 Ce prince assiégeait la ville
de Thorn en Pologne. Comme il se promenait sans cesse autour de la place,
il fut facilement distingué par les canonniers, qui, dés qu'ils le voyaient
paraître, tiraient sur lui. Les principaux officiers de son armée, à qui ce
danger donnait une grande inquiétude , voulaient faire déclarer au gon-


, rumeur que si cela continuait il n'y aurait point de. quartier pour lui ni
pour la garnison. Mais le roi de Suède ne voulut jamais le permettre,


di-
»sant à ses officiers que le commandant et les canonniers saxons avaient
»raison ; que c'était lui qui leur faisait la guerre ; qu'elle serait finie s'ils
..pouvaient le tuer; au lieu qu'ils ne retireraient qu'un faible avantage,


même en tuant les principaux officiers de son armée. 0 Histoire du
Xord, pag. 2G.


LIV. III, CHAP. IX. 619


lui ôter les moyens de résister. De-là naissent , comme de
leur principe, tous les droits de la guerre sur les choses qui
appartiennent à l'ennemi. Je parle des cas ordinaires, et
de cc qui se rapporte particulièrement aux biens de l'en-
nemi. En certaines occasions , le droit de le punir produit
de nouveaux droits sur les choses qui lui appartiennent ,
comme il en donne sur sa personne. Nous en parlerons tout-
à-l'heure.


5 161. On est en droit de priver l'ennemi de ses biens,
de tout ce qui peut augmenter ses forces et le mettre en
état de faire la guerre. Chacun travaille à cette fin de la
manière qui lui convient le mieux. On s'empare , quand
on le peut, des biens de l'ennemi, on se les approprie ; et
par-là, outre qu'on diminue les forces de son adversaire, ou
augmente les siennes propres, et l'on se procure, au moins
en partie, un dédommagement, un équivalent, soit du sujet
même de la guerre , soit des dépenses et des pertes qu'elle
cause ; on se fait justice soi-môme.


5 162- Le droit de sûreté autorise souvent à punir l'in-
justice, ou la violence (t). C'est un nouveau titre pour
dépouiller un ennemi de quelque partie de ses biens. Il est
plus humain de châtier une nation de cette manière, que
de faire tomber la peine sur la personne des citoyens. Ou
peut lui enlever, dans cette vue, des choses précieuses, des
droits des villes , ou des provinces. Mais toutes les guerres
ne donnent pas un juste sujet de punir. La nation qui a


(I) Le droit de sûreté n'est point le fondement des punitions. Voyez là-.
dessus les remarques précédentes. Les docteurs en droit des gens, en vont
soumet chercher les raisons-dans la nature, comme les anciens juriscon-
sultes allaient chercher leurs étymologies dans la grammaire : si elles ne
-voulaient pas venir, ils les tiraient par les cheveux, et les disciples répé-
taient cela sans y regarder de plus près que leurs mai ires. D.




620 LE DROIT DES GENS.
soutenu de bonne foi et avec modération une mauvaise
cause, mérite plus de. compassion que de colère, de la part
d'un vainqueur généreux ; et dans une cause douteuse, on
doit présumer que l'ennemi est dans la bonne foi (Prélim.
S 21, et liv. III, 5 4o). Ce n'est donc que l'injustice ma-
nifeste, dénuée même de prétextes plausibles, ou d'odieux
excès dans les procédés, qui donnent à un ennemi le droit
de punir ; et dans toute occasion , il doit borner la peine à
ce qu'exigent sa sûreté et celle des nations. Tant. que la
prudence le permet, il est beau d'écouter la clémence.
Cette aimable vertu est presque toujours plus utile à celui
qui l'exerce, que l'inflexible rigueur. La clémence du grand
Henri seconda merveilleusement sa valeur, quand ce bon
prince se vit forcé à faire la conquête de son royaume. Il
n'eût soumis que des ennemis par ses armes ; sa bonté, lui
gagna des sujets affectionnés.


5 165. Enfin on s'empare de ce qui appartient à l'en-
nemi, de ses villes, de ses provinces, pour l'amener à des
conditions raisonnables, pour le contraindre à accepter une
paix équitable et solide. On lui prend ainsi beaucoup plus
qu'il ne doit, plus que l'on ne prétend de lui ; mais c'est
dans le dessein de restituer le surplus par le traité de paix.
Nous avons vu le roi de France déclarer , dans la dernière
guerre, qu'il ne prétendait rien pour lui-même, et rendre
en effet toutes ses conquêtes, au traité d'Aix-la-Chapelle.


S 164. Comme on appelle conque'tes les villes et les
terres prises sur l'ennemi , toutes les choses mobiles qu'on
lui enlève forment le butin. Naturellement ce butin n'ap-
partient pas moins que les conquêtes au souverain qui nit
la guerre ; car lui seul a des prétentions à la charge de
l'ennemi, qui l'autorisent à s'emparer de ses biens et à se
les approprier. Ses soldats, et même les auxiliaires, ne sont


LIV. CIIAP. 621


que des instruments dans sa main pour faire valoir son droit.
les entretient et les soudoie ; tout ce qu'ils font ils le font en
son nom et pour lui. S'ils ne sont pas associés dans la guerre,
elle ne se fait point pour eux ; ils n'ont pas plus de droit au
butin qu'aux conquêtes. Mais le souverain peut faire aux
troupes telle part qu'il lui plaît du butin. Aujourd'hui on
leur abandonne , chez la plupart des nations , tout celui
qu'elles peuvent faire en certaines occasions où le générai
permet le pillage; la dépouille des ennemis restés sur le
champ (le bataille, le pillage d'un camp forcé, quelque-
fois celui d'une ville qui se laisse prendre d'assaut. Le sol-
dat acquiert encore dans plusieurs services tout ce qu'il
peut enlever aux troupes ennemies quand il va en parti, ou
en détachement, à l'exception de l'artillerie, des munitions
de guerre, des magasins et convois de provisions de bou-
che et de fourrages , que l'on applique aux besoins et à
l'usage de l'armée. Et dès que la coutume est reçue dans
une adnée, ce serait Une injure que d'exclure les auxiliaires
du droit qu'elle donne aux troupes. Chez les Roumains , le
soldat était obligé de rapporter à la masse tout le butin qu'il
avait fait. Le général faisait vendre ce butin; il en distribuait
quelque partie aux soldats, à chacun selon son rang, el por-
tait le reste au trésor public.


5 165. An pillage (le la campagne et des lieux sans dé-
fense , on a substitué un usage en même temps plus hu-
main et plus avantageux au souverain qui fait la guerre ;
t'est celui des contributions. Quiconque fait une guerre
juste, est en droit de faire contribuer le pays ennemi à
l'entretien de son armée, à tous les frais de la guerre. Il
obtient ainsi une partie de ce qui lui est dû; et les sujets
de l'ennemi se soumettant à cette imposition , leurs biens
sont garantis du pillage , le pays est conservé. Mais si un




692 L ur,our DES GENS.


général veut jouir d'une réputation sans tache , il doit
modérer les contributions , et les proportionner aux facul-
tés de ceux à qui il les impose. L'excès en cette matière
n'échappe point au reproche de dureté et d'inhumanité.
S'il montre moins de férocité que le ravage et la destruc-
tion, il annonce plus d'avarice ou de cupidité. Les exem-
ples d'humanité et de sagesse ne peuvent être trop sou-
vent. allégués. On en vit un bien louable dans ces longues
guerres que la France a soutenues sous le règne de
Louis XIV. Les souverains , obligés et respectivement in-
téressés à conserver le pays , faisaient, à l'entrée de, la
guerre , des traités pour régler les contributions sur un
pied supportable : on convenait, et de l'étendue de pays
ennemi dans laquelle chacun pourrait en exiger, et de la
force de ces impositions , et de la manière dont les partis
envoyés pour les lever auraient à se comporter. Il était porté.
dans ces traités, qu'aucune troupe au-dessous d'un certain
nombre ne pourrait pénétrer dans le pays ennemi au-delà
des bornes convenues , à peine d'être traitée en parti bleu.
C'était prévenir une multitude d'excès et de désordres qui
désolent les peuples, et presque toujours à pure perte pour
les souverains qui font la guerre. Pourquoi un si bel exemple
n'est-il pas généralement suivi ?


166. S'il est permis d'enlever les biens d'un injuste
ennemi pour l'affaiblir (5 16i), ou pour le punir (5 162),
les mêmes raisons autorisent à détruire ce qu'on ne peut
commodément emporter. C'est ainsi que, l'on fait le dégât
dans un pays, qu'on y détruit les vivres et les fourrages,
afin que l'ennemi n'y puisse subsister : on coule à fond ses
vaisseaux quand on ne peut les prendre ou les emme-
ner. Tout cela va au but de la guerre; mais on ne doit
user de ces moyens qu'avec modération et suivant le be-


LIV. III, CIIAP. 625
soin. Ceux qui arrachent les vignes et coupent les arbres
fruitiers , si ce n'est pour punir l'ennemi de quelque atten-
tat contre le droit des gens, sont regardés comme des
barbares : ils désolent un pays pour bien des années , et
au-delà de cc qu'exige leur propre sûreté. Une pareille
conduite est moins dictée par la prudence que par la haine
et la fureur.


S 16 7 . Cependant on va plus loin encore en certaines
occasions : on ravage entièrement un pays , on saccage les
villes et les villages, on y porte le fer et le feu. Terri-
bles extrémités , quand on y est forcé ! excès barbares
et monstrueux , quand on s'y abandonne sans nécessité !
Deux raisons cependant peuvent les autoriser : la né-
cessité de châtier une nation injuste et féroce, de réprimer
sa brutalité et de se garantir de ses brigandages. Qui dou-
tera que le roi d'Espagne et les puissances d'Italie ne
fussent très-fondés à détruire jusqu'aux fondements, ces
villes maritimes de l'Afrique, ces repaires de pirates, qui
troublent sans cesse leur commerce et désolent leurs sujets?
Mais qui se portera à ces extrémités, en vue de punir seu-
lement le souverain ? Celui-ci ne sentira la peine qu'indi-
rectement. Qu'il est cruel de la faire parvenir jusqu'à
lui par la désolation d'un peuple innocent ! Le même prince
dont on loua la fermeté et le juste ressentiment dans le
bombardement d'Alger, fut accusé d'orgueil et d'inhuma-
nité après celui de Gènes. 2° On ravage un pays , on le
rend inhabitable , pour s'en faire une barrière , pour cou-
vrir sa frontière contre un ennemi que l'on ne se sent pas
capable d'arrêter autrement. Le moyen est dur, il est vrai,
mais pourquoi n'en pourrait-on pas user aux dépens de
l'ennemi , puisqu'on se détermine bien , dans les mêmes
vues, à ruiner ses propres provinces ? Le czar Pierre le




64 LE DllOIT DES GENS.


Grand, fuyant devant le terrible Charles XII, ravagea plus
de quatre-vingts lieues de pays dans son propre empire ,
pour arrêter l'impétuosité d'un torrent devant lequel il ne
pouvait tenir. La disette et les fatigues affaiblirent enfin
les Suédois , et le monarque russe recueillit à Pultawa les
fruits de sa circonspection et de ses sacrifices. Mais les re-
mèdes violents ne doivent pas être prodigués ; il faut, pour
en justifier l'usage, des raisons d'une importance propor-
tionnée. Un prince qui , sans nécessité , imiterait la con-
duite du czar , serait coupable envers son peuple : celui
qui en fait autant en pays ennemi quand rien ne l'y oblige,
ou sur de faibles raisons , se rend le fléau (le l'humanité.
Les Francais ravagèrent et brûlèrent le Palatinat dans le
siècle passé (a) . Il s'éleva un cri universel contre cette
manière de faire la guerre. En vain la cour s'autorisa
du dessein de mettre à couvert ses frontières. Le Palatinat
saccagé faisait peu à cette fin : on n'y vit que la vengeance
et la cruauté d'un ministre dur et hautain.


5 168. Pour quelque sujet que l'on ravage un pays , on
doit épargner les édifices qui font honneur à l'humanité, et
qui ne contribuent point à rendre l'ennemi plus puissant, les
temples , les tombeaux ,les bâtiments publics , tous les ou-
vrages respectables par leur beauté. Que gagne-t-on à les
détruire ? C'est se déclarer Fermerai du genre humain , que
de le priver, de gaieté de coeur, de ces monuments des arts ,
de ces modèles du goût, comme Bélisaire le représentait
à Totila , roi des Goths (b) . Nous détestons encore au-
jourd'hui ces barbares , qui détruisirent tant de merveilles


(a) En 1674, et une seconde fois, d'une manière beaucoup plus terrible,
en 1689.


(6) Voyez sa lettre dans Procope. Elle est rapportée par Grotius, liv. III,
chap. XII, y 11, net.


us'. , x. 625
quand ils inondèrent l'empire romain. De quelque juste
ressentiment que le grand Gustave fût animé coutre


, duc de Bavière , il rejeta avec indignation le con--
seil de ceux qui voulaient détruire le magnifique palais de
Munich , et il prit soin de conserver cet édifice.


Cependant, s'il est nécessaire de détruire des édifices de
cette nature, pour les opérations de la guerre , pour pousser
les travaux d'un siège, on en a le droit sans doute. Le sou-
verain du pays, ou son général , les détruit bien lui-même
quand les besoins ou les maximes de la guerre l'y invitent.
Le gouverneur d'une ville assiégée en brûle les faubourgs,
pour empêcher que les assiégeants ne s'y logent. Personne
ne s'avise de blâmer celui qui dévaste des jardins , des
vignes , des vergers , pour y asseoir son camp et s'y retran-
cher. Si par-là il détruit quelque beau monument , c'est,
un accident, une suite malheureuse de la guerre : il ne sera
condamné que dans le seul cas où il eût pu camper ailleurs
sans le moindre inconvénient.


5 1 69. Il est difficile d'épargner les plus beaux édifices
quand on bombarde une ville. Communément on se borne
aujourd'hui à foudroyer les remparts, et tout ce qui appar-
tient à la défense de la place : détruire une ville par les
bombes et les boulets rouges , est une extrémité à laquelle
on ne se porte pas sans de grandes raisons ;. mais elle est
autorisée cependan t par les lois de la guerre, lorsqu'on n'est
pas en état de réduire autrement une place importante, de
laquelle peut dépendre le succès de la guerre, ou qui sert
à nous porter des coups dangereux. Enfin on en vient là
quelquefois quand on n'a pas d'autre moyen de forcer un
ennemi à faire la guerre avec humanité, ou de le punir de
quelque autre excès. Mais les bons princes n'usent qu'à
l'extrémité, et avec répugnance, d'un droit si rigoureux.


40




626 • LE DIWIT DES GLI‘ib.
En l'année 1694,1es Anglais bombardèrent plusieurs places
maritimes de France, dont les arMateurs portaient des coups
sensibles au commerce de la Grande-Bretagne. La vertueuse
et digne épouse de Guillaume III n'apprit point ces exploits
de la flotte avec une vraie satisfaction : elle témoigna de la
douleur de ce que la guerre rendait de telles hostilités né-
cessaires, ajoutant qu'elle espérait que ces sortes d'opéra-
tions deviendraient si odieuses , qu'à l'avenir ou y renon-
cerait de part et d'autre (a.) .


S 17o. Les forteresses , les remparts , toute espèce de
fortifications , appartiennent uniquement à la guerre. Rion
(le plus naturel , ni de plus légitime, dans une guerre juste,
que de raser celles qu'on ne se propose pas de garder. On
affaiblit d'autant son ennemi, et en n'enveloppe point des
innocents dans les pertes qu'on lui cause. C'est le grand
parti que la France a tiré de ses victoires, dans une guerre'
où elle ùe prétendait pas faire de conquêtes.


5 171. On donne des sauvegardes :aux terres et aux
maisons que l'on veut épargner, soit par pure faveur, soit
à la charge d'une contribution. Ce sont des soldats qui les
protégent contre les partis , en signifiant les ordres du gé-
néral. Ces soldats sont sacrés pour l'ennemi; il ne peut les
traiter hostilement, puisqu'ils sont là comme bienfaiteurs,
et pour le salut de ses sujets. On doit les respecter, de même
que l'on respecté l'escorte donnée à une garnison , ou à de4
prisonniers de guerre , pour les conduire chez eux.


S 172. En voilà assez pour donner une idée de la mo-
dération avec laquelle on doit user, dans la guerre la plus
juste , du droit de piller et de ravager le pays énneriii. Otez
le cas où il s'agit de punir un ennemi, tout revient à cette
règle générale : tout le mal que l'on fait à l'ennemi sans


Cal Histoin de Guiffirunzc tiq;. VI, tom. , 7ag. 66.


LTV. III, cHAp.
627


nécessité, toute hostilité qui ne tend point à amener
la victoire et la fin de la guerre , est une licence que la loi
naturelle condamne.


5 1 7 3. Mais cette licence est nécessairement impunie
et tolérée jusqu'à un certain point entre les nations. Com-
ment déterminer avec précision , dans les cas particuliers ,
jusqu'où il était nécessaire de porter les hostilités pour
parvenir à une heureuse fin de la guerre ? Et, quand on
pourrait le marquer exactement, les nations ne reconnais-
sent point de juge commun; chacune juge de ce qu'elle a
à faire pour remplir ses devoirs. Donnez lieu à de conti-
nuelles accusations d'excès dans les hostilités , vous ne ferez
que multiplier les plaintes, aigrir de plus en plus les es-
prits ; de nouvelles injures renaîtront continuellement, et
l'on ne posera point les armes jusqu'à ce que l'un des
partis soit détruit. Il finit donc s'en tenir , de nation à na-
tion, à des règles générales , indépendantes des circons-
tances , d'une application sûre et aisée. Or ces règles ne
peuvent être telles , si l'on n'y considère pas les choses
dans un sens absolu, en elles-mêmes et dans leur nature.
De même donc que, à l'égard des hostilités contre la per-
sonne de l'ennemi , le droit des gens volontaire se borne à
proscrire les moyens illicites et odieux en eux-mêmes , tels
qu.e le poison , l'assassinat, la trahison , le massacre d'un
ennemi rendu et- de qui on n'a rien à craindre ; ce même
droit , dans la matière que nous traitons ici , condamne
toute hostilité qui , de sa nature et indépendamment des
circonstances, ne fait rien au succès de nos armes, n'aug-
mente point nos forces , et n'affaiblit point l'ennemi. Au
contraire, il permet ou tolère tout acte, qui, en soi-même
et de sa nature , est propre au but de la guerre , sans s'ar-
rêter à considérer si telle hostilité était peu nécessaire , hi-


t40.




8 LE DROIT DES GENS.
tile , ou superflue dans le cas particulier, à moins que l'ex-
ception qu'il y avait à faire dans ce cas-là ne fût de la der-
nière évidence ; car là ° il l'évidence règne, la liberté des
jugements ne subsiste plus. Ainsi il n'est pas en général
contre les lois de la guerre , de brûler et de saccager un
pays. Mais si un ennemi très-supérieur en forces traite de
cette manière, une ville , une province, qu'il peut facile-
ment garder pour se procurer une paix équitable et avan-
tageuse , il est généralement accusé de faire la guerre en
barbare et en furieux. La destruction volontaire des monu-
ments publics , des temples , des tombeaux , des statues ,
des tableaux, etc., est donc condamnée absolument , même
par le droit des gens volontaire , comme toujours inutile au
bu t légitime de la guerre. Le sac et la destruction des villes,
la désolation des campagnes, les ravages, les incendies , ne
sont pas moins odieux et détestés , dans toutes les occasions.
oit l'on s'y porte évidemment sans nécessité , ou sans de
grandes raisons.


Mais .comme on pourrait excuser tous ces excès , sous
prétexte du châtiment que mérite l'ennemi, ajoutons ici
que par le droit des gens naturel et volontaire on ne peut
punir de cette manière que des attentats énormes contre le
droit des gens. Encore est-il toujours beau d'écouter la
voix de l'humanité et de la clémence, lorsque la rigueur
n'est pas d'une absolue nécessité. Cicéron blâme la destruc-
tion de Corinthe , qui avoit indignement traité les ambas-
sadeurs romains. C'est que Rome, était en état de faire
respecter ses ministres, sans en venir à ces voies d'une
extrême rigueur.


LM III, CHAP. X.
629


..S.V,VIXI11ONIAVM1.,11 %,,,W1X.ANS1VIAVVV/AVVV,VONWVtKVVVVIAA VV,VV.MAMM% \MAL


CHAPITRE X.


De la Foi entre ennemis; des stratagèmes , des ruses de
guerre, des espions, et de quelques autres pratiques.


S 1 7A. L.. foi des promesses et des traités est la hase de
la tranquillité des nations, comme nous l'avons fait voir
dans un chapitre exprès (liv. II, chap. XV). Elle est sa-
crée parmi les hommes, et absolument essentielle à leur
salut commun. En sera-t-on dispensé envers un ennemi?
Ce serait une erreur également funeste et grossière, de s'i-
maginer que tout devoir cesse, que tout lien d'humanité
est rompu entre deux nations qui se font la guerre. Réduits
à la nécessité de prendre les armes pour leur défense et
pour le maintien de leurs droits , les hommes ne cessent
pas pour cela d'être hommes ; les mêmes lois de la nature
règnent encore sur eux. Si cela n'était pas, il n'y aurait
point de lois de la guerre. Celui-là même qui nous fait une
guerre injuste, est homme encore ; nous lui devons tout ce
qu'exige de nous cette qualité. Mais il s'élève un conflit
entre nos devoirs envers nous-mêmes, et ceux qui nous
lient aux autres hommes. Le droit de sûreté nous autorise
à faire contre cet injuste ennemi tout ce qui est nécessaire
pour le repousser, ou pour le mettre à la raison. Mais tous
les devoirs , dont ce conflit ne suspend pas nécessairement
l'exercice, subsistent dans leur entier ; ils nous obligent et
envers l'ennemi , et envers tous les antres hommes. Or tant
s'en faut que l'obligation de garder la foi puisse cesser pen-
dant la guerre, en vertu de la préférence que méritent les


s




050 LE DROIT DES GEIÇS.
devoirs envers soi-même; elle devient plus nécessaire que
jamais. 11 est mille occasions , dans le cours même de la
guerre, où, pour mettre des bornés à ses fureurs, aux ce-
lamités qu'elle traîne à sa suite , l'intérêt commun , le salu t.
des deux ennemis exige qifils puissent convenir ensemble
de certaines choses. Que deviendraient les prisonniers de
guerre, les garnisons qui capitulent , les villes qui se ren-
dent , si l'on ne pouvait compter sur la parole d'un ennemi
La guerre dégénérerait en une licence effrénée et cruelle ;
ses maux n'auraient plus de bornes. Et comment enfin
pourrait-on la terminer et rétablir la paix? S'il n'y a plus
de foi entre ennemis, la guerre ne finira, avec quelque sû-
reté , que par la destruction entière de l'un des partis. Le
plus léger différend , la moindre querelle produira une
guerre semblable à celle qu'Annibal fit aux Romains, dans
laquelle on combattit, non pour quelque province, non
pour l'empire , ou pour la gloire , mais pour le salut même
de la nation (a) . 11 demeure donc constant que la foi des
promesses et des traités doit être sacrée, en guerre comme
en paix , entre ennemis aussi-bien qu'entre nations amies.


5 1 7 5. Les conventions, les traités faits avec une na-
tion , sont rompus ou annulés 'par la guerre qui s'élève
entre les contractants ; soit parce qu'ils supposent tacite-
ment l'état de paix , soit parce que chacun pouvant dé-
pouiller son ennemi de ce qui lui appartient, lui ôte les
droits qu'il lui avait donnés par des traités. Cependant il
faut excepter les traités où l'on stipule certaines choses
en cas de rupture; par exemple , le temps qui sera donné
aux sujets , de part cl d'autre , pour se retirer ; la neu
tralité assurée d'un commun consentement à une ville, ou
à une province, etc. Puisque, par des traités de cette


(a) De =lute certatum et.


LIV. III, CHAP. x. 031


nature , on 'veut pourvoir à ce qui devra s'observer en cas
de rupture , on renonce au droit de les annuler par la dé-
claration de guerre.


Par la même raison , on est tenu à l'observation de tout
cc qu'on promet à l'ennemi dans le cours de la guerre ;
car dès que l'on traite avec lui pendant que l'on a les
armes à la main , on renonce tacitement , mais nécessai-
rement, au pouvoir de rompre la convention, par forme
de compensation et à raison de la guerre, comme on rompt
les traités précédents; autrement ce serait ne rien faire,
et il serait absurde de traiter avec l'ennemi.


5 1 7 6. Mais il en est des conventions faites pendant
la guerre, comme de tous les autres pactes et traités,
dont l'observation réciproque est une condition tacite


liv. . Il , 5 202) ; on n'est plus tenu à les observer envers
un ennemi qui les a enfreints le premier ; et même, quand
il s'agit de deux conventions séparées , qui n'ont point de
liaison entre elles , bien qu'il ne soit jamais permis d'être
perfide par la raison qu'on a affaire à un ennemi qui dans une
autre occasion a manqué à sa parole , on peut néanmoins
suspendre l'effet d'une promesse:, pour l'obliger à réparer
son manque de foi , et retenir ce qu'on lui a promis, par
forme de gage , jusqu'à ce qu'il ait réparé sa perfidie.
C'est ainsi qu'à la prise de Namur, en 1695 , le roi d'An-
gleterre fit arrêter le maréchal de Bouflers , et le retint.
prisonnier, malgré la capitulation , pour obliger la France.
à réparer les infractions faites aux capitulations de Dixmude.
et; de Deinse (a) .


577. La foi ne consiste pas seulement à tenir ses pro-
messes , mais encore à ne point tromper, dans les occa- -
siens où l'on se trouve obligé , de quelque manière que


(a) lestaire de Guiitaume JI f , tom. Il, pag. 14.8.




632 LE DROIT DES GENS.
ce soit, à dire la vérité. No us touchons ici une question
vivement agitée autrefois , et qui a paru embarrassante ,
tant que l'on a eu des notions peu justes ou peu distinctes
du mensonge. Plusieurs, et sur-tout des théologiens , se
sont représenté la vérité comme une espèce de divinité, à
laquelle on doit je ne sais quel respect inviolable, pour
elle-même et indépendamment de ses effets; ils ont con-
damné absolument tout discours contraire à la pensée de
celui qui parle ; ils ont prononcé qu'il huit , en toute ren-
contre, parler selon la vérité connue si l'on ne peut se
taire, et offrir comme en sacrifice à leur divinité les in-
térêts les plus précieux, plutôt que de lui manquer de
respect. Mais des philosophes plus exacts et plus profonds
ont débrouillé cette idée si confuse et si fausse dans ses
Conséquences. On a reconnu que la vérité doit être res-
pectée en général , parce qu'elle est l'âme de là société
humaine , le fondement de la confiance dans le commerce
mutuel des hommes, et que par conséquent un homme
ne doit pas mentir, même dans les choses indifférentes ,
crainte d'aflidblir le respect dû en général à la vérité, et
de se nuire à soi-même, en rendant sa parole suspecte lors
même qu'il parle sérieusement. Mais en fondant ainsi le
respect qui est dû à la vérité sur ses effets, on est entré,
dans la vraie route, et dès-lors il a été facile de distinguer
entre les occasions où l'on est obligé de dire la vérité , ou
de manifester sa pensée , et celles où l'on n'y est point
tenu. On n'appelle mensonges que les discours qu'un homme
tient contre sa pensée , dans les occasions où il est obligé
de dire la vérité ; et on réserve un autre nom , en latin
fittsiloquium , pour les discours faux, tenus à gens qui,
dans le cas particulier, n'ont aucun droit d'exiger qu'or;
leur dise la vérité.


LIV. III, CITAI, . s. 635


Ces principes posés , il n'est pas difficile de marquer
quel doit être, dans les occasions , le légitime usage de la
vérité , ou du discours faux, à l'égard d'un ennemi. Toutes
les fois qu'on s'est engagé , expressément ou tacitement,
à lui parler vrai, on y est indispensablement obligé par sa
foi , dont nous venons d'établir l'inviolabilité. Tel est le
cas des conventions , des traités : l'engagement tacite d'y
parler vrai est de toute nécessité ; car il serait absurde de
dire que l'on ne s'engage pas à ne point tromper l'en-
nemi sous couleur de traiter avec lui : ce serait se jouer
et ne rien faire. On doit encore dire la vérité à l'ennemi
dans toutes les occasions où l'on s'y trouve naturellement
obligé par les lois de l'humanité , c'est-à-dire, lorsque le
succès de nos armes et nos devoirs envers nous-mêmes ne
sont point en conflit avec les devoirs communs de l'huma-
nité, et n'en suspendent pas la force et l'exercice dans le
cas présent. Ainsi, quand on renvoie des prisonniers rache-
tés ou échangés, ce serait une infamie de leur indiquer le
plus mauvais chemin ou une route dangereuse ; quand le
prince ou le général ennemi,demande des nouvelles d'une
reMMD ou d'un enfant qui lui est cher, il serait honteux de
le tromper.


S 178. Mais lorsqu'en faisant tomber l'ennemi dans Per•
rem-, soit, par un discours dans lequel on n'est point engagé
à dire la vérité , soit par quelque démarche simulée , on
peut se procurer un avantage dans la guerre, lequel il serait
permis de chercher à force ouverte, il n'y a nul doute que
cette voie ne soit permise. Disons plus , comme l'humanité
nous oblige à préférer les moyens les plus doux dans la
poursuite (le nos droits, si par une ruse de guerre, une feinte
exempte de perfidie, on peut s'emparer d'une place forte,
surprendre l'ennemi et le réduire, il vaut mieux , il est réel-




634 LE DROIT DE.S
lernent plus louable, de réussir de cette manière que par
un siége meurtrier ou par une bataille sanglante ( 5). Mais
cette épargne du sang humain ne va jamais jusqu'à auto-
riser la perfidie, dont l'introduction aurait des suites trop
funestes , et ôterait aux souverains , une fois en guerre ,
tout moyen de traiter ensemble et de rétablir la paix
(S '74).


Les tromperies faites à l'ennemi sans perfidie , soit par
des paroles, soit par des actions, les piéges qu'on lui tend
en usant des droits de la guerre, sont des stratagèmes dont
l'usage a toujours été reconnu pour légitime , et a fait sou-
vent la gloire des plus grands capitaines. Le roi d'Angleterre
Guillaume III ayant découvert que l'un de ses secrétaires
donnait avis de tout au général ennemi , fit arrêter secrè-
tement le traître, et le força d'écrire au duc de Luxembourg,
que le lendemain les alliés feraient un fourrage général ,
soutenu (l'un gros corps d'infanterie avec du canon ; et se
servit de cette ruse pour surprendre l'armée française à
Steinkerque. Mais, par l'activité du général français, et par


(') II y a eu un temps où l'on a condamné au supplice ceux qui étaient
saisis en voulant surprendre une place. En 1597, le prince Maurice voulut
surprendre Venlo. L'entreprise manqua; et quelques-uns de ses gens ayant
été pris, ils furent condamnés 2la mort; le consentement des parties ayant
introduit ce nouvel usage de droit pour obvier ci ces sortes de dangers.
Grotius, Hist. des troubles des Pays-Bas, liv. VI. Dès lors l'usage a chan-
gé. Les gens de guerre qui tentent de surprendre une place en temps de
guerre ouverte ne sont point traités, s'ils sont surpris, diUrernment des
autres prisonniers ; et cela est plus humain et plus raisonnable. Cependant 1
s'ils étaient déguisés, ou s'ils avaient usé de quelque trahison, ils seraient .;
traités en espions, et c'est peut•ètre ce que veut dire Grotius; car ie ne vois
pas ailleurs que l'on ait traité avec cette rigueur des troupes venues simple-
ment dans le silence de la nuit pour surprendre une place. Ce serait toute
autre chose si l'on tentait une telle surprise en pleine paix ; et les Savoyards
qui furent pris lors de l'escalade de Genève, méritaient la mort qu'on leur
lit subir.


LIV. Ili, GUAI). X. 635


la valeur de ses troupes , le succès ne répondit pas à des
mesures si habilement concertées (a).


11 faut respecter , dans l'usage des stratagèmes , nen-
seulement /a foi qui est due à l'ennemi , mais encore les
droits de l'humanité , et prendre garde de faire des
choses dont l'introduction serait préjudiciable au genre hu-
main. Depuis que les hostilités ont commencé entre la
France et l'Angleterre (1) , on dit qu'une frégate anglaise
s'étant approchée à la vue de Calais , fit les signaux de dé-
tresse pour attirer quelque bâtiment, et se saisit d'une
chaloupe et des matelots qui venaient généreusement à son
secours. Si le fait est tel , cet indigne stratagème mérite
une punition sévère. 11 tend à empêcher l'effet d'une charité
secourable, si sacrée au genre humain , et si recomman-
dable même entre ennemis. D'ailleurs , faire les signaux de
détresse , c'est demander du secours, et promettre par cela
même toute sûreté à ceux qui le donneront. Il y a donc une
odieuse perfidie clans l'action attribuée à cette frégate.


On a vu des peuples , et les Romains eux-mêmes, pon-
dant long-temps , faire profession de mépriser à la guerre
toute espèce de surprise , de ruse , de stratagème; et d'an-
tres qui allaient jusqu'à marquer le temps et le lieu ois ils
se proposaient de donner bataille (a). Il y avait plus de gé,-


(a))Mémoires de Feuguières tom. pag. 82 et su ie -
(t ) L'auteur écrivait avant l'année 1758.
(•) C'était la manière des anciens Gaulois; voyez Tite-Live. On a dit


d'Achille qu'il ne voulait combattre qu'à découvert, et qu'il n'était pas


homme s' enfermer dans le fameux cheval de bois qui fut. fatal auxT/


I lie non, incluses expie Minerve
Sacra .mentito , mati Ariettes
'front, et dretani ehoreis
Falleret alitent :
Sert palan eaptis gravi,c


llorat. IV, od. VI.




636 Lli I)IOIT Drs GENS.
nérosité que (le sagesse dans une pareille conduite. Elle
serait très-louable sans doute, si, comme dans la manie des
duels, il n'était question que de faire preuve de courage.
Mais à la guerre il s'agit de défendre la patrie, de pour-
suivre , par la force , des droits qu'on nous refuse injuste-
ment; el les moyens les plus sûrs sont aussi les plus louables,
pourvu qu'ils n'aient rien d'illicite et d'odieux en eux -
mêmes.
Dolus an virtus, quis in .hostc requirat(a)1


Le mépris des ruses (le guerre, des stratagèmes, des surprises,
vient souvent, comme dans Achille, d'une noble confiance
dans sa valeur et dans ses propres forces ; et il faut avouer
que, quand on peut vaincre un ennemi à force ouverte , en
bataille rangée, on doit se flatter bien plus sûrement de
l'avoir dompté et réduit à demander la paix , que si on a
obtenu l'avantage par surprise, comme le disent dans Tite-
Live ces généreux sénateurs qui n'approuvaient pas la con-
duite peu sincère que l'on avait tenue avec Persée (t) . Lors
donc que la valeur simple et ouverte petit assurer la vic-
toire , il est des occasions où elle est préférable à la ruse ,
parce qu'elle procure à l'état un avantage plus grand et plus
durable.


S 7 9 . L'usage des espions est une espèce de tromperie
à la guerre, ou de pratique secrète. Ce sont des gens qui
s'introduisent chez l'ennemi pour découvrir l'état de ses
affaires , pénétrer ses desseins , et en avertir celui qui les
emploie. On punit communément les espions du dernier
supplice, et cela avec justice, puisque l'on n'a guère d'autre
moyen de se garantir du mal qu'ils peuvent faire (5 155).


(a) Virgil.
dib. II, y . 390.


(5) Tit.-Lit. XLII, cap. 47.;


1.1v. CHAI'. 657
Pour cette raison un homme d'honneur , qui ne veut pas
s'exposer à périr par la main d'un bourreau , ne fait point
le métier d'espion ; et d'ailleurs il le juge indigne de lui ,
parce que ce métier ne 'peut guère s'exercer sans quelque
espèce de trahison. Le souverain n'est donc pas en droit
d'exiger un pareil service de ses sujets, si ce n'est, peut-être
dans quelque cas singulier, et de la plus grande importance.
Il y invite , par l'appât du gain , les limes mercenaires. Si
ceux qu'il emploie viennent s'offrir d'eux-mêmes, ou s'il
n'y engage que des gens qui ne sont point sujets de l'en-
nemi , et qui ne tiennent à lui par aucun lien , il n'est pas
douteux qu'il ne puisse légitimement et sans honte profiter
de leurs services. Mais est-il permis , est-il honnête , de
solliciter les sujets de l'ennemi à le trahir , pour nous servir
d'espions ? Nous répondrons à cette question dans le para-
graphe suivant.


5 80. On demande en général, s'il est permis de sé-
duire les gens de l'ennemi pour les engager à blesser leur
devoir par une honteuse trahison ? Ici il faut distinguer
entre ce qui est dû à l'ennemi malgré l'état de guerre, et
ce qu'exigent les lois intérieures de la conscience, les règles
de l'honnêteté. Nous pouvons travailler à affaiblir l'ennemi
par tous les moyens possibles ( 5 158) , pourvu qu'ils ne
blessent pas le salut commun de la société humaine, comme
font le poison et l'assassinat ( 5 155). Or la séduction d'un
sujet pour servir d'espion , celle d'un commandant pour
livrer sa place, n'attaquent point les fondements du salut
commun des hommes , de leur sûreté. Des sujets , espions
de l'ennemi , ne font pas un mal mortel et inévitable ; on
peut se garder d'eux jusqu'à un certain point ; et quant à
la sûreté des places fortes, c'est au souverain de bien choisir
ceux à qui il les confie. Ces moyens ne sont donc pas con




638 LE DROIT DES GENS.
traires au droit des gens externe dans la guerre; et Pen-,
nemi n'est point fondé à s'en plaindre comme d'un atten-
tat odieux. Aussi se pratiquent-ils dans toutes les guerres.
Mais sont-ils honnêtes , et compatibles avec les lois d'une
conscience pure ? Non, sans doute; et les généraux le sen-
tent eux-mêmes, puisqu'ils ne se vantent jamais de les avoir
mis en usage. Engager un sujet_à trahir sa patrie, subor-
ner un traître pour mettre le feu à un magasin , tenter la
fidélité d'un commandant, le séduire, le porter à livrer la
place qui lui est confiée ; c'est pousser ces gens-là à com-
mettre des crimes abominables. Est-il honnête de corrom-
pre , (l'inviter au crime son plus mortel ennemi P Tout au
plus pourrait-on excuser ces pratiques dans une guerre.
très-juste , quand il s'agirait de sauver la patrie de la ruine
dont elle serait menacée par un injuste conquérant. Il semble
qu'alors le sujet ou le général . , qui trahirait son prince dans
une cause- manifestement injuste , ne commettrait pas une
faute si odieuse. Celui qui ne respecte lui-même ni la jus-
tice, ni l'honnêteté, mérite d'éprouver à son tour les effets de
la méchanceté et de la perfidie ; et si jamais il est pardon-
nable de sortir des rè,glessévè.res de l'honnêteté , c'est contre
un ennemi de ce caractère, et dans une extrémité pareille.
Les Romains, dont les idées étaient pour l'ordinaire si pures
et si nobles sur les droits de la guerre, n'approuvaient point
ces sourdes pratiques (*). Ils n'estimèrent pas la victoire du


(') Xénophon exprime très-bien les raisons qui rendent la trahison
odieuse et qui autorisent à la réprimer d'une autre manière que par la force
ouverte. a La trahison, dit-il, est une offense bien plus grande que la
»guerre ouverte, d'autant qu'il est bien plus difficile de se garder des en-
» treprises sourdes que d'une attaque ouverte; et elle est d'autant plus
s odieuse que les ennemis peuvent enfin traiter ensemble et se réconcilier
» de bonne foi, au Heu qu'on ne peut ni traiter avec un homme une Sois
s reconnu pour traître, ni se fier à lui. Xénopb. Dist. ,qrac.


II.


LIV. III, CHAP. x. 639
consul Servilius Czepio sur Viriatus, parce qu'elle avait été
achetée. Valère-Maxime dit qu'elle fut souillée d'une double
perfidie (a) ; et un autre historien écrit que le sénat ne
l'approuva point (b).


S 181. Autre chose est d'accepter seulement les offres
d'un traître. On ne le séduit point, et l'on peut profiter de
son crime, en le détestant. Les transfuges, les déserteurs,
commettent un crime contre leur souverain : on les reçoit
cependant par le droit de la guerre , comme le disent les
jurisconsultes romains (e). Si un gouverneur se vend lui
même , et offre de livrer sa place pour de l'argent, se fera-
t-on seneule de profiter de son crime , pour obtenir sans
péril ce qu'on est en droit de prendre par force P Mais quand
on se sent en état de réussit' sans le secours des traîtres ,
il est beau de témoigner, en rejetant leurs offres, toute
l'horreur qu'ils inspirent. Les Romains, dans leurs siècles
héroïques, dans ces temps oit ils donnaient de si beaux
exemples de grandeur d'âme et de vertu , rejetèrent tou-
jours avec indignation les avantagés que leur présentait la.
trahison de quelque sujet des ennemis. Non-seulement ils
avertirent Pyrrhus du dessein horrible de son médecin, ils
refusèrent de profiter d'un crime moins atroce, et ren-


(a) Viriati etiam cades dupticem per fidiœ accusationem, recep-it ; in
quàd arum manitrus interemptus est ; in Q. Sereilio Cepione


eonsute, quia is seeteris hujus auctor, , impUnitate promissa , fuit ; victo-
riamque non vue nit, sed exil. LI. IX, cap. VI, nuin. 4. Quoique cet
exemple semble appartenir à une autre matière (à celle de l'assassinat), je
na laisse pas de le placer ici, parce que, si l'on consulte les autres auteurs,
il ne parait pas que Crepio eût engagé les soldats de ririatus à l'assassi-
ner. Voyez entre autres Eutrope , IV, cap. VIII.


(t') Qua victoria, quia empta crac, à senatu non probe«. Auct. de
vins illust. cap. LXXI.


(e) Transfugam jure belli reipimus.Digest. lib. UT, tit. I. De adquir,
remain domin. lcg. LI.


4




640 LE DROIT DES GENS.


voyèrent lié et garrotté aux Falisques un traître qui avait
voulu livrer les enfants du roi (a).


Mais lorsqu'il y a de la division chez l'ennemi, on peut
sans scrupule entretenir des intelligences avec l'un des
partis, et profiter du droit qu'il croit avoir de nuire au parti
opposé. On avance ainsi ses propres affaires , sans séduire
personne , sans participer en aucune façon au crime d'au-
trni. Si l'on profite de son erreur, cela est permis , sans .
doute, contre un ennemi.


S t 8 On appelle intelligence double, celle d'un homme
qui fait semblant de trahir son parti, pon• attirer l'ennemi
dans le piège. C'est une trahison et un métier infâme quand
on le fait de propos délibéré et en s'offrant le premier. Mais
un officier , un commandant de place , sollicité par l'en-
nemi , peut légitimement, en certaines occasions, feindre
de prêter l'oreille à la séduction, pour attraper le subot-,
Heur. Celui-ci lui fait injure en tentant sa fidélité; il se
venge justement en le faisant tomber dans le piège ; et
par cette conduite il ne nuit point à la foi des promesses ,
au bonheur du genre humain; car des engagements crimi-
nels sont absolument nuls ; ils ne doivent jamais être rem-
plis; et il serait avantageux que personne ne pût compter
sur les promesses des traîtres, qu'elles fussent de toutes
parts environnées d'incertitude et de dangers. C'est pourquoi
un supérieur , s'il apprend que l'ennemi tente la fidélité de
quelqu'un de ses officiers ou soldats, ne se fait point scru-
pule d'ordonner à ce subalterne de feindre qu'il se laisse
gagner , et d'ajuster sa prétendue trahison de manière à
attirer l'ennemi clans une embuscade. Le subalterne est


(a) Eadent fide, indicatunt Pyrrho regi inedicum , vite, ejus insidian-
tans : eiden Patiscis vineuses tractitanc proditorsta liberorum, Tit.-
Liv. lib. XIII, cap. 47.


IL III, CHAI'. 641


obligé d'obéir. Mais quand la séduction s'adresse directe-
ment au commandant en chef, pour l'ordinaire un homme
d'honneur préfère et doit préférer le parti de rejeter hau-
tement et avec indignation une proposition injurieuse (*).


CHAPITRE XI.


Du Souverain qui fait une guerre injuste.


S 183. TOUT le droit de celui qui fait la guerre vient
de la justice de sa cause. L'injuste qui l'attaque ou le me-
nace , qui lui refuse cc qui lui appartient, en un mot qui
lui fait injure , le met clans la nécessité de se défendre , ou
de se faire justice les armes à la main ; il l'autorise à tous
les actes d'hostilité nécessaires pour se procurer une satis-
faction complète. Quiconque prend les armes sans sujet
légitime, n'a donc absolument aucun droit ; toutes les hos-
tilités qu'il commet sont injustes.


S ;184. Il est chargé de tous les maux, de toutes les hor-
reurs de la guerre :le sang versé,la désolation des familles,
les rapines,les violences , les ravages, les incendies, sont ses
ceuvres et ses crimes : coupable envers l'ennemi qu'il at-
taque , qu'il opprime , qu'il massacre sans sujet : coupable


(`) Lorsque le duc de Parme assiégeait Berg-Op-Zoom, deux prisonniers
espagnols qui étaient gardés dans un fort près de la ville, tentèrent de cor-
rompre un maitre de taverne et un soldat anglais pour livrer ce fort au duc ;
ceux-ci en ayant averti le gouverneur, il leur ordonna de feindre de se laisser
gagner ; et leurs arrangements faits avec le duc de Parme pour la surprise
du fort, ils informèrent de tout le gouverneur. Celui-ci se tint prêt à bien
recevoir les Espagnols, qui donnèrent dans le piège et perdirent près de
trois mille hommes. Grotius, Hist. des troubles des Pays-Bas, liv. I.


4




642 LE DROIT DES GENS.
envers son peuple, qu'il entraîne dans l'injustice, qu'il ex-
pose sans nécessité, sans raison ; envers ceux de ses sujets
que la guerre accable ou met en souffrance , qui y perdent
la vie , les biens, ou la santé: coupable enfin envers le genre
humain entier, dont il trouble le repos , et auquel il donne
un pernicieux exemple. Quel effrayant tableau de misères
et de crimes ! Quel compte à rendre au "Roi des rois , au
père commun des hommes ! Puisse cette légère esquisse
frapper les yeux des conducteurs des nations , des princes
et de leurs ministres ! Pourquoi n'en attendrions-nous pas
quelque fruit ? Les grands auraient-ils perdu tout sentiment
d'honneur , d'humanité , de devoir et de religion ? Et si
notre faible voix pouvait, dans toute la suite des siècles,
prévenir seulement une guerre , quelle récompense plus
glorieuse de nos veilles et de notre travail?


5 185. Celui qui fait injure est tenu à la réparation du
dommage, ou à une juste satisfaction si le mal est irréparable;
et même à la peine (1) , si la peine est nécessaire pour
l'exemple pour la sûreté de l'offensé , et pour celle de la


(i) J'ai laissé passer plusieurs de ces endroits où il est parlé de peine-
comme d'un surplus de mal à faire à l'agresseur après l'avoir forcé par les
armes à la réparation, satisfaction et caution, après l'avoir affaibli, lui avoir
ôté., tant qu'on a pu, les moyens de nuire, et où le but de ce surplus de
mal doit être de faire une plus profonde impression sur lui, de l'effrayer et
d'effrayer les autres, c'est-à-dire, de servir d'exemple. Mon silence ne doit
pas faire conclure que j'approuve ces passages. Je ne me suis tu que pour
ne pas me répéter sans cesse. Certes, si tous les maux qu'a soufferts l'injuste
assaillant, nécessairement, par la nature des choses, avant n'avoir pu dire
réduit à tout réparer et satisfaire, ne l'ont pas effrayé, ni lui ni tout mé-
chant qui lui ressemble, je dis qu'il ne s'effraiera pas de celui qu'on lui
infligera de plus par forme de pcin•c, et qu'il sera incorrigible tant qu'il
sera libre. En ce cas, il ne faut donc pas l'abandonner à lui-même, il faut
le retenir pour notre sûreté sous notre pouvoir, et le punir, pour son bien ,
-tant qu'il voudra malfaire. D.


LIV. III, CH r. XI. 6.!j
sociétélumaine. C'est le cas du prince auteur d'une guerre
injuste. Il doit restituer tout ce qu'il a pris, renvoyer à ses frais
les prisonniers; il doit dédommager l'ennemi des maux qu'il
lui a fait souffrir , des pertes qu'il lui a causées; relever les
familles désolées , réparer, s'il était possible, la perte d'un
père , d'un fils , d'un époux.


S 186. 11iais comment réparer tant de maux? Plusieurs
sont irréparables de leur nature. Et quant à ceux qui peu-
vent être compensés par un équivalent , oit puisera le guer-
rier injuste pour racheter ses violences ? Les biens -parti-
culiers du prince n'y pourraient suffire. Donnera-t-il ceux
de ses sujets ? Ils ne lui appartiennent pas. Sacrifiera -t
les terres de la nation , une partie de l'état? Mais l'état
n'est pas son patrimoine (liv. I , 5 61) ; il ne peut en dis-
poser à son gré. Et bien que la nation soit tenue, jusqu'à
un certain point, des faits de son conducteur, outre qu'il
serait injuste de la punir directement, pour des fautes dont
elle n'est pas coupable , si elle est tenue des faits du sou-
verain , c'est seulement envers les autres nations , qui ont
leur recours contre elle (liv. I, 540, et /iv. II, 55 81, 8:t);
le souverain ne peut lui renvoyer la peine de ses injus-
tices , ni la dépouiller pour les réparer ; et quand il le pour,.
rait, sera-t-il lavé de tout, et pur dans sa conscience ? Ac-
quitté envers l'ennemi , le sera-t-il auprès de son peuhl': ?
C'est une étrange justice que celle d'un homme qui répare
ses torts aux dépens d'un tiers : il ne fait que changer
l'objet de son injustice. Pesez toutes ces choses, &conduc-
teurs des nations ! et quand vous aurez vu clairement qu'une
guerre injuste vous entraîne dans une multitude d'iniquités
dont la réparation est au-dessus de toute votre puissance,
peut-être serez-vous moins prompts à l'entreprendre.


5 18 7 . La restitution des conrêtes , des prisonniers ,
4 1 . •




6 44 Li9 DLorr DES GI:NS.


et des effets qui peuvent se retrouver en nature, ne souffre
point de difficulté quand l'injustice de la guerre est recon-
nue. La nation en corps, et les particuliers , connaissant
l'injus tice de leur possession , doivent se dessaisir, et resti-
tuer tout ce qui est mal acquis. Mais quant à la réparation
du dommage , les gens de guerre, généraux , officiers et
soldats , sont-ils obligés en conscience à réparer des maux
qu'ils ont faits , non par leur volonté propre, mais comme
des instruments dans la main du souverain? Je suis surpris
que le judicieux Grotius prenne sans distinction l'affirma-
tive (a). Cette décision ne peut se soutenir que dans le cas
d'une guerre si manifestement et si indubitablement injuste,
qu'on ne puisse y supposer aucune raison d'état secrète et
capable de la justifier; cas presque impossible en politique.
Dans toutes les occasions susceptibles de doute , la nation
entière , les particuliers , et singulièrement les gens de
guerre , doivent s'en rapporter à ceux qui gouvernent , au
souverain. Es y sont obligés par les principes essentiels de
la société politique du gouvernement. Oit en serait-on si, à
chaque démarche (lu souverain, les sujets pouvaient peser
la justice de ses raisons; s'ils pouvaient valser de marcher
pou• une guerre qui ne leur paraîtrait pas juste? Souvent
-même la prudence ne permet pas au souverain de publier
toutes ses raisons. Le devoir des sujets est de les présumer
justes et sages , tant que l'évidence pleine et absolue ne
leur dit pas le contraire. Lors donc que , flans cet esprit,
ils ont prêté leur bras pour une guerre qui se trouve en-
suite injuste , le souverain seul est coupable, lui seul est
tenu à réparer ses torts. Les sujets, et en particulier les
gens de guerre sont innocents ; ils n'ont agi que par une
obéissance nécessaire. Ils doivent seulement vider leurs


(a) Droit de €a G. et de la P. liv. i , chap. 1,:).


Int, CHAP. lux. 645
mains de ce qu'ils ont acquis dans une pareille guerre ,
parce qu'ils le posséderaient sans titre légitime. C'est là ,
je crois , le sentiment presque unanime des gens de bien ,
la façon de penser des guerriers les plus remplis (l'honneur
et de probité. Leur cas est ici celui de tous ceux qui sont
les ministres des ordres souverains. Le gouvernement de-
vient impossible, si chacun de ses ministres veut peser et
connaître à fond la justice des commandements, avant
de les exécuter. Mais s'ils doivent, pour le salut de l'é-
tat , présumer justes les ordres du souverain, ils n'en sont
pas responsables.


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CHAPITRE XII.


Du Droit des gens volontaire, par rapport aux effets de
la guerre en forme, indépendamment de la justice
de la cause.


5 188. TOUT ce que nous venons de dire dans le chapitre
précédent, est une conséquence évidente des vrais prin-
cipes , des règles éternelles de la justice : ce sont les dis-
positions de cette loi sacrée que la nature, ou son divin au-
teur, impose aux nations. Celui-là seul est en droit de faire
la guerre, celui-là seul peut attaquer son ennemi, lui ôter la
vie, lui enlever ses biens et ses possessions, à qui la justice
et la nécessité ont mis les armes à la main. Telle est la déci-
sion du droit des gens nécessaire, ou de la loi naturelle ,
l'observation de laquelle les nations sont étroitement obli-
gées (Pralin. S 7 ). C'est ta règle inviolable que chacune
doit suivre en sa conscience. Mais comment. faire valoir
cette règle dans les démêlés des peuples et des souverains




64t5 Ir DBOTT oas nExs,
qui' vivent ensemble dans l'état de nature P Ils ne recon-
naissent point do supérieur. Qui jugera entre eux, pour
marquer à chacun ses droits et ses obligations; pour dire
à celui-ci , vous avez droit de prendre les armes , d'assaillir
votre ennemi, de le réduire par la force; et à celui-là, vous
ne pouvez commettre que d'injustes hostilités, vos vic-
toires sont des meurtres, vos conquêtes des rapines et des
brigandages P Il appartient. à tout état libre et souverain de
juger en sa conscience de ce que ses devoirs exigent de
lui , de ce qu'il peut ou ne peut pas faire avec justice
(Prélim. S ' 6). Si les autres entreprennent de le juger,
ils donnent atteinte à sa liberté, ils le blessent dans ses
droits les plus précieux (Prélim. S 15) ; et puis , chacun
tirant la justice de son coté , s'attribuera tous les droits de
la guerre , et prétendra que son ennemi n'en a aucun, que
ses hostilités sont autant de brigandages , autant d'infrac-
tions au droit des gens, clignes d'être punies par toutes
les nations. La décision du droit, de la controverse, n'en
sera pas jdus avancée; et la querelle en deviendra plus
cruelle, plus funeste dans ses effets, plus difficile à termi-
ner. Ce m'est pas tout encore : les nations neutres elles-
mêmes seront entraînées dans la difficulté, impliquées dans
la querelle. Si une guerre injuste ne peut opérer aucun
effet de droit parmi les hommes; tant qu'un juge reconnu
(et il n'y en a point entre les nations) n'aura pas défini-
tivement prononcé sur la justice des armes, on ne pourra
acquérir avec sûreté aucune dés choses prises en guerre;
elles demeureront toujours sujettes à la revendication ,
comme les d'as enlevés par des brigands.


S 189. Laissons donc la rigueur du droit naturel et néces-
saire à la conscience des souverains ; il ne leur est sans doute
jamais permis de s'en écarter. Mais par rapport aux effets


1.1V. III,
647


extérieurs du droit parmi les hommes, il faut nécesSaire-
ment recourir à des règles d'une application plus sûre et
plus aisée ; et cela pour le salut même et l'avantage de la
grande société du genre humain. Ces règles sont celles du
droit des gens volontaire ( Prétim. S 21). La loi natu-
relle , qui veille. au plus grand bien de la société humaine ,
qui protége la liberté de chaque nation , et qui veut que
les affaires des souverains puissent avoir une issue, que
leurs querelles se terminent et tendent à une prompte fin;
cette loi, dis-je, recommande l'observation du droit des
gens volontaire pour l'avantage commun des nations; tout
comme elle approuve les changements que le droit civil
fait aulx règles du droit naturel , dans la vue de les rendre
plus convenables à l'état de la société politique, d'une ap-
plication plus aisée et plus sûre. Appliquons donc au sujet
particulier de la guerre l'observation générale que nous
avons faite dans nos préliminaires (S 28). Une nation , un
souverain , quand il délibère sur le parti qu'il a à prendre
pour satisfaire à son devoir, ne doit jamais perdre de vue le
droit nécessaire, toujours obligatoire dans la conscience; mais
lorsqu'il s'agit d'examiner ce qu'il peut exiger des autres
états, il doit respecter le droit des gens volontaire, et res-
treindre même ses justes prétentions sur les règles d'un
droit dont les maximes sont consacrées au salut et à l'avan-
tage de la société universelle des nations. Que le droit né-
cessaire soit la règle qu'il prendra constamment pour lui-
même. Il doit souffrir que les autres se prévalent du droit
des gens volontaire.


5 1 90. La première règle de ce droit , dans la matière
dont nous traitons, est que la guerre en forme, quant a
ses e frets , doit être regardée comme: juste de part et d'autre.
Cela est absolument nécessaire , comme nous venons de le




LE DROIT /SES GENS,


faire voir, si l'on veut apporter quelque ordre, quelque
règle, dans un moyen aussi violent que celui des armes,
mettre des bornes aux calamités qu'il produit, et laisser
une porte toujours ouverte au retour de la paix. Il est
même impraticable d'agir autrement de nation à nation ,
puisqu'elles ne reconnaissent point de juge.


Ainsi les droits fondés sur l'état de guerre, la légitimité
de ses effets , la validité des acquisitions faites par les armes ,
ne dépendent point, extérieurement et parmi les hommes,
de la justice de la cause', niais de la légitimité des moyens
en eux-mêmes; c'est-à-dire, de tout ce qui est requis pour
constituer une guerre en forme. Si l'ennemi observe toutes
les règles de la guerre en forme (voyez le. chap. IV de ce
livre ) , nous ne sommes point reçus à nous plaindre (le
lui, comme d'un in


•acteur du droit des gens; il a les
mêmes prétentions que nous au bon droit; et toute notre
ressource est dans la victoire , ou dans un accommodement.


