HISTOIRE DE LA RÉVOLUT10N .FRANGAISE, PAR ,M. A. THIERS, MINISTRE n'ÉTAT ET...
}

HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUT10N
.FRANGAISE,


PAR ,M. A. THIERS,
MINISTRE n'ÉTAT ET nÉPUT'::.


TOME CINQUIEME.


i:.nlisitmt <!Ebition.


PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS,


QUAI DES AUGUSTINS, NO 49.
PAULIN, LIBRAlllK, PLACE DE LA 1l0URSE.


}1 Decc XXXI!,






HISTOIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE. ,


CHAPITRE 1.


Projets des jacobins apres le 31 mai. - RenouvelIement
des comités et du ministere. - Dispositions des dépar.
tements apres le 31 mai. Les girondins proscrits vont
les soulever contre la convention. - DéCl'ets de la con-
vention contre les départements insurgés. - Assem-
blées et armées insurrectionnelles en Bretagne et en
Normandie. - Événements militaires sur le Rhin et au
Nord. Envahissement des frolltieres de l'Est par les
coalisés; retraite de Custine. Siége de Mayence par les
Prussien.i. - Échecs de l'armée des Alpes. Situation de
)'armée des Pyrénées. - Les Vendéens s'emparent de
Fontenay et de Saumur. - Dangers imminentsde la ré-
publique á I'intérieur et;'¡ l'extérieur. -Travaux admi-


Y.




H~VOLUTION FHAN<;AlSE.
nistratifs de la convcution; constitutioll de 1793. --
Échecs des il1surgés fédéralistes á ~:vI·eux. - Défaite
des Vendéens elevant Nantes. - Victoire contre les
Espagnols dans le ROllssillon. - Marat est assassiné
par Charlotte Corday; bOll!leurs funelll'es rendus a s:t
mémoire; jugement el exécution de Charlotte Corday.


LE décret rendu le 2. juín contre les vingt-
deux députés du coté droít, et contre les mem-
bres de la commission des douz,e, portait qu'ils
seraient détenus chez eux, et gardés a vue par
des gendarmes. Quelques-uns se soumirent
volontairement a ce décret, el se constituerent
en état d'arrestation, pour faire preuve d'obéis-
sanee a la loi, et pour proYoqucr un jugement
qui démontrat leur innoeenee. Gensonné, Va-
lazé, pouvaient tres-facilement se sonstraire a
la surveillance de Ieurs gardiens, lTIais ils se
refuserent constamment a chercher Ieur salnt
dans' la fuite. IIs resterent prisonniers ave e
leurs collegues Gnadet, Pétion, Vergniand, Bi-
rotea,:!, Gardien, Boilean, Bel'trand, Mollev;mt
et Q-ommair.e. Quelques autres, ne croyant de-
voir aucune obéissanee a une loi arrachée par
la force, et n'espérantaucune justice, s'éloi-
gnerent de Paris,ou s'y eacherent en atten-
dant de pOllvoireti sortir. Lcur projet était
de se. rendre dans les dép~rtetpents, pour
exciter un soulevement contre la eapitale. Ceux




CO:"iVIiNTION ,'i ,\!'IOl'BL).: (179'3). 3
qui prirent cette résolution étaient Brissot,
Gorsas, Salles, Louvet, Chambon, Buzot,
Lydon, Rabaut-Saint-Étienne, Lasource, Gran-
geneuve, Lesage, Vigée, Lari"iere, et Bergoing.
Les deux ministres Lebrun et Claviere, desti-
tués immédiatement apres le 2 jllin, furent
frappés d'un mandat d'arret par la commune.
Lebrlln parvint a s'y sOllstraire. La meme
mesure fut prise contre Roland, qui, démis-
sionnaire depuis le 21 janvier, demandaít en
vain a rendre ses comptes. Il échappa aux re-
cherches de la commune, et alIa se cacher á
Rouen. Madame Roland, poursuivie aussi , ne
songea qu'a favoriser l'évasion de son mari;
remettant ensuite sa filIe aux mains d'un ami
sur, elle se tivra avec une noble indifférence
au comité de 5a section, et fut jetée dans les
prisons avec une multitude d'autres victimes
du 31 mai.


La joie étaÍt grande aux Jacobins. On s'y
félicitait de l'énergie du peuple, de sa belle
cOllduite dans les dernÍeres journées, et du
rellversement de lous les obstacles que le coté
droit n'avait ces.,é d'opposer a la marche de
la révolutíon. On cOllvillt en meme temps,
comme c'était l'usage apres lous les grallds
événemenls, de la maniere dont on présente-
raít la derniere insurrection. - Le peuple, dit


1.




\


Hl:VOLliT10N t'JlAN<;::\ISF.


Robespierre, a confondu tous ses calomnia-
teurs par sa conduite. Quatre - vingt mille
hommes ont été debont pendant pres d'une
semaine, sans qu'une propriété ait été violée,
sans qu'une goutte de sang ait été répandlle,
et i1s ont fait voir par la si leur but était,
comrne o~ le disait, de profiter du désordre
pOllr se livrer au meurtre et au pillage. IJeUl'
insurrection a été spontanée, paree qll'eUe
était l'effct de la conviction générale; et la
Montagne elle-meme, faible, étonnée cn voyaut
ce mouvernent, a prollvé qu'elle n'avait pas
coneouru a le produire. Ainsi eette iusunec-
tion a été tOllte morale et toute populaire.


C'était la tout a la fois donner une cOllleur
favorable a l'insurrection, arh'esser une censure
indireete a la Montagne, qui avait mOlltré quel-
que hésitation le 2. j uin, repousser le reproche
de conspiration adressé aux mCllCllrs du coté
gauche, et flatter agréablement le parti popu-
laire q ni avait tout fait, el si bien, par Jui-
merne. Apres celte interprétation, re<;ue avec
acclamation par les jacobins, et uepuis répétée
par t01lS les échos dn parti victorieux, on se
hata de demandercompte aMarat d'un mot qui
faisait beaucollp de bruit. Marat, qui De trou-
vait jamais qu'tm moyen de teriniliel' les hé-
sitations révolutiollnaires, la clictature, Marat,




CONVENTION NATlONA.LR (1793). 5
voyant qn'on tergiversait encore le 2. J Ulll,
avait répété, ce jour-Ia eomme tons les autres :
llrwusfalll un chif. Sommé d'expliquer ce pro-
pos, il le justifia a S3 manieJ·e, et les jacobins
s'en eontentt~rent hien vite, satisfaits d'avoir
prouvé leurs scrupules etla sévér·ité de leurs
principes républicaills. On préscnta aussi quel.
ques observations sur la tiédeur de Danton,
qlli semblait s'etre amolli depuis la suppres-
siou de la commission des douze, et dOllt
l'énergie soutenue jllsqn'au 31 maí n'était pas
allée jusqll'an 2. juin. Danton était absent; Ca-
mille-Desmoulins, son ami, le défendit ehau-
dement, et on se hata de mettre fin a eeHe
explication, par ménagement pour un· person-
nage allssi important, et pOllr éviter des di s-
cllssions trop délicates; cal', bien que l'insur-
rection fut consommée, elle était loin d'etre
universellement approuvée dans le partí vic-
torieux. On savait en effet que le comité de
5alut public, et beaueoup de montagnal'ds.,
avaientvu avec effroi ce coup d'état populaire.
La eh ose faite, il fallait én profiter, sans la.
remettre eIÍ discussion. On s'oecnpa done aus-
sitot d'user promptement et utilelIlent de la,
victoire.


fI y avait pour cela diHe¡·entes mesures a
prendre. Heuouvelcr les l,"Oluité5 ou s'étaient




6 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
placés tous les partisans du coté droit, s'em-
parer par les comités de la direction des af-
faires, changer les ministres, surveiller la cor-
respondance, arretcr a la poste les écrits
dangcreux, ue laisser alTiver d<lns les pro-
vinces que les écrits rf'connus lltiles ( ca!', disait
Robespif'rre, la liberté de la pressé doÍt etre
entiere, san s doute, mais ue pas etre employée
a perdre la liberté), former sur-Ie-champ \'a1'-
mée révolutionnaire dont l'institution avait
été décrétée, et dont l'intervention était indis-
pensable pour faire exécuter a l'intérieur les
décrets de la convention, effectue1' l'emprunt
forcé d'un. milliard sur les riches ; tels furent
les moyens proposés et adoptés unanimement
par les jacobins. Mais une mesure derniere fut
jugée plus uécessaire encore que toutes les
autres, .c'était la rédaction, sons huit jours, de
la constitution républicaine. Il importait de
prouver que l'opposition des girondins avait
seule empeché I'accomplissement de ce He
grande tache, de rassurer la France par de
honnes lois, et de lui présenter un pacte
d'union autour duquel elle ptit se rallier tout
entiere. Te! [utle vreu émis a la fois par· les
jacobins, les cordeliers, les sections et la com-
mune.


J ... a convention, docile a ce vreu irrésistible


.~.




CONVENTION NA.TIONALJl (179:1)· 7
et répété sous tant de formes, renoúvela: tons
ses comités de suretégénéra\e, desfinances"
de la· gnerre, de législation, etc. Le comité de
salut public, déja chargé de trop d'affaire.s, et
qui n'était poiot encoreassez Sllspect' pour
qu'oll osat eo destituer br.usqnement' tons les
membres , fut seul maintenu. Lebrun fut remo
placé aux relations extérieures par Deforgues,
et Claviere aux finances par Destournelles; On
regarda comme non avenule projet de cons~
titution présenté par Condorcet, d'apres les
viles des girondins; le comité de salut public
dut en présenter un autre sous huit jours .. On¡
luí adjoignit cinq membres pótll; cc,.travaiL
Enfin il re~ut· ordre, de , préparer' mi mode
d'exécution pour l'emprunt forcé, et un projet
el' orgaoísation pour I'al'lnée révolutionnaire. '


Les séances de l¿i convention avaient tm,as-
pect tout nouveau depuis le 3 I mai. Elles
étaient silencieuses, et presqne tons les d'écrets
étaient.adoptés saos discussion. Le coté droit
etuoe partie du,' celltre ne votaient. plus; jls
semblaient protester par lenr silente, contre
t,outes les décisions prises depuis.le i2 juin , ,et
att.endre les nOJJvelles des ,d.épar.tements. Marat
avait cr,\l devpü:, par justice se suspendre lni-
meme, jusqu'a ce que ses adversaires les giron-
dins fussent jngés. En attendant, il reuon<:;ait.




8 R1íVOLUTWN }'RAN9A1SE.
disait-il, a ses fonctions, et se bornait a édai-
rer la convention dans sa feuille. Les deux:
députés Doulcet et FonfrCde de Bordeaux:
rompirent seuls le silence de l'assemblée. Dout-
cet dénon~a le comité d'insurrection, qui n'avait
pas cessé de se réunir a l'Éveché, et qui, ar-
retant les paquets a la poste, les décachetait,
et les renvoyait décachetés a leur adresse, avec
son timbre, p~rtant ces mots : Révolution du
31 mai. La convention passa a l'ordre du jour.
¡"onfrede, membre de Ja cOlDmission des
douze, mais ex:cepté du décret d'arrcstation,
paree qu'il s'était opposé aux: mesures de eette
commission, Fonfrede monta a la tribuue, et
demanda l'exécution du décret qui ordonnait
sous trois jours le rapport sur les détenus.
Cette réclamation excita quelque tumulle.-«Il
faut, dit Fonfrede, prouver au plus tot l'inno-
cence de nos collegues. Je ne suis resté ici que
pour les défendre, et je vous déclare qu'une
force armée s'avance de Bordeaux pour ven-
ger les attentats commis contre eux.)j - De
grands cl'is s'éleverent a ces paroles, 1'ordre
du jOllr repoussa la proposition de Fonfrede,
et on retomba aussitot dans un silence profond.
- Ce sont, dirent les jacobins, les derniers
cris des crapauds du marais.


La menaee faite par Fonfrede dI] hant de la




CONVJ(NTlON NATJONALE (1793). 9
tribune n'était point vaine, et non seulement
les Borclelais, mais les habitallts de presque
tous les départemellts étaient prets a prendre
les armes contre la convention. Leur mécon-
teutement datait de plus loin que le 2 juin; il
avait commencé avec les querelles entre les
montagnards et les girondius. On doit se so u-
venir que, dans toute la Franee, les munici-
palités et les sections étaient divisées. Les par-
tisans du systeme montagnard oceupaient les
municipalités et les clubs; les républicains mo-
dérés, qui, au milieu des erises de la révolu-
tion, voulaient COtlserver l'équité ordinaire,
s'étaiellt ltus retirés, au . eoU:traire, dans les
seetions. Déja la rupture avait éclaté dans
plusieurs villes. A Marseille, les sections avaient
dépouilIé la mllnicipalité de ses POUVOil'S, pour
les transporter a un comité central; elles avaient
en OlItre institllé de leur chef un tribunal po-
pulaíre ponr juger les patriotes accusés d'exces
révollltionnaires. Les commissaires- Bayle el
Boisset easserent en vaill ce comité el ce tri-
bunal; lem autorité fut toujours mécollnue,
et les sections étaient restées en insul'rection
permanente contre la révolntion. A Lyon, ji
Y avait en un combat sanglant. Il s'agissait de
savoir' si un arre té municipal, portant l'in~ti­
tlltion d'une armép, révolutionnaire et d'une




,lO RÉVOLUTlON FRANyAlSE.


taxe de guerre sur les riches, serait exécuté.
l .. es sections qui s'yrefusaient s'étaientdécla ..
rées en permanence: la tnuuicipalité .avait
voulu les dissoudre; mais , aídées dn directoire
de <lépartement,.. eHes avaient résisté. Le 29
mai, ün en ·étaitvenu aux mains, malgré la
présence des dellx commissaires de la conven.
tion, qlli firent de vains efIorts pom empecher
le combato Lessections victorieuses, apres aVOlr
prisd'assaut l'arsenal et J'h6tel-de-ville, avaient
destitué la muuicipalité, fermé le club jacohin,
ou Chalier excitait les plus grands orages, et
s'étaient emparées de la souveraineté de Lyon.
11 yavait en quelques centaines de morts dans
cecombat. Les représentants Nioche et .Gau-
thier resterent détenus tout un jour; délivrés
ensuite, ils se retirerent aupres de le~rs colle·
gues Albite et Dubois-Crancé·, qui, comme eux,
avaient une mission ponr l'armée des Alpes;
. TeHe était la situatioll de Lyon et du Midí dans
les derniel's' joms de maí. Bordeaux n' offrait
pas un aspect plus rassurant. Cette ville , avec
toutes ceHes de J~Ouest, de la Bretagne et de
la Normandie, attendaitpour agir que les me~
naces, si long-temps répétées contre les députés
des provinces, fussent réalisées. C'est dans ces
dispositions que les départements apprirent
le:; événements de la fin de mai. La journée




CONVENTlON NATIúNALE (1793). l}
du 27, Ol! la commission des douze avaít été
supprimée une premiere fois, causa déja beau-
coup (}'irritation, et de toutes parts íl fut ques-
tion de prenare des arretés improbateurs de
ce quí se passait a París. Mais le 31 mai, le 2 juin,
mirent le combIe a l'indignation. La renommée,
qui grossit toutes choses, exagéra les faits. On
répandit que trente- deux députés avaient
, , , '1 ]. ete massacres par a commune; que es calsses
publiques étaient livrées au pillage; que les
brigands de París s'étaient emparés du pouvoir,
et allaient le transmettre ou a l'étranger, ou
a Marat, ou a Orléans. On s'assemblapoUl'
faire des pétitions, et pour se. disposer a pren-
dre les armes contre la capitale. Dans ce mo-
men! les députés fugitifs vinrent rapporter
eux-memes ce qlli s'était passé, et donner
plus de consistance aux mouvements qui écla-
taient de tOlltes parts.


Outre ceux quí s'étaient déja évadés, plu-
sieurs échapperent encore aux gendarmes;
d'autres meme quitterent l'assemblée pour al-
ler fomenter l'insurrection. Gensonné, Valazé,
Vergniaud, s'obstinerent a demeurer, disant
que, s'il était bon qu'une partie d'entre eux
aIlat réveiller le zele des départements , il était
utile aussi que les autres restassent en otages
dans les mains de ]enrs ennemis, pour y faire.




12 RÉVOLUTION FRAN«AISF..


éclater par un proces, et an péril de leur tete,
l'innocence de tous. Buzot, qui n'avait jamais
voulu se soumettre all décret du 2. juin, se
tl'ansporta dans son département de l'Eure,
pour y exciter un mouvement parmi les Nor-
mands; Gorsas l'y suivit dans la me me inten-
tion. Brissot se rendit a Moulins. Meilhan, qui
n'était point arnhé, mais qni avait donné asile
a ses collegues dans les nuits d11 31 mai an
2 jnin, Duchatel, que les montagnards ap-
pelaient le revenant dn 21 janvier, paree qn'il
était sorti de son lit pour voter en faveur de
Louis XVI, quitterent la con ve ntio n pour aIler
remner la Bretagne. Birotean échappa aux gen-
darmes, et alla avec Chasset diriger les mOll-
vements des Lyonnais. Rebecqlli, devam;ant
Barbaroux, qui était encore retenu, se rendit
dans les Bonches-du-Rhóne. Rabaut-Saint-
Étienne accourut aNimes, pour faire con-
courir le Languedoc au mouvement général
contre les oppresseurs de la convention.


Des le 13 juin, le département de l'Eure s'as-
sembla, et donna le premíer signal de l'insur-
rection. La convention, disait-i[, n'étan,t plus
libre, et le devoir de tous les citoyens étant
de lui rendre la liberté, il arretait qu'une force
de quatre mille hommes serait [evée pOll~ mar-
cher sur Paris, et que des commissairps en-




CONVF:NTION N ATIONALE (r 793). 1 ~1
voyés a tous les départemeuts voisins, iraient
les engager a imiter cet exemple, et a con-
certer lellrs opérations. Le département du
Calvados, séant a Caen, 6t arreter les deux
députés, llame et Príeur de la Cóte-d'Or, en-
"voyés par la convention pour presser l'organi-
sation de l'armée des cOtes de Cherbourg. n
fut convenu que les départements de la Nol'-
mandie s'assembleraient extraordi nairement a
Caen pour se fédérer. Tous les départements
de la Bretagne, tels que ceux des Cótes-du-
Nord, du Finistere, du Morbihan, d'Ille-et-
Vilaine, de la Mayenne, de la Loire-Inférieure,
prirent des arretés semblables , et députerent
des commissaires a Rennes, pour y établír l'au-
torité centrale de la Bretagne. Les départe-
ments du bassin de la Loire, excepté ceux qui
étaient occupés par les Vendéens, suivirent
l'exemple général, et proposerent meme d'en-
voyer des commissaires a Bourges, d'y former
une convention composée de deux députés de
chaque département, et d'alIér détruire ]a
convention usurpatrice ou opprimée, siégeant
a Paris.


A Bordeaux, la sensation fut extremement
vive. Toutes les autorités constituées se réuni-
rent en assemblée, dite commission populaire
de salut pubb'c, déclarerent que la conven-




tiollll'était plus libre, et qu'il i'allait lui rendl'e
la liberté; en .. conséquence, elles arreterent
qu'une force armée serait levée sur-le-champ,
et qu'en attendant, une pétition serait' adres-
sée a la convention nationale, pour qu'elle
s'expliquat et fit connaitre la vérité sur les
journées de juin. Elles dépecherent ensuite des
commissaires a tous les départements, pour
les inviter a une coalition générale. Toulouse ~
ancienne ville parlementairc, ou beaucoup
de partisansde l'ancien régime se cachaient
del'riel'e les girondins, avait déja institué
une force dépal'tementale' de mille hom-
mes. Ses administrations déclal'erellt, en pré-
senee des commissaires envoyés a l'armée
des Pyrénées, qu'el1es ne reconnaissaient plus
la convention : elles élar'girent beaucoup d'in-
dividus emprisonnés, en firent incarcérer beau-
coup d'autres accusés d'etre montagnards, et
annoncerent ouverfement qu'elles étaient pre-
tes ase fédérer avec les départements du MidÍ.
I~es départements supérieurs du Tarn, de Lot-
et-Garonne, de I'Aveyron, du Cantal, du Puy-
de-Dome, de l'Hérault, suÍvÍl'ent l'exemple de
Toulouse et. de Bordeaux. Nimes se déclara
en état de résistance; Marseille rédigea ·une
pétition foudroyante, remit en activité son
tribunal populaire, commelll;a une procédure




C.ONVI';NTIOX NATIONAU: I,I793). Ití
contre les tlleltl'S, et prépara Ulle force de six
milIe hommes. A Grel10ble "les sections ftIrent
.eol1voquées, et,leurs présidents, réunis allx
autorités constitnées, s'empar'erent de tous les
po~voirs, envoyerent des députés a Lyon, et
voulaient faire arreter Dubois-Crancé et Gau~
thier, commissaires de la convention a l'armée
des Alpes. Le département de rAin adopta la
meme marche. Celui OU Jura, qui avait déja
levé un corps de cavalerie et une force dépar-
temelltale de 800 hommes, protesta de son
coté contre l'autorité de la convention. A Lyon
enfin, ou les sections régnaient en souvel'aines
depuis le combat du 29 mai, pn re~ut et on
el,lvoya, des députés pour se concerter avec
Marseille, Bordeaux et Caen; on instruisit sur-
le-champ UIJe procédure contre Chalier, prési-
dent du club jacobin, etcontre plusieurs autres
montagr~ards. Il ne restait done sous l'autorité
de la conventionque les départements duNord,
et ceux qui composaient le bassin de la Seine.
Les départerpeuts insurgés s'élevaient a soixante
ou soixante-dix, et Paris devait, avee quinze
ou vingt, résister, a tous les autres,. et,. con ti-
nQ.f\f la guerre av~c l'.Europe .


. A P.aris, les a vis étaient partagés sur les
lllQyeus a prendr~ d,ans ce periLLes membres
dU,c,omité de salut public, Cambon, Barrere,




nÉVOLUTIUN FHtl.N¡;;AISE.


Bréard, Treilhard, Mathieu, patriotes accré-
dités, quoiqu'ils eussent improuvé le 2 juin ,
auraient voulu qu'on employat les voies de
conciliation. Il fallait, suiv~mt eux, prouver
la liberté de la convention par des mesures
énergiques contre les agitateurs, et, an lieu
d'irriter les départements par des décrets sé ve-
res, les ramener en leur montrant le danger
u'une guerre civile en présence de l'étranger.
Barrere proposa, au nom du comité de salut
public, un projet de décret tout-a-fait con~u
dans cet esprit. D'apres ce projet, les comités
révolutionnaires, qui s'élaient rendus si redou-
tabIes pár leurs nombreuses arrestations, de-
vaient etre cassés dans toute la France, ou
ramenés au but de Jeur institulÍon, qui était
la surveillallce des élrangers suspects; les as-
semblées primaires devaient etre réunies a
Paris pour nommer un autre commandant de
la force armée, a la place d'Henriot, quiétait
de la nomination des insurgés; enfin, trente
députés uevaient etre envoyés aux départe-
ments eomme otages. Ces mesures semblaient
propres a ealmer et a rassurer les départe-
ments. La suppression des comités révolution-
naires mettait un terme a l'inquisition exercée
contre les suspects; le choix d'nn bon com-
mandant assnrait l'ordre a París; les trente




CONVENTJON N A TIONALE (1793). 17
tléputés envoyés devaient servir a la foís d'ota-
ges et de conciliateurs. Mais la Montagne n'était
pas du tout disposée a négocier. Usant avec
hauteul' de ee qu'elle appelait l'autorité natio-
uale, elle repoussa tous les moyens de eonei-
liation. Robespierre fit ajourner le projet du
comité. Danton, élevant encore 5a voix dans
cette circonstallce périUeuse, rappela les erises
fameuses de la révolution , les dangers de sep-
tembre au moment de l'invasion de la Cham-
pagne et de la prise de Verdun; les dangers de
janvier, avant que la condamnation du derníel'
roí fút décidée; eonn les dangers bien plus
grands d'avril, alol's que Dumouriez marchait
su\' Paris, et que la Vendée se soulevaít. La
revollltion, suivant lui, avait surmonté tous
ces pél'ils; elle était sortie victorieuse de tou-
tes ces erises, elle sortiraít victorieuse en-
core de la derniere. « e'est au moment, s'écria-
ee t-il, d'une grande production que les eorps
t( politiques, eomme les eorps physiques, pa-
« raissent toujours menacés d'une destruction
« prochaine. Eh bien! la foudre gronde, et e'est
ti au milieu de ses éclats que le grand reuvre,
« qui établira le bonheur de vingt-quatre mil-
oc lions d'hommes, sera produit. » Danton vou-
lait que, par un décret commun a tous les
départements, íl leur fut enjoint de se rétracter


v. 2




I (~ JU~V()LUl'lON }"RANyAISE.
vingt-quatre heures apres sa réception, sous
peine d'etre mis hors la loi. La voix puissante
de Danton, qui n'avait jamais retenti dans
les grands périls sans ranimer les courages,
produisit son effet accoutllmé. La convention,
quoiqu'eUe n'adoptat pas exactement les me-
sures proposées, rendit néanmoins les décrets
les plus énergiques. Premierement, elle dé-
clara, quant au 3 J mai et au 2 juin, que le
pellple de Paris, en s'insurgeant, avait bien
mérité de la patrie"; que les députés, qlli d'a-
bord devaient etre mis en arrestation chez
eux, et dont quelques-uns s'étaient évadés,
seraient transférés dans une maison de force,
potIr y etre détenus comme les prisonniers
ordinaires; qu'un appel de tous les déplltés
serait fait, et que les absents sans commissioll
ou sans autorisation, seraient dé chus et rem-
placés par leurs suppléants; que les autorités
départementales ou municipales ne pourraient
ni se déplacer, ni se transporter d'un lieu dans
un autre; qu'elles ne pourraient correspondre
entre elles, et que tous commissaires ellvoyés
de département a üépartement, dans le but de
se coaliser, devaieut etre saisis sur-Ie-champ
par les bons citoyens, et envoyés a Paris sous


• DéCl'('1 dll 13 juin"




CONVENTION N ATION A LJ¡ (1 793). 19
escorte. Apres ces mesures générales, la con-
vention cassa l'arreté du département de rEure;
elle mit en accusation les membres du dépar-
tement du Calvados, qui avaient arreté deux
de ses commissaires; elle se conduisit de meme
a l'égard de' Buzot, instigateur de la révolte
des N ormands; elle fit partir deux députés,
Mathieu et Treilhard, pour les départements
de la Gironde, de la Dordogne, de I~ot-et­
Garonne, qui demandaient des ex plica tion s
avant de s'insurger. Elle manda les autorités
de Toulouse, cassa le tribunal et le comité
central de Marseille, décréta Barharoux, et
mit les patriotes incarcérés sous la sauvegarde
de la loi. Enfin, elle envoya Robert Lindet
a Lyon, pour aller y prendre connaissance des
faits, et y faire un rapport sur l'état de cette
ville.


Ces décrets, rendus successivement dans le
courant de juin, ébranlerent beul1coup de dé-
partements, peu habitués a lutter avec l'auto-
rité centrale. Intimidés, incertains, ils résolu-
rent d'attendre l' exemple que leur donneraient
des départements plus puissants, ou plus en-
gagés dans la querelle.


Les administrations de la Normandie, exci-'
tées par la présence des députés qui s'étaient
,joints a Buzot, tels que Barbaroux, Guadet,


2.




20 RÉVOLU'fJON FRAN~AISE.
Louvet, Salles, Pétion, Bergoing, Lesage,
Cussy, Kervélégan, poursuivirent leurs pre-
mieres démarches, et fixerent a Caen le siége
d'un comité central des départements. L'Eure,
le Calvados, l'Orne, y envoyerent des com-
missaires. Les départements de la Bretagne, qui
s'étaient d'abord confédérés a Rennes, décide-
rent qu'ils se joindraient a l'assemblée centrale
de Caen, et qu'ils y dépecheraient des députés.
Le 30 juin, en effet, les envoyés du Mor-
Lihan, du Finistere, des Cotes-du-Nord, ~te la
Mayenne, d'IHe-et-Vilaine, de la Loire-Infé-
rieure, réunis a ceux du Calvados, de I'Eure et
de l'Orne, se constituent en assemblée centrale
de résislance ti l' oppression, promettent de
maintenir l'égalité, l'unité, l'indivisibilité de la
république, mais jurent haine aux anarchistes,
et s'engagent a n'employer leurs pouvoirs que
pour assurer le respect des personnes, des
propriétés et de la souveraineté du peuple.
Apres s'etre ainsi constitués, ils décident qu'il
sera fourni des contingents par chaque dépar-
tement, pour composer une force armée súf-
fisante pour alter a Paris rétablir la repré-
sentation nationale dans son intégrité. Félix
Wimpffen, général de l'armée qui devait s' orga-
lliser le long des cotes deCherbourg, estnornmé
commandaut de l'armée départementale. II




CONVENTION NATIONAU: (1793). 21
accepte, et se revet aussitot du titre qu'il vient
de recevoir. Mandé a Paris par le ministre de
]a guerre, il répond qu'il n'y a qu'un moyen
de faire ]a paix, e'est de révoquer tous les dé-
crets rendus depuis le 3 J mai; qu'a ce prix les
départements fraterniseront avec la capítale,
mais que, dans le cas contraire, il ne peut
aller a París qu'a la tete de soixante mille
Normands et Bretons.


Le ministre, en meme temps qu'il appelait
Wimpffen a París, ordonnait au régiment des
dragons de la Manche, stationné dans la Nor-
mandie, de partir sur-Ie·champ pour se rendre
a Versailles. A cette nouvelle, tous les fédérés
déja rassemblés a Evreux se mirent en bataille;
la garde nationa]e se joignit a eux, et on ferma
aux dragons le chemin de Versailles. Ceux-ci,
ne voulant pas en venir aux mains, promirent
de ne pas partir, et fraterniserent en apparence
avec les fédérés. Les officiers écrívirent secre-
tement a París qu'ils ne pouvaient obéir sans
commencer la guerre civile. On leur permit
alors de rester.


I:assemblée de Caen décida que les batail-
lons bretons déja arrívés seraient dírigés
de Caen sur Évreux, rendez-vous général de
toutes les forces.On expédia sur ce point des
vivres, des armes, des munitions, des fonds




2:1 RlÍVOLUTlON .FRAN~A..JSE.
pris dans les caisses publiques. On y envoya
des officiers gagnés a la cause du fédéralisme,
et beaucoup de royalistes caché s qui se jetaient
dans toos les soulevements, et prenaient le
masque du républicanisme pour combattre la
révolution. Parmi les contre-révolutionnaires
de eette espece étaít le nommé Puisaye, qui
affichait un grand zele pour la caus,e des gi-
rondins, et que Wimpffen, royaliste dég\lisé,
nomma général de brigade, et chargea du
cornmandement de l'avant-garde déja réunie a
Évreux. CeHe avant-garde pouvait s'élever a
cinq ou six mille hommes, et s'augmentait
tous les jours de nouveaux contingents. Les
braves Bretons accouraient de toutes parts, et
annon<,;aient d'autres bataillons qui devaient
les suivre en plus grand nombre. Une cir-
eonstance les empechait de venir tous en
masse, c'était la nécessité de garder les cotes
de l'Océan contre les fiottes anglaises, et d' ell-
voyer des bataiHons contre la Vendée, qui
débordait déja jusqu'a la Loire, et semblait
prete a la franchir. Quoique les Bretons des
campagnes fussent dévoués au clergé, ceux
des villes étaient républicains siQcer~s, et,
tOllt en combattant Paris, ils n'en voulaient
pas moins continuer une guerre opiniatre
contre la Vendée.




CONVENTION NATIONALE (1793). ~.13
Telle était la situation des choses dalls la


Bretagne et Ja Normandie 'Vers les premiers
jours de juillet. Dans les départeruents voisins
de la IJoire, on s'était raleo ti ; des eommissaires
de la coovention, quí se trouvaient alors sur
les lieux pour díriger les nouvelles levées sur
la Vendée, avaient ellgagé les administrateurs
a attelldre les événements avant de se compro-
mettre davalltage. VI., pour le moment, 00 ne
songeait plus a envoyer des députés a Rourges,
et on observait une grande réserve.


A Bordeaux, l'insurreetion étaít permanente
et énergique. I,es députés Treilhard et Mathieú
furent gardés a vue des leur 'arrivée, 'et il fut
quntion d'abord de les arreter comIDe otages :
cependant, san s en venir a eette extrémité, on
les somma de comparaitre devant la commis·
sion populaire, ou tes hourgeois, qui les re-
gardaient eomme des envoyés maratistes, les
accueillirent assez mal. 00 les interrogea sur
ce qui s'était passé a París; et, apres les avoir
entelldus, la commission déc1al'a que, d'apres
lem déposition meme, la eonvention .n'avait
pas été libre au 2 juin , ne l'était plus depuis
cette époque; qu'ils n'ét~ien1:eux-memes que
les ellvoyés d'une assemblée saos caractere
légal, et qu'en conséquellce ils n'avaient qu'a
sortir du département. lis furent en effet re-




24 nÉvoLúTJON FnAN~AlsE.
conduits sur les limites, et immédiatement
apres, on décrétaa Bordeaux les mesures quí
venaient d'etre prises a Caen. On prépara des
subsistances el des armes; on détourna les
fOfJds publics, el une avant-garde fut portée
a Langon, en attendant le corps principal qui
devait partir souspeu de jours. Ceci se passait
encore dalls les derniers jours de juin et les
pr'emiers de juillet.


Les députés Matbieu et Treilhard, trouvant
moins de résistance, et pouvant mieux se faire
entendre danslesdépartementsde laDordogne,
de la Vienne, de Lot-et-Garonne, parvinrent
a calmer les esprits, et réussirent, par leu)'
caractere conciliateur, a empecher des mesure~
hostiles, et a gagller du temps dans l'intéret de
la convention. Mais, dans les départements
plus élevés, dans les lllontagnes de la Haute-
Loire, et sur leur revers, dans l'Hérault, le
Gard, sur tous les hords du Rhone, l'insur-
rection fut générale: le Gard et l'Hérault
mirent leurs hataillons en marche, et les eu-
voyerentau Pont-Saint-Esprit, pour y occuper
les passages du Rhone, et faire leur jonction
avec les Marseillais qui devaient remonter ce
fleuve. Les Marseillais, en effet, refusant d'ob-
tempérer aux décrets de la convention, main-
tinrent leur tribunal, n'élargirent point les




CONVENTION NATIONALE (J793). 25
patriotes incarcérés, et firent meme commen-
cer les exécutions. 118 formerent une armée de
six mille hommes, qui s'avanc;a d'Aix sur
Avignon, et quí, se liant aux Languedociens
réunis au Pont-Saint-Esprit, devait soulever
dans 5a marche les rives du Rhone, de l'Isere
et de la Drome, et se coaliser enfin avec les
Lyonnais, et avec les IPontagnards de rAin et
du Jura. A Grenoble, les administrations fé-
déralisées lllttaient contre Dubois-Crancé, et
menac;aient meme de l'arreter. N'osant encore
lever des troupes, elles avaient envoyé des dé-
putés pour fraterniser avee Lyon. Dubois-
Craneé, avec l'armée désorganisée des Alpes,
se trouvait au miliell d'une ville presque ré-
voltée, qui lui disait chaque jour que le Midi
pouvait se passer du N ord; iI a vait a garder
la Savoie, on les illusions inspirées d'abord
par la liberté et par la domination franc;aise
étaient dissipées, on ron se plaignait des levées
d'hommes et des assignats, et oa ron ne com-
prenait rien a cetté révolution si agitée et si
différente de ce qu'on l'avait crue d'abord. Il
avait sur ses cotés la Suisse, on les émigrés
s'agitaient, et ou Bernevoulait de"nouveau en-
voyer garnison a Geneve; et sur ses derrieres
enfin Lyon, qui intereeptait sa correspondan ce
ave e le comité de salllt publico




26 RlÍVOLUTIOlJ FRAN<:;AISE.
A Lyon on avait re.;u Robert Lindet; mais


00 avait preté eo sa présenGe meme le serment
fédéraliste : tJNITÉ, INDIVISIBILITB DE LA. RÉPU-
BLIQUE; HAINE AUX ANARCHISTES, ET REPRÉSEN-
TATJON NATl(lNALE TOUT ENTJERE. Loin d'envoyer
a Paris les patriotes arretés, 00 avait continué
les procédllf'es commencées contre eux. Use
nouvelle autorité, composée des députés des
commuoes et des mernbres des corps consti-
tués, s'était formée S0118 le titre de Commission
populaire et républicaine de salut public de
Rhóne-et-Loire. Cette assemblée vellait de dé-
creter l'organisation d'une force départernen-
tale t pour secoal.iser avec les freres du Jura,
de l'Isere, des Bouches-du";Rhóne, de la Gi-
ronde et du Calvados. Cette force était déja.
toute prete; on avait décidé en olltre la levée
d'un subside;" et la, comma dans tOU5 les au-
tres départements, on n'aUendait plus qu'un
signal pour se meUre en mouvement. Dans le
Jura, des qu'on apprit la nouvelle que les deux
députés'1Jassal el Garniel' de Troyes, envoyés
pour rétahlir l'obéissance envers la conven-
tion, avaient réuni il Düle quinze cents hornmas
de troupes de ligne, plus de quatorze mille
montagnards avaient pris les armes 1 et S~ di s-
posaient a les ellvelopper.


Si l'on considere l'état de la France dans les




CONVENl'WN NATIONALE (1793). 27
premiers jours de juillet 93,00 yerra qu'une
colonne sortíe de la Bretagne et de la Norman-
díe, et portée jusqu'a Évreux, ne se trouvait
qu'a quelques lienes de Paris; qu'une autre
s'avan~ait de Bordeaux, et pouvait entrainer a
sa suÍte 10us les départements du bassin de la
Loíre, encore incertains; que six mille Mar-
seillais, postés a A vignon, attendant les Lan-
guedociens au Pont-Saint-Esprit, occupé déja
par huil cellts Nlmois, étaient a portée de s.e
réunír 11 Lyon avec tous les fédérés de Greno-
ble, de rAin et du Jura, pour fondre, a tra-
vers la Bourgogne, sur Paris. En attendant
cette jonctiou générale, les féderalistes pre-
naient toua les fonds daos les caisses) inter-
ceptaiellt les subsistances et les munitions
cnvoyées aux armées, et remettaient en circu-
lation les assignats rentrés par la vente des
biens.nationaux .... Une circonstance remal'qua-
ble, et qui caractérise bien l' esprit des partís,
e' est que .les deux factions s' adressaient les
memes reproches, et s'attribuaient le meme
but. Le parti de París et de la Montag'ne im-
putait aux fédéralistes de voruoir perdre la
république en la divisant, et de s' entendre avec


.. Rapport de Cambon sur les travaux du comité de su-
lut }lublic, depuis le 10 avril jusqu'au 10 juillet.




28 RÉVOLUTION FRAN~AIS.E.
les Anglais pour faire un roí, qui serait ou le
duc d'Orléans, ou Louis XVII, ou le duc
d'York. De son coté, le partí des départements
et . des fédéralistes accusait ]a Montagne de
vouloir amener la contre-révoJution par ranar-
chie, et disait que Marat, Robespierre, Danton,
étaient vendus a I'Angleterre ou a d'Orléans.
Ainsi des deux catés, c'était la république
qu'oll prétendait sauver, et la monarchie dont
on croyait combattre le retour. Déplorable et
ordinaire aveuglement des partis!


Maisce n' était la qu'une portion des dangers
de notre, malheureuse patrie. L'ennemi du de-
dans n'était a craindre qu'a cause de l'ennemi
du dehors, devenu plus redoutable que jamais.
Tandis que des armées de Fran«;ais s'avan«;aient
des provinces vers le centre, des armées d'é-
trangersentouraient de nouveau la Fl'ance et
la mena~aient d'une invasion presque inévita-
ble. Depuis la bataille de N erwinde et la dé-
fection de Dumouriez, une suite effrayante de
revers nous avait fait perdre nos conquetes et
notre frontiere du Nord. On se souvient que
Dampierre, nommé général en chef, avait ral-
lié l'armée son s les mur s de Bouchain , et lui
avait rendll la un peu d'ensemble et de cou-
rage. Hellreusement pour la révolution, les
coalisés, fideles au plan méthodique arreté au




CONVENTrON NATJONALE (1793). 29
eommeneement tIe la eampagne, ne voulaient
percer sur aueun point, et ne devaient péné-
trer en Franee que lorsque le roi de Prusse,
apres avoir pris Mayence, pourrait s'avancer
dans le ereur de nos provinces. S'il s'était
trouvé chez les généraux de la coalition un peu
de génie ou un peu d'union, la cause de la ré-
volutÍon était perdue. Apres Nerwinde et la
défection de Dumouriez, ils auraient dO. mar-
cher en avant, ne laisser aucun repos a notre
armée battue, divisée et trahie; et, soit qu'on
la fit prisonniere , soit qu'on la rejetat dans les
places fortes, nos campagnes restaient ouvertes
a l'ennemi victorieux. Mais les alliés tinrent un
congres a Allvers pour régler les opérations ul-
térieures de la guerreo Le due d'York, le prinee
de Cobourg, le prince d'Orange et divers gé-
uéraux déeiderent entre eux ce qu'il eonvenait
de faire. On résolut de prendre Condé et Va-
lenciennes, pour donner a la maison d' Autriehe
de nouvelles plaees fortes dans les Pays-Bas,
et de s'emparer de Dunkerque, pour assurer a
l'Angleterre ce port si désiré sur le continent.
Ces conventions faites, on recommenc;a les opé-
rations. Les Anglais, les Hollandais étaient ar-
rivés en ligne. Le due d'York commandait vingt
mille Autrichiens el Hanovriens; le prince
d'Orange quinze mille Hol1andais; le prince de




30 11 ÉVOLUT(ON FRAN~USE.
Cobourg avaít quarante,cínq mille Autrichiens
et huit mille Hessois. Le prince de Hohenlohe
occupait avec trente mille Autrichiens Namur
el Luxembourg, el liait l'armée coalisée des
Pays-Bas 'avec l'armée prussienne chargée du
siége de Mayenee. Ainsi quatre-vingt ou q uatre-
vingt-dix mille hommes mena~aient le Nord.


Dpjit les coalisés faisaient le blocus de Condé,
el la plus grande ambition du gouvernement
fran«,¡ais était de débloquer eeUe place. Dam-
pierre, brave, mais se défiant de ses soldats,
n'osait pas attaquel' ces masses formidables.
Cependant, pressé par les commissaires de la
eonvention, il ramtme notre armée au eamp
de Famars sous Valeneiennes, et le 1 er mai il
attaque sur plusieurs colonnes les Autrichiens
retranchés dans les bois de Vicogne et de Saint-
Amant. Les combinaisons mílitaíres étaient ti-
mides encore; former une masse, saisir le
point faíble de. l'ennemi, et le frapper hardi-
ment, était une tactique inconnue des deux
partís. Dampierre se jette avec bravoure, mais
en petites masses, sur un ennemi divisé lui-
meme, et qu'il 6th été facile d'accabler sur un
point; puní de sa faute, il est repoussé apres
un combat acharné. Le 9 maí il recommence
l'attaque; il était moins divisé que la premiere
foís, mais les ennemis avertis l' étaient moins




CONv.mTION NATIONALE (1793), 31
aussi; et, tandís qu'il fait des efforts hérolques
pour décider de ta prise d'une rédollte qui de-
vaít déterminer la jonetíon de deux de ses eo-
lonnes, iI est atteint d'ull houtet de canon, et
blessé a mort. Le général Lamarche, revetu
du commandement provisoíre, ordonne la
retraite, et ramene l'armée dans le camp de
Famars.


Le eamp de Famars, situé sous les murs de
Valenciennes, et lié a eette place, empechait
d'en faire le siége. Les eoalisés résolurent de
l'attaquer le 7.3 mai. lIs éparpillerent leurs
troupes, suivant leur méthode accoutumée,
en disperserent inutilement une partie sur une
foule de points que 'la prudence autrichienne
voulait tous garder, et n'attaql1crent pas le
camp avec toute la puissanee qu'ils auraient
pu déployer. Arretés une journée entiere par
l' artillerie, honneur de l' armée fran(,;aise ,¡ls ne
passerentque vers le soir la RoneHe, qui défen-
dait le front du campo Lamarche décampa la
nuit en bon ordre, et vint se poster an camp
de César, qui se liait a la place de Bouchain,
co~me celui de Famars a Valenciennes. Icí
encore il fallait nous ponrsuivre et nous dis-
perser; mais l'égolsme et la méthode fixerent
les coalisés autour de Valenciennes. Une partie
de ICllr armée, disposée en corps d'observa-




32. RÉVOLUTION FIlANC;;:AISE.
tion, se plat;a entre Valenciennes et B011chain ,
et fit face au camp de César. Une autre division
entreprit le siége de Valenciennes, et le reste
continua le blocus de Condé , qui manquait de
vivres, et qu'on espérait réduire S011S peu de
jours. Le siége régulier de Valenciennes fut com-
meneé. Cent quatre-vingts bouches a fel! ve-
naient de Vienne; et cent autres de Hollande;
quatre-vingt-treize mortiers étaient déja pré-
parés. Ainsi en juin et en juillet on affamait
Condé, on incendiait Valenciennes, et nos gé-
néraux occupaient le camp de César 'avee une
armée battue et désorganisée. Con dé et Valen-
ciennes réduits, tout deven¡lÍt a craindre.


L'armée de la MoseUe, líant l'armée du Nord
a eeHe du Rhin, avait passé sous les ordres de
Ligneville, quand Beurnonville fut nommé mi-
nistre de la guerreo Elle se trouvait en présence
du prince de Hohenlohe, et n'en avait rien a
craindre, car ce prince occupant a la fois Na-
mur, Luxembourg et Treves, avec trente mille
hommes au plus, ayant devant luí les places
de Metz et Thionville, ne pouvaít rien ten ter
de dangereux. On venait de l'affaiblir encore
en détaehant sept a huit mille hommes de son
corps, pour les joindre a l'armée prussienne.
Des lors il devenait plus facile et plus con ve-
nable que jamais de joindre l'armée active de




CONVF.1'iTION NATION ALE (f 793). 3:\
la Moselle a ceHe du Haut-Rhin , pour ten ter
des opérations importantes.


Sur le Rhin, la camp3gne précéuente s' était
terminée a Mayence. Custiue, apres ses ridi-
cules démonstrations autour de Francfort, avait
été contraint de se replier et de s'enfermer a
Mayence, oú iI a\'ait· rassemblé une artillerié
assez considérable, tiréede nos places fortes,
et particulierement de Strasbourg. La, iI for-
mait mille projets; tantM il voulait prendre
l'offensive, tantót garder Mayence, tantót meme
abanuonner eette place. Enfin il fut résolu qll'il
la garderait, et il contribua meme a décider le
conseil exécutif a pi'endre cette,détermination.
Leroi de Prusse se vit alorsforcéd'en faire le
siége, et c'était la résistance qu'ils renCOll-
traient surce point, qui emptkhait les coalisés
d'avancer au Nord.


Le roí de Prusse passa le Rhin a Bacha~
rach, un peu au-dessous de Mayence; Wurm-
ser, avec quínze mille Autrichiens et qUelqlles
mille hornmes de Condé, le franchit un peu
au-dessus: le corps hessois de Schoonfeld' resta
sur la ri\'e droite devant le faubourgde:CasseL
:L'armée prussienne n'était pas encore aussi
forte qu'elle devait l'etre, d'apres les engage-
ments qu?avait pris Frédéric-GuilIaume. Ayant
envoyé un corps considérable en Pologne, iI


y 1




34 JlJiVOLUTJON FRAN«;,'A.ISE.
ne lui restait que cinquante~cinq mille hommes,
en y comprenant les différents contingents,
Hessois, Saxons et Bavarois. Ainsi , en comp-
tant les sept a huit miIle Autrichiens, détachés
de Hohenlohe ,les quinze miIle Autrichieus de
Wurmser, les cinq ou six mille émigrés de
Condé, et les cillquante -cinq miIle hommes
du roí de Prusse, on peut évaluer a pl'es de
quatre-víngt mille soldats l'armée qui menac;;ait
la frontiere de l'Est. N os places fortes du Rhin
renfermaient a peu pres trente huit mille
hommes de garnison; l'armée active était de
quarante a quarante-cinq milIe hommes, ceHe
de la Moselle de trente, et si ron avait réuni
ces deux dernieres sous un seul commande-
ment, et avec un point d'appui comme celui
de Mayence ,on allrait pu aIler chercher le roi
de Prllsse lui - meme et l'occuper au - dela du
Rhin.


Les deux généraux de la Moselle et du Rhin
auraient du au moins s' entendre; iIs auraient
pu disputer, empecher meme le passage du
fleuve,mais ils n'en firent rien. Dans le cou-
rant du mois de mars, le roi de Prusse traversa
impunément le Rhin, et ne rencontr1i sur ses
pas que des avant-gardes qu'il repollssa sans
peine. Pendant ce temps, Custine était a
Worms. Il n'avait pri;; soin de défendre ni les




CONVENTION NATJONALE (1793). 35
bords du Rhin, ni les revers des Vosges, qui,
formant le pourtour de Mayence , auraient pu
arreter la marche des Prussiens. Il l;leeourut,
mais s'alarma subitement des échees essuyés
par ses avant-gardes; il erut avoir cent CÍn-
quante mille hommes sur les bras; il se figura
surtout que Wurmser, qui devait déb(~)UcheJ'
par le Palatinat et au-dessus de Mayeuee, était
sur ses derrieres, et allait le séparer de I'AIsace;
il demanda des secoul'S a Ligneville, quí, trem-
blant de son coté, n'osa pas déplacer un ré-
giment; alors il se mit a fuir, se retira tOIlt
d'un trait sur Landau, puis sur WisserpbmlFg,
et songea me.me a chercher une proteJ;~ion
sous le canon de Strasbourg. Cette ¡neonce-
vable retraite ouvrit tous les passages aux Prus-
siens, qui vinrent se grouper sous l\Iayellce, et
l'investirent sur les deux rives.


Vingt mille hornmes s'étaient enfermés dans
- ~


la place, el si c'était beaucoup pour la défense,
c'était beatléOUp trop pour l'état des vivres,
qui ne pouvaient pas suffire a une g~l'Diso~
aussi considérable. L'incertitude de nos plans
militaires avait empeché dI! prenclre aucune
mespre pour l'appl'ovisiollnflwent de la viUe.
Heurellsernent eHe J'cnfermait deux représen~
tants du peuple, Rewbel et l'héFOlqlle Merlin
de Thiollville, les généraux Kléher, Auhert-


3.




36 RÉVOLUTION j,'RAN<;:AISE.
Dllbayet et l'ingénieur Meunier, ('nfin une
garnison qui avaittoutes les vertus guerrieres,
la bravoure, la sobriété, la constallce. L'in~
vestissement comll1en~a en avril. Le gélléral
Kalkreuth formait le siége a vec un corps prus-
sien. Le roí de Prusse et Wurmser étaient en
observation an pied desVosges,et faisaientface
a Custine. La garnison renouvelait fréquem-
ment ses sorties et étendait fort 10in sa défellse.
Le gouvernemellt fran<;ais, sentant la (ante
qu'il avait commise en siparant les deux armées
de la Moselle et ,du Rhin, les réunit sous
Custine. Ce général, disposant de soixante a
soixante-dix 'mille hommes, ayant les Prus-
siens et les Autrichiens éparpillés devant lui,
et au-dela Mayence, gardée par vingt mille
Franl,{ais, nc songeait pas a fondre sur le corps
o'observation, a le disperser, et a vE¡'nir join-
ore la brave garnison qui lui· tendait la main.
Vers le mílieu de mai, sentant le~anger de
son inaction, iI fit une tentative ma} combinée,
mal'secondée, et qui dégénéra en une déroute
complete. Sllivantson usage, i1 se plaignit
des subordonnés,. et fut transporté a I'armée
dn Nordpourrendre l'organisation et le cou-
rage aux troupes retranchées .'lu camp de Cé-
sar. Ainsi la coalition qnifaísait lessiéges de
Valencicnnes et de Mayence, pouvait, apres




CONVlONTION NATIONALE C1793). 37
deux places prises ,avancer sur notre centre,
et effectuer sans obstacle l'invasion.


Du Rhin aux· Alpes et aux Pyrénées, une
chaine de révoltes mena¡;;ait les derrieres de
nos armées, el jnterrornpait leurs communi-
cations. 1.es Vosges, le Jura, l' Auvergne, la
Lozere, forment, du Rhin aux Pyrénées, UIle
masse presque continue de montagnes de dif-
férente étendue et de diverse hautellr. Les
pays de montagnes sont, pour les illstitlltions,
les mceurs et les habitudes, des lieux de con-
servation. Dans presque toutcs ceHes que nous
venons de désigner, la ·population gardait t1n
reste d'attachement pour son ancienne maniere
d'etre, et, saos etre allssi fanatisée que la Ven-
dée, elle était npaumoins assez disposée a s'in-
surger. Les Vosges, a moitié a!lemandes, étaient
travaillées par les nobles, par les pretres, et
.montraient des dispositions d'autant plus me-
na¡;;antes, que l'arrnée du Rhin chancelait da-
vantage. Le Jura était tout cntier insurgé pour
la Gironde; et si dan s sa rébeIlion il montrait
plus d'esprit de liberté, il n'en élait pas moins
dangereux, cal' quinze a vingt mllle monta-
gnards se rassemblaient autour de Lons-Ie-
Saulnier, et se liaient aux révoltés de l' Ain et
du Rhóne. On a vu dans quel état se trouvait
Lyon. Les montagnes de la Lozere, qui sépa-




38 RÉVOLUTION FRAN<';:AISE.
rent la Haute-Loire dll Rhone, se remplis-
saient de révóltés a la maniere des Vendéens.
Commandés paruu ex-constituantnommé Char-
riel', ils s'élevaient déja au nombre de trente
mine, et pouvaient se joindre par la Loire a la
Vendée. Apres; venaientles insurgés fédéraljstes
du Midi. Ainsi, de vas tes révoltes, différentes de
hut et de príncipes, mais également formida-
bIes, mena«;aient les derrieres des armées du
Rhin; des Alpes et des Pyrénées.


Le long des Alpes, les pjémontais étaient en
armes, et voulaient reprendre sur nous la Sa-
vme et le comté de Nice. Les nciges empe-
chaient le commencement des hostilités le long
du Saint-Bernard, et chacun gardait ses postes
dans les trois vallées de Sallen che , de la Ta-
rentaise et de la Mallrienlle. Aux Alpes-Mari-
times et a l'armée dite d'Italie, il en était
autrement. La, les hostilités avaient été re-
prises de bonne heure, et des )e moÍs de mai
on avait recommencé a se disputer le poste si
important de Saorgio, duquel dépendait la
tranquille possession de Nice. En effet, ce
poste une fOÍs occupé, les FI'aru;ais étaient mai-
tres du Col de Tende. et tenaient la clef de
la grande chalne. Aussi les Piémontais avaient
misautant d'énergie a le défendre que nOlls
a l'attaquer. lis avaient tant en Savoie que du


'"




CONVENT/ON NATIONALE ~ 1793). 3!}
coté de Nice, quarante mille hommes 9 renw
forcés par huit mille Autrichiens auxiliaires.
Leurs troupes, disséminées en plusieurs corps
d'égale force depuis le Col de Tende jusqu'uu
grand Saint - Bernard, avaíent suivi, comme
toutes celles de la coalition, le systeme des
cord()ns, et gardaient toutes les vallées. L'ar-
mée franc;aise d'ltalie était dan s le plus déplo-
rabie état; composée de quinze mille hommes
au plus, dénuée de tout, faiblement comman-
dée, iI n'était pas possible d'en obtenir de
granas efforts. Le général Biron, qui l'avait
cOlnmandée un instant, l'augmenta de ci.nq
mille hornrnes, mais il ne put 1a pouryQir de
tont ce qui lui était nécessaire. Si une de ces
grandes pensées qui nous auraient perdu au
Nord s'était élevée au Mídi, notre ruine n'eút
pas été moins certaine de ce coté. Les Píémon-
taís pouvaient, a la faveur des glaces qni pa-
ralysaient forcément tonte action du coté des
grandes Alpes, transporter toutesleurs forces
aux Alpes du Mídi, et, débouchallt sur Nice
avec une masse 'Cle trente mille hommes, cul-
buter nolre armée d'Italie, la refouter sur les
départements insurgés, la disperser entiere-
ment, favoriser le soulevement des deux rives
dll Rhone, s'avancer peut-etre jusqu'a Greno-
ble et Lyon, prendre la par derriere notre ar-




40 RÑVOLUTION FRAN~AISE.
mée engagée danS: les vallées de la Savoie, et
envahir ainsi toute. une partie de la Frallce.
Mais il n'y avait pas plus un Amédée, chez eux 7
qu'un Eugene chez les Autrichiens, ou 'qu'un
Marlborough chez les Anglais. Us s'étaient done
hornés a· la défense de Saorgio.


Brunet, quisuccéda a Anselme, avait fait, sur
le . poste de Saorgio, les memes effortsque
Dampiel're du coté de Conde. Apres plusieurs
oombals lnutiJes et sanglants, 011 en livra en-
fin un dernier, le 12 juin , qui fut suivi d'une
déroute complete. Alors encore, si l'ennemi
eut puisé dans son succes un peu d'audaee, jI
aurait'pu.'noliJs disperser, nons faire évacner
Niee et repasser le Val'. Kellermann était ac-
eourn de son quartier-général des Alpes, avait
raIlié l'al'mée au eamp de Donjon, fixé des
positions défensives, et ordonné, en attendant
denouveUes forces, une·inaction.abso\ue. Une
circonstance rendait encore plus dangerense la
situatíon de eette armée, c'était l'apparition
dan s la Méditerranéé de l'amiral anglais Rood,
sortÍ de Gibraltar avec trente-sept vajsseaux!
et de l'amiral Langara" ven u avec des force s
a peu pres égales des ports d'Espagne. Des
troupes de débarquement pouvaient occu per
la ligne du Val' et prendl'e les Fran.,;ais par
derriere. La présence des escadres empechait




CONVÍ-:NTJON NATlON ALE (1793). 4 [
en oulre les approvisionnements par mer, fa-
vorisait la révolte du mi di , eteneourageait la
Corse a se jeter dans I¿sbras des Anglais. Nos
floues répar:lÍent dans Toulon les dommages
qu'elles avaient essuyés dans l'expédition si
malheureuse de Sardaigne, et osaient a peine
protéger les eaboteurs qui apportaient des
grains d'ltalie. La Méditerranée n'était plus a
nous, et le eommeree du Levant passait de
Marseille aux Grees et aux Anglais. Ainsi l'ar-
mée d'Italie avait en face les Piémontais vieto-
rieux en plusieurs combats, et a dos la révolte
du midi et deux escadres.


Aux Pyrénées, la guerre avec I'Espagne,
déclarée le 7 mars, a la suite de la mort de
Louis XVI, venait a peine de commencer. Les
préparatifs avaient été longs des deux cótés,
paree que I'Espagne, lente, paresseuse et mi-
sérablement administrée. ne pouvait se hater
davantage, et paree que la France avait sur les
bras ¿'autres ennemis qui occllpaient toute
son attention. Servan, général aux Pyrénées,
avait passé plusieurs mois a organiser son ar-
mée, et a accuser Pache ave e autant d'amer-
turne que le faisait Dumouriez. Les choses
étaient restées dans le mfllne état sons Bou-
chotte, et, lorsque la campagne s'ouvrit, le
général se plaignait encore du ministre, qui,




42 RÉVOLUTION FRANyAlSE.
disait-iJ, le laissait manquer de tout. Les deux
pays communiquenti'un avec l'autre par deux
points, Perpignan et Bayonue. Porter vigo u-
reusement un corps d'invasion sur Bayonne et
Bordeaux, et aboutir ainsi a la Vendée, était
une tentative trop hardie pour ce temps-Ia;
d'ailleurs J'ennemi nous supposait de ce cOté
de plus grands moyens de résistance; il lui au-
rait faUn traverser les l,andes, la GarOllne et
la Dordogne , et de pareilles difficultés auraient
suffi pour détourner de ce plan, si on y avait
songé. La cour de Madrid préféra une attaque
par Perpignan, parce qu' elle avait de ce coté
une base plus solide en plaees fortes, paree
qll'elle comptait sur les royalistes du Midi,
d'apres les promesses des émigrés, parce qu'en-
fin elle u'avait pas oubJié ses allciennes pré-
tentions sur le Roussillon. Quatre ou cinq
miUe hommes furent laisses a la garde de l'A-
ragon; quinze 011 dix-huit mille, moitié de
troupes réglées et moitié de milices, durent
guerroyer sous le général Caro dans les Pyré-
nées .. Oceidentales; enfin le général Ricardos,
avec vingt-quatre millc hommes, fut chargé
d'attaquer sérieusement le RoussiUon,


Deux val1ées principales, ce He du Tech et
ceHe de la Tet, se détachent de la chaine des
Pyrénées, et, débouchan t vers Perpignan, for-




CONVENTJON NATIONALE (1793). 43
ment nos deux premieres lignes déferisives.
Perpignan est placé sur la seconde, celle de ]a
Tet Ricardos, instruít de la faiblesse de nos
mbyens, débute par une pensée hardie. 1l mas-
que les fórts DeIlegarde et les BaÍns, situés
SUr la premiere ligne, et s'avance hardiment
avee le projet de faire tomber tous nos déta-
ehements épars dans les vallées, en les dépas-
sant. Cette tentative lui réussit. 11 débouche
le 15 avril, hat les détaehements envoyés sous
le général Villot pour l'arreter, et répand une
terreur panique sur tonte la frontiere. En avan-
f,{ant avee dix mille hommes, iI était maitre de
Perpignan, mais il n'avait. pas assez d'audace;
d'aillenrs tous ses préparatifs n'étaient pas faits,
et il laissa aux Fran!{ais le temps de se reeon-
nalLre.


Le commandement, qui paraissait trop vaste,
fut divisé. Servan eut les Pyrénées-Occiden-
tal es, et le général Deflers, qu' on a vu em-
ployé a l'expédition de Hollande, les Pyrénées- .,
Orientales. Celui· ei rallia l'armée en avallt de
Perpignan dans une position dite le Mas d'Eu.
I.e 19 mai, Rieardos étant parveult a réunir
dix .. buit mille hommes, attaqua le camp fran-
~ais. Le combat fut sanglant. Le brave géné-
tal Dagobert, conservant dan s Ul! age avancé
toute la fougue d'un ,jeune hornme, et joi-




44 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
gnant a son courage une grande inteUigence,
réussita se maintenir sur le champ de bataille.
Deflers arriva avec dix - huít cents hommes
de' réserve, et le terrain fu t conservé. La fin
du 'jourapprochait et le combat paraissait de-
voir etre.heureux, mais vers la uuit nos sol-
dats, aocabMs' par la fatigue d'nne longue ré-
sistance, cedent tout-a-eoup. le tefl'ainet se
réfugíent en désordre son5 Perpignan. La gar-
nison effrayée ferme les portes et tire sur nos
troupes, qu'elle prend pour des Espagnols.
e' était encore le cas de fondre hardiment sur
Perpignan et de s'emparer de ectte place, qlli
n'eut pas .résisté ;. maisRicardos, qui n'avait
fait que masquer Bellegarde et les Bains, ne
crut pas devoir pousser la hardiesse plus loin,
et revint faire le siége de ces deux petites for-
teresses. Il s'en empara vers la fin de juin, et
se porta de nouveau en présence de nos tron-
pes, ralliées a peu pres dansles nH~mes posi-
tions qu'auparavant. Ainsi, en juillet, un com-
bat malheureux pOllvait nous faire perdre le
Ro\1ssiUon.


Nous voyons les calamités s'augmenter en
nous approchant d'un autre thé:itre de guerre,
plus sanglant, plus terrible que tous cellX
qu'on a déji:t parcollrus. La Vendée, en fm et
en· sang, allait vomir au-dela de la Loij'e une




CONvFNTJON N ~TrON ALE (r 793). 45.
eolonne formidable. Nous avons laissé les Ven·
déeris enfIammés par des succes, inéspérés,
maitres de laville de Thouars, qu'ils avaient
prise sur Quétineau, et commenc;;ant a 'médi':
ter de'plus grallds projets. Au líen de qlarcher
sur Doué et Saumnr, ils s'étaient rabattus au
sud du théfitre de la guerre, etavaient voulu
dégagel' le pays du coté oe t~ontenay et de
Niort. MM. de Lescure et de Larochejacqllelein,
chargés de eette expédition, s'étaient portés
sur Fontenay le 16 mai. Repoussés d'abord par
le général Sandos, ils se replierent a quelque
distan ce ;' bientot, profitant de la confiance
aveugle ,que le général républicainvenaitde
conoevoir d'un premier succes,. ils.reparurent
au nombre de quillze a vingt milIe, s'empare-
rent de Fontenay, malgré les efforts que le
jeune Marceau déploya oans cette jOllrnée, el
obligerent Chalbos et Sandos a se retirer a
Níort dans le plus grand désordre. La, ils
trouverent des armes, des munitions en grande
qllantité, et s'enrichil'ent de nOllvelles ressour-
ces, qui, jointes a ceHes qu'ils s'étaient pro-
curées a Thoual's, leur permettaient de pous-
ser la guerre avec l'espérance de nouveaux
succes. Lescure fit une proclamation aux ha-
bitants, et les menac;;a des plus terribles pei-
nes, s'iJs donllaient des secours aux républi-




46 RÉVOLUTJON FRAN9AISE.
cains. Apres- quoi, lesVendéens se séparerent
su~vant. ieur couturne ~ pour retournel' aux tra-
vaux de la moisson, et un rendez -vous fut fixé
¡lour le ler juin dans les environs de Doué.


Dan$. la Basse-Vendée, ou eharette domi-
,.18 •


nait seuI, sans lier encore ses mouvernents
avec céux des autres chefs, les sucees avaient
été balaucés .. CaucIaux, comrnandant a Nantes,
s'était rnaiutenu a Machecoul, mais avec peine;
le général Boulard, qui commandait aux Sa-
bIes, grace a ses bonnes dispositions et a la
discipline de son armée, avait occupé pen-
dantdeux mois la Basse·Veudée, et avait meme
conservé des postes tres-avancés j usqu' aux en-
virons de Palluau_ Le 17 mai cependant, il fut
obligé de se retirer a la Motte-Achart, tres-
pres des Sables, et il se trouvait dans le plus
grand embarras, paree que ses deux meilleurs
hataillons, tons composés de citoyens de Bor-
deaux, voulaient se retirer, soit pour retour-
ner a leurs affaires, qu'ils avaiellt quittées,
soít par mécontentement du 3, mai.


Les travaux des champs avaient amené qllel-
que repos, dans la hasse comme dans la haute
Vendée, et, pour quelques jours, la guerre
fut un peu moios active, et ajournée au com-
mencement de juin.


Le général Bel'ruyer, dont les ordres s'éten-




CONVENTION N ATION ALE (1793). 47
daient dalls l'origine sur tout le théatre de la
guerre, avait été remplacé, et son commande-
ment se trouvait divisé entre plusieurs géné ..
raux. Saumur, Niort, les Sables, composerent
l'armée dite des cotes de la RochelJe, qui fut
confiée á Biron; Angers, Nantes et la Loire-In-
férieure, formel'ent l'armée dite des cotes de
Brest, qu'on remit a Canclaux; général a Nantes.
Enfin, les cotes de Cherbourg avaient été
données a 'Vimpffen, devel1u ensuite, eomme
on 1'a vu, gél1éral des insurgés du Calvados.


Biron, transporté de la froutiere du Rhin a
eelle d'ltalíe, et de cette derniere en Vendée,
ne se rendít qu'avec répugnance sur ee théatre
de dévastations, et devait s'y perdre par son
aversion a partager les fureurs de la guerre
eivile. Il arriva le 27 mai a Níort, et trouva
l'armée dans un désordre affreux. Elle était
composée de levées en masse, faítes par foree
ou par entrainement dans les eontrées voisines,
et confusément jetées sur la Vendée, sans Íns-
truction, sans discipline, sans approvisionne-
ments. Formées de paysans et de hourgeois
industrieux des villes, qui avaient quitté a re-
gret leurs occnpations, elles étaient pretes a
se dissoudre au premier accidento Il eút beau-
coup mieux valu les renvoyer ponr la plupart,
car elles faisaient fante dans les campagnes et




ltÉVOLUTJON Fll A.N9A1S:t.
dans les villes, encombraient inutilement le
pays insurgé, l'affamaient par leur masse, y
répandaient le désordre, les terreurs paniques,
et entralnaiént souvent dans leur fuitedes ba-
taillons organisés, qlli, livrés a eux-memes,
auraient beaucoup mieux résisté. Toutes ces
bandes arrivaient avec leut' chef, nommé dans
la loca lité , qui se disait général, parlait de
son armée, ne voulait pas obéir, et contrariait
toutes les dispositions des chef s supérieurs.
Du cOté d'ürléaos, 00 formait des bataillons,
COIlllUS dans cette guerre sous le nom de ba-
taillons d'Orléans. On les'composait avec des
commis, des' gar~ons de boutique, des do-
mestiques, avec tous les jeimes gens eofio re-
cueillis dan s les sections de Paris, et envoyés
a la suite de Santerre. On les amalgamait avec
des troupes tirées de l'armée dll Nord, dont on
avait détaché cinquante hommes par bataillon.
Mais iI fallait associer ces éléments hétérogenes,
trouver des armes et des vetements. Tout man-
quait, la paie meme ne pouvait etre fournie,
et comme elle était inégale entre la troupe de
ligue et les· volontaires , elle occasionuait sou-
vent des révoltes.


Pour organiser cette multitude i la convention
envoyait commissaires sur commissaires. Il
y eH avait a Tours, a Sauffillr, a Niort, a la Ro-




CONVENTlúN NATIONALE (1793). 49
chelle, a Nantes. lis se cúntrariaient entte eux
et co.ntrariaient les généraux. Le co.nseil exé-
cutif y entretenait aussi des agents, et le mi-
nistre Bo.ucho.tte avait ino.ndé le pays de ses
affidés, chúisis to.us parmi les jaco.bins et les
co.rdeliers. Ceux-ci se cro.isaient avec les re-
présentants, cro.yaient faire preuve de úle en
accablant le pays de réquisitio.ns, et accusaient
de despo.tisme et de trahiso.n les généraux qui
vo.ulaient arreter l'insubo.rdinatiún des tro.upes,
o.u empecher des vexatio.ns inutiles. n résul-
tait de ce co.nflit d'auto.rités un chao.s d'accusa-
tiúns et un déso.rdre de co.mmandement ef-
fro.yables. Biro.n ne po.uvait se faire obéir, et
il n'o.sait mettre en marche sún armée, de
peur qu'elIe ne se débandát au premier mo.u-
vement, o.H pillat túut sur so.n passage. Tel est
le tableau exact des fo.rces que la république
avaít a cette époque dans la Vendée.


Biron se rendit a Tours, arreta un plan
éventuel avec les représentants, qui co.nsistait,
des qu' on aurait un peu réorganisé cette mul-
titude confuse, a po.rter quatre co.lonnes de
dix mille ho.mmes chacune de la circo.nférence
au centre. Les quatre po.ints de départ étaient
les ponts de Cé, Saumur, Chinan et Niort. En
attendant, il alla visiter la Basse-Vendée, o.U il
suppo.sait le danger plus grand que parto.ut


v. II




~.


:)0


;,¡illeurs. Birqn craignait avec raison que des
communica~ions ne s' établissent entre les Ven-
déens et les Anglais. Des rnunitiollS et des
troupes débarquées dans le Marais pouvaiellt
aggraver le mal, et rendre la guerre intermi-
n~ble. Une flotte de dix voiles avait été signa-
lée,et on savait que les émigrés bretons a vaient
re~ll l'ordre de se rendre dans les iles de Jer-
sey et Guernesey. Ainsi tou t j ustifiait les craintes
de Biron, et sa visite dans la Basse-V endée.


Sur ces entrefaites, les Vemléens s'étaiellt
réunis le I er juin. lIs avaient introduit quelque
régularité chez ellX, et nornmé un conseil
pour gouverner le pays occupé par leurs ar-
rnées. Un aventurier, qui se faisait passer ponr
éveque d'Agra et envoyé dn pape, présidait
ce conseil, et, en béniss:mt des drapeaux, en
célébrant des messes solennelles, excitait l'en-
thousiasme des Vendéens, et lenr rendait ainsi
son imposture tres-utile. lIs n'avaient pas en-
core choisi un géuéralissime; rnais chaque
chef commandait les paysans de son quartier,
el il était;convenll qu'ils se coucerteraient en-
tre eux dans toutes leurs opérations. Ce:&chefs
avaient fait une. proclaroíltion au. nom de
L~uis XVII e~ dn eorote de "Pro~eI;l~e, régent
~Iuroyauroe en la minorité du jeune prince,
el ils s'appelaient commandants des armées




CO:YVENTION N A TION A Ll' (1793). 51
royales el catholiques. lis projeterent d'abord
d'occnper la ligne de la Loire, et de s'avan-
cer sur Doné et Sallmllr. J~'entreprise était
hardie, mais faciJe en l' état des choses. Le 7
ils entre/"ent ú Doné, el arl'iverent le 9 de-
vant Saumur. Des que leur marche fut con-
nue, le gélléral Salomon, qni était a Thouars
ave e trois mille hommes de bonnes troupes,
re~ut l'ordre de marcher sur leurs <krrieres.
Salomon obéit, mais les trouva trop en force;
il n'aurait pu essayer de les entamer sans se
faire écraser; il revinta Thouars, et de Thouars
a Niort. Les troupes de Saumur avaÍent pri~
position aux enviroDs de la· ville , sur té che-
rnin de Fontevrault, clans les retranchements
de Nantilly, et sur les halltellrs de Bournan.
l..es Vendéens s'approchent, attaqllent la co-
IOI;me de Berthier, sont repoussés par une
artillerie bien dirigée, lllais reviennent en force;
et font pIier Berthier, qui est blessé. Les gen-
darmes a pied, deux bataillons cl'Orléans et
les cuirassiers résistent encore; mais ceux-ci
perdent leur coIonel; alors la défaite cóm-
mence, et tons sont ramenés dan s la place,
ou \es Vendéens pénetrenta Ieur' suite. 11 res-
tait encore en dehors le général Coustard,
commandant les bataillolls pos tés sur les hau-
tenrs de Bournan. II se voít séparé des troupes





nÉVOLUTlON FHANyA ISE.


républicaines, qui avaient été refoulées dans
Saumur, et forme la résolution hardie d'y
rentrer, en prenant les Vendéens par derriere.
Il fallait traverser un pont ou les vainqueurs
.venaient de placer une batterie. Le brave
Coustard ordonne a un corps de cuirassiers
qu'il avait ases ordres, de charger sur la batte-
rie. - Oú nous envoyez-vons? disent ceux-ci.-
A la mort, répond Constard; le salut de la répu-
blique l;exige.- Les cuirassiers s'élancent, mais
les bataillons d'Orléans se débandent, et aban-
donnent le 'général et les cuirassiers qui char-
gent la batterie. La lacheté des lI11S rend inutile
l'héroisme des autres, el <;:oustard, ne pouvant
rentl'er dans Saumur, se retire a Angers.


Saumur fut occupé le 9 juin, et le lendemain
le chatean se rendit. Les Vendéens étant mat·
tres du cours de la Loire, pouvaient marcQ.er
OH sur N antes, ou sur la Fleche, le Mans et
Paris. La terreur les précédait, et tout devait
céder devant enx. Pendant ce temps, Biron
était dans la Basse-V endée, ou il croyait, en
s'occupant des cotes, parer aux dangers les
plus réels et les plus gl'aves.


Tous les périls nous mena~aient a la fois. Les
coalisés faisant les siéges de Valenciennes, de
Condé, de Mayence, étaient a la veille de pren-
dre ceil places, boulevarts oe nos frontieres.




CONVENTIOl\ N ATION .UE (1793). 53
J.es Vosges en mouvement, le Jura révolté, ou-
vraient l'acces le plus facile a l'invasion du coté
rlu Rhin. L'armée d'Italie, repoussée par les
Piémontais, avait a dos la révolte du Midi et
les escadres anglaises.Les Espagnols, en pré-
sence du camp franc;ais sous Perpignan, mena-
({aient de l'enlever par une attaque , et de se
rendre mahres du Roussillon. Les révoltés de
la Lozere étaient prets a donner la main aux
Vendéens le long de la Loire, et c'était le pmjet
de l'auteur de ceUe révolte. Les Vendéells, mal-
tres de Saumur et dn cours de la Loire, n'a-
vaieut qu'a vouloir, et possédaient tous les
moyens d'exécuter les plus hardies tentatives
sur l'intérieur. Enfin les fédéralistes, marchant
de Caen, de Bordeaux et de Marseille, se
disposaient a soulever la France sur leurs pas.


N otre situation, dans le mois de juillet 1793,
était d'autant plus désespérante, qu'il y avait
sur tous les points un coup mortel a porter a la
France. Les coalísés du Nord, en négligeaut les
places fortes, n'avaient qu'a marcher sur París,
et ils auraient rejeté la convention sur la Loire,
ou elle aurait été re<;ue par les Vendéens. Les
Autrichiens et les Piémontais pouvaient exécu-
ter une invasion par les Alpes-Marítimes, anéan-
tir notre armée et remonter tont le Midi en
vainqueurs. Les Espagnols étaient en positior~




~4 ' .., lI.EVOLUTION :F~ANc.;:A.ISE.
de s'avancer par Bayonne et d'aller joindre la
Vendée, ou bien, s'ils préféraient le Roussillon,
de lIlarcher hardiment vers la Lozere, peu dis-
tante ele la froIltiere, et ele lIlettre le Midi en
fell. Ellfin les Anglais, itu liel! de cl'Oiser daos
la Méditerrallée, avaiellt le mOyt'n de débar-
qller des trollpes dalls la Vendée, el de les
cónduire de Saumur a Paris.


l\Iais les ennemis extérieurs et iotérieurs de
la convention n'avaient point ce qui assure la
victoire daos une guerre de révolntion. Les
coalisés agissaient saus union, et, sons les ap-
paren ces d'une guerre sainte, cachaient les
vues les plus personllelles. Les Antrichieos
vonlaieot Valenciennes; le roi de Prusse,
Mayence; les Anglais, Dunkerque; les Pié-
montais aspiraient a recouvrer Chambéry et
Nice ; les Espagnols, les moins intéressés de
tons, songeaient néanmoins quelque peu au
Ronssillon; les Anglais enfin pensaient plutot
a couvrir la Méditerranée de leurs fIottes,
et a y gagner qnelque port, que de porter
d'utiles secours dans la Velldée. Outre cet
égoÍslIle universel qui emptkhait les coalisés
d'étendre Ieur vue an-deIa de Ieur utilité im-
médiate. ils étaient ton s méthodiques et timi-
des a la guerre, et défendaient avec la vjcille
l'outine militaire les vieilles routines poIitiques




CONVENTION NA1'IONAU: (1793). 55
pour lesquelles ils s'étaierit armés. Quant aux
Vendéens, insnrgés enhommes simples contre
le génie de la révolution, ils combáttaient en


'1
tirailleurs braves, mais hornés. Les fédéra-
listes répandus sur tOllt le sol de la France,
ayant a s'entendre a de grandes distances pour
concerter leurs opérations, ne se soulevant
qu'avec timidité contre l'alltorité centrale, et
n'étant anímés que de passions médiocres, ne
pouvaient agir qu'avec in certitud e et lentcur.
D'ailleurs ils se faisaient un reproche secret,
celui de compromettre leur patrie par une
diversion coupahle. Ils comm~Il(;aient a sentir
qll'il était criminel de discuter s'Íl faUait etre
révolutionnaire comme Pétioo et Vergnillud,
ou comme :Robespierre et Danton, dans un
moment 00 toute 1'Enrope fondait sur nOllS;
et ils s'apercevaient que dans de teIles circons-
tances, iI n'y avait qu'une honne maniere de
l'etre, c'est-a-dire la plus énergique. Déja en
effet tontes les factions, surgissant -autonr
d'eux, les avertissaient de leur faLlte.Ce n'é-
taient pas seulement les cOllstituallts, c'étaieiít
les agents de l'ancienne cour, les sectatelirs de
l'ancien clergé, toas les partisaM,éh '1m mdt,
du pouvoir absolú, qui se levaiént a la fois, et
iI devenait évident pour eux que toure opposi-
tion a la révo\l1tion tournait au profit des én-




56 RÉVOLUTJON ERANc,:Alse.
nemis de toute liberté et de toute nationalité.


TeIles étaient les causes qui rendaient les
coalisés si malhabiles et si tiroides, les Ven-
déens si hornés, les fédéralístes ~i incertains,
et qui devaient assurer le triorophe de la con-
vention sur les révoltes intérieures et sur
l'Europe. Les montagnards, animés seuls d'une
passion forte, d'une pensée unique, le salut
de la révolution, éprouvant cette exaltation
d'esprit qui découvre les moyens les plus neufs
et les plus hardis, qui De les croit jamais ni
trop hasardeux, ni trop cOUteux, s'ils sont sa-
lutaires, devaient déconcerter, par une défense
imprévue et sublime, des ennemis lents, rou-
tiniers, décousus, et étollffer des factiolls qlli
voulaient de l'ancien régime a tous les degrés,
de la révolution a tous les degrés, et qui n'a-
vaient ni accord, ni but déterminé.


