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LA


CONSTITUTION ANGLAISE


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LA


ca NSfllIl-' lJTIüN
¡\NGLAISE


PAR


11,AIJllT lit r.' .\:\lrL.\l:-' 1'.\H :'1. (dl LI11.-\.(;


PAIlIS
GEInI E H BA1LLI ERE, L113 nAIIU~ - Én1T E UH


rue de l'Écolc-dc-Médccine, f 7.


llAlIlllD, C. UAILLY' U.\ILLIElII;, ['LAZA I¡l; TUPEn:, lfi,


Londres
Uivv. Bailllerr, 219, Rrgcol ureet,


1SG9


Ne\V-York
Oailliere bretbers, 11'1. 0")1111")!.


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JI n'entrait pas dans mes projets de donner une
introduction aux éturles que j'ai puhíiées de 1865 a
18G7 dans une revue anglaise, que j'ai réunies sous
forme de volume, et qu' on a jugé utile de traduire en
diversos langues. N'ayant.pas la prétention..d'indiquer
aux étrangers ce qu'ils doivent mettre a profit,
j' aurais laissé paraitre sans préamhule eette traduc-
tion írancaise de mon livre sur la Constitution hritan-
nique, mais une circonstance particuliére m'engage
aplacer ici quelques remarques.


Sous ce titre «La France nouvelle », M. Prévost-
Paradol vient de donner au publie un excellent ou-
vrage qui, entre nutres choses, renferme l'analyse
des institutions anglaises, et un grand nombre de
romparaisons entre l'Angleterre et la Franee.


Spectacle étrange et plein d'enseignements l Chez
nous une nouvelle école de penseurs se prend a
regarder la Constitution britannique comme une
vieillerie surannée. Les plus tolérants, parmi ces
novateurs, accordent qu'elle a eu certains avantages ,
qu'elle peut bien avoir rendu quelques services anos
p(\res dans Ic passé ; mais ils ajoutent qu' elle ne
n"pond ras :'1 nos hesoins actuels. «Ce qui s'y ren-
») cnnlrC', disent-ils, n'cxiste plus nnllc part ailleurs;




11 J\Tr. ()oren0\,
J) la Franco nmrlcrno a 1lI(~nlC .los prillciprs dirrclr-
» mcnt oppm;("s; nbandonnons ces ruriosiu's hisun'i-
1) ques, el hahillons nos institutions ú la modo (J¡)
» France. »


Et pendant qu' on tient h peu prés ce langage,
voilá un jeune écrivain írancais, tres-distingué , qui,
dans un travail plein de talent, proclame les avanta-
ges de notre systómo politique, et se demande s'il ne
serait pas possible it la Franco d'en tirer quelque
parti. Cette admiration a surtout de la valeur en ce
qu'elle part d'un esprit éclairé. Peu d'Anglais con-
naissent les institutions de leur pays d'une maniere
aussi complete que lU. Prévost-I'aradol; pcu d'Angluis
pourraient en parler aussi souvent avec cette facilité
et cette súreté d'idées prouvant des études constantes
et approfondies. La plupart du temps, quand des écri-
vains francais s' occupent des institutions anglaises,
leurs pensées nous choquent toujours quelque peu,
cal', alors mérne qu' elles ont, au Iond, le cachet de la
justesse, elles renferment en effet le plus souvent
quelque erreur dans les détails ; mais lorsque M. Pré-
vost-Paradol parle de l'Angleterre, ce qu'il en dit est
ioujours parfaitement exact.


Les pages peut-étre les plus remarquahles de son
ceuvresont consacrées aux rapports qui rlevraient exís-
ter entre le pouvoir exécutif el, la législature, tels que
I'auteur les réve pour son pays. M. Prévost-Parndol
eomprend tres-bien que si la France adopte une Con-
stitution nouvelle, il Iaudra qu'elle evite cette Iautc
comrnise en 1fM8, qui consiste dans la juxtaposition




• I\TfiOm;CTION. 1Il


rl'un pouvoir cxécutif el rl'un ponvoir législatif (out h
rail ind{'p(mdants l'un de l'autre. LesAméricains seuls
peuvcn! marcher nvec un pareil systéme,gr¡)ee au res-
pect qu'ils ont pour leur pacte fondamental, et aussi
puree que leur esprit ptutique leur permet de jllger
dans quelle mesure ils peuvent en étendre le cercle
sans le hriser.


Mais aux Francais il faut un sytéme politique
solidement construit, et l' expérienee a démontré que
la France ne peut avoir des lois frágiles et délieates.
Le pouvoir exéeutif ne doit done pas, en Franee, étre
séparé du pouvoir législatif ni mis en faee de lui;
mais alors comment combiner ces deux pouvoirs?


C'est le Goucernement de Cabinet qui fournit la
solution du probléme. Dans le gouvernement de cabi-
net, le pouvoir législatif choisit l'exécutif, sorte de co-
mité qu'il charge de ce qui concerne la partie pra-
tiquedesaflaires ; et il se trouve que ces deux pouvoirs
sont en harmonie, paree que le pouvoir législatif peut.
renouveler son comité s'il n'en est pas satisfait, ou
s'il en préíére un nutre, El, cependant, telle est la
délicatesse de ce mécanisme, que le pouvoir exécutif
11'y est pasahsorbéau point d'obéir servilement ; cal'i1
a le droit de renvoyer la législature devant les élec-
teurs pour que ceux-ci lui composent une chambre
plus favorable á ses propres idees, e'est á ce sujet
qu'on peut soulever la question quej'ai déhattue prin-
cipalementdans mon ouvrage el qui est celle-ci : Le roi
est-il indispensable dans un gouvernement parlemen-
!aire de rr genre, ou ml~mc est-il seulement désirahle ?




IV JNTRODUCTIOK.


Il est certain que le roí n'est pns <runo néccssité
absolue avec un gouvernemeut de eahinet. J~videm­
ment un président ou un personnage tel que notro
premiar ministre pourrait étre armé du droit de
dissolution, et dissoudre le Parlement comme le sont
les rois en Angleterre.


Tout irait done encore si l'on conservait seulement
le ressort principal de la Constitution anglaise en né-
gligeant cette partie du systéme qui est purement une
affaire d'apparat et qui nous a été léguée par le passé.
Je me suis étendu si longuement lá-dessus dans mon
livre que je n'ai rien á y ajouter , Mais voyons main-
tenant si, dansun gouvernementdeeahinet, la royauté
est une institution. désirable ehez un peuplo quijouit
de sa liberté et qui n'est pas lié par son histoire.
M. Paradol se prononee pour l'affirmative, bien qu'il
semble hésiter un peu. D'aprés lui, la forme monar-
ehique a une qualité que ne posséde pas la forme non
monarehique, el dans eettederniére il voit un incon-
vénient dont l'autre est affranehie.


Je cite 1\1. Prévost-Paradol :
«nyaurait, dans la monarcliie constitutionnelle,


» telle que nousla concevons, deux sortes de dissolu-
») tions: 10 la dissolution prononeée par un cahinet
» ayant perdu la majorité ou n'ayant qn'une majorité
» insuffisante, etdésirant desonpleingré seretremper
») dansl'opinion; 2° ladissolution quej'appellerais1'1'0-
» prement royale, prononcée par le souverain dans la
») plénitude ele sonpouvoir et sansle concours des mi-
» nistres, pour appeler la nation itcon firmer OH ;', d{'-




INTRODI1CT]():\ , v
¡) truire uno majorité et.un cahinet, soupconnós (le no
,) plus représenter le sentiment général. »


Et pour expliquer cette seeonde sorte de disso..
lution, M. Próvost-Pararlol éerit :


«Ce grand service national, qu'on ne peut rai..
») sonnahlement attendre d'un président de républi-
» que, est a nos yeux l' offiee propre et particulier
» du monarque eonstitutionnel. Plaeé au-rlessus des
» partis, n'ayant rien ;\ espérer ni a craindre de
» leurs rivalités el de leurs vieissitudes, son unique
» intérét, comme son premiar devoir, est d'obser-
!) ver avec vigilance le jeu de la machine politique,
» afind'y prévenir touí grave désordre. Le plus péril-
» leux de ces désordres, e'est le désaecord qui peut
» survenir pendant le cours d'une législature entre la
» majorité de la nation et l' Assemb1ée qui la repré-
» sente.Étudiereonstamment l' étatrles esprits, eompa-
» rer avec une aucntion impartiale autant qu' éclairée
» les tendances actuelles I1n pays et la conduite de ses
» représentants, se rlernander chaque jour si l'accord
» existe entre la nation et ses mandataires, intervenir
» enfinen ternps opportun par le droit de dissolution
» pour rétahlir cet accord, s'i! est troub1é, voilá la
» tache exclusive du roi constitutionnel, voilá le genre
» de coneours que la Constitution attend de lui, voilá
») l'inestimalrlo service qu'il pent rendre á sa patrie el
») qu'elle ne peut cspórcr que de lui seul. »


N'est-ee pas vraiment trop attendre de la na-
tnre Inuuaino, et nn roi constitutionncl peut-il étre
ordinniremont <1011('1 rl'une intelligence el d'une im-




VI INTROnUCTlON.


partialité suffisantes ponr bien remplir une u'tehc si
grande el si délicatc?


Admeuons, et c'est heaucoup dire, qu'un rOí
naisse toujours m-ce l'intelligenee moycnne des
hommes; doit-on espérer que son éducation en
fera un esprit moyen? POUf ma parí je n'y compre
point. Des motifs que j'ai développés , peut-étre
surabondamment, donnent lieu de croirc que, de
tous les étres humains, le roi constitutionnel est
celui que son éducation dispose le plus au mal el le
moine au bien, celui qui, des sa jeunesse, trouve,
dans son genre de vie, le moins oc stimulants, el,
dans son entourage, le plus d'obstacles ¡'¡ la culturo
intellectuelle. Faudra-t-il donc, dans une circón-
stance critique, confier le soin de la machine consti-
tutionnelle au caprice de cet homme dont les facultés
natives,loin de se perfectionner avec le temps, ont eh) .
s'amoindrir et se dépraver sous l'influence d'une
éducation imparfaite ou corruptricc ? El, doit-on at-
tendre l'impartialité de cet homme forcément infé-
rieur ases coneitoyens '!


Non, certainement, dans la pluparL des caso lln
hommefaible n'estjamais impartial. C'est un Iaitd'oh-
servation, méme dans la sphére paisible de la vie
ordinaire, que plus une personne est faihle, plus
elle obéit al' esprit de systeme et desecte en cherchant
h s'appuver sur un parti. N'est-ce pas lá ce qui doit
arriver plus fatalement encoré lorsque ceue pel'-
sonne se trouve jetée dans le Iourhillon des nflaires


, , '. 1'" A ,ou s agitent tant f mtert'ls.




--


I?'ITnorH'CTIO~. Vil


Un roi S:ll1S pn\ingés forme une excoption el
commo une nnomalic en re monde. EL rl'ahord il a
ses propres tendancos en qualitc de roí. (( Son mé-
tierest d'étrc rovalistc, ¡) Il lui faut hien étre
quelque peu conservateur, cal' les changements ris-
quent de lui porter préjudice sans lui promettre
aueune eompensation ; il a beaucoup á perdre et n'a
pas beaueoup ú gagner dans une grande perturba-
tion de l'ordre politique. Le roi constitutionnel doit
done s'attacher plus ou moins au parti de la résis-
stance, qui le maintiendra :\ son poste, et se méíier
des novateurs, lesquels, peut-étre sans en avoir l'in-.
tention , el en prenant tout simplement l'initiative
de certains mouvements qu'ils sont incapables <1'a1'-
reter ensuite, finissent tal ou tard par diminuer ses
prérogatives. « Lc tróne est en danger », voilá le cri
d'alarme qui aura toujours de l' écho dans un palais.
EL si le roí Iui-móme y fait la sourde oreille, ses
courtisans ne laisseront pas d'en prendre peur.


Une chosc certaine, c'est que la Constilution an-
glaise d'aujourd'hui ne reconnalt pas au roi ce pri-
vilége que M. Prévost-Paradol regarde comme né-
cessaire et qu'il designe sous le nom de dissolution
roya/e.


Un roi d'Angleterre ne saurait dissoudre le Par-
lement contre la volonté et centre I'intérét d'un
ministere qui est au pouvoir. Sans doute le roi
pourra rClwoycr un semhlable ministére , et le
remplacer par une nutre administrntion dont il
prendra l'avis ]10111' dissoudre les Chamhres ; mais,




VIll J~TRODllCTIM, .


mérne avec ces précautions, en ag'ir ainsi :\ l' égard
d'un ministére qui aurait une forte mnjorité rlans Ir
Parlement, ce serait faire un coup de tete pl'(~squü
impossible a supposer. On n'imagine pas que In
reine Victoria, elle-meme, malgré la popularité el, Ir
respect dont elle est environnée á un plus haut
degré peut-étre que tous ses prédécessours, se por-
mette jamais de recourir :'t une pareille mesure. Que
penscrait-on s'il lui arrivait soudain de tenir ce rai-
sonnement : « Les whigs sont en majoritó rlans le
») Parlement actuel, mais je crois que le pays est
» favorable aux tories; je vais congédier le rninis-
)) tére whig, choisir un ministére tory, puis dis":
» soudre le Parlement ponr voir si le pays n' élira
» pas un Parlement contraire aux idées dominantes
» du Parlement actuel? » Que penserait-on? Aucun
Anglais ne peut rever á une catnstrophe de ceno na-
ture et qui lui semlile appartenir aux phénomenes
d'un monde tout diífórent de celui qu'il habite!


Dans la pratique, le souverain se croit ohligé, en
Angleterre , de suivre l'avis du ministóre que la
Chambre des communes veut maintenir au pouvoir.
Toute prérogative contraire ú ce príncipe est tomhéc
en désuétude. Un souverain pcul accorder el acrortlc
en effetá un ministere la possihilitó de rcnouveler par
un appel aux électeurs la majorité qui lui Iait défant
dans la Chamhre des communcs ; mais frapper par
rlerricre , pour ainsi dirc, el ógorgcr au mosen d'un
appel au pays, pris ponr complico, le ministere qllr
soutient un Parlemcnt on pleinf' oxistcnce, vni li, 11111'




l~TlWDLCT1U;\'. IX


i~\"elllualité qui n'entre plus aujourd'hui dans les
calculs, bien qu'autreíois il y ait eu des faits de eetle
sorte aenregistrer dans nos anuales.


On se demandcra pcut-étre, et aprés avoir lu le
rcrnarquable volurne de JI. l'révost-Paradol on ne
manquera cerlainement pas de se demande!'] pour
qucllc raison est tornbée en désuétude ehez les
Anglais une prórogative que le jeune el savant pu-
Lliciste rcgarde camme si nécessaire et si précieuse.
A quoi on peut répondre que la crise á laquelle
M. Próvost-I'aradol voudrait remédier par le. pouvoir
de elissolutiou rouule s'est présentée en Angleterre
dans un passé d(·jit si loin de nous, qu'on ne songe
pas aen prévoir le retour qui parait invraisemblable.


Cette erise éclaterait si la majorité des communes
s'obstinait ~l méconnaitre par ses actes la volonté
Iormelle des électeurs. Mais les membres rl'un Par-
lement anglais tiennent beaucoup trop á étre réélus
punr s'OppOSCl' aux désirs énergiques de leurs COl1l-
ruettants. Ce ne sont pas les désaccords du Parle-
ment avec les colléges ólcctoraux qu'il faut redouter,
e'est au contrairo l'exces de sa soumission aux vreux
populaires dans leurs écarts rnornentanés. Les élec-
teurs n'ont guére lieu d'appréhender qu'un Parle-
ment s'opiniátre Ü leur désobéir, cal' la plupart des
membres dont il est composé perdraient trap a ee
jeu-lá.


D'ailleurs, en supposant que la crise arrive, ce
ne serait pas la dissolution rouale qui pourrait en
étre le remede. Sait-on bien si le roi se mettrait




\.Ymovl"CTI0:\ •


uvec la nation uu contra elle ? sait-ou si, au lieu de
lutter contre la tYl'annie du Parlement, ji ne luí
donnerait pas lui-méme son appui ? De fa~:on (lue,
sous couleur de préservatif centre une tyrunnie pl'O-
hlématique, on investirait le monarque d'un pouvoir
perpétuel, sans prendre el sans avoir les muyens de
prendre des précautions pour le Gas ou, sortant de
sa neutralité naturelle, il Iavoriscrait le I'arleiuent
tyrannique plutót que le peuple opprimó.


Prévoyons néanmoins la crise dont il s'agit, el les
circonstances ou elle menacornit d'atteindre des pl'O-
portions assez graves pour nécessiter un remede
constitutionnel ; il cst bien possible, en elIct, que
dans certains pays el il certaiues époques on eu
urrive á ce point, quoique l'Angleterre n'en soit
plus lú certainement. Eh hien, on pourruit trouvcr
une voie légale ponr détendre la situation .


. Le droit de pótitionnement, le plus .uicieu des
droi ts que reeonnait la Cunstitution britanniquc,
Iournirait un moyen de conjurcr la erisc appréhcn-
dée. I1 suffit de déclarer quc si les trois cinquiómes
des colléges électoraux demandent la dissolution du
l'arlement, le chef de l'l~tat dcvra, dans uucertaiu -
délai, dissoudre la Chambrc basse, faute de quoi les
pouvoirs de cette chamhre seront périmés il l'expi-
ration du délai fixé. Les électeurs auraient, de cettc
maniere, l'occasion de rnontror si la majorité
d'entre eux rcpousse la politique du miuistcrc el
les idees du I'arleineut ; l'opinión des l:ollóges ólcc-
loraux se íonuulerait uinsi distinctcuient, arce




IYIIWllLCTlOS. XI


.usance et sans malentendus. Par ce systerne on
obtiendrait en réalité ce que ~]. Prévost-I'aradol
aLtend du systéme qu'il recommande et qui courrait
le risque el' étre parfois impuissant.


Sans doute il Iaudrait entourer soigneusement de
clauses expresses et de sages garanties ceL expédient
constitutionnel. La pétiLion devrait étre sérieuse, ct
le pétitionneruent soumis ü de rigoureuses formalités.
Uuexigcrait, par exemple, que la signatura de chaqué
élccteur Iút l<'~galiséc, peut-étre aussi Iaudrait-il
qu'elle Iút dounéc en puhlic ; mais ce sonL lit autant
de dótails it réglementer dans la pratique, une Iois
le príncipe accepté. EL le principe, e'esL qu'il Iaut
laisser it la nation elle-uiéme le soin de déclarer, au
lIluyen d'un systéme commude, it quel moment elle
cntend que la dissolution du Parlement soit pronon-
cée, quand cette dissolution lui parait nécessaire.


Assurément, pour étre capablc d'exercer avee
utilité ce droit de dissolution, il faul qu'un peuple
ait l'esprit pratiquc ; l'exercice de ce droit a ses
difficultés, mais ne les exagérons pas, et reconnais-
sons (lllC la monarchie constitutionnelJe esl obligée
de surmonter des diíficultés plus grandes encore.
M. Grotc Iait remarque!' avec raison que ni Aristote
ni aucun Grec n'auraient pu se Iaire l'image du
souvcrain constitutionnel tel qu' on le voit en Angle-
terre, et se représenter un monarque enserré dans
une calle' de ruaillcs invisible el ne pouvant jamais
laire en róalité tout ce que la loi lui pcrmet d'ac-
rornplir. Aussi ne doit-on guóre espérer que la




XII I~TRUIHJCTIOl'" .


royauté constitutionnelle ait un tempérarnent bien
vivace en dehors de l'Angleterre ou des pays qui
conservent encore quelques vestiges de la féodalité.
M. Prévost-Paradol a décrit, dans un admirable lan-
gage, la tentation qui s'offrc sans cesse aun roi de
devenir son propre ministre, et le mal qui peut en
résulter. Concluuns en qu'il est dangereux de coníier
á un monarque l'arme si terrible ele la elissolution
pour lutter contre un Parlement impopulaire; on
la lui confierait en croyant qu'il sympathise avec les
idees de son peuple, et 1'0n pourrait se trompero


Le droit de pétitionnernent est évidemment péril-
leux; mais un peuple semblable au peuple desÉtaLs¿
Unis, par exemple, serait capable d'exercer sans dan-
gel' ce droit supréme comme les Américains savent
en exercer tant el'autres dont la pratique est inílni-
ment plus difflcile.


Je me borne á ces réflexions en présentant lllC~
études au public francais. Il nc m'a point paru né-
cessaire d'analyser l'acte de réforme électorale qui
vient el'étre adopté chez nous sous un ministéro con-
servateur. Cet acte, a mon avis, n'a introduit aucun
changement vital dans la Constitution anglaise, el les
lecteurs auquels je m'adresse n'auront pas de peine
a voir qu'il n'entame en rien l'ensemble ele mes rai...
sonnements.


W. H•


..




LA


CONSTITUTION ANGLAISE
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1


LE CAllINET.


I ','
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Sur toutes les grandes questions, d'aprés M. Mill,
il reste encore beaucoup á dire. Cela est surtout vrai
de la Constitution anglaise. Les écrits dont elle a été
I'objet forment des monceaux énormes. Cependant,
lorsqu'on l'envisago dans la réalité et comme sur le
vif, on est surpris du contraste qu'elle presente avec
l'image qu'on en trace sur le papier. Nombre de
choses que l'usagc a consacrées ne sont pas dans les
livres; et l'on ne trouve point dans la pratique rigou-
reuse certains rafflnements clu commentaire écrit.


Il était naturel , peut-ótro inévitable , qu'une sem-
blable végétation d'idées parasites vint germer autour
de la conslitution brilannique. Le langage est affaire
de tradition chez les peuples ; chaque génératioI1
décrit ce qu'elle voit, mais elle emploie des termes
qui lui sont transmis par le passé. Quand une grande


BAGEHOT. 1




2


cntil<~ tcllc <[lw la Constitntion hritanniquc a pu
conserver extérieuremcnt une appal'ence unilortue
rnalgré le travail laten! de u'anslormation intime qui
s'est operé en elle pendant plusieurs siccles, elle
legue ü chaque gén(;ratjon une serie de iuots impro-
pres, de maximes jadis vraies, mais qui ccssent ou
ont ccssé d'cxprirner la yh'it/~. Counuc la Iaruillo
d'un homme arrivú ;\ I'llgo mur ya l'("p(ll:mt machina-
lement des phrases incorrectos dont l'originc pourrant
remonte it des faits qu'il a uhscn(;s cxaclement quanrl
il étaitdans sa prcmiórejeunossc, de iuórue, lorsqu'unc
constitution ayant un passó historique est parvcnuc ú
son développemenl complot ct (111' el!« cst en plcinc ac-
tivité, ceux qui lui sont souiuis rép(~[enl. des f()l'JlwJcs
exactos du temps de lcurs peros el inculquécs par
ceux-ci, mais qui ne sont plus l'cxprcssion de la
rérilé. Ou bien cncor«, s'il 11l'esL perruis de parle!'
ainsi, une constitution ancicnne el flui se iiwdifie
continuellernent resseruhlc au vieillard qui s'attache
arel' prédilcction ;\ porter des vetcinents dont T»
coupe ctait ü la mode pcrulant sa jcuncsse : ce qu'ou
voit de lui presente toujours le ruúmc aspect; ce
qn' on ne voil pas est complótcmcut c!Jang¡'·.


Ueux rnanieres <1' oxpliqucr la Cnns: itulion angb ise
ont cxercé une inlluence trós-scricuse, hien qu'ellcs
soient erronées. La prcruiéro ¡"Llllli! connuc priucipe


•du s"J'steme politique suivi en Anglelcrre, que le
pouvoir législatif, le pouvoir ex(;eutif el le pouvoir
j udiciuire y 80nL cuticrcrucnt scparés ; que chacuu




LE CAHL\E'I, .-,L)


de ces pouvoirs y est confV~ spócialentout iI une per-
sonne OH á une asscmhló« de persGnnes qui ne sau-
raient, á aucuu dcgl'i\ s"inun isccr dans '1'exorcice de
leurs attrihutions 1'espectiyes.On a dóployó bcaucoup
d'éloqucnco ponr cxpliqucr conuncnt le rudo g'l'uie
du pellpl(~ anglais, múme au 1110ycn ;)ge OlJ il était
particuliercmont grossic1', a viviíié et mis en p1'a-
tique cettc división p}'("con~'uc des pouvoirs que les
philosophcs avaient l·l:lhur(\c dans Ieurs écrits, mais
qu'ils n'nuraicnt gnól'c espéd~ róaliser ailleurs.


En sccoud licu, on se plait á allirrner que l'excel-
lcnce prop1'e de la Constiíution anglaisc est due ;\
l' equilibre <le trois pouvoirs unis. On <lit que
l'élémcnt monarclriqur-, l'élérucnt aristocratiquc _et
rélément démocratiquo onL chacun leur parí dans
l'autoritó supremo, el que le concours de ces trois
puissanees cst indispensnhle ú l'exercice de la sou-
veraincté. La rOY;lllt{', les lorrls el les communes,
voilá, d'apres ecuo t!J("orie, ce qui caractóriserait
nun pas seulcmcnt la forme extórieure, mais l' es-
scnce intime et la vitalitó de la Constitution. Une
grande thcorie qu'on nomme la L11601'ie eles « Freins
el Contre-poids »), domine dans la plupar! des écrits
poliliques ; commc cxcmple ct ú l'appui de cette
théorie , un a largomcnt invoqué l'expórience de
l'AngletGrre. La monarchie, dit-on, a quelques dé-
fauts, quclques tcn.Ianccs mauvaises, l'aristooratio
en a d'autres, la démoeratie ógalemenl; mais l'An-
gletcrre a démoutré qu'il )' a moyen de construiré un




{t CONSTITUTION ANGLA ISE.


gouvernement dans lequel ces tendances fácheuses
vont parfaitement it l'encontre l'une de l'autre et
s'entre-détruisent; de cette sorte, il résulte un en-
semble satisfaisant, non pas seulement en dépit, mais
a la íaveur méme des défauts opposés dont sont
entachées les parties constitutives.


De la on conclut que les principales propriétés de
la Constitution anglaise sont inapplicables dans les
pays ou n' existent point de matériaux pour une
monarchie ou une aristocratie. Aussi la regarde-t-on
comme la systématisation la plus complete et la plus
judicieuse des éléments poli tiques légués par le
moyen áge a la grande majorité des Étals de l'Europe
moderne. On pense qu'avec ces matériaux aucune
constitution ne pourrait étre meilleure que la Con-
stitution anglaise ; mais on admet en méme temps
que les parties essentielles de cette Constitution n' au-
raient pu s'édifier sans eux. 01', ces éléments ne se
rencontrent qu'a une ccrtaine époque de l'histoire et
dans une région déterminée. Les États-Unis d'Améri-
que, par exemple, n'auraient pu devenir un pays mo-
narchique , lors méme que la Convention consLituante
eüt décrété cette forme de gouvernement, et que les
États l' eussent ratifiée. Ce respect mystique, ceLte sou-
mission religieuse, qui forment l'essence d'une vraie
monarchie, proviennenL de pensées eL de sentiments
qu'aucun pouvoir législatif ne pourrait créer chez
n'importe quel peuple. Cette affection quasi filiale
pour le gouvernement est chose d'héritage absolu-




LE CABINET. 5


ment comme le véritable sentiment.íilial clans la vie
ordinaire. Il ne serait pas plus' malaisé d'adopter un
pére qu'une forme monarchique; notre sentiment
pour l'un est aussi peu susceptible d'étre développé
arbitrairement que notro aífection pour l'autre.


Si la partie pratique de la Constitution anglaise
n'était que la mise en reuvre des matériaux légués
par le moyen age, elle n'aurait qu'un intérét purement
historique et sa réalisation actuelle serait á peu pres
impossible. Un ensemble d'institutions tel que la
Constitution anglaise, qui a mis plusieurs siecles á se
développer et dont l'influence est encore prépondé-
rante dans une portion notable du monde civilisé, ne
peut étre convenablement exposé qu'a la condition
de subir une division préalable en rapport avec la
nature méme du sujet.


Les constitutions de ce genre présentent toujours
deux éléments distincts qu' on ne peut, il est vrai, sé-
parer avec une exactitude rigourcuse ; cal' les grandes
conceptions se prétent peu al'analyse. Le premier de
ces éléments comprend tout ce qui produit et conserve
le respect des populations, ce que je nommerai les par-
ties imposantes; le second se compose des parties ef-
ficientes qui donnent á I'rauvre le mouvementet la di-
rection. Il est deux grands objets que toute constitution
doit atteinrlre pour réussir, deux objets merveilleu-
sement réalisés par toutes celles qui ont duré et dont
la renomméeest parvenue jusqu'á nous. Uneconstitu-
tion doit d'abord acquérir de l'autorité, el ensuite em-




ü CO:\"STlTUTl():\" A:'\GLAISE.


ployeí' cette autorité ; e'est quand elle s'est assuré la
fldélité et la coníiance des liornmes, qu' elle en doit
tirer partí pour l'reuvre gouvernementale.


Certains esprits positifs, il est vrai, ne veulent pas
des parties imposantes dans le méeanisme politique.
Tout ce que nous dernandons, disent-ils, c'cst d'oh-
tenir des résultats, de faire reuvre pratiquc ; une
eonstitution est un ensemble de moyens politiques
ayant des fins politiques ; et si vous admettez qu'une
partie queleonque de la eonstituLion n'est point direc-
tement pratique ou qu'un rouagc plus simple en
pourrait aussi bien faire la besognc, c'est reeon-
naitre que cette partie de la constitution, tout impo-
sante ou vénérable qu'elle soit, est en réalitó mutile.


D'autres, qui trouvent cette philosophio trop gros-
sicre, ont proposé des arguments subtils pour prouver
que ces parties imposantes des vieux gouvernements
sont les ólóments principaux qui en font mouvoir le
mécanisme, el commo de gralllls pivots dout l'utilité
est essentielle ; dissimulant ainsi les sophismes que
leurs advcrsaircs, plus írancs, n'ont pas craint de
rlévoiler.


Mais ces deux écolos sont égalcment daus l'erreur.
Ce sont les parties imposantes du gOllyernement qui
font sa force et lui donncnt l' impulsion ; les pnrties
elficientes n'ont qu'á ornplover ces ressources, Par
leur charme fnscinateur, les prcmiércs forment la
la partie essentielle du goU\'ernement dont elles
garantissenlla vitalitó. Elles n'ont, il est vrai, qu'une




LE CABI~ET. 7


imporlancesecondaire dans la pratiquc, el pourraient
sans inconvénient ctrc rcmplacéés par un systéme
plus simple; mais elles forment en quelque sorte les
préliminaires el la condiLion préalable de l' reuvrc.
Elles ne gagnent point la hataille, mais ce sont elles
qui rccrutcntl'armée.


Saus doute, si tous les sujcts du móme gouvernc-
ment ne pensaion! ([U'Ü ce qui leur est utile, s'ils
avaient tous la I1H}me idee de l'utile, s'ils pensaicnt
tous ohtcnir la iuém« clrose par les mémes movens,
les élcmcnts clficients rl'une constitution lenr suffi-
raient el les partics accessoires destinées it Irapper
les esprits ne scraient d'aucune nócessité. Mais le
monde ou nous vivons esL organisé bien autre-
mento


Le Iait le plus étrangc, quoique le plus certain
qu'il y ait dansla nature, c'est l'inégalité de dóvelop-
pcment de la raco humaino . Jetons un regard retro-
spectif sur les Iemps primitils (le l'humanité, tels
qu'ils nous apparaissent Ú travcrs les hrumes d'un
passé cléj;'t lointain; óvoquons l'image de ces tribus
misérahlcs qui hnbitniont (les villages lacustres ou
des rives dósolccs, it peine capahlcs de pourvoir aux
plus vulgairos exigcnccs de la vio matérielle, abattant
les arhres par un travail len! et difficile avec leurs
outils de pierrc, s'évertuant il repousscr les attaques
rl'animaux feroces ;\ taille gigantesque, n'ayant ni
culture, ni loisir, ni poésie, prcsf{ue aucune pensée,
S:lIlS aucune notiou de moralc, saus autre religión




8 CONSTITUTION ANGLAISE.


qu'une sorte de fétichisme; comparons cette exis-
tence, te11e que nous l'imaginons, avec la vie actue11e
de 1'Europe; nous sommes surpris de ce contraste
énorme, nous éprouvons de l'embarras anous per-
suader que notre race descend de ces races disparues
dans les áges reculés.


Il y avait naguére un préjugé fort en vogue, qui,
bien peu apparent de prime abord, était trés-enra-
ciné au fond des cceurs et dont l'influence latente a
dominé longtemps la philosophie politique: on pen-
sait généralement qu'au bout de peu de temps, en
dix années peut-étre, les hommcs pourraient, sans
recourir ades moyensextraordinaires, arrivcr tous au
méme niveau. Mais aujourel'hui que nous voyons,
par la douloureuse histoire ele l'humanité, de quel
point nous sommes partis, ce qu' il a Iallu de travail
prolongó, de circonstances favorables, d'efforts accu-
mulés pour que l'homme en vint amériter quelque
peu le nom d'étre civilisé, quand nous mesurons la
marche laborieuse de l'histoire, la lenteur eles résul-
tats, notre inte11igence est mieux disposée t't concevoir
la marche lente et gracluelle du progreso Au sein
d'un grand pays, tel que l'Angleterre, nous avons
des masses de gens dont la civilisation n'est guére
supérieure ti ceHe des indiviclus qui composaient la
majorité des hommes eleux mille ans avant nous; il
en est d'autres, plus nombreux encore, dont l'état
intellectuel est analogue el apeine supérieur a celui
des esprits cultivés qui vivaient il y a dix siecles.




LE CABINET.


Quanl aux classesinférieures et aux élasses moyennes,
si on les compare au type el' éducation ,que se pro-
posent les quelque dix mille membres de l'aristo-
cratie, elles n'oílrent qu' étroitesse d'esprit, inintel-
ligence et indifIérence pour l'étude.


Mais pourquoi entasser des réflexions abstraites?
Ceux qui révoquent en doute ces vérités n'ont qu'á
aller dans leur cuisine. Qu'un homme bien élevé s'ef-
force d'exposer it sa servante ou it son domestique ce
qui lui semble le plus évident, le plus certain, le plus
palpable dans l'ordre intellectuel, il s'apercevra que
son langage leur parait inintelligible, confus, erroné;
que ses auditeurs le prennent pour un extravagant ou
un fou, alors qu'il parle de choscs dont la plate hana-
lité lui parait accessible á l' esprit le plus vulgaire et
le moins cultivé.


Les granrls l~tats sont comme les grandes rnon-
tagnes, iIs renferincnt des couclies ; il Y a en eux les
couches primitive , seconrlaire ot tcrtiairc du pro-
gn~s humain ; les traits distinctils des réaions infé-
L. ~)


rieures ont heaucoup plus de rapports avec la vie des
temps anciens qu'avec la vie actuelle des régions supé-
rieures, Et une philosophie qui ne garderait pas con-
stamment en mérnoire, qui ne signalerait pas conti-
nuellement les diffórences saillantes des roles que
jouent ces élóments divers, n'édifierait qu'une théorie
ahsolument fausse, cal' elle ne tiendrait pas compte
d'un Iaitcapital; une telle philosophie serait décevante
au prcmier chef, cal' elle Ierait croire ü des résultats


1.




10 CO\STn(TIO~ A~GLAISE.


imaginaires el empécherait de próvou: la réalitó.
Tout le monde connait ces vérites, mais il s'en


Iaut qu' on en nit indiqué l'importance politiqueo
Quand un État est constitué comme le nótre, il n'est
ras vrai de dire quc les classcs inférieurcs y seront
ahsorhées par les classes utiles; les masses ne veu-
lcnt pas d'un idéal aussi mesquin . Jamáis un orateur
n'cst parvenu á frapper I'csprit de la multilude enlui
montrant clu doigt son intérét matériel, Ü moins qu'il
n'eút occasion d'allcguer ou (le prouyer que la misóre
rlu peuple était imputable ü la tyrannie d'une nutre
classe. Mais millo fois, au contrairc, on a vivement
impressionnó la Ioule en la bercant, comme dans une
"ague réverie, d'idées telles que la gloire, la domi-
nation, la nationalité. Les gens les plus grossiers,
ceux qui se trouvent au plus has échelon du progrcs,
sncrifieraicnt volontiers toutes lours ospérnnccs, tous
lcurs hiens et leur vic mcrue pOLI!' ce qU'Ol1 nonune
une idée, pour quelquc aspiration qui semhle an-des-
sus de la réalité, qui exalte la nalure humaine en lui
offrant une visee plus haute, plus profonde el plus
large que celle (le l'existcnce ordinaire. Les gens de
cet ordre ne s'intéresscnt point ü ce qui, d'aprcs I'óvi-
dence la plus tangible, doit ótre l'objectif d'un gou"er-
nement; ils n'en apprécient pas l'irnportancc, ils no
saisissent en aucune Iacon l'ensemble des moyens
qu'il faut employer dans ce hut. En consóquence, il
est fort naturel que les partics qui out le plus d'uti-
lité dans[a structurc gouveruemcntalc ne soient nul-




Lr'~ CAllISE.T. 11


lciucnt celles (llIi attirent le plus dcrespect. Les élé-
meuts qui attircnt le rcspoct avec le plus de facilitó
sont ceux qui ont un air íhcátral, ceux qui agissent
sur les sens, qui prótcndcnt personnifier les plus
grandes idees ele l'hommc, qui se vantent parfois
d'uno origine surlnnnaine. 'I'out ce qui affecte une
apparencc mystiqu« ou une origine occulte, tout ce
(fui hrille aux ycux el, ce qui se montre avec un vif
(~clat pcndaní uu momcnt pour disparaitre ensuite, ce
qui 11'est visible qlW d'uue Iacon intermittente, ce qui
cst de pure apparence el, qui pourtant pique la curio-
sitó, ce qui parait tomhcr sous les sens el, qui fait néan-
moins proíessiou d'ahoulir il des rósultats qui leur
óchappcnt ; voilá, quellcs que soient les varié tés de la
forme, queHe que soit la déllnition OH la description
qu'on en darme, l'objet, le seul objet qui va -droit nu
c.eur des masses. Bien loin de moi l'intention de pró-
lendre que les JWl'lics imposantcs rl'une constitution
doivcnt étro néccssaircment les plus utiles, il est pré-
sumahlc, ü en j llgcr par lcur influcnce au dehors,
qu'clles doivont I'euo au moindre dcgré possihle.
Elles u'out d'autrc 1mL, en rcalité, que de frapper
l'imaginaLion des classcs iufórieurcs , qui sont les
moins aptcs ú discorncr ce qui cst vraiment utile de
ce qui n'est qnc hrillunt.


Il existe, en Iuveur (les traditions, un nutre argu-
ment qui, dans une vinillo constitution comme ceHe
de l'Angletcrre, n'a gnere 11101115 d'importanee. Les
hornmes qui ont le plus rl'intelligencc se laissent




c.O'NSi\T\JilO'N A.'NC.LA.\SB.


eux-mémes autantguiderpar l'habitude que par le rai-
sonnement. La part de la volonté dans les actions hu-
maines est fort peu large; si la volonté ne reprenait des
forces et n' était suppléée par une sorte de sommeil
que l'habitude lui permet, elle ne produirait aucun ré-
sultat. Nous ne pourrions accomplir, chaqué j our, de
notre chef, tout ce que nous avons afaire. Nous n'a-
chéverionsrien, cal' toute notre énergie se consumeraiL
dans le détail en petits essais de perfectionnement. De
plus, un homme sortirait du sentier battu pour aller
dans une direction, un autre irait ailleurs; de sorte
qu'au moment d'une crise qui exigerait la combinaison
de toutes les forces, il n'y aurait pas deux hommes as-
sez voisins l'un de l'autre pou!' agir utilement ensem-
ble. C'est l'habitude instinctive que la tradition donne
a la race humaine qui détermine la plupart des hom-
mes dans leurs actions; voilá le cadre solide dan s
lequel chaque nouvel artiste doit placer son tableau.
Cette partie de la nature humaine qui dépend de la tra-
dition doit, dan s la force étymologique du terme, rece-
voir ]'impression et l'action d'autant plus facilement
qu'elle vient de plus haut. Toutcs choses égales, les in-
stitutions d'hier sont cellesqui conviennent le mieux
au jour actuel; ce sont les plus préparées, celles qui
ont le plus d'influence et auxquelles on obéit le plus
aisément, celles qui ont le plus de chances de con-
server le droit au respect qu' elles ont obtenu par hé-
ritage, tandis que toute institution nouvelle doit Iaire
ses preuves pour acquérir le méme droit. Les insti-




LE CABINET. 13


tutions humaines qui imposent le plus de respect sont
les plus anciennes; et néanmoins, le monda ~st si chan-
geant, si variable dans ses exigcnces, les meilleurs in-
struments dont il dispose sont si susceptibles de perdre
leur vigueur interne, tout en gardant l'apparence de
la force, qu'il ne faut pas s'attendrc ü trouver dans
les plus vieilles instituLions le plus d'efficacit.i. Tout
objet de vénération consacré par son antiqu ité ac-
quiert sans doute de l'influence, gnlce á un carac-
tere de dignité qui lui est inhérent; mais il ne peut
employer eette iniluenee aussi bien q~e les créations
nouvelles, adaptées au monde moderne, imprégnées
de son esprit et étroitement liées ason existence,


Définissons hriévement le mérite caractéristique de
la Constitution anglaise : Les parties imposantes
qu' elle renferme ont beaucoup de complexité et as-
sez de charme; elles sont fort anciennes et passable-
ment vénórablcs; quant aux parties efficiellte$, dans
le cas au moins ou il s'agit de parer ú une grande
crise, elles ont un jeu tres-simple et un cachet plus
moderne. Nous avons fait ou plutót nous avons
obtenu du sort une constitution qui, toute pleine
qu'elle est de déíauts dans ses détails, et bien que


.pour les hors-d' reuvre elle soit la moins artistement
faccrmée de toutes les constitutions humaines, n'en
possede pas moins deux avantages principaux : d'a-
bord elle a une partie efticiente dont la simplicité est
précieuse al' occasion et qui, s'il le faut, peut agir
plus Iacilcment ct mieux qu'aucun des iustruments




CO~STITlíTfOl\ A~r.LAISE.


politiqucs éprouvós dans le monde jusqu'á ce jour.
En outre cettc Constitution a des partics historiques,
complexes, majestueuses, thó.ttralcs, qu' elle a rccues
en héritage du passó, qui fascinent la multitudc, qui,
en opérant d'une maniere insensible mais toute-puis-
sante, parvienncnt ú dótcrminer les rapports des
sujets. Son essence est Iorto de tonto la force que
lui donne la simplicité des procédés ü l'époque mo-
derne; son cxtérieur est majcstueux comme l' était le
caractére gothique d'uno époque plus imposante.
Son essence, grilce ú cette simplicitó, pourrait, avec
les modificatioús do rigueur, s'acclimater dans heau-
coup de pays divers ; mais, quant it celte apparence
majestueuse qui, aux yeux de la multitudc, passc
pour étre toute la Constitution, elle convient unique-
ment aux nations qui ont avcc la nótre une certaine
analogic d'histoire el. de traditions politiques.


L'cíücacité secrete de la Constitutiou anglaise ré-
side, on peut le dire, dans l'61Tolte union, dans la
íusion presque complete du pouvoir exécutif et du
pouvoir législatif. Suivant la théorio traditionnellc
qu' on trouve rlans tous les livrcs, ce qui recomrnande
notro ConsLituLion c'est la séparation ahsoluo du pou-
voir lógislatif et du pouvoir exécutil; mais en réa-
lité ce qui en Iait le merite, e'esL prcciscment la pa-
renté de ces pouvoirs. Le lien qui les unit se nomme
le Cablnei. Par ce terme nouveau nous enlendons un
comité du co1'ps législatif choisi pou!' étre le corps
exócutií. L'assemhlée législatlye reníerme plusieurs




LE CABl~ET. 15


comités, mais ce dernier est le plus important de
tous; pour formerce comité principal, elle choisit les


.hommes qui lui inspirentle plus de confiance. Elle
ne les choisit pas dircctcment, il est vrai, mais son
choix est presque tout-puissant, bien qu'il soit indi-
recto La couronnc avait encore, il y a cent ans, le
droit réel de choisir ses ministres, quoiqu'elle n'eút
plus ledroit de déterminer la ligue politique ü suivre.
Pendant sa longue domination, sir R. Walpole Iut
ohligé de se rcndre Iavorahle par des manreuvres,
non passeulcment le parlement, mais le palais méme;
il fut obligó de veiller it ce qu'une intrigue de cour ne
parvint it lui cnlover sa position. C'était la nation qui
dictait alors la politique de I'Angleterre, mais c'était
la couronne qui choisissait les ministres anglais.
Ceux-ci n'étaient pas seulement de nom comme ils le
sont aujourd'hui, mais ils étaient de fait les serviteurs
de la couronne. 11 suhsisíc encore des restes et des
restes importants de cette grande prérogative.


La Iaveur arhitraire de Guillaume IV a fait de lord
Melbourne le chefdu parti whig, alors que ce litre lui
était disputé par plusieurs rivaux. A la mort de lord
Palmerston, il est tres-probable que la reine aurait pu
choisir librement entre dcux et rnérne trois hommes
d'État, mais en regle générale, c'est le pouvoir législa-
tif qui choisit le personnage chargó d'étre nominale-
ment le premicr ministre ; et un personnage qui, sous
le plus grand nombre de rapports, est réellement pre-
miel' ministre, c'est le leader de la Chamhre des com-




16 COXSTITUTION A~GLAISE.


munes; et cela pour ainsi dire sans exception. Il y a
presque toujours quelque individualité que designe
pour son chef la voix du parti prédominant dans la
Chambre des communes; 01', comme cette Chambre
prédomine ason tour dans le Parlement, e'est cechef
de parti qui gouverne la nation. L'Angleterre a un
premiar magistrat qui est aussi véritablement électif
que l'est en Amérique l'homme dont les électeurs Iont
le premier magistrat du pays. La reine est seulement
á la tete des parties imposantes que renferme la
Constitution; le premier ministre est á la tete des
parties efficientes. Suivant l'adage connu, la couronne
est « la source des honneurs » ; mais la trésorerie est
la source des affaires.


Cependant notre premier mngistrat diífere du pre-
miel' magistrat américain, en ce sens qu'il n'est pas
élu directement par le peuple, mais par les represen-
tants du peuple. C'est lit un cxemple de la douLle
élection. Une assemLlée choisie en príncipe pour
faire des lois a, dans la réalitó, pour fonction prin-
cipale de créer et de conservar le pouvoir exé-
cutif.


Apres avoir été ainsi choisi, le premier ministre
doit choisir á son tour ses collégues, mais son choix
est circonscrit dans un cercle fatal. La plupart des
membres qui composent le Parlement ont dans leur
position des obstacles qui les empéchent d'entrer dans
le Cabinet; quelques membres, uu contraire, sont
appelés parleur position á en Iairepartic.Entre la liste




LE CABINET. 7


de ceux qu'il doit, presque obligatoirement, prendre
pour ses collégues et la liste de ceux qu'illui est im-
possible de s'adjoindre, le premier ministre n'a point,
quant ala forrnation de son cabinet, une indépendance
de choix bien grande; cette indépendance s'exerce
plutót dans la répartition des fonctions minislériel1es
que dans le choix des personnes. Le Parlement et la
nation désignent d'une Iacon assez claire quels
hommes doivcnt entrer rlans le Cabinet, mais la dé-
signation n'est pas aussi nctte en ce qui conccrne la
place que doit occuper chacun d'eux.


Cette attrihution qui revient au premier ministre,
lui confére un pouvoir trés-considérahle , bien quc
l'exercice en soit renferrné dans des limites irn-
périeuses et bien que la sphcre en soit moindre
qu'elle ne parait l'etre en théorie ou observée á
distance.


Le Cabinet, en somme, est un bureau de contróle
que la législature choisit parmi les personnes en qui
elle a assez de eonflance et qu' elle connait assez pour
leur donner charge de gouverner la nation. Quant ú
la facón particuliére de choisir les ministres, quant a
la fiction d'apres laquellc, au sens politique, ceux-ci
sont les serviteurs de la reine; quant Ú la regle limi-
tative qui obligo de clioisir les ministres parmi les
membres dc la 11'·~.6slature, ce sont autant de détails
qui, au fond, ont peu d'influence sur la constitution
du Cabinet et sont indópendants de sa nature. Le
trait qui le caractérisc, e'cst qu' il doit étre choisi par




18 COl\'STITUTlON A~(;LAISE.


la lógislature parmi les personnes qui lui agrúent el
qui ont sa confiance. Naturcllcmcnt elle porte son
clioix sur ses propres mcmhres, mais i1 n'y a puint
1;\ de príncipe exclusif.


Un cabinet OÜ entreraient des hommos qui ne se-
raiení pas membres de la législature pourrait 1'01'1. bien
accornplir toute sa táche. Et de Iait, les lorrls qui entrent
pour une si large part dans les cabinets modernes.sont
les membres d'une asscmhlcc qui, aujourd'hui, n' est
qu'au second rango LaCluunhre des lorrlsexerce copen-
dant encore plusieurs Ionctions utiles, mais l'influenee
dirigeante et la facultó (le decider sont devenues le lot
(le ce que, suivant le langago des temps anciens, on
nomme encore laChamhre hasse, c'cst-á-rlire d'une as-
semblée qui, inférieure i\ la premiere en tant qu'insti-
tution imposanie, lui esl supórieure commeinstilution
e/1¡cicntc. Un des avantages principanx que posséde la
Chrunbro des lords, c'est pn"ci~!"l1len[ (r(~[re une sorte
de reserve pOllr les minist-res ..\ iuoins qu'on n'cn
vint it modifier la curuposition de la Ch.unhro (les
communes, ou hien ú se rclácher des rógles qui ohli-
gent de choisir les ministres parmi les mcmhres de la
législature, il serait sans douto diíficile de trouver, en
l'abscncc des lords, un noruhrc sulfisaut de pCl'son-


I


nages pour les postes principaux (In ministcre. Mais,
tracer les dctails rclatils ú la compositinn (1' un C"alli-
net, préciser le sssLeme emplos(~ pour le choisir, lel
n'est pas noíre desscin en ce momcnl. Ce qui nous
préoccupe d'uhonl el surtout.c'esl de d("{inir le r:alli-




LE CALHNET. 19


net. N'allons pas nous égarer dans les uccessoires
avant de conuaitre ce qui est essentiel el nécessairo.
Un Cabinet est un comité combiné de telle sorte qu'il
sert, COl11l11e un trait d'union Oll une boucle, il ratta-
cher la partie législative á la partie exécutive du gou-
vernement. Par son origine il appartient ü l'une, et
par ses fonctions al'autre.


S'il est un point d'observation curieux relativernent
au cabinet, c'cst qu'on sache si peu ce qui s'y passe.
Ses réunions ne sont pas seulement secretes en théo-
rie, elles le sont en réalité. Dans l'usage actuel on
n'en garde point de rninute officielle. Si méme une
note d'un caractcre privé se produisait ü cet endroit,
elle ne trouverait ni cncouragement ni faveur. La
Chamhre des communes, alors mérne qu' elle désire-
rait le plus se renseigner, et dans les circonstances les
plus agitées, ne pormettrait pas de lire une note qui
aurait trait aux discussions du cahinet. Aucun minis-
tre ayant quelque rcspoct pour les usages fondamen-
taux de la pratique gouvernementale n'essayerait de
lire une parcille note. Lo comitó qui unit le 150uvoir
chargé de faire la loi au pouvoir chargé de l'exécuter,
el qui, en vertu de cette combinaison, se trouve étre,
tant qu'il dure et se maintient, le pouvoir le plus con-
sidérahle de l'l~tat, ce comité cst entiérement secret.
Jamáis on n'a donné de ses réunions un compte
rendu exact et authentique. On dit hien que paríois
ces réunions oflrent un peu l'aspect (les séances que
tiennent les conseils de directeurs, que tous yparlent




20 CON8TITUTION ANGLAISE.


et que peu y écoutent; mais on n'en sait rien (1).
Un Cabinet, tout comité qu'il est d'une assemblée


législative, se trouve revótu de pouvoirs que jamais,
n'étaient 1'influence de la tradition et les résultats
heureux de 1'expérience, une assemhlée n'aurait osé
déléguer aun comité. Ce comité peut elissoudre l'as-
semblée qui l'a nommé; i! a un veto suspensif et,
quoique nommé par un parlement, iIpeut faire appel
aun autre. Il est vrai que, théoriquement, le pouvoir
de dissoudre le parlement est un privilége du sou-
verain; et l' on doute encore si elans .tous les cas le
souverain est tenu de elissoudre le Parlement quand
le Cabinet le lui demande. Mais á part ces circon-
stances de détail et d'exception qui font doute, le Ca-
binet qui a été choisi par une Chambre des com-
munes peut faire appel ala Chambre eles commnnes
qui lui succede. Ainsi le comité principal d'une légis-
lature peut dissoudre la partie predominante de eette
législature, et, en fait, dans les oecasions critiques,
la législature elle-méme. Le systéme anglais ne con-
siste done point dans l'absorption du pouvoir exécutif
par le pouvoir législatif, il consisteen leur fusiono Ou


(1) On prétend qu'á la fin de la réunion dans laquclle le Cahiuet
résolut de proposer un droit fixe sur les céréales, lord l\1elbourne
s'adossa ala porte et dit : « Eh bien, íuut-il abaíssor le prix des
» céréales, oui OH non? 11 importe peu que nous disions ceci ou
» cela, mais il fuut nous eutcndre ct conclurc. )) Voila le compte
reudu le plus détaillé que j'aie cntendu faire d'une réunion mi-
nislériellc, mais je n'en pcux nullcmcnt g-arantir l'exactitude.
Lord Melbourne est un personnage sur le comptc duquel on a
inventé beaucoup d'anecdotes, ..




LE CABJNET. 21


bien le Cabinet Iait la loi et l' exéeute, ou bien il peut
dissoudre la Chambre. C'est une eréature qui a le
pouvoir d'anéantir ses eréateurs; e'est un pouvoir
exécutif qui peut anéantir la législature tout aussi
bien qu'un po.uvoir exécutifquela législature a choisi ;
et quoique tenant d'elle son origine, il peut exereer
sur elle une action destructive.


Cette fusion du pouvoir législatif et du pouvoir
exécutifpeut sembler ú ceux qui n'y ont pas suffisam-


.ment réfléchi beaueoup trop simple et trop mesquine
pour expliquer le mécanisme latent et l' efficacité se-
créte de la Constitution britannique ; mais on n' en peut
apprécier l'importance réelle qu'en observant quel-
ques-uns de ses efTets principaux et en comparant ce
systéme avec le granel systéme rival dont la marche
semble, si l' on n'v prend garde, destinée adevancer
la sienne dans le monde. Ce systérne rival, c'est le
systéme présidentiel. Le trait caractéristique de ce
dernier, e'est que le président y est ólu par le peuple
d'une certaine maniere et la Chamhre des représen-
tants d'une autre Iacon. C'est l'indépendance mutuelle
du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif qui est la
qualité distinctive du gouvernement présidentiel, tan-
dis qu' au contraire la fusion et la combinaison de ces
pouvoirs sert de principe au gouvernement de Ca-
binet.


Et d'abord, comparons ces deux gouvernements en
temps calme. A une époque eivilisée, les besoins de
l'administration exigent qu' on fasse eontinuellement


~
. ,.


;'i
.. '


... .:




22 CO~STlTtJTION A~GLAlSE.


des lois. Un des objcts principaux de la législalion,
e'est l'assiette eles irnpóts. Lesdépenses d'un g'ouver-
nement civilisé varient sans cesse ; elles doiventvarier
si le gouvernement fait son devoir. Leselivers devis
estimatifs rdu budget jmginis présentent un gTand
nombre d'articles qui varient selon les besoins du
moment. L'instruction, la discipline eles prisons, les
arts, les sciences, une foule de détails du service civil,
nécessitent plus ou moins d'argent ehaque année.
Les frais de défense, ceux ele la marine el. de l'armée
varientencore plus, selon que le danger d'une attaque
parait plus ou moins imminent, selon que les moyens
d'écarter ce danger deviennent plus on moins coú-
teux. Si les personnes chargées de prévoir tous ces
besoins ne sont pas celles qui font les lois, il y aura
antagonisme entre elles el les nutres. Ceux qui devront
arréter le montant des taxes seront certninement en
eonflit avec ceux qui en réclnmeront l'établissement.
Il y aura paralvsie dans l'action clu pouvoir exécutif
faute de lois nécessaires, el erreur dans cellede la lé-
gislature faute de responsabilité; l' exécntif n' est plus
digne de ce nom du moment qu'il nc peut exécuter
ce qu'il décide ; la législature, de son cóté, est démo-
ralisée par son indépendance méme, qui lui permet de
prendre certaines décisions eapables de neutraliser
celles du pouvoir rival.


En Amérique, on a si bien reconnu cette difficulté
qu'un trait d'union s'est formé entre la lógislature et
le pouvoir exécutif. Quand le secrétaire du trésor du




LE CABl~ET. 23


gouvernernent Iédóral a hesoin d'une taxe, il consulte
ace sujet le président du comité financier du Congrés,
II ne peut ,se renrlro lui-méme au Congrés et proposer
l'étahlissement de la taxe qui lui est nécessaire, il ne
peut qu'écrirc une lettrc et l'envoyer. Mais il fait en
sorte que le prósident du comité financier soit un
partisan de cctte taxe ; au moyen de ce président ,
il essaye d'amcncr le comité ;\ la recommander ; et
par l' entrernise clu comité il s'efforce el'ohtenir que
la Chambre adopte la taxe qu'il dcsire. Une sem-
hlahle chaine d'intermédiaires est cxposéc a mainte
solution de continuité; elle peut suffire pour une
taxe isolée , dnns une circonstance hcureuse ; mais
elle résistera elifficilement dans le cas d' un budrret


c..


compliqué.Et sans parler des temps de guerre ou de
rébellion, puisque nous comparons maintenant le
systóme rlu cnhinet et le systéme présidcntiel en
temps de calme, qne sera-ce au momcnt eles crises
financicres ?


Jamáis deux intelligences méme el'élite ne sont
tombées d'accord sur un budaet. Nous en. avons


e


la preuvc actuellement par la maniere dont un
chancclier ele I'Échiquier indicn traite des finanees
anglaises h Calcutta, pcndant qu'un chancelier de
l'Échiquier anglais traite des finances incliennes en
Angleterre. Jamais lcurs chiflres ne concordent et
leurs idees sont rarcmcnt les mémes. n s'est élevé
entre eux une controverse trcs-aigre qui a amusé le
monde, et il y en a prohahlement d'autres non moins(




24 CONSTITUTION ANGLAISE.


intéressantes qui sont cnfouies dans le vaste entrepót
de notre correspondance anglo-indienne.


Des rapports de ce genre doivent nécessairement
exister entre le chef d'un comité financier choisi par
la législature et un ministre des finances choisi par
l'exécutif (1). Ils ne peuvent manquer d'entrer en
conflit, et le résultat de ce conflit ne peut certaine-
ment profiter a aucun d'eux. Et quanel les taxes nc
produisent pas autant qu'on en attendait , qui donc
en est responsable? Peut-étre le secrétaire du trésor
n'a pu gagner le président du comité par la per-
suasion; peut-étre celui-ci n'a pu persuader son
comité; peut-étre le comité n'a pu persuader l'as-
semblée. Qui donc íaudra-t-il punir, qui donc écar-
ter quand on se trouve acourt de finances? Il n'y a
personne ahlámer qu'une législature, réunion nom-
hreuse de personnes diverses qu' il est difficile de punir
et qui sont armées elles-mémes du droit de punir.


La partie financiére d'une administration n'est pas
la seule qui aune époque civilisée ait besoin el' étre
constamment aidée et accompagnée d'une législation
pour remplir facilement sa tache. Toutes les parties
de 1'administration en sont la. En Angleterre, a un
moment grave, le cabinet peut forcer la main ala


(t) Il est bon de faire remarquer que mérne pendant la courte
cxistence du gouvernement confédéré, ces inconvénients se sout
montrés d'une maniere saillnntc, Un des derniers incidents qui
se sont produits dans le Congres de Richmond a éíé une corres-
pondancc financiero avec Jcffcrson Davis.




LE CABINET. 25


législature par la menace de ilonner sa Jémission ou
par celle de la dissolution ; mais aucun de ces deux
moyens n'est praticable dans un gouvernement prési-
dentiel. La, une législature ne peut étre dissoute par
l'exécutif, et elle n'a point á appréhender une démis-
sion, cal' ce n' est pas elle qui est chargée de trouver un
successeur au démissionnaire. Aussi, quand une dif-
férence d'opinion vient a surgir entre eux, le pouvoir
législatif est obligé de combattre l' exécutif et l' exé-
cutif de comhattre le législatif; et la lutte doit durer
probahlement jusqu'au jour ou expirent leurs fonc-
tions respectivos ('1).


Cependant il y a une circonstance dans laquelle
ce tahleau, quoique encore assez voisin de la vé-
rité, manque néanmoins d'une exactitude absolue;
c'est lorsqu'il ne se trouve aucun sujet de conflit
possible. Avant la rébellion en Amérique, grace ala
distance qui séparait les divers lhats, gr:ke aussi a
l'heureuse condition économique du pays, il yavait
peu matiére a conflits importants; mais si un gou-
vernement de ce genre avait eu ú passer par les
épreuves que la législation anglaise a surmontées
dans les trente dernióres années, 1'antagonisme des
deux pouvoirs dont la coopéralion constante est né-
cessaire dans le meilleur gouvernement n'aurait point
manqué de se déclarer avec heaucoup plus d' éclat.


(1) Je laisse ce passage tcl qu'il était écrit avant l'assassinat de
M. Lincoln, et alors que tout le monde disait que M. Johnson se-
rait tres-hostile au Sud.


BAGEHOT. 2




25 (',O:'iSTllTTlO~ A:'iCLAISE.


Ce n'est poiut 1;\ le pire danger. LesgouYéjrncmcttls
de Cabinet sont les éducateurs des peuples ; les gou-
verncments présidentiels ne le sont pas, et, de plus,
iIs peuvent les corromprc. On a dit que l'Angleterro
avait inventé cette formule: « l'Opposition de Sa
Majesté »; que, le prernier entre les l~tats, elle avait
reconnu que le droit de critiquer l'administration, est
un droit aussi nécessaire dans l' organisntion politique
que l'administration elle-méruc. Cette opposition qui
se charge de la critique, accompagnc nécessaircment
le gouvernement de Cahinet. Quel magnifique théálre
pour lesdébats, quelle merveilleuse ócole d'instruction
populaire et de controverse politique oífrc il tous une
assemblée législative! Un discours qui y cst pro-
noneé par un homme d'lhat éminent, un mouve-
ment de partí que produit une grande comhinaison
polítique, voilá les meilleurs procédés connus jus-
qu'á ce jour pour éveiller, animer et instruiré un
peuple. Le systéme de Cahinet engendre súremeirt
de tels débats, paree qu'il en Iait un mo~ren pour les
hommes d'État de se signaler pour l'avenir ou de
fortiíier la position qu'ils oecupent dans le gouYerne~
ment. Ce systérne excite les homnics de talent ú
prendre la parole et leur fournit les occasions de
parlero Les péripéties qui décident du sort d'un
Cabinet se composent de scrutins précédés de belles
discussions. Tout ce qui merite d'étre dit, tout ce
qu'on doit dire ne manquera pas d'y étre exposé. Les
hommes de conviction se croicnt obligós de persuader




LI<: CAlHNEl. 27


les nutres ; los ógolsles aimcnl :'t se mottrc en avant ;
le pays entoud ainsi Iorcórncnt expuser les deux par-
ties et, peut-etre, toutes les parties de la question
({ui l'iutércssc. El il Ypn-to volonticrs l'crcille, il est
avidc de s'instruirc. Par sa nature, l'homme rlédaigne
les lonas argunwnts quanrl ils n'ahoutissent ú rien,
les grands discours qui no sont suivis d'aucune réso-
luíion, les disscrtations ahstraites qui no tonchent
pas aux Iaits el los laissent rlans l'immohilité. Mais
011 aime les grands résultats, el, le changemeut d'une
administration cst assurómcnt un granll résultnt.
Ce resulta! a une Ioule de ramifications, tout le eorps
social s'en rcsscnt, il y a HI matióre :'t espérances
pour les uns, :\ lléreptions pour d'autres. C'est un
de ces évóncmenís grares qui, par leur grandeur
dramatiqno, Iont sur les esprits une impression par-
fois méure trop íorto. El les dóbats fluí out un pareil
dénoúmen! ou qui ,¡enH~1l1 l'avoir, ne sont-ils pas
assurés .l'attircr I'auoution publique et de pénetrer
pro1'und,'llllCnt dans l'esprit nat ional ?


Les royagelll's qui, en .unérique, ont pareouru
mérne les l;:lats rlu ~ord, e'est-á-dire le grand pays
0[' se moruro par excclleuc« le gouvernement prési-
dcutiel, y ont observé que la nation n'y a pas un g'out
pronoucé pon!' la poI itique, el fin'on n'y trouve pas
une opiniou publique travaillée avec tout le fini
el 1001te la porfect ion qu'on remarque en Angíeterre.


Beaucoup ll'{'crivains se son! empressés de mettre
ce dld'aut :\ la chnrgo de « la race Yankee» ou du


","


, ...~...


'.:'


...~




28 CON8TITUTION ANGLAI8E.


earactére américain; mais ]e peuple anglais lui-
méme, s'il n'avait un motif sérieux de suivre la
politique, ne s'en occuperait éertainement pas davan-
tage. e'est dans un but pratique qu'il y porte actuel-
lement son attention, cal' il participe fila solution des
crises soit pour les retarder, soit pour les précipiter.
La chute ou la conservation d'un gouvernemcllt se
decide par les débats suivis d'un scrutin dans le Par-
lement, et l' opinion du dehors dont les arréts y
pénótrent d'une maniere secrete a sur le scrutin une
inf1uence considérable. La nation sent que son avis
est important, et elle s'efforce de juger sainemcnt;
elle y réussit, paree que les débats et les discussions
luí fournissent les faits et les arguments. Mais, sous
un gouvernemenL présidentiel, un peuple n' a qu' au
moment des élecLions sa part d'influence ; en tout
autre temps, n'ayant pas le moyen de voter, il n'a
aucune force jusqu'á ce que le jour du vote le rende
maitre absolu de nouvcau. Bien n'cxcite un tel peup]e
á se former une opinion ou une éducation, comme il
le ferait sous un gouvernement de Cabinet. Snns
doute sa législature est un théátre pour les débats ;
mais ces débats sont comme des prologues non suivis
de piéces ; ils n' amónent aucun dónoüment, cal' on
ne peut ehanger l'administration ; le pouvoir n' étant
point ala disposition de la législature, nul ne préte
attention aux débats léaislatiís. L'exécutif, ce gTand


e. e


centre du pouvoir eL des emplois, demeure inébran-
Jable. On ne peut le changer dans tous les cas. Le




LE CABINET. 29


mode d'enseignement qui par l'éducation de notre
esprit public prépare nos résolutions et écJaire nos
júgements, n' existe pas sons ce systéme. Un pays
présidentiel n'a pas besoin de se faire chaque jour
des opinions étudiúes, et n'a aucun moyen de s'en
faire,


On pourrait croire que les discussions de la presse
suppléent aux défauts de la Constitution; que, sur-
tout chez un peuple qui lit, on doit surveiller avec
soin la conduite du gouvernement el se former de
ses actes une opinion aussi exacte, aussi juste, aussi
múrie sous un gouvernement présidentiel que sous
un gouvernement de Cabinet. ~l ais il ya pour l'action
de la presse une difficulté non moins aecablanle que
pour celle de la législature ; elle ne peut ríen faire.
Impossible de déplaecr l' administration, cal' l' exé-
cutif ayant été élu pour un certain nombre d'années
dait durer tout le temps. On s'étonne que ehez un
peuple aussi leltl'<~ que celui d'Amérique, ou il y a
plus de lccteurs que chez n'importe quel peuple, el
oú il Y a tant de journaux, la presse périodique soit
de si mauvais aloi. Les journaux de ce pays ne valent
pas eeux de l'Angleterre, parce qu'ils n' ont point lieu
d'étre aussi bons que ces dcrniers. Au moment de ce
qu'on nomme une crise politique, c'est-á-dire quand
la destinée d'une administration est en balance, et
dépend de quelques votes encare irrésolus sur une
questian flattante el indécise, des articles sérieux pu-
bliés rlans les grands jaurnaux ont une impartance


2.




30 C()XSTJTl1TlO~ ANGLAlSE.


consi.lérahle. Le Times a Init plusieurs ministéros.
Ou:md i1 ya, cornme il s'cn esí rcncontré naguére, une
longuc suite de gouvernerncnrs dont aucnn no disposo
rl'une majorité mntériellc el. qui ont hcsoin de force
moralc pour se 'soutcuiL', l'appni du journal le plus
influent cornmc orguuc de l' opininn en Angleterre
no laisse pas d'étrc décisif'. Si il Washington un jour-
nal avait pu renvcrser M. Lincoln, il y aurait eu de
heaux articles et de hons argumcnts dans les jour-
naux de "Tashington. Mais la prcsse (le Wnshington
ne peut pas plus renvcrscr un prósidcnt que le
Times no pourrait renversor le lord-mairo pcndant
l'année de ses Ionctions. Nul no se préoccnpe des
dóbats du Congrós, paree qu'ils n'aboutisscnt :'t rien,
el nul ne lit les longs articles, paree qu'ils n'ont au-
cune influence sur les évónernents. Les Américains
se horncnt it jetcr les yellx sur les sommnires des
nouvclles el :'t parcourir r;ll'ideJl)(~nl les colnnnos de
lcurs journaux. lis 11e se ll)(~lcllt pa:; de discussiou ;
l'idée m¡~Jlle ne Ieur en vieut pas, cal' ce sorait peine
pcnluc.


Aprcs avoir di! que la división du pouvoir 1("p:is1alif
el da pouvoir exécutif dans les gouyernenwnls prósi-
dcnticls nílaihlit lo pouvoir It"gislatif, il peut sornhler
contradictoirc {le dire que ecuo división nllaililit aussi
l'exécntif', Mais il ll'Y a lit ricn d(~ contradictoirc.
Ccttc división ótc nu g'ouYC'rnC'lllcnt toute sa force,
(1';lgTt'gation, toute la force qu'a I'onscmhlc de la
souverainetó ; done elle en aílaiblit les deux moi-




LE CABI\ET. 31


tiés. Que l'exécuíif en soit allaihli, ríen n' cst plus
évident, En Angtctcrrc, un eahinet solide ohtient le
coucours de Iulépislature rlans Lous les actes qui ont
pour hut de Iacilitcr l'action administrative ; il est
lui-mómc, ponr ninsi dirc, la lógislature. Mais un
presiden! peut (~!rc eutravé par le pouvoir 16gislatif,
et il l'cst presque iúóvituhlemont. La tendance na..
turelle (les rncmhres de tonto lógislature est d'impo..
ser leur pcrsounalité. lis veulent satisfaire une am-
bition louahle OH hlámahle, ils vculent Iavorisor tes
mesures qu'ils jugent les plus utiles au hien puhlic,
ils veulent surtont laisser trace de leur activité propre
dans lesaffaires publiques. Tontos ces causes diverses
les engagent dans une opposition contre l' exécutif,
lis ne sont que les instrumcnts ele ses idees s'ils lui
prétent leur aide, ils Iont triompher leurs propl'es
opinions s'ils le terrassent ; ils out le premier role
s'ils parvicnncnt h lo vainero, ils n'ont que le róle
d'auxiliaircs s'ils l'appuien]. C'ost la faiblcsse de
l'exécuí.if en Amériquo qui d'ordinaire était le sujet
principal tln toutes les critiques avnnt le soulévernent
des États conf(\d(·~L'('·s. Le COlIP,T(~S et les comités du


. <


Congres mcttaient ohstaclo :'l l'exorcice du pouvoir
exécutif toutcs le:; fois que la pression du sentiment
public ne les tcnai t pas en arrút et en respect.


Non-seulornent le systemo présirlentiel suscite au
pouvoir cxócutif l'antngonisme du pouvoir législatif
et l'affaiblit d'autant, mais il l'nflaihlit encore en di-
minuant sa valeur intrinséque. Un Cabinet est choisi




32 CONSTITUTION ANGLAISE.


par une législature , et quand cette législature se
compose de personnes capables, ce moyen de choi-
sir l' exécutif est le meiHeur de tous. C'est un
exemple d'élection au second degré, dans les scules
conditions oü une élection semblable est préíérahle
il l'élection directe. Ordinairement , dans un pays
électoral, j'entends dans un pays dont la vie poli-
tique est forte et qui sait se servir des institutions
populaires, l'élection de candidats chargés de choisir
de nouveaux candidats est une pure comédie. Il en
est ainsi du collége électoral en Amérique. En l'éta-
blissant on avait voulu laisser aux députés, dont il
serait composé, l'exercice d'un pouvoir discrétion-
naire, et une véritable indépendance pour choisir le
président. Mais les électeurs du premier degré pren-
nent leurs mesures; ils ne nomment un député
que pour lui donner mission d'élirc M. Lincoln OH
M. Breckenridgc; le député se borne arecevoir un hil-
let de vote qu'il met ensuile dans l'urnc. Jamais il ne
fait réeHementun choix, jamáis méme il n'y songc. Il
n'est qu'un messager, un intcrmédiaire; ceux-la seuls
décident du choix afaire qui l'ont choisi lui-méme,
et qui l'ont choisi paree qu'ils savaient quellc serait
sa 1'a90n d'agir.


La Chambre des communes se trouve, il est vrai,
soumise aux mérnes influences. Ses memhres, pour
la plupart, sont élus paree qu'ils se proposent de
voter pour un certain ministere ; e'est ce qui déter-
mine a les nommer plutót que d'uutres considéra-




LE CABINET. 33


tions d'un ordre purement législatif. Cependant, et
voilá une différence capitale, les fonctions de la
Chambre des communes sont importantes et conti-
nues. Cette Chambre ne fait pas comme le collége
électoral aux États-Unis, elle ne se sépare pas aprés
avoir élu l'exécutif. Elle surveille les affaires, fait des
lois, éléve et dépose les ministéres, et cela par un
travail quotidien. C'est donc un véritable corps élec-
toral. Le parlement de 1857, lequel, plus que tout
autre parlement parmi ceux qui l'ont précédé depuis
longternps, avait été nommé pour soutenir un pre-
miel' ministre connu d'avance, ce parlement qui avait
été choisi, suivant l'expression américaine, d'aprés
le Palmerston-ticket, n'avait pas encore deux ans
d'existence, quand il renversa lord Palmerston.
Bien que nommé pour soutenir un ministére particu-
lier, il renversa ce ministére.


Rien de mieux qu'un bon parlement pour faire un
bon choix. 5'i1 est capahle de créer des lois pour le
pays, il faut que sa majorité représente l'intelligence
moyenne du pays; les divers membres qui le com-
posent représentent sans doute les divers intéréts de
nature spéciale, les opinions et les préjugés qu' on
y trouve; un tel parlement doit renfermer un avocat
pour chaqué doctrine particuliére et doit constituer
un vaste eorps rlont la neutralité entre les doctrines
présente,dans sonhomogénéité, l'image du sentiment
national Iui-móme. Un tel corps, quand il remplit ces
conditions, est, pour choisir les membres de l' exécutif,




34 CO,~STITUTION ANeLAlSE,


le meilleur qu' on puisse imaginar. Il est plein ~1'aeli-
vité politique , il est intimement m{\1t~ á la vie sociale,
il eomprend la responsabilité des aílaires, pour ainsi


. ./l


rlire, amhiantes ; il réunit toute l'intelligencc que le
milieu dont il émane se trouve eontenir. Voilá ce que
Washington el Hamilton ont voulu creer en cmnpo-
sant un collége electoral avec l'ólite de la nation.


Le meilleur moyen d'apprécier les avantages de
chaqué systeme est de le voir á l'muvre.En principe,
la nation elle-méme est le vrai eorps constituant;
01', rl'aprés la théorie et l'expórience, á part de raros
circonstances, ce eorps exerce mal son pouvoir.
M. Lincoln, a sn secunde ólection, fut choisi alors
que tous les États Iódérnux étaient unis de creur (1:1n8
un seul hut, aussi Iut-il l' élu (le la volontó nationale
exprimée en connaissance (le cause par la nation
ellc-mérnc. Il personniflait la pcnsée qui ahsorhait
tous les esprits. Mais e'est pent-('.Irc la scuie {'lrr-
tion présirlentielle dont on en peu! el ire antant. Ilans
presque tous les ras le choix du présirlent s'opere par
l'emploi de coteries et de comhinaisons trap C011""I-
pliquées ponr qu'on -s'en íasse une ideo exacto, el
trop eonnues, néanmoins, pour qu'il soit utile .l'en
tracer le tablean. H n'est pas l'éln de la nation, il est
nomm/ par des manreuvricrs électornux. Un vasto
eorps constituant, daus les temps calmes, est néces-
sall'ement e\, on pent)e l'lre, H\~i\imement soumis :1
l'action des mouvements élcctnrnux ; un simple {'\ec-
teur ne peut étre assuré (le donner son vote avec uti-




LE CAllIl'iET. 35


lité s'i! nc íait point partie de quelque grande organi-
sation ; el s'il en fait partie , il abdique sa capacité
électorale en Iaveur de ceux qui dirigent l'association.
La nation appelce ü choisir par cllc-mcme serait,
jusqu'á un certain point, inhahile á l'reuvre, mais
s'í! arrive que, ne choisissant pas c1irectement par elle-
méme, elle vote au gré d'agitateurs caches, elle res-
semble alors aun honune corpulcut el paresseux dont
l'esprit est étroit et vicieux; cet homme marche lente-
ment et lourdemcnt, mais sa marche le mene á l'exé-
cution d'un mauvais dessein ; son esprit n'a que peu
d'idées, mais dans cepeu d'idécs il cn est de mnuvaises.


Outre que la nation cst moins apto ü taire un choix
que le parlement, la matiérc sur laquolle ce choix
peut porter est aussi de qualitóinferieure. Ona heau-
coup blihné les lógislateurs américains du siccle der-
nier, de n'avoir pas permis aux ministres du prési-
dent d'étre momhres du Congres ; mais, eu égard á
leur poinl de vuc, cettc décision marquait de la pró-
voyance el de la sagesso. lls voulaient maintenir une
séparation ahsolue entre le pouvoir législatif et le
pouvoir exécutif'; ils crovaient que e'était nécessaire
al'existence d'unc honnc constitution ; ils pensaient
qu'une distinction semblahle se trouvait dans la
constitution anglaise que les plus hahiles d'entre
eux reaardaient comme la meilleure de tontes les


e


constitutions. El ponr hien maintenir une telle sépa-
ration, il faut nécessairement exclure de l' assemb1ée
législative les ministres du président. S'ils n'en sont


~;~~
'1 ~}"1 •
',.. ~@fo"''''~~




36 CONSTITUTION ANGLAISE.




pas exclus, ils devíennent l' exécutíf et éclipsent le
présídent lui-méme. Une chambre Iégislative est
avide et ambitieuse; elle empiéte autant qu' elle peut
sur les autres pouvoirs et leur fait le moins de con-
cessions qu'il lui est possible. Ce sont les passions de
ses membres qui la dirigent; la faculté de faire les loís,
qui, en matiére du gouvernement, est la plus compré-
hensive de toutes, lui sert d'instrument; elle 8'empa-
rera de l' administration s' il lui est possible de le
faire. Par conséquent, d'aprés leur principe, les fon-
dateursdes États-Unis ont eu raison d'interdire aux
ministres l' entrée du Congrés,


Mais quoique cette exclusion soit indispensable au
systeme du gouvernement présidentiel, elle n' en est
pas moins un grand mal. Elle entraine la dégrada-
tion de la vie publique. Un membre de la législature
doit avoír un autre horizon que le plaisir de pro-
noncer quelques discours; :'t moins d' étre excité par
l'espérance de prendre part a la politique active et
:'t moins de se sentir responsable, un homme de pre-
miel' ordre ne se souciera guére d' occuper un siége
dans l'assemhlée, ou bien il y fera peu de chose. Ap-
partenir a une société de déhats littéraires qui est
tout simplement l' appendice d'un pouvoir exécutif (et
c'est apeu prés l'image d'un congrés sous la consti-
tution présidentielle), voila un objet peu fait pour
provoquer une noble ambition, voilá une situation
propre a encourager la paresse. Les membres d'un
parlement, s'ils sont exclus des affaires politiques, ne




LB CABINET. 37


peuvent entrer en ligne de comparaison ni, aplus
forte raison, marcher de pair avecles membres d'un
parlement quand ceux-ci peuvent étre appelés au
maniement de l'administration, Par sa nature, le
gouvernement présidentiel divise la víe politique en
deux moitiés distinctes, l'une purement exécutive,
l'autre législative. Cette division fait que ni l'une ni
l'autre ne mérite qu'un homme s'y consacre comme
aune carriére suivie, et yabsorbe, ainsi que dans
le gouvernement de Cabinet, son ame tout en-
tiére.


Les hommes d'État entre lesquels la nation a le
droit de choisir sous le gouvernement présidentiel,
sont d'une qualité bien inférieure á ceux que lui offre
le systeme du cabinet; et le corps électoral chargé
de choisir l' administration est aussi beaucoup moins
clairvoyant.


Tous cesavantages ont beaucoup plus d'importance
aux moments critiques, parce que l'action gouver-
nementale est alors d'un intérét plus grave. Une
opinion publique bien formée, une législature respec-
table, habile et disciplinóe, un exécutif convenable-
ment choisi, un parlement et une administration qui
ne s'embarrassent point mutuellement, mais qui
coopérent ensemble; ce sont lit des avantages dont
l'importance est plus grande quand on est aux prises
avec de grandes affaires que lorsqu'il s'agit d'affaires
insignifiantes, plus grande quand on a beaucoup de
travail que lorsqu'on a une besogne facile. Mais ajou-


BAGEHOT. 3




38 CO~STITt:TION ANGLAISE.


tons qu'un gouvcrnemcnt parlcmentaire OÚ un ca-
binet est constitué, posséde en outre un mérite par-
ticuliérement utile dans les temps trés-orageux : il
a lt sa disposition ce qu'on peut appeler une reserve
de pouvoir toute préparée á agir quand des circón-
stances extremes l'exigent.


Le principe du gouvernement populaire, e'est que
le pouvoir suprérne eapable de déterminer le cou-
rant politique réside dans le peuple, non pas néees-
sairement ou ordinairement dans le peuplc tout en-
tier, ni dans la majorité numérique, mais dans le
peuple ehoisi, trié et mis á part. Il en est ainsi en
Angleterre el dans tous les pays libres. Sous un gou-
vernement de Cabinet, dans une occasion soudaine,
ce peuple peut ehoisir un homme tl la hauteur des
circonstances, II est possible el mémo probable qu'un
tel homme ne serait pas appelé au pouvoir avant cette
occasion. Ces grandes qualités, la domination de la
volonté, l'énergie decisivo, la promptitude du coup
d'osil, qui conviennent fort aux instants de erise, ne
sont pas nécessaircs et sont méruc des inconvónients
dans les temps ordinaires. Un lord Liverpool vaut
mieux pour la politique de tous les jours qu'un Cha-
tham, un Louis-Philippe heaucoup mieux qu'un Na-
poléon. Le monde est ainsi fait qu'il lui Iaut, quand
survient tout ü coup une tempere pórilleuse, chanpnr
de tímonier, remplacer le pilote des temps calmes
par le pilote des temps oragcux. En Angletcrre nous
uvons en si peu de catastrophes, depuis que notro




LECABINET. 39


constitution a atteint sa maturité, que nous appré-
cions apeine cette exceHence latente. Nous n'avons
pas eu besoin, pour diriger une révolution, d'un Ca-
vour, s'il m'est permis de citer comrne modele eet
homme taillé entre tous á la hauteur des grandes cir-
constances ; et, par un moycn naturel et légal, nous
sommes rentrés dans l'ordre. Mais méme en Angle-
terre, dans l'oceurrcnce qui, dans ces derniéres an-
nées, nous a le plus rapprochés d'une grande erise, au
moment des aílaires deCrimée, nous avons eu recours
acette ressource. Nous avons déposéle eabinet Aber-
deen, le meilleur peut-étre qu'il y ait eu clepuis l' Aete
de réforme, et qui était un cabinet non pas seulement
eonvenable mais éminemment approprié á toutes
sortes de situations difficiles, hormis celle qu'il fallait
surrnonter alors; un eabinet qui pour la paix était
excellent, et auquel il ne manquait qu'un peu de dia-
hle au eorps; on pórta alors au pouvoir un homme
d'Etat qui avait le genre de mérite necessaire , un
homme qui, s'il se sent fermement appuyé par l'An...
gleterre, s'il en sent la puissance derriére lui, mar-
che sans hésitation et Irappe sans s'arréter. Comme
on l'a dit alors, ( nous avons écarté le quaker et pris
" le pugiliste »).


