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RECHERCHES
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I-l'ORIGINE .I)E l/IMPÜT.




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UIl)RUIERIE DE l\lmc I1UZARD (~ÉE VALLAT LA CIIAPELLE ),
rue OC l'Í~peron, n" 7, - .Tuillct 18~8.


"




RECHERCHES
srm


l'A 11


POTHER.il.T DE THOU.


Dissimiles igitur formre glomeramen in unum
Convcniunt, et res perrnixto semine coustant ,


LUCRECE.


A PARIS,
Chez LEVRAULT, libraire, rue de la ~arpe, 81;


A STRASBOURG,
Méme maison, rue des Juifs , 33.


1838.




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I




AVANT-PROPOS.


La révolution de 1789 a plutót déplacé le pou-
voir politique qu'elle n'en a changé la nature.
AIO'T's cornme aujourd'hui, le gouvernement dis-
posait seul des ressources du pays; une armée
soldée relevait de lui; la justice, sauf quelques
exceptions sans importanee, se rendait en son
norn : ses revenus étaient le produit de taxes di-
rectes ou d'impóts sur la consornmation : l'action
du souverain sur les sujets s'exercait comme elle
s'exerce de nos jours, sans intermédiaire; seule-
ment la souveraineté est passée dans d'autres
mains ; elle est devenue le patrimoine non d'une
famille, mais du pays.


L'État se résurnait dans une unité puissante
qni dirigeait toutes les forees de la société , sans
étre arrétée par aucun obstacle. L'ancien régime a
légué au nouveau cette omnipotence. La révolu-
tion n'a été stable que pour avoir eu ses racmes
dans le passé : I'instantané , le subit ne durent
ljuere. Elle a donné une sanetion définitive a une
eeuvre cornrnencée depuis huit siecles.




VJ A VANT-PHOPOS.


Cependant, si, au lieu de pénétrer au fond des
choses, on n'en aborde que la superficie, il senr-
blera que tout ait été bouleversé : avant 1789', il
n'est question que de fiefs 1 d'hommages, de sei-
gneuries; le vocabulaire du XIIIC siécle est encore


en vigueur, et qui se bornerait a1ire les traités de
jurisprudence croirait voir la féodalité subsistan t
au XYIlIC siécle.


Il était arrivé ce que ron voit souvent dans
l'histoire, les mots avaient plus résisté que les


- choses, En effet , rien ne rappelle moins I'indé-
pendance féodale que la monarchie de Louis XIV
et de Louis XV; (out pliait devant elle, et les
grands seigneurs n'avaienr d'autre force que celle
qu'elle voulait leur préter, Ces anachronismes
dans les mots ne frappaient pas les contemporains;
des modifications successives étaient passées ina-
perc;ues, mérne de leurs auteurs , et e'était grave-
ment qu'un magistrat philosophe, Malesherbes (1),
citait au siécle de Montesquieu et de Voltaire les
ordonnances du Franc Clotaire ler•


La société était renouvelée ; mais, corume le
changement n'avait pas été systématique , qu'il


(1) ,MaL di mpóts .




AVANT-PllOPOS. VIJ


n'avait pas une date certaine, 00 aimait acroire
que les droits de Louis XVI étaient ceux de Clovis
et de Philippe-Auguste. I.Ja vanité se repaissait
de ces illusions (1); ces dénorninations suran-
nées, sans étre assez puissantes pour ernbarrasser
le gouvernement, I'étaient assez pour étre oppres-


sives. Les rapports des citoyens entre eUX étaient
genés par des préjugés législatifs, contradiction
vivante des lumieres du temps, Enfin, a la des-
truction réelle du pouvoir féodal avaient survécu
quelques débris que leur isolement faisait remar-
quer, el qui soulevaient les haines populaires ; les
priviléges conservés aux gentilshommes n'abou-
tissaient qu'a les rendre odieux et ne les faisaient
pas assez forts pour se défendre.


La révolution a agi d'une tout autre maniere:
il ne lui a pas suffi que le pouvoir exclusif de la
noblesse n'existát plus en fait, elle a declaré que
le nom méme en serait effacé. Il se peut que, plus
tót, le tiers-État eút été obligé agarder quelqucs
ménagements; mais ses ennemis, pou!' lui résister,
ne s'appuyaient que sur des fautómes. Cette des-
truction d'un pouvoir imaginaire a soulevé· une


'1) Bouluinviljiers parle encorc des sujcts de la noblcsse ,




l'J1J AYAN'f-PHOPOS.


opposition que n'avaient pas renconlrée les ré-
formes bien plus réelles de Charles VII el de
Louis XIV. Les hommes tiennent plus a leurs
préjugés qu'a leur puissance. Il y avait longtemps
que le polythéisme , miné par les philosophes,
n'était plus qu'un voile transparent ponr l'in-


crédulité générale, quand le christianisme s'éleva ,
La nouvelle religion ranima la vie de l'ancienne,
qui prodigua a sa rivale des persécutions épar-
gnées ade plus dangereux. ennemís -,


Loin de nous l'idée de rabaisser le mérite du


XVIIle siécle : jusqu'a lui la société, dans sa marche
progressive , n'avait fait valoir qu'un principe,


I'égalité; il l'a consacréc et dégagée de cet entou-
rage de restrictions, legs des temps barbares; mais
il n'a pas voulu que l'égalité fút dans la servitude,
et le premier il a proclamé la liberté. Il n'v eut
plus en France qu'une nation, et une nation 80U-


veraine, La Frunce et I'Europe vivront longtemps


sur ces idées, tant que les conditions actuelles de
la société ne seront pas modifiées. C'est la une
gloire immense, surtout lorsqu'on songe que la


Constituante ne s'est pas bornée ades abstractions,




AVANT-PROPOS. IX


mais que toutes les institutions out été réformées
par elle en vertu de cette théorie.


Les auteurs de ces grands changements ne sont
pas encore tous disparus, et nous n'avons déja
qu'une connaissance confuse et incompléte de ce
qu'ils ont fait, Captivés par la grandeur des évé-


nements, les historiens de cette époque célebre
ont oublié de déterminer leur point de départ, lIs
avaient hate d'arriver aces récits dramatiq.ues oú
l'écrivain fait passer dans l'ame du lecteur une
émotion partagée, et laissaient négligés derriére
eux des détails arides sur les finances et I'adminis-
tration. Cette lacune se fait sentir dans les meil-


leurs ouvrages.
En effet, la révolution ne s'est annoncée que


cornme une réforme des abus dénoncés depuis un
siécle : décrire ces institutions, en indiquer 1'0-
rigine, les développements successifs, voir si l' es-


prit novateur n'y avait pas cléja pénétré, mettrait.
chacun en état de prononcer en connaissance de
cause. Un tel travail, s'il éíait fait avec conscience,
jetterait peut-étre quelque lumiére SUI' la polé-
mique des deux partis qui se sont fait une arme
des événcments de cette époque, Notre sympathio




AVANT-PROl'OS.


est aequise a l'un d'eux; mais n0US le croyons
trop juste et trop fort pour avoir besoin du men-
songe, et la sineérité de notre conviction sera le
gage de notre impartialité.


L'histoire s'offre anous sons deux points de vue
divers : on peut se donner le spectacle des faits
brillants, des batailles , des guerres, des gl'ands
hommes, de la vie extérieure d'un peuple; ou bien
s'arréter a eonsidérer la eonstitution de la société
en elle-meme, les phases diverses qu'elle subit en
traversant les événernents. Cette derniére méthode
a pour elle la briéveté et l'unité : a des person-
nages qui se succédent avec rapidité sur la scéne ,
sans qu'on ait a peine le ternps de les distinguer
et de les reeonnaitre, elle en substitue un toujours
vivant, toujours agissant, le peuple méme dont
elle s'occupe. C'est un drame immense auquel le
lecíeur s'intéresse, parce qu'il voit l'action naitre,
se développer et marcher vers un dénouement.
L'écueil aéviter, e'est l'ignorance des faits réels, le
vague des idées et les jugements précipités. Une
histoire parfaite serait celle qui réunirait les
avantages des deux méthodes; mais eette perfec-
tion est-elle possible? 110118 ne le pensons paso Que




AVANT-PROPOS. XJ


I'écrivaín introduise dans un récit détaillé ces
études minutieuses sur la marche du gouverne-
ment; en vain seront-elles dans l'ouvrage, elles
échapperont aux yeux du lecteur. Les événements
de cette histoire intérieure seront perdus dans la
narration générale ; trop d'intervalle les séparera
les uns des autres pour qu'il soit possible d'aperce-
voir le rapport. qui les unit.


L'ensemble d'un lel travail est au dessus de nos
forces. Dans ce vaste sujet, nous avons choisi la
partie la plus bornee et la plus aride : la fiscalité
de l'ancien régime. Le lecteur nous pardonnera si,
passant acoté des plus gra ves questions, nous ne
HOUS sommes pas toujours renfermé dans les li-
mites étroites de notre sujet : rien n'est isolé ni
dans le passé, ni dans le présent.


Ces recherches prendront un intérét bien plus
vif que celui de la curiosité si l'on veut réfléchir
que leur histoire est celle du peuple : la portien
la plus nornbreuse de la société n'a longtemps pris
part aux événeruents que par ses souffrances; les
gentilshommes, le clergé, étaient seuls sur la
scéne , ils avaient la gloire, la puissance ; mais au
dessous etaicut ces bonnes gens qui cultivaient les




XJJ AVANT-PROPOS.


terres avec le betail dont ils soulaieut ( 1) étre Bar-
nis , les classes pauvres et laborieuses, eomme les
animaux, étaient une propriét.é; si elles n'eussent
contrihué a la riehesse de leurs maitres, apeine
soupconnerait-on leur existence, Les seigneurs et


les rois ne songeaient aelles que pour les exploi-
ter; leurs droits et lcurs devoirs poli tiques se ré-
sumaient dans ce mot : payez! Les détails de Ii-
nance et d'adrninistration pourront done seuls
nous révéler l'état de ectte masse populaire sans
nonl dans l'histoire, et nous permettront de suivre
les progrés lents qui I'ont élevée au niveau de ses
anciens maitres. Nous espérons faire voir que les
modifieations successives de l'impót et de l'admi-
nistration n'ont point été arbitraires ; qu'elles ont
été relatives aux changements de la société, Peu


apeu, de nouveaux-venus prenaient rang dans les
classes éclairées ; la royauté laissait le type féodal,
et le remplacait par la mngistrature de la nation
renouvelée. Le peuple et le roi ont longtemps
marché de concert, s'cnrichissant de con-
quétes mutuelles faites sur un ennemi commun ;
mais quand enfin il n'v cut plus en Franco que


(1) l\lém()ire~ de Yiller»i .




.\ VA NT-PROPOS. XI1J


deux choses, un souverain et un peuple, l'hostilité
remplaca la concorde, et les deux pouvoirs de ve-
JlUS rivaux se disputerent le charnp de bataille.


Cette révolution graduelle, qui a elevé les serfs
du moyen-áge, non pas seulement ala franchise,
mais au pouvoir, est ce qui distingue la civilisa-
-tion moderne de l'ancienne. Dans l'antiquité , les
esclaves sortaient quclquefois de la servitude,
mais pour étre remplacés par d'autres : les indivi-
dus étaient affranchis; la population esclave ,
jamais.


La lutte dn peuple contre la noblesse remplit
l'histoire rornaine , mais il n'est pas question de
ces hommes, dont le nombre dépassait celui de
leurs maitres, qui travaillaient pour eux, qui les
nourrissaient : ils étaient hors de I'humanité. Dans
lEurope chrétienne, au contraire, la civilisation a
marché en ouvrant toujours ses rangs, et peu a
peu tous ont été appelés ajouir de ses bienfaits;
les faits qui jcttent quelquc lumiére sur un si grand
resultar ont done leur importance, surtout aujour-
d'hui que la société , dans sa halte momentanée,
sonde dun mil mquiet les profondeurs de Yavenir
oú elle va s'enfjager.




XIV AVANl'-PROPOS.


Sous le rapport politique, ce fait a une impor-
tance égale : il semble qu'une loi fatale attache la
décadence atout ce qui a brillé; que les races les
plus belliqueuses, les plus vives, s'abátardissent ;
enfin que les nations comme les hommes aient
leur vieillesse; elles ne peuvent se régénérer qu'en
prenant ailleurs la séve et la vigueur qui leur


manquent. Mais autrefois c'était avee du sang
qu'elles payaient eette vie nouvelle, Il a fallu que


des hordes de Barbares eonquissent l'Europe 1'0-
maine ponI' que celle-ci retrouvát ces vertus vi-
riles sans lesquelles un peuple n'existe paso Dans
les temps moderoes, la société s'est renouvelée
elle-méme ; quand les classes qui se trouvaient asa
tete ont été énervées, elle s'est rajeunie en s'asso..
ciant la portien du peuple a laquelle l' enivrement
et les jouissances du pouvoir étaient ineonnus.
1../expérience du XVIII C siécle a prouvé que l'éner-
~ie nationale se retrempait asssi Iortement dans
CJ


une classe que dans une race nouvelle. Ainsi done,
a le bien prendre, I'histoire de notre pays est a
son début. Le role de l'ancienne France a été achevé
en 1789; mais la Franee nouvelle, celle qui date
de eette époque, a devant elle une longue carriére.




AVANT-PROPOS. xv


La répuhlique et l'empire n'ont été que ses pre-
miers pas.


Notre tache est difficile et ingrate, les docu-
ments étaient rares sous l'ancienne monarchie qui
ne rendait de comptes qu'a elle-mérne, L'ordre
établ] paraissait tcllement nécessaire, qu'il n'était
guere l'objet de la curiosité : nous nous efforeerons
(le faire un seul eorps de révélations éparses. Si
quelques personnes trouvaient plusieurs parties de
notre tra vail incomplétes, nous leur rappellerions
que notre intention n'a pas été de faire un traité
spécial sur ehaque matiére, mais seulement un ta-
hleau généraJ qui comprlt les prineipaux objets.
1/aneien ne Franee appartient désormais a la spé-
culation, et non a la pratique; ses finanees, sa lé-
gisIation doivent étre l'étude de I'historien plutót
que celle du jnrisconsulte et de I'administrateur.






RECHERCHES
SUR


L'üRIGINE DE L'IMPÜT.


CHAPITRE PREl\1IER.


DE LAFÉODALlTÉ.


Sa nécessité. -Elle régularise la violence.-La souveraineté
devient privée.-Dudroit de guerre et du droit dejustice.
- Du ser vice militaire. _. ~o.nfusion des lois politiques
et des lois civiles. - Du droit civil. - Les lois person-
nelles deviennent réeUes. -'Troi:5 classes d'hommes en
France. - Du droit de propriété. - Il n'est pas absolu.
- Droit de tester.- Droit d'ainesse. - Influence de la
religion sur la législation.- Donaire. - Communauté.
-Pret aintérétv-s-De la procédure.-Combat judiciaire.
- Appels. - Revenus attachés a la juridiction, -
Amendes. - Confiscation. - Des aides légales. - Du
pouvoir l'oyaI.- Sa faiblesse.- Du peuple.- 11 est en
dehors de l'action politiqueo - Sa condition.


La féodalité a succédé ala barbarie : l' époque
précise de cette révolution a engendré bien des
systémes et n'a point été déterminée; il est pro-
bable ,que le changement eut lieu pea apeu. Les
anciennes coutumes gennaines, les débris du
droit romain , les rapports nés de la conquéte et


1




DE LA FÉODAUTÉ.


et dans celui qui commande et dans ceux qui obéis-
sent; maitres et sujets étaient plongés dans la méme
.19norance.


Les ravages des Normands, en révélant l'impuis-
sanee royale, avertissaient chacun de se protéger
soi-mérne ; la société eüt done péri, si elle ne se fút
fractionnée et si chacnne de ses fractions n'eút
possédé les pouvoirs nécessaires ponr subsister. Ce
morcellernent est la loi inévitable de toutes les civi-
lisations aleur debut. La Gnke, Rome elle-méme,
destinée aune telle fortnne, n'ont été dans l'origine
que les centres autour desquels se sont agglomérés
de petits États indépendants. Les efforts des tr01S
grands hommes qui se sont succédé dans la familIe
carlovingiennan'ont pu Tond-er-un empire; ils
avaient pour eux leur génie, centre eux l'État so-
cial; a la longue, une influence passagére devait
céder aune cause générale.


AprósCharlemagne, onnetrouveque la barbarie,
e'est adire le régne de la force irréguliére; le ré-
gime féodal accepta la force, rnais la soumit ade
certaines regles. Ainsi, par exemple, le droit de
guerre, tradi tion germaine (1 ), ne fut pas enlevé aux
gentilshommes. Il y eut des príncipes , des limites
posés a l'exercice de ce droit antisocial; on peut
en voir le détail dans Beaumanoir.


Un gentilhomme entrainait dans la guerre non


(1) Suscipere tam inimicitias seu patris , seu propmqlll quam
amicitias necesse est , Tacitc. Germ .




DE L~ 1"ÉODALITÉ. 5
seulement sa famille, mais encore ses ami s (1); la
guerre n'était pas permise entre les fréres germains,
non pas a cause des liens du sang, mais paree qu'ils
avaient la mérne familleetque les parentsn'auraient
su de quel coté se ranger; les fréres non germains, au
contraire, pouvaient se guerroyer (2); on prit plu-
sieurs précautions ponI' qu'il n'y eüt pas de sur-
prises : un délai de quarante jours fut donné atous
ceux qui n'étaient pas présentsau fait,ouaux paroles
de défi, origine de la guerreo Enfin, le seigneur put
obliger l'unedes parties , sur la demande de I'autre,
aconclure avec elle une tréve ou une paix. Par cela
seul qu'une chose mauvaise en elle-méme n'est plus
laissée aux caprices individuels , elle tend ase res-
treindre ; quand n s'agít de régler des rapports
généraux entre les hommes, il faut bien que les
idées naturelles d'équité se fassent jour, puisque
c'est la seule loi cornmune. Ainsi la féodalité a
fait un granel bien en introduisant les formes de la
justice dans la violence.


Aucun gOl1veI'nement n'est possible s'il ne peut
se défendre centre ses ennemis el rendre la justice
ases sujets. Dans les sociétés primitives, ce sont
presque les seules attributions essentielles : jüger
et conduire les hommes ala guerre est le role des
rois d'Homére et des barons du moyen-áge ;


(l) l'lIel ron voir que Ji gcntilhoume chieent en gllerrc ponr le
¡'l de Ieurs amis . Beaumanoir, page 302.


('1) Bcaumnnoir, pa¡:;c 300.




6
, ,


DE LA }<'EoIJALITJ<:.


l'une et l'autre fonetion a pour Lut la paix , soit
au dehors , soit au dedans; le droit de justiee et ce-
lui de guerre fut done dévolu aux seigneurs repré-
sentant les petits Él.ats féodaux : mais des États
sans étendue ne se dist~nguérellt pas des propriétés
privées. Cette confusion des lois politiques et des
lois civiles est le caractére spécial du gou verne-
ment féodal; elle a fait longtemps partie du droit
public de I'Europe. Si le pouvoir souverain est
tomhé si souvent entre les mains des fernmes, si
les mariages ont tant de fois changé le sort des
peuples et les rapports des États j c'est que la
souveraineté ne rappelait pas une magistrature, Le
roi Iui-rnéme n'était que le propriétaire d'un plus
grand fief, le pat'tl~3tl3-de5barons,


Chaque liaron était souverain dans sa terre , il
avait le pouvoir législatif, le droit de justice , le
droit de grace, le droit de monnaie; ce pouvoir
était méme si absolu entre les mains des vassaux
qu'ils pouvaient le déléguer (1). Chaque baronnie
avait done en elle ...méme tout ce qui constitue une
société ; cette petite société elle-méme se subdivi-
sait , le baron n'avait pas une antorité entiére sur
ses vassaux : ils lui devaient un service militaire,
mais ce service était limité dans sa durée el varia-


: 1) Concedo e tiam monachis ducllum su um el sanguinem el latro-
ncm , Chart , de 1I 4\), cit , par Duc., voc , Sanguis.


Dans une autre charle, le cornte (rAnjoLI douat pr.ediu CUlO san-
guille el luu-on c . lbid,




, ,


DE J.A }<'EODALlTE. 7


ble selon les liefs; quelquefois il s'étendait a tous
les cas de guerre, quelquefois il n'était exigible que
pour la défense du sol (1). Le seigneur rendait la
justice; mais ses hornrnes devaient concourir au
jugernent. Les vassaux devaient une aide au sei-
gneur dans certains cas; mais ces cas étaient déíinis
par les coutumes; en un mot, dans les rapports
des possesseurs de fiefs entre eux , le pouvoir ab-
soIu ne se trouve nulle parto La société féodale est
la seule qui ait reposé sur un contrato Ce contrat
se renouvelait achaque rnutation par l'hommage.


Le seigneur s'engageait envers son vassal
comme le vassal envers lui; ainsi la foi mentie
entrainait pour tous les deux la perte du fief (2).
Le vassal ne pouvatrnppeler son seigneur sans


(J) In expcditioncm vel cxercitcm nunqllam ibunt quin eadem
uoctc revertantur ad sedes suas, Charte cit. par Duo ., vOC. Host.is ,


Ita quod homincs terree cum rege i rent , sed ipsa nocte redirent,
nisi pro amor-e plus rcmancrent .


Quc1quefois le service militaire n'était dú que pro patriá recupe-
randá. Dans d'autres cout.umes, il s'étendait a tous les cas de guerre.
DlIC., ibid , .


Et ainsi li homes coustumiers des chevaliers si doivent aux barons
leurs chevauchiées, si les doivent el corps du chátel au comman-
dement du baron . Établis. de Saint-Louis ,


Et libers ne les doit menor en Iieu dont on ne puisse revenir jus-
qu'au soir, ct se Ii sire le voloit mener si Ioin, iIs n'iroient pas se ils
voloient.lbicl.


Les évéques étaient soumis au droit d'ost. lbid .
(2) T~ut autant li hons doit ason seigllClll' de foi el de loiaute pour


le reson de son houmagc , tout autant Ji sin en doit a son hOUIDe.
I\raumanoir, p. 31 1 •




8 DE ¡,A FÉODALlTi.


renoncer a son fief; le seigneur ne pouvait
appeler son vassal sans renoneer ason hommage.


La féodalité avait essayé de prévoir par avance
les devoirs du souverain et du sujet; ponI' éviter
toute volonté arbitraire, elle avait tout immobi-
Iisé , méme les charges (1). Les comtes d' Anjou
étaient sénéchaux héréditaires de la couronne;
les sires de Joinville l'étaient des comtes de Cham-
pagne. Ces fonctions, d'abord domestiques,
avaient pris une haute importance : elles don-
naient la premiére place aI'armée , le droit de re-
cevoir les hommages, de rendre la justice. Ainsi
le souverain était obligé d'exercer une autorité
déja bornée par des Iieutenants qu'il ne nornmait
pas et pJ'esque aüssipiiissants que luí; le principe
de la propriété envahissait tout, les femmes mérne
furent juges et arbitres (:2).


Comme a cette époque les lois politiques
étaient les mémes que les lois civiles, il est im-
possible de les isoler les unes des autres. Le ta-
bleau abrégé que nous allons en donner aura
mérne cet avantage qu'il nous expliquera tout
l'ancien droit de la France; quand les principes


(1) Ducange, voc, Seuescallus ,
L'office de cuisinier etait héréditaire dans le couvent d'Argenteuil.


Il fallut que l'abbé de Saint-Denís réglllt les droits du cuisinier el
de ses héritiers sur les plumes des oies , les queues de poissons. Au
XVII· siécle, iI y avait encore un couven t dont la cuisine était féodalc.
Dnc ., voc. Coquus.


(2) Elles ont voix, jus es jugements, dit Pierre de Fontaines, cité
par Lauriere , Note sur les institutcs de Loiscl, tome J, page \)3.




· .DE I_A FEODALITE. 9


féodaux n'ont plus réglé les rapports du souverain
avec les sujets , ils ont toujours continué arégler
ceux des sujets entre eux.


Les lois personnelles des Barbares avaient fait
place a des coutumes réelles. Sous les deux pre-
miéres races , le R.omain, le Frauc , le Bourgui-
gnon étaient jugés par la loi franque, romaine OH
bourguignonne; mais ceHe jurisprudence était
trop compliquée pour étre suivie dans un temps
de ténébres : l'OIl appliqua achacun les usages
du territoire 01.1 il vivait.


Toutefois, dans quelques dispositions, rancien
principe prévalut. A la distinction des races avait
succédé celle des castes ; il n'y eut plus de loi
franque ou bourguignonne , mais une loi noble
et une loi roturiére , le tribunal qui jugeait les
bourgeois n'était pas celui des gentilshommes.
Dans le royaume de Jérusalem, les croisés éta-
blirent la Cour des Syriens pour les naturels du
pays. A eette époque, ou les diversos classes de
la société formaient autant de nations distinctes,
iI eút été impossible d'appliquer une seule légis-
lation ; les idées , les intéréts , les habitudes méme
de la vie, tout différait,


Trois classes d'hommes habitaient le sol de la
France (1) : les gcntilshomnlcs, les roturiers et


(1) 011 doit savoir que lrois estats sont entre les gens de poot c (In
siécle, Li uns si est de gentillesce ..•.......


Beaumauoir, pagc 25G.




10 DE LA I"I~ODALlTÉ.
les serfs. II paraít qu'a la fin du XIlIC siécle les 1'0-
turiers se .rapprochaient de la classe souveraine
par la possession des fiefs. Un établissement du
roí leur avait défendu d'en posséder aucun (1);
mais la loi elle-rnéme prouve l'existence du fait
qu'elle prohibe. Beaumanoir parle en plusieurs
endroits des devoirs des hommes de poote pos-
sesseurs de fief. Dans tout ce qui ne regardait pas
leur personne, ils étaient traites comme des gen-
tilshommes (2).


Il s'était déja introduit un nouveau privilége ,
celui du sol a coté de celui de I'homme (3); il Y
avait des terres nobles et des terres roturiéres re-
gies par des lois spéciales et différentes, Dans les
suceessions , -lee r droits de I'héritiér j dans les
ventes (4), les taxes de mutation variaient selon qu'il
s'agissait de fiefs ou de terres en vilenage; peu
importait que le possesseur fút noble ou roturier.
I~a loi de la terre gou vernait la terre ; ceBe de
I'homme gouvernait l'hornme. Ainsi le droit était
ala fois réel et personnel. La prerniére de ces deux
distinctions a été respectée jusqu'en 1789; tandis


(1) Beaumauoir , page ~w5.
(2) Beaumanoir, pages 9°,152.226.
(3) Nous appelons vilenage héritage qui cst tcnu de seigneur 11
CC~lS ou urente, on achampart; cal' de cheli !(lli cst t enu en fief ,
I'on ne doit rendre nulle rcde vance .


Beau manorr, rage 79'
n) Bcaumanoir. pago \;38 cl pcl~"im,




, ,


DE LA I,'EÜDALlTE. 11


que la seconde , celle de caste, avait presque en-
tiérement disparu.


Les aleux qui ne reconnaissaient pas la hiérar-
chie féodale, qui ne devaient ni l'hornmage ni les
services, ainsi que le fief, ni les redevanees ainsi que
les terres en roture, restérent comrne une excep-
tiou peu nornbreuse. La maxime nulle terre sans
seigneur était recue dans toute la Franee (1), sauf
dans le rnidi oú le droit romain était en vigueur.
Ce sont précisément les provinees OU, selon M. Au-
gustin Thierry, l'établissement des Barbares a été
le moins général; e' est une nouvelle preuve aajou-
ter a celle qu'a donnée sur ce fait l'illustre his-
torien.


L'invasion des F'rancs auye eiécle a Iaissé des
traces qui subsistaient encoré au xvm"; c'était la
eonséquence du systéme qui cherchait le droit
dans l'antiquité de l'usage et non dans la raison.
Des modifieations lentes et indireetes peuvent se
faire jour; mais jamais un chaugcment total
n' est admis.


En général, les dispositions applicables aux
biens roturiers se rapprochaient de nos lois ac-
tuelles , il n'y avait point de droit d'aínesse dans
les successionsfa); le seigneur ne pouvait les saisir,
faute du paiement de redevance, C'était, en quel-
que sorte , la partie du sol abandonnée au droit


(1) Bouhicr , Ohscrv ation s sur la coul urnc de Bourgognc,
('\) Bcaumanoir-, pagc 70.




12 DE LA l<EODAL1Ti~.


commun, universel; dans les fiefs, au contraire, les
lois sur la propriété déeoulaient des institutions
politiques.


Sous la féodalité , le droit du vassal S111' son fief
n'était pas un droit de propriété absolue; sans ce
príncipe tout est inexplicable, ave e ce principe tout
est clair, tout est facile. Le seigneur avait aban-
donné au vassal un bien, une terre, sous de cer-
taines conditions, dans un certain but; eelui-ci ne
pouvait done les changer par sa seule volonté. Si
le fief était vendu, il était obligé de prendre le con-
sentement du seigneur, qui pouvait méme , dans
I'origine, le refuser (l); plus tard, il se horna ale
faire payer : le droit était du cinquiérne du prix de
la vente. Dans les -sliccessions collatérales , l'hé-
ritier devait le rachat, ou le revenu d'une année du
fief (2). Mais, dans aucun cas, iI ne pouvait lever
les fruits, sans avoir fait l'honimage au seigneur;
s'il le faisait, le fief était saisi par le seigneur. Ainsi
le titre de la eoneession primitive était rappelé a
chaque changement. Il y avait dans la propriété
clle-rnérne une portion réservée au seigneur;
celui-ci héritait adéfaut de parents. Le fief appar-
tenait done moins au possesseur qu'a la famille;
les parents jusqu'au quatorziéme degré et le sei-


(.) Instit. cout. ele Loisel, notes lle Lauricre , tom, J, page 2°7.
Beaumanoir, page 152.
t'J.) Bcaumanoir, pag. 137 el 1:38.




DE I.A H~OD,\LlTÉ. 13
gneul', a défaut de parents, pouvaient rentrer
dans l'héritage aliéné (1), en remboursant le prix
d'acquisitions. La délinition des jurisconsultes ,
user et ahuser, n'était ras applicabIe ala propriété
du moyen-áge ; le droit du vassal était plutót viager
que perpétuel. La limite du droit de tes ter était
une conséquence de ces idées; iI fut borné au
cinquiéme des héritages propres et aux meubles
et aux conquéts. Il ne faut pa8 juger de eette
restriction par ce qu'elle serait aujourd'hui :
la richesse mobiliére était alors peu de chose , les
mutations grevées de droits énormes étaient rares,


II est digne de remarque que plusieurs légis-
lations aient eu pour but de faire de la propriété un
droit de famille el non un droit individual, et
qu'elles aient toujours échoué. On peut voir ce qui
arriva aux Romains dans Montesquieu (2). Pour
obtenir ce résultat , la Ioi est obligée de lutter
contre les sentiments naturels; elle met entre les
enfants des différences d'aprés le sexe, d'aprés
rage, que le camr des péres n'admet paso La vic-
toire de la loi de nature sur la loi écrite est plus
ou rnoins longue, mais u'est pas incertaine; les
préjugés, les institutions politiques ne peuvent
que la retarder,


La permanence des biens dans les familles, qui
~1) La raison sur laquelle Beaumanoir fonde le retrait seigneurial


cst remarquable : cal' li sires est plus pres de ravoir par la bourse
che qui muet de lui que n'est pcrsonnc étrange ; Beaum., p. '215.
(.~) Esprit llcs Iois, [ivrc 27.




14 DE LA. FÉODAUTÉ.


n'était d'abord qu'un moyen, devint le but prin-
cipal, quand cette législation fut transportée dans
une soeiété qui n'était féodale que de nom; mais,
au moyen-áge , ce dont il s'agissait avant tout,
e' était que les devoirs du vassal envers son sei-
gneur pussent toujours étre accomplis; que, dans
le fief, iI n'y eut pas defaute d'homme.


Le droit d'ainesse, qui consistait dans le manoir
principal (1) et dans les deux tiers des propres ,
l'exclusion des femmes par les males en ligue colla-
térale, étaient des moyens d'empécher une divi-
sion qui eút rendu impossible le service militaire;
la méme raison s'opposa longtemps ala représen-
tation, elle ne fut adrnise que fort tard dans nos
coutumes. Tous les anciens textes , Beaumanoir,
la coutume de Champagne (2), y sont opposés. Un
mortn'a pas de droit, disent lesassises de Jérusalem;
la représentation eút augmenté les chanees de mi-
norité.


Le droit du mineur était suspendu jusqu'a sa
majorité, jusqu'a ce qu'il pút desservir son fief;
le plus proehe parent en avait le bail , ce n'était
pas au nom du mineur qu'il agissait; il était tcnu
de faire l'hommage, de payer le raehat (3) : eomme
il avait les eharges du ficf , il en avait les avantages
et percevait tous les fruits. Ainsi les droits donnés


(1) Beaumanoir, page 79'
(2) Al1e. eout. de Champ., arto XI; Beaumanoir, puge 84.
(3) Bcaumunoir, page 86.




DE LA FÍWDALITÉ. 15


au pére sur ses enfants, par l'ancienne législation
romaine, étaient rappelés par des idées toutes
diflérentcs , le haillistre était tenu de pourvoir a
l'entretien de l'enfant et de lui rendre l'héritage
quitte de toute dette. L'hommage fait par lui n'af-
franchissait pas I'héritier de la méme obligation a
sa majorité; e'étaient done deux droits séparés, Que
ce fút une institution féodale, toute la législation le
prouve : le bail ne s'appliquait ni aux biens en
roture (1), ni aux roturiers , si ce n'est pour les fiefs
qu'ils possédaient ( 2). Ceue derniére exception
était une suite du principe qui soumettait a des
regles uniformes tous les biens nobles, sans aucun
égard ponr la qualité des propriétaires.


n y avait cependant quelques inconséquences,
elles étaient inhérentes ala confusion des fonctions
politiques et des droits civils, base du svstéme
féodal. Ce sont deux ehoses si profondémentdístinc-
tes, que cette diversité se trahit mérne dans la loi
qui prétend leur imposer des príncipes uniformes.


Nous ne voulons pas examiner ici jusqu'a quel
point l'hérédité est légitime, ou si elle n'a ponr
base qu'une fiction légale; queHe que soit la solution
qu'on adopte, on reconnaitra que le droit de l'hé-
ritier était plus général que celui du possesseur de
fief; le premier avait été appliqué dans tous les
temps, dans tous les lieux ; le seeond n'avait rap-


(r) Beaumanoir, puge 87'
(~~) Bcaumanoir , p:lgc 91 .




16 DE LA FÉODA UTÉ.


port qu'á une société exeeptionnelle : il y avait
done lutte entre la regle et l'exeeption. Ainsi, ma~­
gré lanécessité de l'hommage, l'héritier direct,
sonmis dans l'origine au rachat , ne le paya plus.
Il était censé saisi (1). lUalgré les limites posées a
la subdivision des fiefs, les cadets tenaient leur
part en arriére-ficf de leur ainé (2). Le droit du
seigneur supérieur se trouvait ainsi amoindri a
ehaque suecession; la loi des fiefs cédait a la loi
des familles, l'institution politique aux sentiments
naturels.


Le douaire tenait plus aux meeurs barbares
qu'aux mreurs féodales, la dot constituée par le
mari asa femme, dont Tacite nous parle dans les
meeurs des Gernmill5 (3) , est I'origine de ce pri-
vilége inconnu aux lois romaines; c'était le prix
de la virginité. Donaire est acquis a la femme, dit
Beaumanoir, sitót comme eompagnie eharnelle est
faite entre elle et son mari (4). Le douaire, depuis
Philippe-Auguste, avait été fixé a la moitié des biens
possédés par le rnari al'époque de son mariage ;
dans la plupart des couturnes, la femme en avait
l'usufruit et ses enfants la propriété; quelques
unes, il est vrai, n'admettaient que le droit de la
mere, mais Beaumanoir lui-rnórnc nOU5 avertit
que, dans toute la France, les enfants héritaient du


(1) Li enfaut derneurent en la saisine ; Bcaumanoir, page 25.
(2) Beaumanoir-, page 79.
(3) Dotern non uxor marito, sed nxori maritus offert , Taci t. Gcrm ,
(4) Beaurnanoir, chapitre dn douaire, passim ,




, .


[lE f.A I,'EODAUTE. 17


douaire , c'était une légitime a laquelle les enfants
pouvaient se tenir.


Le moven-áge n'était pas seulement féodal, u
était avant tout ehrétien; les idées religieuses ont
dú pénétrer dans la législation. Ainsi la eommu-
nauté des biens entre le mari et la femme, sub-
stituée, dans tous les pays coutumiers, au régime
dotal, suppose évidemrnent la perpétuité du ma-
fiage : c'est une association complete qui ne se
dissout que dans des circonstances rares; la dot, au
contraire, separe toujours les deux patrimoines; les
faveurs données ala femme, les priviléges dont elle
l'entoure sont tous en vue de la restitution ; il est
clair que la dot a dú faire partie de lois, 0-0 le
divorce était perrnis, et de meeurs, ou il était fré-
quent. Le lecteur remarquera qu '011 parle ici des
causes qui amenerent cette législation et non de
celles qui la maintinrent dans les temps moclernes.


Le prét aintérét fut aussi défendu par l'Église,
et cette défense a été le droit géneral jusqu'a nos
jours. H cst assez curieux de lire les sophismes par
lesquels un esprit éclairé comme Domat essaie de
111'ouver qu'il est permis de louer sa maison, mais
que cette faculté ne s'étend pas al'argent qui sert
a l'acheter; il ne donne que des raisons théolo-
giques, el ce sont de pauvl'es raisous ; e' est une
mauvaise action, dit-il, paree que MOIse I'a défendu,
si on lui dit que la loi nouvelle n'en a pas parlé,
elle a dú le faire , répond-il , paree que c'est une


2




18 DE LA l<'ÉODr\tiTÉ.


mauvaise actiou. Nous préférons de beaucoup ace
cercle vicieux les motifs de Beanmanoir ; ( Sachent
» donques tuit que leurs ames sont dounées as
) anemis d'enfer, et leurs -eors as vers , et leurs
1) avoirs aleurs parens; et si vourrait BUS de ches
» trois donner sa pa1't ponr les nutres deux; cal'
» li anemis ne donneroient pas I'ame ponr I'avoir
» el le cors , el li vers ne donneroient pas le cors
») ponr l'ame , el li parcns ne donneroient pas
» I'avoir ponr I'arne et pour le corso »


Il était permis de stipuler une rente en aliénant
le capital; mais , pendant longtemps, la rente dut
étre constituée sur un bien, en sorte que c'était une
vente partielle de la part de I'emprunteur , plus
tard, il y eut des rentes volages sans aucune affec-
tation spéciale.


Si cette législation n'eút pas été éludée, tout
commerce eút été impossihle ; mais, comme les
honnétes gens se décident avec peine a désobéir
mérne ades lois injustes , le comrnerce de l'argent
fut une profession nécessaire , rnais méprisée , les
emprunteurs pavérent ce mépris.


En comparant ces príncipes de droit civil,
príncipes qui sont restés en vigueur jusqu'a notre
révolution, avec ceux qui nous gouvernent aujour-
d'hui, on est étonné d'en trouver aussi peu qui
soient passés dans nos Iois : les distinctions du sol
et les distinctions des hommes, le droit d'ainesse,
le droit de retrait lignager, le donaire, la constitu-




DE LA FÉODALI1'É. 19


tion de rente sont effacés de nos codes, 011 u'a guere
conservé que la communauté. Un Romain se recon-
naitrait plus facilement dans nos lois qu'un gentil-
homme du XIIIe siécle , c'est qu'en effet nos mceurs,
notre civilisation s'accordent bien mieux avec la
législation romaine teHeque les empereurs l'avaient
faite, degagée du souvenir du patriciat , qu'avec la
féodaJité; l'égalité, en France comme a Home , a
triomphé de toutes les différences de castes. Mais
la seconde victoire a été plus belle et plus com-
plete: en France, l'égalité est née de la liberté; a
Rome, de la servitude ; á Horne , elle n'avait été
que pour les citoyens; en France, elle a été pOUI'
tous les hommes.


Comment était appliqué ce droit, quelle était
la procédure du temps? Saus la nécessité impé-
dense denotre sujet , nous n'aurions jamais parlé
de ces matiéres déja examinées par Montesquieu ;
un si grand nom nous permettra d'étre bref.


Lecombar judiciaire n'était pas, eomme le droit
de gtIerre, un privilége spécial aux gentilshom-
mes (1), c'était un moyen de décision , un genre
de preuves cornmun aux nobles eomme aux rotu-
riers (2) ; les serfs seuls étaient exclus de l'exercice
de ce droit cornme de tous les autres, paree qu'ils


(1) Autres que gcntixhons ne pcut gucrroyer.
Beaumanoir, pa gc 300.
(2) Bcaumanoir éuumcrc les ~a~cs <-te ba\.aillc l'armi les c~u\.\'~s


prClIYCS, tcllcs que les lettrcs, les térnoius, les présom ptions.


-




20
. .


nE f.A }<'EODAUTE.


ne s'appartenaient pas a eux-mémes (1). On sait
quelles étranges questions furent tranchées de cotte
maniere; le droit de représentation ponr les el1-··
fants , le choix d'une liturgie en Espagne (2); au
Iieu de jugeJ', 1'0n combattait; non seulement le
principald'une affaire, mais les exceptions mémes
donnaient lieu aux gages de bataillc , en sorte que,
dans un seul procés , il pouvait y avoir plusieurs
combats (3). Ceux ou il s'agissait de crimes étaient
entourés de forrnalités terribles; si le combat avait
lieu par champions, l'appelant et l'appeléétaienr.,
lacorde au cou, éloignés du champ de bataillc (4);
la femme avait acoté d'elle la beche qui devait I'en-
fouir; la terreur que ce spectaclc inspirait aux cou-
pables devait prévenir beaucoup des abus inhérents
aces jugements de violence.


Les gages de baraille n'étaient pas re<,;us dans
toutes les matiéres , il Y a vait quelques exccptions
dépendant soit de I'état des personnes, soit de la
nature de I'affaire ; mais , comme la partie condam-
née pouvait toujours appeler de faux jugemellt,
I'issue d'un procés dépendait, en dernier résultat,
d'un combaL Le suzerain du seigneur, qui avait
prononcé le jugement atraqué, receva it les gages de
bataille : le combat avait lieu non plus entre les
deux parties, mais entre le juge et la partie con-


(1) Bea umauoir , puge 322.
(2) Itobert.son, tomo J, pagcs ;;73 el ;l74.
ra) Benn manoir, page 34, .
(4) Beaumanoir, page 330.




DE LA FÉODAl.J'I'É. 21


damnée; les devoirs du vassal envers son seigneur
étaient de le servil' dans ses eoursetdans ses armees,
er, comme le remarque Iort bien Montesquieu ,ju-
gel' et combat tre étaient la méme chose.


Ces appels étaient périlleux, ils étaient une injurc
pour le juge, appel contient [élonie (1); u fallait
cornhattre tous les hommesqui avaient concouru au
jugement, l'injure était commune atoute la. cour,
les assises de Jérusalem ne donnent aueun moyen
déchapper aeette luue inégale ; maisBeaumanoir
conseille d'appeler le premier juge, aussitót qu'il
aura prononeé son avis.


La justice est un des principaux revenus des fiefs;
la composition barbare, c'est adire le dédommage-
ment pécuniaire offert al'individu ou asa famille,
pour le crime dont il avait été victirue, avait dis-
paru (2) ; le mcflet , pour parler comme. Beauma-
n~r, était fait eontre le seigneur autant que con-
tre la partie; c'était un grand progrés dansles idées
que de faire intervenir I'intérét général dans les
querelles particuliércs. La eomposition devint une
amende; il serait trop long d'énumérer tous les cas
dans Iesquels elle était due; dans certains cas,
elle était ~\ la volonté du seigneur, mais, en général,
elle était tixée ~l 60 livres pour le gentilhoIlulle}


(1) On1. tomo T, ¡¡age 204, an I:qo.
(2.) Cepeml.un 011 Lrouvc des traces l1c la cornposit.iou l'1I Gas


/'ogne, en J 280. Et. in quibusdum partibus Vasconire, ct iam convict.us
r1p tali maldicin pro t rcr.cnt is soiidis al-holvitur. On1. t o m , 1) p. ¡lO.




22 DE LA FÉODALITÉ.
et 60 soIs ponr le roturier (1). 60 Iivres a une
époque oú le setier de hlé valait au plus 8 a
10 sols (2) était une sornme considérable; cette peine
était appliquée avec plus d'équité que de nos jours,
puisqu'elle était proportionoeUe a la fortune.


Les conflscations étaient fréquentes -' elles étaient
attachées apresque tous les erirnes; ehaque sei-
gneur recueillait les biens situés daos sa justice.


Ces profits attachés al'exercice de la juridiction
eurent cet ~vanlage, qu'ils rendirent chaque sei-
gneur plus vigilante Un críme apunir n'était pas
seu lement un devoir, rnais encore un bénéfiee ; le
morcellernent infini des justices rendait eette sur-
veillanee faeile.


Les produits des justiees, le raehat et le
cinquiéme denier ponr les fiefs, les lots el ventes ..
ponr les biens en roture, les aides dues au suzerain
étaient les seuls revenus publics , les seuls qui
fussent perc;us en vertu d'un droit général, perc;us
dans ehaque seigneurie sur les gentilshornmes, la
nation réelle du temps.


(5) L'aide était légale ou volontaire , l'aide lé-
gale était due dans quatre cas : lorsque le seigneur


(1) Bea ti manoir , Passim .
(2) Dupré de Sailll-l\laur, pago I el 4.
(3) Ducange, YOC. Auxiliurn ,
Lcs aides légales uo f uren l rC<;lIcs fIlie tard . En 1080, lef.


cornpugnons de Roberl(;ui;;card les J'l'ganlaicllt counne des
innovations .


Ducangc , YOC, Auxilium




, ,-


HE LA FEO[)ALITE. 23


arrnait son Iils chevalier, lorsqu 'il mariait sa filie,
lorsqu'il avait a Se racheter de captivité , enfin
pOUI' le voyage de Terre-Sainte , cette derniére
laxe fu! introduite par Louis VII et excita contre
lui, di! un contemporain (J), des imprécations
nornhreuses, Les aides volontaires , comme le nom
méme l'indique, étaient accordées par les posses-
seurs <le fiefs, ressource précaire puisqu'elle dé-
pendait de la volonté de ce1ui qui payait; mais
c'était un progrés I'éel sur les temps barbares oú
les hommes libres éiaient exempts de tout tribu';
le príncipe que tous doivent concourir acertaines
charges de la société était consacr-é , le mot chose
publique devenait une réalité.


Les tailles levées sur les roturiers étaient consí-
dérées comme des fruits naturels , comme des con-
séquences du droit de propriété (2). Elles étaient
diíférentes selon les fiefs; un précédent de violence
suflisait pour autoriser le nouveau droit.


Entre ces petites souverainetés indépeudantes
qui se l'arl<lueaient la Frunce, quelle était la place
de la royauté '/ Tous les liefs de dcgré en degré par
des homrnages successifs remontaicnt jusqu'au roi,
souverain fieffcux du royaurne, En ce sens, la féo-
dalité a cor.n-ibué a former l'unité du tcrritoire
Iranoais , elle a préservé une portion du pays


(1) Duc., VOl'. Auxilillm.
(2) Tailles nc sont mie 'lides, Cal' tailles sont levécs de nécessité


t" de volonh; de pr'ince . Mais cellcs aidcs nul n e pcut lcvcr si ce
n 'cst au cas pour lcqucl elles sout ducs . Dtlc., ibid ,




, ,


DE LA FEüDAUTE.


d'étre conquise par I'autre , la faiblesse meme du
líen féodal établie par l'hornmage eontribuait ale
faire respecter. Quand le comte de Flandre pouvait
s'acquitter de ses devoirs envers son suzerain, en
le. servant avec dix chevaliers, avait-il quelque
intérét asecouer un joug si léger (l)? Mais, tout.
faible que fut ce rapport, il servait a rappeler a
tous la communauté d'une meme patrie.


Le roí u'avait pas d'autre pouvoir que les ha-
rons (2), illeur demandait des aides en argent, en
hommes coro me eux-rnémes en exigeaient de leurs
vassaux; mais il n'avait pas le droit de s'adrcs-
ser direclement a ceux-ci, il était tenu de sui vre
cette longue filiére de la hiérarchie féodale, el, a
travers tous les frottements de cette machine com-
pliquée, l'impuIsion primitive se perdait. Joinville
refusa de préter serment asaint Louis paree qu'il
était l'homme des comtes de Champagne; iI a fallu
des siécles ponr que l'autorité royale brisát ce
réseau de petits souverains possesseurs du pays et
parvintjusqu'au penple : ce jour-Iá, la féodalité fut
frappée amort. La civiIisation moderne cst née de
la féodalité en la tuant , tout comme celle-ei 'était
venue de la barbarie qu'elle a remplacée, La vie
nait de la rnort ,


(1) Truité cnt re Hcnr i, roi ll'Anglel erre, el ltobcrt., com Ie de
Fbllllrc, cité par ;.\1<1bly, lom. 11, p. 112.


(2) Chascun des harons si cst son vcrain ('11 sa baroun ie .
Bcaumanoir, page 18,.




DE LA FEODALlTÉ. 25


Pour juger ~quelle nullité le roi féodal était ré-
duit, on o 'a qu'a se rappeler les derniers succes-
seurs de Charlemagoe : plus faibles que leurs vas-
saux, ils étaicnt emprisonnés, dépouillés par eux,
saos faire la moindre résistance, Dans des temps
plus rapprochés de nous , l'empire d' Allemaglle,
avant l'avénement de la maison d' Autriche, nous
offre un autre exernple de la rompe du titre unie a
1'impuissanee la plus réelle. lingues Capet ranima
la rovauté non pas comme Pépin et Charlemagne,
en mettant de grands hommes ala place de princes
abrutis, mais en lui donnant des domaines immé-
diats oú elle ne rencontra pas toujours l'intermé-
diaire des feudataires; le roi se trouva aussi p~is­
sant que l' avait été le duc de France , i\ cut done
les moyens de faire valoir la supériorité théorique
que ne lui déniait pas le régime féodal. CcHe su-
périorité s'appuyait sur des titres antérieurs au
moyen-áge, et peut-etre aussi sur les souvenirs de
Charlemagne.


L'histoire suit une marche logique, cette marche
est souvent diflicile asaisir parce qu'un long ínter-
valle separe le príncipe de ses conséquences ; mais
quelque éloignée qu 'elle soit , il n'en faut pas
moins remonter aune cause prerniére,
. Toutefois l'influence royale ne -s'étend it que
lentement hors de ses domaines. Dans le récit que
Ville-Hardouin fait de la quatriéme croisade en-
trcprise par des Francais, le nom du roi n'cst pas




26 . ,J)E LA .'JWI),\U'n:.


méme prononcé, et cependant Philippe-Auguste
est l'un des princes les plus actifs et les plus puis-
sants de la dynastie capétienne. .


La féodalité, telle que nous venons de la décrire,
manquait de plusieurs conditions essentielles a
toute société, Avec ses principes, il était difficile,
pour ne pas dire impossible, que de ce morcelle-
ment général sortit une nation puissante et un
gouverncment énergiquc qui pút, comme l'avaient
fait Rome et la Grece, influer sur les destinées de
l'humanité, Rien ne rappelait un intérét général;
les rapports étaient d'hornme ahornme, variables
selon les lieux; les vassaux des barons étaient
étrangers les uns aux autres quand ils n'étaient
pas ennernis; la faiblesse du gonvernrment féodal
tenait asa nature. Le roi ou les grands feudataires
pouvaient-ils se faire ohéir de sujets qui, comme
eux, jouissaient de toutes les prérogatives souve-
raines? Tout était calculé pour une résistance mu-
tuelle, pour la conservation. Un service militaire
limité dans sa durée, soumis a des restrictions,
ne permeuait aucune entrepris« de quelque suite.


On ne peut cependant méconnaitre que ce gou-
vernement, tout impuissant qu'il fut aprotéger le
pays contre l'invasion et les individus contre la
violence, recevait le principe de la liberté person-
nelle. L'oppression pouvait avoir líen de fait , mais
u'était pas légitimée; la résistance était consacrée
a al' le droit rl.c la ~ll(\JTC, pt s'il n'y eút f'n.en




DE LA FÉODALlTÉ. 'l.7


France que des possesseurs de fiefs, ils eussent pu
dlsirer une organisation plus réguliére, mais non
plus de garanties pour Ieur indépendanee.


Mais, au dessous des gentilshommes, était une
classe nombreuse qui n'avait point de place dans
la féodalité et qui ne s'en est fait une qu'en la bri-
santo Dans quelques villes, comme M. Raynouard
I'a démontré, il s'était conservé quelques traces
de la municipalité romaine, et les habitants y jouis-
saient de la liberté civile et méme de la poli tique ;
mais, dans les autres villes et dans les campagnes,
le peuple était sous la dépendance absolue des sci-
gneurs. Les bourgeois ou roturiers libres, dont
nous avons déja parlé, ne se multipliérent que dans
la décadence de la féodalité. Tous les historiens
sont d'accord sur ce point qu'á l'avénement de la
iroisiéme race presque toute la population avait
passé de la franchise a la servitude. Parmi les
causes de ce changement (1) , Beaumanoir en si-
gnale deux qui sont confirmées par une foule de
documenta (2). La perle de la liberté était une
punition infligée a ceux qui n'avaient pas vouIu
s'acquiuer du service militaire dú au souverain ;
enfin "la dévotion avait engagé beaucoup de
personnes a se faire serfs des églises. On
croyait qu'en devenant leur chose on participe-
rait a leur sainteté, Le christianisrne a plus com-


: 1) Pagc :l54.
(0) Rohcrt son, Histo irr de r.liarles-Qllint: tomo J, pagc 285.




28
, ,


DE LA FEODALIT..,:.


battu l'esclavage par ses príncipes el son esprit
que par ses institutions. Une portien du peuple
était serve; l'autre était seulement couturniére
ou sujette aux trihuts. Cette distinction u'avait
d'autre garantie que la conscience du maitre (1);
serfs et coutumiers étaient taillables a miséri-
corde (2), ne pouvaient se marier (3), entrer
dans les ordres sacres sans le consentement du
seigneur; celui-ci était leur héritier. Le vilain
pouvait acquérir, mais ne pouvait aliéner des biens
qui, en réalité, ne lui appartenaient paso Entre les
sujets des gentilshommes et le roi il n'existait aucun
rapport. Si le seigneur accordait quelques aides,
elles étaient levées par lui; s'i] menait ses hommes a
la guel're, il en étaitle chef(4). Jamáis une autorité
étrangére n'intervenait, et cependant le serf avait
affaire a la plus cruelle des tyrannies, aceHe oú


(1) El sache bien que sclon Diex ke Lu n'as mis plcniére pocste
seur ton vilain , Dont se tu prens da sie-n fors les droites redevanccs
ki Le doit, tu les prens contre Diex el seur le peril de ton ame. Et
ce kon dit, to ut.es les coses ke vil.iin s ¡¡, sont a son seigneur, c'c-t
voirs a gal'\ler. Cal' sils étoicnt son scigneur propl'<'S, il n "avoit nulle
diflerence entre serf et vilain; mais par noí re muge n'a entre tni
scigneur ct ton vilain, jllge fors Dieu .


Pierre de Fontaine, cité par Duc, 'oc. Villanus .
(2) Taif lnbi'li- ad misot-icordiam.
Dile. , YO,:. Tuillabilis.
(;3) Due" YOC. Servus.
l d i , YOC. Forism.uitagium .
(l,) Se Ii -bcrs fct serno ndrc ses l10ns '¡llf' ii ménr- :;l''' !lons ('ollslll


m.ibles pollr allel' en lost le roi ,
Ord., tomo L page 1&3, a n 1:1.70.