Deuxième règle. 5 191. Le droit étant réputé égal entre
deux ennemis, tout ce qui est permis à l'un en vertu de l'état
de guerre, est aussi permis à l'autre. En effet , on ne voit
point qu'une nation , sous prétexte que la justice est de son
côté, se plaigne des hostilités de son ennemi , tant qu'elles
demeurent dans les termes prescrits par les lois communes
de la guerre. Nous avons traité dans les chapitres précé-
dents de ce qui est permis dans une guerre juste. C'est cela
précisément, et pas davantage, que le droit volontaire au-
torise également dans les deux partis. Ce droit rend les
choses égales de part et d'autre; mais il ne permet à per-
sonne ce qui est illicite en soi ; il ne peut avouer une licence
effrénée. Si donc les nations sortent de ces limites, si elles
portent les hostilités au-delà de ce que permet en général
le droit interne et nécessaire pour le soutien d'une cause


LIV. III, CHAP. XII. G49


juste, gardons-nous de rapporter ces excès au droit des
gens volontaire ; il faut les attribuer uniquement aux mœurs
corrompues qui produisent une coutume injuste et barbare.
Telles sont ces horreurs auxquelles le soldat s'abandonne
quelquefois dans une ville prise d'assaut.


S 192. 5° 11 ne faut jamais oublier que ce droit des gens
volontaire , admis par nécessité et pour éviter de plus grands
maux ( 55 188 , 189) , ne donne point à celui dont les
armes sont injustes un véritable droit capable de justi-
fier sa conduite et de rassurer sa conscience , mais seule-
ment l'effet extérieur (lu droit, et l'impunité parmi les
hommes. Cela paraît assez par la manière dont nous avons
établi le droit des gens volontaire. Le souverain dont les
armes ne sont pas autorisées par la justice, n'en est donc
pas moins injuste, pas moins coupable contre la loi sacrée
de la nature , quoique, pour ne point aigrir les maux de la
société humaine en voulant les prévenir, la loi naturelle
elle-même exige qu'on lui abandonne les mêmes droits ex-
ternes qui appartiennent très-justement à son ennemi. C'est
ainsi que par les lois civiles un débiteur peut refuser le paie-
ment de sa dette lorsqu'il y a prescription ; mais il pèche
alors contre son devoir ; il profite d'une loi établie pour
prévenir une multitude de procès , mais il agit sans aucun
droit. véritable.


Les nations s'accordant en effet à observer les règles que
nous rapportons au droit des gens volontaire , Grotius les
fonde sur un consentement de fait de la part des peuples,
et les rapporte au droit des gens arbitraire. Mais outre qu'un
pareil engagement serait bien . souvent difficile à prouver,
il n'aurait de force que contre ceux qui y seraient formel-
lement entrés. Si cet engagement existait il se rappor-
terait au droit des gens conventionnel , lequel s'établit par




65o
LE DROIT DES GENS.


l'histoire, et non par le raisonnement ; il se fonde sur des
faits, et. non pas sur des principes. Dans cet ouvrage, nous
posons les principes naturels du droit des gens ; nous le
déduisons de la nature elle-même; et ce que nous appe-
lons droit des gens volontaire, consiste dans des règles de
conduite, de droit externe,


-


auxquelles la loi naturelle oblige
les nations de consentir ; en sorte qu'on présume de droit
leur consentement , sans le chercher dans les annales du
monde ; parce que , si même elles ne l'avaient pas donné ,
la loi de la nature le supplée et le donne pour elles. Les
peuples ne sont point libres ici dans leur consentement; et
celui qui le refuserait, blesserait les droits communs des
nations ( voyez Prélim. 5 21).


Ce droit des gens volontaire , ainsi établi, est d'un usage
très-étendu ; et ce n'est point du tout une chimère , une
fiction arbitraire, dénuée de fondement. Il découle de la
même source , il est limdé sur les mêmes principes que le
droit naturel ou nécessaire. Pourquoi la nature impose-
t-elle aux hommes telles ou telles règles de conduite, si ce
n'est parce que ces règles sont nécessaires au salut et au
bonheur du genre humain ? Mais les maximes du droit des
gens nécessaire sont fondées immédiatement sur la nature
des choses, en particulier sur celle de l'homme et de la
société politique : le droit des gens volontaire suppose un
principe de plus , la nature de la grande société des na-
tions et du commerce qu'elles ont ensemble. Le premier
prescrit aux nations ce qui est absolument nécessaire, et
ce qui tend naturellement à leur perfection et à leur com-
mun bonheur: le second tolère ce qu'il est impossible d'é-
viter sans introduire de plus grands maux.


LIV. CHAP. 65 t


CHAPITRE XIII.


De l'Acquisition par guerre, et principalement de la Con-
quête.


S 195. S'IL est permis d'enlever les choses qui appartien-
nent à l'ennemi , dans la vue de l'affaiblir (S rfm ) , et
quelquefois dans celle de le punir ( 5 162 ) , il ne l'est pas
moins, dans une guerre juste, de s'approprier ces choses-là
par une espèce de compensation , que les jurisconsultes
appellent eux pletio »tris ( 5 161) : on les retient en équi-
valent de ce qui est dû par l'ennemi , des dépenses et des
dommages qu'il a causés; et même lorsqu'il y a sujet de le
punir, pour tenir_lieu de la peine qu'il a méritée ; car lors-
que je ne puis me procurer la chose même qui m'appar-
tient , ou qui m'est due , j'ai droit h un équivalent , lequel,
dans les règles de la justice explé.trice , et suivant l'estima-
tion morale ,•est regardé comme la chose même. La guerre
fondée sur la justice est donc un moyen légitime d'acquérir
suivant la loi naturelle , qui fait le droit des gens nécessaire.


5 1 9 4. Mais cette loi sacrée n'autorise l'acquisition faite
par de justes armes que dans les termes de la justice; c'est-


, jusqu'au point d'une satisfaction complète , dans la
mesure nécessaire pour remplir les fins légitimes dont nous
venons de parler. Un vainqueur équitable, rejetant les con-
seils de l'ambition et de l'avarice, fera une juste estimation de
ce qui lui est dû, savoir, de la chose même qui a fait le sujet
de la querelle , s'il ne peut l'avoir en nature, des dommages
et des frais de la guerre ; et ne retiendra des biens de l'en-




652 LE DE0/1' DES CENS.
nemi , que précisément autant qu'il en faudra pour former
l'équivalent. Mais s'il a affaire à un ennemi perfide, inquiet
et dangereux , il lui ôtera , par forme de peine , quelques-
unes de ses places, ou de ses provinces, et les retiendra (i)
pour s'en faire une barrière. Rien de plus juste que d'af-
faiblir un ennemi qui s'est rendu suspect et formidable. La_
fin légitime de la peine est la sûreté pour l'avenir. Telles
sont les conditions qui rendent l'acquisition faite par les
armes, juste et irréprochable devant Dieu et dans la con-
science : le bon droit dans la cause, et la mesure équitable
dans la satisfaction.


S 195. Mais les nations ne peuvent insister entre elles
sur cette rigueur de la justice. Par les dispositions du droit
des gens volontaire , toute guerre en forme , quant à ses
effets, est regardée comme juste de part et d'autre ( S 190) ,
et personne n'est en droit de juger une nation sur l'excès
de ses prétentions , ou sur ce qu'elle croit nécessaire à sa
sûreté (Praim. 5 21). Toute acquisition faite dans une
guerre en forme , est donc valide , suivant le droit des gens
volontaire, indépendamment de la justice de la cause, et
des raisons sur lesquelles le vainqueur a pu se fonder pour
s'attribuer la propriété de ce qu'il a pris. Aussi la conquête
a-t-elle été constamment regardée comme un titre légitime
entre les nations ; et l'on n'a guère vu contester ce titre , à
moins qu'il ne fût dû à une guerre, non-seulement injuste,
mais destituée même (le prétextes.


5 196. La propriété des choses mobiliaires est acquise
à l'ennemi , du moment qu'elles sont en sa puissance ; et
s'il les vend chez des nations neutres , le premier proprié-


(s) il n'a pas besoin pour cela de la forme de peine; la raison de sa sûreté
suffit; et la lin légitime de la peine n'est pas notre sûreté, mais l'amende-
ment du coupable. D.


LIV. III, CHAP. XIII. 655
taire n'est point en droit de les revendiquer. Mais il faut
que ces choses-là soient véritablement au pouvoir de


, et conduites en lieu de sûreté. Supposez qu'un
étranger, passant dans notre pays, achète quelque partie
du butin que vient d'y faire un parti ennemi : ceux des nô-
tres qui sont à la poursuite de ce parti reprendront avec
justice le butin que cet étranger s'est pressé d'acheter. Sur
cette matière, Grotius rapporte, d'après de Thou, l'exemple
de la ville de Lierre en Brabant, laquelle ayant été prise et
reprise en un même jour, le butin fait sur les habitants
leur fut rendu , parce qu'il n'avait pas été pendant vingt-
quatre heures entre les mains de l'ennemi (a). Ce terme
de vingt-quatre heures , aussi bien que ce qui s'observe sur
mer (G) , est une institution du droit des gens pactice , ou
de coutume, ou enfin une loi civile de quelques états. La
raison naturelle de ce qui fut observé en faveur des habi-
tants de Lierre, est que l'ennemi étant pris , pour ainsi
dire , sur le fait, et avant qu'il eût emporté le butin, on ne
regarda pas ce butin comme passé absolument sous sa pro-
priété, et perdu pour les habitants. De même sur mer, un
vaisseau pris par l'ennemi , tant qu'il n'a pas été condui t
dans quelque port, ou au milieu d'une flotte, peut être repris
et délivré par d'autres vaisseaux du même parti : sou sort
n'est pas décidé, ni la propriété du maître perdue sans
retour, jusqu'à ce que le vaisseau soit en lieu de sûreté
pour l'ennemi qui l'a pris , et entièrement en sa puissance.
Mais les ordonnances de chaque état peuvent en disposer
autrement entre les citoyens (e), soit pour éviter les contes-
tations , soit pour encourager les vaisseaux armés à repren-
dre les navires marchands que l'ennemi a enlevés.


(e) Droit de ta G. et de le P. liv. III, chap. vr, § III, net. 7.
(b) Voyez Grotius, ibid. et dans fe texte. (e) Grotius, ibid.




X54 DDOIT DES or.xs.
On ne fait point ici attention à la justice ou à l'inj us lice


de la cause. Il n'y aurait rien de stable parmi les hommes,
nulle sûreté à commercer avec les nations qui sont en
guerre , si l'on pouvait distinguer entre une guerre juste et
une guerre injuste , pour attribuer à l'une des effets de droit
que l'on refuserait à l'autre : ce serait ouvrir la porte à une
infinité de discussions et de querelles. Cette raison est si
puissante qu'elle a fait attribuer, au moins par rapport aux
biens (nobiliaires , les effets d'une guerre publique à des
expéditions qui ne méritaient que le nom de brigandages ,
Irais qui étaient faites par des armées en forme. Lorsque
les grandes compagnies, après les guerres des Anglais en
France, couraient l'Europe et la pillaient , personne ne
s'avisa de revendiquer le butin qu'elles avaient enlevé et
vendu. Aujourd'hui on ne serait point reçu à réclamer un
vaisseau pris par les corsaires de Barbarie , et vendu à un
tiers , ou repris sur eux, quoique les pirateries de ces bar-
bares ne puissent que très-improprement être considérées
comme des actes d'une guerre en forme. Nous parlons ici
dlidroit externe : le droit interne et la conscience obligent
sans doute à rendre à un tiers les choses que l'on reprend
sur un ennemi qui les lui avait ravies dans une guerre in-
juste , s'il peut, reconnaître ces choses-là , et s'il paie les frais
que l'on a faits pour les recouvrer. Grotius (a) rapporte un
grand nombre d'exemples de souverains et de généraux
qui ont rendu généreusement un pareil butin , même sans
rien exiger pour leurs frais ou pour leurs peines. Mais on
n'en use ainsi qu'à l'égard d'un butin nouvellement enlevé.
Il serait peu praticable de rechercher scrupuleusement les
propriétaires de ce qui a été pris long-temps auparavant;
et d'ailleurs ils ont sans doute abandonné tout leur droit à


(a) Liv. III, chap. r6.


LIV. III, CHAP. Xiii.
des choses qu'ils n'espéraient plus recouvrer. C'est
commune façon de penser sur ce qui se perd à la guerre :
on l'abandonne bientôt, comme perdu sans ressource.


S 19 7 . Les immeubles , les terres , les villes, les provin-
ces , passent sous la puissance &l'ennemi qui s'en empare;
niais l'acquisition ne se consomme, la propriété ne devient
stable et parfaite , que par le traité de paix, ou par l'en-
tière soumission et l'extinction de l'état auquel ces villes et
provinces appartenaient.


5 1 9 8. Un tiers ne peut donc acquérir avec sûreté, une
place , ou une province conquise , jusqu'à ce que le souve-
rain qui l'a perdue y ait renoncé par le traité (le paix, ou
que , soumis sans retour, il ait perdu sa souveraineté; car,
tant, que la guerre continue, tandis que le souverain con-
serve l'espérance de recouvrer ses possessions par les ar-
mes , un prince neutre viendra-t-il lui en ôter la liberté,
en achetant cette place , ou cette province, du conquérant?
Le premier maître ne peut perdre ses droits par le fait d'un
tiers; et. si l'acquéreur veut conserver son acquisition , il
se trouvera impliqué dans la guerre. C'est ainsi que le roi
de Prusse se mit au nombre des ennemis de la Suède , en
recevant Stettin des mains du roi de Pologne et du czar,
sous le nom de séquestre. (a). Mais aussitôt qu'un souve-
rain , par le traité définitif de paix, a cédé un pays au con-
quérant , il a abandonné tout le droit qu'il y avait , et il
serait absurde qu'il pût redemander ce pays à un nouveau.
conquérant , qui l'arrache au premier, ou à tout antre
prince qui l'aura acquis à prix d'argent., par échange , et à
quelque titre que ce soit.


5 1 99 . Le conquérant qui enlève une ville ou une pro-
vince à son ennemi, ne peut y acquérir justement que les


(a) Par le traité de Selve* du G octobre 171.;.




656 ni DROIT DES GENS.
mêmes droits qu'y possédait le souverain contre lequel il a
pris les armes. La guerre l'autorise à s'emparer de ce qui
appartient à son ennemi : s'il lui ôte la souveraineté de
cette ville , ou de cette province , il l'acquiert telle qu'elle
est, avec ses limitations et ses modifications quelconques.
Aussi a-t-on soin, pour l'ordinaire, soit dans les capitula-
tions particulières , soit dans les traités de paix , de stipuler
que les villes et pays cédés conserveront tous leurs privilé-
ges , libertés et immunités; et pourquoi le conquérant les
en priverait-il à cause des démêlés qu'il a avec leur souve-
rain ? Cependant si les habitants se sont rendus personnel-
lement coupables envers lui par quelque attentat, il peut,
en forme de peine (1), les priver de leurs droits et de leurs
franchises. Il le peut encore si ces mêmes habitants ont
pris les armes contre lui, et se sont ainsi rendus directe-
ment ses ennemis. Il ne leur doit alors autre chose que ce
qu'un vainqueur humain et équitable doit à des ennemis
soumis. S'il les unit et les incorpore purement et sim-
plement à ses anciens états, ils n'auront pas lieu de se
plaindre.


Jusqu'ici je parle, comme on voit , d'une ville , ou d'un
pays qui ne fait pas simplement corps avec une nation , ou
qui n'appartient pas pleinement à un souverain , mais sur
lequel cette nation ou ce prince out seulement certains
droits. Si la ville ou la province conquise était pleinement
et parfaitement du domaine d'une nation ou d'un souve-
rain , elle passe sur le même pied au pouvoir du vainqueur.
Unie désormais au nouvel état auquel elle appartient , si
elle perd à ce changement, c'est un malheur dont elle ne


(i) ll n'était pas leur supérieur quand ils l'ont offensé; . ainsi c'est en
forme de réparation ou de satisfaction, et non en forme de peine, qu'il les
privera de leurs droits. D.


Liv. nt, ertfir.


kioit, accuser que le sort des armes. Ainsi une ville qui fai-
sait partie d'une république , ou d'une monarchie limitée ,
qui avait droit de ,députer au conseil souverain , ou à l'as-
semblée des états , si elle est justement conquise par un
monarque absolu , elle ne peut plus penser à des droits de
cette nature; la constitution du nouvel état dont elle dé-
pend ne le souffre pas.


S 200. Autrefois les particuliers même perdaient leurs
terres par la conquête. Et il n'est point surprenant que telle
fut la coutume dans les premiers siècles de Rome. C'étaient
des républiques populaires , des communautés qui se fai-
saient la guerre; l'état possédait peu de chose ; et la que-
relle était véritablement la cause commune de tous les ci-
toyens. Mais aujourd'hui la guerre est moins terrible pour
les sujets; les choses se passent avec plus d'humanité; un
souverain fait la guerre à un autre souverain , et non point
au peuple désarmé. Le vainqueur s'empare des biens de
l'état , des biens publies , et les particuliers conservent les
leurs. Ils ne souffrent de la guerre qu'indirectement ; et la
conquête les fait seulement changer de maître.


5 201. Mais si l'état entier est conquis, si la nation est
subjuguée, quel traitement pourra lui faire le vainqueur
sans sortir des bornes de la justice ? Quels seront ses droits
sur sa conquête P Quelques-uns ont osé avancer ce principe
monstrueux, que le conquérant est ► aitre absolu de sa
conquête , qu'il peut en disposer comme de son propre ,
la traiter comme il lui plaît , suivant l'expression com-
mune , traiter un état en pays conquis : et de là ils tirent
l'une des sources du gouvernement despotique. Laissons
des gens qui traitent les hommes comme des effets com-
merçables ou comme des bêtes de charge , qui les livrent
à la propriété, au domaine d'un antre homme; raisonnons


4n




658 'LE DROIT DES GENS•
sur des principes avoués de la raison, et convenables à l'hu-
manité.


Tout le droit du conquérant vient de la juste défense de
soi-même (SS , 26 et 29) , laquelle comprend le maintien
et la poursuite de ses droits. Lors donc qu'il a entièrement
vaincu une nation ennemie , il peut sans doute première-
ment se faire justice sur ce qui a donné lieu à la guerre,
et se payer des dépenses et (les dommages qu'elle lui a
causés; il peut, selon l'exigence du cas, lui imposer des
peines pour l'exemple (1) ; il peut même, si la prudence
l'y oblige , la mettre hors d'état de nuire si .aisément dans
la suite. Mais pour remplir toutes ces vues , il doit préférer
les moyens les plus doux, et se souvenir que la loi na-
turelle ne permet les maux que l'on fait à un ennemi ,
que précisément dans la mesure nécessaire à une juste dé-
fense et à une sûreté raisonnable pour l'avenir. Quelques


(i) Ce n'est ni pour soi ni pour les autres qu'on doit punir quelqu'un ,
c'est pour lui-même, pour son bien. C'est ainsi que le médecin soumet le
débauché infecté d'un mal destructeur, aux opérations douloureuses dont
il a besoin, non pour le faire servir d'exemple aux autres, mais pour le
sauver. Cela n'empêche pas les témoins des souffrances de celui-ci d'ap-
prendre par son exemple cc qu'il en coûte pour n'être pas sage. L'exemple,
dans le moral comme dans le physique, pris pour principe du remède,
conduirait à ces conclusions choquantes et absurdes, que plus on tour-
mente les uns, plus on fait de bien aux autres; qu'il est bon qu'il y ait des
malades et des méchants; et que plus il y aura de martyrs et de victimes,
plus il y aura de gens sains et justes. Ce n'est qu'en partant de ce principe,
et de celui de la vengeance, qui ne connaît point de bornes, qu'on en est
venu aux potences, aux roues, et aus autres supplices exterminateurs. «S'il
»est important que les hommes aient souvent sous les yeux les effets du
»pouvoir des lois, il est nécessaire qu'il y Sit souvent des criminels punis,
D du dernier supplice. Ainsi la peine de mort suppose des crimes fréquents;
.c'estii-dire, pour être utile, il faut qu'elle ne fasse pas toute l'impression
»qu'elle devrait faire. n Traité des délits et des peines, § 16 de la trad,
française. D.


LIV. I11, cnAp. xm. 659
princes se sont contentés d'imposer un tribut à la nation
vaincue; d'autres , de la priver de quelques droits, de lui
ôter une province , ou de la brider par des forteresses.
D'autres n'en voulant qu'au souverain seul , ont laissé la
nation dans tous ses droits , se bornant à lui donner un
maître de leur main.


Mais si le vainqueur juge à propos de retenir la souve-
raineté de l'état conquis, et se trouve en droit de le faire,
la manière dont il doit traiter cet état découle encore des
mêmes principes. S'il n'a à se plaindre que du souverain ,
la raison nous démontre qu'il n'acquiert par sa conquête
que les droits qui appartenaient réellement à ce souverain
dépossédé ; et aussitôt que le peuple se soumet, il doit le
gouverner suivant les lois de l'état. Si le peuple ne se sou-
met pas volontairement, l'état de guerre subsiste.


Un conquérant qui a pris les armes, non pas seule-
ment contre le souverain , mais contre la nation elle-même ,
qui a voulu dompter un peuple féroce , et réduire une fois
pour toutes un ennemi opiniâtre, ce conquérant peut avec
justice imposer des charges aux vaincus , pour se dédom-
mager des frais de la guerre, et pour les (t) punir; il
peut, selon le degré de leur indocilité , les régir avec un
sceptre plus ferme et capable (le les mater, les tenir
quelque temps , s'il est nécessaire , dans une espèce de
servitude. Mais cet état forcé doit finir dès que le danger
cesse, dès que les vaincus sont devenus citoyens. Car alors
le droit du vainqueur expire quant à ces voies de rigueur,
puisque sa défense et sa sûreté n'exigent plus de précau-
tions extraordinaires. Tout doit être enfin ramené aux


(i) Oui, si l'on entend par punir cereiger. Eix ce cas non-seulement il le
peut, tuais il le doit, puisqu'il est deveou leur maitre, D.




660 LE DROIT DES GENSi
règles d'un sage gouvernement , aux devoirs d'un bon
prince.


Lorsqu'un souverain , se prétendant le maitre absolu
de la destinée d'un peuple qu'il a vaincu , veut le réduire
en esclavage, il fait subsister l'état de guerre entre ce
peuple et lui. Les Scythes disaient à Alexandre-le-Grand :


Il n'y a jamais (l'amitié entre le maitre et l'esclave ; au
»milieu de la paix , le droit de la guerre subsiste Lou-
» jours (a) » . Si quelqu'un dit qu'il peut y avoir paix dans
ce cas-là, et une espèce de contrat par lequel le vain-
queur accorde la vie à condition que l'on se reconnaisse
pour ses esclaves , il ignore que la guerre ne donne point
le droit d'ôter la vie à un ennemi désarmé et soumis


S 14o ). Mais ne contestons point : qu'il prenne pour lui.
cette jurisprudence ; il est digue de s'y soumettre. Les
gens de coeur qui comptent la vie pour rien , et pour moins
que rien si elle n'est accompagnée de la liberté , se croi-
ront toujours en guerre avec cet oppresseur, quoique de
leur part. les actes en soient suspendus par impuissance.
Disons donc encore, que si la conquête doit être xé-
ritalement soumise pu conquérant, comme à son sou-'
verain légitime , il faut qu'il la gouverne selon les vues
pour lesquelles le gouvernement civil a été établi. Le
prince seul , pour l'ordinaire , donne lieu à la guerre , et
par conséquent à la conquête. C'est bien assez qu'un peuple
innocent souffre les calamités de la guerre ; faudra-t-il que
la paix même lui devienne funeste ? lin vainqueur géné-
reux s'appliquera à soulager ses nouveaux sujets, à adou.,
cir leur .


sort ; il s'y croira indispensablement obligé :
conquête, suivant l'expression d'un excellent homme,


(a) Inter dominum et sermtm Imita amicitia est; edam in pace
(amen jura vereantur. Quint. Curt. Eh: Vil, cap. 8.


LIV. III, CHAP.


laisse toujours à payer une dette immense, pour s'ac-
quitter envers la nature humaine (a).


Heureusement la bonne politique se trouve ici , et par-
tout ailleurs , parfaitement d'accord avec l'humanité.
Quelle fidélité , quels secours pouvez-vous attendre d'un
peuple opprimé ? Voulez-vous que votre conquête aug-
mente véritablement vos forces, qu'elle vous soit attachée,
traitez-la en père , en véritable souverain. J'admire la gé-
néreuse réponse . de cet ambassadeur des Privernates. In-
troduit devant:le sénat romain , et le consul lui disant :
« Si nous usons de clémence , quel fond pourrons-nous
» faire sur la paix que vous venez nous demander ? » L'am-
bassadeur répondit. : « Si vous nous l'accordez à des éon-
» ditions raisonnables , elle sera sûre et éternelle ; sinon ,
» elle ne durera pas long-temps D. Quelqués-unns'ofreu-
sèrent d'un discours si hardi ; mais la plus saine partie du
sénat trouva que le Privernate avait parlé en homme , et
en homme libre. «Peut-on espérer, disaient ces sages sé-
»nateurs , qu'aucun peuple, ou aucun homme , demeure
» dans une condition dont il n'est pas content , dès que
»la nécessité qui l'y retenait viendra à cesser ? Comptez
»sur la paix ,quand ceux à qui vous la' donnez la reçoivent
» volontiers. Quelle fidélité pouvez-vous attendre de ceux
»qee vous voulez réduire l'esclavage (b) P La domina-


(a) M. le président de Montesquieu, dans ('!'prit des lois.
(b) Quid, si pontant. , inquit ( consul ), rentittimes vabis , qualem nos


pacem zo,Liscum habilleras spereneas? Si 6onone dederitis, inquit, et /lila m ,
et perpetuam : si mtdam, haud diuturnam. Tum vero minari , nec id
aihbiguè Privernatem quidam, et iilis rocibus ad rebeilandum incitari pa.
catos populos. Pars melior senatûs ad mcliora responsa trahere, et dicere,
viii, et liberi vaccin audilant. : an eredi passe ultum out homi-
sleM denigue in ed comeiliolze , cujus eumpecniteat, diutiits rytuirm necesse
sit mansnrum? Ibi pacem esse ?Vont , ubi t•aluntavii patati Sint : velue




662 LE DROIT DES GENS.
» lion la plus assurée, disait Camille , est celle qui est
» agréable à ceux-là même sur qui on l'exerce (a) . »


Tels sont les droits que la loi naturelle assigne au con-
quérant , et les devoirs qu'elle lui impose. La manière de
faire valoir les uns et de remplir les autres varie , selon
les circonstances. En général , il doit consulter les véri-
tables intérêts de son état , et par une sage politique les
concilier, autant qu'il est possible, avec ceux de sa con-
quête. Il peut , à l'exemple des rois de France , l'incor-
porer à son état. C'est ainsi qu'en usaient les Romains.
Mais ils y procédèrent différemment , selon les cas et les
conjonctures. Dans un temps où Rome avait besoin d'ac-
creissement , elle détruisit la ville d'Albe, qu'elle craignait
d'avoir pour rivale ; mais elle en reçut les habitants dans
son sein, et s'en fit autant de citoyens. Dans la suite , en
laissant subsister les villes conquises , elle donna le droit
de bourgeoisie romaine aux vaincus. La victoire n'eût pas
été autant avantageuse à ces peuples, que le fut leur défaite.


Le vainqueur peut encore se mettre simplement à la
place du souverain qu'il a dépossédé. C'est ainsi qu'en
ont usé les Tartares à la Chine : l'empire a subsisté tel
qu'il était , il a seulement été gouverné par une nouvelle
race de souverains.


Enfin le conquérant peut gouverner sa conquête comme
un état à part, en y laissant subsister la forme du gouver-
nement. Mais cette méthode est dangereuse ; elle ne produit
pas une véritable union de forces : elle affaiblit la conquête,
sans fortifier beaucoup l'état conquérant.


Co loto, uti seevitute9n esse maint, 'idem speranclana esse, Tit.-Liv.
VIII, cap. 21,


(a) Certà id garaissimum, iongè imperium, est, quo abedientes ealuicnt.
Tit.-Lie. fil/. VIII, cap. /3.


CHAP. XIII. 663
S 202. On demande à qui appartient la conquête ; au


prince qui l'a faite, ou à son état ? C'est une question qui
n'aurait. jamais dû naître. Le souverain peut-il agir , en
cette qualité , pour quelque autre fin que pour le bien de
l'état ? A qui sont les forces qu'il emploie dans ses guerres ?
Quand il aurait fait la conquête à ses propres frais , des de-
niers de son épargne, de ses biens particuliers et patrimo-
niaux, n'y emploie-t-il pas les bras de ses sujets ? n'y verse-
t-il pas leur sang? Mais supposez encore qu'il se fût servi
de troupes étrangères et mercenaires ; n'expose-t-il pas sa
nation au ressentiment; de l'ennemi ? Ne l'entraîne-t-il pas
dans la guerre ? Et. le fruit en sera pour lui seul ! N'est-ce
pas pour la cause de l'état , de la nation , prend les
armes ? Tous les droits qui en naissent sont donc pour la
nation.


Si le souverain fia la guerre pour un sujet qui lui est
personnel , pour faire valoir, par exemple , un droit de suc-
cession à une souveraineté étrangère , la question change.
Cette affaire n'est plus celle de l'état. Mais alors la nation
doit être en liberté de ne s'en point mêler si elle veut,
ou de secourir son prince. S'il a le pouvoir d'employer les
forces de la nation à soutenir ses droits personnels , il ne
doit plus distinguer ces droits de ceux de l'état. La loi de
France , qui réunit à la couronne toutes les acquisitions des
rois, devrait être la loi de tous les royaumes.


5 2o5. Nous avons vu (5 1 96) comment on peut être
obligé, non extérieurement, mais en conscience et. par les
lois de l'équité , à rendre à un tiers le butin repris sur
l'ennemi (pli le lui avait enlevé dans une guerre injuste.
L'obligation est plus certaine et plus étendue à l'égard d'un
peuple que notre ennemi avait injustement opprimé. Car
un peuple , ainsi dépouillé de sa liberté ne renonce ja-




DBOIT DES eelys.
mais à l'espérance de la recouvrer. S'il ne, s'est pas voloe-
tairement incorporé, dans l'état qui l'a conquis , s'il ne l'a
pas librement aidé contre nous dans la guerre, nous devons
certainement, user de notre victoire, non polir lui faire chan-
ger seulement de maître , mais pour rompre ses fers. L'est
un beau fruit de la victoire , que de délivrer un peuple op-
primé; et c'est un grand gain que de s'acquérir ainsi un
ami fidèle. Le canton de Schweiez ayant enlevé le pays de
Claris à la maison d'Autriche, rendit aux habitants leur
première liberté , et Claris , reçu dans la confédération
helvétique , forma le sixième canton (a).


kV4MUNANNAWMAVVM.VONtv,,,,,AWMANWOnvcct+ASMANYVVVV,•,,,,W.V.AVutv,,,,,


CRAPITIIE XIV,


Da Droit de Postliminie


S 2o4. Ln droit de postliminie est ce droit en vertu du-
quel les personnes et les choses prises par l'ennemi sont
rendues à leur premier état , quand elles reviennent sous
la puissance de la nation à laquelle elles appartenaient.


5 2o5. Le souverain est obligé de protéger la personne
et les biens de ses sujets, de les défendre contre l'ennemi.
Lors donc qu'un sujet, ou quelque partie de ses biens
sont tombés entre les mains de l'ennemi , si quelque heu-
reux événement les remet en la puissance du souverain , il
n'y a nul doute qu'il ne doive les rendre à leur premier


(e) Histoire de
confédér. fiel/rétique , par M. de Walter/11c liv. HI,


5cus l'année 1351.


LIV. III, CIIÀP. XIV. 665


état, rétablie les personnes dans tous leurs droits et dans
toutes leurs obligations , rendre les biens aux proprié-
taires , en un mot remettre toutes choses comme elles
étaient avant que l'ennemi s'en fet rendu maître.


La justice ou l'injustice de la guerre n'apporte ici aucune
différence; non-seulement parce que , suivant le droit des
gens volontaire , la guerre , quant à ses effets , est réputée
juste de part et d'autre, mais encore parce que la guerre
juste ou non , est la cause de la nation ; et si les sujets qui
combattent ou qui souffrent pour elle, après être tombés ,
eux ou leurs biens , entre les mains de l'ennemi, se re-
trouvent, par un heureux accident, sous la puissance de
leur nation , il n'y a aucune raison de ne pas les rétablir
dans leur premier état : c'est comme s'ils n'eussent point
été pris. Si la guerre est juste, ils avaient été pris injuste-
ment , rien de plus naturel que de les rétablir dès qu'on le
peut : si la guerre est injuste , ils ne sont pas phis obligés
(l'en porter la peine que le reste ,de la nation. La fortune
fait tomber le ruai sur eux quand ils sont pris; elle les en
délivre lorsqu'ils échappent : c'est encore comme s'ils
n'eussent point été pris. Ni leur souverain, ni l'ennemi
n'ont aucun droit particulier sur eux; l'ennemi a perdu
par un accident ce qu'il avait gagné par un autre.


5 206. Les personnes retournent , les choses se recou-
vrent par droit de postliminie , lorsqu'ayant été prises par
l'ennemi , elles retombent sous la puissance de leur na-
tion ( 5 2o4). Ce droit a donc lieu aussitôt que ces per-
sonnes et ces choses prises par l'ennemi tombent entre les
mains des soldats de la même nation, ou se retrouvent dans
l'armée , dans le camp , dans les terres de leur souverain,
dans les lieux oit il commande.


5 ?rte. Ceux qui se joignent à nous pour faire la guerre




666 LE DROIT DES GENS.
ne font avec nous qu'un même parti ; la cause est commune,
le droit est un ; ils sont considérés comme ne faisant qu'un
avec nous. Lors donc que les personnes on les choses prises
par l'ennemi sont reprises par nos alliés, par nos auxiliaires,
ou retombent de quelque manière entre leurs mains , c'est
précisément la même chose , quant à l'effet de droit, que
si elles se retrouvaient immédiatement en notre puissance ;
la puissance de nos alliés et la nôtre n'étant qu'une dans
cette cause. Le droit de postliminie a donc lieu dans les
mains de ceux qui font la guerre avec nous ; les personnes
et les choses qu'ils délivrent des mains de l'ennemi doi-
vent être remises dans leur premier état.


Mais ce droit a-t-il lieu dans les terres de nos alliés: Il
faut distinguer. Si ces alliés font cause commune avec nous ,
s'ils sont associés dans la guerre, le droit de postliminie a
nécessairement lieu pour nous dans les terres de leur obéis-
sance, tout comme dans les nôtres. Car leur état est uni
au nôtre , et ne fait qu'un même parti dans cette guerre.
Mais si, comme cela se pratique souvent aujourd'hui, un
allié se borne à nous fournir les secours stipulés dans les
traités, sans rompre lui-même avec notre ennemi, leurs
deux états continuant à observer lâ paix dans leurs rela-
tions immédiates , alors les auxiliaires seuls qu'il nous en-
voie sont participants et associés à la guerre; ses états gar-
dent la neutralité.


S 208. Or le droit de postliminie n'a point lieu chez les
peuples neutres. Car quiconque veut demeurer neutre dans
une guerre , est obligé de la considérer, quant à ses effets,
comme également juste de part et d'autre, et par consé-
quent de regarder comme bien acquis tout ce qui est pris
par l'un ou l'autre parti. Accorder à l'un le droit de reven-
diquer les choses enlevées par l'autre ou le droit de post-


LIV. III, CHAP. XII. 667


limink dans ses terres, ce serait se déclarer pour lui et
quitter l'état de neutralité.


5 209. Naturellement toutes sortes de biens pourraient
se recouvrer par droit de ; et pourvu qu'on les
reconnaisse certainement, il n'y a aucune raison intrinsù-
que d'en excepter les biens mobiliaires. Aussi "voyons-nous
que les anciens ont souvent rendu à leurs premiers maîtres
ces sortes de choses reprises sur l'ennemi (a). Mais la diffi-
culté de reconnaître les biens de cette nature , et,les diffé-
rends sans nombre qui naîtraient de leur revendication
ont fait établir généralement un usage contraire. Joignez à
cela , que le peu d'espérance qui reste de recouvrer des
effets pris par l'ennemi , et une fois conduits en lieu de set-
reté , fait raisonnablement présumer qu'ils sont abandonnés
par les anciens propriétaires. C'est donc aveç raison que
l'on excepte du droit de postliminie les choses 'nobiliaires
ou le butin , à moins qu'il ne soit repris tout de suite à l'en-
nemi qui venait de s'en saisir; auquel cas il n'est ni diffi-
cile à reconnaître, ni présumé abandonné par le proprié-
taire. Or la coutume étant une fois reçue et bien établie ,
il serait injuste d'y donner atteinte ( Prélim. 5 26). Il est
vrai que les esclaves chez les Romains n'étaient pas traités
comme les antres biens mobiliaires ; on les rendait à leurs
maîtres, par droit de postliminie, lors même qu'on ne
rendait pas le reste du butin. La raison en est claire ;
comme il est toujours aisé de reconnaître un esclave et de
savoir à qui il a appartenu , le maître , conservant l'espé-
rance de le recouvrer, n'était pas présumé avoir aban-
donné son droit.


5 210.. Les prisonniers de guerre qui ont donné leur


(a) Vnyez•en plusieurs exemples dans Grotius, liv. III, chap. XVI, 2.




4


668
LE DROIT Drs erse.


parole, les peuples et les villes qui se sont soumis à l'en-
nemi , qui lui ont promis ou juré fidélité, ne peuven t d'eux-
mêmes retourner à leur premier état par droit de posai-
minie; car la foi doit être gardée , même aux ennemis
(S '74).


5 211. Mais si le souverain reprend ces villes , ces pays,
ou ces prisonniers , qui s'étaient rendus à l'ennemi , il re-
couvre tous les droits qu'il avait sur eux, et il doit les réta-
blir dans leur premier état ( 5 205). Alors ils jouissent du
droit de posttiminie, sans manquer à leur parole , sans
violer leur foi donnée. L'ennemi perd par les armes le droit
qu'il avait acquis par les armes. Mais il y a une distinction
à faire an sujet des prisonniers de guerre : s'ils étaient en-
tièrement libres sur leur parole, ils ne sont point délivrés
par cela seul qu'ils tombent sous la puissance de leur na-
tion , puisqu'ils pouvaient même aller chez eux sans cesser
d'être prisonniers : la volonté seule de celui qui les a pris ,
ou sa soumission entière , peut les dégager. Mais s'ils ont
seulement promis de ne pas s'enfuir, promesse qu'ils font
souvent pour éviter les incommodités d'une prison , ils ne
sont tenus qu'à ne pas sortir d'eux-mêmes des terres de
l'ennemi , ou de la


- place qui leur est assignée pour demeure;
et si les troupes de leur parti viennent:à s'emparer du lieu
où ils habitent, ils sont remis en liberté, rendus à leur na-
tion et à leur premier état par le droit des armes.


5 21;4. Quand une ville soumise par les armes de l'en-
nemi est reprise par celles de son souverain, elle est réta-
blie dans son premier état, comme nous venons de le
voir , et par conséquent dans tous ses droits. On demande
si elle recouvre 7 de cette manière ceux de ses biens que
l'ennemi avait aliénés lorsqu'il était /e maître Il faut d'a-
bord distinguer -entre les biens mobiliaires , qui ne se. re-


LIV. III> CHAP. x t v. 669


couvrent point par droit de postlirninie (5209), et les
immeubles. Les premiers appartiennent à l'ennemi qui
s'en empare , et il peut les aliéner sans retour. Quant aux
immeubles, il faut se souvenir que l'acquisition d'une ville,
prise dans la guerre , n'est pleine et consommée que par le
traité de paix, ou par la soumission entière, par la des-
truction de l'état auquel elle appartenait ( 5 19 7 ). Jusque-
là , il reste au souverain de cette ville l'espérance de la re-
prendre, ou de la recouvrer par la paix : et du moment
qu'elle retourne en sa puissance , il la rétablit dans tocs
ses droits ( 5 205); par conséquent elle recouvre tous ses
biens , autant que de leur nature ils peuvent être recou-
vrés. Elle reprendra donc ses immeubles , des mains de
ceux qui sc sont trop pressés de les acquérir. ils ont fiait
un marché hasardeux , en les achetant de celui qui n' y avait
pas un droit absolu; et s'ils font une perte, ils ont bien
voulu s'y exposer. Mais si cette ville avait été cédée à l'en-
nemi par un traité de paix, ou si elle était tombée pleine-
ment en sa puissance par la soumission de l'état entier, le
droit de postliminie n'a plus lieu pour elle ; et ses biens ,
aliénés par le conquérant , le sont validement et sans re-
tour. Elle ne peut les réclamer, si dans la suite une heu-
reuse révolution la soustrait au joug du vainqueur. Lors-
qu'Alexandre fit présent aux Thessaliens de la somme qu'ils
devaient aux Thébains (voyez ci-dessus 5 77 ), il était
maître absolu de la république de Thèbes, dont il détrui-
sit la ville et fit vendre les habitants.


Les mêmes décisions ont, lieu pour les immeubles des
particuliers, prisonniers ou non , aliénés par l'ennemi
pendant qu'il était maître du pays. Grotius propose la ques-
tion (a) à l'égard des biens immeubles , possédés en pays


(a) Liv. III, chap. IX, § 6.




670 LE DROIT DES GENS.
neutre par un prisonnier de guerre. Mais cette question est
nulle dans nos principes; car le souverain , qui fait un pri-
sonnier à la guerre, n'a d'autre droit que celui de le rete-
nir jusqu'à la fin de la guerre , eu jusqu'à ce qu'il soit ra-
cheté (55 148 et suiv.) ; et il n'en acquiert aucun sur ses
biens , sinon en tant qu'il peut s'en saisir. Il est impossible
de trouver aucune raison naturelle,pourquoi celui qui tient
un prisonnier aurait le droit de disposer de ses biens, quand
ce prisonnier ne les a pas auprès de lui.


5 213. Lorsqu'une nation , un peuple, un état , a été
subjugué tout entier, on demande si une révolution peut
le faire jouir du droit de postliminie? Il faut encore distin-
guer les cas , pour bien répondre à cette question : si cet
état subjugué n'a point encore donné les mains à sa nou-
velle sujétion , s'il ne s'est pas rendu volontairement, et
s'il a seulement cessé de résister , par impuissance; si son
vainqueur n'a point quitté l'épée de conquérant , pour
prendre le sceptre d'un souverain équitable et pacifique ; ce
peuple n'est pas véritablement soumis , il est seulement
vaincu et opprimé; et lorsque les armes d'un allié le déli-
vrent, il retourne sans doute à son premier état ( 5 207).
Son allié ne peut devenir son conquérant ; c'est un libéra-
teur qu'il est seulement obligé de récompenser. Que si le
dernier vainqueur n'étant point allié de l'état dont nous
parlons, prétend le retenir sous ses lois comme un prix de
sa victoire , il se met à la place du premier conquérant , et
devient l'ennemi de l'état opprimé par celui-ci : cet état
peut lui résister légitimement , et profiter d'une occasion
favorable pour recouvrer sa liberté. S'il avait été opprimé
injustement , celui qui l'arrache au joug de l'oppresseur ,
doit le rétablir généreusement dans tous ses droits (5 203).


La question change à l'égard d'un état qui s'est rendu


LIV. III, CHAP.
671


volontairement au vainqueur. Si les peuples , traités non
plus en ennemis , mais en vrais sujets , se sont soumis à un
gouvernement légitime, ils relèvent désormais d'un nouveau
souverain, ou ils sont incorporés à l'état conquérant ; ils en
font partie, ils suivent sa destinée: leur ancien état est ab-
solument détruit ; toutes ses relations, toutes ses alliances
expirent (Liv. Il, 5 203). Quel que soit donc le nouveau
conquérant qui subjugue dans la suite l'état auquel ces
peuples sont unis , ils subissent le sort de cet état, comme
la partie suit le sort du tout. C'est ainsi que les nations en
ont usé dans tous les temps ; je dis les nations même justes
et équitables, sur-tout à l'égard d'une conquête ancienne.
Les plus modérés se bornent à remettre en liberté un peuple
nouvellement soumis , qu'ils ne jugent pas encore parfai-
tement incorporé , ni bien uni d'inclination à l'état qu'ils
ont vaincu.


Si ce peuple secoue le joug- lui-même, et se remet en
liberté, il rentre clans tous ses droits, il retourne à son
premier état , et les nations étrangères ne sont point en
droit de juger s'il s'est soustrait à une autorité légitime, ou
s'il a rompu ses fers. Ainsi le royaume de Portugal, qui
avait été envahi par Philippe II , roi d'Espagne , sous cou-
leur d'un droit héréditaire, mais en effet par la force ou
par la terreur des armes , rétablit sa couronne indépen-
dante et rentra dans ses anciens droits , quand il chassa les
Espagnols et mit sur le trône le duc de Bragance.


S 2 1 /. Les provinces , les villes et les terres que l'en-
nemi rend par le traité de paix , jouissent sans doute du
droit de postliminie; car le souverain doit les rétablir dans
leur premier état, dès qu'elles retournent en sa puissance
( 5 203) , de quelque façon qu'il les recouvre. Quand
l'ennemi rend une ville à la paix, il renonce au droit que


t




6 7 2 LE DROIT DES GENS.
/es armes lui avaient acquis : c'est comme s'il ne l'etU•
jamais prise. Il n'y a là aucune raison qui puisse dispenser
le souverain de la remettre dans ses droits, dans son pre-
mier état.


5 215. Mais tout ce qui est cédé à l'ennemi par le traité
de paix , est véritablement et. pleinement aliéné. 11 n'a plus
rien de commun avec le droit de postliminie, à moins que
le traité de paix ne soit rompu et annulé.


5 216. Et comme les choses dont le traité de paix ne
dit rien , restent dans l'état où elles se trouvent au moment
que la paix est conclue , et sont tacitement cédées de. part
ou d'autre à celui qui les possède , disons en général que le
droit de postliminie n'a plus lieu après la paix conclue. Ce
droit est entièrement relatif à l'état de guerre.


5 217. Cependant, et par cette raison même, il y e ici
une exception à faire en faveur des prisonniers de guerre.
Leur souverain doit les délivrer à la paix ( 5 154). S'il ne
le peut, si le sort des armes le force à recevoir des condi-
tions dures et iniques, l'ennemi , qui devrait relâcher les
prisonniers lorsque la guerre est finie , lorsqu'il n'a plus
rien à craindre d'eux ( SS l 5o et 155 ) , continue aveceux
l'état de guerre s'il les retient en captivité , et sur-tout s'il
les réduit en..eselavage ( 5 152). lls sont donc en droit de
se tirer de ses mains s'ils en ont les moyens , et de revenir
clans leur patrie tout comme en temps de guerre , puisque
la guerre continue à leur égard: et alors le souverain , qui
doit les protéger, est obligé de les rétablir dans leur premier
état (S 205 ).


S 218. Disons plus : ces prisonniers , retenus après la
paix sans raison légitime , sont libres dès qu'échappés de
leur prison ils se trouvent en pays neutre. Car des ennemis
ne peuvent être poursuivis etarrêtés en pays neutre (5 152) ;


LIV. III, CHAP. XIV. 673
et celui qui retient après la paix un prisonnier innocent,
persiste à être son ennemi. Cette règle doit avoir et a effec-
tivement lieu entre les nations chez lesquelles l'esclavage
des prisonniers de guerre n'est point reçu et autorisé.


5 21 9 . 11 est assez clair, par tout ce que nous venons
(le dire, que les prisonniers de guerre doivent être consi-
dérés comme des citoyens qui peuvent revenir un jour dans
la patrie; et lorsqu'ils reviennent, le souverain est obligé
de les rétablir dans leur premier état. De là il suit évidem-
ment que les droits de ces prisonniers , et les obligations
auxquelles ils sont astreints , ou les droits d'autrui sur eux,
subsistent dans leur entier, et demeurent seulement sus-
pendus, pour la plupart , quant à leur exercice , pendant
le temps de la .,grison.


5 22o. Le prisonnier de guerre conserve donc le droit
de disposer de ses biens , et en particulier d'en disposer à
cause de mort; et comme il n'y a rien dans son état de
captivité qui puisse lui ôter l'exercice de son droit à ce
dernier égard , le testament d'un prisonnier de guerre doit
valoir clans sa patrie, si aucun vice inhérent, ne le rend
caduc.


5 221. Chez les nations qui ont rendu le mariage in-
dissoluble , ou qui l'établissent pour la vie , à moins qu'il
ne soit dissous par le juge , le lien subsiste malgré la cap
tivité de l'un des conjoints; et celui-ci de retour chez lui,
rentre dans tous ses droits matrimoniaux par droit de postli,


222. Nous n'entrons point ici dans le détail de ce qui
est établi à l'égard du droit de postliminie, par les lois
civiles de quelques peuples. Observons seulement que ces
règlements particuliers n'obligent que les sujets de l'état,
et n'ont aucune force contre les étrangers. Nous ne ton-


4.




674 LE DDMIY DES GENS.


thons pas non plus à ce qui est réglé dans les traités ; ces
conventions particulières établissent un droit pactice qui ne
regarde que les contractants. Les coutumes introduites par
un long et constant usage lient les peuples qui y ont donné
un consentement tacite , et doivent être respectées quand
elles n'ont rien de contraire à la loi naturelle. Mais celles
qui donnent atteinte à cette loi sacrée sont vicieuses et sans
force. Loin (le se conformer à de pareilles coutumes , toute
nation est obligée de travailler à les faire abolir. Chez les
Romains le droit de postliminie avait lieu même en pleine
paix , à l'égard des peuples avec lesquels Rome n'avait ni
liaisons d'amitié, ni droit d'hospitalité, ni alliance (a).
C'est que ces peuples-là, ainsi que nous l'avons déjà ob-
servé , étaient regardés en quelque façon comme ennemis;
des moeurs plus douces ont aboli presque par-tout ce reste
de barbarie.


WVVVVV, VWN.A.NS.VVVNAVVWV,I.M.1.1111.WWW•MnIeltVfeWM'in,,,,,,,, • ,W0


CHAPITRE XV.


Du Droit des particuliers dans la guerre.


S 225. LE droit de faire la guerre, connue nous l'avons
montré dans le chapitre P' de ce livre, appartient unique-
ment à la puissance souveraine. Non-seulement c'est à elle de
décider s'il convient d'entreprendre la guerre, et de la décla-
rer; il lui appartient encore d'en diriger toutes les opérations ,
comme des choses de la dernière importance pour le salut
de l'état. Les sujets ne peuvent donc agir ici d'eux-mûmes ,


(a) Digest. 1b. XLIX., d Capt. ce leg.


cuti'. xv. 673
et il ne leur est pas permis de commettre aucune hostilité
sans ordre du souverain. Bien entendu que la défense de
soi-môme n'est pas comprise ici sous le terme d'hostilités.
Un sujet peut bien repousser la violence même d'un con-
citoyen , quand le secours du magistrat lui manque ; à plus
forte raison pourra-t-il se défendre contre l'attaque inopinée
des étrangers.


S L'ordre dn souverain qui commande les actes
d'hostilité , et qui donne le droit de les commettre , est ou
général , ou particulier. La déclaration de guerre qui com-
mande à tous les sujets de courir sus aux sujets de l'ennemi,
porte un ordre général. Les généraux , les officiers , les sol-
dats, les armateurs et les partisans qui ont des commissions
du souverain , font la guerre en vertu d'un ordre parti-
culier.


5 225. Mais si les sujets ont besoin d'un ordre du sou-
verain pour faire la guerre ,c'est uniquement en vertu des
lois essentielles à toute société politique , et non par l'effet
de quelque obligation relative à l'ennemi ; car dès le mo -
ment qu'une nation prend les armes contre une autre,
elle se déclare ennemie de tous les individus qui composent
celle-ci , les autorise à la traiter comme Quel droit
aurait-elle de se plaindre des hostilités que des particuliers
commettraient contre elle sans ordre de leur supérieur i) La
règle dont nous parlons se rapporte donc au droit publie
général plutôt qu'an droit des gens proprement dit , ou aux
principes des obligations réciproques des nations.


5 226. A ne considérer que le droit des gens eu lui-
nlème , dès que deux nations sont en guerre, Lotis les sujets
de l'une peuvent agir hostilement contre l'autre, et lui faire
tous les maux autorisés par l'état de guerre. Mais si deux
nations se choquaient ainsi de toute la masse de leurs forces,




LE DROIT DES GENe.


la guerre deviendrait beaucoup plus cruelle et plus destruc-
tive ; il serait difficile qu'elle finît autrement que par la
ruine entière de l'un des partis; et l'exemple (les guerres
anciennes lé prouve de reste; on peut se rappeler les pre-
mières guerres de Rome contre les républiques populaires
qui l'environnaient. C'est donc avec raison que l'usage
contraire a passé en coutume chez les nations de l'Europe ,
au moins chez celles qui entretiennent des troupes réglées
ou des milices sur pied. Les troupes seules font la guerre ,
le reste du peuple demeure en repos; et la nécessité d'un
ordre particulier est si bien établie, que lors même que la
guerre est déclarée entre deux nations , si des paysans
commettent d'eux-mêmes quelques hostilités , l'ennemi les
traite sans ménageaient, et les fait pendre comme il ferait
des voleurs ou des brigands. Il en est de même de ceux qui
vont en course sur mer : une commission de leur prince ,
ou de l'amiral , peut seule les assurer , s'ils sont pris ,
d'être traités comme des prisonniers faits dans une guerre
en forme.


S 227. Cependant on voit encore, dans les déclarations
de guerre, l'ancienne formule- qui ordonne à tous les su-
jets , non-seulemcnt de rompre tout commerce avec les
ennemis , mais de leur courir sus. L'usage interprète cet
ordre général. ïl autorise, à la vérité, il oblige même tous
les sujets, de quelque qualité qu'ils soient , à arrêter les
personnes et les choses appartenant à l'ennemi , quand
elles tombent entre leurs mains; mais il ne les invite
point à entreprendre aucune expédition offensive , sans
commission, ou sans ordre particulier.


S 228. Cependant il est des occasions où les sujets peuvent
présumer raisonnablement la volonté de leur souverain.
et agir en conséquence de son commandement tacite. C'est


LIV. III, CHAP. XV. 677
ainsi que, malgré l'usage qui réserve communément aux
troupes les opérations de la guerre , si la bourgeoisie d'une
place forte prise par l'ennemi ne lui a point promis ou
juré la soumission , et qu'elle trouve une occasion favora-
ble de surprendre la garnison et de remettre la place sous
les lois du souverain , elle peut hardiment présumer que
le prince approuvera cette généreuse entreprise ; et qui
osera la condamner ? ll est vrai que si cette bourgeoisie
manque son coup , l'ennemi la traitera avec beaucoup de
rigueur. Mais cela ne prouve point que l'entreprise soit


, ou contraire au droit de la guerre. L'ennemi use
de son droit , du droit des armes (i) , qui l'autorise à em-
ployer jusqu'à un certain point la terreur, pour empêcher
que les sujets du souverain à qui il fait la guerre , ne se
hasardent facilement à tenter de ces coups hardis dont le
succès pourrait lui devenir funeste. Nous avons vu, dans
la dernière guerre (2) , le peuple de Gènes prendre tout-,
à-coup les armes de lui-même et chasser les Autrichiens
de la ville. La république célèbre chaque année la mémoire
d'un événement qui la remit en liberté.


5 22 9 . Les armateurs , qui équipent à leurs frais des
vaisseaux pour aller en course, acquièrent la propriété dut
butin , en récompense de leurs avances et des périls qu'ils
courent ; et ils l'acquièrent par la concession du souve-
rain , qui leur délivre des commissions. Le souverain leur
cède ou le butin entier , ou une partie; cela dépend de
l'espèce de contrat qu'il fait avec eux.


Les sujets n'étant pas obligés de, peser scrupuleusement
la justice de la guerre, qu'ils ne sont pas toujours à por-
tée de bien connaître , et sur laquelle , en cas de doute, ils


(i) Du droit du plus fort. D.
(2) En 1246 el 1747. D.




6 7 8 LP, DROIT DES (-tufs.
doivent s'en rapporter au jugement du souverain (S 187),
il n'y a nul doute qu'ils ne puissent en bonne conscience
servir leur patrie, en art-Lent des vaisseaux pour la,.course,
à muins que la guerre ne soit évidemment injuste. Mais,
au contraire, c'est pour des étrangers un métier honteux,
que celui de prendre des commissions d'un prince , pour
pirater sur une nation absolument innocente à leur égard.
La soif de l'or est le seul motif qui les y invite ; et la com-
mission qu'ils reçoivent, en les assurant de l'impunité , ne
peut laver leur infamie. Ceux-là seuls sont excusables,
qui assistent de cette manière une nation dont la cause est
indubitablement juste , qui n'a pris les armes que pour
se garantir de l'oppression : ils seraient même louables,
si la haine de l'oppression , si l'amour de la justice , plu-
tôt que celui du gain, les excitait à de généteux efforts,
à exposer aux hasards de la guerre leur vie , Ou leur for-
tune.


S 250. Le noble but de s'instruire dans le métier de la
guerre, et de se rendre ainsi plus capable de servir utile-
ment la patrie , a établi l'usage de servir comme volon-
taire , même dans les armées étrangères ; et une fin si
louable justifie sans doute cet usage. Les volontaires sont
traités aujourd'hui par l'ennemi qui les fait prisonniers ,
comme s'ils étaient attachés à l'armée dans laquelle ils
combattent ; rien n'est plus juste. Ils s'unissent de fait à
cette armée, ils soutiennent la même cause; peu importe
que ce soit en vertu de quelque obligation, ou par l'effet
d'une volonté libre.


5 : 31. Les soldats ne peuvent rien entreprendre sans
le commandement exprès ou tacite de leurs officiers; car
ils sont faits pour obéir et exécuter, et non pour agir de
leur chef; ils ne sont que des instruments dans la main de


LIV. III, CHAP. XV. 679
leurs commandants. On se rappellera ici ce que nous en-
tendons par un ordre tacite; c'est celui qui est nécessai-
rement compris dans un ordre exprès, ou dans les fonc-
tions commises par un supérieur. Cc qui est dit des
soldats doit s'entendre à proportion des officiers et de
tous ceux qui ont quelque commandement subalterne. On
peut donc , à l'égard des choses dont le soin ne leur est
point commis, comparer les uns et les autres aux simples
particuliers, qui ne doivent rien entreprendre sans ordre.
L'obligation des gens de guerre est même beaucoup plus
étroite; car les lois militaires défendent expressément d'a-
gir sans ordre; et cette discipline est si nécessaire qu'elle
ne laisse presque aucun lieu à la présomption. A la guerre,
une entreprise qui paraîtra fort avantageuse, et d'un suc-
cès presque certain, peut avoir des suites funestes ; il se-
rait dangereux de s'en rapporter au -jugement des subal-
ternes , qui ne connaissent pas toutes les vues du général,
et qui n'ont pas ses lumières; il n'est pas à présumer que
son intention soit de les laisser agir d'eux-mêmes. Combat-
tre sans ordre , c'est presque toujours , pour un homme
guerre, combattre contre l'ordre exprès ou contre la dé-
fense, ll ne reste donc guère que le cas de la défense de soi -
même, oit les soldats et subalternes puissent agir sans or-
dre. Dans ce cas, l'ordre se présume avec sûreté; ou plu-
tôt le droit de défendre sa personne de toute violence ,
appartient naturellement à chacun , et n'a besoin d'aucune
permission. Pendant le siége de Prague .( t ) , dans la
dernière guerre, des grenadiers français, sans ordre et
sans officiers , firent une sortie , s'emparèreut .d • une bat-
terie, enclouèrent une partie du canon, et emmenèrent
l'autre dans la place. La sévérité- romaine les eût punis de


(t) En 1742.




