HISTüIRE DE LA RÉVOLUTION FRAN<;AISE, PAR M. A. THIERS, MINISTRE n'ÉTAT ET D}~PUTF.•...
}

HISTüIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRAN<;AISE,


PAR M. A. THIERS,
MINISTRE n'ÉTAT ET D}~PUTF.•


TOME PREMIEn..


iroisiime C!Ebition.


---------


PARIS,
LECOINTE ET POUGIN, ÉDITEURS,


.... • _ QUAI DES AUGUSTINS, NO 49.
PAULIN, LIBRAIRE, PI.ACE DE LA BaURSE.


M nccc XXXII.




.. , .
. ,


f
.W_




HISTÜIRE
DE


LA RÉVOLUTION
FRANCAISE.




JE me propose d'écrire'I'histoire d'nnerévolu-
tion mémorable, qui a profondément agite les
hommes, et qui les diviseencore aujourd'hui.
Je ne me dissimule pas les difficultés de l'entre-
prise, cal' des passions que l'on croyait étouffées
sous l'influence du despotisme militaire , vien-
nent de se réveiller. Tout a coup des hommes
accablés d'ans et de travaux ont senti renai-
tre en eux des ressentiments qui paraissaient
apaisés, et nous les ont communiqués, a nous,
leurs fils et leurs héritiers. Mais si nous avons a
soutenir la méme cause, nous n'avons pas a
défendre leur conduite, et nous POUVOI1S sépa-
rer la liberté de ceux qui 1'ont bien OH mal ser-


l.




RÉVOr.UTION FRA N9A.ISE.
vie; tandis que nous avons l'avantage d'avoir
entendu et observé ces vieillards, qui, tout
pleins encore de leurs souvenirs , tout agités de
leurs impressions, nous révelent l'esprit et le
caractere .des partís, et nous apprennent a les
comprendre. Peut-étre ie moment oú les .ac-
teurs vont expirer est-ille plus propre aécrire
l'histoire : on .peut recueillir leur témoignage
sans partager toutes leurs passions.


Quoi qu'il en soit, j'ai taché d'apaiser en moi
tout sentiment de haine; je me suis tour atour
figuré que, né sous le chaume, animé d'une
juste ambition , je voulais acquérir ce que l'or-
gueil des hautes classes m'avait injustement re-
fusé; ou bien qu'elevé dans les palais , héritier
d'antiques priviléges ,íl m'était douloureux de
renoncer aune possession que je prenais pour
une propriété légitime. Des lors je n'ai pu m'ir-
riter; j'ai plaint les combattants, et je me suis
dédommagé .en adorant les ames généreuses.


-~·009~-




REGNE DE LOTllS XVI.


CHAPITRE 1.


;;¡¡¡¡¡c ..


État politique et moral de la France ala fin du lse siécle.
- Avénement de Louis :XVI.. - Maurepas, Turgot et
Neckcr ministres. - Calonnc. AssemblÚ des notables.
- De Brienne ministre. - Opposition du parlement,
son exil et son ral'pe\. - Le duc d'Orléans exilé, -
Arrestation dll., conseiller d'~préw.é"il, "..,.. Nook.er e$~
rappclé et remplace de Brienne. - Nouvelle assemblée
des notables. - Discussions relatives aux états-géné-
raux. - Formation des clubs. - Causes de la révolu-.
tion. - Premiéres électious des députés aux états-gé-
néraux, - Incendie de la maison Réveillon. - Le 'duc
d'Orléans; son caractére.


ON connait les révolutions de la monarchie
francaise ; on sait qu'au milieu des Gaules a
moitié sauvages, les Grecs, puis les Romains ap-
porterent leurs armes et leur civilisation; qu'a-
pres eux, les barbares y étahlirent Ieur hiérar-
chie militaire; qq.e cette hiérarchie , transmise
des personnes aux terres, y fut comme immohi-


I.




4 Rl1vOLllTION FR AN~;AlS¡':.
lisée , et forma ainsi le systéme féodal. L'auto-
rité s'y partagea entre le chef féodal appelé roi,
et les chefs secondaires appelés vassaux , qui
a leur tour étaient rois de leurs propres sujets.
Dans notre temps, oú le besoin de s'accuser a
fait rechercher les torts réciproques, on IlOUS a
suffisamment appris que l'autorité fut d'abord
disputée par les vassaux , ce que font toujours
ceux qui sont le plus rapprochés d'elle; que
cette autorité fut ensuite partagée entre eux ,
ce qui forma l'anarchie féodale ; et qu'enfin elle
retourna au tróne , oú elle se concentra en des-
potisme sous Louis XI, Richelieu et Louis XIV.
La population francaise s'était progressivement
affranchie par le travail , premiere source de la
richesse et de la liberté. Agricole d'ahorrl , puis
commercante et manufacturiére , elle acquit
une teIle importance qu'elle forma la nation
tont entiére, Introduite en suppliante dans les
états-généraux, elle n'y parat qu'á genoux, ponr
y étre taillée a merci el miséricorde ; bientót
méme Louis XIV annonca qu'il ne voulait plus
de ces assemblées si soumises, et il le declara
aux parlements, en bottes et le fouet ala main.
On vit des 101'5 ala tete de l'état, un roi muni
d'un pouvoir mal défini en théorie, mais absoln
dans la pratique; des grands qui avaient aban-
donné leur dignité féodale pOUf' la favenr du


~---~----------




REGNJo~ DE LOU15 XVI. 5
monarque, et qui se disputaient par l'iutriguc
ce qu'on leur livrait de la substance des peu-
ples ; au-dessous une population immense, sans
autre relation avee cette aristocratie royale
qu'une soumission d'habitude et l'acquittement
des impóts. Entre la eour et le peuple se trou-
vaient des parlements investís du pouvoir de
distribuer la justice et d'enregistrer les volontés
royales. L'autorité est toujours disputée : quand
ce n'est pas dans les assemblées légitimes de la
nation, c'est dans le palais mérne du prince. On
sait qu'en refusant de les enregistrer, les parle-
ments arrétaient l'effet des volontés royales; ce
qui finissait par un lit de justice et une transac-
tion , quand le roi était faible, et par une sou-
mission entiére.quand le roi étaitfort.Louis XIV
n'eut pas mérne a transiger , carsous son regne
aucun parlernent n'osa fairede remontranees;
il entraina la nation asa suite , et elle le glorifia
des prodiges qu'elle faisait elle-meme dans la
guerre, dan s les arts et les sciences. Les sujets et
le monarque furent unanimes , et tendirent vers
unméme but. Mais Louis XIV était a peine ex-
piré, que le régent offrit aux parlements l'occa-
sion de se venger de leur longue nullité. La vo-
lonté du monarque, si respectée de son vivant,
fut violée apres sa mort, et son testament cassé,
L'autorité fut alors remise en litige, et une Ion-




6 RÉVOLUTION FRANC;;:AISE.
gue lutte commeoce entre les parlements, le
clergé et la cour, en présence d'une nation
épuisée par de longues guerres, et fatiguée de
fournir aux prodigalités de ses maitres, livrés
tour a tour au gout des voluptés ou des armes.
Jusque-laelle n'avait eu du génie quepour le
service et les plaisirs du monarque; elle en eut
alors pour son propre usage, et s'en servitaexa-
miner ses intéréts. L'esprithumain passe in-
eessamment d'un objet al'autre. Du théátre, de
la ehaire religieuse et funébre , le génie francais
se porta vers les seienees morales et politiques ;
et alors tout fut changé. Qu'on se figure, pen-
dant un siécle entier, les usurpateurs de tous
les droits nationaux se disputant une autorité
usée; les parlements poursuivant le clergé, le
clergé poursuivant les parlements; ceux -ci
contestant l'autorité de la cour; la eour, in-
soueiante et tranquille au sein de eette lutte,
dévorant la substanee des peuples au milieu
des plus grands désordres; la nation, enriehie
et éveillée, assistant a ces divisions, s'armant
des aveux des uns contre les autres, privée de
toute action poli tique , dogmatisant avee au-
dace et ignorance, paree qu'eIle était réduite
a des théories; aspirant surtout a recouvrer
son rang en Europe, et offrant en vain son 01'
et son sang pour reprendre une place que la




llEGNJ, DE LOUlS XVI. 7
faiblesse de ses maitres luí avait fait perdre :
tel fut le dix-huitiéme siécle.


Le seandale avait été poussé a son comble ,
lorsque Louis XVI, prince équitable , modéré
dan s ses gouts, négligemmeut élevé, mais porté
au bien par un penchant naturel , monta fort
jeune sur le tróne ", JI appela auprés de lui un
vieux courtisan pour lui donner le soin de son
royaume, et partagea sa confiance entre Mau-
repas et la reine, jeune princesse autrichienne ,
vive, aimable, et exércant sur lui le plus
grand ascendant. Maurepas et la reine ne s'ai-
maient pas; le roi, cédant tantót ason ministre,
tantót ason épouse, commenca de bonne heme
la longue carriere de ses incertitudes. Ne Be
dissimulant pas l'état de son royaume, il en
croyait les phifosophes surce point; mais, élevé
dans les sentiments les plus chrétiens, il avait
pour eux le plus grand éioignement. La voix
publique, qui s'exprimait hautement, lui dé-
signa Turgot, de la société des économistes ,
homme simple, vertueux, doué d'un carac-
tere ferme, d'un génie lent , rnais opiniátre et
profond. Convaincu de sa probité, charmé de
ses projets de réformes , Louis XVI a répété
souvent : « Il n'y a que moi et Turgot qui




8 REVOLUTION }'RAN<tAISE.
{( soyons les amis du peuple. » Les réformes
de Turgot échouérent par la résistance des pre-
miers ordres de l'état, intéressés a conserver
tous les genres d'abus que le ministre anstere
voulait détruire. Louis XVI le renvoya avec
regret. Pendant sa vie, qui ne fut qu'un long
martyre, il eut toujours la douleur d'entrevoir
le bien, de le vouloir sincerement , et de mano
quer de la force néeessaire pour l'exéeuter.


Le roi, plaeé entre la cour, les parlements
et le publie, exposé aux intrigues et aux sng-
gestions de tout genre , ehangea tour a tour
de ministres: cédant encare une fois a la voix
publique et a la nécessité des réformes , il ap~
pela aux finanees Neeker *, Genevois enriehi
par des travaux de banque, partisan et dis-
ciple de Colbert, comme Turgot l' était de Sully;
financier économe et integre, maisesprit vain ,
ayant laprétention d'étre modérateur en tou-
tes choses, philosophie , religion, liberté, et
trompé par les éloges de ses amis et du public,
se flattant de conduire et d'arréter les esprits
au point OU s'arrétait le sien.


Necker rétablit I'ordre dans les finances, et
trouva les moyens de suffire aux frais considé-
rabIes de la guerre d'Amérique. Génie moins




nj.'GNE DE LOUIS XVI. 9
vaste , mais plus flexible que Turgot, dispo-
sant surtout de la confiance des capitalistes,
il trouva pour le moment des ressources inat-
tendues, et fit renaitre la confiance. Mais iI
fallait plus que des artifices financiers pour
terminer les embarras du trésor, et il essaya
le moyen des réformes. Les premiers ordres
ne furent pas plus faciles pour lui qu'ils ne
l'avaient été pour Turgot : les parlements , in-
struits de Ses projets , se réunirent contre luí,
et I'obligérent a se retirer.


La convictíon des abus était uníverselle; on
en,convenait partoot; le roi le savait et en
soutfrait cruellement. Les courtisans, qui jouis-
saient de ces abus, auraient voulu voir finir
les embarras du trésor, rnais sans qu'il leur
en coútát un seul sacrifice, Ils dissertaient a
la cour , et y débitaient des maximes phi10-
sophiques; ils s'apitoyaient a la chasse sur les
vexations exercées a l'égard du laboureur ; on
les avait mérne vus applaudír a I'affranchis-
sement des Américains , et recevoir avec hon-
neur les jeunes Francais qui revenaient du
Nouveau-Monde, Les parlements invoquaient
aussi l'intérét du peuple, alJéguaient avec hau-
teur les souffrances du panvre , et cependant
s'opposaient a l'égale répartition de I'impót
ainsi qu'á l'abolition des restes de la barbarie




JO nÉVOLUTION FRAN9AISE.


féodale. Tous parlaient du bien public , peu le
voulaient ; et le peuple, ne démélant pas bien
encore ses vrais amis, applaudissait tous cenx
qui résistaient au pouvoir, son ennemi le plus
apparent.


En écartant Turgot et Neeker, on n'avait
pas changé I'état des choses : la détresse du
trésor était la méme ; on aurait consenti 10ng-
temps encore ase passel' de l'intervention de la
nation , mais il fallait exister , il fallait fournir
aux prodigalités de la eour. La difficulté écartée
un moment par la destitution d'un ministre,
par un emprunt , ou par l'établissement forcé
d'un impót , reparaissait bientót plus grande,
comme tont mal négligé. On hésitait eomme
il arrive toujours lorsqu'il faut prendre un parti
redouté, mais nécessaire. Une intrigue amena
au ministere M. de Calonne, peu favorisé de
l'opinion, paree qu'il avait contribué ala per-
sécution de La Chalotais *. Calonne, spiri-
tuel, brillant, fécond en ressources, comptait
sur son génie, sur la fortune et sur les hommes,
et se livrait a l'avenir avec la plus singuliere
insouciance, Son opinion était qu'il ne fallait
point s'alarmer d'avance, et ne découvrir le
mal que la veille du jour oú on voulait le ré-





REGNE DE LOUIS XVI. 1 J


parer. 11 séduisit la cour par ses manieres, la
toucha par son empressement atout accorder,
procura au roi et a tous quelques instants plus
faciles , et fit succéder aux plus sinistres pré-
sages un moment de bonheur et d'aveugle
confiance.


Cet avenir sur lequeI on avait eompté ap-
prochait; iI fallait enfin prendre des mesures
décisives. On ne pouvait charger le peuple
de nouveaux impóts , et cependant les caisses
étáient vides. Il n'y avait qu'un moyen d'y
pourvoir, c'était de réduire la dépense par la
suppression des graees, et, ce moyen ne suffi-
sant pas, d'étendre l'impót sur un plus grand
nombre de contribuables , c'est-á-dire sur la
noblesse et le clergé. Ces projets , successive-
ment tentés par Turgot et par Necker, et repris
par Calonne, ne parurent a celui-ci suscep-
tibles de réussir , qu'autant qu'on obtiendrait
le consentement des privilégiés eux-mémes.
Calonne imagina done de les réunir dans une
assemblée, appelée des notables, pour leur sou-
mettre ses plans et arracher leur consente-
ment , soit par adresse , soit par conviction "'.
L'assemblée était eomposée de grands, pris dans
la noblesse, le clergé et la magistrature; d'une


• Cette assemblée s'ouvrit le 22 Iévrier .787.




12 RÉVOLUTION FRAN(,'AIS}:.


foule de maitres des requétes et de quelques
magistrats des provinces. Au moyen de cette
composition , et surtout avec le secours des
granos seigneurs populaires et philosophes,
qu'il avait eu soin d'y faire entrer, Calonne se
flatta de tout emporter.


Le ministre trop confiant s'étaitmépris. L'o-
pinion publique ne lui pardonnait pas d'occu-
per la place de Turgot et de Necker. Charmée
surtout qu'on obligeát un ministre a rendre
des comptes, elle appuya la résistance des
notables. Les discussions les plus vives s'enga-
gerent. Calonne eut le tort de rejeter sur ses
prédécesseurs, et en partie sur Necker, l'état
du trésor. Necker répondit, fut exilé , et l'op-
position n'en devint que plus vive. Calonne
suffit a tout avec présence d'esprit et avec
calme. Il 6t destituer M. de Miroménil, garde
des sceaux, qui conspirait avec les parlernents.
Mais son triomphe ne fut que de deux jOlIrS.
Le roí, qui l'aimait, luí avait promis plus
qu'il ne pouvait, en s'engageant ale soutenir,
Il fut ébranlé par les représentations des no-
tables, qui promettaient d'obtempérer aux
plans de Calonne, mais a condition qu'on en
laisserait l'exécution a un ministre plus moral
et plus digne de confiance. La reine, par les
suggeslions de l'abbé de Vermont, proposa et




'n;.:GNE DE r.oms XVI (1787)' 13
íit accepter au roi un ministre nouveau,
M. de Brienne , archevéque de Toulouse, et
l'un des notables qui avaient le plus contribué
a la perte de Calonne, dans I'espoir de lui
succéder *.


L'archevéque de Toulouse , avec un esprit
obstiné et un caractere faible, révait le mí-
nistere depuis son enfance, et poursuivait par
tous les moyens cet objet de ses voeux. Il s'ap-
puyait principalement sur le crédit des fem-
mes, auxquelIes il cherchait et réussissait a
plaire. Il faisait· vanter partout son administra-
tion du Languedoc. S'il n'obtint pas en arri-
vant au ministére la faveur qui aurait entouré
Necker, il eut aux yeux du public le mérite
de remplacer Calonne. 11 ne fut pas d'abord
premier ministre, mais il le devint hientót.
Secondé par M. de Lamoignon, garde des
sceaux, ennemi opiniátre des parlements, iI
commen<,;a sa carriere avec assez d'avantage.
Les notables, engagés par leurs promesses,
consentirent avec empressement atout ce qu'ils
avaient d'abord refusé : impót territorial, im-
pót du timbre, suppression des corvées , as-
semblées provinciales, tout fut accordé avec
affectation. Ce n' était point a ces mesures,


• Avril J787.




14 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
mais a leur auteur qu'on affeetait d'avoir ré-
sisté; l'opinion puhlique triomphait, Calonne
était poursuivi de malédictions , et les notables,
entourés du suffrage publie, regrettaient ce-
pendant un honneur aequis au prix des plus
grands sacrifices, Si M. de Brienne eút su pro-
fiter des avantages de sa position, s'il eñt
poursuivi avec activité I'exécution des mesures
consenties par les notables, s'il les eút toutes il
la fois et sansdélaiprésentées aupaolement ,
a l'instant oú. l'adhésion des premiers: ordres
semblaít obligée, e'en était fait peut-étre : le
parlement, pressé de toutes parts , aurait con-
sentí a tout , et cette transaction , quoique
partielle et .forcée eüt probablement retardé
pour long-temps la lutte qui s'engagea bientót,


Rien de pareil n'eut lieu. Par des délais im-
prudents, on permit les retours; on ne pré-
senta les édits que 1'un apres l'autre; le par-
lement eut le temps dediscuter , de s'enhardir,
et de revenir sur I'espece de surprise faite aux
notables. Il enregistra, apres de longues dis-
cussions, l'édit portant la .seconde abolition
des corvées, et un autre permettant la libre
exportation des grains. Sa haine se dirigeait
surtout contre la subvention territoriale; mais
il craígnait, par un refus, d'éclairer le public ,
et de lui laisser voir que son opposition étaít




Rl'.:GrfE DE LOUlS XVI ('787)' 15
tout intéressée. Il hésitait, lorsqu'on lui épar-
gna cet embarras, en présentant ensemble
l'édit sur le timbre et sur la subvention terri-
toriale, mais .surtout en commencant la déli-
bération par celui du timbr~. Le parlement
put ainsi refuser le premier sans s'expliquer
sur ele seoond; et , en attaquant .l'impót du
timbre, qui affeetait la majoritédes contri-
buables, ilsembla défendre les intéréts pu-
hlics. Dans une séance oú les pairs assistérent ,
il-dénonca les ahus, les scandales et les predi-
galités de la cour , et demanda des états de
dépenses.Hnconseiller.jouant sur le mot , s'{}..
cria.i.eCe ne sont pas des états, mais des états-
généraux qu'ilnous faut.,» Cette demande in-
attendue frappa tout le monde d'étonnement.
Jusqu'alors on avait résisté parce qu'on souf-
frait; on avait secondé tous les. genres d'op-
position, favorables ou non a la cause popu-
Iaire , pourvu qu'ils fussent dirigés centre la
cour, a laquelle on rappartait tous les maux.
Cependant on ne savait trop ce qu'il fallait
désirer: on avait toujours été si loin d'influer
sur le gouveroement, 00 avait tellement l'ha-
bitude de s'en tenir aux plaintes, qu'on se
plaignait sans concevoir l'idée d'agir ni de
faire unerévolution. Un seul mot prononcé
affrit un hut inattendu; chacun lerépéta, et




16 RtVOLUTJON FRAN~AISE.
les états-généraux furent demandés a grands
cris.


D'Espréménil, jeune eonseiller, orateur em-
porté, agitateur saos but, démagogue dans les
parlements, aristocrate dans les états-géné-
raux, et qui fut déclaré en état de démence
par un décret de l'assemblée constituante ,
d'Espréménil se montra dans eette occasion
l'un des plus violents déclamateurs parlemen-
taires.:Mais l'opposition était conduite secre-
tement par Duport, jeune homme doué d'un
esprit vaste, d'un caractere ferme et persévé-
rant, qui seul peut-étre , au milieu de ces
troubles, se proposait un avenir, et. voulait
conduire sa compagnie, la cour et la nation,
a un but tout autre que celui d'une aristocra-
tic parlementaire.


Le parlement était divisé en vieux et jeunes
conseillers, Les premiers voulaient faire con-
tre-poids a l'autorité royale pour donner de
l'importance a leur compagnie; les seconds,
plus ardents et plus sinceres, voulaient intro-
duire la liberté dans I'état , sans bouleverser
néanmoins le systeme politique sous lequel ils
étaient nés. Le parlement fit un aveu grave;
il reconnut qu'il n'avait pas le pouvoir de con-
sentir les impóts , qu'aux états-généraux seuls
appartenait le droit de les établir; et ilde-




REGNE DE LOUIS XVI (1787)' i 7
manda au roi la communication des états de
recettes et de dépenses,


Cetaveu d'íncompétence et rnéme d'usurpa-
tion, puisque le parlement s'était jusqu'alors
arrogé le droit de consentir les impóts , cet
aveu dut étonner. J..Je prélat-ministro , irríté
de cette opposition, manda aussitót le parle-
ment a Versailles, et fit enregistrer les deux
édits dans un lit de justice ". Le parlement,
de retour a París, fit des protestations, et or-
donna des ponrsuites contre les prodigalités
de Calonne. Sur-le-champ une décision du
conseil cassa ses arrétés et l'exíla aTroyes .....


Telle était la sítuatíon des choses le 15 aoüt
1787, Les deux freres du roí, Monsieur et le
eomte d'Artois, furent envoyés, l'un a la cour
des comptes , et l'autre a la cour des aides,
pour y faíre enregistrer les édits, Le premier,
devenu populaire par les opínions qu'íl avait
manifestées dans l'assemblée des notables, fut
accueilli par les acclamations d'une foule irn-
mense, et reconduit jusqu'au Luxembourg au
milien des applaudissements uníversels. Le
comte d'Artois, connu pour avoir soutenu Ca-
Ionne , fut accueilli par des murmures, ses


* 6 aoút,
** J 5 aoút.


1.




1 8 RÉVOLUTlON }'RANlJAISE.
gens furent attaqués, et on fut obligé de re-
courir a la force armée.


Les parlements avaient autour d'eux une
clientele nombreuse, cornposée de légistes,
d'employés du palais, de clercs, d'étudiants ,
population active, rernuante , et toujours préte
as'agiter pour leur cause. A ces alliés naturels
des parlements se joignaíent les capitalistes ,
quí craígnaient la banqueroute; les classes
éclairées, qui étaient dévouées a tous les op-
posants; et enfin la multitude, qui se range
toujours ala suite des agitateurs. Les troubles
furent tres-graves, et l'autorité eut beaucaup
de peine a les réprimer.


Le parlement, séant a Troyes, s'assemblait
chaque jour, et appelait les causes. Ni avocats
ni procureurs ne paraissaient, et la justice
était suspendue, cornme il était arrivé tant de
fois dans leeourant du siecle. Cependant les
magistrats se lassaient de leur exil, et M. de'
Brienne était san s argento I1 soutenait avec
assurance qu'il n'en manquait pas, et tran-
quillisait la eour inquiete sur ee seul objet;
mais il n'en avait plus, et, incapable de termi-
ner les difficultés par une résolution éner-
gique, il négociait avec quelques membres du
parlement. Ses eonditions étaient un emprunt
de 440 millions, réparti sur quatre années, a




nI.:GN.1' In: I~OUlS XVI (1788). 1D
l'expiration desquelles les états-généraux se-
raient convoqués. A ce prix, Brienne renon-
cait aux deux impóts, sujets de tant de dis-
cordes. Assuré de quelCJues membres, il erut
l'étre de la compagnie ~btiere, et le parlement
fut rappelé le 10 septembre.


Une séance rayale eut lieu le 20 du méme
mois. Le roi vint en personne présenter l'édit
portant la création de l'emprunt successif, et la
convacation des états-généraux dans cinq ans.
On ne s'était point expliqué sur la nature de
eette séance, et on ne savait si c'était un lit de
justice. Les visages étaient mornes, un profond
silence régnait, lorsque le duc d'Orléans se leva,
les traits agités, et avec tous les signes d' une
vive émotion; il adressa la parole au roi, et
lui demanda si eette séance était un lit de jus-
tice ou une délibération libre. ( C'est une séance
royale, )J répondit le roi. Les eonseillers Fréteau,
Sabatier , d'Espréménil, prirent la parole apres
le duc d'Orléans, et déclamerent avee leur vio-
lence ordinaire, L'enregistrement fut aussitót
forcé, les conseillers Fréteau et Sabatier furent
exilés aux Hes d'Hyeres , et le duc d'Orléans a
villers-Cotterets. Les états-généraux furen t ren-
voyés a cinq ans,


Tels furent les principaux événements de l'an-
uée 1787, L'année 1788 commenea par de nou-


2.




20 RÉVOLUTIO~ FRAN9A1SE.
velles hostilités. Le 4janvier, le parlement ren-
dit un arreté centre les lettres de cachct, et
pour le rappel des personnes exilées. Le roi
cassa cet arrété ; le parlement le confirma de
nouveau.


Pendant ce temps, le due d'Orléans , consi-
gné aVillers-Cotterets , ne pouvait se résigner
<1 son exil. Ce prince , brouillé avec la cour,
s'était réconcilié avec l'opinion, qui d'abord
ne luí était pas favorable. Dépourvu a la fois
de la dignitéd'un prince et de la fermeté d'un
tribun, ji ne sut pas supporter une peine aussi
légere; et, pOlIr obtenir son rappel, íl deseen-
dit jusqu'aux sollicitations, méme envers la
reine son ennemie personnelle.


Brienne était irrité par les obstacIes, sans
avoir l'éncrgie de les vaincre. Faible en Eu-
rape centre la Prusse, a laquelle il sacrifiait
la HoIlande, faible en Franee contre les par-
lements et les grands de l'état, il n'était plus
soutenu que par la reine, et en outre se trou-
vait souvent arrété dans ses travaux par une
mauvaise santé. Il ne savait ni réprirner les
révoltes, ni faire exécuter les réductions dé-
crétées par le roi; et, malgré l'épuisement
tres-prochain du trésor, il affectait une incon-
cevable sécurité. Cepcndant, au rnilieu de tant
de difficultés, il ne négligeait pas de se ponr-




REGNE DE LOUlS XVI (1788). 21
voir de nouveaux bénéfices , et d'attirer sur
sa famille de nouvelles dignités.


Le garde des sceaux Lamoignon, moins,
faible, mais aussi moins influent que l'arche-
véque de Toulouse , coneerta avec lui un' plan
nouveau pour frapper la puissance politique
des parlements; car c'était la le principal but
du pouvoir en ce momento Il importait de
garder le secreto Tout fut préparé en silence :
des lettres closes furent envoyées aux com-
mandants des provinces; l'imprimerie oú se
préparaient les édits fut entourée de gardes.
00 voulait que le projet ne fút connu qu'au
moment méme de sa communication aux par-
Iements. l..'époque approehait, el le bruit s'é-
tait répandu qu'un grand acte politique s'ap-
prétait. Le conseiller d'Espréménil parviot a
séduire a force d'argent un ouvrier imprimeur,
et a se procurer un exemplaire des édits. Il se
rendít ensuite au palais , fit assembler ses col-
legues, et leur dénonca hardiment le projet
ministériel *. D'apres ce projet, six grands
bailliages, établis dans le ressort du parle-
ment de Paris, devaient restreindre sa juri-
dietion trop étendue. La faculté de juger en
dernier ressort , et d' enregistrer les lois et les




22 RÉVOI,UTION FRANYAISE.
édits, était transportée a une cour pléniere,
composée de pairs, de prélats, de magistrats,
de chefs militaires , tous choisis par le roí. Le
capitaine des gardes y avait méme voix déli-
hérative. Ce plan attaquait la puissance judi-
ciaire du parlement, et anéantissait tout-a-fait
sa puissance politiqueo La compagnie, frappée
de stl1peur, ne savait quel parti prendre. Elle
ne pouvait délibérer sur un projet qui ne lui
avait pas été soumis; et il lui importait ce-
pendant de ne pas se laisser surprendre. Dans
cet embarras elle employa un moyen tout a la
fois ferme et adroit, celui de rappeler et de
consacrer dans un arrété , tout ce qu'elle ap-
pelait lois constitutives de la monarchie, en
ayant soin de comprendre dans le nombre son
existence et ses droits. Par cette mesure gé-
nérale , elle n'anticipait nuUement sur les pro-
jets supposés du gouvernement, et garantissait
tout ce qu'eUe voulait garantir.


En conséquence , il fut déclaré, le 5 mai ,
par le par!ement de Paris:


« Que la France était une monarchie gou-
« vernée par le roi, suivant les lois; et que de
« ces lois, plusieurs, qui étaient fondamenta-
« les, embrassaient et consacraient : 10 le droit
« de la maison régnante au tróne , de mále en
« mále , par ordre de primogéniture; 2 o le




RJ.:GNE DE LOmS XVI (1788). 23
« droit de la nation d'accorder librement des
« subsides par l'organe des états-géuéraux , ré-
« gulierement convoqués et eomposés; 3° les
« coutumes et les capitulations des provinces;
l( 4° l'inamovihilité des magistrats; 5° le droit
« des cours de vérifier dans chaque provinee
l( les volontés du roi, et de n'en ordonner I'en-
« registremen; qu'autant qu'elles étaient con-
« formes aux lois constitutives de la province,
« ainsi qu'aux lois fondamentales de l'état;
« 6° le droit de ehaque citoyen de n'étre ja-
« mais traduit en aueune maniere par-devant
« d'autres juges que ses juges naturels, qui
« étaient ceux que la loi désignait; et 7° le
(e droit , sans lequel tous les autres étaient in-
le utiles, de n'étre arrété par quelque ordre
« que ce fút , que pour étre rernis sans délai
« entre les mains des juges eompétents. Pro-
« testait ladíte eour eontre toute atteinte qui
« serait portée aux principes ci - dessus ex-
« primés. »


A eette résolution énergique le ministre ré-
pondit par le moyen d'usage, toujours mal et
inutilement employé: il sévit contre quclques
memhres du parlement. D'Espréménil et Gois-
lart de Monsalbert , apprenant qu'ils étaient
menacés , se réfugierent au sein du parlement
assemblé. Un officier, Vincent el'Agoult, s'y




24 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
rendit a la tete d'une compagnie, et, ne con-
naissant pas les magistrats désignés, les appela
par leur nom. Le plus grand silence régna
d'abord dans l'assemblée; puis les conseillers
s'écrierent qu'ils étaient tous d'Espréménil.
Enfin le vrai d'Espréménil se nomma, et sui-
vit l'officier chargé de l'arréter. Le tumulte
fut alors ason comble; le peuple accompagna
les magistrats en les couvrant d'applaudisse-
ments. Trois jours apres , le roi , dans un lit
de justice, fit enregistrer les édits ; et les
princes el les pairs assernblés présenterent l'i-
mage de cette cour pléniere qui devait suc-
céder aux parlements. .


Le Chátelet rendit aussitót un arrété contre
les édits, Le parlement de Rennes déclara in-
fames ceux qui entreraient dans la cour plé-
niere. A Grenoble, les habitants défendirent
leurs magistrats contre deux régiments; les
troupes elles-rnémes, excitées a la désobéis-
sanee par la noblesse militaire, refuserent
bientót d'agir. Lorsque le commandant du
Dauphiné asscmbla ses colonels , pOOl' savoir
si on pouvait compter sur Ieurs soldats, ils
garderent tous le silence. Le plus jeune , qui
devait parler le premier, répondit qu'il ne
fallait pas compter sur les sieus , a commen-
cer par le colonel. A cette résistance, le mi-


\.




IIEGlYE m: LOU1S XVI (1788). 25
nistre opposa des arréts du grand conseil qui
cassaient les décisions des cours souveraines,
et il frappa d'exil huit d'entre elles.


I ..a eour, inquiétée par les premiers ordres,
qui lui faisaient la guerre en invoquant l'inté-
rét du peuple et en provoquant son inter-
vention , eut recours, de son coté, au méme
moyen; elle résolut d'appeler le tiers-état a
son aide, eomme avaient fait autrefois les
rois de Franee pour anéantir la féodalité. Elle
pressa alors de tous ses moyens la convocatiou
des états-généraux, Elle prescrivit des recher-
ches sur le mode de leur réunion; elle invita
les écrivains et les corps savants a donner
leur avis; et , tandis que le clergé assemblé
déclarait de son coté qu'il fallait rapprocher
l'époque de la convocation, la cour, acceptant
le défi, suspendit en mérne temps la réunion
de la cour pléniere , et fixa I'ouverture des
états-généraux au ler mai 1789- Alors eut lieu
la retraite de l'archevéque de Toulouse ", qui,
par des projets hardis faiblement exécutés,
avait provoqué une résistance qu'il fallait OH
ne pas exciter ou vaincre. En se retirant, il
Iaissa le trésor dans la détresse, le paiement
des rentes de l'Hótel-de-Ville suspendu, toutes




RÉVOLTJTION FRAN~AISE.
les autorités en lutte, toutes les provinces en
armes. Quant alui, pourvu de huit cent mille
franes de bénéfices , de I'archevéché de Sens,
et du chapean de cardinal, s'il ne fit la for-
tune publique, il fit du moins la sienne. Pour
dernier conseil, il engagea le roi a rappeler
Necker au ministere des finan ces, afín de s'ai-
del' de sa popularité contre des résistances
devenues invincibles.


C'est pendant les deux années 1787 et 1788
que les Franeais vonlurent passer des vaines
théories a la pratique. La lutte des premieres
autorités leur en avait donné le désir et I'oc-
casion. Pendant toute la durée du siecle, le
parlement avait attaqué le clergé et dévoilé
ses penchants ultramontains; apres le clergé,
il avait attaqué la cour, signalé ses abus de
pouvoir et dénoncé ses désordres. Menacé de
représailles, et inquiété a son tour dans son
existence, il venait enfin de restituer a la
nation des prérogatives que la cour voulait
lui enlever a lui-mérne , pour les transporter
a un tribunal extraordinaire. Aprés avoir ainsi
averti la nation de ses droits, il avait exercé
ses forces en excitant et protégeant l'insur-
rection. De leur coté, le haut clergé en fai-
sant des mandements, la noblesse en fomen-
tant la désobéissance des troupes, avaient réuni




UEGNE DE LOUIS XVI ('788). 27
leurs efforts a eeux de la magistrature, et ap-
pelé le peuple aux armes paur la défense de
leurs priviléges.


La cour, pressée par ces divers ennem is ,
avait résisté faiblement. Sentant le besoin d'a-
gir, et en différant toujours le momeot, elle
avait détruit parfois quelques abus, plutót au
profit du trésor que du peuple, et ensuite était
retombée dans l'inaetion. Enfin, attaquée en
dernier lieu de toutes parts, voyant que les
premiers ordres appelaient le peuple dans la
liee, elle venait de l'y introduire elle-méme en
convoquant les états-généraux. Opposée, pen-
dant toute la durée du siecle, al'esprit philo-
sophique, elle lui faisait un appel cette fois,
et livrait a son examen les constitutions du
royaume. Ainsi les premieres autorités de l'é-
tal donnérent le singulier spectacle de déten-
teurs injustes, se disputant un objet en pré-
senee du propriétaire légitime, et finissant
méme par l'invoquer ponr jnge.


Les ehoses en étaient a ce point lorsque
Necker rentra au ministere ". La eonfiance l'y
suivit , le crédit fut rétabli sur-le-champ , les
diffieultés les plus pressantes furent éeartées. Il
pourvnt, a force d'expédients, aux dépenses in-
dispensables, en attendant les états-généraux,


.. Aoút.




28 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
qui étaientle remede invoqué par tout le monde.


On commeneait a agiter les grandes ques-
tions relatives a leur organisation. On se de-
mandait quel y serait le role du tiers-état : s'il
y paraitrait en égal ou en suppliant, s'il ob-
tiendrait une représentation égale en nombre
a celle des deux premiers ordres, si on délibé-
rerait par tete ou par ordre, et si le tiers n'au-
rait qu'une seule voix contre les deux voix de
la noblesse et du clergé.


La premiere question agitée fut celle da
nombre des députés. Jamais controverse phi-
losophique du dix-huitieme siecle n'avait ex-
cité unepareille agitation. Les esprits s'échauf-
ferent par l'importance tout actuelle de la
question. Un écrivain coneis, énergique, amer,
prit dans cette diseussion la place que les
grands génies du siecle avaient occupée dans
les discussions philosophiques. L'abbé Sieyes,
dans un livre qui don na une forte impulsion
a l'esprit pubiic, se demanda: Qu'est le tiers-
état? Etil répondit: Hien, -.Que doit-il étre.... ?
Tout.


Les états du Dauphiné se réunirent malgré
la cour. Lesdeux premiers ordres, plus adroits
et plus populaires dans cette contrée que par-
tout ailleurs, déciderent que la représentation
du tiers serait égals a celle de la noblesse et




Rio:GNE DE LOUIS XVI (1788). 29
du clergé. Le parlement de Paris, entrevoyant
déja la conséquence de ses provocations im-
prudentes, vit bien que le tiers-état n'allait ras
arriver en auxiliaire, mais en maitre; et en en-
registrant l'édit de convocation, il enjoignit
pour clause expresse le maintien des formes
de 1614, qui annulaient tout-á-fait le role du
troisieme ordre. Déjá dépopularisé par les
difficultés qu'il avait opposées al'édit qui reno
dait l'état civil auxprotestans, il fut en ce
jour eomplétement dévoilé , et la cour entiere-
ment vengée. Le premier, il fit l'épreuve de
l'instabilité des faveurs populaires; mais si plus
tard la nation put paraitre ingrate envers les
chefs qu'elle ahandonnait l'un apres l'autre,
cette fois elle avait toute raison contre le par-
lement, cal' il s'arrétait avant qu'elle eút re-
couvré aucun de ses droits.


La cour, n'osant décider elle-mérne ces qnes-
tions importantes, ou plutót voulant dépopula-
riser a son profit les deux premiers ordres,
leur demanda leur avis, dans l'intention de ne
pas le suivre, si, comme il était probable, cet
avis était contraire au tiers-état. Elle convo-
qua done une nouvel1e assemblée de nota-
bles " , dans laquelle toutes les questions rela-


* Elle s'ouvrit 11. Versailles le 6 novernbre , et ferma sa
session le 8 décernbre suivant ,




30 nÉVOLllTION rHAN9A1SE.
tives a la tenue des états-généraux furent
mises en discussion, La dispute fut vive: d'une
par't on faisait valoir les anciennes traditions,
de l'autre les droits naturels et la raison , En
se reportant méme aux traditions, la cause du
tiers-état avait encore l'avantage, cal', aux for-
mes de 16r4, invoquées par les premiers 01'-
dres , on opposait des formes plus anciennes.
Ainsi, dans certaines réunions, et sur certains
points, on avait voté par tete; quelquefois on
avait délibéré par province et non par ordre;
souvent les députés du tiers avaient égalé en
nombre les députés de la noblesse et du
clergé. Comment done s'en rapporter aux an-
ciens usages? Les pouvoirs de l'état n'avaient-
ils pas été dans une révolutiou continueHe?
L'autorité royale, souveraine d'abord , puis
vaincue et dépouillée, se relevant de nouveau
avec le secours du peuple, et ramenant tous
les pouvoirs a elle, présentait une lutte per-
pétuelle, et une possession toujours chan-
geante. On disait au clergé, qu'en se reportant
aux aneiens temps, il ne serait plus un ordre;
aux nobles, que les possesseurs de fiefs seuls
pourraient étre élus , et qu'ainsi la plupart
d'entre eux seraient exclus de la députation;
aux parlements eux-mémes, qu'ils n' étaient
que des officiers infideles de la royauté ; a




ni,GNE m: r.ours XVI (1788). 3I
tous, enfin, que la constitution francaise n' était
qu'une longue révolution, pendant laquelle
chaque puissance avait successivement dominé;
que tout avait été innovation, et que, dans ce
vaste conflit, la raison seule devait décider.


Le tiers-état comprenait la presque totalité
de la nation, toutes les classes utiles, indus-
trieuses et éc!airées; s'il ne possédait qu'une
partie des terres , du moins il les exploitait
toutes; et, selon la raison, ce n'était pas trop
que de lui donner un nombre de députés égal
a celui des deux autres ordres,


L'assemblée des notables se dé clara contre
ce qu'on appelait le doublement du tiers. Un
seul bureau, celui que présidait Monsieur, frére
du roi , vota paur ce doublernent. La cour
alors, prenant, disait-elle, en considération
l'avis de la minorité., l'opinion prononcée de
plusieurs princes du sang, le voeu des trois
ordres du Dauphiné, la demande des assem-
blées provinciales, l'exemple de plusieurs pays
d'états , l'avis de dioers publicistes , et le voeu
exprimé par un grand nombre d'adresses , la
cour ordonna que le nombre total des dépu-
tés serait de mille au moins ; qu'il serait formé
en raisan eomposée de la popufation et des
con tributions de chaque Lailliage, et que le
nombre particulier des dépntés du tiers-état




32 RÉVOLUTION FRAN<;;AJSE.
serait égal a celui des deux prerniers ordres
réunis. (Arril du conseil du 27 décembre 1 7~8.)


Cette déclaration excita un enthousiasme
universel. Attribuée a Neeker, elle aeerut a
sonégard la favenr de la nation et la haine
des grands. Cependant eette déclaration nc
décidait rien quant au vote par tete ou par 01'-
dre, rnais elle le renferrnait implicitement, cal'
iI était inutile d'augmenter les voix si on ne
devait pas les eompter; et elle laissait au tiers-
état le soin d'emporter de vive force ce qu'on
lui refusait dans le momento Elle donnait ainsi
une idée de la faiblesse de la cour et de celle
de Necker lui-méme. Cette cour offrait un
assemblage de volontés qui rendait tout résul-
tat décisif irnpossible. Le roi était modéré ,
équitable , studieux, et se défiait trop de ses
propres lumieres ; aimant le peuple, aceueil-
1ant volontiers ses plaintes, il était cependant
atteint quelquefois de terreurs paniques et
superstitieuses , et croyait voir marcher, avec
la liberté et la tolérance, l'anarchie et l'im-
piété. L'esprit philosophiqne, dans son pre-
miel' essor , avait dú commettre des écarts, et
'Un roí timide et religieux avait dú s'en épou-
vanter. Saisi achaque instant de faiblesses, de
terrenrs, d'incertitudes, l'infortuné Louis XVI,
résolu pour lui a tous les sacrifices, mais ne




H~~GNE 1m r.ours XVI (1788). 33
sachant pas les imposer aux autres, victime de
sa facilité pour la cour, de 5a condescendance
pour la reine, expiait tontos les fautes qu'il
n'avait pas commiscs, mais qui devenaient les
siennes parce qu'il les laissait commettre. La
reine, lívrée aux plaisirs, exercant autour d'elle
l'empire de ses charrnes, voulait que son époux
fút tranquíJIe, que le trésor fút rernpli, que la
cour et ses sujets I'adorassent. Tantót elle
était d'accord avec le roi pour opérer des ré-
formes, quand le hesoin en paraissait urgent;
tantót, au contraire, quand elle croyait l'auto-
rité menacée, ses amis de cour dépouillés, elle
arrétait le roi, écartait les ministres populai-
res, et détruisait tout moyen et toute espé-
rance de bien. Elle cédait surtout aux influen-
ces d'une partie de la noblesse qui vivait au-
tour du tróne et s'y nourrissait de gdces et
d'ahus. Cette noblesse de cour clésirait sans
doute, eomme la reine elle-rnéme, que le roi
eút de quoi faire des prodigalités; et par ce
motif, elle était ennemie des parlements quand
ils refusaient les irnpóts , mais elle devenait
leur alliée quand ils défendaient ses priviléges
en refusant, sous de spécieux prétextes, la sub-
vention territoriale. Au milieu de ces influen-
ces contraires, le roí, n' osant envisager en
face les difficultés, juger les abus, les détruire


J. 3




34 RÉVOLUTION FRAN~A.ISF;.
d'autorité, cédait alternativement a la cour ou
a l'opinion, et ne savait satisfaire ni I'une ni
l'autre.


Sí, pendant la dnrée du dix-huitieme siecle ,
lorsque les philosophcs, réunis dans une allée
des Tuileries , faisaient des voeux pour Fré-
déric et les Américains, pour Turgot et pour
Necker; si, lorsqu'ils n'aspiraient point a gou-
verner l'état, mais seulement a éclairer les
princes , et prévoyaient tout au plus des révo-
lutions lointaines que des signes de malaise et
l'absurdité des institutions faisaient assez pré-
sumer; si, a cette époque, le roi eút sponta-
nément établi une certaine égalité dans les
charges, et donné quelques garanties, tout
eút été apaisé pour long-temps, et Louis XVI
aurait été adoré a l'égal de Marc-Aurele. Mais
lorsque toutes les autorités se trouverent avi-
lies par une longue lutte, et tous les abus dé-
voilés par une assemblée de notables ; lorsque
la nation , appelée dans la querelle, eut concu
l'espoir el la volonté d'étre quelque chose, elle
le voulut impérieusement. On lui avnit promis
les états-généraux, elle demanda que le terrne
de la convocation fút rapproché; le terme rap-
proché, elle y réclama la prépondérance : 011
la lui refusa; mais, en doublant sa represen-
tation , on lui donna le moyen de la conquérir.




RF:GNE DE LOUIS XVI (1788). 35
Ainsi done on ne eédait jamais que partiellement
enseulement lorsqu'on ne pouvait plus lui ré-
sister; mais alors ses forees étaient acerues et
senties, et elle voulait tout ce qu'elle eroyait
pouvoir. Une résistanee continuelle,irritant son
ambition, devait bientót la rendre insatiable.
Maisalors méme, si un grandministre, comrnu-
niquant un peu de force au roi, se conciliant
la reine, domptant les privilégiés , eút devaneé
et rassasié tout-a-coup les prétentions natio-
nales, en donnant Iui-méme une constitution
libre; s'il eüt satisfait ce besoin d'agir qu'é-
prouvait la nation, en l'appelant tout de suite ,
non a réformer l'état, mais a diseuter ses in-
téréts annuels dans un état tout eonstitué,
peut-étre la lutte ne se fút pas engagée. Mais
il fallait devaneer la difficulté au lieu d'y cé-
del', et surtout immoler des prétentions nom-
breuses. Il fallait un homme d'une eonvietion
forte, d'une volonté égale a sa eonviction; et
cet homme, sans doute audacieux, puissant,
passionné peut -étre ; eút effrayé la cour , qui
n'en aurait pas voulu, Pour ménager a la fois
l'opinion et les vieux intéréts , elle prit des
demi-mesures ; elle choisit, comme on l'a vu,
un ministre demi-philosophe, demi-audaeieux,
et qni avait une popularité immense, paree
qu'alors des intentions demi - populaires daos


3.




36 nÉvoLUTION FRAN9AISt:.
un agent du pouvoir surpassaient toutes les
espérances, et excitaient l'enthousiasme d'un
peuple, que bientót la démagogie de ses chefs
devait a peine satisfaire.


Les esprits étaient dans une Iermentation
universelle. Des assemblées s'étaient formées
dans toute la France , a I'exemple de l'Angle-
terre et sous le méme nom, celui de club. On
ne s'occupait la que des abus a détruire, des
réformes aopérer, et de la constitution a éta-
blir. On s'irritait par un examen sévere de la
situation du pays. En effet, son état poli ti-
que et économique était intolerable. Tout était
privilége dans les individus , les classes, ,les
villes , les provinces et les métiers eux-rnémes.
Tout étaít entrave pour I'industrie et le génie
de I'hornme. Les dignités civiles, ecclésiasti-
ques et militaires étaient exclusivement réser-
vées a quelques classes , et dans ces classes á
quelques irrdividus. On ne pouvait emhrasser
une profession qu'a certains titres et a certai-
nes conditions pécuniaires, Les villes avaient
leurs priviléges pour l'assiette, la pereeption,
la quotité de l'irnpót , et pour le ehoix des ma-
gistrats. Les graees mérne , converties par les
survivances en propriétés de famille, ne per-
mettaient presqlle plus au monal'que de don-
ner des préférences. n ne lui restait de liberté




ni,GNE m: LOUIS XVI (1788). 37
que pour quelques dons l)éeuniaires, et on
l'avait vu obligé de disputer avee le duc de
Coigny pour l'abolition d'une charge inutile *.


,Tout était done immobilísé dans quelques
mains , et partout le petit nombre résistait au
grand nombre dépouillé. Les eharges pesaient
sur une seule classe. La noblesse et le clergé
possédaient a peu prés les deux tiers des ter-
res; l'autre tiers , possédé par le peuple, payait
des impóts au roi, une foule de droits féodaux
a la noblesse , la dime au clergé, et snpportait
de plus les dévastations des chasseurs nobles
et du gibier. Les impóts sur les consornmations
pesaient sur le grand nombre, et par consé-
quent sur le peuple. La pereeption était vexa-
toire; les seigneurs étaient impunément en
retard; le peuple, au eontraire , maltraité , en-
fermé , était condamné a livrer son eorps á
défaut de ses produits. Il nourrissaít done de
ses sueurs, il défendait de son sang les hautes
classes de la société , san s pouvoir exister lui-
méme. La bourgeoisie, industrieuse , éclairée ,
moins malheureuse san s doute que le peuple,
mais enriehissant le royaume par son indus-
trie, l'illustrant par ses talents, n'obtenait
aucun des avantages auxquels elle avait droit.


"Voycz les Mémoires de Bouillé.




38 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
La justiee, distribuée dans quelques provin-
ces par les seigneurs, dans les j uridictions
royales par des magistrats acheteurs de leurs
charges, était lente, souvent partiale, toujours
ruineuse, et surtout atroce dans les poursuites
criminelles. La liberté individuelle était violée
par les lettres de cachet, la liberté de la presse
par les censeurs royaux. Enfin l'état, mal dé-
fendu au dehors, trahi par les maitresses de
Louis XV, compromis par la faiblesse des mi-
nistres de Louis XVI, avait été récemment dés-
honoré en Europe par le sacrifice honteux de
la Hollande et de la Pologne.


Déja les masses populaires commencaient a
s'agiter; des troubles s'étaient manifestés plu-
sieurs fois, pendant la lutte des parlements, et
surtout a la retraite de I'archevéquc de Tou-
louse. On avait hrülé I'effigie de celui - ci ; la
force armée avait été insultée, et méme atta-
quée; la magistrature avait faiblement pour-
suivi des agitateurs qui sontenaient sa cause.Les
esprits émus, pleins de l'idée confuse d'une
révolution prochaine, étaient dans une fer-
mentation continuelle. Les parlements et les
premiers ordres voyaient déjá se diriger contre
eux les armes qu'ils avaient données au peuple.
En Bretagne, la noblesse s'était opposée au
doublement du tiers, et avait refusé de nommer




REGNE DE LOUIS XVI (1788-89)' 39
des députés.La bourgeoisie, qui l'avait si puis-
sarnment servie contre la cour, s'était alors
tournée contre elle, et des combats meurtriers
avaient eu lieu. La cour, qui ne s!3 croyait pas
assez vengée de la noblesse bretonne*, lui
avait non-seulernent refusé ses secours, mais
encore avait enfermé quelques-uns de ses
membres venus a Paris pour réc1amer.


Les éléments eux-mémes semblaient s'étre
déchainés. Une grele du I3 juillet avait dé-
vasté les récoltes, et devait rendre l'approvi-
sionnement de Paris plus Jifficile, surtout au
milieu des troubles qui se préparaient. Toute
l'activité du commerce suffisait a peine pour
concentrer la quantité de subsistances néces-
saire a cette grande capitale; et il était acrain-
dre qu'il ne devint hientót trés-diífici]e de la
faire vivre , lorsque les agitations poli tiques
auraient ébranlé laconfiance et interrompu
les communications. Depuis le cruel hiver qui
suivit les désastres de Louis XIV, et qui im-
mortalisa la charité de Fénélon , on n'en avait
pas vu de plus rigoureux que celui de 88
a 89' La bienfaisance, qui alors éclata de la
maniere la plus touchante, ne fut pas suffi-
sante pour adoucir les miseres du peuple. On


* Voyez Bouillé.




40 RÉVOLUTlON FRÁ.N~AISE.
avait vu aeeourir de tous les points de la
France une quantité de vagabonds sans pro-
fession et sans ressources, qui étalaient de Ver-
sailles a Paris leur misere et leur nudité, Au
moindre bruit , on les voyait paraitre avec em-
pressement ponr profiter des chances toujours
favorables a ceux qui ont tout a acquérir, jus-
qu'au pain du jour.


Ainsi tout concourait a une révolution. Un
siecle entier avait contribué a dévoiler les
abus et a les ponsser a l'exces ; deux années
a exciter la révolte , et a aguerrir les rnasses
populaires, en les faisant intervenir dans la
querelle des privilégiés. Enfin des désastres
naturels, un concours fortuit de diverses cir-
constances amcnerent la catastrophe, dont l'é-
poque pouvait bien étre différée, mais rlont
l'accomplissernent était tót ou tard infaillible.


C'est au milieu de" ces circonstances qu'eu-
rent lieu les élections. Elles furent tumul-
tueuses en qnelques provinces, actives partout,
et tres-calmes a Paris, ou il régna beaucoup
d'accord et d'unanirnité. On distribuait des
listes, on táchait de s'unir et de s'entendre.
Des marchands , des avocats , des hommes de
lettres, étonnés de se voir réunis ponr la pre-
miere fois , s'élevaient peu a peu á la liberté.
A París, ils renommerent eux-mérnes les bu-




REGNE DE LOmS XVI (1789)' 41
reaux formés par le roi , et, sans changer les
personnes, firent acte de leur puissance en
les confirmant. Le sage Bailly quitte sa re-
traite de Chaillot : étranger aux intrigues, pé-
nétré de sa noble mission, iI se rend seul et
a pied a l'assemblée. Il s'arréte en route sur
la terrasse des FeuilIants; un jeune hornme
inconnu l'aborde avec respecto - Vous serez
nomrné , lui dit-il. - Je n'en sais rien, répond
Bailly; cet honneur ne doit ni se refuser ni
se solliciter. - Le modeste académicien re-
prerrd sa marche, il se rend a l'assemblée , et
il est nommé successivernent électeur et dé-
puté.


L'élection du comte de Mirabeau fut ora-
geuse ; rejeté par la noblesse, accueilli par le
tiers-état , il agita la Provence, sa patrie, et
vint hientót se montrer a Versailles.
. La conr ne voulut point intluencer les élec-
tions; elle n'était point fáchée d'y voir un
granel nombre de curés; elle comptait sur leur
opposition aux grands dignitaires ecclésiasti-
ques, et en mérne temps sur leur respect pour
le tronco D'ailleurs elle ne prévoyait pas tout,
et dans les députés du tiers elle apcrcevait
encore plutót des adversaires pour la noblesse
que pour elle-méme. Le duc d'ürléans fut ac-
clisé d'agir vivement pour faire élire ses par-




42 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
tisans , et pour étre Iui-méme nomrné. Déja
signalé parmi les adversaires de la cour, allié
des parlements, invoqué pour chef, de son
gré ou non, par le parti populaire, on lui
imputa diverses rnenées. Une scene deplorable
eut lieu au faubourg Saint-Antoine ; et comme
on veut donner un auteur a tous les événe-


..


ments, on l'en rendit responsable. Un fabri-
cant de papiers peints, Béveillon , qui par son
habileté entretenait de vastes ateliers, perfee-
tionnait notre industrie et fournissait la sub-
sistance atrois cents ouvriers, fut accusé d'a-
voir voulu réduire les salaires a moitié prix.
La populaee menal{a de brüler sa maison. On
parvint a la dispersen, mais elle y retourna le
lendemain ; la maison fut envahie, incendiée ,
détruite ". Malgré les menaees faites la veille
par les assaillants , malgré le rendez - vous
donné, l'autorité n'agit que fort tard, et agit
alors avec une rigueur excessive, On attendit
que le peuple fút maitre de la maison; on l'y
attaqua avec fnrie, et on fnt obligé d'égorger
un grand nombre de ces hommes féroees et
intrépides, qui depuis se rnontrerent dans
toutes les oecasions, et qui recurent le nom
de brigands.


* 27 avri].




REGNE DE I.OUIS XVI (I 789), q3
Tous les partis qui étaient déja formés s'ac-


cuserent ; on reprocha a la cour son action
tardive d'abord, et cruelle ensuite ; on sup-
posa qu'elle avait voulu laisser le peuple s'en-
gager, pour faire un exemple et exercer ses
troupes. L'argent trouvé sur les dévastateurs
de la maison de RévcilIon, les mots échappés
a quelques-uns d'entre eux, firent soup<;on-
ner qu'ils étaient suscités et conduits par une
main cachée; et les ennemis du parti popu-
laire accuserent lc duc d'Orléans d'avoir voulu
essayer ces bandes révolutionnaires.


Ce prince était né avec des qualités heu-
reuses; il avait hérité de richesses immenses ;
mais, Iivré aux mauvaises moeurs , il avait
abusé de tous ces dons de la nature et de la
fortune. Sans auenne suite 1!ans le caractere ,
tour a tour insoueiant de l'opinion ou avide
de popularité, il était hardi et ambitieux un
jour, doeile et distrait le lendemain. Brouillé
avee la reine, il s'était faít ennemi de la cour.
Les partis commencant a se former, il avait
laissé prendre son nom, et mérne , dit-on ,
jusqu'a ses richesses. Flatté d'un avenir con-
fus, il agissait assez pour se faire accuser, pas
assez pour réussir, et il devait , si ses parti-
sans avaient réellement des projets, les déses-
pérer de son inconstante ambition.




,


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ÉT ATS-GÉNÉRAUX (1789)'


CIIAPITRE 11.


45


i#
Convocati~n et ouverture des états-généraux. - Discus-


sions sur la vérification des pouvoirs et sur le vote par
ordre et par tete. _ L'ordre du tiers-état se déclare
assemblée nationalc. - La salle des etats est fermée,
les deputés se rendent dans un autre local. - Serment
du Jeu de Paume. - Séánce royale du 23 juin. - Vas-
semblée continue ses délibérations rnalgré les ordres du
roi. - Réunion définitive des trois ordres. - Prerniers
.avalJ.X de l'assemblée. - Agitations populaires aPa-
riso _ Le peuplc dclivre des gardes francaisrs enfer-
mees a I'Ahhaye. - Complots de la cour ; des troupes
s'approchent de Paris. - Renvoi de Necker. - .Tour-
nees des 12, 13 et 14 juillet. Prise de la Rastille. -
Le roi se rend á l'assemblée, el de la a Paris. - Rappel
de Necker.


LE moment de la convocation des états-gé-
néraux arrivait enfin; dans ce cornmun danger,
les premiers ordres , se rapprochant de la cour,
s'étaient groupés. autour des princes du sang
el de la reine. Ils táchaient de gagner par des




46 RÉVOLUTION FRAN«';;tUSE.
flatterics les gentilshommes eampagnards, et
en leur absence ils raillaient leur rusticité. Le
cIergé táchait de cap ter les plébéiens de son
ordre, la nohlesse militaire ceux du sien. Les
parlements, qui avaient cru occuper le pre-
miel' róle danS les états-généraux, commen-
<;aient a eraindre que leur ambition ne fút
trompée. Les députés du tiers-état, forts de la
supériorité de lcurs talents , de l'énergique ex-
pression de leurs cahiers, soutenus 'par des
rapprochements continuels, stimulés méme
par les doutes que beaucoup de gens mani-
festaient sur le succes de leurs efforts, avaient
pris la ferme résolution de ne pas céder.


Le roi seul, qui n'avait pas goúté un mo-
ment de repos depuis lecommencement de
son regne, entrevoyait les états - généraux
comme le termc de ses embarras. Jaloux de
son autorité, plutót pour ses enfants, aux-
quels il croyait devoir Iaisser ce' patrimoi~
intact, que pour lui-méme , il n'était pas raché
d'en remettre une partie ala nation, el de se
décharger sur elle des difficultés du gouver-
nement. Aussi faisait-il avec joie les appréts de
eette grande réunion. Une salle avait été pré-
parée a la hateo On avait méme determiné le~
costumes , et imposé au tiers-état une éti-
quette humiliante, Les hommes ne sont pas




ÉTATS-GÉNÉRAUX (1789). 47
moins jaloux de leur dignité que de leurs
droita : par une fierté bien juste, les cahiers
défendaient aux députés de condescendre a
tout cérémonial outrageant. Cette nouvelle
faute de la cour tenait, comme toutes les
autres, au désir de maintenir au moins le signe
quand les choses n'étaient plus. Elle dut cau-
ser une profonde irritation dans un moment
ou af'ant de s'attaquer on cornmencait par se
mesurer des yeux.


Le 4 mai , veille de l'ouverture, une pro-
cession solennelle eut lieu. Le roi, les trois
ordres, tous les dignitaires de l'état, se rendí-
rent a l'église de Notre-Dame. La cour avait
déployé une magnificence extraordinaire. Les
deux premiers ordres étaient vétus avec pompeo
Princes, dues et pairs, gentilshommes, pré-
lats , étaient parés de pourpre, et avaient la
tete couverte de chapeaux a plumes. Les dé-
putés du tiers, vétus de simples manteaux
noirs, venaient ensuite, et , malgré leur exté-
rieur modeste, semblaient forts de Ieur nom-
bre et de Ieur avenir. On observa que le duc
d'Orléans , placé ala queue de la noblesse, ai-
mait a demeurer en arriere et a se confondre
avec les premiers députés du tiers.


Cette pompe nationale, militaire et reli-
gieuse, ces chants pieux, ces instruments




48 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
guerriers, et surtout la graneleur de l'événe-
ment, émurent profonelément les coeurs. Le
discours de l'évéque de Nancy, pIein de sen-
timents généreux, fut applaudi avec enthou-
siasme, malgré la sainteté du lieu et la présenee
du roi. Les graneles réunions élevent l'áme ,
elles HOUS détachent de nous-rnérnes , et nous
rattachent aux autres ; une i vresse générale
se répandit, et tout-a-coup plus d'un cceur
sentit défaillir ses haines, et se remplit pour
un moment d'humanité et ele patriotisme ".


L'ouverture des états-généraux eut lieu le
Iendemain , 5 mai 1789' Le roi était placé sur
un treme élevé, la reine aupres de luí, la cour
dans des tribunes, les deux premiers ordres
sur les deux cótés , le tiers-état dans le fond
de la salle et sur des siéges inférieurs. Un
mouvement s'éleva a la vue du comte de Mi-
rabeau; mais son regarel , sa démarche impo-
serent a l'assemblée. Le tiers-état se couvrit
ave e les autres ordres , malgré l'usage établi.
Le roí pronon<;a un discours dans lequel il
conseilIait le désintéressement aux uns, la sa-
gesse aux autres, et parlait atous de son amour
pour le peuple.Le gardedes sceaux Barentin prit
ensuite la parole, et fut suivi de Necker, qui


* Voyez la note 1 a la fin du volumc.




ÉTATS-GÉNÉRA UX (1789). 49
lut un mémoire sur l'état du royaume, OU il
parla longuement de Iinances , accusa un dé-
ficit de 56 millions, et fatigua de ses longueurs
ceux qu'il n'offensa pas de ses lecons.


Des le lendemain il fut prescrit aux députés
de chaque ordre de se rendre dans le local qui
Ieur était destiné. Outre la salle commune,
assez vaste pour contenir les trois ordres ré-
unís, deux autres salles avaient été construites
pour la noblesse et le clergé. La salle com-
mune é tait destinée au tiers, et il avait ainsi
l'avantagc, en étant dans son propre local, de
se trouver dans celui des états. La prerniere
opération a faire était celle de la vérification
des pouvoirs; i1 s'agissait de savoir si elle au-
rait lieu en commun ou par ordre. Les dé-
putés du tiers , prétendant qu'il importait a
chaque partie des états-généraux de s'assurer
de la légitimité des deux autres , demandaient
la vérification en commun. La noblesse el le
clergé, voulant maintenir la division des 01'-
dres, soutenaient qu'ils devaient se constituer
chacun a parlo Cette question n'était pas en-
core celle du vote par tete, cal' on pouvait
vérifier les pouvoirs en commun et voter en-
suite séparérnent , mais elle lui ressemblait
beaucoup; et des le premier jour, elle fit écla-
ter une división qu'il eút été facile de pré-


I. 4




50 nJivoLuTION FRAN~AISE.
voir, et de prevenir en terminant le différend
d'avance. Mais la cour n'avait jamais la force
ni de refuser ni d'accorder ce qui était juste.
et d'ailleurs elle espérait régner en divisant.


Les députés du tiers-état demeurerent as-
semblés dans la salle commune, s'abstenant de
prendre aucune mesure, et attendant, disaient-
ils , la réunion de leurs collegues. La noblesse
et le c1ergé, retirés dans leur salle respective,
se mirent a délibérer sur la vérification. Le
clergé vota la vérification séparée a la majo-
rité de J 3:1 sur 1I!~, et la noblesse a la ma-
jorité de 188 sur 114. Le tiers-état , persistant
dans son immobilité , continua le lendemain
sa conduite de la veille. IL tenait a éviter toute
mesure qui pút le faire considérer comme
constitué en ordre separé. e'est pourquoi, en
adressant quelques-uns de ses membres aux
deux autres chambres, il eut soin de ne leur
donner aucune mission expresse. Ces membres
étaient envoyés ala noblesse et au c1ergé pour
leur dire qu'on lesattendait dans la salle com-
mune. La noblesse n'était pas en séance dans
le moment; le clergé était réuni, et il offrit de
nommer des cornmissaires pour concilier les
différends qui venaient de s'élever, Il les
nomma en effet, et fit inviter la noblesse a
I'H faire autant. Le c1ergé rlans cette lutte




ÉTATS-GÉNJ~RAUX (1789)' 51
montrait un caractere bien différent de celui
de la noblesse. Entre toutes les classes privi-
légiées il avait le plus souffert des attaques
du dix-huitieme siecle ; son existence politique
avait été contestée; il étaít partagé acause du
grand nombre de ses curés ; d'ailleurs son role
obligé était celui de la modération et de l'es-
prit de paix; aussi , comme on vient de le
voir, il offrit une espece de médiatíon.


La noblesse, au contraire, s'y refusa en ne
voulant pas nommer des cornmissaires. Moins
prudente que le c1ergé, doutant moins de ses
droits, ne se croyant point obligée a la modé-
ration , mais a la vaillance , elle se répandait
en refus et en menaces, Ces hommes qui n'oot
excusé aucune passion, se livraient a toutes
les leurs, et ils subissaient , cornrne toutes les
assemblées, la domination des esprits les plus
violenta. Casales, d'Espréménil, récemment
anoblis, faisaient adopter les motions les plus
fougueuses, qu'ils préparaient d'abord daos
des réunions particuliéres. En vain une mino-
rité eomposée d'hommes ou plus sages ou plus
prndemment ambitieux, s'efforcait d'éclairer
cette noblesse ; elle ne voulait ríen entendre,
elle parlait de eombattre et de mourir , et,
ajoutait-elle , pour les lois et la justice, Le
tiers-état , immobile, dévorait avec calme tons


4.




n:ÉVOLUTION }·RAN~AISE.
les outrages ; il s'irritait en silence , se condui-
sait avec la prudence et la fermeté de toutes
les puissances qui commencent, et recueillait
les applaudissements des tribunes, destinées
d'abord a la conr et envahies hientót par le
publico


Plusieurs jours s'étaient déja écoulés. Le
clergé avait tendu des piéges au tiers-état en
cherchant a l'entrainer a certains actes, qui
le fissent qualifier d'ordre constitué, Mais le
tiers-état s'y était refusé constamment; et,
ne prenant que des mesures indispensables de
police intérieure, il s'était borné a choisir un
doyen et des adjoints pour recueillir les avis.
Il refusait d'ouvrir les lettres qui lui étaient
adressées, et il déclarait former non un ordre,
mais une assemblée de Cit0YCllS réunis par
une autorité légitime pour auendre d' autres
citoyens.


La noblesse, apres avoir refusé de nommer
des commissaires conciliateurs, consentit enfin
aen envoyer pour se concerter avec les autres
ordres ; mais la mission qu'elle leur donnait
devenait inutile, puisqu'elle les chargeait en
mérne temps de déclarer qu'elle persistait dans
sa décision du 6 rnai , laquelle enjoignait la
vérification séparée. Le clergé , tout au con-
traire, fidele ason role, avait suspendu la vé-




ETATS-GENERAUX (1789)' 53
rification déja commencée dans sa propre
chambre, et il s'était déclaré non constitué,
en attendant les conférences des cornmissaires
conciliateurs. Les conférences étaient ouver-
tes: le clergé se taisait , les députés des com-
munes faisaient valoir leurs raisons avec calme,
ceux de la noblesse avec ernportement. On se
séparait aigri par la dispute, et le tiers-état ,
résolu a ne rien céder, n'était sans doute pas
raché d'apprendre que toute transaction deve-
nait impossiblo. La nohlesse entendait tous les
jours ses commissaires assurer qu'ils avaient en
l'avantage, et son exaltation s'en augrnentait
encore. Par une lueur passagere de prudence,
les deux premiers ordres déclarerent qu'ils re-
noncaient a leurs priviléges pécuniaires. Le:
tiers-état accepta la concession, mais il per-
sista dans son inaction, exigeant toujours la
vérification commune. Les couférences se
continuaient encore , lorsqn'on propósa enfin,
eomme accommodement, de faire vérifier les
pouvoirs par des comrnissaires pris dans les
trois ordres, Les envoyés de la noblesse dé-
clarerent en son nom qu'clle ne voulait pas de
cet arrangement, et se retirerent sans fixer de
jour pour une nouvelle conférence. La trans-
action fut ainsi rompue. Le mérne jour, la
noblesso prit un arrété par lequel elle déclarait


-




54 RÉVOLUTION }'RAN«AISE.
de nouveau que, pour cette session, on veri-
fierait séparément , ~n laissant aux états le soin
de déterminer un autre mode pOllr l'avenir.
Cetarrété fut eommuniqué aux communes le
27 mai. On était réuni depuis le 5 ; vingt-deux
jours s'étaient done écoulés, pendant lesquels
on n'avait rien fait; il était temps de prendre
une détermination. Miraheau, qui' donnait
l'impulsion au parti populaire, tit observer
qu'il était urgent de se décider , et de com-
mencer le bien public trop long-tempsretardé.
JI proposa done, d'apres la résolution connue
de la noblesse, de faire une sommation au
clergé pour qu'il s'expliquát sur-le-champ , et
déclarát s'il voulait ou non se réunir aux corn-
munes. La proposition fut aussitót adoptée. Le
député Target se mit en marche a la tete d'une
députation nomhreuse , et se rendit dans la
salle du clergé: « Messieurs des communes
« invitent, dit-il , messieurs du clergé, AU NüM
( DU DlEU DE P AIX, et dans l'intérét national,
« a se réunir avec eux dans la salle de I'assern-
« blée, pour aviser aux moyens d'opérer la
(e concorde, si nécessairc en ce moment au
« salut de la chose publique. » Le clergé fut
frappé de ces paroles solennelles; un grand
nombre de ses mernbres répondirent par des
acclamations , et voulurent se rendre de suite




ÉTATS-GÉNERAUX (1789)' 55
a eette invitation ; mais on les en ernpécha , et
on répondit aux députés des cotnmunes qu'il
en serait délibéré. Au retour de la députation ,
le tiers-état , inexorable, se détermina aatten-
dre, séance tenante, la réponse du clergé;
Cette réponse n'arrivant point, on lui envoya
dire qu'on l'attendait. Le clergé se plaignit
d'étre trop vivement pressé , et il demanda
qu'on Iui Iaissát le temps nécessaire. On lui
répondit avee modération qu'il en pouvait
prendre, et qu'on attendrait, s'il le fallait ,
tout le jour et toute la nuit,


La situatioo était difficile; le clergé savait
qu'apres sa réponse les comrnunes se mettraient
a l'oeuvre , el prendraient un partí décisif. 11
voulait temporiser pour se concerter avec la
cour; il demanda done jusqu'au lendemain,
ce qui fut accordé a regret. Le lendemain en
effet, le roi , si désiré des premiers ordres , se
décida a intervenir. Dans ce moment toutes
les inimitiés de la eour et des premiers ordres
comrnencaient a s'oublier , a l'aspect de cette
puissanee populaire qui s'élevait avec tant de
rapidité. Le roi, se montrant eníin , invita les
trois ordres a reprendre les conférences, en
présence de son garde des sceaux. Le tiers-
état, quoi qu'on ait dit de ses projets, qu'on
a jugés d'aprés l'événement , ne poussait pas




56 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
ses vceux au-dela de la monarchie tempérée.
Connaissant les intentions de Louis XVI, il
était plein de respect pour lui ; d'ailleurs, ne
voulant nuire a sa propre cause par aucun
tort, il répondit que, par déférence pour le
roi, il consentait ala reprise des conférences,
quoique, d'apres les décIarations de la no-
blesse, on pút les croire inutiles. Il joignit a
cette réponse une adresse qu'il chargea son
doyen de remettre au prince. Ce doyen était
BaiIly, homme simple et vertueux, savant
iIlustre et modeste, qui avait été transporté
subitemeut des études silencieuses de son ca-
binet au milieu des discordes civiles. Choisi
pour présider une grande assemblée, il s'était
effrayé de sa tache nouveIle, s'érait cru indi-
gne de la remplir, et ne l'avait subie que par
devoir. Mais elevé tout a coup a la liberté, il
trouva en lui une présence d'esprit et une fer-
meté inattendues; au milieu de tant de conflits,
il fit respecter la majesté de l'assernblée , et
representa pour elle avec toute la dignité de
la vertu et de la raison,


Bailly eut la plus grande peine a parvenir
jusqu'au roi. Comme iI insistait afin d'étre in- .
troduit, les conrtisans répandirent qu'il n'avait
pas mérne respecté la douleur du monarque,
affligé de la mort du dauphin. 11 fut enfin pré-




ÉTATS-GÉNÉRAUX ([789)' 57
senté, sut écarter tout cérémonial humiliant,
et montra autant de fermeté que de respecto
Le roi I'accueillit avec bonté, mais sans s'ex-
pliquer Sur ses intentions.


Le gouvernement, décidé aquelques sacri-
fices pour avoir des fonds, voulait en opposant
les ordres devenir leur arbitre, arracher a la
noblesse ses priviléges pécuniaires ave e le se-
cours du tiers-état, et arréter l'ambition du
tiers-état au moyen de la noblesse, Quant a la
noblesse , n'ayant point a s'inquiéter des ern-
barras de l'adrninistration , ne songeant qu'aux
sacrifices qu'il allait luí en coúter , elle voulait
amener la dissolution des états-généraux, et
rendre ainsi leur convocation inutile. Les cam-
rnunes , que la cour et les premiers ordres ne
voulaient pas reconnaitre 50US ce titre , et ap-
pelaient toujours du nom de tiers-état , acqué-
raient sans cesse des forces nouvelles, el,
résolues a braver tous les dangers, ne vou-
laient pas laisser échapper une occasion qui
pouvait ne plus s'offrir.