La convention, au milieu des circonstances
extraordinaires ou elle était placée, n'éprouva
pas un seul instant de trouble. Pendant que
des places fortes ou des camps retranchés ar-
retaient un moment les ennemis sur les difré-
rentes frolltieres, le comité de salut public
travaillait jour et nnita réorganiser les armé es ,
a les compléter au moyen de la levée de trois
cent mille hommes décrétée en mars, a en-
voyer des instructions aux généraux, a d¿pe-


,




CONVENpON N ATION ALJ, (1793). 57
cher des fonds et des munitions. Il parlemen-
tait avec toutes les administrations locales qui
voulaient retenir, au profit de la cause fédé-
r~liste, les approvisionnements destinés aux
armées, et parvenait a les faire désister par la
grande considération du salut public.


Pendant que ces moyens étaient employés
a l'égard de l'ennemi du dehors, la convention
n'en prenait pas de moins efficaces a l'égard
de l'ennemi dn dedans. La meilleure reS80urce
contre un adversaire qui doute de ses droits et
de ses forces, c'est de ne pas douter des siens.
e'est ainsi que se conduisit la convention. On
a déja vu les décrets énergiques qu'elle avait
ren'dus au premier mouvement de révolte.
Ileaucoup de villes n'ayant pas voulu céder,
J'idée ne lui "int pas un instant de transiger
avec celIes dont les actes prenaient le carac-
tere décidé de la rébellion. Les Lyonnais ayant
refusé d'obéir, et de renvoyer a Paris les pa-
trio tes incarcérés, elle ordonna a ses commis-
saires pres l'armée des Alpes d'employer la
force, sans s'inquiéter ni des difficultés, ni
des périls que ces commissaires couraient a
Grenoble, 00. ils ~~ajent les Piémontais en face,
et tous les révoltés de l'Isere et du Hhone sur
leurs derrieres. Elle leur prescrivit de faire
rentrer MarseiUe dans le devoir. Ene ne laissa




5B ltEVOLllTION FftAN~:AlSli.
que trois jours a tOlltes les administrations
pour rétracter leurs arretés équivoques, et
cnfin elle envoya a Vernon quelques gendar-
mes et quelques mille citoyens de Paris, pour
soumettre sur-Ie-champ les illsurgés du Cal-
vados, les plus rapprochés de la capitale. .


La grande ressource de la constitution ne fut
pas négligée, et huit jours suffirent pour ache-
ver cet ouvrage, qui était plutot un moyen de
ralliement qu'un véritable plan de législation.
Hérault de Séchelles en avait été le rédacteur.
D'apres ce projet, tout Fran(,;ais agé de vingt-
un ans était citoyen, et pouvait exercer ses
droits politiques, sans aucune condition de
fortune ni de propriété. Les citoyens réunls
nommaient un député par cinquante mille
ames. Les députés, composant une seule as-
semblée, ne pouvaient siéger qu'un ano lis
faisaient des d~crets pour tout ce qui concer-
nait les besoins pressants de l'état, et ces dé-
crets étaient exécutoires sur-le-champ. Ils ül.i-
saient des loís pour tout ce qui concernait les
matieres d'un intéret général et moins ur-
gent, et ces loís n'étaient sanctionnées que
lorsque, dans un délai domlé, les assemblées
primaíres n'avaiellt pas réc1amé. Le premier
jour de ma.í, les assemblées primaires se for-
Jnaientde droit et sans convocation, pon!' renoll·




CONv·iNTION NATIONALE (1793). 59
veler la députation. Les assemblées primaires
pouvaient demander des eonventions ponr mo-
difier l'aete eonstitutionnel. Le pouvoir exé-
cutif était cOllfié a vingt - qllatre memhres
nommés par des électeurs, et c'était la sellle
élection médiate Les assemblées primaires
nommaient les électeurs, ces électeurs nom-
maient des candidats, et le corps législatif ré-
duisait par élimination les candidats a vingt-
quatre. Ces vingt-qnatre membres du conseil
choisissaicllt les généraux, les ministres, les
agents de tOllte espece, et les prenaient hors
de leur sein. lis devaient les diriger, les SUl'·
veiUer; et ils étaient eontinuellement respon~
sables. Le conseil exécutif se renouvelait tous.
les ans par moitié. Enfin, eette constitlltion si
courte, si démocratique, ou le gouvernement
se réduisait a un simple commissariat tempo-
raire, respectait cependant un seul vestige de


. l'ancien régime, les communes, et n'en chan-
geait ni la circonscription ni les attributÍons.
L'énergie dont elles avaient fait preuve Ieur
avait val u d' etre conservées sur eette table rase,
ou ne subsistait pas une seute trace du passé.
Presque sans discussion, et en huit jours, cette
cOllstitution fut adoptée"', et a l'instant ou l'en-


* Elle fut décrétée le 24 juin. Le projet avait été pré-
senté le ID.




60 :RÉVOLUTION FRAN~A[St..
semble en fut voté,le canon retentitdans Paris,
et des cris d'allégresse s'éleverent de toutes
parts. Elle fut imprimée a des miUiers d'exem-
plaires, pour .etre envoyée a tonte la France.
Elle n'essuya qu'une seule contradiction, ce
fut de la part de quelques.uns des agitateurs
qui avaient puéparé le 31 maL


On se souvientdujeune Varlet, pérorant sur
les places publiques; dujeune Lyonnais Leclerc,
si violent dan s ses c1iscours aux Jacobins, et
suspect meme a Marat par ses emportements;
de ce Jacques Roux, si dur envers l'lnfortuné
Louis XVI, qui voulait lui remettre SOIl testa-
ment: tous ces hommes s'étaient signalés dan s
la derniere insurrection , et avaient une grande
influence au comité de l'Éveché et aux Corde-
liers. Ils trouverent mauvais que la constitution
ue renfermat rien contre les accapareurs; ils
rédigerent une pétition , la firent signer dans
les rues, et coururent soulever les cordeliers,
en disant que" la constitution était incomplete,
puisqu'elle ne contenait aucune disposition
contre les plus grands eunemis du peuple. Le-
gendre voulut en vain résister él ce mouve-
ment; on le traita de modéré, et la pétitiOIi,
adoptée par la société, fut présentée par elle
a la conventíon. A eette nouvelle , tOllt~ la
Moutagne fut illllignée. Robespicl"re, Collot-




CONVENTlON NATIONALF. (J793). 6t
d'Herbois, s'emporterent, firent repousser la
pétition, et se pendirent aux Jacobins pour
montrer le danger de ees exagérations perfides ,
qui n~ tendaient, disaient-ils, qu'a égarer le
peuple, et ne pouvaient ctre que l'ouvrage
d'hommes payés par les ennemis de Ja répu-
blique. ce La eOIlstitution la plus populaire qui
ce aitjamais été, dit Robespierre, "ient de sortir
« d'une assemblée jadis eontre-révolutionnaire,
n mais purgée maintenant des hommes qui
ce eontrariaient sa marche et mettaiellt obstacle
ce a ses opérations. Aujourd'hui pure, eette as-
e( semblée a produit le plus bel ouvrage, le
« plus populaire qui ait jamais été donné aux
a hommes; et u~ individu couvert du manteau
ce du patriotisme, qui se vante d'aimer le peuple
ce plus que nous , ameute des citoyens de tout
.( état, et vent prouver qu'une eonstitution,
(1( qlli doit rallier toute la Franee, ne lellr eon-
e! vient pas! Défiez-volls de telles manreuvres,
(e défiez-vous de ces ci-devant pretres eoalisés
ce avec les Autrichiens! Prenez garde au nou-
a veau masque dont les aristoerates vont se
« couvrir! J'entrevois un nouveau crime dans
« l'avenir, qui n'est peut-etre pas loin d'écla-
(( ter; mai¡ nous le dévoilerons , et nons écra-
t( serons les cnnemis dn penple sons quelque
(( forme qu'i}s puissent se présenter. » Collot-




6:A RÉVOLUTION ,F fLU\'C;: A ISE.
d'Herbois parla aussi vivement que Robes-
pierre; il soutint que les ennemis de la rf.publi-
que voulaient pouvoir dire anx départements :
e( rous voyez, París approuve le langage de
ce Jacques Roux! 1)


Desacclamations unanimes accueillirent les
deaxorateurs. Les jacobins, qui se piquaient
de réurúr la politique a la passion révolution-
naire, la prudence a l'énergie, envoyerént une
députation aux Cordeliers. Collot-d'Herbois en
était l'orateur. J1 fut re<;u aux Cordeliers avec
la considération qui était due a l'un des mem-
bres les plus renommés des Jacobins et de la
Montagne. On profes~a pom la société qui
l'envoyait un respect profond. La pétition fut
rétractée, Jacques Roux et Lec1erc furent ex-
clus, Varlet n'obtint son pardon qu'en raison
de son age, et Legendre ret;ut des excuses pour
les paroles peu convenables qu'on 'lui aváit
adressées dans la séance précédente. La consti-
tution ainsi vellgée fut envo.yée a la France
poux etl'e sanctionnée par toutes les assem-
blées primaires.


Ainsi la convention présentáit aux dép'arte-
ments, d'une main' la constitution, de l'autre
le décret qui ne leut donnait que 4:r01S jours
¡>our se décider. La constittltioll justifiait la
Montagne de tout projet d'nsurpation, four-




r'ONVENT{O:'/ NATIONALE (1793). .63
nissait un prétexte de se rallier a une autorité
justifiée; et le décret des trois jours ne donnait
pas le temps .d'hésiter, et obligeait 11 préférer
le partí de l'obéissance.


Bt>aucollp oe départements en effet céderent,
et d'amres persisterent dans leurs premieres
démarches. Mais ceux-ci échangeant des adres-
ses, s'envoyallt des députations, semblaient
s'attendre les uns les autres pour agir. Les dis~
tances ne permettaient pas de correspondre ra-
pidement et de former un ensemble. En outre,
le défaut de génie révolutionnaire empechait
detrouver les ressources nécessaires pourréus..:
sil', Quelque bien dísposées que sOlent les
mltsstl$, . eHes ne sont jamais pretes a tous les
sa.crifices, si des hommes passionnés ne ies y
obligeut paso Il aurait fallu des moyens violents
pour soulever les bourgeois modérés des villes,
pour les obliger a marcher, a contribue[1, a se
h:lter. Mais les girondins, qui condamllaient
tous ces moyens chez les montagnards, ne
pouvaient les employer ellx-memes. Les né-
gociants bordelais croyaient ,'lVoir beaucoup
fait quand ils avaieut parlé aVflC un pell de
vivaeité dans les sections, mais ils n'étaient pas
sot'tios.de leurs IllUl'S. Les Marseillais, un peu
plusprompts., avaient envoyé six mille hommes
it A vigllOIl. maif> ils ne composaient pas eux-




..


64 RlivOLUTION FRANQAISR.
memes eette petite armée ; ils s'étaient faít
remplaeer par des soldats payés. Les Lyonnais
attendaient la jonetion des Proven<;aux et des
Languedociens; les Normands paraíssaient un
peu refroidis; les Bretons seuls ne s'étaient pas
démentis, et avaient rempli eux - memes les
cadres de leurs bataillons.


On s'agitait beaucoup a Caen, centre prin-
cipal de l'insurrectioll. C'étaient les colonnes
parties de ce point quí devaient rencontrer les
premü~res les troupes de la convention , et ce
premier e,ngagemellt ne pouvait qu'avoir une
grande importance. Les députés proscrits et
assemblés autour de Wimpffen se plaignaient
de ses lenteurs, et croyaient entrevoir en luí
un royaliste. Wimpffen, pressé de toutes parts,
ordonna enfin a Puisaye de porter, le 13 juillet,
son avant-garde a Vernon, et annonc;;a qu'il
aIlait marcher lui-meme avec tOlltes ses forces.
Le 13, en effet, Puisaye s'avan<;a vers Paey, et
rencontra les levées de Paris, aeeompagnées
de quelques centaines de gendarmes. Ql1elql1es
coups de fusils furent tirés de part et d'al1tre
dans les bois. Le lendemain 14, les fédéralistes
oecuperent Pacy et parurent avoir un léger
avantage. Mais le jour suivant les troupes de
la convention se montrerent avec du canon.
A la premiere décharge, la terreur se répandit




CONVEr.TlON NATioN ALE (1793). 65
dans les rangs des fédéralistes; ils se disperse-
rent et s' enfuirent eonfusément a É-vreux. Les
Bretons, plus ferllles, se retirerent avec moins
de désordre, mais iIs furent entrainés dan s le
mouvement rétrograde des autres. A eette nou'"
veIIe, la consternation se 'répandit dans le Cal-
vados, et ton tes les administrations eommen-
cerent a se repentir de leurs imprudentes
démarehes. Des qu'on apprit eette déroute a
Caen, Wimpffen assembla les députés, leur


. proposa de se retraneher dans eette ville, et
d'y faire une résistanee opiniatre. Wimpffen,
s'ouvrant ensuite davantage, leur dit qu'il ne
voyait qu'un moyen de sOl1tenir ceHe lutte,
e' était de se ménager un allié puissan t, et que \
s'ils voulaient, il leur en procurerait un; il
leur laissa meme deviner qu'il s'agissait du ca-
binet anglais. Il ajouta qu'il eroyait la répu-
blique impossible, et qu'a s{;S yeux le retour
a la monarchie ne serait pas un malheur. Les
girondins repousserent avec foree toute offre
de ce genre, et témoignerent la plus frauche
indignation. Quelques - uns eornmencerent a
sentir alors l'imprudenee de leur tentative, et
le danger de lever un étendard queleonque,
puisque toutes les faetions venaient s'y ralJier
pour renverser la république. Ils ne perdirent
eependant pas tont espoir, et songel'ellt a se
~ 5




66 HivOLUTION FJlANyA (SE.
r'etirer a Bordeaux, ou quelques-uns eroyaient
pouvoiJ' opéJ'er un mouvement ¡sineeremeut
répuhlicain, et plus heureux que celui dll Cal-
vados et de la Bl'etagne. Ils partirent done avec
les hataiUons bretons qui retollrnaient chez
eux, el projeteNnt d'aUer s'embarquer a Brest.
Ils prirent l'habit de soldat, et se confondirent
daus les rangs du bataillou du .Fínistere. lIs
av~ieut besoin de se cacher depuis l'échec de
Vernon , paree que toutes les administrations.
e~pressées de se soumettre et de donller des
preuves de zele a la convcntiou) auraicllt pn
les faire l:\ .. reter.lIs parcoururent ainsi une
partie de la Normandie et de la Bretagne au
miljeu de dangers continuels et de souffrances
affreuses, et vinrent se cacher allX environs
de Brest, pour se remIre ensuite a Bordeaux.
Barbaron,,", Pétion , Salles, Louvet, Meilhan ,
Guadet, Kervélégan, Gorsas, Girey - Dupl'é,
collabol'!lteur de Brissot, Marchenna, jeune
Espaguol qui était ven u chercher la liberté
en Fr~ce, Riouffe, jeulle homme attaché par
cnthousiasme aux girondins, composaicllt cette
troupe d'illu!\tres fugitifs, poursuivis comme
traitres a la patrie, quoique tont prets cepen-
dant a donner leur vie ponr elle, et croyant
rrlt~me encore la servir alors qu'ils la compro-
mettaient par la ph¡s dangereusp diversion.




CONVENTION N ATION ALE ('793). G7
Dans la Bretagne, dans les départéltlents de


l'Onest et d n bassin supérieur de la Loire, les
administrations s'empresserent de se rétracter
ponr éviter d'étre mises hors la loi. La consti"
tntlon, trallsportée en tous lienx, était le pré.
texte d'une soumission universelle. La conven-
tian, disait-on, n'entendait ni s'éterniser, ui
s'emparer dn pOllvoir, Pllisqu'elle donnait uut'
constitlltion; cette constitution devait terminer
hientot le regne des factions, et paraissait Con-
tenir le gouvernement le plus sirnple qtt'on eút
jamais "u. Pendant ce temps, les municipalit{·s
montagnardes, les clubs jacobins, redoublaienl
d'énergie, et les honnetes pattisans de la Gi-
ronde cédaient elevant une révolution qu'ils
n'llvaient pas assez de force pour combattre +
et qu'ils n'auraient pas eu assez de force pour
défendre. Des ce moment, Toulouse chercha a
se justifier. Les Bordelais, plus prononcés, ne
se soumirent pas formellement, mais iIs firent
rentrer leur avant-garde, et cesserent d'annon-
cer leur marche sur Paris. Deux autres événe-
ments importants vinrent terminer les dangers
de la convention (lans l'Onest et le Midi': ce
fut la défense de Nantes, et la dispersion des
rebeBes de la Lozere.


On a Vll les Vendéens a Saumllr, maltres dn
cours de la Loire, et pOllvant, s'ils avaient ap"


:J.




tlÉVOLUTION FRAN(,:AISF..


précié leur position, faire sur Paris une tenta-
tive qui eut peut-etre réussi, car la Fleche et
le Mans étaient sans aucun moyen de résis-
tance. Le jeune Bonchamps, qui portait selll
ses vues al) - deJa de la Vendée, 311rait vouln
qu'on tit une incursion en Bretagne, pOllr se
donner un port sur l'Océan, et marcher en-
suite sur Paris. Majs il ll'y avait pas assez de
génie chez ses compagnons d'armes pour qu'il
fUt compris. La véritable capitale sur laquellf'
il faUait marcher, selon eux, c'était Nantes: ni
leur esprit ni leurs vreux n'allaient au-dela. I!
y avait cependant plusieurs raisons d'en agil'
ainsi; car Nantes ouvrait les communications
avec la mer, assurait ]a possession de tout le
pays, et rien n'empechait les Vendéens, apres
la prise de cette vi!le, de ten ter des projets
plus hardis : d'ailleurs, ils n'arrachaient pas
]ellrs soldats de chez eux, considération im-
portante avec des paysans qui ne voulaient ja-
mais perdre lenr clocher de vue. Charette,
maitre de la Basse-Vendée, apres avoir fait une
fausse démonstration sur les Sables, s'était em-
paré de Machecoul, et se trouvait aux portes
de Nantes. n ne s'était jamais concerté avec
les chefs de la Haute-Vendée, mais il offrait
cetle fois de s'entcndre avec eux. Il promettait
d'·attaquer Nantes par la rive gauche, tandis




CONVJ!NTION NATIONA.LI': (J 793). 69
que la grande armée l'attaquerait par la rive
droite, et iI semblait difficile de ne pas réussir
avec un tel conconrs de moyens.


Les Vendéells évacuercnt donc Saumllr, des-
cendirent vers Angers, et se disposerent a mar-
cher d'Angers sur Nantes, en filant le long de
la rive droite de la Loire. Leur armée était fort
Jiminnée, paree que heaucoup de paysans ne
voulaient pas s'engager dans une expédition
aussi longue; cependant elle se composait en-
core de trente mille hornmes a peu preso Ils
1l0mmerent un généralissime, et firent choix
du voiturier Cathelillean, pour flatter les pay-
sans et se les attacher davantage. M. de Les-
cure, blessé, dut rester .dans l'intérieur dLl pays
pour faire de nouveaux rassemblements, ponr
tenir les troupes de Niort en échec, et empe-
cher que le siége de Nantes ne flit troublé.


Pendant ee temps, la commissioll des repré-
sentants séant a Tours demandait des seconrs
a tout le monde, et pressait Bil'On, qui visitait
la cote, de se pOl'ter en toute hate sur les der-
rieres des Vendéells. N e se contentallt meme
pas de rappeler Biron, elle ordonnait des mou-
vements en son absence, et faisait marcher ven;
Nantes toutes les troupes qu'on avait pu ré-
unir.a Saumur. Biron répondit aussitot anx ins-
tances de Jacommission. n consentait, disait-il,




70 RÉVOLUTION ],'JlANftAlS.t:.
au mouvement exécuté salls ses ordres, mais
il étaít obligé de garder les Sables et La Ro-
chelle, vilJes plus importantes a ses yeux que
Nantes; les batailIons de la Gironde, les meil-
lems de l'armée, allaienlle quitter, et il fallait
qu'il les rempla(,;3.t; iI lui était impossible de
mouvoir son armée salls la voir se débander et
se livrer au piHage, tant elle était indiscipli-
née; il pOllvait done tout au plus en détacher
trois mille hommes organisés, et iI y aurait de
la folie, ajoutait-iI, a marcher sur Saumur, et
a s~enfoncer dans le pays avec des forces si peu
considérables. Riron écrivit en meme temps au
comité de 8alut public qu'il donnait sa démis-
sion, puisque les représentants voulaient ainsi
s'arroger le commandemellt. Le comité lui ré-
pondit qu'il avait toute raisan, que les rerré-
sentants pouvaient conseiller ou.proposer cer-
taines opérations, mais ne devaient pas les
ordonner, et que c'était a. lui seul a prendre
les mesures qu'il croirait convenables pour con-
server Nantes, La Rochelle et Niort. Hiron n' en
tit pasmoins tons ses efforts pour se compo-
ser une petite a\'mée plus mobile, et avec la-
quelle il put aUer au seCOUFS de la ville assiégée.


Les Vendéells, dans cet intervalle , quitterent
Angers le 27, et se trouverent le 28 en vue de
~antes. lis firent une sommation mena~rnte




CONVENTION NATIONALf ('1793). 71
q ui ne fut pas meme écoutée, et se prépareren t
a l'attaqúe. Elle de.áit avoil' líen sur les deux
rives le ~9, a deux henres du matin. Canc1aux
n'av811, pour garder uO espace immense, Mupé
par plusiellrs bras de la Loire, que cinq mille
hommes de trollpes réglées, el a pen pres au-
tant de gardes nationales. Il fit les meillellres
dispositjons, et communiqua le plus grand cou-
rage a la garnisolJ. Le 29, Charette attaqua, a
l'heure convenue, du coté de~ p01Jts; ~ais Ca-
thelineau, qui agissait par la rive droite, et
avait la partie la plus dífficile de l'eI11reprise,
fut arre té par le poste de Nort, ou qtie)qtJes
cents hommes firent la résistAtWé' .13 phIJS hé-
roique. L'attaque retardé e (h'l c~ úbtéen deV'Ínt
plus difficile. Cependant les Veodéens se ré-
pandirent derriere les haíes el les jal'dins, el
seneren! la viHe de tres-preso Candanx, géné-
ral en chef, et Beysser, commandant de la place,
maintintent partout les troupes républicaines.
De son coté, Cathelineau redoubla d'effol"'ts;
déjit il s'était fort avancé dans un fa.1!Jlbo'6llg,
lofsqu'uDe halle vint le frapper mt1rlen~b'.
Ses soldats se refÍrerent consternéseli fcHllpm--
t1:f.M sur leurs épaules.De5~ce' m0fuent, 1'atra-
que se ralentit. Apres dix-htloÍ·theúit€S de com-
l)at, les V énd~ se disperserent, et la place
fot sauvée.




7 'lo RÉVOLU'I'JON FRANr,;AlSI-:.
Tout le monde dans ecHe journée avait faít


son devoir. La garde nationale avait rivalisé
avec les trollpes de ligne, et le maire lui-meme
re<tut une blessnre. Le lendemain, les Vendéens
se jeterent dans des barques, et rentrerent dans
l'intérieur du pays. Des ce moment, l'occasion
des grandes elltreprises fut perdue pour eux;
i1s ne devaient plus aspirer a exécuter rien d'im-
p.ortant, el pouvaient espérer toul au plus. d'oc-
cuper leur propre pays. Dans ce moment, Bi-
ron, s~ halant de secou,rir Nantes, arrivait a
Angers avec ce qu'il avait pu réunir de troupes,
et Westermann se rendait dans la, Vendée avec
sa légion, germaniqlle.


Nantes était a peine délivrée, que l'adminis-
tratíon! toute disposée en faveur des gíron-
dins! voulut se réunir aux insurgés, du Calva-
nos. Elle rendit en effet un arreté hostile contre
la convention. Canclaux s'y opposa, de toutes
ses forees, et réus,sit a ram,ener les N a,ntai8 a
l'ordre.


Les dangers les plus grans étaieHt done
surmontéS,de ce coté. Un événement non moins
important se passait dans la Lozere; e'était la
soumission de trente mille révoltés, qui au-
raient pu commulliqller avec les Vendéens, 00
avec les Espagnol,s par le ROllssillon.


Par une circonst~nce eles plus hellreuses, l,e.




CONVJ<:NTION N ATlON ALE (1793'). 73
député Fabl'e, envoyé a l'armée des Pyrénées-
Orientales, se trouvait sur les lieux au moment
de la révolte; il Y déploya l'énergie qui plus
tard luí fit chercher et frou ver la mort aux
Pyrénées. n s'empara des administrations, mit
la population entiere sous les armes, appela a
lui toutes les forces des environs en gendar-
merie et troupes réglées; il souleva le Cantal,
la Haute-Loire, le Puy-de-Dome, et les révoltés
frappés, des le premier mom~nt, poursuivis
de toutes parts, furellt dispersés, rejetés oans
les bois, etleur chef, l'ex-constituant Charrier,
tomba lui-meme au pouvoir des vainqueurs.
On acquit, par ses papiers , la preuve que son
projet était lié a la grande cODspiration décou-
verte six mois auparavant en Bretagne, et dont
le chef, La Rouarie, était mort san s pouvoir
réaliser ses projets. Dans les montagnes du
Centre et du Midi, la tranquillité était done
assurée, les derrieres de l'armée des Pyrénées
étaient garantís, et la vallée du Rhone n'avait
plus l'un de ses flancs couvert par des monta-
gnes insurgées.


Dne victoíre inattendue sur l\is Espagnols
dans 1"e RoussilLon aehevait d'assurer la soumis-.
sion du Midi. On les. a vus, apres leur premiere
marche dans les vallées du Tech et oe la Tet,
rétrograder pour prendre Bellegarde et lefA




74 nÉVOLUTIUN '·RAN~~AISF:.
Bains, et revenir ensuite se placer devant le
camp fran~ais. Apres l'avoir long-temps obser-
vé , iJs l'attaquerent le 17 juillet. Les Fran~ais
avaient a peine douze mille jeulles soldats : les
Espagnols au contraire comptaient quiJlze ou
seize mille hommes parfaitement aguerrís. Ri-
cardos, dan!\ l'intention de nous envelopper,
avaít trop divisé son attaque. Nos jeunes vo-
lontaires, soutenus par le général Barhantane
et le brave Dagobert, tenaient ferme dans letll"s
retranchements, et apres des efforls inouIs,
les Espagnols parurent décidés a se retirer.
Dagobert, qui attclldait ce moment, se préci-
pite su!" eux , mai~ un de ses bataillons se dé-
bande tout -a -cou p, et se laisse ramener en
désordre. Heureusement a cette vue, Deflers,
Barbantane, viennent au secoursdeDagohert,
et tous s'élancent avec tant de violence, que
l'ennemi est culbuté 3U Join. Ce combat du
17 j uillet releva le conrage de nos soldats, et,
SUlvant le témoignage d'nn historien, produi-
sjr aux Pyrénées l'effel que VaJmy avait produit
dans la Champagne l'année précédente.


Du coté des Alpes ~ Duoois - Graneé, placé
entre la Savoie mécontente, la Suisse incer-
taine, Gl'cnoble et Lyon révolté~, se concluisait
avec autant de force que de bonheur. Tandis
que les autorités sectionnaires pretaient devant




CONVKNTJON NATIOilIALE (1793). 75
lui le serment fédéraliste, il faisait preter le
serment opposé au club eta son armée, et at-
tendait le premier mouvement favorable pour
agir. Ayant saisi en effet la correspondance des
autorités, il Y trouva la preuve ql1'elles cher-
chaient a se coaliser avec Lyon; alors il les
dénon<,;a au peuple de Grenoble comme vou-
lant amener la dissolution de la république par
une guerre civile, et profitant J'un moment de
chaleur, il les tit destitLler, et rendít tous les
pouvoirs a l'ancienne municipalité. Des ce mo-
ment, tranquille sur Grenoble, il s'occupa de
réorganiser l'armée des Alpes, afin de conser-
ver la Savoie et de faire exécuter les décrets
de la conventioll tontre Lyon et Marseille. n
changea tous les états-majors, rétablit l'ordre
dans ses bataiHons, incorpora les recrues pro-
veDant de la Ievée des trois cent mille hommes;
et quoique les départements de la Lozere, de
la Haute-Loire, eussent employé leur contin-
gent a étouffer la révolte de leurs montagnes,
iI lacha d'y snppléer par des réquisitions. Apres
ces premiers soins, il fit partir le général
Carteaux avec quelques mille hommes d'infan-
terie, et avec la légion levéc en Savoie SOU&
le noro de légion des Allobroges, pour se reu-
dre a Valence, y occllper le cours du "Rhóne,
et empecher la jonction des Marseillais avec




"76 , RÉVOLUTlON FRANCjAJ5l':.
les Lyollnais. Carteaux, partí dans les pl'emier'$
jours de juillet, se porta rapidement sur Va-
lence, et de Valence sur le Saiut-Esprit, ou il
enleva le corps des Nimois, dispersa les uns,
s'incorporales autres, el s'assura les deux rives
dn Rhóne. Il se jeta imrnédiatement apres sur
A vignon, ou les MarseiUais s' étaient établis
quelque temps auparavant.


Tundis que ces événements se passaient a Gre-
noble, Lyon affectant toujours la plus grande
fidélité a la république, promettant de main-
tenir son unité, son lizdivisibilité, n'obéissait
pourtant pas au décret de la conventioll , qui
évoquait an tribunal révolutiollIlaire de Paris
les procédures intentées cqntre divers patriotes.
Sa commission et son état - major se remplis-
saient de royalistes cachés. Rambaud, prési-
dent de la commission, Précy, commandant
de la force départementale, étaient secretement
dévoués a la cause de l'émigration. Égarés par
de dangereuses suggestions, les malheureux
Lyounais allaient se compromettre avec la con-
vention, qui, désormais obéie et victorieuse,
devait faire tomber sur la derniere ville restée
en révolte toul le chtuiment réservé au fédé-
ralisme vaincu. En attendant, ils s'armaient a
Saint.Étienlle, réuuissaient des désert.eurs de
toute especc ; mais cherchallt toujours a ue pas




CONV}:NTfON N ATION HE (f 793). 77
se montrer en révolte ouverte, i1s laissaient
passer les convois destinés aux frontieres, et
ordonnaient l'élargissement des députés Noel-
Pointe, Santeyra et Lesterpt-Beauvais, arretés
par les communes environnantes.


l,e Jura était un peu calmé; les representants
Bassal et Garniel'. qu'on y a VllS avec qllinze
cents hommes enveloppés par quinze mi1le,
avaient éloigné lcurs forces trop insuffisantes,
et taché de négocier. Ils réussirent, et les ad-
ministrations révoltées leur avaient promis de
mettre fin a ce mouvement par l'acceptation
de la constitution.


Pres de deux mois s'étaient écoulés depuis
le 2. juin ( car on touchait a la fin de juillet );
ValeucÍennes et Mayence étaient toujours me-
nacées; mais la Normanclie , la Bretagne et pres-
que tons les départements de rOnest étaient
rentrés son s l'obéissance. Nantes venait l)'etre
délivrée des Veudéens, les Boroelais n'osaient
pas sortír de leurs murs, la Lozere était sou-
mise; les Pyréllées se tronvaieJlt garanties potlr
le moment, Grenoble était pacifié, Marseille
était isolée de Lyon par les succes de Carteaux,
el Lyon, quoique refusant d' obéir allX décrets,
n'osait cependant pas déclarer la guerreo L'au-
torité oe la convention était donc' a peu pres
rét;.¡blie d;.¡ns l'intéricur. D'une part, la len-




78 R]~VOr.UTION I'R ¡\N~AJSE.
teur des férléralistes, leur défaut tI'ensemble,
leurs demi-moyens; de l'antrc, l'énergie de la
convention, l'nnité de sa puissauce, sa posi-
lion centrale, son habitude du commande-
ment, sa politique tour-a-tour habiJe et forte,
avaient décidé le triomphe de la Montagne SUJ'
ce dernier effort des girondins. AppJaudissons-
nous de ce résultat, car dan s un moment ou
la }<'rance était attaquée de toutes parts, le plus
digne de cornrnander c'était le plus fort. Les
fédéraJistes vaincus se conclarnnaient par Jeurs
propres paroles: Les homH~tes gens, disaiellt-
ils, n'ont jarnais su avoir de l'énergie.


Mais, tandis que les fédéralistes Sllccom-
Laient de tous cotés, un dernier accident allait
exciter contre eux les plus grandes fureurs.


A cette époque vÍvait dans le Calvados une
jeune filIe, agée de vingt-cinq ans, réunissant
a une grande beauté un caractere ferme el in-
dépendant. Elle se nommait Charlotte Corday
d'Armans. Ses mamrs étaient pures, mais son
esprit était actif et inquieto Elle avait quitté la
maison paternelle pour aller vivl'e avec plus de
liberté chez une de ses amies a Caen. Son pere
Hvait autrefois, par quelques écrits, réclamé
les priviléges de sa province, a l'époque oú la
Franee était réduite encore a réclamer des
priviléges ele villes et d~ provinces. VI jeune




CONVJ.:NTlON NATIONALE (1793). 79
Corclay s'était enflammée ponr la cause de la
révolution, comme beaucoup de femmes de
son temps, et, de meme que madame Roland,
elle était enivrée de !'idée d'une républiqlle
sOllmise aux lois et féconde en vertus. Les gi-
rondills lui paraissaient vouloir réaliser son
reve; l~ montagnards semblaient seuls yap-
porte/' des obstacles; et, a la nouvelle du 31
maí, elle résolut de venger ses orateurs chérÍs.
La guerre dll Calvados commem;ait; elle cmt
que la mort dll chef des anarchistes, concou-
rant avec l'insurrectioll des départements, as-
sllrel'ait la victoire (le ces derniers; elle résolut
done de -faire un granel acte de dévouemeI~ t ,
et de consacrer a sa patrie une vie dont un
époux, des enfants, une famille, ne faisaient
ni l'occupation ni le channe. Elle trompa son
pere, et lui écrivit que les troublcs de la France
elevenant tous les jours plus effrayants, elle
allait chercher le calme et la sécurité en An-
gleterre. Tout en écrivant cela, elle s'achemi-
nait vers Paris. A vant son départ, elle voulut
voir el Caen les députes, objet de son enthou-
siasme et de son dévouement. Pour parvenir
jusqu'a eux, elle imagina un prétexte, et de-
manda a Barbaroux une lettre de J'ecomman-
dation aupres du ministre de l'intérieur, ayant,
disait - (~lIe, des papiers a réclamer pour une




80 ltEVOLUTION FnAN~AIS}:'
amie, aneienne chanoinesse. Barbaroux luí en
donna une pour le député Duperret, ami de
Garat. Ses collegues, qui la virent eomme luí,
et eomme luí l'entendirent exprimer sa haine
eontre les montagnards, et son enthousiasme
pour une république pure el réguliere, furent
frappés de sa beauté et touchés de ses sen ti-
ments. Tous ignoraient ses projets.


Arrivée a Paris, Charlotte Corday songea 11
choisir sa victime. Danton etRobespierre étaient
assez célebres dans la Montagne pour mériter
ses coups, mais Marat était eelui qui avait paru
le plus effrayant aux provinees, et qll'on re-
gardait comme le chef oes anarchistes. Elle
voulait o'abord frapper Marat au falte meme
de la Montagne et al! milieu de ses amis, maÍs
elle ne le pouvait plus, cal' Marat se trouvait
dans' un état qui l'empechait de siéger 11 la
convention. On se rapBelle sans doute qu'iI
s'était suspenou vololltairement pendantquinze
jours; mais, voyant que le proces des giron-
dins ne pouvait etre vidé encore, il mit fin 11
cette ridicule comédie, et repartlt a sa place.
Bientot une de ces mala die s inflammatoires
qui, dans les révollltions, terminent ces exis-
tences orageuses que ne termine pas l'écha-
faud, l' obligea á se retirer et 11 rentrer dans
sa demeure. La, rien /le pOllvait calmer sa cIpo




CONVENTION NATfONAU (1793). 8r
vorante activité; iI passait une partie du jour
dans son bain, entouré de plumes et de papier,
écrivant sans cesse, rédigeant son journal,
adressant des Iettres a la convention, et se
plaignant de ce qn'on ne Ieur donnait pas as-
sez d'attention. Il en éerivit une derniere, di-
sant que, si on ne la lisait pas, il a1lalt se faire
transporter malade a la tribune, et la lire lui-
meme. Dans eette lettre, il dénon~ait deux gé-
néraux, Custine et Bimn. « Custine, disait-
il, transporté dn Rhin au N ord, y faisait comme
Dumouriez, il médisait des anarchistes, il com-
posait ses états-majors a sa fantaisié, armait
certains bataillons, désarmait certains autres,
et les distribuait conformément a ses pIans, qUl,
sans dOllte, étaient ceux d'un conspirateur. »
(On se souvient que Custine profitait du siége
de Valcnciennes pour réorganiser I'armée dn
Nord au camp de César.) «Quant a Biron,
c'était un aneien valet rle cour; iI affectait une
grande crainte des Anglais pour se tenir dans
la Basse .. Vendée, et laisser a l'ennemi la pos-
session de la Vendée supérieure. Évidemment
iI n'attendait qn'nne descente, pour lui-meme
se réunil' aux Anglais et Ieur livrer notre ar-
mée. La guerre de la Vendée aurait dü etre déja
fip.ie. Un homme judicieux, apres avoir vu les
Vendéens se haUre une fois, devait trouver le


v. G




82 REVOLUTION FRAN~AISE.
moyen de les détruire. Pour lui, qui possé-
dait aussi la science militaire, il avait imaginé
une manreuvre infaillible, et si son état de santé
n'avait pa-s été aussi mauvais, il se serait fait
transportér sur les bords de la Loire pour met-
tre lui-meme ce plan a exécution. Custine et
Biron étaient les deux Dumouriez du moment;
et, apres les avoir arretés, il fallait prendre
une derniere mesure qui répomlrait a toutes
les calomnies, et engagerait tous les députés
sans retour dans la révolution, c'était de met-
tre a mort les Bourbons prisonniers, et de
mettre a prix la tete des Bourbons fugitifs. De
cette maniere, on n' aeeuserait plus les uns de des-
tiner Orléans au trone, et on empecherait les au-
tres de faire leur paix avec la famille des Capet.»


C'était toujours, comme on le voÍt, la meme
vanité, la meme fureur, et la meme prompti-
tude a devancer les eraintes populaires. Custine
et Biron, en effet, allaient devenir les deux
objets de la fureur générale, et e'était Marat
qui, malade et mourant, avait encore eu l'hon-
neur de l'initiative.


Charlotte Corday, pour l'atteindre, était
done obligée d'aller le chercher chez lui. D'a-
bord elle remil la lettre qu'elle avait pour Du-
perret, remplit sa eommission aupres du mi-
nistre de l'intérieur, et se prépara a consommer




CONVEN'l'ION NATIONALE (J793). 83
son projet. Elle demanda a un cocher de fiacre
la demeure de Marat ,s'y rendít et fut refusée.
Alors elle 'lui écrivit, et luí dit qu'arrivée dn
Calvados, elle avait d'importantes choses a lui
apprendre. C'était assez pour obtenir son intro-
duction. Le 13 juillet, en effet, elle se présente
ithuit heures du soir. La gouvernante de Marat,
jeune femme de 27 ans, ave e laquelle iI vivait
maritaIement, luí oppose que]ques difficuItés;
Marat, quí était dans son bain, entend Char-
lotte Corday, et ordollne qu'on l'introduise.
Restée ·seule ave e lui, elle rapporte ce qu'elle
a Vil a Caen, puis l'écoute, le considere avant
de le frapper. Marat demande avecempresse-
ment le nom des députés présents a Caen; elle
les nomme, et lui, saisissant un crayon, se
met it les écrire, en ajoutallt : (( C'est bien, ils
¡ront tous a la guillotine. -A la guillotine! .....
reprend la jeune Corday indignée; alors eHe
tire un couteau de son sein, frappe Marat
sous le téton gauche, et enfonce le fer j usqu' au
creur. -..1 moi! s'écrie-t-il, a moi, ma chere
amie! - Sa gouvernante s'élance a ce cri; un
commissionnaire qui ployait des journaux ac-
court de son coté; tous deux trouvent Mar'at
plollgé dans son sallg, et la jeullc Corday calme,
sereine, immobile. Le commissÍonnaire la ren-
verse d'nn coup de chaise, Ja gouvernante la


6.




8/, RÉVOl,UTfOl'i f"RANyAISE.
f()Ule aux pieds. Le tumulte attire du mOllde,
et bientot tout le quartier est en rllmeur. La
jeune Corday se releve, et brave avec dignité
les outrages et les fureul's de ceux qui l'en-
tourent. Des membres de la section, accourus
a ce bruit, et fra ppés de sa beallté, de son
courage, dll calme avec lequel elle avoue son
actioIl, empechent qu' on ne la déchire, et la
cOlldllisellt en prison, ou elle continue a tout
confesser avec la meme assurance.


Cet assassinat, comme celui de Lepelletier,
causa une rllmeur extraordinaire. On répandit
sur-Ie-champ que c'étaient les girondius qui
avaient armé Charlotte Corday. On avait dít la
meme chose ponr Lepelletier, et on le répé-
lera dans toutes les occasions semblables. Une
opinion opprimée se signale presque tOlljours
par un coup de poignard; ce n'est qll'une ame
plus exaspérée qui a con~u et exécuté l'acte,
-un l'impute cependant a tous les partisans de
la meme opinion, et on s'autorise ainsi a exer-
'cer sur eux de nouvelles vengeances, et a faire
un martyr. On était embarrassé de trouver des
crimes aux députés détenus ; la révolte dépar-
temen tale fournit un premier prétexte de les
immoler, en les déc1arant· complices des dé-
putés fugitifs; la mort de Marat servitde com-
.plément a Ieurs crimes supposés, et aux rai-




CONVENTION NATIONALE (1793). 85
sons qn'on youlait se procurerpour les envoyer
a l' échafaud. ,


La Montagne, les jacobins, et surtout les
cordeliers, qui se faisaient gloire d'avoir pos-
sédé Marat Jes premiers, d'etre demeurés plus
particulierement liés avec luí, et de ne l'avoir
jamais désavoué, témoignercnt une grande
doulenr. U fut convenu qu'il serait enterré dan s
lenr jardín, et sous les arbres meme ou le soir
illisait sa feuille au peuple. La convention dé-
cicla qu'elle assisterait en corps a ses fuflé-
railles. Aux Jacobins, on pro posa de lui dé-
cerner des honneurs extraordinaires; on voulut
lui donner le Panthéon, bien que la loi ne per-
mil d'y transporter un individu que vingt ans
apres sa mort. On demandait que toute la so~
ciété se rendit en masse a son convoi; que les
presses de rAmi du Pel1ple fussent achetées
par la société, ponr qu'elles ne tombassellt
pas en des mains indignes; que son jOllrnal
fut continué par des successeurs capables, si-
non de l'égaler, dll moins de rappeler son
energie et de remplacer sa vigilance. Robes-
pierre, qui s'attachait a rendre les jacobins
toujours plus imposants, en s'opposant a toutes
leurs vivacités, et qui d'ailleurs voulait ram e,..
ner a lui l'attention, trop fixée sur le martyr,
prit la parole dans cette circonstance. « Si je




86
« parle aujourd'hui, dit:il, c'est que j'ai le
« droit de le faire. Il s'agit des poignards, ils
(e m'attendent, je les ai mérités, et c'est l'effet
« du hasard si Marat a été frappé avant moi.
t( J'ai Clone le droit d'intervenir clans la discus-
« sion, et je le faís pour m'étonner que votre
(( énergie s' épuise ici en vaines déclamations,
ce et que vous ne songiez qu' a de vaines pompes.
C,( Le meilleur moyen de venger Marat, e'est
« de poursuívre impitoyablement ses ennemis.
ee La vengeance qui eherche a se satisfaire en
ti vains honlleurs funéraires s'apaise bientot,
« et ne songe plus a s'exercer d'une maniere
ee plus réelle et plus utile. Renoncez done a
« d'inutiles discussions, et vengez Marat d'une
« maniere plus digne de lui. » Toute discussion
fut écartée par ces paroles, et 011 ne songea
plus aux propositions qui avaient été faites.
Néanmoins, les jacobins, la convention, les
cordelicrs, toutes les sociétés populaires et les
sections, se préparerent a lui déeerner des hon-
neurs magnifiques. Son eorps resta exposé peno
dant plusieurs jonrs; il était découvert, et on
voyaít la blessure qu'il avait re<{ue. Les sociétés
populaires, les sections venaient processionnel-
lement jeter des fleurs sur son cercueil. Chaque
présidcllt pronon<;ait un discours. La sectioIl
de la république vieut la premiere : ( Il est




CONVENTION NAl'ION ALE (1793). 87
« mort, s'écrie son présiJent, il est mort l'ami
« du peuple .... il est mort assassiné!. ... Ne pro-
«( uou<,(ons point son éloge sur ses dépouilles
« inanimées. Son éloge e'est sa conduite, ses
(l écrits, sa pI aje sanglante, et sa mort ! .... Ci-
( toyennes, jetez des fleurs sur le eorps pale
l( de Marat! Marat fut notre ami, il fut l'ami
(( du peuple, c'est pour le peuple qu'il a vécu,
( e'est pour le peuple qu'il est mort. » Apres
ces paroles, des jeunes fi1les font le tour du
cercneíl, et jettent des flellrs sur le corps de
Marat. L'orateur reprend : «( Mais c'est assez
( se lamenter; écoutez la grande ame oe Ma-
« rat, qui se réveille et vous dit : Républicains,
«( mettez un terme a vos pleurs .... Les républi-
« cains ne doivent verser qu'une larme, et son·
( ger ensuite a la patrie. Ce n'est pas moi qu'on


«( a voulu assassiner, e'est la république: ce
« n'est pas moj qu'il faut venger, c'est la ré-
« publique, e' est le peuple, c'est vous. »


Toutes les sodétés, toutes les seetions vin-
rent ainsi l'une apres l'autre autour dn cereueil
de Marat; et si l'histoire rappelle de pareilles
scenes, e'est ponr apprendre aux hornmes a
réfléchir sur l'effet des préoccupations du ml:
ment, et pour les engager a bien s' examÍner
eux-memes lorsqu'ils pleurent les puissants Oll,
malloissent les vaincus du jour.




88 RÉVOLUTlON }·RAN~AISE.
Pendant ce temps, le proces de la jeulle


Conlay s'instruisait avec la rapidité des formes
révolutionnaires. On avait impliqué dan s son
affaire deux députés; l'un était Duperret, ave e
lequel elle avait en des rapports, et qui l'avait
conduite chez le ministre de l'intérieür; l'autre
était Fauchet, ancien éveque, devenu sllspect
a cause de ses liaisons avec le coté droit, et
qu'une femme, ou folle ou méchallte , préten-
dait faussement avoir vu aux tribunes avec
Paccusée.


Charlotte Corday, conduite en présence du
tribunal, conserve le meme calme. Oll lui lit
son acte d'accusation, apres quoi on procede a
l'audition des témoins :-Corday interrompt le
premier témoin, et ne laissant pas le temps de
commencer sa déposition : e'est moi, dit-elle,
qui aí tué Marat. - Qui vous a engagée a com-
mettre cet assassinat? luí demande le présicLent.
-Ses crimes.-Qu'entendez-vous par ses crí-
mes ?-Les malheurs dont il est cause depuis
la révolution. - Qui sont ceux qui vous ont
engagée a cette action? - Moi seule, reprend
fierement la jeune fille. Je l'avais résolu depuis
long-temps, et je n'aurais jamais pris conseil
des autres pour une pareille action. J'aí voulu
donner la paix a mon pays. - Mais croyez-volls
avoir tué tous les Marat?-Non, reprend tris·




CONVJ.:NTION NATfONALE (1793). 89
tement l'accusée, nOIl. Elle laisse ensnite ache-
ver les témoin:s, el apres ehaq ue déposition,
elle répete ehaque fois: « C'est vrai, le dépo-
sant a raison.» Elle ne se défend que d'une
ehose, e'est de sa prétendue eomplicité avec
les girondins. Elle ne dément qu'un seul té-
moin, e'est la femme qui implique Duperret
et Fauchet dans la cause; puis elle se rassied
et écoute le reste de l'instruction avec une par-
faite sérénité. (( Vous le voyez, dit pour toute
défense son avocat Chauveau-Lagarde, l'accu-
sée avoue tout avec une inébranlable assu-
ranee. Ce calme et cette abnégation, sublimes
sons un rapport, ne peuvent s'expliquer que
par le fanatisme politique le plus exalté. C'est
a vous de juger de quel poids cette considéra-
tion morale doit etre dans la balance de "la
justice. )1


Charlotte Corday est coudamnée a la peine
de mort. Son beau visage n'cn parait pas ému;
elle rentre dans sa prison avec le sourire sur
les levres; elle écrit a son pere pour lui de-
mander pardon d'avoir disposé de sa vie ; elle
écrit a Barbaroux, auquel elle raconte son
voyage et son acLion dans une lettre ehar-
mante, pleine de grace, d' esprit et d'élévation;
elle lui dit que ses amis ne doivent pas la re-
gretter, cal' une imagiuation vive, un crenr




90 RÉVOLUTION FRAN<,;:AISE.
sensible, promettent une vie bien orageuse a
ceux qui en sont doués. Elle' ajonte qu'elle
s'est bien vengée de Pétioo, qui él Caeo sus-
pecta un moment ses sentiments politiques.
Ellfin elle le prie de dire él Wimpffen qu'elle
l'a aidé agagner plus d'une bataille. Elle ter-
mine par -ces mots ; « Quel triste peup]e pour
(\ former une république! iI faut au moins
« fODder la paix; le gouvernement viendra
« comme iI pourra. l)


IJe 15, Charlotte Corday subit son jugement
avec le calme qui De l'avait pas quittée. Elle
répondit par l'attitude la plus modeste et ]a
plus digne aux outrages de la vil e populace.
Cependant tous De l'outrageaiellt pas; beau-
coup plaignaient cette filIe si jeune, si belIe,
si désintéressée dans son action, et l'accompa-
gnaient a l'échafaud d'un regard de pitié et
d'admiration.


Marat fut transporté en grande pompe au
jardin des Cordeliers. « Cette pompe, disait le
« rapport de la commune, n'avait rien que de
ee simple et de patriotique : le peuple, rassem-
f( blé sous les bannieres des sectíolls, suivait
«( paisiblement. Un désordre en quelque sorte
« imposant, un silence respectueux, une cons-
« ternation générale, offraient le spectacle le
« plus tonchant. La marche a duré depuis six




CONVENTION NATIONALE (1793). 9 t
« heures du soir jusqu'a minuit; elle était fol'·
« mée de citoyens de toutes les sections, des
« membres de la convention, de ceux de la
l( commune et du département, des électeurs
« et des sociétés populaires. Arrivé dan s le jar-
« din des Cordeliers, le corps de Marat a été
I( déposé sous les arbres, dont les feuilles, lé-
« gerement agitées, réfléchissaient et multi-
« pliaient une lumiere douce et tendre. Le
(1 peuple environnait le cercueil en silence. Le
« président de la convelltioll a d'abord faít un
« discours éloquent, dans lequel il a annoncé
« que le temps arriverait bient6t ou Marat se-
« rait vengé; mais qu'il ne fallait pas, par des
« démarches hatives et inconsidérées, s'attÍrer
« des reproches des ennemis de la patrie. Il a
« ajouté que la liberté ne pouvait périr, et que
« la mort de Marat ne feraít que la consolider.
(( Apres plusieurs discours, qui ont été vive-
« ment applaudis, le corps de Marat a été dé-
« posé dans la fosse. Les larmes ont coulé, et
( chacun s'est retiré l'ame navrée de douleur.»


Le cceur de Marat, disputé par plusieurs so-
ciétés, resta aux cordeliers. Son bus te , ré-
pandu partout avec celui de LepeIJetier et de
Brutus, figura dans toutes les assemblées et
les lieux publics. Le scellé mis sur ses papiers
fu t levé; on ne trollva chez 1 ni q U'!1 Il assignat




9'1 RÉVOLUTlON FRANyAJSE.
de cinq francs, et sa pauvreté fut un nouveau
sujet d'admiration. Sa gonvernante, qu'il avait,
selon les paro les de Chaumette, prise ponr
épouse, un jOllr de beau temps, el la face du
soleil, fut appelée sa veuve, et nourrie aux
frais de l'état.


Telle fut la fin de cet homme, le plus
étrange de cette époque si féconde en carac-
teres. Jeté dans la carriere des sciences, iI vou-
lut renverser tous les systemes; jeté dans les
troublcs poIitiques, il con¡;ut tout d'abord une
pensée affreuse, \lne pensée que les révolu-
tions réalisent chaque jour, a mesure que
leurs dangers s'accroissent, mais qu'elles ne
s'avouent jamais, la destruction de tous leurs
adversaires. Marat, voyant que, tout en les
condamnant, ]a révollltion n'en suivait pas
moins ses conseils, que les hommes qu'il avaít
dénoncés étaient dépopularisés et immolés au
jour qu'il avait prédit, se regarda comme le
plus grand politique des temps modernes, fut
saisi d'un orgueil et d'une audace extraordi-
naires, et resta toujours horrible pour ses ad-
versaires , et an moins étrange pOllr ses amis
eux-memes. n finit par un accident aussi sin-
gulier que S3 vie, et succomba an moment
merne ou les chef" de la république, se con-
centrant pOllr former un gOllvernement cruel




CONVENTION N ATlON ALE (1793). 93
et sombre, ne pouvaient plus s'accommoder
d'un collegue maniaque, systématique et au-
dacieúx, qui aurait dérangé tOI1S leurs plans
par ses saillies. Incapable, en effet, d'etre un
chef actif et entrainant, iI fut l'apótre de la
révollltion; et lorsqu'il ne fallait plus d'apos-
toIat, mais de l'énergie et de la tenue, le poi-
gnard d'une jeune fille indígnée vint a propos
en faire un martyr, et donner un saínt au
peuple, qui, fatigué de ses anciennes images,
avait besoin de s'en créer de nouvelles.


-----_ .. _---






CONVF:NTION Nt\TIONAI.E (1793). 95


CHAP1TRE 11.


Distribution des partis depuis le 31 mai, dans'la conven·
tion, le comilé de salut public et la commune. - Di-
visions dans la Montagne. Discrédit de Danton. - Po-
litique de Robespierre. - Événements en Vendée.
Défaites de Weslermann a Chatillon, et du général
Labaroliére a Vihiers. - Siége et prise de Mayence
par les Prussiens el les Autrichiens. Prise de Valen-
ciennes. - Dangers extremes de la république en
aoUt 1793. - État financiero Discrédit des assignats.
Établísscment du maximum. Détresse publique. Agio-
tage.


DES triumvirs si fameux, iI ne restait plus
que Robespierre et Danton. Pour se faire une
idée de leur influence, il faut voir comment
s'étaient distribués les pouvoirs, et quelle mar-
che avaient suivie les esprits depuis la sup-
pression du coté droit.


Des le .iour meme de son institution, la




96 H~:VOLUTION FR AN«;;AISl:.
convention fut en réalité saisie de tous les pou-
voirs. Elle ne voulút éependant pas les garder
ostensibIement dan s ses mains, afin d'éviter
les apparences du despotisme ; elle laissa done
exister hots d-e son sein un fantóme de pou-
voir exécutif, et conserva des ministres. Mé-
contente de leur administration, dont l'énergie
n'était pas proportiOlmée aux circonstauces,
elle établit, immédiatement apres la défection
de Dumouriez, un comité de salut public, qui
entra en fonctions le loa vril, et quí eut sur
le gouvernement une inspection supérieure. n
peuvait suspendre l'exéeution des mesures
prises par les ministres, .y suppléer quand il
les jugeait insuffisantes, OH les révoqner lors-
qu'iJ les eroyait mauvaises. n rédigeait les ills-
truetions des représentants envoyés en mission,
et pouvait senl correspondre avec eux. Plaeé
de eette maniere au-desslls des ministres et
des représentants, qui étaient eux-memes pI a-
cés au-dessus des fonctionnaires de toute es-
pece, iI avait sons sa main le gouvernement tout
entier. Qnoique, d'apres son titre, cette auto-
rité ne fut qu'une.simple inspection, en réa-
lité elle devenait l'action meme; car un chef
d'état n'exécute jamais rien lui-meme, et se
borne a tont faire faire sons ses yeux, a choi-
sir les agents~, a diriger les opérations. Or, par




CONVENTJON N ATIONALE (1793). 97
son seul droit d'inspection, le comité pouvait
tont cela, et iI l'accomplit. Il régla les opéra-
tions militaires, cornrnanda les approvisionne-
ments, ordonna les mesures de sureté, Hornma
les généraux et les agents de toute espece, et
les ministres tremblants se trouvaient trop
hCllreux de se décharger de toute responsabi-
lité en se réduisant au role de simples commis.
Les membres qui composaient le comité de
sal11t publie étaient Barrere, Delmas, Bréard,
Cambo n , Robert Lindet, Danton, Guyton-
Morveau, Mathieu et Ramel. lIs étaient recon-
nus pour des hommes habites et laborieux, et
quoiqu'ils fussent suspeets d'un peu de roo-
dération, on ne les suspeetait pas au point
de les eroire, corome les girondins, compliees
de l'étranger. En peu de temps, ils réunirent
dans leurs mains toutes les affaires de l'état,
et bien qu'ils n'eussent été nommés que pou!"
un mois, 011 ne voulnt pas les interrompre
dans leurs travaux, et on les prorogea de mois
en mois, du JO avril au 10 maí, du 10 mai au
10 juin, du 10 juin au 10 juillet. Au-dessous
de ce comité, le comité de sureté gél1érale
exer~ait la haute poli ce , chose si importante
en temps de défiance; mais, dans ses foneLÍons
nH~roes, il dépendait du comité de salut publie,
qui, chargé en général de tout ce qUJ inté~


v. 7




98 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
ressait le salut de l'état, devenait compétent
pour rechercher les complots contre la répu-
blique.


Aiosi, par ses décrets, la convention avaitla
volonté supreme; par ses représentaots et son
comité, elle avait l'exécution; de maniere que,
tout en ne voulant pas réunir les pouvoirs daos
ses mains, elle avait étéinviociblement cooduite
par les circonstances, et par le besoin de faire
exécuter, sous ses yeux et par ses propres
membres, ce qu'elle croyait mal fait par des
agents étrangers.


Cependaot,quoique toute l'autorité s'exert,;at
daos son sein ,eUene participait aux opératioos
du gouvernemeot que par son approbation, et
ne les discutaít plus. Les grandes questions d' or-
ganisation sociale étaieot résolues par la con s-
titutíon, qui établissait la démocratie pureo La
question de savoir si on emploierait, pour se
sauver, les moyens les plus révolutionnaires, et
si on s'abandonnerait a tout ce que la passion
pourrait inspirer, était résolue par le 31 mai.
Ainsi la constitution de l'état et la morale po-
litique se trouvaient fixées. Il ne restait done
plus a examiner que des mesures administra-
tives, financieres et militaires. Or, les sujets
de cette nature peuvent rarement etre com-
pris par une nombreuse assemblée, et sont




CONVENTION NATIONALE (1793). 99
livrés a l'arbitraire des hommes qui s'en oecu-
pent spécialement. La convention s'en remet-
taít volontiers a cet égard aux comités qu' elle
avait chargés des affaires. Elle n'avait a soup-
({onner ni leur probité, ni leurs lumieres, ni
Icur úle. Elle était done l'éduite a se taire; et
la derniere révollltion, en lui otant le courage
de discuter, lui en avait en]evé l'occasion. Elle
n'était plus qn'un conseil d'état, ou des comités,
chefs de travaux, venaient rendre des comptes
tOlljollrs applaudis, et proposer des décrets
tOlljollrs adoptés. Les séances, devenucs silen-
cieuses, sombres, et assez courtes, ne se pro-
longeaient plus, comme auparavant, pendant
les journées et les nuits.


Au-dessous de la convention, guí s'occupait
des matieres générales de gouvernement, la
commune s'occllpait du régime municipal, et
y faisait une véritable révolution. Ne songeant
plus, depuis le 3 r mai, a conspirer et a se
servir de la force locale de París contl'e la con-
vention, elle s'occupaÍt de la poliee, des sub-
sistances, des marchés , des cultes, des specta-
eles, des filies publiques meme, et rendait,
sur tous ces objets de régime intérieur et privé,
des arretés qui devenaient bientOt modeles clans
toule la France. Chaumette, procureur-géné-
1'al de la commune, était, par ses réquisitoires





roo RÉVOI,UTlON FRAN9A1SF..


toujours écoutés et applaudís par le peuple,
le rapporteur de cette législature municipale.
Cherchant sans cesse de nouvelles matieres a
régler, envahissant continuellement sur la li-
berté privée, ce législateur des halles et des
marchés devenait chaque jour plus importun
et plus redoutable. Pache, toujours impassi-
ble , laissait tout faire sons ses yenx , donnait
son approbation aux mesures proposées, et
abandonnait a Chaumette les honlleurs de la
tribune municipale.


La convention laissant agir librement ses co-
mités, et la commune étant exc1usivement oc-
cupée de ses attributions, la discussion sur les
matieres de gouvernement était restée aux ja-
cobins; seuls, ils discutaient avec leur audace
accoutumée les opérations du gOllvernement,
et la conduite de chacun de ses agents. Depuis
long-temps, comme on l'a vu, ils avaient ac-
quis une tres-grande importan ce par leur nom-
bre, par l'illustration et le haut rang de la
plupart de lenrs membres, par le vaste cortége
de leurs sociétés affiliées, enfin par leur an-
cienneté et leur longue influence sur la révo-
lution. Mais depuis le 31 mai, ayant faít taire
le coté droit de l'assemblée, et fait prédominer
le systeme d'nne énergie sans bornes, ils avaient
acquis une puissance d'opinion immense, el:




CONVENTION NATIONALE (1793). 10)
avaient hérité de la parole abdiquée en quel-
que sorte par la convention. I1s poursuivaient
les comités d'une surveillance continuelle, exa-
minaient Ieur conduite ainsi que celle des repré-
sentants, des ministres, des généraux, avec
cette flIrenr de personnalités qui leur était pro-
pre; ils exer(,;aient ainsi sur tous les agents une
censure inexorable, souvent inique, mais tou-
jours utile par la terreur qu'elle inspirait et le
dévouement qu' elle imposait a tous. Les :mtres
sociétés popuIaires avaient aussi leur liberté et
leur influence , mais se soumettaient eependant
a l'autorité des jacobins. Les eordeliers, par
exemple, plus turbulents, plus prompts a agil',
reconnaissaient néanmoins la supériorité de
raison de leurs ainés, et se laissaient ramener
par leurs conseils, quand il lenr al'rivait de
devancer le moment d'une proposition, par
exces d'impatie'nce révolutionnaire. La pétitioll
de Jacques Roux eontre la constitution, ré-
tl'actée par les cordeliers a la voix des jacohins ~
était une preuve de cetLe déférence.


Telle était, depuis le 31 mai, la distribution
des pouvoirs et des influences : on voyait a la
fois un comité gouvel'nant, une commune oc-
cupée de réglements municipaux, et des jaco.
bins exer~ant sur le gouvernemcnt une censure
~ontinuelle et rigoureus~.




102 RÉVOLUTION }'RAN9AISE.


Deux mois ne s'étaient pas écoulés sans que
l'opinion ne s'exer¡;at séverement contre l'ad-
minÍstration actuelle. Les esprits ne pouvaient
pas s'arreter au 31 mai; leur exigence devait
aller au-dela, et il était naturel qu'ils deman-
dassent toujours et plus d'énergie, et plus de
célérité, et plus de résultats. Dans la réforme
générale des comités, réclamée le 2 juin, on
avait épargné le comité de salut public, rem-
pli d'hommes laborieux, étrangers a tous les
partis, et chargés de travaux qu'il était dan-
gereux d'interrompre; mais on se souvenait
qu'il avait hésité au 31 mai et au 2 juin, qu'il
avait voulu négocier avec les départements, et
leur envoyer des otages, et on ne tarda pas a
le trouver insuffisant pour les circonstallces.
Institllé dans le moment le plus difficile, on
lui imputait des défaites qui étaient le mal-
heur de notre situation et non sa faute. Centre
de tontes les opérations, il était encombré d'af-
faires, et .on lui reprochait de s'ensevelir dans
les papiers, de s'absorber dans les détails,
d'etre en un mot usé et incapable. Établi ce-
pendant au moment de la défection de Du-
Jfwuriez, lorsque toutes les armées étaient
désorganisées, lorsque la Vendée se Ievait, et
que l'Espagne cornrnen<{ait la gllerre, iI avait
réorganisé l'armée du Nord et ceHe du Rhin,




CONVENTJON N ATION ALE (1793). 103
iI avait créé eeHes des Pyrénées et de la Ven-
dée, qui u' existaient pas, et approvisionné cent
vingt-six places OU forts; et quoiqu'il restftt
encore beaueoup a faire pour mettre nos forces
sur le pied néeessaire, c'était beaucoup d'avoir
exécuté de pareils travaux en si peu de temps
et a travers les obstacles de l'insurrection dé-
partementale. Mais la défiance publique exigeait
toujours plus qu'on ne faisait, plus qu'on ne
pouvait faire, et c'est en cela meme qu'elle
provoquait une énergie si grande et propor-
tionnée au danger. Pour augmenter la force
du comité, et remonter son énergie révolution-
naire, on avait adjoint a ses membres, Saint-
Just, Jeau-Bon-Saint-André et Couthon. Néan-
moins, on n'était pas satisfait eucore, et on
disait que les derniers venus étaÍent excellents
sans doute , mais que leur influenee était neu-
tralisée par les autres.


L'opinion ne s'exerc;ait pas moins séverement
contre les ministres. Celui de l'intérieur, Garat,
d'abord assez bien vu a cause de sa ueutralité
entre les girolldins et les jacobins, n'était plus
qu'un modéré depuis le 2 juin. Chargé de pré-
parer un écrit pour éclairer les départemellts
snr les derniers événements, iI avait fait une
longue dissertation, on il expliquait et compen-
..,ait tous les torts avec une impartialité tres-




104 RÉVOLUTlON FRAN9~IS}=.
philosophique sans doute, mais peu appropriée
aux dispositions du momento Robespierre, au-
quel il communiqua cet écrit beaucoup trop
sage, le repoussa. ~es jacobins en furent bien-
tot instruits, et ils reprocherent a Garat de
n'avoir rien fait pour combattre le poison ré-
pandu par Roland. Il en était de meme du mi-
nistre de la marine, d' Albarade, qu' on accusait
de laisser, dans les états-majors des escadres ,
tous les anciens aristocrates. Il est vrai en effet
qu'il en avait conservé beaucoup , et les événe-
ments de Toulon le pronverent bientot; mais
les épurations étaient plus difficiles dans les
armées de mer que dans ceHes de terre, parce
que les connaissances spéciales qu'exige la ma-
rine ne permettaient pas de rcmplacer les vieux
officiers par de nouveaux, et de faire, en six
mois, d'un paysan un soldat, uu so 11 s-officier ,
un général. Le ministre de la guerre, Bou-
chotte, s'était seul conservé en faveur, paree
que, a l'exemple de Pache, son prédécesseur,
iL avait livré ses bureaux aux jaeobins et aux
cordeliers, et avait calmé leur défianee en les
appelant eux-memes dan s son administr:atíon.
Presque tous les généraux étaient accnsés, et
particulierement les nobles; mais deux surtont
étaient devenns l'épouvantail du jour: enstine,
au Nord, el Biron a I'Ouest. Marat, comme OH




CONVKNTION NATIONALJl (1793). JOS
l'a vu, les avait dénoncés quelques jours avant
sa mort; et depuis cette accusatioll, tous les
esprits se demandaient pourquoi Custine res-
tait au camp de César san s débIoqller Valell-
ciennes? pourquoi Biron, inactif dans la Basse-
Vendée, avajt laissé prendre Saumur et assiéger
Nantes?


La meme défiance régnait a l'intérieur : la
calomnie errait sur toutes les tetes et s'égarait
sur les meilleurs patriotes. Comme il n'y avait
plus de coté droit auquel on pút tout attribuer,
comme iI n'y avait plus un Roland, un Brissot,
un Guadet. a qui on .put, achaque crainte,
imputer une trahison, le reproche menac;;ait
les républicains les plus décidés. Il régnait une
fureur incroyable de soupc,;ons et d'accusa-
tions. La vie révolutionnaire la plus longue et
la mieux soutenue n'était plus une garantie,
et on potlvait, en un jour, en une heure, etre
assimilé aux plus grands ennemis de la répu-
blique. Les imaginations ne potlvaient pas se
désenchan ter sitot de ce Danton, don t l' au-
dace et l'éloquence avaient soutenu les coura-
ges dans toutes les circonstances décisives;
mais Danton portait dans la révoIution la
passion la plus violente pour le but, sans au-
cune haine contre les inJivjdus, et ce n'était
pas assez. l/esprit d'une révolution se compose




106 RÉVOLUTION FRANt,/AISE.


de passion pour le but, et de haíne pour ceux
qui font obstacle : nanton n'avait que l'un de
ces deux sentiments. En fait de mesures révo-
lutionnaires tendant a frapper les riches, a
mettre en action les Índifférents., et a déve-
lopper les ressources de la nation, il n'avait


. rien ménagé, et avait imaginé les moyens les
plus hardis et les plus violents; mais, tolé-
rant et facile pour les individus, iI ne voyait
pas des ennemis dans tOI1S; il Y voyait des
hommes dívers de caractere, d'esprit, qu'il
faltait ou gagner, ou accepter avec le degré de
leor énergie. Il n'avait pas pris Dumouriez
pour un perfide, mais pour un mécontent
poussé a bout. Il n'avait pas vu dans les gi-
rondín s les compli~es de Pitt, mais d'honnetes
gens Íllcapables, et il aurait voulu qu'on les
écartat san s les immoler. On disait meme qu'il
s'était offensé de la consigne donnée par Hen-
riot le 2 juin. Il touchait la maín a des géné-
raux nobles, dinait avec des fournisseurs,
s'entretenait familierement avec les hommes
de tous les partís, recherchaít les plaisirs, el
en avait beaucoup pris dans la révolution. On
savait tout cela, et on répandait sur son éner-
gie et sa probité les bruits les plus équivoques.


, Un jour, on disait que Danton ne paraissait plus
aux Jacobins; on parlait de sa paresse, de ses




CONVENTION N ATJON ALE (J 793). ] 07
continuelles distractions, et OH disait que la
révolutíon n'avait pas été une carriere san s
jouissances pour lui. Un autre jour, un ja-
cobín disait a la tribune: « Danton m'a quitté
pour alIer toucher la main a un général.» Quel-
quefois on se plaignait des individus qu'il avait
recommandés aux ministres. N'osant pas tou-
jours l'attaquer lui - meme, on attaquait ses
amis. Le bOlIcher Legendre, son collegue dans
la députation de Paris, son lieutenant dans
les rues et les faubourgs, et l'imitateur de son
éloquence. hrllte et sauvage, était traité de
modéré par Héhert et les autres turhulents
des Cordeliers.-« Moi un modéré! s'écriait Le-
« gendre aux Jacobins, quand je me fais quel-
ce quefois des reproches d'cxagération; quand
« on écrÍt de Bordeaux que j'ai assommé Gua-
« det; quand on met clans tous les journaux
« que fai saisi Lanjuinais au collet, et que
ce je l'ai trainé sur le pavé! » On traitait en-
core de modéré un autre ami de Danton, pa-
triote aussi connu et aussi éprouvé, Camille-
Desmoulins, l'écrivain a la foÍs le plus naif, le
plus comique et le plus éloquent de la révolu-
tion. Camille conllaissait beaucoup le général
Dillon , qui, pIacé par Dlllllouriez au poste des
lsleltes clans ]' Argonne, y avait déployé taní
de fermeté et de hravoure. Camille s'était con-




lOS RÉVOLUTION .FRAN~AISE.
vaincu par lui-mcme que Dillon n'était qu'un
brave homme, san s opinion politíque, maÍ:;
doué d'un gra.nd instinct guerrier, et ne de-
mandant qu'a servir la république. Tout-a.coup,
par l'effet de eette ineroyable défiance qui ré-
gnaít, on répand que Dillon va se mettre a la
tete d'une conspiration pour rétablir Louis X VII
sur le treme. Le comité de salllt public le fajt
aussitOt arrcter. Camille, qui s'était convaincu
par ses yeux qu'un tel bruit n'était qu'une
fable, veut défendre Dillon devant la con-
vention.-Alors de toutes parts oului dit : Vous
dinez avec les aristocrates. - Billaud-V arennes,
en luí coupant la parole, g'écrie : Qu'on ne
laisse pas Camille se déshonorer! - On me
coupe la parole, répond alors Camille, eh bien!
a moí mon éeritoire 1 - Et il éerjt allssitot
un pamphlet intitulé, Lettre el Dillon, pleill
de grace et de raison, ou il frappe dans tous
les sens et sur toutes les tetes. n dit an co-
mité de salnt public : - VOIlS avez usurpé tous
les pouvoirs, amené toutes les affaires a vous,
et vous n' en terminez aucune. Vous étiez troi5
chargés de la guerre; l'un est absent, l'autre
malade, et le troisíeme n'y entend rien ; vous
laissez a la tete de nos armées les Custine,
les Biron, les Meuon, les Berthier, tons :.tris-
tocrates, ou f;tyettistes, 011 incapables.» Il dit




CONVENTION NATIONALE (J793). 109
a Cambon : ceje n'entends ríen a ton systeme
de finances, mais ton papier ressemble fort a
celui de Law, et court aussi vite de mains en
mains.» Il dit a Billaud-Varennes : c( Tu en veux
a Arthur Dilton, paree qu'étant commissaire a
son armée, íI te mena au feu; - « a Saint-J ust :
(e Tu te respectes, et portes ta tete comme un
Saint-Sacrement;»-a Bréard, a Delmas, a Bar-
rere et autres: ( Vous avez vouIn donner votre
démissi~n le 2 juin, paree que vous ne pou-
viez pas considérer eette révolution de sang-
froid, tant elle vous paraissait affrellse.}) Il ajoute
que Dillon n'est ni républieain, ni fédéra-
liste, ni aristocrate, qu'il est 501<1at, et qu'íl
ne demande qu'a servir; qu'il vant en pa-
triotisme le comité de salut publie et tous les
Piats-majors c,onservés a la tete des armées;
que dn moins jJ est grand militaire, qn'on est
trop henreuxd'en pOllvoir conserver quelques-
uns, et qll'il ne faut pas s'imaginer que tout
sergent puisse etre général.ccDepuis,ajoute-t-il,
qu'un officier inconnu, Dumouriez, a vaineu
malgré lui a Jemmapes, et a pris possessioll
de toute la Belgique et de Breda, eomme un
maréchal-des·logis al'ee de la eraie, les SlJcces
de la république nous ont donné la meme
ivresse que les succes de son regne donnerent
a Louis XIV. Il prenait ses généraux dans son




I J o RÉVOLUTION FRAN9AISE.


antichambre, et nou'! eroyons pouvoir prendre
les nótres dans les rues; nous sommes meme
allés jusqu'c't dire que nous avions trois millions
de généraux!),


On voit, a ce langage, a ces attaques croi-
sées, que la confusion régnait dans la Mon-
tagne. eette situation est ordinairement eeHe
de tout parti qui vient de vaincre, qui va se
diviser, mais dont les fractions ne sont pas
encore clairement détachées. Il ne s'était pas
formé eneore de nouveau parti dans le parti
vainqueur. L'accusation de modéré ou d'exa-
géré planait sur toutes les tetes, sans se fixer
positivement sur aueune. Au milieu de ee dé-
sordre d' opinions, une réputation restait tou-
jours inaecessible aux attaques, c'était eeHe
de Robespierre. Il n'avait certainement jamais
eu de l'indulgence pour les individus; il n'avait
aimé aucnn proscrit, ni frayé avec aucnn gé-
néral, avec aucun financier ou député. On ne
ponvait l'accuser d'avoir pris aucun plaisir
dans la révolution, car iI vivait obseurémcllt
chez un menuisier, et entretenait, dít-on, ave e
l'une de ses filIes, un commerce tout-a-fait
ignoré. Sévere, réservé, integre, iI était, et
passait pour incorruptible. On ne pouvait lui
reprocher que l'orgueíl, espece de vice qui ne
souillc pas comme la corruption, mais qui [ait




CONVENTION N A TION ALE (1 793). f 1 I
de grands maux dans les discordes civiles, et
qui devient terrible chez les hommes austeres,
chez les dévots religieux ou poli tiques , parce
qu'étant lem' seule passion, iIs la satisfont sans
distractÍon el sans pitié.


Rohespierre était le seul individu qui pút
réprimer certains mouvements d'impatience
révolutionnaire, san s qu' on imputat sa modé-
ration a des liaison s de plaisir ou d'intérét. Sa
résistance, quand il en opposait, n'était jamais
attribllée qu'a de la raison. II sentait cette po-
sitio n , et iI commen~a alors pour la premiere
fois a se faire un systeme. Jusque-la, tout entier
a sa haine, iln'avait songé qu'a pousser la ré-
volution sur les girondins; maintena-nt, voyant
dans un nouveau débordement des esprits, un
danger ponr les patriotes, il pensa qu'il faHait
maintenir le respect pOllr la convention "et le
comité de salut public, paree que toute l'au-
torité résidait en eux, et ne pouvait passer en
d'autres mains san s une confusion épouvan-
tableo D'ailleurs ii était dan s eette conven-
tion , il ne pouvait manquer d' etre bientot
dans le comité de salut public, et, en les dé-
fendant, iI soutenait a la fois une autorité
indispensable, et une autorité dont iI allait
faire partie. Cornrne toute opiuÍon se formait
d'ahord aux Jacobins, il songea a s'eo em-




J 12. nÉVOLUTION FRAN<;;AISf<:.


parer toujours davantage, a les rattacher au-
tOllr de la eonvehtioIl et des eomités, sanf a
les déchainer ensuite s'il le jugeait néeessaire.
Toujours assidu, mais assidu ehez eux sellls,
illes flattait de sa présence; ne prenant plus
que rarement la parole a la eonvention, oú,
eomme nous l'avons dit, on ne parlait presque
plus, il se faisait souvent entendre a Ieur tri-
bune, et ne laissait jamais passer une pro po-
sition importante sans la discuter, la modifier
ou la repousser. En cela, sa conduite était bien
mieux ealculée que eeHe de Dallton. Rien ne
bIes se les hommes et ne favorise les bruits
équivoques eomme l'absence. Danton, négli-
gent comme un génie ardent et passionné,
était trop peu chez les jacobins. Quand il re-
\)arai'i'>'i'>ait, it était réduit a 'i'>e )USÚfler, a a'i'>surer
qu'il serait toujours bon patriote, a dire que
« si quelquefois il usait de certains ménage:-
«( ments pour ramener des esprits faibles, mais
« excellents, on pouvait etre assuré que son
« énergie n'en était pas diminuée; qu'il veillait
ce toujours avec la meme ardeur aux intérets de
« la république, et qu' eHe serait victorieuse. )}
Vaines et dangel'euses excuses! Des qu'on s'ex-
plique, des qu'on se justifie, on est dominé
par ceux auxquels OH s'adresse. Robespierre,
au contraire, toujours présent, toujours pret




CONVENTlON NATIONALE (1793). 113
a écarter les insinuations, n'était jamais réduit
a se justifier; il prenait au contraire le ton ac-
cusateur; il gourmandait ses fideles jacobins,
et il avait justemen t saisi ce point ou la passion
qu'on inspire étant bien prononcée , on ne fait
que l'augmenter par des rigueurs.


On a vu de quelle maniere il traita Jacques
Roux, qui avait proposé une pétition contre
I'acte constitutionnel; il en faisait de meme
dans toutes les circonstances ou il s'agissait de
la convention. Cette assemblée était ép~rée,
disait-il; elle ne méritait que des respects;
quiconque l'accusait était un mauvais citoyen.
Le comité de salut Pllblic n'avait sans doute
pas fait tout ce qu'il devait faire (car tout en
les défenclant, Robespierre ne manquait pas
de censurer ceux qu'il défendait); mais ce co-
mité était dans une meilleure voie; l'attaquer,
c'était détruire le centre nécessaire de toutes
les autOl'ités, affaiblir l'énergie du gouverne-
ment , et compromettre la république. Quand
on voulait fatiguer le comité ou la convention
de pétítions trop répétées, iI s'y opposai.t en
disant qu'on usait l'influence des jacobins, et
qu'on faisait perdre le temps aux dépositaires
du pouvoir. Un jour, on voutait que les séances
du comité fussent publiques; il s' emporta con-
tn~ cette proposition; il dit qu'il y avait des


V. 8




) 14 RÉVOLUTION FRA.NqA.ISJ<:.
ennemis cachés, qui, sous le masque du pa-
triotisme, faisaient les propositíons les plus
incendiaires, et il commenc;a a soutenir que
l'étranger payait deux especes de conspirateurs
en France : les exagérés, qui poussaient tont
audésordre, etlesmodérés, qui voulaient tout
paralyser par la mollesse.