68o LE »rieur DES GENS.
mort. On connaît le fameux exemple du consul Manlius (a),
qui fit mourir son propre fils victorieux , parce qu'il avait
combattu sans ordre. Mais la différence des temps et des
mœurs oblige un général à tempérer cette sévérité. le
maréchal de Belle- Isle réprimanda en public ces braves
grenadiers ; mais il leur fit distribuer sous main de l'ar-
gent, en récompense de leur courage et de leur bonne vo-
lonté. Dans un autre siége fameux de la même guerre,
au siége de Coni ()) , les soldats de quelques bataillons ,
logés dans les fossés, firent d'eux -mêmes , en l'absence
des officiers , une sortie vigoureuse qui leur réussit. M. le
baron de Lettirurn fut obligé de pardonner cette faute,
pour ne pas éteindre une ardeur qui faisait toute la sûreté
(le sa place. Cependant il faut, autant qu'il est possible,
réprimer cette impétuosité désordonnée ; elle peut devenir
funeste. Avidius-Cassius punit de mort quelques officiers
de son armée , qui étaient allés sans ordre , avec une poi-
gnée de monde , surprendre un corps de 5000 hommes ,
et l'avaient taillé en pièces. Il jusiilla cette rigueur en di-
sant qu'il pouvait se faire qu'il y eût une embuscade
dicens evenim potuisse ut esscnt


(b).
S 252. L'état doit-il dédommager les particuliers des


pertes qu'ils ont souffertes dans la guerre ? On peut voir
dans Grotius (c) , que les auteurs se sont partagés sur cette
question. Il faut distinguer ici deux sortes de dommages;
ceux que cause l'état , ou le souverain lui-même , et ceux
que fait l'ennemi. De la première espèce , les uns sont


(a) Tit.-Liv. lib. VIII , cap. 7,
(I) En /744.
(1)) Vulcatius Gallican. cité par Grotius, liv. 1It , chap. XVIII , 5 I,


not. G.
) Liv. III, chap. XX, § S.


LIV. CHAP. XV. 68s
causés librement et par précaution , comme quand on
prend le champ , la maison , ou le jardin d'un particulier,
pour y construire le rempart d'une ville , ou quelque
autre pièce de fortification ; quand on détruit ses moissons,
ou ses magasins , dans la crainte que l'ennemi n'en pro-
fite. L'état doit payer ces sortes de dommages au parti-
culier, qui n'en doit supporter que sa quote-part. Mais
d'autres dommages sont causés par une nécessité inévi-
table : tels sont , par exemple , les ravages de. l'artillerie
dans une ville que l'on reprend sur l'ennemi. Ceux-ci sont
des accidents, des maux de la fortune, pour les proprié-
taires sur qui ils tombent. Le souverain doit équitablement
y avoir égard , si l'état de ses affaires le lui permet ; mais
on n'a point d'action contre l'état pour des malheurs de
cette nature , pour des pertes qu'il n'a point causées li-
brement, mais par nécessité et par accident, en Usant de
ses droits. J'en dis autant des dommages causés par l'en-
nemi. Tous les sujets sont exposés à ces dommages ; mal-
heur à celui sur qui ils tombent ! On peut bien , dans une
société, courir ce risque pour les biens , puisqu'on le court
pour la vie. Si l'état devait à la rigueur dédommager tous
ceux qui perdent de cette manière , les finances publiques
seraient bientôt épuisées; il faudrait que chacun contri-
buât du sien dans une juste proportion ; ce qui serait im-
praticable. D'ailleurs ces dédommagements seraient sujets
à mille abus, et d'un détail effrayant. il est donc à pré-
sumer que ce n'a jamais été l'intention de ceux qui se sont
unis en société.


Mais il est très-conforme aux devoirs de l'état et du sou-
verain , et très-équitable par conséquent, très-juste même,
de soulager autant qu'il se peut les infortunés que les ra-
vages de la guerre ont ruinés de même que de prendre




682 LE nrçoiT DES GENS.
soin d'une famille dont le chef et le soutien a perdu la vie
pour le service rie l'état. li est bien des dettes sacrées pour
qui connaît ses devoirs, quoiqu'elles ne donnent point d'ac-
tion contre lui (*).


V1A ,AhNN


CHAPITRE XVI.


De diverses Conventions qui
font dans le cours de


lu auerre.


S 255. LA guerre deviendrait trop cruelle et trop funeste,
si tout commerce était absolument rompu entre ennemis.
11 reste encore, suivant la remarque de Grotius (a) , des
commerces de guerre, comme Virgile (b) et Tacite (e) les
appellent. Les occurrences , les événements de la guerre ,
obligent les ennemis à faire entre eux diverses conventions.


(') C'est en général un devoir indispensable pour tout souverain , de
prendre les mesures les plus efficaces pour que ses sujets qui sont en
guerre n'en souffrent que le moins possible, bien loin de les exposer
volontairement à de plus grands maux. Pendant les guerres des Pays-Bas,
Philippe II défendit de, rendre ou d'échanger les prisonniers de guerre.
Il défendit aux paysans, sous peine de mort, de payer des contributions
pour se racheter de l'incendie et du pillage; et il interdit , sous les
mêmes peines, les sauvegardes. Les états -généraux opposèrent de très-
sages mesures à cette barbare ordonnance. Ils publièrent un édit dans le-
quel, après avoir représenté les suites funestes de la barbarie espagnole,
ils exhortaient les Flamands à penser à leur conservation , et menaçaient
d'usa.


de représailles contre ceux qui obéiraient au cruel édit de Philippe.
Par-là ils mirent lin aux horreurs qu'il avait causées.


(e) Liv. III, chap. XXI, § 1.
(t ) Belti cosnsncscia Turnits


Sustutit ista price>.


itneid. X, v. 532.
(e) lib. XIV, cap. 33.


LIV. III, CHAP. XVI. 685
Comme nous avons traité en général de la foi qui doit être
gardée entre ennemis, nous sommes dispensés de prouver
ici l'obligation de remplir avec fidélité ces conventions
faites pendant la guerre : il nous reste a en expliquer la na-
ture. On convient quelquefois (le suspendre les hostilités
pour un Certain temps : si cette convention est faite seu-
lement pour un terme fort court , et pour quelque lieu en
particulier, on l'appelle cessation ou suspension d'armes.
Telles sont celles qui se font pour enterrer les morts après
tin assaut ou après un combat, et pour un pourparler,
pour une conférence entre les chefs ennemis. Si l'accord
est pour un temps plus considérable, et sur-tout s'il est
général , on l'appelle plus particulièrement du nom de
trève. Plusieurs se servent indifféremment de l'une ou de
l'autre (le ces expressions.


S 2 54 . La trève , ou la suspension d'armes , ne termine
point la guerre; elle en suspend seulement les actes.


§ 255. La Irève est particulière , ou universelle. Dans
la première, les hostilités cessent seulement en certains
lieux , comme entre une place et l'armée qui en fait le siége.
La seconde les fait cesser généralement et en tous lieux ,
entre les deux puissances qui sont en guerre. On pourrait
encore distinguer des trèves particulières , par rapport aux.
actes d'hostilité , ou aux personnes ; c'est-à-dire , que l'on
peut convenir de s'abstenir pour un temps de certaine es-
pèce d'hostilités , ou que deux corps d'armée peuvent arrê-
ter entre eux une trève ou suspension d'armes sans rap-
port à aucun lieu.


S 256. Quand une trève générale est à longues années,
elle ne diffère guère de la paix , sinon en ce qu'elle laisse
indécise la question qui fait le sitiet de la guerre. Lorsque
deux nations sont lasses de la guerre , sans pouvoir con-




684 LE DROIT DES CENS.
venir sur ce qui forme leurs différends , elles ont recours
à cette espèce (l'accord. C'est ainsi qu'il ne s'est fait com-
munément, au lieu de paix, que des trèves à longues an-
nées entre les chrétiens et les Turcs; tantôt par un faux.
esprit de religion , tantôt parce que ni les uns ni les autres
n'ont voulu se reconnaître réciproquement pour maîtres
légitimes de leurs possessions respectives.


S p5 7
. Pour qu'un accord soit valide, il faut qu'il soit


fait avec un pouvoir suffisant. Tout ce qui se fait à la guerre
est fait en l'autorité de la puissance souveraine , qui seule a
le droit et d'entreprendre la guerre et d'en diriger les opé-
rations (S 4 ). Mais il est impossible qu'elle exécute tout par
elle-même ; il faut nécessairement qu'elle communique une
partie de son pouvoir à ses ministres et officiers. Il s'agit
de savoir quelles sent les choses dont le souverain se réserve
la disposition , et quelles on présume naturellement qu'il
confie aux ministres de ses volontés , aux généraux et au-
tres officiers à la guerre. Nous avons établi et expliqué ci-
dessus ( liv. Ii , 5 2 o ) le principe qui doit servir ici de
règle générale. S'il n'y a point de mandement spécial du
souverain , celui qui commande en son nom est censé re-
vêtu de tous les pouvoirs nécessaires pour l'exercice rai-
sonnable et salutaire de ses fonctions , pour tout ce qui est
une suite naturelle de sa commission ; le reste est réservé
au souverain , qu'on ne présume point avoir communiqué
de son pouvoir au-delà de ce qui est nécessaire pour le bien
des affaires. Suivant cette règle, la trève générale ne peut
être conclue et arrêtée que par le souverain lui-même, ou
par celui à qui il en a expressément donné le pouvoir ; car
il n'est point nécessaire , pour le succès des opérations,
qu'un général soit revêtu d'une autorité si étendue. Elle
passerait les termes de ses fonctions , qui sont de diriger


LIV. III, ctiAr, . 685
les opérations de la guerre là où il commande, et non de
régler les intérêts généraux de l'état. La conclusion d'une
trève générale est une chose si importante que le souve-
rain est toujours censé se l'être réservée. Un pouvoir si
étendu ne convient qu'au gouverneur ou vice-roi d'un pays
éloigné , pour les états qu'il gouverne ; encore , si la trève
est à longues années , est-il naturel de présumer qu'elle a
besoin de la ratification du souverain. Les consuls et autres
généraux romains pouvaient accorder des trèves générales
pour le temps de leur commandement ; mais si ce temps
était considérable , ou s'ils étendaient la trève plus loin, la
ratification du sénat et du peuple y était nécessaire. Une
trève même particulière , mais pour un long-temps , sem-
ble encore passer le pouvoir ordinaire d'un général ; il ne
peut la conclure que sous réserve de la ratification.


Mais pour ce qui est des trèves particulières pour un terme
court, il est souvent nécessaire, presque toujours conve-
nable , que le général ait le pouvoir de les conclure : né-
cessaire, toutes les fois qu'op ne peut attendre le consente-
ment du prince ; convenable , dans les occasions où la trève
ne tend qu'à épargner le, sang , et ne peut tourner qu'au
commun avantage des contractants. On présume donc na-
turellement que le général , ou le commandant en chef ,
est revêtu de ce pouvoir. Ainsi le gouverneur d'une. place
et le général assiégeant peuvent arrêter des cessations d'ar-
mes pour enterrer les morts, pour entrer en pourparler ;
ils peuvent même convenir d'une trève de quelques mois ,
à condition que la place se rendra, si elle n'est pas secou•
rue dans ce terme, etc. De pareilles conventions ne ten-
dent qu'à adoucir les maux de la guerre, et ne peuvent
probablement causer de préjudice à personne.


5 ‘258. Toutes ces Crèves et suspensions d'armes se con-




1


f


686 LE DMOIl! DES GENS.
cluent par l'autorité du souverain , qui consent aux unes
immédiatement, et aux autres par le ministère de ses gé-
néraux et officiers ; elles engagent sa foi , et il doit veiller
à leur observation.


5 25 9 . La trève oblige les parties contractantes , dès
le moment qu'elle est conclue. Mais elle ne peut avoir force
de loi , à l'égard des sujets de part et d'autre, que quand
elle a été solennellement publiée ; et comme une loi in-
connue ne saurait imposer d'obligation , la Vve ne lie
les sujets qu'à mesure qu'elle leur est dûment notifiée ;
de sorte que , si avant qu'ils aient pu en avoir une con-
naissance certaine , ils commettent quelque chose de con-
traire , quelque hostilité , on ne peut les punir. Mais comme
le souverain doit remplir ses promesses, il est obligé de
faire restituer les prises faites depuis le moment où la
trève a dû commencer. Les sujets qui ne l'ont pas observée
faute de la connaître, ne sont tenus à aucun dédomma-
gement , non plus que leur souverain , qui n'a pu la leur
notifier plus tôt. C'est un accident où il n'y a ni de sa faute ,
ni de la leur. Un vaisseau se trouvant en pleine mer lors
de la publication d'une trève , rencontre un vaisseau en-
nemi et le coule à fond ; comme il n'est coupable de rien ,
il ne peut être tenu du dommage. S'il a pris ce vaisseau , il
est seulement obligé à le rendre ; ne pouvant le retenir
contre la trève. Mais ceux qui , par leur faute, ignore-
raient la publication de la trève , seraient tenus à réparer
le dommage qu'ils auraient causé contre sa teneur. La
faute simple, et sur-tout la faute légère, peut bien éviter,
jusqu'à un certain point , la punition ; et certainement elle
ne mérite pas la même peine que le dol ; mais elle ne dis-
pense point de la réparation du dommage. Afin d'éviter
autant qu'il se peut toute difficulté , les souverains ont cou-


LIV. III, CHAI'. XVI. 68;
turne , dans les trèves , comme dans les traités de paix ,
de fixer des termes différents, suivant la situation et la
distance des lieux, pour la cessation des hostilités.


5 2 4 o . Puisque la trève ne peut obliger les sujets si elle
ne leur est connue , elle doit être solennellement puLliée
dans tous les lieux où l'on veut qu'elle soit observée.


S Si des sujets, gens de guerre, ou simples particu-
liers, donnent atteinte à la trève , la foi publique n'est point
violée , ni la trève rompue pour cela ; mais les coupables
doivent être contraints à la réparation complète du dom-
mage , et punis sévèrement. Le souverain , refusant de
faire justice sur les plaintes de l'offensé, prendrait part lui-
môme à la faute , et violerait la trève.


5 242. Or si l'un des contractants, ou quelqu'un par
son ordre, ou seulement avec son consentement, vient
à commettre quelque acte contraire à la trève, il fait in-
jure à l'autre partie contractante. ; la trève est rompue,
et la partie lésée peut courir incessamment aux armes ,
non-seulement pour reprendre les opérations de la guerre ,
mais encore pour (i) venger la nouvelle injure qu'elle
vient de recevoir.


5 245. Cependant on convient quelquefois d'une peine
que subira l'infracteur de la trève, et alors la trève n'est
Pas rompue tout de suite à la première infraction. Si la
partie coupable se soumet à la peine et répare le dommage ,•
la trève subsiste ; l'offensé n'a rien à prétendre de plus.
Que si l'on est convenu d'une alternative, savoir, qu'en
cas d'iaraction le coupable subira une certaine peine ,
ou que la trève sera rompue , c'est à la partie lésée de


(u) Pour obtenir satisfaction de la nouvelle injure, etc. De même, on
fera mieux de substituer le mot satisfaction à celui de peine dans le para-
graphe suivant. Moyennant quoi l'on évitera tout abus et ambiguïte. V




688
LE DROIT DES GENS.


choisir si elle veut exiger la peine, ou profiter du droit
de reprendre les armes; car si l'in tracteur avait le choix ,
la stipulation de l'alternative serait vaine , puisqu'en re-
fusant de subir la peine stipulée simplement , il romprait
l'accord et donnerait par-là à l'offensé le droit de reprendre
les armes. D'ailleurs , dans des clauses de sûreté , comme
celle. là , on ne présume point que l'alternative soit mise
en faveur de celui qui manque à ses engagements ; et il
serait même ridicule de supposer qu'il se réserve l'avait-
iage de rompre par son infraction , plutôt que de subir la
peine ; il n'a qu'à rompre tout simplement. La clause pé-
nale n'est destinée qu'à éviter que la trève ne soit rompue
si facilement , et elle ne peut être mise avec l'alternative
que pour ménager à la partie lésée le droit de rompre , si
elle le juge à propos, un accord où la conduite de son
ennemi lui montre peu de sûreté.


§ 244. 11 est nécessaire de bien déterminer le temps
de la trève , afin qu'il n'y ait ni doute , ni contestation ,
sur le moment où elle commence et celui où elle finit. La
langue française , extrêmement claire et précise pour qui
sait la parler, offre des expressions à l'épreuve de la 'chi-
cane la plus raffinée. Avec les mots inclusivement et ex-
clusivement, on évite toute l'ambiguïté qui peut se trouver
dans la convention à l'égard des deux termes de la trève ,
de son commencement et de sa fin. Par exemple, si l'on
dit que la trève durera depuis le premier de mars inclusi-
vement jusqu'au 15 d'avril aussi inclusivement , il ne reste
aucun doute : au lieu que si l'on eût dit simplement, du pre-
mier mars au 15 d'avril , il y aurait lieu (le disputer si ces
deux jours, qui servent de termes, sont compris ou non dans


. la trève. Eu effet , les auteurs se partagent sur cette ques-
tion. A l'égard du premier de ces deux jours il parait in-


LIV. III, CHAP. XVI. 689
dubitable qu'il est compris dans la trève ; car si l'on con-
vient qu'il y aura trève depuis le premier de mars, cela veut
dire naturellement , que les hostilités cesseront le premier
de mars. Il y a un peu plus de doute à l'égard du dernier
jour ; l'expression jusques semblant le séparer du temps
de l'armistice. Cependant, comme on dit souvent, jusques
et compris un tel jour, le, mot jusques n'est pas nécessai-
rement exclusif, suivant le génie de la langue ; et comme
la trève , qui épargne le sang humain , est sans doute une
matière fhvorable , le plus sûr est peut-être d'y com-
prendre le jour même du terme. Les circonstances peu-
vent aussi servir à déterminer le sens ; mais ou a grand
tort de ne pas ôter toute équivoque , quand il n'en coûte
pour cela qu'un mot de plus.


Le mot de jour doit s'entendre d'un jour naturel dans
les conventions de nation à nation ; car c'est en ce sens que
le jour leur sert de commune mesure : la manière (le comp-
ter par jours civils vient du droit civil de chaque peuple ,
et varie selon les pays. Le jour naturel commence au lever
du soleil , et sa durée est de vingt-quatre heures , ou. d'une
révolution diurne du soleil. Si done l'on convient d'une trève
de cent jours , à commencer au premier de mars, la trève
commence au lever du soleil le premier de mars , et elle
doit durer cent jours de-vingt-quatre heures chacun. Mais
comme le soleil ne se lève pas toute l'année à la même
heure, pour ne pas donner dans la minutie et dans une
chicane indigne de la bonne foi qui doit régner dans ces
sortes de conventions , il faut sans doute entendre que la
trève finit au lever du soleil , comme elle a commencé.
Le terme d'un jour s'entend d'un soleil à l'autre , sans chi-
caner sur quelques moments dont son lever avance ou re-
tarde. Celui qui, ayant fait une trève de cent jours , à com-


Li




690 L1 DROIT DES GENS.
mencer au 21 de juin, oil le soleil se lève environ à quatre
heures , prendrait les armes à cette même heure le jour que
la trève doit finir,et surprendrait son ennemi avant le lever
du soleil, cet homme, sans cloute, serait regardé comme
un chicaneur sans foi.


Si l'on n'a point marqué de terme pour le commencement
de la trève, comme elle oblige les contractants aussitôt
qu'elle est conclue ( S 23g) , ils doivent la faire incessam-
ment publier,, pour qu'elle soit observée ; car elle n'oblige
les sujets que du moment qu'elle est dûment publiée re-
lativement à eux ( ibid. ) ; et elle ne commence à courir
que du moment de la première publication, à moins qu'on
ne soit autrement convenu.


5 245. L'effet général de la trève est de faire cesser
absolument toute hostilité; et pour éviter toute dispute sur
les actes qui méritent ce nom , la règle générale est que
chacun , pendant la trève , peut faire chez soi, dans les
lieux dont il est maître , tout ce qu'il serait en droit de faire
en pleine paix. Ainsi la trève n'empêche point qu'un prince
ne puisse lever des soldais , assembler une armée dans ses
états , y faire marcher des troupes , y appeler même des
auxiliaires , réparer les fortifications d'une place qui n'est
point actuellement assiégée. Puisqu'il est en droit de faire
toutes ces choses chez lui en temps de paix , la trève ne
peut lui en ôter la liberté. Aurait-il prétendu , par cet ac-
cord , se lier les mains sur des choses que la continuation
des hostilités ne pouvait l'empêcher de faire


5 246. Mais profiter de la cessation d'armes pour exé-
cuter sans péril des choses qui portent préjudice à l'eu-
nemi , et que l'on n'aurait pu entreprendre avec sûreté au
milieu des hostilités , c'est vouloir surprendre et tromper
l'ennemi avec qui l'on contracte , c'est rompre la trève.


LIV. In,
livz; 691 -


Cette seconde règle générale nous servira à résoudre divers
cas particuliers.


5 24 7
. La trève conclue entre le gouverneur d'une place


et le général qui l'assiége , ôte à l'un et à l'autre la liberté
de continuer les travaux. Cela est manifeste pour le der-
nier , car ses travaux sont des actes d'hostilité. Mais le
gouverneur, de son côté , ne peut profiter de la suspension
d'armes pour réparer les brèches , ou pour élever de nou-
velles fortifications. L'artillerie des assiégeants ne lui permet
point de travailler impunément à de pareils ouvrages pen-
dant le cours des hostilités ; ce serait donc au préjudice de
ceux-ci qu'il y emploirait le temps de la trève ; et ils ne
sont pas obligés d'être dupes à ce point : ils regarderont
avec raison l'entreprise Comme une infrnetion à la trève.
Mais la cessation d'armes n'empêche point le gouverneur
de continuer, dans l'intérieur de sa place, des travaux
auxquels les attaques et le feu de l'ennemi n'étaient pas lin
obstacle. Au dernier siége de Tournay (1), on convint d'un
armistice après la reddition de la ville : pendant sa durée,
le gouverneur souffrit que les Français fissent toutes leurs
dispositions coutre la citadelle, qu'ils poussassent leurs tra-
vaux, dressassent leurs batteries, parce que de son côté il
débarrassait l'ultérieur, des décombres dont un magasin
sauté en l'air l'avait rempli , et établissait des batteries sur
le rempart. Mais il pouvait travailler presque sans danger
à tout cela, quand même les opérations du siégé auraient
commencé ; au lieu que les Français n'eussent pu pousser
leurs travaux avec tant de diligence , ni faire leurs appro-
ches et établir leurs batteries , sans perdre beaucoup de
inonde. Il n'y avait donc nulle égalité; et la trève ne tour-
nait , sur ce pied-là, qu'au seul avantage des assiégeants,


(i) En 1745.
44.




692 LE DROIT DES GENS.


La prise de la citadelle en fut avancée peut-être de quinze
jours.


5 948. Si la trève est conclue ou pour régler les con-
ditions de la capitulation , ou pour attendre les ordres des
souverains respectifs, le gouverneur assiégé ne peut en
profiter pour faire entrer du secours ou des munitions dans
sa place ; car ce serait abuser de la trève pour surprendre
l'ennemi : ce qui est contraire à la bonne foi. L'esprit
d'un pareil accord est manifestement , que toutes choses
doivent demeurer en état, comme elles sont au moment
qu'on le conclut.


5 249. Mais il ne faut point étendre ceci à une cessation
d'armes convenue pour quelque sujet particulier, pour en-
terrer les morts , par exemple. Celle-ci s'interprète relati-
vement à son objet. Ainsi on cesse de tirer , ou par-tout ,
ou seulement à une attaque , suivant que l'on en est con-
venu , afin que chaque parti puisse librement retirer ses
morts ; et tandis que le feu cesse , il n'est pas permis de
pousser des travaux auxquels il s'opposait : ce serait rompre
la trève , voulant en abuser. Mais rien n'empêche que ,
pendant une suspension d'armes de cette nature , le gou-
verneur ne fasse entrer sans bruit quelque secours , par un
endroit éloigné de l'attaque. Tant pis pour l'assiégeant, si ,
s'endormant sur un pareil armistice , il s'est relâché de sa
vigilance. L'armistice , par lui-même , ne facilite point
l'entrée de ce secours.


5 250. De même si une armée , engagée dans un mau-
vais pas , propose et conclut un armistice pour enterrer
les morts après un combat, elle ne pourra, pendant la
suspension d'armes, sortir de ses défilés à la vue de l'en-
nemi , et se retirer impunément. Ce serait vouloir profiter
de l'accord, pour exécuter ce qu'elle n'eût pu fi-tire sans


LIV. III, CHAP. xvi. 695
cela : elle aurait tendu un piège; et les conventions ne
peuvent être des piéges. L'ennemi la repoussera donc avec
justice , dès qu'elle voudra sortir de son poste. Mais si
cette armée défile sans bruit par se3 derrières, et se met
en lieu de sûreté , elle n'aura rien fait contre la parole
donnée. lie suspension d'armes, pour enterrer les morts,
n'emporte autre chose , sinon que de part et d'autre on ne
s'attaquera point pendant que l'on vaquera à ce devoir
d'humanité. L'ennemi ne pourra s'en prendre qu'à sa pro-
pre négligence : il devait stipuler que, pendant la cessation
d'armes, chacun demeurerait dans son poste; ou bien il de-
vait faire bonne garde ; et s'apercevant du dessein de cette
armée, il lui était permis de s'y opposer. C'est un strata-
gème fort innocent, que de proposer une cessation d'armes
pour un objet particulier, dans la vue d'endormir l'ennemi,
et de couvrir un dessein de retraite.


Mais si la trève n'est pas faite seulement pour quelque
objet particulier, c'est mauvaise foi que d'en profiter pour
prendre quelque avantage , par exemple, pour occuper un
poste important , pour s'avancer dans le pays ennemi
ou plutôt cette dernière démarche serait une violation de
la trève ; car avancer dans le .pays ennemi , est un acte
d'hostilité.


5 251. Or puisque la trève suspend les hostilités sans
mettre fin à la guerre, pendant sa durée il faut laisser
toutes choses en état, comme elles se trouvent, dans les
lieux dont la possession est disputée; et il n'est pas permis
d'y rien entreprendre au préjudice de l'ennemi. C'est une
troisième règle générale.


5 952. Lorsque l'ennemi retire ses troupes d'un lieu ,
et l'abandonne absolument, c'est une marque qu'il ne veut
plus le posséder; et en ce cas rien n'empêche qu'on ne


4




694 LE DROIT DES GENS.


puisse occuper ce lieu-là pendant la trève. Mais s'il parait
par quelque indice, qu'un poste , une ville ouverte , ou
un village, n'est point abandonné par l'ennemi , qu'il y
conserve ses droits ou ses prétentions , quoiqu'il néglige
de le garder, la trève ne permet point de s'en emparer.
C'est une hostilité que d'enlever à l'ennemi ce qu'il prétend
retenir.


5 255. C'est de même une hostilité , sans doute , que
de recevoir les villes ou les provinces qui veulent se sous-
traire à l'empire d'un ennemi , et se donner à nous. On ne
peut donc les recevoir pendant la trève , qui suspend tous
les actes d'hostilité.


254. Bien moins est il permis , dans ce temps-là .
d'exciter les sujets de l'ennemi à la révolte, ou de tenter
la fidélité de ses gouverneurs et de ses garnisons. Ce sont-
là, non-seulement des actes d'hostilité, mais des hostilités
odieuses ( 5 18o). Pour cc qui est des déserteurs et des
transfuges, on peut les recevoir pendant la trève, puisqu'on
les reçoit, même en pleine paix, quand on n'a point de
traité qui le défende ; et si l'on avait un pareil traité, l'effet
en est annulé , ou au moins suspendu , par la guerre qui
est survenue.


§ 255. Saisir les personnes , ou les choses qui appar-
tiennent à l'ennemi , sans qu'on y ait donné lieu par quel-
que faute particulière, est un acte d'hostilité, et par con-
séquent il ne peut se faire pendant la trève.


5 256. Et puisque le droit de pastlintinie n'est fondé que
sur l'état de guerre (voyez le chap. XIV de ce livre) , il
ne peut s'exercer pendant la trève, qui suspend tous les
actes de la guerre, et qui laisse toutes choses en état
(5 251). Les prisonniers mêmes ne peuvent alors se sous-
traire au pouvoir (le l'ennemi, pour être rétablis dans leur


LIV. III, CHAP. 693
premier état ; car l'ennemi est en droit de les retenir pen-
dant la guerre; et c'est seulement quand elle finit , que son
droit sur leur liberté expire (5 148).


5 25 7 . Naturellement il est permis aux ennemis d'aller
et de venir les uns chez les autres pendant la trève, sur-
tout si elle est faite pour un temps considérable, tout
comme cela est permis en temps de paix, puisque les hos-
tilités sont suspendues. Mais il est libre à chaque souve-
rain , comme il le lui serait aussi en pleine paix , de pren-
dre des précautions pour empêcher que ces allées et
venues ne lui soient préjudiciables. Des gens, avec qui il
va bientôt rentrer en guerre , lui sont suspects à juste
titre. Il peut même , en faisant la trève, déclarer qu'il
n'admettra aucun des ennemis dans les lieux de son obéis-
sance.


5 258. Ceux qui , étant venus dans les terres de l'en-
nemi pendant la trève , y sont retenus par une maladie,
ou par quelque autre obstacle insurmontable, et s'y trou-
vent encore à la fin de la trève , peuvent à la rigueur être
faits prisonniers. C'est un accident qu'ils pouvaient pré-
voir, et auquel ils ont bien voulu s'exposer. Mais l'huma-
nité et la générosité demandent pour l'ordinaire qu'on leur
donne un délai suffisant pour se retirer.


5 239. Si dans le traité d'une trève on retranche ou
ajoute à tout. ce qui vient d'être dit , c'est une convention
particulière qui oblige les contractants. Ils doivent tenir ce
qu'ils ont validement promis ; et les obligations qui en ré-
sultent forment un droit pactice , dont le détail n'entre
point dans le plan de cet ouvrage.


5 260. La trève ne faisant que suspendre les effets de
la guerre ( 5 255 ) , au moment qu'elle expire les hostilités
recommencent sans qu'il soit besoin d'une nouvelle dé




4


e9 6 LE D'AOIT DES GENS.
claration de guerre; car chacun sait d'avance que dès ce
moment la guerre reprendra son cours; et les raisons qui
en rendent la déclaration nécessaire ( voyez le S 51) n'ont
point lieu ici.


Cependant une trève à longues années ressemble fort à
la paix ; et elle en diffère seulement en ce qu'elle laisse
subsister le sujet de la guerre. Or; comme il peut arriver
que les circonstances el les dispositions aient fort changé
(le part et d'autre dans un long espace de temps , il est tout-
à-fait convenable à l'amour de la paix, qui sied si bien aux
souverains , au soin qu'ils doivent prendre d'épargner le
sang de leurs sujets, et même celui des ennemis, il est,
dis je , tout-à fait convenable à ces dispositions de ne point
reprendre les armes à la fin d'une trève qui en avait fait
disparaître et oublier tout l'appareil , sans faire quelque dé-
claration qui puisse inviter l'ennemi à prévenir une nou-
velle effusion de sang. ,Les Romains ont donné l'exemple
d'une modération si louable. Ils n'avaient fait qu'une trève
avec la ville de Véies , et même leurs ennemis n'en avaient
pas attendu la fin pour recommencer les hostilités; cepen-
dant la trève expirée , il ►fut décidé par le collége des e-
c;aux qu'on enverrait demander satisfaction avant de re-
prendre les armes (a).


5 261. Les capitulations des places qui se rendent,
tiennent un des premiers rangs parmi les conventions qu
se font entre ennemis dans le cours de lu guerre. Elles sont
arrêtées d'ordinaire entre le général assiégeant et le gou-
verneur de la place , agissant l'un et l'autre par l'autorité
qui est attribuée à leur charge ou à leur commission. Nous
avons exposé ailleurs ( liv. II , chap. 14 ) , les principes
du pouvoir qui est confié aux puissances subalternes , avec


(a) EL-Liv. lit, IV, cap. 50,


LIV. III, CHAP. xv.i. 697
les règles générales pour en juger; et tout cela vient d'être
rappelé en peu de mots , et appliqué en particulier aux
généraux et autres commandants en chef dans la guerre
( 5 ! 5 7 ). Puisqu'un général et un commandant de place
doivent être naturellement revêtus de tons les pouvoirs né-
cessaires pour l'exercice de leurs fonctions , on est en droit
de présumer qu'ils ont ces pouvoirs ; et celui de conclure
une capitulation est certainement de ce nombre, sur-tout
lorsqu'on ne peut attendre les ordres du souverain. Le
traité qu'ils auront fait à ce sujet sera donc valide ; et il
obligera les souverains au nom et en l'autorité desquels
les commandants respectifs ont agi.


5 262. Mais il faut bien remarquer que si ces officiers
ne veulent pas excéder leurs pouvoirs , ils doivent se tenir
exactement dans les termes de leurs fonctions, et ne point
toucher aux choses qui ne leur sont pas commises. Dans
l'attaque et la défense, dans la prise ou dans la reddition
d'une place , il s'agit uniquement de sa possession et non
de la propriété , ou du droit ; il s'agit aussi du sort de la
garnison. Ainsi les commandants peuvent convenir de la
manière dont la ville qui capitule sera possédée; le général
assiégeant peut promettre la sûreté des habitants , la con-
servation de la religion , des franchises , des priviléges. Et
quant à la garnison , il peut lui accorder de sortir avec
armes et bagages avec tous les honneurs de la guerre ,
d'être escortée et conduite en lieu de sûreté, etc. Le com-
mandant de la place peut la remettre à discrétion , s'il y
est contraint par l'état des choses ; il peut se rendre lui et
sa garnison prisonniers de guerre , ou s'engager qu'ils ne
porteront point les armes contre ce même ennemi et ses
alliés jusqu'à un terme convenu, même jusqu'à la fin de
la guerre ; et il promet validement pour ceux qui sont sous




698 LE DROIT DES GENS.


ses ordres, obligés de lui obéir tant qu'il demeure dans
les termes de ses fonctions ( S 25 ).


Mais si le général assiégeant s'avisait de promettre que
son maître ne pourra jamais s'approprier la place conquise ,
ou qu'il sera obligé de la rendre après un certain temps, il
sortirait des bornes de ses pouvoirs , en contractant sur des
choses dont le soin ne lui est pas commis. Et il Lut en dire
autant du commandant qui , dans- la capitulation, entre-
prendrait d'aliéner sa place pour toujours, d'ôter à son
souverain le droit de la reprendre , ou qui promettrait que
sa garnison ne portera jamais les armes , même dans une
autre guerre. Ses fonctions ne lui donnent pas un pouvoir
si étendu. S'il arrive donc que dans les conférences pour la
capitulation l'un des commandants ennemis insiste sur des
conditions que l'autre ne se croit pas en pouvoir d'accor-
der, ils ont un parti à prendre ; c'est de convenir d'une
suspension d'armes, pendant laquelle toutes choses demeu-
rent dans leur état jusqu'à ce qu'on ait reçu des ordres
supérieurs.


5 263. On a dû voir dès l'entrée de ce chapitre, pour-
quoi nous nous dispensons de prouver ici que toutes ces
conventions faites pendant le cours de la guerre doivent
être observées avec fidélité. Contentons-nous donc de re-
marquer, au sujet des capitulations en particulier, que s'il
est injuste et honteux de les violer , cette perfidie devient
souvent préjudiciable à celui qui s'en rend coupable. Quelle
confiance prendra-t-on désormais en lui? Les villes qu'il
attaquera supporteront les plus cruelles extrémités plutôt
que de se fier à sa parole. Il fortifie ses ennemis en les pous-
sant à une défense désespérée ; et tous les siéges qu'il lui
faudra entreprendre deviendront terribles. Au contraire la
fidélité gagne la confiance et les coeurs elle facilite les en-


LIV. III, GUAI'. XVI. 699
treprises , lève les obstacles, et prépare de glorieux succès.
L'histoire nous en fournit un bel exemple dans la conduite
de Georges Baste, général des Impériaux , en J602 , contre
Battory et les Turcs. Les révoltés du parti de Battory ayant
emporté Bistrith , autrement Nissa , Baste reprit cette place
par une capitulation, qui fut violée en son absence par quel-
ques soldats allemands ; ce qu'il n'eut pas sitôt appris à son
retour , qu'il fit pendre tous ces soldats , et paya de ses de-
niers aux habitants le dommage qui leur avait été fait. Cette
action toucha si fort les révoltés , qu'ils se soumirent tous
à l'empereur sans demander d'autre sûreté que la parole
de Baste (a) .


5 264. Les particuliers , gens de guerre ou autres , qui
se trouvent seuls vis-à-vis de l'ennemi , sont, par cette né-
cessité, remis à leur propre conduite ; ils peuvent faire ,
quant à leur personne , ce que ferait un commandant par
rapport à lui-même et à sa troupe; en sorte que s'ils font
quelque promesse , à raison de l'état où ils se trouvent ,
pourvu qu'elle ne touche point à des choses qui ne peuvent
jamais être de la compétence d'un particulier , cette pro-
messe est valide, comme faite avec un pouvoir suffisant;
car lorsqu'un sujet ne peut ni recevoir les ordres du sou-
verain , ni jouir de sa protection , il rentre dans ses droits
naturels , et doit pourvoir à sa sûreté par bous moyens
justes et honnêtes. Ainsi , quand ce particulier a promis
une somme pour sa rançon , loin que le souverain puisse
le dégager de sa promesse, il doit l'obliger à la tenir. Le
bien de l'état demande que la foi soit gardée, et que les
sujets aient ce moyen de sauver leur vie, ou de recouvrer
leur liberté.


C'est ainsi qu'un prisonnier relâché sur sa parole, doit
(a) 316moires de Sailli, rédigés par M. de PEcluse; t. 1V, p. 179 et 180.




FCO DEOIT DES GEM,


la tenir religieusement ; et son souverain n'est point en
droit de s'y opposer ; car sans cette parole donnée, le pri-
sonnier n'eût pas été relâché.


Ainsi encore , les habitants de la campagne, des villages,
ou des villes sans défense , doivent payer les contributions
qu'ils ont promises pour se racheter du pillage.


Bien plus, il serait même permis à un sujet de renoncer
à sa patrie'


lennemi , maître de sa personne , ne voulait
lai accorder la vie qu'à cette condition ; car dès le moment
que la société ne peut le protéger elle défendre , il rentre
dans ses droits naturels ; et d'ailleurs , s'il s'obstinait , que
gagnerait l'état à sa mort P Certainement , tant qu'il reste
quelque espérance, tant qu'il y a moyen de servir la patrie,
on doit s.'exposer pour elle , et braver tous les dangers.
,Te suppose qu'il faille , on renoncer à sa patrie, ou périr
sans aucune utilité pour elle. Si l'on peut la servir en
mourant, il est beau d'imiter la générosité héroïque des
Décius. On ne pourrait s'engager , même pour sauver sa
vie, à servir contre sa patrie; un homme de coeur périra
mille fois plutôt que de faire cette honteuse promesse.


Si un soldat , rencontrant un ennemi à l'écart , le fait
prisonnier, en lui promettant la vie sauve , ou la liberté ,
moyennant une certaine rançon, cet accord doit être res-
pecté par les supérieurs ; car il paraît que le soldat, livré
pour lors à lui-même , n'a rien fait qui passe son pouvoir.
II eût pu juger qu'il ne lui convenait pas d'attaquer cet en-
nemi, et le laisser aller. Sous ses chefs, il doit obéir; seul ,
il est remis à sa propre prudence. Procope rapporte l'a-
venture de deux soldats , l'un Goth et l'autre Romain , qui
étant tombés dans une fosse, se promirent la vie l'un à
l'autre : accord qui fut approuvé par les Goths (a).


(a) Procop. Goa:. lib.
cap.


apudyuffewblib. VIII, cap. 7,§ t5.


LIV. III, CHIP. 701


n.,,,SoWletAVV.1,..1.1AVVIANAJAANWVIAINSA1V,MNIALSW VOAVIAVIAWAIr tVn VVIAVINV1M ll.V.A.Vte


CHAPITRE XVII.


Des Sauf-conduits et Passe-ports: questions sur la Rançon
des prisonniers de guerre.


S 265. LE saurconduit et le passe-port sont une espèce
de privilége , qui donne aux personnes le droit d'aller et (le
venir en sûreté, ou , pour certaines choses , celui de les
transporter aussi en sûreté. Il paraît que, suivant l'usage
et le génie de la langne,on se sert du terme de passe-port,
dans les occasions ordinaires , pour les gens en qui il n'y a
aucun empêchement particulier d'aller et de venir en sû-
reté , et à qui il sert pour plus grande assurance et pour
éviter toute discussion , ou pour les dispenser de quelque
défense générale : le sauf-conduit sc donne à des gens
qui , sans cela , ne pourraient aller en sûreté dans les lieux
oit celui qui l'accorde est le maître; à un accusé , par
exemple , ou à un ennemi. C'est de ce dernier que nous
avons à traiter ici.


§ 266. Tout sauf-conduit émane de l'autorité souve-
raine, comme tout autre acte de suprême commandement.
Mais le prince peut commettre à ses officiers le pouvoir de
donner des sauf- conduits ; et ils en sont revêtus, ou par
une attribution expresse , ou par une conséquence de la
nature de leurs fonctions. Un général d'armée , par la na-
ture même de sa charge, peut donner des sauf conduits ;
et puisqu'ils émanent , quoique médiatetnent, de l'autorité
souveraine, les autres généraux ou officiers du même prince
doiven t les respecter.




702
LE DROIT DES GENS.


5 26 7 . La personne nommée dans le sauf-conduit, ne
peut transporter son privilége à une autre ; car elle ne sait
point s'il est indifférent à celui qui l'a donné que tout autre
en use à sa place : elle ne peut le présumer; elle doit même
présumer le contraire , à cause des abus qui pourraient en
naître ; et elle ne peut s'attribuer plus de droit qu'on ne lui
en a voulu donner. Si le sauf- conduit est accordé, non
pour des personnes , mais pour certains effets , ces effets
peuvent être conduits par d'autres que le propriétaire; le
choix de ceux qui les transportent est indifférent, pourvu
qu'il n'y ait rien dans leur personne qui puisse les rendre
justement suspects à celui qui donne le sauf-conduit , ou
leur interdire l'entrée de ses terres.


268. Celui qui promet sûreté par un sauf-conduit,
la promet par-tout où il est le maître , non pas seulement
dans ses terres , mais encore dans tous les lieux où il pour-
rait avoir des troupes ; et non-seulement il doit s'abstenir
de violer lui-même, ou par ses gens, cette sûreté ; il doit
de plus protéger et défendre celui à qui il l'a promise , pu-
nir ceux de ses sujets qui lui auraient fait violence, et les
obliger à réparer le dommage (*).


5 269 . Le droit que donne un sauf-conduit venant en-
tièrement de la volonté (le celui qui l'accorde , cette vo-
lonté est la règle sur laquelle on doit en mesurer l'étendue
et la volonté se découvre par la fin pour laquelle le sauf--


(1 A la fameuse entrevue de Péronne, Charles, du de Bourgogne, irrité
de ce que Louis XI avait engagé les Liégeois à prendre les armes contre
lui , ne respecta pas le sauf-conduit qu'il avait donné à ce monarque. Si
Louis XI eût tramé cette défection pendant qu'il était à Péronne, le duc
pouvait n'avoir aucun égard pour un sauf-conduit dont on eût abusé;
mais le roi de France avait envoyé h Gand avant qu'il fût question de se
rendre à Péronne pour l'entrevue, et Charles viola le droit des gens, aveuglé
par la colère où le jeta une nouvelle désagréable et inattendue.


Liv. III, CHAP. XVII. 705


conduit a été donné. Par conséquent , celui à qui on a
permis de s'en aller, n'a pas le droit de revenir ; et le sauf--
conduit accordé simplement pour passer, ne peut servir
pour repasser ; celui qui est donné pour certaines affaires,
doit valoir jusqu'à ce que ces affaires soient terminées et
qu'on ait pu s'en aller. S'il est dit qu'on l'accorde pour un
voyage, il servira aussi pour le retour, car le voyage com-
prend l'allée et le retour. Ce privilége consistant dans la
liberté d'aller et de venir en sûreté , il diffère de la per-
mission d'habiter quelque part ; et par conséquent il ne
peut donner le droit de s'arrêter en quelque lieu et d'y
faire un long séjour, si ce n'est pour affaires en vue des-
quelles le sauf-conduit aurait été demandé et accordé.


5 2 7 o. Un sauf-conduit donné à un voyageur comprend
naturellement son bagage , ou les hardes et autres choses
nécessaires en voyage , et même un ou deux domestiques ,
ou plus , selon la condition du voyageur. Mais à tous ces
égards , comme aux autres que nous venons de toucher,
le plus sûr,. sur-tont entre ennemis et antres personnes sus,
pectes , est de spécifier toutes choses, de les articuler exac-
tement , pour éviter les difficultés. C'est aussi ce qu'on
observe aujourd'hui : on fait mention , dans les sauf-con-
duits, et du bagage et des domestiques.


5 971. Quoique la permission de s'établir quelque part,
accordée à un père de famille , comprenne naturellement
sa femme et ses enfants , il n'en est pas ainsi du sauf-con-
duit, parce qu'on ne s'établit guère dans un lieu sans sa
famille , et qu'on voyage le plus souvent sans elle.


S 2 7 2. Le sauf-conduit accordé à quelqu'un, pour lui et
les gens de sa suite, ne peut lui donner le droit de mener
avec lui des personnes justement suspectes à l'état, ou qui
en seraient bannies ou fugitives pour quelque crime, ni




";04 LE noir DES GENS.


mettre ces personnes-là en sûreté ; car le souverain qui
accorde un sauf-conduit en ces termes généraux , ne pré-
sume pas qu'on osera s'en servir pour mener chez lui des
malfaiteurs , ou des gens qui l'ont particulièrement offensé.


S 2 7 5. Le sauf-conduit, donné pour un temps marqué,
expire au bout du terme ; et si' le porteur ne s'est point
retiré avant ce temps-là , il peut être arrêté, et même
puni , selon les circonstances, sur-tout s'il parait suspect
par un retardement affecté.


5 2 7 4. Mais si, retenu par une force majeure , par une
maladie , il n'a pu s'en aller à temps, il faut lui donner
un délai convenable ; car on lui a promis sûreté; et bien
qu'elle ne lui fût promise que pour un certain temps , ce
n'est pas sa faute s'il n'a pu partir dans ce temps-là. Le
cas est différent de celui d'un ennemi qui vient chez nous
pendant la trève ; nous n'avons fait à celui-ci aucune pro-
messe particulière ; il profite , à ses périls , d'une liberté
générale , donnée par la suspension des hostilités. Nous
avons uniquement promis à l'ennemi de nous abstenir de
toute hostilité jusqu'à un certain temps ; et le terme passé ,
il nous importe qu'elles puissent reprendre librement leur
cours, sans qu'on ait à nous opposer une multitude d'ex-
cuses et de prétextes.


5 275. Le sauf-conduit n'expire point à la mort de ce-
lui qui l'a donné , ou au montent de sa déposition ; car
il est donné en vertu de l'autorité souveraine , laquelle ne
meurt point, et dont l'efficace n'est point attachée à la
personne qui l'exerce. 11 en est de cet acte , comme des
autres dispositions du commandement public ; leur vali-
dité, leur durée, ne dépend point de la vie de celui qui
les - a faites , à moins que, par leur nature même , ou par
une déclaration expresse , elles ne lui soient personnelles.


LIV. III, GRAD. XVII.
705


s 276. Cela n'empêche point que le successeur ne puisse
révoquer un sauf-conduit, s'il en a de bonnes raisons. Ce-
lui-là même qui l'a donné , peut bien le révoquer en pareil
cas ; et il n'est pas toujours tenu de dire ses raisons. Tout
privilège peut être révoqué quand il devient nuisible à l'é-
tat; le privilège gratuit , purement et simplement, et le
privilège acquis à titre onéreux , en indemnisant les inté-
ressés. Supposez qu'un prince, ou son général, se prépare
à une expédition secrète , , qu'au moyen
d'un sauf-conduit obtenu précédemment, on vienne épier
ses préparatifs pour en rendre compte à l'ennemi? Mais le
sauf-conduit ne peut devenir un piège; en le révoquant ,.
il faut donner au porteur le temps et la liberté de se re-
tirer en sûreté. Si on le retient quelque temps , comme
on ferait à tout autre voyageur, pour empêcher qu'il ne
porte des lumières à l'ennemi , ce doit être saris aucun
mauvais traitement, et seulement jusqu'à ce que cette
raison n'ait plus lieu.


5 2 77 . Si le sauf-conduit porte cette clause, pour au-
tant de temps qu'il nous plaira, il ne donne qu'un droit
précaire , et peut être révoqué à tout moment. Tant qu'il
ne l'est pas expressément , il demeure valable. Il tombe
par la mort de celui qui l'a donné , lequel cesse dès-lors
de vouloir la continuation du privilège. Mais il faut tou-
jours entendre, que du moment que le sauf-conduit expire
de cette manière , on doit donner au porteur le temps de
se retirer en sûreté.


5 2 7 8. Après avoir traité du droit de faire des prison-
niers de guerre , de l'obligation de les relâcher à la paix ,
par échange ou pour une rançon , et de celle où se trouve
leur souverain de les .délivrer, il nous reste à considérer la
nature des conventions qui ont pour objet la délivrance de


4 3




;06 LE DliOIT DES G ENS.
ces infortunés. Si les souverains qui se font la guerre sont'
convenus d'un cartel pour l'échange ou la rançon des
prisonniers ,. ils doivent l'observer fidèlement, ainsi que
toute autre convention. Mais si , comme cela s'est pratiqué
souvent autrefois , l'état laisse à chaque-prisonnier, au moins
pendant le cours de la guerre, le soin de se racheter lui-
même , il se présente, au sujet de ces conventions particu-
lières , bien des questions, dont nous toucherons seule-
ment les principales.


2 79 . Quiconque a légitimement acquis le droit d'exi-
ger une rançon de son prisonnier, peut transférer son droit
à un tiers. Cela s'est pratiqué dans les derniers siècles : on
a vu souvent des guerriers céder leurs prisonniers à d'au-
tres , et leur transférer tous les droits qu'ils avaient sur eux.
Mais comme celui qui fait un prisonnier, est obligé de le
traiter équitablement et avec humanité (S 15o), s'il veut
se mettre à couvert de tout reproche , il ne doit point trans-
férer son droit , d'une manière illimitée , à quelqu'un qui
pourrait en abuser : lorsqu'il est convenu avec son prison-
nier . du prix de la rançon , il peut céder à qui il lui plaira
le droit de l'exiger.


5 280. Dès que l'accord fait avec un prisonnier pour le
prix de sa rançon est conclu , c'est un contrat parfait ; et
on ne peut le rescinder, sous prétexte que le prisonnier se
trouve plus riche qu'on ne le croyait. Car il 'n'est point né-
cessaire que le prix de la rançon soit proportionné aux ri-
chesses du prisonnie r; ce n'est point là-dessus que se mesure
le droit de retenir un prisonnier de guerre (Voyez les S8 148
et 153). Mais il est naturel de proportionner le prix de la
rançon au rang que tient le prisonnier dans Farinée enne-
mie , parce que la liberté d'un officier de marque est d'une
plus grande conséquence que celle d'un simple soldat, ou


LIV. III, CliA


x v 707
d'un officier inférieur. Si le prisonnier a , non pas seule-
ment célé , mais déguisé son rang, c'est une fraude qui
donne le droit d'annuler la convention.


5 281. Si un prisonnier, qui est convenu du prix de sa
rançon , meurt avant que de l'avoir payée , on demande si
ce prix est dit , et si les héritiers sont obligés de l'acquitter?
Ils y sont obligés sans doute, si le prisonnier est mort libre.
Car du moment qu'il a reçu sa liberté, pour prix de laquelle
il avait promis une somme, cette somme est due, et n'appar-
tient point à ses héritiers. Mais s'il n'avait point encore
reçu la liberté , ni lui ni ses héritiers n'en doivent le prix ,
à moins qu'il n'en fût autrement convenu; et il n'est censé
l'avoir reçue , que du moment qu'il lui est absolument per-
mis de s'en aller libre , lorsque ni celui qui le tenait prison-
nier, ni le souverain de celui-ci, ne s'opposent point à son
élargissement et à son départ.


Si ou lui a seulement permis- de faire un voyage pour
disposer ses amis , ou son souverain , à lui fournir les
moyens de se racheter, et qu'il meurt avant que d'avoir
reçu la liberté,, avant qu'on l'ait dégagé de sa parole, il
n'est rien dû pour sa rançon:


Si, étant convenu du prix, on le retient en prison jus-
qu'au moment du paiement , et qu'il meure auparavant,
ses héritiers ne doivent point la rançon ; un pareil accord
n'étant, de la part de celui qui tenait le prisonnier, qu'une
promesse de lui donner la liberté pour une certaine somme
livrée comptant. Une promesse de vendre et d'acheter
n'oblige point le prétendu acheteur à payer le prix de la
chose, si elle vient à périr avant que la vente soit con-
sommée. Mais si le Contrat de vente est parfitit , l'acheteur
paiera le prix de la chose vendue , quand meule elle vien-
drait à .périr avant que d'être livrée, pourvu qu'il n' y ait ni


43.


te




LE DEOIT DES GESS.


faute, ni retardement de la part du vendeur. Par cette
raison , si le prisonnier a conclu absolument. l'accord de sa
rançon, se reconnaissant dès ce moment débiteur (lu prix,
et demeure cependant, non plus comme prisonnier, mais
pour sûreté du paiement , sa mort intervenant n'empêche
point que le prix de la rançon ne soit dû.


Si la convention porte que la rançon sera payée un cer-
tain jour, et que le prisonnier vienne à mourir avant ce
jour-là , les héritiers seront tenus de payer. Car la rançon
était due , et ce jour marqué ne l'était que comme terme
du paiement.


282. I1 Suit,' à la rigueur, des mêmes principes, qu'un
prisonnier relâché à condition d'en faire délivrer un autre,
doit retourner en prison , au cas que celui-ci vienne à
mourir avant qu'il ait pu lui procurer la liberté. Mais assu-
rément ce malheureux mérite des égards; et l'équité sem-
ble demander qu'on laisse à ce prisonnier une liberté ,


on a bien voulu lui accorder, pourvu qu'il en paie
un juste équivalent, ne pouvant plus en donner précisé-
ment le prix convenu.


5 285. Le prisonnier pleinement remis en liberté
après avoir promis et non payé sa rançon , venant à être
pris une seconde fois, il est aisé de voir que , sans être dis-
pensé de payer sa première rançon , il aura à en donner
une seconde , s'il veut être libre.


5 284. Au contraire , quoique le prisonnier soit con-
venu du prix de sa rançon , si avant que l'accord soit exé-
cuté , avant qu'on lui ait en effet rendu la liberté , il est
repris et délivré par les siens , il ne doit rien. Je suppose,
comme on voit, que. le contrat de la rançon n'était pas
passé , que le prisonnier ne s'était pas reconnu débiteur du
prix de sa rançon. Celui qui le tenait lui avait seulement


LIV. III, CIIA.P.
709


fait , pour ainsi dire, une promesse de vendre , et il avait
promis d'acheter ; mais ils n'avaient pas vendu et acheté
en effet : la propriété n'était pas transportée.


285. La propriété de ce qui appartient à quelqu'un
ne passe point à celui qui le fait prisonnier, sinon en tant
qu'il se saisit en même temps de ces choses-là. Il n'y a nul
doute à cela , aujourd'hui que les prisonniers de guerre ne
sont point réduits en -esclavage. Et même , par le droit de
nature , la propriété des biens d'un esclave ne passe point,
sans autre raison , au maître de l'esclave : il n'y a rien dans
l'esclavage qui puisse de soi-même opérer cet effet. De ce
qu'un homme aura des droits sur la liberté d'un autre ,
s'ensuit-il qu'il en ait aussi sur ses biens? Lors donc que
l'ennemi n'a point dépouillé son prisonnier, ou que celui-
ci a trouvé moyen de soustraire quelque chose à ses recher-
ches , tout ce qu'il a conservé lui appartient, et il peut s'en
servir pour le paiement de sa rançon. Aujourd'hui on ne
dépouille pas même toujours les prisonniers : le soldat avide
se le permet ; mais un officier se croirait déshonoré s'il
leur ôtait la moindre chose. De simples cavaliers français,
qui à la bataille de ilocoux avaient pris un général anglais,
ne s'attribuèrent de droit que les armes de leur prison-
nier.


5 286. La mort du prisonnier fait périr le droit de celui
qui l'avait pris. C'est pourquoi si quelqu'un est donné en
otage , pour faire élargir un prisonnier, il doit être relâché
du moment que ce prisonnier vient à mourir ; de même
que si l'otage meurt, le prisonnier n'est pas délivré par
cette mort. Il faudrait dire tout le contraire si l'un avait
été substitué à l'autre, au lieu d'être seulement en otage
pour lui.




LB DEOIT DES GENS.


,110.1 VVVVV41,,V,I. W1WMMAIAIMANVVVVVVWS NAVV4,14,,,,,IA.WW,AW,N. 1.1.1,Wt.,,,,N.


CHAPITRE xylii.•


De la Guerre civile.


S 287. C 'EST une question fort agitée, de savoir si le
souverain doit. observer les lois ordinaires de la guerre
envers des suies rebelles qui ont pris ouvertement les
armes contre lui. Un flatteur, ou un dominateur cruel , a
bientôt dit que les lois de la guerre ne sont pas faites pour
des rebelles dignes des derniers supplices. Allons plus dou-
cement , et raisonnons d'après les principes incontestables
que nous avons posés ci-dessus. Pour voir clairement quelle
est la conduite que le souverain doit tenir envers des sujets
soulevés , il faut premièrement se souvenir que tous les'
droits du souverain viennent des droits mêmes de l'état on
de la société civile , des soins qui lui sont commis ,-de l'o-
bligation où il est de veiller au salut de la nation , de pro-
curer son plus grand bonheur, d'y maintenir l'ordre , la
justice et la paix ( voyez liv. r , chap. 4 ). Il faut, après
cela , distinguer la nature et le degré des divers désordres
qui peuvent troubler l'état , obliger le souverain à s'ar-
mer, ou substituer les voies de la force à celles de l'au-
torité.


5 288. 'On appelle rebelles tous sujets qui prennent
injustement les armes contre le conducteur de la société ,
soit qu'ils prétendent le dépouiller de l'autorité suprême ,
soit qu'ils se proposent de résister à-ses ordres dans quelque
affaire particulière., et de lui imposer des conditions.