· .DE LA FEOIl.\LIT.~, 29


-Ia victirne se déhat sous les passions et les caprices
personnels du maitrc, Si ron ajoute que les nobles
étaient violents par l'habitude des armes, pauvres
el avicies, on jugera du sort du peuple.Le joug
était quelquefois si intolerable, que les paysans se
soulevaient; mais ces tentatives inútiles attiraient
sur eux d'effrovables caIamités (1).


II Y avait done en frailee deux nations : une
uation active et une nation en dehors des devoirs
d des droits politiques. L'hommage, qui rernou-
tait, en suivant toute léchelle féodale, jusqu'au
roí, établissait des rapports entre les gentils-
hornrnes , malgré la division extreme des fiefs.
Comme vassaux , ils dépendaient du méme suze-
rain. Cette supérioeité consacrait le principe de
l'unité nationale sur un sol fractionné.


LQS serfs , au contraire , ne sortaient pas du Iief
de leur tnaitre ; ils étaient sujets de leur seigneur ,
mais non pas sujets du roi; ils n 'en relevaient pas
méme d'une maniere médiatc, Hors de ses do-
rnaines, le roi n'était que le roi des gentilshommes.
Entre les hahitants des diverses terres, iI n'v avait
de commun que la servitude; il leur était méme
défendu de se marier a vec les serfs ti' un autre sei-
gneur. Ainsi la séparation ne portan pas seu\ement.
sur le droit politique, elle s'étendeit méme aux
e\\o~e~' (\u oro\t natnre\.


(1) Raynouard, Droit muniripal, tom. II, p. 306, al] 1000.




30 DE J,A FÉODALlTJ~.
Le travail caché de la société francaise pendant


des siécles a été de donner a l'autorité royale le
rnonopole de tous les pouvoirs de souveraineté
exercés par les feudataires, et, en méme temps, de
rapprocher les sujets du maitre; en un mot, de
créer l'unité dans la nation et dans le gouverne-
mento La féodalité contenait le principe de celle-ci;


maís fa premíére n -"éfaít possí6le qu 'en d'énaturant
/l"".r ¿ns~l"rt'Nri:7nSd'u moren-age.




CHAPITRE n.


. PROGRES DE L'AUTORITÉ ROYALE.


Suprématie de la cour du roi, -- Le combat judiciaire cesse
d'étre en usage.- Les baillis remplacent les vassaux.-
InOuence des juriseonsultes. - Établissement du Parle-
ment. _._- Du ministére public.- Des cornmunes. - Des
bourgeoisics. - Ccrtains revenus sont attrihnés exclusi-
vement au roi.- Des Juifs.- Du franc fief.- Revenus
féodaux.-Les finances séparées de la justice.-Chambre
des comptes. - Altératiou des monnaies. - Origine de
l'impót, - Sur le sel. - Sur les transports. - Double
caractere de l'autorité royale.


Le récit des événernents qui agrandirent le róle
du roi, qui \ui permirent de substituer son autorité
acelle des barons , appartient a l'hisioire propl'e-
meut dile. Nous nous bornerons a rappeler que
cette révolution a été esaentiellement judiciaire,
Quand Philippe-Auguste se saisit des domaines de
Jean-sans-Terre, il le fit pour exécuter un arrét
du parlement.


Déja s'était introduit dans la féodalité un prin-
cipe germe de sa mort (1) : « Nulle justice ne peut
;) plaidier le roi de son droit, fors en sa court; de
» son jugement on ne peut appeler qu'a notre sei-
) gneur de Lassus , cal' cil qui appelleroit ne trou-
» veroit qui droit ti 61. » La COUI' du roi était


(1) Ord., 10m. 1, pagc ~qo, an l?jO.
tu., pag{: 261.




32 PROGRES DE J"'AUTOJ{jTl~ JUiYALE.
donc le tribunal ou, en dernier ressort , devaicnr
se terminer tous les différends, Les membres du
conseil du roí n'étaient pas méme 'obligés de ré-
pondre a l'appel par gages de bataille (1); JI n'y
avait pas pour eux de Cour supérieure oú le combar
pút se livrer. Dans les affaires décidées par le
cómhat judiciaire, l'appeI n'était pas possible , tout
était consommé par l'issue méme du combate Dans
ceHes qui semblaient soustraites a cette proeédure
violente et qui subissaient deux degrés de juridic-
tion, le jugement rendu par les hommes pouvait
étre faussé et donnait encere lieu aux gages de ba-
tailIe. Rarementellesdevaient remonter ala Cour du
roi; elles s'arrétaient dans lacourjuge du combar.


Mais, quand saint L~uis eut abolí ce genre de
preuves, la solution définitive des procés passa de la
Cour des vassaux a la sienne; les appels, devenus
moins périlleux, se multipliérent. Or, la réalité du
pouvoir judiciaire n'appartieut qu'anx jnges en
dernier ressort ; jusqu'a ce qu'ils aient prononcé,
la question reste indécise.


Le roi eut done seul les jugements. Comme I'au-
torité judiciaire intervient dans les rapports civils,
journaliers des particuliers entre eux, e' cst , de
toutes les fonctions du gouvernement, celle qu'ils
sentent le plus; le droit d'appliquer la loí est peut-
étre plus important dans la pratiquc qne celui de
la faire.




PROGnES DE L'AVTORITI~ ROYALE. 33
Saint Louis, il est vrai , n'óta d'ahord les gages


de batailles que dans ses domaines (1); mais la
vieille procédure tomba peu a pen en désuétude.
Des le temps de Beaurnanoir, le roi avait acquis le
droit de faire des établissements pour tout le
royaume (2).Il avait ainsi seulle pouvoir législatif;
en outre, I'étude de lajurisprudence romaine, d~ia
tres répandue, avait révélé aux légistes une autorité
supréme, fort différente du pouvoir royal, tel
que la féodalité l'avait fait, Ils ne tardérent
1)as aremplaccr les gentilshornmes dans les cours
de justice; ceux-ci, qui avaient été les juges néces-
saires quand la justice s'administrait cornme la
guerre, étaient incapables, et par gOllt et par igno-
rance, de s'astreindre aux forrnalités judiciaires.
Une ordonnance de 1287 ordonna a tous les jus-
ticiers de se faire remplacer par des baillis (3);
la magistrature devint ainsi une profession spé-


(1) Quant Ji saint rois Loois les osla de sa court, Ji ne les osta ras
de la court ases barons ,


Beaumanoir, page 309.
(2) Quant Ji estahlisscment est generans iJ doit courre partout le


ruyaume.
Beaumanoir, page 205.
(3) Ordinatum fuit per consilium domini regís quod duces. 1'0-


mites, harones, archicpiscopi , abhates , et g"lIcraliter omnes
in regno Francirc tcmporalem j urisdictionem habentcs , prreposito«
ct servientes laicos, el nulla tenus clericos instituant. Malgré I'au-
torité de De Lauriére , no us doutons que le sens de l'ordonnance ait
été aussi posit if ; il n01l8 sernhle qu'elle a surtout pour but I'exclu-
sion des cleros. En tout cas , elle prollve que l'institntion des hailli»
était déja générale.


;\'ote de De Laurierc sur Loiscl , tome 1, page 302.
3




34 PROGRES DE L'AUTOHITÉ ROYALE.


ciale. Les jurisconsultes étaient enclins a donner
au roi les droits de I'empereur, Hommes d'étude
et non de violence, ils sentaient , en outre, plus
vivement le besoin de l'ordre et la nécessité d'une
autorité qui pút tout contenir. Les lois féodales ,
simples coutumes non rédigées, n'étaient pas assez
nettement déterrniuées ponr résister ala jurispru-
dence. Heureusement pour la royauté , quand ces
prétentions furent mises en avant, les événements
lui avaient donné la force nécessaire pour les sou-
tenir ; elle avait en sa faveur la puissance , les
besoins de la société , ce que 1'00 croyait étre le
droi t : elle entraina tout.


Le parlement prit une forme déíinitive : des 1302,
Philippe le Bel avait ordonné qu'il y aurait deux
parlements aParis, qui dureraient chacun deux
mois (1) ; ce n'était pas, il est vrai , une cour de
justice permanente, puisque les mémes juges sié-
geaient aux grands jours de Troyes et aI'Échiquier
de Rouen (2). En 1320, le parlement était divisé
en requétes et en enquétes , 00 y trouve mérne le
principe du ministére public (3).


(1) Proponimus ordinare quod duo purliamenta parisiensia, et duo
scaccaria Rothomagi, et dies trecenses bis tenehun tur in anno .


Ord . de 1302. La Thaum ., page 365.
(2) Quatre de eeux de la chambre seront envoyés a I'eschiquier


des quiez un sera prelats, etl'autre barons ... aut ant en envoierrn
l'en aux jours de Troyes ,


Ord., tome XII, page 356, année 1302.
(3) Qu'il y ait en chaque parlemenl une pcrso nnc c1targiée de


Iaire avaneer les causes le roy .
Orelo; tome 1, pagf' (jn, an ladi.




PROGUÍ,;S VE L'AU1'OR1TÉ ROYALE. 35


Cette institution est, comme on sait, un des ca-
racteres spéciaux de notre ordre judiciaire; dans
tout délit il Ya deux intéréts blessés : celui de l'in-
dividu objet du délit, et celui de la société, obligée
agarantir la vie et la propriété de tous ses mernbres.
L 'action criminelle peut done étre inteniáe soit au
nom de la partie , soit au nom du gouvernement.
Les lois francaises ont choisi ce dernier mode, sans
toutefois interdire le premier. Elles on t pensé que
la punition des coupables était un devoir pour la
magistrature ; que si un particu\ier pouvait transi-
gel' sur le tort qu'on lui avait fait , il n'avait pas le
droit d'étendre cette transaction ala société, inté-
ressée aprevenir le críme, et par le chátiment, el par
l'exemple. Ces principes donnent plus de certitude
á la poursuite et, en conséqueuce , ala répression;
cal' il est plus facile d'effrayer un particulier isolé,
qu'un magistrat armé de la force publique.


n semble qu'uue innovation aussi éclatante ait
dü avoir un granel retentissement dans nos lois,
qu'au moins iL doive étre facilede dire (luand elle a
été pratiguée pour la premiére fois. n u'en est ce-
pendant pas ainsi; comme tous les grands chango-
ments dans la soeiété franeaise , la féodalité , le
pouvoir absoJu par exemple, le minislere public
s'est fait peu a peu. On trouvc une époque OU iI
n'est paso encore, et une autre OU il est en vigueur;
mais, danscet intervallc, il est impossible d'assigner
une date certaine.




36 PllOGRES DE L'AUTORrri: nOYALE.


Au temps de Beaumanoir, il n'y avait point
de poursuites faites au nom de la justice. Il dit for-
rnellement que, s'il n'y a pas de partie plaigoantc
et que le jnge n'ait pas par lui-méme la preuve
du crime, il doit renvoyer le prévenu (1) sanscher-
cher a s'éclairer au moyen d'uue instruction : il
n'était saisi que par la plaiote.


Il est probable que le ministére puhlic n'a pas
dú son origine aux idées générales que nous avons
exposées. Le roí el les seigncurs propriétaires de
just-ices étaient, cornme nous l'avons vu, intéressés
personnellement ala punition des délits; ils rece-
vaient des amendes , des confiscations. Ce fut pour
veiller aces profits judiciaires que furent nornmés
les avocats du roi et les procureurs des sei-
gneurs (2); mais, cornme I'intérét fiscal s'accordait
avec l'intérét judiciaire el qu'ils étaient tous les
deux opposés a I'impunité , ils ne tardérent pas a
se confondre.


Cequi importait ala société , c'était la répression
du crime, et non le motif, qui engageait ale pour-


.


suivre.
Les auteurs de ces innovations n'en sentaient


peut-érre pas la portée; ils obéissaient aux nécessités
du moment sans s' occuper de la révolution opérée.


(1) Beaumanoir, puge 160.
(2) Ceeterum volumus quod procuratores nostri in C311Sis quas


riostro nomine agent contra quascumque personas jurent, .•... pro-
hibentes ne de causis alienis se intromittere . Le mot alienis est re-
marquable. Ord , de 13020 La Tbaum . , pagl' 3(;5.




PROGRES DE L' AUTOIllTÉ ROYALE. 37


Les événernents ne se jugent bien qu'á distance ;
il ne faut done pas s'étonner des hésitarions , des
incertitudes; en 1324, le parlement n 'était pas
encere sédentaire (1), rnais il allait le devenir; il
siégea , des 1544, dans l'aneien palais des rois (2) ,
on y trouvait déja une grande Chambre, les re-
quétes (3), les enquétes, un personnel nombreux,
des officiers ministériels. Des lors on fixa le nom-
bre des juges, les audiences, les dépens, le serment
des avocats : les droits et les devoirs de la rovauté


01


s'étant aCCl'US, il fallait qu'ellc organisñt ses forces.
Le roi était done le juge des possesscurs de Iiefs ,


puisque ehaque vassal pouvait forcer son seignell~'
a comparaitre devant le tribunal suzerain (~);
mais cetre autorité ne s'étendait pas ala population
coutumiére , celle-ci n'avait aueun rang dans le
régime féodal; elle était la propriété des n..airrcs
sous lesquels elle vivait , et ne pouvait appeler de
leur jugement; l'affranchissement des communes,


(1) Si parliamentum Parisiis non esset .
Ord., tome 1, page 782.
(2) Duc., voc , Parliamentum .
(3) Ord., tome 1I, pagc 175, an 1342.
La confrérie des proc ureu rs remon te ala mérne année .
Ord., tome 11, page 177.
Le nombre des magistrats du parlement était de quatre-vingts


personnes ,
Ord., torne l l , page 221, an 13H.
(4) Et si ncn a nul si grant dessous li qui nc puist estre trais en


sa court pOlll' dcfautc de droit ou de faus j ugemcnt , el pour tous les
cas qui touqueut au roi ,


Bcaum ., pagc 181.




38 PROGRES DE 1.'AUTORITl~ IWLUE.
au xr' siécle , fit passer les bourgeois de la main
des seigneurs SOllS celle du roi.


Les villes se trouvaient dans une position plus
favorable que le plat pays; les chevaliers per-
daient dans des riles étroites et tortueuses les
avantages de leur science militaire , les habitants
étaient unis par cette communauté de vie et d'in-
téréts née de leur séjour dans un méme lieu; quand
les bourgeois eurent recours a la force, les sei-
gneurs clercs OH laíques furent obligés deeéder :
c'est la l'origine des eommunes; a part quelques
villes, elles remontent au XlC ou au xrr' siécle : tous
les eontemporains en parlent eomme d'une chose
nouvelle (1).


La e0111mUne , dit Guibert , est une chose nou-
vello et détestable; les haLitants sont obligés a
payer une fois dans l'année le prix de la servitude dú
aleurs maitres, et s'ils commettent quelques délits,
ilsen sont punís par une amende légale. Quant aux
autres exaetions de tributs imposés ordinairemeut
aux serfs, ils en sont tout a fait exernpts (2).


D'aprés I'aveu d'un ennemi méme, le but de la


(1) La plus grande partie des chartcs citécs par Ducange est dc
Philippc-Auguste . Les rois en donncrent ou en vendirent plusieurs ,
Les vassaux les irnitércnt , séduits par le prix attaché a ces C01lt~CS­
sions , La plus anciea ne charte cst de Louis VI.


Duc., voc , Commuuia ,
Tune cornmunitas popularis in Francia inst ituta esto Ord. vita-


lis. lbid.
'2) Lbid «. an 1008.




PROGRES DE L' ArJTÚRITÉ ROYALE. 39


comrnune était purement défensif (1) : leshabitants
juraient de se protéger mutuellement. Quelquefois
les ecclésiastiques ou les nobles prétérent ce ser-
ment, rnais cornme garants, puisqu'il était dirige
contre eux ; la cornmune avait le droit de guerre,
celui d'assembler les habitant.s au son de la cloche ,
la justice , en un mot, c'était une pctite souverai-
neté, ou plutót , d'aprés les idees du temps, un
fief dans la mouvance médiate ou immédiate du
rOl.


Louis VIII (2) regardait comme siennes toutes
les villes de communes; quelquefois l'autorité
royale intervenait entre les villes et leurs seigneurs
ponr confirmer ou abolir les charles.


Le roi et le tiers-état ont toujours fait des pro-
gres communs : ce fut sous Louis le Gros que la
royauté sortit de la léthargie oú elle s'endormait
depuis deux siécles : de la méme époque datent les
premiéres chartes de comrnune. Le peuple et son
représentant grandissaient ensemble.


La commune jouissait des prérogatives souve-
raines, elle nommait ses rnagistrats, assemblait des
milices, enfin elle pouvait se faire craindre et res-
pecter. Le droit de bourgeoisie inspirait moins de
méfiance (3), il se bornait ades exemptions accor-


(1) Baynouard, tome 11, page 2Sn.
(~) nuc., voc. Commul1ia.
(3) Préfacc du tome XlI des Ordonnances ,




40 I'IWGRES DE L'AUTOIlITÉ nOYALE.


dées (1) aux habitants, moyennant finanee; les sci-
gneurseurent aussi leurs bourgeois /c), mais, a la
fin du XIV C siécle, le droitde conférer des bourgeoi-
sies n'appartenait plus qu 'au roi; seul , il était
assezpuissant ponY' que sa protection fút recher-
chéé, asseacloigué pour qu'elle ne Cut pas pe-
sante. Plusieurs rois Iirent consrruire dans le
midi des hastides , espece d'asile centre la tyrannie
féodale. Les habitants pouvaient marier leurs filIes,
faire leurs enfants clercs, tester, vendré sans au-
torisation , facultés du droit naturel et qui, alors ,
étaient des priviléges; enfin ils n'étaicnt soumis
qu'aux juges royaux (3); et cornme, jusqu'a
Charles IX, il fut adrnis en principe queIa COIll-
pétence dépendait du domicile de I'accusé et non
du lieu du délit , lesbourgeois n 'eurent den are-
douter de leurs anciens seigneurs.


Ces droits n'étaient pas méme auachés aune
résidence eontinuelle dans l'enecinte privilégiée;
ils pouvaient s'acquérir par l'accomplissement de


(1) Ord., tnme XII, pago 383, an 1310.
lb., page 39!)' an 13 [2-
('l.) De richief la taille que 110US avons sur nos dit horgeois ellas-


elln an haut et bas, sans estimaeion el somme certainc , nous rani-
nons et attemprons ,


Charte d'un seigur.ur. Ord ., tome XII, page 39' .
Cette concession était faite moyennant 500 livres .
(3) Nec est intentionis nostrre quod subjecti nostri possint rcqui-


rere, a ut de prrefatis hurgesiis rctruhcre homines suos de corpolr.
adecriptos.


Ord. de I :l(l~, r.ipportee par La 'lhaumas siórr , p;lge :ll'"




I)nOGU~;S DH J.'AUTOltlTÉ HOYALE. 41


certaines formalités dont la principaLe était le paie-
ment d'une sornme d'argent. Ces concessions
étaíent, avant tout, une mesure fiscale (1). Un des
sens du mot bourgeoisíe était la redevance exigée;
mais, quels que fussent les motifs , les sujets des
gentilshom-mes leur échappaient. En vain ceux-ci
se roidissaien t contre le cours des choses, leurs
terres se dépeuplaient, et, pour y retenir les habi-
tants, ils étaient obligés de leur accorder les mémes
franchises. Ainsi, acoté de la féodalité et hors de
son influence, surgissait une classe nombreuse,
active, qui n'avait connu les seigneurs que par des
maux endurés, instrurnent tout disposé a servir
centre eux,


La royauté, pendant le xin- siécle, acquit le droit
de faire des Iois pour tout le royaurne. POUI'
quelques établissements qui devaient étre en
vigueur hor's de ses domaines, le roí commenca par
prendre le consentement de ses barons (2). L'or-
donnance de saint Louis sur le combat judiciaire
ne fut re<;ue que dans ses dornaines ; mais son 01'-
donnance contre les blasphérnateurs fut applicable
a tout le royaume : « Et ainsi face chaque sei-


(1) Ai donné en perpétuclle aumosne a l'abbaye de ... , ,) prend re
sur mes bourgesies de Guise, par la main di cil q ui pour lors recevra
les di tes bourgesics.


Charte du comte de Blois, de 1277' Duc., "l"OC. Borgesia ,
(2) Roe stabilirnentum durabit quousquc el nos el cornitissa t re-


censis et comes Guido aliud diífaciamus ,
Ord ., tome J, page 45. Regnc de Plrilippc-August e ,




4·2 !}HOGUES DE L'AUTOHlT.É IWYALE.


» gneur garder en sa terre (1). » Beaurnanoir re-
connait que le roi a pu faire des établíssements
pour le bien cornrnun du royaume; ainsi ila seul
le droit de délivrer la charle de commune, il en
donne méme la raison : le gentilhornme tenait ses
serls de son supérieur; en les affranchissant, il
apeticait le fief dominant (2); il disposait d'une
propriété qui n'était pas alui. Ces progrés avaient
été graduels. Excepté le droit d'affranchir les serfs
fondé sur les idées féodales, ils supposaient dans le
roi un autre titre que sa qualité de suzerain : un
droitde police sur tout le royaume. C'était en vertu
de ce principe qu'il avait la garde de toutes les
églises (3).


Ainsi le roí eut le droit de réclamer les hommes
"qui déclaraient lui appartenir (4); ses officiers
purent exploiter dans les terres des barons Iorsque
ceux-ci négligeaient de le faire (5); enfln la -con-
naissance des cas royaux, déférés exclusivement
aux justices royales, resserrait la juridiction
féodale.


La marche de la royauté, dans cette voie, ne
fut pas continue; iI Y eut des réactions , et, pour
un moment, elle fut obIigée de rétrograder. Les


(1) Ord., tome J, page 102, an 1268.
(2) Ord., tome 1, page 255, an 1268.
(:3) Beaum . , page 260.
(4:1 ÉtablissementdeSainl-Louis, page 2jO


fá) 01'<1.) tome I1) page 62, an 1330.




PIWGRES DE L'AUTOIHTÉ ROYALE. 43


preruiers Valois ne conservérent pas les conquétes
judiciaires de Philippe le Bel, et rendirent aIeurs
vassaux quelques UDS des droits dont ils les avaient
dcpouillés (1). Les seigneurs eurent la législation
dans leurs {iefs; mais il fallait que le roi coníirmát
leurs lettres (2). Le terrain n'était pas abandonné
ponr longtemps; les eoncessions méme faites aux
barons{3), la eonfiscation des bannis, le droit de
juger les appels, de battre monnaie, prouvent qu'a
eette époque le pouvoir royal était devenu la regle,
et le pouvoir féodal l'exeeption. Un siecleplus
tót , les possesseurs de fiefs n'eussent pas méme
sentí le besoin d'étre rassurés centre ces empiéte-
ments (4); ils avaient cette sécurité que donne la
conscience du droit et de la force. Enfin le roí se
réservait toujours les eas royaux, que l'interpréta-
tion judiciaire étendait sans cesse,


Ce changement dans I'autorité, qui faisait du roí
un magistrat, tandis qu'auparavant il n'était guere
que le propriétaire d'uu plus grand fief, lui donna
la possession exclusive de certains revenus , qu'il
partageait dans l'origine avec ses vassaux. Les Juifs
étaient une des propriétés les plus lueratives de ces
temps barbares. L'état de leur nation , répandue


~I) Ord., tome 1, p<lge 69:3, an 1319'
(7.) Grod., tome I1, pagc 71, au 1331.
(3) Quod bona bannitorum ipsis nohilihus couccduntur .
Ord., tome 1, pdge G99, an 1319'
(1) Ord., lome Il, pagc 12G, an 1338.




41, IlROtiNES DE L'Al'TOIUTÉ ROYAl.:·:.


partout, I'avilissement qui leur interdisait toute
profession honnéte en avaient fait les courtiers et les
usuriers de I'Europe , l'argent monnové était en
Ieurs mains, mais leurs personnes appartenaient
aux seigneurs (1). Ils étaient vendus , transportés
avec -Iea terres ; ils étaient tellement considérés
comme la chose du seigneur que, s'ils se convertis-
saient, leurs hiens étaient confisqués ason profit ,
c'était le dédornmagement des taxes que celui-ci
perdait par leur changemenl de religión. Ce ne fut
qu'en 1363 que fut abolre cette lt'gislation peu chré-
tienne, Quand il fu! admis que le roi avait un droit
de surveillance sur tout le I'oyaU111e, il disposa seul
du sort des Juifs (2). Les Lombards enrichis par
le méme cornmerce étaient enveloppés dans la
méme réprobation (5): ils étaient proscrits, quand
leurs richesses éveillaient l'avidité; rappelés,
quand le hesoin d'argent les rendait néccs-
saires (4).


L'héritage du hátard et de I'aubain, I'amortisse-
ment des fiefs, acquis par les vilains et par les gens
d'église, furent de méme enlevés aux seigneurs.


L'amortissernent et le franc fief étaient unedigue
elevée pour défendre la féodalité , qui ne laissait-


(1) Établissement de saint Louis, pagc 18-1. Judreum SUUIll, .In-·
dreurn domini. Ord.) tome 1, pagc 5:l.


(2) Duc.,voc. Judreus .
:3) Duc., YOC. Caorsini .
!l) Ord., tomo 1 et ll. Passim .




PRorin~:s [lE r, ' AVTORITÉ ROYAI.E. 4á


rien entre}' dans son cadre et n'en laissait rien
sortir. Un fief possédé par un vilain ou par une
église ne pouvait plus étre desservi. Le seigneur
perdait , dans le premier cas, le service.militaire ;
dans le second, les laxes féodales, exigées achaque
mutation. Les principes des fiefs exigcaient ique
tous les seigneurs jusqu'au roí fussent indemnisés;
une telle difficulté eút rendu les acquisitions im-
possibles. Le cours des choses, qui apportait au
tiers-état el. al'Église une part toujours plus large
dans la propriété, emporta ces usages (1).Le roi
se réserva le droit de relever les roturiers et les
prétres de leur incapacité. En 1391, il déclara qu'a
lui seul appartenait le droit d'amortissement ; de-
puis Philippe le Bel, le franc fief n'était égalerrlent
dú qu'a lui. Ces droits furent souvent procla-
més , rarement exigés; l'amortissement était une
menace pour forcer le clergé a contribuer de sa
bourse. Le frane fief ne devint une imposition
réguliére que sous Louis XIV, dans un temps oú
la féodalité ne donnait méme plus signe de vie. Ce
n'était qu'un expédient financier; mais il con-
sacrait une inégalité blessante, il était en opposi-
tion avec toutes les mesures du méme regne.


Les aubains étaient ceux qui habitaient un autre


(1) Plrilippe le Hardi est le prcmier qui ait exigé le droit d'amol'-
tissement.


Ord., lome 1, p. H17. 1\ n'exi-rait llas SOIlS Suint-Louis. lb. p. ~la>




46 PROGRES DE L'AUTORITÉ ROYM.F..


diocése (1). Ils étaient tenus de se choisir un sei-
gneur dans I'an et jour , s'ils néGligeaient cette
formalité, ils devenaient exploitables 3U barón. Ces
coutumes pronvent assez combien l'existence de
chaque fief était isolée; il n'y avait de rapport
qu'entrele vassal et le seigneur, en ligne directe,
pour ainsi dire.


Les revenus du roi n'étaient donc que eeux d'un
grand propriétaire; il avait sur les vassaux im-
médiats de la couronne les droits que ceux-ci
avaient sur les arriére-vassaux : les taxes pen;ues
aux diverses mutations , les profits judiciaíres , les
aides légales; il parait méme douteux que ces
taxes aient été levées sur les gratids feudataires
avant Philippe le Bel (2); du moins, les do-
cuments législatifs n'en parlent pas avant cette
époque. Une ordonnance de 1318 pl'ouve que
les gens des comptes u'étaient guere que des in-
tendants : ils doivent vendré le poisson des étangs,
quand les viviers seront remplis, et employer le
produit des étangs a l'achat du poisson de me";
celui du hois, al'achat des volailles, De pareilles
fonctions ne sont guere du ressort de la magistra-
ture.


(1) Se aucuns hons estrange vient ester cn a ucunc chatellcuio , el il
ne face seigneur dedans l'an et jour, il en sera exploitable au ha ron •


Ord., tome 1, page 176, an I~qO.
(2) Onl., tome J, page 534, année 1313. L'aide qu'il Ieva pon!' la


chevalerie de son fils Iui fut mérne con tcstéc . Le pmlcment pro-
nonSa en fav eu r du 1'01.




PROGRES DE L'AlJTORITF; nOYALE. 47


Les uibunaux étaient une des principales res-
sources de la couronne ; ils étaient compris dans
la Iinance (1), et le produit en était affermé, Ce
fut meme un des reproches que Boniface VIII
adressa a la mémoire de saint Louis ponr s'oppo-
ser asa canonisation (2). Ainsi les empiétements
des justices du roi servaient ala fois sa richesse et
sa pmssance.


Les prévóts et les haillis étaient une institution
de Philippe-Auguste : avant lui leurs fonctions
étaient remplies par les sénéchaux ; mais ceux-ci
relevaient du grand-sénéchal, feudataire puissant ,
propriétaire héréditaire de sa charge. L'action
royale était donc genée méme dans ses domaines,
La difficulté fut tournée au lieu d'étre attaquée de
frout , depuis 1 191 , il n'y eut plus de grand-séné-
chal; les baillis et les prevóts , dont les noms ne
rappelaient que l'autorité royale, devinrent ses
seuls agents.


L'adrninistration de la justice et la pereeption
des revenus furent longtemps dans les mémes
mains ; mais on ne tarda pas aéprouver le besoin
de séparer l'une de l'autre; des receveurs furent
créés , il fut méme interdit aux baillis de veudre


(1) Les baillis baudrout les prevotés, péages, les sceuu, écriturcs ,
el autres marchies clu roi.


Ord .; tome J, page 462. Jl nous serait faciJe de mulí iplier k;
..itations , '


('l) Due., vOC. Prrepositus .




48 PROGRES DE L'A lJ TORl TÉ nOYALE.


les fermes du roi (J) : une comptabilité plus ré-
guliere commenca a sétablir. En 1316 (z}" on
trouve déja des trésoriers obligésde compter a la
Chambre des comptes , un trésorier des güerres ;
la méme ordonnance de 1318 porte que toute 1'e-
cette ¡ vienne au Trésor et que nuHe a~~igp~ tion ene
soit faite que sur ledit trésor (3); enfin, en .1520,
la composition de la Chambre descornptos.. son indé-
pendance sont Iixées ; deja était ébauchée toute
I'ancienne mouarchie.


Tout faihles qu'étaient les revenus féodaux., ils
pouvaient sufriré quand la royauté était confinée
dans ses domaines ; mais il est rare que les révolu-
tions emportent a la fois et la forme et le fonds,
et les institutions du passé sont forcées de s'adapter
it des circonstances pour Iesquelles elles ne sont pas
faites , la difíérence était grande entre les premiers
capériens et Philippe le Bel : celui-ci toutefois, pour
des entreprises bien plus importantes, n'avait que
les mémes ressources ; la réunion de plusieurs
grands fiefs les avait augmentées, sans en changer
la nature , et le produit des propriétés privées ne
croit pas en proportion de leur étendue.


Philippe le Bel se débauit contre la uécessité ; il
employa tous les moyens usités de son lemps,
aliéna les domaines, persécuta les Juifs, Irt con-


(1) Ord., tome 1, page 714, an 132.0.
(2) Ord.,tomeI, page6S8, an 1~18.
(:3) Ord., lome 1, p3ge 706.




PIWGHES HE J-'A(jTORlT.f~ ROYALE. ~·9
dumner les templiers, leva des aides sous diffé-
rents prétextes : tous ces efforts n'aboutirent qu'á
un revenu de 80 mille mares (4 millions de notre
monnaie) ; il est méme perrnis de eroire que eette
évaluation est exagérée (1), puisque ce fut le ehiffre
que lui reproche Boniface VIII. Philippe-Augnste,
ajoutait eelui-ei, n 'avait levé que 36 mille mares.


Les altérations des monnaies étaient la seule me-
sure qni atreignit les gentilshornmes en dehors de
leurs devoirs féodaux. Depuis saint Louis, la mon ~
naie des barons n'avait plus cours que dans leurs
(erres (2); celle du roí, au contraire, était recuc
partout. Le nombre des seigneurs ayant le droit de
Lattre monnaie diminuait ehaque jour; ils étaient
quatre vingts sous saint Louis et n'étaient plus que
trente-deux sous Charles le Bel (5): le bénéfiee des
falsilications pouvaitdone étre eonsidérable, surtout
á une époque oú distinguer le litre des métaux
était un art pcu répandu, Mais, ce que le roi ga-
gnait eornme faussaire , il le perdait comme pro-
priétaire ; il a fallu einq siécles ponr que le gou-
vernement renoncát aces altérations, et e'est aprés
la régenee seulement qu'il s'est aper<;u que le vol
était une spéculation détestable.


Vendre , aliéner le domaine était une chose
toute naturelIe, puisqu'il ne se cornposait que de


(1) Dupuy, cité par Boulainvilliers .
(2) Ord., tome J, page 5f)b, annéc uGS.
:'3) o-a., tome J, page G2Q.




propriétés privées ; rnais ce n'était qu'un palliatif
qui grevait l'avenir au profit du présent : les alié-
nations sont une ressource qui s'épuise elle-méme.
La méme cause, le besoin d'argent , faisait que
tantót les' rois vendaient leurs domaines et
que tantót ils retiraient leurs concessions ; ils
eussent voulu conserver et le prix el la chose. Les
légistes vinrent en aide a la royauté el proclame-
rent le principe que le domaine était inalienable ;
c'était distinguer nettemont I'autorité souveraine
d'avec la personne du roi ,


Les rccherches infructueuses qne tous les sou-
verains ordonnérent sur les domaines prollvent
assez combien cette garantie était illusoire : cette
fiction légale qui mettait, hors du cornmerce des
hois, des terres, était contraire a la nature des
choses, et ne fut jamáis recue qu'en théorie; en
fair, les engagelnents, les ventes se rnultipliaient, el
ce fut un bien; sans cela, une partie de la France
se fút immohilisée et fút restée étrangére a la r i-
chesse qu'ajoureut au sol I'industrie el l'activité
particuliéres.


Quand plus tard de véritablcs impóts vinrent Se
joindre aux propriétés privées, revenu primitif des
souverains , on s'imagina que le nom comrnun de
domaines suffisait pour leur donner la méme na-
ture , et l'on vit successivernent les rentes, les
aides passer entre les mains des particnliers. L'a-
bus fut mérne poussé si loin, qne Sully put Iaire




PROGRF:S nE L'AUTORITÉ ROYAU':. .1.1


rentrer ponr 200 millions de notre monnaie de
domaines engagés.


Le roi avait deux espéces d'autorité dans le
royaume; cene de suzerain dans les fiefs de ses
vassaux , et celle de seigneur dans les fiefs dont il
était le propriétaire direet. L'une était plus étendue
que l'autre; hors de ses domaines, il n'avait que des
vassaux , dont les eonditions, les devoirs étaient
réglés d'avance ; dans ses domaines, iI avait des
sujets ; il exercait sur eeux-ei les mémes droits que
les seigneurs dans leurs terres, et eomme il se trou-
vait a la fois el leur supérieur féodal et Ieur sei-
f~neur direet, son pouvoir v était plus absolu que
celui des particuliers ; cal' ces derniers avaient un
supérieur dans le suzerain,


Les grands vassaux sentaient bien combien
cette réunion des deux titres dans la personne du
roi était fatale a la féodalité ; ponr en prévenir
l'extension, ils obtinrent plusieurs fois d.u roi
qu'il n'achéterait pas de fief· relevant d'eux OH
qu'il leur fournirait un hornme pour accomplir les
services dus par le fief inférieur au fief dominante


Mais la nuance qui séparait les anciens vassaux
des ducs de France, des fendataires de la couronne,
s'effaca de plus en plus; e'était une de ces distinc-
tions subtiles , fáciles a soutenir dans la théorie,
mais que la pratique emporte toujours. L'autorité
royale gagne acette confusión.


Philippe le Beí leva un droít a l'exrraction du




52PROGRES DE L'AUTORIT~; ROYALE.


sel (1); en 1302, il imposa les marchandises a
la sortie. La maniere méme dont il s'y prit pOlI!'
établir cette nouvello taxe prouve corn bien il
était peu sur de l'obéissance. Il défendit l'exporta-
tion de toutes les marchandises, en se réservant
de dispenser de cette prohibition moyennant
finance; le droit était de sept deniers par livre (2).


La gabelle proprement ditc et un droit de
i~denicrspour Iivre sur les marchandiscs remontent
a Pbilippe le Long (3): ce prince promit de les
abolir et de ne pas les incorporer ases domaines.
Sous Charles le Bel, la quotité d'un impót sur les
consommations est fixée a2 sous par tonneau de
vin (4" a6.deniers par boeuf. Telle est l'origine mo-
deste des taxes indirectes. L'impót direct n'a com-
meneé quun siécle plus tardo


Dans la société moderne, les finances ont tou-
jours été un objet d'une extreme gravité; tous les
changements s'y sont toujours révélés par une mo-
dification du revenu publico Le vote de l'impót a
créé dans un pays voisin la liberté politique; en
France , la répartition plus équitable de l'impót
s' est associée aux progrés de l' égalité. Chez les
anciens, au contraire, il n'v avait rien de cornmun
entre les révolutions Iinanciéres el les révolutions


(l) Ol·d., tome J, page 121.
(2) o.a., tome 1, pagc 351.
(:3) Ord., tome 1, pnge 6H), annee 131R.
(11) Ord , lome 1, pagr ,8 /t , a11I1(:e 132/t .




PROGHi~s DE L'AUTOlUTÉ ROYALE. 53
politiq ues. La canse de cette d iílérence se trouve
dans le droit des gens recu alors. La guerre était
dirigée el contre l'État et contre les particuliers;
le vainqueur disposait ason gré non seulernent de
l'indépendanee de l'État, mais encare de la liberté
civile ; les hiens des vaincns , leurs personnes
meme devenaient sa propriété. La &uerre était
done une source de richesses; on éprouvait moins
le besoin d'en appeler aux fortunes privées.


Le nombre des citoyens actifs était limité par
l'esc1avagc; chez nous, il n'est pas un individu
que l'impót n'aille frapper. A ce titre, tous COI1-
courent au gouve¡'nement, au moins par leur
obéissance. Ces deux causes rendent I'impót plus
fréqnent, le répartissent sur un plus grand nom-
bre de personnes; toutes les oscillations qu'il su bit
doi vent done se faire sentir.


Ces essais, tout timides qu'ils sont, marquent
une ere nouvelle ponr la royauté. Lever un impót
sur tous les habitants, c'était parler au nom de
I'intérét général, s'en proclamer le représentant el
se créer par la un titre différent de celui des sei-
gneurs : le suzerain féodal était devenu un magis-
tral. Ce changement était une conséquence de
l'affranchissemcnt des classes inféricures. Le serf,
devenu bourgeois du roí, se trouvait placé sous son
autorité immédiate; ce n' était plus le régime des
licfs ou l'action se transmettait de degré en degré
el artivait presquc épuisée au termo de I'échelle




5!.. !)lWGHES DE L'AUTORlTl~ I:OYALE.
sociale ; ici il u' y avait aucun interuiédiaire cutre
le comruundement el l'obéissance.
, Il Y eut pendant un temps deux sociétés en
France,


Dans l'une, la souveraineté n'appartenait au
roi que par ressort , les serfs et les hommes cou-
tumiers étaient les sujets des seigneurs; l'autre,
au contraire, ne reconnaissait de supérieur que le
roi. Outre les causes génl~rales, telles que l'ex-
tension des domaines de la couronne, il y en avait
une particuliére qui favorisait les nouveaux prin-
cipes : les sujets des gentilshornrnes pouvaient
toujours se soustraire a leur autorité au moyen
des bourgeoisies royales. La société moderne se
recrutait sans cesse aux dépens de l'ancienne;
elle gagnait toujours , tandis que sa riva]e ne
pouvait que perdre; a la longue, elle devait l'a-
néantir.




CHAPITHE 111.


f)ÉCADE~CE DE LA FÉODALl'fE.


Des premiers greníel's á sel.-Aides.-Vote des impóts.-
Falsificatious des especes.- États particuliers. - Étals
generallX. Asscmblée de I 355. -Origine de la j uridic-
tion spéciale ponr les impóts, - Assemhlée de 1356. -
Son esprit ct son pouvoir. - Raisolls qui font avorter
cette tentative, - La royauté en profite. - Regne de
Charles V. - Imposition íoraine. - COll1meneement de
l'inégalité entre les diversos provinces. - Le monopole
des armes enlevé a la noblessc. - Caractere nouveau de
la royauté. - Insurrection centre les taxes sous Charles VI.
-Ene est réprimée , -- Création ele la cour des aides.-
Les seigneurs perdcut Ieur autorité exclusive sur les
homuies. __ o Le roi ]eve des impóts sans consulter leurs
États. - Regne de Charles VII. - Ordonnance de 1439.
- Institution el'une armée permanente et de la taille.


,


-- Part prise par les Etats aeette révolution. - Francs
archers. - État du revenu publico - Réfonne j udi-
ciaire.- Parlcment dc Toulouse. - Rédaction des cou-
tu mes. -- Etat de la nation divisée en deux classes.


Les premiers grcniers a sel furent établis en
13!~2 (1), les ofllciers furent déclarés juges de tous
les délits cornmis al'occasion de cet. imp6t; ils fu-
rent méme indépendants du parlement. C'est l~l
que remonte cette juridictiou exceptionnellc , une




56 . .DEC.\DE~CE DE LA l'EOD.\.UTE.


de celles qui ont pesé le plus durement sur les
classes inférieures de la société : c'était une idee
malhoureuse que de réunir la fiscalité et la magis~
trature dans les mérnes mains; lejuge se trouvair
porté a préférer les intéréts du fise a eeux de la
justice, et punissait , comme des attentats contrc
la société, les ruses au moyen desquelles les con-
tribuables se dérobaient aI'irnpót,


De vives réclamations s'élevércnt eontre cette
taxe nouvelle (1) : Philippe de Valois, d'aprés l'avis
des barons , chapitres el bonnes roilles ~ déclara
que son intention n'était pas de la conserver a
perpétuité; cette promesse fut oubliée, nul u'était
la pou!' la faire valoir. C'était un pas irnmense
pon)' le roi d'avoir, dans tout le royaume, atteint
les fortunes les plus élevées ; en se soumettant ,
nobles et roturiers se reconnaissaient sujets au
mérne litre. La royauté était un lien entre les di-
verses provinces de la frailee; plus tard, les Étals
p'énéraux essavérent de se mettre asa place, mais
tJ •


leur tentativo échoua.
Les taxes inclireetes, ponr étre productives, sup-


posent un commerce aetif, une surveillanee ha-
hile, toutes choses qui manquaient; elles étaient
d'un Iaible secours dans la situation critique 01\
le pa)'s allait se trouvcr. La Iéodalité avait été une
gllerre eontinuelle de province centre province ,
de' eha teau contre cháteau , mais, jusqu'á la guelT~l




· .»EL\DJ<:~CE DE LA FEO])ALlTE. 57


des Awdais, la rovauté navait !)3S eu adéfendre
tI "


sapropre existence. La force des armées, les re-
vers accumulés, la puissance d'Édouard, légiti-
maient I'appel de toutes les ressources du pays :
a une guerre nationale la nation dut concourir;
mais le régime féodal n'avait pas habitué les es-
prits au pouvoir absolu. Les gentilshomnles n'é-
taient engagés envers le suzerain que sous condi-
tions, et ces conditions ne pouvaient étre changées
par Une seule volonté ; les bourgeois qui avaient
conquis ou payé leur liberté avaient pris les idées
politiques répandues autour d'eux: il fallut done
consulter les prelats , burons (1), subges el hii-
bitants die ro)"all1ne de Frauce , leur délibération
n'était pas une vaine forrnalité. Nobles et bour-
gcois avaient grand soin d'exiger (2) qu'aucun
droit nouveau sur eux nejz1t acquis (3). Les barons
ou les bourgeois percevaient eux-mémes l'aide
accordée (4); as y mettaient des conditions et en
déterrninaient l' emploi.


Une autre aide (5) n'était accordée que pOUl' la
(1) 01"(1., tome IJ, p~ge 2h.
(2) Ord., tome 1, p~gc 768.
(3) Et vo ulons que de panny cettc ditc aidc, nul droit u e soit ac-


quis an ous coutrc laditc ville.
Ord .. tome 11, page 20.
lbirl , page 27 .
iu«. , page 7D'
(4) Laqucllc nicle 1l0U~ voulons étre levée pO lit' 1111 an et S01l, lc~


eOllditions ci-dcssus escrit cs el uou a u trcment.,
Orrl . tome 11, <tu 1 :3-'1:),
O.,) 01'11., torne ll, P'¡:;l' :3\):1, au I~\~O.




58 . .DECADE~CE DI<: I.A f:JWD.u.rn:.


I{Uel'l'e et devait cesser avec elle. En échange, le
roi défendait la guerre entre nobles; le peuple
comptait déja pour quelque chose.


Le principe des gonvernemenls modernes, le
consentement des gouvernés a I'impót et le droit
de controle sur les perceptions ne furent jamáis
contestés avant la fin du XIVC siécle. Le roi était
cntiérement maitre sur son domaine; il pouvait
tailler a miséricorde les serfs non affranchis; mais,
quand les vassaux lui accordaient une aide , ils y
mettaient des conditions auxquelles il fallut se
soumettre , tant qu'ils furent assez forts pour se
faire respecter. Plus tard, le roi pUL confondre l'a-
ristocratie ahattue avec les hommes de ses dornai-
nes; a10r8 iI parla en maitre aux nobles et au
tiers-État.


Cependant, acoté de la liberté, se glissait le des-
porisme : le roi, qui n'cút osé exiger, sans I'aveu de
ses sujets , la eontribution la plus légere, les taxait
a son gré d'une maniere indirecte; il les alteignait
dans toutes leurs relations par ses changements
continuels sur les monnaies , el cette falsification
amenait la tvrannie. Tous les l'apports entre la va-
leur des choses étant changés, on essayait de les
lixer par des ordonnances. Soit aehat, soit usur-
pation (1), les rois avaieut acquis le droit exclusif
de battre mounaie dans le l'oyaullH'. On crut que,
paree que le roí pouvait seul donner l'cmpreinte ,


(1) Orcl . préf ., lome 11 L rage 101 .




. ,


[)ELA[)E~(;E DE LA FEUDALlTl:.


il 1IOU\'.uit aussi détermiuer la valeur en un mol
. . . , ,


que les espéces étaient un signe dont la significa-
tion était arbitraire. Ces idees étaient celles des
contemporains : le monnéage est une aide de de-
uiers (1) due au duc de Norrnandie pour qu'il ne
fasseehanger les monnaies. Le roi déclare que, si
les États ne Iui accordent pas des subsides , il re-
tournera aSOB domainc des monnaies ; il est im-
possible d'annoncer plus ouvertement la falsifica-
tion, que de la regarder comme une source légitime
de produit, comrne un domaine,et sans nul doute,
si le roi eút eu quelque soup~on sur la validité d u
droit, iI n'eút pas ainsi affiché l'intention de l'exer-
cero


Philippe le Bel avait le premier donné cet exem-
ple (2) : le marc d'argent, dont la valeur , ason
avénernent , était de 3 livres 6 sous , fut porté en
neuf ans, par des altérations successives, a8 livres
10 sous , il retomba subitement a 2 livres 15 sous :
en 1316, il était deseendu de 5 livres 5 sous a
2 livres 4 sous, Les successeurs de ce prince mar-
chérent dans eette voie. En 13!~2, le rnarc passa
de 15 livres 10 sous a3 livres !~ SOUS; mais jamáis
eette cxaction n' eut lieu d'aprés une proportion aussi
forte que sous le roí Jean. Ceue bonne foi, qui,
disait-il, devait se retrouver dans le cceur des rois,
si elle ~tait hannie de la terre , il ne croyait pas


: 1) o.«. prct., tome 111. P"¡?,1: I U:;.
/?, I.ehh\lll' , De, mouuaie s .




(lO DECADEXCE DE L\ 1"':;IJDALln~.
qu'elle fút de mise avec ses sujets; i l ordonnai t ~,
ses olliciers le plus grand seeret, et si aucun de-
mande acombien les blancs sout de lOyy./eignez
quiils sont asix deniers (1), ils étaient a4et demi;
l'étendue des falsifications ótait toute efficacité a
ces ruses. Le roi avait heau dire que nul ne soit
assez hardi de faire aucun marché au marc d'or
ct au marc d'argent (2); il n'est pas de loi qui em-
peche un marchand de se précautionner centre la
fraude , et la subriliré de I'intérét privé se jouait
des prohibitions lt~gales.


Dans une seule semaine, les monnaics subis-
saient des variations hrusques : en 1351, le marc
valut 6 Iivres 14 sous, et 5 livres. Pendant la
courte puissance des États, ces altérations furent
snspendues. Les nobles et les bourgeois souffraient
également de cet état de choses oú toutes les va-
leurs étaient incertaines , tous les contrats altérés.
II dut yavoir, acette époque, apcu prés la méme
défianee et par suite la méme disette qu'au temps
des assignats; le désastre dans les fortunes parti-
culiéres s'ajoutait aux ravages de la guerreo La
premiére condition que les États mettaient aleurs
aides était qu'on retournerait ala forte monnaie ;
iIs avaient "U tant de désordres , tant d'encourage-
ments a la mauvaise foi nés des diminutions du
poids et de titre, qu'ils crurent que les remettre


(1) Lehlanc, page 25U'
f~,.) Onl., t orue Ir, pag!' J :-i(;, ;111 I :.\í::.




, ,


DECADE'iCE DE LA ."JWDALITE. 61
dans leur étaf. primitif était le meilleur remede (1).
e'était une erreur ; cal' au mal déja fait ils en
ajoutaient un nouveau. Les engagernents pris sous
la faible monnaie, exécutés sous la forte, bles-
saient I'équité et la justice, tout comme lorsqu'on
passait de la forte ala raible; seulement, dans le
premier cas , le débiteur était volé; dans le second,
le créancier ,


Quand les États eurent échoué dans leur ten-
tative passagérc d'autorité (2), le gouvernement
royal reprit ses anciennes habitudes; en 1359, le
marc passa de 112 livres a 1 1 en dix jours. Cepen-
dant cette ressource frauduleuse s' épuisa; elle ne
reparut que dans les temps de désordre, OU rien
n'était mauvais, si le besoin du moment était
satisfait. Sous Charles V et sous son fils, la mon-
naie fut stable jusqu'aux malheurs de ce dernier
régne ; en 1418, le marc valut successivement
9 livres 16 sous , 8 livres et 7 li vres. Le dauphin,
dans la partie du royaume qui reconnaissait son
autorité , décupla en deux ans la valeur du marc;
arres la mort de son pere , il le remit a 7 livres.
Depuis lors jusqu'a Louis XIV, le poids réel de la
livre subit des diminutions successives, mais ré-


(1) Que le roy remit ses monnoies en I'état du poids et de la loy,
qu'cllcs étaicn t au tcms de Monsicur saint Louis .


Lehlauc, page 227.
(2) De I'a nnée J 358 scule, i 1 reste q uinze ordonnances s111' les


mo n nares .


On1., t o m c Ll l .




62 nf:CAJ)E,\CF: DE J.A FI~onALlTi:.
parties dans un espace de deux siécles , en sorte
qu'elles passérent presque inapercues. Le désordre
des finances était si grand ala fin du XVI( siécle,
les besoins si impérienx, qu'il faUut en mérne
temps créer les impóts les plus modernes et res-
susciter les exactions féodales.


Les États généraux, a la fin du XIVC siécle, gran-
dissent , se développent, sans qu'on puisse déter-
miner avec précision la date de leur naissance. Le
suzerain féodal n'était rien moins qu'absolu : a
chaque effort un peu sérieux , il convoq uait ses
vassaux ponr s'assurer de leur COIlCOlll'S. Ces
assemblées se nommaient Parlement, États; quand
le progrés de la société eut donné aux bourgeois
des villes quelque importance , ils furent appelés
aces réunions avec leurs maitres. Cette emancipa-
tion poli tique du tiers-État ne remonte pas plus
loin dans le nord qu'au régne de Philippe le
Bel , a l'époque de ses démélés avec Boniface ,
l'innovation ne parut pas assez importante aux
contemporains pour qu'ils nous aient donné des
détails. Les successeurs de ce prince I'imitérent:
les États furent convoqués plusieurs fois et accor-
dérent les secours d'argent demandés; mais il n'y
avait aucune analogíe entre eux ct les assernblées
poli tiques de nos jours. Presque toujours le roi nc
s'adrcsse qu'a des villes, ades réunions particu-
liéres (1) ; il ne sem hle pas (PW le royaume ait un


(1) 0\'(1" t orno 11, passiru .




nÉc.AllRN"CE nu U. FI~ODAI.ITÉ. 63
intérét eommun : certaines provinees (1), celles
qui sont le plus anciennement. réunies a la cou-
ronne, sont seules appelées aconcourir asa défense.
Chacun défendait la cause de sa ville, de sa pl'O-
vince ou de son ordre , el faisait sa condition la
meilleure quil pouvait. Jusqu'au regne du roi
Jean, aucun intérét général n'est soutcnu par les
États.


Au commencement de ce regne, il y eut une
assemblée générale des États, de la langue d'oil el
de la langue d'oc; les deux langues délibérérent a
part (2); les di verses provinces de chaque langue
ne se soumirent mérne pas aune résolution C001-
mune, Les députés aux États n'étaient que des
mandataires ; ils ne pouvaient ni étendre , ni in-
terpréter la na ture de leurs pouvoirs, ils represen-
taient non pas la nation ni mérne leur ordre , mais
les provinces ou la cornmunauté qui les avaient
envoyés; pendant plusieurs années, il n'y eut pas
d'assemblées générales, mais seulement des eon-
voeations partielles de provinces.


Le midi et le nord, ou, cornrne 00 parlait alors,
les deux langues, ne firent plus partie d'une méme
assemblée (3); mais les États de 1355, composés
des députés de la seule Iangne d'oil , manifestent


(1) Ord., tome 11, pages [l!)7, GH7 .
Préf'. 1 tom e llI.
(~) Ord ., lome IIJ, prt:f., pag!'s:3-1 et 3;J.
(3) Ortl. prM., tome 111.




64 DECA ))E~CE DE LA I"ÉODAUTÉ.
un esprit et des principes tout diílérents , .lcs.revers
multipliés , l'importance de la guerre qui se faisait
chez eux., a leurs dépens , réveillérent quelques
idées politiques. Ils accordérent au .roi, Jean
30,000 gendarmes (1) et 5,000,000 pour les entre··
tenir ; mais la gabelle et l'imposition de 8 deniers
par livre sur toutes les ventes de meubles dureut
étre payées méme par le roi. Le produit de cette
taxe fut .affecté spéeialement a la guerre; les
trésoriers rlu .roi ne furent pas chargés de la Iever
ni de la distribuer; les trois États se réservaient
le droit de ehoisir et de eornmettre autres bonnes
gens. e'est la l'origine de la juridiction spéciale
établieponr les impóts, Jusqu'alors il n'y avait en
qu'un ordre de juges, les parlements et les baillis ;
ils prononcaient done a la fois et sur les matiéres
judiciaires et sur les matiéres administrativos :
la connaissance de ces derniéres affaires fut trans-
portee aux élus; eeux-ei, dans le principe com-
missaires des États, excrcérent bientót leurs fonc-
tions au nom du roi, et leur nom rappela seul
qu'ils avaient été les agents du contribuable
avant d'étre eeux du pouvoir. Le roi faisait aussi
des coneessions; il renoncait au droit de prise
exereé par ses pourvoyeurs, aux ernpiétemcnts
sur les justices seigneuriales, enfin ason domaine
des monnaies.