Les conférences demandées par le roi eurent
lieu. Les commissaires de la noblesse éleverent
des difficultés de tout genre, sur le titre de
communes que le tiers-état avait pris , sur la
forme et la signature du proces-verhal. Enfin
ils entrerent en discussion, et ils étaient pre&-




58 RÉVOLUTJON FRAN(jA1SE.
que réduits au silence par les raisons qu'on
leur opposait, lorsque Necker , au nom du roi,
proposa un nouveau moyen de conciliation.
Chaque ordre devait examinar séparérnent les
pouvoirs, et en donner communication aux
autres : dans le cas oú des difficultés s'éleve-
raient, des commissaires en feraient rapport a
chaque chambre, et si la décision des divers
ordres n'était pas conforme, le roi devait juger
en dernier ressort. Ainsi la cour vidait le dif-
férend ason profit. Les conférences furent aus-
sitót suspendues pour obtenir l'adhésion des
ordres. Le clergé accepta le projet purement
et simplement.La noblesse l'accueillit d'abord
avec faveur; mais, poussée par ses instigateurs
ordinaires , elle écarta l'avis des plus sages de
ses membres, et modifia le projet de con-
ciliation. De ce jour datent tous ses mal-
heurs. .


Les communes, instruites de cette résolu-
tion, attendaient; ponr s'expliquer aleur tour,
qu'elle leur fút communiquée ; mais le dergé,
avec son astuce ordinaire , voulant les mettre
en demeure aux yeux de la nation , leur envoya
une députation ponr les engager a s'occuper
avec lui de la misere du peuple , tous les jours
plus grande, et ase háter de pourvoir ensemble
a la rareté et ala cherté des subsistances, Les




ÉTATS-GÉNÉRAUX (1789)' 59
communes, exposées a.la défaveur populaire si
elles paraissaient indifférentes a une telle Pl'O-
position, rendirent ruse pour ruse, et répon-
dirent que, pénétrées des mémes devoirs , elles
attendaient le clergé dans la gtandesalle pour
s'occuper avec lui de cet objet important, Alors
la noblesse arriva et communiqua solennelle-
ment son arrété aux communes; elle adoptait ,
disait-elle, le plan de conciliation , mais en
persistant dan s la vérification séparée, et en ne
déférant aux ordres réunis et a la juridiction
suprérne du roi, que les difficultés qui pour-
raient s'élever sur les députations entieres de
toute une province.


Cet arrété mit fin a tous les embarras des
cornmunes. Obligées bu de céder, ou de se
déclarer seules en guerre contre les premiers
ordres et le tróne , si le plan de conciliation
avait été adopté, elles furent disperisées de
s'expliquer , le plan n'étant accepté qu'avec
de graves changements. Le moment était dé-
cisif. Céder sur la vérificatiou séparée n' était
pas, ilest vrai , céder sur le vote par ordre;
mais faiblir une fois, c'était faiblir toujours. Il
fallait ou se soumettre aun role apeu pres nul,
donner de l'argent au pouvoir, et se contenten
de détruire quelques abus lorsqu'on voyait la
possibilité de régénérer l'état, ou prendre une




60 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
résolution forte et se saisir violemment d'unc
portion du pouvoir législatif. C'était la le pre-
mier acte révolutionnaire, mais l'assembléc
n'hésita paso En conséquence , tous les proces-
verbaux signés, les conférences finies, Mirabeau
se leve : « Tout projet de conciliation rejeté
« par une partie , dit-il , ne peut plus étre
( examiné par l'autre. Un mois s'est écoulé, il
« falit prendre un parti décisif; un député de
« Paris a une motion importante a faire , qu'on
( l'écoute. » Mirabeau , ayant ouvert la déli-
hération par son audace, introduit a la trihune
Síeyes, esprit vaste, systématique, el rigou-
reux dans ses déductions. Sieyes rappelle el
motive en peu de mots la oonduite des com-
munes, Elles out attendu et se sont prétées a
toutes les conciliations proposées; leur longue
condescendance est devenue inutile; elles ne
peuvent différer pluslong-temps sans manquer
a leur mission; en conséquence elles doivent
faire une derniére invitation aux deux autres
ordres , afin qu'ils se réunissent a elles pour
cornmeneer la vérification. Cette proposition
rigoureusement motivée '" est. accueillie avec
enthousiasme ; on veut mérne sommer les deux
ordres de se réunir dans une heure "", Cepen-


* Voyez la note 2 a la fin du volume.
** Séance du 10 juiu.




ASSL'tlBLÉE CONSTI'l'UANTE (1789)' 61
dant le terrne est prorogé. Le lendemain jeudi
érant un jour consacré aux solennités reli-
gienses, on remet au vendredi. Le vendredi, la
derniere invitation est communiquée ; les deux
ordres répondent qu'ils vont délibérer; le roi,
qu'il fera connaitre ses intentions, L'appel des
bailliages commence : le premier jour , trois
curés se rendent, et sont couverts d'applau-
dissements; le second, il en arrive six; le troi-
sieme et le quatrierne, dix, au nombre dcsquels
se trouvait l'abbé Grégoire.


Pendant l'appel des bailliagcs et la vérifi-
cation des pouvoirs , une dispute grave s'éleva
sur le titre que devait prendre I'assemblée. Mi-
rabean proposa celui de représentants dupeuple


./raw;ais; Mounier celui de la maforité délibé-
rant en l'absence de la minorité ; le député
Legrandcelni d' assemblée nationale. Ce dernier
fut adopté apres une discussion assez langue,
qui se prolongea jusqu'au 16 juin dans la nuit,
Il était une heure du matin , et il s'agissait de
savoir si on se constituerait séance tenante, ou
si on remettrait au lendemain. Une partie des
députés voulait qu'on ne perdit pas un instant,
afin d'acquérir un caractere légal qui imposát
a la cour. Un petit nombre, désirant arréter
les travaux de l'assemblée , s'emportait et
poussait des cris furieux. Les deux partis , rano




RÉVOLUTION FRANf,:AIS:E.
gés des deux cótés d'une longue table, se
menacaient réciproquement; Bailly , placé an
centre, était sommé par les uns de séparer
l'assemblée , par les autres de mettre aux voix
le projet de se constituer, Impassible au milien
des cris et des outrages, il resta pendant plus
d'une heme immobile et silencieux. Le ciel
était orageux, le vent soufflait avec violence
au milieu de la salle, et ajoutait au tu multe.
Enfin les furieux se retirérent ; alors Bailly,
s'adressant a l'assemblée devenue calme par la
re traite de ceux qui la troublaient , l'engagea
a renvoyer an jour l'acte important qui était
proposé, Elle adopta son avis, et se retira en
applaudissant a sa fermeté et a sa sagesse.


Le lendemain 17 juin, la proposition fut
mise en délibération , et, a la majorité de 491
voix contre 90, les eommunes se constituerent
en assemblée nationale. Sieyes, chargé encore
de motiver cette décision , le fit avec sa rigueur
aecoutumée.


({ L'assemblée, délibérant aprés la vérifica-
« tion des pouvoirs, reconnait qu'elle est déjá
({ composée de représentants envoyés direete-
({ ment par les quatre-vingt-seize centiemes
({ au moins de la nation. Une telle masse de
{{ députation ne saurait rester inactive par l'ab-
« sence des députés de quelques bailJiages on




ASSFl\IBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 63
« de quelques classes de citoyens ; ear les ab-
« sents qui ontété appelés ne peuvent empécher
« les présents d'exercer la plénitude de leurs
« droits, surtout lorsque l'exereiee de ees droits
« est un devoir impérieux et pressant,


« De plus, puisqu'il n'appartient qu'aux re-
(C présentants vérifiés de eoneourir au vceu na-
« tional, et que tous les représentants vérifiés
C( doivent étre dans eette assemblée, il est encore
C( indispensable de conclure qu'illui appartient
« et qu'il n'appartient qu'a elle d'interpréter et
« de représenter la volonté générale de la
(( nation.


( 11 ne peut exister entre le tróne et l'as-
« semblée aucun veto, aucun pouvoir né-
C( gatif.


« L'assembléedéclare done que l'oeuvre com-
( mune de la restauration nationale peut et
« doit étre commencée sans retard par les dé-
« putés présents, et qu'ils doivent la suivre
« sans interruption comme saos obstacle.


« La dénornination d'assemblée nationale est
(( la seule qui eonvienne a l'assernblée dans
« l'état actuel des ehoses, soit paree que les
« membres qui la composent sont les seuls re-
C( présentants légitimement et publiquement
(( cormus et vérifiés, soit paree qu'ils sont en-
C( voyés par la presque totalité de la nation ,




64 RltVOLUTION Fll AN~AISE.
« soit enfin paree que la représentation étant
« une et indivisible, aucun des députés, dans
( quelque ordre ou classe qu'il 'soit choisi ,
(( n'a le droit d'exercer ces fonctions séparé-
« ment de eette assemblée.


« L'assemblée ne perdra jamais l'espoir de
( réunir dans son sein tous les députés au-
« jourd'hui absents; elle ne cessera de les ap-
« peler aremplir l'obligation qui leur est im-
( posée de concourir a la tenue des états-géné-
(( raux. A quelque moment que' les députés
« absents se présentent dans la session qui va
(( s'ouvrir , elle declare d'avance qu'elle s'em-
(\ pressera de les recevoir , et de partager avec
« eux, apres la vérifieation des pouvoirs , la
( suite des grallds travaux qui doivent pl'Oeu-
« rer la régénération de la France. »


Aussitót apres cet arrété , l'assemblée, vou-
lant tout ala fois faire un aete de sa puissance,
et prouver qu'elle n'entendait point arre ter la
marche de l'administration , légalisa la percep-
tion des impóts , quoique étahlis san s le con-
sentement national; prévenant sa séparation ,
elle ajouta qu'ils cesseraient d'étre perc,;us le
jour oú elle serait séparée ; prévoyant en outre
la banqueroute, moyen qui restait au pouvoir
pour terminer les embarras financiers, et se
passer du concours national, elle satisfit a la




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 65
prudence el al'honneur en mettant les créan-
ciers de l'état sous la sauvegarde de la loyauté
franl,?aise. Enfin elle annonca qu'elle allait s'oc-
cuper incessamment des causes de la disette
et de la misere publique.


Ces mesures, qui montraient autant de cou-
rage que d'habileté, produisirent une impres-
sion profonde. La cour et les prerniers ordres
étaient épouvantés de tant d'audace et d'éner-
gie. Pendant ce temps le clergé délibérait en
tumulte s'il fallait se réunir aux communes.
La foule attendait au dehors le résultat de sa
délibération; les curés l'emporterent enfin, et
on apprit que la réunion avait été votée ala
majorité de 149voix sur 115. Ceux qui avaient
voté pour la réunion furent accueillis avec des
transports; Ie~ autres furent outragés et pour-
suivis par le peuple.


Ce moment devait amener la réconciliation
de la cour et de l'aristocratie. Le danger était
égaI pour toutes deux. La derniere révolution
nuisait autant au roi qu'aux premiers ordres
eux-mémes dont les communes déclaraient
pouvoir se passer. Aussitót on se jeta aux pieds
du roi; le duc de Luxembourg , le cardinal de
Larochefoucauld, l'archevéque de Paris , le sup-
plierent de réprimer l'audace du tiers-état, et
de soutenir leurs droits attaqués. Le parlement


L 5




66 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
lui fit offrir de se passer des états, en promet-
tant de consentir tous les impórs. Le roi fut
entouré par les princes et par la reine; c'était
plus qu'il ne fallait pour sa faiblesse; enfin on
l'entraina a Marly, pour lui arracher une
mesure vlgoureuse.


Le ministre Necker , attaché :'t la cause popu-
laire , se eontentait de représentations inutiles ,
que le roi trouvait justes quand il avait l'esprit
libre, mais dont la eour avait soin de détruire
hientót l'effet. Des qu'il vit l'intervention de
l'autorité royale nécessaire , il forma un projct
qui parut tres-hardi a son courage : il voulait
que le monarque, daos une séance royale, 01'-
donnát la réunion des ordres, mais seulement
ponr toutes les mesures d'intérét général; qu'il
s'attribuát la sanction de toutes les résolutions
prises par les états-généraux; qu'il improuvát
d'avance tout établissement contre la monar-
chie tempérée , tel que celui d'une assemblée
unique; qu'il promit enfin l'abolition des pri-
viléges, l'égale admission de tous les Francais
aux emplois civils et militaires , etc. Necker ,
qui n'avait pas en la force de devancer le
temps ponr un plan pareil, n'avait pas mieux
celle d'en assurer l'exécution.


Le conseil avait suivi l~ roí a Marly. La, le
plan de Necker , approuvé d'abord , est remis




ASSE1UBLÉE CONSTITUANTF. (1789)' 67
en discussion : tout-a-coup un billet est trans-
mis un roi; le conseil est suspendu , repris et
renvoyé au lendemain, malgré le besoin d'une
grande célérité. Le lendemain, de nonveaux
~membressont ajoutés au conseil; les freres da


roi sont du nombre. Le projet de Necker est
modifié; le ministre résiste , fait quelques con-
cessions, mais il se voit vaincu et retourne a
Versailles. Un pagevient trois fois luí remettre
des billets, portant de nouvelles modifications;
son plan est tout-á-fait défignré, et la séance
royale est fixée ponr le 22 juin.


On n'était encore qu'au 20, et déja on ferme
la salle des états, sous le prétexte des prépara-
tifs qu'exige la présence du roí. Ces préparatifs
pouvaient se faire en une demi-journée, mais
le clergé avait résolu la veille de se reunir aux
communes, et on voulait empécher cette réu-
nion. Un ordre du roi suspend aussitót les séan-
ces jusqu'au 22. BailIy, se croyant obligé d'o-
béir a l'assemblée , qui , le vendredi 19, s'était
ajournée au lendemain samedi, se rend a la
porte de la salle. Des gardes francaises l'en-
touraient avec ordre d'en défendre l'entrée;
l'officier de service recoit Bailly avec respect,
et lui permet de pénétrer dans une cour pour
y rédiger une protestation, Quelques députés
jeunes el ardents veulent forcer la consigne;


5.




68 RÉVOLUTlON .FRAN~AIS:E.
Bailly accourt, les apaise, et les emmene avec
lui, pour ne pas compromettre le généreux
officier qui exécutaít avec tant de modération
les ordres de l'autorité. On s'attroupe en tu-
multe, on persiste a se réunir ; quelques-uns
parlent de tenir séance sous les fenétres mémes
du roi, d'autres proposent la salle dn jeu de
paume; on s'y rend aussitót ; le maitre la cede
avec JOle.


Cette salle était vaste, mais les murs en
étaient sombres et dépouillés; il H'y avait
point de siéges. On offre un fauteuil au prési-
dent, qui le refuse, et veut demeurer debout
avee l'assemblée; un bane sert de bureau ; deux
députés sont placés a la porte pour la garder,
et sont bientót relevés par la prévóté de l'hó-
tel, qui vient affrir ses services. Le peuple
accourt en foule, et la délibération commenee.
On s'éleve de toutes parts contre cette suspen-
sion des séances, et on propase divers mayens
pour I'empécher a l'avenir. L'agitatian aug-
mente, et les partis extremes commencent a
s'offrir aux imaginations. On propose de se
rendre aParis : cet avis, accueilli avec chaleur,
est agité vivement; déja mérne on parle de s'y
transporter en COl-pS et a pied. Bailly est épou-
vanté des violences que pourrait essuyer l'as-
semblée pendant la route; redoutant d'ailleurs




ASSE1'tIBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 69
une scission , il s'oppose ace projet. Alors Mou-
nier propose aux députés de s'engager par ser-
ment a ne pas se séparer avant l'établissement
d'une constitution. Cette proposition est ac-
cueillie avec transport, et on rédige aussitót
la formule du serment. Bailly demande l'hon-
neur de s'engager le premier, et lit la formule
ainsi con~ue : (( Vous prétez le serrnent solen-
(( nel de ne jamais vous séparer, de vous ras-
« sembler partout oú les circonstances l'exi-
(( gel'Ont , ..jusqu'a ce que la constitution du
« royaume soit établie, et affermie sur des fon-
( dements solides. » Cette formule, prononcée a
haute et intelligible voix, retentit jusqu'an
dehors. Aussitót toutes les bouches proférent
le serment; tous les bras sont tendus vers Bailly,
qui, dehout et immobile, recoit cet engage-
ment soleunel d'assurer par des Iois l'exercice
des droits nationaux. La fonJe pousse aussitót
des cris de vive l' assemblée ! vive le roi! comme
pour prouver que, sans colere et sans haine,
mais par devoir , elle recouvrc ce qui lui est duo
Les députés se disposent ensuite asigner la dé-
claration qu'ils viennent de faire. Un seul,
Martín d'Auch, ajoute a son nom le mot d'op-
posant. Il se forme autour de lui un grand tu-
multe. Bailly, P9ur étre entendu, monte sur
une table , s'adresse avec modération au député,




70 RÉVOLUTION FRAN«;;AISE.
et lui représente qu'il a le droit de refuser sa
signature, mais non celui de former opposition.
Le député persiste; et l'assemblée, par respect
poursaliberté, souffre le mot, etle laisse exister
sur le preces-verbal.


Ce nouvel acte d'énergie excita l'épouvante
de la noblesse, qui le lendemain vint porter ses
doléances aux pieds du roi, s'excuser en quclque
sorte des restrictions qu'elle avait apportées au
plan de conciliation , et lui demander son as-
sistance. La minorité noble protesta contre
cette démarche, soutenant avee raison qu'il
n'était plus temps de demander l'intervention
royale, apres l'avoir si mal a propos refusée.
Cette minorité, trap pea écoutée, se compo-
sait de quarante-sept membres; on y eomptait
des militaires, des magistrats éclairés ; le duc
de Liancourt , généreux ami de son roi et de la
liberté; le duc de Larochefoucauld, distingué
par une constante vertu et de grandes lumie-
res; Lally-Tolendal, célebre déja par les mal-
heurs de son pere et ses éloquentes réclama-
tions ; Clerrnont-Tonnerre , remarquable par le
talent de la parole; les freres Lameth, jeunes co-
lonels, connus par leur esprit et leur bravoure ;
Duport, déjá cité pour sa vaste capacité et la
fermeté de son caractere ; enfin le marquis de
Lafayette, défenseur de la liberté arnéricaine ,




AssnIBLÉE CONSTJTUA~TE ('789)' 71
et unissant ala vivacité francaise la constance
et la simplicité de Washington.


L'intrigue ralentissait toutes les opérations
de la cour. Laséance, fixée d'ahord au lundi 22,
fut remise au 23. Un billet, écrit fort tard a
Bailly et a l'issue du grand conseil , lui annon-
cait ce renvoi, et prouvait l'agitation qui régnait
dans les idées. Necker était résolu a ne pas se
rendre a la séance, pour ne pas autoriser de
sa présence des projets qu'il désapprouvait.


Les petits moyens, ressource ordinaíre d'une
autorité faible , furent employés pour ernpé-
cher la séance du lundi 21; les princes firent
retenir la salle du jeu de paume pour y jouer ce
jour-lá. L'assemblée se rendít a l'église de
Saint-Louis.oú elle recut la majorité du clergé,
ala tete de laquelle se trouvait l'archevéque de
Vienne. Cette réunion, opérée avec la plus
grande dignité, excita la joie la plus vive. Le
clergé venait s'y soumettre, disait-il , a la véri-
fication commune.


Le lendemain 23 était le jour fixé pour la
séance royale. Les députés des communes de-
vaient entrer par une porte détournée, et dif-
férente de celle qui était réservée ala noblesse
et au clergé. A défaut de la violence on ne leur
épargnait pas les humiliations. Exposés a la
pluie , ils attendirent long-temps : le président ,




72 RÉVOLUTION FllAN«:;;AISE.
réduit afrapper aeette porte, qui ne s'ouvrait
pas, frappa plusieurs foís; on luí répondit qu'il
n'était pas temps. Déja les députés allaient se
retirer, Bailly frappa encore; la porte s'ouvrit
enfin, les députés entrerent et trouverent les
deux premiers ordres en possession de leurs
siéges, qu'ils avaient voulu s'assurer en les oe-
cupant d'avance. La séanee n'était point eomme
celle du 5 mai, majestueuse et touehante ala fois,
par une certaine effusion de sentiments et d'es-
pérances, Une milice nombreuse, un silence
morne, la distinguaient de eette premiere so-
lennité. Les députés des communes avaient
résolu de garder le plus profond silence. Le
roi prit la parole, et trahit sa faiblesse en em-
ployant des expressions beaueoup trop éner-
giques pour son caractere. On lui faisait
proférer des reproches, et donner des com-
mandements. Il enjoignait la séparation par
ordre, cassait les précédents arrétés du tiers-
état, en promettant de sanctionner l'abdication
des priviléges pécuniaires qnand les posses-
seurs l'auraient donnée. II maintenait tous les
droits féodaux, tant utiles qu'honorifiques,
comme propriétés inviolables; il n'ordonnait
pas la réunion pOllr les matieres d'intérét gé-
néral , mais illa faisaít espérer de la nlOdérat'ion
des premiers ordres. Ainsi il [oreait l'obéissance




ASSHlBLÉE CONSTITUANTE (] 789)' 73
des commun.es, et se contentait de présumer
celle de l'aristocratie. Il laissait la noblesse et
le c1ergé juges de ce qui les concernait spécia-
lement, et finissait par dire que, s'il rencon-
trait de nouveaux obstacles , il ferait tout seul
le bien de son peuple, et se regarderait comme
son unique représentant. Ce ton, ce langage,
irriterent profondément les esprits , non contre
le roi, quí venait de représenter avec faihlesse
des passions qui n'étaient pas les siennes,
mais contre l'aristocratie dont il était l'instru-
mento


Aussitót apres son discours, il ordonne al'as-
semblée de se séparer sur-le-champ, La noblesse
le suit, avec une partie du clergé. Le plus grand
nombre des députés ecclésiastiques demeurent;
les députés des cornmunes , immobiles, gardent
un profond silence. Mirabeau, qui toujours
s'avancait le premier, se leve : ce Messieurs ,
dit-il , j'avoue que ce que vous venez d' en-
tendre pourrait étre le salut de la patrie, si les
présents du despotisme n'étaient pas toujours
dangereux.... L'appareil des armes, la viola-
tion du temple national , pour vous comman-
der d'étre heureux .... ! Ou sont les ennernis
de la natíon? Catilina est-il it nos portes ....? Je
demande qu'en vous couvrant de votre dignité,
de votre puissance législative, vous vous ren-




74 RÉVOLUTION FRANt;:AISE.
fcrmiez dans la religion de votre serment; il
ne vous permet de vous séparer qu'apres avoir
fait la constitution.»


Le marquis de Brézé , grancl-maitre des cé-
rémonies, rentre alors et s'adresse a Bail1y :
« Vous avez entendu, lui dit-il, les ordres du
roi; »: et BailIy lui répond : « Je vais prendre
ceux de l'assemblée.») Mirabeau s'avance :
« Oui, Monsieur, s'écrie-t-il , nous avons ell-
tendu les intentions qu'on a suggérées au roi;
mais vous n'avez ici ni voix, ni place, ni
droit de parlero Cependant, pour éviter tout
délai ,allez dire avotre maitre que nous sommes
iei par la puissance du peuple, et qu'on ne
nous en arrachera que par la puissance des
baíonuettes. » M. de Brézé se retire. Sieyes
prononce ces mots : « Nous sommes aujour-
d'hui ce que nous étions hier; délibérons. )
L'assemblée se reeueille pour délibérer sur le
maintien de ses préeédents arrétés. ce Le pre-
mier de ces arrétés , dit Barnave, a déclaré ce
que vous étes ; le second statue sur les irn-
póts , que vous seuls avez droit de consentir;
le troisieme est le serment de faire votre de-
voir. Aucune de ces mesures n'a besoin de
sanction royale. Le roi ne peut empécher ce
qu'il n'a pas a consentir. » Dans ce moment,
des onvriers viennent pour enlever les han-




ASSE~IBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 75
quettes, des troupes armées traversent la salle,
d'autres l'entourent au dehors; les gardes du
corps s'avancent méme jusqu'a la porte. L'as-
semblée, sans s'interrompre, demeure sur les
bancs et recueille les voix : il y a unanimité
pour le maintien de tous les arrétés précédents.
Ce n' est pas tout : au sein de la ville royale,
au mi/ieu des serviteurs de la cour , et privée
du seconrs de ce peuple depuis si redoutable,
l'assemblée pouvait étre menacée. Miraheau
reparait a la tribune et propose de décréter
l'inviolabilité de chaque député. Aussitót l'as-
semblée, n'opposant a la force qn'une majes-
tueuse volonté, déclare inviolable chacun de
ses membres, proclame traitre , infame et cou-
pable de crime capital, quicenque attenterait
a Ieur personne.


Pendant ce temps la noblesse, qui croyait
l'état sauvé par ce lit de justiee, présentait ses
félicitatíons au prince qui en avait donné I'idée,
et les portait du prince a la reine. La reine, te-
nant son fils dans ses bras, le montrant a ces
serviteurs si empressés, recevait leurs ser-
ments,et s'abandonnait malheureusement á une
aveugle confiance. Dans ce mérne instant 00
entendit des cris : chacun accourut, et on ap-
prit que le peuple , réuni en foule, félicitait
Necker de u'avoir pas assisté a la séance royale.




76 RÉVOLUTION FRANf;AJSE.
L'épouvante succéda aussitót ala joie; le roi et
la reine firent appeler Necker, et ces augustes
personnages furent obligés de le supplier de
conserver son portefeuille. Le ministre y con-
sentit, et rendit ala cour une partie de la popu-
larité qu'il avait conservée , en n'assistant pas a
cette funeste séance.


Ainsi venait de s'opérer la premiare révolu-
tion. Le tiers-état avait recouvré le pouvoir
législatif', et sesadversaires l'avaientperdu pour
avoir voulu le garcler tout entier. En quelques
jours, cette révolution législative fut entiere-
mentconsommée. On employa encore quelques
petits moyens, tels que de gener les communi-
cations intérieures dans les salles des états; mais
ils furent sans succes. Le 2!¡, la majorité du
c1ergé se rendit a l'assemblée, et demanda la
vérification en commnn ponr délibérer ensuite
sur les propositions faites par le roi, dans la
séance du 23 juin. La minorité du clergé con-
tinuait a délibérer dans sa chamhre particu-
Iiere. L'archevéque de Paris , Juigné, prélat
vertueux, bienfaiteur du peuple, mais privilé-
gié opiniátre , fut poursuivi , et contraint de
promettre sa réunion; il se rendit en effet a
l'assemhlée nationale, accompagné de l'arche-
véque de Bordeaux , prélat populaire et qui
devait plus tard devenir ministre.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 77
Le plus grand trouble se manifesta dans les


rangs ele la noblesse. Ses agitateurs ordinaires
enflammaíent ses passions ; d'Espréméníl pro-
posa de décréter le tiers-état , et de le faire
ponrsuivre par le procurenr-général; la mi-
norité proposa la réunion. Cette motion fut
rejetée au milieu du tumulte. Le duc d'01'-
léans appuya la proposition , apres avoir, la
veille , promis le contraire aux Polignacs *.
Quarante-sept memhres , résolus de se réunir
a l'assemblée générale malgré la décision de la
majorité , s'y rendirent en corps , et furent
1'e<;us au milieu de la joie publique. Cepen-
dant , malgré eette allégresse eausée par leur
présenee, leurs visages étaient tristes. « Nous
eédons a notre conscience , dit Clermont-Ton-
nerre , mais e'est avec douleur que nous nous
séparons de nos freres, Nous venons concou-
rir a la régénération publique; chacun de
uous vous fera connaitre le degré d'activité
que lui permet son mandato »


Chaque jour amenait de nouvelles réunions,
et l'assemblée voyait s'accroitre le nombre de
ses membres. Des adresses arrivaient de toutes
parts , exprimant le vceu et l'approbation des
vi Hes et des provinces. Mounier suscita celles


* Voyez Ferriéres.




78 nÉVOLUTJON FRANfAISE.
du Dauphiné. Paris fit la sienne; el le Palais-
Royal lui-méme envaya une députation, que
l'assemblée, entourée encore de dangers, re-
cut pour ne pas aliéner la multitude. Alors
elle n'en prévayait pas les exces ; elle avait
besoin au contraire de présumer son énergie
et d'en espérer un appui; beaucoup d'esprits
en doutaient, et le courage clu peuple n'était
encare qu'un réve heureux. Ainsi les applau-
dissements des tribunes, importuns souvent a
l'assemblée , l'avaient pourtant soutenue, et
on n'osa pas les empécher. BaiUy voulut ré-
clamer, on étouffa sa voix et sa motion par
de bruyants applaudissements,


La majorité de la noblesse continuait ses
séances au milieu du tumulte et du plus vio-
lent déchainement, L'épouvante se répandit
chez ceux qui la dirigeaient, et le signal de
la réunion partit de ceux mémes qui lui per-
suadaient naguere la résistance. Mais ses pas-
sions , déjá trop excitées, n' étaient point fa-
ciles a conduire. Le roi fut obligé d'écrire une
lettre; la cour, les grands, furent réduits a
supplier; la réunion sera passagere , disait-on
aux plus obstinés; des troupes s'approchent,
cédez pour sauver le roi. Le consentement fut
arraché au milieu du désordre, et la majorité
de la noblesse, accompagnée de la minorité du




ASSRMnLÉE CONSTITUANTE (1789)' 79
c1ergé, se rendit le 27 juin a l'assemblée gé-
nérale, Le due de Luxembourg, y parlant au
nom de tous , dit qu'ils venaient pour donner
au roi une marque de respect, et a la nation
une preuve de patriotisme. « La familJe est
complete, » répondit Bailly. Supposant que la
réunion était entiere , et qu'il s'agissait non de
vérifier, mais de délihérer en comrnun v i]
ajouta: ce Nous pourrons nous oeeuper, sans
reláche et sans distraction , de la régénération
du royaume et du bonheur publico ))


Plus d'un petit moyen fut encore employé
poul' paraitre n'avoir pas fait ce que la néces-
sité avait obligé de faire. Les nouveaux arri-
vés se rendaient toujours apres J'ouverture des
séances , tous en corps, et de maniere a figu-
rer un ordre. IIs affeetaient de se tenir debout
dcrriere le président , et de maniere a paraitre
ne pas siéger. Bailly, avec heaucoup de me-
sure et de fermeté, finit par vaincre toutes
les résistanees , et parvint a les faire asseoir.
On voulut aussi Iui disputer la présidenee,
non de vive force, mais tantót par une négo-
ciation secrete, tantót par une supercherie.
Bailly la retint , non par ambition, mais par
devoir; et 00 vit un simple citoyen, connu
seulernent par ses vertus et ses talents, prési-
del' tons les gl'ands du royaume et de I'église.




80 RIÍVOLUTION FRAN9AISE.
Il était trop évident que la révolution légis-


lative était aehevée. Quoique le premier diffé-
rend n'eút d'autre objet que le mode de véri-
fication et non la maniere de voter, quoique
les uns eussent déclaré ne se réunir que pour
la vérification eommune, et les autres, pour
obéir aux intentions royales exprimées le 23
juin, il était certain que le vote par tete deve-
nait inévitable , toute réc1amation était done
inutile et impolitique. Pourtant le cardinal de
Larochefoucauld protesta, au norn de la mi-
norité, et assura qu'il ne s'était réuni que pour
délihérer sur les objets généraux, et en con-
servant toujours le droit de former un ordre.
L'archevéque de Vienne répliqua avec vivacité
que la minorité n'avait rien pu décider en
l'absence de la majorité du c1ergé, et qu'elle
n'avait pas le droit de parler au nom de 1'01'-
dre. Mirabeau s'éleva avee force contre eette
prétention, dit qu'il était étrange qu'on pro-
testát dans l'assemblée eontre l'assemblée ; qu'il
fallait en reconnaitre la souveraineté, ou se
retirer.


Alors s'éleva la question des mandats im pé-
ratifs. La plupart des cahiers exprimaient le
vceu des électeurs a l'égard des réformes a
opérer, et rendaient ce vceu obligatoire pour
les députés. Avant d'agir, il fallait fher jus-




ASSEl\JBLÉE CONSTITU!\NTI, (1789)' 81
qu'a quel point on le pouvait ; cette question
devait done étre la premiere. Elle fut prise et
reprise plusieurs fois. Les uns voulaient qu'on
retournát aux commettants; les autrcs pen-
saient qu'on ne pouvait reeevoir des commet-
tants que la mission de voter pour cux, apres
que les objets auraient été discutes et éclaircis
par les envoyés de toute la nation , mais ils
ne croyaient pas qu'on pút recevoir d'avance
un avis tout fait. Si on eroit en effet ne pou-
voir faire la loi que dans un conseil général,
soit paree qu'on trouve plus de Iumieres en
s'élevant , soit paree qu'on ne peut avoir nn
avis que lorsque toutes les parties de la nation
se sont réciproquement entendues, il s'ensuit
qu'alors les députés doivent étre libres et sans
mandat obligatoire. Mirabeau , aeérant la rai-
son par l'ironie, s'écria qne ceux qui croyaient
les mandats impératifs avaicnt eu tort de ve-
nir, et n'avaient qu'a laisser leurs cahiers sur
leurs banes , et que ees eahiers siégeraient tout
aussi bien qu'eux. Sicyes , avee sa sagacité 01'-
dinaire, prévoyant que, malgré la décision
tres-juste de l'assemblée, un grand nombre de
memhres se replieraient sur leurs serments , et
qu'en se réfugiant dans leur conscience ils se
rendraient inattaquables, proposa I'ordre du
jour, sur le motif que chacun était juge de la


I. G




RÉVOLUTION FRAN9AISE.
valeur du serment qu'il avait prété, (( Ceux qui
se croient obligés par leurs cahiers, dit-il , se-
ront regardés comme absents , tout comme
ceux qui avaicnt refusé de faire vérifier leurs
pouvoirs en assernblée générale.» Cette sage
opinion fut adoptée. L'assemhlée , en contrai-
gnant les opposants, lenr eút fourni des pré-
textes, tandis qu'en les laissant libres, elle
était súre de les amener aelle, cal' sa victoire
était désormais certaine.


L'objet de la nouvelle convocation était la
réforme de l'état , c'est-a-dire , l'établissement
d'une constitntion, dont la France manquait,
malgré tont ce qu'on a pu dire. Si on appelle
ainsi toute espece de rapports entre les gou-
vernés et le gouvernement, sans doute la
France possédait une constitution ; un roi avait
cornmandé et des sujets obéi; des ministres
avaient emprisonné arbitrairement; des trai-
tants avaient per¡;u jusqu'aux derniers deniers
du peuple ; des parlements avaient condamné
des malheureux a la roue. Les peuples les plus
barbares ont de ces cspeces de constitution.
Il y avait en en France des états - généraux,
mais sans attributions précises , sans retours
assurés, et toujours sans résultats. Il y avait
eu une autorité royale, tour a tour nulle ou
absolue. Il y avait en des tribunaux ou cours




I\SSE:\JBLÉE CONSTlTVANTE (1789). 83
souveraines qui souvent joignaient au pouvoir
judiciaire le pouvoir législatif; mais il n'y avait
aucune loi qui assurát la responsabilité des
agents du pouvoir , la liberté de la presse, la
1iberté individuelle , toutes les garanties enfin,
qui, dans l'état social, remplacent la fiction de
la liberté naturelle ".


Le besoin d'une eonstitution était avoué , et
généralemcntsenti; tous les cahiers l'avaient
énergiquement exprimé, et s'étaient mérne ex-
pliqués formellement sur les principes fonda-
mentaux de eette constitution. Tls avaient una-
nimement prescrit le gouvernement monarchi-
que, l'hérédité de maje en mále , l'attribution
exclusive du pouvoir exécutif au roi, la res-
ponsabilité de tons les agents,.le concours de
la nation et du roi pour la eonfection des lois,
le vote de I'impót , et la liberté individueIle.
Mais ils étaient divisés sur la eréation d'une ou
de deux ehambres législatives; sur la perma-
nenee, la périodicité , la dissolution du eorps
législatif; sur l'existence politique du cIergé et
des parlements; sur I'étendue de la liberté de
la presse. Tant de qnestions OH résolues OH
proposées par les cahiers , annoncent assez
comhien l'esprit publie était alors éveillé dans


.. Voycz la note 3 a la fin du volume.
6.




84 R:ÉVOLUTION FRAN~AISE.
toutes les parties du royanme , el combien
était général et prononeé le voeu de la France
pour la Iiberté ". Mais une constitution en-
tiere a fonder au milieu des décombres d'une
antique législation, malgré toures les résis-
tances, et avec l'élan désordonné des esprits,
était une ceuvre grande et difficile. Outre les
dissentiments que devait produire la diversité ,
des intéréts, il y avait encore a redouter la di-
vergence naturelle des opinions. Une' législa-
tion tout entiere a donner a un grand peuple
excite si forternent les esprits , Ieur inspire des
projets si vastes, des esperances si chiméri-
ques, qu'on devait s'attendre ades mesures ou
vagues OH exagérées, et souvent hostiles. Pour
mettre de la suite dans les travanx, on nomrna
un comité chargé d'en mesurer I'étendue et
d'en ordouner la distribution. Ce comité était
composé des membres les plus modérés de
l'assemblée. Mounier, esprit sage, quoique .opi-
niátre, en était le membre le plus laborieux
et le plus iníluent ; ce fut luí qui prepara 1'01'-
dre du travail.


La difficulté de donner une constitutiou
u'était pas la seule qu'eút avaincre cette assern-
hlée. Entre un gouvernement mal disposé et


* Note 4 il la fin du volume.




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 85
un peuple affamé qui exigeait de prompts sou-
lagements, il était difficile qu'elle ne se mélát
pasde l'administration. Se défiant de l'autorité,
pressée de secourir le peuple, elle devait ,
méme sans ambition, empiéter peu a peu sur
le pouvoir exécutif, Déja le c1ergé lui en avait
donné l'exemple, en faisant au tiers-état la pro-
position insidiense de s'occuper immédiate-
ment dessubsistances. L'assemblée a peine
formée nomnía un comité des subsistances,
demanda au ministere des renseignements sur
cette matiere , proposa de favoriser la circula-
tion des denrées de province a province, de
les transporter d'office sur les lieux OU elles
manquaient, de faire des aumónes, et d'y pour-
voir par des emprllllts. Le ministcre fit con-
naitre les mesures efficaces qu'il avait prises,
et que Louis XVI, administrateur soigneux,
avait favorisées de tout son pouvoir. LalIy-
Tolendal proposa de faire des décrets sur' la
libre circulation ; aquoi Mounier ohjecta que
de tels décrets exigeraient la sanction royale,
et qne cette sanction , n'étant pas réglée, ex-
poserait a des diffienltés graves. Ainsi tous les
obstacles se réunissaicnt. II fallait fairc des lois
sans que les formes législatives fusseut fixées,
surveiller l'aclministration sans empiéter sur
l'autorité cxécutivc, ct suffire a tant d'embar-




86 .nÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
ras, malgré la mauvaise volonté du pouvoir ,
l'opposition des intéréts, la divergence des es-
prits, et l'exigence d'un peuple récemment
éveillé, et s'agitant a quelques lieues de l'as-
semblée dans le sein d'une immense capitale,


Un tres-petit espace sépare Paris de Ver-
sailles, et on peut le franchir plusieurs fois en
un jour. Toutes les agitations de París se fai-
saient done ressentir immédiatement a Ver-
sailles, a la cour et dans l'assemhlée. Paris of-
frait alors un spectacle nouveau et extraordi-
naire. Les électeurs, réunis en soixante dis-
tricts, n'avaient pas voulu se séparer apres les
élections, et ils étaient demeurés assemblés,
soit pour donner des instructions a leurs dé-
putés, soit par ce bcsoin de se réunir , de s'a-
giter, qui est toujours dan s le cceur des hom-
mes, et qui éclate avec d'autant plus de vio-
lence qn'il a été plus long-temps comprime.
Ils avaient en le méme sort que l'assemblée
nationale : le lieu de leur séance ayant été
ferrné , ils s'étaient rcndus dans unautre; en-
fin ils avaient obtenu l'ouvcrture '(te l'Hótel-
de-Ville, et la ils continuaient de se réunir et
de correspondre avec Ieurs dépntés. 11 n'exis-
tait point encoré de fenilles publiques, ren-
dant compte des séances de l'assemhlée na-
tionale; on avait besoin de se rapprocher pÚUl'




ASSElIIBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 87
s'entretenir et s'instruire des événcments, Le
jardin du Palais-Royal était le lieu des plus
fréquents rassemblements. Ce magnifique jar-
din, entouré des plus riches magasins de l'Eu-
rope, et formant une dépendance du palais
du duc d'Orléans, était le rendez-vous des
étrangers, des déhauchés, des oisifs, et surtout
des plus granas agitateurs. Les discours les
plus hardis étaient proférés dans les cafés ou
dans le jardin méme. On voyait un orateur
monter sur une table, et, réunissant la foule
autour de Iui , I'exciter par les paroles les plus
violentes, paroles toujours impunies , cal' la
multitude régnait la en souveraine. Des hom-
mes qu'on supposait dévoués au duc d'Orléans
s'y montraient des plus ardents. Les richesses
de ce prince, ses prodigalités connues, ses ern-
prunts énormes, son voisinage , son ambition,
quoique vague, tout a dú le faire accuser.
L'histoire , sans désigncr aucun nom, peut as-
surer du moins que l'OI' a été répandu, Si la
partie saine de la nation voulait ardcmment
la liberté, si la multitude inquiete el souf-
frante voulait s'agiter et faire son sort meil-
leur , il Y a eu aussi des instiguteurs -qui ont
quelquefois excité cette multitude et dirigé
peut-etre quelques-uns de ses coups. Du reste,
cette influcnce u'est point a compter parmi




88 RÉVOLUTION FRANl1AISE.
les causes de la révolution , cal' ce n'est pas
avec un peu d'or et des manoeuvres secretes
qu'on ébranle une nation de vingt-cinq mil-
lions d'hommes,


Une occasion de troubles se présenta bien-
tót. Les gardes-fraw:;aises, troupes d'élite des-
tinées a composer la garde du roí, étaient a
París. Quatre compagníes se détachaient al-
ternativement, et venaient faire leur service a
Versailles. Outre la sévérité barbare de la nou-
velle discipline, ces troupes avaient encore a
se plaindre de ceHe de leur nouveau colonel.
Dans le pillage de la maison Réveillon , elles
avaient bienmontré quelque acharnement con-


'tre le peuple, mais plus tard elles en avaient
éprouvé du regret, et, mélées tous les jours a
lui , elles avaient cédé a ses séductions. D'aíl-
leurs,soldats et sous-officierssentaient que toute
carriere leur était fermée; ils étaient hlessés
de voir leurs jeunes officiers ne faire presquc
aucun service , ne figurer que les jours de pa-
rade , et , apres les revues, nepas méme ac-
compagner le régiment dans les casernes. Il y
avait la cornrne ailJeurs un tiers-état qui suífi-
sait atout et ne profitait de rien. L'indiscipline
se manifesta , et quelques soldats furent enfer-
més a I'Abbaye.


011 se reunit au Palais-Hoyal 1'11 criaut ; á:




ASSEilInLÉE CONSTlTUANTE (J789)' 89
I'Abbaye! La multitude y courut aussitót. Les
portes en furent enfoncées, et on conduisit
en triomphe les soldats qu'on vcnait d'en ar-
racher ". Tandis que le peuple les gardait au
Palais-Royal , une Íettre fut écrite al'assemblée
pour demander leur liberté. Placée entre le
peuple d'une part, et le gouvernemcnt de
l'autre, qui était suspect puisqu'il allait agir
dans sa propre cause, l'assemblée ne pouvait
m~nquer d'intervenir , et de cornmettre un
empiétement en se mélant de la police publique.
Prenant une résolution tout a la fois adroite
et sage, elle exprima aux Parisiens ses vceux
pour le maintien du bon ordre, leur recom-
manda de ne pas le troubler, et en mérne
temps elle envoya une députation an roi pour
implorer sa cIémence, COIIlme un moyen in-
faillible de rétablir la concorde et la paix. Le
roi, touché de la modération de I'assemblée ,
promit sa clémence quand l'ordre serait réta-
bli. Les ganles-fran¡;aíses furent sur-le-charnp
replacés dans les prisons , et une gra.ce du roi
les en fit aussitót sortir.


Tout allait bien jusque-la , mais la noblesse,
en se réunissant aux deux ordres , avait cédé
avec regret, et sur la promesse que sa réunion


• 3u jum.




90 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
serait de courte durée. Elle s'assemblait tDUS
les jours encare, et protestait contre les tra-
vaux de l'assemblée nationale; ses réunions
étaient progressivement moins nombreuses ; le
3 juillet on avait cornpté 138membres présents ;
le 10 ils n'étaient plus que 93, et le 11, 80.
Cependant les plus obstinés avaient persisté ,
et le 11 ils avaient résolu une protestation que
les événements postérieurs les ernpéchérent de
rédiger. La cour, de son coté, n'avait pas cédé
sans regret et sans projet. Revenue de son ef-
froi apres la séance du 23 juin , elle avait voulu
la réunion générale pour entraver la marche de
l'assemblée au moyen des nobles, et dans
l'espérance de la dissoudre bientót de vive
force. Necker n'avait été conservé que ponr
couvrir par sa présence les trames secretes
qu'on ourdissait. A une certaine agitation, a
la réserve dont on usait envers lui, il se dou-
tait d'une grande machination. Le roi mérne
n'était pas instruir ele tout , et on se proposait
sans doute d'aller plus loin qu'il ne voulai t,
Necker, qui croyait que taute l'action d'uu
homme d'état devait se borner a raisonner , et
qui avait tout juste la force nécessaire panr
faire des représentations , en faisait inutilc-
ment. Uni avec Mounier , Lally -Tolendal et
Clcrmont-Tonnerre , ils méditaient tous en-




ASSEMllLÉE CONSTITUANTE (r789)' gr
semble l'établissement de la constítution an-
glaise. Pendant ce temps la cour poursuivait
des préparatifs secrets; et les députés nobles
ayant voulu se retirer, on les retint en lenr
parlant d'un événement prochain.


Des troupes s'approchaient; le vieux maré-
chal de Broglie en avait ref,;u le commande-
ment général, et le haron de Besenval avait
rc<,;u le commandement particulier de celles
qui environnaient Paris. Quinze régiments, la
plupart étrangers, étaient aux environs de la
capitale. La jactance des courtisans révélait le
danger, et ces conspirateurs, trop prompts a
menacer, compromettaient ainsi leurs proj ets.
Les députés populaires, instruits , non pas de
tous les détails d'un plan qui n'était pas connu
encore en entier, et que le roi lui-méme n'a
connu qn'en partie , mais qui eertainement
faisait craindre l'emploi de la violence, les dé-
putés populaires étaient irrités et songeaient
aux moycns de résistance. On ignore et on
ignorera probablemcnt toujours quelle a été
la part des moyens secrets dans l'insurrection
du 1 {~ juillet ; mais pen importe. L'aristocratie
conspirait , le partí populaire pouvait bien
conspirer aussi. Les moyens employés étant
les mérnes , reste la justice de la cause, et la
justice n'était pas pour ceux qui voulaient re-




R};VOLUTION FRAN~AISE.


venir sur la réunion des trois ordres , dissou-
dre la représentation nationale , et sévir centre
ses plus courageux députés.


Mirabeau pensa que le plus sur moyen d'in-
timider le pouvoir, c'était de le réduire a dis-
cuter publiquement les mesures qu'on lui
voyait prendre. Il fal/ait pour cela le dénoncer
ouvertement, S'il hésitait a répondre, s'il élu-
dait , iI était jugé; la nation était avertie et
soulevée,


Mirabeau fait suspendre les travaux de la
constitution , et propose de demander au roi
le renvoi des troupes. Il méle dans ses paroles
le respcct pour le monarque aux reproches
les plus séveres ponr le gouvernement. Il dit
que tous les jours des troupes nouvelles s'a-
vancent; que tous les passages sont interceptés;
que les ponts, les promenades sont changés
en postes militaires ; qne des faits publics et
cachés , des ordres et des contre-ordres préci-
pités frappent tous les yeux, et annouccnt la
guerreo Ajoutant a ces Iaits des reproches
amers : (( On montre, dit-il , plus d(~ soldats me-
nacants a la natíon, qu'une invasion de l'en-
nerni n'en rencontrcrait peut-étre , et milJe fois
plus du moins qu'on n'en a pu réunir ponr
secourir des arnis rnartyrs de leur fidélité , et
surtout pour conserver cette alliance des 1101-




ASSEilIULÉE CONSTITUANTE (1789)' 93
landais , si précieuse , si cherement conquise,
el si honteusement perdue.»


Son discours est aussitót couvert d'applau-
dissements;l'adresse qu'il propose est adoptée.
Seulement, comme en invoquant le renvoi des
troupes il avait demandé qu'on les remplacát
par des gardes hourgeoises , cet article est sup-
primé, l'adresse est votée a l'unanimité rnoins
quatrc voix. Dans cettc adresse, demeurée cé-
lebre, qu'il n'a , dit-on , point écrite, mais dont
il avait fourni toutes les idées a un de ses
amis , Miraheau prévoyait presque tout ce qui
allait arriver : l'explosion de la multitude, ct
la défection des tronpes par leur rapproche-
ment ave e les citoyens. Aussi adroit qu'auda-
cieux , il osait assurer au roi que ses promesses
ne seraient pointvaines : « Vous nous avez ap-
pelés, lui disait-il, pour régénérer le royaume;
vos vceux scront accornplis , malgré les piéges,
les difficultés, les périls i.. etc.»


L'adresse fut présentée par une députation
de vingt-quatre mernbres. Le roí, ne voulant
pas s'expliquer , répondit que ce rassemble-
ment de troupes n'avait d'autre objet que
le maintien de la tranquillité publique, et
la protection due a l'assemblée ; qu'au sur-
plus, si celle - ei avait encore des craintes,
il la transférerait a Soissons OH a Noyon,




94 nÉVOLUTION FRANl,;AISE.
et que lui-rnéme se rendrait a Compiegne.


L'assemblée ne pouvait se contenter d'une
pareille réponse, surtout de l' offre de l'éloi-
gner de la capitale pour la placer entre deux
camps. Le comte de Crillon proposa de s'en
fiel' ala parole d'un roi honnéte homme. «La pa-
role d'un roi honuéte homme, rcprit Mirabeau ,
est un mauvais garant de la conduite de son
ministere ; notre confiance aveugle dans nos
rois nous a perdus ; 110US avons demandé la
retraite des troupes et non afuir devant elles;
il faut insister encore, et saos reláche..


Cette opinion ne fut point appuyée.Mirabeau
insistait assez sur les moyens ouverts, pour
qn'on lui pardormát les machinations secretes,
s'il est vrai qu'elles aient été employées.


C'était le JI juillet; Necker avait rlit plu-
sieurs fois au roi que si ses services lui dé-
plaisaient, i] se retirerait avec soumission. « Je
prends votre parole ;» avait répondu le roí.
Le 11 au soir, Necker recut un Lillet oú
Louis XVI le sommait de tenir sa parale , le
pressait de partir, et ajoutait qu'il comptait
assez sur lui pour espérer qu'il cacherait son
départ atout le monde. Necker, justifiant alors
l'honorable confiance du monarque, part sans
en avertir sa société , ni méme sa filIe, et se
trouve en quelques heures fort loin de Ver-




..\SSEIIIBLÚC CONSTITUANTE (1789)' 95
sailles, Le lendemaiu 12 juillet était un di-
manche. Le bruit se répandit a Paris que
Necker avait été renvoyé, ainsi que MM. de
Montmorin, de La Luzerne, de Puységnr et de
Saint-Priest. On annoncait, pOllr les remplacer,
MM. de Breteuil, de La Vauguyon , de Broglie,
Foulon et Damécort, presque tous connus par
leur opposition a la canse populaire. L'alarme
se répand dans Paris. On se rend au Palais-
R.Pyal. Un jeune hornme , connu depuis par
son exaltation républicaine , né avec une ame
tendrc, mais houillante, Camille Desmoulius ,
monte sur une table , montre des pistolets en
criant aux armes, arrache une feuille d'arbre
dont il fait une cocardc, et engage tont le
monde a I'imiter, Les arbres sont aussitót dé-
pouiJIés, et on se rend dans un musée renfer-
mant des bustes en cire. On s'empare de ceux
de Necker et du duc d'Orléans , menaeé, disait-
on, de I'exil, et on se répand ensuite dans les
quartiers de Paris. Cette foule parcourait la
rue Saint-Honoré, lorsqu'elle reneontre, vers
la place Vendórne , un clétachement de Royal-
Allernand qui fond sur elle, blesse plusieurs
personnes, et entre autres un soldat des garcles-
francaises, Ces derniers , tout disposés pour
le peuple et contre le Royal-Allemancl, avec
lequel ils avaient eu une rixe les jours pré-




69 RÉVOLUTION FRAN(:AlSE.
cédents , étaient casernés pres de la place
Louis XV; ils font feu sur Royal-AlIemand. Le
prince de Lambesc, qui commandait ce régi-
ment , se replie aussitót sur le jardin des Tuile-
ríes, charge la foule paisiblc qui s'y promenait,
tue un vieillard au milieu de la confusion, et
fait évacuer le jardín. Pendant ce temps, les
troupes qui environnaient Paris se concentrent
sur le Champ-de-Mars et la place Louis xv.
La terreur alors n'a plus de bornes et se
change en fureur. On se répand dans la ville
en criant aux armes. La multitude court a
l'Hótel-de-Ville pour en demander. Les élec-
teurs composant l'assembléc générale y étaient
réunis. Ils livrent les armes qu'ils ne pon-
vaient plus refuser , et qu'on pillait déja al'ins-
tant oú ils se décidaient a les accorder. Ces
élecreurs composaient en ce moment la seule
autorité établie. Privés de tout pouvoir actíf,
íls prennent ceux que la circonstance exigeaít,
et ordonnent la convocatíon des districts.
Tous les citoyens s'y rendent ponr aviser aux
moycns de se préserver a la fois de la fureur
de la multitude et de l'attaque des troupes
royales. Pendant la nuit , le peuple, qui court
toujours ace qui I'intéresse , force el brúle les
barrieres, disperse les commis et rend toutes
les entrées libres. Les boutiques des armuriers




ASSElUBLÉE CONSTITUANTE (1789). 97
sont pillées. Ces brigands, déjá signalés chez
Réveillon, el qu'on vit, dans tontes les occa-
sions, sortir comme de dessous terre, repa-
raisscnt arrnés de piques et de bátons , el ré-
pandent l'épouvante. Ces événements avaient
eu líeu pendant la journée du dimanche 12
jnillet, et dans la nuit du dimanche au lundi
13. Dans la matinée du lundi , les électeurs,
toujours réunis a l'Hótel-de-Ville , croient de-
voir donner une forme plus légale a leur au-
torité; ils appellent, en eonséquence, le pré-
vót des marehands, administrateur ordinaire
de la cité. Celui-ci ne consent a céder que sur
une réquisition en forme. On le requiert en
cffet, et on lui adjoint un certain nombre d'é-
lecteurs ; on eompose ainsi une municipalité
revétue de tous les pouvoirs. Cette municipa-
lité mande auprés d'elle le lieutenant de po-
lice, et rédige en quelques heures un plan
d'armement pour la miliee bourgeoise.


Cette miliee devait étre eomposée de qua-
rante-huit mille hommes , fournis par les dis-
tricts. Le signe distinetif devait étre , au lieu
de la eocarde verte, la eoearde parisienne ,
rouge et hleue. Tont homme surpris en armes
et avcc eette eocarde, sans avoir été enrolé par
son district dans la garde bourgeoise, devait
étre arrété , désarrné et puni. Telle fut la pre-


l. 7




98 nÉVOLUTION FRANc,;:AtSE.
miere origine des gardes nationales, Ce plan
fut adopté par tous les districts, qui se háté-
rent de le mettre a exécution. Dans le courant
de la méme matinée, le peuple avait dévasté
la maison de Saint-Lazare pour y chercher des
grains; il avait forcé le garde-meuble pour y
prendre des armes, et en avait exhumé des
armures antiques dont il s'était revétu, 00
voyait la foule, portant des casques et des pi-
ques, inonder la ville. Le peuple se moutrait
maintenant ennemi du pillage; avee sa mobi-
lité ordinaire, il affeetait le désintéressernent,
il respeetait l'or, ne prenait que les armes, et
arrétait lui-mérne les brigands. Les gardes-
francaises et les mili ces du guet avaient offert
leurs services, et on les avait enrólés dans la
garde bourgcoise.


On demandait toujours des armes a grands
cris. Le prévót Flesselles, qui d'abord avait
résisté ases concitoyens, se montrait zélé rnain-
tenant, et promettait 12,000 fusils pour le
jour mérne , davantage pour les jours suivants.
Il prétendait avoir fait un marché avec un ar-
murier inconnu. La chose paraissait difficile
en songeant au peu de temps qui s'était écoulé.
Cependant le soir étant arrivé , les caisses d'ar-
tillerie annoncées par Flesselles sont conduites
1\ l'Ilótel- de - Ville; on les ouvre, et on les




ASSEMBLÉE CONSTITUANn: (1789). 99
trouve pleines de vieux linge. A cette vue, la
multitude s'indigne eontre le prévót , qui dit
avoir été trompé. Pour l'apaiser , il la dirige
vers les Chartreux, en assurant qu'elle y trou-
vera des armes. Les Chartreux étonnés recoi-
vent eette foule furieuse , l'introduisent dans
leur retraite , et parviennent a la convaincre
qu'ils ne possédaient rien de ce qu'avait an-
noncé le prévót.


Le peuple, plus irrité que jamais , revient en
criant a la trahison. Pour le satisfaire, on 01'-
donne la fabrication de einquante mille pi-
ques. Des poudres destinées pour Versailles
descendaient la Seine sur des bateaux; on s'en
empare, et un électeur en fait la distribution
au milieu des plus grands dangers.


Une horrible eonfusion régnait a cet Hotel-
de-VilIe, siége des autorités, quartier-général de
la miliee, et centre de toutes les opérations. Il
fallait a la fois y pourvoir It la súreté extérieure
menacée par la eour, a la súreté intérieure me-
nacée par les brigands; il fallait achaque ins-
tant calmer les soup<;ons du peuple , qui se
croyait trahi, et sauver de sa fureur ceux qui
exeitaient sa défiance. On voyait la des voitures
arrétées , des eonvois interceptés , des voya-
geurs attendant la permission de continuer
leur route. Pendant la nuit, l'Hótel-de-Ville





100 RÉVOLUTlON FRAN~AISE
fut encore une foís menacé par les brígands;
un électeur, le courageux Moreau de Saint-
Méry, chargé d'y veiller, fit apporter des barils
de poudre , et menaca de le faire sauter. Les
hrigands s'éloignerent a cette vue. Pendant ce
temps, les citoyens retires chez eux se tenaient
préts a tous les genres d'attaque ; ils avaient
dépavé les mes, ouvert des tranchées, et pris
tous les moyens de résister a un siége.


Pendant ces troubles de la capitale, la cons-
ternation régnait dans I'assemhlée, Elle s'était
formée le 13 au matin, alarmée des événe-
ments qui se préparaient, et ignorant encore
ce qui s'était passé aParis. Le député Mounier
s'éleve le premier contre le renvoi des minis-
tres. Lally-Tolendal lui succede a la tribune,
fait un magnifique éloge de Necker , et tous
deux s'unissent pour proposer une adresse
dans laquelle on demandera au roi le rappel
des ministres disgraciés. Un député de la no-
blesse, M. de Virieu, propose méme de con-
firmer les arrétés du J 7 juin par un nouveau
serment. M. de Clermont-Tonnerre s'oppose
a eette proposition, comme inutile; et , rappe-
lant les engagements déjá pris par l'assemblée,
s'écrie : « La constitution sera, ou nous ne
« serons plus. » La discussion s'était déja pro_
longée, lorsqu'on apprend les troubles dc Paris




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 10 1
pendant la matinée du 13, et les malheurs dont
la eapitale était menaeée, entre des Francais
indiseiplinés qui , selon l'expression du due de
Laroehefoueault, n' étaient dans la main de
personne, et des étrangers disciplinés , qui
étaient dans la main du despotisme. On arréte
aussitót d'envoyer une députation au roi, pour
lui peindrc la désolation de la capitale , et le
supplier d'ordonner le renvoi des troupes el
l'établissement des gardes bourgeoises. Le roi
fait une réponse froide et tranquille qui ne
s'aeeordait pas avec son coeur , et répete que
Paris ne pouvait pas se garder. L'assemblée
alors, s'élevant au plus noble courage, rend
un arrété mémorable dans lequel elle insiste
sur le renvoi des troupes, et sur l'établissement
des gardes bourgeoises, déclare les ministres
et tous les agents dn pouvoir responsables, fait
peser sur les couseils du roi , de quelque rang
qu'ils puissent étre , la responsabilité des mal-
heurs qui se préparent ; consolide la dette
publique, défend de prononeer le nom infame
de banqueroute , persiste dans ses précédents
arrétés , et ordonne au président d'exprimer
ses regrets a M. Neeker, ainsi qu'aux autres
ministres. Apres ces mesures pleines d'énergie
et de prudence, l'assemblée, pOUl' préserver
ses membres de toute violence persounelle ,




J 02 RÉVOLUTION FRAN<;:AISE.
se déclare en permanence, et nomme M. de
Lafayette vice - président, pour soulager le
respectable archevéque de Vienne, a qui son
age ne permettait pas de siéger jour et nuit,


La nuit du 13 au 14 s'écoula ainsi au milieu
du trouble et des alarmes. Achaque instant ,
des nouvelles funestes étaient données et con-
tredites ; on ne connaissait pas tous les projets
de la cour, mais on savait que plusieurs dé-
purés étaient menacés, que la violence allait
étre employée contre Paris et les membres les
plus signalés de l'assemblée. Suspcndue un ins-
tant, la séance fut reprise a cinq heures du
matin , 14 juillet. L'assemblée , avec un calme
imposant, reprit les travaux de la constitution,
discuta avec beaucoup de justesse les moyens
d'en accélérer l'exécution , et de la conduire
avec prudence. Un comité fut nommé pour
préparer les questions ; iL se composait de
MM. l'évéque d'Autun , l'archevéque de Bor-
deaux , LalLy, Clermont-Tonnerre, Mounier ,
Sieyes, Chapelier et Bergasse. La rnatinée s'é-
coula; on apprenait des nouvelIes toujours
plus sinistres; le roi, disait-on , devait partir
dans la nuit , et l'asscrnblée rester livrée a plu-
sieurs régiments étrangers. Dans ce moment ,
on venait de voir les princes , la duchesse de
Polignac et la reine, se promenant á l'Orau-




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789). 103
gerie, flattant les officiers et les soldats, et
leur faisant distribuer des rafraichissements, 11
parait qU'UIl grand dessein était concu pour la
nuit du 14 au 15, que Paris devait étre attaqué
sur sept points, le Palais-Boyal enveloppé, I'as-
semblée dissoute, et la déclaration du 23 juin
portée au parlement; qu'enfin il devait étre
pourvu aux besoins du trésor par la banque-
route et les billets d'état. JI est certain que les
commandants des troupes avaient recu l'ordre
de s'avancer du 14 au 15, que les billets d'état
avaient été fabriqués, que les casernes des
Suisses étaient pleines de munitions , et que le
gouverneurde la Bastille avait déménagé, ne
laissant dans la place que quelques meubles
indispensables. Dans l'apres-rnidi , les terreurs
de l'assemblée redoublerent ; on venait de voir
passel' le prince de Lambesc a toute hride ; on
entendait le bruit du canon , et on appliquait
l'oreille aterre poul' saisir les moindres hruits.
Mirabeau proposa alors de suspendre toute
discussion, et d'envoyer une seconde députa-
tion au roi. La députation partit aussitót pour
faire de nouvelles instances. Dans ce moment,
deux membres de l'assemblée, venus de Paris
en toute háte , assurerent qu'on s'y égorgeait;
l'un d'eux attesta qu'il avait vu un cadavre dé-
capité et revétu de noir. La nuit cornmencait




104 ltÉVOLUTION FRANYAISl'.


a se faire; on annon<;a l'arrivée de deux élec-
teurs, Le plus profond silence régnait dans la
salle; on entendait le bruit de leurs pas dans
l' obscurité; et on apprit de leur bouche que
la Bastille était attaquée, que le canon avait
tiré, que le sang coulait , et qu'on était me-
nacé des plus affreux malheurs. Aussitót une
nouvelle députation fut envoyée avant le re-
tour de la précédente. Tandis qu'elle partait ,
la premiere arrivait et rapportait la réponse
du roi. Le roi avait ordonné, disait-il , I'éloi-
gnement des troupes campees au Champ-de-
Mars, et, ayant appris la formation de la garde
bourgeoise, i] avait nommé des officiers pom
la commander.


A l'arrivée de la secondedéputation , le roi ,
toujours plus troublé , luí dít : « Messieurs ,
« vous déchirez mon coeur de plus en plus par
« le récit que vous me faites des malheurs de
« París. Il n'est pas possible que les ordres
« donnés aux troup.es en soient la cause. )1 On
n'avait obtenu encore que l'éloignement de
l'armée. Il était deux hcures aprés minuit, On
répondit a la viIIe de París « que deux dépu-
tations avaient été envoyées, et que les instan-
ces seraient renouvelées le lendemain ,jusqu'a
ce qu'elles cussent obtenu le succes qu'on avait
droit d'attendre du coeur du roi, lorsquc des




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (J 789)' 105
impressions étrangeres n'en arréteraient plus
les mouvements. » La séanee fut un moment
suspendue , el on apprit le soir les événements
de la journée du 14.


Le peuple, des la nuit du 13, s'était porté
vers la Bastille; quelques eou ps de fusil avaient
été tirés, et il parait que des instiga teurs avaient
proféré plusieurs fois le eri : A la Bastille! Le
voeu de sa destruetion se trouvait dans quel-
ques cahiers ; ainsi, les idées. avaient pris d'a-
vanee eette direction. On demandait toujours
des armes. Le bruit s'était répandu que l'Hótel
des Invalides en contenait un dépót considé-
rabIe. On s'y rend aussitót. Le eommandant,
M. de Sombreuil, en fait défendre l'entrée ,
disant qu'il doit demander des ordres a Ver-
sailIes. Le peuple ne veut rien entendre, se
préeipite dans l'Hótel , enleve les canons et
une grande quantité de fusils. Déja dans ce
moment une foule considérable assiégeait la
Bastille. Les assiégeants disaient que le canon
de la place était dirigé sur la ville, et qu'il fal-
lait empécher qu'on ne tirát sur elle. Le député
d'un district demande aétre introduit dans la
forteresse, et l'obtient du commandant. En
faisant la visite, il trouve trente-deux Suisses
et quatre -vingt - deux invalides, et recoit la
parole de la garnison de ne pas faire feu si




106 RÉVOLUl'ION FRAN~AISE.
elle n'est attaquée. Pendant ces pourparlers ,
le peuple , ne voyant pas paraitre son député ,
commence a s'irriter , et celui-ci est obligé de
se montrer pour apaiser la multitude. Il se
retire enfin vers onze heures du matin. Une
demi-heure s'était a peine écoulée, qu'une
nouvelle troupe arrive en armes, en criant:
(e Nous voulons la Bastille.» La garnison somme
les assaillants de se retirer, mais ils s'obstinent.


.Deux hornmes montent avec intrépidité sur le
toit du corps-de-garde, et brisent a coups de
hache les chaines du pont, qui retomhe. La
foule s'y précipite, et court a un second pont
pour le franchir de méme. En ce moment une
décharge de mousqueterie l'arréte : elle recule,
mais en faisant feu. Le combat dure.quelques
instants. Les électeurs réunis al'Hótel-de-Ville ,
entendant le hruit de la mousqueterie, s'alar-
ment toujours davantage, et envoient deux
députations, I'uue sur l'autre, pour sommer
le commandant de laisser introduire dans la
place un détachement de milicc parisienne ,
sur le motif que toute force militaire dans
Paris doit étre sous la main de la ville. Ces deux
députations arrivent successivernent. Au milieu
de ce siége populaire, iL était tres-difficile de
se faire entendre. Le bruit du tambour, la vue
d'un drapean suspendent quelque temps le




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 107
feu. Les députés s'avancent; la garnison les at-
tend, mais il est impossible de s'expliquer. Des
coups de fusil sont tirés , on ne sait d'oú, Le
peuple, persuadé qu'il est trahi, se precipite pour
mettre le feu a la place; la garnison tire alors
amitraille. Les gardes francaises arrivent avec
du canon et commeucent une attaque en forme.


.Sur ces entrefajtes , un billet adressé par le
baron de Besenval a Delaunay, commandant
de la Rastille, est intercepté et lu al'Hótel-de-
Ville. Besenval engageait Delaunay a résister,
lui assurant qu'il serait hientót secouru. C'était
en effet dans la soirée de ce jour que devaient
s'exécuter lesprojets de la cour. Cependant
Delaunay, n'étant point secouru, voyant l'a-
charnement du peuple, se saisit d'une meche
allumée et veut faire sauter la place. La gar-
nisons'y oppose" et l'oblige a se rendre : les
signaux sont donnés , un pont est haissé. Les
assiégeants s'approchent en promettant de ne
commettre aucun mal; rnais la foule se préci-
pite et envahit les cours, Les Suisses parvien-
nent ase sauver. Les invalides assaillis ne sont
arrachés ala fureur du peuple que par le dé-
vouement des gardes francaises, En ce moment,
une filie, belle , jeune et tremblante , se pré-
sente : on la suppose filie de Delaunay ; on la
saisit , et elle allait étre brúlée , lorsqu'un




108 RÉVOLUTION FRANYAISE.


brave soldat se précipite, l'arrache aux fu-
rieux ,court la mettre en súreté , et retourne á
la melée.


Il était cinq heures et demie. Les électeurs
étaient dans la plus cruelle anxiété, lorsqu'ils
entendent un murmure sourd et prolongé. Une
foule se précipite en criant victoire. La salle
est envahie; un garde-franc;aise, couvert de
blessures, couronné de lauriers, est porté en
triomphe par le peuple. Le réglement et les
clefs de la Rastille sont au bout d'une baíon-
nette ; une main sanglante, s'élevant au-dessus
de la foule, montre une houcle de col: c'était
celle du gouverneur Delaunay qui venait d'étre
décapité. Deux gardes - francaises , Elie . et
Hullin , l'avaient défendu jusqu'a la clerniere
extrémité. D'autres victimes avaient succombé,
quoique défendues avec héroísme contre la
férocité de la populace. Une espece de furenr
commencait aéclater contre Flesselles, le pré-
vót des marchands, qu'on accusait de trahison.
On prétendait qu'il avait trompé le peuple en
lui promettant plusieurs fois des armes qu'il
ne voulait pas lui donner. La salle était pleine
d'hommes tout bouilIants d'un long comba!',
et pressés par cent mille autres qui, restés au
dehors , voulaient entrer a leur tonr. Les élec-
teurs s'efforcaient de justifier Flesscllcs aux




ASSK~JJlLÉ¡': CONSTITUANTE (1789)' 109
yeux de la multitude. Il comrnencait a perdre
So"11 assurance , et déja tout pále il s'écrie :
«Puisque je suis suspeet, je me retirerai.»-
« Non, lui dit-on, venez au Palais-Royal, pour
y étre jugé.» Il descend alors pour s'y rendre.
La multitude s'ébranle, l'entoure, le presse. Ar-
rivé au quai Pelletier, un inconnu le renverse
d'un eoup de pistolet. On prétend qu'on avait
saisi une lettre sur Delaunay, dans laquelle
Flesselles lui disait : « Tenez bon, tandis que
j'amuse les Parisiens avec des cocardes. »


Tels avaient été les malheureux événements
de cette journée. Un mouvement de terreur
succéda bientót a l'ivresse de la victoire. Les
vainqueurs de la Rastille, étonnés de leur au-
dace, et eroyant retrouver le lendemainI'au-
torité formidable, n'osaient plus se nornmer.
Achaque instant on répandait que les troupes
s'avancaient pour saccager París. Moreau de
Saint-Méry , le méme qui la veille avait menacé
les brigands de faire sauter I'Hótel-de-Ville,
derneura inébranlable, et donna plus de trois
mille ordres en quelques heures. Des que la
prise de la Rastille avait été connue a l'H6tel-
de-Ville , les électeurs en avaient fait informer
I'assemblée, qui l'avait apprise vers le milieu
de la nuit. La séance était suspendue, mais la
nouvclle se répandit avec rapidité. La cour




110 RÉVOLUTION FRAN<,::AISE.


jusque-Ia , ne eroyant point a l'énergie da
peuple, se riant des efforts d'une rnultitude
aveugle qui voulait prendre une place vaine-


. ment assiégée autrefois par le grand Condé, la
cour était paisible et se répandait en railleries.
Cependant le roi comrnencait a étre inquiet;
ses dernieres réponses avaient méme décelé sa
douleur. Il s'était couché. Le duc de Liancourt,
si connu par ses sentiments généreux, était
l'ami partículier de Louis XVI, et , en sa qua-
lité de grand-maitre de la garde-robe, il avait
toujours acces aupres de luí. Instruít des évé-
nements de París, il se rendit en toute hate
aupres du monarquc, l'éveilla malgré les mí-
nistres , et luí apprit ce qui s'était passé. Quelle
révolte l s'écria le prince.-Sire, reprit le duc
de Liancourt , di tes révolution. Le roi, écIairé
par ses représentations , consentit a se remire
des le matin al'assemblée. La cour céda aussi ,
et cet acte de confiance fut résolu, Dans cet
intervalle , l'assemblée avait repris séance. On
ignorait les nonvelIes dispositions inspirées au
roi , et il s'agissait de lui envoyer une derniere
députation , ponr essayer de le toncher, et
obtenir de Iui tout ce qui restait encore a ac-
cordel'. Cette députation était la cinquieme
depuis ces funestes événemerits. Elle se COIl1-
posait de vingt-quatre rnembres, el allait se




AssE~rBLÉE CONSTITUANTE (17 89)' 1 1 1
mettre en marche, lorsque Mirabeau, plus vé-
hément que jamais, l'arréte : « Dites au roí,
« s' écrie-t-il, dites-lui bien que les hordes étran-
« geres dont nons sommes investis out recu
« hier la visite des priuees , des princesses, des
« favoris, des favorites , et leurs caresses, et
« leurs exhortations, et leurs présents. Dites-lui
« que toute la nuit ees satellites étrangers,
« gorgés d'or et de vin, out prédit , dans leurs
« chants impies, I'asservissement de la Franee,
« et que leurs vceux brutaux invoquaient la
« destruction de l'assemblée nationale. Dites-
« lui que dans son palais rnéme , les eourtisans
« ont melé leurs danses au son de eette mu-
« sique barbare, et que telle fut l'avant-scene
« de la Saint-Barthélemi!


« Dites-Iui que ee Henri dont l'univers bénit
« la mémoire, eelui de ses aíeux qu'il voulait
« prendre pour modele, faisait passer des ví-
« vres dans París révolté, qu'il assiégeait en
« personne; et que ses eonseillers féroees font
« rebrousser les farines que le eommeree ap-
« porte dans Paris fidele et affamé. ))


La députation allait se rendre aupres du roi,
lorsqu'on apprend qu'il arrive de son propre
mouvernent , sans gardes et sans escorte. Des
applaudissements retentissent : « Attendez , re-
« pre!HI Miraheau avec gravité, que le roí




1 J 2 nÉVOLUTION FRANgAISE.


« nous ait fait connaitre ses bonnes disposi-
« tions. Qu'un morne respect soit le prernier
« accueil fait au monarque dans ce moment de
( douleur. Le silence des peuples est la lecon
« des rois. )J


Louis XVI se présente alors accompagné de
ses deux freres. Son discours simple et tou-
chant excite le plus vif enthousiasme. JI rassure
I'assemblée , qu'il nomme pour la premiére fois
assemblée nationale; se plaint avec douceur
des méfiances qu'on a concues : ( Vous avez
craint, leur dit-il , eh bien! c'est moi qui me
fie a vous. » Ces mots sont couverts d'applau-
dissements. Aussitót les députés se levent , en-
tourent le monarque, et le reconduisent a
pied jusqu'au chatean. La foule se presse autour
de lui , les larmes coulent de tous les yeux, el
il peut a peine s'ouvrir un passage a travers
ce nombreux cortége. La reine, en ce moment,
placée avec la cour sur un baleon , eontem-
plait de loin cette scene touchante. Son fils
était dans ses hras ; sa fille, debout ases cótés ,
jouait naívement avec les cheveux de son frere.
La princesse , vivement émue, semblait se
eomplaire dans cet arnour dcsFrancais. Hélas !
combien de fois un attendrissement réciproque
n'a-t-il pas réconcilié les coeurs pendant ces
funestes discordes! Pour un instant tout sem-




ASSEMBLÉE CONSTITUANTJ<; (1789)' ,,3
blait oublié; mais le lendemain, le jour méme ,
la cour était rendue a son orgueil , le peuple a
ses méfiances, et l'implacable haine recom-
mencait son cours.