LIV. III, CHAP. XVIII. 711


5 289. L'émotion populaire est un concours de peuple
qui s'assemble tumultuairement et n'écoute plus la voix des
supérieurs, soit qu'il en veuille à ces supérieurs eux-mêmes,
ou seulement à quelques particuliers. On voit de ces mou-
vements violents quand le peuple se. croit. vexé ; et nul
ordre n'y donne si souvent occasion que les exacteurs des
impôts. Si les mécontents en veulent particulièrement aux
magistrats, ou autres(I éposilaires de l'autorité publique,
et en viennent jusqu'à une désobéissance formelle , ou aux -
voies de .fait, cela s'appelle une sédition. Et lorsque le mal
'étend gagne le ()Taud nombre dans la ville ou dans la


province , et se soutient en sorte que le souverain même
n'est plus obéi , l'usage donne plus particulièrement à ce
désordre le nom de soulevement.


5 290. Toutes ces violences troublent l'ordre public et
sont des crimes d'état , lors même qu'elles sont causées par
(le justes sujets de plainte; car les voies de fait sont. inter-
dites dans la société civile : ceux à qui l'on fait tort doivent
s'adresse • aux magistrats; et s'ils n'en obtiennent pas jus-
tice, ils peuvent porter leurs plaintes au pied du trône.
Tout citoyen doit môme souffrir 'patiemment (les maux
supportables plutôt que de troubler la paix publique. Il n'y
a qu'un déni de justice de la part du souverain , ou des
délais affectés qui puissent excuser l'emportement d'un
peuple poussé à bout, le justifier même si les maux sont
intolérables, l'oppression grande et manifeste. Mais quelle
conduite k souverain tiendra-t•il envers les révoltés ? Je
réponds en général , celle qui sera en même temps la plus
conforme à la justice et la plus salutaire à l'état. S'il doit
réprimer ceux qui troublent sans nécessité la paix publique,
il doit user de clémence envers des malheureux à qui on a
donné de justes sujets de plainte, et qui ne sont coupables




;12
LE DISOIT DES GENS.


que pour avoir entrepris de se faire justice eux-mêmes ; ils
ont manqué de patience plutêt que de fidélité. Les sujets
qui se soulèvent sans raison contre leur prince méritent des
peines sévères. Mais ici encore le nombre des coupables
oblige le souverain à la clémence. Dépeuplera-t-il une ville
ou une province pour châtier sa rébellion P La punition la
plus juste en elle-même, devient. cruauté dès qu'elle s'étend
à un trop grand nombre de gens. Quand les peuples des
Pays-Bas se seraient soulevés sans sujet contre l'Espagne ,
on détesterait encore la mémoire du duc d'Albe , qui se
vantait d'avoir fait tomber vingt. mille têtes par la main des
bourreaux. Que ses sanguinaires imitateurs n'espèrent pas
de justifier leurs excès par la nécessité. Qui fut jamais
plus indignement outragé de ses sujets que le grand lknri
Il vainquit et pardonna toujours; et cet excellent prince
obtint enfin un succès digne de lui; il gagna des sujets
fidèles : le duc d'Albe fit perdre à son maître les Pro-
vinces-Unies. Les fautes communes à plusieurs se punis-
sent par des peines qui sont communes aux coupables. Le
souverain peut ôter à une ville ses priviléges, au moins jus-
qu'à ce qu'elle ait pleinement reconnu sa faute; et il réser-
vera les supplices pour les auteurs des troubles , pour ces.
boute-feux qui incitent le peuple à la révolte. Mais les tyrans
seuls traiteront de séditieux ces citoyens courageux et
fermes qui exhortent le peuple à se garantir de l'oppression,
h maintenir' ses droits et ses priviléges : un bon prince
louera ces vertueux patriotes, pourvu que leur zèle soit
tempéré par la modération et la prudence. S'il aime la
justice et son devoir , s'il aspire à la gloire immortelle et
si pure d'être le père de son peuple , qu'il sè défie des sug-
gestions intéressées d'un ministre qui lui peint comme des
rebelles tous les citoyens qui ne tendent pas les mains à


LIV. III, CHAP. XVIII. 713


l'esclavage, qui refusent de plier sans murmure sous les
C0 .11 ps d'un pouvoir arbitraire.


S 291. Le plus sûr moyen d'apaiser bien des séditions,
et en même temps le plus juste, c'est de donner satisfac-
tion aux 'peuples. Et s'ils se sont soulevés sans sujet , ce
qui n'arrive peut-être jamais, il faut bien encore, comme
nous venons de le dire , accorder une amnistie au grand
nombre. Dès que l'amnistie est publiée et acceptée, tout
le passé doit être mis en oubli ; personne ne peut être
recherché pour ce qui s'est fait à l'occasion des troubles.
Et en général le prince, religieux observateur de sa parole,
doit garder fidèlement tout cc qu'il a promis aux rebelles
mêmes j'entends à ceux de ses sujets qui se sont révoltés
sans raison ou sans nécessité. Si ses promesses ne sont pas
inviolables il n'y aura plus de sûreté pour les rebelles à
traiter avec lui ; dès qu'ils auront tiré l'épée, il faudra qu'ils
en jettent le fourreau , comme l'a dit un ancien : le prince
manquera le plus doux et le plus salutaire moyen d'apaiser
la révolte; il ne lui restera pour l'étouffer que d'exterminer
les révoltés. Le désespoir les rendra formidables ; la com-
passion leur attirera des secours , grossira leur parti ; et
l'état se trouvera en danger. Que serait devenue la France
si les ligueurs n'avaient pu se fier aux promesses de Henri-
le-Grand? Les mêmes raisons qui doivent rendre la foi des
promesses inviolable et sacrée ( liv. II , 55 165 , 218 et
suiv. et liv. III; 5 1 74 ) de particulier à particulier, de
souverain à souverain , d'ennemi à ennemi , subsistent donc
dans toute leur force entre le souverain et ses sujets soule-
vés ou rebelles. Cependant s'ils lui ont extorqué des condi-
tions odieuses, contraires au bonheur de la nation, au salut
de l'état, comme il n'est pas en droit de rien faire , de rien
accorder contre cette grande règle de sa conduite et de sou




714 LE DROIT DES GENS. LIV. III, CHAP. XVIII. -15
pouvoir, ii révoquera justement des concessions perni-
cieuses en s'autorisant de l'aveu de la nation dont il pren-
dra l'avis, de la manière et dans les formes qui lui seront
marquées par la constitution de l'état. Mais il faut user so-
brement de ce remède, et seulement pour des choses de
grande importance, afin de ne pas donner atteinte à la foi
des promesses (*).


S 292. Lorsqu'il se forme dans l'état un parti qui n'o-
béit plus au souverain , et se trouve assez fort pour lui
faire tête , ou , clans une république , quand la nation se
divise en deux factions opposées, et que de part et d'autre
on en vient aux armes, c'est une guerre civile. Quelques-
uns réservent ce terme aux justes armes que les sujets op-
posent au souverain , pour distinguer cette résistance lé-
gitime de la rébellion , qui est une résistance ouverte et
injuste. Nais comment nommeront-ils la guerre qui s'élève
dans une république déchirée par deux factions , ou dans
une monarchie entre deux prétendants à la couronne ?
L'usage affecte le terme de guerre civile à toute guerre
qui se fait entre les membres d'une même société politi-
que : si c'est entre une partie des citoyens (l'un côté , et
le souverain avec ceux qui lui obéissent de l'autre, il suffit
que les mécontents aient quelque raison de prendre les
armes , pour que ce désordre soit appelé guerre civile,
et non pas rébellion. Cette dernière qualification n'est
donnée qu'à un soulèvement contre l'autorité légitime,
destitué de toute apparence de justice. Le prince ne man-
que pas d'appeler rebelles tous sujets qui lui résistent ou-
' (..) On ça trouve un exemple dans ce qui s'est passé après le soulèvemen t
de Madrid en 1766. A la réquisition des corps , le roi a révoqué ce qu'il
avait été obligé d'accorder la populace soulevée ; mais il a laissé subsister
L'amnistie.


vertement : niais quand ceux-ci deviennent assez forts
pour lui faire tête , pour l'obliger à leur faire la guerre ré-
gulièrement, il faut bien qu'il se résolve à souffrir le mot (le
guerre civile.


S 2 q5. Il n'est pas ici question de peser les raisons qui
peuvent fonder et justifier la guerre civile : nous avons
traité ailleurs des cas dans lesquels les sujets peuvent ré-
sister au souverain ( liv. I , chap. IV). Mettant done à
part la justice de la cause , il nous reste à considérer les
maximes que l'on doit garder dans la guerre civile , à voir
si le souverain en -particulier est obligé d'y observer les lois
communes de la guerre.


La guerre civile rompt les liens de la société et du gou-
vernement, ou elle en suspend an moins la force et l'effet;
elle donne naissance , dans la nation , à deux partis indé-
pendants , qui se regardent comme ennemis , et ne recon-
naissent aucun juge commun. Il faut donc de nécessité
que ces deux partis soient considérés comme formant dé-
sormais , au moins pour un temps , deux corps séparés,
deux peuples différents. Que l'un des deux ait eu tort de
rompre l'unité de l'état, (le résister t l'autorité légitime,
ils n'en sont pas .moins divisés de fait. D'ailleurs , qui les
jugera, qui prononcera de quel côté se trouve le tort ou
la justice Ils n'ont point de supérieur commun sur la
terre. Ils sont donc dans le cas de deux nations qui entrent
en constestation, et qui, ne pouvant s'accorder, ont recours
aux armes.


2.94. Cela étant ainsi , il est bien évident que les lois
communes de la guerre, ces maximesd'illimanité , de
modération , de droiture et d'honnêteté , que nous avons_
exposées ci-dessus, doivent .être observées -de part et d'au-
tre dans les guerres civiles. Les mêmes raisons qui en




716 DROIT DES CENS.


fondent l'obligation d'état à état, les rendent autant et plus
nécessaires, dans le cas malheureux où deux partis obstie
nés déchirent leur commune patrie. Si le souverain se •
croit en droit de faire pendre les prisonniers comme re-
belles , le parti opposé usera de représailles (*) : s'il n'ob
serve pas religieusement les capitulations et toutes les
conventions faites avec ses ennemis , ils ne se fieront plus
à sa parole : s'il brûle_ et dévaste, ils en feront autant ; la
guerre deviendra cruelle, terrible, et toujours plus funeste à
la nation. On connaitles excès honteux et barbares du duc
de Montpensier contre les réformés de Fran ce -; il livrait
les hommes au bourreau , et les femmes à la brutalité
d'un de ses officiers. Qu'arriva-t il ? Les réformés s'aigri-
rent, ils tirèrent vengeance de ces traitements barbares ;
et la guerre , déjà cruelle à titre de guerre civile et de guerre
de religion , en devint encore plus funeste. Qui lirait sans
horreur les cruautés féroces du baron des Adrets ? Tour-à-
tour catholique et protestant , il signala ses fureurs dans l'un
et l'autre parti. Enfin il fallut perdre ces prétentions de
juge, contre des gens qui savaient se soutenir les armes à la
main , et les traiter, non en criminels, mais en ennemis. Les
troupes mêmes ont souvent refusé de servir dans une
guerre où le prince les exposait à de cruelles représailles.
Prêts à verser leur, sang pour son service les armes à la


(*) Le prince de Condé, général des troupes de Louis XIII contre Ics
réformés, ayant fait pendre soixante-quatre officiers qu'il avait faits prison-
niers pendant la guerre civile, les réformés résolurent d'user de repré-
sailles; et le duc de Rohan, qui les commandait, fit pendre un pareil
nombre d'officiers catholiques. Voyez les Mémoires de Rohan.


Le duc d'Alhc condamnait à mort tons les prisonniers qu'il pouvait faire
sur les confédérés des Pays-Bas. Ceux-ci usèrent de représailles, et le con-
traignirent enfin à respecter à leur égard le droit des gens et les lois de hi
guerre. Grotius, Amr. des Pays-Bras, liv. II.


LIV. III, CHAP. '717
main , des officiers pleins d'honneur ne se sont pas crus
obligés de s'exposer à une mort ignominieuse. Toutes les
fois donc qu'un parti nombreux se croit en droit de ré-
sister au souverain, et se voit en état d'en venir aux armes,
la guerre doit se faire entre eux de la même manière qu'en-
ire deux nations différentes ; et ils doivent se ménager les
mêmes moyens d'en prévenir les excès et de rétablit' la paix.


Quand le souverain a vaincu le parti opposé,quand il l'a
réduit à se soumettre, à demander la paix , il peut excepter
de l'amnistie les auteurs des troubles , les chefs du parti „
les faire juger suivant les lois,etles punir s'ils sont trouvés
coupables. Il peut sur-tout en user ainsi à l'occasion de ces
troubles où il s'agit moins des intérêts . des peuples que des
vues particulières de quelques grands , et qui méritent
plutôt le nom de révolte que celui de guerre civile. Ce
fut le cas de l'infortuné duc de Montmorency. Il prit les
armes contre le roi , pour la querelle du duc d'Orléans.
Vaincu et fait prisonnier à la bataille de Castelitatulau ,
il perdit la vie sur un échafaud , par arrêt du parlement
de Toulouse. S'il fut plaint généralement des honnêtes
gens , c'est qu'on le considéra moins comme rebelle au roi,
que comme .opposé au trop grand pouvoir d'un ministre
impérieux , et que ses vertus héroïques semblaient répondre
de la pureté de ses vues (a).


S 295. Lorsque des sujets prennent les armes, sans
cesser de reconnaître le souverain, et seulement pour se
procurer le redressement de leurs griefs, il y a deux raisons
d'observer à leur égard les lois communes de la guerre :
i° la crainte de rendre la guerre civile plus cruelle et plus
funeste , par les représailles que le parti soulevé opposera.,
comme nous l'avons observé , aux sévérités du prince.


(a.) Voyezl es historiens de Louis XIII.




718 LE DBOIT DES d E\ S.
2° Le danger de commettre de grandes injustices, en se
hâtant de punir ceux que l'en traite de rebelles. Le feu de
la discorde et de la guerre civile n'est pas favorable aux
actes d'une justice pure et sainte:il faut attendre des temps
plus tranquilles. :


Le prince fera sagement de garder ses pri-
sonniers , jusqu'à ce qu'ay=ant rétabli le calme , il soit en
état de les faire juger suivant les lois.


Pour ce qui est des autres effets que le droit des gens
attribue aux guerres publiques (voyez le chap. XII de ce
livre) , et particulièrement de l'acquisition des choses
prises à la guerre , des sujets qui prennent les armes contre
leur souverain sans cesser de le reconnaître , ne peuvent
prétendre à ces effets ; le butin seul, les biens mobiliaires
enlevés par l'ennemi , sonuestimés perdus pour les proprié-
taires, par la difficulté de les reconnaître, et à cause des
inconvénients sans nombre qui naîtraient de leur reven-
dication. Tout cela est réglé d'ordinaire dans l'édit de
pacification ou d'amnistie.


Mais quand la nation se divise en deux partis absolument
indépendants , qui ne reconnaissent plus de supérieur com-
mun, l'état est dissous , et la guerre entre les deux partis
retombe à tous égards dans le cas d'une guerre publique
entre deux nations dierentes. Qu'une république soit dé-
chirée en deux partis , dont chacun prétendra former le
corps de l'état, ou qu'un royaume se partage entre deux
prétendants à la couronne , la nation est divisée en deux
parties , qui se traiteront réciproquement de rebelles : voilà
deux corps qui se prétendent absolument indépendants, et
qui n'ont point de juge ( S 295). Ils décident la querelle
par les armes, comme feraient deux nations différentes.
L'obligation d'observer entre eux les lois communes de la
guerre, est donc absolue, indispensable pour les deux partis,


LIV. 719
et la même que la loi naturelle impose à toutes les nations ,
d'état à état.


5 296. Les nations étrangères ne doivent pas s'ingérer
dans le gouvernement intérieur d'un état indépendant
( liv. H, 5 54 et suiv. ). Ce n'est point à elles de juger
entre les citoyens que la discorde fait courir aux armes , ni
entre le prince et les sujets : les deux partis sont également
étrangers pour elles, également indépendants de leur au-
torité. Il leur reste d'interposer leurs bons offices pour le
rétablissement de la paix; et la loi naturelle les y invite
(voyez liv. II, chap. 1). Mais si leurs soins sont infruc-
tueux, celles qui ne sont liées par aucun traité peuvent
sans doute porter leur jugement, pour leur propre con-
duite, sur le mérite de la cause , et" assister le parti qui
leur paraîtra avoir le bon droit de son côté, au cas que ce
parti implore leur assistance , ou l'accepte : elles le peuvent ,
dis-je, tout comme il leur est libre d'épouser la querelle
d'une nation qui entre en guerre avec une autre , si elles
la trouvent juste. Quant aux alliés de l'état déchiré par une
guerre civile , ils trouveront dans la nature de leurs enga-
gements , combinés avec les circonstances , la règle de la
conduite qu'ils doivent tenir : nous en avons traité ailleurs.
(Voyez liv. II, chap. I2 , et particulièrement les 55 196
et 1 97 . )




-;20 LE DROIT DES GENS.


C.1.t141VMMAN. M.VV....,i.11.1AVQN1.VVO.,,VM.M.I.‘,%Vta.V•WAINVON1AVutV0.1.1.,,V0.1ne


LIVRE IV.


UF RTABLISSEMENT DE LA PAIX,


ET DES AMBASSADES-


VI.N.VtAVV %%1O:1,M,


CHAPITRE PREMIER.


De, la Paix, et de l'obligation, de la cultiver.


S I. LA paix est opposée à la guerre: c'est cet état dé,.
sirable dans lequel chacun jouit tranquillement de ses
droits, ou les discute amiablement et par raison s'ils sont
controversés. Hobbes a osé dire que la guerre était l'état
naturel de l'homme. Mais si , comme la raison le veut , on
entend par l'état naturel de l'homme, celui auquel il est
destiné et appelé par sa nature, il faut dire plutôt que la
paix est son état naturel ; car il est d'un être raisonnable
de terminer ses différends par les voies de la raison; c'est
le propre des bêtes de les vider par la force (a). L'homme,
ainsi que nous l'avons observé (1)Pé,limin. S I o), seul, dé-
nué de secours , ne pourrait être que très-misérable; il a


;a) Nam cura sint duo gobera decerlandi , unum per disecptationent,
attcrum per vie cumque illud proprium sit •ominis, hoc .beiluarum,
conficgiendum est ad poste-riv , si uti. non dicet superiore. Cicero,
°fric., I, cap. a.


LIV. IV, CHAP. I. 721
besoin du commerce et de l'assistance de ses semblables
pour jouir d'une vie douce, pour développer ses facultés
et vivre d'une manière convenable à sa nature : tout cela
ne se trouve que dans la paix. C'est dans la paix que les
hommes se respectent, qu'ils s'entre-secourent, qu'ils s'ai-
ment. Ils ne sortiraient point de cet heureux état s'ils n'é-
taient emportés par ies passions , et aveuglés par les illu-
sions grossières de l'amour propre. Le peu que nous avons
dit des effets de la guerre suffit pour faire sentir combien
de est funeste. Il est triste pour l'humanité que l'injustice
des méchants la rende si souvent inévitable.


S 2. Les nations , pénétrées des sentiments de l'huma-
nité, sérieusement occupées de leurs devoirs , éclairées sur
leurs véritables et solides intérêts, ne chercheront jamais
leur avantage au préjudice d'autrui ; soigneuses (le leur
propre bonheur, elles sauront l'allier avec celui des autres,
et avec la justice et l'équité. Dans ces dispositions, elles
ne pourront manquer de cultiver la paix. Comment s'ac-
quitter de ces devoirs mutuels et „sacrés que la nature leur
impose, si elles ne vivent ensemble en paix? Et cet état
ne se trouve pas moins nécessaire à leur félicité qu'à l'ac-
complissement de leurs devoirs. Ainsi la loi naturelle les
oblige de toute manière à rechercher et à cultiver la paix.
Cette loi divine n'a pour fin que le bonheur du genre hu-
main : c'est là que tendent toutes ses règles , tous ses pré-
ceptes : on peut les déduire tous de ce principe, que les
hommes doivent chercher leur propre félicité; et la morale
n'est autre chose que l'art de se rendre heureux. Cela est
vrai des particuliers; il nejest pas moins des nations
comme on s'en convaincra sans peine si l'on veut réfléchir
seulement sur ce que nous avons dit de leurs devoirs com-
muns et réciproques, dans le premier chapitre du livre II.


41;




722 DliOIT DES GENS.


S 3. Cette obligation de cultiver la paix lie le souverain
par un double noeud. 11 doit ce soin à son peuple , sur qui
la guerre attire une foule de maux ; et il le doit de la ma-
nière la plus étroite et la plus indispensable, puisque l'em-
pire ne lui est confié que pour le salut et l'avantage de la
nation ( /iv. S 59). Il doit ce même soin aux nations
étrangères dont la guerre trouble le bonheur. Nous venons
d'exposer le devoir de la nation à cet égard , et le souve-
rain , revêtu de l'autorité publique, est en même temps
chargé de tous les devoirs de la société , du corps de la
nation (liv. l er , § 41).


S 4. Cette paix , si salutaire au genre humain , non-
seulement la nation ou le souverain ne doit point la trou-
bler lui-même ; il est de plus obligé à la procurer autant
que cela dépend de lui , à détourner les autres de la rompre
saris nécessité ; à leur inspirer l'amour de la justice, de
l'équité, de la tranquillité publique , l'amour de la paix.
C'est l'un des plus salutaires offices qu'il puisse rendre aux
nations et à l'univers entier. Le glorieux et aimable per-
sonnage que celui de pacificateur ! si un grand prince en
connaissait bien les avantages , s'il se représentait la gloire
si pure et si éclatante dont ce précieux caractère peut le
faire jouir, la reconnaissance, l'amour, la vénération , la
confiance des peuples ; s'il savait ce que c'est que régner
sur les coeurs , il voudrait être ainsi le bienfaiteur, l'ami et
le père du genre humain : il y trouverait mille fois plus de
charmes que dans les conquêtes les plus brillantes. Au-:
Buste fermant le temple de Janus , donnant la paix à l'uni-
vers, accommodant les différends des rois et des peuples,
Auguste , en ce moment , paraît le plus grand des mortels ;
c'est presque un dieu sur la terre.


S 5. Mais ces perturbateurs de la paix publique, ces fléaux


LIV. IV, CHAP.
723


de la terre, qui, dévorés d'une ambition effrénée , ou poussés
par un caractère orgueilleux et féroce, prennent les armes
sans justice et sans raison, se jouent du repos des hommes
et du sang de leurs sujets ; ces héros monstrueux, presque
déifiés par la sotte admiration du vulgaire, son t les cruels en-
nemis du genre humain , et ils devraient être traités comme
tels. L'expérience nous mon tre assez combien la guerre cause
de maux, même aux peuples qui n'y sont point impliqués;
elle trouble le commerce ; elle détruit la subsistance des
hommes elle fait hausser le prix des choses les plus néces-
saires , elle répand de justes alarmes et oblige toutes les
nations à se mettre sur leurs gardes , à se tenir armées.
Quiconque rompt la paix sans sujet, nuit donc nécessaire-
ment aux nations même qui ne sont pas l'objet de ses
armes, et il attaque essentiellement le bonheur et la sûreté
de tous les peuples de la terre , par l'exemple pernicieux
qu'il donne. Il les autorise à se réunir pour le réprimer,
pour le châtier, et pour lui ôter une puissance dont il
abuse. Quels maux ne fait-il pas à sa propre nation dont il
prodigue indignement le sang pour assouvir ses passions
déréglées , et qu'il expose sans nécessité au ressentiment
d'une foule d'ennemis ! Un ministre fameux du dernier
siècle n'a mérité que l'indignation de sa nation , qu'il en-
traînait dans des guerres continuelles, sans justice ou sans
nécessité. Si par ses talents , par son travail infatigable, il
lui procura des succès brillants dans le champ de Mars, il
lui attira , au moins pour un temps , la haine de l'Europe
entière.


S 6. L'amour de la paix doit empêcher également et
de commencer la guerre sans nécessité , et de la conti-
nuer lorsque cette nécessité vient à cesser. Quand un sou-
verain a été réduit à prendre les armes pour un sujet


46,




; 2 4 I.I. DROIT DES GENS.
juste et important, il peut pousser les opérations de la
guerre jusqu'à ce qu'il en ait atteint le lait légitime, qûi est
d'obtenir justice et sûreté (liv. III, 5 28).


Si la cause est douteuse, le juste but de la guerre ne peut
être que d'amener l'ennemi à une transaction équitable
(liv. III, 5 58), et par conséquent elle ne peut être conti-
nuée que jusque-là. Aussitôt que l'ennemi offre ou accepte
cette transaction, il faut poser les armes.


Mais si l'on a affaire à un ennemi perfide, il serait im-
prudent de se fier à sa parole et à ses serments. On peut
très-justement , et la prudence le demande, profiter d'une
guerre heureuse , et pousser ses avantages jusqu'à ce
qu'on ait brisé une puissance excessive et dangereuse, ou
réduit cet ennemi à donner des sûretés suffisantes pour
l'avenir.


Enfin , si l'ennemi s'opiniâtre à rejeter des conditions
équitables , il nous contraint lui-même à pousser nos pro-
grès jusqu'à la victoire entière et définitive, qui le réduit
et le soumet. Nous avons vu ci-dessus ( liv. III , chap. 8
9 et 15) comment on doit user de la victoire.


7. Lorsque l'un des partis est réduit à demander la
paix , ou que tou's les deux sont las de la guerre, on pense
enfin à s'accommoder, et l'on convient des conditions. La
paix vient mettre fin à la guerre.


S 8. Les effets généraux et nécessaires de la paix sont
de réconcilier les ennemis, et de faire cesser de part et
d'autre toute hostilité. Elle remet les deux nations clam
leur état naturel.


LIV. IV, Cuir. II. 72à


Mut Ot‘SAVNAAVVIAV,,,,,,,,,.. l'eAVU.M.M,W.ANIAINWV,AWYSIAAWAVVVVW,,,INVVVIAAWS/


CHAPITRE II.


Des Traités de paix.


q. QUAND les puissances qui étaient en guerre sont con-
venues de poser les armes, l'accord, ou le contrat dans
lequel elles stipulent les conditions de la paix , et règlent
la manière dont elle doit être rétablie et entretenue,'s'ap-
pelle le traite; de paix.


S I o. La même puissance qui a le droit de faire la
guerre , de la résoudre , de la déclarer et d'en diriger les
opérations , a naturellement aussi celui de faire la paix et
d'en conclure le traité. Ces deux pouvoirs sont liés en-
semble ; et le second suit naturellement du premier. Si le
conducteur de l'état est autorisé à juger des causes et des
raisons pour lesquelles on doit entreprendre la guerre, du
temps et des circonstances où il convient de la commen-
cer, de la manière dont elle doit être soutenue et poussée,
c'est donc à lui aussi d'en borner le cours , de marquer
quand elle doit finir, de faire la paix. Mais ce pouvoir rte
comprend pas nécessairement celui d'accorder ou d'ac-
cepter, en vue de la paix, toute sorte de conditions. Quoi-
que l'état ait confié en général à la prudence de son con-
ducteur, le soin de résoudre la guerre et la paix, il peut
avoir borné ses pouvoirs sur bien des choses par les lois
fondamentales. C'est ainsi que François I , roi de France ,
avait la disposition absolue de la guerre. et de la paix ; et
cependant l'assemblée de Cognac déclara qu'il ne pouvait




w


7 26 L.0 DROIT DES GENS.
aliéner par le traité de paix aucune partie du royaume
(voyez liv. fer, s 965).


La nation qui dispose librement de ses affaires domes-
tiques , de la forme de son gouvernement, peut confier à
une personne ou à une assemblée , le pouvoir de faire la
paix , quoiqu'elle ne lui ait pas abandonné celui de décla




ter la guerre. Nous en avons un exemple en Suède depuis
la mort de Charles XII. Le roi ne peut déclarer la guerre
sans le consentement des états assemblés en diète ; il peut
faire la paix de concert avec le sénat. Il est moins dange-
reux à un peuple d'abandonner à ses conducteurs ce der-
nier pouvoir que le premier. Il peut raisonnablement es-
pérer qu'ils ne feront la paix que quand elle sera conve-
nable aux intérêts de l'état. Mais leurs passions , leurs
intérêts propres, leurs vues particulières, influent trop
souvent dans leurs résolutions quand il s'agit d'entrepren-
dre la guerre. D'ailleurs il faudrait qu'une paix fût bien
misérable, si elle rie valait pas mieux que la guerre; au
contraire, on hasarde toujours beaucoup lorsqu'on quitte
le repos pour prendre les• armes.


Quand une puissance limitée a le pouvoir de faire la
paix, comme elle ne peut accorder d'elle-même toute
sorte de conditions , ceux qui voudront traiter sûrement
avec elle, doivent exiger que le traité de paix soit approuvé
par la nation , ou par la puissance qui peut en accomplir
les conditions. Si quelqu'un, par exemple , traite de la
paix avec la Suède, et demande pour condition une alliance
défensive, une garantie cette stipulation n'aura rien de
solide , si elle .n'est approuvée et acceptée pal


.' la diète, qui
seule a le pouvoir de lui donner effet. Les rois d'Angleterre
ont le droit de conclure des traités depaix et d'alliance ;
mais ils ne peuvent aliéner , par ces traités aucune des


LIV. IV, C/IAP. 727
possessions de la couronne , sans le consentement du par-
lement. Ils ne peuvent non plus, sans le concours du même
corps, lever aucun argent dans le royaume. C'est pourquoi ,
quand ils concluent quelque traité de subsides , ils ont soin
de le produire au parlement pour s'assurer qu'il les mettra
en état de le remplir. L'empereur Charles-Quint voulant
exiger de François I , son prisonnier , des conditions que
ce roi ne pouvait accorder sans l'aveu de la nation, devait
le retenir jusques à ce que le traité de Madrid eût été ap-
prouvé par les états-généraux de France, et que la Bour-
gogne s'y fût soumise ; il n'eût pas perdu le fruit (le sa
victoire, par une négligence fort surprenante dans un prince
si habile.


5 r i . Nous ne répéterons point ici ce que nous avons
dit plus haut de l'aliénation d'une partie de l'état (liv. ler,
SS 263 et suiv.) , ou de l'état entier (ibid. 55 68 et suiv.)
Remarquons seulement que , dans le cas d'une nécessité
pressante, telle que l'imposent les événements d'une guerre
malheureuse, les aliénations que fait le prince pour sauver
le reste chu l'état , sont censées approuvées et ratifiées par
le seul silençe de la nation , lorsqu'elle n'a point conservé
dans la forme du gouvernement, quelque moyen aisé et
ordinaire de donner son consentement. exprès , et qu'elle
a abandonné au prince une puissance absolue. Les états-
généraux sont abolis en France par non usage, et par le
consentement tacite de la nation. Lors clone que ce royaume
se trouve pressé, c'est au roi seul de juger des sacrifices
qu'il peut faire pour acheter la paix; et ses ennemis traitent
solidement avec lui. En vain les peuples diraient-ils qu'ils
n'ont souffert que par crainte l'abolition des états-généraux.
Ils l'ont soufferte enfin , et par-là ils ont laissé passer entre
les mains du roi tous les pouvoirs nécessaires pour con-




728
LE DROIT n•s GENS.


tracter , au nom de la nation , avec les nations étrangère.-
Il faut nécessairement qu'il se trouve dans l'état une puis-
sance avec laquelle ces nations puissent traiter sûrement.
Un historien (a) dit , que les lois pndamentales empé-
chent les rois de France de renoncer à aucun de leurs
droits, au préjudice de leurs successeurs, par aucun traité,
ni libre, ni forcé. Les lois fondamentales peuvent bien
refuser au roi le pouvoir d'aliéner ce qui appartient à l'état ,
sans le consentement de la nation : mais elles ne peuvent
rendre nulle une aliénation , ou une renonciation faite
avec ce consentement (*). Et si la nation a laissé venir les
choses en tel état qu'elle n'a plus le moyen de déclarer
expressément son consentement , son silence seul dans ces
occasions est un vrai consentement tacite. S'il en était au-
trement, personne ne pourrait traiter sûrement avec un
pareil état : et infirmer ainsi d'avance tous les traités fu-
turs , ce serait agir contre le droit des gens , qui prescrit
aux nations de conserver les moyens de traiter ensemble
( liv. Ie" , 5 262) et de garder leurs traités (liv. II, 55 165,
219 et suiv.).


Il faut observer enfin , que quand nous examinons si le
consentement (le la nation est requis pour l'aliénation de
quelque partie de l'état, nous entendons parler des parties


(a.) L'abbé de Choisy, Histoire de th alla Y, pag. 492.
(*) La renonciation d'Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII, était


bonne et valable, ayant été confirmée par l'assemblée générale des codés,
et enregistrée.dans tous les tribunaux. Il n'en était pas de même de celle
de Marie-Thérèse, qui ne fut point revêtue de ces formalités, et n'avait
pas par conséquent le sceau de l'approbation de la na tion, te caractère
de loi de l'état. Les cardinaux qui examinèrent cette affaire par ordre du
pape, que Charles ll allait consulté, ne tinrent aucun compte de la renon-
ciation de Marie-Thérèse, la jugeant incapable d'annuler les statuts de la
patrie et la force de la coutume.


de 211. do Saint•Ph;iippe, tom.
Paf>.


LIV. IV, CI1AP. 729
qui sont encore sous la puissance de la nation , et non pas
de celles qui sont tombées pendant la guerre au pouvoir
de l'ennemi. Car celles-ci n'étant plus possédées par la
nation, c'est au souverain seul , s'il a l'administration pleine
et absolue du gouvernement , le pouvoir de la guerre et de
la paix; c'est , dis-je , à lui seul de juger s'il convient
d'abandonner ces parties de l'état, ou de continuer la guerre
pour les recouvrer. Et quand même on voudrait prétendre
qu'il ne peut seul les aliéner validement , il est , dans notre
supposition , c'est-à-dire , s'il jouit de l'empire plein et ab-
solu , il est , dis-je, en droit de promettre que jamais la
nation ne reprendra les armes pour recouvrer ces terres,
villes ou provinces qu'il abandonne : et cela suffit pour
en assurer la possession tranquille à l'ennemi qui les a con-
quises.


5 12. La nécessité de faire la paix autorise le souverain
à disposer, dans le traité, des choses même qui appartiennent
aux particuliers; et le domaine éminent lui en donne le
droit (liv. I", S. 9.44). Il peut même , jusqu'à un certain
point , disposer de leur personne, eu vertu de la puissance
qu'il a sur tous ses sujets. Mais l'état doit dédommager les
citoyens qui souffrent de ces dispositions faites pour l'avan-
tage commun (ibid. ).


5 15. Tout empêchement qui met le prince hors d'état
d'administrer les affaires du gouvernement, lui ôte sans
doute le pouvoir de Caire la paix. Ainsi un roi en bas âge,
ou en démence, ne peut traiter de la paix : cela n'a pas
besoin de preuve. Mais on demande si un roi prisonnier
de guerre peut faire la paix, en conclure validement le
traité ? Quelques auteurs célèbres (a) distinguent .ici entre
le roi dont le royaume est patrimonial, et celui qui n'en


(a) ride Wolf. Jus Gent., § 982.





7 50 LE p ilori' LES G• N>.
a que l'usufruit. Nous croyons avoir détruit cette idée fausse
et dangereuse de royaume patrimonial (liv. I" , § 68 et
suiv.), et fait voir évidemment qu'elle doit se réduire au
seul pouvoir confié au souverain , de désigner son succes-
seur, de donner un autre prince à l'état , et d'en démem-
brer quelques parties , s'il le juge convenable ; le tout cons-
tamment pour le bien de la nation, en vue de son plus
grand avantage. Tout gouvernement légitime , quel qu'il
puisse être, est uniquement établi pour le bien et le salut de
Péta t. Ce principe incontestable une fois posé , la paix n'est
plus l'affaire propre du roi , c'est celle dc la nation. Or il
est certain qu'un prince captif ne peut administrer l'em-
pire , vaquer aux affaires du gouvernement. Celui qui n'est
pas libre , commandera-t-il à une nation ? Comment la
gouvernerait-il au plus grand avantage du peuple , et pour
le salut public ? 11 ne perd pas ses droits, il est vrai ; mais
sa captivité lui ôte la faculté -


de les exercer, parce qu'il
n'est pas en état d'en diriger l'usage à sa fin légitime : c'est
le cas d'un roi mineur, ou de celui dont la raison est alté-
rée. Il faut alors que celui , ou ceux qui sont appelés à la
régence par les lois de l'état, prennent les rênes du gou-
vernement. C'est à eux de traiter de la paix , d'en arrêter
les conditions, et de la conclure suivant les lois.


Le souverain captif peut la négocier lui-même, et pro-
mettre ce qui dépend dc lui personnellement ; mais le
traité ne devient obligatoire pour la nation , que quand il
est ratifié par elle-même, ou par ceux qui sont dépositaires
de l'autorité publique pendant la captivité du prince, ou
enfin par lui-même , après sa délivrance.


Au reste , si l'état doit , autant qu'il se peut, délivrer le
moindre des citoyens qui a perdu sa liberté pour la cause
publique, à plus forte raison est-il tenu de cette obligation




LIV. IV, CHAP. Il. 7)1
envers son souverain , envers ce conducteur, dont les soins,
les veilles et les travaux sont consacrés au bonheur et au
salut commun. Le prince fait prisonnier à la guerre n'est
tombé dans un état, qui est le comble de la misère pour
un homme d'une condition si relevée qu'en combattant
pour sou peuple ; ce même peuple hésitera-t-il à le déli-
vrer au prix des plus grands sacrifices ? Rien, si ce n'est le
salut même de l'état, ne doit être ménagé dans une si
triste occasion. ?dais le salut du peuple est, en toute ren-
contre, la loi suprême; et dans cette dure extrémité , un
prince généreux imitera l'exemple de Régulus. Ce héros
citoyen , renvoyé à Rome sur sa parole, dissuada les Ro-
mains de le délivrer par un traité honteux , n'i-
gnorât pas les supplices que lui réservait la cruauté des
Carthaginois (a).


S 14. Lorsqu'un injuste conquérant , ou tout autre usur-
pateur a envahi le royaume, dès que les peuples se sont
soumis à lui, et par un hommage volontaire l'ont reconnu
pour leur souverain , il est en possession de l'empire. Les
autres nations , qui n'ont aucun droit de s'ingérer dans les
affaires domestiques de celle-ci , de se mêler de son gou-
vernement, doivent s'en tenir à son jugement et suivre la
possession. Elles peuvent donc traiter de la paix avec l'u-
surpateur, et conclure avec lui. Par-là elles ne blessent
peint le droit du souverain légitime. Ce n'est point à elles
d'examiner ce droit, et d'en juger ; elles le laissent pour ce
qu'il est, et s'attachent uniquement à la possession , dans
les affaires qu'elles ont avec ce royaume, suivant leur pre-
pro droit et celui de l'état dont la souveraineté est disputée.
Mais cette règle n'empêche pas qu'elles ne puissent épou-
ser la querelle du roi dépouillé si elles la trouvent juste , et




(a.) Voyez Tit. Liv. , Ep(toni., lib. XVIII ; et autres historiens.




752 LE DECIT DES GE.:NS.


lui donner du secours : alors elles se déclarent ennemies
de la nation qui a reconnu son rival, comme elles ont la
liberté, quand deux peuples différents sont en guerre , d'as-
sister celui qui leur parait le mieux fondé.


S 15. La partie principale , le souverain , au nom de
qui la guerre s'est faite, ne peut avec justice faire la paix
sans y comprendre ses alliés ; j'entends ceux qui lui ont
donné du secours , sans prendre part directement à la
guerre. C'est une précaution nécessaire pour les garantir
du ressentiment de l'ennemi. Car bien que celui-ci ne
doive pas s'offenser contre des alliés de sou ennemi , qui ,
engagés seulement à la défensive, ne font autre chose que
remplir fidèlement leurs traités (liv. 5 181); il est
trop ordinaire que les passions déterminent plutôt les dé-
marches des hommes, que la justice et la raison. Si ces
alliés ne le sont que depuis la guerre , et à l'occasion de
cette même guerre , quoiqu'ils ne s'y engagent pas de toutes
leurs Inrces , ni directement, comme parties principales ,
ils donnent cependant à celui contre qui ils s'allient , un
juste sujet de les traiter en ennemis. Celui qu'ils ont assisté,
ne peut négliger de les comprendre dans la paix.


Mais le traité de la partie principale n'oblige ses alliés,
qu'autant qu'ils veulent bien l'accepter; à moins qu'ils ne
lui aient donné tout pouvoir de traiter pour eux. En les
comprenant dans son traité , elle acquiert seulement con-
tre son ennemi réconcilié le droit d'exiger qu'il n'attaque
point ces alliés à raison des secours qu'ils ont donnés con-
tre lui , qu'il ne les moleste point , et qu'il -vive en paix avec
eux, comme si rien n'était arrivé.


5 16. Les souverains quise sont associés pour la guerre ,
tous ceux qui y ont pris part directement, doivent faire leur
traité de paix chacun pour soi. C'est ainsi que cela s'est


LIV. I CHAP. 735
pratiqué à Nimègue, à Riswick, à Utrecht. Mais l'alliance
les oblige à traiter de concert. De savoir en quels cas un
associé peut se détacher de l'alliance , et faire sa paix par-
ticuliè •e ; c'est une question que nous avons examinée en
traitant des sociétés de guerre ( liv. III, chap. 4) , et des
alliances en général (liv. II, chap. 12 et 15 ).


S 1 7 . Souvent deux nations , également lasses de la
guerre , ne laissent pas de la continuer par la seule raison
que chacune craint de faire des avances qui pourraient être
imputées à faiblesse ; ou elles s'y opiniâtrent par animosité,
et contre leurs véritables intérêts. Alors des amis com-
muns interposent avec fruit leurs bons offices , en s'offrant
pour médiateurs. C'est un office bien salutaire , et bien
digue d'un grand prince, que celui de réconcilier deux na-
tions ennemies, et d'arrêter l'effusion du sang humain ;
c'est un devoir sacré pour ceux qui ont les moyens d'y
réussir. Nous nous bornons à cette seule réflexion sur une
matière que nous avons déjà traitée ( liv. Il , 5 328).


5 18. Le traité de paix ne peut être qu'une transaction.
Si l'on devait y observer les règles d'une justice exacte
et rigoureuse , en sorte que chacun reçût précisément tout
cc qui lui appartient, la paix deviendrait impossible. Pre-
mièrement, à l'égard du sujet même qui a donné lieu à
la guerre , il faudrait que l'un des partis reconnût son tort,
et condamnât lui-même ses injustes prétentions ; ce qu'il
fera difficilement tant qu'il ne sera pas réduit aux dernières
extrémités. Mais s'il avoue l'injustice de sa cause , il doit
passer condamnation sur tout ce qu'il a fait pour la soute-
nir; il faut qu'il rende ce qu'il a pris injustement, qu'il
rembourse les frais de la guerre qu'il répare les dommages.
A quoi taxera-t-on le sang répandu , la perte d'un grand
nombre de citoyens, la désolation des familles? Ce n'est




754 LE DI:OIT DES GENS.


pas tout encore. La justice rigoureuse exigerait de plus
que l'auteur d'une guerre injuste fût soumis à une peine
proportionnée aux injures dont il doit une satisfaction (1) ,
a, capable de pourvoir à la sûreté future de celui qu'il a
attaqué. Comment déterminer la nature de cette peine, en
marquer précisément le degré ? Enfin celui même de qui
les armes sont justes peut avoir passé les bornes d'une
juste défense, porté à l'excès des hostilités dont le but était
légitime; autant de torts dont la justice rigoureuse deman-
derait la réparation. Il peut avoir fait des conquêtes et un
butin qui excèdent la valeur de ce qu'il avait à prétendre.
Qui en fera le calcul exact , la jitste estimation Puis donc
qu'il serait affreux de perpétuer la .guerre , de la pousser
jusqu'à la ruine entière de l'un des partis, et que dans la
cause la plus juste on doit penser enfin à rétablir la paix,
et tendre constamment à cette fin salutaire ; il ne reste d'autre


il
moyeu que de transiger sur toutes les prétentions, sur tous
les griefs de part et d'autre , et d'anéantir tous les diffé-
rends par une convention la plus équitable qu'il soit pos-
sible. On n'y décide point la cause môme de la guerre , ni
les controverses que les divers actes d'hostilité pourraient
exciter ; ni l'une ni l'autre des parties n'y est condamnée
comme injuste; il n'en est guère qui voulût le ;
mais on y convient de ce que chacun doit avoir, en extinc-
tion de toutes ses prétentions.


S 1 9 . L'effet du traité de paix est de mettre fin à la
guerre, et d'en abolir le sujet. Il ne laisse aux parties con-
tractantes aucun droit de commettre des actes d'hostilité ,


(i) C'est donc cette satisfaction qu'il faut exiger de lui, et qu'il doit
donner. C'est elle qui doit ètre proportionnée à l'injure. Quanta la peine
proprement dite, qui ne peut avoir lieu que pour celai qui l'un a en son
pouvoir, elle doit être proportionnée, non à l'injure fàte, mais au degré
d'opiniâtrett de celui que l'on est chargé de corriger. D.


LIV. 1V, curp . 755
soit pour le sujet même qui avait allumé la guerre, soit
pour tout ce qui s'est passé dans son cours. Il n'est donc
plus permis de reprendre les armes pour le même sujet.
Aussi voyons-nous quo dans ces traités on s'engage réci-
proquement à une paix perpétuelle. Ce qu'il ne faut pas
entendre comme si les contractants promettaient de ne se
faire jamais la guerre pour quelque sujet que ce soit. La
paix se rapporte à la guerre qu'elle termine ; et cette paix
est réellement perpétuelle , si elle ne permet pas de réveil-
ler jamais la même guerre en reprenant les armes pour la
cause qui l'avait allumée.


Au reste, la transaction spéciale sur une causé n'éteint
que le moyen seul auquel elle se rapporte, et elle n'empê-
cherait point qu'on ne pût dans la suite sur d'autres fonde-
ments, former de nouvelles prétentions à la chose même.
C'est pourquoi on a communément soin d'exiger une tran-
saction générale qui se rapporte à la chose même contro-
versée , et non pas seulement à la controverse présente ; on
stipule une renonciation générale à toute prétention quel-
conque sur la chose dont il s'agit. Et alors quand même ,
par de nouvelles raisons , celui qui a renoncé se verrait un
jour en état de démontrer que cette chose-là lui apparte-
nait , il ne serait plus reçu à la réclamer.


20. L'amnistie est un oubli parfait du passé ; et comme
la paix est destinée à mettre à néant tous les sujets de dis-
corde, cc doit être là le premier article du traité. C'est
aussi à quoi on ne manque pas aujourd'hui. Mais quand le
traité n'en dirait pas un mot , l'amnistie y est nécessaire-
ment comprise par la nature même de la paix.


5 21. Chacune des puissances qui se font la guerre
prétendant être fondée en justice, et personne ne pouvant
juger de cette prétention (liv. III, 5 188) , l'état où les




LE DROIT DES GENS.


choses se trouvent au moment du traité doit passer pour
légitime; et si l'on veut y apporter du changement , il faut
que le traité en fasse une mention expresse. Par consé-
quent toutes les choses dont le traité ne dit rien, doivent
demeurer dans l'état où elles se trouvent lors de sa conclu-
sion. C'est aussi une conséquence de l'amnistie promise.
Tous les dommages causés pendant la guerre sont pareille-
ment mis en oubli ; et l'on n'a aucune action pour ceux
dont la réparation n'est pas stipulée dans le traité; ils sont
regardés comme non avenus,


S 22. Mais on ne peut étendre l'effet de la transaction ,
ou (le l'amnistie , à des choses qui n'ont aucun rapport à
la guerre terminée par le traité. Ainsi des répétitions fon-
dées sur une dette, ou sur une injure antérieure à la
guerre, qui n'a eu aucune part aux raisons qui l'ont fait.
entreprendre, demeurent en leur entier, et ne sont point
abolies par le traité; à moins qu'on ne l'ait expressément
étendu à l'anéantissement de toute prétention quelconque.
il en est de même des dettes contractées pendant la guerre ,
mais pour des sujets qui n'y ont aucun rapport ou des in-
jures, faites aussi pendant sa durée , mais sans relation à
l'état de guerre.


Les dettes contractées envers des particuliers , ou les
torts qu'ils peuvent avoir reçus d'ailleurs , sans relation à
la guerre, ne sont point abolis non plus par la transaction
et l'amnistie , qui se rapportent uniquement à leur objet ,
savoir à la guerre , à ses causes et à ses effets. Ainsi deux
sujets de puissances ennemies contractant ensemble en
pays neutre, ou l'un y recevant quelque tort de l'autre ,
l'accomplissement du contrat , ou la réparation de l'injure
et. du dommage , pourra être poursuivie après la conclu-
sion du ti ailé de paix.


LIV. iv, CHAI'. in. >25').
Enfin, si le traité porte que toutes choses seront réta-


blies dans l'état où elles étaient avant la guerre cette
clause ne s'entend que des immeubles ; et elle ne peut
s'étendre aux choses mobiliaires , au butin , dont la pro-
priété passe d'abord à ceux qui s'en emparent , et qui est
censé abandonné par l'ancien maître , à cause


. de la dif-
ficulté de le reconnaître , et du peu d'espérance de le re-
couvrer.


5 25. Les traités anciens , rappelés et confirmés dans le
dernier, font partie de celui-ci , comme s'ils y étaient ren-
fermés eL transcrits de mot à mot ; et dans les nouveaux
articles qui se rapportent aux anciennes conventions ,
l'interprétation doit se faire suivant les règles données ci-
dessus , liv. Il , chap. 12, et en particulier au para-
graphe 2 H.


vuys1 vvat owe1,V.,:av1aA111v,1a11 mswlowo.,..1,,\11,Vvv, vvvvVoN‘Valnwsw.fliaVa1Vt'usa.v


CHAPITRE III.


.De l'Exécution du traité de paix.


24. Le. traité de paix oblige ,
les parties contractantes


du meulent qu'il est conclu, aussitid qu'il a reçu toute sa
forme ; et elles doivent en procurer inces.sammen t l'exécu-
tion (*). Il faut que toutes les hostilités cessent dès-lors,


(') Il est essentiel de ne négliger aucune Lits formalités qui petiveut assurer
l'exécution d'un traité., et prévenir de nouvelles brouilleries. C est ainsi
qu'on doit le faire enregistrer par-tout où il convient. 11. van Beunirys,en
écrivait au grand-p( nsionnaire de 'etit itt en +66a : a Les articles et condi+ iOns
. de celte alliance contiennent plusieurs affaires de dilferente fleure, dont
la plupart sont du ressort du conseil du roi, plusieurs de celui de l'ami-


47




7 58 LE Dnorr DES GENS.
à moins que Fon n'ait marqué un jour auquel la paix doit
commencer. Mais ce traité n'oblige les sujets que du mo-
ment qu'il leur est notifié. Il en est ici comme de la trêve
(liv. 5 239). S'il arrive que des gens de guerre com-
mettent, dans l'étendue de leurs fonctions et en suivant
les règles de leurs devoirs , quelques hostilités , avant que
le traité de paix soit dûment venu à leur connaissance ,
c'est un malheur dont ils ne peuvent être punis ; mais le
souverain , déjà obligé à la paix , doit faire restituer ce qui
a été pris depuis qu'elle est conclue ; il n'a aucun droit de
le retenir.


5 25. Et afin de prévenir ces funestes accidents , qui
peuvent coûter la vie -à plusieurs innocents , on (kit pu-
blier la paix sans délai, au moins pour les gens de guerre.
Mais aujourd'hui que les peuples ne peuvent entreprendre
d'eux-mêmes aucun acte d'hostilité , et qu'ils ne se mêlent
pas de la guerre , la publication solennelle de la paix peut
se différer, pourvu que l'on mette ordre à la cessation des
hostilités ; ce qui se fait aisément par le moyen des géné-
raux, qui dirigent toutes les opérations , on par un ar-
mistice publié à la tête (les armées. La paix faite en 1735
entre l'empereur et la France , ne fut publiée que long-
temps après. On attendit que le traité en fût digéré à loisir,
les points les plus importants ayant été réglés dans les pré-
liminaires. La publication de la paix remet les deux nations
dans l'état où elles se trouvaient avant la guerre : elle


» rauté et d'autres des tribunaux civils, des parlements, etc. Par exemple le
droit d'aubaine, qui est du ressort de la chambre des comptes . Ainsi ce


» traité doit être enregistré dans tous ces endroits. » Cet avis fut suivi ; et les
états-généraux exigèrent que le traité de la même année Oit vérifié dans
tous les parlements du royaume. Voyez cc que répond le roi sur ce sujet
dans sa lettre au comte d'Estrades, pag. 599.


LIV. IV, CHA
739


rouvre entre elles un libre commerce , et permet de nou -
veau aux sujets de part et d'autre ce qui leur était interdit
par l'état (le guerre. Le traité devient par la publication
une loi pour les sujets ; et ils sont obligés de se conformer
désormais aux dispositions dont on y est convenu. Si, par
exemple , le traité porte que l'une des deux nations s'abs-
tiendra d'un certain commerce , tous les membres de cette
nation seront obligés de renoncer à ce commerce, du mo-
ment que le traité sera publié.


5 26. Lorsqu'on n'a point marqué de ternie pour l'ac-
complissement du traité , et pour l'exécution de chacun
des articles , le bon sens dit que chaque point doit être
exécuté aussitôt qu'il est possible; c'est sans doute ainsi
qu'on l'a entendu. La foi des traités exclut également, dans
leur exécution, toute négligence, toute lenteur, et tous
délais affectés.


5 2 7 . Mais en cette matière, comme en toute autre, une
excuse légitime fondée sur un empêchement réel et insur-
montable doit être admise ; car personne n'est tenu à
l'impossible. L'empêchement, quand il n'y a point (le la
faute du promettant, anéantit une promesse qui ne peut
être remplie par 1.111 équivalent, et dont l'exécution ne
peut se remettre à un autre temps. Si la promesse peut
être remplie en une autre occasion, il faut accorder un
délai convenable. Supposons que, par le traité de paix,
l'une des parties ait promis à l'autre un corps de troupes
auxiliaires; elle ne sera point tenue à le fournir s'il arrive,
qu'elle en ait un besoin pressant pour sa propre défense :
qu'elle ait promis une certaine quantité de blé par année ;
on ne pourra l'exiger lorsqu'elle souffre la disette; niais
quand elle se retrouvera dans l'abondance , elle devra li-
vrer, si on l'exige, ce qui est demeuré en arrière.


47.




740 LE DUDIT DES GENS.
5 28. L'on tient encore pour maxime , que le promet-


tant est dégagé de sa promesse lorsque , s'étant mis en de-
voir de la remplir aux termes de son engagement , celui à
qui elle était faite l'a empêché lui-même de l'accomplir. On
est censé remettre une promesse dont on empêche soi-même
l'exécution. Disons donc encore que si celui qui a promis
une chose par le traité de paix, était prêt à l'effectuer
dans le temps convenu, ou de suite et en temps convenable,
s'il u'y a point de terme marqué , et que l'autre partie ne
l'ait pas voulu , le promettant est quitte de sa promesse;
car l'acceptant ne s'étant pas réservé le droit d'en fixer
l'exécution à sa volonté, il est censé y renoncer lorsqu'il ne
l'accepte pas dans le temps convenable, et pour lequel la
promesse a été rai te.•S'il demande que la prestation soit re-
mise à un autre temps, la bonne foi exige que le promettant
consente au délai , à moins qu'il ne fasse voir par de lionnes
raisons que la promesse lui deviendrait alors plus onéreuse.


5 29. Lever des contributions est un acte d'hostilité qui
doit cesser dès que la paix est conclue ( 5 24 ). Celles qui
sont déjà promises, et non encore payées, sont dues, et se
peuvent exiger à titre de chose due. Mais pour éviter toute
difficulté , il faut s'expliquer nettement et en détail sur ces
sortes d'articles ; et on a soin ordinairement de le faire.


S 5o. Les fruits des choses restituées à la paix sont dus
dès l'instant marqué pour l'exécution : s'il n'y a point (le
terme fixé , les fruits sont dus dès le moment que la resti-
tution des choses a été accordée; mais on ne rend pas ceux
qui étaient échus ou cueillis avant la conclusion de la paix;
car les fruits sont au maître du fonds, et ici la possession
est tenue pour un titre légitime. Par la même raison , en
cédant un fonds on ne .cède pas en même temps les fruits
qui sont déjà dus. C'est ce qu'Auguste soutint avec raison


LIV. IV, CIIAP. 741
contre Sextus Pompée, qui prétendait , lorsqu'on lui eut
donné le Péloponnèse , se faire payer les impôts des années
précédentes (a) .


5 51. Les choses dont la restitution est simplement sti-
pulée dans le traité de paix , sans autre explication , doi-
vent être rendues dans l'état oit elles ont 616 prises ; car le
terme de restitution signifie naturellement le rétablissement
de toutes choses dans leur premier état. Ainsi , en resti-
tuant une chose , on doit rendre en même temps tous les
droits qui y étaient attachés lorsqu'elle a été prise. Mais il
ne faut pas comprendre sous cette règle les changements
qui peuvent avoir été une suite naturelle , un efiet de la
guerre même et de ses opérations. Une place sera rendue
dans l'état où elle était quand on l'a prise , autant qu'elle
se trouvera encore dans ce même état à la conclusion de la
paix. Mais si la place a été rasée ou démantelée pendant la
guerre, elle l'a été par le droit des armes, et l'amnistie
met à néant cc dommage. On n'est pas tenu à rétablir un
pays ravagé que l'on rend à la paix : on le rend tel qu'il se
trouve. Mais comme ce serait une insigne perfidie que de
dévaster ce pays après la paix faite et avant de le rendre,
il en est de même d'une place dont la guerre a épargné les
fortifications; la démanteler pour la rendre serait un trait
de mauvaise foi. Si le vainqueur en a réparé les brèches,
s'il l'a rétablie dans l'état où elle était avant le siége , il
doit la rendre dans ce même état; mais s'il y a ajouté
quelques ouvrages, il peut les démolir; que s'il a rasé les
anciennes fortifications pour en construire de nouvelles, il
sera nécessaire de convenir sur cette amélioration , ou de
marquer précisément en quel état la place doit être rendue.


(a) Appian, de Bat. Giv. lib. V, cité par Grotius. lib.
Cap. 20,


22.




742 LE DEOIT DES GENS•
Il est bon même, pour prévenir toute chicane et toute dit.-
ficnité , de ne jamais négliger cette dernière précaution.
Dans un instrument destiné à rétablir la paix, on ne doit,
s'il se peut, laisser aucune ambiguité , rien qui soit capable
de rallumer la guerre. Ce n'est point là , je le sais, la mé-
thode de ceux qui s'estiment aujourd'hui les plus habiles
négociateurs. Ils s'étudient. au contraire à glisser dans un
traité de paix des clauses obscures ou ambiguës , afin de
réserver à leur maître un prétexte de brouiller de nouveau
et de reprendre les armes à la première occasion favorable.
Nous avons déjà remarqué ci - dessus ( liv. 1I , 5 251)
combien cette misérable finesse est contraire à la foi des
traités ; elle est indigne de la candeur et de la noblesse
qui doivent éclater dans toutes les actions d'un grand
prince.