Sous un gouvcrnemerlt présidentiel, rien de SeIW·
blable n'est possiblc. Le gouvernement américain se
vante el'étro le gouvernement du pcuple souverain;
mais quand arrive une erise soudaine, eirconstanee
dans laquelle l'usage de la souveraineté devient sur- (:
~~
..
'\. ~.




40 CONSTITUTION ANGLAISE.


tout nécessaire, on ne sait oü trouver le peuple sou-
verain. Il y a un congrés élu pour une période fixe,
qui peut étre divisée en fractions déterminées, dont
on ne peut ni háter ni retarder la durée; il Ya un
président choisi aussi pour un lapso de temps fixe, et
inamovible pendant tout ce temps-lá; tous les arran-
gements sont prévus d'une maniere déterminée. Rien
d'élastique dans tout cela; tout, au contraire, est ri-
goureusement spécifié et daté. Quoi qu'il advienne,
on ne peut rien précipiter, rien proroger. C'est un
gouvernementcommandé d'avance, et, qu'il convienne
ou non, qu'il marche bien ou mal, qu'il remplisseou
non les conditions voulues, la loi oblige il le conser-
ver. Dans un pays qui aurait des relations étrangeres
compliquées avec cette fixité du gouvernement, il ar-
riverait le plus souvent que pendant la premiére an..
née d'une guerre, c'est-a-dire pendant l'année la plus
critique, on aurait un chef deCabinet nommé pour le
temps de paix, et que la premiére année aprés I'éta...
blissement de la paix verrait au pouvoir un chef de
Cabinet choisi pour le temps de guerreo Dans l'un et
l'autre cas la période de transition serait dirigée fa-
talement par un homme choisi non pas pour établir
l'ordre de choses qu'il inaugure, mais pour le temps
contraire; cet homme d'État aurait été nommé pour
suivre la politique dont l'abandon lui est imposé par
les événements, et non point pour suivre celle qui
prévaut dans son administration.


Toute l'histoire de la guerre civile en Amérique,




---


LE CABINET. 4:1.


histoire bien propre á éclairer le méeanisme d'un
gouvernement présidentiel dans les eonjonetures oü
l'artde gouverner a le plus d'importanee, n'est qu'une
vaste et longue série de preuves al'appui de ces ré-
tlexions. Sans doute il serait absurde de reproeher
en prineipe au gouvernement présidentiel eette ano-
malie exeeptionnelle, qui a procuré l'avénement du
vice-président .Tohnson á la présidenee,eonfiant ainsi a
un homme élu pour remplir une sinéeure, les fone-
tions administratives les plus importantes du monde
politiqueo Un tel défaut, hien qu'il révele en méme
temps la véritable pensée de eeux qui ont fait la Con-
stitution (1) et le cóté faible du méeanisme, n'est
qu'un aeeident propre á eette variété du gouverne-
ment présidentiel, et non point un élément néeessaire
du systéme. Mais la premiére élection de M. Lineoln
n'offrait pas eette partieularité ; elle a montré d'une
maniere frappante le jeu naturel du .systeme dans
une grande oceasion, et cette Iacon d'opérer peut se
résumer en un mot : e'est gouverner par l'ineonnu.
Presque personne en Amérique n'avait la moindre
idée de ce que pouvait bien étre M. Lincoln, ni de
ce qu'il pourrait bien faire. Sous le gouvernement


(1) Dans I'esprit de ceux qui out fait la Constitution fédérale,
le choix du collége élcctoral devait porter iJ. la vice-présidcnce
l'homme qui, apres le présidcnt, offrirait par son habilcté politique le
plus de garanties au pays. Cepcndant la vice-présldcnce étant une
sinéeure, c'est ordinairement un esprit médioere mais ayant les
bonnes gráces des manreuvriers électoraux qui y est élevé par con-
trebande. La chance qu'il a de succéder au président est trop
éloignée pour qu'on en tienne compte ,




CONSTITUTION ANGLAISE.


deCabinet, au contraire, les hommes d'État principaux
sont familiérement connus de tous, non pas seulement
par leurs noms mais par leurs idées. Ce n'est pas tou-
jours avec une ressemblance fidele, mais e'est toujours
profondément, que le portrait d'hommes tels que
M. Gladstone ou lord Palmerstonest imprimé dans l' es-
prit publico Nous n'imaginons méme pas qu'on puisse
confier l'exercice de la souveraineté h un inconnu.
L'idée de désigner des gens inconnus, qui peuvent
étre médiocres, pour parer il des éventualités incon-
nues, qui peuvent avoir de la graudcur, nous parait
tout simplement ridicule. l\1. Lincoln, il est vrai,
s'est trouvé étre un homme, sinon de grande capacité,
du moins de grand bon sens. Il avait un fond de na-
ture puritaine qui était le fruit des épreuves et qui
ne manquait pas de charme. Mais le succés á la 10-
terie n'est pas un argument en faveur des jeux de
hasard. DueHes étaient les enances pour qU'Ul1 ltomme
ayant les antécédents de Lincoln et élu dans les con-
ditions olI il l'a été, fit ses prcuves comme il les a
faites?


Cependant cet état d'incertitude est le cas ordinairc
sous le gouvernement présidentiel. Le président y est
nommé par un procédé qui rend impossihle l' ólection
de personnages connus, autrement que dans des cir-
constances particuliéres et dans les moments ou l'es-
prit public excité se prononce impérieusement. Par
conséquent,s'il survient une crise aussitót aprés l' élec-
tion présidentielle, on a l'inconnu pour gouverne-




LE CAnIl\"ET. 43


ment, et le soin de conjurer cette crise est remis a
ce que notre grand antcnr satirique aurait appelé
« l'homme d'État X.!J l\Iüme dans les temps calmes,
le gouverucrnent présidentiel, par les raisons diver-
ses que nous avons énumérccs, est inférieur au gou-
vernement rl'un caLinet; mais la difficulté qui peut
se présenter a101's n'est rien en comparaison de ce
qu'elle scrait dans les temps agitós. Les défauts rela-
tifs cl'un gouycrncmcnt présidcnticl sont bien moin-
dres dans la vio réguliére et courante que ne le se-
raient, au momcnt (le trouhlos soudains, le manque
el'élasticité, l'impossibilitó de la dictature, l' absence
totale d'une reserve róvolntionnaire.


Ce contraste explique pourquoi la qualité mar-
quante que possédent les gonvernemcnLs de Cabinet
a une importance si prépondórante..Je vais montrer
maintenant quelles nations peuvent avoir un gouver-
nement de ce genre et sous quolle forme ce gouver-
nement existe en AngleteITe.




11


LE GOUVERNEMENT DE CABINET.


SES CONDITIONS PRÉALABLES; SA FORME SPÉCIALE
EN ANGLETERRE.


Le gouvernement de Cabinet est une rareté, parce
qu'il nécessite un grand nombre de conditions préa-
lahles. Il exige la coexistence, chez une nation, de
plusieurs traits qu'on ne rencontre pas souvent clans
le monde et dont on devrait faire l'analyse avec plus
de soin qu'on ne le fait souvent. On s'imagine qu'une
certaine intelligence et quelques vertus simples sont
les conditions qu'il suffit de réaliser. Sans doute ces
qualités intellectuelles et morales sont nécessaires,
mais il y a bien d'autres choses qui sont nécessaires
encore. Un gouvernement de Cabinet est le gouver-
nement d'un comité élu par la législature , et par
conséquent il doit remplir des conditions de deux
ordres : premierement celles qui sont essentielles,
par sa nature, atout gouvernement électif'; et en se-
cond lieu celles que réclame ce genre particulier de




LE GOUVERNEMENT DE CABINET. 45


gouvernement électif. 11 y a les conditions préalables
communes au genre, et d'autres conditions particu-
liéres :i l'espéce.


La premiére condition préalable que suppose un
gouvernement électif, e'est la coufiance mutuelle des
électeurs. Accoutumés :i accepter pour gouvernants
des ministres élus, nous sommes portes ~ nous ima-
giner que le monde entier aurait facilement des dis-
positions analogues. L'état de nos connaissances et
la civilisation ont fait chez nous assez de progrés
pour qu'instinctivement et sans raisonner, presque
sans en avoir conscience, nous accordions :i un cer-
tain nombre de pcrsonnes le droit de choisir nos
gouvernants pour nous. Cela nous parait la chose la
plus simple du monde. Et cependant c'est l'une des
plus graves.


Ce qui indique particuliórement l' état de demi-bar-
barie chez un peuple, e'est le sentiment général de
méfiance et le caractére soupconneux qu'on y re-
marque. Les hommes, :'t part d'hcureuses circon-
tances de temps et de pays, tiennent par de fortes
racines au sol natal; ils pensent comme on y pense,
et ne peuvent souffrir une autre maniere de penser.
La paroisse voisine elle-méme est pour eux un objet
de soupcons ; ses habitants ont des usages qui,
pour offrir avec les leurs des différences impercep-
tibles, sont néanmoins différents ; ils ont un accent
particulier, ils emploient certains mots qui leur sont
propres, la traclition leur attrihue une foi équivoque.


3




46 CONSTITUTION ANGLAISE.


Et si la paroisse voisine donne ainsi prise aux soup-
cons, le comté voisin y préte beaucoup plus. Lá on
signale un commencemcnt de maximes nouvelles, de
pensées nouvelles, d'habitudes nouvelles; cette limite
qui de temps immorial sépare les deux comtés Iait
pressentir 1'existence d'un monde étranger. Si ron a
des préventions contre le comté voisin, on a pour les
comtés éloignés une méfiance absolue. «Il vient de
la desvagabonds » , voilá ce qu'on en sait, et l' on n'en
connait rien de plus. Les habitants du Nord parlent
un dialecte qui ne ressemble pas au dialecto du Sud;
ils ont d'autres lois, une autre aristocratie , une YÍe
autre. Aux époques ou l'idée des pays lointains
n'offre rien a l' esprit, ou le voisinage est chose
de sentiment et la localité objet d'une véritable pas-
sion, on ne peut concerter une coopération entre des
pays éloignés, méme pour des intéréts vulgaires. Les
habitants de ces pays n'ont pas mutuel1ement assez
de confiance dans la honne Ioi, dans le hon sens et
dans le bon jugement de leursvoisins ; ils ne peu-
vent assez compter les uns sur les autres.


S'il ne faut pas attendre cette coopération pour
les affaires ordinaires, il n'y faut pas compter a
plus forte raison pour l'acte le plus sérieux de la
vie politique, c'est-á-dire le choix du pouvoir exé-
cutif. S'imaginer que le Northumberland, au XIlI C
siécle, aurait consenti il s'allier avec le comté de
Somerset pour choisir un magistrat supréme, c'est
une idée absurde; ces deux pays seraient a peine




LE GOlJVERNEMENT DE CABINET. l! t


tombés d'accord pour choisir un bourreau. Aujour-
d'hui méme, si l' ohjet qu'on poursuit avait quelque
chose d'ostensible, aucun des districts séparés ne l'ac-
cepterait. Mais dans une élection de comté, jamais on
ne dit : «Le hut de notre réunion est de choisir un dé-
» légué pour nous représenLer dans ce corps particu..
» lier que les Américains appellent un collége électo..
» ral, pour l' assemhlée qui doit nommer. notre pre-
» miel' magistral, lequel remplace cheznous leur pré-
» sident. Les représentants de ce comté se réuniront
» avec ceux des autres comtés, villes ou bourgs pour
» élire nos gouvemants.» Une explication aussi caté-
gorique eüt étó impossible autrefois, et on la regar-
derait méme comme bizarro et excentrique si elle
étaitdonnéeaujourd'hui. Par bonheur leprocédé élec-
toral est si indirect, si caché, 1'introduction de' ce
procédé s'est faite d'une maniere si graduelle el si
latente, qu'on remarque ú peine combien est énorme
le degré de confiance politique que nous nous aCCOf-
dons les uns aux autres. Le crédit commercialle plus
étendu semhle, áceux qui l'accordent, chose natu-
relle, simple ct ordinaire ; on ne le raisonne pas, on
n'y songe guere ; le crédit politique le plus étendu a
quelque chose d'analogue ; nous donnons notre con-
fiance ú nos compatriotessansréíléchir acet acte.


Une seconde et trés-rare conclition du gouverne-
ment électif', c'esL le calme de l' esprit national, c'e8t-
á-diré cette disposition el'esprit qui permet de traver-
ser, sans perdre 1'équilibre, tout ce que renferment~


. ((
, '~:~"''':'-:). ~




48 CONSTITUTION ANGLAISE.


d'agitations nécessaires les péripéties des événe-
ments. Jamais, al'état de barbarie ou de demi-civi-
lisation, un peuple n'a possédé cette qualité. La
masse des gens sans éducation ne pourrait pas au-
jourd'hui, en Angleterre, écouter paisiblement ces
simples paroles: «( Allez,choisissez vos gouvernants II ;
semblable idée les affolerait et leur ferait appréhender
un danger chimérique; une tentative d'élection abou-
tirait forcément a quelque usurpation de pouvoirs.
L'avantage incalculable des institutions imposantes
dans un pays libre, e'est qu' elles empéchent cette cata-
strophe.Silanomination de nosgouvernantsse faitsans
troubles, c'est gráce al' existence apparente d'un gou-
vernement non soumis al'élection. Les cIasses pauvres
et ignorantes, celles qui sont plus sujettes aux agita-
tions et aux égarements qui les suivent, s'imaginent
en toute conscience que la reine gouverne. Im-
possible de leur expliquer la différence qu'il y a
entre régner et gouverner; les mots nécessaires pour
1'exprimer n'existent pas dans leur langue, et les
idées nécessaires pour en pénétrer le sens n' exis-
tent pas dans leur esprit. Cette distinction établie
entre le pouvoir supréme et le rang supremo est un
raffinement qu'elles ne peuvent pas méme concevoir.
Elles s'imaginent étre gouvernées par une reine hé-
réditaire, et gouvernant par la gráce de Dieu, tan-
dis qu' en réalité elles sont gouvernées par un cabinet
et un parlement composés d'hommes de leur propre
choix et sortant de leurs rangs. Les traits saillants de




LE GOUVERNEMENT DE CARINET. 49


la dignité imposent le respect, et souvent des indi-
vidualités qui, sans cela, n'auraient aucun crédit en
profitent pour gouverner á la faveur de ce sentiment.


Enfin la troisiéme condition de tout gouvernement
e


électif, c'est ce qu'on peut nommer la raison instinc-
tive. Par la j'entends une faculté qui implique l'in-
telligence mais qui en est pourtant distincte. Un
peuple entier appelé ;\ choisir ses gouvernants doit
étre capable de se représcnter clairement les objets
éloignés. Ordinairement le caractére divin qu'on at-
tribue aun roi ne permet pas qu'on se fasse de sa
personne une idée exacte. On s'imagine que l'étre
aqui on rend hommage a une supériorité de nature
autant que de position; on ledéifie par le sentiment
comme autrefois on le déifiait par la doctrine. Cette
illusion a été et est encore d'un avantage incalculable
pour la race humaine. Elle l'empéche, iI est vrai, de
choisir ses gouvernants, cal' les hommes ne peuvent
s'illusionner au point d'accorder ce tribut de leur
sentiment a un homme qui était hiel' leur égal et
qui peut le redcvenir demain, aun homme qu'ils ont
endéfinitive choisi pour étre ce qu'il est. Mais quoique
cette superstition empéche l' élection directe des gou-
vernants, elle rend possible l'existence des gouver-
nants qui ne sontpas élus. Un peuple ignorant s'ima-
gine que son roi ceint d'une couronne auguste,
sacré a Reims par l'huile sainte, ou appartenant
aladescendance des Plantagenets, est un étre différent
ele ceux qui ne descendent pas d'une maison royale,




50 CONSTITUTION ANGLAISE.


qui n'ont ni couronne ni caractére sacré. Il croit
fermement que cet étre a un droit mvstique [l leur
obéissance; et, á ce titre, il lui obéit. C'est seu-
lement plus tard , quand le monde s'est étendu,
quand l' expérience des peuples s'est élargie, quand
ils ont plus de sang-Iroid dans la pensée, que l'auto-
rité d'un gouvernant choisi d'une íacon visible peut
obtenir son plein exercice.


Ces conditions retrécissent beaucoup le domaine
des gouvernements électifs. Mais les conditions pré-
liminaires qu'exige un gouvernementde Cabinet sont
encore plus rares. Un tel gouvernement, outre qu'il
lui faut renfermer les conditions déjit mentionnées,
doit rencontrer encore une bonne législature, c'est-
á-dire une législature capable d'élire une adminis-
tration hahile.


Or une législature capable est une rareté. Toute
législature permanente, tout mécanisme dont 1'action
constante a pour hut de faire ou d'abroger des lois,
hien que ce soit anos yeux une institution fort natu-
relle, ne s'en écarte pas moins des idées tradition-
nellement admises par l'humanité. La plupart des
nations se font de la loi un idéal qui la presente soit
comme un don de la Divinité, par conséquent inva-
riable, soit comme l'effet d'une habitnde fondamen-
tale, legs du passé qu'il faut transmettre intact á
l'avenir. Le parlement anglais, dont les fonctions
principales consistent afaire des lois, n'avait pas ce
caractére autrefois. C'était plutót un corps chargé de




LE GOUVERNEMENT DE CABINET. 51


conserver, la loi. La eoutume du royaume, eette loi
originelle transmise par les ancétres, cette loi eonfiée
aux soins des juges, ne pouvait étre modifiée sans le
consentement du parlement; on était done assuré
qu'elle ne subirait ses changements que dans les eir-
eonstanees graves et dans les eas tout afait particu-
liers. On estimait que le parlement n'avait pas tant
pour objet de modifier les lois que de s'opposer a
leur modification. Tel était en effet son emploi réel.


Dans les sociétés primitivos, il importe plus d'avoir
des lois fixes que de les avoir bonnes. Toute loi faite
ehez un peuple, aux temps d'ignorance, renferme
néeessairement beaucoup el'erreurs et entraine beau-
eoup de eonséquenees fácheuses. Les perfectionne-
ments de la législation ne se trouvent, ni ne sont
méme bien utiles, dans une société grossiere, péni-
blementoeeupée el. ¡\ vues étroites. Mais alors, il y a
un besoin impérieux de stahilité. Que l'homme puisse
reeueillir les fruits de son travail, qu'on reconnaisse
les lois sur la propriété, sur le mariage, que tout le
train de la vie marche dans une orniére connue d'a-
vanee, tel cst le souverain hien rlans les áges primitifs
et le désir supréme de I'humanité aux époques de
derni-civilisation. Ces temps-lá demandent moins l'a-
mélioration des lois que leur fixité. Les passions y
ontune telle violence, la force y est si entreprenante
et le lien social si faible que, pour frapper les yeux
par un augusto spectacle, rien ne vaut alors l'inalté-
rabilité de la loi néeessaire au maintien de l'ordre,




52 CONSTITUTION ANGLAISE.


Aux premiers áges de la société humaine, tout chan-
gement est regardé comme funeste et l'est en effet le
plus souvent. Les conditions de la vie y sont si sim-
ples et si invariables qu'un bon ensemble de regles y
suffit, pourvu que les hommes s'en rendent bien
compte. La coutume est le premier obstaele á la ty-
rannie. Cette fixité routiniére des usages soeiaux qui
irrite si fort les novateurs modernes, parce qu'elle
entrave les perfectionnements, sert de digue aux
usurpations. L'idée des néeessités politiques n'a
pas encore fait son apparition; on ne concoit les ah-
stractions de la justice que faiblement et vaguement;
on demeure obstinément attaché comme á un moule
aux usages transmis, e'est une nécessité pour conser-
ver intaete et en hon état la vie íragile qui s'y mo-
dele.


En un temps pareil, un~ législature toujours occu-
pée á faire et á abroger des lois, aurait offert une
anomalie et un aanger. Mnis dans l'état actuel du
monde civilisé, ces difficultés disparaissent. Les aspi-
rations des États civilisés les portent il réclamer qu'on
approprie les lois aux mreurs, qu'on adopte la légis-
lation du passé aux besoins nouveaux d'un monde qui
varie maintenant chaque jour. Il n'est plus nécessaire
de conserver des lois mauvaises, paree qu'il est de-
venu nécessaire d'avoir des lois. La civilisation est
assez forte pour qu'il soit permis de greffer sur elle
des perfectionnements au moyen des lois..Cependant,
envisagée dans son ensemhle, l'histoire démontre que


,




LE GOUVERNEMENT DE CABINET. 53


si les.bons Cabinets sont rares, e'est paree qu'il y a
moins encore de législatures dont l'action soit con-
tinue.


D'autres conditions limitent en outre le domaine
oü peut se rencontrer un gouvernement de Cabinet.
Il ne suffit pas qu'il y ait une législature, il faut que
cette législature soit capahle, qu' elle veuille élire et
conserver un hon pouvoir exécutif. Et la chose n'est
pas trés-facile. Ce n'est pas que nous nous proposions
l'entreprised'étudier l' organisation laborieuse et com-
pliquée, dont on trouve déja l'exemple clans la Cham-
bre des communes, et dont on a tracé avec plus de dé-
tails le libre développement dans les projets formés
pour améliorer cette Chambre. Nous ne songeons en
ce momentni á la perfection, ni :'t ce qui est exeellent,
nous bornant á rechercher seulement les conditions
suffisantes de capacité.


Ces conditions sont au nombre de rleux : d'abord il
faut avoir une bonne législaturc ; ensuite il faut la
conserver bonne. Ces deux prohlémes n'ont pas une
liaison aussi intime qu'on pourrait le croire apre-
miére vue. Pour conservar une Iégislature dans toute
sa valeur, il est néeessaire de lui donner un travail
sérieux qui l'oecupe. Qu'on emploie la meilleure as-
semblée ane rien faire, les membres de eette assem-
blée se disputeront á propos de rien. Gil finissent les
grandes questions, eommencent les petits partis. Et
l'État le plus heureux, s'il a peu de nouvelles lois a
faire, peu de lois anciennes a abroger, et des rela-




CO~STITUTION A~GLAISE.


tions étrangéres pen cornpliquées, éprouve une diffi-
culté considérableaemployerune législature. N'ayant
ríen adécréter, rien a régler, cctte lógislature court
grandemont le risque, toute nutre affaire lui man-
quant, de se livrer á des querelles sur la partie de sa
tache qui concerne les élections. Des disputes rela-
tives aux ministeres occuperont tout son temps, el ce
temps pourra étre mal employé ; une suite continuo
d'administrations faibles, incapahlos de gouverner et
peu propres au maniement des intéréts puhlics, vien-
dra se substituer ace qu'un gouvernement de cahinet
doit procurer quand i! fonctionne hicn, r,' est-á-diré
un nombre suffisant d'hommes capahlcs, se rnainto-
nant assez longtemps au pouvoir ponr déployer leurs
capacites. Déterminer exactement la somme d'allaircs
n'ayant pas trait aux élcctions qu'il Iaut confier ann
parlement chargé <1' élire l' cxécutif', voilá qui n'est
guóre Iacile. n n'y a ni chiflres ni statistiquo dans la
théorie eles constitutions. Tout ce qu'on peut dire,
e'est qu'un parlement, s'il a peu d'affaires ¡\ traiter, ne
peut étre aussi bon qu'un parlement dont les aífaires
sont nombrenses, amoins que sous tous les nutres
rapports il ne soit bien meilleur que ce dorniel'. Un
parlement mediocre s'améliore beaucoup au frotte-
ment des grandes aílaires, mais s'il n'a pas d'af-
faires importantes, il doit étre intrinséquement
d'une nature tout á fait supérieure, pour ne pas
marquer son existence d'une maniere déplorable.


S'il est diíficile de conserver une législature en bon




LE GOUVERNEl\IENT DE CABINET. 55


état, il est évidcmment plus difficile de l'obtenir telle
tout d'abord. Deux sortes de nations sont aptos a
choisir un hon parlement. C'est, en premier lieu, la
nation ou le peuple est intelligent et ason aise. La oü
ne se trouve point ce qu'on nomme l'honnéte pau-
»reté, lit ou l'éducation est répandue et oü l'intelli-
gence politique est commune, rien n'est plus facile
pour la masse du peuple que d'élire une bonne légis-
lature. Les traits principaux de cet ideal se présen-
tentdans les colonies anglaises de l' Amérique septen-
trionale et dans tous les États Iibres de I'Union. Ces
pays ne connaissent pas l'honnéte pauoreté; l' aisance
matérielle s'ohtient i¡\ has h un deg1'é que nos pauvres
d'Angleterre n'irnaginent pas, el s'obtient facilement
avec de la santé et du travail. L'éducation y est tres-
répanclue et s'y répand rapidement. Partis ignorants
de l'ancien monde, les émigrants, arrivés dans leur
nouvelle patrie, ont souvent l'occasion cl'apprécier
les avantages intellectuels dont ils sont eux-mémes
dépourvus, et ils souffrent de leur infériorité dans
un pays ou l'éducation élémentaire est si commune.


La plus grande difficulté qu'on óprouve dans des
régions aussi nouvelles est uniquement le fait de la
géographie ; en général la population est éparse, et
partout ou la population est éparse la discussion de-
vient difficile. Mais méme dans un pays trés-grand,
comme nous en comptons en Europe, un peuple réel-
lement intelligent, réellement bien elevé, réellement
ason aise, se formerait hientót un bon courant d'opi-




56 CONSTITUTION ANGLAISE.


nions. On ne peut douter queles États de la Nouvelle-
Angleterre, s'ils formaient un pays séparé, auraien
une éducation, une capacité politique et une intel
ligence moyennes, telles que n'en posséda jamai
la majorité chez aucun peuple aussi nombreux, Dan
un État de ce genre, oü le peuple est capable de
choisir une législature, il est possible et presque fa
cile de la choisir bonne. Si les États de la Nouvelle
Angletorro formaient une nation séparóe ayant un
gouvernement de Cahinet, ils se feraient dans le
monde, par leur sagacité politique, une réputation
égale :i celles qu'ils ont pour leur prospérité géné-
rale.


La structure de ces'États est, il est vrai, fondée sur
le principe de l'égalité, et il est impossible qu'aucun
État de ce genre puisse satisfaire entierement et
rigoureusement un théoricien politiqueo Dans tous
les États de l'ancien monde, l'{~g'alité n'est qu'une
fiction légnle presque toujours en désaccord avee
les faits. Théoriquement, tous les hommes ont les
mémes droits politiques, et ils ne peuvent les exercer
que s'ils ont une égalité de sagesse. Mais aux débuts
d'une colonie agricole, cette hypothóse est aussi
voisine de la vérité que l'exigent les hesoins de
la politiqueo Dans un pays de cette sorte il n'y a pas
de grandes propriétés, pas de grands capitaux, pas
de classes aristocratiques, chacun a de l'aisance et
une vie simple, el. nul n'est supérieur il son voisin,
Ce n'est pas artificiel1ement que l'égalité s'étahlit




LE GOUVERNEMENT DE CABINET. 57


dans une colonie nouvelle ; elle s'établit par elle-
méme. On raconte que parmi les premiers colons
de l'Australie occidentale, quelques-uns, qui étaient
riches, prirent a gages des ouvriers et voulurent
se donner le luxe d'équipages pour se promener.
Mais ils eurent bientót a se demander s'ils pour-
raient s'arranger de maniere á vivre dans leurs
voitures. Avant que les maisons de leurs maitres
eussent été consLruites, les ouvriers étaient partis,
ils se hátissaient des maisons á eux-mémes et culti-
vaient eux-mérnes leurs terres, abandonnant leurs
maitres avec leurs équipages. Que ce fait se soit exac-
tement passé ainsi, je l'ignore; en tout cas, les faits
de ce genre sont arrivés des milliers de fois.


On a souvent essayé de transplanter aux colonies,
avec ses nuances de classes, l'image de la société an-
glaise ; on a toujours échouédesles premiers paso Les
classes grossiéres des has fonels ont bien vite sentí
qu'elles étaient les égales des classes placées au haut
de l'échelle ouméme qu'elles leur étaient supérieures ;
elles ont chango ele position, laissant les gentillátres
s'arranger aleur íacon ; la base ele la pyramide venant
amanquer, le sommet croulait aussitót et disparais-
sait. Dans l'enfance d'une colonie agricole, qu'il y
ait ou non une démocratie politique, il y a nécessai-
rement une démocratie sociale; la nature se charge
de la créer sans le concours de l'homme. Mais avec le
temps la richesse s'accroit et l'inégalitó commence. A
etses enfants sont industrieux, ils prospérent; Bet ses




58 CONSTITUTION ANGLAISE.


enfants sont paresseux, ils échouent. S'il s'établit des
manufactures sur un grand pied, et la plupart des
pays jeunes s'efforcent. el'en établir mérne au moyen
des droits protecteurs, la tendance a l'inégalité s'en
accroitd'autant. Lecapitalistearrive seulaunegrande
fortune, ses ouvriers forment la foule ayant peude
ressources.


Apres quelques générations bien élevées il se
crée plusieurs variétés de classes, il se trouve un
millier d'aristocratcs ou quelques rlizaines de mille,
composant une classe dont l' éducation est supé-
rieure au milieu d'un granel peuple dont l'éduca-
tion est ordinairc. En théorie, il est désirable que
cette classe qui a plus de richesse et de loisir, ait
une iníluence plus grande; une constitution parfaite
trouverait un expédient habile pour accorder aux
idées délicates de cetteclasse une action puissante sur
les idées plus grossióres de la foule, mais dans la
marche présente du monde, quand toute la popula-
tion d'un pays est aussi instruite et aussi intelligente
qu'elle l'est dans le cas que j'ai supposé, on n'a pas á
s'occuper de résoudre ce prohléme. Lesgrands États,
presquojamais, si ce n'est dansdes moments de tran...
sition, n'ont été gouvernés par l'aristocrntie de la
pensée ; et si ron obtient qu'ils se laissent gou-
verner par une pensée d'une capacité convenable,
on peut déjá se féliciter. On aura fait plus qu'on
nc pouvait espérer, bien qu'on püt désirer davan-
tage. En tous cas, un État isocratique, c'est-á-dire




LE GOUVERNEMENT DE CABINET. 59


oít tout le monde vote et ou tout le monde vote de
la méme facón, peut, si l'éducation y est solide et l'in-
telligence répandue, offrir certainement matiére aun
gouverncment de Cabinet. Il satisfait á la condition
essentielle du systérnc, cal' il a un peuple capable de
choisir un parlement chargé de choisir lui-méme le
pouvoir exécutif.


Supposons le cas ou la masse du peuple n'est pas
eapable d'élire le parlement, et e'est ce qui arrive
dans le plus grnnd nombre des nations, l' exception
acette regle étant fort rare, comment alors un gou-
vernement de Cahinet est-il possible? Il est possible
alors seulement chez les peuples que je nornrnerai les
peuples respectueux, On a regardé ce fait cornme
étrange, maisc'est une grande vérité, qu'il y a des na-
tions chez Iesquelles la rnultitude, rnoins habile poli ti-
quement que le petit nombre des privilégiés, désire
étre gouvernée par eux. La majoritó numérique, soit
par hahitudo, soit de propos délihóró, peu importe,
est disposée ct m0n18 ardente :'t déléguer le pouvoir
de ehoisir ses ~'ouvernants á une certaine minorité


e..


d'élite. Elle abdique en Iaveurde cette élite, elle obéit
volonticrs ü ceux qui ont la coníiance de cette aristo-
cratie intellectuelle. Elle reconnait pour ses électeurs
au second degré, chargés comme tels de choisir ses
gouvernants, lesmemhres d'une minorité bien élevée,
capahlc et qui ne trouve pas de résistance ; elle ac-
corde unesorte de mandat á quelques personnes qui
lui sont supérieures, qui peuvent choisir un hon gou-




60 CONSTITUTION ANGLAISE.


vernement et auxquelles on ne Iait pas d'opposition.
Une nation dans des cireonstanees si heureuses,four-
nit des moyens singuliérernent avantageux d'orga-
niser un gouvernement de Cabinet. Elle a les meil-
leurs eitoyens pour élire une législature, et par eon-
séquent, on peut á juste titre espérer qu'ils la
ehoisiront bonne et capable a son tour de ehoisir
une bonne administration.


L'Angleterre est le type des nations respectueuses,
et la maniere dont elle l' est et dont elle est arrivée a
l'étre est ehose extrémernent eurieuse. Les classes
moyennes, e'est-á-diré la majoritó des gens qui ont
de l' édueation, voila aujourd'hui la souree du pou-
voir en Angleterre. « L'opinion publique aujour-
» d'hui, e'est l'opinion clu brave bourgeois qui prend
» l' omnibus. » Ce n'est nullement l'opinion des
classes aristoeratiques par elles-mémes, ni celle des
classes qui ont le plus d'éducation ou de goút, e'est
tout simplement l' opinion de la masse ordinaire qui
a recu une certaine instruction,mais qui n'en demeure
pas moins assez vulgaire.Voyez dans leur ensembleles
colléges éleetoraux, ils n'ont rien de bien intéressant,
et si vous promenez vos regards dorrióre la scéne
pour y voir les gens qui manreuvrent et opérent dans
le mouvement électoral, peut-étre vous offriront-ils
eneore moins d'intérét. La Constitution anglaise dans
toute la vérité de sa forme tangible, se résume en
eeci : la masse du peuple obéit ú un certain nombre
d'individus; el quand on examine ces individus, on




LE GOUVERNEMENT DE CABINET. 61


s'apercoit que s'ils ne sont pas de la derniére classe,
cependant ce sont des individus assez lourds et as-
sez grossiers; ce sont, si elle les passait en revue, les
derniers auxquels songerait une tres-grande nation
pour leur accorderune préférence exclusive.


En fait, la masse du peuple anglais a une obéis-
sanee tres-grande pour autre chose que pour sesgou-
vernants. Ce qu'elle respecte, e'est ce qu'on peut nom-
merla pompe théátrale de la société. Qu'une cérémo-
nie imposante, qu'un cortége de grands personnages,
qu'un certain spectacle de femmes élégantes, qu'une
de ces mises en scéne dans lesquelles la richesse et le
luxe sedéploient,viennent afrapper ses regards.voilá
cette masse profondément impressionnée. Son imagi-
nation est subjuguée, elle sent son infériorité devant
tout l'apparat qui se révéle ainsi. Les cours et les
aristocraties ont une grande supériorité qui domine
la multitude, bien que les philosophes n'y apercoivent
ríen, e'est leur éclatet leur solennité. Les gensde cour
peuvent faire ce qui est impossible a d'autres. Un
homme du peuple essayeraitaussi vainement de ri-
valiser de jeu sur la scéne avec les acteurs, qu'avec
les membres de l'aristocratie dans leur role. Le
grand monde vu de dehors est une sorte de théátre
ou les acteurs hrülent les planches comme les spec-
tateurs ne le pourraient faire. La piéce se joue dans
chaque district. Un hornme des champs reconnait que
sa maison ne ressemble pas au cháteau de rnylord,
sa vie n'est pas celle de mylord, sa femme n'a pas la


BAGEHOT. A




62 CONSTITUTION ANGLAlSE.


physionomie de mylady. Le dernier mot ele la piéce,
e'est la reine: nul ne suppose que sa propre elemeure
ait quelque analogie avee la eour; que la vie d' un
simple partieulier soit celle de la reine, que les 01'-
dres donnés par lui s' approehent des ordonnanees
royales.


Il y a en Angleterre un speetaclc enehanteur qui
faseine la multitude et qui s'empare de son imagina-
tion eharmée. De méme qu'un paysan en arrivant a
Londres se trouve en présenee d'un grand et vaste
étalage d'objets qui l' éblouissent par 1'ineompréhen-
sible mystére de leur eonstruetion méeanique, de
méme la eonstitution de notre société le met faee á
faee avec une foule d'objets politiques, dont il n'au-
rait jamáis imaginé ni su fabriquer les détails et aux-
quels son esprit ne trouve rien d'analogue.


Que les philosophes raillent cette superstition, elle
n'en a pas moins des résultats inappréciables. Gráce
au spectacle de cette société imposante, la multitude
ignorante ohéit au petit nombre des électeurs nomi-
naux, e'est-á-diré aux rentiers taxés sur le pied de
10 livres dans les hourgs, et aux rentiers de 50 livres
dans les comtés. Et cependant ces gens-la n' out rien
d'imposant en eux-mémes, ríen de propre á attirer
les regards ou aséduire l'imagination. Ce qui frappe
la foule, ce n' est pas la pensée, ee sont les résultats de
la pensée ; et le plus grand de ees résultats, e'est le
merveilleux spectacle qu' oííre une société toujours
nouvelle et toujours la méme, dans laquelle les acci-




LE GOUVERNEl\IENT DE CABINET. 63


dents passent et l'essence demeure, oi: une génération
périt et OÚ une autre la remplace, comme s'il s'agis-
sait d'oiseaux en cage ou d'animaux dans une ména-
gerie; en observant cette société admirable, est-ce
un langage trop métaphorique que de dire de ses
parties diverses qu' elles sont comme des membres
appartenantaun étre éternel, tant les changements
s'y opérent avec tranquillité, tant il y a d'identité entre
la vie qui anime cette année le eorps social et celle
dont il était animé l'an dernier. Les personnages qui
gouvernent en apparence l'Angleterre, sont comme
ceux qui figurent le plus ostensiblement dans une
magnifique procession, ce sont eux qui occupent les
regards de la foule et qui provoquent ses acclama-
tions. Ceux qui gouvernent en réalité sont renfermés
dans des voitures de second ordre, nul ne les remar-
que ni ne demande leurs noms, mais on leur obéit
implicitement et instinctivement, en raison de la
splendeur déployée par ceux qui les éclipsent et les
précédent.


Il est vrai que ce sentiment, produit par l'imagi-
nation, s'appuie sur un fond de satisfaction politiqueo
On ne peut pas dire que la masse du peuple anglais
soit extrémement heureuse en somme. Des classes en-
tiéres n'ont aucune idée de ce que les classes supé-
rieures appellent l' aisance ; elles n'ont pas les condi-
tions indispensables de l' existence morale, elles ne
vivent pas de la vie qui csnvient a la dignité hu-
maine. Cependant les plus misérables n'imputentr
~~h




64 CONSTITUTION ANGLAISE.


leur misére ala politiqueo Siun agitateur, s'adressant
aux paysans du Dorsetshire, tentait d'exciter en eux
la désaffection politique, il serait plus probablement
lapidé que porté en triomphe. Ces étres misérables
eonnaissent apeine ce qu'est le Parlement, ils n'ont
jamais entendu parler du Cabinet; mais malgré tout
ce qu'on leur aurait fait entendre, ils s'écrieraient :
« Apres tout, la reine est bonne ! » Serévolter contre
l'organisation politique serait, aleur sens, serévolter
contre la reine qui gouverne la société dont les carac-
teres les plus imposants, ceux qu'ils connaissent, ont
leur expression supréme dans sa personne. La masse
du peuple anglais est satisfaite politiquement et elle
est politiquement respectueuse.


Un peuple respectueua , lors méme que les classes
inférieures y sont peu intelligentes, convient beau-
coup plus au gouvernement de Cabinet qu'un pays
démocratique, paree qu'il fournit de plus sürs moyens
d'arriver h l'excellence politiqueo Les classes éle-
vées y peuvent gouverner, 01' les classes élevées ont
plus d'habileté politique que les autres. Une vie de
travail, une éducation incompléte, une occupation
monotone, une carriére qui occupe beaucoup les
bras et fort peu l'esprit, ne peuvent permettre autant
de souplesse a l'esprit, autant d'application al'intel-
ligence, qu'une vie de loisir, de longues études, une
expérience variée, une existence qui exerce sans cesse
le jugement et qui le perfectionne continuellement.
Un pays oü se trouvent des pauvres respectueux,




LE GüUVERNEMENT DE CABINET. 65


bien qu'il puisse étre moins prospere que les pays oü
il n'y en a pas, est néanmoins beaucoup plus pro-
pre que ces derniers al'existence d'un bon gouverne-
mento On peut uti1iser les meilleurs citoyens dans un
État respectueux, on n'emploie que les plus dange-
reux dans un État oü tout homme se croit l'égal de
ses concitoyens.


Évidemment, ríen n'est plus difficile que de créer
une nation respectueuse.Le respect est affaire de tra-
dition, on l'accorde non pas ace qui est bon, mais a
ce qui estvénérable par l'antiquitéoCertaines classes,
chez certains peuples, conservent d'une facón mar-
quée le privilége d'étre préférées pour les fonctions
politiques, parce qu'elles ont toujours possédé ce
privilége, et parce qu'elles recoivent comme par hé-
ritage un certain prestige qui semble les en rendre
dignes. Mais dans une colonie nouvelle, dans un État
oü lescapacités ont chance d'étre égales, et ou il n'y a
point de signes traditionnels pour marquer le ménte
etles aptitudes, il coule de source qu'on ne peut ac-
cordel' de respect politique a la supériorité intellec-
tuelle, que lorsqu'il est bien prouvé d'abord qu'elle
existe, ensuite qu'elle a une valeur politiqueo Il
est presque impossible de fournir des preuves sem-
blables de maniere aconvaincre les ignorants. Dans
l'avenir, en un siécle meilleur, peut-étre pourra-t-on
y arriver, mais aujourd'hui les éléments les plus
simples font défaut pour cela; si ron ouvrait une
discussion sérieuse et des débats convenables, on


40




66 CONSTITUTJON ANGLAISE.


ne parvienorait pas facilement aohtenir de la multi-
tude qu'elle motive, par un argument rationnel, son
acquiescement ala domination du petit nombre qui
se compose de gens bien élevés. Ce petit nombre gou-
verne par la prise qu'il a, non pas sur la raison de la
foule, mais sur ses préjugés et ses habitudes, sur
la maniere dont elle se représente les choses éloignées
qu'ellene connait nullement et sur la connais-
sanee usuel1e qu'elle a des ohjets rapprochés et fa-
miliers.


Un pays respectueux, ou la masse du peuple est
ignorante, est par conséquent dans cette situation
qu'on nomme en mécanique l'équilibre instable. Cet
équilibre une fois troublé, rien ne tend plus ale rap-
peler, au contraire tout en éloigne.Un cóne placé sur
son sommet est dans un équilibre instable, cal' si
vous l'ébranlez tant soit peu, il s'écartera de plus en
plus de sa position et tombera tt terreo Il en est de
méme dans les États ou les masses sont ignorantes,
mais respectueuses; si vous permettez une fois ú la
classe ignorante de prendre le pouvoir en mains,
adieu le respect pour toujours. Les démagogues dé-
clareront et lesjournaux répéteront que le pouvoir du
peuple vaut mieux que la domination de l'aristocratie
déchue. Un peuple est rarement améme d'entendre
discuter les deux cótés d'une question qui l'intéresse;
les organes populaires adoptent le coté qui plait ala
foule, et les feuilles populaíres sont en fait les seules
qui pénétrentjusqu'aux masses, Un peuple ne s'en..




LE GOUVER~El\IENT DE GABli\ET. 67


tend jamais critiquer. Jamáis personne ne lui dira
que la minorité bien élevée qu'il a c1éplacée, gouver-
naitrnieux et plus sagernent que lui. Jamais une c1é-
mocratie, a moins d'aífreuses catastrophes, ne con-
sentira il rétrocéder ce qu'on lui aura accordé une
fois : cal' agir ainsi ce serait avouer son incapacité,
mais c'est la un fai t don t les plus Iourdes calamités
auraient seulement le pouvoir de la convaincre.




III


LA ROYAUTÉ.


Le role de la reine, en tant que pouvoir imposant,
est d'une utilité incalculable. Sans la reine, le gou-
vernement aetuel de l' Angleterre s'effondrerait et ne
serait plus. Souvent, quand on lit que la reine s'est
promenée sur les talus de Windsor, ou que le prince
de Galles s'est rendu au derby, on s'imagine que
c'est donner trop d'attention et d'importance á des
minuties. 1Uais on a tort; et ii convient d'expli-
quer comment les actes d'une veuve isolée et d'un
jeune homme inoceupé peuvent offrir tant d'in-
térét.


Ce qui fait principalement de la monarchie un
gouvernement fort, e'est qu'elle est un gouverne-
ment intelligible. La masse des hommes comprend
cette forme de gouvernement et presque nulle part
dans le monde on n'en comprend d'autre. On dit
communément que les hommes se laissent guider
par leur imagination; il serait plus vrai de dire
qu'on les g'ouverne gráce a la faiblesse de leur
imagination. La nature d'une constitution , l'ac-




LA ROYAUT~. 69


tion d'une assemblée, le jeu des partis, la forma-
tion invisible d'une opinion dirigeante, sontautant de
faits dont la complexité présente a l'esprit des diffi-
cuItés et préte a!' erreur. Mais l'unité d'action, 1'unité
de résolution, voilá des idées faciles asaisir, chacun
s'enrend compte et on ne les oublie jamais, Deman-
del' a la masse des hommes s'ils veulent étre gou-
vernés par un roi ou par une constitution, c'est leur
donner le choix entre un gouvernement qu'ils com-
prennent et un autre qu'ils ne comprennent pas. Le
cas s'est présenté pour les Francais : on leur a posé
cette question: Voulez -vous étre gouvernés par
Louis-Napoléon ou par une assemblée? Le peuple
francais a répondu: Nous voulons, pour nous gou-
verner, un homme dont notre esprit ait une image
précise, et non une foule de gens que nous ne nous
représentons paso


Le meilleur moyen de se renseigner sur la nature
des deux gouvernements est d'examiner un pays oü
tous les deux, dans un espace de temps relativement
court, se sont succédé 1'un a1'autre.


«La situationpolitique, d'aprés M. Grote, telle que
dans la Gréce légendaire elle s'offre partout a nous,
différe d'une maniere frappante en ses traits princi-
paux de l' état de choses universellement accepté
parmi les Grecs al'époque de la guerre du Pélopo-
nése. L'histoire nous montre que 1'oligarchie et la
démocratie étaient d'accord pour admettre un cer-
tain systéme de gouvernement, lequel comprenait en




70 CONSTITUTION ANGLAISE.
principe les trois éléments avec leurs attributions
spéciales, puis des fonctionnaires nommés pour un
temps et relevant en dernier ressort sous une forme
ou sous une autre d'une assemblée g'énérale de ci-


c..


toyens composant soitle Sénat, soit le Corps législatif',
soit les deux ensemble. Il yavait, bien entendu, des
différences nombreuses et marquantes entre ces gou-
vernements sous le rapport des qualités requises
pour étre citoyen, des attrihutions et des pouvoirs
conférés a l'assernhlée générale, de l'admissibiIité
aux fonctions, etc., et souvent un individu avait lieu
de critiquer la maniere dont on traitait ces questions
dans son propre pays. Mais dans l'esprit de tous, une
regle ou un systéme, quelque chose enfin d'analogue
a ce qu'on nomme dans les temps moclernes une
eonstitution, était d'une nécessité indispensable á
un gouvernement pour qu'il fút regardé comme légi-
time et capable d'inspirer aux Grecs le sentiment
el'ohligation morale el'ou l'ohéissance découIe.


» Les fonctionnaires auxqueJs était confié l'exercice
de l'autorité pouvaient étre plus ou moins compétents
et populaires, mais l'estime personneIle qu'on avait
d'eux se perdait ordinairement dans l'affection ou la
répugnance que provoquait l'ensemhle du systéme.
Si un homme énergique parvenait, á force d'audace
ou de ruse, á renverser la constitution et aétablir
d'une facon permanente sa domination arbitraire, iI
avaitbeau gouverner parfaitement, jamais il n'obte-
nait du peuple une sanction morale ; son sceptre était




LA ROYAUTI;;. 71


entaché d'illégitimité eles le debut, et l'assassinat
méme d'un tel maitre, loin d'étre interdit par le
sentiment qui dans toute autre circonstance rendait
conelamnable l'acte de versar du sang, était regardé
dans ce cas spécial comme un fait méritoire; on ne
trouvait méme pour qualifier ce maitre qu'un nom
dans la langue (rlÍplXlIlIo" c'esí-á-dire tyran), ce nom
le flétrissait ala fois comme un objet de terreur et de
haine.


» Si nous reportons nos regards de la Grécehisto-
rique a la Gréce légendaire, celle-ci nous offre un
spectacle opposé. Nous y voyons dans le gouverne-
ment peu ou point de partí pris ou de systéme,
encore moins l'idée d'une responsabilité vis-a-vis des
gouvernés; mais l'obéissance du peuple y prend
sa source dans les sentiments personnels de res-
pect qu'inspire le chef. Nous remarquons d'abord
et par-dessus tout le roi, ensuite un nomhre limité de
rois ou chefs suhordonnés, puis la masse des hommes
libres tant guerriers qu'agriculteurs, artisans, aven-
turiers, etc.; enfinau-dessous d'eux les journaliers li-
bres et les esclavos achetés. Aucuue barriere largo ou
infranchissable ne separe le roi des nutres chefs aux-
quels le titre de Basileus est applicable aussi bien
qu'á lui-méme ; la suprématie dont il jouit lui vient
par héritago de ses ancétres et il la transmet par
héritage, en regle généralc, ason fils ainé ; e'est un
privilége accordé a la famille par la faveur de Zeus.
En temps de guerre, le roi conduií ses guerriers, se




72 CONSTITUTION ANGLAISE.


signale par des exploits et dirige tous les mouvements
militaires; en temps de paix, il est le protecteur su-
préme des faibles et des opprimés; de plus, il offre
au ciel pour le public les priéres et les sacrifices des-
tinés a attirer sur le peuple entier la faveur des
dieux. Un vaste domaine donné en apanage au sou-
verain lui permet de consacrer en partie le produit
de ses champs et de ses troupeaux aune hospitalité
fort large quoique simple. En outre, on lui fait
beaucoup de cadeaux, soit pour désarmer son ini-
mitié, soit pour acheter sa faveur, soit pour pallier
des exactions, et quand on a pris du hutin sur l'en-
nemi, on commence par prélever une part considé-
rahle, ou d'ordinaire se trouve la plus attrayante
captive, et cette part est réservée au roi en dehors de
la distribution générale.


» Telle est la position que le roi occupe aux temps
légendaires de la Gréce ; seul, si l'on excepte les
hérauts et les prétres qui ont un rang spécial et
secondaire, le roi se présente aux yeux comme re-
vétu d'une autorité individuelle, et toutes les fonc-
tions, alors peu nombreuses, dont l'exercice est utile
ala société, sont accomplies par ses soins ou par ses
ordres. Son ascendant personnel, qui tient ala pro-
tection divine répandue sur sa personne ou sur sa
race, et peut-étre aussi a ce qu'on le croit descendu
des dieux, voilá quel est le trait principal du ta-
bleau; le peuple écoute sa voix, adopte ses proposi-
tions, obéit il ses ordres; non-seulement il ne trouve




LA HOYACTÉ. 73


pas la moindre résistance, mais méme la moindre
critique paraitrait hlámable ; on n'en trouve jamais
d'exemple, si ce n'est isolément ou chezquelques-uns
des princes subordonnés. )


Le trait caractéristique de la royauté anglaise, e'est
que tout en conservant le prestige sur lequel l'auto-
rité s'appuyait , aux temps héroiques , pour gou-
verner, elle y réunit la force morale dont les eonsti-
tutions ont plus tard armé le pouvoir en Gréce dans
un temps plus civilisé. Nous sommes un peuple plus
mélangé que celui el'Athenes et probablement que
tous les autres pcuplcs de la Greco politiqueo Notre
progrés a marché d'un pas plus inégal que le leur.
Les esclaves, autrefois, Iormaient une classe séparée
ayantd'autres lois et d'autres pensées que les hommes
libres. On n'avait pas a s'occuper el' eux en faisant
une eonstitution; nulle néeessité d'améliorer leur
sort pour rcndre le gouvernement possible. Un
législateur grec n'était point tenu d'emhrasser
dans l'éconoruie de son reuvre des gens tels que
les journaliers du comté de Somerset et des
esprits distingues comme M. Grote. Il n'avait pas a
organiser une soeiété dans laquelle des éléments
appartenant :\ la barbarie primitive servent de base
a l'édifiee de la eivilisation. Pour nous, le cas est
différent. Nous n'avons pas d'esdaves qu'il fail1e con-
tenir par les terreurs d'une législation spéciale.
Mais nous avons des classes entiérement incapables
de Se faire l'idée d'une constitution, incapables»: , ."


BAGEHOT. 5 /~ ...
l~




74 CO:\STlTUTlO:-i A:\taa\lSE.


d'éprouver le moindre attachement pour des lois
abstraites. Beaucoup de personnes, sans doute, dans
cette multitude savent bien d'une facon vague qu'il y
a, outre la reine, d'autres pouvoirs étahlis et q~il
existe des lois pour la diriger dans le gouvernement.
Mais la masse se préoccupe de la reine plus que de
tout le reste, et voila ce qui donne au róle de la
reine une valeur si prócieuse. La république n'a
que des idées clifficiles :'t saisir dans sa théorie gou-
vernementale ; la monarchie constitutionnelle a au
contraire l'avantage d'offrir une idee simple, elle
renferme un élément qui peut étre compris par la
multitude des cerveaux vulgaires tout en présentant
les problemes complexes de ses lois et de ses prin-
cipes a la curiosité du petit nombre.


Une famille sur le tróne a encore son utilité en ce
sens qu'elle sert á porter les rayons de la souverai-
neté jusqu'aux profondeurs de la vie commune. Rien
de plus pueril, en apparence, que I'cnthousiasme
des Anglais pour le mariagc du princo de Galles.
On donnait les proportions 11' un grand événement
politique aun fait qui en lui-méme n'avait que pen
d'importance. Mais aucun sentiment n'est plus en
harmonie avec la nature humaine telle qu'elle est et
qu'elle sera probablement toujours. Les femmes qui
composent, pour moitié au moins, la race humaine
se préoccupent cent fois plus d'un mariage que d'un
ministére. Tout le monde, sauf - quelques esprits
chagrins, aime avoir le charme d'un joli roman se




LA HOYAlTE. 75


méler un instant aux scenes austéres de la vie sé-
rieuse. Un mariage princier est l'expression éc1atante
d'un fait usuel et, a ce titre , íixe l'attention g'éné-
raleo Il nous arrive de sourirc en lisant le Dulletin
de la Cour, mais qu'on y songe, combien de gens
lisent ce hulletin ! Son utilité procede moins de ce
qu'on y trouve que du puhlic auquel il s'adresse.
Les Arnéricains, dit-on, ont accueilli avec plus de
satisfaction la leure de la reine it madame Lincoln
que n'importe quel acte du gouvernement anglais.
Cet acte spontané, compris de tous, a éc1airé d'unc
lueur généreusc le train confus et fatigant des
aITaires. Voilá comment l'existence d'une famille
royale adoucit les ápretés de la politique en y intro-
duisant de la grúce et de l'agrément a l'occasion.
Sans doute, ce sont lit des hors-rl'reuvre dans la vie
politique, mais ces hors-d' reuvre parlen! aux creurs
des hommes et occupent leurs pensées.


En rósurué, la royauté est une forme de g'ouverne-
ment qui concentre l'attention publique sur une
personne dont les actions intéressent tout le monde;
tan.lis qne sous la Hépuhlique, cette attention se
divise entre bcaucoup de personnes, dont les actes
privés ne sont pas intéressants, Par conséquent,
tant que la race humaine aura beaucoup de c '. ,_: I ~- '.
peu de raison , la royautó sera un gouv .,!l:e\l\WÚ ~ ... "
Iort , paree qu'clle s'accorde avec les senfmé.~';i,e: ~ ,,:.
pandus partout, et la républiquc un gouftei'll~fAeif~',,; ': '. "
Iaihle, 'paree qu'ellc s'adresse á la raison. ~ . ,.: "'-,;',;: J


. :":" .'": ;.~ ;
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76 CO~STITUTlON ANGLAlSE.


Secondeconsidération. La royauté, en Angleterre,
ajoute a la puissance du gouvernement la force du
sentiment religieux. Il n'est pas facile d'en donner la
raison. Tout théologien instruit affirmerait qu'on
doit, lorsqu'on est venu au monde sous une répu-
hlique, obéir acette république aussi bien que l'in-
dividu né sous une monarchie doit obéissance au
monarque. Mais ce n'est point l'opinion du peuple
anglais qui, prenant a la leUre le serment d'allé-
geance, croit de son devoir d'obéir Ú la reine, et ne
se figure qu'imparfaitement qu'on soit tenu d'ohéir
aux lois, s'il n'y avait pas de royauté. Autrelois,
quand notre constitution était encore incornpléte,
cette facon d'attribuer a un seul pouvoir le droit
sacré d'étre obéi, ne laissait pas ti'avoir ses effets
pernicieux. Tous les pouvoirs étaient en lutte ,
mais les préjugés populaires n'accordaient qu'á la
seule royauté les moyens de grandir á son aise, sans
qu'il Iút permis aux nutres pouvoirs de grandir en
dehors d'elle. Le partí des Cheoaliers tout entier
avait pour maxime qu'on devait ohéir au roi quand
méme ; ils lui vouaient une obéissance passive et
ne se croyaient ohligés d'obéir a nulle autre auto-
rité. Le roi, pour eux, était rOint du Seiqneur,
et nul autre pouvoir n'avait un caractére sacré. Le
parlement, les lois, la presse n'étaient que des
institutions humaines, tandis que la royauté était
une institution divino. e'est ainsi qu'en accor-
dant des attributions exagérées á l'un des pouvoirs




LA ROYAl1TÉ. 77


étahlis l on entravait le progrés de l'ensemble.
Apres la révolution, ce préjugé funeste ne tarda


pas a s'amoindrir. Le changement de dynastie lui
porta un coup décisif. Si quelqu'un avait une sorte
d'investiture divine , ce devai t étre évidemment
Jaeques JI; s'il y avait ohligation morale pour les
Anglais el' obéir á un souverain quand méme, c'était
á lui que revenait le droit d'étre obéi ; si la souverai-
neté était une sorte de privilége héréditaire , c'était
au roi, fils des Stuarts, il qui la couronne revenait
par sa naissanee, et non point au roi de la révolution,
qui n'avait une couronne que grúce au vote du Par-
lement.


Pendant tout le régne de Guillaume Ill , il Y
eut, pour employer les termes vulgaires, un roi fait
par les hommes et un autre roi que Dieu avait fait.
Le roi qui gouvemait en réalité n'avait pas lt eomp-
ter sur eette fidélité que la religión impose par le
sacre; hien qu'il fút le souverain de fait, il y avait en
France, d'aprcs la théorie du droit divin, un autre
roi qui devait gouvcrner. Mais il ótait difficile pour
le peuple anglais, avec son han sens et son esprit po-
sitif, de conserver longtemps un sentiment de véné-
ration pour cet aventurier étranger, vivant sous la
proteetion du roi de Franee, ne faisant que des
choses absurcles, et ne montrant que dans ce qu'il
ornettait de faire quelque étincclle de sagesse. Aus-
sitót que la reine Anne fut sur le tróne, il y eut
une modifieation dans les esprits ; les vieilles croyan-




78 CO~STITrTrON A~r.LAlSE.


ces de royauté sacrée se réunirent autour d'elle.
11 existait bien quelques difficultós qui auraient
arrété en chemin heaucoup de monde, mais l'Anglais
y va de tout creur et ne se laisse pas facilement dé-
courager. La reine Anne avait un írére et un péro,
t.ous deux vivants, et d'aprés toutes les regles de suc-
cession,leurs droits l' emportaient sur les siens. Mais
en général, on adopta une maniere de voir qui élu-
dait ces obstacles. On se dit alors que Jacques 11, en
prenant la íuite, avait abdiqué par cela méme. Ce-
pendant, il n'avaít pris la fuite que contraint et forcé
par intimidation, et il rappelait chaqué jour ü ses
sujets leur serment de fidélité. Le prétendant, assu-
rait-on, n'était pas un fils légitime, hien que la légi-
timité de sa naissance fút prouvée par des témoi-
gnages que toute cour de justice aurait acceptés.
Enfin, le peuple anglais, aprés s'étre déliarrassó d'une
royauté revétue du caractére sacre, fit beaucoup rl' ef-
Iorts pour en reconstituer une autre semblahle. Mais
les événements eurent le dessus. On avait consenti avec
plaisir a prcndre la reine Arme pour Iaire souche
d'une nouvelle dynastie ; on avait bien voulu passer
sous silence les droits de son pere el ceux de son
frere, mais a ce moment critique il ne lui restait pas
d'enfants. Elle en avait eu treizc autrefois, mais elle
leur avait survécu et il fallait ou bien en revenir aux
Stuarts ou créer un nouveau roi par acte du parle-
ment.


Suivant la loi de succession adoptée par les whigs,




LA novun, 79


la eouronne fut déceruée aux descendunts de la prin-
eesse Sophie de Hanovrc, filIe cadettc d'une filIe de
Jacques I". JI y avait nvant elle Jacqucs II, son fils,
les descendants d'une ülle de Charles ler et des enfants
plus úgés de sa propre móreo Mais les whigs les mi-
rent de cóté, paree qu'ils étaient eatholiques, et choi-
sirent la princesse Sophie, qui avnit tout au moins le
mérite el' étre protestante. Assurément, ce chnix
était el'une bonne politique, mais il ne pouvait étrc
Iort populaire. Impossihle de déclarer que e'était un
devoir pour les Anglais el'ohéir ú la maison de
Hanovrc sans admettre les principes qui reconnais-
sent au peuplc le droit de ehoisir ses gouvemants, et
sans faire descendre la royautó de la sphere isolée oú
elle reeueille majestueusement les hommages pour
la ranger au nombre de tant el'autres institutions
qui ont tout simplcmcnt leur utilité. Si un roi n'est
qu'un Ionotionnuire pulilic utile qu' on peut changer
et remplacor, ll'cxigez pas qu'on aitpour lui une
vénération profundo. Aussi, pcndant tout le rógne de
George I" el, celui ele Geurgc H, les scntimcnts de
Ildélité qu' inspire l<l rcligion se rcfusóront ;'¡ .appuyer
la couronne. La prérog'alive royale n'eut point de
partisans ; les Iotics, qu i la sontiennent el' ordinaire,
n'aimaient ras hcancoup la prr50nne du roi, et les
whigs n'etaient point portes par leurs idées á aimer
la royauté. Jusqu'á l'avénement ele George lII, la
couronne trouva ses plus vigoureux adversaires
parmi les nobles de campagne, qui sont pourtant ses




80 COi\STIT13TIOi\ ANGLAISE.


amis naturels, et parmi les rcpréscntants (les districts
ruraux ou la fidélité monarchique a son asile de
prédileetion. Mais quand George III fut sur le tróne,
le sentiment public redevint le méme que sous la·
reine Anne. Les Anglais consentirent á voir rlans la
jeunesse du nouveau prinee le germe d'une branche
saerée, eomme ils l'avaient faitjadis pour la vieillesse
d'une Iernme qui était eousine au second !legré de sa
trisai'eule. Voilá ou nous en sommes. Dornandcz fl
l'immense majorité des sujets anglais quels sont les
titres de la reine pour gouverner, jamáis ils n'iront
vous dire qu'elle rcgne en vertu d 'un acto du parle-
ment passé dans la sixiéme année de la reine Anne,
ehap. VII. Ils vous répondront qu' elle rcgue par la
graee de Dieu, el ils se eroient tenus par rlevoir re-
ligieux de lui obéir. Quand sa Iamille est montee sur
le tróne, il y avait presque erime de trahison :\ pré-
tendré que la transmission héréditaire de la souve-
raineté dans une hranchc est inaliónahle, cal' cela
revenait á dire qu'une nutre Iamille avait des droits
supérieurs á ceux de la famille régnanle; mais
aujourd'hui, par un singulier revirement des choses
humaines, ce sentiment est le plus sur el le rneilleur
appui de la reine.


Cependant, on aurait grand tort de croire qu'á
l'avénement de George IIl, l'instinct de fidélité mo-
narchique ait eu autant d'utilité qu'nujourd'hui.
e'est la vigueur de cet instinel qui commenca alors
de se faire sentir et non son influence avantaaeuse.




LA ROYAUTÉ. 81


Il se mela tant d'entraves au hien prorluit par ce
sentiment nouveau qu' on peut se demander vrai-
ment s'il fut en somme utile ou nuisible. Durant la
plus grande partie de son existence, George 111 fut
pour la politique anglaise une sorte d'oracle sacré.
Tout ce qu'il faisait avait une qualité sainte que ne
possédaicnt les actes de nul nutre pouvoir ; il se
trouva par malheur qu' en p:énéral ses actions étaient
rnauvaisos. Sans doute, ses intentions étaient assez
honnes, et il s'occupait des aílnires de son pays avec
autant d'assiduité qu'un employé qui a besoin de
gagner sa vie en déploie dans l' accomplissement de
sa tache. Mais son esprit était raíble, son éducation
médiocre, et il vivait á une époque agitée. Aussi se
montra-t-il toujours l'adversaire des reformes et le
protecteur desahus. Il fit une opposition funeste mais
puissante par son caractére sacré á la moitié de ses
ministres; et quand la révolution francaise eut sou-
levé l'horrenr nnivcrsolle, et jcté sur la dómocratie la
souillure du sacril("~'e, la pictó de l'Angletcrre con-
centra tous les dévouernents autour du roi, décuplant
ainsi la puissance (le son autorité. La royautc répand
actnellement sa sanction religieuse sur tout l'ordre
politique; á l' époque de George III, elle ne s'en
servait gueres que ponr son propre usage. Elle donne
maintenant une p:rande vigueur a tout le systéme
constitutionnel, en lui assurant, par les liens de la
foi, l'obéissance de rnasses tres-uomhreuses ; mais
autrefois, se tenant il l'écart, elle ahsorbait en elle-


5




82 CO\'STlTUTION ANC.LAISE.


méme le hénefice ele ce caractére sacré, laissant au
reste du co1'ps politique le role d'instrument de son
hon plaisir.


Un des motifs prineipaux qui permeUent ü la
royauté de donner une si honne eonséeration au mó-
eanisme gouvernernenta}, e'est cette particularité de
notre systémc qui, pour les Arnéricains et pour un
grand nombre d'utilitaires, n' cst qu'un sujet de rail- ,
lerie. On rit de eet extra commo disent les Yankees,
de eet élément isoló dans sa domination. On cite le
mot de Napoléon, disant qu'il ne voulait pas « étre
mis á l' engrais », quand il refusa le titre de grand-
ólectcur, que la eonstitution de Sieyés avait creé pou!'
une fonction qui était, d'apres M. Thiers, emprun-
tée avec raison á la monarchie eonstitutionnelle.
Mais ces objections sont tout á fait erronées. Sans
doute, il était ahsurde de la pnrt de Sieyes de propo-
ser une institution nouvcllo dépourvue de tout respect
traditionnel, et de toute consécration religieuse pour
tenir la -place occupee par un roí conslilutionnel dans
les nations dont l'histoirc est monarchique. Une telle
institution loin d'étre assez augusto, pour répandre
autour el' elle une sorte de respcct par action róílexe,
a une origine trop récen te et trop artiíicielle pour
avoir quoi que ce soit d'imposnnt; eL de plus, si l'alJ-
surdité de l'idée pouvaitencore s'accroitrc, c'était par
l'oflre d'une sinécure inutile, mais qu' on prétendait
sacrée, :1 Napoléon, e'est-a-dire :l l'hornmc le plus
actif de France, á I'hornme qui ayant an plus haut




LA HOYArrr.:. 83


point le gónie des aílaires, mais nullement le carne-
tére sacré, semhlait Iait oxclusivoment pour l'action.
)fais l'crreur de Sicyes no sert qu'á mettre en pleine
lumiere l'cxcellcnco de la rovauté réelle. Si un mo-
narque peut Iaire le honheur d'un peuple, ce qu'il y
a de mieux, c'cst rle le mottre 1101'S de toute atteinte.
Il Iaut admcttre comme un axiome qu'il ne pent faire
le mal, et ne point l'nhaisser aux proportions mes-
quinos de la réalité. Sa place doit étre élevée et soli-
taire. Comme la royaut« anglaise n'a gucre que des
fonctions latentes, elle remplit cette condition. Elle
paruit commandor , jamais elle ne parait lutter. Elle
est ordinairement cnchée comme un mystére, quel-
quefois elle attire les yeux comme un grand spec-
tacle, mais jamais elle n' est melée aux conflits. La
nation se divise en partis, la couronne demeure en
dehors de tous. Son isolerncnt apparcnt des affaires
l'éloiguo des Irostiliíés et des profanations, lui con-
serve un charme myst/'rÍellx, el lui perrnet de reunir
:'t la fois l'affeotion des partis contraires.d't'tre le sym-
hole visihle de I'uniu' ponr les gens dont l'éducation
cncore incompleto ne peut encare se passer d'un sym-
holco


En troisióme lieu: In royauté sert de tI~te úla société.
~i elle n'existait )las, le premior ministre serait le
premier pcrsonrwge du pa~·s. e'cst lui et sa íemme
qui auraient h reccvoir les amhassadeurs el quelque-
fois les princos {\tran~'rrs, ú offrir les plus grandes
If~tes du pays, á donner l' exemple de la vie luxlleuse,;~:




84 CONSTITUTION ANGLAT8E.


areprésenter l'Angleterre aux yeux de l' étranger, et
le gouvernement de l'Angleterre aux yeux des An-
glais.


Il est facile d'imaginer un monde ou ce chango-
ment n'aurait pas de suites bien fácheuses. Dans un
pays ou le peuple, n'ayant aucun souci des pompes
extérieures, ni le gout de l'apparat théátral, reuarde-
rait exclusivement au Iond des choses, ce ne serait
qu'une bagatelle. Que lord et lady Derhy soient char-
gés de recevoir les ambassadeurs étrangers, ou que
ce devoir incombe el lord et lady Palmerston, peu im-
porte dans ce cas, et la supériorité de ceux-ci ou de
ceux-Iá dans l' organisation de leurs retes n' intéres-
serait que leurs invités. Une nation de philosophes
austeres ne se préoccupera en aucune Iacon de ces
détails. Le nom du metteur en scéne n'a de valeur
que pour quiconque prend intérót á la pararle.


Mais il n'v a peut-étrc pas au monde une nalion
qui renferme aussi peu de phi losophcs que la nótre.
Ce serait chez nous une affaire tres-sérieuse que de
changer tous les quatre ou cinq ans la Wte visible de
notre société. Si nous ne nous distinguons point par
une amhition extraordinaire, il faut nous reconnnitre
un penchant trés-rernarquable pour cette petite sortr:
d'amhition qui confine il l'envie. La Chambre des
communes est pleine de memhres rlont le seul hut,
en ~T entrant, a été ele faire figure dans la société,
comme on elit, eL d'obtenir ponr eux et leurs Iamilles
le droit de participer a des cérémonics qni , nutre-




LA nOYAUTÉ, 85


ment, leur seraient intcrdites, Cette partie des privi-
léges parlementaires est enviée par des milliers de
personnes, quoiquc ce soient la de pures Irivolités
pour le penseur. Si le poste le plus en évidence dans
la vie publique était livré aux compétitions, ces senti-
ments étroits d'amhition el d'envie augrnenteraient
épouvantablcment. Les séductions de lordre politique
sont trap éblouissantes pour notre pauvre humanité ;
mises á la portee des .unes hasses, elles deviendraient
la proie des hábiles et ceux-ci seraient jalousés par
les sots, Il y a méme aujourd'hui un danger dans la
distinction qu'on accorde :'t ce qu' on nomme exclusi-
vement la vie publique. Les journaux font quotidien-
nemenl et sans cesse le tablean d'un certain monde;
ils glosent sur le compte des personnages qu'il ren-
ferme,l'analysent dans ses détails, étudient ses in-
tentions et annonccnt d'avance ce qui s'y passera. Ils
donnent ú ce monde sur tous les autres, une pré-
domiuance dont ils n'honorent aucun nutre monde.
Le monde de la Iittérature, celui de la science el.
celui de la philosophie, non-seulement ne s'élévent
pas ala hauteur du monde politique I rnais ils exis-
tent apeine en comparaison de celui-ci. On n'en fait
pas mention dans la presse, on ne songe mérne pas
a l'essayer. Tels journaux, tels lecteurs. Ceux-ci,
par suite d'une irresistible association d'idées, en
viennent it croire que les personnagcs dont les noms
se trouvent constamment dans les journaux sont plus
hahiles, plus capables, et en tous ras supérieurs aúx




86 COXSTTTUTION ANr.LAlSE. .


nutres. « J'ai fait des livres pondant vingt années, »
disait un écrivain, « et je n' étais ríen; je suis arrivé
au parlement, et avant mérne d'y nvoir pris séance,
j'étais devenu un personnage. » Lesporsonnagcspoli-
tiques de l' Angleterre oeeupent :'t eux senls la pensée
du publie anglais, ce sont eles acteurs en scéne, et il
est diffieile aux spcctateurs (le nn pas se laisser en-
trainer par leur admiration :'t irnaginer que l'acteur
admiré leur est supérieur. A notro époque et clans
notre pays, il serait fort périllcux d'augmenter en
quoi que ce soit la force d'un ponchant déjá trop dan-
gereux. Si la place la plus élevée de la société pou-
vait étre disputée dans la Chambre des communes, il
v aurait chez nous un nombre d' aventuriers iníi-
.J


niment plus considérable, et quelle no serait pas
l'ápreté de leurs désirs l


e'cst »une singuliere comhinnison ele motifs qu'est
due l'existence d'un trait si snillant dans la société
anglaise, le moyen tq~~'e avait l(;g\l(~ :'t l'Europc entiéro
un systéme social h la t(~te duquel se trouvaient eles
souverains. Le gouvernement prit la této de la société,
des rapports sociaux, de la vie socialo ; tout releva du
souverain, tout se rangca nutour du souverain ; plus
on s'en rapprocha plus on gr:melit, et sclon qu'on en
étnit éloigné on diminuait (le taille.


L'idée que le gOllYerncmcnt est la tNc de la so-
ciété se trouve cnracinó« dans l'esprit populnire ;
ponr quclquos philosophes sculement, e'est 1<\ un
accidcnt historiquc, ct approfondissant la matiere




LA ROYAUTÉ. R7


on trouve que leur opinión est certaine el: evidente.
D'abord la société, en tant que société, n'a par sa


nature aucunement hesoin d'une tete. Laissée aelle-
méme, elle se constituc non point monarchiquement
mais aristocratiquement. La société, dans le sens que
nous lui donnons, est une assemhlée de personnes
qui se réunissent pour se distraire et causer. Si l' on
y conclut des mariages, ce n'est pour ainsi dire qu'in-
cidemment; mais le huí général, le huí principal
qu'ony poursuit, e'est la causerie et le plaisir. Il n'y
a, en cela, rien qui exige l' cxistence d'une seule tete;
on obtient ces résultats sans qu'une seule personne
doive nécessairement dominer. Naturellement, si une
aristocratie de dix mille membres vient á se créer,
un certain nombre de personnes et de familles ayant
la méme culture intcllectuelle, les mémes rcssources,
le méme esprit, nrrivcnt au méme niveau, et ce niveau
est trés-élevé. Leur initiativc hardie, leur éducation,
leur connaissance du monde les placent au-dessus
des nutres, et en font les prcmicrcs familles, toutes
les autres se rangcnt au-rlessous d'elles. Mais ces
premieres Iamilles tcnrlcnt ;\ conscrver entre elles un
certain niveau, aucune d'clles n'est considéróe ni par
toutes ni par plusicurs, cornme avant une supóriorité
sur les autres. Voilú comment la société s'est formée
en Gréce et en Italie, voilá commenL elle se forme au-
jonrd'hui dans les villes naissantes d'Amérique ou des
colonies. Loin que l'idóe rl'avoir une tete de société
soit une idée nécessaire, á certaines époques elle




88 CONSTITUTION ANGLAlSE.


n'aurait pas offert un sens intelligible. Si on la lui
avait exprimée, Soerate ne l'eüt pas corrÍprise. Il au-
rait dit: (( Prétendez-vous qu'un de mes semblables
» doit étre le premier magistrat et que je suis tenu de
» lui obéir? Fort bien, je vous comprends et vous
» parlez el'01'. Déclarez-moi encore que tel autre étant
» prétre doit offrir aux dieux les sacrificesque ni moi
» ni aucun nutre profane ne pouvons leur offrir, je
» vous eomprends aussi et vous approuve. Mais si
» vous venez m'nffirmer qu'il y a, dans quelque ci-
» toyen, un charmo secret, lequel rend ses paroles
» meilleures que mes paroles, sa maison meilleure
» que la mienne, je ne vous entends plus et je vous
» serais obligé de vous expliquer. »


Lors méme que l' existence d'une tete de société
serait une idée naturelle, on n'aurait pas le droit de
conclure que cette tete doive nécossairement étre eelle
du gouvernement civil. La société, par ello-méme, ne
rlépend pas plus du gouvernement civil que de la
hiérarchie ecclésiastique. L'orgnnisation rl'hornmes
et de femmes dans un hut de plaisir n'a pas une iden-
tité néeessaire avec leur organisation politique, non
plus qu'avec leur organisation religieuse ; elle ne 1'e-
garde pas plus l'f:tat que l'Itp;lise.


Les facultes qui rendent un homme éminemment
propre au gouvernement ne sont pas celles qui plai-
sent dans la société; on a vu quelques hommes d'ÉLat
impénétrables comme Cromwell ou hrusques cornme
Napoléon,ou grossiers et barbares commc sir Hobcrt




LA ROYAUTÉ. 89


Walpole. Entre les petits riens rlu salon et les graves
intéréts du cahinet, il y a autant de différence qu' en
peuvent comporter les aITaires humaines. Est-il done
si naturel des Iors de les unir? De cette union il peut
résulter toujours qu' on place á la tete de la société
un homme qui , au point de vue social, peut avoir
de tres- graIllls défauts sans avoir des qualitós ómi-
nentes.


Il n'y a pas de meillcur commentaire pour ces
ohservations que l'histoire de la royauté anglaise. On
, , "1' "1 1napas asscz remarque qUI s cst opere l ans a struc-


ture de notro sociót« un changement aualoguc á celui
qui s'est protluit .lans notro politiqueo La Hépublique
s'est glissóe chcz nous sons couleur de monarchie.
Charles 1I était réellemcnt la tete de la sociéLé; le
palais de vVhite11 all, de son temps, était un centre
oú se trouvaient les plus fines causeries, l' élégance
a plus rechcrchóc, eL les intrigues d'amour les plus
rafflnées. Assurérncnt ce roi ne contribuapas ;\ mo-
raliser la sociétó, mnis il donna le ton ;\ tous ceux
qui recherchaient l'agrément de la YÍe. 11 concentra
autour de Iui tous les esprits harlins de la haute so-
ciété que renferrnait Londres, et la ville de Londres
concentrait elle-memo tout ce qu'il y avait de plus
léger dans le grand monde de l'Angleterre. La cour
était un foyer d'oü rayonnaient toutes les fascinations
el ou se róunissaicnt toutcs les séductions. Whitehall
était un club sans rival, ay::mt en outre une société
féminine du choix le plus hahile et le plus piquant.




90 CO~STJTUTl()N A~GL\ISE. .




Tout cela, nous le savons, est bien changé. Le palais
ele Buckingham ressemhle aussi peu que possible ú
un club. La cour vit retirée, ú l'écart du monde qui
brille dans Londres; elle n'a qne de trós-íaihles rap-
ports avec la partie agréalJle de ce mondo. Les deux
premiers George ne connaissaicnt pas l' Anglais, el
ils étaient parfaitemcnt incapahles ele diriger comme
chefs la société analaisc, Tous deux prM't"r:ücnt la so-
ciété d'une ou ele deux Allemandes dont la reputation
ét.ait mauvaiso it t.ont ce que Londres pouvait leur 01'-
Irir de séduisant. George III n'avait pas de vices so-
ciaux, mais il n'avait pas non plus de qualités socia-
les. C'ét.ait un hrave póre de famillo, un homme
d'affaires, el aprós avoir hien travuillé pendant tonto
la journée, il préíérait manger un glgot aux navets
plutót que ele se livrer :'t tous les plaisirs du monde
élégant et ú la meilleure causcrie. Aussi la société
de Londres, tout en dcmeurnnt pour Ja forme sons
la dornination de la COUI', prcnait des 10l'S sa route
naturclle vcrs l'oliunrchie. Cetle s()cil',té est dcvenue


e


Yaristocratie des dix mille qne l'on sait, el, en íait,
l'influence monnrcliique no s'y fait pas plus scntir
que dans la société de New-York. Les grandes dames
y .lonnent le ton, non moins indépendnmmcnt de la
cour qu'cn Amóriquc. Quant aux hommes, le monde
élégant des clubs, et ce qui s'y rattnche ne se pr{'or-
cupe pas plus, dans la vio ordinaire, de Buckingharn-
Palace que des Tuileries. On a conservé officiellernent
l'usaze dA la présentation el des visites ;', la cour. Le




LA ROYAUTf~. 91


lever et le cercle de la reine sonL des dénominations
qui rappellent encore le souvenir du temps oú la
chambre á coucher du souverain el, le houdoir ele la
reine étaient un centre ponr la haute société de Lon-
dres, mais cela ne Iait plus partie eles cérémonies offi-
eielles auxquelles , d'aillcurs presque toutcs les per-
sonnes de considération peuvent aujourd'hui étre ad-
mises si elles le désirent. Les hals de la cour mérne,
oiI du moins on pourrait attcnc1re rnisonnahlement
un peu de plaisir, passent inapercus ÚLondres; ils y
sont donnés en plein juillet. Il y a longtemps que des
ohservateurs attentifs ont remarqué ces changcments,
mais tous les yeux en ont été írappés des la mort du
Prince-Époux. Depuis re moment toute vie a élé
comme suspendue :\ la cour, et pendant un instant
méme, il n'yen avait plus clu tout. La société n'en
suivit pas moins son train ordinaire ; quelques per-
sonnes qui n'avaient pas ele íilles il marier ou qui pos-
sédaient peu de revenus, protitcrent de ce prétexte
pour rlonner moins ele soirées, el celles qui man-
quaient véritahlemcnt d'argrmtdemcurérent h la cam-
pagne; mais en somme la dillóronce avec le passé fut
peu sensible. La reine des aheilles s'était retirée, la
ruche continuait el' aller.


On a fait réccmment cette critique subtile et origi-
nale ele la cour d'Angleterre, que de nosjours, elle ne
déploie pas assez de splcndeur. On l'a comparée avec
la cour de Frunce, dont le faste s'étale :i tous les
yeux et dont la magnificence est un spectacle sans




92 CONSTITUTION ANGLAI8E.


égal dans le pays. On a dit qu'autrefois « la cour
el'Angleterre prenait au peuple trop d'argent et le
dépensait mal, tandis que maintenant, quand on peut
avoir confiance en sa discrétion, elle n'use pas assez
des ressources que la nation lui aceorderait. On
peut soutenir qu'il ne doit pas y avoir de eour, on
peut soutenir aussi qu'il doit y avoir une eour et une
cour magnifique, mais il est impossihle de soutenir
qu'une cour doit étre mesquine. Mieux vaut dépenser
un million pour éblouir les yeux quand on juge la
chose nécessaire, que de consaerer les trois quarts
d'un million atenter l' affaire sans ehlouir pcrsonne».
Peut-étre y a-t-il quelque vérité dans cette critique;
peut-étre la eour d'Angleterre n'est-elle pas aussi
somptueuse qu'on devrait le désirer. Mais qu'on ne
la compare point a la cour de Franee. L'emperenr
represente une autre idee que la reine. nn'est pas !a
tete ele l'État; il est l'Étnt lui-méme. La théorie sur
laqueIle repose son gouvernement, c'est que tous les
Francais sont égaux et que l' cmpcrcur personnifie le
principe de l'égalité. En le grandissant, on amoindrit
et par conséquent on met sous le niveau de l'ég'alité
le reste de la Frunce. Élever l'cmpereur, e'est un
moyen de rapetisser toutcs les nutres individualités.
C'est le principe contraire qui scrt de base ú la
royauté anglaise. De méme qu'en politique elle per-
elrait tout son prestige si elle entrait en champ dos,
de méme, au point de vue social, si elle s'affichait, elle
deviendrait un danger. Nous avons déj:'l bien assez de




T.A lWYAVTÉ. 93


luxe volontaire ü Londres; loin qu'il y ait lieu de l'en-
courager et de l'augmenter, il faudrait en arréter ou
en restreindre les progrés. Notre eour n'est que la
tete d'une aristocratie dont les memhres rivaux ne
sont pas également riches; la splendeur de la eour
ne retiendrait personne dans de sages limites et exei-
terait l'ambition de certains indivielus. La royauté est
utile tant qu'elle sert ü éloigner les amhitieux du rang
suprérne, tant qu'elle sait garder la réserve dans cette
situation isolée. Mais elle serait funeste si elle ajou-
tait un nouvel aliment au Iaste ruineux de la classe
opulente, si elle donnait la sanetion majestueuse de
son exemple ü eeux qui luttent sur le terrain ele la
·prodigalité.