La paix était faite avec l'assemblée, mais il
restait ala faire avec París, L'assemblée envoya
d'abord une députatiou al'Hótel-de-Ville , pour
porter la nouvelle de l'heureuse réconciliation
opérée avec le roi. Bailly, Lafayette, Lally-
Tolendal ,étaiellt du nombre des envoyés. Leur
présence répandit la plus vive allégresse. Le
discours de Lal1y fit naitre des transports si
vifs, qu'on le porta en triomphe a une fenétre
de I'Hótel-de-Ville pour le montrer au peuple.
Une couronne de íleurs fut placée sur sa tete,
et il recut ces hommages vis-a-vis la place méme
oú avait expiré son pére avec un báillon sur
la bouche. La mort de I'infortuné Flcsselles ,
chef de la municipalité , et le refus du duc
d'Aumont d'accepter le commandement de la
milice bourgeoise , laissaient un prévót et un
commandant-général anommer. Bailly fut dé-
signé, et au milieu des plus vives acclarnations ,
il fut nommé succcsseur de Flesselles , sous le
titre de maire ele Paris. La couronne qui avait
été sur la tete de Lally passa sur celle du
nouveau maire ; il voulut l'en arracher , mais
I'archevéque de Paris l'y retínt malgré luí. Le


1 R




,


I 14 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
vertueux vieillard laissa alors échapper des
larmes , et il se résigna 11 ses nouvelles fonc-
tions. Digne représentant d'une grande assem-
blée, en présence de la majesté du treme, il
était moins capable de résister aux orages d'une
commune , oú la multitude luttait tumultuen-
sement contre ses magistrats. Faisant néan-
moins abnégation de lui-méme , il allait se livrer
au soin si difficile des subsistances , et nourrir
un peuple qui devait l'en payer par tant d'in-
gratitude. Il restait 11 nommer un eommandant
de la milice. Il y avait dans la salle un buste
envoyé par l'Amérique affranehie a la ville de
París. Morcan de Saint-Méry le montra de la
main, tous les yeux s'y porterent , c'était celui
du marquis de Lafayette. Un eri général le
proclama cornmandant. On vota aussitót un
Te Deum , et on se transporta en foule aNotre-
Dame. Les nouveaux magistrats, l'archevéque
de Paris, les électeurs , mélés a des gardes-
francaises , ades soldats de la milice, marchant
sous le bras les uns des autres , se rendirent.
a l'antique cathédrale , dans une espece d'i-
vresse. Sur la route, des enfants-trouvés tom-
herent aux pieds de Bailly , qui avait beaucoup
travaillé pour les hópitaux; ils l'appelerent
leur pere. Bailly les serra dans ses bras , en les
nommant ses enfants. On arriva a l'église, on




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 115
eélébrala eérémonie, et chacun se répandit en-
suite dans la Cité, oii une joie délirante avait
succédé a la terreur de la veille. Dans ce mo-
ment, le peuple venait visiter l'antre , si long-
temps redouté , dont l'entrée était maintenant
ouverte. On pareourait la Bastille avec une
avide curiosité et une sorte de terreur. On y
eherehait des instruments de suppliee, des ca-
ehots profonds. On y venait voir surtout une
énorme pierre placée au milieu d'une prison
obseure et maréeageuse, et au centre de la-
quelle était fixée une pesante chaine.


Lacour,aussiaveugle dans ses craintes qu'elle
l'avait été dans sa eonfiance, redoutait si fort
le peupie, qu'a chaque instant elle s'imaginait
qu'une armée parisienne rnarchait sur Versail-
les. Le eomte d' Artois, la famille de Polignac ,
si chere a la reine, quittercnt alors la Franee,
et furent les premiers émigrés. Bailly vint ras-
surer le roí, et l'engagea au voyage de París,
qui fut résolu malgré la résistanee de la reine
et de la cour,


Le roi se disposa á partir. Deux cents députés
furent ehargés de l'aeeompagner. La reine Iui
fit ses adieux avec une profonde douleur. Les
gardes-du-corps l'escorterent jusqu'a Sévres ,
oú ils s'arréterent pour l'attendre. Bailly, a la
tete de la municipalité, le recut aux portes de


s.




1 1ti HÉVOLUTION FHAN<;AISIl.
Paris , et lui présenta les clefs, offertes jadis a
Henri IV. « Ce hon roi, lui dit Bailly, avait
conquis son peuple, c'est aujourd'hui le peuple
qui a reconquis son roi. » La nation ,législatrice
aVersailles , était armée aParis. Louis XVI, en
entrant, se vit entouré d'une multitude silen-
cieuse et enrégimentée. II. arriva a l'Hótel-de-
Ville ~, en passant sous une voúte d'épées
eroisées sur sa tete, en signe d'honneur. Son
discours fut simple et touchant. Le peuplc,
qui ne pouvait plus se contenir , éclata enfin ,
et prodigua au roi ses applaudissements ac-
contumés. Ces acclamations soulagerent un peu
le coeur du prince; il ne put néanmoins dis-
simuler un mouvement de joie en apereevant
les gardes-du-eorps, placés sur [esthauteurs de
Sevres ; et a son retour la reine, se jetant a
son con, l'embrassa eomme si elle avait craint
de ne plus le revoir,


Louis XVI, pour satisfaire en entier le vccn
puhlic, ordonna le retour de Necker et le ren-
voi des nouveaux ministres. M. de Liancourt ,
ami du roi , et son conseiller si utile , fut élu
président par l'assernblée. Les députés nobles,
qui, tout en assistant aux délibérations , refu-
saient encore d'y prendrc part, céderent enfin,


.. Ij juillet.




ASSFIUBLÉJ; CONST1TlJANTE (1 ]8DJ' 117
et donnerent leur vote. Ainsi s'acheva la con-
fusion des ordres, Des cet instant on pouvait
considérer la révolution comme accomplie. La
nation , maitresse du pouvoír législatif par
l'assemblée, de la force publique par elle-
méme , pouvait désormais réaliser tout ce qui
était utile a ses intéréts. C'est en refusant l'é-
galité de l'impót , qu'on avait rendu les états-
généraux nécessaires ; c'est en refusant un juste
partage d'autorité dans ces états, qu'on y avait
perdu toute influenee; e'est enfin en voulant
recouvrer cette influence, qu'on avait soulevé
Paris , et provoqué la nation tout entiere a
s'emparer de la force publique.







A.SSE:vIllLÉJo: CONSTITUANTE (1789)' I 19


CHAPITRE 111.


'I'ravaux de la mimicipalité de Paris. - Lafayette com-
mandant de la garde nationale; son caractére et son
róle dans la révolution. - Massacres dc-Foulon et de
Berthier. - Retour de Necker. - Situation et division
des partis et de leurs chefs, - Mirabeau; son caractére ,
ses projets et son génie. - Les brigands. - Troubles
dans les provinces et les campagnes. - Nuit du 4 aoút.
Abolition des droits féodaux et de tous les priviléges.
- DécIaration des droits de l'hornme. - Discussions
sur la constitution et sur le veto. - Agitation a Paris.
Rassemblement tumultueux au Palais-Royal.


CEPENDANT tout s'agitait dans le sein de la
capitale, oú une nouvelle autorité vcnait de
s'établir. Le méme mouvement qui avait porté
les électeurs a se mettre en action , poussait
toutes les classes aen faire autant. L'assemblée
avait été imitée par l'Hótel-de-Ville , l'Hotel-
de-Ville par les districts, et les districts par
toutes les corporations. Tailleurs, cordonniers,
boulangers, domestiques, réunis au Louvre, a
la place Louis XV, aux Champs-Élysées , déli-




120 nÉVOLUTION FnA.N~AISE.
béraient en forme, malgré les défenses réité-
rées de la municipalité. Au milieu de ces mou-
vements contraires, l'Hótel-de-Ville, combattu
par les districts , inquiété par le Palais-Royal,
était entouré d'obstacles , et pouvait a peine
suffire aux soins de son immense administra-
tion.Tl réunissait alui seull'autorité civile ,ju-
diciaire et militaire. Le quartier-général de la
mili ce y était fixé, Les juges, clans le premier
moment, incertains sur Ieurs attributions, lui
adressaient les accusés. Il avait méme la puis-
sanee législative, car il était chargé de se faire
une constitution. Bailly avait pour cet objet de-
mandé achaque district deux commissaires
qui, sous le nom de représentants de la com-
mune, devaient en régler la constitution. Pour
suffire a tant de soins, les élcctcurs s'étaient
partagés en divers comités; l'un, nommé co-
mité des recherches , s'occupait de la police;
l'autre , nommé comité des subsistances , s'oc-
cupait des approvisionnements, tache la plus
difficile et la plus dangereuse de toutes. Bailly
fut obligé de s'en occuper jour et nuit. Il fal-
lait opérer des achats continuels de blé, le faire
moudre ensuite, et puis le porter a París a
travers les campagnes affamées, Les convois
étaient souvent arrétés , et on avait besoin de
détachements nombreux pour cmpécher les pil-




ASSEIUBL.ÉE CONSTlTU ANTE (1 7H\»). J 2 J
lages sur la route et dans les marchés. Quoique
l'état vendit les blés aperte, afin que les bou-
langers pussent rabaisser le prix du pain, la
multitude n'était pas satisfaite : il fallait tou-
jours diminuer ce prix, et la disette de Paris
augmentait par cette diminution méme , paree
que les campagnes couraient s'y approvision-
ner. La crainte du Iendemain portait chacun
a se pourvoir abondarnrnent , et ce qui s'accu-
mulait dans les mains des uns manquait aux
autres. C'est la confiance qui háte les travaux
du eommerce, qui fait arriver les denrées , et
qui rend leur distribution égale et faciJe; mais
quand la confiance disparait , l'activité com-
mereiale cesse ; les objets n'arrivant plus au-
devant des besoins, ces besoins s'irritent ,
ajoutent la eonfusion a la disette, et cmpé-
ehent la bonne distribution du peu qui reste.
Le soin des subsistances était done le plus
pénible de tous. De cruels soucis dévoraient
Bailly et le comité. Tout le travail du jour suffi-
sait apeine au besoin du jour, et il fallait re-
commeneer le Iendemain avec les mémes in-
quiétudes.


Lafayette, commandant de la miliee hour-
geoise ", n'avait pas rnoins de peines. Il avait


* 1I avait été nomme 11 ce poste le 15 juillet, a l'Hótel
ue-Villc,




J 22 RÉVOLUTION l'llAN~AISE.
incorporé dans cette milice les gardes-fran-
caises dévoués a la révolution, un certain
nombre de Suisses, et une grande quantité
de soldats qui désertaient les régiments dans
l'espoir d'une solde plus forte. Le roí en avait
Iui-méme donné l'autorisation. Ces troupes
réunies composerent ce qu'on appela les com-
pagnies du centre. La milice prit le nom de
garde nationale, revétit l'uniforme, et ajouta
aux deux couleurs rouge et hleue de la cocarde
parisienne la couleur blanehe qui était celle
du roi. C'est la eette coearde tricolore dont
Lafayette prédit les destinées, en annoncant
qu'elle ferait le tour du monde.


C'est a la tete de cette troupe que Lafayette
s'efforca pendant deux années consécutives de
maintenir la tranquillité publique, et de faire
exécuter les lois que l'assemblée décrétait
chaque jour. Lafayette, issu d'une famille an-
cienne et demeurée pure au milieu de la cor-
ruption des grands; doué d'un esprit droit ,
d'une ame ferme, amoureux de la vraie gloire ,
s'était ennuyé des frivolités de la cour et de la
discipline pédantesque de nos arrnées. Sa pa-
trie ne lui offrant rien de noble atenter , il se
décida ponr l'entreprise la plus généreuse du
siecle , et il partit ponr l'Amérique le lende-
main du jour oú l'on répandait en Europe




ASS.El\JBLÚ CONSTJTUANTE (1789)' 123
qu'elle était soumise. Il y combattit a coté de
Washington, et décida l'affranchissement du
Nouveau-Monde par I'alliance de la France.
Hevenu dans son pays avec un nom europécn ,
accueilli a la cour eomme une nouveauté, iI
s'y montra simple et libre eomme un Arnéri-
cain. Lorsque la philosophie, qui n'avait été
pour des nobles oisifs qu'un jeu d'esprit, exi-
gea de lcur part des sacrifices , Lafayette pres-
que seul persista dans ses opinions, demanda
les états-généraux, eontribua puissamment a
la réunion des ordres, et fut nommé, en ré-
compense, commandant général de la garde
nationale. Lafayette n'avait pas les passions et
le génie qui font souvent abuser de la puis-
sanee: avec une ame égale, un esprit fin, un
systeme de désintéressement invariable, il était
surtout propre au role que les circonstances
lui avaient assigné, celui de faire exécuter les
lois. Adoré de ses troupes sans les avoir capti-
vées par la victoire, pie in de calme et de res-
sources au milieu des fureurs de la multitude ,
il maintenait l'ordre avec une vigilance infati-
gable. Les partis , qui l'avaient trouvé incor-
ruptible, accusaient son habileté, paree qu'ils
ne pouvaient accuser son caractere. Cependant
il ne se trompait pas sur les événements et sur
les hornmes , n'appréciait la cour et les chefs




124 RÉVOLUTION FRA.NI1AJSE.
de parti que ce qu'ils valaient, les protégeait
au péril de sa vie sans les estimer, et luttait
souvent sans espoir centre les factions, mais
avec la constance d'un homme qui He doit ja-
mais abandonner la chose publique, alors
meme qu'il n'espere plus pour elle.


Lafayette, malgré toute sa vigilance, ne
réussit pas toujours a arréter les fureurs po-
pulaires, Cal' quelque active que soit la force,
elle ne peut se montrer partout, contre un
peuple partout soulevé , qui voit dans chaque
homme un ennemi. Achaque instant les hruits
les plus ridicules étaient répandus et accrédi-
tés. Tantót on disait que les soldats des gardes-
francaises avaient été ernpoisonnés, tantót que
les farines avaieut été volontairement avariées,
ou qu'on détournait leur arrivée ; et ceux qui
se donnaient les plus grandes peines pom les
amenerdans la capitale, étaient obligés de com-
paraitre devant un peuple aveugle qui les acca-
blait d'outrages ou les couvrait d'applaudisse-
ments, selon les dispositions du momento Ce-
pendant il est certain que la fureur du peuplc
qui, en général, ne sait ni choisir ni chercher
long-temps ses victimes, paraissait souvent di-
rigée soit par des misérables payés, comme on
1'a dit , pour rendre les troubles plus graves en
les cnsanglantant, soit seulcrnent par des




ASSFMBLItE CONSTITUANTE (1789)' 125
hommes plus profondément haineux. Foulon
et Berthier furent poursuivis et arrétés .loin
de Paris, avec une intention evidente. 11 n'y
eut de spontané a leur égard que la fureur de
la multitude qui les égorgea. Foulon, ancien
intendant , homme dur et avide , avait commis
d'horribles exactions, et avait été un des mi-
nistres désignés pOllr succéder a Necker et a
ses co]Jeglles. Il fut arrété a Viry, quoiqu'il
eút répandu le bruit de sa mort. On le condui-
sit a París, en lui reprochant d'avoir dit qu'il
fallait faire manger du foin au peuple. On lui
mit des orties au cou, un bouquet de chardons
a la main, et une botte de foin derriere le dos.
C'est en cet état qu'il fut tralné a I'Hótel-de-
ViIle. Au mérne instant, Berthicr de Sauvigny,
son gcndre, était arrété a Cornpicgne , sur de
prétendus ordres de la cornmune de Paris ,
qui n'avaient pas été donnés, La communc
écrivit aussitót pOtIr le faire relácher , ce qui
ne fut pas exécuté. On l'achemina vers Paris,
dans le mornent al! Foulon était a l'IIotel-de-
Ville, exposé a la rage des furieux. La popu-
lace voulait l'égorger; les représentations de
Lafayette l'avaient un peu calmée , et elle COIl-
seutait a ce que Foulon füt jugé; rnais elle
demandait que le jugement fUt rendu a l'ins-
tant mérne , pOllr jOllir sur-le-champ de l'exé-




126 nÉvoLuTION FRAN(:,\.ISE.


cution. Quelques électeurs avaient été choisis
pour servir de juges; mais, sous divers pré-
textes , ils avaient refusé cette terrible magis-
trature, Enfin , on avait désigné Bailly et La-
fayette, qui se trouvaient réduits a la cruelle
extrémité de se dévouer ala rage de la popu-
lace, ou de sacrifier une victime. Cependant
Lafayette, avec beaucoup d'art et de ferrneté ,
temporisait encore; il avait plusieurs fois
adressé la parole ala multitude avec succes. Le
malheureux Foulon , placé sur un siége a ses
cótés , eut l'imprudence d'applaudir a ses der-
nieres paroles. « Voyez-vous , dit un témoin,
ils s'entendent. » A ce mot , la foule s'ébranle
et se précipite sur Foulon. Lafayette fait des
efforts iucroyables pour le soustraire aux as-
sassins; on le lui arrache de nouveau, et l'in-
fortuné vieillard est pendu a un réverbere. Sa
tete est coupée , mise au hout d'une pique, et
promenée dans Paris. Dans ce moment , Ber-
thier arrivait dans un cabriolet conduit par des
gardes, et poursuivi par la multitude. On luí
montre la tete sanglante, sans qu'il se doute
que c'est la tete de son beau-pére, On le con-
duit~d'Hotel-de-Ville, ou il prononee quelques
mots pleins de cOllrage et d'inclignation. Saisi
de nouveau par la multitude 1 i! se dégage un
moment , s'ernpare d'une arme, se défend avee




AssmlIBLÉE CONSTITUANTl: (J 789)' 1'27
fureur, et succombe hientót comme le malheu-
reux Foulon ': Ces meurtres avaient été con-
duits par des ennemis ou de Foulon, ou de la
chose publique; cal', si la fureur du peuple a
leur aspect avait été spontanée , comme la plu-
part de ses mouvements, leur arrestation avait
été combinée. Lafayette, rempli de douleur et
d'indignation, résolut de donner sa dérnission.
BailIy et la municipalité , effrayés de ce projet ,
s'ernpressereut de l'en détourner. Il fut alors
convenu qu'illa donnerait POUl' faire sentir son
mécontentement au peuple, mais qu'il se lais-
serait gagner par les instances qu'on ne man-
querait pas de lui faire, En effet, le peuple et
la milice l'entourerent , et lui promirent la
plus grande obéissance. Il reprit le comman-
dement a ces conditions ; et, depuis, il eut la
satisfaction d'empécher la plupart des troubles,
grace a son énergie et au dévouement de sa
troupe. .


Pendant ce temps, Necker avait rel{u aBale
les ordres du roi et les instances de l'assemblée.
Ce furent les Polignac qu'il avait laissés triorn-
phants a Versailles, et qu'il rencontra fugitifs
a Bale, qui, lespremiers, luí apprirent les
malheurs du tróne , et le retour subit de fa-


* Ces scénes curent lieu le 22 juillet ,




128 R]~VOLUTION FR AN~AISE.
veur qui l'attendait, Il se mit en route, et tra-
versa la Franee , traillé en triomphe par le peu-
pie, auquel , selon son usage, il rceominanda
la paix et le hon ordre. Le roi le rccut avcc
embarras, l'assernhlée avec empressement; et
il résolut de se renclre a Paris , ou i] dcvait
aussi avoir son jour de triomphc. Le projet
de Neeker était de dernander aux élecreurs la
graee et l'élargissement du baron ele Besenval,
quoiqu'il fút son ennemi. En vain Bailly , non
moins ennemi que lui des mesures ele rigueur,
mais plus juste appréeiateur des circonstances,
lui représenta le danger d'une teUe mesure, et
lui fit sentir que cette faveur, obtenue par
l'eritrainement , serait révoquée le lendernain
comme illégale, paree qu'un eorps administra-
tif ne pouvait ui condamner ni faire gdce;
Necker s'obstina, et fit l' essai de son iníluence
sur la capitale. 11 se rendit a l'Hótel-de-Ville
le 30 juillet. Ses espérances furent outre-pas-
sées, et il dut se eroire tout-puissant, en voyallt
les transports de la multitude. Tout ému, les
yeux pleins de larmes, il demanda une am-
nistie générale, q ui fut aussitót accordée par
acclamation. Lesdeux assemblées des électeurs
et des représentants se montrerent également
empressées; les élccteurs décrótérent l'arnnis-
tie générale, les représcntants de la commune




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE. (1789)' 129
ordonnerent la liberté de Bescnval. Necker se
retira eni vré , prenantt ponr lui les applaudis-
sements qui s'adressaient asa disgriice. Mais,
des ce jour , il allait étre détrompé : Mirabeau
lui préparait un cruel réveil. Dans l'assemblée,
dans les districts, un cri général s'éleva con-
tre la sensibilité du ministre, excusable, disait-
on, mais égarée. Le district de l'Oratoirc, ex-
cité, a ce qu'on assure , par Mirabeau , fut le
prernier aréclamer. On soutint de toutes parts
qu'un corps adrninistratif ne pouvait ni con-
danmer ni absoudre. La mesure illégale de
l'Hotel-de-Ville fut révoquée, et la détention
du baron de Besenval rnaintenue, Ainsi se vé-
rifiait l'avis du sage Bailly , que Necker n'avait
pas voulu suivre. .


Dans ce mornent , les partís cornmencaient
a se pronoueer davantage. Les parlernents , la
noblesse, le clcrgé, la cour , menacés tons de
la méme ruine, avaient confondu leurs inté-
réts et agissaient de concert. II n'y avait plus
a la cour ni le comlc d'Artois ni les Polignac.
Une sorte de consternation melée de désespoir
régnait dans l'aristocratie. N'ayant pu empécher
ce qu'elle appelait le mal, elle désirait mainte-
nant que le penple en commit le plus possi-
ble, pour amener le bien par l'exces méme de
ce mal. Ce systerne mélé de dépit et de per-


J. 9




130 RÉVOLUTION FRANqUS]'~'
fidie, qu'on appelle le pessmllsme politique,
commence chez les p~tis des qu'ils ont fait
assez de pertes pour renoncer a ce qui leur
reste, dans l'espoir de tout recouvrer. L'aris-
tocratie se mit des-lors a l'employer, et sou-
vent on la vit voter avec les membres les plus
violents du parti populaire,


Les circonstances font surgir les hommes.
Le péril de la noblesse avait fait naitre un dé-
fenseur pour elle. Le jeune Cazales , capitaine
dans. les dragons de la reine, avait trouvé en
lui une force d'esprit et une facilité d'expres-
sion inattendues. Précis et simple, il disait
promptement et convenablement ce qu'il fal-
lait dire; et on doit regretter que son esprit
si juste ait été consacré aune cause qui n'a eu
quelques raisons a faire- vaIoir qu'apres avoir
été persécutée. Le clergé avait trouvé son dé-
fenseur dans l'abbé Maury. Cet abbé, sophiste
exercé el inépuisabIe, avait des saillies heu-
reuses et beaucoup de sang-froid; il savait ré-
sister courageusement au tumulte, et audacieu-
sement a l'évidence. Tels étaicnt les moyens et .
les dispositions de l'aristocratie.


Le ministere était sans vues et sans projets,
Necker, ha! de la cour, qui le souffrait par
obligation, Necker seul avait non un plan, mais
un voeu. Il avait toujours désiré la constitu-




ASS}<~l\[nLÉE CONSTITUANTE (I7R~)), 13.
{iOH anglaise, la meilleure saos doute qu'on
piJt adopter, comme accommodement entre
le treme, l'aristocratie et le peuple ; mais eette
constitution, proposée par l'évéque de .Lan-
gres avant l'étahlissement d'une seulé assern-
blée, et refusée par les premiers ordres, était
devenue impossible. La haute noblesse ne vou-
lait pas des deux ehambres, paree qne c'était
une transaction ; la' petite noblesse , paree
qu'elle ne pouvait entrer dans la chambre-
haute; le parti populaire , paree que, tout ef-
frayé encore de l'aristocratie , il ne voulait lui
laisser .aucune inflnence. Quelques députés
senlement, les unsparmodération, lesautres
paree que cette idée leur était propre ,dési-
raient les institutions anglaiscs, el formaient
tout le parti du ministre, partí faible, paree
qu'i] n'ofTrait que dcsvues conciliatoires a des
passions irritécs, el q u'il n' opposait á ses adver-
saires que des raisonnements et aucun moyen
d'action.


Le partí populaire commencait a se diviser,
paree qu'il e()mmen~~á¡tavaincre. Lally-Tolen-
dal, Mounier, Mallouet et les autres partisans
de Necker approuvaient tout ce qui s'érait fait
jusque -Iá , paree que tout ce q ui s'était fait
avait amené le gouvernement· a leurs idées ,
c'cst-a-dirc a la constirution anglaise. Maintc-
~) ,




132 RÉVOLUTION FRANl,jAISJ.:.


nant ils jugeaient que c'était assez; réconciliés
avec le pouvoir, ils voulaient s'arréter. Le
partí populaire ne croyait pas au contraire de-
voir s'arréter encore. C'était dans le club Bre-
ton .... qu'il s'agitait avec le plus de véhémence.
Une co~viction sincere était le mobile du plus
grand nombre de ses..me.mbres; des préten-
tions personnelles commencaient néanmoins
a s'y montrer , et déja les mouvements de I'in-
térét individue] succédaient aux premiers élans
du patriotismo. Barnave, jeune avocat de Gre-
noble, doué d'un esprit clair, facile, et possé-
dant au plus haut degré le talent de bien dire,
formait avec les deux Lameth un triumvirat
qui intéressait par sa jeunesse, et qui bientót
infIua par son activité et ses talents. Duport,
ce jeune conseiller au parleme~t, qu'on a déja
vu figurer, faisait partie de leur association. 011
disait alors que Duport pensait tout ce qu'il
fallait faire, que Barnave le disait , et que les
Lameth ]'exécutaient. Cependant ces jeunes dé-
putés étaient amis entre eux, sans étre encore
ennemis prononcés de personne.


Le plus audacieux des chefs populaires ,
celui qui, toujours en avant, ouvrait les déli-


.. Ce club s'était formé dans les derniers jours de juin.
Il s'appela plus tard Société des amis de la Consutuuon,




ASSElIIBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 133
bérations les plus hardies, était Mirabeau. Les
absurdes institutions de la vieille monarehie
avaieut blessé des esprits justes et indigné des
cceurs droits; mais il n'était pas possible qu'elles
n'eussent froissé quelque ame ardente et irrité
de grandes passions, Cette ame fut celle de
Mirabeau, qui, rencontrant des sa naissance
tous les despotismes, celui de son pere , du
gouvernement et des tribunaux, employa sa
jeunesse ales combattre et a les hall'. II était
né sous le soleil de la Provence, et issu d'une
famiUe noble. De bonne heure il s'était fait
connaitre par ses désordres , ses querelles et
une éloquenee emportée. Ses voyages, ses ob-
servations , ses immenses leetures lui avaient
tout appris, et il avait tout retenu. Mais outré,
bizarre, sophiste méme quand il n'était pas
soutenu par la passion, il dcvenait tout autre
par elle. Promptement excité par la tribune et
la présence de ses contradietcurs, son esprit
s'enflammait : d'abord ses prernieres vues
étaient confuses, ses paro les entrecoupées, ses
ehairs palpitantes, mais bientót venait la lu-
miere ; alors son esprit faisait en un instant le
travail des années; et á la tribuno méme , tout
était ponr lui déeouverte, expression vive et
soudaine. Contrarié de nouveau, il revenait
plus pressant et plus clair, el présentait la




134 RÉVOLUTlON FRAN~AIS]"
vérité en images frappantes ou terribles. Les
circonstances étaient-elles difficiles, les esprits
fatigués d'une longue discussion, ou intimides
par le danger, un cri , un mot décisif s'échap-
pait de sa houche , sa tete se montrait ef-
frayante de laideur et de génie, et l'assemblée
éclairée ou raffennie rendait des lois, Oll pre-
nait des résolutions magnanimes.


Fiel' de ses hautes qualités, s'égayant de ses
vices, tour atour altier ou souple , il séduisait
les uns par ses ílatteries , intimidait les autres
par ses sarcasmes, et les conduisait tous a sa
suite par uue singuliere puissance d'cntraine-
mento Son parti était partout, dans le peuple ,
dans l'assemblée, daos la cour méme , dans
tous ceux enfin auxquels il s'adressait dans le
momento Se mélant íamilierement avec les
hommes, juste quand il fallait l'étre , iL avait
applaudi au talent naissant de Barnave , quoi-
qu'il n'aimát pas ses jeunes amis; il appréciait
I'esprit profane! de Sieyes, et caressait son hu-
meur sauvage; il redoutait dans Lafayette une
vio trop pure ; il détestait dans Necker un rigo-
risme extreme, une raison orguellleuse, et la
prétention de gouverner une révolution qu'il
savait lui appartcnir. Il airnait pea le ,dlle
d'Orléans et son ambition incerlaine; et ,
cornme on le yerra bientót , il n'eut jamais




ASSElIlBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 135
avec lui aucun intérét cornmun. Seul ainsi avec
son génie , il attaquait le despotis~e qu'il avait
juré de détruire. Cependant, s'il ne voulait pas
les vanités de la monarchie, íl voulait encore
moins de l'ostracisme des républiques; mais
n'étant pas assez vengé des grands et du pou-
voir, íl continuait de détruire. D'ailleurs, dé-
voré de besoins, mécontent du présent, il s'a-
vancait vers un avenir inconnu, faisant tout
supposer de ses talents, de son ambition , de
ses vices, du mauvais état de sa fortune, et
autorisant , par le cynisme de ses propos, tous
les soupc;;ons et toutes les calomnies.


Ainsi se divisaient la Franee et les partis. Les
premiers différends entre les députés popu-
Iaires eurent lieu á l'occasion des exces de la
muItitude. Mounier et Lally-Tolendal voulaient
une proclamation solennelle au peuple , pour
improuver ses exceso L'assernhlée , sentant I'inu-
tilité de ee moyen et la nécessité de ne pas in-
disposer la multitude qui l'avait soutenue, s'y
refusa d'abord ; mais , cédant ensuite aux ins-
tances de quclques-uns de ses membres, elle
finit par faire une proclamation qui, cornme
elle l'avait prévu , fnt tout-á-fait inutile, cal'
on ne calme pas avec des paroles un peuple
soulevé.


L'agitation était universelle. Une terreur




136 RÉVOLUTION FRANQAlSE.
subite s'était répandue. Le norn de ces brigands
qu'on avait vus apparaitre dans les di verses
émeutes était dans toutes les bouches, Ieur
ímage dans tous les esprits. La cour repro-
chait leurs ravages au parti popnlaire, le partí
populaire ala cour. Tout-á-coup des courriers
se répandent, et, traversant la France en tous
sens , annoneent que les brigands arriventet
qu'ils coupent les moissons avant leur rnatu-
rité. On se réunit de toutes parts, et en quel-
qlles jours la Franca entiere est en armes,
attendant les brigands qui n'arrivent pas. Ce
stratagerne ~ qui rendit universelle la révolu-
tian du 14 juillet , en provoquant I'armement
de la nation , fut attribué alors a tous les partis,
et depuis iL a été snrtout imputé au partí po-
pulaire qui en a reeueilli les résultats. Il est
étonnant qu'on se soit ainsi rejeté la respoll-
sabilité d'un stratageme plus íllgénieux que
coupable. On l'a mis sur le compte de Mirabeau ,
qui se fút applaudi d'en étre l'auteur , et qui
I'a pourtant désavoué. Il était assez dans le
caractere de l'esprit de Sieyes, et quelques-uns
ont ern que ce dernier l'avait snggéré au cinc
d'Orléans, D'autres enfin en ont accusé la conr
lis ont pensé que ces courriers eussent ét{·
arre tés a chaque pas, sans l'aveu du gOUV(T-
nemeut ; que la cour , n'ayant jamais cru la




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 137
révolution générale, et la regardant cornme
une simple érneute des Parisiens, avait voulu
armer les provinces pomo les opposer a Paris.
Quoi qu'il en soit , ce moyen tonrna au profit
de la nation , qu'il mit en armes et en état de
veiller a sa süreté et a ses droits.


Le peuple des vilJes avait sccoué ses entra-
ves, le peuple des campagnes voulait aussi
s.ecouer les siennes, Il refusait de payer les
droits féodaux; il poursuivit ceux des seigneurs
qui l'avaient opprirné ; il incendiait les chá-
teaux, brúlait les titres de propriété , et se li-
vrait dans quelques pays a des vengeances
atroces. Un accident déplorable avait surtout
excité eette effervescence universelle. Un sieur
de Mesmai, seigneur de Quincey, donnait une
féte autour de son chatean. Tout le peuple
des campagnes y était rassemblé, et se livrait
a la joie , lorsqu'un baril de poudre s'enílarn-
mant tout - a-eoup produisit une explosion
meurtriere. Cet accident , reconnu depuis ponr
un effet de I'imprudence, et non de la trahi-
son, fut imputé acrime au sieur de Mesmai. Le
bruit s'en répandit bientót , et provoqua par-
tout les cruautés de ces paysans, endurcis par
une vie misérable, et rendus féroces par de
longues souffrauces. Les ministres vinrent en
COl'pS faire it l'assernblée un tablean de l'état




138 nÉVOLUTION FRAN9AISE.
deplorable de la Franee, et lui demander les
rnoyens de rétablir l'ordre. Ces désastres de
tout genre s'étaient manifestés depuis le 14 juil-
let. Le mois d'aoút commencait , et il devenait
indispensable de rétablir l'action du gouverne-
rnent et des lois. Mais pour le tenter avee suc-
ces, il fallait commencer la régénération de
l'état par la réforme des institutions quí bles-
saient le plus vivement le peuple, et le dispo-
s.ent davantage ase soulever. Une partie de
la nation, soumise a l'autre, supportait une
foule de droits appelés féodaux. Les uns, qua-
lifiés utiles, obligeaient les paysans a des rede-
vanees ruineuses; les autres, qualifiés honori-
fiques, les soumettaient envers leurs seigneurs
h des respeets et a .des serviees humiliants.
C'étaient la des restes de la barbarie féodale,
dont l'abolition était due a l'humanité. Ces
priviléges, regardés eomme des propriétés,
appelés méme de ee nom par le roi, dans la
déclaration du 23 juin , ne pouvaient étre abolís
par une discussion. Il faUait, par un rnou ve-
ment subit et inspiré, exciter les possesseurs
a s'en dépouiller eux-mémes.


L'assernblée discutait alors la fameuse déc1a-'
ration des droits de l'hornme. On avait d'abord
agité s'il en serait faít une, et on avait décidé,
le 4 aoút au matin , qu'elle serait faite el placée




ASSEMBLJ-:E CONSTITUANTE (1789). 139
en tete de la constitution. Dans la soirée du
méme jour, le comité fit son rapport sur les
trouLles et les moyens de les faire cesser. Le
vicomte de Noailles et le due d' Aiguillon, tous
deux membres de la noblesse , montent alors
a la tribune, et représentent que c'est peu
d'employer la force pour ramener le peuple,
qu'il faut détruire la cause de ses maux, et que
I'agitation qui en est la suite sera aussitót cal-
mée. S'expliquant enfin plus c1airement, ils pro-
posent d'abolir tous les droits vexatoires qui,
sous le titre de droits féodaux, écrasent les
campagnes. M. Leguen de Kerengal, proprié-
taire dans la Bretagne, se présente ala tribune,
en habit de cuItivateur, et fait un tablean ef-
Irayant dn 1'(~gime féodal. Aussitót la généro-
sité excitée chcz les uns, I'orgueil engagé chez
les autres, amenent un désintéressement subit;
chacun s'élance ala trihune pour abdiquer ses
priviléges. La noblesse donne le premier exern-
pie; le c!ergé, non moins empressé , se háte de
le suivre. Une espece d'ivresse s'ernpare de
l'assemblée; mettant de coté une discussion
superflue, et qui n'était ccrtainement pas né-
cessaire pour démontrer la justice de pareils
sacriíices , tous les ordres, tontes les classes ,
tous les possesseuI's de prérogatives quelcon-
ques, se háteut de faire aussi leurs renoneia-




Il~o RÉVOLUTION FRAN<,,;AIS¡':.
tions. Aprés les députés des premiers ordres ,
ceux des communes viennent aleur tour faire
leurs offrandes. Ne pouvant immoler des pri-
viléges personnels , ils offrent ceux des pro-
vinces et des viIIes. L'égalité des droits , réta-
blie entre les individus, l'est ainsi entre toutes
les parties du terriroire. Quelques-uns appor-
tent des pensions, et un membrc du parlement,
n'ayant rien a donner, promet son dévoue-
ment a la chose publique. Les marches du
bureau sont couvertes de députés qui vien-
nent déposer I'acte de leur renonciation; on
se contente pour le moment d'énumérer les
sacrifices , et on remet au jour suivant la ré-
daction des articles. L'entralnement était géné-
ral, mais au milieu de cet enthousiasme il était
facile d'apercevoir que certains privilégiés peu
sinceres voulaient pousser les choses au pire.
Tout était a craindre de l'effet de la nuit et
de l'impulsion dounée , lorsque Lally-Tolendal,
apercevant le danger, fait passer un billet au
président. « Il faut tout redouter , lui dit-il, de
l'entralnement de l'assernblée : levez la séance. »
Au méme instant, un député s'élance vers lui ,
et , lui serrant la main avec émotion, lui dit :
« Livrez-nous la sanction royale , et nous sorn-
mes amis. )) Lally - Tolendal ,sentant alors le
besoin de rattacher la révolution au roi , pro-




ASS:EMIlLÉ.E CONSTITUANTE (I7S9)' 141
pose de le proclamer restaurateur de la liberté
francaise. La proposition est accueillie avcc
enthousiasme ; un Te Deum est décrété , et 00
se sépare enfin vers le milieu de la nuit.


On avait arrété pendant cette nuit mémo-
rabIe:


L'abolition de la qualité de serf;
La faculté de rcmbourser les droits seigneu-


rraux ;
L'abolition des juridictions seigoeuriales ;
La suppression des droits exclusifs de chasse ,


de colombiers, de garenne, etc.;
Le rachat de la dime;
L'égalité des impóts ;
L'admission de tous les citoyens aux emplois


civils et militaires ;
L'abolition de la vénalité des offices ;
La destruction de tous les príviléges de villes


et de provinces ;
La réformation des juraudes ;


, Et la suppression des pensions obtenues sans
titres.


Ces résolutions avaient été arrétées sous
forme générale, mais il restait a les rédiger
en décrets ; et e'est alors que, le premier élan
de générosité étant passé , chacun étant rendu
a ses penchants, les uns devaient chercher a
étendre , les autres a resserrer les concessions




142. RÉVOLUTION FHANlfAISE.


obtenues. La discussion devint vive, et une
résistance tardive et mal entendue fit évanouir
toute reconnaissance.


L'abolition des droits féodaux avait été con-
venue, mais il fallait distinguer, entre ces droits,
lesquels seraient abolis ou rache tés. En abor-
dant jadis le territoire, les conquérants, pre-
miers auteurs de la noblesse, avaient imposé
aux hommes des services, et aux terres des
tributs. Ils avaient méme occupé une partie
du sol, el ne l'avaient que successivernent res-
titué aux cultivateurs , moyennant des rentes,
perpétuelles. Une longue posscssion, suivie de
transmissions nombreuses, constituant la pro-
priété, toutes les charges imposées aux hommes
et aux tcrres en avaient acquisle caractere.
L'assemblée constituante était done réduite ;1
attaquer les propriétés. Dans cette situation ,
ce n'était pas comme plus ou moins bie'aac-
quises, mais comme plus ou moins onéreuses
a la société, qu'elle avait a les jllger. Elle abo-
lit les services personnels ; et plusieurs de ces
services ayant été changés en redevances, elle
abolit ces redevances. Parrni les tributs impo-
sés aux terres , elle supprima ceux qui étaient
évidemment le reste de la servitude , comrne
le droit imposé sur les transmissions ; et ene
declara rachetables toutes les rentes perpé-




ASSElIlBLÉE CONSTITlJ ANTE (1789). 143
tuelles , qui étaient le prix auquel la noblesse
avait jadis cédé aux eultivateurs une partie du
territoire. Rien n'est done plus absurde que
d'aecuser l'assemblée constituante d'avoir violé
les propriétés , puisque tout l'était devenu; et
il est étrange que la noblesse , les ayant si
long-temps violées, soit en exigeant des tri-
buts, soit en ne payant pas les impóts , se mon-
trát tout-á-coup si rigoureuse sur les prin-
cípes, quand il s'agissait de ses prérogatives.
Les justices seigneuriales furent aussi appelées
-propriétés , puisque depuis des siecles elles
étaient transmises en héritage; mais l'assem-
blée ne s'en laissa pas imposer par ce titre, et
les abolit, en ordonnant cependant qu'elles
fussent maintenues jusqu'a ce qu'on eút pourvu
a leur remplaeement.


Le droit exclusif de chasse fut aussi un oh-
jet de vives disputes. Malgré la vaine objec-
tion que bientót toute la population serait en
armes, si le droit de chasse était aecordé,
il fut rendu a chacun dans I'étenduo de ses
champs. Les eolombiers privilégiés furent éga-
lement défendus. L'assemblée décida que cha-,
cun pourrait en avoir, mais qu'a l'époque des
moissons les pigeons pourraient étre tués,
cornme le gibier ordinaire, sur le territoire
qu'ils iraient parcourir. Toutes les capitaineries




) 11[1 nÉVOLUTION FnAN~.\lSJ'.
furent abolies, et on ajouta cependant qu'il
serait pourvu aux plaisirs personnels du roi,
par des moyens compatibles avec la liberté et
la propriété.


Un article excita surtout de violents débats,
acause des questions plus importantes dont il
était le prélude, et des intéréts qu'il attaquait;
c'est celui des dimes. Dans la nuit du 4 aoút ,
l'assemblée avait déclaré les dimes rachetables.
Au mornent de la rédaction, elle voulut les
abolir sans rachat, en ayant soin d'ajouter qu'il
serait pOllrvu par l'état a l'entretien du clergé.
Sans doute il y avait un défaut de forme dans
cette décision , cal' c'était revenir sur une ré-
solution déja prise. Mais Garat répondit acette
objectiou , que c'était la un véritable rachat,
puisqu'au lieu dú contribuable c'était l'état qui
rachetait la dime, en se chargeant de pourvoir
aux hesoins du clergé. L'abbé Sieyes, qu'on
fut étonné de voir parmi les défenseurs de la
dime, et qu'on He jllgea pas défenseur désin-
téressé de cet impót , convint, en effet, que
l'état rachetait véritahlement la dime, mais
qu'il faisait un vol a la masse de la nation, en
lui faisant supporter une dette qui ne devait
peser que sur les propriétaires fonciers, Cette
objection, présentée d'une maniere tranchante,
fut accompagnée de ce mot si amer et depuis




ASSf:'UBLÉE CONSTITlTANTE (1789)' 145
souvcnt répété : « Vous voulez étre libres,
et VOIIS ne savez pas étre justes. )) Quoique
Sicyes ne crút pas qu'il fút possible de répondre
a cette objection, Ia réponse était faeilc. La
dette du culte est celle de tons; convient-il de
la faire supporter aux propriétaires fonciers ,
plutót qu'á l'universalité des contribuables ,
c'est a I'érat a en juger. Il ne vole personne
en faisant de l'irnpót la répartition qu'il juge
la plus convenable. La dime, en écrasant les
petits propriétaires , détruisait l'agriculture;
l'état devait done déplacer eet impót ; c'est ee
que Mirabeau prollva ave e la rlerniére évi-
dence, l...e clergé , qui préférait la dime, paree
qu'il prévoyait bien que le salaire adjugé par
I'état serait mesuré sur ses vrais besoins , se
prétendit propriétaire de la dime par des con-
cessions immémorialcs; il renouvela ectte rai-
son si répétée de la longue possession qui ne
prouve rien, cal' tout , jusqu'a la tyrannie,
serait légitimé par la possession. On lui répon-
dit que la dime n'était qu'un usufruit , qu'elle
n'était point transmissible , et n'avait pas les
principaux caracteres de la propriété ; qu'elle
était évidemment un impót établi en sa faveur,
et que cet impót , l'état se chargeait de le
changer en un autre, L'orgueil du cIergé fut
révolté de l'idée de recevoir un salaire , il s'en


l. 10




146 RÉVOLUTlON FRAN~AISE.
plaignit avcc violence ; et Mirabeau , qui ex-
cellait alancer des traits déeisifs de raison el
d'ironie, répondit aux interrupteurs qu'il n~'
connaissait que trois moyens d'exister dans la ~
société : étre ou voleur, ou mendiant , ou sa-
larié. Le clcrgé sentit qu'il lui convenait d'a-
bandonner ce qu'il ne pouvait plus défendre.
Les curés surtout, sachan t qu'ils avaient tout
a gagner de l'esprit de justice qui régnait dan s
l'assemblée, et que c'était l'opulence des pré-
lats qu'on voulait particulierement attaquer,
furent des premiers a se désister. L'abolition
entiere des dimes fut done décrétée, sous la
condition que l'état se chargerait des frais du
culte, mais qu'en attendant la dime continúe-
rait d'étre peI'<;iue. Cette deruiere clause pleine
<1'égards devint, il est vrai, inutile. Le peuple
ne voulut plus payer, mais il ne le voulait déja
plus, mérne avant le décret; et quand l'assem-
blée abolit le régime féodal, il était déja ren-
versé de fait. Le 13 aoút , tous les articJes
furent présentés au monarque, qui accepta le
titre de restaurateur de la liberté francaise , et
assista au Te Deum, ayant a sa droite le pré-
sident, et a sa suite tous les députés.


Ainsi fut consommée la plus importante ré-
forme de la révolution. L'assemblée avait rnon-
tré autaut de force que de mesure. Malheureu-




ASSElHBLf;E CONSTITUANTE (1789)' 1!17
sement un peuple ne sait jamais rentrer avec
modération dans l'exercice de ses droits. Des
violcnces atroces furent commises dans tont le
royaume. Les cháteaux continuerent d' étre in-
cendiés, les campagnes furent inondées par
des chasseurs , qui s'empressaient d'exercer des
droits si nouveanx pour eux. Ils se répandirent
dans les champs naguére réservés aux plaisirs
de leurs seuls oppresseurs, et commirent d'af.
íreuses dévastations. Toute usurpation a un
cruel retour, et celui qui usurpe devrait y son-
gel', du rnoins pour ses enfants, qui presque
toujours portent sa peine. De nombreux acci-
dents eurent lieu. Des le 7 du mois d'aoüt, les
ministres s'étaient de nouveau présentés al'as-
semhlée pour luí faire un rapport sur l'état du
royaume.Lc garde des sceaux avait dénoncé les
désordres alarmants qui avaient éclaté ; Necker
avait révélé le déplorable état des finan ces .


•L'assemblée recut ce double message ave e tris-
tesse, mais sans découragement. Le 10, elle
rendir un décret sur la tranquillité publique,
par lequel les municipalités étaient chargées
de veiller au maintien de l'ordre , en dissipant
tous les attrotlpements séditieux. Elles de-
vaient livrer les simples perturbateurs aux tri-
b.unaux, mais emprisonner ceux qui avaient
répandu des alarrnes , allégné de faux ordres,


10.




148 REVOLUTION FRANt;:AISE.
ou excité des violences, et envoyer la procé-
dure a l'assemblée nationale, ponI' qu'on pút
rernouter a la cause des troubles. Les milices
nationales et les troupes réglées étaient mises
a la disposition des municipalités , et elles de,
vaient préter serment d'étre ifidéles a la na-
tion, au roí et a la Ioi , etc. C'est ce serment
qui fut appelé depuis le serrnent civique.


Le rapport de Necker sur les finances fut
extrérnement alarmant. C'était le hesoin des
subsicles qui avait fait recourir aune assemblée
nationale; cette assemblée apeine réunie était
entrée en lutte ave e le pouvoir ; et, ne songeant
qu'au bcsoiu pressant d'établir des garanties,
elle avait négligé celui d'assurcr les revenus de
l'état. Necker seul avait tout le souci des finan-
ces. Tandis que Bailly , chargé des subsistances
de la ca pitale , était dans les plus cruelles an-
goisses, Necker , tourmcnté de besoins moins
pI'essants, mais bien plus étenclus, Necker, en-
fermé dans ses pénibles calculs , dévoré de
mille peines, s'efforcait de pourvoir a la dé-
tresse publique; et, tandis qu'il ne songeait
qu'á des questions financieros, il ne cornprenait
pas que I'assernblée ne songeát qu'a des ques-
tions politiquee. Necker et l'assemblée , préoc-
cupés chacuu de leur objet, n'en voyaient ÍJas
d'autres. Cependant , si les alarmes de Nccker




,\SSEUBLÉE CONSTlTUANTE (1780).1 q9
étaient justifiées par la détresse actuelle, la
confiance de l'assemblée l'était par l'élévation
de ses vues. Cette assemblée, ernbrassant la
France et son avenir, ne pouvait pas croire que
ce beau royaume, obéré un instant, fút a ja-
mais frappé d'indigence.


Necker , en entrant au ministére , en aoút
1788, ne trouva que 400 mille franes au trésor.
JI avait, aforce de soins , pourvu au plus pres-
sant; et depuis , les circonstances avaient accru
les besoins en dirninuant les ressources. Il
avait fallu acheter des blés , les revendre au-
dessous du prix coútant , faire des aumónes
considérables, établir des travaux publies pour
occuper les ouvriers. Il était sorti du trésor
ponr ce dcrnier objet, jusqu'a douze mille
francs par jour. En mérne temps que les dé-
penses s'étaient augmentées, les recettes avaient
baissé. La réduction du prix dn sel, le retarrl
des paiements , et souvent le refus absolu d'ac-
quitter des irnpóts , la contrebande a force
armée, la destruction des barrieres, le pillage
méme des ·registres et le meurtre des eommis,
avaient anéanti une partic des rcvenus. En
conséquence , Necker demanda un cm prunt de
trente millions. La premiere impression fut si
vive, qu'on voulut voter l'ernprunt par accla-
mation ; mais ce premier mouvement se calma




150 RÉVOLUTION FRAN~USE.
hientót. On témoigna de la répugnance pour
de nouveaux emprunts, et on commit une es-
pece de contradiction en invoquant les cahiers
auxquels on avait déja renoncé, et qui défen-
daient de consentir l'impót avant d'avoir fait
la constitution; on alla méme jusqu'á faire le
caleul des sommes recues depuis l'année pré-
cédente, comme si on s'était défié du ministre.
Cependant la nécessité de pourvoir aux besoins
de l'état, fit adopter l'emprunt; rnais on chan-
gea le plan du ministre, et on réduisit l'intérét
aquatre et demi pour cent, par la fausse espé-
rance d'un patriotisme qui était dans la nation,
mais qui ne pouvait se trouver chez les pré-
teurs de profession, les seuls qui se livrent
ordinairement a ces sor tes de spéculations fi-
nancieres, Cette premiere faute fut une de celles
que comrnettent ordinairernent les assemblées,
quand elles remplacent les vues immédiates
du ministre qui agit, par les vues générales de
douze cents esprits qui spéculent. Il fut facile
d'apercevoir aussi que l'esprit de la nation
comrnencait déja a ne plus s'accommoder de
la timidité du ministre.


Apres ces soins indispensables donnés a la
tranquillité publique et aux finances , on s'oc-
cupa de la déclaration des droits. La premiere
idée en avait été fournie par Lafayette , qui




A.SSIDIllLÉE CONSTlTlJANTE (1789).151
lui - mérne l'avait ernpruntée aux Américains.
Cette discussion, interrompue par la révolution
du 14 juillet; renouvelée au 1er aoút , .inter-
rompue de nouveau par l'abolition du régime
féodal , fut reprise et définitivernent arrétée
le 12 aoút. Cette idée avait quelque chose
d'imposant qui saisit l'assemblée. L'élan des
esprits les portait a tout ce qui avait de la
grandeur; cet élan produisait leur bonne foi,
leur courage, leurs bonnes et leurs mauvaisee
résolutions. I1s saisireut done cette idée , et
voulurent la mettre a exécution, S'il de s'était
agi que d'énoncer quelques príncipes particu-
lierement méconmis par l'autorité dont on ve-
nait de secouer le joug , comme le vote de
I'impót , la liberté religieuse, la liberté de la
pr'esse, la responsabilité ministériel1e, rien
n'eút été plus facile. Ainsi avaient fait jadis
l' Amérique et l'Angleterre. La France aurait
pu exprimer eh quelques maximes nettes et
positives les nouveaux príncipes qu'elle im-
posait a son gouvernement; mais la Franee,
rompaut avec le passé, et voulant remonter a
l'état de nature , dut aspirer a donner míe
déclaration complete de tous les droits de
l'homme et du citoyen. On parla d'abord de
la nécessité et du danger d'une pareille décla-
ration, On discuta beaucoup el inutilement




152 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
sur ce sujet, cal' il n'y avait ni utilité ni danger
a faire une déclaration eomposée de formules
auxquelles le peuple ne comprenait rien; elle
n'était quelque ehose que pour un certain
nombre d'esprits philosophiques, qui ne pren-
nent pas une grande part aux séditions popu-
laires, Il fut enfin déeidé qu'elle serait faite et
plaeée en tete de l'aete eonstitutionnel. Mais
il fallait la rédiger, et e'était la le plus difficile-
Qu'est-ce qu'un droit? e'est ce qui est dú aux
hommes. 01', tout le bien qu'on peut leur faire
leur est dú ; toute mesure sage de gouverne-
ment est done un droit. Aussi tous les projets
proposés renfermaicnt la définition de la loi,
la maniere dont elle doit se faire, le principe
de la souveraineté, etc. On objectait 'tIue ce
n'était pas la des droits , rnais des maximes
générales. Cependant il importait d'exprirner
ces maximes, Mirabeau , impatienté , s'écria
enfin: « N'employez pas le mot de droits , mais
dités : Dans l'intérét de tous, il a été déclaré... ))
Néanmoins on préféra le titre plus imposant
de déclaration des droits , sous lequcl on eon-
fondit des maximes , des principes, des déíi-
nitions. Du tout 011 composa la déclaration
célebre placée en tete de la constitution de 91.
Au reste il n'y avait la qu'uu mal, celui de
perdre quelques séauccs a un lieu commuu




A~SEl\InLÜ CONSTITU ANTE (1789)' 153
philosophique. Mais qui peut reprocher aux
esprits de s'enivrer de leur objet? Qui a le droit
de mépriser l'inévitable préoccupation des pre-
miers instants?


Il était temps de commencer enfin les tra-
vaux de la constitution. La fatigue des préli-
minaires était générale, et déja on agitait hors
de I'assemblée les questions fondamentales. La
constitütion angIaise était le modele qui s'offrait
naturellement a beaucoup d'esprits, puisqu'elle
était la transaetion intervenue en Angleterre,
a la suite d'un débat sernblable , entre le roi,
I'aristocratie et le peuple. Cette eonstitution
consistait essentiellement dans l'établissement
de deux chambres et dans la sanction royale.
Les esprits dans leur premicr élan vont aux
idées les plus simples: un peuple qui déclarc
sa volonté , un roí qui l'exécute, leur paráis-
sait la seule forme légitime de gouvernement.
Donner a l'aristocratie une part égale a celle
de la nation , au moyen d'une chamhre haute;
conférer au roi le droit d'annuler la volouté
nationale , au moyen de la sanction , leur sem-
blait nne absurdité. La nation vela, le roi fait :
les esprits ne sortaient pas de ces éléments
simples, el ils croyaient vouloir la monarchie,
paree qu'ils Iaissaient un roi eommc exécuteur
des volontés nationalcs. La monarehie réelle,




154 ltÉVOLUTION FltAN9AISE.
telle qu'elle existe mérne dans les états réputés
libres, est la domination d'un seul, a laquelle
00 met des bornes au moyen du concours na-
tional. La volonté du prince y fait réellement
presque tout, et celle de la nation est réduite
aempécher le mal, soit en disputant sur l'im-
pót , soit en conconrant poilr un tiers a la loi.
Mais des I'instant que la nation peut ordonner
tout ce qu'elle veut, sans que le roi puisse «s
opposer par le velo, le roi n'est plus qu'un
magistrat. C'est alors la république [avec un
seul consul au Iieu de plusieurs. Le gouverne-
ment de Pologne, quoiqu'il y eút un roi, ne
fut jamais nommé une monarchie, mais une
république; il Y avait aussi un rOL a Lacédé-
mane.


La monarchie bien entendue exige done de
.grandes coneessions de la part des esprits. Mais
ce n'est pas apres une longue nullité, et dans
leur premier enthousiasme qu'ils sont disposés
a les faire. Aussi la république était dans les
opinious sans y étre nornmée , et on était répu-
blicain sans le croire,


On ne s'expliqua point nettement dans la
discussion : aussi, malgré le génie et le savoir
répandus dans l'assemblée , la question fut mal
traitée et peu entendue. Les partisans de la
constitution anglaise, Necker, Mounier, Lally,




A.SSE1I'1BLÉE CONSTITUANTE (1789). J 55
nc surcnt pas voir en qnoi devait consister la
mouarchie ; et quand ils l'auraient vu , ils n'au-
raient pas osé dire nettement al'assemblée que
la volonté nationale ne devait point étre toute-
puissante, et qu'elle devait ernpécher plutót
qu'agir. lis s'épuiserent a dire qu'il fallait que
le roi pút arre ter les usurpations d'une assem-
blée; que pour bien exéeuter la loi, et I'exé-
cuter volontiers, il fallait qu'il y eút coopéré;
et qu'enfin il devait exister des rapports entre
les ponvoirs exécutif et législatif. Ces raisons
étaient mauvaises ou tout au moins faibles. Il
était ridicule en effet, en reconnaissant la sou-
veraineté nationale, de vouloir lui opposer la
volonté unique du roi ",


Ils défendaient mieux les deux ehambres,
paree qu'en effet, méme dans une répnblique,
il y a de hautes classes qui doivent s'opposer
au monvement trop rapide des classes qui s'é-
levent, en défendant les institutions aneiennes
contre les institutions nouvelles. Mais cette
chambre haute, plus indispensable encore qne
la prérogative royale , puisqu'il n'y a pas
d' exemple de république sans un sénat , était
plus repousséeque la sanetion, paree qu'on
était plus irrité eontre l'aristocratie que contre


• Voyez la note 5 ala (in du volume.




156 ntvoLUTION FRAN~AISE.
la royauté, La chamhre haute était impossible
alors, paree que personne n'en voulait : la
petite noblesse s'y opposait, paree qu'elle n'y
pouvait trouver place; les privilégiés désespé-
rés, paree qu'ils désiraient le pire en toutes
choses ; le parti populaire, parce qu'il ne vou-
bit pas laisser a I'aristocratie un poste d'oú
elle dominerait la volonté nationale, Mounier,
Lally, Necker étaient presque seuls a désirer
eette ehambre haute. Sieyes , par l'erreur d'un
esprit absolu, ne voulait ni des dcux cham-
bres ni de la sanction royale. II concevait la
société tout unie : selon lui la rnasse , sans
distinction de c1asses, devait étre chargée de
vouloír, et le roí, eomme magistrat unique,
chargé d'exécutcr. Aussi était-il de bonne foi
quand il disait que la rnonarchie ou la répu-
blique étaient la mérne chose, puisque la dif-
férence n'était pour lui que dans le nombre
des magistrats chargés de l'exécution. Le ca-
ractere d'esprit de Sieyes était I'enchaiuemeut,
c'est-a-dire , la liaison rigoureuse de ses pro-
pres idées. 11 s'enteudait avec lui-méme , mais
nc s'entendait ni avec la nature des choses ni
avec les esprits différcnts du sien. Il les sub-
juguait par l'ernpire de ses maximes absolucs ,
mais les persuadait rarement ; aussi, ne' pou-
vant ni morceler ses systernes , ni les faire




ASSKMBLÉE CONSTl'rU ANTE (1789)' 157
adopter en entier, il devait hientót eoneevoir
de I'humeur. Mirabeau , esprit juste, prompt,
souple, n'était pas plus avancé en fait de seienee
politique que l'assemblée elle-cméme ; il re-
poussait les deux chambres, non point par
conviction , mais par la eonnaissance de Ieur
impossibilité actuelle , et par haine de l'aristo-
eratie. Il défendait la sanction par un penchant
monarchique; et il s'y était engagé des l'on-
verture des états, en disant que, sans la sane-
tion, il aimerait mieux vivre aConstantinople
qu'a Paris. Barnave, Duport et Lameth ne pou-
vaient vouloir la mérne ehose que Mirabeau,
lIs n'admettaient ni la chambre haute, ni la
sanction royale; mais ils n'étaient pas aussi
obstinés que Sieyes, et consentaient a modi-
fier leur opinion, en accordant au roi et a la
ehambre haute un simple veto suspensif', c'est-
á-diré, le pouvoir de s'opposer temporairement
a la volonté nationale , exprimée dans la charn-
hre basse.


Les prcmieres discussions s'engagerent le '28
et le 29 aoút, Le partí Bar-nave voulut traiter
avec Mounier , que son opiniátreté faisait chef
du parti de la constitution anglaise. C'était le
plus inflexible qu'il fallait gagncr, et c'est a lui
qu'on s'adressa. Des eonférenees eurent Iieu.
Quand on vit qu'il était impossible de changer




I 58 RÉVOLUTION rHAN\:AISE.
un!') opinion devenue en luí une habitude d'es-
prit , on consentit alors a ces formes anglaises
qu'il chérissait tant , mais a condition qu'en
opposant a la chambre populaire une chambre
haute et le roi, on ne donnerait aux deux
qu'un veto suspensif , et qu'en outre le roi ne
pourrait pas dissoudre l'assemblée. Mounier fit
la réponse d'un homme convaincu : il dit que la
vérité ne lui appartenait pas, et qu'il ne pouvait
en sacrifier une partie pour sauver l'autre. 11
perdit ainsi les deux institutions, en ne vou-
lant pas les modiíier. Et s'il était vrai, ce qu'on
yerra n'étre pas, que la constitution de 9 T ,
par la suppression de la chambre haute, ruina
le tróne , Mounier aurait de grands reproches
a se faire. Mounier n'était pas passionné , mais
obstiné; il était aussi absolu dans son systeme
que Sieyes dans le sien, et préférait tout per-
dre plutót que de céder quelque chose. Les
négociations furent rompues avec humeur. On
avait menacé Mounier de París, de l'opiníon
publique, et on partit, dit-il , pour al/el' exer-
cer l'influence dont on l'avait mcnacé '.


Ces questions divisaient le peuple cornme
les représentants, et, sans les comprendre, il
ne se passionnait pas moins pour elles. On les


• Voyez la note 6 ¡l la íin du volumc,




ASSEJ\IllLíE CONSTlTUANn: (1789)' 159
avait toutes résumées sous le mot si court et
si expéditif de veto. On voulait, ou on ne vou-
lait pas le veto, et cela signifiait qu'on vou-
lait ou qu'on ne voulait pas la tyrannie. Le
peuple , sans méme entendre cela, prenait le
veto pour un impót qu'il fallait abolir, OH
pour un ennemi qu'il fallait pendre, et il vou-
lait le mettre a la lanterne".


Le Palais-Royal était surtout dans la plus
grande fermentation. La, se réunissaient des
hommes ardents, qui, ne pouvant pas mérne
sllpporter les formes imposées dans les districts,
montaient sur une chaise, prenaient la parole
sans la demander, étaient sifflés ou portés en
triomphe par un peuple immense , qui a1lait
exécuter ce qu'ils avaient proposé. CamiHe
Desmoulins , déjá nommé dans cette histoire,
s'y distinguait par la verve, l'originalité et le
cynisme de son esprit; et , sans étre cruel, il
demandait des cruautés. OU y voyait encore
Saint-Hurugue, ancien marquis, détenu long-
temps a la Bastille pour des différends de fa-
mille, et irrité contre l'autorité jusqu'á I'alié-
nation. La, chaque jour, ils répétaient tous


* Deux habitantsxle la campagne parlaicnt du veto.
« --Sais-tu ce que c'cst quc Icveto? dit hm.-Non.-Eh
« hicn , tu as ton écuelle remplie de sonpe; le roi te dit :
« Ri~pands fa sonpc, et il faut qne tu la répandes. »




)60 I1ÉVOLUTION Fl\AN~A)SE.
qu'il fallait aIler ~lVersailles, pOllr y demander
eompte au roí et a l'assemhlée de leur hési-
tation a faire le bien du peuple. Lafayette avait
la plus grande peine a les contenir par des pa-
trouilles continuelles, La garde nationale était
déja accusée d'aristocratie. « Il n'y avait pas,
disait Desmoulins, de patrouille au Cérarni-
que.» Déjá méme le nom de CromweIl avait
été prononcé acoté de celui dc Lafayettc. Un
jour , le dirnanche 30 aoút , une motion est
faite au Palais - Rayal; Mounier y est accusé ,
Mirabeau y est presenté camme en danger, ct
l'on propase d'aller a Versailles veiller sur les
jours de ce dernier. Mirabeau cependant dé-
fendait la sanction, mais san s cesser son role
de tribun populaire , sans le paraitre moins
aux YCLJX de la multitur]e, Saint-Hurugue , ú la
tete de quelques exal tés, se parte sur la route
de Versailles. Ils veulent , disent-ils , engager
l'assemblée a casser ses iníideles représentants
pOli!' en nommer d'autres , et supplier le roi
et le daupbin de venir a París se mettre en
súreté au milieu du peuple. Lafayette accourt ,
les arréte et les oblige de rebrousser chernin.
Le lendemaiu lundi 3" ils se réunisscnt de
nouveau. lis font une aclresse a la communo ,
dans laquelle ils demandent la convocation des
districts pour irnprouver le veto et les députés




ASSE.l\IBL.Ú: CONSTlTUANTE (1789)' 1 () I
qui le soutiennent, pour les révoquer et en
nommcr d'autres a leur place. La comrnune
les repousse deux fois avec la plus grande
fermeté.


Pendant ce temps l'agitatian régnait dans
l'assernblée. Les mécontents avaient écrit aux
principaux députés 'des lettres pleines de me-
naces et cl'invectives ; l'une d'elles était sigriée
du nom de Saint -Hurugue. Le Iundi 31, ;l1'OU-
verture de la séance , Lally dénonca une dépu-
tation qn'il avait re<;ue du Palais-Royal. Cette
députation l'avait engagé ase séparer des mau-
vais citoyens qui défendaient le veto, et elle
avait ajouté qu'une armée de vingt mille hom-
mes était préte a marcher. Mounier lut aussi
des lettres qu'il avait recues de son coté, pro-
pasa de poursuivre les auteurs secrets de ces
machinations , et pressa l'assemblée d'offrir
cinq cent mille franes a celui qui les dénonce-
rait. La lutte fut tumultueuse. Dupart soutint
qu'il n'était pas de la dignité de l'assemblée
de s'occuper de pareils détails. Mirabeau lut
des lettres qui lui étaient aussi adressées , et
dans lesquelles les ennemis de la cause popu-
laire ne le traitaient pas mieux que Mounier,
L'assemblée passa a l'ordre du jour , et Saint-
TI m'ugue, signataire de l'une des lettres dé-
noricées, fut enfermé par ordre de la commune.


1. J r




162 RÉVOLUTION FRAN 9AISE.


On discutait a la foís les trois questions de
la permanenee des assemblées, des deux eham-
bres , et du veto. La permanenee fut votée a
la presque unanimité. Onavait trop souffert
de la longue interruption des assemblées na-
tionales, pour ne pas les rendre permanentes.
On passa ensuite a la grande question de l'u-
nité du eorps législatif. Les tribunes étaient
occupées par un pubIie nombreux et bruyant.
Beaucoup de députés se retiraient. Le prési-
dent , qui était alors I'évéque de Langres, s'ef-
force en vain de les retenir; ils sortent en
grand nombre. De toutes parts on demande a
grands cris d'aller aux voix. Lally réclame
encore une fois la parole : on la lui refuse,
en aecusant le présidcnt de l'avoir envoyé a la
tribune; un membre va méme jusqu'á deman-
der au président s'il n'est pas las de fatiguer
l'assemblée. Offensé de ces paroles, le prési-
dent quitte le fauteuil, et la discussion est en-
core remise. Le lendemain 10 septembre, on
lit une adresse de la ville de Rennes , décla-
rant le veto inadmissible, et traitres a la pa-
trie ceux qui le voteraient. Mounier et les
siens s'irritent, et propasent de gourmander
la municipalité. Mirabeau répond que l'assern-
blée n'est pas chargée de donner des lecons a
des officiers municipaux, et qu'il faut passer


,




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTE (1789)' 163
al'ordre du jour. La question des deux charn-
bres est enfin mise aux voix , et , au bruit des
applaudissements , l'unité ·de l'assemblée est
décrétée. Quatre cent quatre-vingt-dix-neuf
voix se déclarent pour une chambre, quatre-
vingt-neuf pour deux, cent vingt-deux voix
sont perdues, par l'effet de la crainte inspirée
a beaucoup dcdéputés.


Enfin arrive la question du veto. On avait
trouvé un terme moyen, celui du veto sus-
pensif, qui n'arrétait que temporairement la
loi, pendant une ou plusieurs législatures. On
considérait cela comme un appel au peuple,
paree que le roi, recourant ade nouvelles as-
semblées, et leur cédant si elles persistaient ,
semblait en appeler réellement a I'autorité na-
tionale. Mounier et les siens s'y opposerent ;
ils avaient raison dans le systeme de la mo-
narchie anglaise, oú le roi consulte la repré-
sentation nationale, et n'ohéit jamais; mais ils
avaient tort dans la situation oú ils s'étaient
placés. Ils n'avaient voulu , disaient-ils , qu'em-
pécher une résolution précipitée. 01' le veto
suspensif produisait cet effet aussi bien que le
'veto absolu. Si la représentation persistait, la
volonté nationale devenait manifeste; et , en
admcttant sa souveraineté, il était ridicule de
lui résister indéfiniment.


JI.




164 ltÉVOLUTION FltAN~AISE.
Le ministere sentit en effet que le veto sus-


pensif produisait matériellement l'effet du veto
absoIu, et Necker conseilla au roi de se don-
ner les avantages d'un sacrifice volontaire, en
adressant un mémoire a l'assemblée, dans le-
queI il rlemandait le veto suspensif. Le bruit
s'en répandit, et on connut d'avance le but et
I'esprit du mémoire. Il fut préserité le 11 sep-
tembre ;chacun en connaissait le contenu, I1
semble que Mounier, soutenant l'intérét du
treme, aurait dú n'avoir pas d'autres vues que
le treme lui-méme; mais les partis ont bientót
un intérét distinct de ceux qu'ils servent.
Mounier repoussa cette communication, en
disant que, si le roi renoncait a une préroga-
tive utile ala nation, on devait la luí donner
malgré lui et dans l'intérét public. Les roles
furent renversés, et les adversaires du roi sou-
tinrent ici son intervention; mais leur effort
fut inutile , et le mémoire fut durement re-
poussé. On s'expIiqua de nouveau sur le mot
sanction , on agita la question de savoir si elle
serait nécessaire pour la constitution. Apres
avoir spécifié que le pouvoir constituant était
supérieur aux pouvoirs constitués , il fut éta-
bli que la sanction ne pourrait s'exercer que
sur les acles législatifs, mais point du tout sur
les actes constitutifs , et que les derniers ne se-




ASSEl\lBLÉE CONSTlTUANT]; (1789)' 165
raient que promulgués. Six cent soixante-treize
voix se déclarerent pour le veto suspensif ,
trois cent vingt-cinq ponr le veto absolu.
Ainsi furent résolus les articles fondamen-
taux de la nouvelle constitution. Mounier et
Lally-Tolendal donnerent aussitót leur démis-
sion de membres du comité de constitution.


On avait porté jusqu'ici une foule de dé-
crets sans jamais en offrir aucun a l'accepta-
tion royale. Il fut résolu de présenter au roí
les articles du 4 aoút, La question était de sa-
voir sí on demanrlerait la sanction ou la sim-
ple promulgation, en les considérant comme
législatifs ou constitutifs, Maury et méme Lally-
Tolendal eurent la maladresse de soutenir
qu'ils étaient législatifs, et de requérir la sane-
tion, comme s'ils eussent attendu quclque ohs-
tacle de la puissance royale. Mirabeau , avec
une rare justesse, soutint que les uns abolís-
saient le régime féodal et étaient émínemment
constitutifs; que les autres étaient une pure
munificence de la noblesse et du clergé, et
que sans doute le c1ergé et la nohlesse ne
voulaient pas que le roi pút révoquer leurs
libéralités. Chapelier ajouta qu'il ne fallait pas
mérne supposer le consentement du roí néces-
saire , puisqu'il les avait approuvés déja , en
acceptant le titre de restaurateur de la liberté




166 RÉVOLUTlON FRAN~AISE.
franeaise , et en assistant au Te Deum, En
conséquence on pria le roi de faire une sim-
ple promulgation ....


Un membre proposa tout-á-coup l'hérédité
de la couronne et l'inviolabilité de la per-
sonne royale. L'assemblée , qui voulait since-
rement du roi comme son premier magistrat
héréditaire , vota ces deux articles par accla-
mation. On proposa l'inviolabilité de l'héritier
présomptif'; mais le duc de Mortemart remar-
qua aussitót que les fils avaient quelquefois
essayé de détróner leur pere , et qu'il fallait se
laisser le moyen de les frapper. Sur ce motif ,
la proposition fut rejetée. Le député Arnoult ,
a propos de l'article sur l'hérédité de mate en
maje et de branche en branche, proposa de
confirrner les renonciations de la branche
d'Espagne, faítes dans le traité d'Utrecht. On
soutint qu'il n'y avait pas lieu a délihérer ,
paree qu'il ne fallait pas s'aliéner un -allié
fidele; Mirabeau se rangea de cet avis, et l'as-
semblée passa a l'ordre du jour. Tout-á-coup
Mirabeau , pour faire une expérience qui a
été mal jugée, voulut ramener la question
qu'il avait contribué Iui-méme a éloigner. La
maison d'Orléans se trouvait en concurrence


* Ces articles lui Iurent présentés le 20 scptemhre.




ASSEl\IBLÉE CONSTITU A.NTE (J 789)' 167
avec la maison d'Espagne, dans le eas d'ex-
tinction de la branche régnante. Mirabeau
avait vu un grand acharnement a passer a
I'ordre du jour. Étranger ,au duc d'Orléans
quoique familier avec lui , eomme il savait
l'étre avec tout le monde, il voulait néanmoins
connaitre l'état des partis , et voir quels étaient .
les amis et les ennernis du duc. La question
de la régence se présentait : en eas de mino-
rité, les freres du roi ne pouvaient pas étre
tuteurs de leur neveu, puisqu'ils étaient héri-
tiers du pupille royal, et par eonséquent peu
intéressés a sa conservation. La régenee ap-
partenait done au plus proehe parent; c'était
ou la reine, ou le duc d'Orléans, ou la fa-
mille d'Espagne. Mirabeau propose done de
ne donner la régence qu'a un homme né en
Franee. 11 La connaissanee, dit-il, qúe j'ai de
la géographie de l'assemblée, le point d'oú
sont partís les eris d'ordre du jour, me prou-
vent qu'il ne s'agit de rien moins iei que d'une
domination étrangere , et que la proposition
de ne pas délibérer, en apparenee espagnole ,
est peut-étre une proposition autrichienne. »
Des cris s'élevent a ces mots; la discussion re-
commence avec une violence extraordinaire ;
tous les opposants demandent encore I'ordre
du jour. En vain Mirabeau leur répete-t-il a




168 nÉvoLuTION FRANC:AISl'.
chaque instant qu'ils ne peuvent avoir qu'un
motif, celui d'amener en France une domina-
tion étrangere ; ils ne répondent point, parce
qu'en effet ils préféreraient l'étranger au duc
d'Orléans. Enfin, apres une discussion de deux
jours, on déclara de nouveau qu'il n'y avait
pas Iieu a délibérer. Mais Mirabeau avait ob-
tenn ce qu'il voulait , en voyant se dessiner
les partís. Cette tentativo ne pouvait manquer
de le faire accuser, et il passa des-Iors POUI'
un agent du parti d'Orléans *.