5 52. Mais comme il est bien difficile qu'il ne se trouve
quelque ambiguité dans un traité, dressé même avec tout
le soin et toute la bonne foi possibles, ou qu'il ne survienne
quelque difficulté dans l'application de ses clauses aux cas
particuliers ; il faudra souvent recourir aux règles d'inter-
prétation. Nous avons consacré un chapitre entier à l'ex- 44
position de ces règles importantes (a) , et nous ne nous
jetterons point ici dans des répétitions ennuyeuses. Bor-
nons-nous à quelques règles qui conviennent plus parti-
culièrement à l'espèce , aux traités de paix. i° En cas de
doute, l'interprétation se fait contre celui qui a donné la
lei dans le traité ; car c'est lui , en quelque façon, qui l'a
dicté; c'est sa faute s'il ne s'est pas énoncé plus clairement;
et en étendant ou resserrant la signification des ternies
dans le sens qui lui est le moins favorable, ou on ne lui fait 4.1
aucun tort, ou on ne lui fait que celui auquel il a bien


(a) Liv. II, chap. 17.


LIV. IV, CHAP. III. 743
voulu s'exposer; mais par une interprétation contraire on
risquerait de tourner des termes vagues ou ambigus en
piéges pour le plus faible contractant, qui a été obligé de
recevoir ce que le plus fort a dicté.


5 53. 2° Le nom des pays cédés par le traité doit s'en-
tendre suivant l'usage reçu alors par les personnes habiles
et intelligentes; car on ne présume point que des ignorants
ou des sots soient chargés d'une chose aussi importante
que l'est un traité de paix ; et les dispositions d'un contrat
doivent s'entendre de ce que les contractants ont eu vrai-
semblablement dans l'esprit , puisque c'est sur cc qu'ils
ont dans l'esprit qu'ils contractent.


5 54. 5° Le traité de paix ne se rapporte naturellement
et de lui-même qu'à la guerre à laquelle il met fin. Ses
clauses vagues ne doivent donc s'entendre que dans cette
relation. Ainsi la simple stipulation du rétablissement des
choses dans leur état, ne se rapporte point à des change-
ments qui n'ont pas été opérés par la guerre même. Cette
clause générale ne pourra donc obliger l'une des parties à
remettre en liberté un peuple libre , qui se sera donné
volontairement à elle pendant la guerre ; et comme un
peuple abandonné par son souverain devient libre, et maître
de pourvoir à son salut comme il l'entend (liv. Ier, 5 202),
si ce peuple, dans le cours de la guerre, s'est donné' et
soumis volontairement à l'ennemi de son ancien souverain,
sans y être contraint par la force des armes , la promesse
générale de rendre les conquêtes ne s'étendra point jusqu'à
lui. En vain dira-t-on que celui qui demande le rétablisse-
ment de toutes choses sur l'ancien pied, peut avoir intérêt
à la liberté du premier des peuples dont nous parlons , et
qu'il en a visiblement un très-grand à la restitution du
second. S'il voulait des choses que la clause générale ne




744 LE nnoiv »ES GENS.
comprend point d'elle-même , il devait s'en expliquer
clairement et spécialement. On peut insérer toutes sortes
de. conventions dans un traité de paix ; mais si elles n'ont
aucun rapport à la guerre qu'il s'agit de terminer , il faut
les prononcer bien expressément; car le traité ne s'entend
naturellement que de, son objet.


CHAPITRE IV.


De l'Observation et de la Rupture du traité de paix.


S 35. LE traité de paix, conclu par une puissance légitime,
est sans doute un traité public , qui oblige toute la nation
(liv. II , S 154). 11 est encore , par sa nature , t in traité
réel; car s'il n'était fait que pour la vie du prince, ce serait
un traité de trêve, et non pas de paix. D'ailleurs tout traité,
qui , comme celui-ci , est lait en vue du bien public, est
un traité réel (liv. Il , 5 189). Il oblige donc les succes-
seurs aussi fortement que le prince qui l'a signé , puisqu'il
oblige l'état môme , et que les successeurs ne peuvent
jamais avoir, à cet égard, d'autres droits que ceux de l'état.


5 36. Après tout ce que nous avons dit de la foi des
traités , de l'obligation indispensable qu'ils imposent , il
serait superflu de s'étendre à montrer en particulier com-
bien les souverains et les peuples doivent être religieux
observateurs des traités de paix. Ces traités intéressent et
obligent les nations entières; ils sont de la dernière impor-
tance; leur rupture rallume infailliblement la guerre : toutes
raisons qui donnent une nouvelle force à l'obligation (le
garder la foi, de remplir fidèlement ses promesses.


LIV. IV, CHAP.
745


5 5 7 . On ne peut se dégager d'un traité de paix, en
i.klléguant qu'il a été extorqué par la crainte, ou arraché
de force. Premièrement, si cette exception était admise ,
elle saperait par les fondements toute la sûreté des traités
de paix ; car il en est peu contre lesquels on ne pût s'en
servir, pour couvrir la mauvaise foi. Autoriser une pareille
défaite , ce serait attaquer la sûreté commune et le salut .
des nations : la maxime serait exécrable, par les mêmes
raisons qui rendent la foi des traités sacrée dans l'univers
(liv. H 5 22 o ) . D'ailleurs, il serait presque toujours
honteux et ridicule d'alléguer une pareille exception. Il
n'arrive guère aujourd'hui que l'on attende les dernières
extrémités pour faire la paix : une nation, bien que vaincue
en plusieurs batailles , peut encore se défendre ; elle n'est
pas sans ressource tant. qu'il lui reste des hommes et des
armes. Si , par un traité désavantageux, elle trouve à
propos de se procurer une paix nécessaire , si elle se ra-
d-tète d'un danger imminent, d'une ruine entière, par de
grands sacrifices, ce qui lui reste est encore un bien qu'elle
doit à la paix ; elle s'est déterminée librement à préférer
une perte certaine et Présente , mais bornée , à l'attente
d'un mal encore à venir , mais trop probable , et terrible.


Si jamais l'exception de la contrainte peut être alléguée,
c'est contre un acte qui ne mérite pas le nom de
traité de paix, contre une soumission forcée à des condi-
tions qui blessent également la justice et tous les devoirs
de l'humanité. Qu'un avide et injuste conquérant subjugue
une nation, qu'il la force à accepter des conditions dures,
honteuses , insupportables; la nécessité la contraint à se
soumettre. Mais cc repos apparent n'est pas une paix :
c'est une oppression que l'on souffre tandis qu'on manque
de moyens pour s'en délivrer, et contre laquelle des gens




74 LE DROIT DES GENS.


de coeur se soulèvent à la première occasion favorable.
Lorsque Fernand Cortez attaquait l'empire du Mexique
sans aucune ombre de raison, sans le moindre prétexte
apparent , si l'infortuné Montezuma eût pu racheter sa
liberté en se soumettant à des conditions également dures
et injustes , à recevoir garnison dans ses places et dans sa
capitale , à payer un tribut immense , à obéir aux ordres
du roi d'Espagne ; de bonne foi, dira-t-on qu'il n'eût pu
avec justice saisir une occasion favorable , pour rentrer
dans ses droits et délivrer son peuple, pour chasser, pour
exterminer des usurpateurs avides , insolents et cruels ?
Non , non; on n'avancera pas sérieusement une si grande
absurdité. Si la loi naturelle veille au salut et au repos des
nations , en recommandant la fidélité dans les promesses ,
elle ne favorise pas les oppresseurs. Toutes ses maximes
vont au plus grand bien de l'humanité : c'est la grande
fin des lois et du droit. Celui qui rompt lui-même tous les
liens de la société humaine , pourra-t-il les réclamer? S'il
arrive qu'un peuple abuse de cette maxime pour se soulever
injustement et recommencer la pierre, il vaut mieux s'ex-
poser à cet inconvénient , que de donner aux usurpateurs
un moyen aisé d'éterniser leurs injustices, et d'asseoir leur
usurpation sur un fondement solide. Mais quand vous vou-
driez prêcher une doctrine qui s'oppose à tous les mou-
vements de la nature , à qui la persuaderez-vous ?


S 58. Les accommodements équitables , ou au moins
supportables , méritent donc seuls le nom de traités de
paix : cc sont ceux-là on la foi publique est engagée , et
que l'on doit garder fidèlement , bien qu'on les trouve durs
et onéreux, à divers égards. Puisque la nation y a consenti,
il faut qu'elle les ait regardés encore comme un bien dans
L'état oit étaient les choses ; et elle doit respecter sa parole.


LIV. IV, CHAP. Iv.
747


Si l'on pouvait défaire dans un temps ce que l'on a été
bien aise de faire dans un autre, il n'y aurait rien de stable
parmi les hommes.


Rompre le traité de paix, c'est en violer les engagements,
soit en faisant ce qu'il défend , soit en ne faisant pas ce
qu'il prescrit. Or on peut manquer aux engagements du
traité en trois manières différentes : ou par une conduite
contraire à la nature et à l'essence de tout traité de paix
en général , ou par des procédés incompatibles avec la
nature particulière du traité, ou enfin en violant quelqu'un
de ses articles exprès.


S 59. i° On agit contre la nature et l'essence de tout
traité de paix , contre la paix elle-même , quand on la
trouble sans sujet, soit en prenant les armes el recom-
mençant la guerre , quoiqu'on ne puisse alléguer même un
prétexte tant soit peu plausible ; soit cri offensant de gaieté
(le coeur celui avec qui on a fait la paix , et en le traitant,
lui ou ses sujets , d'une manière incompatible avec l'état
de paix , et qu'il ne peut souffrir sans se manquer à soi-
même. C'est encore agir contre la nature de tout traité
de paix , que de reprendre les armes pour le même siljet
qui avait allumé la guerre , ou par ressentiment de quelque
chose qui s'est passé dans le cours des hostilités. Si l'on
ne peut se couvrir au moins d'un prétexte spécieux, eut
prunté de quelque sujet nouveau , on ressuscite manifes-
tement la guerre qui avait pris fin, et on rompt le traité
de paix.


S 4o. Mais prendre les armes pour un sujet nouveau , ce
n'est pas rompre le traité de paix ;car bien que-l'on ait promis
de vivre en paix , on n'a pas promis pour cela de souffrir
l'injure et toute sorte d'injustices, plutôt que de s'en faire
raison par la voie des armes. La rupture vient de celui




7 48 LE DROIT DES GENS.
qui, par son injustice obstinée , rend cette voie nécessaire.


Mais il faut se souvenir ici de ce que nous avons observé
plus d'une. fois.


; savoir , que les nations ne reconnaissent
point de juge commun sur la terre , qu'elles ne peuvent
se condamner mutuellement sans appel, et qu'elles sont
enfin obligées d'agir dans leurs querelles comme si l'une
et l'autre était également dans ses droits. Sur ce pied-là,
que le sujet nouveau, qui donne. lieu à la guerre, soit juste
on qu'il ne le soit pas , ni celui qui en prend occasion de
courir aux armes , ni celui qui refuse satisfaction , n'est
réputé rompre le traité de paix , pourvu que le sujet de
plainte et le refus de satisfaction aient de part et d'autre
au moins quelque couleur, en sorte que la question soit
litigieuse. Il ne reste aux nations d'autre voie que les armes
quand elles ne peuvent convenir de rien sur une question
de cette nature. C'est alors une guerre nouvelle qui ne
touche point au traité.


5 4i. Et comme en faisant la paix on ne renonce point
par cela même, au droit de faire des alliances et d'assister
ses amis , ce n'est pas non plus rompre le traité de paix
que de s'allier dans la suite et de se joindre aux ennemis
de celui avec qui on l'a conclu , d'épouser leur querelle et
d'unir ses armes aux leurs , à moins que le traité de paix
ne le défende expressément : c'est tout au plus commencer
une guerre nouvelle pour la cause d'autrui.


Mais je suppose que ces nouveaux alliés ont quelque
sujet plausible de prendre les armes, et qu'on a de bonnes
et justes raisons de les soutenir; car s'il en était autrement,
s'allier avec eux, justement lorsqu'ilevont entrer en guerre,
ou lorsqu'ils l'ont commencée , ce serait manifestement
chercher un prétexte pour éluder le traité de paix, ce serait
le rompre avec une artificieuse perfidie:


1.1V. IV .* CHAP. 749
42. Il est très-important de bien distinguer entre une


guerre nouvelle et la rupture du traité de paix , parce que
les droits acquis par ce traité subsistent malgré la guerre
nouvelle, : au lieu qu'ils sont éteints par la rupture du traité
sur lequel ils étaient fondés. Il est vrai que celui qui avait
accordé ces droits, en suspend sans doute l'exercice pendant
la guerre autant qu'il est en son pouvoir , et peut même
en dépouiller entièrement son ennemi par le droit de la
guerre, comme il peut lui ôter ses autres biens. Mais alors
il fient ces droits comme choses prises sur l'ennemi ; et
celui-ci peut en presser la restitution au nouveau traité de
paix. Il y a bien de la différence, dans ces sortes de négo-
ciations , entre exiger la restitution de ce qu'on possédait
avant la guerre, et demander des concessions nouvelles :
un peu d'égalité dans les succès suffit pour insister sur le
premier ; le second ne s'obtient que par une supériorité
décidée. Il arrive souvent, quand les armes sont à-peu-près
égales, que l'on convient de rendre les conquêtes et de
rétablir toutes choses dans leur état ; et alors, si la guerre
était nouvelle, les anciens traités subsistent ; mais s'ils ont
été rompus par la reprise d'armes , et la première guerre
ressuscitée , ces traités demeurent anéantis; et si l'on veut
qu'ils règnent encore , il faut que le nouveau traité les
rappelle et les rétablisse expressément.


La question dont nous traitons est encore très-impor-
tante par rapport aux autres nations , qui peuvent être in-
téressées au traité , invitées par leurs propres affaires à
en maintenir l'observation. Elle est essentielle pour les
garants du traité , s'il y en a , et pour des alliés , qui ont
à reconnaître le cas oà ils doivent des secours. Enfin celui
qui rompt un traité solennel, est beaucoup plus odieux
que cet autre qui forme et soutient par les armes une pré-


s




g


4


T


à


GLU LE DROIT D . ES GENS.


tcntion mal fondée. Le premier ajoute à l'injustice la per-
fidie; il attaque le fondement de la tranquillité publique;
et blessant par-là toutes les nations , il leur donne sujet
de se réunir contre lui pour le réprimer. C'est pourquoi ,
comme on doit être réservé à imputer cc qui est plus odieux,
Crotius observe avec raison qu'en cas de doute, et lorsque
la prise d'armes peut s'appuyer (le quelque prétexte plau-
sible, fondé sur une cause nouvelle, il 'cella mieux pré-
sumer, dans le fait de celui qui reprend les armes , de
l'injustice sans perfidie , que le regarder comme coupable
en même temps de mauvaise /bi et d'injustice (a).


5 45. La juste défense de soi-même ne rompt point le
traité de paix. C'est un droit naturel auquel on ne peut. re-
noncer ; et en promettant de vivre en paix, on promet seu-
lement de ne point attaquer sans sujet, de s'abstenir d'in-
jure et. de violence. Mais il y a deux manières de se dé-
fendre soi-môme , ou ses biens : quelquefois la violence
ne permet d'autre remède que la force , et alors on en
fait usage très-légitimement. En d'autres occasions , il
y a des moyens plus doux d'obtenir la réparation du dom-
mage et de l'injure : il faut toujours préférer ces derniers
moyens. Telle est la règle de la conduite que doivent tenir
deux nations soigneuses de conserver la paix , quand il
arrive que les sujets , de part ou d'autre , s'échappent it
quelque violence. La force présente se repousse et se ré-
prime par la force; mais s'il est question de poursuivre la
réparation du dommage et une juste satisfaction , il faut
s'adresser au souverain des coupables; on ne peut les aller
chercher dans ses terres , et recourir aux armes, que dans
le cas d'un déni de justice. Si l'on a lieu de craindre que
les coupables échappent ; si , par exemple , des inconnus,


(a) Liv. 11I, chap. 20, Ç 28.


LIV. IV, elliP.


d'un pays voisin , ont fait irruption sur nos terres , nous •
sommes en droit de les poursuivre chez eux à main armée,
jusqu'à ce qu'ils soient saisis; et leur souverain ne pourra
regarder notre action que comme une juste et légitime dé-
fense, pourvu que nous ne commettions aucune hostilité
contre des innocents.


5 44. Quand la partie principale contractante a com-
prisses alliés dans son traité , leur clause lui est commune
à cet égard; et ces alliés doivent jouir comme elle de
tonies les conditions essentielles à un traité de paix; en
sorte que tout ce qui est capable de rompre le traité
étant commis contre elle-même, ne le rompt pas moins,
s'il a pour objet les alliés qu'elle a fait comprendre dans
son traité. Si l'injure est faite à un allié nouveau, ou non
compris dans le traité , elle peut bien fournir un nouveau
sujet de guerre, mais elle ne donne pas atteinte au traité
de paix.


5 45. La seconde manière de rompre un traité de paix,
est de faire quelque chose de contraire à cc que demande
la nature particulière du traité. Ainsi tout procédé con-
traire à l'amitié rompt un traité de paix fait sous la con-
dition expresse de vivre désormais en bons amis. Favoriser
les ennemis d'une nation , traiter durement ses sujets , la
gêner sans raison dans son commerce , lui préférer, aussi
sans raison , une autre nation , lui refuser des secours, de
vivres qu'elle veut payer et dont on a de reste , protéger
ses sujets factieux ou rebelles, leur donner retraite : ce
sont là tout autant de procédés évidemment contraires à
l'amitié. On peut , selon les circonstances , y joindre les
suivants : construire des forteresses sur les frontières d'un
état, lui témoigner (le la défiance, faire des levées de
troupes sans vouloir lui en déclarer le sujet etc. Mais




LE DROIT DES GE)7S.
donner retraite aux exilés, recevoir des sujets qui veillent
quitter leur patrie sans prétendre lui nuire par leur dé-
part , mais seulement pour le bien de leurs affaires parti-
culières, accueillir charitablement des émigrants, qui sor-
tent de leur pays pour se procurer la liberté de conscience;
il n'y a rien dans tout cela qui soit incompatible avec la
qualité d'ami. Les lois particulières de l'amitié ne nous dis-
pensent point , selon le caprice de nos amis , des devoirs
communs de l'humanité envers le reste des 'hommes.


S 46. Enfin la paix se rompt par la violation de quel
qu'un des articles exprès du traité. Cette troisième ma-
nière de la rompre est la plus expresse , la moins suscep-
tible d'évasions et de chicanes. Quiconque manque à ses
engagements , annule le contrat autant qu'il est en lui ;
cela n'est pas douteux.


S 47. Mais on demande si la violation d'un seul ar-
ticle du traité peut en opérer la rupture entière.? Quel-
ques-uns (a) distinguent ici entre les articles qui sont liés
ensemble (conne: i) , et les articles divers (diversi) , et
prononcent que si le traité est violé dans les articles divers,
la paix subsiste à l'égard des autres. Mais le sentiment de
Grotius me paraît évidemment fondé sur la nature et
l'esprit des traités de paix. Ce grand homme dit que
« tous les articles d'un seul et même traité sont renfermés
» l'un dans l'autre en forme de condition , comme si l'on
» avait dit formellement : Je ferai telle ou telle chose ,
pourvu que de votre côté vous fassiez ceci ou cela (G). »


Et il ajoute avec raison pie , « quand on veut empêcher
» que l'engagement ne demeure par-là sans effet, on ajoute
cette clause expresse, qu'encore qu'on vienne à enfrein-
(a) Yidc Wolf. Jus Gent. SS 1022 , 1023.
(6) Liv. /II, chap. m9, .ç t4.


LIV. IV, CHAI> . V. 753
» dre quelqu'un des articles du traité, les autres ne laisse-
» ront pas de subsister dans toute leur force. » On peut
sans doute convenir de cette manière ; on peut encore con-
venir que la violation d'un article ne pourra opérer que
la nullité de ceux qui y répondent, et qui en font comme
l'équivalent. Mais si cette clause ne se trouve pas expres-
sément dans le traité de. paix , un seul article violé donne
atteinte au traité entier , comme nous l'avons prouvé ci-
dessus , en parlant des traités en général (liv. II , S 2o2).


S 48. 11 n'est pas moins inutile de vouloir distinguer
ici entre les articles de grande importance, et ceux qui
sont de peu d'importance. A rigueur de droit, la violation
du moindre article dispense la partie lésée de l'observa-
tion des autres , puisque tous , comme nous venons de le
voir, sont liés les uns aux autres en forme de conditions.
D'ailleurs, quelle source de disputes qu'une pareille distinc-
tion ! Qui décidera de l'importance de cet article violé?
Mais il est très-vrai qu'il ne convient nullement aux de-
voirs mutuels des nations , à la charité , à l'amour de la
paix qui doit les animer, de rompre toujours un traité pour
le moindre sujet de plainte.


5 49 . Dans la vue de prévenir un si fâcheux inconvénient,
on convient sagement d'une peine (1) que devra subir
l'infracteur de quelqu'un de ces articles de moindre lin-
portance ; et alors en satisfaisant à la peine , le traité sub-
siste dans toute sa force. On peut de même attacher à
la violation de chaque article une peine proportionnée
à son importance. Nous avons traité cette matière eu par-


(t) Pour prévenir l'équivoque du mot peine, il vaudrait mieux dire,
d'une satisfaction que, devra donner einfracteur ; et ators, en catis l'aisant,
le watt; »'ule,iste; et ainsi de suite. I).


48




754


LE DROIT DES GENS.


tant de la trève (liv. III , 5 243) : on peut recourir à
paragraphe. •


5o. Les délais affectés sont équivalents à un refus ex-
près, et ils n'en diffèrent que par l'artifice avec lequel ce-
lui qui en use voudrait couvrir sa mauvaise foi. il joint la
fraude à la perfidie , et viole réellement l'article qu'il doit
accomplir.


5 51. Mais si l'empêchement est réel , il faut donner
du temps ; car nul n'est tenu à l'impossible ; et par cette
même raison , si quelque obstacle insurmontable rend
l'exécution d'un article non-seulement impraticable pour
le présent, mais impossible à jamais , celui qui s'y était
engagé n'est point coupable, et l'autre partie ne peut pren-
dre occasion de son impuissance pour rompre le traité ;
mais elle doit accepter un dédommagement , s'il y a lieu à
dédommagement, et s'il est praticable. Toutefois, si la chose
qui devait se faire en vertu (le l'article en question, est de telle
nature que le traité paraisse évidemment n'avoir été fait
qu'en vue de cette même chose, et non d'aucun équivalent,
l'impossibilité survenue annule sans doute le traité. C'est
ainsi qu'un traité de protection devient nul quand le protec-
teur se trouve hors d'état d'effectuer la protection, quoiqu'il
s'en trouve incapable sans qu'il y ait de sa faute. De même ,
quelque chose qu'un souverain ait pu promettre, à condition
qu'on lui procurera la restitution d'une place importante, si
on ne peut le faire rentrer en possession de cette place , il
est quitte de tout ce qu'il avait promis pour la ravoir. Telle
est la règle invariable du droit. Mais le droit rigoureux ne
doit pas toujours être pressé ; la paix est une matière si
favorable, les nations sont si étroitement obligées à la culti-
ver, à la procurer, à la rétablir quand elle est troublée, que
si de pareils obstacles se rencontrent dans l'exécution d'un


..t


tv, CHAP. IV. 755
traité de paix , il faut se prêter de bonne foi à tous les
expédients raisonnables , accepter des équivalents , des dé-
dommagements, plutôt que de rompre une paix déjà arrê-
tée et. de reprendre les armes.


5 52. Nous avons recherché ci-dessus , dans un chapi-
tre exprès (liv. II, chap. 6) , comment et en quelles occa-
sions les actions des sujets peuvent être imputées au sou-
verain et à la nation. C'est là-dessus qu'il faut se régler,
pour voir comment les faits des sujets peuvent rompre
un traité de paix ; ils ne sauraient produire cet effet qu'au-
tant qu'on peut les imputer au souverain. Celui qui est.
lésé par les sujets d'autrui , s'en fait raison lui-même quand
il attrape les coupables dans ses terres, ou en lieu libre,
en pleine mer par exemple ; ou s'il l'aime mieux, il de-
mande justice à leur souverain. Si les coupables sont des
sujets désobéissants, on ne peut rien demander à leur sou-
verain ; mais quiconque, vient à les saisir, même en lieu
libre, en fait justice lui-même ; c'est ainsi qu'on eu use à
l'égard des pirates. Et pour éviter toute difficulté, on est
convenu de traiter de même tous particuliers qui com-
mettent des actes d'hostilité , sans pouvoir montrer une
commission de leur souverain.


5 55. Les actions de nos alliés peuvent encore moins nous
être imputées, que celles de nos sujets. Les atteintes données
au traité de paix par des alliés, même par ceux qui y ont été
compris, ou qui y sont entrés comme parties principales
contractantes, ne peuvent donc en opérer la rupture que
par rapport à eux-mêmes , et point du tout en ce qui
touche leur allié, qui de son côté observe religieusement
ses engagements. Le traité subsiste pour loi dans toute sa
force, pourvu qu'il n'entreprenne point de soutenir la cause
de ces alliés perfides. S'il leur donne un secours qu'il ne


48.


o




LE DIIOIT DES elaNs. .
peut leur devoir en pareille occasion, il épouse leur que-
relle et prend part à leur manque de foi. Mais s'il est in-
téressé à prévenir leur ruine , il peut intervenir , et en les
obligeant à toutes les réparations convenables, les garan-
tir d'une oppression dont il sentirait le contre-coup. Leur
défense devient même juste contre un ennemi implaca-
ble , qui ne veut pas se contenter d'unes juste satisfac-
tion.


S 54. Quand le traité de paix est violé par l'un (les con-
tractants, l'autre est le maître de déclarer le traité rompu,
ou de le laisser subsister; car il ne peut être lié par un
contrat, qui contient des engagements réciproques , envers
celui qui ne respecte pas ce même contrat. Mais s'il aime
mieux ne pas rompre , le traite demeure valide et obliga-
toire. ll serait absurde que celui qui l'a violé , le prétendît
annulé par sa propre infidélité; moyen facile de se débar-
rasser de ses engagements , et qui réduirait tous les traités
à de vaines formalités. Si la partie lésée veut laisser subsis-
ter le traité , elle peut . pardonner l'atteinte qui y a été don-
née , ou,exiger un dédommagement, une juste satisfaction,
ou se libérer elle-même des engagements qui répondent à
l'article violé, de ce qu'elle avait promis en considération
d'une chose que l'on n'a point accomplie. Que si elle sc
détermine à demander un juste dédommagement, et que
la partie coupable le refuse, le traité se rompt alors de né-
cessité, et le contractant lésé a un très-juste sujet de re-
prendre les armes. C'est aussi ce qui arrive le plus souvent;
car il ne se trouve guère que. le coupable veuille reconnaî-
tre sa faute, en accordant une réparation.


'LIV. I'', CITAI'. Y.


om,v,VIAIUMAIAWNAMMAA. UV.,..%


vlrl•NN WOMAW/MMAVVVV,ANA.,1


CHAPITRE V.


Du Droit d'ambassade, ou du Droit d'envoyer et de rece-
voir des ministres publics.


5 55. IL est nécessaire que les nations traitent et:commu-
niquent ensemble , pour le bien de leurs affaires , pour
éviter de se nuire réciproquement, pour ajuster et termi-
ner leurs différends. Et comme toutes sont dans l'obligation
indispensable de se prêter et de concourir à ce qui est du
bien et du salut commun (prélim. 5 15), de se ménager
les moyens d'accommoder et de terminer leurs différends
(liv. . S 525 et .suiv.), et que chacune a droit à tout ce
qu'exige sa conservation (liv. 1, 5 18), à tout ce qui peut
contribuer à sa perfection, sans faire tort aux autres (ibid.
5 25), de même qu'aux moyens nécessaires pour remplir
ses devoirs ; il résulte de tout cela que chaque nation
réunit en elle le droit de traiter et de communiquer avec
les autres , et l'obligation réciproque de se prêter à cette
communication autant que l'état de ses affaires peut le lui
permettre.


5 56. Mais les nations ou états souverains ne traitent
point ensemble immédiatement; et leurs conducteurs, ou
les souverains, ne peuvent guère s'aboucher eux-mêmes
pour traiter ensemble de leurs affaires. Souvent ces entre-
vues seraient impraticables; et sans compter les longueurs,
les embarras , la dépense , et tant d'autres inconvénients,
rarement, suivant la remarque de Philippe de Comines,
pourrait-on s'en promettre un bon effet. Il ne reste donc




7 58 LE DROIT DES GRIS.
aux nations et aux souverains , que de communiquer et
traiter ensemble par l'entremise de procureurs ou manda-
taires , de délégués , chargés de leurs ordres et munis de
leurs pouvoirs , c'est-à-dire, de ministres publics. Ce
terme, dans sa plus grande généralité , désigne toute per-
sonne chargée des affaires publiques ; on l'entend plus
particulièrement de celle qui en est chargée auprès d'une
puissance étrangère.


On connaît aujourd'hui divers ordres de ministres pu-
blics; et nous en parlerons ci-après. Mais quelque de:-
rence que l'usage ait introduite entre eux, le caractère
essentiel leur est commun à tous ; c'est celui de ministre,
et en quelque façon de représentant d'une puissance écran.
gère, de personne chargée de ses affaires et. de ses ordres;
et cette qualité nous suffit ici.


5 7 . Tout état souverain est donc en droit d'envoyer
et de recevoir des ministres publics; car ils sont les ins-
truments nécessaires des affaires que les souverains ont.
entre eux , et de la correspondance qu'ils sont en droit. d'en-
tretenir. On peut voir dans le premier chapitre de cet ou-
vrage , quels sont les souverains et les états indépendants
qui figurent ensemble dans la grande société des nations.
Ce sont-là les puissances qui .ont le droit d'ambassade.


5 58. Une alliance inégale, ni même un traité de pro-
tection n'étant pas incompatibles avec la souveraineté
(liv. I, 55 5 et 6), ces sortes de traités ne dépouillent
point par eux-mêmes un état du droit d'envoyer et de
recevoir des ministres publics. Si l'allié inégal, ou le pro-.
tégé , n'a pas renoncé expressément au droit d'entretenir
des relations et de traiter avec d'autres puissances , il con-
serve nécessairement celui de leur envoyer des ministres et
d'en recevoir de leur part. Il en flint dire autant des vas-


LIV. IV, CHAP. V. 759
Baux et des tributaires, qui ne sont point sujets (voyez
liv. I, 55 7 et 8).


5 59. Bien plus : ce droit peut se trouver même chez
des princes, ou des communautés , qui ne sont pas souve-
rains car les droits dont l'assemblage constitue la pleine
souveraineté, ne 'son t pas indivisibles ; et si , par la consti-
tution de l'état , par la concession du souverain , ou par
les réserves que les sujets ont faites avec lui , un prince ,
ou une communauté , se trouve en possession de quelqu'un
de ces droits qui appartiennent ordinairement au souverain
seul, il peut. l'exercer, et le faire valoir dans tous ses effets
et dans toutes ses conséquences naturelles ou nécessaires,
à moins qu'elles n'aient été formellement exceptées. Quoi-
que les princes et états de l'Empire relèvent de l'empereur
et de l'Empire , ils sont souverains à bien des égards; et
puisque les constitutions de l'Empire leur assurent le droit
de traiter avec les puissances étrangères et de contracter
avec elles des alliances , ils ont incontestablement celui
d'envoyer et de recevoir des ministres publics. Les cm
pereurs le leur ont quelquefois contesté, quand ils se sont
vus en état de porter fort haut leurs prétentions, ou du
moins ils ont voulu en soumettre l'exercice à leur autorité
suprême, prétendant que leur permission devait y interve-
nir. Mais depuis la paix de Westphalie, et par le moyen des
capitulations impériales , les princes et états d'Allemagne
ont su se maintenir dans la possession-de ce droit; et ils
s'en sont assuré tant d'autres que l'Empire est considéré
aujourd'hui comme une république de souverains.


5 Go. Il est même des villes sujettes, et qui 'se. recon-
naissent pour telles , qui ont droit de recevoir les ministres
des puissances étrangères , et de leur envoyer des députés,
puisqu'elles ont droit de. traiter avec elles. C'est de là que




7 6o LE DROIT DEs G•Ny.
dépend toute la question; car celui quia droit à la fin a
droit aux moyens. Il serait absurde de reconnaître le droit
de négocier et de traiter, et d'en contester les moyens né-
cessaires. Les villes de Suisse, telles que. Neuchâtel et
Bienne , qui jouissent du droit de bannière, ont par-là le,
droit de traiter avec les puissances étrangères , quoique ces
villes soient sous la domination d'un prince; car le droit
de bannière ou des armes comprend celui d'accorder des
secours de troupes (a), pourvu que ce ne soit pas contre le
service du prince. Si ces villes peuvent accorder des troupes,
elles peuvent écouter la demande que leur en fait une puis-
sance étrangère et traiter (les conditions. Elles peuvent
donc encore lui députer quelqu'un dans cette vue, ou re-
cevoir ses ministres ; et comme elles ont en même temps
l'exercice de la police, elles sont en état de faire respecter les
ministres étrangers qui viennent auprès d'elles. Un ancien
et constant usage confirme ce que nous disons des droits de
ces villes-là. Quelque éminents et extraordinaires que soient
(le pareils droits, on ne les trouvera pas étranges si l'on


• considère que ces mêmes villes possédaient déjà de grands
priviléges dans le temps que leurs princes relevaient eux-
mêmes des empereurs , ou d'autres seigneurs vassaux immé-
diats del'Empire. Lorsqu'ils secouèrent le joug et se mirent
dans une parfaite indépendance, les villes considérables de
leur territoire firent leurs conditions ; et loin d'empirer leur
état , il était bien naturel qu'elles profitassent (les conjonc-
tures pour le rendre plus libre encore et plus heureux. Les
souverains ne pourraient aujourd'hui réclamer contre des
conditions auxquelles ces villes ont bien voulu suivre leur
fortune et les reconnaître pour leurs seuls supérieurs.


(e) Voyez l'Histoire de la confédération helvétique, par M. de Nat-
teville,


LIV. IV, CHAP. V.


76!
S 61. Les vice-rois et les gouverneurs en chef d'une


souveraineté ou d'une pro


ince éloignée, ont souvent le
droit d'envoyer et de recevoir des ministres publics ; agis-
sant eu cela. au nom et par l'autorité du souverain qu'ils
représentent et dont ils exercent les droits. Cela dépend
entièrement de la volonté du maître qui les établit.. Les
vice-rois de Naples, les gouverneurs de Milan , les gouver-
neurs-généraux des Pays-Bas pour l'Espagne, étaient re-
vêtus de ce pouvoir.


62. Le droit d'ambassade , ainsi que tous les autres
droits de la souveraineté, réside originairement dans la
nation , comme dans son sujet principal et primitif. Dans
l'interrègne , l'exercice de ce droit retombe à la nation,
ou il est dévolu à ceux à qui les lois ont commis la régence
de l'état. Ils peuvent envoyer des ministres tout comme le
souverain avait accoutumé de faire , et ces ministres ont les
mêmes droits qu'avaient ceux du souverain. Quand le
trône est vacant , la république de Pologne envoie des
ambassadeurs , et elle ne souffrirait pas qu'ils fussent moins
considérés que ne le sont ceux qui s'envoient quand elle a
un roi. Cromwell sut maintenir les ambassadeurs d'Angle-
terre dans la même considération oit ils étaient sous l'auto-
rité des rois.


63. Tels étant les droits des nations , le souverain qui
entreprend d'empêcher qu'un autre ne puisse envoyer et
recevoir des ministres publics , lui fait injure et blesse le
droit des gens. C'est attaquer une nation dans un de ses
droits les plus précieux et lui disputer ce que la nature
elle - même donne à toute société indépendante ;` c'est
rompre les liens qui unissent les peuples , et les offenser
tous.


64. Mais cela ne doit s'entendre que d'un temps de




762 LE DBOIT DES CENS.


paix : la guerre donne lieu à d'autres droits. Elle permet ,


d'titer à l'ennemi toutes ses ressources, d'empêcher qu'il
ne puisse envoyer ses ministres pour solliciter des secours.
Il est même des occasions où l'on peut refuser le passage
aux ministres des nations neutres qui voudraient, aller chez
l'ennemi. On n'est point obligé de souffrir qu'ils lui portent
peut-être des avis salutaires , qu'ils aillent concerter avec
lui les moyens de l'assister, etc. Cela ne souffre nul doute,
par exemple, dans le cas d'une ville assiégée. Aucun droit
ne peut autoriser le ministre d'une puissance neutre, ni
qui que ce soit, à y entrer malgré l'assiégeant ; mais pour
ne point offenser les souverains , il faut leur donner de
bonnes raisons du refus que l'on fait de laisser passer leurs
ministres, et ils doivent s'en contenter s'ils prétendent de-
meurer neutres. On refuse même quelquefois le passage à
des ministres suspects dans (les temps soupçonneux et cri-
tiques, quoiqu'il n'y ait point de guerre ouverte. Mais la dé-
marche est délicate, et si on ne la justifie pas par des raisons
tout-à-fait satisfaisantes, elle produit une aigreur qui dégé-
nère aisément en rupture ouverte.


S 65. Puisque les nations sont obligées de communi-
quer ensemble, d'écouter les propositions et les demandes
qui leur sont faites , de maintenir nn moyen libre et sûr de
s'entendre et de se concilier dans leurs différends; un sou-
verain ne peut, sans des raisons très-particulières , refuser
d'admettre et d'entendre le ministre d'une puissance amie,
ou avec laquelle il est en paix. Mais s'il a des raisons de ne
point le recevoir dans l'intérieur du pays , il peut lui mar-
quer un lieu sur la frontière, où il enverra pour entendre
ses propositions; et le ministre étranger doit s'y arrêter :
il suffit qu'on l'entende ; c'est tout ce qu'il peut prétendre.


5 66. L'obligation ne va point jusqu'à souffrir en tout


LI V- . i y , cnAr•
temps des ministres perpétuels, qui veulent résider auprès
du souverain , bien qu'ils n'aient rien à négocier. Il est
naturel, à la vérité, et très-conforme aux sentiments que se
doivent mutuellement les nations, de recevoir avec amitié
ces ministres résidents, lorsqu'on n'a rien à craindre de leur
séjour. Mais si quelque raison solide s'y oppose , le bien
de l'état prévaut sans difficulté; et le souverain étranger
ne peut s'offenser, si l'on prie son ministre de se retirer
quand il a terminé les affaires qui l'av oient amené, ou
lorsqu'il n'en a aucune à traiter. La coutume d'entretenir
par-tout des ministres continuellement résidents , est au-
jourd'hui si bien établie qu'il faut alléguer de. très-bonnes
raisons pour refuser de s'y prêter sans offenser personne.
Ces raisons peuvent être fournies par des conjonctures
particulières ; mais il y en a aussi d'ordinaires qui subsis-
tent toujours , et qui se rapportent à la constitution du
gouvernement, à l'état d'une nation. Les républiques en
auraient souvent de très-bonnes de cette dernière espèce,
pour se dispenser de souffrir continuellement chez elles
des ministres étrangers qui corrompent les citoyens, qui
les attachent à leurs maîtres au grand préjudice de la ré-
publique , qui y forment et y fomentent des partis, etc. Et
quand ils ne feraient que répandre chez une nation, ancien-
nement simple, frugale et vertueuse , le goût du luxe , la
soif de l'or, les moeurs des cours, en voilà de reste pour
autoriser un magistrat sage et prévoyant à les congédier.
La nation polonaise ne souffre pas volontiers les ministres
résidents; et leurs pratiques auprès des membres qui com-
posent la diète , n'ont fourni que trop de raisons de les
éloigner. L'an 1666 un nonce se plaignit, en pleine diète
de ce que l'ambassadeur de France prolongeait sans néces-
sité sou séjour en Pologne, et dit qu'il fallait le regarder




7 6 4 LE on OIT DES cars.
comme un espion. D'autres , en 1668 , firent . instance à ce
qu'on réglait par une loi le temps du séjour que les am-
bassadeurs pourraient faire dans le royaume (a).


5 6 7
. Plus la guerre est un fléau terrible , et plus les


nations sont obligées de se réserver des moyens pour 'y
mettre fin. Il est donc nécessaire qu'elles puissent s'envoyer
des ministres , au milieu même des hostilités, pour faire
quelques ouvertures de paix, ou quelques propositions ten-
dantes à adoucir la fureur des armes. Il est vrai que le
ministre d'un ennemi ne peut venir sans permission ; aussi
fait-on demander pour lui un passe-port , ou sauf-conduit,
soit par un ami commun, soit par un de ces messagers pri-
vilégiés par les lois (le la guerre, et dont nous parlerons
plus bas, je veux dire, par un trompette ou un tambour.
Il est vrai encore qu'on peut refuser le sauf-conduit , et
ne point admettre le ministre. Mais cette liberté, fondée
sur le soin que chaque nation doit à sa propre sûreté ,
n'empêche point que l'on ne puisse poser comme une maxi-
me générale, qu'on ne doit pas refuser d'admettre et d'en-
tendre le ministre d'un ennemi; c'est-à-dire, que la guerre
seule, et par elle-même, n'est pas une raison suffisante pour
refuser d'entendre toute proposition venant d'un ennem i :
il faut que l'on y soit autorisé par quelque raison particu-
lière et bien fondée. Telle serait, par exemple, une crainte
raisonnable et justifiée par la conduite même d'un ennemi
artificieux , qu'il ne pense à envoyer ses ministres , à faire
des propositions, que dans la vue de désunir des alliés, de
les endormir par des apparences de paix, de les surprendre.


S 68. Avant de finir ce chapitre , nous devons exa-
miner une question célèbre et souvent agitée : on de-
mande si les nations étrangères peuvent recevoir les am .-


(a) Wicquefert, de l'Ambassadeur, liv. I, sect. I, à la fin.


LIV. IV, CHAI', V. 765
bassadeurs et autres ministres d'un usurpateur , et lui
envoyer les leurs ? Les puissances étrangères suivent ici
la possession , si le bien de leurs affaires les y convie. 11
n'y a point de règle plus sûre , plus conforme au droit des
gens et à l'indépendance des nations. Puisque les étrangers
ne sont pas en droit. de se mêler des affaires domestiques
d'un peuple, ils ne sont pas obligés d'examiner et d'appro-
fondir sa conduite dans ces mêmes affaires, pour en peser la
justice ou l'injustice; ils peuvent, s'ils le jugent à propos,
supposer que le droit est joint. à la possession. Lorsqu'une
nation a chassé son souverain, les puissances qui ne veulent
pas se déclarer contre elle et s'attirer ses armes ou son
inimitié , la considèrent désormais comme un état libre et
souverain , sans prendre sur elles de juger si c'est avec
justice qu'elle s'est soustraite à l'empire du prince qui la
gouvernait. Le cardinal Mazarin fit recevoir Lockard , en-
voyé par Cromwell, comme ambassadeur de la république
d'Angleterre ; et ne voulut voir ni le roi Charles II , ni seê
ministres. Si la nation , après avoir chassé son prince, sc
soumet à un autre, si elle change l'ordre de la succession,
et reconnaît un souverain, au préjudice de l'héritier naturel
et désigné, les puissances étrangères sont encore fondées à
tenir pour légitime ce qui s'est fait.; ce n'est pas leur que-
relle, ni leur affaire. Au commencement du siècle dernier,
Charles , duc de Sudermanie , s'étant fait couronner roi de
Suède , au préjudice de Sigismond, roi de Pologne , son
neveu , fut bientôt reconnu par la plupart des souverains.
Villeroy, ministre de Houri IV , roi de France , disoit
nettement an président Jeannin , dans une dépêche du 8
avril 16o8 : Toutes ces raisons et considérations n' e,m-
pêcheront point le roi de traiter avec Charles, s'il y trouve
son muret et celui de son royaume. Ce discours était sensé.




766 LE DROIT DES GENS.


Le roi de France n'était ni le juge, ni le tuteur de la nation
suédoise , pour refuser , contre le bien de son royaume
de reconnaître le roi qu'elle s'était choisi , sous prétexte,
qu'un compétiteur traitait Charles d'usurpateur. Fût-ce
même avec raison , les étrangers ne sont pas appelés à eu
juger.


Lors donc que des puissances étrangères ont admis les
ministres d'un usurpateur, et lui ont envoyé les leurs, le
prince légitime, venant à remonter sur le trône , ne peut st.,
plaindre de ces démarches comme d'une injure, ni en faire-
un juste sujet de guerre, pourvu que ces puissances ne
soient pas allées plus avant, et n'aient point donné de se-
cours contre lui. Mais reconnaître le prince détrôné , ou
son héritier , après qu'on a solennellement reconnu celui
qui l'a remplacé , c'est faire injure à ce dernier, et se dé-
clarer ennemi de la nation qui l'a choisi. Le roi Guil-
laume III et la nation anglaise firent d'une pareille démar-
che , hasardée en faveur du fils de Jacques II , des
principaux sujets de la guerre que l'Angleterre déclara
bientôt après à la France. Tous les ménagements , toute,:
les protestations de Louis XIV n'empêchèrent pas que la
reconnaissance (lu prince Stuart , en qualité de roi d'An-
gleterre, d'Écosse et d'Irlande , sous le nom (le Jacques III ,
ne fût regardée en Angleterre comme une injure faite au
roi et à la nation.


Liv,
cilà.p. VI. 767


V.A.,10,VON


CHAPITRE VI.


Des divers ordres de ministres publics, du caractère re-
présentatif, et des honneurs qui sont dus aux ministres.


s 69. ANCIENNEMENT on ne connaissait guère qu'un seul
ordre de ministres publics , en latin legati ; mot que l'on
traduit en français par celui d'ambassadeurs. Mais depuis
que l'on fut devenu plus fastueux, et en même temps plus
difficile sur le cérémonial, et sur-tout depuis que l'on se
fut avisé d'étendre la représentation du ministre jusqu'à la
dignité de son maître, on imagina, pour éviter les difficul-
tés, l'embarras et la dépense, d'employer en certaines oc-
casions , des commissionnaires moins relevés. Louis XI ,
r:.4 de France , est peut-être celui qui en a donné l'eerrt-
ple. Et en établissant ainsi divers ordres de ministres , on
altacha plus ou moins de dignité à leur caractère, et on
exigea pour eux des honneurs proportionnés.


5 70. Tout ministre représente en quelque façon son
maître , comme tout procureur, ou mandataire, représente
son constituant. Mais celte représentation est relative aux
alraires; le ministre représente le sujet dans lequel résident
les droits qu'il doit manier, conserver et faire valoir, les
droits dont il doit traiter en tenant la place du maître. Dans
la généralité , et pour l'essentiel des affaires , en admettant
cette représentation , on fait abstraction de la dignité du
constituant. Les souverains ont voulu ensuite se faire re-
présenter non-seulement dans leurs droits et pour leurs e-


1




-, G8 LE DROIT DES GEYS.
faims , mais encore dans leur dignité, leur grandeur e+
leur prééminence; et sans doute que ces occasions d'état.
ces cérémonies pour lesquelles on envoie des ambassa-
deurs, les mariages, par exemple, ont donné naissance
à cet usage. Mais un si haut degré de dignité dans le mi-
nistre est fort incommode dans les affaires , et il en naît
souvent, outre l'embarras , des difficultés et des contesta-
tions. De là sont nés les divers ordres de ministres publics,
les différents degrés de représentation. L'usage a établi
trois degrés principaux. Ce qu'on appelle le caractère re-
présentatif par excellence est la faculté qu'a le ministre de
représenter son maître quant à sa personne même et â sa
dignité.


S 7 i . Le caractère représentatif , ainsi dit par excel-
lence, ou en opposition avec les autres sortes de représene
talions, constitue le ministre du premier ordre , l'am bas-
saleur; il le tire du pair d'avec tous les autres ministres
qui ne sont pas revêtus du même caractère, et ne permet
point à ceux-ci d'entrer en concurrence avec l'ambassa-
deur. Il y a aujourd'hui des ambassadeurs ordinaires et


le des ambassadeurs . extraordinaires. Mais ce n'est qu'une
distinction accidentelle et relative au sujet de leur inission.
Cependant on met presque par-tout quelque différence
dans le traitement que l'on fait à ces divers ambassadeurs.
Cela est purement d'usage.


5 72. Les envoyés ne sont point revêtus du caractère
représentatif proprement dit , ou au premier degré. Ce sont
des ministres du second ordre, que leur maître a voulu
décorer d'un degré de dignité et de considération , lequel,
sans faire comparaison avec le caractère d'ambassadeur,
le suit immédiatement, et ne cède à aucun autre. Il y a aussi
des envoyés ordinaires et extraordinaires , et il parait


LIV. IV, CIIA.P. v 769
que l'intention des princes est de rendre ceux- ci plus con-
sidérables. C'est encore une affaire d'usage.


S 73. Le terme de ré,sident ne se rapportait autrefois
qu'a la continuité du séjour d'un ministre ; et l'on voit dans
l'histoire , des ambassadeurs ordinaires désignés par le titre
seul de résidents. Mais depuis que l'usage des diUrents
ordres de ministres s'est généralement établi , le nom de
résident est demeuré à des ministres d'un troisième ordre,
au caractère desquels on attache, par un usage générale-
ment reçu , un moindre degré de considération. Le résident
no représente pas la personne du prince clans sa dignité,
mais seulement dans ses affaires. AD fond sa représenta-
tien est de la même nature que celle de l'envoyé; c'est
pourquoi on le ditsouvent ministre du second ordre comme
l'envoyé, ne distinguant ainsi que deux ordres de ministres
publics, les ambassadeurs, qui ont le caractère représen-
tatif par excellence , et tous les ministres qui ne sont pas
revêtus de ce caractère éminent. C'est la distinction la plus
nécessaire et la seule essentielle.


5 7
4. Enfin .


un usage encore plus moderne a établi
une nouvelle espècé de ministres publics , qui n'ont aucune►
détermination particulière de caractère. On les appelle
simplement ministres , pour marquer qu'ils sont revêtus
de la qualité générale de mandataires d'un souverain , sans
aucune attribution particulière de rang et de caractère.
C'est encore le cérémonial pointilleux qui a donné lieu à
cette nouveauté. L'usage avait établi des traitements parti-
culiers pour l'ambassadeur, pour l'envoyé, et pour le rési-
dent ; il naissait souvent des difficultés à ce sujet , et sur-
tout pour le rang, entre les ministres des différents princes.
Pour éviter tout embarras , en certaines occasions où on
aurait lieu de le, craindre, on s'est avisé d'envoyer des mi-


49




77 0 LE DROIT DES GENS.
nistres sans leur donner aucun des trois caractères con-
nus. Dès-lors ils ne sont assujettis à aucun cérémonial ré-
glé; et ils n'ont à prétendre aucun traitement particulier.
Le ministre représente son maitre d'une manière vague et
indéterminée, qui ne peut aller jusqu'au premier degré,
et par conséquent il cède sans difficulté à l'ambassadeur.
Il doit jouir en général de la considération que mérite une
personne de confiance à qui un souverain commet le soin
de ses affaires ; et il a tous les droits essentiels au caractère
de ministre public. Cette qualité indéterminée est telle,
que le souverain peut la donner à tel de ses serviteurs qu'il
ne voudrait pas revêtir du caractère d'ambassadeur ; et
que, d'un autre côté, elle peut être acceptée par un homme
de condition , qui ne voudrait pas se contenter de l'état
de résident et du traitement destiné aujourd'hui à cet état.
Il y a aussi des ministres plénipotentiaires, beaucoup plus
distingués que les simples ministres. Ils n'ont pas non
plus aucune attribution particulière de rang et de carac-
tère; mais l'usage parait désormais les placer immédia-
tement après l'ambassadeur, ou avec l'envoyé extraor-
dinaire.


5 75. Nous avons parlé des consuls , en traitant du com-
merce (liv. II , 5 34). Autrefois les agents étaient une
espèce de ministres publics ; mais aujourd'hui que les titres
sont multipliés et prodigués , celui-ci est donné à de simples
commissionnaires des princes, pour leurs affaires particu-
lières. Souvent même ce sont des sujets du pays où ils ré-
sident. Ils ne sont pas ministres publics , ni par conséquent
sous la protection du droit des gens ; mais on leur doit une
protection plus particulière qu'à d'autres étrangers ou ci-
toyens, et quelques égards en considération du prince
qu'ils servent. Si ce princeenvoie. un agent avec des lettres


LIV. IV, CHAP. 771
de créance et pour affaires publiques, l'agent est dès-lors
ministre public : le titre n'y fait rien. Il faut en dire autant
des députés, commissaires et autres, chargés d'affaires pu-


,


b ligues.
5 76. Entre les divers caractères établis par l'usage, le


souverain peut choisir celui dont il veut revêtir son mi-
nistre ; et il déclare le caractère du ministre dans les
lettres de créance qu'il lui remet pour le souverain à qui
il l'envoie. Les lettres de créance sont l'instrument qui au-
torise et constitue le ministre dans son caractère auprès
du prince à qui elles sont adressées. Si ce prince reçoit le
ministre , il ne peut le recevoir que dans la qualité que lui
donnent ses lettres de créance. Elles sont cornant; sa pro-
curation générale , son mandement ouvert, mandatant
manifestant.


5 7 7 . Les instructions données au ministre contiennent
le mandement secret du maitre, les ordres auxquels le mi-
nistre aura soin de se conformer, et qui limitent ses pou-
voirs. On pourrait appliquer ici toutes les règles du droit
naturel sur la matière de la procuration , ou du mande-
ment , tant ouvert que secret ; niais outre que cela regarde
plus particulièrement la matière des traités , nous pouvons
d'autant mieux nous dispenser de ces détails dans cet
ouvrage , que , par un usage sagement établi , les engage-
ments dans lesquels un ministre peut entrer, n'ont aujour-
d'hui aucune force entre les souverains , s'ils ne sont ra-.
tifiés par son principal.


78. Nous avons vu ci-dessus que tout souverain , et
même tout corps, ou toute personne qui a le droit de trai-
ter d'affaires publiques avec des puissances étrangères , a
aussi celui (l'envoyer des ministres publics (voyez le chap.
précédent ). Il n'y a pas (le difficulté pour ce qui est des


49.




LE DROIT DES uENs.
simples ministres , ou des mandataires , considérés en gé-
néral comme chargés des affaires et munis des pouvoirs de
ceux qui ont droit de traiter. On accerde encore sans dif-
ficulté aux ministres de tous les souverains , les droits et
prérogatives des ministres du second ordre ; mais les grands
monarques refusent à quelques petits états le droit d'en-
voyer des ambassadeurs. Voyons si c'est avec raison. Sui-
vant l'usage généralement reçu , l'ambassadeur est un mi-
nistre public qui représente la personne et la dignité d'in
souverain; et comme ce caractère représentatif lui attire des
honneurs particuliers , c'est la raison pourquoi les grands
princes ont peine à admettre l'ambassadeur d'un petit
état, se sentant de la répugnance à lui accorder des hon-
neurs si distingués. Mais il est manifeste que tout souve-
rain a un droit égal de se faire représenter, aussi bien au
premier degré qu'au second et au troisième ; et la dignité
souveraine mérite , dans la société des nations , une con-
sidération distinguée. Nous avons fait voir (liv. II, chap. 5)
que la dignité des nations indépendantes est essentielle-
ment la même; qu'un prince faible , mais souverain , est
aussi bien souverain et indépendant que le plus grand mo-
narque ; comme un nain n'est pas moins un homme qu'un
géant, quoiqu'à la vérité le géant politique fasse une plus
grande figure que le nain dans la société générale , et s'at-
tire par-là plus de respect et des honneurs plus recher-
chés. Il est donc évident que tout prince , tout état véri-
tablement souverain, a le droit d'envoyer des ambassa-
deurs , et que lui contester ce droit , c'est lui faire une
très-grande injure , c'est lui contester sa dignité souve-
raine; et s'il a ce droit, on ne peut refuser à ses ambas-
sadeurs les égards et les honneurs que l'usage attribue
particulièrement au caractère qui porte la représentation


LIV. IV, CHAP. VI. 775


d'un souverain. Le roi de France n'admet point d'am-
bassadeurs de la part des princes d'Allemagne , refusant
à leurs ministres les honneurs affectés au premier degré
de la représentation ; et cependant il reçoit les ambas-
sadeurs des princes d'Italie ; c'est qu'il prétend que ces
derniers sont plus parfaitement souverains que les autres,
ne relevant pas de même de l'autorité de l'empereur et
de l'Empire , bien qu'ils en soient feudataires. Les em-
pereurs cependant affectent sur les princes d'Italie les
mêmes droits qu'ils peuvent avoir sur ceux d'Allemagne ;
mais la France voyant que ceux-là ne font pas corps avec
l'Allemagne , et n'assistent point aux diètes , les sépare de
l'Empire autant qu'elle peut , en favorisant leur indépen-
dance absolue.


S 79• Je n'entrerai point ici dans le détail des honneurs
qui sont dus et qui se rendent en effet aux ambassadeurs ;
ce sont des choses de pure institution et de coutume. Je.
dirai seulement en général, qu'on leur doit les civilités et les
distinctions que l'usage et les moeurs destinent à marquer
la considération convenable au représentant d'un souverain.
Et il faut observer ici , au sujet des choses d'institution et
d'usage, que quand une coutume est tellement établie
qu'elle donne une valeur réelle à des choses indinrentes
de leur nature , et une signification constante suivant les
moeurs et les usages; le droit des gens naturel et néces-
saire oblige d'avoir égard à cette institution , et de se
conduire, par rapport à ces choses-là, comme si elles
avaient d'elles-mêmes la valeur que les hommes y ont at-
tachée. C'est, par exemple, dans les moeurs de toute l'Eu-
rope , une prérogative propre à l'ambassadeur, que le droit
de se couvrir devant le prince à qui il est envoyé. Ce droit
marque qu'on le reconnaît peur le représentant d'un souve


••n




'74 LE DROIT DES GENS.


rain. Le refuser à l'ambassadeur d'un état véritablement in-
dépendant , c'est donc faire injure à cet état, et le dégrader
en quelque sorte. Les Suisses, autrefois plus instruits clans la
guerre que dans les manières des cours, et peu jaloux de
cc qui n'est que cérémonie , se sont laissés traiter en quel-
ques occasions sur un pied peu convenable à la dignité de
la nation. Leurs ambassadeurs, en 1665 , souffrirent que le
roi de France et les seigneurs de sa cour leur refusassent
des honneurs que l'usage a rendus essentiels aux ambassa7
deurs des souverains , et particulièrement celui de se cou-
vrir à l'audience du roi (a). Quelques-uns , mieux instruits'
de ce qu'ils devaient à la gloire. de leur république , in-
sistèrent fortement sur cet honneur essentiel et distinc-
tif; mais la pluralité l'emporta , et tous cédèrent enfin ,
sur ce qu'on les assura que les ambassadeurs de la nation
ne s'étaient point couverts devant Henri IV. Supposé que
le fait fût vrai, la raison n'était point sans réplique. Les
Suisses pouvaient répondre que dut temps de Henri leur
nation n'avait pas été solennellement reconnue pour libre
et indépendante de l'Empire, comme elle venait de l'être
en 1648 dans le traité de Westphalie. Ils pouvaient dire
que si leurs devanciers avaient failli , et mal soutenu la di-
gnité de. leurs souverains, cette faute grossière ne pouvait
imposer à des successeurs l'obligation d'en commettre une
pareille. Aujourd'hui la nation, plus éclairée et plus at-
tentive à ces sortes de choses , saura mieux maintenir sa
dignité : tous les honneurs extraordinaires que l'on rend


(a) 0» peut voir dans Wicquefort le détail de ce qui se passa en cette
occasion. Cet auteur a raison de témoigner une sorte d'indignation contre
les ambassadeurs suisses; mais il ne devait pas insulter la nation entière,
en disant brutalement qu'elle préfère l'argent à i'laneneur. Arebassad.