Le comité de salut public avait été prorogé
trois fois; le 10 juillet, il devait etre prorogé
une quatrieme, ou renouvelé. LeS, grande
séance aux J acobins. De toutes parts, on dit que
les membres du comité doivent etre changés,
et qu'il ne faut pas les proroger de nouveall,
comme on l'a fait trois mois de suite.- « Sans
doute, dit Bourdon, le comité a de bOllTH's
intentions; jc ne veux pas l'inculper; mais un
malheur attaché a l'espece hmnaine est de n'a-
voir d'énergie que quelques jours seulement.
Les membres actuels du comité ont déja passé
eette époque; ils sont usés: changeons-les. Il
nous faut aujourd'hui des hommes révolution-
naires, des hommes a qui nous puissions con-
fier le sort de la république, et q ui nous en
répondent corps pour corps. »)


L'ardent Chabot succede a Bourdon. (( Le
comité, dit-il, doit etre renonveIé, et iI ne faut
pas souffrir une nouvelle prorogation. Luí ad-
joindre quelques membres de plus, reconnus




CO~VENTJON N ATION ALE (1793). 1 15
bons patriotes, ne suffirait pas, car on en a
la Pl'euve dans ce qui est arrivé. Couthon,
Saint-Just, Jean-Bon-Saint-André, adjoints ré-
cemment, sont annnlés par leurs coHegues.
Il ne faut pas non plus qu'on renouvelle le
comité au scrutin secret, cal' le nouveau ne
vaudrait pas mieux que l'ancien, qui ne vaut
ríen du tout. J'ai entendu Mathieu, poursuit
Chabot, tenir les discours les plus inciviques
a la société des femmes révolutionnaires. Ramel
a écrit a Toulouse que les propriétaires pour-
raient seuls sauver la chose publique, et qu'il
fallait se garder de remettre les armes aux
mains des sans-culottes.Cambon est un fon
qui voít tous les objets trop gros, et s'en effraie
cent pas a l'avance. Guyton-Morveau est un
honnete 'holl1me, un quaker qui tremble ton-
jOllrs. Delmas, qui avait la partie des nomina-
tions, n'a fait que de mauvais cboix, et a
rempli }'armée de contre - révolutjonnaires ;
enfln ce comité était ami de Lebrnn, et il est
ennemi de Bouchotte. »


Robespierre s'empresse de répondre a Cha-
boto (e Achaque phrase, achaque mot, dit-il,
dll discours de Chabot, je sens respirer le pa-
triotisme le plus pur; mais j'y vois aussi le pa-
triotisme tro.p exalté qui s'indigne que tout ne
tourne pas au gré de ses désirs, qui s'irrite de


8.




1 ,6 RÉVOLUTION FRAN~AISÉ.
ce que le comité de salut public n'est pas
parvenu dans ses opérations a une perfection
impossihle, et que Chabot ne trouvera nulle
parto


í( Je le crois comme lui, ce comité n'est pas
composé d'hommes également éclairés, égale-
ment vertueux; mais quel corps trouvera-t-il
composé de cette maniere? Empt'kherá-t-iI les
hommes d'etresujets a l'erreur? N'a-t-il pas vu
la convention, depuis qu'elle a vomi de son
sein les traitres qui la déshonoraient, repren-
«re une nouveIle énergie, une grandcllr quj
luí avait été étrangere jusqu'a ce jour, un carac-
tere plus auguste dans sa représentation? Cet
~xemple ne suffit - il pas pour prouver qu'il
n'est pas toujours n~essaire de détruire. et
qu'il est plus prudent quelquefois de s'en tenir
a réformer?


(e Oui, sans doute, il est dan s le comité de
salut public des hommes capables de remonter
la machine et de donner une nouvelle force a
ses moyens. 11 ne fant que les y encourager.
Qui oubliera les services que ce comité a ren-
dus a la chose publique, les nombreux com-


, plots qu'il a découverts, les heureux aper(,;us
que HOUS lui devons, les vues sages et pro-
fondes qu'il nOllS a développées.


te Vassemblée n'a point créé un comité de sa-




COl'iVENTION NATIONALJ<; ([793). 11)
lut public pour l'irifluencer elleomeme, ni pom'
diriger ses décrets; mais ce comité lui a été
utile pour démeler, dans les mesures proposées,
ce qui était hon d'avec ce qui, présenté sous
une forme séduisante, pouvait entrainer les
conséquences les plus dangereuses; mais il a
donné les premieres impulsions a plusíeurs dé-
terminations essentielles qui ont sauvé peut-
(hre la patrie; mais il luí a sauvé les inconvé-
nients d'un travail pénible, souvent illfructueux,
en lui préseutallt les résultats, déja heureuse-
ment trouvés, d'un travaíl qu'elIe ne connais-
sait qu'a peine, et qui ne lui étaít pas assez ta-
milíer.


( Tout cela suffit pour prouver que le comité
de salut public n'a pas été d'un sí petit secours
qu'on voudrait avoir l'ait' de le croire. n a faít
des fautes sans doute; estoce a moi de les dis-
simuler? Pencherais-je vers l'indu!gence, moi
qui crois qu'on n'a point assez fait pour la pa-
trie quand on n'a pas tout fait? Ouí, iI a faÍl
des fautes, et je veux les lui reprocher avec
vous; mais iI serait impolitique en ce moment
d'appeler la défaveur du peuple sur un comitc:'~
qui a besoín d'etre investí de toutc sa con-
fiance, quí est chargé de grands intérets, et
dont la patrie attend de grands secours; et,
quoiqu'il n'ait pas l'agrément des citoyenne~




jI8 ltÉVOLUTION FRAN<;:AISl'.
répubJicaines révolutionnaires, je ue le cruis
pas moins propre a ses importantes opéra-
tions. »


Toute discussioll fut fermée ap,'es les ré-
flexions de Robespierre. Le surlendemain, le
comité fut renouvelé et réduit a, neuf indi vi-
dus, comme dans l'origine. Ses nouveaux mem-
bres étaient Barrere, Jean-Bon-Saint-André,
Gasparin, Couthon, Hérault-Séchelles, SaÍnt-
Just, Thuriot, Robert Lindet, Prieur de la
Mame. Tous les membres accusés de faiblesse
étaient congédiés, excepté Barrere, a qui sa
grande facilité a rédiger des rapports, et a se
plier aux circonstances, avait fait pardonner le
passé. Robespierre n'y était pas encore, mais
avec quelques jours de plus, avec un peu plus
de danger' sur les frontieres, et de terreur dans
la cOllvelltion, il al1ait yarriver.


Robespierre eut encore plusieurs atltres oc-
casions d'employer sa nouvelle politi.que. La
marine commew;antá donner des inqlliétlldes,
on ne cessait de se plaindre du ministre el'AI-
barade, de son prédéccsseur l\Ionge, de l' état
déplorable de nos escadres, quí, revenues de
Sardaigne dans les chantiers de Toulon, ne se
réparaient pas, et quí étaient commandées par
de vieux officiers presque tous aristocrates. On
se plaignait meme de quelques individ us nouvel-




CONVF.NTION NATIONALE (1793). 119
lemellt agrégés au bureau de la marine. On ac-
eusait beaucoup entre autres un nommé Pey-
ron, envoyé pour réorganiser l'armée a Toulon.
Il n'avait pas fait, oisait-on, ce qu'il aurait oil
faire : on en reudait le ministre responsable,
et le ministre rejetait la responsabilité sur un
grand p~ltriote, qui lui avait recommanoé Pey-
ron. On désignait avec affectation ce patriote
célébre, sans oser le nommer. - Son nom, s'é-
críent plusieurs voix !-Ehbien! reprend le dé-
nonciateur, ce patriote célebre, c'est Danton!
-A ces mots, des murmures éclatent. Robes-
pierre accourt : (( Je demande, dit-il, que la
farce cesse et que la séance commence ... On
accuse d' Albarade; je ne le connais que par la
voix publique, qui le proclame un ministre pa-
triote; mais que luí reproche-t-on iei? une er-
reur. Quel homme n'en est pas capable? Un
choix qu'il a fait n'a pas répondu a l'attf'ute
générale ~ Bou~hotte et Pache aussi ont faít des
choix défectueux, et cependant ce sont deux
vrais républieains, deux sinceres amis de la
patrie. Un homme est en place, ii suffit, on le
calomnie. Eh! quand cesserons-nous d'ajouter
foi aux. contes ridicules ou pedides dont 011
nons accable de toutes parts!


(( Je me suis aper<;¡u qu'on avait joint a ceHe
dénonciation assez générale du ministre UIl.C




i 20 1l.ÉVOLUTION FRAN,<AISl:.


dénonciation particuliere contre Danton. Se-
rait-ce lui qu'on voudrait VOUS rendre suspect~)
Mais, si, au lieu de décourager les patriotes en
leur eherchant avec tant de soin des crimes ou
il existe a peine une erreur légere, on s'occu-
pait un peu des moyens de leur faciliter leurs
opérations, de rendre Ieur travail plus cJair et
moins épineux, cela serait plus honnete, et la
patrie en profiterait. On a dénoncé Bouchotte,
on a dénoncé Pache, car il était éerit <[ue les
meilleurs patriotes seraient déno~cés. Il estbien
temps de mettre fin a ces scenes ridicules et
affligeantes; je voudrais que la société des jaco-
billS s'en tint a une série de matieres qu'elle
traiterait avee fruit; qu'elle restreignit le grand
nombre de ceHes qui s'agitent dan s son sein,
et qui, pour la plnpart, sont aussi fntiles que
dangerenses. »


Ainsi, Robespierre, voyant le danger d'Ull
nouveau débordement des esprits, qui aurait
3néallti tout gouvernemellt, s'effon;ait de rat-
tacher les jacobins autonr de la conventÍon,
des comités et des vieux patriotes. Tout était
profit pour lui dans eette politique louable et
utile. En préparant la puissance des comités, il
préparait la sienne propre; en défendant les
patriotes de meme date etde meme énergie que
lni, iI se garantissait, et empechait l' opioÍon de




CONVENTION NATlONALE (1793). 121
faire des vietimes a ses eotés; iI plac,;ait fort au·
dessous de lui ceux dont ii devenait le protec-
tenr; enfin il se faisait, par 5a sévérité meme ,
adorer des jacobins, et se donnait une haute
réputation de sagesse. En cela, Robespierre ne
mettait d'autre ambition que celle de tous les
chefs révolutionnaires, qui jusque-la avaient
voulu arreter la révolution au point ou ils s'ar-
retaien t eux-memes; et cette poli tique , qui les
avait tous dépopularisés, ne devait pas le rlé-
populariser lui, paree que la révolution appro-
chait du terme de ses dangers et de ses exct~s.


Les députés détenus avaient été mis en accu-
sation immédiatement apres la mort de Marat,
et on préparait leur jugement. On disait déja
qu'il fallait faire tomber les tetes des Bourbons
qui restaient encore, quoique ces tétes fussent
ceHes de deux femmes, l'une épouse, l'autre
sreur dll de~nier roi; et ceHe de ce duc d'Or-
léans, si fidele a la révolution, et aujourd'hui
prisonnier a Marseille, pOllr prix de ses ser vices.


On avait ordonné une fete pour l'acceptation
de la constitution. Toutes les assemblées pri-
maires devaient envoyer des députés qui vien-
draient exprimer leur vreu ,et se réuniraient au
champ de ia fédération daos une fe te solennelle.
La date n'en était plus fixée au J 4 juillet, mais
au 10 aout, car la prise des Tuileries avait




122 RÉVOLUTION FRAN(/AISE.


amené la république, tandís que la prise de la
BastiUe, laissant subsister la monarchie, n'avait
abolí que la. féodalité. Aussi les républicains et
les royalistes constitlltionnels se dístinguaient.
ils, en ce que les UTlS célébraiellt le 10 aoUt, et
les autres le 14 juillet.


Le fédéralisme expirait, et l'acceptation de
la constitution était générale. Bordeaux gardait
toujours la plus grande réserve, ne faisait au-
cun acte décisif ni de soumission ni d'ho.,tilité,
mais acceptait la constitution. Lyon ponrsui-
vait les procédures évoquées au tribunal révo-
lutionnaire; mais, rebelle en ce point seul, iI
se soumettait quant aux autres, et adhérait
aussi a la constitution. M arseille se lile refusait
son adhésion. Mais sa petite armée, déja sépa-
rée de ceHe du Languedoc, venait, dans les dt-'r-
niers jours de juillet, d' etre chassée d' AvignoIl,
et de repasser la Durance. Ainsí le fédéralisme
était vaincu, et la constitution triomphante.
Mais le danger. s'aggravait sur les frontieres; il
devenait imminent dans la Vendée, sur le Rhin
et dans le Nord; de nouvelles victoires dédom-
mageaient les Vendéens de leur échec devant
Nantes; et Mayence, V alenciennes , étaient pres-
sées plus vivement que jamais par l'ennemi.


Nous avons interrompu notre récit des é"é-
nements militaires au moment oú les Vendéens,




CONVENTION NATIONALE (1793). J?.3
repoussés de Nantes, rentrerent dans leur pays,
et HOUS avons vu Biron arrlver a Angers, apres
la délivrance de Nantes, et convenir d'un plan
avec le général Canclaux. Pendant ce temps,
Westermann s'était rendu a Niort avee la lé-
gion germanique, et avait obtenu de Bíron la
permission de s'avancer dan s l'intérieur du pays.
Westermann était ce meme Alsacien qui s'était
distingué an 10 aout, et avait décidé le succes
de cette journée; qui, ensuite, avait servi glo-
rieusement sous Dumouriez, s'était lié avec lui
et avec Danton, et fut enfia dénoncé par Ma-
rat, qu'il avait batonué, dit-on, pour diverses
injures. 11 était du nombre de ces patriotes
dont on reconnaissait les grands services, mais
auxqllels on commefl(;ait a reproeher les plai-
sirs qu'jls avaient pris dans la révolution, et
dont on se dégoUtait déja, paree qu'ils exigeaient
de la discipline dans les armées, des connais-
sanees dans les officiers, et ne voulaient pas
exclure tont général noble, ni qualifier de
traitre tout général hattu. Westermann avait
formé une légio~ dite germanique, de quatre
on einq mille hommes, renfermant infanterie,
eavalerie ~t artillerie. A la tete de eeHe petite
armée, dont il s'était rendn maitre, et ou il
maintenait une discipline sévere, il avait dé-
ployé la plus grande audace et fait des exploits




124 RÉVOLUTION FRANC;:AISJ'.


brillants. Transporjé dans la Vendée avec sa
légion, ill'avajt réorganisée de nouveau, et en
avait ch~ss~ les l:khes qui étalfmt al1és le dé-
noncer. Il témojgnait un mépris tl'es-haut pour
ces batailloQs informes qui pilla ien t et déso-
laien~ le.pays; Haf6chaít les memes sentiments
que Biron, et était rangé avec lui parmi les
aristocrates militaires. Le ministre de la guene
Bouehotte avait, eomme on l'a vu, répandu ses
agents jacobins et eordeliers dans la Vendée.
La, ils rivalisaient avec les représentants et les
généraux, autorisaient les pillages et les vexa-
tioJls sous le titre de réquisitions de guerre,
et l'indiscipline soos prétexte de défendre le
soIdat contre le despotisme des officiers. Le
premier eommís de la guerre, sous Bouchotte,
était Vincent, jeune cordelier frénétique, l'es-
prít le plus dangereux et le plus turhulent de
eette époque; il gouvernait Bouchotte, faisait
toW¡ les choix, et poursuivait les généraux avec
une riglleur extreme. Ron sin , cet ordonnateur
envoyé ~ Dumouriez, lorsque ses marchés fu-
¡;.ent annulés, était l'ami de Viucent et de Bou-
chotte, elle chef de lenrs agents dans la Ven-
dée, sous ·le titre d'adjoint-ministre. Sous luí
se trouvaient les nommés Momoro, imprimeur,
Grammont, comédien, et plusieurs antres qui
agis~aient dans le meme sens el avee la meme




CONVENTION NATIONALE (1793). 125
violence. Westermann, déja peu d'accord avec
el/X, se les aliéna tout-a-fait par un aete d'é-
nergie. Le nommé Rossignol, aneien ouvrier
orfevre, qui s'était fait remarquer au 20 juin
et ati 10 aout, et qui commandait l'un des ha-
taillons de la formation d'Orléans, était du
nombre de ces nouveaux officiers favorisés par
le ministere cordelier. Étant un jour a hoire
avec des soldats de Westermann, il disait que
les soldats ne devaient pas etre les esclaves des
of6.ciers, que Biron était un ci-devant, un trai-
tre, et que l' on devait chasser les bourgeoís
des maisons pour y loger lei troupes. Wester-
mann le 6.t arreter, et le livra aux trihunaux
militaires. Ronsin se hata de le réclamer, et en-
voya tont de suite a Paris une dénonciation
con lre Westermann.


Westermann, sans s'inquiéter de cet événe-
ment, se mit en marche avec sa légion pour
pénétrer jusqu'au creur meme de la Vendée.
Partant du coté opposé a la Loire, c'ést·a·dire
du midi du théatre de la guerre, il s'empara
d'ahord de Parthenay, puis entra dans Amail-
10li, et mit le fen dans ce dernier bonrg, ponr
nser de représailles envers M. de Lescure.
Celui-ci, en effet, en entrant a Parthenay, avait
exercé des rigueurs contre les hahitants, qui
étaient accnsés d'esprit révolutionnaire. Wés-




126 lIÉVOLUTION FRAN~Al!m.
tf'l'mann 6t enlever tous les habitants d'Amail-
Iou, et les envoya a cenx de Parth~nay, comme
dédommagement; il bruJa ensuite le chateau
de Clisson, appartenant a Lescnre, et repall-
dit partont la terreur par sa marche rapitle et
t~ b~u.,"\. ~'K\3.\';~x~ \\~ ""~"" ~"y..~<:'ut\()u"" mi.\\t:\\\'~~.
Westermann n'était pas cruel, mais il com-
men.,;a ces désastreuses représailles qui ruine-
rent les pays neutres, accusés par chaque partí
d'avoir favorisé le parti contraire. Tout avait
fui jusqu'a Chatillon, 00. s'étaient réunis les
familles des chefs vendéens et les débris df'
leurs armées. Le 3 juillet, WestermanIl, ne
cl'aignant pas de se hasarder au centre du
p<lys insurgé, entra dans Chatillon, et en chassa
le conseil supériellr et l'état-major, qui y sié-
geaient comme dans leul' capitale. Le bruit de
cet exploit audacieux se répandit au loin; mais
la position de Westermann était hasarMe. Les
chefs vendéells s'étaient repliés, avaient sonné
le tocsin, rassemblé une armée considérable,
et se disposaient a snrprendre Westermann du
coté 00. il s'y attendait le moins. Il avait placé
sur un moulin et hors de ChMillon un poste
qni commandait tous les environs. Les Ven-
déens, s'avan.,;ant a la dérobée, suivant leur
tactique ordinaire, entourent ce poste et se
mettent a l'assaillir de tOlItes parts. Wester~




CONVENTION NATIONALE (1793). '27
mann , averti un peu tard, s'empresse de le
faire soutenir, mais les détachements qu'il en-
voie sont repoussés et ramenés dans Ch:\tillon.
l/alarme se répand alors dans I'armée répu-
hlicaine; elle abandonne Chatillon en désor-
dre; et WestermallIl lui - meme, apres avoir
{ait des prodiges de bravoure, est emporté
dans la fuite, et obligé de se sauver a la hate,
en laissant derriere lui un gl'and nombre
d'hommes morts ou prisonniers. Cet échec
causa autant de découragement dans les es-
prits, que la témérité et le succes de J'expé-
ditíon avaient cause de présomption et d'es-
pérance .


. Pendant que ces choses se passaient a Cha-
tillon, Biron venait de convenir d'un plan
avec Canclaux. lIs devaient descendre lous
deux jusqu'a. Nantes, balayer la rive gauche
de la Loire, tourner' ensuite vers Machecoul,
donner la main a Boulard, qui partirait des
Sables, et, apres avoir ainsi sé paré les Ven-
déens de la mer, marcher vers la Haute-Venclée
pour soumettre toul le pays. Les repl'ésen-
tanls ne voulurent pas de ce plan; ils préten-
dirent qu'il fallait partir du point meme ou
ron était, pour pénétrer dans le pays, marcher
en conséquence sur les ponts de Cé avec les
troupes ré!1rúes a Angers, et se faire appuyer




J 28 RÉVOLUTION FRA.N~USE.
vls-a-vis par une colonne qui s'avancerait de
N iort. Biron, se voyant contrarié, donlla sa
démission. Milis, dans ce moment me me, on ap-
prit la déroute de Chtttillon, et on imputa tout
a Biron. On lui reprocha d'avoir laissé assiéger
Nantes, et de n'avoir pas secondé Westermann.
Sur la dénonciation de Ronsin et de ses agents,
il fut mandé a la barre: Westermann fut mis
en jllgement, et Rossignol élargi sur-Ie-champ.
Tel était le sort des généraux dans la Vendée
au milieu des agents jacobins.


Le général Labaroliere prit le commande-
ment des trollpes laissées a Angers par Biron,
et se disposa, selon le vreu des représentants,
a s'avancel' dans le pays par les ponts de Cé.
Apres avoir laissé quatorze cents homrnes a
Saumur, et quinze cents aux ponts de Cé, il
se porta vers Brissac, oa il pla¡;a un poste pour
assurer ses communications. Cette armée in-
disciplinée commit les plus affreuses dévasta-
tions sur un pays dévoué a la république. Le
15 juillet, elle fut attaquée au camp de Fline
par vingt mili e Vendéens. L'avant-garde, com-
posée de troupes régulieres, résista avec vi-
gueur. Cependant le corps de bataille allait
céder, lorsque les Vendéens, plus prom pts a
lacher le picd, se retirerent en désordre. I ... es
nouveaux bataillons montrercut alors un peu




CON'VENTION NA. TION ALE (1793). 1:¿9
plus d'ardeur; et, pour les encourager, on leur
donna des éloges qui n'étaient mérités que par
l'avant-garde. Le 17, on s'avan~a presoeVihiers;
et une nOllvelle attaque, re~lle et soutenue
avec la meme viguellr par l'avant-garde, avec
la meme hésitation par la masse de l'armée,
fut repollssée de nouveau. On arriva dans le
jOllr a Vihiers rneme. Plusiellrs généraux, pen-
sant que ces bataillons d'Ürléans étaient trop
mal organisés pOllr tenir la campagne, et
qü'on' ne pouvait pas ave e une teIle armée
rester au miliell du pays, étaient d'avis de se
retirer. IJabaroliere décida qu'il fallait atten"
dre a yihiers, et se défendre si on y était at-
taqué: Le 18, a une heure apres midi, les
Vendéens se présentent; l'avant-garde répu-
blicaine se concluít avec la meme valellr; mais
le reste de l'armée chancele a la vue de l'en-
nemi, et se replie malgré les efforts des géné-
rallx. Les bataillons de Paris, aimant mieux
críer a la tt'ahison que se battre, se retirent
en désordre. La cOllfusion devient générale;
Santerre, qui s'était jeté dans la melt!e avec le
plus grand courage, manque d'etre pris. Le
représentant Bourbotte court le meme danger;
et l'armée fuit si vite, qu'elle est en quelques
heures a Saumur. La division de Niort, qui
allait se mettre en monvement, s'arreta; et le


v. 9




130 RÉVOLUTION FnAN~AJS!'.
:.10, il (ut décidé qu'elle attendrait la réorgani~
sation de la colonne de Saumur. Corome il
fa]Jait que quelqu'un répondit de la défaite,
Ronsín et ses ag'ents dénollcerent le chef d'é-
tat-major Berthier, et le général Menou, qui
passaient tous deux pour etre aristocrates,
paree qu'ils recommandaient la discipline. ,Ber-
thier et Menou fment aussitOt mandés a Paris,
eomme l'avaient été Biron et Wpc:.r·pY"nV-1I,D;


Tel avait été jusqu'a cette époque
cette guerreo Les Vendéens se levant
coup en avril et en mai, avaÍent pris Thouars,
Londun, Doné, Saumur, gra.ce a la mauvaise
qualité des troupes composées de nouvelles
recrues. Descendus jusqu'a Nantes en juin, ils
avaient été repoussés de N antes par Canclaux,
des Sables par Boulard, deux généraux qui
avaient su introduire parmi leurs soldats 1'or-
dre et la discipline. Westermann , agissant avec
audace, et ayant quelques bonnes troupes,
avait pénétré jusqu'a Chfttillon vers les pre-
miers jours de juin; mais, trahi par les habi-
tants, surpris par les insurgés, il avait essuyé
une déroute; enfin la colonne de Tours, vou·
lant s'avancer dans le pays avec les bataillons
d'Orléans, avait éprouvé le sort ordinaire aux
armées désorganísées. A la fin de juillet, les
Vendéens dominaient done dans toute l'étendllC




f:ONVENTION N ATIONA LF (17931. T 3 1
de leur territoire. Quant au brave et malheu-
reux Riron, accusé de n'etre pas a Nantes tan-
dis qu'il visitait la Basse-Vendée, de n'etre pas
aupres de Westermann tandis qu'il arretait un
plan avee CancIaux, contrarié, interrompu
dans toutes ses opérations, il venait d'etre en-
levé a l'armée san s avoir eu le temps d'agir,
et n'y avait paru que pour y etre continuelle-


sé. Canclaux restait a Nantes; mais
lard ne commandait plus aux Sa-


deux bataillons de la Gironde ve-
se retirer. Tel est done le tablean


de . 'r Vendée en juillet : déroute de toutes les
colonnes dans le hant pays; plaintes, dé non-
ciations des agents ministériels eontre les gé-
néraux prétendus aristoerates, et plaintes des
généraux c.0ntrc les désorganisateurs envoyés
par le ministere et les jaeobins.


A l'Est et au Nord, les siéges de Mayence et
de Valenciennes faisaient des progres alar-
mants.


Mayence, plaeée sur la rive gauche da Rhin,
du coté de France, et vis-a-vis l'embouchure
da Mein, forme un grand are decercle dont
le Rhin peut etre considéré eomme lacorde.
Un faubourg considérable, celui de Casset,
jeté sur l'autre rive, communique avec la place
par UD pont de bateaux. l/He de Petersau,
~).




J 3.,. RÉVOLUTION FRAN<;:AISJ.:.
sitllée au-dessous de Mayence, remonte dans
11": fleuve, et sa pointe s'avance assez haut pour
hattre le pont de bateaux, et prendre les dé.
fenses de la place a reverso Du coté du fleuve ,
'Mayence n'est protégée que par une muraille
en briques; mais, du coté de la terre, elle est
extremement fortifiée. En partant de la rive, a
la hauteur de la pointe de Petersau, elle est
défenduc par une enceinte et par un
lequel le ruisseau de Zalbach
rendre dans le Rhin. A l' extrémit~
le fort de Haupstein prend le fossé
et joint la protection de ses feux a ceHe des
eaux. A partir de ce point, l'enceinte continue
et va rejoindre le cours supérieur dll Rhin;
mais le fossé se trouve interrompu, et il est
remplacé par une donble enceinte parallele a
la premiere. Ainsi, de ce coté, deux rangs de .
muraílles exigent un double siége. La citadelle,
liée a la double enceinte, vient encore en aug-
menter la force.


Telle était Mayence en 1793, avant meme
que les fortifications en el1ssent été perfec-
tionnées. La garnison s'élevait a vingt mille
hommes, paree que le général Schaal, ql1i de-
vait se retirer avec une division, avait été re-
jdé dans la place el n'avait pu rejoindre l'ar-
mée de Custille. Les vivres n'étaient pas




CONV};NTlUN NATlONAU: (1 '793). 133
proportionnés a cette garnison. Dans l'incer-
titude de savoir sion garderait ou non Mayence,
on s'était peu haté de l'approvisionner. Custi-
ne en avait enfin donné l'ordre. Les jnifs s'é-
taient présentés, mais ils offraient un marché
astucieux; ¡Is voulaient que tons les convols
arretés en route par l'ennemi lellr fllssent
payés. Rewbel et Merlín refuserent ce marché,
de crainte que les juifs ne fissent eux-memes
etil~ver les convois. Néanmoins les grains lit'
~ .. ' : .. : .... , t .. ~tiaient pas; mais on prévoyait que si les
m6ulins placés sur le fleuve étaient détruits,
la mouture deviendrait impossible. La vi ande
était en petite quantité, et les fourrases sur-
tout étaient absolument insuffisants pour les
trois mille ehevaux de la garnison. L'artillerie
se eomposait de cent trente pieces en bronze,
et de soixante en fer, qu'on avait trouvées, et
qui étaient fort mauvaises; les FraU(;aís en
avaient apporté quatre-vingts en bon état. Les
pieces de rempart existaient done en assez
grand nombre, mais la poudre n'était pas en
quantité suffisante. Le savant et héroique Men-
nier, qlli avait exéculé les travaux de Cher~
bourg, fut chargé de défendre Cassel el les
postes de la rive droite; Doyré dirigeait les
travaux dans le corps de la place; Aubert-Du-
bayet el Kléber commandaient les tl'oupes; le~




134 lIÉVOLUTION FRANºAISF~.
J'eprésentants Merlín et Rewbel animaient la
garnison de leur présence. Elle campait dans
J'intervalle des deux enceintes, et occupait au
loio des postes tres-avancés. Elle était animée
du meilleur esprit, avait grande confiance dans
la place, dans ses chefs, rlans ses [orces; et,
de plns, elle savait qu'eIle avait a défenrlre un
point tres-important ponr le salut de la France.


Le général Schrenfeld, campé sur la rive
droite, cernait Cassel avec dix miIle Hessois.
Les Autrichiens et les Prllssiens réunis faisaient
la .grande attaque de Mayence. Les Autrichiens
occupaient la droite des assiégeants. En fa ce de
la double enceinte, les Prussiens formaient le
centre de Marienbourg; la, se trouvait le quar-
tier-général du roi de Prusse. La gauche, corn-
posée encore de Prussiens, campait en face du
Haupstein, el du fossé illondé par les eaux du
ruisseau de Zalhach. Cinquante miile hommes
a peu pres cornposaient eette armée de siége.
Le vieux Kalkreuth la dirigeait. Brunswick
commandait le corps d'ohservation du cOté des
Vosges, ou .il s'entendait avec Wurmser pour
protéger ceHe grande opération. La gros se ar-
1illerie de siége manquallt, on nf>gocia avec les
états de I1ol1ande, qui viderent enCore une
partie de leurs arsenaux,pouraider les progres
de leurs voisins les plus redoutahles.




CONV.I!NTION NATlONALE (1793). 135
L'investissemellt commenca en aVl'il. En at-


.


tendant les convois d'artillerie, l'offensive ap-
partint a la garnison, qui ne cessa de faire les
sorties les plus vigourel1ses. Le 11 avril, et
quelques jOl1rs apres l'investissement, nos gé-
néraux résolurent d'essayer une surprise con-
tre les dix mille Hessois, qui s'étaient trop
étendus sur la rive droite. Le 11 , dalls la nuit,
ils sortirent de Cassel sur trois colonnes. Meu-
nier marcha devant lui sur Hochein; les deux
autre~ colonnes descendirent la rive droite
vers Biberik; mais un coup de fusil, partí a
l'improviste dalls la coIonne du général Schaal,
répandít la confusion.Les troupes, toutes neuves
encore, n'avaíent pas l'aplomb qu'elles acqui-
rent bienlot sous leurs général1x. Il faUnt se
retirer. Kléber, avec sa colollne, protégea la
re traite de la maniere la plus imposante. Cettt>
sortie valut aux assiégés quarante breufs ou
vaches, quifurcnt salés.


Le 16, les généraux ennemis voulaient faire
enlever le poste de Weíssenau, qui, pIacé pres
du Rhin et a la droite de leur attaque, les in-
quiétait beaucoup. Les :Franc;ais,· malgré l'in-
cendie du village, se retrancherent dans uu
cimetierc; le représelltant Merlín s'y plac;a avec
eux, et, par des prodiges de valeur, ils COD-
serverent le poste.




I:S6 IlÉVOLUTION FRAN~AIS)<:.
Le 26, les Prussiens dépecherent un faux


parlementaire, qui se disait envoyé par le géné-
ral de l'armée <In Rhin pour engager la garni-
son a se rendre. Les génér~\Jx, les représen-
tants, les soldats déja attachés a ]a place, et
convaincus qu'ils rendaient un grand service
en arretant l'armée du Rhin sur la frontiere,
repousserent toute proposition. Le 3 mai, le
roi de Prusse voulut faire prendre un poste de
la rive droite vis-a-vis Cassel, celui de Kosteim.
Meunier le défendait. L'attaque, tentée le 3 mai
avec une grande opiniatreté, et recommencée
le 8, fut repoussée avec une perte considéra-
ble pour les assiégeants. Meunier, de son coté,
essaya l'attaque des Hes placées a l'embou-
chure du Mein; il les pri t, les perdít ensuite,
et déploya achaque occasion la plu~ grande
audace.


Le 30 mai, les Franc;;ais résolllrent une sor-
tie générale sur Marienbourg, ou étaít le roí
Frédéric-Guillaume. Favorisés par la nuít, six
mille hommes pénétrerent a travers la ligne
ennemie, s'emparerent des retranchements, et
arriverent jusq u'au quartier - général. Cepen-
dant l'alarme répandue leur mit toute I'armée
sur les bras; íls rentrerent apres avoir perdu
beaucoup de leurs braves. Le lendemain, le
roí de Prusse, cOllrroucé, lit couvrir la place




CONVENTION NATlONALE (1793). 137
de feule. Ce meme jour, Meunier faisait une
nouvelle tentative sur l'une des Hes du Mein.
Blessé au genou, il expira, moins de sa bles-
sure que de l'irritatioll qu'il épronvait d'etre
obligé de quitter les travaux dll siége. Toute
1a gal'llison assísfa a ses funérailles; le roi de
Prusse fit suspendre le feu pendant qu'on ren-
daít les derniers honneurs a ce héros, et le 6t
saluer d'une salve d'artillerie. Le corps fut dé-
posé a la poínte dll bastion de Cassel, qu'il
avait fait élever.


I,es grallds convois étaient arrivés de Hol-
lande. Il était temps de commencer les travaux
du siége. Un officier prussien conseillait de
s'emparer de l'ile de Petersau, dont la pointe
remontaít entre Cassel et :Mayence, d'y établir
des batteries, de détruire le pont de bateallX
et les moulills, et de donner l'assaut a Cassel,
une foís qu'on l'aurait isolé et privé des secours
de la place. Il proposait ensuite de se diriger
vers le fossé Ol! coulait la Zalbach, de s'y jeter
sous la protection des batteríes de Petersau
qui enfileraient ce fossé, et de ten ter un as~
saut sur ce front, qui n'était formé que d'une
seule enceinte. Le projet était hardi et péríl-
leux, cal' ii fallait débarquer a Petersa u, puis
se jeter dans un fossé au mítieu des eaux et
sous le feu dn Haupstein; mais aussi les résul~




J 38 HÉVOLUTION FRAN'tAISE.
tat5 devaient etre tres-prompts. On aima mieux
ollvrir la tranchée du coté de la double en-
ceinte, et vis-a-vis la citadelle, sauf a faire un
double siége ..


Le .6 j uin, une premiere parallele fut tracée
a huit cents pas de la premiere enceinte. Les
assiégés mirent le désordre dans les travaux;
iI fallut reculer. Le 18, une autre paralIele fut
tracé e beaucoup plus loin, c'est-a-dire a quinze
cents pas, et cette distance excita les sarcasmes
de ceux qui avaient proposé l'auaque hardie
par l'ile de Petersau. Du 2.4 au 2.5, on se rap-
procha; on s' établit a huit cents pas, et OH
éleva des batteries. Les assiégés interrompi-
reut encore les travaux et enclouerent les ca-
nons; mais ils furent enfin repoussés et acca-
blés de feux continuels. Le 18 et le 19, deux
cents pieces étaient dirigées sur la place, et
la couvraient de projectiles de toute espece.
Des batteries flottantes, placées sur le Rhin,
incendiaient l'intérieur de la ville par le coté
le plus ouvert, et lui causaiellt un dommage
considérable.


Cependant la derniere paraltele n'était pas
encore ouverte, la premiere enceinte n'était
pas encore franchie, et la garniaon pleine d'ar-
deur ne songeait point a se rendre. Pour se dé-
livrer des batteries flottantes, de bravea Ft'an-




CONVENTION NAT/ONALE ('793). 139
c;ais se jetaient a la nage, et allaient couper
les cables des bateaux enuemis. 00 en VIt un
amener a La nage un batean chargé de quatre-
vingts soldats, qui furent faits prisonniers.


Mais la détresse était au comble. Les mou-
lins avaÍent été incendiés, et il avait faUu re-
courir, pour moudre le grain, a des moulins
abras. Eneore les ouvriers ne voulaient-iIs pas
y travaillcr, parce que l'ennemi, averti, oe
manquait pas d'accabler d'obus le líeu ou ils
étaient placés. D'ailleurs on manquait presque
tout-a-fait de blé; depuis long-temps on n'avait
plus que de la chair de cheval; les soldats
mangeaient des rats, et allaient sur les bords
du Rhin pecher les chevanx morts que le fleuve
entrainait. Cette nourriture devint fUlleste a
plusieurs d'entre eux; iI {alIut la leur défendre,
et les empecher meme de la rechereher, en
pla<;ant des gardes au bord du Rhin. Un chat
valait six fraIles; la chair de cheval mort qua-
rante-einq sous la livre. Les offieiers ne se trai-
taient pas mieux que les soldats, et Aubert-
Dubayet, invitant a diner son état-major, lui fit
servir, eomme régal, ün chat flan qué de douze
sonriso Ce qu'il y avait de plus douloureux pour
cette malheurellse garnison, c'était la priva-
tÍon absolne de toute notlvelle. Les communi-
cations étaient si bien intereeptées, que depuís




140 RlivOLUTION FRAN~AISE.
trois mois elle ignorait absolument ce qui se
passait en France. Elle avait essayé de faire
connaitre sa détresse, tantot par une dame qui
allait voyager en Sllisse, tantot par un pretre
qui avait prís le chemin des Pays-Bas, tantot
en fin par un espion qui devait traverser le
camp ennemi. Mais aucune de ces dépeches
u'étaít parvenue. Espérant que pcut-etre on
songerait a leur envoyer des nouvelles du Haut-
Rhin, an moyen de bouteilles jetées dans le
flenve, les assiegés y placerent des filets. Ils
les levaient chaque jour, mais ils n'y lron-
vaient jamais rien. Les Prnssiens, qui avaient
pratíqué toute espece de ruses, avaient faít
imprirner a Francfort de faux lJ1onitellrs, por-
tant que DlImollriez avait renversé la cOllven-
tion, et que Louis XVII régnait avec une ré-
gence. Les Prllssiens placés aux avant-postes
transmel taient ces faux lJJonitellrs aux soldats de
la garnison; et eette lectllre répandait les plus
grandes inquiétudes, et ajontait aux souffran-
ces qu'on endurait déja, la doulellr de dé-
fendre peut-etre une cause perduc. Cependant
on attendait en se disant : L'armée du Rhin va
bientot arriver. Quelguefois on disait: Elle
arrive. Pendant une Iluit, on entend une ca-
Ilonnade vigoureuse tres-Ioin de la place. On
s'éveille avec joie, on court aux armes, et on




CONVENTION NATlONALE (1793)- 14l
s'apprete a marcher vers le canon fram;ais, et
a mettre l'ennemi entre rteux feux. Vain es-
poir! le bruit eesse, et l'armée libératriee ne
parait paso Enfin la détresse était devenue si
insupportabJe, que deux mille habitants de-
manderent a sortir. Aubert -Dubayet le leur
permit; mais ils ne furent pas re<;:l1S par les as-
siégeanls, resterent entre deux feux, el péri-
rent en partie sons les m urs de la place. Le
matin, on vit les soldats rapporter dans leurs
manteaux des eufants blessés.


Pendant ce temps, l'armée du Rhin et de
la Moselle ne s'avan<;:ait paso Cus tine l'avait
commandée jusqu'uu mois de juin. Encore
tout abattu de sa retraite, il n'avait eessé d'hé-
siter pendant les mors d'avril et de mai. Il di-
sait qu'iJ n'était pas assez fort; qu-il avait be-
soin de beaucoup de cavalerie pour soutenir,
dans les plaines du Palatinat, les efforts de la
ctlvalerie ennemíe; qu'il n'avait point de four-
rages pour nourrir ses chevaux; qu'illui fallait
attendre que les seigles fussent assez avancés
pour en faire du fourrage, et qu'alors iI mar-
cherait au seconrs de Mayence -v.. Beauhar-
nais, son suceesseur, hésitant eomme luí,
perdit l'oceasion de sauver la place. I~a ligne


.. Voyez le prod,s de Custine.




J [p nÉVOLUTION FRAN~AIS}'.
des Vosges, comme on sait, longe le Rhin, et
vient finir non loin d~ Mayence. En occupant
les deux versants de la chalne et ses princi-
paux passages, on a un avantage immense,
paree qll'on peut se porter ou tout d'un coté
ou tOllt d'un autre, et accabler l'ennemi de ses
masses réunies. Telle était la po sitio n des Fran-
t;;ais. L'armée du Rhin occupait le revers orien-
tal, et eeUe de la Moselle le revers occidental;
Brunswiek et Wurmser étaient disséminés, a
la terminaison de la chaine, sur un cordon fort
étendu. Disposant des passages, les deux ar-
mées fran~aises pouvaient se réuni:..' sur l'un
on l'autre des versants, aceabler ou Brunswick
OH Wurmser, venir prendre les assiégeants par
derriere, et sauver Mayerree. Beauharnais,
brave, mais peu entreprcnant, ne fit que des
mouvements incertains, et ne secourut pas la
garnison.


Les représentants et les généraux enfermés
dans Mayence, pensant qu'il ne fallait pas
pousser les dlOses a11 pire; que si on attendait
huit jours de plus, on pourrait manquer de
tout, et etre obligé de rendre la garnison pri-
sonniere; qu'au eontraire, en capitulant, on oh-
tiendrait la libre sortie avec les honneurs de la
guerre, et que ron conserverait vingt mille
hommes, devenns les plus braves soldats du




CONVENTION NATION A.LE (1793). 143
monde sous Kléber et Dubayet, déciderent
qu'il fallait rendre la place. Sans doute, avee
quelques jours de plus, Beauharnais pouvait la
sauver, mais apres avoir attendu si long-temps,
il était permis de ne plus peuser a un secours,
et les raisons de se rendre étaient détermi-
nantes. Le roí de Prusse fut facile sur les eOlldi-
tions j il aceorcla la sortie avee armes et bagages,
et n'imposa qu'une condition, e'est que la gar-
nison ne servirait pas d'une année eontre les
coalisés. Mais il restait assez d'ennemis a l'in-
térieur pour utiliser ces admirables solJats,
nommés depuís les Mayem;ais. lis étaieut tel-
lement attachés a leur poste, qu'ils ne voulaient
pas obéir a leuTs généraux lorsqu'il fallut sortir
de la place: síngnlier exemple de l'esprit oe
corps qui s'établit sur UI1 point, et de l'atta-
chement qui se forme pour un líen qu'oll a
défendu quelques moís ! Cependant la garnison
cédaj et, tandís qu'elle défilait, le roi de Prusse,
pleill el'admiratíon pour sa vaJeur, appelait par
leur nom les officiers qui s'étaíent distíngués
pendant le siége, et les complimentait avec une
courtoisie chevaleresque. L'évacuation eut lien
le 'A 5 juillet.


On a vu les Autrichiens bloquant la place
de Condé, et faisant le siége réguJier de Valen-
caennes. Ces opérations, condnites simultané-




Í 44 RÉVOLUTlON FRAN<';:AISE.
mellt avec ceHes du Rhin, approchaient de
leur termc. Le prince de Cobourg , a la tete du
corps (l'observation, faisait face au camp de
César; le duc d'Yol'k commandait le corps de
siége. L'attaque, d'abord projetée sur la cita-
delle, fut ensuite dirigée entre le faubourg de
Marly et la porte de Mons. Ce front présentait
beaucoup plus de développement, mais iI était
moins défendll, el fut préféré comme plus ac-
cessible. On se pro posa de battre les ouvrages
pendant le jour, et d'inccndier la ville pendant
la nuit, afin d'augmenter la désolation des ha-
bitants et de les ébranler plus tot. La pl<lce fut
sommée le J 4 jllin. Le général Fcrrand et les
représentailts Cochon et Briest répondirp.nt
avec la plus grande digllité. lis avaiellt réulli
une g<lrniSOIl de sept mille hommes, inspiré
de tres-bonnes dispositioos aux habitants, dont
ils organiserent une partie en compagnies de
canonniers, qui rendirent les plus grands ser-
vices.


Deux paralJeles furent successivement OU-
verles dans les nuits des I [J et 19 j uio, et ar·
mées de batteries formidables. Elles causerent
dans la place des ravages affreux. Les habitants
et la garnison répondirent a la vigueur de
l'attaque, et détruisirent plllsieurs fois tons les
travaux des assiégeants. Le 25 juin surtout fut




eONVENTION N A TION HE (1793). 145
terrible. L'ennemi incendia la place jusqu'a
midi, sans qu' elle répondit de son cOté; mais a
cette heure un feu terrible, parti des remparts,
plongea daus les tranchées, y mit la confusion,
et y reporta la terrellr et la mort qui avaient
régné dans la ville. Le 28 jUill, une troisieme
paralleIe fut tracée, et le courage des habitants
commenc;;a a s'ébranler. Déja une partic de cette
ville 0plllente était incendiée. Les ellfants, les
vieillards et les femmes avaient été mis dans
des souterrains. La reddition de Condé, qui ve-
nait d'etre pris par famine, augmentait encore
le découragement des assiégés. Des émissaires
avaient été envoyés pour les trav,ailler. Des ras-
semblements commencerent a se former et a
demander une capitulation. La municipalité
partageait les dispositions des habitants ,et s'en-
tendait secretement avec eux. Les représentants
et le général Ferralld répondirent ave e la plus
grande vigueur aux demandes qui leur furent
adressées; et avec le secours de ]a garnison,
dont le courage était parvenu au plus haut
degré d'exaltation, ils dissiperent les rassem-
blements.


Le 25 juillet, les assiégeants préparerent leuts
mines et se disposerent a l'assaut du chemin
couvert. Par bonheur pOllr eux , trois globes
de compression éclat~rent au moment meme


Y. 10




i tl(í nÉVOUJTJON }'HANyAfSJ.:.
bÚ les mines tle la garnison allaienl jouer, et
détruire leurs ouvrages. IIs s'élancerenl alors
sur trois colonnes, franchirent les palissades,
et pénétrerent dans le chemill couvert. La .gar-
nison effrayée se retirait, abaudonnant déja
ses batteries; mais le généraI Ferrand la ra-
mena sur les i'emparts. L'al,tillel'le, qui avait
raíl des prodiges pendant tout le siége, causa
encore de grands dommages aux assiégeants, et
les arreta presqu'aux portes de la place. Le
lendemain 2.6, le duc d'York somma le général
Fenand de se rendre; iI anllOll~a qu'apres la
jOllrnée écoulée, jl n'écouterai t plus 3ucune pro-
position, et que la garnison et les habitants
seraient passés au fil de l'épée. A cette menace,
lesattroupements devinl'ent considérables; une
multitude, 011 se tl'Ouvaient en grand nombre
des hommes armés de pistolcts et de poignards,
entoura la municipalité. Douze individus pri-
I'ent la paroJe ponr tous. et firent la réquisi-
tion formelle de rcndre la place. Le conseil de
guerre se tenait aH milieu du tumulte; au-
cun des membres ne pouvait en sortir,. et
ils étaient tous consignés jusqu'a ce qu'ils
eussent décidé la redditioll. Deux breches,
des habitants mal disposés, un assiégeant vi-
goureux, ne permettaient plus de résister. La
place fut relldne le 28 juillet. La garnisoll sor-




CONVENTION NATIONALE (f7~)3). r47
tit avec les honneurs de la guerre, fut con-
trainte de déposer les armes, mais put rentrer
en Franee, avec la seule condition de ne pas
servir d'un an contre les coalisés. C'était en-
core sept miIle braves soldats, qui pouvaient
rendre de grands services contre les ennemÍs
de I'jntérieur. Valenciennes avait essuyé qua-
rante-un jours de bombardement, et avait été
aecablée de quatre-vingt-quatre mille boulets,
de vingt mirle obus, et de quarante-huit mille
bombes. Le géuéral et la garnisoll avaient fait
leur devoir, et J'artillerie s'était couverte de
gloire.


Dans ce me me moment, la guerre du fédéra-
lisme se réduisait a ses deux calamités réelles :
la révolte de LyOll d'une part, ceHe de Mar-
seilIe et de TouIon de l'autre.


Lvon consentait bien a reconnaitre la con-
"


vention, mais r~usait d'obtempérer a deux
décrets, celui qui évoquait a París les procé-
dures cornmencées eontre les patriotes, et cellú
qui destituait les autorités et ordonnait la for-
mation d'nne nouvelle municipalité provisoire.
Les aristocrates cachés clans Lyon effrayaient
eette ville du retour de l'ancienne municipalité
montagnarde , et, par la crainte de dangers in-
certains, l'entrainaient dans les dangers réels
d'nne révolte ouverte. Le 15 juillet, les Lyon-


10.




14~ RÉVOLUTlON FRAN«:;AISl"
nais firent mettre a mort les deux patriutt's
Chalier et Riard, et des ce jour ils furent dé-
clarés en état de rébellion. Les deux girondins
Chassetet Biroteau, voyant surgir le royalisme,
seretirerent. Cependant le présidentde la com-
mission populaire, qui était dévoué aux émi-
grés, ayant été remplacé, les déterminations
étaient devenues un peu moins hostiles. On
reconnaissait la constitution, et on offrait de se
soumettre, mais toujours a condition de ne pas
exécuter les dellx principaux décrets. Dans cet
intervalle, les chefs fondaient des canons, ac-
caparaient des munitions, et les dífficu ltés ne
semblaient devoir se terminer que palo la voie
des armes.


Marseille était beaucoup moins redolltable.
Ses batailIons, rejetés au - dela de Ja Durance
parCarteaux,.ne pouvaient opposer une longue
résistance; mais elle avait eommu·niqué a la
ville de Toulon , jusque-la si républicainc , son
esprit de révolte. Ce port, 1'un des premiers
du monde, et le premier de la Méditerranée,
faisait envie aux Anglais, qui croisaient devant
ses rivages. Des émissaires de l'Angleterre y
intriguaient sourdement, et y préparaient une
trahison infame. Les sections s'y étaient ré-
unies le 13 j uillet, et, procédant comme toutes
ceUesdn Midi '. avaíent destitué la mUllicipa-




CONVENTION IV ATION ALE e J 793). 149
lité et fermé le club jacobino L'autorité, trans-
mise aux mains des fédéralistes, risquait de
passer successivement, de faetions en factions,
aux émigrés et aux Anglais. L'armée de Niee,'
dans son état de faiblesse, ne pouvait prévenir
un tel malheur. Tout devenait done a erain-
dre ;' et ce vaste ol'age , amoneelé sur l'horizon
du lUidi, s'était fixé sur deux poinls, Lyon
el Touloll.


Depuis deux mois, lasituation s'était done ex-
pliquée, et le danger, moins ulliversel, moins
étourdissant, était mieux déterminé et plus
grave. A l'Ouest, c'était la plaie dévorante de
la Vendée; a Marseille, une sédition obstinée;
a Toulon, une trahison sourde ~ a LyOI~, une
résistance ouverte et un siége. Au Rhin et au
Nord, c'était la perte des deux boulevarts,
qui avaient si long-temps arreté la coalition et
empeché J'ennemi de mareher sur la capitale,
En septembre 1792, lorsque les prussiens
marehaient sur París et avaient pris Longwy
et Verdun; en avril 1793, apres la retraile (le
]a Belgíque , apres la défaite de N erwinde, la
(Iéfection de Dumouriez et le premier soule-
vement de la Vendée; aU 31 mai 1793, apres
l'insurrection universelle des départements,
J'ínvasion du Roussillon par les Espagnols, et
]a perte du camp de 'famars; a ces trois époques,




.50 J1ÉVOLUTION FRANG,AIS¡':.
les dangers avaient été effrayants, sans doute,
mais jamais peut- thre aussi réels qu'a cette
quatrieme époque d'aout J793. C'était la qua-
trÍeme el derniere crise de la révolution. La
France était moins ignorante et moins neuve
a la guerre qu'en septembre 1792 , moins ef-
frayée de trahisons qu'en avril 1793, moins
embarrassée d'insurrections qu'au 31 mai et
au 12 juin; mais, si elle était plus aguerrie et
mieux obéie, elle était envahie a la fois sur
tous les points, au Nord, au Rhin, aux Alpes.
aux Pyrénées.


Cependant on ne connaitrait pas encore tous
les maux qui affligeaient alors la république,
si on se bornait a considérer les cinq ou six
champs de bataille sur lesqllels ruisselait le
sang humain. L'intél'ieur offra'it un spectacIe
toutaussi déplorable. LesgmÍnsétaienttoujours
chers et rares. On se battait a la porte des
boulangers pour obtenir une modique quan-
tité de pain. 00 se dispntait en vain avec les
marchands ponr lellr faire accepter les assi-
gnats en échange des objets de premiere né-
cessité. La souffrance était au comble. Le
pcuple se plaignait des accapareurs qui rete-
naient les denrées, des agioteurs qui les faisaient
renchérir, et qui discréditaient les assignats
par leur trafico Le gOllvernement tout aussi




CONVF.NTlO~ l\"" A TION A u; (1793). 151
malheureux que le peuple, II 'avait, pOllr existel'
aussi, que les assignats, qu'il fallait dOllner en.
quantité trois ou quatre foís plus eonsidérable
pour payer les memes services, et qu'on n'osait
plus émettre, de pCUl' de les avilir encore
davantage. On IIC savait dOlle plus eomment
faire vivrc ni le peuple lli le gouvernemcnt.


La production générale n'avait pourtant pas
diminué. Bien que la nuit dll 4 aoút n'eút pas
encore produit ses immenses effets, la Fl'ance
ne manqnait ni de blé, ni de matieres pre-
mieres, ni de matieres Ol! vrées; mais la dis-
tribution égale et paisible en était devenue
impossible , par les effets du papier-mo.llnaie.
La révolution qui, en abolissant la monarchie,
avait voulu néanmoins payer sa <lette; qui, en
détruisant la vénalité des offices, s'était CIl-
gagée a en rembourser la valclll'; qlli. ell
défendant enfin le nouvcl ordre de dlOses
contre l'EUl'ope conj urée, était obligée de faire
les frais d'uue gllerre lII1iverselle, avaÍt, pOli!'
suffire a toutes ces charges, les biells uationallx
enlevés au clergé et aux émigrés. Po nI' mettre
en circulation la valeur de ces biens, elle avai/:
imaginé les assignats, qui en étaient la repré-
sentation, et qui, par le moyell des achats •
devaieut rentrer an trésor et etre brúlés. Mais
cumme on doutait du succes de la révolutioll




152 RÉVOLliTION FRAN~alS.E.
et du maintien des ventes, ou ll'achetait pas
les bieus. I .. es assignats restaient dans la cir-
culatíon, comme une lettre de challge non
acceptée, et s'avilissaient par le doute et par la
quantité.


Le numérair'e seul rcstait toujours eomme
mesure réeIle des valeurs; et rien ne uuit á
une monnaie eontestée, eomme la rivalité
d'une monnaie certaine et íncontestée. L'une
se resserre et refuse de se donner, tandis que
l'autre s'offre en abondance, et se discrédite
en s'offrant. Tel était le sort des assignats par
rapport an numéraire. La révolution, con-
damnée a des moyens violents, ne pouvait plus
s'arreter. Elle avait mis en circulation forcée
la valeur anticipée des biens nationaux ; elle
devait essayer de la sOlltenir par des moyens


. forcés. Le I I avril, malgré les gírondins qui
1 uttaien t généreusement, mais imprudemmellt,
contre la fatalité de cette situation révolution-
naire, la cOllvention punit de six ans de fer
quiconque vendrait du numéraire, c'est-a-díre
échangeraít ulle certaine quantité d'argent on
d'or contre une quantité Ilominale plus grande
d'assignats. Elle punít de la meme peine quí-
conque stipulerait pour les marchandises un
prix diffél'ent, suivant que le paiement se fe-
rait en lluméraire ou en assignats.




CONVENTIO:\' N¡\TlUNALE 1,1793). J53
Ces moyens n'empeehaient pas la différenee


de se pronoueer rapidement. En juin, un frane
métal valait trois {,'anes assignats ; et en aout,
deux mois apres, un frane argent valait six
franes assígnats. Le rapport de diminution, qui
était de un a trois, s'était done élevé de un
a six.


Dans une pareilIe situation, les marehands
refusaient de donner leurs marehandises au
meme prix qu'autrefois, paree que la monnaie
qu'on leur offrait n'avait plus que le einquieme
ou le sixieme de sa valeur. lIs les resserraient
donc, et les refusaiellt aux aeheteurs. Sans
doute, cette diminution de valeur eut été pour
les assignats un ineonvénient absolument nulo
si tout le monde, ne les recevant que pour ce
qu'ils valaient réellement, les avait pris et don-
nés au meme taux. Dans ee cas, ils auraient
toujours pu faire les fonctions de signe dans
les échanges, et servir a la circulation comme
toute autre monnaie; mais les capitalistes qui
vivaient de leurs revenus, les créanciers de
l'état qui recevaient ou une rente anlluelle ou
le remboursement d'un offiee, étaient obligés
d'aecepter le papier suivall't sa valeur nomi-
nale. Tous les débiteurs s'empressaient de se
libérer, et les créanciers, forcés de prendre
une valeur fictive, ne tOl/chaient que le quart,




154 nÉVOLlTTION }'I\ AN(,~ A JS~:.
le cinquieme ou le sixieme de leur capital. En-
fin le peuple ouvrier, toujours obligé d'offrir
ses services, de les donller 1\ qui veut les ac-
cepter, ne sachant pas se concerter pour faire
augmenter les salaires du douhle, du triple, a
mesure que les assignats diminuaíent dans la
meme proportion, ne recevait qu'ulle partíe
de ce qui lui était nécessaire pour obtenir ell
échange les objets de ses besoins. Le capita-
liste, a moitié ruiné, était mécontent et silen-
cieux; mais le peuple furieux appelait aeeapa-
reurs les marchands qui ne voulaient pas lui
vendre au prix ordinaire, et demandaít qU'OIl
cnvoyat les accapareurs a la guillotine.


eette facheuse situation était un résultat né-
cessaire de la création des assignats, eomme
les assignats eux-memes furent amenés par la
néeessité de payer des dettes anciennes, des
offices et une guerre ruineuse; et, par les
memes causes, le maximum devait bientot ré-
sulter des assignats. Peu importait en effet
qu'on cut rendll cette monnaie forcé~, si le
marchand, en élevant ses prix, parvenait a se
soustraire a la nécessité de la recevoir. Il fal-
¡ait rendre le taux des marchandises forcé
comme celui de la monnaie. Des que la loi
avait dit : le papier vant six franes, elle de-
vait dire : telle marcha\l(lis~ lIe vaul que six




CONVENTION N ATIONA!.F, I 793\ ¡55
franes; cal' autremen t le m arehand, en la por-
tant a douze, éehappait a l'échange.


Il avait done faUu encore, malgré les giron-
dins, quí avaient donné d'exeellentes raisons
puisées dans l'économie ordinaire des choses,
établir le maxlÍnum des grains. La plus grande
souffranee pour le peuple, e' est le défaut de
pain. Les blés ne manquaient pas, mais les fer-
miers, qui ne voulaient pas affronter le tumulte
des marchés, ni livrer leur blé au taux des
assignats, se cachaient avec leurs denrées. Le
peu de grain qui se montrait était enlevé ra-
pidement par les comml1nes, et par les in di-
vidus que la peur engageait a s'approvisionner.
La disette se faisait encore plus sentir a Pari~
que dans aucune autre ville de .Franee, paree
que les appro\'isionnements pour cette cité
Ímmense étaient plus diffieiles, les marchés
plus tumultueux, Ja peur des fermiers plus
grande. Les 3 et 4 mai, la convention n'avait
pu s'emptkher de rendre un déeret par le-
quel tous les fermiers ou marehands de grains
étaient obligés de déclarer la quantité de blés
qu'ils possédaient, de faire battre ceux qui
étaiellt en gerbe, de les porter dans les mar-
ehés, et exclusivement dan s les marchés, et de
les vendre a un prix moyen fixé par chaque
commune, et basé sur les prix antérieurs dll




J 56 nHVOLUTlON t'R,\Nr,;AISF.
1 cr jallvier au ,el' mai. Personne ne pouvait
acheter pour suffire a ses besoins au-dela d'un
mois; ceux qui avaient vendu ou aeheté a un
prix au-dessus du maximum, 011 mentí dalls
leurs déclarations, étaient punís de la confis-
cation et d'une amende de 300 él 1,000 franes.
Des visites domiciliaires étaient ordonnées
pour vérifier la vérité; de plus, le tableau de
toutes les déclarations devait etre envoyé par
les munieipalités au ministre de l'intérieur,
pour faire une statistique générale des sub-
sistances de la France. La commune de París,
ajoutant ses arretés de poliee aux décrets de
la convention, avait réglé en outre la distri-
bution du pain dans les boulangeries. On ne
pouvait s'y présenter qu'avec des cartes de
sureté. Sur ectte carte, délivrée par les comi-
tés révolutionnaires, était désignée la quantité
de pain qu'on pouvait demander, et cctte quan-
tité était proportionnée au nombre d'individus
dont se composait ehaque famiUe. On avait
réglé j llsqu'a la maniere dont OH devait faire
queue a la porte des boulangers. Une carde
était attachée a leur porte; chacun la tenait
par la main , de maniere a ne pas perdre son
rang et a éviter la confllsion. Cependant de
méchantes femmes eOllpaient souvent la eorde;
un tumulte épouvantable s'ensuivait, et il fal-




CONVI'i'iTro:v NATIONALE (r793), 157
lait la force armée ponr rétablir l'ordre. On
voít a comllien cl'immcnses soucis est úm-
damné un gouvernem'ent, el a quelles mesu-
res vexatoires il se trouve entralné, des qu'il
est obligé de tout voir pour tout régler. Mais
dans cette situatioIl, chaque chose s'enchainait
a une autre. Forcer le cours des assignats avait
concluit a forcer les échanges, a forcer les prix,
a forcer meme la quantité, l'heure, le mode
des achats; le dernier fait résultait du premier,
et le premier avait été inévitable comme la
révolution elle-meme.


Cependant le renchérissement des subsis-
tances qui avait amené leur maximum, s'é-
tendait a toutes les marchandises de premiere
nécessité. Viandes, légumes, fruits, épices,
matieres a écIairer et a bruler, boissons, étof-
fes pOlIr vetement, cuÍrs ponr la chaussure,
tout av:lit augmenté a mesure que les assignats
avaient baissé, et le peuple s'obstinait chaque
jOUl' davantage a voír des accapareurs la OU il
u'y avait que des mar<:hands qui refusaient
une monnaie sans valeur. On se sOlIvient qu'en
février iI avait pillé chez les épiciers d'apres
l'avis de Marat. En j uillet, iI avait pillé des ba-
teaux de savon qui arrivaient par la Seíne a
París. La commune inclígnée avait rendu les
arretés les plus séveres, et Pache imprima cet
avis simple et laconiqu(' :




! :')H Jn:Y(ILUTlON f'R~N~AISE.


LE MiURE PACHf; A SES CONCJTOYENS.


c( Paris contÍent sept cent mille habilants :'
le sol de Paris ne produit ríen pour Ieur nour-
riture, leur habillement, leur entretien; iI faut
done que Paris tire tout des autres départe-
ments et de l'étranger.


c( Lorsqu'il arrive des denrées et des mar-
ehandises a París, si les habitants les pillent,
on eessera d'en envoyer.


« Paris n'aura plus rien ponr la nourriture,
l'habillement, l'cntretien de ses nombreux
habitants.


(c Et sept cent mille hommes dépourvus de
tout s'entre-dévoreront. ),


Le peuple n'avait plus pillé; mais iI dernan-
dait toujours des mesures terribles contre les
marehands, et on a Vll le pretre Jacques Roux
ameuter les cordeliers, ponr faire insérer dans
la eonstitution un article relatif aux accapa-
reurs. On se déchainait heaueoup aussi eOlltre
les agioteurs, qui faisaient, disait-on, augmenter
les marchandises, en spéculant sur les assignats,
1'01', l'argent et le papier étranger.


L'imagination populaire se créait des mons-
tres et partout voyait des ennemis acharnés,
tand is qu'il n'y avait que deS jouenrs a vides,
profitant dll mal, mais ne le produisant pas,




CONVENTroN NATlONAU: (1793). 159
t't n'ayant certainement pas la puissance de le
produire. L'avilissement des assignats tenait a
lIIle fonle de causes: leur qnantité considé-
I'able; l'incertitude de leul' gage qui devait
disparaitre si la révolntion succombait; leur
comparaison avcc le numéraire qui ne perdait
pas sa réalité, et avee les marchandises qui,
eonservant leu/' valeur, refusaient de se don-
ner contre une monnaie qui n'avait plus la
sieuue. Dans cet état de ehoses, les capitalistes
ne voulaient pas garder leurs fonds sous forme
d'assignats, parce que sous eette forme ils dé-
périssaient tOll5 les jours. D'abord ils avaient
cherché a se procurer de l'argent; mais six
ans de gene effrayaient les vendeurs et les ache-
teurs de numéraire. lIs avaient alors songé a
aeheter des marchandises; mais elles offraient
un placelllellt passager, paree qu'elles ne pou-
vaient se garder long-temps, et un placClllent
dangereux, parce que la fureur contre les ac-
caparellrs était au comble. On cherchait donc
des súretés dans les pays étrangers. Tous ceux
qui avaient des assigllats s'empressaient de se
procurer des lettres de change sur Londres,
sur Amsterdalll, sur Hambourg, sur Gene ve ,
sur toutes les places de l'Europe; ils donnaient,
pour obtenir ces valeurs étrangeres, des va-
ltmrs nationales énormes, et avilissaient ainsi




160 RtVOLUTION FRAN~AISF..
les assígnats en les abandonnant. Quelques-
unes de ces lettres de change étaient réalisées
hors de France, et la valeur en était touchée
par les émigrés. Des meubIes magnifiques,
dépouilles de l'ancien luxe, consistant en ébé-
nisterie, horlogerie, gIaces, bronzes dorés,
porcelaines, tableaux, éditions précieuses,
payaient ces leUres de change qui s'étaient
transformées en guinées ou en ducats. l\Iais
on ne cherchait a en réaliser que la plus pe-
tite partie. Recherchées par des capitalistes
effrayés qui ne voulaient point émigrer, mais
seulement donner une garantie solide a leuI'
fortune, elles restaient presque toutes sur la
place, ou les plus alarmés se les tr:msmettaient
les uns aux autres. Elles formaient ainsi une
masse particuliere de capitaux, garantie par
l'étranger, et rivale de nos assignats. On a lien
de croire que Pitt avait engagé les banquiers
anglais a signer une grande quantité de ce pa-
pier, et leur avait meme ouvert un crédit COll-
sidérable pour en augmenter la masse, et COIl-
tribuer, de cette maniere, toujours davantage
au discrédit des assignats.


On mettait encore beaucoup d'empresse-
ment a se procurer les actions des compagnies
de finances, qni semblaient hors des atteintes
de la révo]ntion et de la contre-révolutioll, t't




CONVl':NTION NATIONALE (1793). 161
qui offraient en outre un placement avanta-
geux.Cellesde la eompagnie d'escompte avaient
une grande faveur; mais ceHes de la compagnie
des lndes étaient sllrtollt recherchées avec la
plus grande avidité, paree qu'elles reposaient
en quelque sorte sur un gage insaisissable, leur
hypotheque consistant en vaisseaux, et en ma·
gasins situés sur tOllt le globe. Vainement les
avait·on assnjetties a un uroit de transfert eon-
sidérable: les administrateurs éehappaíent a la
loi en abolissant les actions, et ell les rempla.
~ant par une simple inscription sur les regis-
tres de la eompagnie, qui se faisait saus for·
malité. lis fraudaient ainsi l'état d'un revenll
considérable, cal' il s'opérait plusieurs milliers
de tr;¡nsmissions par jour, et iIs rendaient illll-
tiles les précautioTls prises pOlir empeeher
l'agiotage. Vainement encore, pour diminner
l'attrait de ces actions, avait-on frappé leur
produit d'un droit de einq pour eent: les di-
vid endes étaient distribués allX actionnaires
comme remboursement d'une partie du ca-
pital; et par ee stratageme les administrateurs
échappaient encare a la loi. Aussi de 600 franes
ee!' aetions s'éleverent a 1,000, 1,200, et meme
2,000 franes. C'étaient autant de vaIeurs qu'on
opposait a la monnaie révoIutionnaire, et qui
servaient a la diseréditer.


Y. 1 1




162 RlÍVOLUTION FU AN9IHSJl.


On opposait encore aux assignats non-seu-
lernent toutes ces especes de fonds, rnais cer-
taines parties de la dette publique, et meme
d'autres assignats particuliers. Il existait en
effet des emprunts souscrits a toutes les épo-
ques, et sons ton tes les formes. Il y en a vait
qui remontaient jusqu'il Louis XIII. Parmi les
derniers souscrits sous Louis XIV, il Y en avait
de différentes créations. On préférait généra-
lernent ceux qui étaient antérieurs a la monar-
chie constitutionnelle a ceux qui avaient été
ouverts ponr le besoin de la révolution. Tous
étaient opposés aux assignats hypothéqués sur
les biens du clergé et des érnigrés. Enfiu, entre
les assignats eux-rnemes, ou faisait des diffé-
reuces. Sur cinq rnil1iards environ émis depuis
la création, un rnilliard était rentré par les
achats de biens llationaux; quatre milliards a
peupres restaient en circulation; et sur ces
quatre milliards, on en pouvait compter cinq
cent millions créés sous Lonis XVI, et portant
l'effigie royale. Ces derniers seraieut mieux
traités, disait-on, en cas de contre-révolution,
et adl'uis pour une partie au moins de leur va-
leur. Aussi gagnaient-ils lO OH J 5 pour cent
sur les autres. Les assignats républicains, seule
ressource du gouvernement, seule monnaie du
peuple, étaient done tout-a-f.'tit discl'édités, et




CONVENTION NATIONALE (1793). 163
lultaient a la fois cOlltre le numéraíre, les mar-
chandises, les papiers étrangers, les actions des
compagnies de finances, les di verses créances
sur l'état, et en fin contre les assignats royaux.


Le remhoursement des offices, le paiement
des grandes fournitnres faites a l'état pour les
besoins de la guerre, l'empressement de beau-
coup de débiteurs a se libérer, avaient produit
de grands amas de fonds dans quelques mains.
La guerre, la craínte d'nne révolution terrible,
avaient interrompu beaucoup d' opérations como
mm'ciales, amené de grandes líquidations, et
angmenté encore la masse des capitaux stag-
nants et cherchant des suretés. Ces capitaux;
ainsi accumnlés, étaient livrés a un agiot per-
pétnel sur la bourse de París, et se changeaiellt
tour-a-tour en ór, argent, denrées, lettres de
change, actíons des compagnies, vieux contrats
sur l'état, etc. La, comme d'usage, interve-
naient ces joueurs aventureux, qui se jettent
dan s toutes les especes de hasard, qui spéculent
sur les accidents du commerce, sur l'approvi-
sionnement des armées, sur la bonne foi des
gouvetnements, etc. Placés en observation a
la bourse, ils faisaient le profit de toutes les
hausses sur la baisse constante des assignats.
La baisse de l'assignat commenc;;ait d'abord a la
bourse, par rapport al! numéraire et atontes


TI.




J 64 H ÉVOLIJTlON .FitA ~~:A ISE.
les valCllrs mohiles. Elle avait lieu ellsllite, pal'
rapport aux marchandises qui renchérissaient,
dans les boutiques et les marchés. Cependant
les marehandises ne montaient pas aussi ra-
pidement que le numéraire, paree que les mar-
chés sont éloignés de Ja bourse, parce qu'ils
ne sont pas aussi sensibles, et que d'aillellrs les
marehands ue peuvent pas se donner le mot
aussi rapidement que des agiotelll'S réunis dans
une salle. La difIérenee, déterminée d'abord a
la bourse, ne se pronow;:ait done ailleurs qu'a-
pres un temps plus on moins long; l'assignat
de 5 franes, qui déja n'en valait plus que 2 a la
hourse, en valait eneore :3 dan s les marehés,
et les agioteurs avaient ainsi l'intervalle néces-
saire pour spécnler. Ayant leurs capitaux tout
prets, ils prenaient du numéraire avant la
hausse; desqu'il montait par rapport aux as-
signats, ils l'éehangeaient eontre cellx-ei; ils en
avaient une plus grande quantité, et, eomme
la marchandise n'avait pas en le temps de
monter encore, avec ceUe plus grande quantité
d'assignats ils se procuraient une plus grande
quantité de marehandises, et la revendaient
quand le rapport s'était rétabli. Leur rOle con-
sistait a occuper le numéraire et la marchan-
dise pendant que l'un et l'autre s'élevaient par
rapport a l'assignat. Leur profit n'était done




CONn:NTfON NATIONAI,F. (1793). 16.5.
que le profit constant de la hausse de toutes
dlOses sur l'assignat, et il était naturel qu'on
lcur en voulut de ce bpllÉ'fice tonjol.lr5 fJ:ld,:
sur une calamité pllblique. Leur jt'tl ~;:ét('lId,,¡t
sur la variation de toutes les especes de valeurs,
telles que le p;¡pier étranger, les actions des
compagnies, etc. lis profitaient de tons les aC~
cidents qui pouvaient produire des différences,
tels q u'une défaite, une motíon, une fausse
Houvelle. Ils formaient une classe assez consi-
dé rabIe. On y comptait des banquiers étraQ.-
gers, des fournisseurs, des usuriers, d'anciens
pretres ou nobles, de récents parvenus révo-
lutionnaires, et quelques députés qui, pour
l'honneur de la convention, n'étaient que cinq
011 six, et qui avaient l'avantage perfide de
contribl1cr a la variation des valel1rs par des
motions [aites a propos. Ils vivaient dans les
plaisirs avec des actrices, des ci.-devant reli-
gieuses OH comtesses, q ni, du rólede mai.
tresses, passaient quelquefois á celui de négocia-
trices d'atIaires. Les deux principaux députés
engagés dans ces intrigues étaient J ulien, de
Toulouse, et Delaunay, d'Angers, qui vivaient,
le premier avec la comtesse de Beaufort, le
second avec l'actrice Descoings. On prétend
que Chahot, dissolu cornme un ex-capucin, et
s'occupant quelquefois des questions finan ..




166 nÉVOUiTION l"RAN<,,:AISI,.
cieres, se livrait a cet agiotage, de compagnie
avec deux freres, nommés Frey, expulsés de
Moravie pOUl' leurs opillions révollltionnaires,
et venus a París pOilr y faire le commerce de la
Lanque. Fabre d'Églantioe s'en melait aussi, et
00 accusait Danton, mais sans aueune preuve,
de n'y etre pas étranger.


L'intrigue la plus honteuse fut ceHe que ha
le baroll de Batz, banquier et financier habile,
avec Julien, de Toulouse, el Delaunay, d'An-
gers, les députés les plus décidés a faire for-
tune. lIs avaient le projet de dénollcer les mal-
versations de la compagnie des Indes, de f;'lÍre
baisser ses actions, de les acheter aussitot, de
les relever ensuite an moyen de motious plus
donces, et de réalisel' ainsi les profits de la
hausse. D'Espagnac, cet abbé délié, qui fut
foumissellr de Dumouriez dans la Helgique,
qui avait obtenu depuis l'entreprise générale
des charrois, et dont Jlllien protégeait les mar-
chés aupres de la convention, devait foul'uir
en reconnaissance les fonds de l'agiotage. Ju-
líen se proposait d' entralner eucore dan s cette
intrigue Fabre, Chabot, et autres, qui pou-
vaient devenir utiles comme membres de divers
comíté~.


La plupart de ces hommes étaient attachés a
la révolution, et ne cherchaient pas a la des-




CONVENTION NATlONALE (1793). 167
servir; mais, a tout événement, ils youlaíent
s'assurer des jouissances et de la fortune. On
ne connaissait pas toutes leurs trames secretes;
mais, comme ils spéculaient sur le discrédit des
assignats, on leur imputait le mal dont ils pro-
fitaient. Comme ils avaient dans leurs rangs
beallcoup de banquiers étrangers, on les disait
agents de PÍtt et de la coalition; et on eroyait
encore voir ici l'influence mystérieuse, et si re-
doutée , du ministre anglais. On était, en un
mot, également indigné contre les agioteurs et
les accapareurs, et on demandait eontre les
uns et les alltres les memes suppliees.


Ainsi, tandis que le Nord, le Rhin, le Midi,
la Vendée, étaient envahis par nos ennemis,
nos moyens de finanees consistaient dans une
monnaie non acceptée, dont le gage était in-
certain comme la révolution elIe-meme, et qui,
achaque accident, diminuait d'une valeur pro-
portionnée au péril. Telle était cette situatíOn
singuliere : a mesure que le danger augmen-
tait et que les moyens auraient du etre plus
grands, ils diminuaient au contraire ; les muni-
tions s'éloignaient du gouvernement, et les
denrées du peuple. Il fallaít done a la foís créer
des soldats, des armes, une monnaie pOlIr l'é.
tat et pour le peuple, et apres tout cela s'assu-
rer des victoires.




\




CONVENTION NATIONALE (1793,. 16~)


CHAPITRE 111.


Arrivée et réceptioll a París des eommÍssail'cs des assem-
blées primaires. - Retl'aite du camp de Cl~sar par l'a1'-
mec du Nord. - Fete de !'anniversaire du 10 aout, et
Ínauguration de la constitution de 1793. - Mesures
extraordinaires de salut publico Décret ordonnant la
levée en masse. Moyens employés pour en assurer l'exe-
clItion.-Institution du Grand·Lil'rf'; nOllvelle orgalli-
salion de la dette publique. - Emprnnt forcé. Détails
sur les 0p':'l'3tions flnaneiel'es a ectte ép0C¡lIe. _ NOll-
veaux décrcts su\' le maximufIl, - Decrets eontre la
Vcndée, contre les etrangel's et contre les BOllrboIls.


L E S commissail'es envoyés par les asssem-
blées primaires pOllr célébrer l'anniversaire du
10 aout, et accepter la COl1stitution au nom
de toute la France, venaient d'arriver a Paris.
On voulait saisir ce moment pour exciter un
mouvement d'enthousiasme, réconcilier les pro-
vinces avec la capitale, el provoquer des réso-
JutiOTlS héroi'ques. 011 prépara une réceptioll




r 70 RÉVOLUTION l;CI\AN~;AISE.
brillante. Des marchands furent appelés de lous
les environs. On amassa des subsistances con-
sidérables pour qu'une disette ne vint pas trou-
bler ces fetes, et que les commissaires jouissent
a la foís du spectacIe de la paix, de l'abondanee
et de l'ordre; on poussa les égards jusqll'a 01'-
donner a toutes les admínistrations des voitures
publiques de leur céder des places, meme cdles
quí seraíent déja retennes par des voyageurs.
L'administration du département qui, avec ceHe
de la commune, rivalisait d'austérité dans son
langage et ses proclamations, fit une adresse
aux freres des assemblées primaires. « leí, leur
« disait-elle, des hommes eouverts du masque
« duo patriotísme vous parlercmt avec enthou-
{( siasme de liherté, d'égalité, de république
(1 une et indivisihle, tandís qu'au fout! de leur
({ erenr, ils n'aspirent et ne travaillent qu'au ré-
« tablissement de la royauté et au déchirement
« de lenr patrie. Cenx-Ia sont les riches; et les
« riches dans tous les temps ont abhorré les
«( vertus et tué les mreurs. La, vous trouverez
«( des femmes perverses, trop séduisantes par
« leurs attraits, qui s'entendront avee eux ponr
« vous entrainer dans le vice ... Craignez, erai-
ce gnez surtout le ci-devant Palais-Royal; e'est
« dans ee jardín que vous trouverez ces per-
« fides. Ce famcux jal'din, berceau de la révolll-




') ,
CONVENTION N ATION ALE (17903)-


e( tion, llaguere l'asile des amis de la liberté,
(l de l'égalité, n'est plus aujourd'hui, malgré
(e notre active surveillance, que l'égout fangeux
« de la société, le repaire des scélérats, l'antre
« de tous les conspiratcurs ... Fuyez ce líen em-
(( poisonné; préférez au spectacle dangereux
le du luxe et de la débauche les utiles tableaux
(e de la vertu laboriense; visitez les faubourgs,
ce fondateurs de notre liberté; entrez dans les
te ateliers, ou des hommes actifs, simples et ver",;
« tueux comme vous, comme vous prets a dé-
« fendre la patrie, vous attendent depuis long-
le temps ponr serrer les liens de la fraternité.
({ Venez surtont dans nos sociétés populaires.
« U nissons-nons, ranimons·nous aux nouveaux
(e dangersde la patrie, et jurons ponr la derniere
C( (ois lél rnort et la destructioll des tyrans ! ))


Le premier soín fut de les entralner aux Ja-
cobins , qui les re<;urent avec le plus granel em-
pressement, et lenr offrirent lenr salle ponr s'y
réunir. Les commissaires accepterent cette of-
fre, et il fut convenu qu'ils délibéreraient dans
le se in meme de la société, et se confondraient
avec elle pendant leur séjour. De cette maniere,
il n'y avait a Paris que quatre cents jacobins
de plus. La société, qni siégeait tous les denx
.jours, vouIut aIors se réunir tous les jours pOOl'
délibérer avec les commissaires des départe-




J 72 RÉVOI,UTION FHANyAISE.
ments, su!' les mesures de salut publico On di-
sait que, dans le nombre de ces commissaires,
qllelques-uns penchaient pour l'indulgence, et
qu'ils avaient la mission de demander une am-
nistie générale le jour de l'acceptation de la
constitution. En effet, quelques personnes son-
geaient· a ce moyen de sauver les girondíns prí-
sonniers, el tous les autres détenus pour cause
politiqueo Mais les jacobins ne voulaiellt au-
cune composítion, et il Ieur fallait a la foís
énergie et vengeance. On avait calomnié les
commissaires des assembJées primaires, dit Has-
serifratz, en répandant qll'íls voulaient pro po-
ser une amnistie; ils en étaient inca rabies, et
s'uniraient aux jacobins pour demander, avec
les mesures urgentes de salut pubJic, la puni-
tion de tous les traltres. Les commissaires se
tinrent pour avertís, et si quelqlles - uns, du
reste peu nombreux, songeaient a une amnis-
tie, aucun n'osa plus en faire la proposition.