La laxe indirecte créée par les États de 1555,




DE(:ADENCE DE tA FI~OD.UlT'::. 65
excita un mécontentement si général., qu'il fallut la
remplacer par une capitation (1); elle était pro-
portionnelle , mais en raison inverse de l'irnpor-
tance des revenus. Jusqu'á 100 francs de rente ,
on payait 4 francs par cent; au delá du prernier
cent, 2 francs : le pauvre était sacrifié au riche.
Le Languedoc, lorsque la défaite de Poitiers ac-
crut la détressc du gouvernement el la force du
tiers-État , accorda des hommes et de I'argent ,
en exigeant les mérnes garanties de surveillance
que la Lángue d'oil ~2). La meilIeure partiede la
noblesse était tuée OH prisonniéro , le roí au
pouvoir des ennemis, et, dans ce ternps, le gouver-
nement n'était pas entouré d'institutions sullisantes
ponr eom bler ce vide: tout tenait tellement a la
personne du roi , quune partie du eonseil le suivit
daos sa captivité (3). Le clel'gé el le tiers-État
étaient done les maitres dans les f~tats de 1356. Ces
deux ordres ont cu Iongtemps les mérnes passions
el les mérnes intéréts ; le prévót Marcel et 1'évéque
de Laon au XIV C siécie , les curés et les Seize sous
la Ligue étaient les chefs du mouvement populaire.
Le cardinal de Retz a exercé le dernier cette
espece de tribunal.


Les États vendirent chérement Ieur aide au
dauphin . il fut forcé de destituer vingt-deux de ses


(1) Ord., lome IlI) page S4.
(2) Ord., tome Il l, page 113, an 135fL
(3) 01'11., tome lIT, préf'.




GG . .UECADENCE DE L\ l<EOUALlTE.


olliciers (1); l'aide dut etl'e levée par les rrésoricrs
des États; un conseil choisi par f'UX fut imposé au
dauphin , íl ne put faire la paix sans prendre son
avis; enfin ils purent se rassembler sans convocation
pour adviser sur lejrlit de la gucrre el le gOllverllc-
ment du royaume. Plusieurs abus furent corr-iges,
les aliénations des domaines révoquées , le droit de
prise (2), les nouvelles garennes abolís, le droit
de guerre interdit aux nobles, enün l'administra-
tion de la justice réformée; chose d'un intérét
immédiat dans un temps ou le roi avait a faire
valoir taut de droits C0111 me propriétaire: les droits
des seigneurs n'étaient pas plus respectes que ceux
du roi; l'aide ne passait pas leurs mains, elle étnit
per<;ue par les gens des États.


CeUe assemblée se crut le droit de rcpréseuter
le pays; elle declara que, si le duc de Bourgogne et
le comte de Flandre ne cornparaissaient pas ala
premiere convocation, ils n'en seraient pas moins
tenus de tout ce qui pourrait étre ordonné par les
]~tats (3).


Il Yavait la toute une révolution et l'csprit de


(1) Ord., torne IIl, page 130.
(2) Le droit de plise était la faculté de semparcr des che va ux,


voitures, blés et autres denrées, sans les payer: iI appartenait au
roi , a ses enfants, a u chancelier, au connétable, etá tous les princi-
l1aux offlciers ; c'était la violence érigéc en droit. Ord .; tome 111,
page 28. Cette vexat ion continua eucorc ; il en est souvent qucst iou
dans les ordonnances du XIV· siécle.


(3) io., pag!' I ~.R




, .


nEC<\DENCF. DE LA J:EOD.\LlTE. 67


1789; milis alors la nohlesse seule avait la force el
les lumieres. La chevalerie, la gueI'I'e avaient donné
aux gentilshornmes une communauté didées et
une solidarité d'intéréts ; le dévouement et l'ac-
tivité des bourgeois, au contraire , ne s'étendaient
pas au dela des murailles de leur ville, La jac-
querie a été combattue par tous les gentilshornmes,
tandis que les bourgeois de Paris donnaient au
roí des secours pour qu'il écrasát en Flandre l'in-
surrection des communes. Enfin le tiers-État
était peu nombreux ; la plus forte partie de la
population roturiére u'était pas consultée : comrne
dans les siécles antérieurs, les serfs n'avaient été
affranchis que par des concessions particulieres ,
il n'y avait guere que les habitants de quelques
grandes villes qui envoyassent des députés aux
États, e 'était un privilége pour lequel il fallait
montrer un titre. Le reste de la nation, serve OH
franche sous certaines conditions , était représenté
par les nobles et les gens d'f:glise : ceux- ci stipu-
laient el pour eux-mémes et pour Ieurs sujets, qui
étaient leur propriété ; ceue distinction des diver-
ses classes de la société est évidente dans l'orden-
nance de 1 )58 (1).


(1) Lcsdites gens J'i~glisc et les nobles de et sur leurs hornmes ,
liostes etjust.iciublos de leurs bonnes villes, de 70 feux un homme
.I'armcs de de mi-cscu par jour; et des gens du plat pays, c'est as-
savoir des franches pCl'sonncs, el de Ieurs serfs ou condicionnés,
puisqu'ils soient abonués , ou quils n e soient taillables haut et has


voul ent é chascun an , de cent feux un homme darmes de demi-




G8 U~tADENCE DE I~A Fi(jDALll·~.
A Paris, le prévót lVIarcel était tout-puissant ; il


lit rnassacrer un des conseillers dn dauphin 80118
les yeux de son maitre , el forca celui-ci de. pren·
dre le chaperón rouge. Quatre siécles plus tard ,
Louis XVI, au mois de juin, se couvrit du bonnet
rouge. Ces cruautés, l'insurrection des Jacques qui
égorgeaient les gentilshommes sans distinction de
parti, ouvrirent les yeux ala noblesse ; elle vit que
son existence était en jcu et que le peuple lui voulait
plus de mal qu'a la royauté. Le dauphin pi-ofita de
ces dispositions nouvelles et convoqua les États de
la Langue d'oil a Compiégne, loin de l'influence
révolutionnaire de París et de Marcel (1). La réac-
tion eut líeu plutót contre les auteurs du mouve-
ment de 1356 que contre le mouvement lui-
méme, Les trésoriers , les réformateurs nomrnés
par les derniers États furent révoqués , mais la
nomination des gens qui gouvel'lleront le fait de
laditc aide Iut laisséc 3UX prélats , barons et gens
de honnes villes (2). II s'écoula encore un an avant
que Charles osát rendre a ses serviteurs les offi-
ces dont ils a vaient été privés en 1556.


Cet esprit de révolte et d'indépendance, qui fer-
cscu par jaur; et de leurs scrs , dcmourun s ou plat pays qui euvcrs
cux sont ast raius de t elle scrvit.ude , comme t aillublcs chascun ha ut
el has avoulen té de deux cents feux un homme d'annes.


Ord., tome 111, page 228. Dans I'ar ticlc précéden t, il cst parlé de
I'aide accordée par les gens des honries vil1es; ce!lli-ci ne s'applrque
ti 11'¡\\IX gens des seigneurs ,


(1) Tome Il l , pages ?23, ?,:3o.
('J) Tome H. IH<:r., page R(I.




, ,


D.ECADB~CE DE LA FEüD.AU'l'E. 69


mentait dans toules les classes du iiers-État , qui
soulevait les paysa ns contre les gentiIshOInmes,
les bourgeois de París conrre le dauphin, n'abou-
lit qu'a donner ala royauté une vigucnr nouvelle,
Décimée par une guerre malheureuse, la noblesse
úe se sentit pas assez forte pour résister au flot
populaire; elle s'abrita dcrr'iére le pOlI voir royal,
achetant sa protection par l'abandon de quelques
priviléges. Ainsi, dans les États de 1 358,. les pro-
priétaires de fortercsses durent les mettre en état
de défense sons peine d'eu étre dépossédés. L'u-
rilité publique l'emportait sur I'utilité particuliere,
aUentat contre la propriété féodale ou les intéréts
prives étaient seuls protégés el reconnus. Les
Juifs avaient lOl1gtemps appartenu aux ser-
gneurs (1); lc roi les exempta de pa yer aux
seigneurs justiciers aucune redevance , moyen-
nant celle qu'il exigeait pon!' lui-méme, Les sei-
gneurs hauts-justiciers , comme nous I'avons déja
dit, furent ohligés de reconnaitre une autorité
étrangére dans leurs fiefs : seuls jusqu'en 1355,
ils avaient assemblé Ieurs hommes pour la guerre
el levé les aides dues au suzerain , Leurs vassaux
n'avaient jamais senti l'action directa du pouvoir
royal; mais , quand les États décidérent que leurs
gens pcrcevraient partout l'aide accordée (2), I'in-


'1) Ord., tome IV, page 439, an 1364,
'~~) Sans ce toutes voies que les seigneurs haut justiciera la lieveut .
Onl .. 'OIlH~ IV, page 11.5, an 1355.




70 . .DECADE~CE DE LA FEOD.\L1TI<:.


dépendance féodale recut un coup fatal; les sujets
apprenaient, par la plus énergique des lecons , le
fait lui-rnérne , qu'il existait une puissance satis
Iaquelle leur maitre pliait comrne eux. La royauté
se saisit de cette faculté nouvelle créée par les
États; elle était alors daos une position heureuse ,
ou mérne les mesures dirigées contre elle tour-
naient ason avanlage.


Croire que, dans ce temps d'ignorance et de dé-
sordre, tous les droirs découlaient d'un méme
principe serait une erreur compléte; dans la
méme année oú le dauphin a vouait que les États
lui avaient accordé une aide de leur liberalitá el
courioisie (1), ill'églait, sans consulter personne,
le droit ~l la sortie (2). Cet impót ri'était levé qne
sur les marchands , gens de peu et sans inf uence;
il ne pesait pas directement sur le contribuahle ,
et celui-ci pcut-étre ne croyait rien payer quand
00 ne lui demanclait pas une part de ses revenus.
Daos le méme temps, une aide fut établie sur les
marchandises qui descendaient la Seine (3), en
échange de la protection donnée contre les en-


.


nerms.


En 1360 (4), Jean leva une aide sur les pays de
la Langne d'oil et du Languedoc (5); elle consistait


(1) Ord., torne IlI, page 230, au 13&8.
'2) Orel., tone IIr, pagcs 240, ,,[)L
,3) Oro., tome I H, page 298, an 11f,R.
(t) Ord ., torn . lIT, pagc '13G.
'5) Le LallgIH'd,,(' fut compris dans cel t c im¡'''.'lliol1, I'llb'llll'




. .


IlEU.nE-'tE ns LA FEOUALlTE. 71


dans douzc deuiers pou!' livre sur toutes les ven-
tes, le cinquierne du prix du sel et le treiziéme de
celui du vino Il ne parait pas que le roi ait con-
sulté les États, peut-étre paree que cette aide était
légitimement due en vertu des devoirs féodaux ,
puisqu'elle était destinée a sa ran90n (1). Pour
compense!' le mauvais elfet de ces laxes nouvelles,


.Jean faisait valoir les a vantages de la paix, la
conservation de la forte monnaie ; quelle que fút la
valeur de ces promesses, ces impóts furent tou-
jours exiges depuis cette époque.


Aussitót qu'unc force nouvelle se mauifestait
dans le pays, elle tombait entre les mains de la
rovauté ; elle seule avait un principe de vie. Ar-
bitre nécessaire entre les nobles et les bourgeois,
elle les voyait se détruire les uns les autres a son
profit; les États avaient créé l'irnpót et l'avaient
imposé a la noblesse ; ils avaient donné a leurs
élus un droit de surveillance sur les aidcs , une
juridiction absolue sur les délits qui pourraient
avoir lieu. Cette puissance leur échappa ; la con-
server leur était impossible, a eux qui ne s'ap-
puyaient ni sur les habitudes du pays, ni sur les
précédents législatifs. I1s n'étaient appelés que pou\'


:\¡mes el Bcauca irc s'cu r-xem ptcrcnt moyeu uant le paicmcnt d'un«
somrnc d'ill'gcnt.


o-a., torne Il l, page ~ UG.
(,) Lchlanc cva lue ~;a rallf:Oll ;\ 21 lllilli()n~ de ¡iHCS, enviren


í, I de not re mounaie ,




"U\\ \\\\~\'~\. ~Y\~e, \a l'\~r~e\?Ú()n 0.' un l\l\\?o\ sur
leurs propres biens , el non pour un intérét géné-
ral, Cette distinction est si vraie, que, dans les
événernents les plus importants du royaume, ils
nétaient jamais consultés. Jean réunit a la cou-
ronne le duché de (1) Bourgogne el le eornté de
Champagne, céda par le traité de Brétiguy une
portion considérable du territoire sans les convo-
quer; il est vrai que Charles V agit autrement
1orsqu'i I recut I'appel des scigneurs de Guienne
conlre Édouard; mais alors la puissance du roí
était incontestée el le nom des États généraux n'é-
tait qu'un voile pour couvrir la violation dun
u-airé. Cette comedie politique fut renouvelée par
Franeois le!' .


.


Le roi se substituait partout a I'autorité des
États , les élus de gens des í~lals devinreut les gens
d u roi (2); ceux-ci ne consultaient que les iuté-
réts du fisco Les mesures vexatoires sur le sel
comrnencércnt en 1372 (3): chacun, dit l'ordon-
llanee, sera tenu de prendre le sel au plus pro-


I


chain gt·enier. Le grenetier aura la juridiction sur
les délinquants ; si le cas est grave, i! peut les
l'cnvoyer pardevant les conscillers généraux sur
le fait des aides. Le sel était amené par' les mar-
chands el. vendu au prix determiné pal' le roi ; le


( 1) Orel.) tome 1Y, pagc 21;) •
. 2) Ord ., t orn e V, page 538, an 137'l.
',3) Orel .• lome V, pages 511, [,17 8"




· .,
DECADENC~ DE LA ~EODALlrE. 73


{jou\'ernement n'était pas encore devenu un mar-
chand qui forcait le eonsommateur a Iui acheter
sa.rnarchandise.


Uharles V est un des princes qui ont le plus con-
uihué a l'accroissernent de l'autorité royale; son
avenement au tróne suivit presqne' immédiate-
ment une guerl'e eivile, el l'expérience a montré
(lue c'est le moment le plus favorable an pouvoir
absolu , pour peu que le souverain puisse garan-
tir a ses sujets la sécurité dont ils ont été prives.
Charles fit de Iui-méme percevoir les diverses
laxes irnaGinées par les Éta ts, les douze deniers par
livre , le treiziéme du vin vendu en gros (1), le
quart du vin vendu en détail ; enfin un droit de
G francs par feu dans les villes et de 2 francs dans
le plat pays. II ordonna que l'irnposition foraine
serait pel'<;ue sur les marchandises transportées
dans un pays ou les aides n'auraient pas cours (2).


Déja plusieurs provinces s'étaient exernptées des
aides , moyennant une somme d'argent (5); cette
méthode d'aliéner des revenus a perpétuité pour
un secours temporaire a en les conséquences les
plus fácheuses ; elle a hérissé l'administration des
Iinances de mille diflicultés , en créant, entre les


1,1) OrtL, tome \'1, l'age 3,;m I;hi.
(2) 01'11., tome VI, pagc 20j, an 137(j,
(3) Ord., tome V, page 652) an 1373,
,",,¡mes el Beaucairc, tome 111, page 'l!)6,
t.íll», tome IU) p;¡ge 503, an 13úo.




74 . "J)ECAIlE:\CE DE L\ FIWIU LITE.


di verses provinces du royaulllc, une inégalité de
charges qui n'a été nivelée qu'en 1789; ces au-
ticipations partielles étaient dans les habitudes du
temps ; les diminutions de feux qu'on rencontre
si souvent dans le recueil des ordonnances, el
qu'on serait tenté d'attribuer á l'humanité des rois,
étaient simplement un expédient financier; elles
se vendaient,


La noblesse perdait, chaque jour, quelques uus
de ses droits; les bourgeoisies créées par le roi
étaient, po ur les sujets des gentilshommes, une
garantie contre l'autorité de leurs maitres (T). Les
seigneurs se plaignaient que, par la bourgeoisie
royale, leurs sujets éehappaient a leurs tailles et
a leur juridiction , le roi accueillait ces plaiutes el.
privait de sa protection ceux qui avaient voulu
en jouir sans la payer. Les seigneurs se virent
obligés de sui vre l'exemple du roi, et affranchi-
rent les serfs de leurs terres , paree que ceux-ci
abandonnaient les fiefs oú ils ·étaient main-
mortables , pour se réfugicr dans les domaines du
roi. Le siro de Couey n'allégue pas d'autre motif
dans sa charte d'affranchissement confirrnée par
Charles V (2); le tiers- Í~tat se recrntait ainsi aux
dépens des nobles, ct diminuait le nombre dc
leurs sujets.


L'étendue de leur pouvoir s'allaihlissait gl'a~
: 1, On!.; tome VI, pagc :11(1.
('1) or.l . , tome V, pagl' )[!l.




duellement , le droit exclusif de guerre qui avait
fait leur force leur échappait. L'art de la guerre
avait changé depuis les attaques des Anglais; le
temps prescrit par les couturnes féodales ne suffi-
sait plus ades campagnes décisives ; les troupes
soldées devinrent nécessaires ; l'indépendance des
hornrnes rl'armes s'évanouit des qu'ils furent
payés; l'argent engage euvers celui qui le donne,
paree que chacun cst libre de le refuser. Les ra-
vages des compagnies, bandes d'aventuriers tirées
de toutes les armées, el qui s' étendaient sur toute
la Francc , firent désírer , méme aux scigneurs,
que l'autorité royale réprimát les gens de guerre.
Charles V put done dire avee l'assentiment de
tous : Nul n'est capitaine sans litre ni autorité du
roi (1). C' était une innovation hardie; six ans plus
tót, le mérne princeavait autorisé les guerres privées;
il s' était contén té de les prohiber , quand I'une des
parties ne voulait pas en courir les ehances (2).
Déja quelques troupes étrangéres, des archers gé-
nois avaienr.ccn partie, remplacé la milice féodale;
)'introduction de l'artillerie dans les arrnées, en
faisant de I'état de soldat une profession spéciale,
devait la faire tomber en désuétude.


Sous Charles V, la royauté prit un caractére
uouveau , le roi se fit adrninistrateur et politiqueo


(1) Orrl , torne V, pase ü60, al! 137;),
'}' Ord .. tome V. l'ólg(' '!"j, a n I :'lB,




76 . ,DECADE~CE DE L\ I;EODALlTl~.


Jusquá lui tous les Valois avaicnt été des ~he­
valiers avides de tournois, de pOlnpes, de com-
hats , se jetant dans les guerres moins par calcul
que par esprit d'aventures. Charles, au contraire,
soit par gout, soit par faiblesse de tempérament,
éiáit peu propre a cette vic belliqueusej : méme
son courage avait élé soupconné a Poitiers. JI ne
lit la guerre que par ses lieutenants , et ses con-
temporains durent étre étonnés de voir les revers
de Jean et de Philippe de Valois réparés par un
prinee qui ne portait pas lea armes; ils purent
~


comprendre que le roi était autrc chose qu'un
chef militaire.


A juger I'administration de Charles V 1)31' ses
résultats , on doit croire qu'elle a été oppressive ;
il serait difficile d' expliqner autremen t comment,
malgré les dépenses d'une guerre contin LIdIe,
l'épuisement ou il trouva son l'oyaume, il a
laissé asa mort un trésor considérable. Tant qu'il
vécut, le mécontentement fut contenu par l'au-
torité de son nom et de sa prospérité; niais, aprés
lui, il éclata.


Les impóts pesaient et par leur nouveauté et
par le mauvais emploi auqnel ils étaient des-
tinés; c'est par la que I'on peut expliquer le
succés momentané de Marcel el la fa veur cons-
tantedesBourguignons dans Paris, Pcndant long-
temps, le peuple n' eut rien a déméler avec la
royauté , son, ennerni ctait }(,5 grntilshommes ses




. .


DECADE,"CE DE L.\ FEODALlTE. 77


maitres : mais, quand la puissance de ceux-ci fut
restreinte, l'autorité royale se manifesta sur' les
bourgeois par des exactions dont le produit, folle-
ment dissipé en pompes frivoles , était une insulte
asa misereo La royauté a reconquis plus tard sa
popularité ; elle a chassé les Anglais, étouffé le
vieil esprit féodal qni, sous des formes diverses,
cherchait a se ranimer ; le peuple la seconda
joyeusement dans ses entreprises; il ne l'aban-
donna que lorsqu'elle se fut unie aux débris im-
puissants de ses anciens ennemis.


Le gOllvernement qui succéda a Charles V
était faible, divisé et prodigue; il réunissait les
vices qui aménent les révolutions et I'impuissance
ales combattre. Une sédition dans Paris le forea




de supprimer tOU3 les impóts établis depuis Phi-
lippe le Bel (1). Pendant deux ans, les tentativos
auprés des bourgeois el des États généraux pom'
le rétahlissernent des impóts furent inutiles ; il
fallut dissimuler et attendre l'issue de la guerre
de FJandre; mais, aprés la défaite d'Arteveld, les
oncles rlu roi montrérent aux Parisiens que c'était
le tiers-État qu'ils avaient vaincu, Le roí entra
dans Paris comrne dans une ville conquise, dé-
truisit sa munici palité ; plus de cent bourgeois et
parmi eux quelqnes uns des meilleurs serviteurs
du feu roí furent exécutés , le reste luís a rancon.


; 1) Or.l .. lome VI I pagf' ;l?·\l. :1\1 I ~RlI.




78
. ,


DJ.~CADE,"CE DI~ LA I,'EOIUUTJ~.


Ces coniiscations valurent aux seigncurs 960,000
Ilorins (1 ) •


L'insurrection ne réussit pas mieux au peuple
que les voies légales : il dut se résigner aétre gou-
verné par le roi et la noblesse; ruáis toute sa
haine fut pour celle-ci, et les fils des Jacques ont,
pendant des siécles, garclé rancune a la féodalité ,
tvrannie divisée oú le sujet était toujours sous la
main du maitre.


Une révolte avortée consacre ce qu'elle a voulu
détruire. 1/établissement définitif des aides date
de 1382.


L'impót sur le muid de sel était de 20 sois,
l'aide consistait en 12 deniers pour livre sur la
vente des marchandises. (Ord. tomo VI, p. 749.)


Les aides étaient affermées, les élus avaient la
juridiction sur les fermiers, l'appel de leurs sen-
tences était porté devant le conseiller pour le fait
des aides; cette ordonnanee créa la cour des
aides (2). Les conseillers généraux sur le fait des
aides furent chargés a la fois et d'administrer
les revenus et de punir les délits auxquels la


(1) Sismondi, Histoire de Fra nce .
Fr'oissard dit 400,oco franes.
Ord., tome VI, préf., p:lge 3&.
(2) Que tout ce qui par nos diz eonseillers quant au fait de la jus-


tice sera, durant le cours des diz aides, senteuoié el jU¡;if;, tiengue
d. vaille eut.ierement co m me ce qui pst fait el jllgi(: par arrest de
nostre parlemen t.


Orrl .; tome VI, page 10(j.




IJlCAlm:\CE DE u. FÉOD.HITE. 7~1


perceptiou doupait lieu; leur juridiction fut dé-
clarée indépendante du parlement; il fut mérne
interdit a ceue derniére cour de prendre connais-
sanee de ces affaires. On sentit bientót la nécessité
de séparer les fonctions administratives des judi-
ciaires , il Y eut des généraux, des aides sur le
fait de la justice , qui n'cureut aucun droit sur la
perception des revenus (1). Daos l' origine, les
conseillers se partageaient les provinces ('2), el dé-
membraient entre eux le pouvoir qui leur était
délégué, CeHe division leur fut interdite (3), et
la réunion des généraux des aides devint une vé-
ritable cour de j ustice , soumise aux formes déli-
bératives, 0\1 lautorité de la majorité décidait
ton! (4).


Cette création d'une magistrature spéciale était.
une nécessiré , le produit des aides eút été nul si
les délits n'eussent été réprimés que par lesjustices
seigneuriales éparses dans le pays. Les hauts-
justiciers étaient encore puissants (5); en 1408, ils
avaient encere le droit de punir leurs officiers el.
méme les oíficiers royaux, amoins que le roi n'eút
une possession contraire. Cette derniére clause,
ínterprétée comme elle le fut par le Parlement,


(1) o.a., tome VII, 11age 336.
(2) Ord.; tome VIII, page 8, an 1395.
(3) Ord., tome VIII, page 414, an 1400.
Cí) Onl., tome IX, page G70, a n 1441.
:5) Ord .. tome IX, pag!' 361.




80 D~~ADKNCE DE LA FioDALIT~.
devait, a la longue, déposséder la noblesse; mais
cette substitution ne se fit que d'une maniere in-
sensible. Le roi n'eüt pas été assez fort pOOl' im-
poser ses juges ordinaires aux gentilshommes. Les
gt.~neraux des aides n'excitaient pas la méme me-
fianee; ils étaient nouveaux, ils ne rappelaient
aucun préeédent fácheux ; ils remontaient aux
États eux-mémes , et, a ee titre, ils ne soulevérent
aucune opposition, Quand, plus tard , la rovauté
usurpa le droit de les nommer, ehaeun était deja
habitué ase soumettre a leurs seutences , et aune
époque mi toute la législa tion n'était que coutume,
exister depuis quelques années suflisait a la
légitimité. Le roi put done, sans aucun inter-
médiaire, sans interprétation détournée , s'a-
dresser direetement a tous les habitants du
royaume. Les seigneurs eux-mérnes furent obligés
de reconnaitre a chaque instant son autor-iré dans
le plus grand intérét qu'aient les hornrnes, leur'
fortune,


Le principe admis ~ les conséquences suivirent :
en 1388, Charles VI leva une taille sur tous ses
sujets (1), sans dernander le eonsentement des
États; le peuple était déja accoutumé a obéir et.
le roi aeommander ,. une nouvelle t.aille fut é.Q:a-


11


lement per<;ue eH 1396 pour le mariage ele la filIe
du roi (2); les nobles faisant la guerre el les


r) Ord., lome VII, pagl' 187,
2) 01"1., tome YIIT, page 66.




eeclésiasriques en étant seuls exernptés (1). Les
exemptions étaientmoins nombreuses qu'elles ne
le furent dans lasuite; mais cependant, a. coté du
Pliivilég~desnobles,s'irnplantait celui des .i-iches,
plaiede l'ancien régime. Les ofliciers de I'hótel
P-1J¡Toi<t.tde la reine furent dispensés decQntrt'-
buer aux tailles (2); les mernbres du parlement ven-
daient les fruits de leurs torres sans payer de droits.


Le roi avait dans les élus des percepteurs tout
préparés pour ces taxes nouvelles; ils en furent
chargés : la création des baillis parPhilippe-Au-
guste a vait étendu sur tout le pa ys le pouvoir
judiciaire de la royauté; les élus lui rendirent le
méme service dans I'ordre administratif', ils fai-
saient sentir partout la main royale. A coté de ces
nouveaux oíliciers étaient les agents féodaux du
roí, les receveurs et vicomtes des domaines (3).
Le domaine consistait encoré aux monnaies , juifs,
amendes ~ reveuus des eaua: et foréts , rcliefs , ra-
cliats , compositioii de Lombards (4). Les taxes
féodales el les impóts modernos co-existaient dans
le méme ternps et sans se confoudre.


Le gouvcrnement avait déja des idées plus
justes sur la nature des impóts et sur ses devoirs.
Quand les nobles du Languedoc demanderent


(1) o-a., tome IX, page 681, an 1411.
(2) Ord., tome VIII, p.1ge 184, an 1397.
(3) Ord . , tome X, page 75.
(4) Ord., tom e Yl l, page "ag,an 13fl8.


6




8·).-
pon!' leurs sujets taillahles l'excmption des aidcs
et des tailles, le roi répondit que tous devaient
contribuer a une taxe levée pour la défense de
tous , et qu'il n'était pas juste de rendre la con-
dition des Francs pire que celle des serfs( 1). Ainsi~
dans l'espace d'un siécle , au travers d'une gucl're
malheureuse , des dissensions civiles, la société se
constituait sur des bases de plus en plus larges; les
sujets des gentilshommes avaient cessé d'étre la
propriété exclusive de leurs maitres ponr entrer
sous la souveraineté immédiate du roi. Les aides
ne les avaient atteints que d'une maniere indi-
recte; mais, lorsque, dans tous les fiefs, la taille
fut levée au nom du roi et par ses ofliciers , la S11-
périorité de son pouvoir fut hors de doute.


Ccpendant la féodalité a laissé sur le sol de la
France des traces profondes; les provinces, long-
temps isolées les unes des autres par des mceurs ,
des intéréts , des souverains différents , réunies
dans la méme mairr, ne demandérent pas une ad-
ministration uniforme; des l'origine des gabelles,
on voit poindre cette inégalité de charges si cho-
quante a la fin du XVIlI\' siécle , alors qu'un
méme esprit animait tonte la France. L'impót dn
sel n'était pas le méme en Poitou el en Saintonge
que dans le reste du royaume ('2). Plusieurs villes


(1) Ord.,tom. VIJ,pagc2g,an 1;~83.
(2) Le Poitou el la Saintonge payaien t la moit ié un prix du sel,


outre un dr oit de 1) sols l)ar ventc .
Oru., tome VI, page ¡53, an 1382.




· .


nECAllENCE DE I-A FEODALlTK


de Picardie donnaient au roi une somme dé ter-
minée en échange des droits (1); plus tard, ces
inégalités s'accrurent ; dans les diverses réunions
des provinces a la couronne, on eut a ménager
et les sti pulations faites par les unes ponr le main-
tien de leurs priviléges, et la susceptibilité tou-
jours dangereuse des conquétes recentes.


Il en resulta cette anomalie que la portian du
territoire , centre d'aGrégation du royaume, qui
n'avait jamais reconnu d'autre maitre que le roí,
suivi d'autre drapean que celui de la France,
porta, comme nous le verrons plus tard, dans la
distribution des charges publiques une part infi-
nirnent plus lourcle que les provinces qui avaient
ele anglaises ou espagnoles; le vaincu fut mieux
traité que le vainqueur; el cette ínjustice n'a pas
peu servi aconsolider les conquétes ; les nouveaux
venus profitaient des forces d'un grand empire,
sans acheter cet. a vantage par des sacrifices pro-
portionnés.


Nous voici parvenus anne des époques décisi-
ves dans l'histoire de France, a celle ou la féo-
dalité n'eut plus part al'autorité souveraine. Cette
révolution se fit sans secousse violente: on a pu
voir , par ce qui precede, jusqu'a quel point elle
était préparée.


Les conquétes de Charles VII avaient tellement
ét.endu son pouvoir que toute résistance eút été


"1) Onl., passim .




84


folie; la lutte longue et désespérée soutenue centre
les Anglais avait développé le sentiment national.
Il n'y avait plus eu contre l'ennemi commun des
Picards , des Bourguignons , mais seulement des
Francais. Le pays el le roi avaient fait cause com-
mune: revers et prospérités, ils avaient tout par-
tagé; quand le roi déclara qu'a lui seul apparte-
nait la disposition des forces du pays, il était
soutenu par l'opinion universelle; le peuple pré-
férait le roi aux seigneurs , paree que I'intérét du
premier se confondait avec celui de la France; les
nobles eux-mémes, affaiblis par la guerre, voyaient
leurs terres ravagées par les compagnies d'aven-
turiers , et se crurent trop heureux qu'on voulút
les protéger. /


Charles se saisit de ce pouvoir déféré par tous :
il donna a11 prévót de Paris une juridiction géné-
rale sur tous les malfaiteurs, dans l'étendue de
toutes les justicesj enfin, par sa célebre ordonnance
de 1459, il coupa le mal dans sa racine (1). Du


(1) Pour obvier et donner remede a faire ccsscr les grauds ex cés
et pilleries faites et commises par les gens de guerre qui par long-
temps ont vécu et vivent sur le peuple sans ordre de justice, ainsi
que bien au long a été dit et remontré au roy par les gens des trois
estats de son royaume, de présent estant assernhlés en cette viUc
d'Orléans.


Le roy par l'advis et délibération des seigneurs de son sang, la
royne de Sicile, de nos sieurs le duc de Bourbon et Charles d'Anjou,
les comtes de la Marche, d'Eu et de Vendosme, plusieurs prélats, et
nutres seigneurs notables, barons et autres, gens d'église , nobles et
gens de honne vine, considérant la pauvrcté , oppression et. ,les-




- -/).EC.\OE,"CE DE LA FEODALITE. 85


consentemeut des Élats, il enleva aux nobles le
droit d'avoir des soldats sans sa permission (1), el
institua une force, la gendarmerie, qui ne dépen-
dait que de lui (2). La taille des gendafllles était
levée dans les terres des seigneurs, sans qu'elle
passat par leurs mains (3); et il interdit aceux-ci
de rien imposer sur leurs sujets (4) sans son con-
scnternent. C'était porter le coup de graee a la
Iéodalité ; la souveraineré, de privée , devenait pu-
blique. A l'arméc féodale succédérent des troupes
régulieres, dépendantes de leurs chefs , soumises
a une discipline sévére ; le ban et I'arriére-ban
furent bientót hors d'usage.


Les nobles se disputérent les places dans les
cornpagnies d'ordonnance, et des lors leur indé-
pendance fut perdue. Ce n'était plus le service des
Iiels limité dans sa durée ct dont toutes les con-
ditions rappelaient la liberté (5), c'était la discipline
t.ruct ion de son pcul)le ainsi destruit el foullé par lesdit es pilleries
lesquclles choscs onl t:lé el sont asa grande déplaisance el n'est pas
son intention de les plus t olérer ne souten ir en a ucune maniere;
mais en ce bon ordrc el provision y étre mises el données par le
moyen el aidc de Dieu nost.re créateur, a fait , constitué, ordonné
et cstabli par loy el ediet général perpétucl el non révocable , par
forme de pragmatiqne sanction les edits, Joy, statuts el ordon nances
qui s'ensuivent.


Ord., tome XIII, p:qJ;c aoG.
(1) A1'I. J.
:2) ArL 1 ct 2.
;3) Art. 42.
:,1) Art , 39-
I!» On1., tome X IV. l'a¡;e a:lll,




86 DECAllEXCE DE LA F~:ODALlTf:.
militaire avec toute sa rigneur. Les nobles furent
tenns de s'armer d'une maniere déterminée; Ieur
solde variait comme le nombre de leurs chevaux
et de leur suite : on les payait en raison de lcur
utilité.


Ainsi, dans l' espace de pen d'années, le territoire,
morcelé , depuis des siéclcs , en parcelles ineom-
plétes , devint une unité puissante , ct le gouver-
nement de eette Franec nouvelle cut , ponr l'exé-
cution de ses projets , une force concentrée dans sa
main , Nous ne pouvons indiquer tOU8 les efTets de
cet ordre de choses ; qu'il nous sullise de rappeler
que c'cst depuis Iors sculement que la France est
intervcnue d'une maniere active et suivie hors de
ses limites.


Les États, comme HOUS lavons vu , ont en leur
part dans cette révolution; il semble méme (Iue le
roi en ait semi toute la portée, cal' iI preserit, pour
la publicité de cette ordonnance , des forrnalités
extraordinaires (1).


Une autre mesure de Charles VII eút pu avoir
dans I'avenir les suites les plus graves si le dévc-
loppement n'cn eút été arrété. L'institution des
francs-archers est de 14!~8 (2) ; les franes-archers
étaient entretenus par les paroisses , le nombre en


(1) Veut et ordonne le l'oy cott.c prcscutc loy el ordo nuauce cst.rc
publiée es bouncs villes el aut res [icux de son l'0yalllllc, alin qlll'
.'lIClIIl n 'en puisse prctendrc ca lIol' ,l'ignoranl'l.' ,


('1) Ord , 10l11c xrv, }];l¡:(f 'r ,




. .


lH~CAlJENCE Db 1..\ FEOf)ALlTE. 87


etait lixé d 'aprés les feux que chacune d'elles COI1-
tenait. Jusque-Ia les bourgeois el les paysans n 'a-
vaient paru sur les charnps de bataille que conduits
(lar leurs scigneurs et leurs curés ; mais ces expé-
ditions momentanées laissaient le monopole des
armes ala noblesse. Par I'institution des francs-ar-
chers, le peuple éta it armé, el, comme dit l\Iontluc,
les armes donnent du vent re accux qui les portent.
Le franc-archer était le soldar du roí cornme le
Gendarme; c'était la plus réellc des égalités, celle
ele la force. Mais Louis Xl introduisit dans I'armée
francaise les Suisses: illes aimait et par estime ponr
leur valeur, et par défianec contre ses sujets. Les
Francs-archers , solda ts par accident, ne pouvaieut
se comparer, ponr la discipline, et l'esprit militaire
aces troupes rér,uliéres. L'institution fut oubliée.
La faiblcsse numérique des armécs fut telle jus-
qu'au xvrr' siécle , que l'infantcrie put toujours se
rccruter al'étranger : les nobles Iormaient la cava-
lerie. Quand Louis XIV tint [lOO,OOO hommes 80115
les armes, il fallut hien appeler le tiers-État.


La taille des gens d'armes , comme 011 l'appelait,
fut levéc par les élus; la juridiction de ces oíficiers
embrassait tous les impóts , la taille (1), la gaLellc 7
les aides; ils étaient chargés de distribuer la taille
cutre les paroisses, d'affermer les aides , de juger
los diflércnds en premier ressort. Les conseillers


. I Or.L, turne XUl, I'age :, í~, .i n I H~).




88 . ,})ECADENCE DE L.l FEOlHLlTE.


Génél'aux connaissaient de l'~ppel de leurs juge-
ments, Le clergé ne se soumit qu'avec répugnancc
a cette autorité nouvelle; l'Université de Paris
avait méme lancé contre les ferrniers et les élus
une excommunication qu'elle fut obligée de le-
ver (T). Les élus étaient le hras de la royauté; ils
ont été les premiers a&ents de la centralisation
administrative. Quand les élus avaient fixé la
contribution des paroisses , la cote de chaque
eontribuable était déterminée par le collecteur (2);
les bourgeois de Paris furent dispenses des tail-
les (3); la ville était si dépeuplée, qu'un surcroit
d'impót eút éloigné les nouveaux habitanis. En
échange, le roi reprit la concession du tiers des
droits d'aide qu'il leur avait faite pon!' l'entretien
de leur ville; Paris a toujours été, depuis, dans une
situation cxceptiounellc pOlll' I'im pót.


Le produit de la taille sous Charles Vll est
evalué par Comines a1,800,000 livres : en suppo-
sant a toutes les branches de revenus le rapport
qu'elles avaient au temps de Snlly , on ponrrait
éva Iuer l'cnsem ble des recettes a 3,,600,000 OH
12,600,000 de notre monnaie.


Le gouveI'nement de Charles VIl intervint par-
tout; il rendir sur l'administration de la justice
des ordonnances qui, par leur étendue, peuvent


1;' Ord .; lome Xl V, page 4!l7, an d(Jo.
,J) On1., lomeXIV, pap;c 48:J, al! 1'1.'if).
~:~) Ord <, torne XIV, pa¡.;c 53, au lííg.




l>ÉCADENCE DE L.\ FI~ODALlTÉ. 89
passer pour ()(,s cedes (1). I.ia disposition la plus
importan te de l'orclonnance de 145?l est celle qui
prescrit la rédaction des diversos coutumes. La
juridiction des parlements avait fait de grands
progres, puisqu'en 1 !~52 le roi lui enjoignit de
renvoyer devant les juges ordinaires les causes
qu'on lui portait (2). Le Parlement ne ponvait
suílire á routes les causes; les conquétes avaient
étendu son territoire; les progres dc l'autorité
royale, la réunion de plusieurs fiefs, sa juridic-
tion. Le nord et le midi étaient régis par une
jurisprudence différente; le Languedoc suivait le
droit écrit , la Langue d'oil le droit coutumier.
Enfin le Midi s'était habitué a trouver ses juges
pres de lui, depuis que Charles VII, chassé de
París, avait établi un pat'Iement aPoitiers. Ces
motifs le déterminérent sans donte al'érection du
parlement de 'I'oulouse (3); mais l'habitude de
confondre la persollne du roi avec sa cour de jus-
rice était si profondément enracinée, que la né-
cessité de ce nouvel établissement ne fut reconnue
qu 'en 1443; encoré le roi déclara-t-il que les
olficiers de Toulouse et ceux de Paris formaient
un seul corps, et que les conseillers du Midi au-
raient voix délibérative dans le Parlement de
París.


) () 1 1 ' ',~ , , .,(1 ['( • {e I'j 1v-I" J.J .
h\ o rd , , lome \'IV, pagc 2(12
/;l \ 14:l¡.




9O DÉCADE~CE DE LA FI~ODA uÚ:.
A la (In du rl~Gnc de Charles VII, la France


n'est plus féodale, le vieil étendard de Philippe-
Auguste et de saint Louis.Toriflaunue, est rem-
placé ponr toujours par la cornetle blanehe (1);
ces changements futiles de signes sont peut-étre
les Il1arques les plus infaillibles des grandes ré-
volutions ; l'armée ne fut plus coruposée de pos-
sesseurs de fiefs, mais de gendarmes ct de soldats
payés et entiérement dans la dépcndance du roi;
un impót direct , qui dcmandait achaque
Francais une portion de ses revenus levée
par les ofliciers royaux, fut cousacré a l'cntretieu
<le cette aruiée. Le roi ne rendir plus la justice ~l
ses vassaux, eomme Charles V I'avait encoré
fait (2); il délégua eette fonction ades magistrats ;
le prince était trop puissant, les sujets trop faihles
pon)' qu'un arrét délihéré en sa présencc fút im-
partía l.


Le gouvernernent avait done tout ce qui fait la
puissance , la force et 1'argent, et il I'avait seul.
Non seulement les nobles ne pouvaieut plus Gllcr-
royer avec le roi, mais ils ne pouvaicnt se livrcr
aaucune hostilité entre eux, aaucune exaction sur
le peuple; de souverains ils étaicnt devenus sujets,
sujets, il est vrai, d'une classe plus relevée , en-
tourés de la protection des souvenirs el des pré...


(1;' Il cst eucorc qucsl.iou de l'ol'.iflanllue ll;¡ll~ une «rclon n.m ce de
J il;). Onl., Loru c X, page ~o.


(7) or.l, fome V, pagc 1:370.




91


jugés que le 1('mpS dcvait anéantir en confondant
nobles et roturiers dans une méme servitude.


Si l'on veut se reporter au tableau que nous
avons donné du sort du peuple, on le trouvera
singuliérement amélioré; le nombre des paysans
main-mortables se réduisait chaque jour, el la
faible exception acet affranchissement général qui
subsista jusqu'au XVIllC siécle semblait n'avoir été
conservée que pour faire hall' le passé aux classes
inférieures, Leur émancipation graduelle n'avait
pas été si complete qu'elles n'eussent encore les
marques de leur ancienne servitude; les seigncurs
s' étaient réservé plusieurs droits onéreux el
odieux. Dans sa lutte contre la noblesse , le roi ne
songea qu'a ses intéréts ; il laissa tous les pouvoirs
qui n'étaient pas un obstacle au sien (1). Ainsi la
corvée , qui, dans la plupart des coutumes, était
fixée adouze joumées par année , des droits sur
les poids el mesures, des droits de passage, la fa-
culté de forcer les habitants d'ul1 bourg a se
servil' de Icor four, de leur moulin, aacheter a
leur boucherie demeurércnt aux mains des sei-
gneurs; c'était assez pour les faire hall', trop peu
ponr les rendre forts. La destruction du pouvoir
féodal par la royauté semble, au premier abord,
avoir été une chargc ponr le peuple; celui-ci servil
deux maitrcs au licu dun. La tvrannic étaií res-




92 nÉCADE:\CE DE LA FÉOD.\Lrri:.
tée aux nobles dans les rapporls civils , a u roi dans
les rapports politiques; plusieurs causes vinrent
s'opposer aeette oppression de détail, Tout pou-
voir général est de sa nature protecteur, parce
qu'il ne sent pas les perites passions des particu-
liers; en outre, le roi devait désirer que les
paysans et les bourgeois fussent maintenus daos
une eertaine aisanee, pour qu'ils pussent suflire
aux charges imposées par lui. Comme tout, entre
des hommes libres, aboutit aune actionjudiciaire,
les parlements se trouvaient juges des droits de
tous , et les interprétaient dans un sens favorable
au roí et au peuple.


L'avantage le plus réel que celui-ci ait retiré
de son affranchissement est peut-étre la faculté
de trainer ses maitres devant les tribunaux. Le
sentiment inné de justice , que les hommes écou-
tent quand leur intérét rr'est pas en jeu , était pour
eux ; ces juges, sortis du tiers-État , longtemps
confondus avec lui dans un eommun mépris par
les idées de la noblesse, étaient mal disposés pour
elle; tout contribuait a faire pencher de leur coté
la balance de la justice, chose facile en un temps
oú presque aueune loi n'était éerite, et ou les
juges étaient presque législateurs. Toutefois ees
garanties u'existaient guere que pour la bour-
geoisie riehe des villes. Dans les campagnes, les
serfs avaient été aflranchis par le roi 011 par leurs
;-;eigneurs; mais ce que le noble avait perdn comrne




93


maitre , il I'avait retenu comme juge. Au siécle
de Heuri IV, il n'était si petit fief (1) qui n'eút
sa justice et ses justiciables; quand le vilain
était la chose du seigneur, celui-ci avait intérét a
le ménager, el iI était équitable par calcul. Quand
le serf fut libre, qu'il put acquérir en son propl'e
nom, s'cnrichir pour son compte, il sentir dure-o
ment l'autorité judiciaire; I'impartialité dans sa
propre cause ne peut jamais étre une vertu com-
mune, et.le paysan confiné daus son village n'avait
guere adisputer quelque chose qu'á son seigneur.
L'appel, iI est vrai, lui restait ; mais les degrés
d'appeI étaient multipliés; avant d'arriver auxjuges
du roi, il fallait franchir quelquefois deux juri-
dictions seigneuriales. 11 y avait peu de parlements,
ils étaient éloignés, el une justice si chére n'était
pas a la portee du pauvre. Quelques uns de ces
abus ont élé, comme nous le verrons , corrigés
par l'hópital; mais le principe de ces mangeries (2)
de villages a été respecté jusqu'en 1789-


'I'elle a été la constirution de la société pen-
dant plus de trois siécles : le roi, seule autorité
souveraine , absolu en théorie, IBais retenu dans
la pratique par I'opinion : au dessous, la nation
divisée en deux c1asses distinctes el rivales. Les
nobles s'isolaient du tiers-État par le souvenir de
leur ancienne gl'andeur et par la profession des


r) Lov sea u , Des .Iust ir-ex ,
" '2) Lo v sea 11 ,




94 DÉCAnE~CE DE LA l<'ÉODl\ LITÉ.


armes, dont ils conservérent longtemp:;; le privi-
lége; les roturiers, bourgeois et paysans, souf-
frant a la fois du mépris et des vexations de la
noblesse, et s' en rapprochant par les lumiéres , et
I'extensión toujours croissante du pouvoir royal.


Les divisions que nous venons d'indiquer n'ont
pas d'abord été aussi nettement tranchées; il a
falln plusieurs siécles pour abolir la teinte féodale
imprimée sur toute la société, La France , dans sa
marche progressive, a longtemps détourné la tete
vers son point de clépart; enfin elle l'a perdu de
vue el n'a plus cu devant elle que le hut ou elle
tendait. Ce sont deux périodes distinctes dans son
histoire; la premiére finit a. Louis XIV, la seconde
aboutit ala révolution; l'une tient plus du moyen-
~ige, l'autre de la société moderne. Toutefois,
hátons nous de le dire, la transition n'a pas été
brusque, mais graduée. L'indépendance indivi-
dueHe, les limites du pouvoir souverain , les sou-
venirs de la féodalité se sont affaiblis peu a peu,
ils se sont évanouis dans I'ohscurité.




--------._--_. ------------


CHAPITBE IV.


nOYAUTE IUODER~E.


H.et~nc de Louis XI.- Les magistrats sont inamovibles.-
Valeur des impóts ..- Minorité de Charles VIII.- États
de Tours. - Leur pouvoir. - lis échouent dans leur
tentative.s-c Puissance de la Francev-s-Louis XII.-Ré-
daetion des coutumes.- Création de divers parlements,
- Vente des offiees de finanee. - Francois ler vend les
charges judiciaires, - État de la France. - La noblesse
est la nation armée.-Revenus royaux. -Le concordat.
-Vinp,galité entre les provinces s'acerolt.-Réforme de
la gabelle tentéc par Francois Ier.-Elle avorte.-Droits
de traite. -- Prernier tarif publié.- Création des généra-
Iités. -- Présidiaux. -. Séparation de la justiee civile d'a-
vec la criminelle.c--Dhangement dans la eompétenee.-
1 1 . de i l' 1'" E' ••.e droit e Juger eu eve aux gens ( epee. - tats gene-
raux , - La réforme en est la eause.- Leur faiblesse.-
Etat des finan ces sous Hcnri 111. - Premier droit établi
á l'importation. - De I'octroi, - État de la France á
I'avenement de Henri IV. - Il traite avec les particuliers.
- Admiuistratiou de Sully. - Paulette.- Ses effets.-
Sur la n¡a3islrature. - Sur I'administration. -Pl'ospérjré
des Enances.


Louis XI continua I'ceuvre cornmencée par son
pére. L'incapacité dans un souverain est plus a
craiudre 'que la méchaneeté; les exécutions san-
Ijlantes ont des limites quand ala cruauté ne se
joint pas la folie: le prince ne peut hall', craindre ,




96 nOYAUT~ BODER~E.


soup~onner que le petit nombre de pel'sonnes avec
Iesquelles il se trouve en contact; ses violences ne
tombent que sur des individus, tandis qu'une
fausse mesure frappe sur tout l'État. Louis XI, qui
était un fort rnéchant homme, ne manquait pas de
lumiéres ; il voulait un gouvernement fort, régu-
lier, pour satisfaire ses mauvaises passions, L'ordre
lui plaisait , non ponr le bien de ses sujets , mais
ponr la facilité qu'il y trouvait. La jaIousie du pou-
voir , naturelle ~l tous les despotes , le rendait im-
placable a tout désordre qui ne venait pas de lui.


En montant sur le tróne, il n 'a vait consulté que sa
colére, el avait enveloppé dans une méme proscrip-
tion les principes el les serviteurs de Charles VII.
Il revint de sa méprise. La eour des aides , abolie
par lui dans la premiére année de son J'egne, fut
rétablie (1); iI en créa méme une seconde aMont-
pellier (2 j. Il donna aux magistrats l'inamovibilité el.
l'indépendanee (3); les termes mémes de son ordon-
nance sont remarquables ; ce sont , dit-il, les mem-
bres essentiels du eorps dont nous sornrnes le cHef.
Ainsi se eonfondait I'intérét du roi et de la
nation; ce caractére général de la royauté mettait
entre elle et tous les pouvoirs féodaux une distine-
tion profonde; le seigneur féodal ne représentait
que Iui-rnéme , que les priviléges attachés ason


(1) Ord., tome X VI, page :!10, an I4G4.
(?) OrLl., tome XVI, page 210, an 1/165.
~3) On1., lome XV 11, page '25, an I4G7.




HO}'At'T':~ ~IODERl\E. 97


ordre , asa nnissauce , il n'avait que la force d'une
famille, randis que le roi disposa it de tout le pays
dont il était le chef naturel ,


Cette diflérence était déja sentie ; le peuple avait
part ala conlidcncc du prince , et celui-ci com-
prenait ason tour combien il avait besoin de l'as-
sentiment général. Ainsi toutes les eonséquences
du traité de Péronne se manifestent par des orden-
nances. C'étaient des choses d'intérét public dont
le roi instruisait le peuple (1 ).


L'inamovihilité de la magistrature ne fut, dans
l'origine, qu'une amélioration administrative ,
plus tard , elle donna auxjuges une portien du pou-
voir politique. Mais le tiers-État, la magistrature
n'éveillaient pas la méfiance de LouisXI, tout en-
tiére aux nobles et aux gentilshommes qu'il avait
toujours rencontrés dans les rangs ennemis. La
résistance a celte époque ne pouvait venir que
de la force. Il rendir plusieurs dispositions pour
réglel' la gendarmerie (2) , il la soumit aune disci-
pline sévere. Celui qui portait les armes était tenté
de les employer ason profit , et le gendarme, nó
gentilhomrne, méprisait le paysan pour sa faiblesse
et pour sa roture. Louis XI ordonna que les délits
militaires seraient soumis aux juges des lieux: il
craignait le soldat et non le peuple,


\1) Ord., tome XVII, pages I~!), 148, I!)I.
(2) Ord., tome XVII, pa~e 8~, an 1467,
/bid., page 293, an 1470.


7




98 ROYAlíJ'E AIODmt~E.


Il l'établit le parlement de Bordcaux (1) , sup-
primé par son pére aprés la révolte de la Guienne ;
ordonna que les arréts du Parlement de Par'is se-
raient exécutoires dans le territoire des aun-es
Cours. Toutes ces mesures étaient prises dans un
intérét parliculier" mais dans un uuérét bien en-
tendu. Il ne faisait que le mal qui lui servait ; il ne
tenait qu'au pouvoir réel : ainsi jf n'hésita ras :1
confirmer le privilége du royaume d'Yvetot (2).


Le peuple, sous lui, fut accahlé dimpóts, i1
porta a4,500,000 livres la taille qui, ason avene-
nement, nétait que de 2,000,000 (5). Dans le méme
temps, les droits daides et de gabelles étaient aug-
mentés. Ces derniéres branches de revenus étaien t
peu importantes; malgré deux crues orrlonnées par
Louis Xl (4), la laxe, au cornmencement du regne
de Francois I'", ne dépassait pas 15 liv. par muid
de sel, L'ensemble des revenus royaux He devait pas
dépasser 5,7°0,000 1. , e' est a dire 28,500,000 fr.
de notre monnaie (5). Il ne faut pas négliger que,


(1) Ord., tome XV, page 500) an I4G?.
(2) Ord.,tome XVr,page 272.
(3) Ord., préf., tome XVI, page 2'l.
(4) Une de dvux livres et une de quatre livrcs. Ord., tome XVIl,


page 31, an I.i(h. lb., page :J8/., an 1'Í:70'
(5) ;\Iaseelin dit qu'cn Ncrrnaudic les rcvcnus du dornainc roya]


s'élevaient 3H quart de la taille , Les déplll(:s des l:~lals avancéren t
que le produit de ces droits était de I,UOO,OOO : les commissaii-es
du roi sout.inrcnt, au cont.raire, qui ls ne d(=passaienl Fas 750,000 li,
Xous av ons pris une ll10ycnne entre ces données , Comi nes, (l'ail-
leu rs, évalue les uides et gahclles :l plus (1'1111 mill'ion de livres .
Chapo 51.




ROl"ALTÉ ltIODERNE. 99


sous Louis XI, r Anjou , la Bourgogne, la Provence
avaient été réunis a la France. Louis Xl assembla
plusieurs fois les États, mais il ne voulait que
s'autoriser de leur nom pour couvrir son manque""
ment de foi; il avait donné des exernples trop ter-
ribles l)our que personne osát réclamer. II avait
fait ala Bourgogne les plus belles promesses, aprés
la mort de Charles le Téméraire (1); il s'était en-
~)'aPJ'é a ne rien lever sans le consentement des
.:] t


États. Ces promesses furent bientót violées , puis-
que les Bourguignons obtinrent de Ses successeurs
l'abolition des nouveaux subsides.