I, sect. XIX. Voyez aussi la sect. XVIII.


LIV. IV, Cuir). VII. 775
d'ailleurs à ses ambassadeurs, ne pourront l'aveugler dé-
sormais jusqu'à lui faire négliger celui que l'usage a rendu
essentiel. Lorsque Louis XV vint en Alsace , en 1744, elle
ne voulut point lui envoyer des ambassadeurs pour le com-
plimenter suivant la coutume , sans savoir si on leur per-
mettrait de se couvrir ; et une si juste demande ayant été
refusée , le corps helvétique n'envoya personne. On doit
espérer en Suisse que le roi très-chrétien n'insistera pas
davantage sur une prétention très inutile à l'éclat de sa
couronne, et qui ne pourrait servir qu'à dégrader d'anciens
et fidèles alliés.


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CHAPITRE VII.


Des Droits , Privilèges et immunités des ambassadeurs et
autres ministres publics.


S 80. LE respect • qui est dû aux souverains doit rejaillir
sur leurs représentants, et principalement sur l'ambassa-
deur, qui représente la personne de son maitre au pre-
mier degré. Celui qui offense et insulte un ministre pu-
blic , commet un crime d'autant plus digne d'une peine
sévère qu'il pourrait attirer par-là de fâcheuses affaires à
son souverain et à sa patrie. Il est juste qu'il porte la peine
de sa faute, et que l'état donne , aux dépens du coupa-
ble , une pleine satisfaction au souverain offensé dans la
personne de son ministre. Si le ministre étranger offense
lui-même un citoyen , celui-ci peut le réprimer sans sortir
du respect qui est dû au caractère, et lui donner une leçon
également propre à laver l'offense et à en faire rougir Pau=




77 G DEOIT DES GENS.
tent'. L'offensé peut encore porter sa plainte à son souve-
rain, qui demandera pour lui une juste satisfaction au
maitre du ministre. Les grands intérêts de l'état ne per-
mettent point, au citoyen d'écouter, en pareille rencontre,
les idées de vengeance que pourrait lui donner le point
d'honneur , quand on les jugerait permises d'ailleurs. Un


.4
gentilhomme, même suivant les maximes du siècle , n'est
point flétri par une offense dont il n'est pas en son pouvoir
de tirer satisfaction par lui-même.


S 81. La nécessité et le choit des ambassades une fois
établis ( voyez le chap. V de ce , la se.trete parfaite ,'
l'inviolabilité des ambassadeurs et autres ministres en est
une conséquence certaine; car si leur. personne n'est pas à
couvert de toute violence , le droit des ambassades devient
précaire et leur succès très-incertain. Le droit à la fin est
inséparable du droit aux moyens nécessaires. Les ambas-
sades étant donc d'une si grande importance dans la société
universelle des nations, si nécessaires à leur salut commun,
la personne des ministres chargés de ces ambassades doit
être sacrée et inviolable chez tous les peuples ( voyez liv.


, 5 218 ). Quiconque fait violence à un ambassadeur, ou
à tout autre ministre public, ne fait pas seulement injure
au souverain que ce ministre représente, il blesse la sûreté '!
commune et le salut des nations; il se rend coupable d'un
crime atroce envers tous les peuples (*).


tn attentat énorme contre le droit des gens causa la ruine du puis-
sant empire de Khovarczm, ou Karesm, et donna occasion sus Tartares de
subjuguer presque toute l'Asie. Le fameux Gengis-kan, voulant établir le
commerce de ses états avec la Perse et les autres provinces soumises é _Mo-
hamed Cotbeddin , sultan de Khovarezm , envoya a ce prince un ambassa-
deur accompagné d'une caravane de marchands. Cette caravane étant
arrivée à Otrav,


, te gouverneur la fit arrêter de même que l'ambassadeu r,
et écrivit au sultan que c'étaient tout autant d'espions. Mobamed lui or-


1.IV. IV, CILIP. 777
S 82. Cette sûreté est particulièrement due au ministre


de la part du souverain à qui il est envoyé. Admettre un
ministre, le reconnaître en cette qualité , c'est s'engager
à lui accorder la protection la plus particulière , à le faire
jouir de toute la sûreté possible. Il est vrai que le souverain .
doit protéger tout homme qui se trouve dans ses états , ci-
toyen ou étranger, et le mettre à couvert de la violence ;
niais cette attention est due au ministre. étranger dans un
plus haut degré. La violence faite à un particulier est un
délit commun que le prince peut pardonner selon les cir-
constances. A-t-elle pour objet. un ministre public, c'est
un crime d'état, et un attentat centre le droit des gens : le
pardon ne dépend pas du prince chez qui le crime a été
commis , mais de celui qui a été offensé dans la personne
de son représentant. Cependant si le ministre. a été insulté
par des gens qui ne connaissaient pas son caractère, la faute
n'intéresse plus le droit des: gens; elle retembe dans le cas
des délits communs. De jeunes débauchés , dans une ville
de Suisse, ayant insulté pendant la nuit l'hôtel du ministre
d'Angleterre, sans savoir qui y logeait , le magistrat lit de-
mander à ce ministre quelle satisfaction il désirait ? II ré-
pondit sagement que c'était au magistrat de pourvoir
comme il l'entendrait à la sûreté publique; mais que quant
à lui en particulier il ne demandait rien, ne se tenant point


donna de faire périr ses prisonniers. Gengis-kan lui demanda raison de cet
affreux massacre, et sur les délais affectés du sultan il prit les armes. Tout
l'empire de Khovarczm fut bientôt conquis, et Muhamcd fugitif mourut
de douleur dans une île déserte de la mer Caspienne.


Canson, dernier sultan des Mammelus, ayant fait tuer les ambassadeurs
de Sam seltan des Turcs, celui-ci en tira une terrible vengeance ; il
conquit tous les états de Canson, et l'ayant vaincu et fait prisonnier auprès
du Caire, il le fit pendre à une des portes de la ville. Marigny, des


Arabes, tom. II, pag. 105 et -427.




77 8 LE DROIT DES GENS.
pour offensé par des gens qui ne pouvaient l'avoir eu en
vue puisqu'ils ne connaissaient pas sa maison. Il y a encore
ceci de particulier dans la protection qui est due au mi-
nistre étranger : dans les funestes maximes introduites par
un l'aux point d'honneur, un souverain est dans la nécessité
d'user d'indulgence envers un homme d'épée qui se venge
sur-le-champ d'un affront que lui fait un particulier; mais
les voies de lait ne peuvent être permises ou excusées
contre un ministre public , que dans le cas où celui-ci ,
lisant le premier rie violence , mettrait quelqu'un dans la
nécessité de se défendre.


S 85. Quoique le-catactère du ministre ne se développe
dans toute son étendue, et ne lui assure ainsi la jouissance
de tcus ses droits que dans le moment où il est reconnu et
admis par le souverain à qui il remet ses lettres de créancé;
dès qu'il est entré dans le pays où il est envoyé , et qu'il se
fait connaître , il est sous la protection du droit des gens ;
autrement sa venue ne serait pas sûre. On doit, jusqu'à
son arrivée auprès du prince , le regarder comme ministre
sur sa parole; el d'ailleurs, outre les avis qu'on en a ordi-
nairement par lettres, en cas de doute le ministre est pourvu
de passe-ports qui font foi de son caractère.


S 84. Ces passe-p orts lui deviennent quelquefois néces-
saires dans les pays étrangers où il passe pour se rendre au
lieu de sa destination. II les montre , an besoin , pour se
faire rendre ce qui lui est dû. A la vérité, le prince seul à
qui le ministre est envoyé, se trouve obligé et particulière-
ment engagé à le faire jouir de tous les droits attachés à son
caractère; mais les autres, sur les terres de qui il passe ,
ne peuvent lui refuser les égards que. mérite le ministre
d'un souverain, et que les nations se doivent réciproque-
nient. Ils lui doivent sur-tout une entière sûreté. L'insulter,


I. I V. IV, C A P. V II. 779
ce serait faire injure à son maître et à toute la nation :
l'arrêter et lui faire violence, ce serait blesser le droit
d'ambassade qui appartient à tous les souverains ( SS 77
et 63 ). François I", roi de France, était donc très-fondé
à se plaindre de l'assassinat de ses ambassadeurs Rincon et
Fregose, comme d'un horrible attentat contre la foi et le
droit des gens. Ces deux ministres , destinés, l'un pour
Constantinople et l'autre pour Venise, s'étant embarqués
sur le Pô , furent arrêtés et assassinés , selon toute appa-
rence , par les ordres du gouverneur (le Milan (a). L'em-
pereur Charles V ne s'étant point mis en peine de faire
rechercher les auteurs du meurtre , donna lieu de croire
qu'il l'avait commandé , ou au moins qu'il l'approuvait se-
crètement et après coup ; et comme il n'en donna point de
satisfaction convenable , François P r avait un très-juste
sujet de lui déclarer la guerre, et même de demander l'as-
sistance de toutes les nations ; car une affaire de cette
nature n'est point un différend particulier , une question
litigieuse dans laquelle chaque partie tire le droit de son
côté; c'est la querelle de toutes les nations , intéressées à
maintenir comme sacrés le droit et les moyens qu'elles ont
de communiquer ensemble et de traiter de leurs affaires.
Si le passage innocent est dû, même avec une entière
sûreté à un simple particulier, à plus forte raison le doit-on
au ministre d'un souverain qui va exécuter les ordres de
son maître , et qui voyage pour les affaires d'une nation.
Je dis le passage innocent ; car si le voyage du ministre
est justement suspect, si un souverain a lieu de craindre
qu'il n'abuse de la liberté d'entrer dans ses terres pour y
tramer quelque chose contre son service, ou qu'il n'aille
pour donner certains avis à ses ennemis , ou pour lui en


ex) Voyez les Mémoires de Martin (t BeUeg, lis- . IX.




;Ro LE DROIT DES GENS.


susciter de nouveaux , nous avons déjà dit ( S 64 ) qu'il
peut lui refuser le passage ; mais il ne doit pas le maltraiter
ni souffrir qu'on attente à sa personne. S'il n'a pas des rai-
sana assez fortes pour lui refuser le passage, il peut prendre
des précautins coutre l'abus que le ministre en pourrait
faire. Les Espagnols trouvèrent ces maximes établies dans
le Mexique et dans les provinces voisines. Les ambassa-
deurs y étaient respectés dans toute leur route; mais ils ne
pouva ient s'écarter des grands chemins sans perdre leurs
droits (a). Réserve sagement établie, et ainsi réglée, pour
empêcher qu'on n'envoyât des espions sous le nom d'am-
bassadeurs. C'es1 ainsi que la paix se traitant au fameux
congrès de Westphalie parmi les dangers et le bruit des
armes , les courriers que les plénipotentiaires recevaient
et dépêchaient avaient leur route marquée, hors de laquelle
leurs passe-ports ne pouvaient leur servir (b).


5 85. Cc que nous venons de dire regarde les nations
qui ont la paix entre elles. Dès que l'on est en guerre , on
.n'est plus obligé de laisser à l'ennemi la libre jouissance de
ses droits ; au contraire , on est fondé à l'en priver, pour.
l'affialir et le réduire à accepter des conditions équitables.
On peut encore attaquer et arrêter ses gens , par-tout oit
on a la liberté d'exercer des actes d'hostilité. Non-seule-
ment donc ou peut justement refuser le passage aux mi-
nistres (m'un ennemi envoie à d'autres souverains; on les
arrête même , s'ils entreprennent de passer secrètement et
sans permission dans les lieux dont ou est. mere. La der-
nière guerre nous en fournit un grand exemple. Un ambas-
sadeur de France (*) allant à Berlin , passa par l'impru-


(a) Solis , Histoire de la conquête du Mexique.
(h) Wiequefort , Ambassadeur, liv. I, sect. XVII.
(') M. de


LIV. IV, CHAP. VIT. 781


dence de ses guides, dans un village de l'électorat de Ha-
novre, dont le souverain, roi d'Angleterre, était en guerre
avec la France. I/ y fut arrêté, et ensuite transféré en An-
•leterre. Ni la cour de France, ni celle de Prusse, ne se


plaignirent de sa majesté britannique, qui n'avait fait
qu'user des droits de la guerre.


5 86. Les raisons qui rendent les ambassades nécessai-
res, et les ambassadeurs sacrés et inviolables, n'ont pas
moins de force en temps de guerre qu'en pleine paix. Au
contraire, la nécessité et le devoir indispensable de con-
server quelque moyen (le se rapprocher et de rétablir la
paix, est une nouvelle raison qui rend la personne (les
ministres , instruments des pourparlers et de la réconci-
liation , plus sacrée encore et plus inviolable. Nomen
dit Cicéron , ejusrnodi esse debet , quod non modà inter so-
eiorum jura , sed edam inter hostium tela ineolume ver-
seau' (a). Aussi la sûreté de ceux qüi apportent les messa-
ges , ou les propositions de l'ennemi , est-elle une des lois
les plus sacrées de la guerre. Il est vrai que l'ambassadeur
d'un ennemi ne peut venir sans permission ; et comme il
n'aurait pas toujours la commodité (le la faire demander
par des personnes neutres , on y a suppléé par l'établisse-
ment de certains messagers privilégiés , pour faire des pro-
positions en toute sûreté, d'ennemi à ennemi.


5 87. Je veux parler (les hérauts, des trompettes et des
tambours , qui , par les lois de la guerre et le droit des
gens , sont sacrés et inviolables dès qu'ils se font connaître,
et tant qu'ils se tiennent dans les termes de leur commis-
sion , dans les fonctions de leur emploi. Cela doit être ainsi
nécessairement; car sans compter ce que nous venons de
dire , qu'il faut se réserver des moyens de ramener la paix,


a) in Verrem, lib. I.




782
LE »non. DES GENS.


il est , dans le cours même de la guerre , mille occasions on
le salut commun et l'avantage des deux partis exigent qu'ils
puissent se faire porter des messages et des propositions.
Les Itémuts avaient succédé aux ecialcs des Romains : au-
jourd'hui ils ne sont plus guère en usage : on envoie des
tambours , ou des trompettes , et ensuite , selon les occa-
sions , des ministres, ou des officiers munis de pouvoirs.
Les tambours et trompettes sont sacrés et inviolables ;
mais ils doivent se faire connaître par les marques qui leur
sont propres. Maurice, prince d'Orange, témoigna un vif
ressentiment contre la garnison d'Ysendick , qui avait tiré
sur son trompette (a). Il disait à cette occasion, qu'on ne
saurait punir trop sévèrement ceux qui violent le droit des
gens. On peut voir d'antres exemples dans Wicquefort , et
en particulier la réparation que le duc de Savoie , com-
mandant l'armée de Charles-Quint, fit faire à un trom-
pette français, qui avait été démonté et dépouillé par
quelques soldats allemands (b).


88. Dans les guerres des Pays-Bas, le duc d'Albe fit
pendre un trompette du prince d'Orange, disant qu'il
n'était pas obligé de donner sûreté à un trompette que lui
envoyait le chef des rebelles (c). Ce général sanguinaire
viola certainement , en cette occasion comme en bien d'au-
tres, les lois de la guerre , qui doivent être observées
même dans les guerres civiles , comme nous l'avons
prouvé ci-dessus (liv. III, chap. XVIII). Et comment
viendra-t-on à parler de paix dans ces occasions malheu-
reuses , par quel moyen ménagera-t-on un accommode-
ment salutaire, si les deux partis ne peuvent se faire por-


(a) Wicqucfort, liv. I, sect. III.
(5) Id. ibid.




(e) Id. ibid.


LIV. IV, CHAP. VII. 785


ter des messages et s'envoyer réciproquement des person-
nes de confiance en tonte sûreté ? Le même duc d'Albe ,
dans la guerre que les Espagnols firent ensuite aux Portu-
gais, qu'ils traitaient aussi de rebelles, fit pendre le gou-
verneur de Caseaïs , parce qu'il avait fait tirer sur le trom-
pette qui venait sommer la place (a). Dans une guerre ci-
vile , ou lorsqu'un prince prend les armes pour soumettre
un peuple qui se croit dispensé de lui obéir, prétendre for-
cer les ennemis à respecter les lois de la guerre , dans le
temps qu'on s'en dispense à leur égard , c'est vouloir porter
ces guerres aux derniers excès de la cruauté ,cestes faire
dégénérer en massacres sans règle et sans mesure , par un
enchaînement de représailles réciproques.


89. Mais de même qu'un prince, s'il en a de bonnes
raisons, peut se dispenser d'admettre et d'écouter des am-
bassadeurs, un général d'armée, ou tout autre comman-
dant , n'est pas toujours obligé de laisser approcher et d'é-
couter un trompette ou un tambour. Si un gouverneur de
place , par exemple , craint qu'une sommation n'intimide
sa garnison et ne fasse naître des idées de. capituler avant
le temps , il peut saris doute envoyer au-devant du trom-
pette qui s'approche , lui ordonner de se retirer, et déclarer
que, s'il revient pour le même sujet et sans permission, il
fera tirer sur lui. Cette 'conduite n'est pas une violation
des lois de la guerre ; mais il ne faut y venir que sur des
raisons pressantes, parce qu'elle expose, en irritant l'en-
nemi , à en être traité à toute rigueur et sans ménagement.
Refuser d'écouter un trompette , sans en donner une bonne
raison , c'est déclarer qu'on veut faire la guerre à outrance.


5 9o. Soit qu'on admette un héraut ou un trompette ,
soit qu'on refuse de l'entendre, il faut éviter à son égard


(a) Wicquefort, liv. I, sect. III.




784 LE I}LOIT DES GENS.
tout ce qui peut sentir l'insulte. N on-seulement ce respeo
est dû au droit des gens , c'est encore une. maxime de pru-
dence. En 1744 le bailli de Civry envoya un trompette
avec un officier pour sommer la redoute de Pierre-Longe ,
en Piémont. L'officier savoyard qui commandait dans la
redoute , brave homme , mais brusque et emporté , indi-
gné de se voir sommé dans un poste qu'il croyait bon , fit
une réponse injurieuse au général français. L'officier, en
homme d'esprit , la rendit au bailli de Givry, en présence
des troupes françaises : elles en furent enflammées de co-
lère ; et l'ardeur de venger un affront se joignant à leur
valeur naturelle , rien ne fut capable de les arrêter : les
pertes qu'elles souffrirent, dans une attaque très-sanglante,
ne firent que les animer; elles emportèrent enfin la redoute,
et l'imprudent commandant contribua ainsi à sa perte et à
celle de ses gens et de son poste.


S 91. Le prince , le général de l'armée , et chaque
commandant en chef dans son département , ont seuls le
droit d'envoyer un trompette ou tambour, et ils ne peu-', 0
vent l'envoyer aussi qu'au commandant en chef. Si le gé-
uéral qui ass;ége une ville entreprenait d'envoyer un trom-
pette à quelque subalterne, au magistrat ou à la bourgeoisie,
le gouverneur de la place pourrait avec justice traiter ce
trompette en espion. François fer , roi de France, étant en
guerre avec Charles-Quint , envoya un trompette à la diète -
de l'Empire, assemblée à Spire en 1544. L'empereu• fit ar-
rêter le trompette, et menaça (le le faire pendre , parce
qu'il ne lui était pas adressé (a); mais if n'osa pas exécuter
sa menace , sans doute parce qu'il sentait bien, malgré ses
plaintes , que la diète était en droit, même sans son aveu .
d'écouter un trompette. D'un autre côté, on dédaigne de


(a) Wicquefort , uld suprii.


LIV. 1V, CHAP. 785
recevoir un tambour ou trompette de la part d'un subal-
terne, à moins que ce ne soit pour quelque objet particu-
lier, et dépendant de l'autorité présente de ce subalterne
dans ses fonctions. Au siège de Rhinberg , en 15 98 , un
mestre-de-camp d'un régiment espagnol s'étant avisé de
faire sommer la place, le gouverneur fit dire au tambour
qu'il eût à se retirer, et que si quelque autre tambour ou
trompette était assez hardi pour y revenir de la part d'un
subalterne , il le ferait pendre (a).


5 92. L'inviolabilité du ministre public , ou la sûreté
qui lui est due plus saintement et plus particulièrement
qu'il tout autre étranger ou citoyen , n'est pas son seul
privilège : l'usage universel des nations lui attribue de plus
une entière indépendance de la juridiction et de l'autorité
de l'état où il réside. Quelques auteurs (G) prétendent que
celte indépendance est de pure institution entre les nations,
et veulent qu'on la rapporte au droit des gens arbitraire,
qui vient des moeurs , de la coutume , ou des conventions
particulières : ils nient qu'elle soit de droit des gens naturel.
Il est vrai que la loi naturelle donne aux hommes le droit
de réprimer ét de punir ceux qui leur font injure ; par
conséquent elle donne aux souverains celui de punir un
étranger qui trouble l'ordre public, qui les offense eux-
mêmes, ou qui maltraite leurs sujets ; elle les autorise à
obliger cet étranger de se conformer aux lois , et de rem-
plir fidèlement ce qu'il doit aux citoyens. Mais il n'est pas
moins vrai que la même loi naturelle impose à tous les«
souverains l'obligation de consentir aux choses sans lesquelles
les nations ne pourraient cultiver la société que la nature a
établie entre elles, correspondre ensemble, traiter de leurs


(a) wicquefort , zçbi .suprâ.
(1)) Vide Wolf. Jus Goa. 1039,




786 LE DROIT DES GENS.


affaires, ajuster leurs . différends. Or les ambassadeurs c
autres ministres publics sont des instruments nécessaires à
l'entretien de cette société générale , de cette correspon-
dance mutuelle des nations. :Mais leur ministère ne peut
atteindre la fin à laquelle il est destiné , s'il n'est muni de
toutes les prérogatives capables (Pen assurer le succès
légitime , de le faire exercer en toute sûreté , librement et
fidèlement. Le même droit des gens, qui oblige les nations
à admettre les ministres étrangers , les oblige donc aussi
manifestement à recevoir ces ministres avec tous les droits
qui leur sont nécessaires , tous les priviléges qui assuren
l'exercice de leurs fonctions. Il est aisé de comprendre
que l'indépendance doit être l'un de ces priviléges. Sans
elle, la sûreté, si nécessaire au ministre public, ne sera que
précaire : on pourra l'inquiéter, le persécuter, le maltraiter,
sous mille prétextes. Souvent le, ministre est chargé de
commissions désagréables au prince à qui il est envoyé :
si ce prince a quelque pouvoir sur lui , et singulièrement •
une autorité souveraine, comment espérer que le,ministre
exécutera les ordres de son maître avec la fidélité, la fer-
meté, la liberté d'esprit nécessaires it) Il -importe qu'il n'ait
peint de piéges à redouter , qu'il ne puisse être distrait
de ses fonctions par aucune chicane; il importe qu'il n'ait
rien à espérer, ni rien à craindre du souverain à qui il est
envoyé. ll faut donc, pour assurerle succès de son ministère,
qu'il soit indépendant de l'autorité souveraine de.la juri-
diction du pays , tant pour le civil que pour le criminel.
Ajoutons que les seigneurs de la cour, les personnes les
plus considérables, ne se chargeraient qu'avec répugnance
d'une ambassade , si cette commission devait les soumettre
à une autorité étrangère, souvent chez des nations peu
amies de la leur, eh ils auront à soutenir des prétentions


LIV. iv, 78i
égao-réables , à entré' dans des discussions où l'aigreur se


,


mêle, aisément. Enfin si l'ambassadeur peut être accusé
pour délits communs , poursui." criminellement, arrêté,
puni , s'il peut être cité en-justice pour affaires civiles , il
arrivera souvent qu'il ne lui restera ni le pouvoir , ni le
loisir, ni la liberté (l'esprit que demandent les affaires de
son maître; et la dignité de la représentation , comment
se maintiendra-t-elle dans cet assujettissement? Pour toutes
ces raisons, il est impossible de concevoir que l'intention
(lu Prince qui envoie un ambassadeur ou tout autre ministre,
soit de le soumettre l'autorité d'une puissance étrangère.
C'est ici une nouvelle raison qui achève d'établir l'indépen-
dance du ministre public. Si l'on ne peut raisonnablement
présumer que son maître veuille le soumettre à l'autorité
du souverain à qui il l'envoie, ce souverain, en recevant
le ministre , consent de l'admettre eue ce pied d'indépen-
dance ; et voilà , entre les deux princes , une convention
tacite qui donne une nouvelle force à l'obligation natu-
•elle.


L'usage est entièrement conforme à nos principes. Tous
les souverains prétendent une parlant; .indépendance pour
leurs ambassadeurs et ministres. S'il est vrai qu'il se soit
trouvé un roi d'Espagne , qui, désirant de s'attribuer une
juridiction sur les ministres étrangers résidants à sa cour,
ait écrit à tous les princes chrétiens que si ses ambassadeurs
venaient à commettre quelque crime dans le lieu de leur
résidence, il voulait qu'ils fussentdéchus de leurs, priviléges, -
et jugés suivant les lois du pays (a); un exemple unique


(a) Le fait est avancé par Antoine. de Vers, 51:als son Idée du par fieit
ambassadeur. Mais cc récit parait suspect à Wiequefort, parce qu'il rie l'a
trouvé, dit-il, dans aucun autre écrivain. Ambass. , liv. I sect. XXIX ,
; nit.


5o.




788 LE DROIT DES GENS


ne fait rien en pareille matière; et la couronne d'Espagne
n'a point adopté celte façon de penser.


S 95. Cette indépendance du ministre étranger ne doit.
:pas être convertie en licence : elle ne le dispense point de
se conformer dans ses actes extérieurs aux usages et aux
lois du pays , dans tout ce qui est étranger à l'objet de son
caractère : il est indépendant , mais il n'a pas droit de faire
tout ce qu'il lui plaît. Ainsi , par exemple , s'il est défendu
généralement à tout le monde de passer en carrosse auprès
d'un magasin à poudre ou sur un porte, de visiter et exa-
•miner les fortifications d'une place , etc. , l'ambassadeur
doit respecter de pareilles défenses (*). S'il oublie ses
devoirs, s'il devient insolent, s'il commet des fautes et des
crimes , il y a divers moyens de le réprimer , selon l'im-
portance et la nature de ses fautes; et nous allons en parler
après que nous aurons dit deux mots de la conduite que
le ministre public doit tenir dans le lieu de sa résidence.
il ne peut se prévaloir de son indépendance, pour choquer


(*) Le roi d'Angleterre, informé que les ambassadeurs de France et
d'Espagne avaient ramassé un grand nombre de gens armés pour soutenir
dans une occasion solennelle leurs prétentions respectives touchant la
préséance, avait fuit prier tous les ambassadeurs de ne point envoyer
lettre carrosses à l'entrée de l'ambassadeur de Venise. Le comte d'Estrades,
alors ambassadeur de France, souscrivit à cette réquisition. Louis a IV té-
moigna son -mécontentement de ce qu'il avait déféré à ce que le roi d'An-
gleterre lui avait Lit dire : u N'ayant même été qu'une prière de sa part
» de n'envoyer pas des carrosses; vu que quand même ç'aurait été un
»ordre exprès, comme il lui est permis de les donner tels qu'il veut dans
o ses états, vous auriez dû lui répondre que vous n'en recevez que de moi ;
» et s'il eût voulu après cela user de violence, le parti que vous aviez à
»prendre était de vous retirer de sa cour. » ll me semble que ce monarque
était dans l'erreur, chaque souverain étant sans doute en droit de défendre
à tous ministres étrangers de Lire dans son pays des choses dont il peut
résulter du désordre, et qui d'ailleurs ne . sont point-nécessaires à l'exercice
de leurs fonctions.


LIV. IV, C A. P. vit. 789
les lois et les usages ; mais plutôt il doit s'y conformer ,
autant que ces lois et ces usages peuvent le concerner ,
quoique le magistrat n'ait pas le pouvoir de l'y contraindre :
sur tout il est obligé d'observer religieusement les règles
universelles de la justice envers tous ceux qui ont affaire
à lui. A l'égard du prince à qui il est envoyé, l'ambassadeur
doit se souvenir que son ministère est un ministère de
paix , et qu'il n'est reçu que sur ce pied-là. Cette raison
1::i interdit toute mauvaise pratique. Qu'il serve son maître
sans faire tort au prince qui le reçoit. C'est une lâche
trahison que d'abuser d'un caractère sacré, pour tramer
sans crainte la perte de ceux qui respectent ce caractère ,
pour leur tendre des embûches , pour leur nuire sourde-
ment, pour brouiller et ruiner leurs affaires. Ce qui serait
infâme et abominable dans un hôte particulier, deviendra-
t-il donc honnête et permis au représentant d'un souverain?


11 se présente ici une question intéressante. Il n'est que
trop ordinaire aux ambassadeurs de-travailler à corrompre
la fidélité des ministres de la cour oit ils résident , celle
(les secrétaires et antres employés dans les bureaux. Que
doit-on penser de cette pratique ? Corrompre quelqu'un , le
séduire, l'engager par l'attrait puissant de l'or à trahir son
prince et son devoir, c'est incontestablement une mauvaise
action , selon lotis les principes certains de la morale.
Comment se-la permet-on si aisément dans les affaires pu-
bliques? Un sage et vertueux politique (a) donne assez à
entendre qu'il condamne absolument cette indigne res-
source; mais, pour ne pas se faire lapider dans lemonde
politique, il se borne à conseiller de n'y avoir recours qu'au
défaut de tout autre moyen. Pour nous, qui écrivons sur les
principes sacrés et invariables du droit, disons hardiment,.


(a) M. Peequet , Discours sur t'art de négocier, pag. 9 r , 92•


s




79° LE 'DLO/T DES GINS.


pont,
n'être pas infidèles an monde moral , que la corruption


est un moyen contraire à toutes les règles de la vertu et de
l'honnêteté, qu'elle blesse évidemment la loi naturelle. On
ne peut rien concevoir de plus déshonnête , de plus opposé
aux devoirs mutuels des hommes , que d'induire quelqu'un
à faire le mal. Le corrupteur pèche certainement envers
le misérable qu'il séduit. Et pour cc (pli concerne le sou-
verain dont on découvre les secrets (le cette manière ,
n'est-ce pas l'offenser , lui faire injure , que de profiter de.
l'accès favorable qu'il donne à sa cour, pour corrompre la
fidélité de ses serviteurs ? Il est. en droit de chasser . le cor-
rupteur,


, et de demander justice à celui qui l'a envoyé.
Si jamais la corruption est excusable, c'est lorsqu'elle


se trouve l'unique moyen de découvrir pleinement et de
déconcerter une trame odieuse, capable de ruiner, ou de
mettre en grand péril l'état que l'on sert. Celui qui trahit
un pareil secret , peut, selon les circonstances , n'être pas
condamnable ; le grand et légitime avantage qui découle
de l'action qu'on lui fait faire , la nécessité d'y avoir recours
peuvent nous dispenser de nous arrêter trop scrupuleuse-
ment sur ce qu'elle peut avoir d'équivoque de sa part. Le
gagner est un acte de simple et juste défense. Tous les jours
on se voit obligé, pour faire avorter les complots des mé-
chants ,. de mettre en oeuvre les dispositions vicieuses de,
leurs semblables. C'est sur ce pied-là que Henri 1V disait
à l'ambassadeur d'Espagne, qu'il est permis à l'ambassa-
deur d'employer la corruption pour découvrir les intrigues
qui se font contre le service de son, maitre (a) ; ajoutant
que les affaires de Marseille, de Metz , et plusieurs autres,
faisaient assez voir qu'il avait raison de tâcher de pénétrer
les desseins qu'on formait à Bruxelles contre le repos de


(o) Voyez les Mémoires de Sully, et les historiens de France.


r.


LIV. IV, cnÀr. VII. 79i
son royaume. Ce grand prince ne jugeait pas sans doute
que la séduction fût toujours une pratique excusable dans
un ministre étranger, puisqu'il fit arrêter Bruneau , secré-
taire de l'ambassadeur d'Espagne, qui avait pratiqué Mai-
rargues pour faire livrer Marseille aux Espagnols.


Profiter simplement des offres d'un ' traître que l'on n'a
point séduit, est moins contraire à la justice et à l'honnê-
teté. Mais les exemples des Romains, que nous avons rap-
portés ci-dessus ( liv. Ill , 55 155 et 181 ) , oà il s'agis-
sait cependant d'ennemis déclarés, ces exemples , dis-je,
!Md voir que la grandeur d'aine rejette même ce moyen
pour ne pas encourager l'infâme trahison. Un prince , un
ministre , dont les sentiments ne seront point inférieurs à
ceux de ces anciens Romains , 41te se permettra (l'accepter
les offres d'un traître que quand une cruelle nécessité lui
en fera la loi; et il regrettera de devoir son salut à cette
indigne ressource.


Mais je ne prétends pas condamner ici les soins , ni même
les présents et les promesses qu'un ambassadeur met en
usage pour acquérir des amis à son maitre. Ce n'est pas
séduire les gens et les pousser au crime, que de se conci-
lier leur affection; et c'est à ces nouveaux amis à s'obser-
ver de façon que leur inclination pour un prince étranger
ne les détourne jamais de la fidélité qu'ils doivent à leur
souverain.


5 94. Si l'ambassadeur oublie les devoirs de son état,
s'il se rend désagréable et dangereux, s'il forme des com-
plots , des entreprises préjudiciables au repos des citoyens
à l'état, ou au prince à qui il est envoyé, il est divers
moyens de le réprimer proportionnés a la nature et au de-
gré de sa faute. S'il maltraite les sujets de l'état, s'il leur
fait des injustices , s'il use contre eux de violence , les




LE DROIT DES GENS.


sujets offensés ne doivent point recourir aux magistrats
ordinaires , de la juridiction idesquels l'ambassadeur est in-
dépendant; et, par la même raison, ces magistrats ne
peuvent agir directement contre lui. Il faut en pareilles oc-
casions s'adresser au souverain , qui demande justice au
maître de l'ambassadeur, et, en cas de refus , peut ordon-
ner au ministre insolent de sortir de ses états.


S 95. Si le ministre étranger offense le prince lui-
même , s'il lui manque de respect, s'il brouille l'état et
la cour par ses intrigues , le prince offensé voulant giirder
des ménagements particuliers pour le maître, se borne
quelquefois à demander le rappel du ministre , ou si la
faute est plus considérable, il lui défend la cour en atten-
dant la réponse du maître. Pans les cas graves, il va même
jusqu'à le chasser de ses états.


5 96. Tont souverain est sans doute en droit d'en user de
la sorte ; car il est maître chez lui; aucun étranger ne peut
demeurer à sa cour, ou dans ses états, sans son aveu. Et
si les souverains sont en général obligés d'écouter les pro-
positions des puissances étrangères et d'admettre leurs mi-
nistres cette obligation cesse entièrement à l'égard d'un.
ministre (pli , manquant lui-même aux devoirs que lui im-
pose son caractère, se rend dangereux ou justement sus-
pect à celui auprès duquel il ne peut venir que comme
ministre de paix. En prince serait-il obligé de souffrir dans
ses terres et à sa cour un ennemi secret, qui trouble l'état ,
ou qui en machine la perte? Ce fut une plaisante réponse
que celle de Philippe Il à la reine Elisabeth , qui le faisait
prier de rappeler son ambassadeur, parce que celui-ci tra•
mail contre elle drs complots dangereux. Le roi d'Espagne
refusa de le t'appeler, disant que « la condition des princes
»serait bien malheureuse , s'ils étaient obligés de révoquer


Iv, cnAn. 795
»leur ministre , dès que sa conduite no répondrait point


,» à l'humeur ou à l'intérêt de ceux avec qui il négocie (a).»
Elle serait bien plus malheureuse, la condition des princes ,
s'ils étaient obligés de souffrir dans leurs états, et à leur cour,
un ministre désagréable , on justement suspect, un brouil-
lon , un ennemi masqué sous le caractère d'ambassadeur,
qui se prévaudrait de son inviolabilité pour tramer hardi-
ment des entreprises pernicieuses. La reine , justement
offensée du refus de Philippe, fit donner des gardes à l'am-
bassadeur (b).


5 9 7 . Mais doit on toujours se borner à chasser un am-
bassadeur, à quelque excès qu'il se soit porté? Quelques
auteurs le prétendent, fondés sur la parfaite indépendance
du ministre public. J'avoue qu'il est indépendant de la ju-
ridiction du pays; et j'ai déjà dit que , par cette raison , le
magistrat ordinaire ne peut procéder contre lui. Je conviens
encore que , pour toutes sortes de délits communs , pour
les scandales et les désordres qui font tort aux citoyens et
à la société Sans mettre l'état et. le souverain en péril , on
doit ce ménagement. à un caractère si nécessaire pour la
correspondance des nations , et. à la dignité du prince re-
présenté, de se plaindre à lui de la conduite de son minis-
tre , et. de lui en demander la réparation ; et si on ne peut
rien obtenir, de se borner à chasser ce ministre , au cas
que la gravité, de ses fautes exige absolument qu'on y mette
ordre. Mais l'ambassadeur pourra-t-il impunément cabaler
contre l'état où il réside , en machiner la perte, inciter les
sujets à la révolte , et ourdir sans crainte les conspirations
les plus dangereuses , lorsqu'il se tient assuré de l'aven de
son maître? S'il se comporte en ennemi , ne sera-t-il pas


(a) Wiequcfort, i ti suprii, liv. I, sect. XXIX.
(4)) Idem, ibid.





794 Ln- DROIT DES GENS.
permis de le traiter coagule tel P La chose est indubitable
à l'égard d'un ambassadeur qui en vient aux voies (k fait
qui prend les armes , qui use de violence. Ceux qu'il atta-
que peuvent le repousser ; la défense de soi-môme est de
droit naturel. Ces ambassadeurs romains, envoyés aux
Gaulois, et qui combattirent contre eux avec les peuples
de Clusium , se dépouillèrent eux-mêmes de leur carac-
tère (a). Qui pourrait penser que les Gaulois devaient les
épargner dans la bataille P


S 98. La question a plus de difficulté à l'égard d'un
ambassadeur qui, sans en venir actuellement aux voies de
fait , ourdit des trames dangereuses , incite , par ses menées,
les sujets à la révolte, forme et anime des conspirations
contre le souverain ou contre l'état. Ne pourra-t-on répri-
mer et punir exemplairement un traître qui abuse de son
caractère , et qui viole le premier le droit des gens P Cette
loi sacrée ne pourvoit pas moins à la sûreté du prince qui
reçoit un ambassadeur, qu'à celle de l'ambassadeur lui-
même. Mais d'un autre côté , si nous donnons au prince
offensé le droit de punir en pareil cas un ministre étranger,
il en résultera de fréquents sujets de contestation et de
rupture entre les puissances ; et il sera fort à craindre que
le caractère d'ambassadeur ne soit privé de la sûreté qui lui
est nécessaire. il est certaines pratiques , tolérées dans les
ministres étrangers, quoiqu'elles ne soient pas toujours fort
honnêtes ; il en est que l'on ne peut réprimer par des pei-
nes, mais seulement en ordonnant au ministre de se retirer :
comment marquer toujours les limites de ces divers degrés.
de faute? On chargera d'odieuses couleurs les intrigues


(a) Tit_sLiv. ti6. V, cap. 26. L'historien décide sans balancer que ces
ambassadeurs violi;rent le droit des gens : Leg ati. contra jus gentium arme
sa Fluet.


LIV. /V, ellAP. VIL


d'un ministre que l'on voudra troubler ; on calomniera .ses
intentions et. ses démarches , par une interprétation sinis-
tre : on lui suscitera même de fausses accusations. Enfin
les entreprises de cette nature se font (l'ordinaire avec pré-
caution, elles se ménagent dans le secret ; la preuve com-
plète en est difficile, et ne s'obtient guère que par les
formalités de la justice. Or on ne peut assujettir à ces for-
malités un ministre indépendant de la juridiction du pays.


En posant les fondements du droit (les gens volontaire
(Prélim. 5 9. 1 ) , nous avons vu que les nations doivent
quelquefois se priver nécessairement, en faveur du bien
général , de certains droits qui , pris en eux-mêmes et abs-
traction faite de toute autre considération , leur appar-
tiendraient naturellement. Ainsi le souverain dont la
cause est juste , a seul véritablement tous les droits (le la
guerre ( liv. III , S i 88) ; et cependant il est obligé de con-
sidérer son ennemi comme ayant des droits égaux aux siens,
et de le ^traiter en conséquence (ibid. SS 1 90 et 191).
Les mêmes principes nous serviront ici (le règle. Disons
donc qu'en faveur de la grande utilité , de la nécessité
même des ambassades , les souverains sont obligés de res-
pecter l'inviolabilité de l'ambassadeur , tant qu'elle ne se
trouve pas incompatible avec leur propre sûreté et le salut
de leur état. Et, par conséquent, quand les menées de
l'ambassadeur sont dévoilées , ses complots découverts ,
quand le péril est passé , en sorte que , pour s'en garantir,
il n'est plus nécessaire (le mettre la main sur lui, il faut,
en considération du caractère , renoncer au droit général
de punir un traître, un ennemi couvert qui attente au salut
(le l'état, et se borner à chasser le ministre coupable , en
demandant sa punition au souverain (le qui il dépend.


C'est en effet de quoi la plupart des nations , et sur- tout


à




'296 T.E unorr 1).E s GENS.
celles de l'Europe , sont tombées d'accord. On peut voir
dans Wicquefort (a) plusieurs exemples des principaux
souverains de l'Europe , qui se sont contentés de chasser
des ambassadeurs coupables d'entreprises odieuses , quel-
quefois même sans en demander la punition aux maî-
tres, de qui ils n'espéraient pas l'obtenir. Ajoutons à ces
exemples celui du duc d'Orléans , régent de France : ce
prince usa de ménagement envers le prince de Cellamare,
ambassadeur d'Espagne, qui avait tramé contre lui une
conspiration dangereuse , se bornant à lui donner des
gardes , à saisir ses papiers , et à le faire conduire hors
du royaume. L'histoire romaine fournit un exemple très-
ancien dans la personne des ambassadeurs de Tarquin.
Venus à fonte , sous prétexte de réclamer les biens par-
ticuliers de lenr maître qui avait été chassé, ils y prati-
quèrent une jeunesse corrompue , et l'engagèrent dans
une horrible trahison contre la pairie. Quoique la con-
duite de ces ambassadeurs parût autoriser à les traiter en
ennemis, les consuls et le sénat respectèrent en leurs per-
sonnes le droit des gens (b). Les ambassadeurs furent ren-
voyés sans qu'on leur fît aucun mal ; niais il parait par
le récit de Tite-Live qu'on leur enleva les lettres des con-
jurés , dont ils étaient chargés pour Tarquin.


S . 99. Cet exemple nous conduit à la véritable règle
du droit des gens , dans les cas dont il est question. Ou
ne peut punir l'ambassadeur, parce qu'il est indépendant;
et il ne convient pas , par les raisons que nous venons
d'exposer , de le traiter en ennemi, tant qu'il n'en vient
pas lui-même à la violence et aux voies de fait ; mais on


(a) Ambassad. liv. I, sect. XX.VII, XXXIII et XXIX.
(17) Et quatnquain visi sunt (legati) conentisisse ut hostium Coco essent,


jus (amen gentium vatuit. Tit.-Liv. lib. II, cap. 4.


11


LIV. IV, CHAP. 797
peut contre lui tout ce qu'exige raisonnablement le soin
de se garantir du mal qu'il a machiné, de faire avorter
ses complots. S'il était nécessaire, pour déconcerter et pré-
venir une conjuration , d'arrêter , de faire périr même un
ambassadeur qui l'anime et la dirige , je ne vois pas qu'il
y eût à balancer, non-seulement parce que le salut de
l'état est la loi suprême , mais encore parce que , indé-
pendamment de cette maxime , on en a un droit parfait
et particulier, produit par les propres faits de l'ambassa-
deur. Le ministre public est indépendant, il est vrai, et sa
personne sacrée; mais il est permis, sans doute , de re-
pousser ses attaques sourdes ou ouvertes , de se défendre
contre lui dès qu'il agit en ennemi et en traître; et si nous
ne pouvons nous sauver sans qu'il lui en arrive du mal ,
c'est lui qui nous met dans la nécessité de ne pas l'épar-
gner. Alors on peut dire avec raison que le ministre se.
prive lui-même de la protection du droit des gens. Je sup-
pose que le sénat de Venise ; découvrant la conjuration du
marquis de Bedmar (a) , et convaincu que cet ambassa-
deur en était l'âme et le chef, n'eût pas eu d'ailleurs des
lumières suffisantes pour étouffer cet horrible complot
qu'il eût été incertain sur le lieu oit elle devait écla ter, qu'il
eût été en doute si on se proposait de faire révolter l'armée
navale , ou les troupes de terre , de surprendre quelque
place importante; aurait- il été obligé de laisser partir
l'ambassadeur en liberté, et par-là de lui donner moyen
d'aller se mettre à la tête de ses complices et de faire réussir
ses desseins? On ne le dira pas sérieusement. Le sénat eût
donc été en droit de faire arrêter le marquis et toute sa
maison , de leur arracher même leur funeste secret, l'ibis
ces prudents républicains voyant le péril passé, et la conju


(a) Voyez-en l'histoire écrite par l'abbé de Saint-Réal.




Soc LE 'mort' DES GENS'.


ière , et sujet aux peines de la loi. Ils devaient dire plutôt
qu'on peut le traiter en ennemi. Mais le conseil se con-
tenta de faire arrêter l'évêque ; et après l'avoir détenu Pri-
sonnier à la Tour pendant deux ans , on le mit en liberté
quand on n'eut plus rien à craindre de ses intrigues , et
on le fit sortir du royaume (a). Cet exemple peut confirmer


. les principes que nous avons établis. J'en dis autant du
suivant. Bruneau , secrétaire de l'ambassadeur d'Espagne
en France , fut surpris traitant avec Mairargues , en pleine
paix, pour faire livrer Marseille aux Espagnols. On le mit
en prison ; et le parlement , qui fit le procès à Mairargues ,
interrogea Bruneau juridiquement. Mais il ne le condamna
pas ; il le renvoya au roi , qui le rendit à son maître , à
condition qu'il le ferait sortir incessamment du royaume.
L'ambassadeur se plaignit vivement de la détention de son
secrétaire; mais Henri IV lui répondit très-judicieusement,
que le droit des gens n'empêche pas qu'on ne puisse, arre-
ter un ministre public, pour lui ôter le moyen de faire
4u mal. Le roi pouvait ajouter qu'on a même le droit de
mettre en usage contre le ministre tout ce qui est néces-
saire pour se garantir du mal qu'il a voulu faire, pour dé-
concerter ses entreprises et en prévenir les suites. C'est
ce qui autorisait le parlement à faire subir un interroga-
toire à Bruneau , pour découvrir tous ceux qui avaient
trempé dans un complot si dangereux. La question, si les
ministres étrangers qui violent le droit des gens sont dé-,,' ,
chus de leur privilège , fut agitée fortement à Paris ; niais','
le roi n'en attendit pas la décision pour rendre Bruneau à
son maître (*).


(a) Camden, Anna?. Angt. cul ann. 1571, 1573.
(*) Voyez cette discussion et les discours que Henri IV tint à. cc sujet


it l'ambassadeur d'Espag-ne, dans les Mémoires de Nevers, tom. li,


LIV. IV, (finit, . vit. 8o
S 102. Il n'est pas permis de maltraiter un ambaSsa-


deur par représailles; car le prince qui use de violence
contre un ministre public, commet un crime; et l'on ne
doit pas s'en venger en l'imitant.. On ne peut jamais ,
sons prétexte de représailles , commettre des actions illi-
cites en elles-mêmes ; et tels seraient sans doute de mau-
vais traitements faits à un ministre innocent pour les, fautes
de son maitre. S'il est indispensable d'observer générale-
ment cette règle en fait de représailles , le respect qui est
dû au caractère la rend plus particulièrement obligatoire
envers l'ambassadeur. Les Carthaginois avaient violé le
droit des gens envers les ambassadeurs de Rome ; on amena
à Scipion quelques ambassadeurs de ce peuple perfide , et
on lui demanda ce qu'il voulait qu'on leur fît : Rien , dit-
il de semblable à ce que les Carthaginois ont fait aux
nôtres ; et il les renvoya en sûreté (a) ; mais en même


pan. 858 et suiv.; dans Matthieu, tom. liv. III; et dans les autres
historiens.


Joseph Sofi , roi de Caresem, ayant mis en prison un ambassadeur de
'fimur-lice, le ;Secrétaire d'état de Timm. lui écrivit fortement sur cette
violation du droit des gens, lui disant « que la maxime des rois était de
»tenir pour sacrée la personne des ambassadeurs ; ce qui faisait qu'ils
» étaient toujours exempts de mort ou de prison, pour peu que le souverain
»ver; lequel on les envoyait eût de connaissance du droit des gens, et que
»l'ambassadeur eût de prudence pour ne point commettre de faute COnsi-
» dérahle, et pour sc comporter en honnête homme. » Il ajouta « qu'il est
» marqué dans l'Alcoran que les ambassadeurs sont sacrés et ne sont obligés
où rien qu'à exécuter les ordres de leur maître. » La Croix, Histoire de
Timer-Bec, lir. II, chap. a6.


Le même historien, rapportant l'histoire de Bareotte, sultan d'Égypte,
qui fit mourir l'ambassadeur de Timur, dit « que ce fut une action infime;


qu'insulter un ambassadeur est violer le droit des gens; et cela fait bor-
e reur à ta nature même. n Mid: liv. V, chap. 17.


(a) Appien, cité par Grotius , liv. II, chap. a8, S 7 . Suivant Diodore
de Sicile, Scipion dit aux. Romains «Yimitez point ce que vous reprocher


51




809. LE DISOIP DES GENS.


temps il se prépara à punir, par les armes , l'état qui avait
violé le droit des gens (a). Voilà le vrai modèle de la con-
duite qu'un souverain doit tenir en pareille occasion. Si
l'injure pour laquelle on veut user de représailles ne re-
garde pas un ministre public , il est bien plus certain én.
core qu'on ne peut les exercer contre l'ambassadeur de la
puissance dont on se plaint. La sûreté des ministres publics
serait bien incertaine , si elle était dépendante de tous
les différends qui peuvent survenir. Mais il est un cas où
il paraît très-permis d'arrêter un ambassadeur, pourvu
qu'on ne lui fasse souffrir d'ailleurs aucun mauvais traite-
ment : quand un prince, violant le droit des gens, a fait
arrêter notre ambassadeur, nous pouvons arrêter et re-
tenir le sien , afin d'assurer par ce gage la vie et la liberté
du nôtre. Si ce moyen ne réussissait pas , il faudrait re-
lâcher l'ambassadeur innocent , et se faire justice par des
voies plus efficaces. Charles-Quint fit arrêter l'ambassa-
deur de France qui lui avait déclaré la guerre ; sur quoi
François Pr fit aussi arrêter Granvelle , ambassadeur de
l'empereur. On convint ensuite que les ambassadeurs
seraient conduits sur la frontière , et élargis en même
temps (b).


S re5. Nous avons déduit l'indépendance et l'inviola-
bilité de l'ambassadeur, des principes naturels et néces-
saires du droit des gens. Ces prérogatives lui sont confir-


s aux Carthaginois : Ez;zrov, mpriirin ; rs Ketrzaciieas Eyxce)
Diod. Sicul. E.ceerpt. Pei•esc. ,pag. 290.


(a) Tit.-Liv. lib. XXX, cap. 25. Cet historien fait dire à Scipion :
Quoique les Carthaginois aient ‘'ic.lé la foi de la trêve et le droit des gens
en la personne de nos ambassadeurs, je ne ferai rien contre les leurs qui
soit indigne des maximes du peuple romain et de mes erincipes


(h) Mezeray, Hi4toire de France, tom. Il, pag. 470.


L 1V, CHAP. VII. 8o5
ruées par l'usage et le consentement général des nations.
On a vu ci-dessus ( § 84) que les Espagnols trouvèrent le
droit des ambassades établi et respecté au Mexique ; il l'est
même chez /es peuples sauvages de l'Amérique septentrio-
nale. Passez à l'autre extrémité de la terre, vous verrez les
ambassadeurs très-respectés à la Chine ; ils le sont aux
Indes, moins religierisement à la vérité (a). Le roi de
Ceylan a quelquefois mis en prison les ambassadeurs de la
compagnie hollandaise. Maître des lieux où croît la can-
nelle , il sait que les Hollandais lui passeront bien des
choses en faveur d'un riche commerce, et il s'en prévaut
en barbare. L'Alcoran prescrit aux musulmans de respecter
le ministre public; et si les Turcs n'ont pas toujours ob-
servé ce précepte, il faut en accuser la férocité de quelques
princes plutôt que les principes de la nation. Les droits des
ambassadeurs étaient fort bien connus des Arabes. Un au-
teur (b) de cette nation rapporte le trait suivant : Khaled
général arabe, étant venu comme ambassadeur à l'année
de l'empereur Héraclius, parlait insolemment au général ;
sur quoi celui - ci lui dit que la loi reçue chez toutes les
nations mettait les ambassadeurs à couvert de toute vio-
lence, et que c'était là apparemment ce qui l'avait en-
hardi à lui parler d' une manière si indécente (c). Il serait
fort inutile d'accumuler.


ici les exemples que pourrait four-
nir l'histoire des nations européennes; ils sont innom-
brables , et les usages de l'Europe sont assez connus à cet
égard. Saint Louis étant à Acre, donna un exemple re-
marquable de la sûreté qui est due aux ministres publics.


(e) Histoire générale des voyages , art. de ta Chine et des Indes.
(I)) Alvakédi , histoire de ta complète de la S'yrie.
(c) Histoire des Sarrasins, par Ockley, tom. I, pag. 294, de la traduc-


tion française.


51.




8o4


intorr DES GENS.
Un ambassadeur du L ieux de la montagne , ou prince dei
assassins, lui 'mutant avec insolence, les grands-maîtres du
temple et de l'hôpital dirent à ce ministre que sans le
respect de son caractère ils le feraient jeter à la nier (a).
Le roi le renvoya sans permettre qu'il lui fût fait aucun
mal. Cependant. le prince des assassins violant lui-même les
droits les plus sacrés des nations, il semblerait qu'on ne
devait aucune sûreté à son ambassadeur, si l'on ne faisait
réflexion que cette sûreté étant fondée sur la nécessité de
conserver aux souverains des moyens sûrs de se faire des
propositions réciproques, et do traiter ensemble en paix et
en guerre, elle doit s'étendre jusqu'aux envoyés des princes
qui , violant eux-mêmes le droit des gens , ne mériteraient
d'ailleurs aucun égard.


e o4. Il est des droits d'une antre nature qui ne sont
point si nécessairement attachés au caractère de ministre
public, mais que la coutume lui attribue presque par-tout.
L'un des principaux est le libre exercice de sa religion. Il
est à la vérité très-convenable que le ministre, et sur-tout
le ministre résident, puisse exercer librement sa religion
dans son hôtel, pour lui et les gens de sa suite; mais on
ne peut pas dire que ce droit soit, comme l'indépendance
et l'im;iolabilité, absolument nécessaire au juste succès de
sa commission , particulièrement, pour un ministre non
résident, le seul que les nations soient obligées d'admettre
( g 66 ). Le ministre fera à cet égard ce qu'il voudra dans
le secret de sa maison , oit personne n'esten droit de pé-
nétrer. Mais si le souverain du pays où il réside fondé '
sur de bonnes raisons , ne voulait pas lui permettre d'exer-
cer sa religion 'd'une manière qui transpirât dans le public,
on ne saurait condamner ce souverain, bien moins l'accu-


(a) Choisy, histoire de suint Louis.


1,1V. 1V, CHAI?. - 8o5
ser de blesser le droit des gens. Aujourd'hui ce libre
exercice n'est refusé aux ambassadeurs dans aucun pays
civilisé; un privilége, fondé en raison ne peut être refusé
quand il n'entraîne point d'inconvénient.


S 105. Parmi ces droits non nécessaires au succès des
ambassades, il en est qui ne sont pas fondés non plus sur
un consentement aussi général des nations, mais que l'usage
attribue cependant au caractère en plusieurs pays. Telle est
l'exemption des droits d'entrée. et de sortie pour les choses
qu'un ministre étranger fait venir dans le pays , ou qu'il
envoie dehors. Il n'y a nulle nécessité qu'il soit distingué
à cet égard, puisqu'en payant ces droits il n'en sera pas
moins en état de remplir ses fonctions. Si le souverain veut
bien l'en exempter, c'est une civilité à laquelle le ministre
ne pouvait prétendre de droit, non plus qu'à soustraire ses
bagages , ou les caisses qu'il fait venir de dehors , à la visite
des commis de la douane; cette visite étant nécessaire-
ment liée avec le droit de lever un impôt sur les marchan-
dises qui entrent dans le pays. Thomas. Chaloner, , ambas-
sadeur d'Angleterre en Espagne, se plaignit amèrement à la
reine Elisabeth sa maîtresse, de ce que 'les commis de la
douane avaient ouvert ses coffres pour les visiter. Mais la
reine lui répondit que l'ambassadeur était obligé de dissi
muler . tout ce qui n'offensait pas. directement la dignité
de son. souverain (a).


L'indépendance de l'ambassadeur l'exempte, à la vérité.
de toute imposiiion personnelle ; capitation , ou autre re-
devance .de cette nature ;. et en général il est à couvert de
tout impôt relatif à la qualité de sujet de l'état. Mais pour
ee qui est des droits imposés sur quelque espèce de mar-
chandises on de denrées . , l'indépendance la plus absolue


(a) \Vicquefurt, Ambassad, liv. I, sect. XXXII): , vers la fin.




Mo6 LF. DP.011: DES GENS.


n'exempte pas de les payer ; les souverains étrangers eux-
mêmes y sont soumis. On suit cette règle en Hollande ; les
ambassadeurs y sont exempts des droits qui se lèvent sur la
consommation, sans doute parce que ces droits ont un
rapport plus direct à la personne ; ils paient les droits d'en-
trée et de sortie.


A quelque point que s'étende leur exemption , il est bien
manifeste qu'elle ne regarde que les choses véritablement
à leur usage. S'ils en abusent pour en faire un honteux -
trafic en prêtant leur nom à des marchands , le souverain
est incontestablement en droit de redresser et de prévenir
la fraude , même par la suppression du privilége. C'est ce
qui est arrivé en divers endroits ; la sordide avarice de
quelques ministres qui trafiquaient de leurs exemptions, a
obligé le souverain à les leur ôter. Aujourd'hui les ministres
étrangers à Pétersbourg sont soumis aux droits d'entrée ,
mais l'impératrice a la générosité de les dédommager de
la perte d'un privilège qui ne leur était pas dû, et que les
abus l'ont obligée d'abolir.


