HISTÜIRE DE LA RÉVOLUTION FRANQAISE. TOME IX. .' .. ,-;' ... "'.....
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HISTÜIRE
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LA RÉVOLUTION
FRANQAISE.


TOME IX.




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HISTüIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE.,


CI-IAPITRE I.


,


Situation du gouvernement dan s I'hiver de l'an V (1797)
- Caracteres et divisions des cinq directeurs, Barras,
Carnot , Rewhel , Letourneuret Larévelliere.Lépeaux.
.:-. État de l'opinion publique. Club de Clichy. - In-
trigues de la faction royaliste. Complot découvert de
Brottier , Laville-Heurnoiset Duverne de Presle, _
Élecliolls de l'an V. - Coup d'ceil sur la situation des
puissances étrangéres a l'ouverture de la campagne de
1197·


LES dernieresvictoiras de Rivoli et de la Favo-
rite , la prise de Mantoue, avaient rendu a la
France toute sa supériorité. Le dircctoire, tou-


IJC. 1




2 n.ÉVOLUTION FnAN~A.ISF..
jours aussi vivement injurié, inspirait la plus
grande crainte aux puissances. La moitié de
I'Europe , écrivait Mallet-Dupan", est au» ge-
noux de ce dioan , el marchande l' honneur
de devenir son tributaire. Ces quinze mois d'un
régne ferme et brillant avaient cons~lidé les
cinq directeurs au pouvoir, mais y avaient dé-
veloppé aussi leurs passions et leurs caracteres.
Les hommes ne peuvent pas vivre long-temps
ensemble sans éprouver bientót du penchant
ou de la répugnance les uns pour les autres ,
et sans se grouper conformément aleurs incli-
nations. Carnot , Barras, Rewhel, Laréve!-
liére-Lépeaux, Letour~eur,formaientjdéja des
groupes différents. Carnot était systématique,
opiniátre et orgueilleux. Il manquait entiére-
ment de cette qualité qui donne al'esprit l'é-
tendue et la justesse, au {:aractere la facilité.
n était pénétrant, approfondissait bien le sujet
qu'il examinait; mais une fois engagé dans une
erreur il n'en revenait paso Il était probe, cou-
rageux, tres-appliqué au travail, mais ne par-
donnait jamais ou un tort, ou une blessure
faite a son amour-propre; il était spirituel et
original, ce qui est assez ordinaire chez les


.. Correspondance secrete avec le gouvernemcnt dt' Ve-
nise.




DIRECTomE (1797)' 3
hcmmes concentres en eux-mérnes. Autrefois
il s'était brouiHé avec les memhres du comité
de salut public, cae il était impossible que Son
orgueil sympathlsAt avec celui de Robéspierre
et de Saint-Just , et que songrand courage flé-
chit devant leur ,Pcspotisme. Aujourd'hui la
méme chose ne pouvait manquer de lui arriver
au dírectoire. Indépendamment des occasions
qu'il avait de se heurter avec ses collegues, 'eh
s'occupant en commun d'une tache aussi diffi~
eile que celle du gouverrrement, et qui provo-
que si naturellement la diversité des avis, il
nourrissait d'anciens ressentiments, particulie-
rement contre Barras. Tous ses penchants
d'homme sévere , probe et laborieux , I'éloi-
gnaient de ce collegue prodigue; débauéhé el
paresseux; mais il désestait' surtout en lui le
chef de ces therrnidoriens , arnis et vengeurs
de Danton, et persécuteurs de la viéille Mon-
tagne. Carnot, qui était l'un des principaux au-
teurs de la mort de Danton , et qui avait faiUi
plus tard devenir victime des persécntions díri-
gées centre les montagnards, ne pouvait pár-
donner aux thermidoriens: aussi nourrissait-Íl
contre Barras une haine profonde.


Barras avait serví autrefois dans les Indes; il
y avait montré le courage d'un soldat. Il était
propre, dans les troubles, a montar il cheval ,


lo




~ IlÉV01_UTIONFRAN~AlSl'.
et, comme on a VU, il avait gagné de cette
maniere sa place au directoire. Aussi, dan s
toutes les occasions difficíles, parlait-il de mon-
ter encore acheval et de sabrer les ennernis de
la république, Il était grand et beau de sa per-
sonne; rnais son regard avait quelque chose de
sombre et de sinistre, qui était pell d'accord
avec son caractere., plus emporté que méchant,
Quoiquenourri daos un rang élevé , il n'avait
rien de distingué-danslesmaniéres, Elles étaient
brusques, hardies et communes,Il avaitune jus-
tesse et une pénétratioo d'esprit qui, avec l'é-
tude et .le travaíl, auraient pu devenir des
facultés tres - distinguées; mais paresseux et
ignorant, il savait tout au plus ce qu'on ap-
prend dans une vie assez orageuse, et il Iais-
sait percer, dans les choses qu'il était appelé
a juger tous les jours, assez de sens pour faire
regretter une éducation plus soignée. Du reste,
dissolu et cyoique, violent et faux comme les
méridionaux qui savent cacher la duplicité
sous la brusquerie; républicain par sentiment
el par position , mais homme sans foi, recevant
chez lui les plus violents révolutionnaires des
faubourgs et tous les émigrés rentrés en
France , plaisant aux .uns par sa violence tri-
viale, convenant aux autres -par son esprit
d'intrigue , il était en réalité chaud patriote,


r




DIRECTOIRE (1797)' ·5
el en secret il donnait des espérances a tous
les partís. A lui seul il représentait le partí
Danton tout entier, au génie pres du chef, qui
n'avait pas passé dans ses successeurs.


Rewbell, ancienavocat aColmar, avait con-
tracté au barreau et dans nos différentes assern-
blées une grande expérience dans le rnaniement
des affaires. A la pénétration, au discerne-
ment les plus rares, il joignait une instruc-
tion étendue , une mérnoire fort vaste , une rare
opiniátreté au travail, Ces qualités en faisaient
un homme précieux él la tete de l'état. Il dis-
cutait parfaitement les affaires, quoiqu'un peu
argutieux, par un reste des habitudes du bar-
reau. Il joignait él une assez belle figure l'ha-
bitude du monde; mais il était rude et blessant
par la vivacité et l'ápreté de son langage. Malgré
les calomnies des centre -révolutionnaires et
des fripons, il était d'une sévere probité. Mal-
hel1rellSernent il n'était pas sans un peu d'ava-
rice; il aimait a employer sa fortune person-
nelle d'une maniere avantageuse, ce qui lui
faisait rechercher les gens d'affaires , et ce qui
fournissait de fácheux prétextes ala calomnie.
Il soignait beaucoup la partie des relations ex-
térieures, et il portait aux intéréts de la France
un tel attachement , qu'il eüt été volontiers in-
juste a l'égard des nations étrangeres, Répu-




6 luiVOLUTlON FllAN9A ISE.
blicain chaud , sincere el ferme, il appartenait
originairement a la partie modérée de la con-
vention, et il éprouvait un égal éloignement
pourCarnot et Barras, l'un comme montagnard,
I'autre comme dantonien. Ainsi Carnot, Barras,
Rewhell, issustous trois de partis contraires,
se détestaient tous trois; ainsi les haines con-
tractées pendant une longue el cruelle lutte,
ne s'étaient pas effacées sous le régime cousti-
tutionnel; ainsi les cceurs ne s'étaient pas
merés, comme des fleuves qui se réunissent
sans confondre leurs eaux. Cependant, tout en
se détestant , ces trois hornmes contenaient
leurs ressentirnents , et travaillaient avee accord
al'oeuvre.commune.


Restaient Larévelliere - Lépeaux et Letour-
neur, qui n'avaient de haine pour personne.
Letourneur, hon homme, vaniteux, mais d'une
vanité facile et peu importune, qui se conten-
tait des marques extérieures du pouvoir , et des
hommages des sentinelles , Letourneur avait
pour Carnot une respectueuse soumission. Il
était prompt a donner son avis, mais aussi
prompt a le retirer, des qu'on lui prouvait
qu'il avait tort, ou des que Carnot parlait. Sa voix
dans touteslesoccasions appartenait aCarnot.


Larévelliére, le plus nonnéte et le meilleur des
hommes, joignait aune grande variété de con-


ti 4. , .. ~ ss




DlRIlCTOIRE (1797)' '7
naissances un esprit juste et observateur. Il
était appliqué, et capable de donner de sages
avis sur tons les sujets; il en donna d'excel-
lents dans des occasions importantes. Mais il
était souvent entrainé par les iUusions, ou arrété
par les scrupules d'un coeur pUl'. Il aurait voulu
quelquefois ce qui érait impossible , et il n'osait
pas vouloir ce qui était nécessaire ; cal' il faut un
grand esprit pour calculer ce qu'on doit aux
circonstances, sans blesser les príncipes. Par-
lant bien, et d'une fermeté rare, il était d'une
grande utilité quand il s'agissait d'appuyer les
bons avis, et iI servait beaucoup le direetoire
par sa considération personnelle,


Son role, au milieu de collégues qui se dé-
testaient, était extrémement utile. Entre les
quatre directeurs, sa préférence se prononcait
en faveur du plus honnéte et du plus capable,
c'est-á-dire , de Rewbell. Cependant, il avait
évité un rapprochement intime, qui eút été de
son gout, mais qui I'eút éloigné de ses autres
collegues. I1 n'était pas sans quelque pen-
chant pour Barras, et se serait rapproché de
lui, s'il l'eüt trouvé moins corrompu et moins
faux. Il avait snr ce collegue un certain as-
cendant par sa considération , sa pénétration
el sa fermeté. Les roués se moquent volontiers
de la vertu, mais ils la redoutent quand elle




8 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
joint a la pénétratíon gui les devine, le cou-
rage qui sait ne pas les craindre. Larévelliere
se servait de son inf1uence sur Rewbell el
Barras, pour les maintenir en bonne harmonie·
entre eux, et avec Carnot. Gráce a ce concilia-
teur , et gFa:ce aussi a leur zele commun ponr
les intéréts de la république, ces direcleurs vi-
vaient convenablement ensemble, et poursui-
vaient leur tache, se partageant dans les ques-
tions qu'ils avaient á décider , beaucoup plus
d'apres leur apinion que d'apres leurs haines.


Excepté Barras, les directeurs vivaient dans
leurs familles, accupant chacun un apparte-
ment au Luxembourg. Ils déployaient peu de
luxe. Cependant Larévelliere , qui aimait assez
le monde, les artsetles sciences, etqui se croyait
obligé de dépenser ses appointements d'une ma-
niere utile al'état, recevait chez lui des savants
et des gens de lettres r mais il les traitait avec
simplicité et cordialité. II s'était exposé mal-
heureusement aquelque ridicule, sans y avoir
du reste contribué en aucune maniere. 11 pro-
fessaiten tout point la philosophie du dix-hui-
tiérne siecle , telle qu'elle était exprimée dans
la profession de foi du 'vicaire savoyard. Il 50U-
haitait la chute de la religion catholique , et se
flattaít qu'elle finirait bientót si les gouverne-
rneuts avaientla prudence de n'employercontre




DlRECTOlRE (1797)· 9
elle que l'indifférenee et l'oubli. Il ne voulait pas
des pratiqHes superstitieuses et des images ma-
térielles de la divinité; mais il eroyait qu'il íal-
lait aux hommes des réunions, ponr s'entrete-
nir en commun de la morale et de la grandeur
de la création. Ces sujets en effet ont besoin
d'étre traités daos des' assemblées; paree que
les hommes y sont plus prompts as'émonvoir,
et plus accessibles 311X sentiments élevés et gé-
néreux. II avait développé ces idées dans un
écrit, et avait dit qu'il faudrait un jour faire
succéder aux cérémonies du culte catholique
des réunions assez semblables acelles des pro-
testants, mais plus simples encore, et plus dé-
gagées de représentation. Cette idée , accueillie
par quelques esprits bienveillants , fut aussitót
mise aexécution UII frere du célebre physicien
Haüy forma une société qu'il intitula des Théo-
philanthropes, et dont les réunions avaient pour
but les exhortations morales, les leetures phi10-
sophiques et les chants pieux..Il s'en forma plus
d'une de ce genre. Elles s'étahlirent dans des
salles louées aux frais des associés, et sous la
surveillance de la police. Quoique Larével-
Iiére crút eeUe institution bonne, et capable
d'arracher aux églises catholiques heancoup
de ces ames tendres qui ont besoin d'épancher
en commun Ieurs sentiments religieux, il se




10 R EVOLtJTION J.'RANl)AISE.


garda de jamais y figurer ni lui ni sa famille ~
flour ne pas avoir l'air de jouer un role de chef
de secte, et ne pas rappeler le pontificar de Ro-
bespierre. Malgré la réserve de Larévelliere ~
la malveillance s'arrna de ce prétexte pour ver-
ser quelque ridicule sur un magistrat univer-
sellement honoré, et qui ne laissait aucune
prise ala calomnie, Du reste, si la théophilan-
thropie était le sujet de quelques plaisanteries
fort peu spirituelles chez Barras, ou dans les
journaux royalistes, elle attirait du reste assez
peu l'attention , et ne diminuait en rien le res-
pect dont Larévelliére-Lépeaux était entouré,


Celui des directeurs qui nuisait véritablement
ala considération du gouvernement, c'était Bar-
ras. Sa vie n'était pas simple et modeste comme
celle de ses collegues ; il étalait un luxe et une
prodigalité que sa participation aux profits des
gens d"affaires pouvait seule expliquer; Les fi-
nances étaient dirigées avec une prohité sévére
par la majorité direetoriale v et par l'excellent
ministre Ramel; mais on ne pouvait pas empé-
cher Barras de recevoir des fournisseurs 011 des
banquiers qu'il appuyait de son influence, des
parts de bénéfices assez considérables. JI avait
mille moyens encere de fournir a ses dépen-
ses: la France devenait l'arhitre de tant d'états
grands et petits , que heaucoup de princes de-




DIRF,CTOJRE (1797)' J I
vaient.rechercher sa faveur, et payer de sorn-
mes considérables la promesse d'une voix au
directoire, On yerra plus tard ce qui fut tenté
en ce genre. La représentation que déployait
Barras aurait pu .n' étre pas inutile, car des
chefs d'état doivent fréquenter beaucoup les
hommes pour les étudier , les connaitre el les
choisir; mais ils'entourait , outre les gens d'af-
{aires, d'intrigants de toute espéce , de femmes
dissolues et de fripons. Un cynisme honteux
régnait dans ses salons. Ces liaisons clandes-
tines qu'on prend a tache, dans une société
bien ordonnée , de couvrir d'un voile, étaient
publiquement avouées. On allait a Gros-Bois
se livrer a des orgies, qui fournissaient aux
ennemis de la république de puissants argu-
ments centre le gouvernement. Barras du reste
ne cachait en rien sa conduite, et, suivant la
coutume des débauchés , airnait a publier ses
désordres. I1 racontait lui-méme devant ses
collegues , qui lui en faisaient quelquefois de
graves reproches, ses hauts faits de Gros-Beis
et du Luxembourg; il racontait comment il
avait forcé un célebre fournisseur du temps
de se cbarger d'une maitresse qui commencait
a lni étre acharge, et aux dépenses de laquelle
il ne pouvait plus suffire; comrnent il s'était
vengé sur un journaliste , l'ahbé Poncelin , des




12 RÉVQLUTION FRA.N~AISE.
invectives dirigées contre sa personne; corn-
IDeDt, apres l'avoir attiré au Luxembourg , ji
l'avait fait fustiger par ses domestiques. Cette
conduite de prince mal élevé, dans une répu-
blique, nuisait singulierement au directoire 'T
et l'aurait déconsidéré entierement , si la re-
nommée des vertus de Carnotet de Larével-
Iiere n'eút contre-balancé le mauvais effet des
désordres de Barras.


Le directoire, institué le lendemain du 15
vendémiaire *, formé en haine de la contre-
révolution , composé de régicides et atraqué
avec fureur par les royalistes, devait étre
chandement républicain. Maís chacun de ses
membres participait plus ou moins aux opi-
nions qui divisaient la France. Larévelliére et
Rewbell avaient ce républicanisme modéré ,.
mais rígide, aussi opposé aux emportements de
93 qu'aux fureurs royalistes de 95. Les gagnera,
la contre-révolution était impossible. L'instinct
si sur des partis leur apprenait qu'il n'y avait
rien a obtenir d'eux , ni par des séductions,..
ni par des flatteries de journaux. Aussi n'a-
vaient-ils ponr ces deux directeurs que le
hlárne le plus amer. Quant a Barras et aCar-
not, il en était autrement. Barras, quoiqu'il vit;


.. An IV, 4 octobrc 1795.




DlRF.CTOIRE (r 797)' 13
tout le monde, étaiten réalité un révolution-
naire ardent, Les faubourgs l'avaient en grande
estime, et se souvenaient toujours qu'il avait
été le général devendémiaire, et les conspira-
teurs du camp de 'Grenelle avaient cru pou-
voir compter sur lui, Aussi les patriotes le
combJaient d'éloges, et les royalistes l'acca-
blaíent d'invectives. Quelques agents seerets du
royalisme,rapprochés de lui par un commun
esprit d'intrigue, pouvaient bien, eomptant
sur sa dépravation , concevoir quelques espé-
rances; mais e'était une opinion a eux parti-
culiere. La masse do partiI'abhorrait et le pour-
suivait avec fureur.


Carnot , ex-montagnard, aneien membre du
comité de salut public ,et exposé apres le 9
thermidoradevenir victime de la réaction roya-
liste, devait étre certainement un républieain
prononcé, et l'était effectivement. Au premier
moment de son entrée au directoire, il avait
fortement appuyé tous les choix faits dans le
parti montagnard ; mais peu a peu, a mesure
que les terreurs de vendémiaire s'étaient cal-
mées, ses dispositions avaient ehangé. Carnot,
rnéme au comité de saíut public, n'avait ja-
mais airné la tourbe des révolutionnaires tur-
hulents , et avait fortement contribué a dé-




14 RltVOLllTION FnAN~AJSE.
truire les hébertistes, En voyant Barras, qui
tenait a rester roi de la canaille, s"entourer
des restes du parti jacobin , il était devenu hos-
tile pour ce parti; il avait déployé beaucoup
d'énergie dans l'affaire du camp de Grenelle ,et
d'autant plus que Barras était un peu compro-
mis dans cette échauffourée. Ce n'est pas tont:
Carnot était agité par des souvenirs. Le repro-
che qu'on lui avait fait d'avoir signé les actes
les plus sanguinaires du comité de salut pa-
blic , le tourrnentait. Ce n'était pas assez a ses
yeux des explications fort naturelles qu'il avait
dounées ; il aurait voulu par tous les moyens
prouver qu'il n'était pa.snn monstre; et il était
capable de beaucoup de sacrifices pour donner
eette preuve. Les partis savent tout, devinent
tout; ils ne sont difficiles a l'égard des hommes
que lorsqu'ils sont victorieux; mais quand ils
sont vaincus, ils se recrutent de toutes les ma-
nieres, et mettent particuliérernent un grand
soin a flatter les chefs des armées. Les roya-
listes avaient bientót connu les dispositions de.
Carnot al'égard de Barras et du parti patriote,
lls devinaient son besoin de seréhabiliter; ils sen·
taient son importance militaire , et ils avaient
soin de le traiter autrernent que ses collégues ,
et de parler de lui de la maniere qu'ils savaient
la plus capable de le toucher. Aussi, tandis que


'.._y ;(




DIRECTOIRE (1797)' 15
la cohue de leurs journaux ne tarissait pas d'in-
j tires grossieres pour Barras, Larévelliere et
Rewbell, elle n'avait que des éloges pour l'ex-
montagnard et régicide Carnot. D'ailleurs , en
gagnant Carnot , ils avaient aussi Letourneur ,
et c'étaient deux voix acquises par une ruse
vulgaire, mais puissante , comme toutes celles
qui s'adressent a l'amour-propre. Carnot avait
la faiblesse de céder a ce genre de séduction ;
et, sans eesser d'étre fidele a ses eonvietions
intérieures, il formait, avee son ami Letour-
neur, dans le sein du direetoire, une espece
d'opposition analogue a celle que le nouveau
tiers formait dans les deux eonseils. Dans toutes
les questions soumises a la décision du direc-
toire , il se prononcait pour l'avis adopté par
l'opposition des conseils. Ainsi, dans toutes les
questions relatives a la paix et a la guerre, il
votait pour la paix , a l'exemple de l'opposition,
qui affeetaít de la demander saus cesse. Il avait
fortement insisté pour qu'on fit a l'empereur
les plus grands sacrifices, pour qu'on signat la
paix avec Naples et avec Rome, sans s'arréter
a des conditions trop rigoureuses.


De pareils dissentiments ont apeine éclaté,
qu'ils font des progres rapides. Le partí qui
veut en profiter loue a outrance ceux qu'il veut
gagner, et dé verse le bláme sur les autres.





nÚVOLUTlON FRAN~AISE.
Cette tactique avait eu son succes accoutumé.
Barras, Rewbell, déja ennemis de Carnot, lui
en vonlaient encore davantage depuis les élo-
ges dont il était l'objet , et lui imputaient le
déchainement auquel eux - mémes étaient en
butte. Larévelliere employait (le vains efforts
pour calmer de tels ressentiments ; la discorde
n'en faisait pas moins de funestes progres ; le
public, instruit de ce qui se passait, distin-
guait le directoire en majorité et minorité, et
rangeait Larévelliere , Rewbell et Barras d'une
part, Carnot et Letourneur de l'autre,


On classait aussi les ministres. Cornme on
s'attachait beaucoup á critiquer la direction des
finan ces , on poursuivait le ministre Ramel,
adrninistrateur excellen t , que la situation pé-
nible du trésor obligeait a des expédients blá-
mables en tout autre ternps , mais inévitables
dans les circonstances. Les impóts ne rentraient
que difficilement a cause du désordre effroya-
ble de la perception. Il avait fallu réduire
l'imposition fonciére ; et les contributions in-
directes rendaient beaucoup moins qu'on ne
l'avait présumé. Souvent on se trouvait sans
aucuns fonds a la trésorerie j et , dans ces cas
pressants, on prenait sur les fands de l'ordi-
naire ce qui était destiné a l'extraordinaire , OH
bien on anticipait sur les recettes, et on faisait




DlRECTOIRE (1797). 17
tous les marchés bizarres et onéreux auxquels
les situations de ce genre donnent lieu, On
criait alors aux abus et aux malversations , tan-
dis qu'il aurait fallu au contraire venir au se-
caurs du gouvernement. Ramel, qui remplissait
les devoirs de son ministere avec autant d'in-
tégrité que de Iumieres , était en butte a toutes
les attaques et traité en ennemi par tous les
jaurnaux. Il en était ainsi du ministre de la
marine Truguet, cannu comme franc répu-
blicain, eomme l'ami de Hoehe, et eomme
l'appui de tous les officiers patrio tes ; ainsi du
ministre des affaires étrangeres , Delacroix , ca-
pable d'étre un bon administrateur, mais du
reste mauvais diplomate, trop pédant et trop
rude dans ses rapports avee les ministres des
puissances; ainsi de Merlin, qui, dans son ad-
ministration de la justice, déployait toute la
ferveur d'un républicain montaguard. Quant
aux ministres de l'intéríeur, de la gnerre et de
la police, Benezech , Petiet et Cochon, on les ,
rangeait entierement a parto Benezech avait es-
suyé tant d'attaques de la part des jacobins,
ponr avoir proposé de revenir' au commerce
libre des subsistances et de ne plus nourrir
París, qu'il en était d.evenu agréable au partí
contre-révolutionnaire, Administrateur habile ,
mais élevé sous l'ancien régime qu'il regrettait ,


IX. ?




nÉVOLlJTlON IIHAN~:ArSE.
il méritait en partie la faveur de ceux qui le
louaient. Petiet, ministre de la g~erre, s'ac-
quittait bien de ses fonctions; mais créaturc
de Carnot, il en partageait entierement le sort
aupres des partis. Quant au ministre Cochon •
il était recommandé aussi par ses liaisons avec
Carnot; la découverte qu'il avait faite des com-
plots des jacobins, et son zele dans les pour-
suites dirigées contre eux , lui valaient la fa-
veur du parti contraire, qui le louait avec
affectation.


Malgré ces divergences, le gouvernement
était encore assez uni pour adrninistrcr avec
vigueur et poursuivre avec gloire ses opérations
contre les puissances de l'Europe. L'opposi-
tion était toujours contenue par la majorité
conventionnelle, restée dans lecorps législatif.
Cependant les élections approchaient, et le
moment arrivait oú un nouveau tiers , élu sous
l'influence du moment, remplacerait un autre
tiers conventionnel. L'opposition se flattait
d'acquérir alors la majorité, et de sortir de l'é-
tat de soumission dans lequel elle avait vécu.
Aussi , son langage devenait plus hant dans les
deux conseils , et laissait percer ses espérances.
Les membres de cette minorité se réunissaient
a Tivoli pour s'y entretenir de Ieurs projets
et y concerter leur marche. Cette réunion de




IlJRECTOIRE (1797)· [9
députés était devenue un club des plus violents,
connu sous le norn de club de Clich,Y. Les jour-
naux participaient a ce mouvement. Une mul-
titude de jeunes gens, qui sous l'ancien régime
auraient fait de petits vers, déclamaient dans
cinquante ou soixante feuilles contre les ex-
ces de la révolution et contre la convention, a
laquelle ils irnputaient ces exceso On n'en vou-
lait pas, disaicnt-ils, a la républíque, mais a
ceux qui avaient ensanglanté son berceau. Les
réunions d'électeurs se formaient par avance,
et on táchait d'y préparer les choix. C'était en
tout le langage, l'esprit, les passions de ven-
démiaire ; c'était la méme bonne foi et la méme
dnperie dans la masse, la méme ambition dans
quelques individns, la mérne perfidie dans
quelques conspirateurs, travaillant secretement
ponr la royauté.


Cette faction royaliste, toujours battue, mais
toujours créduIe et intrigante, renaissait sans
cesse. Partout oú iI y a une prétention appuyée
de quelques secours d'argent, il se trouve des
intrigants prétsala servir par demisérables pro-
jets. Qnoiq~e Lemaitre eüt été condamné a
mort, que laVendée fUtsoumise,et que Pichegru
eút été privé du commandement de l'armée du
Rhin, les menées de la contre-révolution n'a-


2.




20 nÉVOLUTION l'I\AN~ArSE.
vaient pascessé;ellescontinuaient au contraire
avec une extreme activité, Toutes les situations
étaient singuliérement changées. Le prétendant,
qualifié tour a tour de eomte de Lille Oll de
Louis XVIII, avait quitté Vérone, comme on
a vu, pour passel' a l'armée du Rhin. Il s' était
arre té un moment dans le camp du prince de
Coudé , oú un accident mit sa vie en péril.
Étant aune fenétre , il recut un coup de fusil,
et fut légerement effleuré par la balle. Ce fait,
dont l'auteur resta inconnu , ne pouvait man-
quer el'étre attribué au directoire, qui n' était
pas assez sot pour payer un crirne profitablc
seulement au eomte d' Artois. Le prétendant ne
resta pas long-temps aupres du prince de Conde.
Sa présence dans l'armée autrichienne ne con-
venait pas au eabinet de Vienne, qui n'avait
pas voulu le reconnaitre , et qui sentait com-
bien elle envenimerait encore la querelle avec
la France , querelle déja trop coúteuse et trop
eruelle. On luí signifia l'ordre de partir, et, sur
son refus, on fit rnarcher un détachement pour
l'y contraindre. Il se retira alors a Blankem-
bourg, oú il continua d'étre le centre de toutes
les correspondances, Condé demeura avec son
eorps sur le Rhin. Le comte d'Artois, apres ses
vains projets sur la Vendée, s'était retiré en
Écosse , d'oú il correspondait encore avec




DIRECTOlRl': (1797)' 21
quelques intrigants, allant el venant de la Ven-
dée en Angleterre.


Lernaitre étaut mort, ses associés avaient pris
sa place et lui avaient succédé daos la confiance
du prétendant. C'étaieut , comme on le sait
déja , l'abbé Brottier , ancien préeepteur, La-
ville-Heurnois, ci-devant maitre des requétes ,
un certain chevalier DespomeUes, et un offi-
cier de marine nomrné Duverne de Presle.
L'ancien systeme de ces agents, placés aParis,
était de tout faire par les intrigues de la capi-
tale, tandis que les Vendéens prétendaient
tout faire par J'insurrection armée, el le prince
de Condé tout par le moyen de Pichegru. La
Vendée étant soumise, Piehegru étant con-
damné ala retraite , et une réaction menacante
éc1atant contre la révolution, les agents de París
furent d'autant plus persuades que ron devait
tout attendre d'un mouvement spontané de
l'intérieur. S'ernparer d'abord des élections ,
puis s'emparer par les élections des conseils,
par les conseils du directoire el des places ,
leur semblait un moyen assuré de rétablir la
royaulé, avec les moyens mémes que leur four-
nissait la république. Mais ponr cela il faHait
mettre un terme acette divergence d'idées qui
avait toujours régné dans les projets de centre
révolutiou, Puisaye, resté sccretement en bre




22 RÉVOLUTION E'RAN~AISE.
tagne, y révait , eomme autrefois, I'insurrec-
tion de eette provinee. M. de Frotté, en N01'-
mandie, táchait d'y préparer une Vendée, mais
ni l'un ni l'autre ne voulaient s'entendre avec
les agents de Paris. Le prinee de Condé, dupé
sur le Rhin dans son intrigué avec Píchegru,
voulait toujours la conduire a part, sans y
méler ni les Autriehiens, ni le prétendant, et
c'est a regret qu'il les avait mis dans le secreto
Pour mettre de l'ensemhle dans ces projets in-
cohérents, et surtout pour avoir de l'argent,
les agents de Paris firent voyager l'un d'entre
eux dans les provinces de l'Ouest, en Angle-
terre, en Écosse, en Allemagne et en Suisse. Ce
fut Duverne de Presle qui fut choisi. Ne pou-
vant pas réussir apriver Puisaye de son com-
mandement, on essaya, par l'influence du
comte d'Artois, de le rattacher au systeme de
l'agenee de París, et de l'obliger a s'entendre
avec elle. On obtint des Anglais la chose la
plus importante, quelques secours d'argent,
On se fit donner des pouvoirs par le préten-
dant, qui faísaient ressortir toutes les intrigues
de l'agenee de París. On vit le prinee de Con dé ,
qu'on ne rendit ni intelligent, ni maniable.
On vit M. de Précy, qui était toujours le pro-
moteur secret des troubles de Lyon et du Midi;
enfin on concerta un plan général quí n'avait




DIRECTOIRI<: (J 797). 2J
d'ensemble el d'unité que sur le papier , et qui
n'empéchait pas que chacun aglt a sa facon ,
d'apres ses intéréts et ses prétentions.


Il fut convenu que la France entiere se par-
tagerait en deux agences, l'une comprenant
rEst et le Midi, l'autre le Nord et l'Ouest, M. de
Précy était a la tete de la premiere , les agents
de París dirigeaient la seconde. Ces deux agences
devaíent se concerter dans toutes leurs opéra-
tions, et eorrespondre directement avec le
prétendant qui lenr donnait ses ordres, On
imagina des associations secretes sur le plan de
celles de Babreuf. Elles étaient isolées entre
elles, et ignoraient le 110m des chefs, ce qui
empéchait qu'on ne saisit toute la conspiration
en saisissant l'une des parties, Ces associations
devaient étre adaptées a l'état de la France,
Comme on avait vu que la plus grande partie
de la population, san s désirer le retour des
Bourbons , vouJait l'ordre, le repos, et impu-
tait au directoire la continuation du systérne
révolutionnaire , on forma une maconnerie
dite des philanthropes, qui s'engageaient auser
de leurs droits électoraux et a les exercer en
faveur d'hommes opposés au directoire. Les
philanthropes ignoraient le but secret de ces
meuées , et on ne devait leur avouer qu'une
seule intention , celle de renforcer l'oppositíon.




RÉVOLUTION FllAN~AJSE.
Une autre association , plus secrete, plus cou-
centrée, moins nombreuse, et intitulée des
fideles, devait se composer de ces hommes
plus énergiques et plus dévoués , auxquels on
pouvait révéler le secret de la faction. Les fideles
dezaient étre secretement armés et préts a
tous les coups de main, Ils devaient s'enróler
dans la garde nationale, qui n'était pas encore
organisée, et, a la faveur de ce costurne , exé-
cuter plussürement les ordres qu'on leur don-
nerait, Leur mission obligée ,indépendamment
de tout plan d'insurrection , était de veiller
aux élections; et si on en venait aux mains ,
comme cela était arrivé en vendémiaire , de
voler au secours du parti de l'opposition. Les
fldeles contribuaient en outre a cacher les
émigrés et les prétres , a faire de faux passe-
parts, a persécuter les révolutionnaires et les
acqnéreurs de hiens nationaux. Ces associa-
tions étaient sous la direction de chefs mili-
taíres, qui correspondaient avec les deux
agences principales, et recevaient leurs ordres,
Tel était le nouveau plan de la faction , plan
chimérique, que l'histoire dédaignerait de ra~
porter, s'il ne faisait connaitre les réves dont
les partis se repaissent dans leurs défaites, Mal-
gré ce prétendu ensemble, l'association du
Midi n'aboutissait qu'a produire des compa-




DlRECTOIRE (1797)' :1)
gníes anonymes, agissant sans direction et sans
but , et ne sui vant que l'inspiration de la
vengeance et du pillage. Puisaye, Frotté, Boche-
cot , dans la Bretagne et la Normandie, travail-
laient a part a refaire une Vendée, et désa-
vouaient la contre-révolution mixte des agents
(le Paris. Puisaye fit méme un manifeste pour
déclarer que jamais la Bretagne ne seconderait
des projets qui ne tendraient pas a rendre par
la force ouverte une royauté absolue et entiére
a la famille de Bourhon.


Le prince de Condé continuait de son coté
a correspondre directement avec Pichegru,
dont la conduite singuliere et bizarre ne s'ex-
plique que par l'embarras de sa position. Ce
général, le seul connu dans l'histoire pour s'e-
tre fait hattre volontairement , avait lui-méme
demandé sa démission. Cette conduite devra
paraitre étonnante, cal' c'était se priver de
tout moyen d'influence, et par conséquent se
mettre dans l'impossibilité d'accomplir ses pré-
tendus desseins. Cependant on la comprendra
en examinant la position de Pichegru : il ne
pouvait pas rester général sans mettre enfin a
exécution les projets qu'il anuoncait , et pour
lesquels il avait recu des sommes considera-
bies. Pichegru avait devant Iui trois exemples ,
tous trois fort différents , celui de Bouillé, de




REVOLUTlOl'I .I'RAl'IC:AISl'.


Lafayette et de Dumouriez , qui lui prouvaient
qu'entrainer une armée était ehose impossi-
ble. Il voulait done se mettre dans l'impuis-
sanee de rien tenter, et c'est la ee qui expli-
que la demande de sa démission , que le
direetoire, ignorant encore tout-a-fait sa tra-
hison , ne luí aceorda d'abord qu'á regret. Le
prince de Condé et ses agents furent fort sur-
pris de la conduite de Piehegru, et cruren t
qu'il lenr avait escroqué leur argent, et qu'au
fond il n'avait jamais voulu les servir. Mais a
peine destitué , Piehegru retonrna sur les bords
du Rhin, sous pretexte de vendré ses equipa-
ges, et passa ensuite dans le J ura , qui était
son pays natal. De la il continua a correspon-
dre avec les agents du prince , et ·leur pré-
sentasa démission eomme une. combinaison
tres-profonde. Ilallait, disait-il , étre consi-
déré comme une victime du directoire , il al-
lait se lier avee tous les royalistes de 1'inté-
rieur et se faire un parti immense ; son armée ,
qui passait sous les ordres de Moreau, le re-
grettait vivement, et , au premier revers qu'elle
essuyerait, elle ne manquerait pas de réclamer
son aneien général, et de se révolter pour
qu'on le lui rendit. 11 devait profiter de ce
moment ponr lever le masque, accourir a son
armée , se donner la dictature, et proclamer




DIRECTOmE (1797)' 27
la royauté. Ce plan ridicule, eút-il été sincere,
aurait été déjoué par les succes de Moreau ,
qui , mérne pendant sa fameuse retraite , n'a-
vait cessé d' étre viotorieux. Le prince de Condé ,
les gélléraux autrichiens qu'il avait été obligé
de mettre dans la confidence, le ministre an-
glais en Suisse, Wickam, commencaient acroire
que Pichegru les avait trompés. lis ne voulaient
plus continuer cette correspondance ; mais sur
les instances des agents intermédiaires, qui ne
veulent jamais avoir fait une vaine tentative,
1a correspondance fut continuée, pour voir si
on en tirerait quelque prpfit. Elle se faisait
par Strasbourg , au moyen de quelques espions
qui passaient le Rhin et se rendaient aupres
du général autrichien Klinglin; et aussi par
Bale, avec le ministre anglais Wickam. Piche-
gru resta dans le Jura san s accepter ni refuser
l'ambassade de Suéde , qu'on lui proposa,
mais travaillant a se faire nommer rléputé ,
payant les agents du prince des plus miserables
promesses du monde, et recevant toujours des
sommes considérables. 1I faisait espérer les
plus grands résultats de sa nomination aux
cínq-cents; il se targuait d'une influence qu'il
n'avait pas; il prétendait donner au directoire
des avis perfides, et l'induire ades détermina-
tions dangereuses; il s'attribuait la longue ré-




REVOLUTlON FRANc,;:AJSE.


sistance de Kehl, qu'il disait avoir couseillée
pour compromettre l'armée. On comptait peu
sur ces prétendus services. l\'I. le eomte de
13ellegarde écrivait: ~ «Nous sommes dans la
situation du joueur qui veut regagner son ar-
gent, et qui s'expose a perdre encore pour re-
eouvrer ee qu'il a perdu.» Les gélléraux autri-
chiens continuaient cependant acorrespondre ,
paree qu'á défaut de grands desseins, ils re-
cueillaient au moins de précieux détails sur
l'état et les mouvements de l'armée francaise.
Les infames agents de eette correspondance
envoyaient au général Klinglin les états et les
plans qu'ils pouvaient se procurer. Pendant
le siége de Kehl, ils n'avaient eessé d'indi-
qller eux-rnémes les points sur lesquels le
feu ennemi pouvait se diriger avec le plus
d'effet.


Tel était done alors le róle misérable de Pi-
ehegru. Avee un esprit médiocre , iI était fin
et prudent, et avait assez de tact et d'expé-
rience pour croire tout projet de eontre-révo-
lution inexéeutable dans le momento Ses éter-
nels délais , ses fables pour amuser la erédulité
des agents du prinee, prouvent sa conviction
aeet égard; et sa eonduite dans des circons-
tances importantes le prouvera mieux encore.
Il n'en recevait pas moins le prix des projets




DlRECTOI'R E (1797)' 29
qu'il ne voulait pas exécuter , et avait l'art de
se le faire offrir sans le demander.


Du reste, c'était la la conduite de toas les
agents du royalisme. lis mentaient avec impu-
dence , s'attribuaient une influence qu'ils n'a-
vaient pas, et prétendaient disposer des hom-
mes les plus importanjs, sans leur avoir souvent
adressé la parole. Brottier, Duverne de Presle
et Laville- Heurnois se vantaient de disposer
d'un grand nombre de députés dans les deux
conseils, et se promettaient d'en avoir bien
plus encore apres de nouvelles élections. Il
n'en était rien cependant; ils ne communi-
quaient qu'avec le député Lemereretun nommé
Mersan, qui avait été exclu du eorps législa-
tif , en vertu de la loi dn 3 brumaire contre
les parents d'émigrés. Par Lemerer ils préten-
daient avoir tous les députés composant la
réunion de Clichy. Ils jugeaient, d'apres les
discours et la maniere de voter de ces députés,
qu'ils applaudiraient probablement a la res-
tauration de la monarchie, et ils se croyaient
autorisés par la a offrir d'avance leur dévoue-
ment et mérne leur repentir au roi de Blan-
kembourg. Ces misérables en imposaient ace
roi, et calomniaient les membres de la réunion
de Clichy. 11 y avait la des ambitieux qui
étaient ennemis des conventionnels , paree que




30 RÉVOLUTION :FRAN~AISE.
les conventionnels occupaient le gouvernement
tout entier , des hommes exaspérés contre la
révolution, des dupes qui se laissaient con-
duire , mais tres-pea d'hommes assez hardis
pour songer a la royauté, et assez capables
pour travailler utilement a son rétablissement.
Ce n'en était pas moins sur de tels fondements
que les agents du royalisme bátissaient leurs
projets et leurs promesses.


C'est l'Angleterre qui fournissait a tous les
frais de la contre-révolution présumée; elle en-
voyait de Londres en Bretagne les secours que
demandaitPuisaye.Le ministre anglais en Suisse,
Wickam, était chargé de fournir des fonds aux
deux agences de Lyon et de Paris , et d'en faire
parvenir directement aPichegru, qui était, sui-
vant la correspondanee,cavépour les grands caso


Les agents de la contre-révolution avaient la
prétention de preñdre l'argent de I'Angleterre
et de se moquer d' elle. Ils étaient convenus
avee le prétendant de recevoir ses fonds, sans
jamais suivre aueune de ses vues , sans jamais
obéir a aueune de ses inspirations, dont il fal-
lait, disait-on , se défier. L'Angleterre n'était
point leur dupe, et avait pour eux tout le mé-
pris qu'ils méritaient. Wickam, Pitt, et tous
les ministres anglais, ne comptaient pas du
tout sur les oeuvres de ces messieurs , et n' en




DIRF-CTOIRE (1797)' 31
espéraient pas la contre-révolution. Illeur fal-
Iait des brouillons qui troublassent la France,
qui répandissent I'inquiétude par leurs projets,
et qui, sans mettre le gouvernement dans un
péril réel , Iui causassent des craintes exagé-
rées. Ils consacraient volontiers un mili ion ou
deux par an acet objet. Ainsi les agents de la
contre-révolution se trompaient, en eroyant
tromper les Anglais. Avee toute leur bonne
volonté de faire une escroquerie, ils n'y réus-
sissaient pas; et I'Angleterre ne comptait pas
sur de plus grands résultats que ceux qu'ils
étaient capables de produire.


Tels étaient alors les projets et les moyens
de la faction royaliste. Le ministre de la po-
lice, Cochon , en eonnaissait une partie; il sa-
vait qu'il existait a Paris des correspondants
de la cour de Blankembourg; cal' dans notre
longue révolution, oú tant de complots se sont
succédé, il n'y a pas d'exemple d'une conspi-
ration restée inconnue. Il suivait attentivement
leur marche, les entourait d'espions , et atten-
dait de leur part une tentative caraetérisée,
pour les saisir avee avantage. lIs lui en four-
nirent bientót l'occasion. Poursuivant leur
beau projet de s'emparer des autorités, ils
songerent as'assurer d'abord des autorités mi-
Iitaires de Paris. Les principales forces de la




32 RÉVOLUTfON FRAN<;:AJSE.
capitale consistaient dans les grenadiers dn
corps législatif, et dans le camp des Sablons,
Les grenadiers du corps légíslatif étaient une
troupe d'élite de douze cents hommes, que la
eonstitution avait plaeés aupres des deux con-
seils, comme garde de su reté et d'honneur.
Leur commandant., l'adjudant-général Ramel,
était connu pour ses sentiments rnodérés , et
aux yeux des imbéciles agents de Louis XVIII,
e'étai tune raison suffisante pour le croire
royaliste. La force armée réunie aux Sablons
s'élevait a peu pres a douze mille hommes. Le
commandant de cette force armée était le gé-
néral Hatry, brave homme qu'on n'espérait
pas gagner. On songea au colonel du 2 Je de
dragons, le nommé Malo, qui avait ehargé si
brusquement les jacobins lors de leur ridicule
tentative sur le camp des Sablons. On raisonna
pour lui eomme pour Ramel; et parce qu'il
avait repoussé les jacobins , on supposa qu'il
accueillerait les royalistes. Brottier, Laville-
Heurnois et Duverne de Presle les sondérent
tous les deux, et leur firent des propositions
qui furent écoutées, et dénoneées sur-le-champ
au ministre de la police. Celui-ci enjoignit a
Ramel et Malo de continuer a écouter les cons-
pirateurs, pour connaitre tout leur plan. Ceux-
ei les laisserent développer Ionguement leurs




DIRECTOIRE (1797)' 33
projets, leurs moyens, leurs espérances; et on
s'ajourna a une prochaine entrevue, dans la-
quelle ils devaient exhiber les pouvoirs qu'ils
tenaient de Louis XVIII. C'était le moment
choisi poul' les arreter. Les entrevues avaient
lieu chez le chef d'escadron Malo, dans I'ap-
parternent qu'il occupait a l'École - Militaire.
Des gendarmes et des témoins furent cachés,
de maniere a tout entendre, et a pouvoir se
montrer a un signal donné. Le 1I pluvióse
( 30 janvier), en effet, ces misérables dupes
se rendirent chez Malo avec les pouvoirs de
Louis XVIII, et développerent de nouveau
leurs projets. Quand on les eut assez écoutés,
on feignit de les laisser partir, mais les agents
apostés les saisirent, et les conduisirent chez
le ministre de la police. Sur-le-champ on se
rendit aleurs domiciles, et on s'empara en leur
présence de tons leurs papiers. On y trouva
des lettres qui prouvaient suffisamment la
conspiration , et qui en révélaient en partie les
détails. On y vit , par exemple, que ces mes-
sieurs composaient de leur chef un gonverne-
ment tout entier. I1s voulaient dans le premier
moment , et 'en attendant le retour du roi de
Blankembourg, .laisser exister une partie des
autorités actuelles. Ils voulaient nommément
conserver Benezech a l'intérieur, Cochon a la


IX. 3




34 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
police; et si ce dernier, comme régicide, ef-
farouchait lesroyalistes , ils projetaient de met-
tre a sa place M. Siméon OH M. Portalis. Ils
voulaient encore placer aux finan ces M. Barbé-
Marbois, qui a, disaient-ils, des talents, de l'ins-
truction , et qui passe pour honnéte. Ils n'a-
vaient point consulté certainement ni Benezech,
ni Cochon, ni MM. Portalis, Siméon et Barbé-
Marbois , auxquels ils étaient totalement in-
connus; mais ils avaient disposé d'eux 1 comme
d'usage , aleur insu, et sur leurs opinions pré-
sumées.


La découverte de ce complot produisit une
vive sensation , et prouva que la république
devait toujours étre en garde contre ses an-
ciens ennemis. Il causa un véritable étonne-
ment dans toute l'opposition, qui aboutissait
au royalisme sans s'en douter , et qui n'était
nullement dans le secreto Cet étonnement prou-
vait combien ces misérables se vantaient, en
annon~an~ 11 Blankembonrg qu'ils disposaient
d'un grand nombre de membres des deux
conseils. Le directoire voulut sur-le-champ les
livrer a une commission militaire, Ils déeliné-
rent cette compétence, en soutenant qu'ils
n'avaient point été surpris les armes ala main,
ni faisant une tentative de vive force. Plusieurs
députés , qui s'unissaient de sentiment a leur




UlRECTOIRE (1797)' 35
cause, les appuyer'ent dans les conseils; mais
le directoire n'en persista pas moins a les tra-
duire devant une commission militaire , comme
ayant tenté d'embaucher des miliraires.


Leur systeme de défense fut assez adroit. lis
avouerent leur qualité d'agents de Louis XVIII,
mais soutinrent qu'ils n'avaient d'autre mission
que celle de préparer l'opinion, et d'attenrlre
rl'elle seule, et non de la force, le retour aux
idées monarchiques. lis furent condamnés a
mort , mais leur peine fut commuée en une
détention , pour prix des révélations de Du-
verne de Presle ". Celui-ci fit all directoire une
longue déclaration , qui fut insérée au registre
secret, et dan s laquelle il dévoila toutes les me-
nées des royalistes. Le directoire, instruir de
CeS détails , se garda de les publier, pour ne
point apprendre aux conspirateurs qu'il con-
naissait Ieur plan tout entier, Duverne de Presle
ne luí dit rien sur Pichegru, dont les intrigues,
aboutissant directement au prince de Condé ,
étaient restées inconnues aux agents de Paris ;
maisil déclara vaguement, d'apres des ouí-
<Jire, que l'on avait essayé de pratiquer des
intelligences dans I'une des principales armées.


eette arrestation de leurs principaux agents


.. [9 germinal (8 avril}.
3.




36 RÉVOLUTION FllANQAJSE.
aurait pu déjouer les intrigues des royalistes,
s'ils avaient eu un plan bien lié; mais chacun
agissant de son coté, et asa maniere, l'arresta-
tion de Brottier, Laville-Heurnois et Duverne
de Presle, n'empécha point MM. Puisaye et de
Frotté d'intriguer en Normandie et en Breta-
gne, M. de Precy aLyon, et le prince de Condé
dans l'armée du Rhin.


On jugea peu de temps aprés Babreuf et ses
complices; ils furent tous acquittés, excepté
Baboeuf et Darthé qui subirent la peine de
mort *.


L'affaire importante était celle des élections.
Par opposition au directoire ou par royalisme,
une foule de gens s'agitaient pour les influen-
cero Dans le Jura, on travaillait afaire nommer
Pichegru; aLyon M. Imbert-Colomes , I'un des
agents de Louis XVIII dans le Midi. A Ver-
sailles , on faisait élire un M. de Vauvilliers ,
gravement compromis dans lé complot décou-
yerto Partout enfin on préparait des choix hos-
tiles au directoire. A París, les électeurs de la
Seine s'étaient réunis pOUl' concerter leurs
nominations. Ils se proposaient d'adresserIes
demandes suivantes aux candidats: AS-lit ac-
quis des biens nationaux? As-tu étéjournaliste?


,.. 6 prairial (2.5 mai).




DIRECTOIRE (1797)· 37
As-tu écrit , agi et fait quelque chose dans la
réoolution? On ne devait nommer aucun de
ceux qui répondraient affirmativement sur ces
questions, De pareils préparatifs annoncaient
cambien était violente la réaction contre tous
les hommes qui avaient pris part a la révolu-
tion. Cent journaux déclamaicnt avec véhé-
menee, et produisaient un véritable étourdisse-
ment sur les esprits, Le directoire n'avait, pour
les réprimer, que la loi qui punissait de mort
les écrivains provoquant le retour ala royauté.
Jamais des juges ne pouvaient consentir a ap-
pliquer une loi aussi crueIle. JI demanda pour
la troisiéme fois aux conseils , de nouvelles dís-
positions législatives qui lui furent encare re-
fusées. Ilproposa aussi de faire préter aux
électeurs le serment de haine a la royauté;
une vive discussion s'engagea sur l'efficacité
du serment, et on modifia la proposition , en
changeant le serrnent en une simple déclara-
tion. Chaque électeur devait déclarer qu'il était
également opposé a l'anarchie et a la royauté.
Le directoire, sans se permettre aucun des
moyens honteux, si souvent employés dan s les
gouvernements représentatifs pour influer sur
les élections, se contenta de choisir pour com-
missaires aupres des assemblées, des hommes
connus par leurs sentíments républícains, et




38 RÉVOLUTlON FnAN~AI5E.
ele faire écrire des circulaires par le rmrnstre
Cochon , dans lesquelles il recommandait aux
électeurs les candidats de son choix. On se
récria beaucoup contre ces circulaires, qui
n'étaient qu'une exhortation .insignifiante , el
point du tout une injonction; car le nombre,
l'indépendanee des électeurs, surtout dans un
gouvernement 011 presque toutes les places
étaient électives , les mettaient a l'ahri de l'in-
fluence du directoire.


Pendant qu'on travaillait ainsi aux élections,
on s'occupait beaucoup du choix d'un nouveau
direeteur. La question étaít de savoir lequel
des cinq serait désigné par le sort , conformé-
ment a la constitution , pour sortir du direc-
toire : si o'était Barras, Rewbell ou Larével-
Iiére-Lépeaux , l'opposition était assurée , avec
le secours du nouveau tiers, de nommer un
directeur de son choix. Alors elle espérait avoir
la majorité dans le gouvernement; en quoi elle
se flattait beaucoup , cal' bientót ses folies n'au-
raient pas manqué d' éloigner d"elle Carnot et
Letourneur.


Le club de Clichy discutait bruyamment le
choix du nouveau directeur. On y proposait
Cochon et Barthélemy. Cochon avait perdu un
peu dans l'opinion des contre-révolutionnaires,
depuis qu'il avait fait arreter Brottier et ses




DIRECTOIRE ('797)' 39
compliees, surtout depuis ses eirculaires aux
électeurs. On préférait Barthélemy, notre em-
bassadeur en Suisse, que ron eroyait secre-
tement lié avec les émigrés et le prince de
Condé.


Les bruits les pIus absurdes étaient répandus
au milieu de eette agitation. On disait que le
directoire voulait faire arréter les députés nou-
vellement élus, et empécher leur réunion ; on
soutenait méme qu'il voulait les faire assassiner.
Ses amis, de leur coté, disaient qu'on prépa-
rait son aete d'accusation a Cliehy, et qu'on
n'attendait que le nouveau tiers pour le pré-
senter aux einq-cents.


Mais tandis que les partis s'agitaient, dans
l'attente d'un événement qui devait altérer les
majorités , et changer la direction du gouver.
nement de la république, une campagne nou-
veIle se préparait , et tout anuoncait qu'elle
serait la derniere, Les puissanees étaient apeu
pres partagées eomme l'année préeédente. La
France, unie al'Espagne et ala Hollaude , avait
a lutter avee I'Angleterre et l'Autriche. Les
sentiments de la eour d'Espagne n'étaient pas
et ne pouvaient pas étre favorables aux répu-
blicains francais ; rnais sa politique, dirigée par
le prince de la Paix, était entieremeut pour
eux. Elle regardait leur allianee eomme le




1,0 RÉVOLUTION :FRAN~AISE.
moyen le plus súr d'étre protégée centre leurs
principes, et se flattait avec raison qu'ils ne
voudraient pas la révolutionner, tant qu'ils
trouveraient en elle un puissant auxiliaire ma-
ritime. D'ailleurs, elle avait une vieille haine
contre I'Angleterre, et se flattait que l'union
de toutes les marines du continent lui fourni..
rait un moyen de venger ses injures, Le prince
de la Paix, voyant son existence attachée acette
politique , et sentant qu'il pérírait avec elle,
employait, ala faire triompher des sentiments
de la famille royale , toute son influence sur la
reine; il Y réussissait parfaitement. Il résultait
toutefois de cet état de choses que les Francais
étaient indivíduellement maltraités en Espagne,
tandis que leur gouvernement y obtenait la
plus grande déférence a ses volontés, Malheu-
reusement la légation franeaise ne sy conduisit
ni avec les égards dus a une puissance amie,
ni avec la fermeté nécessaire pour protéger les
sujets francais. L'Espagne, en s'unissant a la
France , avait perdu J'importante colonie de la
Trinité. Elle espérait que si la France se déli-
vrait eette année de l'Autriche, et reportait
toutes ses forees eontre l'Angleterre, on ferait
expier acelle-ci tous ses avantages. La reine se
flattait surtout d'un agrandissement en Italie
ponr son gendre, le duc de Parrne. Il était ques,




DlRECTOIRE (J797)' 41
tion encore d'une entreprise contre le Portugal;
et, dans ce vaste bouleversement des états, la
cour de Madrid n'était pas sans quelque espé-
rance de réunir toute la péninsule sous la méme
domination.


Quant ala HolJande, sa situation était assez
triste. Elle était agité e par toutes les passions
que provoque un changement de constitution.
Les gens raisonnables, qui voulaient un gou-
vernement dans lequel on conciliát l'ancien
systeme fédératif avec l'unité nécessaire pour
donner de la force a la république batave,
avaient acombattre trois partis également dan-
gereux. D'abord les orangistes, comprenant
toutes les créatures du stathouder, les gens vi-
vant d'emplois , et la populace; secondement
les fédéralistes , comprenant toutes les familles
riches et puissantes qui .voulaient conserver
I'ancien état de choses, au stathoudérat prés ,
qui blessait leur orgueil; enfin les démocrates
prononcés, partí bruyant, audacieux , impla-
cable, composé des tetes ardentes et des aven-
turiers. Ces trois partís se combattaient avec
acharnement et retardaient l'établissement de
la constitution du pays. Outre ces embarras,
la HoIlande craignait toujours une invasion de
la Prusse, qui n'était contenue que par les
succes de la France. Elle voyait son commerce





4~ nÉVOLUTION }'lUNc,;AlSE.
gené dans le Nord par les Anglais et les Rus-
ses; enfin elle perdait toutes ses colonies par
la trahison de la plupart de ses eommandants.
Le cap de Bonne-Espérance , Trinquemale, les
Moluques étaient déja au pouvoir des Anglais.
Les troupes francaises , campées en Hollande
pour la eouvrir eontre la Prusse, observaient
la plus louable et la plus sévere discipline;
mais les administrations et les chefs militaires
ne s'y conduisaient ni avee ménagement, ni
avec probité. Le pays était done horriblement
surehargé. On en pourrait conclure que la Hol-
lande avait mal fait de se lier a la France , mais
ce serait raisonner légérement, La Hollande,
placée entre les deux masses belligérantes, ne
pouvait pas échapper a I'influence des vain-
queurs. Sous le stathouder , elle était sujette
de I'Angleterre et sacrifiée a ses intéréts ; elle
avait de plus I'esclavage intérieur, En s'alliant
a la France , elle courait les ehances attachées
a la nature de cette puissance, continentale
plutót que maritime , et eompromettait ses co-
lonies; mais elle pouvait un jour, graee a I'u-
nion des trois marines du continent, recouvrer
ce qu'elle avait perdu; elle pouvait espérer une
constitution raison nable sous la proteetion fran-
caise. Tel est le sort des états : s'ils sont forts ,
ils font eux-mémes leurs révolutions, mais ils




lHRECTOJRE (1797)' 43
en subissent tous les désastres et se noient dans
leur propre sang; s'ils sont faibles , ils voient
leurs voisius venir les révolutionner a main
armée, et subissent tous les inconvénients de
la présence des armées étrangéres. Ils ne s'é..
gorgent pas, mais ils paient les soldats qui
viennent faire la poli ce chez eux. Telle était la
destinée de la Hollande, et sa situation par
rapport a nous. DaIJs cet état, elle n'avait pas
été fort utile au gouvernement fraucais. Sa ma-
rine etson armée se réorganisaient tres-lente-
ment; les rescriptions bataves, avec lesquelles
avait été payée l'indemnité de guerre de cent
millions, s'étaient négoeiées presque poul' ríen,
et les avantages de l'alliance étaient devenus
presque nuls pour la Franee: aussi il s'en était
ensuivi de l'humeur entre les deux pays. Le
directoire reprochait au gouvernement hollan-
dais de ne pas tenir ses engagements, et le
gouvernement hollandais reproehait au direc-
toire de le mettre dans l'impossibilité de les
remplir. Malgré ces nuages, les deux puissan-
ces marchaient eependant au méme but. Une
escadre et une armée d'embarquement se pré-
paraient en Hollande, pour concourir aux pro-
jets du directoire.


Quant ala Prusse , une grande partie de l'Al-
lemagne, au Danemark , a la Suéde et a la




44 RÉVOLUl'ION FRAN~AISE.
Suisse, la France était toujours avec ces états
dans les rapports d'une exacte neutralité. Des
nuages s'étaient élevés entre la Francc et l'A~
mérique. Les États-Unis se conduisaient anotre
égard avec autant d'injustice que d'ingratitude.
Le vieux Washington s'était laissé entrainer
dans le parti de John Adams et des Anglais,
qui voulaient ramener l'Amérique a l'état aris-
tocratique et monarchique, Les torts de quel-
ques corsaires et la conduite des agents du
comité de salut public leur servaient de pré-
texte ; prétexte bien peu fondé, cal' les torts
des Anglais envers la marine américaine étaient
bien autrement graves; et la conduite de nos
agents s'était ressentie du temps, et devait étre
excusée, Les fauteurs du parti anglais répan-
daient que la France voulait se faite céder par
l'Espagne les Florides et la Louisiane; qu'au
moyen de ces provinces et du Canada, elle
entourerait les États-Unis, y sernerait les prín-
cipes dérnocratiques , détacherait successive-
ment tous les États de l'Union, dissoudrait
ainsi la fédération américaine, et composerait
une vaste dérnocratie entre le golfe du Mexi-
que et les cinq lacs. Il n'en était rien; mais ces
mensonges servaicnt a échauffer les tetes et
a faire des ennemis a la France. Un traité de
commerce venait d'étre conelu par les Améri-




DIRECTOIRE (J797). 45
cains avec I'Angleterre; il renfermait des sti-
pulations qui transportaient a eette puissance
des avantages réservés autrefois a la France
seu le , et dus aux services qu'elle avait rendus
ala cause américaine. L'avis d'une rupture avee
les États-Unis avait des partisans dans le gou-
vernement francais. Monroé , qui était ambas-
sadeur a Paris, donnait a cet égard les plus
sages avis au directoire. - La guerre avec la
France, disait-il , forcera le gouvernement amé-
ricain ase jeter dans les hras de l'Ahgleterre, et
le livrera a son influence; l'aristocratie domi-
nera aux Etats-Unis , et la liberté sera compro-
mise. En souffrant patiemment, aucontraire, les
torts du président actuel, on le laissera sans
excuse, on éclairera les Américains, et on dé-
cidera un choix contraire a la prochaine élec-
tion. Tous les torts dont la France peut avoir
a se plaindre seront alors réparés. - Cet avis
sage el prévoyant l'avait emporté au direc-
toire. Rewbell, Barras, Larévelliére le firent
triompher contre l'avis du systématique Car..
not, qui, quoique disposé ordinairement pour
la paix, voulait qu'on se flt donner la Loui-
siane, et qu'on y essayát une république.