Lonis XI passe généralement pour le destruc-
teur de la féodalité en France; mais le coup mortel
était porté avant lui. Sa lutte centre le duc de Bour-
gogne était une guerre de souverain a souverain ,
I ..es rapports de vassal et de feudataire n'existaient
plus entre eux que dans le langage. Le caractére
principal de la féodalité, l'indépendance des sujets
du roí dans ses domaines, les limites précises
posées aI'obéissance avaient déja disparu du droit.
La guerre du bien public fut la derniére protestation
de la noblesse centre le nouvel ordre de choses.


Lesilence dura autant que LouisXI. CharlesVIlI,
lorsqu'il succéda ason pere , était majenr; mais ,
malgré cette fiction légalc, tous sentirent que la
réalité du pouvoir ne pouvait 5' exercer parla main




100 ROYAl'TE 1\IODER:.\E.


d'un enfant. Les princes du sang, faute de pouvoir
s'accorder sur leurs prétentions, convoquérent les
États généraux a Tours, et les prirent pou}' ar-
bitres.


La France a touché plusieurs fois aun gouver·-
nement libre, mais elle n'en a jamáis été plus prés
qu'a cette époque. L'autorité des États fut incon-
testée et s'étendit atout. Ils écouterent les dépurés
du due de Lorraine qui venaient exposer ses griefs,
et la plainte des d' Armagnac et des Nemours, vic-
times de Louis XI. Le gouvcrnement précédent fut
traduit a leur barre. Darnmartin et Olivicr Le-
roux , exécuteurs des hautes-ceuvres de Louis Xl ,
accusés d'attentats horribles, ne le niérent pas, el
hornérent leur justification adire qu'ils n'avaient
fait qu'obéir aux orrlres du roí. Peu s'en Iallut que
cette diseussion au sein des, États ne se terminát
par un combato


Dans leurs remontrances, les députés ne craigni-
rent pas de flétrir le regne passé , les exécutions
faites sans jugement, enfin la l'igueur des lois de
ehasse. Les hétes , disaient-ils , étaient plus fran-
ches que les hommes.


Les Étars (1) réglerent le conseil du roi et déter--
minérent le rnontant des subsides. La taille était
devenue un fardeau intolérable; la Normandie
payait aelle seule 1,500,000 1. d'irnpóts (2), c'est


(1) Remontrances des t:tats, Isarnbert, tome XI, pagc :1{.
(2) Ol'd., tome XIX, page 1HO.




nov,HJTE !\IODEICOL 101


adire preS(jtle autant que sous Louis XIV, époque
ou l'introduction des métaux précieux , les progrés
du commerce avaient augmcnté la richesse gé-
nérale.


On soumit aux f:tats le montant des recettes du
roi et de ses dépenses , un état des hommes d'armes
nécessaires , en un mol, un véritable budget. Les
Étals tinrent hon contre les prétentions de la cour;
ils ne voulurcnt accorderque 1,200,0001., somme
dont , selon eux , Charles VII s' était contenté: ils
donnerent, en outrc, au roí 300,000 1. ponr les dé-
penses de son sacre (1). Ces subsides n'éiaicnt votés
flue POUl' deux ans, et aucunc taxe nouvelle Be
devait étre per<;ue sans leur consentement , Les
États devaient, en outre, s'assemhler tous les deux
ans.


La cour souscrivit aces conditions , et si elle
u'eút pas violé ses promesses, le gouvernenlent re-
présentatif était né en France; c'a été la derniére
tentative de révolution légale, jusqu'en 1789. Elle
échoua comme elle avait fait au siecle précédent.
Les diverses provinces de la Franco avaient été
séparées si longtemps, si longtemps elles avaienr
en des intéréts divers , qu'elles ne se rapprochaient
tiue pour un moment : hientót leur ancienne riva-
lité renaissait ; chacune d'elles songeait a ses pri-
\'ilt:~ges particuliers , el non ras aux libertés géné-


: \ ) \\emon\x,mcc,:, ,.le,:, \.~\,,,\,,,. \ ".\ \l1.\-'\,Y\ \\)ml:. 'í..' F'\ ;':'" 1\'\ .
Or,)." ¡ (l))J[' xis. ;';:;¡"" ~~}l/




102 ROYAUTE MODERNE.


rales. Ainsi la Bourgogne ne voulut preudre que
50,000 1. dans l'imposition commune (1), somrne
évidemment au dessous de ses forces. A une époque
oú il était si diffieile que l'esprit public pút sé for-
u\el' et. ~e couna.\.tl'e , o"U le.~ hounne.s n' a:va.ie.ut <\ue
des rapports peu nombreux, ee n'eút pas été trop
de la réunion de toutes les provinces pour résister
au pouvoir royal qui disposait de la force armée.
Celui-ci, au eontraire, profita de cette division;
les États généraux, dans leurs réunions séparées
par de longs intervalles, n'apportaient aueune ex-
périenee des affaires. Ainsi, par exemple, la taille
de 1,200,000 1. aecordée au roí était insuffisante
pour le role nouveau que la France était appelée a
jouer. Il n'était pas vrai que CharlesVIln' eüt touché
que eette somme, puisque Comines dit qu"il leva
2,000,000 de livres, el depuis lui, la Bourgogne,
la Provence, le Maine , l'Anjou étaient venus aug-
menter le nombre des contribuables. Mais les États
n'étaient pas encore assez éclairés pon!' sentir qu'il
faut payer le prix de la liberté, et qu'on ne gou-
verne pas un pays avec les caleuls mesquins de
I'intérét privé. La forme mérne de leur vote témoi-
gnait de Ieur indécision et de Ieur faiblesse; ils
adressaient au roi leurs remontrances , e'était re-
connaítre I'autorité absolue du roi, et par consé-
quent celui-ci pouvait défaire ce qu'il avait accordé.




IWYAUTE )IODEIL\E. 103


Un pouvoir dout I'action ne se Iait pas sentir est
perdu, son impuissance faitjuger de son utilité. Les
États cessércnt d'étrc couvoqués jusqu'aux guerres
de religion; toutes les bornes qu'ils avaient essayé
de mettre al'autorité royale furent déplacées , et
celle-ci s'aflermit de plus en plus. Le seul controle
(IU' elle ait en asubir a été celui de la magistra-
ture , controle qui la retardait sans I'arréter,


Le mariage de Charles VIII avec I'héritiére de
la Bretagne réunit le dernier fragment separé de
la France par la féodalité ; jusqu'aux conquétes de
Louis XIV, ade faibles exceptions prés , son terri-
toire ne s'étendit plus. NOI1 seulcment le roi acquit
par Hl de nouveaux sujets , mais il devint plus sur
,le ses autres possessions. La Bretagne était un
poste avancé pour les ennemis du dehors, une re-
1ra ite pOLIr les rnécontcnts : toutefois eette provinee
,l longternps gardé le souvenir de son ancienne fran-u CJ
chise; elle a toujours eu ses États, a été franche
de gabelle, el a protesté prtr des séditions , móme
centre Louis XIV, roí absolu , auquel la résistauce
L~lait méme inconnue.


La France était devenue la plus puissante 1110-
uarchie de l'Europe; sa population était peut-étrc
de onze adouze millions d'habitauts (1). Son en-
ihousiasme pou!' ses rois était remarqué des étran-
¡~ers (2). Ceux-ci partagerent l'ardeur belliqueuse


(1) Ynir aux Picccs j ust.ifica t ives .
',,', 1\hdáclHl 1 torne 1V1 l'~IS': 'l..J2..




101


de leurs sujets. Libres de tout soiu a lintérieur ,
Iiers de leur pouvoir iucontesté , ils se lancérent
dans des expéditions aventureuses ; mais ce ne fut
plus, comme sous les Valois, d'anciennes provinces
de leur royaume qu'ils allaient conquérir , ils cher-
chérent de nouveaux ennernis. Charles VII et
Louis XI avaient légué a leurs successeurs la pl'e-
m iere armée réguliere qui ait existe en Europe ;
le premier avait formé la cavalerie , le second avait
pris asa solde I'infantcrie suisse , l'artillerie fran-
caise, depuis les fréres Bureau, était la meilleure de
l'Europe, rien ne résistait a leur prernier choco IJs
s'adressércnt aUJlP, nation oú la gllerre, exploitée
comme un métier , était une faligue et non un dan-
gel'. Machiavel cite une bataille dans laquelle iI no
périt qu'un hornme; 11 fut étouílé.


La guerre, dans ce tcmps, uourrissait la &uerre ;
ccpendant l'augmcntation de I'impót fut une Ilé-
ccssité. SOUS Charles VIII, la raille s'éleva a
2,400,000 1., el sous Louis XII, le pere du peuplc,
le revenu total était de (1) 4,ooo,ouo environ ; la
taille , aceue époque, montait u2,500,000 1., jI


(1) Ce cl.iürc cst douné par Badéc , auteur contcmporuin : SdOll
lui, les tuilles pi-oduisaient 2,500,000.


Dupré de Saiut-Mallr, pa¡;e 75.
Sully, au cout.rui.re, évulue le mómc rcvcn u Ú 7,G5o,ooo.
L'estimation de Badéc n o us sernble plus juste : il élait co nterupo


rain, el les détails e¡u'il donnc s01l1 d':lccunl a vcc t o us les t érnoi-
¡;nagcs..vinsi il porte le produit des doma in es iI J ,:wO,OOO [i vrcs .
Co mj nes , quclqucs annccs plus tót , I'avai! esí imc un rell plus (1'1I1l
millinn,




TWYAUT.E JIODERNE. 105


cst perruis de croirc qu'il n'avait pas beaucoup aug-
menté les nutres irnpóts. Louis XII a pariagé avec
sain t Louis le privilége de voir citer son regne
cornme un modele ases successeurs. Dans les États
de 1560, le peuple parle de rernettre les impóts
connne ils étaient au temps du bon roi Louis.


Son administration fut bienveillante : la justice
sous lui acquit plus de régularité. Le xvr' siécle a
vu Ionder en Frunce le droit criminel et le droit
civil pratique. Louis XII a attaché son nom acette
création, La plupart des coutumes , dont la ré-
daction, prescrite par Charles VII, languissait de-
puis un demi-siécle , ont été achevées et publiées
sons son régne. Alors seulement la législation fran-
caise reposa sur une base écrite et certaine. Les cou-
tumes devinrent de véritables lois, connues de
tous; dans les jugenlents, une moins grande lati-
lude fut Iaissée a i'arbin-aire des magistrals. Les
couturnes ont été le legs de la Frunce féodale ala
France moderne ; elles ont -consacré dans les por-
tions de tcrritoirc cette diversité d'usages qui rap-
pelait le morcellement des fiefs du xr' siécle, La
Frauce fut une sous les rapporls politiques , di verse
sous les rapports civils, Dans ce dernier monument
de sa puissance détruite , le moyen-age n'abdiqua
pas sa liberte. Les coutumes ont été publiées par
le roi, "mais out dé recueillies par les trois ordrcs
de l'Élat, el commc, depuis, les changements intro-
duiis dans la IrGislalioll générale out él(~ peu norn-




"106 nOYAUTÍ~ ~IODER;\f:.


hreux , qu'ils ont plutót porté sur la procédur« que
sur les príncipes, iI est vrai de dire que la Franco
n'a obéi qu'á des lois faites par clle-rnérnc.


Des habitudes, du temps, naissent, entre les ha-
bitants d'un méme pays, certaines relations que
le législateur peut constater , mais non pas faire.
Ce serait la plus épouvantable tyrannic qne celle
qui prérendrait changer de force le droit civil d'un
peuple. Les mesures poli tiques s'altaquentseu-
lement aquelques uns de nos acles, mais les lois
civiles atoutes les existences; il n' est tete si hum ble
qui leur échappe. Par honheur , ce despotismo no
séduit guerc que le fanatismo religieux.


Un des devoirs essentiels de tout gouvernement
cst de veiller a I'exécutiou des lois, aI'administra-
(ion de la justice. Elle se régula1'isait en Frunce.
A l'Échiquier de Rouen (J), dont les séances étaicnt
tem poraires , fut su bstitué un tribunal pcrpétucl.
En Provcnce , un Parlement fut établi (2). Dans
cctte derniére institution, il est facile de remarquer
des traces de I'esprit féorla 1; les chaq:~cs militaires
ct les judiciaires sont confondues ; le sénéchal est
président de la Cour, tous les arréts doivent portcr
son non); mais ceuc unomalie ne tarda pas al\is-
IWJ'ailre.


Entre ces jm-idictious souveraincs qui se pal'la-
1,) 1"onl.) lome 1, pa¡;l' q5, an d9D
1'}1 f''iJf" t ornc L P:lf;l' 102, au IJOI.




IWYAUTE lUODERNE. 107


t;etlient la France , les conflits devenaient inévi-
tables. Il fallut une institution pour les régler. Le
conseil du roi, attaché a su personne, sans rési-
dence fixe , servit de lien et d'arbitre; il parait que
Charles VIII avait essayé de l'organiser, mais ce
fut seulement sous Louis 'XII que le grand conseil
acquit une existence déíinitive. Ce prince déter-
mina le nombre des j uges, rendit le conseil
sédentaire; il prit le nom de gr'and conseí1.
Celte institution était le germe de I'unité dans
les lois írancaises ; elle n'eut pas l'influence qu'on
pourrait lui supposer. Pour qu'elle pút imposer sa
jurisprudence aux parlements, il cut fallu qu'elle
fút au dessusd'eux, qu'elle s'appuyát sur des prin-
cipes arrétés : il ]1'en était pas ainsi. Les parlements
étaient entourés de tout le prestige des souvenirs;
sortis du conscil du roi , ils 11e reconnaissaient pas
de supérieur. Les coutumes offraicnt tant de vatiété
dans leurs dispositions, qu'il était impossible de les
faire íléchir sous une vue d'ensemble; elles ooli-
geaient les parties plutót cornme convention parti-
culiércque comme textes législatifs. Dans les pays de
droit écrit, la jurisprudence seule avait fixé ce qui
était applicable dans le droit romain, La cassation
des arréts pour violation de la 10i clevait étre rareo
Comme le roí était censé présider son conseil (() ~
HuI ne pouvait contester la supériorité de ce tri-
bunal; l'arrér du couseil était prononcé par le




10R nOYAUn~ .W)DEnNE.


pouvoir législatif lui-méme , le pouvoir jndiciaire
obéissait. Quant au grand conseil , il déchutbeau-
coup du haut rang qu'il occupait ason origine.


C'est de ce regne que date un des expedienta de
fmanee les plus ruineux et le plus souvent en
usage en Franee : la vente des offices (1). Il es!
méme a croire que des intentions d'humanité in-
troduisirent cet abuso Louis XII aimait mieux
vendre ses offices que de créer une tuxe nouvelle :
eette vente ne ehoquait personne. Des le temps de
saint Louis, ainsi que nous I'avons vu, les prévótés
el les bailliages étaient affermés ; comme les fonc-
tions publiques furent longtemps un revenu et non
une dépense , il était tout simple qu'elles devinssent
une marchandise. Louis XII ne vendit que les of-
tices de finance; mais son successenr ne Iit pas cctte
dirriuction.


Au poiu t oú nous sommes arri vés , iI cst peut-étre
bon de jeter un coup-d'reil sur I'état de la Franco.
Le moment approche 0\1 commence a l'extérieur
cette lutte contre la maison d'Autrichc qui a duré
des siécles. Quelles étaient ses res~ources ponr suf-
Iire aux exigences de cette guerre ./ Le roi était ,
comme nous l'avons vu, absolu en théor ie ; depuis
Louis XI, il ne s'était pas trouvé un seul vassal
qui fit quelque résistance; el, sous Fran-
(o'ois I'", le connétablc de Bourbon, appuvé de sa
uaissance et de I'autorité de sa charge , tomha sans




HOL\UTE MODERNE. 109


exciter une révolte. Toutefois les genlilshommcs
n'étaient pas coufondus avec le peuple, Le roi n'était
pas le premier Francais , mais le premier gentil-
hornme de son royaume.


La nohlesse était la nation armée; les compa-
gnles de gendarmes se recrutaient parrni les gen-
tilshornmes; l'iufanterie depuis Louis XI était
suisse OH étrallgerc (1). On ne sentait pas le besoin
d'appeler les bourgeois elle peuple daos des armées
pcu nornhreuses.


Le revenu du roí s'élevait aenviron 4,000,000
de Iivrcs , enviren 20,000,000 de francs de notre
monnaie. Si 1'0n veut avoir égard a la différence
du prix des ehoses, a1'01' et al'argent que l'Amé-
rique découvertc jeta en Europe, ces 20,000,000
de livres devaient représcnter enviran 80,000,000
de livres de notro monnaie, La moverme de I'impót
était done de 7 aSliv. par tete. Mais iI faut éearter
lout rapprochement avec nos temps modemes. Une
foule de services qui sont puhlics anjourd'hui
étaient privés; les ministres du culte étaient payés
par la dime, les chemins entretenus par les cor-
vées , les droits ele mutation , des laxes sur les mar-
chés, les péages per<;us par les seigneurs. Ces levées
formaient une somme qu'il est impossible d'éva-
Iuer , mais qui devait étre considerable (2).


Dans les revenus du roi, les tailles entraient


(1) Machía vel, tome IV, ilJitl.
(2) Isa nihr-rt, tome XI, page GGo, an \[>14.




110 ROYAUTÉ 'IODERNE.


pour enviren ?-,Soo,ooo franes, la eabelle pou}'
enviren 150 a 200,000; le reste était le produit
des domaines royaux et des taxes de consomma-
tion sur les vins (1). Il se levait déja quelques taxes
sur l'entrée des bestiaux dans París.


'I'elles étaient les ressources ordinaires de la
Frunce : depuis Charles VII, elles ne s'éraient pas
beaucoup augmentées, et cependant les expédi-
tions en Italie , la conquéte et la perte du Milanais,
de Naples, avaient été cause de dépenses nouvelles.
Charles VIII, .comme nous l'avons vu, doubla la
taille accordée : Louis XII leva des décimes sur le
clergé, vendit des domaines (2), aliéna des' re-
venus en 1513, jusqu'á une somme de 600,000 ft'.;
enfin il vendit les offiees de finance , ces derniers
moyens étaientdes anticipations, des emprunts
déguisés; mais Francois I" exploita ces ressources
plus en grand, il aúgmenta les impóts, essaya
mérne de les améliorer par une réforme, il em-
prunta, et le premier il fit de la vente des offices
un revenu ordinaire. Ce fut en 1522 qu'il établit


(1) Nous eroyons devoir donner au lcct eur les bases d'apres les-
quelles nous avous fixé le montant des gabelles. Sous Henri IV, Ic
droit de gabellc était dc 133 écus par muid , Au cornrnencemen t
du rt'·gne de Francois I?", il n 'ét;¡it que de 15 francs 011 3 (kus. Les
gahelles, EOllS Henri IV, produisaient cn viron qun í rc millions, ce
se rait done envir-en 150 :l 160,000 Iivres . Mais il faut observer
que tous les droits de gabcllc navaient pas augrncnt.é dans une pro-
portion aussi forle. Plusieurs provinces avaicnt rachcrr' ces all¡;-
mentations , Si Pon porte la consommat.ion a huit mille mui.Is,
chiflre qu'elle depassa SOllS Henri IV, on m-rivera :l 120,000 li vres ,
Dans les pays OlI, au Iicu de la gabelle, se perccvait le quart du p rix ,
le hail ct ait de 25,000 livres , Ord., tome XVII, page 86, an 14G8.
L'ensemble de ces deux sornmes serait enviren de I fHl.OOO Iivrcs ,


(2) [samhert,tomcXI,page660 , an 1514. '




111


le bureau des pa rties casuelles , boutique, dit
Loyseau, de cette nouvelle marcluuulise. Le Par~
lement fit longtemps de vains efforts contre la
vénalité ; il s'opposa surtout ala création de vingt
conseillers, mais il fut obligé de céder (1'). Des
1520, nous trouvons plusieurs créations d'oílices,
qui na sont évidemment que des expédients do
linance (J.). Le gouverncment royal a trouvé des
acheteurs pendant deux siécles.


L'absurdité de ce systérne n'a pas besoin d'étre
démontrée, les fonctions publiques ne peuvent
étro la propriété d'un particulier , si ron ne veut
pas que celui-ci les fasse servir ason propre avan-
(age. Quand les oflices furent des biens, il était
naturel quils devinssent héréditaires ; il ne fallut
pas un siecle pour que cette seconde innovation flll
admisc; les revenus de I'État furent hors de I'iu-
fluence du souverain.


Si les rois eussent vendu les eharges militaires,
leur pouvoir se fút évanoui comme celui de la
truisiéme race ; hcureusement, eet exemple les re-
tint; ils conserverent la force, et táchérent de
modifier les inconvénients de la vénalité des char-
ges. On créait sans cesse de nouveaux offices pour
les vendré, et ces créations amoindrissaient le
pouvoiret l'influence des premiers titulaires.


Presque tous les revenus de l'État furent donnés
a ferme, les anciens fonctionnaires n'étaient plus


'1) Garniel', an dJ22.
,2) Is.un hcrt, lome XIr, pagc:; qR, 18th IU3, 'D7 et 2llD.




112 ROYAUTE .1\IODER"E.


que des-contrólenrs assez inntiles; ceue multipli-
cation'eflrénée de charges sans fonctiousaéalles
a étémne des plaies de l'ancien. régime ; elle a
él!igé I'oisiveté en titre d'honneurvComme, ponr
obtenir des acheteurs, on décornit les. oífices de
quelque. -Pl.'é\'o\;a:.\\ve, t()U~ \e.& (t\\\)\t~ThX yol\\\'\ers
sortaient du eommeree et se précipitaient .vers
eette acquisition. La profession ind ustrielleétait
regardée comme un malhenr; ainsi, a coté des
gentilshonlmes, futcréée une classe intermédiaire
quitenaitaupeuple par son origine, ala noblesse
par ses priviléges; mais le fardeau de l'affrau-
chissement des riches du tiers -Érat retombait
plus lourd sur les pauvres. Nous parlerons plus
tard des effcts de la vénalitésur les oflices de la
magistrature.


C'est durant le cours du XVI C siécle que se dé-
veloppent les institutions , les ressources et, il
faut le dire, les abus de l'ancienne monarchie, (out
y est en germe; comme si l'inégalité des charges
entre les ordres de citoyens ne suflisait pas, l'iné-
galité entre les diverses provinces vint s'y ajou ter.
De temps immémorial, les impóts n'avaient pas
pesé également sur tout le tPITi toire ; certaines
portions avaient été affranchies de quelque tribut.
L'exemption de gabelle était le plus important de
ces priviléges; cette différenee de traitement
entre les habitants d'un méme pays avait déja
en de funestes conséquences. La tenía tion a la




ROVAun: lIODF.RNFi. 113


contrehandc (~(ait forte, lorsqu'il ne s'agissait que
de· passer une Irontiére fictive , pour protéger
la levée des taxes, 00 eut recours ades mesures
tyranniques. On imagina le devoir de gabelle;
chaquehabitant était contraint d'acheter la quan-
titéde sel nécessaire aS3 consommation : eeHe quan-
~


1 tité était déterminée. 00 trouve cene morale finan-
ciére en acti viré des J 509 (1); mais si, aune époque
OlI le droit sur le sel n'était que de 15 francs , la
contrcbande se faisait déja par des troupes a1'-
mées(~),les accroissements successifs de cetimpót,
en exagérant le bénéfice de la fraude, l'encoura-
geaient.


íFran<;ois ler trouva l'impótdu sel al 5 franes;
a la fio de SOn regne, il était de L.5 francs (3);
ainsi les eharges des provinees de grande gabelle
s'étaient accrues des deux tiers, tandis que -Ia
Rretagne était tout a fait exempte; que, dans le


(1) Font., tome Ir, page usa.
(2) Font., tome IV, page 147g.
(3) Une ordonnance de 15'i nous Iait connaltre les príncipes des


:;abelles: chaquc hahitant était obligé de se fo urn ir de sel au gre-
nier royal, art . '7 ; s'il t:1chait de se soustraire acettc nécessité, il
eucourait une amende et la restitution des droits de gabelle. Dans
certains pays, le scl se t1islri!lUait par irnpót, c'est a dire que I'on
estimait la quantité de sel nécessaire a chaque commune, et que des
collecteurs élus par les habitants étaient chargés de répartir, arlo 33.
Dans les autres paroisscs, le grenetier examinait si la quantité con-
sommée était en rapport avec la richesse et le nombre des habitants.
Les grenetlers el contróleurs étaient chargés de ces fonctions. Ces
príncipes ont duré autant que la gabeHe elle- méme ; les peines scu-
lement sont devenues plus sévéres .


Isamb .; tome IX, pagc 12\).




IWYACTl~ :\IODEHN E.


POlt()U, \a ~a\ntonge, i\ He se \evall qu'un drol\ I,\U
quart a la vente; l'augmentation de la Gabelle sé-
duisait le gouvernement. Comme le clergé et la
noblesse y étaient soumis, ainsi que le tiers-Étar,
elle était plus productive, et par le nombre et par
la richesse de ceux qu'elle atteignait. Francois 1"
eS5aya de génél'aliser eette taxe; en 1537, il l' avait
portée de trente aquarante-cinq livres (1); il abolit
la juridietion tvraunique des greniers asel, el con-
vertit toutes les taxes en un simple droit a l'ex-
traction (2); il consentit méme a dirninuerle montant
du droit en ne le Iixant qu '3 2 1 franes par muid
au Iieu del,5 franes (::;). En échange, il voulait que
toujes les provinces fussent soumises acet irnpót ,
mais il faUut revenir a rancien état de choses ;
le nouveau blessait dans les provinces privilégiées
non seulement le peuple, mais la nohlesse et le
clergé, c'est adire les deux seules forces du temps.
Une révolte en Guiellne fut cruellemen t répri-
mée par Montmorency: mais le roí ne persévéra J
pas daos sa reforme; l'exemption des provinces
privilégiées fut maintenue (4). Le droit de 45 fr.
par muid fut per<;u dans les greniers; le roi gagna
seulernent une taxe de 20 soIs, que les proprié-
taires ,~e marais salins lui donnérent a l'extrac-


(1) Font .; tome Il, page 998.
(2) Font., tome 11, page 1007.
,.:.:) Font., tome Il, pnge 1001,:W Ib!¡:!,
:4) Font., tome 11, page 1030) an 15ft!¡.




lWYAlJTE lUODERNE. 115


tion. QueIques greniers avaient été égaIement
établis en Saintonge, en Poitou el en Limousin.
Henri II consentir a ne lever, comme autrefois,
que le quart et le demi-quart du prix du sel;
iI vendit cette faveur !¡50,000 franes, environ
1,500,000 franes de notre monnaie (1); il leur
vendit méme, quatre ans plus tard, ce droit de
quart, ponr une somme de J, 194,000 livres,


I 4,000,000 francs de notre monnaie (2). Le tiers-
état paya les deux tiers de eette somme, la noblesse
et le c1ergé l'autre tiers. Ce fut, certes, une o.péra-
tion bien avantageuse pour ces provinces, quand
on songe que l'avidité des souverains fut telle,
qu'a la fin du xvrs siécle I'impót était de 133 écus
parmuid; mais le fardeau retombait sur les pavs
de grande gabelle. Les avanies, les mesures vexa-
toires étaient plus lourdes que l'impót Iui-rnéme .
ainsi les contróleurs et les grenetiers avaient le
droit de visite dans toutes les maisons; celui qui
se fournissait de sel hors du grenier de son domi-
cile était banni ala troisiéme fois (3). Enfin cette
Iégislation devint si atroce, qu'a la fin du XVIUe sié-
ele le tiers des condamnés aux gaIeres I'était
pour fait de gabelle.


Longtemps cet irnpót fut en régie. Le marchand
mettait dans chaque grenier le sel qui était vendu


(1) Font . , tome II, page 1040, an 1549'
(2) Font., tome 11, page 1045, an 1553.
a) Font., tome Il,page 994, an 1535.




116 ROYAUTÉ MODEn~F..
a tour de role (1 J. Les droits étaieru perc;ns par les
ofllciersdu roi; au moins, le contribuable n'avait a
se défendre que contre la vigilance tOUjOlll~S peu
active de l'intérét publico Ainsi, par excmple, le
selpar impót n'était délivré qu'a raison d'un mi-
not par 25 personnes (2). Mais, quand l'impót fut
affermé, le fermier calcula plus rigoureusement.
Des J547, on avait offert aHenri 11 d'affermer le
droit de gabelle dans tous les greniers du royaume.
Il préféra faire des enchéres .particuliéres dans
chaque grenier (3); les marchands isolés n'avaient
pas la puissance qu'eurent, depuis Henri IV, les
fermiers généraux.


Le gouv~l'nement de Francois I" devanea son
siécle , il voulut introduire en Franco I'unité des
poids et des mesures (4); nous avons pu de nos
jours juger de la diíliculté de cette reforme. L'ad-
ministration était alors trop imparfaite pour ob- .
tenir un si grand résultat. L'ordonnance demeura
sans exécution. Henri II fut plus heureux dans une
tentativo partielle, il exigea que tous les seigneurs
ayant droit de poids et de mesures dans Paris se
conformassent aux étalons qu'ildonnait (5). La cor-
rection de ces abus sert a nous faire juger l'éten-


(1) Font., tome Ll, page 9\)2, an 15q.
(2) F(l)nt., tome n, page 1061¡, 'In 1:179'
(3) Font., tome n, page 1037,
~4) Font., tome J, page 914, an 1540.
(5) FOl1t., tome J, page ~17G, 'In 1.~57·




llOYi\l'TE ~IOLlEnNE. 117


due du mal, puisque, dans une méme ville, chaque
marché avait hesoin d'un cornmentaire. Il es! assez
singulier que tous les États généraux, jusqu'en
1614, aient toujours demandé l'unité dans les
poids et mesures, sans que le pouvoir s'en soit
sérieusement occupé.


Sous les norns de réve , de Iiaut passage, d'im-
positíon foraine, se levaient di verses taxes sur les
marchandises al'exportation. L'origine de ces im-
póts remontait au XIVe siécle ; ils étaient pe:r-
(;I1S non seulement ala frontiére étrangére, mais
a celle qui séparait les provinces oú les aides
avaient cours, et les provinces privilégiées. Ces
trois droits se levaient en divers lieux, selonles
usages; comme ils étaient proportionnels au prix
des choses , la valeur était laissée a I'arhitraire du
perceptcur. Francois I'" publia une appréciation
des marchandises; il détermina le montant de
chaque droit , et ordonna que tons seraient levés
aux mémes lieux et par les memes· officiers (1;.
Le gouvernement, acette époque, était en avant de
lanatiou : la reforme de la gabelle échoua devant
des résistances locales. L'intérét privé n 'était pas
assez éc1airé pour se confondre de pIejo gré avec
l'intérét général. La réduction de ces droits en un
seul excita également des réclamations, et Henri 11,
aprés un nouvel essai , fut obli{}'é de remeure les




118 UOYAUI'E llIODERNE.


choses sur rancien pied ; I'ensemhle de ces droits
était de 2) deniers par livre (1 );mais, par l'appré-
ciation donnée aux marchandises, le droit n'était
guere que du douziérne tout au plus.


Francois ler avait donné dans l'article 21 de cct
.


édit , aux pays ou les aides n'avaient pas cours,
la faculté dentrer dans la condition cornmune du
royaume : elles refusérent de le faire. Aiusi se
trouva consacrée une inégalité dans le sort de la
Frauce : il semhle que chaque province tint il
honneur de constater qu'elle avait été séparée du
eorps de la monarchie.


L'ordre s'introduisait dans les finan ces , les im-
póts étaient déja trop divers POUI' que tout pút
aboutir au trésor royal, et que dn centre la SUI'-
veillance se fit sentir a l'extrémité. La nécessité
avait déja introduit les recettes générales (¿); mais
ce fut l'édit de 154'1 qui leur donna une forme rl~­
guliere. Sur cette base a repose depuis toute la
subdivisión administrative de l'ancien régime. Ce
fut par ce moyen que le pouvoir royal intervint
dans les détails ; mais, dans l'origine, cette création
n'eut pas ceue étendue ; les fonctions des receveurs
généraux furent bornées aux Iinances.


(3) Le royaume, sous ce rapport , fut divisé en


(1) Font , , torne 11, pagc "go, au 1.)~lh >
(2) Nous en trouvons dix en 152:~
l s.uuhert , tome XII, pagc 224.
'~\ h:lmb"r f , tome XII l';¡ge 7~;r;·




1Ul


seize recettcs généra les: auprés de chaque receveur
était un commis des trésoriers de France. Ainsi le
principe de tonte bonne comptabilité , le controle,
était adrnis.


La reeette et la dépense étaient centralisées par
le trésorier de I'épargne. En 1554, le contróleur
général fut créé par lIenri 11 (1;' Le trésorier dé
I'épargne devait donner au roí un état de la recette
réelle. Mais, dans le ternps mérne oú 1'011 cherehait
a int.roduire l'ordre, I'abus des offices sans fone-
tions créés ponr le seul besoin du moment leJé-
rruisait : tous les ofíiccs comptables devinrent al-
ternatifs , e' est a Jire qu 'il y eut deux titulaires
chargés d'une méme fonction, qui se remplacaient
mutuellernent, sur deux années, cliacun d'eux avait
une année d'exercice et une année de reposo La
confusión s'introduisit dans tous les comptes. Ces
ventes d'oílices étaient, en réalité , des nnricipations
sur l'avenir, oú I'intérét payé n'était que le moin-
dre mal. II eüt mieux valu recourir ades emprunts;
mais la doctrine de l'Eglise sur l'usure empéchait
d'entrer franchement dans cette voie (2). Toutes
les restrictions sur cette matiére destinées apro-
léger l'emprunteur tournent contre luí. Il est
Iorcément dans la dépendance du préteur, et celui-
ci lui fait payer, par une élévatiou d'intérét, les
«hances qu'il doit courir. Le roí n 'osait pas 5'enga-


1) Fon\.., tome 11, l\agc 831, an 155'1.
" \ Fon t •• torne 1J, 1';I~f' 1 1:36. ;111 \.r,r., \




1:20 .ROYAUTE lUODEJL~E.


gel' directement ; il assignait le paiement des rentes
sur certains revenus, et eomme cette garantie étni t
moins entiére que si 1'0n avait eu pOUI' caution tous
les revenus royaux, il fallait bien donner davan-
tage. Francois ler ne créa que pour 75,4161iv. de
rente, environ 260,000 fr. de notre mounaie (1);
son fils en créa pour 543,806 livres, 2,000,000
de notre monnaie, Le maniere dont il s'y prit est
méme assez curieuse : il défendit aux notaires de
París de passer aucun contrat de rente avant
qu'il eút obtenu les 490,000 livres dont il avait
besoin (2).


Avant le concordar de 1515, les évéchés et les
principaux bénélices ecclésiastiqucs étaient électifs:
le droit d'élection appartenait aux chapin-es. C'é-
tait une tradition affaiblie de l'Église primitive OÚ
les ehrétiens choisissaient leur pastenr; si le prétre
nommé par ses égaux ne trouvait plus I'influence
que lui donnait I'élection populaire , il ne relevait
au moins de personne. Le concordar donna a la
royan té un pouvoir de plus. Léon X, en ven-
dant a Francois ler le droit de nornmer aux évé-


. .


chés et a tous les hénéfices ecclésiastiques impor-
tants , détruisit l'indépendance un clergé: ses
membres ne furent plus que des fonctionnaires
ecclésiastiques nommés par le roi : ils étaient done
ses créatures et ne pouvaient s'opposer a ses vo-


(1) Forbonnais.
(~l) Font ., t ornc L pagl' 1üG.




HorAUTE :lIODlm:'(E. 121


lontés. Ainsi le pouvoir temporcl de l'Église en
Franco fut miné par un pape el par un prince zélé
catholique, et cela, presque dans le temps ou tous
deux luuaient contre la reforme : tant il est vrai
qu'on tient toujours de son siécle par quelque cóté,
ne Iüt-cc que \Jar imprévoyance.


Lajuridiction ecclésiastique, qui, aumoyen-age,
avait tout envahi, fut réduite aríen par l'ordori-
nance de J 539, et surtout par la jurisprudeuce du
Parlement (1).


L'abaissernent du clergé au profit 'du pouvoir
royal fut pour celui-ci une ressource financiérc.
Le roi n'accordait certains bénélices que sous des
reserves. Sous Henri IV, le huguenot Sully cut des
pensions assignées sur des abbaves. Le temporel
de l'Église lui échappait cornme au temps ou les
dimes et les cures étaient devenues eles fiefs; a
vrai Jire, l'Église n'était que l'usufruitiére de ses
biens; le roi en était le propriétaire,


Nous verrons plus tard le clergé essayer de dé-
guiser, sous les noms de prót el de don, sa part
dans les charges publiques.


Les armées réguliéres ne firent pas cornpletement
oublier l'ancienne milice féodalc, le ban et l' arriére-
ban, lout comme I'introduction des armes a feu
ne fit pas disparaitre tout a coup les arrnures
du moyen-áge, 00 a de Francois 1''1' et de Henri


(1) Henrinn de Pansey ; de l'Autorité judiciaire, lome 11; lJ¡¡ge (io ,




plusieurs ordonnances sur ce sujet. Uue scule dis-
position peut nous faire juger combien cette insri-
tution était dénaturée. Dans chaque bailliage, les
gentilshonuues étaient comrnandés non par lcur
supérieur féodal , mais par le baiHi royal (1). Ce
n'était plus, avrai dire, un ser-vice que le vassal
devait ason seigneur, pour le fief qu' il tenait de
lui, mais une demande extraordinaire du gouver-
nement; e'était la levée en masse de la population
noble.


Franeois ler reprit le projet de Charles VII aban-
donné par Louis XI, la création d'une infanteric
francaise : il la composa de sept légions (?), fortes
chacune de 6,000 hornmes. I ..es troupes armées
d'arquebuses ne forrnaient encore que le quart des
a rrnées (1 2,000 arquebusiers et 30;000 piquiers OH
hallebardiers). Les soldats des légions n'étaient
point sans cesse sous le drapeau , ils J1'étaient as--
rreints qu'a deux revues par an : ainsi ils ressem-
blaient plus a une milice qu'a une armée perma-
nente. lIenri 11 (3) essaya aussi des légions, elles
ont été la base de ce qu'on appelait ala révolutiou
les vieux corps. Le service militaire était plus payé
acette époque que de nos jours. La paie d'un soldat
était de 9 a 10 livres par mois (environ 30 livres
de notre monnaie); en tenant compte de la pIlIs-


1) Font., tome In, page CeJ, an .551
2) Font., tome IIJ, page dú, ,W IS·H .


.':1) Fonl., t o m e JII, page 'fí~, an l;';'~




nOYAUTE ~IUDERl\E. 123


value de l'al'g(~nt aeette époque , il avait une solde
mensuclle de (00 francs (1). On sait assez que telle
n'est pas celle de nos troupes , et cependant ce n'était
pas le seul profit du soldat ; on le voit assez pal'
les nombreuses ordonnances publiées sous ces deux
regnes pour réprimer les excés militnires.


La maniere méme dont étaient constiruées les ar-
mées excluait toute discipline; cal' la discipline sup-
pose une hiérarchie sévére , l'obéissance du chef
envers son supérieur , cornme celle du solda t en-
vers l'oflicier. Au xvr' siécle, chaque capitaine re-
cevait I'ordre de former sa compagnie; iI la com-
posait asa guise et allait rejoindre I'armée. Entre
ces petits corps, il n'existait aucun lien, aucun rap-
port avant qu 'ils fussent réunis sous un seul général;
le souvenir de cette indépendance devait méme
alors s'opposer a une exacte suhordination (2).


Montluc nous raeonte que sa compagnie se pre-
senta devant une ville de l'Albigeois qui lui ferma
ses portes; les soldats emportercnt la ville d'as-
saut , la saccagérent , puis , par crainte des habi-
tants , ils se débandérent. Montluc ne déplore
qu'une chose, le retard ; une ville francaise prise
d'assaut par des Francais était alors un accideur
ordinaire.


Le rnoven-áge croulait de toutes parts. La Ere


•(1) Fonl., torne lJI, l'age ¡r,~~
'0\ I\lp¡n"jre:, de \\\nnl\l1('




124 ROYAlITE MüDElnE.


tagne fut réunie ala France par Franeois 1e r (1), sur
la demande expresse des États. Le parlement de
Hennes ne fut cependant établi qu'en 1553 (2);
jusqu'alors la justice avait été rendue en Bretagne,
comme elle I'avait été sous les dues. Les zrauds


a


joursn'étaient qu'un tribunal temporaire qui rele-
vait par l'appel du parlement deParis. Par I'érection
du parIement de Rennes, I'autorité judiciaire vint
irnmédiatement du treme; révolution analogue a
celle qui était faite depuis longtemps dans le reste
de la Frunce.


L'administration de la justice était bien chan-
gée depuis les temps féodaux; eependant elle se
sentait encore de la maniere irréguliere dont
l'autorité royale s' était acerue: les parlements, celui
de Paris surtout, possédaicnt un territoire d'une
étendue immense; el eomme, en matiére civile, ils
jngeaient seuls en dernier ressort, la justice était
loin du justiciable. La création des présidiaux
remédia acet inconvénient; lenrs jugements furent
sans appel, jusqu'a une somme de 250 livres, el
jusqu'a 500 livres ils purent ordonner l'exécution
par provision (3). Dans celte limite, toutes les
affaires des baillis-sénéchaux venaient devant eux
par appel; les présidiaux ressortissaient du parle-
mento Cette innovation était un véritable bienfait


( 1) ]sambert, lome XIl, pagc 3\)3, an 1[':3:~ .
(2) ront.) lome 1, page 1°7.
(3) Font., to mc 1, page :333) an 1551.




IWYAUTF: .lIOOERNIL 125


si I'esprit fiscal ne I'eút entachée. Comme les
offices étaient vénaux, les jugcs et les tribunaux
furent multipliés outre mesure; il n'y eut que'
trente et un siéges dans l'édit de création , nous
en trouvons soixante-deux (1) en 1557; en méme
lemps, le nombre des juges s'augmcntait dans
chaque tribunal. Francois I" avait aussi fait une
innovation qui subsiste encoré dans notre droit :
il avait dans les tribunaux inférieurs separé la
justice civile de la justice criminelle; en chaque
justice, il avait créé un lieutenant criminel (~)~
L'époque méme de cette ordonnance en a fait
soup<;onner le motif: le hesoin d'argent. Faire de
la punition des délits une fonction spéciale est
peu favorable al'accusé. Le juge est porté, par les'
habitudes de sa vie, a voir dans tous les prévenus
des coupables; juger, condamner un homme est
pour lui une fonction ord inaire. Cctte tendance en
favenr de la répression a toujours existé dans la
Iégislature francaise; on faisait hon marché de
l'innocence condamnée, pourvu qu'aucun coupable
n'échappát. Peut-étre, dans les ternps de désordres,
oú le puissant seul pouvait nuire, paree que seul


(1) Font . , tome 1, pagc 356.
Dans le mérne tcmps, une chambre spéciale du Parlement, norn-


mée la Tourn ellc , fut chargée des preces criminels ; auparavant, la
Tournelle se bornait. :1 I'instruction ; le jugement appartenait a la
grande Chambrc.


Garnier, llistoire de Fruncc ,
(2) Isamhert., tome IX, pagc 1\17, an Irl??




1:26 IWYAUT~: ~IODEH:\E.


iI avait Ja force, cette rigueur était moins dange-
reuse aIasociété que l'impunité; ma is, transportée
dans des temps civilisés, quand la main et l'reil
dugouvernement étaient partout, elle u'était plus
qu'une barbarie.


Cornment qualifier autrement la procédure cri-
minelle de l'ordonnance de 1539? Tous les acres
devaicnt étre secrets, rien ne devaít étre commu-
niqué aux accusés; on leur refusait rnéme un
conseil ; certes , alors plus d'un Francais enlacé
dans lesdétours d'une interrogation captieuse, ou
brisé par la torture, put regretter le temps oú, en
présenee du public, iI disait au juge : ( Votre juge-
ment est faux, el je le ferai tel, par gages oe ha-
taille ;» le juge sentait aumoins une rcsponsabilité
peser sur sa leteo


La mérne ordonnanee déclara que toutes les
justices de París seraient mises dans la main du
1'01, sauf l'indemnité due aux seigneurs. leí I'iu-
térét du roí et l'intérét général étaicnt d'aceord.
Dans la législation ci vile, prcsque ton tes les Ble-
sures ordonnées étaient des améliorations , les
parlernents durent prononcer leurs arréts en
francais ; les aetes des notaires royaux furent
exécutoires dans tout le royaume. Il fut défendu
de prendre les juges apartie : en méme temps ~ le
besoin se faisait sentir de donner de la publicité
aux contrats. L'accroissernent de la tichesse avait
multiplié les rapports , les contrats entre les




IIOl HiTE !\WDEHNE. 12'7


houuues. FI\lIH;OiS lel ordonna l'insinuatiou des
donations (1), Henri II prescrivit la méme me-
sure pour tout contrat excédant 50 francs (2); un
{jre!fier fut commis pour aeeomplir cet acte. Dans
l'esprit du priuce, ce u'était qu'une mesure fis-
cale; mais les grands jurisconsultes, Olivier el
L'Hópital, vovaient sans doute les choses de; plus
haut et faisaieut servir au triomphe de leurs idees
les passions mémes de Ieurmaítre,


Il ya quelque chose dans les magistrats du XVI C sié-
ele qui rappelle les jurisconsultes romains : e'cst
la mérne austérité au milieu des mreurs les plus cor-
rompus; le méme culte de la justice, alors que tout
souvenir de liberté disparaissait , le stoicisme des
uns par I'élévation des idees, la pureté de la mo-
rale , les sentirnents d'humanité touchant pres-
qu'au christianisme , el la religion des autres, dé-
gagée de toute superstition, se rapproehant de la
philosophic. Enfin, pour achever la ressemblance,
Papinien fut préfet du prétoire dun fratricide, et.
L'Hópítal, le chancelier de Charles IX, protégé par
1Iédieis. Le caractere de ce dernier est un des plus
beaux de notro histoire. n essaya en vain de con-
cilier deux partis également opposés ala tolérance ;
mais, en meme temps qu'il publiait ces pacilications
passagéres , il contribuait , pal' plusieurs édits , a
achever notre jurisprudence. Jusqu'á luion n'avair


(1) Font., lome 1, pase 7.12, an Ir):~g.
: ~») Fout . , torne J, page 15~, :1l1 1;}.11.




128 nOYAUTÉ ~IODER,,"IL


publié que des dispositions particulieres , il alla
plus loin, etses ·édits sont presque des codeso :


La législation civile, proprement dite , n ~est pas
denotre sujet : qu'il nous suffise de rappeler que,
le premier, il limita les dons des veuves en faveur
de leur second mari (1); qu'il prescrivit la commu-
nication des piéces aux parties (2), la rédaction, par-
devant notaire, de tout contrat excédant 100 1. (3);
qu'il ordonna que I'année commeneát an 1 ( r janvier;
qu'il défenditles substitutions au dela du quatriéme
tlegré(4).Ces dispositions, et surtout la derniére,
par leurs conséquences, tenaient ala politiqueo La
maniere dont est partagée la propriété, dont elle
se fractionne ou s'immobilise dans les Iamilles ,
tend adéplacer ou aconcentrer la richesse , et par
suite le pouvoir. l\'Iais la forme qu'il donna al'au-
toritéjudiciaire en France nous importe bien plus
a connaltre. Il changea la compétence des tribu-
naux en matiére criminelle.


Avant lui, il était deprincipe que l'aveu emporte
l'hornrne, c'est a dire que l'anteur d'un délit de-
vait toujours étre traduit devant le juge de son
domicile. L'origine de cette législation remontait a
I'invasiou des Barbares. Nous voyons, dan s les lois
qu'ils nous out laissées et dans les Capitulaires, eette


(1) Ord. de 1560.
(~) Ord. de 1 564 .
:3) Ord. de ,56G.
(4) Ord . de láGo.




division de penples et de lois sous un méme terri-
toires.Les Barbares se regardaient eomme campes
en France; ils étaient plutót juxta-posés que eonfon-
dus parleur réuniondans un méme pays. Cene dis-
tinction dura longternps , elle disparut au bout de
quelques siécles ; et au xe siécle, peu de fanlilles
eussent pu dire si elles étaient franques ou gauloises.
Force fut donc de renoneer acette Iégislation; rnais
le principe ne périt pas, il prit une nouvelle forme.
Les grandes races qui s'étaientdispersées sur toute
la France avaient, comme nous I'avons vu, formé
une multitude de petits peuples vivant séparés les
uns des autres, Ceüe nationalité féodale fut subs-
tituée ala nationalité barbare. Nul ne pouvait.étre
traduit que devant le juge de son fief: ce principe,
comme HOUS l'avons Vl1, fut des plus favorables a
la juridiclion royalc. Les bourgeoisies du roi, ven-
dues a vil prix, l'étendaient ades hom mes tout a
fait hors de son action réguliére, Mais ce qui est
bon pour le combat ne reste pas tel aprés la vic-
toire. L'autor-ité royale était seule restée debout,
et les entra ves qui lui avaient servi agener la jus-
tice de ses vassaux l'embarrassaient elle-méme.
Maintenant elle n'éprouvait plus qu'un besoin ,
celui d'assurer la tranquillité de la société ; et dé-
terminer la compétence par le domicile de I'accusé
était peu favorable ala répression des crimes. Dans
tout preces crimine}, il Y avait a vider une ques ..
tion préjudicielle des plus délicates : c'étaient denx


9





t 30 IWY.Hn E MODEIl~ E.




diflicultés au lieu d'une. Rien de plus aisé, au con-
trai re, que de fixer le lieu du délit; le fait, sujet de
l'accusation, y suffit. Le nouveau principe cst en-
tré dans notre droit public el s'applique mérne aux
nations étrangéres.


L'unité du pouvoir royal se resserrait chaque
jour. Ainsi un édit de 1560 ordonne que toutes
les senteuces des juges l'oyaux scraient exécutoires
daos tou t le royaume sans leure de pareatis . N'est-
cepas proclamer que les juges ro-Y3ux ne pronon-
ceraient pas daos les diversos provinces comrne
juges du due ele Bourgogne, du comte de Pro
vence, mais comme les délégués d 'une mérne au-
torité , souveraine du pays enrie r '1


L'H6pital supprima plusieurs dep,rés de juridic-
tion inutiles. Dans uo méme lieu, le roi OH leseignour
avait souvent un tribunal de premier degré, el
un tribunal d'appel : ainsi , par exernple , dans les
lieux ou les présidiaux étaient établis , le bailli OH
le sénéchal avait voulu conserver son ancien droit ;
il rendait un jugement dont on appelait au prési-
dial. Ces divers abus, qui multipliaient les frais des
procés, furent abolís. Daos chaqué lieu, il ne dut y
avoir qu'un seul juge. Il fut longtemps de juris-
prudenee que cette suppression n'avait pas lieu,
lorsque les justices appartenaient a deux proprié-
taires différents (1). J/H6pital pensait qu'il n'v a


l.1) Loysenu .




IW1'AVTE !HODEn~E. 131


point de justice si elle n'est pas prompte el si elle'
u'est pas ahon marché. Les délais , la cherté sont
en faveur du riche qui peut payer el attendre.


Ce fut encore lui qui enleva définitiverncnt aux
gens dépée le droit de juger. Déja Louis XI avait
ordonné que les baillis et sénéchaux fussent gra-
dués. L'Hópital alla plus loin, et interdit aux baillis
de robe courte tonte jnr-idiction: elle passa aleurs
lieutenants. Ainsi s\"~teignaient dans la législation
les derniers souvenirs du moven-áge , oú un juge-
ment n'était qu'un combato Quand on réfléchit que,
dans I'application , le ehoix du juge est plus im-
portant que la 10i elle-mérne , on sent l'étendue
de la hlessure faite ala noblesse. 1\Ialgré le mépris
qu'elle affiehait puur les lois , sa Iortune el sa vie
étaient ala disposition d'hornmes sortis du tiers-
État, d 'autant plus redoutables , qu'ils n 'étaient
point astreints a une observance rigoul'euse des
lois : une par! large était laissée a l'interprétation
du juge,


La juridietion consulaire est aussi une création
de L'Hópital. Les juges consuls étaient élus par les
marchands, ils jugeaient sans appel jusqu'á 500fr.
el pouvaient, au dela de eette somrne, ordonner
l'exécution par provisión. Cette justice spéciale
pour le comrnerce , avec le privilége d'éleetion,
subsiste encore de nos jours, et a été respectée de
tous les despotismes.


Il s'occupa aussi des rapports des juges avec




132 ROYAUTÉ MODERNE.
I'autorité rovale en théorie : dans la pef'sonne du roí
se confondaient les trois pouvoirs : le lép'islatif~


.J


l'exécutif et le judiciaire. Si le fait eút répondu an
droit , le gouvernement eút été absolu. Dans la
pratique, ces principes absolus souflrirent quelques
destrictions. Une ordonnance n'était exécutoire
qu'aprés avoir été enregistrée au parlement; si
celui-ci cut eu pleiuc liberté de refuser son con-
cours, il eút en part au pouvoir législatif. Il le
faisait quelquefois, encoré que ses membres n'cus-
sent aucun titre pour luuer contre l'autorité royale
qui les avait institués. La limite du pouvoir législalif
ne peut étre dans un COl'pS j udiciaire , Le parlement
lui-rnérne reconnaissait que son autorité veuait du
roí. Le juge doit ohéir au législateur. 'I'outefois
l'ancien régime tout entier s'est écoulé sans que le
droit du Parlement et celui du roi aient été bien
définis, Dans les luttes que le défaut denregisrre-
ment provoquait, le dernier mot restait toujours
au roi. Mais celui-ci hésitait longtemps avant d'en
venir aceuc extrémité , il craignnit que le pouvoir
absolu, se montraut adécouvert , n 'excitát l'indi-
gnation universelle. L'Hópital réduisit le róle du
parlement a de simples remontrances. Les édits
furent exécutoires mérne sans enregistrement (1;.


Déja , sous le regne de Francois I", les rcmon-
trances du pai-lement avaicnt embarrassé la cOU!,; ils


(1) En sui te il (J./Hdpilal) dit qnc le roi nc pouvait soufl'rj r flUí'
ceux fluí navaien t ql1c k pouvoir de Y(:l'ificl' les ordonua ncrs sut-




RO\' Á UTIi l\lOD Ell~ E. 133


s' étaient opposés II ces créa tions d'olliciers inn tites.
En général, les réforrnes de L'Hópital sont faites
dans I'intérét de l'autorité royale. II défendit aux
lieutenants du roí, dans les provinces , de lever des
deniers sur le peuple, d'accorder aucune leure de
grace, d'évocation. Ainsi le roi transrnettait a ses
officiers une portien de son autoriré , mais se ré-
servait excl usi vernent l'exercice de quelques droirs.
La pratique contraire avait donné naissauce a la
féodalité. Le souverain, aprés avoir institué un
gouverneur dans une province, ne se faisant plus
sentir, était bientót publié. Des républiques ont, il
est vrai, concentré tout le pouvoir daus une seulc
pel'sonne; mais , comme cet abandon n'était que
momentané , que les aouverneurs se succédaient
les uns aux autres , le danger était moindre: i!
existait toutefois , et c'est la ce qui a perdu la ré-
publique romainv.