5 1 ofi. Mais on demande à ce sujet si une nation peut
abolir ce qui se trouve établi par l'usage à l'égard des mi-
nistres étrangers ? Voyons donc quelle obligation la cou-
tume , l'usage reçu , peut imposer aux nations , non-seu-
lement en cc qui regarde les ministres , mais aussi en
général sur tout autre sujet. Tous les usages, toutes les
coutumes des autres nations, ne peuvent obliger un état
indépendant , sinon en tant qu'il y a donné son consente-
ment, exprès ou tacite. Mais dès qu'une coutume indiffé-
rente en soi est une fois bien établie et reçue, elle oblige
les nations gni l'ont tacitement ou expressément adoptée.
Cependant, si quelqu'une y découvre dans la suite des in-
convénients , elle est libre de déclarer qq'elle ne veut plus


LIV. IV, CHAP. VII. 8o7
s'y soumettre ; et sa déclaration une fois donnée bien clai-
rement , personne n'est en droit de se plaindre si elle n'a
aucun égard à la coutume. Mais une pareille déclaration
doit se faire d'avance, et lorsqu'elle n'intéresse personne
en particulier ; il est trop tard d'y venir lorsque le cas
existe. C'est une maxime généralement reçue , que l'on
ne change pas une loi dans le cas actuellement existant.
Ainsi, dans le sujet particulier dont nous traitons, un sou-
verain , en s'expliquant d'avance et ne recevant l'ambassa-
deur que sur ce pied-là, peut se dispenser de le laisser jouir
de tous les privilèges , ou de lui déférer tous les honneurs
que la coutume attribuait auparavant à son caractère,
pourvu que ces privilèges et, ces honneurs ne soient point
essentiels à l'ambassade , et nécessaires à son légitime suc-
cès. Refuser (les priviléges de cette dernière espèce , ce
serait autant que refuser l'ambassade même; cc qu'un
état ne peut faire généralement:et toujours (5 65) mais
seulement lorsqu'il en a quelque bonne raison. Retrancher
des honneurs consacrés, devenus en quelque façon essen-
tiels , c'est marquer du mépris et faire une injure.


Il faut observer encore sur cette matière , que quand un
souverain veut se dispenser de suivre désormais une cou-
tume établie, la règle doit être générale. Refuser certains
honneurs ou certains priviléges d'usage à l'ambassadeur
(l'une nation , dans le temps que l'on continue à en laisser
jouir ceux des autres , c'est faire affront à cette nation , lui
témoigner du mépris , ou au moins de la mauvaise volonté.


5 10 7 . Quelquefois les princes s'envoient. les uns aux
autres des ministres secrets , dont le caractère n'est point.
publie. Si un pareil ministre est insulté par quelqu'un qui
ne connaît pas son caractère , le droit des gens n'est poiol
violé ; mais le prince qui reçoit ce ministre , et qui le con-




808 LE DROIT DES G.EN.S.
naît pour ministre public , est lié des mêmes obligations.
envers lui ; il doit. le protéger, et le faire jouir, autant qu'il
est en son pouvoir, de toute la sûreté et de l'indépendance
que k droit des gens attribue au caractère. L'action de Fran-
çois Sforce , duc de Milan , qui fit mourir Maraviglia ( ou
Merveille) , ministre secret de François Pr , est. inexcusable.
Sforce avait souvent traité avec cet agent secret ; il l'avait
reconnu pour ministre du roi de France (a).


S ro8. Nous ne pouvons mieux placer qu'ici une ques- I
tion intéressante du droit des gens , qui a beaucoup de
rapport au droit (les ambassades. On demande quels sont
les droits d'un souverain qui se trouve en pays étranger,
et de quelle façon le maître du pays : doit en user à son
égard ? Si ce prince est venu pour négocier, pour traiter
de quelque affaire publique , il doit jouir sans contredit,
et dans un degré plus éminent , de tous les droits des am-
bassadeurs. S'il est venu en voyageur, sa dignité seule, et
ce qui est dû à la nation qu'il représente et qu'il gouverne ,
le met à couvert de toute insulte , lui assure des respects
et toute sorte d'égards , et l'exempte de toute juridiction.
Il ne peut être traité comme sujet aux lois communes dès
qu'il se fera connaître ; car ou ne présume pas qu'il ait
consenti à s'y soumettre ; et si on ne veut pas le souffrir
sur ce pied-là, il flint l'avertir. Mais si ce prince étranger Iforme quelque entreprise contre la sûreté et le salut de :
l'état; en un mot, s'il agit en ennemi , il peut très-juste-
ment être traité comme tel. Hors ce cas-là , on lui doit
toute sûreté , puisqu'elle est due même à un particulier
étranger.


Une idée ridicule a gagné l'esprit des gens même qui ne
(a) Voyez les Mémoires de Martin dis Bellay, liv. IV, et l'histoire de.


fronce du P. Daniel, tom. I, pag. Sr,* et suiv. Ile


LIV. 1V, CD.I.P. 809
se croient pas peuple ; ils pensent qu'un souverain qui
entre clans un pays étranger sans permission, peut y être.
arrêté (a) . Et sur quelle raison pourrait-on fonder une pa
reine violence ? Cette absurdité se réfute d'elleunéme. Il
est vrai que le souverain étranger doit avertir. de, sa venue,
s'il désire qu'on lui rende ce qui lui est dû. 11 est vrai de
même qu'il sera prudent à lui de, demander des passe-ports ,
pour ôter à la mauvaise volonté tout: prétexte et toute. es-
pérance de couvrir l'injustice et la violence sous quelques.
raisons spécieuses. Je conviens encore que la présence
d'un souverain étranger pouvant tirer à conséquence dans
certaines occasions, pour peu que les temps soient. soup-
çonneux et son voyage suspect, le prince ne doit pas l'en-
treprendre sans avoir l'agrément de celui chez qui il veut
aller. Pierre-le-Grand voulant aller lui-même chercher dans
les pays étrangers les arts et les sciences pour enrichir son
empire, se mit à la suite de ses ambassadeurs.


Le prince étranger conserve sans doute tous. ses droits
sur son état et ses sujets , et il peut les exercer en tout ce qui
n'intéresse point la souveraineté du territoire clans lequel il
se trouve. C'est pourquoi il paraît que l'on fut trop ombra-
geux en France lorsqu'on ne voulut pas souffrir que Peut-


(a) On est surpris de voir un grave historien donner dans cette pensée
,oyez Gramond , Hist. gatl. lib. XII. Le cardinal de Richelieu allégua
aussi cette mauvaise raison quand il fit arrêter le prince palatin Çharles-
Louis, qui avait entrepris de traverser la France incognito : il dit
n'était permis à aucun prince étranger de passer par le royaume sans


0 passe-port. a Mais il ajouta de meilleures raisons, prises des desseins du
prince palatin sur Brisach et sur les autres places laissées par le duc Bernard
de Saxe-Wcymar,


et auxquelles la France prétendait avoir plus de droit
que personne, parce que ces conquêtes avaient été faites avec son argent.
voyez l'Histoire du traité de Westphalie, par le P. Bougeant , tom. If,


2, pag.




$11


m


810 LE DliOIT DIS GEsts.
pereur Sigismond étant à Lyon, y créât duc le comte de
Savoie , vassal de l'Empire. (Voyez ci-dessus , liv.


. II , S 4o.)
On n'eût pas été si difficile à l'égard d'un autre prince ;
mais on était en garde jusqu'au scrupule contre les vieilles
prétentions des empereurs. Au contraire ce fut avec beau-
coup de raison que l'on trouva mauvais dans le môme
royaume, que la reine Christine y eût fait exécuter dans
son hôtel un de ses domestiques ; car une exécution de cette
nature est un acte de juridiction territoriale. Et d'ailleurs
Christine avait abdiqué la couronne ; toutes ses réserves ,
sa naissance, sa dignité, pouvaient bien lui assurer de
grands honneurs , et tout au plus une entière indépendance,
mais non pas tous les droits d'un souverain actuel. Le fa-
meux exemple de Marie, reine d'Écosse, que l'on voit si
souvent allégué en cette matière , n'y vient pas fort à pro-
pos. Cette princesse ne possédait plus la couronne quand
elle vint en Angleterre , et qu'elle y fut arrêtée, jugée et
condamnée.


S 10 9 . Les députés aux assemblées des états d'un royaume
ou d'une république , ne sont point des ministres publics
comme ceux dont nous venons de parler, n'étant pas en-
voyés aux étrangers ; mais ils sont personnes publiques, et
en cette qualité ils ont des priviléges que nous devons éta-
blir en peu de mots, avant de quitter cette matière. Les
états qui ont droit de s'assembler par députés pour déli-
bérer sur les affaires publiques, sont fondés par cela même
à exiger une entière sûreté pour leurs représentants , et.
toutes les exemptions nécessaires à la liberté de leurs fonc-
tions. Si la personne des députésn'est pas inviolable, ceux
qui les délèguent ne pourront s'assurer de leur fidélité à
maintenir les droits de la nation , à défendre. courageuse-
ment le bien public. Et comment ces représentants pour-


LIV. IV, CIIAP. f
ront-ils s'acquitter dignement de leurs fonctions, s'il est
permis de les inquiéter en les traînant en justice, soit pour
dettes , soit pour délits communs ? Il y a ici de, la nation
au souverain les mêmes raisons qui établissent d'état à
état les immunités des ambassadeurs. Disons donc que les
droits de la nation et la foi publique mettent ces députés
à couvert de toute violence, et même de toute poursuite
judiciaire pendant le temps de leur ministère. C'est aussi
ce qui s'observe en tout pays , particulièrement aux diètes
de l'Empire , aux parlements d'Angleterre , et aux corMs
d'Espagne. Henri III , roi de France , fit tuer aux états
de Blois le duc et le cardinal de Guise. La sûreté des états
fut sans doute violée par cette action ; mais ces princes
étaient des rebelles qui portaient leurs vues audacieuses
jusqu'à dépouiller leur souverain de sa couronne ; et s'il
était également certain que Henri ne fût plus en état de
les faire arrêter et punir suivant les lois, la nécessité d'une
juste défense faisait le droit du roi et son apologie. C'est
le malheur des princes faibles et malhabiles , qu'ils se lais-
sent réduire à des extrémités d'où ils ne peuvent sortir san s
violer toutes les règles. On dit que le pape Sixte V appre-
nant la mort du duc de Guise , loua cet acte de vigueur
comme un coup d'état nécessaire ; mais il entra en fureur
quand on lui dit que le cardinal avait été aussi tué (a).
C'était pousser bien loin d'orgueilleuses prétentions. Le
pontife convenait que la nécessité pressante avait autorisé
Henri à violer la sûreté des états et toutes les formes de la
justice ; prétendait-il que ce prince mît au hasard sa cou-
ronne et sa vie , plutôt que de manquer de respect pour la
pourpre romaine ?


(a) Voyez tes historicnE de France.




s.


;*.


LE nnorr DES-GENS.


ttvvtvwwwwwv. ,%-vv,,,,Avolvv.-V,wm-wswoxvvv,,,,vvvvYvvnAvvve,Wvnvn vvo•vvve+vo,


CHAPITRE VIII.


Du juge de l'ambassadeur en matière civile.


5 1 1 O. CELQUES auteurs veulent soumettre l'ambasfa-
deur, pour affaires civiles, à la juridiction du pays on il
réside, au menu; pour les affaires qui ont pris naissance
pendant le temps de l'ambassade; ils allèguent, pour soute-
nir leur sen huent, que cette :sujétion ne fait aucun tort an
caractère. Quelque sacrée, disent- ils, que soit une personne,
on ne donne aucune atteinte fit son inviolabilité en ('ap-
pelant en justice pour cause civile. Mais ce n'est pas parce
que leur personne est sacrée que les ambassadeurs ne peu-,
vent être appelés en justice, c'est par la raison qu'ils ne
relèvent point de la juridiction du pays où ils sont envoyés ;.
et l'on peut voir ci-dessus ( 5 9 2 ) les raisons solides de
cette indépendance. Ajoutons ici qu'il est tout-à-fait cou-
venable , et même nécessaire, qu'un ambassadeur ne puisse
être appelé en justice, même pour cause civile, afin qu'il
ne soit point troublé dans l'exercice de ses fonctions. Par
une raison semblable , il était défendu chez les Romains
d'appeler en justice un pontife pendant qu'il vaquait à
ses fonctions sacrées (a) ; mais on pouvait l'y appeler en.
d'autres temps. La raison sur laquelle nous nous fondons,
est alléguée dans le droit romain : Méo cnint non deur
actio (adversiis légatin) ne ab officio suscepto legationis


(q.) Nefs pont; [Lean (in jus vocari oportet ) dent sacra. facit. Digest.
lib, II, lit. IV, de ie jus vocando, leg.


LIV. ]v, C 11A1);- VIII: 815
avocetur (a) , ne impediatur lcgatio (b). Mais il y avait
une exception au sujet des affaires contractées pendant
l'ambassade. Cela était raisonnable à l'égard de ces legati,
ou ministres , dent parle ici le droit romain , lesquels n'é-
tant envoyés que par des peuples soumis à l'empire , ne
pouvaient prétendre à l'indépendance dont jouit un mi-
nistre étranger. Le législateur pouvait ordonner ce qui lui.
paraissait le plus convenable à l'égard des sujets de l'état;
mais il n'est pas de même du pouvoir d'un souverain , de
soumettre à sa juridiction le ministre d'un autre souverain;
et quand il le pourrait par convention , ou autrement , cela
ne serait point à propos. L'ambassadeur Pourrait être sou-
vent troublé dans son ministère sous ce prétexte, et l'état
entraîné dans de fâcheuses querelles, pour le mince in-
térêt de quelques particuliers , qui pouvaient et qui de-
vaient prendre mieux leurs sûretés. C'est donc très-con-
venablement aux devoirs des nations , et conformément
aux grands principes du droit des gens , que, par l'usage
et le consentement de tous les peuples , l'ambassadeur ou
ministre public est aujourd'hui absolument indépendant de
toute juridiction dans l'état où il réside, tant pour le civil
que pour le criminel. Je sais qu'on a vu quelques exemples
du contraire ; mais un petit nombre de faits n'établit pas
la coutume ; au contraire , ceux-ci la confirment telle que
nous la disons , par l'improba I ion qu'ils ont reçue. L'an 1668,
on vit à la Haye un résident de Portugal arrêté et mis en
prison pour dettes, par ordre de la cour de justice. Mais
un illustre membre (e) de cette même cour, juge avec rai-


(e) Digest. lib. V, lit. I, De judiciis , etc. XXIV, § 2.
(b) MW. kg. XXVI.
(c) M. de Byriketsboek, Traité du juge con Lent des ambassadeurs,


chap. 13, §




814 LE DROIT DES CENS.
son que cette procédure était illégitime et contraire au
droit des gens. En l'année 165 7 , un résident de l'électeur
de Brandebourg fut arrêté aussi pour dettes en Angleterre ;
mais on le relâcha , comme n'ayant pu être arrêté légiti-
mement; et même les créanciers et les officiers de justice
qui lui avaient fait cette insulte , furent punis (*).


S Ili. Mais si l'ambassadeur veut renoncer en partie
à son indépendance , et se soumettre à la juridiction du
pays pour affaires civiles, il le peut sans doute , pourvu que
ce soit avec le consentement de sou maître. Sans cc con-
sentement, l'ambassadeur n'est pas en droit de renoncer.
à des priviléges qui intéressent la dignité et le service de
son souverain , qui sont fondés sur les droits du maître,
faits pour son avantage , et non pour celui du ministre. Il
est vrai que , sans attendre la permission du maître , l'am-
bassadeur reconnaît la juridiction du pays lorsqu'il devient
acteur en justice. Mais cela est inévitable ; et d'ailleurs
il n'y a pas d'inconvénient en matière civile et d'intérêt
parce que l'ambassadeur est toujours le maître de ue point
se rendre acteur, et qu'il peut, au besoin , charger un
procureur ou un avocat de poursuivre sa cause.


Ajoutons ici en passant qu'il ne doit jamais se rendre
acteur en justice pour cause criminelle : s'il a été insulté ,
il porte ses plaintes au souverain , et la partie publique
doit poursuivre le coupable.


5 112. Il peut arriver que le ministre d'une puissance
étrangère soit en même temps sujet de l'état où il est ac-


(") M. de Bynkershoek, Traité de juge compétent des amtassadeurs ,
chap. s3, § 1.


Il n'y a pas long-temps qu'on a vu un ministre étranger en France pour-
suivi par Enes créanciers et à qui la cour de France refusa un passe-port.
Voyez Journal politique de Bouillon du février 1 77x, pag454 , et 15
janvier, pag. 57.


LIV. Iv, CHAP. viii, 815
crédité ; et en cc cas , par sa qualité de sujet , il demeure
incontestablement soumis à la juridiction du pays , dans
tout cc qui n'appartient pas directement à son ministère.
Mais il est question de connaître en quels cas ces deux qua-
lités de sujet et de ministre étranger se trouvent réunies
dans la même personne: Il ne suffit pas pour cela que le
ministre soit né sujet. de l'état où il est envoyé ; car à
moins que les lois ne défendent expressément à tout ci-
toyen de quitter sa patrie, il peut avoir renoncé légitime-
ment à soif pays, pour se donner à un nouveau maître ;
il peut encore , sans renoncer pour toujours à sa patrie,
en devenir indépendant pour tout le temps qu'il sera au
service d'un prince étranger; et la présomption est cer-
tainement pour cette indépendance; car l'état et les fonc-
tions du ministre public exigent naturellement qu'il ne dé-
pende que de son maître ( 5 9 2) , du prince dont il fait
les affaires. Lors donc que rien ne décide ni n'indique le
contraire , le ministre étranger, quoique auparavant sujet
de l'état , en est réputé absolument indépendant, pen-
dant tout le temps de sa commission. Si son premier sou-
verain ne veut pas lui accorder cette indépendance dans
son pays, il peut refuser de l'admettre en qualité de mi-
nistre étranger, comme cela se pratique en France , où ,
suivant M. de Callières (a) , le roi ne reçoit plus de ses
sujets en qualité de ministres des autres princes.


Mais un sujet de l'état peut demeurer sujet tout en ac
ceptant la commission d'un prince étranger. Sa sujétion
est expressément établie quand le souverain ne le recon-
naît en qualité de ministre que sous la réserve qu'il de-
meurera sujet de l'état. Les étals-généraux des Provinces-
Unies , par une ordonnance du 1 9


juin 1681, déclarent
(e) Manière de négocier avec les souverains, chap. G.




816 LE DROIT DES GENS.
qu'aucun sujet de l'état n'est reçu comme ainbassadeu


» ou ministre d'une autre puissance , qu'à condition qu'il ne
»dépouillera point sa qualité de sujet, même à l'égard de
»la juridiction, tant pour les affaires civiles que pour les
» criminelles, et que si quelqu'un, en se faisant reconnaître
s pour ambassadeur ou ministre , n'a point fait mention de
»sa qualité de sujet de l'état, il ne jouira point des droits
» ou privilèges qui ne conviennent qu'aux ministres des
» puissances étrangères (a). s


Ce ministre peut encore garder tdeitenient sa première
sujétion ; et alors on connaît qu'il demeure sujet par une
conséquence naturelle qui se tire de sés actions, de son
état et de toute sa conduite. C'est ainsi que, indépendam-
ment même de la déclaration dont nous venons de parler,
ces marchands hollandais qui se procurent des titres de
résidents de quelques princes étrangers , et continuent ce-
pendant leur commerce , indiquent assez par cela même
qu'ils demeurent sujets. Quels que puissent être les incon-
vénients de la sujétion d'un ministre au souverain auprès
duquel il est employé , si le prince étranger veut s'en con-
tenter et avoir un ministre sur ce pied- là , c'est son afra ire ;
il ne pourra se plaindre quand son ministre sera traité
comme sujet.


11 peut arriver encore qu'un ministre étranger se rende
sujet de la puissance à laquelle il est envoyé , en recevant
d'elle un emploi; et en ce cas il ne peut prétendre à l'in-
dépendance que dans les choses seulement qui appartien-
nent-directement à son ministère. Le prince qui l'envoie
lui permettant cet assujettissement volontaire, veut bien
s'exposer aux inconvénients. Ainsi en a vu dans le siècle
dernier le baron de Charnacè, et. le comte d'Estrades , am-


(a) Bynkershoek, obi supric , chap. II, à h Lin.


LIV. ['V,
817


bassadeurs de France auprès des états-généraux, et en
même temps officiers dans les troupes de leurs hautes
puissances.


115. L'indépendance du ministre public est donc la
,raie raison qui le rend exempt de toute juridiction du
pays où il réside. On ne peut lui adresser directement
aucun exploit j uridique, parce qu'il ne relève point de l'au-
torité du prince on des magistrats. Mais cette exemption
de sa personne s'étend-elle indistinctement à tous ses biens?
Pour résoudre cette question , il faut voir ce qui peut assu-
jettir lis biens à la juridiction d'un pays, et ce qui peut les
en exempter. En général , tout ce qui se trouve dans l'é-
tendue d'un pays est soumis à l'autorité du souverain et à
sa juridiction ( liv. Fr , 5 2 05, et liv. H , S3 83, 84) ; s'il
s'élève quelque contestation au sujet d'effets , de mar


-


chandises qui se trouvent dans le pays , ou qui y passent,
c'est au juge du lieu qu'en appartient la décision. En vertu
de cette dépendance , un a établi en bien des pays le moyen
des artels ou saisies pour obliger un étranger à venir dans
le lieu où se fait arrêt, répondre à quelque demande; qu'on
a à lui faire, quoiqu'elle n'ait pas pour objet direct les
effets saisis. Mais, comme nous l'avons fait voir, le ministre
étranger est indépendant de la juridiction du pays; et soit
indépendance personnelle , quant au civil, lui serait. assez
inutile si elle ne s'étendait à tout cc qui lui est nécessaire
pour vivre avec dignité et pour vaquer tranquillement à
ses fonctions. D'ailleurs, tout ce qu'il a amené ou acquis
pour son usage, comme ministre, est tellement attaché à
sa personne qu'il en doit suivre le sert. Le ministre venant
comme indépendant, il n'a pu entendre soumettre à la
juridiction du pays son train, ses bagages, tout ce qui sert
à sa personne. Toutes les choses donc qui appartiennent


5:2




318 DROIT DES GENS.
directement à la personne du ministre , en sa qualité dte.
ministre public, tout ce qui est à son usage, tout ce qui
sert à son entretien et à celui de sa maison , tout cela ,
dis je, participe à l'indépendance du ministre, et est abso-
lument exempt de toute juridiction dans le pays. Ces choses-
là sont considérées comme étant hors du territoire, avec
la personne à qui elles appartiennent.


5 114. Mais il n'en peut être de môme des effets qui
appartiennent manifestement au ministre sous une autre
relation que celle de ministre. Ce qui n'a aucun rapport à
ses fonctions et à son caractère, ne peut participer aux
priviléges que ses fonctions et son caractère lui donnent.
S'il arrive donc, comme on l'a vu souvent, qu'un ministre;
fasse quelque trafic , tous les effets , marchandises , ar-
gent, dettes actives et passives, appartenant à son com-
merce , toutes les contestations même et les procès qui en
résultent, tout cela est soumis à la juridiction du pays. Et
bien que, pour ces procès, on ne puisse s'adresser directe-
ment à la personne du ministre à cause de son indépen-
dance, on l'oblige indirectement à répondre par la saisie
des effets qui appartiennent à son commerce. Les abus qui
naîtraient d'un usage contraire sont manifestes. Que serai t-
ce qu'un marchand privilégié pour commettre impuné-
ment dans un pays étranger toutes sortes d'injustices ? Il
n'y a aucune raison d'étendre l'exemption du ministre
jusqu'à des choses de cette nature. Si le maître craint
quelque inconvénient de la dépendance indirecte où son
ministre se trouvera de cette manière, il n'a q tt'à lui dé-
fendre un négoce , lequel aussi-bien sied assez mal à la
dignité du caractère.


Ajoutons deux éclaircissements à ce qui vient d'être dit.
1 ° Dans lé doute, le respect dû au caractère exige que l'on


Iv, 819
explique toujours les choses à l'avantage de ce même ca-
ractère; je veux dire que, quand il y a lieu de douter si
une chose est véritablement destinée à l'usage du ministre
et de sa maison, ou si elle appartient à son commerce, il
faut j uger à l'avantage du ministre ; autrement on s'expose-
rait à violer ses priviléges. 2° Quand je dis que l'on peut
saisir les effets du ministre qui n'ont aucun rapport à son
caractère , ceux de son commerce en particulier, cela doit
s'entendre dans la supposition que ce ne soit point pour
quelque sujet provenant des affaires que peut avoir le Mi-
nistre dans sa qualité de ministre , pour fournitures faites
à sa maison, par exemple, ponr lover de son listel , etc.;
car les &Lires que l'on a avec lui sous cette relation , ne
peuvent être jugées dans le pays, ni par conséquent être
soumises à la juridiction par la voie indirecte des arrêts.


5 115. Tous les fbnds de terre , tous les biens immeu-
bles relèvent de la juridiction du pays (liv. I er ,


5 2o5, et
liv. II, 55 85, 84), quel qu'en soit le propriétaire. Pour-
rait-on les en soustraire par cela seul que le maître sera
envoyé en qualité d'ambassadeur par une puissance étran-
gère ? Il n'y aurait aucune raison à cela. L'ambassadeur ne
possède pas ces biens là comme ambassadeur ; ils ne sont
pas attachés à sa personne , •de manière qu'ils puissent être
réputés hors du:territoire avec elle. Si le prince étranger
craint les suites de cette dépendance où se trouvera son
ministre par rapport à quelques-uns .de ses biens, il peut
en choisir un autre. Disons donc que les biens immeubles ,
possédés par un ministre étranger, ne changent point do
nature par la qualité du propriétaire, et qu'ils demeurent
sous la juridiction de l'état où ils sont situés. Toute diffi-
culté , tout procès qui les concerne , doit être porté devant
les tribunaux du pays; et les mêmes tribunaux en peuvent


52.




3'20 LE. DROIT DES GENS.


ordonner la saisie sur un titre légitime. Au reste, on com-
prendra aisément que si l'ambassadeur loge dans une mai-
son qui lui appartient en propre , cette maison est excep-
tée de la règle, comme servant actuellement à son usage;
exceptée, dis-je , dans tout ce qui peut intéresser l'usage
qu'en fait actuellement l'ambassadeur.


On peut voir dans le traité de M. de Bvnkcrshoek (a)
que la coutume est conforme aux principes établis ici et
dans le paragraphe précédent. Lorsqu'on veut intenter
action à un ambassadeur dans les deux cas dont nous ve-
nons de parler , c'est-à-dire, au sujet de quelque immeuble
situé dans le pays, ou d'effets mobiliaires qui n'ont aucun
rapport à l'ambassade , on doit faire citer l'ambassadeur,
comme on cite les absents, puisqu'il est censé hors du
territoire , et que son indépendance ne permet point qu'on
s'adresse à sa personne par une voie qui porte le caractère
de l'autorité, comme serait le Ministère d'un huissier.


S 116. Quel est donc le moyen d'avoir raison d'un am-
bassadeur qui se refuse à la justice, dans les affaires que
l'on peut avoir avec lui? Plusieurs disent qu'il faut l'atta-
quer devant le tribunal dont il était ressortissant avant son
ambassade. Cela ne me paraît pas exact. Sula nécessité et
l'importance de ses fonctions le mettent au-dessus de toute
poursuite dans le pays étranger où il réside, sera-t-il per-
mis de le troubler, én l'appelant devant les tribunaux de
son domicile ordinaire? Le bien du service publie s'y op-
pose. Il faut que le ministre dépende uniquement du sou-
verain auquel il appartient d'une façon toute particulière.
C'est un instrument dans la main du conducteur de la na-
tion , dont rien ne doit détourner ou empêcher le service.
Il ne serait pas juste non plus que l'absence d'un homme


(a) Du juge compétent des anvbassar4rs, chap. 16,


LIV. IV, CIIAPs
,.




k 23 21
chargé des intérêts du souverain et de la nation lui devînt
préjudiciable dans ses affaires particulières. Par-tout, ceux
qui sont absents pour le service de l'état ont des priviléges qui
les mettent à couvert des inconvénients de l'absence. Mais
il faut prévenir, autant qu'il est possible , que ces priv%es
des ministres de l'état ne soient trop onéreux aux particu-
liers qui ont des affaires avec eux. Quel est donc le moyen
de concilier des intérêts divers, le service (le l'état et le
soin de la justice ?'l'eus particuliers , citoyens ou étrangers,
qui ont des prétentions à la charge d'un ministre, s'ils ne
peuvent obtenir satisfact ion de lui-même, doivent s'adresser
au maître, lequel est obligé de, rendre justice de la manière
la plus compatible avec le service public. C'est au prince
de voir s'il convient de rappeler son ministre , ou de mar-
quer le tribunal devant lequel on pourra l'appeler, d'or-
donner des délais, etc. En un mot, le


• bien de l'état ne
souffre point que qui que cc soit puisse troubler le ministre
dans ses fonctions , ou l'en distraire , sans la permission du
souverain; et le souverain, Obligé de rendre la justice ii
tout le monde, ne doit point autoriser sen ministre à la
refuser, ou à fatiguer ses adversaires par d'injustes délais.


1,1.1.1NV1AVV,V,AAN.,,,,,AAWWWWV.W.itiN SANNIAAVIANVO.,,,,M+Weft VVV,A,NI• let %%%%% *le


CHAPITRE IX.


De la maison de l'ambassadeur, de son hôtel , a des gens
de sa suite.


117. L'EvnkPENnANcE de l'ambassadeur serait fort impar-
faite , et sa sûreté niai établie , si la maison où il loge ne




822 LE DROIT DES GENS.
jouissait d'une entière franchise, et si elle n'était pas inac-
cessible aux ministres ordinaires de la justice. L'ambassa-
deur pourrait être troublé sous mille prétextes , son secret
découvert par la visite de ses papiers, et sa personne'expo-
sée à (les avanies. Toutes les raisons qui établissent son in-
dépendance et son inviolabilité concourent donc aussi à as-
surer la franchise de son hôtel. Ce droit du caractère est
généralement reconnu chez les nations policées. On consi-
dère au moins dans tous les cas ordinaires de la vie l'hôtel .44.
d'un ambassadeur comme étant hors du territoire , aussi-
bien que sa personne. On eu a vu, il y a peu d'années , un
exemple remarquable à Pétershourg. Trente soldats, aux
ordres d'un officier, entrèrent le 5 d'avril 1752 dans l'hô-
tel du baron de G reiffenheim , minislre de Suède, et enle-
vèrent deux de ses domestiques qu'ils conduisirent en pri-
son , sous prétexte que ces deux hommes avaien 1.• vendu
clandestinement des boissons que la ferme impériale a seule
le privilége de débiter. La cour , indignée d'Une pareille
action, fit arrêter aussitôt les auteurs de cette violence;
et l'impératrice ordonna de donner satisfaction au ministre
offensé. Elle lui fit remettre , et aux autres ministres des Ali
puissances étrangères, une déclaration dans laquelle cette
souveraine témoignait son indignation et son déplaisir de
ce qui s'était passé, et faisait part des ordres qu'elle avait
donnés au sénat (le faire le procès an chef' du bureau établi
pour empêcher la vente clandestine des liqueurs , qui était
le principal coupable. •


La maison d'un ambassadeur doit être à couvert de toute 41'
insulte , sous la protection particulière des lois et du droit
des gens ; l'insulter , c'est se rendre coupable envers l'état
et envers toutes les nations.


S 118. Mais l'immunité , la franchise de l'hôtel n'est


LIV. , A i ,
825


établie qu'en faveur du ministre t_ JC ses gens , comme
on le voit .évidemment par les raisons mêmes sur lesquelles
elle est fondée. Pourra-t-il s'en prévaloir pour faire de sa
maison un asile dans lequel il retirera les ennemis du prince
et (le l'état, les malfaiteurs do toute espèce , et les soustraira
aux peines qu'ils auront méritées ? line pareille conduite
serait contraire à tous les devoirs d'un ambassadeur, à
l'esprit qui doit l'animer, aux vues légitimes qui l'ont fait
admettre; personne n'osera le nier ; mais nous allons plus
loin , et nous posons comme une vérité certaine , qu'un
souverain n'est point obligé de souffrir un abus si perni-
cieux à son état, si préjudiciable à la société. A la vérité,
quand il s'agit de certains délits communs, de gens sou-
vent plus malheureux que coupables , ou dont la punition
n'est pas fort importante au repos de la société, l'hôtel
d'un ambassadeur peut bien leur servir d'asile; et il vaut
mieux laisser échapper des coupables de cette espèce que
d'exposer le ministre à se voir souvent troublé sous pré-
texte de la recherche qu'on en pourrait faire, que de com-
promettre l'état dans les inconvénients qui en pourraient
naître. Et comme l'hôtel d'un ambassadeur est indépen-
dant de la juridiction ordinaire , il n'appartient en aucun
cas aux magistrats, juges de police , ou autres subalternes ,
d'y entrer (le leur autorité, ou d'y envoyer leurs gens , si
ce n'est dans des occasions de nécessité pressante on le
bien public serait en danger et ne permettrait point de dé-
lai. Tout ce qui touche une matière si :élevée et si déli-
cate , tout ce qui intéresse les droits et la gloire d'une
puissance étrangère , tout ce qui pourrait commettre l'état
avec cette puissance doit être porté immédiatement au
souverain, et réglé par lui-même, ou sous ses ordres , par
on conseil d'état. C'est donc au souverain de décider dans




4


1


826 LE DROIT DES kIENS.
»guols. (a). » Ce ministre convenait tacitement , par sa
réponse, qu'il n'aurait pas été fondé à se plaindre de ce
qu'on avait arrêté ses carrosses , s'il les eût fait servir à
l'évasion de quelques sujets du pape, et à soustraire des
criminels à la justice.


12o. L'inviolabilité de l'ambassadeur se communique
aux gens de sa suite, et son indépendance s'étend à tout
ce qui forme sa maison. Toutes ces personnes lui sont tel-
lement attachées qu'elles suivent son sort ; elles dépendent
de lui seul immédiatement, et sont exemptes de la juri-
diction du pays où elles ne se trouvent qu'avec cette ré-
serve. L'ambassadeur doit les protéger, et on ne peut les
insulter sans l'insulter lui-même. Si les domestiques et
toute la maison d'un ministre étranger ne dépendaient pas
de lui uniquement , on sent avec quelle facilité il pourrait
être molesté , inquiété et troublé dans l'exercice de ses
fonctions. Ces maximes sont reconnues par-tout aujour-
d'hui , et confirmées par l'usage.


S 121. L'épouse de l'ambassadeur lui est intimement
unie , et lui appartient plus particulièrement que toute
autre personne de sa maison. Aussi participe-telle à son
indépendance et à son inviolabilité; on lui rend même des
honneurs distingués, et qui ne pourraient lui être refusés
à un certain point, sans faire affront à l'ambassadeur : le
cérémonial en est réglé dans la plupart des cours. La con-
sidération qui est duc à l'ambassadeur rejaillit encore sur
ses enfants , qui participent :missi à ses immunités.


5 122. Le secrétaire de l'ambassadeur est au nombre
de ses domestiques; niais le secrétaire de l'ambassade tient
sa commission du souverain lui-même , ce qui e fait une
espèce de ministre public , qui jouit pour lui•même de la


(a) Wicquefort, "Imeassad. liv. I, sect. XXVIII, vers la fin,


LIV. IV, CHA , ‘ lx. 827
protection du droit des gens et des immunités attachées à
son état , indépendamment de l'ambassadeur, aux ordres
duquel il n'est même soumis que fort imparfaitement ,
quelquefois point du tout, et toujours suivant que leur
maitre commun l'a réglé.


5 125. Les courriers qu'un ambassadeur dépêche ou
reçoit , ses papiers, ses lettres et dépêches , sont autant
de choses qui appartiennent essentiellement à l'ambassade,
et qui doivent par conséquent être sacrées; puisque si on
ne les respectait pas, l'ambassade ne saurait obtenir sa fin
légitime , ni l'ambassadeur remplir ses fonctions avec la
sûreté convenable. Les états-généraux des Provinces-Unies
ont jugé, dans le temps que le président Jeannin était
ambassadeur de France auprès d'eux, que d'ouvrir les
lettres d'un ministre public , c'est violer le droit des
gens (a) . On peut voir d'autres exemples dans Wicquefort.
Ce privilége n'empêche pas cependant que, dans les occa-
sions importantes où l'ambassadeur a violé lui- même le
droit des gens , en formant ou en favorisant des complots
dangereux, des conspirations contre l'état, on ne puisse
saisir ses papiers pour découvrir toute la trame et les com-
plices , puisqu'on peut bien , en -


pareil cas , l'arrêter et
l'interroger lui-même ( 5 99 ). On en usa ainsi à l'égard
des lettres remises par des traîtres aux ambassadeurs de
Tarquin ( 5 98 ).


S 124. Les gens de la suite du ministre étranger, étant
indépendants de la juridiction du pays , ne peuvent être
arrêtés ni punis sans son consentement. Mais il serait peu
convenable qu'ils vécussent dans une entière indépendance,
et qu'ils eussent la liberté de se livrer sans crainte à toutes
sortes de désordres. L'ambassadeur est nécessairement re-


(a) Wicquefort, liv. I, sect. XXVII.




I




28 DROIT DES 'GENS.


vêtu de toute l'autorité nécessaire pour les contenir (5).
Quelques uns veulent que cette autorité s'étende jusqu'au
droit de vie et de mort. Le marquis de Rosny, depuis due
de Sully, étant ambassadeur extraordinaire de France en
Angleterre, un gentilhomme de sa suite se rendit coupable
d'un meurtre ;, ce qui excita une grande rumeur parmi le
peuple de Londres. L'ambassadeur assembla quelques sei-
gneurs français qui l'avaient accompagné, fit le procès au
meurtrier et le condamna à perdre la tête; après quoi il
fit dire au maire de Londres qu'il avait jugé le criminel ,
et lui demanda des archers et un bourreau pour exécuter
la sentence. Mais ensuite il convint de livrer le coupable
aux Anglais, pour en faire eux-mêmes justice comme ils
l'entendraient; et M. de Ikaumont, ambassadeur ordinaire
de France , obtint du roi d'Angleterre la grâce du jeune
homme, qui était son parent (a) . I1 dépend du souverain d'é-
tendre jusqu'à ce point le pouvoir dc son ambassadeur sur les
gens de sa maison ; et le marquis de Rosny se tenait bien
assuré de l'aveu de son maître , qui en effet approuva sa
conduite. Mais en général, on doit présumer que l'ambas-
sadeur est seulement revêtu d'un pouvoir coërcitif, , suffi-
sant pour contenir ses gens par (l'autres peines non capi-
tales et point infamantes. Il peut châtier les fautes commises


(") il doit veiller sur leur conduite, et user de cette autorité pour em-
pêcher qu'ils ne sortent de leur caractère et ne fassent des choses de nature
à offenser légitimement le souverain chez qui il réside; cc qui peut avoir
quelquefois des suites fâcheuses et désagréables. Le comte d'llarcourt
étant envoyé en Angleterre pour moyenner un accommodement entre
Charles le, et son parlement, plusieurs gentilshommes . de sa sf ite se ren-
dirent à l'armée du roi et combattirent contre les parlementaires. Dès ce
moment le parlement ne voulut plus traiter avec le comte d'Harcourt,
Hist. des conn)irat., par Du Port, tom. IV, pag. 261.


(a) Nénkoires dc Sully, tom. VI, chap. I , édition in-12.


Liv. V r t.,,G II P. IX. 829
contre lui et contre le se •e du maître , ou renvoyer
les coupables à leur souverain pour être punis. Que si
ses gens se rendent coupables envers la société par des
crimes dignes d'une peine sévère , l'ambassadeur doit dis-
tinguer entre les domestiques de sa nation et ceux qui sont
sujets du pays où il réside. Le plus court et le plus naturel
est de chasser ces derniers de sa maison, et de les livrer
à la justice. Quant à ceux qui sont de sa nation, s'ils ont
offensé le souverain du pays , ou commis de ces crimes
atroces dont la punition intéresse toutes les nations, qu'il
est d'usage, pour cette raison, de rendre d'un état à l'au-
tre , pourquoi neles livrerait-il pas à la nation qui demande
leur supplice ? Si la faute est d'un autre genre, il les ren-
verra à sou souverain. Enfin , dans un cas douteux , l'am




bassadeur doit tenir le criminel dans les fers, jusqu'à
ce qu'il ait reçu les ordres de sa cour. Mais s'il condamne
le coupable à mort, je ne pense pas qu'il puisse le faire
exécuter dans son hôtel ; car une exécution de cette na-
ture est un acte de supériorité territoriale , qui n'appar-
tient qu'au souverain du pays. Et si l'ambassadeur est ré-
puté hors du territoire , aussi-bien que sa maison et son
hôtel, ce n'est qu'une façon d'exprimer son indépendance
et tous tes droits nécessaires au légitime succès de l'am-
bassade : cette fiction ne peut emporter des droits réser-
vés au souverain , trop délicats et trop importants pour
être communiqués à un étranger , et dont l'ambassadeur
n'a pas besoin pour s'acquitter dignement de ses fonctions.
Si le coupable a péché contre l'ambassadeur, ou coutre le
service du maître, l'ambassadeur peut l'envoyer à son sou-
verain : si le crime intéresse l'état où le ministre réside, il
peut juger le criminel, et le trouvant digne de mort , le li,
vrer à la justice du paye , comme fit le marquis de. Rosny.




85o Lb nnorr DES GENS.
S 125. Quand la commission d'un ambassadeur est


finie , lorsqu'il a terminé les affaires qui l'ont amené, lors.
qu'il est rappelé ou congédié ., en un mot , dès qu'il est
obligé de partir, par quelque raison que ce soit , ses fonc-
tions cessent; mais ses privilèges et ses droits n'expirent
point dès ce moment : il les conserve jusqu'à son retour
auprès du maître à qui il doit rendre compte de son am-
bassade (*). Sa sûreté, son indépendance et son inviolabi-
lité ne sont pas moins nécessaires au succès de l'ambassade
dans le départ que dans la venue. Aussi lorsqu'un ambas-
sadeur se retire à cause de la guerre qui s'allume entre sort
maître et le souverain auprès duquel il était.employé , on
lui laisse un temps suffisant pour sortir du pays en toute
sûreté; et même s'il s'en retournait par mer, et qu'il vînt
à être pris dans le trajet, il serait relâché sans difficulté,
comme ne pouvant être de bonne prise.


5 126. Les mêmes raisons font subsister les privilèges
de l'ambassadeur, dans le cas oit l'activité de son minis• 41
tère se trouve en suspens , et où il a besoin de nouveaux
pouvoirs. Ce cas arrive par la mort du prince que le mi-
nistre représente, ou par celle du souverain auprès duquel
il réside. Dans l'une et l'autre occasion il est nécessaire
que le ministre soit muni de nouvelles lettres de créance;
moins nécessaire cependant dans le dernier cas que dans le
premier, sur-tout si le successeur du prince mort est succes-
seur naturel et nécessaire , parce que l'autorité d'où est émané
le pouvoir du minis tre, subsistant, on présume aisément qu'il
demeure en la même qualité auprès du nouveau souverain.


(*) « C'était la coutume, dit Joinville, alors usitée en paynnie comme
»en chrétienté, que quand deux princes étaient en guerre, si l'un d'eux
»venait à mourir, les ambassadeurs qu'ils s'étaient envoyés réciproquement
s demeuraient prisonniers et esclaves. » Pag. 7 2 et 73.


CItAI'. 851
Mais si le maître du ministre n'est plus , les pouvoirs ex-
pirent, et il lui 1 t absolument des lettres de créance du
successeur , pour' toriser à parler et à agir en son nom.
Cependant il demCure dans l'intervalle ministre de sa
nation , et il doit jouir, à ce titre, des droits et des lion-
neurs attachés au caractère.


5 12 7 . Me voici enfin parvenu au bout de la carrière
que je m'étais proposée. Je ne me flatte point d'avoir donné
un traité complet et parfaitement rempli du droit des gens :
ce n'a pas été mon dessein , et c'eût été trop présumer
de mes forces dans une matière si vaste et si riche. Ce sera
beaucoup pour moi , si mes principes sont trouvés solides,
lumineux, et suffisants aux personnes intelligentes , pour
donner la solution des questions de détail dans les cas par-
ticuliers. Heureux si mon travail peut être de quelque uti-
lité aux gens en place, qui aiment, le genre humain et qui
respectent la justice; s'il leur fournit des armes pour dé-
fendre le bon droit, et pour forcer au moins les injustes à
garder quelque mesure, à se tenir dans les bornes de la
décence


IN.




859 TABLE


TABLE


DES LIVRES , CHAPITRES ET PARAGRAPHES.


PRÉLIMINAIRES.
Idée et Principes généraux cite Droit des gens.


Ce que c'est qu'une nation, ou un état.
2 Elle est une personne morale.
3 Définition du droit des gens.
4 Comment ou y considère les nations ou états.5 A quelles lois les nations sont soumises.
6 Eu quoi consiste originairement le droit des gens.
7 Définition du droit des gens nécessaire.
8 Il est immuable.
9 Les nations n'y npeuvent rie changer, ni se dispenser de ro-


bligation qu'il leur impose.
/0 De la société établie par la nature entre tous les hommes.
it Et entre les nations.
12 Quel est le but de cette société des nations.
13 Obligation générale qu'elle impose.


Explication de cette obligation.
15 Liberté et indépendance des nations : seconde loi générale.
16 Effet de cette liberté.
1 7 Distinctions de l'obligation et du droit interne et externe,


.parfait et imparfait.
Égalité des nations.


1 9 Effet de cette égalité.
no Chacune est maitresse de ses actions, quand elles u'iuté-


ressent pas le droit parfait des autres.
21 Fondement du droit des gens volontaire.
22 Droit des nations contre les infracteurs du droit des gens.
93 Règle de ce droit.
24 Droit des gens conventionnel, ou droit des traités. e
n5 Droit des gens coutumier.
26 Règle générale sur ce droit.
27 Droit des gens positif.
2S 'Maxime générale suir usage du droit nécessaire et du droit


volontaire.


page


4
5


id.
id.


id.
(n
7
s


id.
9


ici.
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lo
11
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12
13
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ici.
id.


15


'1`.â kATtuiRES.


LIVRE I".
De la nation considérée en elle-incline.


CHAPITRii:
Des Nations, ou États souveraine.


/ De l'état et de la souveraineté.
Droit du corps sur les membres.


3 Diverses espaces de gouvernement.
4 Quels sont les états souverains.
5 Des états liés par alliances illégales.
6 Ou par des traités de protection:


Des étals tributaires.5
8 Des états feuddaires.
9 De deux états soumis au mémo prince.


ro Des états formant une république fé.dérativé.
11 D'un état qui a passé sous la domination d'un autre.
12 Objets de ce traité.


CHAPITRE II.
Principes généraux des devoirs d'une nation envers elle-même.


§ 23 Une nation doit agir convenablement à sa nature.
14 De la conservation et de la perfection d'une nation.
15 Quel est le but de la société civile.
16 Une nation est obligée de se conserver.
1 7 Et de conserver ses membres.


Une nation a droit à tout ce qui est nécessaire à sa con-
servation.


1 9
Elle doit éviter tout ce qui priurrait Causer sa destruction:


20 De son d oit à tout ce qui peut servit' à cette fin.
21 Une nation doit se perfectionner elle et son état.
na Et éviter tout ce qui est contraire à sa pi- feetiou.
23 Des droits que ces obligations lui dounent.
24 Exemples.
25 Une nation doit se counedtre elle-mémé.


CHAPITRE III.
De la constitution de l'état, des devoirs et des droits de la nation à


Cet égard.
26 De l'autorité publique.
2 7 Ce que c'est que là constitution de l'état.
28 La n,:tion doit choisir le meilleur.
29 Des lois politiques . fondamentales et civiles.
3 0


Du maintien de la ConsfilutiOn , et de l' béissancé aux 'dis.
31 Droits de la nation à l'égard de sa constitution et de son


gouvernement.
32 Elle peut réformer le gouvernement.
33 Et changer la constitution,
34 De la puissance législative, et si el:é petit Changer la cons-


titution,
35 La nation ne doit s'y porter qu'avec résérvè.


833


/6


18
id.
id.
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20
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22
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26
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ici.
30


3/


32
33


34
id.
35


53




38 Du souverain.
3g Il n'est établi que pour le salut et l'avantage de la société.
40 De son caractère représentatif,
4i Il est chargé des obligations de la nation et revêtu de ses


droits.
Son devoir à l'égard de la conservation et de la perfection


de la nation.
43 Ses droits à cet égard.
44 Il doit connaître sa nation.
45 Étendue de son pouvoir, droits de majesté.
46 Le prince doit respecter et maintenir les lois fondamen-


tales.
4 7 S'il peut changer les lois non fondamentales.
48 Il doit maintenir et observer celles qui subsistent.
4g En quel sens il est soumis aux lois.
5o Sa personne est sacrée et inviolable.
51 Cependant la nation peut réprimer un tyran, et se sous-


traire à son obéissance.
5 2 Compromis entre le prince et ses sujets.
53 Obéissance que les sujets doivent au souverain.
54 En quels cas ou peut lui résister.
55 Des ministres.


CHAPITRE V.


42


Des états électifs, successifs ou héréditaires, et de ceux qu'on appelle
patrimoniaux.


56 Des états électifs. 56
57 Si les rois électifs sont de véritables souverains.


57
58 Des états successifs et héréditaires : origine du droit de


id.


Ç


succession.
59 Autre origine , qui revient à la même.


id.
Go Autres sources, qui reviennent encore à la même.


58
61. La nation peut changer l'ordre de succession. ici.
62 Des renonciations. 6o
63 L'ordre de succession doit ordinairement être gardé.


61.
64 Des régents. 62
65 Indivisibilité des souyeraiuetés.


ici.
65 A qui appartient le jugement des contestations sur la suc-


cession à une souveraineté.
63


6 7 Que le droit à la succession ne doit point dépendre du juge-
meut d'une puissance étrangère. 66


68 Des états appelés patrimoniaux.
68


6g Toute véritable souveraineté est. inaliénable. id.
7 0 Devoir du prince qui peut nommer son successeur.


71
-1 La ratification, au moins tacite , de l'état y est nécessaire. id.
.,


38 3t:
id.
40


4/
id.
4a
ici.


43
44
id.
id.
45


46
5'
52
53
.55


72
73
ici.
74
ici.


95


Ç


834 TABLE


36 Elle est juge de toutes les contestations sur le gouverne-
meut. 3,,


37 Aucune puissance étrangère n'est en droit de s'en mêler.


CHAPITRE IV.
Du souverain , de ses obligations et de ses droits.


14
»ES NAVÈRES.
835


. CHAPITRE VI.


Principaux objets d'un bon gouvernement. z" .Pourvoir aux besoins
de la nation.


7 2 Le but de la société marque au souverain ses devoirs. Il
doit procurer l'abondance.


7 3 Prendre soin qu'il y ait un nombre suffisant d'ouvriers.
7 4 Empêcher la sortie de ceux qui sont utiles.
75 Des émissaires qui les débauchent.
76 On doit encourager le travail et l'industrie.


CHAPITRE VII.


De la culture des terres.


77 Utilité du labourage.
78 Police nécessaire à cet égard : pour la distribution des


terres. id.
79 Pour la protection des laboureurs.


ici.
8o On doit mettre eu honneur le labourage.
81 Obligation naturelle de cultiver la terre.
82 Des greniers publics.


CHAPITRE VIII.
Du commerce.


83 Du commerce intérieur et extérieur. 7984 Utilité du commerce intérieur. id.
85 Utilité du commerce extérieur. id.
86 Obligation de cultiver le commerce intérieur.


8o
8 7 Obligation de cultiver le commerce extérieur. id.
88 Fondement du droit de commerce. Du droit d'acheter.


81
89 Du droit de vendre. 82
go Prohibition des marchandises étrangères. id.
gz Nature du droit d'acheter. ici.
92 C'est à disque nation de voir comment elle veut exercer le


Commerce. 83
g3 Comment on acquiert un droit parfait à un commerce


étranger. 84
94 De la simple permission3u commerce.


ici.
95 Si les droits touchant le commerce sont sujets à la pres-


cription. 85
96 Imprescriptibilité de ceux qui sont fondés sur un traité.


87
97 Du monopole et des compagnies de commerce exclusif.


88
98 Balance du commerce, attention du gouvernement à cet


égard.
99 Des droits d'entrée. ici.


CHAPITRE IX.
Du soin des chemins publics, et des droits de péage.


zoo Utilité (les grands chemins , des canaux, etc. go
J3.


76
ici.
77




id.
9t
id.


92
la


93
95


la
id.
96


836


TABLE


rot Devoirs du gouvernement à cet égard.
/ 02 De ses droits à ce même égard.
zo3 Fondement du droit de péage.
zo4 Abus de ce droit.


CHAPITRE X.
. De la monnaie et du change.


5
zo6 Devoirs de la nation, ou du prince , à l'égard de


10 5 Dablissement de la monnaie.


monnaie.
1o7 De ses droits à cet égard.
zoé Injure qu'une nation peut faire à l'autre au sujet de


monnaie.
509 Du change, et des lois du commerce.


CHAPITRE XI.
Second objet d'un bon gouvernement, procurer la vraie félicité de


la nation.
§ z t o Une nation doit travailler à sa propre félicité. 96


/ Instruction. 97
112 ElInC1111011 de la jeunesse. id.
113 Des sciences et des arts. 98
11.4 De la liberté de philosopher. /00
11 5 On doit inspirer l'amour de la vertu et Pilon eur du


vice. /o3
zG La nation connaîti a en cela l'intention de ceux qui la


gouvernent. 104
117 L'état ou la personne publique doit en particulier per-


fectionner sou entendement et sa volonté. 105
118 Et diriger au bien de la société les lumières et les vertus


des citoyens. roG
11 9 Amour de la patrie. 107
120 Dans les particuliers. id.
121 Dans la nation ou l'état lui-même, et dans le souverain.


108
t (.1.


122 Définition du mot patrie.
123 Combien il est honteux et criminel de nuire à sa patrie. 109
124 Gloire des bons citoyens, exemples.


CHAPITRE XII.
De la piété et de la religion.


§ 125 De la piété. 110
126 Elle doit être éclairée.
12 7 De la religion ; intérieure, extérieure. 112
128 Droits des particuliers ; liberté des consciences. id.
129 Etablissement public de la religion ; devoirs et droits de


la nation.
13o Lorsqu'il n'y a point encore de religion autorisée. il 4


r Lorsqu'il y en a une établie par les lois. 1 15
132 Des devoirs et des droits du souverain à l'égard de la re-


ligion.


DES MA TIÈR ES.
837


5 133 Dans le cas où il yee une religion établie par les lois.
117


r34 Objet de ses soins
moyens qu'il doit employer. 119


135 De la tolérance.
120


136 Ce que doit faire 1, prince, quand la nation veut chan-
ger la religion.
121


137 La différence de la religion ne dépouille point le prince
de sa couronne.
id.


138 Conciliation des droits et des devoirs du souverain avec
ceux des sujets.


92139 Le souverain doit avoir inspection sur les affaires de la1
religion, et autorité sur ceux qui l'enseignent.


123
14o Il doit empêcher que l'on n'abuse de la religion reçue. 125
14z Autorité du souverain sur les ministres de la religion.


126
142 Nature de cette autorité.


Récapitulation des raisons qui établissent les droits du 1111:32
.(3:671..


143 Règle à observer à l'égard des ecclésiastiques.
144


souverain en fait de la religion , avec des autorités et
des exemples.


x45 Pernicieuses conséquences du sentiment contraire. 129
146 Détail des abus. z. La puissance des papes.
147 2. Des emplois importants conférés par une puissance


étrangère.
134


148 3. Sujets puissants dépendants d'une cour étrangère.
135


149
4. Célibat des prêtres, couvents.


z 50
5. Prétentions énormes du clergé, prééminence.


137
151 6. Indépendance, immunités.


138
152 7 . Immunité des biens d'église.


141
153 8. Excoonnunication des gens en place.


142154 9 . Et des souverains eux-mêmes.
143


555 ro. Le clergé tirant tout à lui, et troublant l'ordre. de la
justice. 145


156 11. Argent al tiré à Rome.
1117


x57 12. Lois et pratiques contraires au bien de l'état.
id.


CHAPITRE XIII.
De la justice et de la police.


§ 158 Une nation doit faire régner la justice. z.48
/59 Etablir de bonnes lois. ,




id.
16o Les faire observer. 149
161 Fonctions et devoirs du prince en cette matière.


15o
162 Comment il doit rendre la justice. id.
z63 Il doit établir des juges intègres et éclairés.


151
z64 Les tribunauxordinaires doivent juger des causes du
fisc.




id.
1G5 On doit établir des tribunaux souverains qui jugent défi-


nitivement. 152
166 Le prince doit garder les formes de la justice. /53
x67 Le prince doit maintenir l'autorité des juges, et faire


exécuter leurs sentences. id.
justice ; distribution des emplois et desz68 De cla li)elréo


id.





s


838 TABLE
§ 169


Punition des coupables ; fondement du droit de punir.
1 7 o Des lois criminelles.
175 De la mesure des peines.
z72 De l'exécution des lois.
173 Du droit de faire grace.
1 7 4 De la police.
175 Ou duel, ou des combats singuliers.
1 7 6 Moyens d'arrêter ce désordre.


CHAPITRE XIV.


Troisième objet d'un bon gouvernement; se fortzfier contre les atta-
ques du dehors.


1 77 Une nation doit se fortifier contre les attaques du dehors. 186
1 7 8 De la puissance d'une nation.


167
179 Multipliçation des citoyens.


id.
x$o De la valeur.
169


181 Des autres vertus militaires.
170


182 Des richesses. - 1 7 r
183 Revenus de l'état et impôts.


ici.
184 La nation ne doit pas augmenter sa puissance par des


moyens illicites. id.
z85 La puissance est relative à celle d'autrui.


172


CHAPITRE XV.


De la gloire d'une nat7n.
§ 186 Combien la gloire est avantageuse.


173
187 Devoir de la nation. Comment la véritable gloire s'ac-


quiert.
188 Devoir du prince.
id.


z89 Devoir des citoyens.
174


1 90 Exemple des Suisses. 175
1 9 1 Attaquer la gloire d'une nation , c'est lui faire injure.


176


CHAPITRE XVI.


Dc la protection recherchée par une nation, et de sa soumission volon-
taire à une puissance étrangère.


§ 192 De la protection. 177
193 Soumission volontaire d'une nation à une autre.


ici.
z91 Diverses espèces de soumission.


178
195 Droit des citoyens, quand la nation se soumet à une puis-


sance étrangère. id.
1 96 Ces pactes annulés par défaut de protection. /


179
197 Ou par l'infidélité du protégé. z8o
198 Et par les entreprises du protecteur.




id.
199 Comment le droit de la nation protégée se perd par sou


silence.


e> ois INIATItin ES. 839
CHAPITRE XVII.