Tels étaient les rapports de la France avec
les puissances qui étaient ses alliées ou simple-
ment ses amies. L'Angleterreet l'Autriche




f¡6 nÉVOLUTlON FRANºAISE.
avaient fait, l'année précédente , un traité de
triple alliance avee la Russie; mais la grande
et fuurbe Catherine venait de mourir. Son suc-
cesseur, Paul Ier, prince dont la raison était
peu solide, et s'écIairait par lueurs passageres ,
cornme il arrive souvent dans sa famille , avait
.montré beaucoup d'égardsaux émigrés francais,
et eependant peu d'empressement a exécuter
les conditions du traité de triple alliance. Ce
prince semblait étre frappé de la pnissance co-
lossale de la révolution francaise , et on aurait
dit qu'il comprenait le danger de la rendre
plus redoutable en la eombattant; du moins
ses paroles a un Francais tres-connu par ses
lumieres et son esprit, le feraient eroire. Saos
rompre le traité , il avait fait valoir l'état de
ses armées et de son trésor ,et avait conseillé
a I'Angleterre et a I'Autriche la voie des né-
gociations. L'Angleterre avait essayé de décider
le roi de Prusse a se jeter dans la coalition ,
mais n'y avait pas réussi. Ce prinee sentait qu'il
n'avait aucun intérét avenir au seconrs de son
plus redoutable ennemi, l'empereur. La France
lui promettait une indemnité en Allemagne
pour le stathouder , qui avait épousé sa soeur ;
il n'avait done rien a désirer pour Iui-mérne.
Il voulait seulement empécher que I'Autriche,
battue et déponillée par la Franee, ne s'indern-




DlHCTOlRE (i 797).
nisát de ses pertes en Allemagne; il aurait
méme désiré s'opposer a ce qu'elle recút des
indemnités en Italie : aussi avait-il déclaré que
jamais iI ne consentirait a ce que l'Autriche
recút la Baviere en éehange des Pays-Bas, et
il faisait en méme temps proposer son alliance
a la républiquc de Venise, lui offrant de la
garantir, dan s le cas oú la Franee et l'Autriche
voudraicnt s'accommoder a ses dépens, Son
but était done d'empécher que l'empereur ne
trouvát des équivalents pour les pertes qu'il
faisait en luttant centre la France,


La Russie n'intervenant pas encore dans la
lutte, et la Prusse persistant dans la neutralité,
l'Angleterre et l'Autriche restaient seules en
ligne. L'Angleterre était daus une situation fort
triste; elle ne redoutait plus, pour le moment
du moins, une expédition en Irlande , mais sa
banque était menacée plus sérieusement que
jamais; elle ne comptait pas du tout sur I'Au-
triche, qu'elle voyait hors d'haleine, et elle
s'attendait avoir la France , apres avoir vaincu
le continent, l'accabler elle-méme de ses for-
ces réunies. L'Autriche, malgré l'occupation
de Kehl et d'Huningue, sentait qn'elle s'était
perdue en s'opiniátrant eontre deux tetes de
pont, et en ne portant pas toutes ses forces en
Italie. Les désastres de Rivoli et de la Favorite ,




48 RÉVOLUTION FRA.N~AISE.
la prise de Mantoue, la mettaient dans un pé-
ril éminent. Elle était obligée de dégarnir le
Rhin, et de se réduire, sur cette frontiere , a
une véritahle infériorité , pour porter ses for-
ces et son prince Charles du coté de l'Italie.
Mais pendant l'intervalle que ses troupes met-
traient afaire le trajet du Haut-Rhin ala Piave
et a l'Izonzo, elle était exposée sans défense
aux coups' d'un adversaire qui savait saisir ad-
mirablement les avantages du temps.


Toutes ses craintes étaient fondées; la France
lui préparaít, en effet, des coups terribles que
la caropagne que nous allons voir s'ouvrir ne
tarda pas a réaliser.




DlRECTOIRE (J 797)'


CHAPITRE II.


49


Etat de nos armées a I'ouverture de la campagne de 1797.
-Marche de Boñaparte contre les états romains, Traité
de Tolentino avec le pape.-Nouvelle eampagne centre
les A.utrichiens. Passage du Tagliamento. Combat de
Tarwís. - B.évolution dans les villes de Bergame,
Brescia et autres villes des états de Venise. - Passage
des Alpes Juliennes par Bonaparte. Marche sur Vienne.
Préliminaires de paix avec l'Autriche signés aLéoben.
- Passage du Rhin a Neuwied et aDirsheim. - Per-
lidie des Vénitiens. Massaere de Vérone. Chute de la
république de Venise.


L'ARMÉE de Sambre-et-Meuse , renforcée d'une
grande partie de l'armée de I'Océan, avait été
portée a quatre-vingt mille hommes. Hoche,
qui en était devenu général, s'était arrété peu
de temps a Paris, ason retour de l'expédition


IX. 4




:50 RÉVOLllTION FItANQAISE.


d'Irlande , et s'était háté de se rendre a son
quartier-général, Il avait employé l'hiver a01'-
ganiser ses troupes et a les pourvoir de ce qui
leur était nécessaire. Tirant de la Hollande el
des provincea d'entre Meuse et Rbin, qu'on
traitait en pays conquis , des ressources assez
grandes, il avait mis ses soldats a l'abri des
besoins qui affligeaient l'armée du Rhin. Ima-
ginant une autre répartition des différentes ar-
mes, il avait perfectionné son ensemble, et
lui avait donné la plus belle organisation. n
brúlait de marcher ala tete de ses quatre-vingt
mine hommes , et ne voyait aucun obstacle
qui pút l'empécher de s'avancer jusqu'au coeur
de l'Allemagne. Jaloux de signaler ses vues po-
litiques , il voulait imiter l' exernple du général
d'Italie et créer a son tour une république.
Les provinces d'entre Meuse er Rhin , qui n'a-
vaient point été , comme la Belgique, déclarées
territoire constitutionnel, étaient provisoire-
ment 80U~ l'autorité militaire. Si, á la paix avec
l'empire, on les refusait a la France, POUl' ne
pas luí donner la ligne du Rhin, on pouvait
du moins consentir ace qu'elles fussent cons-
tituées en une répuhlique índépendante, alliée
et amie de la nótre, Cette république, sous le
nom de république cisrhénane , aurait pu étre
indissoluhlement attachée a la France , et lui




DIRI!:CTOIRE (J797). 5 I
étre aussi utile qu'une de ses provinces. Hoche
profitait du moment pour lui donner une 01'-
ganisation provisoire , et la préparer aI'état ré-
publicain. Il avait formé a Bonn une cornmis-
sion ,chargée de la double tache de l'organiser
et d'en tirer les ressources nécessaires a nos
troupes.


L'armée du Haut-Rhin , sous Moreau, était
loin de se trouver dans un état aussi satisfai-
santo Elle ne laissait rien a désirer quant a la
valeur et a la discipline des soldats, mais elle
manquait du nécessaire; el le défaut d'argent,
ne permettant pas rnéme l'acquisition d'un
équipage de pont, retardait son entrée en
campagne. Moreau faisait de vives instances
pour obtenir quelques centaines de mille francs,
que la trésorerie était dans l'impossihilité de
lui fournir. Il s'était adressé , pour les obtenir,
au général Bonaparte ; mais il fallait attendre
que celui-ci eút achevé son excursion dans les
états du pape. Cette circonstance devait retar-
del' les opérations sur le Rhin.


Les plus grands eoups, et les plus prompts,
allaient se porter en ltalie. Bonaparte , prét it
détruire aRivoli laderniere armée autrichienne,
avaít annoncé qu'il ferait ensuite une excur-
sion de quelques joors dans les états du pape,
poul' le soumettre it la république, et y pren-


. 4·




RÉVOL1ITION FIlAN9AISE.


dre l'argent nécessaire aux besoins de l'armée;
il avait ajouté que si on lui envoyait un ren-
fort de trente mille hommes, il franchirait les
Alpes J uliennes, et marcherait hardiment sur
Vienne. Ce plan, si vaste , était chimérique
I'année précédente , mais aujourd'hui il était
devenu possible. La politique seule du direc-
toire aurait pu y mettre obstacle ; i1 aurait pu
ne pas vouloir remettre toutes lesopérations
de la guerre dans les mains de ce jeune homme
si absolu dans ses volontés. Cependant , le
bienveillaut Larévelliere insista fortement pour
qu'on lui fournit le moyen d'exécuter un pro-
jet si beau, et qui terrninait la gue1'1'e si vite,
11 fut décidé que trente mille hommes lui se-
raient envoyés du Rhin. La division Bernadotte
fut tirée de l'armée de Sambre-et-Meuse ; la
división Delmas de celle du Haut-Rhin, pour
étre acheminées toutes deux a travers les Al-
pes aumilieu de l'hiver, Moreau fit les plus
grandsefforts pour mettre la division Delmas
en état de représenter convenablement l'ar-
mée du Rhin en Italie; il choisit ses meilleures
troupes, et épuisa ses magasins pour les équi-
pero On ne pouvait étre mú par un sentiment
plus honorable et plus délicat, Ces deux divi-
SiOIlS, formant vingt etquelques míl1e hom-
mes, passereut les Alpes en janvier, dans un




DIlIECTOIR}; (1797)' 53
moment oú personne ne se doutait de leur
marche. Sur le point ele franchir les Alpes, une
ternpéte les arréta , Les guides conseillaient ele
faire halte; on sonna la charge, et on brava
la ternpéte , tambour battant , enseignes dé-
ployées, Déja ces eleux divisions elescenclaient
dans- le Piémont , qu'on ignorait encore leur
elépart du Rhin.


Bonaparte avait apeine signé la capitulation
ele Mantoue , qu'il était parti, sans attendre
que le maréchal Wurmser eút défilé elevant
lui , et s'était rendu a Bologne pour aller faire
la loi au pape. Le clirectoire aurait désiré qu'il
détruisit enfin la puissance temporelle du Saint-
Siége; mais il ne lui en faisai t pas une ohliga-
tion , et le laissait libre d'agir d'apres les cir-
constances et sa volonté, Bonaparte ne songeait
point du tout a s'engager dans une pareille
en treprise. Tandis que tout se préparait dans
la Haute-Italie pour une marche au-dela eles
Alpes J uliennes, il voulait arracher encore une
OH deux provinces au pape, et le soumettre a
une contribution qui suff'it aux frais ele la
nonvelle campagne. Aspirer afaire elavantage,
c'était compromettre le plan généralcontre
l'Autriche. Il faltait méme que Bonaparte se
hátát beaucoup, pour étre en mesure ele reve-
nir promptement vers la Haute-Italie ; il fallait




5[. RÉVOLUTION FRAN~AISE.
surtout qu'il se conduisit de maniere a s'évi..
ter une guerre de religion, et qu'il imposát a
la cour de Naples, laquelle avait signé la paix,
mais ne se regardait nullement eomme liée
par son traité. Cette puissance avait envie
d'in tervenir dans la querelle, soit pour s'em-
parel' d'une partie des dépouilles du pape, soit
pour empécher qu'on n'établit une république
á Rome, et qu'on ne placát ainsi la révolution
a ses portes. Bonaparte réunit a Bologne la di-
vision Victor, les nouvelles troupes italiennes
levées en Lombardie et dans la Cispadane , et
s'achemina aleur tete, poul' exécuter lui-méme
une entreprise qui , pour étre conduite abien,
exigeait tout ce qu'il avait de tact et de promp-
titude.


Le pape était dans la plus cruelle anxiété 1
l'empereur ne lui avait promis son allianee
qu'aux plus dures conditions, e'est-á-dire au
prix de Ferrare et de Commaehio; mais cette
aUiance méme ne pouvait plus étre efficaee,
depuis que l'armée d'Alvinzi n'existait plus. Le
Saint-Siége s'était done cornpromis inutilement.
La correspondance du cardinal Busca, secré-
taire d'état , et ennemi juré de la France, avait
été interceptée. Les projets eontre l'armée fran-
caisequ'on avait voulu prendre par derriére,
étaient dévoilés ; il ne restait plus aucune ex-




DI.ltECTOI.ltE (1797). 55
cuse pour invoquer la clémence du vainqueur,
dont on refusait depuis un an d'écouter les
propositions. Lorsque le ministre Cacault pu.
hlia le manifeste du général francais et qu'il
demanda a se retirer, on n'osa pas le retenir
par un reate d'orgueil, mais on fut dans une
cruelle inquiétude. Bientót 00 n'écouta plus
que les conseils du désespoir, Le général au-
trichien Colli , arrivé aRome avec quelques
officiers, fut mis a la tete des troupes papales;
on nt des prédications fanatiques dans toutes
les provinces romaines; on promit le ciel a
tous ceux qui se dévoueraient pour le Saint-
Siége, et on tacha d'exciter une Vendée autour
de Bonaparte, Des prieres instantes furent
adressées a la eour de Naples , ponr réveiller
tout ce qu'elle avait d'ambitionet de zéle re-
ligienx.


Bonaparte s'avanca rapidement ponr ne pas
donner a l'incendie le temps de se propager.
Le 16 pluvióse an V (4 février), il marcha sur
le Senio. L'armée papale s'y était retranchée;
elle se composait de sept a huit mille hommes
de tronpes régulieres , et de grand nombre de
paysans armés a la háte et précédés de leurs
rnoines. Cette arrnée présentait l'aspect le plus
burIesque. Un parlementaire vint déclarer que
si l'arrnée de Bonaparte persistait a s'avancer,




56 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
on tirerait sur elle. Elle s'avanca néanmoins
vers le pont du Senio qui était assez bien re-
tranché. Lannes remonta son cours avec queI-
ques cents hommes, le passa agué, et vint se
ranger en bataille sur les derrieres de l'armée
papale. Alors le général Lahoz,avee les troupes
lombardes , marcha sur le pont, et l'eut bientót
enlevé. Les nouvelles troupes italiennes snp-
porterent bien le feu, qui fut un instant assez
vif. On 6t quatre a cinq cents prisonniers, et
on sabra quelques paysans. L'armée papale se
retira en désordre. On la poursuivit surFaenza;
on enfonca les portes de la vilIe, et on y entra
au bruit du tocsin et aux cris d'un peuple fu-
rieux. Les soldats en demandaient le pillage;
Bonaparte le leur refusa, n assembla les prison-
niers faits dans la journée aux hords du Senio,
et leur parla en italien. Ces malheureux s'irna-
ginaient qu'on allait les égorger. Bonaparte les
rassura, et leur annonca , aleur grand étonne-
ment , qu'il les laissait libres, acondition qu'ils
iraient éclairer leurs compatriotes sur les inten-
tions des Francais , qui ne venaient détruire ni
la religion ni le Saint-Siége, mais qui voulaient
écarter seulement les mauvais conseillers dont
le pape était entouré. Illcur fit ensuite donner
amanger et les renvoya. Bonaparte s'avanca ra-
piderneut de Faenza aForli, Céséne , Rimini




DIRECTOIRE (r 797)' 57
Pesare et Sinigaglia. Colli, auquel il ne restait
plus que trois mille hommes de tl'Oupes régu-
Iiéres, les retrancha en avant d' Ancóne dans une
honne position. Bonaparte les fit envelopper,
et enlever en grande partie. Il Ieur donna en-
core la liberté aux mémes conditions, Colli se
retira avec ses officiers á Rome. Il ne restait plus
qu'á marcher sur cette capitale. Bonaparte se
dirigeaimmédiatement sur Lorette, clont le tré-
sor était évacué et oú l'on trouva apeine un
million. La vierge en vieux hois fut envoyée a.
Paris, comme objet de curiosité. De Lorette , il
quitta les bords de la mer, et marcha par Ma-
cerata sur I'Apennin , pour le traverser et dé-
boucher sur Rome, si cela devenait nécessaire.
Il arriva aTolentino le 25pluvióse(13 février), et
s'y arréta pour attendre l'effet que produiraient
sa marche rapide et le renvoi cles prisonniers.
Il avait mandé le général des Carnaldules , reli-
gieux en qui Pie VI avait une grande confiance,
et I'avait chargé d'aller porter a Rome des pa-
roles de paix. Bonaparte souhaitait avant tout
que le pape se soumit et acceptát les condi-
tions qu'il voulait lui faire subir. Il ne voulait
pas perdre clu temps afaire a Rome une révo-
lution, qui pourrait le retenir plus qu'il ne luí
convenait, qui provoquerait peut-étre la cour
de Naples a prendre les armes, el qui, enfin ,




~8c '" _ REVOLUTIO.N FRANYAISf:.
en renversant le gouvernement établi, ruinerait
ponr le moment les finances romaines, et em-
pécherait de tirer du pays les 2() ou 30 millions
dont on avait besoin. Il pensait que le Saint-
Siége, privé de ses plus belles provinces au
profit de la Cispadane , et exposé au voisinage
de la nouvelle république, serait hientót at-
teint par la contagion révolutionnaire, et suc-
comberait sous peu de temps. Cette poli tique
était habile, et l'avenir en prouva la justesse.
Il attendit done a Tolentino les effets de la dé-
menee et de la peur.


Les prisonriiers renvoyés étaient allés, en
effet, dans toutes les parties de l'état rornain ,
et surtout á Bome , répandre les bruits les plus
favorables a l'armée francaise , et calmer les
ressentiments excités centre elle. Le général
des Camaldules arriva au Vatican, au moment
oú le pape alIait monter en voiture pour quit-
ter Borne. Ce prince, rassuré par ce que lui
dit ce religieux, renon<;a a quitter sa capitale,
eongédia le secrétaire d'état Busca, et dépécha
a Tolentino, ponr traiter avec le général fran-
cais , le cardinal Mattei, le prélat Galeppi, le
marquís Massimi, et son neven le duc de Bras-
chi. lis avaient plein pouvoir de traiter , pourvu
que le général n'exigeát aucun sacrifice relatif
a la foi. Le traité devenait des lors tres-facile ,




DIRECTOIRE (1797), 59
car sur les articles de foi, le général francais
n'était nullement exigeant. Le traité fut arrété
en quelques jours , et signé a Tolentino le 1er
ventóse (19 février). Voici quelles en étaient les
conditions. Le pape révoquait tout traité d'al-
liance contre la France , reconnaissait la répu-
blique, et se déclarait en paix el en bonne
intelligence avec elle. Il lui cédait tous ses
droits sur le Comtat Venaissin, il abandonnait
définitivement a la république cispadane les
légations de Bologne et de Ferrare, et en cutre
la belle province de la Romagne. La ville et
l'importante citadelle d'Ancóne restaient au
pouvoir de la France 'jusqu'a la paix générale.
Les deux provinces du duché d'Urbin et de
Macerata, que l'armée francaise avait envahies,
étaientrestiruéesau pape, moyennant la sornme
de 15millions, Pareille somme devait étre payée
conformément a l'arrnistice de Bologne, non
encore exécuté. Ces 30 millions étaient paya-
bIes deux tiers en argent et un tiers en dia-
mants , OU pierres précieuses, Le pape devait
fournir en cutre hui! cents chevaux de cava-
Ierie, huit cents chevaux de trait , des humes
et autres produits du territoÍrre de I'Église. 11
devait désavouer l'assassinat de Basseville, et
faire payer 300,000 francs, tant a ses héritíers
qu'a ceux qui avaient souffert par suite du




60 nÉVOLUTION FRAN~AISJ;;.
méme événement. Tous les objets d'arts et ma-
nuscrits, cédés a la France par I'armistice de
Bologne, devaient étre sur-Ie-charnp dirigés
sur Paris.


Tel fut le traité de Tolentino, qui valait ala
république cispadane, ou tre les légations de Bo-
logne et de Ferrare, la belle province de la Ro-
magne, et qui procurait a I'armée un subside
de 30 millions, plus que suffisant pour la carn-
pagne qu'on allait faire. Quinze jours avaient
suffi a cette expédition. Pendant qu'on négo-
ciait ce traité , Bonaparte sut imposer ala cour
de Naples, et se débarrasser d'elle. Avant de
quitterTolentino, il fit un acte assez remarqua-
ble, et qui déja prouvait sa politique person-
nelle. L'Italie et particulierement les états du
pape regorgeaient de prétres francais bannis.
Ces malheureux , retirés dans les couvents, n'y
étaient pas toujours recus avec beaucoup de
charité. Les arrétés du clirectoire leur interdi-
saient les pays occupés par nos armées , et les
moines italiens n'étaient pas fáchés d'en étre
délivrés par l'approche de nos trol1pes. Ces in-
fortunés étaient réduits au désespoir. Éloigllés
depuis long-temps de leur patrie, exposés a
tous les dédains de l' étranger, ils pleuraient en
voyant nos soldats ; ils en reconnurent méme
quelques-uns dont ils avaient été curés dans les




l>IRECTOIRJ<: (J 797 j. ti r
villages de France. Bonaparte était facile aémou-
voir ; d'aillenrs il teriait a se rnontrer exempt
de toute espéce de préjugés révolutionnaires
OH religieux: il ordonna par un arrété a tous
les couvents du Saint-Síége de recevoir les pré-
tres francais , de les nourrir , et de leur donner
une paie. Il arnéliora ainsi leur état, loin de
les mettre en fuite, Il écrivit audirectoire les
motifs qu'il avait eus en commettant cette in-
fraetion a ses arrétés. « En faisant, dit-il , des
battuescontinuelles de ces malheureux , on les
obligeá rentrer chez eux. Il vaut rnieux qu'ils
soient enItalie qu'en France ; ils nous y seront
utiles. IIs sont moins fauatiques que les prétres
italiens, ils éclaireront le peuple qu'on excite
contre nous. D'ailleurs , ajoutait-il , ils plcurent
ennousvoyant ; comment n'avoirpas pitié de
lenr infortune?» Le. directoire approuva sa
eonduite. Cet aete et sa lettre publiés produi-
sirent une sensation tres-grande.


Il revint sur-le-champ .vers I'Adige, pOllr
exécuter la marche militaire la plus hardie
dont l'histoire fasse mention. Apres avoir fran-
chi une fois les Alpes pour entrer en Italie, il
allait les franchir une seconde fois, pourse jeter
au-delá de la Drave et de la Muer, dans la
vallée du Danube, et s'avancer sur Vienne, Ja-
mais armée francaise n'avait paru en vue de




f)'A ltt:VOLUTION Jl'l\AN~A[SF..
cette capitale. Pomo exécuter ce vaste plan, il
falIait braver bien des périls. 11 laissait toute
l'Italie sur ses derrieres , l'Italie saisie de terreur
et d'admiration, mais imbue toujours de I'idée
que les Franeais ne pouvaient la posséder
long-temps. .


La derniere campagne de Rivoli et la prise
de Mantoue avaient paru terminer ces doutes;
mais une marche enAllemagne allait les réveiller
tous, Lesgoueernements de Genes, de Toscane,
de Naples, Rome, TtLrin, Venise, indignés
de voir le foyer de la révolution placé a leurs
cótés , dans la Cispadane et la Lombardie, pou-
vaient saisir le premier revers pour se soulever.
Dans l'incertitude du résultat , les patriotes
italiens s'observaient , pour ne pas se compro-
mettre, L'arrnée de Bonaparte était de beau-
coupinférieure a ce qu'eUe aurait dú étre ,
pour parer atous les dangers de son plan. Les
divisions Delmas et Bernadotte, arrivées du
Rhin, ne eomptaient pas au-dela de vingt mille
hommes; l'ancienne armée d'Italie en comp-
tait au-delá de quarante , ce qui, avec les troupes
lomhardes, pouvait faire environ soixante el
dix mille, Mais il fallait Iaisser vingt mille
hommes au moins en Italie , garder le Tyrol
avec quinze ou dix-huit mille, et il n'en restait
que trente environ pour marcher sur Vienne ;




UIRECTOIRE eT797)' 63
témérité sans exemple. Bonaparte, pour parer
aces difficultés , tacha de négocier avec le Pié-
mont une alliance offensive et défensive , a
laquelle il aspirait depuis long-temps. Cette al-
Iiance devait lui valoir dix mille hommes de
honnes troupes. Le roí, qui d'abord ne s'était
pas contenté de la garantie de ses états pour
prix des services qu'il allait rendre, s'en con-
tenta, maintenant qu'il voyait la révolution
gagner toutes les tetes. Il signa le traité, qui
fut envoyé aParís. 1\1ai5 ce traité contrariait les
vues du gouvernement franeais. Le directoire,
approuvant la poli tique de Bonaparte en Ita-
lie, qui consistait aattendre la chute tres-pro-
chaine des gouvernements, et a ne point la
provoquer, pour n'avoir ni la peine ni la res-
ponsabilité des révolutions , le directoire ne
voulait ni attaquer ni garantir aucun prince.
La ratification du traité était done fort dúo-
tense, et d'ailleurs elle exigeait quinze ou vingt
jours. Il fallait ensuite que le contingent sarde
se mlt en mouvement, et alors Bonaparte de-
vait déjá se trouver au-dela des Alpes. Bona-
parte aurait voulu surtout conclure un pareil
traité d'alliance avec Venise. Le gÚllvernement
de cette république faisait des armements con-
sidérahles , dont le but ne pouvait étre dou-
teux, Les lagunes étaient remplies de régiments




64 RÉVOLUTION FRANl.;AISE.
esclavons. Le podestat de Bergame, Ottolini,
instrument aveugle des inquisiteurs d'état,
avait répandu de l'argent et des armes parmi
les montagnardsdu Bergamasque, et les tenait
préts pour une bonne occasion, Ce gouverne-
ment, aussi faible que perfide , ne voulait ce-
pendant pas se compromettr.e, et persistait
dans sa prétendue neutralité. Il avait refusé
l'aIliance de l'Autriche et de la Prussc, mais
il était en armes; et si les Franeais entrant
en Autriche, .essuyaient des revers, alors il
était décidé a se prononcer, en les égorgeant
pendant leur retraite. Bonaparte qui était aussi
rusé que l'aristocratie vénitienne, sentait ce
danger, et tenait a son alliance plutót pour se
garantir de ses mauvais desseins que pour
avoir ses secours. En passant l'Adige , il vou-
lut voir le procurateur Pezaro , celui qu'il avait
tant effrayé l'année précédente aPeschiera ; il
lui fit les ouvertures les plus franches et les
plus amicales. - Toute la terre - ferme, lui
dit-il , était imbue des idées révolntionnaires;
il suffisait d'un seul mot des Francais pour in-
surger toutes les provinces contre Venise;
mais les Francais , si Venise s'alliait a eux, se


.garderaient de pousser a la révo1te; ils tache-
raient de calmer les esprits; ils garantiraient la
répuhlique contre l'ambition de l'Autriche, et ,




D1RECTOrHR ('797)' 65
sans lui demandcr le sacrifice de sa constitn-
tion, ils se contenteraient de lui conseilJer dans
son prapre intérét , quelques modifications in-
dispensables. - Rien n'était plus sage ni plus
sincere que ces avis. Il n'est point vrai qu'á
I'instant oú ils étaient donnés, le directoire et
Bonaparte songeassent· a livrer Venise a l'Au-
triche. Lc directoire n'avait aucune idée a cet
égard; en attendant les événements, s'il 50n-
gcait aquelque chose , c'était plutót aaffranehir
l'Italie, qu'a en céder une partie a]'Autriche,
Qnant a Bonaparte , il voulait sincerement se
faire un allié ; et si Venise I'eút écouté , si elle
se'fút rattachée a lui , et qu'elle eút modifié sa
constitution, elle aurait sauvé son territoire et
ses antiques lois. Pezaro ne répondit que d'une
maniere évasive. Bonaparte voyant qu'il n'y
avait rien aespérer , songea a prendre ses pré-
cautions , et apourvoir a tout ce qui lui man-
quait, par son moyen ordinaire , la rapidité et
la vivacité des coups.


Il avait soixante et quclques mille hommes
de troupes, telles que l'Europe n'en avait ja-
mais vu, Il voulait en laisser dix mille en Ita-
Iie, qui, réunis aux bataillonslornbards et cis-
padans, formeraient une masse de quinze ou
dix-huit mille hommes, eapable d'imposer aux
Vénitiens. TI lui restait dnquante et quelques


IX. 5




66 luíVOLlITION FRAN<';:AISlc.
mille combattants, dont il allait disposer de la
maniere suivante, Trois routes conduisaient a
travers les Alpes Hhétiennes , Noriques et Ju-
liennes aVienne: la premiare agauche, traver-
sant le Tyrol au col du Brenner ; la seconde au
centre, traversant la Carinthie au col de Tarwis;
la troisieme a droite , passant le Tagliamento
el l'izonzo, et conduisant en Carníole. L'ar-
chiduc Charles avait le gros de ses forces sur
I'Izonzo, gardant la Carniole, et couvrant
Trieste. Deux corps , l'un a Feltre et Bellune ,
l'autre dans le Tyrol, occupaient les deux au-
tres chaussées. Par la faute qu'avait commise
l'Antriche de ne porter que fort tard ses forces
en Italie, six belles divisions détachées du Rhin
n'étaient point encore arrivées, Cette faute
aurait pu étre réparée en partie , si l'archiduc
Charles, placant son quartier - général dans
le Tyrol, avait voulu opérer sur notre gauche.
11 aurait reeu quinze jours plus tót les six di-
visions du Rhin ; et certainement alors, Bona-
parte, loin de filer sur la droite par la Carin-
tbie OH la Carniole , aurait été obligé de le'
combattre, el d'en finir avec lui avant de se
hasarder au-dela des Alpes. Il l'aurait trouvé
alors avec ses plus belles troupes, et n'en au-
rait pas eu aussi bon marché. Mais l'archiduc
avait ordre de couvrir Trieste , seul port mart-




DIR ECTOIRE ~ 1797)· 61
time de la monarchie. II s'étahlit done au dé-
bouché de la Carniole, el ne placa que des
eorps accessoires sur les chaussées de la Ca-
rinthie el du Tyrol. Deux des divisions, parties
du Rhin, devaient venir renforcer le général
Kerpen dans le Tyrol; les quatre autres de-
vaient filer par derriere les Alpes, a travers la
Carinthie et la Carniole, et rejoindre le quar-
tier-général dans le Frioul, On était en ventóse
(mars). Les Alpes étaient couvertes de neiges
et de glace : eomment imaginer que Bonaparte
songeilt agravir dans ce moment la créte des
Alpes?


Bonaparte pensa qu'en se jetant sur l'archi-
due, avant l'arrivée des principales forces du
Rhin, il enleverait plus facilernent les débou-
chés des Alpes, les íranchirait asa suite, battrait
successivement, comme il avait toujours faít,
les Autrichiens isolés, et, s'il était appuyé par
un mouvement des armées du Rhin, s'avance-
rait jusqu'a Vienue.


En conséquence, il renforca Joubert, qui
depuis Rivoli avait mérité toute sa confiance,
des divisions Baraguai d'Hilliers et Delmas, et
lui composa un eorps de dix-huit mille hommes.
Il Ie chargea de monter dans le Tyrol, de hattre
aoutrance les généraux Laudon et Kerpen, de
les rejeter au-delá du Brenner, de l'autre córé




68 IU~VOLUTION FRAN~ArSF.
des Alpes, et ensuite de filer par la droitcá
travers le Putersthal , pour venir joindre la
grande arméc dans la Carinthie. Laurlon et
Kerpen pouvaient sans doute revenir dans le
Tyrol, apres que Jonbert aurait rejoint l'armée
principale; mais il leur fallait dn temps ponr
se remettre d'une défaite , poLír se renforcer el
regagner le Tyrol, et pendant ce temps, Bona-
parte serait aux portes de Vienne. Pour calmcr
les Tyroliens , i] recommancla a.Joubert de ca-
resser les prétres , de dire du bien de l'empe-
reur et du mal de ses ministres, de ne toucher
qu'aux caisses impériales, et de ne rien changer
a l'administration du pays. 11 chargea I'intré-
pide Masséna, avec sa belle division forte .de
dix mille hommes, de marchen sur le corps qni
était au centre vers }<'eltre et Bellune , de courir
aux gorges de la Ponteba qui précedent le granel
col de Tarwis , de s'emparer des gorges et du
col, et de s'assurer ainsi du débouché de la Ca-
rinthie. Il voulait de sa pel'sonne marcher avec
rrois divisions , fortes de vingt-cinq mille horn-
mes,· sur la Piave et le Tagliamento , pousser
devant lui I'archiduc dans la Carniole, se ra-
battre ensuite vers la chaussée de la Carinthie,
joindl'e Masséna au col de Tarwis, franchír les
Alpes ace col, descendre dans la vallée de la
Drave et de la Muer, recueillir Joubert, et ruar-




DJImCTO!RE (1797)· 69
cher sur Vienne. 11 comptait sur l'irnpétuosité
et l'audace de ses attaques, et sur l'impression
que laissaient ordinairement ses coups prompts
et terribles.


Avant de se mettre en marche, il donna au
général Kilrnaine le commandement de la
Haute -Italie. La division Victor, échelonnée
dans les états du pape, en attendant le paie-
ment des 30 millions, devait revenir sous peu
de jours sur l'Adige, et y former avec les Lorn-
hards le eorps d'observation. Une fermentation
extraordinaire régnait dans lesprovinces vé-
nitiennes. Les paysans et les montagnards dé-
voués aux prétres et a l'aristocratie, les villes
agitées par l'esprit révolutionnaire, étaient pres
d'en venir aux mains. Bonaparte commanda
au genéral Kilmaine d'observer la plus exacte
neutralité , et se mit en marche pour exécuter
ses vas tes projets, Il publia , suivant son usage,
une proclamation énergique et capable d'aug-
menter encore l'exaltation de ses soldats, si
elle avait pu l'étre. Le 20 ventóse an V ( 10
mars 1797), par un froid rigoureux et plusieurs
pieds de neige sur' les montagnes, il mit toute
sa ligne en mouvement. Masséna commenca
son opération sur le corps du centre, le poussa
sur Feltre , Bellune , Cadore , lui fit un miIlier
de prisonniers, ati nombre desquels était encore




70 nÉVOLUTION }'ltAN~AISE.
le général Lusígnan, se rehattit sur Spilimbergo,
et s'engagea dans les gorges de la Ponteha, qui
précedent le col de Tarwis, Bonaparte s'avanca
avec trois divisious sur la Piave : la division
Serrurier qui s'était illustrée devant Mantoue ,
la division Augereau, actuellement confiée au
général Guyeux, en l'absence d'Augereau qui
était alié porter des drapeaux a París, et la
division Bernadotte arrivée du Bhin. Cette der-
niere contrastait , par sa simplicité et sa tenue
sévere , avec la vieille arrnée d'Italie, enrichie
dans les beJIes plaínes qu'elle avait conquises,
et eomposée de méridionaux Lraves, fougueux
et iutempérants. Les soldats d'Italie , fiers de
leurs victoires, se moquaient des soldats venus
(In Rhin, et les appelaient le contingent, par
allusion aux contingents des cercles , qui dans
les armées de l'empereur Iaisaient mollcment
Ieur devoir. Les soldats du Rhin, vieillis son s
les armes, étaient impatients de pronver leur
valeur á leurs rivaux de gloire. Déjá quelques
coups de sabre avaient été échangés acause de
ces railleries, et on était impatient de faire ses
preuves devant l'ennemi.


Le 23 (13 mars) , les trois divisions passérent
la Piave sans accident, et faillirent seulement
perdre un hornme , qui allait se noyer, lors-
qu'une cantiniere le sauva en se jetant a la




DIRECTOIRE (IJ~)7)· 7 1
nage. Bonaparte donna acette femme un collier
d'OI'. Les avant-gardes ennemies se replierent,
el vinrent chercher un refuge derriere le Ta-
gliamento. Toutes les troupes du prince Charles
répandues dans le Frioul, y étaient réunies pour
en disputer le passage. Les deux jeunes adver-
saires allaient se trouver en présence. L'un, en
sauvant I'AlIemagne par une pensée heureuse ,
s'était acquis l'année précédente une grande ré-
putation. Il était brave, point engagé dans les
routines allemandes, rnais fort incertain du suc-
ces, et tres-alarmé pour sa glaire. L'autre avait
étonné I'Europe par la fécondité et l'audace de
ses combinaisons; il ne craignait rien au monde.
Modeste jusqu'a Lodi, il ne croyait maintenant
aucun génie égal au sien, et aucun soldat égal
au soldat francais. Le 2.6 ventóse (16 mars ) au
matin, Bonaparte dirigea ses trois divisions par
Valvasone, sur les bords du Tagliamento. Ce
fleuve , dont le lit est mal tracé, roule des Alpes
sur des graviers, et se divise en une multitude
de bras, tous guéables. L'armée autrichienne
était déployée sur l'autre rive, couvrant les gre-
ves du fleuve de ses boulets, et tenant sa belle
cavalerie déployée sur ses ailes, pour en pro-
fiter sur ces plaines si favorables aux évolutions.


Bonaparte laissa la division Serrurieren ré-
serve a Valvasone , et porta les deux divisions




72 nÉvoLuTJON };'RANc;AISE.
Guyeux et Beruadotte , la prerniere agauche,
faisant face au village de Gradisea oú était logé
l'ennemi; la seeonde a droite, en faee de Go-
droípo. La canonnade commen<;a, el il y eut
quelques esearmouehes de eavalerie sur les
graviers. Bonaparte trouvant. l'ennemi trop
préparé, feignit de donner du re pos a ses
troupes, fit eesser le feu, et ordonna de com-
meneer la soupe. L'ennemi trompé crut (Iue les
divisions ayant marché toute la nuit allaient
faire une halte et prendre du reposo Mais a
midi , Bonaparte fait tout-á-coup reprendre les
armes. La division Guyeux se déploie a gallo.
che, la division Bernadotte a droite. On forme
les bataillons de grenadiers. En téte de chaque
division, se place l'infanterie légere, préte a se
dispersor en tirailleurs, puis les grenadiers qui
doivent charger, et les dragons qui doivent les.
appuyer. Les deux divisions sont déployées en
arriere de ces deux avant-gardes. Chaque derui-
brigade a son premier bataillon déployé en li-
gne, et les deux autres ployés en colonne serrée
sur les ailes du premier. La eavalerie est des-
tinée a'voltiger sur les ailes. L'arrnée s'avance
ainsi vers les bords du fleuve, et marche au
combat avee le mérne ordre et la mérne tran-
quillíté que clans une parade.


Le général Darnmartin a gauche, le géné",




DIRJ,CTOIHE (I7~)7). 73
ral Lespinasse a droitc, font approcher leur ar-
tillerie. L'iufauterie légere se disperse, et cou-
"re les bords du Tagliamento d'une nuée de
tirailleurs. Alors Bonaparte donne le signal.
Les grenadiers des deux divisions entrent dans
l'eau, appuyés par des escadrons de cavalerie ,
el s'avancent sur I'autre rive. -«SoldatsduRhin,
s'écrie Rernadotte, I'armée d'Italie vous re-
garde [» - Des deux cótés on s'élance avec la
méme bravoure. On fond sur l'arrnée ennemie,
et on la repousse de toutes parts. Cependant le
prince Charles avait placé un gros d'infanterie
a Gradisca, vers notre gauche, et tenait sa ca-
valerie vers notre aile droite, pour nous dé-
border et nous charger ala favenr de la plaine.
Le généraL Guyenx a la tete de sa división
attaque Gradisca avec furie, et l'enleve. Bona-
parte dispose sa reserve de cavalerie vers no-
tre ailc menacée, et la lance, sous les ordres
du général Dugua et de l'adjndant-général Kel-
lermann, sur la cavalerie autrichienne. Nos
cscadrons chargcnt avec adresse et impétuosité ,
font prisonnier le général de la cavalerie en-
nernie , et la mettent en déroute. Sur toute la
ligne le Tagliamento est franchi, l'ennemi est
en fuite. Nous avons quatre a ciuq cents pri-
sonniers ; le terrain tout ouvert ne permeltaít
pas d'en prenrlre davantage.




74 RÉVOLUTION FR.~N~AISJ':.
Telle fut la journée dU26 ventóse (J6 mars) ,


dite bataille du Tagliamento. Pendant qu'elle
avait lieu , Masséna, sur la chaussée du centre,
attaquait Osopo, s'emparait des gorges de la
Ponteha , et poussait sur Tarwis les débris des
divisions Lusignan et Orkscay.


L'archiduo Charles sentait que, pour garder
la ehaussée de la Carniole et couvrir Trieste ,
il allait perdre la chaussée de la Carinthie, qui
était la plus directe et la plus courte, et celle
que Bonapartc voulait suivre pour mareher sur
Vienue. La chaussée de la Carniole cornmuni-
que avec celle de la Carinthie et le col de Tar-
wis par une route transversale qui suit la
vallée de l'Izonzo. L'archiduc Charles dirige la
division Bayalitsch par cette communication
sur le col de Tarwis , pour prévenir Masséna ,
s'il est possible. Il se retire ensuite avec le
reste de ses forces sur le Frioul, afin de 'dis-
puter le passage du Bas-Izonzo.


Bonaparte le suit et s'ernpare de Palma-Nova,
place vénitienne , que l'archiduc avait occupée ,
et qui renferrnait des magasins immenses. Il
marche ensuite sur Gradisca, ville située en
avant de l'Izonzo. Il y arrive le 29 ventóse (19
mars). La division Bernadotte s'avance de Gra-
disea , qui était faiblement retranchée , mais
gardée par trois mille homrnes. Pendant ce.




DIUECTOIRE (1797)' 7~)
temps, Bonaparte dirige la division Serrurier
un peu audessous de Gradisea, pour y passer
I'Izonzo et couper la retraite a la garnison.
Bernadotte , saus attendre le résultat de eette
manoeuvre , somme la place de se rendre. Le
commandant s'y refuse. Les soldats du Rhin
demandent l'assaut, pour entrer dans la place
avant les soldats d'Italie, lis fondent sur les
retranchements, mais une grele de balles et de
rnitraille en abat plus de einq cents. Heureu-
sement la manoeuvre de Serrurier fait cesser
le combato Les trois mille hommes de Gradisca
metteut has les armes, et livrent des drapeaux
et du canon.


Pendant ee temps, Masséna était enfin arrivé
au col de Tarwis , et, aprés un combat assez
vif, s'était emparé de ce passage des Alpes. La
division Bayalitsch, acheminée a travers les
sources de l'Izonzo pour prevenir Masséna a
Tarwis, allait done trouver I'issue fermée. L'ar-
chiduc Charles, prévoyant ce résultat , laisse
le reste de son arrnée sur la route du Frioul
et de la Carniole , avec ordre de venir le re-
joindre derriere les Alpes a Clagenfurth ; il
vole ensuite de sa personne aVillach , oú arri-
vaient de nombreux détachements du Rhin,
pour réattaquer Tarwis, en chasser Masséna ,
et rouvrir la route ala division Bayalitsch. Bo-


,'.iI'··


.'. :.,\
,




IU:VOLUTION FRAN<;A ISE.


naparte de son cóté Iaisse la división Berna-
dotte ala poursuite des corps qui se retiraient
dans la Carnio]e , et avec les divisions Guyeux
et Serrurier , se met a harceler par derriere
la division Bayalitschatravers la valléed'Izonzo.


Le prinee Charles, aprés avoir rallié der-
riere les Alpes les débris de Lusignan et d'Ork-
scay, qui avaient perdu le col de Tarwis , les
renforce de six mille grenadiers, les plus beaux
et les plus braves soldats de l'empereur, et
réattaque le col de Tarwis, ON. Masséna avait
a peine Iaissé un détachement. Il parvient a
le reeouvrer, et s'y établit avec les eorps de
Lusignan , d'Orkseay et les six rnille grenadiers.
Masséna réunit toute sa division. pour l'em-
porter de nouveau. Les deux généraux sen-
taient tons deux I'importance de ce point.
Tarwis enlevé, l'armée francaise était maitresse
des Alpes, et prenait la division Bayalitsch
tout entiere, Masséna fond tete haissée avec
sa brave infanterie, et, suivant son usage, paie
de sa personne. Le prince Charles ne se pro-
digue pas moins que le général républicain,
et s'expose plusieurs fois aétre pris par les ti-
railleurs francais. Le col de Tarwis est le plus
élevé des Alpes Noriques, il domine l'Allerna-
gne. On se battait au-dessus des nuages, au
milieu de la neige el su r des plaines de glace,




OIRECTOIRE (1797)' 77
Des lignes entieres de cavalerie étaient ren-
versées et brisées sur cet affreux champ de
bataille, Enfin, aprés avoir fait donner jusqu'a
son dernier bataillon , l'archiduc Charles aban-
donne Tarwis ason opiniátre adversaire , et se
voit obligé de sncrifier Ia division Bayalitsch.
Masséna , resté maitre de Tarwis, se rabat sur
la division Bayalitsch qui arrivait , et l'attaque
en tete, tandís qu'elle est pressée en queue
par les divisions Guyeux et Serrurier réunies
sous les ordres de Bonaparte. Cette division
n'a d'autre ressource que de se rendre prison-
niere, Une foule de soldats, natifs de la Car-
niole et de la Croatie , se sauvent a travers les
montagnes en jetant bas leurs armes; mais il
en reste cinq mille au pouvoir des Franeais ,
avec tous les hagages, avee les administrations
et les pares de l'armée autrichienne, quiavaient
suivi cette route. Ainsi Bonaparte était arrivé
en quiuze jours au sommet des Alpes, et sur
le point oú il commandait, il avait entierement
réalisé son hut.


Dans le Tyrol, Joubert justifiait sa confiance
en livrant des eombats de géants. Les deux gé·
néraux Laudon et Kerpen occupaient les deux
rives de l' Adige. Joubert les avait attaqués et
battus a Saint-Michel , leur avait tué deux millc
hommes et pris trois mille. Les poursuivant




H~V()LUTION FRANt:,\ TSJ':.
sans reláche sur Neumark et Tramin, et Ieur
enlevant encore deux mille hommes, il avait
rejeté Laudon a la gauche de l'Adige, dan s la
vallée de la Meran, et Kerpen adroite, au pied
du Brenner. Kerpen, renforeé a Clausen de
l'une des deux divisions venant du Rhin, s'é-
tait fait hattre encere. Il s'était renforeé de nou-
veau, a Mittenwald, de la seconde division
du Rhin, avait été hattu une derniere fois, et
s'était retiré enfin au-dela du Brenner. Jou-
hert, apres avoir ainsi déblayé le Tyrol, avait
fait un a-droite, et il rnarchait a travers le
Putersthal pour rejoindre son général en chef.
On était au 12 germinal (1 er avril), et déja Bo-
naparte était maitre du sommet des Alpes; il
avait prés de vingt mille prisonniers; il aHait
réunir Joubert et Masséna a son eorps prin-
cipal, et rnarcher avec cinquante mille hom-
mes sur Vienne. Son adversaire rompu faisait
effort pOllr rallier ses débris , et les reunir aux
troupes qui arrivaient du Rhin. Tel était le ré-
sultat de cette marche prompte et audacieuse.


Mais tandis que Bonaparte obtenait ces ré-
sultats si rapides , tont ce qu'il avait prévu et
appréhendé sur ses derrieres , se réalisait. Les
provinces vénitiennes, travaillées par l'esprit ré-
volutionnaire , s'étaient soulevées. Elles avaient
ainsi fonrni an €muvernement vénitien un pré-




nlUCTolIU': (1797)· 79
texte pour déployer des forces considérables ,
et pOllr se mettre en mesure d'accabler l'ar-
mée francaise , en cas de reverso Les provinces
de la rive droite du Mincio étaient les plus
atteintes de l'esprit révolutionnaire, par l'effet
du voisinage de la Lombardie. Dans les villes
de Bergame, Brescia , Salo, Creme, se trou-
vaient une multitude de grandes familles , aux-
quelles le joug de la noblesse du livre d'or
était insupportable , et qui, appuyées par une
bourgeoisie nombreuse , forrnaient des partis
puissants. En suivant les conseils de Bonaparte,
en ouvrant les pages du livre d'or , en appor-
tant quelques modifications a l'ancienne cons-
titution, le gOllvcrnement de Venise aurait
désarmé le parti redoutable qui s'était formé
dans toutes les provinces de la terre-ferme ;
mais l'aveuglement ordinaire a toutes les aris-
tocraties avait ernpéché eette transaction, et
rendu une révolution inevitable. La part que
prirent les Francais dans cette révolution est
facile a déterminer , malgré tontes les absur-
dités inventées par la haine et répétées par
la sottise. L'arméc d'Italie était composée de
révolutionnaires. méridionaux , c'est-á-dire de
révolutionnaires ardents. Dans tous leurs rap-
ports avec les sujets vénitiens , il n'était pa~
possible qu'ils ne communiquassent leur es




80 RÉVOLUTION FRAN~ArSE.
prit , et qu'ils n'excitassent la révolte centre
la plus odieuse des aristocraties européennes ;
mais cela était inévitable, et il n'était au pou-
voir ni du gouvernement ni des générallx fran-
cais de l'ernpécher. Quant aux intentions du
directoire et de Bonaparte ,elles étaient claires.
Le directoire souhaitait la chute naturelle de
tous les gouvernements italiens, mais il étaít
décidé a n'y prendre aucune part active, et du
reste i] s'en reposait entierement sur Bona-
parte dela couduite des opérations politiques
et militaires en Italie. Quant a Bonaparte lui-
rnéme , il avait trop besoin d'union, de repos
et d'amis sur ses derrieres pour vouloir révo-
lution ner Venise. Une transaction entre les
deux partis luí convenait bien davantage. Cette
transaction et notre alliance étant refusées, il
se proposait d'exiger a son retour ce qu'il n'a-
vait pll obtenir par la voie de la douceur; mais
pour le moment il ne voulait rien essayer ,ses
intentions a cet égarcl étaient positivement ex-
prímées ason gouvernement, et il avait donné
au général Kilmaine l'ordre le plus formel de
ne prendre aucune part aux événements poli-
tiques, et de maintenir le calme le plus qu'il
pourrait,


Les villes de Bergame et de Brescia , les plus
agitées de la terre-ferrne , étaient fort en com-




DIRECTOIIlE (1797). 81
munication avec Milan. Partout se formaient
des comités révolutionnaires secrels pOllr cor-
respondre avec les patriotes milanais, On leur
demandait du seeours pour secouer le joug de
Venise. Les vietoires des Francais ne laissaient
plus aueun doute sur l'expulsion définitive des
Autriehiens. Les patrons de l'aristocratie étaient
done vaineus; et quoique les Francais affectas-
sent la neutralité , il était clair qu'ils n' emploie-
raient pas leurs armes a faire rentrer sous le
joug les peuples qui l'auraient secoué. Tous
ceux done qui s'insurgeaient, paraissaient de-
voir rester libres. Telle était la maniere de
raisonner des Italiens. Les habitants de Ber-
game, plus rapprochés de Milan, firent deman-
del' secretement aux ehefs milanais s'ils pou-
vaient eompter sur leur appui, et sur le seeours
de la légion lombarde commandée par Lahoz.
Le podestat de Bergame, Ottolini, eelui qui,
fidele agent des inquisiteurs d'état, donnait
de l'argent el des armes aux paysans et aux
montagnards , avait des espions parmi les pa-
triotes milanais; il connut le projet qui se
tramait, et ohtint le nom des principaux habi-
tants de Bergame, agents de la révolte. Il se
háta de dépécher un eourrier aVenise , poul'
porter leurs noms aux inquisiteurs d'état , et
provoquer leur .arrestation. Les habitants de


IX. 6




82 nÉvoLU1'lON ,FJtANYA.ISE.
Bergame, avertis du péril , firent courir apres
le porteur de la dépéche , le firent arréter , et
publierent les noms de ceux d'entre eux qui
étaient compromiso Cet événement decida l'ex-
plosion. Le 1 1 mars, au moment méme oú
Bouaparte marchait sur la Piave , le tumulte
commenca dans Bergame. Le podestat Otto-
iini fit des menaces qui ne furent pas écoutées.
Le commandant francais que Bonaparte avait
placé dans le chatean avec une garnison, pour
veiller aux mouvernents des montagnards du
Bergamasque, redoubla de vigilance et ren-
forca tous ses postes. De part et d'autre on in-
voqua son appui ; il répondit qu'il ne pouvait
entrer dans les démélés des sujets vénitiens
avec leur gouvernement, et il dit que le dou-
blement de ses postes n'était qu'une précau-
tion pour la süreté de la place qui lui était
confiée. En exécutant ses ordres, et en restant
neutre, il faisait bien assez pOlil' les Bergamas-
queso Ceux-ci s'assemblérent le lendemain 12
mars, forrnereut une municipalité provisoire,
déclarerent la ville de Bergame libre, et chas-
serent le podestat Ottolini, qui .se retira avec
les trollpes vénitiennes. Sur-le-champ ils en-
voyerent une adresse a Milan, pOllr obtenir
l'appui des Lombards. L'incendie devait se como
muniquer rapidement aBrescia, et atoutes les




DlRECTOlRE (1797)' 83
vilIes voisines. Les habitants de Bergame a
peine affranchis , envoyerent une députation a
Brescia. La présence des Bergamasques sou-
leva les Brescians. C'était Bataglia, ce Véni-
tíen qui avait soutenu de si sages avis dans les
délibérations du sénat ,qui était podestat a
Brescia. Il ne crut pas pouvoir résister, et il
se retira. La révolution de cette ville s'opéra
le 15 marso L'incendie continua de se répandre,
en longeant le pied des montagnes. 11 se com-
muniqua a Salo, 00. la révolution se fit de
me me par l'arrivée des Bergamasques et des
Brescians , par la retraite des autorités véni-
tiennes, et en présence des garnisons francai-
ses, qui restaient neutres, mais dont l'aspeet,
quoique sileneieux, remplissait les révoltés
d'espérance, Ce soulevement du partí patriote
dans les villes devait naturellement détermi-
ner le soulévement du parti contraire, qui
était dans les montagnes et les campagnes, Les
montagnards et les paysans, armés delongue
main par Ottolini , recurent le signaldes capu-
cinset des moines qui vinrent précher dans
les hameaux : ils se préparerent avenir sacca-
gel' les villes insurgées, et, s'ils le pouvaient ,
a assassiner les Francais. Des cet instant , les
généraux francais ne pouvaient plus demeurer
inactifs , tout en voulant rester neutres. Ils


G.




HRVOLUTroN FHAN~A[Sl'l.
connaissaient trap bien les intentions des mOH-
tagnards et des paysans, pOllr souffrir qu'ils
prissent les armes; et sans vouloir donner de
l'appui a aucun parti , ils se voyaient ohligés
d'intervenir, et de comprimercelui qui avait
et qui annoncait contre eux des intentions
hostiles. Knmaine ordonna sur-le-champ au
général Lahoz, commandant la légion Iorn-
barde, de marcher vers les montagnes ponr
s'opposer a leur armement. Il ne voulait ni ne
devait mettre ohstacle aux opérations des trou-
pes vénitiennes réglllieres, si elles venaient
agil' contre les villes insurgées, mais il ne vou-
lait pas souffrir un soulevement dont le résul-
tat était incalculable, dans le cas d'une défaite
en Autriche, Il envoya sur-le-champ des cour-
riers a Bonaparte, et fit háter la marche de la
division Victor, qui revenait des états du pape.


Le gouvernement de Venise, comme il ar-
rive toujoursaux gouvernements aveuglés , qui
ne veulent pas prévenir le danger en accordant
ce qui est indispensable, fut épouvanté de ces
événements , comme s'ils avaient été imprévus.
Il fit marcher sur-le-champ les tI'Oupes qu'il
réunissait depuis long-temps, et les achemina
sur les villes de la rive droite du Mincio. En
méme temps, persuadé que les Francais étaient
l'intluence secrete qu'il fallait conjurer, il s'a-




DIRECTOIRE (J 797). ~5
dressa au ministre de France Lallemant, pour
savoir si, dans ce péril extreme, la république
de Venise pouvait compter sur l'amitié GU di-
rectoire. La réponse du ministre Lallemant fut
simple, et dictée par sa position, 11 declara
qu'il n'avait aucune instruction de son gouver·
nement pOllr ce cas, ce qui était vrai; mais il
ajouta que si le gouvernement vénitien voulait
apporter a sa constitution les modifications
réclamées par le besoin du temps, il pensait
que la Franee l'appuierait volontiers. Lallemant
ne pouvait pas faire d'autre réponse; ear si la
France avait offert son alliance a Venise con-
tre les autres puissances, elle ne la lui offrit
jamais contre ses propres sujets ; et elle ne
pouvait la lui offrir contre eux , qu'a condition
que le gouvernementadopterait des principes
sages et raisonnahles. Le grand-conseil de Ve-
nise délibéra sur la réponse de Lallemant. Il
y avait plusieurs siécles que la proposition
d'un changement de constitution n'avait été
faite publiquement. Sur deux cents voix, elle
n'en obtint que cinq. Une cinquantaine de
voix se déclarerent pour l'adoption d'un parti
énergique; mais cent quatre-vingts se prooon-
cerent ponr une réforme lente, successive ,
renvoyée a des temps plus calmes, c'est-á-
dire, POUI' une déterrnination évasive. On ré-




86 RÉVOLlJTJON FRANCAI5E.,
solut d'envoyer sur-le-champ deux députés a
Bonaparte, pour sonder ses intentions, et in-
voquer son appui. On choisit l'un des sages
de terre-ferme, J.-B. Cornaro , et le fameux
proeurateur Pezaro, qu'on a déjavu si souvent
en présence du général.


Les courriers de Kilrnaine et les envoyés vé-
nitiens atteignirent Bonaparte, au moment oú
ses manoeuvres hardies lui avaient assuré la
ligne des Alpes et ouvert les États héréditaires,
Il était a Goriee, oceupé a régler la capitula-
tion de Trieste, 11 apprit avec une véritable
peine les événernents qui se passaient sur ses
derrieres , et on le ero ira facilement si on ré-,
fléchit combien il y avaitd'audace et de dan-
gel' dans sa marche sur Vienne. Du reste, ses
dépéches au directoire font foi - de la peine
qu'il éprouvait; et ceux qui ont dit qu'il n'ex-
primait pas sa véritable pensée dans ces dépé-
ches ont montré peu de jugement, cal' il ne
faít aucune difficulté d'y avouer ses ruses les
moins franches contre les goúvernements ita-
liens. Cependant que pouvait-il faire au milieu
de pareilles circonstances? n n'était pas géné-
reux a lui de comprimer par la force le partí
qui proclamait nos príncipes, qui caressait ,
accueillait nos armées , et d'assurer le triomphe
acelui qui était prét, en cas de revers , aanéan-




UlllECTOIRE (1797)' 87
tir nos príncipes et nos armées. Il résolut de
profiter encore de cette circonstance , pour ob-
tenir des envoyés de Venise les concessions et
les secours qu'il n'avait pu leur arracher. Il re-
cut les deux envoyés poliment , et leur donna
audience le 5 germinal (25 mars ). - Que je
m'arme , leur dit-iI, contre mes amis , contre
ceux qui nous accueillent et veulent nous dé-
fendre, en faveur de mes ennemis , en faveur
de ceux qui nous détestent et veulent nous
égorger, c'est la une chose impossible. Cette
láche politique est aussi loin de mon coeur
que de mes intéréts, Jamais je ne préterai mon
secours c6ntre des príncipes pour lesquels la
France a fait sil révolution, et auxquels je dois
en partie le succes de mes armes. Mais je vous
offre encore une foís mon amitié et mes con-
seils. Alliez-vous franehement ala France , rap-
prochez-vous de ses principes, faites des mo-
difications indispensables avotre constitution ;
alors je réponds de tout, et sans employer une
violence qui est impossihle de IDa part, j'ob-
tiendrai par mon influenee sur le peuple ita-
líen, et par l'assurance d'un régime plus rai-
sonnable, le retour a l'ordre et a la paix. Ce
résultat vous convient avous autant qu'á moi.
- Ce langage, qui était sincere, et dont la sa-
gesse n'a pas besoin d'étre démontrée, ne con-




88 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
venait point aux envoyés vénitiens ,surtout a
'pezaro. Ce n'était point la ce qu'rls voulaient ;
ils désiraient qne Bonaparte leur restituát les
forteresses qu'il avait occnpées par précaution ,
dans Bergame, Brescia, V érone ; qn'il souffrit
l'armement du parti fanatiquecontre le partí:
patriote , et qu'il permit qu'on lui préparát
ainsi une Vendée sur ses derrieres. Ce n'était
pas la un moyen de s'entendre. Bonaparte ,
dont l'humeur était prompte, traita fort mal
les deux envoyés, et leur rappelant les procé-
dés des Vénitiens envers l'armée francaise ,
leur déclara qu'il connaissait leurs dispositions
secretes et leurs projets; mais qu'il était en
mesure, et qu'il y avait une armée en Lom-
bardie pour veiller sur eux. La conférence de-
vint aigre. On passa de ces questions acelles
des approvisionnements, Jusqu'ici Venise avaij
fourni des vivres a l'armée francaise, et elle


. ,


avait autorisé Bonaparte a les exiger d'elle, en
nourrissant l'armée autrichienne. Les Vénitiens
voulaient que Bonaparte, transporté dans les
États héréditaires , cessát de se. nourrir a leurs
dépens. Ce n'était pas du tout son intention,
car il voulait ne rien demander aux habitants
de l'Autriche , afin de se les concilier. Lesfour-
nisseurs secretement chargés par le gouverne-
ment vénitien de nourrir l'armée avaient cessé




DIRECTOIRE (1797)' 89
ces fournitures. On avait été réduit a faire des
réquisitions dans les états vénitiens, - Ce
moyen est vicieux, dit Bonaparte ; il vexe l'ha-
bitant , il darme lieu ad'affreuses dilapidations ;
donnez-rnoi un million par mois pendant que
aurera encore cette campagne qui ne peut pas
étre longue; la république francaise comptera
ensuite avec vous, et vous saura plus de gré
de ce million que de tous les rnaux que vous
end iírez par les réquisitions. D'ailleurs vous
avez nourri tous mes ennemis, vous leur avez
donné asile, vous me devez la réciprocité. -
Les deux envoyés répondirent en disant que
le trésor était ruiné. - S'il est ruiné, répliqua
Bouaparte , prenez de l'argent dans le trésor
du duc de Modéne , que vous avez recélé au
détriment de mes alliés les Modénois; prenez-
en dans les propriétés des Anglais , des Russes,
des Autrichiens , de tous mes ennemis, que
vous gardez en dépór. - On se sépara avec
humeur. Une entrevue nouvelle eut lieu le
lendemains Bonaparte, calmé, renouvela tou-
tes ses propositions; mais Pezaro ne fit rien
pour le satisfaire, et promit seulement d'in-
former le sénat de toutes ses demandes. Alors
Bonaparte, dont l'irritation commencait a ne
plus se cont¡nir, saisit Pezaro par le bras el
lui dit : - Au reste, je vous observe, je vous




90 RÉVOLUTION FRA.N~AJSE.
devine; je sais ee que vous me préparez; mais
prenez-y garde! si, pendant que je serai engagé
dans une entreprise lointaine, vous assassiniez
mes mala des , vous attaquiez mes dépóts , vous
menaciez ma retraite, vous auriez décidé vo-
tre ruine. Ce que je pourrais pardonner pen-
dant que je suis en Italie, serait un crime :1'-
rérnissible pendant que je serai engagé en
Autriche. Si vous prenez les armes, vous dé-
cidez ou ma perte ou la vótre, Songez-y done,
et n'exposez pas le lion valétudinaire de Saint-
Marc contre la fortune d'une armée qui trou-
verait dans ses dépóts et ses hópitaux de quoi
franchir vos lagunes et vous détruire. - Ce
langage énergique effraya, sans les convaincre,
les envoyés vénitiens , qui écrivirent sur-le-
ehamp le résultat de cette eouférenee. Bona-
parte éerivit aussitót a Kilmaine pour lui or-
donner de redoubler de vigilance , de punir les
commandants franeais s'ils sortaieut des limi-
tes de la neutralité, et de désarrner tous les
montagnards et les paysans. "'i' ...


Les événements étaient telIement 'avancés ,
qu'il était impossible qu'ils s'arrétassent. L'in-
surreetion de Bergame avait eu lieu le 22 ven-
tose (12 mars); celle de Brescia le 27 (17 mars);
celle de Salo le 4 germinal (24.mars). Le 8
germinal (28 mars), la ville de Creme fit sa ré-




DIRECTOIRE (1797)· 9 1
volutioll l et les troupes franeaises s'y trouve-
rent forcément engagées. Un détachement qui
précédait la division Victor, de retour en
Lombardie , se présenta aux portes de Creme.
C'était dans un moment de fermentation. La
vue des troupes francaises ne pouvait qu'ac-
croitre les esperances et la hardiesse des pa-
triotes. Le podestat vénitien , qui était dans
l'dIroi, refusa d'abord l'entrée aux Francais ;
puis il en introduisit quarante ,lesquels s'em-
parerent des portes de la ville, et les ouvrirent
aux troupes francaises qui suivaient. Les habi-
tants profiterent de l'occasion , s'insurgerent ,
et renvoyerent le podestat vénitien. Les Fran-
cais n'avaient pris ce parti que pour s'ouvrir
passage; les patriotes en profiterent pour se
soulever. Quand il existe de pareilles disposi-
tions , tout devient cause, et les événements les
plus involontaires ont des résultats qui font
supro,ser la complicité, la OU il n'en existe
point, Telle fut la situation des Francais, qui ,.
sans aucun doute, souhaitaient individuelle-
ment la révolution, mais qui officiellement
observaient la neutralité.