Quatriéme considération. Nous regarelons mainte-
nant la couronne commc un modele de moralité. Les
vertus de la reine Victoria et eelles de George In ont
profondément érnu le cumr du peuple. Nous en som-
mes venus :\ croire qu'un souverain est tout naturel-
lement vertueux, et que le tróne donne aux vertus
domestiques, pour se produire, autant de facilité que
d'éclat. Mais un peu d'expérience et la moinc1re ré-
flexión démontrent que les rois ne se' distinguent
point par l'excellence de leurs mosurs domestiques.
Ni George I", ni George II, ni Guillaume IV, n'é-
taient des types sous ce rapport; George IV était
méme tout le contraire. La vérité est que si les autres
monarques sont portes á mal tourner, paree qu'ils
sont entourés de sóductions, un roi constitutionnel
?~4·""'-" '..
~ ~., .....


¡
J




94 ¡:O:\,STlTUTION ANGLAI~E.


est exposé plus que personne á íaillir, ayant, pour
employerson activité,moins de besogne que tout autre
souverain. Le monde entier avec ses pompes, ses at-
traits et ses appáts, voilá ce qu'un prince de Galles a
toujours eu et aura toujours devant les yeux. Peut-on
raisonnablement espérer que la vertu va se montrer
dans tout son lustre, lá OÜ les tentations les plus at-
trayantes s'exercent sur l' llge le plus disposé aux fai-
blesses?


Si les occupations d'un roi constitutionnel sonL
graves, sérieuses et importantes, elles ne passion-
nent jamais ; elles n'ont rien puur reruuer le
sang, éveiller l'imagination et distraire la pensée.
Chez des hommes qui comme George III ont le gout
inné des affaires, les devoirs pratiques d'un roi con-
stitutionnel peuvent certainement avoir une influence
calmante et salutaire. L'aliénatiou mentale centre
laquelle il a lutté et souvent avec succes pendant
plusieurs années, se serait rnoutrée bien plus Iré-
quemment si elle n'avait été suspcudue par la régu-
larité d'une vio lahorieuse. Muis comhien pcu de
princes out á un degré si singulier l'ainour du travail,
et qu'il est rare de le rencoutrcr rnéme ailleurs l Que
la situation des princcs est peu faite pour y porter,
et combien on doit peu compter sur cet instinct pour
servir de remede aux séductions qui les environnent!
Dessouverains clont l' esprit est sérieux et circonspcct
peuvent apporter quelques vertus domestiques sur
un tróne constitutionnel ; mais ceux-lá mómes ont




LA lWYAlJTÉ. 95


quelquefois des íaihlesses, et quant ú vouloir que les
souverains dont le tcmpérament est plus ardent don-
nent ordinairement l' exemple desvertus, e'est deman-
der aux buissons de porter des raisins ou des figues.


Enfin, la rovauté constilutionnelle a eette fonction
sur laquelle j'ai insiste plus haut, et qui, quoique
de beaucoup la plus importante, ne pretera pas de
roa part ú de nouveaux développemcnts. Cette fonc-
ticn, e'est el'étre un palliatif', Elle permet ;\ ceux qui


: louvernent réellemenL de se succéder sans que le
1


1mlgaire y fasse atlention. Les masses en Angleterre
lile sont pas propres il un gouvernement électií; si
\ elles savaient comhien nous sommes prés de cette
'forme gouvernemenlale, elles seraient étonnées et


.: presque lremhlantes.
En derniére analyse et il peu prés pour la méme


raison qui en Iait un exceUent palliatif, la royauté
1 ;pstitutionnelle est un bien precieux aux moments
I j. transition. Ce qui facilite le mieux la substitution
1·,-¡'f~í'Un gouvernemenL do cabinet ú un gouvernement
i~lu, c'e~l l~avénement.(~'u.n, roi favora.ble au sys-
~e constitutionncl et decide a le soutemr. Un gou-
~.


:pement de cabinet, dans sa nouvcauté, n'a pas de
'IlI'ce aux temps d'agitation. Le premiar ministre, ce
~~...~f'.r dont tout dépend, et qui, s' il ya quelque respon-
\~~ilité á prendre, doit l'assumer sur lui-méme, et
~oyer la force s'il Iaut y recourir, n'a aucune ga-
.


· tie de stabilité. Jl n'occupo sa place, par la nature
'Pi e du gouverneruent de cabinet, que d'une facón
-,)1
,~:
-·,t
-"'~':




96 CONSTlTüTION ANGLAl~E.


précaire. Chez un peuple trés-accoutumé á cette
forme de gouvernement, un tel íonctionnaire doit
avoir de la fermeté; son appui, s'il no le trouve pas
dans le parlement, il faut qu'il le cherche dans la
nation qui le comprend et l' estime. Mais lorsque le
gouvernement est de créatiun récente, il est difficile
au premiar ministre d'avoir la íermeté nécessaire;
sa tendance est de trop compter sur la raison hu-
maine et d'ouhlier les instincts des masses. C'est alors
que le prestige dont la trarlition entoure un menar-
que héréditaire est d'UIlC utilité incalculable. L'An-
gleterre n'aurait jamais pu traverser heureusemenL
les premiéres années qui ont suivi lG88, sans l'admi-
rahle habileté de Guillaume Ill ; jamáis l'Italie ne se-
rait parvenue á ohtenir et ~t conserver son indépen-
dance sans Victor-Emmanuel; ni I'eeuvre de Cavour
ni celle de Garibaldi, n' étaient plus nécessaires que
l'o.uvre de ce rnonarque. La chute de Louis-Philippe
survenue, paree qu'il no s'cst pas serví du pouvoir
réservé á un roi consLitutionncl, est un enseignement
prouvant de la maniere la plus concluante l'impor-
tance de ce pouvoir reservé. En février 18lJ8,
M. Guizot était íaihle, paree qu'il ne se sentait pas
assuré au ministére. Louis-Philippe aurait dú l'y
assurer. On aurait pu accorder ensuite la reforme
parlementaire a l' opinion bien iníormée, mais il ne
fallait rien accorder il la foule. On aurait dú résister
au peuple de París, comme 1\'1. le Guizot le désirait.
Si Louis-Philippe eút été un roi capable d'introduire




LA ROYAUTÉ. 97


. en Franee le gouve1'nement libre, il aurait fortifié de
tout son appui les ministres au moment ou il s'agis-
sait de rétahlir l' ordre, sauf á les éloigner quanelle
rétablissement ele l'orelre aurait permis ele se Iivrer
aux diseussions politiques. Mais le roi était un ele ces
hommes dont la prévoyance diminue fatalement á
mesure que la vieillesse arrive ; bien qu'il eút une
tres-grande expérience et une hahileté consommée,
il a éprouvé un moment de faiblesse, et il est tombé
faute d'avoir montré un peu de cette énergie que,
dans une telle crise, un homme résolu n'aurait pas
manqué de déployer.


Voila, dans leurs détails principaux, les motifs qui
justifient l'institution de la royauté par 1'influence
extérieure qu' elle exerce sur la foule eles hommes;
et en l' état actuel de la civilisation anglaise, il Ya la
des avantages précieux. Quant á la táche particulióre
du souverain, c'est-á-dire au travail réel dont la reine
est chargée, ee sera l'ubjet du chapitre suivant.


BAGEHOT.




IV


LA ROYAUTÉ.
(Suitc.)


La Chamhre des conununes a Iait des cnquétes
sur la plupart des questions, mais jaiuais elle n'a eu
un comité « de la reine ». Aucun bluehoo]: ne traite
de ce que Iait la reine; semhlahle cnquéte nc pour-
rait avoir lieu, el cependant , si on la permeltait,
elle épargnerait probablement a la reine beaueoup
d'ennuis ordinaires et la perle d'un tcmps qu'elle
emploie péniblement aune besogne inutile.


Dans la théorie adrnise en gén('ral sur la Consti-
tution anglaise, iI Ya deux crrcurs rnlativemnnt au
souverain. La prernicr«, c'cst qu'nulrclois du iuoiu»,
on le regardait commc un 1~'tat du l'oyallme, c'est-
á-diré comme ayant de l'autorité au mémc litre (iHe
la Chambre des lords et la Chambrc des COllUI1Uncs.
Et en e110t, le souverain d' autrefe is avait cette auto-
rité, son pouvoir était méme bien supórieur á celui
du Parlement; mais il n'en est plus ainsi. L'exorcice
d'une pareille autorité suppose dans le monarque UlI
droit de veto sur les actos législatifs. 11 faudrait qu'il




LA BOYArTÉ. 99


luí íút possible (le rejcter les bills, sinon comme le fait
la Chnmbrc des communcs, du moins de la méme
maniere que la Chnmhro des 10n1s. l\lais la reine
n'est pas arméc rln veto. Elle sernit obligéc de signer
son propre arrét de mor! si les dcux Chamhres s'ac-
cordaient pour Ir, soumettre :\ sa signature. C'est par
une íiction du passé ([U'on lui attrihue le pouvoir l(~­
g;islatif. Il y a longtemps qu'elle n'en possóde plus
une seulc parcclle.


En sccond lieu, la théoric ancicnne prétend que la
reine est le pouvoir cxócntif'. La Constitution amé-
ricaine a ¡'~té 1(' fruit de rliscussions trés-soizneuses


c'


quand ellea Nó faite, et l'on a admis alors comme vr-
rité que le roi était un administrateur supréme dans
la ConsLitution anglaise ; on en a conclu que la crea-
Iion d'un ac1ministrateur analogue , moins l'hérédité,
e'est-á-rlirc d'un présidcnt, était de prcmiere néces-
sit«. Vivnnt au ddi't de l'Atlnntique , et s~ laissant
¡"garer par des doctrines ayant cours, les hnbiles
auleurs de la Constitu!ion fédéralc, malgró toute l'at-
tcntion possihlo , n'ont pas vu que le premier mi-
nistrc avait la part principalo du pouvoir exécutif dans
laConstitution anglnisc, tamlis que le monarque était
un simple rouago de la ruachinc politique. Il est vrai
qu'on peut hien trouver l'excuso des lógislateurs amé-
ricains dans l'histnire ele cctte époque. L'idée qu'ils
avaient de notro Constitution , ils se l'étaient formée
d'aprés ce qu'ils avaient eu oecasion de remarquer.
Mais, au tomps oü 101'(1 North était censé administrer




100 CONSTITUTION ANGLAISE.


le pays, c'est George JII qui gouvernait en réalité.
Lord North n'était pus seulement sa créature, il était
son agent. Si le ministre poursuivait une guerre qu'il
désapprouvait de toutes les forees de son áme, e'est
paree que eette guerre avait l'entiére approbation du
roi. Il suit ele la qu'inévitablement, les membres de
la Convention américaine ont dú voir le véritahle
exéeutif elans le roi, dont les actos leur étaient nuisi-
bIes, et non point dans un ministre qui ne leur


, avait fait aucun mal.
Si, laissant ele cóté la théorie des Iettrés , nous


examinons notre vieille législation non-ahrogée, e'est
merveille d'apprendre tout ce que peut faire le sou-
verain. Il y a quelques années, la reine voulut avee
beaueoup ele raison nommer des pairs a vie; les
membres de la Chambre haute eurent le grand tort,
eontrairement méme á leurs intéréts, de s'opposer :'t
ce désir. lIs prétendirent que le droit revenrliqué
par la reine était tombé en déchcance , qu'autrefois .
la royauté l'avait possédé sans doutc, mais qu'elle
l'avait perdu par prescription. Qu'on lise 1/" Diqeste
de Comyn, ou tout autre livre de ce genre, au titre
Préroqatioe royale, on trouveraque la reine a cent
rlroits ele ce genre, et dont on ne saurait elire s'ils
existent encore ou s'ils sont tombés en désuétude, el,
qui elonneraient lieu a ele longues el intéressantes
discussions, si la reine essayait de les exercer. Il fau-
drait qu'un bon jurisconsulte écrivit un ouvrage sa-
vant pour distinguer entre ces droits divers lesquels




LA nOYAUTÉ. 10t


sont en vigueur et lesqucls sont frappés de proscrip-
tion. On n'a pas plus de renseignements authentiques
sur ce que la reine peut faire que sur ce qu'elle fait
en réalité.


Au point de vue strictement superficiel de la théo-
rie, e'est la dans nos libres instructions un défaut
évident. Ilans un gouvcrnement populaire, tout pou-
voir doit étre défini. L'idée dominante de ce gou-
verncment, e'est que le monde politique, celui qui
gouvcrne, rlonne aux aífaires la direction qu'il juge
convonahle. Tous les aetes d'une administration y
sont passés au crible; on surveille ces actes pour
savoir s'ils semblent bons, et pour s'y opposer de
maniere ou d'autre, s'ils paraissent mauvais. Mais on
ne peut les juger qu'en connaissance de cause, on ne
peuty mettre ordre si l' on ignore l' étendue des droits
diverso C'est une anomalie qu'une prérogativesccréte,
e'est peut-étre la plus granlle de toutes les anomalies.
Et cependant, ce caractóre secret est indispensable
a la royauté anglaise d'aujourd'hui pour qu'elle ait
sonutilité. Avant tout, la royauté veut étre respectée,
et si l'on cntreprend de fouiller dans le domaine de
ses prérogatives , impossible de la respccter. Des
qu'on aura étahli un comité spécial « de la reine» ,
tout le charme fascinateur de la royauté disparaitra,
C'est par le mystóre que ce eharme existe. On ne
fait pas de la magie en plein jour. N'entrainons
pas la royautó dans l'aréne politique, ou bien elle
cessera d'Nre respectée par les combattants; elle ne


6.


.~




102 CO:\:STITl'TION ANGLAISE.


sera plus qu'un combattant pareil aux nutres. Si
l'existence de ce pouvoir secrct est, au point de vue
purement abstrnit, un vice de notre Constitution po-
Iitique, c'est un vice inhérent it une civilisation telle
que la nótre, oil il est nécessaire d'avoir des pou-
voirs augustcs , et, par consóquent, inconnus , tout
aussi bien que des pouvoirs dcíinis rl'un usage 01'-
dinaire ..


Si, pour apprécier le fonctiormement de ce pouvoir
secret, on s'en réfóre aux témoignnges (le ceux qui,
parmi les morts ou les vivants , l'ont approché de
prés, on observe une étrangc diflóronce entre leurs
opinions. Comme les courtisans de (icorge Ill , les
hommes d'Étnt qui vont it la conr de la reine Vic-
toria n' ont qu'une voix pour affirmer l' étendue de
l'influence rovale. Les uns el. les nutres udrnettent
que la Couronne Iait benuconp plus qn' elle ne parait
faire. Mais il y a une ónormc diverg'ente d'opinions
en ce qui conccrne la valeur des [I('les qu'elle ac-
complit. M. Fox ne mettait anC1111 srrupule it quali-
fiel' sévéremcní l'inllnonro latente de (ieorg'c llI; il
Y voyait les manrnuvres cachees d'un « esprit infer-
nal ». Les actos de la Couronne ü cette époque in-
spiraient de la crainte et de la terreur aux lihéranx ;
aujourd'hui les libéraux les plus avancós parlent ainsi:
« Nous ne saurons jamáis pour notre part, mais,
quand on aura écrit l'histoirc, nos eniauts pourront
savoir tout co dont nous sommes redevahlos ü la
reine et au princc Albert. » Le mvstere de la Con-




LA ROYATTf:. 103


stitution, qui depitait si fort autrefois les hommes
d'État les plus calmes, les plus réfléehis et les plus
instruits, est un objet damour et de respect pour
leurs successeurs.


Avant de chercher ü explique!' ce changement, il
est une partie eles devoirs de la reine qu'il s'agit de
mettre hors de rliscussion ; c'est la pnrtie routiniere.
Il faut que la reine donne son assentiment et sa si-
gnature á une foule innombrable de docurnents of-
ficiels qui n' ont pas trait ;\ la politique , dont le
contenu est insignifiant, et que le moindre employé
pourrait aussi hien signer qu'ellc-inémc. George Ill
avait coutume de lire une quantité considerable de
documents avant <le les sianer ~ il cessa de les lire, '
quand lord Thurlow lui déclara qu'il était (( absurcle
el'examiner des picccs qu'on ne pouvait comprendre» .
Mais la pire classe de documente cst celle des C0111-
missions dans l'arméc. Avant un acto passé il y a
trois ans sculement, la reine devait signar toutes les
commissions militaires, et encore aujourd'hui elle
siane toutes les commissions nouvellcs. Par une con-L ,
séqucnce naturelloment inévitahle , ces commissions
demeuraient el, demeurent encoró arriérées par mil-
liers. On a vu souvent des officiers ne recevoir leurs
commissions pour la prcmiére fois que des années
aprés avoir quittó le service. Si la reine était un
fonetionnaire ordinaire , elle aurait fait entendre des
plaintes depuis longtemps , et clepuis longtemps on
l'aurait déharrassée de ce travail assujettissant. On




104 CONSTITUTION ANGLAI8E.


prétenel qu'un homme d'État un peu libre dans ses
propos a trouvé le moyen ele défenclre cet abus en
disant: « II se peut faire qu'un sot monte sur le
tróne, et, dans ce eas, il serait hon ele lui réserver
beaueoup d'oceupations d'une nature telle qu'il ne
puisse pas faire de mal. » Mais e'est un eníantillage
que el'entasser tant de bcsognc routiniére sur les
bras d'un souverain que son titrc condamne il remplir
une infinité de devoirs officiels dans la société. C' est
la un débris du temps passé ou George III voulait
eonnaitre par lui-méme les détails les plus vulgaires,
el ne elonner qu'un assentiment motivé aux mesures
les plus insignifiantes. Laissons done hors de la <1i8-
cussion ces laheurs imposés par la routine. lIs no
procurent au souverain aucune iniluence ni ponr le
mal ni pour le bien.


Le meilleur moyen d'apprécier tout ce dont nous
sommes redevahles á la reine est de faire un vigou-
reux effort d'imagination pour voir comment. nous
nous arrangerions sans elle. Dépouillons le gouver-
nement ele eabinet de ses acccssoircs, réduisons-Ie ;'L
ses eleux éléments essentiels, e'est-á-dirc une Assem-
blée de représentants, nommée Chambre des e011l-
munes, et un eahinet ehoisi par eette assernhléc ;
voyons ce que nous pourrions Iaire avee cela seule-
ment. On est si peu aceoutumé a analyser la Consti-
tution, on a tellement l'hahitnde d'attrihuer á l'en-
semble de la Constitution la totalité de ses cffcts que,
dans l'opinión de beaucoup de gens, il n'est g'uere pos-





LA ROYAUTÉ. 105


sible ponr une nation de prospérer ou méme de vivre
avec ces deux éléments seuls. e'est pourtant de la que
dépend la possibilité d'imiter les formes générales du
gouvernement anglais. Un monarque réellement ca-
pable d'inspirer le respect, une Chambre des pairs
ayant la móme qualité : voila des accidents histori-
'ques presque spéciaux a notre He, et qui, en tous
cas, se trouvent uniquement en Europe. Un pays
nouveau, s'il vcut adopter le gouvernement de ca-
binet et ne pas se jeter dans les travers du gouver-
nement prósidentiel, est ohligé de creer son cabinet
avec ses propres ressources, cal' il n'a pas á sa dis-
position les vieux déhris de l'ancien monde.


On peut imaginer plusieurs svstémes pour obtenir
d'unParlement en apparence, ce que notreParlement
nous assure en réalité, la facilité de choisir un pre-
miel' ministre. Mais jo m'en tiendrai au mode le plus
simple. De cette maniére , on aura súrcmcnt le sque-
lette du systémo, on montrera en quoi iI differe du
systeme monarchiquc, et l'on échappera au reproche
d'avoir entouré de charmes et de séductions illu-
soires le premier de ces systémes pour le substituer
al'autre.


Supposons donc que la Chambre des communes,
existant seulo et par elle-méme, doive choisirle pre-
miel' ministre comme les actionnaires d'une Com-
pagnie de chcmins de fer nomment un directeur;
qu'au moment de chaque vacance causée, soit par la
mort, soit par une dómission , les membres des Com-




106' CO:'i"STITUTTON AN(;LAISE.


munes aient le droit d~ nommer ](1 successeur rlu
ministre; qu'apres un ccrtain délai, tels qu'cn exi-
gent ordinairement les crises ministóriellcs, soit une
dizaine de jours ou une quinzaine, les membrcs dos
Communcs votent pour le candidnt qu'ils préfórent ;
que le speaker fasse Ir cornpte des votes , et que Ir
candidat réunissant le plus grand nombre de voix
soit élu premier ministre : un sernhlable moyen d'é-
lire le premier ministre en remettrait le choix aux
mains des partis oruanisés ahsolumcnt eomme il
nrrive chez nous, avcc la diflércnce qlle produit Ir
droit d'intervention reservé :'t la Couronne . Jamais
un candidat indépendant ne sera nommé, paree qnr
le nombre consirlérable de voix dont chacun des
grands partis dispose l'emporterait sur les petitos
minorités de passagc. Le prernicr ministre ne serait
pas nommé pour un temps flxe , mais ponr tont Ir
ternps que sa conduitc plairait nu Parlemcnt. AH~C
les modiíications naturelles el les .lifférences qu'il
reste :i signaler, tout se passerait alors cornme a11-
jourd'hui. Alors, comme maintenanl, le prernier
ministre devrait donner sa démission aprés un vote
indiquant qu'il a perdu la confiance du Parlement;
mais la volonté du Parlement s'cxercerait au mosen
d'un acte évident et simple, qui serait le choix d'un
successeur, tandis qu'elle arrive aujourrl'hui Ú pré-
dominer d'une maniere indirecte.


Pour éclairer la discussion , il sera bon de la di-
viser en trois parties, La carriére d'un g'ouverne-




LA ROYAUTÉ. f07


ment représentatif a trois périodes : la premiére
embrasse la Iormation d'un ministére , la seconde
son exercice , la troisieme sa fin. Examinons avec
soin quel est le róle de la reine á chacune de ces pé-


. riodes; voyons en quoi notre forme actuel!e de gou-
vernement différe dans chacune d' elles, soit en bien,
soit en mal, de cette forme plus simple qu'aurait un
gouvernement de cahinet existant sans la reine.


Aux débuts d'une administration, il n'y aurait pas
beaucoup de différence entre la forme monarchique
et la forme non monarchiquo, en ce qui concerne
les gouvemernents de cahinct, s'il y avait seulement
deux grands pa.Lis dans l'État, el si tous les membres
qui composent le plus important de ces deux partís
s'entendaient parfaitement pour reconnaitre le méme
chef parlementaire el élire par conséquent le mérne
ministre. Le souverain doit actuellement accepter le
chef ainsi reconnu, ct, dans le cas oit ce serait la
Cluunhrc des COlll111UnCS qui élirai! directement le
premier ministre, elle ne pourrait élire que ce chef.
Le partí principal, agissant arce ensemble et accord ,
emporLcrait toutcs les décisions de la Chambro sans ré-
sistance séricuse el, peut-étro, sans Iutto apparente.
Un parti prépondérant , qui ne scrait point divisé,
aurait une uuíorité ahsolue. En pareille circonstance ,
le gouvernmnent (le callinet iuarcherait sans obstacle,
avec ou sans la reine. Le nieilleur souverain n'y ajou-
terait aueun avautagc, le plus mauvais souverain n'y
pourrait Iaire aucun mal.




108 CONSTITUTION ANGLA15E.


Les difficultés sont bien plus grandes quand
les membres du parti prépondérant ne s'entendent
pas sur le choix de leur chef. Dans une monarchie,
e'est du souverain que le choix dépend alors en fait ,
mais, sous une forme de gouvernement non monar-
chique, aqui revient le choix dans ce cas? Il faudra
tenir des meetings tels queceux ele Willis Rooms;
il faudra que la majorité du parti excrce sur la mi-
norité cette sorte ele despotismoqui obligcalord John
Russel, en 1859, a mettre ele coté ses prétentions
au premier rang, pour servir en sous-ordre elans le
ministére de lord Palmerston.La pression tacitequ'un
parti désireux du pouvoir exerce sur les chefs qui
divisent ses forces aurait et devrait alors avoir son em-
ploi.Quantasavoir si, en pareil cas, ceparti choisirait
toujours l'homme le plus capable, il y a lieu d'en dou-
ter. Une fois qu'un parti est divisé, rien n'est plus
malaisé que de .réunir l'unanimité de ses sullrages
sur la personne qu'un spectatcur rlésintéressé luí re-
cornrnanderait. Toutes sortcs oc jalousies et d'ini-
mitiés s'éveilIen t, el il cst toujours diflicile, sinon
impossible, de les apaiscr. Mais , bien que ce parti
puisse alors ne pas choisir le meilleur chef, il a les
motifs les plus graves de choisir un chef trés-conve-
nable. C' est ace prix seulement qu'il peut conserver
son influence. SOtIS le g'ouvernement présidentiel,
les réunions préliminaires qui désignent le président
n'ont pas ase préoccuper des talents que pourra dé-
ployer plus tard le candidat de leur choix. Ce qu'elles




LA IWYAUTÉ. t09


recherchcnt e'est un candidat capable d'attirer les
suffragcs ; peu impone sa capacité gouvernementale.
Si l'onchoisit un homme médiocre, il n' en gouver-
nera pas moins pendant toute la duréc constitution-
nelle de son mandat; et, lors méme qu'il donnerait
les preuves de capacité les plus grandes, al'expiration
de son mandat il y aura, d'aprés les prescriptions
constitutionnelles, une autre élection. Mais un gou-
vernement ministériol n' est pas assujetti á une limite
d'existence si formelle. Ce g'ou vernement est toujours
revocable, la durée de son cxistence dépend de sa
?onduite. Si le parti qui est maitre du pouvoir com-
met la faute de choisir pour son chef un homme
.insuffisant, ce parti perd tout son crédit. L'habileté
en est la condition vitale. Supposons qu'en 1859
le parti whig se fut décidé á rejeter le comte Russell
et lord Palmcrston pour leur substituer une médio-
crité , les wighs seraient probablement tombés du
pouvoir au mornent oú se présenta la question du
Schleswig-Holstein. La nation les"eut abandonnés, le
Parlement en aurait fait de mérne; on n'aurait pas
souffert qu'une négociation secrete, d'ou dépendait
la solution d'un grave probléme, a savoir s'il y aurait
la guerre ou la paix, fút confiée aux mains d'un mi-


. nistre insuffisant, d'un ministre qui aurait dú sa no-
mination á sa médiocrité el. qui n'aurait pas été res-
pecté,méme par ses amis. En outre, un gouvernement
ministériel agit en plein jour; il puise sa force
dansla discussion. Un président peut étre un homme


BAGEHOT. 7




110 CONSTITUTJON ANGLAISE.


médiocre, et eependant, s'il a de hons ministres jus-
qu'a la fin de son administration, il peut ne pas
montrer sa médiocrité et laisser en doute la question
de savoir s'il est intelligent ou incapahle. Mais un
premier ministre doit se montrer tel qu'il est; il íaut
qu'il se méle aux débats dans la Chambra des com-
munes, il faut qu'il guide eette asscmblée dans le
maniement des affaires, il faut qu'il la conseille en
toute occasion et qu'illa dirige aux moments agités,
Sa personne tout entióre est 'soumise a l'épreuve
des investigatíons , el s'il ne sait pas y résister, il
faut qu'il abandonne le pouvoir.


Aucun parti ne consentirait arevétir un hornme
mediocre des graves fonctions qu'un gouverne-
ment de cabinet remet au premier ministre. Ce
personnage, quoique l'élu du Parlement, peut
dissoudre le Parlement. Les roprésentants veilleront
tout naturellement avec soin a ce que le droit de
mettre fin a leur mandar si envié ne torube qu'en
des mains habiles. Ils n'iront pas confier ti des mains
ma1adroites l'exercice d'un droit qui , en froissant
la nation, peut les ruiner eux-mérnes. On peut done
étre certain que, dans le cas méme oü le parti pré-
pondérant est divisé, un gouvernemcnt de cahinet,
s'il n'existe pas de monarquc ; n'en trouvcra pas
moins dans le Parlement iin chef habile et capable,
n'en offrira pas moins un hon premier ministre,
sinon le meilleur possible. Dirá-t-on que sous la
monarchie ce gouvernement peut donner mieux !




LA IWYAUTE. 111


Oui, jo le I'1'OiS, mais il une seule condition. Si
le monarquc constitutionncl cst doué d'une rare pé-
nétration, s'il n'a point de préjugés, s'il a amassé de
vastes connaissanccs politiques, il est á mérne de
prendre dans les rangs d'un partí divisé le chef le
meilleur, alors méme que ce parti, livré it ses propres
instincts, ne le choisirait paso Quand le souvcrain est
en mesure de joucr le role de ce spectateur tres-in-
tclligent et trcs-désintórcssó qui occupe une si bello
place dans les oiuvrcs de certains moralistas, il peut
mieux choisir que ses sujets eux-mémes le ministre
qui lcur conviont. Mais si le monarque n' est pas
exempt de préjugés, s'il n'a pas ce merveilleux dis-
cernement, selon toute probabilité il ne saura pas -
faire un choix meilleur que ne le ferait le partí di-
visé. Évidcmment il n'a pas les mémes motifs que cc
parti de se conduirc sagement dans son choix. Sa
situatiou est assurée quoi qu'il arrivc, tandis que la
chute d'un parti peut ótro produite par l'incapacité
tléployóc par le ministre élu.


Il y a bcaucoup acraindre que le souverain ohéisse
ades préjugés, Pendant plus de quarante années les
untipathies pcrsonnclles de George III ont paralysé
les adrninislrations qui se sont succédé au pouvoir.
Presque au début de sa carriére, il mit de coté lord
Chatham , et, presquc ala fin de son régne, il ne
voulut pas permettre á M. Pitt de s'entendrc avec
M. Fox. Il cut toujours un faible pour la médiocrité ;
en général, les gens habiles ne lui plaisaient pas, et(


~




112 CO~STITlJTION ANGLAISE.


toujours il montra de l'éloignement pour les grandes
idées. Si les rnonarques eonstitutionnels se trouvcnt
etre des hornmes avant une expérienec limitée et une
intelligenee commune, on n'a aueunement le droit de
leur supposer par miracle des qualités supérieures;
les choix de ces souverains auront souvent moins de
valeur que eeux d'un partí divisé; le danger qu'on
devra toujours appréhender alors, c'est que le sou-
verain préférc un serviteur ohséquicux et vulgaire,
tel qu'Addington, á un homme d'un talent hors
ligue mais indépendant, tel que I'ítt.


On arrivera á une eonclusion analogue en exami-
nant la maniere de ehoisir un premicr ministre sous
les deux systernes de gou,vernemcnt, si l' on supposc
le eas le plus critique, e'est-á-diré le eas ou il existe
trois partis. C' est le eas dans lequel un gouyernement
de cabinet risque le plus de reveler ses défauts, et a
les ehances les plus défavnrahles pour déployer ses
qualités. Ce qui caractérise surtout le gouvernement
de cabinet, c'est que le pouvoir exécutif'v cst élu par
l'AssemLlée législative ; mais quand il y a trois partis,
impossible de faire un choix satisfaisant, On n' est as-
suré d'obtenir un choix réellement bon que lors-
qu'une grande majorité se prononce en faveur d'un
hornme et lui aceorde sa confiance. Mais quand il
existe trois partis , rien de sernblable n'arrive. Le
partí le plus Iaible numériquernent, en donnant l'ap-
point de son vote, determino le clioix du candidat.
Su conduite, dans ce cas , n'est sournise a aueune




LA nOYAIJTf:. 113


sanction ; renoncant au droit de voter pour son propre
avantnge , ce parti se borne a opter d'une maniere
décisive entre les candidats des nutres auxquels il
sacrifie le sien. Quand le choix d'un ministre repose
sur un tel acte acto d'abnégation, il n'a point de so-
lidité ; ce choix peut á tout instant étre révoqué. Les
événemcnts de 1858, bien qu'ils ne soient pas de na-
ture :'t íonrnir un exemple parfait á l'appui de ma
pensée, l'expliquent pourtant suffisamment. A cette
époque, le parti radical, se séparant des libéraux mo-
dérés, consentit á maintenir lord Derby au pouvoir.
Ainsi le parti le plus avancé jugea convenable de se
coaliser avec le partí de l'irnmobilité.


L'un des radicaux exprimait ses idees avec plus de
clarté que de délicatcsse, en disant : « Nous allons
mieux anos fins sous ces gens-la que sous d'autres »,
laissant entendrc que, dans son opinion, les tories
se prétcraicut mieux aux vues des radicaux que les
,,,higos. Mais il est evidcnt que l'union de partís si
opposés ne pouvait étre durable. Les radicaux l'a-
vaient achetée de lcurs votes en Iaveur de personnages
rlont les príncipes leur ótaient tout it fait hostiles, et
les conservateurs l'avaicnt payée en consentant :'t des
mesures diamétralernent contraires aleurs doctrines.
Apres un court intervalle, les radicaux en revinren]
aux ,vhigs modérés , qui sont naturellement leurs
alliés, tout en leur donnant non moins naturellement
quclqucs motifs d'aigreur. 11s se servirent donc du
poids décisif qu'avaient alors leurs votes, d'abord




114 CONSTITUTION ANGLAISE,


pour un certain gouvernement , puis pour un gou..
vernement d'opinion opposée.


Je n'ai pas ablámer cette politiqueo Je me horno
il la citer pour apptryer ma pensée, et je dis que si,
par supposition, ce jeu politique se répétait outre
mesure et se prolongeait Iongtemps , In gouverne-
ment parlementaire sorait impossihle. Quand il ~' a
trois partis, parmi lesquels il ne s'en trouvo pas dCllX
qui coalisent leurs eíforts d'une facon durable, s'il
arrive que le plus faible, en oscillant rapidement
entre les autres, donne tour it tour sa préférence
achacun d'eux, la condition élémentaire qn'exige
le gouvcrnement de cabinet n'est pas remplie. Il
n'y a point dans le Parlement un corps capable
de choisir; on ne peut compter que son choix créera
un pouvoir exécutif ayant des chances suffisantes
de durée, paree qu'il n'y a alors fixité ni dans les
idées ni dans les sentiments de ceux qui doivent
ehoisir legouvernement.


SOLlS toutes les formes que peut avoir le gouvernc-
ment de cabinet, avee ou sans monarehie, il n'est
qu'un seul remede ace mal. Il faut que les esprits
modérés de tous les partis s'unissent pour soutenir
le gouvernement qui, en somme, convient le mieux
:\ l' ensemble. e'est par ce moyen que 1'administration
de lord Palmerston s'est soutcnue naguére, et paree
que ce ministere , quoique insuffisant sous divers
rapporls, avait une politique étrnngére excellente,
et déplovait a 1'intérieur son activité avecplus dc




LA ROYAUTÉ. H5


succés que ne l'ont fait la plupart des ministéres an-
glais.. Les conservateurs modérés et les radicaux mo-
dérés sont parvenus a maintenir fermement cette
administration, en consentant adonner leur appui,
dans une mesure suffisante, aux whigs modérés.
Qu'il y ait ou qu'il n'y ait pas de roi, cette abnéga-
tion salutaire cst la force principale sur laquelle on
doit compter pour assurer un fonctionnement régu-
lier au gouvernement parlementaire, en cette circón-
sLance, qui constitue pour lui sa crise la plus redou '
tableo Cet esprit de modération est- il favorisé ou
contrarié par la forme monarchique? Aura-t-il
un effet plus avantageux sous la forme royale du
gouvernement ministériel que sous l'autre forme?
Cet effet sera-t-il funeste?


Si le souverain porte la pénétrationjusqu'au génie,
son assistance pourra, dans une pareille crise, étre
d'une utilité immense. Il prendra pour ministre et il
conservera au ministére , s'il est possible , l'hornrne
d'État sur le,quel le parti modéré devra fixer son
choix en derniére analyse, mais qu'il est encore a
rechercher a tátons ; le souverain étant unhornme
de sens, d'expérience et de tact, saura voir cornrnent
peut s'étahlir l'équilibre el, quelle est la fraction po-
Jitique a laquelle viendront plus tard se rallier les
esprits moderes qui se trouvent dans les autres par-
tis. Au milieu des variations successives et de l'in-
certitude générale, le monarque yerra probablenent
s'offrir a lui plusieurs occasions de Ifaire un choix.


tF
...
,




116 CONSTITUTION ANGLAISE.


Il dépendra de lui d'appclcr au pouvoir A B ou bien
X Y, et de les éprouver. L'état agité des partís ne
permet point de fixité, mais il est tres-favorable ii
une sorte de tolérance provisoire. On sent qu'il est
utile d'avoir quelque chose, sans savoir précisément
ce qu' on désire, et l' on accepte provisoircmcnt tout ce
qui se présente, pour examiner si ce n'csí point lit
ce dont on a besoin et quels résultats donnera ce!
essai. Penrlant la longue succession de gouverne-
ments faihles, qui commence a la démission du duc
de Newcastle en 1762, et se termine al'avénement de
M. Pitt en 178ft, la volonté énergiquc de George In
a en des effets extrémcment considérables. En un
temps ou la melée des partís présente des complica-
tions prolongées, comme il doit arriver souvent et
pour de longues durées sous un gouvernement par-
lementaire dont l' existence est déjá ancienne, si le
pouvoir royal exercait habilement son influence, il
rendrait al'ordre politique des services incalculables.


Mais ce pouvoir s'exerccra-t-il avec un tact habile?
Un souverain constitutionnel, dans la pratique ordi-
naire, n'est en général qu'un homme dont les faculté s
sont ordinaires. J'ai bien peur, en considérant la
décrépitude précoce des dynasties oü le pouvoir se
transmet héréditaircment , que le souverain soit
méme un homme d'une capacité tres - faible, La
théorie et l' expérience sont el' accord pour nous ap-
prendre que l'éducation d'un prince no peut étre que
médiocre, et qu'une ramillo royale a en général moins




LA ROYAUTÉ. 117


de talent que les nutres familles, A-t-on, des lors, le
rlroit d'espérer que les souverains appartenant aune
dynastie quelconque pourront se transmettre aper-
pétuité ce tact exquis, lequel, s'il n' est pas une sorte
de génie , est tout aussi rare, pour le moins, que le
génie lui-méme?


En général, la sagesse la plus profonde peut-étrc,
d'un monarque constitutionnel, devra se montrer
sous la forme d'une inaction étudiée. Dans ces cir-
constances si complexes qui ont rempli l'inter-
valle de 1857 a 1859, la reine et le prince Albert
ont eu beaucoup trop de prudencc pour imposer
jamais leur propre choix au Parlement. S'ils avaient
choisi un premier ministre, peut-étre n'auraient-ils
pas choisi lord Palmerston.lVlais ils ont vu, du moins
on peut le croire, que le monde politique pouvait se
passer de leur ingérence, et, qu'en introduisant dans
le eourant des affaires un élément étranger , ils ne
feraient que retardar le moment ou les forces intimes
du Parlement se disposeraient dans l' ordre le plus
avautageux.


Aprés tout, un motif devrai t engagcr le souve-
rain méme le plus hahile et le plus sur de son
habileté an'en faire usage que tout a fait ala longue,
c'est qu'il est bon que le Parlement se sente respon-
sable. Quand un Parlernent s'irnagine que le souve-
rain doit choisir l'administration, il arrive a ne plus
('.tre capable lui- meme d'en trouver les éléments.
La forme royale de gouvernement ministériel est la


7.




118 CONSTITUTION ANGLAISE.


pire de toutes, si elle aboutit asubstituer un rouage
acccssoire au mécanisme principal, et afaire qu'une


. assernhlée se désintéressede ses fonctions suprémes,
pour en confier l'acconrplissement á un autre
pouvoir.


Pour rendre bonne justice au gouvernement de
cahinet sous une répuhlique , remarquons en lui
l'absence d'un des vices les plus graves et les plus
saillants qui se rencontrent sous la forme royale. Lá
ou il n'y a pas de cour, on n'a point h craindre
J'influence fácheuse qu'une cour peut excrcer. En
quoi consiste cette influence, tout le monde Je
sait, bien que personne, ni méme l'observateur
le plus attentif' , ne puisse préciser avec assu-
rance l'immensité de ses effets. Sir Robert Walpole,
employant un langage qui effaroucherait nos mceurs


. modernos, décJarait, aprés la mort de la reine Caro-
line, qu'il ne se préoccuperait nullement des filles
du roi (ces donzelles, comme illes appelait), et qu'il
s'appuierait excJusivement sur Mme de 'VaJmoden,
la maitresse du roi. « Le roi», dit un éerivain du
temps de George IV, « le roi nous est favorable, et,
» ce qui vaut mieux encore, la marquise de Conyng-
» ham est aussi pour nous ». Nul n'ignore a quelles
sortes d'influences on a attribué certains change-
ments qui se sont produits dans le gouvernement,
en Italie, depuis que l'unité est faite. Ces influences
mauvaises ont naturellement l'effet le plus considé-
rable dans les moments de trouble, c'est-á-dire alors




LA ROYAlJTe. il9


qu'elles peuvent offrir le plus de danger. Une mat-
tresse de roi aussi audacieuse , aussi portée ~u mal
qu'on la suppose, formerait en vain des complots
contre une administration invulnérable; mais l'in-
trigue choisira pour agir le moment oü le Parlement
étant embarrassé, et les partis se trouvant divisés,
les chances de succés seront plus nombreuses et les
actions perverses plus facilcs a commettre; alors,
en un mot, que le gouvernement de cabinet éprouve
le plus de difficultés as'exercer.


JI est trés-important de voir qu'une bonne admi-
nistration peut étre organisée sans monarque: plu-
sieurs hommes d'État qui se sont occupés de nos
colonies enont douté. « J'admets, a-t-on dit, qu'un
ministére pourrait aller assez loin sans un gouver-
neur, une fois qu'il aura été lancé, mais je ne vais
pas qu'il soit possible de s'en passer pour eréer
le ministére. » On a méme érnis l'idée que si une
eolonie se séparait de l'Angleterre et était appelée a
organiser son propre gouvernement, elle ferait bien
de choisir un gouvcrneur avie pour lui confier uni-
quement le soin de nommer les ministres; ce serait
une fonction analoque acelIe elu granel électeur dans
le systéme de Siéyés. Mais, en créant une fonetion
de ce genre, la colonic ne ferait que se donner vo-
lontairement un embarras artifíciel. Ce gouverneur
serait inévitablement un homme ayant des passions
de partí. Le poste le plus imposant de l'Étatne roan-
querait pas de fournir matiére ades rivalités entre




120 CONSTlTUTION ANGLAlSE.


les hommes d'opinions différentes qui divisent ordi-
nairement tout pays OU la vie politique a de l'acti-
vité. Ces hommes de partís se préoccupent et se mé-
lent de tout; jamais ils ne permeltraient de confier
le poste le plus honoré, le plus en évidence, autre-
ment qu'á un des leurs, On se rlirait de plus, que le
grand électeur, nommé pour choisir les ministres,
pourrait, au moment d'une crise importante, se mon-
trer l' ami zélé des uns, l' ennem i dangereux des
autres. Le parti le plus fort choisirait des 101'8 un
gouverneur qui serait avec lui quand il faudrait se
décider, qui inclinerait en sa faveur quand il s'agi-
rait de se montrer favorable, enfin un auxiliaire
constant pour lui-méme et en mérne temps un ob-
stacle continueI pour ses adversaires. II est absurde
de choisir au moyen <1'élections disputées un
homme d'État pour lui donner mission de choisir
impartialement les ministres.


Mais c'est pendant la duréc d'un ministére, plutót
qu'au moment de sa formation, que les fonetions du
souverain intéressent le plus de personnes, et qu'en
général dans le public on leur attribuera le plus
d'importance. J'avoue que je suis moi -méme de
cetle opinion. Il est possible, je crois, de montrer
que le poste du souverain régnant sur un peuple
qui est intelligent et pénétré de l' esprit politique,
dans une monarchie constitutionnelle, est précisé-
ment la place qn'aimerait le mieux occuper un
homme sensé ; la s' oñriraicnt tl Iui les mcilleurs




LA ROYAUTÉ. 121
moyens de stimuler le tnlent el de s'opposer aux
mauvaises tendances de l'esprit humain.


Relativement a la maniere dont la reine entend
ses devoirs pendant la durée d'une administration,
nous avons un précieux fragment écrit de sa propre
main. En 1851, Louis Napoléon avait fait son coup
d'État; en 1852, lord .John Russel fit le sien pour
renverser lord Palmerston. Par une dérogation tres-
utile al'étiquette, il donna lecture á la Chambre des
communes du mémorandnm suivant adressé par la
reine au premier ministre :- ¡( La reine. désire d'a-
» bord que lord PaImerston lui apprenne clairement
}) ce qu'il se propose de faire dans une circonstance
» donnée, afin qu' elle sache bien a quelle mesure
» elle doit donner sa sanetion royale. En second
» lieu, quand eette sanction est aecordée a une me-
» sure, il faut que cette mesure ne soit pas soumise
» arbitrairement á des changements ou a des modi-
» fications par le ministre, sinon la reine doit consi-
» dérer cette conduite eomme manquant de sineérité
» envers la Couronne, et exereer dans ce cas le droit
» constitutionnel qu'elle a de dérnissionner le mi-
» nistre. Elle compte qu'il la tiendra au courant de ce
» qui se sera passéentre lui et les ambassadeurs étran-
» gers, avant de prendre des décisions importantes
» basées sur leurs entretiens; elle compte recevoir
» les dépéches étrangóres en temps convenable, et
) que le texte des projets de loi qui devront étre
» approuvés par elle lui seront remis assez atemps




122 CONSTITUTION ANGLAISE.


») pour qu'elle en puisse prendre connaissance avant
» de les expédier. »


Outre le controle qu'elle exerce sur chacun des
ministres, et particuliérement sur le ministre des
affaires étrangéres , la reine a un certain controle
sur le Cabinet. Le premier ministre, on le sait, lui
transmet des renseignements authentiques sur toutes
les décisions les plus importantes et, ce qu'elle pour-
rait aussi bien connaitre par les journaux, illui in-
dique les votes principaux du Parlement. Il est obligé
de prendre soin qu'elle soit informée de tout ce qui
mérite d'étre connu dans la politique courante du
pays. L'usage lui donne formellement le droit de se
plaindre quandonne l'instruitpas d'un acteimportant
du ministére , non-seulement avant de l'accomplir,
mais assez a temps pour qu'elle puisse l'examiner et
s'opposer ace qu'on l'accomplisse.


En résumé, le souvernin , sous une monarchie
constitutionnelle telle que la nótre, jouit du triple
droit d'étre appelé afournir des avis, a donner des
encouragements, et, enfin , a infliger des avertisse-
ments, Un roi prudent et sage ne devrait pas désirer
avoir d'autres droits. Il reconnaitrait que la privation
méme des nutres droits le mettrait en mesure el' CXCl'-
cer ceux-la d'une facon singuliércment efficacc. Il
dirait ason ministre: « C'est sur vous que retombe
» la responsabilité de ces mesures. On doit faire tout
») ce que vous jugerez bon, et tout ce que vous ju-
» gerez bon de faire aura mon appui plein et entier,




LA ROYAUTÉ. 123
»Mais VOUS remarquerez que, pour telle ou telle raí-
» son, ce projet estmauvais; pour telleou telle raison,
» ce que vous ne proposez pas vaudrait mieux; je
»ne m'oppose pas á l'aceomplissement de eette me-
»sure, puisque e'est mon devoir de ne m'y point


.» opposer; mais remarquez bien que je YOUS donne
.»un avertissement. ) Supposez que le roi ait raison,
et qu'il posséde ce don. qne les rois ont souvent, le
don de persuader, ses paroles ne manqueront pas
d'éhranler le ministre. Sans doute, elles ne parvien-
dront pas toujours a changer ses déterminations,
mais elles jettcront presque toujours en son creur
un certain trouble.


Dans le cours d'un long régne, un roi sagaee par-
viendrait a aequérir un degré d'expérience qu'on
trouverait chez peu de ministres. Le roi pourrait
dire: « Avez-vous songé h ce qui s'est fait sous telle
» ou telle administration, il Ya environ quatorze
» ans, .le crois? 011 en pent tirer un enseignement
j) pour les conséquences fáchcuses qu'aura certaine-
» ment votre projet. En ce temps-lá vous n'occupiez
)) pas dans la vie politique le rang que vous y tenez,
») et il estpossible que votre mémoire ne vous retraes
) pas complétement tous ces faits. Je vous engage a
) vous y rcporter et a rliscuter cela avee vos collé-
» gues plus agés qui y ont pris part. 11 ne serait pas
» prudent de recommencer une politique dont les
» résultats ont été alors si mauvais, l> Le roi aurait
l'avanlage qu'un sous- secrétaire permanent a sur




1.24 CONSTlTUTION ANGLAISE.


son supérieur le secrétaire d'État, membre du Par-
lement. Ces affaires ont employé une partie de son
existence, occupé ses pensées; elles lui auront peut-
étre causé de l'inquiétude, peut-étre du plaisir ; c'est
malgré son avis qu' on les aura entamées, ou bien,
au contraire, c'est avec son approbation. Le secré-
taire membre du Parlement a seulement un vague
souvenir qu'on a fait quelque chosc de ce genre sous
un de ses prédécesseurs, alors qu'il ne connaissait
pas, ou du moins qu'il ne s'intéressait nullement a
cette partie des aífaires publiques. Il faut qu'il se
mette a apprendre péniblement el sans espoir de
connaitre parfaitement tout ce que le sccr.étaire per-
manent voit du premier coup d'reil et sans cffort de
mémoire. Je sais bien qu'un secrétaire membre du
Parlement peut toujours réduire au silence son sub-
ordonné par la supériorité que son titre lui donne. Il
peut se borner a dire : « Tout cela, selon moi, ne
prouve pas granel'chose. On a eommis bien des
fautes au temps dont vous parlcz, rie discutons pas
lá-dessus. » Un personnage arrogant a facilement rai-
son des objections que lui font ceux qui sont an-des-
sous ele lui. Mais si un ministre peut en agir ainsi
avec un subordonné, il n'en sera pas de méme dans
ses rapports avec son roí. Cette force que lui donne
la supériorité du rang social, et qui lui a perrnis
de dérouter son sous- secrétaire, n' est plus alors
avec lui, mais contre lui. Il ne s'agit plus pour lui
de prendre en considération les avis respectueux




LA ROYAlJTÉ. 125


d'un subalterne, mais de répondre aux arguments
d'un supérieur auquel il doit lui-mérne le respect.
Georgc III connaissait dans le détail la marche des
affaires publiques aussi bien et mieux que n'importe
quel homme d'État de son temps, S'il avait uni ases
capacites comme homme rl'aílaires et á son activité
les qualités plus élevées, qui sont celles d'un homme
d'I~tat clairvovant, son influence aurait été énorme.
L'ancienne constitution de l' Angleterre donnait as-
surément ala Couronne un pouvoir que notre con-
stitution actuelle Iui refuse. Tant que la majorité du
Parlement fut principalement achetée au prix des fa-
veurs royales, le roi participait au marché avec ou
sans le ministre. Mais, méme sous l' empire de notre
constitution actuelle,un monarque tel que George III,
s'il avait de grandes capacités, ne manquerait pas
d'avoir une influence excellente. Toute l'Europe sait
qu'en Belgiquc le roi Léopold a possédé une autorité
immense par l'cmploi de moyens analogues a ceux
que j'ai décrits.


On sait aussi, quand on est bien au courant des
événements de ces derniers temps en Angleterre,
que le prince Albert s'est acquis en réalité beaucoup
d'influence de la méme maniere. Il avait les qualités
rares d'un monarque constitutionnel; s'il eüt pu
vivre vingt années de plus, il se serait Iait en Eu-
rope une réputation égale á .celle du roi Léopold.
Pendant sa vie, il avait un, grand désavantage. Les
personnages politiques les plus influents alors·· en




126 CONSTITUTION ANGLAISE.


Angleterre avaient une expérience bien plus longue
que la sienne. Il aurait pu exercer, el il a sans doute
exercé une grave infJuence, sinon une influence
absoIue sur lord Malmeshurv ; mais iI ne pouvait
diriger lord Palmerston. Le vieil homme d'État qui
gouvernait l'Angleterre, á un age ou la plupart des
hommes ne sont pas a méme de gouverner leurs
familles, avait souvenir de toute une génération po·
litique disparue avant la naissance du prince Albert.
Lord Palmerston et le prince différaient d'áge et de
caractére. La délicatesse étudiée du prince allemand,
délicatesse d'esprit qu'on a bien eu raison de com-
parer a celle de Gcethe, était tout a fait étrangérc
al'homme d'État moitié Irlandais moitié Anglais. Le
courage un peu bruyant qu'il déployait dans les dif-
ficultés secondaires, l'emploi qu'il savait faire, tou-
jours a propos, pour écraser la. contradiction, d'un
lieu commun parfois un peu vulgaire, pouvait frois-
ser le prince Albert, qui unissait ala circonspection
d'un savant le couragc d'un étudiant. Nos petits-en-
fants sauront aquoi s'en tenir, si nous ne le savons
pas nous-mémes.Le prince Albert a fait beaucoup de
bien, mais il est mort avant d'avoir pu étendre son
influence sur une génération de personnages poIi-
tiques moins expérimentés que lui et désireux de
recueillir ses lecons.


JI serait puéril de p.enser que l'entretien d'un mi-
nistre avec son souverain puisse jamáis avoir le ca-
ractére d'une discussion en forme. « La divinité qui




I¡A ROYAUTÉ. 127


protége les rois » inspire moins de vénération qu'au-
trefois, mais elle ne laisse pas d'en inspirer encore.
Personne, ou presque personne ne sait discuter dans
le cabinet d'un ministre comme dans son propre ca-
binet, ou comme on discuterait dans le cahinct d'un
autre individuo On n'y est pas aussi fort it son aiso
pour établir ses raisons et réfuter les arguments op-
posés. C'est bien pis quand on est dans le cabinet
d'un monarque. La meilleure preuve en est fournie
par l'exemple de lord Chatham. Jamáis homme d'Étal
n'eutun ton plus dictatorial, plus impérieux; de plus,
il fut a peu prés le premier personnage arrivé au
pouvoir contre la volonté du roi et contre celle de la
noblesse; il fut le premier ministre populaire. On
aurait pu croire qu'un si fiel' tribun du peuple aurait
eu de grands airs vis-a-vis de son souverain et se sc-
rait montré a l'égard du roí ce qu'il était auprés de
tout autre. Eh bien, au contraire , il se laissait mal-
triserpar sa propre imagination , el, frappé par une
sorte de charme répandu mystiquement autour de
la personne royale, il n'était plus le mérne homme
en présence du roi, « Un coup d'mil dans le cabinet
») du roi, )) disait M. Burke, «l'enivre complétement
» et pour le reste de sa vie. ») Un plaisant affirmait
que, méme au lever, il s'inclinait si bas qu'on pou-
vait apercevoir le bout de son nez aquilin entre ses
deux genoux. 11 avait l'hahitude de s'agenouiller au-
prés du lit de George III quand il lui parlait d'aí-
faires. 01', iI est bien certain qu'un homme ne peut.




128 CONSTITUTION ANGLAISE.


pas discuter quand il est agenouillé. Le respect su-
perstitieux qui le tient dans cette attitude physique
lui imposera au moral une allure d'esprit analogue.
Il ne se permettra pas de réfuter les mauvais argu-
ments d'un roi, comme il le ferait pour un simple
particulier. Il ne développera point ses raisons les
meilleures avec une force et une portée sufflsantes,
quand il pensera qu'il peut déplaire au souverain.
S'il se présente un point douteux, le roi l'emportera,
er, en politique, beaucoup de raisonnements, parmi
les plus graves, sont pleins de points controversés.
Tout ce qui viendra a l'appui de l'opinion royale
portera coup, tout ce qu'on pourrait rlire pour ap-
puyer l' opinion du ministre nc se produira qu'en
perdant de l'avantage et de la force.


Le roi, d'ailleurs, est armé d'un pouvoir dont, en
théorie , il doit user seulcment dans les circonstances
graves, mais que la loi lui permet d'exercer en toute
occasion. Il a le droit de dissolution; iI peut dire ~\
son ministre: « Ce Parlement vous a envoyé ici, mais
je veux voir s'il ne m'est pas possible d'obtenir du
peuple un autre Parlement qui m'enverra quelqu'un
pour vous remplacer », George III savait bien que,
pour exercer ce droit , il fallait saisir le moment fa-
vorable et ne dissoudre le Parlement qu'á propos de
questions qui, selon toute apparence, et, en tout cas,
avec quelque probabilité, lui assureraient le concours
du pays. Il s'arrangeait toujours de maniere a avoir
un ministre qui ne lui flt pas redouter l'ombre de




---


f,A ROYAUTÉ. 129


son sueeesseur possible. La finesse dont il était doné
dans ces matiéres était portée á un degré qui , rlans
son exagération, se rencontre ehez les fous. Quoi-
qu'il ait eu a lutter contre les personnages les plus
hábiles de son temps, il n'eut presque jamais le des-
sous. Il savait admirablement s'y prenclre pour ren-
íorcer un argument un peu faible au moyen d'une
menace tacite, surtout quand il s'adressait á un in-
dividu dominé ordinairement par le sentiment du
respect.


Voila les pouvoirs qu'un homme prudent aimerait
aexercer, et ceux dont il craindrait le moins d'étre
armé. Vouloir étre un despote, aspirer ala tyrannie,
comme disaient les Grecs, e'cst , de nos jours, la
marque d'un petit esprit. Pour étrc dans ces dispo-
sitions, il faut n'avoir pas considéré ce que Butler
appelle « l'incertiturle des choses ». Se persuader
qu'on a ahsolumcnt raison , imposer sa volonté, ou
avoir le désir de I'imposer ti autrui par la violence,
J.1e porter attention qu'á ses idées fixes, et se tour-
menter l'esprit pour les réaliser, ne point préter l'0-
reille aux opinions des autres, étre incapable de pe-
ser avec un sens rassis ce qu' elles ont de vrai, e'est
mériter el' étre rangé au nombre des intclligences
grossiéres dans l'état actuel de notre civilisation. On
ne peut pas ignorcr que le domaine des faits est im-
mense, que le progrés est chose complexe, que les
eonceptions ardentes, comme il en germe dans les
cerveaux de jeunes gens, sont le plus souvent fausses




130 CONSTITUTION ANGLAISE. .


et toujours incomplétes. Cet idéal d'un homme d'État
ú la vue percante et a la volonté de fer, qui peut
tracer des plans pour des générations encore a nai-
tre, cetidéal est une chimere engcndrée par l'orgueil
de l'esprit humain et que les faits n'appuient nulle-
ment. Les plans de Charlemagne ont péri avec cet em-
pereur, eeux de Richelieu ont avorté, ceux de Napo-
léon étaient gigantesques jusqu'ala démence. ÑIais un
monarque constitutionnel, vraiment grand dans sa
sagesse , ne visera point a ces vanités grandioses. 11
ne bátit pas de cháteaux en Espagnc ; sa carriére est
ceUe du monde positif; il s'occupe de projets réali-
sables, de projets dont l'accomplissement est souhai-
table, et qui valent la peine qu'on y songe. Aux mi-
nistres qu'on lui enverra successivemcnt il tiendra
ce langage : « Je crois ceci et cela, penscz-vous qu'il
» y ,ait quelque parti ü tirer de mes idées; j'en ai fait
» l' ohjet de certain mémoyandum que .le vous sou-
» mettrai. Certainemcnt la matiérc n'y est pas épui-
» sée ; mais cela vous donnera lieu de réfléchir. »


Aprés quelqucs années de discussion avec chacun
des ministres successifs, les meilleurs plans d'un
roi trés-sago Iiniraient par étre adoptes, el ses pro-
jels d'un mérito inférieur, ceux qui sont imprati-
cables, seraient rejetés et abandonnés. Un tel mo-
narque ne devanecrait pas inutilcment son époque,
paree qu'il serait ohligé de convaincrc les hommes
d'élite qui la représentcnt 10 rnieux. Et le meilleur
moyen pour lui de prouvcr qu'il avait de bonnes




LA ROYAUTE. 131 .


idées sur ces questions nouvellcs el peu connues,
e'est qu'aprés des annécs de discussion, je le répéte,
il sera prohablement parvenu a y rallier les person-
nages ehoisis par le peuple, e'cst-á-dire des person-
nages ne devunt leur position qu'á la eonformité
.de leurs vues avec celles du public, et, par con-
séquent peu disposés a accepter les conceptions
nouvelIes et les pensées profondes. Un monarque
constitutionncl, d'une intelligenee sagace et origi-
nale pourrait plus que personne arriver au tombeau
avec la conscience libre. Il saurait que ses lois les
meilleures sont en harmonie avec les besoins du
temps, qu'elles plaisent au peuplc pour lequel elles
sont faites, et qui cloit en profiter. Et sa vie se serait
écoulée sans nuages. II aurait toujours eu le bonheur
de se faire écoutcr ; gráce aluí ~ ceux qui devaient
prendre la responsabilité des mesures auraient tou-
jours réfléchi avant d'agir ; enfln, il serait assuré que
les plans dont il aurait suggéré la mise en ceuvre ne
pourraient pas étre regardés camme de pures bou-
tades dues au caprice d'un individu , et renfermant
le plus souventde graves erreurs. Ses plans auraient
toutes les chances d'étre cxccllents, cal'; aprés avoir
en pour autenr un homme trés-intelligent , ils au-
raient passé par une longue épreuve pour étre enfin
aeceptés ct mis en pratique par les gens ordinaire-
ment intelligents.


Mais peut-on compter sur I'existence a'urt tel roí;
oubien) cal' c'est le point important, peut-on campo. ":.
~




132 CONSTITUTION ANGLAISL


ter qu'il y aura une succession de monarques sem-
hlables? Tout le monde connait la repense de l'em-
pereur Alexandre a Mme de Staél , un jour qu'elle
venait de lui vanter pompeusement les bienfaits du
despotisme. « Oui, madame, dit-il , mais ce n'est
» qu'un heureux accident. » II savait bien que les
grandes capacités et les bonnes intentions, dont la
réunion est nécessaire pour qu'un despote Iasse
reuvre bonne et utile, ne se rencontrent pas avee
continuité dans une dynastie quelconque. II savait
que ces qualités sont loin d'étre hóréditaires chez
les hommes en général, Est-il perrnis d'espérer que
les qualités nécessaires au monarque constitutionnel
se léguent plus facilement? Non, certes, jc le crains
bien. Nous avons vu que les qualités requises d'un
monarque constitutionnel, quand il s'agit d'orga-
niser une administration ; dépassaient de beaucoup
la portée ordinaire de l'intelligence qu'ont les souve-
rains arrivés au tróne par I'hérédité. Je crains fort
qu'une recherche impartiale ne nous améne a la
méme conclusion ,pour ce qui regarde l'utilité de ces
monarques pendant la durée d'une administration.


Si nous jetons un regard sur l'histoire, nous re-
marquons que c'est pendant le régne actuel seule-
ment qu'en Angleterre on a bien su remplir les
devoirs des monarques constitutionnels. Les deux
premiers George ne connaissaient rien a la poli-
tique anglaise; ils étaient entiérernent incapables de
la diriger, soit en bien, soit en mal; pendant plu-




LA HOrAUTÉ. 133


sieurs années, en leur ternps, le prcrnier ministre
n'avait pas seulement il ohtenir la faveur du Parle-
ment, mais celle d'une femme ; quelquefois c'était la
reine, quelqnefois une maitrcse qni dirigeait le


\
monarque. George III se mélait continuellement des
affaires, mais toujours pour les faire mal. George IV
et Guillaume IV ne se sont jamáis appliqués aguider
leurs ministres, ils n'étaicnt pas capables de le faire.
Sur le Continent, la royauté constitutionnelle n'a
jamais duré plus d'unc g'énération. Louis-Philipp«,
Victor-Emmanuc1 et Léopold sont les fonc1ateurs de
leurs dynastics. On ne peut comptcr , dans une mo-
narchie constitutionnelle, non plus que dans une mo-
narchie absoluc, sur la transmission héréditairo des
qualités possédées par le chef de la famillo. Autant
qu'on en peut juger par l'cxpérience , il n'y a au-
cune raison el'espérer qu'il puisse exister une succes-
sion de souvorains ayant Ies qualités nécessaires sur
le tróne, dans une monarchie limitée.


Si nous consultons la théoric, elle montrera en-
core davantagc combien peu on doit compter lá-
dessus. Un monarquc n'cst utile qne dans le cas ou
il peut diriger ses ministres avec profit pour le pu-
blic. Mais ces ministres doivent nécessairement étre
au nombre des personnages les plus capables de leur
temps. 11 faut qu'ils aient manié les affaires et qu'ils
sachent défendre leur conduite devant le Parlement
de maniere ¿\ le contcnter, Ces actes et ces discours
exigent qu'un hornme ait des talents considérables et


DAG"EHOT. 8




13i CONSTITUTION ANGLAISE.


diverso Ce double exercice est excellent pour donner
l'expérienee du monde; et d'ailleurs , en dehors de
cela, par quelle éducation magnifique ne faut-il pas
qu'un membre du Parlement passe d'abord, avant
d'étrc reconnu cornme chef'? Il faut qu'il dispute
avec succés un siége au Parlement, il faut qu'il se
Iasse écouter de la Chambre, il faut qu'il gagne la
conílance du Parlernent , il faut qu'il ohtienne aussi
la confiance de ses collégues. Nul n'arrive :i remplir
ces conditions, nul ne parvient , ce qui est plus diífi-
eile, a en conservcr le bénéfice tout en les rcmplis-
sant, s'il n'est doué d'un talent particulier, admira-
blement exercé par les détails privés de la vio. Quelle
apparence y a-t-il que le monarque héréditaire , tel
que la nature le fait, tel que le montre 1'histoire,
puisse étre supérieur aun personnage dont l'éduca-
tion et la naissance sont si différentes ? Et d'abord,
le roi ne peut étre qu'un homme comrne tant d'autres ;
parlois ce sera un homme intelligcnt, et parfois un
homme stupide : en these glSnérale, il no sera ni I'UI1
ni l'autre , ce sera le simple et banal individu né
pour suivre péniblement les orniéres de la routino,
depuis le berceau jusq~':\ la tombe. Son éducation
n'atteindra que le niveau auqucl on parvient quand 011
n'a pas eu alutter ; il aura toujours su qu'il n'avait


. rien aacquérir ; le premiar rang lui étant réservé sans
contestation : il n'a jamais connu les réalités de la
vie. Onauendrait en vain d'un hommc né dans la
pourpre plus de génie que cl'un homme extraordi-




LA ROYAUTÉ. 1.35


naire, qui a vu le jour loin des palais. Celui dont la
place a été marquée d'avance peut-il avoir plus de
jugement qu'un autre qui doit el son intelligence la
conquéte de la sienne ; celui dont la carrierfl:-~e peut
changer, soit qu'il ait du discernement, soit qu'il
en manque, peut-i1 avoir l'exquise pénétration de
l'homme qui s'est é1evé par sa,sagesseet qui tombera
8'i1 cesse d'étre sage?


L'avantage principal rl'un roi constitutionnel est
la permanence de sa situation. Cette permanence lui
fournit l'occasion d'acquérir sans cesse la connais-
sanee des affaires ; mais elle ne lui en fournit que
l'occasion. Il faut qu'il sache en tirer parti. Point de
routes royales en po1itique; le détail des affaires est
enorme, désagréable, compliqué, mélangé. Pour étre
l'égal de ses ministres dans la discussion, il faut que
le roi travaille comme eux; il faut que, comme eux,
il soit un homme d'affaires, Cependant, un prince
constitutionnel est plus entrainé au plaisir que porté
au travail. Un despote doit savoir qu'il est le pivot de
I'État ; tout le poids de son royaume repose sur sa
téte. Tant vaut l'homme, tant vaut son reuvre. Il
peut étre séduit par l'attrait des plaisirs et négliger
tout le reste; mais il court un risque évident : c'est de
se nuire et de s'exposer el une révolution. S'il devient
incapable de gouvcrner, quelque autre, plus capable,
conspirera contre son autorité. Mais un roi eonstitu-
tionnel n'a rien el craindrc. Il peut négliger ses de-
voirs sans avoir á en souffrir. Sa situation est touf;.,."{


(:'
·r'';




136 CONSTITUTION ANGLAISE.


aussi Iixe , ses revenus aussi assurés , les occasions
qu'il a de se livrer au plaisir aussi nombreuses que
jamais. Pourquoi done travaillerait-il? Sans doute, iI
perdra le bénéfice de l'influence paisible et secrete
qu'aprés des années son habileté lui procurerait ;
mais un jeune homme impétueux , auquelle monde
offre ses pompes et ses tentations, ne se sentirá guére
nttiré par la perspective éloignée d'obtenir un peu
d'influence dans des qucstions arirles. Il pourra for-
mer de bonnes résolutions et se dire : « L'an pro-
chain je me mettrai a lire tels documents ;j'étudierai
le monde politique et m'informerai davantage de ce
qui s'y passe ; je ne permettrai plus aces femrnes de
me parler comme elles le font. » Elles ne lui en par-
leront pas moins. La paresse la plus incurable est
celle qui se berce des projets les mcilleurs. « Le lord
trésorier, dit Swift, a promis qu'il terminerait l'af-
faire ce soir méme, et il le répétera cent jours dé
suite. » On doit bien penser que le ministre dont le
pouvoir serait amoindri par l'ingérence du roi dans
les affaires ne le pressera pas trop de s'y livrer.


Voilá ce qui a lieu quand le prince monte sur le
tróne des sa jeunessc ; mais le cas est pire quand il
n'y parvient que dans sa vieillesse ou dans sa matu-
rité. Alors il est incapable de travailler. II aura passé
dans l'oisiveté toute sa jeunesse et la premiére partie
de son áge viril, est-il naturel qu'il se mette au tra-
vail? Un prince oisif et ami des plaisirs n'ira pas
travailler vers la moitié (le su vie ,. eomme le faisait




LA ROYAUTf~. 1.37


George III ou le Prinee Albert. Le seul homme ea-
pable de faire un bon roi constitutionnel, e'est le
prinee qui eommenee a régner de honne heure, qui,
pendant sa jeunesse , aura su dédaigner les plaisirs
pour se livrer au travail , et auquel la nature aura
aeeordé une grande pénétration. De tels rois sont les
plus grands eadeaux du ciel, ,mais ce sont aussi les
plus rares.


Un roi fainéant, un roi ordinaire sur le tróne
constitutionnel ne laissera aueune trace dans l'histoire
de son temps ; il passera sans faire beaueoup de bien
ni beaucoup de mal; sous lui, le gouvernement deCa-
binet a forme monarchique fonctionnera comme s'il
avait une forme non monarchique. Un zéro n'a point
de valeur quand on le place devant les autres chiffres.
Mais, on le sait, corruptio optimi pessima ; le pis-
aIler sous la forme monarehique est infiniment plus
périlleux que le pis-aller sous l'autre forme. On peut
aisément imaginer qu'il monte sur le treme constitu-
tionnel un sot personnage aetif et remuant, voulant
toujours se montrer quand il ne le doit pas, et n'a-
gissant point quand il le faut, détournant ses minis-
tres des mesures les plus judieieuses, les encoura-
geant dans les plus déplorables. On comprend aussi
qu'un roi de eette sorte peut devenir l'instrument de
eertaines gens; les favoris pourront s'imposer a lui,
les maitresses pourront le corrompre, et l'atmo-
sphére d'une Cour vieieuse empoisonnera le gou...
vernement d'un pa-ys libre.


8.




138 CONSTITUTION ANGLAISE.


Nous avons un affreux exemple des dangers que
peut offrir la royauté eonstitutionnelle : e'est lorsque
régnait un fou traeassier. Pendant la plus grande
partie de son existenee, George 111 sentait sa raison
se bouleverser achaque erise. Tout le long de sa vie
il eut une obstination voisine de la folie. Son obsti-
nation fut bien fatale ; on ne pouvait l'arracher a
l'erreur; sa position élevée lui permettait de jeter
loin de la bonne ronte des ministres meilleurs que
lui, mais plus faibles. Il donna un excellent exemple
de moralité ases contemporains; mais ce fut un de
ces hommes dont on peut dire que le bien qu'ils ont
fait disparait avee eux, tandis que le malleur survit.
Il a prolongé la guerre d'Amérique, peut-étre méme
l'a-t-il eausée, et il nous a légué la haine des Amé-
rieains; il s'opposa aux sages projets de M. Pitt, et
il nous a légué les diffieultés de la question irlan-
daise. 11 n'a pas permis de faire le bien en temps
utile, et maintenant nos efforts elans ce but sont in-
opportuns et stériles. La royauté eonstitutionnelle
sous un monarque actif et a moitié fou, e'est l'un
des plus tristes gouvernements. Un pareil monarque
est un pouvoir seeret se mélant de tout el déployant
ordinairement de l'obstination; ce pouvoir se trompe
souvent, il dirige les ministres beaueoup plus qne
eeux-ei ne le eroient et s'impose h eux beaueoup plus
que le publie ne l'imagine ; iI n'a aueune responsa-
bilité paree qu'il est impénétrable, il ne peut avoir
el'entraves paree qu'il est invisible. Assurément les




-


J,A ROYAUTÉ. 139


avantages que procure un bon monarque sont infi..
niment précieux, mais les elésastres que peut occa-
sionner un mauvais roi sont presque irreparables.


Nous verrons ces conclusions se confirmer en eX3-
minant les pouvoirs et les devoirs qu'un roi el'Angle-
terre est appelé aexercer quand une aelministration
tombe du ministére. l\lais le pouvoir ele dissoudre la
Chambre des Communes et la prérogative de créer des
pairs, deux attributions du monarque en ce moment
de crise, ont une importanco telle et emhrassent des
questions si complexes, qu'il est impossible d'en
parler avec des détails suffisantsala fin d'un chapitre
aussi long que celui-ci.




v


LA CHAMBRE DES LORDS.


Dans l' étude précédente, j'ai montré qu'il était pos-
sible á un monarque constitutionnel de rendre, le
cas échéant, de trés-grands services tant au début que
pendant la durée d'une administration, mais qu' en
fait il y avait peu d'apparence qu'il les rendit. Il
faudrait pour cela des idees, des habitudes et des fa-
cultés trés-supérieures acellesd'un homme ordinaire,
toutes choses peu compatibles avec l' éducation hahi-
tuelle des souverains.


Les mémes arguments sont applicalrles ú ce qui
concerne la fin d'une administration. Mais dans cette
conjoncture entrent en jeu les deux plus remarqua-
bles prérogatives d'un monarque anglais, c'est-á-diré
le pouvoir de créer de nouveaux pairs et le pouvoir
de dissoudre la Chambre des communes. 01', on
ne peut apprécier 1'usage ou l'abus des pouvoirs sans
s'étre rendu compte de ce que sont les pairs et de
ce qu'est la Chambre des communes.


La Chambre des lords ou plutót l' ordre des lord s
est, par son coté imposant, d'une utilité considé-




LA CHAl\lBRE DES LORDS. Uf


rable. Sans inspirer autant de vénération que la
rovauté, son autorité est fort respectée. Un ordre de
noblesse a pour fonction d' chlouir le vulgaire non pas
nécessairement ponr le trompee, encore moins pour
lui nuire, mais ponr .lui imposer des opinions qu'il
n'admettrait pas autrement. L'imagination de la mul-
titude est extrómement íaible ; elle ne peut rien con-
cevoir sans un symbole visible et il y a beaucoup de
choses qu'eIle comprend á peine, rnérne avec un sym-
boleo La noblesse est le symhole de l'intelligence.
Elle a les caracteres distinctifs que la foule a toujours
eu coutume de regarder comme les attributs de l'in-
telligence et que souvent encore elle considere
comme tels. Qu'un plébéien ayant du talent aille dans
les campagnes, il n'y sera nullement un objet de vé-
nération, tandis que le vieux gentilhomme y est vé-
néré. Il a beau étre insolvahle et se trouver, au su de
tous, sur le peuchant de la ruine, aux yeux des
paysans anglais, il sera toujours plus respectable
qu'unricheparvenu. Lors méme qu'il dirait des ahsur-
dités, la masse des paysans lui pretera l' oreille avec plus
de soumission qu'aux propos sensés de ce dernier.
Un vieux lord aura toute leur vénération; et c'est un
véritable service que ce personnage rend au pays en
imprimant la notion de l'obéissance a ces cerveaux
grossiers, épaiset étroits de la multitude qui est inca-
pable d'autres sentiments et d'autres idées.


La noblesse est d'une grande utilité non pas seu-
lement par les résultats qu'elle produit, mais encare




142 CONSTITUTION ANGLAISE.


par ceux qu'elle prévient en empéchant la domina-
tion de la riehesse et le culte de l' 01'. L' 01' est, on le
sait, l'idole íamiliére des Anglo-Saxons. Notre raee
cherche sans cesse a faire fortune, elle évalue toute
chose en gros sous, elle s'incline devant les gros ca-
pitaux et passe d'un air dédaigneux devant les petits ;
elle a une admiration instinctive pour la richesse.
Dans une certaine mesure, ce sentiment a sa raison
d'étre. Tant que nous nous livrerons avec un vigou-
reux entrain a l'industrio (et j'espére que nous le
ferons longtemps, cal' il faudrait chez nous de grands
changements pour qu'il nous füt possible d'avoir une
occupation meilleure), nous devrons nécessairement
respecter et admirer ceux-qui réussissent el dédai-
gner un peu ceux qui échouent dans cette carriére.
Est-ce atort, est-ce avec raison? II est inutile de dis-
cuter lá-dessus, jusqu' ti un certain point ce sentiment
est involontaire; la morale n'a pas h décider si nous
devons ou si nous ne devons pas le conserver, la na-
ture a voulu nous y soumettre dans des proportions
modérées.


Mais dans plusieurs pays, l'admiration qu'on
a pour la richesse va beaucoup plus loin que les
limitesnaturelles ; ceux qui l'admirent ne se préoccu-
pent aucunement du talent qu'il a faUu déployer pour
l'acquérir; ils respectent autant la richesse dans les
mains d'un héritier que dans ceHes qui ont créé la
fortune; leur culte consiste uniquement aenvier et
ti aimer 1'01' pour Iui-méme. Notre aristocratie nous




LA CnÁMBRE DES LORDS. 143


préserve de ce danger. II n'y a pas de pays ou « un
pauvre diable de millionnaire» se trouve si malason
aise qu'en Angleterre. On en fait chaque jour l'ex-
périence, on en a la preuve á chaque instant, l'ar-
gent, l'argent pUl' et simple, ne donne pas accés dans
la société de Londres. Il cst tenu comme en échec
par la supériorité d'un nutre pouvoir.


On dira peut-étre qu'il n'y a la aucun profit, que,
culte pour culte, le fétichisme de l'argent vaut bien
celui clu rang social. En admettant qu'il en soit ainsi,
e'est eneore un avantage pour la société que d'avoir
deux idoles; quand deux idolátries sont en lutte il y a
quelque chance de succés pour la vraie religión.
Mais il n'est pas vrai que le respect pour le rang
social, clu moins pour le rung héréditaire, soit d'une
nature aussi degradante que le respect pour l'argent,


De tout temps,la politesse des mreurs a été le privi-
lége en quelque sorte héréditaire de certaines castos,
et la politesse eles mceurs est un des beaux attri-
buts. e'est le style de la société; dans les entretiens
ordinaires de la vio, la 'politesse joue le róle que
remplit l'nrt d'écriro dans les correspondances.
Quand on respecte un homme riche ce n'est pas
l'hommc qu'on respecte, mais sa fortune, chose qui
ne fait pas corps avec lui; quancl on respecte la no-
blesse hérérlitairc d'un homme, le respect s'adresse a
une grande qualitó qu'il posséde probablement et
qu'Íl a la faculté de déployor. La gráce naturelle peut
se rcncontrer dans les classes moyennes ; la polites~,~!~;¡ .-


. \ J
'. .




CONSTlTUTlON ANGLA1Sf..


úes mreurs pcut naitre partout, mais ene doit se
trouver dans l'aristocratie eL un memore de l'aristo-
cratie est positivement mal organisé s' il en est dé-
pourvu. e'est un privilége physiologique de la race
qui peut étre refusé quelquefois a l'individu.


Il y a une troisiéme idola.trie dont nous préserve le
Iétichisme du rang social; celle-lá est peut-étre la
pire de toutes, e' est l'idolátrie de la fonction politiqueo
Le plus triste fetiche qu'on puisse adorer e'est un
employé subalterne, et cependant dans certains pays
civilisés le culte en est trés-répandu, En France et dans
la plus grande partie du continent européen, cette
superstition domine. En vain direz-vous que les hono-
raires des petits fonctionnaircs sonl fort au-dessous
de ce qu' on gagne dans le commerce; que leur tra-
vail est bien plus monotone que celui des commer-
cants, que leur intelligence esl moins utile et leur
vie est moins indépendante. On ne les considere pas
moins comme ayant plus d'importance et plus de
qualités que ceux-ci. lIs sontdécorés; ils ont un bout
de ruban rouge il leur habit et cela répond a tout.
En Angleterre, grúce ala forme spéciale de notre so-
ciété, 1'idéal souhaitahle est atteint. Les grandes si-
tuations, soit fixes, soit dépendantes du Parlement,
qui exigent de l'intelligencc, assurent mainLenant un
prestige al' exclusion de Loutes les autres. Un sous-
~ ,


secrétaire d'Etat avec dcux mille livres sterling par
an est un bien plus grand personnage que le directcur
d'une cornpagnie Iinancicre avec cinq mille livres




LA CHAMUllE DES LOHDS.


sterling, et le pays économise la diflérence. A part
quelques emplois telsque ceux de la Trésorerie, qui
étaient remplis autreíois par l'aristocratie et qui ont
conservé par suite un certain parfum de noblesse,
les fonctions subalternes n'ont aucune valeur sociale.
Un gros épicier méprise l' employé de la régie ; et, ce
qu'on regarderait comme impossible dans beaucoup
de pays, l' employé de la régie est jaloux de l' épicier.
La richesse solide prend le haut du payé, quand on
n'accorde pas une préséance artificielle aux degrés
inférieurs desfonctions publiques. Unsimple employé
du service civil n'est absolument rien, et jamais on
ne parviendrait á persuader notre public que cet em-
ployé est un personnage.


Cependant il faut reconnaitre que pour servir
ainsi d'expédient politique, notre aristocratie a perdu
une bonne partie de ses qualités. En général , le meil-
Ieur monde en Angleterre s'enveloppe d'un décorum
qui lui donne l'aspect un peu terne. Sans doute ce
monde garde sa dignité, se fait obéir, sait étre bon
eL charitable ponr ses inférieurs; mais il n' entend
rien au hadinage d'esprit; il ne se doute pas que le
charme de la société en dépend. Ces nobles consi-
dérent la gaieté comme une vieille et inutile défroque,
et ils craignent toujours, mais bien á tort vraiment,
qu'on leur en suppose. Cette roideur de dignité est si
íort ti la mode, que les quclques Anglais dont l'esprit
a de la souplessc et de l'éclat privent ordinairement la
société dc ces qualités, les réservant pour un petit


BAGEUOT. y




1úG CONSTITUTW~ ANGLAISE.


cercle d'amis intimes, pour les personnes capahles
d'en apprécier les nuances.1\1ais un hon gouvernement
vaut bien la peine qu'on supporte ces inconvénients
sociaux. Dans une société comme la nótre, oü la préé-
minence appartient a l' ancienneté du rang plutót
qu'aux gráccsde l'esprit, un peu de froideur est insé-
parable de la dignité. La prépondérance des vieux
titres a en revanche une utilité réelle que nul ne peut
méconnaitre et qui compense ce délaut.


Le prestige social de l'aristocratie ;: tout le monde
le sait, est d'ailleurs infinimcnt moindre aujourd'hui
qu'il ne l' était il ya cent ans, et méme il ya cinquante
ans. Deux grands mouvemcnts, les plus grands qui
se soient opérés dans la société moderne, ont contri-
baé ale réduire. En élevant des fortunes, l'industrie,
sous sesformes innombrahles, a créé une classc rivale
de la noblesse eL qui l' emporterait, si ene possédait
ce cachet de supréme distinction qui ne s'acquiert pasó
Tous les jours les compagnies, les chemins de fer,
les obligations, les dividendos, tendent de plus en plus
a multiplier dans le voisinago de l'aristocratie ces
grandes existences qui, avec le temps, finiront par
l'éclipser. Et d'un autre coté, pendant que ce mouvo-
ment se produit de bas en haut, un autre mouvement
précipite l'aristocratie de haut en baso Les nobles ont,
pour dominer, moins de ressources qu'ils n' en avaient
autrefois. Ce qui faitleur pouvoir e'est le déploiement
théútrul de leur rnagnificcnce. Mais la société perd de
plus en plus l'habitudc de l'apparat, Comme l'a rai/.