Le 7 aoUt, au matin, ils furent cond uits a
la commune, et de la commune a l'Éveché, Otl
se tenait le club des électeurs, et Otl s'était pré-
paré le 31 mai. C'est la que devait s'opérer la
récoIlciliation des départements avec Paris,
puisque c'était de la qu'était partie l'attaque
contre la représentation nationale. Le maire
Pache, le procureur Chaumette et toute la mu-




CONVJlNTION NATIONALl: (1793). 173
nicipalité, marchant a lenr tete, introduisent
les commissaires a l'Éveché. De part et d'autre,
on s'adresse des discours; les Parisiens décla-
rent qll'ils n'avaient jamais voulu ni méconnai-
tre, ni usurper les droits des départemcnts, les
commissaírcs reconnaissent a leur tour qu'on
a calomnié París; ils s'cmhrassent alors les
UIlS les mItres, et se livrent au plus vif enthou-
síasme. Tout-a-coup l'idée leur vient d'aller a
la convention pour lui faire part de eette ré-
conciliation. Ils s'y rendent en effet, et sont
introduits sur-le-champ. La discussion est in-
terrompue, l'un des commissaires prend la
parole. ( Citoyens représentants, dit-il, nous
« venons vous faire part de la scene attendris-
« sante qui vient de se passer dans la salle eles
'( électcllrs, ou nous sommes allés donner le
(( baíser de paix a nos freres de París. Bien-
(( tot, naus l'espérons, la tete des calomnia-
( teurs de cette cité républicaine tombera sous
(( le glaive de la loi. NOllS sommes tous mon-
« tagnards, vive la Montagne! » Un autre de-
mande que les représentants donnent ame
commissaires le baiser fraternel. Aussitot les
membres de l'assemblée quittent leurs plaees,
et se jettent dans les bras des eommissaires des
départements. Apres quelques instants d'uue
sct-lle d'attendrissement et d'enthousiasme, les




174 RÉVOUJ1'ION FRAN~AIS}:.
commissaires défilent dans la salle, en pOtlS-
sant les eris de vive la Montagne! vive la répu-
blique! et en ehantant :


La lHontagne llOllS a sanvés
En congédiant Gensonné ....
La Montagne nous a sallvés
En congédiant Gensonné.
Al! diable les Blizot,
Les Vergniaud, les Brissot!
Uansons la carmagnole, etc.


'lis se rendellt ensuite aux Jaeobins, oú ils
rédigent, an nom de lous les employés des as-
semblées primaires , une adres se pour déclarer
:mx départcments que París a été calomnié.
( Freres et amis, écrivent- ils, calmez, calmez
vos inquiétudes. NOllS n'avons tous ici qll'un
sentiment. Toutes nos ¡'unes sont confondues ,
et la liberté triomphante ne promene plus ses
l'egards que sur des jacobins, de~ freres et des
amis. Le Marais n'est plus. Nous ne formons
ici qu'une énorme et terrible l\'IONTAGNE qui va
vomir ses feux sur tous les royalístes et les par-
tisans de la tyrannie. Périssent les Iibellistes
infames qui ont calomnié París 1... Nous veillons
tous iei jour et Huit, et nOllS travaillons de con-
cert avee nos [reres de la eapitale, an salut
commUJl ... NOllS ne rentrerons dans nos foyers
que pour vous anJloneer que la Frunce est libre,




CONVIlNTION NATlONAU~ ~[793). [75
et que la patrie est sauvée.» Cette adresse, lne,
applaudie aveé enthousiasme, est envoyée a la
convention pour qu' elle soit insérée sur -le-
champ clans le hulJetin de la séance. L'ivresse
devient générale; une foule d'orateurs se pré-
cipitent a la tribune du club, les tetes com-
melleent a s'égarer. Robespierre, en voyant ce
trouble, demande aussitót la parole. Chacun la
lui cede avec empressement~ Jacobins, com-
missaires, tous applaudissent le célebre oratenr,
que quelques - uns n'avaient encore ni vu ni
entendu.


Il félicite les départements qui viennent de
sauver la France. (<11s la sau-verent, dit-il, une
premiere fois en 89, en s'armant spontanément;
une seconde fois, en se rendant a París pOllr
exécuter le 10 aoiit; une troisieme, en venant
donner au milieu de la capitale le spectacle de
l'uuion et de la réconcilíation générale. Dans
ce moment, de sinístres événemeuts out amigé
la république, et mis son exÍstence en danger;
mais des républicains ne doivent rien craíndre,
et iis ont a se défier d'une émotion qui pour-
rait les entrainer a des désordres. On voudrait
dans le moment produire une disette factice
et amener un tumulte; on voudrait porter le
peuple a l' Arsenal, pour en disperser les ITJ([-
nitions, OH Y mettre le fen, comme iI viellt




J 76 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
d'arriver dans plusieurs villes; enfln, on ne re-
nonce pas a causer encore un événement dans
les prisons, pour calomnier París, et rompre
l'ünion qui vient d'etre jurée. Défiez-vous de
tant de piéges, ajonte Robespierre, soyez cal-
mes et fermes; envisagez sans crainte les mal-
heurs de la patrie, et travaillons tous a la
sauver. ))


011 se calme a ces paroles, et 011 se sépare
a pres avoir sal ué le sage orateur d' applaudis-
sements réitérés.


Aucun désorclre ne vint troublcr Paris peno
dant les jours suivants, mais rien ne fut oublié
pOUI' ébranlcr les imaginations et les disposer
a un généreux enthousiasme. On ne cachait
ancun danger, on ne dérobait ancune nouvelIe
sinistre a la connaissance du peuple; on publiait
successivement les déroutcs de la Vendée, les
nouvelIes toujours plus alarmantes de Toulon,
le mouvement rétrogradc de l'armée du Rhin,
qui se repliait devant les vainqueurs de Mayen-
ce, et enfin le péril extreme de l'armée du N ord,
qui était retiré e au camp de César, et que les
Impériaux, les Anglais, les Hollandais, maltres
de Condé, de Valenciennes, et formant une
masse double, pOllvaient enlever en un coup
de main. Entre le camp de César et París, íl y
avait tout an plus quarante lieues, et pas un




CONVENTION NATIONALE (1793). 177
régiment, pas un obstacle qui put arreter l'eullc-
mi. L'armée du Nord enlevée, tout était perdu,
et on reclleillait avec anxiété les moindres
bruits arrivant de cette frontierc.


Les craintes étaicnt fondées, et dans ce mo-
ment, en éfet, le camp de César se trouvait
daus le plus grand péril. Le 7 aout, au soir,
les coalisés y étaient arrivés, et le menac,;aient
de toutes parts. Entre Cambray et Bouchain ,
s'étend une ligne de hauteurs. L'Escaut les pro-
tége en les parcourant. C'est la ce qu'on appelle
le camp de César, appuyé sur deux places, et
bordé par un cours d'eau. Le 7, ao soir, le dnc
d'York, chargé de tourner les Franc,;ais, dé-
bouche en vue de Cambray qui formait la droite
du camp de César. Il somme la place; le com-
mandant répolld en fermant ses portes et en
brulant les faubourgs. Le rneme soir, Cobourg,
avec une masse de 40 mille hommes, arrive
sur deux colonnes aux bords de l'Escaut, et
hivouaque en face de notre campo Une chalenr
étouffante paralyse les forces des hornmes et
des chevaux; plusienrs soldats, frappés. des
rayoos du soleil, ont expiré dans la journée.
Kilmaine, nommé ponr remplacer Custine, el
n'ayant voulu accepter le cornmandement que
par intérim, ne croit pas pOllvoir tenir dans
nne position anssi périIJellse. NIenacé, vers sa


, 12




) 78 RÉVOLUTIO.N FHAN~:AISF..
droite, d'etre tourné par le due d'York, ayant
a peine trente-einq mille hommes découragés ~'t
opposer a soixante-dix mille hommes victorieux,
iI croit plus prudent de songer a ]a retraite,
et de gagner du temps en alIant chercher un
:lutre poste. La ligne de ]a Scarpe, placée Jer-
riere eeHe de I'E!5caut, lui parait bOllne a OCCII-
pero Entre Arras et DOllay, des hauteurs bordées
par la Scarpe forment un camp semblable an
eamp de César, et, comme eelui-ci, appuyé par
deux places et bordé par un cours d'eau. Kil-
maine prépare sa retraite pour le Iendemain
matin 8.


Son corps d'armée traversera la Cense, pe-
tite riviere longeant les derrÍeres dll terraiIl
qll'il oecupe, et lui-meme se portera, ave e une
forte arriere-garde, vers la droite, ou le d llC
d'York est tout pres de déboucher. Le lellde-
main, en efl'et, a la poiute du jour, la grosse
artillerie, les bagages et l'infanterie se mettent
en mouvement, traversent la Cense, et dé-
truisent tous les passages. Dne heure apres,
Kilmaiooe, avec quelques batteries d'artillerie
légere, et une forte divÍsion de eavalerie, se
porte vers la droite, pour protéger la retraite,
contrc les Anglais. Il ne pouvait arriver plus
a propos. Deux bataillons, égarés daos leur
route, se trollvaient ellgagés dans le peht vil-




CONvl'.NTfON NATfONALF, (1793). 17~
lage de Marquion , et faisaient une forte ré-
sistance contre les A~glais. Malgréleurs efforts,
ils étaient pres d'etre enveloppés. Kilmaine,
arrivant aussitot, place son artillcrie légere Sll r
le flanc des ennemis, Jance sllr cux sa cavale-
rie, et les force a reculer. Les bataillons sont
alors dégagés, et penvellt. rejoindre le reste
de l'armée. Dans ce moment, les Anglais et les
Impériaux, débouchant a la fois sur la droite
et sur le front du camp de César, le trouvent
entierement évacl1é. Enfin, vets la chute du
jour, les Fram;ais sont réunis au camp de Ga-
varelle, appuyés sur Arras et Douay, et ayant
la Scarpe devant eux.


Ainsi, le 8 aout, le camp de César est évacué
comme l'avait été celui de Famars; Cambray et
BOl1chain SOI1 t abandounés a Ienrs propres
forces, comme Valencieunes et Con dé. La ligue
de la Scarpe, placée derriere celle de I'Escant,
n'est pas, comme on sait, entre Paris etl'Escaut,
mais entre l'Escaut et la mero Kilmaine vient
donc de marcher sur le cOté, au lieu de mar-
cher en arriere; et une partie de la frontiere se
trouve ainsi déconverte. Les coalisés peuvent
se répandre dans tout le département du Nord.
Que ferallt-ils? Iront-ils, marchant une jour-
Jlée de plus, attaquer le camp de GavarelJe, el
enl~ver I'(~nnemi qui Ic~ll" a échappé? Mal'che-


1'2.




180 RÉVOLUTION FRAN<;:AISR.


ront-ils sur Paris, ou reviendront-ils a leur :m-
cien projet sur Dunkerque? En attendan!, ils
poussent des partís jusqu'a Péronne et Saillt-
Quentin, et ralarme se communique a París,
ou l'on répand avec effroi que le camp de Cé-
sar est perdu, comme celui de Famars; que
Cambray est livré comme ValenciellIles. Df'
toutes parts, on se déchaine contre Kilmaine,
oubliant le service immense qu'il vient de ren-
dre par sa beBe retraite.


La f~te solennelle du JO aout, destinée a élec-
tri ser tous les esprits, se prépare au milieu de
ces bruits sinistres. Le 9, on fait a la conventíon
le rapport sur le recensement des votes. Les
quarante-quatre mille municípalités ont accepté
la constitution. Il ne manque dan s le nombre
des votes que ceux de Marseille, de la Corsc
et de la Vendée. Une seule commune, ceHe de
Saint-Tonnant, département des Cotes-du-N ord,
a osé demander le rétablissement des Bourbons
sur le trone.


Le 10, la rete commence avec le jour. Le
célebre peintre David a été chargé d'en etre
l'ordonnateur. A quatre heures du matin, le
cortége est réuni sur la place de la Bastille. La
convention, les envoyés des assemblées pri-
maires, parmi lesquels on a choisi les quatre-
vingt-six doyens d'age, ponr représenter les




CONV¡,NTION NATIONALt: (1793). r8r
quatre-vingt-six départements, les sociétés po·
pulaires, et toutes les sections armées, se ran-
gent autour d'une grande fontaine, dite de la
Régénération. Cette fantaine est formé e par
une grande statue de la nature, qui de ses
mameHes verse I'cau dans un vaste bassin. Des
que le saleil a doré le faite des édífiees, on le
saine en chantant det: strophes sur l'aír de la
lVIarseillaise. Le président de la conventiou
prend une coupe, verse sur le sol l' eau de la
régénératión, en boít ensuite, et transmet la
coupe aux doyens des départements, qui boi·
vent chaeun a lellr tour. Apres eette cérémo-
nie, le cartége s'aehemine le long des boule-
varts. Les sociétés popnlaires, ayant une
banniere al! est peint l'reil de la surveillanee,
s'avancent les premieres. Vient ensuite la con-
vention tout entier-e. Chacun de ses membres
tíent un bouquet d'épis de blé, et huitd'entre
eux, placés au centre, portent sur une arche
I'aete constitutionnel et les droits de I'homme.
Autour de la convention, les doyens d'age for-
ment une chalne 1 et marchent unís par un COI'-
don tricolore. lis tiennent dans leurs mai llS un
rameau d'olivier, signe de la réconciliatioIl des
provinces avec Paris, et une pique destinée a
faire partie du faisceau national formé par les
quatrc-vingt-six départemellts. A la suite de




182 .RJÍVOLUTION FRA:N~AlSJl.
eette portian du eortégc, vieuuent des gral/pes
de peupIc , avec les instruments des divers mé-
tiers. Au milieu d'eux, s'avance une charrue
qui porte un vieillard et sa vieille épouse, et
qui est tralnée par leurs jeunes fils. Cette
charrue .est immédiatement suivie d'un chal'
de guerre sur lequel repose l'urne des soldats
.J;llorts pour la patrie, Enfin la marche est fer-
mée par des tombereaux chargés de sceptres,
de courunnes, d'armoiries et de tapis a fleurs
de lis.


Le cortége parcourt les boulevarts et s'ache-
mine vers la place de la Révolution. En pas-
sant a.u boulevart Poissonniere, le président
de la convention donne une branche de lau-
riel' aux hérolnes des 5 et 6 octobre , assises sur
leurs canons. Sur la place de la Révolution, iI
s'arrete de no.uveau, et met le feu a tous les
insignes de la royauté et de la noblesse trainés
dans les tombereaux. Ensuite il déchire un
voile jeté sur une statue, qui, apparaíssant a
tous les yeux, laisse voir les tr:úts de la Liberté.
Des salves d'artillerie marquent l'instant de
son inauguration; et, au meme moment, des
milliers d'oiseaux, portant de légeres bande-
roles, sont déIivrés, et semblent annoncer, en
s'élan~ant dans les airs, que la terre est affrar~,
chie,




CONVJ,NTlO~ N,nIONAU: (1793). 183
On se rcnd ensuite au Champ-de-l\fars par


la place des Invalides, et on défile devant une
figure colossale représentallt le peuple franc;ais
qui tcrrasse le fédéralisme el l'étouffe dan s la
fange d'un marais. Enfin on arrive au champ
memc de la fédération. La, le cortége se divise
en dellx colollnes, qui s'allongent <lutour de
l'alltel de la patrie. Le pl'ésident de la c6nven-
lion et les quatre-vingt-six doyens oeeupent
le sommet de l'auteL; les membres de la cou-
ven tion et la· masse des envoyés des assemblées
primaires en occupent les degrés. Chaque
groupe de peuple vient déposer alternative-
ment autour de l'autelles produits de son mé-
tier, des étoffes, des fruits, des objets de tonte
espece. Le président de la convention, reeueil-
lant ensuite les actes sur lesqllels les assem-
blées primaires ont inserit leurs votes, les dé-
pose sur l'autel de la patrie. Une déchargc
générale d'artillerie retcntit aussitüt; un peu-
pIe immense joint ses cris aux éclats <lu canon,
et on jure, avec le nH~me enthousiasme qu'au
14 juillet 1790 et 1792, de défendre la consti-
tution: serment bien vain, si on considere la
lettre de la constitution, mais bien héroi'que
et bien observé, si on ne considere que le sol
et la révolution elle-meme ! Les constitutiolls
f'1l effet ont passé, l1lais le sol et la révollltion




J 84 RÉVOLUTlON FRAN<,:A1SE.
furcnt défelldus avec une constance héroique.


Apres cette cérémonie, les quatre-vingt-six
doyells d'age remettent lenrs piques au prési-
dent; celui-ci en forme un faisceau, el le con-
fie, avec l'acte constitutionncJ, aux députés des
assemblées primaires, en leur recommandant
de réullir toutes leurs force s autour de l'arche
de la non .. elle alliance. On se sépare ensuite;
une partie du cortége accompagne l'urne ciné-
raire des Fran«;ais morts .pour la patrie, dans
un temple destiné a la recevoir; le reste va
déposer l'arche de la constitution dans un líeu
ou elle doít rester en dépot jusqu'au lende-
main, pour etre rapportée ensuite dans la salle
de la convention. Une grande représentation,
figurant le siége et le bombardement de Lille,
et la résistance hérolque de ses habitants, oc-
cupe le reste de la journée, et dispose l'ima-
gination du peuple aux scenes guerrieres.


Telle fut cette troisieme fédération de la
France r~publicaine. On n'y voyait pas, comme
en 1790, toules les c1asses d'un grand peuple,
riches et pauvres, nobles et roluriers, con-
fondus un instant dans une meme ivresse. et
fatigués de se halr, se pardonnant pour quel-
ques heures leurs différences de rang et d'o-
pinion; on y voyait un peuple immellse, ne
parlant plus de pardon, mais de danger, de




CONVENTION NAT!ONALE (1793). 185
dévouement, de résolutions désespérées, et
jouissant avec ivresse de ees pompes gigantes-
ques, en attendant de courir le lendemain sur
les champs de bataille. Une eirconstance rele-
vait le caractere de cette scene, et eouvrait ce
que des esprits dédaiglleux ou hostiles pour-
raient y trouver de ridicule, e'est le danger,
et I'entrainement avee lequel on le bravait.
Au premier J 4 jllillet 1790, la révolution était
innocente encore et bienveillan te, mais elle
pouvait n'etre pas sérieuse, et etre mise a fin
comme une faree ridicule, par les baionnettes
étrangeres; en aoút 1793, elle était tragique,
mais grande, signalée par des victoíres et des
défaites, et sérieuse comme une résolution
irr~vocable et hérolque.


Le moment de prendre de grandes mesures
était arrivé, De toutes parts fermentaient les
idées les plus extl'aordinaires : on proposait
d'exclure tons les nobles des emplois, de dé-
eré ter l'emprísonnement général des suspeets,
cOlltre lesquels il n'existait pas encore de loi
assez précise, de faire lever la population en
masse, de s' em parer de toutes les subsistances,
de les transporter d:ins les magasins de la ré-
publique, qui en ferait elle-meme la distribu-
tion a ehaque individu; 011 cberchait en fin ,
sans savoir l'irnaginer, uu moyen qui fournlt




186 RÉVOJJUTION l'JlAN9AISE.
sUI'-le-champ des fonds suffisants. Ou exigeait
surtol1t que la convention restat en fonctions,
qu'eIle ne cédat pas ses pouvoirs a la nouvelle
légíslature qui devait luí succéder, et que la
constitntion fut voilée cornme la statlle de la
loi, jusqu'a la défaite générale des ennemis de
la république.


C'est aux Jacobins que furent successive-
ment proposées toutes ces idées. Robespierre
ne cherchant plus a modérer l'élan de l'opi-
nion, l'excitant au contraire, insista particu-
lierement sur la l1écessité de maintenir la con-
vention nationale dalls ses fOllctions, et il
donnait la un sage conseil. Dissoudre dans ce
lnoment une assemblée qui était saisie du gou-
vernement tont entier, dans le sein de laquelle
les divisions avaient cessé, et la remplacer par
une assemblée neuve, inexpérirnelltée, et qui
serait livrée encore aux factions, était un pro-
jet désastreux. Les députés des provinces ell-
tourant Robespierre, s'écrierent qu'ils avaient
juré de rester réUllis jusqu'a ce que la conven-
tíon eut pris des mes.ures de salut public, et
ils déclarerellt qu'ils l'obligeraient a rester en
fonctions. Audoill, gendre de Pache, parla
ensuite, et pl'oposa de demander la levée en
masse et l'arrestation générale nes suspects.
Aussitot, les commissairf's des assemblées pri-




CONVJiNl'ION NAl'IONALt: (1793). J 87
maires réuigent une pétition , et, le lendemain


• 12, viennent la présenter a la convention. Ils
demandent que la convention se charge de
sauver elle-meme la patrie, qu'aucune amnis-
tie ne soit accordée, que les suspects soient
arretés, qll'ils soient envoyés les premiers a
l'ennemi, et que le pellple levé en masse mar-
che dcrriere eux. Une partie de ces proposi-
tions est adoptée. L'arrestation des suspects
est décrétée en principe; mais le projet d'une
levée en masse, qlli paraissait trop violent, est
renvoyé a l'examen dll comité de salut publico
Les jacobins, pell satisfaits, insistent, et con-
tinuent de répéter dans leur club, qu'il ne faut
pas un mouvement partiel, mais universel.


Les jours suivants, le comité faÍt son rap-
port, et propose un décret trop vague, et des
proclamations trop froides.


« Le comité, s' écrie Danton, n'a pas tout
dit : il n'a pas dit que si la France est vaincue,
que si elle est déchirée, les riches seront les
premit~l'es victimes de la rapacité des tyrans;
iI n'a pas dit que les patriotes vaincus déchi-
reront et incendieront cette république, plu-
tót que de la voir passer aux mains de leurs
insolents vainqueurs! Voila ce qu'il faut ap-
prendre a ces riches égoistes. » - ( Qu' espérez-
«( vous, ajoute Danton, vous ql1i ne voult'z




,


188 R.ÉVOLUTION FRAN~;AISE.
« ríen faire pour sauver la république? Voyez
{{ quel serait votre sort si la liberté suceom-
«( baÍt [ Une régence dirigée par un imbéeile,
({ un roi enfant dont la minorité serait lon-
( gue, enfin le morcellement de nos provinces,
« et un déchirement épouvantable! Oui. ri-
({ ches, on vous imposerait, on vous pressure-
« rait davantage et mille fois davantage que
({ vous n'aurez a dépenser pour sauver votre
f( pays et éterniser la liberté L. La convention,
{( ajoute Danton, a dans les mains les foudres
({ populaires; qu' elle en fasse usage et les lance
« a la tete des tyrans. Elle a les commissaires
« des assemblées primaires, elle a ses propres .
« membres; qu' elle envoÍe les uns .et les au-
« tres exécuter un armel11ent général. »


Les projets de loí sont encore renvoyés au
comité. Le lendemain, les jacobins dépechent
de Ilouveau les cOl11missaires des assemblées
primaires a la eonvelltíon. Ceux-ci viennent
demander encore une foís, non un recrute-
ment partiel, mais la levée en masse, paree que,
(lisent-ils, les demi-mesures sont mortelles,
paree que la nation entiere est plus facile a
ébranler qu'une partie de ses citoyens! ({ Si
« vous del11andez, ajoutellt-ils, cent mille sol-
« dats, ils ne se trouveront point; mais des
«( millions d'hommes répondront a uu appel




CONVENTION NATIONALE (1793). 189
« général. Qu'il n'y ait aucune dispense pour
« le citoyen physiquement constitué pour les
« armes, quelques fonctions qu'iL exerce; que
« l'agriculture seule conserve les bras indis-
« peusables pour tirer de la terre les produc-
« tion5 alimelltaires : que le cours du COl1)-
« merce soit arreté momentanérnent, que toute
« affaire cesse, que la grande, l'unique el uni-
« versellc affaire des Franc;:ais, soit de sauver
« la république. »


La convention ne peut plus résister a une
sommation aussi pressante. Partageant elle-
meme l'entrainement des pétitionnaires, elle
enjoint a son comité de se retirer pour rédi-
ger, dans l'instant meme, le pl'ojet de la levée
en masse. Le comité revient quelques minutes
apres, et présente le projet suivant, qui est
adopté au milieu d'un trallsport universel :


ART. 1 ero Le peuple fran~ais déclare, par
l'organe de ses représentants, qu'il va se lever
tout entiel' ponr la défense de sa liberté, de sa
constitution, et ponl' délivrer enfin son terri-
toire de ses ennemis.


2. Le comité de salut puMie présentera de-
main le mode d'organisation de ce grand mou-
vement natÍonal.


Par d'autres articJes, iI était Jlommé dix-huit
représentalltschargésdeserépandre surtoute la




'90 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
Franee, et de cliriger les envoyés des assemblées
pl'imaires dans leurs réquisitions d'hommes, de
chevaux, de munitions, de subsistanees. eette
grande impulsion donnée, tout devenait possi-
ble. Une foís qu'il était déclaré que la Franee en-
tiere, hommes et eh oses , appartenai t a II gouver-
nement, ce gouvernement, suivant le danger,
ses lumieres et son énergie eroissante, pouvait
tout ce q~'il jugerait utile et indispensable. Sans
doute il ne fallait pas lever la population en
masse, et interrompre la production, et jus-
qu'au travail llécessaíre él la nutritíon ; mais il
fallait que le gouvernement put tout exiger,
sauf a n'exiger que ce qui serait suffisant pour
les besoíns du momento


Le mois d'aout fut l'époque des grands dé-
crets qui mirent tal/te la France en mouve-
ment, toutes ses ressources en activité, et qui
terminerent a I'avantage de la révolution sa
del'lliere et sa plus terrible erise.


n fallait a la foís mettre la popnlation de-
bont, la ponrvoir d'arrnes, et fournir, par une
nouvelle mesure finaneiere, a la dépense de ce
grand déplacement; iI fallaít mettre en rapport
le papier-rnonnaie ave e le prix des subsistances
et des denrées; il fallait distribuer les armées,
les généraux, d'une maniere appropriée a cha-
que thpatre de guerre, et cnfin , satisfaire la




CONVRNTION N ATION ALE (1793). 19 \
col(~re révollll.ionllaire par de grandes et terri~
bIes exécutions. On va voir ce que fit le gou-
vernement pOtlr suffire a la foÍs et a ces be-
soins IIrgellls et á ces mauvaises passiolls,
qu'il devait subir, puisqu'clles étaient insé-
parab/ps de I'énergie qui sauve un peuple en
dangel'.


Exiger de chaquc localíté un contingent dé ..
terminé en hommes, ne convenait pas aux cir-
COllstances; c'eút été douter de l'enthousÍasme
des Fran~ais en ce moment, et on devait supo.
poser cet enthousiasme pour l'inspirer. Cette
maniere germaniqlle d'imposer a chaque con~
trée les hommes comme l'argent, était d'ailleurs
en contradiction avec le principe de la levée en
masse. Un rccruté'ment général parvoiedetirage
ne cOllvenait pas davantage. Tout le monde
n'étant pas appeté, chacun aurait songé alors a
s'exempter, et se serait plaint dll sort qUA l'eut
obligé a servir. La levée en masse exposait, il est
vrai, la France a un désordre universel, et exci-
tait les railleries des modérés et des contre-révo-
lutionnaires. Le comité de salut public imagina
le moyen le plus convenable a la circonstance,
ce fut de mettre toute la poplllation en dis-
ponibiJité, de la di viser par générations, et d(.~
faire partir ces générations par rang d'age, an
fuI' et a mesure des hpsoins. « Dl~S ce l110ment,




I~.P RÉVOLVTION FRANt;;:A.ISE.
« portait le décret * ,jusqu'a celui ou les eune-
( mis auront été chassés du territoire de la rÉ'-
« publique, tous les Fran<fais seront en réqui-
( sitionpermanente ponr le service des armées.
( Les jeunes gens Íront au combat; les hommcs
« mariés forgeront les armes et transporteront
« les subsistan ces ; les femmes feronl des tentes,
t( des habits, et serviront dans les hópitaux;
({ les enfants mettront le vieux linge en char-
« pie; les vÍeillards se feront porter sur les
« places publiques ponr exciter le courage des
« guerriers, pnkher la haine des rois, et l'a-
« mour de la république. )l


TOllS les jeunes gens non mariés, 011 yeufs
sans enfants, depnis l'age de 18 aus jllsqll'a
celui de ?o5 ans, devaient composer la premie,'e
levée, dite la premiere réquisition. LIs devaient
se réunir sur-le - champ, non dans les chefs-
lieux de département , mais dans ceux de dis-
triet, car, clepuis le fédéralisme ,on craignait
ces grandes réllnions par départements, qui
leur donnaÍent le sentiment de leurs forees et
l'idée de la révolte. D'ailleurs, il Y avait un autre
motif pour agir ainsi, c'était la difficulté d'a-
masser dans les chefs -lieux des subsÍstances
et des approvisionnements suffisants pOllr de


.. 23 aoút.




CONVF.NTION NATIONALE (1793)0 J9:1
grandes masses. Les bataillons formés dans les
chefs -lieux de district devaient commencer
sur-Íe-champ les exercices militaires, et se tenir
prets a partir au premier jom. La génération de
vingt-ciuq a trente était averlie de se préparer,
et, en attendant, elle était ehargée de faire le
service de I'intérieur. Le reste enfin, de trente
jusqu'a soixante, était disponible au gré des
représentants envoyés pour opérer cette levée
graduelle_ Malgré ces dispositions, la levée en
masse et instantallée de toute la populatiolJ
était ordonnée de droit dans certaillS lieux plus
menacés, comme la Vendée, Lyon, Toulon,
le Rhin, etc.


Les moyens employés pour armer les levées,
les loger, les nourrir, étaient analogues aux
circoIlstances. Tous les chevaux et betes de
somme, dout l'agriculture et les fabriques pou-
vaient se passer, étaient requis et mis a la dis-
position des ordonnateuI's des armées. Les
armes de calibre devaient etre données a la gé-
nération qui partait; les armes de chasse et les
piques étaient réservées au service de l'inté-
rieur. Dans les départements ou des manufac-
tures d' armes pouvaient etre établies, les pla-
ces, les promenades publiques, les grandes
maisons comprises dans les biens nationaux,
devaient servir a construire des ateliers.Le


v.




194 (tÉVOLlITION FHAN/;:AISE.
principal établissement se trouvait a Paris. 011
pla¡;;ait les forges dans les jardíns du Luxem-
bourg, les machines a forel' les canons sur les
bords de la Seine. Tous les ouvriers armuriers
étaient requis, ainsi que les ouvriel's en hor-
logerie, qui, dans le moment, avaient peu de
travail, et qui pouvaient etre employés a
certaioes parties de la fabricatioll des armes.
Trente millioos étaient mis, pour cette seule
manufacture, á la disposition du ministre de
la guerreo Ces moyens extraordinaires seraient
employés jusqu'a ce qu'on eut porté la fabrí-
cation a mille fusils par JOUI'. 00 pla¡;;ait ce
graod établissement a Paris, paree que la, sous
les yeux du gouveroement et des jacobins,
toute négligence devenait impossible, et tous
les prodiges de rapidité et (l'éneI'gie étaient
assurés. Cette manufacture ne tarda pas en
effet a remplir sa destination.


Le salpetre manquant, OIl songea a l'extraire
du sol des caves. On imagina done de les faire
visiter toutes, pour juger si la terre dans la-
quelle elles étaient creusées en contenait quel-
ques parties. En conséquence, chaque particu-
lier dut souffrir la visite et la fouille des caves,
pour eh lessiver la terre lorsqu' elle contiendrait
dll salpp.tre. Les maisons devenues nationalcs
furent destillf'es a servir de caserJlCS et de ma-
gasms.




CONVENTION NATW!XALE (1793). 195
Pour procurer les subsistances a ces grandes


masses armées, on prit diverses mesures qui
n' étaient pas moins extraordinaires que les pré-
cédentes. Les jacobins auraient voulu que la
république, faisant achever le tableau général
des subsistan ces , les achetat toutes, et s' en fit
ensuite la distributrice, soit en les donnant aux
soldats armés pour elle , soit en les vendant aux
autres citoyens a un prix modéré. Ce penchant
a vouloir tont faire, a suppléer la nature
elle-meme , quand elle ne marche pas a notre
gré, ne fut point aussi aveuglément suivi que
l'auraient désiré les jacobins. Cependant il fut
ordonné que les tableaux des subsistances, déja
commandés aux municipalités, seraien t promp-
tement terminés, et envoyés au ministere de
l'intérieur, pour faire la statistíque générale
des besoins et des ressources; que le battage
des grains serait achevé la oa il ne l'était pas,
et que les municipalités les feraient battre elles-
memes si les particuliers s'y refusaient; que
les fermiers ou propriétaires de grains paie-
raient en nature leul's contríbutions al'riérées,
et les deux tiers de ceHes de l'année 1793;
qu'enfin les fermiers et régisseurs des bien s
devenus nationaux en déposel'aient les revenus
:mssi en nature.


L' expcutíon de ces mesures extraordinaireslle
d.




196 R};VOL[ITION I,'RAN\;AISJ,.
pouvait etre qu'extraordinaire aussi. Des pou-
voirs Jimités, confié s a des alltorités locales qui
auraient été achaque instant arretées par des
résistances, qui, d'ailleurs, n'auraient pas eu
toutes la meme énergie et le meme dévoue-
ment, ne convenaient ni á la nature des me-
sures décrétées ni a leur urgeuce. La dietature
des commissaires de la convention était encore
ici le seul moyen dont on put faire usage. lis
avaient été employés déjit pour la premiere
levée des trois eent mille hommes, décrétée en
mars, et ils avaient promptement et eomplé-
tement rempli leur mission. Envoyés aux ar-
mées, ils surveillaient les généraux et lellrs
opérations, quelquefois contrariaient des mi-
litaires consommés, mais partout ranimaient
le úle, et communiquaient une grallde vigueur
de volonté. Enfermés dans les places {ortes,
iIs avaient soutenu des siéges héro'iques a Va-
lenciennes et a Mayence; répandus dans l'inté-
rieur, ils avaient puissamment contribué á
étouffer le fédéralisme. Ils furent done encore
employés id, et l'e<,;urent des pouvoirs illimités,
pour exécuter eette réquisition des hommes
et des choses. Ayant saus leurs ordl'es les com-
missail'es des assemblées primaires, pouvant
les diriger á leul' gl'é, lenr confier une partie


" de leufs ponvoil's, ils tenaient SOllS Iellr maill




CONVENTlON N ATJON ALE (179:-))· J 97
des hommes dévoués, parfaitement iustruits
de l'état de chaque loealité, et n'ayant d'auto-
rité que ce qn'ils leur en donneraient eux-
memes pour le besoin de ee serviee extraor-
dinaire.


11 y avait déjit différents représentants dans
l'intérieur, soit dans la Vendée, soit a Lyon et
a Grenoble, pour détruire les restes du fédé-
ralisme; il en fut nommé encore dix - huit ,
chargés de se partager la Franee, et de se con-
certer avec ceux qui étaient déja en missioll
pour faire mettre en marche les jeulles gens
de la premiere réquisition, ponr les armer, les
approvisionner, et les diriger sur les points
convenables, d'apres l'avis et les demandes des
généranx. lIs oevaient en outre aehever la com-
plete sOllmissioll des administratiolls fédéra-
listes.


11 fallait a ces mesures rnilitajres joilldre des
mesures finaneieres pour fournir aux dépenses
de la guerreo On eonnalt l'état de la Franee
~ous ce rapport. Uue dctte en désordre, com-
posée de dettes de tonte espeee, de ton te date,
et qui étaient opposées aux dettes contractées
sons la république; des assignats discrédités,
auxquels on opposait le numér<lire, le papiel'
étraIlger, les actions des compagnies financieres,
pt qui ne pouvaient plus servil' au gOllvernl:-




198 R}:VOLUTlON FRAN(,:,USJ':,
ment pour payer les services publics, ni au
peuple pour acheter les marchandises dont il
avait besoin; teJIe était alors notre situation.
Que faire dan s de pareilles conjonctures? Fallait-
il emprunter, ou émettre des assignats? Em-
prunter était impossible dans le désordre ou
se trouvait la dette, et avec le peu de confiance
qn'inspiraient les engagements de la républi-
que. Émettre des assignats était facile, et· il
suffisait pour cela de l'imprimerie nationale.
Mais, pour fournir aux moinclres dépenses, il
fallait émettre des quantítés énormes de pa-
piel', c'est-a-dire cinq ou six foís plus que sa
valeur nominale, et par la on augmentait né-
cessairement la grande calamité de son discré-
dit et on amenait un nouveau renchérissement
dans les marchandises. On va voir ce que le
génie de la nécessité inspira aux hommes qui
s'étaient chargés du salut de la France.


La premiere et la plus indispensable mesure
était de mettre de l'ordre dans la dette, et d'em-
pecher qu'elle ne fut divisée en contrats de
toutes les formes, de toutes les époques, 'et
qui, par leurs différences d'origine et de na-
ture, donnaient líeu a un agiotage dangereux
et contre-révolutionnaire. La connaissance oe
ces vieux titres, leur vérífication, ]eur' c1asse-
ment, exigeaient une science particuliere, et




CONVENTION NATIONALE (1793). 199
illtl'oduisaient une effrayante complication
dans la comptabilité. Ce n'était qu'a l)aris que
chaque rentier pouvait se faire payer, et quel-
quefois la division de sa cl'éance en plusieurs
porlions l'obligeait a se présenter chez vingt
payenrs différents. II yavait la dette constituée,
la dette exigible a terme fixe, la dette exigible
provenant de la liquidation; et, de eeHe maniere,
le trésor était ex posé tous les jours a des échéan-
ces, et obligé de se procurer des capitaux pour
rembourser les sommes échues. « Il faut uni-
formiser et républicalliser la deue,» dit Cam-
bon, et iI proposa de convertir tous les con·-
trats des créanciersde l'état en une inscription
sur un grand livre, qui serait appelé Grand-
Livrede la dette publique. Cette inscription et
I'extrait qU'Oll en délivrerait aux créanciers,
seraicnt désormais leurs seuls titres. POllr les
rassurer sur la cOllservation de ce livre, il de-
vait en etre déposé un double aux archives de
la trésorerie; et, du reste, le fen et les autres ac-
cidents ne le mena<;aient pas plus que les re-
gistres des notaires. Les créanciers devaient
done, dans un délai déterminé, remeUre leurs
titres ponr qu'ils fussent inscrits et brúlés en-
suite. Les notaires avaient ordre d'apporter
IOllS les titres dont ils ('taiellt dépositaires, el


<")1] les pUllissait dc dix alls d(' fers si. avallt la




200 nÉVOLUTION FR A:N\;ArSl-:.


remise, ils en gardaient ou délivraient des co-
pies. Si le créanciel' laissait écouler six mois
poul' se faire inscrire, il perdait les intérets;
s'il laissait écouler un an, iI était déchu, et
perdait le capital. « De cette maniere, disait
« Cambon, la dette contractée par le despo-
« tisme ne pourra plus ~tre distinguée de eclle
« qui a été eontractéedepuisla révolution; etje
« défie monseigneurle despotisme, s'il ressuscite,
(e de reconnaitre son ancienne dette lorsqu'elle
( sera confondue avec la nouvelle. Cette opé-
« ration faite, vous verrez le capitaliste, qui
( désire un roi parce qu'il a un roí pou!' dé-
« biteur, et qui eraint de perdre sa créance si
« son débiteur n'est pas rétabli, désirel' la ré-
" publique qui sera devenue sa débitrice, par-
« ce qu'il craindra de pel'dre son capital en la
« perdant.»


Ce n'était pas la le seul avantage de eette ins-
titution; elle en avait d'autl'es encore tout aussi
grands, et elle commenc;ait le systeme du crédit
publico Le capital de chaque eréance était con-
vertí en une rente perpétuelle , au taux de einq
pour cent. Aussi le créancier d'une sornme de
1,000 franes se trouvait inserit sur le grand
livre pour une rente de 50 fraIles. De cette
maniere, les aneiennes dettes, dont les unes
portaient des intérets ltsnraires, dout les au-




CONVENTION NATIONALE (1793). 20!
tres étaient frappées de retenues injustes, ou
grevées de certains impóts, étaient ramenées
a un intéret uniforme et équitable. L'état,
changeant sa dette en une rente perpétuelle,
n'était plus ex posé a des échéances, et ne
pouvait jamais ctre obligé a rembourser le
capital, pourvu qu'il servil les intérets. Il
trouvait en outre un moyen facile et avanta-
geux de s'acquitter, c'était de racheter la rente
sur la place, lorsqu'elle viendrait a baisser au-
dessous de sa valeur : ainsi, quand une rente
de 50 livres de revenu et de 1,000 franes de
capital ne vauclrait que neuf ou huit cents
livres, l' état gagnerait, disait Cambon, un
dixieme, ou un cinquieme du capital en ra-
chetant sur la place. Ce raellat n'était pas eu-
core organisé au moyen d'un amortissement
nxe, mais le moyen était entrevu, et la science
du crédit public comment;ait a se former.


Ainsi l'inscription sur le Grand-Livre simpli-
flait la forme des titres, rattachait I'existence
de la dette a l' existence de la république, el
changeait les créances en une rente perpétuelle,
dont le capital était non remboursable, et e/Ollt
l'intéret était le meme pour toutes les portions
d'inseriptíons. Cette idée était simple et em-
pruntée en partie aux Anglais; mais il fallait
un grand coul'age e/'exécutioll pour l'appliqlH'l'




2.02 RÉVOLUTION FRAN(,:AISE.


:'t la France, et il y avait un grand mérite d'a-
propos a le faire dans le momento Sans doute,
on peut trouver quelque chose de forcé a une
opération destinée a changer ainsi brusque-
ment la nature des titres et des créances, a
ramener l'intéret a un taux unique, et a frap-
per dedéchéance les créanciers qui se refllse-
raient a eette conversion; mais, pour un état,
la justice est le meilleur ordre possible; et
cette grande et énergique uniformisation de
la dette convenait a une revolution hardie,
complete, qui avait pour but de tout sournet-
tre au droit commun.


Le projet de Cambon joignait a ectte har-
dicsse un respect scrupuleux pour les enga-
gements pris a l'égard des étrangers, qu'on
avait promis deremboursel' a des époques fixes.
Il portait que les assignats n'ayant pas cours
hors de France, lescréanciers étrangers se-
raíent payés en numéraire, et allX époques
déterminées. En outre, les communes ayant
contracté des dettes particulieres, el faisant
souffrir leurs créancíers qu'elles ne payaíent
pas, l'état se chargeait de leurs dettes, et ne
s' emparait de leurs propriétés que jusqu'a con-
currence des sommes employécs au rembour-
semento Ce projet fut adopté * en entier, et


* 24 aoüt.




CONVENTION NA.TIONALE (J79:~)' 2.03
aussi bien exécuté qu'il était bien con<;u. Le
capital de la dette ainsi uniformisée fut con-
verti en une masse de rentes de 200 millions
par ano On cmt devoir, pour remplacer les
anciens impóts de dífférente espece dont elle
était grevée, la frapper d'ulle imposition fon-
ciere d'un einquieme , ce qui réduisait le ser-
vice des intérets a 160 millions. De cette ma-
niere tout était simplifié, éclairei; une grande
so urce d'agiotage se trouvait détruite, et la
confianee renaissait, paree qu'une banqueroute
partielle, a l'égard de telle ou telle espeee de
eréanee, ne pouvait plus avoir lieu, et qu'une
banqueroute générale pour toute la dette n'é-
tait pas supposable.


Des ce moment, il devenait plus facile de
reeourir a un emprunt. On va voir de quelle
maniere on se servit de cette mesure pour
soutenir les assignats.


La valeur dont la révolution disposait pom
ses dépenses extraordinaires consistait tou-
jours uniquement dans les biens nationaux.
eette valeur, représentée par les assignats,
flottait dalls la circulation. 11 fallait favoriser
J es ventes ponr faire rentrer les assignats, el
les relever en les rendant plus rares. Des vic-
toires étaient le meillenr moyen, mais non le
plus facile, rle h:her les ventes. Ponr y sup-




~w4 RÉVOLUTION FRAN9AIS}:.
pléer, on imagina divers expédients. Par exem-
pIe, on avait permis aux acquéreurs de díviser
leurs paiements en plusieurs années. Mais cette
mesure, inventée pour favoriser les paysans
et les remIre propriétaires, était plus propre
a provoquer des ventes qu'a faire rentrer des
assignats. Afin de diminuer plus súrement leur
quantité circulante, on avait décidé de faire le
remboursement des offices, partie en assignats,
partie en reconnaissances de liquidation. Les
remboursements s'éIevant el moins de 3,000 fr.,
devaient etre soldés en assignats, les autres
devaíent l'etre en reconnaissances de liquida-
lion, qui n'avaient pas cours de monnaie, quí
ne pouvaient pas etre divisées en sommes
moindres de 10,000 livres, ni autrement trans-
mises que les autres effets au porteur, et qui
étaient rec,;ues en paiement des biens nationaux.
De cette maniere, on diminuait la portion des
biens nationaux convertís en monnaie forcée;
tout ce qui était transformé en reconnaissances
de liquidation consistait en sommes peu divi-
sées , difficilement transmissibles, fixées dans
les mains des riches, et éloignées de la circu-
lation et de l'agiotage.


Pour con1ribuer encore a la vente des biens
natíonaux, on déclara, en créant le Grand-Li-
vre, que les inseriptions dt' reules seraienl




CONHNTION NATIONAI,¡'; (1793). 205
re<{lIes pOllr moitié dan s le paiement de ces
biens. Cette facilité devait amener de nouvelles
ventes et oe llollvelles rentrées d'assignats.


Mais tous ces Illoyells adroits ne suffisaient
pas, et la masse de papier-mannaie était encore
beaucallp trop considérable. L'assemblée cans-
tirllante, l'assemblée législati ve, et la con ven-
tÍan, avaient: décrété successivement la créa-
tian de 5 milliards et 100 millions d'assignats:
484 milliollS n'avaient pas encore été émis et
restaient dans les caisses; il n'avait done été
mis en circulatian que 4 milliards 616 millions.
Une partie était rentrée par les ventes; les
achetellrs pouvant prendre des termes pour
le paiement, il était dú encore pOllr ies acquí-
sitions faites, r 2 a ] 5 millions. Il était rentré
ell tout 840 millions d'assignats qui avaient
été bri'dés : il en restait donc en circulatíon,
au mois d'aout J 793, 3 milliards 776 millions.


Le premier soin fut de démonétiser les assi-
gnats a effigie royale, qui étaient accaparés,
et lIuisaient aux assignats républicains par la
confiance supéríeure qu'íls inspiraient. QlIoi-
que démonétisés, ils ne cesserent pas d'avoir
une valeur; ils furent transformés en effets au
porteur, et purent etre rec;;us ou en paÍement des
coutributions, ou en paiement des domaines
nationanx, jllsqu'all Il'r janvier snivant. Pass?




:.w6 RÉVOLUTION FRAN~:AJSE.
eette époque, ils ne devajent plus avoir aucune
espeee de valeur. Ces assignats s'élevaient a
558 millioos. Cette mesure les faisait oécessai-
rement disparaitre de la eireuIation avant quatre
lUoís; et eomme 00 les savait tous daos les
mains des spéculateurs contre - révollltionnai-
res, on faisait preuve de justice en ne les
annulant pas et en les obligeant seulement a
rentrer au trésor.


On se souvient que, pendant le mois de mai ,
lorsqu'il fut déclaré en príncipe qu'il y aurait
des armées dites révolutionnaires, 00 décréta
en meme temps qu'il serait établí un emprunt
forcé d'un milliard sur les riches, pour subve-
nir aux frais d'une guerre dont ils étaient,
eomme aristocrates, réputés les auteurs, et
a laquelle ils ne voulaient consacrer ni Ieurs
personnes, ni leurs fortunes. Cet emprullt,
réparti comme on va le voir, fut consacré,
d'apres le projet de Cambon, a faire relltrer
un milliard d'assignats en circulation. Pour lais-
ser le choix aux citoyens de meilleure volonté,
et leur assurer quelques avantages, iI était ou-
vert un emprunt volontaire; ceux quí se pré-
sentaient pour le remplir recevaient une ins-
cription de rente au taux déja décrété de 5
pou!' cent, et obtenaient ainsi un intéret de
lcurs fonds. lIs pon vaient, avec eette illscriptioll,




CONVENTION N ATION ALE (1793 j. 207
s'exempterde contribuer a l'emprunt forcé, ou
du moins jusqu'a concurrence de la valeur pla-
cee dans le pret volontaire. Les riches de mau-
vaise volonté, qui attendaient l'exécution de
l'el11prunt forcé, reeevaient un titre qui ne
portait alleun intéret, et qui n'était, comme
l'inseription de rente, qu'un titre républicain
avee 5 pour cent de moins. Enfin, comme,
d'apres la nouvelle loí, les inscriptions pou-
vaient servir pour moitié clans le paiement des
biens nationaux, les preteurs voloutaires, re-
cevant une inscription de rente, avaient la fa-
culté de se rembourser iml11édiatement en
biens nationaux; tandis qu'au contraire les
certificats de l'emprunt forcé ne devaient etre
pris en paiement des domaines acquis que
dellX ans apres la paix. Il fallait, disait le pro-
jet, intéresser les dehes a la prompte fin de
la guerre et a la pacification de l'Europe.


L'el11prunt forcé ou vololltaire devait faire
relltrer un milliard d'assignats qui seraient
brulés. Il devait en rentrer, en outre, par les
contributions arriérées, 700 millions, dont
558 millions en assignats royaux déja démo-
nétisés, et re~us seulel11ent pour le paiement
des impots. On était done assuré, en deux OH
tl'ois mois, d'avoir enlevé a la circulation, d'a-
hord le milliard de /'emprnnt, puÍs 700 mi!-




20~ I\t:VULUTION ~'RA..Nt.;AISE.
lions de contributions. La somme flottante de
3 milliards 776 millions se trouverait done ré-
duite a 2 milliards 76 millions. En supposant,
ce qui était probable, que la faculté de chan-
ger les inscriptions de la dette en biens na-
tionaux amtmerait de nOllvelles acquisitions,
on pouvait par ceHe voie faire rentrer peut-
etre 5 a 600 millions. I,a masse total e se trou-
verait donc encore peut-ctre reduite par-la a
I50u 16 cellts millions. Ainsi, poul' le moment,
en réduisant la masse flottante de plus de moi-
tié, on rendait aux assignats leur valeur; les
484 millions restant en caisse devenaient dis-
ponibles. Les 700 millions rentrés par les im-
pats, et dont 558 devaiellt recevoir l' effigie
républieaine et c'hre remis en circulation, re-
couvraient aussi leur valeur, et pouvaient etre
employés l'année suivante. On avait done re-
levé les assignats pour, le moment, et c'était
la l'essentiel. Si ron parvenait a se sauver, la
victoire les releverait tout-a-fait, permettrait
de faire de nouvelles émissions, et de réaliser
le reste des biens nationaux, reste qui était
considérable et qui s'augmentait chaque jour
par l' émigration.


Le mode d'exécution de cet empl'unt forcé
était, de sa nature, prompt et nécessairement
arbitraire. Comment évaluer les fortunes sans




l:ONVENTIOX N,uWNALE ('7~):i). 209
erreur, san s iujustice, meme a des époques de
calme, en prenant le temps nécessaire, et en
consultant toutes les probabilités? Or, ce qui
n'est pas possible, meme avec les circonstances
les plus propiees, devait l'etre bien moins en-
core, dans un temps de violenee et de préei-
pitatíon. Mais lorsqu'on était obligé de trou-
bler tantd'existences, de frappel' tant de tetes,
pouvait-on s'inquiéter beaucoup d'ulJe méprise
sur les fortunes, et de que]ques inexactitudes
de répartition? Ou institua done pour l'em-
prunt foreé, eomme pour les réquisitions,
une espece de dictature, et on l'attribua aux
communes. Chaque individu était obligé de
déclarer l'état de ses I'evenus. Dans chaque
commune, le eonseil général nommait des vé-
rifieateurs; ces vérificateurs décidaient, d'a-
pres leurs connaissanees des loealités, si les
déclarations étaient vraisemblables; et s'ils les
supposaient fausses, ils avaient le droit de les
pOI'ter au clouble. Dans le reveuu de ehaque
famille, il était prélevé 1,000 franes par indi-
vidu, mari, femme et enfants; tout ee qui
excédait constituait le revenu superflu, et,
comme tel, imposable. De 1,000 fr. a JO,OOO fr.
de revenu imposable, la taxe était d'un dixíeme.
1,000 fr. de superflu payaient 100 fr.; 2,000 fr.
de superAII payaien t 200 fr., d ainsi de sni te.


v. 1 11




:1. TO RÉVOLlITTON }'RANyATSF..
Tout l'CVenll superflu exeédant 10,000 fr. élait
imposé d'une sornme égale a sa valeur. De
cette maniere, tOllte tarnille, qui, outre les
1,000 aecordés par individu, et les 10,000 fr.
de superflu fl'appés d'un dixieme, jouissait
encore d'un revenll supérieur, devait donncr
a l'emprnnt tout cet excédant. AillSi, tille fa-
mille composée de einq individus, et dehe a
50,000 livres de rentes, avait 5,000 fr. l'éputés
nécessaires, 10,000 fr. imposés d'un dixieme, et
réduits a lleu[, ce qui faisait en tout quatorze ;
et elle devait pOllr cette annéc abandonner les
36,000 fr. restants a l'emprunt forcé ou volon-
taire. Prendre une année de superflu a toutes
les classes opulentes n'était eertainemeut pas
une si grande rigueur, lorsqne tant d'individus
allaient expirer sur les champs de bataille; el
cette somme, que du reste on aurait pu prendre
sans eondition, comrne taxe indispensable de
guerre, onl'échangeait contre un titre républi-
cain, conversible ou en rentes sur l'état, ou en
portions de biens nalÍonaux *.


Cette grande opération consistait done a ti.
rer de la circulatioll un milliard d'assignats en
le prenant aux riches; d'oter a ce milliard sa
qualité de monnaie et de valeur circulante,


,. Le décret sur I'emprunt forcé est du 3septembre.




CONVliNTJON NA.TlONALE (1793). 211
et d'en faire une simple délégation sur les
biens nationaux, que les riehes éehangeraient
ou non en une portion eorrespondante de ces
biens. De eette maniere, 011 les obligeait a de-
venir aequéreurs, ou du moins a fournir la
meme somme d'assignats qu'íls auraient four-
nie, s'ils l'étaient devenus. C'était, en un mot,
le placement forcé d'un milliard d'assignats.


A ces mesures, destinées a soutenir le pa-
pier-monnaie, on en joignit d'autres encore.
Apres avoir détruit la rivalité des anciens con-
trats sur l'état, eeHe des assignats a l'effigie
royale, il fallait détruire la rivalité eles aetions
des compagnies de finan ces. On décréta done
l'abolition de la compagnie d'assurances a
vie, de la compagnie de la caisse d'escompte,
de toutes ceHes enfin dont le fonds consistait
en actions au porteur, en effets négociables,
en inscriptions sur un livre, et transmissibles a
volonté. Il fut décidé que Ieur liquidation se-
rait faite dans un court délai, et que le gou-
vernement pourrait seul a l'avenir créer de ces
sortes d'établissements. On ordonna un prompt
rapport sur la compagnie des lndes, qui, par
son importan ce , exigeait un examen particu-
lier. On ne pouvait pas empecher I'existence
des lettres de change sur l'étranger, mais on
déclara traltres a la patrie les Fran<;ais qui pla-


14·




2. I 2. r. i\()L[:TIO:-f J!'J'\.'" ",yA I SI':.


<,¡aiellt lelJfs fonds sur les banques ou comp-
toirs des pays avee lesquels la république était
en guerre, Enfin OH eut recours a de nouvellei
liévérités contre le numéraire, et le commerce
qui s'en faisait. Déjit on avait puni de six ans
de gene quicollque vendrait ou acheterait du
lluméraire, c'est-a·dire qui le recevrait Oll le
donnerait pour une somme différente cJ'assi-
gnats; on avait de meme soumis a une amemle
tout vendeur ou acheteur de marehandises, qui
traiterait a un prix différent, suivant que le
paiement serait stipulé en numéraire ou en
assignats. De pareils faits étant difficiles :'t at-
teindre, on s'en vengea en augmentant la peine,
TOllt individu convaineu d'avoir refusé en paie-
ment des assignats, de les avoir donnés ou re-
t;lIS a une perte quelconque, fut cOlldamné ,1
une amende de 3,000 Ji v., et a six mois de
détention pour ]a premiere fois; et en cas de
récidive, 11 une amende double et a vingt ans
ele fer, EntIn y eomme la monnaie de billon
était indispensable dans les marchés, et ne
pouvait etre facilement s.uppléée, on ordonna
que les cloches seraient employées a fabriquer
des décimes, des demi-déeimes, etc., valant
deux sous, un sou, etc.


Mais quelques moyens qu'on employat pour
faire remonter les assignats et détruire les




CONVENTlON NATlONUE (t7~.3). 213
rivalités qui leur étaient sí nuisibles, oH ne
pOllvait pas espérer de les remettre au niveau
du prix des marchandises, et iI fallait foreé-
ment rabaisser le prix de eeHes -ei. D'ailleurs
le peuple eroyait a de la mal veillance de la part
des marchands, il eroyait a des accaparements,
et quelle que fut l'opillion des législateurs, ils De
pouvaient modérer, sous ce rapport, un peu-
pIe qll'ils déchainaient sous tous les autres. Il
fallut done faire pour toutes les marehandises
ee qu'on avait déja faít pour le bIé. On rendit
un déeret qui rangeait I'aeeaparement au nomo
bre des erimes eapitaux, et le puníssait de mort.
Était eonsídéré eomme aecapareur celui quidé-
robail ti la circulation le!.' marchandises de
premiere nécessité, sans qu'il les mIt Pllblique-
ment en vente. Les marchandises déclarées de
premlére nécessité étaient le pain, le vin, la
viande, les grains, la farine, les Iégumes, les
fruits, les eharbons, le hoís, le beurre , le suif,
le ehanvre, le lin, le sel, le euir, les boissons,
les salaisons, les draps, la laine, et toutes les
étoffes, excepté les soieries. Les moyens d'exé-
cut ion , pour nn pareil décret, étaient néces-
sairement inquisitoriaux et vexatoirt::s. Il devait
etre faít par ehaque marchancl des déclarations
préalables de ce qu'il possédai.t en magasin. Ces
déc1arations devaient étre vérífiées au moven




214 nÉvoLuTION FR~N~~ISE.
ues visites domieiliaires. Toute fraude ou eom-
plícité était, eomme le fait lui - meme, punie
de mort. Des commissaires, nommés par les
communes, étaient chargés de faire exhiber
les factures , et, d'apres ces factures, de fixer un
prix quí, en laissant un profit modique au mar-
chand, n'excédat pas les moyens du peupJe.
Si pourtant, ajoutait le décret, le haut prix
des factures rendait le profit des marchands im-
possihle, la vente n' en serait pas moins effee-
tuée, a un prix auquel l'acheteur put attein-
dre. Ainsi, dans ee décret, corome dan s celui
qui ordonnait la déclaration des hlés et leur
maximum, on laissait aux communes le süin
de taxer les prix suivant l'état des chüses dans
chaque localité. Bientot on allait etre conduít
a généraliser encore ces mesures, et a les ren-
cire plus violentes en les étendant davantage.


Les opérations militaires, administratives et
finaneieres de eette époque étaient done aussi
habilement con«;ues que la situatíon le per-
mettait, et aussi vigoureuses que l'exigeait le
danger. Toute la population , divisée en géné-
rations, était a la disposition des représentants,
et pouvait etre appelée, soit a se hattre, soít
a fabriquer des armes, soit a panser les bles-
sés. Toutes les anciennes dettes converties en
une seule dette républieaine, étai ent exposées




CONVENTION NHION¡\LE (1793). 215
a partager le meme sort, et a n'avoir pas plus
de valenr que les assignats. On détruisait les
I'ivalités multipliées des anciens contrats, des
assignats royaux, des actions des compagoies;
OH empechait les capitaux de se retire!' sur ces
valeurs privilégiées, en les assimilallt toutes;
les assignats ne rentrant pas, 00 en prenait un
milliard sur les riches, qu'on faisait passer de
l'état de moonaie a l'état d'une simple déléga-
tion sur les biens natiooaux. Eofin, pour établir
un rapport forcé entre les monnales et les mar-
chandises de premiere nécessité, olllaissait aux
communes le soin de recherchertoutes les sub-
sistances, toutes les marchandises, et de les
faire vendre a un prix convenable dans chaque
localité. Jamais aucun gouvernement ne prit 11
la fois des mesures ni plus vas tes ni plus har-
diment imaginées; et pour accuser leurs an-
teurs de violence, il fa udrait ollblier le danger
d'une invasion universelle, et la nécessité de
vivre sur les biens nationaux sans acheteurs.
1'out le systeme des moyens forcé s dérivait de
ces deux causes. Aujourd'hui, une génération
superficielle et ingrate critique ces opérations,
trouve les unes violentes, les autres contraires
aux bons principes d'économie , et joint le tort
de l'ingratitude a l'ignorance du temps el de la
situatioll. Qu'on rCVienllG aux Üiits, el qu' enfin




216 ftÉVOLUTlON FRAN~AISE.
on soit juste pour des hommes auxquels il en
a eoUté tant d' efforts et de périls pour HOUS
sauver.


Apres ces mesures générales de finances et
d'administration, iI en fut pris d'autres plus
spéeialement appropriées achaque théatre de
]a guerreo Les moyens extraordinaires, depuis
long-temps résolus a l'égard de la Vendée,
fnrent enfin déerétés. Le earaetere de eette
guerre était maintenant bien eonnu. Les forees
de la rébellion ne consistaient pas dans des
troupes organisées qu'on put détruire par des
·vietoires, mais dans une population qui, en ap-
parenee paisible et oecupée de ses travaux agrio
coles, se levait tout-a-eoup a un signal donné,
aeeablait de sa masse ~ surprenait de son atta-
que imprévue les trollpes républieaines, et, en
cas de défaite, se eaehait dans ses bois, dans
ses ehamps, et reprenait ses travaux sans qu'on
put dístinguer eelui qui avait été soldat de ee-
luí qui n'avait pas cessé d'etre paysan. Une lutte
opiniatre de plus de six mois, des souleve-
ments quí avaient été qllelquefois de eent mille
hommes, des actes de la plus grande téméri-
té, une rt'nommée formidable, et l'opinion
établie que le plus grand danger de la révolu-
tion était dans cette guerre civile dévorante,
devaient appeler toute l'attention du gouvel'-




CONVENTION NATIONALE (793). "J.J7
nement sur la Vendée, et provoquer a son
égard les mesures les plus énergiques et les
plus coleres. Depuis long-temps. on disait que
le seul moyen de soumettre ce malheureux
pays, était non de le combattre, mais de le dé-
truire, puisque ses armées n'étaient nulle part
et se trouvaient partout. Ces vreux furent exau-
cés par un décret formidable'" , oú la Vendée,
les derniers Bourbons, les étrangers, étaient
frappés tous a la foís d'extermination. En con-
séquence de ce décret , il fut ordonné au mi-
nistre de la guerre d'envoyer dans les dé parte-
ments révoltés des matieres combustibles pour
incendier les bois, les taillís et les genets. « Les
forets, était-il dit ,seront abattues, les repaires
des rebelles seront détruits, les récoltes se-
ront coupées par des compagnies d'ouvriers,
les bestiaux seront saisis, et le tout transporté
hors du pays. Les vieillards, les femmes, les
enfants, seront conduits hors de la contrée,
et il sera pourvu a leur suhsistance avec les
égards dus a l'humanité. » Il était enjoint en
outre aux géuérallx et aux représentants en
mission de faire tout autour de la Vendée les
approvisionnements nécessaires ponr nourrir
de grandes masses, et, aussitót apres, de provo-


* 1 t'r :.unit.




2 J 8 niVOLUTION EltANVAI5E.
quer dan s les départements environnallts non
pas une levée gl'aduelle, comme dans les alltres
}larties de la France, mais une levée su bite et
générale, et de verser ainsi toute une popula-
lion sur une autrc. Le choix des hommes ré-
pondit a la nature de ces mesures. On a vu
Biron, Berthier, Menou, Westermann, com-
pro mis et destitués pour avoir soutenu le sys-
teme de la discipline, el Rossignol, infracteur
de cette discipline, tiré de prison par les
agents du ministere. Le triomphe du systeme
jacobin fut complet. Rossignol, de simple chef
de bataillon, fut tout-a-coup nommé général
en chef de l'armée des cotes de JJa Rochelle.
Ronsin , le chef de ces agents du ministere, qui
portaient daos la Veodée toutes les passioos des
jacobins, et soutenaient qu'il oe fallait pas des
généraux expérimentés, mais des généraux
franchement républicains, non pas uoe guerre
réguliere, mais extermina trice , que tout homme
de nouvelle levé e était soldat, que tout soldat
pouvait etre général, Ronsin, le chef de ces
agents, fut faít en quatre jours capitaine, chef
d'escadron, général de brigade, et fut adjoínt
a Rossignol avec tous les pouvoirs-du ministre
luÍ-meme ponr présider a l'exécution de ce
nOllveau systeme de guerreo Ori. Ol'donna en
meme temps que la garnison de Mayellce fút




CONVENTlON NATIONALJ\ (1793). ~!J9
conduite en poste du Rhin dans la Vendée. La
méfiance était si grande, que les généraux de
cette brave garnison avaient été mis en arres-
tation pour avoir capitulé. Heureusement, le
brave Merlín, toujours écouté avec la con si-
dération due a un caractere héro"ique, vint
rendre témoignage de leur dévouement et de
leur bravoure. Kléber, Aubert-Dubayet, fu-
rent rendus a lellrs soldats, qlli voulaient les
délivrer de vive force, et ils se rendirent dans
la Vendée, oú ils devaien t, par leur habileté,
réparer les dé sastres causés par les agents du
ministere. Il est une vérité qu'il faut répéter
toujours: la passion n'esl jamais ni sage, ni
éclairée, mais c'est la passion seule qlli peut
sauver les peuples dans les grandes extré-
mités. La nomination de Rossignol était une
hardiesse étrange, mais elle annoll<;ait un parti
bien pris, elle ne permettait plus les demi-
mesures dan s eette funeste guerre de la Ven-
dée, et elle obligeait toutes les administrations
locales qui étaient encore incertaines a se pro-
noncer. Ces jacobins fougueux , répandus dans
les armées, les trol1blaient souvent, mais ils y
communiql1aient cette énergie de résolution
san s laquelle il n'y aurait eu ni armement, ni
approvisionnement, ni moyens d'aucune es-
pece. IJs étaient d'une injustice inique envers




220 RÉVOLUTION EI\ANVAISE.


les généraux, mais ils ne permettaielll a aucun
de faiblir, ni d'hésiter. On yerra bientot leur
folle ardeur, se combinant avec la pruc1ence
d'hommes plus calmes, produire les plus grands
et les plus heureux résultats.


Kilmaine, auteur de la belle retraite qui avait
sauvé l'armée du Nord, fut aussitot remplacé
par Houchard, ei·devant général de l'armée de
la Moselle, et jouissant d'une assez grande ré-
putation de bravoure et de úle. Dans le comité
de salut public, quelqlles changements eurent
lieu. Thuriot et Gasparin, malades, donnerellt
leur démission. L'un d'eux fut remplacé par
.Robespierre, qui pénétra enfin dans le gon-
vernement, et dont la puissance immense fut
aillsi reconnue et subie par la convelltion, qui
jusqu'ici ne l'avait nommé d'aucun comité.
L'autre eut pour successeur le célebre Carnot,
qui déja, envoyé a l'armée du Nord, avait
donné de lui l'idée d'un militaire savant et
habite.


A toutes ces mesures administratives et mi-
litaires furent ajoutées des mesures de ven-
geance, suivant l'usage de faire suivre les aetes
d'énergie par des actes de cruauté. On a déja vu
que, sur la demande des envoyés des assemblées
primaires, une loi avait été résolue contre les
suspects. Il restait a en préscnter le pl'ojet. On




t,:ONV¡':NTION NATIONALE ('793). 2.'11
le demandait chaqne jour, paree que ce n'était
pas assez, disait-on, du décret du 27 mars, qui
mettait les aristocrates hors la loi. Ce décret
exigeait un jugement, et on en souhaitait un
qui perm!t d'enfermer, sans les juger et sen le-
lOent pour s'assurer de leur personne, les ci-
toyens suspects par leurs opinions. En atten-
dant ce décret, OIl décida que les biens de tous
ceux qui étaient mis hors la loi appartiendraient
a la république. On exigea ensuite des dispo-
sitions plus séveres envers les étrangers. Déja
ils avaient été mis sous la sllrveiUance des co-
mités qui s' étaient intitulés révolutionnaires,
mais on voulait davantage. L'idée d'une cons-
piration étrangere, dontPitt était supposé le mo·
teur, remplissait plus que jamais tous les esprits.
Un portefeuil1e trollvé sur les murs de l'une
de nos villes frontieres renfermait des lettres
qui étaient écrites en anglais, et que des agents
anglais en France s'adressaient entre eux. n
était question dans ces lettres de sommes con-
sidérables envoyées a des agents secrets ré-
pandus dans nos camps, nos places fortes et
nos principales viII es. Les uns étaient chargés
de se lier avec les généraux pour les séduire,
de prendre des renseignements exacts sur l'é-
tat de nos forees, de nos places et de nos ap-
provisionnements; les autres avalent mission




22.2. RÉVOLUTION }'RAN<;:AISl:.


de s'introduire dans les arsenaux, dans les ma-
gasins, avee des meches phosphoriques, et d'y
mettre le feu. « Faites hausscr, disaient encore
r( ces lettres, le ehange jusqu'adeux cents livres
« pour une livre sterling. Il faut diseréditer le
« plus possible les assignats, et refuser tous ceux
« qui ne porteront pas l'effigie royale. Faites
« hausser le prix de toutes les denrées. Don-
\e nez les ordres a vos marehands d'aecaparer
« tous les objets de premiere nécessité. Si vous
ce pouvez persuader a Cott .... í d'aeheter le suif
(e et la chandelle a tout prix, faites-Ia payer au
t( public jusqu'a cinq franes la Jivre. Milord est
« tres-satisfait pour la maniere dont B. t. z. a
« agio N ous espérons que les assassinats se fe-
« ront avec prudence. Les pretres déguísés et
(e les femmes sont les plus propres a eette opé-
« ration. »


Ces lettres prouvaient seulement que l' An-
gleterre avait quelques espions militaires dans
nos armées, quelques agents dans nos places
de commerce pour y aggraver les inconvénients
de la disette, et que peut-etre quelques-uns se
faisaient donner de l'argent sous prétexte de
commettre a propos des assassillats. Mais tous
ces moyens étaient fortpeu redoutables, et
étaient certainement exagérés par la vanterie
ordinaire des agents employés a ce genre de




C.ONVENTION N HION ALF. (J 793). 223
manreuvres. Il est vrai que les incendies avaient
éclaté a Douay, a Valeneiennes, a la voilerie de
I~orient, a Bayonne, et dans les pares d'artillerie
pres Chemillé et Saumur. Il est possible que ces
agents fussent les auteurs de ces incendies; maís
certainement ils n'avaient dirigé ni le poignard
dI) garde-du-corps París contre Lepelletier, ni
celni de Charlotte Corday contre Marat; et s'ils
agiotaient sur le papier étranger et les assignats,
s'ils achetaient quelques marchandises moyen-
nant les crédits ouverts a Londres par Pitt, ils
n'avaient qu'une médiocre ¡nfluence sur notre
situation commerciale et fillallciere, qui tenait
a des causes bien plus générales et plus ma-
jeures que ces viles intrigues. Cependant, ces
lettres, coneourant avec quelques incendies,
deux assassiuats, et l'agiotage du paríel' étran-
gel', exciterent une indignation universelle. La
convention, par un décret, dénon<,;a le gouver-
nement anglais a tous les peuples, et déclara
Pitt l'ennemi du genre humain. En meme temps
elle ordonna que tous les étrangers domiciliés
en France depuis le J 4 juillet 1789, seraient
sur-Ie-champ mis en état d'arrestation. (Décret
du I er aout. )


Enfin on décréta le prompt aehevemellt du
proces de Custine. On mit en jugement BirOll
et Lamarche. L'acte d'accusation des gil'Olldins




22tl RÉVOI.lITlON FRAN<;AISr,.


fut pressé de nouveau, et ordre fut donné au
tribunal révolutionnaire de se saisir de leur pro-
ces dan s le plus bref délai. Enfin la colere se
reporta sur les restes des Bourbons, et sur la
famille infortunée q ui déplorait, dan s la tour
du Temple, la mort du dernier roí. 11 fut dé-
crété que tous les Bourbons qui restaient en
France seraient déportés, excepté ceux qui
étaient sous le glaive des lois "'; que le duc
d'Orléans, qui avait été transfél'é, dans le mois
de mai, a MarseilJe, et que les fédéralistes n'a-
vaient pas voulu faire juger, serait reconduit
a Paris, pour y comparaitre elevant le tribunal
révolutionnaire. Sa mort devait servir de ré-
ponse a ceux qui accusaient la Montagne de
vouloir en faire un roi. L'infortunée Marie-An-
toinette, malgré son sexe, fut, comme son
époux, vouée a l'échafaud. Elle passait pour
l'instigatrice de tous les complots de l'ancienne
cour, et était regardée comme beaucoup plus
coupable que Louis XVI. Elle avait le malheur
surtout d'etre filIe de I'Autriche, qui était daos
ce moment la plus redoutable de toutes les
puissances ennemies. Suivant la coutume de
braver plusaudacieusement l'ennemi le plus
dangereux, OH voulut, au moment meme oú




CONVEN'fION NA'fIONALE (179~~). '.125
les armées impériales s'avan~aient sur notre
territoire, faire tomber la tete de Marie-Antoí-
nette. Elle fut done transférée a la Coneíergerie
pour etre jugée comme une aceusée ordinaire
par le tribunal révolutionnaire. Madame Élisa.
beth, destinée a la déportatíon, fut retenue
pour déposer contre sa sreur. Les deux enfants
devaient etre élevés et gardés par la république,
quijugerait,al'époque de la paix, ce qu'il con-
víendrait de statuer a leur égard. J usques alors,
la dépens~ du Temple avait été faite avec une
certaine somptuosité qui rappelait le rang de
la famille prisonniere. Il fut décrété qu'elle se-
raít réduite au nécessaire. Enfin, pOUl' con-
sornmer tous ces actes ge la vengeance révo-
lutionnaire, on décréta que les tombes royales
de Saint-Denis seraient détruites.


Telles furent les mesures que les dangers im-
minents du moÍs d'aout 1793 provoquerent
pour la défense et pour la vengeance de la ré-
volution.


---


v. 15






CONn:NTION NATIONA.LE (1793). 2.27


CHAPITRE IV.


'Gie_


Mouvement des armées en aout et septembre 1793. _
Investissement de Lyon par l'armée de la convention.
- Trahison de Toulon qui se livre aux Anglais. -
Défaite de 40 mille Vendéens 11. LUlion. Plan général de
campagne contre la Vendée. Divisions des géDéraux ré-
publicains sur ce théitre de la guerreo - OpératioDs
militaires dans le Nord. Siége de Dunkerqlle par le duc
d'York. - Victoire de Hondtsehoote. Joíe universelle
qu'elle cause en France. - Nouveallx reverso Déroutes
a MeDiD, a Pirmasens, a Perpignan, et a Torrou dans
la Vendée. Retraite de Canclaux sur Nantes. - At-
taques contre le comité de salut pub lic. - Établisse-
ment du {Jouvernement Tél!olutionnaire. - Décret qui
organise une armée révolutionnaire de six mille hom-
mes. - Loi des suspects. - Concentration dll pou"Voir
dictatorial dans le comité de sal lit publico - Proces de
Custine; sa condamuation et son supplice. - Décret
d'accusation contre les girondins; arrestation de
soixante-treize membrcs de la convention.


APRES la retraite des FralH;ais du camp de
C~sar au camp de Gavardle, les alliés auraÍent


15.




228 REVOLUTlON FRAN<1A1SE.


dú encare poursuivre une armée démoralísée,
qui avait toujours été malheureuse oepuis l'ou-
verture de la campagne. Des le moís oe mars,
en effet, battue a Aix-Ia-Chapelle et a Ner-
winde, elle avait perdu la Flal1dre hollandaise,
la Belgique, les camps de Famars et de César,
les places de Con dé et de Valeuciennes. L'un
de ses généraux avait passe a l'ennemi, l'autre
avait été tué. Ainsi, depuis la bataille de Jem-
mapes, elle u'avait faít que des retraites, fort
méritoires, iI est vrai, mais peu encourageantes.
Sans concevoirmeme le projet trop hardí d'une
marche directe sur París, les coalisés pou vaient
détruire ce uoyau d' armée, et alors ils étaient
libres de prelldre toutes les places qu'il conve-
nait a leur égolsme d'accnper. Mais aussitot
apres la prise de Valenciennes, les Anglais, en
vertu des conventions faites a Anvers, exige-
rent le siége de Dunkerque. Alors, tandis que
le prince de Cobourg, restant dan s les environs
de ~on camp d'Hérin, entre la Scarpe et l'Es-
caut, croyait occuper les Franc,;ais, et songeait
a prendre encore le Quesnoy, le dnc d'York,
marchant avec l'armée anglaise et hanovrienne
par Orchies, Menin, Dixmllde et Furnes, vint
s' établir devant Dunkerque, entre le Langmoar
et la mero DCllX siéges a faire nous donnaient
done encore 1111 pen de répit. Houchard, en-




CONVENTlON NATlONALli (1793). 229
voyé a GavareHe, y réunissait en hate toutes
les forees disponibles, afin de voler au secoUJ's
de Dunkerque. Interdire aux Anglais un port
sur le eontinent, battre individuellement nos
plus grands ennemis, les priver de tout avan-
tage dans cette guerre, et fournir de llouvelles
armes a l'opposition anglaise eontre Pitt, telles
étaient les raisons qui faisaient eonsidérer Dun·
kerque comme le point le plus important de
tout le théiltre de la guerreo c( Le salut de la
république est la,)) écrivait a Houchard le co-
mité de salut public; et Carnot, sentant par-
faitement que les troupes réunies entre la fron-
tiere du Nord et eeHe du Rhin, e'est-a-dire dans
la Moselle, y étaient inutiles, fit décider qu' on
en retirerait un renfort pour l'envoyer en :Flan-
dre. Vingt OH viugt - cinq jours s'éeoulerent
ainsi en préparatifs, délai trCs-coneevable du
coté des Fran<;ais, qui avaient a réunir leurs
tronpes dispersées a de grandes distances, mais
inconcevable de la part des Anglais 'CJui n'a-
vaient que quatre 011 einq marches a faire pour
se porter sons les murs de Dunkerque.


Nous avons laissé nos deux armées de la
Moselle et dn Rhin essayant de s'avancer, mais
trop tard, vers Mayence, et n'empechant pas
la prise de eette place. Depuis, elles s'étaient
repliée:> sur Saarbruck, Hornbach et Wissem-




230 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
bourg. Il faut donner une idée du théatre de
la guerre pour faire comprendre ces divers
mouvernents. La frontiere fran<;aise est assez
singulierement découpée au Nord et a l'Est.
L'Escaut, la Meuse, la Moselle, la chaine des
Vosges, le Rhin , courent vers le N ord en for-
mant des lignes presque paralJeles. Le Rhin,
arl'ivé a l'extrémité des Vosges, tourne subi-
tement, cesse de coulerparallelement a ces
lignes, et les termine en tournant le pied des
Vosges , et en recevant dans son COUl'S la. Mo-
selle et la Meuse. Les coalisés , sur la frontiere
du Nord, s'étaient avancés entre l'Escaut et la
Meuse; entre la Meuse et la Moselle, ils n'a-
vaient point. fait de progre s , paree que le fai-
ble corps laissé par eux entre Luxembourg et
Treves n'avait rien pu tenter; mais ils pou-
vaient davantage entre la Moselle, les Vosges
et le Rmn. 00 a vu qu'ils s'étaient placés a
cheval SUiI! les V osges , pru:tie sur le versant
oriental, et partie sur le versant occidental.
J~e plan a suivre, comme nous l'avons dit pré-
cédemment; était assez simple. En considérant
l'arete des Vosges cornme une riviere dont iI
falIait occuper' les passages ron pouvait porter
tou tes ses masses sur une J'ive, accabler l' e 11-
nemi d'nn coté, puís revenir l'accabIer de rau-
treo Ni les Fran/{ais, ni les coa lisés, n 'en avaient




CONVENTJON NATIONALE (r793). 231
en l'idée; et depuis la prise de Mayence, les
Prussiens, placés sur le re~ers occidental, fai-
saient face a l'armée du Rhrn. Nons étions re-
tirés dans les fameuseslignes de Wissembonrg.
L'armée de la Moselle, au nombre de vingt
mille hommes, était postée a Saarbruck, sur
la Sarre; le corps des Vosges, a1l nombre de
douze mille, se trouvait a Hornbach et Ket-
trick, et se liait dans les montagnes a l' extreme
gauche de l'al'mée du Rhin. L'armée du Rhin,
forte de ~ingt millehommes, gardait la Lauter,
de Wissembourg a Lauterbourg. Telles sorrt
les lignes de Wissembourg; la Satl'e coule des
Vosges a la Moselle, la Lauter de!\ Vosges dans
le Rhin, et toutes les deux forment une seule
ligue, qui coupe presque perpendiculairement
la MoseHe, tes Vosges et le Rhín. On en de-
vient ma:itre en occupant Saarbruck, Horn-
bach, Kettrick, Wissembourg et lJauterbourg.
C'est ce que no os avions fait. Nous n'avions
guere plus de soixante mille hommes Sur toute
eette frontiere , paree qu'il avait faUu pórter
des secours a Houchard. Les PrussieJ:ls 3vaient
mis deux mois a s'appr'úCher de nous, et s'é-
taient enfln portés a Pinnasens. Renforeés des
quaratrte miUe hommes qui venaient de termi-
ner le siége de Mayence, et réunis aux Autri-
chiens, ils auraient pu nons aecabler sur l'un




232 IuíVOLUTlON FRA.N«t,USt:.


ou l'autre des deux versants ; mais la désuníon
régnait entre la Prusse et l'Autriche, a cause
du partage de la Pologne. Frédéric-Gníllaume,
qni se trouvait encore au camp des Vosges, ne
secondait pas l'impatiente ardeur de W·urmser.
Celui.ci, plein de fongue, malgré ses années,
faisait tous les jours de nouvelles tentatives
sur les lignes de Wissembourg; mais ses at-
taques partielles étaient demeurées san s suc-
ces, et n'avaient abouti qu'il faire tuer ¡nutÍ-
lement des hommes. Tel était encore, dans
les premiers jours de septembre, l'état des
choses sur le Rhin.