Tout agitée encare de cette discussion ,
l'assemblée recut la réponse du roi aux ar-
tieles du 4 aoút. Le roi en approuvait l'esprit,
ne donnait a quelques-uns qu'une adhésion
conditionnelle, dans l'espoir qu'on les modi-
fierait en les faisant exécuter; il renouvelait
sur la plupart les objections faite s dans la
discussion, et repoussées par I'assemblée. Mi-
rabeau reparut encore a la tribune : ({ Nous
n'avons pas, dit-il , examiné la supériorité du
pouvoir constituant sur le pouvoir exécutif;
nons avons en quelque sorte jeté un voile sur
ces questions (l'assemblée en effet avait expli-
qué en sa faveur la maniere dont elles de-
vaient étre entendues, sans rien décréter acet


> Vovcz la note 7 a la fin du volume.




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 169
égard); mais si ron combat notre puissance
constituante, on lIOUS obligera a la déclarer.
Qu'on en agisse franchement et san s mau-
vaise foi. Nous convenons des difficultés de
l'exécution , mais nous ne l'exigeons pas. Ainsi
nous dernandons l'abolition des offices, mais
en indiquant pour l'avenir le remboursement
el I'hypotheque du remboursement; nous dé-
clarons I'irnpót qui sert de salaire au clergé
destructif de l'.agricultul'e, mais en attendant
son rempIacement nous ordonnons la percep-
tion de la dirne ; nous aboIissons les justices
seigneuriales, mais en les laissant exister jus-
qu'a ce que d'autres tribunaux soient établis.
11 en est de rnéme des autres articles ; ils ne
renferment tous que des principes qu'il faut
rendre irrévocables en les promulguant. D'ail-
leurs , fussent-ils mauvais , les imaginations
sont en possession de ces arrétés , on ne peut
plus les leur refuser. Répétons ingénument
au roi ce que le fou de Philippe II disait ace
prince si absolu : « Que ferais-tu , Philippe, si
« tout le monde disait oui quand tu dis non?»


L'assemblée ordonna de nouveau ason pré-
sident de retourner vers le roi, pour lui de-
mander sa promulgation. Le roi l'accorda. De
SOl} coté, l'assemblée délihérant sur la durée
du veto suspensif , l'étenrlit adeux législatures;




170 RÉVOLUTJON FIiAN9AISE.
mais elle eut le tort de laisser voir que c'était
en quelque sorte une récompense donnée a
Louis XVI, pour les concessions qu'il venait
de faire al'opinion.


Tandis qu'au milieu des obstacles suscités
par la mauvaise volonté des privilégiés et par
les emportements populaires, l'assemblée pour-
suivait son but, d'autres embarras s'accumu-
laient devant elle, et ses ennemis en triorn-
phaient. Ils espéraient qu'elle serait arrétée
par la détresse des finan ces , comme l'avait été
la cour elle-méme. Le premier emprunt de
trente millions n'avait pas réussi : un second
de quatre-vingts, ordonné sur une nouvelle
proposition de Necker *, n'avait pas eu un
résultat plus heureux. - Discutez , dit un jonr
M. Degouy d'Arcy, laissez s'écouler les délais ,
et a l'expiration des délais , nous ne serons
plus. . . .. Je vais vous apprendre des vérités
terribles. - A l'ordre, a l'ordre, s'écrient les
uns. - Non, non, parlez , répondent les au-
tres. - Un député se leve: Continuez, dit-il
a M. Degouy, répandez l'alarme et la terreur !
Eh bien! qu'en arrivera-t-il? nous donnerons
une partie de notre fortune, et tout sera fini.
- M. Degouy continue : Les ernprunts que


,. Décret du 27 aoút,




ASSE1UllLÉE CONSTITU ANTE (J 789)' J 7J
vous avez votés n'ont rien fourni; il n'y a pas
dix millions au trésor. - A ces mots, on l'eu-
toure de nouveau, on le bláme , on lui impose
silence, Le duc d'Aiguillon, président du co-
mité des finanees, le dément en prouvant qu'il
devait y avoir vingt-deux millions dans les
caisses de l'état. Cependant on décrete que les
samedis et vendredis seront spéeialement con-
sacrés aux finan ces.


Necker arrive enfin. Tout souffrant de ces
efforts continuels, il renouvelle ses éternelles
plaintes; il reproche a l'assernblée de n'avoir
rien fait pour les finanees , apres cinq mois de
travail. Les deux cmprunts n'avaient pas réus-
si, paree que les troubles avaient détruit le
crédito Les capitaux se cachaient; c<:ux de l'é-
tranger n'avaient point paru dans les emprunts
proposés. L'émigration, l'éloignement des voya-
geurs, avaient encore diminué le numéraire;
et il n'en restait pas méme assez pour les besoins
journaliers. Le roi et la reine avaient été obli-
gés d'envoyer leur vaisselle a la monnaie. En
conséquence Necker demande une contribution
dn quart du revenu , assurant que ces moyens
Iui paraissent suffisants. Un comité emploie
trois jours a examiner ce plan, et l'approuve
entierement. Mirabeau , ennemi connu du mi-
nistre, prend le premier la parole, ponr en-




172 nÉvoLUTION FRAN~~AISE.
gager l'assemblée a consentir ce plan sans le
discuter. «N'ayant pas, dit-il , le temps de l'ap .
précier, elle ne doit pas se charger de la res-
ponsabilité de l'événement, en approuvant ou
en improuvant les moyens proposés. » D'apres
ce motif il couseille de voter de suite el de con-
fianee. L'assernhlée entrainée adhere a eette
proposition , et ordonne a Mirabeau de se re-
tirer pour rédiger le décret. Cependant I'en-
thousiasme se calme, les ennemis du ministre
prétendent trouver des ressources oú il n'en a
pas vu. Ses amis au contraire attaquent Mira-
beau, et se plaignent de ce qu'il a voulu l'éeraser
de la responsabilité des événements. Miraheau
rentre et lit son décret. - Vous poignardez le
plan du ministre, s'écrie M.. de Virieu, -Mil'a-
beau, qui ne savait jamais reculer sans répon-
dre , avoue franchement ses motifs; il convient
qu'on le devine quand on a dit qn'il voulait
faire peser sur M.. Necker seul la responsabilité
des événements; il dit qu'il n'a point l'honneur
d'étre son ami; mais que fUt-il son ami le plus
tendre, citoyen avant tout, il n'hésiterait pas
a le compromettre Iui plutót que l'assemblée ;
qu'il ne croit pas que le royaume füt en péril
quand M. Necker se serait trompé, et qu'au
contraire le salut public serait tres-compromis ,
si I'assemblée avait perdu son crédit et manqué




ASSEMJlLÉE CONSTITUANTE (1789)' ] 73
une opération décisive. II propase ensuite une
adresse pour exciter le patriotisme national et
appuyer le projet du ministre.


On l'applaudit, mais on discute encore. On
fait mille propositions, et le temps s'écoule en
vaines subtilités. Fatigué de tant de contradic-
tions , frappé de l'urgence des besoins, il re-
monte une derniere foís a la trihune , s'en em-
pare, fixe de nouveau lá questian avec une ad-
mirable netteté, et montre l'impossibilité de se
soustraire ala nécessité du momento Son génie
s'enflammant alors, il peint les horreurs de la
banqueroute; il la présente comme un impót
désastreux qui, au lieu de peser légerement sur
tous , ne pese que sur quelques-uns qu'elle
écrase ; il la montre comme un gouffre oú l'on


précipite des victimes vivantes, et qui ne se re-
ferme pas méme apres les avoir dévorées , car
on n'en doit pas moins, méme aprcs avoir re-
fusé de payer. Remplissant enfin l'assemblée de
terreur: « L'autre jour, dit-'il,a propos d'une
ridicule motion du Palais-Royal, on s'est écrié :
Catilina est aux portes de Rome, et vous déli-
hérez l et certcs, il n'y avait ni Catilina , ni péril,
ni Rome; et aujourd'hui la hideuse banqueroute
est la, elle menace de consumer, vous, votre
honneur , vos fortunes, et vous délihérez *! »


* Sc.',:mc('s des 2!1 el 26 septernhre,




174 RÉVOLUTION FRAN(,;AISE.
A ces mots , l'assemblée transportée se leve


en poussant des cris d'enthousiasme, Undéputé
veut répondre; il s'avance , mais , effrayé de sa
tache, il demenre immobile et sans voix. Alors
l'assemblée déclareqne,onl le rapport du comité,
elle adopte de confiance le plan du ministre des
finances. C'était la un bonheur d'éloquence;
mais il ne pouvait arriver qu'á celui qui avait
tout a la fois la raison et les passions rle
Mirabean.




ASSJ<:MBLÉE CONSTlTUANTE (J 789)' 175


CHAPITRE IV.


Intrigues de la cour. - Repas des gardes-du-corps el des
officiers du régiment de Flandre a Versailles. - Jour-
nées des 4, 5 et 6 octobre; scenes tumultueuses el
sanglantes. Attaque du cháteau de Versailles par la
multitude. - Le roi vient demeurer a Paris. - État
des partis. - Le duc d'Orléans quitte la Franee. -
Négociations de Mirabeau avec la cour. - L'assemblée
se transporte aParís. - Loi sur les biens du clergé. -
Serment civique. - Traite de Mirabeau avec la cour.
- Bonillé. - Affaire Favras, - Plans contre-révolu-
tionnaires. - Clubs des Jacobins et des Feuillants.


T ANDIS que l'assembléc portait ainsi les mains
sur toutes les parties de l'édifice, de grands
événements se préparaient. Par la réunion des
ordres , la nation avait recouvré la toute-puis-
sanee législative et eonstituante. Par le 14juillet,
elle s'était armée pour soutenir ses représen-
tants. Ainsi le roi et l'aristocratie restaient isolés




176 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
et désarmés, n'ayant plus pour eux que le sen-
timent de leurs droits, que personne ne parta-
geait, et placés en présence d'une nation préte
a tout concevoir et a tout exécuter. La COUl'
cependant, retirée dans une petite ville uni-
quement peuplée de ses serviteurs , était en
quelque sorte hors de l'influence populaire ,
et pouvait mérne tenter un coup de rnain sur
l'asscmblée. Il était naturel que París, situé a
quelques lieues de Versailles, Paris, capitale
du royallme, et séjour d'une immense multi-
tude, tendit a ramener le roi dans son sein,
ponr le sonstraire a toute influence aristocra-
tique, et pour recouvrer les avantages que la
présence de la cour et du gouverllement pro~
cure a une ville. Apres avoir réduit l'auto-
rité du roi, il ne restait plus qu'a s'assurer de
sa personne. Ainsi le voulait le cours des évé-
nements, et de toutes parts on entendait ce
cri : Le roí aParis l L'aristocratie ne songeait
plus a se défendre contre de nouvelles pertes.
Elle dédaignait trop ce qui lui restait pou~ s'oc-
cuper de le conserver; elle désirait donc un
violent changement, tout eomme le parti popuo
laire. Une révolution est infaillible, quand deux
partís se réunisscnt pour la vouloir, Tous deux
contribuent a I'événement , et le plus fort pro-
fite du résultat, Tandis qne les patriotes dési-




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (17 89)' 177
raient conduire le roi aParis, la cour méditait
de le conduire aMetz. La, dans une place forte,
il eút ordonné ce qu'il eút voulu, ou, pour
mieux dire, tout ce qu'on aurait voulu pour
lui. Les courtisans formaient des plans, faisaient
courir des projets, cherchaient a enróler du
monde, et, se livrant a de vaines espérances,
se trahissaient par d'imprudentes menaces.
D'Estaing, nagllere si célebre a la tete de nos
escadres, commandait la garde nationale de
Versailles. Il voulait étre fidele a la nation et a
la cour, role difficile, toujours calomnié, et
qu'une grande fermeté peut seule rendre hono-
rable. Il apprit les menées des courtisans. Les
plus grands personnages étaient au nombre des
machinateurs; les témoins les plus dignes de
Coi Iui avaient été cités, et iI écrivit a la reine
une Iettre trés-connue , oú illui parlait avec une
fermeté respectueuse de l'inconvenance et dn
danger de telles menées. Il ne déguisa ríen et
nomma tout le monde ", La Iettre fut sans
effet. En essayant de pareilles entreprises, la
reine devait s'attendre a des remontrances, et
ne pas s'en étonner.


A la méme époque, une fonIe d'hommes
nouveaux parurent aVersailles ; on y vitmérne


• Voyez la note 8 it la fin du volnme.
I. 12




J 78 lU~VOLUTION FRA.N~'A.IS:E.
des uniformes inconnus. On retint la compagnie
des gardes-du-corps, dont le servíce venaít
d'étre achevé; quelques dragons et chasseurs
des Trois-Évéchés furent appelés, Les gardes-
Irancaises , quí avaient quítté le service du roí,
irrités qu'on le confiát a d'autres, voulurent
se rendre a Versailles pour le reprendre. Sans
doute ils n'avaient aucune raison de se plaindre,
puisqu'ils avaient eux-mérnes ahandouné ce ser-
vice; mais ils furent, dit-on , excités a ceprojet.
On a préteudu , dans le ternps , que c'était la
cour qui avaít voulu par ce moyen effrayer le
roí, et l'entrainer aMetz. Un fait prouve assez
cette intention : depuis les émeutes du Palais-
Royal, Lafayette, pour défendre le passage de
París á Versailles, avait place un poste aSevres.
Il fut obligé de l'en retirer , sur la demande des
députés de la droite. Lafayette parvint aarre ter
les gardes-fran<,;aises, et a les détourner de leur
projet. Jl écrivit confidentiellement au ministre
Saint-Priest , pour luí apprendre ce qui s'était
passé , et le rassurer entierement. Saint-Priest ,
abusant de la lettre, la montra ad'Estaing; ce-
lui-ci la communiqua aux officiers de la garde
nationale de Versailles et ala municipalité, pOllr
les instruire des dangers qui avaient rnenacé la
ville, et de ceux qui pourraíeut la menacer en-
coreo On proposa d'appeler le régiment de




ASSEl\IBLÉE CONSTITU ANTE (1789)' 179
Flandre ; grand nombre de batailIons de la
garde de Versailles s'y opposérent , mais la
munieipalité n'en fit pas moins sa réquisition,
et le régiment fut appelé. C'était peu qu'un
régiment contre l'assemblée, mais c'était assez
pour enlever le roi et protéger son évasion.
D'Estaing instruisit l'assemblée nationale des
mesures qui avaient été prises, et obtint son
approbation. Le régiment arriva : l'appareil
militaire qui le suivait , quoique peu considé-
rabIe, ne laissa pas que d'exciter des murmures.
Les gardes·du-corps, les.courtisans s'ernparé-
rent des offieiers, les comblerent de caresses,
et, eomme avant le 14 juillet, on parut se
coaliser, s'entendre et coneevoir de grandes
espérances.


La eonfiance de la COUl' augmentait la mé-
fiance de Paris, et hieutót des fetes irriterent Ia
misere du peuple. Le 2 octobre, les gardes-du-
eorps imaginent de donner un repas aux offi-
ciers de la garnison. Ce repas est servi dans la
salle du théátre. Les loges sont remplies de
spectaleurs de la cour. Les officiers de la garde
nationale sont au nombre des convives; une
gaieté tres-vive regne pendant le festin, et
hientót les vins la changent en exaltation. On
introduit alors les soldats des régiments. Les
convives, l'épée nue, portent la santé de la fa-


12.




180 RÉVOLUTION FRA.N~:AISl':.
mille royale; eeHe de la nation est refusée, OL!
du moins omise ; les trompettes sonnent la
charge, on escalade les loges en poussant des
cris ; on entonne ce chant si expressif et si
connu : ó Richard! ó mon roi l I'unioers t'a-
bandonne! on se promet de mourir pour le
roi , eomme s'il eút été dans le plus grand dan-
gel'; enfin le délire n'a plus de bornes. Des
eocardes blanches OH noires , mais toutes d'une
seu le couleur , sont partout distribuées. Les
jeunes femmes , les jeunes hommes, s'anirnent
de souvenirs chevaleresques. C'est dans ce mo-
ment que la cocarde nationale est , dit-on ,
foulée aux pieds. Ce fait a été nié depuis, mais
le vin ne rend..il pas tout croyable et tout ex-
cusable? Et d'ailleurs, pourquoi ces réunions
qui ne produisent d'une part qu'un dévoue-
ment trompeur, et qui excitent de l'autre une
irritation réel1e et terrible? Dans ce moment
on conrt chez la reine; eHe consent a venir
au repaso On entoure le 1'01 qui revenait de la
chasse, et il est entrainé aussi; on se précipite
auxpieds de tous deux , et 011 les reconduit
comme en triomphe jusqu'a leur appartemenL
Sans doute , il est doux, quand on se croit dé-
pouillé , menacé , de retrouver des amis; mais
pourquoi faut-il qu'on se trompe ainsi sur ses
droits , sur sa force et sur ses moyens?




ASSE1ITBLÉE CONSTlTU ANTJ, (1789). 18 [
Le bruit de cette féte se répandit bientót ,


et sans doute l'ímagination populaire, en rap-
portant les faits, ajouta. sa propre exagération
a celle qu'avait produite le festín. Les pro-
messes faites au roi furent prises pour des me-
naces faites a la nation, cette prodigalité fut
regardée comme une insulte a la mise re pu-
blique, et les cris ti Fersailies recommencerent
plus violents que jamais. Ainsi les petites cau-
ses se réunissaient pour aider I'effet des causes
générales. Des jeunes gens se montrerent a
Panis avec des eoeardes noires, ils furent pour-
suivis; l'un d'eux fut trainé par le peuple, et
la commune se vil obligée de défendre les co-
cardes d'une seule couleur.


Le lendemain du funeste repas, une nou-
velle scenc a peu pres pareilIe eut lieu dans
un déjeuner donné par les gardes - du -corps,
dans la salle du manége. On se présenta de
nouveau a la reine, qui dit qu'elle avait été
satisfaite de la journée du jeudi ; on.I'écoutait
volontiers , paree q,ue, moins réservée que le
roí, on attendait de sa bouche l'aveu des sen-
timents de lacour; et toutes ses paroles.étaient
répétées. L'inritation fut au comble , et on dut
s'attendre aux plus sinistnes événements. Un
mouvement convenait au peuple et a la cour ,
au peuple , pour s'emparer du roí; a la cour ,




182 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
pour que l'effroi l'entrainát aMetz. Il conve-
nait aussi au duc d'Orléans, qui espérait obte-
nir la lieutenance du royaume, si le roi venait
a s'éloigner; on a méme dit que ce prince al-
lait jusqu'a espérer la couronne, ce qui n'est
guere croyable, ear il n'avait pas assez d'au-
dace d'esprit pour une si grande ambition. Les
avantages qu'il avait lieu d'attendre de cette
nouvelle insurrection l'ont fait accuser d'y avoir
participé; cependant il n'en est rien. Il n,e peut
avoir déterminé l'impulsion, car elle résultait
de la force des choses; il parait tout au plus
l'avoir secondée; et , méme a cet égard, une
procédure immense, et le temps, qui apprend
tout, n'ont manifesté aucune trace d'un plan
concerté. Sans doute le duc d'Orléans n'a été
la, comme pendant toute la révolution, qu'á
la suite du mouvement populaire , répandant
peut-étre un peu d'or, donnant Iieu a des pro-
pos, et n'ayant que de vagues espérances.


Le peuple, ému par les discussions sur le
veto, irrité par les eocardes noires, vexé par
des patrouilles continuelles, et souffrant de la
faim, était soulevé. Baillyet Necker n'avaient
rien oublié pour faire abonder les subsistan-
ces; maís, soit la difficulté des transports, soit
les pillages qui avaient lieu sur la route, soit
surtout l'impossihilité de suppléer au mouve-




ASSEMDLÉE CONSTlTU ANTE (J789)' J83
ment spontané du commerce, les farines man-
quaient. Le 4octobre, l'agitation fut plus grande
que jamais, 011 parlait du départ du roi pour
Metz, et de la nécessité d'aller le chercher a
Versaillea; on épiait les cocardes naires, on
demandait du pain, De nombreuses patrouilles
réussirent a contenir le peuple. La nuit fut. as-
sez calme. Le lendernain 5, les attrouppments
recornmencérent des le matin, Les femmes se
portérent ehez les boulangers ; le pain man-
quait, el elles coururent al'Hótel..de-Ville pour
s'en plaindre aux représentants de la eom-
mune. Ceux-ci n'étaient pas encore en séance,
et un bataillon de la garde nationale était
rangé sur la~place. Des hommes se joignirent
a ces femmes, mais elles n'en voulurent pas,
disant que les hommes ne savaient pas agir.
Elles se précipiterent alors sur le hataillon, et
le firent reculer- a eOl1ps de pierres. Dans ce
moment, une porte ayant été enfoncée, l'Hó-
tel-de-Ville fut envahi , les brigands a piques
s'y précipiterent avec les femmes, et voulurent
y mettre le feu. On parvint a les écarter, mais
ils s'emparerent de la porte qui conduisait a
la grande cloche , et sonnerent le tocsin. Les
faubourgs alors se mirent en mouvement. Un
citoyen nommé Maillard , l'un de ceux qui s'é-
taient signalés a la prise de la Bastille, con-




184 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
sulta l'officier qui eommandait le hataillon de
la garde nationale , poul' chercher un moyen
de délivrer l'Hótel-de-Ville de ces'femmes fu-
rieuses, L'officier n'osa appl'ouver le moyen
qu'il proposait; c'était de les réunir, sous pré-
texte d'aller a Versailles, mais sans cependant
les y éonduire, Néanmoins Maillard se décida ,
prit un tambour, et les entraina hientót a sa
suite. Elles portaient des bátons , des manches
a balai , des fusils et des coutelas. Avec eette
singuliére armée, il descendit le quai, traversa
le Louvre , fut forcé malgré lui de eonduire
Ces femmes a travers les Tuileries , et arriva
aux Champs-Élysées. La, il parvint a les dé-
sarmer, en leur faisant entendré qu'il valait
rnieux se présenter a l'assemblée comme des
suppliantes que eomme des furies en armes.
Elles y consentirent, et MailIard fut obligé de
les conduire a VersailIes, cal' il n'était ,plus
possible de les en détourner. Tout en ce mo-
ment tendait vers ce but. Des hordes partaient
en trainant des canons ; d'autres entouraient
la garde nationale, qui elle-méme entourait
son chef poul' l'entrainer a Versailles, but de
tous les voeux.


Pendant ce temps, la cour était tranquille;
mais l'assemblée recevait en tumulte un mes-
sage du roi, Elle avait présenté ason accepta-




ASSEMBLÉE CONSTITUANT]~ (] 789)' 185
tion les articles eonstitutionnels et la déclara-
tion des droits. La réponse devait étre une ac-
ceptation pure et simple, avec la promesse de
promulguer. Pour la seconde Íois , le roi, san s
trop s'expliquer, adressait des observations a
l'assemblée; il donnait son accession aux arti-
eles constitutionnels , sans cependant les ap-
prouver; il trouvait de bonnes maximes dans la
déclaration des droits, mais elles avaient be-
soin d'explications ; le tout enfin ne pouvait
étre jugé, disait-il , que lorsque l'ensemble de la
constitution serait achevé. C'était la sans doute
une opinion soutenable; beaucoup de publi-
cis tes la partageaient; mais convenait-il de
l'exprimer dans le moment? A peineeette ré-
ponse est-elle lue, que des plaintes s'élevent.
Robespierre dit que le roi n'a pas a critiquer
l'assemblée; Duport, que cette réponse devait
erre eontre-signée d'un ministre responsable.
Pétion en prend occasion de rappeler le repas
des gardes-du-corps, et il 9énonce les impréca-
tions proférées centre l'assemblée. Grégoire
parle de la disette, et demande pourquoi une
lettre a été adressée a un meunier avee pro-
messe de deux cents livres par semaine, s'il ne
voulait pas moudre. La lettre ne prouvait rien,
car tous les partis pouvaient l'avoir écrite; ce-
pendant elle excite un grand tu multe , et M. de




186 RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
Monspey somme Pétion de signer sa dénoncia-
tion. Alors Mirabeau, qui avait désapprouvé a
la tribune mérne la démarche de Pétion et de
Grégoire , se présente pour répondre a M. de
Monspey. « J'ai désapprouvé tout le premier,
dit-il , ces dénonciations impolitiques; mais,
puisqu'on insiste, je dénoncerai moi-rnéme , et
je signerai, quand on aura déclaré qu'il n'y a
d'inviolable en Frunce que le roi. )) A cette ter-
rible apostrophe, 00 se tait, et on revieut a la
réponse du roi. Il était onze heures du matin;
on apprend les mouvements de Paris. Mirabeau
s'avance vers le président Mounier , qui , ré-
cemment élu malgré.le Palais-Royal, et menacé
d'une chute glorieuse, allait déployer dans cette
triste journée une indomptable fermeté; Mira-
beau s'approche de lui : - Paris , lui dit-iI ,
marche sur nous; trouvez-vous mal, allez au
cháteau dire au roi d'accepter purement et
sirnplement, - Paris marche, tant mieux, ré-
pond Mounier ; qu'oa nous tuetous, mais tous;
l'état y gagnera. - Le mot est vraiment joli ,
reprend Mirabeau, et il retourne a sa place.
La discussion continue jusqu'á trois heures, et
on décide que le président se rendra aupres du
roi , pour lui demander son acceptation pure
et simple. Dans le moment oú Mounier allait
sortir pour aller au chatean, on a~lllouce une




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 187
députation; c'était Maillard el les femmes qui
l'avaient suivi. Maillard demande a entrer et a
parler; il est introdnit, les femmes se précipi-
tent a sa suite et pénétrent dans la salle. 11 ex-
pose alors ce qui s'est paseé, le défaut de pain
et le désespoir du peuple; il parle de la lettre
adressée au meunier, et prétend qu'une per-
sonne rencontrée en route leur a dit qu'un curé
était chargé de la dénoncer. Ce curé était Gré-
goire, et, comme on vient de le voir, il avait
fait la dénonciation. Une voix accuse alors I'é-
véque de Paris , Juigné, d'étre l'auteur de la
lettre. Des cris d'indignation s'élevent pour re-
pousser l'imputation faite au vertueux prélat,
On rappe\le al'ordre Maillard et sa députation,
On lui dit que des moyens ont été pris pour
approvisionner Paris, que le roi n'a rien ou-
blié, qu'on va le supplier de prendre de nou-
velles mesures, qu'il faut se retirer , et que le
trouble n'est pas le moyen de faire cesser la
disette. Mounier sort alors pour se rendre au
cháteau ; mais les femmes l'entourent, et veu-
lent l'accompagner; il s'y refuse d'abord , mais
il est obligé d'en admettre six. 11 traverse les
hordes arrivées deParis , qui étaient armées de
piques, de haches, de bátons ferrés. 11 pleuvait
abondamment. Un détachement de garcles-clu-
corps fond sur l'attroupement qui entourait le




188 RÉVOL UTION FRAN~AISE.
président, et le disperse; mais les femmes re-
joignent hientót Mounier, et il arrive au chá-
teau, oú le régiment de Flandre , les dragons,
les Suisses et la milice nationale de Versailles
étaient rangés en bataille. Au lieu de six
femmes , il est obligé d' en introduire douze;
le roi les accueille avec bonté, et déplore leur
détresse ; elles sont émues. L'uned'elles,
jeune et belJe, est interdite a la vue du rno-
narque, et peut a peine prononcerce mot:
da pain. Le roi, touché, l'embrasse , et les
femmes s'en retournent attendries par cet ac-
cueil, Leurs compagnes les recoivent a la porte
du cháteau; elles ne veulent pas croire leur
rapport, disent qu'elles se sont laissé séduire ,
et se préparent a les déchirer. Les gardes-du-
cocps, commandés par le comte de Guiche,
accourent pour les dégager; des coups de fusil
partent de divers cótés , deux gardes tombent,
er plusieurs femmes son! blessées. Non loin de
la, un homme du peuple a. la tete de quelques
femmes , pénetre atravers les rangs des batail-
lons, et s'avance jusqu'a la grille du cháteau,
M. de Savonnieres le poursuit, mais il reeoit
un coup de feu qui lui casse le bras. Ces escar-
mouches produisent de part et d'autre une
plus grande irritation. Le roi, instruit du
danger, fait ordonner a ses. gardes de ne pas




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 1~9
faire feu, et de se retirer dans leur hotel.
Tandis qu'ils se retirent, quelques coups de
fusil sont échangés entre eux et la garde na-
tionale de Versailles, sans qu'on puisse savoir
de quelle part ont été tirés les premiers coups.


Pendan t ce désordre , le roi tenait conseil,
et Mounier attendait impatiemment sa réponse,
~ dernier lui faisait répéter achaque instant
que ses fonctions l'appelaient a l'assemblée,
que la nouvelle de la sanction calmerait tous
les esprits , et qu'il allait se retirer, si on ne
lui répondait point, cal' il ne voulait pas s'ab-
senter plus long-temps de son poste. On agi..
tait au conseil si le roi pártirait; le conseil
dura de six a dix heures du soir , et le roi ,
dit-on, ne voulut pas laisser la place vacante
au duc d'Orléans. On voulait faire partir la
reine et les enfants, mais la foule arréta les
voitures a l'instant oú elles parurent, et d'ail-
leurs la reine était courageusement résolue a
ne pas se séparer de son époux. Enfin, vers les
dix heures, Mounier recut l'acceptation pure
et simple, et retourna a l'assemblée. Les dé-
putés s'étaient séparés, et les femrnes occu-
paient la salle. Illeur annon~a l'acceptation dn
roi, ce qu'elles reeurent a merveille, en lui
demandant si leur sort en serait meilleur, et
surtout si elles auraient du pain. Mounier leur




190 RÉVOLUTION fRAN9A.JSE.
répondit le mieux qu'il put, et leur fit distri-
buer tout le pain qu'il fut possible de se pro-
curer. Dans cette nuit, oú les torts- sont si
difficiles a fixer, la munieipalité eut eelui de
ne pas pourvoir aux besoins de eette foule
affamée, que le défaut de pain avait fait sortir
de Paris, et qui depuis n'avait pas dü en trou-
ver sur les routes.


Dans ce momcnt, on apprit l'arrivée de La-
fayette. 11 avait lutté pendant huit heures con-
tre lamilice nationale de Paris , qui voulait se
porter a Versailles. Un de ses grenadiers lui
avait dit: « Général , vous ne nous trompez
pas, mais on vous trompe. Au lieu de tourner
nos armes contre des feIII;mes , allons a Ver-
sailles ehercher le roí, et nous assurer de ses
dispositions en le placant au milieu de nous. »
Lafayette avait résisté aux instanees de son
armée et aux ílots de la multitude, Ses soldats
n'étaient point a lui par la vietoire, rnais par
l'opinion; et, leur opinion l'abandonnant, il ne
pouvait plus les oonduire. Malgré cela, il était
parvenll 11 les arréter jusqu'au soir; mais sa
voix ne s'étendait qu'á une petite distanee, et
au-dela rien n'arrétait la fureur populaire. Sa
tete avait été plusienrs fois menacée, et néan-
moins il résistait encore. Cependant iI savait
que des horrles partaient continuellement de




ASSEl\lllLÉJ.: CONSTITUANTE (1789)' 19'
Paris ; l'insurrection se transportant a Versail-
les, son devoir était de l'y suivre. La commuue
lui ordonna de s'y rendre , et il partit. Sur la
route, il arréta son armée, lui fit préter ser-
ment d' étre fidele au roi , et arriva aVersailles
vers minuit. Il annonca aMounier que l'armée
avait promis de remplir son devoir, et que rien
ne serait fait de eontraire a la loi. Il courut au
chatean, il Yparut plein de respeet el de don-
leur, fit connaitre au roí les précautions qui
avaient été prises, et l'assura de son dévoue-
ment et de celui de l'armée. Le roi parot tran-
quillisé, et se retira pour se livrer au reposo La
garde du cháteau avait été refusée aLafayette,
OIl ne lui avait donné que les postes extérieurs.
Les autres postes étaient destinés au régiment
de Flandrc, dont les dispositions n' étaient pas
sures, aux Suisses et aux gardes - du -corps.
Ceux-ci d'abord avaient recu ordre de se re-
tirer. Ils avaient été rappelés ensuite , et n'ayant
pu se réunir, ils ne se trouvaient qu'en petit
nombre a leur poste. Dans le trouble qui ré-
gnaít, tous les points accessibles n'avaient pas
été défendus ; une grille méme était demeurée
ouverte. Lafayette 6t occuper les postes exté-
rieurs qui lui avaient été confiés, et aucun
d'eux ne fut forcé ni mérne attaqué.


.L'assernblée , malgré le tumulte , avait repris




J 92 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
sa séance, et elle poursuivait une discussion
sur les lois pénales avec l'attitude la plus irn-
posante. De temps en temps, le peuple inter-
rompait la discussion en demandant dupain.
Mirabeau, fatigué, s'écria d'une voix forte que
l'assemblée n'avait á recevoir la loi de personne,
et qu'elle ferait vider les tribunes. Le peuple
couvrit son apostrophe d'applaudissements;
néanmoins il ne convenait pas al'assemblée de
résister davantage. Lafayette, ayant fait dire a
Mounier que tout lui paraissait tranquille, et
qu'il pouvait renvoyer les députés , l'assemblée
se sépara vers le milieu de la nuit, en s'ajour-
nant au lendemain 6, a onze heures.


Le peuple s'était répandu C;i et la, et parais-
sait calmé. Lafayette avait lieu d'étre rassuré
par le dévouement de son armée, qui en effet
ne se démentit point, et par le calme qui sern-
blait régner partout. Il avait assuré l'hótel des
gardes-du-corps, et répandu de nombreuses
patrouilles. A cinq heures du matin il était en-
core debout. Croyant alors tont apaisé , il prit
un brenvage, et se jeta sur un lit, pour prendre
un re pos dont il était privé dermis vingt-quatrc
heures ".


Daos cet instant , le peuple cornmencait a


.. Voir la note 9 11 la fin du volume,




ASSEIHBLÉE CONSTlTUANTE (1789)' 193
se réveiller, et parcourait déja les euvirons du
cháteau. Une rixe s'engClge avec un gaI'de-du-
eol'ps qui fait feu des fenétres ; les brigands
s'élancent aussitót , traversent la grille qui était
restée ouverte, montent un escalier qu'íls trou-
vent libre, et sont enfín arrétés par deux gar-
des-du-corps qui se défendent héroíquement ,
et ne cedent le tcrrain que pied a pied, en se
retirant de porte en porte. L'un de ces géné-
reux serviteurs était Miornandre. Sauvez la
reine! s'écríe-t-il. Ce cri est entendu , et la
reine se sauve tremblante aupres du roí. Tandis
qu'elle s'enfuit , les brigancls se précipitent ,
trouvent la couche royale abandonnée, et veu-
lent pénétrer au-dela ; mais ils sont arrétés de
nouveau par les gClrdes-du-corps retranchés en
grand nombre sur ce point. Dans ce mornent,
les gardes-fraIH;:aises appartenallt a Lafayette ,
et postés pres du cháteau, enteudent le tumulte,
aceourent, el dispersent les brigands. Ils se
présentent a la porte derriere laquelle étaient
retranchés les gardes-dll-corps : « Ouvrez, leur
crient-ils , les gaI'des-fran<;:aises n'ont pas oublié
qu'a Fontenoi vous avez sauvé leur régiment!»
On ouvre et on s'ernbrasse.


Le tumulte I'égnait au dehors. Lafayette, qui
reposait a peine depuis quelques instants, et
qui ne s'était pas mérne endormi, entend du


J. I3




194 nÉVOI,UTlON FRAN~AISF:.
hruit , s'élance sur le premier cheval, se pré-
cipite au milieu de la melée, et y trouve plu-
sieurs gardes-du-corps qui allaient étre égorgés.
Tandis qu'il les dégage, il ordonne asa troupe
de courir au chatean, et demeure presqne seul
au mílieu des brigands. L'un d'eux le couche
en joue; Lafayette, sans se troubler, commande
au peuple de le lui amener; le peuple saisit
aussitót le coupable, et, sous les yeux de La-
fayette , brise sa tete eontre les pa vés, Lafayette,
apres avoir sauvé les gardes-du-corps, vale au
cháteau avec eux, et y trouve ses grenadiers
qui s'y étaient déja rendus. Tous l'entourent
et lui promettent de mourir pour le roi. En
ce moment, les gardes-du~eorps arrachés a la
mort, criaient vive Lafayette! La cour entiere ,
qui se voyait sauvée par lui et sa troupe, re-
connaissait lui devoir la vie; les témoignages
de reconnaissance étaient universels, Madame
Adélalde, tante du roi, aeeourt, le serre dans
ses bras en lui disant : Général, vous nous
avez sauvés.


Le peuple en ce moment demandait agrands
cris que Louis XVI se rendit aParis. On tient
conseil. Lafayette, invité a y prendrc part,
s'y refuse pour n'en pas gener la liberté. Il est
en fin décidé que la cour se rendra au voeu du
peuple. Des billets portant eette nouvelle sont




ASSE~IBLÉE CONSTITUANTE (1789)' '95
jetés par les fenétres, Lonis XVI se présente
alors au baleon, aeeompagné du général, et
les eris de vive le roi l'accueillent. Mais il n'en
est pas ainsi pour la reine; des voix menacantes
s'élevent contre elle. Lafayette l'aborde : Ma-
dame, lui dit-il , que voulez-vous faire? - Ac-
compagner le roi, répond la reine avec courage.
- Suivez-moi done, reprend le général, et il
la conduit tout étonnée sur le balcon. Quelques
menaces sont faites par des hommes du peuple.
Un coup funeste pouvait partir; les paroles ne
pouvaient étre entendues, il fallait frapper les
yeux. S'inclinant alors, et prenant la main de
la reine, le généralla baise respectueusement.
Ce peuple de Francais est transporté a cette
vue , et il confirme la réconciliation par les
cris de vive la reine! vive Lajayette! La paix
n'était pas encore faite ave e les gardes-dl1·corps.
Ne ferez - vous rien pour mes gardes? dit le
roi aLafayette. Celui-ci en prend un, le con-
duit sur le baleon , et l'embrasse en lui met-
tant sa bandouliere, Le peuple approuve de
nouveau, et ratifie par ses applaudissernents
cette nouvelle réconciliation.


L'assemblée n'avait pas cm de sa dignité de
se rendre aupres du monarque, quoiqu'il l'eüt
demandé. Elle s'était contentée d'envoycr au-
pres de lui une députation de trente - six


13.




J 96 Rt;VOLUTION FR AN<]AISIL
membres. Des qu'elle apprit son départ , elle
fit un décret portant qu'elle était inséparable
de la personne du monarqne, et désigna cent
députés pour l'accompagner a Paris. Le roi
recut le décret et se mit en route.


Les principales bandes étaient déjá parties.
Lafayette les avait fait suivre par un détache-
ment de l'armée pour les ernpécher de revenir
sur leurs paso Il avait donné ordre qu'on dé-
sarrnát les brigaads qui portaient au bout de
leurs piques les tetes de deux gardes-du-eorps.
Cet horrible trophée leur fut arraché , et il
n'est poiut vrai qu'il ait précédé la voiture du
roi.


Louis XVI revint enfin an milieu d'une af-
fluenee eonsidérable, et fut recu par BaiJIy a
I'Hótel-rle-Ville.s-c-Je reviens avec confiance, dit
le roi, au milieu de mon peuple de Paris.-Bailly
rapporte ces paroles a eeux qui ne pouvaient
les entendre, mais iI oublie le mot confiance.
-Ajoutezayec confiance, dit lareine.-Vous
étes plus heureux , reprend Bailly, que si je
l'avais prononeé moi-rnéme.


La famille royale se rendit au palais des Tui-
leries, qui n'avait pas été habité depuis un
siecle , et daus lequel on n'avait en le temps
de faire anenn des préparatifs nécessaires. La
garde en fut confiée aux milices parisiennes ,




ASSEIUBLÉE CONSTITUA.NTE (1789)' 197
et Lafayette se trouva aiusi chargé de répondre
envers la nation de la personne du roi, que
tous les partis se disputaient. Les nobles vou-
laient le conduire dans une place forte pour
user en son nom du despotisme ; le parti po-
pulaire, qui ne songeait point encore a s'eu
passer, voulait le garder pour cornpléter la cons-
titution, el óter un chef ala gUf>ITe civile. Aussi
la malveillanee des privilégiés appela - t - elle
Lafayette un gealier; et pourtant sa vigilance
ne prouvait qu'une chose, le désir sincere d'a-


. .


voir un 1'01.
Des ce moment la marche des partis se pro-


nonce d'une maniere nouvelle. L'aristocratie ,
éloignée de Louis XVI, et ne pouvallt exécu-
ter aucune entreprise a ses cótés , se répand a
I'étrauger et dans les provinces. C'est depuis
101's que l'émigration commence adevenir con-
sidérahle. Un graml nombre de nobles s'en-
fuient a Turin , aupres du cornte d'Artois, qui
avait trouvé un asile chez son heau-pere. La,
leur politique consiste a exciter les departe-
ments du Midi et a supposer que le roi n'est
pas libre. La reine, qui est autrichienne, et de
plus ennemie de la nouvelle cour formée a
Turin, tourne ses espérances vers l'Autriche.
Le roí, au milieu de ces menées , voit tout,
n'ernpéche rien, et attend son salut de quelque




198 RÉVOLllTION ~·RAN~AIS":.
part qu'il vienne. Par intervalle , il fait les désa-
veux exigés par l'assembIée, et n'est réelle-
ment pas libre, pas plus qu'il ne l'eút été a
Turin ou a Coblentz , pas plus qu'il ne l'avait
été sous Maurepas, car le sort de la faiblesse
est d'étre partont dépendante.


Le partí populaire triomphant désorrnais ,
se trouve partagé entre le duc d'Orléans , La-
fayette, Mirabeau, Barnave et les Lameth. La
voix publique accusait le dnc d'Orléans et Mi-
rabean d'étre auteurs de la derniere insurrec-
tion. Des témoins , qui n'étaient pas indignes
de confiance , assuraient avoir vu le duc et Mi-
rabean sur le deplorable champ de bataille
du 6 octobre. Ces faits furent démentis plus
tard; mais, dan s le moment, on y croyait. Les
conjurés avaient voulu éloigner le roi, et méme
le tuer, disaient les plus hardis calomniateurs.
Le duc d'Orléans, ajoutait-on , avait voulu étre
lieutenant du róyaume, et Mirabeau ministre.
Aucun de ces projets n'ayant réussi , Lafayette
paraissant les avoir déjoués par sa présence,
passait pour sauveur du roi et pour vainqueur
du duc d'Orléans et de Mirabeau. La cour, qui
n'avait pas encore eu le temps de devenir in-
grate, avouait Lafayette comme son sauveur, et
dans cet instant la puissance du général sern-
blait imrnense. Les patriotes exaltés en étaient




ASSEIUELÉE CONSTITUAlIITE (1789)' 199
effarouchés , et murmuraient déja le nom de
Cromwell. Mirabeau, qui, comme on le verra
bientót , n'avait rien de eommun avee le duc
d'Orléans , était jaloux de Lafayette, et l'ap-
pelait Cromwell-Grandissou. L'aristocratie se-
condait ses méfiances, et y ajoutait ses propres
calornnies. Mais Lafayette était déterminé ,
malgré tous les obstacles, a soutenir le roi et
la constitution. Pour cela, il résolut d'abord
d'écarter le duc d'Orléans , dont la présence
donnait lieu a beaucoup de hruits , et pouvait
fournir, sinon les moyens, du moins le pré-
texte des troubles. Il eut une entrevue avec
le prinee, l'intimida par sa fermeté, et l'obli-
gea as'éloigner. Le roi, qui était dans ce pro-
jet, feignit, avec sa faiblesse ordinaire, d'étre
contraint a eette mesure; et en écrivant au
due d'Orléans , il lui dit qu'il fallait que lui
ou M. de Lafayette se retirassent; que dans
l'état des opinions le choix u'était pas douteux,
et qu'en conséquence il lui donnait une com-
mission pour l'Angleterre. On a su depuis que
M. de Montmorin, ministre des affaires étran-
geres, pour se délivrer de l'ambition du due
d'Orléans , l'avait dirigée sur les Pays-Bas, alors
insurgés contre l'Autriche, et qu'il lui avait
fait espérer le titre de duc de Braban t.y:. Ses
~ Voycz les Mémoircs ele Dnmuuriez ,




200 HÉVOLTJTION FRAN0AISJ'.


amis, enapprenant eette résolution, s'irt-itereut
de sa faiblesse. Plus ambitieux que lui , ils ne
vonlaient pas qu'il cédát ; ils se porterent ehez
Mirabeau , et l'engagerent adénoneer ala tri-
bune les violences que Lafayette exercait en-
vers le prince. Mirabeau , jaloux déja de la
popularité du général, fit dire au due et a lui
qu'il allait les dénoncer tous deux ala tribune,
si le départ pom l'Angleterre avait Iieu, Le
duc d'Orléans fut ébranlé; une nonvelle som-
mation de Lafayette le décida ; et Mirabeau ,
reeevant a I'assemblée un billet qui lui annon-
cait la retraite du prinee, s'éeria avee dépit : 1l
ne mérite pas la peine qu'on se donne pour
lui ", Ce mot et beauconp d'autres aussi in-
considérés l'ont fait accuser souvent d'étre un
des agents du duc d'Orléans; cependant JI ne
le fut jarnais. Sa détresse , l'imprudence de ses
propos , sa familiarité avee le due d'Orléans ,
qui était d'ailleurs la mérne avec tout le monde,
sa proposition pour la suceession d'Espagne,
enfin son opposition au départ du duc , de-
vaient exciter les soup<:;ons; mais il n'en bt
pas moins vrai que Mirabeau était sans parti ,
sans mérne aucun autre but que de détruire
l'aristocratie et le pouvoir arbitraire.


* Vovez la note loa la fin du vohune.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1789)' 20 J
Les auteurs de ces suppositions auraient da


savoir que Mirabeau était réduit alors a em-
prunter les sornmes les plus modiques , ce qui
n'aurait pas eu lieu s'il eút été l'agent d'un
prince immensément riche, et qu'on disait
presque ruiné par ses partisans. Mirabeau avait
déja pressenti la dissolution prochaine de l'é-
tal. Une conversation avec un ami intime, qui
dura une nuit tout entiere , dans le pare dt'
Versailles , determina chez lui un plan tout
nouveau ; et il se promit pour sa gloil'e, pour
le salut de l'état, pour sa propre fortune en-
fin ( cal' Mirabeau était homme acoriduire tous
ces intéréts ensemble), de demeurer inébrau-
lable entre les désorganisateurs et le tróne , et
de eonsolider la monarchie en s'y faisant une
place. La cour avait tenté de le gagner, mais
on s'y était pris gauchement et sans les mé-
nagements convenables ayec un homme d'une
grande fierté, et qui voulait conserver sa po-
pularité , a défaut de l'estime qu'íl n'avait pas
encore. Malouet , ami de Necker et lié avec
Mirabeau, voulait les mettre tous deux en com-
munication, Miraheau s'y était souvent refusé *,
persuadé qu'il ne pourrait jamais s'accorder


• MM. Malouet et Bertrand de Molleville u'ont pas
craint d'écrire le contraire , mais le fait que nous avan-
cons est ;1 t tes li: par les témoins les plus di¡;;lIes de Coi,




202 RJÍVOLUTION FRANYAISE.


avec le ministre. Il y consentit eependanl.
Malouet l'introduisit , et l'incompatibilité des
deux caracteres fut mieux sentie encore apres
cet entretien , oii , de l'aveu de tous ceux qui
étaient présents , Mirabeau déploya la supé-
riorité qu'il avait dans la vie privée aussi bien
qu'á la tribune. On répandit qu'il avait voulu
se faire acheter , et que, Necker ne lui ayant
fait aucune ouverture , il avait dit en sortant :
Le ministre aura de mes nouvelles. C'est en-
core la une interprétation des partis, mais elle
est fausse. Malouet avait proposé aMirabeau,
qu'on savait satisfait de la liberté acquise, de
s'entendre avec le ministre, et rien de plus.
D'ailleurs, c'est a cette méme époque qu'une
négociation directe s'entamait avec la cour. Un
prince étranger, lié avec les hornmes de tous
les partis , fit les premieres ouvertures, Un
ami, qui servit d'intermédiaire, fit sentir qu'on
n'obtiendrait de Mirabeau ancun sacrifice de
ses principes ; mais que si on voulait s'en tenir
a la constitution, on trouverait en lui un ap-
pui inébranlable; que quant aux conditions
elles étaient dictées par sa situation ; qu'il fal-
lait, dans l'intérét mérne de cenx qui voulaient
l'employer, rendre cette situation honorable
et indépendante , c'est-a-dire aequitter ses det-
tes; qu'enfin on devait l'attacher au UOllVeI




ASSE1UBLÉE CONSTITUANTE (1789)' :103
ordre social, et, sans lui donner actuellement
le ministere , le lui faire espérer dans l'avenir".
Les négociations ne furent entierement ter-
minées que deux ou trois mois apres , c'est-a-
dire dans les premiers mois de 1790. Les his-
toriens, peu instruits de ces détails, et trom-
pés par la persévérance de Mirabeau a com-
battre le pouvoir, ont placé l'instant de ce
traité plus tard. Cependant il fut a peu prés
conclu des le commencement de 1790. Nous
le ferons connaitre en son lieu.


Barnave et les Lameth ne pouvaient rivali-
ser avec Mirabeau que par un plus grand ri-
gorisme patriotique. Instruits des négociations
qui avaient Iieu , ils accréditerent le bruit déjá
répandu qu'on allait lui donner le ministere ,
pour lui óter par la la faculté de l'accepter.
Une occasion de l'en empécher se présenta
bientót. Les ministres n'avaient pas le droit
de parler dans l'assemblée. Mirabeau ne vou-
lait pas, en arri vant au ministere , perdre la
paro le , qui était son plus grand moyen d'iu-
fluence; il désirait d'aílleurs amener Necker a
la tribune pour l'y écraser. Il propasa done
de donner voix consultative aux ministres. Le
parti populaire alarmé s'y opposa saos motif


• Voye1. la note 11 ir la fin du volume,




:.w4 RÉVOLUTION FRAN(;;AISE.
plausible, et parut redouter les séductions
ministérielles. Mais ses craintes n'étaient pas
raisonnables, cal' ce n'est point par leurs com-
munications publiques avec les chambres que
les ministres corrompent orelinairement la
représentation nationale. La proposition de
Mirabeau fut rejetée , et Lanjuinais , poussant
le rigorisme encore plus Ioin , proposa d'inter-
dire aux députés acluels d'accepter le minis-
tere. La discussion fut violente. Quoique le
motif de ces propositions fút connu, il n'était
pas avoué ; et Mirabeau , aqui la dissimulation
n'était pas possible, s'écria enfin qu'il ne fallait
pas pour un seul homme prendre une mesure
funeste a l'état; qu'il adhérait au décret , a
condition qu'on interdirait le ministere , non
a tous les députés actuels, mais seulernent a
M. de Mirabeau, député de la sénéchaussée
el'Aix. Tant de franchise et d'audace resterent
sans effet, et le décret fut adopté a l'u~la­
Ilimité.


OIl voit comment se divisait I'état entre les
émigrés, la reine, le roi, et les divers chefs
populaires , tels que Lafayette ~ Mirabeau ,
Barnave et Lameth, Aucun événement décisif
comme celui du 14 juillet ou du 50ctobre,
n'était plus possible de long-temps. 11 fallait
que de nouvelles contrariétés irritassent la




,~SSEl\fBLÉj<: CONSTITU ANT1': (1789). 205
cour et le peuple, et amenassent une rupture
éclatante.


L'assemblée s'était transportée a Paris",
apres avoir re~u des assurances réitérées de
tranquillité de la part de la commune, et la
promesse d'une entiere liberté dans les suf-
frages. Mounier et Lally-Tolendal, indignés
des événements des 5 et 6 octobre , avaient
donné Ieur démission , disant qu'ils ne vou-
laient étre ni spectateurs ni complices des cri-
mes des factieux. Ils durent regretter cette
désertion du bien public, surtout en voyant
Maury et Cazales , qni s'étaient éloignés de
l'assemblée , y rentrer bientót pour soutenir-
courageusement et jusqu'au bout la cause
qu'ils avaient ernbrassée. Mounier , retiré en
Dauphiné, assembla les états de la province,
mais bientót un décret les fit dissoudre , sans
aucune résistance. Ainsi Monnier el Lally, qui
a l'époque de la réunion des ordres et du ser-
ment du jeu de paume étaient les héros du
peuple , ne valaient maintenant plus rien ases
yeux. Les parlements avaient été dépassés les
premiers par la puissance populaire; Mounier,
Lally el Necker l'avaient été apres eux, et
beaucoup d'autres allaient bientót l'étre,


* Elle tint sa premiere séance a l'Archevéché , le 19 OC-
tohre.




:w6 RÉVOLtJTJON FRAN9AISE.
La disette , cause exagérée, mais pourtant


réelIe des agítations, donna encore lieu a un
crime. Le boulanger Francois fut égorgé par
quelques brigands .... Lafayette parvínt asaisir
les coupables, et les livra au Chátelet , tribunal
investí d'une juridiction extraordinaire sur
tous lesdélits relatifs ala révolution. La étaient
en jugement Besenval, et tous ceux qui étaient
accusés d'avoir pris part a la conspiration aris-
tocratique déjouée le 14 juillet. Le Chátelet
devait juger suivant des formes nouvelles. En
attendant l'emploi du jury qui n'était pas en-
core iustitué, l'assemblée avait ordónné la pu-
blicité, la défense contradictoire, et toutes
les mesures préservatrices de l'innocence. Les ..
assassins de Francois furent eondamnés, et la
tranquillité. rétablie. Lafayette et Bail1y pro-
poserent a eette oceasion la loi martiale. Vive-
rnent eombattue par Robespierre, qui des-
lors se montrait chaud partisan du peuple et
des pauvres, elle fut eependant adoptée par la
majorité ( décret du 2 J octobre). En vertu de
cette loi , les municipalités répondaient de la
tranquillité publique; en cas de troubles, elles
étaient chargées de requérir les troupes ou les
milices ; et, apres trois sommations , elles de-


* 20 octohre.




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTR (1789)' 207
vaient ordonner l'emploi de la force eontre
les rassernblements séditieux. Un comité des
recherches fut établi a la commune de París,
et dans l'assemblée nationale, pour surveiller
les nombreux ennemis dont les menées se
eroisaient en tout sens, Ce n'était pas trop de
tous ces moyeos ponr déjouer les projets de
tant d'adversaires conjurés eontre la nouvelle
révolution.


Les travaux constitutionnels se poursui-
vaient avee activité. On avait abolí la féodalité,
mais il restait encore a prendre une derniere
mesure pour détruire ces grands corps, qui
avaient été des ennemis coastitués dans I'état
eontre l'état. Le clergé possédait d'immenses
propriétés. Illes avait recues des princes atitre
de gratificatíons féodales , ou des fideles atitre
de legs. Si les propriétés des individus, fruit
et but du travail , devaient étre respectées ,
celles qui avaient été données ades corps pour
un certain objet, pouvaient recevoir de la loi
une autre destination. C'était pour le service
de la religion qu'elles avaient été données, OH
du moins SOtiS ce prétexte; 01' la religion étant
un service public , la loi pouvait régler le moyen
d'y subvenir d'une maniere toute différente.
L'abbé Maury déploya ici sa faconde imper-
turbable; il sonna l'alarme chez les proprié-




208 RÉVOLUTION FRAN~AISJ<:.
taires, les menaca d'un envahissement prochain,
et prétendit qu'on sacri6ait les provinces aux
agioteurs de la capitale. Son sophisme est assez
singulier pour étre rapporté. C'était pour payer
la dette qu'on disposait des biens du clergé;
les créanciers de ce He dette étaient les grancls
capitalistes de Paris; les biens.qu'on leur sacri-
fiait se trouvaient dans les provinces: de la,
l'intrépide raisonneur concluait que c'était im-
moler la province a la capitale; comme si la
province ne gagnait pas au contraire a une
nouvelle division de ces immenses terres, ré-
servées jusqu'alors au luxe de quelques ecclé-
siastiques oisifs. Tous ces efforts furent inutiles.
L'évéque d'Autun, auteur.de la proposition, et
le député Thouret, détruisirent ces vains so-
phismes. Deja on allait décréter que les hiens
du clergé appartenaient aI'état; néanrnoins les
opposants insistaientencore sur la question
de propriété. On leur répondait que, fussent-
ils propriétaires , on pouvait se servir de leurs
hiens, puisque souvent ces biens avaient été
employés dans des cas urgents au service de
l'état, Ils ne le niaient point. Profitant alors
de leur aveu , Mirabeau proposa de changer
ce mOL apparüennent en cet autre : sout ti la
disposition de l'état, et la discussion fut ter-
minée sur-le-charnp a une gl'an<.fe majorité




,'\SSEMJlLÉE GONSTITUANTE (1789)' 209
(loi du 2 novembre). L'assemblée détruisit
ainsi la redoutable puissance du c1ergé, le


\ luxe des grands de l'ordre , et se ménagea ces
immenses ressources financieres qui firent si
long-temps subsister la révolution. En rnéme
temps elle assurait l'existence des curés en dé..
crétant que leurs appointements ne pourraient
pas étre moindres de douze cents franes, et
elle y ajoutait en outre la jouissance d'une
maison curiale et d'un jardin. Elle déclarait ne
plus reconnaitre les voeux religieux, et rendait
la liberté a tous les cloitrés, en Iaissant toute-
fois a ceux .qui le voudraient la facultéde con-
tinuerla vie monastiqae; et cemme leurs hiens
étaient supprimés , elle y suppléair-par des
pensiona, Poussant méme la prévoyanee plus
Ioin encore, elle établissait une différcnce entre
les ordres riches et les ordres mendiants, el
proportionnait le, traitement des uns et des au-
tres a leur anejen état. Elle fit de mérne pour
les pensions ; et , lorsque le janséniste Camus,
voulant revenir a la simplicité évangélique,
proposa de réduire toutes les pensions a un
mérne taux infiniment modique, l'assemblée ,
sur l'avis de Mirabeau , les réduisit proportion..
nellement a lenr valeur actuelle ,et convena-
blement a l'ancien état des pensionnaires, On
ne pouvait done pousser plus loin le ménage-


L 14





:l1O ll.':VOL\lTION FRAN<;:AIS.E.


men t des habitudes , et c'est en cela que con siste
le »érüahlerespeet ,de la propriété, De mérne ,
quand les protestants expatriés depuis la révo-
cation de l'édit 'de Nantes réclamérent leurs
biens, l'assemblée ne leur rendit que ceuxqui
n'étaient pas vendus.


Prudente et pleine de ménagements pOUl'
les personnes, elle traitait audacieusement les
ohoses , et se montrait beaucoup plus hardie
dans les matieres de constitution, On avait fixé
les prérogatives des grands pouvoirs : il s'agis-
sait de diviser le tenritoire du royanme. Il
avait toujours été pantagá en provinces ,suc-
cessivement unies a l'ancienne France. Ces
provinces, dífférant entre elles de lois, de pri-
viléges, de moeuns , formaient l'ensemble le
plus hétérogéne. Sieyes eut ['idée de les con-
fondre par une nouvelJe division , qui anéantit
les démarcatiolls anciennes, el ramenát toutes
les parties du royaume aux mémesIois et au
méme esprit. C'est ce qui fut fait par la divi-
sien en, d,épartem.en~. Les départements fu rent
divisés en distriets , et les districts en munici-
palités. A tous CeS degrés, le príncipe de la
représentation fut admis. L'administration dé-
partementale, celIe de district el celle des
communes étaient confiées a un conseil déli-
héran't et a un conseil exécutif, également




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ([789)' 211
électifs.... Ces diverses autorités relevaient les
unes des autres , el' avaieát-dans.Pétendue de
leur ressort les mémea.attrihasious. Le dépar-
tement faisait Ia répartition de Timpót entre
les districts, le di&triQt entre les communes ,
et la commune entre les individua. .


L'assemblée fixa ensuite la qualité de citoyen
jouissant des droits politiques. Elle esigea
vingt-cinq ans et la contribution du mare d'a¡.:.:
gent. Chaque indiv:idu réunissant cescondi-
tions avait le titre de citoyen actif, et ceux qui
ne l'avaient pas se nornmaient citoyens passifs,
Ces dénoreinations BSS6Z simples furent toun-
nées en ridicule.¡-parqeqrte é1e~t:au. dénosni-
nations qu'on.s'attache quand.on veut dépl'é-.
cier les choses ; mais elles étaient naturelles et
exprimaient bien leur objeto Le citoyenactif
concourait aux élections pour la formation
des adrninistrations et de l'assemhlée. Lesélec..
tions des députés avaient deux degrés. Aucune
condition n'était exigée pour étreéligihlejoar,
comme 00 l'avait dit a.I'assemblée , on est
électeur pav son existence dans la société , et'
on doitétce éligible par la seule confiance des'
électeurs. .,


Ces travaus , interrompus par mille disous-
sions de cireenstance, étaient eependant pous-
sés avec une grande ardeur. Le coté droit n'y


\ [4·




~ r 2 R·ÉVOI.lTTION FRAN<;:A1Slt
contribuait ·que.parson obstination a les ern-
pécher, des qu'ils?agissait de disputer quelque
portien d'influence a la nation, Les députés
populaires, au contraire, quoique formantdi-
vers partis , se eonfondaient ou se séparaient
sans choc , suivant leur opinion personnelle.
Ilétait faeile d'apercevoir que ehez eux la
conviction dominait les alliances. On voyait
Thouret , Mirabeau, Duport, Sieyes, Camus,
Chapelier, tour a tour se réunirou se diviser,
suivant leur opinion dans chaque discussion.
Quant aux membres .de la.cnoblesse et du
clergé, ils.ne 'se:~nontraient que daos les dis-
cussions de partí. Lesparlements avaient-ils
rendu des arretés contre l'assemblée , des dé-
putés ou des écrivains l'avaient-ils offensée, ils
se montraient préts a les appuyer. Ils soute-
uaient les commandants militaires centre .le
peuple, les marchands négriers contre les
negres.; ils opinaient centre l'admission des
juifs et pes protestantsa la jouissance des droits
comml1ns. Enfin,qtÍaod Genes;s'éleva centre-la
France , a cause de l'affranchissement de la
Corseet de la.réunion de cette He au royaume,
ils furent pour Genes contre la France. En un
mot, étrangers, indifférellts'dans toutes les
discussions utiles, n'écoutant pas, s'entrete-
nant entre eux, ils ne se levaient qne lors-




ASSEMBLJÍE CONSTITUAJSTE (J 790). 2 J3
qu'il y avait des droits ou de la liberté a re';'
fuser -1'.


Nous l'avons déja dit, iI n'était plus possible
de tenter une grande conspiration a cóté du
roí, puisque l'aristocratieétait mise en fnite ,
et que la cour était environnée de l'assemblée,
du peuple el de la milice nationaIe. Desmou-
vements partiels étaient done tout ce que les
mécontents pouvaient essayer. lis fomentaíent
les mauvaises dispositions des officiers qui te-
naient a l'ancien ordre de choses, tandis que
les soldats , ayant tour a gagner, penchaient
pourIe nouveaa. Des I'ixes: ·violetites avaient
lieu entre l'armée 'et;1a):popmacMJ souvent les
soldats livraientleurs ehefs illá:mttlt~t'tíde:; qui
les égorgeait; d'autres fois, les Jl1éfián:ces étáient
heureuscment calmées , et toutrentrait en paix
quand les commandants des villes avaient su
se conduire avec un peu d'adresse , et avaient
prété serment de fidélité a la nouvelle consti-
tution. Le clergé avait inondé la Hrétagnerle
protestations eontre l'aliénation de ses hiens.
On táchair d' exciter un reste de fanatisme reli-
gienx dans les provinces oú l'ancienne supers-
titien-régnait-encore. Les parlements furent


* Sur la maniere d'étre des députésde la droitej voyez
un extrait des Mémoires de Ferriere, note n ,·a la fin du
'vollime.




!A14 RÉV'OLUTION FR;\.NQAISE.
aussí eropl()Y~8, él on renta un dernier essai
de Ieur autorité, Leurs vaeanees avaient été
prorQgé~l>arl'assemblée , paree qu'en atten-
dant 4e' les dissoudre , ellene voulait pas avoir
a discuter avec eux. Les eharnbres des vaca-
tions rendaient la j ustice en leur absence. A
Rouen, a Nantes, a Rennes,· elles prirent des
arrétés , oú elles déploraient la ruine de l'an-
eienne monarchie , la violation de ses lois ; et ,
saos nommer l'assemblée , semblaient l'indi-
quer eorome la cause de tous les maux. Elles
furent appeléesilla barre e' .eensuréea.aveb
mét¡<tgement,(J;eU~h.dlJll.tklnt'$',t OOOlme·pm6
.cou~bl~f'·· ftI.\. ,déclal'ée, iaeapable de remplir
ses fonctiona-Celle de Mel:a avait insinué que
le roi-n'était pas libre;et c'étaitIá.j comme
nous l'avons dit, la politique des mécontents.
Nepouvant se, servir du roi , ils cherchaient a
le représenter eomme en état d'oppression, et
voulaient vannuler ainsi toutes 16& Iois qu'il
paraissait consentir.. Lui-mérne semblait secon-
del' ¡~tte ~Iit¡q»e.lln'avait pas voulu rappe-
l~r ses gardes-du-corps renvoyés aux5 el 6
octobre , et se faisait garder par la miliee na-
tionale , au .milieu de laquelleil se savait en
súreté. Son intention était de paraitre captif.
La eommune de París déjoua cette trop petite
ruse , en priant le roi de rappeler ses garde~




ASSEMBLÉE CONSTlTU ANTJ¡ (17~)O j. 2 1 ~
ce qu'il refusa sous de vains prétextes , et par
l'intermédiaire de la reine ....


L'année i 790 venait de commencer, et une
agitation généi'ale se faisait sentir. Trois mois
assez calmes s'étaient écoulés depuis les 5 et 6
octobre, et l'inquiétude semblait se renouve-
ler. Les grandes agitations sont suivies de
repos, et ces repos de petites crises , jusqu'á
des crises plus grandes. 00 aecusait de ces
troubles, le clergé, la noblesse , la cour, l'An-
gleterre méme, qui chargea son ambassadeur
de la justifier. Les compagnies soldées de la
ganle nationale furent elles - mémes atteintes
de cette inqniétude générale. Quelques soldats
réunis aux Champs-Élysées demanderent une
augmentation de paie. Lafayette.présent par·
tont, accourut, les dispersa, les punit, el ré-
tablit le calme dans sa ,troupe tonjours fidele ,
malgré ces légeres interruptions de discipline.


00 parlait surtout d'un complot contre l'as-
semblée el la municipalité , dont le chef sup-
posé était le marquis de Favras. 11 fut arrété
avec éc1at, et livré au Chátelet. On répandit
aussitót que Bailly et Lafayette avaient dú étre
assassinés; qne douze cents chevaux étaient
préts a. Versailles pourenlever le roi; qu'une


• Voyez la note 1'1 a la fin du volume.




2. 16 RÉVOLUTION FRAN~A1SE.
armée , eomposée de Suisses et de Piémontais,
devait le reeevoir, et marcher sur Paris. L'a-
larrne se répandit; on ajouta que Favras était
l'agent secret des personnages les plus élevés.
Les soupc;ons se dirigerent sur Monsieur, frere
du roi. Favras avait été dans ses gardes, et avait
de plus négocié un emprunt pour son compte.
Monsieur, effrayé de l'agitation des esprits, se
présenta a l'Ho_tel-de-Ville, prote~ta contre les
iusinuatious dont il était l' objet, expliqua ses
rapports avec Favras, rappela ses dispositions
populaires , manifestées autrefois dans l'assem-
blée des notables, et demanda aétre jugé, non
sur les hruits publics, mais sur son patriotisme
connu et point dérnenti *. Des applaudisse-
ments universels couvrirent son discours, et
il fut reconduit par la foule jusqu'á sa de-
meure,


Le proces de Favras fut continué. Ce Favras
avait couru I'Europe, épousé une princesse
étrangere , et faisait des projets pour rétablir
sa fortune. II en avait fait au 14 juillet, aux 5
et 6 octobre , et dans les derniers mois de 1790.
Les témoins qui l'accusaient précisaient son
dernier plan. L'assassinat ele Baillyet de La-
fayette, l'enlevement du roi paraissaient faire


• Voyez la note 14 a la fin du volume.




ASSEMBLÉE COl'iSTITUANTE (1790). 217
partie de ce plan; mais on n'avait aucune
preuve que les douze cents chevaux fussent
préparés , ui que l'armée suisse ou piémontaise
fút en mouvement. Les circonstances étaient
pell favorables a Favras. Le Chátelet venait
d'élargir Besenval et autres impliqués dans le
complot du J 4 juillet ; l'opinion était mécon-
ten te. Néanmoins Lafayette rassura les mes-
sieurs du Chátelet , leur demanda d'étre justes,
etIeur promit que Ieur jugement, q uel qu'il
fút , serait exécuté.


Ce preces fit renaitre les soup~ons contre la
cour. Cesnouveaux projets la faisaient paraitre J
incorrigihle; car, au milieu méme de París, on
la voyait conspirer encore. On conseilla done
au roi une démarche éclatante qui püt satis-
faire J'opinion publique.


Le 4 février 1790, I'assernblée fut étonnée
de voir quelques changements dans la dispo-
sitien de la salle. Un tapis a fleurs de lis re-
-couvrait les marches du bureau. Le fauteuil
des secrétaires était rabaissé ; le présideut était
debout a coté du siége oú il était ordinaire-
ment assis. Voici le roi , s'écrient tout-a-coup
les huissiers ; et Louis XVI entre aussitót dans
la salle. L'assemblée se leve a son aspect, et il
est recu au milieu des applaudissements, Une
foule de spectateurs rapidement accourus oc-




218 RJ.;VOLUTION FRAN<;;AISE.


cupent les tribunes, envahissent toutes les pal'-
ties de la salle, et attendent avec la plus grande
impatience les paroles royales. Louis XVI
parle debout a l'assemblée assise: il rappeHe
d'abord les troubles auxquels la Frarrce s'est
trouvée en proie , les efforts qu'il a faits pOUI'
les calmer, et ponr assurer la subsistance du
peuple; il récapitule les travaux des représen-
tants, en déclarant qu'il avait tenté les mémes
choses dans les assemblées provinciales; il
montre enfin qu'il avait jadis manifesté lui-
mérne les vceux qui vierinent d'étre réalisés.
U ajoute qu'il eroit devoir plus spécialement
s'unir aux représentants de la nation , dans un
moment oú on lui a soumis les décrets desti-
nés a établir dans le royaume une organisa-
tion nouvelle. 11 favorisera, dit-il , de tout son
pouvoir, le succés de cette vaste organisation;
toute tentative contraire serait coupable et
poursuivie par tous les moyens. A ces mots,
des applaudissements retentissent. Le roi pour-
suit; et, rappelant ses propres sacrifices, il
engage tous ceux qui out perdu quelque chose
a irniter sa résignation, et a se dédommager
de leurs pertes par les biens que la constitu-
tion nouvelle promet a la France. Mais, lors-
qu'apres avoir promis de défendre cette cons-
titution , il ajoute qu'il fera davantage encore ,




ASSEIIUILÉE CONSTITU ANTE (1790). 219
et que, de concert avec la reine, il préparera
de honne heure l'esprit et le coeur de son fils
au nouvel ordre de choses , et l'habituera a
étre heureux du bonheur des Francais , des
cris .d'amour s'échapp. de toutes parts,
toutes les rnains sont tendues vers le monarque,
tous les yeux cherchent la mere et l'enfant,
toutes les voix les demandent; les transports
sont universels. Enfin le roi termine son dis-
eours en recommandant la concorde et la paix
a ce bon peuple dont on l'assure qu'il est aimé,
quand on veut le consoler de ses peines *.
A ces derniers mots, tous les assistants écla-
tent en témoignages de reconnaissance. Le
président fait une courte réponse o.n il ex-
prime le désordre de sentiment qui regne
dans tous les coeurs. Le prince est reconduit
aux Tuileries par la multitude. L'assemblée Iui
vote des remerciments a lui et a la reine. Une
nouvelle idée se présente : Louis XVI venait
de s'engager a maintenir la constitution; c'é-
tait le cas pour les députés de prendre cet
engagement a leur tour. On propose done le
serment civique , et chaque député vient jurel'
d'étre fidele ti la nation , ti la loi el au roí;
el de maintenir de tout son pouvoir la consti-


.. Voyez la note 15 a la /in du volume,




220 HÉVOLlJTION FHAN<;:AISE.


tution décrétée par l'assemblée nationale el
acceptée par le roí. Les suppléants , les dépu-
tés du commerce, demandent apréter le ser-
ment a leur tour; les tribnnes, les amphi-
théátres les imitenti~ et de toutes parts on
n'entend plus que ces mots : -le le jure.


Le serment fut répété al'Hótel-de-Ville , et de
communes en communes par toute la France.
Des réjouissances furent ordonnées ; l'effusion
parut génórale et sincere. C'était le cas san s
doute de recommencer une nouvelle conduite,
et de ne pas rendre cette réconciliation inutile
cornme toutes les autres j mais le soir méme ,
tandis que Paris brillait des feux allumés pour
célébrer cet heureux événement , la conr était
déjá revenue a son humeur, et les députés po-
pulaires y recevaient un accueil tout différent
de celui qui était réservé aux députés nobles.
En vain Lafayette , dont les avis pleins de sens
et de zele n'étaient pas suivis , répétait a la
cour, que le roi ne pouvait plus balancer, et
qu'il devait s'attacher entierement au partí po-
pulaire , et s'efforcer de gagner sa confiance;
que pour cela ji fallait que ses intentions ne
fussent pas seulernent proclamées a l'assern-
blée, rnais qu'elles fussent manifestées par ses
moindrrs actions; qu'il devait s'offenser du
moindre propos équivoqne tenu devant lui,




·ASSEMBLÉF. CONSTITUANTE (J790). 221
et repousser le moindre doute exprimé sur sa
volonté réelle ; qu'il ne devait montrer ni con-
trainte, ni mécontentement, ne laisser aucune
espérance secrete aux aristocrates ; et enfin
que les ministres devaient étre unis, ne se
permettre aucune rivalité avec l'assemblée , et
ne pas l'obJiger a recourir sans cesse a l'opi-
nion publique. En vain Lafayette répétait - il
ces sages conseils avec des instauces respec-
tueuses ; le roi recevait ses lettres, le trouvait
horméte homme; la reine les repoussait avec
bumeur, et semblait rnérne s'irriter des res-
pects du généra1. Elle accueillait bien mieux
Mirabeau, plus influent , mais eertainement
moins irréprochable que Lafayette.


Les communications de Mirabeau avec la
cour avaient continué. 11 avait mérne entre-
tenu des rapports avec Monsieur , qne ses opi-
nions rendaient plus accessible au partí pOpll-
laire, el il lui avait répété ce qu'il ne cessait
d'exprimer ala reine et aM. de Montmorin,
c'est que la monarchie ne pouvait étre sauvée
que par la liberté. Mirabeau fit enfin des con-
ventions avec la cour, par le secours d'un in-
termédiaire. Il énonca ses príncipes daos une
espece de profession de foi, il s'engagea a ne
pas s'en écarter , et a soutenir la cour tant
qu'elle demeurerait sur la méme ligne. On lui




,


222 RÉVOLUTlON FRANC;:AISE.


donnait en retour un traitement assez consi-
dérable, La morale sans doute condamne de
pareils traités, et on veut que le devoir soit
fait pour le elevoir seul. Mais était-ce la se ven-
dre? Un homme faible se fút vendu sans doute ,
en sacrifiant ses principes, mais le puissant
Mirabeau,loin de sacrifier les siens , yamenait
le pouvoir, et recevait en échange les secours
que ses grands besoins et ses passions désor-
données lui rendaient indispensables. Diffé-
rent de ceux qui livrent fort eher de faibles
talents et une láche conscience, Mirabeau,
inébranlable dans ses principes , combattait
alternativement son parti Oll la cour , comme
s'i] n'avait pas attendu du premier la popula-
rité, et de la seconde ses moyens d'existence.


/ '


Ce fut a tel point que les historiens , ne pou-
vant pas le eroire allié de la cour qu'il eom-
battait, n'ont placé que dans l'année 1791 son
traité, qui a été fait eependant des les pre-
miers mois de 1790. Mirabeau vit la reine, la
charma par sa supériorité , et en recut un ac-
eueil qui le flalta beaucoup. Cet homme ex-
traordinaire était sensible a tous les plaisirs, a
eeux de la vanité comme a eeux des passions.
Il fallait le prendre avec sa force et ses fai-
hlesses, et l'employer au profit de la cause
commune, Outre Lafayette et Mirabeau, la




ASSl':MUÉE GONSTJTUANTE (J790)' 2:d


cour avait encere Bouillé, qu'il est temps de
faire connaitre.