Les montagnards et les paysans , excités par
les agents de Venise, et par les prédicatious
des capucins, inondaient les campagnes. Les
régiments csclavons, déharqués des lagunes sur




92 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
la terre-ferme , s'avaneaient vers les villes in-
surgées. Kilmaine avait donné ses ordres, et
mis en raouvement la légion lombarde pour
désarruer les paysans. Déja plusieurs escar-
mouches avaient eu lieu; des villages avaient
été incendiés , des paysans saisis et désarmés,
Mais ceux-ci , de leur coté, cornmencaient de
saccager les villes, et d'égorger les Fraucais ,
qu'ils désignaient sous le nom de jacobins.
Déjá meme ils assassinaient d'une maniere
horrible tous ceux qu'ils trouvaient isolés, lis
firent d'abord la contre-révolution aSalo; aus-
sitót une troupe des habitants de Bergame et
de Brescia, appuyée par un détachement des
Polonais de la légion lombarde, marcha sur
Salo, ponr en chasser les montagnards. Quel-
ques individus envoyés pour parlementd,.
furent attirés dans la ville et égorgés; le dé-
tachement fut enveloppé et battu; deux cents
Polonais furent faits prisonniers, et envoyés a
Venise. On saisit a Salo, a Vérone, dans
toutes les villes vénitiennes, les partisans con-
nus des Francais ; on les envoya sous les
plombs, et les inquisiteurs d' état , encourazés
par ce misérable succes , se montrerent dispo-
sés ade cruelles vengeances. On prétend qu'il
fut défendu de nettoyer le canal Orfano, qui
était destiné, comme on sait , al'horrible usage




nIRECTOIRE (1797)' 93
de noycr les prisonniers d'état. Cependant 1<'
gouvernement de Venise, tandis qu'il se pré-
parait a déployer les plus grandes rigueurs,
cherchait a tromper Bonaparte par des actes
de condescendance apparente, et il accorda le
million par mois qui avait été demandé. L'as-
sassinat des Francais ne continua pas moins
partout oú ils furent rencontrés. La situation
devenait extrémement grave, et Kilmaine en-
voya pe nonveaux courriers aBonaparte. Celui-
ci, en apprenant les combats livrés par les
montagnards, l'événement de Salo, oú deux
cents Polonais avaient été faits prisonniers, l'em-
prisonnement de tous les partisans de la France,
et les assassinats commis sur les Francais , fut
saisi de colere. Sur-le-champ il envoya une
lettre foudroyaote au sénat , daos laquelle il
récapitulait tous ses griefs, et demandait le
désarmement des montagnards, l'élargissement
des prisonniers polonais, et des sujets vénitiens
jetés sous les plombs. Il chargea Junot de
porter cette lettre, de la lire au sénat, et 01'-
donna au ministre Lallemant de sortir sur-le-
champ de Venise, en déclarant la guerre, si
toutes les satisfactions exigées n'étaient pas
accordées.


Pendant ce temps, il descendait a pas de
géant du haut des Alpes Noriques, .dans la




94 rrÉVOLTJTION FRAN«:;:AISF..
valIée de la Mer. Sa principale espérance dans
cette marche téméraire , était la prompte en-
trée en campagne des armées du Rhin, et leur
prochaine arrivée sur le Danube. Mais il recut
une dépéche dn directoire qui lui Ó1a tout
espoir a cet égard. La détresse.de la trésorerie
était si grande, qu'elle ne pouvait fournir au
général Morean les quelques cent mille franes
indispensables pour se procurer un équipage
<le pont, etpasser le Rhin. L'armée de Hoche,
qui occupait deux ponts et qui était toute
préte , demandait a marcber, mais on n'osait
pas la hasarder seule au-delá du Rhin, tandis
que Moreau resterait en-decá, Carnot exagérait
encore dans sa dépéche les retards que devait
suhirI'entrée en campagne des arméesd'Alle-
magne, et ne laissait aBonaparte aucun espoir
d'étre appuyé. Celui-ci fut tres-déconcerté par
cette lettre; il avait J'imagination vive, et il
passait de l'extréme confiance a l'extréme dé-
fiance. Il s'imagina ou que le directoire voulait
perdre l'armée d'Italie et son général, ou que
les autres généraux ne voulaient pas le secón-
der. Il écrivit une lettre amere sur la conduite
des armées du Rhin. _. Il . dit qu'une ligne
d'eau n'était jamais un obstacle , et que sacon,
duite en était la preuve; que lorsqu'on voulait
franchir un fleuve , on le pouvait toujours;




DIRECTOIRJ! (1797)' 95
qu'enne voulant jamais exposer 5a gloire, on
la perdait quelquefois; qu'il avait franchi les
Alpes sur trois pieds de neige et de glaee, et
que s'il avait calculé eomme -ses collegues , il
ne l'aurait jamais osé; que si les soldats du
Rhin laissaient l'armée d'Italie seule exposée
en Allemagne, il fallait qu'ils n'eussent pas de
sang dans les ueines ; que du reste cette -brave
armée , si on l'abandonnait, se replierait, et
que l'Europe serait juge entre elle et les autres
armées de la république. - Comme tous les
hommes passionnés et orgueilleux, Bonaparte
aimait a se plaindre, el a exagérer le sujet de
ses plaintes. Quoi qu'il dit , il ne songeait ni a
se retirer , ni méme as'arréter , mais a frapper
l'Autriche d'épouvante par une marche rapide,
et a Iuiunposer lapaix. Beaucoup de oircons-
tances favorisaient ce projet. La terreur était
dans Vienne; la cour était portée a transiger;
le prince Charles le conseillait fortement; le
ministére seul, dévoué al'Angleterre, résistait
encore. Les conditions fixées -a Clarke, avant
les vietoires d'Arcole et de Bivoliv.étaieat si
modérées, qu'Oh pouvait. facilemen t obtenir
l'adhésion de l'Autriche. a ces conditious , H
méme a beaucoup mieux. Réuni a Joubert et
aMasséna, Bonaparte allait avoir quarante-cinq
OH einquante mille hommes sous la main; et




96 nÉVOLUTION l·RAN~AISE.
avec une masse aussi forte , il ne craignait point
une bataille générale, q uelle que fút la puis-
sanee de l'ennemi. Par toutes ces raisons, il ré-
solut de [aire une ouverture au prince Charles,
et s'il n'y répondait pas, de fondre sur lui avec
impétuosité, et de frapper UIlCOUP si prompt
et si fort, qu'on ne résistát plus a ses offres.
Quelle .gloire pour lui, si, seul, san s appui,
transporté en .Autriche par une route si ex-
traordinaire, il imposait la paix a l'empereur!


Il étai t a Klagenfurth, capitale de la Carin-
thie, le 1 1 germinal ( 31 mars). Joubert a sa
gauche achevait son mouvement et allait le
rejoindre. Bernadotte, qu'il avait détaché pour
traverser la chaussée de la Carniole, s'était
emparé de Trieste, des riches mines d'Idria,
des magasins autrichiens , et allait arriver par
Laybach et Klagenfurth. n écrivit au prince
Charles, le méme jour 11 (31), une lettre mé-
morable. « Monsieur le général en chef, Iui
oc dit-il, les hraves militaires font la gueJ"re et
«désirent la paix , Cette guerre ne dure-t-elle
« pas depuis six ans? avons-nous assez tué de
« monde, et causé assez de maux a la triste
« humanité ? Elle réclame de tous cótés. L'Eu-
te rope qui avait pris les armes centre la répu-
({ blique francaise , les a posées. Votre nation
« reste seule, et cependant le sang va couler




DmECTomE (1797)' 97
« plus que jamais. Cette sixieme campagne s'an..
« nonce par des présages sinistres. Quelle qu'en
« soit l'issue, nous tuerons de part et d'autre
« quelques milliers d'hommes, et il faudra bien
« que l'on finisse par s'entendre , puisque tout
« a un terme, mérne les passions haineuses.


« Le directoire exécutif de la république
« francaise avait fait connaitre asa majcsté l'em-
« pereur le désir de mettre fin a la guerre qui
« désole les deux peuples. L'intervention de la
«cour de Londres ~:y est opposée. N'y a-t-il
« done aucun espoir de nous entendre, et faut-
« il, pour les intéréts et les passions d'une na-
« tion étrangere aux maux de la guerre, que
« nous continuións a nous entr'égorger? Vous,
« monsieur le général en chef , qui par votre
e naissance approchez si pres du treme, et étes
e( au-dessus de toutes les petites passions qui
« animent souvent les ministres et les gouver-
(e nements, étes-vous décidé a mériter le titre
« de bienfaiteur de l'humanité entiere , et de
« vrai sauveur de l'Allemagne? Ne croyez pas,
« monsieur le général en chef, que j'entende
« par la qu'il n'est pas possible de la sauver par
« la force des armes; mais dans la supposition
« que les chances de la guerre vous deviennent
« favorables, l' AIIemagne n 'en sera pas rnoins
« ravagée. Quant a moi , rnonsieur le général


IX. í




98 nÉVOLITT/ON 1"IIANc;AJSL
« en chef, si l'ouverture que j'ai l'honneur de
ce vous faire peut sauver la vie aun seul homme,
ce je m'estimerai plus fiel' de lacouronne civi-
ce que que je me trouverai avoir rnéritée , que
(( de la triste gloire qui peut revenir des suc-
(( ces militaires. »


L'archiduc Charles ne pouvait accueillir cette
ouverture , cal' la déterrnination du conseil au-
Jique n'était pas encore prise. On embarquait
a Vienne les meubles de la couronne et les
papiers précieux sur le Danube, et on en-
voyait les jeunes archiducs et archiduchesses
en Honarie. La cour se préparait, dans un cas
extreme, a évacuer la capitale. L'archiduc ré-
pondit au général Bonaparte qu'il désirait la
paix autant que lui, mais qu'il n'avait aucun
pouvoir pour en traiter , et qu'il fallait s'adres-
ser directement aVienne. Bonaparte s'avanca
rapidernent a travers les montagnes de la Ca-
rinthie, et, le 12 germinal -au matin ( 1 er avril),
poursuivit l'arriére-garcle ennemie sur Saint-
Weith et Freisach, et la culbuta. Dans l'aprés-
midi du méme jour, il rencontra l'archiduc, qui
avait pris position en avant des gorges étroites
de Neumark , avec les restes de son armée du
Frioul, et avec quatre divisions venues du
Rhin , celle de Kaim , de Mercantin, du prince
d'Orange, et la reserve des grenadiers. Un com-




nIRECTÚIR}~ (1797)' 99
hat furieux s'engagea dans ces gorges. Masséna
en eut encore tout l'honneur. Les soldats du
Rhin défierent les vieux soldats de l'armée d'I-
talie. C'était aqui s'avancerait plus vire et plus
loin. Apres une action acharnée , dans laquelle
l'archiduc perdit trois rnille hommes sur le
champ de hataille et douze cents prisonniers,
tout fut enlevé a la baionnette , et les gorges
emportées. Bonaparte marcha Sans reláche le
lendemain , de Neumark sur Unzrnark. C'était
entre ces deux points qu'aboutissait la route
transversaie , qui unissait la grande chaussée
du Tyrol a la grande chaussée de la Carinthie.
C'était par cette mute qu'arrivait Kerpen pour-
suivi par Jouhert. L'archiduc voulant avoir le
terrrps de raUier Kerpen a lui, proposa une
suspension d' armes pour prendre, disait-il , en
considération la lettre 'du 11 (31 mars). Bo-
naparte répondit qu'on pouvait négocier et se
battre, et continua sa marche. Le lendemain
14 germinal ( 3 avril ), il livra encore un vio-
lent combat a Unzmark, oú il fit quinze cents
prisonniers, entra a Knitelfeld, et ne trouva
plus d'ohstacle jusqu'a Léoben. L'avant-garde
y en tra le 18 germinal ( 7 avril ). Kerpen avait
fait un grand détour pour rejoindre l'archid uc,
et Jourdan avait donné la main al'armée prin-
eipale.


7,




J 00 H EVOUlTlOl\' FRAN<:;AI5E.


Le jour mérne oú Bonaparte entrait a Léo-
hen , le lieuteriant - général Bellegarde, chef
d'état-major du prince Charles, et le général
major Merfeld, arriverent au quartier-général
au nom de l'empereur, que la marche rapide
des Francais avait intimidé, et qui voulait une
suspensión d'armes. 11s la demandaient de dix
jours. Bonaparte sentait qu'une suspension d'ar-
mes de dix.jours donnait al'archiduc le temps
de recevoirses derniers renfortsdu Rhin, de
remettre ensemble toutes les parties de son
armée, et de reprendre haleine. Mais lui-méme
en avait grand besoin, et il gagnait de son
coté l'avantage de rallier Bernadotte et Jou-
bert; d'ailleurs il croyait au désir sincere de
traiter, et il accorda cinq jours de suspensión
d'armes, pour donner a des plénipotentiaires
le temps d'arriver , et de signer des prélimi-
naires. La convention fut signée le 18 (7 avril) ,
et dut se prolonger seulement jusqu'au ~d
( 12 avril ). Il établit son quartier-général a
Léoben, et porta l'avant-garde de Masséna
sur le Simmering, derniere hauteur des Alpes
Noriques, qui est avingt-cinq lieues de Vienne,
et d'oú 1'0n peut voir les clochers de cette ca-
pitale. Il employa ces cinq jours a reposer et
a rallier ses colonnes. Il fit une proclamation
aux habitants ponr les rassurer sur ses inten-




DIRECTOlRE (1797). 101
tions, et il joignit les effets aux paroles, cal'
rien ne fut yris sans étre payé par l'armée.


Bonaparte attendit l'expiration des cinq
jours, prét a frapper un nouveau coup pour
ajouter ala terreur de la cour impériale, si elle
n'était pas encore assez épouvantée, Mais tout
se disposait aVienne pour mettre fin a eette
longue et cruelle lutte, qui durait depuis six
années , et qui avait fait répandre des torrents
de sango Le parti anglais dans le ministere
était entierement discrédité ; Thugut était prét
a tomher en disgráce. Les Viennois deman-
daient la paix agrands cris; l'archiduc Charles
Iui-mérne. le héros de l'Autriche, la conseil-
lait, et déclarait que l'empire ne pouvait plus
étre sauvé par les armes. L'empereur peuchait
pour cet avis. On se décida enfin, et on fit
partir sur-le-champ pour Léoben le comte de
Merfeld, et le marquis de Gallo, ambassadeur
de Naples a Vienne. Ce dernier fut choisi par'
l'influence de I'irnpératrice , qui était fille de la
reine de Naples, et qui se mélait beaucoup
des affaires. Leurs instructions étaient de si-
gne1' des préliminaires qui serviraient de base
pour traiter plus tard de la paix définitive. Ils
arriverent le 2(l germinal (13 avril au matin ), a
l'instant oú la treve étant achevée, Bonaparte
allait faire attaquer les avant-postes. lis décla-




102 HÉVOLUTlON FRAN9AISE.


rerent qu'ils avaient des pleins pouvoirs pour
arréter les bases de la paix. On neutralisa un
jardin dans les environs de Léoben , et on
traita an milieu des hivouacs de l'armée fran-
caise. Le.jeune général, devenu tout-ñvcoup
négociateur, n'avait jamais fait d'apprentissage
diplomatique; mais depuis une année il avait
eu a traiter les plus grandes affaires qui se puis-
sent traiter sur la terre; il avait une gloire qui
en faisait l'homme le plus imposant de son
siécle , et il avait un langage aussi -imposant
que sa personne. Il représentait done glorieu.
sernent la république Irancaise. IIp'avait pas
miss ion pour négocier; e' est Clarke qui était
revétu de tous les pouvoirs a cet égard, et
Clarke , qu'il avait mandé, n'était point encore
arrivé an quartier-général. Mais il pouvait con-
sidérer les préliminaires de la paix eomme un
armistice , ce qui était dans les attributions des
géIléraux; d'ailleurs il était certain que Clarke
signerait tout ce qu'il aurait fait, et il entra
sur-le-charnp en pourparler. Le plus granel
souci de l'empereur et de ses envoyés était le
réglement de l'étiquette. D'apres un ancien
usage, l'ernpereur avait sur les rois de France
I'honneur de l'initiative ; il était toujours norn-
mé le premier dans le protocole des traités , et
ses ambassadeurs avaient le )las sur les am-




DIRECTOIRE (1797)' 103
bassadeurs francais, C'était le seul souverain
auquel cet honneur fút concédé par la France.
Les deux envoyés de l'empereur consentaient
a reconnaitre sur-Ie-champ la république fran-
caise , si l'ancienne étiquette était conservée.
~La république francaise , répondit fierernent
Bonaparte, n'a pas besoin d'étre reconnue ; elle
est en Europe comme le soleil sur l'horizon ;
tant pis ponr les aveugles qui ne savent ni le
voir ni en profiter. - Il refusa l'article de la
reconnaissance, Quant al'étiquette , il déclara
que ces questions étaient fort indiffércntes a
la république francaise , qu'on pourraitrs'en-
tendre a eet égard avec le directoire, et qu'il
He serait probablement pas éloigné de sacrifier
de semblables intéréts a des avantages réels;
que, pour le moment , on traiterait sur le pied
de l'égalité, et que laFrance et l'empereur au-
raient alternativernent l'initiative.


On aborda ensuite les questions essentielles,
Le prernier et le plus important article était la
cessiou des provinees belgiques a la Franee. n
ne pouvait plus entrer daus l'intention de l'Au-
triche de les refuser. Il fut eouvenu d'ahord
que l'empereur abandonnerait a la France
toutes ses provinees belgiques, qu'en outre il
consentirait, comme mernbre de l'empire ger-
manique, a ce que la France éteudit sa limite




T04 nÉVOLUTION FRAN~AIS.E.
jusqu'au Rhin. Il s'agissait de trouver des in-
demnités, et l'empereur avait exigé qu'on lui
en procurát de suffisantes, soit en AlIemagne,
soit en Italie. Il y avait deux moyens de lui en
procurer en Allemagne, lui donner la Baviere .
ou séculariser divers états ecclésiastiques de
l'empire. La premiere idée avait plus d'une fois
oceupé la diplomatie européenne. La seeonde
était due a Rewbell, qui avait imaginé ce
moyen oomme le plus convenable et le plus
conforme al'esprit de la révolution. Ce n'était
plus le temps, en effet, oú des évéques devaient
étre souverains temporels, et il était ingénieux
de faire payer ala puissance ecclésiastique les
agrandissements que reeevait la république
francaise, Mais les agrandissements de l'empe-
reur en Allemagne ne pouvaient que diffiei-
lement obtenir l'assentiment de la Prusse.
D'ailleurs , si 00 donnait la Baviere , il fallait I
trouver des indemnités pour le priríce qui la
possédait. Enfin les états d'AlIemagne étant
sons l'influence immédiate de l'empereur, il ne
gagnait pas beaueoup a les acquérir, et il ai- ~
mait beaueoup mieux des agrandissements en
Italie, qui ajoutaient véritablement de nOU-
veaux territoires a sa puissance. II fallait done
songer ü chercher des indemnités en Italie.


Si on avait consenti a rendre sur-le-champ




})!R"ECTOnU; (1797). 105
a l'empereur la Lombardie ; si on avait pris
l'engagement de conserver dans son état actuel
la république de Venise, et de ne pas faire
arriver la démocratie jusqu'aux frontieres des
Alpes, il aurait consenti sur le ehamp ala paix,
et anrait reconnu la république cispadane ,
eomposée du duché de Modene , des deux lé-
gations et de la Romagne. Mais replaeer la
Lombardie sous le joug de l'Autriche, la Lom-
bardie qui nous avait montré tant d'attache-
ment, qui avait fait pour nous tant d'efforts et
de sacrifices, et dont les principaux habitants
s'étaient si fort compromis, était un acte odieux
et une faiblesse; cal' notre situation nous permet-
tait d'exiger davantage. Il fallait done assurer
l'indépendance de la Lombardie , et cher-
cher en Italie des indemnités qui dédomma-
geassent l'Autriche de la double perte de la
Relgique et de la Lombardie. 11 y avait un ar-
rangement tout simple, qui s'était présenté
plus d'une fois a l'esprit des diplomates euro-
péens, qui plus d'une fois avait été un sujet
d'espérance pour l'Autrichc et de crainte pour
Venise , c'était d'indemniser l'Autriche avec les
états vénitiens, Les provinces illyriennes, 1'15-
trie et toute la Haute-Italie , dermis 'l'lzOIlZO
jusqu'a l'Oglio, formaient de riches posses~
sious , et pouvaient fournir d'amples dédom-




106 nÉVOLUTION FRAN<¡AISE.


magements a l'Autriehe. La maniere dout l'a-
ristoeratie vénitienne s'était eonduite avec la
France, ses refus constants de s'allier avee elle,
ses armements secrets dont le but évident était
de tomber'sur les Francais en eas de revers, le
soulevement réeent des montagnards et des
paysans, I'assassinat des Francais , avaient re m-
pli Bonaparted'indignation. D'ailleurs, si l'em-
pereur, pour qui Venise s'était secretement
armée, aeeeptait ses dépouilles , Bonaparte ,
contre qui elle avait fait ces armements, ne
pouvait avoir aucun scrupule a les céder. Du
reste, il Y avait des dédornmagements a offrir
a Venise, On avait la Lombardie, le duché de
Modene , les légations de Bologne et de Fer-
rare, la Romagne, provinees riches et considé-
rabies, dont une partie formait la république
cispadane. On pouvait indemniser Venise avee
quelques-nnes de ces provinces. Cet arrange-
ment panlt le plus convenable, et la, }J0ur la
prerniere fois, fut arrété le príncipe de dédom-
mager l'Autriche avec les provinces de la terre-
ferme de Venise, sauf a dédommager celle-ci
avec d'autres provinces italiennes,


On en référa aVienne, don ton était apeine
éloigné "de vingt-cinq licues. Ce genre d'indem-
Ilité fut agréé; les préliminaires de la paix fu-
rent aussitót fixés , et rédig(~s en articles , qui




DIRECTOIRE (1797)· f 07
durent servir de base a une négociation défi-
nitive. L'empereur abandonnait a la France
toutes ses possessions des Pays-Bas, et censen-
tait, comme membre de I'empire, a ce que la


, répuhlique acquit la limite du Rhin. Il renon-
cait en outre a la Lombardie. En dédommage-
ment de tous ces sacrifices , il recevait les états
vénitiens de la terre ferme, l'Illyrie, l'Istrie et
la Haute-Italia jusqu'a I'Oglio. Venise restait
iudépendante , conservait les Hes Ioniennes ,
et de~ait recevoir- des dédommagements pris
sur les provinces qui étaient a la disposition
de la France. L'empereur reconnaissait les ré-
publiques qui allaient étre fondées en Italie.
L'armée franc;aise devait se retirer des états
autrichiens, et cantonner sur la frontiere de
ces états , e' est-a-dire , évacuer la Carinthie et
la Carniole, et se placer Sur l'Izonzo, et aux
débouchés dn TyroI. Tous les arrangements
relatifs aux provinces el an gouvernement de
Venise, devaient étre faits d'un commun accord
avec l'Autriche. Deux congres devaient s'ou-
vrir, I'un a Berne pour la paix particuliere
avec l'empereur, I'antre dans une ville d'Alle-
magne pour la paix avec l'empire. La paix avec
l'empereur devait étre conclue dans trois mois,
sous peine de la nnllité des préliminaires. VAu-
triche avait de plus une raison puissante de




108 RÉVOLUTION FRAN9AISE.


háter la conclusion du traité définitif', c'était
d'entrer au plus tót en possession des provinces
vénitiennes, afin que les Francais n'eussent pas
le temps d'y répandre les idées révolutionnaires.


Le projet de Bonaparte était de démembrer
la république cispadane , composée du duché
de Modéne , des deux légations et de la Ro-
magne j de reunir le duché de Modéne a la
Lombardie, et d'en composer une seule répu-
blique, dont la capitale serait Milan, et dont
le nom serait Cisalpine, acause de sa sitpation
par rapport aux Alpes. II voulait ensuite don-
ner les deux légations et la Romagne aVenise,
en ayant soin de soumettre son aristocratie et
de rnodifier sa constitution. De cette maniere,
il existerait en Italie deux républiques , alliées
de la France, lui devant leur existence , et dis-
posées a concourir a tous ses plans. La Cisal-
pille aurait ponr frontiere l'Oglio, qu'il serait
facile de retrancher. Elle n'avait pas Mantoue,
qui restait avec le Mantouan aJ'empereur; mais
on pouvait faire de Pizzighitone sur l'Adda,
une place de premier ordre j on pouvait rele-
ver les murs de Bergame et de Creme. La ré-
publique de Venise avec ses Hes, avec le Do-
gado et la Polesine qu'on tácherait de lui
conserver , avec les deux légations et la Roma-
gnc, .qu'on luí donnerait, avee la proviuce de




DIRECTOIRE (1797)' 109
Massa-Carrara, et le golfe 'de la Spezia, qu'on
y ajouterait dans la Méditerranée , serait une
puissance maritime touchant ala fois aux deux
mers.


On se demande pourquoi Bonaparte ne pro-
fitait pas de sa position ponr rejeter tout-á-
fait les Autrichiens hors de l'Italie; pourquoi
surtout il les indemnisait aux dépens d'une
puissance neutre , et par un attentat semblable
aceluí du partage de la Pologne. D'abord, était-
il possible d'aífranchir entierement l'Italie? Ne
fallait-il pas bouleverser encore I'Europe, pour
la faire consentir au renversement du pape,
du roi de Piémont, du grand-dnc de Toscane,
des Bourbons de Naples , et du prince de Parme?
La république francaise était-elle capable des
efforts qu'une telle entreprise aurait encare exi-
gés? N'était-ce pas beaucoup de jeter dans cette
campagne, les germes de la liberté, en insti-
tuant deux républiques, d'oú elle ne manque-
rait pas de s'étendre hientót jusqu'au fond de
la péninsule? Le partage des états vénitiens
n'avait rien qui ressernblát a l'attentat célebre
qu'on a si souvent reproché a l'Europe. La
Pologne fut partagée par les puissances mérnes
qui l'avaient soulevée , et qui lui avaient pro-
mis solennellement leurs secours. Venise , á
qui les Francais avaient sincerement oflert




'110 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
leur amitié , l'avait refusée, et se préparait a
les trahir, et a les surprendre dans un mo-
ment de péril. Si elle avait a se plaindre
de quelqu'un, e' était des Autrichiens , au profit
de qui elle voulait trahir les Francais. La Po-
logne était un état dont les limites étaient clai-
rernent tracées sur la carte de I'Europe , dont
l'indépendance était, poul' ainsi dire, comman-
dée par la nature , et importait an repos de
l'Occident; dontIa constitution, quoique vi·
cieuse , était généreuse; dont les citoyens, in-
dignement trahis , avaient déployé un beau
courage, et merité l'intérét des nations civili-
sées, Venise, au contraire, n'avait de territoire
naturel que ses lagunes, cal' sa puissance n'a-
vait jamai~résidédans ses possessions de terre-
ferme ; elle n' était pas détruite , paree q He cer-
taines de ses provinces étaient échangées contre
d'autres; sa constitution était la plus inique de
l'Enrope; son gouvernement était abhorré de
ses sujets ; sa perfidie el sa lácheté ne lui don-
naient aucun droit ni a l'intérét , ni a l'exis-
tence , Rien done dans le partage des états
vénitiens ne ponvait étre comparé au partage
de la Pologne , si ce n'est le procédé particu-
lier de l'Autriche.


D'ailleurs, ponr se dispenser de donner de
pareiJIes indcmnités aux Autrichiens , il fallait




DIRECTOlRE (1797). 111
les chasser de l'Italie, et on ne le ponvait qu'en
traitant dans Vierme méme. Mais il aurait fallu
pour cela le concours des armées du Rhín, et
on avait écrít a Bonaparte qu'elles ne pour-
raient entrer en campagne avant un mois. n
ne lui restait, dans cette situation, qu'á rétro-
grader, pour attendre leur entrée en campa-
gne, ce quí exposait abien des inconvénients ;
car il eút donné par la a l'archiduc le temps
de préparer une armée formidable contre lui,
et a la Hongrie de se lever en masse ponr se
jeter sur ses flanes. De plus, il fallait rétro-
grader, et presque avouer la témérité de sa
marche. En acceptant les préliminaires, il avait
l'houneur d'arracher seulla paix ; il recueillait
le fruit de sa marche si hardie; il obtenait des
canditions qui, dans la situation de l'Europe,
étaient fort brillantes, et qui étaient surtant
beaucoup plus avantageuses que celles qui
avaient été fixées a Clarke, puisqu'elles stipu-
laient la ligne du Rhin et des Alpes, et une
république en Italie. Ainsi , moítié par des rai-
sons politíques et militaires , moitié par des
considérations personnelles, il se décída a
signer les préliminaires. Clarke n'était pas en-
core arrivé au quartier-généraI. Avec sa har-
diesse accoutumée et l'assurance que lui don-
naient sa gloire, son nom, et le voeu général




112 nÉVOLUTION FRANQA ISE.


ponr la paix , Bonaparte passa outre , et signa
les préliminaires , comme s'il eút été question
d'un simple arrnistice, La signatnre fut dounée
a LéoLen le 29 germinal an V (18 avril 1797).


Si dans le moment il eút connu ce qui se
passait sur le Rhin, il ne se serait pas tant háté
de signer les préliminaires de Léoben ; mais il
ne savait que ce qu'on lui avait mandé, et on luí
avait mandé que l'inaction serait Jongue.n lit
partir sur-Ie-champ Masséna pour porter a Pa-
rís le traíté des préliminaires. Ce brave géné-
ral était le seul qui n'eút pas été député, ponr
porter des drapcaux , et recevoir ason tour les
honneurs du triomphe. Bonaparte jugea que
l'occasion de l'envoyer était helle , et digne des
grands services qu'íl avait rendus. Il expédia
des courríers }lour les armées .du Rhin et de
Sambre-et-Meuse, qui passérent par l'Allema-
gne, afin d'arr-iver beaucoup plus vite , et de
faire cesser toutes les hostilités , si elles étaient
commencées.


Elles l'étaient, en effet, aI'insta nt méme de In
signature des préliminaires. Hoche, impatient
depuis long-temps d'entrer en action, ne ces-
sait de demander les hostilités, Moreau était
accouru a Paris ponr solliciter les fonds néces-
saires a I'achat d'un équipage de pout. Eufin
l'orrlre fut douné, Hoche, á la tete de sa Lene




DlRECTOIRE (J 797)' r 13
armée , déboucha par Neuwied, tandis que
Champiormet, avec ['aile droite, déhouchait par
Dusseldorf, et marchait sur Uckerath et AI-
tenkirchen. Hoche attaqua les Autrichiens a
Heddersdoff, oú ils avaient élevé des retran-
chements considérables , leur tua beaucoup de
monde, et leur fit einq mille prisonniers. Apres
eette belle .action , il s'avanca rapidement sur
Francfort, battant toujours Kray, et cherchant
a lui couper la retraíte. Il allaít l'envelopper
par une maneeuvre habíle, et I'enlever peut-
étre , lorsqu'arriva le courrier de Bonaparte,
qui annoncait la signature des préliminaires.
Cette circonstance arréta Hoche au milieu de
sa marche victorieuse , et lui causa un vif cha-
grin, cal' il se voyait encore une fois arrété
dans sa carriere. Sí du moins on eút fait passer
les courriers par París, il aurait eu le ternps
d'enlever Kray tout entier , ce qui aurait ajouté
un beau fait d'arrnes asa vie, et aurait eu I'in-
fluence la plus grande sur la suite -des négo-
ciations. Tandis que Hoche se portait si rapi-
dement sur la Nidda, Desaix , qui avait re<¡u
de Moreau l'autorisation de franchir le Rhin,
tentait une des actions les plus hardics dont
l'histoire de la guerre fasse mention, 11 avait
choisi pour passer le Hhin un point fort au-
dessous de Strasbourg. Apres avoir échoué avec


IX. ti




114 nÉVOLUTION Fn,\N«,tAISE.


ses troupes sur une He de gravíer, il a vait en-
fin abordé la rive opposée; íl était resté la
pendant vingt-quatre heures, exposé él étre
jeté dans le Rhin, et obligé de lutter contre
toute l'armée autrichienne pour se maintenir
dans des taillis, des marécages, en attendant
que le pont fút jeté sur le fleuve. Enfin le pas-
sage s'était opéré; on avait poursuivi les Au-
trichiens dans les Montagnes Noires , et on
s'était emparé d'une partie de leurs adrnini-
strations, Ici encere l'armée fut arrérée au
milieu de ses succes par le courrier partí de
Léoben, el on dut regretter que les íaux avis
donnés a Bonaparte l'eussent engagé a signer
si tót.


Les courriers arriverent ensuite aParis, oú
ils causerent une grande joie a ceux qui sou-
haitaient la paix , mais non au directoíre, qui
jugeant notre situation formidable, voyait avec
peine qu'on n'en eút pas tiré un parti plus
avantageux. Larévelliere et Rewbell désiraient
en philosophes l'affranchissement entier de l'I-
talie ; Barras souhaitait en fougueux révolu-
tionnaire, que la république humiliát les puis-
sanees; Carnot, qui affectait la modération
depuis quelque temps, qui appuyait assez gé-
néralement les voeux de l'opposition, approu-
vait la paix, et prétendait que, pour l'obtenir




DlRECTOlRE (1797)' 115
durable, il ne fallait pas trop humilier l'empe-
reur. n y eut de vives discussions au directoire
sur les préliminaires; cependant, pour ne pas
trop indisposer l'opinion, et ne point paraitre
désirer une guerre éternelle ,iI fut décidé qu'on
approuverait les bases posées a Léoben.


Tandis que ces choses se passaient sur le
Rhin et en France , des événements importants
éclataient en Italie. On a vu que Bonaparte,
averti des troubles qui agitaient les états vé-
nitiens, du soulevernent des montagnarels con-
tre les villes, de l'échec des Brescians devant
Salo, de la capture de deux cents Polonais, ele
l'assassinat d'une grande quantité de Francais,
de l'emprisonnement de tous leurs partisans ,
avait écrit de Léoben une lettre foudroyante
au sénat de Venise. Il avait chargé son aide-de-
camp Junot de la lire lui-mérne au sénat , de
dernander ensuite l'élargissement de tous les
prisonniers, la recherche et l'extradition des
assassins, et il luiavait prescrit de sortir de
suite de Venise, en faisant afficher une décla-
ration de guerre, si une pleine satisfaction n'é-
tait accordée. Junot fut présenté au sénat le
26 germinal ([ 5 avril ). Il lut la lettre mena-
cante de son général, el se comporta avec toute
la rudesse d'un soldat, et d'un soldat victorieux.
OIl lui répondit que les armements qui avaient


8.




116 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
été bits, n'avaient pour but que de maintenir
la subordioatioo dans les états de la républi-
que; que, si des assassinats avaient été com-
mis, c'était un malheur involontaire qui serait
réparé. Junot ne voulait pas se payer de vai-
nes paroles, et menacait de faire afficher la
déclaration de guerre si OH n'élargissait pas
les prisonniers d'état et les Polonais, si 00 ne
donnait pas l'ordre de désarmer les monta-
gnards et de poursuivre les auteurs de tous les
assassinats. Cependaut on parvint ale calmer,
et il fut arrété avec lui et le ministre francais
Lallernant qu'on allait écrirc au général Bona-
parte, et lui envoyer deux députés pour con-
venir des satisfactions qu'il avaít a exiger. Les
deux députés choisís furent Francois Donat
et Léonard Justiniani.


Mais, pendant ce temps, l'agitation conti-
nuait dans les états vénitiens. Les villes étaieut
toujours en hostílíté avec la populatíon des
campagnes et des montagnes. Les agents du
partí arístocratique et monacal répandaient les
hrnits les plus faux sur le sort de I'arrnée fran-
caise en Autriche. lls prétendaíent qu'elle avait
été enveloppée et détruite, et ils s'appuyaient
sur deux faits pour autoriser leurs fausses nou-
velles. Bonaparte en attirant a luí les deux
corps de Joubert el de Bernadotte , qu'il avait




IlIRF.CTOJRE (1797)' r t 7
fait passer, l'un par le Tyrol , l'autre par la
Carniole, avait découvert ses ailes, Joubert
avait battu et rejeté Kerpen au-delá des Alpes,
mais il avait laissé Laudon dans une partie du
Tyrol, d'oú celui-ci avait bientót reparu, sou-
levant toute la population fidele de ces mon-
tagnes, et descendant I'Adige pour se porter
sur Vérone. Le général Servier, laissé avec
douze cents homrnes a la garde du Tyrol, se
retirait pied a pied sur V érone , pour venir se
réfugier aupres des troupes francaises laissées
dans la Haute-Italie. En me me temps un eorps
de méme force, laissé dans la Carniole, se re-
tirait devant les Croates, insurgés eomme les
Tyroliens , et se repliait sur Palma-Nova. C'é-
taient la des faits insignifiants, et le ministre
de France , Lallemant , s'efforcait de démontrer
au gouvernement de Venise leur peu d'impor-
tance , pour lui épargner de nouvelles impru-
denees; mais tous ses raisonnernents étaient
inutiles; et tandis que Boriaparte obligeait les
plénípotentiaires autrichiens avenir traiter au
milieu de son quartier-général, 011 répandait
dans les états de Venise qu'il était battu, dé-
bordé, et qu'il allait périr dans sa folle entre-
prise, Le partí ennemi des Francais el de la
révolution , a la tete duquel étaient la plnpart
des mernbres du gouvernement vénitien , sans




118 RÉVOLUTJON FUANC;:AlS};.


que le gOllvernement parút y étre lui-rnéme ,
se montrait plus exalté que jamais. C'est a Vé-
rone surtout que l'agitation étaít grande. Cette
ville , la plus importante des états vénitiens ,
était la premiere exposée a la contagion révo-
lutionnaire, cal' elle venait immédiatement
aprés Salo sur la ligne des villes insurgées. Les
Vénitiens tenaient a la sauver et a en chasser
les Francais. Tout les y encourageait, tant les
disposítions des habitants, que l'aflluence des
montagnards et l'approche du général Laudon.
Déjá il s'y trouvait des troupes italiennes et
esclavonnes, au service de Venise. On en fit
approcher de nouveIles, et bientót toutes les
communications furent interceptées avec les
villes voisines. Le général Balland, qui com-
mandait avérone la garnison francaise , se vit
séparé des autres commandants placés dans les
environs. Plus de vingt mille montagnards
inondaient la campagne~ Les détachements
francais étaient attaqués sur les routes, des ca-
pucins préchaient la populace dans les rues,
et on vit paraitre un faux manifeste du podes-
tat de V érone, qui encourageait au massacre
des Franeais. Ce manifeste était supposé , et le
110m de Battaglia, dont OH l'avait signé, suffi-
sait pour en prouver la fausseté; mais il n'en
devait pas moius contribuer a échauffer les




DIRECTOIRE (1797)' J 19
tetes. Enfin un avis émané des chefs du partí
dans Vérone, annoncait au général Laudon
qu'il pouvait s'avancer , et qu'on allait lui li-
vrer la place. C'était dans les journées des 26
et 27 germinal (15 et 16 avril) que tout ceei
se passait. On n'avait aucune nouvelle de Léo-
ben, et le moment paraissait en effet des mieux
choisis pour une explosiono .


Le généra] Balland se tenait sur ses ga"rdes.
Il avait donné a toutes ses troupes l'ordre de
se retirer dans les forts au premier signal. 11
réclama aupres des autorités vénitiennes con-
tre les traitements exercés a l'égard des Fran-
cais , et surtout contre les préparatifs qu'il voyait
faire. Mais il n'ohtint que des paroles évasives
et point de satisfaction réelle. n écrivit aMan-
toue, aMilan,pour demander des secours, et
il se tint prét a s'enfermer dans les forts. Le
28 germinal (J7 avril) , jour de Ia seconde féte
de Páques , une agitation extraordinaire se ma-
nifesta dans V érone ; des handes de paysans y
entrerent en criant : Mort aux jacohins ! Bal-
land fit retirer ses troupes dans les forts, De
laissa que des détachements aux portes, et si-
gnifia qu'au premier acte de violence, il fou-
droierai t la ville. Mais vers le milieu du jour,
des COllpS de sifflet furent entendus dans les
mes; on se précipita sur les Francais , des han-




120 nÉVOLUTION FRAN<;;AISE.
des armées assaillirent les détachements Iais-
sés a la garde des portes, et massacrérent ceux
qui n'eurent pas le temps de rejoindre les forts.
De féroces assassins couraient sur les Francais
désarrnés que leurs fonctions reteuaient dans
Vérone, les poignardaient ct les jetaient dans
I'Adige. Ils ne respectaient pas mérne les hó-
pitaux , et se souillerent du sang d'une partie
des rnalades. Cependant tous ceux qui pou-
vaient s'échapper, et qni n'avaient pas le temps
(le courir vers les forts, se jetaient dans I'hó-
teI du gouvernement, ou les autorités véni-
tiennes leur donnerent asile, ponr que le
massacre ne parút pas Ieur onvrage. Déjá plus
de qnatl'e cents malhenreux avaient péri, et la
garnison [rancaise frémissait de rage en voyant
les Francais égorgés et leurs cadavres flottant
au loin sur l'Adige. Le général Dalland 01'-
donna aussitót le feu, et couvrit la vil1e de
boulets. n pouvait la mettre en cendres. Mais
si les montagnards qui avaient débordé s'en
inquiétaient peu, les habitants et les rnagis-
trats vénitiens effrayés voulurent parlementer
pour sauver leur ville. Ils envoyerent un par-
lementaire au général Balland pour s'enteudre
avec luí et arréter le desastre. Le général Bal-
land consentir aeritendre les pourparlers , afin
de sauver les malheureux qui s'étaieut réfugiés




DIRECTOIRE (1797)' 121
au palais du gouvernement, et sur lesquels
on menacait de venger tout le mal fait a la
ville, 11 yavait la des femmes, des enfants ap-
partenant aux employés des administrations,
des malades échappés aux hópitaux , et il im-
portait de les tirer du péril. Balland deman-
dait qu'on les lui livrát sur-Ie -champ , qu'on
fit sortir les montagnards et les régiments es-
clavons, qu'on désarmát la populace, et qu'on
Iui donnát des otages pris dans les magistrats
vénitiens , pour garants de la soumissíon de la
ville. Les parlementaires demandaicnt qu'un
officier vint traiter au palais du gouvernement.
Le brave chef de brigade Beaupoil eut le cou-
rage d'accepter cette mission. n traversa les
flots d'une populace furieuse, qui voulait le
mettre en pieces , et parvint enfin aupres des
autorités vénitiennes. Toute la nuir se passa
en vaines discussions , avec le provéditeur ct
le podestat, sans pouvoír s'entendre. On ue
voulait pas désarmer, on ne voulait pas don-
ner d'otages, on voulait des garanties centre
les vengeanees que le général Bonaparte ne
manquerait pas de tirer de la ville rebelle.
Mais pendant ces pourparlers, la convention
de ne pas tirerdans l'intervalIe des conféren-
ces, n'était pas exécutée par les hordes fu-
rieuses qui avaient envahi Vérone; OIl se fusil.




122 rlÉVOLUTION FRAN<;AISE.


lait avec les forts, et nos troupes faisaient
des sorties. Le lendemain matin, 29 germinal
( 18 avriJ), le chef de brigade Beaupoil rentra
dans les forts, au milieu des plus grands pé-
rils , sans avoir rien obtenu, On apprit que les
magistrats vénitiens, ne pouvant gouverner
cette multitude furieuse, avaient disparu, Les
coups de fusil recomrnencerent contre le fort.
Alors le general Balland fit de nouveau mettre
le feu a ses piéces , el tira sur la ville a toute
outrance. Le feu éclata dans plusieurs quar-
tiers. Quelques-uns des principaux habitants
se réunirent au palais du gouverIlement ponr
prendre la direction de la ville en l'absence
des autorités. OIl parlementa de nouveau, on
convint de ne plus tirer ; mais la conventiou
n'en fut pas mieux exécutée par les insurgés,
qui ne cesserent de tirer sur les forts, Les fé-
roces paysans quí couvraient la campagne, se
jetereut sur la garníson du fort de la Chiusa ,
placé sur l'Adige, et l' égorgerent. lis en firent
de méme a l'égard des Francais répandus
dans les villages autour de Vérone,


Mais l'instant de la vengeance approchait.
Des courriers partis de tous cótés étaient allés
prévenir le général Kilmaine. Des troupes ac-
couraient de toutes parts. Le gélléral Kilmaine
avait ordormé au général Chnbrau de marcher




UlRECTOJRE (1797)' 123
sur-le-charnp avec douze cents hommes ; au
chef de la légion lombarde, Lahoz, de s'avan-
cer avec huit cents; aux généraux Victor et
Baraguay-d'Hilliers, de marcher avec leurs di-
visions. Pendant que ces mouvements de trou-
pes s'exécutaient, le général Laudon venait de
recevoir la nouvelle de la signature des préli-
minaires, et s'était arrété sur l'Adige. Apres
un combat sanglant que le général Chabran
eut a livrer aux troupes vénitiennes, la ville
de Vérone fut entourée de toutes parts; et
alors les furieux , qui avaient massacré les Fran-
cais , passerent de la plus atroce violence au
plus grand abattement. On n'avait cessé de
parlementer, et de tirer pendant les journées
du I er au 5 floréal (du 20 au 24 avril). Les ma-
gistrats vénitiens avaient reparu; ils voulaient
encore des garanties contre les vengeances qui
les menacaient ; on leur avait donné víngt-
quatre heures pour se décider; ils disparurent
de nouveau. Une municipalité provisoire les
remplaca ; et, en voyant les troupes francaises
maitresses de la ville et prétes ala réduire en
cendres, elle se rendit sans conditions. Le gé-
néral Kilmaine 6t ce qu'il put pour empécher
le pillage; mais il ne pul sauver le Mont-de-
Pié té , qui fut en partie dépouillé. Il fit fusil-
ler quelques-uns des chefs connus de l'insur-




J 24 lt}:VOLUTION FRAN\,AISE.
rection , pris les armes a la main ; il im posa
pour la solde de l'armée une contribution de
onze cent mille francs a la ville, et lanea sa
cavalerie sur les routes pour désarrner les pay-
sans , et sabrer ceux qui résisteraient, Il s'ef-
forca ensuite de rétablir l'ordre, et fit sur-le-
champ un rapport au général en chef, pour
attendre sa décision al'égard de la villé rebelle.
Tels furent les massacres connus sous le nom
de Páques uéronaises,


Pendant que cet événement se passait avé-
rone , il se commettait a Venise mérne un
acte plus odieux encore, s'i] est possible, Un
réglement défendait aux vaisseaux armés des
puissances belligérantes d'entrer dans le port
de Lido. Un lougre commandé par le capitaine
Laugier, faisant partie de la flottille francaise
dans l'Adriatique , chassé par des frégates au-
trichiennes, s'était sauvé SOllS les batteries de
Lido, et les avait saluées de neuf COllpS de ca-
non. Gil Iui signifia ele s'éloigner malgré le
temps et malgré les vaisseaux eunernis qui le
poursuivaient. U allait obéir, lorsque, sans lui
donner le temps de prendre le large, les bat-
teries font feu sur le malheureux vaisseau , el
le criblent sans pitié. Le capitaine Laugier, se
comportant avec un généreux dévouement,
Iait rlescendre son équipage a foud de cale, et




DIRECTOTRJ, (J 797)' 1205
monte sur le pont avec un porte-voix pour se
faire entendre , et répéter qu'il se retire. Mais
il tombe mort sur le pont avec deux hommes
de son équipage. Dans le méme moment , des
chaloupes vénitiennes montées par des Escla-
vons, abordent le Jougre, fondent sur le pont
et massacrent l'équipage, al'exception de deux
ou trois malheureux qui sont conduits a Ve-
nise. Ce déplorable événement eut lien le 4
floréal ( 23 avril).


Dans ce moment, on apprenait avec les mas-
sacres de V érone , la prise de cette ville , et la
signature des préliminaires. Le gouvernement
se voyait tout-á-fait cornpromis , et ne pouvait
plus compter sur la ruine du général Borra-
parte, qui, loin d'étre enveloppé et battu , était
au contraire victorieux , et venait d'imposer la
paix al'Autriche. Il allait se trouver maintenant
en présence de ce général tout-puissant dont
il avait refusé l'alliance , et dont il venait de
massacrer: les soldats. 11 était plongé dans la
terreur. Qu'il cut ordonné officiellement, et
les massacres de Vérone, et les cruautés corn-
mises au port de Lido , ce n'était pas vraisern-
blable; et on ne connaltrait pas la marche des
gouvernements dominés par les factions, si on
le supposait. Les gouvernements qui sont dans
eette situation , n'ont pas besoin de donner




126 RÉVOUTTION FRAN~A1SE.
les ordres dont ils souhaitent l'exécution ; ils
n'ont qu'á laisser agir la faction dont ilspar-
tagent les voeux. Ils lui livrent leurs moyens,
et font par elle tout ce qu'ils n'oseraient pas
faire eux - mérnes. Les insurgés de Vérone
avaient des canons ; ils étaient appuyés par les
régiments réguliers vénitiens; le podestat de
Bergame, Ottolini, avait re(,!u de longue main
tout ce qui était nécessaire pour arrner les pay-
sans ; ainsi, apres avoir fourni les moyens, le
gouvernement n'avait qu'a laisser faire; et c'est
ainsi qu'il se conduisit. Dans le premier ins-
tant cependant, i! commit une imprudence :
ce fut de décerner une récompense au com-
mandant de Lido, pour avoir fait respecter ,
dit-il, les lois vénitiennes. Il ne pouvait done
se flatter d'offrir des excuses valables au gé-
néral Bonaparte. 11 envoya de nouvelles ins-
tructions aux deux députés Donat et Justi-
niani, qui n'étaient chargés d'abord que de
répondre aux sommations faites par Junot le
26 germinal ( 15 avril). Alors les événements
de Vérone et de Lido n'étaient pas cannus;
mais maintenant les deux députés avaient une
bien autre tache a remplir, et bien d'autres
événements a expliquer. lis s'avaricérent au
milieu des cris d'allégresse excités par la nou-
velle de la paix , el ils eomprirent hir-ntót




DIRECTOIRE (1797)' 127
qu'eux seuls auraient sujet d'étre tristes, au
milieu de ces grands événements. I1s appri-
rent en route que Bonaparte, pour les punir
du refus de son alliance, de leurs rigueurs con-
tre ses partisans, et de quelques assassinats
isolés commis sur les Francais , avait cédé une
partie de leurs provinces a l'Autriche. Que se~
rait-ce quand il connaitrait les odieux événe-
ments qui avaient suivi !


Bonaparte revenait déja de Léoben , et sui-
vant la teneur des préliminaires, repliait son
armée sur les Alpes et l'lzonzo. Ils le trouve-
rent a Gratz, et lui [urent présentés le 6 flo-
réal (25 avril). Il ne connaissait encore dans ce
moment que les massacres de Vérone, qui
avaient cornmencé le 28 germinal (17 avril), et
point encore celui de Lido , qui avait eu lieu
le I.~ floréal (23 avril). 11s s'étaient munis d'une
lettre d'un frere du général, poul' étre plus
gracieusement accueillis. Ils abordérent en
tremblant cet hornme vraiment extraordinaire,
dirent-ils , par la vivacité de son imagination ,
la promptitude de son esprit, el la force in-
vincible de ses sentiments". IIles accueillit avec
politesse, et , contenant son courroux, leur


.. Veramente originale, rna forse non piu che per viva-
cita d'imaginazione , robustezza invincibile di scntimento,
ed agilita nel ravvisarlo esternamente




128 IlÉVOLUt'IOIIf FRAIIf~AISE.
perrnit de s'expliquer longuernent; puis, rom-
pant le silence : -Mes prisonniers, leur dit-il,
sont-ils délivrés? Les assassins sont-ils ponr-
suivis? Les paysans sont-ils désarmés? Je ne
veux plus de vaines paroles ; mes soldats ont
été massacrés , il faut une vengeance éclatante !
- Les deux envoyés voulurent revenir sur les
circonstances qui les avaient obligés de se pré-
rnunir contre l'insurrection , sur les désordres
inséparables de pareils événements , sur la dif-
ficulté de saisir les vrais assassins. - Un gou-
vernement , reprit vivement Bonaparte , aussi
bien serví par ses espions que le vótre , devrait
connaitre les vrais instigateurs de ces assassi-
nats. Au reste, je sais bien qu'il est aussi mé-
prisé que rnéprisahle, qu'il ne peut plus désar-
mer ceux qu'il a armés; mais je les désarrnerai
pour Iui. J'ai fait la paix, j'ai quatre-vingt mille
hornmes ; j'írai briser vos plombs, je serai un
second Attila pour Venise. Je He veux plus ni
inquisition , ni livre d'or ; ce sont des institu-
tions des siecles de barbarie. Votre gonverne-
ment est trop vieux , il faut qu'il s'écroule.
Quand j'étais a Gorice , j'offris a M. Pezaro
mon alliance et des conseils raisonnables. JI
me refusa. Vous m'attendiez a mon re tour
pour me couper la retraite; eh bien! me voici,
Je ne veux plus traiter., je veux faire la loi. Si




DIRECTOIRE (Inn)· '29
VOUS n'avez pas autre chose amedire , je vous
déclare que vous pouvez vous retirer.»


Ces paroles , prononeécs avec courroux , at-
térerent les envoyés vénitiens, Ils .solliciterent
une seconde entrevue, mais ils ne purent pas
obtenir d'autres paroles du général, qni per-
sista toujours rlans les rnémes intentions , et
dont la volonté evidente était de faire la loi a
Venise , et de détruire par la force une aris-
toeratie qu'il n'avait pu engager a s'amender
par ses conseils, Mais bientót ils eurent de bien
autres sujetsde erainte, en apprenant avec
rlétail les massacres de V érone , et surtout 1'0-
dieuse cruauté commise au port du Lido. N'o-
sant se présenter aBonaparte, ils hasarderent
delui écrire une lettre des plus soumises, poul'
lui offrir toutes les explicatiens qu'il pourrait
désirer. - Je ne pííis , leur répondit-il, vous
reeevoir tout couverts du sang francais ; je vous
éeouterai quand vous m'aurez Iivré les trois
inquisiteurs d'état , le commandant du Lido et
l'officier chargé de la police de Venise. - Ce-
pendant, eomme ils avaient recu un dernier
courrier reIatif al'événement du Lido , il con..
sentit a les voir , mais il refusa d'éeouter au-
cune proposition, avant qu'on lui eút livré les
tetes qu'il avait dernandées. Les deux Véni-
tiens cherchant alors a user d'une puissance


IX. 9




130 RÉVOLTJTION FRAN<;AISE.
dont la répuhlique avait souvent tiré un utile
parti, essayerent de lui proposer une répara..
tion d'un autre genre. « Non, non, répliqua le
« général irrité, quand vous couvririez cette
« plage d'or , tous vos trésors, tous ceux du
(( Pérou, ue pourraient payer le sang d'un seul
« de mes soldats. »


Bonaparte les congédia. C'était le 13 floréal
(:l mai); il publia sur-le-champ un manifeste
de guerre contre Venise, .La constitution fran-
«;aise ne permettait ni au directoire, ni aux
généraux, de déclarer la guerre, mais elle les
autorisait a repousser les hostilités commen-
cées. Bonaparte s'étayant sur cette disposition,
et sur les événements de Vérone et du Lido ,
déclara les hostilités commencées, somma le
ministre Lallemsnt de sortir de Venise, fit
ahattre le lion de Saint -Mare dan s toutes les
provinces de la terre-ferme, municipaliser les
villes, proclamer partout le renversement du
gouvernement vénitien , et, en attendant la
marche de ses troupes qui revenaient de l'Au-
triche, ordonna au général Kilmaine de porter
les divisions Baraguay-d'Hilliers et Victor sur
le bord des lagunes. Ses déterrninations , aussi
promptes que son courroux, s'exécutérent sur-
le-champ, En un clin d'ceil 00 vit disparaitre
l'antique lion de Saint-Marc des bords de




btRECT01RE (1797)' 131
l'Izonzo, jusqu'á ceux du Mincio, et partout il
fut remplacé par l'arbre de la liberté. Des trou-
pes s'avancerent de toutes parts, et le canon
francais retentit sur ces rivages, qui depuis si
long-temps n'avaient pas entendu le canon
ennerm.


L'antique ville de Venise, placée au milieu de
ses lagllnes , pouvait présenter encore des dif-
ficultés presque invincibles, méme au général
qui venait d'humilier I'Autriche. Toutes les la-
gmies étaient armées. Elle avait trente-sept
galeres, cent soixante-huit barques canormie-
res, portant sept cent cinquante bouchesafeu,
et huit mille cinq cents matelots ou canon"
niers. Elle avait poul' garnison trois mille cinq
cents Italiens, et onze mine Esclavons; des
vivres poul' huit mois, de l'eau douce pour
deux, et les moyens de renouveler ces provi-
sions. Nous n'étions pas maitres de la mer;
nous n'avions point de barques canonnieres ,
pour traverser les lagunes; iI fallait s'avancer
la sonde a la main, le long de ces canaux in-


, connus pour nous, et sous le feu d'innombra-
bIes hatteries. Quelque braves et audacieux
que fussent les vainqueurs de l'Italie, ils pou-
vaient étre arrétés par depareils obstacles, et
condamnés a un siége de plusieurs mois. Et
que d'événements aurait pu amener un délai





132 nÉvoLtJTJON },'RA.N~AISE.
de plusieurs mois! I:Autriche repoussée pou-
vait rejeter les prélirninaires , rentrer dans la
lice, ou faire naitre de nouvelles chances.


Mais si la situation militairede Venise pré-
sentait des ressources, son état intérieur ne
permettait pas qu'on en fitun usage énergi-
que. Comme tous les corps usés , cette aristo-
cratie était divisée ; elle n'avait ni les rnémes
intéréts , ni les mémes passions. La haute aris-
tocratie , maitresse des places, des honneurs,
et disposant de grandes richesses, avait rnoins
d'ignorance, de préjugés, et de passions, que
la noblesse inférieure; elle avait surtout l'arn-
bition du pouvoir. La masse de la noblesse ,
exclue des emplois, vivant de secours, igno-
r~nte et furieuse, avait les véritables préjugés
aristocratiques. Unie aux prétres, elle excitait le
peuple qui lui appartenait , comme il arrive
dans tous les états oú la classe moyenne n'est
pas encore assez puissante poul' l'attirer aelle.
Ce peuple , composé de marins et d'artisans ,
dur , superstitieux , et a demi sauvage, était
prét a se livrer a toutes les fureurs. La classe
moyenne, cornposée de bourgeois, de com-
mercants , de gens de 10i, de médecins , etc.,
souhaitait cornme partout l'établissement de
l'égalité civile ; se réjouissait de I'approche des
Franeais , mais n'osait pas laisser éclater sa




lHRECTOIRE (1797J. J 33
joie , en voyant un peuple qu'on pouvait pous-
ser aux plus grands exces , avant qu'une révo-
lution fut opérée. Enfin, a tous ces éléments
de division, se joignait une circonstance non
moins dangereuse. Le gouvernement vénitien
était serví par des Esclavons. Cette soldares-
que barbare, étrangere au peuple vénitien, et
souventen hostilité avec lui, n'attendait qu'une
occasion pour se livrer au pillage, sans le pro..
jet de servir aucun parti.


Telle était la situation intérieure de Venise, Ce
corpsusé était prét a sedisloquer, Les grands,
en possession du gouvernement, étaient ef-
frayés de lutter eontre un guerrier eomme Bo-
naparte; malgré que Venise pút trés-hien résister
aune attaque, iIs n'envisageaient qu'avec épou-
vante les horreurs d'un siége, les fureurs aux-
quelles deux partis irrités ne manqueraient
pas de se livrer , les exces de la soldatesque
esclavonne, les dangers auxquels serait expo-
sée Venise, avec ses' établissements maritimes
et commerciaux; ils redoutaient .surtout de
voir leurs propriétés, toutes situées sur laterre-
ferme, séquestrées par Bonaparte ,et mena-
eées de confiscation. lis craignaient mérne pour
les pensions dont vivait .la petite noblesse , et
qui seraient perdues si; en poussant la lutte a
l'extrémité , on s'exposait a une révolution. J1~




134 RÉVOLUl'ION FRA.N~A1SE.
pensaient qu'en traitant ils pourraient sauver
les anciennes institutions de Venise par des
modifications ; conserver le pouvoir qui est
toujours assuré aux hommes habitués ale ma-
nier ; sauver leurs terres, les pensions de la
petite noblesse, et éviter ~ la ville les horreurs
du sac et du pillage. En conséquence, ces
hommes qui n'avaient ni l'énergie de leurs
aucétres , ni les passions de la masse nobiliaire ,
sougerent a traiter. Les principaux membres
du gouvernement se réunirent chelo le doge.
C'étaient les six conseillers du doge, les trois
présidents de la garantie criminelle , les six
sages-grands, les cinq sages de terre-ferme ,
les cinq sages des ordres, les onze sages sortis
du .conseí!, les trois chefs du conseil des dix,
les trois avogadors, Cette assemblée extraor...
dinaire , et contraire méme aux usages, avait
pour but de pourvoir au salut de Venise. L'é-
pouvante y régnait. Le doge, vieillard affaibli
par l'age, avait les yeux remplis de larmes, Il
dit qu'on n'était pas assuré eette nuit méme
de dormir tranquillement dans son lit. Chacun
nt différentes propositions. Un membre pro-
posait de se servir du banquier Haller pour
gagner Bonaparte. 00 trouva la propositiou
ridicule et vaine. D'ailleurs l'ambassadeur Qui-
rini avait ordre de [aire a Paris tout ce qu'il




DlRECTOIRE (1797)' 135
pourrait, et d'acheter méme des voix au di-
rectoire , s'il était possible. D'autres propose-
rent de se défendre. On trouva la proposition
imprudente, et digne de tetes folles et jeunes.
Enfin on s'arréta a l'idée de proposer au grand
conseil une modification a la constitution , afin
d'apaiser Bonaparte par ce moyen. Le grand
conseil, composé ordinairement de toute la
noblesse, et représentant, la nation vénitien-
ne, fut convoqué. Six cent dix-neuf membres,
c'est - a- dire un peu plus de la moitié,
furent présents. La proposition fut faite au mi-
lieu d'un morne silence. Déjá cette question
avait été agitée, sur une cornmunication du
ministre Lallemant au sénat; et on avait décidé
alors de renvoyer les modifications a d'autres
temps. Mais cette fois on sentit qu'il n'était
plus possible de recourir a des rnoyens dila-
toires. La proposition du doge fut adoptée par
cinq cent quatre-vingt-dix-huit voix. Elle por-
tait que deux commissaires envoyés par le sé-
nat, seraient autorisés a négocier avec le gé-
néral Bonaparte, et a traiter méme des objets
qui étaient de la compétence du grand conseil,
c'est-a-dire des objete constitutionnels , sauf
ratification.