Dans le Mi di , les événemellts avaient achevé
de se développer. La longue incertitude des
Lyonnais s' était terminée enfin par une résis-
tan ce ouverte, et le siége de leur ville était
devenu inévitable. On a Vll qu'ils offraient de
se soumettre et de reconnaltre la constitution,
mais sans s'expliquer sur les décrets qui leur
enjoignaient d'envoyer a París les patriotes dé-
tenus, et de díssoudre la nouvelle autorité sec-
tionnaire. Bientot meme, ils avaient enfreÍnt
ces décrets de la maniere la plus éclatante, en
envoyant Chalier et Ríanl il l' échafaud, en fili-
sant tous les jours des préparatífs de gllerre,
en prenant l'at'gent des caisses, et en retenant
les convoís destinés anx armées. Beaucoup de




CONV ENTlON N ATJON ALE (1793). 233
partisans de l'émigration s'étaient introduits
parmi ellX, et les effrayaient du rétablíssement
de l'ancienne municipalité montagnarde. Ils
les flattaient, en outre, de l'arrivée des Mar-
seillais, qlli, disaient-ils, remontaient le Rhone,
et de la marche des Piémontais, qui aBaient
rJéboucher des Alpes avec soixante mille hom-
mes. Ql10iqlle les' Lyonnais, franchement fé-
déralistes, portassent une haine égale a l'étran-
ger et aux émigrés, la Montagne et l'ancienne
municipalité leur causaient un tel effroi, qu'ils
étaient prets a s'exposer plutot au danger et a
l'infamie de l'alliance étrangere, qu'aux ven-
geances de la convention.


La Saone coulant entre le Jura et la Cote-
d'Or, le Rhone venant du Valais entre le Jura
et les Alpes, se rénnissent a Lyon. Cette riche
ville est placée sur lellr conflnent. En remon-
tant la Saone du coté de Macon, le pays était
entierement républicain, et les déplltés Laporte
et Reverchond, ayant réuni quelques mille
réquisitionnaires, coupaient la communication
ave e le Jura. Dubois-Crancé, avec la réserve
de }'armée de Savoie, venait du coté des Alpes,
et gardait le cours supérieur du Rhone. Mais
les Lyonnais étaient entierement maitres du
cours inférieur du fleuve et de sa rive droite,
jusqu'allx montagnes ele I'Auvergne. lis domi-




234 REVOLUTION }'RAN~,AISE.
naient dans tont le Forez , y falsaient des in-
cursions fréquentes, et allaient s'approvision-
ner d'armes a Saint - Étienne. Un ingénieur
hahile avait élevé alltour de leur ville d'excel- .
lentes fortifieations; un étranger leur avait
fondu des pieces de rempart. I .. a population
était divisée én deux portions : les jeunes gens
suivaient le commandant Préey dans ses ex-
cnrsions; les hommes mariés, les peres de fa-
mille gardaient la ville et ses retranehements.
En fin , le 8 aout, Dubois - Crancé, qm avait
apaisé la révolte fédéraliste de Grenoble, se
disposa a marcher sur Lyon, eonformément
au décret qui lui enjoignait de ramener a 1'0-
héissance eette ville rebelle. L'armée" des Al-
pes se composait tout an plus de vingt-cinq
mille homl'nes, et bientot elle allait avoir sur
les bras les Piémdntais, qui, profitant en fin du
!Dois d'aout, se préparaient a déhoncher par la
grande chaine. Cette armée venait de s'affai-
blir; comme on 1'a vu, de denx détachements,
envoyés, l'un pOllY renforcer l'armée d'Italie,
et l'autre pour réduire les Marseillais. Le Puy-
de - DQ me, qui devait fournir ses reerues, les
avait gardées po~r étouffer la révolte de la
Lozere, dont il a déjá été question. Houchard
avait retenu la légion du Rhin, qui était eles-
linée aux Alpes; et le ministerc pronH'ttail




CONVENTION NATIONALE (1793). 235
sans cesse un renfort de mille chevaux qui
n'arrivaient pas. Cependant Dubaís-Crancé dé-
tacha cinq mille hommes de trou pes réglées,
et leur joignit sept ou huÍt mille jeunes réqui-
sitionnaires. Il vint ave e ces forees se placer
entre la Saone et le Rhóne, de maniere a oc-
cuper leur cours supérieur, a enlever aux
Lyonnais les approvisionnements qui leur ar-
rivaient par eau, a conserver ses eommunica-
tioos avec l'armée des Alpes, et a couper ceHes
des a6siégés avec la Suisse et la Savoie. Par ces
dispositions, il laissait toujours le Forez aux
Lyonnais, et surtout les hauteurs importantes
de Fourvieres; mais sa situation le voulait ainsi.
L'essentíel était d'occuper les deux cours d'ean
et de couper Lyon de la Suisse et da Piémon~.
Dllbois-Crancé attendait, pour compléter le
blocus, les nouvelles forces qui lui avaient été
pro mises et le matériel de siége qu'il était
obligé de tirer de nos places des Alpes. Le
transport de ce matériel exigeait l'emploi de
cinq mille chevaux.


Le 8 aout, il somma la ville; il imposa pour
conditions le désarmement ab501u de tons les
citoyens, la re traite de chacun d' eux dans leurs
maisons, la reddition de l'arsenal et la for-
mation d'une municipalité provisoire. Mais
dans c~ moment, les ~Illigrés cachés dans la




:136 RÉVOLUTrON FRANc;,:AISE.
commission et l'état - major continuaient de
tromper les Lyonnais, en les effrayant du re-
tour de la municipalité montagnarde, et en
leu!' disant que soixante mille Piémontais al-
laient débouchersur leurville. Un engagement,
qui eut Iieu entre deux postes avancés, et qui
fut terminé a l'avantage des Lyonnais, les
exalta au plus haut point, et décida leur ré-
sistanee et leursmalheurs. Dnbois-Crancécom-
menc;a le fen du eott'l.de la Croix-Rousse, entre
les deux fleuves, ou iI avait pris position, et
des le premier jOl1r son artillerie exerc;a de
grands ravages. Ainsi, l'une de nos plus im-
portantes villes manufacturieres était réduite
aux horreurs du homhardement, et nous
avions a exéeuter ce homoardement en pré-
senee des Piémontais, ql1i al/aient descendre
des Alpes.


Pendant ce temps, Carteaux avait marché Sur
Marseille, et avait franchi la Durance dans le
mois d'aout. Les Mal'seíllais s'étaieut retirés
d'Aix sur lenr ville, et avaient formé le pro.jet
de défendre les gorges de Septemes, a travers
Iesquelles passe la route d' Aix a Marseille. Le
24, le général Doppet les attaqua avec l'avant-
garde de Carteaux; l'engagement fut assez vif,
mais une section, qui avait toujours été en
opposition avec les anlres, passa du coté des




CONVENTION N ATION ALE (1791). :2 37
républicains, et décida le combat en leur fa-
veur. Les gorges furent emportées, et, le 25,
CaI'teaux entra dans Marseille avec sa petite
armée.


Cet événement en décida un autre , le plus
Enneste qui cut encore affligé la république. La
ville de Toulon , qui a vait toujours paru animée
c/u plus violent républicanisme, tant que la
municipalité y avait été maintenue, avaitchangé
d'esprit sous la nouvelle autorité des sections,
et allait bientot changer de domination. Les
jacobins, réunis a la municipalité, étaient dé-
éhainés contre les officiers aristocrates de la
marine; iIsne cessaient de se pIaindrede la len-
teur des réparations faites a l'escad,'e, de son
immobilité dan s le port, et ils demandaient a
grands cris la punition des officiers, auxquels
ils attribuaiellt le l11allvais résttltat de l'expédi-
tion de Sardaigne. Les républicains modérés ré-
pondaient la comme partout, que les vieux of-
ficiers étaient sellls capables de commander les
escadres, que les vaisseaux ne pouvaient pas se
réparer plus promptement, que les faire sortir
contre les flottes espagnole et anglaise réunies
s~rait fort imprudent, et qu'enfin les officiers
dont on demandait ]a punition n'étaient point
des traitres, mais des guerriers malheureux.
Les modf.rés l'emportel'pnt nans les sections.




238 nÉvoLuTION FRAN~AISE.
AussitOt une foule d'agents secrets, intriguant
pour le compte des émigrés et des Anglais,
s'introduisirent dan s Toulon, et conduisirent
les habitants plus loin qu'ils ne se proposaient
d'aller. Ces agents communiquaient avec l'a-
miral Hood, et s'étaient assurés que les esca-
dres coalisées seraient, dans les parages voisins ,
pretes a se présenter au premier signal. D'a-
bord, a l'exemple des Lyonnais, ils firent jllger
et mettre a mort le président du club jacobin ,
nomme Sévestre. Ensuite ils rétablirent le culte
des pretres réfractaires; ils firent déterrer et
porter en triomphe les ossements de qllelqlles
malheureux, qui avaient péri dans les troubles
pour la cause royaliste. Le comité de salllt pu-
blic ayant ordonné a l'escadre d'arreter les
vaisseaux destinés a Marseille, afín de réduire
cette ville, ils ne permirent pas l'exécution de
cet ordre, et s'en firent un mérite aupres des
sections de Marseille. Ensuite ils commence-
reD! a parler des dangers auxquels on était
exposé en résistant a la convention, de la né-
cessité de s'assurer un secollrs contre ses fu-
rellrs, et de la possibilité d'obtenir celui des
Anglais en proclamant Louis XVII. L'ordon-
nateur de la marine était, a ce qu'il parait, le
principal instrument de la conspiration; il ac-
l~aparait l'al'gent des caisses, envoy;¡it che'rcher




CONVENTION NATION ~u: 1.1793;. 'l3y
les fonds par mer jusque dans le département
de l'Hérault, écrivait a Genes pour faire rete-
nir les subsistanees et rendre ainsi la situation
de Toulon plus critique. On avait changé les
états-majOl's; on avait tiré de prison un offieier
de marine compromis dans l' expédition de Sar-
daígne, pour lui donner le commandement de
la plaee; on avait mis a la tete de la garde na-
tionale un ancien garde-du-corps, et confié les
forts a des émigrés rentrés; on s'était assuré
enfin de l' amiral Trogoff, étranger que la France
avait comblé de faveurs. On ouvrit une négo-
ciation avee l'amiral Hood , sous prétexte d'un
échange de prisonniers, et, au moment ou
Carteaux venait d' entrer dans Marseille, ou la
terreur était au combIe dans Toulon, et Otl
huit ou dix mille ProveIll;aux, les plus contre-
cévolutionnaires de la contrée, venaient s'J
réfugier, on osa faire aux sections la honteuse
proposition de recevoir les Anglais, qui pren-
draient la placeen dépotau nomdeLouis XVII.
La marine, indignée, envoya une députation
aux seetions ponr s'opposer a l'infamie qui st'
préparait. Maia les contre - révolutionnaires
toulonnais et marseillais, plus audacieux que
jamais, l1epousserent les réclamations de la
marine, et firent accepter la proposition le
:>'9 aoüt. AussitOt OH donna le signal an"- An-




240 RÉVOLUTIO.N }'RANYAISE.


glais. L'amiral Trogoff, se mettant a la tete de
ceux qui voulaient livrer le port, appela a lui
l'escadre, en arborant le drapeau blanco Le
brave contre - amiral SaÍnt -J ulien, déclarant
Trogoff un traitre, hissa a son bord le pavillon
de commandement, et voulllt réunir la marine
fidele. Mais, daos ce moment, les traltres , déja
en possession des forts, menacerent de brÍllel'
Saint - J ulien avec ses vaisseaux : il fut alors
obligé de fuir avec quelques officiers et qnel-
ques matelots; les autres furent entrainés, sans
trop savoir ce qu'on allait faire d'eux; l'amiral
Rood, qui avait long-temps hésité, parut enfin,
et, sous prétexte de prendre le port de Toulon
en dépot pour le compte de Louis XVII, le
re¡;ut pour l'incendier et le détruire.


Pendant ce temps, ancnn mouvemeut ne
s'était opéré aux Pyrénées; dans rOuest, on se
préparait a exécuter les mesures décrétées par
la convention.


Nous avons Iaissé toutes les colonnes de la
Haute-Vendée se réorganisant a Angers, a Sau-
mur et a Niort: Les Vendéens s'étaient, dans
cet intervalle, emparés des ponts de Cé, et,
dans la crainte qu'ils inspirerent, on mit Sau-
mur en état de siége. La colonne de Lu¡;on et
des Sables était seule capable d'agir offensí-
"ement. Elle était commandée par le nommé




CONVENTION NATIOXALE (1793). 241
TUllCq, l'un des généraux réputés appartenir
a l'aristocratie militaire, et dont Ronsin de-
mandait la destitution an ministere. Aupres de
lui se trouvaient les deux représentants Bour-
don de I'Oise, et GOllpilleau de Fontenay,
animés des memes dispositions et opposés a
Ransin et a Rossignol. Goupilleau surtout, né·
dans le pays, étaÍt porté, par ses relations de
famille et d'amitié, a ménager les habitants,
et a lem épargner les riguenrs que Ronsin et
les siens auraient voulu exercer.


Les Vendéens, que la calonne de Lu«;on in-
quiétait, résolurent de diriger contre elle lems
forces partout victorieuses. Il~ voulaient sur-
tout donner des secours a la division de M. de
ROlrand, qui, placée devant Lu<;on, et isolée
entre les deux grandes armées de la Haute et
de la Basse -Vendée, agissait a vec ses seules
ressources, et avait besoin d'etre ílppuyée.
Dans les premiers jours d'aout, en effet, iIs
porterent quelques rassemblements du coté de
I,u(,;on, et furent complétement repoussés par
le général Tuncq. Alors ils résolurent de tenter
un effort plus décisif. MM. d'Elbée, de Lescure,
de Larochejacquelein, Charette, se réunirent
avec quarante mille hommes, et, le 14 aour,
se présenterent de nouveau aux environs de 1,11-
(OIJ. Trmcq lI'PIl aV:litg"lIereque sÍx mille. M. de


". ,6




242 HÉVOLUTION FRAN0A.ISE.


LesCllre, se fiant sur la supériorité d u nombre,
donna le funeste conseil d'attaquer en plaiue
l'armée républicaine. M1U. de Lescnre et Cha-
rette prirent le commandement de la gauche,
M. d'Elbée celui <111 centre, M. de Laroche-
jacquelein celui de la droite. MM. de Lescure
et Charette agirent avec une grande vigllenr a
la droite; mais au centre, les soldats, oblígés
de !tItter en plaine contre des troupes régulie-
res, montrerent de l'hésitation : M. de Laro-
chejacquelein, égaré dan s sa route, n'arriva
pas a temps vers la gauche. Alors le général
Tuncq, faisant agir a propos son artilleríe lé-
gere sur le centre ébranlé, y répandit le dé-
sordre, et en peu d'instants mit en fui te tous
les Vendéens au nombre de quarante milIe.
Aucun évéllement n'avait été plus funeste pOlI!'
ces derniers. lIs perdirent toute lenr artiIlerie,
et rentrerent dan s le pays, frappés de conster-
nation.


Dans ce meme moment arrivait la destitution
du général Tuncq, demandée par Ronsin. Bour-
don et Goupilleau, indignés, le maintinrent
dans son commandement, écrivirent a la con-
vention pour faire révoquer la décision du
ministre, et adresserent de llouvelles plaintes
contre le partí désorganisateur de Saumur, qui
répandait, disaient-ils, la confusion, et voulait




CONVENTION NATION ALE (1793). ~43
remplacer tous les généraux instruits par d'i-
gnorants démagogues. Dans ce moment. Rossi-
guol, faisant l'inspectiou des diverses colonnes
de son commandement, arriva a Lu<{on. Son
entrevue avec Tuncq, Goupilleau et Bourdon,
ne fut qu'un échange de reproches; malgré
deux vÍctoÍres, il fut mécontent de ce que ron
avait livré des combats contre sa voJonté: car
il pensait, du reste avec raison, qu'il fallait
éviter tont engagement avant la réorganisation
générale des différentes armées. On se sépara,
et immédiatement apres, Bourdon et Goupil-
leau, apprenant quelques actes de rigueur
exercés par Rossignol dans le pays. eurent la
hanliesse de prendre un arreté pour le desli-
tuero Aussitot, les représentants qui étaient a
Saumur, Merlin, Bourbotte, Choudieu et
Rewbell, casserent l'arreté de Goupill~au et
Bourdon, et réintégrerent RossigI1ol. L'affaire
fut portée devant la convention : RossignoI,
confirmé de nouveau, l'emporta sur ses adver-
saires. Bourdon et Goupilleau furent rappe-
lés, el Tuncq suspendu.


TeUe était la situationdes choses, lorsque la
garnison de Mayence arriva dans la Vendée. Il
s'agissait de savoir quel plan on suivrait, et de
quel coté on ferait agir cette brave garnison.
Serait-eJ/e attachée a )'armée de La Rochelleet


J6.




:l44 IIÉYOLUTlON FRAN9AISF:.
mise sous les ol'ores de Rossignol, OH a l'armée
de Brest et eonfiée a Canclaux? Telle était la
questioll. Chaeull voulait la po~séder, paree
qu'elle devait déeider le sucees" partout Otl
elle agirait. On était d'aecord pour envelopper
le pays d'attaques simultanées, guí, dirigées
de tons les points de la circonférence, vieJl-
draient aboutil' au centre. Mais., comme la co-
loune qui posséderait les Mayenc;;ais devait
premlre une offensive plusdécisive, et refouler
les Vendéens sur les autres eolonnes, iI s'agis-
sait de savoir sur quel point il était le plus
utile de rejeter l'ennemi. Rossignol et les siens
soutellaient que le meilleur parti a prendre
était de faire marcher les Mayen<,;ais par Sau-
mur, pour rejeter les Vendéens sur la mer et
sur la Basse-Loire, Otl OH les détruirait ell-
tierement; que les colonnes d'Angers, de Sau-
mUl', trop faibles, avaieut beso in de l'appui des
Mayen<,;ais pour agir; que, réduites a elles-
memes, elles seraiellt dans l'impossibilité de
s'avancer en eampagne pOUI' donner la main
allX autreseolonnes deNiortetde Lu<;on; qu'el-
les ne pourraient meme pas arreter les Ven-
déens refoulés, ni les empecher de se répalldre
daus l'intérieur; qu'enfin, en faisant avancer
les Mayen<,;ais parSaumur, on ne perdrait point
de temps, tandis que par Nantes, iIs étaient




CONVF:NTION NATIONAU (1793). 245
obligés de faire un circuit considérable, et
(le perdre dix on quinze jours.Canclaux était
fr'appé an contraire du danger de laisser la
mer ouverte aux Venlléens. Une escadre an-
glaise venaít d'etl'c signalée dans les parages de
l'Ouest, et OH ne pouvait pas croire que les
AlIglais ne songeassent pas a une descente dans
le Marais. C'était alors la pensée générale, et,
(luoiqu'elle fUt erronée, elle oecupait tous les
esprits. Cependant les Anglais venaient a peine
d'envoyer un émissaire dans la Vendée. n était
arrivé déguisé, et demandait le nom des chefs,
Jeurs forces, leurs intentions et leur but pré ..
cis: tant on 19norait en Enrope les événe-
ments intérieurs de la F'rance 1 Les Vendéens
avalent répondu par une demande d'argent et
de munitions, et par la promesse de porter
cinquante mille hommes sur le point oú l'on
voudrait opérer un débarquement. Tont projet
de ce genre était done encore bien éloigné;
mais de toutes parts 00 le croyait pret a se
réalisel'. Il faIlait donc, disait Canclaux, faire
agir les MayerH;:aís par Nantes, couper ainsi les
Vendéens de la mer, et les refouler vers le hant
pays. Se répandraient-ils daos l'intérienr, ajon.
taÍt Canclaux, ils seraient bientót détruits, et
quant au temps perdu, ce n' était pas une con-
siclération a faire valoir: car l'armée de SaumUl'




246 IUlVOLUTION t'RAN~AISE.
était dans un état a ne pouvoir pas agir avant
dix ou douze jours, meme avec les Mayem;ais.
Une Iaison qu'oll ne dOllnait pas, c'est que
l'armée de Mayence , déja faite au métier de la
guerre, aima,it mieux servir avec les gens du
~nétier , et préférait Canclaux , général expéri-
menté, a RossiguQl, général ignorant, et l'ar-
mée de Brest, signalée par des faits glorieux,
it celle de Saumur, connue seulement par des
défaites. Les représentants, attachés au partí
(le la discipline, partageaient aussi cet avis,
et craignaient de compromettre l'armée de
Mayence, en la plac;;ant au milieu des soldats
jacohins et désordonnés de Saumur.


Philippeaux, le plus ardent adversaire (lu
parti Ronsill parmi les représentants , se ren-
dit a París, et obtint un arre té du comité de
salut public en faveur du plan de Canclaux.
Ronsin fit révoquer l'arreté, et iI fut convenu
alors qu'un conseil de guerre ten u a Saumur
déciderait de l'emploi des forces. Le conseil
eut lieu le 2 septembre. On y comptait beau-
coup de représentants et de généraux. Les avis
se trouverent partagés. Rossignol, qui mettait
une grande bonne foi dans ses opinions, offrit
a Canclaux de lui résigner le commandement,
s'il voulait laisser agir les Mayenc;;ais par Sau-
mur. Cependant l'avis de Canclaux l'emporta;




CONVENT/ON NATlONALJ<: ('7!J3 J. 247
les MayelH;ais furent atlachés a l'armée de
Erest, et la principale attaque dut etre dirigée
de la Basse sur la Haute-Vendée. Le plan de
campagne fut signé, et on promit de partir, a
un jourdonné, de Saumur, Nantes, les Sables
et Niort.


La plus grande humeur régnait dans le parti
de Saumur. Rossignol avait de l'ardeur, de la
bOllne foi, mais point d'instruction, point de
santé, et quoique franchement dévoué, iI était
illcapab!e de servir d'une maniere utile. Il con-
<¡ut; de la décision adoptée, moíns de ressenti-
ment que ses partisans enx-memes, tels que
Ronsiu, Momoro et tons les agents ministé-
riels. Ceux-cí écrivirent sur-le-champ a París
ponr se plaindre du mauvais partí qll'on ve-
nait de prendre, des calomnies répandues
contre les généraux sans-culottes, des préven-
tions qll'on avaitinspirées a l'armée de Mayen-
ce, et ils montrerent ainsi des dispositions qui
ue devaient pas faire espérer de leur part un
grand úle a seconder le plan délibéré a Sau-
mur. ROflSill poussa meme la mauvaise VOlOllté
jusqu'a ínterrompre les distributlollS de vivres
faites a l'armée de Mayence, sous prétexte que,
ce corps passant de l'armée de La Rochelle a
celle de Brest, c'était aux administrateurs de
cette clerniere a l'approvisionner. Les Mayen<;ais




241) 1!.ÉVOLUTlON .F1!.A~<':AlSJo..
partirent aussitót pour Nantes, et Cauc1aux
disposa toutes choses pOUI' faire exécuter le
plan convenu dans les premiers jours de sep-
tembre.


Telle avaitété la marche génél'ale des choses
sur les divers thé:hres de la guerre, pendant les
mois d'aout et de septembre. Il fant suivre main-
tenantles grandes opérations qui succéderent
a ces préparatifs.


Le due d'Y ork était arrivé devant Dunker-
que avec vingt-un mille Anglais et Hanovriens,
et douze miIle Autrichiens. Le maréchal :Freytag
était a Ost-Capelle avec seize mille hommes;
le prince d'Orange a Menin avec quinze mille
Hollandais. Ces deux derniers corps étaient
placés la en armée d'observation. Le reste des
coalisés, dispersés autour du Quesnoy et j us-
qu'a la Moselle, s'élevait a environ cent miHe
hommes. Ainsi cent soixante, ou cent soixante-
dix mille hommes étaient répartis sur eeUe li-
gne immense, occupés a y faire des siéges et a y
garder tous les passages. Carnot, qni commen-
<tait a diriger les opérations des Fran(}ais ,avait
entrevu déja qu'il ne s'agissait pas de bataillcr
sur tous les points, mais d'employer a propos
tlne masse sur un point décisif. Il 'avait done
conseillé de transporter trente - cinq miIle
hommes, de la Moselle et du Rhin au Nord.




CONVENTlON NATlON ALI> (1793). 249
Son conseil avait été adopté, mais ilIle put en
arriver que douze mille en Flandre. Néanmoins,
avec ce renfort et les divers camps placés a
Gavarelle, a LiI1e, a Ca ss el , les Fran«;;ais au-
raient pu former une masse de soixante mille
hommes, et, dans J'état de dispersion OU se
trouvaitl'ennemi,frapper les plusgrandscoups.
JI ne faut, pour s'en convaincre, que jeter les
yeux sur le théatre de la guerreo En suivant
le rivage de la Flandre pour entrer en France,
on trouve Furnes d'abord, et puis Dunkerque.
Ces deux villes, baignées d'un coté par l'Océan ,
de I'autre par les vastes marais de la Grande-
Moer, ne peuvent communiquer entre elles
que par une étroite langue de terreo Le duc
d'York arrivant par Furnes, qui se présente la
premiere en venant du dehors, s'était placé,
pour assiéger Dunkerque, sur cette langue de
terre, entre la Grande- MOel' et l'Océan. Le
corps d'observation de Freytag ne s'était pas
établi a Furnes de maniere a protéger les der-
rieres de l'armée de siége; iI était au eontraire
assez loin de eette position, en avant des ma-
rais et de Dunkerque, de maniere a couper les
secours qui pouvaient venir de l'intérieur de
la France. Les Hollandais du prince d'Orange,
pos tés a Menin, a trois journées de ce point,
devenaicnt tOllt·a·fait inutiles. Une masse de




2. 50 RÉVOLUTiON FR¡\.N~;t\.lSK
soixante mille hommes , marchant rapidement
entre les Hollandais et Freytag, pOllvait se
porter a Furnes derriere le duc d'York, et,
manreuvrant ainsi entre les trois corps enne-
mis, accabler successivement Freytag, le duc
d'York et le pl'ince d'Orange. n fallait pour
cela une masse unique et des mouvements ra-
pides. Mais alors on ne songeait qu' a se pousser
de front, en opposant achaque détachement
un détachement pareil. Cependant le comité
de salut public avait a peu pres con~\l le plan
dont nous parlons. Il avait ordonné de former
un seul corps et de marcher sur Furnes. Hou··
chard comprit un moment cette pensée, mais
ne s'y arnha pas, et songea tOllt simplement a
marcher contre Freytag, a repliel' ce dernier
sur les derrieres du duc d'York, et a t:ichel'
ensuite d'int}uiéter ]e siége.


Pendant que Houchard h<\tait ses prépara-
tifs, Dllnl"erque faisait une vigoureuse résis-
tance. Le général Souham, secondó par le
jeune Hoche, qui se comporta a ce siége
d'ulle maniere hérolque, avait déja repoussé
plusielll's attaques. L'assiégeant ne pouvait pas
ouvrir facilement la tranchée dans un terraill
sablonneux, au fond duquel on trouvait l'eau
en creusant seulement a trois pieds. La flottilIe
qui devait descendre la Tamise pour lwmbal'-




CONVENTlON NATJONALE (1793). 251
der la place, n'arrivait pas, et au contraire
une flottille fran~aise , sortÍe de Dunkerque el
embossée le long du rivage ,harcelait les assié-
geants enfermés sur leur étroite langue de
terre, manquant d'eau potable et exposés a
tous les dangers. C'était le cas de se hater et
de frapper des coups déeisifs. On était arrivé
aux derniers jours d'aout. Suivant l'usage de
la vieille tactique, Houehard commenc;;a par
une démonstration sur Menin, qui n'aboutit
qu'a un combat sanglant et inutile. Apres avoir
donné eette alarme préliminaire, il s'a vanc;;a, en
suivantplusieurs routes, vers la ligue de l'Yser,
petit cours d'eau qui le séparait du corps d'ob-
servation de Freytag. Au lieu de venir se placer
entre le corps d'observation et le corps de
siége, il confia a Hédouville le so in de marcher
sur Rousbrugghe, ponr inquiéter seulemellt la
retraite de Freytag sur Furnes, et il alla lui-
m~me donner de front sur Freytag, en mar-
chant avec toute son armée par Houtkercke,
Herséele el Bambeke. Freytag avait dísposé son
corps sur une ligne assez étendue, et il n'en
avait qu'une partie autour de lui, lorsqu'il re-
~ut le premier ehoe de Houchard. 11 résista a
Herséele; mais, apres un combat assez vif, il
fut obligé de repasser l'Y ser, et de se replier
sur Bambeke, et successivement de Bambekc




252 RÉVOLtlTIuN FUA N({AISf.
sur Rexprede et Killem. En reculant de la sorté,
au-deJa de l'Yser, il laissait ses ailes compro-
mises en avant. La division Walmoden se trou-
vait jetée loin de luí" a sa droite, et sa propre
re traite était menacée vers Rousbrugghe par
Hédouville.


Freytag vent alors, dans 1<1 meme journée, sc
reporter en avant, et reprendre Rexprede, afin
de raUier a luí la division Walmoden. Il arrive
a Rexprede au moment oú les Franl{ais y en-
traient. Un combat des plus vifs s'engage:
I<'reytag est bJessé et fait pl'isonniel'. Cependant
la fin du j our s'appl'oche; Houchard, craignant
une attaque de n aít, se retire ho1's du village,
et n'y laisse que trois hatailloIls. Walmoden 1
qui se repliait avec sa division compromise,
arrive dan s cet instant, et se décide a attaquer
vivement Rexprede, afin de se faire jour. Un
combat sanglant se livre au miliel1 de la nuit;
le passage est fi'anchí , :Freytag est délivré, et
l'ennemi se retire en masse sur le vilIage de
H ond tschoote. Ce v illage, situé coutre la Grande-
Moer et sur la roate de Furnes, était un des
points par lesquels il fal/a¡t passer en se reti-
rant sur Furnes. Houehard avait renoneé a l'idée
essentielle de manreuvrer ver s Furnes, entre
le COl'pS de siége et le corps d'observatioll;
illlelui restait done plus qu'a pOLlsscr toujours




CONVPHION NATIONHE (1793). 253
{le front le maréchal Freytag, et a se ruer contre
le village de Hondtschoote. La jourllée du 7 se
passa a observer les positions de l' ennemi, dé-
fendues par une artillerie tres-forte, et, le 8,
l'attaque décisive fut résolue. Des le matin,
l'armée fran<;;aise se porte sur toute la ligne pour
atraquer de front. La droite, sous les ordres
d'Hédouville, s'étend entre Killem et Béveren;
le centre, commandé par Jourdan, marche di-
rectement de Killem sur Hondtschoote; la gall-
"che attaque entre KiIlem et le canal de "Furnes.
L'actÍon s'engage dan 's les tai11is qui couvraient
le centre. De part et d'autre, les plus grandes
forces sont dirigées sur ce meme point. Les
Fran<;ais reviennent plusieurs fois a l'attaque
des positions, et enfin iIs s' en rendent maitres.
Tandis qu'ils triomphent au centre, les retran-
chements sont emportés a la droite, el I'enne-
mi prend le parti de se retirer 5111' Fllrnes par
les routes de Houthem et de Hoghestade.


Tandis que ces choscs se passaient a Hondt-
schoote, la garnison de Dunkerque faisait,
sous la conduite de Hoche, une sortie vigou-
reuse, et mcttait les assiégeants dans le plus
grand péril. Le lendemain du combat, ceux-
ci tinrent un conseil de guerre; se sentant me-
nacés sur lellrs derrieres, et ne voyant pas ar-
river les ~rmements maritimes qui devaient




254 nÉvoLuTION FRANYAISF..
servir a bombarder la place, ils résolurent de
lever le siége, et de se retirer sur Furnes, oa
venait d'arriver Freytag. lIs y furent tous ré-
unís le 9 5cptembre au soir.


Telles furent ces trois journées, qui eurent
pour but et pour résultat de replier le corps
d'observation sur les derrieres du corps de
siége, en suivant une marche directe. Le der-
n¡er combat donna son nom a cette opération,
et la bataiHe d'Hondtschoote fut considérée
comme le salut de Dunkerque. Cette opératíon,'
en effet, I'ompait la longue chaine oe nos re-
vers au Nord, faisait essuyer un échee person-
nel aux Anglais, trompait le plus cher de lenrs
vrellX, sauvait la répnblique du malheur qlli
lui eut été le plus sensible, et donnait un
grand eneouragement a ]a Franee.


La vietoire d'Hondtsehoote produisit a París
une grande jaie, inspira plus d'ardeur a toute
la jellnesse, et 6t espérer que notre énergie
pourrait etre heureuse. Peu importent, en effet,
les rever s , pourvu que des succes viennent s'y
meler, et rendre au vaincu l'espéranee et le
courage. L'alternative ne faÍt qu'augmenter
l'énergie et exalter l'enthousÍasme de la ré-
sistanee.


Pendant que le duc d'York s'était porté a
Dlln],erquc, Cobourg avait résoll1 l'attaque c/u




CONVENTION N A nON ALE (1793). 255
Quesnoy. Cette place manquait de tons les
moyens nécessaires a sa défense, et Cobourg
la serrait de tres-preso Le comité de salut pu-
blic, ne négligeant pas plus cette partie de la
frontiere que les 3utres, avaít ordonné sur-Ie-
champ que des colonnes sortissent de Lan-
orecies, Cambray et Maubeuge. Malheureuse-
ment, ces colonnes ne purent agír en meme
temps : l'une fut renfermée dans Landrecies;
l'autre, entourée dans la plaine d' A vesnes, et
formée en bataiBon carré, fut rompue apres
une résistance des plus honorables. Enfin le
Quesnoy fnt obligé de capituler le JI septem-
breo Cette perte était peu de chose a coté de
la délivrance de Dllnkerque; mais elle melait
quelque amertume a la joie produite par ce
dernier événement.


Houchard, apres avoir forcé le duc d'York
a se concentrer a Furnes avec Freytag, ll'avait
plus rien d'heureux a tenter sur ce point; iI
ne luí restait qu'a se ruer avec des force s égales
sur des soldats mieux aguerrís, sans anenne
de ces circonstances, ou favorables ou pres-
santes? qui font hasarder une bataille oou-
teuse. Dans cette situation, il n'avaít rien de
mieux a faire qu'a tomber snr les Hollandais,
disséminés en plusieurs détachements, autOllr
d(' Menin, HalluiJl, Roncq, Werwike el Ypres.




256 nÉvoLuTION FRANºAIsE.
Houchard, procédant avec prudence, oroonna
au camp de LiBe de faire une sortie sur Menio,
tanois qu'il agirait lui-meme par Ypres. On se
disputa pendant deux jours les postes avancés
de Werwike, de Roncq et d'HaIluin. De pal't
et d'autre, on se comporta avec ulle grande
bravoure et une médiocre intelligence. Le
prince d'Orange, quoique pressé de tous cotés,
et ayant perdu ses postes avancés, résista opi-
niatrément, paree qu'il avait appris la red di-
tion du Quesnoy et l'approche de Beauliell,
qui lui amenait des secOllrs. Enfin, il fut obligé,
le 13 septembre, d'évacuer Menin, apres avoir
perdu dans ces différentes journées deux a
trois mille "hommes, et quaraute pieces de ca-
non. Quoique notre armée n'eut pas tiré de
sa position tout l'avantage possible, et que,
manquant aux instructions du comité de salut
public, elle eút agi par masses trop divisées,
cependant elle occupait Menin. Le J 5, elle
était sortie de Mellin et marchait sur COllrtray.
A Bisseghem, elle rencontre Beaulieu. Le com-
bat s'engage avec avantage de notre coté; mais
tout-a-coup l'apparition d'un corps de cavale-
rie sur les ailes répand une alarme qui n'était
fondée sur aucun danger réel. Tout s'ébranle
et fuit jllsqu'a Menin. La, eette ineoncevable
dérollte TI{' s'al'rete pas; la terrClIr se cornmll-




COl\"VEN'flON N ATION HE (1793). 257
nique a tous les camps, a tous les postes, et
l'armée -en masse vient chercher un refuge
sous le canon de Lille. Cette terreur panique,
dont l'exemplc n'était pas nouveau, qui pro-
venait de la .iellne~se et de l'inexpériellce de
IlOS troupes, peut.étre aussi d'un perfide saulle
qut"peut. nous fit perdre les plus grands avan-
tages, et nous ramena sous Lille. La .Ilouvelle
de cet événement, portée a París, y causa la
plus funeste impression, y fit perdre a Hon-
chard les fruits de sa victoire, souleva contre
lui un déchaiucment violent, dont il rejaillit
quelque chose contre le comité de salut pu-
blic lui-meme. Une nouvelle suite d'échecs
vint aussitot nous rejeter dans la position pé-
rilleuse d'ou non s venions de sortir un mo-
ment par la victoire d'Hondtschoote.


Les PrussÍens et les Autrichiens, placés sur
les deux versants des Vosges, en face de nos
deux armées de la Moselle et du Rhin, ve-
naient enfin de faire qllelques tentatives sé ..
ricuses. Le vieux ~Turmser, plus ardent. que
les Prllssiens, et senfant l'avantage des passa-
ges des Vosges, voulllt occuper le poste im-
portant de Bodenthal, vers la Haute-Lauter.
Il hasarda en erfet un corps de quatre miJle
hommes, qui, passant a travers d'affreuses
montagnes, parvint a occuper Bodenthal. De


\'. 17




:l58 IlI;VOJ.U'l'!oJ'( l'l',A],(~:&lSE.
lenr coté, les représeutants a l'armée du Rhin,
cédant a l'impulsion générale, qui déterminait
partoutun redoublement d'é:nergie, résolu-
rent une sortie générale des lignes de Wis-
sembourg pour le r 2 septembre. Les trois gé-
nérauxDesaix, Dubois et Micha ud, lancés a
la fois contre les Autrichiens, firent des efforts
inutiles, et furent ramenés dans les lignes. Les
tentatives dirigées surtout contre le corps au-
trich'ien jeté a Bodenthal, furent complétement
repoussées. Cependant on prépara une nou-
velle attaque pour le 14. Tandis que le général
Ferrette marcherait sur Bodenthal, l'armée de
la Moselle, agissant sur l'autre versant, devait
attaquer Pirmasens, qui correspond a Boden-
thal, et OU Brunswick se trouvait posté avec
une partie de l'armée prussienne. L'attaque
du général Ferrette réussit parfaitement; nos
!loldats assaillirent-Ies: positions des Autrichiens
a'Vec uné hérolque témérité., s'en emparerent,
et recouvrerent l'important défilé de Roden-
thaI. Mais il n'en fut pas de meme sur le ver-
sant opposé. Brunswick sentait l'impo.rtance de
Pirmasens,qui fermait les défilés; il possédait
des forces considérables, et se trouvait dans
des positions excellentes. Pendant que l'armée
de la Moselle faisait face sur la Sarre au reste
dé l'armée prllssiellIle 1 dOllze mille hommes fu-




CONVENTION NATIONHE \ 1793). 259
rent jetés de Hornbach sur Pirmasens. Le seul
espoir des Fran-;;ais était d'enlever Pirmasens
par une surprise; mais, aper-;;us et mitraillés
des Icur premiere approche, il ne Jeur restait
plus qu'a se retirer. C'est ce que voulait le gé-
néral; mais les représentants s'y opposerent,
et ils ordonnerent l'attaque sur trois eolonnes,
et par trois ravins qui aboutissaient a la hau-
teur sur laquelle est situé Pirmasens. Déja nos
soldats, gl'ace a Ieur bravoure, s' étaient fort
avancés; la eolonne de droite était meme prete
a franchir le ravin dans lequel elle marehait,
et a tourner Pirmasens, lorsqu'un double feu,
dirigé sur les deux flanes, vient l'accabler in 0-
pinément. N os soldats résistent d'abord, mais le
feu redoubJe, et ils sont en fin ramenés le
long du ravin ou iJs s'étaient engagés. Les au-
tres eolonnes sont repliées de nH~me, et toutes
fuient le long des vallées, dans le plus grand
désordre. L'armée fut obligée de se reporter
an poste d'ou elle était partie. Tres-heureuse-
ment, les Prussiens ne songerent pas a la pour-
suivre, et ne firent pas meme oceuper son
camp d'Hol'nbach~ qu'elle avait quitté pour
marche .. sur Pirmasens. N ous perdimes 11 cette
affaire vingt-deux pieces de canon, et quatre


. mille homIlles tués, blessés ou prisonniers.
Cet échec du r 4 septembre pouvait avoir une


'7'




2f;o HEYOLlJ'l'[ON FRA"CA [SI':,


grande importauce. Les coalisés, ranimés par
le succes, songeaient a user de toutes leurs
forces; ils lie disposaient a marcher sur la
Sarre et la Lauter, et a IIOUS en lever ainsi les
ligues de Wissembol1l'g.


Le siége de Lyon se poursuivait avec Jeutenr.
Les Piémontais, en déoouchant par les Hautes-
Alpes dans les vaHées de la Savoie, avaient fait
diversion, et obligé Dubois-Craucé et Keller-
mann a divis~~r leurs rorees. Kellermann s'était
porté en Sa voie. Dubois-Crancé, resté devant
Lyoll avec des moyens insllffisants, faisait inu-
tilement pleuvoi,·le fer et le feu sur cette mal-
heureuse cité, qui, résolue a tont souffrir, ne
pOllvait plus etre réduite par les désastres du
hlocus et du bombardement, mais seulement
par une attaqne de vive force.


Aux Pyréllees, nOllS venions d'éprouver tUl
sallglant échec. Nos troupes étaient restées de-
puis les derniers événements aux environs de
Perpignan; les Espagnols se trouvaient dans
Jcurcamp <lu Mas'-d'Eu. Nomoreux, aguerris,
et commandés par un gélléral habile, ils étaient
pleills d'ardeur et d'espérance. Nous avons déja
décrit le théatre de la guerreo Les deux valJées
prcsque paralle\es du Tech et de la Tet par-
tent de la grande chainc et debo\1chent ver s la
mer; Perpigll:tll est dans la sf'conde de ces


I




CONVI,NTION NATJONALE (1793). 261
vallées. Rieardos avait franchi la premiere ligne
du Tech , puisqu'il se trouvait au Mas-d'Eu, et
il avait résolu de passer la Tet fnrt au-desslls
de Perpignan, de maniere a toumcr eette place,
et a forcer natre armée a l'abandanner. Dans
ce but, il songea d'abore! a s'emparer de Vil-
lefranche. Cettc petite farteressc, placée sur le
cours sllpéricur de la Tet, devait assurer son
aile gauehe contre le brave Dagobert, qui, aveu
trois mille hommes, obtenait des succes en Cel'-
dagne. En cOIlséquence, vers les premiers jOlirs
o'aout, il détaeha le général Crc:;po avec quel-
qucs bataillons. Cdui-ci n'eut qu'a se présen-
ter devant Villefranehe; le eommandant lui en
ouvrit lkhement les portes. Crespo y laissa
garnison, et vint rejoindre Ricardos. Pendant
ce temps, Dagobert, avee un trcs-petit eOI'ps,
pareollrut UlUle la Cerdagne, replia les Espa-
gnols jusqu'a la Sell-d'Ul'gel, et songea meme
a les pousser jusqu'a Campredon. Cependant
la faiblesse du détaehement de Dagobel't, et la
forteresse de Villefranche, rassurerent Ricar.,
dos contre les sueces des Fran¡;ais sur son aiJe
gauehe. Rieardos pel'sista done dans son offen-
sive. Le 31 aout, il fit menacer natre eamp
sons Perpignan, et passa la Tet au-dessns de
Soler, en chassant devant lui notre aire droite,
qlli vint se !"('pIie!' a Salces, ;t quelq!les lieu.ef,




262 ltÉVOLUTION FRAN~A.lSj>~.
en arriere de Perpignan, et tOLlt pres de la mero
Dans cette position, les FraIH;ais, les uns en-
fermés dans Perpignan, les autres acculés sur
Salces, ayant la mer a dós, se trouvaient dans
une position des plus dangereuses. Dagobert,
il est vraí, remportait de nouveaux avantages
dans la Cerdagne, mais trop peu importants
pour alarmer Ricardos. Les représentants Fabre
et Cassaigne, retirés avec l'armée a Salces, ré-
solurent d'appeler Dagobert en remplacement
de Barbantane, afin de ramener la fortune sous
nos drapeaux. En attendant l'arrivée du nou-
veau général, ils projeterent un mouvement
combiné entre Salces et Perpignan, pour sortir
de eette situatíon périlleuse. lIs ordonnerent
a une colonne de s'avancer de Perpignan, et
d'attaquer les Espagnols par derriere, tandis
qu' eux - memes, quittant leurs positions, les
attaqueraient de front. En effet, le 15 septem-
bre, le général Davoust sort de Perpignan ave e
six ou sept mille hommes, tamEs que Pérignon
se dirige de Salces sur les Espagnols. An signal
convenu, on se jette des deux cótés sur le camp
ennemi; les Espagnols, pressés de toutes parts,
sont obligés de fuir derriere la Tet, en aban-
donnant vingt-six pieces de canon. Ils viennent
aussitót se replacer au camp du Mas-d'Eu, d'ou
ils étaient partís pour exécuter cette offensive
ha.rdie , mais malheureuse.




CONVENTJON NATIONALE (1793). 263
Dagobert arriva sur ces entrefaites, et ce


guerrier, agé de soixante-quinze ans, réunis-
sant la fougue d'un jeune homme a la pru-
dence consommée d'un vieux général , se hata
de signaler son arrivée par une tentative sur le
camp du Mas-d'Eu. 11 divisa son attaque en trois
co!olllles : l'une, partant de notre droite et
marchant par Thuir sur Sainte·Colomhe, devait
tourner les Espagnols; la seconde, agissant au
centre, était chargée de les attaquer de front
et de les culbuter; en6n la troisieme, opérant
vers la gauche, elevait se placer dans un bois
et leur fermer la retraite. Cette dertliere, ~OIn."':
mandée par Davoust,att:tquaa peine, et 5'en.,.
fuit en désordre. Les Espagnols purent alors
diriger toutes leurs force s sur les deux .autres
colonnes elu centre et de la droite. Ricardos,
jugeant que tout le danger était a droite, y porta.
ses plus grandes forces, et parvint a repousser
les Fran~ais. Au centre seul, Dagobert, ani-
mant tout de sa présence, emporta les retran-
chements qui étaient elevant lui, et allait meme
décider la victoire, lorsque Ricardos, revenant
avec lestroupes victol'ieuses a. la gauche eta
la droite, accabla son ennemi de toutes ses
forces réunies. Cepenelant le brave Dagobert
résistait encore, lorsqu'ull bataillon met has
les armes, en criant: Fil'e le roi! Dagobert




264 JlÉVOLUTION Fl\A.N9A.ISE.
indigné dirige deux pieces sur les traitres,
et tandis qu'il les foudroie, il raIlie autour de
luí un petit nombre de braves restés {ideles,
et se retire avec quelques cents hommes, sans
que l'ennemi, intimidé par sa fiere cOlltenance,
ose le poursuí vre.


Certainementce brave général n'avaít mérité
que des lauriers par sa fermeté au mílieu d'un
tel revers, et si sa colonne de gauche eut mieux
agi, si ses bataillons du centre ne se fussent pas
débandés, ses dispositions auraient été suivies
d'un plein sucd~s. Néanmoins, la défiance om-
brageuse des représentants lui imputa ce dé-
sastre. Blessé de ceUe illj ustice, il retourna
prendre le commandement subalterne de la
Cerdagne. Notre armée se trouva done encore
refoulée sur Perpignan, et exposée a perdre
l'importante ligne de la Tet.


Le pl,an de campagIle du 2 septembre avait
été mis a exécution dans la Vendée. La division
de Mayence devait, comme on 1'a vu, agir par
Nantes. Le comité de salut pllblic, qui recevait
des nouvelles alarmantes sur les projets des
Anglais sur l'Ouest, approu va tout-a-fait l'idée
de por ter les principales forces vers les cotes.
Rossignol et son parti en con<;:llrent beallcoup
d'humeur, et écrivirellt au ministere des Jettres
qUÍ ne faisaient attendre d'eux qu'une faiblú




CONVENTION NATION ALE (J 793). ':165
coopération aux plans convenus. La division
de Mayellce marcha done sur Nantes, ou elle
fut rec;ue avec de grandes démonstrations de
joie, et au mi/ieu des fetes. Un banquet était
préparé, et avant de s'y remire, OH prélllda
;m festín par une vive escarmotlche avec les
partís ellnemis répandlls sur les bords de la
Loire. Sí la colonne de Nantes étaít joyense
d'etre réunie a la célebre armée de Mayence,
celle-ci n'était pas moins satisfaite de servir
sous le brave Canclaux, et avec sa divisioIl
déja signalée par la défense de Nantes, et par
une foule de faits honorables. D'apres le plan
concerté ~ des colonnes partant-, de tous les
points du thé,ltre de la guerre devaient se ré-
unir au centre, et y écraser l'eunemi. Canclaux,
général de l'armée de Brest, partant de Nantes,
devait descendre la rive gauche de la Loire,
tourner autour du vaste lac de Grand -Lie.u,
balayer la Vendée iuférieure, remonter ensuite
vers Machecoul, et se trouver a Léger le 11
ou le 13. Son arrivée sur ce dernier point était
le signal du départ pour les colonnes de l'armée
de La Roehelle, chargées d'assaillir le pays par
le Midi et l'Est. On se souvient que l'armée
de La Rochelle, sons les ordres de Rossignol ,
général en chef, se composait deplusieurs di-
visions; ceHe des Sables était commandée par




266 nÉvoLuTION FRAN~A.lS:t:.
Mieszkousky, eeHe de Lu<{on par Beffroy, eeHe
de Niort par Chalbos, ce He de Saumur par
Santerre, eeHe d'Angers par Duhoux. A l'inR-
tant ou Canclaux arriverait a Léger, la eolonne
des Sablesavait ordre de se mettre en mouve-
ment, de setrouver le I3 a Saillt-Fulgent, le
14 aux Herbiers, et le 16 enfin, d'etre avec
Canclaux a Mortagne. Les eolonnes de Lu¡;on,
de Niort, devaient, en se donnant la maill,
avancer vers Bressuire et Argenton ~ et avoir
atteint eette hautear le 14; enfin , lescolonnes
de Saumur et d'Angers, partant de la Loire,
devaient arriver allssi le 14 allX environs oe
Vihiers et Chemillé. Ainsi, d'apres ce plan,
tout le pays devait etre pareouru dll 14 au 16,
et les rebelles aBaient etre enfermés par les co-
lonnes républicaines entre Mortagne, Bres-
suire, Argenton, Vihiers el Chemillé. Leur
destrllctiondevenait alo1'5 inévítable.


On a déja vu que, deux fois reponssés de
Lu<{on avec undommage consídérable, les
Vendéens avaient fort a ereur de prendre une
revanehe. Ils se réunirent en force avant que
les républicains enssent exécuté leurs projets;
et tandis que Charette assiégeait le camp des
Naudieres du coté de Nantes, ils attaqnerent
la division de Lu~on qui s'était avancée jusqu'a
Chantonay. Ces deux tentatíves eurent tieu le 5




CONVENTION NATIONA.LIl (1793).267
septembre. CelJe de Charette sur les Naudieres
fut repoussée; mais l'attaque sur Chantonay,
imprévue et bien dirigée, jeta les républicains
dans le plus grand désordre. Le jeune et brave
Marceau fit des prodiges pour éviter un dé-
sastre; mais sa dí vis ion , apres avoir perdu ses
bagages et son artillerie, se retira pele-mele a
Lu~on. Cet échee pouvait nuire au plan pro-
jeté, paree que la désorganisation de l'une des
colonnes laissait un vide entre la division des
Sables et celle de Niort; mais les représentants
firent les efforts les plus actifs pour la réorga..,
niser, et on envoya des courriers a Rossignol,
afin de le prévenil' de l'événement.


TOlls les Vendéens étaient dans ce moment
réunis aux Herbiers, autour du généralissime
d'Elbée. La division était parmi eux comme
chez Ieurs adversaires, cal' le cceUI' humain est
partont le meme, et la nature ne réserve pas
le désintéressement et les vertus pour un parti ,
en Iaissant exclnsivement a l'autre l'orgueil,
l'égolsme et les vices. Les chefs vendéens se
jalousaient entre eux comme les chefs républi-
cains. Les généraux avaient peu de considéra-
tion ponr le cOIlseil supérieur, qui affeetait
une espece de souveraine-té. Possédant la force
réelle, ils n'étaient Ilullement disposés a eéder
le commandement a un pouvoir qui ne devait




2{5S RÉVOLUTJON FRAN"AlSl'.
qu'a eux-memes sa fictive existence. 11s t'1I-
viaient d'ailleurs le généralissime d'Elbée, et
prétendaient que Bonchamps eut été mieux
faít pour len!' commander a tous. Charette, de
son cOté, voulait rester seul rnaltre de la Rasse-
Vendée. lis étaient done peu disposés a s'en-
tendre, et a concerter un plan en opposition
a celui des répllblicains. Une dé peche inter-
ceptée venaít de ]eur faire connaitre les projets
de Jeurs ennemis. Bonchamps fut le seul qui
pro posa un projet hardi et qui révélait des
pensées profondes. Il pensait qu'il ne serait pas
possible de résister long-temps allx forces de
]a république réunies dan s la Vendée; qu'il
était pressant de s'arracher df~ ces Dois, de ces
ravins, ou ron serait éternellement enseveli,
sans connaitre les coalisés et sans etre connll
d'eux; en conséquence il sOlltint qu'au lieu de
s'exposer a etre détruit, il valait mieux sortir
en co]onne serrée de ]a Vendée, et s'avancer
dans ]a Bretagne ou l'on était désiré, et ou la
république ne s'attendait pas a etre frappée.
Il conseil1a de marcher jusques allx cotes .de
l'Océan, de s'emparer d'UIl port, de commu-
niquer avec les Anglais, d'y recevoir un prince
émigré, de se reporter de la sur Paris, et de
faire ainsi une gnerre offensive el décisive. Cet
avis, qu'on prete a Bonchamps, ne flltpas suivi




COX\'F1'ITION XATION"ALE (J793). ~G9
tles Vendéens, dont les vues etai~mt toujours
aussi bornécs, et qui avaient toujours Ulle aussi
grande répugnance a quitter len!" sol. Leurs
chefs ne sOllgerent qu'á se partager le pays en
quatre portions, pour y régner individuelle-
mento Charette eLlt la Bassc-Vendée, M. de
130llcbamps les bords de la Loire dn coté d'An-
gers, lVI. de Larochejacquelein le reste du Haut-
Anjoll, M. de Lescure toute la partie insurgée
du Poitou. M. d'Elbée conserva son titre inutile
de généralissime, et le eonseil supérieur son
autorité IIetive.


Le 9, Callclaux se mit en mou-vement, laissa
au camp des Naudieres une forte reserve sous
les ordres de Grouehy et d'Haxo, pour pro-
téger Nantes, et aehemina la eolonne de
Mayenee vers Léger. Pendant ce temps, l'an-
ciellne armée de Brest, sous les ordres de
Beysser, faisant le eircllit de la Basse -Velldée
par Pornic, Bournellf et Machecoul, devait se
rejoindre a Léger avec la colonne de Mayence.


Ces mOIl vemen ts, dirigés par Cancláux, s' exé-
cuterent sans obstacles. La eolonne de Mayence,
dont Kléber commaudait l'avant--garde, et Au-
bert Dubayet le corps de bataille, chassa tons
les ennemis devant elle. Kléber, a l'avant-garde,
aussi loyal qu'hérojque, faisait camper ses
tl'OlIpe:'. hors des villages pOllr empecher les




~ 70 niVOLUTIOl'f FR Al'f«;:ATSE.
dévastations. (e En passant, di t - il, devant le
( beau lac de Grand-Líen, nOlls avions des
f( paysages charmants, et des échappées de
cc vue aussi agréables que multipliées. Sur une
ce prairie immense erraient au hasard de nom-
« breux troupeallx abandonnés a eux-memes.
« Je ne pus m'empecher de gémir sur le sort
« de ces infortunés habitants, qui, égarés et
el fanatisés par leurs pretres, repoussaient les
( bíenfaits d'un nouvel ordre de choses pour
c( courir a une destructioll certaine. II Kléber
6t des efforts contiuuels pour protéger le pays
contre les soldats, et réussít le plus sauvent.
Une commission civile avait été jointe a l'état·
major pour faire exécu ter le décret d u Ter aout,
qui ordonnait de ruiner le sol et d'en trans-
porter la population ailleurs. Il était défendn
aux soldats de mettre le fen, et ce n'était que
d'apr€s les ordres des gélléraux et de la com-
míssion civile, que les moyens de destruction
devaient etre employés.


On,était-arl'ivé le 1Ll a Léger, et la colanne
de l\Iayence s'y était rénnie a ce He de Brest ,
commandée par Beysser. Pendant ce temps,
la colonne des Sables, sous les ordres de
Mieszkousky, s'était avancée a Saint-Fulgent,
suivant le plan con ven u , et donnait déja la
maio a l'armée de Canclaux. CeBe de LUl(on,




( '-') CONVF.NTIOl'f NATIONAI,F. \179,) , 27í
¡'etardéc un moment par sa défaite a Chanto-
nay, était demellrée en aniere; mais, gra.ce
au úle des représentants qui lui avaient donné
un nouveau général, Beffroy, elle s'était re-
portée en avant. Celle de Niort se trouvait a la
Chataiglleraie. Ainsi, quoique le mouvement
général eut été retardé d'un jour on deux sur
tous les points, et que Canclaux ne fut arrivé
que le 14 a Léger, ou iI aurait du se trouver
le 12, le retanl étant commun a toutes les co-
lonnes, l'ensemble n'en était pas détruit, et
011 pouvait poursuivre l'exécution du plan de
campagne. Mais, dans cet intervalle de temps,
la nouvelle de la défaite essuyée par la divi-
sion de Luc;on était arrivée a Saumur ; Rossi-
gool, Ronsin et tout l' état-major avaient pris
}'alarme; et, craignant qu'il n'arrivat de sem-
blables accidents aux deux autres colonnes de
Niort et des Sables, dont ils suspectaient la
force, ils déciderent de les faire rentrer sur-
le·champ dans Ieurs premiers postes. Cet ordre
était des plus imprudents; cependant iI n'était
pas donné de mauvaise foi, et dans l'intention
de' découvrir Canclaux et d'exposer ses aiJes;
mais on avait peu de confiance en son plan,
on était tres-disposé , au moilldre obstacle, a
le juger impossible, et a l'abandonner. C'est
la sans donte ce qui détermina l'état - major




272 UJiVOLUTION FRANt;:AISl':.


de Saurnur a ordouner le Illouvcment rétro-
grade des colonnes de Níort, de Lut;on et des
Sables.


Canclaux, poursuívant sa marche, avait fait
de nouveaux progres; il avait attaqué Montaigu
sur trois points : Kléb el', par la route de
Nantes, Aubert-Dubayet, par ecHe de Roche-
Serviere, et Beysser, par eeHe de Saint-Fulgent,
s'y .étaient préeipités a la fois, et en avaient
bientot délogé l'ennemi. Le ] 7, Canclaux prit
Clisson; et, ne voyant pas encore agir Ros-
signol, iI résolut de s'arreter, et de se borIJer
a des reconnaissallces, en attendant de nou-
veallX renseignements.


Canclaux s'établit done allX environs de
Clísson, Iaissa Beysser a Montaigu, et porta
Kléber ave e l'avant-garde a Torfoll. On était la
le 8. Le contre-ordre donné de Saumur était
arrivé a la division de Níort, et avaÍt été com-
muniqué aux deux autres divísions de Lu<;on
et des Sables; sur-Ie-ehamp elles s'étaient re-
tirées, et avaient jeté, par lcur mouvement ré-
trograde, les Ve.ndéens dan s l'étolmement , et
Canclaux dans le plus grand embarras. Les
Vendéens étaient environ cent miHe sous les
armes. Un nombre immense d'entre eux se
trouvait dn coté de Vihiers et de Chemillé,
en face des colonnes de Sallmur et d'Angers;




CONVENTION NATlONAU: (1793). 273
un nombre plus considérable encore du coté
de Clisson et de Mortagne, sur CanclatIX. Les
colonnes d'Angers et de Saumur, en les voyant
si nombreux, disaient que c'était l'armée de
Mayence ql1i les leur rejetait sur les hras, el
se plaignaient de ce plan quí les exposait a
recevoir un ennemi si formidable. Cependant
il n'en était rien, et les Vendéens étaient par-
tout debont en assez grand nombre pour oc-
cuper les républicains sur tous les points. Ce
jour meme , 10i.n de se jeter sur les colonnes
de Rossignol, íls marchaient sur Canclaux :
d'Elbée et Lescure quittaient la Haute-Vendée
pour joindre l'armée de Mayeuce.


Par une siuguliere complication d'événe-
ments, Rossignol, en apprenant les succes de
Canclaux, qui avait pénétré jusqu'au centre de
la Vendée, contremande ses premiers ordres
de retraite, el enjoint a ses colonnes de se
reporter en avant. Les colonnes de Saumur et
d' Angers , placées a sa portée, agissent les pre-
mieres, et escarmollchent, l'une a Doué, l'autre
anx ponts de Cé. Les avantages sont balancés,
Le 18, ceHe de Saumur, commandée par San-
terre, vent s'avallcer deVihiers a un petitvillage
nommé Corono Artillerie, cavalerie, infanterie,
se trouvent, par de mauvaises dispositiollS,
accurnulées confllsément dans les riles de ce


v.




~7/1 I\~V()LI:TrO:'{ FP,.\~(.:\lSF.
village qui était domiué.·Santerre Vt'lIt róparer
eette fante et faire reculer les troupes pOllr les
mettre en bataille sur une hauteur; Illais Ron-
sin,qlli, en l'absence de Rossignol, s'attribllait
une autorité supé,'ieure, reproche a Santerre
d'ordanner la retraite, et s'y appase. Dalls ce
moment, les Vendéens fondent sur les répn-
blicains, un horrible désardre se communiqlle
a toute la division. n s'y trollvait beallcoup
d'hommes ou nouveau contingent levé avec le
tocsin; cellx-ci se déballdent; tont est entrainé
et fuit confllsémeilt, de eoron a v ihiers, a
Doué et a SamIlur. Le lendemaÍn 19, les Ven-
déens marchent contre la divÍsion d'Angers.
commandée par DlI houx. Aussi hellreux que
la veÍlle, ils reponssent les républicains jus-
qn'all-delil d'Érigné, et s'emparent de nOIlVe<lll
des ponts de Cé.


Du coté de Canclaux, OH se hat ave e la meme
activité. Le meme jour, vingt mille Vendéens,
placés aux environs de Torfou, fondent Sil!'
l'avant - garde de Kléber, com posée tOtl t au
plus de deux miile hommes. Kléber se place
an milien de ses soldats, et les sOlllient contre
eette fonle d'assaillants. Le terrain sur lequel jI
se bat est un chemin dominé par des hautcurs;
malgré le désavanlage de la position, il ne se
rptire qu'avec ordre et fcrnwtl~. Cependant,




CONVENTlON NATIONALE (1793). 275
une piece d'artillerie ayant été démontée, un
peu de confusion se répand dans ses batail-
lons, et ces braves plient pour la premie re fois.
A cette vue, Kléber, pour arre ter l' ennemi ,
place UI1 officiel' avec quelques soldats aupres
d'UH pont, et leul' dit : Mes amis, vous vous
ferez tuero lIs exécutent cet ordre avec un ad-
mirable hérolsme. Sur ces entrefaites, le corps
de bataille arrive, et rétablit le combat; les
Vendéens sont enfin rcpoussés bien loin, el
punis de Ieur avantage passager.


Tous ces événements s'étaient passés le 19;
l'ordre de se reporter en avant, qui avait si
mal réussi aux deux divisions de Saumur et
d'Angers, n'était pas encore parvenu, a cause
des distan ces , aux colonnes de Lu<{on et de
Niort. Beysser était toujoUI'S a Montaigu ,for-
mant la droite de Callclaux et se tl'ouvant dé-
couvert. CanclatlX voulant mettre Beysser a
l'abri, lui ordonna de quitter Montaigu el de
se rapprocher du corps de bataille. Il enjoignit
a Kléber de s'avancer du coté de Beysser pour
protéger son mouvement. Beysser, trop négli-
gent, avait laissé sa colonne mal gardée daus
Montaigu. MM. de Lescure et Charette la sur-
prirent, et l'auraient anéantie sans la bravoure
de deux bataillons, qui, par Jeur opiniatreté,
arreterent la rapidité d(~ la poursuite el de la


dt




?71i HI~\'()LlJTI()N FR,\N(:AISE,
retraite. L'artillerie et les bagages fllrent per-
dus, et les débris de eette eo]onne eoururent
a Nantes, Ol! ils forent re/{us par la brave ré-
serve laissée pOllr protPger la place. Canclaux
résolut alors de rétrograder, pour ne pas
rester en fleche dans le pays, ex posé á tous les
eoups des Vendéens. Il se replia en effet sllr
Nantes avee ses braves Mayenc;ais, qui ne fll-
rent pas entamés, grace a leur attitude impo-
sante, et au refus de Charette, qui ne voulut
pas se réunir a MM. d'Elbée et de Bon'ehamps ,
daIls la pOUl'slúte des répllblicains.


La cause qui emptkha le succes de Cf'tte
llouvelle expécli lion sur la Vendée est évidente.
L'état-major de Saumur avait été méeontent
du plan qui adjllgeait la colarme de Mayence
a Canclaux; l'échec du 5 septcmbre fut pOill'
luí un prétexte suffisant de se déeourager, et
de renoneer a ce plan. Un contre- ordre fut
aussitot donné aux colonnes des Sables, de
l .. u<;on et de La Rochelle. Canclaux, qui s'était
avancé avec succes, se trouva aillsi découvert,
et l'échec de Torfou rendit sa position encore
plus difficile. Cependant l'armt'>e de Saumur,
en appl'enant ses progres, marcha de Saumur
et d' Angers, a Vihiers et Chemillé, et si elle
ne s' étaít pas sitot débanclée, il est probahle
que la retraitf' eles ai1es n'aurait ras cmpedll~




CONVENTIO<'i NATlOI\H.c ~'7V3). '277
le :succes définitif de l'entreprise. Ainsi, trop
de promptitudea renoncer au plan proposé,
la mauvaise organisation des nouvelles levées,
et la puissance des Vendéens, qui étaient plus
de cent mille sons les armes, furent les causes
de ces nouveaux reverso NIais il n'y avait ni tra-
hison de la part de l'état - major de Saumur,
ni de vice dan s le plan de Canclaux. L' effet de
ces revers était funeste, cal' la nouvelle résis-
tance de la Vendée réveillait toutes les espé-
rances des contre·révolutionnaires, et aggravait
singulierement les périls de la république. En-
fin, si les armées de Brest et de Mayence n'en
étaient pas ébranlées, ceHe de La Rochelle se
trouvait encore une foís désorganisée, et tons
les contingents, provenant de la levée en masse,
rentraient dan s leurs foyers, en y portant le
plus grand découragemellt.


Les deux partís de l'armée s'empresserent
anssitot de s'accuser. Philippeaux, toujours
plus anlent, écrivit an comité de salut public
une leUre bouillante d'indignation, ou il attri-
bua a une trahison le contre-ordre donné aux
colonnes de l'armée de La Rochelle. Choudien
et Richard, commissaires a SaulDm', écrivirent
des réponses aussi injurieuses, et Ronsin cou-
rut allpres <in ministere et du comité de salut
public pour dénonccr les vices du plan dI"




278 RÉVOLllTION FI\AN(;AISE.
campagne. CancJaux, dit - il, faisant agir des
masses trop fortes dans la Basse-Vendée, avait
rejeté sur la Haute-Vendée toute la population
insurgée, et avait amené la défaite des colonnes
de Sanmur et d' Angers. Enfin, rendant calom-
nies pour calomnies, Ronsin répondit an re-
proche de trahison par celui d'aristocl'atie, et
dénonc;a a la fois les. deux armées de Brest et
de Mayence, comme remplies d'hommes sus-
pects et malintentionnés. Ainsi s'envenimait
toujours davantage la querelle du parti jaco-
hin cOlltre le partí qui voulait la discipline et
la gtlcl're réguliere.


L'inconcevable déroute de Menin, l'inutile
et meurtriere tentative sur Pirmasens, les dé-
faites aux Pyrénées-Orientalcs, la facheuse issue
de la nouvelIe expédition sur la Vcndée,fllrent
connues a Paris presque en meme tem ps, et y
causerent la plus funeste impression. Ces non-
velles se répandirent successivement du 18 au
25 septembre, et, suivant l'usage, la crainte
excita la violen ce. On a déja Vil que les plus
ardents agitateurs se réunissaient aux Corde-
liers, Otl ron s'imposait encore moins de ré.,.
serve qu'aux Jacohins, el qu'ils régnaient an
ministere de la gllerre sons le faible BOlleholle.
Vincent était leur chef a París, comme Ronsin
dans la Vcndée, et ils saisirent cptte occasion




co~ Vf;NTWiS NATION ALE (1 7y3). 27~}
de l'ellOllVeler leurs plaintes aeeoutumées. Pla-
eés en-dessous de la cOllvention, ils auraient
voulu écarter son autorité incommode, qu'ils
reneontraient aux al'mées dalls la personue des
représentants, et a Paris dalls le comité de sa-
tut publico Les représentants en mission He leur
laissaient pas exécuter les mesures révolution-
lJall'es él vee toute la violen ce qu'ils désiraient y
mcttre; le comité de salut publie, réglant so u-
veraincment totltes les opérations suivant des
vues plus élev€es et plus impartiales, les con-
trariait sans cesse, et iI était de tous les obs-
tacles celui qui les genait le }"}hlS; aussi leur
venait-iI SOllvent a l'esprit de fdire établir le
nouveau pouvoir exécutif, d'apres le mode
adopté par la constitution.


La mise en vigueur de la constitution, son-
vent et m6chamment demandée par les aristo-
erates, avait de grands périls. Elle exigeait de
1I0nvelles élections, remplaí,;ait la convention
par une autre assembIée, néeessairement ¡nex-
périmen tée, inCOlmue au pays, ct renfermant
toutes les factiuns a la fols. Les révullltjonnaire~
enthollsiastes, sentant ce danger, ne deman-
<laient pas le renouveUement de la représenta-
t10n nationale, mais réclamaient l'exécution de
la constitlltiun en ce qui convenait a lellrs vues.
Plaeés presq!le tous dalls les bllreaux, ils ~ou-




280 ltÉVOLU'l'ION t'UAl'l~AlSE.
laíent seulement la forma tion du ministere con s-
titutiouuel, qui devait etre indépendant du
'pouvoir législatif, et par conséquent du comité
de salut publico Vincent eut done l'audace de
faire rédiger une pétition aux Cordeliers, pour
demander l'organisation du ministere consti-
tutionnel, et le rappel des députés en mission.
L'agitation fut des plus vi ves. Legendre, ami
de Danton, et déja rangé parmi ceux dont l'é-
nergie semblait se ralentír, s'y opposa vaine-
ment, et la pétítion fut adoptée, a un article
pres, celui qlli demandait le rappel des repré-
sentants en mission. L'utilité de ces représen-
tants était si évidente, et il y avaít dan s cette
c1ause quelque chose de si personnel contre
les membres de la convention, qu'on n'osa pas
y persister. Cette pétition provoqua beaucoup
de tUll1ulte a París, et compromit séríeuse-
ment l'autoríté naissante du comité de salut
publico


Outre ces ad versaires violents, ce comité en
avait encore d'autres, parmi les lIouveaux mo-
dérés, qu'on accusait de reproduire le systeme
des girondins, et de contrarier l'énergie ré-
volutionnaire. Fortement prononcés contre les
cordeliers, les jacobins, les désorganisatellrs
des armées, ils ne cessaient de faire leurs plain-
les 'au comité, et lui reprochaíent meme de IlC




CONVENTlON NATlONALE (1793). :AH,
pas se déclarer assez fortemen t contre les anar-
chistes.


Le comité avait donc contre lui les deux nou-
veaux partis qui commelH;aient a se former. Sui-
vant l'usage, ces partís profiterent des événe-
ments malhellrellx pour l'accuser, et tous deux
d'accord ponr condamner ses opérations, les
critiqllerent chacun a sa maniere.


La déroute du 15 a Menin étaitdéja COIlllue;
les derniers revers de la Vendée commeI1<;aient
a l'etre confusément. On parlait vaguement
d'une défaite a Coron, 11 Torfon, a Montaigu.
Thuriot, qui avait refusé d't~tre membre du Co-
mité de salut public, et qu'on accusait d'etre
l'un des nouveaux modérés, s'éleva, au com-
mencement de la séance, contre les intrigants,
les désorganisatellrs, qui venaient de faire, au
sIJjet des subsistances, de nouvelles proposi-
tions extremement vIolentes. ee Nos comités et
(e le conseil exécutif, dit-il, sont harcelés, cer-
ee nés par un ramas d'intrigants qui n'affichent
(e le patriotisme que parce qu'il leur est pro-
e( dllCtif. Ouí, le temps est venu ou iI faut eh as-
« ser ces hommes de rapine et d'inccndie, qui
" croient que la révolution s'est faite pour eux,
e( tandis que l'homme probe et pur ne la sou-
(e tíent que pour le bonhellf da genre humaill.»
Les propusilions comhattues par Thuriot sont




28:2 nÉvoLuTlON }'nAN~AIs,,;.
repoussées. Rriez, l'un des commissaires cn-
voyés a Valenciennes, lit alors un mémoire cri-
tique sur ~es opérations mi litaires; iI soutient
qu'on n'a jamais fait qll'une guerre lente et peu
cOIlvenable au génie fran<;;ais, qu'on s'est tOll-
jours battu en détail, par petítes masses, et que
e'est dans ee systeme qu'il faut chercher la
cause des revers qu'on a essuyés. Ensuíte, S<lUS
attaqller ouvertement le comité de salut pu-
blie, íI parait insinuer que ce comité n'a pas
tout fait connaitre a la convention, et que,
par exemplc, il Y avait en pres de Douay uu
corps de six mille Autríchiens, qui aurait pu
etre enlevé et qui ne l'avait pas été. La COI1-
vention, apres ~voir entendu Briez, l'adjoint
an comité de sall1t publico Dans ce moment,
arrivent les llonvelJes détaillées de la Vendé e ,
cOlltenues clans une ¡eUre de l\:Iontaigll. Ces
détails alarmants excitent un élan général. ( Au
« líeu de nous intimider, s'écrie un des mem-
« bres, j urOllS de sauver la répllblique.» A ces
mots, l'assemblée entiere se leve, et jure eu-
core une foís de sauver la républiqllc, que[s
que soient les périls qni la menacent. Les mem-
bres du comité de salut public, qui n' étaient
point encore arrivés, entrent dans ce moment.
Barrere, le rapporteur ord ¡naire, prend la pa~
role. « Tout soupí,;on, dit-il, dirigé COIltre le


\




\


CONVENl'lON N ATlON ,\.LE (1793). 283
{( comité de salut public, sel'ait une victoire
« relllportée par Pitt. n ne fant pas donner a
el nos ennemis le tropgrand avantage de dé-
(e considérer nous-mémes le pouvoir chargé
« de non s sallver. »Barrere faít ensuite con-
nattre les mesures prises par le comité. c( De-
(e puis plusieurs jours, continue-l-il, le comité
«( avait líeu de soupc;onner que de graves fautes
« avaient été commises a Dunkerqup., ou ron
« aurait pu exterminer jusqll'all dernier des
« Anglais, et a Menin, ou aUClln effort n'avait
« été bit pour arreter les étranges cffets de la
« terrenr panique. Le comité a destitué Hou-
(r chard, ainsi que le général divisionnaire Hé-
« douville, qui n'a pas fait a Menin ce qu'il
« devait; et on examinera sur-Ie·champ la COIl-
« duite de ces deux généraux; le comité va
«( ensuite faire épurer tous les états-majors et
« totltes les administrations des armées; il a
« mis les fIottes sur un pied qui leur permet-
{( tra de se mesurer avec nos ellnemís; il vient
« de lever dix-huit mille hommes; il vientd'or-
« donller un nOllveau systeme d'attaque en
« masse; enfiu, c'est clans Rome meme gu'jI
« veut attaquer Rome, el cent mille hommes,
« débarquant eri AngIeterre, iront étouffer a
ce Londres le systeme de Pin. C'est done a
,e lart q!le ron a aCCIIS(~ le comité de salut




'¿8Lí IU~VULLJTION FI\Aj\I{jAISE.
« public; ji n'a pas eessé de mériter la cou-
« fiance que la cOllvention lui a jusqu'icí té-
« moignée. »


Robespierre prend alors la parole. « Depuis
« long-ternps, dit-il, on s'attache a diffamer
« la convention et le comité dépositaire de sa
« puissanee. Briez, qui aurait du mourir a Va-
« leneiennes, en est lachernent 80rtl, pour ve-
« nir a Paris servir Pitt et la coalitioll, en dé-
« considérant le gonvernement. Ce n'est pas
« a8sez, ajonte-t-il, que la convention nous
« continue sa coufiance, iI fant qn' elle le pro-
« clame solennellemeut, et qn'elle rapporte
« sa décision a l'égard de Briez, qu'elle vient
« de nons adjoindre.» Des applaudissernents
aecueilIent eette demande; on décide que
Briez ne sera pas joint an comité de salut Pll-
blie, et on déc1are pal' acdamation que ce co-
mité conserve tunte la confiance de la con-
vention nationale.


Les modérés étaieut dans la convention, et
ils venaient d'etre repoussés; maÍs les adver-
saires les plus redoutables du comité, c'est-a-
dire les révolutionnaires ardents, se trouvaient
anx Jacobins et aux Cordeliers. C'était surtollt
de ces derniers qu'il fallait se défendre. Robes-
pierre se rendit aux Jacobins, et usa de son as·
~endant sur eux : il développa la condllite du




CONVFNTION NATIONALE ~'79:-\). ?f\tJ
comité, ille j llstifia des douLles attaques des
lnodél'és et des exagél'és, et fit sentir le dan-
gel' des pétitions teudant a demander la for-
mation du ministere cOllstitlltiounel. « 11 fallt,
« dit-il, qu'Ull gouvel'nement quelconque suc-
« cede a celui que 1)0115 avons détruit : le sys-
« teme d'ol'ganiser en ce moment le ministere
f( constitutionnel n'est autre chose que celui
« de chasser la convention ellc-meme, et de
« décomposer le pouvoir en présence des ar-
« mées ennemies. Pitt peut seul etre l'auteur
« de cette idée. Ses agents l'ont propagée, ils
« Ollt séduit les patrio tes de bonne foi, et le
« people crédule et souffrant, toujours endin
« a se plaindre uu gouvernement, qui ne peut
«( remédicr a tous ses maux, est devenu l' écho
«( fideJe de leurs calomllies et de leurs propo-
« sitions. Vous, jacobins, s'écrie Robespierre,
« trap sinceres pour etre gagnés, trap éclairés
c( pour etre séduits, vous défendrez la Monta-
« gne q u' on attaq ue; vous soutiendrez le eo-
« mité de salut Pllblie qu'on veut ealomnier
« pour vous perdre, et e'est ainsi qu'avec vous
c( il triomphera de toutes les menées des en-
« nemis du peuple.»