LA CHAl\1BRE DES LORDS. U7


observer notre grand auteur satirique, «le dernier
» duc de Saint-David couvrait autrefois de ses équi-
» pages la route du Nord; les maitrcsses d'auberge
» et leurs g'ar90ns s'inclinaient devant lui. Le due


e


» actuel s'échappe de la station, enfumant un cigare,
» dans un brougham ». L'aristocratie ne pourrait
étaler le train d'autrefois, lors méme qu'elle le
voudrait; une iníluence plus forte qu'elle s'y oppose.
Ses membres obéissent á la tendance qui, dans la so-
ciété moderne, éléve le niveau moyen et abaisseeom-
parativemont.peut-étremémeabsolument, le sommet.
Amesure que disparaissent le coté pittoresque et les
couleurs voyantes de la société, l'aristocratie perd ee
qui l'aidait principalement á dominer.


En se rappelant de quel profond respect la no-
hlesse était entourée autrefois, on sera surpris de
voir que la Chamhre des lords, en tant qú'assemblée,
a toujours occupé le second rang, qu'elle a tou-
jours été, comme aujourd'hui, non pas la premiére,
mais la seconde de nos assemblées. Bien entendu je
ne parle pas du moyen áge, je ne m'occupe ici ni
de la période cmhryonnaire par laquelle a dü passer
notre constitution ni de son enfance. Je l'envisage
seulement al'état adulto. Examinons-la au temps de
sir R. Walpole. Sir Hobert devait son titre de pre-
miel' ministre á sa facon de manier la Chambre des
communes; s'il tomba du pouvoir, e'est pour avoir
été battu dans laChambre hasse apropos d'une péti...
tion sur les aífaires électorales ; il ne gouveraait l'M.(':.;,.~


~", ~"'~.,
--...r




148 CO~STITUTlON ANGLAIsJ<:.


gleterre que paree qu'il gouvernait la Chamhre des
cornmunes. Et cependant la noblesse était alors le
pouvoir prépondérant dans le pays. Dans beaucoup
de districts la parole d'un lord était toute la loi.
Le méchant lord Lowther, comme OH disait, a laissé
dans le Westmoreland un nom qui a inspiré la terreur
jusqu'á la génération actuelle. La plupart des dé-
putés des bourgs et le plus grand nombre des députés
des comtés étaient les créaturesde l'aristocratie; on lui
obéissait respectueusement, pieusement. Comme indi-
vidus, les pairs étaient les premiers personnages du
pays; mais en tant que chambre délibérante, l'assem-
blée des pairs n' était que la seconde du Parlement.


Diverses causes ont contribué acréer cette ano-
malie, mais la principale était parfaitement naturelle.
Jamais dans la Chambre des pairs les principaux no-
bles du pays n'ont joué le role le plus important. La
nature s'y opposait. Les qualités qui distinguent un
homme dans une assemblée délibérante ne sont pas
héréditaires et ne se léguent pas avec dé grands do-
maines. Au milieu de la nation, dans les provinces,
dans son pays, un duc de Devonshire ou un duc de
Bedford éLait certes un plus grand personnage que
lord Thurlow. Ces dues avaient aleur disposition de
grandes propriétés, plusieurs bourgs, une foule de
partisans qui leur composaient une sorte de cour.
Lord Thurlow n'avait ni bourgs, ni partisans, il vivait
de ses honoraires. Tant que la Chambre des lords
n'était pas réunie, les ducs étaient non-seulement de




LA CHAMBIlE DES LonDS. t49


plusgrands personnages que lui, mais ils l'étaient sans
comparaison possible. Aussitót que la Chambre était
réunie, lord Thurlow s'ólevait beaucoup au-dessus
d'eux. Il avait le donde la paroleetles ducsne l'avaient
point. Il pouvait traiter en une demi- heure des
affaires que ceux-ci auraient mis to~te une journée a
comprendre et h traiter, si móme ils avaient pu y
arriver. Quand un pair, ennemi de son influence,
était assez sot pour le railler de sa naissance, illui
imposait silence en disant que mieux vaut devoir
sa situation a soi- rnéme qu'á ses' ancétres,' la no-
blesse acquise par droit de naissance n'étant que
« l'accident d'un accident »,


Une chambre ainsi composée n'était pas faite pour
plaire aux grands personnages de l' aristocratie. Il ne
pouvait leur convenir de jouer dans leur propre
assemblée un role que pourtant ils y avaient toujours
eu, un role qui les mettait au-dessous de l'avocat
arrivé d'hier seulement aux honneurs, donL on pou-
vait dire que tout le monde l'avait connu sans procés á
plaider, parlant POUl' de l'argent, et courant aprés les
piéces de cent sous, Les principaux pairs ne tiraient
aucun lustre de leur présence dans la Chambre, au
contraire ils y perdaient leur prestige. Pour se tirer
d'embarras ils eurent recours a deux expédients.
Il'ahord, ils inventérent les procurations, qui leur
permirent de valer sans étre présents, sans s'exposer
á étre offensés par la vigueur des invectives, sans
encourir le risque du ridicule, sans quitter leurs




150 CONSTITUTION ANGLAI8E.


manoirs ou le palais de la ville ou ils étaient des
demi-dieux,Ensuite, dans la Chambre des communes,
el cet expédient était encore plus eíficace, ils cher-
chérent aexercer l'influence qui leur échappait dans
la Chambre des lords. C'est par cette voie indirecte
qu'un seigneur puissant dansles campagnes, capable
de contrihuer pour moitié á l'élection de deux repré-
sentants de comtés et d,e nommer deux représentants
de hourgs, procurant peut-ótre leurs siéges á des
membres partisans du gouvernement, disposant
méme parfois de celui qu'occupait le chef de l' oppo-
sition, se trouvait devenir un personnage plus in-
fluent qu'il ne l'eút été en allant dans sa propre
chambre écouter les paroles du chancelier. Aussi la
Chambre des lords, méme lorsqu' elle était composée
des premiers personnages du royaume, n'avait dójá
plus qu'une influence secondaire; cal' les principaux
pairs, ceux qui avaient la plus grande importance
sociale, tenant presque tout leur pouvoir de 1'in-
fluence la,tente, mais énorme en réalité qu'ils
exercaient dans la Chamhre des communes, demeu-
raient apeu prés indiíférents aux discussions' de la
ehambre haute.


Quand on cesse deconsidérer la Chambre des lords
sous son aspect imposant pour l' examiner par son
c<'\té strictement utile, on trouve que notre théorie
constitutionnelle, comme la plupart des reuvres de ce
genre, fourmille de fautes. D'aprés cette théorie, la
Chambre des lords serait un État du Hoyaume du




LA CHAl\mnE DES LORDS. 151.


m('\111e orrlre et du móme rang que la Chambre des
communes, elle serait la branche aristocratique du
Parlement, commc la Chamhre des communes en est
la branche populaire, et cette derniere n'aurait, en
vertu du droit constitutionnel, qu'une autorité égale
it celle de sa rivale. Cette doctrine est complétement
fausse ; il est á remarquer au contraire, et c'est la un
des avantages particuliers de la Constitution anglaise,
que nous avons une Chamhro haute dont l'autorité,
quoique réelle en sommc, est toujours moins grande
que celle de la Chambre des communes.


C'est évidemmentun inconvénient que d'avoir deux
Chambres diverses et :\ pouvoirs égau». Chacune
d'elles a le droit d'entraver l'ceuvre de la législation
qui, a un moment donné, peut étre trés-nécessaire.
Nous en avons en ce moment la meilleure preuve
possible: La Chambre haute de notre colonie de
Victoria, oü siégcnt les riches proclucteurs de laine,
est en désaccord avec la Chambre hasse de ce pays
et, par Emite, In plus grande partie des affaires se
trouve suspendue. Sans l'emploi d'un singulier stra-
tagéme, toute la machine gouyernementale cesserait
de fonctionner. La plupart des constitutions ont ce
vice. On le rencontre dans celles qui régissent les
deux principales répuhliques du monde. D'aprés la
constitution des États-Unis el d'aprcs celle de la
Suisse, la Chamhre haute a autant d'autorité que
l'autre Chambre; elle pourrait lui créer des difficul-
tés extremes et, si bon lui semblait, la paralyser en-


r..~;r ~"';::{ "':.\ ,"
~\l";::'.. ..~..,~, ::.-




J' ?:1.;)_ CONSTITUTION ANGLAISE.


tiérement ; SI elle nc le fait pas, il faut moins en
savoir gré aux regles constitutionnelles qu'á la sa-
gesse des membres qui composent la Chambre haute.
Dans les deux constitutions précitées, cette dangereuse
división de pouvoirs s'appuie sur une doctrine partí-
culiére dont je n'ai pas am'occuper en ce moment.
On prétend qu'il doit exister dans un gouvernement
Fédéral quelque institution, quelque autorité, quelque
corps possédant un droit de veto et représentant sur
le pied de l' égalité chacun des États qui eomposent
la confédération..l'avoue que cette doctrine ne me
parait pas de la rlerniére évidence , et qu'elle est plu-
tót fondée sur des allégations que sur des preuves.
L'État de Delaware n'a en réalité ni le mérne pouvoir
ni la méme influence que I'État de New-York, el
vous ne le rendrez pas l'égal de celui-ci en lui accor-
dant un droit égal de veto dan s la Chambre haute.
Si l' on se reporte a l' origine' historique de la Con-
stituliaa, 00 comprend cette anomalie. Les petits
États devaient naturellement tenir a introduire dans
la Constitution Iédérale quelque témoignage signiíi-
catif, quelque souvenir de leur ancienne indépen-
dance. 1VIais autre chose est pour une institution de
satisfaire les sentiments naturels et de répondre aux
besoins politiques. S'il est vrai qu'un gouvernement
fédéral doit renfermer une Chambre haute, qui
puisse, au besoin, avoir le dernier mot dans cer-
taines questions, ce n' en est pas moins une cause de
conflit et un grave inconvénient á ajouter aux nom-




LA CHAMBRE DES L(mOS. i53


breuses imperfections qui caractérisent ceue forme
de gouvernement. .Une imperfection, pour étre né-
cessaire, n'en est pas moins une imperfection.


Dans toute constitution, l'autorité doit résider quel-
que part. Le pouvoir souverain doit etre remis aqui
peut l'exercer. C'est ce que les Anglais ont fait. La
Chambre des lords, au moment de l'acte de réforme
de 1832, était aussi mal disposée envers la Chambre
descommunes que peut l'étre, aVictoria, la Chambre
haute vis-u-vis de la Chambre basse; elle fut cepen-
dant obligée de lui accorder son concours, La cou-
ronne ayant le droit de créer de nouveaux pairs, le
roi d'alors promit a son rninistére d'user de cette
prérogative. Pour éviter ce précédent qui ne lui plai-
sait point, la Chambre des lords consentit aadopter
le bill. On n'usa pas de la prérogative, mais on vit
hien qu'elle était aussi utile qu'énergique. De méme
qu'il suffit ¡\ un patron de savoir que ses ouvriers
peuvent se mettre en gréve, pour qu'il leur Iasse des
concessions dans le but d'éviter la gréve, de méme
il a suffi que la volonté royale, d'accord avec l'opi-
nion populaire, pút imposer u la Chambre haute de
nouveaux membres destinés a dompter son oppo-
sition, pour que eette derniére ait été amenée afaire
des concessions.


Depuis l'acte de réforme, les fonctions que la
Chambre des lords avait eues dans l'histoire ont été
trés-modifiées. Avant cet acte, si ce n'était pas apro-
prement parler une Chambre dirigeante, c'était du


9.




CONSTITUTION ANGLAISE.


moins une Chambre de direeteurs. Elle renfermait
les memhres prineipaux de la noblesse dont l'in-
fluence était prépondérante dans la Chambre (les como
munes. L'influenee de l'aristoeratie était si puissante
dans cette derniére Chambre, que jamáis on n'eut a
craindre ele voir l'aceorel se rompre entre les deux
Chambres du Parlement. Quand les deux Chambres
entraient en conflit, e'était, cornme dans la grande
affaire d'Aylesbury, au sujet de leurs priviléges res-
peetifs, el non pas apropos ele la poljtique nationale.
L'influence de la noblesse elominait h un tel point,
qu'il ne lui était pas nécessaire de s'étendre. Bien
que trés-différente alors sur ce point de ce qu'elle
est aujourd'hui, la constitution anglaise n'était pas
entachée elu vice qui se trouve dans la constitution
de Victoria el dans celle ele la Suisse. Elle n'exigeait
pas que les deux Chamhres eussent une origine dis-
tincte; toutes deux, au contraire, procédaient de la
méme source, cal' l'élément prépondérant était le
méme dans l'une el dans l'autre, el tout danger de
conflit était écarté, gráce h cette unité latente.


La Chambre eles lorels est devenue, depuis l'acte
de réforme, une Chamhre de revisión ayant une au-
torité suspensivo. Elle peut modifier ou rejeter les
hills dont le vote n'est pas reclamé avec insistance par
la Chambre eles communes, et sur lesquels l'opinion
publique est encore indécise. Le veto des lords est
pour ainsi dire conditionnel. Quand ils s'opposent
aune mesure, e'est apeu prés eomme s'ils disaient :




LA CHAl\JnRE DES LORDS. 155


« Nous rejetterons CA hill une fois, deux fois, trois fois
» méme ; mais si vous persistez á nous le renvoyer,
» nous finirons par l' accepter.» Ainsi la Chamhre
des lords n'a plus assez d'influence pour diriger les
affaires, méme cl'une maniere latente, mais elle peut
rejeter pour un temps ou moclifier les mesures pro-
posées.


Leseul titre qu'ait le duc de Wellington au renom
d'homme d'État, e'est qu'il a présidé ¡\ ce chango-
ment. Il voulait amener les lords ¡\ leur véritable si-
tuation , et il y parvint. En 18116, au moment de la
crise provoquée par la loi sur les céréale~, et lors-
qu'on se demanclait si la Chambre des lords resiste-
rait ou céderait, il écrivit a celui qui est mainte-
nant lord Derby :


« Depuis plusieurs années, et je peux clire depuis
1830, alors que je quittais le pouvoir, je me suis
efforeé de el iriger la Charnhre des lorels el' aprés les
príncipes qui me paraissent motiver son existence
dan~ notro constitution, d'aprés les principes con...
servateurs..Te me suis opposé invariablement atoutes
les mesures violentes et extremes, ce qui n'est pas
précisément le moyen d'acquérir de 1'influence dans
un parti politique en Angleterre, surtout dans l'op-
position. J'ai toujours appuyé le gouvernement elans
les occasions importantes, j'ai toujours exercémon
inflnence personnelle de maniere a écarter le mal-
heur d'un désaccord ou conflit quelconque entre les
deux Chambres. Je vais vous citer a ce sujet quel-


....




1~6 CO~STITUTION ANGLAISE.


ques exemples; ils suffiront pour caractériser ú vos
yeux la direction que j' ai donnée au Parlement, el
vous expliqueront en méme temps dans une certaine
mesure le pouvoir extraordinaire que j' ai exercé pen-
dant tant d'années, sans y avoir aucun droit apparent.


» Des que je m'apercus des embarras dans les-
quels le feu roi Guillaume s'était jeté en faisant la
promessede créer de nouveaux pairs, dont le nom-
bre, je crois, n'était pas déterminé, je me décidai el
je parvins adécider un granel nombre d'autres lords
ane point paraitre dans la Chambre pendant les der-
niéres discussions relatives á l'acte de reforme,
aprés la rupture des négociations entamées pour for-
mer un nouveau ministére. Cette conduite mécon-
tenta beaucoupalors notre parti; malgré celaje crois
qu'elle a sauvé l'existence de la Chambre des lords
et la constitution du pays.


» Plus tard, dans la périorle de 1835 a 18lt1, je
suis parvenu aohtenir de la Chambre des lords 1'a-
bandon de certains principes et de certains systémes
qui avaient dicté nos résolutions et nos votes sur les
dimes et les corporationsd'Irlande, ainsi que sur d'au-
tres mesures; ce qui contraria beaucoup de monde.
Mais je me souviens surtout d'une circonstance, ceHe
relativeal'union entre les provinces du haut et du has
Canada; j'avais d'abord fait de l'opposition a cette
mesure; j'avais méme protesté contre elle, et dans
les derniéres discussions je parvins aobtenir de la
Chambre l'acceptation et le vote de cet acte, pour




LA CHAl\IBRE DES LORDS. 157


épargner aI'intérét public l'inconvénient d'une lutte
entre les deux Chambres sur une question d'une telle
importance. J'ai encere appuyé les mesures du gou-
vernement et protégé l'un de ses serviteurs en Chine,
le capitaine Elliot. Tout cela tendait á affaihlir mon
influence auprés de quelques-uns des nótres ; d'au-
tres au contraire, peut-étre en majorité, ont approuvé
ma conduite. On sait aussi que, depuis le com-
mencement de l'administration de lord Melhourne,
j'ai eu avec lui des rapports continuels au sujet
des affaires militaires á l'intérieur et a l'extérieur.
Il en a été de meme pour beaucoup d'autres affaires.


» Naturellement, mon influence dans le parti con-
servateur en était diminuée d'autant, mais mon hut
était de procurer aise et satisfaction au souverain el
de maintenir le bon ordre. Enfin, arriva le moment
oü le ministére de sir Robert Peel donna sa démis-
sion, au mois de décembre dernier, et ou la reine
voulut charger lord John Russell de former une
administration. Le 12 décembre, la reine m'écrivit
la lettre dont je joins copie sous ce pli avec copie de
ma réponse portant la méme date; il parait que ja-
mais vous n'avez lu ces lettres, bien que j'en aie
donné communication immédiate á sir Robert Peel.
nm'était impossibIe d'agir autrement que je ne l'ai
dit dans ma lettre á la reine. Je suis le serviteur de
la couronne el du peuple. J'ai recu le prix et la ré-
compense de mes services, et je me regarde comme
engagé; il faul que ie serve comme mon devoir m'y




158 CO~STITlJTION ANüLA1SE. .


oblige, tant que .le pourrai le faire sans déshonneur,
tant que ma santé et mes forces me le permettront;
mais il est évident qu'il surviendrn, qu'il doit surve-
nir une fin aux rapports de conflanco qui existaient
entre le parti conservateur et moi son eonseiller.
J'aurais pu, sans manquer de logiquc, et quelques-
uns mémo croient que j'aurais dü rcluser d'apparte-
nir au cabinet de sir Ilohert Peel dnns la soirée du
20 déeembrc. J'ai la ferme conviction que si j'avais
agi ainsi, le gouverncment de sir Hobert Peel n'au-
rait pas pu s'organiser, et nons aurions en le lende-
main matin au pouvoir... et ...


» En tout cas, il est trés-évident que lorsque le mo-
ment d'une détermination de ce genre sera arrivé,
ce qui adviendra tót ou tard, je n'aurai plus aucune
inf1uence sur le partí conservateur, alors méme que
je serais assez maladroit pour en faire l'essai. Vous
trouverez desce momcnt la placelibre, etvous n'aurez
pas ü appréhcnder quelque rlósaccord avec moi
quand vous la prendrez, puisque, dans la lettre que
j'ai adressée a la reine le 12 décembre, j'ai rompu
d'avance toute liaison entre le partí conservateur et
moi pour le jour ou ce parti se mettrait en opposi-
tion avec le gouvernement ele Sa Majesté.


» Amonavis, cette place vous est cortainement des~
tinée; vous devez exercer l'influence que j'ai excrcée
si longtemps dans la Chambre des communcs. Main-
tenant, comment atteindrez-vous ce hut? Sera-ce en
dirigeant le parti rlans ses opinions et ses décisions,




T,A CHA1\JBllE DES J~ORDS. 159


ou bien en vous soumettant el lui ? Vous remarquerez
que j'ai visé a le diriger, ct qne j'ai réussi dans des
circonstanco tres-importantes. Mais ce n'a pas été
sans beauconp d'eflorts.
. » Quant a la grave question (lui se presente aujour-
d'hui, je tácherni d'ohtenir qu'on évito le péril d'aug-
mentor les embarras du pays en provoquant une dif-
.férence d'opinions, peut-ótre un conflit entre les
Chambrcs, au su,ict d'Unc amlire qui n sourent donnÁ
lieu de dire que leurs seigneurics y avaient un intérét
personne1. Toute fausse qu'est cette asscrtion en ee
q.ui conccrne ehaeun des lords en particulier, elle a
du vrai, on ne peul le nier, en ce qui regarde les pro-
priétaires fonciers en général. Je sais qu'il est diffi-
cile de le fairo, mais je no désespére pas néanmoins
d'emporter l'ncceptation du hill. Vous serez juge
mieux que rnoi de la conduiLe que vous avez atenir,
et de eelle qui pout lo plus vraisemblahlemont avoir
I'approbntion des lords. Jo erais quc vous rlcvriez
engager la Chamlue it· voter rlans le sens qui peut
étre le plus favorable :'t la conservation de l'ordro el
le plus avantagcux aux intéréts immédints du pays. ))


Voilá par quels moyons la Chnmhro des lords en
t .,. A t ' 11 . t ., ·es arnvee a (' re ce qn e o est mam enant, c est-a-


dire une Chamhrc fluí, dans la plnpartdes cas, a une
sorte de veto suspensif et un pouvoir de révision sans
posséder d'autres droits ni d'autres pouvoirs. Ce qui
nous oblige de répondre á une question: « Les ehoses
étantainsi, quelle est alors l'utilité de eette Chambre ?»




160 CONSTITUTION ANGLAISE.


Évidemment on se trompe en disant, eomme on le
fait d'ordinaire, que la Chambre des lords est un
rempart eontre la révolution. Ainsi que le démontre
á ehaque ligne la lettre du duc, les plus sages d'entre
les lords, ceux qui dirigent la Chambre, savent tres-
bien qu'elle doit céder au peuple quand le peuple a
pris une décision. Ces deux exemples, l'acte de ré-
forme et la législation des céréales, sont tout afait
concluants. Pour la plupart des lords, la réforme c'é-
tait la révolution, le libre échange, e'était la confis-
cation, et ces deux mesures ensemble eonstituaient la
ruine. S'ils ont eu jamais l'occasion de résister au
peuple J e'est dans ces eirconstanees; mais la vérité est
qu'on compterait en vain sur une Chambre seeon-
daire, sur une Chambre haute, pour résister :'l
une Chambre populaire, aune Chambre de la nation,
quand cette Chambre populaire se prononce avec vé-
hémenee ainsi que la nation : elle n'est armée d'au-
cune force pour eette luUe. Toute Chambre se re-
crutant dans une classe privilégiée, toute Chamhre
représentant la minorité, pour ainsi dire, se voit bien
faihle et hien désarmée en face d'un mouvement na-
tional. Dans ces temps de révolution, il n'y a que deux
pouvoirs: l' épée et le peuple. Le pouvoir exécutif dis-
pose de l'épée. On sait quel grand enseignement Bo-
naparte donna au peuple de Paris, et quel chapitre il
ajouta ala théorie des révolutions dans la journée
du 18 brumaire. Un soldat énergique peut se servir
de l'armée en se mettant á sa tete, mais une Chambre




LA CHAMBRE DES LORDS. 1.61.


haute ne le peut en aucune facón. C'est une assem-
blée pacifique, composée de lords timides, de juris-
consultes ~lgés, OH encore de littérateurs émérites.
Semblable assemblée n'a pas la force de comprimer
une nation, et si la nation luí impose une mesure, il
faut qu'elle l'accepte.


D'ailleurs, comme on l'a vu, la maniere méme de
composer la Chamhre haute, d'aprés la constitution
anglaise, démontre qu'il est impossible á ceUe Cham-
bre d'empécher une révolution. La constitution ren-
ferme une prérogative exceptionnelle qui lui en en-
leve toute action. Le pouvoir cxécutil, qui est élu par
la Chamhre populaire et par la nation, peut créer de
nouveaux pairs, et déplacer ainsi la majorité dans la
Chambre des lords. Il peut dire aux lords : « Usez de
vos pouvoirs comme nous l'entendons, ou nous vous
en priverons.. Nous trouverons d'autres personnes
pour agir á votre place; toute votre influenceva s'éva-
nouir, si vous ne l'employez pas comme nous le dési-
rons, nous la détruirons quand il nous plaira. » Sous
une pareillemenace, une assemblée ne peut étre un
obstacle, et personne ne suppose qu' elle puisse ar-
réter un pouvoir exécutif entreprenant et déterminé.


La Chambre des lords, en tant que Chambre, doit
étre considérée non comme un rempart contre la
révolution, mais comme un signal indicateur dé-
montrant que la révolution n'est pas aux portes.
Appuyée ainsi qu'elle l'est sur lesvieux senti-
ments de respect dont on lui offre l'hommage sé.




162 CONSTITUTION ANGLAISE.


.culaire, elle est la preuve que ces convulsions des
forces nouveUes, ces explosions de nouveautés qu'on
nomme la révolution sont pour le moment tout afait
impossibles. Tant que les vieilles feuilles se maintien-
nont sur les arbres en novembre, on peut se dire qu'il
y a eupeu de gelée et point de vent: de mérne, tant
que la Chambre des lords aura encore beaucoup de
pouvoir, on en pourra conclure qu'il n'y a dans le
pays ni mécontentements extremes, ni influences do
nature acauser une grande perturbation.


Suivantun préjugé longtemps répandu, l'existence
dedeuxChambres, l'une pour la révision, l'autre pour
l'initiative des mesures, serait indispensable it un gou-
vernement libre. La premiére personne qui osa atta-
quer cette théorie el, lui faire unebreche n'était guere
suspccte de tendances démocratiques ni de dédain
pour l'influence de l' aristocratie, c'est le lord Grey
actuel. Cet homme d'État a eu l' occasion de mettre la
main a l'affaire. Ayant été le premier parrni les mi-
nistres de l'Angleterre qui se soit occupé d'introcluiro
le systérne représentatif dans toutes les colonies ca-
pables el'en jouir, il se trouva en face rl'une difficulté
provenantde ce que les colonias renfermaient apeine
assezd'individus pouvant figurer convenablement dans
une assemblée, et n'avaient pas assez rl'éléments pour
deuxühamhres. Il arriva, des lors, et celatout naturel-
lement, qu'une haute assemblée y devint un danger.
Ou bien cette seconde assemblée était choisie par la
couronne, qui devait alors jeter les yeux sur les ~'ens




¡,A CHAMBRE DES LORD8. f63


instruíts de lacolonie, ou bien elle était élue par les
principaux propriétaires du pays, composant la classe
la plus intelligente. Dans ces deux cas, on choisissait
l'élite de la colonie pour former la haute assemblée.
nse trouvait, par conséquent, que l'assemblée p~pu­
laire ne pouvait plus compler á sa tete les esprits les
plus aptes á la diriger. Ces esprits d'élite, confinés
dans une Chamhre séparée, s'y livraient a d'inutiles
causerics el. peut-étre ft des disputes; leur exemple
prouvait qu'en concentrant les forces les meilleures
on les neutralise. lUalgré leur rlésir de bien faire,
ils n'ahoutissaient i't rien. Quant a la Chambre
basse, privée 'des memhres qui auraient été le
plus propres a la guider, ello agissait au hasard.
On avait plutót affaibli que fortifié la démocratie
en l'isolant de ses adversaires les plus sages, sans
donner á ceux-ci de l'influence. Des que l'expérience
eut révélé ou paru révélor ces defauts , la théorie
d'aprés laquclle rleux Charnbres sont indispensables
ala marche d'un g'ouvernemcnllibre fut bientót ré-


e


duite au néant.
Avee une Chambro hasse qui serait parfaite , on


n'aurait guére hesoin d'une Chambra haute. Si notre
Chambre des commnnes étnit un ideal, si elle repré-
sentaitparfaitement la nation, si elle se montrait tou-
jours modérée el éloignée des passions politiques, si,
renfermant des gens de loisir elle n'omettait jamais
lesformes lentes el régulicres qui seules peuvent con-
duire a un hon jugement, il est certain que nous




164 CONSTlTUTlON ANGLA18E.


pourrions nous passer d'une autre Chambre plus éle-
vée. Les mesures seraient si bien prises qu'il devien-
drait inutile de les soumettre aun nouvel examen et
:'t une révision. 01', en politique, tout ce qui n'est pas
nécessaire est dangereux. Les choses humaines out
déja par elles-mémes tant de complexité que toute
surchargeartificielle est assurément nuisible. On aura
beau ne point savoir en quel endroit de la machine le
rouage inutile accrochera les roues si multiples qui
sont nécessaires, on pourra dire, sans crainte de se
tromper, que ce rouage s'engrénera fácheusement
quelque part et nuira certainement ú la marche de
l'ensemble, tant les ressorts généraux en sont Iréles
et délicats. Mais s'il est vrai qu'á coté d'une Chambre
des communes qui serait l'idéal, une Chambre des
lords n'aurait pas sa raison d'étre et deviendrait fu-
neste, á coté de la Chambre basse que nous avons,une
Chambre de révision pouvant examiner a loisir les
mesures prises est extrémement utile, peut-étre
mérne est-elle absolument nécessaire.


Actuellement, quoique, dans la Chambre des com-
munes, des majorités fortuites entrainent le vote des
petites questions, elles ne subissent aucun contróle
efficace. La nation ne songe qu'aux grands traits de
la politique el de l'administration. C' est lá-dessus que
s'exerce le jugernent rudimentaire mais décisif dont
le nom est l' opinion publique; mais le pays ne s'oc-
cupe nullernent du reste, et pourquoi le ferait-il? JI
n'a pas les éléments nécessaires pon!' déterminer son




LA CIIAMIlRE DES LOlWS. f65


avis; le détail des hills, ce qui sert d'instrument a
l'administration, la partie latente de l'reuvre législa-
tive, tout cela lui est étranger. Il n'y connait rien, il
n'a ni le temps ni les moyens de faire les recherches
nécessaires pour s'en rendre compte ; de sorte qu' une
majorité de hasard peut avoir dans la Chambre des
eommunes une influence prédominante sur ces ques-
tions et peut faire des lois comme elle l'entend. Bien
que, sur les grandes questions, l' ensemble de la
Chambre représente parfaitement l'opinion publique,
etbien que sur les questions secondaires, elle arrive
ades décisions trés-sages et tres-saines, par la gráce
de sa composition, cependant, comme toutes les as-
semblées de ce genre, la Chambre des communes est
exposée á des surprises que peut tramer la coalition
des intéréts égoístes, On dit qu'il y a, dans le parle-
ment actuel, deux cents membres qui sont intéressés
aux chemins de fer. Si ces deux cents membres s'en-
tendaient sur cette question dont le puhlic n'a pas
grand souci, mais dont ils ont lieu de se préoccuper
eux-mémes, puisque leur fortune y est engagée, ils fe-


i raient évidemment toute leur volonté. Une coterie
puissante et dont les intéréts sont contraires á ceux du
public peut, gnlce a quelque liasard et pour un mo-
ment, avoir une influence prépondérante dans une
grande assemhlóe; il est done trés-utile qu'on ait un,e
autre Chambra dont l'esprit et les éléments étant
autres que dans la premiére, ne fourniront guére a
eette coterie la chance de dominer.




166 CONSTITUTION ANGLAISE. '


La plus dangereuse de ces coteries c'est celle que
peut constituer le corps exécutif, paree que, de toutes,
elle est la plus puissante. Il est tres-possihle, 'cal' la


,chose est arrivée et arrivera de nouveau, que le ca-
binet, ayanL une grande influcnce dans la Charnhre
des communes, en profite pour imposer au pays des
mesures secondaires qui ne sont pas dans son intérét,
mais qu'il ne comprend pas assez pour y mettre obsta-
ele. Si donc il y a un tribunal de révision, OU l'exé-
cutif, malgré toute sa puissance, se trouve avoir une
influence moindre que dans la Chambra des com-
munes, le gouvernement n'en ira que mieux ; par le
droit qu'elle a d'ajourner les mesures, la Chambre
de révision s'opposera aux perites tentativos de ty-
rannie parlementaire, bien qu'il lui soit impossible
d'ernpécher ou d'entraver une résolution sérieuse.


En outre, toutegrande assemblée est soumise it
beaucoup de fluctuations ; ce n'est pas une Chambre
unique, mais, pour ainsi dire , une collection de
Chambres que composent les membrcs divers ; la ré-
union d'aujourd'hui n'est pas celle qui siégera de-
main. On obtient, sans doute, une certaine unité,
gráce a la précaution que l'exécutif doit prendre el
prend en effet, de convoquer un nombre de mernbres
suffisant; on a la un élément constant autour duquel
des éléments accessoires varient sans cesse. Mais en
admettant tout l'avantage que peut avoir cet expé-
dient salutaire, la Chambre des communes, comme
toutes les Chambres de ce genre, n'en est pas moins




LA CHAl\IBRE DES LORDS. 167


sujette ades revirernents soudains et ú des mouve-
ments inattendus, paree que los mernbres qui en font
partie se renouvellcnt de temps aautre. 11 en résuite
un vice fáeheux qu'on remarque toujours dans nos
lois; beaucoup d'actes du Parlement sont motivés
d'une maniere tres-confuso, et cela vient do ce que la
majoritén'a pas toujours été eomposée de méme pour
passer les différentes clauses.


Mais le plus grand ineonvénient qu'éprouve la
Chambre des eommunes, e'est qu' elle manque ele
tcrnps. La vio ele cette Chambre est extrémement pé-
nible; e'est un long tissu el' oecupations dévorantcs,
ernhrassant une masse d'aífaires telle qu'une assem...
blée de ce genre n'en a jamais eu autant aexamine!'.
L'empire Britannique est une agg'1omérationde pays
divers, et ehacun de ces pays envoie sa part d'affaires
ida Chambra eles cornmunes. Un jour e'est l'Inde, et
Un autre jour la Jamaique, puis la Chine, puis le
Sleswig-Holstciu. Notro l{~gis1ation s'étend sur toutes
sortes .dc sujcts, paree que notre empire renferme
tontos' sortes d'óléments. Les interpellations adres-
sées aux ministres rou1ent, aellesseules, sur la moitié
des événements qui se passent dans le monde; les
bills d'intérét privé qu'accorde notre gouvernement,
malgré leur intérét secondairc , clonnent, selon
toute probahilitó, autant de travail ala Chambra des·
communes qu'en ont jamais pu fournir ala fois les
affaires nationales el privées á une assemblée quel-
ronque. La scéne cst si encomhrée d'afíaires qui se




CONSTlTUTION ANl'LA1SE.


succédent sans cesse, qu'il est bien dilficile de n'y pas
perdre la tete.


Quoi qu'il puisse advenir plus tanl, quand on aura
imaginé un meilleur systéme, il est certain que la
Chambre des communes s'occupe de l'reuvre législa-
tive dans tous ses détails, dans toutes ses clauses.
e'est un triste spectaclequ'offre le gaspillage de talent
et d'intelligence auquel se livre la Chambrc, quand
elle est réunie en comité pour discuter un bill dont
les clauses sont nombreuses, les adversaires de ce bill
cherchant a le dénaturer, ses partisans faisant tous
leurs efIorts pour l'améliorer. Un acte du Parlement
est chose au moins aussi complexe qu'un contrat de
mariage; on met autant de peine ale préparer qu'on
en mettrait afaire le contrat si, pour en déterminer les
conditions, on appelait á voter la plupart despersonnes
qui y sontintéressées, y compris les enfants a naitre.
Chaque intérét a son défenseur qui cherche aobtenir
tous les avantages. (lráce aux forces disciplinéesdont
il dispose, et grace aun petit nombre demembres qui
consacrent a l'CBU\Te une réf1exion assidue, le pou-
voir exécutif parvient amaintenir une sorte d'unité,
mais le résultat est bien imparfait. C'est par son tra-
vail qu'on juge une machine. Si une personne, au
courant de ce que doit étre un document judiciaire, se
donnait la peine de comparer un testament qu'elle
vient de signer avec un acto du Parlement, elle ne
manquerait pas de dire: «J'aurais certainement con-
gédié mon procureur s'il 5' était permis degücher mes




LA CILHIHHE DF:S LOH.l)S. t69,
affaires commc le Parlement Iait ceHes du pays. »
Tant quela Chambre des communes sera en l'état OÜ
elle se trouve, une Chambre haute bien cornposée,
capahle de réviser, de régulariser et d'ajourner ses
actes, sera toujours d'un irnmense avantage.


Mais la Charnbre des lords est-elle bien cette Cham-
hre-lá? S'ucquitte-t-elle convenablement de sa tache?
On ne s'inquiéte presque pas de cette question. La
Chambre des lords, depuis trente ans au moins, est une
institution que le pe.uple accepte sans la discuter. Les
passions populaires ne se sont pas tournées de ce
coté, l'imagination la plus ardente n'a pas entrepris
d'étudier ce sujeto


LaChambredes lords a le plus grand mérite qu'une
telle Chambre puisse avoir, elle est possible. 11 est
extrémement difticile d'avoir une bonne assemblée de
révision, parce qu'il est rnalaisé de trouver une classe
de réviseurs dont l'arrét emporte le respecto Un Sénat
Iédéral, une seconde Chambre qui represente l'État
dans son unité, posséde érninemment cet avantage;
cette Chambre personnifie un sentiment profondé-
ment enraciné dans le peuple, un sentiment plus an-
cien que les accidents compliqués de la politique et
rnille fois plus fort que les sentiments provoques par
la politique ordinaire; elle personnifie le sentiment
local. « Ma chemise », disait un patriote snisse défen-
dant les droits des États particuliers, «ma chemise
m'est plus chére que IlIOn hahit n . Chaque état de
l'llnion amérieaino regarderait un manque de respect


IlAGEllor. 10




170 CONSTITUTION ANGLAISE.


pour le Séuat comme un manque de respect pou!'Iui-
rnéme. Aussi le Sénat est-il respecté dans ce pays;
qucls que soient ses merites , le principal e'cst 'Iu'il
peut agir; il a une existence réelle, indépendante et
efficace. Mais dans les gouvernements ordinaires,
un obstacle fatal s'oppose á ce qu'une création llUJl
émanée du peuple ait une puissante iníluence sur
l'esprit populaire.


C'est presque un pléonasme que de dire : la Cham-
bre des lords est indépendante. Elle Be serait ni puis-
sante, ni possible si on ne la savuit indépendante. Les
lords sont, sous divers rapports, plus indépendants
que les membres de la Chamhro des communes; leur
opinion peut n'étre pas aussi bonne que l'opiníon des
représentants, mais, an'en pas douter, elle leur ap-
partient tout entiére. En tant qu'ils forment un corps
de l'État, les lords ne sont accessihles á aucun des
appáts qu' offrent les distinctions sociales, et, en notre
temps, ce n'est pas un médiocre avantage. Beaucoup
de mernbres de la Chambre basse, qui seraient irisen-
sihlesatout autre genre de corruption, ne savent pas
résister a l'influence exercée par ces distinctions.
Quant aux directeurs de journaux et aux écrivains,
c'est bien pis encore ; Ce't1X, du moins, qui ont assez
d'influence pour se trouver dans l'orhite de la tenta-
tíon n'aspirent qu'á ce qu'on nomme positiou dans la
socíété ; pour entrer dans l' intimité de l'aristocratic,
il n'est rien qu'ils ne soient préts :l faire et il dire.
Mais les lords sont gens a distribuer ces tentations




LA CHAMBRE DES LORDS. 171


sociales plutót qu'á en subir les effets. Ils sont au-
dessus de la eorruption paree qu'ils peuvent eux-
mérnes eorrompre les autres. I1s n'ont pas un eorps
de commettants a craindre ou ti cajoler ; mieux que
toute nutre classe de la sociélé ils peuvent se former
une opinion désintéressée et réíléchie. De plus, ils
ont ponr cela du loisir; ils ne sont distraits par au-
cune occupation vraiment digne de ce nomo Les plai-
sirs de la campagno ne sont que récréation, hien que
certains lords envisagent le sport avecun sérieux tout
it fait hritannique. 11 y a peu d'Anglais qui consentent
ti s'enterrer dans les livres de science ou de littéra-
ture, et les membres de l'aristocratie y sont peut-étre
moins portes que ceux des classes moyennes. Quant
ti la société, elle est beaucoup trap guindée et en-
nuyeusepour occuper l'esprit, commecela a eu lieu a
d'autres époques. L'aristocratie redoute le contact
des classes moyennes, elle craint l' épicier et le négo-
ciant. Elle n'ose pas se eréer pour son plaisir des
centres de société, comme faisait autreíois l'aristo-
cratie Irancaise. La politique est la seule chose qui
puisse réellemcnt occuper l'esprit d'un pair anglais,
n peut s'y livrer sans distraction; de sorte que la
Chamhre des 10n18 unit :\ 1'indépendance qui lui
permet de réviser sainement les actes des commu-
nes, et ala position que lui assure le respect de ses
arréts, le loisir de réviser ces actes en connaissance
de cause.


Ce sont la ele grands merites ; vu la diffieulté qu'il




172 CONSTITUTION ANGLAISE.


y a a trouver un seconde Chambre qui soit honne, rl
vu la nécessité qu'iÍ ya pournous d'en avoir une pour
compléter l'reuvre de la prcrniérc, nous avons lieu
de nous en féliciter. Mais ne nous laissons pas aveu-
gler par ces mérites. La Chambre des lords a aussi
des imperfections qui les neutralisent. Sa richesse,
la considération dont elle jouit, le loisir qu'ont ses
membres, sembleraient de nature alui assurer une
influence bien plus grande, si ces avantages n'étaient
contre-balancés par des imperfections secretes qui en
diminuent la valeur.


La premiére de ces imperfections peut ápeine étre
appelée secrete, bien qu'au fond on ne la connaisse
pas beaucoup. Un homme qui a critiqué sévérement
nos institutions, sans en étre l'adversaire, a dit que le
remede a l'admiration pour la Chambre des lords,
c'est de voir cette Chambre quand elle fonctionne,
non pas en un jour de lutte passionnée ent.re les par-
tis, ni au moment d'une solennité, mais dans le train
ordinaire des affaires. Il peut y avoir une dizaine de
lords en séance, ou méme une demi-douzaine seule-
ment; la présenee de trois lords suíflt pour qu'on ait
le droit de délibérer. Quelques membres de la Cham-
hre viennent plus ou moins baguenauder de ei, de la :
ce sont les prineipaux orateurs , les jurisconsultes,
surtout; et, il Ya quelques années, alors que Lvnd-
hurst, Brougham et Campbell étaient rlans la force de
l'áge, c'étaient eux qui parlaient le plus; enfin, on y
voit quelques hommes d'État connus de tous. Mais,




LA CHAMRRE DES LÜRDS. 173


en somme, la masse de la Chamhre ne compte pour
rien. Voilá pourquoi les orateurs habitués aux Com-
munes n'aiment guere ~t prendre la parole dans la
Chambra <les lords. Lord Chatham avait coutume de
la nommer la Tapisserie. Quant a la Chambre des
communes, elle offre un spectacle animé, s'il en fut
jamais. Chacun de ses membres, chaque atome de cet
ensemble confus a ses vues propres, bonnes ou mau-
vaises, ses propres desseins, grands ou médiocres,
ses propres idées sur ce qui se fait ou sur ce qui de-
vrait se faire; il Y a la une affluence d'éléments hé-
térogénes , mais vigoureux, et l' reuvre qui en résulte
ne laisse pas d'avoir de l'unité et d'étre bonne. On
peut dire qu'il existe un sentiment, un esprit de la
Chambre; et, pour qui sait bien s'en rendre compte,
cet esprit a sa valeur. Un homme du monde un peu
railleur a été jusqu'á prétendre que la Chambre des
communes a plus d'esprit qu'aucun de ses membres.
Quant ti la Chambre des lords, elle n'a pas un atome
d'esprit, paree qu'elle manque de vie. La Chambre
basse estcornposée d'hommespolitiquestrés-actifs ; a
laCharnhre haute, l' activité, tout au moins,fait défaut.
Cette apathie, il est vrai, n'est pas aússi grande en
réalité qu'en apparence. Comme on le sait, les co-
mités, ala Chambre des lords , travaillent hoaucoup,
et leur hesogne est excellente. Rien de plus naturel,
d'ailleurs,que les lordsse laissentun peu aller al'apa-
thie. Lorsqu'une Chambre est composée degens riches
qui peuvent voter par procuration sans se rendre~
·~c,~ O. I ~ ~. ,
~~ ~~,


.'1




174 CONSTITUTION ANGLAISE.


leur poste, on doit penser qu'ils n'y viendront pas
souvent. Il n'en reste pas moins que l'indifférence
réelle apportée par la plupart des pairs h l'accomplis-
sement de leurs devoirs est un grand défaut, et que
leur indifférence apparente constitue un véritahle
danger. En politique, e'est .ine vérité profonde que
renferme ce mot de lord Chesteríield : « Le monde
vous juge d'aprés ce que vous paraissez étre, et non
d'aprés ce que vous étes. » Le monde ne s'occupe
que du paraitre et nullement de l'étre. Une- assem-
blée, et surtout une assemblée de révision, dont les
membres ne se réunissent pas et ne paraissent pas
avoir souei de leur tache, a un défaut capital au point
de vue politiqueo Sans doute elle peut étre utile, mais
elle aura de la peine a convaincre le peuple de son
utilité.


l'autre imperfection de la Chamhre haute a encore
plus de gravité: ce n'est pas l'opinión qu'on a de ce
que font les lords , e'est leur reuvre réelle qui s'en
ressent. Pour un tribunal de révision, la Chambro
haute est eomposée d'élérnents trop uniformes, Les
erreurs peuvent étre de sortes diverses ; mais d'aprés
sa eomposition, la Chambre des lords ne fournit un
préservatif que eontre un seul genre d'erreurs, eelui
qui provient des changements trop préeipités. Les
lords, apart quelques jurisconsultes et quelques dé-
c1assés, sont en général de grands propriétaires plus
ou moins opulents. Tous, ils ont plus ou moins les
opinions, les qualités et les défauts de cette c1asse.




LA CHAMBRE DES LORDS. 1.75


Ils ne réviscnt la lépislation , s'ils la révisent, que
d'une maniere conforme aux intéréts, aux scntiments
et aux préjugés des propriétaires territoriens. Depuis
l'acte de réforme, cette tendance ne s'est pas dérnen-
tie et a frappé tous les yeux. Les lords se sont mon-
trés , sinon hostiles, ce qui serait beaucoup dire,
du moins hésitants dans l'application des lois nou-
velles. e'est que dans ces lois se trouve un esprit
étranger á leur esprit, el, autant qu'il a dépendu
d'eux, ils ont essayó de l'étouffer. Cet esprit, on l'a
nommé l'esprit moderne. 11 n'est pas facile de le dé-
finir en une seule phrase ; son souflle vit en nous et
anime nos esprits, engendre nos pensées. Nous sa-
vons tous en quoi il consiste, et cependant il faudrait
une longue étude pour en établir les limites et le sens
exact. Les lords en sont les adversaires, et, partout
oú il se montre, ils ne sauraient réviser impartiale-
ment, étant imbus de préjugés.


Cette Imité de composiLion ne serait pas un défaut,
el ce serait méme, ou, du moins, ce pourrait étre un
mérite, si le sens critique des lords , tout suspect
qu'il est de partialité , s'appuyait sur nn grand fonds
de connaissances. Les reuvres législatives qui portent
l'empreinte d'unc époque doivent participer aux im-
perfections de cette époque. Comme elles correspon-
dent ades hesoins spéciaux, elles sont condamnées
ú étre d'une nature un peu étroite ; elles compren-
nent mal certaines choses et en négligent d'autres.
Si, par bonheur, il se trouve alors pour les compléter




176 CONSTITUTION ANGLAISE.


un sens critique, pouvant discerner ce que l' époque
ne voit pas, et voyant sainement ce que l' époque voit
mal, on en tirera d'immenses avantages. Mais la
Chambre des lords est-elle douée de cette faculté?
L'hostilité qu'elle montre pour les eeuvres législatives
qui reflétent l' esprit moderne, est-il permis de l' attri-
buer ace qu'elle voit ce que ne voient pas les gens
de 'notre siécle, et a ce qu' elle voit plus clairement
qu'eux ce qu'ils apercoivent? Le partisan le plus dé-
cidé de la chambre haute, son admirateur le plus
fervent, s'il est sincere et raisonnable, n' oserait affir-
mer ce fait, qui a centre lui l' évidence. Sur la ques-
tion du libre échauge, par exemple, il est certain que
les lords étaient absolument dans le faux, quant a
l'opinion qu'ils avaient et qui aurait dicté leur con-
duite s'ils eussent été maitres d'agir a leur guise.
e'est en cette question que l'esprit moderne a fait
ses preuves de la meilleure maniere, et, alors ou ja-
mais, il était facile de reconnaitre que cet esprit était
un bon conseiller. Le commerce est comme la guerre,
ses résultats sont palpables. Fait-on ou 11e fait-on pas
de l'argent ? Les chiffres prononcent un jugement
sans appel comme les batailles. 01', il n' est pas dou-
teux que l'Angleterre a profit.é admirablement du
libre échange; depuis qu'il est établi, elle gag'ne
plus d'argent et l'argent y est plus répandu, comme
on devait le désirer chez nous. Eh bien! dans ceue
circonstance OU ]'esprit moderne a prouvé incontes-
tablement qu'il avait raison, la Charnbre des lorrls




LA CllAl\IBRE DES LORDS. 117


("tait, dans l'erreur, se -trouvant imbue de préjugés
qui lui auraicnt Iait rejeter cene mesure salutaire,
si elle l'avait fllI.


Autre raison qui diminue la faculté qu'a la Cham-
hre de critiquer avec utilité: cette Chambre étant
composée de membres héréditaires, ne peut guére
dépasser le niveau de l'intelligence moyenne. Elle
peut renfermer, elle renfermera presque toujours
des talents extraordinaires. Mais, en général, la ca-
pacité d'individus devenus législateurs par droit de
naissanee ne doit étre que mediocre. De ce qu'une
assemblée se recrute par le droit d'ainesse, combiné
avec les hasards de l'histoire, s'ensuit-il qu' elle doive
avoir le don de la sagesse? Ce serait merveille qu'une
telle Chamhre Iút supérieure ason siécle ; que, pos-
sédant par privilége des connaissances plus étendues
que eeHes des hommes qui vivent de son temps, elle
püt reconnaitre ce qui leur échappe, et voir plus sai-
nement ce qu'ils voient, mais qu'ils voient mal.


Il ya en outre un obstacle plus granel. La tache de
réviser, et de réviser convenablement l'reuvre légis-
lative d'une époque, est une de ceHes que la noblesse
d'un paysaceomplit avec peu de facilité, et que méme
elle est peu propre á aecomplir. Voyez le livre des
comptes rendus ele 1865, examinez les lois passées
rlans le courant de eette année, vous n'y trouverez
ni morceaux ele littérature , ni questions fines
el délicates, mais bien des sujets vulgaires et un tas
rl'aflaires indiaestes. Il s'auit de commerce, ele fi-
~ <




17B CONSTITUTION ANGLAISE.


nances, de reformes concernant le droit écrit ou le
droit coutumier ; enfin des affaires diversos, mais rien
que des affaires, remplissent les pages de ce livre, et
'il n'est pas d'homme moins préparé par son éduca-
tion au maniement des nffaires el moins bien placó
pour les eonnaitre que ne l'est un jeune lord. Sans
doute lesaffaires ont en realito des attraits plus grnnds
encore que les plaisirs du monde; elles intércssent
l'esprit tout entier, elles oceupent tontes les facultés
d'un homme avec plus de continuité et de force que
n'importe quelexorcice. Mais l'apparence n'y est point,
et il serait difficile de persuader qu'il en est ainsi aun
jeune homme ayant tous les genres de plaisir :', sa
disposition. Un jeune lord qui vient dhériter de sept
cent einquante mille franes de rente n'ira pas, en
général, se préoccuper de lois sur les brevets d'inven-
tion, sur le péage ou sur les prisons. Comme Hercule,
il peut préférer la vertu au plaisir, mais Hercule lui-
méme ne serait guére tenté de lui prófórer les nf-
faires. Tout eontribue :'l en (oloifrner lo jcune lord,
rien ne l'y attire. Et lors méme qu'il voudrnit se
livrer al'étude des affuires, il n'y est point aidé. Le
plaisir est sous sa main, les affaires sont loin ele ses
yeux. Rien de plus nmusant á observer que les efforts
d'un jeune homme plein de bonnes intentions, et qui,
né en dehors du monde (les aílaircs , veut y entrer
et s'y eonsaerer. A peine a-t-i] l'idée de ce que sont
les affaires. On peut les definir ainsi : l'emploi de
certains moyens particuliers a certaines fins égale-




LA CHAlHBRE DES LüRDS. 179


meut particuliercs. Mais il est malaisé á un jeune
homme sans expérience de distinguer entre les fins
et les mayens. C'est un mystére pour lui, etil sera
Iort heureux s'il n'en vient pas á prendrc la forme
ponr le principal et it considérer le fond comme
chose secondairc. Il ne manque pas de gens d'affaircs,
faussement nornrués ainsi, qui l'entraineront a cette
erreur. l~coutez-le dans ses perplexités : Quel livre
me recommandez-vous de lire, vous dira-t-il? Est-il
possible de lui expliquor que la lecture n'y ferait
rien, et qu'il n'a pas dans la tete les idées pre ...
mieres qui p(~UlTaicnl lui rendrc ses lectures pro-
fitahles ; que l'a.huinistration est un art tout aussi
bien que la pcinture, el quc, dans l' un comme dans
l'autre, aucun livre n'est capahle d'enseigner la pra...
tique '?


Autrefois cette insuífisance de l'aristocratie était
palliée par les autres avantages dont elle jouissait,
La noblesse étant la seule classe qui eút de la for-
tune el de l'éducatiou, u'avait Ú craindre aucune riva-
lité; hien (Iue les 111e11111res de l'aristocratic, ú l'ex-
ception de quelques talents extracrdinaires, n'eussent
pas pour le maniement des affnires publiques une
aptitudc paríaitc, ils étaient les seuls qu'on pút y
trouver propres, Et cepcndant, méme autrefois, ils
suvaient s'aífranchir de la hcsogne grossiere que les
aílaires nécessitcnt. Ils chuisissaient un homme tel
que Peel ou vValpole, n'ayant de l'aristocrate ni les
iuteurs ni le caractére, pour diriger á leurplace l~_:¿",


. - .~,


~,
;J


,.f)




iso CONSTITUTlON ANGLAISE.
courant administratif. Mais il s'est elevé, depuis, une
classe de gens qui joignenl á l'étude et ~l la fortune
la connaissance pratique des affaires. Au moment OÜ
j'écris, deuxpersonnes de cette classe viennent d'étre
placées dans des postes importanls, qui certaine-
ment, s'il y a quelque certitude en politique, les con-
duiront au pouvoir el les feront entrer au cabinet.
Ils appartiennent a cette classe d'hommes qui con-
naissent les affaires, et qui, ayant l'esprit tres-cultivé,
peuvent au bout de quelques années abandonner la
pratique pour satisfaire les désirs de leur ambition.
On compte encore fort peu d'entre eux dans les
sphéres offieielles, c'est qu'ils ne eonnaissent pas
leur force. Il en sera eomme de l' reuf de Christophe
Colomb; quelques personnes prouveront par leur
exemple qu'elles sont destinées ala vie publique, et
une foule d'autres arriveront aleur suite. Parmi ces
liommes nouveaux, on en trouve qui connaissent les
aflaires par tradition de famille et leur situation
n'en est que meilleure. Des familles qui appar-
tiennent aux universités ont grand soin de lancer
leurs enfants dans l'étude du latín y eompris la
poésie des qu'ils y sont aptes ; des familles enri-
chies dans l'Inde avaient autrefois coutume de
vouer leurs enfants au serviee de l'Inde, et a me-
sure que le systémc des coneours aura créé une
pépiniére nouvelle, il y en aura d'autres qui en fe-
ront autant. De mérne il y a des Iamilles ou toutes les
questions relatives aux finances el aI'udruinistration




LA CHAMBRE DES LORDS. f8i


sont trés-familiéres et semblent étre dans l'air qu'on
y respire. On a dit que tous les Amérieains étaient
nés pour les affaires tant elles sont dans l'air méme
du pays; e'est de la méme facón que certaines per-
sonnes, ehez nous, sont aptes aux affaires par tradi-
tion ; et un jeune lord n'est guére a méme d'avoir
eet avantage. Il est aussi diffieile d'apprendre les
affaires dans un palais que cl'apprendre l'agriculture
dans un pare de plaisance.


Parmi les services publies, il est une branehe spé-
ciale el laquelle ces réflcxions ne s'appliquent pas; il
est une sorte d'affaires ou l'aristocratie conserve et
conservera probablement longtemps eneore un eertain
avantage : e'est la carriére diplomatique. Napoléon,
qui eonnaissait bien les hommes, se gardait autant
que possible d'envoyer auprés des vieilles eours de
l'étranger des hommes sortis de la révolution. «Ils ne
parlent a personne, disait-il, et personne ne leur
parle » ; de sorte qu'ils rcntraient dans leur pays sans
avoir reeueilli aueune information. La raison en est
évidente: la diplomatie de l'aneien régime avaitpour
théátres prineipaux les salons, et aujourd'hui en-
core, dans une largo mesure, il est nécessaire qu'il
en soit ainsi. Les nations se reneontrent par leurs
sommets. C'est toujours la classe la plus élevée qui,
voyageant le plus, eonnait le mieux les mreurs des
pays étrangers, et est exempte des préjugés locaux
qu'on déeore du nom de patriotisme et qu' on prend
souvent pour cette vortu. Ici méme, en Angleterrc,


nA(;EHOT, 11




i82 CONSTITllTION ANGLAlSE.


bien que la classe des hommes nouveaux enrichis
par le commerce soit, par son mérite réel, l'égale
de l'aristocratie, connaisse autant qu'elle les affaires
étrangéres et s'y soit méme souvent melée plus
qu'elle, eette raee d'hommes nouveaux ne vaut pas
autant pour la diplomatie que la vieille noblesse. Un
ambassadeur n'est pas seulement un agent; il joue
un role qui s'offre en spectacle. On l'envoie al'étran-
gel' autant pour l'apparat que pour l'utilité; il doit
représenter la reine auprés des cours étrangeres et
des souverains étrangers. L'aristocratie, par sa na-
ture, prépare fort bien ses membres it jouer ce róle ;
habituée a la partie théátrale de la vic, elle est
propre a cet emploi. Quelqu'un demandait avec
malice qu'il füt établi par un acte que le ministre
ti'Angleterre a Washington devra toujours étre un
lord. Le prestige social d'une aristocratie a principa-
lement de la valeur dans les pays ou l'aristocratie
n'existe point.


Mais, a l'exception du sorvice diplomntique, dans
les carrieres offieielles l'aristoeratic a nécessaire-
ment de l'infériorité vis-u-vis des classes plus rom-
pues ala pratique des affaires; ce n'est done pas au
sein de cette classe qu'il conviendrait de diriger son
choixs'il y avait lieu d'en faire un, pourcomposerune
chambre destinée areviser l'reuvre léaislative. S'il


<;


Ya une preuve saillante de l' aptitude naturelle que la
raee anglaise a pour les affaires, e'est dans ce Iait que
la Chamhre des lords marche aussi liien qu'cllc le




LA CHAMBRE DES LORDS. 183


fait malgré ces imperfections. Le Whole House, la
réunion dela Chambre entiere, est une anomalie qui,
d'aprés lVl. Bright, scrait dangereuse, mais qui n'a ja-
mais lieu ; disons cependant que l' on fait beaucoup de


.besogne dansles comités et que souvent on la fait tres-
bien. La plupart des pairs ne s'occupent nullement
de la táche qui leur est confiée et ne pourraient s'en
occuper ; mais une minorité qui, du reste, n'a jamáis
compté autant de membres, et des membres aussi
actifs qu'aujourd'hui, se charge de cette tache et s'en
acquitte convenablement. Néanmoins, qu'on en exa-
mine la matiére sans préventions, on ne saurait aífir-
mer que l' ceuvre de révision s'accomplisse convena-
blement. Dans un pays aussi riche en talents que
l'Angleterre, on pourrait et l'on devrait appliquer une
force intellectuelle plus considérable ala révisiondes
lois.


La Chambre des lords ne se borne pas aaccomplir
son reuvre imparfaitement, elle met encoredela timi-
dité a accomplir le peu qu'elle fait. Sentant qu'elle
forme comme une hande séparée dans la nation, elle
a peur du pays. Accoutumée depuisde longuesannées,
dans les affaires les plus importantes, aagir contre sa
propre opinion, elle ne sait pas profiter des occasions
qui s'offrent d'agir selon sa volonté. Elle a une sorte
de torpeur qui décourage parfois les efforts de quel-
que jeune pair en lui faisant entendre ce langage
ridicule: «Puisque les lois sur les céréales ont été
votées, ainsique les lois sur leshonras pourris, pou~


e, . I?*~.."
J~ ~..:\ft ..


. .~




t84 CONSTITUTION ANGLAISE.


quoi se tracasser l'imagination au sujet de la
. clause IX d'un bill destiné a réglementer les manu-
factures de coton?» Telle est en effet la pensée
intime qu'ont beaucoup de pairs. Quelquefois un
mot de leurs chefs, soit de lord Derby, soit de lord
Lyndhurst, vient éveiller en sursaut leur énergie;
mais la plupart des lords ne montrent que faiblesse
et découragement.


La gravité de ces défauts aurait été atténuée tout
d'un coup, elle aurait disparu en quelques années,
si laChambre des lords n'avait pas opposé de la résis-
tance au projet que lord Palmerston avait formé,
pendant sa premiére administration, de créer des
pairs a vie. C'était un expédient presque infaillible.
Il y a nécessairement une grande difficulté a réfor-
mer une institution ancienne comme la Chambre des
lords, qui se maintient seulement par l'hérédité et
par le respect dont cette classe est entourée. S'il ar-
rive que cette institution devienne l'objet d'attaques
et de criailleries dans les meetings, elle perdra le res-
pect des populations, et avec le respect ce don de
fasciner les esprits qui était presque son seul privilége
et lui donnait comme unearactére sacré. Mais, par
un heureux hasard, il se trouve quelque part dans la
Constilution une vieilleprérogativedont l'usage aurait
enlevé tout prétexte á l'agitation, et aurait accompli
sans trouble tous les désirs des mécontents. Mainte-
nant quelord Palmorstonest mort, et qu'on peut exa-
miner sa vie avec calme, il faut reoonnaitre qu'il ni-




LA CHAMBRE DES LüRDS. 185


mait sincérernent l'aristocratie, étant lui-méme un
aristocrate s'il en fut jamais en AngIeterre. Ce fut lui
pourtant qui proposa de recourir a cette préroga-
tive, el, s'ils eussent été encoré sous l'influence du
duc de Welling'ton, les lords n'auraient pas man-
qué d'adhérer ace projet. Assurément l'adhésion du
duc elle-méme n'aurait point été dictée par les ré-
flexions philosophiques dont un homme d'État eút


.P" lui faire l'exposé; mais pour agir ainsi, le due
n'aurait eu qu'á suivre un de ses príncipes favoris.
Ce qu'il détestait surtout, e'était de résister ala Cou-
ronne. Au moment d'une grande crise, alors qu'on
discutait les lois sur les céréales, sa pensée ne se por-
tait passur les objets qui préoecupaient tant d'autres,
c'est-á-diré sur les résultats économiques des me-
sures projetées et sur l'intérét que le pays pouvait en
retirer ; elle n'envisageait que la tranquillité de la
reine. Il regardait la Couronne comme occupant dans
le systéme constitutionnel une place si élevée, que
méme en certaines circonslances décisives, il n'avait
ou prétendait n'avoir en vue que de dorrner pour
le moment un peu de satisfaction au souverain. Ja-
mais il ne se sentait a son aise quand il s'agissait de
combattre un acte important de la Couronne. Il est
done probable que si le duc eüt toujours été le prési-
dent de la Chambre des lords, la Chambre aurait
permis ala Couronne de mettre aexécution son ex-
cellent projet. Mais le duc était mort el son influenee
ou du moins une partie de son influenee était tombée




186 CONSTITUTION ANGLAISE.


en partage it une personne d'un caractére bien diffé-
rent.


Lord Lyndhurst avait de grandes qualités, une
intelligence aussi remarquable, une faculté de trouver
la vérité que nul ne possédait a un plus haut point
dans sa génération ; mais il n'aimait pas la vérité.
Malgré cette grande faculté de trouver la vérité, il
s'attachait al' erreur, a ce que dans son propre parti
méme on considere comme l' erreur, et il s'y attacha
pendant tdute sa vie. n aurait pu trouver la vérité en
politique comme ill' avait trouvée quand il était juge ;
mais jamais il n'y parvint; il ne s'en souciait pas.
Animé de l'esprit de parti, il employa toutes les
forces d'une rare dialectique asoutenir les doctrines
de son parti. 01', ce projet de créer des pairs avie
avait pour auteurs les adversaires de son parti, et
son parti devait en souffrir. e'était pour lui une
magnifique occasionde se montrer. Le discours qu'il
prononca ace propos est encore présent al' esprit de
tous ceux qui l'ont entendu. Comme ses yeux ne lui
permettaient pas alors de lire facilement, ce fut de
mémoire, mais sans se tromper, qu'il cita toutes les
autorités surannées que la question comportait. On
n'a pas vu souvent déployer de tels efforts d'intelli-
gence dans une assemblée anglaise. Mais le résultat
en fut déplorable. Grácc, non point ases autorités
surannées, mais al'influence qu'il exercait lui-méme
et al'impression profonde qu'il produisit, lord Lynd-
hurst persuada les lords de rejeter la proposition du




LA CHAI\UfRE DES LORDS. 187


Gouvernement; il déclara que la Couronne ne de-
vait pas créer des pairs á vie, et ces pairs ne furent
pas créés. C'est ainsi que la Charnbre des lords perdit
une occasion splendide et sans pareille de se refor-
mer a petit hruit. De semb1ables occasions no se
rencontrent pas deux fois. Les pairs a vie qu'on eút
alors fait entrer dans la Chambre, auraient été les
hornmes les plus distingués du pays. Lord lVIacaulay
se fút trouvé des premiers; lord Wensleydale, le plus
savant de nos jurisconsultes et l'un des meilleurs logi-
ciens, aurait été assurément le premier. Trente ou
quarante personnages de ce genre, créés pairs d'An-
gleterre aprés mur examen et avec discrétion, dans
le courant de quelques années, auraient fourni ala
Chambre des lords l'élément précieux qui lui est si
nécessaire pour bien reviser les actes législatifs ; elle
aurait eu alors des membres possédant le sens cri-
tique. Les personnages les plus distingués dans les
différentes hranches de la politique seraient devenus,
en dépit des considérations de famille et de fortune,
les membres nouveaux de la Chambre qui est chargée
de la révision. De sorte que cet élément dont 18
Chamhre avait un besoin si urgent lui fut offert par
la Providence, et elle le refusa. Quel moyen reste-t-il
de réparer cette erreur ? je ne le sais, mais, amoins
qu'on ne la repare, jamais la Chambre des lords
n'aura la capacité intellectuelle qu'elle aurait eue
alors, jamais elle ne sera ce qu'elle devrait étre, ja-
mais elle ne sera ala hauteur de son ceuvre.




188 CONSTlTUTION ANGLAISE.


Une autre réforme qui aurait dú aeeompagner la
eréation des pairs avie, e' est l'aholition du vote par
procuration. Un jour ou l'autre la négligence que les
lords mettent a fréquenter la Chambre aménera la
suppression de ce grand eorps de 1'État. Il est des
cas ou paraitre et étre sont la méme ehose, el. e'est la
un de ces eas. La plupart du temps, la Chambre
ressemble si peu a ce qu'elle devrait étre, qu'on
peut bien la soupconner de n' étre pas' ce qu' elle
devrait étre en réalité. Les membres, dont l'esprit
est judicieux, se rendraient á la Chambre en plus
grand nombre, on le comprend, s'ils ne se voyaient
pas menacés de suceomber sous les votes des pairs
moins intelligents qui se font représenter par proeu-
ration. La destruction de eet abus ferait de la Cham-
Lre des lords une Chambre véritable ; l'adjonetion
de pairs a vie en aurait fait une bonne Chambre.


De ces deux améliorations la plus importante est
la seeonde; elle aurait Leaueoup aidé la Chambre
des lords dans l'aceomplissement des fonetions
subsidiaires. Il arrive ordinairement, dans un grand
pays, que eertains eorps de personnages éminents
qui jouent un grand role, s'arrogent et exereent des
fonetions qu'on ne leur demandait pas d'abord d'exer-
eer paree qu'elles ne font pas partie intégrante de
leurs attributions prunitives, C'est ce qui est arrivé
pour la Chambre des lords par exemple, et surtout
pour ses fonetions judieiaires. Voilá des fonetions
qu'aueun théoricien n'assignerait a une Chambre




LA CHAMBRE DES LORDS. 1R9


haute dans le plan d'une constiLution nouvelle et
qui sont échues a la Chambre des lords par pUl'
accidento Mai~ je ne m' arréterai pas longtemps
sur ce sujeto Cette fonction n' est pas dans le do-
maine général de la Chambre, elle appartient a l'un
de ses comités. Dans une circonstance seulement,
pour le procés d'O'Connell, le droit de voter a été ré-
clamé par la Chambre entiére ou du moins par quel-
ques membres de la Chambre en dehors du comité
spécial; on leur fit entendre qu'ils n'avaient pas ce
droit, qu'ils ne pouvaient l'usurper sans détruire la
prérogative judiciaire. Il n' est personne qui con-
sentirait ~ remettre en réalité le soin de juger, aux
hasards des majorités d'une Chambre dont les mem-
bres présents ne sont pas toujours les mémes : si l' on
admet tacitement en théorie cette usurpation, on ne
la tolere pas dans la pratique.


D'ailleurs, au point de vue de la légalité, il est
permis de douter qu'il puisse y avoir dans le pays
deux cours suprémes, le comité judiciaire du Conseil
privé et (ce qui existe en fait, sinon sous cette déno-
mination) le comité judiciaire de la Chambre des
lords. Jusqu'á une époque trés-récente, l'un de ces
comités pouvait décider qu'un homme était sain d' es-
prit et avait le droit de disposer de son argent, tan-
dis que l'autre décidait que le mérne homme n'était
pas sain d'esprit et n'avait point, par conséquent, le
droit d'aliéner ses propriétés. On a remédié acette
absurdité; mais, quant al' erreur d'oü elle provenait,


H.




190 CONSTITUTION ANGLAISE.


on n'y a point porté remede; cette erreur consiste
dans la juxtaposition de deux cours suprémes dans
chaeune desquelles, á des moments divers, la mérne
question peut souvent se présenter et recevoir une
solution différente. Je ne eompte pas les fonetions
judiciaires de la Chambre des lords au nombre de
ses fonetions subsidiaires, d'abord paree qu'elle ne
les exeree pas en réalité, ensuite paree que je désire
qu'on les lui enléve méme en théoric. La cour su-
préme de l'Angleterre doit étre un trihunal éminent,
supérieur atoutes les autres cours, sans rivaux au-
tour de lui, destiné amaintenir l'unité dans les lois;
les juges de ee tribunal ne doivent pas prendre pou!'
se déguiser la robe qu'on porte dans une Assemblée
législative.


Les fonetions subsidiaires de la Chambre des
lords sont réelles ; eontrairement aux fonetions ju-
dieiaires dont nous venons de parler, elles sont tout
afait en harmonie avee le príncipe de eette Cham-
hre. De ees fonetions subsidiaires, la premiére con-
siste a surveiller le pouvoir exécutif. Une assem-
blée dont les membres n'ayant rien a perdre, et,
pour la plupart, rien a gagner, jouissent tous d'une
position sociale bien établie, n' étant pas obligés
de plaire. a un eollége électoral et ne tenant guére
au ministre du jour, cette assemblée est propre á
offrir une grande indépendance dans ses critiques.
La maniere dont les derniéres administrations ont
été surveillées par lord Grey en présente un exern-




LA CHAMBRE DES LORDS. i91


ple remarquahle. Mais pour qu'une semblable cri-
tique ait toute sa valeur, il faut que plusieurs per-
sonnes y collahorent. Tout homme de talent donne a
sa critique son propre cachet; sans doute sa cri-
tique sera pleine de jugement et de sens, mais on y
reconnaitra ses idées particulicres. Ce qu'il faut ala
Chambre des lords, c'est un grand nombre de cri-
tiques non point égaux á lord Grey, cal' il est difficile
de les trouver, mais dans le genre de lord Grey. Ils
devraient lui ressemhlér sous le rapport de l'impar-
tialité, de la clarté, et autant que possible l'imiter
dans cette habitude qu'il avait de compléter l'examen
des questions par des observations originales. Dans
toute reuvre, il yace qu'on peut nommer le point
de vue de l' auteur, et pour ce qui a trait a ce grand
théátre oü s' agitent des discussions réfléchies dans le
cabinet, on peut étre apeu prés assuré qu'on y tient
compte de tout ce que l' expérience du passé et la
connaissance du présent fournissent en fait de regles
certaines et bien établies. l\Jais il ya aussi le point de
vue du spectateur, lequel peut sans doute négliger
tel ou tel de ces éléments déterminés par la tradition et
par la pratique actuelle, mais qui en revanche peut
suggérer quelques aper9us nouveaux de choses éloi-
gnées qui ont échappé al' auteur tout absorbé dans son
reuvre. Il devrait y avoir dans notre Chambre haute
beaucoup (le pairs :'t vie capables de .fournir cette
critique supérieure..le crains qu'on ne les y voie
pas de longtemps, mais ce serait un premier pas(




192 CONSTITUTION ANGLAISE.


de fait que d'apprendre ú en reconnaitre la nécessité.
La seconde fonction subsidiaire de la Chambre


haute est encore plus importante. A considérer la
Chambre des communes non point telle qu'elle se-
rait aprés des améliorations peu probables et pouvant
avoir lieu aprés tout, mais bien telle qu' elle est en ce
moment, cette Chambre est surchargée de besogne.
C'est au cabinet que revient le soin d'en diriger les
travaux, et le cabinet a fort a faire. Il faut que cha-
cun de ses membres, quand il est en méme temps
membre deseommunes, suive attentivement les débats
de la Chambre 'P0ur eontribuer 'Par son vote, sinon
par sa parole, a en diriger les mouvements. Alors
qu'il s'agissait seulement de l'instruetion publique,
n'a-t-on pas vu M. Lowe, observateur eonsommé,
exprimer le désir qu'on mit a la tete de ee departe-
ment un chef exempt du procligieux travail qu' en-
traine la présenee d'un ministre a la Chambre.
Il seraitpresque indispensable que certains memhres
du eabinet fussent affranchis des fatigues et des surex-
citations qui accablent un député. Mais illeur faudrait
aussi avoir le droit d'expliquer leurs idées au pays, de
se faire entendre commeles autres, Ona formé divers
projets dans ce but, et j'en dirai un mot en parlant
de la Chambre des communes. Mais il est une chose


.


évidente, e'est qu'en ce qui concerne ses membres,
la Chambre des lords leur procure cet avantage de se
Iaire entendre; elle leur donne ee qu'aucun des pro-
j ets divers ne pourrait Ieur donner , e'est-á-diré une




LA CHAl\'IBHE DES LORDS. 1.93


positíon éminente dans l'assemblée. Les membres
du cabinet qui ont du loisir parlent avec autorité et
succés dans la Chamhre des lords. Ils n'y siégent
pas eomme le feraient des administrateurs ayant voix
délihérative, comme le feraient des employés (ainsi
qu'on le demande quelquefois) qui viendraient a la
Chambre exposer des idées sans prendre part au vote;
ils sont les égaux de leurs auditeurs, parlent comme
ils le veulent et répondent quand il leur plait; ils
s'adressent ~ la Chambre non point avec l'humilité de
subalternes, mais avec la force et la dignité de gens qui
sentent leur valeur. La création de pairs avie permet-
trait de donner aeette partie de notre Constitution un
jeu plus libre et plus varié; elle mettrait a la dispo-
sition du publie un plus grand nombre d'hommes
d'État ayant avec le talent un peu de loisir; elle amé-
liorerait la qualité de l' éloquence poli tique a la
Chambre des lords, en augmentant la liste de ses
orateurs favoris.


S'il y a un danger acraindre pour la Chambre des
communes, e'est une réforme trop brusque; quant
au danger que court la Chambre des lords, e'est


"'qu'on ne la réforme jamais. Personne ne réclame la
réforme de la Chambre des lords ; cette Chambre
n'a done pas a craindre une destruction brutale ;
mais elle n' est pas al'abri de la déerépitude qui la
menace intérieurement. Elle pourra perdre son droit
de veto eomme la Couronne l'a perdu. Si la plupart
de sesmembres négligent leurs devoirs, si tous ses




194 CONSTITUTION ANGLAISE.


membres continuent a ne sortir que d'une seule
classe et d'une classe qui n' est plus la classe la plus
intelligente ; s'i les portes de la Chamhre demeu-
rent fermées au génie qui ne peut montrer un arbre
généalogique et au talent qui n'a pas 5000 liv,
sterl. de rentes, l'autorité de cette Chambre dimi-
nuera d'année en année jusqu'á ce qu'elle aille re-
joindre tout ce que l'autorité royale a déjá perdu. Ce
n'est pas l'assassinat qu'elle doit redouter, c'est
l'atrophie; on ne l'abolira pas, elle tombera d'elle-
méme.




VI


LA CHAlVIBRE DES COMMUNES.


La Chambre des communes est plus pratiquement
utile que brillante extérieurement. Elle a \lien un
caraetére imposant, cal' dans un pays oü les parties du
gouvernement qui sont le plus en évidence emprun-
tent leur valeur a l'éclat qu'elles jettent, tout ce qui
doit attirer l'attention n'arrive a obtenir un peu de
l' estime populaire qu'au moyen de quelque pompe
extérieure. L'irnagination de l'homme exige 1'har-
monie dans: l'art de gouverner comme dans touL
autre art, elle ne se laisse pas influencer par des
institutions qui jurent avec celles qui l'influencent
principalement. Aussi la Chambre des communes a
besoin d'étre imposante, et elle l'est; mais l'utilité de
cette Chambre dans le systéme constitutionnel est
due non point a ce qu'elle parait étre, mais a ce
qu'elle est en réalité. Elle n'a pas pour but d'ac-
quérir de l'autorité par l'impression qu'elle produit
sur les esprits; sa mission consiste ase servir du
pouvoir acquis pour gouverner les populations.


Parrni les fonctionsde cette Chambre, la principale




:196 CONSTITUTION ANGLAISE.


dont l'existence est bien connue, quoique dans le lan-
gage constitutionnel il n'en soit pas question, e'est
ti'étre une sorte de collége électoral; la Chambre des
communes est l' assemblée qui choisit notre président.
Washington et ses collaborateurs politiques avaient
inventéun collége électoral qui, dansleur idée, devait
renfermer l' élite de la nation. C'est ace collége qu'ils
confiaientlesoindechoisirpourprésident, aprésmures
délibérations, l'homme d'État lepluseapable. Mais en
Amérique on a dénaturé ce corps électoral en luienle-
vant toute indépendance et toute vitalité. Personnene
connaitni se soucie de connaitrelesnomsdes membres
qui le composent; jamaisils ne discutent,jamais ils ne
délibérent. On les délégue avec mandat devoter pour
porter a la présidence M. Lincoln ou M. Brecken-
ridge ; ils votentdans le sens qu'on leur a prescrit et
retournent ensuite chez eux. Quant anotre Chambre
des communes, elle choisit réellement les ministres,
et comme illui plait de les choisir, elle les renverse
quand bon lui semble. Peu importe qu'elle ait été
choisie elle-méme pour soutenir lordAberdeen oulord
Palmerston. Au bout de quelque temps, a un mo-
ment donné, elle congédie 1'homme d'État qui avait
autrefois sa confiance et lui donne pour successeur
un de sesadversaires qu'elle avait rejeté tout d'abordo
Sans doute, en pareil cas, on obéit aune sorte d'or-
dre tacite que parait donner l'opinion publique; il
n'en est pas moins certain que la Chambre des com-
munes a l'entiére liberté de se déterminer comme




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 197


elle le juge apropos. Cette Chambre ne marche que
dans les sentiers ou elle espere que le peuple finira
par la suivre, mais c'est une chance qu'elle court,
elle prend l'initiative et agit selon son bon plaisir ou
son caprice.


Une fois que le peuple américain a choisi son pré-
sident, il ne peut plus rien, et il en est de méme du
collége électoral qui lui a servi d'intermédiaire. Mais
comme la Chambre des communes a le pouvoir de
renvoyer en méme temps que celui d' élire le
premier ministre, elle entretient avec celui-ci des
rapports continus. Elle le guide, et le ministre, de son
coté, la dirige aussi. Ce ministre Iait pour la Chambre,
ce que la Chambre fait pour la nation. Il ne marche
que dans les voies oü, suivant son opiriion, la Chambre
le suivra, mais illui faut prendre la tete, choisir la
direction el commencer le voyage. Il ne s'agit pas
d'hésiter; un hon cheval aime asentir le frein et une
assemblée délibérante aime asentir qu'elle a un chef
digne de laconduire. Un ministre qui faiblit devant la
Chambre, qui ne craint pas de lui céder en tout, qui
n'essaye pas de la discipliner, qui ne releve pas avec
fermeté les erreurs qu' elle commet, ce ministre
réussit rarement. Les grands chefs du Parlement ont
beaucoup varié d'idées, mais tous ils ont eu une cer-
taine fermeté. On arrive aussi bien a gáter une
grande assemblée qu'un enfant par un exces d'indul-
gence. Lapolilique anglaise n' est qu'une série d' actions
el de réactions entre le ministre et le Parlement. Les




198 CONSTITUTION ANGLAISE.


ministres nommés s'efforcent de guider la Chambre
et les membres de la Chambre se cabrent sous ceux
qui les guident.


C'est la fonction éleetorale qui est maintcnant la
plus importante de toutes les fonetions exercées par
la Chambre des eommunes. 11' est bon d'insister lá-
dessus jusqu'á satiété, préeisément paree qu'on feint
de l'ignorer dans la tradition politiqueo Vers la moi-
tié de la session des Parlements, si on lit les jour-
naux ou qu'on eonsulte les personnes qui, ayant suivi
de prés les affaires, devraient s'y eonnaitre, il se
trouve qu'on entend dire: « Le Parlement n'a rien
fait pendant eette session. Le diseours de la reine
renfermait quelques promesses, el quoiqu'il y fút
question, en somme, de menus objets, la plupart des
lois promises n'ont pas été votées. » Lord Lyndhurst,
pendant plusieurs années, s'amusait arécapituler les
aetes législatifs qu'on avait passés,pour en eritiquer
l'insignifianee. Cependant e'était alors que les pre-
miers ministéres wliigs se trouvaient au pouvoir, et
ees ministéres avaient plus afaire et ont plus fait que
toute autre administration. La meilleure réponse
qu'un ministre aurait pu faire aux harangues de lord
Lyndhurst, e'était de mettre en jeu sa propre personne
en lui répondant avee fermeté : « Le Parlement m'a
maintenu au pouvoir, et c'était ee qu'il avait de mieux
a faire; le Parlement a fait mareher ee que dans le
langage respeetueux qui est de traditión eheznous, on
nomme le gouvernement de Sa Majesté; ila conservé





LA. CHAMBRE DES COMMUNES. 199


ceque, atort ou araison, il regarde comme le meil-
leur pouvoir exécutif que puisse avoir l' Angleterre o»


Laseconde fonction de la Chambre des communes,
c'est de servir d'interpréte au pays. Elle exprime les
idées dupleupleanglaissur touteslesquestions qui pas-
sentsous sesyeux. J'aurai bientót l' occasion d'étudier
si elle remplit bien ce devoiro


La troisiéme fonction est ce que je nommerai la
fonction éducatrice, s'il est permis de conLinuer a
faire usage, méme pour un sujet familier, de termes
un peu techniques dont l'avantage est d'avoir de la
clarté. Un grand conseil formé d'hommes considéra-
hles et dont les délibéraLions sont publiques, ne peut
exister dans une nation, sans influencer les idées de
cette nation. Son devoir est de les modifier en bien;
son devoir est d'apprendre au paysce qu' il ne sait paso
La Chambrepeut-elle instruire ainsi le pays ct jusqu'á
quel point l'instruit-elle, c'est la ce dont je m'occu-
pérai plus loin.