Bouillé, plein de courage, de droiture et de
talents, avait tous les penchants de l'aristo-
cratie , et ne se distinguait d'elle que par
moins d'aveuglement et une plus grande hahi-
tude des affaires. Retiré a Metz , commandant
la une vaste étendue de frontieres , et une
grande partie de l'armée, il táchait d'entrete-
nir la méfiance entre ses troupes et les gal'de~
nationales, afio de eonserver ses soldats a la
cour ", Placé la en expeetative, il effrayait le
partí populaire, et semblait le général de la
monarehie, eomme Lafayette eelui de la cons-
titution. Cependant l'aristocratie lui déplai-
sait , la faiblesse du roi le dégoútait du service ,
et il l'eút quitté s'il n'avait été pressé par
Louis XVI d'y demeurer. Bouillé était plein
d'honneur. Son serrnent prété , il ne songea
plus qu'a servir le roi et la constitution. La
cour devait done reunir Lafayette, Mirabeau
et Bouillé ; et par eux elle aurait eu les g~rdes
nationales , l'assemblée et l'armée, e'est-a-dire ,
les trois puissances du jour.Quelques motifs,
il est vrai , divisaient ces trois personnage~.
Lafayette, plein de bonne volonté , était prp{


* C'est fui qui le dit dans ses Mémnires.




2~4 RÉVOLU'l'ION FRAN~AIS:¡':.
as'unir avec tous ceux qui voudraient servir
le roi et la constitution ; mais Mirabeau jalou-
sait la puissance de Lafayette, redoutait sa
pureté si vantée, et semblait y voir un repro-
che. Bouillé haíssait en Lafayette une convic-
tion exaltée, et peut-étre un ennemi irrépro-
chable; il préférait Mirabeau, qu'il croyait plus
maniable, et moins rigoureux dans sa foi po-
litique. C'était a la cour á unir ces trois hom-
mes, en détruisant leurs motifs particuliers
d'éloignement. Mais il n'y avait qu'un moyen
d'union , la monarchie libre. Il fallait done s'y
résigner franchement, et y tendre de toutes ses
forces. Mais la cour toujours incertaine, sans
repousser Lafayette, l'aecueillait froidernent ,
payait Mirabeau qui la gourmanclait par inter-
valles, entretenait l'humeur de Bouillé contre
la révolution, regarclait l'Autriche avec espé-
rance , et laissait agir l'émigration de Turin.
Ainsi fait la faiblesse : elle eherehe a se don-
ner des espérances plutót qu'a s'assurer le
succes , el elle ne parvient de eette maniere
qu'á se perdre , en inspirant des soup(,;ons qui
irritent autant les partis que la réalité mérne,
cal' il vaut mieux les frapper que les menacer.


\1 En vain Lafayette, qui voulait faire ce que
la cour ne falsait pas, écrivait-il aBouillé , son
parent, pour l'engager a servir le tróne en




ASSEl\fllLiE CONSTlTUANTE (1790). 2,,5
eommun , et par les seuls moyens possibles ,
ceux de la franchise et de la liberté; Bouillé,
mal inspiré par la cour, répondait froidemcnt
et d'une maniere évasive, et, sans rieu tenter
contre la constitution, continuait a se rendre
imposant par le secret de ses intentions et la
force de son armée.


Cette réconciliation du [~ février, qui aurait
pu avoir de si grands résultats, fut done vaine
et inutile. Le preces de Favras fut achevé, et
soit crainte, soit conviction, le Chátelet le
condamna a étre pendu. Favras montra, dans
ses derniers moments, une fermeté dig~le d'un
martyr, et non d'un intrigant. Il protesta de
son innocence, et demanda a faire une décla-
ration avant de mourir. i}échafaud était dressé
sur la place de Greve, On le conduisit a I'Hótel-
de - Ville, oú il derneura jusqu'a la nuit. Le
peuple voulait voir pendre un marquis , et at-
tendait avec impatience cet exemple de l'éga-
lité dans les supplices. Favras rapporta qu'il
avait en des cornmunications avec un grand de
l'état , qui l'avait engagé a disposer les esprits
en faveur du roí. Cornme il fallait faire q uelques
dépenses, ce seigneur lui avait donné cent
Iouis qu'il avait .acceptés. II assura que son
(Time se bornait la, el il ne nomrna personne.
Cepenrlant il demanda si l'aveu des noms


J. 11)




226 RÉVOLUTlON }'RAN~AISE.
pourrait le sauver. La réponse qu'on luí fit ne
I'ayant pas satisfait , en ce cas , dit-il, je mour-
rai avec mon secret; et il s'achernina vers le
lieu du supplice avec une grancle fermeté. La
nuit régnait sur la place de l'exécution , et on
avait éclairé jusqu'a la potence. Le peuple se
réjouit de ce spectacle , content de trouver de
l'égalité mérne a l'échafaud; il Y méla.d'atroces
railleries , et parodia de diversos manieres le
supplice de cet infortuné. Le corps de Favras
fut renda a sa famille, et de nouveaux événe-
ments firent hientót oublier sa mort a ceux
qui l'avaient puní, et a ceux qui s'en étaient
servis.


Le clergé désespéré continnait d'exciter de
petites agitations sur"'toute la surface de la
France. La noblesse eomptait heaucoup sur
son influence parmi le peuple. Tant que l'as-
semblée s'était eontentée, par un décret , de
mettre les biens ecclésiastiques ala disposition
de la nation, le c1ergé avaitespéré que I'exé-
cution du décret n'aurait pas Iieu ; et, pour la
rendre inutile , il suggérait milIe mayens de
subvenir aux besoins du trésor. L'abbé Manry
avait proposé un impót sur le luxe, et l'abbé
de Salsede lui avait répondu en proposant, a
son tour, qu'aucun ecclésiastique ne püt avoir
plus de mille écus de revenus, Le riche abbé





ASSEJ\JBLF:E CONSTITUANTE (1790)' ~27
se tut a une motion pareille. Une autre fois ,
en discutant sur la dette de l'état , Cazales avait
conseillé d'examiner, non pas la validité des
titres de chaque créauce • mais la créance elle-
me me , son origine et son motif; ce qui était
renouveler la banqueroute par le moyen si
odieux et si usé des chambres ardentes. Le
clergé, ennemi des créanciers de l'état aux-
queIs iI se croyait sacrifié , avait soutenu la pro-
position malgré le rigorisme de ses principes
en fait de propriété. Maury s'était emporté
avee violence et avait manqué a I'assemhlée ,
en disant aune partie de ses membres, qu'ils
n'avaient que le courage de la honte. L'assem-
blée en avait été offensée , et voulait l'exclure
de son sein. Mais Mirabeau , qui pouvait se
croire attaqué, représenta ases collegues que
chaque député apparrenait a ses commettants,
et qu'on n'avait pas le droit d'en exclure un
seul. Cette modération convenait ala véritable
supériorité; elle réussit , et Maury fut plus puni
par une censure qu'il ne l'eút été par l'exclu-
sion. Tous ces moyens inventés par le clergé,
pour mettre les créanciers de l'état asa place,
ne lui servirent de rien, et l'assembIée décréta
la vente de 400 millions de biens du domaine
et de l'Église. Désespéré alors, le clergé fit
courir des écrits parmi le penple, et répandit


IS.




228 RÉVOLUTION i'RAN<,jA.ISE.


que le projet des révolutionnaires était d'atta-
quer la religion catholiqne. C'est dans les pro-
vinces du Midi qn'il espérait obtenir le plus
de succes. On a Vil que la premiéreémigration
's'était dirigée vers Turin. C'est avec le Lan-
guedoc et la Provence qu'elle entretenait ses
principales communications. Calonne, si céle-
bre sous les notables, était le ministre de la
cour fugitive. Deux partís la divisaient : la
haute noblesse voulait maintenir son ernpire ,
et redoutait l'intervention de la noblesse de
province , et surtout de la bourgeoisie. Aussi ne
voulait-elle recourir qu'a l'étranger ponr réta-
blir le tróne. D'ailleurs, user de la religion,
eomme le proposaient les émissaires des pro-
vinces, lui semhlait ridiculeá elle qui s'était
égayée pendant un siecle des plaisanteríes de
Voltaire. L'autre parti, composé de petits no-
hles, de bourgeois expatriés, voulait combattre
la passion de la liberté par une autre plus forte,
eelle du fanatisme, et vainere avec ses seules
forces, sans se mettre ala merci de l'étranger.
Les premien. alléguaient les vengeances per-
sonnelles de la gnerre civile, pour excuser
l'interventíon de l'étranger; les seconds soute-
naient que la guerre civile comportait l'effusion
dn sang, mais qu'il ne fallait pas se souiller
d'une trahison. Ces derniers , plus eonragellx,




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 2..29
plus patriotes, mais plus féroces, ne devaient
pas réussir dans une eour oú régnait Calonne.
Cependant, comme OH avait besoin de tout 'le
moade , les comrnunications furenl continuées
entre Turin et les provinces méridionales. On
se décida aattaquer la révolution par la guerre
étrangere et par la guerre civile, et pour cela,
on tenta de réveilIer l'ancien fsnatisme de ces
contrées ".


Le clergé ne négligea rieu pour seconder ce
plan. Les protestants excitaient dans ces pays
l'envie des catholiques. Le cIergé profita de
ces dispositions , et surtout des solennités da
Páques. A Montpellier, á Nimes , aMontauban,
l'antique íanatisme fut réveillé par tous leos
moyens.


Charles Lameth se plaignita la tribune de
ce qu'on avait abusé de la quinzaine de Páques
pour égarer le peuple et l'exciter eontre les
lois nouvelIes. A ces mots, le cIergé se souleva,
et voulut quitter l'assemblée. L'évéque de Cler-
mont en fit la menace, et une fouJe d'ecclé-
siastiques déja debout allaient sortir, mais on
rappela Charles Lameth 'a l'ordre, et le tU'7
multe s'apaisavCependant la vente des biens
du clergé était mise a exécution; il en était


* Voycz la note 1611 la lin du volume.




~3o RÉVOLUrrION FRA.N~AISE.
aigri, et ne négligeait aueune occasion de faire
éclater son ressentiment. Dom Gerle, ehartreux
plein de bonne foi dans ses sentiments religieux
etpatriotiques , demande un jour la parole, et
propose de déclarer la religion catholique, la.
seule religion de l'état ': Une foule de députés
se lévent aussitót , et se disposent a voter par
aeclamation, en disant que e'est le cas pour
l'assemblée de se justifier du reproche qU'OlI
lui a fait d'attaquer la religion eatholique. Ce-
pendant que signifiait une proposition pareille?
Ou le décret avait pour but de donner Un pri-
vilége a la religion eatholique, et aueune ne
doit en avoir; ou il était la déclaration d'un
fait, c'est que la majorité francaise était catho-
lique; et le fait n'avait pas besoin d'étre dé-
ciaré. Une telle proposition ne pouvait done
étre accu eillie, Aussi, malgré les efforts de la
noblesse et dn clergé, la diseussion fut ren-
voyée au lendemain. Une foule immense était
aeeourue; Lafayette, averti que des malveil-
lants se disposaient aexciter du trouble, avait
doublé la garde. La discussion s'ouvre : un
ecclésiastique menace l'assemblée de malé-
diction; Maury pousse ses eris accoutumés;
Menon répond avee calme atous lesreproehes


~. Séance du 12 avriL




ASSEMBLÉE CONSTlTU ANTE (1790). ~dl'
faits a l'assemblée, et dit qu'on ne peut rai-
sonnablement ras l'accnser de vouloir abolir
la religion catholique , a l'instant oú elle va
mettre les dé penses de son culte au rang des
.dépenses publiques; il propose done de passer
al'ordre du jour. Dom Gerle , persuadé , retire
alors sa motion, et s'excuse d'avoir excité un
pareil tumulte. M. de Larochefoueault pré-
sente une rédaction nouvelle, et sa proposition
succede a celle de Menou. Tout-a-coup un
membre du coté droit se plaint de n'érre pas
libre, interpelle Lafayette, et lui demande
pourquoiil a doublé la garcle. Le motif n'était
pas suspect , cal' ee n' était pas le coté gauehe
qui pouvait redouter le peuple, et ce n'était
pas ses amis que Lafayette cherchait aproté-
gel'. Cette interpellation augmente le tumulte ;
néanrnoins la discussion continue. Dans ces
débats , on cite Louis XfV:- (eJe ne suis pas
étonné, s'écrie alors Mirabeau , qu'on rappelle
le regne oú a été révoqué l'édit de Nantes;
mais songez que de eette trihune oú je parle,
j'apercois la fenétre fatale d'oú un roi , assassin
de ses sujets, mélant les intéréts de la. terre a
ceux de la religioIl , donna le signal ele la Saint-
Barthélemy. » Cette terrible apostrophe ne ter-
mine pas la discussion qui se prolonge encore.
La proposition du due de Larochefoucault




2:h RÉVOLUTlON FRAN<,;AISE.
est en fin adoptée, L'assemblée déclare que ses
sentirnentssont connus , mais que, par respect
pour la liberté des consciences , elle ne peut
ni ne doit délibérer sur la proposition qui Iui
est soumise.


Quelques jours étaient apeine écoulés, qu'un
autre moyen fut encore employé pour mena-
cer l'assemblée et la dissoudre. La nouvelle
organisation du royaume était achevée, le
peuple allait étre convoqué pour élire ses roa-
gistrats, et on imagina de lui faire nommer en
méme temps de nouveaux députés, ponr rem-
placer ceux qui composaient l'assemblée ac-
tuelle. Ce moyen, proposé et discuté une au-
tre fois, avait déja été repoussé. Il fut renou-
velé en avril 1790. Quelques cahiers bornaient
les pouvoirs a un an; il Y avait en effet prés
d'une année que l'assernblée était réunie. Ou-
verte en mai 1789, elle touchait au mois
d'avril 1790. Quoique les cahiers eussent été
annulés , quoiqu'on eút pris l'engagement de
ne pas se séparer avant l'achevement de la
constitution , ces hommes ponr lesquels il n'y
avait ni décret rendu, ni serment prété , quand
il s'agissaitd'aller a leur but, proposent de
faire élire d'autres députés et de leur céder la
place. Maury, chargé de cette journée , s'ac-
quitte de son role avec autant d'assurance




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE ([ 790). 233
que jamais , mais avec plus d'adresse qu'á son
ordinaire. Il en appelle lui-méme a la souve-
raineté du peuple, et dit qu'on ne peut pas
plus long-temps se mettre a la place de la na-
tion , et prolonger des pouvoirs qui ne sont
que temporaires, n demande aquel titre on
s'estrevétu d'attributions souveraines; il sou-
tient que cette distinction entre le pouvoir
législatif et constituant est une distinction chi-
mérique, qu'une convention souveraine ne
peut exister qu'en l'absence de tout gouverne-
ment jet que si l'assemblée est cette conven-
tion , elle n'a qu'a détróner le roi et déclarer
le tróne vacant. Des cris l'interrompent a ces
mots, et manifestent l'indignation générale.
Mirabeau se leve alors avec dignité : « On
« demande, dit-il , depuis quand les députés
( du peuplesont devenus convention natío-
« nale? Je réponds : C'est le jour oú , trou-
« vant l'entrée de leurs séances environnée de
« soldats, ils allerent se réunir dans le premier
« endroit oú ils purent se rassembler, pour
« jurer de plutót périr que de trahir et d'aban-
« donner les droits de la nation. Nos pouvoirs ,
« qnels qu'ils fussent, ont changé ce jour de
,( nature. Quels que soient les pouvoirs que
« nous avons exercés , nos efforts, nos tra-
« vaux les ont légitimés : l'adhésion de toute




234 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
{( la nation les a sanctifiés, Vous vous rappelez
« tous le mot de ce grand homme de l'antiqui-
{( té, qui avait négligé les formes légales pour
« sauver la patrie. Somrné par un trihun fac-
{( tieux de dire s'il avait observé les lois, il
l( répondit : Je jure que j'ai sauvé la patrie.
« Messieurs (s'écrie alors Mirabeau en s'adres-
{( sant aux députés des communes), je jure
{( que vous avez sauvé la France ! »


A ce magnifique serment, dit Ferrieres , I'as-
semblée tout entiére , eomme entrainée par
une inspiration subite , ferme la discussion , et
décrete que les réunions électorales ne s'occu-
peront point de l'élection des nouveaux dé-
purés.


Ainsi ce nouveau moyen fut encore inutile,
et I'assemblée put continuer ses travaux. Mais
les troubles n'en continuérent pas rnoins par
toute la Fnance. Le commandant De Voisín fut
massacré par le peuple; les forts de Marseille
furent envahis par la garde nationale, Des
mouvements en sens contraires eurent lieu a
Nimes et a Montauhan. Les envoyés de Turin
avaient excité les catholiques ; ils avaient faít
des adresses , dan s lesquelles ils déclaraient la
monarchie en danger, et demandaíent que la
relígíon catholique fút déclarée religion de ré-
tato Une proclamation royale avait en vain ré-




ASSEMBLÉE COl'lS'l'lTUANTE (1790). 235
pondu; ils avaient répliqué. Les protestants en
étaient venus aux prises avec les catholiques;
et ces derniers, attendant vainement les se-
cours promis par Turin , avaient été enfin re-
poussés. Diverses gardes nationales s'étaient
mises en mouvement, pour secourir les pa-
triotes contre les révoltés; la lutte s'était ainsi
engagée, et le vicomte de Mirabeau, adver-
saire déclaré de son illustre frere , annoncant
lui-méme la guerre civile du haut de la trihune ,
sembla, par son mouvement , son geste, ses
paroles, la jeter dan s l'assemblée.


Ainsi, tandis que la partie la plus modérée
des députés táchait d'apaiser l'ardeur révolu-
tionnaire, une opposition indiscrete excitait
une fievre que le repos aurait pu calmer , et
fournissait des prétextes aux orateurs populai-
res les plus violents, Les clubs en devenaient'
plus exagérés. CeIui des Jacobins, íssu du club
Breton, et d'abord établi a Versailles, puis a
Paris, l'emportait sur les autres , par le nom-
bre, les talents et la violence. * Ses séanoes
étaient suivies comme celles de l'assemblée
elle-méme, Il devancait toutes les questions


.. Ce club, dit des A mis de la constitution , fut trans-
féré aParis en octobre ) 789, et fut connu a101's sous le
nom de club des Jacobins, paree qu'il se réunissait dans
une salle du couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré,




236 nÉvoLuTION FRAN~AISE.
que celle-ci devait traiter, et émettait des dé-
cisions, qui étaient déja une prévention pour
les législateurs eux-mémes. La, se réunissaient
les principaux députés populaires, et les plus
obstinés y trouvaient des forces et des excita-
tions. Lafayette , pOl1r combattre cette terrible
influence, s'était concerté avec BailIy et les
homrnes les plus éclairés , et avait formé un .au-
tre club, dit de 89, et plus tard des Feuillants "..
Mais le moyen était impuissant ; une réu...
Ilion de cent hommes calmes et instruits ne
pouvait appeler la foule comme le club des
Jacobins, oú onse livrait a toute la véhémence
des passions populaires. Fermer les clubs eút
été le seul moyen, mais la cour avait trop peu
de franchise et inspirait trop de défiance, pour
que le parti populaire songeát a employer une
·ressource pareille. Les Lameth dominaíent au
club des Jacobins. Mirabeau se montrait égale-
ment dans l'un et dans l'autre; il était évident
a tous les yel1x que sa place était entre tous
les partís. Une occasion se présenta hientót oii
son role fut encore mieux prononcé, et o u il
remporta pour la monarchie un avantage mé-
morable, comme HOUS le verrons ci-apres.


.. Fo-rmé le 12 mai,




ASSE1\fB'LÉE CONSTITUANTE ('790). 237


CHAPITRE V.


'liiil'G'"


Étatpolitique et dispositions des puissances étrangéres
en 1790. - Discussions sur le droit de la paix et de la
guerreo _ Premiére institution du papier-monnaie OH
des assignats, - Organisation judiciaire. - Constitu-
tion civile du c1ergé.- Abolition des litres de noblesse.
- Anniversaire du 14 juillet. Féte de la prerniére fédé-
ration. - Révolte des troupes aNancy. - Retraite de
Necker. - Projets de la cour el de Mirabeau. -]<'or·-
mation du camp de Jales. - Serment civique imposé
aux ecclésiastiques.


A. L'ÉPOQUE oú nous sornmes arrivés,· la
révolution francaise commencait d'attirer les
regards des souverains étrangers; son langage
était si élevé , si ferme; il avait un caractere
de généralité qui semblait si bien le rendre
propre a plus d'un peuple, que les princes
étrangers durent s'en effrayer. On avait pu
croire jusque-lá a une agitation passagere ,




238 RÉVOLUTION FRANpISE.
mais les succes de l'assemblée, sa fermeté, sa
constance inattendue , et surtout l'avenir qu'eIle
se proposait et qu'elle proposait a toutes les
nations, durent lui attirer plus de considéra-
tion et de haine , et lui mériter l'honneur d'oc-
cuper les cabinets. L'Europealors était divisée
en deux grandes ligues ennemies: la ligue
anglo-prussienne d'une part, el les cours im-
périales de l'autre,


Frédéric-Guillaume avait succédé au grand
Frédéric sur le tróne de la Prusse, Ce prinee
mobile et faible, renoncant a la politique de
son illustre prédécesseur, avait abandonné l'al-
lianee de la France pour ceHe de I'Angleterre.
Uni a cette puissance , il avait formé cette fa-
meuse ligue anglo-prussienne, qui tenta de si
grandes choses et n'en exécuta aucune ; qui
souleva la Suede , la Pologne, la Porte, contre
la Russie et l'Autriche; abandonna tons eeux
qu'elle avait soulevés, et contribua méme a
les dépouiller, en partageant la Pologne.


Le projet de l'Angleterre -et de la Prusse
réuniesavait été de ruiner la Russie el I'Au-
triche , en suscitant eontre elles la Suede oú
régnait le chevaleresque Gustave, la Pologne
gémissant d'un premier partage, et la Porte
courroucée des invasions russes, L'intention
particuliere de l' Angleterre, dans cette ligne,




A.SSEAIBLÉE CONSTITUANTE (J790). 239
était de se venger des secours fournis aux
colonies américaines par la France , sans lui
déclarer la guerreo Elle en avait trouvé le
moyen en mettant aux prises les Turcs et les
Russes, La Franee ne pouvait demeurer neu-
tre entre ces deux peuples san S s'aliéner les
Turcs, qui cornptaient sur elle, et sans per- .
dre ainsi sa domination commerciale dans le
Levant, D'autre part, en participant a la
gilerre , elle perdait l'alliance de la Russie ,
avee laquelle elle venait de conclure un traité
infiniment avantageux, qui lui assurait les bois
de construction, et tous les objets que le Nord
fournit abondamrnent a la marine. Ainsi dans
les deux cas, la France essuyait un dornmage.
En attendant , I'Angleterre disposait ses forces
et se préparait a les déployer au besoin. D'ail-
Ieurs , voyant le désordre des finances sous
les notables, le désordre populaire sous la cons-
tituante, elle croyait n'avoir pas besoin de la
guerre, et on a pensé qu'elle airnait encore
mieux détruire la France par les troubles inté-
rieurs que par les armes. Aussi I'a-t-on accusée
toujours de favoriser nos discordes.


Cette ligue anglo-prussienne avait fait livrer
quelques batailles, dont le succes fut balancé.
Gustave s'était tiré en héros d'une position oú
il s'était engagé en aventnrier. La Hollanrle in-




240 RÉVOLUTION FRANltAISF:.
surgée avait été soumise au stathouder par les
intrigues anglaisos et les armées prussiennes.
L'habile Angleterre avait ainsi privé la France
d'une puissante alliance maritime; et fe mo-
narque prussien, qui.ne cherchait que des
succes de vanité , avait vengé un outrage fait
par les états de Hollande aI'épouse du stat-
houder, qui était sa propre soeur. La PoLogne
achevait de se constituer, et allait prendre les
armes. La Turquie avait été battue par la Rus-
sie, Cependant la mort de l'empereur d'Au-
triche , Joseph Il, survenue en janvier 1790,
changea la face des événements, Léopold, ce
prince éclairé et pacifique, dont la Toscane
avait béni l'heureux regne, lui succéda, Léo-
pold, adroit autant que sage, voulait mettre
fin a la guerre, et pour y réussir il employa
les ressources de la séduction, si puissantes
sur la mobile imagination de Frédéric-Guil-
laume. On fit valoir a ce prince les douceurs
du repos, les maux de la guerre qui depuis si
long-temps pesaient sur son peuple, enfin les
dangers de la révolution francaise qui procla-
mait de si fnnestes principes. On réveil1a en
lui les idées de pouvoir absolu , on lui fit
méme concevoir l'espérance de chátier les ré-
volutionnaires franeais , comme il avait chátié
ceux de Hollande; et il se laissa entrainer, a




ASSEMllLÉE CONSTITUANTE (1790). 241
l'instant oú il allait retirer les avantages de
cette ligue si hardiment concue par son mi-
nistre Hertzberg. Ce fut en juillet 1790 que
la paix fut signée a Reichenbach. En aoút , la
Russie fit la sienne avec Gustave, et n'eut plus
affaire qu'a la Pologne peu redoutable, et aux
Turcs battus de toutes parts. Nous ferons con-
naitre plus tard ces divers événements, L'at-
tention des puissances finissait done par se di·
riger presque tout entiere sur la révolution
de France. Quelque temps avant la conclusion
de la paix entre la. Prusse et Léopold , lors-
que la ligue anglo-prussienne menacait les denx
cours impériales, et poursuivait secrétement
la France, ainsi que l'Espagne, notre cons-
tante et fidele alliée , quelques navires anglais
furent saísís dans la baie de Notka par les Es-
pagnols. Des réclamations tres -vives furent
élevées, et suivies d'un armement gélléral dans
les ports de l'Angleterre. Aussitót l'Espagne,
invoquant les traités, demanda le secours de
la Franee, et Louis XVI ordonna l'équipement
de quínze vaisseaux. On accusa l'Angleterre
de vouloir, dans cette occasion, augmenter nos
embarras. Les clubs de Londres, il est vrai ,
avaíent plusieurs fois complimenté l'assemblée
nationale, mais le cabinet laissait quelques
philantropes se livrer a ces épanchements


l. 1 (¡




~4'A RÉVOLUTION FRAN~AlSE.
phiJosophiques, et pendant ce temps payait,
dit-on , ces étonnants agitateurs qui reparáis-
saient partout, et donnaient tant de peine
aux garcles nationaJes du royaume. Les trou-
bIes intérieurs furent plus grands encore au
moment de l'armement général, et on ne put
s'empécher de voir une liaison entre les mena-
ces de l' Angleterre et la renaissance du dé-
sordre. Lafayette surtout, qui ne prenait guere
la paroJe dans l'assemblée que pour les objets
qui intéressaient la tranquillité publique, La-
fayette dénonca a la tribune une influence se-
crete. « Je ne puis , dit-il , m'empécher de faire
remarquerva l'assemblée cette fermentation
nouvelle et combinée, qui se manifeste de
Strasbourg á Nimes , et de Brest aToulon, et
qu'en vain les ennemis du peuple voudraient
lui attribuer, lorsqu'elle porte tous les carac-
teres d'une influence secrete. S'agit-il d'établir
les départements , on dévaste les campagnes;
les puissances voisines arment-elles, aussitót
le désordre est dans nos ports et dans nos ar-
senaux, » On avait en effet égorgé plusieurs
commandants , et par hasard ou par choix nos
meilleurs officiers de marine avaient été immo-
lés. L'ambassadeur anglais avait été chargé
par sa cour de repousser ces imputations, Mais
on sait quelle confiance méritent de pareils




ASSEMRLÉE CONSTITUANTE (1790). 243
messages. Calonne avait aussi écrit au roi *
pour justifier l'Angleterre, mais Calonne , en
parlant pour l'étranger, était suspeet. Il disait
vainement que toute dépense est eonnue dans
un gouvernement représentatif, que méme les
dépenses secretes sont du moins avouées eornme
telles, et qu'il n'y avait daos les hudgets an-
glais aueune attribution de ce genre. L'expé-
rienee a prouvé que l'argent ne manque ja-
mais a des. ministres mérne responsables. Ce
qu'on peut dire de mieux, c'est que le temps,
qui dévoile tout, n'a rien découvert a cet
égard, et que Necker, qui était placé pour en
bien juger, n'a jamais eru a cette secrete. in-
fluence ".


Le roí, comme on vient de le voir, avait fait
notifier a l'assemblée l'équipement de quinze
vaisseaux de ligne , pensant, disait-il , qu'elle
approuverait eette mesure, et qu'elle voterait
les dépenses nécessaires. L'assemblée aceueillit
parfaitement le message, mais elle y vit une
question constitutionnelle , qu'elle crut devoir
résoudre avant de répondre au roi. « Les me-
sures sont prises, dit Alexandre Lameth, notre


.. Voyez 11 l'armoire de fer, piéce n? 25, lettre de Ca-
lonne au roi, du 9 avril 1790 .


..* Voyez ce que dit Mme de Staél dans ses Considéra-
tions SUI' la révolution francais«,


16.




244 RÉVOLUTION FRAN<;;AlSE.
discussion ne peut les retarder; il faut done
fixer auparavant aqui du roí ou de I'assemblée
on attribuera le droit de faire la paix ou la
guerreo » En effet, c'était presque la derniere
attribution importante afixer, etl'une de celles
qui devaient exciter le plus d'intérét, Les ima-
ginations étaient toutes pleines des fautes des
eours, de leurs alternatives d'ambition ou de
faiblesse , et on ne voulait pas laisser an tróne
le pouvoir ou d'entrainer la nation daos des
guerres dangereuses , ou de la déshonorer par
des láchetés. Cependant, de tous les actes du
gouvernement, le soin de la guerre et de la
paix est celui oi: il entre le plus d'action, et
oú le pouvoir exécutif doit exercer le plus
d'influence; e'est eelui oú il fant lui laisser le
plus de liberté ponr qu'il agisse volontiers et
bien. L'opinion de Mirabeau, qu'on disait gagné
par la cour, était annoncée d'avance. L'ocea-
sion était favorable pour ravir a l'orateur eette
popnlarité si enviée. Les Lameth l'avaient
senti, et avaient chargé Barnave d'accabler
Mirabeau. Le coté droit se retira pour ainsi
dire, el Iaissa le champ libre a ces deux
rrvaux.


La discussion était impatiernment attendue;
elle s'ouvre *. Apres quelques orateurs qui ne ré-


.. Séances du 14 au 2.2. mai.




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTJ<~ (1790). ~45
pandent que des idées préliminaires, Mirabeau
est entendu et pose la question d'une maniere
toute nouvelle. La guerre, suivant lui, est
presque toujours imprévue ; les hostilités eom-
meneent avant les menaces; le roí ehargé du
salut public, doit les repousser, et la guerre se
trouve ainsi commencée avant que l'assemblée
ait pu interve nir. Il en est de méme pour les
traités : le roí peut seul saisir le moment de
négoeier, de conférer , de disputer avee les
puissances ; l'assemblée ne peut que ratifier
les conditions obtenues. Dans les deux eas, le
roí peut seul agir, et l'assemblée approuver ou
improuver. Mirabeau veut done que le pouvoir
exécutif soit tenu de soutenir les hostilités
cornmencées , et que le pouvoir législatif, sui-
vant les eas, souffre la eontinuation de la
guerre, ou bien requiere la paix. Cette opinion
est applaudie, paree que la voix de Miraheau
l'était toujours. Cependant Barnave prend la
parole, et, négligeant les autres orateurs, ne
répond qu'a Mirabeau, Il eonvient que souvent
le fer est tiré avant que la nation puisse étre
consultée , mais il soutient que les hostilités ne
sont pas la guerre, que le roi doit les repousser
et avertir aussitót l'assemblée, qui alors dé-
ciare en souveraine ses pl'opres intentions.
Ainsi toute la différence est dans les mots,




246 llÉVOLUTION FRA.N~A.lSE.
car Mirabeau donne a l'assemblée le droit
d'improuver la guerre et de requérir la paix,
Barnave celui de déclarer l'une ou l'autre;
mais , dans les deux cas , le vceu de l'assemblée
était obligatoire, et Barnave ne lui donnait pas
plus que Mirabeau. Néanmoins Barnave est
applaudi et porté en triomphe par le peuple ,
et on répand que son adversaire est vendu.
On eolporte par les rues et 11 grands eris un
pamphlet intitulé: Grande trahison du comte
de M irabeau. L'occasion était décisive , chacun
attendait un effort du terrible afblete. Il de-
mande la réplique , l'ohtient, monte a la tri-
buneen présence d'une Ioule immense réunie
pour l'entendre, et déclare , en y montant,
qu'il n'en descendra que mort ou victorieux.
« Moi aussi , dit-il en commencant , on m'a
porté en triomphe, et pourtant on crie aujour-
d'huilagrande trahison du comte deMirabeau.
Je n'avais pas besoin de cet exemple pour
savoir qu'il n'y a qu'un pas du Capitole a la
roche Tarpéienne. Cependant ces coups de has
eu haut ne m'arréteront pas dans ma carriere. »
Apres cet imposant début , il annonce qu'il ne
répondra qu'a Barnave , el des le commence-
ment: -Expliquez-vous, lui dit-il, vous avez
dans votre opinion réduit le roi a notifier les
hostilités commencées , el vous avez donné a




ASSEJ,\IBLÉE CONSTITUANTE (1790)' 247
l'assemblée toute seule le droit de déclarer a
cet égard la volonté nationale. Sur cela je vous
arréte et vous rappelle a nos principes, qui
partagent l'expression de la volonté nationale
entre l'assemblée et le roi ... En ne l'attribuant
qu'a l'assemblée seule, vous avez forfait a la
constitution ; je vous rappelle a l'ordre... Vous
ne répondez pas... ; je continue...


I1 n'y avait en effet rien arépondre. Barnave
demeure 'exposé pendant une longue réplique
a ces foudroyantes apostrophes. Mirabeau lui
répond article par article, et montre que son
adversaire n'a rien donné de plus a l'assemblée
que ce qu'il lui avait donné Iui-méme ; mais
que seulement , en réduisant le roi aune simple
notification , il l'avait privé de son concours
nécessaire a l'expression de la volonté natio-
nale; il termine enfin en reprochant aBarnave
ces coupables rivalités entre des hommes qui
devraient, dit-il , vivre en vrais compagnons
d'armes, Barnave avait énuméré les partisans
de son opinion, Mirabeau énumere les siens a
son tour; il Y montre ces hommes modérés ,
premiers fondateurs de la constitution, el qui
entretenaient les Francais de liberté, lorsque
ses vils calomniateurs sucaient le lait des cours
(il désignait les Lameth, qui avaient recu des
bienfaits de la reine); ce des hommes, ajoute-t-il,




248 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
qui s'honoreront jusqu'au tombeau de Ieurs
amis et de leurs ennemis. »


Des applaudissements unanimes eouvrent la
voix de Mirabeau. Il y avait dans l'assemblée
une portion eonsidérable de députés qui n'ap-
partenaient ni ala droite ni a la gauche, mais
qui, sans aueun parti pris, se décidaient sur
l'impression du momento C'était par eux que
le génie et la raison régnaient, paree qu'ils
faisaient la majorité en se portant vers un coté
OH vers l'autre. Barnave veut répondre , l'as-
semblée s'y oppose et demande a aller aux
voix. Le décret de Mirabeau, supériéurement
amendé par Chapelier, a ·Ia priorité , et il est
en6n adopté (~~ mai), a la satisfaction géné...,.
rale; cal' ces rivalités ne s'étendaient pas au-
delá du cercle 00. elles étaient nées , et le partí
populaire croyait vraincre aussi bien avec
Mirabeau qu'avec les Larneth.


Le décret conférait au roi et a la nation le
droit de faire la paix et la guerreo Le roí était
chargé de la disposition des forces, il notifiait
les hostilités commencées, réunissait l'assern-
blée si elle ne l'était pas, et proposait le décret
de paix ou de guerre; l'assemblée délibérait
sur sa proposition expresse, et le roi sanction-
nait ensuite sa délibération. C'est Chapelier
qui, par un amendement trés-rraisonnable,




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790 ) . 249
avait exigé la proposition expresse et la sane-
tion définitive. Ce décret , conforme ala raison
et aux principes déjá établis, excita une joie
sincere ehez les eonstitutionnels, et des espé-
rances folles ehez les contre-révolutionnaires ,
qui erurent que l'esprit public allait changer,
et que cette victoire de Mirabeau allait devenir
la leur. Lafayette , qui dans cette eirconstance
s'étair uni a Mirabeau, en écrivit a BouilIé,
lui fit entrevoir des espérances de ealme et de
modération, et tacha, comme il le faisait tou-
jours, de le concilier a I'ordre nouveau.


L'assemblée continuait ses travaux de finan-
ces. Ils consistaient a disposer lemieux possible
des biens du clergé, dont la vente) depuis long-
lemps décrétée , ne pouvait étre empéchée ni
par les protestations , ni par les mandements ,
ni par les intrigues. Dépouiller un corps trop
puissant d'une grande partie dn territoire , la
répartir le mieux possible , et de maniere a la
fertiliser par sa division; rendre ainsi proprié-
taire une portion considerable du peuple qui
ne l'était pas; enfin éteindre par la mérne
opération les dettes de l'état , et rétablir l'ordre
dans les finan ces , tel était le but de I'assem-
blée, et elle en sentait trop l'utilité , pour
s'effrayer des obstacles. L'assemblée avait déja
ordonné la vente de 400 milIions de biens du




250 RÉVOLUTION FRANctAISE.
domaine et de l'Église, mais il fallait trouver
les moyens de vendre ces biens sans les dis-
créditer par la concurrence, en les offrant
tous a la fois. Bailly proposa, au nom de la
municipalité de Paris, un projet parfaitement
concu , c'était de transmettre ces biens aux
municipalités, qui les acheteraient en masse
pour les revendre ensuite peu apeu, de ma-
niere que la mise en vente n'eút pas líen tout a
la fois. Les municipalités n'ayant pas des fonds
pour payel' sur-le-champ , prendraient des en-
gagements a temps, et on paierait les créan-
ciers de l'état avec des bons sur les communes,
qu'elles seraient chargées d'acquitter successi-
vement. Ces bons , qu'on appela dans la discus-
sion papier municipal, donnerent la premiere
idée des assignats. En suivant le projet de
Bailly, on mettait la main sur les hiens ecclé-
siastiques : ils étaient déplacés, divisés entre les
communes, et les créauciers se rapprochaient
de leur gage, en acquérant un litre sur les
municipalités, au lieu de l'avoir sur l'état, Les
süretés étaient done augmentées, puisque le
paiement était rapproehé; il dépendait méme
des créaneiers de l'effectuer eux-mémes , puis-
que avee ees bons ou assignats ils pouvaient ac-
quérir une valeur proportionnelle des biensmis
en vente. On avait ainsi beaueoup fait pour eux ,




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1790). 2.5 J
mais ce n'était pas tout encore. Ils pouvaient
ne pas vouloir convertir leurs bons en terres,
par scrupule ou par tout autre motif, et, dans
ce cas, ces bons, qu'il leur faHait garder , ne
pouvant pas circuler eomme de la monnaie,
n'étaient pour eux que de simples titres non
acquittés. Il ne restait plus qu'une derniere
mesure aprendre, c'était de donner aces hons
ou titres la faculté de cireulation; alors ils
devenaient une véri table monnaie, et les créan-
ciers, pouvant les donner en paiement, étaient
véritablement rernboursés. Urre autre considera-
tion était décisive. Le numéraire manquait; on
attribuait eette disette al'émigration qui empor-
tait beaueoup d'especes , aux paiements qu'on
était obligé de faire al'étranger, et enfin a la
malveilIanee. La véritahle cause était le défaut
de eonfiance produit par les troubles. C'est
par la circulation que le numéraire devient
apparent; quand la eonfiance regne , l'activité
deséchanges est extreme, le numéraire marche
rapidement, se montre partout, et on le croit
plus considérable, paree qu'il sert davantage;
mais quand les troubles politiques répandent
l'effroi, les capitaux languissent , le numéraire
marche lentement; il s'enfouit souvent, et on
accuse a tort son absence.


Le désir de suppléer aux especes métalli-




252 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
ques, que l'assemblée croyait épuisées, celui
de donner aux. créanciers autre chose qu'un
titre mort dans leurs mains , la nécessité de
pourvoir en 'outre aune foule de besoins pres-
sants, fit donner a ces bons ou assignats le
cours forcé de monnaie. Le créancier était
payé par la, puisqu'il pouvait faire accepter
le papier qu'il avait recu, et suffire ainsi atous
ses engagements. S'il n'avait pas voulu acheter
des terres, ceux qui avaient re¡;;u de lui le pa-
piel' circulant devaient finir par les acheter
eux-mémes, Les assignats qui rentraient par
cette voie étaient destinés aetre brúlés ; ainsi
les terres du clergé devaient bientót se trou-
ver distribuées et le papier supprimé. Les as-
signats portaient un intérét a tant le jonr, et
acquéraient une valeur en séjournant dans les
mains des détenteurs.


Le clergé, qui voyait la un moyen d'exécu-
tion po ur l'aliénation de ses biens, le repoussa
fortement. Ses alliés nobles et autres, contrai-
res a tout ce qui facilitait 'la marche de la ré-
volution, s'y opposerent aussi et crierent au
papier-monnaie. Le nom de Law devait tout
naturellement retentir, et le souvenir de sa
banqueroute étre réveillé. Cependant la com-
paraison n'était pas juste, paree que le papier
de Law n'était hypothéqué que sur les succes




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (1790). 253
a venir de la compagnie des Indes, tandis que
les assignats reposaient sur un capital territo-
rial, réel et facilement occupable. 'Law avait
fait pour la cour des faux considérables , et
avait excédé de beaucoup la valeur présumée
du capital de la compagnie; l'assemblée au
contraire ne pouvait pas croire, avec les for-
mes nouvelles qu'elle venait d'établir, que des
exactions pareilles pussent avoir lieu. Enfin la
somme des assignats créés ne représentait
qu'une tres-petite partie du capital qui leur
était affecté. Mais, ce qui était vrai, c'est que
le papier, quelque sur qu'il soit, n'est pas,
comme l'argent, une réalité, et , suivant l'ex-
pression de BailIy, une actualité physique. Le
numéraire porte avee lui sa propre valeur; le
papier, au contraire , exige encore une opéra-
tion, un achat de terre, une réalisation. Il doit
done etre au-dessous du numéraire , et des qu'il
est au-dessous , le numéraire, que personne ne
veut donner pour du papier, se cache et finit
par disparaitre. Si, de plus, des désordres dans
l'administration des biens , des érnissions im-
modérées de papier, détruisent la proportion
entre les effets circulant etle capital, la con-
fiance s'évanouit ; la valeur nominale est con-
servée, mais la valeur réelle n'est plus; celui
qui -donne cette monnaie conventionnelle vale




254 RÉVOLUTION FRAN<';AJSH.
eelui qui la recoit , et une grande erise a lieu,
Tout cela était possible , et avee plus d'expé-
rienee anrait paru certain, Cornme mesure fi-
nanciere , l'érnission des assignats était done
tres - eritiquable, mais elle était nécessaire
eomme mesure politique , carelle fournissait
a des besoins pressants , et divisait la pro-
priété sans le secours d'nne loi agraire. L'as-
semblée ne devait done pas hésiter; et, malgré
Maury et les siens , elle décréta quatre cent
millions d'assignats forcés avec intérét",


Necker depuis long-temps avait perdu la
confiance du roi , l'ancienne déférence de ses
collegues, et l'enthousiasme de la nation. Ren-
fermé dans ses calculs, il discutait quelquefois
avee l'assemblée. Sa réserve a l'égard des dé-
penses extraordinaires avaít fait demander le
livre rouge, registre fameux oú 1'0n trouvait,
disait - on, la liste de toutes les dépenses
secretes. Louis XVI céda avee peine, et fit
eacheter les feuillets QU étaient portées les
dépenses de son prédécesseur Louis XV. L'as-
sembléerespecta sa délicatesse, et se borna
aux dépenses de ce regne. On n'y trouva ríen
de personnel au roi ; les prodigalítés étaient
toutes relatives aux eourtisans. Les Lameth s'y


~ Avril.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 255
trouvérent portés pOllr un bienfait de soixante
mille francs, consacrés par la reine aleur édu-
cation. Ils firent reporter cette somme au tré-
sor publico On réduisit les pensions sur la
double proport ion des services et de l'ancien
état des personnes. L'assemblée montra par- .
tout la plus gra¡:¡de modération; elle supplia
le roi de fixer Iui-méme la liste civile, et elle
vota par acclamation les vingt-cinq millions
qu'il avait demandés.


Cette assemblée, forte de son nombre, de
ses lumiéres , de sa puissance, de ses résolu-
tions, avait concu l'immense projet de régé-
nérer toutes les parties de l'état , et elle venait
de régler le nouvel ordre judiciáire.·Elle avait
distribué les tribunaux de la méme maniere
que les adrninistrations , par districts et dépar-
tements. Les juges étaient laissés a l'élection
populaire. Cette derniére mesure avait été
fortement combattue. La rnétaphysique politi-
que avait été encore déployée ici pour prouver
que le pouvoir jndiciaire relevait du pouvoir
exécutif', et que le roí devait nommer les ju-
ges. On avait trouvé des raisons de part et
d'autre; mais la seule a donner al'assemblée,
qui était dans l'intention de faire une monar-
chie, c'est que la royauté, successivement
dépouillée de ses attrihutions , devenait une




256 RÉVOLUTION FRANºAJSE.
simple magistrature, et l'état une république.
Mais dire ce qu'était la monarchie était trop
hardi; elle exige des concessions qu'un peu-
pIe ne consent jamais afaire, dans le premier
moment du réveil. Le sort des nations est de
demander ou trop, ou rien, L'assemblée vou-
bit sincerement le roi, elle était pleine de dé-
férence pour lui, et le prouvait achaque ins-
tant; mais elle chérissait la personne, et,
sans s'en douter, détruisait la chose.


Apres cette uniformité introduite dans la
justice et l'administration, il restait a régula-
riser le service de la religion, et a le consti-
tuer comme tous les autres. Ainsi, quand on
avait établi un tribunal d'appel et une admi-
nistration supérieure dans chaque départe-
ment, il était natnrel d'y placer aussi un évé-
ché. Comment, en effet, souffrir que certains
évéchés embrassassent quinze cents lieues car-
rées, tandis que d'autres n'en embrassaient
que vingt; que certaines cures eussent dix
licues de circonférence, et que d'autres comp-
tassent a peine quinze feux; que beaucoup de
curés eussent au plus sept cents livres, tandis
que pres d'eux il existait des bénéficiers qui
comptaient dix et quinze mille livres de reve-
nus ? L'assemblée, en réformant les abus,
n'empiétait pas sur les doctrines ecclésiasti-




ASSEIUBLÉE CONSTlTUANTE (1790). 257
ques, ni sur l'autorité papale , puisque les cir-
conscriptions avaient toujours appartenu au
pouvoir temporel. Elle voulait done former
une nouvelle division, soumettre eomme [adis
les curés et les évéques a l'éleetionpopulaire;
et en ceja encore elle n'empiétait que sur le
pouvoir temporel, puisque les dignitaires ec-
clésiastiques étaientchoisis par le roi et insti-
tués par le pape. Ce projet, qui fut nommé
constitution cioile du clergé, et qui 11t calom-
nier l'assemblée plus que tout ce qu'elle avait
fait, était pourtant l'ouvrage des députés les
plus pieux. C'était Camuset autres jansénistes
qui , voulant raffermir la religion dans l'état,
eherchaient alamettre en harmonie avecles
lois nouvelles. Il est certain que la justice
étant rétablie partout, il était étrange qu'elle
ne le fút pas dans l'administration ecclésiasti-
que aussi bien qu'ailleurs. Sans Camus et quel-
ques autres, les membres de l'assemblée , éle-
vés a l'école des philosophes , auraient traité
le christianisme eomme toutes les autres reli-
giolls admises dans l'état, et ne s'en seraient
pas occupés, Ils se préterent a des sentiments
que dans nos moeurs nouvelles il est d'usage
de rie pas eombattre, mérne quand on ne les
partage pas. Ils soutinrent done le projet reli-
gieux et sincerement chrétien de Camus, Le


J. '7




258 nÉvoLuTlON FRAN9AISE.
c1ergé se souleva, prétendit qu'on empiétait
sur l'autorité spirituelle du pape, et en appela
aBorne. Les principales bases du projet furent
néanmoins adoptées", et aussitót présentées au
roi, qui demanda du temps pour en référer
au grand pontife, Le roi, dont la religion éclai-
rée reconnaissait la sagesse de ce plan, écrivit
au pape avec le désir sincere d'avoir son con-
sentemen't, et de rcnverser par la toutes les
objections du c1ergé. On yerra bientót queIles
intrigues ernpécherent le succes de ses voeux.


Le mois de juillet approehait; it Yavait bien-
tót un an que la Bastille était prise , que la
nation s'était emparée de tous les pouvoirs , et
qu'elle prononcait ses volontés par l'assemblée,
et les exécutait elle-mérne , ou les faisait exé-
cuter sous sa surveillance. Le 14 juillet étaít
considéré eomme le jour qui avait commencé
une ere nouvelle , et on résolut d'en célébrer
l'anniversaire par une grande fete. Déja les


...


provinces, les villes , avaient donné l'exemple
de se fédérer , pour résister encommun aux
ennemis de la révolution. La municipalité de
Paris propasa pour le 14 juillet une fédération
générale de toute la France, qui serait célé-
brée au milieu de la capitale par lesdéputés


• DÚTl't du 1'1 juillct,




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 259
de tontes les gardes nationales et de tons les
eorps de l'armée, -Ce projet fut accueilli avec
enthousiasme , et des préparatifs immenses
furent faits pour rendre la féte digne de son
objeto


Les nations, ainsi qu'on l'a vu, avaient de-
puis long-temps les yeux sur la France; les
souverains commencaient a nous hair et a
nous craindre, les peuples a nous estimer. Un
certain nombre d'étrangers enthousiastes se
présenterent a I'assemblée , chacun avec le
costume de sa nation. Leur orateur, Anacharsis
Clootz, Prussien de naissance, doué d'une
imagination folle, demanda au norn du ~nre
humain a faire partie de la fédération. Ces
scénes , qui paraissent ridicules a ceux qui
ne les Ollt pas vues, émeuvent profondément
ceux qui y- assistent, L'assemblée accorda la
demande, et le président répondit a ces étran-
g€rs qu'ils seraient admis, pour qu'ils pussent
raconter aleurs compatriotes ce qu'ils avaient
vu, et leur faire connaitre les joies et les
bienfaits de la liberté.


L'émotion causée par eette scene en amena
une autre. Une statue équestre de Louis XIV
le représentait foulant aux pieds l'image de
plusieurs provinces vaincues : « Il ne faut pas
souffrir, s'écria I'un des Lameth , ces monu-


17·




200 RÉVOLUTJON FRAN~AISE.
ments d'esclavage dans les jours de liberté. Il
ne faut pas que les Francs-Comtois, en arri-
vant a Paris, voient leur image ainsi enchai-
née.. Maury combattit une mesure qui était
peu importante, et qu'il fallait accorder aI'en-
thousiasme public. Au rnérneinstant une voix
proposa d'abolir les titres de comte, marquis,
baron, etc., de défendre les livrées, en fin de
détruire tous les ti tres héréditaires. I..Je jeune
Montmorency soutint la proposition. Un noble
demanda ce qu'on substituerait a ces mots:
Un te! a été fait comte pour avoir servi l'état?-
OQ. dira simplement, répondit Lafayette, qu'un
tel a sauvé l'état un tel jour, Le décret fut
adopté", malgré l'irritation extraordinaire de
la noblesse, qui fut plus courroucée de la
suppression de ses titres que des pertes plus
réelles qu'elle avait faltes depuis le cornmen-
cement de la révolutiou, La partie la plus mo-
dérée de l'assemblée aurait voulu qu'en abolís-
sant les litres, on laissát la liberté de les
porter a ceux qui le voudraient. Lafayette
s'empressa d'avertir la cour, avant que le dé-
cret fút sanctionné , et l'engagea de le ren-
voyer al'assemblée qui conseutait a l'amender-,
Mais le roi se háta de le sanctionner, et on


• Décret el sóanee du 19 jnin.




ASSEMBL}:E CONSTITUANTE (1790). 201
crut y voir l'iutention peu franche de pousser
les choses au pire.


L'objet de la fédération fut le serment civi-
que. On demanda, si les fédérés et l'assemblée
le préteraient dans les mains du roi, ou si le
roi, considéré comme le premier fonctionnaire
public, jurerait avec tous les autres sur l'autel
de la patrie. On préféra le dernier moyen. Vas-
semhlée acheva aussi de mettre l'étiquette en
harmonie avec ses lois , et le roi ne fut dans
la cérémonie que ce qu'il était dans laconsti-
tution. La cour, a qui Lafayette inspirait des
défiances continuelles, s'effraya d'une nouvelle
qu'on répandait, et d'apres laquelle il devait
étre nommé commandant de toutes les gardes
nationales du royaume. Ces défiances, pour qui
ne connaissait pas Lafayette, étaient naturelles ,
et ses ennemis de tous les cótés s'attachaient
a les augmenter. Comment se persuader en
effet qu'un homme jouissant d'une telle popu-
larité , chef d'une force aussi considérable , ne
voulút pas en abuser? Cependant il ne le vou-
laitpas ; il était résolu a n' étre que citoyen; et,
soit vertu, soit ambition bien entendue , le
merite est le mérne. Il faut que l'orgueil hu-
main soit placé quelque part; la vertu consiste
a le placer dans le bien. Lafayette, prév.enant
les craintes de la cour, proposa qu'un mérne




262 RÉVOLUTION FRANYAJSE.


individu ne püt cornrnander plus d'une garde
de département. Le décret fut accueilli avec
acclarnation , et le désiutéressement du général
couvert d'applaudissements. Lafayette fut ce-
pendant chargé de tout le soin de la féte , et
nommé chef de la fédérationen sa qualité de
commandant de la garde parisienne.


Le jour approchait, et les préparatifs se fai-
saient avec la plus grande activité. La féte de-
vait avoir lieu au Champ-de-Mars, vaste terrain
qui s'étend entre I'École-Militaire et le cours
de la Seine. On avait projeté de transporter la
terre du milieu sur les cótés , de maniere el
former un amphithéátre qui pút contenir la
masse des spectaterrrs. Douze mille ouvriers y
travaillaient sans reláche ; et cependant il était
el craindre que les travaux ne fussent pas ache-
vés le 14. Les habitants veulent alors se joindre
eux-mémes aux travailleurs. En un instant toute
la population est transformée en ouvriers. Des
religieux, des militaires, des hommes de toutes
les classes, saisissent la pelle et la beche; des
Iemmes élégantes contribuent elles-mérnes aux
travaux. Bientót l'entrainement est général; on
s'y rend par sections , avec des hannieres de di-
verses couleurs, et au son du tambour. Arrivé ,
on se méle et on travaille en commun. La nuít
venue et le signal donné, chacun se rejoint




ASSEMBLÉE COl'lSTJTUANTE ~ 1790). 263
aux siens et retourne a ses foyers. Cette douce
union régna jusqu'á la fin des travaux. Pen-
dant ce temps les fédérés arrivaient continuel-
lement, et étaient re<;us avec le plus grand
empressement et la plus aimahle hospitalité.
L'effusion était générale, et la joie sincere,
malgré les alarmes que le tres-petit nombre
d'hommes restés inaccessibles a ces émotions,
s'efforcaient de répandre. On disait que des
brigands profiteraient du moment oú le peuple
serait a la fédération pour piller la ville. On
supposait au duc d'Orléans , revenu de Lon-
dres, des projets sinistres; cependant la gaité
nationale fut inaltérable, et on ne crut aaucune
de ces méchantes prophéties,


Le 14 arrive enfin : tous les fédérés députés
des provinces et de l'armée, rangés sous leurs
chefs et leurs bannieres , partent de la place
de la Bastille et se rendeut aux Tuileries. Les
députés du Béarn, en passant dans la fue de la
Ferronnerie, oú avait été assassiné Henri IV,
lui rendent un hommage, quí, dans cet instant
d'émotion, se manifeste par des larmes. Les
fédérés , arrivés au jardín des Tuileries , recoi-
vent dans leurs rangs la municipalité et l'assem-
blée, Un hataillon de jeunes enfants, armés
comme leurs peres , devancait l'assemblée : un
groupe de vieillards la suivait, et rappelait




264 RÉVOLUTION .FRAN~AISE.
ainsi les antiques souvenirs deSparte. Le cor-
tége s'avance au milieu des cris et des applau-
dissements du peuple. Les quais étaient cou-
verts de spectateurs, les maisons en étaient
chargées. Un pont jeté en quelques jours sur
la Seine , conduisait, par-un chemin jonché de
fleurs , d'une rive a l'autre, et aboutissait en
faee du champ de la fédération. Le eortége le
traverse, et chacun prend sa place. Un amphi-
théátre magnifique, disposé dans le fond , était
destiné aux autorités nationales. Le roi et le
président étaient assis acoté l'un de l'autre sur
des siéges pareils, sernés de fleurs de lis d'or.
Un baleon élevé derriere le roi portait la reine
et la cour. Les ministres étaient a quelque dis-
tance du roi , et les députés rangés des deux
cótés. Quatre cent mille spectateurs remplis-
saient les amphithéátres latéranx; soixante
miIle fédérés arrnés faisaient Ieurs évolutions
dans le champ interrnédiaire ; et au centre s'é-
levait, sur une base de vingt-cinq pieds, le
magnifique autel de la patrie. Trois cents
prétres revétus d'aubes blanches et d'écharpes
tricolores en couvraient les marches, et de-
vaient servir la messe.


L'arrivée des fédérés dura trois heures. Pen-
dant ee temps le eiel était couvert de sombres
nuages, et la pluie tombait par torrents, Ce




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTE (1790)' 265
cíel, dont l'éclat se marie si bien a la joie des
hommes, leur refusait en ce moment la séré-
nité et la lumiére, Un des bataillons arrivés
dépose ses armes, et a l'idée de forrner une
danse; tous l'imitent aussitót , et en un seul
instant le champ intermédiaire est encombré
par soixante mille hommes, soldats el citoyens,
qui opposent la gaité al'orage. Enfin la cérémo-
nie commence; le ciel, par un hasard heureux, se
découvre et illumine de son éclat cette scene 50-
lennelle. L'évéque d'Autun commence la messe;
des choeurs accompagnent la voix du pontife;
le canon y .méle ses bruits soleunels. Le saint
sacrifice achevé, Lafayette descend de cheval,
monte les marches du tróne , et vient recevoir
les ordres du roi, qui lui confie la formule du
serment. Lafayette la porte a l'autel, et dans
ce mornent toutes les banniercs s'agitent, tous
lessabres étiucelent. Le général, I'arrnée , le
président , les députés crient: Je le jure! Le
roi debout, la main étendue vers l'autel, dit:
Moi, roi des Francais , je jure d'employer le
pouvoir que m' a délégué l'acte constitutionnel
de l'état , ti maintenir la constitution décrétée
parl'assemblée nationale el acceptée par moi.
Dans ce moment la reine, entrainée par le
mouvement général, saisit dans ses bras l'au-
guste enfant , héritier du tróne , et du haut du




266 RÉVOLUTJON FRAN~AISE.
balcon oú elle est placee le montre a la-nation
assemhlée, A cette vue, des cris extraordinaires
de joie, d'amour, d'enthousiasme, se dirigent
vers la mere et l'enfant, et tous les coeurs sont
a elle. C'est dans ce mérne instant que la France
tout entiere ,réunie dans les quatre-vingt-trois
chefs-Iieux des départements , faisait le méme
serment d'aimer le roi qui les airnerait. Hélas!
dans ces moments, la haine mérne s'attendrit ,
l'orgneil cede, tous sont heureux du bonheur
commun , et fiers de la dignité de tous. Pour-
quoi ces plaisirs si profonds de la concorde
sont-ils sitót oubliés !


Cette auguste cérémonie achevée , le cortége
reprit sa marche, et le peuple se livra a toutes
les inspirations de la joie, Les réjouissances
durerent plusieurs jours. Une revue générale
des fédérés eut lieu ensuite. Soixante mille
hommes étaient sous les armes, et présentaient
un magnifique spectacle, tout a la foismili-
taire et national, Le soir, Paris offrit une féte
charmante, Le principal lieu de réunion était
aux Champs-Élysées et a la Rastille. On lisait
sur le terrain de eette ancienne prison, changé
en une place: Id ron danse. Des feux hril-
lants, rangés en guirlandes, remplacaient l'éclat
du jour. Il avait été défendu a l'opulence de
troubler cette paisible féte par le mouvemcnt




ASSEIUBLÉE CONSTlTU ANTE (1790). 267
des voitures. Tout le monde devait se faire
peuple, et se trouver heureux de l'étre. Les
Champs-Élysées présentaient une scene tou-
chante. Chacun y circulait sans .bruit , sans tu-
multe, sans rivalité, sans haine. Toutes les
classes confondues s'y promenaíent au doux
éclat des lumiéres , el paraissaient satisfaites
d'étre ensemble. Ainsi , méme au sein de la
vieille civilisation , on semhlait avoir retrouvé
les temps de la fraternité primitive.


Les fédérés , apres avoir assisté aux imposan-
tes discussions de l'assemblée nationale, aux
pompes de la cour, aux magnificences de Paris,
apres avoir été témoins de la bonté du roi,
qu'ils visiterent tous , et dont ils recurent de
touchantes expressions de bonté, retournerent
chez eux, transportés d'ivresse , pleins de bons
sentirnents et d'illusions, Apres tant de scenes
déchirantes, et prét a en raconter de plus ter-
ribles encore, l'historien s'arréte avec plaisir
sur ces heures si fugitives, oú tous les coeurs
n'eurent qu'un sentiment, l'amour du bien
public ".


La fete si touchante de la fédération ne fut
encore qu'une émotion passagere. Le lende-
main, les cceurs voulaient encore tout ce qu'ils


.. Voyea la note 17 a la fin du volume.




268 RÉVOLUTJON FRAN(jAISE.
avaient voulu la veille, et la guerre était recorn-
mencée, Les petites querelles avec le ministere
s'engagerent de nouveau. On se plaignit de ce
qu'on avait donné passage aux troupes autri-
chiennes qui se rendaient dans le pays de Liége.
On accusa Saint-Priest d'avoir favorisé l'évasion
de plusieurs accusés suspects de machinations
contre-révolutionnaires, La cour, en revanche,
avait remis al'ordre du jour la procédure com-
mencée au Chátelet contre les auteurs des 5 et
6 octobre. Le due d'Orléans et Mirabeau s'y
trouvaient impliqués. Cette procédure singu-
liere , plusieurs fois abandonnée et reprise , se
ressentait des diverses influences sous lesquelles
elle avait été instruite. Elle était ple ine de con-
tradictions, et n'offrait aucune eharge suffisante
contre les deux aceusés prineipaux. La cour, en
se conciliant Mirabeau , n'avait cependant au-
cun plan suivi a son égard. Elle s'en appro-
chait , s'en écartait tour a tour, eteherchait
plutót a l'apaiser qu'á suivre sesconseils. En
renouvelant la procédure des 5 et 6 octobre ,
ce n'était pas lui qu'elle poursuivait, mais le
duc d'Orléans , qui avait été fort applaudi ason
retour de Londres, et qu'elle avait durement
repoussé lorsqu'il demandait a rentrer en grace
auprés du roi ", Chabroud devait faire le rap-


.. Voyez les Mémoires de Bouillé.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 269
port a l'assemblée, pour qu'elle jugeát s'il y
avait lieu ou non a accusation. La cour dési-
rait que Mirabeau gardat le silence , et qu'il
abandonnát le due d'Orléans, le seul aqui elle
en voulait. Cependaut il prit la parole, et
montra combien étaient ridicules les imputa-
tions dirigées centre lui. 00 l'aecusait en effet
d'avoir averti Mounier que Paris marchait sur
Versailles, et d'avoir ajouté ces mots : « Nous
voulons un roi, mais qu'importe que ce soit
Louis XVI ou Louis XVII;) d'avoir parcourll
le régiment de Flandre , le sabre a la main , et
-de s'étre écrié, a I'instant du départ du duc
d'Orléans: ( Ce j ...L ... ne mérite pas la peine
qu'on se donne pour lui. )) Rien n'était plus
Eutile que de pareils griefs. Mirabeau en mon-
tra la faiblesse et le ridicule, ne dit que peu
de mots sur le duc d'Orléans , et s'écria en fi-
nissant: «Oui, le secret de cette infernale pro-
cédure est enfin découvert; il est la tout entier
( en montrant le coté droit ), il est dans l'inté-
rét de ceux dont les témoignages et les calom-
nies en ont formé le tissu; ilest dans les res-
sources qu'elle a fonrnies aux ennemis de la
révolution; il est ..... il est dans le ccenr des
juges, tel qu'il sera. bientót buriné dans l'his-
toire par la plus juste et la plus implacable
vengeance. ))




270 nÉvoLuTION FRANl;;AISE.
Les applaudissements accompagnerent Mi-


rabeau jusqu'á sa plaee; les deux inculpés fn-
rent mis hors d'accusation par l'assemblée, et
la cour eut la honte d'une tentative inutile.


La révolution devait s'accomplir partout ,
dans l'armée comme dans le peuple. L'armée,
dernier appui du pouvoir, était aussi la der-
niere crainte du parti populaire. Tous les chefs
militaires étaient ennernis de la révolution,
paree que, possesseurs excIusifs des grades et
des faveurs, ils voyaient le mérite admis a les
partager avec eux. Par le motif contraire, les
soldats penchaient pour l'ordre de ehoses nou-
veau ; et sans doute la haine de la discipline,
le désir d'une plus forte paie, agissaient aussi
puissamment sur eux que l'esprit de liberté,
Une dangereuse insubordination se rnanifes-
tait dans presque toute l'armée. L'infanterie
surtout, peut-étre paree qu'elle se méle da-
vantage un penple, et qu'elle a moins d'orgueil
militaire que la eavalerie, était daos un état
complet d'insurrection. Bouillé, Glui voyait avec
peine son armée luí échapper, employait tous
les moyens possibles pour arre ter eette conta-
gian de l'esprit révolutionnaire. Il avait re«;;u
de Latour-du-Pin, ministre de la 'guerre, les
pouvoirs les plus étendus; il en profitait en
déplacant continuellement ses trou.pes, et en




ASSKMBLÉE CONSTITUANTE (1790 ) . 271
les empéchant de se familiariser avec le peuple
par leur séjour sur les mémes lieux. II leur
défendait surtout de se rendre aux clubs, et ne
négligeait rien enfin pour maintenir la subor-
dination militaire. Bouillé, apres une longue
résistance , avait enfin prété serment ala cons-
titution ; et eomme il était plein d'honneur,
des cet instant íl parut avoir pris la résolu-
tion d'étre fidele au roí et a la constitution.
5a répugnance pour Lafayette, dont il ne pou-
vait méconnaitre ledésintéressement, était vain-
cue , et il était plus disposéa s'entendre avec
lui. Les gal'des nationales de la vaste con-
trée oú il commandait avaieut voulu le nom-
mer leur général; il s'y était refusé dans sa
premiére humeur, et íl en avait du regret en
songeant au bien qu'il aurait pu faire. Néan-
moins, malgré quelques dénonciations des clubs,
il se maintenait daus les faveurs popu-
laires.


La révolte éclata d'abord a Metz. Les sol-
dats enfermerent leurs officiers, s'emparerent
des drapeaux et des caisses , et voulurent méme
faire contribuer la municipalité. Bouillé cou-
rut le plus grand danger, et parvint a répri-
mer la séditionvBientót apres , une révolte
semblable se manifesta aNancy. Des régiments
suisses y prirent part, et on eut lieu de crain-




27'1. m:voLuTION FRA.N~ArsE.
dre , si cet exemple était suivi , que bientót
tout le royaume ne se trouvát livré aux exces
réunis de la soldatesque et de la populace.
L'assernblée elle-mérne en trembIa. Un officier
fut chargé de porter le décret reudu centre
les rehenes. Il ne put le faire exécuter , et
Bouillé recut ordre de marcher sur Nancy,
pour que force restát a la loi, Il n'avait que
peu de soldats sur lesquels il pút cornpter.
Heureusement les troupes, naguere révoltées
a Metz, hurniliées de ce qu'il n'osait pas se
fier a elles, offrirent de marcher centre les
rebelles, Les gardes nationales firent la méme
offre, et il s'avanca avec ces forces réunies et
une cavalerie assez nombreuse sur Naney. Sa
position était embarrassante , paree qu'il ne
pouvait faire agir sa cavalerie ,et que son in-
fanterie n'était pas suffisante pour attaquer
les rebelles seeondés de la populace. Néan-
moins il parla a ecux-ei ave e la plus grande
fermeté, et parvint a leur imposer. Ils allaient
rnéme eéder et sortir.de la ville eonformément
ases ordres , lorsque des eonps de fusil furent
tirés , on ne sait de quel cóté. Des-lors l'enga-
gementdevint inévitable. Les troupes de Bouillé,
se croyant trahies, comhattirent avec la plus
grande ardeur; mais l'action fut opiniátre , et
elles ne pénétrerent que pas a" pas, a travers




ASSEl\fBLÉE CONSTJTUANTE ('790). 273
un feu meurtrier *. Maitre enfin .des principa-
les places , Bouillé ohtint la soumission des ré-
giments, et les fit sortir de la ville. Il délivra
les officiers et les autorités emprisonnés , fit
choisir les principaux coupables , et les livra a
I'assemblée nationale.


Cette victoire répandit une joie générale, et
calma les craintes qu'on avait concues pour la
tranquillité du royaume. Bouillé recut du roi
et de l'assemhlée des félicitations et des élo-
ges. Plus tard on le calomnia, et on aceusa sa
conduite de cruauté. Cependant elle était ir-
réprochahle, et dans le moment elle fut ap-
plaudie comme telle. Le roi augmenta son
commandement qui devint fort considérahle,
cal' il s'étendait depuis la Suisse jusqu'a la
Samhre, et comprenait la plus grande partie
de la frontiére. Bouillé, comptant plus sur la
cavalerie que sur l'infanterie, choisit pour se
cantonner les hords de la Seille, qui tomhe
dans la Moselle; il avait la des plaines pour
faire agir sa cavalerie, des fourrages pour la
nourrir, des places assez fortes pour se re-
trancher, et surtout peu de population a crain-
dre. BouiUé était décidé a ne rien faire contre
la constitution; mais jI se défiait des patrio-


.. 31 noút,
I. l~




~74 1I.EVOLUTION I"RAN9AIS":.
tes, et il prenait des précautions pour venir
au secours du roi, si les circonstances le ren-
daient nécessaire.


L'assemblée avait aboli les parlements,. ins-
titué les jurés , détruit les jurandes, et allait
ordonner une nouvelle émission d'assignats.
Les biens du clergé offrant un capital irn-
mense, et les assignats le rendant eontinuel-
lemeut disponible, il était naturel qu'elle en
usát, Toutes les objeetions déjá faites furent
renouvelées avee plus de violence ; I'évéque
d'Autun Iui-méme se pronon({a contre eette
émission nouvelle, et prévit avee saga cité tous
les résultats financicrs de eette mesure *. Mi-
rabeau, envisageant surtout les résultats po-
litiques , insista avec opiniátreté , et réussit,
Huit cents millions d'assignats furent décrétés;
et cette fois il fut décidé qu'ils ne porteraient
pas intérét, Il était inutile en effet d'ajouter un
intérét a une monnaie. Qu'on fasse cela pom
un titre qui ne peut circuler et demeure oisif
dans les maius de celui qui le possede , ríen
n'est plus juste; mais pour une valeur qui de-
vient actuelle par son eours forcé, c'est une
erreur que l'assemblée ne cornrnit pas une se-
conde fois. Necker s'opposa a cette nouvelle


* VOYC7. la note 15 11 101 Iin du volume,




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE ([ 79o).27!J
émission, et envoya un mémoire qu'on n e-
couta point. Les temps étaient bien changés
pour lui, et il n'était plus ce ministre a la
conservation duquel le peuple attachait son
bonheur, un an auparavant. Privé de la con-
fiance du roi, brouillé avec ses collegues , ex-
eepté Montmorin, il était négligé par I'as-
semblée, et n'en obtenait pas tous les égards
qu'il eút pu en attendre. L'erreurde Necker
consistait a croire que la raison suffisait a
tout, et que, manifestée avec un mélange de
sentiment et de logique, elle devait triompher
de l'entétement des aristocrates et de l'irrita-
tion des patriotes. Necker possédait cette rai-
son un peu fiere qui juge les écarts des pas-
sions et les hláme ; mais il manquait de cette
autre raison plus élevée et moins orgueilleuse,
qui ne se borne pas a les hlárner, mais qui
sait aussi les conduire. Aussi , placé au milieu
d'elles, il ne fut pour toutes qu'une gene el
point un frein. Demeuré sans amis depuis le
départ de Mounier et de Lally, il n'avait con-
servé que l'inutile Malouet. Il avait blessé l'as-
semblée, en lui rappelant sans cesse et avec
des reproches le soin le plus difficile de tous ,
eelui des finances : il s' était attiré en outre le
ridicule par la maniere dont il parlait de Iui-
méme. Sa démi.ssion fut acceptée avec plaisir


18.




~76 RÉVOLUTION FRAN'1A1SE•
par tous les partis ". Sa voiture fnt arrétée a la
sortie du royaume par le méme peuple qui l'a-
vait naguere trainée en triomphe; il faUut un
ordre de l'assernblée pour que la liberté d'al-
ler en Suisse lui fUt accordée. Ill'obtint bien-
tót, et se retira á Coppet pour y contempler de
loin une révolution qu'il était plus propre a
observer qu'á conduire,


Le miuistere .s'était réduit a la nullité du roi
lui-mérne , et se livrait tout au plus aquelques
intrigues ou inutiles ou coupables. Saint-Priest
communiquait avec les émigrés; Latour - du-
Pin se prétait a toutes les volontés des chefs
militaires; Montmorin avait I'estime de la cour,
mais non sa confiance, et iI était employé dans
des intrigues aupres des chefs popuIaires, avec
lesquels sa modération le mettait en rapport.
Les ministres furent tous dénoncés al'occasion
de nouveaux complots. « Moi aussi , s'écria Ca-
zales , je les dénoncerais, s'il était généreux
de poursuivre des hommes aussi faibles; j'ac-
cuserais le ministre des finances de n'avoir pas
éc!airé I'assemblée sur les véritables ressources
de l'état,et de n'avoir pas clirigé une révolu-
tion qu'il avait provoqllée; j'accuserais le mi-
nistre de la guel're d'avoir laissé désorganiser


* Necker se dérnit le 4 septembre.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790 ) . '1.77
l'armée; le ministre des provinces de n'avoir
pas fait respecter les ordres du roi; tous enfin
de leur nullité , et des láches eonseils donnés
él leur maitre.o L'inaetion est un crime aux
yeux des partis qui venlent aller él leur but' :
aussi le coté droit eondamnait-il les ministres,
non pour ce qu'ils avaient fait , mais ponr ce
qu'ils n'avaient pas fait, Cependant Cazales et
les siens , tout en ·les conrlamnant , s'opposaient
él ce qu'on demandát au roi leur éloignement,
paree qu'ils regardaient cette demande eomme
une atteinte él la prérogative royale. Ce renvoi
ne fut pas réclamé, mais ils donnerent sucees-
sivement leur démission ) excepté Montmorin,
qni fut seul conservé. Duport-du-Tertre, simple
avocat , fut nornmé garde des sceaux, Dupor-
tail, désigné au roi par Lafayette , remplaca
Latour-du-Pin it la guerre, et se montra mieux
disposé en faveur du par-ti populaire, L'une
des mesures qu'il prit , fut de priver Bouil1é
de toute la liberté don! il usait dans son com-
mandemeut, et particulierement du POUVOil'
de déplaeer les troupes él sa volonté , pouvoir
dont Bouillé se servait , eomme on l'a vu , pour
empécher les soldats de fraterniser avec le
peuple.


Le roi avait fait une étude particuliere de
l'histoire de la révolution anglaise. Le sort de




278 RtvOI.tJTION FRAN~AISE.
Charles I'" l'avait toujours singulierement
frappé, et il ne pouvait pas se défendre de
pressentiments sinistres. Il avait surtout re-
marqué le motif de la condamnation de Char-
les r-, ce motif était la guerre civile. Il en
avait contracté une horreur invincible pour
toute mesure qui pouvait faire couler le sang;
et il s'était constamment opposé a tous les
projets de fuite, proposés par la reine et la
cour.