Robespierre fut applaudi, et tout le comité
dans sa personne. Les cOl'deliers fllrent ram e-
nés ;t I'ordn~, lcllI' pétition oublíée.; et l'atta-




286 In::vOI,lTTION FflAN~~AISE.
que de Vincellt, repollssée victorieusement,
u'eut aucune conséquence.


Cependant il devenait urgent de prendre
un partí a l'égard de la nOllvelle constitution.
Céder la plaee ~ de nouveaux révolulÍonnaires,
équivoques, inconnus, probablement divisés
paree qu'ils seraient issus de toutes les fac-
tions vivantes au·dessous de la conventjoll,
était dangereux. Il fallait done déclarer a tous
les partis qU'Oll allait s'emparer du pouvoir, et
qu'avant d'abandonner la république a elle-
meme, et a l'action des lois qu'oll luí avait
données) on la gouvel'uerait révolutionnaire-
ment, jusqu'a ce qu'elle fUt sauvée. De nOffi-
breuses pétitions avaient déja engagé la con-
vention a resler a son poste. Le JO octobre,
Saillt-Just, portantlaparoleau nom du comité
de salut publie, proposa de nOllvelles mesures
de gOllvernement. Il fit le tableau le plus triste
de la I;'rance; il chargea ce tableau des som-
bres couleurs de son imagination mélancoli-
que; et, avee le secours de son grand talent,
et de faits d'ailleurs tres-v'rais, iI produisit une
espeee de terreur dalls les esprits. Il préscnta
done et fit adopter un déeret qui renfermait
les dispositions suivantes. Par le premier arti-
ele, le gOllvernement oe la Franee était dé-
cIaré révolutionnail'c jusqu'a ]a paix; ee qlli




CONvrNTIO N N ATION A TF (o 1793). 287
signifiait que la constitutioIl était momentané-
ment suspendue, et qu'une dictature extraor-
di naire était instituée jusqu'a l'expiration de
tous les dangers. Cette dictature était conférée
a la convention et au comité de salllt public.
« l,e conseil exécutif, disait le décret, les mi-
« nistres, les généraux, les corps constitués,
« sont placés sous la sllrveillance dn comité
« de salut public , qui en rendra compte tOtlS
« les huit jours a la convention. )J Nous avolls
déja expliqué comment la surveillance se chan-
geait en autorité supreme, parce que les mi-o
llistres, les généraux, les fonctionllaires, obli-
gés de soumettl'e leurs opérations au comité,
avaient flni par ne plus oser agir de leur pro-
pre mouvement, et par attendre tous les or-
clres du comité lui-meme. On disait ensuite :
« I,es Iois révolutionnaires doivent etre exécu-
« técs rapidement. L'inertic dll gOllvernement
« étant la cause des revers, les délais pour
« l'cxéclltion de ces lois seront fixés. La viola-
« tion des délais sera punie comme un attentat
« a la liberté.)) Des mesures sur les subsis-
tances étaient ajoutées a ces mesures de gOll-
vernement, cal' le pain est le droit du peuple,
avait rlit Saint - Just. Le tablean général des
slIbsistances, définitivement achevé, devait
etre cnvoyé a tOlltes If>s autorités. Le néces-




288 JU1VOLlITWN l'HAN(,:AISI:.
sairc des départements devait etre approxima-
tivemcnt évalué, et garanti; quant au superflu
de chacun d'eux, il était soumis aux réquisi-
tions, soit pour les armées, soit pour les pro-
vinces quí n'avaient pas le nécessaire. Ces ré·
quisitionsétaient réglées par une commission
des subsistallces. Paris devait etl"e comme
une place de guerre approvisionnée pour un
an, a l'époque du lcr mars suivant. Enfin,
on décrétait qu'il serait institué un tribunal,
pour vérifier la conduite et la fortune de
tous ceux qui avaient manié les deníers pn-
hlics.


Par cette grande et importante déclaratioll,
le gouvernement, composé du comité de salut
public, du comité de sureté générale, du tri-
bunal extraordinatrc, se trouvait com plété et
maintenu pendant la durée du dallger. C'était
déclarer la révolution en état de siége, et luí
appliquer les lois extraordinaires de cet état,
pendant tout le temps qu'il durerait. On ajouta
a ce gouvernement extraordinaire diverses ins,·
titutions réclamées depuis long-temps, et de-
venues inévitables. On demandait une armée
révolutionnaire, c' est-a-dire une force chargée
spécialement de faire exécuter les ordres du
gouvernement dans l'intérieur. Elle était fli'-
crétée depuis long-temps; elle fut cnfin orga-




CONVENTION NATlON ALF. (1793). 289
nisée par un nouveau décret". On la composa
de six mille hommes et de douze cents canon-
lliers. Elle devait se déplacer, et se rendre de
Paris dans les vitles ou sa présence serait né-
cessaire, et y demeurer en garllison allX dé-
pens des habitants les plus riches. Les corde-
liers en voulaÍent ulle par département; mais
on s'y opposa, en disant que ce serait revenir
au fédéralisme que de donner achaque dé-
partement une force individueIJe. Les memes
cordeliers demandaient en outre qu'on flt sui-
vre les détachemellts de l'armée révolution-
naire d'une guillotine portée sur des roues.
Toutes les iMes surgissent dan s l'esprit du
peuple quand iI se donne carriere. La con ven-
tion repoussa toutes ces demandes, el s'en
tÍnt a son décret. Bouchotte, chargé de com-
poser cette armée, la recruta dans tout ce que
París renfermait de gens sans aveu, et prets a
se faire les satellites du pouvoir dominant. Il
remplit l' état-major de jacobins, mais surtout
de cordeliers; iI arracha Ronsill a la Vendée
et a Rossignol, pour le mettre a la tete de cette
armée révolutionuaire. Il soumit la liste de
cet 'état-major aux jacobins, et fit subir a cha-
que officier l'épreuve du scrutin. Auclln d'enx,


• J)u 3 septemhre.
\ .




290 nÉvoLuTION FRAN~A.IS .. :.
en effet, ne fnt confirmé par le ministre sans
avoir été approuvé par la société.


A l'institution de l'armée révollltionnaire, on
ajouta enfií:l la loi des suspects, si souv~nt de-
mandée, et résolue en principe le meme jour
que la levée en masse. Le tribunal extraordi-
naire, quoique orgaoisé de maniere a frapper
sur de simples probabilités ,ne rassurait pas
assez l'imagination révollltionnaire. On souhai-
tait pouvoir enfermer ceux qu'on ne pourrait
pas envoyer a la mort, et on demandait des
dispositions qui permissent de s'assurer de
leurs personnes. Le décret qni mettait les aris-
tocrates hors la ]oi était trop vague, et exi-
geait un j ugement. On voulait que, sur la sim-
ple dénonciation des comités révolutionnaires,
un individu décIaré slIspect put etre sur -le-
champ jeté en prison .00 décréta, en effet, 1'ar-
restation provisoire, jusqu'a la paix, de tous
les individus suspects'f. Étaient considérés
eomme tels : 10 ceux qui, soit par leur con-
duite, soit par leurs relations, soit par leurs
pro pos ou leurs écrits, s' étaient montrés par-
tisans de la tyrannie, du fédéralisme, et en-
nemis de la liberté; '),0 ceux quine pourraient


* Ce décret célebre fut rendu le 17 scptcmbre. Il est
connu satis le nom di' toi des suspecls.




CONvt:NTION N A TION ALE (1 7~3). 29 i
pas justifier, de la maniere prescrite par la loi
du 20 mars dernier, de leurs moyens d'exister,
et de l'acquit de leurs devoirs civiques; 30 ceux
a qui il avait été refusé des certificats de ci-
visme; 4° les fonctionnaires pnblics suspendus
ou destitués de leurs fonctions par la conven-
tion nationale et par ses commissaires; 5° les
ci-devant nobles, les maris, femmes, peres,
meres, fils ou filIes, freres OH sreurs, et agents
d'émigrés, quí n'avaient pas constamment
manifesté leur attachement a la révolution;
6° ceux qui avaient émigré dans l'intervalle
du ) er juillet J 789 a la publication dé la loi du
8 avril 1792, quoiqu'ils fussent rentrés en
France dans les délais déterminés.


Les détenus devaient etre enfermés dans les
maisons nationales, et gardés a leurs frais. On
leur accordait la faculté de transporter dans ces
maisons les meubles dont iIs auraient besoin.
Les comités chargés de prononcer l'arrestation
ne le pouvaient qu'a la majorité, et a la charge
d'envoyer au comité de sureté générale la liste
des suspects et les motifs de chaque arresta-
tiOIl. Leurs fonctions étant des cet instant fort
difficiles et presque cOiltinues, devinreni pOBI'
les tnembres une espece .de profession qu'il
fallut solder. Ils re<;urent des-Iol's un traite-
ment il titre d'indemnitp.




292 RÉVOLUTION FRANC;:AISE.


A ces dispositions, sur l'instante demande
de la commune de París, il en fut ajouté une
derniere qlli rendait cette 10i des suspects en-
core plus redoutable: ce fut la révocation du
décret qui défendait les visites domiciliaires
pendant la nuit. Des cet instant, chaque citoyen
poursuivi fut menacé a toute heure, et n'ent
plus ancun moment de reposo En s'enfermant
pendant le jour dans des caches ingénieuses et
tres-étroites que le besoin avait fait imaginer,
les suspects avaient dll moins la faculté de res·
pirer pendant la nuit; maintenant ils ne le
pouvaient plus, et les arrestations, multipliées
jonr et nuit, remplirent bientot tontes les pri-
son s de la l<~rance.


Les assemblées de section se tenaient chaqne
jour; mais les gens du peuple n'avaient pas le
temps de s'y remire, et en leur absence les
motions révolutionnaires n'étaient plus sou-
tenues. OIi décida, sur la proposition expresse
des jacobins et de la commune, que ces as-
semblées n'auraient plus lien que deux fois par
semaine, et que chaque citoyen qui viendrait
y assister recevrait quarante sons par séance.
C'était le moyen le plus assuré d'avoir le peu-
pIe, en ne le réunissant pas trop souvent, et
en payant sa présence. Les révolutionnail'es
ardents furent irritps df" ce qu'on mettait des




CONVl:NTJON NATIONALJ<: (1793). 293
bornes a leur úle, en limitant él deux par se-
maine, les séanees des seetions. Ils firent done
une pétition fort vive pour se plaindre de ce
qu'on portait atteinte aux droits du souverain,
en l'empechant de se réunir toules les fois
qu'il luí plaisait. e'est le jeune Varlet qui fut
l'auteur de cette nouvelle pétition; mais on la
repoussa, et on n' en tin t pas plus de compte
que de beaucoup d'autres demandes inspirées
pa.' la fermentation révolutionnaire.


Ainsi, la maehine était complete .sons les
deux rapports les plus importants dans un état
menacé, la guerre et la police. Dans la conven-
tion, un comité dirigeait les opérations mili-
taires, choisissait les généraux et les agents de
toute espece, el pouvait, par le décret de la
réquisitioll permanente, disposer a la fois des
hommes et des choses. II faisait tout cela, ou
par lui-meme, 011 par les représentallts envoyés
en mission. Sous ce comité, le comité, dit de
sureté générale, avait la direction de la haute
poli ce , et se servait pour sa snrveillance des
comités révolutionnaires institués dans chaque
commune. Les individlls légerement soup<;on-
nés d'hostilité, ou meme d'indifférence, étaient
enfermés; d'autres, plus gravement compro-
w,.\.~) ¿t.~\,~Q.t (t<.\.'l1\l~~ 9<.\.c le tri:hunal extraordi-
naire, mais hellreusemeut encore en petit




294 ll.ÉVOLUTION FRAN~AISE.
nombre, car ce tribunal ll'avait prononeé jus-
qu'alors que peu de condamnations. Une armée
spéciale, véritable colonne mobile ou gendar-
merie de ce régime, faisait exécuter les ordres
du gouvernement, et enfin l~ peuple, payé
pour se rendre dans les seetions, était toujours
prth a le soutenir. Ainsi, guerre et police, tout
aboutissait au comité de salut publico Maitre
absolu, ayant le moyen de requérir toutes les
richesses, pouvant envoyer les citoyens ou sur
les champs de bataille, ou a l'échafaud, ou dans
les cachots, il était investi, pour la défense
de la révolution, d'une dicta tu re souveraine et
terrible. A la vérité il lui fallait, tous les huit
jours, rendre compte a la convention de ses
travaux; mais ce compte était toujours ap-
prouvé, car l' opinion critique ne s' exer\ait
qu'aux Jacobins, dont iI était maltre depuis que
Robespierre' en faisaít partíe. U n'y avait en
opposition a cette puissance que les modérés,
restés en deC;;a, et les nouveaux exagérés, por-
tés au dela, mais peu a craindre les uns et les
autres.


On a vu que déja Robespierre et Carnot
avaient été attachés au comité de salut public,
en rem placement de Gasparin et de Thuriot,
tous deux malades. Robespierre y avait apporté
sa puissante inHuence, et Carnot sa science mi·




CUNVENTJON NATlONALE (1793). 295
litaire. La convention voulut adjoindre a Ro-
bespierre Danton, son colleglle et son rival en
renommée; mais cellli-ci, fatigué de travaux,
peu propre a des détails d'administration, dé-
gouté d'ailleurs par les calomnies des partis,
ue voulait plus etre d'aucun comité. n avait
déjit bien assez fait pour la révolution; iI avait
soutenu les eourages dans tous les jours de
danger; jI avalt fourni la premiere idée du tri-
bunal révolutionnaire, de l'armée révolution-
naire, de la réquisition permanente, de l'impbt
sur les fiches, et des quarante sous alloués
par séance aux membres des seetions; il était
l'auteur enfin de totites les mesm'es qui, de-
venues eruelles par l'exéeution, donnaj~nt
néanmoins a la révolution c.ette énergie qui la
sauva. A eette époque, Danton commen~ait a
n'etre plus aussi nécessaire, car depuis la pre-
miere invasioll des Prussiens on s'était fait du
danger une espece d'habitude. Les vengeances
qui se préparaient contre les girondins lui ré-
pugnaient; il venait d'épouser une jeune femme
dont il était épris, et qu'il avait dotée avec l'or
de la Belgique , an dire de ses enn~mis, et sui-
vant ses amis, avec le remboursement de sa
charge d'avocat au conseil; i1 était atteint,
comme Mirabeau, comme Marat, d'une mal~­
dje iuflammatoire; enfin il avait hes,oiu de re-




296 R:ÉVOLUTION I'RAN<,;AISE.
pos, et iI demanda un congé pour aller a Arcis·
sur·Aube, sa patrie, jouir de la nature, qu'il
aimait passionnément. On lui avait conseillé
cette retraite momentanée comme un moyen
de meUre fin aux ca]omnies. La victoire de la
révolution pouvait désormais s'achever sans
lui; deux meisde guerre et d'énergie suffisaient,
et il se proposait de I'evenir, apres la victoire,
faire entendre sa- voix puissante en faveur des
vaincus et d'un ordre de choses meiUenr. Vaíne
iUusion de la paresse et du découragement 1
Abandonner pOtil' deux mois, pour un seul,
une révolution si rapicle, c'était deveAir pour
eHe étranger et impuissant.


Danton refusa done d'entrer au comité de
salut publie, et obtint un congé. Billaud· Va-
rennes, Collot-d'Herbois, furent joints au co-
mité, et y apporterent, ,'un son caractere {roid
et implacable, el l'autre sa fougue et son in-
fluence sur les turbulents cordeliers. Le comité
de sureté générale fut réformé. De díx-huit
membres on. le r€duisit a neuf, reconllUS les.
plus séveres.


Tandis que le gouvernement s' organisait ainsi
de la maniere la plus forte, un redoublemenl;
d'énergie se manifestait dans toutes les réso-
lutions. Les gran-des mesures prises ::tu mois
d'aout n'avaient pas encore prodllit leur~ ré-.




CONVENTION N,u!ONALE (1793). 297
sultats. La Vendée, quoique attaquée sllivant
un plan régulier, avait résisté; l'échec de Menin
avait presque faít perdre les avantages de la
victoire d'Hondtschoote; il fallait de nouveaux
efforts. L'enthousiasme révolutionnaire inspira
eeUe idée, que la volonté avait, a la guerre
eomme partout, une influenee décisive, et, poul'
la premiel'e foís, i1 fut enjoint a une armée de
vaincre dans un temps donné.


On voyait tous les dangers de la l'épublique
dans la Vendée. (e Détruisez la Vendée, avait dit
« Barrel'e, Valenciennes et Condé ne seront
« plus au pouvoir de l'Aulrichien. Détl'uisez la
« Vendée, l'Anglais ne s'oeeupera plus de Dun-
({ kerque. Détruisez la Vendée, le Rhill sera
ee délivré des Prussiens. Détruisez la Vendée,
(e l'Espagne se yerra hareeléc, conguise par les
« méridionaux, joints aux soIdats victorieux de
« Mortagne et de Cholet. Détruisez la Vendée,
c( et une partie de eette armée de l'intérieur va
,( l'enforcer cette courageuse armée du Nol'd,
(e si souvent trahie, si souvent désorganisée.
« Détruisez la Vendée, Lyon ne l'ésistera plus,
« Touloll s'insurgera contre les Espagnols et les
« Anglais, et l'esprit de Mal'sei.lle se relevera a
« la hauleur de la révolution républicaine. En-
(e fin, chaque coup que vous porterez a la
« Venoée retentíra oans les vil les rebelles, dans




2g8 llÉVOLUTlON .FRAN~AISJ<:.
« les départements fédéralistes, sur les fron~
(( tieres envahies! ... La Vendée et encore la
(e Vendée L .. C'est la qu'il faut frapper, d'ici au
({ 20 octobre, avant l'hiver, avant l'impratica~
« bilité des routes, avant que les brigands
« trouvent l'impunité dans le climat et dans la
f( salson.


«Le comité, d'un coup d'reil vaste et rapide,
« a vu dans ce peu de paroles tous les v ices de
« la Vendée:


« Trop de représentants;
« Tropde division morale;
« Trop de divisions militaires;
« Trop d'indiscipline dans les sueces;
l' Trop de faux rapports dans le récit des


{( événements;
« Trop d'avjdité, trop d'amo.ur de l'argent


« dan s une partie des chefs et des administra-
« teurs.»


A la suite de cet exposé, la convention re-
duísít le nombre des représentants en mission,
réunit les deux armées de Rrest et de La Ro-
chelle en une seule, dite armée de rOuest, et
en dOBna le commandement, non a Rossignol,
non a Canc1aux, mais a Léchelle, général de
hrigade dans la division de Lu~on. Enfin, elle
détermina le jour auquella guerre de la Vendée
devrait etre finie, et ce jour élait le 20 octo-




CONVENTION NATlON ALE (1793). 299
breo Voiei la proclamation qui aeeompaglJait le
déeret"" :


LA CONVENTION NATIONALE A L'ARlHÉE DE L'OUEST.


« Soldats de la liberté, il fant que les bri-
« gands de la Vendée soient exterminés avant la
« fin du mois d'oetobre! Le salut de la patrie
« l'exige; l'impatienee du peuple fran<;;ais le
« eommande; son conrage doit l'aceomplir. La
« reeonnaissanee nationale attend a eette épo-
« que tous ceux dont la valeur et le patriotism'e
« auront affermi sans retour la liberté et la ré-
« publique. ))


Des mesures non moins promptes et non
moins énergiques furent prises a l'égard de
l' armée du N ord, pour réparer l' éehee de Me-
nin, et déeider de nouveaux sueces. Houehard
destitué fut arre té. Le général Jourda-n, qui
avait eommandé le centre a Hondtsehoote, fut
Ilornmé général en chef de l'armée du Nord et
de eeHe des Ardennes. Il eut ordre de réunir
a Guise des masses eonsidérables pour faire
une irruption sur l'ennemi. Il n'y avait qu'un
cri contre les attaques de détail. Sans juger le
plan ni les opérations de Houchard autour de
Dunkerque, on disait qu'il ne s'était pas battu


.. Décret dll ler octohre.




300 RÉVOLUTION FRANt;:AISJ.:.


enmasse, et on vou]ait exclusivementce genre
de combat! mieux approprié, disait-on , a l'im-
pétuosité du caractere franc;ais. Carnot était
parti pour se rendre a Guise aupres de Jour-
dan, et mettre a exécution un nouveau systeme
de guerre tout révoIutiollnaire. On venait d'ad-
joindre trois nouveaux commissaires a DuboÍs-
Crancé, pour faire des levées en masse , el les
précipiter sur Lyon. On lui enjoignait de re-
lloncer au systeme des attaques méthodiqlles,
et de donner l'assallt a la ville rebelle. Ainsi
partout on redoubIait d'efforts pour terminer
victorieuscment la campaglle.


Mais les rigueurs accompagnaient toujours
l'énergie; le proces de Custine, trop différé au
gré des jacobins, était en fin commencé, et
conduit avec toute la violen ce et la barbarie
des nouvelles formes judiciaires. Aucun géllé-
ral en chef n'avait encore paru sur l'échafaud;
on était impatient de frapper une tete élevée,
et de faire fléchir le1\ chefs des armées devant
l'autorité populaire; 011 voulait surtout que
quelqu'un des généraux expiat la défection
de Dumouriez, et ron choisit Custine, que ses
opinions et ses sentiments faisaient considérer
comme un autre Dumouriez. On avait saisi,
pour arreter Custine, le moment ou, chal'gé
du commandement de l'armée du NOl'd, iI était




C.O~VF.NTION NATIONAU: (1793). 301
venu momentanément a París concerter ses opé-
rations avec le ministere. On le jeta d'abord
en ptison, et bientot on demanda et on obtint
le décret de sa translation au tribunal révo-
llltionnaire.


Qu'on se 1';¡ppelle la campaglle de Custine
Sl1r le Rhin. Chargé d'une division de l'armée,
jI avait trouvé Spire et Wo1'ms mal sllrveillés,
paree que les eoalisés, pressés de marcher sur
la Champagne, avaient to~lt négligé sur leurs
ailes et sur leurs derrieres. Des patriotes alle-
mands, aceollrus de tous cotés, lui offraient
leurs villes; il s'avan~a, prit Spire, Worms,
qu'on lui livra, négligea Manheim, qui était
sur sa route, par ménagement pour la neu-
tralité de l'électeur palatín, et par crainte aussi
de ne pas y entrer aísément. Il arriva en fin a
Mayence, s'en empara, réjouit la :France de ses
conquetes inattendues, et se 6t conférer un
commandement qui le rendait indépendant de
Biron. Dans ce meme moment, Dumouriez
venait de repousser les Prussiens, et de les
rejeter sur le Rhin. Kellermann était vers Tre-
ves. Cllstine devait alo1's descendre le Rhin
jnsqn'a Coblentz, se réunir a Kellermann, el
se rendre ainsi maitre de la rive dn fleuve.
TOlltes les raisons se réunissaient en faveur de
ce plan. Les habitants de Coblentz appelaient




302 nÉvoLuTION FRAN<;:AlSE.
Custine, ceux de Saint-Goard, de Rhinfelds,
l'appelaient aussi; on ne sait jusqu'ou il aurait
pu aller en s'abandonnant au cours du Rhin.
Peut-etre aurait-il pu descendre jusqu'en lIol-
lande. Mais, de l'intérieur de I'Allemagne, d'au-
tres patriotes le demandaient aussi; on s'était
figuré, en le voyant avancer si hardiment, qll'il
avait cent mille honunes. Percer sur le terri-
toire ennemi et au-deH .. du Rhin plut davan-
tage a l'imagination et a la vanité de Custine.
Il courut a Francfort lever des contributions,
et exercer des vexations impolitiques. La, les
sollicitations l'entourerent de nouvcau. Des
fous le pressaient d'aller jusques a Cassel, au
milieu de la Hesse électorale, prendre le trésor
de l'électeur. Les avis plus sages du gouvel'-
nement fraru;ais l'engageaient a revenir sur lt>
Rhin, et a marcher vers Coblentz. Mais il
n'écoutait rien, et revaít une révolution en·
Allemagne.


Cependant Custine sentait le danger de sa
position : voyant bien que, si l'électeur rom-
paít la neutralité, ses derrieres seraient mena-
cés par Manheim, il allrait voulu prendre cette
place qll'on lui offrait , mais iI ne l'osait paso
Sur le point d'étre attaqué a Francfort, oú ji
ne pouvait tenir, il ne voulait pas abandonnel'
cette vine, et n~ntrer su!' la ligue du Hhin, pOllI'




CONVENTION NATION.\LE (1793). 303
11e point aban<lonner ses prétendues conqlH~tes,
et ne pas s'engager clans les opérations des
autres chefs en descendant vers Coblentz. Dans
ecUe situation, il fut sllrpris par les Prussiens,
perdit Francfort, fut rejeté sur Mayence, resta
Íncertain s'il garderait cette place ou non, )
jeta quelque artillerie prise a Strasbourg, n\
donIla que tres-tard l'ordre de l'appmvision-
ner, fut encore une foÍs surpris au milieu de
ces incertitudes par les Prussiens, s' éloigna de
Mayence, et saisi de terreur, se croyant pOUl'-
suivi par cent cinquante mille hommes, se re-
tira clans la Haute-Alsace, presque sous le canon
de Strasbourg. Placé sur le Haut-Rhin avec une
armée assez considérable, il aurait pu marcher
sur Mayence, et mettre les assíégeants entre
deux feux, mais il ne rosa jamais; enfin, hon-
teux de son inactioIl, il livra une attaque mal-
heureuse le 15 maí, fu t battu, et se rendít a
regret a l'armée du Nord, ou il acheva de se
perdre par des pro pos modérés et par un con-
seil tres-sage, celui de laisser l'armée se réor-
ganiser dans le camp de César, an lieu de la
faire battre inutilement pour secourir Valen-
ctennes.


Telle fut la carriere de Cnstine. Il y avaít la
beancollp de fantes, mais pas une trahison. On
commen<;a son proces, et on appela, pOllr dé-




304 RÉVOLUTION }'HAN9AISE.
poser, des représentants ellvoyés en mission, des
agents du pouvoir exécutif, ennemis opiniatres
des générallx, des officiers mécontents, des
membres des clubs de Strasbourg, de Mayeuce
et de Cambray , enfin le terrible Vincent, tyran
des bureaux de la guerre sous BOllchotte. C'é-
tait une cohue d'accusateurs accllmulant des
reproches illjustes et contradictoires, des re-
proches tout-a-fait étrangers a une vérítable
critique militaire, mais fondés sur des mal-
heurs accidentels, dont le général n' était pas
coupable, et qu'on ne pouvait pas lui imputer.
Custine répondait avec une certaine véhé-
mence militaire a toutes ces accusations, mais.
il était accablé. Des jacobins de Strasbollrg lui
disaient qu'il n'avait pas voulu prelldre les
gorges dll POI'entruy, lorsque I~uc1mer luí en
donnait l'orcll'e; et iI pl'ouvait inutilement que
c'était impossible. Un Allemalld lui reprochait
de n'avoir pas pris Manheim, qn'il lui offrait.
Custine s' excusait en alléguant la neutralité
de l'élecleur et les difíicultés du projet. Les
habitants de Coblentz, de Rhinfelds, de Darm-
stadt, de Hanau, de foutes les villes qui avaient
voulu se Iivrer a lui, et qu'il n'avaít pas consentí
a occuper, l'accllsaient a la foís. Quant au refus
de marcher sur Coblentz, iI se défclldait mal,
et caIomniait Kellermann, qui, disait-il, avait




CONVI,NTION N ATlONALE (1793). 305
refusé de le seconder; quant au refus de pren-
dre les autres places, iI disait avec raison que
toutes les imaginations allemandes l'appelaient,
et qu'illui aurait fallu, pour les satisfair'e, oc·
cuper cent licues de pays. Par une contradic-
tion singuliere, tandis qu'on le blamait de n'a-
voir pas pris telle viII e , ou fait contribuer telle
autre, on lui faisait un crime d'avoir prís
Francfort, d'y avoir pillé les habitants, de n'y
avoir pas fait les dispositions nécessaires pour
résister aux Prussiens, et d'y avoir exposé la
garnison fl'an.,;aise a etl'e massacl'ée. Le brave
Merlin de Thiollville, l'un de ceux qui dépo-
saient contre lui, le justifiait sur ce point avec
antant de loyauté que de raison. Eut-il laissé
vingt mille hommes a Francfort, il n'auraitpas
pu y tenir, disait Merlin; iI aurait du se retiret
a Mayence, et S011 seul tort était de ne l'avoil'
pas fait assez tot. Mais a Mayence, ajoutaient
une fonle d'autres témoins, iI n'avait fait aucnn
des préparatifs nécessaires; il n'avait amassé
ni vivres, ni munitions; il n'y avait amoncelé
que l'al'tillerie dont il avait dépouillé Stras~
bourg, pour la livrer aux Prussiens, avec vingt
mille hommes de garnison et deux députés.
Cnstine prouvait qu'il avait donné les ordres
poul' les approvisionnements; que l'artillerie
étaÍl a peine suffisante, et qu'elle n'avait pas


v. ?O




306 RÉVOLUTION FR AN(,tA.rsE.
été ¡nuti/ement accumulée pour etre livrée.
Merlin appuyait toutes les assertioIlS de Cus-
tine; mais ce qu'il ne luí pardonnaít pas, c'é-
tait sa retraite si pusillanime, et son inaction
sur le Haut-Rhin, pendant que la garnison de
Mayence faisait des prodiges. Custine ici res-
tait sans réponse. On lui reprochait ensuite
d'avoir brúlé les magasins de Spire, en se re-
tirant; reproche absurde, ear la retraite une
fois obIigée, iI vaIait mieux brt1ler les magasins
que de les laisser a l'ennemi. On l'accusait
d'avoir fait fusíller des volontaires aSpire pour
cause de pillage: a quoi il répondait que la con-
ventioll avait approuvé sa conduite. On l'ae-
cusait encore d'avoir particulierement épargné
les Prussiens, d'avoir volontairemellt exposé
son armée a etre battue le 15 mai, de s'etre
tardivement rendu dans son commandement
du Nord, d'avoir tenté de dégarnir Lille de son
artillerie, ponr la porter au camp de César,
d'avoir empeché qu'on secourntValenciennes,
de n'avoir pas opposé d'obstacle au débarque-
ment des Anglais; accusations toures plus ab-
surdes les unes que les autres.-«Enfin, lui disait-
on, vous avez plaint Louis XVI, vous avez été
triste le 3 T mai, vous avez voulu faire pendre
le docteur Hoffmann, président des jacobins a
Mayence, vous avez empeché la distribution




CONVENTION NATIONA.LE lJ79:i). :"107
du journal du Pe re Duchesne et du journal
de la Montagne dans votre armée, vous avez
dit que Marat et Robespierre étaíent des per-
turbateurs, vous vous t'\tes entouré d' officiers
aristocrates, vous n'avez jamais eu a ,:"otre
table de bons républicains.)) Ces reproches
étaient morteIs, et c'étaient les véritables griefs
pour lesquels on le poursuivait.


Le pro ces traina en longueur; toutes les
imputations étaient si vagues, que le tribunal
hésitait. La fille de Custine, et beaucoup de
personnes qui s'intéressaient a lui, avaient fait
quelques démarches; cal', a cette époque , bien
que la crainte fut déja grande, on osait témoi-
gner encore quelque intéret aux victímes.
Aussitot on dénonc;;a aux Jacobins le tribunal
révolutionnaire llli-meme. (( JI m'esl doulou-
« reux, dit Hébert aux Jacobins, d'avoir a dé-
« noncer une autorité qui était l'espoir' des
« patriotes, qui d'abord avait mérité lenr con-
« fiance, et qui bientot en va devenir le fléau.
,( Le tribunal révolutionnaire est sur le point
t( d'innocenter un scélérat, en faveur duquel ,
« il est vrai, les plus jolies femmes de París
« sollicitent toute la terreo La filie de Custine,
« anssi habile comédienne dans eette ville, que
« l'était son pere a la tete des armées, voit
l( tout le monde et promet tout pOllr ohten!!'




30H IU::VOLUTION FH AN<;AI:m.
({ sa grace. » Robespierre, de son coté, dénon<;a
l'esprit de chicane et le gout des formalités
qui s'était emparé du tribunal, et soutint que,
seulement pour avoir voulu dégarnir Lille,
Custine méritait la mort.


Vincent, l'un des témoins, avait v¡dé les
cartons du ministere, et avait apporté les let-
tres et les ordres qu' on reprochait a Custine,
et qui, certes, ne constituaient pas des cI'imes.
Fouquier-Tinville en conclut un paralh~le de
Custine avec Dumouriez, qui perdít le mal-
heureux général. Dumouriez , dit-il, s'était ra-
piuement avancé en Belgiqlle, pour l'abandon-
ner ensuite non moins rapidement, et livrer a
l' ennemi, soldats, magasins et représentants.
De meme Custine s'était rapiclement avancé
en AlIemagne, avait abandonllé nos soldats a
Francfort, a Mayence, et avait voulu livrer
avec cette derniere ville, vingt mille hommes,
deux représentants, et tonte notre artillerie
qu'il avait méchamment extraite de Strasbourg.
Comme Dllmouriez, iI médisait de la conven-
tion et des jacobins, et f"isait fusiller les bra-
ves volontaires, sons prétexte de rnaintenír la
discipline. A ce parallele, le tribunal n'hésita
plus. Custine justifia pendant deux heures ses
opérations mílitaires. TroIl<,;on-Ducoudray dé-
fendit sa cÓllduite administrative et civile,




CONVENTION NATIONALE (1793). 309
mais inntilement. Le tribunal déclara le géné-
ral coupable, a la grande joie des jacobins et
des cordeliers, qui remplissaient la salle, et
qui donnerent des signes bruyants de leur sa-
tisfaction. Cependant Custine n'avait pas été
condamné a l'nnanimité. Sur les trois ques-
tÍons, íl y avait eu successivement contre lui
dix, neuf, huit voix, sur onze. Le président
lui ayant demandé s'il n'avait rien a ajouter,
il regarda autonr de lui, et ne trouvant pas
ses défensenrs, il répondit: (de ll'ai pI us ele dé-
fenseurs, je meurs calme et innocent. »


Il fut exécuté le lendemain matin. Ce gncl'-
rier, connn par une grande bravollre, fut sur-
pris a la vue de l'échafand. Cependant il s'a-
genouilla au pied de l'échelle, fit une courte
priere, se raSSllra, et re<{ut la mort avec COll-
rage. AillSi finit cet infortuné général, qlli ue
manquait ni d'esprit ni de caractere, mais qui
réunissait l'inconséquellce a la présomption,
el qui commit trois fantes capitales: la pre-
miere, de sortir de sa véritable ligne d'opéra-
tion, en se portant a Francfort ; la seconde, de
ne pas vonloir y rentrer, lOl'squ'on l'y enga-
geaitj et la troisiemc, de rester dans la plus timidc
inaction pendant le siége de Mayence. Cepen-
dant aucnne de ces fmItes ne méritait la lllort ;
mais il subit le supplicc qU'OIl n'avnit pas pu




310 lU<:VOLUTION I'RANYAISt:.


infliger a Dllmouriez, et qu'i 1 n'avait pas mé-
rité comme celui~ci par de grands et coupables
projets. Sa mort fut un terrible exemple pour
ious les généraux, et le signal pour eux d'une
obéissance absolue aux ordres du gouverne-
ment révolutionnaire.


Apres cet acte de rigueur, les exécutions ne
devaient plus s'arreter; on renouvela l'ordre
de hater le prod~s de Marie-Antoinette. L'acte
d'accusation (~es girondins tant demandé, et
jamais rédigé, fut présenté a la convention.
Saint-Just en était l'auteur. Des pétitions des
jacobins vinrent obliger la convention a l'a-
dopter. Il fut dirigé non-seulement contre les
vingt - deux et les membres de la commission
des douze, mais en outre contre soixante-treize
membres du eoté droit, qui gardaient un si-
lence absolu depuis la vÍctoire de la :Monta-
gne , et qlli avaient rédigé une protestation
tres-connne contre les événements du :1 1 mai
et dll 2 juin. Qllelques montagnards forcenés
voulaient l'accusation, c'est-~I·dire la mort, con-
tre les vingt-dellx, les douze et les soixante-
treize; mais Robespierre s'y opposa, et pro-
posa un moyen terme, ce fut d' envoyer au
tribunal révolutionnaire les vingt-deux et les
douze, et de mettre les soixante-treize en ar-
restation. On 6t ce qll'il voulut; les portf's de




CONVENTION NATrONALE (1793). 3.1
la salle furent aussitot interdites , les soixante-
treize arretés, et injonction faite a Fouquier-
Tinville de s'emparer des malheureux giron-
dins. Aínsi la convention toujours plus docile,
se laissa arracher l'ordre d'envoyer a la mort
une partie de ses collegues. A la vérité, elle ne
pouvait plus différer, car les jacobins avaient
[aít cinq pétitions plus impérieuses les unes
que les autres, pour obtenir ces derniers dé·
crets d'accusation.


--__ .. Q-G-O-~---




I
I




CONVENTION NATlONUE (1793). 313


CHAPITRE V.


ConLÍnuatÍon du siége de Lyon. Pl'ise de cetle ville, Décrcl.
terrible eOlltre [es Lyolluais révoltés. - Progres de
l'art de la gnerre; inflllence de Carnot. - Victoire de
Watignies. Déblocus de Maubeuge. - Repl'isc des opé-
rations en Vendée. Victoire de Chollet. Fuile et dis-
persion des Vendéens au-dela ue la Loire. Morl de la
pluparl de leurs principaux chefs. - Échcc sur k
Rhin. Pcde des liglH's de Wissembourg ..


CHAQUE revers réveillait l'énergie révolution-
naire, et eette énergie ramenait les sucees. 11
en avait toujours été ainsi pendant eette cam-
pagne mémorabJe. Depuis la défaite de Ner-
winde jusqu'au mois d'aoút, une série conti·
Huelle de désastres avait enfin provoqué des
('fforts désespérés. L'anéantissement du fédé-
l'alisme, la défense de Nantes, la victoirc
d'Hondlschoote, 11:' dt'·hloctls de Dunl\prqllt'.




3 J 4 RÉVOLUTH)J'Y }'RAN\,AJSE.
avaient été le résultat de ces efforts. De nou-
veaux revers a Menin, a Pirmasens, anx Py-
rénées, a Torfou et Coron dans la V endée,
venaient d'exeiter un nouveau redonblement
d'énergie, qui devait amener des sucd~s déci-
sífs sur tons les théatres de la guerreo


I.le siége de Lyon était, de toutes les opé-
1'ations, ceHe dont on attendait la fin avec le
plus d'impatience. Nous avons laissé Dubois-
Craneé campé devant eette ville, avec einq
mille hommes de troupes réglées, et sept a
huit mille réquisitionnaires. Il étaitmenaeé d'a-
voir¡ bientOt sur ses derrieres les Sardes que la
faible arméedes Grandes-Alpes ne pouvait plw,
arreter. Comme nous avons déja dit, iI s'était
placé au nord, entre la Saone et le Rhone ,en
présenee des redoutes de la Croix-Rousse, et
non sur les hauteurs de Sainte-Foy et de Four-
vieres, situées a rouest, et par lesquelIes on
aurait dli diriger la véritable attaque. Le motif
de cette préférenee était fondé sur plus d'unl:'
raison. Il importait avant tout de rester en
eommunieation ave e la frontiere des Alpes, ou
se trouvait le gros de l'armée républicaine, et
d'ou les Piémontais pouvaient venir au secours
des Lyonnais. On avait encore l'avantage, dans
eette position, d'oecllpel' le eours superleUl'
des deux flcuves, t't d'interceptel' les vivrcs




CONVENTlON N ATlONALE (1793). 315
qui descendaient la Saone et le Rhóne. Il est
vrai que l'onest restait ainsi ouvert aux Lyon-
nais, et qu'ils pouvaient faire des excursions
continuelles vers Saint-Étienne et Montbrison;
mais tous les jours on annon~ait l'arrivée des
contingents du Puy-de-Dome, et une fois ces
nouveUes réquisitions réunies , Dubois-Crancé
pouvait achever le blocus du coté de l'onest,
et choisir alol's le véritable point d'attaque. En
attendant, iI se contentait de serrer l' ennemi
de pres , de canonner la Croix-Rousse au nord,
et de commencer ses lignes a l'est, devant le
pont de la Guillotiere. Le transport des muni-
tions était difficile et lent; il fallait les faire
venir de Crenoble, du fort Barreanx, de Brian-
~on, d'Embrun, et lenr faire parcourir ainsi
jusqu'a soixante lieues de montagnes. Ces char-
rois extraordinaires ne pouvaient avoir líeu que
par voie de réquisition forcée, et en mettant en
mouvement cinq mille chevaux; car on avait
á transporter devant Lyon, quatorze mille
bombes , trente-quatre mille boulets , trois cents
milliers de poudre, huit cent mille cartouches,
et cent trente bouches a feu.


Des les premiers jours 00 siége, on annon-
(;ait la marche des Piémontais qui débouchaient
<in petit Saint-Bernard et du Mont-Cenis. Kel.
lermaml partit aussitot sur Jet: prcssalltes i11S-




316 RÉVOLUTION FRA N<';AISE.
tan ces <lu département de l'Isere, et laissa le
gélléral Dumuy pour le remplacer a Lyon. Du
reste, Dumuy ne le remplat;ait qu'en appa-
rence, car Dubois - Crancé, représentant el
ingénieur habile, dirigeait lui seul toutes les
opérations du siége. Pour hater ]a levée des
réquisitions du Puy-de-Dome, Dubois-Crancé
détacha le général Nicolas avec un petit corps
de cavalerie; mais celui-ci fut en levé dans le
Forez', et livré aux Lyonnais. Dubois-Crancé y
envoya alors mille hommes debonnes troupes,
avec le représentant Javognes. La mission de
celui-ci fut plus heurense; il contint les aris-
tocrates de Montbrison et de Saint - Étienne ,
et fit lever environ sept a huit mille paysans,
qu'il amena elevant Lyon. Dubois - Crancé les
plat;a an pont d'OuIlins, situé an nord-ouest de
Lyon, et de maniere a gener les communica-
tions de la place avec le Forez. Il fit approcher
le député Reverchon, qui, a Macon, avait réuni
quelques mille réquisitionnaÍres, et le phu;u
sur le haut de la Saone tout-a-fait an no]'(1. De
eette maniere, le blocus commen<;ait a etre un
peu plus rigollreux; maÍs les opératioIls étaient
lentes, et les attaques de vive force impus-
sibles. Les fortifications de la Croix - Rousse ,
entre Rhone et Saon!', devant lesquelles SI'
trunvait le COl'pt' principal, IW pOll vaieH¡ l;¡ re




CONVENTION N ATJ.ON ALE (J 793). 317
cmportées parunassaut. Du coté de l'est et de
la rive gauche ou Rhone, le pont Morand était
défendu par une redoute en fel' a cheval, tres-
habilement construite. A l' ouest, les hauteurs
décisíves de Sainte-Foy et Fourvieres ne po u-
vaient etre enlevées que par une armée vigQu-
rellse, et pOllr le moment il ne fallait songer
qn'a intercepter les vivres, a serrer la ville, et.
a l'incendier. Depuis le commencement d'aout
jusqu'au milieu de septembre, Dubois-Crancé
n'avait. pu faire autre chose, et. a París on se
plaignait de ses lenteurs sans vouloir ~n appré-
cier les motíf.;. Cepcndant il avait causé de
grands dommages a eette malheureuse cité.
L'incendie avait. dévoré la magnifique place de
Bellecour, I'al'senal, le quartier Saint-Clair, le
port du Temple, et avait enuommagé surtont
le Le] édifice de l'hópital, qui s'éleve si majes-
tueusement sur la rive du Rhone. Les Lyon-
nais n'en résistaient pas moins avec la plus
grande opiniatreté. OIl avait répandu parmí
eux la lJouvelle que cinquante mille Piémontais
allaient déboncher sur leur ville; l'émigration
les comblait de promesses, sans venir cepen-
dant se jeter au milieu d'eux, et ces braves com-
mer~ants, sineerement républieains, étaient,
pal' leur fallsse positioll, réduits a désirer le
S(~COll rs fnHeste f't hon tPI1X dp l' émigration et




:) 18 RÉVOLUTION ~'RAN~AtSE.
de l'étranger. Leurs sentiments éclaterent plus
d'une foís d'une maniere non équivoquc. Précy
ayant voulu arborer le drapeau blanc, en avait
bientot sentí l'impossibilité. Un papier obsi-
dionaL ayant été créé pour les besoins du siége ,
et des fleurs de lis se trouvant sur le fiLigrane
de ce papier, il faUut le détruire et en fabrique!'
un autre. Ainsi les Lyonnais étaient républí-
cains; mais la crainte des vengeances de la
convention, et" les fausses promesses de Mar-
seille, de Bordeaux, de Caen, et surtont de
l'émigration,lesavaient entrainés dan s un abime
de fautes et de malheurs!


Tandis qu'ils se nourrissaient de l' espoir dp
voir arriver cinquante mille Sardes, la conven-
tion avaít ordonné aux représentants Couthon,
Maignet et Chateauneuf-Randoll, de se rendrc
en Anvergne et dans les départements envi-
ronnants, pour y déterminer une levée en
masse, et Kellermann courait dans les vallé es
des Alpes au-devant des Piémontais.


Une belle occasion s'offrait encore id aux
Piémontais d'effectller une tentatjve hardie et
grande, qui n'allrait pu manquer d'etre hell-
reuse: c'était de réunir leurs principales forces
sur le petit Saint-Bernard, et de déboucher
sur Lyon avec cinquante milLp. hommes. 0/1
sait que les troi5 vallées de Sallen che , de la




CONVENTION NA.TIONALJI: (1793). 319
Tarentalse et de la Maurienne, adjacentes l'une
a l' autre , tournent sur elles-memes comme une
especede spirale, etque, partant du petit Saint-
Berllard, elles s'ouvrent sur Geneve, Chambé-
ry, Lyon et Grenoble. De petits corps fran~ais
étaient éparpillés dans ces vallées. Descendre
rapidement par l'une d'elles, et venir se placer
itleurouverture, était un moyenassuré,d'apres
tous les principes de l'art, de faire tomber les
détachements engagés dans les montagnes , et
de leur faire mettre bas les armes. On devait
peu craindre l'attachement des Savoyards pour
les Fran<;ais; car les assignats et les réquisitions
ne leur avaient encore fait conna'ltre de la li-
berté que ses dépenses et ses rigueurs. Le dnc
de Montferrat, chargé de l'expédition, ne prit
avec luí que vingt a vingt-cinq mílle hommes,
jeta un corps a sa droite, dans la vallée de
Sallen che , descendit avec son corps principal
dan s la Tarentaise, et laissa le général Gordon
parcourir la Maurienne avec l'aile gauche. Son
mouvement, commencé le 14 aout, dura jus-
qu'en septembre, tant il y mit de lenteur. Les
Fran~s, quoiq ue tres-inférieurs en nombre,
opposerent une résistance énergique, et firent
durer la retraite pendant dix-huit jours. Arrivé
a Moustier, le duc de Montferrat chercha a
se líer avec Gordon, sllr la cha:lne dn Grand-




::ho nÉVOLUTlON FRAN~AISt;.
Loup, qui sépare les dfux vallées de la Ta-
rentaise et de la Maurienne, et ne songea
nulJement amarcher rapidement sur Conflans,
point de réunion des vallées. Cette lenteur et
ses vingt - cinq mille hommes prouvent assez
s'il avait envie d'aller a Lyon.


Pendant ce temps, Kellermann, accouru de
Grenoble, avait fait le ver les gardes nationales
de l'Isere et des départements environnants. 11
avaitranimé les Savoyards qui commenc;aient a
craindre les vengeances du gouvernement pié-
montais, et il était parvenu a réunir a peu pres
douze mille hommes. Alors il fit renforeer le
corps de la vallée de Sallen che , et se porta vers
Conflans ,a l'issue des denx vallées de la Taren-
taise et de la Maurienne. C'était vers le 10 sep-
tembre. Dans ce moment, l'ordre de mareher
en avant arrivait au duc de Montferrat. Mais
Kellermann prévint les Piémontais, osa les atta-
quer dans la position d'Espierre qu'ils avaient
prise sur la chaine du Grand-Loup, afin de
communiquer enLre les deux vallées. Ne pou-
vant aborder eeUe position de front, iI la fit
tourner par un corps détaché. Ce corps, formé
de soldats a moitié nus, fit pourtant des efforts
héroiques, et, a force de bras, éleva les canons
sur des hauteurs presque inaceessibles. Tout-a-
coup l'arlilterie fraIl(;aise tonna inopinément




CONVENTJON NATIONALE (1793). 321
sur la tete des Piémontais, qlli en furent épou-
van tés ; Gordon se retira anssitot dans ]a vallée
de illallrienne Sllr Saint-Michel; le dllc de Mont-
ferrat se reporta au milieu de la vallée de la
Tarentaise. KeJIermann, ayant fait inquiéter
celui-ei sur ses flanes, l'obligea bientot a re-
monfcr jllsqll'a Saint-Mauriee et a Saint-Ger-
maín, et enfin il le rejeta, le 4 octobre, au-dela
des Alpes. Ainsi la campagne courte eL heu-
reuse qu'auraient pu faire les Piémontais en
débouchant ave e une masse double, et en des-
cendant par une sellle vallée sur Chambéry et
Lyon, manqua ici par les memes raisons qni
avaient fait manqucr toutes les tentatives des
coalisés, et q1li avaient sauvé la France.


Pendant que les Sardes étaient repoussés au-
clela des Alpes, les trois députés envoyés dans
le Puy-dc-Dome pour y déterminer une levée
en masse, sOllJevaient les campagnes en pre-
chant une espece de erois:Hle, et en persuadant
que Lyon, loin de défendre la cause républi-
caine, était le rendez-vous des factions de l' é'-
migratioll et de l'étranger. Le paralytiqne Cou-
thon, plein d'une activité que ses infirmités ne
pOllvaient ralentir, excita un mouvement gé-
néral; il fit partir d'abord Maignet et Cnateau-
neuf avec une premiere colonne de douze mille
hommes, et rf'sta en al'l'Iere pour en amener


v. 21




322 ICÉVOLUTION FRAN«AISE.
encore une de vingt-cinq mille, et pour faire
les réquisitions de vivres nécessaires. Dubois-
Crancé plac;a les nouvelles levées du coté de
l'ouest vers Sainte-Foy, et compléta aillsi le
blocus. n re<;;ut en meme temps un détache-
ment de la garnison de Valenciennes, qui, d'a-
pres les traités, ne pouvait, camme eelle de
Mayence, servir que dans l'intérieur; il pla(,~a
des détachements de tl'oupes réglées en avalit
des troupes de réquisitions, de maniere a for-
mer de bonnes tetes de colonnes. Son armt'C
pouvait se composer alors de vingt-cinq mille
réquisitionnaires, et de huit OH dix mille 501-
dats aguerrís.


Le 24, a minuit, il 6t enlever la redaute du
pont d'Oullins, qui conduisait an picd des hau-
teurs de Sainte-Foy. Le lendemain, le gónéra J
Doppet, Savoyard, qui s'était distingllé SOllS
Carteaux dans la guerre contre les Marseillais ,
arriva pour remplacer Kellermann. Celui-cÍ ve·
nait d'etre destitué 11 cause de la tiédeur de son
úJe, et on ne lui avait laissé quelques jours de
commandement que pour luí donner le temps
d'achever son expédition contre les Piémon-
tais. Le général Doppet se concerta de suite
avec Dllbois-Crancé ponr l'assant des hauteurs
de Sainte-Foy. TOHS les préparatifs furent faits
pour la nuit du ~H aH 29 septernh,'e. Des atta-




CONVENTruN N AT ION ALl<: 1\ J 7~)3). 323
ques simultanées furent dirigées au nord vers
la Croix-Rollsse, a l'est en face dn pont Mo-
rand ~ au níidi par le pO'lIt de la Mulatiere, qui
est placé au-dessoHs de la ville, au contluent
de la Saone et dn Rhtme. L'attaque sérieuse
dut avair lieH par le pont d'Oullins sur Sainte-
Foy. Elle ne commen<;a que le 2g, a cinq heures
el" matin, une heure OH deux apres les trois
antres. Doppet, enflarnmant ses soldats, se pré-
cipite avec eux sur une pr'emiere redoute, et
les entraine sur la seconcle avec la plus grande
vivacité. Le grand et le petit Sainte-Foy sont
emportés. Pendant ce temps , la colonne char-
gée d'attaquer le pont de la Mulatiere parvient
a s'en emparer, et pénetre dans l'isthme a la
pointe duquel se réunissent les deux flellves.
Elle al/ait s'introduirc dan s LYOll, lorsql1e Pré-
ey, accourant avec sa cavalerie, parvient a la re-
pousser, et a sallver la place. De son coté, le
chef d'artillcrie Vaubois, qui avait dirigé sur le
pont Morand une attaque des plus vives, pé-
nétra dans ]a redoute en fer a che val , mais it
fut obligé de l'abandouner.


De tontes ces attaques, une seule avait com-
plétement rénssi,mais c'était la principale, celle
de Sainte-Foy. Il restait mailltC'uallt a passer
des hallteurs lle Sainle-Foy a celles d~ F()(Ir-
vieres, hien pllls (·égulit'·n~nwllt retrallchées, el


'/.1,




:1:>.4 IlÉVOLUTION FRANyAISF..
bien plus diffieiles a emporter. L'avis de Dubois-
Craneé, qui agissait systématiquement, et en
savant militaire, était de ne pas s'exposer aux
ehances d'un nouveJ assaut, et voici ses rai-
sonso II savait que les Lyonnais, réouits a man-
ger oe la farine de pois, n'avaient de vivres que
pour quelques jours encore, et qu'ils alJaient
etre obligés de se rendre. Il les avait trouvés
tres-braves a la defense de la Mulatiere et du
pont Morano; il craignait qu'une attaque su)'
les hautenrs de Fourvieres ne réusslt pas, et
qu'un échec ue désorganisat l'armée, el n'obli-
geat a lever le siége. « Ce qu'on peut faire, di-
sait-il, de plus heureux ponr des assiégés braves
et oésespérés, e'est de leul' fournir l'occasion
de se sauver par un combato Laissons-Ies périr
par l'effet de quelques jours de famine. ))


Couthon arrivait dans ce moment, :2 octo-
bre, avec une nouvelle levée de vingt-cinq mille
paysans de l' Allvergne. (( J'arrive, écrivait-il,
(( avee mes rochers de I'Auvergne, et je vais les
(( précipiterdans le faubourg de Vaise.» 11 trouva
Dubois-Crancé au milien d'une armée dont il
était le chef absolu, ou il avait établi les regles
de la subordination militaire, et ou iI portait
plns sonvent son habit d'officier supérieur que
celui de représentant du pellple. Couthon fllt
irrité de voir un r('pr~sentaTlt l'f'mplacer I'éga-




3) ')'" CONVIi.NTION NATIONALE ~I79. ;)2:>
lité par la hiérarchie militaire, et ne voulut
pas surtout entendre parler de guerre régu-
liere. « Je Il'entends rien, dit-iL a la tactique;
« j'arrive avec le peuple; sa salnte colere em-
« portera tout. Il fant inonder Lyon de nos
« masses, et l'emporter de vive force. D'aílleurs,
ce fai promis cOIlgé a mes paysalls pour lundí,
(e et i1 faut qu'ils ailIent faire leurs vendanges. »
On était alors au mardi. Duboís-Crancé, hornme
de rnétier, habitué aux troupes réglées, témoí-
gua quelque mépris pour ces paysans confusé-
ment arnassés, et mal armés; il proposa de
choisir parmi eux les plus jeunes, de les in-
corporer dalls les bataillons déja organisés, et
de renvoyer les autres. Couthon ne voulut éCOll'
ter aUCUH de ces conseils de prudence, et fit
décidersur-Ie-champ qu'on attaqueraít Lyon de
vive 1()rce sur tous les points, avec les soixante
mille Ilommes dont on disposait; car teIle était
maintenant la force de l'armée avec cette nou-
velle levée. Il écrivit en meme temps au co-
mité de salut public pour faire révoquer Du-
bois-Crancé. L'aVaqlle fut résolue dans le COll-
seil oe guerre puur le 8 octobre.


La révocation de Dubois-Crancé et de son
collegue Gauthier arriva dans l'intervalle. Les
Lyonnais avaient une grande horreur de Du-
bois-Crullcé, que depuis deux mois ils voyaient




326 HI~VOLUTJON ~FRANC;:AISE.
acharné contre leur ville, et ils disaient qll'ils
ne voulaient pas se rendre a lui. Le 7, Couthon
1 eur fit une derniere sommation, et leur écrivit
que c'était lUÍ, Coutbon, et les représentants
Maignet et Laporte, que la cOllvention char-
geait de la poursuite du siége. Le {en fut sus-
pendu jusqu'a quatre heures du soir, et re-
commen~a alors avec une extreme vioJence. Oll
aIlait se préparer a l'assaut, quand une dépu-
tation vint négocier au nom des l.yonnais. Il
paralt que le but de eette négociation était de
dormer a Précy et a deux mille des habitants
les plus compromis le temps de se sauver en
colonne serrée. lis profiterent en effet de cet
intervalle, et sortirent par le faubonrg de Vaise
pour se retirer vers la Suisse.


Les pOllrparlers étaient a peine commencés,
qu'une colonne républicaine pénétra jusqu'au
faubourg Saint-Jl1st. Il n'était plus temps de
faire des conditions, et d'ailleurs la c0!lvention
n'en voulait paso Le 9, l'armée entra, ayant les
représentants en tthe. Les habitants s'étaient
cachés, mais tous les montagllards persécutés
sortirent en foule au-devant de l'armée victo-
riense, et luí eomposerent une espece de triom-
phe populaire. Le général Doppet fit ubsener
la. plus exacte discipline a ses troupes, el laissa
aux représentants le süin d'exercer eux-me/11cs




CONvn;TION loIATlON,\LE \ 1793). 327
sur cette ville infortunée les vengeances révo-
lutionnaires.


Pendant ce temps, Précy, avec ses deux mille
fugitifs, marchait vers la Suisse. Mais Dubois-
Crancé, prévoyant que ce serait la son unique
ressource, avait depuis long-temps fait garder
tous les passages. Les malheureux Lyonnais
furent ponrsuivis, dispersés et tués par les
paysans. n n'y en eut que quatre-vingts qlli,
avec Précy, parvinrent a atteindl'e le territoire
helvétique.


A peine entré, Couthon réintégra l'ancienne
mllnicipalité montagnarde, et lui (lonna mis-
sion de chercher et de désigner les rebelles. II
chargea une commission populaire de les juger
militairement. Il écrivit ensuite a Paris qll'il y
avait a Lyon trois dasses d'habitants: 1° les
riches coupables; 2,0 les riches égolstes; 3° les
ouvriers ignorants, détachés de toute espece
de callse, et incapables de bien comme de
mal. Il fallait guillotiner les premiers et dé-
truire leurs maisons, faire contribuer les se-
conds de toute lenr fortune, dépayser enfill
les derniers, et les remplacer par une colonie
républicaine.


La prise de Lyon produisil a Paris la plus
grallde joie, el dédommagea des mauvaises
JIouvclles de la fin de septembre. Cepelldant,




:.h8 IuíVOLUT ION ERA N~AISE.
malgré le sucd~s, on se plaignit des lenteurs
de Dubois-Crancé , on luí imputa la fuite des
Lyonnais par le f."lubourg de Vaise, fuite quí
d'ailIeurs n'en avaít sauvé que quatre-vingts.
Couthon surtout l'accusa de s'etre faít général
absolu dans son armée, de s'etl'e plus souvent
montré avec son cost.ume d'officicr supérieur
qu'avec celui de représentant, d'avoir affiché
]a morgue d'un tacticien, d'avoir enfin voulu
faire prévaloir le systeme des siéges réguliel's
sur celui des attaques en mas¿e. Aussitot une
euquete fut faite par les jacobills contre Dubois-
Crancé, dont l'activité et la viglleur avaienl
cependant rendu tant de services a Grenoble,
dans le MiJi et elevant Lyon. En meme temps,
le comité de salut public pl'épara des décl'ets
terribles, élfin de rendre plus formidable et
plus obéie l'autorité de la couvelltion. Voici le
décret qui fut présenté par Han'ere et rentlu
sur-Ie-champ:


(e Art. 1 ero JI sera nomll1é par la convelltioIl
« nationale, sur la présentation du comité de
« salut public, une commissioll de cinq repré-
I( sentants du peuple, qui se transporterout a
« Lyon sans délai, pour faire saisir et juger mi-
« litairemellt tous les contre-révolutionnaires
« qui ont pris les armes dans cette vine.


l( 2. Tous les Lyol1llais seront désarmés; les
« armes seront données;{ ceux qlli serollt re-




CON VJ<:NTION N ATION AL], (1793). 329
« connus n'avoir point trempé dans la révolte.
« et aux défcnseurs de la patrie.


(e 3. La ville de Lyon sera détruite.
« 4. Il n'y sera conservé qlle la maiSOll au


ee pallvre, les manufactures, les ateliers des arts,
!( les hopitaux , les monuments publics et ceux
(e de l'ínstruction.


ce 5. Cette ville cessera de s'appeler Lyon. Elle
« s'appellera Commune-Affranchie.


ce 6. Sur les débris de Lyon sera élevé un mo-
( nument ou seront lus ces mots : Lyon jit la
« guerre á la liberté, Lyon n' est plus!"))


La nouvelle de la prise de Lyon fut aussitot
armoncée aux deux armées du Nord et de la
Vendée, ou devaient se porter les coups déci-
sifs, et une proclam::ition les invita a imiter
l'armée de Lyon. On disait a l'armée du Nord :
(e L'éteudard de la libertó flotte sur les ll1urs
( de Lyon, el les purifie. Voila le présagc de
« la victoire; la vicloire appartient au courage.
« Elle est a vous; frappez, exterminez les sa-
« teHites des tyrans! ... La patrie vous regardc,
c( la convenlioll seconde. votre généreux dé-
« vouement; encore quelques jours, les tyraIls
« ue seront plus, et la république vous devra
« son bonheur et sa gloire!}) Ou disait allX
soldats de la Vendée : «( Et vous élussi, braves


.. DéCl'ct JII 1 Se jour du l cr mois de l'an Be de la Répu-
blic¡uc.




330 RÉVOLUTION ],'R A N~_>\.IS",
« soluats, VOUS remporterez une victoíre; il Y
« a assez Iong-temps que la Velldée fatiglle la
{( république; rnarchez, frappez, finissez ~ Tous
«( nos ellllell1is doivent sllccoll1ber a la foís :
{( ehaque armée va vaínere, Seriez-vous les -
(, derniers a moissonner des palrncs, a méríter
f{ la gloíre d'avoir exterminé les rebeHes et
({ salivé la patrie? »


Le comité, cornme on voit, n'oubliait ríen
pou!' tirer le plus granel partí de la prise de
Lyon. Cet événernent, en effet, était de la plus
haute importanec. Il délivrait l'Est de la France
des demíers restes de l'insurrection , et otait
toute espérance aux émigl'és intriguant en
Suisse, et aux Piémontais qui lIe pouvaient
eompter a l'avenir sur aucnue diversion. II
comprímait le Jura, assurait les derrieres de
l'arméc du Hbin, permettait de porter devant
Toulon et les Pyrénées des secouT'S en hom-
mes et en matériel devenus indispensables; il
intimidait enfin toutes les villes qui avaient
en dn penchant a s'inslIT'ger, et assurait Ietlr
sonmission définitive.


C'est au Nord que le comité voulait déploYC1'
le plus d'énergie, et qu'il 'faisait aux généraux
et aux soldats Un devoir d'en montrer davan-
tage. Tandis que Custine venait de porter sa
tete sur l'échaf;lIld, HOllchard, pOlll' Jl'avoir




CONVENTION NATION\LE (i7!)3). 33,
pas fait á Duukerque tout ce qll'il alll'ait pu,
était envoyé au tribullal révolutionnaire. Les
derniers reproches adrcssés au comité, en sep-
tt:'mbre dernier, l'avaicnt obligé de l'ellOllveler
tons les états-majol's. Il vcnait de les recom-
poser entieremenl, et el' élever aux plus hauts
grades de simples officiers. Rouchard, colonel
au commencement de la campagne, et, avant
qu'elle fut finie, devenu général en chef, et
maintenant accusé devant le tribunal révolu-
tionnaire; Hoche, simple officier au siége de
Dunkerqlle, el promu aujourd'hui au com-
mandcment de l'armée de la Moselle; Jom"dan,
chef de bataillon, puis commandant au centre
le jour d'Uondtschoote , et enfin nommé gé-
néral en chef de l'armée du Nord, étaient de
frappants exemples des vicissitudes de la far-
tune dans ces armées républicaincs. Ces pro-
motions subites empechaient que soldats, of-
ficiers, et généraux, eussent le temps de se
connaitre et de s'accorder de la confiance;
mais elles d-onnaient une idée terrible de ceHe
volonté qlli frappait ainsi sur toutes les exis~
ten ces , non pas seulement dans le cas d'une
trahison prouvée, mais seulement pour un
soup~on, pour une insuffisance de úJe, POllI'
une demi-victoire; et il en résultait uu dé·
vouement absolll de la part des armées, ct de~




332 RÉVOLUTJON FRAL'H.:AISJ.;.
espérances sans bornes chez les génies assez
hal'dis pour braver les dangereuses challces
du généralat.


e'est a cette époqlle qu'il faut rappOlter les
premiel's progres de l'art de la guerreo SallS
doute, les principes de cet art avaient été con-
nus et pratiqllés de tuns les tcmps pal' les ca-
pitaines qui joignaient l'audace el'esprit a l'au-
dace de caractere. Tout récemment encore,
Frédéric venait de donner I'exemple des plus
belles combinaisons stratégiqlles. Mais des que
l'homlOe de génie disparait ponr faire place
aux hommes ordinaires, l'art de la gucrre r'c-
tombe dans la circonspection et la routine.
On comhat éterneIlement pour la défense OH
l'attaque d'ulIe ligue, 011 devient habile a cal-
culer les avantages d'un terraill, a y adaptel'
chaque espece d'arme; mais, avec tOllS ces
lOoycns, on dispute pendant des années ell-
ti eres une province qu'un capitaine hardi
pOllrrait gagner en une manceuVl'e, et eette
prudence de la médiocrité sacrifie plus de
sang que la témérité du génie, cal' elle C011-
SOlOme les hommes sans résultats. Ainsi avaient
fait les savants tacticiens de la coalition. A
chaque bataillon ils en opposaient un autre;
ils gardaient toutes les routes mellacées par
J'eullcmi; el tal\(lis qu'avec UIle marche hanJjp




CONVENTION NATIONALE (lí93). 333
ils auraient pu détruire la révolution, ils n'o-
saient faire un pas, de peur de se découvrir.
L'art de la guerre était a régénérer. Former
une masse compacte, la remplir de confiance
et d'audace, la porler promptement au-dela
d'nn fleuve, d'une chaine de montagnes, et
venir frapper un cnnemi qui ne s'y attend pas,
en divisant ses forces, en l'isolant de ses res-
sources, en lui prenant sa capitale, était un
art difficile et grand qui exigeait du génie, et
qui ne ponvait se développer qu'au milieu de
la fermentation révolntionnaire.
J~a révolution, en mettant en mouvement


lous les esprits, prépara l'époque des grandes
combinaisons militaires. D'abord elle suscita
pour sa cause des masses d'hommes énormes, et
bien autrement considérables que toutes ceHes
qui furent jamais soulevées ponr la caussc des
rois. Ensuite elle excita une impatience de
succes extraordinaires, dégouta des combats
lents et méthodiques, et suggéra l'idée des ir-
ruptions soudaines et nombreuses sur un meme
point. De tout coté on disait : Il faut nous
battre en masse. C'était le cri des soldats sur
toutes les frontieres, et des jacobins dans les
clubs. Couthon, arrivant a Lyon, avait répondu
a tous les raisonnements de Dnbois - Crancé,


. ~n disant qll'il fallait livrer l'assaut en masse.




334 RÉVOLUTlON FnAN~Al~F..
Enfin Barrere avait fait un rapport hahile f't
profond, oú iI montrait que la cause de nos
revers était dans les comhats de détail. Ainsi,
en formant des masses, en les remplissant
d'alldace, en les affranchissant de toute rOll-
tine, en leur imprimant l' esprit et le courage
des innovations, la révolution prépara la n~­
naissance ele la grande guerreo Ce changement
ne pouvait pas s'opérer san s désordre. Des pay-
sans, des ouvl'iers, transportés sur les champs
de bataille, n'y apportaient le premier jour
que l'ignorance, l'indiscipline et les terreurs
paniques, effets naturels d'ulle manvaise organi-
sation. Les représentants, qui vellaient souffler
les passions révolutionnaires dans les camps, exi·
geaient souvent l'impossible, et comrnettaient
des iniquités a l'egare! de braves généranx. Du-
mouriez, Custine, Houchard, Brllnet, Canclaux,
Jourdan, périrent ou se retirerent devant ce
torrent; mais en un mois, ces ouvriers deve-
naient des jacobins déclamateurs, des soldats
dociles et braves; ces représentants commllni-
quaient une audace et une volonté extraor-
(linaires aux armées; et, a force d'exigences
et de changements, ils finissaient par trou-
ver les génies hardis qui convenaient aux cir-
constances.


Enfill un IlOllllllC vint rt'guhriser ('(' grand




CONVENTION NATIONALE \. 1793). 33!:l
rnouvernent, ce fut Carnot. Autrefois officier
du génie, et depuis membre de la convcntion
et du comité de salut public, partageant en
qnelqlle sorte son illvioIabilité, iI put impu-
nément introdllire de l'ordre dans des opéra-
tions trop décousues , et surtout leur imprimer
un ensemble qu'avant lui aucun ministre n'eut
été assez obéi pour leur imposer. L'une des
principales causes de nos revers précédcnts,
c'était la cOllfusion qui accompagne lIne grande
fermentation. Le comité établi et devenu i'Té-
sistible, et Carnot étallt revetu de toute la
puissance de ce comité, on obéit a la pensée
de l'homme sage qui, calculant sur l'ensem-
ble, prescrivait des mouvements parfaitement
coordonués entre eux, et tendant a un rneme
but. Des généraux ne pouvaient plus, comme
Dumouriez 01[ Custine avaicnt fait autrefois,
agir chacun de lenr coté, en attirant toute la
guerre et tous les moyens a eux. Des repré-
scntants ne pouvaient plus ordonner, ni con-
trarier des manreuvres, ni modifier les or'dres
supérieurs. Il faUait obéir a la volonté snpreme
du comité, et se conformer au plan uniforme
qu'il avait prescrito Placé ainsi au centre, pIa-
nant sur toutes les frontieres, l'esprit de Car-
not, en s'élevaut, flnt s'agrandil'; il C01H:ut dps
p/ans élend liS, dalls lesquels la rrmIene\' S0




3 '36 RÉVOLUTION FRAN<;;AISE.
cOIlciIiait ltvee la hardiesse. L'instruction en-
voyée a Houchard en est ]a preuve. San s doute,
ses plans avaient qllclquefois l'inconvénient des
plans formés dans des bureaux: quand ses
orares arrivaient, ils n'étaient ni toujours
eonvenables aux lieux, ni exécllta bIes dans le
moment, mais ils rachetaient par l'ensemble
l'inconvénient des détails, et n01ls assllrerent,
l'année suivante, des triomphes universels.


Carnot était accouru sur la frontiere du Nord
:mpres de Jourdan. La rt~solution était prise
d'attaquer hardiment l'ennemi, qlloiqu'il parút
formidable. Carnot demanda un plan au gé-
néral pour j llger ses vucs et les concilier avec
ce Hes du comité, c'est-a-dire avec les siennes.
Les coalisés, revenus de Dunkerque vers le
milieu de la ligne, s'étaient réunis entre I'Es-
caut et la Meuse ~ et formaient la une masse
redoutable qui pouvait porter des coups déci-
sifs. Nons avons déja. faít connaltre le théatre
de la guerreo Plllsiellrs ligues partagent I'espace
eompris entre la Meuse et la mer; e'est la Lys,
la Searpe, l'Escaut et Ja Sambre. Les alliés, en
prenant Condé et Valenciennes, s' étaient as-
Sllré deux points importants sur l'Escaut. Le
Queslloy, dont ils veuaicnt de s'emparer,lenr
rlonnait un appui entre l'Escaut et la Sambre;
mais ils n'!-'n avaipnt :lncun sur la Samhre




CON"M'l'ION NATlONAr.E (1793). 337
meme. lIs sOllgerent a Maubeuge, qui, par sa
position sur la Sambre, les aurait rendus a pell
pres maitres de l'espace compris entre cette
riviere et la Meuse. A l'ollverture de la cam-
pagne prochaine, Valenciennes et Manbeuge
leur aUl'aieut fOllrni ainsi une hase excelIente
d'opératioIls, et leur campagne de 1793 n'ent
pas été elltieremellt inutile. Leurdernier projet
consista donc a oceuper Maubeuge.


Du coté dés Fran<;:ais, chez lesquels I'esprit
de combinaison eommen~ait a se développer,
011 imagina d'agir par LilIe et Maubeuge, SUl'
les deu x ailes de l' ennemi, et, en le débordant
ainsi sur ses deux flanes, on espéra de faire
tombel' son centre. On s' exposait, il est vrai.
de cette maniere a essuyer tout son eHort sur
i'une ou sur l'autre des deux ailes, et on luí
laissait tont l'a \'antage de sa masse; mais il y
avait eertainement moins de routine dans cette
conception que dans les préeédentes. Cepen-
dant le plus pressant était de secourir Mau-
beuge. JOUl'dan, laissant a peu pres einquante
mille homllles dans les camps de Gavarelle, de
Lille et de Cassel, pour former son aile gau-
che, réunissait a Guise le plus de monde pos-
sible, Il avait composé une masse d'environ
quarante-cinq mille hommes, déja organisés,
et faisait enJ'ég'jmenter en toute h:lte loes nOIl-


'-, él2




velles levées p!'ovellant de la réquisition per-
manente. Cependant ces levées étaient dans un
teldésordre, qu'il faIlut laisser des détachements
de troupes de ligne pOUI' les garder. JOludan
fixa done a Guise le rendez-vous de tOLltes les
reerues, el s'avanl{a sur cinq colonnes an se-
con!' ... de Maubeuge.


Déja l'ennemiavaitinvesti cetteplace. Comme
ceHes de Valenciennes et de Lille, elle était
soutenue par un camp retranché, pIaeé sur la
rive droite de la Sambre, du coté meme par
lequel s'avan<:;aient les Fran<;ais. Deux divi-
sions, celles eles généraux Desjardins et Mayer,
gardaient le cours de la Sambre, l'une au-
dessus, l'autre au-dessous de Maubeuge. L'en-
nemi, au lieu de s'avancer en deux masses
serrées, de refonlcl' Desjardins sur Maubeuge'
et de rejetel' Mayer eu arriere sur Charleroi,
ou il eut été pel'du, passa la Sambre en petites
masses, et laissa les deux divisions Desjardius
et Mayer se rallier dans le camp retranclIé d('
Maubeuge. C'était fort bien cJ'avoír séparé Des-
jardins de Jourdan, et de I'avoir empeché ainsi
de grossir l'armée aCtive des Ii'ran~ais; mais en
laissant Mayer se réunir á Desjardins, 00 avait
permis a ces ueux généraux de former SOllS


'Maubeuge un corps de vingt mille hommes,
ql1i pouvait snrtÍr <111 f()!t> de simple garnison ,




COlWENTlON NATIONAU: (,'79:1\' :':Lig
surtout a l'approche de la grande armée de
Jourdan. Cependant la difficulté de nourrir ce
nombreux rassemblement était un inconvénient
des plus graves poul' Maubeuge, et pouvait,
j Ilsqu'a un certain point, excuser les généraux
ennemis d'avoir permis la jonction.


Le prince de Cobourg pla<;a les Hollandais,
<lU nombre de douze mille, sur la rive gauche
de la Sambre, et s'attacha a faire incendier les
magasins de Maubeuge, pour augmenter la di-
sette. n porta le général Colloredo sur la rive
droite, et le chargea d'investir le camp retran-
ché. En avant de Colloredo, Clerfayt, avec
trois di visions, forma le corps d' observation ,
et dut s'opposer a la marche de Jourdan. Les
coalisés comptaient a peu pres soixante-cinq
mille hommcs.


Avec de l'audace et du génie ,.le prince de
Cobourg aurait laissé quinze on vingt mille
hommes au plus pour contenir Maubenge; il
aurait marché ensuite avec quarante - cinq ou
cinquante mille sur le général Jourdan, et J'au-
rait battn infailliblement ; car, avec l'avantage
de l'offensive, et a nombre égal, ses tronpes
devaient l'emporter sur les nótres encore mal
organisées. An líen d'adopter ce plan, le prince
de Cohourg laissa enviro n trente - cinq mille
homllJPs autonr de la place, el resta en obser-


?.'.L




j!¡n R~\'()LtJTlON FII \ :';.(' A ISr.
vation avec environ tren le mille, dans les po-
sitions de Dourlers et Watignies.


Dans cet état de choses, il n'était pas impos-
sible au généraIJou1'dan de percer sur un poillt
la ligne occupée par le corps d' observal ion, de
marcher sur Colloredo qui faisait l'investisse-
ment du camp retl'anché, de le mettl'centre deux
feux, et, apres l'avoir accablé, dc s'adjoindre
l'arrnée entiere de Maubeuge, de former avec
elle une masse de soixante mille hommes, et de
battre tous les coalisés placés SUl' la 1'ive droite
ele la Sambre. Pour cela, il fa11ait diriger une
seule attaque sur Watigllies, poillt le plus fai-
ble; mais, en se pOl'tant exclusívement de ce
coté, 011 laissait Ollverte la route (l'Avesnes qui
aboutissait a Guise, oú était notre base, et le
lieu de réunioll de LOllS les dépOts. Le géllél'al
fralH;ais préféra un plan plus prudent, mais
moins fécond, et tit attaquer le corps d'obspr-
vation sur quatre points, de maniere a garder
toujollrs la route d'Avesncs et de Guise. A sa
gallche, i1 detacha la di vision Fromcntin sur
Saint-Waast, avec ordre de marcher entre la
Sambre et la droite de l'ennemi. Le gtSnéral
Ralland, avec plusieurs uatteries , dut se placer
ml centre, en face de Doarlers, pOul· cOlltcnÍl'
Clerfayt par une forte canounade. Le général
nuquesnoy s'av;JIl~a avec la droite sur Wati-




CONVI'.NTlO.' NATJllXA.U: ',lj~)3,. :l:íl
gnies, qui formait la guuche de l'euuemÍ, uu
peu en arriere de la position centrale de Dour-
lers. Ce point n'était occllpé que par un faible
corps. Une quatrierne divisioIl, celle du géné-
l'al Beauregard, placée enCOl'e an - dela de la
droite, dut seconder Dnquesnoy clUBS son at-
taque sur \'Vrttignies. Ces divers mouvements
étaient peu liés, et ne portaient pas sur les
points décisifs. Ils s'effectllerent le J 5 octobre
au matin. Le général Fromentin s'empara de
Saint-Waast; mais n'ayant pas pris la précaution
de longer les bois pour se ten ir a l'abrí de J ..
cavaleric, il fut assaílli et rejeté dans le ravill
de Saint-Remy. Au centre, ou l'uu croyait Fro~
mentiu mattre de Saint-Waast, et ou ¡'on savait
que la dl'Oite avait réussi á s'approcher ele Wa-,
lignies, on voulut passer outre, et an lieu de.
canonner Dourlers, on songea a s'en emparer.
II parait que ce fut l'avis ele Carnot, qui dé-
cid a l'attaque malgl'é le général Jourdan. Notre
infanterie se jeta dans le ravin qui la séparait
de Dourlers, gra vit le terraín sous HU fen meul'-
trier, et arriva sur un plateau ou elle avait en
tete des batteries formidables, et en flanc une
nombreuse cavalerie prete a la chaI'ger. Daw¡
ce meme instant, u~ 1l0llvean corps, qui vc-
nait de contribuer a mettre Fl'Omentin en dé-
rutlte, menac;ait encorc de la déhorder sur sa




342 lUivOLliTllJ1'I Fl\ I¡ 1'«,:'\ It-oE.
gallche. Le généraL Jourdan s'exposa au plus
grand danger pour la maintenir; mais elle pIia,
se jeta en désordrc dans le ravin, et tres·heu-
reuosement reprit ses positions sans avoir été
poursnivie. Nous avions perdu pres de mille
hommes a eette tentati ve, et notre gauche
sous Fromentin avait perdu son artillerie. Le
général Duquesnoy, a la droite, avait seul
rénssi,en parvenant a s'approcher de Watignies.


Apres cette tentative, la position était mieux
connne des Fran¡;ais. Ils sentirent que Donrlers
étai t trop défend u pour diriger sur ce point r at-
taque principal e ; que Watignies, a peine gal'dé
parle général Tercy, etplacé en arrierede Dour-
lers, était facile a emporter, et que ce village une
fois occllpé par le gros de nos forces, la posi-
tion de Dourlers tombait néeessairement. Jour-
dan détaeha done six a sept milIe hommes vers
sa droite, pour renforeer le général Duquesnoy;
il ordonna au général Beallregard, trop éloi-
gné avee sa quatrieme eolonne, de se rabattre
d'Eule sur Obreehies, de maniere a opérer un
effort concentrique sur 'IV atignies, conjointe-
ment avec le général Duquesnoy; mais il per-
sista a continuer sa démonstration sur le centre,
et a faire mareher Frorncntin vers la gauche,
afin d'embrasser toujours le frout enticl' de
I'ennemi.




r.ONvrNT!l);~ :líA.TION.\fF i,I~'~j'¡'. 3fl.
Le leudemain ] 6, l'attaque commeu(!a.N otre


infanterie débouchant par les trois villages de
Dinant, Demichaux et Choisy, aborda \Vati-
gníes. Les grenadiers autrichiens, quí liaient
Watignies a Dourlers, furellt rejetés dans les
bois. La cavaJerie ennemie fut con tenue par
l'artillerie Jégere disposée a propos, et Wati-
gnies fut emporté. Le général Beauregard,
moios heurcux, fut surpris par une brigade
que les Autrichiens avaient détachée contrp
lui. Sa troupe, s'exagétant la force de l'ennemi,
se débauda, et cécla une partie du terrain. A
Dourlers et Saint-\Vaast, on s'était contenu ré-
ciproquement; mais \Vatignies étaít occupé, et
c'était l'essentiel. Jourdan, pour s'en assnrer
la possessíon, y rCllfon;a encore une fois sa
droitc de cinq OH six millo hommes. Cobourg,
trop prompt il cúJer an danger, se retira, mal-
gré le su<;ces obtenu sur Beauregard, et malgré
l'arrivée du duc d'York, quí venait a marches
f'orcées de l'autre coté de la Sambre. Il est pro-
bable que la crainte de voir les Fran<;¡ais s'unir
aux vingt. mille hornmes du camp retranché,
l'empecha de persister a occnper la rive droite
de la Sambre. 11 est certain que si l'armée de
:\1aubcuge, au bruit du canon de Watignies ,
eút attaqué le faíble corps d'in vestissement, et
taché de marcher vers Jourdan , les coalisés au-




:144 HÉVOLUTlON FltANI{AiSJ: .
• 'aient pu etre accablés. Les soldats le deman-
daient a grands cris; mais le général Ferrand
s'y opposa, et le géuéral Chancel, qu'on crut a
tort coupable de ce refus, fut envayé au tribu-
nal révolutionnaire. L'heureuse attaqlle de Wa-
tignies décida la levée du siége de Maubeuge,
eomme celle d'Hondtschoote avait décidé la le-
vée du siége de Duukerque: elle fut appdée
victoire de Watignies, et prodnisit sur les es-
prits la plus grande impression.