En réduisant le parlement al'action judiciaire,
L'Hópital n'aífranchissait pas la royauté de tout
con/role. Les États généraux venaient d'érre assern-
hlés, L'édit dUrléans avait été, en grande partie,
rendu pon!' satisfaire aleurs doléances. Il était clouc
naturel de croire que ce sera i t la une limite suíli-


t ribuasst.n t le l'I)IIYllir de le, iu tc rprétcr : que cela était de l'aulorilé
de cehri-I« sell] qui f"i,ait les Iois, cest ~I di re el"s princes.
l~tats génél'a lIX, lome X J1I , pa ge 7 .
. .. . t~l qua n.l , :,prl's Les rcuron t ra uces, lL~ loí aura Liit connait r«


".1 vclontév il scra 11a%(: out re ;',la publication .
Ord , de Moulins, arlo 2.




sante contre lesabus de l'autorité royale : les
membres des États n'étaient point embarrassés
d'une origine contraire aleurs devoirs; ils étaient
les élus , non pas du roi, mais de leurs manda-
taires.


Quatre-vingts ans s'éraient écoulés depuis que
les États de Tours avaient essayé de créer en Frunce
le gouvernement rcprésentatif', leur tentative avait
échoué ; et le roi n'eut qu'a la laisser tornber.
Un gOl1Verneluent libre, auquel prend part un
nombre plus ou moins grand d'individus , suppose
un concert, unaccord érahli entre eux : daIlS les
temps anciens, la tribune, dans les temps modernes,
la presse, remplissent cet offiee.


Il est assez évident qu'aucun de ces moyens n'é-
tait possible au xvr' siécle. Une fois sortis de la
séance des f=tats, retirés dans leurs provinces, les
députés se trouvaient isolés , sans aucune influence.
Le roi ri'avait pas de peine ase dégager de pronlesscs
dont personne u'osait réclamer l'accornplissement.
Il y cut sous l ..ouis XII quelques convocations
d'États, mais sans importance, et négligées par les
historiens. Quand Francois lel' voulut se soustraire
aux obligations du traite de Madrid, il ne s'appuva
que sur une assemhlée de notables.


Pendant la premiére moitié du XVIC siécle, la l'é-
fó't'Yl\~ ~'V~\t cu lieu; malgré les porsecutions de
Francois lel' et de son Iils, ses 1))'ot:>'l'cs avaienl éu'


• o


rapides : elle avait pu prendre en Franee la cou-




nov.un E ~lOnEit~E.


sistance dun partí. D'un nutre coté, cette guerre
centre l'ancienne religion avait ému tous les ca-
tholiques. A de telles querelles, la nation enriére
prenait part; nobles et roturiers y étaient intéressés
comrne chrétiens,


Le protestantisme s' éiait surtou t recruté daus la
nohlesse : tons les gra nds norns de la France , les
BourLon, les Ilohau, les Condé, les La Trémouille,
les Chátillon ont été les chefs de la religion nou-
velle. La eour méme était iufectée de huguenoterie,
et le duc d' Anjou , encore enfant , s'amusait ajeter
au feu les Heures de sa soeur (1) : la bourgeoisie,
au contraire, se tenait obstinément attachée au culto
de ses péres. « Les protestante étaient si pen nom-
breux daos París, que, dit Lanoue, les chambriéres
des cures auraient sufli (10111' les en chasser. »


La liberté rel ígieuse, le droit d'examen étaient ,
aux yeux des gentilshommes, une portien de leur
indépendance; ils s'estimaient trop haut pOlII' ac-
cepter une eroyance imposée, Le bourgeois, au
contraire , tenait au clerg'é par l'origine de la plu-
part des prérres. Acetre époque, l'instruction nétait
pas eucore descendue j usqu'a lui, il avait done
toute la ferveur que donne l'ignorancc (2).


Ce caractére bourgeois du catholicisme a duré
autant que les gllenes de religion; Henri VI rallia
autour de lui presquc toute la noblesse , mais il nc


( 1) ~\emoires de 'Mar¡:;uerile (le" aloi,.
':.},) Je n'y vojs noblcsse (llli "ai1\e (jlll; trois 01\ quall'l: (tui uo ur,


('(hapl'rnl ; t out le reste n'est (lile rac;lil1c néce,silcuse. qui :limf'nt la




136 RO\'A.UTE :;W DunxE.


~e concilia le peuple des villes qu'eu abjurant.
Entre ces deux partis , le gouvernernent hesita ;


il reculait devant une persécution. Effrayé fYdl' les
suecés des luthériens, en Allemagne, il en appela a
la nation elle-mérne , et convoqua les États géné-
raux , Les embarras financiera s'étaient ajoutésa
eeHe crise,


La detle de la Couronne s'élevait a45,7°0,000 l.
(140,000)000 de notre monnaic). Henri Il avait
aliéné , durant le cours de son I'cgne, POUl'
J, ~OO,GÜO 1. d'oílices par année, avec un intérét
denviron 50 pon!' 100; il avait, en oulre, créé des
rentes sur les aides et gahelles pour 5!~S,000 l.
(1,800,000 fr.) (1). L'ensemble des charges mOIl-
tait a 2,300,0001. (7,500,000 fr.).


Sous Franeois Ier el SOU8 son Iils , le revenu total
s'était elevé de .5 a 18,000,000 (2), c'est a dire


gucrre et le troublc paree q uil s vi veut du bien l1u han humille el
He sauraient vivre d u lcur .... Tous les grnlibhamllles de noh]«
race et de valeur so nt de I'autre part ,


Sal. lUenippée, page 235.
Tous vilaius ou la plupurt
Vous ont fait chef de Ieur pur í ;
Le v rai Fraucais ne se range
A l'0y ne a prince estrange.
Mais le vrai roy eles Frano.ris
Pour sa gartlc c1'Escossais
N'est nssiste que ele pi-in ces
El des barons des proviuce-


1bulo
1) Forhonnais, l o m e 1, rage 8 r •
?\ Fo rhon n.riv, tome I, pagc ,:\




RcnAUI'E MODEHNE. 13i


de 50 a60,000,000 de notre mounaie. En conlpa-
raut ce résultat a ce que nous avons dit du regne
de I..ouis XII, il est impossible de n'étre pas frappé
de cet accroissement rapide dans l'impót. La décou-
verte de l'Amérique explique comment le chiffre a
pu s'élever au milieu des guerres el des desastres ,
on n'était pas plus riche; on avait plus d'argent : le
prix des denrées avait tri plé dans un laps de 60 ans.
Le setier de blé valait alors de 14 fr. 75 c. Les
50,000,000 du regne de Henri n ne repré-
sentaient guere que 15,000,000 du temps de
Louis XII. L'accroissemcnt des irnpóts était plus
imaginaire que réel; mais un mauvais exemple
avait été donné. Les emprunts , les créationsde
eharges avaicnt engagé l'avenir. Nous n'igno-
rons pas quels sont les avantages du crédit , sur-
tout s'il est appliqué a des dépenses productives ;
dans ce cas , l'emploi en est legitime. Il est juste
que ceux qui ont part aux bienfaits portent aussi
leur part du fardeau; mais cctte ressource peul
devenir une arme dangereuse entre des mains in-
habiles; l'excés de l'impót trouve une limite, celle
de l'obéissance , l'abus du crédit n'en a aucune. Le
préteur devient plus diffieile, ses eonditions sont
plus rigoureuses; mais qu'on lui offre un béné-
Iice proportionné aux risques , il donnera son ar-
gent. L'usage immodéré du crédit a été tel, SOtlS
I'ancienne monarchie , que nous Be trouverous




138


que deux moments bien courts oú les J'('H'IlUS aieut
égalé les dépenses,


Les États généraux s'assemblérent : le ro; était
mineur , la régence pouvait étre disputée : mais les
circonstances n'étaient plus les mémes qn'en 1584.
Sur ces hautesquestions , leur a-vis ne fut méme
plus demandé. Le pouvoir politique était devenu
la propriété exclusive du roi , el tons auraient cru,
en y touchant, cornmettre un sacrilége. A Tours ,
le eahier des États avait été rédigé en comrnun : les
membres des divers ordres n'avaient fait qu'un seul
eorps, et eette union a vait dú ajouter a Ieur puis-
sanee, Les États d'Orléans , au contrairc , votérent
par ordre; il n'y eut aucun aceord, aueun concert
dans leurs mesures; certaines demandes du tiers-
État et du clergé étaient en coutrudiction avec
celles de la noblesse: eette rivalité profitait a la
COU]'. La noblesse a perdu sa cause en :France POUl'
s'étre séparée du peuple; si elle lui eút donné une
place da ns ses rangs, si elle eút confondu les deux
intéréts , elle cut pu halancer l'ascendant royal.
Notre gouvernement eüt été aristocratique comme
celui des Anglais.


Les États d'Orléans prod uisircnt quelques bons
résultats. Plusieurs des réformes faites par L'Hó-
pital, la juridietion consulaire , la défense faite
aux baillis de robe courte de prononcer un juge-
ment, le furent d'aprés leurs cahiers. Le tiers-Étai
demanda móme quelques améliorations qui n'cu-




uor AUTE ~IUJ)ER:\E. 1 3~)


rent lieu que de nos jours; il demandait que le
seigneur ne pút étre juge dans les causes oú il était
personnellement intéressé, Ceci fut refusé; c'eút
été la mort de la justice seigneuria le. L'unité des
poids el mesures fut un des vceux exprimés par la
noblesse et le tiers- Élat. Les trois ordres s'accor...
dent sur un point, I'abandon du concordato Le
roi consacra méme cette rétention par une ordon-
nance, el renonca anommer aux bénéíices ecclé-
siastiques. Aux États de Blois, la méme promesse,
déja violée , fut renouvelée , et ne fut pas mieux
garclée. Le roi, toujours présent, toujours agissant,
ne pouvait étre arrété par l'autorité des États, qui ne
se sentait qu'a de longs intervalles, Les précédents
des États étaient perdus pour leurs successeurs. A
ehaque convocation , il fallait recommencer le che-
min déja fait.


La suppression des ofIices nouveaux , accordéo
aux États, ne fut pas plus stable : Charles IX les
rétablit presque tous. Les États de 1576, sous
Henri , fircnt cntendre les mérnes doléances , sur la
vénalité des charges , la multiplicité des offices ,
elles ne produisirent pas plus d'effets; les États
n'étaient done qu'une comédie. Qu'est-ce qu'un
eorps politique qui ne peut se faire obéir ? Les par-
lements, qui remplacérent les États, furent plus
puissants qu'eux , Ils inséraient souvent , daos les
ordonnances , des articles qui en faisaient parti«
et qu'aucun juge n'eút osé violero




uo nOYAUTE ,!UnEH:\';;'


Avant 1561, le clergé avait conuihué aux charges
publiques d'une maniere irréguliere ; les levées de
décimos que le roi exigeait étaient devennes peu a
peu un impót ordinaire , puisqu'en 1557 (1) le roi
érigea en oftiee les fonetions de reeeveur des dé-
eimes; mais eette pereeption, quoique ordinaire ,
était regardée eomme exceptionnelle. Aprés les
États d'Orléans , la contribution du clergé prit la
forme qu'elle a toujours gardée depuis. Le clergé
s' engagea, par un contrat passé devant notaire (2),
afournir au roi 1,600,000 1. pendant six ans. Le
produit de cet impót devait étre employé arache-
ter les aides et gabeHes cédées ala ville de Paris pour
garantir les emprunts constitués sur son hotel. Ce
secours devait étre temporaire, mais les fonds des-
tinés al'extinetion de eette dette Iurent rnangés par
avance, et le clergé fut obligé ti 'accorder une nou-
velle somme, Depuis, cette couunue ne fut plus in-
terrompue; seul, de tous les ordres de l'État, le
clergé conserva l'apparence de sa liberté.


Il pri tune part active auxg'uerres de religión el les
soutint de sa bourse; dans l'espace de quinze ans, il
avait payé une sornme de 60,000,000 (180,000,000
enviren de notro monnaie). Sa contrihution an-
Huelle de J ,600,000 Irancs , réduitc plus tard ;\


(1) Font., tome IV, pagc 5a5.
('1) Font ., tome IV, page .)31, an I!>ÜI.
On peut voir lhns le méme aut eur les din:rs cont ra l s ".11' le .qlld,


le cler~é r'nq~ageall1s<¡I\\'n 1IJ06. Pages 10,)0 el 10,)1.




, 's


nUY Au'n; l\IODERNE. Ut


1,300,000 francs, était égale aux trois vingtié-
mes du revenu royal. D'aprés l'état présenté aux
í~tats'de 1576 par les ministres de Henri IlI, on
peut conclure que le revenu royal ét.aitde 16,000,000
(48,000,000 de notre monnaie}; la moitié de
eette somme avait été absorbée par les intéréts el
les gages des offieiers (1). Le roi devait encere
JO 1,000,000 enviran, plus de six fois son revenu
annuel, les di verses guerres eivi lesavaient augrnenté
les dépenses el diminué les ressources. Les recettes
ordinaires, selon le mérne document, n'avaient été
que de 44,000,000; cette situation était terrihle ;
el Henri III a vait tous les vices uécessaires pour
l'aggraver. L'histoire lui a été trap indulgente; sa
fin tragique suffit-clle a justifier le conseiller et
I'auteur de la Saint-Barthélemv ? cal' Charles IX
nefit qu'exécuter le dessein de son frére. Cornme si,
daos une crise pareille, ce n'était pas assez des
dettes du gouvernement, il se livra ades prodiga-
lités sans hornes; les impóts, les créatious d'alfi-
ces les plus hizarres se multipliérent sous lui, la
France était traitée comme le patrimoine d'un dis-
sipateur: il sembla méme qu'il ajoutát la dérision
au fardeau. Les olliciers des gabelles, dit-il, n'ont
été établis que pour veiller a la santé du peuple,
pou!' empécher qu'on ne lui vendit du sel de mau-
vaise qualité (2). C'était sans doute dans ce hut


;1) Élal~ gt'nél'aux, \O\11e XIII, pag(~ 230.
>) F()nI., 1()Jll e l I , 11ag(' ((1:) 5 •




142 NO .'.4 úTÉ ¡J!O/}EfIYH.


d'hygíéne publique que, dans un gl'enÍel' :i sel, 011
comptait six officiers, qu'il en établissait partout
de nouveaux, et que le droit de gahelle, ala fin de
son regne, était de ]33 écus par muido On donnera
une idée des inventions fiscales en citant la créa-
tion de commissaires cha rgés de forerr les paysans
aacheter des rentes; dans un édit de 1577, il vend
¿l un individu par paroisse I'exernption de toute
contribution (1).


Aucun souverain n'a tenu autant que luí aI'in-
dépendance du pouvoir royal; il reprochait ases
ministres de trop nugrnenter I'autorité de leur
charge, et cependant il ne donnait que peu de
temps aux affaires; sa faiblesse sirritait qu'un
autre fit ce qu'il négligeait et ce qu'il ne voulait
faire (2). Il proclama que le droit de travailler
était un droit royal, et il vendait ce droit; il eút
été conséquent sil eút vendu au bureau des par-
ties casuelles le droit de manger. II aIiéna la
meilleure partie des revcnus royaux, créa des
rentes sur l'Hótcl-de-Ville ponr 932,000 franes,
ou 2,500,000 francs de notre monnaie (3).


Parmi cette variété infinie d'édits , il en cst
un qui eut des conséquences graves. Avant
Henri III (4), il n'existait de droits a l'importation
que sur certaines marchandises d'une consom-


(1) Font" lome u, page 865.
(2) MémoiresdeViJ1eroi.
Ca) Foro.
l.) FOilt " tome 11, pagr 50\ an Ji>4o .




llDY.\UTE -'Wl>ER~E.


mation restreiute ; les draps d'or et d'al'gellt, la
soie devaient une gabelle a LYOll; les marchands
étaicnt me me tenus de passer par cette ville pour
lapayer. Si l'on pense auprix de ces denrées ,
alors qu'une paire de bas de soie coútait 7 écus (1),
enviren 50 franes de notre monnaie, que la livre
de soie coútait 30 livres ; si, en outre, on a égarrl
a l'augmentation de la richesse qui a diminué de
plus ele moitié la valeur de I'argent , on seutira
que ces objets de luxe ne pouvaient étre la matiére
d'un commerce aetif.


Le droit que Henri III établit a l'importation
portait, au contraire, sur toutes les marchandises ,
il dit en termes formels, dans le préambuIe de son
édit, que cette taxe avait été créée par lui (2). Elle
(:tait pen considerable : en prenant pOlir hase les
évaluations du tarif de Francois I'", 011 n'arrive
guere qu'a une taxe de deux ou trois pour cent de
la valeur, Dans ces limites, le droit n'était. qu'une
mesure de finance, sans étre une protection;
l'idée de venir au secours du commerce national
par des entrnves mises a la concurrence étrangére
appartient aColbert; mais le principe du droit a
\' enu-ée était ueja (lans les lois.


A la méme époque, le gouverneOlent levait un


(1) Font.. tnmeI, page 83~, au 157j.
La voie L1e hois ílott.é est est.imée uu écu : ainsi pou\" une pain' de


has de SOle on c\\t, achet é scpt voies de bois.
;'1) Font., lome n, \)a~e II\)G, an ,[.81.




144 IlOYA{]TI~ !\IODER~E.
droit d'octroi ason profit, aI'enn-ée des villes (1).
SOtiS Charles lX qui l'étahlit, il était de 5 sols par
muid de vin; Henri III le porta a 20 sols, il ahan-
donna mérne le produit des entrées dans Paris
au prévót des marchands pour payer les rentes
sur l'Hótel-de-Ville.


Dans les guerres religieuses, il y eut commc une
résurrection de la noblesse ; les grands, sous
eharles IX, Henri III et le commencement de
Henri IV, retrouvant un pouvoir perdu depuis
Louis XI, s'arrogent le droit de guerre; le duc
de Montpensier, prince du sang1 proposa mérne au
roi de donner aux gouverneurs des provinces la
propriété de leurs gouvernements, a la charge du
service militaire (')) : e'était le rétablissement des
fiefs, Mais I'autorité des grands seigneurs s'ap-
pnvai t sur un titre bien différent de celni des
vassaux. Coligny, Condé, le due de Guise n'fá,-
taient pas grands par eux-rnémes comme l'avaient
été le eomte de Champagne ou le dne de Norman-
die; toute lenr force était dans le partí dont ils
étaient les chefs , <1uand la discorde reli~iellse qui
les avait élevés au niveau de la rovauté s' affaissa,


íls se trouverertt sí petíts en sa présence, qu Yf.",
furent trop heureux de s'abriter derriére elle.


Pour bien apprécier le service que Henri IV a


(1) Font., tome 1I, pagc 1"7, an 1561.
lb., an 1581.
')) Er-onornics royales.




ROYAUTÉ :\IODERNE.


rcndu ¿. la Frailee, il Iaut se représcnter la situation
oú il la trouva. Le dernier Valois avait gaspil!é la
considération de la rovauté , comme il en a vait
épuisé la fortune; il avait justifié d'avance Son assas-
sin, en égorgeant le ducde Guise; il s'était avi[i aux
yeux de tous par le bigotisme et les débauches
qu'il associait. Les gucrres étrangéres ne peuvent se
comparer, pour les désastres, aux guerres civiles;
chaque ville renfermait deux partis toujours préts
aen venir aux mains. Dans toutes les provinces
s'étaient élevés quelques chefs qui ne reconnais-
saient I'autor ité rovale que de nom, mérne quand
ils suivaient son drapean (1). Lesdiguieres en
Dauphiné , Montmorcncv en Languedoc étaient
souverains, le reste du royaume appartenait a la
Ligue. Toutes les grandes villcs étaient catholi-
ques; Henri IV n'avait pour Iui que les protes-
tants relégués dans le midi de la France et quelques
seigneurs catholiques attachés asa fortune par des
liens douteux (2). Les faibles secours qu'il rece-
vait des protestants d' A llemagne et d'Élisabeth
ne pouvaient balancer l'influence el l'argent de


(1) Nous n'avons plus tant de gouvcrneurs qui font les roitelcts ,
el se vantent d'etrl' asscz fiches quand ils out uue toise de riviere a
leur commandcment, ... Les demy-roys de Bretaigne , de Languc-
clac, de Provence, de Lyonnois, de Bourgogne, de Champagne ,


Satire .Menippée, édit . de 1677, pages 253 et 257.
(2) SuUy rappcllc Ú Henri IV que les catholiques de san partí,


aprés la victoirc dIvry el le prernier siége de Paris, firent ce qu'ils
purent ponr I'empécher de s'emparcr de la capitale ,


Économies royales, tome VI.
10




ROYAETÉ !\IODERNE.


l)hilippe ll, le plus puissant monarqne de son
temps ; il avait ponr lui le droit public du royallI1H'
et un mérite reconnu, Ces avantages le soutin-
rent pendant quatre ans, mais ne lui donnérent
pas le royaume; la bataille d'Ivrv ne lui ouvrit
l)as une ville, il échoua devant Rouen et Paris.


Les deux religions qui se partageaient la 'Franco
avaient trop dardeur et de sincérité pour étre to-·
lérantes ; des que l'une d'elles avait en sa faveur
le gouvernement, la sécurité de I'autre était COI11-
promise. Il lui fallait des garanlies, un traité.
Dans le pays, il y avait deux puissauces rivales tou-
jours en guerre OH en négocia tion. Si lIenri 1Y
resté protestant eút obtenu des catholiques la re-
connaissance de son titre , il eút été obligé de leur
accorder les súretés qu'il donna aux protestants,
CeHe autorité ri vale, posée en face de la royauté ,
qui a gené la Franco dans tous ses mouvements
jusqu'a la prise de la Rochelle, eút été un embar-
fas bien plus grave si elle eüt pu compter sur
I'immense majoriré des Fraueais , la royauté d'un
roi protestant n'eút rien étl~ devant elle.


Henri IV prévit cctte difficnlté , il sentir qu'un
protestant ne pouvait étre roi d'un pays catholique.
Il abjura, et Sully, protestant, lui donna le conseil
de le faire. A peine son abjuration Cut-elle connue,
que tout se soumit avcc une rapidité qui tenait du
prodige. Plusieurs villes ne laissérent pas a leurs
gouvernenrs le temps de les vendre; cal' les




ROYAUTÉ l\JODERNE. f 47


bourgeois s'éraient dévoués au service de Ieur re-
ligion et non pas acelui des intéréts particuliers.


Henri IV se montra facile sur les conditions qu'il
accorda aux hommes, plus de 50,000,000 pas~,
sérent entre les mains des ligueurs (1); mais iI ne
voulurjamais traiter avec UD eorps avnnt, disait-tl ;
une tete et des jamhes.


Mayennese perdit par son hésitation : il attendit,
pour traiter avec le roi, que son pouvoir fút dé-
truit ; il fut trap heureux de ce que celui-ci voulut
hien Iui donner.


Cette guerre civile, terminée par des négociations
et non par une victoire, n'óta rien au POUVOiF dn
roi. Sa conversión avait désintéressé les intéréts
généraux. Restaient les avidités des particuliers;
elles furent satisfaites par des concessions d'avan-
tages momentanés; mais l'ídée de stipuler des ga-
ranties pour l'a venir ne vint á personne. L'espéce
de république protestante créée en France par l'é-
dit de Nantes était la seule opposition sérieuse;
Henri IV se tira de cette difficulté avec adresse.
Son principal ministre fut huguenot, el ce choix
lui servit acalmer les méfiances, Si les protestante
eussent pu redouter un prince qui, pendant vingt
ans, avait été leur chef, ils étaient s11r8 au moins


(1) Villars rccut , oulrc la clrarge J'amiral du gouvernement,
plusicurs abbayes , ',~()C),ooo Iivres de ce temps, un }len plus .lu
quart des gabelles.


Économics royales.




·ROYAUTH :\IODERl\ IL


que dans son conseil leurs réclamations seraient
entendues.


Henri, soit douceur de caractére, soit prudence,
n'usait de tout son pouvoir qu'a I'extrérnité.
Il semble qu'il ménagca I'autorité exercée l)al' les
grands seigneurs dans le passé , et qu'il se souvint
que ceux-ci avaient été au moins ses égaux; ainsi ,
ponr tirer Montmorency du Langucdoc, il le créa
connétable, et n'approcha jamais du Dauphiné oú
Lesdiguiéres était presque souverain. Cette extreme
prudence n'était pas nécessaire. Biron fut exécuté,
Sedan enlevé au due de Bouillon, sans que personne
osát remuer dans le rovaume. Mais les souvenirs de
la gueITe civile en imposaient. Richelieu donna a
la royauté la conscience de sa force, ala noblesse
ce1le de son impuissance ,


Les notables convoques aRouen POUf subvenir
aux nécessités du royaumc firent une demande
qui éveilla la susceptihilité de Henri IV : ils de-
mandérent que les impóts fussent divises en deux
parties : l'une destinée au paiement des charges el
administrée par un eonseil de Ieur choix, l'autre
laissée ala disposition du roi. tes circonstances ne
perrnettaient pas aeelui-ci de rejeter ectte ouver-
ture. Sully le tira de ce mauvais ras avec plus
d'adresse que de Iovauté : illui conseilla d'acceptcr
l'offre des notables en se réservant le choix des re-
venus (1). Les finances étaieut alors si pen connues,




ROYAUTf; l\IODEn~E. 149


quil fut facile de réserver an roi les impóts pro-
ductifs el de ne laisser au conseil que des parties
sans valeur, Le projet des notables n'était pas
praticable; s'il cut été adopté, une cornptahilité
réguliere n'eút pas été possible, cal' elle suppose
toujours I'unité, L'impót qu'rls proposaient, le
sou pour livre sur tous les marchés, s'il eút pu se
percevoir, cut paralysé tout commerce ettoute in-
dustrie : il était hcurcusement facilc de I'éluder,
et Henri IV put y renonccr en 1602. Les notables
oubliaient, en outre, que les premiers besoins d'un
Í~tat sont ceux du présent, et que le plus grand
malheur POUI' luí rr'est pas la banqueroute, mais
le suicide. Pour suffire ala guerre contre l'Espagne,
le roi n'avait pas trap de toutes ses ressources.
Quelqnes unes étaient déplorables ; on donnait aux
munitionnaircs de I'urrné« un office de trésorier en
paiement (1).


lIenri consulta pIutot sa colere qne sa prudence
en déclarant la guerre a l'Espagne. La prise d' A -
miens el les peines qu'il cut atrouver l'argent né-
cessaire pour reprendre cette place lui apprirent
que le royaume avait besoin de se renouveler daos
la paix, Quarante ans de guerre civile , de prodi-
galités" de détestable administration avaient dé-
truit tout ordre et tou te richesse; une grande partie
des revenus publics étaient entre les mains des
Gl'ands seigneurs. Les dcues prétendues montaient


. 1) i~('()n. roy., tome ll, rage 112.




150 ROYAUTÉ MODEHNIL


a296,000,000 liv. et le revenu total de l'État n 'était
que de 23,000,000 liv., sur lesquels 16 étaient
absorbes par les charges (1).


Les mémoires de Snllv sont une des révélations
les plus précieuses de I'ancien 1'éginle. Sa position
sous Henri IV lui a perrnis de tout voir ; sa dis-
grace, de tout dire.


SulIy voulut voir clair dans cet immeuse désor-
dre. D'aprés un état de lui , il parait qu'il se levait
sur la France 47,000,000 d'irnpóts, dont plus de la
moitié était absorbée par des aliénations (2). Comme
les revenus étaient inférieurs aux dépenses, et que,
sur la recette des ccmptables, on assignait plus qu'ils
ne pouvaient paver', ceux-ci faisaient un choix
dans les assignations des diverses années. Dans
l'inspection que Sully fit dans quatre généralités, il
sut tourner contre les receveurs eux-mémes eette
confusion; illes forca de payer comptant toutes les
assignations, et rassembla ainsi 500,000 écus.
Henri IV (3) jugea l'homrne par le résultat , et des
101's Sully eut seul le maniement réel des finances.


Sully, hornme de guerre, étranger aux íinances,
n'y apporta que l'amour de l'ordre et la probité :
ces deux choses suffirent ponr tout rétablir.


L'édit connu sous le norn de Paulet, son inven-
teur , a changé toutes les conditions de la maBis-


(1) Forb., lome J, page 2!J.
(2) NOllS Jonnerons ce détail un pt'lI plus has .
';;) i~C(lll. rny" lome VI,




lWYAUTE ~IODm:NE. 151


trature et de l'adminisu-arion. SlIlly ue Iut frappé
que du résultat linancier et ne vit pas les censé-
quences qui devaient en découler ,


Le role de la magistraturc dans les deux derniers
siécles a été si important, qu'au risque de nous ré-
péter nous a\lons rappeler les modifications qu'elle
asubies. Lorsqu'une procédure réguliére eut
remplacé le combat judiciaire, les trihunaux éprou-
vérent un changement analogue : les haillis reru-
placérent les vassaux dans les cours de justice.
Ainsi , deja le droit de juger ne dépendit plus de la
possession d'un fief. Les fjentilshommes ne furent
pa!'i exclus formcllement des tribunaux ; mais les
études que supposait la nouvelle jurisprudence
étaient incompatibles avec la profession des armes.
L'ordonnance de Louis XII, plus tard, celle de
l'Hópital, qui privérent les baillis d'épée de toute
juridiction , consacrérent cctte incompatibilité.
Comme alors l'administration n'était qu'un dé-
membrement du pouvoir iudieiaire, avec lequel
elle avait été longtemps confondue, elle tornha na-
turellement entre les mains des magistrats. Les
fonctions politiques qui ne touchaient pas d'une
maniere immédiate a la guerre furent enlevées a
la noblesse; elle ne fut plus tout dans l'État. Tou-
tefois la magistrature n' était qu'une profession
spéciale : elle Be formait pas encoré une classe dis-
tiucte dans la nation; elle n'obtint ce resultar flll'~
l'établissoment de l'hérédité des officcs.




15::l ROYAUTE ~IODEn:\E.
Les offices vendus depuis le commeucement du


XIVC siécle tendaient a devenir héréditaires , a se
confondre avec les autres propriétés ; ceci tenait
au prix mérne payé par l'acheteur. Toute vente est
un échange : pour que I'acquéreur ne Iút pas lesé,
il fallait qn'il recút un droit absolu , tel qu'il I'eút
acquis par un autre emploi de son argent; ce
u 'était pas une corruption oú les deux parties
connaissent les risques qu'elles courent, el oú
chacune d'elles se livre ala discrétion d'un mal-
honnéte homme , Ces ventes étaient publiques, au-
torisées paF fÉtat. Le principe de la vénalité des
offices coutenait I'hérédité (1); mais avant d'étre
admise, cette conséquence dut passer par diverses
gradatiol1s.


On trouve l'usage des survivanees SOU8 Frau-
eois lel' (2); elles furent d'abord défendues, puis
exploitées, L'édit de 1567 donna aux titulaires la
faculté de résigner moyennant le paiement d'une
somme d'argent. Celui de ¡568 étendit cette faveur
a la femme et aux enfants de l'officier. Il fallait
payer le tiers de la valeur de I'office. Ces deux
édits ne s'appliquaient qu'aux charges de Iinance ;
I'hérédité n'y apparaissait que déguisée. En 1580,


(1) Par une singllli(Te coutradiction, le Parlcmcnt cxigca de Ious
ses mcmbrcs, .iusllll'rn 15¡HJ, le sermcn t qu'i l, u'nvuicnt Pd" achcté
Icur ofiice. L'argcnt donné au roí ú chaquc mutat ion se lkgni,ait
:-UI1S le nom de {J1't!l.


Lov scau , des Officcs, chapit.re l.
\2) ront.;. torne 1, I'a~" 1!)GO. :m I:.Í!
¡bid. l"lge .si z .




RULlUTE -'IUDEH"E. 153


on la déharrnssa de tout nuage; cerrains officcs, les
greffes, furent déclarés héréditaires (1). Cett«
breche ouverte , tous les autres s'y précipitérent.
Divers édits créérent une survivance génél'ale pour
tous les offieiers qui paieraient une sornme pro-
portionnelle au prix de leur office (2). Il Yeut des
réclamations , et Henri IV, en 1 5g8, d'aprés l'avis
des notables, abolit toutes les survivances (3);
mais I'édit de 1604 (4) , rendu, dit le préambule,
sur la demande de plusieurs magistrats , rejera
toutes les restrictions.


Si 1'on n'avait égard qu'aux termes de I'édit ,
on n 'y trouverait pas cette portée; il sernble que
son but unique ait été de dispenser les titulaires
d'une eondition qui leur était imposée. Pour ren-
tire leur résignation valable, il fallait qu'ils sur-
vécussent quarante jours. Ceux qui payaient au roí
le soixantiéme du prix de leur offiee échappaient
a cette nécessité. Mais I'édit fut interpreté dans un
sens plus étendu ; le paiernent du soixantiéme
donna a ton s les titulaires la disposition pleine et
entiére de leurs oílices. Le roí et la magistraturc
furent également portés acette extension de l'édit;
le roi a cause des rcvenus qu'il en retirait , le ma-
gistrat dans son intérét. Un olfice de conseiller au


(1) Loyscau, de~ Ollicc,;, Iivrc II, chal" VIII.
(?,) Font., }lage 57'¡.
(3) FOI1t., page 57''>'
',.í' 1 ovsca u .




UOYAtITE MOl)ER~E.


Parlement était une propriété valaut 60,000 liv.,
150,000 de notre monnaie (1). La. verccl)tion de
ce droit avait été aflermée á Paulet l'inventeur, pour
2,026,000 liv, en six ans, plus de 5,000,000 liv, (2).
Personne ne s'apercevait de la révolution qui al-
\ait s'olJércl' dans \'État : jusqu'alors \a noblesse
avait été la seule limite contre le despotisme ; elle
seule avait une existence indépendante, un pouvoir
qu'elle ne tenait de personne; mais cette force lui
échappait. Les magistrats qui avaient taut contri-
bué a la lui enlever venaient la remplacer : tant
qu'ils n'avaient été que les délégués de l'autorité
royale, ils n'avaient pu opposer aux prétentions
de la cour une résistance sérieuse ; mais lorsqu'en
fait ils durent leur autorité , non pas seu\ement a
I'institution royale, mais al'hérédité OH a l'achat,
le changement dans le titre en fit un dans leur
eonduite. Au moyen-áge, tous les pouvoirs de la
soeiété, le droit de guerre, celui de justiee étaient
dcvenus des propriétés de famille; les gentilshom-
mes ne conservérent que les armes. Entre eux et
le peuple s'éleva une classe interrnédiaire, chez la-
quelle le pouvoir judiciaire passait du pére aux
enfants. Il y eut done en France deux aristocraties
revétues de pouvoirs divers et rivales l'une de I'au-
treo C'est depuis lors que les parlernents out pris
toutc len!' importance ; avant IIcnri IV, ils u'a-


ti J Loy scau, de, Oflicc".
I,./.\ Foutn non ,




155


vaient jamnis été consultés sur la rt:!jence: les prin-
cesdu sang, ou les États générall.llx en avaient
seuls disposé dans les trois minorités qui se succé-
dérent durant un siécle (1). Au xvrr siécle, le Par-
lernent fnt seul juge de cette grande question poli-
tique; 11 cassa meme les testaments de deux rois.
Sans l'autorité et I'indépendance des parlements ,
la monarchie fraucaise, a lIX xvrr' et XVIIl e siécles ,


. .


eút été despotique; leur résistance , fondée non
sur une loi préeise, mais sur le sentiment national,
arrétait les entreprises violentes. Dépouiller un
conseiller du Parlement de sa charge eüt été un
acte si odieux, qu'il eút soulevé l'indignation
universelle. Trop de gens étaient intéressés au
maintien de l'usage; et les officiers forrnaient un
eorps solidaire les uns des autres.


La magistratura n'avait pas seule eu part acette
hérédité; les comptabJes, les receveurs n'étaient
plusdans la dépendance du gouvernemenl. U ne telle
situation était une entrave a toute ad ministration
réguliére; il en résuIta que le systéme de la fermc
fut partout substitué acelui de la régie : la Ierrne ,
commc HOUS l'avons vu, est ancienne en Franee ,
et nous en trouvons plusieurs excmples. Mais les
baux avaient toujours été divises et n'avaient com-
pris que certaines Ioealités ou eertains impóts,
Sully le prernier allerma les gabellesJ en 1598 (2);


(1) De Cllarles VI, Charles VIII ct Ch.ulcs IX
('2) Fonl., tome JI, pap,l' 1101l,
n.: fume IV, page lID:).




156 nOYAUTE )lODEHNE.


en 1604, tous les droits d'elltl'ées de traite, tous
les droits d'aides. II est évident que cette forme
nouvelle était la plus favorable al'accroissement
du revenu. Un traitant est plus vigilant sur son
intérét qu'un fonctionnaire sur celui du gouver-
nement; mais e'était le peup\e qui pa-yait les írais
de cette activité : il luí fallait, outre l'impót pri-
mitif, payer les hénéfices considerables du ferrnier,
les gages des anciens oílicíers qui furent conservés.
Pour augmenter le prix du bail, le roí vendait la
justice : ainsi , par exemple, il promet aJousse (1) 1
adjudicataire des gabelles, de lui accorder toutes
les évocations qu'il dernandera. Il ne faut pas ou-
blier que la gloire de Sully est plutót dans l'ordre
et la régularité mis dans les Imances que dans des
reformes : il étai t jaloux d'augmenter les revenus
du roi ~ mais n'en supprimait aucun. Aussi la
douane de Vienne avait éré étahlie pendant les
guerres, sur les marchandises qui remontaient le
Rhóne; cette perception improvisée continua; ce-
pendant il n'était pas dépourvu d'humanité ~
« Tout cela serait bon , disait-il a la marq uise de
»Verneuil, si Sa l\fajesté prenait l'argent en sa
J, bourse l\1archands, artisans , Iahoureurs
» étant ceux qui nourrissent le roi el nous tous ,
» et se contentent bien d'un seul maitrc sans a voir
» tant de cousins , de muiu-esses aenlretrnir(2).»


: 1) Bail des gabelles,
FOIl t", tome 11, pagc 1 l (1(\{-< El on.unics rov alcs ,




ROL\Un: MODEH;IlE.


Sully avait commeneé par rerneure au peuple
20,000,000 d'arriérés dus sur les tailles, c'était une
mesure de hon sens : il était impossible que le
peuple sufllt ala fois, et aux eontributions passées el
aux préseutes, el il lui éparguait ainsi les vexations
des colleeteurs saus diminuer le revenu du roi.
Le bon scns est peut-étre le trait distinetif de son
caractére, Une des raisons qu'il donne centre
l'établissement des manufactures de soie est celle
que tous les économistes ont alléguée depuis lui :
Chaque province, dit-il, a certaines denrées spé-
ciales, el la Providence a permis ceue diversité
ponr entretenir la sacié té humaine (1). Malgré
son antipathie pour les gens d'affaires, il ne fut
pas partisan de la chambre ardente ou, disait-il,
on natteindra que des Iarronueaux. Il fit une re-
cherche sur les rentes, qui fut plus productivo,
puisqu'elle diminua les charges de 6,000,000 ;
eeUe opération était rigoureuse; mais si l'onré-
fléchit comment la fortune publique avait été dila-
pidée, eomment des rentes avaient été achetées
ponr des crceuces dccriécs, elle sera justifiée.


Tel fut le bon effet de eette probité dans les
affaires, que les gabelles de Franee en 1604 fu-
rent affermées 4,100,000 francs (2), plus de
10,000,000 franes de notre monnaie; elles n'a-
vaient rendu , en 1 5g8, que 3,330,000 francs. En


(1) l~conomics royules , tome v, }lagc 66.
('2) Fon t • , tome H,1)age 11'26.
SlIlIJ dil II,ÜUO,ooo \incs.




158 ROYAUTÉ I\JODERNE.


général, Sully préférait augmenter I'impót sur le
sel et dirninuer la taille. La taille ne pesait que
sur le peuple, la gabelle était peN¡ue sur tout le
monde; mais ainsi s'accroissait l'inégalité entre
les provinces.


Dans les douze années qui séparent la paix de
Vervins, de la mort de Henri IV, ce qui se 6t passe
toute croyance. Nous avons vu quel érait l'état
des finances au cornmencement de ce regne; il
n'entrait pas-dans les coffres du Trésor plus de
7,000,000. Malgré l'état militaire légué par la
guerre civile, l'expédition de Savoie, le paiement
des traités de la Ligue, le revenu net du Trésor
s'éleva a 20,000,000. Les charges et diminutions
étaient de 6,000,000; 41,000,000 d'avance, dont
25 comptant (1), étaient préparés pour servir le
projet . de Henri IV. Certes, un pareil résultat
obtenu sans que les impóts fussent augmentés (2)
est le plus grand éloge du prince et du ministre.
00 a blámé cette somme enorme, ensevelie ala
Bastille; dans un temps ou l'usage du crédit était
inconnu, le grand projet de Henri IV, sans cette
reserve, ne se fút jamais exécuté. Quelques histo-
riens ont revoqué en doute la réalité de ce projet,
rnais elle ressort partout de la leeture des éeono-
mies royales; tout était prévu, arrété dans les com-
binaisons de! Henri IV, el lorsqu'on SOI:fJc que la


" 1) Plus exactemcut, 41 ,34[),oOO liv .• dont 23'/160,000 comptant .
(2) La t.rill e, qui , en ISBn, étaÍl de I6,226,47 g liv ., n\:tait plus, en


¡Gog, qi¡<; de 14,:J.95,000 Iivres




·nov AUTE :HODER:'\ E. 159


plupart de ses idees se sont réalisées, que la ma ison
d'Autriehe a ét{~ coulinée dans le conLinent des
Espagnes, lindépendaucc de la Hollande recon-
nue, que les principales religions de I'Europe ont
été réduites aux trois divisions principales, on
ne ·peut se défendre d'admirer une vue si pro-
fonde de I'avenir.


A I'intérieur, Sullyavait pensé aunir le Rhóne,
la Saóne, la Loire et la Seine (1;; il a fallu deux
siécles ponI' que cette eommunication, oú Sully
vovait un accroissernent de riehesse et une }'es-
source pour le revenu public, fút achevée.


Nous pouvons, graee aux économies royales, dr-
river a une évaluation plus precise des impóts
payes en France (2). Sully évalue les sommes
Ievées au eompte du roi, a.. . .. 47,000,000
les sommes per~ues par la ville, a.. 8,000,000


12,000,,000


4,500,000


1,600,000


73, 10 0, 00 0


la dime. . . . . • . . . • . . . . .
les décimes payés au roi par, le clergé.
le (3) produit des taxes sur les oflices.
-----~


C'est 200,000,000 de notre monnaie.
Ces impóts étaient payés par une population de


J 3 a J 4,000,000 d'habitants; I'impót se serait done
élevéaplus de 14 livres par tete. Si ron a égard au


(1) ~:conom. royales, tome V. page 66.
l'2) Voir aux Pieccs justificatives .
(3) Nous avons pris, au lieu dn chiffre donné par Sully, chiflre


l-vidernment exagén~, cclui qui fut presenté aux Etats de 1614. Le
mérne document n'évalllc les SOIYlIYlCS levées au nom du roí, en
Fra n r e, qll"u :3G,¡}'26,6})R liv, Etats généraux, tome XVIII, page 2! '2.
Le lectcur yerra dans la note suivante pourquoi n cus avon s préféré
l'a utorité de Sul lv ,




160 IWYAljn~ JIODER~lL


prix du blé qui était alors a21 livres le setier, et qui
est aujourd'hui a 31 franes, 011 aura le chiffre de
20 francs par tete (1); mais il s'en fallait d,c beau-
eoup que le sacrifice exigé de chaque Francais se
rapprochát également de eette moyenne. Les aídes,
les gabeUes, les droits de traite pe~us dans eer-
taines provinces, inconnus dans les autres, don-
naient achaque partie du territoire une condition
diflérente. La Normandie, par cxemple, payait, en
impóts directs, 2,028,343 livres sur 10;000,000,
c'est ádire a. peuprés le cinquiéme (~); la Breta-
gne, au contraire , ne payait que 289,000 francs,
c'est a dire un trente-quatr'ieme. La Normanclie
eomptait eependant moins dhabitants que la Bre-
tagne; la premiere province était , en outre , sou-
mise aux aides, aux gabelles dont la Bretagne
était exempte.


La gabelle et la taille formaient la plus grande
partie du revenu public : la richesse n'était pas
assez grande pour qu'on put l' a tteindre sous des
formes multipliées ; plusieurs de nos irnpóts les
plus produetifs n'étaient mérne pas soupconnés.


(1) Nous ri'avons ras en la prétention de donucr un résult at
tl'une préeision absolue ; les document s ne sont ni asscz cluirsni ¡¡~­
sez nombreux pour n011s le permettre. Nous mettons nos a utorite»
SOtlS les yeux. du Iecteur , c'cst ú Iui de .iuger si elles sont assez cer-
taines ; cepen dant nous devons le prémunir co nt.re une contradic-
tidn qui le frapp era dans les économics royales, et qui est plus ap-
parente que réclle. Sully, dans deux pas sagcs cites par nous, évalue
la taille a 16,000,000 et ú 20,000.000. Il est probable qtW, dans cettc
derniere sornme, il a compris le salaire des collccteurs, divers droits
alloués aux receveurs, qUJ, ponr n e pas entrer dans les coffres du
Trésor, n'étaient pas moins p:lvés pal' le eontribuablc . On peut en
dire autant des gabelles. -


(2) Forb., pages 110 et 112.
JI u'est ici quest ion que du nrodnit 1':1'1.




CHAPITRE V.


La régence décernée par le Parlement.- Etats de 1614.--
Discorde entre les trois ordres. - La noblesse demande
la suppression de la paulette. - Les officiers de justice
députés du Tiers. - Leur opposition contre le clergé ,
contre la noblesse. - Sagesse de leurs vceux.- Ils sont
inutiles.- Publication du code Michaud. - Répression
des duels.-Indépendance des gouverneurs.-Richelieu
détruit le pouvoir des grands.-Celui des protestants.-
OPPOSitiOIl de la magistrature. - Administration de Ri-
chelieu, - II crée la marine, les intendances. - Des fi-
nances a son avenement et a sa 1110rt. - De la Fronde.
- Autorité du Parlement. - Dilapidation de la fortune
publique. - Opposition du Parlement. - Premiere
émeute . - Déclaration du 22 octobre. - Guerre civile.
-l,'orce apparente de la Fronde. - Sa faiblesse réelle.
---Vues intéressées des chefs.- Fins des troubles,


Pendant la prerniére moitié du xvn" siécle , se
sont constituées la société et la monarchie que Iaré-
voluiion de 1789 a trouvées debout; le vieil édificc
féodal fut renversé , et ses débris n 'eurent plus que
la force d'un préjugé. La bourgeoisie eut sa voix
dans les conseils du gouvernement, eL, sous
Louis XIV, cette voix fut méme prépondérante; la
noblesse et le tiers-État firent partie d'une méme
nation , et bientót les diífércnces entre les deux


11




f 62 J)ER~IÉRES LUTTES CONTRE L'AUT. ROYALE.
ordres se nivelérent sous une obéissance commune.


Il n'y a point de gouvernenlent sans opposition ~
sans une espéce de tribunat; c'est quelquefois une
insurrection militaire , une conspiration de palais ;
mais qu'il ait lieu en vertu de la loi ou malgré elle,
on le retrouve partout, Le moven-ñge n'avait trouvé
contre I'oppression d'autre ressource que la vio-
lence : il l'avait légitimée et en avait fait un droit.
La rébellion, tradition affaiblie du droit de guerre,
fut l'obstacle que Richelieu et Mazarin eurent ~I
combaure ; mais, an rnoment mérne oú 1'insurrec-
tion militaire allait échapper aux Gentilshommes,
les parlements se saisissaient de la résistance j udi-
..


ciaire.
Le role politique de la magistrature remonte un


commencement du xvu- siécle; e' est aussi l'époque
de l'affranchissement déíiuiti f du tiers-État. Les
mdgistrals formaient une classe inlermédiaire qui
touchait au tiers-État par l'origine de la plupart
de ses membres, a la noblesse par ses fonctions et
ses priviléges.


En un demi-siécle , linflucncc politique s'était
déplacée. Catherine de Médicis avait dú la ré-
gence au consentement des princes du sang; Marie
l' obtint par un arrét, Quelques partisans de l' au-
torité rovale dirent bien (Ille les maaistrats n "avaient


• o


fait que conlirmcr le choix de Ilcnri IV; mais ces
distinctions subtiles ne satisfont que ceux qui les
inventent. Aux ycux de tous , le Parlemenr avait




DERNlimES LUTTES (ONTRE L' ALJT. ROYAU';' 163


décerné la régence: ce précédent devint un droit
sous ton tes les minorités.


Nous ne voulons pas ici retracer l'histoire de la
régence, de ces guel'res nées de motifs égo'istes,
soutenues avec mollesse, oú reparut pour un mo-
ment une aristocratie sans racines que Richelieu
rejera violernment dans le passé. Il n'y avait plus,
eomme au temps des Guise, un intérét général ponr
nourrir la guerre; les prétentions isolées de quel-
ques grands seigneurs qui se disputaient, les armes
~l la main, la fa veur du maitre, comme leurs aieux
avaient disputé les provinees du royaume, lais-
saient le peuple froid et tranquille.


La convocation des États de 1614 ne produisit
aucun résultat sérieux, mais elle mérito d' étre re-
marquée comme le dernier exemple de ces assem-
blées féodales en France; elle avait été demaudéc
par les princes armés, el accordée par la cour (1).


La division éclata entre les trois ordres; la no-
hlesse et le tiers-État surtout ne purent s' entendre
dans leurs demandes. Une circonstanee particu-
liére donna ala rivalité quelque ehose de plus vif;
presque tous les députés du tiers-État étaient pour-
vus d'office de judicature. Les gentilshommes
voyaient avec jalousie s' élever cette noblessc nou-
velle, eornme elle s'appelait déja. Les ennemis na-
turels de toute aristocratie sont ceux qui s'appro-
chent le plus d'plle.




164 DERNlimEs LUTTES CO~TRE r, 'AUT. ROYALTL
La paulette avait introduit dans rÉlat un nonvel


ordre de personnes : les privilégiés par acquisition
a coté des privilégiés de naissance. Tout ce qui,
dans le tiers-Ét3t, avait des capitaux , de l'i~telli­
gence, s' empressait de venir jouir de la considération
attachée aI'oisiveté ,


Ce recrutement graduel de la noblesse est peut-
étre une des causes qui ont maintenu l'aristocratie
en France. La portion la plus éclairée de la bour-
geoisie eút été son ennemie déclarée , si elle n'eút
pu acheter les mémes avantages. En 1626 (1), les
officiers étaient assez uomhreux pour que le ca-
pital de leurs charges s'élevát a 500,000,000 liv.,
deue énorme que l'État acquittait en argent. et en
priviJéges.


L'ordre de la noblesse demanda I'abolition de la
paulette et engagf-'a (2) le liers-j~lat ase joindre ~I
lui; celui-ci n'osa pas s' opposer formellement ala
reforme d'un abus aussi eriant; mais il ne voulut
jamais isoler sa demande de deux propositions qu'il
faisait en mérne temps, la réduction des tailles et
la suppression des pensions : e' était blesser les
genlilshommes a l'endroit sensible. Ils jouissaient
presque seuls des faveurs de la eour. La régente,
qui achetait eeux qu'elle ne pouvait eontenir, avait
élevé le chiffre des pensions a6,000,000 liv.: elles
ne s'élevaient qu'a 2,000,000 Iiv. 5011S Henri IV.


(1) Forhonnais, lome 1, page 187'
('2) Í~lats g(:núallx, torne X VII, passim .




DEIC\limEs LITTU:S CO~TllE L'.UiT. IlOL\LE. lG5


Le tiers-État fuisait , en outre, ohserver que la
vénalité des charges était un plus grand mal que
l'hérédité. Pendant qu'on agitait l'abolition de la
paulctte , des banquiers offrirent 2,000,000 liv. du
hail des parties casuelles ; il valait encore mieux
faire des offices un héritage qu'une marchandise
a l' encano Un moment, la paulette fut ótée; les
chilrges de judicature furent données ades che-
vau-légersf 1). Le Parlement seconda les députés;
il Yétait intéressé comme eux.


l\lalgré la réclarnation de la noblesse, rien ne
fut ehangé, la cour ne voulait pas sacrifier les
1,600,000 liv. que lu i produisait cet impót , les
priviléges des officiers s'étendirent , et bientót la
robe anohlit plus vite que I'épée.


La prépondérance des officiers de justice dans le
tiers-État se trahit également dans leur démélé
avec le clergé; ils voulurent, dans le prernier ar-
tic1e de leur cahier (2), déclarer que lessujets du
roi ne pouvaient , pour aucune cause, étre dégagé~
de leur obéissance. Le clergé soutenait que e' était
un point de doctrine sur lequel un concile seul
pouvait prononcer. La cour arréta cette dis-
cussion, ou le I'arlernent se déclara ponr le
tiers-État. CeHe opposition de la magistrature
centre le clergé a commencé et a fini avec elle:
depuis 'Pierre de Cugnieres, au XIVe siécle, jusqu'a


(1) t~tat~ généraux, lome XVIII, page 2UI.
(el I É tat s généraux, tome XVII) page 110.




166 DER,"IERES I.UTTES CO:-\TRE ),'AUT. nOy.<\LE.


La Chalotais, au XVIII", cet esprit ne s'est pas dé-
menti,


Les vceux dn tiers-État furent presque tous sa-
Ges (1); il demanda que les corvées fussent abolies,
que les bureaux de I'imposition foraine fussent re-
portes a la frontiére réelle du royaume. Parmi les
provinces privilégiées, la Bourgogne seule consentit
ñcette reforme. Les Élats Généraux, en France, ont
presque toujours été inutiles, paree qu'ils étaient
impuissants : ils exposaient les abus dans leurs
remontrances sans pouvoir les corriger (2).


Cependant iIs embarrassaient la cour tant qu'ils
étaient assemblés ; cel1e-ci fut obligée de leur com-
muniquer l'état des finances et de leur dévoiler
tout le désordre qui avait remplacé l'administra-
tion de Sul1y. En trois ans, le Trésor laissé par
Henri IV a vait été dévoré , la dépense surpassait la
recette de 3,000,000 livres.


Mais, des que le cahier des États fut présenté au
roi , la cour ne chercha qu 'ñ secouer leur controle;
on fit mérne ce qui a été essayé en 1789 avec une
fortune si diverse (3). Ondémeubla la salle des séan-
ces pour empécher les assemblées, Les plaintes sur
l'état du peuple (4), les conseils sur l'administra-


(1) I~tats généraux, tome XVIII, page IG.
(2) Les députés du ticrs-État délihéraient. par gounrncment : la


proposition de votcr par hailliage fut mérao rcjet ée , Aiusi, en 1789,
ji fal lut renonccr Ú invoqucr les précéden I s .
(:~) i:tats g~nérallx, tome XVIII, page 118.
Ul) Le pauvre pcuplc travaille inccssamment , uc partlollnafll ni ,!




DERNIEHES LUTT.ES coxrns I.'AUT. lWVALE. 167


tion furent oubliés ; ji y cut encare sous ce regne,
en 1617 et en 1626, deux assemblées de notables;
mais leur autorité était encare plus incertaine que
ceHe des États : memhres des parlernents, ou gens
d 'épée , les nota bles étaient choisis par le gou ver-
nement : ils ne pouvaient lui donner que des con-
seils.