Les deux cornrnissaires partirent sur-le-
champ, et trouvérent Bonaparte sur le bord




136 ltÉVOLUTION FllAN9AlSE.
des laguues , au pont de lVíarghera. Il disposait
ses troupes, et les artilleurs francais échan-
geaient déja des bouIets avec les canonniéres
vénitiennes, Les deux commissaires Iui rerni-
rent la délibération du grand conseil. Un ins-
tant il parut .frappé de cette détermination ;
puis reprenant un ton brusque, iI leur dit :
.,-- Et les trois inquisiteurs d'état, et le com ...
mandant du Lido , sont-ils arrétés? Il me faut
leurs tetes. Point de traité jusqu'á ce que le
sang francais soit.vengé, Vos.lagunes ne m'ef
fraient pas; je les trouve tellesque je I'avais
prévu. Dans quinze jours je serai aVenise. Vos
nobles ne se déroberont ala mart qu'en allant
cornme les émigrés francais traincr leur rnisere
par toute la terreo - Les deux commissaires
firent tous leurs efforts pour obtenir un délai
de quelques joars , afio de convenir des satis-
factions qu'il désirait, Il ne vaulait accorder
que vingt-quatre heures. Cependant il cansen...
tit aaccorder six jours de suspension d'arrnes,
pour donner aux commissaires vénitiens le
temps de venir le rejoindre a Mantoue, avec
l'adhésion du grand conseil a toutes les con-
ditions imposées.


Bonaparte, satisfait d'avoir jeté l'épouvante
chez les Vénitiens, ne voulait pas en venir a
des hostilités réel1es, paree qu'il appréciait la




DIRECTOIRE (1797)' J37
difficulté d'emporter les lagunes, et qu'il pré-
vojait une intervention de l'Autriche, Un ar-
ticle des préliminaires portait que tout ce qui
était relatif aVenise serait réglé d'accord avee
la France et l'Autriche. S'il y entrait de vive
force, on se plaindrait a Vienne de la viola-
tion des préliminaires , et de toutes manieres
il lui convenait mieux de les amener a se
soumettre, Satisfait de les avoir effrayés, il
partit pour Mantoue et Milan, ne doutant pas
qu'ils ne vinssent bientót faire leur soumis-
sion pleine et entiere.


L'assemblée de tous les mernbres du gou-
vernement, qui s'était déja formée chez le
doge, se réunit de nouveau pour entendre
le rapport (les cornmissaires, Il. n'y avait plus
moyen de résister aux exigences du. général ;
il fallait consentir a tout, cal' le péril devenait
chaque jour plus imminent. On disait que la
bourgeoisie conspirait et voulait égorger]a
nohlesse , que les Esclavons allaient profiter
de l'occasion POUi' piller la vilJe. Onconvint
de faire une nouvelle proposition au grand
conseil , tendaute a accorder toutee que de-
mandait le général Bonaparte. Le J 5 floréal
(4 mai), le gránd conseil fut assemblé de non-
veau, A la majorité de sept cent quatre voix
centre dix, il décida que les comrnissaires




138 RÉVOLUTION ¡"RAN9AISE.
seraient autorisés a traiter a toutes condi-
tions avec le général Bonaparte, et qu'une
procédure serait commencée sur-Ie-champ
contre les trois inquisiteurs d'état et le com-
mandant du Lido.


Les commissaires, munis de ces nouveaux
pouvoirs, suivirent Bonaparte a Milan pour-
al1er mettre l'orgueilleuse constitution véni-
tienne ases pieds. Mais six jours ne suffisaient
pas, et la treve devait expirer avant qu'ils
eussent pu s'entendre avec le généra1. Pen-
dant ce temps la terreur allait croissant dans
Venise. Un instant on fut tellernent épouvanté,
qu'on autorisa le commandant des lagunes a
capituler avec les généraux francais , chargés
du commandement en l'absence de Bonaparte,
On lui recommanda seulement l'indépendance
de la république, la religion, la su reté des
personnes et des amhassadeurs étrangers, les
propriétés publiques et particulieres , la mon-
naie, la banque, l'arsenal, les archives. Ce~
pendant on obtint des généraux francais une
prolongation de la tréve , pour donner aux
envoyés vénitiens le temps de négocier avec
Bonaparte.


L'arrestation des trois inquisiteurs d'état
avait désorganisé la police de Venise. Les plus
influents personnages de la bourgeoisie s'ólgi-




lHRECTOIRE (1797)' J 39
taient, ~t manifestaient ouvertement l'inten-
tion d'agir, pour háter la chute de l'aristocra-
tie, Ils entouraicnt le chargé d'affaires de
France , Villetard, qui était resté a Venise
apres le départ du ministre Lallemant, et qui
était un ardent patriote. I1s cherchaient et
espéraient en luí un soutien pour leurs pro-
jets. En méme temps les Esclavons se lívraient
a I'indiscipline et faisaient craindre les plus
horribles exceso lis avaient en des rixes avec
le peuple de Venise , et la bourgeoisie sern-
blait elle-méme exciter ces rixes, qui ame-
naient la division dans les forces du parti
aristocratique, Le 20 floréal (9rnai), la terreur
fut portée a son comble. Deux membres tres-
influents du parti révolutionnaire, les nommés
Spada et Zorzi, entrerent encommunication
avec quelques-uns des personnages qui com-
posaient la réunion extraordinaire formée chez
le doge. Ils insinuerent qu'il fallait s'adresser
au chargé d'affaires de France, et s'entendre
avec lui pOllr préserver Veníse des malheurs
qui la menacaient, Donat et Battaglia, deux
patriciens qu'on a déja vus figurer, s'adressé-
rent a Villetard le 9 mai. I1s lui demandérent
quels seraient , dans le péril actuel, les moyens
les plus propres a sauver Venise. Celui-ci ré-
pondit qu'il n'était nullement autorisé a trai-




140 llÉVOLUTJON FRAN~AJSE.
ter par le général en chef, mais que si on lui
demandait son avis personneI, iI conseillait
les mesures suivantes: l'embarquement et le
renvoi des Esclavons; l'institution d'nne garde
bourgeoise; l'introduction de quatre mille
Francais dans Venise, et l'occupation par eux
de tous les :points fortifiés; I'abolition de ran-
cien gouvernement; son remplacernent par
une. municipalité de trente-six membres choi-
sis dans toutesIes rclasses et ayant le doge
actuel pour maire; l'élargissement de tous
les prisonniers pour cause d'opinion. Ville-
tard ajouta que sans doute a ce prix le géné-
raI Bonaparte accorderait la grace des trois
inquisiteurs d'état et du commandant du Lido.


Ces propositions furent portées au eonseil
réuni chez le doge. Elles étaient bien graves,
puisqu'elles entrainaient une entiere révolu-
tion dans Venise. Mais les chefs du gouverne-
ment craignaient une révolution ensanglantée
par lesprojets du partí réformateur, par les
fureurs populaires et par la cupidité des Es-
clavons. Deux d'entre eux firent une vive ré-
sistance. Pezaro dit qu'iladevaient se retirer
en Suisse avant de consommer eux-rnémes la
ruine de 1'antique gouvernement vénitien. Ce-
pendant les résistances furent écartées , et il
fut résolu que ces propositions seraient pré-




DlRECTOIRt: (1797)' 141
sentées au gralld conseil. La convocatíon fut
fixée au 23 floréal ( 12 mai ). En attendant ,
on paya aux Esclavons la solde arriérée , et on
les embarqua pour les renvoyer en Dalmatie.
Mais le vent contraire les retint dans le port,
et leur présence dan s les eaux de Venise ne fit
qu'entretenir le trouble et la terreur.


Le 23 floréal ( 12 rnai ), le grand conseil fut
réuni avec appareil pour voter l'abolition de
cette antique aristocratie. Un peuple immense
était réuni. D'une part, on apercevait la hour-
geoisie joyeuse enfin de voir le pouvoir de ses
maitres renversé ; et d'autre part, le peuple ex-
cité par la noblesse , prét ase précipiter sur
ceux qu'il regardait comme les instigateurs de
eette révolution. Le doge prit la paroleen ver-
sant des larmes, et proposa au grand conseil
d'abdiquer sa souveraineté. Tandis qu'on allait
délibérer,on entendit tirer des coups de fusil.
La noblesse se crut menacée d'un massacre.
l'( Aux voix t aux voix ! » s'écria-t-on de toutes
parts. Cinq cent douze suffrages voterent l'a-
bolition de l'ancien gouvernement. D'apres les
statuts , il en aurait fallu six cents. 11 y eut douze
suffrages contraires, et cinq nuls. Le grand con-
seil rendit la souveraineté ala nation vénitienne
tout entiere ; il vota l'institution d'une muni-
cipalité , el I'établissement d'un gouvernement




J 42 RÉVOLUTJON FRAN¡;;:AIS11.
provisoire, composé de députés de tous les
états vénitiens; il consolida la dette publique,
les pensions accordées aux nobles pauvres, et
décréta l'introduction des troupes francaises
dans Venise. A peine cette délibération fut-elle
prise , qu'un pavillon fut hissé a nne fenétre
du palais, A cette vue , la bourgeoisie fut dans
la joie; mais le peuple furieux , portant l'image
de Saint-Marc , parcotirut les rues de Venise,
attaqua les maisons, des habitants accusés d'a-
voir arraehé eette détermination ala noblesse
vénitienne. Les maisons de Spada et de Zorzi
furent pillées et saccagées; le désordre fut
porté au comble , et on craignit un horrible
bouleversement. Cependant un certain nom-
bre d'habitants intéressés a la tranquillité pu-
blique se réunirent, mirent aleur tete un vieux
général maltais nornmé Salembeni, qui avait
été long-temps persécuté par l'inquisition d'é-
tat , et fondirent sur les perturbateurs. Aprés
un combat au pont de Rialto, ils les disper-
serent , et rétablirent l'ordre et la tranquil-
lité.


Les Esclavons furent enfin embarqués et reno
voyés aprés de grands exces commis dans les
villages du Lido et de Malamocco. La nouvelle
municipalité fut instituée; et, le 27 floréal
(16 mai) , la ílottille alla chercher une division




DJRECTOIRE (1797)' 143
de quatre mille Franeais , qui s'établit paisi-
blement dans Venise,


Tandis que ces choses se passaient aVenise ,
Bonaparte signait a Milan, et le méme jour,
avec les plénipotentiaires vénitiens, un traité
conforme en tout a la révolution qui venait
de s'opérer. Il stipulaitI'abdication de l'aris-
tocratie, l'institution d'un gouvernement pro-
visoire, l'introduction d'une división francaise
a titre de protection, la punitíon des trois in-
quisiteurs d'état et du commandant du Lido.
Des articles secrets stipulaient en outre des
échanges de territoire, une contribution de 3
millions en argent, de 3 millions en munitions
navales, et l'abandon ala France de trois vais-
seaux de guerre et de deux frégates. Ce traité
devait étre ratifié par le gouvernement de Ve-
nise; mais la ratification devenait impossible,
puisque l'abdication avait déjá eu lieu, et elle
était inutile, puisque tous les articles dn traité
étaient déjá exécutés, La municipalité provi-
soire n' en crut pas moins devoir ratifier le
traité.


Bonaparte, sans se compromettre avec l'Au-
triche, sans se donner les horribles embarras
d'un siége, en était done venu a ses fins. Il
avait renversé l'aristocratie absurde qui l'avait
trahi, il avait placé Venise dans la mérne si-




144 RÉVOLUTION FRAN¡;;AISl-:.
tuation que la Lombardie , le Modenois , le
Bolonais, le Ferrarais ; maintenant il pouvait ,
sans aucun embarras, faire tous les arrange-
ments de territoire qui lui paraitraient conve-
nables. En cédant a l'empereur toute la terre-
ferrne qui s'étend de l'Izonzo a l'Oglio, il avait
le moyen d'indemniser Venise , en lui don..
nant Bologne , Ferrare et la Romagne, qui fai-
saient actuellement partie de la Cispadane. Ce
n'était pas replacer ces provinces sous le joug
que de les donner a Venise révolutionnée.
Restaient ensuite le duché de Modene et la
Lornbardie, dont il était facile de composer
une seconde république, alliée de la premiere.
Il y avait encare mieux a faire, c'était , si on
pouvait faire cesser les' rivalités locales, de
réunir tontes les provinces affranchies par les
armes fralll;aises, et de composer avec la Lom-
bardie, le Modenois, le Bolonais , le Ferrarais,
la Romagne, la Polésine, Venise et les iles de
la Grece, une puissante république, qui do-
minerait a la fois le continent et les mers de
l'Italie.


Les articles secrets relatifs aux 3 millions
en munitions navales, et aux trois vaisseaux
et deux frégates , étaient un moyen de mettre
la main sur toute la marine vénitienne, Le
vaste esprit de Bonapartc , donl la prévoyance




DIRECTOIRl, (1797)- 145
se portait sur tous les objets á la fois, ne vou-
lait pas qu'il IJOUS arrrvát avec les Vénitiens
ce qui nous était arrivé avec les Hollanclais,
c'est-a-dire que les officiers de la marine, ou
les commandants des iles , mécontents de la
révolution, livrassent auxAnglais les vaisseaux
et les iles qui étaient sous leur cornmande-
ment. II teuait surtoutbeaucoup aux impor-
tantes iles vénitiennes de la Grece , Corfou,
Zante, Céphalonie, Sainte-Maure , Cérigo. Sur-
le-champ il donna des ordres pour les faire
occuper. Il écrivit á Toulon pour qu'on lui
envoyát par terre un certain nombre de rna-
rins, promettant de les défrayer et de les
éqniper a leur arrivée a Venise. Il demanda au
directoire des ordres pour que I'amiral Brueys
appareillát sur-le-champ avec six vaisseaux,
afin de venir rallier toute la marine vénitienne ,
ct d'aller s'emparer des iles de la Grece. Il fit
partir de son chef deux miI1ions pour Toulon,
afin que l'ordonnateur de la marine ne füt
pas arrété par le défaut de fonds. Il passa en- .
core ici par-dessus les réglements de la tréso-
rerie , pour ne pas subir de délai. Cependant,
craignant que Brueys n'arrivát trop tard, iI
réunit la petite fIottílle qu'iI avait dans l'Adriati-
que aux vaisseaux trouvés dans Venise , méla
les équipages vénitiens aux équipages fran-


IX. 10




r 46 nÚvor.UTION l'RANSAIS"E.
cais , placa a bord deux mille hommes de tron-
pe:=; , el les fit partir sur-le-champ pour s' cm-
parer des iles. Il s'assurait ainsi la possession
des postes les plus importants dans le Levant
et l'Adriatique, et prenait une position qui ,
devenant tous les jours plus imposante , de-
vait influer singuliérement sur les négocia-
tions définitives avec l'Autriche.


La révolution faisait tous les jours de nou-
veaux progres , depuis que la signature des
préliminaires de Léoben avait fixé le sort de
l'Italie , et y avait assuré l'influence franeaise.
n était certain maintenant que la plus grande
partie de la Haute-Italie serait constituée en
république démocratique, C'était un exemple
séduisant , et qui agitait le Piémont , le duché
de Parme, la Toscane, les Étals du pape. Le
général francais n'excitait personne, mais sem-
hlait prét a accueillir ceux qui se jetteraient
dans ses bras. A Genes, les tetes étaient fort
exaltées contre l'aristocratie , moins absurde
et moins affaiblie que celle de Venise , mais
plus obstinée encore s'il était possible. La
France, comrne on a vu, avait traité avec elle
pour assurer ses derrieres , et s'était bornée a
exiger 2 millions d'indernnités , 2 millions
en prét , et le rappel des familles exilées
pour leur attachement a la France. Mais le




DIRECTOIRE (1797)' 147
parti patriote ne garda plus de mesure des
que Bonaparte eut imposé la paix al'Autriche.
Il se réunissait chez un nommé Morandi , et
y avait formé un club extrémernent violento
Une pétition y fut rédigée et présentée au
doge, ponr demander des modifications a la
constitution. Le doge fit former une commis-
sion ponr examiner cette proposition, Dans


'l'íntervaIle, on s'agita. Les bourgeois de Ge-
nes el les jeunes gens a tete ardente se con-
certerent , et se tinrent préts aune prise d'ar-
mes. De leur cóté , les nobles, aidés par les
prétres , exciterent le menu peuple , et arme-
rent les charbonniers et les porte-faix. Le mi-
nistre de France, homme doux et modéré ,
contenait plutót qu'il n'excitait le parti pa-
triote. Mais le 2.2. mai , quand les événements
de Venise furent connus , les Morandistes ,
cornme on les appelait , se montrérent en ar-
mes, et voulurent s'emparer des postes prin-
cipaux de la ville. Un combat des plus violents
s'engagea. Les patriotes, qui avaient affaire a
tout le peuple, furent battns et souffrirent de
crnelles violences. Le peuple victorieux se
porta a heaucoup d'exces , etne ménagea pas
les familles francaises , dont beaucoup furent
maltraítées. Le ministre de France ne fut lui-
mérne respecté que parce que le doge cut


10.




1[,8 ltÉVOLUTION FRAN~;AISE.
soin deIui envoyer une garde. Des que Bo~
.iaparte apprit ces événements , il vil q u'i I lIe
pouvait plus différer d'intervenir. II envoya
son aide-de-camp Lavalette pour réclamer les
Francais détenus, ponr demander des répara-
tions a lenr égard, et surtout pour exiger
I'arrestation des trois inquisiteurs d'état , ac-
cusés d'avoir mis les armes aux mains du pell-
ple. Le partí patriote, soutenu par eettc in-
Iluence puissante, se rallia , reprit le dessus ,
et obligea l'aristocratie génoise a abdiqugr ,
comrne avait fait celle de Venise. Un gouver-
nement provisoire fut installé, et une com-
mission envoyée aBonaparte , pour 5'entendre
avec lui sur la constitution qu'il eonvenait de
donner a la république de Genes.


Ainsi, apres avoir en deuxmois soumis le
pape, passé les Alpes Julien nes, imposé la paix
al'Autriehe, repasséles Alpes et puní Venise,
Bonaparte était a Milan, exercant une auto-
rité suprérne sur toute l'Italie , attendant, sans
la presser, la marche de la révolution, faisant
travailler a laconstitution des provinces af-
franchies , se créant une marine dans l'Adria-
tique, et rendant sa situation toujours plus
imposante pour .l'Autriche. Les préliminaires
de Léoben avaient été approuvés a París et a
Vienne; l'échange des ratifications avait été




DI R ECl'OIR¡'; (1797j. 149
fait entre Bouaparte et M. de Gallo, eL on at-
teudait incessamment l'ouverture des confé-
rcuces pour la paix définitive. Bonaparte aMi-
fati, simple général de la république, était
plus influent que tous les potentats de l'Europe.
Des eourriers arrivant et partant sans cesse,
annoncaient que c'était la que les destinées du
monde venaient aboutir. Les Italiens enthou-
siastes attendaient des heures entieres pour
voir le généraL sortir du palais SerbeLloni. De
jeunes et belles femmes entouraient madame
Bonaparte, et lui eomposaient une cour bril-
lante. Déjá commencait eette existence ex-
traordinaire, qui a ébloui et dominé le monde.






UIRECTOlRE (1797)'


CHAPITRE 111.


Situation embarrassante de l'Angleterre aprés les preli-
minaires de paix avec I'Autriche; nouvelles proposi-
tions de. paix; conférences de Lille. - Élections de
l'an V.-Pr'gres de la réaction contre-révolutionnaire ,
Lutte des conseils avec le directoire. - Élection de
Barthélemy au directoire , en remplacement de Letour-
neur, directeur sortant. - Nouveaux détails sur les
finan ces de l'an V. Modifications dans leur administra-
tion proposées par l'opposition. - Rentrée des prétres
et des émigrés. Intrigues et complot de la faction roya-
liste. - División et forces des partis, Dispositions poli-
'tiques des armées.


LA conduite de Bonaparte a l'égard de Ve-
nise était hardie, mais renfermée néanrnoins
dans la limite des lois. 11 avait motivé le ma-
nifeste de Palma-Nova sur la nécessité de re-




1 ~h RÉVOLUTION FRANt;;AISE.
pousser les hostilités commencées; et avant
que les hostilités se changeassent en une gnerre
déclarée , il avait conclu un traité qui dispen-
sait le directoire de soumettre la déclaration
de guerre aux deux conseils. Dé eette ma-
niere, la république de Venise avait été atta-
quée, détruite el effacée de l'Europe , sans que
le général eút presque consulté le directoire,
el le directoire les conseils. Il ne restait plus
qu'á notifier le traité. Gimes avait de méme
été révolutionnée, sans que le gouvernement
parút consulté; et tous ces faits, qu'on attri-
buait au général Bonaparte , beaucoup plus
qu'ils ne lui appartenaient réellement , don-
naient de sa puissance en Italie, et du pouvoir
qu'il s'arrogeait, une idée extraordinaire: Le
directoire jugeait en effet que le général Bo-
naparte avait tranché beaucoup de qucstions;
cependant il ne pouvait lui reprocher d'avoir
outre-passé matériel1ement ses pouvoirs; il était
obligé de reconnaitre l'utilité et l'á-propos de
toutes ses opérations, et il n'aurait pas osé dés-
approuver un général victorieux, et revétu
d'une si grande autorité sur les esprits. L'am-
bassadeur de Venise a Parls , M. Ql1irini, avait
employé tous les moyens possibles aupres da
directoire, pour gagner des voix en faveur de
sa patrie. Il se servit d'un Dalmate , intrigant




DlHECTOlRE (1797)' 153
adroit , qui s'était lié avec Barras, pour gagner
ce directeur. Il parait qu'une sornrne de 600
mille Irancs en billets fut donnée , a la condi-,
tion de défendre Venise dans le directoire.
Mais Bonaparte, instruit de I'intrigue, la dé-
non-;;a. Venise ne fut pas sauvée , et le paie-
ment des billets fut refusé. Ces faits, connus
du directoire , y amenérent des explications ,
et méme un commencement d'instruction; mais
on finit par les étouffer. La eonduite de Bo-
naparte en ltalie fut approuvée , et les pre-
miers jours qui suivirent la nouvelle des pré-
liminaires de Léoben furent consacrés a la joie
la plus vive. Les ennemis de la révolution et
du directoire, qui avaient tant invoqué la paix,
pour avoir un pretexte d'accuser le gouvern€--
ment, furent tres-fáchés au fond d'en voir si-
gner les préliminaires, Les républicains furent
au cornble de leur joie. Ils auraient désiré sans
doute J'entier affranchissement de I'Italie ; mais
ils étaient charmés de voir la république re-
connue par l'empereur, et en quelque sorte
consacrée par lui. La grandemasse de la po-
pulation se réjouissait de voir finir les horreurs
de la guerre, et s'attendait aune réduction dans
les charges publiques. La séance oú les con-
seils recurent la notification des préliminaires
fut une scene d'cuthousiasme. On déclara qm'




154 llhVOLUTION FRANc,;AlSE.
les armées d'Italie, du Rhin et de Samhre-et-
Meuse, avaient bien mérité de la patrie et de
l'humanité, en conquérant la paix par leurs
victoires. Tous les partis prodiguerent au gé-
néral Bonaparte les expressions du plus vil'
enthousiasme , et on proposa de lui donner le
surnom d'llf,zliqlle, eomme á Rome on avait
donné aSeipion celui d'Africain.


Avec l'Autriche , le continent était soumis.
Il ne restait plus que l'Angleterre acombattre;
et, réduite aelle-méme , elle courait de vérita-
bles périls. Hoche, arrété a Francfort au mo-
ment des plus beaux triomphes, était.impatient
de s'ouvrir une nouvelle carriére. L'Irlande
l'oceupait toujours, et il n'avait nullement re-
Roncé a son projet de l'année précédente, Il
avait pres de quatre-vingt mille hommes entre
le Rhinet la Nidda; il enavait laissé environ
quarante rnille dans les -. environs de Brest;
l'escadre armée dansce port était encare toute
préte ámettre a la voile. Une flotte espagnole
réuniea Cadix n'attendait qu'un coup de vent,
qui oblig:eat l'amiral anglais Jewis a s'éloigner,
pour sortir de la rade, et venir dans la Manche
combiner ses efforts avec ceux de la marine
francaise, Les Hollandais étaient enfin parve-
nus aussi aréunir une escadre , et aréorganiser
une partie de leur armée. Hache pouvait done




UIRECTOIRE (1797)' 155
disposer de moyens immenses pour soulever
l'Irlande. 11 se proposait dedétacher vingt mili e
hornmes de I'armée de Sambre-et-Meuse, et de
les acheminer vers Brest , pour y étre embar-
qués de nouveau, Il avait choisi ses meilleures
troupes pou!' cettegrande opération t but de
toutes ses pensées. Il se relilflit aussi en Hol-
lande en gardant le. plus grand incognito, et
en faisant répandre le bruit qu'il était allé pas-
ser quelques jours dans sa famille, La, ilveilla
de ses yellx a tous les préparatifs. Dix-seps
mille Hollandais 1.1'excellentes troupes furent
emharqués sur une flotte, et n'attendaient qu'uu
signal, pour venir se réunir a l'expédition pré-
parée a Brest, Si a ces moyells venaient se
ioindreceuxdes EspagJlOls, l'Allgleterrn é.tait
menaeée , comme .on le voit .,<1~ .dangers in-
calculables.


Pitt étaitdans .la .plus graudeépouvante. La
défection de l'Au~iche, les préparatifs faítsau
Texel et a Brest , i'escadre réunie ,a Cadix, et
qu'un coup de vent pouvait Q.ébl~úer,toutes
ces circonstances étaient alarmantes. L'Esp.agne
et la Fl'alilCe travaillaient aupresdu Portugal,
pour le contraiadre a la paix , et on avait en-
core acraindre la déíection de cet anclen allié,
Cesévénements avaient sensiblement affecté
le crédit , et ameué une crise long-temps pré-




15e; nÉVOLUTION Fl{ ANC:AISl-:.
vue, et souvent prédite. Le gouverncment au-
glais avait toujours eu recours ala banque, et en
avait tiré des avances énormes, soit en lui faisant
acheter des rentes, soit en lui faisant escompter
les bons de l'échiquier. Elle n'avaitpu fournir
a ces avances que par d'abondantes émissions
de billets. L'ép~vante s'emparant des esprits,
et le bruit s'étant répandu qne la banqnc avait
fait au gOllvernement des préts considérables,
tout le monde ceurutpourconvertir ses billets
en argento Aussi, des le mois de mars, au mo-
ment oú Bonaparte s'avancait sur Vienne, la
bauque se vit-elle obligée de dernander la .fa-
culté de suspendre sespaiements. Cette faculté
lui fut accordée, et elle fut dispensée de rem-
plir une obligation devenue inexéoutable-i tnuis
son crédit et 'Son existence n'étaient passau-
vés pour cela. Sur -le - champ OH publia le
compte de son actif et de sonpassif. L'actif
était de 17,597,280 livres sterling;le passif de
13'770,39° livres sterling. Il y avait done un
surplus dansson aetif de 3,826,890 livresster-
ling. Mais on ne disait pas combien dans cet
actif iI entrait de créances sur l'état. Tout ee
qui consistait ou en lingots ou en lettres de
change de eommerce était fort sur; mais les
rentes, les bons de l'échiquier, qui faisaient la
plus grande partie de l'actif, avaient perdu




DIIlECTOIHE (17~l7)' 1:)7
¡",¡.dit avcc lapolitique du gouverncmcnt. Les
hillAs perdirellt sur-le-cliamp plus de quinze
pour cent. Les banquiers dernanderent á [eur
tour la faculté de payer en billets, sous peine
d'elre obligés de suspendre leurs paiements, Il
était naturel qu' on leur accordát la méme fa-
veur qu'a la banque , et il y avait mérne justice
á le faire , car e'était la banque qui, en refu-
sant de rernplir ses engagements en argent,
les mettait dans l'impossibilité d'acquitter les
Ieurs de cette maniere. Mais des lors on don-
nait aux billets cours forcé de monnaie. Pomo
éviter cet inconvénient , les principaux com-
mercants de Londres se réunirent , et donne-
rent une prcuve remarquable d'esprit public
et d'intelligence. Comprenant que le refus
d'admettre en paiement les billets de la ban-
que aménerait une catastrophe inévitable, dans
Iaquelle toutes les fortunes auraient également
a souffrir, ils résolurent de la prévenir, et íls
convinrent d'un cornmun accord de recevoir
les billets en paiement. Des cet instant, l'An-
gleterre entra dans la voie du papier-monnaie.
Il est vrai que ce papier-monnaie, au lieu d'e-
tre forcé, était volontaire ; mais iI n'avait que
la solidité du papier, et il dépendait éminem-
ment de la conduite politique du cabinet, Pour
le rendre plus propre au service de mormaie ,




158 REVOLUTION FRANI;;AISE.
on le divisa en petites sommes. On autorisa la
banque, dont les rnoindres billets étaient de
5 livres sterling (980u 100 franes), aen émet-
tre de 20 et 40 sehellings ( 24 et 48 franes).
C'était un moyen de les faire servir au paie-
ment des ouvriers.


Quoique le bon esprit du eommeree anglais
eüt rendu eette eatastrophe moins funeste
qu'elle aurait pu l'étre , cependant la situation
n'en était pas moins tres-périlleuse ; et, pour
qu'elle ne devlnt pas tout-á-fait désastreuse, il
fallait désarmer la Franee, et empécher que
les eseadres espagnole, francaise et hollan-
daise, ne vinssent allumer un incendie en Ir-
lande. La famille royale étaÜ toujours aussi
ennemie de la révolution et de la paix ; mais
Pitt , qui n'avait d'autre vue que l'intérét de
l'Angleterre, regardait, dans le moment, un
répit eomme indispensable. Que la paix fút Oll
non définitive, il fallait un instant de reposo
Entierement d'aecord sur ee point avec lord
Grenville, il décida le eabinet a entamer une
négoeiation sincere, qui procurát deux ou trois
ans de reláche aux ressorts trop tendus de la
puissance anglaise. Il ne pouvait plus étre ques-
tion da disputer les Pays-Bas, aujourd'hui cé-
dés par l'Autriche; il ne s'agissait plus que de
disputer sur les eolonies, et des 101'S il y avait




mRECTOIRE (1797). 159
moyen et espoir de s'entend~. Non-seulement
la situation indiquait l'intention de traiter,
mais le choix dn négociateur la prouvait aussi.
Lord Malmesbury était encore designé cette
fois, et, ason age, on ne l'aurait pas employé
deux fois de suite dans une vaine représenta-
tion. Lord Malmesbury , célebre par sa Ion-
gue carriere diplomatique , et par sa dextérité
comme négociateur, était fatigué des affaires,
et voulait s'en retirer, mais apres une négo-
ciation heureuse et brillante. Aucune ne pon-
vait étre plus belle que la pacification avec la
France aprés cette horrible lutte; et , s'il n'a-
vait eu la certitude que son cabinet voulait la
paix, il n'aurait pas consenti a jouer un role
de parade, qui devenait ridicule en se répétant.
11 avait recu , en effet, des instructions secretes
qui ne lui laissaient aucun doute. Le cabinet
anglais fit demander des passe-ports pour son
négociateur; et , d'un commun accord, le lieu
des conférences fut fixé non a Paris, mais a
Lille. Le directoire aimait mieux recevoir le mi-
nistre anglais dans une ville de province, parce
qu'il craignait moins ses intrigues. Le ministre
anglais, de son coté, désirait n'étre pas en
présence d'un gouvernement dont les formes
avaient quelque rudesse, et préférait traiter
par I'interrnédiaire de ses négoeiateurs. Lille




1 (jO IUlVOLUTION FHANVAISE.


fut donc le líen choisi, et ~le part et d'autre
OH prépara une légation solennelle. Hoche
n'cn dut pas rnoins continuer ses préparatifs
:lVCC vigueul', pour donner plus d'autorité aux
négociateurs fl'ancai s.


Ainsi la Franee, victorieuse de toutes parts,
était en négoeiation avec les deux grandes
puissances européennes, et touchait a la paix
générale. Des événements aussi heureux et
aussi brillants auraient dú ne laisser place
qu'a la joie dans tous les coeurs ; mais les
élections de l'an V venaient de donner a l'op-
position des forces dangereuses. On a vu com-
bien les adversaires du direetoire s'agitaient a
l'approche des élections. La faetion royaliste
avait beaucoup inf1ué sur leur résultat. Elle
avait perdu trois de ses agents principaux , par
l'arrestation de Brottier , Laville-Heurnois et
Duverne de Presle; rnais c'était un petit dom-
mage, cal' la confusion était si grande chez
elle, que la perte de ses chefs n'y pouvait
guere ajouter. Il existait toujours deux asso··
ciations, l'une composée des hommes dévoués
et capables de prendre les armes, l'autre des
hommes douteux, propres seulement a voter
dans les élections. L'agence de Lyon était res-
tée intacte. Pichegru, conspirant a part, cor-
respondait toujours avec le ministre anglais




IJIRECTOIHF. (17~.)7). 16,
Wickam et le prince de Condé. Les éleetions ,
influencées par ces intrigants de toute espece ,
el surtout par l'esprit de réaction, eurent le
résultat qu'on avait prévu. La presque totalité
du second tiers fut formée, comme le premier,
d'hommes qui étaient ennemis dll directoire,
ou par dévouement a la royauté , ou par haine
de la terreur. Les partisans de la royauté
étaient , il est vrai, fort peu nombreux; mais


ils allaient se servir, suivant l'nsage ~ des pas-
sions des autres. Pichegru fut nommé député
dans le Jura. A Colmar on choisit le nomrné
Chemblé, employé a la correspondance avec
Wickam ; a Lyon, Imbert-Colomes , l'un des
membres de l'agence royaliste dans le Midi, el
Camille Jordan, jeune hornme qui avait de
bons sentiments , une imagination vive, et
une ridicule colére centre le directoire; a Mar-
seille , le général Willot, qui avait été tiré de
I'armée de l'Océan pour aller commanderdans
le département des Bouches - du - Rhóne , et
qui , loin de contenir les partis , s'était laissé
gagner, peut-étre a son inscu , par la faction
royaliste ; a Versailles, le nommé Vauvilliers,
compromis dans la conspiration de Brottier,
et destiné par ¡;agence a devenir administra-
teur des subsistances ; a Brest , l'amiral ViUaret-
Joyense, brouillé avec Hoche, el par suite ave«


IX. 11




,6,). ]1~:VOLtJTTON FRA1'I~AISF.
le gOllvernement, a l'occasion de l'expédition
d'Irlande. On fit encore une foule d'autres
choix, tout autant significatifs que ceux-la. Ce-
pendant tous n'étaient pas aussi alarmants pour
le directoire et pour la république. Le géné-
ral Jourdan, qui avait quitté le commandement
de l'armée de Sambre-et-Meuse, apres les mal-
heurs de la campagne précédente, fut nommé
député par son département. Il était digne de
représenter l'armée au corps législatif, et de
la venger du déshonneur qu'allait lui imprimer
la trahison de Pichegru. Par une singularité
assez remarquable , Barrere fut élu par le dé-
partement des Hautes-Pyrénées,


Les nouveaux élus se háterent d'arriver a
Paris. En attcndant le I er prairial, époque de
leur installation , on les entrainait a la réunion
de Clichy, qui tous les jours devenait plus
violente. Les conseils eux-mémes ne gardaient
plus leur ancienne mesure. En vayant appro-
cher le moment oú ils allaient étre renforcés,
les membres du premier tiers cornmencaient a
sortir de la réserve dans laquelle ils s'étaient
renfermés pendant quinze mois. lis avaient
marché jusqu'ici a la suite des constitutionneIs,
c'est-a-dire des cléputés qui prétendaient n'étre
ni arnis ni ennemis du directoire , et qui affee-
taient de ne tenir qu'á la constitution seule ,




DIRECTOIRE (1797)' 163
et de ne combattre le gouvernement que lors-
qu'il s'en écartait. Cette direction avait surtout
dominé dans le eonseil des anciens. Mais a
mesure que le jour de lajonction s'approchait ,
l'opposition dans les cinq - cents commencait a
prendreun langage plus menacant. On entendait
dire que les anciens avaient trop long - temps
mené les cinq-cents, et que ceux-ci devaient
sortir de tutelle, Ainsi, dans le club de Clichy
comme dans le eorps législatif, le parti qui
allait acquérir la majorité laissait éclater sa joie
et son audace.


Les eonstitutionnels abusés, eomme tous les
hornmes qui depuis la révolution s'étaient laissé
engager dans l'opposition, croyaient qu'ils al-
laient devenir les maitres du mouvement, el
que les nouveaux arrivés ne seraient qu'un
renfort pour eux. Carnotétait aleur tete. Tou-
jours entrainé davantage dans la fausse direc-
tion qu'il avait prise, il n'avait cessé d'appuyer
au directoire l'avis de la majorité législative.
Particulierement dans la discussion des préli-
minaires de Léoben, il avait laissé éclater
une animosité con tenue jusque-la dans les
bornes des convenances, et appuyé avec UIl
zéle qu'on ne devait pas attendre de sa vie
passée , les concessions faites a l'Autriche.
Carnot, aveuglé par son amour-propre, eroyaít


11.




164 nÉVOLUTION FRA N9A.ISE.
mener a son gré le parti constitutionnel , soit
dans les cinq-cents, soit dans les aneiens, et
ne voyait dans les nouveaux élus que des par-
tisans de plus. Dans son zele a rapprocher les
élérnents d'un parti dont il espérait étre le
chef, il cherchait a se Iier avec les plus mar-
quants des nouveaux députés, 11 avait méme
devaneé Pichegru, qui n'avait pour tous les
membres du directoire que des procédés mal-
honnétes , et était allé le voir. Pichegru , ré-
poudant assez mal a ses prévenances, He lui
avait montré que de l'éloignement el presque
du dédain. Carnot s'était lié avec beancoup
d'autres députés du prernier et du secoud tiers,
Son logement au Luxembourg était devenu le
rendez-vous de tous les memhres de la no u-
velle opposition ; et ses collegues voyaient eha-
que jour arriver chez lui leurs plus irréconci-
hables ennemis.


La grande question était celle du choix d'un
nouveau directeur. C'érait le sort qui devait
désiguer le membrc sortant. Si le sort désignait
Larévelliére-Lépeaux , Rewhell ou Barras , la
marche du gouve.rnement était changée ; cal' le
directeur , nommé par la nouvelle majorité,
ne pouvait manquer de voter avec Carnot et
Lstourneur.


On disait que les cinq directeurs s'étaient




DlRECTOlRE (1797)' 165
entendus pour désigner celui d'entre eux qui
sortirait; que Letourneur avait consenti a ré-
signer ses fonctions , et que le scrutin ne devait
étre que simulé. C'était la une supposition ab-
surde , comme toutes celles que font ordinai-
rement les partis. Les cinq directeurs , Larével-
liere seul excepté, tenaient beaucoup a Ieur
place. D'ailleurs Carnot et Letourneur , espé-
rant devenir les maitres du gouvernement, si
le sort faisait sortir I'un de leurs trois colle-
gues, ne pouvaient consentir a abandonner
volontairement la partie. Une circonstance
avait pu autoriser ce bruit. Les einq directeurs
avaieut st ipulé entre eux, que le membre sor-
tant recevrait de chacun de ses collégues une
indemnité de 10,000 fr., ce qui ferait 40,000,
et ce qni ernpécherait que les directeurs pau-
vres ne passassent tout-a-coup de la pompe
du pouvoir a l'indigence. Cet arrangement fit
croire que, ponr décider Letourneur , ses col-
legues étaient convenus de lui abandonner une
partie de leurs appointernents. Il n'en était
rien eependant. On disait encore que 1'0n était
convenu de lui faire donner sa dérnission avant
le rer prairial, pour que la nomination du
nouveau directeur se fit avant I'entrée du se-
cond tiers dans les conseils ; cornbinaison im-
possible encore avec la présence de Caruor.




166 nÉVOLUTION FRAN'1A1SE.


La société de Clichy s'agitait beaucoup pour
prévenir les arrangements dont on parlait.
Elle imagina de faire présenter une proposi-
tion aux cinq-cents , tendant a obliger les di-
recteurs afaire publiquement le tirage au sort,
Cette proposition était inconstitutionnelle, cal'
la constitution ne réglait pas le mode dn ti-
rage, et s'en reposait, quant a sa régularité,
sur l'intérét de chacun des directeurs; cepen-
dant elle passa dans les conseils. Le directeur
Larévelliére -Lépeaux , peu ambitieux, mais
ferrne , représenta a ses collégues que cette
mesure était un empiétement sur leurs attri-
butions, et les engagea a n'en pas reconnaitre
la légalité. Le directoire répondit, en effet, qu'il
ne l'exécuterait pas, vu qu'elle était inconsti-
tutionnelle. Les conseils lui répliquerent qu'il
n'avait pas a juger une décision du corps lé-
gislatif. Le directoire alIait insister, et répon-
dre que la constitution était mise par un article
fondamental SOtlS la sauvegarde de chacun des
pouvoirs, et que le pouvoir exécutif avait 1'0-
bligation de ne pas exécuter une mesure
inconstitutionnelle; mais Carnot et Letour-
neur abandonneren t leurs collegues. Barras,
qui était violent, mais peu ferme, engagea
Rewbell et Larévelliére acéder, et on ue disputa
plus sur le mode du tirage.




DIRECTOIRE (1797)' 167
La turbulente réunion de Clichy Imagma


de nouvelles propositions a faire aux conseils
avant le Ier prairial. La plus importante a ses
yeux était le rapport de la fameuse loi du 3
brumaire, qui excluait les parents d'émigrés
des fonctions publiques, et qui fermait I'entrée
du corps législatif aplusieurs membres du pre-
miel' et du second tiers, La propasition fut
faite, en effet, aux cinq-cents , quelques jours
avant le 1er prairial, et adoptée au milieu d'une
arageuse discussion. Ce succes inespéré, mérne
avant la jonctian du second tiers , prouvait
l'entrainement que commcncait aexercer l'op-
position sur le earps législatif, quoique com-
pasé encare de deux tiers conveutiormels, Ce-
pendant, le parti qui se disait constitutionuel
était plus fort aux anciens. Il était blessé de
la fougue des députés , qui jusque-Iá avaient
paru recevoir sa direction , et iI refusa de rap-
porter la loi du 3 brumaire,


Le Ier prairial arrivé, les deux cent cinquante
uouveaux élus se rendirent au corps législatif,
et remplacerent deux cent cinquante con ven-
tionnels. Sur les sept cent cinquante membres
des deux conseils, il n'en resta done plus que
rleux cent cinquante appartenant a la grande
assemblée qui avait cansommé et défendu la
révolution. Quand Piehegru parut aux cinq-




168 nÉvoLuTfON FftAN~AISE.
cents, la plus grande partie de l'assemblée ,
qui ne savait pas qu'elle avait un traitre dans
son sein, et qui ne voyait en lui qu'un géné-
ral illustre, <lisgraeié par le gouvernement, se
leva par un mouvement de curiosíté. Sur quatre
cent quarante-qllatre voix , il en ohtint trois
cent quatre-vingt-sept pour la présidence. Le
partí modéré et constitutionnel aurait voulu
appeler au bureau le général Jourdan, afin de
luí préparer les voies au fauteuil, et de l'y pQr-
ter apres Píchegru; mais la nouvelle majq-
rité, fiere de' sa force, el oubliant déja toute
espece de ménagement , repoussa JOUI'dan. Les
membres du bureau nommés furent MM. Si-
méon , Vaublane, Henri La Riviére , Parisot.
L'exdusion de Jourdan était maladroite, et ne
pouvait que blesser profondément les armées.
Séance tenante, on abolitl'éleetion des Hautes-
Pyrénées , qui avait porté Barreré au eorps
législatif. On apprit le résultat du tirage au
sort fait an direetoire. Par une singularité du
hasard, le sort était tombé sur Letourneur, ce
qui confirma davantage l'opinion qui s'était ré-
pandue d'un accord voloutaire entre les direc-
teurs ", Sur-le-champ on songea a le rempla-


* Un lit dans une foule dhistoires , que Letourneur
sortit pal' un arraugemcut volontaire, Le directeur Laré-




DIRECTOIRE (1797)' J 69
cero Le choix qu'on allait faire avait beaucoup
moins d'irnportance depuis qu'il ne pouvait plus
ehanger la majorité directoriale; mais c'était
toujours l'appui d'une voix adonner aCarnot;
et d'ailleurs, eomme on ne connaissait pas bien
la pensée de Larévelliere-Lépeaux , comme on
le savait modéré, et qu'il était un des pros-
crits de '793, 00 se flattait qu'il pourrait, dans
certains cas, se rattacher a Carnot, et chan-
gel' la majorité. Les constitutionnels, qui avaient
le désir et l'espoir de modifier la marche du
gouvernement sans le détruire , auraient voulu
uommer un homme attaché au régime actuel,
mais prononeé contre le directoíre, et prét a
se rallier aCarnot, Ils proposaient Cochon, le
ministre de la police, et l'ami de Carnot. lIs
songeaient aussi aBeurnonville ; mais, dans le
club de Clichy, on était mal disposé pour Co-
chon, bien qu'on lui eút aecordé d'abord beau-


velliére-Lépeaux , dans des mémoires précieux et inédits-
assure le contraire, Pour quí a connu ce vertueux ci,
toyen , incapable de mentir, son assertion est une preuve
suffisante, Mais on n'a plus aucun doute en lisant le mé-
moire de Carnot , écrit aprés le 18 fructidor. Dans ce mé-
moire plein de fiel, el:qui est a déplorer pour la gloire de
Carnot, il assure que tous ces arrangements ne sont qu'une
vaine supposition. 11 n'avait certes aucun intérét á justiíler
ses coJlt'gues, contre lesquels il ótait plein de ressenti-,
mento




170 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
coup de faveur, a cause de son énergie contre
les jacobins, On luí en voulait maintenant de
l'arrestation de Brottier, Duverne de Presle et
Laville-Heurnois, mais surtout de ses circulai-
res aux électeurs, On repoussa Cochon et mérne
Beurnonville. On proposa Barthélemy, notre
ambassadeur en Suisse, el le négociateur des
traités de paix avec la Prusse et l'Espagne. Ce
n'était certainement pas le diplomate pacifi-
cateur qu'on voulait honorer en luí, mais le
cómplice supposé du prétendant et des érni-
grés. Cependant les royalistes, qui espéraient ,
et les républicains, qui craignaicnt trouver en
lui un traitre , se trornpaient également. Bar-
thélemy n'était qu'un homrne faíble, mediocre,
fidele au pouvoir régnant, et n'ayant pas. meme
la hardiesse nécessaire pour le trahir. Pour clé-
cider son élection, qui rencontraít des obsta-
eles, on répandit qu'il u'accepterait pas, et que
sa nomination serait un hommage a I'homrne
qui avait cornmencé la réconciliation de la
Franee avec l'Europe. Cette fahle contribua
an succés, n obtint aux einq-cents trois cent
neuf suffrages, et Cochon deux cent trente.
On vil figurer sur la liste des candidats pré-
sentés aux anciens , Masséna , porté par cent
quatre-vingt-sept suffrages; Kléber, par" cent.
soixante- treize; Augereau, par cent trente-




DIRECTOIRE (1797). q 1
neuf. Un nombre de députés voulaient appe-
ler au gouvernement 1'un des géllél'aux divi-
sionnaires les plus distingués dans les armées.


Barthélemy fut élu par les anciens ; et, malgré
la fable inventée pour luí gagller des voix, il
répondit de suite qu'il acceptait les fonctions
de directeur. Son introduction au directoíre a
la place de Letourneur n'y changeait nullement
les influences. Barthélemy n'était pas plus ca-
pable d'agir sur ses collegues que Letourneur;
il allait voter de la me me maniere, et faire par
position ce que Letourneur faisait par dévoue-
meut a la personne de Carnot.


Les membres de la société de Clichy, les cli-
chyens, comme on les appelait, se mirent a
I'ceuvre des le 1er prairial, et annoncerent les
intentions les plus violentes. Peu d'entre eux
étaieut dans la confidence des agents royalistes.
Lemerer, Mersan, Imbert-Colomes , Pichegru ,
et peut-étre Willot, étaient seuls dans le se-
cret. Pichegru, d'abord en correspondance
avec Condé et Wickam, venait d'étre mis en
relation directe avec le prétendant. Il recut de
grands encouragements, de superbes pro-
messes, et de nouveaux fonds, qu'il accepla
encare, sans étre plus certain qu'auparavant
de l'usage qu'il en pourrait faire. Il prornit
heaucoup, et dit qu'il faI1ait, avant de prendre





172 HévOLUTION FRANf}AISt:.
un parti , observer la nouvelle marche des
choses. Froid et taciturne, il affectait avec ses
eornplices, et avec tout le monde, le mystére
d'un esprit profond et le recueillement d'un
grand caractere. Moins il parlait, plus on lui
supposait de combjnaisons el de moyens. Le
plus grand nombre des clichyens ignoraient sa
mission secrete. Le gouvernement 1ui - méme
l'ignorait, cal' Duverne de Presle n'en avait ras
le secret , et n'avait pu le lui communiquer.


Parmi les clichyens, les uns étaient mus par
I'ambition, les autres par un penchant naturel
pOlJr l'état monarchique, le plus grand nombre
par les souvenirs de la terreur et par la crainte
de la voir renaitre, Béunis par des motifs di-
ven, ils étaient entrainés , comme il arrive
toujours aux hommes assemblés, par les plus
ardents d'entre eux. Des le I er prairial, ils
formerent les projets les plus fous. Le prcmier
était de mettre les conseils en permaIlence. Ils
voulaient ensuite demander l'éloignement des
troupes qui étaient a Paris ; ils voulaient s'ar-
roger la poliee de la capitale , en interprétant
l'article de la constitution qui donnait au eorps
législatif la poliee du lieu de ses séanees, eten
traduisant le mot lieu par le mol ville; ils vou-
laient mettre les directeurs en accusation , en
nommer d'autres , abroger en masse les lois




lllRECT01H (1797)' 173
dites révolutionnaires , c'est-á-dire , abroger, it
la faveur de ce mot, la révolution tout entiere.
Ainsi, París soumis a leur pouvoir, les chefs
du gouvernement renversés, l'autorité rernise
entre leurs mains pour en disposer a leur gré,
ils pouvaient tout hasarder, rnéme la royauté.
Cependant ces propositíons de quelques esprits
ernportés furent écartées. Des hommes plus
mesurés, voyant qu'elles équivalaient a une
attaque de vive force contre le directoire, les
cornbattirent, et en firent prévaloir d'autres.
n fut convenu qu'on se servirait d'abord de la
majorité , pOllr changer toutes les commissions,
pour réformer certaines 10Ís, et pour contra-
rier la marche actuelle du directoire. La tac-
tique législative fut done préférée , pom le
moment , aux attaques de vive force.


Ce plan arrété, on le mit sur-le-charnp a
exécution. Apres avoir annulé l'élection de
Barrére , on rappela cinq membres du premier
tiers, qui avaient été exclus l'aunée precédente
en vertu de la loi du 3 brumaire. Le refus fait
par les anciens de rapporter eette loi ne fut
pas un obstacle. Les députés , repoussés du
eorps législatif, furent rappelés comme incons-
titutionnellernent excluso C'étaient les nommés
Ferrand-Vaillant, Gault, Polissart , Job Aymé
de la Drórne , et Mersan , l'un des agents du




174 RÉVOLUTfON FRANl,'AlSE.
royalisme. On imagina ensuite une nouvellc
maniere de rapporter la loi du 3 brumaire.
Le rapport de eette loi ayant été proposé quel-
ques jours au paravant, et rejeté par les anciens,
ne pouvait plus étre proposé avant une année.
On employa une nouvelle forme, et on décida
que la loi du 3 hrumaire était rapportée, dans
ce qui était relatif a l'exc1usion des fonctions
publiques. C'était presque toute la loi. Les an-
ciens adopterent la résolution sous cette forme.
Les membres du nouveau tiers, exclus comme
parents d'émigrés, ou eomme amnistiés pour
délits révolutionnaires, purent étre introduits.
M. Imbert-Colornes de Lyon dut a cette réso-
lution l'avantage d'entrer au corps législatif.
Elle profita aussi aSalicetti, qui avait été com-
promis dans les événements de prairial, et am-
nistié avec plusieurs membres de la convention.
Nornmé en Corse, son élection fut confirmée.
Par une apparence' d'impartialité , les meneurs
des cinq-cents firent rapporter une loi du 21
floréal , qui éloignait de Paris les convention-
nels non revétus de fonctions publiques. C'é-
tait afin de paraitre abroger toutes les Iois ré-
volutionnaires, lis s'occuperent immédiaternent
de la vérification des élections; et, cornme il
était naturel de s'y attendre, ils annulaient
toutes les élections douteuses quand il s'agis-




DJJ\l\CTOlItli (1797)' 17 5
sait d'un député républicain, et les confirmaient
quand il s'agissait d'un ennemi de la révolution.
lIs firent renouveler toutes les commissions; et,
prétendantque tout devait dater dujour de leur
introduction aucorps législatif, ils demanderent
des comptes de finances jusqu'au 1 e, prairia1. Ils
établirent ensuite des commissions spéciales,
ponr examiner les lois relatives aux émigrés,
aux prétres , au culte, a l'instruction publique,
aux colonies, etc. L'intention de porter la main
sur toutes choses était assez évidente.


Deux exceptions avaient été faite s aux lois
qui bannissaient les émigrés aperpétuité : I'une
en faveur des ouvriers et cultivateurs que Saint-
Just el Lebas avaient fait fuir du Haut-Rhin ,
pendant leur mission en 1793; l'autre en fa-
veur des individua compromis , el obligés de
fuir par suite des événements du 31 mai. Les
réfllgiés de Toulon, qui avaient livré cette
place, el qui s'étaient sauvés sur les escadres
anglaises, étaient seuls privés du bénéfice de
cette scconde exception. A la faveur de ces
deux dispositions , une multitude d'émigrés
étaient déja rentrés, Les uns se faisaient pas-
ser ponr ouvriers ou cultivatenrs du Haut-
Rhin, les autres ponr proscrits dn 31 mai. Les
clichyens firent adopter une prorogation du
délai accordé aux fllgitif<; du Haut-Rhin , el




J 76 llÉVOI,UTI01'l FRANl.;AISf:.
prolonger ce délai de six mois. Ils firent dé-
cider en outre que les fugitifs toulonnais pro-
6teraient de l'exception accordée aux proscrits
du 31 mai. Quoique eette faveur fút méritée
pour beaucoup de méridionaux , qui ne s'é-
taient réfugiés aToulon , et de Toulon sur les
escadres anglaises, que pour se soustraire ala
proscription encourue par les fédéralistes,
néanmoins elle rappelait, et semblait amnistier
l'attentat le plus criminel de la faction centre-
révolutionuaire , et devait indigner les patriotes.
La discussion sur les colonies, et sur la con-
duite des agents du directoire a Saint-Domin-
gue, amena un éclat violento La commission
chargée de cet objet, et composée de Tarbé,
Villaret-Joyeuse , Vaublanc, Bourdon de l'üise,
6t un rapport oú la eonvention était traitée
avec la plus grande amertume. Le conveution-
nel Maree y était accusé de n'avoir pas résisté
ti la tyrannie avec l'énergie de la uertu: A ces
mots, qui annoneaient l'intention souvent ma-
nifestée d'outrager 'Ies mernbres de la conven-
tion , tous ceux qui siégeaient encore dans les
cinq-cents, s'élancerent a la tribune, et de-
manderent un rapport rédigé d'une maniere
plus digne du corps législatif. La scene fut des
plus violentes. Les convcntionnels, appuyés
<les députés morlérés , obtinrent que le rap-




DIRF.CTOIRE (1797)· 177
port fút renvoyé a la commission. Carnot in-
flua sur la commission par le moyen de Bour-
don de l'üise, et les dispositions d II décret
projetéfurent modifiées. D'abord on avait pro-
posé d'interdire au directoire la faculté d'en-
voyer des agents dans les colonies; OIl lui laissa
cette faculté, en limitant le nombre des agents
a trois, et la durée de leur mission a dix-huit
mois. Santhonax fut rappelé. I ..es constitution-
neIs, voyant qu'ils avaient pu, en se réunis-
sant aux conventionnels, arréter la fougue des
clichyens, crurent qu'ils aIlaient devenir les
modérateurs du corps législatif. Mais les séan-
ces suivantes allaient hientót les détromper.


Au hombre des objets les plus importants
dont les nouveaux élus se proposaient de s'oc-
cuper, étaient le culte et les lois sur les pré-
tres. La commission chargée de cette grave
matiére , nomma pour son rapporteur le jeune
CamiIle Jordan, dont l'imagination s'était exa]-
tée aux horreurs du siége de Lyon, et dont
la sensihilité, quoiqne sincere, n' était pas sans
prétentions. Le rapporteur fit une dissertation
fort longue et fort ampoulée sur la liberté des
cultes. n ne suffisait pas, disait-il , de permet-
tre a chacun l'exercice de son culte , mais il
fallait, pour que la liberté fUt réeIle, ne ricn
exigerqui fút en contradiction avec les cl'Oyall-


IX. 1),




'78 RÉVOLl'TIOJ\' FRAN(,;AISJc.
ces. Ainsi , par exemple, le serment cxigé des
prétres, quoique neblessant en rien les croyan-
ces, ayant été néanrnoins mal interpreté par
eux, et regardé comme contraire aux doctrines
de l'église catholique, ne devait pas leur étre
imposé. C'était une tyrannie dont le résultat
était de créer une classe de proscrits, et de
proscrits dangereux, paree qu'ils avaient une
grande influence sur les esprits, et que, dé-
robés avec empressement aux recherches de
l'autorité par le zele pieux des peuples, ils tra-
vailIaient dans l'ombre a exciter la révolte,
Quant aux cérémonies du culte , il ne suffisait
pas de les permettre dans des temples fermés ,
il faIlait, tout en défendant les pompes exté-
rieures qui pouvaient devenir un sujet de
trouble, permettre certaines pratiques indis-
pensables. Ainsi les cloches étaient indispen-
sables poul' réunir les catholiques a certaines
heures; elles étaient partie néccssaire du culte ;
les défendre, c'était en gener la liberté. D'ail-
leurs le peuple était accoutumé a ces sons, il
les aimait, il n'avait pas encore consentí a s'en
passer; et, dans les campagnes, la loi centre
les cIoches n'avait jamais été exécutée. Les
permettre, c'était donc satisfaire a un besoin
innocent , et faire cesser le scandaJe d'une loi
inexécntée. n en était de Inénw ponr les ci-




DIRECTOIRE (J 797)' 179
metieres. Tout en interdisant les pompes pu-
bliques a tous les cultes, il fallait cependant
permettre a chacun d'avoir des lieux fermés,
consacrés aux sépultures , et dans l'enceinte
desquels on pourrait placer les signes propres
achaque religion. En vertu de ces príncipes,
Camille Jordan proposait I'abolition des ser-
ments, l'annulation des lois répressives qui en
avaient été la conséquence, la permission d'em-
ployer les cloches, et d'avoir des cirnetieres ,
dans l'enceinte desquels chaque culte pourrait
placer a volonté ses signes religieux sur les
tombeaux. Les príncipes de ce ,rapport, quoi-
que exposés avec une emphase dangereuse,
étaient justes. Il est vrai qu'il n'existe qu'un
moyen de détruire les vieilles superstitions ,
c'est l'indifférence et la disette. En souffrant
tous les cultes, et n' en salariant aucun, les gou-
vernements háteraicnt singulierement leur fin.
La convention avait déjá rendu aux catholi-
ques les temples qui leur servaient d'églises;
le directoire aurait bien fait de leur permeltre
les cloches , les croix dans les cimetieres , et
d'abolir l'usage du serment et les lois eontre
les prétres qui le refusaient. Mais employait-
on les véritables formes, ehoisissait-on le vé-
ritable morneut , pour présenter de sernblables
réclama tious i' Si au licu d' en fáire 1'11 n des


J',lo




180 RÉVOLUTlON :FRAN~AISE.
griefs du grand preces intenté au directoire ,
on eút attendu un moment plus convenahle ,
donné aux passions le ternps de se calmer , an
gouvernement eelui de se rassurer , on aurait
infailliblement obtenu les concessions dési-
rées. Mais par cela seul que les contre-révo-
lutionnaires en faisaient une condition, les
patriotes s'y opposaient; ear on veut toujours
le contraire de ce que veut un ennemi. En en-
tendant le hruit des c1oehes, ils auraient era
entendre le toesin de la contre-révolutíon.
Chaque parti veut que l'on compren:ne et sa-
tisfasse ses passions, et ne veut ni compren-
dre ni admettre celles du parti eontraire. Les
patriotes avaient leurs passions composées
d'erreurs, de craintes, de haines, qu'il fallait
aussi comprendre et ménager. Ce rapport fit
une sensation extraordinaire, car il touehait
aux ressentiments les plus vifs et les plus pro-
fonds. Il fut l'aete le plus frappant et le plus
dangereux des clichyens , quoique au fond le
plus fondé. Les patriotes y répondirent mal, en
disant qu'on proposait de récompenser la vio-
lation des lois , par l'abrogation des'Iois violées.
Il faut en effet abroger les lois inexécutables,


A toutes ces exigences, les clichyens ajou-
terent des vexations de toute espéce contre le
directoire , au sujet des finances, C'etait la l'oh- .