Comment un peuple peut se séparer de l'état dont il est membre, ou
renoncera l' obéissance de son souverain, quand il n'en est pas pro ;
tégé.
20o Différence entre le cas présent et ceux du chapitre


précédent.
132


201 Devoir des membres d'un état, ou des sujets d'un prince
qui sont en danger.
183


202 Leur droit quand ils sont abandonnés.
184


CHAPITRE XVIII.
De l'établissement d'une nation dans un pays,


2o3 Occupation d'un pays par la nation.
204 Ses droits sur le pays qu'elle occupe.
205 Occupation de Peiepire dans un pays vacant.
206 Autre manière d'occuper l'empire dans un pays libre.
207 Comment une nation s'approprie un pays désert.
208 Question à ce sujet.
209 S'il est permis d'occuper une partie d'un pays dans


lequel il ne se trouve que des peuples errants et en petit
nombre.


2io Des colonies.
CHAPITRE XIX.


De la patrie , et de diverses matières quit ont rapport.
217 Ce que c'est que la pairie. xgo
219 Des citoyens et des naturels.
213 Des habitants.
214 Naturalisation. id.
215 Des enfants de citoyens nés en pays étranger. 192
216 Des enfants nés sur mer. id.
217 Des enfants nés dans les armées de l'état , ou dans la mai-


son de son ministre auprès d'une puissance étrangère. 193
2i8 Du domicile.
219 Des vagabonds. 194
220 Si l'on peut quitte!' sa patrie. id.
221 Comment on peut s'en absenter pour un temps. qt;
2.97. Variation des lois politiques à cet égard. Il tInu leur obéir.
223 Des cas où un citoyen est en droit de quitter sa patrie. 197
224 Des émigrants. 198
225 Sources de leur droit. id.
226 Si le souverain viole leur droit, il leur fait injure. 200
227 Des suppliants.
228 De l'exil et du bannissement.
229 Les exilés et les bannis ont droit d'habiter quelque part. 2o1
230 Nature de ce droit.
231 Devoir des nations envers eux. 202
232 Une nation ne peut tes punir pour des fautes commises


h ors de son terri!oire. 2.0,s


54
156
158
1:59
161
id.
id.


362


185
/86
ici.
id.


587


,88
189


191




-JAS MATIÈRES..
'.PITRE XXI[.


Des fleur des rivières et des lacs.
§ 266 D'un fleuve qui sépare deux territoires.


221
-267 Du lit d'une rivière qui tarit, ou qui prend son cours


ailleurs.
223


268 Du droit d'allnvion.
269 Si l'alluvion apporte quelque changement aux droits sur


le fleuve.
224


270 De ce qui arrive quand le fleuve change son cours.


ici.
271 Des ouvrages tendants à détourner le courant.


225
2 7 2 Ou en général préjudiciables aux droits d'autrui.


id.
2 7 3 Règles ail tli C t. de deux droits qui sont en contradiction.




ici.
2 7 4 Des lacs.
227.


275 Des accroissements d'un
ici.


276 Des atterrissements formés sur le bord d'un lac.
229


277 Du lit d'un lac desséché.
id.


278 De la juridiction sur les lacs et les rivières.
id..


CHAPITRE XXIII.
De la me,'.


De la mer et de son usage.
230


Si la mer peut être occupée et soumise h la domination. id,
281 Personne n'est en droit de s'approprier l'usage de la


pleine nier.
28'2 La nation qui veut en exclure une autre, lui fait injure.
283 Elle fait même injure à toutes les nations.
284 Elle peut acquérir un droit exclusifpar des traités.
285 Mais non par prescription et par un long usage.
286 Si ce n'est en vertu d'un pacte tacite.
287 La mer près des côtes peut être soumise à la propriété.
288 Autre raison de s'approprier la mer voisine des côtes.
289 Jusqu'où cette possession peut s'étendre.
290 lies rivages et des ports.
2 9 1 Des baies et des ports.
2 92 Des détroits en particulier.
293 Du droit de naufrage.
294 D'une mer enclavée dans les terres d'une nation.
295


De la nation considérée clans ses relations avec les autres.
CHAPITRE F..


Des devoirs commzuzs d'une nation envers les autres, ou des offices,
de l'humanité entre les nations.


r Fondement des devoirs communs et mutuels des nations. 241
2 Offices d'humanité, et leur fondement, 243i


841


279
280


ici.
232
id.
id.


233
id.


234
235
237
id.


238
id.


239
Les parties de la mer occupées par une puissance sont de
sa juridiction. ici..


LIVRE I.


$40 TABLE


g 233. Si ce n'est pour celles qui intéressent la simeté du genre
humain. 2o3,


CHAPITRE XX.
Des biens publics, communs et particuliers.


§ 234 De ce que les Romains appelaient res communes.


/ .4..io
235 Totalité des biens de la nation , et leur division, id.
236 Déux manières d'acquérir des biens publics. 205.
237 Les revenus des biens publics sont naturellement à la dis-


position du souverain. id.
23S La nation peut lui céder l'usage et la propriété des biens


communs. 206
239 Elle peut lui eu attribuer le domaine , et s'en réserver


l'usage. id.
24o Des impôts. id:
241 La nation peut se réserver le droit de les établir. 207
242 ii2 ,,u souverain qui ii ce pouvoir. id.
243 Devoir du prince à l'égard des impôts. 208
244 Du domaine éminent ut taché à la souveraineté. -ici.
2 4 5 De l'empire sur les choses publiques . . 209
246 Le supérieur peut faire des lois sur l'usage des biens


C001/1111118. 2 io
24 7 De l'aliénation des Lieus de communauté. id.
248 De l'usage des biens Communs. 211
24 9 Manière dont chacun doit en jouir. 212
25o Du droit de prévention dans leur usage. ici.
251 Du même droit, dans un autre cas. id.
252 De la conservation et de la réparation des biens com-


muns. 213
253 Devoir et droit du souverain à cet égard. ici.
254 Des biens particuliers. 214
255 Le souverain peut les soumettre à une police. id.
256. Des héritage s,.. . ti id.


CHAPITRE XXI.
De l'aliénation des biens publics, ou du domaine, et de celle d'une


partie de l'état.


25 7
258
259
260
261
262
263
264
265


La nation peut aliéner ses biens publics.
Devoirs d'une nation à cet égard..
Ceux du prince.
Il ne peut aliéner les biens publics.
La nation peut lui en donner le droit.
Règles à ce sujet , pour les traités de nation à nation.
De l'aliénation d'une partie de l'état.
Droit de ceux qu'on veut démembrer.
Si le prince a le pouvoir de démembrer l'état.


215
2.16
ici.


•Sed,
217


ici.
2,1s.
219,


:!.:




842


4
3 Principe général de tous les devoirs mutuels des nations.


244Devoirs d'une nation pour la conservation des autres.
245


5 Elle doit assister un peuple désolé par la famine et par d'au-
tres calamités.
ici.6 Contribuer à la perfection des autres.
2467 Nais non point par force.




2478 Du droit de demander les offices d'humanité.
249g Du droit de juger si on peut les accorder.
icl.


zo Une nation n'en peut contraindre une autre:, lui rendre ces
offices , dont le refus n'est pas une injure.


25o
xx De l'amour mutuel des nations.


id.
sa Chacune doit cultiver l'amitié des autres.


id.
s3 Se perfectionner en vue de l'utilité des aut res, et leur don-


14
ner de bons exemples.


251
Prendre soin de leur gloire.


id.
/5 La différence de religion ne doit pas empêcher de rendre les


offices d'humanité.
ici.


/6 Règle et mesure des offices d'humanité.
/7 Limitation particulière à l'égard du prince.
/8 Aucune nation ne doit léser les autres.
x9 Des offenses.
20 Mauvaise coutume des anciens.


CHAPITRE II.
Du commerce mutuel des nations.


§ 2/ Obligation générale des nations de commercer ensemble. 25$
22 Elles doivent favoriser le commerce.


25923 De la liberté du commerce.
id.


24 Du droit de commercer qui appartient aux nations.
260


25 C'est à chacune de juger si elle est dans le cas d'exercer le
commerce.
ici.26 Nécessité des traités de commerce.


2612 7
Règle générale sur ces traités.


id.
28 Devoir des nations qui fout ces traités.


262
2g Traités perpétuels, ou à temps, ou révocables à volonté.


id.
3o On ne peut rien accorder à un tiers contre la teneur d'un


traité. id.
31 Comment il est permis de s'ôter par un traité la liberté de


commercer avec d'autres peuples.
263


32 Une nation peut restreindre son commerce en faveur d'une
autre. id.


34
33 Elle peut s'approprier nu commerce.


264
Des consuls.




265
CHAPITRE III.


De la dignité et de l'égalité des nations; titres et autres marques
d'honneurs.


§ 35 De la dignité des nations ou états souverains.
268


36 De leur égalité.
id.


37 De la préséance.
id.


TIES MATIÈRES. 843




§ 38 La forme de gouvernement n'y fait rien. 2693g Un état doit garder son rang, malgré le changement dans la
forme du gouvernement. id.


40 Il faut observer à cet égard les traités et l'usage établi. 270
4e Du nom et des honneurs attribués par la nation à son con-


d,,cteur. 25'
42 Si le souverain peut s'attribuer le titre et les honneurs qu'il


P est.
43 Du droit des autres nations à cet égard.
4 4 De leur devoir.


47


4 5 Comment. on peut s'assurer les titres et les honneurs.
4G On doit se conformer à l'usage général.


Des égards mutuels que les souverains se doivent.
48 Comment un souverain doit maintenir sa dignité.


CHAPITRE IV.


Du droit de sûreté, et des effets de la souveraineté et de l'indépen-
dance des nations.


4g Dn droit de sitreté.
5o Il produit le droit de résister.


:17la celui de poursuivre la réparation.
52 Et le droit de punir.
53 Droit de tous les peuples contre une nation malfaisante. id.


54 Aucune nation n'est, eu droit de se mêler du gouvernement
d'une autre. 279


55 Un souverain ne peut s'ériger en juge de la conduite d'un
autre.


56 Comment il est permis d'entrer dans la querelle d'un sou-
verain avec son peuple. id.


57 Droit de ne pas souffrir que des puissances étrangères se
mêlent des affaires du gouvernement. 281


58 De ces mêmes droits, à l'égard de la religion. 282
5g Aucune nation ne peut, être contrainte à l'égard de la reli-


gion. 283
Go Des offices d'humanité en cette matière, des missionnaires. id.
6x Circonspection dont on doit user. 284.
62 Ce quepeut faire un souverain en faveur de ceux qui profes-


sent sa religion dans un autre état. 285


CHAPITRE V.


De l'observation de la justice entre les nations.
§ 63 Nécessité de l'observation de la justice dans la société hu-


maine.
64 Obligation de toutes les nations de cultiver et d'observer


la justice.
65 Droit de ne pas souffrir l'injustice.
66 Ce droit est parfait.
67 Il produit, r o le droit. de défense.
se Celui de se faire rendrejustice.


252
255
id.


257
id.


252
273
éd.


274
275
id.


276


277
id.


278
id.


2S6


287
ici.
id.
288
zd.




844 TABLE


69 Droit de punir un état injuste. 283
7o Droit de toutes les nations contre celle qui méprise ouver-


tement la justice.
CHAPITRE VI.


De la part que la nation peut avoir aux actions de ses citoyens.
5 7 1 Le souverain doit venger les injures de l'état et protéger


les citoyens. 290
72 On ne doit point souffrir que les sujets offensent les autres


nations ou leurs citoyens.
7 3 On ne peut imputer à la nation les actions des particuliers.


id.
7 4 A moins qu'elle ne les approuve ou qu'elle ne les ratifie. id.
75 Conduite que doit. tenir l'offensé.


292
76 Devoir du souverain de Paggressenr. id.


DES ;MATIÈRES.
TOI Les étrangers sont soumis aux lois.
/02 Et pu/issables suivant les lois.
io3 Quel est le juge de leurs différends.
14 Protection due aux étrangers.
io5 Leurs devoirs.
5o6 A quelles charges ils sont sujets.
10 7


Les étrangers demeurent membres de leur nation.
rob L'état ria aucun droit sur la personne d'un étranger.
1o 9


Ni sur ses biens.
ro Quels sont les héritiers d'un étranger.


r Ix Du testament d'un étranger.
(2 Du droit d'aubaine.


113 Du droit de traite foraine.
114 Des immeubles possédés par un étranger.
r5 Mariages des étrangers.


8.43


3o8
id,
id.


309
31 0
id.
id.


311.
id.


352
id.


314
315
id.
3/6


7 7 S'il refuse justice , il prend part à la faute et à l'offense.
78 Autre cas où la nation est tenue des faits des citoyens.


CHAPITRE VII.


293. CHAPITRE IX.


Des droits qui restent à toutes les nations, après l'introduction du.
domaine et de la propriété,


Des effets du domaine entre les nations. 116 Quels sont les droits dont les hommes ne peuvent être
§ 79 Effet général du domaine. 294 privés. 317


8o De ce qui est compris dans le domaine d'une nation. 295 /1 7Du droit qui reste de la communion primitive. id.
81 Les biens des citoyens sont des biens de la nation ,


l'égard des nations étrangères. id.
118 Du droit qui reste à chaque nation sur ce qui appartient


aux autres. 318
82 Conséquence de ce principe. 296 119 Du droit de nécessité. id:
83 Connexion du domaine de la nation avec l'empire. id. 120 Du droit de se procurer des vivres par la force, icl.
84 Juridiction. 297 t21 Du droit de se servir de choses appartenantes à autrui. 319
85 Effet de la juridiction pour les pays étrangers. 298 122 Du droit d'enlever des femmes, id.
86 Des lieux déserts et incultes. 299




i23 Du droit de passage.. 320
87 Devoir de la nation à cet égard. 3 oo 12_4 Et de se procurer les choses dont on a besoin. 321
88 Du droit d'occuper les choses qui n'appartiennent à per- 525 •Du droit d'habiter dans un pays étranger. id.


sonne. 3oz 1"26 Des choses d'un usage inépuisable. 321
89 Droits accordés à une autre nation. id. 12 7 Du droit d'usage innocent. 323
90 11 n'est pas permis de chasser une nation du pays qu'elle 128 De la nature de ce droit en général. id.


habite. • id, 129 Et dans les cas non douteux. 324
91 Ni d'étendre par la violence les bornes de son empire.
9 2 Il faut délimiter soigneusement les territoires.


302
id.


13o De l'exercice de ce droit entre les nations, id.


93 De la violation du territoire.
91 De la défense d'entrer dans le territoire.
95 D'une terre occupée en même temps. par plusieurs nations.
96 D'une terre occupée par un particulier.
97 Familles indépendantes dans un pays.


3o3:
id.


3o4
id.


3o5


CHAPITRE X.


Comment une nation doit user de son droit de domaine, pour s'ac-
quitter A ses devoirs envers les autres, à l'égard de l'utilité
innocente.


98 Occupation de certains lieux seulement, ou de certains 131 Devoir général du propriétaire. 325
droits dans un pays vacant. 3o6 132 Du passage innocent: 32.6


CHAPITRE VIII. e33 Des sûretés que l'on peut exiger.134 Du passage des marchandises.
327
id.


Règles à l'égard des étrangers.
§ 99 Idée générale de la conduite que l'état doit tenir envers les


étrangers.
tao De l'entrée dans le territoire.


3o6,
307


135 Du séjour dans le pays.
i36 Comment on doit agir envers les étrangers qui demandent


une habitation perpétuelle.
13 7 Du droit provenant d'une permission générale.


id.


328
329




5
846 TAtT.F..




§ 138 Du droit accordé en forme de bienfait.
/39 La nation doit être officieuse:


CHAPITRE XI.


De l'usucapion et dé la prescription entre les nations.


5 /4o Définition de l'usucapion et de la prescription. 331
eit t Que l'usucapion et la prescription sont de droit ratürel. 332
142 De ce qui est requis pour fonder la prescription ordi-


naire.
335


s43 De la prescription immémoriale. id.
z44 De celui qui allègue les raisons-de son silence. 336
/45 De celui qui témoigne suffisamment qu'il ne veut pas


abandonner son droit.
146 Prescription fondée sur les actions du propriétaire. 337
54 7 L'usucapion et la prescription ont lieu entre nations.


id:
/48 Il est plus difficile de les fonder entre nations sur un


abandonnement présumé. 338
149 Autres principes qui en fout la force.


ici.
15o Effets du droit des gens volontaire en cette matière.


339
151 Du droit des traités, ou de la coutume en cette matière. 34o


CHAPITRE XII.


Des imités d'alliance et autres traités publics.


152 Ce que c'est qu'un traité. 34o
z53 Des pactions, accords ou conventions.


34t
/54 Qui sont ceux qui font les traités.


id.
x55 Si un état protégé peut faire des traités. 342
156 Traités conclus par les mandataires ou plénipotentiaires


des souverains. ici.
/57 De la validité des traités. 343 ln
158 La lésion ne les rend pas nuls. ici.
15g Devoir des nations un cette matière. id.
16o Nullité des traités pernicieux à l'état. 344
z 6 t Nullité des traités faits pour cause injuste ou déshon-


nête. id.
/62 S'il est permis de faire alliance avec ceux qui ne pro-


fessent pas la vraie religion. 345
z63 Obligation d'observer les traités. id.
164 La violation d'un traité est une injure. 347
165 On ne peut faire des traités contraires à ceux qui sub-


sistent. ici.
166 Comment on peut contracter avec plusieurs dans le même


objet. id.
16 7 Le plus ancien allié doit être préféré. 348
168 On ne doit aucun secours .pour une guerre injuste. id.
169 Division générale des traités. r o De ceux qui concernent


des choses déjà dues par le droit naturel. id.
170 De la collision de ces traités avec les devoirs envers soi-


même.
349


DES MATItnEs. 847
171 Des traités où l'on promet simplement de ne point léser. 35o
/ 7 2 Traités concernant des choses qui ne sont pas dues natu-


rellement. Des traités 4.,aux. icl.
/73 Obligation de garder l'égalité dans les traités. 35 1
124 Différence des traités égaux et des alliances égales. 353
1 7 5 Des traités inégaux et des alliances inégales. ici.
1 7 G Comment une alliance avec diminution de souveraineté


petit annuler des traités précédents. 357
/77 On doit éviter autant qu'il se peut de faire de pareilles


alliances. ici.
/78 Devoirs mutuels des nations à l'égard des alliances iné-


gales. 358
179 Dans celles qui sont inégales du côté le plus haut. id.
180 Comment l'inégalité des traités et des alliances peut se


trouver conforme à la loi naturelle. 359
181 De l'inégalité imposée par forme de peine. 36o
182 Autres espèces dont on a parlé ailleurs. icl.
t83 Des traités personnels, et des traités réels. 361
184 Le nom des contractants inséré dans le traité, ne le rend


pas personnel. id.
185 Une alliance faite par une république est réelle. 362
x86 Des traités conclus par des rois ou autres monarques. icl.
187 Traités perpétuels, ou pour un temps certain. 363
188 Traités faits pour un roi et ses successeurs. id.
/8 9 Traité fait pour le bien du royaume. icl.
(90 Comment se forme la présomption, dans les cas dou-


teux. 364
tg/ Que l'obligation et le droit résultants d'un traité réel


passent aux successeurs. 365
192 Des traités accomplis une fois pour toutes, et con-


sommés. 366
/ 93 Des traités déjà accomplis d'une part. 362
/94 L'alliance personnelle expire, si l'un des contractants


cesse de régner. 369
1 9 5 Traités personnels de leur nature. icl.
/ 96 D'une alliance faite pour la défense du roi et de la fa-


mille royale. 37o
/97 A quoi oblige une alliance réelle, quand le roi allié est


chassé du trône. 321


CHAPITRE XIII.


De la dissolution et du renouvellement des traités,


Extinction des alliances à terme. 373
Du renouvellement des traités. ici.
Comment un traité se rompt, quand il est violé par l'un
des contractants. 375


20 n La violation d'un traité n'en rompt pas un autre.
2o2 Que la violation du traité dans un article peut en opérer


la rupture dans tons. 376
203 Le traité périt avec l'un des contractants. 377


33o
id.


§ /98
199
200




848 TABLE
204 Des alliances d'un état qui a passé ensuite sous la pro-


tection d'un autre. 378
2o5 Traités rompus d'un commun accord. 379


CHAPITRE XIV.
DeS raviras Conventions publiques, de celles qui Sont fizzies pal' les


puissances ielieures en particulier ; de l'accord appele en latin
spousio, et des conventions du souverain avec les particuliers.


206 Des conventions faites par les souverains.


38o
20 7 De celles qui se font par des puissances subalternes. 381
268 Des traités faits par une personne publique , sans ordre


du souverain, ou sans pouvoir suil;sant. 382
209 De l'accord appelé sponsio.
2 io L'état n'est point lié par un semblable accord.
21 1 A quoi est tenu le promettant, quand il est désavoué.
212 A quoi est tenu le souverain.
213 Des contrats privés du souverain.
214 De ceux qu'il tait a u nom de l'état avec des particuliers.
21 5 Ils obligent la nation et les successeurs.
216 Des dettes du souverain et de l'état. id.
217 Des donations du souverain. 395


CHAPITRE XV.


De la foi des traités:
5 218 De ce qui est sacé parmi les nations.


219 Les traités sont sacrés entre les nations.
220 La foi des traités est sacrée.
221 Celui qui viole ses traités viole le droit des gens:
222 Droit des nations contre celui qui méprise la foi des


traités.
223 Atteintes données par les papes au droit des gens.
224 Cet abus autorisé par les princes.
225 Usage du serment dans les traités. Il n'en constitue point


l'obligation.
226 II n'en change point la nature.
227 Il ne donne point de prérogative à un traité sur les


autres.
228 Il ne peut donner force à un traité invalide.
229 Des asséverations.
230 La foi des traités ne dépend point de la différence de re-


ligion.
231 Précautions à prendre en dressant les traités.
232 Des subterfuges dans les traités.
233 Combien une interprétation manifestement fausse est con-


traire à la foi des traités.
De la foi tacite.


DES MATIÈRES.
CHAPITRE XVI.


Des sûretés données pour l'observation des traités.
§ 235 De la garantie.. 407


a3G Elle ne donne aucun droit au garant d'intervenir dans


238 La garantie ne peut nuire au droit d'un tiers.
2 3 7 Nature de i'obiigation qu'elle impose. 409


l'exécution du traité, saris en être requis.
403


24 Durée de la garantie. 410
nio Des traités de cautionnement.
24, Des gages, des engagements, des hypothèques.


id.
242 Des droits d'une nation sur ce qu'elle tient en engagement. 41 r
243 Comment elle est obligée de le restituer.
o44 Comment elle peut se l'approprier. 412
24 5 id.Des otages.Quel droit on a sur les otages.2 46 413


La liberté seule des otages est engagée.2 47 id.Quand on doit les renvoyer.48
id.


249 S'ils peuvent être retentis pour un autre sujet.
25o Ils peuvent l'être pour leurs propres faits.
25 e De l'entretien des otages.
252 Un sujet ne peut refuser d'aller en otage.
253 De la qualité des otages.
254 Ils ne doivent point s'enfuir.
255 Si l'otage qui meurt doit titre remplacé.
256 De celui qui prend la place d'un otage.
257 D'un otage qui parvient à la couronne.
258 L'engagement de l'otage finit avec le traité.
259 La violation du traité fait injure aux otages.
26o Sort de l'otage quand celui qui l'a donné manque à ses


engagements.
261 Du droit fondé sur la coutume.


CHAPITRE xvir.
De l'interprétation des traités.


§ 267 Qu'il est nécessaire d'établir des règles d'interprétation. 420
263 t. Maxime générale : Il n'est pas permis d'interpréter


ce qui n'a pas besoin d'interprétation.
421


264 2 .,e Maxime générale: Si celui qui pouvait et devait s'ex-
pliquer ne l'a pas fait , c'est à son clam.


422265 3.ne Maxime générale : Ni l'un ni l'autre des contractants
n'est en droit d'interpréter l'acte à sou gré.


id.
26G li me Maxime générale : On prend pour vrai .ce qui est suf-


fisamment déclaré. 423267 On doit se régler plutôt sur les paroles du promettant,
que sur celles de celui qui stipule. ici.


268 5 111e 'Maxime générale : L'interprétation doit se faire sui-
vant des règles certaines. 424269 La foi des traités oblige à suivre ces règles,


id.
2 7 0 Règle générale d'interprétation. 425


id.
384
id.


388
393
id.


394


397
id.


398
id.


399
401


id.
402


4o3
ici.


404


id.
id.


405


id.
400


8.49


414
415
id.
id.


416
417
id.


418
ici.
id.


419
id.


54




85o TABLE


»ES 3IATtkRES. 851
271 On doit expliquer les termes conformément à l'usage


commun.
De l'interprétation des traités anciens.
Des chicanes Sur les mots. Id.
Règle à ce sujet. 429
Des réservations mentales. id.
De l'interprétation de termes techniques. id.


277 Des termes dont la signification admet des degrés. 43o
278 De qiielques expressions figurées. 43x
279 Des expressions équivoques. id.
28o Règle pour ces deux cas. id.
281 Ce n'est point une nécessité de ne donner à un terme que


le même sens dans un même acte. 433
On doit rejeter toute interprétation qui mène à l'absurde. id.


272
273
274
275
276


42.7
428


3o8 Interprétation des choses odieuses.
309 Exemples.
310 Comment on doit interpréter les actes de pure libéralité. 463
311 De la collision des lois ou des traités.
312 Première règle pour les cas de collision.


4 Go
46


464
463
id.
ici.


2S2
2 83 Et celle qui rendrait l'acte nul et. sans ellet.
284 Expressions obscures interprétées par d'autres plus claires


du même auteur. 436
285 Interprétation fondée sur la liaison du discours. 437
286 Interprétation tirée de la liaison et des rapports des


choses mêmes.
287 Interprétation fondée sur la raison de l'acte.
288 Du cas où plusieurs raisons ont concouru à déterminer la


volonté.
289 De ce qui fait la raison suffisante d'un acte de la


volonté.
ogo Interprétation extensive, prise de la raison de l'acte. id.
291 Des fraudes tendant à éluder les lois ou les promesses.
292 De l'interprétation restrictive. id.
293 Son usage, pour éviter de tomber dans l'absurde, ou


dans ce qui est illicite.
.24 Ou dans ce qui est trop dur et trop onéreux.
2.95 Comment elle doit resserrer la signification convenable-


ment au sujet.
296 Comment le changement survenu dans l'état des choses


peut former une exception.
297 Interprétation d'un acte dans les cas imprévus.
298 De la raison prise de la possibilité , et non de la seule


existence d'une chose. 45o
299 Des expressions susceptibles d'un sens étendu et . d'un


sens plus resserré.
3oo Des chosesfavorables , et des choses odieuses. 45t
3o1 Ce qui tend à l'utilité commune et à l'égalité, est favo-


rable ; le contraire est odieux.
302 Ce qui est utile à la société humaine est favorable ; le con-


traire est odieux.
3o3 Ce qui contient une peine est odieux.
3c4 Ce qui rend un acte nul est odieux.
3o5 Ce qui va à changer l'état présent des choses est odieux;


le contraire est favorable.
3o6 Des choses mixtes.
307 ln e.rprétation- des choses favorables.


3 1 3 Seconde règle.
3/4 Troisième règle.
315 Quatrième règle.
3 e6 Cinquième règle.
317 Sixième règle.
318 Septième règle.
319 Huitième règle.
32o Neuvième règle.
321 Dixième règle.
522 Remarque générale sur


règles précédentes.


CHAPITRE XVIII.


De la manière de terminer les diffirends entre les nations,
5 323 Direction générale sur cette matière.


324 Toute nation est obligée de donner satisfaction sur les
justes griefs d'une autre.


325 Comment les nations peuvent abandonner leurs droits et
leurs justes griefs.


326 Des moyens que la loi naturelle leur recommande pour
finir leurs différends. De l'accommodement amiable.


327 De la transaction.
328 De la médiation.
329 De l'arbitrage.
33o Des conf:: rences et congrès.
331 Distinction des cas évidents et des cas douteux.
332 Des droits essentiels et des droits moins importants.
333 Comment on a le droit de recourir à la force dans une


cause douteuse.
334 Et même sans tenter d'autres voies.
335 Du droit des gens volontaire en cette matière.
33G On doit toujours offrir des conditions équitables.
337 Droit du possesseur en .


matière douteuse.
338 Comment on doit poursuivre la réparation d'une injure.
34o Du talion.


manières de punir sans en venir aux armes.
341 De la rétorsion de droit.
33423 Des représailles


requis4 De ce est l i pour qu'elles soient légitimes.
344 Sur quels biens elles s'exercent.
345 L'état doit dédommager ceux qui souffrent par des repré-


34G I.sea sitoleus;erain seul peut ordonner les représailles.
34 7


Comment elles peuvent avoir lieu contre une nation, pour
le fait de ses sujets, et eu faveur des sujets lésés.


438
439


44o


442


444


415
446


447


id.
449


452


4.
454
455
id.


456
/i5S


467


468
id.


469
id.


la manière d'observer toutes les 47o
id,


471


id,


473
id.
id.


174
476
477
478


479


480
48e
48.4
id.


483
485


486
id.


487


id.
488


id,
54.





852 TABLE
§ 348 Mais non en faveur des étrangers. 48g


34g Ceux qui ont donné lieu aux représailles doivent dédom-.
mager ceux qui en souffrent. 490


35o De ce qui peut passer pour un refus de faire justice. 491
351 Sujets arrêtés par représailles. id.
352 Droit coutre ceux qui s'opposent aux représailles. 492
353 De justes représailles ne donnent point un juste sujet de


guerre. 493
354 Comment on doit se borner aux représailles, ou en venir


enfin à la guerre. icl.


LIVRE III.


De la Guerre.


CHAPITRE ier.


De la guerre et de ses différentes espèces, et du droit de faire la
guerre.


§ s Définition de la guerre.
a De la guerre publique.
3 Du droit de faire la guerre.
4 Il n'appartient qu'à la puissance souveraine.
5 De la guerre défensive et de la guerre oû.ànsive.


CHAPITRE II.


De ce qui sert bfaire la guerre, de la levée des troupes, etc:, de leurs
commandants, ou des puissances subalternes dans la guerre.


§ 6 Des instruments de la guerre. 500
7 Du droit de lever des troupes. 5o1
S Obligation des citoyens ou sujets. 502
g Enrôlemeuts , levée des troupes. id.


zo S'il y a des exemptions de porter les armes. 5o3
je Solde et logement des gens de guerre. 505
12 Des hôpitaux et hôtels d'invalides. 506
13 Des soldats mercenaires. id.
14 Ce qu'il faut observer dans leurs engagements. 509
15 Des enrôlements en pays étrangers. id.
16 Obliga ion des soldats. 510
I'l Des lois militaires. id.
là De la discipline militaire. ici.
cg Des puissances subalternes dans la guerre. 51r
20 Comment leurs promesses obligent le souverain. 512
ni Eu quels cas leurs promesses ne lient qu'elles seules. 513
22 De celle qui s'attribue un pouvoir qu'elle n'a pas. id.
23 Comment elles obligent leurs inférieurs. ici.


DES MATIÈRES.
CHAPITRE III.


Des justes causes de la guerre.
24 Que la guerre ne doit point être entreprise sans de très-
25 Des raisons justificatives et des motifs de faire la guerre.


id.
26 Quelle est en général la juste cause de la guerre.


5r5


25 Du but de la guerre.
id.


a 7
Quelle guerre est injuste.


516


fortes raisons.
514


29 Les raisons justificatives et les motifs honnêtes doivent con-
courir pour faire entreprendre la guerre.


517
3o Des motifs honnêtes et dc3 motifs vicieux.


id.
3r Guerre dont le sujet est légitime et les motifs vicieux.


518
32 Des prétextes.
519


33 Guerre entreprise pour la seule utilité.
52o


34 Des peuples qui font la guerre sans raisons et sans motifs
apparents.
ici.


35 Comment la guerre efensive est juste ou injuste. 5a1
Comment elle peut devenir juste coutre une offensive qui36


était juste dans son principe.
id.


37 Comment la guerre défensive est juste, dans une cause évi-
dente. 522


38 Et dans une cause douteuse.
523


39 La guerre ne peut être juste des deux côtés.
id.


4o Quand réputée cependant pour légitime.
icl.


41 Guerre entreprise pour punir une nation.
52442 Si l'accroissement d'une puissance voisine peut. autoriser à


lui faire la guerre.
525


43 Seul et par lui-même , il ne peut en donner le droit.
526


44 Comment les apparences du danger donnent ce droit. 527
45 Autre cas plus évident.


530
46 Autres moyens toujours permis pour se mettre en garde


contre une grande puissance.
53r


4 7
De l'équilibre politique. 532


4 3 Moyens de le maintenir. id.
4g Comment on peut contenir, ou même affaiblir celui qui


rompt l'équilibre.
533


5o Conduite que l'on peut tenir avec un voisin qui fait des
préparatifs de guerre.


535
CHAPITRE IV.


De la déclaration de guerre, et de la guerre en fornze.
51 Déclaration de guerre, et sa nécessité.


539
52 Ce qu'elle doit contenir. 538
53 Elle est simple, ou conditionnelle.


icl.
54 Le droit du faire la guerre tom be par l'offre de conditions


équitables. 539
55 Formalités de la déclaration de guerre.


id.
56 Autres raisons qui en rendent la publication nécessaire,


id.
5 7


La guerre défensive n'a pas besoin de déclaration.
50


s


497
id.
id.


4y8
499


853




854 TABLE
5 58 En quel cas on peut l'omettre dans une guerre offensive.


5g On ne peut point l'omettre. par représailles.
Ge. Du temps de la déclaration.
6e Devoir des habitants dans le cas où une armée étrangère


entre dans le pays avant de déclarer la guerre.
62


. Commencement. des hostilités.
63 Conduite que l'on doit tenir envers les sujets de l'ennemi qui


se trouvent dans le pays lors de la déclaration de guerre.
84 Publication de la guerre, manifestes.
65 Décence et modération que l'on doit garder dans les mani-


festes.
(36 Ce que c'est que la guerre légitime et dans les formes.
67


D faut la distinguer de la guerre iuforme et illégitime.
68 Fondement de cette distinction.


CHAPITRE V.


De l'ennemi, et des choses appartenant al' ennemi.
5 69 Ce que c'est que l'ennemi.


70 Tous les sujets de deux états qui se fout la guerre, sont en.
!ternis.


Et demeurent tels en tous lieux.
72 Si les femmes et les enfants sont au nombre des ennemis.
7 3 Des choses appartenant à l'ennemi.
7 4 Elles demeurent telles par-tout.
75 Des choses neutres qui se trouvent chez l'ennemi.
7 6 Des fonds possédés par des étrangers en pays ennemi.
77 Des choses dues par un tiers à l'ennemi.


CHAPITRE VI.


Des associés de l'ennemi, des sociétés de guerre, des auxiliaires ;
des subsides.


78 Des traités relatifs à la guerre.
55 t


79 Des alliances défensives et des alliances offensives.
id.


So DiUrence des sociétés de guerre et des traités de secours. 552
8 1 Des troupes auxiliaires. id.
82 Des subsides. id.
83 Comment il est permis à une nation de donner du secours à


une autre. 553
84 Et de faire des alliances pour la guerre. id.
85 Des alliances qui se font avec une nation actuellement en


guerre. 551
86 Clause tacite en toute alliance de guerre. id.
8 7


Refuser du secours pour une guerre injuste, ce
rompre l'alliance.


n'est pas 555


88 Ce que c'est que le casusfcederis. id.
11 n'existe jamais pour une guerre injuste. ici.


90 Comment il existe pour une guerre défensive. 556
91 Et dans un traité de garantie.


DES MATIÈRES. 855
j 92 On ne doit pas le secours quand on est hors d'état de le


fournir, ou quand le salut public serait exposé. 556
g3 De quelques autres cas , et de celui où deux confédérés de


la même alliance se font la guerre. 557
94 De celui qui refuse les secours dus en vertu d'une alliance. 558
95 Des associés de l'ennemi. id.
96 Ceux qui fout cause commune sont associés de l'ennemi. 55g
97 Et ceux qui l'assistent sans y être obligés par des traités. id.
98 Ou qui ont avec lui une alliance offensive. 56o
99 Comment l'alliance défensive associe à l'ennemi. 56e


Io° Autre cas. id.
sol Eu quel cas elle ne produit point le même effet. 562
/U2 S'il est besoin de déclarer la guerre aux associés de Pen-


, nervi. 5G3
CHAPITRE VII.


De la neutralité, et du passage des troupes en pays neutre.


§ xo3 Des peuples neutres. 565104 Conduite que doit tenir un peuple neutre. id.
zo5 Li n allié peut fournir le secours qu'il doit, et rester


neutre. 566
Du droit de demeurer neutre.
Des traités de neutralité.
Nouvelle raison de faire ces traités.
Fondement des règles sur la neutralité.
Comment ou peut permettre des levées , prêter de l'ar-
gent, ou vendre toutes sortes de choses , sans rompre
la neutralité. 56g


Du commerce des nations neutres avec celles qui sont en
guerre. 571


112 Des marchandises de contrebande. 572
113 Si l'on peut confisquer ces marchandises.
114 De la visite des vaisseaux neutres.


5 Effets de l'ennemi sur un vaisseau neutre.
116 Effets neutres sur un vaisseau ennemi.
11 7 Commerce avec une place assiégée. id.
sr8 Offices impartiaux des peuples neutres. 578
119 Du passage des troupes en pays neutre.
12o Ou doit demander le passage. id.
121 11 peut être refusé pour de'bounes raisons. id.
122 En quel cas ou peut le forcer. 580
123 La crainte du danger peut autoriser à le refuser. 581
124 Ou à exiger toute sùreté raisonnable. 582
12 5 Si Pou est toujours obligé de se prêter à toutes sortes de


sàretés. id.
126 De l'égalité qu'il faut garder, quant au passage, entre les


deux parties. 583
127 On ne peut se plaindre de l'état neutre qui accorde le pas-


sage. ici.
128 Cet état peut le refuser par la crainte des maux qu'il lui


attirerait de la part du parti contraire. 584


54o
id.


54e


id.
54n


id.
543


544
id.


545
54G


547


id.
548
ici.
id.
id.


549
ici.


xo6
107
joS
109
110


III


id.
567
568
id.


574
57G
577


579




'856


TABLE


§ 129 Et pour éviter de rendre son-pais le theitre de la guerre. 584/3o De ce qui est compris dans la concession du passage. 585
532 On ne peut exercer aucune hostilité en pays neutre. id.
133 Ce pays ne doit pas donner retraite à des troupes, pour


131 Conduite que doivent tenir ceux qui passent dans un


535 On peut refuser le passage pour une guerre manifeste-


3t Sûreté du passage. id.


attaquer de nouveau leurs ennemis. 586


ment injuste. id.
pays neutre. 587


CHAPITRE VIII.


Du droit des nations dans la guerre , et 1° de ce qu'on est en droit
de faire et de ce qui est permis dans une guerre juste, contre la
personne de l'ennemi.


§ 136 Principe général des droits contre l'ennemi, dans une
guerre juste. 588


137 Différence de ce qu'on est en droit de faire , et de ce qui
est seulement permis ou impuni entre ennemis. 589


in Du droit d affaiblir l'ennemi par tous moyens licites en
eux-mêmes. 590


139 Du droit sur la personne de l'ennemi.
14u Bornes de ce droit. On ne peut tuer un ennemi qui cesse


de résister. 591
541 D'un cas particulier, où l'on peut lui refuser la vie. id.
i12 Des représailles. 592
I 43 Si l'ennemi peut punir de mort un commandant de place,


à cause de sa défense opiniâtre. 593
x44 Des transfuges et déserteurs.




597
m45 Des femmes, enfants, vieillards et infirmes.. 598
146 Des ministres de la religion , des gens de lettres , etc. 599
147 Des laboureurs et en général de tout le peuple désarmé. id.


600148 Du droit de faire des prisonniers de guerre.
tiox19 On ne peut faire mourir un pris,•nnier de guerre.
6o215o Comment on doit traiter les prisonniers de guerre.


s51 S'il est permis de tuer des prisonniers que l'on ne peut 6o3
garder ou nourrir.


152 Si l'on peut rendre esclaves les prisonniers de guerre. 606
607153 De l'échange et du rachat des prisonniers.
6o8154 L'état est obligé de les délivrer.


155 S'il est permis de faire assassiner ou empoisonner un
ennemi.


id.
156 Si l'on peut se servir d'armes empoisonnées. 614
15 7 Et empoisonner les fontaines. id.
15ti Dispositions qu'il faut conserver envers l'ennemi. 615
159 Des ménagements pour la personne d'un roi ennemie 617


DES MATIÈRES. 857
CHAPITRE IX.


Du droit de la guerre à l'égard des choses qui appartiennent à
l'ennemi. •


§ 56o Principes du droit sur les choses qui appartiennent à
l'ennemi.
618


561 Du droit. de s'en emparer.
619


162 De ce qu'ou Ôte à l'ennemi par forme de peine.


id.
163 De ce qu'on lui retient pour l'obliger à donner une juste


satisfaction. 620
164 Du butin. id.
165 Des contributions.


62t
166 Du dégât. 622
1 67 Des ravages et des incendies.


623
168 Quelles choses on doit épargner.


624
169


Du bombardement des villes.
625


-1 7 o Démoli:Ion des forteresses.
626


5 7 5 Des sauvegardes.
id.


1 7 2 Regle générale de modération sur le mal que l'on peut
faire à l'ennemi.
id.


5 7 3 Règle du droit des gens volontaire sur le même sujet.
627


CHAPITRE X.


De la foi entre ennemis, des stratagèmes, des ruses de guerre ; des
espions, et de quelques autres pratiques.


§ 174 Que la foi doit être sacrée entre ennemis.
1 7 5 Quels sont les traités qu'il faut observe,' entre ennemis.
5 7 6 En quelles occasions on peut les rompre.
1 77 Du mensonge. 630


63t


629


id.
5 7 8 Des stratagèmes et ruses de guerre. 633
1 79 Des espions. 636
580 Des pratiques pour séduire les gens de l'ennemi. 637
'SI Si l'on peut. accepter les offres d'un traître. 639
s8.2 Des intelligences doubles. 64o


CHAPITRE XI.
Du souverain qui fait une guerre injuste.


5 183 Une guerre injuste ne donne aucun droit.
641


184 Combien est coupable le souverain qui l'entreprend.
id.


185 A quoi il est tenu.
642


586 Difficulté de réparer les maux qu'il a faits.
643


587 Si la nation et les gens de guerre sont tenus à quelque
chose. id.


CHAPITRE XII.
Du droit des gens volontaire par rapport aux effits de la guerre


informe, indépendamment de la justice de la cause.
§ 188 Que les nations ne. peuvent presser entre elles la rigueur


du droit naturel. 645




853


TABLE DES :MATIÈRES. 859
189 Pourquoi elles doivent admettre les règles du droit des


gens volontaire. 646
190 La guerre en forme doit être regardée, quant aux effets,


comme juste de part et d'autre. 647
191 Tout ce qui est permis à l'un , est permis à l'autre. 648
1 9a Le droit volontaire ne donne que l'impunité à celui dont


les armes sont injustes. 649
CHAPITRE XIII.


De l' acquisition par guerre , et principalement de la conquête.


S 193 Comment la guerre est un moyen d'acquérir. 65r/94 Mesure du droit qu'elle donne. id.
195 Dispositions du droit des gens volontaire,. 659,
196 Acquisition des choses 'nobiliaires. id.
197 De l'acquisition des immeubles, on de la conquête. - 655
193 Comment on peut en disposer validement. id.
199 Des conditions auxquelles on acquiert une ville conquise. id.
Zoo Des terres des particuliers. 657
nos De la conquête de l'état entier. id.
non A qui appartient la conquête. 663
no3 Si l'on doit remettre eu liberté un peuple que l'ennemi


avait injustement conquis. id.
CHAPITRE LIV.


Du droit de postlinzinie.


5 204 Définition du droit de postliminie. 664
205 Fondement de ce droit. id.
no6 Comment il a lieu. 665
20 7 S'il a lieu chez les alliés. id.
208 11 n'a pas lieu chez les peuples neutres. 666
209 Quelles choses sc recouvrent par ce droit. 667
210 De ceux qui-ne peuvent retournerpar droit de postliminie. id.
211 Ils jouissent de ce droit quand ils sont repris. 668
212 Si ce droit s'étend à leurs biens aliénés par l'ennemi. id.
213 Si une nation qui a été entièrement conquise peut jouir


du droit de postlituinie. 669
214 Du droit de postliminie pour ce qui est rendu à la paix. 670
215 Et à l'égard de ce qui est cédé à l'ennemi. 672
2i6 Le droit de postliminie n'a plus lieu après la paix. éd.
2s 7 Pourquoi il a toujours lieu pour les prisonniers. id.
218 Ils sont libres même , s'ils se sauvent dans un pays


neutre. id.
219 Comment les droits et les obligations des prisonniers


subsistent. 673
220 Du testament d'un prisonnier de guerre.
221 Du mariage. id.
222 De ce qui est établi, par rapport au droit de postlizninie,


par les traités, ou par la coutume. id.


CHAPITRE XV.


Du droit des particuliers clans la guerre.


5 223 Les sujets ne peuvent commettre des hostilités sans ordre
224


du souverain,
674Cet ordre peut être général ou particulier.


67b
225 Source de la nécessité d'un pareil ordre.


z
227 A quoi se réduit l'ordre général de courir sus.


61.(e16/..226 Pourquoi le droit des gens a dit adopter cette règle.


228 De ce que les particuliers peuvent entreprendre sur la
présomption de la volonté du souverain.


229 Des armateurs.
677


23o Des volontaires.
678


23t De ce que peuvent faire les soldats et les subalternes.
id..


232 Si l'état doit dédommager les sujets des pertes qu'ils ont
souffertes par la guerre.


68o


CHAPITRE XVI.


De diverses conventions qui se font dans le cours de lce guerre.
5 233 De la trêve et de la suspension d'armes.


234 Elle ne finit point la guerre.
235 La trêve est particulière ou universelle.
a36 Trève générale et à longues années.
237 Par qui ces accords peuvent étrè conclus.
238 Ils engagent la foi du souverain.
239 Quand la trêve commence à obliger.
240 Violation de la trêve.
24e Des actions des sujets contre la trêve.
242 Publication de la trêve.


id.243 Du cas ois l'on est convenu d'une peine pour l'infracteur. id.
n44 Du temps de la trêve.


688
245 Des effets de la trêve, de ce qui est permis , ou non , pen-


dant sa durée. Première règle : chacun peut faire chez
soi ce qu'il a droit de faire en pleine paix.


690
246 Deuxième règle : on ne peut profiter de la trêve pour faire


ce que les hostilités ne laissaient pas lé pouvoir d'exé-
cuter. ici.2 Par exemple, continuer les travaux d'un siège, ou réparer


248
les brèches.
691On faire entrer du secours.
69224 9


Distinction d'Un cas particulier.
id.


250 D'une armée qui se retire pendant une suspension
d'armes.
id.


251 Troisième règle : ne rien entreprendre dans les lieux dis-putés , mais y laisser toutes choses en état.
695',


252 Des lieux abandonnés par l'ennemi, et de ceux qu'il né-
glige de garder.


253 Ou ne peut recevoir, pendant la trêve , lys sjets qui veu-
lent se révolter Coutre leur prince.


694


682
683
id.
id.


684
685
686
687
id.




Bien moins les inviter à la trahison.
255 On ne peut saisir, pen,iant la trêve, les personnes ou les


biens des ennemis.
2 56 Du droit de postlinzinie pendant la trêve.
257 On peut aller et venir pendant la trêve.
258 De ceux qui sont retenus par un obstacle invincible, après


l'expiration de la trêve.
259 Des conditions particulières ajoutées aux trêves.
2Go A l'expiration de la trève, la guerre recommence, sans


nouvelle déclaration.
261 Des capitulations et par qui elles peuvent être conclues.
262 Des clauses qu'elles peuvent contenir.
263 Observation des capitulations et son utilité.
264 Des promesses faites à l'ennemi par des particuliers.


CHAPITRE XVII.


Des sauf- conduits et passe ports; questions sur la rançon des
prisonniers de guerre.


§ 2 54 6g4
ici.
icl.


695


ici.


id.
696
697
698
699


717
719


720
722
722
id.


723
724
ici.


p


211


860 TABLE


§ n65 Ce que c'est qu'un sauf-conduit et un passe-port.
701


266 De quelle autorité il émane.
id.


267
Il ne peut se transporter d'une personne à l'autre.


702
268 Etendue de la sûreté promise. id.
269 Comment il faut juger du droit que donne un sauf-conduit. ici.
2 7 o S'il comprend le bagage et les domestiques.


703
2 7 1 Le sauf-conduit accorde au père , ne comprend pas sa


famille.
ici.


2 7 2 D'un sauf-conduit donné en général pour quelqu'un et sa
suite. ici.


2 7 3 Du terme du sauf-conduit.
704


2 7 4 D'une personne retenue au-delà du terme, par une force
majeure. id.


2 7 5 Le sauf-conduit n'expire pas à la mort de celui qui l'a
donné. icl.


2 7 6 Comment il peut être révoqué.


. 705
2 77 D'un sauf-conduit avec la clause, pour autant de temps


qu'il nous plaira. id.
27 8 Des conventions qui concernent le rachat des prisonniers. ici.
279 Le droit d'exiger une rançon peut se transférer.


. 7o6
28o De ce qui peut annuler la convention faite pour le prix


de la rançon.
281 D'un prisonnier mort avant d'avoir payé sa rançon. 707
282 D'un pris.onnier relâché à condition d'eu taire délivrer un


autre. 708
283 De celui qui est pris une seconde fois avant qu'il ait payé


id.sa première rançon.
284 De celui qui est délivré avant qu'il ait reçu la liberté. id.
285 Si les choses que le prisonnier a pu conserver lei appar-


tiennent. 709
286 De celui qui, est donné en otage pour l'élargissement d'un


prisonnier,
id.


DES MATIi:RES. 861
CHAPITRE XVIII.
De la guerre civile.


§ 28 7 Fondement des droits du souverain contre les rebelles.
288 Qui sont les rebelles.
289 Emotion populaire , soulèvement , sédition.
290 Comment le souverain doit les réprimer.
29z D doit tenir ce qu'il a promis aux rebelles.
292 De la guerre civile.
293 La guerre civile fait naître deux partis indépendants.
294 Ils doivent observer les loix communes de la guerre. ici.
295 Distinction des effets de la guerre civile , suivant les cas.
296 Conduite que doivent tenir les nations étrangères.


LIVRE IV.
Du rétablissement de la paix et des ambassades.


CHAPITRE ler.
De la paix , et de l'obligation de la cultiver.


§ s Ce que c'est que la paix.
2 Oblig.dion de la cultiver.
3 Obligation du souverain h ce même égard.
4 Etendue de ce devoir.
5 Des perturbateurs de la paix.
6 Jusqu'où ou peut continuer la guerre.
7 Paix , Su de la guerre.
8 Effets généraux de la paix.


CHARITRE II.
Des traités de paix.


9 Ce que c'est que le traité de paix.


22 Comment le souverain peut disposer dans le


zo Par qui il peut être conclu.
/ Des a:iénations faites par le traité de paix.


qui intéresse les particuliers.
z3 Si un roi prisonnier de guerre peut faire la paix.
z4 Si l'on peut faire la paix avec un usurpateur.
15 Alliés compris dans le traité de paix
/G Les associés doivent traiter chacun pour soi.
5 7 De la médiation.
x8 Sur quel pied la paix peut se conclure.
z9 Effet général du traité de paix.
20 De t'amnistie.
21 Des choses dont le traité ne dit rien.
22 Des choses qui ne sont pas comprises dans la transaction,


ou dans l'amnistie.
a3 Les traités anciens, rappelés et confirmés dans le nouveau,


en font partie
CHAPITRE III.


De l'exécution du traité de paix.
24 Quand le traité commence à obliger.


770


712


7,13
7 t4
715


725
ici.


727
traité de ce


729
id.


731
732
ici.


733
id.


734
735
ici.


736


737




862 TALLE
25 Publication de la paix. 73$


.l2.6 Du temps de l'exécution. 739 'i '
27 Une excuse légitime doit être admise. id.
28 La promesse tombe quand l'acceptant en a lui-indue


empêché l'exécution. 740
2 9 Cessation des contributions. id.
30 Des fruits de la chose restituée ou cédée. ici.
3 I En quel état les choses doivent être rendues. 7{ t
32 De l'interpréta lion du traité de paix ; qu'elle se fait


contre celui qui a donné la loi. 7t0
33 Du nom des pays cédés. 743
34 La restitution ne s'entend pas de ceux qui se sont don-


nés volontairement. ici.


CHAPITRE W.
De l'observation et de la rupture du traité de paix.


35 Le traité de. paix oblige la nation et les successeurs.
36 11 doit être fidèlement observé.
3 7 L'exception prise de la crainte. , ou de la force , ne peut


en dégager. 745
38 En combien de manières un traité de paix peut se rompre. 716
39 r . Par mie conduite contraire à la nature de tout traité


de paix. ,.147
4o Prendre les armes pour un sujet nouveau, ce n'est pas


rompre le traité de paix. id.
41 S'allier dans la suite avec un ennemi, ce n'est pas non


plus rompre le traité. 748
tla Pourquoi il faut distinguer entre une guerre nouvelle et


la rupture du traité. 749
43 La juste défense de soi-même ne rompt point le traité


de paix. 750
44 Des sujets de rupture qui ont pour objet des alliés. 75i
45 a° Le traité se rompt par ce qui est opposé à sa nature


particulière. id.
46 3 ., Par la violation de quelque article. 752
4 7 La violation d'un seul article rompt le traité entier. id.
48 Si l'on peut distinguer à cet égard entre les articles plus


ou moins importants. 753
49 De la peine attachée à la violation d'un article. ici.5o Des délais affectés. 754
5t Des empêchements insurmontables. id.
52 Des atteintes données au traitécle paix par les sujets. 755
53 Ou par des alliés. id.
54 Droits de la partie lésée contre celle qui a violé le traité. 756


CHAPITRE V.


Du droit d'ambassade, nu du droit d'envoyer et • de recevoir des
ministres publics.


55 ll est nécessaire que les nations puissent traiter et com-
muniquer ensemble. 757


744
td.


767id.
768
ici.


769
id.


770
771
id.
id.


773


s


s


DE MATIÈRES. 863
56 Elles le font par le moyen des ministres publies. 75757 Tout état souverain est en droit d'envoyer et de recevoir


des ministres publics.
758


58 L'alliance inégale , ni le traité de protection, n'ôte pas
ce droit.


59
Du droit des princes et états de l'Empire à cet égard.


759
Go Des villes qui ont le droit de bannière. id.
61 Ministres des vice-rois.


76 r
62 Ministres de lanation, ondesr er gdeannts edxaenrscl'interrègne, id.
63 De celui qui trouble un au


d'ambassade.
id.


64 De ce qui est permis à cet égard en temps de id.
65 On doit recevoir le ministre d'une puissance amie.


762
66 Des ministres résidents. id.
6 7 Comment on doit admettre les ministres d'un ennemi.


6i68 Si l'on peut recevoir les ministres d'uu usurpateur et lui
en envoyer. ici.


CHAPITRE VI.
Des divers ordres de ministres publics, de caractère ceprésentatif,


et des honneurs qui sont dus aux ministres.


G9 Origine des divers ordres de ministres publics.
7 o Du caractère représentatif.


t De l'ambassadeur.
7 2 Des envoyés.
73 Des résidents.
7 4 Des ministres.-
75 Des consuls, agents , députés, commissaires , etc.
7G Des lettres de créance.
77 Des instructions.
5 8 Du droit d'envoyer des ambassadeurs.
79 Des honneurs qui sont dus aux ambassadeurs.


CHAPITRE VII.


Des droits , privile'ses et immunits des ambassadeurs et autres in:-
nistres publics.


8o Respect dû aux ministres publics.
77581 Leur personne est sacrée et inviolable. 77682 Protection particulière qui leur est due.
71,


,,83 Du temps oit elle commence. 77e84 De ce qui leur est dû dans les pays ois ils passent.
id.


85 Ambassadeurs passant en pays ennemi.
780


8G Ambassades entre ennemis.
78E


87
Des hérauts , trompettes et tambours.


ici.
88 Les ministres , les trompettes, etc., doivent être respectés


même dans une guerre civile.
89


Ou peut quelquefois refuser de les admettre.
90 Il faut éviter à leur égard tout ce qui sent l'insulte.


'id.9 / Par qui et à qui ils peuvent être envoyés.
92 Indépendance des ministres étrangers.


7
.-83


784
785




864 TALLE DES MATIÈRES.
§ 93 Conduite que doit tenir le ministre étranger.


788
94 Comment on peut le réprimer, 10 à l'égard des délits cons-


muns• 791
95 Pour les fautes commises contre le prince. 79296 Droit de chasser un ambassadeur coupable ou justement


suspect. id.
9 7 Droit de le réprimer par la force, s'il agit en ennemi.


793
98 De l'ambassadeur qui forme des conjurations et des com-


plots dangereux. 794q9 De ce qui est permis contre lui, selon l'exigence du cas.
796


sou D'un ambassadeur qui attente à la vie du prince.
798


sol Deux ésemples remarquables sur la question des immunités
des ministres pull ics. 799


xo2 Si l'on peut user de représailles envers un ambassadeur.
80


zo3 Consentement des nations sur les priviléges des ambassa-
deurs. 8o2.


x 04 Du libre exercice de la religion.
zo5 Si l'ambassadeur est exempt de tous impôts.


$o5
xo6 De l'obligation fondée sur l'usage et la coutume.


8o6
10 7 Du ministre dont le caractère n'est pas public.


8o7
lob' D'un souverain qui se trouve en pays étranger.


8o8
109 Des députés des états. ,810


CHAPITRE VIII.
Du juge de l'ambassadeur, en matière civile.


§ xso L'ambassadeur est exempt de la juridiction civile du pays
où il réside. 812


III Comment il peut s'y soumettre volontairement.
814


s i s D'un ministre sujet de l'état auprès duquel il est employé. id.
x1.3 Comment Pexemptiou du ministre s'étend à ses biens. 817
114 L'exemption ne peut s'étendre aux ell'ets appartenant à


quelque trafic que fera le ministre.
818


115 Non plus qu'aux immeubles qu'il possède dans le pays. 819
/16 Comment ou peut obtenir justice contre un ambassadeur. 82o


CHAPITRE IX.
De la maison de l'ambassadeur, de son IL6tel et des gens de sa suite.


5 117 De l'hôtel de l'ambassadeur. 821/18 Du droit d'asile. 822
519 Franchise des carrosses de l'ambassadeur. 825
120 De la suite de l'ambassadeur.
121 De l'épouse et de la famille de l'ambassadeur, id.
122 Du secrétaire de l'ambassade. id,
123 Des courriers et des dépêches de l'ambassadeur. 827
124 Autorité de l'ambassadeur sur les gens de sa suite.




ici.
/25 Quand finissent les droits de l'ambassadeur. 83o
x26 Des cas où il faut de nouvelles lettres de créance,
2.2_7 Conclusion.
8e


FIN DE LA TABLE,