Les usages et les institutions du moven-áge
disparaissaient successivement. Les États géné-
raux ne furent plus convoqués depuis lGlií-; en
1629, fut publiée la derniére de ces grandes orden-
nances qui crnbrassaient a la fois les aflaires
ecclésiastiques , les finances, l'armée , la justice.
Les travaux législatifs sous Louis XIV, rédigés dans
un ordre plus méthodique , ne portérent que sur
des matiéres spéciales. Comme, en un demi-siécle,
le pouvoir absolu était devenu le príncipe légal,
la décision des choses administratives fut enlevée
a la loi el laissée a la volonté du prince. Celui-ci
ne voulut plus mettre personne dans sa confidence,


son corps, ni quasi a son ame, c'est adire a sa vie, pour nourrir I'u-
n iversel du royaumc; il se rcnd quasi médiateur de la vie quc Dicu
nous donnc, et de son travail il nc Iui reste que la SUCUl' et la mi-
serc : ce qui lui dcmeurc de plus présent s'emploie a I'acquit des
taillesde la gahcll~ et des aides .... Si V.l\1. n'y pourvoit, il estú
craindrc quc le désespoir nc fusse connaitre au pauvre pCllple que le
soldat ncst autre eh ose qu'un paysan portant les armes, que quand
le vigneron aura pris I'arquchuse, d'enclume qu'il cst il ne dcvicnne
marteau.


Itcmontrauce de Miren, présidcnt <.111 tier:;··l~lat.
¡h,'d., torne XYII, pagc !l'L




168 DER-"IERES i.urrss CO-"TRE L'AUT. ROYALE.


ni se prescrire des regles qui, respectées , I'eussenr
entravé ; violées, l'eussent embarrassé aux yeux
du public.


Le principe féodal, la souverainté individuelle,
était poursuivi dans ses derniéres conséquenees.
C'est .dans le droit de guerre plutót que daos le
combat judiciaire qu'il faut ehereher l'origine du
duel. Les gages de bataille étaient tout simplement
une preuve, comme l'avaient été les épreuves de
l'eau bouillante et da feu; ils étaient a l'usage du
roturier enrome du noble. Le droit de guerre, au
contraire I n'appartenait qu'aux gentilshommes.
L'usage des seconds tenait a cette solidarité entre
les parents et les amis qui les entrainait, au moyen-
age, daos des querelles auxquelles ils étaient étran-
gers. Au xvir siécle , les rois eurent autant de
peine aproserire le dnel que leurs prédécesseurs
du XIVe siécle en a vaient eu adéfendre les gllerres
privées : c'était au fond le méme principe; le droit
de se faire justice soi-méme, Il était done naturel
a Louis XIV et aRiehelieu qui, daos le royaumc,
voulaient que tout dépendit du roí (1), de vouloir
renverser eette autorité, ee droit de vie et de mort
usurpé par des particuliers,


(:1) Quand Richelieu fit exécnter Boutcv ille et Dcschapellcs, il
lJ 'avait contro eu x aucune animosité pcrsonnellc; iI donne mém e
deséloges a leur valeur , Il faut avouer qne Boutevillc avait largc-
ment ahusé de la longnnimite du ¡:;ouvcrnement : il s'était battu
vingt-dellx fois, Son dernier comba! avait eu lieu ~\ la Place-Boj-ale


Mém. de Richel ieu, tome IlI.




II semble qu'une cause cachée ramenát sans
cesse la Frunce vers la féodalité : les gouvernements
de provinces tendaient a devenir la propriété de
certaiues familles, comme les comtés avaient fait
sous les successeurs de Charlemagne. Le Langue-
doc.par exemple, était depuis soixante ans le patei-
moinedes lVIontmorency; les habitants connaissaient
apeine le nom du roi, et le dernier due avait levé
en dix ans 22,000,000 liv. sur ses senles ordon-
nances (1); nous ne pouvons mieuxdécrire l'état
dans lequel Richelieu trouva la Franco ,qu'en
transcri vant ses propres paroles: ( Lorsque Votre
» l\1ajesté se résolut de me donner en mérne temps
» el l'entrée de ses eonseils, et une grande
1) part en sa confiance pour la direction de ses
» aflaires , je puis dire avec véri té que les hugue-
» nots partageaient l'État avec elle; que les grands
» se conduisaient comme s'ils n'avaicnt pas été
» sujets, el les plus puissants gouverneurs de
» province, comrne s'ils eussent été souverains
» en leurs charges. Je puis dire que chacun me-
» surait son merite par son audace (2). »


Hichelieu se rendait compte de la tache quil
s'était imposée, il l'a aceomplie avec une prudence
el. un esprit d'a-propos plus admirables encore que
son audace.


11 n'attaqua pas d'abord ouvertement Mont-


(1) Mém. de Rich., tome VII, page 2~,d.
(2) Test. polit . chap . l.




-170 DEuNlimEs LUTTES CO~TRE L'AUT. ROYALE.
morency; u essaya d'introduire dans le Langue-
doc les élus offieiers du roi pour balancer
le pouvoir du gouverneur; que ee fút son
but , il est aisé de s' en convaincre par la ma-
niere différente dont il traita la Bourgogne. Il
s'opposa a la eréation des élus dans ce pays oú il
y avait des États eomme en Languedoe, mais oú
l'autorité du roi était sans rivale. L'imprudenee de
Montmorency pris les armes a la main le délivra
de tous ces ménagements; il fut j ugé et eut la téte
tranehée. Il envova dans le Midi des maitres de


. .


requétes, qui firent exécuter plusieurs gentils-
hommes et démolir leurs cháteaux (1 J. Il arrivait
ainsi ason but qui était de raser toutes les places
qui n:étaient pasfrontiéres (2)',· iI avait de méme
profité de la défaite des huguenots pour démolir
les fortifications de Ieurs villes, Trente-huir places
Iurent rasées aprés la prise de la Rochelle (3).


La république protestante, constituée en Franee
par I'édit de Nantes, fut alors détruite; nous ne
nous étendrons pas davantage sur ce sujet; nous
nous bornerons a faire remarquer que, de toutes
les gnerres civiles de ce regne, la guerre entre-
prise dans un intérét général fut la seule sérieuse ,
la seule dont le chef se soit fait un nom ; les
petites causes n'engendrent que de petits effets.


(1) :\Iém. deHicb.,tOlIlC VII, pdgC ;1;Jo.
:~) ,\lém. (1(' Ridl., tome 1V, pagc 2/18.


(:l) :\11'1l1. de Rich., tome 1\", pagc 'fR8.




DEH:'\I ¡mES LUTTJ~S CO~TRE L'AUTo ilOYAf"E. 171
Rohan, malgré S3 défaite, est toujours appelé le
granel Rohan (1) par les écrivains du siécle de
Louis XIV; ils sentaient vaguement qu'i! u'y avait
plus de place pour ces hommes dont la puissance
ne Y~ait pas de la royauté.


Entre Richelicu et ses ennemis, c'était une
guerre a mort; iI eut mérne presque toujours I'ha-
hilete de meltre les torts du coté de ses adversaires :
centre Chalais, la Reine-Mere, Marillac, Cinq-1\lal's,
il ne fit que se défendre ; il opposait I' échafaud a
I'assassinat. Relz, par exemple, nous raconte une
entreprise qui u'allait a rien moins qu'á faire
égorgel' le cardinal; le scrupule qu'éveilla chez
1ni le meurtre d'un prétre et la maniere dont La
Rochcpot le dissipe méritent d'étre rapportés.
« Quand vous irez ala guerre, lui dit celui-ci, vous
n'enleverez pas de quartier de peur d'y assassiner
des gens endorrnis. » Le gouvernelnent avait en-
couragé par son exemple ces moyens atroces.
L'assassinat de Guise, celui de Concini ne furent
pas aussi odíeux qu'ils nous le semblent aujour-
d'hui; cette férocité, cette promptitude de l'épée
étaient le fruit de la politique de Machiavel intro-
duite par Médicis. Sur le sol militaire de la Frunce,
elle produisit ds assassinats et non des empoison-
nements. Quant aRichclieu, il nc frappa jamais
dans l'ombre.




172 nnuxrsaes LUTTES CO~TRE L'ACL IWY.\LE.


La magistrature , sous lui, n'abdiqua pas son
opposition ; elle protesta contre les jugemerits par
cornmissaires, entre autres contre la Commission
qui jugea Mariilac (1). Tantót le roi faisait venir
les rnagistrats a Metz (2), et prenait plaisir a voir
ces robes longues a la suite de la cour, tantót il
les maltraitait de paroles et leur disait qu'ils étaient.
des impudents (3); mais, en certaines occasions, le
gouvernement autorisait leur résistance. Porter
au Parlement les diverses déclaratious contre
Monsienr et ses partisans (/~), cornme on le fit
plusieurs fois, n'était-ce pas avouer que les ma-
gistrats étaient chargés d'autre chose que d'cui-
ministrer la [ustice entre le tiers el le quart (5);
en un mot, qu'ils étaient un eorps politique (6)?
Richelieu le sentait bien, aussi voulait-il suppri-
mer la paulette et moderer les compagnies qui ,
par une pretendue souverainete, s-'opposaient tous
les [ours ate bien du. royaume (7)'


La politique de Richelieu a rejeté dans l'ombre
son administration; il a cependant préparé tout ce
qui s'est fait sous Louis XIV. La marine royale
était si Iaible quand il prit la direction des affaires,


(1) Mém. de Richo, tome VII, page 71.
(2) lUém. de Bicho, tome VlT, pngeGo.
(3) Mérn, de nich., tome X, page 190.
(4) Mém , de Rich . , tome VIII, l1age 4 o
(5) Paro/es du 1'01 au Parjernent .
',G) :\lém. de Rich , , tome VI, page 48:3.
'i) "l¿m o de Ric1J., tOIl1Q 1V, p!lgP. :.z18.




DERNIERES Ll]TTES Cü'HRE L'AVT. nOYAL~. 17::\
qu'en 1625 la Iloue de la Rochellc (1) s'empara


des vaisseaux du roí; il fallut, pour trouver des
bñtuuents, en emprunler aux Ifollandais et aux
Anglais. Richelieu sentait vivernent toute l'im-
portance d'une marine militaire; le code Michaud
nous revele ce qu'i] fit pour ene; il ordonna que
le roi eút tonjours dans ses ports cinquante vais-
seaux de quatre a cinq cents tonneaux, prescrivit
le recensement de tous les rnarins (2) et de tous
les bátiments; abolit le droit de bris sur les nau-
fragés, enfin il intcrdit aux justices seigneuriales
la connaissance des causes oú le comrnerce mari-
time serait intéressé.


La méme ordonnance essaya d'introduire dans
l'armée de terre l'ordre et la discipline: entre
I'intérét des gens de guerre et celui du peuple;
Ríchelieu se décida pour le dernier ) il ne redoutait
pas ceux aqui Dieu sernhle avoir plut6t donné des
bras pourgagner leur »ie que pourse defendre (5).


Avant Iui, I'autorité royale était obligée de se
servir d'agents presque indépendants : elle s'exer-
<;ait au sommet et ala base par des officiers pro-
priétaires de leurs charges. Il supprima les charges
de connétable el d'amiral qui ne recormaissaieut
d'autre supérieur que le roí (4).


(1) Mém. de Rich., tome JI, pagc 415.
(2) C'cst done J~ J'origine de I'inscription maritime .


(3) Test. Polit.
(-~) 1\Ié01. c1cRich., t orne Lílj page e r a .




174 DERNIERES tUTTES CONTRE J.' AUT. ROYAI,E.


L'admi nistra tion proprement dite, la perception
des írnpóts étaient dirigées par les trésoriers de
France (1). Riche\icu se contenta de lenr laisser
I'ombre du pouvoir en leur en ótant le solide. Il
créa dans chaque généralité un intendant (2) : les
trésoriers n'eurent plus qu'une voix consultative.
Les intendants íircnt seuls la répartition des tailles,
et peu a peu réduisirent les hureaux de finance a
une autorité nominale. Ainsi, pour la prerniérc
fois, l'administration sortit des mains de la lna-
gistrature. La faute qu'on avait déja cornmise ne
fut plus renouvelée; les intendances furent tou-
jaurs des cornmrssrons et ne devinrent jamais une
propriété. L'appel de leurs décisions était porté uu
conseil du roi ; ainsi le gouvernement se centrali-
sait : iI avait partout des agents dans sa dépen-
dance pour transmettre et faire exécuter ses 01'-·
dres. Chaque intendant délégué immédiat de l'au-
torité royale agissait avec une force irresistible.
Cette innovation ne se fit pas sans résistance .
elle choquait ala fois la noblesse qu'elle contrai-
gnait a l'obéissance , les parlements, sur l'autorité
desquels elle empiétait.


'I'outes les grandes actions de Richelieu ont été
faites avec des finances délabrées. En 1625, les dé-
penses et les recettes des di verses années étaient
confondues, et le désordre était daulant plus inex-


(1) AI'I. 344,3/18, del'ol'd. de l(j~~.
,2) Ord , ¡!L. lú3S.




DERNlimES LUTTES CONTRE r}AUT. ROYALE. 175


tricahle que chaqae année avait son trésorier.
Sur Ig,OOO,ooo liv. de tailles , 6 seulement ren-
traient au Trésor, le produit pl'esque entier des
fermes était absorbé par le paiement des charges.
Le revenu net n'était que de 16,000,000IiY. en
162 I (1), les dépenses étaient montées a50,000,000
livres. Pour combIer eette insutlisance , on avait
aliené lameilleure partie des impóts; des rentes
sur les aides, sur les gabelles, des offices avec des
attributions de droits avaient été successivernent
créés. Ces secours étaient payés un prix exorhi-
tant , l'intéret exigé par les partisans était quelque-
fois de 50 pour 100 (2).


Richelieu essaya d'une chambre de justice , re-
méde violent, inefficace surtout aune époque oú
l'on alIait avoir recours aux financiers. Les grands
desseins du ministrene permettaient pas l'écouomie.
Il avait apayer par an 150,000 hommes de pied et
30,ooochevaux, asolder une dépense annuellle de
Go,ooo,ooo Iivres.Tl fit de l'argent avec les moyens
cornmuns de son temps; il vendit des oflices, aug-
menta les divers impóts , créa des rentes. On usa
de cette derniére ressourcc plus largement qu'00
n'avait encore fait; de 1621 a[634, il fut consti-
tué poul' 16,200,000 liv. de rentes (3). Quelques


(1) ForL., tome 1, pagc 182,
Il avait (lú cucorc dimin ucr de IG21 Ú 1625, puisquc les c.ruses (lIt


déficit étuient toujours les mérnes,
(2) Discours <le d'Ef1Iat a ux llot:lbIcs.
Forh., lome 1, pa¡:;e lal.
::1) Fo rb .




1i6 DERNIERES LlTTTES CONTRE L'AUT. ROYALE.


taxes nouvelles, assez insignifiantes aleur origine,
furent établies. Le tabac paya un droit de 50 sols
par livre aI'entrée (1), le fer un droit de 10 sols
par quintal, ala fabrication. La valeur nominale
des monnaies fut deux fois haussée en 1636 et en
1641 : le marc d'argent fin, de 22 livres, passa a
27 et a29.


A la mort de Richelieu, les impóts levés un nom
du Trésor public s'élevaient a80,000,000 livres
( 152 de notre monnaie); sur cette somme, le re-
renu net n'était que de 55,000,000 1iv., le reste
avait été aliéné, Les tailles seules s'étaient élevées
a 44,000,000 livres, les gabelIes a 19,000,000.
Henri IV, comme nous l'avons déja exposé, avait
laissé le revenu P"blic a 26,000,000 Iivres (2:-
Ainsi, dans l'espace de trente ans, les charges <In
peuple avaient triple : nous disons le peuple ades-
sein; cal' e' était le vieil impót , celui OU ala part
d'u peuple s'ajoutait celle des privilégiés, qui avait
cru dans la plus forte proportion. II parait mérne
que le chiffre de 44,000,000 liv. ponr les tailles
.atteignait la limite du possible; nous ne le verrons
plus dépassé.


Richelieu léguait a ses successeurs un héritage
difficile, des mécontentements nombreux, des


(1) Forb., lome 1, page 213.
(2) Nous ne parlons ici que de la portian des impót.s porlée aux


états de finance ; D011S omctton s celle qui , payée par le cont r-i l.ua-
1>1(', ncn t ra it pas duns le Tré sor publ ic ,




, , E 1'17DERNlimEs L1TTES CONTRE L AV]'. IWV,..L v, •


ünances épuisées , de grandes entreprises et de la
~loil'e a soutenir : son inflexible caractére avait
v
suíli a tout. II avait en a la fois ses ennemis a
"aincre et son l)1~ütl'eadominer : ce\ui-~i, lJrlr une
faiblesse inexplicable chez un homme si ferme et
sur le champ de hataille , et au lit de mort , obéis-
sait aun ministre qu'il n 'aimait paso Peut-étre pen-
sait-ilce que Richelieu déclara al'agonie (1) = qu'il
u'avait jamais en d'autres ennemis que ceux de
l'État.


La fronde a été la derniére insurrectionrnili..
taire eontre le pouvoir royal. Aprés elle, les son-
venirs mémes de la féodalité disparaissent , les
grands seigneurs devinrent des gens de cour, et
leur ambition se réduisit ala faveur.


Dans le temps mérne ou l'opposition armée li-
vrait sa derniére bataille, le Parlement intervenait
dans les affaires, an nom de la légalité. Le moyen-
age, ou la résistance était la force, le monde mo-
derne, oú ce devait étre la justice, se tonchent en ce
point, Mais un seul regard, jeté sur l'histoire du
temps, nous apprendra lequel de deux principes
était le plus puissant,


La fronde a commencé comme une guerre civile
et finicornme une intrigue. Richelieu avait contenu
tous les mécontentements par la terreurv Mazarin,
ignorant de nos lois et de nos meeurs , crut que


(1) Mémoires de Motteville .
12




178 DER"IERES LUTTES CONTRE L'AVT. nOYALE.


cette servitude était l'état habituel (1); il ne vil pas
que toutes les classes de la nation a vaient été frois-
sées; que la noblesse n'avait pas renoneé ases pré-
rogatives , le Farlement ason droit de rernontrance,
que la bourgeoisie, atteinte par des impóts multi-
pliés , était disposée aprendre partí centre la eonr.
Enfin , la sédition agifait une partie de l'Europe ;
Charles I" luuait contre Cromwel, l'Espagne con-
tre les Napolitains, Ces levains de révolte fermen-
taient sous une regence, e' est a dire en un temps
ou l'autorité royale avait toujours sommeillé. On
ne pouvait done emplover (rop de ménagements ~
ni trop d'habileté pour ne point préeipiter ces
mauvais-vouloirs dans la faction. On va voir ce que
fit Mazarin.


Le Parlement venait de déeerner la régenee ala
reine, et eette fois on ne put pas dire qu 'iI reeon-
naissa it la volonté du feu roi , cal' il eassait son
testament et délivrait la régenee de la tutelle d'un
conseil de régence, imposé par la méfianee de son
mari. Aprés un tel aete dautorité , demandé par'
la reine, avoué par les princes, la cour pouvait-
elle espérer que le Parlement se résignerait an'étre
qu'nn eorps judieiaire (2) '! Rien plus, elle venait
elle-mémc de relever l'importance de la magistra-


(1) Mémoires de Ií etz..
(2) « Le roi ét an t tombé da ngcrcuscrncnt malade <le la pet ite-vr ~


» role, la reine, M. le d uo d'Orléans el M. II~ priucc rcchercherrn í
» messir-urs rlu Pa r le ment, el curent pOllr enx (le trf~~ grands Int'~~




DERNIERF:S LUTTr~" [ONTRE L'AUT. ROYALE. 179
tu re , elle avait aceordé la noblesse transmissible
aux membres des eours souveraines (1), qui, jusque-
l~, n'avait joui que de la noblesse personnelle.


Les priviléges donnés aun eorps ont bien plus
de valeur que eeux dont jouissent les particuliers.
Chaque membre d'une eompagnie les défend
avec toute la force de eette eompagnie mérne. Le
Parlement, seule institution constituée , se trouva
l'écho du méeontentement général.


La fortune de la Franee était livrée ala dilapi-
dation la plus frauduleuse et la plus éhontée,
Emery, surintendant des finances, et créature de
Mazarin, disait , en plein conseil , que la bonne foi
n'était que poul' les marehands. Le mal n'est
jamáis a son période que (2) ( qu.and ceux qui
n commandent ont perdu la honte, paree que d'est
J) [ustement le moment vu ceua: qui obéissent per-
» dent le respecto » L'intérét des rentes eonstituées
en 1645 (3) fut de 25 pour 100; tous les impóts
étaient augmentés, el l'imagination d'Emery était
fertile en nouveaux oflices. Il créa des jurés-ven-
deurs de foin, des eordeurs de bois, des commis-
saires conservateurs de tailles. A ehaeune de ces


» nagemcnts, dans la vue que, si le roi venait amourir, ils pour-
» ruient avoir hesoin cl'eux pour une nouvelle rég€Dce. » Mém. de
la duchesse de Nemours, page 227, Ainsi l'antorité du Parlement
ptait incontestée .


(1) Ord. de 16H.
(2) Itetz,
(3) Forbonnais, tome 1, page 2~O.




180 DER"JimEs LUTTE~ CO"lTRE L',\ ur. ROYALE.
Ionciions ridicules était anachéc, CO])) me salaire ,
une nouvelle laxe. Enfin les tailles Iurent affer-
mees, El le pellple livré aI'avidité des traitants. On
ne s'étonnera pas si, rlans ecuo foule de mesures
détestables , l'opinion publique ne sut pas distin-
guer un impót dont la pereeption eút été légitime.
Em.ery voula\t fl'a~"pel' d' nn (.ll'oit tous Ies oh.\ets
de consomrnation al' entr~'e (\e raris ( 1). Cel édit ,
qui ne reconnaissaii aUCl111 privilége, cñt. été unr
révolution finaneiere ; le Parlement n'y vit qu'un«
il1uoration, et le repoussa par le respect nsture!
de tous les magistrats , ponr les droits aequis, qui
leur fait souvent sacrifier la justice a la légalité.
Le tarif fut modiíié : le graio, le hois, le vin, tout
ce qui provenait du cru des bourgeois fut exempt
de droit, Il ne restait de l' édit , réduit aces termes,
qu'une surcharge pour le pauvre.


Dans tous ces impóts qne les cours rejetaient
avec obstination, il y avait cependant une part ¿t
faire a la nécessité ; la gnerre avec l'Espagne Be
permcuait pas d'économie, pt le premier devoir
de l'État était de se soutenir. C'était la I'incon-
vénient du systéme qui plaeait la limite de I'au-
torité royale dans un eorps judiciaire, et l'une des
causes qui I'empéchercut de passer dans Ia pra-
tique. Le magistrat, par les habitudes entieres de
sa vie, ne sait pas se soumcttrr aux exigences <1<'




la politique. En outrc, le controle des ParIements
était imparfait : les édits, sources de produits, Ieur
étaient seuls adressés , mais les dépenscs leu Í.'
étaient cachees, en sorte que le rapport entre les
recettes el les besoins de l'État ne pouvait étr«
apprécié. Mazm-in, d'ailleurs, a prissoin de jl1S--
tifier cette opposition systématique. L'énorrne
fortune arnassée pal' lui, au milieu de la pénur-i-
du 'I'résor, rnontrc assez en quelles mai ns la Fra nc«
était tombée.


Mazario, si f'aible dans le danger, ne le pré-
voyait pas; les édits qu'il envoya au Parlement
en 1648 sernhlaient faits ponr soulever toute la
bourgeoisie; quatre quartiers de rentes étaient
différés, les gages de quatre années des cornpaguies
souveraines étaient retranchés : l'impót du droit
annuel sur tous les oílices était rétabli; enfin de
nouveaux ofliciers étaicnt créés, Les compagnies
souveraines s'émurenr, s'assemblérent malgré les
arréts du conseil. Mazarin, cffrayé, négocia ; mais
la victoire de LCllS luí tourna la tete: il fit arréter
deux membres du Parlernent ; ce fut le signal de la
guerre civilc. La cour, qui, sous Richelieu, navait
en POUl' adversaires que des grands seigneurs, ne
se doutait pas qu'il y eút une résistance possiblc
la oú il n'y avait que des bourgeois et des magis-
trats ; elle comptait le peuple ponI' rien et sima-
ginait qU'UIl chef seul pouvait Iaire un mouvemcnt,
iaudis (pI<' h~ dwf sorr souvont <tu mouvcmcut




182 DERNIERES LUTTES CO~TRE L'AUT. ROYALE.
Iui-méme, La part de l'intrigue fut faible comme
dans toutes les émotions populaires; nous avons
sur ce point le témoignage du co-adjuteur. Les
deux magistrats prisonniers furent rendus a la
liberté aprés la journée des barricades.


Il y eut une tréve de quelques mois entre le
Parlement et la cour : celle-ci confirma dans la
déclaratíon du 22 octobre les articles qui avaient
été arrétés au mois de jnillet dans une réunion
eomposée des cours souveraines, assemblée malgré
ses ordres. D'aprés cette déclaration, aucun impót
ne pouvait étre établi sans l'enregistrement des
cours, les intendants étaient révoqués; enfin tout
prisonnierdevait étre interrogé vingt-quatre heures
aprés son arrestation. Ce dernier artic1e fut de
tous le plus contesté; il semhlait qu'en stipulant
cette défense contre I'arbitraire, les rnagistrats
demandassent une ehose inouie. Le prince de
Condé (1), un des adversaires les plus vifs de ceue
restriction apportée al'autorité royale, ne se dou-
tait guere qu'un an plus tard il aurait al'invoquer
pour son propre compte, et qu'il paierait de sa
liberté I'animosité d'un ministre.


Cette déclaration était une révolution, mais une
révolution saos garantie. Le pouvoir avait tou-
jours la force pour ressaisir ce qu'on lui avait ar-
raché. Aprés cette courte tréve, les deux partís en




vinrent a des hostilités ouvertes : la cour sortit
de Paris ; plusieurs grands seigneurs se rangérent
du coté du Parlement.


Il semble qu'á cette époque il y avait dans le
peuple toute l' énergie et la force nécessaires pour
commencer et ponr soutenir un mouvement. La
révolution d'Angleterre, qui se terminait alors,
n'avait pas commencé avec un tel éclat ; le Parle-
ment, le premier eorps de la nation, était a la téte
des révoltés. Enfin la noblesse, malgré son abatte-
ment sous Richelieu, exercait encore un immense
patronage. Retz, cantonné daus I'archevéché, ras-
sernbla quatre-vingts gentilshommes du Vexin; a
sa fuite de Nantes, il fut entouré de plus de trois
cents gent.ilshommes (1); les plus grands noms du
XVlI~ siécle, Retz, Condé, Turenne, La Rochefou-
cauld, ont été successivement ala tete des mécon-
tents, et tous ces grands hommes n 'ont fait que
des miseres.


Mais, au fond, l'ugitation était moins profonde
qu'elle ne le paraissait; c'était la bourgeoisie,
surtout, qui avait été blessée dans ses intéréts par
le cardinal, et qui, tenant par mille cótés a la
magistratnre, cédait a son impulsión. Nous ne
yoyons pas, corume au temps des guerres reli-
gieuses, les campagnes soulevées : la révoltc ne
sortait pas des villes.




181· DERl\IÍmEs f.UTTES CONTllE L'AUT. IWYAl.E.
Pendant toute la duréc des uoubles , il Y cut


comme un gouvernement représentatif; toutes les
affaires se délibéraient ahaute voix dans les assem-
bléesdu Parlement; mais, acette tribune, les grands
seigneurs et les magistrats seuls avaient la parole.
Cette limite a peut-étre empéché une révolution : s'il
y eút en une trihune ou des chefs eussent pu se faire
connaitre, il en serait sorti des rangs du tiers-État,
ceux-Ia auraient pu passionner le peuple dé.Fl
ému. Pour agiter la masse populaire, il eút fallu
que les grands. seigneurs osassent arLorer un
drapean, et e'est ce qu'ils ne surent pas faire, Ils '
se firent illusion sur Ieur propre importance; la
noblesse crut qu'elle était encore tout dans la na-
tion, tandis qu'elle n'en était plus qu'une faíble
partie. Elle aurait dú se ra ppeler que, sous
Henri IV, réunie presqlle tout entiere autour de
lui, elle u'avait pu réduire le peuple catholique,
et que celui-ci u'avait été désarrné que par la con-
version du prince. Il y a deux époques dans la
fronde: dans la premiere, le Parlement fait la
guerl'e, traite de la paix en son nom, sans prcsquc
consultcr les grancls seigneurs du parti; les géné-
raux sont sous ses ordres ; la cour ne put terrniner
la lutte que par des concessions. Dans la secande,
les princes du sang sont sur le premier plan; le
Parlement u'est plus qu'auxiliaire. Ccue levée
de boucliers ameno le triomphe déíinitif de la
COllI' t.'l h' bauuissement dos dernicrs Irondcurs.




DEIlNlimES LITTES <.:ONTUE L',\.UT. IlOYALE. 185


Ces deux résultats montrcnt assez ou était la puis-
sanee réelle.


-H manqua toujours aux grands seigneurs une
condition essentielle ponr cntrainer le peuple ; ils
ne partageaient aucune de ses passions. Tous les
hommes qui ont été grands par lui ont eu, jusqu'á
un certain degré, ses haines el ses idées ,
Cromwel fut fanatique avant d'étre hypocrite.
L'habileté la plus consornmée ne produit pas le
rnéme effet que la conviction, el les vues intéres-
sées des principaux frondeurs percaient au travers
de Ieurs déclamations eontre Mazarin. Le genre
méme des armes qu'ils employaient contre lui, les
chansons prouvent assez qu'il n'y avait de sérieux,
de leur coté, que I'intéret privé. Si ron nous ob-
jectait les ehnnsons de 89, nous n'aurions qu'á
comparer la Marseillaise et les triolets de la
Fronde pOUI' prononeer sur les deux époques.


La haute noblesse n'était occupée que de futi-
Iités. Les raffinements sur la galanterie étaient
l'oecupation principale de la sociétéde madarne de
Longueville, c' est adire de La Ilochefoucauld et de
Condé. Les deux sonnets de Job et d'Iranie échauf-
ferent les esprits presque autant que la Fronde
elle-rnérne. Il y avait un ahime entre les masses
populaires, qui ne s'aGitent que pOllr des idees
graves, génél'ales, el les Gentilshornmes occupés
de jeux d'esprit, Au siecle précédeni, les Chátil-
lOBS nr pcnsaicnt Gucrc a ces futilités, maladic




186 llERNlimEs LUTTES coxrns L'Al'T. ROYALU.


d'une société oisive, quand ils armaient les pro-
tnstants au norn de la liberté de conscience (1).


Retz seul entrevit qu'il y avait une guerre civile
afaire, et que l' éeueil serait les prétentions particu-
Iiéres. II connaissait le peuple mieux que ses amis,
par lui-méme et par les curés de Paris ses agents
les plUS UeVO\lCS, rnars i\ Yut entrame comme Yes
autres. La hourgeoisie se lassa bientót de se sacri-
ñer pour donner aI'un un gouvernement, aI'autre
un chapeau de cardinal; la noblesse, réduite a
ses propres forces et au génie militaire de Condé,
fut vaincue presque sans combato Ce fut le dernier
signe de vie de la féodalité.


Outre ces causes générales, il y en eut de par-
ticuliéres qui favorisérent la cour. La magistra-
ture portait dans la guerre les habitudes et les
formes du palais, et voulait la faire d'apres les
conclusions des gens du roí. Cette préoccupation
la jetait dans les contradictions les plus étranges ,
el souvent elle défendait par un arrét ce qu'elle
avait prescrit par I'autre. Le prince de Condé
était le chef naturel des mécontents; mais iI hésita


(1) Cett.e m.mie n'était Fas bornée ú Pari s : il cst question, duus
les mémoircs de l'ahhé Aruaurl, d'un ordrc des bohcrnieus fon.1,( Ú
1\1etz: pour y étre admis, il fallait avoi r co mrnis q nclque Ia rcin
amoureux . On n'aurait quuu c idéc fort in cxacte de la Fronde si
I'on n'en voynit que le coté sérieux. Itet.z cou.pt e parmi ses res·
sources \es cnansons de 1üarit;ny. Qllano i\ vo iúut entever au dHí.:
d'Elht!uf le commetidetuent de I'urmec pa¡]cmentaÍre, le cluuison
11irr Iit le J(lmeUr ('011 piel; Monsieur d'Elheuf el ses en fan í.s .


Mém d,' Rd7.




DERNIERES 1.l1TTI~S CONTRE L'ACL ROYALE. 187
longtemps avant de se mettre aleur tete. De toutes
les qualités d'un chef de parti, il en possédait une
au plus haut degré, la gloire militaire; mais c'était
presque la seule. II ignorait l'art de ménager les
hornrnes: il les hlessait souvent par son impétuo-
sité ; enfin son instinct de prince et de gentil-
homme se soulevait contre ces hourgeois qui en
voulaient a l'autorité royale; sa probité méme
tourna contre lui; personne n'a fait la guerre
civile avec plus d'horreur pour la guerre civile..
Il ne faut pas s'étonner s'il la fit mal.


La Fronde était une coalition de deux partís si
antipathiques l'un aI'autre, qu'il ne fallait qu'at-
tendre pour les dissoudre. D'un coté était le Par-
lement, composé d'hornmes graves, religienx, dont
quelques uns, Molé par exemple, rappellent les
caracteres antiques, se jetant dans les troubles a
regret, et crovant de honne foi défendre ainsi la
France et le roi. La noblesse frondeuse, au con-
traire, était turbnlente, licencieuse, pleine de mé-
pris pour les bourgeois (1) du Parlement; le
patriotismo l'inquiétait assez peu, elle n'hésitait
pas devant un traite avec les ennemis de l'État :
Condé, Turenne se sont tour a tour alliés avec
l'Espagne. Le patriotisme augmente en descen-
dant I'échelle sociale. La noblesse formait alors
une nation a part dans l'Europe; elle prenait in-


(1) l\lot ,11\ une de Bouillo n en purlau t flu pr~sil\ent de BeHit"vre
Relz.




188 DERNIERES LUTTES CO~TRE L'AlfT. nOYALE.
différernment du service pour un prince, OH pour
un autre, sans paraitre croire qu'elle dút quelque
chose a son pays. Les gentilshommcs. ne con-
naissaient d'autre loi que l'honneur, c'est a dire
le devoir envers soi-rnéme ; il fallut, au contraire,
employer tous les ménagements possibles POUl'
décider le Parlement a écouter un envové de
1'archiduc,


Mazarin, qui fut aussi habile a termine!' les
troubles qu'il avait été imprudent a les arnener,
vit parfaitement que la concorde était impossihle
entre des idées et des hommes si diverso Il négocia,
traina les choses en longueur, s'auacha surtout a
séparer le prince de Condé du Parlement, se fiant
sur le temps pour diviser ses ennemis. Cette marche
lui réussit ; le roi rentra dans Paris sans [aire
aucune concession, les principaux frondeurs fu-
rent exilés, les corporations bourgeoises furent
sen les ménagées (1); quant au Parlement, il lui
fut défendu de se méler des affaires d'État el de la
direction des finances. La royauté gaana a cene
lutte l'aulorité que donne le suecos.




enAPITRE VI.


POUVOIR ABSOLU.


État des íinances apres la régence. - Colbert. - Il remet
au peuple I'arriéré des tailles.- Il institue une Chambre
de justice. - Réduit les rentes. -' Supprime les offices
inútiles. - Abaissc les droits de ferme. - Diminue les
tailles. - Fait liquider les dettes des communautés. -
Intervention de I'autorité centrale dans les provinces. ---
Direction donnée a l'industrie. - Caractere de Colbert.
- État des charges publiques sous Louis XIV. - Suc-
cesseurs de Colbert. -Emprunts.-Création d'offices.--
Altération des monnaies. - Droit de controle, d'enre-
gistrcmcnt.- Capitation. - Importance de cet impot.-
Lut~e de la France contre l'Europe.- Papier-monnaie.
-- Etat du Trésor á la retraitc de Chamillard. - Des-
mal'ets.-I.l étahlit le dixieme.- La noblesse y est assu-
jettie. - Etat des finan ces a la mort de Louis XIV. -
Dette exigiblc.- Régence.- Chambre de justice. - Re-
fonte des monuaies, - Réduction sur les rentes.-Law.
-. Principes de son systeme. --Illconvénients.-l,a COI11-
pagnie rembourse les créanciers de l'État. - Hausse des
actions. - Baisse. - Effet du systeme sur le gouverne-
ment. -Sur le pays. - Au xvnr" siecle, le gouvernement
s'immohilise, - Illutte contre l'opinion. - Le mouve-.
ment n'est plus que dans les idées. - Deux faibles ré-
formes teutées par Necker el par Turgot.


Le siécle de Louis XIV a été plusieurs fois com-
paré a celui d'Auguste; mais peut-étre n'a-t-on
pas ~if¡n<llé tous les rapports entre les deux épo-




190 POUYOlR ABSOLU.


gues; l'une et f'autre ont vu consommer une re-
volution, Aprés Auguste, il n'y eut plus de répu-
hlique, aprés Louis XIV, plus de féodalité. Au pre-
mier siécle cornme au xvn", le pouvoir s'agrandit
de l'abaissement des classes supérieures. Les deux
souverains succédaient .a des hommes d'un génie .
plus impétueux, plus brillant, mais dont l'reuvre
était restée inachevée; ils ont gouverné un nom-
bre presque égal d'années , et cette longue durée
d'une autorité exercée dans un méme esprit, par
la méme main , découragea toutes les espérances.
Le passé excita des regrets, mais non une tenta-
tive sérieuse ; ce pouvait étre une chimére eares-
sée par quelques esprits spéculatifs, ce n'était pas
une possibilité a réaliser. Hátons-nous d'ajouter
que l'analogie est plus entre les situations qu'entre
les hommes : ils différent et par les bons et par
les mauvais cótés. Le pouvoir absolu que le roi
étalait fastueusement, l'empereur le dissimulait
~()U~ \e~ ll\ffiU\'S les ~\us simQ\es ; enfln la mémoire
de Lonis XlV n'a pas a r~1)ondre des crimes du
uiumvirat.


D'aprés un état de 1649, les impóts étaient de
9'2,000,000 (1) : le plus arbitraire, le plus inéga-


(1) Fo!'b., tome 1, page 2GO.
D'apres un état rapporté par 1\1. Isam hert, dans sa collcction, I'im-


pót n'était que de 78,000,000 : celui que cite Forbonnais nous
semble mériter plus de confiance, il est plus détaiJIé; il est d'¡¡illellrs
évident que, dcpuis It ichelieu, les d¡:penses avaient ,lú augrnenter les
impóts d'l!ne sornrne assez forte.




I'OUVOIR A8S0LV. 191


lement réparti , la taille, entrait dans ce chiffre
pour 50,000,000. Le reste était le produit des
fermes : la gabel\e rendait \ 8,000,000. Depuis Ia
mort de Henri IV, les charges du peuple s'étaient
presque quadruplées sans que rien indique une
augmentation dans la richesse générale. Le prix
moyen du blé est apeu prés le mérne aux deux
époques, si ron n'a pas égard a la cherté, frui t
des guerres civiles, et qui était un desastre de
plus (1) ; la population n'avait pas dú s'accroitre
dans ces temps de désordre. Le peuple devait étre
accablé, puisque, avec la mérne richesse, un nombre
d'habitants égal payait une somme quatre fois plus
forte, tant les individus comme les nations ont ¡l
payer lenr gloire. Sur ces 92,000,000, le Trésor
nen touchait guere que 55 (2); le reste servait
a l'acquittement des charges. Les finances reste-
rent dans cet état jusqu'á Colbert, comme le prou-
vent les États de 1661 et 1662. Une trentaine de
millions était la seule ressource dont l'État pút
disposer,


Telle est la situation financiére S011S laquelle
s'ouvre le régne de LouisXIV, regne 011 la force
et la riehesse de la France se sont révélées a l'é-
tranger par des guerres soutenues contre l'Eu-
rope, par des conquétes qui font encore partie du


(1) Sous Sully , de 16u6 a 1615, il valait 21 fr. 70 c.
SOllS Colberr, de 166() a 1675, 18 fr.


\j) FQrh.,ib.,pagt''l7:1·




192 l'OUVOlR ABSüUJ.


territoire , a. lintérieur, par les monuments des
arts et la création de I'industrie. Jusqu'alors la
diplomatie, la guerre, avaient été le soin exclusif
dugouvernement ; les fonctions politiques étaient
les seules qui ne dérogeaient pas; l'industrie, le
commerce , occupations forcées du tiers-État ,
étaient frappés du me me mépris.l\fais, quand le roí
se trouva non seulement le premier des gel1tils-
hommes, mais le roi du ticrs-Élat, ces objets
éveillérent une sollicitudc nouvelle. Jamais la 80-
ciété franeaise n'avait été représentée d'une ma-
niere aussi complete: e' est méme la ce qui ex-
plique cette unanirnité d'adrniration qui ne s'est
dissoute qu'aux derniers revers de Louis XIV. La
tache nouvelle acceptée par le gouvernelnent de-
mandaít des moyens plus énergiques , des res-
sources l)\uS é\endues; nous al\ons \e VOl\' \es ~,rée,\'
successivement.


Colbert trouva deux sortes d'abus dans les fi.-
nances, les uns tenaient aux hommes , les autres
aux institutions (1); i] en essa ya la double reforme.
Dcpuis [633, les droits des formes a vaient été
ha ussés de 60 POUI' 100 : les taílles portees a
un chiffre énorme étaient mal pavées, Le prix
du blé avait doublé (2), et la disette s'ajoutait ala
misére générale. Presque ton tes les branchcs de


(1) Comme notre autorité principule cst Forbonuais, il nous suf-
lit de rcnvover le lcctcur uPouvras;c oriúnal el aux Picccs l·nsliti-


oJ l..-J"" ,


t'atiycs. Forbannais avait consulté les papicrs de la famille Colhcrt .
(~) Voi r le prix 1111 hl(' a ux rieces just iíicative s ,




}'OUVOIR ABSOf.U. 193


revenus étaient passées entre les mains des partí-
culiers; enfin une foule d'olfices inútiles dimi-
nuaient les revenus de l'État et par le paiemen t
des gages et par les exemptions accordées.


Colbert fit ce qu'avait fait Sul1y; il remit au
penple les restes des tailles de 1647 a 1656, aban-
donnant ce qu'il était impossible de recouvrer.
C'était un soulagement réel pour le contribuable :
comme il ne pouvait jamáis se Iibérer d'une ma-
niere complete envers le receveur, il était livré a
sa merci. L'arbitraire dans la perception ruinait
celui qui payait , et enrichissait celui qui recevait.


Il voulut aussi revenir 8U1' toutcs les dilapida-
tions commiscs depuis )635, et institua une cham-
bre de justice , nlOren violent sans doute, mais
qu'il fallait employer si ron ne voulait pas renon-
cer a tout allégement dans les impóts. II fallait
choisir entre I'intérét d'un petit nombre et celui
de tous ; en prenant le premier parti, l'animosité
était súre, la reconnaissance incertaine; cal' les
hommes ne tiennent guere compte dn mal qu'on
leur épargne.


Les recherches de la chambre de justice centre
les financiers eussent été plus efficaces si ceux-ci
n'eussent pas en ponr protecteurs les gens de cour,
el si le plus grand dilapidateur de tous, Mazarin,
n'eút pas été couvert de l'autorité royale (1).


el) Préambule d'une ordonuancc de 1669.
Isamb ., tome XVllT, page 382.


13




I'O'\OIl{ A~SOU:.


Ainsi, par exemple, 3H4,ooo,ooo avaient été dé-
pensés par ordonnance de comptant. Dans les nutres
paiernents, la cause de la dépense était spécifiée , 'el
les chambres des comptes prononcaient sur la va-
lidité; les ordonnances de cornptant portaienf
comptant rernis entre les mains du roí, et ce nom
les affranchissait de tout controle.


Les rentiers et les détenteurs de droits aliénés
furent moins ménagés; les rentes sur I'Hótel-de-
Ville, déja réduites aplus de moitié par le cardi-
nal Mazar-in, subirent un nouveau retranchement.
Le capital des rentes sur les tailles fut abaissé de'
r ,000 li vres a 300. Ceci est une banqueroute;
mais devait-on Iaisser périr l'État '1 Ne valait-il
pas mieux priver quelques propriétaires de rentes
achetées abas prix, OH des traitants d'une partir
de leurs revenus, que d'aller demander par l'impót
le dernier morceau de pain du pauvre? Les devoirs
de l'État ne sont pas les mémes que ceux d'un
particulier ; payer ses dettes est pour celui-ci une
obliga tion rigoureuse, paree que, dans sa ruine, il
ri'y a que lui dintéressé, el que la probité ordonne
de saerifier son utilité a son engagement; a la
prospérité de l'État, au contraire , sont attachées
toutes les prospérités particuliércs ; il doit donc la
maintenir a tout prix.


Ces atteintes portees au crédit , justitiées fk1r la
nécessité, eurent des conséquences fácheuses, SOtlS
tout le l'égne de Louis XIV, les capitalistes mé-




P(H"H)JR ABSUJ.U. 1 !J,')


fiants exigerent un prix élevé ; Colbert u'obtint
jamáis leurs secours qu'en leur payant un intérét
de dix pour cent.


Quand la bonne Ioi seule n'obligerait pas un
gouvernement a n'avoir recours a ces opérations
rigoureuses qu'á la derniére extrémité , la pré-
voyance lui en ferait une loi. Chez un débiteur
qui a pour lui la force, qui peut toujours autoriser
son injustice par des lois, la plus solide garanlie
du crédit est son intérét ,


Une autre réforme qui ne mérite que des éloges
fut la suppression des charges inútiles ; nous nous
sommes déja assez de fois expliqué sur ce sujet
pour n'y plus revenir. Malgré les extinetions
ordonnées par Colbert, iI résulte, d'un tableau
dressé par ses ordres, que le capital des charges
conservées s'élevait a419,000,000(1), etlenombre
des titulaires a 45,000. Ainsi un capital énorrne,
800,000,000 de notre monnaie, soustrait ala cir-
culation , allait s'annihiler dans des échanges
improductifs; 45,000 farnilles les plus fiches
de l'État se dérobaient, en partie, aux charges pu-
bliques. Gráce aces reformes diverses, les charges,
qui, en 166 r , étaient de 52,000,000, ne furent
plus, en 1662, que de 43, en 1664 de 35; enfin,
en 1670, elles n'étaient plus que de 25.


Chaque division dans les finances était , avant
(1) Nons parlona ici de la valeur vénale , le capital clont l'État


,;\:tait reconnu déhiteur n'étnit que de 187 millions.




196 POUVOIR AHSOLU.


Colbert, dírigée par des chefs particuliers qui n'é-
taient soumis a aucune direction commune e it
ceue autorité divergente fut substitué le conseil
des finances. La rancune du roí contre Fouquet
s'étendit méme au litre de sa place; iln'y eut
plus de surintendant des íinances, mais un con-
tróleur général qui, en son norn personnel, ne
pouvait ordonnancer aucune dépense. Tout érna-
nait du roí; mais la réalité ne s'accorda pas avec
la théorie. S'il est une partie de l'administration
qui exige des connaissances spéciales , ce sont les
finances, et surtout les finances confuses de I'an-
cienne monarchie ; le contróleur général, malgré
la modestie de son titre, eut done l'autorité d'un
ministre; il était seulement affranchi de toute
responsabilité (1).


Colbert diminua les droits de ferme de 50 pour
100, mesure hardie qui lui a réussi ; il a vait de-
viné ce principe de l'économie politique, que le
chiffre d'une diminution sur une taxe est. plus qUf'
compensé par l'accroissement de la consommation.
La recette du 'I'résor suivit une progression con-
stante; les dettes , comme nous l'avons dit , dimi-
nuaient chaque année , et les produits augmen-
taient, En 1654, les femmes avaient produit
38,918,000 liv., en 1668 50,610,000 liv.; le bail
de 1682le porta a56,67°,000 Iiv. Ces produits éle-
vés étaient dus ala prospérité de la France; cal' les


(1) lUém. de Desmarets au l'Pgent, rapporté par Forhonnnis,
tome 11.




POUYOIR ABSOLU. 197


droits sur le sel (1) et sur les traites venaient d'étre
abaissés. Les tailles, qui, en 1661, étaient de
46,000,0001., descendirent, en 1670, a40,000,000
li vres ; Colbert eút méme désiré faire davantage, et
ne lever que 25,000,000 liv. d'impót directo


Depuis que les eharges de l'Élat ont été répar--
ties entre tous égalemenl, les laxes indirectes ont
été vues avec défaveur, le pauvre le paie eomme le
riche a vec des ressources moiudres ; Iimpót terri-
torial, au eontraire, se rapproche plus de la pro-
portion exacto de la richesse ; mais, au xvn" siécle,
les privi!égiés étaient exempts d'une portien de la
taille, tandis qu'ils étaient soumis aux droits sur la
eonsommation; augmenter les uns et diminuer les
autres étaient done un moyen de rétablir l'égalité.


Toutes les mesures de Colbert découlent d'un
seul principe : I'accroisscment du revenu publie
rondé sur la richesse générale. Comme I'irnpót est
prélevé sur les fortunes particuliéres , il ne peut
étre considérable dans un pays pauvre ; oú il n'y
a rien le roi perd ses droits , dit un proverbe po-
pulaire, U'est done non seulement un devoir, mais
un bon calcul de la part du gouvernement, que
de ne pas aller saisir chez le producteur le dernier
lambeau de capital, instrument du travail. Mais
cet intérét bien cntendu n'est accessible qu'aux


(1) La diminution sur le sel a vait été d'un écu en 1663 (note dI'
la main de Colhert , FOlh., toro. 1, pagl' 56[¡) ; une autre réduet íon
;¡vait eu Iieu en 1668.




198 POUVUIR ARSOLU.


esprits élevés , a ceux qui ne se hornent pas au
présent, et qui, dans toute chose, voient la consé-
quence.


Nous avons vu que les taxes pel'~lleS au nom da
roi étaient diminuées; les villes oú les di verses
communautés d'artisans en levaient d'autres a
leur profit, elles étaient grevées de detles dont le
paiement retombait sur le contribuable.


Colbert fit liquider et payer ces dettes. En 1648,
la moitié de l'octroi des villes avait été confisqué
au profit du Trésor; il conserva ce revenu, mais
en méme temps il soumit les villes ala tutelle de l'ad-
ministration centrale; il leur fut défendu de con-
tracter aucun emprunt, d'intenter aueun procés
sans l'autorisation du roi. Le budget des com-
munes fut réglé par les intendants(1). Ainsi dis-
paraissaient les souvenirs de la liberté munieipale
du moyen-áge , qui ne se distinguait guere de la
sonveraineté : les villes , les provinces, longtemps
isolées, tendaient a ne plus vivre que de la vie
cornmune de la monarchie.


Honne ou mauvaise, l'intervention de l'autorité
générale dans les affaires locales n'est pas aussi
récente qu'on se l'imagine. Au xvn- siécle , nous
ne doutons pas qu'elle ne présentát plus d'avan-
tages que d'ineonvénients; quand les Iumieres sont
répandues, quand ehaeun peut, en connaissance de
cause, prononeer sur son véritable intérét , une si


d d i d ' t" .Ijran e epen ance n es peut-ctre ras neccssairc,
(1) ls.uuhert , ¡"ll1t: X-\IH, \,~\l;,\'!L'.\, ~\\\ \~;\\~".




I'O{;\,OIH .\8S0LV. t 9n
et la seule couununauté des idees el des besoius
peut , eornme en Angleterre, par exemple, don-
ner plus d'unité que I'administratiou la plus
coucentrée, Mais sous Colbert le pouvoir était en
avant de la société.


Le role du gouvel'nement pour lui ne se hornait
pas al'inaetion el ala tolérance. Si, acette époque,
I'État, déposi taire des plus gl'ands capita UX, se
ful résigné an role passif, que lui ont assigu« les
économistes , le canal de Languedoc n'eút pas l:té
creusé , les manufactures n'eussent pas pris raciue
en Frailee; de ce que l'industrie livrée aelle-móme
est arrivée , en certains pays, a un développemcut
prodigieux, 011 a conclu qu'elle devait toujours
rester en dehors de I'action politiqueo On n'a pas
vu que, dans l'Amérique du nord et dans l' Angle-
terre, toujours citées comme modéles , les corps
constitués ne sont pas rout le gouvernemcnt : il y
a une force plus dilficile a definir qu'a saisir ,
lopiuiou générale manifestée par la presse qu i cst
UJl des pouvoirs réels de l'É!at. C'est ce pouvoir,
non écrit dans la loi, qui dirige I'iudustrie , qui Iui
donne une force qu'elle ne pourrait obtenir des
eflorts particuliers. Qlland le gouvernement est
constitué de maniere as'accorder avec l'intérét gé-
néral, oú serait I'inconvénient de lui donner une
parí. dans une des Ionctions les plus importan les
des sociétés modernes ? Faire autrement, c'est dés-
hériter I'industrie du concours de la plus [mis-




200 I'OUrUlR ABSOLt:.


sante des associations ; cal' l'.État u'est-il pas la
réunion de l'énergie et de la richesse de tous ?
On a étendu au principe lui-méme le blárnequi
devait s'arréter aI'abus. .


Plusieurs des régIements de Colbert sont tyran-
niques : la forme des étoffes , le mode de fabrica-
tion étaient prévus , imposés a l'ouvrier sous les
peines les plus sévéres, On peut dire, pour justifier
l'homme et non la chose , que la prodigalité des
chátimeuts était alors le droit commun; I'hurna-
nité est recente dans nos lois. Sans doute, en 01'-
donnant les méthodes les plus avancées de son
lemps, Colbcrt ne s 'attendait pas que ses succes-
seurs, attachés ala lettre et non al'esprit de ces
réglements, altendraient un siécle avant de les ré-
former: il était préoccupé du besoin d'enlever aux
Hollandais leur monopolc; sur 20,000 vaisseaux
qui faisaient le commerce du g'lohe (1), 16,000 ap-
partenaient a ce penple, la France en possédait a
peine 600. Que ce desscin ait réussi en partie, OH
peut s' en convaincre, et par la prospérité de la
France , el par l'État de la marine royale. Sa puis-
sanee jusqu'a la Bogue prouve assez qu'elle était
recrutée par une marine marchande nombreuse.


Le dernier <:tat sous l'ancien régime des aidcs ,
des gaLellcs, des droits de douane fut fixé par
Colbert ; 11011S nous réservons d'cn parler plus tard
pour ne pas scinder ceue matiére. II serait injustc


(1) })p})(!('he de Coihert a I'ompounc , rapportée par Forbonnais




})OLJVOJil A8S0Lli. 201


de ne jugel' ce grano homme que sur ce qu'il a
fait; ses mesures sont restées en decá de ses idées,
un peut s'en convaincre en lisant une note de sa
main destinéc a Louis XIV; il n'avait pas a faire,
comme Sully, aun maitre nourri dans les fatigues
et devenu presque avare par l'habitude des priVil-
tions ; Louis XIV était magnifique et n'était que
conseillé par ses ministres.


Colbert a Iaissé une réputation de dureté, et son
couvoi fut insulté par le peuple; il avait pour-
tant beaucoup travaillé a son soulagement; eette
idee se retrouve dans plusieurs notes écrites par
lui : « 11jaut que mon fils sente aussi niivement
tous les désastres qui arrivent dans le commerce,
et toutes les perles quefont les marchatuls, comme
si elles lui étaient personnelles, » Mais, comme son
humanité venait de ses lumiéres qui étaient gran-
des, elle n'était pas expansive ; cachée sous des
formes acerhes , elle échappait au premier coup
d'oeil ; on ne se rappelait que la fermeté avec la-
quelle, en 1664, il avait opéré des retranchements
sévéres. Ainsi cet homme qui a créé la marine
en France, qui a commeneé les magnificences de
Versailles, soutenu la guerre terminée aNimégue,
qui a tant fait pOUl' le roí et pour le pays, est mort
dans la disgrace de l'un et de l' autre.