Pendant l'été passé aSaint-Cloud, en 1790,
il aurait pu s'enfuir; mais iln'avait jamais voulu
en entendre parlero Les amis de la eonstitution
redoutaient eomme lui ce moyen, qui sem-
blait devoir amener la guerre civile. Les. aris-
tocrates seu ls le désiraient , paree que, maitres
du roi en l'éloignant de l'assemblée, ils se
promertaient de gouverner en son nom, et de
rentrer avec lui a la tete des étrangers, igno-
rant cncore qu'on ne va jamais qu'á leur suite.
Aux aristocrates se joignaient peut-étre quel-
ques imaginations précoces, qui déjá com-
mencaient a rever la république, a laquelle
personne ne songeait encore, dont on n'avait
jamais prononcé le nom, si ce n'est la reine
dans ses emportements contre Lafayette et
contre l'assemblée, qu'elle accusait d'y tendré
de tous leurs voeux. Lafayette, chef de I'armée




~SSEMBLÉE CONSTlTlJANTE (1790)' 270
constitutionnelle, et de tous les amis sinceres
de la liberté, veillait constamment sur la per-
sonne du monarqlle. Ces deux idées , éloi-
gnement du roi et guerre civile , étaient si
fortement associées dans les esprits depuis le
commencement de la révolntion, qu'on regar-
dait ce départ comrne le plus grand malheur
a craindre.


Cependant l'expulsion du ministere , qui , s'il
n'avait la confianee de Louis XVI, était du
rnoins de son choix , l'indisposa eontre I'assem-
blée, et lui fit eraindre la perle entiere du
ponvoir exécutif. Les nouveaux débats reli-
gieux, que la mauvaise foi du clergé fit naitre
a propos de la constitution civile , effrayerent
sa conscience timorée, et des-lors il songea au
départ. C'est vers la fin de 1790, qu'il en écrivit
a Boui lié, qui résista d'abord, et qui céda en-
suite , pour ne point rendre son zele suspect a
l'infortuné monarqué. Mirabeau , de son coté,
avait fait un plan pour soutenir la canse de
la monarchie. En communieation eontinuelle
avec Montrnorin , il n'avait jusque-lá rien en-
trepris de sérieux , paree que la cour, hésitant
entre l'étranger,l'émigration et le partí natio-
nal , ne voulait rien frauchement , et de tous
les moyens redoutait surtout eelui qui la
sournettrait a un maitre aussi sincerement




280 nÉvoLUTlON FRAN<tAISE.


constitutionnel que Mirabeau, Cependant elle
s'entendit entiérement avec lui, vers cette épo-
que. On lui promit tout s'il réussissait , et ton-
tes les ressources possibles furent mises a sa
disposition. Talon , lieutenant civil au Chátelet,
et Laporte, appelé récemment aupres du roi
ponr administrer la liste civile, eurent ordre
de le voir et de se préter a l'exécution de ses
plans. Mirabean condamnait la constitution
nouvelle. Pour une monarchie elle était , selon
lui, trop démocratique, et pour une républiqne
il y avait un roi de tropo En voyant surtout
le débordement populaire qui allait toujours
croissant, il résolut de l'arréter. A Paris, sous
l'empire de la multitude et d'une assemblée
toute-puissante , aucune tentative n'était pos-
sible. n ne vit qu'une ressource, c'était d'éloi-
gner le roí de Paris , et de le placer- aLyon. La,
le roi se fút expliqué; il auraít énergiquement
exprimé les raisons qui lui faisaient condamner
la constitution nouvelle , et en aurait donné
une autre qui était toute préparée. Au méme
instant , on eút convoqué une premiere légis-
lature. Mirabeau, en conférant par écrit avec
les membres les plus populaires , avait eu l'art
de leur arracher a tous l'improbation d'un ar-
tícle de la constitution actuelle. En réunissant
ces divers avis, la coustitution tout entiere




ASSJ.;lUBLÉE CONSTITlTANTI, (1790)' 281
se Itrollvait condamnée par ses auteurs eux-
mérnes ", n voulait les joindre au manifeste du
roi, pour en assurer l'effet, et faire mieux sen-
tir la nécessité d'une nouvelle constitution. 00
ne connait pas tous ses moyens d'exécution;
on sait seulement, que par la police de Talon,
lieutenant-civil,il s'était ménagé des pamphlé-
taires, des orateurs de club et de groupe; que
par son immense correspoodaoce, il devait
s'assurer trente-six départements duo midi. Saos
doute il songeait a s'aider de Bouillé, mais il
ne voulait pas se mettre a la merci de ce gé-
néra1. Tandis que Bouillé campait aMontmédy,
il voulait que le roí se tint aLyon; et lui-méme
devait, suivant les circonstances, se porter a
Lyon ou a Paris. Un prince étranger, ami de
lVlirabeau, vit Bouillé de la part du roi, et lui
fit part de ce projet, mais al'insu de Mirabeau'",
qui ne sougeait pas a Montmédy, oú le roí
s'achemina plus tard.Bouillé, Irappé. du génie
de Mirabeau, dit qu'il fallait tout faire pour
s'assurer un homme pareil, et que pour luí il


* Voyez la note 19 a la fin du volume.
** Bouille semble croire, dans ses Mémoires, que c'est


de la part de Mirabeau et du roi qu'on lui lit des ouver-
tures, Mais c'est lá une erreur. Mirabeau ignorait cette
double menée , et ne pensait pas a se mettre dans les
mains de Bouillé.




?82 'RÉVOI,UTION FRANc,;AISE.


était prét a le seconder de tous ses moyens.
M. de Lafayette était étrangera ce projet.


Quoiqu'il fút sincerement dévoué ala personne
du roi, il n'avait point la confiance de la cour,
et d'ailleurs il excitait l'envie de Mirabeau ,
qni ne voulait pas se donner un compagnon
pareil. En outre, M. de Lafayette était connu
pour ne suivre que le droit chernin , et ce plan
était trap hardi, trop détourné des voies Ié-
gales , pour lui convenir. Quoi qu'il en soit ,
Mirabeau voulut étre le seul exécuteur de son
plan, et en effet, il le conduisit tout seul peno
dant l'hiver de 1790 a 1791. On ne sait s'il eút
réussi; mais il est certain que, sans faire re-
brousser le torrent révolutionnaire , il eút du
moíns influé sur sa direction , et sans changer
sans doute le résultat inévitable d'une révo-
lution telle que la nótre, il en eút rnodifié les
événernents par sa puissante opposition. 00
se demande encore si, méme en parvenant a
dompter le partí populaire, il eút pu se ren-
dre maitrede l'aristocratie et de la cour, Un
de ses arnis lui faisait cette derniere objection.
«( lis m' ont tout promis, disait Mirabeau. -
Et s'ils ne vous tiennent point parole? - S'ils
ne me tiennent point parole , je les f... en ré-
publique. » .


Les principaux articles de la constitution




ASSEIIIBLHE CONSTITUANTE (1790). 283
civile , tels que la circonscription nouvelle des
évéchés , et l'élection de tous les fOllctionnaires


ecclésiastiques, avaicnt été décrétés. Le roi en
avait référé au pape, qui, apres lui avoir ré-
pondu avec un ton moitié sévere et moitié
paternel, en avait appelé ason tour au clergé
de France. Le clergé profita de l'occasion, et
prétendit que le spirituel était compromis par
les mesures de l'assemblée. En méme temps,
il répandit des mandements, Melara que les
évéques déchus ne se retireraient de leurs
siéges que contraints et forcés; qu'ils loue-
raient des maisons , et continueraient leurs
fonctions ecclésiastiques ; que les fideles de-
meurés tels ne devraient s'adresser qu'a eux,
Le clergé intriguait surtout dans la Vendée et
dans certains départements du Midi , oú il se
concertait avec les émigrés. Un camp fédératif
s'était formé a Jallez ", oú , sous le prétexte
apparent des fédérations, les prétendus fédérés
voulaient établir un centre d'opposition aux
mesures de I'assernblée. Le parti populaire s'ir-
rita de ces menées; et, fort de sa puissance,
fatigué de sa modération , il résolut d'employer
un moyen decisif On a déja vu les motifs qui


• Ce camp s'était formé dans les premiers jours de sep-
tcmbre.




'.184 RÉVOLUTION FRANl;;AISE.
avaient inflné sur l'adoption de la constitu tion
civile. Cette constitution avait pour auteurs
les chrétiens les plus sinceres de l'assemblée;
ceux-ci , irrités d'une injuste résistance , réso-
lurent de la vainere.


On sait qu'un décret obligeait tous les fonc-
tionnaires publics a préter serment a la consti-
tution nouvelle. Lorsqu'il avait été questíon
de ce serment eívique, le c1ergé avait toujours
voulu distinguer la constitution poli tique de
la constitution ecclésiastique ; on avait passé
outre. Cette fois l'assemblée résolut d'exiger
des eeclésiastiques un serment rígoureux qui
les mit dans la nécessité de se retirer s'ils ne
le prétaient pas, ou de remplir fidelement
leurs fonctions s'ils le prétaient. Elle eut soin
de déclarer qn'elle n'entendait pas violenter
les eonseiences, qu'elle respecterait le refus
(le eeux qui, eroyant la religion compromise
par les lois nouvelles, ne voudraient pas pré-
ter le serrnent ; mais qu'elle voulait les con-
naitre pour ne pas leur eonfier les nonveaux
épiseopats. En cela ses prétentions étaient jus-
tes et franches. Elle ajoutaít a son décret , que
eeux qui refuseraient de jurer seraient privés
de fonctions et de traitements; en outre, pour
donner l' exemple , tous les ecclésiastiques qui
étaient députés devaieut préter le serment dans




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1790). 285
l'assemblée méme , huit jours apres la sanction
du nouveau décret.


Le coté droi t s'y opposa; Maury se livra a
toute sa violence, fit tout ce qu'il put pour se
faire interrompre, et avoir lieu de se plaindre.
Alexaudre Lameth, qui occupait le fauteuil,
lui maintint la parole, et le priva du plaisir
d'étre chassé de la tribune. Mirabeau, plus élo-
quent que jamais, défendit l'assernblée. « Vous,
« s'écria-t-il , les persécuteurs de la religion!
« Vous qui lui avez rendu un si noble et si ton-
le chant hommage, dans le plus beau de vos
({ décrets l Vous qui consacrez a son culte une
« dépense publique, dont votre prudence et
({ votre justice vous eussent rendus si écono-
(e mes! Vous qui avez fait intervenir la religion
({ dans la divisiou du royaume, et qui avez
« planté le signe de la croix sur toutes les li-
(l mites des départements! Vous, enfin , qui
« savez que Dieu est aussi hécessaire aux
« hommes que la liberté! »


L'assemblée décreta le serment ". Le roi en
référa tout de suite a Borne. L'archevéque d'Aix,
qui avait d'abord combattu la constitution ci-
vile, sentaut la nécessité d'une pacification,
s'unit au .roi et a quelques-uns de ses collé-


* Décret du '1.7 uovcmbre.




:186 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
gues plus modérés , pour solliciter le con sen ~
tement du pape. Les émigrés de Turin, et les
évéques opposants de France, écrivireut ~~
Rome, en sens tout contraire, et le pape,
sous divers pretextes, différa sa réponse. Vas-
semblée, irritée de ces délais , insista ponr
avoir la sanction du roi , qui, décidé a céder ,
usait des ruses ordinaires de la faiblesse. Il
voulait se laisser contraindre pour paraitre ne
pas agir librement. En effet, il attendit une
érneute , et se háta alors de donner sa sanction.
Le décret sanctionné , l'assemblée voulut le
faire exécuter, et elle obligea ses membres ec-
clésiastiques apréter le serment dans son sein,
Des hommes et des femmes, qui jusque-la s'é-
taient montrés fort peu attachés a la reli~ion,
se mirent tout-a-coup en mouvement 'ponr
provoquer le refus des ecclésiastiques ", Quel-
ques évéques et quelques curés préterent le
serment. Le plus grand nombre résista avec
une feinte modération, et un attachement
apparent a ses principes. L'assemhlée n'en pero
sista pas moins dans la nomination des nou-
veaux évéques et curés, et fut parfaitement
secondée par les adrninistrations. Les anciens
fonctionnaires ecclésiastiques eurent la liberté


* Voyez la note 20 ;1 la fin du volurne.




ASSEMBLÉE CONSTITUANTJ.: (1790)' ~87
d'exercer leur culte a part, et ceux qui étaient
reconnus par l'état prirent place dans les égli-
ses. Les dissidents Iouerent a Paris l'église des
Théatins pour s'y livrer á leurs exercices. L'as-
semblée le permit, et la garde nationale les
protégea autant qu'elle put contre la ·fureur
du peuple, qui ne leur laissa ras toujours
exercer en repos leur ministere particnlier.


On a condamné l'assemblée d'avoir occa-
sionné ce schisme, et d'avoir ajouté une cause
nouvelle de division a celles qui existaient
déja. D'abord , quant á ses droits, il est évi-
dent a tout esprit juste que l'assemblée ne
les excédait pas en s'occupant du temporel de
rÉglise. Qllant aux considérations de pruden-
ce, on peut dire qu'elle ajoutait peu aux dif-
ficultés de sa position. Et en effet , la cour,
la noblessc et le clergé avaient assez per-
du, le peuple assez acquis, pour étre des en-
nemis irréconciliables, et pour que la révolution
eút son issue inévitable, mérne sans les effets
du nouveau schisme. D'ailleurs, quand on
détruisait tous les abus, l'assemblée pouvait-
elle souffrir ceux de l'ancienne organisation
ecclésiastique? Ponvait-elle souffrir que des
oisifs vécussent daos l'aboodance, tandis que
les pasteurs , seuls utiles, avaient a peine 1('
nécessaire?





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ASSEl\IBLÉE CONSTI'l'U A.NTE (1790-91). 2.8~


CHAPITRE VI.


Progrés de l'émigration, - Le peuple soulevé attaque le
donjon de Vincennes. Conspiration des Chevaliers da
poignard, ---: Discussion sur la loi contre les émigrés.-
Mort de Mirabeau. - Intrigues contre-révolution-
naires.. Fuite du roi et de sa Camille; il est arrété a
Varennes et ramené a Paris. - Dispositions des puis-
sanees étrangercs; préparatifs des émigrés. - Declara-
tion de Pilnitz. - Proclarnation de la loi martiale au
Champ-de-Mars. - Le roi accepte la constitution.-
Clóture de l'assemblée constituante.


LA longue et derniére lutte entre le partí
national et I'ordre privilégié du clergé, dont
nous venons de raconter les principales cir-
constances , acheva de tout diviser. Tandis que
le clergé travaillait les provinces de l'Ouest
et du Midi, Les réfugiés de Turin faisaient di-
verses tentatives, que leur faiblesse et Ieur
anarchie rendaient inutiles. Une conspira-


J. 19




?.!)O RÉVOLUTION }'R,~N~AJSE.
tion fut tentée a Lyon. On y annoncait l'arri-
vée des princes, et une abondante distrihution
de graces; on promettait méme a cette ville
de devenir la capitale du royaume, a la place
de Paris , qui avait dérnérité de la cour. Le roi
était averti de ces menées , et n'en prévoyant
pas le succés, ne le désirant peut-étre pas, cal'
il désespérait de gouverner l'aristocratie victo-
rieuse, il fit tout ce qu'il put pour l'empécher,
Cette conspiration fut découverte a la fin de
J 790, et ses principaux agents Iivrés aux tribu-
naux. Ce dernier, revers décida l'émigration a
se transporter dé Turin a Coblentz, oú elle
s'établit dans le territoire de l'électeur de Tré-
ves, et aux dépens de son autorité, qu'eUe
envahit tout entiere. On a déja vu que les
membres de cette noblesse échappée de France
étaient divisés en deux partís : les uns, vieux
serviteurs, nourris de faveurs et composant
ce qu'on appelait la cour, ne voulaient pas, en
s'appuyant sur la noblesse de province, eutrer
en partage d'influence avec elle, et pour cela
ils n'entendaient recourir qu'a l'étranger; les
autres , comptant davantage sur leur épée ,
voulaient soulever les provinces duMidi, en
y réveillant le fanatisme. Les premiers l'em-
porterent, et on se rendit a Coblentz, sur la
frontiere du Nord , pour y attendre les puis-.




AsstlVIBLÜ CONSTITUA NTE (1 7~)l). 291
sanees. En vain ceux qui voulaient combattre
dans le Midi insisterent-ils pour qu'on s'aidát
du Piémorit , de la Suisse et de l'Espagne,
alliés fideles et désintéressés, et pour qu'on
laissát dans leur voisinage un chef considera-
ble. L'aristocratie que dirigeait Calonne ne le
voulut paso Cette aristocratie n'avait pas changé
en quittant la France : frivole, hautaine, in-
capable, et prodigue aCoblentz cornme aVer-
sailIes, elle fit encore mieux éclater ses vices
au milieu des difficultés de l'exil et de la guerre
civile. Il faut du bourgeois dans votre brevet',
disait-ellea ces hommes intrépides qui offraient
de se battre dans le Midi , et qui demandaient
sous quel titre ils serviraient '1'. On ne laissa a
Turin que des agents subalternes, qui, jaloux
les uns eles autres, se desservaient reciproque-
ment, et ernpéchaient toute tentative de réussir,
Le prince de Condé, qui semblait avoir conser-
vé toute l'énergie de sa branche, n'était point
en faveur aupres d'une partie de la noblesse;
il se placa pres du Rhin , avec tous ceux qui,
comme lui, ne voulaient pas intriguer, mais se
battre.


L'émigration devenait chaque jour plus
considérable, et les routes étaient couvertes


• Voyez la note 21 a la fin du volume.




292 RÉVOLUTION FRAN9AISE.
d'une noblesse qui semblait remplir un devoir
sacré, en courant prendre les armes contre sa
patrie. Des femmes méme croyaient devoir
attester leur horreur eontre la révolution, en
abandonnant le sol de la Franee. Chez une
nation oú tout se fait par entrainement , on
émigrait par vogue; on faisait a peine des
adieux , tant on croyait que le vOY3ge serait
eourt et le retour proehain. Les révolution-
naires de Hollande, trahis par leur général,
abandonnés par leurs alliés , avaient cédé en
quelques jours; ceux de Brabant n'avaient
guere tenu plus long-temps; ainsi done, sui-
vant ces imprudents érnigrés , la révolution
francaise devait étre soumise en une courte
carnpagne , et le pouvoir absolu refleurir sur
la France asservie.


L'assemblée, irritée plus qu'effrayée de Ieur
présomption, avait proposé des mesures, et
elles avaient toujours été différées, Les tantes
du roi, trouvant leur conscience compromise
aParis , crurent devoir aller chercher leur sa-
lut aupres du pape. Elles partirentponr Rome",
et furent arrétées en route par la municipalité
d'Arnay ~ le -'Duc. Le peuple se porta aussitót
diez Monsieur , qu'on disait prét a s'enfuir.


• Elles partirent le 19 février 1791.




ASSEillBÜE CONSTITUANn: (179 1 ) . 293
Monsieur parl1t , et promit de ue pas aban-
donner le roi, Le peuple se calma; et 1'a5-
semblée prit en délibération le départ de
Mesdames. La délibération se prolongeait, lors-
que Menou la termina par ce mot plaisant :
« L'Europe, dit-il, sera bien étonnée, quand
elle saura qu'une grande assemblée a mis plu-
sieurs jours adécider si deux vieilles femmes
entendraient la messe a Bome ou aParis. » Le
comité de constitution n'en fut pas moins
chargé de présenter une loi sur la résidence
des fonctionnaires publics et sur l'émigration.
Ce décret , adopté apres de violentes discus-
sions, ohligeait les fonctionnaires publics a la
résidence dans le lieu de leurs fonctions, Le
roi, comme premier de tous, était tenu de ne
pas s'éloigner du corps législatif pendant cha-
que session , et en tout autre temps de ne pas
aller au-delá du royaume. En cas de violation
de eette loi, la peine pour tons les fonction-
naires était la déchéance. Un autre décret sur
1'émigration fut demandé au comité.


Pendant ce temps, le roi, ne pouvant plus
souffrir la contrainte qui lui était imposée , et
les réductions de pouvoir qne l'assemblée luí
faisait subir, n'ayant surtout aucun repos de
conscience depuis les nouveaux décrets sur
les prétres i le roi était décidé a s'enfuir. Tout




294 RÉVOLUTION FRA.N9USF..
l'hiver avait été eonsaeré en préparatifs; 00
excitait le zéle de Mirabeau, on le eomblait
de promesses s'il réussissait a mettre la famille
royale en liberté, et, de son coté, il poursui-
vait son plan avec la plus grande activité.
Lafayette venait de rompre avee les Lameth.
Ceux-ei le trouvaient trop dévoué ala eour; et
ne pouvant suspeeter son intégrité, eomme celle
de Mirabeau, ils accusaient son esprit, et lui
reproehaient de se laisser abuser. Les ennemis
des Lameth les accuserent de jalouser la puis-
sanee militaire de Lafayette, comme ils avaient
envié la puissanee oratoire de Mirabeau. Ils
s'unirent ou parurent s'unir aux amis du duc
d'Orléans, et on prétendit qu'ils voulaient mé-
nager a l'un d'eux le commandement de la
garde nationale; c'était Charles Lameth qui,
disait-on, avait l'ambition de l'obtenir , et on
attribua a ce motif les difficllltés sans cesse
renaissantes qui furent suscitées depuis a
Lafayette.


Le 28 février, le peuple , excité, dit-on, par
le due d'Orléans , se porta au donjon de Vin-
eennes, que la municipalité avait destiné a
recevoir les prisonniers trop accumulés dans
les prisons de Paris. On attaqua ce donjon
eomme une nouvelle Bastille. Lafayette y ac-
courut atemps, et dispersa le faubourg Saint-





ASSEMnLÉE CONSTlTUANTE (J 79 T). 295
Antaine, conduit par Santerre a cette expédi-
tion. Tandis qu'iL rétablissait l'ordre dans cette
partie de Paris, d'autres difficuhés se prépa-
raient pour lui aux TniLeries. Sur Ie bruit
d'une émeute, une grande quantité des habi-
tués du chatean s'y étaient rendus au nombre
de plusieurs centaines. lIs portaient des armes
cachées , telIes que des couteaux de chasse et
des poignards. La gardc nationale , étonnée
de cette affluence , en coucut des craintes ,
désarma et maltraita quelques-uns de ces hom-
mes. Lafayette survint, fit évacuer le chatean
et s'empara des armes. Le bruit s'en répandit
aussitót ; on dit qu'ils avaient été trouvés por-
teurs de poignards, d'oú ils furent nornmés
depuis cheoaliers da poignard. Ils soutinrent
qu'ils n'étaient venus que ponr défendre la
personne du roi menacée. On leur reprocha
d'avoir voulu l'enlever; et , comme d'usage,
l'événement se termina par des calornnies ré-
ciproques. Cette scene déterrnina la véritable
situation de Lafayette. On vit mieux encore
cette fois que, placé entre les partis les plus
prononcés, iL était la pour protéger la per-
sonne du roi el la constitution. Sa douhle
victoire augmenta sa popularité, sa puissance,
et la haine de ses ennemis. Mirabeau , qui avait
le tort d'augmenter les défiances de la cour a




296 HÉVOJ.UTION FR AN<;AISE.
son égard, présenta cette conduite comme
profondément hypoerite. Sous les apparences
de la modération et de la guerre a tous les
partis , elle tendait, selon lui, a l'usurpation.
Dans son humeur, il signalait les Lameth
comme des méchants et desinsensés , unis a
d'Orléans, et n'ayant dans l'assemblée qu'une
trentaine de partisan s. Quant au coté droit ,
il déclarait n'en pouvoir ríen faire, et se re-
pliait sur les trois ou quatre eents membres,
libres de tout engagement, et toujours dispo-
sés a se décider par l'impression de raison et
d'éloquence qu'il opérait dans le momento


II n'y avait de vrai dans ce tablean que son
évaluation de la force respective des partis, et
son opinion sur les moyens de diriger l'assem-
blée. 11 la gonvernait en effet, en dominant
tout ce qui n'avait pas d'engagement pris, Ce
méme jovr, 28 février, il exercait , presqne
pour la derniére foís, son empire, sígnalait
sa haine contre les Lameth, et déployait con-
tre eux sa redoutable puissance.


La loi sur l'émígration allait étre discutée.
Chapelier la présenta au nom du comité. Il
partageait, disait-il, l'indígnation générale con-
tre ces Francais qui abandonnaient leur patrie,
mais il déclarait qu'apres plusieurs jours de
réflexions , le comité avait reconnu l'ímpossi-




ASSE:.\IBLÉE CONSTITUANTE (179 1 ) . 297
bilité de faire une loi sur l'émigration. Il était
difficile en effet d'en faire une. II fallait se de-
mander d'ahord si on avait le droit de íixer
l'homme au sol. On l'avait sans doute, si le
salut de la patrie l'exigeait; mais il fallait dis-
tinguer les motifs des voyageurs, ce qui de-
venait inquisitorial; il fallait distinguer leur
qualité de Francais ou d'étrangers, d'émi-
grants ou de simples commercants. La loi était
donc trés-difficile , si elle n'était pas impossi-
hle. Chapelier ajouta que le comité, pour obéir
a l'assemblée , en avait rédigé une; que, si on
le voulait , il allait la lire; mais qu'il avertissait
d'avance qu'elle violait tous les principes.-
l ..isez ... Ne lisez pas. .. s'écrie-t-on de toutes
parts. -Une foule de députés veulent prendre
la parole. Mirabeau la demande a son tour,
l'obtient, et , ce qui est mieux, commande le
silence, II lit une lettre fort éloquente , adres-
sée autrefois a Frédéric-Guillaume, dans la-
quelle il réclamait la liberté d' émigration,
comme un des droitsles plus sacrés de
l'homme, qui, n'étant point attaché par des
racines a la terre, n'y devait rester attaché
que par le bonheur. Mirabeau, peut-étre pour
satisfaire la cour , mais surtout par conviction,
repoussait comme tyrannique toute mesure
contre la liberté d'aller et de venir. Sans doute




:298 IlÉVOLUTION FRAN~AISE.
on abusait de cette liberté dans le moment,
mais l'assemblée , s'appuyant sur sa force, avait
toléré tant d'exces de la presse commis contre
elle-méme , elle avait souffert tant de vaines
tentatives, et les avait si victorieusement re-
poussées par le mépris , qu'on pouvait lui con-
seiller de persister dans le meme systéme.
Mirabeau est applaudi dans son opinion, mais
on s'obstine a demander la lecture du projet
de loi. Chapelier le lit en fin : ce projet pro-
pose, pour les eas de troubles, d'instituer une
eommission dictatorial e ,eomposée de trois
membres , qui désigneront nommément et a
leur gré eeux qui auront la liberté de circuler
hors du royaume. A cette ironie sanglante, qui
dénoneait I'irnpossibilité d'une loi , des mur-
mures s'élevent. - Vos murmures m'ont sou-
lagé, s'écrie Mirabeau , vos coeurs répondent au
mien , et repoussent cette absurde tyrannie.
Pour moi, je me crois délié de tout serment
envers ceux qui auront l'infamie d'admettre
une cornmission dictatoriale. - Des cris s'éle-
vent an coté gauche. - Oui , répete-t-il , je
jure ... - Il est interrornpu de nouveau ...
- Cette popularité, reprend-il avec une voix
tonnante, que j'ai ambitionnée, et dont j'ai
joui comme un autre, n'est pas un faible 1'0-
seau ; je l'enfoncerai profondément en terre...,




ASSKMBLÉE CONSTlTUANTE (l'79 1) . 299
et je le ferai germer sur le terrain de la justice
et de la raison... - Les applaudissements écla-
tent de toutes parts. - Je jure, ajoute l'ora-
teur, si une loi d'émigration est votée, je jure
de vous désobéir.


Il descend de la tribune aprés avoir étonné
I'assemblée et imposé a ses ennemis. Cepen-
dant la discussion se prolonge encore ; les uns
veulent l'ajournement, pour avoir le temps de
faire une loi meilleure; les autres exigent qu'il
soit déclaré de suite qu'on n'en fera pas, afin
de calmer le peuple et de terminer ses agita-
tions. On murmure, on crie, on applaudit. Mi-
rabeau demande encore la paróle, et semble
l'exiger..... - Quel est , s'écrie M. Goupil, le
titre de la dictature qu'exerce ici M. de Mira-
beau? - Mirabeau, sans l'écouter, s'élance a
la tribune. - Je n'ai pas accordé la parole ,
dit le président; que l'assemblée décide.-Mais,
sans rien décider,l'assemblée écoute. -Je prie
les interrupteurs, dit Mirabeau, de se souve-
nir que j'ai toute ma vie combattu la tyrannie,
et que je la combattrai partout oú elle sera
assise ; - et en prononc;ant ces mots , il pro-
mime ses regards de droite a gauche. Des ap-
plaudissements nombreux accompagnent sa
voix; il reprend : - Je prie M. Goupil de se
souvenir qu'il s'est mépris jadis sur un Cati-




300 RÉVOLUTION FRAN~A]SE.
lina dont il repousse aujourd'hui la dictature *;
je prie l'assemblée de remarquer que la ques-
tion de l'ajournement, simple en apparence,
en renferme d'autres , et, par exemple , qu'elJe
suppose qu'une loi est a faire. - De nouveaux
murmures s'élevent agauche. - Silence aux
trente voix l s'éerie l'orateur en fixant de ses
regards la place de Barnave et des Lameth.
- Enfin, ajoute-t-il , si l'on veut , je vote aussi
l'ajournement, mais a condition qu'il soit dé-
crété que d'ici a l'expiration de l'ajournement
il n'y aura pas de sédition. - Des acc1ama-
tions unanimes eouvrent ces derniers mots,
Néanmoins l'ajournement l'emporte , mais a
une si petite majorité, que l'on conteste le ré-
suItat, et qu'une seconde épreuve est exigée.


Mirabeau dans eette occasion frappa snrtout
par son audace; jamais peut-étre il n'avait plus
impérieusement subjugué l'assemblée. Mais sa
fin approchait, et c'étaient la ses derniers
triomphes, Des pressentiments de mort se me-
laient a ses vastes projets, et quelquefois en
arrétaient l'essor. Cependant sa conscience était
satisfaite; l'estime publique s'unissait ala sienne,
et l'assurait que, s'il n'avait pas encore assez


.. M. Goupil, poursuivant autrefois Mirabeau, s'était
écrié avec le coté droit : « Catilina est a nos portes!-




ASSEMBLÉE CONSTlTUANn: (r 79 r ), 30 [
fait pour le salut de l'état, il avait du moins
assez fait pour sa propre gloire. Pále et les
yeux profondément creusés , il paraissait tout
changé a la tribune, et souvent il était saisi
de défaillances subites. Les exces de plaisir et
de travail, les émotions de la tribune, avaient
usé en peu de temps eette existence si forte.
Des bains qui renfermaient une dissolution de
sublimé avaient produit eette teinte verdátre
qu'on attribuait au poison. La cour était alar-
mée , tous les partis étonnés ; et, avant sa
mort , on s'en demandait la cause. Une der-
ni ere fois, il prit la parole a cinq reprises dif-
férentes , sortit épuisé , et ne reparut plus. Le
lit de mort le recut et ne le rendit qu'au
Panthéon. Il avait exigé de Cabanis qu'on
n'appelát pas de médecins; néanmoins on lui
désobéit , et ils trouverent la mort qui s'ap-
prochait, et qui déja s'était emparée des pieds.
La tete fut atteinte la derniere , eomme si la
nature avait voulu laisser briller son génie
jusqu'au dernier instant. Un peuple immense
se pressait autour de sa demeure, et encom-
brait toutes les issues dans le plus profond si-
lence. La cour envoyait émissaires sur émis-
saires; les hulletins de sa santé se transmettaient
de bouche en bouche , et allaient répandre
partout la douleur achaque progres du mal.




302 RÉVOLUTION FRAN~;AISE.
Lui, eutouré de ses amis, exprimait quelques
regrets sur ses travaux interrompus, quelque
orgueil sur ses travaux passés: -Soutiens, di-
sait-il a son domestique, soutiens cette tete,
la plus forte de France. L'empressement du
peuple le toucha; la visite de Barnave, son en-
nemi , qui se présenta chez lui au nom des Ja-
cobins , lui causa une douce émotion. Il don na
encore quelques pensées a la chose publique.
L'assemblée devait s'occuper du droit de tes-
ter; il appela l\f. de Talleyrand, et lui remit
un discours qn'il venait d'écrire, - Il sera plai-
sant, lui dit-il, d'entendre parler contre les
testaments un homme qui n'est plus et qui
vient de faire le sien. La cour avait voulu en
effet qu'il le fit , promettant d'acquitter tous
les legs. Reportant ses vues sur l'Europe, et de-
vinant les projets de I'Angleterre: « Ce Pitt, dit-
il, est le ministre des préparatifs; il gouverne
avec des menaces : je lui donnerais de la peine
si je vivais.» Le curé de sa paroisse venant lui
offrir ses soins , il le remercia avec politesse,
et lui dit, en souriant , qu'il les accepterait vo-
lontiers s'il n'avait dans sa rnaison son supé-
rieur ecclésiastique, l\f. l'évéque d' Autun. Il
fit ouvrir ses fenétres: -l\fon ami, dib-il aCa-
banis, je mourrai aujourd'hui : il ne reste plus
qu'a s'envelopper de parfums , qu'á se con-




ASSEJHBLEE CONSTI'rUANTE (179')' 303
ronner de fleurs, qu'a s'environner de musí-
que, afin d'entrer paisiblement dans le som-
meil éternel. Des douleurs poignantes inter-
rompaient de ternps en temps ces discours si
nobles et si calmes. Vous aviez promis, dit-il a
ses amis, de m'épargner des souffrances inu-
tiles. En disant ces mots, il demande de 1'0-
pium avec instance. Comme on le lui refusait ,
il I'exige avec sa violence accontumée. Pour
le satisfaire, on le trompe, et on lni pré-
sente une coupe, en lui persuadant qu'elle
contenait de I'opiurn. Il la saisit avec calme,
avale le breuvage qu'il croyait mortel, et parait
satisfait, Un instant apres il expire. C'était le
2 aVril179I. Cette nouvelle se répand aussitót
a la conr, a la ville, a l'assemblée. Tous les
partís espéraient en lui , et tous , excepté les
envieux , SOl1t frappés de douleur. L'assemblée
interrompt ses travaux, un deuil général est
ordonné, des funérailles magnifiques sont pré-
parées. On demande quelques députés : Nous
irons tous , s'écrient-ils. L'église de Sainte-Ce-
nevieve est érigée en Panthéon, avec cette
inscription , qui n'est plus a l'instant 00 je ra-
conte ces faits :


AUX GRANDS HOMlliES LA PATRIE RECONNAISSANTE *.


* La révolution de 1830 a rétabli cette inscription, et
rendu ce monument 11 la destiuation décrétée par l'assem-
blée nationale.




304 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
Mirabeau y fut le premier admis a coté de


Descartes. Le lendemain, ses funérailles eurent
lieu. Toutes les autorités , le département, les
municipalités , les sociétés populaires , l'assem-
blée, l'armée, accompagnaient le convoi. Ce
simple orateur obtenait plus d'honneurs que
jamais n'en avaient recu les pompeux cer-
cueils qui allaient jadis a Saint-Denis. Ainsi
finit cet homrne extraordinaire, qui , apres
avoir audacieusement attaqué et vaincu les
vieilles races , osa retourner ses efforts contre
les nouvelles qui l'avaient aidé a vaincre, les
arréter de sa voix, et la leur faire aimer en
l'employant contre elles; cet homme enfin qui
fit son devoir par raison , par génie, mais non
pour quelque peu d'or jeté a ses passions, et
qui eut le singulier honneur, lorsque toutes
les popularités finirent par le dégout du peu-
pie, de voir la sienne ne céder qu'a la mort.
Mais eút-il fait entrer la résignation dans le
coeur de la cour, la modération dans le coeur
des ambitieux? eút-il dit a ces tribuns popu-
laires qui voulaient briller a leur tour : De-
meurez dans ces faubourgs obscurs? eút-il dit
aDanton, cet autre Miraheau de la populace :
Arretez-vous dans cette section, el ne montez
pas plus haut? On l'ignore; mais ,au mornent
de sa mort, tous les intéréts incertains s'étaient




305ASSEMBLÉE CONSTITUA1VTE (1 '7() 11./. ,
rernis en ses mains , el comptaient sur lui.
Long-tcmps on regretta sa présence. Dans la
confusión des disputes, on portait les regards
sur cette place q u'il avait occupée, et on sem-
blait invoquer celui qui les terminait d'un mot
victorieux. Mirabeau n'est plus ici , s'écria un
jour Maury en montant a la tribune; on ne
m'empéchera pas de parlero


La mort de Mirabeau en leva tout courage a
la cour. De nou veaux événernents vinrent pré-
cipiter sa résolution de fuir. Le 18 avril, le roi
voulut. se rendre a SaiIlt~loud. On répandit
le bruit que, ne voulant pas user d'UD prétre
asserrnenté pour les devoirs de la Páque, il
avait résolu de s'éloigner pendant la semaine
sainte; d'autres prétendirent qu'il voulait fuir.
Le peuple s'assemble aussitót et arréte les


. chevaux. Lafayette accourt, supplie le roi de
demeurer en voiture , en l'assurant qu'il va lui
ouvrir un passage. Le roí néanmoins descend
et De veut permettre aucune tentative; c'était
son ancienne politique de 'ticparaitre pas libre.
D'apres l'avis de ses ministres, il se rend a
l'assemblée pour se plaindre de l'outrage qu'il
venait de recevoir. L'assemblée l'accueille avec
son empressement ordinaire, en promettant
de faire tout ce qui dépendra ji'elle pOllr as-
surer sa liberté. Louis XVI sort appIaudi de


l. 20




306 RÉVOLUTJON FRAN~AIS":
tous les cótés , excepté du coté droit. Le 23
avril, sur le eonseil qu'on lui donne, il fait
écrire par M. de Montmorin une lettre aux
ambassadeurs étrangers, dans laquelle il dé-
ment les intentions qu'on luí suppose au de-
hors de la France, déclare aux puissances qu'il
apreté serment ala eonstitution, et qu'il est
disposé ale tenir, et proclame eomme ses en-
nemis tous eeux qui insinueront le contraire.
Les expressions de cette lettre étaient volon-
tairement exagérées pour qu'elle parüt arra-
chée par la viole,~ce; e'est ce que le roi
déclara lui-méme a l'envoyé de Léopold. Ce
prioce parcourait alors l'ltalie et se trouvait
daos ce moment a Mantoue. Calonne négo-
ciait aupres de lui. Un envoyé, M. Alexandre
de Durfort, viot de Mantoue aupres du roi et
de la reioe s'informer de leurs dispositions. Il
les interrogea d'abord sur la lettre écrite aux
ambassadeurs, et ils répondirent qu'au lan-
-gage on devait voir qu'elle était arraehée; il
les questionna ensnite sur leurs espérances ,
et ils répondirent qu'ils n'en avaient plus de-
puis la mort de Mirabeau; enfin sur leurs dis-
positions envers le eomte d'Artois , et ils assu-
rerent qu'elles étaient excellentes.


Pour eompreodre le motif de ees questions,
il faut savoir que le baron de Breteuil était




ASSMlBLÉE CONSTITU ANTE (1791). 307
l'ennemi déelaré de Calonne; que son inimitié
n'aváit pas fini dans l' émigration; et que, ehargé
aupres de la eour de Vienne des pleius pou-
voirs deLouis XVI'" il eontrariait toutes les
démarches des princes. Il assurait a Léopold
que le roi ne voulait pas étre sauvé par les
émigrés, paree qu'il redoutait leur exigenee, et
que la reine personnellement était brouillée
avee le eornte d'Artois. Il proposait toujours
pOIlr le salut du treme le eontraire de ee que
proposait Calonne; et il n'oublia ríen ponr dé-
truire l'effet de eette nouvelle négoeiation. Le
eomte de Durfort retourna aMantoue ; et , le 20
mai 1791, Léopold promit de faire marchar
trente-einq mille hommes en Flandre, et quinze
mille en AIsaee. Il annonca qu'un nombre égal
de Suisses devaient se porter vers Lyon, autant
de Piérnontais sur le Dauphiné, et que l'Es-
pagne rassernblerait vingt mille homrnes. L'em-
pereur promettait la eoopération du roí de
Prusse et la neutralité de l'Angleterte. Une
protestation faite au nom de la maison de Bour-
hon , devait étre signée par le roí de Naples,
le roi d'Espagne, par l'infant de Parme , et par
les prinees expatries. Jusque-lá le plus grand
seeret était exigé. II était aussi reeommandé a


* Voye:l á ce! égard Bertrand de Molleville.
20.




:>08 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
Louis XVI de ne pas songer as'éloigner, quoi-
qu'il en eút témoigné le désir ; tandis que Bre-
teuil, au contraire, conseillait au roi de partir.
Il est possible que de part et d'autre les con-
seils fussent donnés de bonne foi; mais il faut
remarquer cependant qu'ils étaient donnés
dans le sens des intéréts de ehacun. Breteuil,
qui voulait combattre la négociation de Ca-
Ionne aMantoue, conseillait le départ; et Ca-
lonne, qui n'aurait plus régné si Louis XVI
s'était transporté ala frontiere , lui faisait insi-
nuer de rester. Quoi qu'il en soit, le roi se dé-
cida apartir, et il a dit souvent, avec humeur :
«C'est Breteuil qui l'a voulu ".»Il écrivit done a
Bouillé qu'il était résolu a ne pas différer da-
vantage. Son intention n'était pas de sortir du
royaume, mais de se retirer aMontmédy, d'oú
il pouvait, au besoin, s'appuyer sur Luxem-
bourg, et recevoir les secours étrangers. La
route de Chálons par G;lermont et Varennes
fut préférée malgré l'avis de Bouillé. Tous les
préparatifs furent faits pour partir le 20 juin.
Le général rassembla les troupes sur lesquelles
il comptait le plus, prépara un camp a Mont-
médy , y amassa des fourrages, et donna pour
prétexte de toutes ces dispositions , des mouve-


~ Voyez Bertrand de Molleville.




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTE (1 '79J). 309
ments qu'il apercevait sur la frontiere. La reine
s'était chargée des préparatifs depuis Paris jus-
qu'aChálons; et Bouillé de Chálons jusqu'a Mont-
médy. Des corps de cavalerie peu nombreux
devaient, sous prétexte d'escorter un trésor,
se porter sur divers points, et recevoir le roi
a son passage. Bouillé lui-méme se proposait
de s'avancer aquelque distan ce de Montmédy.
La reine ls'était assurée une porte dérobée
pour sortir du cháteau, La famille royal e devait
voyager sous un 1I0m étranger et avec un passe-
port supposé. Tout était prét pOllr le 20; ce-
pendant une crainte fit retarder le voyage
jusqu'au 2 r , délai qui fut fatal a cette famille
infortunée. M. de Lafayette était dans une com-
plete ignorance du voyage; M. de Montmorin
Iui-mérne , malgré la confiance de la cour, l'i-
gnorait ahsolument ; il n'y avait dans la confi-
dence de ce projet que les personnes indispen-
sables a son exécution. Quelques hruits de
fuite avaient cependant couru, soit que le
projet eút transpiré, soit que ce fút une de ces
alarmes si communes alors. Quoi qu'il en soit,
le comité de recherches en avait été averti, et
la vigilan ce de la garde nationale en était aug-
mentée.


Le 20 juin , vers minuit , le roi , la reine,
madame Elisabeth , madame de Tourzel , gou-




3 I o RÉVOLUTION FRAN<;jAISE.
vernante des enfants de France, se déguisent ,
et sortent successivement du cháteau, Madame
de Tourzel avec les enfants se rend au petit
Carrousel, et monte dans une voiture conduite
par M. de Fersen, jeune seigneur étranger,
déguisé en cochero Le roi les joint hientót.
Mais la reine, qui était sortie avec un garde-
du-corps , leur donne a tous les plus grandes
inquiétudes. Ni elle ni son guide ne connais-
saient les quartiers de París; elle s'égare et ne
retrouve le petit Carrousel qu'une heure apres ;
en s'y rendant, elle rencontre la voiture de
M. de Lafayette, dont les gens marchaient avec
des torches. Elle se cache sous les guichets du
Louvre , et , sauvée de ce danger, parvient a
la voiture oú elle était si impatiemment atten-
due. Apres s'étre ainsi réunie , to~ la famiJIe
se met en route; elle arrive, apres un long trajet
et une secande erreur de route, a la porte
Saint-Martin , et monte dans une berline atte-
lée de six chevaux, placée lá pour l'attendre.
Madame de Tourzel , sous le nom de madame de
Korff, dcvait passer pour une mere voyageant
avec ses enfants ; le roi était supposé son valet
de chambre; trois gardes-du-corps déguisés
devaient précéder la voiture en courriers, OH
la suivre comme domestiques. Ils partent enfin,
accompagnés des voeux de M. de Ferseu , qui




ASSEl\IBLÉE CONSTITUANTE (179')' 3. 1
rentra dans Paris pour prendre le chemin de
Bruxelles. Pendant ce temps , Monsieur se diri-
geait vers la Flandre avec son épouse, et suivait
une autre route pour ne point exciter les
soupc;ons et ne pas faire manquer les chevaux
dans les relais.


Le roi et sa famille voyagerent tonte la nuit
sans que Paris fút averti, M. de Fersen courut
a la rnunicipalité pour voir ce qu'on en savait :
a huit heures du matin on l'ignorait encore.
Mais bientót le bruit s'en répandit et circula
avec rapidité. Lafayette réunit ses aides-de-
camp, leur ordonna de partir sur-le-champ , en
leur disant qu'ils n'atteindraient sans doute
pas les fugitifs, mais qu'il fallait faire quelque
chose; il prit sur lui la responsabilité de l'ordre
qu'il donnait, et supposa, dans la rédaction de
cet ordre , que la famille royale avait été en-
levée par les ennemis de la chose publique.
Cette suppositiou respectueuse fut admise par
l'assemblée , etconstamment adoptée par toutes
les autorités. Dans ce moment, le peuple ameuté
reprochait a Lafayette d'avoir favorisé l'éva-
sion du roi, et plus tard le partí aristocrate
J'a accusé d'avoir Iaissé fuir le roi pOllr l'arré-
ter ensuite, et pour 'le perdre par cette vaine
tentative. Cependant, si Lafayette avait voulu
laisser fuir Louis XVI, aurait-il envoyé, sans




3J:l nÉVOL(]TION FP..AN<:;AISJ<:.


aucun ordre de l'assemblée, deux aides-de-
camp a sa suite? Et si, comme l'ont supposé
les aristocrates, il ne I'avait laissé fuir que
pour le reprendre , aurait-il donné toute une
nuit d'avance ala voiture? Le peuple fut hientót
détrompé, et Lafayette rétabli dans ses bonnes
graees.


L'assemblée se réunit a neuf heures du ma-
tin. Elle montra une attitude aussi irnposante
qu'aux premiers jours de la révolution, La
supposition convenuc fut que Louis XVI avait
été enlevé. Le plus grand calme, la plus par-
faite union régnerent pendant toute eette
séanee. Les mesures prises spontanément par
Lafayette furent approuvées. Le peuple avait
arrété ses aides-de-camp aux barrieres; l'as-
semblée, partout obéie, leur en fit ouvrir les
portes. L'un d'eux , le jeune Romeuf, ernporta
avec lui le déeret qui eonfirmait les ordres
déja donnés par le général , et enjoignait a tous
les fonctionnaires publics d'arréter, par tous
les moyens possibles , les miles dudit enléve-
ment , el /I'empécher que la mutefút continuée.
Sur le voeu et les indications du peuple, Ro-
menf prit la route de Chálons , qui était la
véritable, et qne la vue d'une voiture a six
chevaux avait indiquée comme telle. L'assern-
blée 6t ensuite appeler les ministres, et décréta




ASSElIlELÉE CONSTITU ANTE (179 [). 313
qu'ils ne reeevraient d'ordre que d'elle seule.
En partant, Louis XVI avait ordonné au mi-
nistre de la justice de lui envoyer le seeau de
l'état; l'assemblée décida que le seeau serait
conservé pom étre apposé a ses décrets; elle
décréta en méme temps que les frontieres se-
raient mises en état de défense, et chargea le
ministre des relations extérieures d'assurer aux
puissances, que les dispositions de la natiou
francaise n'étaient point changées aleur égard.


M. de Laporte, intendant de la liste civile,
fut ensuite entendu, Il avait recu divers mes-
sages du roi , entre autres un hillet, qu'il pria
l'assemblée de ne pas ouvrir, et un mémoire
contenant les motifs dn départ. L'assemblée ,
préte arespecter tous les droits, restitua , sans
l'ouvrir, le bilIet que M. de Laporte ne voulait
pas rendre public , 'et ordonna la lecture dn
mémoire. Cette lecture fut écoutée avee le plus
grand calme, et ne produisit presque aUCIlIlC
impression. Le roi s'y plaignait de ses pertes
de ponvoir sans assez de dignité, et s'y mon-
trait aussi hlessé d'étre rérluit a trente millions
de liste civile, que d'avoir perdu toutes ses
prérogatives. On écouta toutes les doléances
du monarque, on plaignit sa faiblesse , et on
passa outre.


Dans ce moment, pell de personnes dési-




314 RÉVOLUTION FRAN<;AISE.
raient l'arrestation de Louis XVI. Les aristo-
erates voyaient dans sa fuite le plus ancien de
leurs voeux réalisé , et se flattaient d'une guerre
civile tres - prochaine. Les membres les plus
prononcés du parti populaire , qui déja com-
mencaient ase fatiguer du roi, trouvaient dan s
son abseuce l'occasion de s'en passer, et con-
cevaient l'idée et l'espérance d'une république.
Toute la partie modérée, qui gouvernait en ce
moment l'assemblée, désirait que le roi se re-
tirát sain et sauf aMontmédy; et, comptant
sur son équité, elle se flattait qu'un accommo-
dement en deviendrait plus facile entre le tróne
et la nation. On s'effrayait beaucoup moins a
présent qu'autrefois, de voir le monarque me-
nacant la constitution du milieu d'une arrnée,
Le peuple seul, auquel on n'avait pas cessé
d'inspirer cette crainte, la conservait encore
lorsque l'assemblée ne la partageait plus, et il
faisait des voeux ardents pour l'arrestation de
la famille royale. Tel était l'état des choses a
Paris.


La voiture, partie dans la nuit du 20 au 21,
avait franchi heureusement une grande partie
(le la route, et était parvenue sans obstacle a
Chálons, le 2 [ , vers les cinq heures de l'apres-
midi. La, le roi, qui avait le tort de mettre
souvent sa tete a la portiere , Iut reconnu ;




ASSEMBLÉE CONSTITU ANTE (1791). 3.5
celui qui fit cette découverte voulait d'abord
révéler le secret , mais il en fut empéché par
le maire, qui était un royaliste fidele. Arrivée
a Pont - de - Sommeville, la famille royale ne
trouva pas les détachements qui devaient l'y
recevoir; ces clétachements avaient attendu
plusieurs heures; mais le soulévement du peu-
pie, qui s'alarmait de ce mouvement de trou-
pes, les avait obligés de se retirer. Cependant
le roi arriva aSainte-Menehould. La, montrant
toujours la tete ala portiere , il fut aper~u par
Drouet , fils du maitre de poste, et chaud révo-
lutionnaire. Aussitót ce jeune homme, n'ayant
pas le temps de faire arréter la voiture aSainte-
Menehould , court aVarennes, Un brave ma-
réchal-des-logis , qui avait aper~u son empres-
sement et qui soupconnait ses motifs , vol e a
sa suite pour l'arréter, mais ne peut l'atteindre.
Dronet fait tant de diligence qu'il arrive a Va-
rennes avant la famille infortunée; sur-Ie-champ
il avertit la municipalité , et fait prendre sans
délai toutes les mesures nécessaires pOllr I'ar-
restation. Varennes est bátie sur le hord d'une
riviere étroite, rnais profonde; un détachement
de hussards y était de garde; mais l'officier,
ne voyant pas arriver le trésor qu'on lui avait
annoncé , avait Iaissé sa troupe dans les: quar-
tiers. La voiture arrive enfin et passe le ponl.




316 RÉVOLUTION FRANYAISE.
A peine est-elle engagée sous une voúte qu'il
fallait traverser, que Drouet, aidé d'un autre
individu, ar.te les ehevaux: Fotre passe-port l
s'écrie-t-il , et avec un fusil, il menace les voya-
geurs s'ils s'ohstinent aavancer, On ohéit acet
ordre, et on livre le passe - port. Drouet s'en
saisit, et dit que c'est au pracureur de la eom-
mune a l'examiner; et la famille rayale est
conduite ehez ce procureur, nommé Sausse-
Celui-ci, apres avoir examiné ce passe - port,
feintde le trouver en regle, et, avec heaucoup
d'égards, prie l~ roi d'attendre. On attend en
effet assez long - ternps. Lorsque Sausse est
enfin assuré qu'un nombre suffisant de gardes
nationaux out été réunis, il cesse de dissiruuler,
et declare au prince qu'il est reconnu et arrété.
Une contestation s'engage; Louis prétend n'é-
tre pas ce qu'on suppase, et la dispute deve-
nant trap vive: -«Puisque vous le reconnaissez
pour vatre roi , s'écrie la reine impatientée ,
parlez -lui danc avec le respect que vous lui
deve·z. »


Le roi , vayant que toute dénégatian était
inurile , renonce ase déguiser plus long-temps.
La perite salle était pleine de monde; il prend
la parale et s'exprirne avec une chaleur qui
ne lui était pas ordinaire. Il proteste de ses
bonnes intentions, il assure qu'il n'allait a




ASSUIllLÉE CONSTITUANTE (1791). 317
Montmédy que pour écouter plus librement
les voeux des peuples, en s'arrachant a la ty-
rannie de París; il demande enfin a continuer
sa route, et a étre conduit au but de son
voyage. Le rnalhéureux prince, tout attendri,
embrasse Sansse, et lui demande le salut de son
épouse et de ses enfants; la reine se joint a
lui , et , prenant le dauphin dans ses bras,
conjure Sausse de les sauver. Sausse est tou-
ché , mais il résiste, et les engage a retourner
a Paris pour éviter une guerre civile. Le roi ,
au contraire, effrayé de ce .retour-, persiste a
vouloir marcher vers Montmédy. Dans ce mo-
ment, :MM. de Damas et de Goguelas étaient
arrivés avec les détachements placés sur divers
points. La famille royale se croyait délivrée ,
rnais on ne pouvait compter sur les hussards.
Les officiers les réunissent , leur annoncent
que le roi et sa famille sont arrétés , et qu'il
faut les sauver; mais ceux-ci répondent qu'ils
sont pour la nation. Dans le méme instant, 'les
gardes nationales, convoquées dans tous les
environs, affluentet remplisséet Varennes.
Toute la nuit se passe dan s cet état; a six
heures dn matin, le jeulle Romeufarrive, por-
tant le décret de l'assernblée ; il trouve la voi-
ture attelée de six chevaux et dirigée vers
Paris. Il monte et remet le décret avec dou-




3 J 8 RÉVOLUTION FRANf:AIS}:.
leur. Un cri de toute la famille s'éleve contre
l\I. de Lafayette qui la faít arréter. La reine
méme parait étonnéc de ce qu'il n'a pas péri de
la main du peuple; le jeune Romeuf répond
que luí et son général ont fait leur devoir en
les poursuivant , mais qu'ils out espéré ne pas
les atteindre. La reine se saisit du décret, le
jette sur le lit de ses enfants, puis l'en arrache,
en disant qu'il les souillerait. - Madarne , lui
dit Romeuf, qui lui était dévoué , aimeriez-
vous mieux qu'un autre que moi fút témoin
de ces emportements? - La reine alors revient
a elle et recouvre toute sa dignité. On annon-
~ait au mérne instant l'arrivée des divers corps
placés aux environs par Bouillé. Mais la mu-
nicipalité ordonna alors le départ, et la famille
royale fut obligée de remanter sur-Ie-champ
en voiture, et de reprendre la route de París,
cette route fatal e et si redoutée.


Bouillé, averti au milieu de la nuit, avait
fait monter un régiment a cheval , et il était
partí au cri de vive le roi! Ce hrave général,
devoré d'inqáéttide, marcha en toute háte ,
et fit neuf lieues en quatre heures; il arriva
a Varennes, oú il trouva déja. divers corps
réunis, mais le roi en était parti. depuis une
heure et dernie. Varennes était barricadée et
défendue par d'assez bonnes dispositions; car




ASSElIlBLÉE CONSTITUANTE (I79J). 3J9
00 avait brisé le p~)Ot, et la riviére n'était pas
guéable. Ainsi, pour sauver le roi , Bouil1é de-
vait d'abord livrer un combat pour enlever les
barricades , puis traverser la riviere , et aprés
cette grande perte de temps, pouvoir attein-
dre la voiture qui avait déja une avance d'une
heure et demie. Ces obstacles rendaient toute
tentative impossible; et il ne fallait pas moins
qu'une telle impossibilité pour arréter un
homme aussi dévoué et aussi entreprenant que
Bouillé. Il se retira donc déchiré de regrets el
de douleur.


Lorsqu'on apprit a Paris l'arrestation du
roí, on le croyait déja hors.d'atteinte. Lepeu-
ple en ressentit une joie extraordinaire. L'as-
semblée députa trois commissaires , choisis
dans les trois sections du coté gauche, pour ac-
eompagner le monarque el le reconduire aPa-
ris, Ces commissaires étaient Barnave, Latour-
Maubourg et Pétion. lis se rendirent aChálons ,
et, des qu'ils eurent joint la cour, tous les
ordres émauerent d'eux seuls. Madame de
Tourzel passa dans une voiture de suite avec
Latour-Maubourg. Barnave et Pétiou monte-
rent dans la voiture de la famille royale. Latour-
Maubourg, homme distingué , était ami de
Lafayette, et comme lui dévoué autant au roí
qu'á la constitution. En cédant ases deux col-




3:w nÉVOLUTION FHAN~AISE.
legues l'houneur d'etre avec la famille royale,
son intention était de les intéresser a la gran-
deur malheureuse, Baruave s'assit dans le fond,
entre le roi et la reine; Pétion sur le devant,
entre madame Élisabeth et madame Royale.
Le jeune dauphin reposait alteruativement sur
les genoux des uns et des autres. Tel avait été
le cours rapide des événements! Un jeune
avocat de vingt et quelques anuées , remar-
quable seulement par ses talents; un autre ,
distingué par ses lurniéres , mais surtout par le
rigorisme de ses principes, étaient assis acoté
du prince naguere le plus absolu de l'Europe,
et commandaientá tous ses mouvements! Le
voyage était lent , paree que la voiture suivait
le pas des gardes nationales. Il dura huit jours
de Varennes aParis. La chaleur était extreme,
et une poussiere brillante, soulevée par .r.a
foule, suffoquait les voyageurs. Les premiers
instants furent silencieux; la reine ne pou-
vait déguiser son humeur. Le roí finit par en-
gager la converpation avec Barnave. L'entre-
tien se porta sur tous les objets, et enfin sur
la fuite a Montmédy. Les uns et les autres s'é-
tonnerent de se trouver tels. La reine fut sur-
prise de la raison supérieure et de la politesse
délicate du jeune Bamave ; bientót elle releva
son voile et prit part al'entretien. Barnave fut




ASSFMBLÉ.E CONSTITUANTE (1791). 321
touché de la bonté du roi et de la gracieuse
dignité de la reine. Pétion montra plus de ru-
desse; il témoigna et il obtint moins d'égards.
En arrivant, Barnave était dévoué a eette fa-
mille malheureuse , et la reine, charmée du
mérite et du sen s du jeune tribun, lui avait
donné toute son estime. Aussi, dans les rela-
tions qu'elle eut depuis avec les députés eons-
titutionnels , ce fut a lui qu'elle accorda le
plus de confiance. Les partís se pardonne-
raient , s'ils pouvaient se voir et s'entendre ",


A Paris, on avait préparé la réception qu'on
devait faire a la famille royale. Un avis était
répandu et affiché partout : Quiconque ap-
plaudira le roí sera battu; quiconque I'insul-
lera sera pendu, L'ordre fut ponctuellement
exécuté, et ron n'entendit ni applaudisse-
ments ni insultes. La voiture prit un détour
ponr ne pas traverser Paris. On la fit entrer
par les Champs-Élysées , qui conduisent di-
rectement au cháteau. Une foule immense la
recut en silence et le chapeau sur la tete.
Lafayette, suivi d'une garde nombreuse , avait
pris les plus grandes précautions. Les trois
gardes-du-corps qui avaient aidé la fuite étaient
sur le siége, exposés a la vue et a la colere


• Voyez la note 22 11. la fin du volume,
l. 21




.'j,.--'


32.2 RÉVOLUTION FRAN~AISE.
du peuple; néanmoins ils n'essuyérent aucune
violence. A peine arrivée au cháteau , la voi-
ture fut entourée. La famílle royale descendít
précipitamment, et marcha au milieu d'une
doublehaie de gardes nationaux, destinés a
la protéger, La reine, demeurée la derniere ,
se vit presque enlevée dans les bras de MM. de
Noailles et d'Aiguillon, ennemjs de la cour';
mais généreux amis du malheur. En les voyant
s'approcher , elle eut d'abord quelques doutes
sur leurs intentions, mais elle s'abandonna a
eux , et arriva saine et sauve au palais.


Tel fut ce voyage, dont la funeste issue ne
peut étre justement attribuée aaucun de ceux
qui l'avaient preparé. Un accident le fit man-
quer, un accident pouvait le faire réussir. Si,
par exemple , Drouetavait été joint et arreté
par celui qui le poursuivait, la voiture était
sauvée. Peut-étre aussi le roí manqua-t-il d'é-
nergie lorsqu'il fut reconnu. Quoí qu'il en soit,
ce voyage ne doit étre reproché a personne,
ni a ceux qui l'ont conseillé, ni a ceux qui
l'ont exécuté; il était le résultat de cette fata-
lité qui poursuit la faiblesse au milieu des
crises révolutionnaires.


L'effet du voyage de Varennes fut de dé-
truire tout respect ponr le roi, d'habituer les
esprits a se passer de lui, et de faire naitre le




ASSEMBLÉE COWSTITUANTE (179')' 323
voeu de la république. Des le matin de son
arrivée,l'assemblée avait pourvu atout par un
décret". Louis XVI était suspendu de ses fonc-
tions; une garde était donnée asa personne,
a oelle de la reine et du dauphin. Cette garde
était chargée d'en répondre. Trois députés,
d'André, Tronchet, Duport, étaient commis
pour recevoir les déclarations du roi et de la
reine. La plus grande mesure était observée
dans les expressions, car jamais cette assem-
blée ne manqua aux convenances; mais le ré-
sultat. était évidsnt , et le roi était provisoire-
ment détróné.


La responsabilité imposée a la garde natio-
nale la rendit sévere el souvent importune
daos sonservice auprés des personnes royales.
Des sentinelles veillaient continuellement a
leur porte, et ne les perdaient jamais de vue.
Le. roi, voulant un jour s'assurer s'il était
réellement prisonnier, se présente aune porte;
la sentinelle s'oppose a son passage: - Me
reconnaissez-vous? lui dit .Louis XVI. - OU1,
sire , répond la sentinelle, - .. Il oe restait au
roi que la faculté de se promeoer le matin
dans les Tuileries, avant que le jardin fUt ou-
vert au public,


• Séance du samedi 25 juin.
21.




ff···
o.,,_¡,
,..


jo~
, y


324 nÉVOLUTION FRAN~AISE.
Barnave et les Lameth firent alors ce qu'ils


avaient tant reproché a Mirabeau, ils préte-
rent secours au tróne et s'entendirent avec la
cour. Il est vrai qu'ils ne recurent aucunar-
gent; mais c'était moins le prix de l'alliance
que l'alliance elle-rnéme qu'ils avaient repro-
chée a Mirabeau; etapres avoir été autrefois
si sévéres , ils subissaient maintenant la loi
commune a tous les chefs populaires, qui les
force a s'allier successivement au pouvoir, a
mesure qu'ils y arrivent. Néanmoins , rien n'é-
tait plus louable, en l'état des choses, que le
serviee rendu au roi par Barnave et les Lameth,
et jamais ils ne 'montrerent plus d'adresse, de
force et de talento Barnave dicta la réponse du
roi aux commissaires nornmés par l'assemblée,
Dans cette réponse , Louis XVI motivait sa
fuite sur le désir de mieux connaitre l'opinion
publique; íl assurait I'avoir mieux étudiée daos
son voyage, et il prouvait par tous les faits
qu'il n'avait pas voulu sortir de Franee. Quant
a ses protestations eontenues dans le mémoire
remis al'assemblée, il disait avee raison qu'elles
portaient, non sur les principes fondarnen-
taux de la constitution , mais sur les moyens
d'exécution qui lui étaient laissés, Maintenant ,
ajoutait-il, que la volonté générale lui était
manifestée , il n'hésitait pas a s'y soumcttre et




ASSElUBLÉE CONSTITUANTE (1791j. 325
a {aire tous les saerifiees néeessaires pour le
bien de tous".


Bouillé , pour attirer sur sa personne la co-
lere de l'assemblée, lui adressa une lettre
qu'on pourrait dire insensée, sans le motif
généreux qui. la dicta. Il s'avouait seul auteur
du voyage du roi, tandis qu'au eonttaire il
s'y était opposé; il déclarait au nom des souve-
rains que Paris répondrait de la súreté de la
famille royale, et que le moindre mal commis
eontre elle serait vengé d'une maniere écla-
tanteo 11 ajoutait, ee qu'il savait n'étre pas,
que les moyens militaires de la: Franee étaient
nuls; qu'il connaissait d'ailleurs les voies d'in-
vasion, et qu'il conduirait lui-méme les armées
ennemies au sein de sa patrie. L'assemblée se
préta elle-méme aeette généreuse bravade, et
jeta tout sur Bouillé, qui n'avait rien a crain-
dre, ear il était déja a l'étranger.


La eour d'Espagne , appréhendant que la
moindre démonstration n'irritát les esprits et
n'exposát la famille royale a de plus grands
dangers, empécha une tentative préparée sur
la frontiere du Midi, et a laquelle les cheva-
liers de Malte devaient eoncourir avec deux
frégates. Elle declara ensuite au gouvernement


• Voyez la note 23 a la fin du volume.




3~6 RÉVOLUTION FRAN~A.lSE.
franeais que ses bonnes dispositions n'étaient
pas changées a son égard. Le Nord se conduisit
avee beaucoup moins de mesure. De ce coté,
les puissances excitées par les émigrés étaient
menacantes. Des envoyés furent dépéchés par
le roi a Bruxelles et a Coblentz. Ils devaient
tácher de s'entendre avec l'émigration, lui faire
connaitre les bonnes dispositions de I'assem-
blée, et l'espérance qu'on avait concue d'un
arrangernent avantageux. Mais apeine arrivés,
ils furent indignement traités , et revinrent
aussitót aParís. Les émigrés leverent des corps
an nom du roi, et l'obligerent ainsi a leur
donner un désaveu formel. Ils prétendirent
que Monsieur, alors réuni aeux, était régent
du royanme; que le roi , étant prisonnier,
n'avait plus de volonté lit lui, et que celle qu'il
exprimait n'était que celle de ses oppresseurs.
La paix de Catherine avec les Turcs, quí se
conclut dans le mois d'aoüt , excita encare
davantage leur joie insensée, et ils crurent
avoir a leur disposition tontes les puissances
de l'Europe. En considérant le désarmement
des places fortes, la désorganisation de l'armée
abandonnée par tous les officiers, ils ne pou-
vaient douter que l'invasion n'eút lieu tres-
prochainement et ne réussit. Et cependant il
y avait déjá pres de deux ans qu'ils avaient




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (179')' 327
quitté la France, et, malgré leurs belles espé-
rances de chaque jour, ils n'étaient point encore
rentrés en vainqueurs, comme ils s'enflattaient!
Les puissances semblaient promeUre heau-
coup, mais Pitt attendait; Léopold, épuisé par
la guerre, et mécontent des émigrés, désirait
la paix; le roi de Prusse promettait beaucoup
et n'avait aucun intérét a tenir; Gustave était
jaloux de commander une expédition contre
la France, mais il se trouvait fort éloigné; et
Catherine, qui devait le seconder, a peine dé-
livrée des Turcs , avait encore la Pologne a
comprimer. D'ailleurs , pour opérer cette coa-
lition , il fallait mettre tant d'intéréts d'accord,
qu'on ne pouvait guel'e se flatter d'y parvenir.


La décIaration de Pilnitz aurait du surtaut
éclairer les émigrés sur le zele des souverains ",
Cette déclaratian, falte en commun par le roi
de Prusse et l'empereur Léopold, portait que
la situation du roí de France était d'un in-
térét commun a tous les souverains , et que
sans doute ils se réuniraient pour donner a
Louis XVI les moyens d'établir un gouverne-
ment convenable aux intéréts du tróne et du
peuple; que dans ce cas , le roi de Prusse el
l'empereur se réuniraient aux autres princes ,


* Elle est du 27 aoüt,




32'8 RÉVOLUTION FRANG,AISE.
pour parvenir au méme but. En attendant,
leurs troupes devaient étre mises en état d'agir.
On a su depuis que cette déclaration renfer-
mait des articles secrets, lis portaient que
l'Autriche ne mettrait aucun obstacle aux
prétentions de la Prusse sur une partie de la
Pologne. Il fallait cela ponr engager la Prusse
anégliger ses plus anciens intéréts , en se liant
avec I'Autriche contre la France. Que devait-on
attendre d'un zele qu'il fallait exciter par de
pareils moyens? Et s'il était si reservé dans ses
expressions , que devait-il étre dans ses actes?
La France, iI est vrai, était en désarmement,
mais tout un peuple debout est bientót armé:
et , cornme le dit plus tard le célebre Carnot,
qu'y a-t-il d'impossible a vingt-cinq millions
d'hommes? A la vérité , les officiers se re ti-
raient; mais pour la plupart jeunes et placés
par faveur, ils étaient sans expérience et déplai-
saient a l'armée. D'ailleurs , l'essor donné a
tons les moyens allait bientót produire des
officiers et des généraux. Cependant, il faut
en convenir, on ponvait, mérne sans avoir la
présomption de Coblentz, douter de la résis-
tan ce que la France opposa plus tard a l'in-
vasion,


En attendant, l'assernblée envoya des corn-
rnissaires a la frontiere , et ordonna de grands




ASSEMBLÉE CONSTITUANTE (1791). 329
préparatifs. Toutes les gardes nationales de-
mandaient a marcher; plusieurs généraux of-
fraient Ieurs serviees, et entre autres Dumou-
riez , qui plus tard sauva 1a Franee dans les
défilés de l' Argonne.


Tout en donnant ses soins a la súreté exté-
rieure de l'état , l'assemblée se hátait d'achever
son oeuvre eonstitutionnelle, de rendre au roí
ses fonctions, et, s'il était possible, quelques-
unes de ses prérogatives.


Toutes . les subdivisions du cóté gauche,
excepté les hommes qui venaient de prendre
le norn tout nouveau de républicains , s'étaient
ralliés a un méme systeme de modération.
Barnave et Malouet marchaient ensemble et
travaillaient de concert. Pétion, Robespierre,
Buzot, et quelques autres encare, avaient
adopté la république ; mais ils étaient en petit
nombre. Le coté droit eontinnait ses impru-
dences et protestait, au lien de s'unir a la ma-
jorité modérée. Cette majorité n'en dominait
pas moins l'assemblée. Ses ennemis , qui l'au-
raient accusée si elle eút détróné le roi, lui ont
eependant reproché de l'avoir ramené aParis ,
et replacé sur un tróne chaneelant. Mais que
pouvait-elle faire? Remplacer le roi par la ré-
publique était trop hasardeux. Changer la
dynastie était inutile, cal' a se donner un roi,


/
/




330 RÉVOLUTION :fRANC(AISE.
autant valait garder celui qu'on avait ; d'ail-
leurs le due d'Orléans ne méritait pas d'étre
préféré a Louis XVI. Dans l'un et I'autre cas ,
déposséder le roi actuel, c'était manquer ades
droits reconnus, et envoyer al'émigration un
chef précieux poul' elle, cal' il lui aurait ap-
porté des titres qu'elle n'avait paso <Au con-
traire , rendre a Louis XVI son autorité , lui
restituer le plus de prérogatives qu'on le
pourrait , c'était remplir sa tache eonstitution-
nelle, et óter tout prétexte a la guerre civile ;
en un mot , c'était faire son devoir , cal' le
devoir de l'assemblée, d'apres tous les engage-
ments qu'elle avait pris, était d'établir le gou-
vernement libre. mais monarchique.


L'assemblée n'hésita pas, mais elle eut de
grands obstacles avainere. Le mol nouveau de
république avait piqué les esprits déjá un peu
hlasés sur ceux de monarehie et de constitu-
tion. L'absence et la suspension du roi avaient,
comme on 1'a vu, appris ase passer de lui. Les
journaux et les clubs dépouillerent aussitót le
respect dont sa personne avait toujours été
l'objel. Son départ, qui , aux termes du décret
sur la résidence des fonctionnaires publies,
rendait la déchéanee imminente, fit dire qu'il
était déchu. Cependant , d'apres ce méme dé-
cret, il fallait pour la déchéance la sortie du




ASSEMBLÉE CONSTITU A.NTE (1791). 331
royaume et la résistance aux sommations du
eorps législatif; mais ces eonditions importaient
peu aux esprits exaltés, et ils déclaraient le
roí eoupable et démissiounaire. Les Jaeobins,
les Cordeliers, s'agitaient violemment, et ne
pouvaient eomprendre qu'apres s'étre délivrés
du roi, on se l'imposát de nouveau et volon-
tairement. Si le due d'Orléans avait eu des
espérances ,e'est alors qu'elles purent se ré-
veiller. Mais iI dut voir combien son nom avait
peu d'influence , et combien surtout un nou-
veau souverain , quelque populaire qu'il fút ,
convenait peu a l'état des esprits, Quelques
pamphlétaires qui lui étaient dévoués , peut.
étre a son insu , essayerent , eomme Antoine
fit pOllr César, de mettre la couronne sur sa
tete; ils proposerent de luí donner la régence,
mais il se vil obligé de la repousser par une
déclaration qui fut aussi peu considérée que
sa personne. Plus de roi, était le cri général,
aux Jacobins , aux Cordeliers, dans les lieux
et les papiers publics.


Les adresses se multipliaient : il y en eut
une aftichée sur tous les murs de Paris , et
méme sur eeux del'assemblée. Elle était signée
du nom d'AchiUe Duchátelet , jeune colonel.
Il s'adressait aux Francais ; il leur rappelait le
calme dont on avait joui pendant le voyage du




332 nÉvoLuTION FRANQAISE.
monarque, et il concluait que ]'absence du
prince valait mieux que sa présence; il ajou-
tait quesa désertion était une ahdication , que
la nation et Louis XV1 étaient dégagés de tout
líen l'un envers l'autre; qu'enfin l'histoire était
pleine des crimes des rois, et qu'il fallait re-
noncer a s'en donner encore un.


Cette adresse, attribuée au jeune Achille Du-
chátelet, était de Thornas Payne, Anglais ,et
acteur principal daos la révolutiou américaine.
Elle fut dénoncée a l'assemblée, qui, apres de
vifs débats, pensa qu'il fallait passer a l'ordre
du jour, et répondre par l'indifférenceaux
avis et aux injures, ainsi qu'on avait toujours
Iait.


Enfin les commissaires chargés de faire leur
rapport sur l'affaire de Varennes, le presenté-
rent le 16 juillet. Le voyage, dirent-ils , n'avait
rien de coupable; d'ailleurs , le fút-il , leroi
était inviolable. Enfin la déchéance ne pouvait
en résulter, puisque le roí n'était point de-
meuré assez long-temps éloigné, et n'avait pas
résisté aux somrnations du eorps législatif.


Robespierre, Buzot,"Pétion, répéterent tous
les arguments connus contre l'inviolabilité. Du-
port, Barnave et Salles, leur répondirent, et il
fut eníin décrété que le roi ne pouvait étre mis
en cause pour le fait de son évasion. Deux ar-




ASSEMBLÉE CONSTlTUANTI<: (1791). 333
ticles furent seulement ajoutés au décret d'in-
violabilité. A peine cette décision fut-elle ren-
due , que Robespierre se leva et protesta han..
tement au nom de l'humauité.