DIRECTO nu: (,1797 J. 1 fl I
jet importanr , au moyen duquel ils se propo-
saient de le tourmenter et de le paralyser, Nous
avons exposé déja (tome VIII), en donnant
l'apercu des ressources financieres pour l'an V
( 1797), quelles étaient les recettes et les dé-
penses présumées de eette année. On avait .a
suffire a 450 millions de dépenses ordinaires
au moyen des 250 rnillions de la eontribution
foneiére , des 50 millions de la contribution
personnelle , et des 150 millions du timbre, de
l'enregistrement, des patentes, des postes et
des douanes. On devait pourvoir aux 550 mil-
lions de la dépense extraordinaire, avec le der-
nier quart du prix des hiens nationaux sou-
missionnés l'année précédente, s'élevant a 100
millions, et exigé en billets de la part des ac-
quéreurs, avec le produit des bois et du fer-
mage des biens nationaux, l'arriéré des con-
tributions , les rescriptions bataves, la vente
du mohilier national, différents produits ac-
cessoires, enfin avec I'éternelle ressource des
biens restant avendre. Mais tous ces moyens
étaient insuffisants , et tres-au-dessous de leur
valeur présumée, Les recettes et dépenses de
l'année n'étant réglées que provisoirement, 011
avait ordonné la perception sur les roles pro-
visoires, de trois cinquiernes de la contribution
Ionciere et personnelle. Mais les roles, cornrne




I.8Q HEVOLUTION l"RAN YAISJ':.
on.I'a déjá dit , mal faits par les administra-
tions locales, acause de la variation continuelle
des lois fiscales, et surchargés d'émargements ,
donnaient lieu a des difficultés continuelles.
La mauvaise volonté des contribuables ajoutaít
encore a ces difficultés, et la recette était lente.
Outre l'inconvénienl d'arriver tard, elle était
fort au-dessous de ce qu'on l'avait imaginé. La
contribution fonciere faisait prévoir tout au
plus 200 millions de produit, au Iieu de 250.
Les différents revenus, tels que timbre, en-
registrement, patentes, douanes et postes, ne
faisaient espérer que lOO millions au lieu de
150. Tel était le déficit dans les revenus ordí-
naires, destinés afaire face a la dépense ordi-
naire. Il n'était pas moindre dans l'extraordi-
naire. On avait négocié les bons des acquéreurs
nationaux pour le prix du dernier quart, avec
grand désavantage. Pour ne pas faire les me-
mes pertes sur les rescriptions bataves , on les
avait engagées pour une somme tres-inférieure
a leur valeur. Les biens se vendaient tres-len-
tement, aussi la détresse était-elle extreme.
L'armée d'ltalie avait vécu avec les contribu-
tions qu'elle levait ; mais les armées du Rhin,
de Sambre-et-Meuse , de l'intérieur, les trou-
pes de la marine avaient horriblement souf-
fert. Plusieurs fois les troupes s'étaient mon-




1I1RECrüJRE (1797)' ¡ 83
lrées prétes a se révolter. Les établissements
publics et les hópitaux étaient dans une hor-
rible pénuríe. Les fonctionnaires publics ne
touchaient paso


Il avait fallu recourír a des expédients de
toute espece. Ainsi, comme nous l'avons rap-
porté (tome VIII), on recourut a des délais,
pour l'accomplissement de certaines obliga-
tions. On ne payait les rentiers qu'un quart
en numéraire, el trois quarts en bons acquit-
'tahles en biens nationaux , appelés bqnsdes
trois quarts. Le service de la dette consolidée,
de la dette viagere et des pensions, s'élevait a
248 millions ; par conséquent ce 11'était guere
que 62. millions apayer, et la dépense ordi-
naire se trouvait ainsi réduite de ] ~6 millions.
Mais, malgré cette réduction, la dépense n'en
était pas moins au-dessus des recettes. Malgré
qu'on cut établi une distinction entre la dé-
pense ordinaire et extraordinaire, on ne l'oh-
servait pas dans les paiements de la trésorerie.
On fournissait a la dépense extraordinaire avec
les ressources destinées ala dépense.ordinaire ;
c'est-a-dire , qu'á défaut d'argentpour payer
les troupes, ou les fournisseurs qui lesnour-
rissaient , on prenait suelessommes destinées
auxappointements des fonctionnaires publics,
juges , administratcnrs de toute espece. NOR'




184 RÉVOLUTlON FRAN¡;;AiSE.
seulement on confondait ces deux sortes de
fonds, mais on anticipait sur les rentrées, et
on délivrait des assignations sur tel ou tel re-
ceveur, acquittables avec les premiers fonds
qui devaient lui arriver. On donnait aux four-
nisseurs des ordonnances sur la trésorerie, dont
le ministre réglait l'ordre d'acquittement, sui-
vant l'urgence des hesoins ; ce qui donnait
quelquefois lieu ades abus, mais ce qui pro-
curait le moyen de pourvoir au plus pressé ,
et d'empécher souvent tel entrepreneur de se
décourager et d'abandonner son service. Enfin,
a défaut de toute autre ressource ,ondélivrait
des bons sur les biens nationaux, papier qu'on
négociait aux acheteurs. C'était la le moyen
employé, depuis la destruction du papier-mon-
naie, pour anticiper sur les ventes. De cet état
des finances, il résultait que les fournisseurs
de la plus mauvaise espéce , c'est-á-dire les
fournisseurs aventureux, entouraient seuls le
gouvernement, et lui faisaient subir les mar-
chés les plus onéreux. Ils n'acceptaient qu'a
un taux fort has les papiers qu'on leur don-
nait , et ils élevaient le prix des denrées a pro-
portion des chances ou des délais du paiement.
On était souvent ohligé de faire les arrange-
rnents les plus singuliers , pour suffire a cer-
tains besoins. Ainsi le ministre de la marine.




DlRECTüIRE (1797)' IS5
avait aeheté des farines pour les escadres, a
eondition que le fournisseur, en livrant les
farines él Brest, en donnerait une partie en al"
gent, POUI' payer la solde aux marins préts a
se révolter. Le dédommagement de eette avance
de numéraire se trouvait naturellement dans
le haut prix des farines, Toutes ces pertes
étaient inévitables et résultaient de la situation.
Les imputer au gouvernement était une in-
jnstice. lVIalheureusement la eonduite seanda-
leuse de l'un des directeurs, qui avait une
part secrete dans les profits extraordinaires
des fournisseurs, et qui ne cachait ni ses pro-
digalités, ni les progres de sa fortune, four-
nissáit un prétexte él toutes les calomnies. Ce
n'étaient pas certainement les bénéfices hon-
teux d'un individu qui mettaient l'état dans
la détresse, mais on en prenait occasion poul'
accuser le directoire de ruiner les finances.


Il y avait la, pOllr une opposition violente
et de mauvaise foi, une ample matiere a dé-
clamations et a mauvais projets. Elle en forma
en effet de trés-dangereux. Elle avait composé
la commission des finances d'hommes de son
choix, et fort mal disposés ponr le gouverne-
ment.Le premier soin de eette commission
fut de présenter aux cinq-cents , par l'organe
du rapporteur Gilbert-Desmolieres, Un état




186 RÉVOLUTlON FHANYAISE.
inexact de la recette et de la dépense. Elle exa-
géra l'une, et diminua fortement l'autre. Ohli-
gée de reconnaitre l'insuffisance des ressources
ordinaires, telles que la contribution fonciere,
l'enregistrement, le timbre, les patentes, les
postes, les douanes , elle re fusa cependant
tous les impóts imaginés pour y suppléer. De-
puis le commencement de la révolution, on
n'avait pas pu rétablir encore les impóts-in-
directs. On proposait un impót sur le sel et
le tabae, la commission prétendit qu'il effrayait
le peuple; on proposait une loterie, elle la
repoussa comme irnmorale; on proposait un
droit de passe sur les routes, elle le trouva
sujet a de grandes difficultés. Tout cela était
plus ou moins juste, mais il fallait chercher el
trouver des ressources, Pour toute ressource ,
la commission annonca qu'elle allait s'occuper
de discuter un droit de greffe. Quant- au défi-
cit des recettes extraordinaires, loind'y pour-
voir, elle chercha a l'aggraver ,en interdisant
au directoire les expédients, au moyen desquels
il était parvenu a vivre au jonr le jour. yoici
comment elle s'y prit.


La constitution avait détaché la trésorerie
du directoire, et en avait fait un établissement
a part, qui était dirigé par des commissaires
indépendants , nommés par les conseils , el




UlllECTOJRE (1797)' 187
u'ayant d'autre soin que celui de recevoir le
revenu, et de payer la dépense. De cette ma-
niere le directoire n'avait pas le maniernent
des fonds de l'état; il délivrait des ordonnances
sur la trésorerie, qu'elle acquittait jusqu'á
concurrence des crédits ouverts par les con-
seils. Rien n'était plus funeste que cette insti-
tution, car-Ie maniement des fonds est une
affaire d'exécution, qui doit appartenir au
gouvernement, comme la direetion des opé-
rations militaires, et dans laquelle les eorps
délibérants ne peuvent pas plus intervenir que
dans l'ordonnance d'une campagne. C'est méme
souvent par un maniement adroit et habile
qu'un ministre parvient a créer des ressources
temporaires , daos un cas pressant. Aussi les
deux conseils avaient-ils, l'année préeédente,
autorisé la trésorerie a faire toutes les négo-
ciations cornmandées par le direetoire.La nou-
velle commission résolut de cOllper court aux
expédients qui faisaient vivre le directoire , en
lui enlevant tout pou voir sur la 'trésorerie.
D'abord elle voulait qu'il n'eút plus la faculté
d'ordonner les négociations de valeurs. Quand
il y aurait des valeurs non circulantes a réali-
ser, les commissaires de la trésorerie devaien t
les négocier eux-mémes, sous leur responsa-
hilité persouneile. Elle illJagilla ensuite d'en-




188 nÉvoLuTION FRANYAISE.
lever au directoire le droit de régler l'ordre
dans lequel devaient étre acquittées les ordon-
nances de paiement. Elle proposa aussi de lui
interdire les anticipations sur les fonds qui
devaient rentrer dans les eaisses des departe-
ments. Elle voulait mérne que toutes les assi-
gnations déja délivrées sur les fonds non
rentrés, fussent rapportées a la trésorerie , vé-
rifiées , et payées aleur tour; ce qui interrom-
pait et annulait toutes les opérations déjá
faites. Elle proposa en cutre de rendre obliga-
toire la distinction établie entre les deux na-
tures de dépenses et de recettes, el d'exiger
que la dépense ordinaire fút soldée sur la re-
eette ordinaire, et la dépense extraordinaire
sur la recette extraordinaire; mesure funeste,
dans un moment oú il fallait foutnir achaque
besoin pressant par les premiers fonds dispo-
nibles. A toutes ces propositions , elle en ajouta
une derniére , plus dangereuse encore que les
précédentes. Nous venons de dire que les biens
se vendant lentement, on anticipait sur leur
vente, en délivrant des bons qui étaient re-
cevables en paiemcnt dc leur valeur. Les four-
nisseurs se contentaient de cesbons qu'ils
uégociaient ensuite aux acquéreurs. Ce papier
rivalisait, il est vrai , avec les bons des trois
quarts délivrés aux ren tiers , et en diminuait




DIRECTOIRE (1797)' 189
la valcnr par la concurrence. Sous prétexte de
protéger les malheureux rentiers contre l'avi-
dité des fournisseurs, la commission proposa
de ne plus permettre que les biens nationaux
pussent étre payés avee les bons délivrés aux
fournisseurs.


Toutes ces propositions furent adoptées par
les cinq-eents, dont la majorité aveuglément
entrainée n'observait plus aueune mesure. Elles
étaient désastreuses, et menacaient d'interrup-
tion tous les services. Le directoire, en effet, ne
pouvant plus négocier ason gré les valeurs qu'il
avait dans les mains, 11e pouvantplus fixer l'or-
dre des paiements suivant l'urgence des servi-
ces, anticiper dans un cas pressant sur les fonds
non rentrés, prendre sur l'ordinaire pour l'ex-
traordinaire, et enfin émettre un papier volon-
taire acquittable en biens nationaux, était privé
de tous les moyens qui l'avaient fait vivre jus-


_qu'ici, et lui avaient permis, dans l'impossibi-
lité de satisfaire atous les besoins , de pourvoir
au moins aux plus pressants. Les mesures adop-
tées, fort bonnes pour établir l'ordre dans un
temps calme, étaient effrayantes dans la situa-
tion oú ron se trouvait. Les constitutionnels
firent de vains efforts,dans les cinq-cents ,pour
les combattre. Elles passerent ; et il ne resta
plus d'espoir que rlans le conseil des anciens.




190 Rf:VOLUTION FU AN';:AISF..


Les constitutionnels, ennemis modérés du
directoire, voyaient avec la plus grande peine
la marche imprimée au conseil des cinq-cents.
lIs avaient espéré que l'adjonction d'un nouveau
tiers leur serait plutót utile quenuisible, qu'elle
aurait pour unique effet dechanger la majo-
rité , et qu'íls deviendraient les maitres du
corps législatif. Leur chef, Carnot, avait
concu les mémes illusions; mais les uns et les
autres se voyaient entrainés bien au-delá du
but , et pouvaient s'apercevoir dans cette oc-
casion ,comme dans toutes les autres, que
derriere chaque opposition se cachait la con-
tre-révolution avec ses mauvaises pensées. lIs
avaient beaucoup plus d'influence chez les an-
ciens que chez les cinq-cents, et ils s'eíforce-
rent de provoquer le rejet des résolutions
relatives aux finances. Carnot y avait un ami
dévoué daos le député Lacuée ; il avait aussi
des liaisons avec Dumas, ancien membre de
la législative. II pouvait compter sur l'in-
fluence de Portalis , Troncon - Ducoudray, Le-
brun, Barbé-Marbois, tous adversaires modérés
du directoire, et blámant les emportements
du partí clíchyen. Cráce aux efforts réunis de
ces députés, et aux dispositions du conseil des
anciens , les premieres propositions de Gil-
herr- Desmoliéres , qui interdisaient au direc-




IlIRJiCTOIRE (l7~n). 191
toire de diriger les négociations de la trésoreric,
de fixer l'ordre des paiements, et de confondre
l'ordinaire avec l'extraordinaire, furent reje-
tées. Ce rejet causa une grande satisfaction
aux eonstitutionnels, et en général a tous les
hommes modérés, qui rcdoutaient une lutte.
Carnot en fut extrémernent joyeux. Il espéra
de nouveau qu'on- pourrait contenir les cli-
chyens par le conseil des anciens, et que la
direction des affaires resterait a ses amis et
a lui.


Mais ce n'était la qu'un médiocre palliatif.
Le club de Clichy retentit des plus violentes
déclamations contre les anciens, et de no u-
veaux projets d'accusation contre le directoire.
Gilbert-Desmolieres reprit ses premieres P1'o-
positions rejetées par les anciens ,dans l'espoir
de les {aire agréer aune seconde délibération,
en les présentant sous une autre forme. Les
résolutions de toute espece contre le gouver-
nement se succéderent dans les cinq - cents.
On interdit aux députés de recevoir des places
un au avant leur sortie du corps législatif.
Imbert-Colomes , qui correspondait avec la
cour de Blankemhourg, proposa d'óter an di-
rectoire la faculté qu'il tenait d'une loi, d' exa-
miner les lettres venant de l'étranger. Aubry,
le mérne qui , apres le 9 thetrnidor, opéra IHIC




192 nÉvOLtJTION FRAN(jAISE.
réaction dans l'armée, qui, en 1795, destitua
Bonaparte, Aubry proposa d'enlever au direc-
toire le droit de destituer les officiers, ce qui
le privait de I'une de ses plus importantes
prérogatives constitutionnelles, Il proposa aussi
d'ajouter aux douze cents grenadiers compo-
sant la garde du eorps législatif, une com-
pagnie d'artillerie et un escadron de dragons,
et de donner le commandement de toute eette
garde aux inspecteurs de la salle du corps
législatif; proposition ridicule et qui semblait
annoncer des préparatifs de guerreo On dé-
non<;;a l'envoi d'un million a l'ordonnateur de
la marine de Toulon, envoi que Bonaparte
avait fait direetement, sans prendre l'intermé-
diaire de la trésorerie, pour háter le départ
de l'escadre dont il avait besoin dans l' Adria-
tique. Ce million fut saisi par la trésorerie, et
transporté a París. On parla de semblables
envois, faits de la meme maniere, de l'armée
d'Italie aux armées des Alpes, du Rhin et de
Sambre-et-Meuse, On fit un long rapport sur
nos relations avec les États-Unis; et, quelque
raison qu'eút le direetoire dans les différends
éIevés avec eette puissance , on le cens~ra avec
amertume. Enfin la fureur de dénoneer et
d'aecuser toutes les opérations du gouverne-
ment, entraina les clichvens a une derniere




193
une funeste


DIRECTOIUE (1797)'
démarche , qui fut de leur part
imprudence,


Les événernents de Venise avaient retenti
dans toute l'Europe. Depuis le manifeste de
Palma-Nova, eette république avait été anéan-
tie, et celle de Gt'mes révolutionnée, sans que
le directoire eút douné un seul mot d'avis aux
conseils. La raison de ce silence était, comme
on J'a vu, daos la rapidité des opérations , ra-


'pi<1ité telle, que Venise n'était plus, avant
qu'on püt mettre la guerre en délibération au
eorps législatif. Le traité interveuu depuis
n'avait pas encore été soumis a la discussion ,
el devait l'étre sous quelques jours. Au reste,
c'érait moins du silence du directoire qu'on
était fáché , que de la chute des g.ouverne-
ments aristocratiques, et des progrés de la ré-
volution en Italie. Dumolard, cet oratenr dif..
fus, qui depuis pres de deux ans ne cessait
de eombattre le directoire dans les cinq-cents ,


. résolut de faire une motion, relativement aux
événemeuts de Venise et de Genes. La tenta-
tive était hardie; cal' on ne pouvait attaquer le
directoire sans attaquer le général Bonaparte.
Il fallait braver pour cela l'admiration.univer-
selle. et une iufluence devenue colossale, de-
puis que le général avait obligé l'AUlriche a
la paix, et que, négociateur el guerrier, il


IX. 13




19[1 nÉVOLUTION FRAN<::AI!\E.
semblait régler a Milan les destinées de l'Eu-
rope. Tous les c1icbyens qui avaient conservé
quelque raison , firent leurs efforts pOllr dis-
suader Dumolard de son projet; mais il per-
sista, et dans la séance du 5 messidor (23 juin),
il fit une motion d'ordre sur les événements
de Venise. el: La renommée, dit-il, dont on ne
« peut comprimer l'essor, a serné partout le
« bruit de nos conquétes sur les Véniticns , el
« de la révolution étonnante quiles a couron-
« nées. Nos troupes sont dans leur capitale ;
« leur marine nous est livrée; le plus ancien
« gouvernement de l'Europe est anéanti ; il re-
(( parait en un clin d'ceil sous des formes dé-
« mocratiques ; nos soldats enfin bravent les
( flots de la rnerádriatique ,el sont tl'anspor-
« tés aCorfou pour achever la révolution nou-
te velle .... Admettez ces événements pourcer-
« tains, il suít que le directoire a fait en termes
« déguisés la guerre, 'la paix, et, sous quel-
« ques rapports, un traité d'alliance avec Ve-
« nise , et tout cela sans votre concours.... Ne
«sommes-nous done plus ce peuple qui a pro-
« clamé en principe, et soutenu par la force
cc des armes, qu'il n'appartient, sousaucun
« prétexte, a des puissances étrangeres de s'im-
« miscer dans la forme du gouvernement d'un
« autre état? Outragés par les V énitiens , était-




DIRECTOlRE (1797J. 195
« ce a leurs institutions politiques que nous
« avions le droit de déclarer la guerre? Vain-
« ql1eurs el conquérants, nous appartenait-il
« de prendre une part. active a leur révolution,
« en apparence inopinée? Je ne rechercherai
(e point id quel est le sort qU,e I'on réserve a
« Venise , et surtout a ses provinces de terre-
« ferrne. Je n'examinerai point si leur envahis-
« sement, mérlité peut-étre avant les attenrats
« qui lui servirent de motifs , n'est -pas destiné
« a figurer dans l'histoire , comme un digne
« pendant du partage de la Pologne. Je VClIX
« bien arre ter ces réflexions , et je demande ,
« l'acte constitutionnel a lamain,cornment le
« directoire peut justifier l'ignorance absolue
« dans laqueUe il .cherche a laisser le eorps
1( législatif sur cette foule d'événements ex-
« traordinaires.» Apres s'étre occupé des évé-
ncments de Venise , Durnolard parla ensuire
de ceux de Genes, qui présentaient, disait-il,
le mérne caractére , et faisaient supposer I'in-
tervention de l'armée francaise et -de ses chefs.
II parla aussi de la Suisse, \a:veÓ laquelIe on
était ,disait-il, encontestationipour un droit
de navigation , et il demanda si 00 voulait dé-
mocratiser tous les états alliésde la France.
Lonant souvent les héros d'Italie, il De parla
pas une seule fois du géuéral en chef, qu'alors


13.




JqG RÉVOLUTION J.'RANYAISE.
aucune bonche ne négligeait l'occasion de pro-
noncer, en l'accompagnant d'éloges extraorrli-
naires. Dnmolard finit par proposer un mes-
sage an directoire , pour lni demander des
explicationssur les événements de Venise et
de Genes, et sur les rapports de la Franee
avec laSuisse.


Cette motion cansa un étonnement général,
etprouva l'audace des clichyens. Elle devait
bientót leur coüter cher.En attendant qu'ils
en essuyassent les tristes conséquences, ils se
montraient pleins d'arrogance, affichaient hau-
tement les plus grandes espérances, et sem-
blaient devoír étreeouspeu les maitres du
gouvernement. C'était partoutla méme con-
fiance et la méme imprudence qu'ea vendé-
miaire. Les émigrés rentraient 'en foule. On
envoyait de París une quantité de faux passe-
ports et de faux certificats de résidence, dans
tontes les parties de I'Europe. On en faisait
commerce a Hambourg. Les émigrés s'intro-
duisaient sur le territoire par la Hollande ,
par l'Alsace, la Suisse et le Piémont. Ramenés
par le gout qu'ont les Francais pour leur belle
patrie, et par les souffrances et les dégoúts
essuyés a l'étranger, n'ayant d'ailleurs plus
rien a espérer de la guerre, depuis les négo-
ciations entamées avec l'Autriche, ayant mérne




DlRliCTOIRE ('797)' 197
a craindre le licenciement des corpsde Condé,
ils venaient essayer, par la paix et par les in-
trigues de l'intérieur , la contre -révolution
qu'ils n'avaient pu opérer par le concours des
puissances européennes. Du reste, a défaut
d'une contre-révolution, ils voulaient revoir
au rnoins leur patrie, et recouvrer une partie
de leurs biens, Gráce en effet a l'intérét qu'ils
rencontraient partout, ils avaient mille faci-
Iités pour les racheter. L'agiotage sur les dif-
férents papiers adrnis en paiement des biens
nationaux, et la facilité de se procurer ees
papiers avil prix, la faveur des administrations
locales pour les anciennes farnilles proscrites ,
la complaisance des enchérisseurs, qui se reti-
raient des, qu'un ancien propriétaire faisait
acheter ses terres sous des noms supposés,
perrnettaient aux érnigrés de rentrer dans leur
patrirnoine avec de tres - faibles sommes. Les
prétres surtout revenaient en foule. lis étaient
recueillis par toutes les dévotes de Franee,
qui les logeaient, les nourrissaient , leur éle-
vaient des chapelles dans leurs .maisons , et les
entretenaient d'argent au moyen des quétes.
L'aneienne hiérarchie ecclésiastique était clan-
destinement rétablie. Aueune des nouvelles
circonscriptions de la constitution civile du
clergé u'était reconnue. Les anciens diocéses




Ig8 RÉ"üLUTION FRAN<:,;!lISE.
existaient cncore; des évéques et des archevé-
ques les administraient seeréternent, et cor-
respondaient avec Rome. C'était par eux et pal'
leur ministére que s'exercaient toutes les pra-
tiques du culte catholique ; ils confessaient,
baptisaient ,mariaiellt les personnes restées
fideles a l'aneienne religion. Tous les ehouans
oisifs accouraient a Paris , et s'y réunissaient
aux émigrés, qui s'y trouvaient, disait-on , au
nombre de plnsde cinq mille. En voyant la
conduite des cinq-cents et les périls du direc-
toire, ils croyaient qu'il snffisait de quelques
jours poul' amener la catastrophe depuis si
long-temps désirée. Ils remplissaient Ieur COI'-
respondance avec l'étranger de leurs espéran-
ces. Auprés du prince de Condé, dont le corps
se retirait en PoIogne, aupresdu prétendant
qui était a Blankembourg, aupres du comte
d'Arlois qui était en Écosse , on montrait la
plus grande joie. Avec eette méme ivresse qu'on
avait eue aCoblentz, lorsqu'on croyait rentre r
dans quinze jours a la suite du roi de Prusse ,
on faisait de nouveau aujourd'hui des projets
de retour; on en parlait , on en plaisantait
comme d'un événement tres-prochain. Les vil·
les voisines des frontieres se rernplissaieut de
gens qui attendaient avee impatience le mo-
ment de revoir la France. A tous ces indices




DIRECTOfRE (1797)' 19~
il faut joindre enfin le langage forcené des
journaux royalistes, dont la fureur augmentait
avee la térnérité et les esperances du parti.


Le directoire était instruit par sa poliee de
tous ces mouvements. La conduite des érni-
grés, la marche des cinq-cents , s'accordaient
avec la déclarationde Duverne de Presle pour
démontrer l'existence d'un véritable complot.
Duverne de Presle avait dénoncé, san s les
nommer, cent quatre-vingts députés comme
cómplices. Il n'avait désigné nominativement
que Lemerer et Mersan , et avait dit gue les
autres étaient tous les sociétaires de Clichy.
En cela, il s'était trompé, comme on a vu. La
plupart des clichyens, sauf cinq ou six peut-
étre , agissaient par entrainement d'opinion ,
et non par eomplicité. Mais le directoire, trompé
par les apparences et la déclaration de Duverne
de Presle, les eroyait sciemment engagés dans
le complot, et ne voyait en eux que des con-
jurés. Une découverte faite par Bonaparte en
Italie vint luí révéler un secret important, et
ajouter encore a ses craintes. Le comte d'En-
traigues, agent du prétendant, son intermé-
diaire avec les intrigants de France, et le con-
fident de tous les secrets de l'émigration, s'était
réfugié a Venise. Quand les Francais y entre-
rent , il fut saisi et Iivré a Bouaparte, Celu -ici




200 nliVOLUTION FltAN(:.-I.ISF..


pouvait l'envoyer en France pour y étre fu-
sillé comme émigré el comme conspirateur ;
cependant il se laissa toucher , et préféra se
servil' de lui et de ses indiscrétions, au lieu
de le dévouer a la mort. 11 Iui assigna la ville
de Milan pour prison , lui donna quelques se-
cours d'argent, el se lit raconter tous les se-
crets du prétendant. 11 connut alors l'histoire
entiere de la trabison de Pichegm, qui était
restée cachée au gouvernement, et dont Rew-
bell seul avait eu quelques soup<,;ons, mal ac-
cueillis de ses collégues. D'Entraigues raconta
a Ronaparte tout ce qu'il savait , et le mil au
fait de toutes les intrigues de J'émigration.Ou-
tre ces révélations verbales, on obtint des ren-
seignements curieux, par la saisie des papiers
trouvés avenise , dans le porte-feuille de d'En-
traigues. Entre autres pieces , il en était une
fort irnportante , contenant une longue con-
versation de d'Entraigues avec le comte de
Montgaillard, dans laquelle celui-ci racontait
la premiere négociation entamée avec Piche-
grll, et restée infructueuse par l'obstination
du prince de Condé. D'Entraigues avait écrit
eette conversation *, qui fut trouvée dans ses


" M. de Montgaillal'd , dan 5 son ouvrage plein de calom-
nics et d'erreurs , a soutenu (¡Ile cette pit\~e contenait des,




DIRECTOIRE (1797)' 201
papiers. Sur-le-charnp Berthier, Clarke et Bo-
naparte la signerent pour en attester l'authen-
ticité , et l'envoyerent a Paris.


Le directoire la tint secrete, comme la dé-
claration de Duverne de Presle , attendant
l'occasion de s'en servir utilement. Mais il n'eut
plus de doute alors sur le role de Pichegru
dans le conseil des cinq-cents ; il s'expliqua ses
défaites , sa conduite bizarre, ses mauvais pro-
cédés , son refus d'alier a Stockholm, et son
influence sur les clichyens. Il supposa qu'á la
tete de cent quatre-vingts députés, ses corn-
plices, il préparait la contre-révolution.


Les cinq directeurs étaient divisés depuis la
nouvelle direction que Carnot avaít prise, et


Iaits vnais, mais qu'elle était fausse 1 et avait été fabriquéc
par Bonaparte , Berthier et Clarke. Le contraire est cons-
tant , et 011 coneoit l'intórét que M. de Montg~illard avait
á justifier SOIl frére de la conversation qu'on lui attribue
daos cetle piéce. Mais il est difficile d'abord de supposcr
que trois pcrsonnages aussi importants osassent faire un
faux. Ces actes-lá sont aussi rares de nos jours que les
empoisonnernents. Clarke a été destitué a la suite de fruc-
tidor, et il était dans le parti Carnot. Il est peu probable
qu'il se prétát a fabriquer des piéces pour appuyer fruc-
tidor. Ensuite la piéce était fort insuffisante pour l'usage
auquel on la destinait , et a faire un faux, on l'aurait fait
suffisant, Tout prouve done le mensonge de M. de Mont-
gaillard.




202 nÉVOLUTIO:N FRA"N<';:AISE•


. qui était suivie par Barthélemy. I1 ne restait
de dévoués au systeme du gonvernement qne
Barras, Rewbell et Larévelliere-Lépeaux. Ces
trois directeurs n'étaient point eux-rnémes fort
unis , .cal' Rewbell, conventionnel rnodéré ,
haíssait dans Barras un partisan de Danton, et
avait en outre la plus grande aversión pour ses
moeurs et son caractére, Larévelliére avait
quelques liaisons avec RewbeH, rnais peu de
rapports avec Barras. Les trois directeurs n'é-
taient rapprochés que par la conformité habi-
tuelle de leur vote. Tous trois étaient fort ir.
rités et fort prononcés centre la faction de
Clichy. Bar:ras, quoiqu'il recút chez lui les
émigrés par suite de sa facilité de moeurs , ne
cessait de dire qu'il monterait a cheval, qu'íl
rnettrait le sabre a la main, et, a la tete des
faubourgs, irait sabrer tous les contre-révo-
lutionnaires des cinq-cents. Rewbell ne s'ex-
primait pas de la sorte; il voyait tout perdu ;
et, quoique résolu afaire son devoir, il croyait
que ses collegues et lui n'auraient hientót plus
d'antre ressource que la fuite. Larévelliere-


.Lépeaux, doué d'autant de courage qne de
probité, pensait qn'il fallait faire tete al'orage,
et tont tenter ponr san ver la république. Le
cceur exempt de haine, il pouvait servir de
lieu entre Barras et Hewhell , el il avait résolu




DlRECTOIRE (1797 l. 203
de devenir leur intermédiaire, Il s'adressa d'a-
bord aRewhell, dont il estimait profondément
la probitéet les lurnieres , et Iui expliquant
ses intentions , lui demauda s'il voulait concpu-
rir a sauver la révolution. Rewbell accueillit
chaudement ses ouvertures, et lui promit le
plus entier dévouement, Il s'agissait de s'assu-
rer de Barras, dont le langage énergique ne
suffisait pas pour rassurer ses collegues. Ne
lui supposant ni probité, ni prineipes, le voyant
entouré de tous les partis , ils le croyaieut aussi
capable de se vendre a l'émigration, que de se
mettre un jour a la tthe des faubourgs, et de
faire un horrible coup de main. 11s craignaient
l'une de ces choses autant que l'autre. lis vou-
laient sauver la république par un acte d'é-
nergie, mais ne pas la compromettre par de
nouveaux meurtreaEffarouchés par les moeurs
de Barras, ils se défiaíent trap de lui, Laré-
velliere se chargea de l'entretenir, Barras,
charmé de se coaliser avec ses deux collégues ,
et de s'assurer leur appui, flatté s.urtout de leur
alliance, adhéra entiérement a leurs projets ,
et parut se préter a toutes leurs vues. Des cet
instant , ils furent assurés de former une majo-
rité compacte, et d'annuler entierement , pal'
leurs trois votes réunis, l'inílnence de Carnot
et de Barthélemy. Il s'agissait de savoir quels




~.w4 REVOLlfTJON J:-llANYA1SE.
moyens ils emploieraient pOllr déjouer la COllS-
piration, a laqueHe ils supposaient de si gran-
des ramifications dans les deux conseils. Em-
ployer les voies judiciaires , dénoncer Pichegru
et ses complices, demander leur acte d'accu-
sation aux cinq-cents , et les faire juger en-
suite, était tout-á-fait impossible. D'abord 011
n'avait que le nom de Pichegru, de Lemerer el
de Mersan; on croyait bien reconnaitre les au-
tres a leurs liaisons, a leurs intrigues, a leurs
violentes propositions dans le club de Clichy
et dans les cinq-cents , mais ils n'étaient nom-
més nulle parto Faire condamner Pichegru, et
deux ou trois députés, ce n'était pas détruire
la conspiration. D'ailleurs , on n'avait pas mérne
les moyens de faire condamner Pichegru, Le-
merer et Mersan, cal' les preuves existant
eontre eux, quoique emportant la conviction
morale, ne suffisaient pas pour que des juges
prononcassent une condamnation, Les décla-
rations de Duverne de Presle, celle de d'En-
traigues, étaient insuffisantes sans le secours
des dépositions orales. Mais ce n'était pus la
eucore la difficulté la plus grande: aurait-on
possédé contre Pichegru et ses complices tou-
tes les piéces qu'on n'avait pas, il fallait arra-
cher I'acte d'accusation aux cinq-cents ; et, les
preuves eussent-elles été plus claires que le




!HRECTOIRE (I 797)· 2.05
[our, la majorité actuelle n'y eút jamais adhéré;
car c'était déférer le coupable a ses propres
complices. Ces raisons étaient si évidentes ,
que, malgré leur gout pour la légalité , Laré-
velliére et Rewbell furent obligés de renoncer
a toute idée d'un jugement régulier, et durent
se résoudre a un coup d'état ; triste el déplo-
rabie ressource, mais qui, dans leur situation
el avec leurs alarmes, était la seule possible.
Décidés ades moyens extremes, ils ne voulaient
cependant pas de moyens sanglants, et cher-
chaieut a contenir les gouts révolutionnaires
de Barras. Sans étre d'accord encore sur le mode
et le moment de l'exécution, ils s'arrétérent a
l'idée de faire arre ter Pichegru et ses cent
quatre-vingts complices supposés, de les dé-
noncer au corps législatif épuré, et de lui de-
mander une loi extraordinaire , qui décrétát
leur hannissement , san s jugement. Dans leur
extreme défiance, ils se méprenaient surCar-
not ; ils oubliaient sa vie passée, ses principes
rigides, son entétement , et le croyaient pres-
que un traitre. Ils craignaient que, réuni a
Barthélemy, il ne fút dans le complot de Pi-
chegru. Ses soins pour grouper l'opposition
autour de lui , et s'en faire le chef, étaient a
leurs yeux prévenus comme autant de preuves
d'une complicité criminelle. Cependant ils n'é-




'.w6 RÉVOLUTION FRAN~A.lSE.
taient pas convaincus encore; mais décidés a
un coup hardi, ¡.Js ne voulaient pas agir ademi¡
et ils étaient préts a frapper les coupables,
mérne aleurs cótés, et dans le sein du directoire.


IJs convinrent de tout préparer pour l'exé-
cution de leur projet, et d'épier soignensemeot
leurs ennernis , afin de saisir le moment oú il
deviendrait urgent de les atteindre. Résolus a
un acte aussi hardi , ils avaient besoin d'appui.
Le parti patriote , qui pouvait seulleur en four-
nir, se divisaitcomme autrefois en deux clas-
ses; les uns, toujours furieux depuis le 9
thermidor, n'avaient pas décoléré depuis trois
ans , ne comprenaient aucunement la marche
forcée de la révolution , considéraient le régime
légal commeune concession faite aux centre-
révolutionnaires , et ne voulaient que ven-
geance et proscriptions. Quoique le directoire
les eút frappés dans la personne de Babccuf,
ils étaient préts , ave e leur dévouement .ordi-
naire, a voler a son secours. Mais ils étaient
trop dangereux aemployer, et on pouvait tout
au plus, un jour de péril extreme, les enré-
gimenter, comme on avait fait au 13 vendé-
miaire , et cornpter sur le saerifice de Ieur vie,
Ils avaient assez prouvé a coté de Bonaparte ,
et sur les degrés de l'église Saint-Roch, de quoi
ils étaient capables nn jour de danger. Outre




D1RI,CTOlllE (1797)' 2.0 7
ces ardents patriotes, presque tous comprornis
par leur zéle ou leur participation active a la
révolution, il Y avait les patriotes modérés ,
d'une classe supérieure, qui, approuvant plus
ou moins la marche du directoire, voulaient
néanmoins la république appuyée sur leslois,
et voyaient le péril imminent auquel elle était
exposée par la réaction, Ceux-Ia répoudaient
parfaitement aux intentions de Rewbell et Laré-
velliere , et pouvaient donner un s.ecours, sinon
de force, aumoins d'opinion audircctoire. On
les voyait alternativementdans les salons de
Barras, qui représen tai t pour ses collegues , ou
dans ceux de madame de Stael , qui n'avait
point quitté Paris, et qui, par le charme de son
esprit, réunissait toujours autour d'elle cequ'il
y avait de plus brillant en France. Benjamín
Constant y occupait le premier rang par son
esprit, et par les écrits qu'il avait publiés en
faveur du directoire, On y voyait aussi M. de
TaIleyrand, qui , rayé de la liste des émigrés ,
vers les derniers temps de la convention , était
aParis avec le désir de rentrer dans la carriére
(les grandsemploisdiplomatiques. Ces hornmes
distingués, composant la société du gouverne-
ment , avaient résolu de former une réunion
qui contre-balancát l'influence de Clichy, et
qui discutát dans un sens contraire les ques-




'208 nÉVOLUTION FRAN9AISE.


tions politiques, Elle fut appelée cerele cons-
titutionnel, Elle réunit bientót tous les hommes
que nous venons de désigner, et les membres
des conseils qui votaient avec le directoire,
c'est-á-dire presque tout le dernier tiers con-
ventionnel, Les membres du corps législatif,
qui s'intitulaient constitutionnels, auraient dü
se rendre aussi dans le nouveau cerele, car leur
opinion était la méme ; mais hrouillés d'arnour-
propre avec le direetoíre, par leurs discussions
dans le corps législatif, ils persistaient arester
apart, entre le eerele constitutionnel et Clichy
a la suite des directeurs Carnot et BarthéJemy,


. des députés Troncon-Ducoudray , Portalis, La-
cuée, Dumas, Doulcet-Pontécoulant , Sirnéon ,
Thibaudeau. Benjamín Constant parla plusieurs
fois dans le eercle constitutionnel, On y en-
tendit aussi M. de Talleyraud. Cet exemple fut
imité; et des cereles du méme gellre, eompo-'
sés , il est vrai , d'hommes moins élevés et de
patriotes moins mesurés, se formérent de
toutes parts. Le eercle eonstitutionnel s'était
ouvert le ¡er messidor an V, un mois apres le
1 er prairial. En tres-peu de temps il yen eut
de pareils dans toute la Franee; les patriotes
les plus chauds s'y réunirent , et, par lIne réac-
I.ion toute naturelle, on vit presque se recorn-
poser le parti jacobino




DlRECTOlRE (1797)' ~~)
Mais c'était la un moyen usé , et peu utile.


Les clubs étaient déconsidérés en France, et
privés par la constitution des moyens de re-
devenir efficaces. Le directoire avait heureuse-
ment un autre appui;c'était celui des armées ,
chez lesquelles semhlaieut s'étre réfugiés les
principes républicains, depuis que les souf-
frances de la révolution avaient amené dans
l'intérieur une réaction si violente et si géné-
raleo Toute armée est attachée au gouverne-
ment qui l'organise, l'entretient, la récompen-
se; mais les soldats républicains voyaient dans
le directoire, non-seulement leschefs du gou-
vernement, mais les chefs d'une cause potlr
laquelle ils s'étaient levés en masse en 93,
ponr laquelle ils avaient combattu et vaincu
pendant six années. Nulle part l'attachement
Ji la révolution n'était plus grand qu'á 1'armée
d'Italie, Elle était composée de ces révolutiou-
naires du Midi , aussi impétueux dans leurs
opinions que dans leur hravoure. Généraux,
officiers et soldats , étaient comblés d'hon-
neurs , gorgés d'argent, repus de plaisirs. lIs
avaientconcu de leurs victoires un orgueil ex-
traordinaire, lis étaient instruits de ce qui se
passait dans l'intérieur, par les journaux qu'on
leur faisait lire , et ils ne parlaient que de re-
passer les Alpes, pon/' aller sabrer les aristo-


IX. 14




210 UÉVOLUTION .FRAN9AISE.


erates de París. Le repos dont ils jouissaient
depuís la signature des préliminaires, contri-
buait a angmenter leur effervescence par l'oi-
siveté. Masséna, Joubert, et Augereau surtout,
leur donnaient I'exernple du répuLlicanisme le
plus ardent. Les troupes venues du Rhin, sans
étre moins républicaines, étaient cependant
plus froides, plus mesurées, et avaient con-
traeté sous Moreau plus de sobriété et de dis-
cipline. C'était Bernadotte qui les commandait;
iI affectait une éducation soignée, et cherchait
a se distinguer de ses collégues par des ma-
nieres plus polies. Dans sa division J on fai-
sait nsage de la qualifieation de monsiear, tandis
que daos toute l'ancienne armée d'Italie , on
ne voulait souffrir que le titre de citoyen. Les
vieux soldats d'Italie , libertins ,insolents, que-
relleurs comme des méridionaux, et des en-
fants gihés par la victoire, étaient déja en ri-
valité de braveure avec les soldats du Rhin;-
et maintenant ils cornmencaient aétre en riva-
lité, non pas d'opinion, mais d'habítudes et
d'usages. Ils ne voulaient pas des qualifications
de monsieur , et pour ce motif ils échangeaient
souvent des coups de sabre avec leurs cama-
rades du Bhin. La division Augereau surtout,
qui se distinguait comme son général par son
exaltation révolutionnaire , était la plus agitée.




DlRECTOIRE (1797)' 2 I 1
Il fallut une proclamation énergique de son
chef pour la contenir, et pour faire treve aux
duels. La qualification de citoyen fut seule au-
torisée.


Le général Bonaparte voyait avec plaisir
l'esprit de l'armée, et en favorisai t l'essor, Ses
premiers succes avaient tous été remportés
contre la faction royaliste , soit devant Toulon,
soit au 13 vendémiaire. 11 était done brouillé
el'origine avec elle. Depuis, elle s'était attachée
a rabaisser ses triomphes, parce que l'éclat en
rejaillissait sur la révolution. Ses dernieres at-
taques surtout remplirent le général de colére,
n ne se contenait plus en lisant la motion de
Dumolard, et en apprenant que la trésorerie
avait arreté le million envoyé a Toulon. Mais
outre ces raisons particulieres de détester la
faction royaliste, il en avait encore une plus
générale et plus profonde; elle était dans sa
gloire et dans la grandeur de son role. Que
pouvait faire un roi pour sa destinée? Si haut
qu'il pút l'élever , ce roi eút été toujours au-
dessus de lui. Sous la république, au contraire,
aucune tete ne dominait la sienne, Qu'il ne
révát pas encore sa destinée inouíe , du moins
il prévoyaít dans la république une audace et
une immensité d'entrepríses, qui convenaient
al'audace et al'immensité ele son géníe; tandis


14·




212 RÉVOLUTION FRANYAISE.
qu'avec un roi .Ia Franee eút été ramenée á une
existenee obsenre et bornée. Qnoi qu'iI flt done
de eette république, qu'il la servit ou l'oppri-
mát, Bonaparte ne pouvait étre grand qu'avee
elle, et par elle, et devait la chérir comme son
propre avenir. Qu'un Pichegruse laissát allécher
par un cháteau , un titre et qnelques millions,
on le concoit ; al'ardente imagination du con-
quérant de l'Italie, il faHait une autre pers-
pective; il fallait celle d'unmonde nouveau ,
révolutionné par ses mains.


Il écrivit donc au directoire qu'il était prét ,
Iui et l'armée, avoler ason secours , potlr faire
rentrer les centre - révolutionnaires dans le
néant. Il ne eraignit pas de donner des con-
seils , et engagea hautement le directoire a sa-
crifier quelques traitres et a briser quelques
presses.


Dans I'arrnée du Rhin, les dispositions étaient
plus calmes. Il y avait quelques mauvais of6-
eiers, placés dans les rangs par Pichegru. Ce-
pendant la masse de l'armée était républieaine,
mais tranqnille, disciplinée , panvre, et moins
enivrée de succes que celle d'Italie. Une arrnée
est toujours faite al'image dn général. Sones-
prit passe a ses officiers, et de ses officiers se
cornmunique a ses soldats. L'armée du Rhin
était modelée sur Moreau. Morean , flatté par




lllRECTOIRE (1797 j. 2.13
la faction royaliste, qui voulait mettre sa sage
retraite au - dessus des merveilleux exploits
d'Italie , avait moins de haine contre elle que
Bonaparte. II était d'ailleurs insouciant , mo-
déré , froid, et n'avait poU!' la poli tique qu'un
golit égal a sa capacité; aussi se tenait-il en
arr'iere , ne cherchant point a se prononcer.
Cependant il était répuhlicain , et point traitre
comme ou I'a dit. Il avait dans ce moment la
preuve de la trahison de Pichegru, et aurait
pu rendre a son gOllvernement un immense
service. Nous avons d~ja dit qu'il venait de sai-
sir un fourgon du général Kinglin, renfermant
beaucoup de papiers, Ces papiers eontenaient
toute la correspondance chiffrée de Piehegru
avec Wickam, le priuce de Condé, etc. Moreau
ponvait done fournir la preuve de la trahison,
et rendre plus praticables les moyens judiciai-
res. Mais Piehegru avait été son général en chef
et son ami, il ne voulait pas le trahir, et il fai-
sait travailIer au déchiffrement de cette corres-
pondance, sans la déclarer au gouverllement.
Du reste, elle renfermait la preuve de la fidélité
de Morcan lui-rnéme a la république. Piche-
gru , apres avoir donné sa démission , n'avait
qn'un moyen de se conserver de I'importance,
c'était de dire qu'il disposait de Moreau, et
que, se reposant sur lui de la direction de l'ar-




~H4 RÉVOLUTION .I'RAN~AISE.
mée, il allait eonduire les intrigues de l'inté-
rieur. Eh bien! Piehegru ne cessa de dire qu'il
ne fallait pas s'adresser a Moreau, paree qu'il
n'accueillerait aucune ouverture ", Marean était
done froid, mais fidele. Son armée était une
des plus belles et des plus braves que jamáis
la république eút possédées.


Tout était différent a l'armée de Sarnhre-et-
Meuse : c'était , eorome nous I'avons dit ail-
leurs, l'armée de Fleurus , de l'Ourthe et de
la Roer, armée brave et républicaine , eomme
son aneien général. Son ardeur s'était encore
augmentée lorsque le jeune Hache, appelé a
la commander, était venu y répandre tout le
feu de son ame. Ce jeune homme, devenu en
une catllpagne, de sergent aux gardes fran-
caises , général en chef, aimait la république
eomme sa bienfaitrice et sa mere. Daos les ca-
ehots du comité de salut public , ses sentiments
ne s'étaient point attiédis ; dans la Vendée, ils
s'étaient renforcés en luttant avee les royalis-
tes. En vendémiaire, il était tout prét a valer
au secours de la eonvention, et il avait déja
mis vingt mille hommes en mouvement , lors-


,. Si M. de Montgaillard avait In la correspondance de
Kinglin , il n'aurait pas avancé, sur la Coi dune parole du
roi Louis XVIII, que Morean trahissnit la Frailee des l'au-
ll~e 1797.




DIRECTOIRE (1797)' 215
que la vigueur de Bonaparte, dans la journée
du 13, le dispensa de marcher plus avant.
Ayant dans sa capacité poli tique une raison de
se méler des affaires que Moreau n'avait pas,
ne jalousant pas Bonaparte, mais impatient
de l'atteindre daos la carriére de la gloire, il
était dévoué de coeur a la république, et prét
ala servir de toutes les manieres, sur le champ
de bataille ou au milieu des orages politiques.
Déjá nous avons euoccasion de di re qu'a une
prudence consommée, il joignait une ardeur
et une impatience de caractere extraordinaires.
Prompt a se jeter dans les événements, il of-
frit son bras et sa vie au directoire. Ainsi la
force matérielle ne manquait pas au gouverne-
ment; mais il fallait l'empIoyer.avec prudence,
et surtout avec a-propos.


De tous les généraux, Hoche était celui qu'il
convenait le plus au directoire d'employer. Si
la gloire et le caractere de Bonaparte pouvaient
inspirer quelque ombrage, il n'en était pas de
mérne de Hoche. Ses victoires de Wissemhourg
en 1793, sa belle pacification de la Vendée,
sa récente victoire a Neuwied, lui donnaient
une beHe gloire, et une gloire variée , oú l'es-
time pour l'homme d'état se mélait a l'estime
ponr le gllerrier; rnais cette gloire n'avait rien
qui pút e/Trayer la liberté. A faire intervenir




216 RJh'OLUTION FRAN~AJSE.
un général dans les troubles de l'état, il valait
mieux s'adresser a lui qu'au géant qui domi-
nait en Italie. C'était le général chéri des ré-
publicains, celui sur lequel ils reposaient leur
pensée sans aucune crainte. D'ailleurs, son ar-
mée était la plus rapproehéede Paris. Vingt
mille hommes pOlivaient , au besoin, se trou-
ver, en quelques marches, dans la capitale , et
y seconder de leur présence le coup de viguenr
que le directoire avait résolu de frapper.


C'est aHoche que songerent les trois diree-
teurs Barras, Rewbell et Larévelliere. Cepen-
dant Barras, qui était fort agissant, fort habile
a l'intrigue, et qni voulait , dans cetre nou-
velle erise, se eharger de l'honneur de l'exé-
eution, Barras écrivit, al'inscu de ses collegues,
a Hoche, avee lequel il était en relation, et lui
demanda son intervention dans les événe-
ments qui se préparaient. Hoche n'hésita pas.
L'oeeasion la plus commode s'offrait de diri-
gel' des troupes sur París. Il travaillait en ce
moment avec la plus grande ardeur a prépa-
rer sa nouvelle expédition d'Irlande; il était
allé en Hollande pour surveiller les prépara-
tifs qui se faisaient au Texel. JIavait résolu de
détacher vingt mille hommes de l'armée de
Sambre-et-Meuse , el de les diriger sur Brest.
Dans leur route , it travers l'iutérienr, il était fa-




DlRECTOlRE (1797)' 21 7
eile de les arréter ala hauteur de Paris , et de les
employer au service du directoire. Il offrit plus
encare: il fallait de l'argent, soit ponr la eolonne
en route, soit pour un conp de main; il s'en as-
sura par un moyen fort adroit. On a vu que les
provinces entre Meuse et Rhin n'avaient qu'une
existence incertaine jusqu'a la paix avec l'em-
pire. Elles n'avaient pas été, comme la Belgique,
divisées en départements et réunies ala Franee;
elles étaient administrées militairement et avec
beaueoup de prudence par Hoche , qui voulait
les républicaniser, et, dans le cas oú on ne
pourrait pas obtenir lenr réunion expresse ala
France , en faire une république cis-rhénane ,
qui serait attachée a la république comme une
fine a sa mere. Il avait établi une commission
a Bonn, chargée d'administrer le pays, et de
recevoir les contributions frappées tant en-decá
qu'au-delá du Rhin. Deux millions et quelques
cent mille francs se trouvaient dans la caisse
de cette comrnission. Hoche lui défendit de les
verser dan s la caisse du payeur de l'armée,
paree qu'ils seraient tombés SOllS l'autorité de
la trésorerie, et distraits peut-étre pour des ob-
jets méme étrangers a l'armée. Il fit payer la
solde de la colonne qu'il allait mettre en mou-
vement , et garder en réserve pres de deux mil-
lions , soit pour les offrir au directoire, soit




2 I 8 RÉVOLUTlON FRAN~AISE.
pour les employer a l'expédition d'Irlande. C'é-
tait par zele politique qu'il commettait cette
infraction aux regles de la comptabilité, car
ce jeune général, qui, plus qu'aucun autre,
avait pu s'enrichir, était fort pauvre. En faisant
tout cela, Hoche croyait exécuter les ordres,
non-seulement de Barras, mais de Larével-
liere-Lépeaux et de Rewbell.


Deux mois s'étaient écoulés depuis le 1 er prai-
rial, c'est-á-dire depuis l'ouverture de la nou-
velle session : on était ala fin de messidor (mi.
juillet ), Les propositions arrétées a Clichy, et
portées aux cinq-cents, n'avaient pas cessé de
se succéder. Il s'en préparait une nouvellc, a
laquelle la facjion royaliste attachait beaucoup
de prix. L'organisation des gardes nationales
n'était pas encore décrétée; le principe n'en
était que posé dans la constitution. Les di-
ehycns voulaient savoir ménager une force a
opposer aux arrnées , et remettre sous les ar-
mes eette jeunesse qu'on avait soulevée en
vendémiaire contre la convention. lis venaient
"de faire nornrner une cornrnission dans les
cinq-cents pour présenter un projet d'organi-
sation ; Pichegru en était président et rappor-
teur. Outre cette importante mesure, la com-
mission des finances avait repris en sous-oeuvrc
les propositions rejetées par les anciens, et




DIHECTOIRE (1797)' :H9
cherchait ales présenter d'une autre maniere,
pour les faire adopter sous une nouvelle forme.
Ces propositions des cinq-cents , toutes redou-
'tables qu'elles étaient, effrayaient moins ce-
pendant les trois directeurs coalisés, que la
conspiration a la tete de laquelle ils voyaient
un général célebre, et alaquelIe ils supposaient
dans lesconseils des ramifications fort étendues.
Décidés a agir, ils voulaient d'abord opérer
dans le ministere certains changements qu'ils
croyaient nécessaires, pour donner plus d'ho-
mogénéité a l'administration de l'état, et pour
prononcer d'une maniere ferme et décidée la
marche du gOllvernement.


Le ministre de la police, Cochon , quoique
un peu disgracié aupres des royalistes, depuis
la poursuite des trois ageilts du prétendant et
les circulaires relatives aux élections, n'en était
pas moins tout dévoué aCarnot. Le directoire,
avec les projets qu'íl nourrissait, ne pouvait
pas laisser la poli ce dans les mains de Cochon.
Le ministre de la gucrre , Pétiet, était en renom
chez les roya listes ; il était la créature dévouée
de Carnot. Il fallait encore l'exclure ," pour
qu'il n'y eút pas, entre les armées et la rnajorité
directoria le , un' ennemi pOlIr interrnédiaire.
Le ministre de l'intérieur, Bénézech , adminis-
trateur excelIent, courtisan docile, n'était a




:!20 UÉVOLUTION }'RAN~AISE.
craindre pour aucun parti; mais 011 le suspec-
tait a cause de ses gouts connus et de l'indul-
gence des journaux royalistes a son égard.On
voulait le changer aussi , ne fút-ce que pour
avoir un homme plus súr.On avait une entiére
confiance dans Truguet .rninistre de la marine,
et Charles Delacroix, ministre des relations
extérieures; mais des raisons , puisées dans
l'intérét du service, portaient les directeurs a
désirer leur changement. Truguet était en
butte atoutes les attaques de la faction roy aliste ,
et il en méritait une partie par son caractere
hautain et violent. C'était nn homme loyal et a
grands moyens, mais n'ayant pas ponr les per-
sonnes les ménagements nécessaires a la tete
d'une grande administration. D'ailleurs on
pouvait l'employer avec avantage dans la car-
riere diplomatiql1e;. lui-méme désirait aller
remplacer en Espagne le général Pérignon,
pour faire concourir cette puissance a ses
grands desseins sur les Indes. Quant a Dela-
croix, il a prouvé depuis qu'il pouvait bien
administrer un département; mais il n'avait ni
la dignité, ni l'instruction nécessaires pour re-
présenter la république aupres des puissances
de l'Europe. D'ailleurs les directeurs avaient
un vif désir de voir arriver aux affaires étran-
geres un autre personnage : c'était M. de Tal-


,




DIRECTOIRE (1797). 221
leyrand. L'esprit enthousiaste de madame de
Staél s'était enflammé pour I'esprit froid, pi-
quant et profond de M. de Talleyrand. Elle
l'avait mis en communication avec Benjamín-
Constant, et Benjamin - Constant avait été
chargé de le mettre en rapport avec Barras.
M. de Talleyrand sut gagner Barras et en aurait
gagné de plus fins. Apres s'étre fait présenter
par madame de Staél a Benjamin - Constant,
par Benjamin-Constant a Barras, il se fit
présenter par Barras a Larévelliere , et il sut
gagner l'honnéte homme comme il avait gagné
le mauvais sujeto Il leur parut 11. tous un homme
fort 11. plaindre, odieux a l'émigration comme
partisan de la révolution , méconnu par les pa-
triotes acause de sa qualité de grand seigneur,
et victime a la fois de ses opinions et de sa
naissance, 11 fut convenn qu'on en ferait un
ministre des affaircs extérieures. La vanité des
directeurs était flattée de se rattacher un si
grand personnage; et ils étaient assurés d'ail-
leurs de confier les affaires étrangeres a un
homme instruit, habile et personnellement lié
avec toute la diplomatie européenne.


Restaient Ramel , ministre des finan ces , et
Merlin de Douai i-ministre de la justice, qui
étaient odieux anx royalistes , plus que tous
les autres ensemble, mais qui remplissaient ,




222 UÉVOLUTION I'R A.N~4IS:E.
avec autant de zele que d'aptitude , les devoirs
de leur ministere. Les trois directeurs ne vou-
laient les remplacer a aucun prix. Ainsi les
trois directeurs devaient , sur les sept minis-
tres, changer Cochon, Pétiet et Bénézech ,
pour cause d'opinion ; Truguet et Delacroix,
pour l'intérét du service ; et garder ~erlin el
RameI.


Dans tout état dont les institutions sont re-
présentatives, monarchie 01.1 république, c'est
par le choix des ministres qlle le gouvernement
prononce son esprit et sa marche. C'est aussi
ponr le choix des ministres que les partís
s'agitent , et ils veulent influer sur le choix ,
autant dans l'intérét de leur opinion que dans
ceh~i de leur ambition. Mais si, dans les partís,
il en est un qui souhaite plus qu'une simple
modification dans la marche du gonvernement
et qui aspire a renverser le régime existant ,
celui-Ia , redoutant les réconciliations, vent
autre chose qu'un changement de ministere ,
ne s'en méle pas, ou s'en méle ponr l'ernpé-
cher. Pichegru, et les clichyens qui étaient
dans la confidence du complot, mettaient peu
d'intérét au changement du ministere. Cepen-
dant ils s'étaient approchés de Carnot ponr
s'en entretenir avec lui ; mais c'était plutót un
prétexte pour le soncler et découvrir ses inten-




DIRECTOIRE (1797). 223
tions secretes, que pour arriver a un résultat
qui était fort insignifiant a leurs yeux. Carnot
s'était prononcé avec eux franchement et par
écrit, en répondant aux membres qui lui
avaient fait des ouvertures. II avait dé ciaré
qu'il périrait plutát que de laisser entamer la
constitution ou déshonorer les pouuoirs qu'elle
avait institués (expressions textueIles de l'une
de ses Iettres). Il avait ainsi réduit ceux qui
venaient le sonder a ne parler que de projets
constitutionnels, tels qu'un changement de
ministere. Quant aux constitutionnels et a
ceux des clichyens qui étaient moins engagés
dan s la faction, ils voulaient sincerement ob-
tenir une révolution ministérielle et s'en tenir
la. Ceux-ci se grouperent donc autour de Car-
not. Les membrcs des anciens et des cinq-
cents, qu'on a déja désignés, Portalis , Tron-
<;;on-Ducoudray, Lacuée , Dumas, Thibaudeau,
Doulcet-Pontécoulant , Siméon, Émery et au-
tres, s'entretinrent avec Carnot et Barthélemy,
et discuterent les changements a faire dans le
ministere. Les deux ministres, dont ils deman-
daient surtout le remplacement, étaient Mer-
lin, ministre de la justice, et Ramel, ministre
des finances. Ayantattaqué particuliérement
le systeme financier, ils étaient plus animés
contre le ministre des finances que contre aucun




2~4 RÉVOLUTION FnAN~AISE.
autre, Ils demandaient aussi le renvoi de Tru-
guet et de Charles Delacroix. Naturellement
ils voulaient garder Cochon, Pétiet et Béné-
zech. Les deux directeurs Barthélemy et Car-
not n'étaient pas difficiles a persuader. Le
faible Barthélemy n'avait pasd'avis personnel;
Carnot voyait tous ses amis dans les ministres
conservés, tous ses ennemis dans les ministres
rejetés, Mais le projet , commode aformer dans
les coteries des constitutionnels, n'était pas fa-
cile a faire agréer aux tr01S autres directeurs,
qui, ayant mr parti pris, voulaient justement
renvoyer ceux que les constitutionnels tenaient
a conserver.


Carnot, qui ne connaissait pas l'union for-
mée entre ses trois collegues , Rewbell, La-
révelliére et Barras, et qui ne savait pas que
Larévelliere était le lien des deux autres, es-
péra qu'il serait plus facile a détacher. Il con-
seilla done aux eonstitutionnels de s'adresser a
lui , pour tácher de l'arnener a leurs vues. lls
se rendirent chez Larévelliere , et trouverent
sous sa modération une fermeté invincible. La-
révelliere , peu habitué, eomme tous les hom-
mes de ce temps, a la tactique des gouverne-
ments représentatifs, ne pensait pas qu'on pút
négocier POUI' des choix de ministres. - Faites
votre role, disait-il aux députés , e'est-á-diré




DIRECTOIRE (J 797)' ~A25
faites des lois; laissez-nous le nótre, celuide
choisir les fonctionnaires publics. Nous devons
diriger notre choix d'apres notre conscience
et l'opinion que nous avons du mérite des in-
dividus , non d'aprés l'exigence des partis.-
Il ne savait pas encore , et personne ne savait
alors, qu'il faut composer un rninistere d'in-
fluences, et que ces influences il faut les pren-
dre dans les partis existants;que le choixde tel
ou tel ministré, étant une garantie de la di-
rection qu'on va snivre , peut devenir un ob-
jet de m~gociation. Larévelliére avait encore
d'autres raisons de repousser une transaction ;
il avait la conscicnce que lui et son ami Rew-
bell n'avaient jamais vonlu étvoté que lebien;
il était assuré que la majorité directoriale ,
qnelles que fnssent les vnes personnelles des
directeurs, n'avait jamaisvoté autrement;
qu'en finan ces ,sans pouvoirempécher toutes
les malversations suhalternes, elle avait du
moins administréIoyalement , et le moinsrnal
possible dans les circonstances; qu'en politi-
qne elle n'avait jamais eu d'ambition person-
nelIe, et n'avait rien faitpourétendre ses pré-
rogatives; que, dans la direction de la guerre,
elle n'avait aspiré qu'á une paix prompte, mais
honorable et glorieuse. Larévelliére ne pou-
vait done comprendre et admettre les repro-


IX. 15




2~6 lliv()LUTIONFll.A.N~AISE.
ches adressés au directoire, Sa bonne con-
science les lui reudait inintelligibles. Il ne
voyait plus dans les clichyens que des .conspi-
rateurs perfides, et daos les constitutionnels
que des amours-propres froissés, Avee tout le
monde encore , il ignorait qu'il faut admettre
l'humeur bien ou mal fondée des partís eomme
un fait, el compter avec toutes les prétentions,
rn,e~e. celles de l'amour-propre blessé. D'ail-
leurs , ee qu'offraient les constitutionnels n'a-
vait rien de tres-engageant. Les trois directeurs
coalisés voulaient se donner un ministere ho-
mogene , afio de frapper la faetion royaliste;
les eonstitutionnels, au eontraire, ex:igeaieut un
mi..ni~tel'e tout opposé a eelui don t les direc-
teurs croyaíent avoir besoin dans le danger
actuel , et ils n'avaient a. offriren re tour que
leurs voix, qui étaient peu nombreuses, et que
du reste ils n'engageaient 'sur aucune question.
Leur aUiance n'avait done rien d'assez rassu-
rant pour décider le directoire ales éeouter, et
a. se désister de ses projets. Larévelliere ne
leur donna aueune satisfaction. lIs se servirent
aupres de luí du géologue Faujas de Saint-
Fonds, avec lequel il était lié par la conformité
des gouts et des études; tout fut inutile. Il
finit par répondre : - Le jour oú vous nous
attaquerez, vous nous trouverez préts. Nous




DlRECTOIRE (J797). '2 ';1. 7
vous tuerons, mais politiquement. Vous vou-
lez notre sang, mais le vótre ne coulera pas.
Vous serez réduits seulement il l'impossibilité
de nuire.