La guerre de 1669 ( 1) l' avait obligé de recouri r
a des emprunts; avec une recette de 62g,OOO,ooo


J) Xote de sa main citée par Forb., tome 1, pa¡;e 565.




202


livres, il eut asolder une dépeuse de 80;' ,000,000
Iivres : il emprunta 149,000,000 tiv., e'est adire
environ deux années du produit net du Trésor.
Cependant, asa mort, le revenu dn Trésor ~(ait de
112,000,000 liv .., les charges étaient de 25. Sur
cette derniérc somme 4 étaient accordées comme
diminution SU)' le chiffre des tailles. Ainsi, depuis
166 [, le revenu public étaitaugrnenté de 28,000,000
livres, les charges dirninuées de 25.11 avait abaissé
l'impót sur le sel deux fois, et réduit les tailles.


e'est peut-étre ici qu'il convient de s'arréter- un
moment pour donncr une idée des charges publi-
ques, sous Louis XIV. Plus tard , les expédients
ruineux , les revers de la guerJ'c et la misérc en-
fantée par ces deux désastres ont tellement bou-
leversé tous les rapports des valeurs que la Vl;-
rilé serait insaisissable.


(1) Le Trésor pcrcevait en 1683. 1°9,000,000
(2) La dime était de 3!boOO,ooo
(3) Les corvées pour les chemins


royaux .. . . .
A rrporlcl'.


3,500,000


'46, 5 0 0 , 0 0 0
(1) La totalité de lu.rceettc ,ét~it de 1.12,8oo,~)oO; mais sur cc~l,e


somrne, 4,000,000 envrron n'et:ncnt pomt levcs.sur le peuplc: e e·-
t ait une diminution aecordée sur lc brevet de tuille .


(2) Voir pour l'appréeintion de l~ d~me le~ Piéces justificalivcs.
La taille, a l'époque ou Vauba n éenva1t, était di' 42,000,000, les-
qucls, par les aJtérations de monnaie, ne valaicut, en ,683, (ine
;q,ooo,ooo.


(3) Neckvr évalue les corvées Ú 20,000,000, e'est Ú dirc au
ti ixicme de I'unpót direet : en prcnan t la mérnc hase pOIll' J'all-
nce 1683, on trouve le chiffrc du t.exte ,




POUVOlll ABSOLU.


Heport, ..
(1) Impót payé par le clergé.
(2) Taxes levées par les villes.
(5) Les droits de mntation pen;ns


par des particuliers...
'(4) Droit de péage, de minage..


Total.


2ü:l


11t6,500,000


1,600,000


14,000,000


4,500,000


5,000,000


17 1,600,000


Le rapport des monnaies étant alors comme 1 est


(1) La subvention annuelle était de 1,292,000; il don nn de plus,
en vingt ans , dcux dons gratuits, I'un de 4,000,ouo, et l'autre de
2,400,000 francs , ou, par anuée , 320,000. Dans cette somrne n'é-
taient l)as compris les frais de perception : nous sommes done resté
en de<;a de la vérité.


(2) Sully évalue cettc somme Ú 4,000,000, Necker a 28; nous
av ons pris une moyennc entre les deux chiflres , A la premicrc
époque, c'était un pen plus du tiers de la taille.


(3) C'cst le chiílrc qu 'a donné 1\1. de Bcullongne dans ses états ,
Comme la plupar t des droits ét aient íixes , qn'ils n'ont pas dú souf-
frir de l'abaissemcnt des espéces, nous I'avons conservé, quoiqu'il
ait été fixé a ce taux, quat re-vingts ans plus tard, et dans une mon-
naie plus faible ; uous le eroyons beaucoup a u dcssous de la vér-ité,
si l'on a t:gard aux corvécs personnellcs dues par les paysans aux
selgnenrs.


(4) Il existait, dans le royaume, enviren seize cents péages dont
le produit brut s'élevait ú G,ooo,ooo. Sur cette somme le domainc
royal ne touchait que 300,000 lin'cs. 11 n e scrait cepcndant pas
.i liste de porter la totalité en recette ; plusieurs de ces droits étaien t
concedes a titre onéreux. Le droit de ménage se pcrccvait en naturc
sur les marchés , il était quelquefois du sixiérne , quelquefois d u
t ren te-rle uxiem e de la mesure. Le produit était de 3,000,000; 1111
peu plus du quart uppartenait Ú des pai-ticuliers , Le reste étail
levé ;"1 profit du roi, des villes , des hópitau x . Tont t:e qui préccd('
'-,1 <"Ir,lil de Cnrll1l' 1'1: _




204· !'OUVOlll ACSOLV.


a T,90, ce serait une somme de 324,000,000 f. de
notre monnaie. Le prix d u blé, acette époque ,
était de (1) 21 liv. 50 s.; il cst aujourd'hui de 30 fr.
GS c.; la différence entre les deux chiffres ne s'é-
leve pas tout a fait au tiers (2).


Mais nous ferons observer que, sous Louis XIV,
la production était déja trop variée pour que eette
base unique ernpruntée a l'agrieulture fút assez
solide. Cornme la valeur vénale n'est que le rap-
port de la quantité des choses avee le numéraire,
ilen resulte que plus le nombre des denrées aug-
mente, plus le prix de ehaque denrée particuliérc
baisse. La eoncurrenee entre les produits a le
méme effet que la eoncurrenee entre les vendeurs,
Le prix du blé a dú baisser par le ehangement
survenu dans la législation sur le transport des
grains. Ce commerce entre les di verses provinces
érait entouré de restrictions faires pour arréter l'élé-
vationdu prix, et qui, au contraire, l'augmentaient;
cal' le marchand fait tout payer, méme les avanies.


Vauban évaluc la journée d'homme a8 a9 sous,
c'est a dire il 62 ou 7 J C») centimes de notre
monnaie, Si l'on prend ponr valeur de la journée
rnoyenne de notre temps 1 frane 50 centimes , on
trouvera que le prix de l'argent, relativement au


(1) 1'\OI1S avons pris, pOllr plus d'exactituclc, la mOYCllnc de deux
rrix, de celui de 1666 a 1675 el de celui de 1676 a 1685.


(?) Le rapport entre les de ux prix est comme 1 est a 1,42.
~;{) Le ral'porl des monnaies (.:tait passé a 1,58.




POVVOIR AUSOLL'. 205


travail, a baissé de moitié depuis Louis XIV. Nous
prenons une moyenne entre le (1) produit que
donne le prix de la subsistance et celui que donne
le prix du travail (2), et HOUS trouvons que les
524,000,000 de ee temps étaient aussi courts pour
le contribuable que 592,000,000 le seraient au-
jourd'hui; pour payer l'impót, ne fallait-il pas
qu'il vendit ou ses denrées ou son temps ?


D'aprés le reeensement fait par les intendants a
la fin du XVIIIC siécle, la population du royaurne
était de 19,000,000 d'habitants; l'impót était done
de plus de ::> 1 francs par tete. Nous avons d'au-
tant plus de coníiance en ce chiffre qu'il saccorde
avec celni qu'a trouvé Necker en partant de don-
nées tontes différentes; en J 783, iI évalue I'irnpót
a 23 liv. 10 sous par tete. Comme, depuis la fin
du XVIll C siécle, le prix de l'argent a haissé au
moins d'un sixiérne , la coi'ncidence des deux va-
leurs estremarquable: si l'on veut, en outre, ohser-
ver que Necker, saus tenir compte des dimes, des
droits, propriétés des particuliers, est arrivé au
méme résultat que le nótre, on sera convaincu que
nous n'avons rien exagéré (3).


(1) En prcnant la moyenne entre les deux valeurs dounées par
Vauban , on obtient 66 cent.. ; le rapport avec la journée de not re
époque scra it comrne 1 est a 2,27'


(2) En multipliunt Z24,000,000 par 1,42, rapport du blé, on oh-
t ient 450,000,000; en le multipliant. pH 2,27, rapport des journees,
on obtient 135,000,000.


(3) n nous e\\t l~te facl\cctc c\.o1.sir une aut.re époque oans le regne




206 POFVOlR ABSOJ.U.


L'impót sous Louis XIV était done ~g~l ~. celui
d'aujourd'hui ; mais ce serait une erreUf. 0001-
pléte que de .croire que le peuple ne hIt pasplus
accablé , il Y avait alors inégalit.é entre les pro-
vinces el inégalité entre les habitants d'une méme
province, En 1683, aucun impót n'était encere
pel'<;u d'une maniere uniforme dans tout le
royaume; Necker, qui ne s'est occupé que de la
premiére de ces deux inégalités, dans un temps
0"< plusieurs taxes nouvelles avaient nivelé les
diílérences, a trouvé qu'elle était comme 29 est a
12 el a13; il est impossible d'évaluer la part, ex-
clusive du peuple dans l'impót des tailles, mais
enfin elle existait; il est done hors de doute que,
sous Louis XIV, la taxe prélevée sur le néces-
saire ne fút beaucoup plus forte qu'aujourd'hui,
Le despotisme, malgré le préjugé contraire, est
plus cher que la liberté, et le mot de Taci te : Servi-
tutem suam quotidie emit.quotidie pascit, est plus
vrai que la parodie qu'on en a faite. Si un gouver-
nement absolu a 1110in8 de ressources qu'un
gonvernen1ent libre, ce u'est pas qu'il prenne dans
une proportion rnoins forte, e' est qu'il étouffe la
richesse; sa modération vient de la nécessité.


La France vécut quelque temps des créations
de Colbert; les principes introduits par lui fécon-
dérent aprés sa mort la richesse nationale; le


,le Louis X IV ; n ous uvons pris cclle oú les impóts ont ('te: le plus
has ,




porUlllt AIlSOLli. 207


produit des termes augrnenta et se soutint, pendant
cinq années, a 66,000,000. I..ouis XIV jouissait
de oetteprospérité sans prévoyance ; sous le courtmi-
nisteredeLepelletier,ladépensefutde545,ooo,000;
sur cette somme, la gnerre en avait absorbe I!¡I,
leshátiments 46. Cornrne la recette n'avait étéque
de 463,000,000, le déficit, déja entr ouvert par
Colbert daos ses derniéres années, s'élargissait ;
son successeur, homme sans portée, escompla l'a-
venir, créa des rentes, des oflices. Les ernprunts
étaient déguisés quelquefois sous le norn d'aug-
mentations de gages : 500,000 liv. furent dis-
tribuées dé cette maniere aux cours supérieures,


L'emprunt se concoit pendant la guerre, c'est
un moyen de différer la dépense jusqu'a la paix,
temps ou les reeettes doivent s'élever et les dé-
penses s'abaisser , emprunter durant la paix, c'est
remettre le paiement des dépenses a une époque
OÚ les recettes sont insuffisantes pour les charges
du présent.


A la guerre de 168g, le ministre ehangea, mais
non le systéme ; 00 eut recours aux mémes expé-
dients. L'argent était bon de quelque part qu'il
vint. Les créations d'oflices se succédaient avec ra-
pidité. II est inutile de s'appesantir sur ces me-
sures; on peut seulement citer pour leur singula-
rité les jurés-crieurs d' enterrement qui produi-
sircnt 800,000 liv. Le gouvernement ne vendait
pas lui-rneme en détail sa marchandise; des trai-




208 POVVOIH ABSOT.V .


tants , moyennant une remise qui dépassait le
sixiéme, se chargeaient de trouver des acheteurs,
00 créa aussi des rentes; en 1695, il en fut cons-
titué pour un capital de 95,000,000. L'élat mili-
taire avait pris un développement sans exemple ;
la guerre coütait , par an, 9°,000,000, la marine
20 a25: c'était le revenu net du Trésor public.


Mais les emprunts, les anticipa tions différent
l'impót, mais n'en dispensent pas; ils deviennent
méme une charge nouvelle a laquelle il fant sub-
venir. De nouvelles taxes furent imaginées; enfin
l'esprit fiscal ressuscita l'exaction odieuse du
XIVe siécle, la falsification des espéces : c'était le
moyen le plus désastreuxv Un impót, quelqne ac-
cablant qu'il puisse étre , n'atteint le contribuable
qu'une fois, il ne lui demande qu'une somrne cer-
taine, définie; enfin , en changeant les rapports
du gouvernement a vec les snjets, il laisse subsis-
ter ceux des sujets entre eux. L'altération des es-
peces, au contraire , s'attache comme un chancre
a toutes les conventions pOUl' les dénaturer; dans
chaque engagement, elle autorise et organise le
vol pour en percevoir une part légere.


Le mare d'argent de .29 livres fu! porté, en
1689 , a 32 (1); dans le but de multiplier les bé-
néfices, 00 multipliait et 1'0n variait les change-
ments ; l'augmentation dans la valeur nominale


(1) Voir le tablenu des monnaies aux Pi~r,es.il1~tiflN'liyr-;,




I)OUVOIR ABSOLU. 209


était.itcujours vprécédée d'un ahaissoment, ingé-
nieux. mécauisme qui doublait les produits. En
1693, le marc d'argent monnayé , abaissé a 27 1.,
remonta subitement a52 livres. Le marc d'argent
pur valait ainsi 35 livres. Le go~vernemenL ga,-
gua a eette opération 4o,000,000,véritahlev()1
qui tournait contre son auteur; l'impót était ac...
quitté avec des espéces décriées; mais le malétait
la perturbation jetée dans le commerce. Un peu
de bon sens eüt suffi pour voir que le roi perdait
plus par l'appauvrissement généralqu'il'ne ga--
gnait par sa rnauvaise foi. Cette conséquence de-
vint manifeste par I'état du revenu public; les
fermes, malgré les augmentations de droits, bais-
sérent d'un sixiérne , en 1691, le Trésor ne recut
plus que; 02,000,000 de notre monnaie.


Une des ressources créées a cette époque es!
restée dans nos Iinances. En 169 T , tous les actes
des notaires durent étre contrólés (1); en 1704 (2),
toutes les mutations, excepté les successions en
ligne directe , furent soumises a I'insinuation el
au paiement du centiéme denier. Le príncipe féo-
dal qui avait consacré l'indépendance individuelle,
qui avait limité d'avance les rapports entre le sei-
gneur el le vassal, était bien loin : ici le gouver-
nement intervenait dans les affaires privées. Les
créateurs de cette taxe n'y virent qu'un revenu


(1) lsamb., tome XIX, page II!).
(?) ti, pagl~ 43g.




210 POUVOlR AHSOLL'.


temporaire ; ils créérent des oíliciers auxquels.le
produit était abandonné en échange de leurs fi-
nances, il était done aliené avant d'étre per~u.
Par une légéreté sans excuse, on ne prolita méme
pas de la nouveauté de cet établissement pour le
rendre uniforme dans le royaume; il n'cut Iieu
ni en Flandre, ni en Alsace, ni en Hainaut, ni en
Franche-Comté. Dans l'étendue mérne de la ferme,
les notaires de Paris achetérent l'exemption du
droit; il fut remplacé pour eux par un droit sur
le papier et le parchemin timbré. Depuis Colberl,
personne n'a paru comprendre la solidarité forcée
quirattache l'intérét du íisc acelui du pays; 101'8
de la création du controle, il fut défendu de pas-
ser des baux de plus de neuf ans. Le ministre dut
sans doute s'applaudir du moyen détourné qu'il
avait découvert pour toucher plus souvent la taxe,
il ne s'apercevait pas du tort qu'il faisait dans l'a-
griculture. Des lois, le principe est passé dans les
habitudes; la législation abolie, l'habitude est res-
tée, et les baux acourte période sont encere au-
jourd'hui un des obstacles qui entravent la pro-
duction agricole.


Mais de toutes ces innovations, la plus importante
c'est la capitation; elle remonte a 1695 (1) : c'est
un grand événernent dans notre histoire que cet
impót qui exigea nettement de tous les privilégiés
leur part dans les charges publiques; les princes


(1) Impos , en France, tome II. Forh., tome J), page SI.




l'OU \"ÜIR ABSOLU. 21t


du sang, le dauphin lui-rnéme , y furent soumis.
La noblesse disait bien encore qu'elle payait sa
dette au pays en le défendant; mais c'était Hl un
mensonge officiel, le peuple se placait acoté d'elle
dans I'armée, Malgré l'équité de la capitation,
elle choquait les préjugés du temps ; elle fut abolie
ala paix de Ryswick ; mais, en 170 1, elle fut ré-
tablie pour ne plus disparaitre.


De 1689 en 1699 les dépenses avaient été de
1,600,000,000 livres; les recettes du Trésor, en
déduisant les rentes elles charges, n'avaient été que
de 663,000,000 liv. Il avait done fallu demander
le reste aux affaires extraordinaires. Le peuple re-
pendant avait, dans les derniéres années de eette
guerre) payé )56,000,000 liv. d'impóts ; mais ce
qu'il importe le plus de connaitre n'est pas tant
le ehiffre de l'irnpót en Iui-rnéme que son rapport
avec la richesse du pays; une déeadenee rapide
se trahissait partout : les taxes sur la consomma-
tion étaient descendues de 66,000,000 ( a 29 1. le
marc) a62,000,000 (le marc a55 1.). Les mesures
sur les monnaies produisaient leur effet. Les dimi-
nutions et les augmentations se succédaient sans
autre rnotif que l'intéret mal entendu du fisco Le
mare pur, abaissé progressivement a30 1. 5 s., fut
porté, deux mois plus tard, a54 liv. 19s. ; en 170 1,
il passa de 51 1. 12 s. a 561. 19 s.; en 1709, de
3 I 1. a43 1.; OIl se croirait au temps de Philippe
le Bel. Mais ces ehangements entrainaient avec
eux plus de desastres qu'au XIVe siécle , les rap-




212 !'OUYOllt ABSOIT.


ports avec l'élranger étaient devenus plus fré-
quents, et chaquc comple se liquidait au désavan-
tage de la France, Elle était forcée de recevoir son
paiement en monnaie faible; mais, comme chacun
fait la Ioi chez soi , elle ne pouvait payer ses crean-
ciers aI'étraugcr qu'en monnaie forte. La tentation
donnée a la fraude était si grande qu'une partie
du profit espéré passait entre les mains des faux-
lnonnaycurs.


On peut s'étonner que de pareils expédients
n'aient pas effrayé Chamillard dont la probité éga·
lait I'incapacité : qnant a son succcsseur Desma-
rcts , il n'eu t pas le choix des moyens.


Cette lutte désespérée de la Franco contre l'Eu-
rope, soutenuependantquinze ans malgré les revers,
malgré une disette dont le souvenir ne s'est pa~ ef-
facé, est le plus Leau titre de gloire de Louis XIV;
iI ne désespéra ni de la monarchie, ni dc Iui-mérne;
mais eette gloire I'épuisa , Durant les sept années
de guerre du ministére de Chamillard, les dépen-
ses avaient été de J ,546,000,000 liv., la recette
du Trésor n'avait pas dépassé 387,OOO,OGO livres.
Chamillard cut recours aux altérations d'espéces ,
aux créations de charges, aux emprunts; enfin 3U
papier-monnaie. Ce dernier moyen est un fait
assez nouveau dans l'histoire de nos finances pour
mériter quelques éclaircissements. Colbert l'avait
déja employé, mais dans des proport ons tres fai-
bies, el avait jeté dans la circulation les promesses
d'une caisse des emprunts, Ceüe tentativo isolée




r-orvoin .\BSOLV. 213


n 'eut pas de suitc; le papier ne reparut que \ ingt ans
plus tard , SOllS une autre forme.


, Les directeurs de monnaie, au líen de payer
comptant les espéces apportées pour les rcfontes ,
avaient souscrit des hillets ; I'exactitude des paie-
ments avait inspiré la confiance du publico Cetle
confiance fut exploitée avec une hardiesse telle
qu'on s'étonne de ne pas la voir plus tót décou-
1'3gée. Les billets furent prodignés, ils furent re-
nouvelés along terme , enfin le discrédit a rri va;
ils perdirent jusqu'a 75 POUl' 100. Daos le temps
mérne oú le gouvernement, que ces érnissions
avaient sauvé , ne voulut plus les rccevoir dans ses
caisses, il ordonna qu'ils formeraient le quart de
tout paiement entre particuliers. L'assignat, comme
on peut le voir , u'est pas récent en France , ct le
systéme de Law, qui semble un Iait isolé , n'était
pas sans antécédents; il Y cut meme a ceHe épo-
que une modification analogue acelui des mandats
tcrritoriaux pendant la révolution ; les billets de
monnaie furent convertís en billets des fermiers
el des receveurs généraux. Aux deux époques, le
public ne fut pas assez simple pour croire que la
solvabilité du gouvernement dépendit d'un chan-
gement de caisse; les nouveaux effets partagérent
el accrurent la défaveur des anciens,


Quand Chamillard fut rem place par Desmarets,
neven de Colbert, il laissait a son successeur
1,82,000,000 liv. de dettes exigibles, représentées,




214 POUVOIR ABSOLLJ.


en grande partie, par du papier ; dans cette masse
entraient les billets , les ordonnances et les assi....
gnations sur diverses années; sur un revenu total
de 150,000,000 Iiv., il fallait déduire 77,000,000
livres de charges et de diminutions. Ainsi le pa~
piel' seul égalait plus de trois années de la recette
brute du 'I'résor, Prcsque tous les fonds de l'année
17°8 étaient consommés par avance, il restait a
peine une vingtaine de millions sur lesquels ou pút
compter. U'était la seule ressource disponible pour
faire face a une dépense de 208,000,000 liv. La
diserte de 1 709, ou le hlé dépassa de plus de quatre
fois sa valeur moyenne, vint encore compliquer
cette situation , il ne s'agissait la ni de réforme, ni
d'abus, il fallait vivre. Les gouvernements absolus
ont cet avantage-, dans les grands désastres, que rien
ne leur fait obstacle; un gouvernement modéré
pourrait peut-étre prévenir les guerres, oú la na-
tionalité d'un peuple est en question ; mais, quand
une fois les choses sont arrivées aces points ex-
tremes, la dictature est une nécessité.


En sept années, il fut dépensé 1,533,000,0001.;
la recette n'était que de 75; la dépense moyenne
était de 21 g,ooo,oOO; chaque année présentait done
une insuífisance de 144,000,0001. Néanmoins Des-
marets, en sortant des affaires, n'a laissé qu'une
somme de papiers égale acelle qu'il avait trouvée
( 4g 1 au líen de 483 ). Plusieurs dettes, il est vrai,
avaient été immobilisées; les billets avaient été recus




I'OU\:OIR ABSOtU. 2UJ


plasieurs fois en paiement de rentes ou d'oflices. La
refonte des monnaiesqu'il ordonna futunevéri-
table banqueroute j les hótels reeevaient einqsixié-
mes en vieilles espéces et lln sixiéme en billete; mais
l'affaiblissemcnt du poids était tel qu'en rendant
la somme totale en monnaie nouvelle, le gouverne-
ment donnait moins d'argent qu'il n'en avait requ.


Desmarets chercha adélivrer l'État du courtage
enorme qu'il payait aux gens d'afíaires. Sous Col-
bert lui-méme, la re mise qu'on leur accordait était
du sixiéme , et de 1689 en 16g9' elle dépassa le
tiers : ce discrédit était le chátiment et des banque-
routes moqueuses de Mazarin et des réductions de
Colbert lui-rnéme. Il faut payer au préteur le ris-
que auquel on l' expose.


Enfin il établit le dixiéme sur tous les revenus ;
cet irnpót fut regardé comme un remede violent
et temporaire. Il a sauvé l'État, si, cornme le dit
Iíesmarets, il a contribué ala paix (( \ Les das-
ses pauvres étaient épuisées; il n'y avait done de
ressources que chez les riches et les privilégiés.
Vauban (2), dix ans plus tót, avait déja proposé


(1) Mtúnoíre de Ilesmurcts aa n:j;ent, lClppode'p,:¡r ForlJOon¡ú·,
Lome 11.


('l.) Dtme royale. Les calculs de Vauban étaient erronés; il sup-
\,(),:\e l\t\~~';,\ ~~"fu~"':..'~>J~~~~"-",~,~l,.,."",,,,,~~,,, ~"'''' '. ,,\.\'~"'~;,,\. t\'X.ée. aH
"ingtieme U\\ l~\'~UU tGtlll. Le revenu de la Franee était done, selon
lui, de 1,200,000, enviren deux milliards de notre monnaie,
(:yaluaLion exagérée. Le revcn u de la propriété fonciére ne dépasse
~nere, aujourd'hui, 16 a (,7°0,°0°,°00. Ce qu'il faut louer dans son




216 l'OVVOlR AGSOLU.


une mesure semblable , mais il prétendait lever
le dixiéme en nature, comme les dimes ecclé-
siastiques. Ce; impót est le seul qui ait une entiére
ressemhlance a vec notre impótdirect;il ne d(J-
pendait ni de la qualité ni de la condition du con-
tribuable, mais seulement de sa fortune, Dans les
laxes personnelles, l'égalité remonte a la eapita-
tion; dans les réelles, a u dixiéme, Le dixiérne
s'appliquait memeaux propriétés mobiliéres ,
méme aux charges payées par le roí; dans ce der-
nier cas, cen'était qu'une réduction. Ce nivelle-
ment de tous, expression d'un fait consornrné, de
l'égalité des sujets devant le souverain, contrariait
les préjugés du temps, Le dixiéme fut aboli en
17'7 (1); il reparut en 1725 (2), sous le nom de
cinquantiérne , en 1735, sous celui de vingtiéme.
Supprímé encere une fois en 1759, il fut rétabli
délinitivement en 1741 (5).


Ainsi, depuis Louis XIV, la noblesse, indépen-
darnrnent des Laxes indirectes, paya deux impóts
directs. L'irnpót roturier, la taille perdit de son
importance; déja, en 1'71 G, il n' était plus que le
quart d u revenu publico


Iivre, c'cst l'hllmanilé ave e laquelle , né genlilhommc, iJ proposa
11'atteindre les privilégiés, el. le cOllr;'ge qu'il montru pOllr dirc une
vcrité utile , n n'était méme pas soutenu par l'espoir de la po pu la-
rilé: SDU li vre était obscur, et I'auteur était á la fin de :;a cm-ricrc ,


(.) Isamb., tome XXI, pagc 150.
(2) Imposit. en France, tome 11, page 471.
(3) Matieres dimpóts. Rcmontranccs de la cour des aidcs, p. ü8o,




POU VOl R AnSOLU. 217


A la mort de Louis XIV, sur une reeeUe
de 165,000,000 liv., le Trésor ne touehait que
68,000,000 ¡ (1); 96,000,000 (2) étaient absorbes
par le; paiement des eharges et les diminutions sur
les impóts .. Cette faible ressource n'était melle
pas tout entiére a la libre disposition du gouver-
nement; les reveuus de 1715 et de 1716 étaient
consornmés d'avance ; il fallait faire face a une
dépense de 165,000,000, et au paiement d'effets
royaux qu'on évaluait a 700,000,000.


Nous allons mettre sous les yeux du lecteur
l'état du capital dú par I'État; malgré tous nos
efforts, nous ne pourrons pas toujours éviter l'in-
certitude el l'ohscurité. La confusion introduite
depuis Colbert dans les finanees semble avoir
passé dans le seul ouvrage détaillé que nous pos-
sédions sur cettc époque, Chaque chiffre aura
hesoin d'un commentaire.


La dette se divisait en deux classes : la dette
consolidée et la dette flottante.


Lecapital de la premiére était de (5) 1 ,825,000,000


(1) Forb., torne 1I, page 351.
(2) 86,000,000 de charges, 10,000,000 de diminution.
l'orb. , tome 11, page 46:~.
(3) Forb., tome JI, rage 504. La cornpagnie d'Occident oc prét a


a u roi que 1,500,000,000 pour rembourser les créanciers de l'Etat;
mais Jeja s'étaicnt faites quelques réductions usscz fortes sur le cJ.-
pitaldes.dcttcs . 73,000,000, p. 465. Ji ne par.rlt p:Js en outrc quc
le capital primitif des ancicns offices ait été sounris au rembourse-
mcut ; il n'a porté que sur les angl1lentations des gabcs et les
ofliccs crél:S dopuis ¡U8\}. te capital de ces dettcs nouvclles était de




218 I'OUVOlR ADSOLU.


c'est a dire 4,320,000,000, ou
de notre monnaie, selon que l'00


Heport. . J, tb 5,000,,'000
La deue représeutée par du. papier


était,selon Desmarets , de 491,000,000
enfin il y avait en dépenses arriérées.fr) 80,000,000


2,396, 0 0 0 , 0 0 0 .
" ". ,~. ; ~. -Ó: •


2,880,000,,000


prend la valeur


215,000,000. Apres la réforme de Colbert, les ehargcs conservees
étaie nt évaluées 187,000,000. Si maintenant nous faisons la sornm e
des dívers capitauxdonnés par Forbonuais, nous arriverons apell
prés au chiflre du texte, Quand deux voies diflérentes aboutissent
au méme résultat, c'est une grande p résorn pt ion en faveur de la
vérité ,


Capital des rentes payées aI'Hótel-rle -ville ..
Rentes payées dans d'autres bureaux, p. 385.
Augmcntations de gages depuis 1 G8~}; p. 395.
Capital des offiees dú par l'État en 1664 ... ,.


I,29?,OOO,ooo
1 04 ,000,000


215,000,000


18 7 , 0 0 0 , ° 0 0


1,798, 0 0 0 , 0 0 0


Il Y a eependan tune contradietion dans le texte de Forhonnais
dont il faut prévenir le lectenr : i1 dit que les arrérages des rentes
sur I'Hót.el-de-Yille étaient de 32,400,000; I'in térét de cette del te
aurait done été á deux et de mi pour eent. C'est une erreur éviden te;
autrement quel avantage eüt trouvé le roi a emprunter de la com-
paguie a trois pour cent Ilollr rembourser des eflets a dcux el dcmi?
Dans les reproches qne Forbonnais adresse au systérnc, il lui fait
celui d'avoir fait hanqueroute aux créanciers de l'État en les rem-
boursant en con trats :l dcux et demi : il dit formel1ement que I'in-
térét primitif était de quatre , Enfin le texte de l'édit de décembre
q 16 ne Iaisse aucun doute. « Nous avons réduit au denier vingt-
» cinq les rentes créées sur les taiUes au denier douzc pour ne pas
» len!' laisser un si grand avantage sur' cel1cs de l'llotel-de-Ville. )
Peut-ét.re Forbonnais ne veut-il parler que de la portion des rentes
payables sur le produit des f'ermcs ,


(1) For}.", tome 11, page 4G3.




POU VOl R ABSOLU. 219


du marc en septembre et en décembre. Dans les
quatorze derniéres années dú regne de Louis XIV,
les dépenses avaient été de 2,87°,000,000, les
recettes ordinaires n'avaieut étéqucde 880,000,000;
il avait done fallu demander au erédit environ
2,000,000,000.


On concoit que l'énormité de ce chiffre ait ef-
frayé la régence, et qu'il ait été proposé de Iiquider
cette situation par une banqueroute. Si l'État eút
été tenu a payer le capital de sa dette, on était
acculé aune impossibilité; maisce.remboursement
est une hypothése qui ne se réalise jamáis. L'É-
tal n'est déhiteur que d'une annuité dont il n'a pas
grand intérétarernbourser le capital. Le temps seul,
qui diminue la valeur de l'argent, diminue aussi sa
detle; e' est un effet insensible pour des partieu-
liers, mais tres important ponr I'État dont la vie
n'est pas hornée. La seule chose a considérer était
le rapport entre le revenu total et les charges an-
Huelles; il Y avait la matiére ades réflexions gra-
ves. Plus de la moitié du revenu était paralysée
par l'acquittement de la dette armuelle (1).


Mais le danger de la situation n'était pas la,
il était daos cette dettc exigible, égale a trois fois
le revenu de l'État, el qui dévoilait achaque ins-
tant la pénurie du T'résor, Le désordre, les don-
bles emplois, les retards de paiemont avaient
introduit une confusión telle que, quoique




220 !'OUrOIU AIISOLU.


l'Élat ne dút que 49 J ,000) 000 Ji v, a la mort de
Louis XIV, il Y avait en circulation ponr apcu
\wes 668,000,000 de '{lapiers (1). La. régence, en
outre, qui n'uvait pas d'argent et qui avait ~l payer,
employa la méme ressource. La plupart de ces
papiers perdaient 75 ponr 100 , el donnaient nais-
sanee a un agiotage eflréné ; une réduction 01'-
donnée sur ces valeurs, achetées la plupart a has
prix, était juste. Il fut ordonné que les hillets se-
raient visés par des commissaires, et qu'en échange
les détenteurs recevraient des billets d'Élat, avec
un intérét de 4 pour 100. Une des choses qui
nous démontre le mieux aquel point les antici-
pations, les délais dans les paiements avaient tout
melé, tout confondu, c'est le résultat méme
du visa. 198,000,000 suílirent pour acquitter
596,000,000 d'effets visés,;'car, dans les 250,000,000
qui furent crees, plus de 50 acquittércntsecrétement
plusieurs dépenses. Les parties intéressées elles-
rnérnes ont reconnu la justice de eette opération
rigoureuse, puisque les réclarnations adressées au
régent ne portaient que sur une somme de
14,000,000 (2). Malgré le bénéfiee du Trésor, on
ne sortait pas du provisoire, il restait encore (5)
545,000,000 de dettes exigibles.


Deux des mesures les plus acerbes , l'une de


( 1) Forh., pnge 464.
('2> Lcmontey , Hist. de la ré¡;cncc.
r» F0rh., tome TI, page 465.




l'Ol'VOIR ACSOLlJ. 221


fraude, la re Ion te des monnaies, l'autre de violeucc,
la chambre de justiec, furcnt exploitées pour la
derniéro fois; on en reconnut depuis I'inutilité. Le
príncipe des charnbres de justice est rigoureux,
mais n'est pas inique; cal' l'État ne peut étre dans
une condition pireque les particuliers, el ila le droit
de revenir sur des engagcments usuraires; mais
I'application est presque impossible. Les recher-
ches sur les fortunes devaient remonter jusqu'en
1689 (1). Pendant vingt-sept ans, les litres pri ..
mitifs avaient changé tant de fois de main, l'édit
était COIl<;U en termes si élastiques, que tous de-
vaient subir cette juridiction , et que personne
n'était sur de conserver son patrimoine. La légis-
lation la plus tvran niquc était mise au service de
la chambre de justice. Il futdéfendu, sous peinede
la vie, de médire des dénonciateurs; quelques
traitauts furent mérne condamnés a mort el cxé-
cutés, Mais cette sévérité Iléchit : c'était de leur
argent et non de leur sang qu'on avait besoin. Ils
furent taxés d'aprés leurs déclarations; quatre
mille quatre cent soixante-dix personnes furent
condamnées a payer 219,000,000, environ les
deux septiérnes de leur fortune (2); mais, sur cette
sornme, íl ne rentra guere que 70,000,000. Le
reste fut gaspillé, ou remis aux financiers par 'les
sollicitations des gens en faveur.


(1) Jsamb ,, tome XXI, p~ge aG,
('2) Lemon tcy , page G8.




222 })OUVOIR ABSOI,u.


La' refonte des monnaies est une opération
déja jugée; Desmarets avait eu le tort, en Í7I.5,
de baisser la valeur du marc, qui, depuis 1689,
avait haussé d 'une maniere constante; il avait
ainsi dénaturé les conditions de tous lesengage-
ments. Si le eonseil des finances se fút borné a
rendre aux especes la valeur antérieure a 1715,
il eüt reparé eette injustiee; mais il ne se horna
pas la. Il donna au mare une valeur supérieure a
celle qu'il avait jamais eue, 43 [iv.j de 1716
a 1723, le bénéfiee sur les monnaies fut de
352,000,000 (1); mais le gouvernement ne put
s'assurer le monopole de sa mauvaise foi; l'étran-
ger, les faux-monnayeurs en touehérent Ieur parte


On fit aussi des réductions sur les rentes, des
retranehements sur les dépenses ; la réduction ne
porta que sur les rentes payées nutre part qu'a
l'Hotel- de- Ville; elle produisit 5,000,000. Ces
derniéres étaient protégées et par la modicité
de l'intérét , et par le crédit des propriétaires.
19,60o,4/~4 liv. sur ~'S2, 443,429 étaient possédées
par des privilégiés.


Mais eette réforme, terre aterre, disparut bien-
tót devant la révolu tion financiére qui devait
houleverser et la fortune de l'État, el les fortunes
privées : il s' agit ici du fameux systéme de Law.


(1) Isamb., tome XXI, p:1ge 'Do.
De 1716 a1720, les altérations despeces prod nisi ren t ?0:1,Of'O,OOO;


¡Ir '120 a 1723,119,000)000.




I'OU YOI R AUSOLU. 223


Lacréation du papier-mounaie a soulevé tant de
détracteurs et d'apologistes, que le lecteur nous
pardonnera si, poul' lui en donner une idée abré-
géeJ nous sortons de notre plan.


C'est aussi un faitgrave que I'espéce de fureur
avec laquelle la France et le gouvernement, asa
téte, se précipitent dans une des théories les plus
hardies. A ce litre, le svstéme de Law est un des


"


antécédents de la Révolution.
Law avait vu que les espéces n'étaient pas seu-


lementun signe, qu'elles avaient une valeur propre;
que cette valeur les soumettait a des alternatives
de hausse el de baisse : il conclut de la que les
métaux préeieux n'étaient pas le signe le plus pro-
pre a faire les fonctions de monnaie; il pensa
que le papier avait une fixité dépendant de la
convention et de la valeur qu'il représentait (1).
Ainsi les altérateurs des espéces ne les avaient
considérées que eomme un signe; Iui, au con-
traire, n'en considéra que la valeur et chercha le
signe ailleurs.


Il existe partout des richesses qui ne sont pas
représentées, qui ne peuvent entrer dans les
échanges qu'aprés des formalités nombreuses ,
elles sont paralysées dans les mains des détenteurs,
et ne servent en rien a la production générale.
Law voulut restreindre le nombre de ces valeurs
immohilisées, et jeter dans la circulation le capital


(1) M(;m. df' La w au régent, rapporté par Foro.




221,. POUVOlR ABSOLU.


des deues de l'État, celui des sociétés ílnanciéres
chargées d'exploiter les reveuus publics, celui des
compagnies privilégiées pour le commerce mari-
time, Le papier-monnaie lui parut lemeilleur signe
représentatif de cette énorme circulation; sá valeur
ne pouvait varier selon lui, puisque le nombr~ des
actions était IimitévMais il no réfléchissait pas que
'ces aetions elles-mémes ne seraient estirnées qu'en
raison de leur produit. Bien des causes s'opposent
a des changernents brusques dans le rapport d¿s
denréea aux espécés d'or el d'argent. Comme
elles forment la monnaie de tout l'univers, que le
cornmerce a rapproehé toutes les distances, ir s'é-
tablit un niveau général qui ne permet que des
oseillations Iégéres. La production des métaux
précieux est bornée; elle ne s'opére que graduelle-
ment; elle ri'agit done sur le prix des ehoses que
d'une maniere insensible. Il est évident que 'le
hillet de banque étant privé de ces deux avantages,
il n'avait cours qu'en Frunce, et la quantité des
émissions n'avait aucune limite.


La banque et les compagnies, portions d'un
méme systéme dans la pensée de l'auteur, conser-
vérent longtemps une existence séparée, la banque
avait été créée en 1716, an capital modesto de
6,000,000; elle avait obtenu, par un privilége,
qu'elle ne paierait qu'en écus de banque, dune
valeur invariable. Cene fixité, la régularité des
paiements, avaient ranimé la circulation presque
éteinte depuis la refonte des monnaics : jusqu'en




225


17 18, elle He íut qu' une entreprise particuliére ,
mais, ücctte époque, elledevint banque royalc. Les
actionnaires furent remboursés, et le gouvernc-
ment eutla direction absolue; les billets devinrent
une monnaie obligatoire.


,Da,ns le mérne temps, une compagnie prívilégiée
pour ~e commerce d'Occident avait été fondée en
1716; son capital avait été de 100,000,000 de
hillets d'État, dout le gouvel'nement payait l'mté-
l'e~ á 4pour 100 ( 1). L'intérét de la premiére a nnée
devait étre employé ason commerce j de nouveaux
priviléges luí furent accordés : le cornmerce des
ludes, celui du Sénégal. Elle acheta au roi le
bénéfice des monnaies, la ferme du tabac , enfin


. ,


elle réunit les fermes générales, les domaines et
les recettes générales. Quand on réíléchit a l'é-
norme puissance concédée a la compagnie, il est
aisé de voir que si, le systéme eút été possible, il
eút été une révolution, non pas seulement dans les
finances, mais dans l'État. Le gouvernen1ent eüt
été bien peu de chose au prix de la société, dispo-
sant de telles ressources, ou plutót la société fút
devcnue le gouvernement lui-méme,
,La compagníe préta au roí 1,500,000,000 a


3 pour 100, pOLlr rembourser les dettcs de l'Élat;
tous les créanciers d'État, de hon gré ou de force,


(1) L'étuhlissement de cett e compagníe avait servi a diminuer la
dette flottante , le capital payé en hillel s tl'État sortait de la cirou-
lat ion .


1J




226 POUVOIR ABSOLU.
Iurent appelés acettc débauche d'agiotage. A cha-
que nouvel engagement contracté, des actions
étaient émises: ces émissions étaient réglées de
maniere que le taux des actions primitives haus-
sait toujours. Tout souscripteur des nouvelles ac-
tions devait en représenter cinq anciennes. L'en-
gouement fut tel que le prix d'une aetion originaire
de 500 Iiv. s'éleva a 20,000 liv .¡ le nombre total
des actions s' éleva a600,000 liv. (I). Cet enorme
mouvementde fonds exigeait un numéraire abon-
dantvLa Banqne créa des billets pour plus de
3,000,000,000; on eút méme l'imprudence de
faire des billets de 10 liv , : c'était, eornme l'expé-
rience l'a démontrédepuis, se préparer une crise
terrible au moment oú la confianee s'arréte-
rait : plus le nombre des détenteurs augmente,
plus la peur est conragieuse el. soudaine.
Tout fut employé poue donner a la rnounaie de
papier une supériorité sur l'argent; il fut défendu
de garder de l'or et de l'argent; les espéces mé-
talliques ne purent étre employées dans les paie-
mentsau dessus de 600 liv.; ces mesures réussirent
un momento Le billet gagna 10 pour 100 sur
l'argent; mais le gouvernement avait abusé de
cette facilité de se créer des ressources, iI avait
multiplié secretement les billets (2); c'est la l'in-


(1) Forb .; page (io I .
(2) 3,070,coo,000 furent fabrirI"é" Prcamb trllll édit de 1j'!.5.


¡,·amh., tome XX1, page 2nO.




POUVOIR ABSOLl'. 227


convéuient le plus grand d'un papier-rnonnaic,
surtoutdans un pays ou le pouvoir n'est pas lepublic .


.Celui-ci s'apercut bientót qu'il ne possédait
qu'une valeur íictive, 11 voulutla réaliser: I'enthou-
siasme qui avait porté les aetions a 20,000,000 li-
vres . se refroidissait, Law, nommé contróleur
{jénéral, essaya de lutter contre le discrédit de~
billets. Il déprécia les espéces , porta la valeur du
mare a 120 livres par des augmentations succes-
sives. Ilespérait que lincertitude et lesvariations
hrusques de la monnaie métallique dégoüteraient
les détenteurs ; mais ces mesures prouvaient la
défiance du publie et ne le guérissaient pas. Ce fut
alors que la banque fut réunie a la eompagnie.
Law promit d'éehanger les billets en actions et
les actions en billets : il espérait ainsi soutenir le
eours des premiers, paree que le billet ne donnait
aucun droit au dividende ; mais ce dividende était
fort exageré : Law, lui-méme , ne l'évalne qu 'a
91 >000,000 liv., et le capital des actions possédées
par le public dépassait 4,000,000,000 livres.


La confusión de la Banque el de la compagnie
fut la mort du svstéme : les billets de banque el
les aetions, devenus solidaires , se précipitérent
dans nne baisse énorme. La décadence fut aussi
prodigicusc qne la prospérité. On cite une action
qui fut vendue un louis. Eolio, le billet de banquc
fut dérnonétisé. Tous les effets , actions et billets
Iurent sournis au visa: de 2,222,000,000 Iiv, ils




2::'8 POUVOIR ARSÜUJ.


furcnt réduits a J,jo8,ooo,ooo liv. (1). Avant la
chute ?OmpU~le du systeme , les rentiers avaient été
rcmbonrsés en rentes adeux el demi ponr cent.


I/État gagna au systémc une réductíon 'df'
13,000,000 liv , sur ses charges annuelles , mince
résultat si on le compare au bouleversement de
toutesIes fortunes. Grace acene faculté d'impro-
viser des richesses, il se releva (In milicu des ruines
financieras de Louis XIV qui i'accablaicnt.


Cette réduction de plus de 50o,ooo,oooliv. sur
des titres dépréciés portait avec elle son excuse.
Le gouvernement avait , iI est vrai , garanti les
billets de banque ; mais il avait étó entralné lui-
méme par I'enthousiasme général. La véritable
banqueroute fut I'altération des monnaies. Le marc
rassa de 30 liv. aSi; c'était réduire de moitié , a
peu pres , la dette de Louis XIV.


Si maintenant ou accumu]c ces diverses réduc-
tions , celle de 3,opo,000 liv, sur 6,000,000 de
rentes, la conversion des rentes sur l'H6tel-de-Ville
en actions cntiéres ~l deux et demi pour cent, la
banqueroute dun quart sur les hillets de banque,
on arrivera a un chiffre qui surpassera les deux
tiers retranchés a la dette publique par la révolu-
tion, Mais, nous le repétons, le svstéme n'est entré
que pour peu de chose dans cette banqueroute.


Tons les capitaux ne furent pas remués saos prolit
pour le pays: les déhiteurs , les propriétaires de


(1) Forb . I tome IJ, page G·h.




POUVOIH ABSOLU. 229
terres se Iibérércnt ; et, quoique ce fút aux dépens
de leurs créanciers , comme les dettes avaient éll~
c~ntra¿téesendes temps fácheux ~ ou les condirions
étaient dures, le rcrnboursemcnt Iit plus de bien


, "


que de mal. II déli vra la production d'intéiéts
us~r~ires. La France entiére avait été appelée a
prendre sa part dans ce jeu effréné : le magistrat
pOLlJ' ses gages, le renticr pour ses rentes sur ruo.
tel-de-Ville. Tous durent sentir combien leur bonne
ou mauvaise fortune dépendait de celle de l'État.
C'est a ceue époquc qu'ont commencéles théories
Iinanciéres , les idees de reforme; quelqucs idees
plus justes sur la monnuie, le crédit se répandirent;
et, depuis 1726, il n'y a pas eu un ministre assez
iguorant ponr altérer les espéces. Quant au &ou H'r-
nement, il ne vit dans cette expérience qu'un en-
couragement ala routinc; il prit en haine les idées
de reforme el de théorie , justement au moment ou
elles étaient accueillies avec le plus de faveur pal'
la nation.


Le lecteur s'étonncra pcut-étrc de ne pas nous
voir pousser ces rechcrches plus loin. JI y a une
telle différence entre l'organisation actuelle et celle
de l'ancien régime, qu'on est porté acroire que des
trausitious , des reformes gl'aduelles avaient pré-
paré et arnené le changement. Il ri'en est ricn pour-
tanto L'anciennc monarchie s'est irnmohilisée dans
les traditions de Louis XIV. Aprés ce regllc, le
progres fut dans les idées : les lois restérent sta-




230 POU\OIR ABSOLU.


tionnaires. Pcndant que les bases de l'état social,
la politique, la religion méme, étaien t discutées
tout autour de lui, le gouvel'nement s'endormait
dans son égolsme el son apathie. Il ne s'occupait
du mouvemcnt philosophique que POUt' lui donncr
des preuves d'un mauvais-vouloiri mpuissant.I.'édit
de i 759 ( condamne amort tous ceux qui auront
), composé, fait composer des écrits tendant aat-
» taquer la religion, J émouvoir les esprits , adon-
» ner atteinte a notre autorité. » Au siécle de Vol-
taire et des encyclopédistes, une telle législation eút
l~té atroce si elle n'eút pas été ridicule.


Cette séparation du pouvoir davcc ltl société a
été sigoalée par tous les hommes qui se sont oc-
cupés de I'histoire de cette époquc : elle est le ea-
ractére du XVlIlC siccle, La spéculation el la pl'a-
tique furent deux morales distincts , sans aucune
communication , et qui , mutucllemcnt , se tnépri-
saient fort. Cet éloignement des idees nouvelles ne
fut méme pas particulier au pon voir royal; la ma-
gistrature, malgré son opposition constante ala
cour, repoussait tout changement. Ainsi les deux
pouvoirs politiques restaient en arriere du mouve-
mcnt qui emportait la soeiété.


De leur colé, les philosophes, exclusifs dans
leurs alliauces , n'appuvérent jamáis la résistance
du Parlement. Voltaire , Turgot étaient mal dis-
posés pou)' la magisll'ulure. Les idees les plus har-
dies se développaient done en face du (jouvernement




POUYOIll AUSOLt:. 231


le plus méticuleux qui fút jamais. Ce fut peut-étre
une des causes qui rcndircnt les systérnes aussi in-
dépendants. L'homme qui espere voir ses théorics
appliquées essaie de les concilier avec les intéréts
présents, el ce soin polit, effaee ce qu'elles out de
trop absolu ; lorsqu'au contraire il sait qu'rl n'en-
courra pas la responsabilité de la réalisat ion, il ne
r.cule devant aucune hypothése , devantaucune
conséquence. CeUe foi duns les principes , que les
faits n'avaient jamais embarrassée , a donné , aux
reformes de 89, un caractere de radicalisme quine
s' est uiéme pas soutenu , La révolution 5'est modé-
rée en se consolidant.


Si done on voulait suivre l'enchainement des
causes qui I'ont ameuée , ce serait a l'histoirc des
idées el des théories, et non acelle des faits qu'il
faudrait sadresser. La régence avait donné le pou-
voir aun prince amoureux de nouveautés, ennemi
<le Louis XIV, qui, pendaut sa vie , l'avait disgra-
cié, et qui avait voulu le tenir en tutelle aprés sa
morí. Philippe , ason a véuernent , essa ya de modi-
Iier le svstéme adruinistratif'. A des ministres,


,)


maitres absolus dans chaque partie, il substitna
des conseils dépendant tous d'un conseil central (J).
Chaque conseil devait décider les affaires a la plu-
ralité des voix, CeUe machine compliq uée ne fonc-
tionnapas lougtomps, I'aucienne forme Iut reprise,


(1) ".;amh., lome XXI, pag(' 3fl , an 171,;,




232 POUVOlU A850[('.


et la nouvelle abandonnée aux utopies de l'abbé
de Saint-Pierre , Meme dans des détails insigni....
fiantsvIes idées de Louis XIV prévalurent, ,.Apres
la disgrace de Fouquet, la place de surintcndant
fut abolie, Il n'y eut plus de ministre des "nances;
le ~roi ordonna toutes les dépenses lui-mérne sur le
rapport du contróleur général. On voit assez que
cette distinction était plus apparente que réelle ;
mais elle fut conservée, Le plus important des
ministresn'en eutjamais letitre, et ce ne fñt qu'en
1 78gCJue Necker fut ministre des finances. Jus-
qu'alors il n'y avait en que des contróleurs géné-
raux.


Dans la législation, quelques reformes furent
essayées , mais, par leur timidité mérne, elles con-
firment ce que HOUS avons avancé. L'unité dans
les lois était un besoin genéralement senti; laju-
risprudence était si variable, que tout l'art du plai-
denr consistait a obtenir, par des jugements de
cornpétence, des tribunaux favorables asu cause( 1).
Néanmoins on ne loucha pus an fond de la légis-
lation civile. Dans les ordonnances sur les dona-
tions (2), les testaments, matieres ou les successions
sont partout rappelées , il n'est parlé ni du droit
d 'áinesse, ni de la légitimc : ces points étaient la is-
ses aux articles des coutumes. Les subsritutious
Iurent traitées avec plus de méuagement encoré.


(1) Prc.unb . de I'ordounnnce sur les donal ion s .
Isamb., tome XXI, page 344, an '1:},.
(2) q:{ 1, '735.




I'OUVOIR ABSOUT. 233


Ainsi , dans certaines provinces, ou le droit de
substituer était indéíini , rien ne fut ehangé (1);
dans ·les autres , 00 borna la substitution adeux
degrés, oulre le légataire.


La seule ehose de cette époque qui soit restée
dans notre droit,.la législatíon sur les hypothéques,
est due aTerray. Avant eette réforme que Colbert
voulut et ne put accomplir, les ventes des imrneu-
bies étaient-entravées de genes nombreuses. L'ac-
quéreurne pouvait se libérer envers les créanciers
hypothécaires de son vendeur qu' en créant un
créancier fictif (2). Celui-ci poursuivait l' expro-
priation devant la justice. Ainsi tonte vente d'im-
meubles était soumise aux longues procédures de
la saisie immohiliére. Terray simplifia ces forma-
Iités et les réduisit apeu prés a ce qu'elles sont
aujourd'hui, Le vendeur fut oLligé de déposer son
contrat , le créancier de former opposition au bu-
reau du conservateur, CeUe opposition équivalait
al'inscription du code; elle était va lable pour trois
ans (3). L'ensernble des mesures prises par Ter-
ray autor.se acroire qu'il ne vit dans celle-ci qu'une
ressource íinanciére , et que les taxes perc;ues pa r
les oíliciers chargés de délivrer les divers actes de
procédure le touchérent plus que la facilité du


(l} Art. 32, ortl . sur les substitution s .
Isamb . , lome XXII.
!?) Guyot, voc . Décrct volontaire ,
(:3) Art . 8, lá el 16, <le l'urd ...dc '771,
Ismub ., tome XXII, pagc 530.




23l POUVOIR ABSOLl!.


COII trole. L\lais ce n 'est -pas la prcmiére fois que le
b ien a été Iait par de mauvais motifs.


Quantaux finances, le chiffrede I'impótaugmen-
la ; ruáis les príncipes restérent les mémes. L'État
participa a la richesse générale. Le revenudu ta-
bac, par exemple , prit un développement, enorme.
En 1674, il n'était affermé que 500,000 livres; ala
paix de 1,:" 14, il fut porté a2,200,000 li vres (1);
cnfin Necker l'évalue a30,000,000 liv, Les autres
taxes ne furent vas modiíiées. La capitation, les
vingtíémes furent toujours per<¡us sur la noblesse;
la taille fut toujours un signe de roture. Les ban-
quet'outes de T'erruv ne furent pas une innovatiou
dans rancien régimc; elles eurent toutefois ceci de
partieulier, qu'elles furent faites dans un intérét
égolste. Louis XIV avait eonfondu l'État et sa per-
sonne en disant : « L'État, e' est moi. » Ce mot
était rorgueil ason plus haut degré, mais l'orgueil
déli vré de calculs mesquins. Louis XV, au con -
traire, eherehait agagner sur la misére généraIe;
il se livrait a des spéeulations qu'il favorisait de
son pouvoir de législateur, permettant ou défen -
dant le commerce des grains, selon les intéréts de
son rnonopole.