Les coalisés se trouvaient ainsi concentrés
entre l'Escaut et la Sambre. Le comité de salut
public voulut aussitot tirer parti de la victoire
de Watignies, du découragemcnt qu'elle avai.t
jeté chez l'ennemi, de I'énergie qu'elle avait
rendue a notre armée, et résolut de tenter un
dernier effort qui, avant l'hiver, rejetat les coa-
lísés hors du territoire, et les laissat avec .le
sentimellt décaurageant d'une campagne entie-
rement perdue. L'avis de Jourdan et de Carnot
était opposé a celui du comité. lis pensaient
que les pluies, déja tres-abondantes, le mau-
vais état des chemins, la fatigue des troupes,
étaient des raisons suffisantes d'entrer dans les
quartiers d'hiver, et ils conseillaien t el' employer
la mauvaise saison a discipliner et organiser
I'arméc. Cependant le comité insista pourqu'on
cJélivrat le territoire, disant que dans cette sai-




(~ONH:NTlON N n'lON.\ LE '\ I 7V3j. 1'15
son une défaite ne pourrait pas avoil' de grallds
¡·ésultats. D'apres l'idée non vellement imaginéc
d'agir sur les ailes, le comité ordol1lla de rnar-
cher par Manbeuge ct Charleroi d'un coté,
par Cysaing, Manlde et Tournay de I'antre, et
d'envelopper ainsi l'ennemi sllr le territoil'e
qu'il avait envahi. L'arreté fut signé le 22 oc-
tohre. Les ordres furent dounés en consé-
<{uence; l'armée des Ardennes dut se joindre
~l Jourdan; les garnisons des places fortes du-
rent en sortir, et etre remplacées par les nou-
velles réquisitions.


La gllerre de la Vendée venait d'etre reprise
avec une Ilouvelle activité. On a Vil que Can-
elatlX s'était replié sur Nantes, et que les co-
lonnes de la Haute-Vendée étaieut rentrées a
;\ ngers' et a Saumur. A vant que les Ilouveaux
décrets qui confondaicnt les deux 31'mées de
La Hochelle el de Brest en IIlle seule, et en
conféraient le commandement au géné,·a! J~é­
chelle, fussent connus, Canclaux prépara un
lIouveau mouvement offensif. La garnison de
Mayence était déja réduite, par la guerre et les
maladies, a neuf ou dix mil!e homllles. La di-
vision de Brest, battue SOtlS Beysser, ét;¡it pres-
que désorganisée. Canclaux n'en résolut pas
Hloins une marche tres-hardie au celltre de la
Vendée, et en nH~me temps il cOlljura Hossi-




guol de le seconder' avec son armée. Hossígnol
I'éunit aussitot un cOllseil de guerre a Saumur,
le 2 octobre, et fit décíder que les colonnes de
Saumur, de Thouars et ele la Chataigneraye ,
se réuniraient le 7 a Bressuire, et rnarchc-
raient de hl a ChatilIon, pour faire concourir
leur attaque avec ccHe ele Canclaux. H pre~;­
crivit en rnerne ternps aux deux colonnes de
Lu<;on et eles Sables de garder la uéfensive,
a cause de leurs derniers revers, et des dan-
gers qui les menac,;aient du coté de la Basse-
Vendée.


Pendant ce temps, Canclaux s'était avancé le
I el' octobre jusq u'a Montaigu, poussant des
reconnaissances jusqu'a Saint-Fulgent, pour
hlcher de se Her par sa droite avec la colOllIle
de LU<:Oll, uans le cas ou elle parviendrait a
reprendre l'offensivc. Enhardí par le sncces de
sa marche, il ordonna, le 26, a l'avant-garde,
toujours commandée par Kléber, de se porter
a Tiffanges. Quatre rnille Mayenc;ais rencontre-
rent l'armée de d'Elbée et de Bonchamps a
Saint-Simphorien, la mirent en déroute apres
un combat sanglant, et la repousserent fort
loin. Dans la soirée meme, arriva le décret qui
destituait Canclaux, Aubert-Dubayet et Grou-
ehy. Le mécontentement fut tres-grano daus la
coIonne oe Maycllce, el, Philippeallx, GilIel.




CO.'<VENTiON NATlO:'>',\.LE (1793;' 347
~Iedin el Rewbel, qui voyaient l'arméc privée
d'un excellent général al1 moment oú elle était
exposée au centre de la Vendée, en furent in-
dignés. C'était sans doute une excellente me-
sure que de réunir'le commamlement de l'Ouest
sur une seule tete, mais ii fa lIai t choisir un
alltre individu pour en supporter le fardeau.
I,échelle était iguorant et tache, <lit Kiéber
dans ses mémoires, et ne se montra jamais une
sellle foís au feu. Simple officier dans l'armée
de La Rochelle, on l'avan~a snbitement, cornme
Rossignol, a cause de sa réputation de patrio-
tisrne; mais on iguorait que u'ayant ni l'esprit
nalurel de Rossignol, ni sa bravolll'e, íI (~tait
aússÍ mauvais soldat que mauvais général. En
attendallt son arrivée, Kléber eut le cornman-
demento 0/1 resta daus les memes positions
entre Montaigll et Tiffauges.


Léchelle arriva ellfiu le 8 octobre, et on tint
un conseil de guerre en sa présel1ce. On venait
d'apprendre la marche des colonnes de Saumur,
de Thouars et de la Chátaigneraye, sur llres-
suire; il fut COllvellU alors qu' on persisterait
a marcher sur Chollet, ou ron se joindrait aux
trois colonnes réuuies a Bressllire, et en n1(~me
temps iI fut ordonné au resle de la di-vision de
Lu<,{oll de s'avancer vcrs le rendez-vous géné-
1'a1. J"édl(:~lIe llP comprÍt riell allx l'aiSollIlt'-




348 IÜ;VOLUTIO:'< FIHl'H,:'USF.
ments des généraux, et approllva tOllt en di-
sant : 11 fal:tl marcher majestueusement el en
masse. Kléber replia sa carte avec mépris. Mer-
líll dit qu'on avait choisi le plus ignorant des
hommes pOllr l'envoyer a l'armée la plus com-
promise. Des ce moment, Kléber fuI chargé,
par les représentants, de dil'iger seulles opéra-
tions, en Se bornant , ponr la forme, a en rendre
compte a Léchelle. Celui-ci profita de oet al'.,.
rallgement pour se ten ir a UIle grande distance
du champ de bataille. Éloigné du danger, il
ha'issait les braves q ui se battaiellt pour lui,
llIais du llloillS iIles laissait se battre, quaud et
comme il leur plaisait.


Dans ce mament, Charette, voyant les dan-
gel's qui mena'{aient les chefs de la Haute·Ven-
dée, se sépara d'eux, prétextant de fallsses
raisons de mécolltentement, et il se n-jeta sur
la cote, avec le projet de s'emparer de l'lIe de
Noirmautiers. Il s'en rendít maltre en cffet, le
12, par une snrprise et par la trahísoll clu chef
qui y commandait. 11 était ainsi assuré de sau-
ver sa division, et d'entrer en COJlllllunication
ave e les Allglais; mais il laissait le partí de la
Haute-Vendée exposé a une clestruction pres-
que inévitable. Da11S l'illtéret de la cause com-
H1l1ne, iI avait bien mieux a faire : il pouvait
attaquer la cololllle de MayelJce SIU' les der-




CON HNTlON N ATIO.\' A LE (f 79:11. ') I .)II~)
rieres, et peut-etre la détruire. Les chefs de la
grande armée lui envoyerent lettres sur lettres
pour l'y engager, mais ils n'en rec;urent jamais
aUCllne réponse,


Ces malheurctlx chefs de la Haute-Vendée
étaielll prcssés de tous cótés. Les colonnes ré-
pllhlicaines qui devaient se réunir a Bressuire
5'y trouvaient a I'époque fixée, et elles s'étaient
acheminées le 9 de Bressnire sur Clühillon. Sur
la route, elles rencontrerent l'armée de M. de
Lescure, et la mirent en désordre. WestermallIl,
réintégré dans son commandement, était tou-
jours a l'avant-garde, a la tete de quelq ues cents
hommes. 11 entra le premier dan s Chatillon, le
9 au soiJ'. L'armée ellti¿~re y pénétra le lende-
main 10. Pendant ce monvement, Lescur'e et
Larochejacquelein avaient appelé a Jeursecours
la grande armée, qlli n'était pas loin d'eux;
cal', déjit tl'es-resserrés aU centre du pays, ils
comLattaient a peu de distance les uns des au-
tres, TOllS les généraux réunis résolllrent de
se reporter sur ChMillun, Ils se mirent en mar-
che le 11. Westermanll s'avan<;ait déja de Cha-
tillon sur Mortagne, avec cinq cents hommes
d'avant - garde, D'aLord il ne Cl'ut pas avoir
affaire a toute une armée , et ne demanda pas
de grands secours a son géuéral. Mais euveloppé
tOllt-a-collp. il fllt obligé de se replier l'apide-




ment ~ et rentra dans Chatillon avec sa troupe.
Le désordre se mit alors dans la ville, et 1'ar-
mée républicaine l'abandonna précipitamment.
"\Vestermann se réunissant au général en chef
ChaIbos, et groupant autour de luí quelques
braves, arreta la fuite, et se repOl·ta meme assez
pres de Chatillon. A l'entrée de la nnit, iI dit
a quelques-uns de ses soldats qui avalent fui:
« Vous avez perdu votre honneur aujourd'hui,
ce il faut le recouvrer. )) II preno aussitot cent
cavaliers, fait monter cent grenadiers en
croupe, et la nuit, tandis que les Vendéens
confonclus clans Chatillon, sont endormis OH
pris de vin, iI a l'audace d'y entrer, et de se
jeter au milieu de toute une armée. Le désordre
fut an comble, et le caruage effr·oyable. Les Ven-
déens, ne se reconnaissant pas, se battaient en-
tre eux, et, au milieu d'une horrible confusioll,
fem mes, enfants, vieillards, étaient égorgés.
Westermann sortit a la pointe du jour avec les
trente ou quarante soIdats qui lui restaient,
et aIla rejoindre, a une lieue de la viIle, le gros
de l'armée. Le 12, un spectacle affreux vint
frapper les Vendéens; ils sortirent eux-meme1'
de ChatilIon, inondé de sang et dévoré des
flarnmes, et se porterent du coté de Chollet
ou marchaient les Mayen~ais. Chalbos, apres
avoir rétabli I'orrlre dans sa divisirm, rentra JI'




CONVENTIOI'I ;'{ATIIJNAT.F. ~'7:¡:);. :'F'I
surlclldemain J 4, dans Ch,ltilloll, eL se disposa
;l se porter de Ilouveau en avant, pour faire
sa jonction ave e l'armée de Nantes.


Tous les chefs vendéens, d'Elbée, BOJl-
champs, Lcscure, Larochejacquelein, étaient
réunis avec leurs forces aux environs de Chol-
let. Les Mayell~ais, qui s'étaient mis en marche
le II" s'en approchaient; la colollne de Cha-
tillon n'en était plus qu'a peu de clistance; et
la division de Lu~on, qu'on avait mandée,
s'av3n<:;ait aussi, et devait venir se placer entre
les coJolllles de Mayence et de Chatillon. On
tOllchait donc an moment de la .follction gélll'-
raleo Le 1 S, l'armée de Mayence marchait en
deux masses vers Mortagne, qui venait d'etre
évaCllé. Kléber, avec le corps de bataille, for-
mait la gauche, etBeauplIY, la draite. Au méme
mament, la colarme de LlH;Oll arrivait vers'
Mortagne, espél'ant trouver un hataillon de
direction que Léchelle aurait dú faire placer
sur sa route. Mais ce général, qui ne filÍsait
rien, ne s'était pas nH~me acqujtté de ce soill
accessoire. La colonue est aussitót surprise par
LescUI·e, et se trollve assaillie -de t0l15 cótés.
Heureusement Beauplly, qlli était pres d'ellf'
par sa positioll vers Morlagne, accourt a son
seCOllrs, et parvieut a la dégager. Les Ven-
déens sont repoIIssés. Le malheul'enx Lescnre




:-)5'). Iuh/OLUT10N nUN\:AISI-:.
rec.;oit une halle au-dessus du sonreíl, et tombe
dan 5 les bras de ses soldats, qui l' emportent
et prellnent la fuite. La colonne de Lu(,;on se
réunit alors a eeHe de Beaupuy. Le jcune Mar-
ceau vcnait d'en prendre le eommandement.
A la gauehe, et dans le meme moment, Kléber
soutenait un combat vers Saint-Christophe,
et repoussait l'ennemi. Le 15 au soÍr, toutes
les tronpes républicaines bivouaquaient dans
les champs devant Chollet, ou les Venrléens
s'étaient retirés. La di\'ision de LlH;on était
d'environ trois mille hommes, ce qui, avec
la colollne de Mayence, faísait a peu pres dOllze
OH treize mille.


Le lendemain matin 16, les V endéens, apres
quelques coups de canon, évacuerellt Chollet,
et se repliel'eut sur Beaupréau. Klébcl' y entra
aussitót, et, défendant le pilIage SOI1S peine de
mort, y fit observer le plus grand ordre. La
colonlle de Lu<,;on fit de meme a MOI,tagne.
Ainsi tous les historiens qui ont dít qn'on bruja
ChoUet et Mortagne ont commis une erreuI'
ou avancé un mensonge.


Kléber 6t aussitót toutes ses dispositions,
car Léchelle était a deux lieues en arriúe. La
riviere de Moine passe devant Chollet; aa-dela,
se trouve un terrain montlleux, illégal, forman!
un demi-cercle de hallte;¡rs. A gallcht, de ce




CONVEl'iTION N ATlOl'IALh (179:1). 353
demi-cercle, se trouve le bois de Chollet; au
centre de ChoUetnH~me, et a droite, un chateau
élevé. Kléber pla({a Beaupuy, avec l'avant-garde,
en avant du bois; Haxo, avec la réserve des
Mayen<¿ais, derriere I'avant-garde, et de maniere
a la soutellir; il rangea la coloJlne de Lll(,;on,
commalHlée par Marcean, an centre, et Vimellx,
avec le reste des Maycll4;:ais, a la droite, sur les
hauteurs. La colonne de Chatillon arriva dans
lanuítdu 16 au 17. Elle étaitapeuprés de
neuf ou dix mili e hommes, ce quí portait les
forees totales des républicains a vingt - deux
mille environ. Le 17, au matin,on tint eonseil.
Kléber n'aimait pas sa position en avant de
Chollet, paree qu'elle JI'avait qu'une retraite,
le pont de la riviere de Moine aboutissant a la
vilIe. Il vonlait qu'on marddtt en avant pour
tOllI'ner .Beaupréall, et couper les Vendécns de
la Loire. Les représentallls eombattil'eut son
avis, paree que la eolorme venue de Chatillon
avait hesoin d'uII jour de reposo


Pendant ce temps, les che[s vendéens déli-
béraient a Beauprpall, au milieu d'une horrible
confusion. Les paysans trainaient avec cux lelll's
femmes, leurs ellfants, leuJ's bestiaux, et fur-
maient une émigration de plus de ceut mil le in-
dividus. Larochejacquelein, d'Elbée, auraient
voulu qu'on se !'it tuer sur la rive gauche; mais


Y. 23




35!~ llÉVOLUTION FRA Nf,:A 1 SI':.
Talmont, d'Autichamp, qui avaient une grande
influence en Bretagne, désiraienl impatiem-
ment qu'on se transportat sur la rive droite.
Bonchamps, qui voyait, dans une excursioll
vers les cotes du N ord, une grande entreprise,
el qui avait, dit-on, un projet lié avec I'Angle-
terre, opinait pour passer la Loire. Cependant
iI était assez d'avis de tenter un dernier effort,
et d' essayer une grande bataille devant CholleL
A vant d' engager le combat, il fit envoyer un
détachement ele qllatre mille hommes a Vara-
des, pour s'assurer un passage sur la Loire en
cas de défaite.


La bataille étaitrésolue. Les Vendéens s'avan-
cerent, an nombre de quarante mille hommes,
sur Challet, le 15 octabre, a une heure apres
midi. Les généraux républicains ne s'atten-
daient pas a etre attaqués, et venaÍent d'ordon-
ner un jour de reposo Les Vendéens s'étaient
formés en trois coIonnes : l'une dirigée sur la
gauche, ou étaient Beaupuy et Haxo, l'antre
sur le centre, commandé par Marceau , la troi-
sieme sur la droite, confiée a Vimeux. Les Ven-
déens marchaient en ligne et en rang? comme
des troupes régulieres. Tous les chefs blessés
qui pouvaient 5upporter le cheval étaient an
milieu de leurs paysans, et les soutenaient en
ce jour qui dcvait décider de leuf existcllCt' /'1




( 3' :l. 5~ CONVENTIOl'i N ATION ALE 179). J.J
de la possession de leurs foyers. Entre Beau-
préau et la Loire, dans chaque commune qui
leur restait, on célébrait la messe , et OH in-
voqnait le cíel pour cette cause si malheureuse
et si menacée.


Les Vendéens s'ébranlent, et joignent l'avant-
garde de Beaupuy, placée, comme nous l'a-
vons dit, dans une plaine en avant du boís
de Chollet. Une partie d'entre eux s'avance en
masse serrée, et charge a la maniere des tron-
pes de ligne; les autres s'éparpillent en tirail-
leurs pour tourner l'avant-garde, et meme l'aile
gauche, en pónétrant dans le boís de CholIet.
Les républícains accablés sont forcé s de pIier;
Beaupuya deux chevaux tués sous lui; iI tombe
embarrassé par son épcron , et allaít etre pris,
lorsqu'il se jette derriere un caisson, se saisit
d'un troisieme cheval, et va rejoindre sa co-
lonne. Dans ce moment, Kléber accollrt vers
l'aile menacée; jI or<lonne an centre et a la
droite de ne pas se dégarnir, et mande a Chal-
bos de faire sortir de Chollet une de ses co-
lonnes pour venir aa secours de la gauche.
Lui-meme se place aupres d'Haxo, rétablit la
confiance dans ses bataillons, et ramene au feu
ceux qui avaient plíé sous le grand nombre.
Les Vendéens sont repoussés a leur tour, re-
viennent avec acharnement , et sont rcpoussés


23.




156 r:1;V()LT1TIO~- FI1A"0A1f-1'.
ellcore. Pendant ce temps, le combat s'engage
au centre et a la dl'oite avec 1", meme furellr.
A la omite, Vimeux f'st si bien plaeé, que tous
les efforts de l'ennemí demellrent impuis-
sants.


AH centre, cependallt, les V clldéens s'avan-
cent avec plus d'avantagc qu'aux dC!lx aires, et
penetrent dan s l'enfoncement ou se trollve le
.¡eune Marcean. Kléber y aeeourt pour soutenir
la eolonne de Lnc;oll, et, a l'instant meme,
l'rme des divisíons de Chalbos, qn'il avait oe-
mandée, sort de Chollet, HU nombre de quatre
mille hommes. Ce renfort ét:lit d'une grande
importance dans ce moment; mais, a la vne
de eette plaine en fea, eette division mal 01'-
ganisée, eomme tontes celles de l'armée de
La Rochelte, se débande et rentre en désordre
dansChollet. Kléber et Marceau restent au cen-
tre avec la sPlde colonne de LU<,~on. Le jeune
Marcean, C¡lli la cornmande, ne s'intimide pas;
iI laisse approcher J'ennemi :l. une portée de
fusil, puis tout-a -COl! p démasque son artille-
rie, et, de son feu imprévu, arrete el accable
les Vendéens. Ceux~ci résistent d'ahord; iIs se
rallient, se serrent sous une pIuie de mitraille;
mais bientót ils cedent et fuient en désordre.
Dans ce moment, 1e11r déronte est généra1e an
centre, a la drnite f't a la gallche; Reallplly,




CONVENTION N ATJON AU: l I 793). 357
~lVtX son avant - garde ralliée, les poursuit a
tOll te outrance.


Les colounes de Mayence et de Lw;;on étaient
les seules qui eusscnt pris part a la hataille.
Ainsi lreize mille hommes en avaient battu
quaralltc miHe. De part et d'autre, on avait dé-
ployé la plus gr'ande valeur; mais la régularité
et la discipline déciderent l'avantage en faveur
des républicains. Marcean, Beaupuy, Merlín.
qui pointait lui-meme les pieces, a vaiellt d~­
ployé le plus grand hérolsme; Kléber avait mon-
tré son coup-d'ceil et sa vigueur aecoutumés
sur le champ de bataille. Dll coté des Ven-
déens, d'Elbée, Bonchamps, apres avoir faít
des prodiges , avaient été blessés a mort; La-
rochejacquelein restait seul de tOliS les chefs,
et il n'avait rien ollblié ponr partager leurs
glorieuses blessures- I"c combat avait duré de-
puis deux heures jusqu'a six.


L'obscurité régnait déja de toutes parts; les
V cndéens fuyaíent en toute hate, jetallt leurs
sahots sur les routes. Beaupuy les suivait a perte
d'haleine. A Beauplly s'était joint Westermann,
qui, ne voulant pas partager l'inaction des
troupes de Chalbos, avait pris un corps de ca-
valeric, et courait, a bride abattue, sur les
fuyards. Apres avoir poursllivi l'enllemi fort
lüng-Lemps, Reallpny et yV ('slermanll s'arretent~




358 RÉVOLUTION FRAN0AISE.
et songent a faire reposer lenrs troupes. Cepen-
dant, disent -ils, nons trollverons plutot du
pain a Beaupréau qu'a Chollet, et ils osent
marcher sur Beaupréan, ou l'on supposait que
les Vendéens s'étaient retirés en masse. Mais la
fuite avait été si rapide, qu'une partie se trou-
vait déja a Saint -Florent, sur les bords de ]a
Loire. Le reste, a l'approche des républicaíns ~
évacue Beaupréau en désordre, et leur cede ce
poste ou ils auraient pu se défendre.


Le lendemain matin 18, l'armée entiere
marche de Chollet vers Beaupréau. Les avant-
gardes de Beaupuy, placées sur la route de
Saint-Florent, voient un grand nombre d'in-
dividus accourir en criant : Vi"e la république,
vive Bonchamps! On les interroge, et ils ré-
pondent en proclamant Bonchamps comme
leur libérateur. En effet, ce jeunc héros, étcndu
sur un matelas, et pret a expirer d'un coup de
feu dans le bas-ventre, avait demandé et ob-
tenu la grace de quatre mille prisonniers que
les Vendéens tralnaient a leur suite, et qu'ils
voulaient fusiller; ces prisoTlniers rejoignaient
l'armée républicaine.


Dans ce moment, quatre-vingt mille indivi-
dus, femmes, enfants, vieillards, hommes ar-
més, étaient au bord de la Loíre ,avecles débris
ele ce qu'ils possédaÍent, et se disputaient une




CONV:ENTION NATIONALE (1793). 359
vingtaine de barques pour passer a }'autre
bordo Le conseil supérieur, composé d€ls chefs
qui étaient capables encore d'ppiner, délibé-
rait s'il fallait se séparer ou porter la guerre
en Bretagne. QueIques - uns auraient vouIn
qu'on se dispersat dans la Vendée, et qu'on
s'y cachat en attendant des temps meilleurs ;
Larochejacqllelein était du nombre, et iI con-
seillait de se faire tuer sur la rive gauche pIu-
tot que de passer sur la rive droite. Cependallt
l'avis contraire prévalut, et on se déciua a res-
ter réunis et a passcr outre. Mais Bonchamps
venait d'expirer, et personne n'était capable
d'accomplir les projets qll'il avait formés sur
la Bretagne. D'Elbée, mourant, était envoyé a
Noirmoutiers; Lescure, blessé a mort, était
transporté sur un brancard. Quatl'e-vingt mille
individus qllittaient leul's champs, allaient
pOl'ter le rava-ge dans les champs voisins, et
y chercher l'extermination, pour quel but,
granel Dieu 1 pour une cause absnrde et de
toutes parts délaissée OH hypocritement dé-
fenuue! Tandís que ces infortnnés s'exposaient
généreusement a tant de maux, la coalition
songeait a peine a eux, les émigrés intriguaíent
dan s les cours, quelques - uns seulement se
battaient bravement sur le Rhin, mais dans
les rangs des étrangers; et personne encore




360 nÉ'·OLUTION FnANyAISI!.
n'avait songé a envoyer ni un soldat, ni uu
écu, a eeUe malheurense Vendée, déja signalée
par vingt eombats hérolques, et aujourd'hl1j
vaincue, fugitive et désolée.


Les géuéraux républicains se réuniJ'ent a
Beallpréau, et la on résolllt de se diviser, et
de se rendre, pal'tie a Nantes et partie á An-
gers, pour empecher un eoup de maÍu sur
ces deux places. L'avis des représentants, non
partagé pOllJ'tant par Kléber, fut que la VeIl-
dée était détruite. La Pendée n'est plus, écri-
virent-ils a la couvention. On avait donné jus-
qu'au 20 octobre a l'armée pour en finir, et
elle avait terminé le 18. L'armée du Nord avait,
]e meme jour, gagné la bataille de Watignies,
et avait terminé la campagne en débloquant
Mallbeuge. Ainsi, de toutes parts ,la con vcn-
tion semblait n'avoir qn'a décréter la victoire
pour l'assurer. L'enthollsiasme fut au combIe
a Paris et dans toute la Franee, et on corn-
men<;;a a croire qll'avant la fin tle la saisull la
répl1blique serait victorieuse de tous les tro-
nes conjurés contre elle.


Un seul événement pOllvait troubler cette
.loie, c'était la perte des lignes de Wissem-
bOllrg sur le Rhin, qui avaient été forcées le
13 et le 14 octobre. Apres l' échee de Pirma-
sens, nous avons laissé les Prussiens et les




CONVJ<:NTION NATIONAL)' (1793). 36\
Autrichiens en présence des lignes de la Sarre
et de la Lauter, et menac;ant achaque instant
de les envahir. Les Prussiens, ayant inquiété
les Franc;ais sur les hords de la Sarre, les ohli-
gerent:'t se replier. Le corps des Vosges, re-
jeté au-de1a d'Hornhach, se retira fort en ar-
riere a Bitche, dans ) e centre des montagnes;
l'armée de la Moselle, repoussée jusqu'a Sarre-
guemines, fut séparée du corps des Vosges et
de l'armée du Rhin. Dans eette POSitiOIl, il de-
venait facile aux Prussiens, qui avaient, sur le
revers occidental, dépassé la ligne commune
de la Sarre et de la Lauter, de détourner les li-
gnes de Wissemhourg par leur extreme gauche.
Alors ces ligues devaíent tomber néeessaire-
mento e'est ce qui arriva le 13 octohre. La
Prusse et I'Autriche, que llOUS avons vues en
désaccord, s'étaient enfin entendues; le roí de
Prusse s'était reudu en Pologne, et avait laissé
le commandement :'t Brunswick, avec ordre
de se concerter avec Wurmser. Du 13 au 14
octobre, tandis que les Prussiens marchaient
le long de la ligne des Vosges jusqu':'t Bitche,
bien an-deL} de la hauteur de Wissemhourg,
Wurmser devait attaquel' les lignes de la Lau-
ter sur sept cotonnes. La premiere, sous le
prince de Waldeck, chargéc de passer le Rhiu
a Seltz, et de tourllel' Lautcl'bourg, rencontra.




362 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
dans la nature des lieux et le cOUl'age d'un
demi-bataillon des Pyrénées, des obstac\es in-
vincibles; la seconde, bien qu'elle eut passé
les lignes au-dessous de Lauterbourg, fut re-
poussée; les autres, apres avoir obtenu au-
dessus et autour de Wissembourg des avanta-
ges balancés par la résistance vigoureuse des
Fran(,;ais, s'emparerent cependant de Wissem-
bourg. Nos troupes se retirerent sur le poste
au Geisberg, pIacé un peu en arriere de Wis-
sembourg, et beaucoup plus difficile a em-
portero On ne pouvait pas regarder encore les
lignes de Wissembourg comme tout-a-fait per-
ciues; mais la nouvelle de la marche des Prus-
sicns sur le revers occidental, obligea le géné-
ral franc;;ais a se replier sur Haguenau et sur
les lignes de la Lauter, et a céder ainsi une
partie du territoire aux coalisés. Sur ce point,
la frontiere était done envahie; mais les succes
<Iu Nord et de la Vendée convrirent l'effet de
cette mauvaise nouvelle. 00 eovoya Saint-Just
et Lebas en Alsace, pour cootenir les mouve-
meots que la noblesse alsacienne et les émi-
grés excitaient a Strasbourg. On dirigea de ce
coté des levées nombreuses, et on se consola
par la résolutioo de vaincre sur ce point comme
sur tous les autres.


Les craintes affl'euses qu'on avait cow;:ues




CONVENTION NATIONALE (1793). 363
dans le mois d'aout, avant les victoires d'Rondt-
schoote et de Watignies , avant la prise de Lyon
et la retraite des Piémontais au-dela des Alpes,
avant les succes de la Vendé e , étaient dissi-
pées. On voyait, dans ce moment, la frontiere
du Nonl, la plus importante et la plus mena-
cée, délivrée de l'ennemi, Lyon rendu a la
république, la Vendée soumise, toute rébel-
lion étouffée dans l'intérieur jusqu'a la fron-
tiere d'ltalie, Ol! la place de Tonlon résistait
encore, il est vrai, mais résistait seule. Encore
un sucd~s aux Pyrénées, a Toulon, au Rhin,
et la république était complétement 'Victo-
ríense, et ce triple succes ne semblait pas plus
difficile a obtenir que les autres. Sans doute,
la tache n'était pas finie, mais elle pouvait
l'ctre bientot, en continuant les n)(~mes efforts
et les memes moyens : 011 n'était pas encore
entierement rassuré, mais on ne se croyait
plus en danger de mort prochaine.






tnNvj,NTION "d.TfON ALE (1793). 365


CHAPITRE VI.


Effets des ¡ois l'él'olu tionnaires; proscriptions 1t Lyon, a
Marseillc el ;\ BOl'deaux.-PersécutiollS dirigées eontrc
)¡'!S .fUspects. llltérirur des prisons de Paris; état des
prisonniers a la Coneiergerie. - La reine Marie-Alltoi-
nette est sl'parpe de sa famille el transférée á la Con-
eiergerie; tourments {J\l'on lui fait subir. Condllite
atroee d'Hébert. Son proces devant Ir tribunal révolu-
rionnaire. ElIl' est condanmée 11 mort et exécutée. -
Détails du pro ces el du suppliee des girondins. -
Ex'écution du due d'Orléans, de Bail1y, deMmeRoland.
- Tcrrrul' généralr. Seconde loi du maximum.-Agio.
rage. Falsilicatio'u d'tm décret par quatre déplItés. -
~:tabli';5ernelll UIL I10UYl~alL systeme métrique et du ca-
lelldrier républi"aill. - Abolition des anciens cultes;
abjur¡ltion de Gobel, ¡',véqlle de Paris. ~~tablissement
du culte de la Raison.


LÉs mesures révolntionnaires déerétées ponr
1(' salut de la Franee s'exéeutaient dans tonte
";Ol! í'knrlne ;lVPC Jn derniere rJgw~l1r. Jma~iw




366 JUiVOLUTJON FRAN~AISE.
nées par les hommes les plus aruents, elles
étaient violentes dans leur príncipe; exécutées
loin des chefs qui les avaient con({ues, dans une
région inférieure, ou les passions moins éclai-
rées étaient plus brutales, elles devenaient en-
core plus violentes dans l'application. On obli-
geait une partie des citoyens a quitter leurs
foyers, on enfermait les autres comme suspects,
on faÍsait enlever les denrées et les marchan-
dises pour les besoins des armées, OH impo-
sait des corvées pour les transports accélérés,
et on ne donnait en échange des objets requis
ou des services exigés, que des assignats, 011
une créance sur l'état, qui n'inspirait aucune
confiance. On poursuivait rapidement la ré-
partition de l'emprunt forcé, et les réparti-
teurs des communes disaient allX uns ; Vous
avez dix mille livres de rente, aux autres :
Vous en a vez vingt; et lous, sans pouvoir ré-
pliquer, étaient obligés de fournir la somme
demandée. De grandes vexations résultaient
de ce vaste arbitraire; mais les armées se rem-
plissaient d'hommes, les vivres s'acheminaient
en abondance vers les dépóts, et le milliard
d'assignats qu'il fallait retirer de la circlllation,
commel1(;;ait a etrc pen;;u. Ce n'est jamais sans
de grandes douleurs qu'on opere si rapide-
ment, et qu'on sauve un état menacé.




CONVENTION NATlONALI( (1793). 367
DallS tous les lieux ou le danger plus immi-


nent avait exigé la présence des commissaires
de la convention , les mesures révolutionnail'es
étaient devenues plus rigoureuses. Pres des
frontieres et dan s tous les départements sus-
pccts deroyalismc ou de fédéralisme, ces com-
missaires avaient fajt lever la population en
masse; ils avaient mis toutes choses en réqlli-
sition, frappé les riches de taxes révolution-
naires, en outre de la taxe générale résultant
de l'emprunt forcé; ils avaient accéléré l'em-
prisonnemellt des suspects, et quelquefois,
eufin, ils les avaient fait juger par des commis-
sions révolutionnaires instituées par eux. La-
planche, envoyé dans le département dn Cher,
disait, le 2.9 vendémiaire, aux jacobins: "Partont
« fai mis la terreur a l'ordre da jOllr; partont
(1 j'ai imposé des contributions sur les riches
« et les aristocrates. Orléans m'a fourni cin-
« quante mille livres; et deux jours m'ont suffi
« a Bourges pour une levée de dellx milliolls.
« Ne ponvant ctre partont, mes délégués m'ont
cc suppléé : un individu nommé Mamin, riche
« de sept millions, et taxé par l'un d'eux a
c( quarante mille livres, s'est plaiut a la conven-
« tion, !qui a applandi a ma condnite ; et s'il eut
( été imposé par moi-meme, jI eut payé deux
I( millions. J'ai fait rendre, a Orléans, un comptC'




368 R livOLUTlON FilAN VAlSE.
« public a mes délégllés; c'est an sein de la
« société popnlaire qu'ils 1'ont rendn, et ce
«( compte a été sanctionné par le peuple. Par-
( tout j'ai fait fondre les c1oches, et réllni
(( plusieurs paroisses. J'ai destitué tous les fé-
«( déralistes, renfermé les gens slIspects, mis
( les sans-culottes en force. Des pretres avaient
C( toutes leurs commodités dans les maisofls de
c( réclusion; les suns-culottes couchaient sur la
« paille dans les prisons; les premiers m'ollt
(( fourni des matelas ponr les dCl'l1iers. Partant
« j'ai fait marier les prelres. Partout j'ai élec-
«( trisé les CcellI'S et les esprits. J'ai organisé des
( manufactures d'armes, visité les ateliers, I¡>s
( hopitallx, les prisons. J'aí fait partil' pl!lsieurs
(( bataillons de la levée en masse. J'ai passé en
«( I'evue quantité de gardes llationales pour les
« républicaniser, etj'ai fait guillotiner plusieurs
(( royalistes.Enfin, j'aisuivimon mandat ill'pé-
t( ratif. J'ai agi partout en chand mOlltagnal'd,
(( en représentant révolutionnaire. Il


Cest surtout dans les trois principales villes
fédéralistes, Lyon, Marseille etBol'dcallx , que
les représentants venaíeut d'impril1ler IIne pro-
foude terreur. Le formidahle décret reudll
contre Lyon portait que les rebelles et lenrs
complices seraient militairement jugés par une
commission, que les sans - culottes seraient




CONVENTION NATIONALE (1793). 369
nourris aux dépens des aristocrates, que les
maisons des riches seraicnt détruites, et que
la ville changerait son nomo L'exécution de ce
décret était confiée a Collot-d'Herbois, Maribon-
Montaut et Fouché 'de Nantes. Ils s'étaient
rendus a Commune - Affranchie, emmenant
avec eux quarante jaeobins, pourorganiser un
nOllveau club et propager les principes de la
société-mere. Ronsin les avait suivis avec deux
mille hommes de l'armée révolutionnaire, et
ils avalent aussitot déployé leurs fllreurs. Les
représentants donnerent le premier coup de
marteau sur l'une des maisons destinées a etre
démolies, et huit cents ouvriers se mirent sur-
le-champ a l'ouvrage pour détruire les plus
belles rues. Les proscriptions avaient com-
meneé en, meme temps. Les Lyonnais soup-
I{onnés d'avoirpris les armesétaient guillotinés
ou fusillés au nombre de cinquante et soixante
par jour. I.Ja terreur régnait dans eette malheu-
reuse cité: les commissaires envoyés pour la
punir, entrainés, enivrés par l'effusion du
sang, croyant, a ehaque eri de douleur, voir
renaitre la révolte ,écrivaient a la convention
que les aristocrates n'étaient pas réduits en-
eore, qu'ils n'attendaient qu'uneoceasion pour
réagir, et qu'il fallait, pour n'avoir plus rien a
craindre, déplacer orw partie de la population


r. 2',




:170 nliVOI.lJ'fION FRA N~::,\ rSE.
d délruire l'autre. Comme les moyens mis eH
usage ne paraissaient pas assez rapides, Collot-
d'Herbois imagina d'employer la mine pom
détruire les édifices, la mitraille pOllr immoler
les proscrits; et il éerivlt a la convention que
bientot il allait se servir de moyens plus pl'ompts
·et plus efficaces pour punir la ville rebelle.


A Marscille, plusieurs victimes avaient déj:'t
slIecombé. 1\lais toute la colere des représen-
tants était dirigée contl'e TUIlIon, dont ils
poursuivaient le siége.


Dans la Gironde, les vengeanees s' exer<;aiellt
avee la plus grande fllrcur. Isabeau et 1'all1e1l
s'Haient placés a la Réole : la, ils s'occupaient á
former le noyau d'une armée révolutionnaire
pom' pénétrer oans Bordeaux, et, en attendant,
ils tachaiellt de désorgalliser les seetions dí'
eette ville. POUI' cela, iIs s'étaient servis d'une
seetion qui était toute montagllarde, et qui, par-
venant a effrayer les autres, avait fait fermer
successivement le club fúdéraliste et oestituerIes
autorités départemclltales. Alors ils étaicnt en-
trés triomphalement dans Bordeaux, et avaient
rétabli la municipalité et les autorités· monta-
gnardes. Immédiatement apres, ils avaient
rendu un arreté portant que le gouvernement
de Borde:wx serait militaire, que tous les ha-
tants seraient désarmés, qu'une commission




CONVEU'ION NATlONALF. (1793). 371
spéciale jugerait les aristocrates et les fédé·
ralistes, et qu'on leverait immédiatement sur
les riches une taxe extraordinaire, pour four ..
nir aux dépenses de 1 'armée révolutionnaire.
Cet arreté fut al1ssitot mis ~ exécution, les
citoyens fu rent désarmés, et une fouJe de tetes
tomberent.


C'est a cette époqlle meme que les députés
fugitifs, qlli s'étaient embarqués en Bretagne
pour la Gironde, arrivaient a Bordeaux. lis al-
lerent tous chercher un asile chez une parente
de Guadet, dans les grottes de Saint-Émilion.
On savait confusément qu'ils étaient cachés de
ce coté, et Tallien faisait les plus grands ef-
forts pOllr les découvrir. Il n'y avait pas réussi
encore, mais il parvint malheureusement a
sai5ir Biroteau, ven u de LyOIl pour s'embar-
quer a Bordeaux. Ce deruier était hors Ja loi.
Tallien fit allssitot constater l'identité et con·
sorrimer l'exécutíon. Duchatel fut aussi décou·
vert; mais eomme il n'était pas hors la loi, il
fut transféré a París ponr etre jugé par le b'i-
bunal révolutiollnaire. On luí adjoigllit les trois
jeunes amis Riouffe, Giray.Dupré et Marchen·
na, qui s'étaient, comme on 1'a vn, attachés a
la fortnne deos girondins.


Ainsi , toutes les grandes villes de France su.
bissaicnt les vengeances de la Montagne. Maís


:J.4·




372 J1ÉVOLUTION l-'RAN<;:AISE.
París, tout pleill des plus illustres vlctuues,
allait devenir le théatre de bien plus grandes
cruautés.


Tandis qu'on préparait le proces de Marie-
Antoinette, des girondins, du duc d'Orléans,
de Bailly, d'une foule de généraux et de mi-
nistres, on remplissait les prisons de suspects.
La commune de París s' étaít arrogé, avons-
HOUS dit, une espece d'autorité législative sur
tous les objets de police , de subsistance, de
commerce, de culte, et, achaque décret, elle
reudait un arreté explicatif pour étendre 011
limiter les volontés de la convention. Sur le
réquisitoire de Challmetle, elle avait singulie-
rement étendu la définition des suspects, don-
née par la loi du 17 septembre. Chaumett('
avait, dans une instruction municipale, énu-
méré les caracteres auxqueIs il rallait les ,'econ-
naitre. eette instruclion , adressée aux sections
de Paris, et bientot a toutes celles de la répu-
blique, était con({ue en ces termes:


« Doivent etre considérés comme suspects :
« 1 o ceux qui, dans les assemblées du peuple,
« arl'etent son énel'gie par des discoUl's astu-
« cieux, des cris turbulents et des menaces;
« 2° ceux qui, plus prudents, parlent mysté-
« rieusement des malheurs de la république,
« s'apitoieut sur le sort du peuple, et sont




(',ONVENTlON N ATlON AL}; (J 793 j. 373
« toujours prets a répandre de mauvaises nou-
(( velles avec une douleur affectée; 3° ceux qui
«( out changé ele conduite et de langage selon
(e les événements; qui, muets sur les crimes
« des royalistes et nes fédéralistes , déclament
ee avec emphase contre les fautes légeres des
" patriotes, et affectent, pOllr paraitre répu-
« blicains, uue austérité, une sévérité étu-
(( diées, et qui cedent aussitót qn'il s'agit d'un
fe modéré ou d'un aristocrate; 4° ceux qui plai-
« gnent les fermiers, les marchands avides,
« contre lesquels la loi est obligée de prendre
«( des mesures; 5° ceux qui, ayant toujours les
(( mots de libe1'té, république et patrie sur les
« levres, fréq\lentent les ei-elevant nobles, les
( prctres, les contre-révolutionnaires, les aris-
( tocrates, les feuillants, les modérés, et s'in-
" téressent a leur sort; 6° ceux quí n'ont pris
(e aucnne part active dans tout ce qui intéresse
«( la révolution, et qui, pour s' en disculper, font
« valoir le paiement de leurs contributions,
(e leurs dons patriotiqlles, lellrs services dans
« la garde nationale par remplacement ou au-
« tremeut; 7° cenx qui 011t re~u avec indiffé-
(r rence la constitlltion républicaine, et ont fait
« part de fausses crain tes sur son établissement
«( et sa durée; 8° ceux qui, n'ayant rien fait
f( contre fa liberté, n'ont 3ussi rien fait PO!u'




374 nÉVOLUTlON }'RAN~A1S}:.
« elle; 9° ceux qui ne fréquentent pas leurs
(( sections, et donnent pour excuse qu'ils ne
« savent pas parler, ou que leurs affaires les en
(( empechent; 100 ceux qui parlent avec mé-
c( pris des autorités constituées, des signes de
«( la loi, des sociétés poplllaires , des défenseurs
e( de la liberté; 11 0 ceux qui ont sigilé des péti-
« tions contre-révolutionnaires, ou fréquenté
«( des sociétés et clubs anticiviques; 12· ceux
( qui sont reconnus pour avoir été de mauvaise
~( foi, partisans de Lafayette, et cellX qui ont
( marché au pas de eharge au Champ-de-Mars. ))


A vec une telle <1éfillitioll, le nombre des sus-
pects devait etre iIlimité , et bientot il s'éleva ,
daus les prisons de París, de quelques cents a
trois mille. D'abord on les avait placés a la
Mairie, a la Force, á la Conciergerie, a l' AL-
baye, a Sainte-Pélagie, aux Madelonettes, dans
toutes les prisons ordinaires de l'état; mais ces
vastes dépots devenant insuffisants, on songea
a établir de nouvelles maisolls d'arrt~t, spécia-
lement consacrées aux détenus politiques. Les
frais de garde hant a la charge des prisonniers,
on loua des maisons a leul's dépens. On en
choisit une dalls la rue d'Enfer, qui fnt connue
sous le Hom de maison de POl't Libre, une autre
dalls la rue de Sevrf's, appelée maison Lazare.
Le collége Duplessis df'viut un lieu de déteu-




CONVF.NTlON NATlONAU (1793). 3T)
tion; entin le palais du Luxembourg, d'abord
destiné a recevoir les villgt-deux girondins, fut
rempli d'un granel nombre de prisonniers, el
renferma pele- mele tOllt ce qui restait de la
brillante société du faubourg Saint-Germain.
Ces arrestations subites ayant arnené un encom-
bremenl dans les prisons, les détenus furent
d'abord mal logés. Confondus avec les mal-
t~titeurs et jetés sur la paille, les prerniers mo-
ments de leur détention furent crueIs. Bientot,
cependant, le temps ameIla l'ordre et les adou-
cissemellts. Les comrnunications avec le dehor;'
leur étallt permises, iIs curent la consolation
d' embrasser leurs proches, et la faculté de se
procurer de l'argellt. Alors ils louerent des lits
ou s'ell firent apporter; ils ne coucherent plus
sur la pailIe, el furent séparés des malfaí teurs.
On leur accorda meme tOlltes les commodités
qui pouvaient rendr'e leur sort plus supporta-
ble: cal' le Jécrd permettait de transporter
dans les ruaisons d'arret tous les objets dont
les dÚeuus allraient besoin. Ceux qui habi-
taient les maisoIls nouvellement établies furellt
encore mieux traítés. A Port - Libre, dalls la
maison Lazare, au LuxernbouJ'g, ou se troll-
vaient de riches prisonniers, on vit régner la
pl'Opreté el l'abondance. Les tables étaient dé-
]ic~tcf\lent sel'vies, lllOypnnant les droits d'en-




376 nÉVOLUTiON J:'RAN~AlSE.
trée que prélevaient les geóliers. Cependant
I'affluence des visiteurs étan t devenue trop
considérable, et les communications avec le
dehors paraissant une trop gramle faveur,
eette cOllso)ation fut interdite, et les détenus
ne purent plus communiquer avec personlle
que par écrit, et seulement pomo se procurer
les objets dont ils avaient besoin. Des cet
iustan!, la société parut devenir plus intime
entre'ces malheureux, condamnés a exister ex-
clusivement ensemble. Chacull se rapprocha
suivant ses gouts, et de petites sociétés se for-
merent. Des réglements furent etablis; on se
partagea les soins domestiques, et chacun en
eut la charge a son tour. Une souscription fut
ouverte pour les Erais de logement et de noul'-
riture, et les riches contribuerent aiusi pomo
les pauvres.


Apres avoir vaqué aux soins de leur ménage,
les différentes chambrées se réunissaient dan;;
des salles communes. Autour d'une table, d'lIu
poele, d'uue chemi.née, se formaient des grou-
pes. On se livrait au travail, a la lecture, a la
conversation. Des poetes, jetés dans les fers
avec tont ce qui avait excité la défiance par
une supériorité quelcouque, lisaiellt des verso
Des musiciens donnaient des COllcerts, et OH
entendait chaque jOUI" de l'exceIlente musique




CON VENTION N ATION A.LE (1 7~3). 377
dans ces lieux de proscription. Bientcit le luxe
accompagna les plaisirs. Les femmes se pare-
rent, des liaisons d'amitié et d'amour s'établi-
rent, et on vit se reprocluire, jusqu'it la veille
de l'échafaud, toutes les scenes ordinaires de
la société. Singulier exemple du caractere fran-
(!ais, de son insouciance, de sa galté, de son
aptitude au plaisir dans toutes les· situations
de la vie!


Des verseharmants. des aventures romanes-
que s , des actes de bienfaisance, une confusion
singuliere de rangs, de forturte et d'opinion,
signalerent ces trois premiers mois de la déten-
tion des suspects. Une sorte d' égalité volontaire
réalisa dans ces lieux ectte égalité ehimérique
que des sectaires opini::ttres voulaient faire ré-
gner partout, et qu'ils ne réussirent a établir
que dans les prisons. Il est vrai que l'orgueil
de quelques prisonniers résista a cette égalité
du malheur. Tandís qu'on voyait des hommes,
fort inégaux d'ailleurs en fortune, en édllca-
LioIl, vivre tres-bien entre eux, et se réjouir.
ave e un admirable désintéressement, des victoi-
res de eette république qui les persécutait, queL
ques ei-devant nobles et leul's femmes, trollvés
par hasard dans les hotels déserts du faubourg
Saint-Germain, vivaient a part, s'appelaient
cllcore des Iloms proscrits de comte ct de mar·




)78 nÉVOLUTION l'HAN(,:.\I~L
quis, et laissaient voir leur dépit quand 011
venait dire que les Autrichiens avaient fui á
Watignies, ou que les Prussiens n'avaient pu
franchir les Vosges. Cependant ]a douleur ra-
mene tous les creurs a la nature et a l'humanité :
bientOt, lorsque Fouquier-Tinville, frappallt
chaque jour a ]a porte de ces demeures déso-
lées, demanda san s cesse de nOllvellcs tetes;
quand les amis, les parents, furent chaque
jour séparés par la mort, ceux qui restaient
gémirent, se consolerent ensemble, et n'enrent
plus qu'un meme sentimcllt an mílien (les
memes malheurs.


Cependant les prisons n'offraíent pas toutes
les memes scenes. La Conciergerie, tenant au
Palais de Justice, et renfermant, a cause de
cctte proxÍmité , les prisonniers destinés au tri-
hunal révolutionnaire , présent:lit le rJolllou-
reux spectacle de quclqucs cents malheureux
n'ayant jamais plus de troís ou qnatre jotll's á
vivre. On les y transférait ]a vt'ille de Icm
jugement, et ils n'y passaient que le comt in-
tervalle qui séparaít ]eur .illgemcnt de lem'
exécntion. La, se trouvaient les girondins qU'OIl
avait tirés du Luxembonrg, leur premiere pri-
son; madame Roland, qui, arres avoir fait
évader son mal'i, s'était laissé enfermer sans
songer a fuir ~ les jeuíH's R iouffe , Girc,v-1)1/ pré~




CONVENTION NATlONA.LE (1793). 379
Bois - Guíon, attachés a la cause des députés
proscríts, et traduits de Bordeaux a Paris pour
y etre jugés eonjointement ave e eux; Bailly,
qu'on avait arreté a MeluIl; l'ex-ministre des
finanees Claviere, qui n'avait pas réussi a s'en.
fu ir eomme Lebrun; le due d'Orléans, transferé
des prisons de Marseille dan s ceHes de Paris;
les généraux Houchard, Brunet, tous réservés
au meme sort; et enfin l'infortunée Marie-An-
toinette, qui était destinée a devaneer a l'écha-
faud ces iIlustres vietimes. La. OH ne songeait
pas meme a se proeurer les commodités qui
adollcissaient le sort des détenlls dans les autres
prisons. 00 habitait de sombres et tristes ré-
duits, oú oe pénétraient ni la lumiere, ni les
consolations, ni les plaisirs. A peine les prison-
niers jouissaient-ils du privilége d't~tre eouehés
sur des lits, au lieu de l'etre sur la paille. Ne
pouvant se distraire du speetacle de la mort
eomme les simples suspeets, qui espéraient
n'etre que détenus jusqu'a la paix, ils t3.-
chaient de s'en amuser, et faisaient du tribu-
nal révolutionnaire et de la guillotine les plus
étranges parodies. Les girondins, dans leur
prison, improvisaient et jouaient des drames
singuliers et terribles, dont leur destinée et la
révolution étaient le sujeto C'est a minllÍt, lors-
que tOIlS les ge61iers reposaient, qu'ils eom-




:~8u lU::VOLUTION f'RAN0A1SJé.
llleu<{aient ces divertissements lugubres. Voió
l'uu de ceux qu'ils avaient imaginés. Assis cha-
CIII1 sur un lit, ils figuraient et les jnges et les
jlll'és du tribunal révolutionnaire, et Fouquiel'-
Tinville lui-meme. Denx d'entre eux, placés
vis-a-vjs, représentaient l'acclIsé avec son dé-
fensenr. Suivant l'nsage du sanglant tribunal,
J'accusé était toujours conclamné. Étenduaus-
sitot sur une planche de lit que I'on renver-
sait, il snbissait le simuIacre du supplice jus-
que clan s ses moindres détails. Apres beaucoup
d'exécutions, l'accusateur devenait accllsé, et
sllccombait a son tour. Revenant alurs couvert
d'un drap de lit, iI peignait les tortures qu'il
endurait aux enfers, prophétisait leur destinée
a tous ces juges iniques, et, s'emparant d'eux
avec des cris lamentables, jI les entrainait dans
1 es ablmes ...... (( e' est ainsi, di t Riouffe, que
nous badinions dans le sein de la mort, et que
dans nos jeux prophétiques nons disions la
vérité au milieu des espions et des bourreaux. »


nepuis la mort de ensrine, 011 c()mmen~ait a
s'habituer a ces proces politiqucs, ou de sim-
ples torts d'opinion étaient transformés en
crimes dignes de mort. On s'accoutumait, par
une sanglante pratique, a chasser toos les
scrupnles, et a regarder enmme natnrel d' en-
\'oyer' a I'échafalld tout membre d'\l1\ I'arti




CONHNTJON NATlONALE (1793). 38t
contmire. Les eordeliers et les jaeobins avaíent
f~tit déerétel' la mise en j ugement de la reine,
des girondins, de plusieurs généraux et du due
d'Orléans. Ils exigeaient impérieusement qu'on
leur tint paroJe, el c'est surtout par la reine
qu'ils vOl/Jaient COmll1e~leer eette longue suite
d'immo/atioos. n semble qu'une femme aurait
du désarmer les fureurs politiques; mais OIl
portait plus de hai.ne encore a Marie-Antoi-
nette qu'a Louis XVI. G'est a elle qu'on re-
prochait les trahisons de la cour, les dilapida-
tions du trésor, et SUl'tout la gllcrre aeharnée
de l'Autriche. Louis XVI, disaít-on , avait tont
laissé faire; mais Marie-Antoiuette avait tout
fait, et e'est sur elle qu'il fallait tout punir.


Déja on a vu qneHes réformes avaient été
faites au Temple. Marie-Antoinette avait été sé-
parée de 5a sreur, de sa filie el de son fils, en
vertn du décret qui ordonnait le jugement ou
la déportation des derniers membres de la fa-
mille des Bourbons. On l'avait tl'ansférée a la
Conciergerie; et la, sen le , dans une prison
étroite, elle était réduite au plus strict néces-
saire comme tous les autres prisonniers. L'im-
prudence d'un ami dévoué relldit sa situation
encore plus pénible. Un membre de la mUlli-
cipalité, Michonnis, auquel elle inspirait un
vif inténh, voulut illtroduire anpres d'elle un




3ih nÉVOLUTlON FJlAN~AlSE.
indiviclu qui voulait, disait-il, la voir par cu-
riosité. Cet individu était un émigré courageux,
mais irnprudent, qui lui jeta un ceillet renfer-
mant ces mots écrits sur un papier tres-fin: Pos
amis sont p,.éts. Espérance fausse, et aussi dan-
gereuse pour ceHe qui la recevait que pour
celui qui la donnait! Michonnis et l'émigré
furent découverts et arretés sur-Ie-champ; la
surveillance exercée a l' égard de l'infortunée
prisonniere devint des ce jour encore plus ri-
goureuse. Des gendarmes devaient etre sans
cesse de ga"de a la porte de sa prison, et il
Ieur était expressément défendu de répondre
a aucune de ses paroles.


Le misérable Hébert, substitut de Chau-
meHe, et rédacteur de la dégoutante feuille dn
Pere Duchéne, l'écrivain du partí dont Víncent,
Uonsin, Varlet, Leclerc, étaient chefs, Hébert
s'était particulierement attaché a tourmenter
les restes infortunés de la famille détronée. JI
prétendait que la farrúIle du tyran ne devait
pas mieux etre traitée qu'une famille sans-cu-
lotte; et il avait fait remire un arreté qui sup-
primait l'espece de luxe avec lequel on avait
nonrri jusque-Ia les prisonniers <In Temple.
On illterdisait aux détenues la volaille et la
patisserie; OH les réduisait a une seule espece
d'aliment a déjeuner; a un potage, it un bouilli




CONVENTlON NATlONALE ([ 793). 383
el un pIat quelcouque a dlner; it deux plats a
souper, et une demi-bouteille de vin par tete.
La bougie était remplacée par la chandelle,
J'argenterie par l'étain, et la porcelaine par la
faience. Lcs porteurs d'eau ou de bois pou-
vaicllt seuls entrer dans ieur chambre, accom-
pagllés de deux commissaires. Les alimenLs ne
Icur parvellaient qu'au moyen d'un tour. Le
nombreux domestique était réduit a un cui-
sinier, un aide, deux servants, et une femme
de charge pour le linge.


Immédiatement apres cet arreté, Hébert s'é-
tait rendu au Temple, et avait inhumainement
arraché aux deux infortunées prisonnieres jus-
qu'it de petits meubles, auxqueIs elles tenaienl
beaucoup. Quatre-vingts louís que madame Éli-
sabeth avait en réserve, el qu'elle avait rec;us de
rnadame de Lam baIle, lui furellt enlevés. N nI
n' est plus dangereux, plus cruel que l'homme
sans lumieres et sans éducation, revetu d'une
autorité récellte. S'il a, surtout, une ame vile;
si, comme Héhert, qui distrihuait des contre-
marques a la porte d'un théatre, et volait sur
les recettes, iI est sans moralité naturelle, et
s'iI al'rive tout-a-coup de la fange de sa con-
ditioll au pouvoir, il se montrera aussi has
qu'atroce. Tel fut Hébert dans sa conduite au
Temple. 1\ 1If' se bOI'Jla pas aux vexatious que




384 RÉVOLUTION FltANC;:A ISE.
nous venons de rappol'ter; luí et quelques all-
tres imaginerent de séparer le jeune priuce de
sa tan te et de sa sreur. Un cordonnier, nommé
Simon, et sa femme, furent les instituteurs
auxquels on crut devoir le confier pour luí
donner l'éducation des sans-culottes. Simon et
sa femme s'enfermerent au Temple, et deve-
nant prisonniers avec le malheureux enfant,
se chargerent de le soigner a leur maniere.
Leur nourriture était meilleure que celle des
príncesses, et ils partageaient la table des com-
missaires mllnícipaux qui étaient de garde.
Simon pOtlvait, accompagné de deux commis-
saíres, descendre dans la COUI' dll Temple avec
le jeune prince, afio de luí procurer un pen
d'exercice.


Hébert conc;ut la pensée infame d'arracbcr a
cet eufant des révélations contre sa malheu-
reuse mere. Soit que ce misérable pretat a l'en-
fant de fausses révélations, soit qu'il eut abusé
de son age et de son état pour lui arracher
tout ce qu'i1 youJait, il proYoqua une déposi-
tion révoltante; et comme I'age du jeune prince
ne permettait pas de le conduire an tribunal,
Hébert vint y rapporter a sa place les infamies
que lui-meme avait dictées on supposées.


Ce fut le 14 octobre que Marie-Antoinette
parut rtevant ses juges. Tralnée au sanglallt fri-




CONV ENTlON N ATION HE (1793). 385
bunal par l'inexorable vengeance révolution-
naire, elle n'y paraissait avec auculle chance
d'acquíttement, car ce n'était pas pour l'y faire
absoudre que les jacobins l'y avaient appelée.
Cependant il fallait énoncer des griefs. Fon-
quier recueillit les bruits répandus dans le peu.
pie, depuis l'arrivée de la princesse en Franee;
et, dans I'acte d'aecusation, il luí reprocha
d'avoÍr dilapidé le trésor, d'abord pour ses plai-
sirs, puis pour faire passer des fonds a l' em pe-
reur son frere. 11 insista sur les seenes des 5
et 6 oetobre, et sur le repas des gardes-du-
corps, Jwétemlallt qll'elle avait tramé a eette'
époque un complot qui obligea le peuple a se
transporter a Versailles pour le déjouer. lllui
imputa ensuite de s'etre emparée de son épOIlX,
de s'etre melée du ehoix des ministres, d'avoir
eonduit elIe-meme les illtrigues avec les dépn-
tés gagnés a la cour, t!'avoir préparé le voyage
a Varennes, d'avoir amené la guerre, et livré
aux généraux ennemis tous IIOS plans de cam-
pagne. Il l'accusa d'avoir préparé une nouvelle
conspiration au 10 aout, d'avoÍr faÍt tirer ce
jour-Ia sur le peu pie, et engagé son époux a
se défendre en le taxant de lacheté; enn.n de
n'avoir cessé de machiner e"t de correspondre
au dehors depuis sa captivité au Temple, et
d'y avoir traité son jeune fils en roi. On voit


v. 2~




386 II Évur,Ul'ION }<'R AN~AISIl.
eoroment tout est travestí et tourné a erime au
jour terrible ou les vengeanees des peuples
long-temps différées éclatent enfin, et frappent
cenx de Ieurs prinees qui ne les ont pas rné-
ritées. On voit eornment ]a prodigalité, l'arnour
des plaisirs, si naturels ehez une jeune prin-
eesse, eomment son attaehement a son pays,
son influenee sur son époux, ses regrets, plus
indiserets toujours chez une femme que chez
un homme, son courage meme plus hardi, se
peignaient dans ees imaginations irritées on
méchantes.


II fallait des témoins: on appela Lecointre •
député de Versailles, qui avait vu les 5 et 6
octobre; Hébert, qui avait visité souvent le
Temple; divers employés des ministeres, et
plusieurs domestiques de l'ancienne cour. On
tira de leurs prisons, pour les faire compa-
raitre, l'amiral d'Estaing, ancÍen cummandant
de la garde nationale de Versailles, l'ex-pro-
cureur de la commune Manuel,Latour-du-Pin,
ministre de la guerre en 1 7H~), le vénérab]e
Bailly, qui, disait-oll, avait été, avec Lafayette,
complice du voyage a Varennes, eufin Valazé,
l'un des girondins destinés a l'échafaud.


Aucun faít précis ne fut articulé. Les uns
avaient vu la reine joyeuse lorsque les gardes-
du.eorps lni témoignaient ]eur dévonement; les




f:ONVENTION NATION AU; (J 793). 387
aut¡'es l'avaiellt vue triste et courroucée lors-
qu'on la conduisait a París, ou lorsqu'on la
ramenait de Varennes; ceux-ci avaient assisté
a des fetes splendides qui devaient couter des
sommes énormes; ceux-Ia avaient entendll dire
dan s les bureaux ministériels que la reine s' op-
posait a la sanction des décrets. Une ancienne
fcmme de servÍce a la cour avait, en 1788, OHl
dire au duc de Coigny que l'empel'enr avait
déja rec;u deux cents millions de la France pour
faire la guerre aux Turcs.


Lecynique Hébert, amené devant I'infortunée
reine, osa enfin apporter les aecusations arra-
chées au jeune princc. Il dit que Charles Capet
avait racouté a Simon le voyage a Varennes,et
désigné Lafayette et Bailly eomme en étant les
eoopérateurs. Puis il ajouta que cet enfant avait
des vices funestes et hien p¡'ématurés pour son
age; que Simon, l'ayant surpris et rayant Ín-
terrogé, avait appris qu'il tenait de sa mere les
vices auxql1els il se livrait. Hébert ajouta que
Marie-Antoinette vOlllait sans donte, en afIai-
blissant de bonne hem'e la constitution phy-
sique de son fils, s'assurer le moyen de le do·
miner, s'il remontait sur le trtme.


Les bruits échappés ({'une cour méchante,
pendant vingt anuées, avaient donné au pellple
l'opihion la plus défavorable des mreurs de la


'J. 5.




388 RÉVOLllTroN FUAN<;:AISE.
reine. Cependant cet auclitoire tout jacobin fut
révolté des accllsations d'Hébert. CeIui-ci n'('n
persista pas moins a les soutellir. Cette mere
illfortunée ne répondait pas; pressée de nOll-
veau de s'expliquer, elle dit avec une émotion
extraordinaire : « Je croyaís que la nature me
clispenserait de répondre a une teIle impnta-
lion; mais j'en appelle an erenr de toutes les
meres icj présentes.)l Cette réponse si noble
et si simple remua tons les assistants. Cepen-
dant tout ne fut pas aussi amer pour Marie-
Antoinette dans les dépositioIls des témoins. Le
brave d'Estaing, dont elle avait été l'ennemie,
refusa de ríen dire a sa charge, et ne parla que
du courage qu' elle montra les 5 et 6 octobre,
de la noble résollltíon qu'elle exprima de mOIl-
rir aupres de son époux pIutót que de fuir.
Manuel, malgré ses hostilités avec la cour peu-
dant la Iégislative, déclara ne pouvoir rien dire
contre I'accusée. Qlland le vénérable Bailly fut
amené, Bailly qui alltrefois avait si SOll ven t
prédit a la conr les maux qn'entraineraiellt ses
imprudences, il panJt dOllloureusement affecté;
et comme OH lui demandait s'il cOllnaissait la
femme Capet:- ~ Oui, dit-iI en s'inclinant avec
respect, oui, j'ai COJlnn madame.ll 11 déclm'a ne
rien sa voir, et soutint que les déclarations ar-
raché es au jeulle prince, relativement au voyage




CONVt:NTION NATIUNALE (1793). 389
;. V;¡reunes, étaient fausses. En récornpellsede
sa déposition, il rec;nt des reproches outra-
geants, et put juger du sort qui lui était bien-
tot réservé. II n'y eut dans l'instruction que
deux faits graves, attestés par Latour-du-Pin
et Valazé, qui ne déposerent que parce qu'ils
lJe pml'vaient pas s'en dispenser. Latour-du-Pin
avoua que Marie-Antoinette lui avait demandé
Iln état exact des armées pendant qu'il était
ministre de la guerreo Valazé, toujours froid ,
lIlais respectueux pour le malheur, ne voulut
ríen dil'eo a la charge de J'accusée; cependant
¡lile put s'ernpecher de déclarer que, membre
de la commission des vingt-quatre, et chargé
avee ses collt~glles de vérifier les papiers trou-
vés chez Septeuil, trésoriel' de la liste civil e , il
avait Vtl des bons pour cliverses sommes, sigru'>s
Antoinetle, ce qui était fort naturel; rnajs il
ajouta qu'il avait vu une leure OIl le ministre
priait le roí de transmettre a la reine la copie
du plan de campagne qu'il avait entl'e ses
mains. Ces deux faits, la demande de l'état des
armées et la communication du plan de cam ....
pagne, furent interprétés sur-le-champ d'une
maniere fllueste, et 011 en conclut que c'était
pour les envoyer a l' ennemi; car on ne Sllp-
posait pas qu'une jeune princesse s'occupat ,
seulement par gout, d'aclministration et de




390 RÉVOLUTJON j<'RAN~A.l~E.
plans militaires. Apres ces dépositíons, 011 eu
recueillit plusieurs autres sur les dépenses de
la cour, sur l'influence de la reine dans les
affaires, sur la scene du JO aout, sur ce qui se
passait au Temple; elles bl'uits les plus vagues,
les circonstances les plus insignjfiantes, furent
accueiUis eomme des prellves.


Marie-Antoinette répéta souvent, avec pré.
sence d' esprit et avec force, qu'il n'y avait au-
cun fait précis contre elle; que d'ailleurs, épouse
de Louis X VI, cHe ne répondait d'aucun des
aetes uu regne. Fouquier néanmoins la déclara
suffisamment convaincue. Chauveau - Lagarde
fit d'illutiles efforts pour la défendre; et cette
reine infortunée fut condamnée a partager le
supplice de son époux.


Ramenée a la Conciergerie, elle y passa avec
Hssez de calm~ la nuit qui précéda son exécu-
tíon; et le lendemain, 16 octobre, au rnatin,elle
fut transportée, au milieu d'une populace nOI11-
breuse, sur]a place fatale ou, díx moís aupa·
ravant, avait snccombé Louis XVI. ELle écoutait
avec calme les exhortations de l'ecclésíastique
qui l'accompagnait, et promenaít un regard in-
dífférent sur ce peuple qui tant de fois avait
applaudi asa heauté et a sa grace, et qui an-
jourd'hui applaudissait a son supplice avec le
meme empressement. Arrivée au pied de l'é·




CONVENTION NATWNALE (1793). 39l
chafaud, elle aper<;ut les Tuileries, et parllt
émue; mais elle se h:ha de monter l'échelle fa-
tale, et s'abandonna avec courage aux bour-
reaux. L'infame exécuteur montra la tete au
pellple, eomme il faisait toujours quand il avait
immolé une victirne iIlustre.


Les jacobinsfurent eomblés de joie.-«Qu'oll
porte eette nouvelle a l'Autriehe, dirent-ils;
les Romains vendaient le terrain occllpé par
Annibal; nOlls faisons tomber les tetes les plus
cheres aux souverains qui ont envahi ÍJOtre ter·
ritoire. »


Mais ce n'était la que le commen~ement des
vengeances. Immédiatement apres le jugement
de Marie-Antoinette, iI fallut procéder a celui
des girondins enfermés a ]a Coneiergerie.


Avallt la revolte du Midi, on ne pouvait leur
reprocher que des opinions. On disait bien, a
la vérité, qll'ils étaicnt complices de Dllmou-
riez, de la Veudée, de d'Orléans; mais ceHe
complicilé, faciJe a imputer a la tribllue, était
impossibJe a prouver, meme devant un tribu-
nal révolutionnaire. Depuis le jour, au con-
traire, ou ils leverent l' étendard ele la guerre
civil e , et ou I'on eut eontre eux des faits po-
sitifs, il devint facile de les condamner. A la
vérité, les députés détenus n'étaient pas ceux.
qui avaient provoqué l'insurrection Ju Calva·




392 ltÉVOLUTJON }'RAN9AISE.
dos et du Midi , mais c'étaient les mcmbrcs du
memc parti, les sontíens de la memc cause; ou
avait la convictíon intime qu'iIs avaient cor-
l'espondu les uns avec les autres; et quoique
les lettres iuterceptées ne prouvassent pas suf-
flsamment la complicité, elles suffisaiellt a un
tribunal qui, par son institu tíon, devait se con-
tenter de la vraisemblanee. Toute la modéra-
tion des girondins fut done transformée en une
vaste conspiration, dont la guerre civile avait
été le dénoument. Leur lenteur, sous la lé-
gislati ve, a s'illsurger cOlltre le treme, leur op-
positioll a.u proJet du 10 aoút, leur lutte avec
la commune depuis le 10 aoutjusqu'au 20 sep-
tembre, leurs énergiques protcstations contre
les massacres, leu(' pitié pour Louis XVI, leur
résistance au sJsteme inquisiteur qui dégoutait
les généraux, leur oppositioll au tribuual ex-
traordinaire, au maximum, a I'emprunt fó'rcé,
a tous les moyens révolutionnaires; enfin leurs
efforts pour créer tlue autorité répl'essive en
instituaut la commission des douze, leur dé-
sespoir apres ¡cut' défaite A Paris, désespoir qui
les fit recouril' aux. provillces, tont cela fut tra-
vesti eH IIne conspíration dans laquelle tOllt
étaít illséparable. Dans ce systcme d'accusation.
les opillions proférées a la tribune n'étaient
(lue les symptómes, les préparatif5 de la gllerre




CONVENTION N ATIONALE (1793). 393
civile qui éclata bientot; et C¡Uicollque avait
parlé dans la législative el la convention, cornme
les cléputés réullis a Caen, a Bordeaux, a l.YOIl,
a Marseille, était coupabJe comme eux. Quoi-
qu'on n'eut aucune preuve directe du concert,
on en trouvait dans lenr communauté d'opi-
Jlion, dans l'amitié qui avait uni la plupart
d'entre eux, dans lellrs réunions habitllelles
chez Roland et chez Valazé.


Les girondins, a11 contraire, ne croyaient
pas pouvoir etre condamnés, si on ~ollsentajt
a discuter avec eux. Lellrs opinions, disaient-
jls, avaient été libres; ils avaient pu différer
d'avis avec les mOIltagnards sur le choix des
moyens révolutionnaires, sans etre coupables :
leurs opinions ne prouvaient ni ambition per-
sonnelle, ni complot prémédité. Elles attes-
taiellt au coutraire que sur une fouJe de points
ils n'avaient pas été d'accord entre eux. Enfin
leur complicité avec les députés révoltés n'é-
taít que supposée, et leurs lettres, leur amitié,
leur habitude de siéger sur les rnemes banes,
ne suffisaicnt nullernent pour la démolltrer. « Si
on nons laisse parler, disaicnt les girondins,
nous sornmes sauvés. »Funeste irlée, qni, sans
aSSllrer leur salut, leur fit perdre une parlie de
cette dignité. seul dédornmagement d'une mort
injuste ~




39!~ IlÉVOLUTION FJtAN~A[SE.
Si les partis avaient plus de franchise, ils se-


raient du moins bien plus nobles. Le parti vain-
queur aurait pu dire au parti vaincu; « Vousavez
poussé l'attachement a votre sysleme de modé-
ration? jusqu'a nous f..'lire la guerre, jusqll'a
meltre la république a deux doigts de sa perte,
par une diversion désastreuse; vous etes vain-
cus, il faut mourir. »)De leur coté, les girondins
avaient un heau discours a· tenir a leurs vain-
queurs. lis pouvaient leurrépondre : «(Nons vous
regardons comme des scélérats qui boulever-
sez la république, qui la déshonorez en pré-
tendant la défendre, et 1l0US avons voulu vous
combattre et vous détruire. Oui, nous sommes
tons également coupables, HOUS sommes tous
complices de Buzot, de Barbaroux, de Pétion,
de Guadet; ce sont de grands et vertueux cí-
toyens, dont nous proclamons les vertus a
votre face. Tandís qu'ils sont allés venger la
république, nous sommes restés ici pour la
glorifier en présence des bourreaux. Vous etes
vainqlleurs, donnez-nous la mort.))


Mais l'esprit de l'homme n'est pas fait de
telle sor te, qu'il cherche ainsi a tout simplifiel'
par de la franchise. Le partí vainqueur veut
convaincre, et il ment; un reste d'espoir en-
gage le partí vaincll a se défendl'e, et il ment;
el }'on voit, dans les discordes civiles,ces bOIl-




CONVEl'iTION NATIONALE (1 793). 3~)5
teux proees, ou le plus fort écoute pour ne
pas croire, ou le plus faible parle pour ne pas
persuader, et demande la vie sans l'obtenir.
C'est apres l'arret prononeé, e'est apres que
tont espoir est perdll, que la dignité humaine
se retrouve, et e'est a la vuc du fer qu'on h
voit reparaltre tout entiere.


Les girondins résoluI'ent done de se défen-
dre, et il leuI' faIlut pouI' cela employer les
concessions, les rétieenees. On voulut leur
pI'ouver leurs crimes, et on envoya, ponl' les,
convaillcre, a11 tribunal I'É'volutionnaire tous
leurs enllemis, Pache, Hébert, ChaumeUe ,.
Chabot, et antres, 011 aussi faux, ou aussi vils.
L'affluence était considérable, cal' c'était un,
spectacle encore nouveau que celni de tant de-
républicains condarnnés pOLlr la cause de ]a
république. I~es aceusés étaient au nombre de
vingt-ull, tous a la fleur de l'age, uans la force'
dn talent, quelques-uns rneme dalls tout l'éclat
de la jellnesse et de la beauté. La seule décla-·
ration de leurs noms et de leur age avait de
quoi toucher.


Brissot, Gardien el Lasource, avaient trente-
neuf ans; Vergniand, Gensonné et Lehardy,
trente-einq; Mainvielle et Ducos, vingt-huit;
Boyer-Fonfrhle et Duchaste), vingt-sept; Du-
perret, quarante-six; Carra, cinquante; Yalazé




~)96 nÉVOLUTlON FRAN~~AISE.
et Lacase, q Ilarante-deux; DlIprat, treute-ll"Ois;
Sillery, ci nquante - sept; Fauchet, quarante-
neuE; Lester'pt-Beallvais, quarante-trois; Boi-
leau, quarallte-ull; Antiboul, quarante; Vigée,
tren te-six.


Gensonné était calme et fmid; Valazé indi-
gné et méprisant; Vergniaud était plus ému
que de coutume; le jeune Ducos était gai; et
Fonfrcde, qu'on avait épargné dan s la journée
dn 2. juin, parce qu'il n'avait pas voté pour les
arrestatiolls de la commission des douze, el
qui, par ses instances réitérées en faveUl' de
ses amis, a vait mérité depuis de partager Icur
sort, Fonfrede semblait, ponr une si belle cause,
abandonner avec facilité, et sa grande fortune,
et sa jenne épouse, et sa vie.


Amar avait rédigé, au Ilom du comité de Sfl-
reté générale, l'acte d'accusation. Pache fut le
premier témoin entendu a l'appni. Cauteleux et
prudent, eomme iI l'était loujours, iI dit gu'il
avait aper(,;u depuis long-temps une faction con-
traire a la révolntíon, mais iI n'artieula aucun
faÍt prouvant un complot prémédité. n dit seu-
lement que, lorsque la convention était me-
nacée par Dumouriez, il se rendit an comité
des finan ces pour obteoir des fonds et appro-
visioIlllel' París, et que le comité les refusa; il
ajonta qu'il avait été maltraité dans le comité




CONVRNTION N ATJON AUl (1793). 397
ele sú,'eté générale, et que Guadet I'avait me-
nucé de demancler l'arrestation des autorités
municipales, Chaumette raconta toutes les Int-
tes Je la commune avec le coté droit, telles
qu'on les avait apprises par les journaux; il n'a-
jouta qu'nn seul fait particulier, c'est que Bris-
sot avail fait nommer Santonax commissaire
aux colon¡es, el que Brissot était par con sé-
(l"ent I'antenr de tous les mallX dn NOllveau-
iYIonde, Le misérable Hébert raeonta son ar-
restation par la commission des dOllze, et dit
q \le Roland corrompait tous les écrivains, cal'
madame Roland avait voulu acheter sa feuille
<In Pere Duchene. Destoumelles, ministre de
la justice, el autrefois employé a la com-
mune, déposa d'une maniere aussi vague, et
I'épéta ce qu'on savait, c'est que les accusés
avaient poursnivi la commllne, tonné contl'e
les massacres, et voulu institller une garde dé-
partementale, etc. , etc. Le témoin le plns pro-
lixe, ]e plus acharné dans sa déposition, qui
dm'a plusienrs heul'es, fut l'ex-capucin Chabot,
ame bouillante, faíble et vile. Chabot avait
toujours été tl'uité par les girondins comme un
extravagant; iI ne lenr pardonllait pas leurs
dédains; il était fier d'avoir voulu le 10 aoút
contre leur avis; il prétenrtait que, s'ils avaient
consenti a l'envoyer aux prisons, jI auraÍt sauvé




3gB RÉVOLUTlON FRAN9AISR.
tes prisonníers comme il avait sauvé les Suisses;
il voulait donc se venger des girondins, et sur-
tout reeouvrer, en les calomniant, sa popula-
rité, qu'il commen<,;ait a perdre aux jacobins,
paree qu'on le soup<,;onuait de prendre part a
fagiotage. 11 imagina une longlle et méchante
accusation, ou il montra les girondins cher-
chant d'abord a s'emparer du ministre Nar~
bonne, puís, apres avoir chassé Narbonne,
'Occupant trois ministt~res a la fois, faisant le
~o juin pour ranimer leurs créatnres, s'oppo-
sant au 10 aout, paree qll'ils ne voulaient pas
la république, enfln suivant toujours un pl:m
calculé d'ambition, et, ce qui est plus atroce
que tout le reste, souffrant les massaeres de
septembre et le vol du Garde-Meuble, pOtlr
perfhe la réputatioll des patriotes. (1 S'ils avaient
{( ,,"ouln ~ dísait Chabot, j'allrais sauvé les pri-
Il.< 'Sonniers. Pétion a [ait boire les égorgeurs,
« et Brissot n'a pas voulu qu'on les arretat,
« paree qu'il y avait dans les prisons un de ses
« ennemis, Morallde! )1


Tels sont les etres vil s qui s'acharnent sur
les hommes de bien des que le pouvoir leur
en a donné le signal! Aussitót que les chefs
out jeté la premiere pierre, tout ce qui vit
dans la fange se souleve, et accable la victime.
Fabre d'Églantine, devenu sllspeet comme




CONVENTlON N ATION AU; (r 793). :-\99
Chabot, pour cause J'agiotage, avait hesoin
aussi de se popuIariser. et iI fit une déposi-
t ion plus ménagée, mais plus perfide, ou i 1 in-
sinua que l'intention de laisser commettre les
massacres et le vol du Garde-Meuble, avait
bien pu entrer dans la politique des girondins.-
Vergniaud, n'y résistant pas davantage, s'écria
avec indig/Jatioo: « Je ne suis pas tenu de me
justifier de complicité avec des voleurs el des.
assaSSlns. »


Cependallt il n'y avait aucun fait précis al-
légué contre les accusés; on ne lenr reprochait
que des opinions publiquement soutenues, et
ils répondaieot que ces opinions avaient pu
etre erronées, mais qu'ils avaient eu le droit
de se trompero On lenr ohjectait que leurs
doctrines étaient non le résultat d'une erreur
illvolontaire et des-Iors excusable, mais d'no
complot tramé chez Roland, et chez Valazé.
lis répliquaient de nouveau que ces doctrines
étaient si peu l'effet d'un accord fait entre
eux, qu'elIes n'avaient pas été conformes sur
tousles points. l/un disait: le n'ai pasvoté ponr
l'appel au peuple; l'autre : Je n'ai pas voté pOli!'
la garde départementale; un troisieme : Je n'é-
tais pas de l'avis de la commission des dOllze,
je n'étais pas pOOl' l'arrestation d'Hébert et de
(~haumettc. Tont cela était vrai, mais alors fa




400 nÉVOLUTlON FRAN~:_<\.lSE.
défellse n'était plus commune a tous les inclII-
pés; ils semblaient presque s'ahandonner les
uns les autres, et chacull paraissait condam-
ller la mesure a laquelle il n'avait pas pris parto
L'accllsé Boileau pOllssa le soin de se justifier
jusqu'a la plus extreme faiblesse, et se couvrit
nH~me de honte. Il avoua qu'il avait existé une
conspiration contre l'unité et l'illdivisíbilité de
la république, qu'il en était cOllvaincu maiu-
tenant, et le déclarait a la justice; qu'il ne pou-
vait pas désigner les coupables, mais qu'il
souhaitait lenr pnnition, et se déclarait frane
mOlltagnard. Gardien eut allssi la faiblesse de
désavouer tout-a-fait la eommission des douze.
Cependant Gensonné, Brissot, Vergniaud, et
surtout Valazé, corrigerent le mallvais effet
de la conduite de leurs deux collegues. lls al-
léguerent bien qu'ils n'avaient pas toujonrs
pensé de meme, que par conséquent ils ne
s'étaient pas concertés daos leurs opinions,
mais ils ne désavonerent ni lenr amitié, ni
leurs doctrines. Yalazé avoua franchement les
réunions qui avaient en líen chez lUÍ, et sou-
tint qu'ils avaient en le droit de se réunir, et
de s'éclairer de leurs idées, comme tous les
atItres citoyens. Lorsqu'on leur objecta enfin
Ieur cOllnivence avec les fugitifs, ils ]a nierent.
Hébert alors s'écria : « Les acensés nient la




CONVENTJON NATIONALE (1793:. 401
( conspiration 1 Quand le sénat de Rome eut a
(( prononccr sur la conspiration deCatilina, s'it
« eut interrogé chaqlle conjuré et qu'il se fUt
({ contenté d'une dénégation, ils auraient tous
« échappé au supplice guí les attendaít; maís
« les réunions chez Catilina, mais la fuite de
ce celui-ci, mais les armes trouvées chez Lecca,
« étaiellt des preuves matérielles, et elles suf-
e( firent pour déterminer le jugement du sé-
({ nato )) - « Eh bien 1 répondit Brissot, j'ac-
« cepte la comparaison qu'on fait de nous avec
(( Catilina. Cicéron lui dit : On a trouvé des
ce armes chez toi; les ambassadeurs des AlIo-
e( broges t'accusent; les signatures de LentuJus,
,e de Céthégus et de Statilius, tes compliccs,
ce prouvent tes infames projcts. lci le sénat
c( nous accuse, il est vrai, mais a-t-on trouvé
« chez nous des armes;¡ Nous appose-t-an des
ce signatures?»