Cette fermeté fit désespérer de Larével-
liere, Carnot conseilla alors de s'adresser aBar-
ras , en doutant toutefois du succés , car il con-
naissait sa haine. L'amiral Villaret-Joyeuse , un
des membres ardents de l'opposition, et que
son gout pour les plaisirs avait souvent rap-
proché de Barras, fllt chargé de lui parlero Le
facile Barras, qui promettaít a tout le monde,
quoique ses sentiments fussent a~ fond assez
décidés, fut en apparence moins désespérant
que Larévelliere. Sur les quatre ministres
dont les constitutionnels demandaient le chan-
gement, Merlin, Bamel, Truguet et Delacroix,
il consentit aen changer deux, Truguet et De-
lacroix. C'était ainsi convenu avec Hewhell et
Larévelliére. Il pouvait done s'engager pour
ces deux-Iá , et il promít leur renvoi. Cepen-
dant, soit qu'avec sa facilité ordinaire, il pro·,
mit plus qu'il ne voulait tenir, soit qu'il voulút
tromper Carnot et l'engager ádemander lui-
méme le changement des ministres, soit qu'on
interprétát trop favorablement son langage
ordiuairement ambigu, les constitutionnels
vinrent annoncer a Carnot que Barras consen-


J 5.




'1 'lB RÉVOL1JTION FRAN~AISE.
tait a ton t. et voterait avec lui sur chacun des
ministres. Les constitutionnels demandaient
que le changement se fit sur-le-champ, Carnot
et Barthélerny, doutant de Banas, hésitaient
a prendre I'initiative, On pressait Barras de la
preudre , et il répondait que les journaux étant
fort déchainés dans ce moment, le directoire
paraitrait céder a Ieur violence. On essaya de
faire taire les journaux; mais pendant ce temps,
Rewbell et Larévelliere , étrangers a ces in-
trigues, prirent eux - mémes l'initiative. Le
28 messidor , Rewbell déclara dans la séance
du directoire, qu'il était temps d'en finir , qu'il
fallait faire cesser les fluctuations du gouvel··
nement , et s'occuper du changement des mi-
nistres. Il demanda qu'on procédát sur-le-champ
au scrutin. Le scrutin fut secreto Truguet et De-
lacroix, que tout le monde était d'accord de
remplacer, furent exclus a l'unanimit.é. Quant
a Ramel et a Merlin, que les constitutionnels
seuls voulaient remplacer, ils n'eurent contre
eux que les deux voix de Carnot et de Barthé-
lemy, et ils furent maintenus par celles de Rew-
bell, Larévelliere et Barras. Cochon, Pétiet et
Bénézech furent destitués parles trois voix qui
avaient soutenu Merlin et Ramel. Ainsi le plan
de réforme, adopté par la majorité directo-
riale , était accornpli. Carnot se voyant joué,




DIRECTOIRE (1797)· 229
voulait différer au moins la nomination (les suc-
cesseurs, en disant qu'il n'était pas prét afaire
un choix. On Iui répondit durement qu'un di-
recteur devait toujours étre préparé , et qu'il
ne devait pas destituer un fonctionnaire sans
avoir déja fixé ses idées sur le remplacant. On
l'obligea avoter -sur-le-champ, Les cinq succes-
seurs furent nommés par la grande majorité.
On avait conservé Ramel aux finances, Merlín
a la justice; on nomma aux affaires étrangéres
M. de Talleyrand; ala marine un vieux et brave
marin, administrateur excellent, Pléville Le
Peley; a l'intérieur un homme de lettres assez
distingué, rnais plus disert que capable , Fran-
t;ois de Neufcháteau ; a la poliee Lenóir-Laro-
che, homme sage el éclairé , qui écrivait dans
le 1I1oniteur de' hons articles politiques ; enfin
a la guerre le jeune et brillai:lt général sur le-
quel on avait résolu de s'appuyer, Hache. Ce-
]ui-ci n'avait pas l'age requis par la eonstitution,
e' est-á-dire trente ans.' 011 le savait ,' mais Laré-
velliere avait proposé a ses deux collegues,
Rewbell el Barras, de le nommer, sauf a le
remplaeer dans deux jours , afin de se Falta-
cher, et de donner un témoignage flatteur aux
armées. Ainsi tout le monde concourut a ce
changement, qui devint décisif, comme on va
le voir. Il est assez ordinaire de voir tes partis




:¡3o RÉVOLUTION liRAN<;.USE.
contribuer á un méme événement,qu'i1scroient
devoir leur profiter. Ils concourent tous a le
produire; mais le plus fort décide le résultat
en sa faveur.


N'aurait-il pas eu l'orgueille plus irritable,
Carnot devait étre indigné, et se eroire joué
par Barras. Les membres du eorps législatif
qui s'étaient entremis dans la négociation cou-
rurent chez lui, recueillirent tous les détails
de la séance qui avait eu lieu au directoire, se
déchainerent contre Barras, l'appelerent un
fourbe, et firent éclater la plus grande indi-
gnatíon. Mais un événement vint augmenter
l'effervescence, et la porter au cornhle. Hoche,
sur l'avís de Barras, avait mis ses troupes en
mouvement, dans l'intention de les diriger
effectivement sur Brest, maisde les arréter
quelques jours dans les environs de la capi-
tale. Il avait choisi la légion des Francs, corn-
mandée par Rumbert; la division d'infanterie
Lemoigne; la division des ehasseurs a cheval,
commandée par Richepanse; un régiment d'ar-
tillerie ; en tout quatorze aquinze mille hom-
mes. La division des ehasseurs de Richepanse
était déjá arrivée aLa Ferté-Alais, aonze lieues
de Paris, C'était une imprudence, car le rayon
constitutionnel était de douze lieues, et, en
attendant le moment d'agir, il ne fallait pas




DIRECTOIll.E (1797)' 231
franchir la límite légale. Cette imprudence était
due a l'erreur d'un commissaire des guerres,
qui avait transgressé la loi, sans la connaitre.
A cette circonstance fácheuse s'en joignaient
d'autres. Les troupes, en voyant la direction
qu'on leur faisait prendre, et sachant ce qui
se passait dans l'intérieur , ne doutaient pas
qu'on ne les fit marcher sur les conseils. Les
officiers et les soldats disaient en route qu'ils
allaient mettre a la raison les aristocrates de
Paris, Hoche s'était contenté d'avertir le mi-
nistre de la guerre d'un mouvement général
de troupes sur Brest, pour l'expédition d'Ir-
lande.


Toutes ces circonstances indiquaient aux di-
vers partis qu'on touchait a quelque événe-
ment décisif, L'opposition et les ennemis du
gouvernement redoublerent d'activité pour pa-
rer le coup qui les menacait ; et le directoire ,
(le son coté, ne négligea plus rien pour háter
I'exécution de ses projets et s'assurer la vic-
toirc; et on yerra ci-apres qu'il y réussit plei-
nement.




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DIRECTOIRE (1 797)'


CHAPITRE IV.


2.33


Concentration de tl'ollpes autour de Paris, Changements
dans le ministére, - Préparatifs de l'opposition et des
cliehyens contre le directoire. - Luttc des conseils
avec le directoire. Projet de loi sur la garde nationale.
Loi contre les sociétés politiques, - Féte a l'armée
d'Italie. Manifestations politiques. - Augereau est mis
ala tete des forces de París. - Négociations pour la
paix avec l'empereur, Conférences de Lille avec l'An-
gleterre. - Plaintes des conseils sur la marche des
troupes, Message énergique du directoire áce sujeto -
Divisions dans le parti de l'opposition. - Influence de
Mmc de Staél ; tentative infructueuse de réconciliation.
- Réponse des conseils au message du directoire. -
Plan définitif du directoire centre la majorité des con-
seils.- Coup d'état du 18 fructidor. Envahissement des
deux conseils par la force armée. Déportation de 53
députés et de deux directeurs , et autres citoyens. -
Diverses 101s révolutionnaires sont remises en vigucur.
Conséquences de cette révolution,


LA nouvelie de l'arrivée des chasseurs de




234 nÉVOLUTlON FRA.1'r~AISE.
Richepanse, les détails de leur marche et de
leurs propos, parvinrent au ministre Pétiet le
28 messidor, jour méme oú le changement de
ministére avait lieu, Pétiet en instruisit Carnot;
et, a l'instant oú les députés étaient accourus
en foule pour exhaler leurs ressentiments con-
tre la majorité directoriale, et exprimer leurs
regrets aux ministres disgraciés, ils apprirent
en méme temps la marche des troupes. Car-
not dit que le directoire n'avait, asa connais-
sanee, donné aueun ordre; que peut-étre les
trois autres directeurs avaient pris une déli-
bération particuliere, mais qu'alors elle devait
étre sur le registre secret, qu'il allait s'en as-
surer, et qu'il ne fallait pas dévoiler l'événe-
ment, avant qu'il eüt vérifié s'il existait des
ordres. Mais on était trop irrité pour garder
aucune mesure.


Le renvoi des ministres, la marche des trou-
pes, la nomination de Hoche ala place de Pé-
tiet, ne laisserent plus de doute sur les inten-
tions du directoire. On déclara qu'évidemment
le directoire voulait attenter a l'inviolabilité
des conseils, faire un nouveau 31 mai, et pros-
crire les députés fideles a la constitution. On
se réunit chez 'I'roncon-Ducoudray , qui était,
dans les anciens, l'un des personnages les plus
influents. Les clichyens , suivant la coutume




D1RECTOIRE (1797). ~35
ordinaire des partís extremes, avaient vu avec
plaisir les modérés , c'est-á-dire les constitn-
tionnels, décus dans leurs espérances, el trom-
pés dans leur projet de composer un ministére
a lenr gré. Ils les considéraient comme dupés
par Barras, et se réjouissaient de la duperie.
Mais le danger cependant leur parot grave,
quaud ils virent s'avancer des troupes. Leurs
deux généraux, Pichegru et WiIlot, sachant
que ron courait chez Troneon c Ducoudray ,
pour conférer sur les événemeuts, s'y rendirent,
quoique la réunion fñt composée d'hommes
qui ne suivaient pas la méme direction. Piche-
gru n'avait encore sous la main aucun moyen
réel; sa seule ressource était dans les passions
des partís, et il fallait courir la oú elles écla..
taient , soit pour observer, soit ponr agir. Il
y avait dans cette réunion Portalis , Troncón-
Ducoudray, Lacuée, Dumas, Siméon, Doulcet-
Pontécoulant, Thibaudeau , Villaret-Joyeuse,
WillotetPichegru.On s'animaheaucoup, comme
il était naturel; on parla des projets du direc-
toire; on cita des propos de Rewbell, de La-
révelliere , de Banas, qui annoncaient un partí
pris, et on conclut du changement de minis-
tére et de la marche des troupes, que ce partí
était un coup d'état contre le eorps législatif.
On proposa les résolutions les plus violentes,




236 RÉVOr.UTION FRAN~AISE.
eomme de suspendre le direetoire, et de le
mettre en accusation, ou méme de le mettre
hors la loi. Mais pour exécuter toutes ces ré-
solutions , il fallait une force, et Thibaudeau,
ne partageant pas l'entrainement général, de-
mandait OU on la prendrait. ·On répondait a
cela qu'on avait les douze eents grenadiers du
corps législatif , une partie du 21 e régiment
de chasseurs, commandé par Malo, et la garde
nationale de Paris; .qu'enattendant la réor-
ganisation de cette garde, on pourrait envoyer
dans chaque arrondissement de la capitale des
pelotons de grenadiers, pour rallier autour
d'eux les citoyens qui s'étaient armés en ven-
démiaire, On parla beaueoup sans parvenir a
s'entendre, eomme il arrivetoujours quand les
moycns ne sont pas réels, Pichegru ,' froid et
concentré eomme a son ordinaire , fit sur I'iu-
suffisauce et le danger des moyens proposés ,
quelques observations , dont le calme contras-
tait avec l'emportement général. On se sépara ,
on retourna chez Carnot, chez les ministres
disgraeiés. Carnotdésapprouva tous les pro-
jets proposés contre le directoire. On se réunit
une seconde fois chez Troneon-Ducoudray ;
mais Pichegru et Willot n'y étaient plus. On
divagua eneore, et, n' osant recourir aux moyens
violents , on finit par se retrancher dans les




· DIRECTOIRE (1797)' ~l37
moyensconstitutionnels.On se promitdedeman-
der la loi sur la responsabilité des ministres, et
laprof!lpte organisation de la garde nationale.


A Clichy, on déclamait comme ailleurs, et
on ne faisait pas mieux; car si les passions
étaicnt plus violentes, les moyens n'étaient pas
plus grands. On regrettait surtout la police ,
qui venait d'étre enlevée a Cochon, et on re-
venaít a l'un des projets favoris de la. faction,
celui rl'óter la police de Paris au direetoire, et
de la donner au corps législatif, en forcant
le sens d'un article de la constitution. On se
proposait en méme temps de eonfier la direc-
tion de cette police a Cochon; mais la propo-
sition était si hardie a faire, qu'on n'osa pas la
mettre en projet. On s'arréta a l'idée de chi-
caner sur l'ligc de Barras, qui, disait-on , n'a-
vait pas quarante ans, lors de sa nomination
au directoire, et de demander l'organisation
instantanée de la garde nationale.


Le 30 messidor (18 jnillet) en effet, il Y
eut grand tumuIte aux cinq-cents, Ledéputé
Delahaye dénonca la marche destroupes, et
demanda que le rapport sur la garde nationale
fut fait sur-le-champ. On s'emporta contre la
conduite du directoire; on peignit avec effroi
l'état de Paris , l'arrivée d'une multitude de ré-
volutionnaires connus, la nouvelle formation




238 nÉvOLtl'TIOlf FRAN~AISE.
<les clubs, et on demanda qu'une discussion
s'ouvrit sur les sociétés politiques. On décida
que le rapport sur la garde nationale serait fait le
surlendemain , et qu'immédiatement aprés s'ou-
vrirait la discussion sur les clubs. Le surlende-
main, 2 thermidor (20 juillet), on avait de.nou-
veaux détails sur la marche des tronpes, sur
leur nombre, et on savait qu'á la Ferté-Alais ,
il se trouvait déja quatre régimentsde cavalerie.


Pichegru fit le rapport sur l'organisation de
la garde nationale. Son projet était concu de
la maniere la plus perfide. Tous les Francais
jouissant de la qua lité de citayen devaient
étre inscrits sur les roles de la garde nationale ;
mais tOU3 ne devaient pas eomposer l'effeetif
de eette garde. Les gardes nationaux faisant
le serviee devaient étre choisis par les autres ,
c'est-á-dire élus par la masse, De cette maniere
la garde nationale était formée, eomme les con-
seils, par les assemblées électorales , et le ré-
sultat des éleetions indiquait assez queIle es-
pece de garde on obtiendrait par ce moyen.
Elle devait se composer d'un bataillon par can-
ton; dans chaque bataillon il devait y avoir
une compagnie de grenadiers et de chasseurs,
ce qui rétablissait ces compagnies d'élite , oú
se groupaient toujours les hornmes les plus
prononcés, el dant les partis se servaient or-




DIRECTOIRE (1797)' 239
dinairement pour l'exécution de leurs vues,
On voulait voter le projet sur-le-champ, Le
fougueux: Henri Lariviere prétendit que tout
annoncait un 31 mai. - AlIons done, alIons
donc,lui criérent en l'interrompant, quelques
voix de la gauche.-Oui, reprit-il, mais je me
rassure en songeant que nous sommes au 2
thermidor, et que nous approchons du 9, jour
fatal aux tyrans. - Il voulait qu'on votát le
projet al'instant , et qU'OIl envoyát un message
aux aneiens,. pour les engager a rester en
séance , afin qu'ils pussent aussi voter sans dé-
semparer. On combattit cette proposition.
Thibaudeau, chef du parti constitutionnel, fit
remarquer avec raison que, quelque diligence
qu'on déployát , la garde nationale ne serait
paS organisée avant un mois ; que la précipi-
tation avoter un projet important serait done
mutile pour garantir le eorps législatif des dan-
gers dont on le menaeait ; que la representa-
tion nationale devait se renfermer dans ses
droits et sa dignité, et ne pas chercher sa force
dans des moyens actuellement impuissants.Tl
proposa une discussiou réfléchie. On adopta
l'ajournement a vingt-quatre heures , pour l'exa-
men du projet.endécrétant cependant tout de
suite le principe de la réorganisation. Dans le
moment, arriva un message du directoire, qui




~4o RÉVOLUTION FRANC;;AISE.
donnait des explications sur la marche des
troupes. Ce message disait que, dirigées vers
une destination éloignée, les troupes avaient
dú passer pres de Paris, que par l'inadvertance
d'un commissaire des guerres elles avaient
franchi la limite constitutionnelle, que l'er-
reur de ce commissaire était la seule cause de
cette infraetion aux lois, que du reste les trou-
pes avaient recu l'ordre de rétrograder sur-le-
champ. On ne se contenta pas de cette ex-
plication; on déclama denouveau avec une
extreme véhémence, et on nomma une com-
mission pour examiner ce message, et faire un
rapport sur l'état de Paris et la marche des
troupes. Le lendemain on commenca a dis-
cuter le projet dePichegru, et on en vota
quatre articles. On s'occupa ensuite des clubs,
qui se renouvelaient de toutes parts, et sem-
blaient annoncer un ralliement du partí jaco-
bino On voulait les interdire absolurnent, paree
queles lois qui les limitaient étaient toujours
éludées. On décréta qu'aucune assemblée po-
litique ne serait permise a l'avenir. Ainsi la
société de Clichy commit sur elle-méme une
espece de suicide, et consentit ane plus exis-
ter, aeondition de détruire le cercle constitu-
tionnel, et les autres clubs subalternes qui se
formaient de toutes parts. Les chefs de Clichy




DIRECTOIllE (1797)' 241
n'avaient pas besoin, en effet, de cette tumul-
tueuse réunion pour s'entendre , et ils pouvaient
la saerifier, sans se priver d'une grande res-
source. Willot dénonca ensuite Barras, coro me
n'ayaut pas l'age requis par la constitution,
a l'époque oú il avait été nommé direeteur.
Mais les registres de la gu~rre cornpulsés ,
prouverent que c'était une vaine chicaneo Pen-
dant ce temps, d'autrés lroupes étaient arri-
vées a Reims; on s'alarma de nouveau. Le
directoire ayant répété les mémes explications,
on les déclara encore insuffisantes, et la como
mission déja nommée resta chargée d'une en-
quéte et d'un rapport.


Hoche était arrivé a Paris, cal' il devait y
passer, soit qu'il dút aller a Brest, soit qu'il
eút a exéeuter un eoup d'état. II se présenta
sans crainte au directoire , certain qu'en faisant
mareher ses divisions, il avait obéi a la majo.
rité directoriale. Mais Carnot, qui était dans
ce moment presiden t du directoire , chercha a
l'intimider ; il· lui demanda en vertu de que!
ordre il avait agi, et le menacad'uné accusa-
tion , pour avoir franehi les limites constitu-
tionnelles. Malheuneusement Rewhell et Laré-
velliére.qui n'avaient pas été informésde l'ordre
donué á Hoche, ne pouvaientpas venir ason se-
eours. Barras, qui avait donné cet ordre, n'a-


IX. IR




242 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
vait pas osé prendre la parole , et Hoche restait
exposé aux pressantes questions de Carnot.
n répondait qu'il ne pouvait aller aBrest sans
troupes; a quoi Carnot répliquait qu'il y avait
encore quarante-trois mille hommes en Bre-
tagne, nombre suffisant pour l'expédition.
Cepeudant Larévelliérc voyant l'embarras de
Hoche, vint enfin a son secours , lui exprima
au nom de la majorité du directoire I'estirne et
la confiance qu'avaient méritées ses services,
l'assura qu'il n'était pas question d'accusation
centre lui, et fit lever la séance. Hoche courut
chez Larévelliere pour le remercier; il apprit
la que Barras n'avait informé ni Rewbell ni La-
révelliére du mouvement des troupes, qu'il
avait donné les ordres a leur inscu ; et il fut
indigné contre Barras, ·qui, apres l'avoir com-
promis, n'avait pas le conrage de le défendre.
Il était évident que Barras, en agissant apart,
sans en prévenír ses deux collegues , avait
voulu avoír seul dans sa main les moyens
d'exécution. Hache indigné traita Barras avec
sa hauteur ordínaíre, et voua aRewbell et a
Larévelliere toute son estime. Ríen n' était
encore prét pour l'exécution du projet que
méditaient les trois dírecteurs, et Barras, en
appelant Hoche, l'avait inutilement compro-
mis. Huche retourna sur-le-charnp a son quar-




DIRECTOIRE (J 797)' 243
tier-général, qui était a Wetzlar, et fit can-
tonner les troupes qu'il avait amenées dans
les environs de Reims et de Sedan, oú elles
étaient a portée encore de marcher sur Paris.
Il était fort dégoüté par la conduite de Barras
a son égard, mais il était prét a se dévouer
encore , si Larévelliere et Rcwbell luí en don-
naient le signaI. II était tres-compromis ; on
parlait de I'accuser ; mais il attendait avec fer-
meté au milieu de son quartier-général ce que
la majorité des cinq-eents déchainée contre
lui pourrait entreprendre. Son age ne lui ayant
pas permis d'aecepter le ministere de la guerre,
Schérer y fut appelé asa place.


L'écIat qui venait d'avoir lieu , ne permettait
plus d'employer Hoche a l'exécution des pro-
jets du directoire. D'ailleursl'importance qu'une
telle participation allait luí donner, pouvait
exciter la jalousie des autres généraux. 11 n'é-
tait pas impossible que Bonaparte trouvát mau-
vais qu'on s'adressát a d'autres qu'a lui. On
pensa qu'il vaudrait mieux ne pas se servir
de l'un des générallx en chef, et prendre I'un
des divisionnaires les plus distingués. On ima-
gina de demander a Bonaparte un de ces gé-
néraux devenus si célebres sous ses ordres;
ce qui aurait l'avantage de le satisfaire per-
sonnellement, et de ne blesser en mérne tem ps


[o.




~44 RÉVOLUTION FRAN!,?AISE.
aucun des généraux en chef. Mais tandis qu'on
songeait a s'adresser a lui, il intervenait dans
la querelle, d'une maniere foudroyante pour
les contre-révolutionnaires , et au moíns ern-
barrassante pour le directoire. Il choisit l'an-
niversaire du 14 juiJlet, répondant au 26 mes-
sidor, pour donner une féte aux arrnées , et
faire rédiger des adresses sur les événements
qui se préparaient. IJ fit élever a Milan une
pyramide portant des trophées, et le nom de
tous les soldats et officiers morts. pendant la
campagne d'Italie. C'est autour de cette pyra-
mide que fut célébrée la féte ; elle fut magni-
fique. Bonaparte y assista de sa personne, et
adressa a ses soldats une proclamation mena-
cante. « Soldats, dit-il, c'est aujourd'hui l'an-
« niversaire du 14 juillet. Vous voyez devant
(1 vous les noms de nos compagnons d'armes
II morts au champ d'honneur , pour la liberté
« de la patrie. Ils vous ont donné l'exernple.
« Vous vous devez tout entiers a la républi-
« que; vous vous devez tOl1t entiers au bon-
« heur de trente millions de Francais; vous
(( vous devez tout entiers ala gloíre de ce nom
( qui a recu un nouvel éclat par vos victoires,


« Soldats ' je sais que vous étes profondé-
« rnent affectés des malheurs qui menacent la
« patrie, Mais la patrie ne peut courir de dan-




DIRECTOIRE (1797)' 245
« gers réels. Les mémes hommes qui I'ont fait
ce triompher de l'Europe coalisée, sont la. Des
(e montagnes nous séparent de la France; vous
(e les franchiriez avec la rapidité de l'aigle, s'il le
(e fallait, pour maintenir la coustitution , défen-
« dre la liberté, el protéger les républicains.


« Soldats! le gouvernement veille sur le dé-
« pót des lois qui lui est confié. Les royalistes,
(e des I'instant qu'ils se montreront, auront
« vécu. Soyez sans inquiétude, et jurons par
« les manes des héros qui sont morts acoté de
( nous pour la liberté, jurons sur nos dra-
(e peanx, guerre implacable aux ennemis de la
« république et de la constitution de l'an 31 »


n y eut ensuite un bauquet oú les toasts les
plus énergiques furent portés par les généraux
et les officiers, Le général en chef porta un
premier toast aux hraves Stengel, Laharpe,
Dubois, morts au champ d'honneur. ce Puis-
sent Ieurs manes, dit-il , veiller autour de nous,
et nous garantir des embuches de nos enne-
mis! )) Des toasts furent ensuite portés a la
constitution de l'an ,3, au directoire, au con-
seil des anciens , aux Francais assassinés dans
Vérone, a la réémigration des émigrés , a l'u-
Ilion des républicains francais, a la destruction
du club de Clichy. On sonna le pas de charge
a ce dernier toast. Des fétes semblables eurent




246 RÉVOLUTION fORAN<;:AISE.
lieu dans toutes les villes oú se trouvaient les
divisions de I'arrnée , et elles furent célébrées
avec le rnéme appareil, Ensuite on rédigea dans
chaq ue division , des adresses, encare plus si-
gnificatives que ne I'était la proclamation du
général en chef. Il avait observé dan s son lan-
gage une certainc djgnité; mais tout le style
jacobin de 93 fut étalé dans les adresses des
différentes divisions de I'armée. Les divisions
Masséna, Joubert ,Augereau se sígnalerent.
Celle d'Augereau surtout dépassa toutes lesbor-.
nes: O conspirateurs , disait-elle, tremblez l de
l'Adige el du Hhin ti la Seine, il n'y a qu'un
paso Tremblez l vos iniquüés sont comptées , el
le prix en est au bout de nos baionnettes.


Ces adresses furent couvertes de milliers de
signatures, et envoyées au général en chef. n
les réunit , et les envoya au directoire, avec sa
prodamation, pour qu'elles fussent imprimées
et publiées dans les journaux. Unepareille dé-
marche signifiait assez cIaírement qu'il était
prét amarcher pom' combattre la faction for-
mée dans les conseils, et préter son secours a
I'exécution d'un coup d'état. En méme temps,
comme il savait le directoire divisé, qu'il voyait
la scene se com pliquer, et q u'il voulait étre
instruit de tout , JI choisit un de ses aides-de-
camp, M. de Lavalette, qui jOllissait de toute




ll1RECTOIRE (1797)' 247
sa confiance, et qui avait la pénétration né-
cessaire pour bien juger les événements; ji le
fit partir pOUI' Paris avec ordre de tout ohserver
et de tout recueillir; il fol.t en méme temps offrir
des fonds au directoire, en cas qu'il en eút be-
soin , s'il avait quelque acte de vigueur atenter.


Quand le directoire recut ces adresses, il
fut extrémement embarrassé. Elles étaient en
quelque sorte illégales, cal' les armées ne pon-
vaient pas délibérer. Les aceueillir , les pu-
blier, c'était autoriser les armées a intervenir
dans le gouvernement de l'état, et livrer la ré-
publique a la puissance militaire. Mais pou-
vait-on se sauver de ce péril? En s'adressant a
Hoche, en Iui demandant des troupes, en de-
mandant un général a Bonaparte, le gouver-
nement n'avait-il pas lui-méme provoqué cette
intervention? Obligé de recourir a la force,
de violer la légalité , pouvait - il s'adresser a
d'autres soutiens que les armées? Recevoir ces
adresses, n'était que la conséquence de ce
qu'on avait fait, de ce qu'on avait été obligé
de faire. Telle était la destinée de notre mal-
heureuse république, que ponr se soustraire a
ses ennemis, elle était obligée de se livrer aux
armées. C'est la crainte de la contre-révolution
qui, en 1793, avait jeté la république dans les
exces et les fureurs dont on a vu la triste his-




248 RÉVOLUTJON FRANl.;AISl':.
toire ; c'est la crainte <le la contre-révolution
qui, aujourd'hui, I'obligeait a se jeter dans les
bras des rnilitaires ; en un mot, c'était toujours
pour fuir le méme dangcr, que tantót elle avait
recours aux passions , tantót aux baionnettes.


Le directoire eút bien voulu cacher ces adres-
ses, et ne pas les publier a cause du mauvais
exemple; mais il aurait horriblement blessé le
général, et l'eút peut-étre rejeté vers les enne-
mis de la république. l\ fut donc contraint de
les irnprimer , et de les répandre. Elles jeterent
l'effroi daus le parti clichyen, et lui firent sen-
tir cambien avait été grande son- irnprudence ,
quand il avait attaqué , par la motion de Du-
molard, la conduite du général Bonaparte a
Venise. Elles dormerent lien a de nouvelles
plaintes dans les conseils : on s'éleva conlre
cette intervention des arrnées , on dit qu'elles
ne devaient pas délibérer, et on vit la une nou-
velle prenve des projets imputés an directoire.


Bonaparte causa un nouvel embarra ... au gOIl-
vernement, par le général divisionnaire qu'il
lui envoya. Augereau excitait dans l'armée une
espéce de trouble, par la violence de ses opi-
nions, tout-a-Iait dignes du faubourg Saint-
Antoine. Il était toujours prét a entrer en que-
relle avee quiconque n'était pas aussi violent
que lui; el Bonaparte craignait une rixe entre




DI RECTOIRE (1797)· 249
les généraux. Pour s'en débarrasser, il l'en-
vaya au directoire, pensant qu'il serait tres-
han pour l'usage auquel on le destinait, et qu'il
serait mieux a Paris qu'au quartier-général , oú
l'oisiveté le rendait dangereux. Augereau ne
demandait pas mieux; car il aimait autant les
agitations des clubs que les champs de bataille,
et il n'était pas insensible al'attrait du pouvoir,
Il partit sur-Ie-champ , et arriva aParís dans le
milieu de thermidor. Bonaparte écrivit a son
aide-de-camp , Lavalette, qu'il envoyait Allge-
reau paree qu'il ne pouvait plus le garder en
ltalie; il/uí recommanda de s'en défier, el de
continuer ses ohservations, en se tenant tou-
jours a parto Il lui recommanda aussi d'avoir
les meilLeurs procédés envers Carnot; car en
se pronon<,;ant hautement pour le directoire,
contre la faction contre-révolutionrraire , il ne
voulait entrer pour rien dans la querelle per-
sonnelle des directeurs.


Le directoire fut tres-peu satisfait de voir
arriver Augereau. Ce général convenait bien a
Barras, qui s'entourait volontiers des jacobins
et des patriotes des faubourgs, et qui parIait
toujours de mantel' a cheval ; mais iI convenait
peu a Rewhell, a Larévelliere , qui auraient
voulu un général sage, mesuré, et qui pút , au
besoin , faire cause commune avec eux contre




250 RÉVOLUTlON FRANC;;AISE.


les projets de Barras. Augereau était on Be peut
pas plus satisfait de se voir aParis, pour une
mission pareille. C'était un brave homme, ex-
cellent soldat , et coeur généreux, mais tres-
vantard, et trés-mauvaise tete. Il allait dans
Paris, reeevant des f~tes, jouissant de la célé-
brité que lui valaient ses beaux faits d'armes,
mais s'attribuant une partie des opérations de
l'armée d'Italie , laissant croire volontiers qu'il
avait inspiré au général en chef ses plus belles
résolutions, et répétant a tout propos qu'il
venait mettre les aristocrates ala raison, La-
révelliere et Rewhell , tres-fáchés de eette con-
duite, résolurent de l'entourer, et, en s'adres-
sant a sa vanité, de le ramener a un peu plus
de mesure. Larévelliere le earessa beaucoup ,
et réussit a le subj uguer, moitié par des flat-
teries adroites, moitié par le respect qu'il sut
lui inspirer. Il lui fit sentir qu'il ne fallait pas
se déshonorer par une journée sanglante; mais
acquérir le titre de sauveur de la république,
par un acte énergique et sage, qui désarmát
les factieux sans répandre de sango Il calma
Augereau, et parvint ale rendre plus raisonna-
ble. On lui donna sur-le-champ le commande-
ment de la dix-septierne division militaire , qui
comprenait París. Ce nouveau fait indiquait
assez les intentions du directoire. Elles étaient




llJRECTOIRE i,(797)' 251
arrétées. Les troupes de Hoche se trouvaient
aquelques marches; on n'avait qu'un signal a
donner pour les faire arriver. On attendait les
fonds que Bonaparte avait promis, et qu'on ne
voulait pas prendre dans les caisses, pour ne
pas compromettre le ministre Ramel, si exac-
tement surveillé par la commission des finan ces.
Ces fonds étaient en partie destinés a gagner
les grenadiers duo corps législatif, alors au
nombre de douze cents, et qui, san s étre
redoutables , pouvaient, s'ils résistaient, amener
un combat; ce que l' on tenait par-dessus tout
aéviter. Barras, toujours fécond en intrigues,
s'était chargé de ce soin, et c'était le motif qui
faisait différer le coup d'état,


Les événements de l'intérieur avaient la plus
funeste influence sur les négociations si impor-
tantes, entamées entre la république et les
puissances de l'Europe. L'implacable faction,
conjurée contre la liberté et le repos de la
France, allait ajouter a tous ses torts , celui de
compromettre la paix, depuis si long-temps
attendue.Lord Malmesbury était arrivé aLille,
et les ministres autrichiens s'étaient abouchés
a Montebello avec Bonaparte et Clarke, qui
étaient les deux plénipotentiaires chargés de
représenter la France. Les préliminaires de
Léobeu , signés le 29 germinal ( 18 avril ) ,




25~ nÉVOLUTION FRAN9AISE.
portaient que deux congres seraient ouverts,
l'un général a Berne , pour la paix avec l'empe-
reur et ses alliés , l'autre particulier aRastadt ,
pour la paix avec l'em pire; que la paix avec
l'empereur serait conclue avant trois mois, sous
peine de nullité des préli minaires; qne rien ne
serait fait dans les états vénitiens que de
concert avec l'Autriche, mais que les provinces
vénitiennes ne seraient occupées par l'empe-·
reur qu'apres la conclusion de la paix. Les
événernents de Venise semblaient déroger un
peu aces conditions, et l'Autriche s'était hátée
d'y déroger plus formellement de son cóté , en
faisant occuper les provinces vénitiennes de
l'Istrie et de la Dalmatie. Bonaparte Ierrna les
yeux sur cette infraction aux préliminaires ,
pour s'épargner les récriminations al'égard de
ce qu'il avait fait a Venise, et de ce qu'il allait
faire dans les Hes du Levant. L'échange des
ratifications eut lieu a Montebello, pres de
Milan, le 5 praii-ial ( 24 mai). Le marquis de
Gallo, ministre de Naples a Vienne, était
l'envoyé de l'ernpereur. Apres l'échange des
ratifications , Bonaparte conféra avec M. dé
Gallo, dans l'intention dele faire renoncer a
l'idée d'nn congres a Berne, et de l'engager a
traiter isolément en Italie , sans appeler les
autres puissances. Les raisons qu'il avait a




DIRECTOIRE (J797J. 253
donner, dans I'intérét méme de l'Antriche ,
étaient excellentes. Comment la Bussie et l'An-
gleterre, si elles étaient appelées a ce congres ,
pourraient-elles consentir a ce que l' Autriche
s'indemuisát aux dépens <le Venise, dont elles-
mémes convoitaient les possessions? e'était
impossible, et I'intérét mérne de l'Autriche ,
autant que celui d'une prompte conclusion ,
exigeait qup l'on conférát sur-le-champ , et en
ltalie. M. de Gallo, homme spirituel et sage,
sentait la force de ces raisons. Pour le décider,
et entrainer le cabinet autrichien, Bonaparte'
lit une concession d'étiquette, a laquelle le
cabinet ele Vieune attachait une grande impor-
tance. L'empereur· craignait toujours que la
république ne voulüt rejeter l'ancien cérérnonial
des rois de France , et n'exigeát l'alternative
dans le protocole des traites. L'empereur voulait
toujours étre nommé le premier, et conserver
ases ambassadeurs le pas sur les arnhassadeurs
de la Frunce. Bonaparte 1 qui s'était faí l autoriser
par le directoire a céder sur ces miseres , ac-
corda ce que demandait M. de Gallo. La joie
fut si grande, que sur-le-champ M. de Gallo
adopta le principe d'une négociation séparée a
Montebello, et écrivit a Vienne pour obtenir
des pouvoirs en conséquence. Mais le vieux
Thugut, fatigué, humoriste, tout attaché au




254 RÉVOLUTION FRAN<:';AISE.
systérne anglais, et offrant achaque instant sa
dérnission , depuis que la cour, infiuencée par
l'archiduc Charles, sernblait abonder dans un
svsteme contraire, Thugut avait d'aurres vues.
II voyait la paix avec peine; les troubles inté-
rieurs de la France lui donnaicnt des espéran-
ces auxquelles il aimait encere a se livrer,
quoiqu'elles eussent été si souvent trornpeuses.
Bien qu'il en eút coúté a l'Autriche beaucoup
d'argent, beaucoup de fausses démarches , el
une guerre désastreuse , pour en avoir cru les
émigrés, la nouvelle conspiration de Pichegru
fit concevoir a Thugut l'irlée de diflérer la
conc1usion de la paix. II résolut d'opposer des
lenteurs calculées aux instances des plénipo-
tentiaires francais. Il fit désavouer le marquis
de Gallo, et fit partir un nouveau négociatenr,
le général"-major comte de Meeweldt, pour
Montebello. Ce IIégociateur arriva le I er mes-
sidor (19 juin), et demanda I'exécution des


•préliminaires, e'est-á-dire , la réuuion du con gres
de Berne. Bonaparte , indigné de ce changement
de systeme , fit une réplique des plus vives. Il
répéta tout ce qu'il avait déja dit sur l'impos-
sibilité d'obtenir de la Russie et de l'Angleterre
l'adhésion aux arrangements dont on avait posé
les bases a Léoben; il ajouta qu'un congres
entrainerait de nouvelles lenreurs , que deux




D1RECTOIRE (1797). 255
mois s'étaient déja écoulés depuis les préIimi-
naires de Léoben, que d'apres ces préliminai-
res, la paix devait étre conclue en trois mois,
et qu'il serait impossible de la conclure dans
ce délai, si on appelait toutes les puissances,
Ces raisons laisserent encore les plénipotentiai-
res autrichiens sans répouse, La cour de Vienne
pamt céder , et fixa les conférences a Udine,
dans les provinces vénitiennes , afin que le Iieu
de la négociation {lit plus rapproché de Vienne.
Elles durent recornmencer le I3 messidor ( ler
juillet). Bonaparte, que des soins d'une haute
importance retenaient a Milan, au milieu des
nouveIles répubIiques qu'on aIlait fonder, et
qui d'ailleurs tenait aveiller de plus pres aux
évéuements de Paris , ne voulait pas se laisser
attirer inutilement a Udine , pour y etre joué
par Thugut. II y envoya Clarke, et déclara
qu'il ne s'y rendrait de sa personne que lors-
qu'il serait convaincu par la nature des pou-
voirs donnés aux deux négociateurs, et par
leur couduite dans la négociation, de la bonne
foi de la cour de Vienne. En effet, iI ne se
trompait paso Le cahinet de Vienne, plus abusé
que jamais par les misérables agents de la faction
royaliste , se flattait qu'il allait étre dispensé par
une révolution, de traiter avec le directoire,
et il Iit remeUre des notes étranges dans l'état




256 RÉVOLUTION FRAN~AlSJ~.
de la négociation. Ces notes, a la date du 30
messidor (18 juillet), portaient que la cour de
Vienne voulait s'en tenir rigoureusement aux
préIiminaires, et par conséquent traiter de la
paix générale a Berne; que le délai de trois
mois, fixé par les préliminaires , pour la con-
clusion de la paix, ne pouvait s'entendre qu'á
partir de la réunion du congrés, cal' autrement
il aurait été trop iusuffisant pour étre stipulé ;
qu'en conséquence, la cour de Vienne persis-
tant a se renfermer dans la teneur des préli-
minaires, demandait un congres général de
toutes les puissances. Ces notes renfermaient
en outre des plaintes ameres sur les évéuements
de Venise et de Genes; elles soutenaient que
ces événements étaient une infraction grave
aux préliminaires de Léoben, et que la France
devait en donner satisfaction.


En recevant ces notes si étranges, Bona-
parte fut rempli de colere. Sa premiere idée
fut de réunir sur-Ie-champ toutes les divisions
de I'armée , de reprendre l'offensive, et de s'a-
vancer encore sur Vienne, pour exiger cette
fois des conditions moins modérées qu'a Léo-
ben. Mais l'état intérieur de la France , les
conférences a Lille , l'arréterent , et il pensa
qu'il fallait, dans ces graves conjonctures , lais-
ser au directoire , qui était pIacé au centre de




DiRECTO/HE (1797)' 257
toutes les opérations , le soin de décider la
conduite a tenir. Il se contenta de faire rédiger
par Clarke une note vigoureuse. Cette note
portait en substance qu'il n'était plus temps de
demander un congres , dont les plénipoten-
tiaires autrichiens avaient reconnu l'impossi-
bilité, et auquella cour de Vienne avait mérne
renoncé, en fixant les conférences a Udine ;
que ce congres était aujourd'hui sans motif ,
puisque les alliés de 1'Autriche se séparaient
d'elle, et montraient 1'intention de traiter iso-
lément, ce qui était prouvé par les conférences
de Lille ; que le délai de trois rnois ne pouvait
s'entenJre qu'á partir du jour de la signature
de Léoben, cal' autrement, en différant l'ou-
verture du congres , les leuteurs pourraient
devenir éternelles, ce que la France avait voulu
empécher en fixant un terme positif; qu'enfin
les préliminaires n'avaient point été violés dans
la conduite tenue a l'égard de Venise et de
Genes; que ces deux pays avaient pu ehanger
leur gouvernement sans que' personne eút a le
trouver mauvais, et 'que, du reste, en enva-
hissant l'Istrie et la Dalmatie contre toutes les
conventions écrites, l' Autriche avait bien au~
trement violé lespréliminaires. ti pres avoir
ainsi répondu d'une maniere ferme et digne,
Bouaparte rétéra du tout au directoire, et at-


lX. 17




258 1l.:ÉVOLUTlON FRANC;:AISE.
tendit ses ordres, III i recommandant de se dé-
cider au plus tót , parce qu'il importait de ne
pas attendre la mauvaise saison pour reprendre
les hostilítés, si cette détcrmínation devenait
nécessaire,


A Lílle, la négociation ouverte se condui-
sait avec plus de bonne foi ; ce quí doit pa-
ralrre singulier, puisque c'était avec Pitt ql1e
les négociateurs francais avaient a s'entendre,
Mais Pitt était véritablement effrayé de la si..
tuation de l'Angleterre, ne comptait plus du
tout sur l' Autriche, u'avait aucune confiance
dans les menteries des agents royalistes, et
voulait traiter avec la France, avant que la paix
avec l'empereur la rendir plus forte et plus exi-
geante. Si done, l'année derniére , il n'avait
voulu qu'éluder, pour satisfaire l'opinion et
pour prévenir un arrangement a l'égard des
Pays - Bas, cette année 11 voulait sincerement
traiter , sauf ane faire de eette paix qu'un re-
pos de deux OH trois ans, Ce pUl' Anglais ne
pouvait , en effet, consentir a laisser définítivc..
ment les Pays-Bas a la France.


Tout prouvaít sa sincérité , eornme nous
l'avons dit, et le choix de lord Malmesbury, et
la nature des instructions secretes données a
ce négociateur. Suivant I'usage de la diplomatie
anglaise, tout était arrangé ponr qu'il yeut a




DlRECTOIRE (J797)' 259
la fois deux négociations, l'une officielle et ap-
parente, l'autre secrete et réelle. M. ElIis avait
été donné a loro Malmesbury, pour conduíre
avec son assentiment la négociation secrete, et
correspondre directement avec Pitt. Cet usage
de la diplomatie anglaise est forcé dans un
gouvernemenfrepréseritatif. Dans la négocia-
tion officielle, on dit ce qui pent étre répété
dans les chamhres, et on réserve pour la né-
gociation secrete ce qui ne peut étre publié.
Dans le cas surtout oú le ministére est divisé
sur la question de la paix, on communique
les conférences secretes a la partie du minis-
tere qui autorise et dirige la négociatian. La
légation anglaise arriva avec une nombreuse
suite el un grand appareil a Lille le 16 messi-
dor (4 juillet).


Les négociateurs chargés de représenter la
France, étaient Letourneur, sorti récernment
du directoire, Pléville Le Peley, qui ne resta
a LilJe que pell de jours , a canse de sa nomi-
nation au ministere de la marine, et Rugues
Maret, depuis duc de Bassano. De ces trois mi-
nistres, le dernier était le seul capable de
remplir un role utile dans la négociation. Jeune,
versé de honne heure dans le monde diploma-
tique, il réunissait a heaucoup d'esprit des
formes qui étaient devenues rafes en France


J 7,




~6o nÉVOLUTrON FRANC;:,\ISE.
depuis la révolution. 1l devait son entrée dans
les affaires aM. de Talleyrand; et maintenant
encore il s'était concerté avec lui, pour que
l'un des deux eút le ministere des affaires étran-
geres, et l'autre la mission a Lille. M. Maret
avait été envoyé deux fois a Londres dans les
premiers temps de la révolution ; il avait été bien
recu par Pitt , et avait acquis une grande con-
naissance du cabinet anglais.Jl était done tres-
propre areprésenter la France aLille. Il s'y ren-
dit avec ses deux collegues , et ils y arriverent
en méme temps que la légation anglaise. Ce
n'est pas ordinairerneut dans les conférences
publiques que se font réellement les affaires
diplomatiques. Les négociateurs angláis, pleins
de dextérité et de tact, auraient voulu voir
familierement les négociateurs francais , et
avaient trop d'esprit pour éprouver aucun éloi-
gnement. Au contraire, Letourneur et Pléville
Le Peley, honnétes gens, mais peu habitués a
la diplomatie, avaient la sauvagerie révolu-
tionnaire : ils considéraient les deux Anglais
comme des hommes dangereux , toujours préts
á intriguer et a tromper, et contre lesquels il
fallait étre en défiance. 11s ne voulaient les
voir qu'officiellement, et craignaient de se
compromettre par toute autre espece de com-
munication. Ce n'était pas ainsi qu'on pouvait
s'entendrc.




DIRECTOIRE (1797)' 261
Lord Malmesbury signifia ses pouvoirs , oú


les eonditions du traité étaient laissées en blanc,
et demanda quelles étaient les eonditions de la
France. Les trois négociateurs francais exhibe-
rent les conditions, qui étaient, eomme on pense
bien, un maaiimum fort élevé. lIs demandaient
que le roi d'Angleterre renoneát au titre de roi
de Franee, qu'il eontinuait de prendre par un
de ces ridicules usages conservés en Angleterre;
qu'il rendit tons les vaisseanx pris a Toulon ;
qu'il restituát a la France, a l'Espagne et a la
Hollande, toutes les eolonies qni leur avaient été
enlevées. En éehange de tout cela, la Franee,
l'Espagne et la Hollande n'offraient que la
paix , car elles n'avaient rien pris a l'Angle-
terreo Il est vrai que la Franee était assez im-
posante pour exiger beaucoup; mais tout de-
mander pour elle et ses alliés, et ne rien
donner, c'était renoneer as'entendre. Lord
Malmesbury, qui voulait arriver a des résul-
tats réels, vit bien que la négoeiation officielle
n'aboutirait a ríen, et chercha a amener des
rapprochements plus intimes. M. Maret , plus
habitué que ses collegues aux usages diplu-
matiques, s'y préta volontiers ; mais il fallut
négoeier aupres de Letourneur el de Pléville
Le PeJey, pOllr amener des reneontres au spec-
tacle. Les jeunes gens des deux amhassades se




262 nÉVoLUTION FRANc,;AISE.


rapprocherent les premiers, et bientót les com-
munications furent plus amicales. La France
avait tellement rompu avec le passé depuis la
révolution, qu'il faHait beaucoup de peine pour
la replacer dans ses anciens rapports avec les
autres puissances. On n'avait rien eu de pa-
reil a faire l'année précédente, parce qu'alors
la négociation u' étant pas sincere, on n'avait
guere qu'a éluder; mais cette année il fallait
en venir ades cornmunications efficaces et bien-
veillantes. Lord Malmesbury fit sonder M. Ma-
ret pour l'engager aune négociation particu-
Iiere, Avant d'y consentir, M. Maret écrivit a
París pour y étre autorisé par le ministere
francais. Il le fut sans difficulté, et sur-le-
champ iI entra en pourparlers avec les négo-
ciateurs anglais.


II n'était plus question de contester les Pays-
nas, ni de discuter sur la nouvelle position
dans laquelle la Hollande se trouvait par rap-
port ala France; mais l'Angleterre voulaít gar-
del' quelques-uues des principales colonies
qu'elle avait conquises, pour s'indernniser, soit
des Erais de la guerre, soit des concessions
qu'elle nous faisait. Elle consentait a nous
rendre toutes nos colonies, elle consentait
mérne arenoncer atoute prétention sur Saint-
Domingue, et a nous aider a y établir notre




DlRECTOIRE (1797)' :163
dominatiou, mais elle prétendait s'indemniser
aux dépens de la Hollande et de l'Espagne.
Ainsi elle ne voulait pas rendre al'Espagne l'ile
de la Trinité, dont elle s'était emparée , et qOl
était une colonie fort importante par sa posi-
tion a l'entrée de la mer des Antilles; elle
voulait , parmi les possessions enlevées aux
Hollandais, garder le cap de Bonne-Espérance,
qui commande la navigation eles deux Océans ,
et Trinquemale, principal port de l'ile de
Ceylau; elle voulait échanger la ville de Ne-
gapatnam sur la cote de Coromandel, contre
la ville et le fort ele Cochin sur la cote de Ma-
labar, établissement précieux ponr elle. Quant
a la renonciation au titre de roi de France ,
les négociateurs anglais résistaient a cause de
la famille royal e , qui était peu disposée a la
paix, et dont il fallait ménager la vanité, Re-
lativement aux vaisseaux enlevés a Toulon , et
qui déjá avaient été équipés et arrnés a I'an-
glaise, ils trouvaient trap ignominieux de les
rendre, et offraient une inelemnité en argent ele
12. millions. Malmesbury donnait pour raison
aM. Maret , qu'il ne pouvait rentrer aLondres
apres avoir tout renelu, et n'avoir conservé
au peuple anglais aueune des conquétes payées
de son sang et de ses trésors, Pour prouver
d'ailleurs sa sincérité , il montra toutes les ins-




264 RÉVOLUTION }'ltANt,:AlSli.
tructions secretes remises a 1\1. Ellis, et qui
contenaient la preuve du désir que Pitt avait
d'obtenir la paix. Ces conditions méritaient
d'étre débattues.


Une eireonstanee survenue tout - á- coup
donna beaueoup d'avantageaux négociateurs
francais. Outre la réuuion des ílcttes espa-
gnole, hollandaise et fraucaise a Brest , réu-
nion qui dépendait du premier coup de vent
qui éloignerait l'amiral Jervis de Cadix , l'An-
gleterre avait a redouter un autre dangel'. Le
Portngal, effrayé par I'Espagne et la France ,
venait d'abandonner son antique allié , et de
traiter avec la France. La condition principale
du traité lui interdisait de recevoir a la fois
plus de six vaisseaux armés, appartenant aux
puissances belligérantes. L' Angleterre perdait
done ainsi sa précieuse station dans le Tage.
Ce traite inattendu livra un peu les négoeia-
teurs anglais a M. Maret. On se mit adébattre
les eonditions définitives. On ne put pas arra-
cher la Trinité; quant au eap de Bonne Espé-
rance, qui était l'objet le plus important, il
fut enfin eonvenu qu'il serait restitué ala Bol- .
lande , mais a une condition expresse, c'est
que jamais la FraIlee, ne profiterait de SOIl as-
cendant sur la Hollande pour s'en emparer.
C'est la ce que l'Angleterre redoutait le plus.




l>IRECTOIRE (1797)' 26:)
Elle voulait moins l'avoir que nous I'enlever;
et la restitution en fut décidée, a la condition
que nous ne l'aurions jamais nous-rnémes.
Quant a Trinquemale, qui entrainait la pos-
session du Ceylan, il devait étre gardé par les
Anglais, toutefois avec l'apparence de l'alter-
native. Une garnison hollandaise devait alter-
ner avec une garnison anglaise; mais il était
convenu que ce serait la une formalité pure-
ment illusoire , et que ce port resterait effecti-
vement aux Anglais. Quant a l'échange de Co-
chin contreNegapatnam, les Anglais y tenaient
encore , sans en faire pourtant une condition
sine qud non. Les 12 millions étaient acceptés
ponr les vaisscaux pris a Toulon. Quant au
titre de roi de France ,il était convenu que
san s I'abdiquer formellement, le roi d' Angle-
terre cesserait de le prendre.


Tel était le point ou s'étaient arretées les pré-
tentions réciproqucs des négociateurs. Le-
tourneur, qui était resté seul avec M. Maret
depuis le départ de Pléville Le Peley, appelé
au ministere de la marine, était dans une com-
plete ignorance de la négociation secrete.
M. Maret le dédommageait de sa nullité, en
lui cédant tous les honneurs extérieurs , toutes
les choses de représentation , auxquels cet
homrne honnétc ct faciIc tenait beaucoup .




2.66 REVOLUTION FRAN~AJSE.
M. Maret avait fait part de tons les détails de
la négociation au directoire, et attendait ses
décisions, Jamais la France et I'Angleterre n'a-
'vaient été plus pres de se concilier. 1I était
évident que la négociation de Lille était entie-
rement détachée de celle d'Udine , et qne l'An-
gleterre agissait de son coté sans chercher a
s'entendre avec l'Antriche.


La décision a prendre sur ces négoeiations
devait agiter le directoire plus que toute antre
qnestion. La faction royaliste demandait la
paix avec furenr sans la désirer ; les constitu-
tionnels la voulaient sincerement , mérne au
prix de quelques sacrifices; les républicains la
voulaient sans sacrifices, et souhaitaient par-
dessus tout la gloire de la république. lIs an-
raient voulu l'affranchissement entier de 1'1-
talie , et la restitntion des colonies de nos alliés,
mérne au prix d'une nouvelle campagne. Les.
opinions des cinq directeurs étaient dictées
par leur position. Carnot et Barthélemy vo-
taient ponr qu'on acceptát les conditions de
I'All triche el de l'Angleterre; les trois autres
directeurs soutenaient l'opinion contraire, Ces
qucstions acheverent de brouiller les deux
parties du directoire. Barras reprocha amere-
ment a Carnot les préliminaires de Léoben ,
dont celui-ci avait fortement appuyé la ratifi-




"


DJRECTOlllE (1797). 267
eation , et employa ason égard les expressions
les moins mesurées. Carnot, de son coté, dit ,
a propos de ces expre~sions, qu'il ne fallait
pas opprimer l'Autriche; ce qui signifiait que,
pour que la paix fut durable, les eonditions
devaient en étre modérées, Mais ses collegues
prirent fort mal ces expressions, et Rewbell
lui demanda s'il était ministre de l'Autriche, nu
magistrat de la république francaise. Les trois
directeurs, en recevant les dépéches de Bona-
parte, voulaient qu'on rornpit sur-le-champ ,
et qu'on reprit les hostilités. Cependant,l'état
de la répuhlique , la crainte de donner de nou-
velles armes aux ennemis du gouvernemcnt,
et de leur fournir le pretexte de dire que ja-
mais le directoire ne ferait La paix , décidérent
les directeurs a temporiser encore. IIs écrivi-
rent a Bonaparte qu'il fallait combler la me-
sure de la patience, et attendre encore jusqu'á
ce que la mauvaise foi de I'Autriche fút prou-
vée d'une maniere évidente , et que la reprise
des hostilités pút étre imputée aelle seule.


Relativement aux conférences de Lille , la
question n'était pas moins embarrassante. Pour
la France, la décision était facile, puisqu'ou
lui rendait tout; mais pour I'Espagne , qui res-
tait privée de la Trinité, pour la Hollande ,
qui perdait Trinquemale, la question était dif-




2.68 RÉVOLUTION t'RAN~A.lSE.
ficile a résoudre. Carnot, que sa nouvelJe po-
sition obligeait aopiner toujours pom la paix,
votait pour l'adoption de ces conditions, quoi-
que peu généreuses a l'égard de nos alliés.
Cornme on était trés-mécontent de la Hollande
et des partís qui la divisaient, il conseillait de
l'abandonner a elle-mérne, et de ne plus se
méler de son sort; conseil tout aussi peu gé-
néreux que celui de sacrifier ses colanies.
RewbeIl s'emporta fort sur cette question.
Passionné pour les intéréts de la France, méme
jusqu'áI'injustice , il voulait que, loin d'aban-
donner la HolJandc, on se rendir tout-puis-
sant chez elle, qu'on en fit une province de
la république; et surtout iL s'opposait de tou-
tes ses forces a I'adoption de l'article par \e-
quel la France renoncait a posséder jamais le
cap de Bonne-Espérance. Il soutenait, au con-
traire , que cette coJonie et plusieurs autres
devaient nous revenir un jour, pour prix de
nos services. Il défendait, comrne on voit , les
intéréts des alliés, pOLIr nous , beaucoup plus
encare que pour eux. Larévelliere , qui par
équite prenait leurs intéréts en grande consi-
dération , repoussait les conditions proposées
par des raisons toutes différentes. IL regardait
comrne honteux de sacrifier l'Espagne , qu'on
avait entrainée dans une lutte qui luí était pOlIr




DJlmCTOIRll (1797)' 269
ainsi dire étrangere , et qu'on obligeait, pour
prix de son alliance, asacrifier une importante
colonie. Il regardait comme tout aussi hon-
teux de sacrifier la Hollande , qu'on avait en-
trainée dans la carriere des révolutions, du
sort de laquelle on s'était chargé, et qu'on al-
lait a la fois priver de ses plus riches posses-
sions, et livrer aune affreuse anarchie. Si la
France, en effet, Iui retirait sa main, elle allait
tomber dans les plus funestes désordres. La-
révelliere disait qu'on serait responsable de
tout le sang qui coulerait. Cette politique était
généreuse; peut-étre n'était-elle pas assez cal-
culée. Nos alliés faisaient des pertes; la ques-
tion était de savoir s'ils n'en feraient pas de
plus grandes en continuant la guerreo L'ave-
nir l'a prouvé. Mais les triomphes de la France
sur le continen't faisaient espérer alors que, dé-
livrée de I'Autriche, elle en obtiendrait d'aussi
grands sur les mers. L'abandon de nos alliés
parut honteux ; on prit un autre parti. On ré-
solut de s'adresser a l'Espagne el a la Hol-
lande, pour s'enquérir de leurs intentions.
Elles devaient déclarer si elles voulaient la
paix, au prix des sacrifices exigés par I'An-
glcterre; et dans le cas oú elles préféreraient
la continuation de la guerre, elles devaient
déclarer en outre quelles forces elles se pro-




270 nÉvoLuTION FRANt;'AISE.
posaient de réunir pour la défense des inté-
réts communs. 011 écrivit aLille qne la réponse
aux propositions de l'Angleterre ne pouvait pas
étre donnée avant d'avoir consulté les alliés.


Ces discussions acheverent de brouiller com-
plétement les directeurs, Lemoment de la ea-
tastrophe approchait; les deux partis poursui-
vaient leur marche, et s'irritaient tous les jours
davantage. La commission des finanees dans les
cinq-cents avait retouché ses mesures, poul'
les faire agréer aux anciens avec quelques mo-
difications. Les dispositions relatives a la tré-
sorerie avaient été légérement ehangées. Le
directoire devait toujours res ter étranger aux
négociations de valeurs ; et sans confirmer ni
abroger la distinetion de l'ordinaire el de I'ex-
traordinaire , il était décidé que les dépenses
relatives a la solde des arrnées auraient tou-
jours la préférence. Les anticipations étaient
défenrlues ponr l'avenir, mais les anticipations
déja faites n'étaient pas révoquées. Enfin , les
nouvelles dispositions sur la vente des biens
nationaux étaient reproduites, mais avec une
modification importante; c'est que les ordon-
nances des ministres et les bons des fournis-
seurs devaient étre pris en paiement des biens ,
eomme les bons de trois-quarts. Ces mesures,
ainsi modifiées , a vaient été adoptées ; elles




DIRECTOIRE (1797). 271
étaient moins subversives des moyens du tré-
sor, rnais tres-dangereuses encoré. Toutes les
lois penales contre les prétres étaient abolies ;
le serment était changé en une simple décla-
ration , par laquelle les prétres déc1araíent se
soumettre aux lois de la république. Il n'avait
pas encore été question des formes du culte ,
ni des cloches. Les successions des émígrés
n'étaient plus ouvertes en faveur de l'état, rnais
en faveur des parents. Les familles qui déja
avaient été obligées de eompter él la république
la part patrimoniale d'un fils ou d'nn parent
émigré, allaient recevoir une indemnité en
biens nationaux. La vente des presbyteres était
suspendue. Enfin la plus importante de toutes
les mesures, l'institution de la garde nationale,
avait été votée en quelques jours, sur les bases
exposées plus haut. La cornposition de eette
garcle devait se faire par voie d'élection. C'é-
tait sur cette mesure que Pichegru et les siens
comptaient le plus pour l'exécution de Ieurs
projets. Aussi avaient-ils fait ajouter un article,
par lequel le travail de cette organisation de-
vait commencer dix jours aprés la publication
de la loi. Ils étaient ainsi assurés d'avoir bien-
tót réuni la gardeparisienne, et avec elle tous
les insurgés de veudémiaire,


Le directoire, de son coté, convaincn de




27'). R ÉVOLUTroN FRAN<;AISE.


l'imminence du péril, et supposant toujours
une conspiration préte aéc1ater, avait pris I'at-
titude la plus menacante. Augereau n'était pas
seul aParís. Les armées étant dans l'inaction,
une foule de généraux étaient accourus. On y
voyait le chef d'état-major de Hoche, Cherin,
les généraux Lemoine, Humbert, qui com-
mandaient les divisions qui avaient marché sur
Paris ; Kléber et Lefebvre, qui étaient en con-
gé; enfin Bernadotte , que Bonaparte avait en-
·voyé pour porter les drapeaux quí restaient
a présenter au directoire. Outre ces officíers
supérieurs , des officiers de tout grade, réfor-
més depuis la réduction des cad res , et aspirant
a étre placés, se répandaient en foule dans
París, tenant les propas les plus menacants
centre les conseils. Quantité de révolution-
naires étaient accourus des provinces, eomme
ils faisaient toujours des qu'ils espéraient un
mouvernent. Outre tous ces symptómes, la di-
rection et la destination des troupes ne pou-
vaient plus guere Iaisser de doute. Elles étaient
toujours cantounées aux environs de Reims.
On se disait que sí elles avaient été destinées
uniquement pour l'expédition d'Irlande, elles
auraient continué leur marche sur Brest , et
n'auraient pas séjourné dans les départcments
voisins de Paris; que Hoche ne serait pas re-




DIRECTOIRE (1797)' 273
tourné a son quartier-général; qu'enfin on
n'aurait point réurri autant de cavalerie pour
une expédition maritime. Une commission était
restée chargée, comme on a vu , d'une enquéte
et d'un rapport sur tous ces faits. Le directoire
n'avait donné a cette commission que des ex-
plications tres-vagues. Les troupes avaient été
acheminées, disait-il, vers une destination éloi-
gnée, par un ordre du général Hoche, qui te-


-... nait cet ordre du directoire, et elles n'avaient
franchi le rayon constitutionnel que par l'er-
reur d'un commissaire des guerres. Mais les
conseils avaient répondu, par l'orgaue de Pi-
chegru, que les tronpes ne pouvaient pas étre
transportées d'une armée a une autre, sur un
simple .ordre d'un général en chef; que le gé-
néral devait tenir ses ordres de plus haut ; qu'il
ne pouvait les recevoir du directoire que par
I'intermédiaire du ministre de la guerre; que
le ministre de la guerre Petiet n'avait point
contre-signé cet ordre; que, par conséquent,
le général Hoche avait agi sans une autorisa-
tion en forme; qu'enfin, si les troupes avaient
re<,;u une destination éloignée , elles devaient
poursuivre leur marche, et ne pas s'agglomé-
rer autour de Paris, Ces observations étaient
fondées, et le directoire avait de bonnes rai-
sons pOllr n'y pas réponrlre. Les conseils dé-


IX. 18




27tJ RÉVOLlJTlON FRAN~AISF..
crétérent, a la suite de ces ohservations , qu'un
cercle serait tracé autour de Paris, en prenant
un rayon de douze lieues, que des colorines
indiqueraient sur toutes les routes la circon-
férence de ce cercle, et que les officiers des
troupes qui le franchiraient seraientconsidé-
rés comme coupables de haute trahison.