En quatriéme lieu, la Chambra des communes a
mission de donner des informations. Cettefonction,
quoique toutemoderne parlamaniere dont onl'exerce,
a une singuliére analogie avec ce qui se pratiquait au
moyen tlg'eo Jadis la Chambre des communes devait
apprendre au souverain ce dont on avait a se plain-
dre. Elle exposait devant luiles griefs el les récrimina-
tions des particuliers. Depuis qu'on publie lesdébats
du Parlement, la Chambre íait connaitre les mémes
griefs et les mémes récriminationsaupeuple qui est le




200 CON81'ITUTION ANGLAISE.


souverain d'aujourd'hui. La nation a pour le moins
autant besoin d'étre éclairée que le roi en avait
besoin autrefois. Un peuple libre est ordinairement
équitable, ear la liberté exerce les hommes a la
tolérance qui est le rudiment de la justice. Plus
que tout autre peuple libre, peut-étre, le peuple an-
glais a de l'équité. Mais un peuple libre a rarement
une, grande facilité de conception, et cette facilité
manque tout a fait a l'Anglais, 11 ne saisit que ce qui
lui est familier, ce qui est dans le champ de son expé-
rience, ee qui cadre avec ses pensées. «Jamais de ma
vie je n'ai entendu parler de pareilles choses », voilá
ee que répond l' Anglais des classes moyennes, croyant
,opposer ainsi la meilleure réfutation aun argument.
En général on ne songera pas alui répondre que son
expérience est bornée, qu'une assertion peut reposer
surdes faits vrais, eneore qu' iln' ait j amais eu l'occasion
de vérifier ces faits. lUais ungranddébat du Parlement.
emporte avee lui cette lecon. Toute idée, toute doc-
trine, tout sentiment, tout grief qui parvient aavoir
pour avocats un nombre raisonnable de membres ap-
partenantála Chambre des communes, sembleaussitót
mériter considération aux yeux de la plupart des gens
en Angleterre. On se dit qu'il peut y avoir la une er-
reur ou un danger, mais en tous eas on regarde la
chose comme possible, comme. digne d'entrer dans
le domaine des faits dont l'intelligence s'occupe et
avee lesquels il faut eompter. Et e'est la un grand
résultat. Les diplomates qui eonnaissent leur affaire




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 201


déclarent qu'il est plus difficile de s'entendre avec le
gouvernement d'un peuple libre qu'avec celui d'un
despote; on peut amener le despote a écouter des
opinions contraires aux siennes; ses ministres, qui
ont de 1'intelligence, sauront toujours ce qui leur est
défavorable, et ils peuvent le lui dire. Mais un peuple
libren'entend jamais que l'écho de sespropres idées.
Les journaux ne font que répéter l' opinion de leurs
lecteurs; ils présentent les arguments qui leur plai-
sent, ils lesdéveloppent et les appuient; quant aux
arguments contraires, ils lestronquent, les défigurent
et les embrouillent. Il n'est pire juge, dit-on, qu'un
jugesourd; de méme le gouvernementlemoins acces-
sible a la vérité est le gouvernement libre, du moins
en ce qui est relatif aux dioses dont les classes domi-
nantes ne veulent pas entendre parler. Je serais
disposé a regarder comme la seconde fonction du
Parlement, au point de vue de son importance, cette
fonction qui consiste a nous obliger d'entendre ce
que, sans le Parlement, nous ne parviendrions pas a
entendre.


Enfin il y a encore la foncLion législative dont iI
serait puéril de nier l'importance, mais dont l'im-
portance, amon sens, n'est certes pas aussi grande
que celle de la fonction qui embrasse le gouverne-
ment général ou bien encore de la fonction qui fait
du Parlement un foyer d'éducation politique pour le
pays. J'admets qu'á certains moments l'reuvre légis-
lative est d'une nécessité qui l'emporte sur tout le. e


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202 CONSTITUTION ANGLAISE.


reste. La nation peut étre mécontente de ses 101S et
en désirer le changement; certaine 10i sur les céréales
peut porter atteinte atoutes les branches de l'activité
industrielle, et mieux vaudrait passer sous silence un
milier de bévues administratives que de perdre l'oc-
casion d'abolir cette 10i. Mais, en général, une nation
a les lois qui lui conviennent; les applications spé-
ciales de ces lois ne forment qu'nn détail secon-
daire ; l' administration et la marche générale des
affaires publiques, voilá ce qui doit le plus préoccuper
les esprits. Il n'en est pas moins vrai que le recueil
annuel des lois courantes, dans tous les pays, ren-
ferme parfois des lois importantes, et en Angleterre
plus que partout ailleurs. Assurément la grande majo-
rité de ces lois ne mérite pas ce nom de lois dans le
langage précis des jurisconsultes. Une 101 est une pres-
cription générale applicable aune foule de caso Les
actes spéciaux qni encombrent le recueil des statuts
el qui fatiguent les comités parlementaires ne sont
applicahles qu'á des cas spéciaux. Elles n'établissent
point, par exemple, des regles qui devront présider
ala construction des chemins de fer; elles déclaren t
que tel chemin de fer sera fait de telle ville a telle
autre, et elles ne réglementent aucune affaire antre
que celle-lá. Mais enfin, tout compte fait, l'ceuvre
législative qui résulte de chaque session parlementaire
a une grande importance ; s'il en était autrement, on
ne les regarderait pas, ainsi qu'on le fait souvent,
eomme l'unique résultat d'une session annuelle..




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 203


Quelques personnes eroiront peut-étre que j'aurais
du ajouter, eomme sixiéme íonction de la Chambre
des communes, la fonetion financiere. Il m'est im-
possible, en thése générale et en négligeant le détail
des fonctions, d'attribuer a la Chambre des eom-
munes une fonetion spéeiale qui, ayant trait aux af-
faires de finanees, se distinguerait de celle qui em-
brasse les autres reuvres législatives. Quand elle
s'oecupe des finances comme du reste, la Chambre,
a pour but de gouverner et de gouverner au moyen
du cabinet. La législation financiere doit néeessai-
rement étre renouvelée chaque année, mais de ce
qu'elle revient souvent sous les yeux d~ la Chambre,
ce n'est pas une raison de lui attribuer un caractére
dífférent des autres reuvreslégislatives et qui tranche
tellement avec ces ceuvres qu'on Boíl obligé de lui
faire une place apart,


Lavérité, e'est que la maniere spéciale de procé-
del' a la ChamLre en maticres financiéres, loin de
constituer un privilége spécial aux eommunes, révele
au contraire que sous ce rapport la Chambre a, par
exception, une certaine incapacité. En matiere ordi-
naire, chacun desmembrespeut proposer tout cequ'il
veut; mais quand il s'agit d'argent, le ministre seul a
le droit de proposer les taxes. Ce prineipe, qu'au
moyen ágc on rangeait parmi les prérogatives de la
Couronne, est aussi utile au XIXC siécle qu'au XIVe , et
iI a autantderaison (1'étrc, LaChambre descommunes


.qui, maintenant, est le vrai souverain et qui nomme




204 CONSTITUTION ANGLAISE.


le véritable pouvoir exéeutif, a, depuis longtemps,
eessé d'étre eelte assemblée trés-regardante en fait
d'épargnes et d'éeonomies qu' elle était autrefois. Au-
jourd'hui elleest plus disposéefl dépenser les fonds de
I'État que le ministre en place. Unfinancier fort expé-
rimenté me disait : « Si l'on veut provoquer un cer-
tain sentiment de satisfaetion dans la Chambre des
eommunes, on n'a qu'á faire l'élogede l'éeonomie en
général; si l'on veut s'attirer une défaite, on n'a qu'á
proposer quelque épargne. » C'est bien faeile ti ex-
pliquer. Toutes les fois qu'on a proposé desdépenses,
e'est apparemment dans un but d'utilité publique;
les partisans de cette mesure font entendre lá-dessus
des phrases de ce genre: « Qu'est-ee que 50 000 li-
» vres sterling pour ce grand pays? En sommes-
» nous done réduits a lésiner? Jamais notre indus-
» trie ne fut si prospere, jamais nos ressources n'ont
»été si abondantes. Qu'est-ce done que 50000 li-
» vres sterling en eomparaison de ce grand intérét
» national? » Les membres qui approuvent la dé-
pense y donnent leur voix; un de eeux qui les ont
nommés, ou peut-étre un de leurs amis qui profitera
de eette largesse ou qui tient a la mesure projetée,
les a priés de ne pas manquer a la séance; d'ail-
leurs e'est lá un vote propre acréer de la popularité;
les journaux qui ont toujours beaueoup de pliilan-
thropie et auxquelspeut-étre on a fait le mot, ne man-
queront pas de donner leurs éloges. Lesmembrcsqui
sont contraires :l la rlépense ont des raisonspour




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 205


céder a l'entrainement. Pourquoi encourir sans mo-
tifl'impopularité ?L' objetdeladépense paralthonnéte,
plusieurs de ceux qui y poussent sont évidemment sin-
ceres, un vote hostile ferait des ennemis et serait
critiqué par les journaux. En vérité, s'il n'y avait pas
quelque frein ace g'aspillage, les représentants du
peuple ruineraient bientót le peuple.


Ce frein se trouve dans la responsabilité du cabinet
en matiére de finances. Si tout le monde pouvait pro-
poser une taxe, les ministres pourraient permettre a
la Chambre de dépenser tout ce qu'elle voudrait,
ils s'en laveraient les mains; mais, quand on vote
une 'dépense, méme contre la volonté du ministére,
c'est le ministére qui est obligé de trouver l'argent
nécessaire. Aussi le cabinet a-t-il les plus graves
motifs de s'opposer aux dépenses extraordinaires; ce
sont les ministres qui doivent en faire les frais, il
faudra qu'ils Iévent des impóts, ce qui est toujours
désagréahle, ou qu'ils proposentdes emprunts, ce qui,
en temps ordinaire, est tout afait honteux. Le ministre
tient, pour ainsi dire, les cordons de la bourse de la
famille politique, e'est sur lui que retombent les frais
de philanthropie et de luxe, de méme qu'un chef de
famille est obligé de subvenir aux frais que réclament
les aumónes de sa fernme et la toilette de ses filles.


Par cela mórne qu' on confie aun cabinet le pouvoir
exécutif, il faut aussi qu'on lui remelte le soin de
régler les matieres financiéres ; loutes les mesures
exigent de l'argent, toute la politique dépend des


RAGEIIOT. 12




206 CONSTITÜTION ANGLAlSE.


bonnes finances, et e'est dans le rapport des mesures
a prendre avec la politique générale que consiste
l'ceuvre du pouvoir exécutif.


D'aprésl'analyse de ces fonctions diversas, onpeut
conelure que e'est la Chambre des communes qui
gouverne. Nous sommes tellement habitués a étre
gouvernés ainsi, que rien ne nous parait plus naturel.
Cependant, de toutes les formes de gouvernement la
plus bizarre est le gouvernement d'une assemblée pu-
blique. Voiei 658 personnes venues de toutes les par-
ties de l'Angleterre, elles différent de caractére,
d'intéréts, de physionomie et de langage. Qu'on songe
ace qu'est en sommel'empire britannique, cambien
les élérnents dont il se compose sont variés, combien
ses rapports sont nombreux, combien sa politique est
melée al'histoire du monde! Qu'on réfléchisse ace
qu'il faut de connaissances, de discernement, ele 10-
gique et de fermeté dans ceux qui gouvernent cet
empire, et 1'0nsera surpris du spectacle qu'ils offrent.
C'est une assemblée de personnes diverses qui varient
sans cesse: tantót elles sont en petit nombre, tantót en
tres-granel nombre, jamais elles ne sont les mémes
ensemble pendant une heure; parfois, elles sont
agitées, le plus souvent elles sont plongées dans l'i-
nertie et succombent a la fatigue; l'éloquence les
ennuie, elles s'empressenl de saisir au valla moinclrc
plaisanterie comme un soulagement. Telles sont les
personnes qui gouvernent l'empire britannique, qui
gnnvernent l'Ang1eterre, l'Ecossc, l'Irlnnde, qui ~Wll-




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 207


verncnt une honne partie du continent asiatique, de
la Polynésie, de l'Amérique et qui gouvernent des
possessions dissérninées en tous lieux.


Paley a dit de tres-honnes choses, mais jamáis il
n'a dit rien de plus vrai que ceci : e'est qu'on a plus
de peine á faire voir une difflculté qu'á en faire
admettre l' explicatiou. Dans les questions centro-
versées et indécises, la clef des difficultés se trouve
ordinairement égarée au milieu de ce qu'on ne dit
pas; les parties qu'on n'explore pas sont comme l'ar-
riere-plan d'un tahleau, tout dans l'arriére-plan sem-
ble avoirété facile acomposer; en apparence, le pre-
miel' venu en pourrait faire autant, c'est pourtant la
partie du tablean qui donne aux personnages leurs
proportions exactes. De méme, pour bien comprendre
le gouvernement parlementaire, il ne faut pas s'ima-
giner tout d'abord que ce systéme est tout naturel et
n'a pas bcsoin d'explications; on ne peut en avoir
l'idée la plus élémcntairc quand on ne se penetre pas
tout d'abord de cette vérité: que gouverner au moyen
d'un club, c'est faire un véritable prodige.


Nous avons eu réccmment un excmplefrappant de
l'impuissance a laquelle des Anglais peuvent étre ré-
duits quand on les convoque tout acoup ponr déli-
bérer ensemble. Le gouvernement, atort ou araison,
avait jugé a propos de confier aux quarter sessions
(assemhlée de magistrats locaux) de chaque comté le
soin de prendre des mesures pour combattre la peste
bovine. Bien de plus déplorable que le spectacle offert .(




208 CONSTITUTlON ANGLAISE.


par ces pctites assemblées de notabilités locales. On
avait les plus grandes peines aobtenir, non pas seule-
ment une bonne décision, mais une décision quelcon-
que. J'ai assistémoi-móme á l'une de ces réunions. Le
président avait proposé une résolution fort complexe,
cette résolution renfermait beaucoup de choses qui
étaient du goüt de tout le monde, beaucoup de choses
qui ne plaisaient apersonne; mais les détails qu'ap-
prouvaient les uns étaient précisément ceux quisou-
levaient des objections parmi les autres. La résolution
fut, pour ainsi dire, mise en piéces, chacun présenta
des amendements, on en adopta une clause qui ne
satisfaisait pleinement personne, et aprés ces pour-
parlers inutiles on se sépara sans rien décider. C'est
une vérité proverbiale en Angleterre que les grands
meetings n'aboutissent jamais arien. Et cependant
nous sommes gouvernés par la Chambre des com-
munes, qui n'est, en définitive, qu'un grand meeting.


On dira que la Chambre des cornmunes ne gou-
verne point, qu' elle se borne a choisir les gouver-
nants. Mais, enfin, il faut bien qu' elle ait une vcrtu
propre pour arriver a ce résu1tat. Supposez qu'on
charge un club de Londres de nommer le cabinet ;
quelle scéne de confusion il offrirait, quelle corres-
pondance il aurait aentretenir ! De tous cótés on en-
tendrait ces mots: «Faites-moi le plaisir de parler a
un tel pour qu'ildonne son vote amon candidat. ») La
femme de M. A... et celle de M. B... organiseraient
une cabale pour renverser les plans que formerait la




LA CHAMBHE DES COl\IMUNES. 209


femme de M. C... Le club a heau étre ou n'étre pas
placó sous le patrouage de la reine, peu importe; du
mornent qu'il a la liberté de son choix, cette liberté
entraine avec elle le désordre et l'intrigue. Je me de-
mande d'ahord, non pas comment il se fait que la
Chambre des communes gouverne bien, mais, ce qui
est plus essenticl, quoiqu' on ne songe point aen re-
chereher l' explication, comment il se fait qu'elle par-
vient agouverner.


Ce qui fait que la Chamhre des communes arrive a
accomplir des ceuvres dont les Quarter sessions et
les clubs seraient incapables, e' est que, contrairement
á ceux-ci, elle a une organisation disciplinée. Deux ora-
teurs parmi les plus célebres qu'ait eus l'Angleterre,
lordBrougham el lord Bolingbroke, ontemployé leur
vcrve aattaquer le systéme qui consiste agouverner
au moyen des partis. Bolingbroke avait probablement
ses raisons, il était l'adversaire déclaré des communes,
et cherchait a blesser la Chambre dans ce qui raíl sa
vítalité. Quant alord Brougham, il a tort, cal' il pro-
pose, ponr améliorer le gonvernement parlementaire,
de lui enlever les éléments qui le rendent possible.
Actuellement la majorité du Parlement obéit a cer-
tains chefs; elle appuie leurs projets et rejetto les
mesures qu'ils n'approuvent pas. Un ancien secrétaire
de la Trésorerie avait coutume de dire : « Voici une
mauvaise affaire, une affaire insoutenable 1 il faut
avoir recours aux services de notre majorité.» Ce se-
crétaire vivait il y a un demi-siécle avant le bill de


12.




210 r,ONSTITUTION ANGLAI8E.


réforme, quand les majorités aveugles rendaient des
services. Aujourd'hui le pouvoir des cheís sur leurs
partisans est fort sagement contenu dans d'étroites
limites; les chefs n'entrainent pas hien loin leurs
partisans, et encoré ne peuvent-ils les entrainer que
dans certaines directions. Il n'en reste pas moins qu'il
y a des chefs et des partisans, Du cóté des conser-
vateurs ala Chambre, on a gardé quelques traces de
l'autorité despotique dont les chefs jouissaient autre-
fois. On dit qu'un jour, en voyant la longue file des
et membres qui siégent a la Chamhre ponr les eomtés
qui unissent a une santé florissante un extérieur res-
pectable, un homme d'État, tant soit peu persifleur, a
laissé échappé cesparoles : «Volla, ma foi, les forces
brutes les plus helles qu'il y ait en Europe». Mais, a
part tout esprit de satire, obéir aux chefs est le grand
principe accepté du Parlement. On peut changer
de chef si l'on veut, pour en prendre un autre, mais
tant qu'on sert sous le n° 1, il faut ohéir au n° 1,
et il faut obéir au n° 2 des que l' on a passé dans son
campo Faute d'agir ainsi, on est puni par l'impuis-
sanee; on n'a pas seulement le regret d'étre incapable
de faire le bien, on ne peut rien faire absolument. Si
chaque memhre des communes agissait séparément
dans le sens qu'il croit le meilleur, il Y aurait 657 ,
amendements pour chaque motion, et ni la motion, '
ni ces amendements ne passeraient.


Des qu'on a bien compris que la Chamhre des com-
munes est avant tout une assemblée électorale, il faut




LA CHAl\'IRRE DES COl\'ll\'lUNES, 2ft


admettre que l' existence des partis y est indispen-
sable . .Tamais il n'y a eu el' élections sans partis. Est-
ce qu'on peut faire entrer un enfant dans un asile
d'orphelins sans intriguer un peu? Ne voit-on pas
méme dans ces endroits-lá des affiches ou des han-
niéres portant ces mots : «Votez pour l'orphelin A... »,
ou « votez pour 1'orphelin B... ; » et les partisans
de ces enfants se donnent du mouvement pour
eux. Ce qui se passe dans ces circonstances peu
importantes doit arriver ,. a plus forte raison, quand
il s'agit d'élections qui se renouvellent souvent
et qui ont cet objectif si grave: le choix des gouver-
nants. La Chambre des communes est toujours ap-
pelée virtuellement afaire des élections; achaque
instant elle peut avoir a choisir ou a renverser un
ministre, aussi l' esprit de parti est de son essence,
c'est la chair de sa chair et l'áme de son ame.


En second lieu, quoique les chefs ne possódent
plus le vaste patronage qu'ils avaient au siécle der-
nier, et qui leur permettait de corrompre les députés,
ils ont encore une arme plus forte que la corruption,
ils peuvent intimider la Chambre en faisant la me-
nace de la dissoudre. C'est lá la, cause secrete qui
donne de la cohésion aux partis, M. Cobden a dit avec
raison qu'il n'avait jamais pu découvrir le moment
ou, dans l'opinion de ses membres, le Parlement de-
vait étre dissous. Souvent il leur avait entendu dire
qu'ils étaient préts avoter sur tout autre sujet, mais
jamáis il n'est question de celui-lá, Bref, une assem-




212 CO~STlTUTION ANGLAISE.


blée, pour ahoutir il des résultats, doit oífrir un eorps
compacte d'individus qui sont décidésavoter d'accord;
ces individus se recrutcnt au moveu de l'attaehement


"


respectueux qu'inspirent soit eertains personnages,
soit les prineipes dont eeux-ci sont les représentants];
mais ce qui eoneerne l'union entre leurs partisans,
e'est la crainte; ils craignent que leurs chefs, en Iace
de votes hostiles, ne leur enléventrapidement le droit
de voter,


Ce que j'ai a dire en troisiéme lieu paraitra peut-
étre étrange; aprés avoir démontré que le systémedes
partís est indispensableal'existence du gouvernement
représentatif, ne semble-t-il pas singulier d'ajouter
que ce qui fait la force méme de cette organisation, ce
qui larend féconde, e'est que les membres despartis ne
sont pas trés-ardents. Le parti, dans son ensemble est
plein de chaleur, mais les membres qu'il renferrne
sont assez froids. S'il en était autrement, le gouver-
nement parlementaire .deviendrait le plus dóplorable
des gouvernements, ce serait un gouvernement de
sectaires. Le parti qui serait au pouvoir pousserait á
l'extreme les conclusions de sesorateurs, toutes leurs
doctrines seraient prises ala lettre el portées jusqu'á
l'abus. Mais les membres du Parlement anglais qui
s'enrólent dans les partis ne sont pas aussi pas-
sionnés que cela. I1s sont whigs, ou radicaux, ou
tories, mais ils sont autre ehose eneore, ils sont An-
g-lais, et cornme le pére Newman en fait le reprocho a
nos concitoyens, ils sont « difficiles :\ soulever jus-:




21.3


qu'au níveau du dogrne ». 11s n'aiment guére apous-
ser les doctrines de leurs partís jusqu'aux limites de
l'impossible. Au contraire, le meilleur moyen de les
diriger avec succés, l'expérience l'a démontré, c'est
d'affecter la modération méme aux dépens de la
logiquc. Il n' est pas rare d'entendre dire des choses
de ce genre: « Sans m'asservir acette doctrine que
3 +2 font 5, et encore que l'honorable membre pour
Bradford ait appuyé cette doctrine el' arguments tres...
sérieux, cepenelant je crois pouvoir, avec la permis..
sion du comité, prétendre amon tour que 2 + 3 ne
font pas ls, ce qui sera, je l'espére, une base suffisante
pour les propositions fort graves que je vais prendre
la liberté de lui soumeUre. »


Tel est a peu prés le langage que tiennent la plu-
part des membres de la Chambre des communes. Les
gens d'affaires aiment en général une sorte de demi-
jour. Pendant toute leur vie, ils se sont trouvés dans
une atrnosphére de probabilités et de doute, OU rien
n'était parfaitement clair, ou il y avait des chances
pour beaucoup d' éventualités, oü l'on pouvait parler
dans eles sens tres-divers, et OU cependant il fallait
se résoudre aopter pour quelque chose de déterminé
aquoi on pút adhérer. Ils sont donc enchantés d'un
langage un peu couvert de brumes. Loin que la cir-
conspection ou l'hésitation dans les raisonnements
leur paraisse une preuve de faiblesse, ils y voient au
contraire le signe d'un esprit positif. Ils ont fait for-
tune au moyen de certains actes dont ils n'auraient




214 CONSTITUTION ANGLAISE.


jamais pu expliquer les motifs philosophiques, et
tout ce qu'ils demandent, e'est qu'on leur présente
des conclusions nettes et modérées qu'ils puissent
répéter quand on les interrogera; ils veulent des al'..
guments qui ne soient pas tout :'t íait abstraits, des
arguments dont l'abstraction est comme située et dis-
soute dans la vie pratique. «II me semble », disaitun
j our certain jeune homme quelque pen exigeant,
« il me semble que Peel n'appuie jamáis ses argu-
ments ». C'est précisément pour cela que sir Robert
Peel a été le meilleur ehef qu' ait eu de nos jours la
Chambre des communes; on aime, en cffet, que les
arguments se dépouillent de toute rigidité pourvu
que la substance demeure.


D'ailleurs, sous notre systéme de gouvernement,
les ehefs de la Chamhre eux-mémes n'aiment pas,
pour la plupart, apousser trop loin leurs conclusions.
Ils vivent en contact avec la ~éalité. Une opposition,
quand elle arrive au pouvoir, se trauve sauvent dans
la situation d'un spéculateur au moment des échéan-
ces. Il faut que les ministres tiennent leurs pro-
messes, et ils sont embarrassés. Ils ont dit que les
affaires allaient de telle facon , que s'ils étaient au
pouvoir, elles iraient de telle autre. Mais une fois
qu'ils se sont mis aparcourir les documents officiels,
acauser avec le sous-seerétaire permanent, qui con-
nait tous les points épineux, et qui, sans jamais man-
quer de respect, est inébranlable dans ses opinions,
ils en viennent bien vite ahésiter un peu. Assuré-




LA CHAMRRE DES COMMUNES. .'215


ment il Iaut qu'ils se décident a[aire quelque chose,
le spéculateur ne peut oublier ses billets, et l'an-
cienne opposition, quand elle est en place, ne peut
non plus oublier ces phrases qu'elle a lancées et que
ses admirateurs vont répétant encore dans le pays,
comme des enfanls terribles. Mais, de méme que le
négociantdit alors á son créancier: «Ne pourriez-vous
prendre un billet a quatre mois? » De méme , le
nouveau ministre dit au sous-secrétaire perma-
nent : « Ne pourriez-vous pas me suggérer un terme
moyen ? Évidemment,je ne suis pas lié par desparoles
que j'ai semées dans les discussions; jarnais on ne
m'a accusé de sacrifier mon devoir au vain désir de
paraitre conséquent; cependant, etc., etc. » Et, en fin
de compte, on imagine un terme moyen qui ressem-
ble autant que possible a ce que l' opposition propo-
sait de faire, mais qui, en réalité, est tout simplement
ce que eommandent les faits nécessaires, les faits qui
semblent avoir élu domieile pour la vie dans les bu-
reaux du ministére, tant ils s'imposent avec ténacité.


Parmi les moyens d'assurer de la modération aun
parti, le meilleur est de chercher, pour composer ce
parti, des hommes disposés par leur nature a étre
modérés, circonspects et presque timorés; un autre
moyen, e'est que les ehefs du parti qui se sont le plus
avancés, se trouvent, autant que possible, en contact
avec le monde des affaires tel qu'il est. Le systéme
anglais satisfait aces deux conditions, il donne al' 01'-
ganisation despartis la vertu qui rend cette organi-




216 eONSTITUTION ANGLAISE.


sation permanente et le gouvernement des partís POS4
sible; cette vertu indispensable, c'est la douceur.


Néanmoins, ces expédients, quelque excellents
qu'ils soient pour écarter les défauts qui font l'im-
puissance d'un club ordinaire ou d'un Conseil trimes-
triel, ne suffiraient pas pour permettre ala Chambre
des communes de gouverner l'Angleterre. Une as-
semblée de représentants peut étre entachée d'un
vice dont les autres meetings sont exempts. Elle peut
n'étre pas indépendante; les colléges électoraux peu-
vent ne pas lui laisser son libre arbitre. S'il en arrive
ainsi, il ne sert de rien d'avoir inventé des moyens
de remédier aux défauts qu' entraine l'organisation
des partis. L'opinion d'un collége électoral est celle
d'un parti dominant; elle est soulevée , excitée , par-
fois méme elle est faconnée par l'agent politique de
la localité. Ne lui demandez pas d'étre modérée, elle
ne discute pas, elle ne se trouve pas en contact avec
les faits impérieux, elle n'a ras pour correctif le sen-
timent de la responsabilité; elle ne se fait pas comme
l'opinion de ceux qui mettent la main aux affaires.
Le gouvernement du collége électoral est l' antithése
du gouvernement parlementaire. C'est le 'gouverne-
ment de personnes qui sont sans modératíon;
paree qu'elles sont éloignées des Iaits , en con-
traste avec le gouvernement de personnes qui de-
viennent modérées, paree qu'elles sont dans la sphére
des faits, c'est un gouvernement ou les personnes
qui jugent en dernier ressort n'onl pas Ú rerlourer




I.A CHAMnnE DES COlUl\IUl\"ES. 2i7


la sanction de leur cunduite au líen d'avoir a erain-
dre la dissolution el ele se rlire qu' on peut Iaire appel
de leur jugernent.


On admet, en général, les conditions du gouver-
nementparlementaire qui viennent el' étre énumérées;
mais, parrni les idees qui próoccupent l'esprit pu-
blie, il en est deux au moins dont l'incompatibilité
avec le gouvernement merite d'étre démontrée. e'est
d'abord lo projet que nos dómagogues préconisent
ouvertement ; e'ost ensuite lo plan qui a les prédilec-
tions do quelques philosophes distingués, Non-seule-
ment ces idées nouvelles entrnveraient la marche du
gouvernementparlementaire, mais ellesen rendraient
l'existence impossible ; elles ne parviendront pas a
le détériorer, paree qu'elles l'anóantiraient.


Examinons la premiére de ces théories, la théorie
ultra-démocratique. D'apréscette théorie,touthomme
agé do vingt et un ans (et peut-étre toute femme du
méme age) rlevrait avoir le droit de valer sur le pied
de l' égalilé dans les élections pour le Parlement.
Supposons que l' an dcmier il y eút en Angleterre
douze millions d'individus males ayant au moins cet
age; ehaque 110111111e participerait des lors pour un
douze-millionieme ü l'clection; les gens riches ou
instruits n'auraient pas, de par la loi, un droit de
voter supérieur ü celui des gens pauvres ou des gens
stupides; de plus, il n'y aurait aucun moyen détourné
d'assurer aux premiers une influence qui équivau-
drait ü plusieurs votes. Le mécanisme nécessaire


BAGEHor. 13




218 CONSTITUTION ANGLAI8E.


pour mettre ce plan aexécution serait extrémement
simple: achaque recensement, t(~ pays serait divisé
en 658 districts électoraux, dont chacun renfermerait
le méme nombre el' électeurs ; ces clistricts Iorrneraient
les colléges el'oii sortiraient tous les membres clu Par-
lement. Il est évident que si les conditions énumérées
plus haut sont indispensables dans un gouvernement
parlementaire, un Parlement fabriqué de la sorte ne
pourrait pas marcher.


Ce Parlement ne saurait étre eomposé de gens mo-
dérés. Une partie des districts électoraux se trouvant
dans des pays agricoles, le ministre et le grand pro-
priétaire de l'endroit y auraient un pouvoir illimité ;
ils conduiraient ou enverraient au scrutin toute la
population. De ces districts il ne sortirait que des
gentillátres. Les petites -villes disséminées, qui en-
voient maintenant tant de membres au Parlement, se
verraient étouffées par ces masses de paysans, et ne
pourraient avoir a la Chambre aucun memhre oc leur
propre choix. Les classes agricoles de l'Angleterre
prendraient exclusivement leurs représentants au
sein des QuaJ'ter sessions. D'un autre coté, une
bonne partie des colléges électoraux se trouveraient
dans les districts urbains, et ces colléges n' enver-
raient au Parlement que des membres chargés de re-
présenter les préjugés ou les antipathies des dasses
inférieures que les villes renferment. Les membres
choisis par les colléges urhains se diviseraieñt proba-
blement en deux catégories : il y aurait el'abord les




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 21.9


représentants purs d('~·; Oll vriers, qui peut-étre ne rc-
présenternirnt P:IS I('~ meillenrs ouvriers , lesquels
forment une classe tres-hien composée et fort intel-
ligente, mais les manreuvres ; il Y aurait ensuite les
représentants de ceux qui de l'ouvrier n'ont que le
nom, et que je nommerai les représentants des caba-
rets. On sait que dans toutes les grandes villes, au
moment des élections, les cabarets sont le centre ou
se pratiquent et la corruption et les tripotages illi-
cites; il Ya des précédents qui indiquent ce que sont
et cette corruption et ces tripotages; mais je juge
inutile de les récapituler ici. Chacun comprend a
quoi je fais allusion, et quelle sorte de gens sans
príncipes peuvent nommer ces lieux horgnes. Notre
nouveau Parlement renfermerait done, a coté des
représentants envoyés par la populace des villes, les
représentants de la populace agricole, Les représen-
tants des villes et ceux des comtés offriraient un ca-
ractére compJétement opposé: les uns auraient les
préjugés des ouvriers, les autres auraient les pré-
jugés des magistrats de comté. Chacune de ces deux
catégories de représentanls parlerait une langue dif-
férente; elles ne se comprendraient pas, et les seuls
représentants qui déploieraient de l'activité seraient
des gens sans moralité ; élus par le moyen de la cor-
ruption, ils chercheraient :'t profiter de leur situation
pour rentreravec usure dans le capital qu'ils auraient
dépensé S'il est vrai que le gouvernement parlemen-
taire est possible seulement quand l'immense majo-




220 CONSTITUTION ANGLAISE.


rité des représentants se compose de gens moderes,
sans différences marquées, sans préjugés de classes,
ce Parlement ultra-démocratique serait incapable de
soutenir le gouvernement, cal' les membres qu'il
renfermerait devraient leur position, les uns a des
élections qui étoufferaientviolernment, souslapression
du nombre, dans les campagnes et dans les villes, une
minorité intéressante, les autres ades pratiques im-
morales.


L'idée ne m'est pas venue un seul instant de
mettre au niveau du plan ultra-dcmocratique le plan
de M. Hare. On ne peut s'empéchcr de trouver a ce
dernier projet quelque chose de romanesque. Il
semble que le monde rajeunit quand on voit de
graves vieillards, jurisconsultes ou philosophes,
mettre en avant un projet si séduisant. Ce sont ordi-
nairement ces personnes-lá qui remontrent aux
jeunes gens que leurs belles utopies étant en opposi-
tion avec des habitudes enracinées, et n'oífrant que
la répétition d'idées émises sans succés dcpuis long-
temps, il vaut mieux se contenter des modestes résul-
tats que donne une organisation éprouvée. Mais
M. Hare et M. Mill annoncent que, si l'on adopte
leur projet, il en résultera des avantages aussi consi-
dérables, aussi splendides qu'aucun jeune enthou-
siaste en promit jamais dans ses réves les plus
dores.


Je n'attache aucune valeur a l'opinion qui regar-
derait comme impraticablc le projet de M. lIare




LA CHAMBlU': DES COMMUNES. 221


uniquement paree qu'il est nouveau. Certainement
on ne pourra le mettre en pratique avant qu'il ait
beaucoup vieilli. Un changement de cette sorte ne
saurait heureusement étre soudain; un peuple libre
ne se laisse jamáis tromper par des idées qu' il ne
comprend pas, pour cette excellente raison qu'il ne
peut les adoptcr avant de les avoir comprises. Mais
si le plan de M. lIare pouvait remplir les promesses
de ceux qui le vantent, ou móme la moitié ele ces
promesses, il vauelrait la peine qu'on s'en occupát,
alors méme qu'il ne dcvrait pas étre adopté avant
196(). 11 faudrait en populariser le principe au moyen
des livres, et, ce qui serait préférable aux livres, au
moyen d'expériences partielles. Il Y a tant de cótés
écreurants et detestables dans les autres systémes
el'élection, que je comprends fort bien et voudrais
móme partager la satisfaction de ceux qui, croyant
fermemcnt Ú I'efficacité de ce projct, franchissent
tous les obstacles pour prédire un avenir presque
icléal que ce bienheureux plan doit amener quand il
sera mis en pratique.


Le projet de M. Hare ne saurait étre discuté asou-
hait dans la forme qu'il s' est étudié a lui donner. Il
n' est pas facile au vulgaire de comprendre tous les
détails qu'il y a renfermés avec amour. A force de
mettre ses soins adémontrer ce qu'on pourrait Iaire,
il l'a ohscurci pour beaucoup de gens. Une personne
me disait qu'elle n'avait jamáis pu s'en souvenir deux
jours de suite. Mais la diíficulté que j'éprouve ici est




222 CONSTITUTION ANGLAISE.


une difficulté capitale, tout a fait indépendante des
détails.


Il y a deux moyens de créer des colléges électo-
raux. D'abord, par une loi, comme en Angleterre et
presque partout ailleurs ; la loi peut déclarer que
tellcs et telles qualités donneront le droit de valer dans
le collége électoral de X. ; ceux qui ont ces qualités
font partie de ce collége. e'est lú ce, qu' on pourrait
nommer les colléges réglementaires, et tout le monde
les connait. En second lieu, la loi peut laisser aux
électeurs le droit de composer eux-mórnes ces col-
léges; elle peut se borner adire que tous les adultos
males d'un pays auront la liberté de voter, ou bien
ceux d' entre eux seulement qui savent lire et écrirc,
ou bien ceux qui ont cinquante livres de rente, ou
enfin telles personnes déterminées; cela fait, elle
laisse les électeurs se grouper comme ils l'entendent.
Supposons qu'il y cút 658000 électeurs ohargés de
nommer les membres de la Chamhre des communcs,
il se peut que le pouvoir législatif leur dise : « On n'a
pas ú s' occuper de la Iacon dont vous comliinerez vos
efforts, A un jour donné, chaque série d' électeurs
fera savoir dans quel groupe elle se propose de voter ;
si chaque électeur donne avis de son intention et
veut tirer le meilleur parti possihle de sa voix, chaqué
groupe comptera mille individus, Mais la loi n' en fait
pas un devoir, elle prendra les grollpcs les plus nom-
breux jusqu'á concurrence de 658, peu importe qu'ils
renferment 2000 ou 1000 ou 900 ou 800 électeurs,




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 223


el ces 658 groupes seront les colléges électoraux du
pays. » Ce seront la des colléges volontaires, s'il m'est
permis de les appeler ainsi; des colléges volontaires
sous leur forme la plus simple. l\I. Hare propose quel-
que chose de bien plus compliqué, mais, pour mon-
trer les qualités ou les défauts du systéme, la forme
la plus simple du collége volontaire me parait de
beaucoup la meilleure.


Ce systcmc est évidemment fort attrayant. Sous
l'empire des colléges réglementaires, les votes de la
minorité sont perdus, Par exemple, a Londres, il y a
actuellement heaucoup de tories, mais tous les
membres de la Chambre nommés aLondres sont des
whigs ; tous les tories de Londres se trouvent done de
par la loi et en principe mal représentés; la ville
qu'ils habitent n'envoie pas au Parlement le membre
de leur choix, mais bien un de ses adversaires dont
ils ne voulaient paso D'aprés le systéme du collége
volontairo , les tories de Londres, dont le nombre
s'éleve a plus de mille, se trouvent avoir le droit de
se coaliser, de former un collége el de nommer un
représentant. Dans plusieurs des colléges tels qu'ils
existent actuellement, il ya des minorités qui peuvent
renoneer sans re tour aleur droit de voter. Moi-méme
j'ai eu pendant vingt années le droit de voter dans
un comté agricole, et je suis du parti liberal. 01', ee
comté a toujours envoyé á la Chambre deux tories et
il continuera pendant loute ma vie a en faire autant.
En l'état actuel des choses, mon vote est done inutile .


.?~
!.;' ~
. ~"\,;
.s :


,




22ft CONSTITUTIO~ A:\GLAISE.


Mais sije pouvais entre!', grflce Ü mon vote, dans une
coalition de 1000 autres libéraux qui appartiennent tl
ce collége et ú d'autres colléges ou les consorvateurs
ont la rnajorité, nous pourrions tous ensemble choisir
un représentant libéral.


Ce plan a encore l'avnntage de dissiper toutes les
difticultés relativos ü l'étendue des circonscriptions
électorales. Il n'est pas juste, dit-on, que Liverpool
envoie seulement ti. la Chamhre un nombre de
membres égal á celui qu'envoie King's Lynn OH Lyme
Regis; mais, dans le systóme du collégc volontaire,
Liverpool enverrait son trap plein á King's Lynn.
La minorité libérale de King's Lynn s'entendrait avec
la minorité libérale de Liverpool pour former un
chiffre de mille électeurs; il en serait de méme par-
tout. Les centres populaires jouiraient de ce qu'on
nomme leur droit légitime, quand on composerait des
colléges vo1ontaires ; ils pourraient íormer et ne man-
queraient pas de former la plupart de ces collógcs,


En outre, les admiratcnrs d'un homme distingue
seraient :l méme de lui composer un collége digne de
lui. M. Mill a été nornmé par les é1ecteurs de 'Vcst-
minster, et, depuis qu'ils ont cu á nommer des
membres pour le Par1ement, jamáis i1s ne se sont plus
honoré s qu' en cette occasion. Mais, en vérité, corn-
ment les électeurs de Westminstcr connaissaient-ils
M. Mill? Dans quelles proportions son esprit profond
correspondait-il al'esprit de ses élccteurs'? Comhien
d'entre eux seraient éloignés d'admettre une bonne




LA CHAl\IBRE DES COl\1l\lUNES. 225


partie de ses conceptions! Leur but était de rendre
hommage al'intelligence, mais c'est le cas de dire ou
jamáis qu'ils se sont adressés au dieu ineonnu. Dans
le systcme clu collége volontaire, mille personnes,
parmi lesmilliers ele lecteurs-qui ont étudié les reuvres
de M. Mill, lui auraient formé un collége électoral ca-
pahle de l'apprécier .


Je pourrais énumérer encore d'autres avantages de
cesystérne. Mais mon intention n' est pas de le reeom-
mander, c'est au contraire ele le combattre. Quelles
sont doneles ohjeetions de force á en eontre-balancer
les merites? Je réponds que la maniere de composer
les colléges volontaires me parait incompatible avec
les conditions préalables qu' exi~e le gouvernement
parlementaire et que j'ai déja établies.


Sous le systéme du collége volontaire, la grande
erise du monde politique n'a pas lieu au moment OU
l'on élit un représentant, c'est la formation du collége
électoral qui la provoque. La nomination d'un pré-
sident en Amérique esL déjfl passée á l'état el'indus-
trie; la formation du collége électoral elans le sys-
teme que j'examine ne manquerait ele devenir un
objet de trafico Chaqué parti aurait á résoudre un
problérne d'arithmétique. Ses chefs diraient : « Nous
avons 350000 votes, táchons d'avoir 350 représen-
fants. ») Et le seul moyen d'arriver á ce but serait de
s'organiser. Il est impossihle :l un homme désireux
d'entrer dans un collége lihéral ele chereher par lui-
rnérne mille autres lihéraux, S'il essayait de le faire,


13.




226 CONSTITUTION ANGLAISE.


aprés avoir écrit dix mille lettres, il arriverait peut-
étre a trouver cent électeurs tels que lui, dont les
votes seraient perdus, leur réunion composant un
collége trop peu nombreux pour étre pris en consi-
dération. Ce liberal devrait done écrire a la arande


<-'


société d'enregistrernent deParliament-Street; i! s'a-
dresserait a ses habiles directeurs et ccux-ci trouve-
raient bien vite le moyen d'ernployer son vote. Ils lui
diraient: ,( Monsieur, vous arrivez trop tard; M. Glad-
stone est complet; il a ses mille voix depuis l'an
dernier. II en est de méme de la plupart des person-
nages dont vous trouvez les noms dans les j ournaux ;
des qu'un orateur prononce un heau discours, lJOUS
recevons un monceau de letíres qui nous demandent
d'inscrire leurs sig-n~'llaires dans le collége electoral
de cet orateur. Mais cela nous est impossihle. Voici
notre liste. Si vous ne voulezpas perdre votre vote, il
faut vous laisser guider par nous; nous vous offrons
trois candidats trés-satisfaisants dont l'un est déjá un
honorable; vouspouvezvoter pour l'un ti'eux el nous
allons prendre votre nom, mais songez bien que si
vous votez sans nous écouter el. au hasard, votre vote
est perdu. »


Le résultat évident de cette organisation serait
d'envoyer au Parlement des h0111111es animes de pas-
sions politiques. Ce ne scrait plus l'indópendance,
mais la souplesse que rechercheraient rlans leurs
créatures les meneurs des élections, el pourquoi leur
en faire un reproche? Ag'ents du partí lihéral, ne de-




LA CHAMRRE DES COMMUNES. 227


vraient-ils pas, a ce ti tre, obéir aux vreux -de ce
parti? La masse du partí libéral est pour telle et
telle mesure; les gens qui se ehargeaient d' enregis-
trer les électeurs, manipuleraient adroitement l'af-
íaire. Ils diraient au candidat: «Monsieur, voici notre
programme; si vous désirez entrer au parlement sous
nutre patronage, il faut accepter ce programme;
c'est 1\1. Lloyd qui l'a tracé; vous savez qu'il s'occu-
pait autrefois des chemins de fer, mais depuis la nou-
velle loi électorale nous nous sommes assurés de ses
services; le programmc est excellent, adoptez-le et
vous ferez bien. ". C'est ainsi que, dans le systéme du
vote qu' en théorie on nomme volontaire, on arrive-
rait aavoir un Parlement dont les membres seraient
enchainés par les liens de partí bien plus fortement
qu'aucun d'eux ne l'est dans le Parlement actuel.


Si l' un attend quelque bon eflet du vote isolé quand
il se trouvera en íace d'une organisation systéma-
tique, on n'a qu'á examiner ce qui se passe en Amé-
rique pour l' éJection prcsidcnticlle. D'aprés le plan
étahli par les auteurs de la Constitution fédérale, tous
les citoyens devaient voter pou!' l'homme qu'ils ju-
geraient le plus digne d' étre élu. Mais ils ne font rien
de semblable ; ils se hornent aappuyer de leurs votes
la décision du Caucus ; on nomme ainsi une sorte
de réunion eomposée de gens qui préparent l' élec-
tion ; aprés avoir voté suceessivement contre tous les
hommes connus qui peuvent préter ala critique, ils
finissent par tomber d'accord sur la candidature de




228 CON"STl'lTl'IO:\ ANGLAUSE.


quclqne personnalité inconnuc centre laquelle, par
conséqucnt, iln'y a rien ¡\ dire. Ce gcnrc de róunions
préalablos, quand il s'agirait de nommcr des memhres
pOllr le Parlement, aurait une inllucncc plus d{lplo-
rabie chez nous qu'en Amórique pour l' élection pré-
sidentielle , attendu que dans les grandes occasions
il est possihlc que le choix du pcuple Américain s'ar-
rete sur un grand personnage connu de lous ; mais ~e
peuple anglais ne pourrait choisir 658 memlires dans
les mémes conditions. Il n'cn connait pas un nornhre
aussi considérahle, et lors méme qu'il les connnitrait
tous, il se perdrait dans les difíicultos de d("tail.


Cependant, s'il est évident que ni l' éleelcnr 01'-
dinaire ne pourrai t entrer utilement dans un eollége
electoral, ni le candidat orrlinaire ohtenir les voix
d'un collég'e sans ohéir aux iustructions (les meneurs
politiques de son parti, certains élccteurs et certains
candidats échappcrnicnt ü ccttc scrviuulc. Il y a en
Angleterre des sociétós particuliórcs orgallisc'es de
telle sorte qu'clles se transformeraicnt facilement
en colléges électoraux ; les ehapelles des congrega-
tions seraient, trois mois aprós l'adoption de la loi,
autant de centres électoruux ; l'l~:glise anglicane ne
tarderait pas ú imiter les eongróg:ltions ot, avec quel-
ques efforts peut-díre, elle arrivcrnit au mómc hut.
Aujourd'hni, les dissidents joucnt 1lIl role trés-éner-
giqne et trés-précieux clans le parti 1ihóral, milisavec
le systémc du collége voloutairc, ils n'cntrcraicnt pas
dans la composition de ce partí, ils formeraicnt un




J,A CHAMBHE DES COMMUi'iES. 229


élément indépcndant et séparó. En ce moment, on ne
songe qu'á grouper des bourgs ; dans le svstéme du
collége volontairc, on grouperail les congrégations.
Il y aurait un mernhre nommé par les baptistes de
Tavistock, avec Totncs, etc., ele.


Pour apprécier toute l'importancc de ces considé-
rations, il faut se reportar il la preuve que nous avons
donnóe qu'un Pnrlernent doit étrc composé de mem-
bresmoderes, si l'on ne veut qu'il choisisse un mini s-
tére sans.modóration ct fasse eles lois violentes. Dans
le projct que nous examinons, la Chambre se compo-
serait d'ahord d'hommes de parti, nommés par un
comité imhu de l'esprit (le parti , asservis ;\ ce comité,
et ohligés de déplovor une grande violcnce ; avee ces
membres siégeraient les représentan ts Ianatiqucs
de toutes les secles que renferrnc l'Angleterro. Au
lieu d'une assomhlée délihérante pleine de membres
modérés el jndicieux, nous aurions une assemhlóe
ou toutes les passions se donneraient rendez-vous.


On pourrait croire que j'exagere les traits du sys-
teme jusqu'á la caricature; je n'ai pourtant pas en-
core montré ce qu'il a de plus deplorable. Si en-
tachés qu'ils seraient alors d'un vice originel, les
représcntants, dans le cas oii on les laisserait maitres
d'eux-mérnes, ne manqucraient pas, une fois placés
en Iace des dangers politiques au sein el'un parle-
ment libre, de s'améliorer par le sentiment ele la
responsahilité ; ce qui les renelrait supportables.
Nais on ue les luisserait point maitres d'eux.-memes.rf'''~


tll.!'.~\,'t!:~"~ - .a~
". ~~ '1 :'tl'




230 CONSTITUTION ANGLAISE.


Un collége électoral, dans le systéme en question, ne
manquerait pas d'agir despotiquemont. En suppo-
sant móme la meilleurc circonstance, quand, par
exemple, des électeurs de honne foi auraient choisi
un candidat pour exprimer leurs idées, ils le surveil-
leraient pour étre sürs qu'il les expose. Ce candidat
se trouverait dans une posií.ion nnalogue ú celle
qu'occupe le pasteur d'unc congr¡"gation dissidente,
Comme cctte congrégntion a pour point de ralliernent
telle doctrine qui a l'adhésion de ses membres, le
pasteur est obligé de préchcr cctte doctrine, sinon
on se sépare de lui. Ce qui Iait qu'aujuurd'hui les
membre du Parlement sont libres, e'est que leurs
commettants ne sont pas impérieux ; aucun coilége
électoral n'a en poli tique une doctrine dóterminée
et inflexible. La loi, pour créer les colléges actuels,
ne trace que des divisions géographiques ; ils ne sont
donc pas reliés entre eux par l'unité de croyrmce; ils
ne peuvent avoir qne de vagues pn:.f(·'fences pour cer-
taines doctrines. Mais rlans le systcme du eoHége
volontaire, le eorps electoral serai tune Église ayant
un symhole, ne nommant un député que pour lui con-
fiel' un mandat impératif', et lui remeltre le soin
d'accomplir ses résolutions. De méme que chez les
dissidents un pasteur distingué gouverne quelque-
fois sa congrégation tandis que quatre-vingt-dix-neuf
pasteurs sur cent se trouvent sournis aux leurs, de
méme dans le svstérne du collt'lge volontaire il y au-
rait un homme d'État remarquable qui s'imposerait




LA CHAl\lBRE DES COMMUNES. 2M


a ses électcurs tandis que les autres obéiraient a
leurs commettants.


Ainsi, les membrcs nommés par un bon collége
électoral lui seraient asservis sans retour précisé-
ment acause du mérite de ses commettants, mais les
membres nomrnés par nn mauvais collégc seraient
dans un esclavage encoré plus dur pour un motif con-
traire. Les mencurs qui auraicnt organisé les colléges
exerceraient un vóritahlc despotismo. En Amérique,
on divise ceux qu' on nomme les poiiiiciens en deux
catégories, dont les uns tiennent les fils el restent dans
les coulisses, tandis que les autres jouent un role sur
la scene politiqueo Dans le systeme du collége volon-
taire, le membre du Parlement serait réduit ajouer
le role de l'interpréte impuissant par lui-méme, et les
meneurs du parti seraient de véritables autocrates.
Le meneur écrirait aux membrcs du Parlement :
« On vous a élus pour soutenir le programme
libéral ; si vous ne le suivez pas, vous ne serez point
réélus. » 01', un esprit commun el étroit ne permet
pas qu' on fasse appel de ses scntences ; malgré tous
ses efforts, le membre du Parlement ne serait plus
capable de retrouver un collége electoral.


Peut-étre dirá-t-on que de semhlahles machinations
seraicnt sans force conlre un Parlement septennal;
qu'un membre élu pour sept années pourrait braver
les remontrances d'un collége exigent et le méconten-
tement des meneurs clandestins, Mais, des l'établisse-
ment du collége électoral volontaire, les Parlements




232 CONSTlTlJTJON ANGLAISE.


n'auraient plus qu'une courte durée. Les colléges ré-
c1ameraient des élections Iréqucntes , ils n'aimeraient
pas á se priver pour longtemps de leurs pouvoirs, ils
seraient irrites que ce pouvoir, entre les mains de
leurs mandataires, servil á agir contre leurs propres
idées dans des circonstances qu' on ne prévoyait pas
au mome!!t des élections. Souvent un Parlement sep-
tennal est choisi dans une certaine période politique
difl'érente d'une seconde, pendantlaquelle il siégc,non
moins que d'une troisieme qui voit arriver la dissolu-
tion. Un corps de cornmcttants désigné par la loi dans
le systéme réglementairc tolere ces changements ,
paree qu'il n'a pas donné un mandat impératif ú ses
représentants; les électeurs n' ont pas lieu de trouver
aredire h ce que ceux-ci usent de leur pouvoir dans
un sens qui échappait aux prévisions. Mais un collége
électoral qui s'cst formé lui-móme, dont les opinions
sont arrétées, et dont les rcprósentants ne sont, pour
ainsi dire, que de purs mandataires, ne sera point si
patient; il peut, dans ce ras, se croire obligé de récri-
miner, et les haliiles meneurs, sans se plaindre
ouvertement, ne s'opposeront pas moins, en silence,
acet état de choses; cornmettants et meneurs orden-
neront done des élections annuelles, et soumcltront
leurs représentants h un joug irresistible.


Le projet des colléges électoraux volontaires, exa-
miné sous eette forme, la plus simple de toutes, est
incompatible avec l'indépendance des représentants
et avcc l'esprit de modération dont on doit étre animé




J.,A CHAl\IBHE HES COl\Il\IUNES. 233


ú la Chamhre ; 01', ces deux conelitions, comme nous
l'avons vu, sont indispensables ú l' existence méme
du gOllvernement parlemcntaire. Naturellement, les
mémcs objections s'appliquent ú ce svstérne quand il
a une forme plus compliquée. Il est inutile el' entrer
dans les détails, Iorsque le principe ne resiste pas a la
critique. Si nos raisonnements ont de la valeur, le
collége électoral r("glementaire est une nécessité,
tandis que le collége électoral volontaire conduit a la
ruine du parlemcní.; ce ne serait pas une réforme sa-
lutairc que d'accorcler aux électeurs le droit de dépla-
cement pour leurs votes, ce serait une innovation
ruineuse.


Sije me suis arrété acritiquer le projet de 1\1. Hare
et le projet ultra-démoeratique, ee n' est pas seule-
ment aeause de I'intérét que le premier offre a l' es-
prit el de l'intérét que le seeond peut étre appelé a
avoir dans la pratique, e'est paree qu'ils tendent á
mettre en relief deux au moins des conditions qui
sont indispensables au gouvernement parlcmentaire.
Mais, outrc ces qualités néccssaires qu'exige l'exis-
tence mémc de ce gOllyernement, il y a d'autres con-
ditions prealables sans lesquellcs il nc saurait bien
marcher. Pour qu'une Churnhre des eommunes fasse
bienson reuvrc, il faut qu' elle puisse aceomplir eon-
venablement cinq fonctions: qu' elle soit capable de
bien élire le ministórc, de bien íaire les lois, de bien
enseigner la nation, (le bien exprimer la volonté na-
tionale, de bien iníonner le pays sur l'état des affaires,




234 CONSTITUTION ANGLAISE.


lei se présente une difíleulté. Que doit-on entendre
par le moL bien? Qui done jugera si tout va bien?
Sera-ce un jury de philosophes, sera-ce la postérité ;
sera-ce une autorité en clehors de la Chambre? A
quoi je réponds: il n' est besoin ni des philosophes, ni
de la postérité, ni d'une autorité quclconque ; le peu-
pIe anglais tel qu'il est sulfit parlaitcment.


Un gouvernement libre, c'est le gOllvernement des
citoyens par eux-mérnes ; le gouvernement du peuple
par le peuple. Le mcilleur gOllvernement de ee genre,
e'est celui que le peuple juge le mcilleur. Il se peuL
tres-bien qu'un gouverncmcnt imposé , C011nne celui
des Anglais dans l'Inde , soit en róalité prclérable ; il
se peut que ce gouvernement represente les idees
d'une classe plus élevée que celle des gouvernés, mais
ce u'est pas lá un gouvernement libre. Un guuverne-
ment libre est celui qui est accepté volontairement
par les gouvernós. Quand le hasard a seul róuni quel-
ques populations, le seul p:Ollvernement lihre quí leur
est possible c'est le gnuverllC~J11('lJt d¡'llllocralique.
Dans un pays OLI persoJ1ne ne connait son voisin, el
n'a pour lui ni {'g':lnls ni rcspcct, tous sont égaux,
l'opinion de personne ne peut avoir plus 1]'iniluence
que celled'un autre. Mais, comme on l'a expliqué, dans
un pays respectueu.r, la societé est organisée d'une
facon particuliere. Du consentement unanime, on
admet que certaines personncs ont plus de sagesse
que d'autres, el, par conscquent, outune opinion qui
doit entrer en ligue de compte pour une part plus




u CHAlUBHE DES COlUlUUNES. 235


grande que la valeur numérique des individus dont
elle emane. Chez ces peuples heureux, les votes se
pésent tout aussi hien qu'ils S8 comptent, tandis que
chez les peuples moins íavorisés on ne peut que les
compter. Mais dans les nations libres, ces votes, qu'ils
soient pesés ou comptés, doivent amener une décision.
Un gouvernement libre est arrivé a la perfection
quand on y décide les questions d'une maniere par-
faite au moyen de ces votes; il n'est qu'a l'état d'im-
perfection quand les dócisions qu'on y prend au
moyen des votes sont irnparíaites ; il est mauvais
quand on n'y peut prendre aucune décision. L'opinion
publique est la pierre de touche du mérite pour un
gouvernement; e'est le jugement de l' opinion publi-
que qu'avec des habitudes de respect un pays accepte
comme le meilleur de tous ; si un gouvernement libre
se trouve d'accord avec cette opinion, il est tres-bon
dans son genre; s'il lui est contraire, il est mauvais.


Si ron juge la Chamhre des eommunes d'aprés
eette regle, elle Iait bien son reuvre ; elle choisit les
gouvernants comme nous l'entendons; sinon, ú notre
époque ou la parole et l'écriture ont tant de puissance,
nous le saurions hientót. .J'ai entendu dire a un
hornrne d'Étal érninent du parti libéral: « Le mo-
ment approche oú il faudra employer la voie de la pu-
hlicité pour se mettre :i la recherche d'un grief. »
(luel grief excellent ne serait-ce pas si le ministére
choisi et maintenu par le Parlement était détesté dans
le pays ! Onformerait immédiatement une ligue contre




236 CONSTlTUTION ANGLAI8E.


le gouvernement, et certes cette ligue aurait a l'in-
stant plus de puissance et de succés que la ligue contre
les lois des céréales.


On a objecté, il est vrai, que le Parlement accorn-
plit malla partie électorale de son reuvre paree qu'il
ne choisit pas de g'ouvernements forts. Il est certain
que lorsque l'opinion publique ne se prononce pas
d'une maniere précise pour une politique définie, et
que, par eonséquent, les partis, au sein du Parle-
ment, sont apeu p1'CS égaux, la cupidité ou la versa-
tilité des individus peut engager le Parlement a
changer trop souvent les gouvcmants, á n'accorder
assez de confiance a aucun d'eux, il les tenir conti-
nuellement sous la menace d'une destitution. Mais
l'expérience qu'on a faite avec la seconde administra-
tion de lord Palmerston sert aprouver que ces crain-
tes sont exagérées. (luand la nation porte son choix
d'une maniere fixe sur un homme d'État, le Parlement
l'accepte. En '1859, le Parlement aait divisé aussi éga-
lement'que possible ; beancoup de lihéraux n'aimaient
guéres lord Palmerston et auraient volontiers aidé a
le renverser. Mais le Parlemenl a ressenti l'effet des
inf1uences qui régnnient dans le pays. Les hommes
modérés des deux partís, persuades que l'adminis-
tration de lord Palmerston était celle qui offrait le
plus d'avantages, se sont entendus pour la conserver,
malgré l'hostilité des esprits peu modérés que renfer-
maíent ces deux partis. e'est alors qu'on a pu recon-
naitre qu'un gouvernement, s'il a pou!' lui «l'élérnent





LA CHAMBRE DES COMMUNES. 237


commun », c'est-á-diro les hommes qui ont la méme
modération dans des partis différcnts, peut se rnain-
tenir au pouvoir lors mémc que les partis opposés
sont apeu prcs égaux, ou bien, pour employer le lan-
gage de la trésorerie, ne présentent I'un sur l'autre
dans la balance qu'un excédant imperceptible. Si, par
honheur, un cabinct a assez d'intelligence et d'entre-
gent pour s'assurer la masse qui forme un terme
moyen dans leParlement, il parviendra áse maintenir
au-dessus des petites intrigues et des petites factions.


En somme, on ne peut le nier, je erois, le Parle-
ment accomplit son rcuvre élcctorale á la satisfaction
du publie, et si l'on veut améliorer sa eonduite sous
ce rapporl il faut commeneer, par améliorer le peuple
anglais qui lui impose eeUe Iacon el'agir. Quantá son
reuvre législative, dans ee qu' elle a de général, on en
peul clire tout autant. Sans doute, la forme de notre lé-
gislation est detestable, et le mécanisme employépour
la fahriquer cst affrcux. Quanel on voit un comité ele
la Chambre entiere aux prises avec les clauses d'un
long bill qu'il s'efforce ele eonstruire, il faut bien re-
connaitre que e'est la du travail trós-pénible el enpure
perte que fait le Parlement. Il se g'lisse toujours iné-
vitablemcnt, dans l'aete, quclque clause analogue a


ceNe dont lc jug'c disait quJcllc semólaÍt etre tom6ée
du ciel dans l'esprit de la législature, tant elle avait
peuele rapports aveceelles qui l' entouraient. e'est en
ces circonstances qu'on remarque la diffieulté qu' il y
a ú gcuvemer au moyen d'une assemhlée publique




238 CONSTlTUTION ANGLAISE. ,


dont les défauts, sous ce point de vue, u'out pas un
contrepoids surtisant. Mais il est possible de séparer,
dans une législature, l'esscnce des accidents. Quoique
entaché de deux vices assez graves en ce qui concerne
l'accomplissement de son reuvre législative, le Par-
lement fait néanmoins les lois, amon sens, comme le
pays les désire.


11 n'en était pas ainsi il ya trente ans. Les instiLu-
tions n'allaient plus ala taille du pays et le génaient,
lui donnant l'air d'un homme dont les véternents sont
ceux d'un petit gaq;on; ces véternents le tiennent a
l'étroit et veulent étre rcfaits. « Le diablo m'em-
porte,» disait lord Eldon en jurant comme on le
faisait de son temps, « si je recommcncais la vie, je
choisirais la carriére d'agitateur. » Le rusé vieillard
voyait bien quel parti on pouvait tirer d'une opposi-
tion a l'ancien régime ; et cependant i1 aimait l'an-
cien régime, il lui était fldele et n'acceptait aucun
autre état social. Lord Eldon ne tiendrait pas ce lan-
gage aujourd'hui. Point de méticr pire que celui d'a-
gitateur a notre époque. A peine peut-on reunir un
audiLoire quand on veut se plaindre de quelque me-
sure. Aujourd'hui, par son intelligence et sa con-
duite, le Parlement, sauf les exceptions que nous
avons Iaites, se monLre doué de la modération qu¡
sied aun gouvernement parlementaire ; illa posséde
méme dans la mesure qui convient le mieux au pays.
Non-seulement la nation accepte le gouvernement
parlementaire, ce qui serait impossible dans le cas




LA CHAl\IBRE DES COMMUNES. 239


ou leParlement n'aurait ViS de modération, rnais elle
en est venue Ú airuer ce gOllvernement. Un sentiment
général de satisíaction répnndu rlans le pays térnoigne
que l'Anglelerre a précisement ce qu'elle désire.


Rappelons toutefois deux exceptions : d'abord, le
ParIement est trop porté ú Iavoriser l'intérét des
propriétaires. L'acte passé relativement a la peste
hovine a fourni la preuve evidente de cette tendance
facheuse. Que, dans ses détails, ce hill fút bon 011
mauvais, que les prescriptions en aient été sages ou
maladroites, nous n'avons pas ú nous en occuper;
mais, il faul le dire, la précipitution que l'on a mise
ti le passer dans la Cliamhre sentait quelque peu le
despotisme. Les intéréts cotonniers ou vinicoles, au
moment de leurs plus grands périls, n'ont pas été
défendus avec tant el' empressement. En présence de
la peste bovine, la Chambre des communes ne s'est
pas arrétée un iustant ú écouter des arguments; la
plupart des mernhres dont elle était composée crai-
gnaient pour leurs revenus. L'intérót foncier, en
Angleterre, est representé par un grand nombre de
députés élus dans lescomtés, et les voix de ces députés
lui sont acquises conslitutionnel1ement; mais, chose
étrange, l'intérét foncier ne se contente pas de refu-
ser aux autres classes tous les siéges dont il dispose,
il empi-te sur ceux qui devraient leur appartenir. La
moitiédesbourgs ont pou!' représentants des proprié-
taires et quand il s'auit des rcvenus de laterre comme
'o ,


dans l'espece de la peste hovine, ces propriétaires


Ir~
't "




240 CONSTlTUTION ANGLAISE.


songent beaucoup plus á eux-rnérnes qu'á leurs com-
mettants. L'aristocratie fonciére surpasse de heau-
coup en nombre toutes les autres classes; de plus,
ceux qui en font partie ont entre eux toutes sortes de
liens; ils ont été élevés dans les mémes étahlisse-
menLs, leurs familles se connaissent d'enfance, ils
forment une sociéLé particuliére ; les hornmes se res-
semblent, et ópousent des femmes du mérne genre.
Quant aux négociants ct aux industriels qui siégent
au Parlement, leur origine est plus variée ; l'éduca-
tion, ils l'ont recue l'un ici, l'autre lá-bas, un troi-
siéme nulle part; ccrtains d'entre eux sont fils de
négociants, et ils regardent les négociants qui ne sont
fils que de leurs reuvres comme des intrus dans la
classeálaquellc ilsappartiennent eux-mómes par droit
héréditaire ; de leur coté, les gens qui se sont faits
eux-mémes se disent que, lorsqu' on a hérité d'une
fortune dont on n'a pas été l'auteur et qu'on n'a pas
su augmenter, on ne peut tirer gloire ni de son intel-
ligence ni de sa position, on est inférieur aux parre-
nus pour l' activité d'esprit, et iníórieur aux lords pour
le rang social. Lesnégociantsne sont unis entre euxni
par des liens étroits ni par des habitudes communes;
leurs femmes, quand elles aiment la société. ne se
soucientpas de fréquenter leurs pareilles, elles visent
a« un meilleur monde », suivant leurexpression, et
recherchent les femmes de ceux qui ont des biens au
soleil et, si Dieu le pcrrnct, des Litres. Quand on étu-
die la composition du Parlement, non point dans les




LA CHAMBRE })ES COMl\rUNES.


abstractions deslivres, mais dans les réalités ele la vie
ti Londres, on n'est plus surpris ele voir la puissance
de I'intérét Ioncier, on est méme étonné qu'il n'a-
gisse pas en maitre absolu, L'autorité absolue, l'in-
térét foncier la posséderait s'il avait de l'adresse ou
plutót si ses rcprésentants en avaient; mais il semble
choisir, de parti pris, des représentants stupieles. Les
comtés, dans leur ensemble, ne sebornent pas a res-
treindre leur choix aux propriótaires, ce qui est bien
naturel et pout-étre de bonne politique, mais chacun
des comtés choisit ces propriétaires dans son propre
sein, ce qui est absurde. Point de libre échange pour
l'intelligence eles agriculteurs ; chacun eles comtés
prohibe l'importation des capacites qui pourraient
lui venir d'ailleurs. Voil« ce qui permet ades scep-
tiques éloquents, tels que Bolinghroke et Disraéli, de
dirigcr si facilement les fideles du partí tory. 11s font
élire des gens qui ont de grands domaines dans cer-
tains districts, et ces gens-lit, en général, n'ont pas
le talent de la parolc, souvent mérne ils n'ont pas le
don de la pensée, et il arrive ainsi que, tout en se
moquant de leur parti, ces orateurs éloquents le do-
minent. L'intérét foncier a bcaucoup plus d'in-
fluence qu'il n'en devrait avoir, mais il gaspille telle-
ment cette inlluence, qu' á part les cas exceptionnels
comme la peste bovine, le danger d'un tel exces est
relegué au second plan.


e'est presque traiter la méme question sous un
autre aspect que de Iaire :\ la composition elu I'arle-


r:.\(;EIIIJT. 14




242 CONSTITUTION ANGLAISE.


ment le reproche de n' (~Ll'e pas assez favorable aux
districts dont la prospérité ya croissant, tandis qu'elle
l' est trop aux districts stationnaires. Autrefois, le sud
de l' Angleterre était la partie la plus agréahle et en
méme temps la plus considerable du pays. Le De-
vonshire était un grand comté maritime quand on
a établi les bases de notre représentation ; le Sorner-
setshire et le Wiltshire étaient de arands comtés in-


e,


dustriels. Sous un climat plus rude, dans les comtés
du Nord, on trouvait une population plus misérable,
plus grossiére et plus disséminée. La prépondérance
énorme qu'en matiére de représentation, on accor-
dait, avant 1832, et qu'on accorde encore, malgré
des correctifs et des atténuations, a la partie de 1'An-
gleterre qui est au midi du Trent, correspondait alors
a la prépondérance dont cette partie jouissait sous le
rapport de la richesse et de l'intelligence. On sait
cambien tout cela est changé, et chaque jour le ~on­
traste augmente. Il est dans la nature du comrnerce
denrichir ceux qui ont déjá heaucoup et d'appau-
vrir ceux qui ont peu. Les industries s'agglomérent
dans les centres industriels, paree que la, et la
seulement, elles trouvent des bras et des ressources;
les ehemins de fer ruinent le eommeree des petites
villes au protit de la grande ville, en donnant au con-
sommateur la facilité d'y faire ses achats. D'année
en année, le Nord, désignation qu'on peut donner
au nouveau monde industriel, voit augmenter son
importanee, tandis que diminue ceHe du Sud, oü sont




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 24.3


les pays dont la prospérité n'est plus qu'un souvenir
charmant. N'est-ce \.:,s un grave reproche qu'on a le
droit de faire ala composition actuel1e du Parlement,
quand on peut dire qu'elle attribue une grande in-
fluence ades régions dont la grandeur est passée, el
qu' elle la refuse a(les pays aujourd'hui prosperes?


Dans mon opinion, bien qu'on ne. le pense pas
communément, ce qui fait le plus réclamer la ré-
forme parlementaire e'est cette inégalité. Les grands
capitalistes, tels que M. Bright et ses amis, se croient
sinceres en demandant une part ele pouvoir plus
large pour les ouvricrs, quand, au fonel, ils n'ont
que le désir bien naturel d'augmenter la part d'auto-
rité qui leur revient en toute justice. lis ne peuvent
et ils ne doivent pas admettro qu'un rnanufacturier
riche et capable soit au-dessous d'un petit genLillatre
stupide. Les idées d'égalité politique, dont M. Bright
s'est Iait le charnpion, sont aussi vieilles que la
sciencc politique , quoiqu'elles aient été négligées
au herceau, Néanmoins, elles dureront autant que
la société politique, atteurln qu'elles ont pour fon-
dements les príncipes indestructibles de la nature
humaine. Edmund Burke disait des premiers colo-
nisateurs de l'Inde qu' ils etaien! tous des Jacobins
parce qu'ils se plaignaient de n'avoir pas un degré
d'importance politique égal a leur richesse. Tant
qu'il y aura une classe mécontente de ne pas
posséder sa part légitime d'influence dans les
aífaires, elle ne manquera pas de proclamer aveu-
.,-~.... ~" ~~.,


/l ,.
'-
'.""




2!t4 CONSTITUTION ANGLAltSE.


glément que tous les hommes ont des droits égaux.
Amon avis, l'exclusion dont les ouvricrs sont frap-


pés, sous le rapport de la représentation parlemen-
taire, ne constitue point un vice du systeme actuel,
Les classes ouvriéres ne collaborent pas, pour ainsi
dire, comme corps spécial, au mouvement de l'opi-
nion publique, et, par conséquent, hien qu'elles
manquent d'int1uence au Paríemeut, cela n'empécho
pas le Parlement de répondre aux cxigences de l' opi-
nion. Si les ouvriers sont exclus de la représentation,
e'est qu'ils ne tiennent aucune place dans la chose
représentée.


Il ne faut pas croire non plus, selon moi, que,
pour renfermer un nombre considérablede membres
appartenant a la noblesse, le Parlement en représente
moins l' opinion publique. Sans doute, les familles
qui descendent de l'ancienne aristocratie en ligue
soit directo, soit collatérale, fournissent au Parlement
un nombre de membres fort supérieur en proportion
au nombre de membres qu'cnvoie l'enscmble du
pays. Mais je ne crois pas que ces familles aient le
moins clu monde un esprit de corps et des opinions
générales qui les distinguent des autres familles 3p-
partenant a l'aristocratie fonciere. Leurs opinions
sont celles de la classe au milieu de laquelle elles
sont nées, la classe des propriétaires. Jamais l'aristo-
cratie anglaise n'a formé une caste séparéc, elle n'en
forme pas une aujourd'hui. Elle n'ira soutenir au-
cune mesure dont les autres propriétaires ne soienl




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 245


aussi partisans, S'il doit y avoir des propriétaires a
la Chamhre des communes, il est désirable que la
plupart aient une certaine position. Tant que nous
aurons deux catégories d'institutions, l'une dont le
prcstige cst destiné II éblouir l' esprit des masses,
l'autre dont l'utilité consiste ales gouverner, il faut
maintcnir de Iront ces rleux sortes d'institutions
avec assez de soin pour qu'on ne s'apercoive pas
du point oit elles commeneent el ou elles finissent.
On y arrive partiellernent en accorrlant une cer-
taine autorité, pour les détails secondaires, a l'élé-
rnent presugieux de notro systérne politique, rnais il
cst bon aussi de faciliter ce résultat en maintenant
l'aristocratie dans l'élément utile du systéme. L'in-
stinct respectueux du pays résout ce probléme. Dans
les colléges éleetoranx, l'aristocrntie a son influence.
Un eandiJat qui porte le titre d'honorable ou de ba-
ronnet, ou un litre supéricur, comme celui de eomte,
fút-il lrlandais, se voit recherché par la moitié des
collégos électoraux ; et, tontes ehoseségales d'ailleurs,
le fils cl'nn manufacturier ne saurait lutter avec avan-
tage centre lui. Ce qui prouve aquel point domine
l'instinct respectueux clans le pays, e'est le succés
que la classe respectéc obtient dans les élections mal-
gré la margo qu'on aurait pour choisir des candidats
dans les autrcs classcs.


Sauf ces deux imperfections, dont la gravité n'est
que secondaire, quoiquc réelle , en somme, le Parle-
ment répond asscz bien, tant dans 16 choix de l'exé...


. 14.




246 CONSTITUTION ANGLAISE.


cutif que dans son reuvre législative, aux vreux que
forme l'opinion publique. Ajoutons que, toujours
sous cette double reserve, il sait exprimer convena-
blement, par le langage, l'opinion du pays, quand on
attend de lui eles paroles et ron des lois, Pour les
affaires étrangéres, ou il ne s'agit point de légiférer,
tout ce que le peuplc anglais pensfl ou croit penser
relativement aux grandes crisesqui occupentlemonde,
toutes les idées bonnes ou mauvaises que le peuple
anglais peut avoir sur les questions comme celles du
Danemark, de l'Italie ou de l'Amórique, tout cela
trouve son expression fidele et complete dans le Par-
lement. Cette fonction, que je nommerai, si on me le
permct, sa fonction lyrique, le Parlement l'accomplit
á souhait; il exprime dans un langage particulier les
vues particulióres du pays. El c'est la un eles plus
grands services qu'il peut rcndre au monde. Les gou-
vernements libres sont aujourd'hui si rares en Eu-
rope et l'Amérique est si óloignée qu'il ya un avantage
précieux á connaitre une opinion, mérnc incompleto
et erronée, quand elle s'éléve rapidemcnt au sein de
la libre Angleterre. Cette opinion que le Parlemenl
donne, elle peut étre fausse, mais elle est la seule
qui se produise; el quand celtc opinion est bien fon-
dée, c'est toujours dans les affaires d'une grande im-
portance, cal' un peuple libre ne voit et n'étudie que
les affaires importantes ele l' étranger. Le peuple an-
glais peut négliger une Ioule de minuties auxquelles
la bureaucratie ne s'attache que trop CH Europe,




LA CHAMBRE DES COMMUNES. 247


mais quand il déeouvre une vérité qui éehappe ala
bureaueratic, eette vérité peut étre d'un grand intérét
pour le monde.


Cependant si, sous ces difTérents rapports et avec
les réserves que nous avons faites, le Parlement, dans
son muvre et dans son langage, répond convenable-
rnent ú ce qu'atteud de lui l'opinion publique, il faut
reconnaitre, il mon sens, qu'il ne réussit pas aussi
bien ú rehnusser le niveau intelleetuel du pays. C'est
sa tache éducatrice qu'il aeeomplit le moins bien. Les
circonstances actuclles prétent un peu d'exagération
á ce défaut. Celui de tous les membres du Parlement
qui est surtout chargé d'instruire et d'élever le pays
dont il est le directeur , en tant du moins que le Par-
lement est capahlc de l' élever, e'est le premier mi-
nistre ; ce personnage a une inf1uence, une autorité
et une facilité sans ('gales ponr donner aux débats
un ton <1l' grandenr ou de médiocrité. Eh bien! lord
Palmerston s'cst appliquó pendant plusieurs années
á donner un ton, je ne dirai pas médioerc, mais lé-
gel', aux diseussions parlcmentaires. Un de ses plus
grands aclmiratcnrs a racouté, depuis que lord Pal-
merston esl mort, une aneedote dontil ne eomprend
pas ou ne parait pas comprendro toute la morale.
Quand lord Palmerston devint, pour la premiare fois,
le chef de la Chambre, son air badin ne plaisait guere,
el on en augura qu'il ne réussirait point. « Voilá, »
dit l'un dcsvétérans de la Chamhre, « voila un homme
) qui HOUS abaissera bientót a son niveau; la Cham-


....,


.:..- .. _~~




248 CONSTITUTION ANGLAISE.


» bre préférera ees ha! ha! aux traits el' esprit de
») Canning et ala gravité de Peel. ») Il faut avouer,
e'est pénible adire, que cette pródiction s'est accom-
pIie. Jamais premier ministre, avcc cctte popularité
et cette influence, n'a laissé si peu d'enseigncments
capables de rehausser l'esprit publico Dans vingt ans,
quand on se reportera au souvenir de lord Palmers-
ton, on ne retrouvera ni grande vérité qu'il ait
enseignée, ni politique distincte dont il se soit fait la
personnification, ni paroles dont la nohlessc aient
fasciné son époque et que la postérité doive arracher
al'oubli. Mais on dira: e'était un hommc d'humeur
joviale, d'un sens ferme et rassis; il Iaisait un peu
parade de rouerie, mais nous le devinions bien; il
avait l' esprit politique sous une enveloppe mondaine.
La postérité ne s'expliquera pas sans peine les Iacé-
ties dont on aura gardé la mémoire, mais nous en


<- ,


ressentons aujourdhui les eflets. Depuis qu'elle a
adopté les Iacons ele ce personnagc, la Chambre des
communes a moins serví á I'éducation politique et
sociale du pays qu'elle ne le fait d'ordinaire.


Cependant je crois que, tout bien observé, on
pourrait dire qu' en principe la Chambre des com-
munes ne elonne pas autant el' éducation au pays que
le pays en désirerait. Ce n'est pas que je réclame du
Parlement une éducation abstraite, philosophique,
reposant sur eles matiéres difficilcs a comprendrc,
mais une éducation populaire ; 01', pour étre popu-
laire, elle doit embrasser seulement eles sujets COIl-




LA CIIAl\IBRE DES C01\lMUNES. 2h9


crets, définis et peu étendus. Il s'agit de comprendre
quel est le plus haut !legré de vérité auquellc peuple
est capahle de s'élever ; et e'est sur ce thérne que
doivent portcr les explications dont on veut pénétrer
l'esprit des masses.. Lord Palmerston n'a certaine-
ment pas rempli ceUe condition. n nous a un peu
amoindris en nous préscntant des idees qui étaient
au-dessous de notro moyenne; ses doctrines n'étaient
pas assez au-dessous de nous pou!' inspirer de la ré-
pulsion, et néanrnoins elles l'étaient assez pour ac-
croitre, sans que cela fút utile, notre légéreté, tout
en diminuant chez nous le culte des principes et
de la philosophie, qui n'y était pourtant pas exa-
géré.


Quand on les compare aux débats de toute autre
assemblée, les débats du Parlement anglais ne man-
quent pas, il est vrai, d'avoir un coté Iort instructif.
Ceux du Congrés américain ne servent pas beaucoup
ú l' éducation populairc, e'est le systéme du gouver-
nement présidentiel qui leur enléve cet avantage;
dans ee systéme, les diseussions de la législature ne
produiscnt aucun effet, paree qu'elles ne peuvent ren-
verser l'exécutif qui, au contraire, a le droit de veto
sur lesdéeisions législatives. Les Chambres francaises
sont l'appendice utile d'un gouvernement qui veut
avoir l'autorité du despotisme et en répudier la
honte; gráco a leur existenee, les ennemis de I'Em-
pire n'ont pas toutafait le droit de dire que la liberté
de la parole est supprimée en France : quelques




250 CONSTITUTION ANGLAISE.


membres de l'opposition remplissent l' air de discours
éloquents oú souvent, on le sait, la vérité se montre,
mais toujours en vain. Les débats d'un Parlement
anglais jouent done dans le monde un róle qui, pour
ces Chambres auxiliaires, est impossible. Cependant
je crois que, si l'on compare les discussions que les
journaux sérieux consacrent aux sujets importants
avee les débats rluParlement, on sera ohligé d'avouer
que, malgré beaucoup d'exagérations et beaucoup
de vague, les articles des journaux ont plus de vi-
gueur et plus de sens que les discours parlemen-
taires. Aussi le public apprécie-t-il ectte vigueur
et se plait - il a éeouter les commentaires de la
presse.


LaSaturday Review disait, il y a quelques années,
que l'habileté parlementaire était soumise au systéme
protecteur; qu'á la porte du Parlement il fallait
payer un droit différentiel de 2000 livres sterling au
moins par ano Par conséqucnt, la Chambre des com-
munes, qui admet seulement I'inteIligence quand elle
a pour associée la fortune, ne peut étre sous le rap-
port intellectuel l'égale d'une législature qu'on au-
rait choisie uniquement pour son intelligence, sans
s'inquiéter de savoir si elle est aceompagnée, oui ou
non, de la riehesse. Quant amoi, je ne tiens pas du
tout a ce que I'intelligence soit seule représcntée, ce
serait contraire a 1'idée mere de l' reuvre dont je
poursuis le développement. .le soutiens que le Par-
lement doitpersonnifier l' opinion publique deI'Angle-




LA CHAJJ1JRE DES COj}JJJVNES. 251


terre; et assurémcnt C8tJ8 opinion consulte beaueoup
plus, pour se Iairc, I'intérét foneier que l'intelligencc
pure du pass. La fine Ileur de la Boheme, eomposée
des gens a trente-six. idees el quarante miséres, n' a
pas le droit d'obtenir plus d'influence au Parle-
ment qu'elle n'en a dans le pays, ou elle ne pese pas
beaueoup. Soulernent tout bien eonsidéré, je crois
que le pays pourrait faire a l'intelligenee unepart
un peu plus large dans sa représentation; il Ya au
Parlement une Iorét de Iourdauds opulents qu'on
pourrait éclaircir tant soit peu.