Malheureusement, on avait décou vert des
plaintes écrites a Bordeaux par Vergniaud,
quí respiraient Ja plus vive indignatíon. On
avait trouvé une lettre d'un cousin de l'accusé
Lacase, ou les préparatifs de l'insurrection
étaient annoncés; enfin on avait intercepté une
Jettre de Duperret a madame Roland, ou celui-
el dísaít qu'il avait re<;u des nouvelIes de Buzat
~t de Barbaroux, et qll'ils se préparaient a


\.




(102. R~VOLUTION FRAN~AISE.
punír les attentats commís a París. Vergníalld
ínterpellé répondit : (( Si je vous rappelais les
« motifs qui m'ont engagé a écrire, peut-etre
c( vous paraitrais-je plus a plaindre qu'a bla-
( mero J'ai du croire, d'apres les complots du
«( 10 mars, que le projet de nous assassiner
« était lié a celui de dissoudre la représenta-
( tion nationale. Marat l'a écrit ainsi le TI marso
« Les pétitions faites depuis contre nous avec
« tant d'acharnementm'ontconfirmédanscette
C( opinion. e'est dans cette circonstance que
c( mon ame s' est brisée de donleur, et que j'ai
c( écrit a mes concitoyens que j'étais sous le
r( conteau. J'aí réclamé contre la tyrannie de
K Marat. e'est le seul que j'aí nommé. Je res-
,( pecte l'opinion du peuple sur Marat, mai!;
e( enfin Marat était mon tyran ! ..... » - A ces
paroJes, un juré se leve et dit : ( Vergniaud se
(e plaint d'avoir été persécuté par Marat. J'ob-
c( serve que Marat a été assassiné, et que
«( V ergniaud est eucore icí.» eette sotte obser-
vation est applaudie par une partie des spec-
tateurs, et toute la franchise, tOllte la raison
de Vergniand, restent san s effet sur la multi-
tude aveuglée.


Cependant Vergniand était parvenu a se
faire écouter, et avait retrouvé, en parlant de
la conduite de ses amis, de lenr dévouement,




CO~VENTION NATlOi'1AL1': (1793). 403
de leurs sacrifices a la république, toute son
éloquence. L'allditoire entier avait été remué;
et eette condamnation, quoique eommandée,
ne semblait pI us irrévocable. Les débats avaient
dmé plusiems jours. Les jacobins, indignés
des lenteurs du tribunal, adresserent une nou-
velle pétitioll a la eonvelltion, pour aeeélérer
la procédure. Robespierre fit rendre un déeret
par lequel, apres trois jours de diseussion, les
jurés étaient autorisés a se déclarer suffisam-
ment éclairés, et a procéder an jugement san s
plus rien entendre. Et pour rendre le titre plus
conforme a la chose, iI fit déeider en outre
que le nom de tribunal extraordinaire serait
changé en eelui de TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.


Ce décret rendu, les jurés n'oserent pas
s'en servir snr-Ie-champ, et déclarerent n'etre
pas suffisamment éclairés. Mais, le lendemain,
ils userent de leur nouveau pouvoir d'abréger
les débats, et en demanderent la cloture. Les
accusés avaient déjil perdu toute espérance,
et ils étaient résolus a monrír lloblement. Ils
se rendirent a la derniere séance du tribunal
avee un visage serein. Tandís qu'on les fouil-
lait a la porte de la Coneiergerie, pour leur
enlever les armes meurtrieres avec lesquelles
ils auraient pu attenter a leur vie, Valazé, don-
nant une paire de ciseaux a son ami Riouffe,


26.




(104 R ÉVOr.UTION j,'RAN(jAIS{':.
luí dit en présenee des gendarmes: « Tiens,
mon ami, voila une arme défendue; il ne faut
l'as attenter a nos jours! J)
J~e 30 oetobre, a minuit, les jurés entrent


pour prol'l.oneer la sentence. Antonclle, leur
président, avait le visage al téré. Camille Des-
moulins, en entendant prononeer l'arret. s'é-
erie : « Ah! e'est moi qui les tue, e'est mon
« Bl'issot dévoilé -+! Je m'en vais,)l dit-il, et il
SOl't désespéré. Les aeeusés rentrent. En enten-
dant 'prononeer le mot fatal de mort, Brissot
laisse tomber ses bras; sa tete se penche subi-
tement sur sa poitrine; Gensonné veut Jire
quelques mots sur l'applieation de la loi, maís
il ne peut se faire entendre. SiHery, en laissant
éehap per ses béquilles, s' éCl'ie : Ce jour est le
plus beau de ma vie. On avait conc,:u quelqlles
espéranees pour les deux jeunes freres Ducos
et Fonfrede, qui avaient paru moins compro-
mis, et qui s'étaicnt attaehés aux girondins,
moins encore par eonformité d'opiuion qUf':
par admiration pOUI' leur caractcre et Jeul's
talents. Ce.pendant iIs sont condamnés comme
les autres. Fonfrede embrasse Dueos en lui
disant: « Mon frere, e'est moi qui te dorlIle la
(e mort.» - Console-toi, répond Ducos, I10US
" mOll rrons ensemble. )) L'abbé Fauchet, le vi-


* Titrp <1'1.10'- hroeh11 I't' rJlI'iJ ovait écrite contre les ¡;ll'ondm'




CONH:-'TlON N ATlON ALE (179~)). 40:'
sage baissé , semble prier le ciel; Cana con-
serve son air de dureté; Vergniaud a dan:>
toute sa personne quelque chose de dédai-
gneux et de fier; Lasource prononce ce mot
d'un ancien : « Je meurs le jour oú le peuple
« a perdu la raison; vous mourrez le jour 0-0
« il l'aul'a recouvrée. » Le faible Boilean, le
faíble Gardien, ne sont pas épargnés. Boileau,
enjetant son chapean enl'air, s'écrie : « Je SUii
« innoeent.» - «( Nous sommes innocents, ré-
« petent tous les accusés; peuple, on vous
« trompe.» Quelqucs-uns d'entre eux ont h~
tort de jeter quelques assignats, comme pour
engager la multitud e a voler a leur secours,
mais elle reste immobile. Les gendarmes les
entourent alors pour les conduire dans leur
cacbot. Tont-a-coup l'un des cOlldamnps tomhe
a leurs pieds; ils le relevent noyé dans son
sango C'était Valazé , quí, en donnant ses ci-
seaux a Riouffe, avait gardé un poignard, et
s'eu était frappé. Le tribunal décide sur-Ie-
ehamp que son eaclavre sera transporté sur
une charrette, a la suite des condamnés. EH
sortant du tribunal, iIs entonnent tous ensem-
ble, par un mouvement spontané, l'hymlJ('
des Marseillais :


eontre nous de la tyrannic
L'étendard salJglallt est lev('·,




406 RÉVOLUTJON FRAN<,jAISE.
Leur derniere Huit fut sublime. Vergniaud avait
du poison, il le jeta pour mourir avec ses
amis. Ils firent en commun un dernier repas,
ou ils furent tour-a-tour gais, sérieux, élo-
quents. Brissot, Gensonné, étaient graves et ré-
fléchis; Vergniaud parla de la liberté expirante
aTec les plus nobles regrets, et de la destinée
humaine avec une éloquence entrainante. Du-
cos répéta des vers qu'il avait faits en prison,
et tous ensemble chanterent des hymnes a la
Franee et a la liberté.


Le lendemain, 31 oetobre, une foule im-
mense s'était portée sur leur passage. I1s ré-
pétaient, en marchant a l'éehafaud, cet hymne
des Marseillais que nos soldats chantaient en
marchant a l'ennemi. Arrivés a la place de la
Révolntion, et descendus de lellrs charrettes,
ils s'embrasserent en criant : Vifle la républi-
que! Sillery monta le premier sur l'échafand,
et apres avoir saIné gravement le peuple, dans
lequel il respectait encore l'humanité faible et
trompée, il re(,tut le coup fatal. Tous imiterent
Sillery, et moururent avec la meme dignité.
En trente-une minutes, le bo.tlrreau fit tombel'
ces illustl'es tetes, et détruisit ainsi en quelques
jnstants, jeunesse, beauté, vertus, talents.
Telle fut la fin de ces nobles et courageux ci-
toyens, victimes de lellr généreuse utopie. Ne




CONVENTION NATIONAU: (1793). (107
comprenant ni l'humanité, ni ses vices, ni les
moyens de la conduire dans une révolution j
ils s'indignerent de ce qu'elle ne voulait pas
ctre meilleure, et se firent dévorer par elle,
en s'obstinant a la contrarier. Respect a lem'
mémoire! jamais tant de vertus, de talents,
ne brillerent dans les guerres civiles; et, il
faut le dire a leur gloire, s'ils ne comprirent
pas la nécessité des moyens violents ponr sau-
ver la cause de la France, la plupart de leurs
adversaires qui préférerent ces moyens, se dé-
cicIerent par passion plutót que par génie. On
ne pourrait mettre au-dessus d'eux que celni
des montagnards qui se serait décidé ponr les
moyens révolutionnaires, par politique seule
et non par l'entralnement de la haine.


A peine les girondins eurent-ils expiré, que
de nouvelles victimes furent immolées apres
eux. Le glaive ne se reposa pas un instant. Le
2 novembre, on mit a mort l'infortunée OIympe
de Gouges, pour des écrits prétendus contre-
révolutionnaires, et Adam Luxe, député de
Mayence, accusé du meme délit. Le 6 novem-
bre, le malhcureux duc d'Orléans, transféré de
Marseille a Paris, fut traduit au tribunal révo-
lutionnaire, et condamné pour les soupc;ons
qu'il avait inspirés a tous les partis. Odieux a
t'émigratioll, suspect aux girondins et aux ja-




408 nÉVOLUTION FRAN<;AISF..
cobins , il n'inspirait aueun de ces regrets quí
consoJent d'une mort injuste. Plus ennemi de
la eOllr qu'enthousiaste de ]a république, ji
n'éprouvait pas eette conviction qui soutient
au moment supreme, et il fut de toutes les
vietimes la moins dédommagée et la plus a
plaindre. Un dégout universel, un scepticisme
absolu, furent ses derniers sentiments, et iI
marcha a l'éehafaud avee un calme et une in-
différence extraordinaires. TraIné le long de
la rue Sa.int-Honoré, il vit son palais d'un reil
see, et ne démentit pas un moment son dégoíh
des hommes et de la víe. Son aide~de~camp
Col.lstard, député comme luí, fut associé a son
sort. Deux jours apres, l'intéressante et coura~
geuse épouse de Roland les suivit a l'échafaud.
Cette femme, réunissant aux graccs d'une
Fran¡;aise l'hérolsme J'une Romaine, portait
toutes les douleurs dans son ame. Elle respee-
tait el· chérissait son époux eomme un pere;
elle éprouvait pOUl'l'un des girondins proscrÍt
une passion profonde, qu'elle avait toujours
contenuej elle laissait une filIe, jeune et orphe-
line, confiée a des amis; tremblante pour tant
d'elres si ehers, elle eroyait a jamais perdllc
eeHe cause de la liberté dont elle était enthou-
siaste, et a laquelle elle avait fait de si grands
s'tcrifiees. Ainsi elle souffrait dans toutes ses




CONVENTION N A nON ALE (1793 j. 409
affectiolls a la fois. Condamnée pour caw!'e de
complicité avec les girondins, elle entendit son
arret avec une sorte d'enthousiasme, sembla
inspirée depuis le moment de sa condamnation
jusqu'a celui de son exécution, et excita, chez
tons ceuxqui la virent, une especed'admiration
religieuse. Elle aIla a l'échafaud vetue en blanc;
pendant toute la route, elle ranima les forces
d'Ull compagnon d'infortune qlli devait périr
avec elle, et qui n'avait pas le meme courage;
deux fois meme elle parvint a lui arracher un
sourire. Arrivée sur le lien du sllpplice, elle
s'inclina devant la sta tu e de la liberté en s'é-
criant : O liberté! que de crimes on commet en
ton nom! Elle subit ensuite la mort avec un
courage inébranlable ( 10 novembre). Ainsi
périt ectte femme charmanle et couragellse,
qui méritait de partager la destinéc de ses amis,
mais qui, plus l1lodeste et plus soumise au role
passif de son sexe, aurait, non pas évité la
mor!', <lue a ses talents et a ses vertus, mais
épargné á son époux et a elle-meme des ri-
dicules et des calomnies.


Son époux s'était réfllgié du coté de Rouen.
En apprenant sa fin tragique, il ne voulllt pas
lui survivre. Il quitta la maison hospitalicre ou
il avait re<{u un asile; et, pOllr ne compromettre
;1UCUll ami, jI vint se donner la mort sur la




410 ti ÉVOLUTION FRAN«;;AISE.
grande route. On le trouva percé au creur d'ulle
épée, et gisant au pied d'un arbre contre lequel
il avait appuyé l'arme meurtriere. Dans sa po-
che était renfermé un écrit sur sa vie et sur sa
conduite au ministere.


Ainsi, dans cet épouvantable délire qui rell-
dait suspects et le génie, et la vertu, et le
courage, tout ce qu'il y avait de plus noble,
de plus généreux en France, périssait ou par le
suicide ou par le fer des bourreaux 1


Entre tant de morts illustres et courageuses,
iI y en eut une surtont plus lamentable et plus
sublime que toutes les autres, ce fut celle oe
Bail1y. Déja on avait pu voir, a la maniere dont
il avait été traité dans le proces de la reine,
comment iI serait accueilli au tribunal révolu-
tionnalre. La scene ou Champ-de-Mars, la pro-
clamation de la loi martiale et la fusillade qui
s'en était suivie, étaient les événements le
plus souvent et le plus amerement reprochés
au partí constituant. C'était sur Eailly, l'ami
de Lafayette, c'était sur le magistrat qui avait
fait déployer le drapeau rouge, qu'on voulait
punir tous les prétendus forfaits de la consti-
tuante. Il fut condamné, et dut etre exécuté
au Champ-de-Mars, théatre de ce qu'on appe-
lait son cl·ime. Ce fut le 1 1 novembre, et par
un temps froid et plnvieux, qu'eut lieu son




CONVI:NTION N ATIONALE (1793). 411
supplice. Conduit a. pied, et au miIieu des ou-
trages d'unepopulace barbare, qu'iI avait nour-
rie pendant qu'il était maire, il demeura calme
et d'une sérénité inaltérable. Pendant le long
trajet de la Conciergerie au Champ-de-Mars,
on lui agitait sous le visage le drapean rouge
qu'on avait retrouvé a la mairie, enfermé 'dans
un étui en acajou. Arrivé au pied de l'écha-
faud, il semblait toncher au terme de son sup-
plice; mais un des forcenés, attachés a le
ponrsuivre, s'écrie qu'il ne faut pas que le
champ de la fédération soit souillé de son sango
Alors on se précipite sur la guillotine, on la
transporte avec le meme empressement qu'on
mit autrefois a creuser ce meme champ de la
fédération; on court l'élever en fin sur le bord
de la Seine, sur un tas d'ordures, et vis-a.-vis
le quartier de ChailIot, ou Bailly avait passé sa
vie et composé ses ouvrages. Cette opération
dure plusieurs heures. Pendant ce temps, on
luí faÍt parcourir plusieurs fois le Champ-de-
Mars. La tete nue, les mains derriere le dos, il
se traIne avec peine. Les uns lui jettent de la
boue, d'autres lui donnent des coups de pied
OH de batan. Accablé, iI tombe; on le releve
de noriveau. La pIuie, le froid, on,!: communi-
qué a ses membres un tremblement ínvolon-
taire. (( Tu trembles, » luí dit un soldat. -




4 I J. REVOLlíTJON }'RA.N~AISE.
« Mon ami, répond le vieiilard, e'est de froid. ¡.
Apres plusieurs heures de cette torture, an
lui brule saus le nez le drapeau rouge; le bour-
reau s'empare de lui enfin, et an naus enleve
encare un savant illustre, et l'un des hommes
les plus vertueux qui aient honoré natre patrie.


Depuis ces temps ou Tacite la vit applaudir
aux crimcs des empereurs, la vile popu/ace n'a
pas changé. Toujours brnsque en ses mouve-
ments, tantot elle éleve l'alltel de la patrie,
tantót elle dresse des échafauds, et n'est beBe
et noble a voir que lorsque, entrainée dans
les armées, elle se préci pite sur les LatailloIlS
ennemis. Que le despotisme n'impute pas ses
crimes a la liberté, cal', sons le despotisme,
elle fut toujours aussi coupaLle que SOI1S la
république; mais invoquons saIlS cesse les 111-
mieres et l'instruction pour ces harbares, pul-
lulant au fond des sociétés, et taujours prets á
les salliller ele tons les crimes, a l'appcl de tons
les pouvoirs, et pOllr le déshonneur' de toutes
les causes.


Le 25 novembre, eut encore'Iien la mort du
malheureux Manuel, qni était devenu, de pra-
cureur de la commune, député a la convention,
el qui donna sa démission lors du proces de
Lou¡'s XVI, paree qll'on l'accusait d'avoir dé-
robé le scrulill. Au tribunal, on lni reprocha




,~Ui'lVENTIUN NATIOXALl, (1793). 413
d'avoir favorisé les massacres de septembre
pour soulever les déparlements contre Paris.
C'est Fouquier-Tinville qui était chargé d'ima-
giner ces perfides calomnies, plus atroces en-
core que la condamnation. Ce meme jour, fut
condamné le malhellrellx général Brunet, pour
n'avoir pas envoyé une partie de son armée de
Nice nevant Toulon; et le lendemain 26, la
mort fu t prononcée contre le victorieux I-IOll-
chard, pour n'avoir pas compris le plan qlli
lui fut tracé, et ne s't~tre pas rapidement porté
sur la chaussée de Furnes, de maniere a pren-
tIre tOllte l'armée anglaise. Sa f::wte était criante,
mais He méritait pas la mort.


Ces exéeutions commen<;aient a répandre
une terreur générale, et a rendre l'autorité
formidable. L'effroi n'était pas seulement dans
les prisons, dans la salle du tribunal révolu~
tioIlllaire, Ü la place de la Révolution; il ré-
gnait partout, dalls les marchi's, dan s les
boutiques, oú le maximulIl et les loís contre
l'accaparement venaient d'etre mises en vi-
gueur. On a déjü vu comment le discrédit des
assignats et le renchérissement des denrées
avaient conduit a décréter le maximum, dans
le but de remettre en rapport les denrées ct la
monnaie. Les premiers effels de ce maximum
furent des plus malheureux, et amenercnt la




4J 4 l\ÚOLUTJON FIlAN~AISE.
cloture d'nne grande quantité de boutiques,
En fixant un tarif pour les marchandises de
premiere nécessité, on n'avait atteint que la
marchandise rendue chez le détaillant, et prete
a passer des mains de celui-ci dans eeHes da
eonsommateur. Mais le détailIant qui l'avait
achetée chez le marchand en gros on chez le
fabricant, avant le maximum, el a 'un prix
supérieur a celui dll nouveau tarif, faisait des
pertes énormes et se plaignait amerement. Les
pertes n'étaient pas moindres pour lui, meme
lorsqu'il avait acheté apres le maximum. En
effet, dans le tarif des marchandises dites de
premiere nécessité, on ne les désignait que
déja fout ouvrées, et pretes a etre consommées,
et on ne fixait leur prix que parvenues a ce
dernier état. Mais on ne disait pas quel prix
elles devaient avoir, sous forme de matiere
premiere, quel prix iI falIait payer a l'ouvrier
qui les travaillait, au roulier, au navigateur
qni les transportaient; par conséqnent le dé-
taillant, qui était obligé de vendre au consom-
mateur se Ion le tarif, et qui ne pouvait traite
avec l'ouvrier, le fabricant, le commer(,;ant en
gros, d'apres ce meme tarif, était clans l'im-
possibilité de continuer un commerce aussi
désavantageux. La plupart des marchallds fer-
maient leurs boutiques, ou bien échappaient




COCiHNTIUN 1\"ATI01\"ALR (1793). 41:)
a la loi par la fraude; ils ne vendaient au
maximum que la plus mauvaise marchandíse,
et réservaient la bonne po nI' ceux qui venaient
secretement la payel' a sa valeur.


Le peuple, qui s'apercevait de ces fraudes,
et voyait se fermer un grand nombre de bou-
tiques, se déehainait avec fureur, et venait
assail1ir la commune de ses réclamations; iI
voulaít qu'on obligeat lous les marchands a
tenir leurs boutiques ouvertes, et a continner
lem commerce malgré eux. Disposé a se plain-
dre de tout, iI dénon«;¡ait les bouchers et les
chareutiers, qui achetaient des animaux mal-
sains ou morts d'accidents, et qui ne saignaient
pas assez les viandes dans l'intention de les
rendre plus pesan tes ; les boulangers, qui,
pour fournir de la belle farine au riche, réser-
vaient la mauvaise au pauvre, et ne faisaient
pas assez cuire le pain afin qu'il pesat davan-
tage; les marchands de vin, qui melaient aux
boífl,sons les drogues les plus malfaisantes;
les marehands de sel, qui, pour augmen-
ter le poids de eette denrée, en altéraient
la qualité; les épieiers, tous les détaillants
enfin, qui falsifiaient les denrées de mille ma-
meres.


De ces abus, les uns étaient éternels, les
autres tenaient a la erise aetuel1e; mais, quand




41 t) H ÉVOUITlON FR ANt;,:USI·~.
l'impatience du mal saisit les esprits, on se
plaint de tout, on veut tout réformer, tout
pumr.


Le procUl'eur-général Chaumettefit ace sujet
un discours fulminant contre les marchands.


« On se rappelle, dit-il, qu'en 8~), et les an-
« nées suivantes, tous ces hommcs ont faít un
« tres-grand commerce, mais avec qui? avec
« l'étranger. On sait que ce sont eux qui oot
« fait tomber les assignats, et que e'est au.
« moyen de l'agiotage sur le papier-monnaie
« qu'ils se sont enrichis. Qu'onl-ils fait apres
« que leur fortune a été complete? Ils se sont
« relil'és du commerce ,ils ont menacé le peu-
('( pIe de la pénurie des marchandises; mais
« s'ils ont de 1'or et des assignats, la répu-
« blique a quelque chose de plus précieux,
« elle a des bras. Ce sont des bras et non pas
« de rOl' qll'il faut pour faire mouvoil' les fa-
«( briques et les manufactures. Eh bien! si ces
« individllS abanclonnent les fabriques, la ré-
« publique s'en empal'cra, et elle mettra en
t( réquisition toutes les matieres premieres.
« Qu'ils sachentqu'il dépend de la république
( de réduÍre , quand elle le voudra, en boue et
« en cendres, 1'or et les assignats qui sont en
« leurs maÍns. Il faut que le géant dll peuple
'{ écrasc les spéculateurs mercantiles.




CONVENTION NATIONAL1<: (1793). 417
(( Nous sentons les maux du peuple paree


« que nous sommes peuple nous-memes. Le
« eunseil tout entier est composé de sans cu-
¡¡ lottes, il est le législateur-penple. Peu llOUS
«( importe que nos tetes tombent, ponrvu que
( la postérité daigne ramasser nos crfmes .....
(( Ce n'est pas J'Évangile que j'invóquerai,
(( e'est Platon. Celui qui frappera du glaive,
( dit ce philosophe, périra par le glaive; celui
« qui frappera du poison, périra par le poison ;
« la famine étollffera celui qui voudrait affa-
« mer le peupIe ...... Si les subsistan ces et les
«( marchandises viennent a manquer, a qui s' en
« prendra le peuple? Aux autorités constituées?
« non ... A la eonventioll? non ... Il s'en preudra
CI aux fournisseurs et aux approvisionneurs.
«( Rousseau était peuple aussi, et iI disait:
«( Quand le peuple n 'aura plus rien ti manger,
( il mangera le riche. » (Commune du 14 oc-
tobre. )


Les moyens forcés conduisent aux moyens
foreés, coml1lc nons l'avons dit ailleurs. On
s'était oecupé dans les premieres lois de la
marchandise ouvrée, il fallait'maintenant pas-
ser a la matiere premiere; l'idée meme de
s'emparer de la matiere premiere et de 1'0lJ-
vrir pour le compte de la républiqlle, ge1'mait
dans les tetes. C'est une redol1table ohlif.!'ation


\. r:




!118 n ÉVOI(1T10N FH A NC.\ ISli.


qHe ePlle de violente,' la 11 at 111'(' , et de vouloir
régler taus ses mOllvements. On est bientót
obligé de suppléer la spantanéité en tontes
dlQSeS, et de remplace,> la vie meme par les
commandements de la Joi. La commune et la
convention furent forcées de prendre de nou-
velles mesures, chacune 511 ivaJlt sa compétence.


La commune de París obligea chaque mar-
chane! a déclarf'r la qu:mtité de denrées qu'íl
possédait, les demandes qu'il avait faites priUT
s'en procllrer, et l'espérance qll'íl avait des ar-
rivages. Tout marchand quí, faisant un COrIl-
merce deptús UII an, I'abandonnait Oll le lais-
sait languir, était déclaré snspect, et enfermé
comme te\. Ponr empecher la confusion et
l'engorgement provenant de J'empressement a
s'approvisionner. la commune décida encore,
que le consornmateur ne pOllrrait s'adresser
qu'all marchand détailJant, le détaillant qu'all
marchand eH gros, et elle fixa les quantités
que chacun pourrait exiger. Ainsi I'épicier 111'
pouvait exiger que vingt-cinq livres de sune a
la fois chez le mal'chand en gros, et le lirno-
nadier que douze, C'étaient les comités révo-
lutionnaires qui délivraient les bons d'achat,
etfixaienl les quantités. La commune ne borna
pas lá ~es réglements. Comme l'affluence a la
porte des houlangers était toujours la meme.




CONVENTION N ATION ALE (1793). !¡ 19
et occasionllait des scenes tumultueuses, et
que beaucoup de gens passaie.nt une partie
des nllits a attendre, Chaumette fit déeider que
la distriblltion ne commencerait que par les
deruiers arrivés, ce qlli ne dÍminua ni le tu-
multe ní l'empressement. Comme le peuple se
plaignait de ce qu'on luí réservait la plus mau-
vaise farine, íl fut arreté que, dans la ville de
París, il ne serait plus faít qu'une senle espeee
de pain, eomposée de trois quarts de froment
et d'un qnart de seigle. Entln, on institua une
commissiond'inspectioll aux subsistan ces, pOUl'
vérifier l'état des denrées, eonstater les frau-
cles, et les punir. Ces mesures, imitées par les
antres eoml1lunes, souvent meme eonverties
en décrets, devenaient allssitót des loÍs géné-
rales; et e'est ainsi, eomme nous l'avons déjit
dit, que la commune exer~ait une influenee
immense dans tout ce qui tenaít au régime in-
térieur et a la police.


I ... a convention, pressée de réformer la loi
du maxúnum, en imagina une nouvelle qui
remontait de la marchandise a la matiere pre-
miere. II devait etre faít un tableau du prix
que eoutait la marehandise en 1790, sur le
líeu meme de pro duction. A ce prix, iI était
ajouté : premierement, un tiers en sus, a cause
des circonstances; secondemellt, un prix fixe




!¡:lU 1\1::VOLUT!OI\" FIU;.,CAISE.


pOllr le transport du lieu de productioJl all
lieu de consommation; troisiemcmcnt euti" ,
Ulle somme de cinq pour cent pour le profit
du marchand en gros, et de dix potlr le mar-
chand détailliste; de tous ces éléments on
devait composer, pour ¡'aveni,', le prix des
marchandises de premiere nécessité. Les ad-
millistrations locales étaient chargées de {aire
ce travail, chacllne pour ce qui se produisait
et se consommait chez elle. Une indemnité
était accordée a tout marchand détailliste qui,
ayant moins de dix millc franes de capital,
pOllvait prouver qu'il avait pel'du ce capital
par le maximum. Les eommnnes devaient ju-
ger le cas a vne d'reil, comme on jugeait tont!'
chose alors, comme on juge tont en temps de
dictatnre. Ainsi la loi, sans remonter encare
a la P'rOdllction, a la matiere brllte, a la main-
d' reuvre, fixait le prix de la marchandise an
sortir de la fabrique, le prix des transports,
le gain du commer<,;ant et dll détaillant, et
rempla<,;ait, dans la moiüé aa moins de l'om-
vre sociale, la mobilité de la nature par des
regles absolues. Mais tout cela, nous le répé-
tons, provenait inévitablement du premier
maximum, le premier maximum des assignats,
et les assignats des besoins impérieux de la
révollltioll.




CO.l\'YI'NTIOi, N,\TlOI'iAfl, (,:':)';::, 4,[
Puur sufiire a ce systeme de gouvernement


IIItrodllit dans le commeree, il fut nommé une
commissioll des subsistanees et approvision-
nemcnts, dont l'autorité s'étendait sur toutl'
la république, et q ni étai t composée de trois
membres, choisis pal' la convention, jouissant
prpsquf' de I'importanee des ministres eux-
memes, et ayant voix au conseil. eette COlll-
missioll était chargée de faire exécllter les ta-
rlfs, de surveiller la conduite des communes
;\ cet égard, de faire incessamment contilluer
le recellsemellt des subsistanees et des denrées
dans loute la Frailee, d'en ordünner le verse-
ment d'un département dans l'autre, de fixer
les réquisitiolls pOllr les al'mées ~ conformé-
ment au célebre décret qui illstituait le gou-
vernement I'évolutionnairc.


La situation fiuancierc ll'était pas moins ex-
Iraordiuaire que tOllt le reste. Les deux; em-
pnlllts, l'un forcé, l'alltre volontaire, se rem-
plissaient avcc I'apidité. 011 s'empressait surtout
de contriblH'I' aLI secolld, paree que les avan-
tages qu'il présentait le rendaient bien pré-
férable; et ainsi le moment approchait ou, uu
milliard d'assignats allait etre retiré de la cir-
eulatioll. Il y avait dans les caisses, pOllr le."i
besoins courallts, quatre cellts millions a ¡WU
prf~s, restanl dps :lIIÓl'nIlCS cl'paliolls, et cinq




Ip2 llÉVOLllTION FH.L'i~AISE.
cents millions d'assignats royaux, rentrés par
le décret qui les rlémonétisait, et convertis en
une somme égale d'assigllats répnblicains. II
restait donc ponr le service nenf cents mil-
Iions environ.


Ce qui paraltra extraordillairc, e'est que
l'assignat qui perdait trois qnarts et meme
quatre einq uiemes, était remonté au paÍr avee
l'argent. Il y avait, dans eeUe hausse, du réeI
et du factiee. La suppression graduelle d'un
milliard flottant, le sueees de la premiere le-
vée, qui venait de produire six eent mille
hommes en un mois de temps, les dernieres
victoires de la répubtique, qui assllraient pres-
que son existence, avaient haté le débit des
biens nationaux, et rendu quelque confianee
anx assignats, mais point assez cependant
ponr les égaler a I'argent. Voici les causes qui
les mirent, en apparence, an paír avee le nu-
méraire. On se souvient qu'lIne 10i défendait,
sons des peines graves, le commerce de 1'ar-
gent, e'est-a-dire l'échange a perle de I'assi-
gnat contre l'argent; ql1'une anU'e loi punis-
sait aussi de peines séveres celui qui, dans
les aehats, traiterait a des prix différents, se-
Ion que le paiement aurait lieu en papier
ou en nurnéraire. De eette maniel'e, l'argent,
éehangé soit eontre l'assignat, sojt eontre la




CO;\'VENT]()['( NATION.\U. í. ~7~):)L í¡:;1
Hlill'challdise, He pou vait valoil' ¡,jou pl'ix I'éei ,
et il ne restait plus qu'a l'enfouir. Mais une
derniere loi portait que l'argent, 1'01' OH les bi-
jOllx enf(mis, apparticndraient, partie a J'é1at,
partíe au dénonciateur. Des-lors o!~ He pouvail
ni se servir de l'argent dans le commerce ~ UI
le cachel'; il était a charge, il exposaitle dé-
tentenr a passer pour suspect ;on cornmeut;att
a s'en défier et a préférer l'assignat poul' 1'n-
sage journalier. e'est la ce qui l'établit momen-
tanément le pair, qui n'avait jamais reelle-
!Dent existé pour le papier, meme au premiel'
jour de sa eréatioIl. Beaueoup de communes,
ajoutant leurs lois a eeHes de la conventioll.
avaiellt meme défendllla cil'cuJation du numé-
rail'e, et ordonné qu'il fut apporté daus les
caisses pour y etre cbangé en assignats. La
convention, Hes! vraí, avait <lboli toutes ces
décisioIlS particulit'wes des communes; malS
les lois générales portées par clle, n'cn ren-
dalent pas moins le Tluméraire inutile et daIl-
gereux. Beaucoup de gcns.te portaient a J'im-
pot ou a l'emprullt, ou bien iedonnaiellt aux
étrangers qui en f~üsaient un grano commerct:',
et qui venaient dans les viHes frontieres le J't'-
cevoir contre des marchandises. Les Itaijell~,
et les Génois surtout, qui 1I0US apporl.aieut
beaucoup de blé, accolll'aieut dans les pol'ts




(J2(~ H~:VOLVTION FIIAN~:AISE.
du Midi, et achetaient au plus bas prix les
matieres d'or et d'argent. Le numéraire avait
done reparu par l'effet de ces loís terribles; et
le parti des révolutionnaires ardents, craignant
que son apparítion ne fút de nouveau nuisible
an papier-monnaie, vOlllait que le numéraire,
c¡ ni, jusqn'ici, n' était pas exclu de la circula-
tion, fut prohibé tout-a-fait; ils demandaient
que la transmission en fút iuterdite, et qu' on
ordonnat a tous ceux qui en possédaient de se
présenter aux caisses publiques pour l'échan-
ger contre des assignats.


La terreur avait presque fait ccsser l'agio-
tage. Les spéculations sur le numéraire étaient,
comme on vient de le voir, devenues impos-
sibles. Le papier étranger, frappé de réproba-
tion, ne circnlait plus eomme dellx mois an-
paravant; et les banquiers, accusés de toutes
parts d\~tre les intermédiaires des émigrés, et
de se livrer a l'agiotage, étaient daos le plus
grand effroi. Pour un moment, le scelIé avait
été mis chez eux , mais 011 sentit bientot le
danger d'interrompre les opérations de la ban-
que, d'arreter ainsi la circulation de tous les
capitaux, et on retira le scellé. Néanmoins,
l'cffroi était assez grand pour qu'on ne son-
geat plus a aucune espece de spéculation.


La compagnie des ludes vcnait enfin (I'etn




COl'iVENTION N~TIONALE (1793,. 425
abolic. On a Vll quelle intrigue s'était formée
entre quelques députés pour spéculer sur les
actions de eette eompagnie. Le baron de Ratz,
s'entendant avec Julien de Toulouse, Delaunay
d' Angers, et Chabot , voulait, par des motions
effrayantes, faire baisser les actions , les ache-
ter alors, puis, par des motions plus douees,
les taire remonter, les revendre, et réaliser
les profits de cette hausse frauduleuse. L'abbé
d'Espagnac, que Julien favorisait aupres du
comité des marchés, devait preter les fonds
pour ces spéculatious. Ces misérables réussi-
rent, en effet, a faire tomber les aetions de
/j5óo a 650 livres, et reeueillirent des profits
considérables. Cepcndant on ne pouvait éviter
la suppression de la compagnie; alors ils se
mirent a traiter avec elle pour adoucir le dé-
cret de suppression. Delaunay et J uliell de
Toulouse le discutaient avec ses directeurs, et
lcur disaient : « Si vous donnez telle somme,
!lOUS présenterolls tel décret; sinon, nous en
présenterons te! autre. )) I1s convinrenl d'une
somme de cinq cent mille franes, moyennant
laquelle ils devaient, en proposant la suppres-
sion de la compagnie, qui était inévitable, lui
faire attribuer a elle-meme le soin de sa liqui-
dation, ce qui pouvait prolonger pour long-
temps encor\' sa durp\,. La somme devait etr(~




1j26 HI;VOLlIT10N FlIAiV,:\lSf'_
partagée ent."e Delaunay, Julien ele Toulouse,
Chabot, et Bazire, que son ami Chabot avait
mis au fait de l'intrigue, mais qui refusa d'y
prendre part. Delaunay présenta le décret de
suppression le J 7 vendémiaire. Il proposait de
supprimer la compagnie, de I'obliger a resti-
tuer les sornmes qu'elle devait a !'état, et sur-
tout de luí faire payer le droít sur les transferts,
qu'elle était parvenue a éluder en transfor-
mant ses actions en inscriptions sur ses livres.
11 proposait ellfin de lui laisser a elle-meme le
soin de sa liquidation. Fabre-d'Églantine, qui
n'était pas encore dans le secret, et qui spécu-
lait, a ce qu'il para!t, en sens contraire, s' é-
leva aussit6t contl'e ce projet, en disant que
permettre a la compagnie de se liquider elle-
meme, c'était l'éterniser, et que SOtIS ce pré-
texte elle demeurerait indéfiniment en exerciee_
Il eonseilla done de transporter au gonverne-
ment le soin de eette liquidatíon. Cambo n de-
manda, par un sOlls-amendement, que I'état,
en faisant la liquida tío n , ne rest~'tt pas ehargé
des dettes, si le passif de la eompagnie excé-
dait Son actif. Le décret et les deux amende-
ments fnrent adoptés, et on les renvoya a la
commission, pour en arreter la rédaction dé-
finitive. Aussitót les membrcs uu complot
penserent qu'il fallait s'emparcr c1e Fabrf' pour




CONVE~TJON NATIO]'; ALE (1793). 427
obtenir, au moyen de la rédaction, quelques
modifications au décret. Chabot fut dépeché
á Fabre avec cent mille franes, et parvint a le
gagner. Voici alors ce qui fllt !ait : on rédigea
le décret tel qu'il avait été adopté par la con-
vention, et on le donna a signer a Cambon et
allx memhres de la commission quí n'étaient
pas complices du projet. Ensuite OH ajollta a
eette copie authentique quelques mots qui
en altéraient tout-a-fait le sens. A l'article des
transferts qui avaient échappé au droít, et qui
devaient le supporter, on ajouta ces mots:
Excepté ceux jáits en fraude, ce quí faísait
revivre toutes les prétentions de la compagnie
a l'égard de l'exemption du droit. A propos de
la liquidation, il fut encore ajouté ces mots :
!J' apres les slatuts el réglernents de la cornpa-
gnie, ce qui donnait entrée a celle-ci dans la
liquidation. Ces mots intercalés changeaient
~ravement le dispositíf du décret. Chabot,
Fahre, Delaunay, J ulien de Toulouse, signe-
reIlt ensuite, el remirent la copie falsifiée a la
commission de l'envoi des loís, qui la fit im-
primer et promulguer comme décret authen-
tique. lis espéraient que les membres qui
avaient signé avant eette légere altération, ou
Ile s'en souviendraient pas, ou ne s'en aper-
cevraient pas, et ils se partagerent la somme




{p. s HI::VOLlITION FIl.AN(,:AISL
,de cinq cent mille franes. Bazire refllsa seul sa
part, en disant qu'il ne voulait point participer
a de telles turpitudes.


Cependallt Chahot, dont OH commen¡;ait a
dénoneer le luxe, tremblait de se voir compro-
mis. Il avait suspendu les cent mille franes,rc-
(:us ponr son compte, dans des Jienx d'aisance;
,et eomme ses complices le voyaient pret a les
trahir, ils mena<,;aient de prendre les devants ,
et de tout révéler s'il les abandonnait. TeUe
avait été l'issue de cette honteuse intrigue liée
entre le baron de Batz et trois ou quatre dé-
putés. La terreur génél'ale qui grondait sur
toutes les tetes, me me innocentes, s'était com-
muniquée a eux, et ils avaient peur de se voir
découverts et punis. Pour le moment donc,
loutes les spéclllations étaient suspendues, (>1
personne ne songeait plus a se livrer a J'agio-
tage.


e'est dans cet instant, ou l'on ne craignail
pas de faire violence a toutes les idées re<;ues .
• \ toutes les habitudes établies, que le projel
,le renouveler le systeme des poids et mesures
d de changer le calendrier fut exécuté. Le goút
,le la régularité et le mépl'is des obstacLes de-
vaient signaler une révolution qui était a la fois
philosophique et politiqueo Elle avait diviSt~ le
¡erritoire en quatre-villgt-tTois pOl'li(llls t'~alf's;




CONVF.NTION NATJONALE \1793). /¡'l~}
die avait lIniformisé l'administratioll civile, re-
ligieuse et militaire; elle avait: égalisé toutes les
parties de la dette publique. Elle ne pouvait
manquer de régulariser les poids, les mesures
et: la division dll temps. Sans doute ce gout
pour l'uniformité, dégénérant en esprit de sys-
teme, en furellr meme, a fait oublíer trop sou-
vent les variétés nécessaires el attrayantes de
la nature; mais ce n'est que dans ces sortes
d'acd~s que l'esprit humain opere les régéné-
rations grandes et difficiles. Le nouveau sys-
teme des poids el mesures, l'nne des plus belles
créations du siecle, fut le résllltat de cet auda·
cienx esprit d'innovation. On imagina de pren-
dre pour nnité de poids et pour unité de me-
sures, des quantités naturelles et invariables
dans tons les pays. Ainsi, l'eau dístillée fut
prise pour unité de poids, et une partie du
méridien pour unité de mesure. Ces unités,
multipliées ou divisé es par dix, a l'infini, for-
merent ce Leau systeme connu sous le nom de
caleul décimal.


La meme régularité devait etre appliquée a
la divísion du temps; et la difficulté de chan-
ger les habitudes d'nn peuple, dan s ce qn'elles
ont de plus invincible, ne devait pas arreter
des hommes aussi résolus que ceux qui prési-
daient alors aux destinées de la Franee. Déja




,¡30 RÉVOLUTION .FRANqAISE.
ils avaient changé !'ere grégorienne en ere ré-
publicaine, et fait dater celle-ci de l'an premier
de la liberté. Ils tirent commencer l'année et
la nouvelle ere au 22 septembre 1792, jour
qui, par une rencontre heureuse, était celui
de l'institution de la république et de l'équi-
noxe d'automne. L'année aurait du etre divisée
en dix parties, conformément au systeme dé-
cimal; mais en prenant pour base de la divi-
sion des mois les douze révolutions de la lune
autour de la terre, íl fallait admettre douze
mois. La nature commandait ici l'infraction au
systeme décimal. Le mois fut de trente jours;
il se divisa en troisdizaínes dejours, nommées
décades, et rempla~ant les quatre semaines.
Le dixieme jour de chaque décade fut consa-
cré au repos, et rempla~a l'ancien dimanche.
C'était un jour de repos de moins par mois. La
religion catholique avait multiplié les fetes a
l'infini; la révolution, préconisant le travaíl,
croyait devoir les réduire le plus possible. Les
moís s'appelerent du nom des saisons aux-
quelles iIs appartenaient. L'année commen<;ant
en automne, les trois premiers mois apparte-
naient a cette saisan; on les nomma, le I er, ven-
démiaire, le 2", brumaire, le 3", frimaire; les
trois suivants, correspondant a l'hiver, s'appe-
laient nivose, plllviose, ventose; les trois au-




CONVENTION NATIONALI, (1793). 431
tres, répondant au printemps: germinal,jloréal,
prairial; les trois derniers enfin, comprenant
I'été, furent nommés messidor, thermidor,ftuc-
lidor. Ces douze mois, de trente jours chaque,
ne faisaient que trois cent soixante jours en
tonto Il restait cinq jours pour compléter l'an-
née; ils furent appelés complémentaires, et on
But la beIle idée de les réserver pour des fetes
nationales, sous le nom de sans - culottides ,
nom qu'il faut accorder au temps, et qui n'est
pas plus absurde que beaucoup d'autres adop-
tés par les peuples. La premiere dut etre con-
sacrée au génie; la seconde, au tral'ail; la troi-
sieme, ame belles actions; la quatrieme, aux
récompenses; la cinquieme enfin, a l'opinion.
CeHe derniere fete, tout - a -fait original e , et
parfaitement adaptée au caractere frall(;;ais, de-
vait etre une espece de carnaval poli tique de
vingt - quatre heures, pendant lequel il serait
permis de dire et d'écrire impunément sur tont
homme public, tout ce qu'il plairait au peuple
et aux éerivaills d'imaginer. C'était a l'opiuion
a faire justice de !'opillion meme, et a ton s
les magistrats a se défendre par leurs ver tus
contre les vérités et les calomnies de ce jour.
Rien n'étaít plus grand et plus moral que cette
id¡>e. Il ne fallt point, paree qu'une destinée
plus forte a emporté les pensées et les institu-




432 RÉVOLUTlON FRANqAISE.
tions de ceHe époque, frapper de ridicllle &es
vas tes et hardies conceptions. Les Romaills ne
sont pas restés ridicules, parce que, le jour du
triomphe, le soldat placé derriere le char du
triomphateur, pouvait dire tout ce que lui sug-
gérait sa haine Oll sa gaité. TOllS les quatre ans,
l'année bissextile, amenant six jours eomplé-
mentaires au líeu de cinq, eette sixieme salls-
culottide devait s'appeler fete de la révolution,
etetre consacrée a une grande soleuuité, dan s
laquelle les Fran/{ais viendraient célébrer l'é-
poque de leur affranehissement et J'institntion
de la république.


Le jour fut divisé, suivant le systeme déci-
mal, en dix parties ou heures, eeHes-ei en dix
autres, et ainsi de suite. De nouveaux eadrans
furent ordonnés pour metlre en pratique eette
nouvelle maniere de calculer le temps; cepen-
dant, pour ne pas tout faire a la fois, on ajourna
a une anllée cette derniere réforme.


La derniere révolution, la plus difficilc, la
plus aeeusée de tyrannie, fut ceHe qu'on essaya
a l'égard du culte. Les 10is révolutionnaires, re-
latives a la religiou, étaient restées telles que
l'assemblée eonstituallte les avait faites. On se
souvient que cette premiere assemblée, dési-
rant ramener l'administration eeclésiastique a
l'uniformité de l'admÍnistration civile, vOlllnl




CONVENTION NATIONALE (1793). 433
que les circonscriptions des dioeeses fussellt les
memes que celles eles dépar·tements, que l'é-
veque fut électif eomme tous les autres fone-
tionnaires, et qu'cn un mot, sans toucher au
dogme, la discipline fUt régularisée, cornme
venaient ele l'etre tOlltes les parties de l'organi-
satíon politiqueo Telle fut la constitution civile
du c1ergé, a laquelle on obligea les ecclésiasti-
ques de preter serment. Des ce jour, on s'en
souvient, il Y eut un schisme; on appcla pre-
tres constitutionnels OH assermeutés, ceux quí
avaient adhéré a la nouvelIe instilution, et
pretres réfractaires cellX qui s'y étaient refu-
sés. Ces derniers élaiellt seulement privés de
lellrs fonctions et pourvus d'une pensiono L'as-
semblée légisJativc, voyant qu'ils s'attachaient
a indisposer l'opinion contre le nouvcau ré-
gime, les soumit a la surveillance des a utorités
des dépa-rtements, et décréta meme que sur un
jugement de ces autorités, ils pourraient etre
ballnis du territoire de la France. La conven-
tion, plus sévere enfin, a mesure que leur
condllite devenait plus séditieuse, condamna
a la déportation tous les pretres réfractaires.
L'emportement des esprits angmentant chaque
jour, on se demandait pourquoi, en abolissant
toutes les anciennes superstitions monarchi-
ql1es, on cOllservait encore un fantóme de re-


Y. ',ül




434 nÉVOI.UTION FIIANyAISF..
ligion, a laquelle presque personne ne croyait
plus, et qui formait le contraste le plus tran-
chal1t avec les nouvelles institutions, les nou-
velles rnreurs de la Franee républicaine. Déjit
on avait demandé des 10Ís pour favorÍser les
pretres mariés, et les protéger contl'e certaines
administrations locales ql1i voulaient les priver
de lel1rs fonctions. La convention, tres-l'éser-
vée en cette matiere, n'avait ríen voulu statuer
a leur égard, mais par son silenee meme, elle
les avait autorisés a conserver leurs fonctions
et leurs traitements. 11 s'agissait en outre, dans
certaÍnes pétitions, de ne plus salarier aucun
culte, de laisser chaque secte payer ses minis-
tres, d'interdire les cérémonies extérieures, el
d'obliger toutes les religions a se renfermer
dans leurs temples. La convention se borna a
réduire le revenu des éveques au maximum
de six mille frallcs, vu qu'il y en avait dont le
revenu s'élevait a soixante-dix mille. Quant a
tout le reste, elle ne vOlilut rien prendre sur
elle, et garda le silence, Jaissant la France
prendre l'initiative de l'abolirion des cultes.
Elle craignait, en touchant elle - meme aux
croyances, o'indisposer une partie de la popu-
lation, encore attachée a la religion catholique.
La commune de Paris, moins réservée, saisit
cette oecasion importanh~ d'ulle grande ré-




CONVENTION NATlON ALE (, 793). 435
forme, et s'empressa de donner le pr'emier
cxemple de l'abjuration <Iu catholicisme.


Tandis que les patríotes de la convention et
des J acobins, tandis que Robespierre, Saint-
J ust et les autres chefs révolutionnaires, s'ar-
rétaient au déisme, Chaumette, Hébert, tous
les notables de la commune et des Cordeliers,
placés plus bas par lellrs fonctions et leurs lu-
mieres, devaient, suivant la Ioi ordinaire, dé-
passer la borne, et aller jusqu'a l'athéisme.
lIs ne professaient pas Ollvertement cette doc-
trine, mais on pouvait la leur sllpposer;
jamais dans lellrs discours ou leurs feuilles, ils
Ile pronon<,;:aient le 110m de Dieu, et ils répé-
taient san!> cesse qu'un peuple ne devait se
gOllverner que par la raison, et n'admettre
d'autre culte que celui de la raison. Chaumette
n'était ni bas, ni méchant, ni ambítieux eomme
Hébert; il ne eherchait pas, en cxagérant les
opinions régnantes, a supplanter les chefs ac-
tuels de la révolution; mais, dénué de yues po-
litiqucs, pleill d'llne phiJosophie commune,
entrainé par un cxtraordinaire penchant a la dé-
clamatlon, íl prechait, avec l'ardeur et l' orglleil
dévot d'un missionnaire, les bonnes mreurs, le
travail, les vel'tus patriotiqnes, et la raison en-
fin, en s'abstenant tonjours de nommer Diell.
1l s'était élevé av('c véhémence contre les pil-


28.




436 Jt~:VOLFJ'lON FRANyAISE.
lages; il avait fortement réprimandé les femmes
qui négligeaient le soin de leur ménage pour
se meler de troubles politiques, et avait eu le
courage de faire fermer leur club; il avait pro-
voqué l'abolition de la mendicÍté et l'établisse-
ment d'ateliers publics pour fournÍr du travail
aux pauvres; iI avait tOllné contre la prostitu-
tion, et avait faít prohiber par la commllne la
profession des filIes publiques, partout tolérÉe
comme inévitable. Il était défendu 11 ces mal-
heureuses de se montrer en public, d'exercer
meme dans l'intérieur des maisons leur déplora-
ble industrie. Chaumette disait qu'elles apparte-
naient aux pays monarchiques el catholiques,
ou il y avait des citoyens oisifs, des prétres
non mariés, et que le travail et le mariage de-
vaient les chasser des républiques.


Chaumette, prenant done l'initiative all nom
de ce systeme de la raison, s'éleva a la com-
mune contre la pub licité du culte catholique.
Il soutint que c'était un privilége dont ce cnrte
ne devait pas plus jouir qu'un autre; que si cha-
que secte avait cette faculté, bientot les rues
et les places publiques seraient le théatre des
farces les plus ridicules. La commUlle ayant la
police locale, iI fit décider, le 23 vendémiaire
( 1 4 octobre), que les ministres d' aucune reli-
gion nf' pOllrraient exercer len!' cnlte hors des




CUNV ~NTION N ATlONALE (, r 793), 1( '~7
temples. Il fit instituer de Ilouvelles céreulO-
nies funebres pour rendre les derniers devoirs
aux morts. Les amis et les parents devaient
seuls accompagner le cercueil. TOllS les signes
religi.eux furent sllpprimés dans les cimetieres,
et remplacés par une statue du Sommeil, a
l'exemple de ce que Fouché avait fait dans le
département de l' Allier. Au ]ieu de cypres et
d'arbustes lugubres, les cimetieres furent plan-
tés des arbres les plus riants et les plus odo-
rants. « Il faut, dit Chaumette, que l'éclat et le
« parfum des fleurs rappellent les idéesles plus
« douces; je voudrais, s'il était possible, pou-
« voir respircr l'ame de mon pere! )) Tous les
signes extérieurs du culle furent enticremenl
abolis. On décida encore dans un n)(~me arre té ,
et toujours sur les réquisitoires de Chaumette,
qu'on ne pouI'l'ait plus velldl'c dans les rues
toules especes de jongleries, lelles que des
saints-suaires, des mouchoirs de sainle Véro-
nique, des ecce-homo, des croix, des agnus
Dei, des vierges, des cors el bagues de saint
Huberl, ni pareiJlement des poudres, des eaux
médicinales, el autres drogues falsijiées. L'image
de la Vierge fut partout supprimée, et toutes
les madones qui se trouvaient dans des niches,
aux coills des rues, furent remplacées par les
hustes de lVlarat et Lepclletier.




438 HÉVOLUTJON FI\ANc,:AISI<:.
Anacharsis elootz, ce meme baron prussien


qui, riche a cent mille livres de rentes, avait
quitté son pays pour venir a París représen-
ter, dísait-il, le gellre humain, qui avait figuré
a la premiere fédération de 1790, a la tete des
prétendus envoyés de tous les peuples, et qui
ensuite fut nommé député a la convention na-
tionale, Anacharsis elootz prechait sans ccsse la
république universelle et le culte de la raison.
lllein de ces dellx idées, il les développait
sans relache (Ians ses écrits, et, tantot dans
des manifestes, tantot dans des adresses, illes
proposait a tons les peuples. Le déisme lui pa-
raissait anssi coupable que le catholicisme
meme; il ne cessait de proposer la destruction
des tyrans et de toutes les especes de dieux ; et
prétemlait qu'il ne devait res ter chez l'huma-
nité, affranchie et éclairée , que la raison pure,
et son culte bienfaisant et immortel. 11 disait
a la convention : « Je n'ai pu échapper a tous
c( les tyrans sacrés et profanes que par des
« voyages continuels; j'étais aRome quand OIl
« voulait m'incarcérer a París, et j'étais a 1Jon-
« dres quand on voulait me bruler a Lisbonne.
(( e'est en faisant ainsi la navette d'un baut de
«( l'Enrope a l'autre, que j'échappais aux al-
« gnazils, aux monchards, a tous les maltres,
" a tous les valcts. Mes émígrations ccssere/lt




CONVt:NTlON N A.TlON ALE \ 1 793). 439
(l quand l'émigration des scélérats commen«a.
(e e'est dans le chef:'lieu du globe , c'est a Paris,
{( qu'était le poste de l'orateur du genre hu-
« maín. Je ne le quíttai ptus depuis 1789; c'est
« alors que je redoublai de úle contre les pré-
I( lendus souverains de la lerre et du cíel. Je
« prechais hautcment qu'il n'y a pas d'autre
(e Dieu que la nature, d'autre souverain que
« le genre humain, le peuple-dieu. Le peuple
« se suffit a lui-meme, it sera toujours debout.
« La nature ne s'agenouille point devant elle-
le meme. J lIgez de la majesté du genre humain
( libre par celIe dll pellple fran<;ais, qui n'en
C( est qu'une fraction. J ugez de l'infailJibilité
« du tout par la sagacité d'llne portion qui,
( eHe sente, fait trembler le monde esclave.
« Le comité de surveillance de la république
(e universelle aura moins de hesogne que le
,( comité de la moindre section de Paris. Une
« confiance générale remplacera une méfianee
I( universeUe. Il y aura dans ma république peu
« de bureaux, peu d'impóts, et point de honr-
« reau. La raison réunira lous les hommes dans
« un seul faisceau représentatif, sans autre líen
« que la correspondance épistolaire. Citoyens,
«( la religion est le seul obstacÍe a eette utopie
f( le temps est venu de la détruire. Le genre
,( humain a brúlé ses Iisieres. 011 n'a de vi-




440 RÉVOLUTION l'RAN~:AJSE.
« gueur, dit un ancien, que le jour qui suit un
ce mauvais regne; profitons de ce premier jour,
(( que nous prolongerons jusqu'au lendemain
(( de la délivrance du monde. »


Les réquisitoires de Chaumette ranimerent
toutes les espérances dé Clootz; il alla trouver
Gobel, intrigant du Porentruy, devenu éveque
constitutionnel du département de Pads, par
ce mouvement rapide qui avait élevé Chau-
mette, Hébert et tant d'autres aux premieres
fonctions municipales. Il lui persuada que le
moment était venu d'abjllrer, a la face de la
Fl'ance, le culte catholique, dont il était le pre-
miel' pontife; que son exempleel1trainerait tous
les ministres du culte, éclairerait la nation, pro-
voquerait une abjuration générale, et oblige-
raít la convention a prononcer alors l'aholition
du christiallisme. Gohel ne voulut pas préci-
sément abjurer sa croyance meme, et déclarer
par la qu'il avait trompé les hommes pendant
toute SOl vie ; mais il consentit a venir abdiquer
l'épiscopat. Gobel décida ensuite ses vicaires
a suivre cet exemple. Il fut convenu aussi avec
Chaumette et les membres dll département que
toutes les autorités constituées de Paris aCCOffi-
pagneraient Gobel, et feraient partie de la dé-
putatíon, pour lui donner plus de solennité.


Le 17 brumaire (7 novembre J. 793) , Mo-




CONVENTION NATIONALE (1793). 44-
moro, Pache, Lhuillier, Chaumette, Gobel et
tous ses vicaires, se rendent a la convention.
Chaumette et Lhuillier, tons deux procureurs,
l'un de la commune, l'autre du département,
annonceht que le c1ergé de Paris vient rendre
a la raison un hommage éclatant et sincere.
Alors ils préselltent Gobel. Celui-ci, eoiffé du
bOllDet rouge, et tenant a la maill sa mitre, sa
erosse, sa croix et son anneau , prend la parole :
(( Né plébéien, dit-iI , curé dans le Porentruy ,
envoyé par mon c1ergé a la premiere assem-
blée, puis élevé a l'archeveché de Paris, je n'ai
jamais cessé d'obéir an pell pIe. J'ai accepté les
fonctions que ce peuple m'avait autrefois COll-
fiées, et aujourd'hui je luí obéis encore en ve-
uant les déposer. Je m'étais fait éveque quand
le peupIe vouIait des éveques; je cesse de l'etre
maintenallt que le peuple ll'en veut plus. »
Gobel ajoute que tout son clergé, animé des
memes sentiments, le charge de faire la meme
déclaration. En achevant ces paro les , il dépose
sa mitre, sa croix et son anneau. Son c1ergé
ratifie sa déclaratioll. Le président lui répond ,
avec adresse, que la convention a décrété la
liberté des cuItes, qu'elle a dli la Iaisser touL
entiere a chaql1e secte, qu'elle ne s'est jamais
ingérée dans lenrs cl'oyances, mais qu'eHe
ótpplótudit a eeHes qui, éclairées par la raiSOll ,




442 nÉVOLUTION FltAN~:AISE.
viennent abjurer leurs superstitiolls et leurs
erreurs.


Gohel n'avait pas abjuré le sacerdoce et le
catholicisme, et n'avait pas osé se déclarer un
imposteur qui venait enfin avouer ses menson-
ges; mais d'autres étendeut pour lui cette dé-
claration. « Revenll, dit le curé de Vaugirard,
des préjugés que le fanatisme avait mis dans
mon creur et dans mon esprit, je dépose mes
lettres de pretrise. ») Divers éveques et curés,
membres de la convention, suivcnt cet exem-
pIe, et déposent leurs leUres de prctrise ou
abjurent le eatholieisme. J ulien de Tonlouse
abdique aussi sa ql1alité de ministr'e protestant.
Des applaudissements furieux de l'assemblée
et des tribunes aeeueillent ees abdications.
Dans ee moment, Grégoire, éveque de Blois,
entre dans l'assemblée. On lui raconte ee qui
viellt de se passer, et on l'engage a ¡miter
l'exemple de ses collegues. n refuse avec cou-
rage : c( S'agit - il du revenu :lttaché aux fOlle-
tions d'éveque? je l'abandonne, dit-il, sans
regret. S'agit - il de roa qualité de pretre et
(l'éveque? je ne puis ro'en dépouiller; má re-
tigion me le défend. J'invoque la liberté des
cultes.), Les pal'oles de Gl'égoire s'achevent
dans le tumulte, mais ll'al'l'etent point eepen-
dant l"explosion de joie que eette scene a ex-




CONVENTION NATIO:'oí ALE (1793). 443
citée. La cléputation quitte l'assembléeau milieu
c]'une fonle immense, et va se remIre a l'Hotel-
de-Ville pom recevoir les félicitations de la
commune.


Il n'était pas difficile, une foís cet exemple
donné, d'exciter toutes les sections de Paris et
toutes les communes de la république a l'imi-
ter. Bientot les sections se réunissent. et vien-
nent déc\arer, l'une apres l'alltre, qu'elles re-
noneent a toutes les erreurs de la superstition,
et qu'elles ne reconnaissent plus qu'un seul
cnlte, celuí de la raison. La section de I'Homme-
Armé déclare qu'elle ne reconnait d'autre
culte que celui de la vérité et de la raison,
d'autre faTl~tisme que celui de la liberté et de
l'égalité, d'autre dogme que celui de la frater-
nité et des lois républicaines décrétées depuis
le 31 lIlai 1793. Celle de la Réunion annOllce
qu'elle fera un fen de joie de tous les confes-
sionnaux, de tOllS les livres qui servaient aux.
catholiques, et qu'elle fera fermer l'église de
Saint-Méry. CeHe de Guillaume-Tell renonce
pour toujours au culte de l'erreur et du men-
songe. CeHe de Mucius Sc¡evóla abjure le ca-
tholicisme , et fera, décadi prochain, sur le
maitre - antel de Saint.Sulpice, l'inaugllration
des bustes de Marat, de Lepelletier et de Mu-
cius SCa'vola. CeIle des Piques n'adorera d'au-




4/.4 REVOLUTION E'IUN(jAISE.
tre Diell que le Dieu de la liberté et de l'éga-
Jité. CeIle de l' Arsenal abdique allssi le culte
catholique.


Ainsi, les sections prenant l'initiative, abju-
raient le catholicisme comme religion publi-
que, et s'emparaient de ses {>difices et de ses
trésors comme d'édifices et de trésors appar-
tenant au domaine communal. Déja les députés
en mission dans les départements avaient en-
gagé une foule de comnmnes 11 se saislr du
mobilier des églises, qui n'était pas nécessaire,
disaient-ils, a la religion, qlli, d'aillellrs, comme
toute propriété publique, appartellait a l'état,
et pouvait etre consacré a ses hesoins. Fouché
avait envoyé du département de l'AlIier plu-
sieurs caisses d'argenterie. II en était venu
beaucoup aussi de divers départements. Bientot
le meme exemple, suivi a Paris et aux environs,
tit afflller a la barre de la convention des mon-
ceaux de richesses. On dépouilla toutes les
églises, et les communes envoyerent des dépu-
tations avec 1'01' et l'argent accumulés clans les
niches des saints, ou dans les lieux consacrés
par une ancienne dévotion. On se rendait en
procession a la convention, et le peuple, se
Jivrant a ses gouts burlesques, parodiait de la
maniere la plus bizarre les scenes de la religion,
I't trouvait autant de plaisir a les profane!'




CONVF.NTION NAT/ONALE 1\(793). 445
qu'il en avait trouvé jadis a les célébrer. Des
hommes, vetus de surplis, de chasubles, de
chapes, venaient en chantant des alleluia et
en dansant la carmagnole a la barre de la con-
vention; ils y déposaiellt les ostensoirs, les
crucifix, les saints ciLoires, les sta tues d' 01' et
d'argent; ils pronolH,;aient des discours bur-
lesques, et SOllvent adressaient aux saints eux-
memes les aHocutioJls les plus singulieres.
« O vous! s'écriait une députation de Saínt-
« Denis, o vous, instruments da fanatisme!
« saillls Lienheurellx de tOllte espece, soyez
« enfin patrio tes , levez-volls en masse, sel'\'ez
« la patrie en allant vous fondre a la Monnaie,
« et faites en ce monde notre bonhear que
« vous vouliez faire dans ¡'autre. )) A ces scimes
de gaité saccédaient tout-a,collp des scenes de
respect et de recueillement. Ces memes indi-
vidas, qui foulaiellt anx pieds les saints ou
christianisme, portaient un dais; ils en Oll-
vraient les volles, et montrallt les bustes de
Marat et de Lepelletier, « Voici, disaient-ils,
non pas des dieux faits par des hommes, m,tis
l'image de citoyells respectables, assassinés
par les esclaves des rois. )) 011 défilait ensllite
devant la convention, en chantant encore des
alle/uia et en dansant la carmagnole; on allait
déposer les riches déponilles des alltels a la




446 RÉVOUITION FH A l\'qA [SE.
Monnaie ,et les bus tes vénérés de Marat et
Lepelletier dans les églises, devenues désormais
les temples d'un nou veau culte.


Sur le réquisitoire de Chaumette, il fut ar-
reté que l'église métropolitaine de Notre-Dame
serait cOllvertie en un édifice républicain , ap-
pelé Temple de la Raison; une fete fut instituée
pour tous les jours de décade. Elle dut rem-
placer les cél'émonies catholiques du dimanche.
Le maire, les officiers municipaux, les fonc-
tionnaires publics, se rendaient clans le temple
de la Raison, y lisaient la déclaratioll des droits
de l'homme, ainsi que l'acte constitntionnel,
y faisaient l'al1alyse des nouvelJes des armées,
et racontaient les actions d'éclat qui avaient eu
líeu dans la décade. Une bOliche de vérité,
semblable aux bOlIches de dénonciations qui
se tronvaient a Venise, était placée dans le
temple de la Raison pOll!' recevoir les avis,
reproches OH conseils, utiles au bien publico
On faisait la levée de ces leUres chaque jou!'
de décade; OIl procédait a leur lecture; un ora-
teur proIlon~ait un discolIl's de morale; apres,
on exécutait des morceaux de musique, et OIl
6nissait par chanter des hymues républicains.
n y avait dans le temple deux tribunes, l'llne
pour les vieillards, I'autre ponr les femmes
t'nceintes, avec ces mots; Re.rpecl el la vieil-




CONVF:NTION N ATION ALE ('793). 447
lesse, respect el soins aux jemmes enceinles.


La premiere fete de la raison fut célébrée
avec pompe le 20 brumaire (10 novembre).
Toutes les sections s'), rendirent avec les auto-
rités constituées. Une jeune femme représen-
tait la déesse de la Raison; c'était l'épouse de
l'imprimeur Momoro, l'un des amis de Vincent,
Ronsin, Chaumette, Hébert, et pareils. Elle
était vetue d'une draperie blanche; UIl man-
teau bleu céleste flottait sur ses épaules; ses
cheveux épars étaient recouverts du bonnet de
la liberté. Elle étaít assise sur un siége antique,
entomé de lierre, et porté par quatre citoyens.
De jeunes filies, ve tu es de blauc el couronnées
de roses 1 précéclaient et suivaient la déesse.
fluis venaient les bustes de Lepelletier et de
Marat, des musiciens, des troupes, el toules
les sections armées. Des discours furent
prononcés, et des hymnes chantés dans le
temple de la Raison; on se rendit ensuite a ]a
convention; Chaumette prit la parole en ces
termes:


ce Législateurs, le fallatisme a cédé la place ({ a la raison. Ses yeux louches n'ont pu sonte-
cc nir l'éclat de la lumiere. Aujourd'hlli un
ec peuple immense s'est porté sons ces voutes
ce gothiques, qlli pour la premiere fois Ollt serví
(e d'écho a la véritp. La, les FralH:ais out c"lé-




448 RtVOLUTION FRAN<;:AISF:.
(( bré le seul vrai culte , celni de la liberté, ce-
( lui de la raison. La, nous avons formé des
« vcenx ponr la prospérité des armes de la
( république. Vi, nous avons abanoonné des
« idoles Ínanimées, pour la raison , pour eette
« image animée, chef-d'ceuvre de la nature. »
En disant ces mots, Chaumette montrait la
déesse vivante de la Raison. La jeune el beIle


.. femme qui la représelltait, descend de son siége,
et s'approche du président, qui lui donne l'ae-
colad e fraterneIle au miliell des bravos univer-
seis, et des cris de vi",e la république! vive la
Raisoll! a bas le fanatisme! La convention ,
qui n'avait encore pris allCllne part a ces re-
présentations, est entl'aluée, et obligée de
suivre le cortége, qui retourne une seconde
fois au temple de la Raison, et va y chauter
un hymne patriotiqne. Une nouvelle impor-
tante, ceHe de la reprise de Noirmoutiers sur
Charette, augrncntait la joie générale, et luí
donnait un motif plus réel que celui de l'abo-
lition du fanatísme.


On voit sans doute avec dégout ces scenes
sans recueillement, sans bOlllle foi, ou un peu-
pie changeait son culte, sans cornprendre ni
rancien, ni le nOllveall. Mais quand le peuple
est-il de bonne foi? quam} est-il capable de
compren ore les oogmes qu'on lui donne a




CONVENTION N ATION ALE (J 793). 449
croire? Ordinaírement, que lui faut - il? De
grandes réunions qui satisfassent son besoin
d' etre assemblé, des spectacles symboliques,
ou on luí rappelle sans eesse l'idée d'une puis-
sanee supériellre a la sienne, en fin des fetes
ou l'on reode hommage aux hommes qui oot
le plus approché du bien, du beau, du grand,
en un mot des temples, des cérémonies et des
saints. IL avait ici des temples, la Raison, Ma-
rat et Lepelletier. Il était réuní, il adorait une
puissance mystérieuse, il célébrait deux hom-
mes. Tous ses besoins étaient donc satisfaits,
et il n'y cédait pas autrement qu'il n'y cede
toujours.


Si 1'on considere le tableau de la France a
cette époque, on verra que jamais plus de con-
traintes ne furent exercées a la foís sur cette
partie inerte et patiente de la population, sur
laquelle se font les expériences politiques. On
n'osait plus émettre aucnne opiníon; on crai-
gnait de voir ses amis OH ses parents, de peur
d'etre compromis avec eux, et de perdre la li-
berté et quelquefois la vie. Cent mille arresta-
tions et qnelques centaines de eondamnations
rendaient la prison et l'échafaud toujours pré-
sents a la pensée de vingt-cinq millions de Fran,
({ais. On supportait des impOts considérables.
Si OH était, d'aprf.s une classification tont arhi~


v.




450 RÉVOLUTION FRAN~AJS¡':.
traire, rangé dans la c1assc des riches, OH
perdait pour eette année une portion de son
revenu. Quelquefois, sur une réquisition d'un
représentant ou d'un agent quelconque, íI fal-
lait donner ou sa récolte, OH son mobilier le
plus préeieux, en 01' et en argento On n'osait
plus afficher aueun luxe, ni se jivrer a des
plaisirs bruyants. On ne pouvait plus se servir
de la monnaie métallique; iI faUait accepter ou
donner un papier déprécié, et avec lequel il
était difficile de se procurer les objets dont on
avait besoin. n fallait, si on était marchand,
velldre a un prix fictif; si on était acheteur,
se contenter de la plus mauvaise marchandise,
parce que la bonne fuyait le maximum et les
assignats; quelquefois meme iI fa11ait s' en pas-
ser tout-a-fait, parce que la bonne et la man-
vaise se cachaient également. On n'avait plus
qu'une seule espece de pain noir, commun an
riche et au pauvre, qu'il fallait se disputer a la
porte des boulangers, en faisant queue pen-
dant plusíeurs heures. Les noms des poids
et mesures, les noms des mois et des jours
étaient changés; on n'avait plus que trois di-
manches au lieu de quatre; enfin, les femmes,
les vieillards, se voyaient privés des cérémonies
du culte, anxquelles ils avaient assisté tOl1te
lenr vie.




CONVENTION NATIONALE (1793). 451
Jamais done le pouvoir ne bouleversa plus


violemment les habitudes d'un peuple: mena-
cer toutes les existen ces , déeimer les fortunes,
régler obligatoirement le taux des éehanges,
renouveler les appellations de toutes ehoses,
détruire les pra tiq ues du culte, e' était sallS
contredit la plus atroce des tyrannies; mais on
doit tenir eompte du danger de l'état, des
erises inévitables du commerce, et de l'esprit
de systeme inséparable de l'esprit d'innova-
tion.


FIN DU TOME CINQUIEME.






rrAB]~E.


DES CHAPITHES


CONTENUS DANS LE TOME CINQUIEME.


CHAPITRE l.
Projets des jacobins apres le 31 mai. - Rcnollvcllcmelll


des comités et du ministere. - DispositioIlS des dépar-
tements arres le 31 mai. Les girondins proscrits vonL
les soulever eontre la convention. - Décrets de la eon-
ventiOIl contre les départements inslIrgés. - Assem-
blées et armées insllrrectionnelles en Bretagne et en
Normandie. - Événements militaires sur le Rhin et au
Nord. Envahissement des frolltiercs de l'Est par les
coalisés; retraite de ClIstine. Siége de Mayence par les
Prllssien~. - Échecs de l'armée des Alpes. Sitllation de
l'armée des Pyrénées. - Les Vendéens s'emparent de
Fontenay et de Saumur. - Dangers immincntsde la ré-
publique a l'intérieur eUt l' extérieur. - TI avaux admi-
nistratifs de la conventioH; constitution de 1793.-
Échecs des insurgés fédéralistes ¡t Évreux. - Défaite
des Vendéens devant Nantes. - Victoire contre les
Espagnols dans le ROllssillon. - Marat est assassiné
par Charlolte COl'day; honneurs funebres rcnuus ¡¡, Sil




TABJ,E DES CHAPITRES.


mémoire; jllgement et exécution de CharIotte Cor-
day ................•.....•...•... _ ...... .


CHAPITRE -11.
Distribution des partis depuis le 31 mai, dans la conven-


rion, le comité de salut public et la commune. - Di-
visions dans la Montagne. Discrédit de Danton. - Po-
litique de Robespierre. - Événemcnts en Vendée.
Défaites de Weslermann a ChatiHon, et du général
Labaroliere a Vihiers. - Siége et prise de Mayence
par les Prussicns et les Autrichiens. Prise de Valen-
ciennes. - Dangers extremes de la république en
aout 1793. - État financiero Discrédit des assignats.
Établíssement du maximum. Détresse publique. Agio-
tage ................•......•........... " 95


CHAPITRE 111.
Arrivée et réception a Paris des commissaires des assem-


blées primaires. - Retraite du eamp de César par I'ar-
mée du Nord. - Fete de I'anniversaire dI! la aout, et
inauguration de la constitution de 1793. - Mesures
extraordinaires de salut publico Décrct ordonnant la
levée en masse. Moyens employés pour en assurer l'exé-
cution.-Institution du Grand-Lil're; nOllvelle orgalli-
sation de la dette publique. - Emprllnt forcé. Détails
sur les opérations financieres a cette époque. _ N ou-
veaux déerets sur le maximum.-Décrets cont1'e la Ven-
dée, cont1'e les étrangers et cont1'e les Bourbons.. 169


CHAPITRE IV.
Mouvement des armées en aout el septembre 1793. -


Illvestissement de Lyon par l'armée de la COI!vclltioll.




l'ABLE DES CHAPITRES. 455
- Trahison de TOlllolJ qui se livre aux Anglais. -
Défaite de 40 milleVendéens a LlI~on. Plan général de
eampagne eontre la Vendée. Divisions des généraux ré·
publicains sur ce théatre de la guerreo - Opérations
militaires dans le Nord. Siége de Dunkerque par le dlle
d'York. - Victoire de HonJtschoote. Joie nniverselle
qu'elle cause en Frailee. - Nouveaux reverso Dérollt!'s
a Menin, i Pirmasens, a Perpignan, et a Torfon dans
la Velldée. Retraite de Canclaux sur Nantes. - At-
taques eontre le comité de salut public. - Établisse-
ment du gouI'ernement Tél'olutionnaire. - Décret qui
organise une armée révolutionnairc de six mille hom-
mes. - Loi des suspeets. - Coneentration du pouvoir
dictatorial dans le comité de salnt public. - Proct'~s de
Custine; sa condall1uation et son supplice. - Décret
d'aeeusation eontre les girondins; arrestation de
soixante-treize membres de la convention .... '.-. 227


CHAPITRE V.
ConlÍnuation du siége de Lyon. Prise de eette ville. Décrr[


terriLle cOlltre les Lyolluais révoltés. - Progres de
I'art de la guerre; influence de Carnol. - Victoire de
Watignies. Déblocus de Maubeuge. - Reprise des opé-
l'atious en Vendée. Vietoire de Chollet. Fuite et di s-
persion des Vendéens an-dela de la Loire. :Mort de la
plupart de leurs principaux chefs: - Échee sur le
Rhin. Perle des Iignes de Wissemhourg. . . . • . • •. 313


CHAPITRE VI.
Effets des loi5 révolutionnaires; proscriptions á Lyon, á


Marseille et á BOl'deaux.-Persécutions dirigées contre
les SIHperts. IlltériellJ' oPs prisons df' París; état des




456 TABLE DES CHAPITll.ES.
prisonniers a la COllciergerie. - La reine Marie-Antoi-
neUe esl séparée de sa famille et transférée a la Con-
ciergerie; tourments qu'on lui fait subir. Condllite
atroce d'Hébert. Son proces devant le tribunal révolu-
tionnaire. Elle est condamnée a mort et exécutée. -
Détails du pro ces et ·dll sllpplice des girondins. -
Exécution dll duc d'Qrléans, de Bailly, de Mme Roland.
- Terreur générale. Seconde loi du maximum.-Agio-
tage.Falsification d'un décret par quatrc d¿pulés. -- .
Établissemenl du nOllveall systeme métrique et du ca-
¡endrier républicain. - Abolition des anciens cultes;
abjuration de Gobel, éveque de Paris. Établissement
¡In culte de la Raison ......•................ 365


FIN nJl T,A TABLF..