Il y eut dans la soirée qui précéda cette déci..
sion un grand tumulte aux Jacobins. On y ré-
digea une pétition adressée al'assemblée, pour
qu'elle déclarát le roi déchu comme perfide et
traitre ases serments , et qu'elle pounvüt a son
remplacement par tous les moyens constitu-
tionneIs. Il fut résolu que cette pétition serait
portée le lendemain au Champ-de-Mars, oú chao
cun pourrait la signer sur l'autel de la patrie.
Le lendernain , en effet, elle fut portée au lieu
convenu , et a la foule des séditieux se joignit
celle des curieux qui voulaient étre témoins
de I'événement. Dans ce moment, le décret
était rendu, et il n'y avait plus lieu a une pé-
tition. Lafayette arriva , brisa les barricades
déjá élevées, fut menacé, et recut méme un
coup de feu qui, quoique tiré a bout portant,
ne l'atteignit paso Les officiers municipaux s'é-
tant réunis a lui, obtinrent enfin de la popu-
lace qu'elle se retirát, Des gardes nationaux
furent placés pour veiller a sa retraite, et on
espéra un instant qu'elle se dissiperait; mais
hientót le tumulte recommen~a.Deux Invalides
qui se trouvaient, 011 ne sait pourquoi, sous




334 RÉVOLUTION FRAN~AJSE.
l'autel de la .patrie , furent égorgés, et alors le
désordre n'eut plus de bornes. L'assemblée fit
appeler la municipalité , et la chargea de veiller
á l'ordre publico BailIy se rendit au Champ-de-
Mars, fit déployer le drapean rQuge en vertu
de La loi martiale. L'emploi de la force, quoi
qu'on ait dit, était juste. On voulait , ou on
ne voulait pas les lois nouvelles; si on les vou-
lait , il faUait qu'elles fussent exécutées , qu'il
y eút quelque chose de fixe , que I'insurrection
ne fut pas perpétuelle , et qlle la voJontéde
l'assemblée ne pút étre réformée par lles plé-
biscites de la multitude. Baillydevait done faire
exécuter la loi. n s'avanca avec ce courage im-
passible qui'l avait toujours montré, recut S<lHS
étre atteint plusicurs coups de feu, et au milieu
<tu tumulte ne put faire toutes les somma-
tions voulues. D'abord Lafavette ordonua de
tirer quelques COllpS en l'air; la foule.abandon-
na I'autel de la patrie, mais se rallia hientot.
Héduit alors a l'exarémité , ii commanda le fcu.
La premiere décharge renversa quelques-uus
des factieux. Le nombre en fut exagéré. Les
uns l'ont réduit atrente, d'autres I'ont élcvé a
quatrecents, et les furieux a quelques mille.
Ces derniers .furent crus dans le prernier mo-
ment,et la terreur devint générale. Cet exemple
sévereapaisa pour quelques instants les agita-




ASSEMllLÉE CONSTl'fU ANTE (1791). 335
teurs *. Comme d'usage, on accusa tous les
partís d'avoir excité ce mouvement; et il est
probable que plusieurs y avaient concouru, cal'
le désordre convenait a plusieurs. Le roi , la
majorité de l'assemblée, la garde nationale,
les autorités municipales et départementales ,
étaient d'accord alors pour établir l'ordre cons-
titutionnel; et ils avaient aeombattre la démo-
cratie au dedans, l'aristocratie au dehors. L'as-
semblée et la garde nationale composaient cette
nation moyenne, riche, éclairée et sage, qui
voulait l'ordre et les lois ; el elles devaient dans
ces circonstances s'allier naturellement au roí,
qui de son coté semblait se résigner a une au-
torité limitée. Mais s'il leur convenait des'ar-
réter au point oú elles en étaient arrivées, cela
ne convenait pas a l'aristocratie , qui désirait
un houleversement , ni au peuple , qui voulait
acquérir et s'élever davantage. Barnave , comme
autrefois Miraheau , était l'orateur de cette
bourgeoisie sage et modérée j , Lafayette en
était le chef rnilitaire, Danton, Camille Des-
moulins étaient les orateurs , et Santerre le
général de eette multitude qui voulait régner
a son tour. Quelques esprits ardents ou fana-


* Cet événement eut lieu dans la soirée du dimanche
I í juillet,




336 RivOLUTION FRAN<,tAISE.
tiques la représentaient, soit a l'assemblée ,
soit dans les administrations nouvelles , et ha-
taient son regne par leurs, déclamations.


L'exécution du Champ-de-Mars fut fort re-
prochée aLafayette et aBailly. Mais tous deux,
placant leur devoir dans l'observation de la loi,
et sacrifiant IJur popularité et leur vie a son
exécution, n'eurent aucun regret, aucune
crainte de ce qu'ils avaient fait. L'énergie qu'ils
montrerent imposa aux factieux. Les plus con-
nus songeaient déjá a se soustraire aux eoups
qu'ils croyaient dirigés contre eux. Robes-
pierre , qu'on avu jusqu'a présent soutenir les
propositions les plus exagérées, tremblait dans
son obscure demeure; el, malgré son inviola-
bilité de député, demandait asile a tous ses
amis. Ainsi l'exemple eut son effeL, et, pOllr
un instant, toutes les imaginations turbulentes
furent calmées par la crainte.


L'assemblée prit a eette époque unedéter-
mination quí a été critiquée depuis , el dont le
résultat. n'a pas .été aussi funeste qu'on l'a
pensé. Elle décrétaqu'aucun de ses membres
ne serait réélu. Robespierre fut l'auteur de la
proposition, et on l'attribua chez luí a l'envie
qu'il éprouvait contre des collegues parmi les-
quels il n'avait pas brillé. 11 était au mojos
naturel qu'il leur en voulút , ayant toujours




ASSEMBLl\E CONSTITUANTE (1791). 337
lutté avec eux; et dans ses sentiments il put y
avoir tout a la fois de la conviction , de l'envie
et de la haine. L'assemblée, qu'on accusait de
vouloir perpétuer ses pouvoirs , et qui d'ailleurs
déplaisait déjá a la multitude par sa modération,
s'ernpressa de répondre atoutes les attaques par
un désintéressement peut-étre exagéré, en dé-
cidant que ses mernbres seraient exclus de la
prochaine législature. La nouvelle assemblée se
trouva ainsi privée d'hammes dont l'exaltation
était un peu amortie , et dont la science légis-
lative avait múri par une expérience de trois
ans. Cependant, en voyant plus tard la cause
des révolutions qui suivirent, on jugera mieux
quelle a pu étre l'importance de cette mesure
si souvent eondamnée.


C'était le mament d'achever les travaux cons-
titutionnels, et de terminer dans le calme une
si orageuse carriere. Les membres du coté
gauche avaient le projet de s'entendre paur
retoueher eertaines parties de la constitution,
Il avait été résolu qu'on la lirait tout entiere
pour jllger de l'ensemble, et qu'on mettrait en
harmonie ses di verses parties; e'est la ce qu'011
nomma la révision , et ce qui fut plus tard,
dans les jours de la ferveur républíeaine, re-
gardé cornme une mesure de calamité, Bar-
llave et les Lameth s'étaient entendus avee


l. 22




338 RÉVOLUTlON I"RAN~AlSf:.
Malouet pour réformer certains articles qui
portaient atteinte ala prérogative royale , et a
ce qu'on nommait la stabilité du treme. On dit
mérne qu'ils avaient le projet de rétablir les
deux chambres, Il était convenu qu'á l'instant
oú la lecture serait achevée , Malouet ferait son
attaque; que Barnave ensuite lui répondrait
avec véhémence pour mieux couvrir ses inten-
tions, mais qu'en défendant la plupart des ar-
tieles, il en abandonnerait certains comme
évidemment dangereux et condamnés par une
expérience reconnue. Telles étaient les condi-
tions arrétées , lorsqu'on apprit les ridicules et
dangereuses protestations du coté droit qui
avait résolu de ne plus voter. Il n'y eut plus
alors aucun accommodement possible. Le coté
gauche ne voulut plus rien entendre ; et
lorsque la tentative convenue eut Jieu, les cris
qui s'éleverent de toutes parts empécherent
Malouet et les siens de poursuivre 'f.. L~ eons-
titution fut done achevée avee quelque háte ,
et présentée au roispour qu'il I'acceptát, Des
cet instant, sa liberté lui fut rendue, ou, si
l'on veut , la consigne sévere du cháteau fut
levée , et i! eut la faculté de se retirer oú il
voudrait, pour examiner l'acte eonstitutionnel,


* Voyez la note 24 11 la fin du volume.




ASSEMBLÜ CONSTITUANTE (1791). 339
et l'accepter librement. Que pouvait faire ici
Louis XVI? Refuser la constitution, c'était ah-
diquer en faveur de la république. Le plus sur,
méme dans son svsterne , était d'accepter et
d'attendre du ternps les restitutions de pou-
voir qu'il croyait lui étre dues. En conséquence,
apres un certain nombre de jours, il déclara
qu'il acceptait la constitution (r3 septembre).
Une joie extraordinaire éclata a cette nouvelle,
commc si en effet on avait redouté quelque
obstacle de la part du roi , comme si son con-
sentement eút été une concession inespérée.
n se rendit a l'assemblée, oú il fut accueilli
comme dans lesplus beaux jours, Lafayette,
qui n'oubliait jamáis de réparer les maux in-
évitables des troubles poli tiques , proposa une
amnistie générale pour tous les faits relatifs a
la révolution. Cette amnistíe fut procIamée au
milieu des cris de joie, et les prisons furent
aussitót ouvertes. Enfin, le 30 septembre, Thou-
ret, dernier président, déclara que I'assemblée
constituante avait terminé ses séances.


FIN DU TOME PREMIER.







NOTES
ET


PIECES JUSTIFICA TIVES


. DU PREMIER TOME.


NOTE 1, PAGE 48.


JEne citerais pas le passage suivant des Mémoires de Fer-
rieres, si de bas détracleurs n'avaient taché de tout rapetisser
dans les scénes de la révolution francaise. Le passage que je
vais extraíre fera juger de I'effet que produisirent sur les
cceurs les moins plébéiens les solenuités nationales de cette
grande époque,


" Je cede au plaisir de retracer ici I'impression que fit sur
moi cette auguste et touehante cérémonie; je vais copier la
relation que j'écrivis alors , encere pleiu de ce que j'avais
sentí. Si ce morceau n'est pas historique, il aura peut-étre
pour quelques lecteurs un intéret plus viro


« La noblesse en habit noir , veste et parements de drap
d' 01', manteau de soie, era vate de dentelle, le chapeau a
plumes retroussé ala Henri IV; le clergé en soutane , grand
manteau, bounet carré ; les évéques avec leurs robes violettes




NOTES


et leurs roehets ; le tiers vétu de noir , manteau c1e soie , era-
vate de batiste. Le roi se placa sur une estrade richement dé-
corée , Monsieur, Monsicur cornte d' Artois, les prinees, les
ministres, les grands-officiers de la couronne étaient assis
au-dessous du roi : la reine se mit vis-a-vis du roi j Madame ,
Madame cnmtesse d'Artois , les princcsses , les dames de la
eour, supcrbcmentparées et couvertes de diamants, lui corn-
posaient un magnifique cortége, Les rues étaient tendues de
tapisseries de la eouronne ; les régiments des gardes-franc;aises
el des gardes-suisses formaient une ligne depuis Notre-Dame
jusqu'á Saint-Louis ; un pcuple immense nous regarclait passer
dans un silenee respectueux ; les baleons étaient ornés d'é-
toffes précieuses , les fenétres remplies de speetateurs de tout
age, de tout sexe , de femmes eh armantes , V~I ues avec élé-
gance : la variété des chapeaux , des plumes , des habirs ;
l'aimable attendrissement peint sur tous les visages; la joic
brillant dans t01lS les yeux ; les battements de mains, les
expressions du plus tendre intérét ; les regards qui nous de-
vancaient , qui nous suivaient encare apres nous avoír perdus
de vue ... Tableau ravissant , enchanteur , que je m'effor-
cerais vainement de rendre. Des chccurs de musique, dispo-
sés de distanee en distance , faisaient retentir I'air de sons rné-
lodieux; les marches militaires , le bruit des tambours, le son
des trompettes, le chant noble des prétres , tour a tour en-
tendus sans diseordance, sans confusion, animaient eette
marche triomphante de I'Élernel.


« Bientót plongé dan s la plus douce extase, des pensées
sublimes, rnais mélaneoliques, vinrent s'offrir a mojo Cette
France ma patrie, je la voyais, appuyée sur la religion,
nous dire : Étouffez vos pueriles querelles; voilá l'instant




ET PI:ECES IUSTIFICATIVES. 343
décisif qui va me donner une nouvelle vie, Oll m'anéantir a
jamais ...•. Amour de la patrie, tu parlas a mon cceur ....
Quoi! des brouillons , d'insensés ambitieux, de vils intri-
gants , chercheront par des voies torlueuses a désunir ma
patrie; lls fonderont leurs systemes destructeurs sur d'insi-
dieux avantages ; ils le diront : Tu as deux iutéréts ; el toute
ta gloire, et toute ta puissance si jalousée de tes voisins, se
dissipera eomme une légere fumée chassée par le vent du
midi .... Non, j'en prononce devant toi le serment ; que ma
langue dessécbée s'attache amon palais, si jamais j'oublie tes
grandeurs el les solennités.


« Que cet appareil religieux répandait d'éclat sur cette
pompe tout humaine! Sans toi , ,'eligion vénérable, ce n'cút
été qu'un vain étalage d'orgueil; mais tu épures et sanctilies ,
tu agrandis la grandeur mérne ; les rois , les puissants du
siecle , rendent aussi eux, par des respecta au moins simulés,
hommage au Roi des mis ..... Oui , a Dieu seul appartient
honneur , empire, gloire. . . .. Ces cérémonies saintes, ces
chants , ces prétres revétus de l'babit du sacrifice, ces
parfurns , ce dais, ce soleil rayonnant d'or el de pierreries ...
Je me rappelais les paroles du prophete : ... Pilles de Jéru-
salem , votre roi s'avance ; prenez vos robes nuptiales el
courcz au-devant de luí. Des larmes de joie coulaient de
mes yeux. Mon Dieu, ma patrie, mes concitoyens étaient
devenus moi .••


« Arrivés aSaint-Louis, les trois ordres s'assirent SUl" des
banquettes placées dansla nef. Le roi et la reine se mirent
sous un dais de velours violet , semé de fleurs de lis d'or ;
les princes , les princesses , les grands-officiers de la cou-
ronne , les dames du palais , occupaient l'enceinte réservée il




344 NOTES
leurs majestés. Le saint-sacrcment fut porté sur I'autel au son
de la plus expressive musique, C'était un ó salutaris hostia.
Ce chant naturel, mais vrai, mélodieux, dégagé du fatras
d'inslruments qui étouffent l'expression ; eet aecord ménagé
de voix, qui s'élevaíent vers le del, me confirma que le
simple est toujours beau, toujours grand, toujours su-
blime•.• Les hommes sont fous, dans leur vaine sagesse, de
traiter de puéril le culte que l'on offre a l'Éternel : eomment
voient-ils avec indifférence eetle ehaine de morale qui unit
l'homme a Dieu, qui le rend visible it I'reil, sensible au
tact , .. ? M. de La Fare i évéque de Naney, prononl:a le dis-
eours ... La religion fait la force des empires; la religion fait
le bonheur des peuples. Cette vérité, dont jamais homme
sage ne douta un seul moment, n'était pas la questiou im-
portante a traiter dans l'auguste assemblée; le lieu, la eir-
eonstance, ouvraient un ehamp plus vaste : l'évéque de Naney
n'osa ou no put le pareourir.


« Le jour suivant , les députés se réunirent it la salle des
Menus. L'assemblée ne fut ni moins imposante , ni le speetacJc
moins magnifique que la veille, »


( Mémoires da marquis de Ferriéres. Tom, ler,
pago 18 el suiv.)




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 345


----------------"-------


NOTE 2, PAGE 60.


Je crois devoir rapporter ici les motifs sur lesquels I'as-
semblée des eomrnunes fonda la déterrnination qu'elle allait
prendre, Ce premier acle, qui commen"a la révolution ,
étant d'une haute imporlance, il est esscntiel d'en justifier
la nécessité , el je crois qu'on ne peul mieux le faire que par
les considérants qui préeédaient l'arrété des communes. Ces
considérants, ainsi que l'arrété , appartiennent al'abbé Sieyes.


« L'assemblée des communes, délibérant sur 1'ouverture
« de conciliation proposée par MM. les cornmissaires du roi ,
« a eru devoir prendre en méme temps en eonsidération
« I'arrété que MM. de la uoblesse se sont hátés de [aire sur la
« mérne ouverture,


« Elle a vu qne MM. de la noblesse, malgré l'acquiescement
« annoncé d'abord, établissent hientót une modificalion qui le
« rétracte presque entierernent , et qu'ainsi leur arrété aeet
« égard ne pent etre regardé que comme un refus positif.


« Par cette considération , el attendu que MM. de la no-
« blesse ne se sont pas méme désistés de leurs précédentes
« délibérations, contraires a tout projet de réunion, les dé-
« putés des communes pensent qu'il devient absolument inu-
« tile de s'occuper davantage d'un moyen qui ne peut plus
« étre dit conciliatoire des qu'il a été rejeté par une des par-
" ties il eoncilier.




346 NOTES
« Dans cet élat des choses , qui replace les députés des


« communes dans leur premiare position , l'assemblée juge
« qu'elle ne peut plus allendre dans l'inaction les c1asses pri-
« vilégiées, sans se rendre conpable envers la nation , qui a
« droit sans doule d'exiger d'elle un meilleur emploi de son
« temps,


«Elle juge que c'est un devoír pressant pOUt' les représen-
« tants de la nation , quelle que soit la classe de citoyens
,< alaquelle ils appartiennent , de se former, sans autrc délai ,
« en assemblée active capable de commencer et de remplu-
« l'objet de Ieur mission .


• L'assemblée cbarge MM. les commissaires qui ont suivi
« les conférences diverses , dites conciliatoires, d'écrire le ré-
« cit des longs et vains efforts des députés des communes
,< pour tácher d'amener les classes des privilégiés aux vrais
« principes; elle se charge dexposer les rnotifs qui la Iorcent
« de passer de i'état d'attente a celui d'action; enfin elle ar-
« rete que ce récit et ces motifs seront imprimés a la rete de
« la presente délibération.


« Mais puisqu'il n'est pas possible de se former en assem-
« blée active sans reconnaltre au préalable ceux qui ont le
« droit de la composer, c'est-á-dire ceux qui ont la qualité
« pour voter comme représentants de la nation, les mémes
"députés des communes eroient devoir faire une derniere
« tentative aupres de MM. du clergé et de la noblesse, qui
«néanmoins ont refusé jusqu'á présent de se faire recon-
o naitre.


« Au surplus , I'assemblée ayant íntérét aconstater le refus
« de ces deux classes de députés , dans le cas oü i1s persiste-
" raient avouloir rester inconnus, elle juge indispensable de




ET PIlICES JUSTIFICATlVE~.
o: faire une derniere invitation qui leur sera portée par des
« députés ehargés de leur en faire lecture , et de leur en
« laisser copie dans les termes suivants :


« Messicurs , nous sornmes ehargés par les députés des
« eommuncs de Franee de vous prévenir qu'ils ne peuvent
« différer davantage de satisfaire al'obligatíon imposée atous
« les représentants de la nation. 11 est temps assurément que
« ceux qui annoncent cette qualité se reconnaissent par une
"vérification commune de leurs pouvoirs , et eommeucent
« enfin a s'occuper de Pintérét national , qui seul , et a l'ex-
n clusion de tous les intéréts partieuliers , se présente comme
« le grand but auque! tous les députés doivent tendre d'un
" eommun effort. En eonséquerice, et dans la nécessité oú
o: sont les représentants de la nation de se mettre en activité,
« les députés des communes vous prient de nouveau, Mes-
« sieurs , et leur devoir leur prescrit de vous faire , tant in-
"dividuellement que eolleetivement, une derniere sornma-
« tion de venir dans la salle des états pour assister , concourir
« et vous soumettre comme eux a la vérification eommune
e: des pouvoirs. Nous sornrnes en méme temps chargés ele vous
« avertir que l'appel général de IDUS les bailliages convoqués
« se fera dans une heure, que de suite il sera proeédé a la
« vérification , et donné défaut centre les non-comparants.•




348 NOTES


NOTE 3, PAGE ss.


Je n'appuie de citations et de notes que ce qui est suscep-
tible d'étre contesté. Cettc question de savoir si nous avions
une constitution me semble une des plus importantes de la
révolution, cal' c'est I'absence d'une loi fondamentale qui
nous justi/ie d'avoir voulu nons en donner une. Je erois
qn'on ne peut a cet égard citer une autorité qni soit plus
respectable et moins suspecte que ceHe de M. LaHy-Tolendal.
Cet excellent citoyen pronon<¡a le 15 juin 1789, dans la
ehambre de la noblesse , un díscours dont voiei la plus grande
partie:


« On a fait, Messieurs, de longs reproches, mélés meme de
" quelque amertume, aux membres de cette assemblée, qui,
« avec autant de douleur que de réserve, ont manifesté quel-
« ques doutes sur ce qu'on appelle notre constitntion. Cet
« objct n'avait peut-étre pas un rapport tres-direct avee celui
« que nous traitons ; mais puisqu'il a été le prétexte de I'ac-
« cusation , qu'il devienne aussi celui de la défense, et qu'il
« me soit permis d'adresser quelques mots aux auteurs de ces
« reproches.


« Vous n'avez certainement pas de loi qni établisse que les
« états-généraux sont partie intégrante de la souveraineté,
« cal' vous en demandez une, et jusqu'ici tantót un arrét du
« conseilleur défendait de délibérer, tantót I'arrét d'un par-
" lement cassait leurs délibérations.




ET PIÉCES JUSTIFICATIVES. 349
"VOUS n'avez pas de loi quí nécessite le retonr périodique


({ de vos états-généraux , cal' vous en demandez une, et il y a
({ cent soixante-quinze ans qu'ils n'avaient été assemblés.


({ Vous n'avez pas de loi qui melle votre súreté , votre
« Iiberté individuelle al'ahri des atleintes arbitraircs , cal' YOUS
« en demandez une, el sous le regne d'un roi dont l'Europe
« entiere connait la justice el respecte la prohité , des mi-
« nistres ont faíl arrachcr YOS magistrats du sanctuaire des
« lois par des satellites arrnés. Sous le régne précédent,
« tous les magistrats du royaume ont encore été arrachés a
« Icurs séances , a leurs foyer s , el dispersés par l'exil , les
« uns sur la cime des montagnes, les autres dans la fange
« des ruarais, tous dans des endroits plus affreux que la plus
« horrible des prisons. En remontant plus haut , vous tI'OU-
« verez une profusion de ceot mille Iettres de cachet, pom'
({ de misérahles querelles théologiques. En vous éloignant da-
« vantage encore, vous yoyez autant de commissioos san-
« guinaires que d'emprisonnemenls arbitraires, et vous ne
« trouvez avous reposer qu'au regne de votre hon Henri,


({ Vous n'avez pas de loi qui établisse la liberté de la
« presse, cal' vous en dcmanclez une, et j usqu'ici vos pén-
« sées out été asservíes , YOS voeux enchainés , le cri de vos
« cceurs daos l'oppressioo a été étouffé, tantót pa~ le des-
« potisme des particuliers , tantót par le despotisme plus ter-
.rible des corps.


• Vous n'avez pas ou vous n'avez plus de loi qui nécessite
({ votre consentement pom' les impóts , cal' vcus en demandez
« une, et depuis deux siécles YOUS avez été chargés de plus
« de trois ou quatre cents millions d'impóts , sans eu avoir
a consentí un seul.




350 NOTES
,< VOUS n'avez pas de loi qui rende responsables tous les


" ministres du pouvoir exécutif', cal' vous en demandez une,
« et les créatures de ces comrnissions sanguinaires, les distri-
"huteurs de ces ordres arhitraires , les dilapidateurs du
« trésor public , les violateurs du sanctuaire de la justice,
« eeux qui ont trompé les vcrtus d'un roí, ceux qui ont flatté
« les passions d'un autre, ceux qui ont causé le désastre de
"la nation, n'ont rendu aucun compte, n'ont subi aucune
« peine,


« Enfin, vous n'avez pas une loi générale, positive, écríte ,
"un diplórne national et royal rout a la Iois , une grande
« chartc , sur laquelle repose un ordre fixe et invariable,
" oú chacun apprenne ce qu'il doit sacrífier de sa liberté
" et de sa propriété pour conserver le reste, qui assure
"tous les droits , qui définisse tous les pouvoirs. Au con-
" traire , le régime de votre gouvcmemcut a varié de regne cn
« regne, souvent de miuistere en ministere ; il a dépendu de
« l'áge , du caractere d' un homme, Dans les minorités , sous
"un prince faiblc, l'autorité royale, qui importe au bonheur
« et ala dignité de la nation, a élé indécernment avilie, soit
« par des grands qui d'nne main ébranlaíent le tróne et de
«Tuutrc foulaienl le peuple , soit par des COl'pS qui dans un
« temps envahissaient avec témérité ce que dans un nutre ils
" avaient défendu avec courage, Sous des princes orgueilleux
« qu'on a flattés, sous des princes vertueux qu'on a trompés,
"cette méme autorité a été poussée au-dela de toutes les
"bornes, Vos pouvoirs secondaires, vos pouvoirs intermé-
« diaires , eomme vous les appelez , n'ont été ni mieux définis
« ni plus fixés. Tantót les parlements ont mis en príncipe
" qu'ils ne pouvaient pas se meler des affaires d'état , tantót




E'f PInCES JUSTIFICATIVES • 351
« ils ont soutenu qu'il leur appartenait de les traiter comme
C' représentants de la nation. On a vu d'un coté des procla-
« mations annonc;,mnt tes volontés du roi , de I'autre des arréts
« dans lesqnels les officiers du roi défendaient au nom dn roi
« l'exécution des ordres du roi, Les cours ne s'accordent pas
« mieux entre elles; elles se disputent leur origine, Ieurs
« fonctions ; elles se foudroient mutuellement par des arréts,


" le borne ces détails, que je pourrais étendre jusqu'a
« l'infini; mais si tous ces faits sont constants , si vous n'avez
" aucune de ces lois que vous demandez, et que je viens de
« parcourir, ou si, en les ayant ( et faites bien attentiou a
« ceci ), ou si, en les ayant, vous n 'avez pas celle qui force
« a les exéeuter, eelle qui en garantit I'aecomplissement
e et quí en maintient la stabilité, définissez-nous done ce q ne
« vous entendez par le mot de constitution , et eonvenez au
« moins qu'on peut accorder quelque indulgence aceux qui
« ne peuvent se préserver de quelques doutes sur l'existenee
« de la nótre. On parle sans cesse de se rallíer a eette eons-
« titution; ah! plutót perdone de vue ce fantóme pour y
« substituer une réalité. Et quant a cette expression d'inno-
« vations , quant a cetle qualification de nocateurs dont on
« De cesse de nous accabler , convenons encare que les pre-
« miers novateurs sont dans nos rnains , que les premiers
« novateurs sont nos eahiers; respectons, bénissons cette
"heureuse innovation qui doit tout mettre a sa place, qui
« doit rendre tous les droits invíolables, toutes les auto-
« rités bienfaisantes , et tous les sujets heureux.


« C'est pour cette oonstituticn , Messíeurs , que je forme
" des vceux ; e' est cette constitution qui est l' objet de tous
« nos mandats , et qui doit etre le hut de tous nos tra-




NOTES


« vaux; c'est eette constitution qui répugne ala seule idée de
« I'adresse qu'on nous propose, adresse qui compromettrait
"le roi autant que la natíon, adresse entin qui me paraít
« si dangereusc , que non-seulement je m'y opposerai jus-
« qu'au dernier instant , mais que, s'il était possihle qu'elle
«fUt adpptée , je me croirais rédulrá la douloureuse né-
« eessité de protester solennellement contre elle. »




llT PIIICES lUSTlFICATIVES. 353


----""'--_...-----_...._-----


NOTE 4, PAGE 84.


Je crois utile de rapporte~ iei le résumé des cahiers fait a
l'assemblée nationale par M. de Clermont-Tonnerre, C'est une
bonne statistique de l'état des opinions acette époque dans
toute I'étendue de la France, Sous ce rapport , le résumé
est extrémement important; et quoique Paris eút infIué sur
la rédaetion de ces' cahiers , il n'en est pas moins vrai
que les provinees y eurent la plus grande parto


Rapport da comité de constitution contenant le résumé del
cahiers relatifs a cet objet ; la a l'assemblee nationale
par M. le comte de Clermont- Tonnerre , séance da
27 juillet 1789-


« Messieurs, vous étes appelés a régénérer l'empire frau-
¡¡ais; vous apportez ace grand rauvre et votre propre sagesse
et la sagesse de vos commettants.


« Nous avons cm devoir d'abord rassembler et vous pré-
senter les lumíéres éparses daos le plus graod nombre de VOli
cahiers; nous vous présenteroos ensuite et les vues particu-
lieres de votre comité, et celles qu'i1 a pu ou pourra recueillir
encore daos les divers plans , dans les diverses observations
qui ont été ou qui lui seront communiquées ou remises pu
les membres de eette auguste assemblée.


J.




354 NOTES
(( C'est de la premiere partie de ce travail , Messieurs, que


nous allons vous remire compte.
(( Nos commettants, Messieurs , sont tous d'accord SUl' un


point: i1s veulcnt la régénération de l'état ; mais les uns I'ont
attendue de la simple reforme des abus et du rétablissement
d'une constitution existant depuisquatorzc siécles , et qui
[eur a paru pouvoir revivre encore si ron réparait les outrages
que lui ont faits le temps et les nomhreuses insurrections de
l'Intérét personnel centre l'Intérét publico


(( D'autres ont regardé le régime social existant comme tcl-
lement vicié, qu'ils ont demandé une constitution nouvclle,
et qu'á l'exception du gouvernement et des formes menar-
chiques , qu'il est dans le cceur de tout Franeals de chérir et
de respecter, et qu'ils vous ont ordonné de maintenir , ils
vous ont donné tous les pouvoirs nécessaíres pour créer une
constitution el asseoir sur des príncipes certains , et sur la
distinction et constítution réguliere de tous les pouvoirs,
la prospérité de l'empire francais ; ceux-lá , Messieurs , ont
cru que le premier chapitre de la constitution devrait conte-
nir la déclaration des droits de l'homme, de ces droits im-
prescriptibles poúr le maintien desquels la. soeiété fú! établie.


« La demande de cette déclaration des droit$ de l'homme,
si constamment méconnue, est pourllinili di re la seule diffé-
rence qlíl existe ~ntre les eahiers qui désirent Une eonstitu-
tren nouvelle et teult flu; ne dernllndent que le rétablissement
de oe qu'i1s regardent eornrne la constitutionexistanté.


« Les UDS et les autres ont égaletnent fixé leurs idées sur
I\!s priBeipes du gouvernement monarchique , sur l'existence
du pouvoir et sur l'organisation du corps législatif, sur la
nécessité du consentement national al'impOt, sur l'orgnuisa-




$


ET PIECES JUSTIFICATIVES. 355
tion des corps administratifs , et sur les droits des citoyens,


" Nous allons , Messieurs, parcourir ces divers objets , et
vous offrir sur chacun d'eux, comme décision, les résultats
uniformes, el, comme qnestions, les résultats différents ou
eontradictoires que nous ont présentés ceux de vos cahiers
dont il nous a été possible de faire ou de nous procurer le
dépouillement.


« 10 Le gouvernement monarchique, l'inviolabilité de la
personne sacrée du roi , et l'hérédíté de la couronne de maje
en mále , sont également reconnus et consacrés par le plus
grand nombre des cahiers, et ne sont mis en question dans
aucun.


.. ,.0 Le roi est également reconnu comme déposítaire de
toute la plénitude du pouvoir exécutif.


« 3<1 La responsahilité de tous les agents de l'autorité est
demandée généralement.


« 40 Quelques cahiers reconnaissent au mi le pouvoir lé-
gislalif, limité par les lois constitutionnelles et fondamentales
du royaume; d'autres reconnaissent que le roi , dan s I'inter-
valle d'une assemblée d'états-généraux a l'autre, peut faire
seul les lois de poJice et d'adrninistration qui ne seront que
provísoires ~ et pour lesquelles ils exigent l'enregistrement
Iibre dans les cours souveraines ; un bailliage a méme exigé
qij.e l'enregistrement ue pl\t avoir lieu qu'avec le eonsente-
ment des deux tiers des commissions intermédiaires des assem-
JlIRt>-s de distrícts. Le plus grand nombre des cahiers reconnait
la nécessité de la sanction royale ponr la promulgationdes
16i8.


• Quant lIU pouvoir 14!gislal,if, la pluralité deacahiers le
reconnalt comme résidant dans la représentation nationale,


23.




356 NOTIlS
sous la c1ause de la sanction royale; et il paralt que ceHe
maxime ancienne des Capitulaires : Lea:fit consensu populi
et constitutione regis, est presque généralement consacrée
par vos commettants.


" Quant al'organisation de la représentation nationale, les
questions sur lesquelles vous avez a prononcer se rappol'lent
a la convocation, ou a la durée, ou a la composition de la
représentation nationale, ou au modc de délibération que lui
proposaient vos commellants.


oc Quant a la convocation, les uns ont déclaré que les
élals-génél'aux ne pouvaient étre dissous que pal' eux-mémesj,
les autres , que le droit de convoquer, proroger et dissoudre,
appartenait au roi, sous la seule condition, en cas de disso-
lution , de faire sur-le-ehamp une nouvelle convocation .


• Quant a la durée, les uns ont demandé la périodicité des
états-généraux , el ils ont voulu que le retour périodique ne
dépendit ni des volonlés ni de l'intérét des dépositaires de
l'autorité ; d'autres , mais en plus petit nombre, ont demandé
la permanence des états-généraux , de maniere que la sépara-
tion des membres n'entralnát pas la dissolution des états.


" Le systeme de la périodicilé a fait naltre une seconde
question: y aura-t-il ou n'y aura-t-i! pas de commission in-
termédiaire pendant l'intervalle des séances? La majorité de
vos commettants a regardé l'établissement d'une comrnission
interrnédiaire comme un établissement dangereux.


" Quant ala composition , les uns ont tenu ala séparation
des trois ordres ; mais a cet égard l'extension des pouvoirs
qu'ont déja obtenus plusieurs représentants laísse sans doute
une plus grande latitude pour la solution de cette question.


" Quelques bailliages ont demandé la réunion des deux




ET PIECES JUSTIFICATIV¡':S.


premiers ordres dans une méme chambre; d'autres, la supprei-
sion du c1ergé et la division de ses membres dans les deux
autres ordres ; d'autres, que la représentation de la noblesse
íút double de ceHe du clergé, et que toutes deux réunies
fussent égales a celle des cornmunes.


"Un hailliage, en demaodant la réunion des deux pre-
miers ordres , a demandé l'établissement d'un troisieme , sous
le titre d'ordre des campagnes. 11 a été également demandé
que toute personne exer~ant charge, emploi ou place a la
conr, ne pút étre député aux étals-généraux. Enfin, I'inviola-
bilité de la personne des députés est reconoue par le plus
graod nombre des bailliages, et n'est contestée par aucun.
Quant au mode de délibération , la question de l'opinion pal'
tete et de I'opinion par ordre est résolue : quelques hailliages
demandent les deux tiers des opinions pour former une ré-
solution.


" La nécessité du consentement national al'impót est géné-
ralement reconnue par vos commettauts, établie par lous vos
cahiers; tous hornent la durée de l'impót au terme que vous
lui aurez fixé, terme qui ne pourra jamais s'étendre au-delá
d'une tenue aI'autre; et cette clause impérative a paru atous
vos commettanls le garant le plus sur de la perpétuité de vos
assemblées nationales.


" L'emprunt, n'étant qu'un irnpót indirect, leur a paru
devoir étre assujettí aux mémes principes.


• Quelques bailliages ont excepté des irnpóts aterme ceux
qui auraient pOllr objetIa liquidation de la detle nationale ,
et ont ero qu'ils devraient etre perc¡us jusqu'á son entiere
extincrion.


e, Quant aux corps adrninistratifs ou états provinciaux,




358 NOTES
tous les cahiers demandent leur établissement, et la plupart
s'en rapportent a votre sagesse sur leur organlsation.


« Enfin , les droits des citoyeos, la liberté, la propriété,
sont réclamés avec force par loute la nation franeaise, Elle
réclame pour chacun de ses membres l'inviolabilité des pro-
priétés particuliéres , comme elle reclame pour elle-méme
I'ioviolabilíté de la propriété publique; elle réclame daos
toute son étendue la liberté individuelle, comme elle vieot
d'établir 11 jamais la liberté nationale ; elle réclame la liberté
de la presse, ou la libre communication des pensées; elle
s'éleve avec indignation contre les lettres de cachet, qui dis-
posaient arbitraireriJent des personnes, et contre la violation
du secret de la poste, l'une des plus absurdes et des plus in-
fames inventions du despotisme.


« Au milieu de ce concours de réclamations nous avons
remarqué, 1Hessieurs, quelques modifications particulieres
relatives aux lettres de cachet et a la liberté de la presse.
Vous les peserez dans votre sagesse; vous rassurerez saos
doute ce sentiment de I'honneur francais , qui , par son hor-
reur pour la honte, a quelquefois méconnu lajustice, et qui
mettra saos doute autant d'empressement ase soumettre a la
loi lorsqu'elle commacdera aux forts , qu'il en mettait as'y
soustraire lorsqu'elle ne pesait que sur le faible; vous cal-
merez les inquiétudes de la religion, si souvent outragée par
des libelles dans le temps du régime prohibitif, et le clergé,
se rappelant que la licence fut long-temps la compagne de
I'esclavage , reconnaltra lui-méme que le premier et le naturel
effet de la liberté est le retour de l'ordrc, de la décence et
du I'espect pour les objets de la vénération publique,


« Tel est, Messieurs, le compte que votre comité a eru devoir




ET PIECES JU~'J:lFICATIVES. 359
VQij~ rendre de la partie de vos cahiers q»i traite de la cons-
titution, Vous y trouverez sans doute toutes les pierres fonda-
mentales de l'édifice qU!! VOijS éteschargés 11'élever i¡.lollle S3 hau-
teur ; mais vous y désirerez peut-étre cel ordre , "e~ ensemble
de combinaisons politiques, sans lesquelles le régime social
présentera toujours de nombreuses défectuosités : IClI (l.OU-
voirs y sont indiqués, mais ne sont pas encore distingués
avcc la précision nécessaire; l'orgauisatíon de la represen-
tation nationale n'y est pas suffisamment établie; les prín-
cipes de I'éiigibilité n'y sont pas posé. z c'est de votre travail
que naitront ces résultats, La nation a voulu étre libre, el
c'est vous qu'elle a chargés de son affranchissement; le génie
de la Franee a précípité, pOYrainsidire, la marche de l' esprit
public. 1I a accumulé pour vous en peu d'heures l'expé-
rienee qu'on pouvait a peineauendre de plusieurs sieclee,
Vous pouvez, Mcssieurs, donner une constitution ala Fraace;
le roi el le peuple la demandent; I'un el I'autre 1'001 mérité.»


Resultat da dépouillement des cahiers.


PRINCIPES AVOUÉS.


{( Art. 1". Le gouvernement frangais est un gouvernement
monarchique.


« 2. La personne du roi est inviolable et sacrée,
« 3. Sa couronne est héréditaire de ~;Üe 1111 ,m~l~.
<t 4. Le roi est dépositaire du J1~"v9'ir el'~CMlif.
« 5. Les agents de I'autorité sont responsables.
« 6. La sanctíon royale est nécessaire pour la p.rQ/1!\I1~~ion


des lois.
" 7. La natiou fait la loi avee la sanction royale.




360 NOT'ES
« 8. Le conseotement oational est nécessaire a I'emprunt


et aJ'ímpét,
« 9. L'impót De peut étre accordé que d'une tenue d'états-


généraux a l'autre,
e: 10. La propriété sera sacrée,
« 11. La liberté iodividuelle sera sacrée. »


Questions sur lesquelles Lunioersalite des cahiers ne s'est
point expliquée d'une maniere uniforme.


« Art. I ero Le roi a-t-il le pouvoir législatif limité par les
lois constitutionnelles du royaume?


« 2. Le roi peut-il faire seul des lois provisoires de police
el d'administratioo, dans l'intervaUe des tenues des états
généraux?


u 3. Ces lois seront-elles soumises aI'enregistrementlihredes
cours sou veraines ?


« 4. Les étals-généraux De peuvent-ils étre dissous que par
eux-mémes P


« 5. Le roi peut-il seul convoquer, proroger et dissoudre
les états-généraux?


« 6. En cas de dissolution , le roi n'est-il pas obligé de faire
sur-le-champ une nouvelle convocation?


u 7. Les états-généraux seront-i1s permanente ou pério-
diques?


« 8. S'ils sont périodíques , y aura-t-i] ou n'y aura-t-il pas
une commission mtermédiaire?


• 9. Les deux premiers ordres seront-ils réunis dans une
méme chambre?


« 10. Les deux chambres serom.- elles formées sans dis-
tinction d'ordres?




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 3th
« II. Les membres de l'ordre du clergé seront-ils répartis


dans les deux autres ordres?
« 12. La représentation du c1ergé, de la noblesse et des


communes, sera -t-eIledans la proportion d'une, deux et
trois?


« 13. Sera-t-i] établi un troísíeme ordre sous le titre d'or-
dre des campagnes?


" 14,. Les personnes possédant des charges, emplois ou
places a la cour, peuvent-elles étre députés aux états-géné-
raux P


« ] 5. Les deux tíers des voix seront-ils nécessaires pour
former une résolution P


" 16. Les impóts ayant pour objet la liquidation de la dette
nationale seront-ils perl,Jus jusqu'a son entiere extinction?


" 17. Les lettres de cachet seront-elles abolles ou modi-
fiées?


« 18. La liberté de la presse sera-t-elle indéfinie ou mo-
difiée?




36~ NOTES


---,,----------""'........._-........"""""'"


NOTE 5, PAGE 155.


On trouvera au commencement du second volume , et au
déhut de l'histoire de l'assemblée législative, un jugement
qui me sernble juste, sur les fautes imputées ala eonstitution
de 91. Je n'ai ici qu'un mot adire sur le projet d'établir en
France , acette époque , le gouvernement anglais. Cette forme
de gouvernement est une transaction entre les troís intéréts
qui divisent les états modernes, la royauté, l'aristocratíe et
la monarchie, 01', cette transaction n'est possible qu'apres
l'épuisement des forces , c'est-á-dire apres le combat, e' est-
a-díre encere apres la révolution. En Angleterre, en effet,
elle ne s'est opérée qu'apres une longue lutte , aprés la démo-
eratie et l'usurpation, Vouloir opérer la transaction avant le
combat, e' est vouloir faire la paix avant la guerreo Cette vé-
rité est triste, mais elle est incontesrable ; les hommes ne
traitent que quand ils ont épuisé leurs forces. La constitution
anglaise n'était done possible en France qu'apres la révoln-
tion. On Iaisait bien sans doute de la précher, mais on s'y prit
mal; et s'y serait-on mieux pris, on n'aurait pas plus réussi,
J'ajouterai , pour diminuer les regrets, que quand mérne on
eüt écrit sur notre table de la loi la constitution anglaise tout
entiere , ce traité n'eüt pas apaisé les passions , qu'on en serait
venu aux mains tout de méme , el que la bataille aurait été
donnée malgré ce traité préliminaire. Je le répete done, il
fallait la guerre , c'est-á-dire la révolution, Dieu n'a donné la
justice aux hommes qu'au prix des combats,




ET PIECES :;USTIFICATIVES. 363


_..........-------------_.._---


NOTE 6, PI\GE 158.


Je suis Ioin de blámer l'obstination du député Mounier ~
car rien n'est plus respectable que la conviction, mais c'es'
un fait assez curieux la constater. Voici acet égard no passage
extrait de son Bapport a ses commettants :


" Plusieurs députés , dit-il, résolurent d'obtenir de moi le
sacrifice de ce principe (la sanetion royale). ou, en le sacri-
fiant eux-mémes , de m'engager, par reconnaissance, a leur
accorder quelqne compensation; ils me conduisirent chez un
zélé partisan de la liberté, qui désirait une coalition entre
eux et mol , afin que la liberté éprouvát moins d' obstacles,
et qni voulait seulement étre présent anos conférences , sans
preodre part ala décision. Pour ten ter de les convaincre , ou
ponr m'éclairer moi-méme , j'acceptaí ces conférences. 00
déclama fortement contre les prétendus inconvénients du
droit iIlimité qn'aurait le roi d'empécher une loi nouvelle, et
I'on m'assura que, si ce droit était reconnu par l'assemblée ,
jI Y aurait guerre civile, Ces conférences , deux foís renou-
velées, n'eurent aucun succes ; elles furent reeommencées
chez un Amérieain, connn par ses lumieres et ses vertus,
quí avait tout a la fois I'expérienee et la théorie des institu-
tions propres a maintenir la liberté. II porta, en faveur de
mes principes, un jugement favorable. Lorsqn'ils eurent
éprouvé qne touts les efforts pour me faire abandonner mon
opinión étaient inutilcs , ils me déclarerent enfin qu'ils met-




364 NOTES
taient peu d'importance a la question de la sanction roya/e,
quoiqu'ils l'eussent présentée quelques jours auparavant
comme un sujet de guerre civile; ils offrirent de voter pour
la sanction illimitée, el de voter également ponr deux cham-
bres , mais sous la condition que je ne soutiendrais pas, en
faveur du roi, le droit de dissoudre l'asscmblée des repré-
sentants ; que je ne récIamerais, pour la premiere chambre,
qu'un veto suspensif, el qne je ne m'opposerais pas aune
loi fondamentale qui établirait des conventions nationales
a des époques fixes, ou sur la réquisition de l'assemblée
des représentants , ou sur cel!e des provinces, ponr revoir la
constitution et y faire tous les changements qui seraient ju-
gés nécessaires, lis entendaient, par conoentions nationales ,
des assemblées dans lesqueIles on aurait transporté tous les
droits de la nation; qui auraient réuni tous les pouvoirs ,
et conséquemment auraíent anéanti pal' leur seu le présence
I'autorité du monarque et de la législature ordinaire; qui
auraient pu disposer arbitrairement de tous les genres d'au-
torités , bouleverser a leur gré la constitution , rétablir le
despotisme ou I'anarchie. Enfin, on voulait en quelque sorte
laisser it une seu te assemhlée , qui aurait porté le nom de
convention nationale , la dictature su prérne , et ex poser le
royaume it un retour périodique de Iactions et de tumulte.


« Je témoignai ma surprise de ce qu'on voulait m'engager
atraiter sur les intéréts du royaume comme si nous en étions
les maitres absolus ;j'observai qu'en ne laissant que le veto
suspensif a une premiere charnbre , si elle était composée
de membres éligibles, il serait difficile de pouvoir la former
de personnes dignes de la confiance publique; alors tous les
citoyens préféreraient d'étre nommés rcprésentants ; el que la




ET prECES JUSTIFICATIVES. 365
chambre, juge des crimes d'état, devait avoir une tres-grande
dignité , el conséquernrnenl que son autorité ne devait pas
erre rnoindre que celle de I'autre chambre. Enfin j'ajoutai
que, lorsque je croyais un príncipe vrai , j'étais obligé de le
défendre , el que je ne pouvais pas en disposer, puisque la
vérlté appartenaít a tous les citoyens. »




366 NOTES


NOTE 7, PAGE 168.


Les particularités de la conduite de Mirabeau al'égard de
tous les partis ne sont pas encere bien connues, el. sont des-
tinées á l'étre bicntót. J'ai obtenu de ceux mérnes qui doivent
les publier , des renseignements positifs; j'ai tetiu dan s les
mains plusieurs piéces importantes, et notamment la piece
écrite en forme de profession de foi, qui coustituait son
traité secret avec la cour, Il ne m'est permis de donner au
public aucun de ces documents, ni d'en citer les déposi-
taires. Je ne puis qu'affirmer ce que l'avenir dérnontrera suf-
fisamment, lorsque tous les renseignements auront été publiés.
Ce que j'ai pu dire avec sincérité , c'est que Mirabeau n'avait
jamais été dans les complots supposés du duc d'Orléans. Mi-
rabeau partit de Proveuce avec un seul projet , celui de com-
battre le pouvoir arbitraire dont iI avait souffert, et que sa
raison autant que ses sentiments lui faisaíent regarder comme
détestable. Arrivé a Paris , il fréquenta beaucoup un ban-
quier alors tres-connu , et homme d'un grand mérite. "La on
s'entretenait beaueoup de politique, de finances et d' écono-
mie publique, II y puisa beaucoup de connaissances sur ces
matieres , et il s'y Jia avec ce qu'on appelait la colonie ge-
nevoise exilée, dont Claviere , depuis ministre des finances ,
était mernbre. Cependant Mirabeau ne forma aueune liaison
intime. 1I avait daos ses manieres beaucoup de familiarité,




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


el illa devait au sentirnent de sa force, sentiment qu'iI pOl'-
tait souvent jusqu'á l'imprudence, Gráee a cette familiarité,
il abordait tout le monde, et semblalt lié avec tous ceux
auxquels il s'adressait, C'est ainsi qu'on le crut souvent I'ami
et le complice de beaucoup d'hommes avec lesquels il n'a-
vait aueun intérét commun, J'ai dit , el je répete qu'Il était
saos parti. L'aristocratie ne pouvait songer a Miraheau ; le
parti Neeker et Mouuier ne sut pas l'entendre, Le due d'Or-
léans a pu seul paraitre s'unir a luí. On l'a eru ainsi , paree
que Mirabeall traitait familierernent avec le due, et que tous
deux, étant supposés avoir une grande ambition, l'un comme
prince, l'autre comme tribun , paraissaient devoir s'allier.
La détresse de Mirabeau et la fortune du duc d'Orléans sem-
blaient aussi un motif d'alliance. Néanmoins Mirabeau resta
pauvre jusqu'á ses liaisons avec la eour. Alors il observait
tous les partis , táchait de les faire expliquer, et sentait
trop son importance pour s'engager trop légérement, Une
seule fois , iI eut un commencement de rapports avee un des
~gents supposés du duc d'Orléans. Il fut invité a diner pat
cet agent prétendu , et lui, qui ne eraignait jílmais de s'a-
venturer , aceepta plutót par cnriosité que par tout autre
motif. Avant de s'y rendre, il en fit part ason contident in-
time, et parut fort satisfait de ceHe entrevue, qui lui faisait
espérer de grandes révélations. Le repas eut lieu, et Mirabeau
vint rapporter ce qui s'étaít passé : il n'avait été tenu que des
pl'OpOS vagues sur le due d'Orléans , sur I'estirne qu'il avait
pour les talents de Mirabeau , et sur l'aptitude qu'Il lui suppo-
sait pour gouverner un état. Cette entrevue fut done tres-
insignifiante, et elle put indiquer tout au plus qu'on ferait
volontiers un ministre de Mirabean. Aussi ne manqua-t-il pas




368 NOTES
de dire ason ami, avec sa gaieté accoutumée : « Je ne puis
pas manquer d'étre ministre, cal' le duc d'Orléans el le roi


'veulenl également me nornmer. » Ce n'étaient Iá que des plai-
santeries , etMirabeau luí-méme n'a jamais cru aux projets
du duc, J'expliquerai dans une note suivante quelques autres
particularilés.




ET PIiWES JUSTIFICATIVES.


NOTE 8, PAGE 177.


369


La lettre du comte d'Estaing a la reine est un monument
eurieux , et qui devra toujours étre consulté relativernent aux
journées des 5 et 6 octobre, Ce brave marin, plein de fidé-
lité et d'indépendance (deux qualités qui semblent contra-
dictoires, mais qu'on trouve souvent réunies chez les hommes
de mer), avait conservé l'habitude de tout dire ases princes
qu'il aimait. Son témoignage ne saurait étre révoqué en doute ,
lorsque, dans une lettre confidentielle, il expose a la reine
les intrigues qu'il a découvertes et qui l'ont alarmé. On y
yerra si en effet la cour était sans projet acette époque,


«Mon devoir et ma fidélité l'exigent, il faut que je mette
« aux pieds de la reine le compte du voyage que j'ai fait a
« Par'is. On me loue de bien dormir la veille d'un assaut ou
« d'un combat naval. J'ose assurer que je ne suis point timide
a en affaires.Élevé aupres de M. le dauphin qui me distin-
« guait, accoutumé a dire la vérité a Versailles des mon en-
« fanee , soldal et marin, instruít des formes, je les respecte
« sans qu'elles puissent altérer ma franchise ni ma fermeté.


« Eh bien! il faut que je I'avoue a votre majesté, je n'ai
« pu fermer I'ceil de la nuit. On m'a dit dan s la bonne société,
"dans la bonne compagnie (et que serait-ce , juste ciel , si
"cela se répandait dans le peuple!), 1'0n m'a répété que ron
« prend des signatures daos le clergé et daos la noblesse, Les


T.




NOTES


• uns prétendent que e'est d'aeeord avee le roi; d'autres
• eroient que e'est a son insu. 00 assure qu'il y a un plan de
• formé; que c'est par la Champagne ou par Verdun que le
« roi se retirera ou sera enlevé; qu'i! ira a Melz. M. de
« Bouillé est nommé, et paloqui? par M. de Lafayette, qui me
« I'a dit tout bas chez M. Jauge, atable. J'ai frémi qu'un seul
o domestique ne l'entendit; je lui ai' observé qu'un seul mot
• de sa houche pouvaít devenir un signal de mort, Il est froi-
o dement J¡>ositif M. de Lafayette: il m'a répondu qu'á Metz
o comme ailleurs les patriotes étaient les plus forts, et qu'il
" valait mieux qu'un seul mourüt pour le salut de tous .


• M. le baron de Breteuil, qui tarde as'éloigner, conduit le
• projet. 00 accapare l'argent, et 1'00 promet de fouroir un
• million et demi par mois. M. le comte de Merey est mal-
o. heureusement cité eomme agissant de eoncert, Voilá les
« propos; s'ils se répandent dans le peuple, leurs effets sont
" incalculables: cela se dit encore tout has. Les hons esprits
« m'ont paru épouvantés des suites : le seul doute de la réa-
• lité peut en produire de terribles. J'ai été chez M. l'ambas-
• sadeur d'Espagne, et certes je ne le cache point ala reine,
• ou mon effroi a redoublé, M. Fernand-Nunés a causé avec
o moi de ces faux hruits, de l'horreur qu'il y avait a supposer
" un plan impossible , qui entrainerait la plus désastreuse et
« Ia plus humiliante des guerres civiles, qui occasionnerait la
« séparation ou la perte totale de la monarchie, devenue la
«proie de la rage intérieure et de l'ambition étranghe, qui
.. ferait le malheur irreparable des personnes les plus chéres a
.. la Franee. Apres avoir parlé de la eour errante, poursui-
« vie, trompée par ceux qui ne l'ont pas soutenue lorsqu'ils
« le ponvaient, qui veulent actnellement I'entralner dans leur




ET prECES J1JSTIFICATIVES.


• chute. " . , afíligée d:une banqueroute générale, devenue
«des lors indispensable, et tout épouvantable .... ,je me suis
• écrié que du moins iI n'y aurait d'autre mal que celui que
n produirait cette fausse nouvelle, si elle se répandait , paree
« qu'elle était une idée sans aucun fondement. M. l'ambassa-
« deur d'Espagne a baissé les yeux 11 cette derniére phrase, Je
« suis devenu pressant: iI est enfin convenu que quelqu'un
« de eoasidérable el de creyable lui avait appris qu'on lui
• avait proposé de signer une associatlon. 11 n'a jamais 'VOUhl
«me le nommer; mais, soit par inattontion , soit pour le bim
«de la chose , il n'a point heureusement exigé ma paroJe
« d'honneur, qu'i! m'aurait fallu tenir. Je n'ai point promis de
« ne dire a personne ce fait, 11 m'inspire une grande terreur
« que je n'ai jamais connue, Ce n' est pll5 pour moi que je l'é-
« I)rouve. Je supplie la reine de calculer dans Sil sagesse teut
• ce qui pourrait arriver d'une Iausse démarcbe: la premiere
«emite assez oher. J'ai vu le boa ceeur de la reine denner
«des larmes su sort des victimes immolées; actuellemem ce
• serait des flota de sang versé ieutilement qu'oe aurait a ro-
«greuer. Une simple indécision peut etre saas remede. Ce
«n'est qu'en allant au-derant du torrear, ce n'esl qu'en le
- careesaut, qu'on peut parvenir ale diriger en partie. Ríen
« n'est perdu. La reine peut recoaquérir au mi son royaume.
« La nature lui en a prodigué les moyeus; ib &OIIt seuls pos·
• aihles, Elle peut imiter son aaguste mere: sinon je me
f( tais..... Je supplíe Votre Majffité de m'aceerder URe su-
« dience pour un des jours de cette sc.naine, "




NOTES


--~-------------.......----
NOTE 9, PAGE 192.


--


L'histoire ne peut pas s'étendre assez pour justifier jus-
qu'aux individus, surtout dans une révolution oú les roles,
méme les premiers, sont extrémement nombreux. M. de La-
fayette a été si calomnié , et son caractére est si pur, si sou-
tenu, que c'est un devoir de lui consacrer au moins une
note. Sa conduite pendant les 5 et 6 octobre est un dévoue-
ment continuel, et cependant elle a été présentée eomme un
attentat par des hommes qui lui devaient la vie, On lui a re-
proché d'abord jusqu'á la violcnce de la garde nationale qui
I'entraiua malgré lui aVersailles. Rien n'est plus injuste, car
si on peut maitriser avec de la fermeté des soldats qu'on a
conduits long-temps ala victoire, des citoyens récemment et
volontairement enrólés , et qui ne vous sont dévoués que par
I'exaltation de leurs opinions, sont írrésistibles quand ces
opinions les emportent. M. de Lafayette luna contre eux
pendant toute une journée, et certainement on ne pouvait
désirer davantage. D'ailleurs rien n'était plus utile que son
départ, car sans la garde nationale le cháteau était pris
d'assaut , et on ne peut prévoir quel cut été le sort de la fa-
miUe royale au milieu du déchainement populaire, Cornme
on l'a vu, sans les grenadiers nationaux les gardes-du-ccrps
étaient forcés, La présence de M. de Lafayette et de ses trou-
pes aVersaiUes él~it donc indispensable.


..




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


Apres lui avoir reproché de s'y ótre rendu , on lui a re-
proché surtout de s'y étre livré au sommeil; et ce sommeil a
été I'objet du plus cruel et du plus réitéré de tous les repro-
ches. M. de Lafayette resta debout jusqu'á cinq heures du
matin, employa toute la nuit a répandre des patrouilles, a
rétablir l' ordre et la tranquillité ; et ce qui prouve combien
ses précautious étaient bien prises, c'est qu'aucun des postes
confiés ases soins ne fut attaqué, Tout paraissait calme, el
iI fit une chose que personne n'eút manqué de faire a sa
place, iI se jeta sur un lit pour reprendre quelques forces
dont iI avait beso in , cal' il luttait depuis vingt-quatre heures
contre la populace. Son repos ne dura pas une demi-heure ;
il arriva aux premiers cris, et assez tót pour sauver les gardes-
du-corps qu'on allait égorgel', Qu'est-il done possible de lui
reprocher , " .. ? de n'avoir pas été présent a la premiare mi-
nute? mais la méme chose pouvaít avoir lieu de toute autre
maniere; un ordre a donner ou un postc avisiter pouvaít
l'éloigner pour une derni-heure du point oú aurait lieu la
premiere atraque; et son absence , dans le premier instant de
I'action , était le plus inévitablc de tous lcs accidents. Mais
arriva-t-il assez tót pour délivrer presque toutes les victímes ,
pour sauver lc cháteau et les augustes personnes qu'il contc-
nait? se dévoua-t-il généreusement aux plus grands dangers?
voilá ce qu'on ne peut nier, et ce qui lui valut acette époque
des actions de gnices universelles, Il n'y eut qu'une voix
alors parmi tous ceux qu'il avait sauvés. Madame de Staél ,
qui n'est pas suspecte de partialité en faveur de M. de La-
fayette, rapporte qu'elle entendit les gardes-du-corps crier
rifle Lafayette l Mounier, qui n' était pas suspect davantage ,
loue son dévouement; et M. de Lally-Tolendal regrette qu'ou




NOTBS


ne lui ait pas attribué daos ce moment une espece de dicta-
ture (voyez son Rapport a ses commettants); ces deux dé-
putés se sont assez prononcés contre les 5 et 6 octobre, pour
que leur témoignage soit accueilli avec toute confiance. Per-
sonne , au reste, n'osa nier dans les premiers moments un dé-
vouement qui était universellement reconnu, Plus tard , l'es-
prit de parti , sentant le dan gel' d'accorder des vertus a un
constitutionnel, nia les services de M. de Lafayette; et alors
commeno;;a cette longue calomnie dont il n'a depuis cessé
d'étre I'objet,




ET PIIwEs ,JUSTIFICATIVES.


NOTE 10, PAGE 200.


J'ai déja exposé quels avaient été les rapports a peu pres
nuls de Mirabeau avec le duc d'Orléans. Voici quel est le
sens de ce mot fameux: Ce}. .. f..... ne merite pas la peine
qu'on se donne pour lui. La contrainte exercée par Lafayette
envers le duc d'Orléans indisposa le partí populaire, mais
irrita surtout les amis du prince condamné a l'exil. Ceux-ci
songeaient a détacher Mirabeau centre Lafayette, en profi-
tant de la jalousie de l'orateur eontre le généra1. Un ami
du due, Lauzun, vinl un soir ebez Mil'abeau poul' le presser
de prendre la parole des le lendemain matin. Mirabeau , qui
souvent se laissait entrainer , allait eéder, lorsque ses amis ,
plus soigncux que lui de sa propre conduite , le presserent
de n'en rien faire, Il fut done résolu qu'il se tairait, Le
lendemain, a I'ouverture de la séanee, on apprit le départ
du due d'Orléans ; et Mirabeau , qui lui en voulait de sa
condescendanee envers Lafayette, et qui songeait aux efforts
in utiles de ses amis , s' écria : Ce j ...f. .... ne merite pas la
peine qu'on se donne pour lui.




NOTES


...._---------------~~--


NOTE 11, PAGE 2.03.


11 Y avait ehez Mirabeau, eomme ehez tous les homrnes
supérieurs , beaueoup de petitesses a coté de beaueoup de
grandeUl'. 11 avait une imagination vive qu'il fallait oeeupel'
par des espéranees. 11était impossible de lui donner le minis-
tere sans détruire son influence, et par eonséquent sans le
perdre lui-méme , el le secours qu'on en pouvait retirer,
D'autre part, il fallait eette amoree a son imagination. Ceux
done qui s'étaient plaeés entre lui et la eour conseillerent de
lui laisser au moins I'espéranee d'un portefeuille. Cependant
les intéréts personnels de Mirabeau n'étaient jamais I'objet
d'une mention particuliere dans les diverses eommunieatious
qui avaient lieu; on n'y parlait jamais en effet ni d'argent
ni de faveurs, et il deveuait difficile de faire entendre a
Mirabeau ce qu'on voulait lui apprendre. POUt' cela, on indi-
<¡ua au roi un moyen fort adroit. Mirabeau avait une répu-
tation si mauvaise, quepeu de personnes auraient voulu lui
servir de collegues. Le roi , s'adressant a M, de Liancourt,
pour lequel il avait une estime particuliere , lui demanda si,
pour lui étre utile, il aeeepterait un portefeuille en compa-
gnie de Mirabeau. M. de Liancourt, dévoué nu monarque,
répondit qu'i! était décidé a faire tout ce qu'exigerait le bieu
de son service, Cette question, bientót rapportée al'oratenr,
le remplit de satisfaction , et il ne douta plus que, des qne
les cireonstanees le permettraient, on ne le nommát ministre.




ET PIECES JUSTIPICATIVES.


NOTE 12, PAGE 213 •


..........


II ne sera pas sans íntérét de connaltre 1'opinion de
Ferrieres sur la maniere dont les députés de son propre
parti se conduisaient dans I'assemblée.


,,11 n'y avait a l'assemblée nationale, dit Ferrieres , qn'á
« peu prés trois cents membres véritablement hommes pra-
" bes, exempts d'esprit de parti , étrangers a I'un et a l'autre
• club, voulant le bien, le voulant pour lui-méme , indé-
« pendamment d'intéréts d'ordres, de corps, toujours préts
« a ernbrasser la proposition la plus juste et la plus utile ,
« n'importe de qui elle vint et par qui elle fut appuyée. Ce
« sont des hommes dignes de l'honorable fonction alaquelle
« ils avaient été appelés , qui ont fait le peu de bonnes lois
« eorties de l'assemblée constituante; ce sont eux qui ont
« ernpéché toutle mal qu'elle n'a pas fait. Adoptan! toujours
« ce qui était bon , et tHoignant toujours ce qui était inauvais,
« ils ont souvent donné la majorité a des délibératio ns qui ,
« sans eux, eussent été rejetées pal' un esprit de faction; ils
" ont souvent repoussé des motions qui , sans eux, eussent
• été adoptées par un esprit d'intérét,


« JI' ne saurais m'empécher a ce sujet de remarquer la
« conduite impolitique des nobles et des évéques. Cornme
• ils ne tendaient qn'a dissoudre l'assemblée, qu'a jeter de
« la défaveur sur ses opérations; loin de s'opposer aux mau-
• vais décrets , ils étaient d'une indifférence a ce! égard que
" I'on ne saurait concevnir. lls sortaient de la salle lorsque




JlOTES


« le président posait la question, invitant les députés de leur
« parti a les suivre; ou bien , s'ils demeuraient, ils leur
« criaíent de ne poiot délihérer. Les clubistes, par abandon,
« devenus la majorité de l'assemblée , décrétaient tout ce
" qu'ils voulaient. Les évéques et les nobles, croyant ferme-
« ment que le nouvel ordre de choses ne suhsisterait pas,
« hátaient , avec une sorte d'impatience, dans l'espoir d'en
u avancer la chute, et la ruine de la monarchie , et leur pro-
• pre ruine. A cette, conduite insensée ils joignaient une in-
• souciance insultante, et pour l'assemblée, et pour le peuple
« qui assistait aux séances. Ils n'écoutaient point, riaient ,
• parlaient haut, confirmant ainsi le peuple dans l'opinion
« peu favorable qu'il avait com,¡ue d'eux; et au lieu de tra-
• vailler a regagner sa confiance et son estime, ils ne travail-
« laient qu'a acquérir sa haine et son mépris, Toutes ces
« sottises venaient de ce que les évéques et les nobles ne
« pouvaient se persuader que la révolution était faite depuis
« long-temps daos l'opinion et daos le cceur de tous les Fran-
« c;ais. Ils s'imaginaient, a l'aide de ces digues, contenir un
« torrent qui grossissait chaque jour. Ils ne faisaient qu'amon-
• celer ses eaux , qu'occasíoner plus de ravage, s'entétant
• avec opiniátreté al'ancíen régime, base de toutes leurs ac-
« tions , de toutes leurs oppositions , mais dont personne ne
• voulait, Ils forcaient , par cette obstination maladruite, les
« révolutionnairesá étendre leur systemc de révolution au-
u delá méme du but qu'i1s s' étaient proposé. Les nobles et les
« évéques criaient alors a I'injustice, a la tyranoie. lis par-
« laient de l'ancienneté et de la légitimité de leurs droits a
« des hommes qui avaient sapé la base de tous les droits. »


( Ferriéres ; tome 2. ,p. 122.)




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


NOTE 13, PAGE 215.


Le rappel des gardes-du-corps donna lieu 11 une anecdote
qui mérite d'étre rapportée. La reine se plaignait 11 M. de
Lafayette de ce que le roi n' était pas libre, et elle en don-
nait pour preuve que le service du cháteau était fait par la
garde nationale et non .par les gardes-du-corps. M. de Lafayette
lui demanda aussitót si elle verraít avec plaisir le rappel de
ces derniers, La reine hésita d'abord 11 répondre, mais n'osa
pas refuser l'offre que lui fit le général de provoquer ce rap-
pe\. Aussilot il se rendit 11 la municipalité, qui , 11 son insti-
gation, fit la demande officielle au roi de rappeler ses gardes-
du-corps , en offrant .de partager avec eux le service du
cháteau, Le roi et la reine ne virent pas cette demande avec
peine; mais on leur en fit bientót sentir les conséquences, et
ceux qui De voulaient pas qu'ils parussent libres les engage-
rent a répondre par un refus, Cependant le refus était em-
barrassant a motiver , et la reine, a laquelle on confiait sou-
vent des commissions difficiles , fut chargée de dire aM. de
Lafayette qu'on n'acceptait pas la proposition de la munici-
palité. Le motif qu'elle en donna, c'est qu'on ne voulait pas
exposer les gardes-du-cOl"pS aétre massacrés, Cependant M. de
Lafayette venaít d'en rencontrer un qui se promenait en uni-
forme au Palais-Royal. 11 rapporla ce fait a la reine, qui fuL
eneore plus embarrassée, maís qui persista daos l'jntention
qu'elle était chargée d'exprimer.




380 NOTES


---------------------


NOTE 14, PAGE 216.


---


Le discours de Monsieur, a I'Hótel-de-Ville , renferme un
passage trop important pOllr n'étre pas rappelé id.


« Quant a mes opinions personnelles, dit ce personnage
« auguste ,j'cn parlerai avec confiance a m¡l's concitoyens.
« Depuis le jour oú , dans la seeonde assemblée des notables,
« je me déclarai sur la question fondamentale qui divisait les
• esprits , je n'ai cessé de croíre qu'une grande révolution
« était préte; que le roi , par ses intentions, ses vertus et son
" rang supréme , devait en étre le chef, puisqu'elle ne pou-
« vait étre avantageusc a la nation sans l'étre égalcment au
« monarque; en fin , que l'autorité royale devait étre le rem-
« part de la liberté nationale , et la liberté nationale la basc
« de l'autorité royale. Que l'on cite une seule de mes actions ,
« un seul de mes discours qui ait démenti ces principes, qui
« ait montré que, dans quelque circoustance ou j'aie été
« placé , le bonheur du roi , celui du peuple, aient cessé d' e-
• tre l'unique objet de mes pensées et de mes .vues : jusque-
« la, j'ai le droit d'étre cru sur ma parole , je n'ai jamais
« changé de sentiments et de principes , et je n'en changerai
« jamáis••




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 381


----~~-.------_ .........-----


NOTE 15, PAGE 219.


Le discours prononcé par le roi dans cette circonstance
est trop remarquable pour n'étre pas cité avec quelques
observations. Ce prince, excellent et trop malheureux, était
dans une continueIle hésitation, et, pendant certains instants ,
il voyait avec heaucoup de justesse ses propres devoirs et
les torts de la cour, Le ton qui regne dans le discours pro-
noncé le 4 février prouve suffisamment que dans cette cir-
constance ses paroles n'étaient pas imposées , et qu'i1 s'exprimait
avec un véritable sentiment de sa situation présente.


« Messieurs, la gravité des circonstances oú se trouve la
(( France m'attire au milieu de vous. Le reláchement pro-
(( gressif de tous les liens de l'ordre et de la subnrdínation ,
« la suspensión ou I'inactivité de la justice, les mécontente-
(( ments qui naissent des privations particulieres , les oppo-
« sitions, les haines malheureuses qui sont la suite inévitable
(( des longues dissensions , la situation critique des finances
« et les incertitudes sur la fortune publique, enfin I'agitation
" générale des esprits , tout semble se réunir pour entretenir
(( I'inquiétude des véritables amis de la prospérité el du hon-
« heur du royaume.


« Un grand hut se présente a vos regards; mais il faut y
o: atteindre sans aeeroissement de trouble et sans nouvelles
« convulsions. C'était , je dois le dire, d'une maniere plus
« donce et plus tranquille que j'espérais vous y eonduire lors-




38:. NOTl!.S
o: que je formai le dessein de vous rassembler , et de réunir
« pour la félicité publique les lurnieres et les volontés des
« représentants de la nation; mais mon bonheur el ma gloire
« ne sont pas moins étroitement liés anx succes de vos
f( travaux.


« Je les ai garanlis, par une continuelle vigilance, de !'in-
a fluence funeste que pouvaient avoir sur eux les eireonstan-
.. ces malheureuses au milieu desquelles vous vous trouviez
« placés, Les horreurs de la disette que la France avait 11 re-
" douter I'année dcrniere out été éloignées par de~ soins mul-
« tipliés et des approvisionnements immenses. Le désordre
11 que I'état ancien des finances, le diserédit, l'excessive ra-
.. reté du numéraire et le dépérissement graduel des revenus,
• devaient naturellement amen el' ; ce désordre, au moins
« dans son écIat et daos ses exces , a été jusqu'á présent écarté,
.. J'ai adouci partout, et principalement daos-la capi tale ,
" les dangereuses conséquences du défaut de travail; et, non-
a obstant J'afTaiblissement de tous les moyens d'autorité,
u j'ai mainteuu le royaume , non pas, il s'en faut hien, dans
« leealme que j'eusse désiré , maís dans un état de rranquillité
« suffisant pour recevoh- le bienfait d'une liberté sage et bien
« ordonnée; enfin , malgré notre situation intérieure généra-
« lement connue, et malgré les Ol:ages politiques qui agitent
« d'autres nations , j'ai conservé la paix au dehors , el j'ai en-
II tretenu avec toutes les puissances de l'Europe les rapports
« d'égards et d'amitié qui penvelll rendre cette paix durable,


« Apres vous avoir ainsi préservés des gl'andes contrariétés
.. qui pouvaient aisément tra versel: vos soins el vos travaux ,
.. je erois le moment arrivé oú il importe 11 I'intéré; de l'état,
« que je m'associe d'une maniere encore plus expresse et




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 383
« plus manifeste aI'exécution et a la réussite de tout ce que
« vous avez concerté ponr l'avantage de la France. Je ne puis
« saisir une plus grande occasion que celle ou vous présentez
« a mon acceptation des décrets destinés a établir dans le
• royaume une organisation nouvelIe, qui doit avoir une in-
« fluence si importante et si propice ponr le bonheur de mes
« sujets et ponr la prospérité de cet empire.