Mais bientót de nouveaux faits vinrent aug-
menter les alarmes. Hoche avait réuni ses trou-
pes rlans les départements du Nord, autour de
Sedan et de Reims , a quelques marches de
Paris, et il en avait acheminé de nouvelles
dans la méme direction. Ces mouvements, les
propos que tenaient les soldats , l'agitation qui
régrtait dans Paris , les rixes des officiers ré-
forrnés avec les jeunes gens qui portaient les
costurnes de la jeunesse dorée , fournirent a
Willot le sujet d'une seconde dénonciation, Il
monta a la tribune , parla d'une marche de trou-
pes, de l'esprit qui éclatait dans Ieurs rangs,
de la fureur dont on les animait contre les
conseils , et , a ce sujet, il s'éleva contre les
adresses des armées d'Italie , et contre la pu-
blicité que leur avait donnée le directoire. En
conséquence , il demandait qu'on chargeát les
inspecteurs de la salle de prendre de nouvelles
informations , et de faire un nouveau rapport.
Les députés , dits inspecteurs d~ la salle, étaient




DIRECTOIRE (1797)' 275
chargés de la police des conseils, et par con-
séquent tenus de veiller a leur súreté, La pro-
position de Willot fut adoptée, et sur la pro-
position de la commission des inspecteurs, on
adressa le 17 therrnidor (l~ aoút ) an directoire
plusieurs questions embarrassantes. On reve-
nait sur la nature des ordres en vertu desquels
avait agi le général Hoche. Pouvait-on enfin
expliquer la nature de ces ordres PAvait - on
pris des moyens de faire exécuter l'article
constitutionnel qui défendait aux troupes de
délibérer?


Le directoire résolut de répliquer par un
message énergique aux nouvelles questions
qui lui étaient adressées, sans accorder cepen-
dant les explications qu'il ne lui convenait pas
de donner. Larévelliere en fut le rédacteur;
Carnot et Barthélemy refusérent de le signer.
Ce message fut présenté le 23 thermidor (10
aoút ), Il ne contenait rien de nouveau sur le
mouvsment des troupes. Les divisionnaires qui
avaient marché sur Paris , disait le directoire ,
avaient rt>,c;;u les ordres du général Hoche, et
le général Hoche ceux du directoire. L'inter-
médiaire qui les avait transmis n'était pas dé-
signé. Quant aux adresses, le directoire disait
- que le sens du mot délibérer était trop va-
gue pOtll' qu'on pllt déterminer si les armées


,8.




276 nÉvoLuTION FRANYAISF..
s'étaient mises en fante en les présentant; qn'il
reconnaissait le danger de faire exprimer un
avis aux armées, et qu'il allait arréter les nou-
velles publications de cette nature ; mais que,
du reste, avant d'incriminer la démarche que
s'étaient permise les soldatsde la république,
il fallait remonter aux causes qui l'avaient
provoquée; que ceHe cause était dans l'inquié-
tude générale, qui depuis quelques mois s'était
emparée de tous les esprits; dans l'insuffisance
des revenus publics , qui laissait toutes les
parties de l'administration dans la situation la
plus déplorable, et privait souvent de leur
solde des hommes qui depuis des années avaient
versé leur sang et ruiné leurs [orces paur ser-
vir la république ; dans les persécutions et les
assassinats exercés sur les acquéreurs de biens
nationaux, sur les fonctionuaires pnbJics, sur
les défenseurs de la patrie; dans l'impunité dn
crime et la partialité de certains trihunaux ;
dans l'insolence des émigrés et des prétres ré-
fractaires, qui, rappelés et favorisés ouverte-
ment, débordaient de toutes parts, soufflaient
le feu de la discorde, inspiraient le mépris des
lois; dans eette foule de jonrnaux qni inon-
daient les armées et l'intérieur, et n'y pré-
chaient que la royauté et le renversement de
la répobliquc; dan" l'intérét toujours mal dis-




DIRECTOIRE (1797 J. 277
simulé et souvent manifesté hautement pour
la gloire de l'Autriche et de l' Angleterre; dans
les efforts qu'on faisait pour atténuer la juste
renornmée de nos guerriers; dans les calorn-
lúes répandues contre deux illustres généraux,
qui avaient, l'un dans l'Ouest, l'autre en Italie,
joint a leurs exploits l'immortel honneur de
la plus be1le eonduite poli tique ; enfin, dans
les sinistres projets qu'annoncaient des horn-
mes plus ou moins influents sur le sort de l'état,
Le directoire ajoutait que, du reste, il avait la
résolution ferme, et l'espérance fondée, de
sauver la France des nouveaux bouleverse-
ments dont on la menacait, - Ainsi , loin d'ex-
pliquer sa conduite et de l'excuser, le direc-
toire récriminait au coutraire , et manifestait
hautement le projet de poursuivre la lutte, et
l'espérance d'en sortir victorieux. Ce message
fut pris pour un vrai manifeste, et causa une
extreme sensation. Sur-Ie-champ les cinq-cents
nornmérent une commission ponr examiner le
messagc et y répondre.


Les coustitutionnels commencaient a étre
épouvantés de la situation des choses. Ils
voyaient, d'une part, le directoire prét as'ap-
puyer sur les armées ; de l'autre, les clichyens
préts a réunir la milice de vendémiaire , S01l5
prétexte d'organiser la gar'de nationale, Ceux




'.178 RÉVOLUTlON FRAN~AJSE.
qui étaient sincerement républicains , aimaient
mieux la vietoire du directoire, mais ils au-
raient tous préféré qu'il n'y eüt pas de com-
bat; et ils pouvaient s'apercevoir maintenant
combien leur opposition, en effrayant le direc-
toire, et en encourageant les réaeteurs, avait
été funeste. Ils ne s'avouaient pas leurs torts,
mais ils déploraient la situation, en l'imputant
eomme d'usage a leurs adversaires. Ceux des
clichyens qui n'étaient pas dans le secret de la
contre-révolution , qui ne la souhaitaient méme
pas, qui n' étaient mus que par une impru-
dente haine eontre les excés de la révolution,
comrnencaien t a étre effrayés , et craignaient,
par leur eontradiction, d'avoir réveillé tous les
penchants révolutionnaires du directoire. Leur
ardeur était ralentie. Les clichyens tout-a-fait
royalistes étaient fort pressés d'agir, el crai-
gnaient d'étre prévenus. lis entouraient Piche-
gru, et le poussaient vivement. Celui-ci , avec
son flegme accoutumé, promettait aux agents
du prétendant, et temporisait toujours. Il n'a-
vait du reste encore aucuns moyens réels; car
quelques émigrés, quelques chouans dans Pa-
rís, ne constituaient pas une force suffisante;
et jusqu'á ce qu'il eüt dans sa main la gardc
nationale, il ne pouvait faire aucune tentative
sérieuse. Freid el prudent, il voyait cette si-




llIRECTOlRE (J 797 J. 279
tuation avec assez de justesse , et répondait a
toutes les instances qu'il fallait attendre. On
lui disait que le directoire allait frapper; il ré-
pondait que le direetoire ne l'oserait pas. Du
reste, ne croyant pas al'audace du directoire,
trouvant ses moyens encore insuffisants, jouis-
sant d'un grand role, et disposant de beau-
coup d'argent, il était naturel qu'il ne fút pas
pressé d'agir.


, Dans cette situation , les esprits sages dési-
raient sincerement qu'on évitát une lutte. Ils
auraient souhaité un rapprochement, qui, en
ramenant les constitutionnels et les c/ichyens
modérés au directoire, lui pút rendre une ma-
jorité qu'il avait perdue , et le dispenser de
recourir a de violents JIloyens de salut. Ma-
dame de Stael était en position de désirer et
d'essayer un pareil rapprochement. Elle était
le centre de cette société éclairée et brillante,
qui, tout en trouvant le gouvernement et ses
chefs un peu vulgaires, aimait la république
et y tenait. Madame de Stael aimait cette forme
de gouvernement, comrne la plus belle lice
pour l'esprit humain ; elle avait déja placé daos
un poste élevé l'un de ses arnis , elle espérait
les placer tous, et devenir leur Égérie. Elle
voyait les périls auxquels était exposé cet 01'-
dre de choses , qui lui était devenu cher; elle




280 R.~\'OLUl'ION FRAN9AISE.
recevait les hommes de tous les partís, elle
les enteudait , et pouvait prévoir un choe pro-
chain. Elle était généreuse, active; elle ne pou-
vait rester étrangere aux événements, et il était
naturel qu'elle cherchát auser de son influence
ponr reunir des hommes qu'aucun dissenti-
ment profond n'éloignait. Elle réunissait dans
son salon les républicains, les constitutionnels,
les clichyens; elle táchait cl'adoucir la vio-
lence des discussions, en s'interposant entre les
amours-propres, avec le tact d'une femme
honne et supérieure. Mais elle n'était pas plus
heureusc qu'on ne l'est ordinairement a opé-
rer des réconciliations de partís, el les hommes
les.plus opposés commencaient as'éloigner de
sa maison. Elle chercha a woir les membres
des deux cornmissions nommées pour répon-:
dre au dernier message du directoire. Quel-
ques - uns étaient constitutionnels , tels que
Thibaudeau, Émery, Siméon, Troncon -Du-
coudray, Portalis ; OIl pouvait par eux influer
sur la rédaction des d~ux rapports; et ces rap-
ports avaient une grande importance , cal' ils
étaient la réponse au cartel du direetoire. Ma-
dame de Stael se donna beaucoup de mouve-
ment par elle et ses arnis. Les constitutionnels
désiraient un rapprochement , cal' 'ils sentaient
le danger; mais ce rapprochement exigeait de


,




DIRECTOlRE (1797)' 28 (
leur part des sacrifices qu'il était difficile de
Íeur arracher: Si le directoire avait eu des torts
réels , avait pris des mesures coupables , on au-
rait pu négocier la révocation de certaines me-
sures, et faire un traité avec des sacrifices ré-
ciproques; mais sauf la mauvaise eonduite
privée de Barras, le directoire s'était conduit
en majorité, avec autant de zele , d'attache-
ment ala constitution, qu'il était possible de le
désirer, Ou ne pouvait lui imputer aucun acte
arbitraire, aucune usurpation de pouvoir. L'ad-
ministration des finances , tant incriminée,
était le résultat forcé des circonstauces. Le
changement des ministres, le mouvement des
troupes, les adresses des armées, la nomina-
tion d' Augereau, étaient les seuls faits qu'on


.pút citer, comme annoncant des intentions
redoutables. Mais c'étaient des précautions de-
venues indispensables par le danger; et il fal-
lait faire disparaitre entierernent le danger, en
rendant la majorité au directoire , pour avoir
droit d'exiger qu'il renoncát aces précautions.
Les constitutionnels, au contraire, avaient ap-
puyé les nouveaux élus, danstoutes leurs at-
taques ou injustes , ou indiscretes , et avaient
seuls a revenir. On ne pouvaitdonc rien exiger
du directoire, et beaucoup des constitutiou-
nels; ce qui rendait l'échange des sacrifices im-




:l8:l RÉVOLIJ'l'ION FRAN~~ISE.
possible, et les amours-propres inconciliables.


Madame de Staél chercha, par elle et ses
amis, a faire entendre que le directoire était
prét a tout oser , que les constitutionnels .se-
raient victimes de leur obstination, et que la
république serait perdue avec eux, Mais ceux-
ci ne voulaient pas revenir, refusaient toute
espece de concessions , et demandaient que le
directoire allát aeux. On parla a Bewbell et a
Larévelliére, Celui-ci , ne repoussant pas la dis-
cussion , fit une longue énumération des actes
du directoíre, demandant toujours, a chacun
de ces actes, lequel était reprochable? Les in-
terlocuteurs étaient sans réponse. Quant au
renvoí d'Augereau, et a la révocation de toutes
les mesures qui annoncaient une résolution
prochaine, Larévelliere et Rewhell furent in-
ébranlables, ne voulurent ríen accorder , et
prouverent parleur fermeté froide, qu'il y
avait une grande déterrnination prise.


Madame de Staél et ceux qui la secondaient
dans sa louable, mais inutile entreprise, in-
sisterent beaucoup aupres des membres des
deux commissions , POUr obtenir qu'ils ne pro-
posassent pas de mesures législatives trap vio-
lentes, rnais surtout qu'en répondant aux griefs
énoncés dans le message du directoire , iIs ne
se livrassent pas a des récriminations dange-




DlRECTOJRE (1797)' ~83
reuses et irritantes. Tous ces soins étaient in-
utiles , car il n'y a pas d'exemple qu'un parti
ait jamais suivi des conseils, Dans les deux corn-
missions, il Y avait des clichyens qui souhai-
taient, comme de raison, les mesures les plus
violentes. lis voulaient d'abord attribuer spé-
cialement au jury criminel de Paris la connais-
sanee des attentats eommis eontre la súreté du
eorps législatif, et eX'iger la sortie de toutes
les troupes du cercle constitutionnel; ils de-
mandaient surtout que le cercle constitution-
nel ne fit partie d'aucune division militaire.
Cette derniere mesure avait pour but d'enlever
le commandement de Paris aAugereau, et de
faire par décret ce qu'on n'avait pu obtenir
par voie de négociation. Ces mesures furent
adoptées par les deux comrnissions. Mais Thi-
baudeau et Troncon-Ducoudray , chargés de
faire le rapport, l'un aux cinq-cents, l'autre aux
anciens , refuserent, avec autant de sagesse que
de fermeté, de présenter la derniere proposi-
tion. On y renon({a alors, et on se contenta des
deux premieres. Troncon-Duooudray lit son
rapport le ~ fructidor (20 aoüt) , Thibaudeau
le 4. lis répondirent iudirectement aux repro...
ches du directoire, et Troncon-Ducoudray.s'a-
dressant aux anciens, les invita a interposer
leur sagesse et leur dignité entre la vivacité




HEVOLUTJON FR.\NC.HSE.,


des jeunes législateurs des cinq-cents et la
susceptibilité des chefs du pouvoir exécutif.
Thibaudeau s'attacha a justifier les conseils, a
prouver qu'ils n'avaient voulu ni attaquer le
gouvernement, ni calomnier les armées. Il re-
vint sur la motion de Dumolard a l'égard de
Venise. Il assura qu'on n'avait point voulu at-
taqner les héros d'Italie, mais il soutint que
leurs créations ne seraient durables qu'autant
qu'elles auraient la sanction des deux conseils.
Les deux mesures insignifiantes quí étaient
proposées, furent adoptées, et ces deux rap-
ports, tant attendus " ne firent aucun effet. lis
exprimaieut bien I'impuissance a Iaquelle s'é-
taient réduits les constitutionuels , par leur si-
tuation ambigue entre la faetion royaliste et
le directoire, ne voulant pas conspirer avee
l'une , ni faire des concessions a l'autre..


Les clichyens se plaignirent beaueoup de
l'insignifiance de ces rapports, et déclamerent
contre la faiblesse des constitutionnels, Les
plus ardents voulaient le combat, et surtout les
moyens de le livrer, et demandaient ce que
faisait le directoire pour organiser la garde na-
tionale. C'était justernent ce que le directoire
ne voulait pas faire, et il était bien résolu a ne
pas s'en occupcr.


Carnot était dans une position encare plus




DI RECTOIRE (1797 j. 285
singuliere que le parti constitutionnel. Il s'é-
tait Iranchement brouillé avec les clichyens en
voyant leur marche; il était inutile aux consti-
tutionnels, et n'avait pris aucune part a Ieurs
tentatives de rapprochement, car il était trap
irritable pour se réconcilier avec ses collegues.
11 était seul, sans appui, al! milieu du vide,
n'ayant plus aucun but, cal' le but d'amour-
propre qu'il avait d'abord eu, était manqué, et
la nouvelle majorité qu'il avait révée , était im-
possible. Cependant, par une ridicule persé-
vérance a soutenir les voeux de l'opposition
dans le directoire , il demanda formellement
l'organisation de la garde nationale. Sa prési-
dence au directoire allait finir, et il profita du
temps qui lui restait pour mettre cette matiere
en discussion. Larévelliere se leva alors avee
fermeté, et n'ayant jamais eu aucune querelle
personnelle avee lui, voulut l'interpeller une
derniere fois, pour le ramener, s'il était possi-
ble, ases collegues; luí parlant avec assurance
et douceur, il luí adressa queIques questions;
- Carnot, lui dit-il , nous as-tu jamais enten-
dus faire une proposition qui tendit it diminuer
les attributions des conseils , a augmenter les
nótres , a compromettre la constitution de la
républiquei'-c- Non, répondit Carnot avec em-
barras. - Nous as-tu, reprit Larévelliere . ja-




286 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
mais entendus, en matiére de finances,de gllcrre,
de diplomatie , proposer une mesure qui ne füt
conforme a l'intérét public? Quant a ce qui
t'est personnel, nous as-tu jamais entendus ou
diminuer ton mérite, ou nier tes services? De-
puis que tu t' es separé de nous, as-tu pu nous
accuser de manquer d'égards pour ta personne?
Ton avis en a-t-íl été moins écouté, quand il
nous a paru utile , et sincerement proposé?
Pour moi, ajouta Larévelliere , quoique tu aies
appartenu aune faction qui m'a persécuté, moi
et ma famille, t'ai-je jamais montré la moindre
haine? - Non, non, répondit Carnot a toutes
ces questions. -:Eh bien! ajoura Larévelliére ,
eomment penx-tu te détacher de nous, pour
te rattacher aune faction qui t'abuse , qui veut
se servir de toi ponr perdre la répuhlique, qui
veut te perdre aprés s'étre servie de toi , et qui
te déshonorera en te perdant? - Larévelliere
employa les expressions les plus arnicales et
les plus pressantes, pOllr démontrer a Carnot
I'erreur et le danger de sa conduite. Rewhell
et Barras mérne firent violence a leur haine.
Rewbell, par devoir, Barras, par facilité, lui
parlerent presque en amis, Mais les démonstra-
tions amicales ne font qu'irriter certains 01'-
gueils: Carnot resta froid, et , apres tous les
discours de ses collegues, renouvela sechement




DIRECTOTRE (r797)' 287
sa proposition de mettre en délibération 1'01'-
ganisation de la garde nationale. Les directeurs
leverent alors la séance, et se retirerent con-
vaincus, comme on l'est si facilement dans ces
occasions, que leur collegue les trahissait,etétait
d'accord avec les ennernis du gouvernement.


Il fut arreté que le eoup d'état porterait
sur lui et sur Barthélemy, eomme sur les prin-
cipaux membres des conseils. Voici le plan
auquel on s'arréta définitivernent. Les trois di-
recteurs croyaient toujours que les députés de
Clichy avaient le secret de la conspiration. Ils
n'avaient acquis ni contre eux, ni contre Pi-
chegru, aucune preuve nouvelle qui permit
les voies judiciaires. Il fallait done employer la
voie d'nn coup d'état. Ils avaient dans les deux
eonseils une minorité décidée , a laquelle se
rattacheraient tous les hornmes incertains, que
la demi-énergie irrite et éloigne, que la grande
énergie soumet et ramene. Ils se proposaient
de faire fermer les salles dans lesquelles se ré-
unissaient les anciens et les cinq-cents, de fixer
ailleurs le lieu des séances, d'y appeler tous les
députés sur lesquels on pouvait compter, de
composer Une liste portant les deux directeurs
et cent quatre-vingts députés choisis parmi les
plus suspects , et de proposer leur déportation
sans discussion judiciaire , et par voie légis-




~88 nÉVOLUTION FRANQAJSE.
Iative extraordinaire. Ils ne voulaient la mort
de personne, mais l'éloignement forcé de tous
les hommes dangereux. Beaucoup de gens ont
pensé que ce coup d'état était devenu inutile,
paree que les eonseils intimides par la résolu-
tion évidente du directoire, paraissaient se ra-
lentir. Mais cette irnpression était passazere.
Pour qui connait la marche des partis , et leur
vive imagination, il est évident que les cli-
ehyens, en voyant le directoire ne pas agir, se
seraient ranimés. S'ils étaient eontenus jusqu'a
une nouvelle élection, ils auraient redonblé
d'ardeur 11 l'arrivée du troisierne tiers , eÍ: au-
raient alors déployé une fougue irrésistible.
Le directoire n'aurait pas méme trouvé alors
la minorité conventionnelle qui restait dans
les conseils , pour l'appuyer , et pour donner
une espece de légalité aux mesures extraordi-
naires qu'il voulait employer. En6n ,sans mérne
prendre en considération ce résultat inévita-
ble d'une nouvelle élection, le directoire , en
n'agissant pas, était obligé d'exécuter les lois ,
et de réorganiser la garde nationale , c'est-a-
dire de donner a la contre-révolution l'arrnée
de vendémiaire, ce qui aurait amené une guerre
civile épouvantable entre les garcles nationales
et les troupes de ligne. Et en effet, tant que
Pichcgru et quelques intrigants ri'avaient pour




llIRECTOIRE (J 797)' 28~)
mayens que des motions aux cinq-cents, et
quelques émigrés ou chouans dans Paris, leurs
projets étaient peu a redouter; mais , appuyés
de la garde nationale, ils pouvaient Iivrer com-
bat, et commencer la guerre civile .


En conséquence Rewbell et Larévelliere ar-
rétérent qu'il fallait agir sans délai , et ne pas
prolonger plus long-temps l'incertitude. Bar-
ras seul différait encore, et donnait de l'inquié-
tude a ses deux collégues. Ils eraignaient tou-
jours qu'il ne s'entendit soit avec la: faetion
royaliste, soit avee le parti jacohin, pour faire
une jourllée. Ils le surveillaient attentivement,
et s'efforcaient toujours de capter Augereau ,
en s'adressant a sa vanité, et en táchaut de le
rendre sensible a l'estime des honnétes gens.
Cependant il fallait encore quelques prépara-
tifs, soit pour gagller les grenadiers du corps
législatif, soit pour disposer les troupes, soit
pour se procurer des fonds, On différa done de
quelques jours, On ne voulait pas demander
de l'argent au ministre Ramel, pour ne pas le
compromettre; et on attendait eelui que Bo-
naparte avait offert, et qui n'arrivait pas.


Bonaparte, eomme on l'a vu , avait envoyé
son aide-de-camp Lavalette a Paris , pourétre
tenu au courant de toutes les irltrigu(:Is. Le
spectacle de Paris avait assez malfli$pq,é J\:T.df~


IX. 19




,


290 RItVOLUTION FlI AN~A1SE.
Lavalette, et il avait communiqué ses impres-
sions a Bonaparte, Tant de ressentiments per-
sonnels se mélent aux haines politiques, qu'á
voir de prés le spectacle des partis , il en de-
vient repoussant. Souvent méme , si on se laisse
préoccuper par ce qu'il y a de personnel dans
les discordes poli tiques , on peut étre tenté de
croire qu'il n'y a rien de généreux, de sincere,
de patriotique, dans les motifs qui divisent les
hommes, C'était assez l'effet que pouvaient
produire les luttes des trois direeteurs Barras,
Larévelliere , Rewbell, contre Barthélemy et
Carnot, des conventionnels contre les cli-
chyens; c'était une melée épouvantable oú l'a-
mour-propre et l'intérét blessé pouvaient pa-
raitre, au premier aspect, jouer le plus grand
role. Les militaires présents aParis ajoutaient
leurs prétentions a toutes celles qui étaient
déja en lutte. Quoique irrités contre la faction
de Clichy, ils n'étaient pas tres-portés pour le
directoire. II est d'usage de devenir exigeant
et susceptible , quand on se croit nécessaire.
Groupés autour du ministre Schérer, les mi-
litaires étaient disposés a se plaindre, comme
si le gouvernement n'avait pas assez fait ponr
eux. Kléber, le plus noble, mais le plus in-
traitable des caracteres, et qu'on a peint tres-
bien en disant qn'il ne vonlait étre ni le pre-




BlII f:CTOIIll, (1 797)' '1.9 [
mier ni le second, Kléber avait dit au directoire
dans son langage original: le tirerai sur vos en-
nemis s'ils vous attaquent; mais en leurfaisant
lace ti eux, je vous tournerai le dos ti vous.
Lefebvre, Bernadotte et tous les autres s'expri-
maient de méme, Frappé de ce chaos, M. de
Lavalette écrivit a Bonaparte de maniere al'en-
gager arester indépendant. Des-lors celui-ci ,
satisfait d'avoir donné l'impulsion, ne voulut
pas s'engager davantage, et résolutd'attendre
le .résultat, Il n'écrivit plus. Le directoire s'a-
dressa alors au brave Hoche, qui, ayant seul
le droit d'étre mécontent, envoya 50,000 fr.,
formant la plus grande partie de la dot de sa
femme.


On était dansles premiers jours defructidor;
Larévelliere venait de remplacer Cannot a la
préaidence du directoire; il était chargé de re-
cevoir 1'envoyé de la république cisalpine, Vis-
con ti , et le général Bernadotte , portear de
queIques drapeaux que l'armée d'Italie n'avait
pas encare envoyés au directoire. Ileésolutde
se .prononcer-deIa maniere la phis 'hardie , et
de forcer ainsi Barras .ase décider, IHitdeu'X
discours véhéments ,dans lesquels ilj-épon-
dait , sans les désigner, auxdeuxrappcets -de
Thibaudeau et de Troncon-Ducoudray.Entpar-
lantde Venise et eles peuples italiens récern-


19·




292 nÉvoLuTION 'FBANC;:AlSE.


ment afíranchis , Thibaudeau avait dit 'que leur
sort ne serait pas fixé, tant que le corps lé-
gislatif de France n'aurait pas été consulté.
Faisant allusion aces paroles , Larévelliere dit
a Visconti , que les peuples italiens avaient
voulu la liberté, avaient eu le droit de se la don-
ner, et n'avaient eu besoin pour cela d'aucun
consentement au monde. - « Cette liberté,
disait-il , qu'on voudrait vous óter, a vous et a
nous , nous la défendrons tous ensemble, et
nous sanrons la conserver.)) Le ton menacant
des deux discours ne laissait aucun doute sur
les dispositions du directoire : des hommes qui
parlaient de la sorte devaient avoir leurs for-
ces toutes préparées. C'était le JO fructidor ;
les clichyens furent dans les 'plus grandes alar-
mes. Dans leurs fureurs, ils revinrent a leur
projet de mettre en accusation le directoire.
Les constitutionnels craignaient un tel projet,
paree qu'ils sentaient que ce serait pour le di-
rectoire un motif d'éclater, et ils déclarérent
qu'á leur tour ils allaient se procurer la
preuve de la trahison de certains députés , et
demander leur accusation. Cette menace ar-
reta les clichyens ,et empécha la rédaction
d'un acte d'accusation contre les cinq directeurs.


Depuis long - temps les clichyens avaient
voulu faire adjoindre a la commission des ms-




D/RECTO/RE (1797)' 293
pecteurs, Pichegru et Willot, qui étaient re-
gardés comme les deux généraux du parti.
Mais cette adjonction de deux nouveaux mern-
bres, portant le nombre a sept, était contraire
au réglement. On attendit le renouvellement
de la commission, qui avait lieu au commen-
cement de chaque mois, et on y porta Piche-
gru, Vaublanc, Delarue, Thibaudeau el Émery.
La commission des inspecteurs était chargée
de la police de la salle; elle donnait des ordres
aux grenadiers du eorps législatif, et elle était
en quelque sorte le pouvoir exécutif des con-
seils, Les anciens avaient une semblable com-
mission; elle s'était réunie a celle des cinq-
cents, et toutesdeux veillaient ensemble a la
súreté commune. Une foule de députés s'y ren-
daient, sans avoir le droit d'y siéger; ce qui
en avait fait un nouveau club de Clichy, oú
1'0n faisait les motions les plus violentes et les
plus inutiles. D'abord on propasa d'y organi-
ser une police , pour se tenir au courant des
projets du directoire. On la canfia a un nommé
Dossonville. Comme on n'avait point de fonds,
chacun contribua pour sa part; mais on tle
réunit qu'une médiocre somme. Pourvu comme
il l'avait été , Pichegru aurait pu contribuer
ponr une forte part; mais il ne parait pas qu'il
ernployát dans cette circonstance les fonds re-




29!~ nÉVOLUTION FR¡\N<,:A.ISF..
<{US de Wickam. Ces agents de police allaient
recueillir partout de faux bruits, et venaient
alarmer ensuite les comrnissions.


Chaque jour ils disaient: ~ C'est aujour-
d'hui , c'est cette nuit méme , que le directoire
doit faire arréter deux cents députés, et les
faire égorger par les faubourgs. - Ces bruits
jetaient l'alarme dans les commissions, et cette
alarme faisait naitre les propositions les plus
indiscretes. Le directoire recevait par ses es-
pions le rapport exagéré de toutes ces propa-
sitions, et concevait ason tour les plus grandes
craiutes. On disait alors dans les salons du di-
rectoire, qu'il était temps de frapper, si on ne
voulait pas étre prévenu; on faisait des mena-
ces, qui , répétées, a leur tour, allaient rendre
effroi poureffroi aux clichyens.


Isolés au milieu des deux partis , les consti-
tutionnels sentaient chaque jour davantage
leurs fautes et leurs périls. Ils étaient livrés aux
plus grandes terreurs. Carnot , encore plus
isolé qu'eux , brouilIé avec les clichyens, odieux
aux patriotes, suspect mérne aux républicains
modérés , calomnié, méconuu, recevait chaque
jour les plus sinistres avis. OIl luí disait qu'i1
aliad étre égorgé par ordre de ses collégues.
Barthélerny, menacé et averti comme· lui , étai1i
dans l'épouvante.




D1I\ECTOIRF. (J 797J. 2g:.J
Du reste, les mémes avis étaient donnés a


tout le monde. Larévelliere avait été informé.
de maniere a ne pas lui laisser de doute, que
des chouans étaient payés pour l'assassiner. Le
tronvant le plus ferme des trois mernbres de
la majorité , c'était lui qu'on voulait frapper
pour la dissoudre. Il est certain que sa mort
aurait tout changé, car le nouveau directeur
nommé par les conseils eút voté certainement
avec Carnot el Barthélemy. L'utilité du crime,
et les détails donnés a Larévelliere , devaient
l'engager a se tenir en garde. Cependant il ne
s'érnut pas, et continua ses promenades du
soir au Jardín des Plantes. On le lit insulter par
Malo, le chef d'escadron du 21 e de dragons,
qui avait sabré les jacobins au camp de &re-
nelle , et qui avait ensuite dénoncé Brottier et
ses cornplices. Ce Malo était la créature de Car-
not et de Cochon, et il avait, sans le vouloir, ins-
piré aux clichyens des espérances qui le reno
dirent suspect. Destitué par le directoire, iI
attribua sa destitution a Larévelliere , et vint
le menacer an Luxembourg. L'intrépide ma-
gistrat fut peu effrayé de la présence d'un of-
ficier de cavalerie, et le poussa par les épaules
hors de chez lui.


RewbeH, quoique tres-attaché a la cause
comrnuue , était plus violent, mais moins





?g6 HEVOLUTION FRANY,\lSf~.
ferme.On vint lui dire que Barras traitait avec
un envoyé du prétendant, et était prét atra-
hir la république. Les liaisons de Barras avec
tous les partis pouvaient inspirer tous les gen-
res de craintes, - Nous sommes perdus , dit
Rewbell; Barras nous livre , nous allons etre
égorgés; il ne nous reste qu'a fuir, cal' nous ne
pouvons plus sauver la république. - Laré-
velliere , plus calme, répondit a Rewbell que,
loin de céder, il fallait aller chez Barras, luí
parler avec viguenr, l'obliger a s'expliquer , et
lui imposer par une grande fermeté. lis alle-
rent tous deux chez Barras, l'interrogerent
avec autorité, et lui demanderent pourquoi il
différait encere. Barras, occupé a tout prépa-
rer avec Augereau, demanda encore trois ou
quatre jours , et promit de ne plus différer.
C'était le 13 ou le 14 fructidor. Rewbell fut
rassuré, et consentit a attendre.


Barras et Augereau, en effet, avaient tout
préparé pour l'exécution du COllp d'état médité
depuis si long-temps. Les troupes de Hoche
étaient disposées autour de la limite constitu-
tionnelle, prétes a la franchir, et a se rendre
dans quelques heures aParis. On avait gagné
une grande partie des grenadiers du corps
législatif, en se servant du commandant en
second, Blanchard, et de plusieurs autres offi-




lJIREC'fOlRE (1797)' 297
ciers, qui étaient dévoués au directoire. On
s'était ainsi assuré d'un assez grand nombre de
défections dans les rangs des grenadiers, pour
prévenir un combato Le commandant en chef
Ramel était resté fidéle aux conseíls, él cause
de ses liaisons avec Cochon et Carnot; mais
son inflnence était peu redoutable.· On avait,
par précaution , ordonné de grands exercíces
a fen aux troupes de la garnison de París, et
mérne aux grenadiers du eorps légíslatif. Ces
mouvements de troupe~, ce fracas d'armes ,
étaient un moyen de tromper sur le véritahle
jour de l'exécution.


Chaque jour on s'attendait él voir l'événe-
ment éclater; on eroyait que ce serait pour le
J 5 fructidor, puis' pour le 16; mais le 16 ré-
pondait au 2 septembre, et le directoire n'au-
rait pas choisi ce jour de terrible mémoire.
Cependant l'épouvante des clichyens fut ex-
treme. La police des inspecteurs, trompée par
de faux índices, leur avait persuade que l'évé-
nement était fixé pour la nuit méme du 15 au
16. lIs se réunirent le soir en tumulte, dans
la salle des deux commissions. Bovere , le fou-
gllellx réacteur, l'un des membres de la com-
mission des anciens , lut un rapport de police,
d'aprés lequel deux cents députés allaient étre
arrétés dans la nuit. D'autres , courant él perte




2g8 REVOLUTION .FRANYAISE.
d'haleine , vinrent annoncer que les barrieres
étaient fermées, que quatre colonnes de trou-
pes entraient dans París, et que le comité di-
rigeant était réuni 3U directoire. lls disaient
aussi que l'hótel du ministre de la police était
tout éclairé. Le tumulte fut au cornble. Les
membres des deux commissions, qui auraient
dú n'étre que dix , et qui étaient une cinquan-
taine, se plaignaient de ne pouvoir pas déli-
hérer. Enfin on envoya vérifier, soit aux bar-
rieres, soit al'hótel de la police , les rapport!'>
des agents, et ii fut reconnu que le plus grand
calme régnait partout. 00 déclara que les
agents de la poli ce ne pourraient pas étre
payés le lendemain, faute de fonds; chacun
vida ses poches pour fournir la somme néces-
saire. On se retira. Les elichyens entourereut
Pichegru pour le décider a agir; ils voulaient
d'abord mettre les conseils en permanence,
puis réunir les émigrés et les chouans qu'ils
avaient daos Paris, y adjoindre quelques jeu-
nes gens, marcher avec eux sur le directoire,
et enlever les trois directeurs. Pichegru dé-
clara tous ces projets ridicules et inexécuta-
hles , et répéta encore qu'il n'y avait rien a
faire. Les tetes folles du parti n'eu résolureut
pas moins de commencer le lendemain par
faire déclarer la permanence.




DIRf:CTOIRE (1797 J. 2~)9
Le directoire fut averti par sa police du


trouble des clichyens, et de leurs projets dés-
espérés. Barras, qui avait dans sa rnain tous les
mayens d'exécution, résolut d'en faire usage
dans la nuit méme, Tout était disposé pour
que les troupes pussent franchir en quelques
heures le ccrcle constitutionnel. La garnisoIl
de Paris devait suffire en altendant. Un grand
exercice a feu fut cornmandé poul' le lende-
main, afin de se ménager un prétexte. Per-
sonne ne fut averti du moment, ni les minis-
tres, ni les deux directeurs Rewbell et La-
révelliere , de maniere que tout le monde
ignorait que l'événement al/ait avoir lieu. Cette
journée du 17 (3 septembre) se passa avec as-
sez de calme; aucune proposition ne fut faite
aux conseils. Beaucoup de députés s'absen-
taient, afin de se soustraire a la catastrophe
qu'ils avaient si imprudemment provoquée.
La séance du directoire eut lien comme a1'01'-
dinaire. Les cinq directeurs étaient présents.
A quatre heures de I'apres-midi , au moment
oú la séance était finie, Barras, .prit RewhelL
el Larévelliere a part, et leur dit qu'il fallait
frapper la nuit méme , pour prevenir l'enne-
mi. Illeur avaitdemandé quatre jours encore,
mais il devancait ce terme pourn'étre pas sur-
pris, Les trois directeurs se rendirent alors




300 llÉVOLUTION f'ltAN~A (SE.
chez RewbeIl, oú ils s'établirent, Ilfut convenu
d'appeler tous les ministres chez Rewhell, de
s'enferrner la, jusqu'a ce que l'événement fút
consommé, et de ne permettre apersonne d'en
sortir. On ne devait communiquer avec le de-
hors que- par Augereau et ses aides-de-camp,
Ce projet arreté , les ministres furent convo-
qués pour la soirée. Réunis tous ensemble avec
les trois directeurs, ils se mirent arédiger les
ordres et les proclamations nécessaires. Le pro-
jet était d'entourer le palais du corps législa-
tif, d'enlever aux grenadiers les postes qu'ils
occupaient, de dissoudre les commissions des
inspecteurs , de fermer les salles des deux con-
seils , de Hxer un autre lieu de réunion , d'y
appeler les députés sur lesquels on pouvait
compter, et de leur faire rendre une loi contre
les députés dont on voulait se défaire. On
cornptait bien que ceux qui étaient ennemis
du directoire n'oseraient pas se rendre au nou-
veau lieu de réunion. En conséquence , on ré-
digea des proclamations annoncant qu'un grand
complot avait été formé contre la république,
que les principaux auteurs étaient membres
des deux commissions des inspecteurs , que
c'était de ces deux commissions que devaient
partir les conjurés; que, pour prévenir Ieur
attentat , le directoire faisait fermer les salles




l>IRECTÚIRE (1797). 301
du corps législatíf, et indiquait un autre lo-
cal, pour y réunir les députés fideles a la ré-
publique. Les cinq-cents devaient se réunir au


.théátre de l'Odéon , et les anciens a l'amphi-
théátre de l'École de Médecine. Un récit de la
conspiration, appuyé de la déclaration de Du-
verne de Presle, et de la piece trouvée dans
leporte-feuille de d'Entraigues, était ajouté a
ces proclamations. Le tout fut imprimé sur-le-
champ, et dut étre affiché dans la nuit sur les
murs de Paris. Les ministres et les trois direc-
teurs resterent renfermés chez Rewbell , et Au-
gereall partit avec ses aides-de-camp pour faire
exécuter le projet convenu.


Carnot et Barthélemy, retirés dans leur 10-
gemenl du I...uxembourg, ignoraient ce qui se
préparait. Les clichyens, toujours fort agités,
encornbraient la salle des commissions. Mais
Barthélemy trompé fit dire que ce ne serait pas
pourcette nuit. Pichegru, de son coté, venait de
q uitter Schérer, et il assuraqlle rien n'était
encore préparé. Quelques mouvements de trou-
pes avaient été aper<;us, mais c'était, disait-on,
a cause d'un exercice a feu, et on n'en concut
aucune alarme. Chacun rassuré se retira chez
soi. Rovere seul resta daos la salle des inspec-
teurs, et se coucha dans un lit quío était destiné
pour celui des membres qui devait veiller,




302 1l1:VOLllTfON FIlANYAIS¡;.


Vers minuit , Aogercau disposa toutes les
troupes de la garr.J.ison autour du palais , et fit
approcher une nombreuse artillerie. Le plus
grand calme régnait dans Paris, oú l'on n'en-
tendait que le pas des soldats et le roulement
des canons. Il fallait, sans coup férir , enlever
aux grenadiers du corps législatif les postes
qu'ils occupaient. Ordre fut signifié au com-
mandant Ramel, vers une heure du matin , de
se rendre chez le ministre de la guerreo Il refusa,
devinant de quoi il s'agissait, courut réveiller
l'inspecteur Rovere , qui ne voulut pas croire
encore au danger, et se hata ensuite d'aller
dans la caserne de ses grenadiers pour faire
prendre les armes a la réserve. Quatre cents
hommes a peu prés occupaient les diíférents
postes des Tuileries, la réserveétait de huit
cents. Elle fut sur-le-champ mise sous les ar-
mes, et rangée en bataille dans le jardin des
Tuileries. Le plus grand ordre et le plus grand
silence régnaient dans les rangs.


Dix mille hommes apeu pres de troupes de
ligne occupaient les environs du cháteau , et
se disposaient a l'envahir. Un coup de canon
apoudre , tiré vers trois heures du matin, servit
<le signa!. Les commandants des colonnes se
présenterent aux différents postes. Un officier
vint de la part d'Augereau ordonncr a Ramel




DmECTOIllE (l797)' 303
de livrer le poste du Pont-Tournant, qui com-
muniquait entre le jardín et la place Louis XV;
mais Ramel refusa. Quinze cents hommes s'é-
tant présentés a ce poste, les grenadiers, dont
la plupart étaient gagnés, le livrerent. La méme
chose se passa aux autres postes. Toutes les
issues du jardin et du Carrousel furent livrées,
et de toutes parts le palais se trouva envahi
par des troupes nornbreuses d'infanterie et de
cavalerie. Douze pieces de canon tout attelées
furent braquées sur le chatean. Il ne restait
plus que la réserve des grenadiers, forte de
huit cents hommes, rangée en hataille , et
ayant son cornmandant Ramel en tete. Une
partie des grelladiers étaient disposés a faire
leur devoir; les autres , travaillés par les agents
de Barras, étaient disposés au contraire a se
réunir aux troupes du directoire. Des murmures
s'élevérent dans les rangs. - Nous ne sommes
pas des Suisses , s'écrierent quelques voix. -
J'ai été blessé au J 3 vendémiaire par les roya-
listes, dit un officier, je ne veux pas me battre
pour eux le 18 fructidor. - Ladéfection s'in-
troduisit alors dans cette troupe.Le cornman-
dant en second , Blanchard, l'excitait de ses
paroles et de sa présence. Cependant le coro-
mandant Ramel voulait encore faire son devoir,
lorsqu'il recut un ordre , parti de la salle des




~1o!i luivOL(JTION .FIlAN()AIS1:.
inspecteurs, défendant de faire feu. Au mérne
instant, Augereau arriva ala tete d'un nombreux
état-major. - Commandant Ramel, dit-il , me
reconnaissez-vous pour chef de la 17"" divi-
sion militaire? - Oui, répondit Ramel. - Eh
bien! en qualité de votre supérieur , je vous
ordonne de vous rendre aux arréts. - Ramel
obéit; mais il recut de mauvais traiternents de
quelques jacobins furieux , mélés dans l'état-
major d'Augereau. Celui-ci le dégagea, et le fit
conduire au Temple. Le bruit du canon, et l'in-
vestissement du cháteau avaient donné l'éveil
a tout le monde. Il était cinqheures du matin.
Les membres des commissions étaicnt accourus
a leur poste, et s' étaient rendus dans leur
salle. lls étaient entourés, et ne pouvaient plus
douter du péril. Une compagnie de soldats
placée aleur porte avait ordre de laisser entrer
tous ceux qui se présenteraient avec la médaille
de députés, et de n'en laisser sortir aueun. Ils
virent arriver leur collégue Dumas, qui arri-
vait a son poste; mais ils lui jeterent un billet
par la fenétre , pour l'avertir du péril et l'en-
gager as~ sauver. Augereau se fit remettre l'é-
pée de Pichegrn et de Willot, et les envoya
tous deux au Temple, ainsi que plusieurs au-
tres députés, saisis dans la salle des inspee-
teurs.




DIRECTOIRF. (1797)' 30:)
Tandis que eette opération s'exécutait centré


les conseils, le directoire avait ehargé un offi-
cier de se mettre a la tete d'un détachement,
et d'aller s'emparer de Carnot et de Barthélemy.
Carnot, averti a temps, s'était sauvé de son
appartement, et il était parvenu as'évader par
une petite porte du jardin du Luxembourg
dont il avait la clef. Quant a Barthélemy, on
I'avait trouvé ehez lui , et on l'avait arrété.
Cette arrestation était embarrassante pour le
direetoire. Barras excepté, les directeurs étaient
charmés de la fuite de Carnot; ils désiraÍent
vivement que Barthélemy en Fit autant.I1s luí
firent proposer de s'enfuir. Barthélemj répon-
dit qu'il y consentait , si on le faisait transpor-
ter ostensiblement ,. et sous son nom, a Ham-
hourg. Les direeteurs ne pouvaient s'engager
aune dérnarche pareille. Se proposant de dé-
porter plusieurs membres du eorps législatif,
ils ne pouvaient pas traiter avec tant de faveur
l'nn de lenrs collegues. Barthélemy fut conduit
au Temple; ji y arriva en méme temps que
Pichegru, Willot, et les autres députés, pris
dans la commission des inspecteurs.


U était huit heures du matin : beaucoup de
députés , avertis, voulurent courageusement se
rendre a leur poste. Le président des cinq-
cents , Sirnéon , et celui des anciens , Lafond-


rx. 20




306 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
Ladebat, parvinrent jusqu'a leurs salles res-
pectives, qui n'étaient pas encore fermées, et
purent occuper le fauteuil en présence de
quelques députés. Mais des officiers vinrent leur
intimer l'ordre de se retirer. lis n'eurent que le
temps de déclarer que la représentation natio-
nale était dissoute. lis se retirerent chez l'un
d'eux, 00. les plus comageux méditerent une
nouvelle tentative. lis résolurent de se réunir-
une seconde foís , de traverser Paris a pied, et
de se présenter, ayant leurs présidents en tete,
aux portes du Palais Législatif. Il était pres de
onze heures du matin. Tont Paris était averti
de l'événement; le calme de cette grande cité
n'en était pas troublé. Ce n'étaient plus les
passionsqui produisaient un soulevement ;
o'était un acte méthodique de l'autorité contre
quelques représentants. Une foule de curieux
encombraÍent les rues et les places publiques,
sans motdire. Seulementdes groupes détachés
des faubonrgs, et cornposés de jacobins , par-
couraient .les rues en criant : Yive la: républi-
que! ti bas les aristocrates ! lis ne trouvaient ni
écho , ni résistance dans la masse de la popu-


lation. C'était snrtout autour du Luxembaurg
que leurs groupes s'étaient amassés, La, iis
criaient : Plve le directoire! et quelques-nns ,
viv« /Jarras!




DIRECTOlRE (1 797)~ 307
Le groupe des députés traversa en silence la


foule arnassée sur le Carrousel , et se présenta
aux portes des Tuileries. On leur en refusa
l'entrée; ils insistérent ; alors un détachement
les repoussa , et les poursuivit jusqu'a ce qu'ils
fussent dispersés: triste et déplorable specta-
ele, qui présageait la proehaine et inévitable
domination des prétoriensl Pourquoi fallait-il
qu'une faction perfide eútobligé la révolution
a invoquer l'appui des baíonnettes? Les dé-
putés ainsi poursuivis se retirerent , lesuns
ehez le président Lafond-Ladebat , les autres
dans une maison voisine. lis y délihéraient en
turnulte , et s'occupaient a [aire une protesta-
tion ,lorsqu'ull officier vint leur signifier l~or­
dne de se séparer. Un eertain nombred'entre
eux furent arrétés : c'étaient Lafond-Ladebat ,
Barbé-Marhois, 'I'roucon-Ducoudray, Bourdon
de l'üise ,Goupil de Préfeln, et quelques au-
tres. Ils furenleonduits au Temple, oú déja
les avaient précédés les membres des deux
comrmssions.


Pendantcetemps, les députés direcloriaux
s'étaient rendus au nouveau líen assigné ponr
la rénnionducorps législatif. Les cinq-cents
allaient a l'Odéon , lesanciens a l'École de Mé-
deeine. n était midi a pell prés vet ils étaient
encere pen nomhreux ; mais ,le nombre s'en


9,0.




308 RFVOLUTION FRANe;tA.15E.
augmentait él ehaque instant , soit paree que
l'avis de cette eonvoeation extraordinaire se
eommuniquait de proche en proche, soit
paree que tous les ineertains, craignant de se
déclarer en dissidence , s'ernpressaient de se
rendre au nouveau eorps législalif. De mo-
rnents en moments, on comptait les membres
présents; et enfin, lorsque les anciens furent au
nombre de cent vingt-six , et les cinq-cents au
nombre de deux eent cinquante-un , moitié
plus un pour les deux conseils , ils eommen-
cerent a délibérer. Il y avait quelque embar-
ras dans les deux assernblées , cal' l'acte qu'il
s'agissait de légaliser était un coup d'état ma-
nifeste. Le prernier soin des deux eonseils fut
de se déclarer en permanence, et de s'avertir
réciproquement qu'ils étaient constitués, Le
député Poulain-Grandpré , membre des cinq-
cents, prit le premier la parole.« -Les mesures
« qui out été prises, dit-il , le local que nous
« oeeupons, tout annonce qne la patrie a cou-
r( ru de grands dangers, et qu'elle en eourt
r( encoré. Rendons graee au directoire : c'est a
« lui que nous devons le salut de la patrie.
« Mais ee n' est pas asscz que le directoire veille;
« il est aussi de notre devoir de prendre des
« mesures capables d'assurer le salut public ,
1( et la constitution de l'an 111. A cet effet, je




DlRECTOIRE (1797)' 309
« demande la formation d'une commission de
(( cinq membres. ))


Cette proposition fut adoptée, et la cornrnis-
sion eomposée de députés dévoués au svsterne
du directoire. C'éraient Sieyes , Poulain-Grand-
pré, Villers, Chazal et Boulay de la Meurthe,
On annon~a pour six heures du soir un mes-
sage d u directoire aux deux conseils. Ce mes-
sage contenait le récit de la eonspiration, telle
qu'elle était connue du direetoire, les deux
pieces fameuses dont nous avons déja parlé,
et des fragments de lettres trouvées dans les
papiersdes agents royalistes. Ces piéces ne con-
tenaient que les preuves aequises; elles prou-
vaient que Pichegru était en négociation avec
le prétendant , qu'Imbert-Colomes correspon-
dait avec Blanckembourg, que Mersan et Le-
merer étaient les aboutissants de la conspira-
tion aupres des députés de Clichy, et qu'une
vaste association de royalistes s'étendait sur
toute la France, Il n'y avait pas d'autres noms
que ceux qui ont déjá été cités, Ces pie ces fi-
rent néanmoins un ~rand effet. En apportant
la conviction morale, elles prouvaient l'im-
possibilité d'employer les voies judiciaires ,
par I'insuffisance des témoignages directs et
positifs, La commission des cinq eut aussitót
la parole sur ce message. Le directoire n'ayant




310 nÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
pas l'initiative des propositions , c'était a la
eommission des cinq a la prendre ; mais cette
comrnission avait le secret du directoire, et al-
lait proposer la législation dn coup d'état con-
venu d'avance. Boulay de la Meurthe , ehargé
de prendre la parole an nom de la commis-
sion , donna les raisons dont on aeeompagne
habituellement les mesures extraordinaires,
raisons qui, dans la circonstance, étaient mal-
heureusement trop fondées, Aprés avoir dit
qu'on se trouvait placé sur un champ de ba-
taille, qn'il fallait prendre une mesure prompte
et décisive , et sans verser une goutte de sang,
réduire les conspirateurs a l'impossibilité de
nuire, il lit les propositions projetées. Les
principales consistaient a annuler les opéra-
tions électoralesde quarante-huit départements,
a délivrer ainsi le eorps législatif de députés
voués a une faction, et a choisir dans le nom-
bre les plus dangereux pour les déporter. Le
conseil n'avait presque pas le choix a l'égard
des mesures a prendre; la circonstance n'en
admettait pas d'autres que celles qu'on lui
proposait, et le directoire d'ailleurs avait pris
une telle attitude , qu'on n'aurait pas osé les
Iui refuser, La partie flottante et iIlcertail~e
d'une assembléc, que l'énergie soumet tou-
jours, était rangée du cóté des direcroriaux ,


..




DlRECTOIRE (1797)' 311
et préte avoter tout ce qu'ils voudraient. Le
député Chollet demandait cependant un délai
de douze heures pour examiner ces proposi-
tions; le cri aux voix l lui imposa silence. On
se boma a retrancher quelques individus de
la liste de déportation, tels que Thihaudeau ,
Doulcet de Pontécoulant , Tarbé, Crecy, De-
torcy, Normand, Dupont de Nemours, Remu-
sat , Bail1y, les uns comme bons patrio Ies, mal-
gré leur opposition, les autres comme trop
insignifiants pour étre dangereux.Apres ces re-
tranchements, on vota sur-Ie-champ les réso-
lutions proposées. Les opérations électorales
de qnarante-huit départernents furent cassées.
Ces départements étaient les suivants: Ain, Ar-
deche , Arriége,· Aube, Aveyron, Bouches-du-
Rhóne , Calvados, Charente, Cher, Cóte-d'Or,
Cótes-du-Nord , Dordogne, Eure, Eure-et-Loir,
Gironde, Hérault, Ille-er-Vilaine, Indre-et-
Loire, Loiret, Manche, Marne, Mayenne, Mont-
Blanc, Morbihan;Moselle, Deux-Néthes.Nord ,
Oise, Orne, Pas-de-Calais, Puy-de-Dóme , Bas-
Rhin, Haut-Rhin, Bhóne , Haute-Saóne , Saóne-
et-Loire , Sarthe, Seine, Seine-inférieure, Seine-
et-Marne, Seine-et-Oise , Somme, Tarn, Var,
Vaucluse, Yonne. Les députés nommés par
ces départements étaient exclus du eorps lé-
gislatif. Tous les fonctionnaires, tels que juges




J f 2 RÉVOLUTlON FRAN~ArSE.
OU administrateurs municipaux, élus par ces
départernents, étaient exclus aussi de leurs
fonctious. Etaient condarnnés ala déportation ,
dans un lieu choisi par le directoire, les indi-
vidus suivants : dans le conseil des cinq-cents ,
Aubry, Job Airné, Bayard, Blain, Boissy-d'An-
glas, Borne, Bourdon de l'Oise, Cadroi, Cou-
chery, Delahaye, Delarue, Doumére , Dumo
lard, Duplantier, Duprat, Cilbert-Desmolieres,
Henri Lariviere , Imbert-Colomes , Camille Jor-
dan, Jourdan des Bouches-du-Bhóne , Gau,
Lacarriere , Lemarchant-Gomicourt, Lernerer,
Mersan , Madier, Maillard, Noailles, André,
Mac.Curtain, Pavée , Pastoret , Pichegru, Po-
lissart , Praire-Montaud , Quatremére-Quincy,
Saladin, Siméon, Vauvilliers, Vaublanc, Vil-
laret-Joyeuse , Willot : dans le conseil des an-
ciens, Barbé-Marbois, Dumas, Ferraut-Vail-
lant, Lafond-Ladebat , Laumont, Muraire,
Murinais, Paradis, Portalis, Bovere , Troncón-
Ducoudray.


Les deux directeurs Carnot et Barthélemy ,
l'ex-ministre de la poli ce Cochon, son employé
Dossonville, le commandant de la garcle du
eorps législatif Ramel, les trois agents roya-
listes Brottier, Laville-Heurnois , Duverne de
Presle, étaient condamnés aussi a la deporta-
tion. On ne s'en tint pas la : les journalistes




DIREC'l'OIRE (r 797)' 313
n'avaient pas été moins dangereux que les dé-
putés , et on n'avaitpas plus de moyens de les
frapper judiciairement. On résolut d'agir ré-
volutionnairement a leur ég.ard, eomme a l'é-
gard des membres du eorps législatif. On con-
damna a la déportation les propriétaires, édi-
teurs et rédacteurs de quarante-deux jonrnaux;
cal' aucunes couditions n'étant alors imposées
aux journaux poli tiques , le nombre en était
immense, Dans les quarante -deux figurait la
Quotidienne. A ces dispositions contre les in-
dividus , on en ajouta d'autres, ponr renforeer
l'autorité du dírectoire, et rétablir les lois ré-
volutionnaíres que les cinq-cents avaient abo-
lies ou rnodifiées. Ainsi le directoire avait la
nomination de tous les juges et magistrats
municipaux, dont l'élection était annulée dans
quarante-huit départements. Quant aux places
de députés, elles restaient vacantes. Les arti-
eles de la fameuse loi du 3 brumaire , qui
avaient été rapportés, étaient remis en vigueur,
et méme étendus, Les parents d'émigrés, exclus
par eette loi des fonctions publiques jusqu'á
Ia paix, en étaient exc1us par la 10i nouvelle ,
jnsqu'au terme de quatre ans aprés la paix; ils
étaient privés en outre des fonctions électo-
rales. Les émigrés, rentrés 50US prétexte de
demandar leur radiation, devaient sortir sous




314 RÉVOLUTLON FRAN9AISE.
vingt-quatre heuresdes communes dans lesquel-
les ils se trouvaient, et sous quinze jours du ter-
ritoire. Ceux d'entre eux qui seraient saisis en
contravention devaient subir l'applieation des
lois sous vingt-quatre heures. Les lois qui rap-
pelaient les prétres déportés., qui les dispen-
saient du serment et les obligeaient a une
simple déclaration, étaient rapportées, Toutes
les lois sur la police des euItes étaient rétablies.
Le directoire avait la faculté de déporter, sur
un simple arrété., les prétres qu'il saurait se
mal conduire. Quant aux journaux, il avait a
l'avenir la faculté de supprimer ceux qui lui
paraitraient dangereux. Les sociétés poli tiques ,
c'est-á-dire les clubs étaient rétablis; mais le
directoire était armé contre eux de la méme
puissance qu'on lui donnait contre les jour-
naux; il pouvait les fermer avolonté. Enfin,
ce qui n'était pas moins important que tout
le reste, l'organisation de la garde nationale
était suspendue , et renvoyée a d'autres temps.


Aucune de ces dispositions n'était sangui-
naire, cal' le temps de l'effusion du sallg était
passé ; mais elles rendaient au directoire une
puissance toute révolutionnaire. Elles furent
votées le 18 fructidor an V (4 septembre) au
soir, dans les cinq-cents. Aueune voix ne s'é-
leva contre leur adoptjon ; qnelques députés




DlRECTOlltE (1797)' 315
applaudirent, la rnajorité fut sileucieuse et
soumise. La résolution qui les contenait fut
portée de suite aux anciens, qui étaient en
permanence comme les cinq-cents , et qui at-
tendaient qu'on leur fournit un sujet de déli-
bération. La simple lecture de la résolution el
du rapport les occupa jusqu'au matin du '9.
Fatigués d'une séance trop longue, ils s'ajour-
nerent pour quelques heures. Le directoire,
qui était impatient d'obtenir la sanction des
anciens, et de pouvoir appuyer d'une loi le
coup d'état qu'il avait frappé, envoya un mes-
sage au corps législatif. - «Le directoire, di-
sait ce message, s'est dévoué pour sauver la
liberté, rnais ji compte sur vous pour l'appuyer.
C'est aujourd'hui le 19, el vous n'avez encore
rien fait pour le seconder. »-La résolution fut
aussitót approuvée en loi, et envoyée- au di-
rectoire.


A peine fut-il muni de cette loi, qu'il se
háta d'en user, voulant exécuter son plan avec
promplitude, et aussitót apres faire rentrer
toutes choses dans l'ordre. Un grand nombre
de condamnés a la déportation s'étaient en-
fuis, Carnot s'était secretement dirigé vers la
Suisse. Le directoire aurait voulu {aire évader
Barthélemy , qui s'obstina par les raisons qui
ont été rapportées plus haut. Il choisit sur la




316 RÉVOLUTlON FRANQAISE.
liste des déportés quinze individus , jugés ou
plus dangereux ou plus eoupables, et les des-
tina a une déportation , qui pour quelques-
uns fut aussi funeste que la mort. On les fit
partir le jour méme , dans des chariots grillés,
pour Rochefort, d'oú ils durent étre transpor-
tés sur une frégate a la Guyane. C'étaient Bar-
tliélemy , Pichegru, Willot, ainsi traités acause
ou de leur importance ou de leur culpabilité;
Hovere , a cause de ses intelligences connues
avec la faction royaliste; Aubry, a cause de
son role dans la réaction; Bourdon de l'Oise ,
Mnrinais , Delarue, a cause de leur conduite
dans les cinq-cents; Ramel, acause de sa con-
duite 11 la tete des grenadiers; Dossonville , a
cause des fonctions qu'il avait remplies aupres
de la commission des inspecteurs ; Troncen-
Ducoudray, Barbé-Marbois , Lafond-Ladehat ,
acause, non de leur culpabilité, car ils étaient
sincerement attachés a la république, mais de
leur influence dans le conseil des anciens ;
enfin Brottier et Laville-Heurnois , a cause de
leur conspiration. Leur cómplice Duverne de
Presle fut ménagé en considération de ses ré-
vélations. La haine eut sans doute sa part or-
dinaire dans le choix des victimes, car il n'y
avait que Pichegru de réellement dangereux
parmi ces quinze individus. Le nombre en fut




DIRECTOIRE (J 797J. :3 17
porté a seize, par le dévouernent du nommé
Letellier, domestique de Barthélemy, qui de-o
manda a suivre son maitre. On les fit partir
sans délai, et ils furent exposés, comme il ar-
rive toujours , a la hrutalité des subalternes.
Cependant le directoire ayant appris que le
général Dutertre, chef de l'escorte, se condujo
sait mal envers les prisonniers, le rernplaca
sur-le-charnp. Ces déportés pour cause de roya-
lisme allaient se retrouver a Sinamari, acoté
de Billaud - Varennes et de Collot - d'Herbois.
Les autres déportés furent destinés a l'ile d'o-
leron.