La derniére fonetion du Parlement qu'il me reste
aexaminer e'est celle qui consiste ainformer le pays,
comme je l'ai déja dit, á porter devant la nation, au
mo~en de ses membres, les idées, les griefs el les
désirs de certaines classes. II ne Iautpas confondre
cette fonction avee ceUe que j'ai nommée la fonction
éducatrice. Dans la pratique, il est vrai, ces deux
fonctions s'emboitent l'une dans l'autre. Mais il en
est de mémc pour beaucoup d'autres choses qu'il
importe de séparer quand on en donne la définition.
Le fait que deux choses se trouvent souvent ensem-
ble doit plutót servir de motif que d'empéchement a
ce qu'on les sépare en idée. Il peut arriver que par-
fois elles ne se rencontrent point, ce qui embarrasse
fort ceux qui ne se sont pas habitués ales distinguer.
La fonction éducatrice fournit au pays des idées
vraies, elle appartient ú ses esprits les plus élevés ;
mais la fonction iuformatrice se borne a faire con-~~


._" e.




252 CONSTITUTIO~ ANGLArSE.


naítre des idées spécialcs, elle n'apparticnt qu'aux
spécialistes, Chaque classe a ses pcnsées, sesbcsoins,
ses opinions dont certains cerveaux se préoccupent
spécialement. Ce n'est pas sur les visées de ces spé-
cialistes qu'un peuple doit modeler ses détermi-
nations, et des orateurs animés d'un esprit si parti-
culier ne sauraient étre des guidos sürs en politiqueo
Cependant il est bon d'entendre ces orateurs et de
tenir compte de ces opinions. L'esprit moderne a
pour principe la tolérance et aussi l'examen de toute
chose. Si la scienee moderne est devenue ce qu'elle
est, c'est a force d'examiner des Iaits isolés, en-
nuyeux et peu intéressants á premiere vue. On a ra-
conté qu'un grand ehimisle attribuait la moitié de sa
réputation ason habitude d'examiner .aprés chacune
de ses expériences, les résidus dont il avait l'inten-
tion de se débarrasser. Le premier venu pouvait
connaitre les résultats généraux de l'expérienee,
mais dans les résidus se trouvaient une foule de pe-
tits phénoménes et de transformations a observer,
et de cette observation ont jailli quelques déeou-
vertes glorieuses pour l'homrne qui était eapable de
la faire. Il en est ainsi relativement aux conceptians
des réveurs qu'on dédaigne. Elles peuvent renfermer
des germes de vérité qui sont précisément ceux done
on a besoin, tandis qu' on connait tout le reste deleurs
systemes.


Voilá ce que savaient parfaitemcnt nos ancétrss.
Ils s'cfforcaicnt de donner un caractére aux divers


"




LA CHA1\IHRE DES COMMUNES. 253


colléges électoraux, ou it plusieurs el'entre eux. lIs
voulaient accorder un avocat au commerce marítima,
ú l'industrie des laines, acelle des toiles ; ils voulaient
que le l'arlernent fút it mérne de consulter les intéréts
particulicrs, avant de rendre une décision au nom
de tout le pays. C'cst lit en offet un motif véritable
d'admeUre les classcs ouvriéres it une part dans la
rcpréscntation, du moins dans la mesure nécessairc
pour améliorer le Parlemcut! Les artisans des villes
se trouvent avoir maintcnnnt beaucoup d'idées, beau-
coup d'uspirations ; iIs sont animes d'un rayon spé-
cial de la vie intellectuelle ; ils croient qu' on a rné-
COIlllU ou négligé leurs intéréts, ils s'imaginent avoir
quelque chose de nouveau :'t dire, et posséder d'au-
tres idées que celles du Parlement. On devrait leur
permettre de tenter l' épreuve aupres du Parlcment el
d'exprimer leurs conceptions propres de la méme
facón que les nutres classes; iI faudrait écouter leurs
défenseurs comme on écoute ceux des autres. Avant le
hill de reforme, il y avait moyen de parvenir á ce
hut. Le membrc nommé pour Westminster et d'autres
memhres, étanl élus par le suflrage universel OH par
un systéme tres-voisin de celui-la, pouvaicnt á leur
convenance proclamer les griefs el les idées ou ce
qu'on regardait comme les idees et les griefs des ou-
vricrs. Le systérne introduit en 1832 est si inflexible
qu'il a causé l'cmh.uras actuel et beaucoup d'autres .


•lusqu'a ce qu'on en vicnne á opérer ectte modifi-
cation dans la Chamhre des communcs, celte Chambre


IlAGEIIOT. 15




254 CO~STITllTlON ANGLAISE.


sera imparfaite cornmc la Chambre des 101'd~;, c'est-
á-dire qu'elle paraltra entachée d'un vice. Tant que
les lords ne consentiront pas ase rendre en personne
dans le lieu de leur réunion, on aura heau prouver
par des raisonnemenLs que la Chamhrc haute ac-
complit convenablement son reuvr« de révision, il
sera difficile de faire accepter ces raisonnements ah-
straits. De méme, tant qu'une partie considérable de
la population, agglomérée dans eertains districls, et
ayant des idees et des aspirations politiques, n'aura
pas au Parlement des avocats connus et visibles)
vainement on prouvera dans les Iivres que III repró-
sentation du pays suffit a sa tache, le monde 1Ie le
eroira point. Le xvnr' siecle avait en politique cette
maxime que « les graneles apparenees sont de grandes
réalités ». C'est en vain qu' on démontrera que les
ouvriers n' ont pas lieu de se plaindre, que les classes
moyennes ont íait pour eux tout ce qu'il est possible
de Iaire; en vain on entassera tClUS les arguments
qu'il n'est pas hesoin de répéter, cal' ils sont stéréo-
typés dans les journaux, et on les sait par creur, tant
que s'élévera eontre les raisonnements «eette grande
apparence » que les artisans n' ont pas au Parlement
des avocats visibles et ehargés <1' exprimer a ehaque
instant leurs désirs , la « grande réalité » qui y
eorrespondra e'est un méeontentement général. On
avait beau prouver, il Ya trente ans, que Gatton et
Old Sarum étaient des siéges préoicux qu'on devait
conserver sur la liste électorale, attendu qu'ils four...




LA CHAl\1BRE DES COi\ll\IUNES. 255


nissaicnt des memhres exccllcnts ti la Chamhro des
communes, a ces réflexions on répondait de toules
parts: « C'est fort bien, mais il n'y a point la 1I'11a-
bitants. » De méme on dit partout aujourd'hui : « Il cst
» évident que notre svstérne représentatif est impar-
) Iait, puisqu'une classe immense n'a pas de défen-
» seur au Parlernent. » La seule réponse qu'il y avait
ti faire autrcfois accux qui criaient contre les colléges
électoraux sans habitants, c' étaitrlc transférer le droit
électoral de ces colléges a des colléges ayant une po-
pulation; aujourd'hui, pour couper court aux récri-
minations fondees sur ce que les artisans ne sont pas
représentés, le seul moyen c'est de leur donner des
représenlants, de faire en sorte qu'il y ait a la
Chambre des communes un certain nombre de mern-
bres choisis par les artisans et pénétrés de l' axiome
que CarIyle formulerait en ces mots: « L'artisanisrne
est le besoin du jour. »




VII


LES CHANGEMENTS DE MINISTERE.


Il Ya une Iausse appréciation a laquelle la Con-
stitution anglaise donne lieu périodiquernent, Des
circonstances se présentent souvent dont le retour
bien qu'irrégulier est naturel ; toutes les fois qu' elles
arrivent , elles ne manquent jamnis d'engendrer
cette appréeiation. Comme on le sait, ce sont les
rapports du Parlement et surtout de la Chambre des
eommunes avec l' exécutif qui earaetérisent surtout
notre systémc politique ; 01', ils entrainent fréquern-
ment un fait qui emharrnssc beaucoup le jugement
de certaines pcrsonnes.


Ce fait , c'est un chaugcmcnt de ministere. TOl1s
nos administrateurs parten! ensemble; le pouvoir
exécutif chango tout enticr ; OH, du moins, tous les
ehefs des divers départements qui le composent
donnent ensemble leur dómission ; et ü chaquc chan-
gement il se trouve des théoricicns pour déclarcr
que e'est la une coutume ridiculo. « Admettons,
) disent-ils, que M. (lludstonc el lord Russell se sont
» trompés au sujet de la rélormc ; adrncttons que




LES CHANGEME~TS DE l\I1NISTEIU:. 25i


» 11.' (lladstonc n'ait pas rúussi ú la Chamhre des
») communes; mais, l'un ou l'autre de ces deux cas
» échéant, pourquoi done Lous les chefs des dépar-
» tements doivcnt-ils se retirer en méme temps ?
» Est-il ríen de plus absurdo que ce qui est advenu
» en 1858 '? Lord Palmerston, pour la premiére Iois
» de sa vie, avnit commis une éLourderie: il avair
») répondu hrusqucment ü de saltes questions; il
» s'était pcrmis de mcttrc dans le Cabinet un per-
») sonnage qui avait un vilain proces ü propos d'unc
» femmc; il avait eu le tort, OH bien son secrótair«
» des affaires útrangércs avait eu le tort de no pas
» répondre par une dépéche á une dépéclie francaisc ;
» notre ambassadcur avait simplement recu ponr
)) instruction d'y faire une réponse orale. Et voilá
» que pour ces bagatclles, pau!' des choses qu' en
.) somme on ne pouvait rcgarder que comme des
) erreurs isolées et sans caractóre arlministratif',
» tous les déparLemcnls elf' notro adrninistration ont
» perdu leurs chefs ! Le bureau de l'assistance lépnle
) a en un nouvcau chef, le ministére de l'intérieur
» un nouvean chef, le ministcre des travaux publics
» un nouveau chef. N'était-cc pas réellement ah-
») surde'? ))


Cette objection cst-elle honne, est-elle mauvaise '?
Le changement total du ministére est-il en général
un acto de sago politique ?


De cet usaac il résulte trois inconvénicnts : d'ahord
e,


cet US[lg'c peut placer tout d'un coup ú la t"tr de nos ~_..
~~4~(.,.. ,.,,-
ti '~.'
..t ~,


'.',~.~¿'
'r~e.·




258 CONSTITUTION ANGLAISE.


affaires des hommes nouveaux et sans expérience. 11
y a quelque temps, lord Cranborne ne songeait pas
plus adevenir secrétaire de l'lnde qu'a se faire agio-
teur. Jamais il ne s'était oeeupé de la question in-
rlienne. Assurément il parviendra a s'en tirer, paree
qu'il est habile et que son éducation lui permet de
se rendre compte de tout; mais enfin la question In-
dienne n'était ni sa spécialité, ni l' objet íavori de ses
études et de ses pensées intimes. Comme il se trouve
que lord Russell et 1\1. Gladstonc sont en désaccord
avec la Chamhre des communcs, voilálord Cranborne
secrétaire des Indos, ct voilá qu'un homme tout
il fait inexpérimenté en ce qui concome les nffaires
lndiennes est appelé a gouverner l' empire indien.


Du moment que tous les ehefs des ministeres
quittent :\ la fois leurs diílérents postes.Te méme cas
doit se préscnter fréquemment. Si vingt emplois de-
viennent vaeants ensemble, il n'y a presque jamais
sous la main, pour les oeeuper, vingt personnes
éprouvóes, eompétentes et habiles. La composition
.l'un gouverncment 011'1'c des dillicultés analogues á
celles du jeu de patience ehinois; les places ne con-
viennent pas ú ee qu'on y veut mettre. Et l'embarras
qu' on reneontre ponr établir un ministere est plus
grand eneore, paree qne les ministres peuvent refuser
les positions, tandis que les piéces du jeu de patience
sont inertes. 11 sufíit d'un reíus pour faire éehouer la
eombinaison. En 18/17, lord Grey ne voulant pas en-
trer dans l'administration ([lH' projctait lord Rnsspll,




LES CHAN(;E~IEl'iTS DE l\IINISTERE. 259


si lord Palmerston rlovait étre ministre des affaires
étrang'eres, et lord Palmerston s'obstinant :'t vouloir
étre ministre des affaires étrangéres, on no put par-
venir a formcr le gouvernement projeté. Il est raro
qu'un rcíus isolé cmpéche la íormation d'un gouver-
nement, el il Iaut encoré qu'il s'y joigne des circón-
stances particulieres. Mais il arrive tres-souvent que
des refus paralyscnt ou dúnaturent un gouvernement.
Presque jamais le ministre qui s'est chargé de com-
poser une arlruinistration IW peut distribuer les
situations commc il l'cntend ; presque toujours les
personnagcs sur lesquels il jette les yeux sont trop
fiers, trop exigeants ou trop entetés pour accepter
précisément les postes qui leur conviennent.


Ce svstéme a un autre inconvénient quc de confier
des postes ades ministres qui ignorent ce qu'ils de-
vraient savoir quand ils entrent en Ionctions; il
maintient dans l'apathie les ministres qui sont au
pouvoir. Un homme d'État pcut-iI porter beaucoup
d'intérét ú son reuvre, quand il sait que des événe-
ments dont il n'cst pas le maitre, des erreurs aux-
quelles il n'a nucune part, des métamorphoses d'opi-
nions qui ne dépcndent pas de lui, peuvent l'arréter
au milieu de ses travaux sans qu'il ait l'assurance de
revenir jamais á son poste? Le ministre nouveau
devrait avoir un motif excellent d'étudier a fond les
affaires de son département, mais, en Angleterre, il
n'est nuUement stimulé par l'état des choses. Le der-
nier courant de la politique l'a apporté au pouvoir




260 CONSTITUTION ANGLAISE.


avec son partí, une vague peut l'en éloigner hientót.
Sans doute, malgré ces raisons, l'homme d'État jeunc
et ardent prend quelquefois un vif intérét II sa tache,
mais la plupart des personnages politiques, surtont
ceux qui sont vieux, n'en font pas autant. Quand il
ne se sent pas sur de sa place en présence des évé-
nements dont les vicissitudes donnent el enlévent le
pouvoir, un ministre consaere beaucoup plus ses
préoccupations á l'étude de ces événements qu'aux
détails de ses fonctions.


Enfin un changement soudain de ministres peut
souvent entrainer de graves dangers en bouleversant
la politiqueo Dans heaucoup d'affaires el, méme dans
la plupart, sans doute, mieux vaut l'esprit de suite
avec la médiocrité, que le tohu-bohu avec de gTands
talents. Par exemple, aujourd'hui que le progrés des
sciences opere une révolution dans les engins de
guerre, il est coúteux et uuisible de changer Iré-
quemmenl les personnes qui surveillent l'armement
des lroupes et (fe la flotte. Si l'on confiait aune seule
personne le soin de Iaire un choix entre les inven-
tions nouvelles, cette per80nne, pourvu qu' elle Iút
cornpétcnte, arriverait, aprés une expérience de
quelques années, aun résultat tolerable. Avec de la
persévérance, de la régularité, de l'obsenation,on
diminue, quand on ne parvient pas avainero les diffi-
cultés. Mais quand les cheís qui dirigent les affaires
se succédent rapidement, on éprouve beaucoup plus
<1'embarras. L'expérience ne se transrnet pas de l'UI1




LES CHANGEME~TS DE lHINISTI~:nE. 261


Ú l'autre parrni les chefs ; a-t- on jarnais "U, dans un
collégc, que rlans une classe le premier élóve d'un«
année transmit son oxpérience au premier élév« de
l'année suivante? Le résultat le plus préeieux d'une
ohservation, e'est de donner ú l' esprit les moyens
d'évitcr instinctivernent diversos erreurs; mais l'es-
prit qui s'est ainsi múri par l'expérience u'est pas
chose transmissiblc, et un ministre qui se retire ne
peut pas plus en faire don it son successeur qu'un
frére ainé :'t son frere cadct. On comprend quel
manque de suite et de hase pour les calculs peut
accompagner le rapide changement des ministres.


Ce sont lit de graves arguments ; mais on peut, je
crois, y répondre complétement ou en partie par
quatre considérations. Un peu de réílexion démon-
trera que ce changement de ministres est indispen-
sable au gouvernement parlementaire; que tout gou-
vernement électif entraine quelque ehose d'analogue
el que c'est bien pis encore sous le gouvernement
présidentiel ; que ce changement ne nuit pas néees-
sairement el la honne administration des affaires, el
qu'au eontraire e'est en quelque sorte la condition
d'une honne administration; que les vices de l'admi-
nistration anglaise ne proviennent pas du gouverne-
ment parlementaire, mais de certains défauts assez
marquants dont nousavons ú souffrir d'autre part sous
lerapport politique et social,en un mot, qu'ils provien-
nent non pas de ce qui est, mais de ce qui n'est paso


Premier point. Ceux qui voudraient óter au Parle-
i 5,




262 CU~STlTUTIO:'1 ANGLAISE.


ment le droit de choisir les ministres n'ont pas bien
compris ce que e'est qu'un Parlemcnt. Un Parlement
n' est pas autre chose qu'un grand meeting cornposé
de gens ayant plus ou moins de loisir. Plus vous lui
rlonnerez de pouvoir, plus il sera porté il s'informer
de tout, á tout réglementer, á se méler de tout. Sous
le despotisme, l'activité du despote est restreinte par
ses capacités physiques et par les distractions du
plaisir ; le despote n'est qu'un homrne, il n'a que
douze heures dans sa journée , et il n' cst disposé á en
consacrer qu'une partie ú des affaires sérieuses ; le
reste est pour la cour, le harem ou la société. Autour
(le lui, comme autour d'un centre, tous les plaisirs du
monde se donnent rendez-vous. Le plus souvent il ne
cherche acomprendre qu'une partie des affaires po-
litiques, sachant bien, avec cet instinct dont la nature
a doué ses pareils, qu'il doit renoneer a en eom-
prendre un grand nombre. l\lais un Parlement est
cornposé de beaucoup de gens qui ne sont pas si en-
tourés de plaisirs; en établissant un Parlement, on
confie l'autorité á un despote qui peut disposer de
tout son temps, qui a une vanité sans bornes, qui a
ou croit avoir une intelligence sans limites, qui
prend son plaisir a travailler et dont l'activité fait la
vie. La curiosité du Parlement s'étend sur toutes
choses. Sir Robert Peel voulut un jour avoir la liste
de toutes les questions qu'on lui avait posées dans
une seule séance du soir. Elles avaient rapport íl cin-
quante sujets environ, et ii n'y avait aucune raison




r.ss t:HANGE~IENTS DE l\fJNISTERE. 263


pour qu'on n'y eút ajouté mille nutres sujets. Apres
le questionncur A vient le questionneur B; les uns
adressent des questions par un véritable amour de
la vérité, ou par un désir réel de s'instruire;
d'autres pour voir leurs noms dans les journaux ;
d'autres tiennent a montrer ainsi leur vigilauce
au collége électoral qui les' surveille; d'autres
pour Iaire leur trouée dans les régions gouyernemen-
tales; d'autres obéissent ú une foule de motifs dont
ils ne peuvent pas se rendre compto ou paree qu'il
est entré dans leurs habitudes de faire des interpel-
lations. El il laut repondré a l:_'~s d'une maniere
convenahle. On a dit que e'était Darby Griffith qui
avait renversé la premiero administration de lord
Palmerston, et il est de Iait que le ton impertinent
avec lequel ee ministre répondait á des hommes sé-
rieux, tant il se eroyait sür du triomphe, n'a pas peu
contribué a luí nuire auprós du Parlement. Il a quel-
qu'un que personne ne consent avoir traiter légére-
rnent, c'est soi-rnérne ; de mérne, il ya une ehose que
jamáis assemhlée souveraine ne laissera entamer ni
ridiculiser, c'est son propre pouvoir. Aussi le Parle-
ment impose conunc un devoir au ministre du jour
de s'expliquer sur tous les points de l'administration,
de donner le motif des mesures prises, et de dire
pourquoi on ne prend pas telles autres mesures.


Ce n'estpas le hasard des interpellations qu'un
ministre a le plus lieu de craindre. H se peut qu'une
cinquantaine de membres désirent que l'administra-




264 CONSTlTVTION ANGl"AISE.


tion agisse d'une certaine maniere, tandis que cin-
quante autres ont une nutre facón de voir, ce qui
enlcve au ministére l'unité (1'action, et, tout en le
détournant de ses propres entreprises, l'empéche
de suivre avee eonslance les opérations qu'on lui
commande. Rien de plus simple! Il n'est pas un
département de l'administration qui ne soit quelque-
fois sur les épines; une faute en apparence et quel-
quefois une vraie faute vient frapper les yeux du
publico Aussitót les membres rlu Parlement qui, dans
des sens opposés, veulent influencer le ministére, se
hátent de saisir l' occasion. Les voilá qui font des dis-
cours, réclament la production de documents el en-
tassent des monceaux de statistique. Ils déclarent que
« dans aucun autre pays on ne permettrait de suivre
une ligne politique telle que la suit le département.
en question ; que c'est de la politique surannée,
qu'elle coüte beaucoup d'argent, beaucoup de sang,
que l'Amérique agit tout autrement, que la Prusse
fait tout le contraire ». Et lesjournaux de répéter ces
déclamations, chacun selon sa couleur. Ces petits
scandales de la vie adrninistrative amusent le publico
Les articles qu'on fait lá-dessus sont faciles aécrire,
faciles a lire, ils fournissent ample matiére au caque-
tage et caressent la vanité humaine. En les lisant,
chacun se dit: «Dieu merci, je ne suis pas comme cet
homme; ce n'est pas moi qui ai envoyé du café vert
en Crimée; ce n'est pas moi qui ai expédié des car-
touches du nouveau modele pour les canons ordi-




LES CHA~GEMEl\'TS DE l\IINlSTERE. 265


naires, et des cartouches ordinaires pour les canons
perfectionnés. Moi, .le gagne de l'argent , ce pau-
vre fonetionnaire ne sait qu'en dépenser. ») Quant
ala défense du ministre, personne ne s'en oeeupe,
on ne lit pas un mot de ce qui y a rapport. D'ailleurs,
il est naturel qu'á premiere vue eette déíense ne pa-
raisse pas solide. L'opposition n'étant pas genée
pour ehoisir son point d'attaquc, n'entame la lutte
que dans des cireonstanees OÜ il est rare que du
moins a la surfaee le ministórc sernhle avoir raison.
Aprerniere vue, il semblera toujours qu' OH a mal agi;
que, par exemple, on a laissé mourir des soldats,
que certains eanons ne partiront pas, que eertains
navires sont incapahles de prendre la mer. Tout ce
qu'on lit plaide eontre le ministére, et tout ce qu' on
rlit en sa faveur ne fait qu'ennuyer.


Rien d'égal a l'embarras du ministére qu'on at-
taque, s'il n'a dans le sein du Parlement un défen-
seur ofllciel. Les guépes de la Charnbre s'attaohent
aux membres de i'adrninistration , elles saventqu'elles
peuvent les piquer sans erainte de représailles. Le
germe primitif du méeontentement fruetifie avee
abondanee. On tombc sur le ministere du jour ; c'est
lui qui est ala t{~tc de l'administration, e'est alui de
relever les erreurs, s'il y en a. Le chef de l'opposition
s'exprime de cette maniere: « Je m'adresse au tres-
honorable premier lord de la Trésorerie ; il connait
les affaires. Sans doute, .le ne partage pas ses vues
politiques, mais il est, apeu prés, maitre ahsolu de r,




266 CONSTITllTION ANGLAISE.


ses déterminations et de sa conduite. Il a le pouvoir
de faire tout ce qui lui plait. Eh bien, .le fais appel a
son bon sens, je lui demande si l'on doit tolérer dans
un service public des erreurs si gratuites et une in-
capacité si notoire ~ Peut-étre le tres-honorable mi-
nistre m'accordera-t-il son attention, quand en m'ap-
puyant sur les documents officiels de ce département
je montrerai, etc., etc. »


Que doit faire le ministre? il n'a jamais entendu
parler de l'affaire et il ne s'en soucie point. Plu-
sieurs amis du ministére font de l'opposition au dé-
partement qui est mis en cause; un homme sérieux,
dont la sagesse inspire de la confiance, murmure tout
has : « Vraiment, e'est trop fort! » Le secrétaire du
Trésor , de son coté, exprime son opinion: « La
Chambre, dit-il, est inquiete. Plusieurs membres va-
cillent. A déclarait hiel' que, depuis quatre séanees,
il était dégoúté. Je nc suis pas loin de croire que
le département attaqué a en quelques torts. Peut-étre
qu'une enquéte, etc., etc. ». Lá-dessus le prernier mi-
nistre se leve et dit fIuC le gonvcrnement de Sa Ma-
jesté, aprés avoir sérieusement étudié eette affaire
importante, ne croit pas étre améme d'affirmer que,
dans une matiére aussi compliquée, le département a
su éviter touLes les erreurs. Il n'accepte pas, néan-
moins, toutes les critiques qu'on a Iaites et dont
quelques-unes sont évidemment contradictoires. S'il
esL prouvé que A est mort le marrli pour avoir pris
du café vert, il est certain que lcdit A n'a pas eu a




LES CHA:"la:m:l."TS BE l\lINISTERE. 267


souffrir de la négligcnce des médecins dans lajournée
du jeudi suivant. Cependant, en une affaire si com-
plexe et avec laquelle on est si peu familiarisé d'01'-
dinaire, le Gouvernement ne donnera pas son avis.
Et dans le ras ou l'honorahle membre voudrnit
soumettre la question a un comité de la Chambre,
le Gouvernement y consentirait volontiers. »


Il arrive parfois que le département qui se trouve
ainsi á l'écart, ne se fiant point nu reste du ministérc,
se précnutionne d'un ami; mais e'est un rare hon-
heur que de rcncontrer dans ce cas un ami judicieux.
Les personnos qui sont disposées a arcepter ce róle
ne le Iont habituellement que par cornplaisance.
Elles peuvent avoir 11'excellen tes intentions, étre Iorl
graves et fort respectablcs , mais elles fatiguent.
Leurs discours peuvent étre excellents, mais ils pe-
chent en un point. Ces oraLeurs ont beau s'exprimer
en trés-bons termes, le décorum qui enveloppe leurs
paroles met tont l'auditoire en Iuite, Un orateur de
ce genre est incapablc de lutter contre deux som-
mités de la Chambre, qui mettent ses arguments en
lambeaux. Si ses arlversaircs dérnontrent ou prélen-
dent qu'il se trompe sur les faits, il se leve avec
fracas pour 5' expliquer ; dans sa précipitation, il
perd la tete, il ne retrouve pas ses notes, le sang
lui monte au visnge, iI s'embrouille, devient incorn-
préhensible et s'assied. Le voilá qui sort de la
Chambre avec la convietion que la cause du dépar-
tement dont il s'est Iait le défenseur. est pcrdue, el




26R r:O~STlTlJTIO~ ANGLAISE.


e'est ce que le Times annonce au monde avant son
lever.


Quelques puhlicistes ont émis l'opinion que, pour
parer a cet embarras, les chefs des départements
ministériels devraient avoir le droit de prendre la
parole dans la Chambre. Mais on a essayé ce systéme
sans succes. M. Guizot, qui en a fait l'cxpérience,
affirme qu'il n'a aucun avantage. Toute gTande as-
semblée populaire a un certain esprit de corps; elle a
ses privilóges, ses préjugés, ses idées pnrticuliéres.
Une de ces idées, e'est qu'elle doit accorder, avant
tout, sa confiance a ses propres memlires, aux pel'-
sonnes qu'elle voit tous les jours, dont elle connait
les qualités, et qui fonl leurs preuves devant elles.
Un fonctionnaire qui viendrait du dehors pour lui
adresser la parole ne serait pas de son goút: ce serait
un étranger dont on se méíierait et dont le langage
n'aurait aucun prestige. Souvent mérne il aurait le
róle d'une victime; tous les havards de la Chambre
se jetteraient sur lui pour le soumettre aun examen
en regle. Ce serait une sorte d'interrogatoire auquel
illui faudrait répondre. On l'accablerait de chiffres
et de détails. Tout l'effet de ses paroles disparaitrait
sous le fatras des menues questions et irait se perdre
dans l' épaisse poussiére des petites discussions.


Ensuite, cette personne aurait bien rarement un
talent oratoire. Elle parlerait en bureaucrate.
Hahituée au silence du cabinet, ú la routine qui y
suit son cours paisible el. au respect des subalternes,




LES GHANGEMENTS ])E MINISTÉnE. 269


cette personne aurait de la peine á affronter le va-
carme d'une assemblée publique; elle divaguerait,
parlerait autrement qu'elle ne le devrait faire, eéde-
rait al'emportement et se croirait sur le bane des
accusés. Aprés avoir été earessée par les flatteries
d'employés respeetueux, elle serait étonnée de se
trouver en butte al'importunité des criailleries et des
inveetives. Elle prendrait en haine toute la Chambre
qui le lui rendrait bien; on aurait alors lespectacle
d'un orateur parlant sans autorité devant un audi-
toire hostile,


Ce qui augmente les difficultés de cette situation,
c'est qu'un administrateur venu -lu dehors ne peut
se rendre le Parlement favorable qu'á force de hons
argumente. Aucune voix no lui cst acquise d'avance
pour Ieur servir d'appui. Et méme, il a centre lui
l'hostilité systématique et active de quelqucs mem-
hres toujours préts a l'aLtaquer. TouLe mesure qui
améliore un département ministériel sur des points
importants ou nouveaux rloit naturellement étre
suggérée par une influence exLérieure; mais il faut
qu'il se tienne en gnrdc contre le plus grand danger
qu'il puisse courir, e'est-á-diré eontre des ehoses
spéeieuses que l' évidence semble conseiller, et qu'il
doit 'repousser au nom de eertaines eonsidérations
dont l'évidence n'est pourtant pas aussi grande. 01',
les mauvaises idees, tout aussi bien que les bonnes,
ne manquent pas de trouver des défenseurs d'abord
dans la presse, puis au Parlcment. Si un íonction-




270 CONSTITUTION ANGLAISE.


naire pernianent vcut s'opposer aux mauvaises, il ne
peut eompter que sur la puissanee de son argumen-
tation. Le ministre qui est ti la tete du gouvernement
ne lui pretera guére son eoneours. « Les individus
qui ont des fonctions permanentes, » se dira le.pre-
miel' ministre, « s'arrangeront eomme ils le pourront.
Pour ma part, je ne peux pas me donner du tracas .
Je n'ai qu'une majorité de neuf voix, et eneore elle
est bien hésitante. Pourquoi irai-je me faire des en-
nemis pour des gens que je n'ai paso nornmés? lis
n' ont rien Iait pour moi, je ne peux rien Iaire pour
eux. » Et si le fonetionnaire permanent vient solli-
eiter son aide, illui répond avec emphase: « Si votre
administration parvient ti démontrer au Parlement
qu'elle a toujours suivi la ligue de eonduite la plus
conforme aux intéréts publies, personne plus que moi
n' en sera satisfait. .J ene sais pas s'il me sera possiLle
de me trouver a la séanee de lundi, mais, si j'ai ce
honheur, j'éeouterai votre exposé offlciel aveela plus
grande attention. » C'est ainsi qu'il laissera le fonc-
tionnaire permanent en proie aux railleries des plai-
sants, aux interpellations des havards el aux attaques
dangereuses des novateurs parlementaires.


A la' tyrannie que le Parlement exeree incessam-
ment sur les fonetionnaires publies, il y a un remede
et un seul remede; c'est de donner aux différentes
branehes de l'administration un chef parlementaire,
et que des liens étroits unissent au ministére du jour
et au partí qui, rlans le Parlernent, a la majorité. Ce




LES CHANGEME~TS DE MINISTf~HE. 271


chef'parlernontaire joue alors le róle rl'un préservatif.
Asee ses ainis il forme un rcmpart ú son département
coutrc les obsessious dont les assaillcnt les mouches
rlu coche que renferment et la Chambrc et le pays.
Tant qu'une administration est exposée au hasard
des votes qui peuvent moditier sa conduitc, elle n'a
ni sécurité, ni esprit de suite. Il est possible que notre
artillerie et notre flotto ne soient pas aujourd'hui
dans un état de perfcction: Mais leur état serait en-
core pire si trente ou quarante partisans de tel ou tel
systérnc nouveau se trouvaient toujours en mesure
de propose1' une motion au Parlernent et de faire
adopter leur svsterne en dépit de l'administration.
La « Compagnie des canons ú culasse noire » et la
« Cornpagnie des vaisscaux adarnantins » auraient
hien vite des avocats au Parlement s'il suffisait de
trente ou quarante membres pour assurer á leurs
prorluits la clicntóle nationale. C'est ace danger que
pare aujourd'hui la présence, dans le Parlement, d'un
chef pour chaque hranche d'administration. Des que
l' opposition commence ses attaques, ce chef prepare
ses moyens de défense. Il étudie le sujct, rassemble
ses arguments, empile des petits lots de statistique
110nt il espere tirer un 1)On effet. Sa réputation étant
en jeu, il désire montrcr qu'il est digne de sa place
rt qu'il merite de l'avancernent. La Chambre le con-
Hall bien, l'uime peut-étre, en tout cas elle lui accorde
son attention et le range parmi les orateurs prdinaires
dont elle écoute la parole el dont elle prend les avis




2i2 CONSTITLJTWN AN(;LAlt-iE.


en considération. Sur de se faire entendre, il saura
présenter sa défense dans les meilleures conditions,
Aprés avoir esquissé son diseours, il s'achemine vers
le seerétaire du Trésor et lui dit tranquillement :
« Vous savez, on porte une motion contre moi pour
mardi. Je pense que vos hommes y seron l. Il Y a
quelques individus qui vont me tarabuster, et, hien
qu'ils ne s'entendent pas le moins du monde entre
eux, ils sont tous eontre mon administration; ils vote-
ront tous pour l'enquéte.» Et le seerétaire luí répond:
« Mardi, dites-vous ; oh! 1> ajoute-t-il en jetant les
"yeux sur un papier, « je ne pense pas que ee soit
pour mardi. Higgins doit parler sur l'óducation; il
en aura pour longtemps. N'importe, tout ira bien. »
Puis iI va glisser un mot par-el par-lit, et, le jour oü
la motion se présente, on voit derriére le banc de la
Trésorerie une longue file de personnages aussi dé-
voués que sérieux ; iIse peut mémequ'un orateur indé-
pendant qui est en rlehors {le ceue band« se leve pour
déíendrc le ministre; l'administrntion l'ornporte de
trentc-trois voix, el, les affaires reprcnnent leur cours,


Ce contraste que nous venons de retraccr n' est pas
imaginairc. Souvent on a essayé de laisser l'admini-
stration aux mains d'un chef que ne protégcait au-
cune autorité dans le Parlement. L'expérience n'a
jamáis réussi. Le Parlement, a force de tatillonncr,
rendait tout service impossible. L'exécution primi-
tive de la Loi des Pauvres en offre l'exemplc le plus
remarquahle. Bienqu'aujourd'hui encere c..ne partir




LES CHA:\"GEME:"TS DE MI~IST}:nE. 273


de l'ac/ministration no soit guare bonne, 011 peut
dire que ce qu'elle a de bon, elle le doit ala présence
d'un défenseur officiel qu'elle a dans la Chambre des
communcs. Sans cela, nous aurions vu cornmettre de
nouveau les fautes cornrnises sous l'ancienne loi, tout
en ayant á déplorer la mesquinerie qui preside á l'ap-
plication inhahile de la loi actuelle dans nos grandes
villes. On s'en sorait complótement rernis aux soins
des udministratcurs locaux. Le Parlement aurait tant
tracassé le Bureau central qu'il en aurait paralvsó les
services ; les autoritcs locales seraient devenues des-
potiques. Autrefois on avait confié l'administration de
la Loi des Pauvres ades « Commissaires » qu'on avait
surnommés les trois rois de Sornerset House. Certai-
nernent on n'avait pas choisi des gens incornpétents.
Au rnornenl de la crise, M. Chadwick, l'un des admi-
nistrateurs les plus actifsel les rneilleurs d'Angleterre,
était le secrétaire et comrne le moteur central du sys-
teme;pour commissaire principal, on avait sir George
Lewis, k premier adrninistratcur de notre temps,
peut-étr«. Mais la Chamhre des cornmunes ne voulait
pas laisser la comrnission agir comme elle l'entendait.
Longtemps lacommission trouva des défenscurs parce
que les whigs, qui l'uvaient créóc, avaient un intérét
de parti ü la l)l·otl'gcr.ll yeut d'ahord assez d'entrain
dans cene administration tant fIue son existenee rachi-
tique cut, Jlonr se soutenir, une force artificielle.
Mais cnsuite on livra lescommissaires ti leur proprefai-
blessc. Tundisquc toutes les localités étaienl représen-





274 CONSTITUTlON ANGLAISE.


tées au sein du Parlemcnt, ils n'y avaient aucun avo-
cat; tanrks que les intéréts les plus insigniíiants ou les
plus méprisahles y trouvaient des défenseurs, la C01Tl-
mission n'y était point défendue. Dans les campa-
gnes, les administrateurs communaux cherchaient ú
augmenter leurs honoraires au moyen de contrihu-
tions ; dans les villes, on n'aimait pas le contrólc de
la commission et l' on évitait les dépenses. Il fallut en
venir ti dissoudre la commission et ti trouver un chef
parlementaire pour protéger les opérations (le la Loi
des Pauvres ; on n'ost pas arrivé il la pcrfectiori,
néanmoins c'est un progrés enorme sur l'ancien
état de choses. Si le svstérne n'a pas bien Ionc-
tionné, c'est parce que l'autorité centrale a trop peu
d'iníluence , mais, dans l'ancien svstémo, l'autorité
centrale perdait tous les jours son influence, et main-
tenant elle n' en aurait plus du tout. Quand sir George
Lewis et M. Chaclwick ne sont pas parvenus a sou-
tenir leur aclministration centro le Parlernent oú
elle n' était pas représentée, peut-on supposer que
des commissaires moins adroits et moins actifs au-
raient pu atteindre ce résultat?


On voit par la combien, dans un bon gouvernement
parlementaire, il importe que chaque branche de
l'administration ait au Parlement un chef qui chango
en méme temps que le ministére; heureusement, la
nature des choses se charg« de procurer de tels chefs
au moyen de l'organisation des partis, En Amérique,
ou la périodicité des élections présidentielles et la




LES CHANGEMENTS DE l"IINISTEHE. 275


Iréquence des antros ólcctions a donné aux partis
une organisation plus forte que partout ailleurs, l'effet
en est terrible pour les Ionotions publiques. Il s'opere
un changement de titulaire pour toutes les fonetions
á chaqué élection présidentielle, quand, du moins,
un nouveau parti arrivc au pouvoir. Ce ne sont pas
sculement, commc en Anglcterre, les postes élevés,
mais bien les postes inférieurs qui changent de titu-
laircs. Les proportions du mouvement financier se
sont accrues :i un tel point au département du Trésor
fédéral, que lá au moins, il fauelra dans l'avenir con-
server el'une Iacon permanente un élément considé-
rahle. Un budget de 90000 000 liv. st. comporte
des recettes et des dépenses dont on ne peut pas
charger un eorps de fonctionnaires passagers et qui •
se renouvelle sans cesse. Cependant, jusqu'á ce jour,
les Américains se sont efforcés de marcher non-seu-
lcment avcc des chefs qui pour chaque administration
changent souvent, mais mérne sans avoir recours :i
l'existenced'une bureaueratic stahle. Ils ont du reste,
sur ce point, des facilites que n' ont pas les autres
peuples. Tous les Américains savent administrer ;
c'est merveille de voir combien d'entre eux peuvent
étre succcssivement jurisconsultes, financiers ou in-
tendants militaires ; ils n'ont pas, comme en Europe,
á redouter l'effet que pcuvent produire les change-
rnents de fonctionnaires, cal' ils trouvent plus facile-
rnent qu' en Europe les hommcs capables de les rem-
placer ; ils n'ont pas á craindre non plus, comme en .~/.... ~


ri~,
.~


,.


.~'~~~.u:tI:'"
• .+ ~




276 CONSTITUTIO~ ANGLAISE.


Anglcterre, que la perLe de son emploi ne laisse un
homme sans moyens d'existence au milieu de sa car-
riere, sans espérance pour l' avenir, et sans rémuné-
ration pour le passé: cal', en Amériquc, par des rai-
sons que nous n'avons pas ¡\ étudi9r, il Ya une foule
d'occasions pour un honune de se relever, eL tel qui,
en Angleterre, serait ruiné par un íaux pas, trouvc
bientót la-has des Iacilités pour remontcr sur sa béte.
II est probable que les Américains abandonneront,
dans une certaine mesure, leur systéme actuel de
bouleversements administratifs, mais le fait que ces
houleversements ont lieu dans le pays qui peut seul
comparer au nótre son gonvernement libre doit nous
servir ¡\ supporter patiemmcnt les pctites crises du
gouvernement parlementaire.


Voilú, jc crois, des arguments qui paraítront COI1-
c1uants ú presque tout le monde. Mais on nous fera
pent-etre ici l' objection suivante: « Vous venez de
prouver, nous dira-t-on, ce qu'on ne nie point, él sa-
voir qne ce systémc de changnments périodiqucs esL
une nécessité du gouvernement parlemenLaire; iuais
vous n'avcz pas prouvé ce que nous nions Iormelle-
ment, que ce changement soit une bonne chose.
Le gouvernernent parlementaire peut avoir cette con-
séquence entre autres, c'est hien possible, mais nous
affirmons que c'est lá un vice du systéme. » Pour
répondre á cela, je crois qu'on peut démontrer non
pas que les rnémos changerncnts rloivent nécessaire-
ment se produire dans un sy~te1l1c ~l'adminisfration




LES CllA~GEME~TS IlE j\I1~ISTÉH.E. 277


(fui serait pnrfuit., mais cníin qu'un systémc d'adrni-
nistration pour se porfcctionncr doit subir quelque
changcrnent analogue.


On a en Angleterre, nctuollemcnt., un certain.. pen-
ehant pour la burcaucratic, au moins dans le monde
des puhlicistes et des salons ou l' on cause; on s'est
pris d'un hcl amour pour ce systémc. Si le pcuple
anglais ne consent pas facilcmcnt a se dépouillcr de
ses idées enracinées, il a en revanche beaucoup d'i-
.lécs volantes. Tout événement important qui se passc
en Europc tournc momcntnnérncnt les esprits vers
l'une ou l'autrc de ces dcrniéres idees. 01', le triorn-
~


phc des Prussiens, qu' on regarde comrnc le peuple
hureaucratique par excellence., a provoqué chez nous,
pour la bureaucratic, un élan d'adrniration qui au-
rnit été jugó impossihlc il y a quelques années. Je
ri'ai pas la prétention de critiquer par moi-méme la
burcaucratir prussienne, dont le contact n' est cer-
tainemcnt pas agréalilc pour les étrangers, ce qni,
du reste, n'ost qu'un dótail ; mais il est certain que,
malgré l'arlmiration mornentanéc (lue nous avons
pOllr elle ü distaucc, cctte hurcaucrntic n' est pas un
objet d'cnticre satislaction pOllr les I'russiens inteIli-
h'ents el Iihéraux qui la voient fonctionner chez cux.
l)uel!cs sont les deux choses que reclame principale-
ment le Fortschrittpartci, le partí du progrés, cornme
l'appelle M. Grant Dulf, celui de nos publicistes qui l'a
l"ludió avcc le plus de soin el (le sens philosophique?


C'est d'abord (( UIl ~~ystC\llC lihérul cmhrassant tous
llAGEIIOT. 1(j




278 CONSTITUTION ANGLAI5E.


les détails de l'administrution, pour éviter le seandale
si fréquent que presente un eorps de Ionctionnaires
cntétés et routiniers, lequel parvicnt á ncutraliser
l'initiative libérale du gouvcnwment par des moyen~
détournés ».


C'esten second lieu, « UlW móthorle facile pour
Iaire justice des Ionctionnaires cuupables qui , en
Prusse comme en Frunce, lorsqu'ils sont on lutte
avee de simples particuliers, resscmblcnt ú des guer-
riers armés de pierl en cap luttant contre des gens
sans défense. »


Un svstérnc auqucl les lihéraux les plus intelligcnts
du pays peuvent, méme avec UlII' simple apparcnce
de raison, adresscr des critiques si graves, u'est
¡¡as de ceux que l' étranger doive prendre sans crainte
pour modeles.


Les inconvénients de la hurcaucratic, l'(~l'SOnlle nc
les ignore. C'est 1;\ une forme de gouvel'nernent qu'on
a assez souvent essayée dans le monde, et il cst fucile
de montrcr, étant connues les tondanccs de la naturc
humaine, quels abus la hureaucratie doit entraincr


la


ala longue.
Un des vices inévitables de ce systcme, e'est que


les bureaucrates songent beaucoup plus ;\ suivre la
routine qu'á obtenir de bons résultats, ou, cornme
dit Burke, « qu'ils regardent le Ionrl comme ayant
une importance fort peu supérieurc il celle de la
forme ». A cela ils sont portés et par l'éducation et
par l'habitude. Placés des leur jeunesse dans cette




LES CHANGEl\lE~TS DE l\lINISTEHE. 2i9


partie du service puhlic :\ laquelle ils sont attachés,
ils en étudient les formalités pendant des années el
finissent par appIiquer ces formalités aux matiéres
les plus insignifianles. Pour employer le mot d'un
ancien auteur, « ils ne sont que les tailleurs des
aílaires ; ils s'occupent des vétements au point de VHe
de la eoupe sans s'inquiéter du eorps lui-mérne ».
Des' gens ainsi ólevés doivent en venir a regarder la
routine comme un hut et non pas seulement comme un
moyen, as'imaginer que le méeanisme perfeetionné
auquel ils doivent leur digriitó est un grand et bel oh-
jeetif et non point un instrument de travail qui peut
et1'e modiJié. 01', dans un monde OU tout varie, les dé-
fauts qu'il s'agit de redresser sont tantót d'une nature
et tantót d'une autre. Les moyens qui étaient hier les
meilleurs á employer sont précisément ceux qui
oflrent aujourd'hui le plus d'inconvénients; il peut
se íairc qu' on veuille entreprendre demain une
muvre nouvelle, et que tous les matériaux accumulés
pour l'ceuvre d'hier ne constituent qu'un moncean
d'ohstacles pour ce qu' on veut faire. Le systéme mi-
litaire de la Prusse qu'on admire tant en ce moment,
a fourni, il y a soixante ans, un argument contrc
l'abus de la forme. Tout le monde connait cette
phrase: « e'est Frédéric le Grand qui a perdu la b~­
taille d'Iéna. » Le systéme que Frédéric avait établi
se trouvait exeellent pour les besoins de son temps,
mais suivi aveuglérnent, el appliqué á une autre
époque, centre de nouveaux compétiteurs, ce systcme




280 COl"STITllTWN ANGLAISE.


a été désastreux pour la Prusse. Cette tactique for-
maliste présenta alors un contraste avec la tactique
írancaisc qui devait la vitalitc dont elle était pleine :'l
une explosion soudaine de la démoci'atie. Qu:mt an
systcrne prussien d'anjounl'hui, c'cstle résultat d'une
réaction, et l'histoire du systéme antérieur doit servir
d'enseignement pour ce qui peut anssi arriver au
nouveau. Le systémc actuel n'est pas plus vanté
aujourd'hui que celui de Frédéric ne l'a été dans son
temps, et on sait que la hureaurratie étant disposée
, ,. -1' ' ., •a s eruvrer e un succes et a s extasicr sur son propre
mérite, est, parmi les moyens de gouvernement, un
de ceux qui pcrfectionnent et fécondent le moins.


La bureaucratie n'a pas ponr défaut unique de
dóprécier la qualité du gouvcrncment, elle en aggrayc
les charges par la quantité . en vrai Ionctionuaire
n'aime pas beuucoup le pubIic qui est peu au courant
de ses idées Iixes ; il regarde les particuliers comme
slupides, ignorants el hornés, commc inrapahlcs de
discerner leur intérét , comme ohligés de passer par
les hureaux avant de faire quoi que ce soit: la 1'1'0-
tection entre comme partie fondamentale dans le
symbole de tout fonetionnaire; le lihre échange est
une idée étrangére a sa maniere de voir et presque
incompatible avec les habitudes de sa vie;et il faut voir
comment un excellent critique, exercé :'l une vie libre
et active, a pn décrire les abus du fonctionnarisme .


. (( Tous les intéréts socinux qui existent ou qu'on
peut irnnginer, dit M. Lninz, la rr-ligion, I'érlucation,




LES CHA:'iGEME:'iTS DE l\1I~ISTI~nE. 281


la jurisprudence, la police, toutes les variétés rlu
service puLlic ou privé, la liberté d'aller et de venir,
mérne d'une paroissc :'l une autre comprise dans la
méme juridiction, la liberté de choisir une branche
de commerce ou d'industrie, soit grande soit petite,
bref', toutes les facons qu'il y a d'utiliser des forces
physiques ou intellectuelles, ou d'employer le capital
dans unc société civilisée, tout cela est devenu ma-
tiére :\ employer et á entretenir des fonctionnaires,
tout cela a été centralisé dans un hureau, tout cela est
devenu ohjet de surveillance, de patentes, d'inspec-
tion, de rapports el. d'intervention, pour une armée
de fonctionnaires répandus SlÜ' toute la surface du
paYS et nourris aux dépens du public, sans qu' on
puisse reconnailre la moindre utilité á ce qu'ils font.
Cependant, ce ne sont point des oisifs qui jouissent
d'un traitement et ne sont astreints á aucune obliga-
tion. Ils obéissent á une discipline :i moitié militaire.
En Baviére, par exemple, le fonctionnaire civil supé-
rieur peut condamner aux arréts son inférieur pour
négligence dans l'accomplissement de ses devoirs, ou
pour infraction á la discipline. Dans le Wurtemherg,
un fonctionnaire ne peut se marier sans la permis-
sion de son supérieur. Voltaire a dit quelque part que
l'art de gouverner consiste a faire payer aux deux
tiers d'une nation tout ce qu'il est possible d'en tirer
au proíít de l'autre tiers. On arrive :i cet idéal, en
Allemagne, au rnoyen du fonctionnarisme. Les fone-
1ionnaires dans ce pays ne sont pas faits pour le


16.




282 CONSTITllTlON ANGLAISE.


peuple, e'es! le peuple qui est fait pour les fonetion-
naires. Toute eette maehine elu fonctionnarisme, avec
ses rangs si nomhreux et ses degrés dans chaque
.listrict, avec cctte horde el' employés et de surnumé-
raires qui attendent eles places, des nominations ou
des promotions, tout cela était établi ponr soutenir le
treme dans le nouvel état social du continent; c'était
une classe qui, liée au peuple par ses rapports avec
lui dans l'accomplissement des rlevoirs officiels qui
le mélent atontes les affaires publiques et privées,
étai! altachée par l'intérét au pouvoir royal. La classe
desfonctionnaires ou Beornptenstarul devait remplace!'
l'ancienne noblesse, la hourgeoisie, les capitalistas et
les granels propriétaires ; par le nombre, elle devait
suppléer á ce qui lui manquait de poiels et d'iníluence
individuellement. En Franco, quand Louis-Philippe
fut renversé, le nombre eles fonclionnaires civils
s'élevait á 807,030. Cette arméc civile comptait deux
Iois plus d'individus qu'il n'y avait de soldats. En
Allemagne, la classe des fonctionnaires doit étre rela-
tivement plus nornhreuse, le systéme de la lanelwehr
imposant heaucoup plus ele limites que la conscription
h la libre activité du peuple; il faut heaucoup plus de
gens pour surveiller les détails ele la réglementation ;
en outre, les jurielictions a rnoitié féodales et les
formes légales nécessitent heaucoup plus el'écritures
et ele formalités que la procédure suivie elevant les
tribunaux sous l'empire rlu Cocle Napoléon. »


Une hureaucralie doir inévitablement rozarder
<.




comme son devoir d'augmcnter l'autorité officielle,
ainsi que l'ensemble des aflaires officielles, et eles
personnages officiels, el non pas ele laisser au puhlic
la liberté de ses allures; elle surcharge donc l'é16-
ment gouvernementa1 par la quantité, comme elle le
.léprécie sous le rapport de la qualité.


La vérité, c'est qu'uno bureaucratie expérimentée,
dont les memhres ont d(\ exercés des leur jeunesso
.lans leur spécialitó, a heau se targuer d'un apparal
scientifique, elle n'eu cst pas moins incompatible avec
les vrais príncipes ele l'art administratif. Cet art n'a
pas encore été ródu it en préceptes; mais el'expériences
nombreuses qui ont été Iaites, il résulte comme une
vapeur de connaissances qui enveloppe la société. Un
des principes les plus sürs qu' on en peut tirer, c'est
que le succés dépend d'un heureux mélange d'intelli-
gences spécialistes et non spécialistes, d'esprits dont
les uns se próoccupent eles moyens et les autres du
hut. Le succés qu' ont eu ú Londres les banques par
actions, celles des entreprises récentes qui ont le
rnieux réussi, ce succés est lit pour prouver l' utilité
d'un tel rnélange. Chacune de ces banques est dirigée
par un conseil de personnés dont la plupart ne sont
pas exercées aux affaires, mais auxquelies, par supplé-
ment, on joint un corps de spécialistes, qui pendant
toute leur vie ont pratiqué les affaires de hanque.
Ces hanques mixtes l' ont-emporté complétement sur
les anciennes banques composées exc1usivement de
Lanquicrs ; on a reconnu que le Conseil des direc-




28't CONSTITUTION ANGLAIS~:.


teurs a une connaissance plus grande et plus souple,
une perccption plus vive des besoins qu' éprouve une
société commerciale , et des occasions ou il Iaut
próter ou refuser, que les anciens hanquiers, lesquels
n'ont jamáis observé le spectacle de la vie que par
les fenétres de leurs banques. Il en est de méme pour
les compagnies de chemins de fer les plus prosperes
de l'Europe ; ces compagnies ont été dirigées non par
des ingénieurs ou par des cntrepreneurs de trans-
ports, mais par des capitalistes, par des hommes
avant une certaine connaissance des aífaires. Ces


.J •


capitalistes s'assurent moyennant finnnce les services
el' administrateurs hahiles, comme le procureur igno-
rant s'assure ceux de l'avocat instruit, et ils par-
viennent ainsi á diriger leurs aílaires beaucoup mieux
que ne le feraient les spécialistes divers qui sont sous
leurs ordres. Ils combinent ces différentes spécialités,
examinent ti quel point finit le domaine de l'un et
commence le domaine d'un autre , et il cela ils ajou-
tent une vaste connaissanee des grandes amures,
qu'aucun spécialiste ne peut avoir, cal' on ne l'ar-
quiert que par la pratique d'aífaires variées.


Mais, cet avantage qu'offre l'emploi d'intelli-
g'ences habituées a généraliser, et a mettre en reu-
vre des matériaux divers , cet avantage dépend
entiérement de la position qu' occupent ces intelli-
gences. II ne faut pas qu' elles soient au has de
l'échelle, ni méme au milieu, elles doivent étre au
sornmet. Lecommis d'un négociant serait trop novice




.lans un comptoir de lmnquier, mais le négociant lui-
méme pourrait tres-bien donner des avis excellents,
pleins de lumiérc el d'utilité dans un conscil de
hanque. Le counuis dn négociant serait tout á Iait
uové dans un hureau de chemins de fer, mais le


,;


n(~::wciant lui-rnéme pourrait donner trés-prohahle-
ment des avis excellents dans un conseil de direc-
teurs. Les sommets des rlifférentes affaires, s'il m'est
permis d'en parler ainsi, sont comme les sommets
des montagncs, ils se ressemblent heaucoup plus
entre eux que les parties inférieures ; les príncipes
sont il peu prés les mémes pnrtout clans ce qu'ils ont
d'ahsolu ; seuls, les détails des régions inférieures
contrastent entre elles par leurs higarrures. Mais il
íaut avoir vovagé pour savoir que les sommets se res-
semblent; ceux qui vivent sur une montagne s'imaai-
nent que leur montagne ne ressemhle él aucune autre.


L'application de ce príncipe au g'(HlVernement par-
lementaire est ohose trés-Iacile ; on reconnaitra ainsi
([ue l'entrée dans une administration d'un chef venu
du dehors n' est d'aucun inconvénient, qu'au C011-
traire elle sert :'t perfectionner cette administration.
Laissée II elle-mémc,cette administration deviendrai t
Iorrnaliste, ahsorbante et envuhissante pour son pro-
pre compte; elle pordrait prohablement de vue le
hut qu'elle doit poursuivre pour ne voir que les
moyells, elle se perdrait par étroitesse d'esprit, elle
déploierait en apparence beaucoup d'activ ité , mais
ponr ne rien Iuire en réalité. Un chef venu (In rlehors




286 COl'iSTITUTION ANGLAISE.


corrigern bien cesdéfauts, Il peut dire au chef perma-
nent qui est rompu aux formes et aux traditions de
son bureau : «Voudriez-vous, rnonsieur, m'expliquer
comment cette regle coruluií ü re hut qu' on veut at-
teindre '? Dans l'ordre naturel J la personne qui de-
mande telle chose devrait exprimer son désir par
un seul écrit adressé ü un seul employé; vous l' obli-
gez Ü diro la méme ehose ¡\ cinq employés dans cinq
{'crits. » Ou hien encoré : « Ne vous semhle-t-il pas,
tuonsieur, que la raisou de cctte Iormnlité est péri-
mée ? Quand OH construisait des navires en hois, on
Iaisait bien de prcndre ces précautions contre le feu ;
mais aujourd'hui qu' onlcs consí.ruit en Ier, etc., etc. »
Si un jeune employ« posait ces questions, on n'en
iiendrait pas compro. C'est seulement le chef de l'ad-
ministratiun. qni peut ohtenir une réponse. C'est lui,
el, lui seul , qui peut examiner les vieilleries des hu-
reaux ú la loupe (In bon sens.


On a surtout hesoin dintclligeuces fralches pour
rcnouvclcr I'adrniuistrntion dans les pays ou les af-
Iaires se renouvcllent souvent. Un pays ag-ricole qui
a peu de vie et d'activité peut étre gouverné pendant
de longues années par un bureau inamovible, sans
qu'il en resulte aucun mal. Si, des l'origine, on a
installé sagement ce bureau, il peut hien marchar
pondant un long espace de ternps. Mais, si le pays
progresse, s'il est actif et changeant, le bureau de-
viendra un ohstacle anx perlectionnements, OH il sera
d("fTll i I Ini-mómc.




LES CHANf;El\IE~TS DE l\JI~[sTf:nE. 2~7


Ccttc f;lrOll de considérer l'utilitó d'un chef par-
lcmentaire d'administratiou indique cambien on a
tort de le rcgard(~l', ainsi qu'nn esl porté á le Iuire ,
comme le principal udministrateur de son departe-
ment. Feu sir t~eorge Lewis aimaiL heaucoup acclui-
rer le public 1;\-lI(~SSllS; el il avait les moyens de s'y
connaitre, car , ('dev{~ d'nhord dans le service civil
permanent, il a {\I/~ ensuito asee snccés chancelier de
l'Édliquier, sccrétairo d(~ l'intérieur, el ilest mort
ministre de la g:uerrc.11 avait l'hahitude de dire : «Ce,
n'ost pas :'t un ministre rlu Cahinot (lile revient "le
soin de diriger son d('lpal'Lemenl ; son affaire est de
veiller á ce qu'on le dirige hien. S'il se méle trap des
dMails, il peut Iaire heaucoup de mal. Les Ionction-
naires de son udminisíration peuvent Iairc heaucoup
inieux que lni ce qu'il désirc, et, s'ils ne le peuvent
pas, il Iaut s'cn séparer. Simple oiscau de passage, il
ue saurait rivaliser avee ceux qui unt passé leur vie
daus les hnrcaux. » Sir (1corgc Lcwis ctait un cxcel-
lent chef parlementairc pom' l' udministratinn , en
tant qu' un chef de ce genre doit cxercer sur ses Ionc-
tionnaires une critique luruineuse el propre ú corrí-
~'er les déíauts.
e


ñlais sir George Lewis n'était }las parlait. Sous un
nutre rapport,il n'avait méruc pas la moverme df~s
qualités que doit posseder 11n hon chef. Ce n'est p:w
seuloment :1 corrigcr les déíauts que doit servir l'cn-
tréc d'une intelliacncc nouvelle dans un hureau oíli-


e


ciel, il Iaut enture qn' elle anime ee hureau. Un dé... ~h.
" e




288 CONSTlTUTION Al\"GLAISE.


partement pcut trés-hien sommeillcr eL ne pas savoir
saisir les eireonstanees qui se présentent et agir
en eonséquenee. L'esprit puhlic, malgré le vague de
sa pensée, verradistinetement quel est le devoir formel
de l'adminisLration avant que I'arlministrntion elle-
méme s'en soit apercue dans l'ensemble de ses préoc-
cupations, et bien qu'elle soit tenue d'y songer. C'est
un des services que le duc de Newcastle a rendus pen-
danL la guerre de Crimée. Il avait éveillé son ad-
rninistration ; mais malheureusement elle n'était
pus capable d'agir. Un ministre parlemcntuire ,
1'0111' étre paríait, devrait unir au pouvoir qu'avait
le -luc de Newcastlc d'animcr son départemcnt, I'ex-
périence aeeumulée,l'instinet sur et l'hahitude du
laissez (aire qui caractérisnient sir George Lewis.


Des qn' on cormait hien ce que doit étre un mi-
nistéro parlementaire , on s'apercoit qu'en réalité,
loin el'offrir un inconvénient, la fréquence dcs chan-
gements en ce qui eoncerne le chef d'un départe-
mcnt presente au contraire un avantagc. Si le huí
auquel on vise est de mettre en contad avcc le monde
oíliciel permanent un rcprósentant du sentiment ex-
térieur eL de la vio cxtérieure , il est bon de changnr
souvent ce chef. Aucun homme nc pcut rcprésenter
parfaitement le scntiment puhlic. « Il y a quelqu'un,
rlit-on cn Franco, qui a plus (1' cspri t (lUC Tallcvrand
eL plus de génie <Iue Nupoléon : e'cst tout le monde. »
Cet esprit si divers du puhlic He se pcrsonniíic pas
dans un seul iudividu <fui scrail un iuicrocosme.




LES C1L\.~(;D1E:.\'TS /lE MI:.\'ISTf:la.:. 289


Encoré moins est-il possihle qunn seul el. méme
homrne puisse reunir les Ionctions de critique el. rl'in-
spirateur que dnit exercer un ministre parlemcntairo.
Le pouvoir nócessaire pour donner l'impulsion et la
sagesse utile pour moderer les écarts, sontdeux choses
íort opposées el qui ne se rencontrent que bien ra-
rcment ensemble. En supposant meme qu'un ministre
parleinentaire Iút paríait , le contad proIongé avec
son administration le dépouillerait de ses qualités. II
tinirait par accepter les usages (le ses hureaux, pcnser
couuuc ses Ionctionnaircs et vivre de leur vie. « La
main du teinturier se rcssent de son travail.. » Si le
\TaL r()le d'un ministre parlcmentaire consiste á étrc
le rcpréscntant du dehors pour son administration,
il ne faut pas prendre, pour le remplir, un hornme
qui, par hahitude, par esprit et par maniere de YÍe,
s'cst comme acclimató dans les bureaux.


Il y a tout lieu d'cspérer qu'un homme d'Ihat ap-
partcnant au Parlement possédera assez d'intelli-
grnce, assez de vnriété dans les connaissances, assez
el'expérience générale pour représentcr uti lement le
sentiment public par opposition avec l'esprit bureau-
cratique. La plupart des ministres de cabinet qu' on
charge de départements importants sont des hommes
d'un talenl supérieur. J'ai entendu dire á un per-
sonnage éminent, dont l'expérience est grande, el
qui est encore vivant aujourdhui, que, pendant toute
sa vie, il n'avait observé qu'un seul exemple du con-
traire. Du reste, il Y a toutes sortes de honnes ga-


HAGEHür. 17




290 CO'\STlTUTlON Al\I;LAISE.


ranties pour qu'un ministre ait du talent. Un ministre
de cabinet est obligé de défendrc son département atj
la faec du monde; et, quoique CCllX qui l'examineñt .~
ú distance puissent cssayer, aussi bien que des pu-
bLícistes malins, de l'ahaisscl' SUll uuuiic, ce n'es: pas
lit chose facilc. Un sot, s'il lui Iaut expliquer de '


<


grandes aflaires, l'épondrc lJU1Jliquclflcnt i1 des ques- ':;
tions insidieuses, el argumente!' centre úes uúver-
saires habites el spiritnels, ne tardera pas ú se mon-
trer tel qu'il esl. Par sa nature rnúrue, le gouycl'ncment
parlementaire ussure la prompte l'évélatiuH de l'inca-
pacité réelle.


En tous cas, aucune des formes de g'uUYel'Ilement
qui rivalisent avec le nótre n' a un aussi hon uloyen
á sa disposition pour mettre un ministre cxempt de
préjugés adrninistratiís il la tete d'une udministration
qu'il doit corriger el animero 11 y a seulement dans
I'état actuel du monde quatre formes de gouverne-
ment qu'on peut regarder C011111W iiuportantes : la
forme parlementaire, la forme présidentielle, la forme
héréditaire, et, enfin, la formc dictatoriale ou ré-
volutionnaire. J'ai démontré que la forme presiden-
tielle, avec les usages du rnoment en Amérique, est
incompatible avec une hureaucratie hahile. Quand
tout le monde oíllciel change il l' avénemcnt d'un
parti au pouvoir ou a sa chute, ii est iuipossihle de
cornpter sur un bon systéme de fonctions publiques.
Lors mérne qu'un plus grand nombre de tonction-
naires dcvicndrait un ~OUl' pennancnl en Amérique,




un en changcrait toujours Leaucoup. Tuut dépend
.l'uuc seule élcction , tout dcpend du choix qu'on
Iait d'un présidcnt ; la lutte des partís décide de
Lutl t. Les mcneurs qui dirigeut leurs troupcs dans
cette lutlc out les plus grandes Iacilités pour user de
ce qu' on peut nppclcr la corruption du patronage.
Tuut le monde sait que le président a le droit de
douner des ciuplois aqui hon lui semblc, et quand
ses .unis viennent dirc ü AH : « Si nous 1'emportons
la victoirc, en pertlra le hureau ele poste d'Utica, el
vous scrcz nommé ú sa place, » AD ajoute foi ú leur
parolc, ct est bien Iondó ü le Iaire. Mais il n'y a au-
cun mcmhrc du parlernent qui puisse promettre uti-
lement des places ; il ne lui est pas possible ele les
accorder. L' avénement mérne de son parti au pouvoir
no lui assure pas ce droit. Aux États-Unis , ce qui
augmente la violence des partis, c'est l'importance
supremo qu' on concentre sur une seule lutte, et l'uti-
littS que peuvcnt avoir les promesscs de places connuc
iuovcn de corruption en cst augmentée <1' autant ,
paree que le vainquour pcut donner tout ce qu'il veuí
;\ qui lui plait.


Ce n' est point 1~1 le seul vice du systcmo presiden-
llel en ce qui conccrne le choix des' íouctionnaires.
Ce systómo rcnlenne la principale anomalie du sys-
[ómc parlementairc , sans en avoir le correctif. A
chaquc avóncment d'un parti au pouvoir, le prési-
denL distribuc, couuue ici, les Ionctions les plus con-
sidórables Ú ses partisuus les plus distingues. Mais lÚ/r ¡¡.fi
~,
'q>
. ...




I:O~STlTUTlol\ .\:\l~LAI~E.


se presente pour lui une occasion singuliérc de Iaire
du favoritisme. Le ministre américain derneure ca-
ché dans ses bureaux, il n' a besoin de rien faire en
puhlic ; il se passe des années sans qu'il soit obligó
de montrer s'il est incapable ou habile. Chez nous,
le public juge un ministre par la maniere dont il fait
ses preuves au parlement; mais en Amériquc, ce
n'est que par des rapports personnels avec le minis-
tre, ou par une position particuliére, qu'on est mis
á méme de dire quelque chose de certain au sujet
d'un ministre présidentiel.


Dans un gouvernemen! á forme héréditaire, on a
moins de garanties encore pour assurer les capacitós
des ministres. Un roi héréditaire peut étre Iaible, se
laisser gouverner par des femmes, choisir un ministre
par des motifs puérils, en destituer un autre 'par pure
luhie. 11 n'y a aucune raison plausible de croire
({U' un roi héréditaire saura choisir un bon prernier
ministre, et l'on a vu beaucoup de rois choisir de
mauvais ministres.


Je nomme dictatoriale OH révolutionnaire cette
forme de gouvernement ou le souverain, qui est
absolu, est élevé au pouvoir par I'insurrection. Cettc
forme est tres-importante. En théorie, on aurait pu
espérer qu'á notre époque, ce moyen d'élection, qui
est fort grossier, se trouverait réduit a un róle se-
condaire. Cependant la plus grande nation duconti
nent (et peut-(~ll'e qn'aprés les exploits de Bismarck,
je devrais dire l'une des deux plus grandes nations du




LES CIIA~(;EME:'iTS DE l\1l~lSTf:nE. 293


continent) oscille entre le g'ouvernemcnt révolution-
, <


naireetle gouvcrnementparlementaire; encemoment,
elleest sous laformerévolntionnaire.La France choisit
son chef dans les rues de Paris. Aux flatteurs de pré-
tendre que l'empire démocratique deviendra hérérli-
taire ; l'ohservateur attentif sait bien que la chose est
impossible. L'idéesurlaquelle reposelegouvernement
actuel, c'est que l'Empereur represente le peuple dans
ses capacités, dans son jugement, dans son instinct.
Mais il n'y a pas de famille qui, pendant plusieurs gé-
nérations, puisse avoir l'intelligence ou la moitié méme
de l'intelligence suffisante pour remplir ce role. C'est
au sort des armes de décider quel souverain représen-
t~I'a le peuple: ainsi ont été nommés Napoléon I" el
N'apoléon Ill. Un gouvernement dece genre, quels que
soient ses nutres défauts, doit probablement avoir
une adrninistration bien meilleure et bien plus ca-
pahle que tout nutre gouvernement. Il faut que lc
chef de ce gouvernement soit un homme d'une ha-
bileté consomméc. Sans cela, illui est impossihle de
conserver sa place, et il peine possible de conserver
la vie. II ne peut manquer d'étre actif', paree qu' il
sait que sa négligenee pourrait entrainer la perte
de son autorité, de son existence mérne. Toutes les
torces de son gouvernement s'emploient ft compri-
mer la révolution. Il s'agit de résoudre le plus diífi-
rile {le tous les problémes politiques: il s'agit tout ú
la Iois de contenir le peuple et de le satisfaire en-
tiéremr-nt. Le ponvoirexécuti]', r-n ('eUf' siíuation, doif




29!L


tIre comm« une role de maillcs rlu moyen üge, ex-
Irhl1emcnl dure et eXIT(~melflent flexible. JI faut qu'il
acccpte les nouvcautés attraynntcs quanrl elles IW lui
portcnt pas omhragc, et qu'il Ieur n"siste quand ellr-s
sont daugerouses ; qu'il conservo du passé ce qu' il a de
hon et de convcnable, et qu'il en tlótrllise ce qui g(~ne
OH qui contrarie. Le dictateur , lors mérno qu'il le..
voudraií., n'oserait pns choisir un mauvais ministre.
J'admets qu'un tel souverain choisit mieux des ad-
ministratenrs qu'un parlement, el, sait mieux qu'un
parlement opércr ]e m(~lange des iutelligences non-
velles avec les esprits expérimontés ; qu'il a de plus
fortes raisons que lui de hicn combiner ce Illólange ,
qu' enfin, il est le plus capahlc de Iaire un hon choix
el le plus intóressé :\ le Iaire. Mais il est inutilc de
prouver en Angleterre que ce movon róvolutionnaire
de choisir les gouvernants n'arrive :\ donner de hons
résultats, en ce qui concerne l'administration , qu'uu
prix de sacriticcs , lesquels dúpasscnl la valeur de
cet avnntage ; qu'un ['areil llloyen ("1)ranle le ert~dil
par eles cntnslrop1Jes, quc par intervalles il laisse sans
protection In propriétó el la vio des particuliers ;
qu'il entretient un gcrme de crainte au sein de la
prospérité ; qu'on peut attenrlrc des armées avant de
trouver le dictateur vraiment capahlc ; que les inter-
régnes remplis par des médiocrités sont plcins (le
miseros, que le dictateur capablo pcut rnourir aus-
sitót qu'on l'a trouvó, que la bonne adruinistration el.
lout le resle ne tient qn'á un fil.ú ln vie rln dirtaleur!




Cep-ndant, si, ;\ l'exception de ce terrible gouver-
nement issu de la révolution, un gouvernement par-
lementaire l'emporto en príncipe sur les formes
politiques rivales, quant á la valeur administrativa,
comrnent se Iait-il que le nótre qui, sans comparai-
son, est le mcilleur des gouvornements parlemen-
tairos, n'enléve pas sous ce rapport l'admiration du
monde? On le vante p011r hcaucoup de choses ; ponr-
quoi, loin de Ir vantcr au point (18 vue ndministratif',
le reznrde-t-on vnlanircmont romme le contraire


, u


d'un mOllMc :'t suivro ?
l.n des motifs qni ont principalement contrilmé :'t


répandre c811r imprcssion fúcheuso, e'est que le gou~
veruement anplnis a un rhamp rl'activité énorrne.
Notre sJ'st{lme iuilil.airn cst la partio (le notro admi-.
nistrntion qu'on nttaqnc le plus. On nous reproche
de rairf~ plus de déponses ponr notro arrnée, el avec
moins de résultnts, qne les grandes monarcuins mili-
1:1;1'es. Mais il f.1111. rlirc (Il1e notro I;,rlw es! infiniment
plus dimrilr (1110 la 1I~1ll'. Les monarchies du continent
n'ont h dMcndre que d8S lrrritoires situés rn Europe
el. massés eusernhle ; elles ont de nomhroux soldats
qn'on oldi~'e de servir S011S les rlrapeaux ; le gnnn~r­
nemenl anglnis, snns astreinrlre pcrsnnne au servicc,
el, n'ayant (P10 des mnyens de persuasion pour re-
cruler son nrmée , est c1lílrgl'~ ele dófrmdrc (les ter-
ritoires qni d('paSSf'l1t de hnanrollp l'Europ« en étcn-
dile, el. qui se írouvcní rlissóminés dans toutes les
pnrtics hnbitaulcs du glohe. L'organisation de nos




296 CONSTITllT10N ANCLAISE.


Horse Guards et du WUJ' olfice 'peut' u'étre point par-
faite: je crois en effet qu' elle ne l'estpoint ; mais si
ron imposait tl des recrues l'ohligation de répondre
:\ l'appel en nombre suffisant, si notreadministration
militaire avait le droit de disposer absolument de tous
les sujets pendant un certainnombre d'années, comme
en Prusse, ct de les appeler ensuite sous les armes
quanrl i1lui plairait , on serait surpris de la facilité
et de la rapidito qu'elle saurait mettre dans l' arcom-
plissement de son ceuvre. En outre, il n' est )las
douteux pour moi qu'un militaire experimenté du
continent jugerait impossihle de faire ce que nous
parvenons a exécuter sans étre entrainés autrcment
que par une sorte de mode. II n'entreprendrait pas
de défendre un empire trés-vaste et dont les posses-,
sions éparses embrassent beaucoup d'iles, de longues
frontiéres sur les divers continents, et un centre qui
est un morceau Iort propre á tentor, s'il n'avait :'L sa
disposition que des recrues volontaires dont la plupart
ne sont pas ce qu'il y a de mieux dans le pays, et qne
le duc de Wellington nonunait l'écume de la terreo,


. Ces gens-Iá s'enrólent cliaque nnnée en nombre iné-
gal; un accic1ent politique peut empécher qu'ils se
présentent en nombre sufllsant, et mérne qu'il en
vienne un seul, au moment 0\1 il est le plus nécessaire
de compter sur 1arrnée, Nutre ndministratiou mili-
t.aire es! tenue d'accomplir ce don! á l'étranuer les
ministres de la p;uerre ne vourlraient pas se cltill'ger,
el peut-Atre avec rnison ; el, cependant, ceux-ci 001 des




LES CHANGEMENTS DE l\IlNISTEHE. 297


ressources puissantes que n'a point l'administration
anglaise, malgré la difficulté plus grande de l'reuvre
qui lui est confiée.


Voyons l'administration de la marine: elle est
obligée de défendre une ligne de cótes et un ensemble
de colonies qui dépasse de heaucoup ce que possé-
dent les autres États de l'Europe. Et aujourd'hui,
l'immensité de nos opérations est singuliérement ge-
nante; elle nous force aentretenir un matériel con-
sidérable, en vaisseaux et en armes, pendant que,
d'un autre coté, des motifs tres-importants nous en-
gagent ane pas nous mettre trop de matériel sur les
bras. L'art des constructions navales et l'art militaire
sont tous les deux dans un état de transition; l'in-
vention d'aujourd'huipeut étre reléguée demain au
rang des vieilleries par la découverte de procédés
nouveaux. Sur une énorme quantité de vaisseaux et
d'armes, il y en a inévitablement une bonne partie
qu' on doit mettre al' écart pour cause d'inutilité, d'in-
suffisance et de vieillesse prématurée, quand arrive
le moment de s'en servir. On fait a l'amirauté deux
reproches contradictoiros ; les uns lui disent: « Nous
n'avons pas de vaisseaux, ou, du moins, pas de vais-
seaux sur lesquels on puisse compter, pas de flotte digne
de ce nomo » D'autres s'écrient : « Tous nos vaisseaux
sont mauvais, notre artillerie est mauvaise, nous
n'avons qu'un mauvais matériel; avec sa triste ma-
nie de constructions, l'amirauLé s' est surchargée de
mntérie], quand ello aurnit dt'! aUendre ; elle a réuni


17.




UI\,STl1TT I0\ Axr: LA ¡SE.


un vérital.le musée d'invontions qui son! (1¡"mnt16es,
sans nous renrlre en dófinitive le moinrlre scrvice. ))
Ces reproches opposés s'élevent parallelement centre
l'exécutif ; bien qu'ils aicnt pour but de le dénigrcr,
ils sont, en définitive, par leur opposition méme SíI
tlt~fen3e la meilleure.


Examinons maintenant le tlt'lpartement de l'inté-
rieur en Angleterre, et nous verrons qu'il lutte contrc
eles embarras dont les administrations étrangéres se
sont affranchies depuis longtemps. NOllS aimons ;\avoir
des autorités locales indépenclantes, de peti ts centres
d'autorité disperses au dehors. Quand le pouvoir ex6-
eutif de la capitaleveut agir, ses mesures sontentravées
par ces petites corporations qui hésitent, déliberent el
parfois méme désobéissent. Mais l'indópcndance locale
n'ost pas une condition indispensable dugouve1'nement
parlementaire. Le degré de liberté locale qu'un pays
peut clésirer varie suivant clifférentes circonstanccs,
sans cesser de rendre possihle l'existence d'un gou-
vernement de ce genre. On aurait certainement tort
d'incriminer le gouvernement parlementaire, consi-
déré comme forme politique el d'application généraJe,
en lui attrihuant les erreurs particuliéres que COH1-
mettent les administrateurs de la taxe des pauvres ; rt
cependant on ne s'en fait pas faute tous les jours.


Avec cet embarras spécial de notro gouverne-
ment contraste un avantage dont les adrninistrations
jouissent al'étranger. La un fonctionnaire est regardé
romme un étre supérieur au reste .ln monde ; iI est




envió presque g'Ónéralement. e'est ce qui donno au
gouyernement la facilité de choisir ses agcnts dans
I'élite de la nation. Tous les esprits hahiles se plaisent
ú servir sous les ordres du gouvernement, et n'aiment
guere d'autres emplois. Mais en Angleterre, on ne
reronnait pas de supérioritó sociale aux fonction-
naires, c'cst un sentiment qui nous est inconnu. Un
rmploy('~ rlu timhrc OH de la régie n'a point de part :'t
notro respecto Un riche épicier se croit au dessus de
l'un ot de l'autre. Notre gouvernement ne peut pas
acheter, au moven de rlistinctions honorifiques, les
services des gens les plus capahles, pour leur confier
des emplois secondaires, el avec de la monnaie son-
nante un !:-\,ouvernement quelconque ne parvient
jamais ¡\ reunir beaucoup de ces esprits distingues.
Notro commcrce, par sa prospérité, séduit hcaucoup
plus les amhiticnx qui ont (le l'intelligence. Dans les
hureaux des .ulministrntions étrangércs, on trouve
]'elite des capacites: chez nous, il est rare que les
aens de talent consarront leur vie Ü l'administration.(


Mais ce ne sont pas 1;\ les motifs uniques, ni méme
les 11101ifs principaux qui empéchent notre adminis-
tration el' etre aussi honne qu'elle devrait l' étre ponr
répondre aux cífets (1'n11 gOllvflrnement parlementaire
cnvisagé en principeetd'une maniére ahsolue. Cette si-
tuation a.deux causesrlontlesconséquenees embrassent
une fou1e de détails, mais dont on peut néanmoins ré-
surner les traits essentiels en pell de molso La premiére
de ces causes, c'est notro ignorance. Ancnnc forr:




300 CONSTITUTIO~ ANGLAISE.


politique ne peut tirer d'une nation plus que ce
qu'elle renferme. Un gouvernement lihre agit avant
tout par la persuasion, et n'obtient que des résu1tals
proportionnés en méme temps aux efforts de ceux
qui persuadent et aux facultés de ceux qui les
écoutent. A beaucoup d'égards, notre administration
se ressent évidemment de notre ignorance extreme.
Depuis longtemps, d'aprés une opinión admise, la
politique étrangérc du gouvernement anglais manque
de logique, de succés et de prévoyance ; elle n'a pas
un objectif préconcu, elle ne se Ionde pas fermement
sur des principes fixes. Il Iaudrait trop s'étendre pour
étudier avec soin dans quelle mesure on doit accepter
ce jugement. Cependant, j'accorde parfaitement que
dans ces dorniers temps, notre politique étrangére
a donné lieu a des critiques lort graves et tres-
sérieuses. Mais ne serait-ce pas un miracle que le
peuple anglais dirigeant lui-rnérne sa politique ait pu
lui donner une honne impulsion dans l'élat ou il se
trouve? L'Angleterre, plus que tout autre pays, n'est-
elle pas séparéc du monde; isolée par sa situation
géographique comme par ses mreurs, ne doit-clle pas
éprouver les effeLs de cet isolement, aussi bien les
mauvais que les hons ? N'est-elle pas en dehors du
courant européen? Nolre peuple n'a-t-il pas pour les
autres une sorte de dédain ? A-t-il étudié le monde mn-
cierne, etne méprise-t-il trop pas souvent cette étude?
D' I "1 1. es iors, comment esperer qu un te peup e com-
prenne les événements nouveaux un siupuliers qui se




LES CHANGEl\IENTS DE MINISTERE. 301


produisent á l'étranger ? Loin d'étre étonné que le
parlement anglais se soit rnontré quelquefois si insuf-
fisant dans sa politique étrangére, on devrait regarder
au contraire comme une merveille et comme une
preuve de l'instinct naturel dont notre peuple est
doué, que notre politique ait été en définitive aussi
honne qu' elle 1'a été.


Ce qui caractérise la constitution anglaise, ce qui
distingue notro forme politique de la forme purement
parlernentaire , c'est qu' elle renferme des parties
« prestioieuses », des parties conservées non pas a
cause de leur valeur intrinséque, mais pour la séduc-
tion qu' elles opérent sur l'esprit de populations naíves
et sans lumieres. L'existence de ces éléments tend a
diminuer l' efficacité propre du systéme. Ces éléments
sont comme les rouages de pure ornementation qu'on
introduisait par surcroít dans les horloges du moyen
¿lge pour indiquer les phases de la lune ou le nom
d'une constellation , ponr faire entrer el sortir des
honshommes ou de petits oiseaux comme sur une
scéne de théátre. Tout ce travail accessoire nécessite
des frottements et cause des erreurs, et empéche le
mécanisme principal d'indiquer l'heure exactement;
chaqué roue nouvelle est une nouvelle cause d'imper-
fection. De móme,si pour eonfier l'autorité á une per-
sonne on lui demande non pas l'aptitude au travail,
mais des qualités qui frappent I'imagination, elle ne
pourra qn'étre 11n élément d'cmharras dans l'orga-
nisme administratif. S'il est vrai que par son presl ige




elle soit capahle d'avoir une iníluence qui vaut mieux
encoré que si elle accomplissait bien sa part de
hesognc, il n' en reste pas moins qu' elle nuit par sa
présence á la marche réguli ere el e l' reuvre dans les
détails. Voilá ce que íait hien souvcnt l'nristoeratie
anglaise. Son inlluenco sur le pcuple est encere Iort
précieuso, elle l'était infinimcnt autrefois, )Iais il ne
Iaut pas compter sur los caders de ramillos nobles
ponr en tirer de hons administratcnrs ; par leur édu-
cation , ils n' ont ni la connaissance ni la pratique ni
1'habitude des aífaircs ; hrof', sous ce rapport, ils ont
une infériorité particuliórc qu'ils no rachNcnt par
aucun avantage spócial.