« Vous savez, messieurs, qu'il y a plus de dix ans , et
« dans un temps oú le voeu de la nation ne s'était pas encore
« expliqué sur les assemblées provinciales, j'avais commencé
« a substituer ce genre d'administration a celui qu'une an-
« cienne et longue habitude avait consacré. L'expérience
u m'ayant fait connaitre que je ne m'étais point trompé dans
e l'opínion que j'avais con~ue de l'utilité de ces établisse-
« rnents , j'ai cherché a faire jouir du méme bienfait toutes
« les provinces de rnon royaume; et, pour assurer aux non-
« velles administratíons la confiance générale , j'ai voulu que
« les membres dont elles devaient étre composées fussent
« nommés librement par tous les citoyens. Vous avez amélioré
« ces vues de plusienrs manieres, et la plus esseotie1Je, sans
« doute, est cette subdivision égale el sagement motivée, qui,
« en aífaiblissant les anciermes séparations de province a
« province, et en établissant un systeme général et complet
« d' équilibre, réunit davantage a un méme esprit et a un
« méme intérét toutes les parties du royaume. Cette grande
« idée, ce salutaire desseín vous sont. entierement dus : il ne
« fa1Jait pas moins qu'une réunion des volontés de la part des
« représentants de la nation; il ne falIait pas moins que leur
u juste ascendant sur l'opinion générale, pour entreprendre
« avec confiance un changement d'une si grande importance,




384 NOTES
« et pour vaincre au nom de la raison les résistances de
« l'habitude et des intéréts particuliers.•


Tout ce que dit ici le roi est parfaitement juste et tres-
hien senti. l\ est vrai que toutes les améliorations, illes avait
autrefois tentées de son propre mouvement, et qu'iI avait
donné un rare exemple chez les princes, celui de prévenir
les besoins de leurs sujeta. Les éloges qu'il douue ala nouvelle
division territoriale portent encere le caractere d'une entiere
honne foi , cal' elle était certainement utile au gouvernement,
en détruisant les résistances que lui avaient souvent opposées
les localités, Tout porte done acroire que le roi parle iei avec
une parfaite sineérité. 11 eontinue :


o: JI' favoriserai, jI' seconderai par tous les moyens qui
« sont en mon pouvoir le succes de cette vaste organisation
« d'oú dépend le salut de la France ; et , jI' erois nécessaire
« de le dire, je suis trop oecupé de la situation intérieure du
« royaume,j'ai les yeux trop ouverts sur les dangers de tout
« genre dont nous sommes environnés, pour ne pas sentir
« fortement que, dans la disposition présente des esprits , et
« en considérant I'état un se trouvent les affaires publiques} il
o: faut qu'un nouvel ordrc de choses s'établisse avec calme et
« avec tranquillité , ou que le royaume soit exposé a toutes
« les calamités de l'anarchie,


« Que les vrais citoyens y réfléchissent, ainsi que je l'ai
« fait, en fixant uniquement leur attention su r- le bien de
« I'état , et ils verront que, méme avec des opinions différen-
« tes, un intérét éminent doit les réunir tous aujourd'hui.
« Le temps réformera ce qui pourra rester de défeetueux
« dan s la collection des lois qui auront été l'ouvrage de cette
« assernblée » ( cette critique indirecte el ménagée /JrouFe




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 385
que le roi ne »oulait pas flatter, mais dire la vérité, tout en
employant la mesure nér.essaire); « mais toute entreprise
« qui tendrait a ébranler les príncipes de la constitution
« mérne , tout concert qui aurait pom' hut de les renverser ou
« d'en affaiblir I'heureuse influence, ne serviraient qu'á in-
a troduire au milicu de nous les maux effrayants de la dis-
« ,corde; et, en supposant le succes d'une semhlahle tentative
« contre mon peuple et moi , le résultat nous priverait, sans
« remplacement, des divers hiens dont un nouvel ordre de
« choses nous offre la perspective,


« Livrous-nous done de bonne foi aux esperances que nous
« pouvoos concevoir , et ne songeons qu'á les réaliser par un
« aceord unanime, Que partout 00 saehe que-le monarque et
« les représentants de la nation sont unis d'un méme intérét
- et d'un méme vreu, afin que eette opiníon , cette ferme
« eroyanee, répandent dans les provinces un esprit de paix
« et de bonne volonté , et que tous les eitoyens recomman-
« dahles par leur honnéteté , tous eeux qui peuvent servir
e l'état essentiellement par leur zele et par Ieurs lumiéres ,
« s'empressent de prendre part aux différentes subdivisions
« de l'administration générale, dont I'enehalnement et I'en-
« semble doiveuteoneourir efficaeement au rétablissernent de
« l'ordre el ala prospérité du royaume.


« Nous ne devons poiut nous le dissimuler; il Ya beaucoup
« afaire pour arriver ace but. Une volonté suivie, un effort
f( général et commun, sont absolument nécessaires POUt' obte-
« nir un succes véritable. Continuez done vos travaux sans
"d'autre passion que celle du bien; fixez toujours votre
« premiere attention sur le sort du peuple et sur la liberté
" publique; mais occupez-vous aussí d'adoucir, de calmer


I. 21)




38G NOTES
« toutes les défíances , et rnettez fin , le plus tot possible , aux
« différentes inquiéludes qui éloignent de la France un si
« grand nombre de ses eitoyens, el dont I'effet contraste avec
« les lois de stireté el de liberté que vous voulez établir : la
« prospérité ne revíendra qu'avec le conlentement générat.
« Nons apercevons partout des espérances ; soyons impatients
« de voir aussi partout le bonheur,


« Un jour,j'aime a le croire , tous les Francais indistinc-
« tement, reconnaitront I'avantage de l'entiere suppression
« des différences d'ordre et d'état , lorsqu'il est question de
« travailler en commun au bien public, aceite prospérité de
« la patrie qui intéresse également les citoyens; et chacun
« doit voir sans peine que, pour étre appelé dorénavant a
" servir l'état de quelque maniere, iI suffira de s'étre rendu
.. remarquable par ses talents et par ses vertus,


el En méme temps, néanmoins, tout ce qui rappelle a une
« nation I'ancienneté et la continuité des services d'une race
« honorée est une distinction que rien ne peut détruire, et ,
« cornme elle s'unít aux devoirs de la reconnaissance, ceux
« q ui, dans toutes les classes, de la société aspirent a servir
« efficacemenlleur patrie, et ceux qui ont eu déjá le bonheur
« d'y réussir, ont un íntérét a respecter cette transmisaion de
« titres ou de souvenirs, le plus beau de tous les héritages
« qu'on puisse faire passer a ses enfants.


" Le respect dú aux ministres de la religion ne pouITa non
« plus s' effacer; et lorsque leur considération sera principa-
« lernent unie aux saintes vérités qui sont sous la sauvegarde
" de I'ordre et de la morale, tous les citoyens honnétes el
" éclairés auront un égal intérét a la maintenir et a la dé-
" fendre.




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


« Sb;ns doute ceua: qui ont abandanné leurs pririléges
« pécuniaires , ceux qui ne formeront plus comme autrefois
« un ordre politique dans l'etat , se trouvent soumis ti des
« sacrifices dont je connais toute l'importance ; mais , j'en
« ai la persuasion , ils auront assez de générosité poar cher-
• cher un dcdommagemeru dan s tous les aranlages pu~lics
« dont l'établissement des assemblees nationaies presente
« l'espérance, »


Le roi continue, comme on le voit , a exposet' a tous les
partis les avantages des nouvclles lois , et en méme temps
la nécessité de conserver quelque chose des anciennes. Ce
qu'il adresse aux privilégiés pro uve son opinion réelle sur la
nécessité el la j ustice des sacrifices q u'on leur avait imposés,
el leur résistance sera éternellement condamnée par les pa-
roles que renferme ce discours. Vainement dirá-t-on que le
roi n'était pas libre: le soin qu'il prend ici de balancer les
concessions, les conseils et méme les reproches, prouve qu'il
parlait sincérement, Il s'exprima bien autrement lorsque plus
tard iI voulut faire éclater l'état de contrainte dans lequel il
croyait étre, Sa Iettre aux ambassadeurs , rapportée plus bas,
le prouvera suflisamment. L'exagération toute populaire qui
y regne démontre I'inlention de ne plus paraitre libre. Mais
ici la mesure ne Iaisse aucun doute, et ce qui suit en est si
tnuchant , si délicat , qu'il n'est pas possible de ne l'avoir
pas senti , quand on a consenti a l'écrire el 11 "le pronon-
cero


« J'aurais bien aussi des pertes a compter, si , au mílieu
« des plus grands intéréts de l'état , je m'arrétais ades ealculs
" personnels ; mais je trouve une eompensation qui me suffit ,
« un ... eompensation pleine et entiet'{l dans l'accroissement du


25.




388 NOTES
" bonheur de la natíon , et c'est du fond de mon cceur que
(( j'exprime ici ce sentimcnt.


« Je défendrai done, je maintiendrai la liberté constítu-
" tionnelle, dont le vceu général, d'accord avee le mien, a
« eonsaeré les príncipes. Je ferai davantage ; et, de coneert
(( avec la reine qui partage tous mes sentiments , je pré-
« parcrai de bonne hcure l'esprit et le coeur de mon fils au
(( nouoel ordre de choses que les circonstances ont ameno,
« Je l'habituerai des ses premias ans t'l étre heureux du
« bonheur des Franqais , et a reconnaltre toujours, malgré
(( le langage des flatteurs , qu'une sage constitution le préser-
(( vera des dangers de l'inexpérience , et qu'une juste liberté
« ajoute un nouveau prix aux sentiments d'amour et de fidé-
« lité dont la nation , depuis tant de siecles , donne a ses
(( rois des preuves si touehantes.


« Te ne dois point le mettre en doute : en aehevant votre
" ouvrage, vous vous occuperez súrement avec sagesse et avec
"candeur de 1'affermissement du pouvoir exéeutíf, cetre
« eondition sans laquelle il ne saurait exister aueun ordre
"durable au dedans, ni aucune considération au dehors,
« Nulle défiance ne peut raisonnahlement vous rester : ainsi,
" il est de votre devoir, comme eitoyens et comme fideles
« représentants de la nation , d'assurer au hien de \'état et
« a la liberté publique cette stabilité qui ne peut dériver que
« d'une autorité active et tutélaire. Vous aurez súrernent pré-
(( sent al'esprit que, sans une telle autorité, toutesles parties
(( de votre systeme de constitutionj-esteraient a la fois sans
« lien et sans correspondance ; et, en vous occupant de la
" liberté, que vous aimez el que j'aime aussi , vous ne perdrez
" pas de vue que le désordre en administration , en amenant




ET PLECES JUSTIFICATIVES • 389
• la confusion des pouvoirs , dégénere souvent, par d'aveugles
" violences , dans la plus dangereuse et la plus, alarmante de
" loutes les tyrann ies,


o: Ainsi, non pas pour moi , messieurs , qui ne compte
« point ce qui m'est personuel pres des lois et des instltutions
« qui doivent régler le destin dans l'empire, mais pour le
(( honheur méme de notre patrie, pour sa prospérité, pour sa
(( puissance, je vous invite avous affranchir de toutes les im-
(( pressions du moment qui pourraient vous détourner de
« considércr dans son ensemble ce qu'exige un royaume tel
« que la France , el par sa vaste étendue, el par son immense
« population, et par ses relations inévitablcs au dehors,


« Vous ne négligerez non plus de fixer votre attention sur
« ce qu'exigent encare des législateurs les mreurs, le earactere
« et les habitudes d'une nation devenue 11'01' célebre en Eu-
(' rope par la nature de son esprit et de son génie, pour qu'il
« puisse paraitre indifférent d'entretenir ou d'altérer en elle
" les sentirnents de douceur, de confiance et de honté qui lui
« out valu tant de renommée.


« Donnez-Iui l'exemple aussi de cet esprit de justice qui
« sert de sauvegarde a la propriété, a ce droít respecté de
• toutes les nations, qui n'est pas l'ouvrage du hasard , qui
« ne dérive point des priviléges d'opinion, mais qui se líe
« étroiternent aux rapports les plus essentiels de I'ordre pu-
« blic et aux prernieres conditions de l'harmonie sociale.


« Par quelle fatalité, lorsque le calme comrnencait arenal-
« tre, de nouvelles inquietudes se sout-elles répandues dans
« les provinces! Par quelle fatalité s'y livre-t-on a de no u-
" veaux exces l Joignez-vous amoi pour lesarréter , el ernpé-
" chons de tous nos efforts que des violences eriminelles ne




NOTES


« viennent souiller ces jours oú le bonheur de la nation se
« prépare. Vous qui pouvez infIuer par tant de moyens sur
« la eonfiance publique, éclairez sur ses »éritabies intéréts
« le peuple qu'on tfgare, ce bon peuple qui m'est si cher ,
« et dont on m'assure queje suis aimé quand on »eut me
« consoler de mes peines. Ah J s'iI savait á quel point je suis
« malheureux ala nouvelle d'un altentat contre les fortunes,
« ou d'un acte de violence contre les personnes, peut-étre
« il m' épargnerait cette douloureuse amertume.


« Je ne puis vous entretenir des grands intéréts de I'état,
« sans vous presser de vous occnper, d'une maniere instante
« et définitive, de tout ce qui tient au rétablissement de
« I'ordre dans les finances , et ala trauquiUité de la multitude
« innombrable de citoyens qui sont unís par quelque lien a
« la fortune publique.


« Il est temps d'apaiser toutes les inquiétudes; il est temps
« de rendre a ce royaume la force de crédit alaquelle jJ a
« droit de prétendre, Vous ne pouvez pas tout entreprendre
« ala fois : aussi je vous invite aréserver pour d'autres temps
• une partie des biens dont la réunion de vos Iurnieres vous
« présente le tableau; maís quand vous aurez ajouté ace que
« vous avez déja Iait , un plan sage et raisonnable pour I'exer-
« cíce de la justice ; quand vous aurez assuré les hases d'un
« equilibre parfait entre les revenus et les dépenses de l'état;
• enfin , qnand vous aurez achevé l'ouvrage de la constitution,
« vous aurez acquis de grands droits ala reconnaissance publi-
« que; el, dans la continuation successive des assemblécs na-
« tionales, continuation fondée dorénavant sur cette consti-
« tution méme , il n'y aura plus qu'á ajouler d'année en année
« de nouveaux moyens de prospérité. Puisse cette journée,




ET PIf:CES ¡USTIFICATIYES. 391
" 011 votre monarque vient s'unir avous de la maniere la plus
• franche el la plus intime, étre une époque mémorable daos
« I'histoire de cet empire! Elle le sera, je l'espere , si mes
" vceux ardents, si mes instantes exhortations peuvent étre
" un signal de paix et de rapprochernent entre vous. Que
" ceua: gui s'éloigneraient encare d'un esprit de concorde
« devenu Ii nécessaire , me tassent le sacrifice de tous les
" souvenirs qui les alfligent; fe les paieraipar ma recon-
« naissance et 1110'1 aitection,


fe Ne proíessons tous , 11 compter de ce jour, De professoos
" tous, le vous en donne l'exemple , qu'une seule opínion ,
" qu'un seul intérét , qu'une seule volonté , I'attachement 11 la
« eonstitution nourelle , et le désir ardent de la paix, du hon-
'. heur el de la prospérité de la Francel "




NOTES


NOTE 16, PAGE 229.


Je ne puís míeux faire que de citer les mémoires de
M. Froment lui-mérne , pour donner une juste idée de l'é-
migration et des opinions qui la divisaient : dans un volume
intitulé Recueit de dicers écrits relatif« a la Revoitaion ;
M. Froment s'exprime corome il suit, pago 4 et suivantes :


« Jeme rendís secreternent aTurin (janvier 17.90) aupres
des princes francais , pour solliciter leur approbation el leur
appui. Dans un conseil, qui fut lenu a mon arrivée, je leur
démontrai que, s'ils noulaient arma les partisans de fau-
tel et da tráne , el faire marcher de pair les inléréts de la
religion apee ceuai de la royauté, il serait aisé de sauoer
l'un el l'autre, Quoique fortement attaché a la foi de mes
peres , ce n'étaít pas aux non-catholiques que je vou/ais faire
la guerre, mais aux ennemis déclarés du catholicisme et de la
royauté, aceux qui disaient hautement que depuis trop long-
temps on parlait de Jésus-Christ et des Bourbons, aceux qui
prétendaient étrangler le dernier des rois avec les boyaux du
dernier des prétres, Les non-catholiques restes fidéles a la
monarchie ont toujours trouvé en moi le citoyen le plus ten-
dre , les catholiques rebeltes le plus implacable ennemi.


" Mon plan tendait uniquement a lier un parti , et a lui
donner, autant qu'i1 serait en moi , de I'extension et de la
consistance. Le véritable argument des révolutionnaires étant
la force, je sentáis que la véritable repense était la force:




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 393
alors , comme a présent , j'étais convaincu de cene grande
vérité, qu'on ne peut étouffer une forte passion que par
une plus forte encare, et qlle le zé!e religieua: pouoait
seul étouffer le delire republicain, Les miracles que le ze\e
de la religion a opérés depuis lors dans la Vendée et en Espa-
gne, prouvent que les philosopheurs et les révolutionrraires
de tous les partís ne seraient jamais venus a bout d'établír
leur systeme antíreligieux et antisocial, pendant quelques
années, sur la majeure partie de I'Europe, si les ministres
de Louis XVI avaient com,;u un projet tel que le mien , ou si'
les conseillers des princes émigrés l' avaient sincerement adopté
et réellement soutenu.


• Mais malheureusement la plupart des peTsonnages qni
dirigeaient Louis XVI et les prinees de sa maison ne raí-
sounaient et n'agissaient que sur des príncipes philosophi-
ques, quoique les philosophes et leurs disciples fussent la
cause des agents de la révolulion. lis auraient eru se couvrir
de ridicule el de déshonneur, s'Ils avaient prononcé -le seul
mot de religion , s'Ils avaient employé les puissants moyens
qu'eile présente , et dont les plus grands politiques se sont
servis dan s tous les temps avee succes, Pendant que I'assem-
hlée nationale cherchait a égarer le peuple el a se l'attaeher
par la suppression des droits féodaux, de la dime, de la ga-
belle , etc., etc., ils voulaient le ramener a la soumission et it
l'obéissauce par I'exposé de l'incohérence des nouvelles lois ,
par le tableau des malheurs dn roi , par des écrits au-dessus
de son intelligence. Avec ces moyens ils croyaient faire re-
naitre dans le creur de tous les Francais un amomo Fur et
désintéressé pour leur souverain; i1s croyaient que les cla-
meurs des mécontents arréteraient les entreprises des factieux ,




394 NOTES
el permeLtraienl au roi de marcher droit au but qu'il vou-
lait atteindre, La valeur de mes conseils fut taxée vraisem-
blablemenl au poids de mon exislence, et I'opinion des grands
de la cour sur leurs titres el sur leur fortune.•


Monsieur Fromenl poursuit son récit, et caractérise ail-
leurs les partis qui divisaient la cour fugilive, de la maniere
suivante , page 33 :


« Ces titres honorables et les égards qu'on avait générale-
ment pour moi a Turin , m'auraient fait oublier le passé et
concevoir les plus flatteuses espérances POUl' l'avenir, si j'a-
vais aper«¡u de grands moyens aux conseillers des princes, et
UD parfait accord parmi les hommes les plus influents dans
nos affaires ; mais je voyais avec douleur l'émigration divisée
en deu» partis; dont l'un ne voulait tenter la contre-révolu-
tion que par le secours des puissances étrangéres , el l'au-
tre par les roya/istes de l'interieur.


« Le premier parti prétendait qu'en cédant quelques pro-
vinces aux puissances , elles fourniraient aux princes franeais
des armées assez nombreuses ponr réduire les factieux; qu'a-
vec le temps on reconquerrait aisément les coneessíons qu'on
aurait été forcé de faire ; el que la cour, en ne contractant d'o-
bJigation envers aueun des corps de l'état, pourrait dicter


.des Iois atous les Francais •...• Les eóurtisans tremblaíent
que la noblesse des provinces et les royalistes du tiers-état
n'eussent l'honneur de remettre sur son séant la monarchie
défaillante. lIs sentaient qu'ils ne seraient plus les dispensa-
teurs des graces et des faveurs , el que leur regne finirait
des que la noblesse des provinces aurait rétabli, au prix de
son sang, I'autorité royale, el mérité par la les bienfaits et la
eonfiance de son souverain. La crainte de ce nouvel ordre de




ET PI:ECES JUSTIFICATlVES.


choses les portait ase réunir, sinon pour détourner les prin-
ces d'employer en aucune maniere les royalistes de I'intérieur,
du moins pour fixer principalement leur altention sur les ca-
hinets de I'Europe , et les porter a fonder leurs plus grandes
espérances sur les secours étrangers. Par une snite de cetle
erainte , ils mettraient secrétement en reune les moyens les
plus efficaces pOOl' ruinel' les ressources intérieures, faire
échouer les plans proposés, entre lesquels plusieurs pou-
vaient amener le rétahlissement de I'ordre, s'ils eussent été
sagement dirigés et réellement soutenus, e'est ce dont j'ai été
moi-méme le témoin : e'est ce que je démontrerai un jour par
des faits et des témoignages authentiques ; mais ,le moment
n' est pas encore venu, Dans une conférence qui eut lieu apeu
pres ~ celte époque , au sujet du partí qu'on pouvait tirer des
dispositions favorables des Lyonnais et des Francs-Comtois,
j'exposai sans détour les moyens qu'on devait employer, en
méme temps, pour assurer le triomphe des royalistes du Gé-
vaudan , des Cévennes, du Vivarais , du Comtat-Venaissin, du
Languedoc et de la Provence, Pendant la chaleur de la dis-
cussion , M. le marquis d' Autichamp, maréchal-de-camp ,
grand partisan des puissances, me dit: « Mais les opprimés
« et les parents des victimes ne chercheront-ils pas a se ven-
«ger? ... Eh, qu'importe? lui dis-je , pourvu que nous ar-
«rivions a notre but. - Voyez-vous , s'écria-t-il , comme je
{( lui ai fait avouer qu'on exercerait des vengeances particu-
{( lieres ! » Plus qu'étonné de cette observation , je dis aM. le
marquis de La Houziere , mon voisin : • Je ne croyais pas
n qu'une guerre civile dút ressembler a une mission de capu-
«cins!» C'est ainsi qu'en inspirant aux princes la crainte de
se rendre odieux aleurs plus eruels ennernis , les courtisans




:196 NO'l'ÉS
les portaient an'ernployer que des demi-mesures, suffisantes
sans doute pour provoquer le zéle des royalistes de l'inté-
rieur, mais tres-insuffisantes pour, apres les avoir compromis ,
les garantir de la íureur des factieux. Depuis lors iI m'est re-
venu que, pendant le séjour de l'armée des princes en Cham-
pagne, M. de La Porte, aide-dc-camp du marquis d'Auti-
champ, ayant fait prisonnier un républieain, crut , d'aprés le
systerne de son général, qu'il le ramenerait ason devoir par
une exhortation pathétique , el en lui rendant ses armes et 'la
liberté; rnais a peine le républicain eut fait quelques: pas,
qu'il étendit par terre son vainqueur, ]H. le marquis d'Auti-
champ, oubliant alors la modération qu'il avait manifestée a
Turin, incendia plusieurs villages, poul' venger la mort de
son missionnaire imprudent.


«Le second partí soutenait que, puisque les puissances
avaient pris plusieurs fois les armes pOUl' humilier les Bour-
bons , et surtout pour ernpécher Louis XIV d'assurer la cou-
ronne d'Espague a son petit-fils , bien loin de les rappeler it
notre aide, il fallait au contraire ranimer le zele du cIergé,
le dévouement de la noblesse , l'amour du peuple pour le
mi, et se hdter d'etouffcr une querelle dc familte, dont les
étrangers seraient peut-étre teutés de profiter..... C'est a
cette funeste division parmi les ehefs de I'émigration , et a
l'impérilie ou a la perfidie des ministres de Louis XVI, que
les révolutionnaires doivent leurs premiers succes, le vais plus
Ioin , et je soutiens que ce n'est point l'assemhlée nationale
qui a fait la révolution , mais bien les eutours du mi et des
princes; je soutiens que les ministres out livré Louis XVI aux
ennemis de la royauté , comme eertains faiseurs ont livré les
prinees el Louis XVIII aux ennemis de la France ; je soutiens




ET PI:ECES JUSTJFIC.~TIVES. 397
que la plupart des courtísans qui entouraient les rois
Louis XVI, Louis XVIII et les princes de leurs maisons ,
étaient el sont des charlatans , de »rais cunllfJlles. politi-
'fues, que c'est aIeur inertie, aleur lácheté ou aleur trahi-
son que I'on doit imputer tous les maux que la Franee a souf-
ferts, el eeux qui menaeent encere le monde entier. Si je
portaís un grand nom et qne j'eusse été du conseil des Bour-
bons , je ne survivrais pas a l'idée qu'une horde de vils et de
láches brigands, dont pas un n'a montré dans aucun genre ni
génie, ni talent supérieur, soit parvenue ¡, renverser le tróne ,
a établir sa dominarían dans les plus puissants états de I'En-
rope, a faire trembler l'univers; et lorsque cette idée me
poursuit, je m'ensevelis dans I'obscurité de mon existcnce ,
pour me mettre a l'abri du bláme , eomme elle m'a mis dans
I'impuissanee d'arréter les progres de la révolution. »




398 NOTES


.............................._.......,,---"""'---_....__..._..-.- ...........--


NOTE 17, PAGE 267.


J'ai déja cité quelques passages des mémoires de Ferrieres ,
relativement a la premiere séance des étals-généraux. Comme
rien n'est plus important que de constater les vrais sen ti-
ments que la révolution excitait dans les creurs, je erais de-
voir donner la description de la fédération par ce mérne Fer-
rieres. On y verra si l'enthousiasme était vrai , s'iI était
communicatif, et si cette révolution était aussi hideuse qu'on
a voulu la faire,


« Cependant les fédérés arrivaient de toutes les parties de
l'empire. On les logeait chez des particuliers , qui s'empres-
saient de fournir lits, draps , bois , et tout ce qui pouvait
contribuer a rendre le séjour de la capitale agréable et com-
mode, La munieipalité prit des mesures pour qu'une si
grande affiuence d'étrangers ne troublát pas la tranquillité
publique. Douze mille ouvríers travaillaient sans reláehe a
préparer le Champ-dc-Mars. Quelque activité que ron mil a
ce travail, il avancait lentement, On craignait qu'i1 ne pút
étre aehevé le 14 juillet,jourirrévoeablement fixé pour la cé-
rémonie, parce que c'était l'époque fameuse de l'insurrection
de París et de la prise de la Bastille. Daos cet embarras , les
districts inviteut , au nom de la patrie, les haos citoyens a se
joindre aux ouvriers. Cetl~ invitation civique électrise toutes
les tetes; les femmes partagent I'enthousiasme ct le prapagent;
on voit des sérninaristes , des écoliers , des sreurs du pot , des




ET PIECES JUSTIFICATIVES. 399
chartreux vieillis dans la solitude , quiUer Ieurs cloitres et
.courir au Champ-de-Mars , une pelle sur le dos, portant des
bannieres ornées d'emblemes patriotiques. La, tous les ci-


"'toyens, mélés , confondus , formcnt un atelier immense et
mobile dont chaque point présente un groupe varié: la cour-
tisane échevelée se Irouve a colé de la citoyenne pudibonde,
le capucin traine le baquet avee le chevalier de Saint.~ouis,
le porte-faix avec le petit-maltre du Palais-Royal, la robuste
harengere pousse la hrouette remplie par la femme élégante et
avapeurs; le peuple aisé, le peu pie indigent, le peuple vétu ,
le peuple en haillons, vieillards , enfants, comédíens, cent-
suisses, commis, travaillant et reposant, acteurs et specta-
teurs , offrent a I'ceil étonné une scene pleine de vie et de
mouvement; des tavernes ambulantes, des boutiques porta-
tives , augmentent le charme et la gaité de ce vaste et ravis-
sant tableau; les chants , les cris de joie , le hruit des tam-
bours, des instruments militaires , celui des heches , des
brouettes, les voix des travailleurs qui s'appellent , qui s'en-
couragent..•.. L'áme se sentait affaissée sous le poids d'une
délicieuse ivresse a la vue de tout un peuple redescendu aux
doux sentiments d'une fraternité primitive. Neuf heures son-
nées , les groupes se démélent. Chaque citoyen regagne I'en-
droit oü s'est placée sa section , se rejoint asa famille, ases
connaissances. Les bandes se mettent en marche au son des
tambours, reviennent a París, précédées de flambeaux, la-
chant de teUlps en temps des sarcasmes centre les aristocratcs ,
et chantant le fameux air 9a ira.


« Enfin le 14 juillet , jour de la fédération, arrive parmi
les espér.anccs des uns , les alarmes et les terreurs des autres.
Si cette grande cérémonie n'eut pas le, caractére sérieux et




400 NOTES


auguste d'une féte á-la-fois nationale et religieuse, caractere
presf(ue inconciliable avec l'esprit francais , elle offrit cette
douce el vive image de la joie et de l'enthousiasme mille fois
plus touchante. Les fédérés, rangés par' départements SOtlS
quatre-vingt-trois bannieres , partirent de I'emplacement de
la Bastille; les députés des troupes de ligoe, des troupes de
mer, I~ garde na tionale parisienne , des tambours , des chceurs
de musique , les drapeaux des sections , ouvraient et fer-
maient la marche,


"Les fédérés traverserent les rues Saint-Martin , Saint-
Denis, Saint-Honoré, et se rendírent pat' le Cours-la-Heine
aun pont de bateaux coustruit sur la riviére, lis re\iurent a
leur passage les acclamations d'un peuple immense répandu
dans les mes, aux fenétres des maisons, sur les quais. La
pluie qui tombait a flots ne dérangea ni ne ralenrit la mar-
che. Les fédérés , dégouttant d'eau et de sueur , dansaient des
farandoles, criaient : VivenL nos freres les Parisiens ! 00
leur descendait pat' les fenétres du vin, des jambons, des
fruits , des cervelas ; on les comblait de bénédictions. L'as-
semblée nationale joignit le cortége a la place Louis XV, et
marcha entre le bataillon des vétérans et celui des jeunes
éléves de la patrie; image expressive qui semblait reunir a
elle seule tous les áges et tous les intéréts.


« Le chemin qui conduit au Champ-de-Mars était couvert de
peuple qui battait des maios, qui chantait : {7a ira. Le quai
de Chail\ot et les hauteurs de Passy présentaient un long
amphithéátre , oú I'élégance de l'ajustement , les charrnes , les
graces des femmes, enchautaient l'ceil , el ne luí laissaient
pas méme la faculté d'asseoir une préférence, La pluie contí-
nuait de tomher; personn" ne paraissait s'en apercevoir : la




4$


llT PIECES JUSTIFICATlVES. 401


gaité franeaise triomphait el du mauvais lemps, el des mau-
vais ehemins, el de la longueur de la marche.


« M. de Lafayette, montant un superhe cheval et entouré
de ses aides-de-camp , dounait des ordres el recevait les
hommages du peuple el des fédérés. La sueur lui coulait sur
le visage. Un hom me que personne ue connait, perce la foule,
s'avance, tenant une houteille d'une main , un verre de l'au-
tre : Mon général ,vous al'ez chaud, buvez un coup. Cet
homme leve sa houteille, emplit un grand verre , le présente
a M. de Lafayelte. M. de Lafayetle recoit le verre , regarde
un mornent l'inconnu , avale le vin d'un seul trait, Le peuple
applaudit. Lafayette promene un sourire de complaisance el
un regard hénévole el coufiant sur la rnultitude ; et ce regard
semble dire : «Je ne concevrai jama,js aucun soup<¡on, je
n'aurai jamais aueune inquiétude, tant que je serai <tu mí-
lieu de vous.»


«Cependant plus de trois cent mille hommes et femmes de
París el des environs , rassemblés des les six hcures du rnatin
au Champ-de-Mars , assis sur des gradins de gazon qui for-
maieut un cirque immense, mouillés, croués , s'armant de
parasols contre les torrents d'eau qui les inondaient , s'es-
suyant le visage, au moindre rayon du soleil, rajustant leurs
coiffures, attendaientceu rjant et en causant les fédérés de
l'assemblée nationale, On avait élevé un vaste amphithéátre
pour le roi, la famille royale, les ambassadeurs et les dépu-
tés. Les fédérés les prerniers arrivés commencent a dan ser
des farandoles; ceux qui suivent se joignent aeux , en for-
manl une ronde qui ernbrasse hientót une partie du Champ-
de-Marso C'était un spectacle digue de l'observateur philoso-
phe, que cette foule d'hommes , venus des parties les plus


L . 26




NOTES


opposées de la France , entrainés par I'impulsion du caractére
national, bannissant tout souvenir du passé , toute idée du
présent, toute crainle de l'avenir , se livrant a une délicieuse
insouciance, et trois eent mille spectateurs de tout age, de
tout sexe , suivant leurs mouvements, battant la mesure avee
les mains, oubliant la pluie, la faimet I'ennui d'uhe longue
aUente. Enfin tout le eorlégeétant entré au Champ-de-Mars, la
danse cesse; chaqué fédéré va rejoindre sa banniere. L'évéque
d'Autnn se prépare a célébrer la messe a un autel a I'antique
dressé au milieu du Champ-de-Mara.T'roís eents prétres vétus
d'aubes blanches, coupées de larges ceintures tricolores, se
rangent aux quatre eoins de l'autel. L'évéqued'Autun bénit
I'oriflamme et les quatre-vingt-trois bannieres : iI entonne le
Te Deum, Douze cents musiciens exéeutent ce eantique,
Lafaycue, a la tele de l'état-major de la milice parisienne el.
des députés des armées de terre el. de mer , monte a I'aulel,
et jure, au nom des troupes et des fédérés, d'étre fidele ala
nation , ala loi , au roi, Une décharge de quatre pieces de ca-
non annonee a la Francece serment solennel, Les douze cents
musiciens font retentir l'air de chants rnilitaires ; les dra-
peaux, les hanmeres s'agitent; les sabres tirés étincellent. Le
président de l'assemblée nationale répete le méme serment.
Le peuple et les députés y réponde~'par des cris de je fe
jure. Alors le roí se leve, et prononee d'une voix forte : .l'doi,
roi des Francais l fe jure d'employer le pouvoir que m'a
delegué i'acte constüutionnel de l'état , ti maintenir la
eonstitution decrétee par i'assemblée nationale el acceptee
par moi. La reine prend le dauphin dans ses bras , le pré-
sente au peuple, et dit : roila mon fi/s; il se reunit , ainsi
'lile moi , dans ces mémes sentiments, Ce mouvement inat-




El' PIJ.;CRS JUSTIF1CATlVI,S. 403
tendu futpayé pal' milie cris de Vjve le roi, Vive la reine,
Vive M. le Dauphin ! Les canons continuaient de méler leurs
sons majestueux. aux sons guerriers des instruments mi li-
taires et aux aeclamatjous du peuple; le temps s'était éclairci :
le soleil se montrait dans tout son éclat ; il semblait que l'Éter.
nel mérne voulút étre témoin de ce mutuel engagement, et le
ratifier par sa présence.... Oui , il le vit, il l'entendit; el les
maux affreux qui depuis ce jour n'onl cessé de désolqr la
France, (, Providence toujours active el toujours fidele I sont
le juste chátiment d'un parjure, Tu as frappé et le monarque
et les sujels qui ont violé leur serment!


« L'enthousiasme el les fétes nc se bornérent pas au jour
de la fédération. Ce fut , peudant le séjour d'es fédérés aParis ,
une suite continuelle de repas, de danses el de joie. 011 alla
encare au Champ-de-Mars; on y but, on y chanta, on y dansa,
M. de Lafayette passa en revue une partie de la garde natío-
nale des départements et de l'armée de ligne. Le roí , la reine
el M. le dauphin se trouverent a cette revue. lis y furf,P"
accueillis avec acclamations. La reine donna, d'unair gracieux,
sa main a haiser aux fédérés ,leur montra M. le dauphin, Les
fédérés, avant de quitter la capitale, allerent rendre leurs
hommages au roí; tous Iui térnoignerent le plus profond res-
pect, le plus entier dévouement. Le chef des Bretons mit un
genou en terre , et présentant san épée 11 Louis ~VI : • Sire ,
je vous remets, pure et sacrée, l' épée des fidéles Bretons :
elle ne se teindra que du sang de vos ennemis••-.Cette épée
ne peut étre en de meiUeures mains quÍl<' dans les mains de
mes chers Bretons, répondit Louis XVI en relevant le chef
des Bretons et en luí rendant son épée; je n'ai jamais douté
de leur tendresse et de leur fidélité : assurez-les que je suis 1..


:),6.




404 NOTES
pere , le frere , I'ami de tous les Franeais, » Le roi , vivement
ému, serre la main du chef des Bretons et I'embrasse. Un
attendrissement mutuel prolon¡;e quelques instants cette scene
touchante, Le chef des Bretons reprend le premier la parole :
« Sire, tous les Francais , si j'en juge par nos ceeurs , vous
chérissent et vous chériront, parce que vous étes un roi ei-
toyen.•


«La municipalité de Paris voulut aussi donner une fete
, aux fédérés. 11 y eut JOUle sur la riviére , feu d'artifice , illu-
mination, bal et rafraichissement a la halle au hlé, bal sur
I'emplacement de la Bastílle, On lisait a I'entrée de I'euceinte
ces mots en gms caracteres: Ici l'on danse ; rapprochement
heureux qui contrastait. d'une maniere frappante avec I'an-
tique image d'horreur et de désespoir que retracait le sou-
venir de ceUe odieuse prison. Le peuple allait et venait dc
I'un aI'autre endroit, sans trouble, sans embarras. La police,
en défendant la circulation des voitures , avait prévenu les
aecidents si communs dans les fétes , et anéanti le bruit tu-
multueux des chevaux , des 'roues , des cris de Gare; hruit
qui faligue , étourdit les citoyens , leur laisse a chaque insrant
la crainte d'étre écrasés., et donne a la fére la plus brillante
et la mieux ordonnée I'apparence rl'une fuite. Les fétes pu-
bliques sont essentiellemenl pour le peuple. C'est lui scul
qu'on doit 1;I1visager. Si. les riches veulent en partager les
plaisirs , qu'ils~ se fassent peuple ce jour -la; ils y ga¡;neront
des sensations inconnues , et De troubleront pas la joie de
leurs concitoyens.


« Ce fut aux Champs - Élysées que les hommes sensibles
jouirenl avec plus de satisfaction de cette charmanle féte po-
pulaire. Des corrlous de lumieres pendaient a tous les arhres,




ET PIIlCES JUSTIFICATIVES. 405
des guirlanc:les de lampions les enlaeaíent les uns aux autres;
des pyramides de feu, placées de distance en distance , répan-
daient un jour pUl' que I'énorrne masse des ténebres environ-
nantes rendait encoré plus éclatanl par son contraste. Le
peuple remplissait les allées et les gazons. Le bourgeois, assis
avec sa femme au milieu de ses enfants , mangeait, causait ,
se promenait, et sentait doucemenl son existence. Ici , des
jeunes filies el des jeunes gar\ions dansaient au son de
pluaieurs orchestres disposés dans les clairieres qu'on avait
ménagées. Plus loin, quelques mariniers en gilet et en caleeon,
entourés de groupes nomhreux qui les regardaient avec inté-
rét , s'efforeaient de grimper le long de grands máts frottés de
savon, el de gagner un' prix réservé a celui qui parviendrait
aenlever un drapeau tricolore attaché aleur sommet.ll fal-
lait voir les rires prodigués aeenx qui se voyaieot contraints
d'abandonner l'entreprise , les encouragemenls donnés aceux
qui plus heureux ou plus adroits , paraissaient devoir attein-
dre le hut.,..·Une joie douce , sentimentale, répandue sur
tous les visages, brillant dans tOU5 les yeux, retracait les
paisibles juuissances des ombres heureuses dans les Champa
Élysées desanciens. Les robes hlanches dune multitude de
femmes, errant sous les arbres de ces belles allées , augmen-
taicnt encare I'illusion.•


( Ferriéres , tome 2 ,p. 89. )




NOTES


NOTE 18, PAGE 274.


M. de TalJeyrand avait prédit d'une maniere tres-remar-
quable les résultats financiers du papier-monnaie. Dans son
discours il montre d'abord la nature de cette' monnaie , la
earactérise avec la plus grande justesse , et démontre les rai-
sons de sa prochaine infériorité,


« L'assemblée nationale, dit-Il, ordonnera-t-elle une émis-
sion de deux milliards d'assignata- monnaie? On préj nge de
eette seconde émission par le succés de la premiere , mais 01'1
ne vent pas voir que les besoins du commerce , ralenti par la
révolutión , ont du faire accueillir avec avidité notre premier
numéraire conventionnel ; et ces besoins étaienttels , que dans
rnon opinion, i1 eút éle adopté ce nurnéraire méme quand il
n'eüt 'pas éle forcé: faire militer ce premier succes , quiméme
n'a JXls .lté complet , puisque les assignals perdent , en fave"ut
d'une seconde el plus ample émíssion , c'ests'exposer a de
grands dangers; cal' I'empire de la loi 11 sil mesure, el cette
mesure c'i!st l'ibtéret que les hommes ont ala respecter ou
a l'enfreindre,


• Sans doute les assiguats auront des caracteres de süreté
que n'a jarnais eus aucun papier-monnaie ; nul n'aura été créé
sur un gage aussi précieux , rcvétu d'une hypotbeque aussi
solide: je suis loin de le nier. L'assignat consideré comme
titre de eréance, a une valeur positive et matérielIe; cette




Jél' PI.EC.ES JU5TIFICATIV xs.


valeur de I'assignat est préeisémenl la méme que celle du
domaine qu'il représente ; mais eependant il faut convenir
avant lout, que jamais aucun papier national ne marehera de
pair avec les métaux ; jamais le signe supplémenlaire du pre-
miel' signe représentatif de la richesse, n'aura la valeur exacte
de son modele: le titre méme constate le bcsoin, et le besoin
porte crainte el défiance autour de lui .


• Pourquoi l'assignat-mounaie sera-t-i! toujours au-dessous
de l'argent? C'est d'abord paree qu'on doutera toujours de
I'applieation exaete de ses rapports entre la masse des assi-
gnals et ceHe des biens nationaux; c'est qu'on sera long-temps
ineertain sur la eonsommation des ventes; c'est qu'on ne
concoit pas aqu elle époque deux milliards d'assignals. repré-
sentant a pen prés la valeur des domaines, se trouveront
éteinls; c'est paree que, l'argent étant mis en concurrence
avec le papier, l'un et l'autre deviennent marehandise; et plus
une marehandise est ahondante, plus elle doit perdre de son
prix; c'est qu'avee de l'argeut un pourra toujours se passer
d'assignats, taudis qu'il es! impossihle avec des assignats de
se passel' dJargenl; et heureusement le besoin absolu d'argen!
conservera dans la circulat ion quelque espece , cal' le plus
gl'and de tous les manx serait d'en étre absolument privé. ,


Plus loin l'orateur ajoute :
• Créer un assignat-monnaie, ce n 'est pas assurément repre-


senter un métal-marchandise , c'est uniquement représenter
un métal-monnaie : 01' un métal simplement monnaie oe peut,
quelque idée qu'on y attache , représenter celui qui est en
méme temps monnaie el marchandise.L'assignat-monnaif',
quelque sur, quelque solide qu'il puisse étre , est done une
abstraction de la monnaie rnétallique ; il n'est done que I~




408 NOTllS
signe libreou foreé , non pas de la richesse, mais simplement
du crédito JI suit de la que donner au papier les fonctions de
monnaie , en le rendant, comme l'autre monnaie, intermé-
diaire entre tous les objets d'échange, c'est ehanger la quantité
reeonnue pour unité , autrement appe1ée dans cette matiere
f halan de la monnaie ; c'est opérer en un moment ce que
les siecles operent apeine dans un état qui s'enrichit ; et si,
ponr ernprunter l'expression d'un savant étranger, la monnaie
fait a l'égard du prix des cboses la rnéme fonction que les de-
grés, minutes et secondes a )'égard des angles , ou les échelJes
a l'égard des cartes géágraphiques ou plans quelconques, je
demande ce qui doit résulter de cette altération dans la me-
surc commune. »


APl'eS avoir montré ce qu'éiait la monnaie nouvelle, M. de
Talleyrand prédit avec une singuliere préeisíon la confusion
qui en résulterait dans les transactions privées :


" Mais enfin ~uivons les assignats dan s leur marche, et
voyons quelJe mute ils auront aparcourir. Il faudra done que
le créancier remhoursé achete des domaines avec des assi-
gnats, ou qu'il les garde, ou qu'il Ies emploie a d'autres ac-
quisiti ms. S'il achete des domaines, alors votre but sera
rempli :je m'applaudirai avee vous de la eréation des aesignats,
paree qu'ils ne seront pas disséminés dans la eirculation,
paree qu'enfin ils n'auront fait qué ce que je vous propose
de donner aux eréanees publiques, la faculté d'étre échangées
contre les domaines publics. Maís si ce créaneier défiant pré-
fere de perdre des intéréts en conservant un titre inaetif; mais
s'il eonvertit des assignats en métaux pour les enfouir, ou en
effets sur l'étranger pOUI' les transporter ; mais si ces dernieres
classes sont beaucoup plus nombreuses que la premiere ; si,




ET PIECES JU8TIFICATIVES. 4°9


r


en un mot , les assigoats s'arrétent long-temps daos la circu-
latioo avant de venir s'anéantir daos la caisse de l'extraordi-
naire; s'Ils parviennent [orcément et séjournent daos les mains
d'hommes oblígés de les recevoir au pair, et qui, ne devant
rieo, ne pourront s'en servir qu'avee perte; s'ils sont I'oeea-
sion d'une grande injustice eommise par tous les déhiteurs
vis-a-vis les créanciers antérieurs, a recevoir les assignats au
pair de l'argent , taodis qu'elle sera démentie dans I'effet
qu'elle ordonne, puisqu'il sera impossihle d'obliger les ven-
deurs a les prendre au pair des especes , c'est-á-dire sans
augmenter le prix de leurs marchandises en raison de la perte
des assignats j alors eombien cette opération ingénieuse aurait-
elle trompé le patriotismede ceux dont la sagacité I'a présentée,
et dont la bonne foi la défend; et a quels regrets incousola-
bies ne serions-nous-pas condamnés !»


On ne peut done pas dire que I'assemblée constituante ait
complétement ignoré le résultat possible de sa détermina-
tion; mais a ces prévisious on pouvait opposer une de ces
réponses qu'ou n'ose jamais faire sur le moment , mais qui
seraient péremptoires, et qui le deviennent dans la suite:
cette réponse étaít la nécessité; la nécessité de pourvoir aux
finances, et de diviscr les propríétés,




410 NOTES


NOTE 19, PAGE 281.


11 n'est pas possihle que sur un ouvrage composé collecti-
vement, et par un grand nombre d'hommes, il n'y ait diver-
sité d'avis. L'unanimité n'ayant jamais lieu , excepté sur
certains points tres- rares , il faut que chaque partie soit
improuvée par ceux qui ont voté centre. Ainsi chaque article
de la constitution de 91 devait trouver des improbateurs
dans les auteurs méme de eette constitution ; mais néanmoins
l'ensemble était leur ouvrage réel et incontestable. Ce qui ar-
rivait ici était inévitable dans tout corps délibérant, et le
moyen de Mirabeau n'était qu'une supercherie. On peut
méme dire qu'il yavait peu de délicatesse dans son procédé;
mais il faut heaucoup excuser chez un étre puissant, désor-
donné, que la moralité dn but rend tres-facile sur celle des
moyens; je dis muralité du but , cal' Mil'abeau croyait since-
rement a la nécessité d'une constitution modifiée; et bien
que son ambition, ses petites rivalités personnelles contri-
buassent al'éloiguer du parti populaire , il était sincere dans
sa crainte de I'anarchie. D'autres que lui redoutaient la COUI'
et l'aristocratie plus que le peuple. Ainsi partout il y avait
selon les positions des craintes différentes , et partout vraies.
La conviction change avec les poinls de vue , et la moralité,
c'est-á-dire la sincérité , se trouve également dans les cotes
les plus opposés,




ET 1'1iCllS JUSTIFICATIVES.


NOTE 20, PAGE 286.


Ferriéres , témoin oeulaire des intrigues de cette époque,
rapporte lui-méme celles qui furant employées pour ernpécher
le serniént des prétres, Cette page me semble trop caractéris-
tique pour n'étre pas citée:


« Les évéques et les révolutionnaíres s'agiterent et intri-
guerent, les uns pour faire préter le serment , les autres pour
empécher qu'on ne le prétát, Les deux partis sentaient l'in-
fluence qu'aurait dans les provinces la conduite que tien-
draient les eeelésiastiques de l'assemblée, Les évéques se
rapprocherent de leurs curés; les dévots et les dévotes se
mirent en mouvement. Toutes les conversations ne roulerent
plus que sur le serment du elergé, Ou eút dit que le destin
de la Franee et le sort de tous les Francais dépendaient
de sa prestation ou de sa non-prestation. Les hommes les
plus libres dans leurs opinions religieuses, les femrnes les
plus déeriées par leurs moeurs , devinrent tout-á-eoup de sé-
"eres tbéologiens, d'ardents missionnaires de la pureté et de
l'intégl'Íté de la foi romaine.


• Le Journal de Fontenay , l' A mi du mi> la Gazette de
Durosoir, ernployerent leurs armes ordinaires, I'exagération,
le mensonge, la calomnie, On répandit une foule d'écrits
dans lesquels la eonstitution civile du c1ergé était traitée de
schismatique, d'hérétique, de destructiva de la religion. Les
dévotes colporterent des écrits de maison en maison ; elles




NOTES


priaient, conjuraient, menaeaient , selon les penchanls et les
caracteres. On montrait aux uns le c1ergé triomphant, I'IIS-
scmblée dissoute, les ecclésiastiques prévaricateurs dépouillés
de leurs bénéfices, enfermés dans leurs maisons de corree-
tions ; les ecclésiastiques fideles couverts de gloire, comblés
de richesses. Le pape allait lancer ses foudres sur uue as-
semblée sacrilége et sur des prétres apostats. Les peuples
dépourvus de sacrements se souleveraient , les puissances
étrangeres entreraient en France , el cet édifice d'iniquité
el de scélératesse s'écroulerait sur ses propres fondements. »


( Ferriéres , tome 2, page 198. )




ET PIECES JUSTIPICATIVES.


NOTE 21, PAGE 291.


413


()


M. Fromont rapporle le Iait suivant dans son écril déja
cité:


« Dans ces circonstances , les princes projetaient de former
dan s I'inlérieur du royaume, aussitót qu'ils le pourraient ,
des Iégions de tous les fideles sujets du roi, pour s'en servil'
jusqu'au moment on les troures de ligne seraient entíerement
réorganisées. Désireux d' étre a la tete des royalistes q ue
j'avais dirigés et commandés en 1789 et 1790, j'écrivis a
Monsieur , comte d' Artois , pour supplier son altesse royale
de m'aceorder un brevet de colonel-commandant, cone;;u de
maniere que tout royalisle qui, comme moi, réunirait sous
ses ordres un nombre suffisant de vrais citoyens pour for-
mer une légion; pul se flatter d'obtenir la mérne faveur,


Monsieur , eomte d' Artois , applaudit a mon idée, et ac-
cueiUit favorablemeot ma demande; mais les membres du
conseil ne furent pas de son avis: i1s trouvaient si étrange
qu'un hourgeois prétendit a un brevet militaire, que l'un
d'eux me dit avec humeur: Pourquoi ne dcmandez-uous
pas un eveché ? Je ne répondis a l'observateur que par des
éclats de rire qui dóconcerterent un peu sa gravité. Ce-
pendant la question fut débattue de nouveau chez M. de
Flaschlanden; les délibérants furent d'avis de qualifier ces
uouveaux eorps de lég¿ons bourgeoises. Je leur observai :
• Que sous cette déoomination ils recréeraient simplement les




NOTES


"gardes nationales; que les princes ne pourraient les faire
« rnarcher partout oú besoin serait , parce qu'elles préten-
« draient n'étre tenues de défendre que leurs propres foyers ;
« qu'il était a craindre que les factieux ne parvinssent a les
« mettre aux prises avec les troupes de Iigne; qu'avee de
« v,~ mots ils avaient armé le peuple centre les dépositaires
" da'autorité publique; qu'il serait done plus. politique de
" suivre leur exemple, et de donner 11 ces nouveaux corps la
a dénomination de mitices royales; que .•. »


«M. I'évéque d'Arras m'interrompant brusquement, me
dit : « Non, non, Monsieur, iI faut qu'il y ait du oourgcois
« dans votre brevet ; » el le bamn de Flachslanden , quí le
rédigea, y mit du bourgeois. »
(Recueil de divers écriss relatifs a la révolution , pClg. ,62, )




u<$--.....---......------------~---".


Kl' prECES lUS'I'IFICATIVES,


NOTE 22, PAGE 321.


Voici des détails sur le retour de Varennes , que madame
Campan tenait de la bouche de la reine méme :


" Des le jour de mon arrivée , la reine me lit entrer dan"
son cabinet, pour me dire qu'elle aurait grand besoin de moi
pom' des relations qu'elle avait étahlies avec MM, Barnave ,
Duport et Alexandre Lameth.Elle m'appril que M. J" ••
était son intermédiaire avec ces débris du parti constitution-
nel, qui avaient de bonnes intentions malheureusement trop
tardives; el me dit que Barnave était un homme digne d'Ins-
pirer de l'estime. Je rus étonnée d'entendre prononcer ce
nom de Barnave avec tant de bienveillance. Quand j'avais
quitté París, un grand nombre de personnes n'en parlaient
qu'avec horreur. J.e lui lis ceue remarque; elle ne s'en
étonna poínt , mais elle me dit qu'il était hien changé; que
ce jeune homme, plein d'esprit et de sentiments nobles, était
de cette classe distinguée par l' éducation , et seulement égarée
par I'ambition que fait naitre un mérite réel. "Un sentiment
« d'orgueil que je ne saurais trap blámer dans un jeune
« homme du tiers-état , disait la reine en parlant de Barnave ,
« lui a fait applaudir a tout ce qui aplanissait la route des
« honneurs et de la gloire pour la c1asse dans laquelle il est
« né : si jamais la puissance revient dans nos mains, le par-
o don de Barnave es! d' avance écrit dans nos ceeurs. » La
reine ajoutait qu'il n'en était pas de rnéme a I'égard des \10-




NOTES


bies qui s'étaient jetés dans le parti de la révolution , eux qui
obtenaient toutes les faveurs , et souvenl au détrirnent des
gens d'un ordre inférieur , parmi lesquels se lrouvaient les
plus grands talents; enfin que les nobles, ués pour étre le
rempart de la mouarchie, étaient trop coupables d'avoir
trahi sa cause pour eu mériter leur pardon. La reine m'é-
tonnait de plus en plus par la chaleur avec laquelle elle jus-
tifiait I'opinion favorable qu'clle avait con<¡ue de Barnave,
Alors elle me dit que sa conduite en route avait été parfaite ,
tandis que la rudesse républicaine de Pétion avait été outra-
geante; qu'il mangeait, buvait dans la berline du roi avec
malpropreté , jetant les os JI' volaille par la portiere , au ris-
que de les envoyel- j.usque sur le visage du roi; haussant son
vene, sans dire un mot , quand madame Élisahelh lni versait
du vin, pour indiquer qu'il en avait assez; que ce ton of-
fensant était calculé, puisque cet homme avait re<¡u de I'é-
ducation ; que Barnave en avait été révolté. Pressé par la
reine de prendre quelque chose : « Madame, répondit
Barnave, les députés de I'assemhlée nationale, dans une cir--
constance aussi solennelle, ne doivent occuper Vos Majcstés
que de lenr missiou , el nullement JI' lcurs besoins.» Enfin
ses respectueux égards, ses attentions délicates et toutes ses
paroles avaient gagné non-seulement sa bienveillancc, mais
celle de madame Élisabeth.


« Le roi avait commencé aparler a Pétion sur la situation
de la France et SUl- les motifs de sa conduite, qui étaient
fondés sur la nécessité de donner au pouvoir exécutif une
force nécessaire a son action pour le bien méme de I'acte
constitutionnel, puisque la Frunce ne pouvait étre républi-
que.... « Pas encore, a la vérité , lui répondit Pétiou , paree




e •


ET PIECES JUSTIFICATIVES.


u que les Francais ne sont pas assez mürs pOut· cela ... Cette
audacicusc et cruelle réponse imposa silence au roi , qui le
garda jusqu'u son arrivéc aParis, Pétion tenait dans ses ge-
noux le petit dauphin ; il se plaisait it rouler dans ses doigls
les beaux cheveux hlonds de l'intéressant enfant; et , par-
Iant avec action , i] tirait ses boucles assez fort pour le faire
crier.... «Donnez-moi 111011 íils , lui dit la reine; il est aeeou-
« turné 1\ des soins, a des égards qui le disposenl peu atant
" de familiarités ...


« Le chevalier de Dampierre avait été tué pres de la voi-
ture du roí, en sorlant de Varennes, Un pauvre curé de vil-
lage, a quelques lieues de I'endroit oú ce erime venait d'étre
eornmis, eut l'imprudeuce de s'approcher pour parler au roi ;
les can ni hales qui environnaíent la voiture se jettent sur
lui. "Tigres, leur eria Barnave, avez-vous cessé d'étre Fran-
« 4?ais? Nation de braves , eles-vous devenus un peuple d'as-
" sassins? . .• » Ces seules paroles sauverent d'une mort
certaine le curé déja terrassé, Barnave, en les pronon~.mt,
s'était jeté presque hors de la portiere , et. madame Élisabeth ,
touchée de ce nohle élan , le retenait par son habito La reine
disait , en parlant de eet événemcnt , que dans les moments
des plus grandes crises , les contrastes bizan-es la frappaicnt
toujours; et que, dans celle circonstance, la piense Élisa-
beth, retenant Barnave par le pan de son habit , lui avait.
paru la chose la plus surprenante, Ce député avait éprouvé
UIl antre gellre d'étonnement. Les dissertations de mactame
Élisabeth sur la situation de la France , son éloquencc douce
et persuasive , la noble simplicité avec laquelle elle entrete-
nait Barnave , sans s'écarter en rien de sa dignité , tout luí
I'arnt célest.e dans ceHe divine princesse , et son cceur dispos«


1.




NOTES


sans Joule á de nobles senrimonts , ~'il n'eüt pas suivi le che-
min de l'erreur , fut soumis par la plus touchante admiration,
La conduite des deux dépntés fit connaitre a la reine la sé-
paration totale entre le partí républicain ct le parli cousritu-
t.ionnel. Dans les auberges ou elle descendait , elle eut quelqnes
entreríens particuliers avec Barnave. Celui-ci parla beaucoup
des fautes des royalistes daos la révolurion , et dit qu'Il avait
trouvé les intóréts de la cour si faiblement , si mal défendus ,
qu'il avait été tenté plusieurs fois d'aller lui offrir un athlete
courageux qui eonnút I'esprit du siecle et celui de la nation,
La reine lui demanda quels anraient été les 1Il0yens qll'il lui
aurait eonseillé J'employer. - « La popularité , Madame. - Et
• cornment pouvais-je en avoir? repartir sa majesté ; elle
« m'était enlesée, - Ah! Madame, il vous était bien plus fa-
« cile avous de la conquérir qu'a moi de I'obtenir, » Cette
assertion fournirait rnatiere il commentaire; je me borne il
rapporter ce eurieux entretien. »
( Memoires de madatne Campan, tome 2, puges 150 et
suivantes.¡




ET PÚ:CES .TUSTIFICATIVES.


NOTE 23, PAGE 325.


Voic~ la réponse elle-mérne , oUVl'age de Barnave , et modele
de raison, d'adresse el de dignité.


« Je vois, Messíeurs , dit Louis XVI aux commissaires, je
« vois par l'objel de la mission qui vous est donnée, qu'il ne
« s'agit poinl ici d'un inlcrrogaloire; ainsi je veux bien ré-
« pondre aux désirs de l'assemblée. .Te ne craindrai jamais de
« rendre publica les motifs de Ola conduite. Ce sont les ou-
« trages el les menaces qui m'ont été faits a Ola famille et a
« moí, le 18 avril, qui sont la cause de rna sortie de París.
« Plusieurs écrits ont cherché aprovoquer les violences con-
« tre ma personne et contre Ola famílle. J'aí cru qu'il n'y
« avait plus de süreté ni méme de décence pour moi de rester
« plus long-temps dans cette ville. Jamais mon intention n'a
« été de quitter le royaume; je n'ai eu aucun concerl sur cet
« objet, ni avec les puissances étrangeres , ni avec mes parents ,
« ni avec-aucun des Francaís émigrés. Je puis donner En
« preuve de mes intentions que des logements étaient préparés
« aMontmédy pour me recevoir. J'avais choisi cette place par-
« ce qu'étant forti6éc, ma famille y serait pIUlO en súreté ;
« qu'étant pres de la frontiere , j'aurais été plus a portée de
« m'opposer a toute espece d'invasion en France, si on avait
n voulu en tenter quelqu'une, Un de mes principaux motifs ,
rt en quittant Paris, était de [aire tomber l'argument de ma
" non-liberté : ce qui pouvait íournir une occasion de trou-




NOTES


« bies. Si j'avais eu l'intention de sortir du royaume, jI) n'au-
« rais pas publié mon mémoire le jour méme de mon départ;
.( j'aurais attendu d' étre hors des frontieres ; mais je conser-
" vais toujours le désir de retourner a Paris. C'est dans ce
« sens que I'on doit entendre la derniere phrase de mon mé-
« moire, dan s laquelle il est dit ; Franeais , et vous surtout,
« Parisiens , quel plaisir n'aurai-je pas ame retrouver au mi-
• lieu de vous! ... Je n'avais dans ma voiture que trois mille
« louis en 01' et cinquante-six mille livres en assignats. Je
« n'ai prévenu Monsieur de mon départ que peu de temps au-
« paravant. Monsieur n'est passé dans le pays étranger que
« paree qu'il était convenu avec moi que nous ne suivrions
« pas la méme route ; il devait revenir en Franco apres moi,
" Le passe-port était nécessaire pour faciliter mon voyage; iI
« J;l'avait été indiqué pOUl' le pays étranger que paree qu'on
" n'en aonne pas au bureau des affaires étrangeres pour l'in-
« térieur du royaume. La route de Franefort n'a pas meme
« été suivie, Je n'ai fait aueune protestation que dan s le mé-
« moire que í'ai laissé avant mon départ. Cette protestation ne
" porte pas, ainsi que son eontenu I'atteste, sur le fond des
« príncipes de la constitution , mais sur la forme des sane-
" tions, c'est-á-dire , sur le peu de liberté dont je paraissais
« jouir, el su r ce que les décrets , I,I'~y;¡pt pas été presentes en
« masse , je ne P!mvais juger de l'ensemble de la constitution.
« Le principal reproche contenu dans le mémoire se rapporte
« aux difficultés dan s les moyens d'administration et d'exé-
rt eution. J'ai reconnu dans mon voyage que l'opinion publi-
" que était décidée en faveur de la constitution ; je ne croyais
" pas pouvoir juger pleinement eette opinion publique a
~ Paris ; mais dans les notions que j'ai recueillies personnel-




ET prECES JUSTIFICATIYES.


« lement pendant ma route, je me suis convaincu eornbien il
" est nécessaire au soutien de la constitution de donner de la
" force aux pouvoirs établis pou!' maintenir J'ordre public,
« Aussitót que j'ai reconnu la volonté générale, je n'ai point
« hésité , comme je n'aí jamaís hésité it. faire le sacrifice de
« tout ce qui m'est personnel. Le bonheur du peuple a tou-
« jours été I'objet de mes désirs, J'oublierai volontiers tous
" les désagréments que j'ai essuyés , si je puis assurer la paíl'
« et la félicité de la nation, u




4:12 NOTES


NOTE 24, PAGE 338.


----.~.-


Bouillé avait un ami intime dans le comte de Gouvernet ;
et, quoique leur opinion ne fút pas abeaucoup pres la mérne ,
ils avaient beaucoup d'estime l'un pour l'autre. Bouillé, qui
ménage peu les constitutionnels, s'exprime de la maniere la
plus honorable al'égard de M. de Gouveroet, et semble lui
accorder toute confianee. Pour donner dans ses mémoires une
idée de ce qui se passait dans l'assemblée 11 cette époque , il
eite la lettre suivante , écrite a lui-méme par le comte de Gou-
vernet , le' 26 aoüt r 79 1 :


« J e vous avais donné des esperances que je n'ai plus.Cette
« fatale constitution, qui devait étre revisée , améliorée, ne
« le sera pas. Elle restera ce qu'elle est , un code d'anarchie ,
• une source de calamités; et notre malheureuse étoile fait
" qu'au moment oa les démocrates eux-mérnes sentaient une
" partie de leurs torts, ce sont les aristocrates qui, en leur
« refusant leur appui, s'opposent a la réparation. Pour vous
" éclairer, pour me justifier vis-a-vis de vous, de vous avoir
" peut-étre donné un iaux espoir , il faut reprendre les
" ehoses de plus haut, et vous dire tour ce qui s'est passé,
« puisque j'ai aujourd'hui une occasion súre pour vous écrire.


« Le jour et le lendemain du départ du roi , les deux
., cótés de l'assemblée rcsterent en obscrvation sur leurs
" mouvemeuts respectifs. Le partí populaire était fort cons-




l5 EL • 44 •


ET PIEf:ES JUSTIFICATH·ES.


" terné ; le partí royaliste fort inquiet. La moindre indiscrétion
« pouvait réveiller la íureur du peuple. Tous les membres
" du coté droit se turent , et ceux du coté gauche laisserent
" a leurs chefs la proposition des mesures qu'ils appelerent
" de sürete , et qui ne furent contredites par personne. Le
• second jour du départ , les jacobins devinrent menalians,
u. et les constitutionnels modérés, Ils étaient alors el ils sont
« cncore bien plus nombreux que les jacobins. Ils parlerent
" d'accommodernent, de députation au roi. Deux d'entre eux
" proposerent a M. l\lalouet des conférences qui devaient
« s'ouvrir le lendemain; mais on apprit l'arrestation du roi ,
" el il n'en íut plus question. Cependant, leurs opinions s'é-
« tant manifestées, ils se virent par la méme séparés plus
« que jamais des enragés, Le retour de Barnave , le respect
" qu'il avaít témoigné au roi et ala reine, tundís que le féroce
« Pétion insultait a leurs malheurs, la reconnaissance que
" leurs majestés marquerent aBarnave, ont changé en quel-
" que sorte le creur de ce jeune homme, jusqu'alors impi-
" toyable. C'est, comme vous savez, le plus capable et un des
« plus influenls de son parti. 11 avait done rallié alui les qua-
" tre cinquíémes du coté gauche, non-seulement pour sauver
« le roi de la fureur des jacobins, mais pour lui rendre une
rr partie de Son autorité, el lui donner aussi les moyens de se
" défendre a l'avenir , en se tenant dans la ligue constitution-
" nelle. Quant acette derniere partie du plan de Barnave, il
« n'y avait dan s le secret que Lameth et Duport , car la
« tourbe constitutiormelle Ieur inspirait encore assez d'in-
« qniétude pour qu'ils ne fussent súrs de la majorité de
« l'assemblée qu'en comptant sur le cótédroit; et ils croyaient
u pouvoir y compter, lorsque , dans la révision de leue




NOTES


" constirution , ils donneraient plus de latltude il l'autorité
« royale.


« Tel était l'état des ehoses , Iorsque je vous ai écrit. Mais,
« tout convaincu que je suis de la malarlresse des aristocra-
" tes et de leurs contre-sens continuels, je ne prévoyais pas
" encere jusqu'oú ils pouvaient aller,


« Lorsqu'on apprit la nouvelle de l'arrestation 1u roi a
« Varennes , le coté droit, dans les comités secrets , arréta de
" ne plus voter , de ne plus prendre aucune part aux délibé-
" rations ni aux discussions de l'assernblée. Malouet ne fut
" pas de ce! avis. Il leur représenla que tant que la session
« durerait et qu'ils y assisteraient, ils avaient l'obligation de s'op-
« pose r activernent aux mesures attentatoires al'ordre public
« et aux principes fondamentaux de la monarchie, Toutes ces
« instances íurent inutiles; ils persisterent dans leur résolu-
re tion, et rédigerent secrercment un acte de protestation con-
n tre tout ce qui s'étaít fait. Malouet protesta qu'il continuerait
« a pmtester a la tribune , et a faire ostensiblement tous ses
" efforts pour empécher le mal. 11 m'a dit qu'il n'avait pu ra-
n mener a son avis que trente-cinq a quaraute membres du
« coté droit,et qu'Il craignait bien que cette fausse mesure
" des plus zélés royalistes n'eút les plus íunestes consé-
" quences.


« Les dispositions générales de l'asscmblée étaient alors si
" favorables au roi , que, pendant qu'on le couduisait aParis ,
« Thouret étant monté a la tribune pOllr déterrniner la ma-
" niere dont le mi serait gardé (j'étais a la séance), le plus
" grand silence régnait dans la salle et dans les galeries. Prcs-
" 'lue tous les députés, méuie du cóté gauche, avaient l'air
« consternes en entendant lire ce fatal décret ; mais personlJc





ET PliuES JUSTU'IUATIVES.


• ...


tr ne disait rien, Le président allait le mettre aux voix ; tout-
'l á-coup Malouet se leva, et, d'un air de dignité, s'écria: -
" Qu'allez-vous faire, Messieurs? Apres avoir arrété le roi, on
« vous propose de le constituer prisonnier par un décret!
« Ou vous conduit cene démarche? Y pensez-vous bien? Vous
" ordonneriez d'emprisonner le roi! - Non! Non! s'écrie-
« rent plusieurs membres du coté gauche, en se levant en
" tumu1te; Nous n'entendons pas que le roi soit prisonnier ;
•. et le décret allait étre rejeté a la presque unanimité, lors-
« que Thouret s'empressa d'ajcuter :


« L'opinant a mal saisi les termes et l'objet du décret.
« Nous n'avons pas plus que luí le projet d'emprisonner
n le roi; c'est pour sa súreté et celle de la famille royale que
« nous proposoIls des mesures. u Et ce ne fut que d'apres cette
• explication , que le décret rassa, quoique I'emprisonnement
« soit devenu tres-réel , et se prolonge aujourd'hui sans pudeur,


" A la fin de juillet , les constitutionnels, qui soupc;on-
« naient la protestation du coté droit, sans cependant en
«avoir la certitude, poursuivaient mollement leur plan de
« révisfon. lIs redoutaient plus que jamais les jacobins et les
« aristocrates. Malouet se rendit a leur comité de révision. Il
« leur parla d'abord comme ades hornmes a qui il n'y avait
« rien aapprendre sur les dangers et les vices de leur eonsti-
« tution; mais illes vit moins dísposés ade grandes reformes.
« lis craignaient de perdre leur popularité, Tárget el Duport
«argumenterent contre Iui pour défendre leur ouvrage. Il
« reneontra le lendemaín Chapelier et Barnave , qui refuserent
«d'abord dédaigneusement de répondre a ses provocations ,
" et se préterent enfin au plan d'attaque dont il allait courir
el tous les risques, 11 proposa de discuter , dans la séance du 8"




NOTES


« tous les poiuts principaux de l'acle constitutionnel , et d'en
« démoutrer tous les vices. « Vous, Mcssieurs, leur dit-Il ,


" répondez-moi; accablez-moi d'ubord de votre indignation ;
« défendez votre onvl'age avec avantage sur les articles les


« rnoins dangereux , méme sur la pluralité des points aux-
« quels s'adresscra rna censure, et , quant 11 ceux que j'aurai
" signalés eomme antirnonarchiques , comme empéchant l'acte
• du gOllvernement, dites alors que ni l'assemblée ni le
« comité n'avaient besoin de mes ohservations 11 cet égard;
" que vous entcndiez bien en proposer la reforme, et sur-le-
o champ proposez-la, Croyez que c'est peut-étre notre seule
« ressource pour maintenir la monarchie et revenir avec le
" temps 11 lui donner tous les appuis qui lui sont néces-
« saires.• Cela fut ainsi convenu; mais , la protestatíon du
« cóté droit ayant été connuc, et sa pcrsévérance a ne plus
" voter ótant toute espérance aux constitutionnels de réussir
'< dans leur projct de révlsion , que les jacobins contrariaient
« de toutes leurs forces , ils y renoncerent. l\-I~ouel, qui
,( n'avait pas avec eux de comrnunications régulieres , n'en fi!
« pas moins son atraque. Il rejeta solennellement l'aete cons-
« titutionnel cornme antimonarchique , el d'uue exécution im-
re praticable sur plusieurs poinls. Le développement de ses
« motifs cornmencaient a faire une grande impression, lors-
« que Chapelier, qui n'espéraít plus rien de l'exécution de la
« convention , la rompit et cria au blaspheme , en interrom-
« pant l'orateur , et demandant qu'on le f'lt descendre de la
« tribune ; ce qui fut ordouné, Le lcndcmain il avoua qu'il
« avait lort; mais il dit que lui et les siens avaient perdu
« toute espérance , du moment oú il n'y avait plus aucun se-
• cours aattendre du colé omit.




ET PIECES JUSTIFICATIVES.


" 11 fallait bien vous faire eette longue histoire, pour que
"VOUS nc perdissiez pas toute confianee en mes pronostics.
" lis sont tristes maintenant; le mal est extreme; et, pour le
« réparer, je ne vois ni au dedans ni au dehors qu'un seul
" remede, qui estla réunion de la force ala raison, "


(Mémoires de Bouillé,pag. 282 et sUÍI'.)


FIN n.ES NOTES DU TOl\f1' PREMIER.


-- 1'i




••




•• ¡,••••• I I.Q.O oa.~ O ~.iI ".C 4jIl".


DES CHAPITRES


CONTRNUS DANS LE TOME PREMIER.


CHAPITRE l.
ttat politiqne et moral de la France ala fin dn 1 se sieole.


- Avénement {le Louis XVI. -Maurepas, Turgot et
Necker ministres. - Calonne. Assemblée des notables.
- De Brienne ministre. - Opposition du parlemcnt ,
son exil et son rappel, - Le duo d'Orléans exile, -
Arrestation du conseiller d'Espréménil. _ Necker est
rappelé et remplace de Brienne.- Nouvelle assemblée
des notables. - Discussions relativas aux états-géné-
raux. - Formation des clubs. - Causes de la révolu-
tion. - Premiéres électinns des députés aux états-gé-
néraux, - Incendie de la maison Réveillon. - Le duc
d'Orléans; soncaractere...••. , . , . . . . . . . . . . . .• 3


CHAPITRE 11.
Convocation et onverture des états-généraux. - Discns-


sions 5»1' la vérification des pouvoirs et sur le vote par
ordreet par tete. - L'ordre du tiers-état se déelare
assemblée nationale. - La salle des états est fermée,
les députés se rendent dans un autre local. - Serment




TAlILE DES CHAPITnES.


du Jeu de Paume. - Séancc royale du 23 juiu. - Vas-
semblée continue ses delibérations malgré les ordres du
roi. - Róunion délinitive des trois ordres. - Premiers
travaux de l'assernblée, - Agitations populaires a Pa-
riso _ Le penple délivre des gardes francaises enfer-
mées a I'Abbaye. - Complots de la eour; des troupes
s'approchent de Paris. - Renvoi de Necker. - Jour-
nées des 12, 13 et 14 juillet. Prise de la Rastille. -
Le roi se rend a l'assernblée, et de la aParis. - Rappel
de Necker '" 45


CIIAPITRE 111.
Travaux de la municipalité de Paris, - Lafayette com-


mandant de la garde nationale ; son caractere et son
róle dan s la révolution, - Massaeres de Foulon et de
Berthier. - Retour de Necker. - Situation et división
des partis et de leurs chefs. -l\'lirabeau; son caractere ,
ses projets et son génie. - Les brigands. - Troubles
dans les provinces et les campagnes.-Nuitdu 4 aoút.
Abolition des droits féodaux et de tous les priviléges..
- Déclaration des droits de I'homme. - Discussions
sur la constitution ct sur le veto. - Agilation a Paris.
Rassemblement tumultueux au Palais-Royal.. . •. 119


CHAPITRE IV.
Intrigues de la cour. - Repas des gardes-du-corps et des


officiers du régiment de Flandre a Versailles. - Jour-
nées des 4, 5 el 6 octobre; scénes rumultueuses et
sanglantes. Attaque dn cháteau de Versailles par la
multitude. - Le roi vient demeurer a Paris. - État
des partís. - Le due d'Orléans quitte la France. -
Négociations de Mirnbeau avec la cour. - L'assernblée


lilllrtto<g'm nrsrx--




• •


TAIlLE DES CHAI'iTHES.


se transporte ir Paris. - Loi sur les liicns du elergi~. -
Serrnent civique. - Traitó de Mirabeau avec la cour.
- Bouillé, - Affaire Favras, - Plans contre-róvolu-
tionnaires.-Clubs des Jacobins et des Feuillants. 175


CHAPITRE V.
État poJitique et dispositions des puissances étrangeres


en 1790. - Discussions sur le droit de la paix et de la
guerreo _ Prerniére iustitution du papicr-monnaie ou
des assignats. - Organisation j udiciaire. - Constitu-
tion civile du elle rgi" - Abolition des titrcs de noblesse.
- Anniversaire du 14juillet. F(\te de la premiére fédi~·
ration. - Révolte des tronpes ir Nancy. - Rctraite de
Neckcr. - Projets de la cour el de Mirabean. - ·For·-
mation dI! c:Jmp de Jallés. - Serment civique imposé
aux ecclésiastiqnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 237


CHAPITRE VI.
Progres de l'émigration. - Le peuple soulevé attaque le


donjon de Vinccnnes, Conspiration des Chevaliers da
poignard, - Discusslon sur la loi contre les émigrés. -
Morl de Mirabcau. - Intrigues contre-révolution-
naires. Fuite du roi et de sa familIe; il est arrété ;\
Varennes et ramené a Paris. - Dispositions des puis-
sanees étrangéres ; préparatifs des émigrés. - Declara-
tion de Pilnitz. - Proclamation de la loi martiale au
Champ-de-Mars, - Le roo accepte la constitution. -
C16111re de l'asscmhlée constituante , .. 21\9


FIN DE I..~ TABU·;.