. Pendant ces deux jours, Paris demeura par-
faiternent calme. Les patriotes des faubourgs
trouvaient la peine de la déportation trop
douee; ils étaient habitués a des mesures ré-
volutionnaires d'une autre espece. Se coníiant
dans Barras et Augereau, ils s'attendaient a
mieux, lis forrnerent des groupes, et viurent
sous les fenétres du directoire erier: Fioe la
République! vive le Directoire l vive Barras!
lis attrihuaient la mesure a Barras, et dési-
raient qu'on s'en remit aluí, pendautquelques
jours , de la répression des aristoerates. Ce-
pendant ces gr9upes 'peu uombreux ne trou-
blérent aueunement le repos de Paris, Les
sectionnaires de vendémiaire , qu'on aurait vus




318 1\ÉVOLUTION FRAWr;AISI':'
bientót , sans la loi du 19, réorganisés en garde
nationale, n'avaient plus assez d'énergie pour
prendre spontanément les armes. lis laisserent
exécuter le oCoup d'état sans opposition.Du
reste, l'opinion restait incertaine, Les républi-
cains sinceres voyaient bien que la faction
royaliste avait rendu inévitable une mesure
énergique ,mais ils déploraient la violation des
lois et l'intervention du pouvoir militaire, Ils
doutaient presque de la culpabilité des con s-
pirateurs. en voyant un hommecomme Car-
not, confondu dans leurs rangs. lis craignaient
que la haine n'eút trop influé sur la rlétermi-
nationdu directoire. Enfin, me me en jugeant
ses vdéterminations commenécessaires, ils
étaienttrrstes , et ils avaieat raison ; .car ,il de-
venaitévident que cette constitution, dans
laquelle ils avaient mis tout leur espoir , ri'é-
tait pas le terme de nos trouhles et de nos dis-
cordes. La masse de la population sesoumit ,
et sedétacha beaucoup en ce jonr des événe-
ments politiques. On l'avaitvue, le 9 thermidor,
passer de la haine contre rancien régime a la
haine centre la terreur. Depuis , elle m'avait
voulu intervenir dans lesaffaires que pour
réagir contre le directoire, qu'elle confondait
avec la convention et le comité de salnt public.
Effrayée aujoued'hui dp l'fmergi,p de ce direc-




DIRECTOTRE (T797)· 319
toire , elle vit dans le 18 fructidor l'avis de
demeurer érrangereaux événements. Aussi vit-
on, depuis ce jour, s'attiédir le zele politiqueo


Telles devaient étre les conséqueneesdu
eoup d'état da l8 fructidor. On a dit qu'il
était devenu inutile a l'instant oú il fut exé-
euté, que le direetoire en cffrayant la faction
royaliste avait déja réussi alui imposer , qu'en
s'obstinant a [aire le coup d'état, il avait pré-
paré l'usurpation militaire, par l'exemple de
la violation des lois. Mais, eomme nous l'avons
déja dit, la faction royaliste n'était intimidée
que pónr un moment ; a l'arrivée du prochain
tiers elle aurait infailliblement tout renversé ,
et emporté le directoire. La gl1erre eivile eút
alors été établie entre elle et les armées. Le
directoire, en prévenant ce moment et en le
réprimant a propos, empéeha la guerre civile;
et, s'il se mit par la sous l'égide de la puis-
sanee militaire, il subit une triste mais inévi-
table nécessité. La légalité était une illusion a
la suite d'une révolution comme la nótre. Ce
n'est pas a l'abri de la puissance légale que
tous les partis pouvaient venir se soumettre et
se reposer; il fallait une puissance plus forte,
pour les réprimer , les rapprocher, les fondre,
et ponr les protéger tous contre l'Europe en
armes: et cette pnissance , c'était la puissance




320 RÉVOLUTION FRAN~AIS]';.
militaire. Le directoire , par le 18 fructidor,
prévint done la guerre civile, et lui substitua
un coup d'état , exécuté avec force, mais avee
tout le calme et la modération possibles dans
les temps de révolution.




1HRECTOIRE (1797).


CHAPITRE V.


Conséquences du IR fructidor. - Nomination de Merlin
, de Douai et de Francois de Neufeháteau en remplace-


ment des deux directeurs déportés. - Révélations tar-
dives et disgr~ce de Moreau.-Mort de Hoche.- Rem-
boursemenl des deux tiers de la dette. - Loi contre les
ci-devanl nobles. - Bupture des conférences de LilIe
avec I'Anglelerre. - Conférences d'Udine. - Travaux
de Bonaparte en Italie; fondation de la république ci-
salpine; arbitrage entre la Valteline et les Grisons;
constitution ligurienne; établissements dans la Médi-
terranée, - Traité de Campo-Formio.- Retour de Bo-
naparte ~ Paris; féte triomphale.


LE J 8 fructidor jeta la terreur dans les rangs
des royalistes. Les prétres et les émigrés, déjá
rentrés en grand nombre, quitterent París et
les grandes vil/es, pour regagner les frontieres.


IX. 21




322 RÉVOLUTION FRAN~AIS)<:.
Ceux qui étaient préts a rentrer , s'enfoncérent
de nonvean en AIlemagne et en Suisse, Le direc-
toire venait d'étre réarrné de toute la puissance
révolutionnaire par la loi du 19, et personlle
ne voulait plus le braver. Il commen<{a par ré-
former les administrations , ainsi qu'il arrive
toujours achaque changement de systeme , et
appela des patriotes prononeés ala plupart des
places. Il avait anommer a toutes les fonctions
électives, dans quarante-huit départements, et
il pouvait ainsi éteudre beauconp son influen-
ce, et multiplier ses partisans, Son premier
soin devait étre de remplacer les deux direc-
teurs, Carnot et Barthélemy. RewheIl et La-
révelliere , dont le dernier événement avait sin-
gulierement augmenté l'influence, ne voulaient
pas qu'on püt les aecuser d'avoir exclu deux
de leurs collegues , pour rester mal tres du
gouvernement. l1s exigerent donc que ron
demandát sur-Ie-champ rau eorps législatif la
nominatian de deux nouveaux directeurs, Ce
n'était point l'avis de Barras, et encore moins
d'Augel'eau. Ce général était enchanté de la
journée du ] 8 'fructidor , et tout fiel' de l'avoir
si bien conduite, En se rnélant aux événements,
il avait pris gol't·a la palitiqne et au pouvoir,
et avait concu l'amhition de siéger au diree-
toire. Il voulait que les trois directeurs , sans




DlRECTOIRE (1797)' 323
demander des collegues au corps Iégislatif ,
l'appelassent a siéger aupres d'eux. On ne sa-
tisfit point a eette prétention, et il ne lui resta
d'autre moyen pour devenir directeur, que
d'obtenir la majorité dans les conseils. Mais il
fut encore décu dans cet espoir. Merlín de
Douai, ministre de la justice, et Francois de
Neufcháteau, ministre de l'intérieur, l'empor-
terent d'un assez grand nombre de voix sur
leurs concurrents. Masséna et Augereau furent,
apres eux, les deux candidats qui réunirent le
plus de suffrages. Masséna en eut quelques-uns
de plus qu'Augereau. Les deux nouveaux di-
recteurs furent installés avec l'appareil accou-
turné. Ils étaient républicains , plutót ala ma-
niere de Rewbell et de Larévelliere , qu'a la
maniere de Barras; ils avaient d'ailleurs d'autres
habitudes et d'autres mceurs. Merlin était un
jurisconsulte; Francois de Neufcháteau un
homme de lettres. Tous deux avaient une
maniere de vivre analogue aleur profession, et
étaient faits pour s'entendre avec Rewbell et
Larévelliere. Peut-étre eüt-il été adésirer, pour
l'influence et la considération du directoire
aupres de nos armées, que l'un de nos géné-
raux célebres y fút appelé.


Le directoire remplaca les deux ministres
appelés au directoire, par deux admínistrateurs


21.




324 nÉVOL(JTION FRANYAISJ.:.
excellentspris dans la province. Il espérait ainsi
composer le gouvernement d'hornmes plus
étrangers aux intrigues de Paris, et moins ac-
cessibles a la faveur. Il appela a la justice
Lamhrechts , qui était commissaire pres l'admi-
nistration centrale du départernent de la Dyle ,
e' est-á-diré préfet ; e' était un magistrat integre.
Il placa a l'intérieur Letourneur, cornmissaire
pres l'administration centrale de la Loire-Infé-
rieure, administrateur capable, actif et probe,
mais trop étranger a la capitale et a ses usages,
pour n'étre pas quelquefois ridicule a la tete
d'une grande administration.


Le directoire avait lieu de s'applaudir de la
maniere dont les événements s'étaient passés.
Il était seulement inquiet du silence du général
Bonaparte, qui n'avait plus écrit depuis long-
ternps , et qui n'avait point envoyé les fonds
promis. L'aide-de-carnp Lavalette n'avait point
paru au Luxembourg pendant l'événement, et
on soupc;onna qu'il avait indisposé son général
contre le directoire, et lui avait donné de faux


'renseignemeuts sur l'état des choses. M. de
Lavalette, en effet , n'avait cessé de conseiller
a Bouaparte de se tenir a part, de rester
étranger an conp d'état , et de se horner au
secours qu'il avait donné an directoire par ses
proclamations. Barras el Augereau mandérent




DlRJ<:C'I'OIRJ<: (1797)' 32:'
M. de Lavalette, lui firent des menaces, en lui
disant qu'il avait sans doute trompé Bonaparte,
et ils lui déclarerent qu'ils l'auraient fait arre-
ter, sans les égards dos a son général. M. de
Lavalette partit sur-le-charnp pOOl' I'Italie. Au-
gereau se háta d'écrire au général Bonaparte et
a ses amis de I'armée , pour peindre l'événe-
ment SOtIS les couleurs les plus favorables.


Le directoire, mécontent de Moreau , avait
résolu de le rappeler , mais il recut de lui une
lettre qui fit la plus grande sensation. Morean
avait saisi lors du passage du Hhin les papiers
du gélléral Klinglin, et y avait trouvé toute la
correspondance de Pichegru avec le prince de
Condé. Il avait tenu cette correspondance se-
crete; mais iI se décida ala faire connaitré au
gouvernement au mornent du 18 fructidor. II
prétendit s'étre décidé avant la counaissance
des événernents du 18,. et afín de fournirau di-
rectoire la preuve dont il avait hesoin ponr
confondre des ennemis redoutables. Mais on
assure que Morean avait re<;u par le télégraphe
la nonvelle des événements dans la journée
méme du 18, qu'alors il s'était háté d'écrire,
pour faire une dénonciation qui ne compro-
mettait pas Pichegrn plus qu'il ne l'était , et qui
le déchargeait lui-rnéme d'nne grande res pon-
sabilité. Quoi qu'il en soit de ces diflérentes




.326 nÉvoLUTION }'UANc,;AISE.
suppositions, il est clair que Moreau avait
gardé long-temps un secret important , et ne
s'était décidé ale révéler qu'au moment méme
de la catastrophe. Tout le monde dit que, n'é-
tant pas assez républicain poul' dénoncer son
ami, il n'avait pas été cependant ami assez
fidele pour gal'del' le secret jusqu'au hout, Son
caractére politique parut la ce qu'il était , e' est-
á-dire faible, vacillant et incertain. Le direc-
toire l'appela a Paris pour rendre compre de
sa conduite, En examinant cette col'l'espon-
dance, il Y trouva la confirmation de tout ce
qu'il avait appris sur Pichegru , et dut regretter
de n'en avoir pas eu connaissance plus tót, Il
trouva aussi dans ces papiers la preuve de la
fidélité de Moreau a la république; mais il le
punit de sa tiédeur et de son silence en lui
ótant son commandement, et en le laissant
sans emploi aParis.


Hoche, toujours a la tete de son armée de
Sarnbre-et-Meuse , venait de passer un mois en-
tier dans les plus cruelles angoisses. Il était a
son quartier - général de Wetzlar, ayant une
voiture toute préte pour s'enfuir en Allemagne
avec.sa jeune femme, si le partí des cinq-cents
l'ernportait, C'est cette circonstance seule qui,
pour la premiére fois, le fit songer a ses inté-
réts , et a réunir une somme d'argent pour




DIRECTOI Rl( (1797)' 327
suffire ases besoins pendant son éloignement;
on a vu déja qu'il avait prété au directoire la
plus grande partie de la dot de sa femme. La
nouvelle du 18 fructidor le combla de joie, et
le délivra de toute crainte ponr Iui-mérne, Le
directoire, pour récompenser son dévouement,
réunit les deux grandes armées de Sambre-et-
Meuse et du Rhin en une seule , SOU5 le nom
d'armée d'AlIemagne, et lui en donna Iecom-
mandement. C'était le plus vaste commande-
ment de la républiqne. Malheureusement la
santé du jeune générallle lui permit guere de
jouir du triomphe des patriotes , et des térnoi-
gnages de confiance du gouvernement. Depuis
quelque temps une toux secheet fréquente ,
des convulsions nerveuses, alarmaient ses amis
et ses médecins. Un mal inconnu consumait ce
jeune homme, naguere pleinde santé , et qui
joignait a ses talents l'avantage de la beauté et
de la vignenr la plus maje. Malgré son état, il
s' occupait d'organiser en une seule IC6 deux ar-
mées dont il venait de recevoir le commande-
ment , et il songeait toujours a son expédition
d'Irlande , dont le directoire voulait faire. un
moyen d'épouvante contre l'Angletene.~Iais
sa toux devint plus violente vers les derniers
jours de fructidor, et il cornrnenca a souffrir
des doulcurs iusupportables, Ou souhaitait




328 RÉVOL~l'ION FRAN«;;:AISE.
qu'il suspendit ses' travaux, mais il ne le voulut
paso Il appela son médecin et lui dit : Donnez-
moi un remede pour la fatigue, mais que ce
remede ne soit pas le reposo Vaincu par le
mal, il se mit au lit le premier jour complé-
mentaire de l'an V (17 septembre), et expira
le lendemain, au milieu des douleurs les plus
vives. L'armée fut dans la consternation, car
elle adorait son jeune général. Cette nou-
velle se répandit avec rapidité , et vint af-
fliger tous les républicains , qui comptaient
sur les talents et sur le patriotisme de Hoche.
Le bruit d'empoisonnement se répandit sur-
le-champ; on ne pouvait pas croire que tant
de jeunesse, de force, de santé, succombas-
sent par un accident naturel. L'autopsie fut
faite; l'estomac et les intestins furent exa-
minés par la Faculté, qui les trouva remplis
de taches noires, et qui, sans déclarer les
traces du poi son , parut da moins y croire. On
attribua l'empoisonnement au directoire, ce
qui était absurde , car personne au directoire
n'était capable de ce crime, étranger a nos
moeurs , et personne surtout n'avait intérét a
le commettre. Hoche, en effet, était l'appui le
plus solide du directoire, soit contre les raya-
listes, soit contre l'ambitieux vainqueur de
l'Italie. On suppasa avec plus de vraisemblance




DlRECTOIRE (17~!7)' 329
qu'il avait été empoisonné dans l'Ouest. Son
médecin crut se sonvenir que l'altération de sa
santé datait de son dernier séjour en Bretagne,
lorsqu'il alla s'y embarquer pour qrlande. On
imagina, du reste sans preuve, que le jeune gé-
néral avait été empoisonné dans un repas qu'il
avait donné ades pel'sonnes de tous les partis,
poul' les rapprocher.


Le directoire fit préparer des obseques ma-
gnifiques; elles eurent líen au Charnp-de-Mars,
en présence de tons les corps de l' état , et an
milieu d'un concours immense de peuple. Une
armée considérable suivait le convoi ; le vieux
pére du général conduisait le deuil. Cette
pompe fit une impression profonde, et fut
une des plus helles de nos temps héroíques.


Ainsi finit l'une des plus belles et des plus
intéressantes vies de la révolntion. Cette fois
du moins ce ne fut pas par l'échafaud. Hache
avait vingt-neuf ans. Soldat aux gardes fran-
s:aises, iI avait fait son éducation en quelqnes
mois. An conrage physique dn soldat il joignait
un caractere énergique, une intelligence supé-
rieure, une grande connaissance des hommes,
l'entente des événements politiques, et en fin
le mobile tout-puissant des passions, Les sien-
nes étaient arden tes , et furent peut-étre la
seule cause de sa mort. Une circonstance




330 RÉVOLUTION FllANl;;AISE.
particuliére ajoutait a l'intérét qu'inspiraieut
toutes ses qualités : toujours il avait vu sa for-
tune interrompue par des accidents imprévus;
vainqueur aWissembourg .etprétaentrer dans
la plus belle carriere, il fut tout-a-coup jeté dans
les cachots : sorti des cachots pour aller se consu-
mer en Vendée, il Y remplit le plus beau role
politique, et, al'instant oú il allait exécuter un
grand projet sur l'Irlande, une tempéte et des
mésintelligences l'arréterent encore : trans-
porté a l'armée de Sarnbre-et-Meuse , il y rem-
porta une belle victoire, et vit sa marche sus-
pendue par les préliminaires de Léoben : enfin,
tandis qu'a la tete de l'arrnée d'Allemagne et
avec les dispositions de l'Europe., il avait en-
core un avenir immense, il fut frappé tout-á-
coup au milieu de sa carriére , et enlevé par,
une maladie de quarante-huit heures, Du reste,
si un heau souvenir dédommage de la perte
de la vie, il ne pouvait étre mieux dédom-
rnagé de perdre si tót la sien ne. Des victoires,
une grande pacification, l'universalité des ta-
lents, une probité sans tache, l'idée répandue
chez tous les républicains qu'il aurait lutté
seul contre le vainqueur de Hivoli et des Py-
ramides , que son ambition serait restée répu-
blicaine et eút été un obstacle iuvincihle pour
la grande arnbition qui prétendait al! tróne , en




DIRECTOIRE (1797)' 331
un mot, des hauts faits, de nobles conjectures,
et vingt-neuf ans , voilá de quoi se compose
sa mémoire, Certes , elle est assez helle ! ne le
plaignons pas d'étre mort jeune : il vaudra
toujours mieux pour la gloire de Hoche, Klé-
ber, Desaix, de n'étre pas devenus des maré-
chaux. Ils out eu l'honneur de mourir ci-
toyens et libres, sans étre réduits comme


, Moreau a chercher un asile daos les armées
étrangeres.


Le gouvernement donna l'armée d'Allema-
gne a Augereau, et se déharrassa ainsi de sa
turbulence, qui commencait a devenir incom-
mode a París.
L~ directoire avait fait en quelques. jours


tous les arrangements qu'exigeaint les circons-
tances; mais il lui restait a s'occuper des fi-
nances. La loí du 19 fructidor , en le délivrant
de ses adversaires les plus redoutables, en ré-
tablissant la loí du 3 hrumaire , en lui donnant
de nouveaux moyens de sévérité contre les
émigrés et les prétres , en l'armant de la faculté
de supprimer les journaux, et de fermer les
sociétés politiques dont l'esprit ne lui eonvien-
drait pas, en luí permettant de remplir toutes
les plaees vacantes apres l'annulation des élec-
tions, en ajournant indéfiniment la réorgani-
sation des gardes nationales, la loi du 19fruc-




332 RÉVOI.UTION FRAN~AISl':.
tidor lui avait rendu tout ce qu'avaient VOUl~l
lui ravir les deux conseils , et y avait mérne
ajouté une espece de toute-puissance révolu-
tionnaire. Mais le directoire avait des avantages
tout aussi importants a recouvrer en matiere
de finances; cal' on n'avait pas moins voulu le
rédnire sous ce rapport que sous tous les au-
tres. Un vaste projet fut présenté pour les
dépenses et les recettes de l'an VI. Le premier
soin devait étre de rendre au directoire les
attributions qu'on avait voulu lui óter , relati-
vement aux négociations de la trésorerie, a
l'ordre des paiements, en un mot , a la maní-
pulation des fonds. Tous les articles adoptés
a cet égard par les conseils , avant le 18 fruc-
tidor, furent rapportés. Il fallait songer ensuite
ala création de nouveaux impóts , pour soula-
gel' la propriété fonciere trap chargée, et por-


•ter la recette au niveau de la dépense, L'éta-
blissement d'une loterie fut autorisée; il fut
établi un droit sur les chemins et un autre sur
les hypotheques. I ..es droits de l'enregistrement
furent régularisés de maniere a en accroitre
considérablerncnt le produit; les droits sur les
tabacs étrangers furent augmentés. 9d:ce a
ces nouveaux moyens de recette , on put ré-
duire la contribution fonciere a 228 millions ,
et la contribution personnelle a 50, et porter




DIRECTOIRE ([797)' 333
cependant la somme totalc des revenus pour
l'an VI a 6J 6 millions. Dans cette somrne , les
ventes supposées de biens nationaux n'étaient
évaluées que pour 20 millions,


La reeette se trouvant élevée a 616 millions
par ces différents moyens, il fallait réduire la
dépense a la mérne somme. La guerre n'était
supposée dcvoir coúter eette auuée, méme dans
le cas d'une nouvelle eampagne, qne 283 mil-
lions. Les autres services généraux étaient éva-


. lués a 2.47 millions, ce qui faisait en tout 530
millions, Le serviee de la dette s'élevait a lui
seul á 258 millions; et si on I'eút fait intégra-
lement, la dépense se fUt élevée a un taux
fort supérieur aux moyens de la république.
On proposa de n'en payer que le tiers, c'est-
á-diré 86 millions. De cette maniere, la guerre,
les services généraux et la dette ne portaicnt
la dépense qu'á 6[6 millions, montant de la
recette. Mais pour se renfermer dans ces bor-
nes, il fallait prendre un partí décisif a l'égard
de la dette. Depuis l'abolitiou du papier-rnon-
naie el le retour du numéraire, le service des
intéréts n'avait pu se faire exactement. On avait
payé un quart en numéraire , el trois quarts
en bons sur les hiens nationaux , appelés bons
des trois-quarts.Céieu; en quelque sorte, eomme
si on cut payé un quart en argent et trois




334 RÉVOLUTION FIlAN9AlSE.
quarts en assignats.La dette n'avait done gllere
été servie jusqu'ici qu'avec les ressources pro-
venant des hiens nationaux, et il devenait ur- '
gent de prendre un parti a cet égard, dans
l'intérét de l'état et des créauciers, Une dette
dont la charge armuelle montait a258 millions,
était véritablement énorme pour cette époque.
On ne connaissait point encore les ressources
du crédit et la puissance de l'amortissement.
Les revenus étaient bien moins considérables
qu'ils ne le sont devenus, cal' on n'avait pas en
le temps de recueillir encore les bienfaits de
la révolution; et la France, qui a pu produire
depuis un milliard de contributions générales,
pouvait a peine alors donner 616 millions.
Ainsi la dette était accablante, et l'état se trou-
vait dans la situation d'un particulier en fail-
lite. On résolut done de continuer a servir
une partie de la dette en numéraire , et, au •
lieu de servir le reste en bons sur les biens
nationaux, d'en rembourser le capital mérne
avec ces biens. On voulait en conserver un
tiers seulement; le tiers conservé devait s'ap-
peler tiers consolidé, et demeurer sur le grand-
Iivre avec qualité de .. rente perpétuelle. Les
deux autres tiers devaient étre remboursés au
capital de vingt fois la rente, et en bons rece- •
vablcs en paiement des hiens nationaux. Il est




DIR~CTOIRE (1797)' 335
vrai que ces bons tombaient dans le commerce
a moins du sixieme de leur valeur , et que
ponr ceux qui ne voulaient pas acheter des
terres , c'était une véritable banqueroute.


Malgré le calme et la docilité des conseils
depuis le 18 fructidor, cette mesure excita une
vive opposition. Les adversaires du rembourse-
ment soutenaient que c'était une vraie banque-
route; que la dette, al' origine de la révolution,


• avait été mise sous la sauvegarde de l'honneur
national, et que c'était déshonorer la républi-
qne, que de rembourser les deux tiers; que les
créanciers qui n'acheteraient pas des hiens
perdraient les neuf dixiemes en négociant leurs
bons, cal' l'émission d'une aussi grande quan-
tité de papier en avilirait cousidérablement la
valeur; que méme , sans avoir des préjugés
contre 1'origine des hiens, les créanciers de
I'état étaient pour la plupart trop pauvres ponr
acheter des terres; que les associations pour
acquérir en commun étaient impossibles ; que,
par conséqnent , la perte des nenfdixiemes du
capi tal était réel1e pour la plupart; que le tiers
prétendu consolidé, et a l'abri de réduction


-ponr l'avenir , n'était que promis; qu'un tiers
promis valait moins que trois tiers promis;
qu'enfin si la répnblique ne pouvait pas, daos
le moment, snffire a tout le service de la dette ,




336 RÉVOLUTION FRAN~A1SE.
il valait mieux ponr les créanciers attendre ,
comme its avaient fait jusqu'ici , mais attendre
avec l'espoir de voir Ieur sort amélioré , q u'étre
dépouillés sur-le-champ de leur créance, Il y
avait mérne beaucoup de gens qui auraient
voulu qu'on distinguát entre les différentes es-
peces de rentes inscrites au grand-livre, et qU'OIl
ne soumit au remboursement que celles, qui
avaient été acquises a vil prix. Il s'en était
vendu en effet a 10 et 15 francs , et ceux qui
les avaient achetées gagnaient encore beau-
coup malgré la réduction au tiers.


Les partisans du projet du directoire répon-
daient, qu'un état avait le droit, comme tout
particulier, d'abandonner son avoir ases créan-
ciers, quand il ne pouvait plus les payer; que
la dette surpassait de beaucoup les moyens de
la république, et que dans cet état , elle avait
le droit de leur abandonner le gage méme de
cette dette, c'est-a-dire les biens ; qu'en ache-
tant des terres ils perdraient fort pell; que
ces tcrres s'éleveraient rapidement dans leurs
mains , pour remonter aleur ancienne valeur,
et qu'ils retrouveraient ainsi ce qu'ils avaient
perdu; qu'il restait J ,300 millions de bien s
(le milliard promis aux armées étaut trans-
porté aux créanciers de l'état), que la paix.
érait prochaine, qu'á la paix les bons de rem-




DIRECTOTRE (1797)· 337
boursement devaient seuls étre recus en paie-
ment des biens nationaux; que, par consé-
quent, la partie du capital remboursée, s'éle-
vant a environ 3 milliards, trouverait aacqué-
rir 1,300 rnillions de biens, et perdrait tont
au plus les deux tiers au lieu des neuf dixie-
mes; que du reste les créanciers n'avaient pas
été traités autrement jusqu'ici; que toujours
on les avait payés en biens, soit qu'on leur
donnát des assignats, ou des bons de trois-quarts ;
que la république était obligée de leur donner
ce qu'elle avait; qu'ils ne gagneraient rien a
attendre, cal' jamais elle ne pourrait servir
toute la dette ; qu'en les liquidant, leur sort
était fixé; que le paiement du tiers consolidé
commencait sur-le-champ , cal' les moyens de
faire le service existaient , et que la républi-
que de son coté était délivrée d'un fardean
énorme; qu'elle entrait par-la dans des voies
réguliéres , qu'elle se présentait a l'Enrope
avec une dette devenue légére , et qu'elle al-
lait en devenir plus imposante et plus forte
ponr obtenir la paix; qu'enfin 011 ne pouvait
pas distinguer entre les différentes rentes sui-
vant le prix d'acquisition , et qu'il fallait les
traiter toutes également.


Cette mesure était inévitable. La répnblique
faisait ici cornme elle avait toujours fait : tous


IX. 2~




338 RÉVOLUTION FRA.N<;AISE.
les engagements au-dessus de ses forces, elle les
avait remplis avec des terres, au prix oú elles
étaient tombées. C'est en assignats qu'elle avait
acquitté les ancienues charges, ainsi que toutes
les dépenses de la révolution, el c'est avec des
terres qu'elle avait acquitté les assignats. C'est
en assignats, c'est-a-dire encore avec des terres,
qn'elle avait servi les intéréts de la dette , el
c'est avec des terres qu'elle finissait par en ac-
quitter le capital lui-méme. En un mot , elle
donnait ce qu'elle possédait, On n'avait pas
autrement liquidé la dette aux États-Unis. Les
créanciers avaient rC<;lI pour tout paiement les
rives du Mississipi. Les mesures de cette na-
ture causent, comme les révolutions, heau-
coup de froissements particuliers; mais il faut
savoir les subir, qnand elles sont devenues
inevitables.


La mesure fut adoptée, Ainsi , au moyen des
nouveaux impóts , qui portaient la recette a
616 millions, et gnice a la réduction de la
dette, qui permettait de restreindre la dépense
a cette somme, la balance se trouva rétablie
dans nos finances, et on pnt espérer un pen
moins d'emharras pour l'an VI ( de septembre
r797 a septernbre 1798).


A toutes ces mesures, résultats de la victoire,
le partirépublicain en voulait ajouter une der-




DlRECTOIRE (1797)' • 339
niére, Il disait que la république serait toujours
en péril, tant qu'une caste ennemie , celle des
ci- devant nobles, serait soufferte dans son
sein; il voulait qu'on exilát de France toutes
les familles qui autrefois avaient été nobles,
ou s'étaient fait passer pour nobles; qu'on
leur donnát la valeur de leurs blens en mar-
chandises francaises , et qu'on les obligeát a
porter ailleurs leurs préj ugés, leurs passions
et leur existence. Ce projet' était fort appuyé
par Sieyes, Boulay de la Meurthe, Chasal , tous
républicains prononcés, mais tres - combattu
par Tallien et les amis de Barras. Barras était
noble; le général de l'armée d'Italie était né
gentilhomme; beaucoup des amis qui parta-
geaient les plaisirs de Barras, et qui remplis-
saient ses salons, étaient d'anciens nobles aussi ;
et quoiqu'une exception fút faite en favem-
de ceux qui avaient servi utilement la répu-
blique, les salons du directeur étaient fort
irrités contre la loi proposée. Mérne, sans toutes
ces raisons persormelles , il était aisé de dé-
montrer le danger el la riguenr de cette loi,
Elle fut présentée cependant aux deux con.
seils, et excita une espece de soulevement ,
qui obligea ala retirer , pour luí faire subir de
gl'andes .modifications, On la reproduisit SOl/S
une autre forme. Les ci-devant nobles n'é-




340 nÉVOLlJTION FRAN<;AISF..
taient plus condamnés a l'exil ; mais ils étaient
considérés comme étrangers, et obligés, pour
recouvrer la qualité de citoyens, de remplir
les formalités , et de subir les épreuves de la
naturalisation. Une exception fut faite en fa-
veur des hommes qui avaient servi utilement
la république, ou dans les armées ou dans les
assemblées. Barras, ses amis, et le vainqueur
d'Italie , dont on affectait de rappeler toujours
la naissance, furent ainsi affranchis des con-
séquences de cette mesure.


Le gouvernement avait repris une énergie
toute révolutiormaire. L'opposition qui, dans
le directoire et les conseils, affeetait de de-
mander la paix, étant écartée, le gouvernement
se montra plus ferme et plus exigeant dans les
négociations de Lille et d'Udine. Il ordonna
sur-le-champ atous les soldats qui avaient ob-
tenu des congés, de rentrer dans les rangs; il
remit tout sur le pied de guerre, et il envoya
de nouveIles instructions a ses négociateurs.
Maret aLille était parvenu aconcilier , comme
on l'a vu, les prétentions des puissances mari-
times. La paix étaít convenue , pourvu que
I'Espagne sacrifiát la Trinité, et la Hollancle
Trinquemale, et que la France promit de ne
jamais prendre le cap de Bonne-Espérance
pour elle-rnéme, Il ne s'agissajt done plus que




D1UECTOlRE (1797). 34'
d'avoir le consentement de l'Espagne et de la
Hollande. Le directoire trouva Maret trop fa-
cilc , et résolut de le rappeler : il envoya Bon-
nier et Treilhard a Lille , avec de nouvelles
instructions, D'apres ees instructions, la Franee
exigeait la restitution pu!'e et simple, non-sen-
lement de ses colonies, mais encore de eelles
de ses alliés, Quant aux négociations d'Udine ,
le directoire ne se montra pas moins tranchant
el moins positif. Il ne consentait plus á s'en
tenir aux préliminaircs de Léoben, qui don-
naient a l'Autriche la limite de l'Oglio en Ita-
lie; il voulait maintenant que l'Italie fut af-
franchie tout entiére jusqu'á l'Izonzo, et que
l'Autriche se contentát pOl1r indemnité de la
sécularisation de divers états ecclésiastiques en
Allemagne. Il rappela Clarke, qui avait été
choisi et envoyé par Carnot, et qui avait , dans
sa correspondance , fort pell ménagé les gé-
néraux de l'armée d'Italie réputés les plus ré-
publicains. Bonaparte demeura ehargé des
pouvoirs de la république pour traiter avec
l'Autriche.


L'ultimatum que le directoire faisait signifier
aLi He par les nouveaux négociateurs, Bonnier
et Treilhard , vintrompre une négociation pres,
que achevée. Lord Malmesbury en fut singll-
lierernent déconcerté , cal' il désirait la paix ,




34~ RÉVOLUTION FRAN~-AISE.
soit pour finir glorieusement sa carriére , soit
pourprocurer ason gouvernement un moment
de répit. Il témoigna les plus vifs regrets; mais
il était impossible que l' Angleterre renoncát
a toutes ses conquétes maritimes , et ne recút
rien en échange. Lord Malmesbury était si sin-
cere dans son désir de traiter , qu'il engagea
M. Maret a chercher aParís, si on ne pourrait
pas inf1uer sur la détermination du directoire,
et offrit méme plusieurs millions pour ache-
ter la voix de 1'un des directeurs. M. Maret
refusa de se charger d'aucune négociation de
cette espéce , et quitta Lille. Lord Malmesbury
et M. ElIis partirent sur-le-champ , et ne re-
vinrent pas. Quoiqu'on püt reprocher dans cette
circonstance au directoire d'avoir repoussé une
paix certaine et avantageuse póur la France ,
son motif était cependant honorable. Il eút
été peu loyal a nous d'abandonner nos alliés,
et de leur imposer des sacrifices pour prix de
leur dévouement a notre cause. Le directoire ,
se flattant d'avoir sous peu la paix avec l'Au-
triche, ou du moins de la lui imposer par un
mouvement de nos armées, avait l'espoir d'étre
bientót délivré de ses ennemis du continent,
et de pouvoir tourner toutes ses forces centre
l'Angleterre.


L'ultimatum signifié iJ Bonaparte [ui déplut




() 3.1.3DIRECTOIRE 1797. ...
singuliérement , cal' il n'espérait pas pouvoir
le faire accepter. IL était difficile , en effet, de
forcer l'Autriche a renoneer tout-á-fait a l'Ita-
lie " et a se contenter de la sécularisation de
quelques états ecclésiastiques en Allemagne,
amoins de marcher sur Vienne. 01', Bonaparte
ne pouvait plus prétendre a cet honneur, cal'
il avait toutes les forces de la monarchie au-
trichienne sur les bras , el c'était l'armée d'Al·
lemagne qui devait avoir l'avantage de percer
la premiere , et de pénétrer dans les états hé-
réditaires. A ce sujet de méeontenternent s'en
joignit un autre, lorsqu'il apprit les défiances
qu'on avait coneues contre luí a París. AlIge-
reau avait envoyé un de ses aides-de-carnp avec
des lettres pour beaucoup d'officiers et de gé-
néraux de l'armée d'Italie. Cet aide-de-carup
paraissait remplir une espece de mission, et
etre chargé de redresser l'opinion de l'arrnée
sur le 18 fructidor. Bonaparte vit bien qu'on
se défiait de luí. Il se háta de jouer l'offensé,
de se plaindre avec la vivacité et l'amertume
d'un homme qui se sent indispensable; il <lit
que le gouvernement le traitait avec une hor-
rible ingratitude, qu'il se conduisait envers
lui comme envers Pichegru apres vendérniaire ,
et il demanda sa démission. Cet homme, d'un
esprit si grand et si ferme , qui savait se don-




344 nÉVOLUTION }'RAN~AJSE.
ner une si noble attitude, se livra ici a l'hu-
meur d'un enfant impétueux et mutin. Le di-
rectoire ne répondit pas a la demande de sa
démission, et se contenta d'assurer qu'iln'était
pour rien dans ces lettres et dans l'envoi d'un
aide-de-camp. Bonaparte se calma, mais de-
manda encere aétre remplacé dans les fonc-
tions de négociateur, et dans celles d'orga-
nisateur des républiques italiennes. Il répétait
sans cesse qu'il était malade, qu'il ne pouvait
plus supporter la fatigue dn cheval, et qu'il
lui était impossible de faire une nouvelle cam-
pagne. Cependant, quoique a la vérité il fút
malade, et accablé des travaux énormes aux-
quels il s'était livré depuis deux ans, il ne vou-
lait étre remplacé. dans aucun de ses emplois,
et au hesoin il était.assuré de trouver dans son
ame les forces qui semblaient manquer a son
corps.


Il résolut, en effet, de poursuivre la négo-
ciation, el d'ajouter a la gloire de premier
capitaine du siecle , cene de pacificateur. L'ul-
timatum du directoire le genait; mais il n'était
pas plus décidé dans cette circonst~nce que
dans une foule d'antres, aobéir aveuglément a
son gouvernement. Ses travaux, dans ce mo-
ment, étaient immenses. Il organisait les répu-
bliques italienues , il se créait une marine dans




Dlll.ECTOIRE (1797)' 345
l'Adriatique , il formait de grands projets sur
la Méditerranée, et il traitait avec les plénipo-
tentiaires de l'Autriche.


n avait commencé aorganiser en deux états
séparés les provinces qu'il avait affranchies
dans la Haute-Italie. n avait érigé depuis long-
temps en république cispadane le duché de
Modene, les légations de Rologne et de Fer-
rareo Son projet; était de réunir ce petit état a
Venise révolutionnée , et de la dédommager
ainsi de la perte de ses provinces de terre-
ferme. Il voulait organiser a part la Lombar-
die, sous le titre de républiqne transpadane,
Mais hientót ses idées avaient changé , et il
préférait former un seul état des provinces af-
franchies, L'esprit de localité, qui s'opposait
d'abord ala réunion de la Lombardie avec les
autres provinces, conseillait maintenant au
contraire de les reunir. La Romagne, par
exemple, ne voulait pas se réunir aux légations
et au duché de Modéne , mais consentait a dé-
pendre d'un gouvernement central établi a
Milán. Bonaparte vit hientót que chacun dé-
testant son voisin, il serait plus facile de sou-
mettre tout le monde a une autorité unique.
Enfin, la difficulté de décider la suprématie
entre Venise et Milan, et de préférer l'une (les
deux ponr en faire le siége du gouvernement,




346 nÉvor,UTION FRAN~A.ISE.
cette diffieulté n'en était plus une pour lui. Il
avait résolu de sacrifier Venise, Il n'aimait pas
les V énitiens ; il voyait que le ehangement de
gouvernement n'avait pas amené.chez eux un
changement dans les esprits. La grande nohlesse,
la petite, le peuple étaient ennemis des Fran-
cais et de la révolution, et faisaient toujours
des vceux pour les Autrichiens. A peine un petit
nombre de bourgeois aisés approuvaieut-ils le
nouvel é tat de choses. La munietpalité démocra-
tique rnontrait la plus mauvaise volonté a l'é-
gard des Francais. Presque tout le monde a
Venise semblait désirer qu'un retour de for-
tune permit a l'Autriehe de rétablir l'ancien
gouvernement. De plus, les Vénitieus n'inspi-
raient aucune estime a Bonaparte sous un rap-
port important ases yeux, la puissance, Leurs
canaux et leurs ports étaient presque comblés;
leur marine était dans le plus triste état; ils
étaient eux-mémes abátardis par les plaisirs , et
incapables d'énergie. l( C'est un peuple mou ,
efféminé el láche, éerivait-il , sans terre ni eau,
el nous n'en aoons que faire.» Il songeait done
a livrer Venise a l'Autriehe, a condition que
l'Autriche, renoncant a la limite de lOglio ,
stipulée pat· les préliminaires de Léoben , ré-
trograderait j usqu'a I'Adige. Ce fleuve , qui est
une excellente limite, séparait alors l'Autriche




DIRECTOIRE (1797)' 347
de la république nouvelle. L'importante place
de Mantoue, qui, d'apres les préliminaires ,
devait etre rendue a I'Autriche, resterait a la
république italienne, et Milan deviendrait ca-
pitale sans aucune contestation. Bonaparte ai-
mait donc beaucoup mieux former un seul
état , dont Milán serait la capitale, et donner
a cet état la frontiére deI'Adige el Mantoue,
que de garder Venise; et en cela il avait rai-
son, dans l'intérét méme de la liberté italienne.
A ne pas affranchir toute I'Italie jusqu'a rr.
zonzo, mieux valait sacrifier Venise que la
frontiére de I'Adige et Mantoue. Bonaparte avait
vu, en s'entretenant avec les négociateurs au-
trichiens, que le nouvel arrangement pourrait
étre accepté. En conséquence , il forma de la
Lombardie, des duchés de Modene el de Reg-
gio, des légations de Bologne et de Ferrare,
de la Romagne, du Bergamasque, du Brescian
et du Mantonan, un état qui s'étendait jusqu'a
I'Adige, qui avait d'excellentes places, telles
que Pizzighitone et Mantoue, une population
de trois millions six cent mili e habitants, un
sol admirable, des fleuves, des canaux et des
ports.


Sur-le-champ il se mit a l'organiser en ré-
publique. 11 aurait voulu une autre constitution
que celle donnée a la France. Il trouvait dans




348 nÉVOLUTION }'I1AN«;.HSJ':.
eette eonstitution le pouvoír exécutif trop fai-
ble; et, mérne sans avoir encore aucun pen-
ehant décidé pour telle ou telle forme de gOll-
vernement, mü par le senl besoin de eomposer
un état fort et eapable de lutter avee les aris-
tocraties voisines , íl aurait souhaité une orga-
nisation plus concentrée et plus énergique. Il
dernandait qu'on lui euvoyát Sieyes , pour s'en-
teridre avec lui a cet égard; mais le directoire
n'adopta point ses idées, etinsista paur qu'on
donnát a la nouvelle république la constitu-
tion francaise. Il fut obéi , et sur-Ie-champ no-
tre constitution fut adaptée a l'Italie. La nou-
velle république fut appelée Cisalpine, On
voulait a Paris l'appeler Transalpine; mais c'é-
tait placer en quelque sorte le centre a Paris .
et les Italiens le voulaient a Borne, parce que
tous leurs voeux tendaient al'affranchisscment
de leur patrie, a son unité, et au rétablisse-
ment de l'antique métropole. Le mol Cisalpine
était done celui qui Iui convenait le mieux. On,
crut prudent de ne pas abandonner au ehoix
des Italiens la premiere eomposition du gou-
vcrnernent. Pour cette premiere fois , Bonaparte
nomma lui-rnéme les cinq direeteurs et les
membres des deux conseils. Il s'attacha afaire
les meilleurs choix, autant du moins que sa
position le permettait. Il nomma directeur Ser-




DIRECTOfRE (1797)' 349
belloni , l'un des plus grands seigneurs de 1'1-
talie; il fit partont organiser des gardes natio-
nales , et en réunit trente mille a Milan pour
la fédération du 14 juillet. La présenee de l'ar-
mée francaise en Italie, ses hauts faits, sa gloire,
avaient eommencé a répandre l'enthousiasme
militaire .dans ce pays, trop peu habitué aux
armes. Bonaparte tacha de l'y exciter de toutes
les manieres. Il ne se dissimulait pas combien
la nouvelle république était faible sous le rap-
port militaire; il n'estimait en Italie que 1'ar-
mée piémontaise , paree que la eourde Piémont
avait seule fait la guerre pendant le cours du
siecle. 11 écrivait a París qu'un seul régiment
du roi de Sardaigne renverserait la république
eisalpine; qu'il fallait donner par conséquent
a cette république des moeurs guerrieres;
qu'elle serait alors une puissance importante
en Italie , mais que pour cela il fallait du temps,
et que de pareilles révolntions ne se faisaient
pas en quelques jours. Cependant il comrnen-
cait a y réussir, cal' il avait au plus haut degré
l'art de communiquer aux autres le plus vif
de ses go-uts , celui des armes. Personne ne sa-
vait mieux se servir de sa gloire, pour faire des
succes militaires une mode, ponr y dirigertoutes
les vanités et toutes les ambitions. Des ce jour,
les moeurs cornmencerent a changer en Italie.




350 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
« La soutane, qui était l'habit ala mode pour les
« jeunes gens, fut remplacée par I'uniforrne. Au
{( lieude passer leur vie aux pieds des femmes,
« les jeunes Italiens fréquentaient les manéges,
ce les salles d'armes , les champs d'exercice. Les
LC enfants ne jouaient piusa la chapelle; ils
ec avaientdes régiments de fer-hlanc, et imitaient
« dans leurs jeux les événements de la guerreo
« Dans les comédies , dans les farces des rues,
.c on avait toujonrs représenté un Italien bien
« Iáche , quoique spirituel, et une espece de gros
ce capitan, quelquefois francais , et plus souvent
ce allemand, bien fort, bien brave, bien brutal,
« finissant par adrninistrer quelques coups de
« báton al'Italien , aux grands applaudissements
« des spectatenrs. Le peuple ne souffrit plus de
« pareilles allnsions; les auteurs mirent sur la
" scene , a la satisfaction du public, des Italiens
« braves , faisant fuir des étrangers pour soute-
ce nir leur honneur et leurs droits. L'esprit na-
{( tional se formait. L'Italie avait ses chansons
« ala fois patriotiques et guerrieres. Les femmes
ce repoussaient avec mépris les hommages des
« hornmes qui, pour leur plaire, affectaient des
« moeurs efféminées ", »


, Memoires de Napoléon, publiés par le comte de Mon·
tholon , tome IV, p. 196.




DlRECTOIllE (1797)' 35 f
Cependant cette révolution cornmencait a


peine; la Cisalpine ne pouvait étre forle en-
eore que des secours de la Franee. Le projet
était d'y laisser, cornme en Hollancle, une par-


. tie de l'armée, qui se reposerait la de ses fati-
gues, jouirait paisiblement de sa gloire, et ani-
rnerait de son feu guerrier toute la contrée.
Bonaparte , avec cette prévoyance qui s'éten-
dait a tout, avait formé pom la Cisalpine un
vaste et magnifique plan. Cette républiqueétait
pour la France un avant-poste ; il fallait que
nos armées pussent y arriver rapidement. Bo-
naparte avait formé le projet d'une route, qui
de France arriverait a Geneve , de Geneve
traverserait le Valais, percerait le Simplon, et
descendrait en Lombardie, Il traitait déja avec
la Suisse pour cet objeto Il avait envoyé des
ingénieurs pour faire le devis de la dépense ,
et il arrétait tous les détails d' exécution ,avec
cette précision qu'il mettait dans les projets
me me les plus vastes , et les plus chimériques
en apparence. 11 voulait que cette grande
route, la premiere qui percerait directement
les Alpes, fút large, súre et magnifique, qu'elle
devint un chef-d'oeuvre de la liberté et un mo-
nument de la puissance francaise.


Tandis qu'il s'occupait ainsi d'une répuhli-
que qui luí devait l'existence, il rendait la jus-




352 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
tice aussi, et était pris pOUI' arbitre entre deux
peuples. La Valteline s'était révoltée contre
la souveraineté des ligues grises. La Valteline
se compose de trois vallées, qui appartienncnt
a l'Italie , cal' elles versent leurs eaux dans
l'Adda, Elles étaient soumises au joug des Gri-
sons, joug insupportable, cal' il n'y en a pas
de plus pesant que eelui qu'un peuple impose
a un autre peuple. Il yavait plus d'une tyran-
nie de ce genre en Snisse. Celle de Berne sur
le pays de Vaud était célebre. Les Valtelins
se souleverent , et demanderent a faire partie
de la république cisalpine. Ils invoquerent la
proteetion de Bonaparte , et se fonderent , pOllr
l'obtenir, sur d'anciens traités, qui mettaieut
la Valteline sous la proteetion des souverains
de Milan. Les Grisons et les Valtelins con-
vinrent de s'en référer au tribunal de Bona-
parte. Il accepta la médiation avec la permis-
sion du directoire, II fit eonseiller aux Grisons
de reconnaitre les droits des Valtelins, et de
se les associer eornme une nouvelle ligue griseo
Ils s'y refuserent , et voulurent plaider la cause
de leur tyrannie. Bonaparte leur fixa une épo-
que pour cornparaitre. Le terme venu, les
Grisons, a I'instigation de l'Autriche, refusé-
rent de se présenter. Bonapartc alors se fon-
dant sur l'acceptation de I'arbitrage el sur les




DIRECTOIRE (J797)' 353
anciens traités, condamna les Grisons par dé-
faut 1 déclara les Valtelins libres, el leur per-
mit de se réunir ala Cisalpine. Cette sentence,
fondée en droit et en équité, fit une vive sen-
sation en Europe. Elle épouvanta l'aristocra-
tic de Berne, réjouit les Vaudois, et ajouta a
la Cisalpine une population fiche, brave et
nomhreuse.


Genes le prenait en méme temps pour son
conseiller dans le choix d'une constitution.
Genes n'étant point conquise, pouvait se choi-
sir ses lois, et ne dépendait pas du directoire
SOIlS ce rapport. Les deux partis aristocratique
et dérnocratique étaient la aux prises. Une
premiere révolte avait éclaté, comme on l'a
vu , au mois de mai ; iI Y en eut une seconde
plus générale dans la vallée de la Polcevera,
qui faillit devenir fatale aGenes. Elle était ex-
citée par les prétres contre la constitutiou
uouvelle, Le général francais Duphot , qui se
trouvait la avec quelques troupes, rétablit
I'ordre. Les Génois s'adressérent a Bonaparte,
qui leur répondit une lettre sévere , pleine de
conseils fort sages, et dans laquelle il réprimait
leur fongue démocratique. Il fit des change-
ments dans leur constitution; au Iieu de cinq
magistrats chargés du pouvoir exécutif, iI n'en
laissa que trois; les membres des conseils fu-


IX. 23




354 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
rent moins nombreux; le gouvernement fut
organisé d'une maniere moins populaire, mais
plus forte. Bonaparte fit aecorder plus d'a-
vantages aux nobles et aux prétres , pour les
réconeilier avee le nouvel ordre de ehoses; -et
comme on avait voulu les exclure des fonc-
tions publiques, il bláma ectte pensée. Vous
feriez , écrivit-il aux Génois, ce qu'ils ont faü
eux-mémes. Il publia avee intention la lettre
oú était renfermée eette phrase. C'était un
bláme dirigé contre ce qui se faisait a París a
l'égard des nobles. 11 était charmé d'interveoir
ainsi d'une maniere indirecte daos la politique ,
de donner un avis, de le donner eontraire au
direetoire, et surtout de se détacher sur-le-
champdu parti victorieux; car il affeetait de
rester indépendant , de n'approuver, de ne
servir aucune faction, de les mépriser, de les
dominer toutes.


Tandis qu'il était ainsi législateur, arbitre,
conseiller des peuples italiens, il s'occupait
d'autres soins non moins vastes , et qui déce-
laient une prévoyanee bien autrement pro-
fondeo n s'était emparé de la marine de Venise, ,
et avait mandé l'amiral Brueys dans I'Adriati-
que, pour prendre possession des iles véni-
tiennes de la Grece. Il avait été amené ainsi a
réfléchir sur la Méditerranée , sur son impor-




DlltECTOIRE (1797 J. 35:':í
tance et sur le role que nous pouvions y jouer.
II avait conclu que si, dans l'Océan, lJOUS
devions rencontrer des rnaitres , nous u'en de-
vions pas avoir dans la Méditerranée. Qué l'l-
talie füt affranchie en entier ou ne le fút pas,
que Venise fút OH non cédée a l' Autriche , il
voulait que la Franee gardat les iles Ioniennes,
Corfou, Zante , Sainte-Maure , Cérigo, Cépha-
lonie. Les peuples de ees iles demaudaieut a
devenir nos sujets, Malte , le poste le plus im-
portant de la Méditerranée, appartenait a un
ordre usé, et qui devait disparaitre devant
l'influence de la révolution francaise ; Malte,
d'ailleurs , devait tomber hientót au pouvoir
des Anglais, si la France ne s'en emparait paso
Bonaparte avait fait saisir les propriétés des
chevaliers en Italie , pour achever de les rui-
ner. Il avait pratiqué des intrigues 11 Malte
méme , qui n'était gardée que par quelques
chevaliers et une faible garnison; et il se pro-
posait d'y envoyer sa petite marine et de s'en
emparer.- De ces différents postes, écrivait-il
au directoire, nOIlS dominerons la Méditerra-
née , nous veillerons sur l'empire ottoman, qui
croule de toutes parts, et nOHS serons en me-
sure OH de le soutenir, OH d'en prendre notre
parto Nous pourrons davantage, ajoutait Bo-
naparte, nous pourrons rendre presqlle 1Il-


?3.




356 RÉVOLUTION FRAN~J\l8E.
utile aux Anglais la domination de I'Océan. Il
llOUS ont contesté a Lille le cap de Bonne-Es-
pérance; llOUS pouvons nous en passer. Oc-
cupons I'Égypte; nous aurons la route directe
de l'Inde, et il nous sera faci le d'y établir une
des plus belles eolonies duglobe.


C'est donc en Italie, et en promenant sa
pensée sur le Levant, qu'il concnt la premiere
idée de l'expédition célebre qui futtentée
l'année suivante. « C'est en Égypte , écrivait-il ,
qu'il faut attaquer l'Angleterre. » (Lettre du 16
aoút 1797. - 29 thermidor an V.)


Pour arriver a ces fins, il avait fait venir
l'amiral Brueys dan s I'Adriatique avec six vais-
seaux, quelques frégates et quelques corvet-
tes. Il s'était ménagé en outre un moyen de
s'emparer de la marine vénitienne. D'apres le
traité condu, OH devait luí payer trois millions
en matériel de marine. JI prit sous ce pré-
texte tous les ehanvres, fers, etc., qui for-'
maient du reste la seule richesse de I'arsenal
vénitien. Aprés s'étre emparé du matériel, sous
le prétexte des trois millions, Bonaparte s'ern-
para des vaisseaux, sous prétexte d'aller occu-
per les Hes pour le compte de Venise démo-
cratique. JI fit achever ceux qui étaient en
construction , et parvint ainsi a armer six vais-
seaux de guerre, six frégates et plusieurs cor-




JHR}:CTOIRE (1797)' 357
vettes , qu'il réunit a l'escadre que Brueys avait
amenée de Toulon. Il remplaca le million que
la trésorerie avait arrété , donna a Brueys des
fonds pour enróler d' excellents matelots en
Albanie et sur les cotes de la Crece , et lui
créa ainsi une marine capable d'imposer atoute
la Méditerranée. Il en fixa le principal établis-
sement a Corfou, par des raisons excellentes,
et qui furent approuvées du gouvernement.
De Corfou, cette escadre pouvait se porter'
dans l'Adriatiqlle, et se concerter avec l'armée
d'Italie en cas de nouvelles hostilités; elle pou-
vait aller a Malte, elle imposait a la cour de
Naples, et il luí était facile , si on la désirait
dans l'Océan, pour la faire concourir aquelque
projet, de voler vers le détroit plus prompte-
ment que si elle eút été aToulon. Enfin aCor-
fou, l'escadre apprenait adevenir manoeuvriere,
et se formait mieux qu'a Toulon, 00 elle était or-
rlinairement immobile. « Vous n'aurez jamais
de marins , écrivait Bonaparte, en les laissant
dans vos ports. ))


Telle était la maniere dont Bonaparte occu-
pait son temps pendant les lenteurs calculées
que lui faisait essuyer l' Autriche. JI songeait
aussi a sa position militaire a I'égard de cette
puissance. Elle avait fait des préparatifs im-
menses, depuis la siguature des préliminaires




358 RJ1VOLUTION FRANYAISJ'.
de Léoben. Elle avait transporté la plus grande
partie de ses forces dans la Cariuthie , pour
protéger Vienne el se mettre acouvert contre
la fougue de Bonaparte. Elle avait fait lever la
Hongrie en masse. Dix-huit mille cavaliers
hongrois s'exercaient depuis trois mois sur les
bords du Danuhe. Elle avait done les moyens
d'appuyer les négociations d'Udine. Bonaparte
n'avait guere plus de soixante-dix mille hom-
mes de troupes, dont une tres-petite partie
en cavalerie. Il demandait des renforts au di-
rectoire pour faire face a l'ennemi, et il pres-
sait surtout la ratification du traité d'alliance
avec le Piémont, pour obtcnir dix mille de
ces soldats piémontais dont il faisait si grand
caso Mais le directoire ne voulait pas lui en-
voyer de renforts, paree que le déplacement
des troupes aurait arnené de nombreuses dé-
sertions; i] aimait mieux, en aeeélérant la mar-
che de l'armée d' Allemagne, dégager l'armée
d'Italie, que la renforeer; il hésitait eneore a
signer une alliance avec le Piémont , paree
qu'il ne voulait pas garantir un tróne dont il
espérait et souhaitait la chute natnrelle. Il avait
envoyé seulement quelques cavaliers a pied.
On avait en Italie de quoi les monter et les
équiper.


Privé des ressources sur lesquelles il avait




DIRECTOIRE (1797)' 359
compté , Bonaparte se voyait done exposé a
un orage du coté des Alpes Juliennes. II avait
taché de suppléer de toutes les manieres aux
moyens qu'on lui refusait. 11 avait armé et foro
tifié Palma-Nova, avec une activité extraordi-
naire, et en avait fait une place du premier
ordre, qui, a elle seule , devait exiger un long
siége. Cette circonstance seule changeait sin-
gulierement sa position. Il avait fait jeter des
pants sur l'IZOIlZO , et construire des tetes de
pont, pour étre prét a déboucher avec sa
promptitude accoutumée. Si la rupture avait
Iieu avant la chute des neiges, il espérait sur-
preudre les Autrichiens, les jeter dans le dés-
ordre , et malgré la supériorité de leurs forces,
se trouver bientót aux portes de Vienne , Mais
si la rupture n'avait lieu qu'apres les neiges,
iI ne pouvait plus prévenir les Autrichiens, il
était obligé de les recevoir dans les plaincs de
I'Italie, oú la saison leur permettait de débou-
cher en tout temps, et alors le désavantage
du nombre n'était plus balancé par celui de
l'offensive. Dans ce cas, iL se considérait comme
en danger.


Bonaparte désiraít done que les négociations
se terminassent promptement. Apres La ridi-
cule note du 18 j uiILet, oú les plénipotentiaires
avaient insisté de nouveau puur le con gres de




360 nÉVOLUTJON FnAN~AlsE.
Reme, et réclarné contre ce qui s'était fait a
Venise, Bonaparte avait fait répondre d'uue
maniere vigoureuse, et qui prouvait a l'Au-
triche qu'il était prét a fondre de nouveau SUl'
Vienne. MM. de Gallo, de Meerweldt et un
troisierne négociateur, M. Degelmann, étaient
arrivés le 31 aoút (J4 fructidor), et les confé-
rences avaient eommencé sur-le-champ, Mais
évidemment le but était de trainer encare les
choses en longueur, car, tout en acceptant une
négociation séparée aUdine, ils se réservaient
toujours de revenir a un congres général a
Berne. Ils annoncaient que le congres de Ra-
stadt , pOllr la paix de l'ernpire , allait s'ouvr-ir
sur-le-champ , que les négociatians en seraient
conduites en méme temps que celles d'Udine,
ce qui devait compliquer singulierement les
intéréts , et faire naitre autant de difficultés
qu'un congres général a Reme. Bonaparte fit
observer que la paix de l'ernpire ne devait se
traiter qu'apres la paix avec l'empereur; il dé-
clara que si le congrés s'ouvrait, la France
n'y enverrait pas; il ajouta que, si au 1er oc-
tobre la paix avec l'empereur n'était pas
conclue , les préliminaires de Léoben seraient
regardés cornme nuls. Les choses en étaient a
ce point, lorsque le J 8 fructidor (4 septembre)
déjoua toutes les fausses espérances dI' l'Au-




D1RECT01RE (1797)' 361
triche. Sur-le-champ M. de Cobentzel accourut
de Vienne aUdine, Bonaparte se rendit aPas-
seriano , fort belle maison de campagne, á
quelque distance d'Udine , et tout annon~a qne
cette fois le désir de traiter était sincere. Les
conférences avaient lieu alternativernent a
Udine, chez M. de Cohentzel, et aPasseriano,
chez Bonaparte. M. de Cohentzel était nn es-
prit subtil, abondant, mais peu logique: il
était hautain el amero Les trois autres négo-
ciateurs garclaient le silence. Bonaparte repré-
sentait seul pour la France , depuis la destitu-
tion de Clarke, JI avait assez d'arrogance, la
parole assez prompte et assez tranehante pour
répondre au négociateur autrichien. Quoiqu'il
fñt visible que M. de Cobentzel avait .!'inlen-
tion réelle de traiter, il n'en affieha pas moins
les prétentions les plus extravagantes. C'était
tout au plus si l'Autriche cédait les Pays-Bas ,
mais elle ne se chargeait pas de nous assurer
la limite du Rhin, disant que e'était a l' em-
pire a nous faire cette eoneession. En dédom-
magement des riches et populeuses provinces
de la Belgique, l' Autriche voulait des posses-
sions , non pas en AUemagne, mais en Italie.
Les préliminaires de Léoben luí avaient assigné
les états vénitiens jusqu'a l'Oglio, c'est-a-dire
¡,l Dalrnatie , l'Istrie , le Frioul , le Bresciau , le




362 ltÉVOLUTION t'ltANl,?AlSt:.
Bergamasque et le Mantouan, avec la place de
Mantoue; mais ces provinces ne la dédomma-
geaient pas de la moitié de ce qu'elle perdait
en cédant la Belgique et la Lombardie. Ce
n'était pas trop, disait M. de Cobentzel, de
lui laisser non-seulement la Lombardie, mais
de lui dormer encore Venise el les légations,
et de rétablir le duc de Modene rdans son
duché.


A tonte la faconde de M. de Cobentzel ,
Bonaparte ne répondait qne par un impertur-
bable silence; et a ses prétentions folles, que
par des prétentions aussi excessives, énoncées
d'un ton ferme et tranchant. 11 demandait la
ligne du Rhin pour la France, Mayence com-
prise , et la ligne de l'Izonzo pour l'Italie. En-
tre ces prétentions opposées il fallait prendre
un milieu. Bonaparte, comme nous l'avons
déjá dit, avait cru entrevoir qu'en cédant Ve-
nise a l'Autriche ( concession qui n'était pas
comprise dans les préliminaires de Léoben ,
paree qu'on ne songeait pas alors a détruire
cette république), il pourrait obtenir que l'em-
pereur reculát sa limite de l'Oglio a l'Adige,
que le Mantouan, le Bergamasque et le Eres-
cian fussent donnés a la Cisalpine, qui aurait
ainsi la frontiere de l'Adige et Mantoue, que
de plus l'ernpereur rcconnút a la Frauce la li-