La classe moyenne est, elle-méme, pen propre á
Iournir les administrateurs qu'il TIOUS faut. II ne
m'est pas perrnis d'exnminor ici re qu'il y a de Ionrlé
d.ms les reproches qu' un nrlresse á notro {'dncation ;
un excellcnt juge a dit qu'elle ét.ail (( prétentiense,
insuffisantc el. Iaihle : . Jo me hornorni ú rlirc qu'elle
no prepare pas couvcnahlomcnt aux nffaires, [l n'y :1
pas longtcmps enroro que les cnnnnissances el les
habitudes nócessaircs pOlH' Nre simple omplové
.lans une maison dn hanque, l'taient assez pen rópan-
dues ; le gcnre (r{~dncat!on qui rcrul un homme
capable d'occupcr les postes (.1o\,(',S du monde (les
affaircs est encoró trcs-raro ; on n'est pas 111¡'¡mc hiou
d'nccord S111' l'nnsernhlc dos conditions 311xquel10s
ceuo érlnration dnit sntisfnirc. Nos Jouctionnaires
puhlics ne vaudroní ('en" di)~c pcuples {'tranf!'crs




que Inl'squ'ils lcur seront (~g'aux p:lr I'éducation.
Quelque grande que soit l'influence délétére ele


notro ignorance sur notro administration, il est une
autre cause qui lui nuit encore davantage.Deux admi-
nistrations étrangéres seulement sont préférahles á la
nótre, et cela par suite de circonstances dont nous
n'avons pas Iait la rencontre. Chacune de ces deuxad-
ministrations a été orgnniséc par un homme de génie,
aprés nne étudc eonscicncieuse et sur un plan arrété
d'nvaucc. Napoléon a éleyó la sienne sur un terrain
qne la révolution Irancaiso lui avait légué lout dé-
JJlay(~. Quant a l'originalité qu'on attribuait a son
o.uvre, e'etait un mérito usurpé. l\'IM. Tocqueville et
Lavergne ont démontré que Napoléon a construit son
he] édifice sur un modele que cachaient aux yeux les
complexités de l'ancien régime. Mais ce n'est pas
l'originalité, e'est l'utilitó de eette reuvre qui nous
préoocupo en cn moment. Napoléon a étahli l'admi-
nistration francaise d'aprés un systeme qui lui assu-
rait l'efficacité, In consistance et la durée ; les gouver-
nernents suivants n'ont eu qu'á se servir de la machine
administrative dunt ils avaient hérité. Frédéric le
Grantl en a Iait, tout autant pour la monarchie p1'us-
sienne au licrceau, La Frunce et la Prusse out denx
machines nouvclles, orgnnisóes á une époque de
civilisation pour accomplir un travail déterminé.


Quant aus branchcs diversos de l'administration
nnglaise, depuis leur origine elles n' ont jnmais (;té
:lITang-órs rlans un hu! d'harmonie ou plutót elles




CONSTITtJTION ANGLAISE.


n' ont pas été cultivées, elles ont grandi d'elles-rnómes
chacune de son coté. Bien de plus curieux il ohserver
que cette facón de libre-échange qui, au moyen ~lg-f,
s'était établie entre les institutions anglaises. Nos trois
cours ele justice, la cour du Banc de la reine, celle
des Plaids communs et celle de l'Échiquier, pour
augmenter leurs honoraires , avaient peu :i peu
étendu leur domaine, de maniere il ernhrasser tout
le terrain judiciaire. Boni judicis est ampliare ju-
risdictionem, c'était un vieux dicten rlonnant a en-
tendré qu'un bon juge doit augmenter les honoraires
de sa cour, ses propres revenus, et ceux de ses subor-
donnés. L'administration centrale duTrésor ne faisait
jamáis rendre compte aces cours, de l'argent qu'elles
recevaient ainsi ; pourvu qu'on ne lui demandát rien,
elle se tenait pour satisfaite. N'avons-uous pas vu
l'an dernier méme, un débris de ces vieux abus se
montrer aux yeux du public ébahi? Un employé el u-
Patent-office avait détourné quelques honoraires el,
tout naturellement, avec nos idées du XIXe siéele, on
dut penser que la responsabilité en revienclrait au
chancelier de 1'Échiquier par analogie avec ce qui se
passerait en France dans ce caso Maisla loi anglaise
voit la chose d'autre facon. Le Patent-olfice dépcnd
du lord chancelier, et la cour de chancellerie est
une de ces nombreuses institutions qui doivent leur
existence acette avidité qu' on mettait autrefois á se
disputer les honoraires; de sorte qu'il appartenait
uu lord chancelier de surveiller les érnoluments de sa




LES CHANGEMENTS DE ;\Il~ISTl~:J:E. 305


cour, re que tout naturcllcrnent sn qualitó de jug'e
fort occupé ne luipérrnettait point de Iaire. On 11{>-
couvrit, cependant, qu'un acte du Parlement avait
déclaré que l'argent venant du Patent-office serait
déposé al'Échiquier, et l'on en revintapenser de nou-
vean que l'Échiquier etait par ce seul fait responsable
de l'affaire ; erreur ! D'aprés notre systéme, le chan-
celier de l'Échiquier est l'adversairc né de l'Échi-
quier; on a toute une serie de réglements destinés :'t
proteger l'Échiquier contre son chef', Il y a quelques
1110is apeine qu'existait encore une sinécure lucrative
nommée la charge de contróleur ele l'Échiquier et
ayant pour mission de défendre l'Échiquier contre
son chancelier ; le dernier titulaire de cette charge,
lord Monteagle , avait coutume de dire qu'il se trou-
vait étre le pivot de la. constitution anglaise. Ce n'est
pas ici le lieu el'expliquer ce qu'il entendait par lá,
peu importe du reste; le principal est de savoir que
ptlr suitc de diversos circonstances qui s'étaient suc-
cédé ú la longue, un employé, aprés s'étre rendu
coupable de péculat dans une administration non judi-
ciaire, se trouvait dépendre en fin de compte non
point du ministre des Iinanccs, son chef naturcl,
mais d'un juge étranger qui n'avait jamáis entendu
parler de lui.


L'ensemble des attributions (In lord chancelier est
eomposé d'anomalies. C'est nn juge , el évidermnent
(ous les principes semhlent s'opposer :'l ce qu'on
dmrg'c un jugo <lc lonctions administrntives : il est (




::H)(¡


fort important d'éearter des fonetions judiciaires tout
sujet de tentation. Néanmoins, le lord chancelier,
notro juge principal, siég'e dans le cabinet, et pro-
nonee des discours it la chamhre des lords oü il 80U-
tient les doctrines rl'un partí; lord Lynrlhurst était
un tory declaré, cependant i! n'en a ras moins présidé
dans le procés d'O'Connell ; lord Westhury a toujours
en maille apartir avec les évéques, eependant e'est lui
qui a porté l'arrét rlans l'nffairo des « Essays and
Reviews ». Si le 101'(1 chancclier est rlevenu ministre
du cabinet, e'est paree qu'il se trouvait pres rlu sou-
verain, qu'il jouissait de grandes préséanres h la
cour ; ce n'est nullement ponr ohéir ,'l une 'lH~nrie
politique vraie ou fausse.


Un de mes amis m'a raeonté qn'interrogé un jonr
par un Italien Iort intelligent au sujet des principanx
fonctionnaires anglais, il nvait él(~ IT(;S-emhalTnss('~
ponr le renseigner sur leurs devoirs el surtout ponr
expliquer les rapports de lenrs fonetions re'elles avec
leurs titres. Je ne me souviens pas de tout ce qll'11
m'a dit, mais je n'ai pns nnhlié que l'Hnlien ne pou-
vait parvenir acomprendrc commont il se Iaisait que
le premior lord de la trésorerie n'eüt en rléfinit ivc
rien adéméler avee le trésor, el qne l'administration
des hois eL foréts flit chargéc des (~p'outs dans les
villes, Cette conversatiou avait Ml~ tenue lnngtemps
avant la peste bovino, mais j'aimerais nssez ;\ con-
naitro l~s raisons qu' on ponrra i t ;lIl('~gller pour rc-
rnetlre au conseil privé' II~ soin (le conjurer eelle




épidómie. Certninement , on ne pcu t donner une
raison historique, mais e'cst une raison administra-
rive que je demande, une raison capahlo d'expliquer
non flas comrnent il se fait quc le conseil privé se
trouve chargé de co soin, mais pourquoi 11 doit ('011=
1inucr h en étre chargé h l'avcnir?


L'ahsencc (le tout esprit de systeme el. de tonl cal-
cul régulior dans l'organisation (le nos hureaux ~ld­
ministratifs, étonne beaucoup moins encoré ({IW la
diversité de leur orgunisation sur le seul point. qui
leur soit eommnn. Comme ils se trouvont tous sous
la direction rl'un chef parlemcntairc, ils dcvraient
tons avoir un moyen particulier et un moyen excel-
lent de meUre sous les yeux de ce fonctionnaire élevI;
l' ensemble des affaircs les plus importantes dont ils
5' occnpent. Puisquo ce fonctionuairc gouvernfl en
npportant h son administrntion propre le concours
.l'une intelligenco nouvello , il Iaudrait avant t.onl
meure relte intclligence au courant des affairos. 01',
la plupart des alTaires nyant un caractére semhlahlo
dans leur géJ1('~ral itó , le rouage employé ponr en
dnnner connaissancc au chef qui vient du dehors l](l-
vrait étro :\ pen prcs le rnémc dans Ch:UJllC adminis-
rration ; en tout cas, lorsque ces rouagcs sont diffó-
rents, ils dcvraient l' étre ponr un motif quelconque,
el, quand ils sont semhlahles , cotte rcssemhlanre
rlcvrnit aussi avoir sa raison d'ótro. Cepenrlant , il
n'y n pcnt-Nrc pns denx hranchcs d'nrlministration
p:1rfilitenlf'nl semhlahlns en C(~ qui a trait aux rapports




30H CO?\STlTlJTlO~ A~I;f,AISt<:.


rlu íonctionnaire permanent avec le chef parlemen-
taire. Examinons les Iaits : l'arméo et la marine sont
óvidemrnent les rleux choses qui ont le plus d'ana-
logie entre elles; cependant, pour l'arrnée, il y a un
bureau permanent qu' on nomme Horse quards , qui
n'a pas d'équivalent dans la marine. Et dans la ma-
rine, il y a, par une étrange anomalie , un bureau
d'amirauté, dont les membres changent avec chaqué
cabinet, et qui a pour mission de renseigner le pre-
miel' lord sur ce qu'il a besoin de connaitre. On n'a
pas toujours pu se rendre compte bien nettement des
rapports du premier lord avec le hureau de l'ami-
rauté, et, quant aux rapports du bureau de la guerre
avec les Horse Guards, ils sont entiérement confuso


Le parlement a recu communication d'un elocument
présenté á la chambre des comm~nes, et dans le-
quel on peut remarquer cette singularité que runo
des piéces principales sur lcsquelles s'appuie le tra-
vail a une origine inconnue ; on sait sculcment que
sir Georgo Lewis l'a eu en sa possession quand il étnit
secrétaire ele la guerre il y a trois ans ; les détails ,Ir
cette adrninistration offrent des embarras inextrica-
bles, qu' explique tres-bien la rivalité de deux bu-
reaux juxtaposés. Quant ace qu'on nomme le Board
of trade, conseil ou bureau du commerce, c'est une
figure de langage qui ne s'applique arien, le bureau
avant cessé d'exister depuis longternps. Le président
et le vice-président enx-mérnes ne se réunissent pns
rl;g'uliérement. pour s'occuper (les affaires, C'est SPU ...




LES CIL\:\GEl\IEi.\TS IIE ~1li.\ISTEBE. 309


leiuent en l'ahsence du président que le second, en
vcrtu de son litre, s'oeeupe des aífaires ; el, dans le
cas ou l'un et l'autre ne sont pas trés-liés ensemble,
si le président veut agir par lui-méme et tout seul,
le viee-présidenl ne lit jamais de documents et n'a
absolument rien á faire. A la Tresorerie, il Ya l' ombre
d'un bureau; mais les membres de ce bureau n'ont
aucune autorité : ce sont des fonctionnaires dont tout
le travail consiste, suivant Canning, á (aire une
Chambre, ü la conserver en nombre el ü applaudir
les ministres. L'India office, ou burcau des Indes, a
un eonseil régulier et fixe; mais le Colonial o(fice,
ou bureau des colonies, qui doit veiller anos posses-
sions coloniales et autres, n'a point en ce moment, ct
n'ajamais eu, le moindre consei1. En somme, chacune
de ces administrations diverses peut avoir une honno
organisation en elle-méme, mais l'ensemble n'est pas
assez uniformepour étre satisfaisant.


La nécessité de créer un hureau permanent avec
un chef permanent n'a jamais été soumise aux dis-
cussions qu'une seule fois en Angleterre, et encore il
s'agissait d'un cas particulier, d'une anomalie, et le
déhat n'a abouti qu'á un résultat fort incertain. Quand
la compagnic des Indos-Orientales fut abolie, il Iallut
creer un nouveau hureau pour les affaires indiennes.
Feu M..James Wilson, quiétait fortexpert en matiere
administrative, soutint alors qu'on ne devait pas créer
un conseil en litre, que le vrai conseil d'un ministre,
(~'est un certain nombre de secrétaires bien payés,




;)1U l:oNSTnUTlO~ A:\GLAlSE.


Iort occupés el responsables, que le ministre puissc
consultor ensemble ou séparément ü son gré, el
quand bon lui semble. Ces sccrétaires, d'apres
M. \Vilson, olfrent des garanties de capacité; cal'un
ministre n'ira pas s'emhurrasser el compromettre sa
réputation en nornmant un homme incapablc t't un
poste si voisin du sien) et OÜ il pourrait [aire heau-
coup de mal. JI se peut que dans un hurcau se trouve
quelque memhre insuífisant ; si les autres memhres
el le président ont du talent, on ne s'apercevra pas
de l'incapacité d'un iuemhro ou de dcux memhrcs
qui se borneront atoucher leurs appointcmcnts sans
ríen [aire. Mais un sous-secrétaire permanent, ayant
un controle réel sur des aílaires importantes, doit
nécessairement étre capable, sinon il attire le bláme
sur son supérieur et lui íait de mauvaises aííaircs au
Parlement.


ll n' cst ni dans mes intentions, ni de ma coiupé-
tcncc el'exposer le meilleur systcmc qn' il y aurai I ú
suivre pour orguniscr les hureaux d'udministration
ct réglor leurs rapports avec un chef parlementairc.
Ce n'est qu' aprés un examen attentif des deíails
qu'une personne sans expériencc particuliére du su-
jet pourrait se permcttrc de hasarder une opiuion.
Muis rien n'empóche que je Iasse une remarque, e'est
que le plan de M. Wilson est suivi dans cctte partie
de notrc udminisírntinn qui a le plus de SLLCCl'S, el
qui e.~;l chargce eles « voies el uwycns ». Olland le
chancclicr de l'l~chiqlliul' p1'l"ll~ll'e un lJlld¡..;el, ji (k-




LES CllA:\GE~IE.\TS llE ~IL\ISTEI\E. 311


mande aux Iouctiounuires responsables qui admiuis-
trent les revenus puhlics de Iaire un devis estimatif
des revenus probables, en partant de cette hypothese
préalalrle , qu' on ne Ieru aucun changement et qu' OH
continuera de lever les laxes conune l'année précé-
dente; si, ensuitc, il jugo h propos d'opérer des mo-
.litications, il se íait rernettre un rapport supplémen-
taire. S'agit-il de renouveler les bil1ets de 1'1~chiquier,
ou de Iaire quelquc opération financierc dans la Cité,
il prend l'avis oral ou ócrit du íonctionnaire le plus
capahle et le plus responsable qui se trouve dans les
hureaux de la delte nationale et de méme a la Tréso-
rerie. M. Gladstone, qui est assurément le meilleur
chancelier de l'Échiquier de notre temps et l'un des
meilleurs qui aient jamais été, a souvent l' occasion
d'exprimer sa gratitude pour tout ce dont il était re-
devahle ú ces hábiles conseillers. Plus un homme se
connuit lui-méme et plus il est rompu ala pratique
des allaires, plus il est porté aprendre el a appré-
cier les avis (luí émancnt de personnes capahles et
cxpérimeutécs. CeLLe précuution a ele bons résultats,
on le voit, cal' nous avons sans contredit le budget
le mieux íait qui soit au monde. Pourquoi les autres
parties de l' adrninisuution n' arriveraient-elles pas
au méute degré de pcrlection, si on leur appliquait
la méme móthode?




VIII


FHEINS ET CÜNTHE-PÜIDS
DE LA CONSTITUTION ANGLAlSE.


Dans un chapitre précédent, j'ai consacré une
étude á comparer l' une a l' autre la forme monar-
cliique et la forme non monarchique du gouverne-
ment parlementairc..l'ai démontré qu'au momenl oh
un ministére s'organise et pendant qu'il est en fonc-
t.ions, un monarque réellement habile pourrait étre
d'une grande utilité ; j'ai prouvé qu'on se trompe en
supposant que, dans ces circonstances, un monarque
constitutionnel n'a ni rule ni rlevoirs arcmplir ; mais
j'ai prouvé aussi que le caractére, les dispositions el
les facultés nécessaircs pourpermettre aun monarque
constitutionnel d'étre utile en ce cas, sont choses fort
rares, aussi rares au moins que le génie d'un mo-
narque absolu, et que, placó sur un tróne constitu-
tíunnel, un homme médiocre y peut faire autant de
mal que de bien, et peut-étre plus de mal encare que
de bien.




FHEIl\S El ClI:\THE-I'OIIlS DE LA CON8TITUTION. 313


JI m'était impossible d'examiner eomplétement la
ligue de eonduite qu'un roi doit tenir ;\ la sortie d'une
administration. C'est alors, en effet, que peuvent
étre mises en reuvre des prérogatives aeeordées au
gouvernement par notre eonstitution, e'est-a-diré le
droit de dissoudre la ehambre des eommunes et le
droit de créer de nouveaux pairs, Tant qu'on ne eon-
naissait pas dans leur nature la ehambre des lords
et la chambre des eommunes, il n'y avait aucun moyen
d'établir les prémisses néeessaires pour expliquer
l'action du roi sur le parlement. Nous avons mainte-
nant examiné les fonetions des deux ehambres, et les
effets d'un ehangement ministériel sur le systéme
administratif; nous sommes done en mesure de dis-
euter les fonetions que remplit un roi lorsqu'un mi-
nistére se retire.


Peut-étre paraltrai-je un peu métieuleux sur ce eha-
pitre, mais je le suis adessein. Il me semble que ces
deux prorogations dont le pouvoir exéeutif est revétu,
de dissoudre les eommunes et d'augmenter le nombre
des pairs, eonstituent deux des parties les plus impor-
tantes et les moins appréciées de notre organisation
politique, et qu' on a eommis des milliers d'erreurs en
eopiant la constitution anglaise sans en tenir eompte.


Hobbes a dit, il Ya longtemps, et tout le monde
cornprend aujourd'hui que, dans un l~tat, il faut né-
-cessairernent une autorité supréme ; il faut que,
sur ehaque question, une uutorité quelconque ait le
dernier mol.


IlAGEIIOT, 10




LO~STlILTlO.' A:\GLAlSE.


C'est l'idúe móiue du guuvernement qui implique
cette nccossité, des qu'on en cst bien penetré. Mais
il y a deux systernes de gouvernclllcnt : dans l'un,
I'auturité qui decide en dernier ressort cst toujours
la mciue ; dans l'autre, cette autorité varié suivant le
cas, et appartient tantót a un mernhre du corps poli-
tique et tantót a un autre. Les Américains out cru
iuiiter Iidélement l'Angleterre en établissant leur
coustitution sur ce dorniel' príncipe, en donnant le
pouvoir supremo tantót al'un des mcmbres du corps
politique et tantót a l'autre, selon les iuatieres, Mais
la vérité est que la constitution anglaise est fondee
sur le principe opposé, elle nc reconnait qu'une au-
torité supróme dans toutes les circonstanccs. Pour
éclairor \Ívement la diílérence qui existe entre les
deux systernes, voyons ce que les Américains out fait.


D'abord, ils ont conservé ce dont ils ne pouvaient
glle1'e se passer, la souveraincté des États particuliers.
Ln article Iondamental de la constitution fedel'ale de-
clare que les pouvoirs non « delegues » au gourcr-
ncmcnt central sont (( reserves » aux États respectifs.
Et les événemcnts récents , peut-étrc méme tous les


r , r E IT' Ievcuemeuts passes, n ont pas eu aux j taLs- Jl1lS te
cause plus determinante (Ille celle-Iá. La souvcraincté
dans les principales maticres el' ordre politique n'a
pas appartenu au gouverncluent genéral, iuais aux
gouverneUlCl1ts suliordonncs. Le gouvernement Iédé-
rul ne pouvait íouchcr it l'cscluvagc, ccíte ( institu
tion domestique » (1ni divisait I'Linion en deux pal'-




FIlEI:\S ET CO\THE-l'OlJ)S nE LA I:O~STITllTIO~. 315


I irs .Iissomblnhlos au point (le vue ele la morale, de la
politique el, de la société, el. qui, cntin, a mis le Nord
et le Sud en conllit. f:e Iait politique détcrminant ne
rentrait pas rlans laj uridiction du gouvernement leplus
ólevé, ou ron rloit s'attendre ü trouver le plushaut dc-
gTI~ de sagessc, du gOllYerncment central ou doit se
trouver le plus d'impartialitó, mais dans Iajuridiction
propre des gouvernements loeaux ou les intéréts mes-
quins devnicnt (,tl'(~ naturellement écoutés, et ou des
lalentsmédiocres devaient avoir le plus Iacilcmcnt leur
entréc, De ecHe farnn, le fait politique le plus impor-
lant Mai!. róservé au jugcmcnt des autoritós secón-
daires,


Un nutre Iait , le seul comparable il I'esclnvage
sous le rapport de l'influence qu'il a eue aux lhats-
Unis, a dü son existencc ;'l l'nutorité des États partí-
culiers. La dérnocratie excessive, qu'on signale en
Amérique, cst un résultat dont la canse ne remonte
point ú la l,"gislal.ion férlóralc, mais ü la législation
particulióro des lhal.s. Il'aprés 1:1 constitution Iódéralc,
uncles ólementsprincipaux rlu mécanisme politique est
confié úla discrótion des g;ouverncmcnts suhordonnés.


e,


L'une des clauses rlu pacte fód6ral declare que pour la
nomination des mcmbres qui rloivent composer ]:1
Chamhredes reprósentants dans le gouvernement cen-
11':1], les qualitós requises <les électeurs seront les
mémos dans chaqué J~:tat que pour la nomination de la
lirnnchc la plus nomhreuse de sa législature; 01',
ronune chaquo ]~:tal fixe lui-mérne les qualités re-
.~


.9 '1
;~
;:'$




:Hti CONSTITUTlUN ANl;LAlSE.


quises des électeurs pour la nomination des memhrcs
qui composent les chambres de sa législature, il fixe
par cela mémecelles qu' on exige des électeursappelés
á choisir la chamhre des représentants fédéraux.Tlne
autre clause de la constitution fédérale accorde aux
États le droit de fixer les qualités requises des électeurs
pour la nomination du président. Ainsi, l' élément
fondamenLal d'un gouvernement libre, c'est-á-dire le
droit de décider dans quelle mesure les citoyens peu-
vent participer á la direction des aflaires, dépend en
Amérique, non point du gouvernement central, mais
de certains corps poli tiques locaux subordonnés quí,
parfois, comme dans le Sud, lui sont hostiles.


Il est vrai que les auteurs de la constitution n'a-
vaient pas trop achoisir. Les plus sages d'entre eux
désiraient accorder au gouvernement central le plus
de pouvoir possihle, et en laisser le moins possible
aux gouvernements locaux. Mais un cri s'éleva pour
les accuser de créer ainsi la tyrannie, de détruire la
liberté, et gráce á cette opinion les préjugés locaux
eurent un facile triomphe. Tout le mécanisme du
gouvernement fédéral nous fournit le spectacle d'une
organisation poli tique dans laquelle ce que j'ai
nommé «les parties imposantes» du gouvernemen
ne s'accordent pas complétementavec les partiesutiles..
Les États particuliers sont les patries anciennes qui
nttirent et conservent l'affecLion el. la fidélité des ei-
oyens; le gouvernement férléral est une chose utile,
mais nouvelle ct sans auraits.




FHEIl'1S ET CONTHE-POIOS DE LA CO~STITCTION. 3D


II faut que le gouvernement central fasse des con-
cessions aux gouvernements des États particuliers,
cal' illeur doit son pouvoir moteur; ce sont les gou-
vernements auxquels est assurée l'obéissance volon-
taire du peuple. Dans les pays OÜ les gouvernements
locaux n' ont pas su conserver l'affection du peuple,
ils sont condamnés á disparaitre comme ont disparu
les petits potentats d'Italie et d'Allemagne. Alors, la
fédération est inutile, un gouvernement central étend
partout son autorité unique.


Mais la division de la souveraineté d'aprés la con-
stitution américaine est bien plus complexe encore.
La part d'autorité laissée au gouvernement fédéral est
elle-rnéme divisée et subdivisée. Prenons l'exemple
le plus frappant de cette vérité. Si le congrés décide
de tout en matiére de législation, le président est
mailre absolu en matiére administrative. La constitu-
tion n'établit entre eux qu'un seullien pour mainte-
nir l'unité de desseins; le président peut opposer son
véto aux lois dont il n' est pas satisfait. :Mais quand
les deux tiers des membres de chacune des chambres
sont du méme avis, comme il est arrivé récemment,
le congrés l' emporte sur le président et se passe de
son approbation.


Ainsi, voilá trois dépositaires de l'autorité légis-
lative suivant le cas : d'ahord, le congrés et le
président quand ils sont d'accord, ensuite le prési-
dent quand son véto est respecté; enfin, les deux
tiers des memhres de chaque chamhre quand le


18.




::l18


congrés passe par-dessus la volonté présidentiello. J1
est certain que le président ne doit pas mettre hcau-
eoup d'empressement á exécuter une loi qu'il n'ap-
prouve point. Sans rloute, on peut le metlre en accu-
sation s'il se rend coupable de Iautes graves, mais
entre une négligence criminelle et un cmprcssement
zélé il y a beaucoup de degrés. M..Iohnson n'accom-
plit pas les preseriptions du hill relatif au hureau (les
aífranchis aree autant d'ardeur qu'en aurait mis álo
faire M. Lincoln qui approuvait cette mesuro.· La
constitution amérieaine a un systóme particulier
pour varier l'autoritó suprérne en matióre ](Jgislatire
suivant le cas, et ponr en sóparer l'autoritó adrninis-
trative dans tous les cas.


Mais l'autorité administrativo elle-méme ne de-
meure pas simple et indivise. Une des parties les plus
importantes de l'adrninistration , e'est la politique
internationale ; en cette matiére, l'autoriíé supréme
nppartient non pas au prósirlent, encoré moins á la
chamhro dos représcntants, mais au Sénat, Le pré-
sident ne peut faire des Iraités qu'avec I'assontirnen!
des eleux tiers des sénateurs présents. Ainsi , la son-
veraineté, sous ee rapport, e'est-á-diré en ee qui con-
cerne les plus graneles questiors de politique interna-
tionale, est eonfiée á une partie du eorps politiqu«
complétement distincte de l' ndministration ordinairo el
du pouvoir législiltif; enfín, elleoceupeune placeá parto


C'est le congrés qui declare la guerre, mais il luí
serait hieu rlifficile, aprés los lois Iaites dans ces der-




niors tomps, d'ohligr,r Ir pr,"siflcnl i\ sif:,'nel' la paix.
JI cntrait óvidemment dans l'csprit des homrnes (n~­
tat qui ont t'~lahli la oonstitution fédérale, de donner
nu cougrés le droit de contróler les actes de l'exécutif
cornme le parlementlc fait chez nous; el" dans ce hut
ils nvaicnt accordé exclusivemcnt ;\ la chambre des
représcntnnts la facultó de valer les suhsides. Mais ils
comptaient sans « le papier monnaie )), et voilá (fu'on
n attrihué au prósident le droit d'émettre du papier-
monnaie sans consultor le congrés, Pendant la pro-
micro partir de la dcrniérc lutte, M. Lincoln a cm-
ployó ce mo)'en puur subvenir aux Irais de la guerre,
il ne seservnit point d'argent voté par le congrés, mais
.l'une prórogative fluí luí permettait el' émettre des
valeurs fiduciaires. Cela parait étre une plaisanterie,
mais rien de plus vrai que ce Iait : on a dócidé (fue
le prósident pouvait érnettrc des « Greenbacks )) en
sa qualité rlo commandant en chef, et en vertu de ce
qu'on nomme la l1I~cessif(~ militaire. On avait besoin
fl'argenl pendan/la derniérc guerre, et l'administra-
1ion en a ohtenu ,par In moyen le plus simple; el la
nation, heurcuse (1' óchapper aux laxes, a entiére-
ment approuvé ce systóme. 11 n'en reste pas moins
que le président a maintcnant, gr:'lce :i un précédent
el: :'t une (Mdsion, un puissant moyen de continuer
la guerrc sans I'asscntiment du congrés et peut-étre
coutre sa volonté. Assuróment, si la dósapprohation
rlu peuple se Iaisait cntendrc d'une maniere énergique,
1111 IWI'~,(len\ se \.rnnwTait rl'lhüt :\ l"mpu'~~anee, i\




:320 CONSTITUTION ANGLAISE.


n'oserait lui résister, l'esprit du pays et de la nation
ne lui permettrait pas de le faire. Mais si, comme on
l'a vu récemment, la nation était divisée en deux par-
tis, 1'un favorable au président, l' autre au congrés, le
droit indiscutable qu'a aujourd'hui le président d'é-
mettre du papier-mon naie lui assurerait les moyens
de continuerla guerre, bien que le parlement, comme
nous dirions, lui ordonnát d'y mettre fin.


Enfin, la sphére qui renferme les plus graves ques-
tions de l'ordre politique est placée aux États-Unis hors
de l'orbite gouvernemental, elle dépend d'autorités
spéciales. Quand il s'agit de modifier la constitution,
les autorités constitutionnelles n'ont aucun droit de le
faire, ce sont des autorités extra-constitutionnellesqui
ont seules ce droit. Toute modif1cation au pacte íédé-
ral, qu'elle soiturgente ou insignifiantc, doit étre sanc-
tionnée au moyen d'un mécanisme compliqué oü en-.
trent les États.et leurs législatures. Il en résulte qu'il
n'ya pas de remede prompt, méme pour les défauts
les plus dangereux de la constitution, qu'il faut avoir
recours aux fictions les plus absurdes pour déjouer
l'effet de clauses mauvaises, que la lenteur dans les
mouvements et la subtilité des discussions déparent
la vie politique du peuple le plus franc elle plus ac-
tif qui soit sur la terreo Les arguments qu'on produit
dans la pratique légale en Amérique rappellent al'es-
prit l'image de ces exécuteurs teslamentaires qui
s'efforcqnt d'interpréter un codicille mal fait; leurs
intentions sont excellentes, mais elles ne peuvent




rnsixs ET CONTlU';·POIDS O}<.; LA CONSTlTUTIO:\. 321


concorder parfaitcment,' ni s'cxprimer simplement,
tant elles trouvent d'obstacles dans les termes suran-
nés d'un testament bizarro.


Ces exemples, el d'autres qu'ou y puurraitjoindre,
iuontrent, comme l'histoire le Iait aussi d'ailleurs,
quelle était la véritahle pensée de ceux qui ont fait la



constitution américaine. Ils hésitaient aplacer la sou-
veraineté dans une main quelconque, craignant d'en-
gendrer la tyrannie. George III avait été pour eux un
tyran, et, atoute aventure, ils ne voulaient pas don-
ner aleur pays un George III. Les théories régnantes
leur disaient que la constitution anglaise divisait
l'autorité souveraine et, pour imiter l' Angleterre, ils
ont fractionné l'autorité souveraine dans leur con-
stitution.


On voit quels en sont les résultats : aun moment
critique tel que celui ou ils se trouvent, il n'y a, aux
Ihats-Unis, aucun pouvoir prétárnarcher et á résoudre
promptement les questions. Le Sud.nprés une grande
insurrection, se trouve aux pieds de ses vainqueurs;
ses vainqueurs out a décider de son sort; ils ont á
déterminer les conditions moyennant lesquelles les
séparatistes pourront redevenir citoyens de 1'Union,
voter, avoir des représentants, et gouverner peut-étre
comme autrefois. Difficile probléme que de convertir
des ennemis vaincus en amis libres! Si les États du
Nord veulcnt assurer le payement de leur grande
dette publique et assurer ainsi dans l'avenir leur
('1'{'dit el leur pouvoir de faire lag'uerrc, il ~'agit pent-
,*'~'~'~"


;r •
,~




322 CO:\"STlTrTlOl\' Al\'CLAISL


cf.rp pour eux de ne pas coníier une trop grande part
dautorité ¡\ des gens qui ne voient dans cette rlette
que le prix de leur défaite, et qui doivent avoir une
tendance naturelle ü la répudicr mnintenant que leur
propre dette, e'est-á-diré le prix de leur défense, a
été abolie par les États du Nord. Il y a aussi une po-
pulation autrefois asservie, qui aujourd'hui est :'t 1;1
merci de personnes pleines de haine et de dédain POUl'
elle; eeux qui l'ont affrnnchie sont tenus de lui aplanir
les voies dans lcur nouvelle carriére . Jadis.Tesclave
était protégé par ses fers, il avait une valeur vénale,
aujourd'hui qu'il s'appartient :'t lui-mémc, personne
n'a intérét ace qu'il vive; il est á la merei des « pe-
tits blancs » auxquels il fait concurrence pour le tra-
vail, et qui le regardent avcc un mépris mrlé de dé-
/S'oÚt. e'est le plus granrl probléme moral el le plus
terrible prohléme politique dont l'histoire íasse men-
tion qul est, en ce moment, posé au peuple arnéri-
cuino Mais il n'y a, de sa par!', ni rlócision, ni mérne
possihili té de décision. Le président vcut suivre une
ligne de conduite et peut empécher qu' cm suive toute
autre ; de son ct>lé le congrós a la sienne avee le
méme pouvoir. Le fraetionnemenL de la souveraineté
équivaut al'ahsence totale de l'autoriLé souveraine.


Les Américains de 1787 croyaient copier la con-
stitution anglaisc, mais ils ont fait le conLraire. Le
gouvernement américain est le type des gouvernc-
ments eomposites, dans lesquels l'autorité supréme
es! rlivisée entre plusinurs corps politiques Al. ]1111-




fl,EI~S El' cuxna':-PÚlDS DE LA CONSTlTLTlÚN. 323


sieurs fonctionnaires; le gouvernement anglais est,
au contraire, le type des gouvernernents simples
danslesquels l' autorité souveraine sur toutes les ques-
tions est eonfiée aux mains des mémes personnes.


Il'apres la constitution anglaisc, l'autorité supremo
appartient :'t une ehambre des eomrnunes qui vient
d'étre renouvelée par l'élection. Que la question á
décider soit de l'ordrc adrninistratif ou législatif', pen
importe; peu importe aussi qu'il s'agisse de matiéres
qui affectent l'ossence de la eonstitution ou de détails
rclatiís ü la YÍo ordinaire ; qu' il faille se résoudre á
déclarer la gnerre ou la continuer, a imposer une
taxe ou á émettre du papier-rnonnaie, que ce soit
une question ayant trait aux Indes, a i'Irlancle ou a
Londres, e'est IIune nouvelle chambre des communes
qu'appartient, d'une maniere absolue, le droit de dé..
cider en dornier ressort.


La chambro des eummunes, comme on l'a expli-
(ltH:" pout uccorder ú la chamhre des lords un pou-
voir ele révision, el se soumeure, pour les affaires
dont elle n'a pas granel suuci, au véto suspensif de
ccttc chambre ; mais lorsqu'elle se sent Iorte de I'as.;;
sentiment populaire, lorsq u'elle vient de passer par
l'élection, elle él une uutorité absolue, elle a le droit
de gouverner conune elle l' entcnd , de prendre les
décisions qu'elle jugo convenahle de prendre, et elle
a les meilleures garantics que ses déeisions ne seront
pas vaines ; ellc peut assurer l' exéeution de ses dé-
c1'c18, cal' elle nonuue l'exócutií'; elle peut punir de la




314 LOl'STITUTION ANGLAlSE.


Iacon la plus sévére toute négligence cn renversant
I'exéeutif. Pour aeeomplir ses volontés, elle n'a qu'á
ehoisir des ministres ayant les mémesvolontés qu'el! e-
méme, elle sera süre ainsi que sa volonté sera faite.
Une majorité déterminée par la eonstitution peut, en
tombantd'aeeord dans les deux ehambres du congrés,
mettre anéant l'opposition du président, mais cellc
des chambres qui, dans notro parlement, représente
l'élément populaire, peut donner it un ministre le
pouvoir exécutif et le lui arracher.


En un mot, la constitution anglaise a pour hut de
confíer l'autorité souveraine ú un seul pouvoir
qu'on choisit, et de maniere á ce qu'il soit de bonne
qualité , la constitution américaine distribue, au con-
traire, la souveraineté entre plusieurs pouvoirs, dans
l'espérance que le nombre rachétera l'infériorité
particuliére de chacun d'eux. Les Américains préco-
nisent beaucoup leurs institutions : ilsse privent ainsi
des éloges qu'ils méritent réellement. Mais il est vrai
de dire que s'ils n'avaient pas un véritable esprit po-
litique, une modération dans les acles, qui est fort
singuliére dans un pays OU, ane considérer que la
forme, la parole a tant de violenee, s'ils n'avaient pas
pour la loi un respect tel que n'en a jamais montró
un grand peuple, et qui dépassede beaucoup le nótrc,
la multiplicité des autorités qu'établit la Constitution
américaine auraient eu depuis longtemps un résultat
désastreux. Des actíonnaires qui ont du hon sens, me
disait un jour certain PI'UCUl'CUl' íort cxpert, peu-




FREINS ET CONTRE-POIDS DE LA COl'\STITCTIüN. 325


vent se tirer d'ullaircs avccuu ;\elede société quelcon-
que; jo crois que de mciue, les habitants du Massa-
clrusetts s'accommuderaient (le n'importe quelle
Constitutiou (1). Mais la philosophie politique doit
appliquer l'analysc ;\ l'histoire ; elle doit distinguer
Ja part des qualitós qu'un peuplo possédo el eelle des
iustituí.ious qui le l'égissent, il Iaut qu'elle calcule la
pUl'tée exacto de chaque clémcnt constitutionnel, au
risque de d/'Iruire ainsi les idoles de la multitude :
elle arrive de celt(~ maniere Ú découvrir l'endroit se-
crct ou rcsident les Iorces véritables en un point
Olt peu de pcrsonues s'attenrlaicnt a les rencontrer.


Quanl ;t l'importance de l'unité d'action en poli-
tique, je pense que nul ne la revoque en doute. Bien
qu' on puisse definir séparément chacune des parties
qui ycollaborcnt ; la politique est un tout harmonieux.
Elle a pour instruments eles lois et des administra-
teurs ; tantót c'estl'un, tantót c'est l'autre qu'elle ern-
ploie, mais ámoins de rnanier hicn Iacilement cesdeux
inslrumcnts, elle cst 1'01'1, onipcchéc ; Ú moins de Ies
avoir absolnmcnt ú sa disposition, elle ne fail qu'une
leU\TC imparfaitc. La nature complexo des aflaires
humaines exige que le urouvcment soit imprimé
avec énergie par une seule main ; si une force spécialo
Iaisait mouvoir chaque partie, on n'aurait qu'un a5-


(1).Ie ne parle J1a~ id, hicu onleudu , ni du Sud, ni du Sud-Esto
.luus lcur état actucl, Commcnt UII gouvcrncmeut libre peut exister
au milicu de sociétés oú fcrmcntent tant de mauvaís élémcnts,
ccst lt'l ce que jc lHI pcux concevoir,


OAGEIIOT. 19




026 CONSTITUTION ANGLAISE.


semhlage de faits incohérents, en supposant méme que
ehacune de ces force s aurait assez de vitalité pour
produire un etIet quelconque. e'est le mérite propre
de la Constitution britannique d'avoir créé cette unité
d'action, d'avoir organisé I'autorité souveraine de
telle facon qu'elle füt forte et efficace.


Ce résultat heureux est dú surtout á cet arrange-
ment particulier de la Constitution anglaise qui donne
le choix de l' exécutif'á laChambre populaire, mais on
n'aurait pu l'atteindre complétement si notre Consti-
tution ne renfermait deux éléments que je me hasarde
anommer, l'un sa «soupape de süreté» , l'autre son
« régulateur. »


La soupape de süreté e'est eette partieularité de la
Constitution dont j'ai montré longuement l'avantage
dans mon étude sur la Chambre des lords. Le chef
de l' exécutif peut vainere la 'résistance de la Chambre
haute en nommant de nouveaux pairs; s'il n' est pas
appuyé par la majorité, il peut se faire une majorité.
Cette soupape de sureté est extrómcmont commodc.
Elle permet á la volonté populaire, que l'exécutif est
chargé d'exprimer, puisqu'il est nommé par elle, de
porter dans l'enceinte du domaine constitutionnel des
aspirations et des visees que l'un des corps politiques
refuse d'accepter ; elle offre une libre sortie ti des sen-
timents qui, comprimés, seraient dangereux el pour-
raient mettre la Constitution en piéces, comme il
est arrivé souvent dans d'autres pays ou l'explosion
de l'esprit populaire a détruit les gouvernemcllts.




FREINS ET CONTHE-POJDS DE LA CONSTITUTlON. 327


Le régu/aleUf, s'il JIl'esl perrnis d'employcr ce
mol, c'est le pouvoir qui est accordé ú l' exécutif
de dissoudre la Chambre des communes qui, d'ail-
leurs, et souscelte reserve, est souveraine. Nousavons
vu tout au long, dans un chapitre précédent, quels
sont les délauts de celte Chambre populaire. On peut
les résumer hrievernent en trois points :


Prcmiérement. - Le caprice cst le défaut le plus
ordinaire et le plus redoutahle d'une Chambra qui
choisitdesgouvernunts. Dans cclles de nos colonies ou
le gouvernclllentparlementaire n'a pas de succés, ou
parait n'en avoir point, e'est :'t ce défaut qu'on doit
attribuer surtout ce fácheux résultat. On ne peut ob-
tenir de l'Assemblée qu'elle conserveune administra-
tion ; elle jette sesvues successivement sur des minis-
tres divers, eln'a jamáis ainsi un gouvernement stable.


Secondement. - L'organisation des partis qui a
pour hut de remédier au caprice d'une Chambre, en-
trninc elle-ruóine un autro inconvénient.1l n'y a qu'un
moyen d'ohtenir que la majorité fasse corps et per-
melle a une administration d'étre durable dans un
gouvcrnoment parlernentaire ; e'est el'organiscr les
partís. Mais eette organisation tend ú en augmenter
la violence et l'animosité. En somme, elle soumet la
nation entiére á la prépondérance d'une fraction choi..
sic á cause (le sa spécialité. Le gouvernement parle-
mentaire est, dans son esscnce, un gouvernement de
sectes, il n'est possible que lorsque les sectes y ont de
la cohésion.




Troisiómement. -- Un parlernent, couunc luus les
nutres souverains, a ses sentiments, ses préjug(~s, ses
intéróts particuliers, il peut en rcchercher la satis-
Iaction coutrc le désir et móme centre I'avantugc du
pays. Il a son égolsme aussi bien que son caprice el
son esprit de parti.


Le jeu du régulatcur dans le rnócanisrno constitu-
tionnel est fort simple. Il n'aílaiblit nnllcment l'auto-
rité spócilique des parlemcnts en gt"néral, il porte
alteinle seulcment au Parlement sur loquel il s'cxercc
en particulier. Grace ft ce róguIatcur, une personnc
élrangere au Parlement pcut.lirc : «Me1l1bres du Parle-
ment, vousne Iaites pas votrc devoir, vous cédcz il votrc
caprice au détriment du pa)"s ; vous oheissez a la voix
ele votre intéré! nu detriment du pays ; je veux savoir
si le pays approuve ou n' appronve pas votre conduite;
je ferai appel du Parlemcnt n° 1 nu Parlcmcnt na '2,»)


Pour bien apprécicr ceuc particularitc de notro
Constitution, il n'y a ricn de mieux que d'cn suivre
l' cllet, d'exauiincr, COlUI1lC llOUS l'avons Iait pour les
nutres pouvoirs de la royauté, jUS(lU'Ú quel poinL cet
ell'eL cst indcpenrlant de rexislence d'un roi ll(~rédi­
taire, ct dans quollc mesure un premicr ministre
chuisi par le l'arlernent pourrait lui-mérnc lcproduirc.
En ctudiant le caractóre de la pcrsoune ;\ laqucllc est
confié l' exercice de ce pouvoir , on rcconnait claire-
mcnt la uature de ce pouvoir lui-uuunc.


EL d'abord, en ce qui a lrait au caprice dont ce
I'arlemcnt Iait prcuvc dans le choix (les ministres,




FHEL,~ ET CO:';'['l\E-POInS nE LA CONSTITUTION. 329


quelle prl'SOnllr pcnt micux ([nr toutc nutre y remé-
dier. Évidemment c'cst le premier ministre Iui-móm«.
e'es! Iui qui est le plus intóressé ü conservcr son ad-
rninistratiou, par consóquent e'est lui qui ost le plus
capable d'cmplover ntilement et ndroitemcnt les


1 1,. . l'movens < e se conserver. 1 mtervennon ( 1111 mo-
narqur cst, .lans ce cas, prójurliciahlo. Un Parle-
ment capricicux peut toujours nourrir l' esperance
que le capricc du roí Iiuira par coincider avec le
sien. Au temps ou Ccorgc 111 attaquait ses ministres,
le preruier min istre manquait ordinairernent de l' au-
torité qu'il aurnil dl'1 avoir. C'etait encourager les
intrigues, paree qll' OH avait le droit d'espérer que
peut-étre le ministre detesté par le roi n'ohtiendrait
pas I'autorisation de faire appel au peuple contrc ceux
qui intriguaient, et l'on pensait que, dans ce ras, le roi
conspirant de son c()l(~, pourrait choisir un des con-
spirateurs pour le remplacer. Le meilleur moyen de
rCJl1(~dier au caprice du Parlcment, e'est de donner
le pouvoir de .lissoudre la CIJamIJre au ministrc choisi
par elle-un-me, cela vaut mioux que (le réservcr ce
pouvoir á une autorité étrangcre.


Mais si, au contruire, il Iaut remédier it l'esprit de
parti et :\ l' ógolsme da Parlemcnt, le plus sür est de
conficr le pouvoir de dissoudre la Chamhre :\ une au-
loríl,(~ qui n'est liée par aucune attache au Parlement,
el qui n'en dópend pas, en supposant, bien entendu,
que ceue autorité oxlrn-parlementnire est, au point
di' vuo moral el intellcctucl, digne du pouvoir qu'on




330 CONSTlTl1TION ANGLAISE.


lui confie. Le premiar ministre étant nommé par le
partí qui compose la majorité, doit évidemmentépou-
ser ses préjugés, et, en tous cas, il est obligé de
dire qu' il les partage.


Il est vrai que le frottement des aflaires est de na-
ture a retirer it un ministre tout préjugó el tout
fanatisme , la pratique devant corriger beaucoup
d'appréciations fausses qui pourraient trouhler son es-
prit.Parmi les conservateurs qui composcnt un cabinet
tory, il en cst plus d'un qui rcgarde son partí comme
fort arriéré intellectuellement, qui ne parle pus la
méme langue que les tories ou qui du moins ne la
parle que par condescendance et avec des aparte, qui
respecte leurs préjugés paree qu'il y voit les énergies
virtuelles qui le maintiennent au pouvoir, mais qui
les dédaigne au fond, bien qu'il leur doive l'existence,
Il ya quelques années, M. Disraéli disait du ministére
de sir Robert Peel, le dernier ministére tory qui ait
eu une autorité réelle, que e'était la coalition dc l'hy-
pocrisie, tant il trouvait que les idées rlu chef repon-
rlaient peu aux idees de ses adhércnts ; M. Disraéli
comprend probahlcmení aujourd'hui, s'il ne l'a pas
toujours su, que l'air de Ilowning-street donne á eeux
qui le respirent des idées particuliéres, el que les
préjugés violents et entiers de l'opposilion s'apnisent
el se fondent dans le grand courant des aílaires. Lord
Palmerston, on le sait, était un (le ces types d'h0111-
mes d'État qui cherehent plutót acalmer qu'á exeiter,
:'t adoucir plutót qu'a aigrir leurs partisans.




FREINS ET CONTRE·pOmS DE LA CONSTITUTION. 331


Mais, hien que le contad des difficultés dépouille
ordinairement un premier ministre de la livrée gros-
siére du partisan sans modération, un tel ministre
n'en garde pas moins certain esprit de parti qui, par-
Iois, peut étre violent; dans ce cas, il n'est pas íait
pour corriger son parti, Quand la secte qui a la pré-
pondérance au Parlement se conduit autrement que
la nation ne le désire, il Iaut faire aussitót appel au
peuple, iI Iaut dissoudre le Parlement. Mais un pre-
miel' ministre fanatique ne consentirait pas afaire
cet appel, il suivrait aveuglément ses doctrines,
eroyant qu'il est utile au pays, quand peut-étre il
n'aboutit qu'á pousser des maximes étroites. jus-
qu'aux limites ou elles rencontrent l'impopularité. En
cette occurrence, un roí constitutionnel tel qu'était
Léopold I", et tel qu'aurait pu l' étre le prince Albert,
a une valeur sans égale ; iI peut el il saura en ap-
peler au pays, il peut empécher le Parlement de nuire
nu pays el il n'y manquera point.


Quantú J'égolsmc du ParlemenL, il doit évidemment
dre reprime par une autoritó étrangere ; une auto-
rité parlementaire ne pcut l'arréter. Un premier mi-
nistre nommé par le Parlernent est capable de parta-
gel' les mauvais insLincts de ceux qui l'ont choisi; en
tous cas il peut avoirspéculé sur ces mauvais instincts
et avoir semblé les partager. Lesvues intéressées, les
rendances de l'assomblée Ú l'agiotage, ne seront cer-
taiucment pour lui que des considérations Iort secon
.Iaires; son principal souci sera de maintenir son




332 CONSTITlJTION ANGLAISE.


ministéro au pouvoir, qu'il soit ou qu'il no soit pas
mtéressé ú ces pratiques corrompucs. Il 11' nnra pas
l'i.lée de faire un acte impopulairr-, Ilans l'orrlre na-
turel, une assemblée nouvellc devant t~lrc nommér
avant longtcmps, il ne voudra pas indisposer les t~lec­
teurs d'ou celte assemhlée doit emancr'. Mais bien
que l'intérét d'un ministre ne puisse s'accommodcr


.d'un agiotage ellroníé, il tolércra l'agiotagc dnns une
certaine mesure, il temporisera, il essayera de rcvetir
rl'une apparence convcnable des faits inconvcnants,
de permettro assez d'abus pour contcnter l'assem-
hlée et pas assez pour mócontentcr le pays; il ne
craindra pas de se rendre particeps crimiuis ; seule-
ment il s'efforcera d'atténuer la culpahilité. C'est
alors que l'intervention d'une autorité étranger« im-
partialc el capable, s'il s'en trouvo une avant ces
qualitós, sera d'un tres-granel secours ponr réprimer
l'avidité de l'assembléc qui choisit les ministres;
comme elle sernit utile pour y ¡"Irindrc 1(' fanruismc
politiqueo


Mais 01I trouver cene autoritó ? A mon sens, on l'n
déjá trouvée, avec ces qualités, POUl' certaius Parle-
ments. Les gouvcrneurs ele nos colonies sont de y,',-
ritahles Dei ex machina. lls ne pcuvcnt manquor
d'étre intelligents tunt leur esprit est aux prises avcc
des elifficultés ; ils ont naturellement de l'impartialité ,
cal' venant des extrérnités du monde, ils ne sauraicnt
avoir les vues intéressées de quelques colons, nttcn.ln
qu'avant d'arriver á la réaíisation (le leurs projets,




FnEI~S ET c.O~TnE-pOIDS DE LA CO~STIT[TIO~. 333


ils seraiont dój;\ revcnus rlnns l'nutrc hémisphóro oú,
en présence de visagcs pi de caracteres nouveaux, ils
n'aurniont presque plus l'oocasion d'apprendre ce (fui
se passe dans un pays dont ils ne se souviendraient
prcsque plus. Un g'ouverneur colonial est une auto-
ritó supra-parlementaire, nniméc d'un esprit dont la


1, l' , . . 1 1 l' "sagcsse a lCll ( otro gram e, ot ( ont expericnce esl
dillerento de celle que pcut avoir le Parjcmcn t local,
101's móme qu'elle ne lui est pas supériourc. Mais
1, , 11' . " , '1'arantage fIu o re cette autor: t(~ etrangcrc s aCH'Le
au prix d'incouvénients qu'il ne faut pas se dissimu-
ler, eu égal'd ú ce qui les contrc-halnnce. Le gouver-
neur rl'une colonie n'a pas dintérét permanent dans la
colonie qu'il gOllYerne; il se peut qu'il ait été obligó de
chercher cettc colonic sur la carte quand il a été appelé
;'¡ son poste; ce n'cst qu'apres plusieurs années quil
parvicnt Üsc rendrc compte des partís qui la divisent el
des discussions qui s'y agitent; bien qne n'ayan! pas
de lll'éjug{'s lui-iuéme, il peut s'asservir aux préjnp/~s
de son cntourage local; inóvitablement et peut-ótro
;\ juste Litre, il ne s'oflorce pas de gouvcrner dans
I'intérót de la colonie qu'il Iui est irnpossihle d'ap-
précier, mais dans son propre intérét dont il a une
notion cxatc. Son preruier rlésir ct de ne point s'atti-
rer de mauvaises aílaires, (le ne causer aucun embar-
ras dans la métropole á ses supérieurs du Colonial
n!ficc, cal' il en rósnlternit pour luí un rappcl préma-
turé dont sn earriéro pourrait se rcssentir. En quittant
la colonio, il y lnissera sürcment de lui cette impres-


19.




334 f,ONSTITUTION ANGLAISE.


sion qu'il connaissait ú peine ses administres, et
n'avait guere souci de leurs affaires. Nous ne sommes
pas Ú móme de comprendre ce sentiment générale-
ment répandu dans nos colonies, nous qui nommons
leurs chefs; mais nous le comprendrions aisément si,
par suite d'une métamorphose politiquc, elles étaient
chargées de nommer notro souverain. Nous dirions
uussitót : Est- il possihle qu'un homme venu de la
Nouvelle - Zélanrle soit au courant (le nos aflaires ?
Est-il possihle qu'un hommo qui grille de revenir aux
antipodes porte le rnoindre intérét ú l'Anglctcrre ?
Est-il possible de nous coníier ú un homme dont Jn
position est ala merci d'une autorité éloignée? Peut-
on vouer une obéissance cordiale it un homme qui est
un véritahle étranger pour nous, malgré l'identité
fortuite du langage ?


Si je fais remarquer ces ineonvénients qui rlimi-
nuent I'utilité d'un gouverneur dnns nos colonies,
c'est paree que le gouverneur colonial offrant l'exem-
pIe le plus heureux .l'une autoritó supra-parlemen-
taire, nous en conclurons que l'existence de eeUe
autorité pour corriger les vices denotre Parlement ne
laisse pas d'étre entourée de difficultes réelles. Nous
sommes si accoutumés it jouir des bienfaits qu'elle
nous procure, que nous ne nous donnons pas la peine
de l'étudier. Nous sommes comme cesgens qui, aprés
avoir fréquenté un hornme toute leur vic, sont tres-
surpris de remarquer en lui certain trait caractérlsti-
que don t un étranger s'est apeq;u :111 premie!' coup




FnE[~S El' COi'lTnE-pOIf)S DE LA COl\"STITUTIO~. 385


.l'u-il.J'ai ('Onn11 une per80nne qui n'avait jarnais su
(Je quelle couleur étaicnt les yeux de sa sreur quoi-
qu'ill'eút \'tIC chaquc jour pcnrlantvingt années. e'est
précisérncnt paree qu'il l'avait vue si réguliérernent
qu'il ne l'avait pas ohservéc. Preuve óvidcnte de la
vérité que renferme eelle maxime de la philosophie,
que nous nógligeons l' élérnent constant de nos pen-
sées, quoiqu' il soit le plus important de tous, pour
nous próoccuper seulemcnt des éléments variables,
lesqnels peuvcn! avoir une iníluence bien moindre
qne les prcmicrs. ~lais lorsque, par l' exemple rl'un
g'ouverneur colonial, on s'apercoit de la difficulté
qu'il y a pou1' un monarque constitutionnel aexercer
son droit de dissoudre le Parlement, on voit. aussitót
combien il est invraisemhlahle qu'un monarque hé-
róditaire soit duué des qualités requises pour l' exer-
cice de ce droit.


Un roi héréditaire est une personne ordinaire, une
personne moyenne lout au plns; il Y a presque une
certitu.lo qu'il est peu preparó au maniement des
allaircs par son é.lucation ; il n'y a gllére h croire
qu'il y sera porté par ses goúts ; entouré, des son
cnlance, de tontos les séductions, ii aura probable-
ment passé toute sa jeunesse rlans la mauvaise sitúa-
tion oü se írouve un IIl~ritier présomptif', lequel ne
peut rien [aire paree qu'on ne lui assigne aucun em-
ploi et s'exposc au reproche (1'empiétement s'il
entreprend quelquc reuvre de son choix. Le plus sou-
ven!un mnnarque constitutionnel est un hoinme ilesa-




336 CONSTITUTION ANGLAISE.


vantagé qui n'est pas poussé par la nécessité ú
s'occuper des affaíres, ainsi que l' est communémcnt
un despote, et dont l'activité est dirninuée par toutes
les tentations dont un despote est entouré. En outre,
l'histoire dérnontre que les familles royales qui oc-
cupent un tróne héréditairement, finissent, sous
l'iníluence fácheuse des causes qui les corrompent,
par avoir clans le sang un vice caché, une sorle de
poison propre anffaiblir leur intelligence, :i atlrister
leur bonheur et á couvrir d'un nuagc leurs mornents
de plaisir. On a dit, sinon avec vérite, 1111 moins avcc
une certaine vraisemblance, qu' en lS02 tons les mo-
narques hérédítaires étaient fous. Eh hien ! peut-on
admettre que des monarques sernblahles saehent
saisir le moment ou, malgré l' opposition d'un minis-
tére qui a la majorité, leur devoir est de dissourlre le
Parlernent. Pour agir ainsi, il faut qu'ils soient capa-
hles de reconnaitre que le Parlemenl fai t Iausse route
el que la nation en est mócontcnte. 01', pou!' recon-
naitre qu'un Parlement Iait Iausse route, il Iaut étre
un grand homrne d'Ihat, du moins un hornrne d'Etat
de quelqne valeur, de quelque hahileté; il fant étre
doué d'une grande vigueur d' esprit néeessaire pour
eornprendre les principes ardus de la politique, il faut
avoir une grande activité sans laquelle on sera écrasé
par les détails qu' ernbrassent ces príncipes dans leur
application variée. Un hommo que la nature a fait
ordinaire, que la vie a güté, n'aura ni cet esprit, ni
cette activité, presque aeoup sur il ne sera ni habile,




FnEJ\'S ET CO:'lTnE-pOrnS DE LA CO~STITlJTION. 3~7


ni actif. EL un monarque qui, retiró au Iond de son
palais ou il a l'oreillo charmée par la flutterie, ne se
móle pas au monde extórieur dont il est séparé par
son rang, ce monarque ne peut étre qu'un pauvre
juge de l'opinion publique. Eüt-il le dósir de con-
naitre l'opinion publique, son genre de vie ne lui per-
mettra jamais de le Iaire ct lui cnlévera mémc ce
désir peu ú peu.


Une circonstance cncore plus deplorable se presente
parfois, et nons en trouvons un cxemplc dans l'his-
toire de George lII, ce resume de tous les défauts que
peut avoirun roi constitutionnel.ll peut arriver qne le
Pnrlement étant plus sensé que le peuple, le roi soit
du méme avis que ce dernier. Peudant les dcrniercs
années de la gl.lerre d'Amérique, le premiar minis-
tre, lord North, auquel incombait le fardeau de la res-
ponsahilité, ne voulait pas continuer cette guerre,
sachant qu'on no réussirait pas, et le Parlement par-
tagc;lit son opinion. S'il avait été permis ú lord North
de se rendrc au I'arlcment, un traite de paix ú la
main, le Parlement aurait ét('~ fort content, ot, guidéc
par ses représenlants, la nation, quoique attristéo des
perles qu'ellc avait Iaites, aurait prohahlement nc-
cueilli cette nouvelle avcc satisfaction. L' opinión pu-
blique, ú cctte époque, ressemblait beaucoup plus,
en Angleterrc, it l'opinión actuellc desEtats-Unis qu' it
notre propre opinion d'aujourd'hui. Elle se Iormait
hien plus lentemcnl qu'aujourd'hui, elle obéissait plus
facilernent ú l'impulsion soudaine de l'administrntion




33R CONSTITUTION At\"GLAlSE.


centrale. Si lord North avait pu cmplover toute
l' énergie et toute l' autorité de l' exécutif ü conclure
une paix féconde, on aurait épargné bcaucoup de
sang, on aurait étouffé des sentiments hostiles qui out
laissédes traces en Amérique jusqu'á ce jour. Mais
il y avait un pouvoir dcrriere le premier ministre;
George IJI s'entétait follement :\ continuer la guerre ;
et la nation ne voyant pas comhien eeLle lutte éLait
stérile, ne prévoyant pas l'hostilitó durable que cctte
obstination engendrcrai t, la nation ignorante, lourrle
et imprudente, persévérnit aussi dans cettc mauvaise
voie. Lors méme que lord NurLh cClt voulu conclure
la paix et cut amené le Parlcment á ses idées, tous ses
efforLs auraient été vains; un pouvoir supérieur en
aurait appelé d'un Parlement sage et pacifique :'t une
naLion irritée et bolliqucuso. Ainsi , le frein qnc noLre
Constitution a trouvó pour reprimor les défauts rl'un
I'nrlement fuL employé alors ¿'t arréter l'élan de Sil
prévoyance.


Plus on étudie le gouvcrnement de Caliinet, plus on
se pénétro de cctte idée qu'il ne Iaut pas en exposer
le mécanisme rlélicat aux aueintes que pourrait lui
por ter rlans une circonstance vitale, un ótrangcr in-
capable et 13e11t- étre ¡\ moilié fou. 11 Ya beaucoup :'t
croire que, dans une gran de occasion, le premier
ministre et le Parlement aurnicut plus de sagesse que
le roi. Le premier ministre unit certainement Ü un ta-
lent véritahle le désir de prerulre les meilleures déci-
sions: s'il ne réussit flas, ji perrl sa place, tandis que le




FREINS ET CO:'1TRE-pOms DE LA CONSTITUTION. 339


roi garde la sienne, malgré toutes les bévues qu'il
peut commeltre ; l'intelligcnce de l'un, naturellement
fort active déjü. est tenue en éveil par le sentiment de
la responsauilitó, tandis que celle de l' autre que la
nature a faite ordinaire, est allranchie de tutelle. En-
suite le Parlement est el' ordinaire composé de gens
dont l'esprit est profond, circonspect et pratique. te
raisonnement démontre done que, dans le cas OU il
s'agit de démissionner un ministre qui plait au Par-
lcment ou de rlissoudrc ce Parlement en Iaisant ap-
pel au peuple, le pouvoir de recourir a ces mesures
graves n'est pas de ceux qu' en général un monarque
héréditaire, quel qu'il soit, est a méme d'exercer
avantageusemcnt.


Aussi ce pouvoir, s'il n'a disparu complétement,
esl presque entiéremcnt sorti desusages constitution-
neIs. Rien no paraítrait plus étonnant au peuple an-
g'lais qu'un roup rl'Etat au moyen duquel la reine
détruirnit soudainemcnt un ministere qui aurait pour
lui la confiancc el l'appui rl'une majorité parlemen-
taire. Ce pouvoir appartient, en théorie, á la reine,
cela n'est pas douteux, mais il est tellement tornhé
.lans l'oubli par désuétude, que si la reine voulait
l' oxercer, on serait anssi effrayé qn'á la nouvelle d'une
éruption volcanique dans Primrose HiB. La derniére
circonstance dans laquellc on a un pen exercé ceue
prérogative n'offre pas un précédent qu' on puisse
{{re tenté de suivre. En 1835, Guillaume IV dérnis-
sionnn une administration qui, tont.e désorganisée
.~
.J


\~.




3!tO CO~STI1TTIO~ Al"GLAISE.


qu' elle était par la perte de l'homme d'Etat qui la re-
présentait principalement :\ la Chnmbrc des comnm-
nes, n'en existait pas moins encoró comme gOllverne-
ment, avant h la Churnbrc des lords son prcmier
ministre, et ú la Chamhre des communes un person-
nage prét á rcmplacer celui qui vcnait de mourir. LI'
roi s'imagina que l'opinion publique ahandonnait les
whigs et passait aux torios, il crut húíer ecuo transi-
lion en rcnversant le ministére whia. Mais les éVl~-


c..


nements lui démontrórcnt son erreur. Au íond il
voyait juste ; le peuplc anglais commencait Ú (-/re
fatigué des whigs qui n'avaient aucun chef populairc,
ancun chef capable de rcprósenter le lihéralisme au
point d'en Iaire une passion personnifióe ; de plus, le
parti whig avant étó trop longtcmps dans l' opposition,
commettait des fautes depuis qu'il avait éLé porté au
pouvoir par un mouvement populaire rlont il ne eom-
prenait pas beaucoup le scns et dont il npprouvait
peut-elre encore moins l'esprit. :\Iais s'il vnyuitjuste,
le roi aqissait mal; son expérlient politique entravn
la réaction au lieu de la précipitor. Arrivés prématu-
rément aux aífaires, les torios y íurent trés-malheu-
reux, comme on pouvait le prévoir avec un peu de
tact. Le peuple cornmcncait sculerncnt h s'cloigner
des whigs sans les avoir ahandonnés séricusemcnt,
l'intervention de la couronne leur íut utilc tant elle
sembla contraire aux libertés publiques. Et tout en
avant raison de croire qne l'opinion cununcncait :'l
tourner, Guillaume IV, par sn coniluite, l'cmpecba de




FREI~S 1':'1' CONTHE-PO IIlS m: LA COSSTITtJTlO:". 3á1


tourner cnticrement. On se prit ú (H~sirer la continua-
tion de la politique libéralc ; les reproches qu' on
s'était mis ;\ adresser aux whigs n'étaient que d'une
natnre touí :'t fait pcrsonnellc e1. accidentelle; ils
s'adressaient Ú l'insuffisance des chcfs ct á quelques
id("es particulicres cntóos, pour le moment, sur les
principcs Iihérnux ; ils n' nttcignnient pas cespríncipes
eux-nu'rnes. De sortc (Inc la derniére agrcssion que
la royauté a tcníóc sur 1111 rninistere, a en pour résul-
tat de contrnricr les bonnes idees au profit des mau-
vaises el de nuire au partí que le roi voulait favoriser.
Apres une tollo lecon, il est probable que les monar-
ql~es continueront ú SUi\Te tranquillement la ligne de
conduite qu'une longue suite de précédents leur a
tracóc , et quand un ministére aura la conflance du
Parlement, ils s'en remcttront á la sagesse du Par-
lement.


En róalitó, quand les passions politiquea sont plus
ardcntcs :'t la Chamhre des communes que dans le
pays, et quanrl, par ses vuos propres, la Chamhre des
communes s'oppose aux vrais intéréts du pays, ce ne
sont [las lit des circonstances bien dangereuses chez
un peuple qui a l' esprit politique et qui surveille
toujours les acles de ses représentants avec pouvoir
delescontrólcr. IIn' est gucre possible que la Chamhre
des communes íasse une opposition bien opiniátre á
la volonló du peuplc, tant le peuple s'occupe inces-
sarnment des aflaires politiques, et tant ceux qui le
représcntent ont licu de redouíer la porte de leurs




342 CONSTlTllTION ANGLArSE.


siéges ú la ChamlJre. Il n'y a de péril á redouter sous
ces deux rapports que dans les Etats au berceau oil
les populations sont disséminées, 011 ne s'élevent pas
des questions ofírant quelque intérét, ou les distances
sont grandes, OU l'opinión n'est pas toujours préte a
frapper de son jugement les excés parlernentaires, ou
peu de gens se soucient de siéger dans l'Assemblée
nationale, et ou heaucoup de représentants, au con-
traire, ont un caractére el des antécédents qui ne
les renclent pas tres-propres á y siéger. Le plus granel
inconvénient du systeme parlemcntairo dans un Etat
arrivé á maturité, e'est le caprice que peut apporter
le Parlement au choix des ministres. Le peuple ne
peut guere le surveiller efficacement dans ce cas, et,
dans une certaine mesure, il est méme peu désirable
qu'il soit appelé á réviser les acles de ce genre ; la
maniere dont un Parlement apprécio une administra-
tion dépend en général de choses que le Parlement
voit de pres et distinctement, tandis que la nation est
trop éloignée pour les voir. C' est lorsque les questions
de personnes entrent en jeu, que le caprice com-
menee. Oncomprcnd aisément qu'il peut y avoir une
Chambre des communes mécontente de tous les
hommes d'Etat ahsolumcnt, divisée en petits partís
qui forment de petits noyaux quanrl ils votent; cette
Chambra ne s'attache fermcment :\ aucun chef, el ne
donne á aueun chef la facilité de gouvernel', ni l'es-
pérance de conserver le pouvoir. Ade semhlahlesPar-
lernents, il faut nécessaircmcnt appliquer un remede,




FREINS ET CONTRE-pOmS DE LA COl\'STITUTION.. 343


ilfautles dissoudre; rnais l'emploi de ce remede, on l'a
démontré, il vaut mieux le confier aun premier mi-
nistre qu'au monarque ; et d'apres l'usage admis au-
jourd'hui, cette prórogative tenel á étre enlevée au
monarque pour se reunir aux droits du premier mi-
nistre. Aetuellement la reine ne peut guére refuser il
un ministre que la rnajoritó ahandonne , dans le
Parlement, le droit de dissoudre la Chambra des
communes; elle ne lo peut pas plus qu'elle ne peut
sans le consentement du premiar ministro, dissoudre
un Parlement oü le premier ministre a la majorité.


Nous allons voir qu'il en esL de mérne pour ce qui .
cst relatif ace que j'ai nommé la soupape de süreté
de notre Constilution. Ccrtainement un monarque
hóréditaire, s'il avait des vertus et des talents, saurait
user de cette ressourco heaucoup mieux qu'un pre-
miel' ministre, mais le premier ministre peut s' en
servir convenablemont: el il naitra une seule foispeut-
étro en cent ans, un monarque capalilede l'ernporter
sur ces ministres il ce point de vue, tandis qu'on voil
continuellcmcnt des monarques incapablcs de le
faire.


Il y a deux moyens d'exercer le droit que posséde
l'exécutifde eréel' des Pairs, c'est-á-dire d'ajouterdes
membres ú eeux que renferme la Chambre haute, la
Chamhre de revisión. Lepromier de ces moyens a une
action constante, hnhituelle, hien que le puhlic ne
s'en apercoive pas suffisamment; l'autre a une action
Ierrihle á laquelle on n'a presque jnmais eu recours




CONSTITUTION ANGLAISE. .


en Init , mais dont l'influcncc comminatoire snfflt
cornme un talismau pour prevenir le mal.


En créant des pairs de temps ;\ nutre, la couronne
modifie peu á peu le sentiment de la Chamhre haute .
.I'ai entendu dire par des pcrsonnes compótentes qnc
la partie puremcnt unglaiso de la Chamhre haute oil
sont représentés les trois rovnumes, que cette partir,
la seule sur laquellc s'exerc« If~ pouvoir denommer des
pairs nouveaux, est maintenant plntót whig que tory.
Il Ya trente ans, c'était le contrairc. De singulicrcs
circonstances n'out pas pcrrnis aux denx opinions po-
litiques de se succéder .l'une fa~~on r/:'gllli(\re rornme
beaucoup de théoriciens l'out prédit, et comme on est
assez habitué arlire que cela se passe.


Le parti whig a conservé le pouvoir pendant
soixante-dix annéos, sauf quelques raros intcrvalles,
depuis la mort de la reine Anne jusqu'á la coalitiou
de lord North et de M. Fox; ensuite les torios, toujours
avec de rafes intervalles, ont ótl~ au pouvoir penrlant
pres de cinquante années jusqu'en 18:3:2. Ilepuis ce
temps le parti whig a presque toujours óté prépondé-
rant. Il suit de lú que pendant la longue duré e de son
autorité chacun de ces partís apa modifier ason gré
la Charnhre haute. Les nomhrcuses créations de pairs
faites par les tories pendant la moitié d'un sieclc,
avaient fait de la Charnhre haute une assemhlée fana-
tiquement tory avant le promier acte de réformo,
mais aujourd'hui les tories n'y ont pas, ;\ beauconp
pros, une domination aussi ahsolue. Les pairs irlnn-




FnEr~s E'I' CO:\THE-l'OIOS HE LA CO:'\STlTlTIO:". 3lt5


dais elles pairs ócossais ólant nouimós par un Corps
politique dont lesmodiíications ont p1'esque ólé nulles,
ct représcntant uniquement la rnajorité de ces Corps
politiques dont la minorité n'apas un seul represen-
tanl, se trouvent appartenir invariahleruent :'11' élc-
mcnt tory. Quant :'11'ólóment susceptible de modifica-
tions, il a été modiíié. Que 1<) partio anglaise des lords
soit ou non torv actuellement, il est certain du
moinsqu'elle ne l'est pas comme en 1832. Ce qu'on
y a ajouté de whig a été pris dans une classc de la
sociétó dont les idées se rapprochcut hcaucoup plus
des torios que des radicaux. Il n'y a pas lieu ele sup-
pose1' que ces pcrsonnages opulents aiont eles in-
stincts révolutionnaires. Les pairs nouveaux se sont
Iort bien accordés avec les anciens pairs, el leur in-
fluence en a été d'autant plus grande et plus péné-
trante. Si l'on eút imposó ala Chamhrc, un élément
nouveau contrastan; avee sa nature , cet élément
l'aurait troubléc ; mais en y ajoutunt délicatemontdes
parties analogues, sinon similaires, un a produit un
composé ou l'élément priruitif esí coutre-balancé
sans avoir eu ü subir d'irritation.


Ce moyen de creer des pairs, le moyen ordinaire,
se írouvc aux mains rlu prernier ministre et a des
ellcts qui portent la marque d'origine. En sa qualité
de chef du partí prédominant, le prernier ministre est
bien la personne la plus capahle de modifier graduel-
lement la Chambre permanente qui pourrait d'ahord
lui etre hostile; en tuus cas, les adjonctions qu'il y




346 CONSTITUTlON ANGLAISB.


Iait la mettent mieux en harrnonic avec l'opinion
dont il est le représentant. Il n'existe g'uére de Con-
stitution qui posséde un mécanisme si délicat, si
soupleet si régulier, pour modifier une Chambre sc-
condaire. Si l' on cut ajouté acela le droitde nommer
des pairs viagers, 1'intluence salutaire de l'exécutif
responsable sur la Chamhre des lords, se serait exer-
cée avec toute la perfection qu'on peut désirer en
pareille matiere.


Quant á la création de pairs par íournées dont le
hut est de suhmerger l' opposition de la Chambre
haute, c'est une chose tout ú Iait diílérente. Si l'on a
un roi capable et impartial, on doit s'en remettre á
lui sous ce rapport. e'est la un droit á exercer dans
les grandes occasions seulement, quand le but a at-
teindre est immense, et que les partís sont divises
sans retour. Alors arrive le moment de mettro en
ceuvre ce pouvoirsupréme et décisifqu'il vaut mieux
naturellement confier aux mains d'une personnc Cil-
pable et impartiale qu'á celles d'un premicr ministre,
lequel a toujours quclque peu d'esprit de partí. La
prudence, le calme et l'habileté du monarque, á ceL
instant de crise, sont des qualités qui, si elles se ren-
contrent alors, ont un prix inestimable. Le monarque
peut alors écarter de longs trouhles, éviter á son pays
les horreurs sanglantes de la guerrc civilc, se Iaire
un titre á la reconnaissance publique, et empécher
l' explosion des haines dont un parti est animé contre
un autrc. Mais il faut en revenir á se poser cetíe ques..




FHEINS El' CONTHE-POIDS DE LA CONSTlTUTlON.· 347


tion : «Se trouvora-t-il alors un tel uionarque ? Dans
quelle mesure peut-on compter sur lui á ce moment?
Comment se conduira le monarque ordinaire que le
hasard de l'hérédité avec ses inconvénients reconnus,
fera régner en cet instanL de crise? »


A ces questions, on ne saurait répondre d'une
maniere rassurante , si l' on interrogo notre expé-
rience. Ces crises sont rares, et dans notre histoire
il n'y a eu que deux circonstances dans lesquelles on
ait eu l' occasion de nommer une quantité ele pairs
suífisante ponr produire une sorte de bouleversement,
et pour déplacer complétement et souelain la majorité
dans la Chambre des lords. La premiére ele ces eir-
constanees eut lieu sous la reine Anne. A eette épo-
que la majorité des pairs était whig, et au moyen de
eréations nombreuses et rapides, le ministére Harley
y íit une majorité tory. L'exerciee de cet.te préroga-
tive protluisit un tel effet sur le peuple que, pendant
le regne suivant, une des questions qu' on agita le
plus vivemeut, ce Iut la proposition faite par les mi-
nistres el'enlever it la couronne le droit de nommer
des pairs á l'iníini, en ótablissant d'une maniere fixe,
eomme it la Chamhre eles communes, le chiffre que le
nomhre des lords ne peut dépasser. Mais qu'impor-
portait alors au treme le mécontentement de l' opinión?
La reine Anneest une des personnalités les plus mé-
diocres qui aient jamáis été sur un treme. Swift
disait d'eUe avee autant de raison que d'amertume
qu'elle n'avaitpas assez de eceurpour avoir plus d'une




348 CONSTITtlTION ,\NGLAISE.


allcctiou ú la Iois ; or, toute son am~('liun S(~ concen-
truit alors sur une de ses tilles d'honucur. Ccttc filie
d'honneur la pria de creer des pairs, et elle en créa.
(Juant :'t de la pénétration ct ú des idees politiques
elle n'en avait pas plus que iuadamc ~Iarshal1J. I'our
soutenir un mauvais rninistere elle employa la mesure
la plus extreme et elle ne le lit que par caprico.


Laseconde íois qu'{l íut question .l'uno mesure SCIll-
blable, ce íut sous Guillaume IV, mais les eirconstan-
ces de l'uffairo sout licaucoup moius conuucs que dans
le cas prócédcnt. Nous les connuitrons hieutót. Lord
Greya.prornis de puhlicr la corrcspoudauce óchangée
entre ce monarque el son perc, pendan! (IU' il dail
ministre, et tous les détails rclatiís it ce fait S')' 11'011-
veront necessairement. Mnis d'apres ce que nous
savons rnaintenant, le roi, dans cctte circouslance,
était livré ü toutes les hósitations d'un caractérc Iai-
hle. Son esprit flottait :'t l'aventure , il consultnit son
ministre, iI consultait la reine, el puis peut-etre un
secrétaire. « Le duc do 'VellingtuJl Icra-t-il quelque
chosc ? I'eel ne Iera-t-il ricu ? Faut-il done que Grey
Iasse tout '?» Chacuu se dcuuunlait : Le roi va-I-il
créer des puirs ?Maisle roi n' en savait ríen lui-meme.
11 vaoillait. La prérogativc si importante que la Con-
stitution lui confóre, rcssemblait, dans ses mains, au
fusil que tient une femmc qu.uul, duns son cffroi, elle
n'ose ni s'cn senil', ni le dópuser. D'abord il reíusa
de creer des pairs el occasionna une crise ; les plus
grands personnages conseillaient au pays de reluser




FHEI~S El CO:-lTHEl'O\IlS ])E LA CO~STlTt:TIO~. 349


l'impút., les associutions de Hirminpham Ianatisaient
le peuplc, il Iut question de suspendre les opérations
de la hanque d'Angleterrc, par cxpédient politique ;
eles uffiches placardóes rlans Londres portaient ces
mots: « Róclamez le pavernent en cspóces ! » Alors le
roi, rlu rnoins d'aprés ce qu'assure lord Brougham,
signa un ócril par lcquel i1s'engageail vis-ú-"is des
\vhigs :\ créer autant de pairs qu'ils le voudraient.
«Je suis óhahi de l'insistanco que vous avez mise ,-1. le
décider », dit lord Grey ú lord Ilrougham, «rlans l'état
d'nlrattcmcnt Olt il S(~ trouvnit» . Une personnc fit la
remarque que jamais elle n' nvait "U une si grosse
affaire sur un si petil morccau de papier.


La morale de tout cela, e'cst qu'á un moment de
róvolution, le pouvoir peut se trouvcr en des mains
Iaihlcs.rnais qu'il n'y reste pas; il en sort pour passer
en (les mains plus fermes. Un monarquc hórédi-
taire, d'un esprit moyen, un Guillaume IV ou un
Gcorge IV, no pcut cxercer le pouvoir de creer des
puirs alors 'Iuc l' exorcice de ce pouvoir devicnt surtout
nócessaire. Un roi Ú moitió Iou, te! que Gcorgc JII,
Ierait pis cncorc : un le verrait uscr de ce droit par
jllll'e lioutade, quand i! ne le faudrait l'as, el reíuscr
d'y avoir recours au morncnt opporíun.


POUl' metlre un Irein au pouvoir du premier mi-
nistre, en le privan! de ce droit, on s' cxpose ú un
(langer veritablc, un l'erupéchc de se servir d'un Ircin
qui est fort utile. Il serait aisé de déclarcr par une loi
que jamais l'exécutif no pourra creer un nombre....:..._'!~


IJAGEHOT. 20~~~"·~j¡.,.
.-¡ ,,'




;)50 CONSTlTUTlUN ANGLAISE.


cxtraordinaire de pairs, de déclarer par exemplo qu'il
n' en pourra créer plus de dix par an sans y étre au-
torisé par une grande majorité de la Chambrc basse,
par une majorité des trois quarts si l' on veut. Ce se-
rait suffisant pour garantir que jamais le premie:'
ministre n'abuserait de cettc force que la Constitution
tient en reserve en l' employant comme une force 01'-
dinaire, pour garantir qu'il en ferait usage sculernent
quandle paystoutentierl'y engagerait : ainsi ce serait
un instrurnent de róvolution el non un instrument
d'administration, et ron se trouverait assuré d'avoir,
le cas échéant, cet instrurnent sous la main. L'cxem-
pIe de la reine Anne el celui de Guillaume IV sont
la pour prouver qu' on n'atteint pas ce but en confiant
un droit si important, el d'un exorcice si délicat, au
hasard ele l'bérédité qui, el' ordinaire, ne donne que
des souverains mediocres.


On me dernanrlera peut-étre pourquoi je m'étends
si longucmcnt sur une question forl éloignóo de la
pratiquo ordinaire el, ü certain point dc vuc, si éloi-
gnée de mon sujet. Persounc au monde nc veut dé-
tróner la reine Victoria; si quelque tróne cst solide,
c'est celui qu'occupe la reine; dans le courant de cet
ouvrage j'ai montré que la masse du penple ne vou-
drait ohéir ¡\ aucun nutre pouvoir <Ille le sien, qne le
rcspect dont elle est entouréc cst, ponr cmplover un
terme scientifique, le foyer virtuel de toutes lesnutres
autorités qui lui empruntent leur puissance. Mnis il
ne faut pas horner des études politiques ¡\ l'heurc




FREINS ET CONTHE·pOmS DE LA CONSTITlJTlON. 351


presente ni á notre pays, ct si l' on considere l'état et
l'avenir du monde, il n'est pas de question qui ait un
intérót plus pratique.


Ce qui earaetérise les tendances actueUes du monde,
e'est un certain réalisme : á mesure que les siécles
marehent, ils vont de plus en plus proclamant le
triomphe rlufait. Sur toutes lesparties du monde il s'(~­
leve de nouveauxpays ou manquent lcs traditions, ces
sourees du respcct, oü i l Iaut les rcrnplaccr artiíicielle-
ment en étahlissant des institutions capables d'attirer
l'affection loyale des peuples par leur utilité évidente.
Ce réalisrne quis'étend méme en Europe, estle produií
naturel des rleux agents prineipaux de la eivilisation
:'t notre époque, e'est-ú-direle eommeree ella guerreo
Les résultats matériels du commercc írappent telle-
ment nos regards qu'ils nous en font oublier les ré-
sultats moraux. Il n'cn est pas moins vrai que le eom-
meree imprime á notro intelligence 1'amour du fait,
I'iusoucianco des idees, le dédain pour les bellos
phrases. « Touto peine mérito salaire ») ; voilá sa de-
vise. On abandonno ]'épéepour lo grand livro ; il Yn
plus, la g'uerre elle-mómc se Iait heaucoup plus par
la tenue dos livros que par l' épée. Le militaire, le vrai
militairc du jour n'ost plus eet étre romanesque,
ploin de vagues esperances, animé de fanatisme, de
chimércs telles que l'amour de sa dame et de son sou-
verain ; e'est un hommo tranquille, grave, plongé
dans l'étude des eartes, oxaet dans ses payements,
passé maitr« en tactique, 5' occupant de rlétails vul-




352 CO~STl.TlJTl()N ANGLAISE.


gaires, songeant surtont, cornme le Iaisni t le duc de
Wcllington, aux souliers de ses soldats, méprisant
tout ("elat et toute éloquence, et sachant pcut-étre ,
commc le eomte de Moltkc, « gardcl' le silence en sept
langues ». NOllS en sommes venus :'t un moment oil
le chiflre gouverne, ou le défenseur du droit divin,
comme on appelait le comte de Ilismarck, va tran-
chant dans le vif des personnes royales, leur appli-
quant la logique des faits et n'accordant le droit de
vivre qu'á condition qu'on Iasse quelque chose. Il cst
certain que depuis cinq cents ans les occupations de
ceux qui gouvernent les peuplos ont bcaucoup changé
de nature ; autrefois ils partagcaient Ieur temps entr«
des exercices violents et un profond reposo Le baron
{'("odal nc connaissait pas de terme moyen entre les
fatigues de la gnerrc ou de la cuasse d'une pnrt.,
et cequ'onnommaitun repos sans gloire. Mais quant
:'t la vie moderne, au contraire, si elle comporte l)/'u
d'érnotions vives, elle veut qu'on travaillr sans cesse.
Les habitudes familiéres du commerce ont 11<'·tcint
sur elle, et comme ~'t la hourse on interroge tout, les
hornmes, les choses, les institutions, on leur dit : «Eh
hien ! qu'avez-vous Iait depuis notre dcrnierc en-
trevue? »


Les sciences physiques qui sont l'élude principale
;', laquelle se vouent des milliers d'individus, et qui
commencent a avoir sur notro littóraturc couran!e
une inlluence dont on ne s'apercoit peut-('Irn P[\S
assez, ces sciences visent au móm« lmt. Leurs deux




FnEINS ET CO:"TnE·pOmS DE LA CO:"STln1TIü:". 353


caracteres, les plus saillants, sont la familiarité et
la curiosité ; l'intérét qu' elles attachent aux faits
les plus grossiers, et le désir continuel qu'elles in-
spirent de vórifier les Iaits, el'examiner, au moyen
des sens, s'ils ont de la réalité, On a presquc renoncé
aux surexcitations que la pensée s'imposait autrefois,
ou plutót tout ce travail qui se concentrait en médi-
tations voisines de l'extase se répand paisiblement sur
tout le cours de la vie. Un philosophe d'nutrefois,
Descartes, par excmple, s'imaginait qu' aprés s'étre
renrlu cornptc des vcritús prcmiéres au moyen d'efforts
intellectuels, il pouvai t par rlcduction en tirer l' ordre
universel. S'examiner soi-móme á la lumiere de la
raison, tel était, suivant lui, le procédé pour c1écouvrir
toute chose. D'aprós l'opinion recue, l'áme seule et
par elle-móme était capablc d'expliquer tout, pourvu
qu'elle demeurát Iidclc ü son isolement subli.ne. Le
bien supréme quecettephilosophieprometLait asessec-
tateurs, c'étai! de ne se tromper jamais, de raisonner
toujours sans étre obligó d'observer les faits. Mais
nos philosophes les plus amhitieux ont des procedes
bien différents. Voyez comment debute M. Darwin :


« Quanc1 j'étais ahortl du vaisseau de S. M. B. le
Beaqle en qualité de nnturaliste, je fus frappé de la
distribution des ares organisés dans l'Amérique du
Sud, et des rapports qu'on observe, au moyen de la
géologie,entre les races anciennesetlesraces actuelles
(1 e ce continent. Ces faits, comme on le verra dans les
chnpitres suivants, meparurentjeter quelque lumiére


20.




354 CONSTITUTION ANGLAISE.


sur l'origine des espéces, ce mystere des mystéres,
comme l'a appelé un de nos savants les plus illustres.
A mon retour en Angleterre, l'idée me vint, vers
1837, qu'on aiderait peut-étre a la solution de ce pro-
hléme en rassemblant, pour les étudier, tous les faits
qui peuvent y étre relatifs. Aprés cinq années ele
travail, .1'ai tiré quelques déductions de ces faits,
elje les ai résumées en quelques notes fort courtes ;
ces notes .le les ai étendues en 18ltlt,j'y ai joint l'es-
quisse de conclusions qui me paraissaient alors pro-
bables. Depuis cette époque jusqu'ú ce jour, jeme suis
attaché soigneusement a cette étude. J'espére fJU'O~l
me permettra d'entrer dans ces détails personnels;
je les donne pour montrer que je ne me suis pas trop
háté d'arriver :i une décision. »


Pour trouver la solution (le son granel probléme,
M. Darwin compte sur (les expériences soigneuses
qu' on fera en élevant des pigeons et autres variétés
artificielles. Son héros n'est point un philosophe en-
fermé dans son cabinet et tout entier ú sa pensée,
e'est « cet habile éleveur sir John Sehright, qui avait
coutume de dire, en pnrlant des pigeons, qu'il pro-
.luirait n'importe quel genre de plumes au hout de
trois ans, mais qu'il faudrait six ans pour obtenir
une tete et un bec. »


Je ne prétends pas que la maniere de pensor 1110-
derne vaut mieux que l'ancienne, ce n'est pas mon
sujet : mon but unique est de monlrer, comme des
exemplos peuvent seuls le faire, ú quel point de réa-




rnETNS ET CONTllE-pOmS DE LA CONSTITUTION. 355


lismc, et, en apparencc, :'t quel point de mesquinerie
notre seienee est parvenue, móme au milieu de ses
réves les plus ambitieux.


Ilans les États nouveaux que nos habitudes ti'émi-
gration eréent eontinuellement, le prosaísmo de cette
tournure d'esprit s'accentue -encore davantage. En
Amérique el, dans les colonies, contrairement au-vieil
esprit de l'Angleterre, l'esprit des populations a con-
tracté des habitudes torre á torre, une sorte de ten-
dance adire : «Voilá les faits, quoi que vous puissiez
croiro OH imaginer ». Avant la guerrc (1'Amérique,
on disait, d'orrlinaire, que les Américains adoraient
la toute-puissance du dollar ; aujourd'hui nous sa-
vons qu'ils peuvent prodiguer l'argent presque sans
compter quand cela leur plait. Mais nous avions a
moitié raison : ils adorent la valeur visible, le résultat
évident, indiscutable, certain. En Australie et dans
la Nouvelle-Zélandc, méme tour d'idées. e'est la lutte
avec la nature vierge qui le veut ainsi.


Les difíicultés matérielles étreignent en commun
tousles pays au hereeau, et leur laissent dans l'esprit
une empreinte de matérialisme.


Aussi, lorsque des États, dans les pays récemment
colonisés, ont á choisir un gouvernement, ils doivent
en prendre un dont toutes les institutions aient un
caractóre éviJent d'utilité. Les Américains se pren-
nent arire de notre reine avec le mystére qui l'en-
toure, de notre prince de Galles avec l'inaction heu-
reuse rlans laquelle ilestplongé. Leur esprit prosaique




356 COl\'STITI1TWN ANGLAlSE.


11e pcut se pénótrcr (le ceLLe idóc que le gouverne-
mcnt conslitutionnel est un gonverncment Iondé sur
la raison, qu'il convienl h l'époquc moderno el h un
pays nouveau, qu'un I~tat peut l'adopter des ses d(',-
huts. Les petits principicules qui courent le monde
avec el'excel1entes intentions, mais qui ne peuvent
conñaitre le moindre mot aux affaires, leur servcnt de
témoignage pour démontrer que le systerne constitu-
tionnol est exclusivement curopéen el remonte au
moyen üge; que s'il a encere un granel role ü joucr
dans l'ancien monde, il n'a rien iL voir chcz les pcu-
ples nouveaux. Le réalismc impitoyahle que des cri-
tiques éc1airés rernarquent rlans les rnuvres princi-
pales de la littérature au XIXC siecle, on le trouve
aussi dans la politiqueo L'ostentation de l'utilitarisme
doit caractériscr ses créations.


Aussi Iaut-il attacher le plus grand intérót au pro-
hleme dont nous nous occupons dans cechapitre. Si la
royauté hércditaire était un élement indispensable du
gouvernementparlementnirc, il faudraitdósespérer (le
ce gouvcrnement; mais une étude attentive démontre
que ce systóme n'implique pas comme une condition
essentielle l'existence de la royauté ; que la royautó
en général ne lui est méme pas trés-utile ; que si un
roi trés-courageux ct trcs-prudent, un roi aynnt toutcs
les qualités de sa position, est toujours utile et en de
rares circonstances, iníiniment précieux, en revan-
che, un roi ordinaire, un roi tel que les lait hal.i-
tuellement le hasard de la naissance, n'est d'aucuue




FREI~S El' CO:-;TlU>POIDS nE LA CONSTll'UTlON. R57


utilité aux moments de crise, tandis que, dans la
vie communc, n'étant point sollicité d'agir, il ne Iait
rien et n'a hesoin de rien Iaire. On voit par lú qu'un
pays nouveau n'es! pas tenu de recourir aeette futile
distinction des pouvoirs qui caractérise le systeme
présidentiel ; il peut, si les circonstances le permet-
tent, avoir nhsolument tous les avantages qui décou-
lent de la Constitution anglaise , et, cela, sans la mo-
narchie, sous un gouvernement parlementaire.




IX


HISTüIRE DE LA CONSTITUTION ANGLAISE


CONf,LUSJOK


Il Iaudrait, il mon avis, un volume pour exposer
tant soit peu convenablement l'histoire de la Consti-
tution anglaise, et il y aurait 1:\ mntiére :\ une reuvre
importante et originalc pour l'auteur qui l'cntre-
prendrait avec compótcnce. Jamnis ce sujet n'a été
trnité par un écrivain réunissant aux plus nouvelles
conque tes de l'érudition les lumieres d'unc saine phi-
losophie. Depuis le chef-rl'reuvre qu'a donné Ilallam,
les études politiques el, historiqucs ont Iait heaucoup
de progrés, et l'on pourrait avoir un livre qui appli-
querait les forces de la science moderne ~l la somme
des faits connus maintenant. Je n'ai pas la prétention
d'écrire ce livre, mais il est un certain nombre de
particularités qu'il est bon de réunir en faisceau,
tant :\ cause ele leur intérét dans le passé que ele leur
importance dans le présent.


On remarque une politique commune ou du moins




HISTomE HE LA CONSTlTUTlON ANGLA1SE. 359


les éléments d'uuc politique commune aux debuts de
tous les peuples qui sont arrivés á la civilisation, Ces
pcuples semhlent avoir eommeneé par ce que je nom-
rnerai l'absolutisme eonsultatif et expérimental. Les
mis des aneiens jours, dans les nations fortes, n'é-
taient pas des rois ahsolus eomme les despotes cl'au-
jourd'hui ; il n'y avait alors ni armées permanentes
pour réprimer la rébellion , ni espionnage organisé
pour surveiller les méeontents, ni bureaueratie ha-
hile pour préparer des orniéres á l'obéissanee. Con-
sacré par une' sanction religieuse, le roi eles temps
anciens était un homme á part, au-elessus des autres,
oint du Seigueur, ou méme fils de Dieu. Mais, ehez
les peuples eapables el' étre libres, ce caractére reli-
gieux ne donnait jamais au roi une puissance elespo-
tique. Son autorité n'avait, il est vrai, aueune limite
imposée par la loi : ce mot de loi méme n'aurait pu
se traduire dans la langue ele l'époque. L'ielée ele la
loi telle que nous l'avons, e'est-á-diré d'une regle
tracée par l'homme, et pouvant ótre moelifiée par
l'homme quand il le dt'~sire, ainsi (IU'en fait il la mo-
difie habituellement, cette idee n'aurait pas été eom-
prise chez les peuples primitifs qui regardaient la loi
comme une prescription fatale, et presque comme
une révélation divino. La loi émanait des lévres
royales, le roi l'étnhlissait de la mérne maniere que
Salomon rendait ses jugements, pou!' un cas particu-
lier, et autant au nom ele la Divinité qu' en son proprü
nomo Aucune limite religieuse ne bornait la révéla-




360 CONSTITUTION ANt;LAlSE.


tion qu'il Iaisait de la volontó divino, et tellc était la
source unique de la loi. Mais , bien qu'il n'y eút au-
cune limite imposée par la loi, la soumission avait sa
limite pratique dans ce qu' on peut appeler la partie
paienne de l'humanité, e'est-á-tlire dans l'ohstination
propre aux hommes libres. Jamais ils ne consentaiont
il faire exaetement ce qu'on leur ordonnait.


Telle qu'elle existait en Grece, d'nprés Homero, el
tollo qu' elle existait aussi ailleurs, on doit le croire,
la rovauté prirnitive avait deux corps auxiliaires :
l'un, composé des vicillards ou des pcrsonnes consi-
dérahles, Iorrnait un conseil ou ~'),)),./¡, dont le roi pre-
nait l'avis el dont les débnts apprcnaicnt au roi ce
qu'il ne devait pas Iairo. Oulre ce conseil, il y avait
l' ~)'')2~, assemblée d'auditeurs, comme cerlains l' ont
appelée et que, suivant moi, il scrait mieux de nom-
mer assemblée d'épreuve. Le roi se rendait au milieu
de son peuple assemblé sous pretexte de lui annoncer
sa volonté, mais, en réalité, e'était pour luí táter le
pouls. Sans doute il était sacré, ués-probablement il
était populairc.cependant il se trouvuit dans la situa-
tiond'un prernier ministre qui parle devantune Cham-
hre passionnée. Son autorité et son pouvoir avaient
des limites qu'il découvrait selon que ses ordres
étaient recus ayer acclnmation, ou étaient accueillis,
soit par eles murmures, soil par un silence significatií'.


Ce systeme était excellent pour le temps el pour le
pays; mais il renfermait un grave inconvénient. Le
respect SUl' lequel un gouvernement se fonde, el la




HISTOIRE DE LA CO~ST(TtJTIO~ ANGLA1SE. 361


capaciténéccssairc ponr gouverncr, sont deux choses
dont l'origine est diflérente. L'hommage des peuples
s'adresse aux rois et se transmet á leur descendance,
en vertu de l'origine divine qu'on leur attribue; mais
dans la descendanee royale se rencontre bientót un
enfant, ou un idiot, ou un homme qui a quelque inca-
pacité naturelle. Alors se montre la vérité de ce dic-
ton, que la liberté prospere sous les princes faibles ;
alors l'assemblée d'auditeurs se met, non pas seule-
ment ti. murmurer, mais a élever la voix; alors le
grave conseil se rnel, non pas seulement a suggérer
ses avis, mais ú enjoindre ses ordres.


M. Grote a raconté tout au long comment ces ap-
pendices de la royauté primitive ont donné naissance
aux libertés des peuples grecs; comment ces peuples
se sont formés peu fl peu : les États oligarchiques, en
étendant le domaine de leur conseil; les États démo-
cratiques, en étendant eelui de leur assemblée. L'his-
toire a autant de détails variés qu'il y avait de villes
greeques; mais le fond est partout le méme, Ce qui
caractérise la politique des Grees anciens et des an-
ciens Romains, e'est que de l'embryon monarehique
elle a su tirer les organes d'une république par un
dévcloppement progressif.


L'histoirc de l' Augleterrc a été en substanee la
méme que eelle des peuples anciens, bien qu' elle ait
eu une forme differente ot une eroissance beaucoup
plus lente et plus longue. Les proportions en ont été
plus vastes el les éléments plus variés. Une ville


IlAGEHOT. 21 ¡;":.
¡
t r




362 CONSTITtJTION ANGLAlSt.


grecque se débarrassait vite de ses rois, paree que le
caractére saeré dont la politique revétait le roi ne
pouvait supporter l'examen journalier et la critique
continuelle d'une multitude active et babillarde. Par-
tout en Gréce les esclaves, qui formaient la partie la
plus ignorante eL, par conséquent, la moins acces-
sible aux influences intellectuelles, ont été privés eles
avantages politiques. Mais l'Angleterre, des l'origine,
a été un pays trós-étendu, hahité par des races di-
verses, dont aucune ne se plaisait adiscuter prosaí-
quement la royauté qui était pour tous l'objet d'une
superstition. La royauté était méme quelque chose de
plus qu'une superstition pour nos anoétres. Il fallait
un pouvoir exécutif trés-fort pour contenir dans l' 01'-
dre un pays divisé, armé et fiel' ; le probléme du dé-
veloppement politique était done trés-délicat. Un gou-
vernement libre, quand il est tout formé, peut avoir
un pouvoir trés-fort ; mais pendant l'époque de tran-
sition, alors que la république se développe et que
la monarchie tomhe en décadonce, l'exéeutif est né-
cessairement faible. Le systeme politique est divisé,
son action estlanguissante. Enfin, les diverses classes
du peuple anglais ont eu une croissance inégale. Si les
classes élevées se sont modifiées énormément depuis
le moyen áge, et toujours dans le sens du progrés,
les classes inférieures ont trés-peu varié; on prétend
méme que, sous certains rapports, elles ont rétro-
gradé, tout en se perfeetionnant a d'autres points de
vue. Le développement de la Constitution anglaise a




HrSTOWE DE LA CONSTlTUTlOX ANGLAISE. 363


dOJ1G óié de toutc ncccssitc Iort lcnt, parGc qu'un dé-
veloppement rapide aurait épuisé l' exéeutif et tué
l'État, et, aussi, paree que les classes les plus nom-
hreuses, ayant pcu varié, n'étaient point prétes á su-
bir un changernent total dans les institutions.


En ses traits généraux, le développement poli-
tique de )'Anglcterre a été tres-simple. On ne connait
peut-étre pas exaetement le caractére de toutes les
institutions anglo-normandos ; du moins, elles ont
presque toutes donné lieu Jl des controverses. Le
zcle politiquo , tant des whigs que (les tories, a
voulu retrouver duus le passé un modele asuivre; et
l'ótat social de ces temps anciens ayant été fort trou-
hlé, on a eu heuu jeu pour recueillir d'ingénieux pró-
cédents qu' ont fourni les caprices des hommes et les
hasards de l'histoire. Ce que je me borne a recher-
chef dans les institutions nnglo-normandes est facile
á reconnaitre. Il y avait alors un grand « Conseil »
du royaume auquel le roi appelait les personnages
les plus irnportants de l'Angleterrc, ceux, surtout,
dont il voulait prendre l'avis et connaitre le senti-
ment. On ne sait pus au juste quelles personnes se
rendaient á ce Conseil, et e'est fort insignifiant. Il est
donc inutile de tracer une distinction entre le grand
Conseil en Parlemenl et le grand Conseil hors Parle ...
ment. Ce qu'il y a de súr, c'est que peu a peu les
principales assemblées que le souverain de l'Angle-
terre convoquait ainsi, prirent la forme précise et dé-
IiniedeLords el de.Cornmunes, eomme nous les voyons




364


anjourd'hui.Hais lcur cnractórercel était trcs-différent
de ce qu'il est maintenant. Le I'arlement du moyen
:tgeétait, s'il m'est permis de l'appeler ainsi, un eorps
c.cpressi], Sa fonction consistait ;\dire au roi ce que le
peuple voulait qu'i! fit, :'t le guider dans une eertaine
mesure par l'adjonction d'intelligences nouvellcs, et
heaucoup plus encore de le guiller ;\ la lumicre de
faits nouveaux. Ces Iaits e'étaicn t lcurs propres sen-
timents, c'est-a- dirc les scntiments du peuplo dont ils
Iaisaicnt partie integrante. Au nlOyon du I'arlcment,
le roi apprenait ou du inoins avnit l'occnsion Il'ap-
prendre ce que le peuple accepterait et ce qu'il n'ac-
cepterait pas, ce qu'on pouvait et ce qu'on ne pouvait
pas entreprenclre. En cas d'erreur, il Yavait rébellion.


La Constitution arurlaise, comme on le sait, se di-
vise en trois périorlcs : la prerniero cmhrassc les
temps antérieurs aux Tudors ; a cctte époquc, le
Parlement anglais paraissait acquérir une force et
un pouvoir extraordinaires, les titres de la couronne
étant contestes et quolques-uns des rnonarques étant
faihles. Plusieurs amhitieux voulurent alors associer
le peuple it leurs desseins, Plusieurs siéclcs aprés et
quand la liberté fut venue, on a cité gravement, pour
faire autorité, certains précédcnts de cette période ;
mais cette croissance trop rapide prorluisi tune dé-
cadence plus rapide encere. Favorisó par les trnuhles,
le développement politiquo en souílri l plus qu'il n'en
avait profité. L'édifice de la société était alors de con-
struction íéodale ; quant aux villes, elles ne Ionuaient




BlSTomE DE LA C0NSTlTUTlON A~GLAISE. 365


qu'un appoint auxiliaire. Ce qui Iaisait alors la force
du peuple e'était une force aristocratique agissant
avcc la coopération de la petite noblesse et des gros
Iermiers, le tout appuyé sur la fidélilé de partí-
sans qui avaient prété serment. Ala tete de ces forees,
qui lui donnaient son importance , se trouvait la haute
noblesse. Mais la haute nohlesse finit par un vérita-
hle suicide. Les grands barons, en adhérant au partí
de la rose rouge ou de la rose hlanche, ou bien en
passant de l'un il l'autre parti, allcrcnt d'année en
nnnée diminuant, sous le rapport de la fortune, du
nombre et de la puissance. Quand, ¡\ 'Bosworth, se
termina la grande lutte, une bonne partie des eom-
battants prineipaux avait disparu ; les harons turbu-
lents, ambitieux et riehes, qui avaient íait la guerre
civile, furcnt écrasés par elle. Henri VII, devenu mai-
tre du royaume, trouva bien un Parlement capable de
Iui donncr des avis, mais ce Parlement n'avait -gucre
le pouvoir de contróler les actes clu souverain.


Le gouvernerncnt consultatif, dans la période an-
térieure auxTurlors, nc resscmblait pas heauooup aux
gouvernements que les puhlicistes frnncais qualificnt
ainsi ..Te erois que l'Ernpire se donne, en Frunce, le
nom de gouvernement consultat.if. Mais les assemblces
francaises ont une symétrie et une existence artifi-
cielles. L'une (1' elles est choisie au moyen du suffrage
universel, par la voie du scrutin secret, et clans des
circonscriptions électorales déterminées de maniere
Ú divisor l'~galclllcnt les voix entre Ics memhres qui




366 CONSTlTUTION ANCLAISE.


doivent représenter chacune de ces circonscriptions;
enfin les dcux asscrnblées symétriques ont aussi entre
elles une sorte d'("~alité. Quant ~t nos Parlements an-


c..


glais, ils n'étaient pas organisós symétriquernent, mais
ils avaient une existence réellc. On en nommnit les
membres n'importe eomment; le sheriff avait un pou-
voir presque discrétionnaire pour envoyeraux hourgs
des lettres de convocation, e'est-á-dire qu'il pouvait
en grande partie composer ú son gd~ les col1éges élec-
toraux; elans chacun des hourgs , on se disputait vi-
vement le droit de voter, et le parti le plus Iort l' em-
portait sans acception ele nombre. Mais en Angleterrc,
dans ce ternps-lá, on voulait, avant tout, connaltrc
distinctement l' opinion du pays, attendu qu'il y avait a
cela une nécessité réelle el urgente. Comme on assem-
blait les représentants de lanation pour demander quel-
que chose au pays, soit d'aider le roi dans une guerre,
depayer eles elettes arriérées, de lui donncr son appui
elans une conjoncturo critique, les rois de ceue póriode
n'auraient pas aimé it avoir devant eux une assemhléo
íictive, cal' ils auraicnt élé prives rlu seul instrument
qui pút leur révéler l'opinion du pays. Et lors móme
qu'ils auraient voulu fabriquer une Assemblée fictiv«,
ils n'y seraient point pal'venus. Le moyen ele fabri-
quer une assemblée de ce genrc e'est d'avoir un pou-
voir exécutif centralisé; 01', il n'y avait pas alors de
préfet pour discipliner les commuues rurales et ap-
proprier leurs votes au rlésir rlu gOLlverncment cen-
tral. A n' exruniner que la maniéro doní on choisissait




mSTOIHE DE LA CONSTITllTION A~GLAISE. 367


les membres du Parlement, un thóoricien serait en
droit de dire que ces Parlements n'étaient pas autre
chose que des assemblées ou se renclaient des per-
sonnes intluentes prises au hasarcl clans le royaurne
d'Angleterre. II y aurait bien a rabattre de eette dé-
íinition pour la rendre exacte, mais enfin, en l'admet-
tant, elle prouve le mérite de ces Parlements. Si ce
n' étaient pas des assemblées fortuites, du moins ce
n'étaient pas non plus des assemblées préparées a
dessein ; aueune aclministration ne s'était melée de
les fabriquer, aueune d'ailleurs ne 1'aurait pu faire.
e'étaient lit des eonseillers de bonne foi, dont l' opi-
nion, qu'elle fút bonne ou mauvaise, avait, entous cas,
une importanee supréme, paree que leur eoopération
était indispensable ala marche des affaires. .


La législation en tant que pouvoir positif n'était,
pour cesanciens Parlements, qu'une.visée secondaire.
Aucun statut, que je sache, n'a été passé sous lerégne
de Richard I'", el tous les aetes Iégislatifs de la période
antérieure aux Tudors ne feraient pas vivre un
agent moderno qui s'en assurerait le monopole. Mais
le droit de s'opposer aux lois nouvellesdominaitdans
toutes les aclions de ce Parlement, et faisait sa prin-
cipale utilité. Empécher que le roi se permit de
changer les principes presque sacrés du droit coutu-
miel' sans demander a la nation si elle y consentait,
oui ou non, tel était le role principal du systéme,
Pour les actes exceptionnels el singuliers, cal' c'est
ainsi qu'a cene époque on considérait tout acle lé-
~~#~~~;;.:-:.


• ' ~ C~~ii ~
\! '.~. Al__ .A"",




368 CONSTITUTION ANGLAISE.


gislatif nouveau, le roí devai; éprouver le sentiment
populaire eomme pour les mesures courantes. e'était
á lui que revenait en définitive le droit de faire des
lois, rnais il ne les décrétait qu'aprés avoir consulté
les lords et les comrnunes, et alors seulement le dé-
cret émanait de luí, revétu d'une autorité sacrée qui
faisait sa force. n ne touchait aux regles dirigeantes
de la vie ordinaire qu'aprés avoir consulté son peuple,
sans cela on ne lui aurait pas obéi dans cet üge naif
ou l'on redoutait rnoins qu' aujourd'hui les Iléaux de la
guerre civile. Plusieurs acles de cette époque, el le
[ait est trés-caraetéristíque, sonl des acles déc1araloi-
res; ils ne prétendent pas imposer au peuple une pres-
cription nouvelle au nom de l'auLorilé royale, ils se
Lornent aénoncer et apréciser le sens de la loi exis-
tante, ils confirment des eoutumes qui sont reconnues
de temps immérnorial, ils ne créent pas des devoirs
nouveaux. Dans la « grande Charte » clle-mérne, les
innovations ne tiennent qu'un rang secondaire. ~lé­
lange de réglements anciens et originaircs, la grande
charte était une sorte de pacte destiné ú Iixer ce qui,
dans les couíumes, était rlouteux, et l'on avait soin de
la proclamer de temps il autre comme on a soin cha-
que année de Iaire le tour d'un champ pour recon-
naitre ses bornes et assurer centre toute tentative
el'ernpiéternent (les droits que la prescription pourrait
Irapper. Ces grandes chartes étaient, en íait, des
traites entre divers ordres ou diversos íactions, traités
ayant pour but de confirmer d'anciens droits ou des




J1ISTOIHE DE LA CO~STITl¡T10:'i A~(;LAlSE. :369


droirs qu'on voulait hien reconnaiire comme anciens,
plutót qu'ils n'ótnient des lois dans le sens orrlinaire
de ce mot. On doit voir dans ces grandes chartes des
conventions fIue la sociétó du moyen tlge passait de
temps ü nutre ; et ces conventions, tout naturel1ement
elles avaient líen surtou t pour terrniner des débats
entre le roi et la natiun, le roi chcrchant toujours ü
voirjusqu'á quel point lanation lui permettrait d'aller,
ella nation s'efforcant, par ses murmures et ses ré-
sistances, d'empécher tous les acles administratifs qui
lui déplaisaient, et (le mcttre un frein aux empiéte-
ments de la couronne.


Sir James Mnokintosh dit que la MagnaCharla trans-
forma le droit de taxation en palladium de la libertó.
Il n'en est absolument rien. La liberté existait avant
cette charte, et le droit de voter les taxes en fut une
conséquence et une preuve, mais non point le fonde-
ment. La nécessitó de consultor le grand Conseil un
royaume avant de lever les taxes, le principe qu'un
Parlement pouvait déclarer les griefs publics avant
d'accorder des suhsirles au souverain, ce ne sont 1:\
qiie des témnignages dérnontrant d'une facón écla-
tante l'existence de la doctrine primitive, cal' le roi
devait consulter le conseil du royaume avant toute
entreprise quelconque puisqu' il lui fallait étre aidé.
C'est avec raison qu'on a mis dans le « granel traité »
le droit de se taxer soi-méme, mais le droit n'aurait
été que lettre morte, s'il n'y eút eu une force arm ée
et une organisation aristocra tique pour obligar le roi á


21.




370 CO:,\STITl1T[():,\ A:\'CLAISE.


faire un traite. Done, ce droit fut un résultat el
non un fonJement, ce fut un exemple et non une
cause.


Lesguerres civiles, aprés s'étre prolongées, détrui-
sirent ce qu' on peut appeler les anciens conseils; elles
.létruisirent presque toute la grande noblesse, qui en
renfermait les membres les plus puissants ; elles fati-
guerent la petite noblesse et la haute hourgcoisie,
elles renversérent l'organisation aristocratique qui
avait servi de base utile á la résistanc« contre la
royauté.


La seconde période de la Constitution britannique
commence al'avénement des Tudors el va jusqu' en
1688. C'est, en résumé, l'histoire de la croissance et
du développement progressif qui finit par donner la
suprématie au nouveau Parlement. Je ne me propose
pas de retracer la marche graduollo du grnnd Conseil,
On la connait, on sait que d'abord servile sous
Henri VIII, il murmurait sous Élisabeth, avait un pen-
chant ala sédition sous Jacques ler, et clevenait rebelle
sous Charles I". Les étapes ont été multiples; mais
l'esprit a toujours été le méme : c'esl l'esprit de la
classe moyenne, el je donne á ce nom de classe
moyenne son sens le plus étendu. 01', cene clusse,
apres avoir grandi peu á peu, a été animéed'un souf..
Ile, le souffle du protestantisme. II est irnpossihle,
suivant moi, de ne pas reconuaitre avec Macaulay que
des canses politiques n'auraient pas sulf pour p1'oro-
quer une telle resistanco an suuverain, qu'il leur




IIJSTOlHE DE LA CO:\"STITUTIO:'1 ANGLAISE. 371


fallait eucorc l'impulsion des idées religieuses . Je
sais bien que le peuple anglais a Ilotté du catholicisme
au protestantisme, et du protestantisme au catholi-
cisme, sans compter qu'il y avait plusieurs nuances
et plusieurs sectes protestantes; cette hésitation, qui
s'est rnodelée sur celle des premiers Tudors, a duré
jusqu'á l'époque des puritains. La masse des popu-
lations anglaises était dans une situation indécise,
comme Hooper nous apprend que l'était son pére,
lequel n'avait pour le protestantismo ni tendance, ni
aversión. Néanmoins pen il pen un véritable esprit
évangéliquc, comme nous dirions aujourd'hui, et un
senlimenl antipapiste encore plus fort pénétrérent
au milieu de la classe moyenne, en Angleterre ;ce qui
ajouta au fond d'énergie puissante qui n'a jamais
manqué il cette classe l'animation morale qui lui a
presque toujours fa it défaut. C'est ce qui a fait dire que
Cromwel! avait fondé la Constitution anglaise. En ap-
parence, Crornwell n'a pas survécu a son ceuvre. Sa
dynastie fut mise ú l'écart en méme temps que la ré-
publique íut rcnvcrsée, rnais l'esprit ele l'reuvre n'a
pas été étouffév i! n'a jamais cessé d'avoir dans le
pays une inlluenco qui, ponr étre latente cornrne le
feu d'un volean, 11'en a pas rnoins conservé toute sa
force. Charles 11 disait quejarnais plus il n'aurait con-
flanco ni aux hornmes, ni aux choses; il savait bien
que, quoique ses ennemis deWorcester eussent péri,
leur esprit était encere entier el vivant en d'autres
co~urs. .,


~.




372 CO~STITl1T10~ A~GLAISt:.


Mais la république de Cromwell et la roideur du
puritanisme inspiraient une profonde répulsion á la
plupart eles Anglais. On y voyait, pour ainsi dire, ce
que le partí rouge represente en Franco et ailleurs,
le seul élément révolutionuaire de l'État, el cela suf-
fisait pour soulever la haine. Par lui-mérne cet élé-
ment ne pouvait rien ; au eontraire, il effravait, il
éloignait les modérés et les indifférents aussi bien que
les intelligences élevées ; par lui-mérne et par lui seul
il était impuissant contre l'inébranlable apathie du
caractére ungíais ; mais donnez acet élément une en-
veloppe matérielle qui plaise ú l'mil, laissez-lui une
occasion d'éclater, lorsque , par exemple, les classes
aristocratiques, en se réunissant alui, l'auront paré
de leur vernis, cet élément, tout en se cachant al' 0111-
bre de l' aristocratie, lui assurera la victoire.


01', eeUe occasion se présenta en 1688. Jacques JI,
par son incroyable entétement dans le faux, avait
irrité non pas seulement les ennemis, mais les par-
tisans de son pére, les anglicans aussi bien que les
puritains, toute la nohlesse whi]; et la moitié de la
noblesse lory.non moins que la hourgeoisie dissidente.
L'autorité du Parlement se fonda tout ala fois sur le
concours de ceux qui el'ordinaire étaient pour la
royauté et de ceux qui étaient contre elle. Mais le ré-
sultat fut longtemps trés-faible. On a dit que l'Angle-
terre avait en le minimum d'une révolution, paree
qu'elle s'était bornee achanger légalement de dynas-
tie; on n'a pas songé que ce ehangement était pour




IIlSTOIHE DE LA t:O~STl'JTTIO:'i" A:'i"GLAISE. 373


la multitude tout ce qu'il pouvait v avoir de plus eon-
sidérable, cal' la multitude ne voit dans le gouverne-
ment qu'une dynastie et rien de plus. Il Iallut á!' ordre
nouveau tout le prestige de l'aristocratie pour lui
rallier les masses, et encore les masses ne se ralliérent-
elles qu'imparfaitement, diíficilement, et á eontre-
creur, Longtemps il y cut dans l'air un vague méeon-
tentement. S'il se fút trouvé parmi les Stuarts un
prince capahle et qu'on pút croire protestantsincóre,
ce prince serait pa1'venu probablement á renverser
la maison de Hanovre. Le peuple avait un respect tel-
lement inné pour le droit héréditaire que, jusqu'ál'a-
vénement de George 111, le gouvernement anglais eut
a redouter sans cesse les entreprises d'un pré-
tendant.


Ce fut lá le résultat d'un fait sur lequelj'ai insisté a
satiété et sur lequel je devais nécessairement insister,
cal' il a une influence supréme. Beaucoup d'Anglais,
composant la partie de la nation la plus élevée et la
plus éclairéo, s'étaient deja rendu familier le méca-
nismedu g'ouvernementconstitutionnel, mais la masse
n'y entendait rien ; pour elle il n'y avait d'autre gou-
vcrnement que la royauté, la royauté, e'est-a-diré la
personne royale. Enfin, la masse du peuple se laissa
entrainer par le cliarme de l'aristoeratie, et surtout
par l'influence des grandes familles whigs et de leurs
adhérents ; la raison et la liberté n'auraient pas suffi
pour l' entrainer.


Bien que l'autorité du parlement ait été étahlie dé-




f:ONSTITl!TIO~ Al\'(;LATSE,


íinitivement en 1G8R, ceue autorité a varié depuis
lors dans ses modes d'application. Le parlement
nc sut pas l'exercer tout d'ahord. l\Iacaulay a parfai-
tement expliqué comment les partís apprirent it s'or-
ganiser el anommcr les administrations .jusqu'á une
date encore recente, on a tres-malheureusement at-
tribué aux souverains unc intervention dans le choix
des ministres. Quancl Georgc 111 devint complétement.
fou, cn 1810, tout le monde croyait que Gcorge IV,
cn arrivant au pouvoir comme prince régcnt, renver-
serait l'administration de 1\1. Pcrceval, pour confier a
lord Grey el it lord Grenvillc, chefs des whigs, le soin
de former un nouvcau ministére. Le ministére tory
poursuivait avec succes, conlre Napoléon, une gucrre
d'oú dépenclait une question de vie ou (le' mort ; mais,
dans l'esprit du penplc, l'i(l;~e qu'il était ncccssaire de
maintenir au pouvoir cette ndministratinn dans des
circonstances anssi graYf's, ne coutre-halaucait point
cette nutre i.lóc que le rt'~genl ótait whig. 11 est certain
que ce prince nvail óló ,,'hig avantla rúvolution fran-
caise, alors qu'il mcnnit avcc 1\1. Fox, dans Saint-
James street, une vio inqualilinu!e qne n'auraient
pas approuvéc lor.l Grey ct lonl (lrenville, gens :lUS-
tercs el incapahlcs J'excrccr une influeuro inunorale.
Mnis tout ce que le rógent avait pn avoir de libera-
lisme aulrefois s'était évanoui en lUÍ, commeil etnit
nrrivé pOllr bcaucoup d'nutres, devant le régne de la
rcrrcur. Il avai! rcconnu alurs, pour cmployer le mot
d'un nutre souverain, que son ructirr était d'étre


,




HISTOIHE DE LA CO:\'STITlITION A:\'GLAISE. 375


royaliste. Aussi s'apercut-on hientól qu'il voulait,
avant íoute chose, garder 1\1. Perceval au pouvoir, el.
chercher querelle aux lords du parti whig. Comme
on le sait, il conserva le ministére qu'il avait. trouvé
en place; mais le fait seul qu' on a pu lui attribuer
l'idée de chanaor ce ministére indique combien est
moderne la thóorio de l'omnipotence parlementaire.


C'est á travers ces péripéties que j'ai esquissées ti
grands traits et á travers d'nutres encore dont il serait
trop long el. pcut-étre inntile de parler, que le chan-
gemenl. politique cflcctué jadis clans les villes grec-
qnes, tant en ilpparence qu'en fait, s'est effectué chez
nous en réalité sans toucher aux apparences. L'An-
gletcrre a vu les appendices de la monarchie se con-
vertir en institutions républicaines; seulement l'exis-
tence d'une population 110mbreuse et hétérogene
dans notro pays nous a obligés aconserver le masque
du passé tout en faisant passer par dessous ce masque
la réalitó nouvclle.


Une histoire aussi longue et aussi curieuse devnit
laisser el a laissé des traces sur la plus grande partie
de notre organisation poli tique; ces traces sont visi-
bles dans un grand nombre de cas importants, el.
Iaute de les hien remarquer on no peut arriver :'t la
solution exacto de ccrtains prohlemes.


N'est-ce pas un trait singulier du caractére anglais
que la méílance dont il entoure le pouvoir exécutif?
Sous ce rapport nons no sommcs pas un vrai peuple
mo.lerne. commc les Amóricains. Les Americains re-




376 CONSTITlJTION ANGLAlSE.


gardent leur exécutif comme un agent nommé par
eux. S'il arrive h cet agent d'intervenir dans les af-
faires de la vie commune, c'cst, d'apres eux, en vertu
du mandat dont il a été rcvétu par le peuplo souve-
rain, et en autorisant un tel acte, vis-a-vis de lui-
méme, le peuple ne se croit ni lésé dans sesdroits, ni
peu soucieux de sa liberté. Les Francais, les Suisses
et tous les peuples qui vivent de la vic moderne ont
absolumentles mémes idees. Les exigences matérielles
de notre époque demandent que l'exécntif soit fort;
sans cela les peuples ..souflrent sous le rapport rlu
bien-étre, de la santé, de la vigueur. Une nation qui se
dit libre ne doit point redouter les empiétements du
pouvoir exécutif, cal' la eondition méme de la liberté
pour un peuple e'est qu'il se gouverne lui-mérne, et
l' exécutif n'est pas autre chose que le eorps politique
dont le peuple se sert pour se gouverner. Mais l'his-
toire a donné un autre tour au sentiment anglais.
Notre liberté est filIe des résistanees opposées pen-
dant plusieurs siéeles avee plus ou moins de léga-
lité, plus ou moins cl'audace, au pouvoir exécutif.
Aussi nous avons hérité des sentiments qui animaient
nos ancétres pendant la lutte, el nous les avons con-
servés au milieu du lriomphe. L'action de l'Ét.at nous
parait étre non pas la nótre mais celle d'un étranger ;
elle nous semble un abus de la t.yrannie et non pas
le résultat supréme de nos volontés coalisées. Je me
souviens qu'au moment du recensement de 1851, une
vieille dame déclarait que e'en était fait eles lihertés




HISTOIRE DE LA CONSTITrTION ANGLAI8E. 377


anglais-s. (( Si le g"ouvernement a un pouvoir si inqui-
sitorial, si l'on peut VO~IS domander les noms des
personnes qui demeurent sous le méme toit que vous
ou quel est votre üge, :\ quoi n'en arrivera-t-on pas,
et que ne Iera-t-on ?


L'instinct naturel du peuple anglais est de résister
;\ l'autorité. Quand on crea des policemen, ceLte créa-
tion déplut au peuple; je sais des gens, de vieilles
gens 11 est vrai, qui, aujourdhui encore, y voient
une atteinte tt l'indépenclance, une imitation des gen-
darmes francais. Si les prerniers policemen avaient eu
des casques, on ne sait pas ce qui serait arrivó ; on
aurait crié á la tyrannie militaire, el l'insubordina-
tion native du peuple anglais l'aurait emporté sur l'a-
mour de la paix et de l'ordrc , qui est d'une nature
tout á fait moderne. Cette vieille idée, que le gouver-
nement est un étranger, domine toujours dans les
esprits, quoiqu'elle n'ait plus rien de vrai, et quoique
dans les moments de calme et de bon sens, on sache
parfaitemcnt qu'elle est fausse. Ce n'est pas seulement
notre histoire qui produit cet effet, on pourrait passer
lá-dessus, mais les résultats de notro histoire y aident
aussi. Par exemple, le double caractére de notre gou-
vernement : quand on veut se prononcer centre l'exé-
cutií', on s'en prend ala couronne dont l'autorité est
si fortement liéc dans le mécanisme constitutionnel ;
il Ya tant de gens qui malgré la loi, malgré l'évidence
du fait, se refusent aregardcr la Ileine comme l'in-
strument passifdes volontés populaires,qu'il est encore




CO~STITOTION ANGLAI8E.


ndmis dn d("clanwr contre sa prérogative, de dire que
e'est 1:\ 1111e arme contre le peuple el, qu'il laut s'en
méfier. Par la nature méme du gouvernement, l'exé-
cutif ne peut, chez nous, ohtenir le méme degré d'af-
fection et de conflance que chez les Suisses el, les
Américains.


L'histoire d'Angleterre et ses résultats ont encore
produit cette tolérance que nous avons pour les auto-
rités localesaun point qui étonne heaucoup les étran-
gers. Dans la luttc contre la couronne l' esprit local
servait de renfort et d'appui, Ce sont les corporations
locales, les comtés, les bourgs, qui ont nommé les
membres des premiers parlements; et c'est paree que
ces centres locaux étaient libres que les parlements
l'ont aussi été. Si les représentanLs n'avaient pas été
choisis par des corps ayant une existenee réelle et in-
dépendante, ils n'auraient en aucun pouvoir. C'est la
ce qui explique la variété des moyens qu'on employait
autrofois ponr élire des représentants. Le gouver-
nement Iaissait le droit de suffrage dans chaque ville
au parti le plus fort, appliquanL ainsi les lois de la
nature en matiére électorale. Plus tard, pendant la
guerre civile, plusieurs eorporations, comme celle de
Londres, furent des bases d'opérations pour la résis-
tance. Prenons Londres pour exemple; s'il est une
ehose que les Anglais éclairés voient avec défaveur,
c'est la corporation de Londres. Elle a conservé avec
soin tous les abus legues par le passé ; elle a de
gTanJs revenus mal administres, un svst eme suranné




HISTomE rn: LA r.()~STITUT[oN A~GLAISE. 379


qui enferme dans un cerclo Nroit les efforts des au-
tnl'ités, elle permctá cent paroisscs df~ pcrpétuer leur
déplorahlc existencc, elle cntretient une foule de so-
ciétés dispendieuses et inutiles. Si Londres n'a ni les
emhellissements ni les splcnrleurs de Paris la fante
en est ü sa corporation; et, ponr bonne partie, eette
corporation est responsable de ce qui donne un
aspect miserable el sale ü la ville de Londres. Mais la
eorporation de Londres a été pendant des siecles l'un
des houlcvanls de la liberté anglnise. C'est paree
qu'il se senlait Iort de l'appui que lui offrait une
capitalc bien organiséc que le long Parlement a eu
une vigueur et une vitalité dont il n' aurait pas pu
trouver la source ailleurs. Les principaux patriotes
rlu parti parlementaire eurcnt un refuge dans la cité,
et ee qui, dans notre histoirc, resscmble le plus á une
asscmhlée siégcnnt en permanence, e'est ce comité du
Guildhall oll avaient le clroit de voter tous les membres
:'L mesure qu'ils se présentaient. Jusqu'au temps de
George IJI, la ciLé fut un centre utile ponr l'opinion
publique. En: la consorvant, nous avons, comme en
d'autres circonstanees, introduit dans l'édifiee politi-
que certains débris de l' échafaudage qui avait servi á
le construire.


M. de 'l'ocqueville avait eoutume de soutenir que
SOllS ce rapport non-sculement les Anglais étaient
excusables (le par leur histoire, mais qu'ils avaient
raison en bonne politiqueo 11 a Iondé ce qu'on peut
nnmmer le cult« des corporations. Bien tIC' plus na-




380 CONSTlTUTION ANGLAISE.


turel qu'en France oit le peuplc ne sait pas s'organiser
Iui-mérne, ou le préfet doit donner son avis et pren-
dre l'initiative en toute chose, un penseur solitaire
ait été conduit par dégoút rl'un svstémc exngéré dont
il connaissait le mal, aadopter un autre systcme non
rnoins exageré dont il ignorait les inconvénients.
Mais dans un pays comrne l'Analeterre, OU l'esprit
pratique est si répandu quc pour un ahus quclconque
on peut facilement organiser un comité de vigilance
et trouver un comité exécutif capahlo rl'appliquer le
remede convenahle, nous n'avous pas hesoin ponr
nous instruire en matiére politique, comme M. de
Tocqueville cherchait á le faire, d'étudier dans quelle
mesure il faut repartir le pouvoir entre des corps in-
dépendants et le pouvoir central. Toute l' éducation
que les municipalités étaient capablos de HOUS donner
nous l'avons rnaintenant; nous avons fini nos études,
Et maintenant, arrivés :'t 1':lge mur, nous pouvons
mettre de coté ce qui nous servait pendant notre
enfance.


Les mémes causes sorvent d'explication aux ano-
malies innombrables de notre politiqueo .l'avoue que
je ne partage pas entiérement la répulsion que ces
anomalies inspirent a quelques-uns de nos critiques
les meilleurs. 11 est naturel que des gens habitués par
des études spécialesaconsidérer toutes choses au point
de vue artistique, éprouvenl un peu d'antipathie pour
ces singularitús. Mais il est naturel aussi que des per-
sonnes hahituées Ú l'annlyse des instiuitions politi-




HIS'fOrnE IH: L\ f:{)SSTlTL'TIOS .A~GLAJSE. 381


ques accordcnt ú ces anouralics un certain degré d'at-
tachement el d'intérét, cal' elles peuvent nous donner
quelqucs enscignements. La philosophie politique
cst une science encore imparfaite ; elle se fonde sur
des observations que fournissent quelques systémes
politiques et quelques États, et ces observations ont
desrésultats précieux.Mais iln'en reste pas moins que
lesdonnées dont elle dispose sont incomplétes. Lesen-
seignements qu' on en retire sont fort bons quand ils se
trouvent d'accord avccles hypothéscs prernieres, mais
ils peuvent étre Iaux dans le cas contraire. Pour la phi-
losophic politiquc une anomalie politique jouele role
d'une maladie rare aux yeux de la science médicale;
e'est un cas intéressant. Il y a matiére á instruction
dans ce cas, alors méme que les conelusions ordinai-
res se trouvent en défaut. Il m'est done impossible
de repousser, comme tant d'autres, ces anomalies.
Suivant moi ce serait s'exposer a perdre la trace de
vérités importantes qu'on scrait bien aise de décou-
vnr.


Sous ecLLe reserve, j'admets et je vaisjusqu'á affir-
mer que notre cunstitution est pleine de hizarreries
qui l'embarrassent, qui lui nuisent, et qui devraient
disparaitre. En plusieurs points, notre législation
ressemble aux fuuhourus des villes oü les rues ser-,
pentent d'unc maniere si rapricieusc qu'on est long-
temps á savoir commcnt elles se relient. A la fin un
s'apercoit qu'elles se sont Iormées par l'établissement
successif de maisons en suivant des haies tortueuses
./~~..-


..Ir




382 CO~STlTtlTWN ANt:LAISE.


qui existaient autreíois, el, si on les suit jusqu'aux
champs, on arrive ase rendre compte de cctte forma-
tion en la voyant se produire ason origine. Il en est
de méme pour certaius traits de notre eonstitution
qui se sont dessinés ades époques oii la populaíion
était disséminée, avait peu de besoins et des habitu-
des simples; nous les acceptons, en apparence, quoi-
que la eivilisation soit venue avec ses dangers, ses
eomplieations et ses jouissances. Ces anomalies, dans
un grand nombre de cas, marquen! les endroits ou
ont eu lieu eles luttes sur le terrain constitutionncl.
La ligne destinée aservir de frontióre entre les pré-
tentions eontraires a été tracée au hasard de la lutte,
selon que les combattants, avant de mourir, sont par-
venus al' imposer par la force; les générations sui-
vantes se sont livrées ailleurs d'autres combats, et la
ligne qui, a l'origine, devait marque!' seulement les
résultats de batailles indecisos, esL derneurée pour
Iormer une limite perpétuelle.


Je nc regarde pas comrne une anomalie l'existence
de notre double gouvernement, avec ses accidente
sans nombre, quoique la plupart des hizarreries clont
on se plaint souvent en dérivent. La eoexistenee d'un
sembIant de prérogative royale et d'un gouvernement
réel dans Downing street est ehose qui ,convient á
notre pays el anotre siecle (t).


(1) Notre gouvernement réel cst tcllement caché que, si vous
demandes a un cocher de vous transportor dans Downing strcet,
il vous dira probablernent qu'il n'a jamais entendu parler de cette




HISTomE DE LA CO;\STlTUTIO:\ Al'1GLAÍSE. 383


Notre histoire et les institutions qu' elle nous a
léguées ont eu une grande intluenee sur notre carac-
tére national ; impossible d'exagérer l' effet de notre
histoire el de nos institutions sur l'idée qu' on a eom-
munément de notre caractcre. La moitié du monde
s'imagine que l'Anglais est né incapable de logique,
qu'il aime la complexité pour elle-méme et qu'aucun
peuple doué de logique n'aurait fait la eonstitution
qui est la nótre. Il est eertain que personne ne l'a
faite. e'est un résultat eomposite d'efforts divers, dont
fort peu visaient ú l'ensemble, et dont la plupart n'a-
vaient qu'un rapport limité avee le hut immédiat.
L'reuvre politique de la. France elle-méme se trouve
dans le méme eas. Sous l'aneien régime ehaque pro-
vinee avait des institutions tradiLionnelles fort eom-
pliquées, qui sont tomhées dans l'oubli surtout paree
qu'ellesétaient si embrouillées qu' on ne peut les dé-
Iinir c1airement et avee exaetitude. Elles étaient si
mauvaises qu'on a eessé d'en tenir eompte dans l'es-
prit national. Sous le gouvernement acluel lui-móme ,
dans les eas OU il se trouve qu'un granel fait politique
est le résultat d'arrangements varios, on remarque
l'existence d'une eertaine eomplexité. Qu'on essaye
de déerire avec exaetitude les rapports de l'Empire
avee les chemins de fer, on yerra que e'est entre-
prendre une tache tres-difficile, tant l'état actuel de


rue, et il ne connaitra pas la rouíe qu'Il faut suivre pour vous y
, eonduire,




384 CONSTlTUTION ANGLAISE.


ces rapports est complcxc, tant il est inexplicable, si
l'on ne se reporte aux conventions antéricurcs.


Une preuve tirée de la linguistique, cctte pierre
de touche la meilleure pour éprouver le caractóre
d'un peuple, démontre que les Anglais aiment encore
plus la simplicité que les Frnncais el supportent
moins volontiers des anomalies sans raison d'étre.
S'il en était autrement, on verrait bien súr édi-
ter á Paris plus d'une jolie étude sur l'esprit con-
servateur vraiment harhare en matiére de Iangage
qui, dirait-on, engage les Anglais á conservar l'usage
des genres dans leur grammaire. Comme ce sont
les Francais qui out conservé la distinctíon des
genres, tandis que nous l'avons abandonnée, on
n'entend pas parler de cette anomalie; mais en
est-il qui soit plus ridiculc et plus difficile aexpli-
quer? on ne s'en rend compte qu'en fouillant
dans le passé de la langue francaise. La grammaire
anglaise est un témoignage, éclatant de la sirnplicité
qui est dans nos goúts. On reconnait, je crois, que les
Américains ont de la logique, ainsi que les Francais
et les Allemands; de sorte que les peuples d'ou nous
sortons et ceux que nous avons engendres ont des
qualités dont on nous prétend dépourvus. Il Ya dans
une semblable théorie une telle improhabilité qu'on
devrait y renoncer.


Néanmoins, tout en reíusaut d'aduiettre que la
constitution anglaise est le produit d'un caractére na-
tional qui n'a point de logique, et Lout en affirmant




1I1STOlllE /lE LA CO~STI'ITTlO~ A:"CLA1SE. 3R5


qu'au l(Hld le caractcre aIlg¡ai~, sous le rapport de
l'intel1igcnceel de la morale , a de la solidité, j'accorde
que notre constitution, qui pour la plupart d'entre
nous est une sorte 11' ónigrne, d'énigrne bienfaisantc,
il est "raí, ne pcut pas etrc regardée comme un mo-
dele de symétric. ~lais si elle est honne á nos yeux,
quoique on l'accusc d'étre illogique , il est permis de
supposer qu'au fond elle est raisonnahle.


C'est parce que les excel1cnts effets de cettc con-
stitution ont une origine inexplicable qu' on est porté
ú douter de l'utilitó des choses qu'on peut explique!'.
Et pour ce qui a trait spccialement á la constitution,
on en arrive á penser, avec raison, qu'il est dangereux
de trancher les questions rapidement et d'un seul
coup. Il Iaut prendrc la peine d'étudier le plan d'un
vieil édifice avant de proposer un plan destiné it le
remanier ; les ópnres vont tres-bien quand il s'agit
d'un emplaccment vide, mais il n' en est pas ele méme
des construotions dont on charge un édifice gothique.
Avant d'opérer un changement dans notre constitu-
tion iI faut étudier et dessiner la partie qu'on se pro-
pose de modifier, el cela n'est pas toujours facile a
exécuter avec précision. Il est si vrai en déíinitive que
les Anglais ont une véritahle logique dans l' esprit,
qu'ils en sont venus arcgareler leur constitution non-
seulemenl comme un ensemble de précédents, mais
comme un ruodele ; aussi ont-ils plus de conñance
dans les mesures qui ont avee les parties existantes
quelque analogie que dans celles qui leur font con-


BAGEBOT. 22




386 CONSTITUTIO~ A~t;LAIsE.


traste. Mais ces mesures qui ont un cnractcre d'analo-
gie avec l' ordre constitutionnel ótahli plutót ces derni-
mesures, encore faut-il qn' on puisse les comprendre.
Les innovations, par cela méme fIn' elles sont des
inuovations, ne pIaisent guere au caractere anglais, et
si l'on en doute, on n'a qu'á proposer un plan (le
réforme électorale qui soit un peu original, on verra
combicn il faudra pen (le temps ü l'auteur de ce
plan pour qu'il en soit réduit ü avoir un nombre de
partisans tout ;\ fait insigniíiunt.


Enfin, notre histoire et ses rósultats complexos ont
fait de la grande question politique rlu jour, la ques-
tion c1u suñrage électoral, un problerne extremernent
difficile ; tellement difficile qu' on n'en peut attenelre
aucune solution parfaite et qu'il faut se résigner a
choisir entre des embarras.


II Ya deux sortes de pays rlans lesquels la question
du sufTrage électoral est facile a résoudre. Dans un
grand pays OÜ il n'y a que des eultivateurs, on la so-
ciété ost homogéne, OLI l'aisancc est généralement
répandue ainsi que l' éducution, on ne peut manquer
el' avoir des colléges électoraux convenables. Tracez
sur la carte de ce pays des parallélogrammes d'égule
superficie, et nommez les circonscriptions electorales,
ou hien encore distribuez l'ensemble des habitante en
certaines aggiomérations, égalosquan tau nombre,pour
en faire des colléges électoraux, l'eífet sera le méme.
Une nation grossiére, oü l'éducation é1émentaire est
répandue, oü l'aisance est assurée atous, parviendra a




HISTOIHE DE LA CO~STlTUTION ANGLAISE. 387


Iournir un Parlement passnble avee un systéme élec-
toral queleonquc, bien qu' elle soit incapablc de uom-
mer un Parlement distingue. On peut encore se Iaire
l'idée d'un pays ou la partie la moins éclairée ct la
moins riche de la nation consenLira il accorc1er les pri-
viléges électoraux aux gens plus instruits. Ce serait
lit un térnoignage de respect fondé sur la raison et.
qu' on pourrait justiíier. Dans ce pays il serait possi-
hle d'accorder :l tous les hahitants le droit de valer
en donnant aux gens riches et instruits plusieurs
votes. Le peuple consentant a reconnaitre certaines
classes ot certaines capacités, on aurait les moyens
d'oífrir ú ces classes et il ces capacites une large part
rlans les affaires politiquea. lVIais de ces deux pays
diíférents, l'Angleterren'est ni l'un ni l'autre. Comme
jo l'ai démontré, peut étre á satiétó, dans une étude
prócédoute, nous sommes un peuple respectueux,
mais respectueux par imagination et non point par
raison. L'hornmnac des classes ignorantes s'adresse,
chez HOUS, non pas ú des indivirlualités, mais ú des gé-
néralités, non pas ú des choses precises mais h des
ehoses vagues; ces classes sont éblouies par le ma-
gnifique spectacle de la sociétó anglaise, elles se pro-
sternentvolontiers.mais elles ne se rendent pas compte
(le lcurs ieloles, elles ne raisonnent pas leur culte.
Un village anglais est en ce moment fort heureux,
trés-satisfait, il accepte le gouvernement, il l'aime.
Mais n'espérez pas le contenter en lui posant des
questions, en lui disant : « Vonlez-vous confler les


;.,
, .




388 COl\:STlTl'TION Al'\(;r,AISE.


affaires politiques aux personnes qui ont 1111 loyer de
vingt-cinq ou trente livres sterl.? ou bien encere, con-
sentez-vous ;'l voter á condition que les personnes qui
derneurent dans de grandes maisons ou qui savent
bien lire et bien calculer aient plus de votes que vous
n'en aurez 't» Si l'on veut bien coinprcndre ce qu'est
l' Angleterre, supposons qu' on asscmhlc des paysans
du Dorsetshire aupres de la mare du villnge pour leur
adresser solennellement ces questions ; le rnaximum
d'intelligence auquel s'élévera ce conclave aura ponr
expression des mots de ce gellre: \( Ah ! rnonsieur,
-'ous nutres gens hion élevés vous étos tn"s-0I1IC11-
dus; et la Reine, que Dieu hénisse , nous proté-
gcra. »


Des qu' on s'est bien pénetrc de cette idee que l' An-
gleterre est une république déguisee, il faut avoir
soin de traiter avec un certain tact les classes pour
lesquelles ce déguisement est nécessaire. Il est de
fait que les plus avancés d'entr« nous savent traiter
ces classes avec ménagement. Nos plus hardis déma-
gogues se tiennent ú l'écart des viliages, des petites
villes, des ferrnes isoléos ou les idees sont peu répu-
hlicaines. Ils ne descendent méme ras dans les ruelles
pour y traquer les ignorants. S'ils y allaient ils n'y
rencontreraient prohablcment pas (le gens aspirant
aux droits électoraux, ou sachant mérne ce que cela
signifie. Paríois ces classcs ont des hesoins, de grands
hesoins. Mais elles intcrromprnicnt les meilleurs dis-
cours de M. Hrigh! en criaut, counue la popnlace de




HISTOlHE HE LA COr\STIT(íTIO:\ A~GLAISE. 389


París : « Du pain, du pain, et pas de longs discours ! »
Jíonapartc, on le sait, avait espéré conquérir l'amitié
des J~gypliens en leur prornettant une constitution ;
ainsi que l'a (lit avec raisou M. Kinglake, c'était agir
comrue le chasseur <tui espérerait arriver Úremplir sa
gibeciere en promettanL ú des perdrix une chambre
des communes. On obtiendrait le méme résultat en es-
saynnt ele faire une constitution bien claire pour nos
classes ignorantes. Aujourd'hui ellesont pour le pou-
voir une déférence involontaire, inconsciente, et e'est
fort heureux ; mais elles no lui accorderaient pas de
défércnce en vertu d'un raisonnement.


Il suit de lú que l'Angleterre en somme ne ressem-
hle ni aun pays oü le nombre gouverne, ni ú un pays
ou l'intelligence est au pouvoir par cela seul qu'elle
est l'intelligence. Les masses sont infiniment trop
ignorantes pour gouverner par elles-mómes, el, quant


á l'intelligence, elles sont incapables de l'apprécier.
Elles comprenncnt le rang, elles comprennent la ri-
chesse; mais apart ceUe expression «e'est un malin»
elles n'ont pour apprécier l'intelligence que peu de
qualités et peu de formules.


Le systeme actuel, couune je l'ai démontré, ne
manque pas de singularité. Ce sont les classes
moycnncs qui guuvernent Ú l'omhre des classes éle-
vées. L'immenscmajorité des collégesélectoraux, dans
lesbourgs au moins, appartientála petite bourgeoisie,
el la majorité des co\légcs électoraux, dans les comtés,
n'nppartient pas il la hourgeoisie la plus élevée. Ces


22.




390 CONSTITUTION ANGLAISE.


électeurs ne sont pas de ceuxqui attireraicnt les hom-
mages si on les voyait. lis ne sout que les dépositaires
des hornmnges qu'on rend á d'uutrcs. La masse des
population~ en Angleterre n'a (le la dcférence que
pour l'aristocratie, mais les élcctcura nominaux sont
comme des intermédiaires qu' on ne choisit pas pour
leur propre mérito et qui ne choisisscnt pas de repré-
sentants dans Ieur propre c1asse.


Ce n' est pas une ohservation agréahle á faire que
de voir combien notro systéiuc est artiíiciel, et d'étre
persuadé qu'aucun systcmc naturcl ne nous convien-
drait. Notre systéme électoral produit la chamhre des
eommunes, et cette clmmbre est souveraine. La qua-
lité de cette charnhre fait celle du cahinet, ceHe de
l'administration , ceHe de notro politiqueo Ainsi nous
avons accordé avec les droits élcctoraux le pouvoir
supréme á des personnes qui ne sont choisies rl'aprés
aucun svsteme préconcu, et qui seraient inacccpta-
hles pour l'accomplissement de leur tacho si elles s'a-
visaient de choisir la ch.uuhre des conununes dans
leurs propres rangs, Et cependant un systéme plus
simple nous serait fatal. Certaines personnes sont
mécontentes de ce qu' elles nonunentla faihlesse du
parlement, lequel leur semble Iaible non pas sous le
rapport de l'esprit ni de l'opinion, mais au point
de vue de l' action ~ ces personncs esperent qu' on aug-
menterait l'énergie du parlcment au mo~'en d'une
réforme complete dango le sens dómocratique. Elles
110ns font (les métaphores ou il est question de Titan




HISTOlHE BE LA CO:.\"STITOTlON A~GLAISE. 391


qui repren.l des forces en touehant la terre; je crains
Iort qne mérue pour ces personnes-la eet exemplc ms-
thologique joue le róle d'un argument. e'est supposer
qu'au has de l'échelle socialc il y a de I'énergie paree
qu'il s'y trouve des passions. Mais il faut des idees en
mérne temps que de la force, et nos classes ignorantes
el, pauvres n'ont pas Il'idées. Examinons la rnaticre
attentivernent :


Supposons qu' Oll étende le droit de suífrage par-
tout en AngleLerre rlans les collégoséloctoraux actnels.
II en résultera que les corntés seront tout autant,
sinon plus qu'aujourd'hui, á la disposition des pro-
priétaires fonciers. Au moyen de leurs employés qui
n' ont jamais en une opinión politique raisonnable el.
qui ne prétendeut ni á I'intelligence ni al'indépen-
dance, ces propriétaires seront maitres des colléges
électoraux. Plus on ahaissera le cens électoral, dans
les comtés agricoles, au point de le mettre á 20 1i-
\TeS sterl. ou méme á 15 livres stcrl., plus on affer-
mira la domination de ceux qui y ont aujourd'hui de
l'intluence, plus OJl uflerruira le joug des Ouarter
sessions,


Quant aux petiLs hourgs, plus on y étendra le
.lroit (le suflrage, plus on assurera la prépondérance
rlu capital. Dans le plus grand nombre des petites
villes il n'y a pas d'ouvriers s'occupant beaucoup de
politique ou se respectant assez pour ne pas vendré
leurs suffrages; il n'y a point parmi eux vingt indivi-
,1118 S11r rlix mille qui soient á méme de comprendre


. d:
.\\
'''''''-'''.




392 CONST1Tt'T1ü:'{ A:'íGLAISE.


pourquoi on pourrait les hlámer de se livrer :'t ce
trafico Ils savent que c'est l'opininn (les «gens hien
élevés », mais ils pensent que e'est un préjugé des


.,'


hautes classes, une ele ces inepties que les fiches in-
ventent quand ils parlent des pauvres. Des personnes
bien informées m'allirment que ce sentiment popu-
laire, loin de diminuer, ne fait que croitre tous les
jours. Outre que l'influence du capital augmente d'an-
née en année dans les collégcs élcctornux, les ques-
tions qu' on yagite ysont de moins en moins á la portee
des pauvres gens. Si le ritualismo était une question
politique, ce serait diíférent. Je ne donte pas qu'un
candidat qui pourrait se déclarer antiritualiste contre
un adversaire ritualiste, ne Iút nommé par acclnma-
tion. Il serait le vrai représentant des électeurs sur la
scule question pcut-étre dont ils aient souci. En plu-
sicurs enelroits, un électeur aventurerait sa vie s'il
consentait ase laisser corrompre pour « voter en fa-
veurdu Pape », Mais qu'une personne essaye d'expli-
quer la réforme administrativo, ou la reforme ele la
loi, ou méme la réforme parlementaire devant un au-
ditoire que le hasard aurait assemhló dans un petit
bourg, elle ne parviendra qu'á ennuyer son monde.
Il n'est pas un seul ouvrier dans ces hourgs qui songe
de lui-méme a ces questions ou qui soit capable de
les comprendre sí on les luí expose rapidemcnt OH
de vive voix. Les personnalités intéressent davantage
la multitude. Un candidat novice demandait il n'v a
pas longtemps ;', un vétéran quel sujet il devrait




HISTomE nE LA CONSTI'JTTION ANGLAISE. 393


traiter. « Parlcz (le Glarlstoue on de Garibaldi )), lui
fut-il répondu. Parlez-en le plus longtemps possible
et revenez-y le plus vite possible. )) I1 Y a si peu de
sujets qui oflrení aujourd'hui de l'intérét aux élee-
teurs pauvres, et, en revanche, on leur prodigue tant
d'argent, qu'au lieu de leur faire un crime de se lais-
ser corrompre il faudrait les regarder comme des
anachorótos, en matiére politique, s'ils demeuraient
incorruptibles. Plus on ahaissera le cens électoral
dans les peritosvilles, plus on augrnentera la prépon-
dérance du capital.


Pour les grandes villes, e'est une autre affaire;
1;\ du moins on trouve un peu plus de variété. Ces
villes renferment un grand nombre d'artisans qui ont
récllement de l'intelligence, qui sont capables de se
íorrner une opinion poli tique et qui sont heaucoup
trap a leur aise pour céder a la corruption. Dans
quello proportion exactc y compte-t-on ces artisans,
je l'ignore. Un sait ú quoi s'en tenir á peu prós sur le
nombre rl'individus qui composent la classe des arti-
sans, mais dans ce nombre il y en a qui différent
heaucoup des autres ; il Y en a hcaucoup qui ne se
mélent jamais de politique et qui, tout ú fait incapa-
hlcs de s' en méler, ne songen t qu' aux plaisirs qu' ils
peuvcnt se procurer. Aquel chiílre s' éléve le nombre
des artisans éclairés et celui des artisans inférieurs
qui ne valent ras mieux que le reste de la multitude,
f:' cst lit ce qui échappo i\ nos moyens d'investigation.
I'oint de statistique mentale 011 morale pour aider a




394 r;ONSTlTUTION ANGLAISE.


cette recherche ; je ne me reconnais p:ts comme com-
pétent pon1' donner une opinión lá-rlessus, et les éva-
luations qn'on m'a Iournies s'ócartent énormément
les unes des autres. Bornons-nous done á dire que les
deux classes d'artisans étant fort uomhreuscs, on doit
en polilique s'en préoccuper heaucoup.


Mais le vote d'un ouvrier ignorant est it la disposi-
tion des meneurs. Il ne m'est pas possihle d'expliquer
dans le détail comment on s'arrnnge ponr en tirer
parti dans les grands collt'~ges aectnraux, mais i\ cst
de notoriété publique que l'al'gelll achéte ces votes el
que certaines personnes en répundcnt par de vérita-
blesmarchés. Les agents élcctorauxdresscnt une carte
pour l'ensemble d'une circonscription, et chaque
entrepreneur qui se charge d'un district ou d'une cer-
taine quantitó de votes, a sous lui des sous-entreprc-
neurs ponr les diversos partios (In district, Voilá ce
qui attend tous les ouvriers, Úl' cxception des plus aus-
teres et des plus intelligents, comme cela se pratique
d<"já Ü l'égard de tous les élccteurs qui appartiennent
aux derniers rangs de la classe lllOyennc quand ils
n'ont ni intelliaence ni austérité. Ainsi dans les aran-


e.. ~.J


des villes le capital domine comme dans les petits
bourgs.


De cet examen nous pouvons done conclure que le
suffrage ultra-démocratique, loin de nous ollrir une
chambre des communes plus llOrnog'óne et plus éner-
giqne, aboutirait en somme it un résultat oppos{·. II Y
anrnit ;\ la chamhr«, d'ahord nn nouvel {~Il~rmmt, qni




HISTOIHE DE LA CONSTJTUTION ANGLAISE. 395


rcprésenterait les ouvriers intelligents, mais cet élé-
ment serait tout á fail en minorité, et compterait pou!'
peu de chose dans la Ioule ; ensuite des mernhres
riches représenternient les gros hourgs dont ils au-
raient acheté les voix; d'autres rnembres riches repré-
senteraient par les mémes procédés les petits hourgs,
enfin les représcutants des comtés seraient á peu prés
ceuxd'aujourrl'hui sice n'est que peuí-étre ils seraient
encore plus imhus des préjugés de leur classe. 01' le
capital estle plus timide (le tous les óléments sociaux,
ct les repróscntan!s les plus rlisposés á acheter leur
cntrée ;\ la clmmbrc sont les gens qui ont le plus d'i-
gnorance en ruaticre politiqueo Enriehis depuis peu,
aprés avoir aequis leur fortune par leur travail et leur
habileté dans les aílaircs, ou bien encore hommes
nouveaux qui veulent passer pour riches et qui sont
forternent engagés dans le cornrnerce ou dans les
compagnies industricllcs, ces gens-lh n' ont jamáis
porté une grande attention ;\ la politiquc, n'avant ni
le loisir ni peut-ótro les ten.lances nócessaires pour se
mettre ú éturlicr la poli tique ú l':lge ou ils sont arri-
vés; ils flottent au gré des opinions :\ la mode, se lais-
sent guider par les journaux, adoptant ce qu'ils di-
saicnt la semaine prócódentc el. )11'61s ú adoptcr ce
qu'ils diront dans une autre scmnine. De semhlahles
réprésentants ont un rlouhle motif rl' étre timides ; en
leur qualitó d'hommes richcs ils doivenL craindre
pour leurs capitaux, en leur qualité d'ignorants ils
iloivent craindre de se lnisser entrainer dans certaines




396


questions dont ils ne peuvent embrasser l'étendue.
Done pour leur part, ils ne donneront aucunevigueur
nouvelle ala chambre ; et commele propriétaire noble
n'v apportera pas non plus d'ónergie, la chambre
sera devenue plus hétérogene el probahlement plus
indécise et plus timide encore qu' elle ne l' est aujour-
d'hui.


On me dira que cette maniere de raisonner pré-
supposc qu'on maintiendrn l' organisatiou actuclle des
colléges élcctoraux sans changoment t011 t en ahais-
sant le cens electoral, el, que toute la dórnonstnuion
dépend de cela. Je le nie et j'aífirme qu'on aura beau
remanier les circonscriptions, le résultat sera toujours
le méme. Il n'y aura pas assez de citoyens purs et aus-
téres, si l' on abaisse le cens électoral, pour élire une
Iraction nouvelle de la chamhre qui soit el'une qua-
lité supérieure, peu importe l'organisation des collé-
ges : l' aristocratie íoncióre et nobiliaire a ses siéges
marqués el'avance á la chamhre, et l'argent a partout
son intluence. Ce n'est pas notre constitution qui
cause le mal, c'est le caractére de notre pcuple.


Autant que j'en peux juger, la théarie qui voudrait
donner al'administration plus de force en rendant le
gouvernement plus démocrntique, cette thcorie repose
moins sur un raisonnement précis fIu' elle n'est af-
faire de croyance. Des esprits ardents prétcndent que
d'une maniere ou d'une nutre l'Anglcterre doit se
donner le meilleur gouvernernent possiblc, et voyant
que le parlement nadopte pas leurs idées avec réso-


..




..


HfSTOIRE DE LA r.ONSTITUTION ANGLAISE. 3M


lution, ils s'en prennent :'t lui el chorchent les moyens
les plus faciles de modifier la composition du Parle-
ment, Mais que sert de modifier le droit de suffrage ~
r:'est nous-mémes, e'est notre caractóre qu'ilfaut mo-
difier. Le degré d'habileté d'un gouvernement lihre
eorrespond :icelui de la nation ; le gouvernement pro-
vientde la nation, il doit étre comme elle-méme. Si
notre politique est faible, la source de eette faiblesse
est en nous-mémes, elle est dans notre ignorance.
Mettez en piéces les cerveaux de vingt personnes que
vous eonnaissez et voyez combien peu vous yrencon-
trerez de science précise, d'opinions définies, d'idées
fixes sur la politiqueo Voyez aussi comme le juge-
ment de chaeun vacille et change selonles faits du
jour, selon les articles des journaux ; remarquez la
variété des opinions. Il n'y a peut-étre pas deux tetes
qui aient les mémes idées, amoins que ce ne soit une
idée venue du dehors, qu'on s'est appropriée, et il
est possible encore que ce soit tout simplement un
préjugé stupide. Ni un homme, ni une nation ne
peuvent avoir de la viguenr s'i1s n'ont une doctrine
rléfinie el fixe.


Ceux qui proclament lesdroits desouvriers devraient
profiter de l'enseignement que la France nous offre.
L'expérienee qu' elle a faite prouve d'une facón con-
cluante que le suffrage universel n'est pas nécessaire-
ment favorable anx ouvriers. Les ouvriers intelligents


< '


de Pai-is, de LY011 el d'ailleurs sont les adversaires
les plus arrlents rlu gouvernernent imperial. Ce socia-


IU(;rlloT.




398 CONSTITUTION ANGLAISE.


lisme qu'ils avaient révé a été, sinon l'objet réel, du
moins le prétexte accepté du coup d'État; il ne se
passe pas une élection sans qu'ils envoient au Corps
législatif autant de membres appartenant al'opposi-
tion qu'il leur est possible d'en envoyer. Cependant
l'empereur se flatte, et avec raison, de gouverner au
moyen du suffrage universel ; fermement appuyé sur
la peur et sur l'ignorance des innombrables proprié-
taires des campagnes, il dédaigne l'opposition des
ouvriers intelligents aussi bien que celle des classes
lettrées des grandes villes; il sait qu'iJ. n'a pas
leurs sympathies, et il les laisse faire. Comme la
France est, en comparaison de l'Ang1eterre, un pa-ys
homogéne; comme sa population agricole dépasse de
beaucoup la population des villes, et comme un em-
pire fondé par l' élection détruit l'influence des mino-
rités, il est certain que dans ce pays le résultat du
suffrage universel a été d'établir un gouvernement
fort. Mais ce gouvernement est établi sur l'esclavage
dela classe intelligente alaquelle nous voulons préci-
sément donner le droit de suffrage; de plus, n'avant
pas un pays homogéne, et possédant un gouverne-
ment parlementaire quiaccorde une certaine in-
íluence aux minorités, nous n'obtiendrions pas du
suffrage universelle bien que les Francais en ont re-
tiré, et nousen aurions tousles inconvénients,car l'ou-
vrier intelligent serait id débordé par le nombre
comme ill'est en France. •


Ainsi, la nature de notre systéme social nous inter-




HISTOInE DE LA CONSTITUTION ANGLAISE. 399


dit ces changements Lrusques et téméraires que les
docteurs politiques nousprescrivent. Sans doute, ces
changements n'améneraient pas les massacres et les
conííscations que des esprits peu réfléchis appréhen-
dent. Malgré les lecons de M. de Tocqueville et de
cent autres on se laisse dominer par les terribles
exemples de la Révolution francaise. On croit que la
démocratie signifie la guillotine, et que suivant l'ex-
pression de Sidney Smith (t elle détruit en rnéme
temps la vie et les revenus de 1'homme » , Mais chez
nous la démocratie signiíierait la domination du ca-
pital et surtout la prépondérance sanscesse croíssante
desfortunesnouvellesdontlesdétenteursspéculeraient
sur l'ignorance du peuple. Cela ne détruirait pas su-
bitement notre constitution, mais notre constitution
en souffrirait beaucoup paree que le Parlement en
souffrirait lui-méme. Que faut-il donc faire? Notre
systéme électoral est-il donc si perfectionné, si délicat
qu'on ne puisse y toucher? Ne pouvons-nous donc
mettre la constitution en harmonie avec les besoins
de notre temps comme nos péres ont fait a leur
époque?


Il faudra faire quelque chose. Ces ouvriers qui sont
nomhreux, organisés, intelligents, qui vivent en pré-
sence des plus grandes fortunes et des plus merveil-
Ieux phénoménes du crédit, il serait imprudent de
les fatiguer en leur offrant constamment, pour leur
refuser ensuite, le droit de suffrage. Assurément nous
pouvons résister aleurs forces en llOUS appuyant sur




400 ('.ONSTlTUTlON ANGLAlSE.


lereste du pays. Quoique puissants et redoutables par
le nombre, ils seraient vaincus s'ils s'attaquaient á la
propriété ou troublaient l'ordre public; si leur cause
était injuste nous pourrions leur résister; mais com-
ment employer la force physique ou morale devant
une réclamation légitime? La classe ouvriére est
digne d'obtenir le droit de suffrage, il est á désirer
qu'on le lui accorde.


L'expédient le plus simple qu' on ait encore proposé
dans ce but, ce serait de revenir á l'ancien systéme
anglais des suffrages différents selon les bourgs, qui
existait avant l' acte de 1832. Ce systéme peut-il ou ne
peut-il pas étre rétabli, je l'ignore, mais je crois hors
de doute qu' on a eu tort de l' abolir. II fournissait
a notre constitution un élément de variété, la precisé-
ment oü il était utile qu'il yen eüt. Sir James Mackin-
tosb, lord Russell et d'autres whigs en ont fait l'éloge
dans leurs écrits. Dans la précipitation presque révo-
lutionnaire du moment et avec ce désir qu'on avaitde
ne pas surcharger de détails la loi nouvelle, on a mal-
heureusement mis de coté le legsprécieuxque le passé
nous avait transmis. Mais s'il est possible d'en ressus-
citer le bienfait ce sera le moyen le plus rapide et le
plus facile de trancher la difficulté actuelle.


Je n'ai pas a exposer ici tel ou tel plan qu'on
a suggéré pour obtenir que les ouvriers soient repré-
sentés; la question de la réforme électorale ne nons
occupe qu'au point de la difficulté qu'elle offro, non
pas sous l~ rnpport de la solution qu'elle peut avoir,




HISTOIRB OE LA CO~STlT1JTlON A~(',LAlSF:. ~o t


Elle nous fournit un excellent oxemple des effets epw
\'\lÍstoire et le caractére de notre peuple ont eus sur
notre constitution; elle montre combien il est malaisé
(le conserver et de perfectionner un systéme parle-
mcntaire chez un peuple mélangé el, dont les classes
inférieures sont ignorantes et pauvres; elle nous
prouve incontestablemant ce fait que notre constitu-
tion n'est pas pas fondéesur l' égalité, ni sur des prin-
cipes qui favorisent ouverLement l'intelligence er la
propriété, mais sur certains sentimenLs anciens de
dóférence et sur un curieux moyen de représenter :'I
peu présle bon sens et l'inteUigence; ces deux fon-
dements ne doivent pas étre ébranlés brusquement,
cal' une foisentamés ilsne sauraient étre reconstruits,
et ce sont pourtant les seuls appuis d'une politique
telle que la nótre chez un peuple tel que le peuple
anglaís.


Ces observationspeuvent servir de couronnement ú
mes études sur la constitution anzlaise. Mes études


<..-


auront atteint leur but si elles aident adissiper quel-
ques préjugés surannés dont la tradition avait ohs-
curci un sujet 'important ; si elles engagent d'autres
personnes ale traiter a leur point de vue d'aprés le
témoignagede leurs yeuxet non par oui-dire ; si méme
les erreurs que j'ai pu commettre excitent quelquo
granel penseur á résumer l'expérience de I'Angleterr;('~


l' '1" 1 J' / _...~ponr uti ltl~ ( U g"enre iumam. /0 ~7'
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TABLE DES l\fATI~~RES


INTRODUCTION•.••••.••••.••••••••••.••••••.•••


l. LE CABINET.. • • • • • • • • • • • • • • • • • • . . • • • • • • • • • • • 1


JI. LE GOUVERNEMENT DE CABINET, ses conditions préala-
bIes, sa forme spéciale en Angleterre. • • • • • • • • • • • • 44


nI. LA. ROYAUTÉ ••••• , • • • •• •••••••••.•••••••••• 68
IV. LA ROYAUTÉ (suite)........................... 98


V. LA CHAMBRE DES LORDS . • • . • . • • • • • • • • • • • • • • . •• 14o
VI. LA CHAMBRE DES COIlIMUNES • • . . • • • . • • • • • • • • • • •. 195


VII. LES CHANGEMENTS DE MINISTf;RE ••••.•••••••••• " 256


VIII. FREINS ET CONTRE-POIDS DE LA CONSTITUTION ANGLAISE. 312


IX. HrSrOIRE DE LA CONSTITUTION ANGLAISE. Conc1usion. 350


FIN DE LA. TABLE DES MATIERJo:S.


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