Louis XVI, avec de bonncs intentions, essaya
deux fois de la réforrnc. Turgot apporta dans les
affaires les idées de son siécle ; iI voulut réaliser la
réforme administrativo qu'effectua la révolution


(1) l mposit.. en Frunce, torne IV,




/'OVVOlH ABSOLU. 235


Irancaise. Par la roideur de son esprit, l'intlexibi-
lité de sa théorie, il en est le seul précurseur dans
le gouvernement. Il avait l'esprit d'un philosophe,
et non celui d'un légiste. Les préambules de ses
édits (1) sont d'excellents traités sur chaque ma-
tiére ; mais l'opposition du Parlement fit avorter
ces reformes hardies (2). Les corvées un mornent
suspendues , les jurandes ct les corps de maítrises
détruits furent rétablis, et la tentative de Turgot
He servit qu'a démontrer combien la plaie de I'ari-
cíen régime était incurable. Necker', plus timide
que son prédécesseur, essaya de vivre avec les abus
et de les adoucir : il échoua cornme lui. Lorsque
les abus sont portés aun certain degré, lorsque 'le
plus grand de tous est dans la contradiction des
idées du passé avec les faits actuels , il est rare
qu'un gouvernement puisse se corriger lui-méme;
son antiquité méme lui nuit. Il apporle dans les
affaires les príncipes du temps ouil s' est créé plutót
que ceux du temps oú il vit; il faudrait, avant de
se réforrner, qu'il renoncát ason titre légal. 01',
POUI' le despotisme , une pareille abdication , e'est
le suicide.


(1) L'édit sur le comrnerce des grains, celui sur les corporations,
celui sur les corvécs .


(2) Isarnh., torne XXIV, pap:c 410, an 1776 .
. 11 est cm-icux de lire , dan s les rernon trances du Parlement , les


mol ifs de son opposit.ion , 11 craint que l.i liberté du commvrce des
grains n'iutroduisc la disct tc, page 417; que la liberté du comrnercc
ne uuise asa prospérité, qnc la supprcssion de la corvr'c ne confonde
la nohlesse ct le clergé ;lYCC le pcnplc, ra~c 111.




2:-l6 PO[ voin .~ nso LV.


Dans les deux années qui précédércnt les Étals
généraux J il Y eut quelques édits dont la pensée
sembleplus radicale . ainsi , parexemplej. oelui
qui réduit les juridictions adeux degrés, qui res-
treint la justice seigneuriale. Mais ces lois 'appal'-
tiennent plutót aI'histoire de la révolution qu'a
celle qui précéde, en réalité, la Franco n'a pas vécu
sous ce régime intermediaire, et ces lois u'out
d'intérét que comme symptórnes de l'esprit nova-
teur.


Sous le régne de Louis XIV) nous le répétons ,
une formedéfinitive a été donnée a cette société
bizarre, féodale par les mots et moderno par les
idées ; ou le despotisrne, absolu en vrincipes, cé-
dait cependant ades restrictions mal définies; oú la
nation Irancaise , si longtemps morcelée , s'appro-
chait de I'unité complete. Dans le tablean que nous
a110118 faire, nous n'oublierons pas les changements
opérés depuis 101'8, et la rareté méme de' ces
changernents pourra montrer au lecteur si nous
avons eu tort de nous arréter acette époque. Nous
avons cru qu'il valait mieux donner une idée gé-
nérale de ce gouvernement dans le temps ou il
s'est constitué que dans celui oú il a été détruit.




CHAIlITRE VII.


.


El'AT Dl:kLA I<RA:NCi<: AVANT LA REVOLUTIO~.-FINkNCE5.


IUlpót dir~ct.- La tadle. ,- Elle était levée dans lespays
,d'Éta;ls plll', les officiers des , fJtats. -, ,Dans .le i ,P4YS
d'élection au nom du gouvernement. - Elle: ¡e,st
réelle dans certaiues provinces. - Personnelle dans les
autl'es.-Exemptions.- Surcharge du pauvre.-Brevet
de la taille. - Département entre les paroisses. '- Le
róle.- Colleeteurs. - Juridiction de la cour des aidd.-
Capitation. - Vingtibl1es.- Fixiés par-I'intendaat. -,;,;: In-
certitude de cet impot.-Arbitraire.- Impóts indirecta.
--De la ferme.-Ses incouvénients.c-c-Inégalité entre les
provinces. - Gabclle, --- Diversité des droits., - ,Ol'don-
nance de 1680. --Greniers d'impot. -- Greniers ~e vente
volontaire. - Sévérité des lois de gabelle. -- Juridiction
spéciale. - Prix du sel. - Aides. - Droits sur le vino~
Ordonnances de Colbert. - Droit sur le papier timbré.
- Douanes. -- Division de la Franee. - Gene du eOlll-
meree.-RéformcdeColbert.-TarifdecI664;.-De 1667'


Rappelons-nous le point de départ de ces re-
cherches . la división de la France en provinces
séparées les unes des autres , conservant une exis-
tence et presque une nationalité distinctes : dans
chaqué province , deux classes d'hommes , I'une
souveraine et l'autre serve. Ces deux inégalités
ont laissé aprés elles des traces profondes. La pre-
rniére , celle entre les provinces, était consacrée
daus les taxes sur la consommation; la seconde ,




238 riTAT DE LA FRANCE AVANT LA RivOLUT.


daos les impóts directs. Ceux-ci, il est vrai,
n'étaient pas per<:;us d'une maniere uniforme, mais
ils étaient paJ'tout. Louis XIV fut le premier qui,
dans les Laxes créées par Iui , n'a respecté aucun
de cespriviléges ; il les a exigés de tous ,'sans re-
connaitre aucune distinction , soit entre les pro-
vinces, soit entre les hommes. JI resserrait I'inéga-
lité dans un cercle plus étroit, mais sans la dé-
truire.


Payer la taille a toujours été une espéce de flétris-
sure. Le principe féodal, que le g~ntilhomme ne de-
vait rien sur le produit de sa terre, est resté la théo-
rie légale de l'ancien régime. Les dixiemes et la ca-
pitation, quoique toujours per~us, étaient regardés
commedes mesures temporaires. Le gouvernement
déclarait, en établissant les vingtiérnes qui rempla-
cérent les dixiémes , l'époque oú ils dcvaient ces-
ser (1); mais iI renouvelait , achaque période,
l'établissement et la déclaration. Les progrés de
l'égalité qui envahissait la société francaise se ré-
vélaient dans les divers impóts. Au commencement
du xvn" siécle , la taille , irnpót roturier, formait
un peu plus de la moitié de la recette (2). Ce rap-
port resta le méme sous Richelieu. Nous ne parle-
rons pas de I'administration de Mazarin , ternps de
gaspillage oú le chiffre des taxes était d'autant plus


(1) Edits de 1749, '7 56, '7 63, '7l'7.
cUaL cl'impóts, page 408.
(~) 14,000,000 SIlJ\ 2(j,OOO,OO,J,




ETAT DE LA FRANCE AVANT LA R~VOLUT. 239
elevé qu'ellcs étairnt plus mal payées. Sous Col-
hert , en 1669, l'impót direct était rle44,ooo,ooo Ii-
"res sur 102; en 1633, de 35 sur 1 1 ~; a pell
prés le tiers de la recette totale ( r ), Sous Necker ,
la taille n'était plus que le cinquiéme du revenuts).
La révolution opérée dans la société, le niveau qui
s'appesantissait sur la classe élevée se manifestaient
hautement dans cetre progression; mais la mémc
cause rendait plus insupportables les restes de
l'inégali té féodale. Ce n' était plus .I'expression d'un
fait actuel , c'était nne injusrice née d'un régime
détruit : on s'y soumettait comme on se soumet a
la force, a contre-creur, et cette obéissance elle-
méme rappelait le droit qui ne la légitimait paso


L'impót direct variait selon les diverses pro-
vmces.


Daus les pays d'États, ou certaines traditions de
liberté s'étaient conservées , les taxes étaient levées
au nom des États, et par leurs officiers (3) ; mais ,
depuis longtemps , leurs dons n'éaient gratuits que
de nom; ils étaient devenus une imposition ordi-
naire. Le pouvoir des États n'était plus qu'un mot
sans valeur, excepté tpeut-étre en Bretagne. En
Bourgogne. par exemple, ils ne s'assemblaient que
tous les trois ans , pendant un mois (4). Leurau-


(1) Furh .
(2) 9', COO,OOO sur &8[I,o()(),ooo.
(3) Mat . dimpóts, page :351 .


\) Iternontrances de la cour des uidcs en qG3.
~Jat. (I'illlpt>ls, pagr 318.




240 iTAT DE LA FRANCE AVANT LA RivOLUT.


torité était exercée par la chamhrc des élus, noru-
més SOU8 linflur-nce du gOllvcrnement.


Toutefois, les apparences mérne de la liberté
sont bonnes aqnelque chose. Les pays d'États
dont la population était le quart de celle du royaume
ne payaient au roi que 6,000,000 liv. en 1670,
tandis que les provinces d'élection pavaient
31,000,000 Iiv, (1). A la fin du XVIIl C siécle , on
peut encore ohserver la méme différenceja). 00
remarquera que les pays d'États', al'exception de
la Bourgogne, jouissaient tous de quelque exemp-
tion sur les droits d'aides OH de gabelles.


Non seulement I'irnpót direct n'était pas per~u
partout de la méme maniére , il 11e l'était méme
pas d'aprés les mémes príncipes. Le contribuable
changeait selon les généralités : dans les unes, la
taille était réelle ; dans les autres , elle était per-
sonnelle. Cette division ne s'accordait méme pas
avec eeHe dont 110US avons parlé plus haut. Ainsi,
par exemple, en Dauphiné, pays d'élection (3),
la taille était réelle, tandis qu'elle était personnelle
en Bourgogne. En géneral, la réalité de I'impót
était le droit cornmun du midi. La jurisprudence
romaine y avait introduit quelques principes
déquité , inconnus dans le reste de la France.


(1) Forb., lome 1, page 443.
(2) Compte de Necker aI'Assemblée constituan te.
(3) Les pays d'élection oú la taillc était réelle étaient la génpralilé


de Montauban , de Grenoble et d'Auch.
Imp. f'11 Francc, tome 11, pagc 118.




ETAT DE LA FRANCE AYANT LA njYOLUT. 24t
La taille personnelle s'imposait d'aprés la qua-


lité de la personne; la réelle, d'aprés cel1e de la
terreo Le principe des deux méthodes était I'iné-
galité. Dans la premiére , il Y avait des hornmes ;
dans la seconde , des terres qui ne payaient rien.
Entre ces deux injustices , la derniére était la
moindre, parce qu'elle était fixe; elle n'avait été
faite qu'une fois, el tout acquércur d'un bien 1'0-
turier connaissait l'obligation qu'il contractait.
Les changements dans la taille personnelle avaient
Iieu tous les ans. Rendre la taille réelle dans tout
le royaume avait été le vceu inutile de Colbert, el
la chimére de tous les réveurs (1;. Les faits vont
souvent au dela des utopies les plus hardies.


L'arbitraire et la surcharge du pauvre étaient
deux inconvénients inhérents a la taille person-
nellc. II est difficile d'évaluer, avec précision , la
valeur de l'exemption accordée aux privilegies.
Cornrne le fermier était imposé a raison des
terres qu'il faisait vaIoir, il compensait l'impót
par une réduction sur le ferrnage. Mais en fin , il
Yavait dans la taille une portion, privilége du
pauvre habitant des campagnes. Necker est resté
au dessous de la vérité, HOUS le pensons, quand il
l' évalue a 10 OU 12 millions SUI' 90, cal' les privi-
léges étaient nombreux (2).


Tous, iI est vrai , n"avaient pas la méme éten-


(1) Boulainvi'lliers ,
(2) Ncckel', tome 1, page 8R.


16




24~ jTAT DE LA FRAXCE AVANT LA RivOLUT.
due. Les nobles, les membres des cours souve-
raines, non seulement ne payaient pas la taille
personnelle; mais ils avaient encore le droit de
faire valoir par eux-mérnes une certaine étendue
de terreo Ce privilége d'exploitation était de quatre
charrues pour les gentilshommes et les ecclésias-
tiques; dune charrue, ponr les bourgeois de Pa-
ris(!). L'exerr.ption de la taille personnelle des-
cendait beaucoup plus has. Les hahirants de Paris,
de Lyon et de plusieurs villes franches , les mern-
bres des présidiaux, des élections, des greniers a
sel , les officiers aux arrnées , e' est adire la por-
tion la plus riche du tiers-État , jouissaient de cene
faveur. C'était l'effet de cette idée malheureuse qui
avait attaché de la honte a un impót : chacun
cherehait as'en exempter par vanité et par avarice ,
Telle était la force des préjugés que Malesherhes
Iui-rnéme ne voit dans ces priviléges que des droits
acquis fu),


Le principe de la taille personnelle lui ótait toute
fixité : elle devait varier cornme la richesse dn
contribuable. Le fermier était arrété dans toute
amélioration par la crainte de voir augmenter sa
cote. On avait réduit , il est vrai , la rigueur de ce
principe; on avait égard a la valeur du fonds (-~x-


(1) Edits de 1667 et 1Ú73.
[mp., tome n, page 43.
(2) Rcmontrances de la eour des nicles, 1¡liS,
Mal, dimpót s, page 210.




~TAT DE LA FRA~CE AVANT LA R~VOLUT. 243
ploité par le tailIaLle. Mais, comme la taille n'em-
portait pas hypotheque (1), toutes les rigueurs de
I'exécution étaient pour le fermier.On peut voir,
dans Vauban etdans lloisguilbert (2), aquel degré
dedureté elles étaient portées: on arrachait les pou-
tres, les fenétres des maisons pour les vendre. Si
le privilégié payait une part indirecte par les mains
de son fermier, il était, au moins , exempt de toute
avante.


Le chiffre de la taille et sa répartition entre les
diverses généralités étaient fixés, chaque année,
par un arrét du conseil, appelé brevet. D'aprés
I'avis des intendants, la division de l'impót était
faite entre les élections de chaque généralité, par
les cornmissions émanées du conseil. Apres les


.commissions données, le conseil du roi n'interve-
nait plus (3).


Dans l'origine, les fonctions attribuées aux in-
tendants étaient remplies par les bureaux de
finances ; c'était d'aprés leur avis qu'étaient expé-
diées les commissions. lIs faisaient aussi, avec les
élus , le département entre les diverses paroisses,


Mais, depuis 16!~3 (4), cette autori té passa des
magistrats inamovibles aux administrateurs révo-
cables. Les premiers n'eurent plus qu'une voix
consulta ti ve, le département de la taille dut tou-


(1) Damat.
(2) Vauban, dlmc royale. Boisguilhert, détail de la Franee.
(3) Mal. d'impots, page 659.
(4) Forh., tome J, page 236.




24.4 ÉTAT DE LA FRANCE A VANT {,A RÉvüLUT.


jours porter l'attaehe du trésorier de France ,
simple forrnalité sans valeur. Les intendants seuls
décidaient de l'imposition de ehaque paroisse.


Ce ehangement dans les formes en entrainait un
dans le fondo Quand le département se faisait par
les élcetions et les bureaux de finances, tribunaux
réguliers, c'était par une déeision judieíaire sou-
mise a l'appel. La paroisse lésée avait done un
recours eontre l'injustice dans les cours des aides;
mais, quand eette opération eut lieu par voie ad-
ministrati ve, les magistrats ne purent plus en
connaitre.


L'autorité , devant les tribunaux , n'eut plus af-
faire ades cornmunautés , toujours plus fortes que
des indi vidus , elle devint plus absolue du jour oú
elle se fut débarrassée des résistances colleetives.


La seule garantie contre I'injustice , le dépar-
tement, était dans I'intérét du gouvcrnement qui,
ponr rendre la pereeption facile , doit la fixer d 'a-
prés une proportion équitable.


Dans ehaque paroisse , le role était fait par le
eollecteur (1); mais, eornme celui-ci était sou vent
ineapable, un commissaire au role, délégué de
lintendant (2), pouvait imposer eertaines cotes
d'oflice. Le eollecteur était responsable du montant
de l'impót ; malgré la remise qui lui était accordée,
ces fonctions étaient une eharge si lourdc qu'elles


(1) 1\Iat. d'impots, page 233.
()\ Mat. d'imp(jts, page 660.




ETAT DE LA FRA~CE A~ANT LA RE~OLUT. 2'5


se donnaient suivant l' ordre d'un tablean. La res-
ponsabilité des collecteurs u'affranchissait vas la
paroisse, Si ceux-ei devenaient insolvables, le re-
ceveur des tailles choisissait cinq ou six des prin-
cipaux habitants dont il discutait les biens (1).


Le contribuable n'intervenait dans I'impót que
pour le payer; l'arbitraire était partout , et la ílexi-
hilité des lois tourne toujours contre le pauvre.
Tout seigneur en crédit se faisait un point d'hon-
ueur d'obtenir un soulagement pour sa paroisse
aux dépens de la paroisse voisine; les collecteurs
étaient foreés de ménager eeux dont ils avaient
besoin.


Le produit de ehaque paroisse était porté, par
les collecteurs , aux reeeveurs des tailles, qui les
transmettaient aux receveurs généraux. Ainsi la
répartition et le recouvrement de I'impót ne se fai-
saient pas par les mérnes mains.


Les contestations relatives aI'impót étaient j 11-
gées, en premiére instance , par les élections; en
dernier ressort , par les cours des aides. Mais eette
garantie légale, toujours reeonnue, était éludée.
Comme les intendants seuls pouvaient faire des
diminutions, et qu'ils imposaient toujours une
somrne supérieure a celle que chaque paroisse
pouvait porter, ils disposaient de I'irnpót aleur
gré (2). Quelquefois le despotisme ne daignait


(1) Imposit. en Franee, torne II, page 92-
\~) Remonlranccs de la cour des aides, '768.
,'lat. dimpóts, pagc 2H.




246 ETAT DE LA FRANCE AYANT LA RjYOLUT.


pas se cacher. Les procés pendant devant les
cours étaient évoqués au conseil du roi, et la déci-
sion était alors rendue par le contróleur général,
sur le rapport de l'intendant (1).


La taille dont l'origine remontait a une époque
oú les deux classes de la nation étaient aune dis-
tance immense l'une de l'autre, ou le pouvoir
royal était soumis acertaines exigences, a toujours
rappelé, par quelques formes, ces souvenirs de
liberté et d'inégalité. I ..es vingtiemes et la capita-
tion, ressources imaginées sons un regne oú il n'y
avait plus aucun intermédiaire entre le sujet et le
maitre, furent irnposés sur tous. Mais l'autorité
absolue avait gl'andi en méme temps que I'égalité;
elle ne voulut plus méme rcconnaitre le controle
\II\\,al'falt de la ma~lstl'atul'e.


La capitation et les vingtiemes étaient répartis
par les intendants seuls (2). La capitation des
taillables était proportionnelle a leur taille; celle
des privilégiés reposait sur une base plus inégale,
puisqu'elle dépendait de I'État, et non de la for-
tune du contribuable. Ainsi, par exemple, tous
les conseillers au Parlement payaient la méme
somme, riches ou pauvres (3).


(1) Remontranccs de la cour des ai d cs , I no.
Mat. d'impots, page 526.
(2) Remontrancesde 1756.
MaL d'impols, pagc 10.
il) Itemont . de 1711-


Mal. dimpóts. pagc (h 1




E'I'AT DE LA FIU",CE AVAYf LA RE\OLUT. 2'17


Le principe des vingtiémes était plus équitahlc ;
ils étaient levés sur tous les biens, meubles et im-
meubles. Cet irnpót , réel et direct, était levé
comme les laxes indirectes; il ne consistait pas
dans une sornrne limitée a répartir entre tous les
contribuables , mais dans une proportion déter-
minée du rcvenu, La mohilité des taxes sur la
consomrnation se trouvait transportée dans un im-
pót réel : ríen ne compensait les inconvénicnts de
cette incertitude. Les taxes indireetes He se paient,
('n général, que par petites sommes , au moment
de l'échange ou de la consommation; c'est méme
pour eette cause que I'accroissernent daus leurs
produits cst un signe de richesses. Le vingtiéme
ne pouvait se subdiviser autant qu'un droit sur le
vin , par exemple; et comme il était exigé d'apres
un role fait d'avance , il devait arriver souvent ,
par les oscillations naturelles de l'aisance eL de la
gene, que le plus fort irnpót fút exigé au momeut
méme ou le conrribuable pouvait le moins le payer.
Enfin il est libre a chacun de se soustraire au
paiement du droit sur la consommation, et cette
faculté rend le fardeau moins sensible.


Une large part était Iaissée aI'arbitraire dans
les vingtiemes d'industrie. L'évaluation dune chose
aussi variable ne repose que sur des présomptions
sans aucune certitude.


Les roles de cet irnpót n'étaient déposés nulle
part : le contribuable ne savait aqui adresser ses




248 iTAT DE I~A FRANCE AVA~rr LA njvoLUT.


réclamations (1); il était ohligé de s'en rapporter
a la conscience et aux lumiéres de l'intendant et
de ses préposés.


Le méme esprit de despotisme envahit les taxes
indirectes créées par Louis XIV. Les contes-
tations sur le controle (2), sur le centiéme de-
niel', sur le franc-fief furent enlevées ala justice
réglée. Comme les prétextes ne manquent jamais
aux mauvaises mesures, 00 soutiut que ces droits
faisaient partie du domaine royal, et devaient étre
jugés dans son conseil. Il faut observer que ce sont
ceux qui engendrent le plus de procés, et qui, par
leur nature, rentrent le plus sous la compétence
judiciaire, Dans les autres impóts, il n'y a qu'une
question; I'impót est-il dú ou ne l'est-il pas '/ lci,
au contraire, il faut fixer la proportion d'aprés
laquelle il est dú, détcrminer le sens d'un acte. Le
lecteur nous reprochera pent-étre un peu de con-
fusion ; mais il est difficiIe de l' éviter dans les mots
quand elle est portée a ce point daos les choses.
Elle tenait surtout ace que le mode de perception,
le choix du tribunal dépendaient non de la naturc
des t ix es, mais de l'époque de leur établissement.


L'impót direct, quel que fút son nom, était per<;u
au nom du souverain. On retrouve sous l'ancien
régime les impóts indirects de nos jours, les droits


(1) :MaL d'impót, pagc G6.
(~l) Remontr:lnces de 1763,
Mat. dimpót , page 117.




ÉTAT DE I.A J;'ItANCE AVANT LA RÉVOLUT. 249


sur le sel, sur le vin, les droits de douane, depuis
Louis XIV I'enregistrement, mais avec cette difTé-
rence quils sont tous levés an nom de particuliers.
Les deux svstémes, la ferme et la régie, étaient en
présence. Sous la fin du régne de Louis XV,
Terrav , sous Louis XVI, Necker donnérent une


"


part al'État dans les bénéfices des compagnies de
finances; mais jusqu'alors c'avait été une véri-
table ferrne. Le roi passait un bail de ses droits a
un particulier obscur; cal' les fermiers généraux
ne paraissaient pas dans l'acte : ils n'étaient que
les cautions de I'adjudicataire,


Ce svstéme souleve bien des objecrions , jusqu'á
quel point le gouvernement peut-il déléguer ses
fonctions ades particuliers? Quand celui-ci admi-
nistre ses finances, chaque citoyen a une garantie ;
I'intérét du Trésor Iui-méme, qui se confond avec
I'intérét général: il est sur, tant que l'institu-
tion ne sera pas faussée, de n'étre pas sacrifié a
une avidité particuliére, Cette sécurité n'existe
plus avec la ferme, cal' le fermier nest pas un
fonctionnaire public; son role est mérne distinct
de celui du gouvernement. Le sort du contribuable
ne le touche guere; il veut jouir de ce qu'il a
acheté; e' est méme la I'ineonvénient le plus réel
de ce mode de recouvrement , Il v a forcérnent


J


deux intéréts en présence : celui de l'État qui ne
peut abandonner le peuple a toute l'avidité du
fcrrnier, celui du fermier qni ne peut s'en fiel' a




250
, ,


ETAT DE LA FRANCE AVANT LA REVOLUT.


des agents hors de sa dépendance. SOllS un gon-
vernement absolu et dissipateur, ce dernier Iinit
toujours par l'emporter; alors le contribuable ne
peut se défendre contre l'avidité intelligente des
particuliers soutenus de la force publique.


Enfin les frais d'administration sont doublés,
puisqu'a ehaque pereeption doivent assister le
fonctionnaire public et le préposé de la ferrne. Il
faut donner, en outre, un bénéfice au fermier,
bénéfice considérnble, parce que toutes les pré-
cautions n'empéchent pas le monopole. II n'y a
jamais assez de capitaux pour qu'une affaire, telie
que le maniement des deniers puhlics, soit disputée
par une concurrence sérieuse.


La taille ne reconnaissait qu'une distinctiou,
celle de noble et de roturier; e' était, en efIet, celle
qui, a la fin du moyen ag(~, s'était étendue sur
toute la Frauce, Les laxes sur la consommatiou,
au contraire, rappelaient le morcellcment féodaI
dans toute sa variété. Aucune d'elles n'était levée
dans tout le royaume; iI Y avait des provinces ou
les aides a vaient cours; d'autres ou elles étaient
inconnues; des provinces de grande gabelle et de
petite gabelle, et des provinces exemptes; des pro-
vincos des cinq grosses ícrrnes, el des provinces
réputées étrangéres. Dans chacune de ces di visions,
on trouvait des subdivisions nombreuses; el, pOlll'
rendre la confusion plus inextricable, elles ne s'ac-
cordaient pas les unes avec les autres• .A insi la




jTAT DE LA FRANCE AVANT LA nivOLUT. 251


Provence, la Franche-Comté, exemptes du droit
sur le vin, payaient une portien des droits sur le
sel; le POilOU, l'Aunis, compris dans les ciuq gros-
ses fermes, faisaient partie des pays rédimés sous
Henri U. Ces irrégularités n'étaient pas seulement
une gene pour la perception; elles étaient encore
une excuse pour toutes les tyrannies. La contre-
hande était encouragéc et par le prix élevé du
droit, el par la multiplicité des cornmunications, cal'
la France était une en dépit de ses lois de linance.


Avant de jeter un coup d'ceil sur ces divers im-
póts, nous rappellerons au lecteur que, depuis la
réforme de Colbert sur ces matiéres, iln'y a eu que
des inuovations de détail, Il a fixé le dernier état
de toutes les branches de revenu.


Une partie de la France payait l'impót sur le
sel; la Bretagne, la Flandre, le Cambrésis en
étaient exempts. Dans les pa ys soumis ala gahelle,
on distinguait les pays de grande gabelle, ceux de
perite gabelle, les pays rédimés et de quart bouil-
Ion. Dans chacune de ces divisions, le prix du sel
variait , ainsi il fallait protéger I'impót, non seu le-
ment contre les provinces exemptes, mais encore
contre celles ou le droit était moindre. Nous ne
HOUS occuperons que des paysde grande gabelle ( 1).
Ils formaient le centre de la France ; leur popu-


(1) Yoil' aux pil'CCS .ills1ificatives quclq ucs détails sur la pcrcept ion
de cet impót dans les pro vinces de pe Lite gabclle.Lcs généra1ités de
\' al'i'i , d'Or\é.m'i, (\e 'tours, (\e l'>ouq:;cs, oe 1\lo\l\ins, ~le Dijon. de
Soi ssons, de la Norrnu udic étuient de grandes ga1Jelle,:;.




252 . .ETAT DE LA FRANCE AVANT LA REVOLUT.


lation, égale au tiers de la population totale du
royaume, payait a elle seule (1) les deux tiers de
cet impót.


Le lecteur se rappelle peut-étre la méthode ern-
ployée pour lever de nouvelles taxes. Des offices
étaient créés avec des attributions de droits; puis,
les offices rernboursés, les droits étaient mainte-
nus; l'impót total était donc composé de plusieurs
impóts partiels. Ce fut le premier abus que ré-
forma Colbert. Dans le bail de 1668 ('2), tous les
droits sur le sel furent convertis en un seul, appelé
le prix du sel. L'ordonnance de 1680 (3), le fixa
;\ 42 liv. par minot, c'est adire a 79, 80 de notro
rnonnaie. En admettant, avec Necker-, une con-
sommation de gliv. par pcrsonne, ce serait un
impót de 7 liv. par tete (4), charge accablante,
surtout en comp:lrant la valeur de l'argent au
temps de Louis XIV et au nótrc.


Les taxes exagérées produisent deux maux : la
taxe d'abord, et par dessus tout, les mesures acer-
bes destinées ales protéger.


Dans l'étendue de la ferme, on distinguait deux
espéces de greniers : ceux de vente volontaire, et
ceux de vente par impót. Dans les prerniers, si le
contribnable n'avait ras consornmé son sel araison


(1) Necker .
(2) Bail de 1668.
(:3) Le min ot de sel était de 100 Jivres pesant .
~().lIS avons pris la moyennc <les prix ; ils vnriaicnt sdon les


grenlcrs.
(l) o.«. des gahcllcs.




ETA.T DE LA. F1U-"CE AYAY!' LA nÉvOLUT. 253


dun minot par quatorze personnes, il était con-
damné lE I'nmende, {t la restitution des droits et
autres peines, s'il échet (1). Ce sel ne pouvait
servir ponr les {jfosses salaisons, il était pour pot
el saliere, selon l'expression technique de la fi-
nance.


Dans les greniers dimpót, le sel était réparti
par paroisses. On trouve ici la mérne législation
que POUl> les tailles : un collectenr, chargé de dis-
tribuer le sel, responsable du prix; la faculté, pour
le fermier, de discuter les biens des principaux
habitants. Aucune surséance ne pouvait étre ac-
cordée par la COllI' des aides.


La gabelle était protégée par des lois odieuses
OH atroces. 'I'outes les maisons devaient s'ouvrir
aux recherches des officiers de greniers. « Voulons
» que ceux qui se trouveront saisis de faux sel, ou
» con vaincus d 'en faire trafic, soient condamnés,
) savoir les faux-sauniers, avec armes, aux galeres
» ponr neuf ans, et en 500 livres d'amende j en
» cas de récidive, pendus et étranglés. Les faux-
» sauniers sans armes, avec chevaux, harnais et
» charrettes ou baLeaux, condamnés, pour la pre-
» rniére fois , a 300 livres d'arnende , et, en cas
» de récidive, aux gaIeres pour neuf ans (2). » Si
I'amende n'était pas payée dans le mois de la con-
damnation, elle était commuée en la peine des ga-


(1) Ord. des gabelles, pagc 16.
(2) 0)'{1. des gahellf's, t in-e du faux-saunage, art , :J.




254 ~l~T DE LA FRANCE AVANT LA RjYOLUT.
léres, tes employés de la ferme, eoupables de
faux-saunage, étaient punis de mort ; ceux qui
reeélaient les faux-sauniers étaient regardés eomme
complices.


Ces peines n'étaient point seulement une me-
nace, elles étaient appliquées. Trois eent.s indivi-
dus, le tiers des eondamnés de tout le royaume,
étaient envoyés aux galeres, ehaque année, pour
faux-saunage. Le nombre des prévenus était quel-
quefois si grand, que des maladies contagieuses se
déclaraient dans les prisons (1). Souvent la con-
naissance de ces affaires était enlevée aux greniers
asel et aux Cours des aides (2), juges naturels de
ces matiéres, et donnée a des cornmissions (5).
Doit-on s'étonner qu'un semblable régime, con-
tinué pendant des siécles , ait habitué le peuple a
voir dans le gouvernement un ennemi (4) '1 Les
exces de 93 ne sont peut-étre que la vengeance
de ces barbaries, léguée de génération en géné-
ration.


Il peut sembler étrange de dire que eette 01'-
donnance eruelle, qui punit des eontraventions de
police comme des crimes, fút un bien a l'époque
oú elle parut : teIle est eependant la vérité. Ces


(J) Nccker , Le nombre ordinai re des prisonniers accusés de fa ux-
saunage était 1,800. u.., tome II, page 34.


(2) Mat. dimpóts, an '769, page 37,3.
(3) Sous Louis XIV. Piéce cotée A, au bail de J GGn"
:4) Sous Louis XV. !\faL d'imptlt, pagc~ 13,20.




inAT BE L\ FRA:\CE AVA~T' I.A nÉ,·oLuT. 255
rigueurs faisaient partie de la législation : elle ne
les lit pas disparaitre ; mais au moins elle mil un
ordre plus méthodique dans la jurisprudence, La
sévérité des peines fut dégagée de l'arbitraire.


Deux cent quarante-quatre greniers a sel, C0111-
posés de plusieurs juges, prononcaient , en pre-
miére instance, sur tous les procés de gabelle (1).
Ainsi, ponr ce seul objet, pour le tiers seulement de
la France, le personnel des n-ihunaux dépassait le
nombre des j uges de premiere instance.


Le prix du sel a baissé depuis Louis XIV jus-
qu'a Necker, puisque celui-ci ne l'évalue qu'á
62 liv. (2). Ceue diminution a été due aux altéra-
tions de monnaies, cal' le gon vernernent ne touchait
aux impóts que pour les augmenter. Non seule-
ment la livre monétaire contenait moins de poids
que SOtlS Louis XIV, rnais la valeur de l'argent
lui-rnéme était devenue moindre. Ces deux causes
furent un soulagement pour le contribuable.
En général, les vieux impóts , depuis la fin du
XVlIc siécle , sont restes stationnaires. Les besoins
out été satisfaits par des créations nouvelles.


Les aides étaient régies par un systéme encore
moins uniforme. La Provence, la Frunche-Üomté,
le Roussillon, la Lorraine (3) jouissaient d'une


(1) Encyclo péclie, voc . Gahclle ,
(2) Depuis 1680, il avait été ajouté au p rix nominal du sel 6 SOllS


par livrc, un pcn moins d'un tiers , Imp. en France, t. III, p. 54,
::1) Nrrk,~r, tome 1, pagcs 1 24, 12~, 147'




256 ÉTAT DE LA FRANCE AVA~T LA RÉVOLUT.
immunité compléte, tandis quedanslcLimousin( 1),
les 'I'roís-Evéches, la Guienne, I'Aunis, le Perche,
le Dauphiné et une partie de la Bourgognc, elle
n'était que partielle. Dans la Bretagne, la Flandre
et l'Artois (2), la consornmation était frappée d'un
droit au profit des États. Ce produit servait aac-
quitter les contributions de la proviuce en vers le
Trésor royal. SOtlS Colbert, l'exemption était méme
plus absolue qu'elle ne le fut plus tard ; quelques
droits, ceux des courtiers-jaugeurs, des inspecteurs,
furent exigés dans tout le royaume (3).


Il Y avait des droits de plusieurs sor tes : des
droits d'entrée ala porte des villes , des droits de
transport, des droits de vente en gros, de vente
en détail. Quelques uns de ces droits, celui de gros,
llar exemple, remontaient au X1Ve siécle (4) ; les
autres étaient modernes. Certains offices furent
créés sous Louis XIV, avec une attribution atTectée
aux officiers; les oflices furent remboursés et le
droit maintenu, Parmi ces taxes créées adiverses
reprises, quelques unes avaient été conservées
dans certaines généralités, et rachetées daos d'au-
tres. Si nous voulions entrer dans le détail de ces
taxes , nous fatiguerions inutilement la patience


.du lecteur. Toutes les vexations inherentes a


(1) Nccker, tomc 1) pages 130, 136,139,143.
(2) Necker, tome J, pages 138,153.
(;~) Ord . sur les aides de 1680 ct 1681.


/1) Imp. en Frnnce, tome lB, page 35H.




ÉTAT DE LA FRANCE AVANT LA nÉVOLUT. 257


l'exerciee, le droit de visite, de saisie, étaient en
usage. Les nobles, les ecclésiastiques, les bour-
geois de certaines villes jouissaient de quelques
priviIéges (1) sans valeur. Le chiffre du droit était
éIevé; en Normandie, le droit de détail était de 25
pOUl' 100; le droit al' entrée , aHoueu, était de 9 1.
par tonneau, environ 75 pour 100 du prix d'achat.


Entre les pays d'aides eux-mérnes , il Yavait des
différences. Ainsi il fallut faire deux ordonnan-
ces, l'une pou!' le ressort de París, l'autre pour
celui de Ronen. Sans détruire ces abus , Colbert
essaya de les réduire; il rendit la pereeption plus
faeile; il réunit les divers droits d' entrée en un
seul, et tacha d'opérer la méme réduction ponr
tous les droits d'une nature semblable. Par ses 01'-
donnanees, il substitua des príncipes certains ala
jurisprudenee variable des tribunaux, et e'était
déja une amélioration notable; cal' la loi écrite est
ala portée de tous, la jurisprudence u'est connue
que des pratieiens. Mais ses sueeesseurs ajoutérent
de nouveaux droits , créérent des offices, vivant au
jour le jour, sans s'occuper des embarras légués a
l'avenir. Gráce aeette ineurie, la confusion, en
J 789, était aussi grande qu'elle I'avait jamáis
été(2).


Les droits sur le papier timbré (1674), sur
la marque des fers, faisaient partie de la ferme


(1) Ord. sur les aides, tit. XI.
('1) Imp. en Fvan ce , tome IU, page -\09'


17




258. ÉTAT DE LA FnA~CE AVANl' LA REVOLUT.


des aides : mais les laxes royales n 'étaient pas la
seule charge imposée a la consommation (1). 11
Y avait a Paris, en 1788, 1,27 1 officiers , divisés
en 22 corporations, chargés de la police des ports
et des rnarchés, moyennant un salaire. Ce nombre
eút été méme plus considérable si la ville de Paris
ou les anciens officiers n'eussent acheté les créa-
tions nouvelles, enfantées par l'imagination des
traitants.


Le commerce, avant Louis XIV, était traité
comme un ennemi; il semble qu'on l'eút, aplaisir,
arrété par des genes et des entraves multipliées.
1,,3 France , sous le rapport des douanes, se divi-
sait en deux nations , d'une population aIJeu prés
égale, qui , réunies sous un mérne gouvernement,
ne pouvaient échanger leurs denrées , soit al'en-
trée, soit ala sortie, qu'en payant des droits. L'une
était comprise dans les provinces des cinq grosses
formes (2); I'autre , dans les provinces réputées
étrangéres. Celles-ci étaient celles ou les taxes sur
la consommation n'avaient pas COUfS. Le droit
nétait pas aussi faible qu'on pourrait le supposer.
Ainsi , le blé, a l'entrée, payait 1 liv. 17 s., el1-


(1) Imp. en Frailee, tome IU, page qO!).
(2) Les pr-oviuces des cinq grosses ferrncs étaien t l'Tlc-dc- Ffa uce ,


la Normandie, la Picardie, la Champagne, la BOllrgogne, la Bresse,
le Bngey, le Bourbonnuis, le Berri, le Poitou, l'Aunis, l'An.lou, le
Maine.


D'apr és le recensement de Necker, la population de ces provinces
était de 12,300,000, moitié de celle du royaume ,




iTAT DE LA FRANCE AVANT LA RivOLUT. 259


viron 20 pour 100 de sa valeur; a la sortie , le
droit était dix fois moindre; le plomb , al' enirée et
a la sortie , 12 S., c'est adire a peu prés trois et
demi P?ur 100; la laine 15 liv. al'entrée et 5 ala
sortie (1). Mais le plus grand mal était I'incertitude
et la variété de l'impót, Quelques droits , le réve,
le haut passage, l'imposition foraine, remontaient
au XIVe siécle (2). Achaque besoin on avait créé une
nouvelle taxe, sans penser a la coordonner avec ce
qui existait. La douane de Valence, par exemple ,
avait été établie, en 1595 (3), pour payer la red-
dition de Vienne au gouverneur; elle fut tou-
jours continuée , malgré des réclamations conti-
nuelles. Tout ce qui y entrait du Dauphiné , de la
Provence et du Languedoc était soumis a la
douane. Ces trois provinces formaient, dans le
royaume, comme un état étranger.


Quelques UIlS de ces droits étaient soumis a la
législation la plus bizarreo Ainsi, a Lyon, centre
du commerce entre la Méditerranée et l'Océan, on
a vait établi une douane Iocale. Pour percevoir le
droit, on forca le marchand de passer par cette
ville; la marchandise allait chercher I'impót. En
1756 seulement, les soies purent entrer dans le
royaume, saos passer par Narbonne; enfin ce ne
fut qu'en 1743 q ne les marchandises destinées a


(1) Tarif de djG3.
(2) Préambulc de l'édit.
(~) Forh., tome 1, page 42.




260 iTAT DE LA FRANCE AVA~T LA RivOLUT.
l'étranger furent exernptes de la douane (1).


Certains droits se levaient dans une province et
ne se levaient pas dans une autre. Le haut pas-
sage, exigible en Champagne, ne l'était pas PIl
Languedoc; d'autres, au contraire, étaient com-
muns a tout le royaume (2). La traite domaniale,
par exemple, ne se levait que sur les rnarchandises
destinées a l'étranger; les drogueries, les denrées
coloniales ne pouvaient pénétrer dans le royaurne
que par certains ports, et payaient un droit de
4pour 100. Ainsi, partout se trouvaient consacrées
I'unité et la diversité de la France; le souvenir de
son passé et le germe de son avenir.


Quand on songe au prix du temps et dela sécu-
rité ponr le commerce, on s'étonne qu'il n'ait pas
été anéanti dans un temps oú chaque pas l'exposait
a une formalité ou a un proceso Le code de la
ferme était immense et u'était recueilli nulle parto


(( Nous savons bien, disait la cour des aides (5),
» que, pour lever des droits excessifs, il faut des
» lois rigoureuses; mais au rnoins faut-il qu'elles
» soient précises. » Le marchand aimait mieux
payer ce qu'il ne devait pas que de se jeter dans
un procés dont l'issue dépendait de lois et d'usages
connus seulement de son adversaire.


Colbert eút voulu débarrasser la production de


;.) Forb., tome 1, page 220.
(2) Préamb. de l'édit de 11364,
(3) Mat. dimpóts ,




iTAT DE LA FllANCE AVANT LA R~VOLUT. 261
toutes ces entraves ; mais les préjugés des magis-
trats s' opposérent a toute reforme radicale. Le
principe de la propriété, celui de I'inaliénabilité
du domaine, protégeaient a leurs yeux cette
multitude de péages dont le nombre dépassait
600, et dont le produit brut, en 1789, était de
6,000,000. Ils ne voyaient pas que la société seule
peut avoir un droit sur la chose d'autrui , en vertu
de la protection qu'elle accorde, et que ce droit ne
peut s'aliéner ; en un mot, qu'il y a un abime entre
la propriété publique et la propriété privée. e'était
dans ce sens que la máxime de I'inaliénabilité du
domaine eút été raisonnable , et c'était justement
celui qu'on n'appliquait jamáis. Malgré le préam-
hule de l'édit de 1664, la Loire fut t.oujours hé-
rissée de 28 péages (1); quelques droits, le trepas
et l'imposition d'Anjou furent méme aliénés a des.
particuliers (2).


Colbert ne put faire ponr les droits intérieurs
de traites que ce qu 'il fit plus tard pour les aides
et la gabelle; il réunit les divers droits de réve, de
passage en un seul. En méme temps, il publia le
tarif d'aprés lequel ils devaient étre per<;us (3). Il
retranchait par la tous les abus, sauf celui qui l'é-
sultait du droit lui-méme, Sans que le gouverne-
ment s'en soit occupé, saos peut-étre meme qu 'il


1,1) Forb . , Lome 1, pagc J05.
(2) Forb ., tome 1, p;¡¡:;e 355
(;n 'l'arif de IfJG\.




262
, ,


ETAT DH LA FRANCH AVANT LA REVOLUT.


s'en soit apere:tu, ces obstacles opposés au com-
merce s'abaissérent. Comme le droit n'était pas
proportionnel, mais fixe, il diminua par l'accrois-
semeut seul du numéraire et par l'altération des
espéces.


En 1667, fut introduit dans les douanes un
principe qu 'elles n'avaient jamais admis aussi for-
mellemenl: celui de l'unité nationale (1). Les mar-
chandises fabriquées al'étranger payérent un droit
al'entrée ; les matiéres premiéres, un droit a la
sortie du royaume. Divers arréts du conseil éten-
dirent la liste des objets soumis aune législation
uniforme (2); le droit du domaine d'Occident fut
de mérne pere:tu al'entrée du royauIne, sur toutes
les marchandises des ileso Ce cornmerce avait été
d'abord un monopole accordé a une compagnie;
elle se ruina, céda ses droits au roi qui maintint
les droits étahlis par elle (3)..Malgré ces extensions,
les principes ne furent pas changés, ce fut méme
une discordance de plusdans la ll'gislation finan-
ciére,


Jusqu'en 1789, il Y eut en Frunce deux zones
de deuane dont les limites se déplacaient selon les
denrées.Quelques marchandises payaient, al'entrée
du royaume, les droits du tarif de 1667, et jouis-
saient d'une circulation libre; d'autres, au con-


(1) Tarif de 1667'
('l) Necker, tome n, pagc 101.
:3) Forb .• tome 11, page :30.




ETAT DE LA FHA~CE A"A~T LA UEVOLUT. 263


traire, ne payaient que le tarif de 1664 al'entrée
des cinq grosses ferrnes. Dans les provinces répu-
tées étrangéres, celles-ci étaient soumises atoo tes les
taxes locales. Enfin, l'étranger effectif, c'est adire
l'Alsace, la Franche-Comté, les 'I'rois-Évéchés,
Bayonne, Dunkerque et Marseille, ne reconnais-
sait aucune de ces ligues de douane (1).


Les juges des traites, les électeurs, les greniers
a sel formaient le premier degré de la juridiction
financiero. Les cours des aides prononeaient en
dernier ressort ; sauf les exceptions que nous avons
déjá mentionnées, tous les procés relatifs aux im-
póts étaient portés devant des magistrats inamo-
vibles. Le gouvernement, qui faussait souvent le
principe daus l'application, ne le contesta jamáis
en théorie; seule garantie qu'eút le citoyen.


(1) Nous demandons pardon a u lectcur dc tous ces mo ts barbares;
1 ~." ., 1 ". , '} , Ia la ngue UnaUClCI'C, meme au x v i r" SIC, e, u étart guerc e eg;1ll c.




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CHAPITRE VIII.


F,TAT DE LA F RANCE AVANT LA REVOLtTTlON.


- JUSTlCE El' ADMINlSTRATlON.


Réforme judiciaire sous Louis XIV. - Lois sur le com-
merce. - Elles font encore partie de notre droit.- Lois
civiles. - Elles n'ont pas changé depuis la féodalité. -
Diversité des coutumes. - Causes qui s'opposent al'uni-
formité.- Nombre des tribunaux. - Esprit de la légis-
lation de Louis XIV.- Défiance centre la magistrature ,
-Ordonnance criminelle, -Rigueur des peines.c-Deux
ordres de juges, - Les juges royaux. -- Les juges parti-
culiers.- Juges ordinaires et juges prévótaux, ~ Diffé-
rence entre eux. -- Comparaison des preces criminels de


, 1 Al'"eette epoque avec es notres.- ~ umte ne se trouve que
dans I'administration , - Intendances. - Centralisation
administrative.


Avant de parler du role de la magistrature dans
l'ancienne monarchie, iI convient de donner une
idée du changement opéré dans la Iégislation sous
Louis XIV. Cette réforme judiciaire a été faite sous
l'influence de Colbert; son oncle Pussort V eut
la plus grande parto


La révolution politiquc de 1789 a introduit ,
dans presque toutes les matiéres , des principes
nouveaux de droit civil; elle a, au contraire ,
maintenu le droit cornmercial. La tenue des livres,




266 ÉTAT DE LA. FIL\.~CE AVA"r LA REVOLUT.
paraphés pal~ le juge, l'obligation de l'inventaire,
la publieité des actes de société , le jugement arbi-
tral sont eonsaerés dans l'ordonnanee de 1673.
L'ordonnanee de la marine est passée presqu'en
entier dans le Code de eommeree (J). Un peu de
réflexion nous révélera les causes de cette anomalie.
Les rapports dont s'occupe le droit civil existent
dans toute société ; ils en forment la base nécessaire ,
Pourrait-on en imaginer une ou il n'y aurait au-
cun usage, aucune 10i sur les contrats, sur les suc-
cessions, sur l'état des personnes? La Iéodalité avait
done été appelée astatuer sur ces intéréts , et elle
l'avait fait d'aprés ses propres principes. Cornme
toute législa tion, elle avait survécu auxeíreonstances
sous lesquelles elle était née, et s'était appliquée a
des rapports étrangers ason esprit. Le eornmeree,
an contraire, n'a pris des forees que dans la déca-
dence de I'époque féodale, Cclle-ci l'avait proserit;
les droits d'aubaine, de naufrage, témoignent assez
qu'elle ne le reeevait qu'a contre-creur. La richessc
territoria le enviait la riehesse mohiliére , et s' en
défiait. Quand les relations cornmerciales s'éteu-
dirent , qu'il fallut en Iixer les lois, elles n'eurent
rien a déméler avee les idées d'un passé déja rnort.
Toutes les affaircs de commerce furent enlevées a


(1) Non seulemcnt le sens, mais les mots mérnes de I'ordounancc
de I G81 sur la marine son t passés dans nos lois. On n'a qu'á compa-
rer les arto J J, l7, 13, \)' 28 du litre II avec les art , 223, 232, 227,
:.l:J!) du Code : nous ne citons ceux-lá que cornmc excmplc ; il serait
Iacile d(~ mult iplier les rapprochements.




iTAT I)li LA FRANCE AVANT LA R~VOLUT. 267


la justice du seigneur; le roi prit sous sa protec-
tion les naufragés, Nation rnoderne, la nation com-
mercante fut gou vernée par des institutions mo-
dernes,


11 est impossible , en étudiant la jurisprudenee
coutumiére dans les traités les plus modernes , de
ne pas étre frappé de sa eonforrnité avec celle du
XIJIe siécle. l\falgré les révolutions dans les mceurs,
dans les lois politiques, ee sont les mérnes prin-
cipes qui décident des intéréts civils, On retrouve
la méme división de noblesse et de roture pour les
biens eomme pour les hommes; des fiefs et des
terres vilaines, eornrne des gentilshornmes et des
roturiers ; les mémes lois pour les successions , le
droit d'ainesse ; le mérne soin pour couserver les
biens dans les familles, manifesté par les limites
posées ala faculté de tes ter, et par les deux retraits,
le lignager et le féodal. Enfin, si l'on lit Bea umanoir
et les auteurs des xvr' et XVI{ siécles , on trouvera ,
sur presque tous les points, des décisions analogucs,
Il faut méme ajouter que la c1arté et la lIléthode
sont presque toujours du coté du vieux juriscou-
sulte.


L'organisation de la Franee féodale , détruite
partout , s'était conservée dans les coutumes qui lui
tenaient Iieu de loi. Outre le droit romain recu


.


dans les pays de droit écrit, il Y avait environ
60 coutumes principales (1). Le nombre total de


(1) F!cuI'Y, Hist , d u droit coutumier ,




268 iTAT DE LA FRANCE AVANT LA REVOLUT.


ces législations partíelles dépassait 300. Cett.e di-
versité était un bien plus grand mal au xvnr' siécle
qu'au xue , Dans lestemps féodaux, les hommes et
les choses se déplacaient peu, faute de sécurité et
de capitaux : chacun était parqué dans son fief el
dans son patrimoine. Mais, plus tard , ces perites
barrieres furent franchies; l'activité el les intéréts
de chaque Francais purent s'étendre sur tout le
territoire. Comme les coutumes étaicnt réelles ,
bien peu de procés ou d'affaires étaient terminés
par une seule législation. Dans les affaires person-
nelles et réellcs a la fois, les successions, par
exemple , il fallait avoir égard el ala si tuation des
biens et au domicile des parties. Si les biens étaient
situés sur le territoire de plusieurs coutumes , il Y
avait autant de décisions que de coutumes. On
essaya de remédier aces abus : un arrét de 1671
ordonna que la eoutume de Paris aurait force de
10í dans tous les cas oú les autres coutumes se-
raient muettes. Mais cette jurisprudence ne fut pas
généralement admise (1).


Le conseil du roi avait daos ses attributions
celles qui appartiennent a la Cour de cassation ,
mais , comme I'observe M. Henrion de Pansey, il
y avait en France si peu de lois precises que les


(1) La coutumc de Paris, quoique ~1'1I11 grand poids dans les autres
proviuces, est néanmoins, comme les autres, rcnfcrmée dans son
tert-itoire,


Ferriércs, Insto cout ., litre 1) arlo 20.




ETAT DE LA FRANCE AVANT LA RivOLUT. 269


cassations étaient infiniment plus rares qu'aujour-
d'hui. L'institution de ce tribunal suprérne est un
moyen de maintenir l'unité, et non de la créer.


Ainsi, le droit civil, dans ses principes fonda-
mentaux, dans sa variété , était resté le méme ,
rnais si on passe aux formalités qui lui donnent la
réalité , si l'on compare la procédure des deux
époques, le changernent est irnmense. On ne trouve
plus aucun vestige de ce jugement par jurés , par
hommes , dont il est parlé si souvent dans Beau-
manoir; les parties ne sont plus citées a l'audience
verbalernent, ne comparaissent plus en personne;
dans les ajournements, on ue fait plus aucune dif-
férence entre le noble et le roturier; la compétence
criminel1e est changée depuis L'Hópital ; les gages
de bataille sont oubliés ; en un mot, c'est sur ces
points que le temps a laissé sa trace; e' est par la
qu'on peut voir que cinq siécles ne se sont pas
écoulés inutilernent.


La procédure touche peut-étre plus au gouver-
nement que les Jois civiles elles-mérnes. N'est-elle
pas 1'inlervention du pouvoir dans les rapports
entre particuliers, le moyen de mettre la force
publique au service des intéréts privés?


Sous Louis XIV, il n'y avait plus en Franee
qu'une autorité , I'autorité royale. Le but de 1'01'-
donnance de J 667 fut d'introduire l'uniformité
dans la procédure. Aupara vant, les formalités
étaicnt prescrites par ehaque Parlement, dans l'é-




270 iTAT DE LA FRANCE AVANT LA RivOLUT.


tendue de son ressort méme. Plusieurs articles
d'un réglernent de ,663 passérent dans le texte de
la loi nouvelle (1).


Il était difficile que l'uniformité fút complete.
En général, la cornpétence dépendait du domiciJe
du défendeur, ou de la situation de l'objet litigieux';
mais les commiltimus étaient une exception nom-
hreuse. C' était le droit, ponr certains officiers, de
n' étre jugés, en matiére personnelle, que par un
tribunal composé de maitres de requétes, Ce pri-
vilége s'appelait le committimus du grand sceau .
Le committimus du petit sceau était pour les mem-
bres des Cours souveraines; iJs ne pOll vaient étre
jugés que par leurs collégues '».


Une autre cause de variété était le nombre in-
Iini de juridictions qui se disputaient le justiciable;
les Parlements, les cours des aides , le grand-eon·.
seil, les cours des monnaies, les hureaux de
finance , les intendances. Pourqui sait combien il
est difficile de caractériser la nature d'une affaire,
il Y a la matiére h des conflits perpétuels: la méme
raison augmentait la quantité des procés , elle croít
en raison directe de ceHe des juges.


Le pouvoir législatif ne sa vait comment régler
le judiciaire. Chaque ordonnance sur une juridic-
tion contenait des peines centre les tribunaux qui


(1) Proccs-verhal de l'ord. de 1 flG7 .
, ) l" ,r e ..
'';1 JIl}'ot" oc. ,OmnllUlmus.




ETAT DE LA FRA~CE AVANT LA njvoLuT. 271


empiéteraient sur elle (1). Ceci tenait a l'origine
mérne du pouvoir judiciaire. Dans le principe, le
Parlement, conseil du roi, avait tout embrassé ,
les diverses cours, créées dermis, n'avaient été que
des dérnembrements de eette autorité générale.
Les cours des aides , par exernple , se regardaient
comme le Parlement jugeant sur les matiéres
d'irnpót. On n'avait jamais songé adefinir la ju-
ridiction du Parlement , c'est adire ala Iimiier.


L'ordonnanee de t 667 a laissé subaister bien
des inconvénients , mais elle n'en a pas moins fait
un grand bien. Elle abrégea les délais , enfin elle
mit la loi ala portée de tous : sur la matiére la plus
obseure du monde, la procédure, la partie ne fut
plus ala discrétion du pratieien.


Toute la législation de Louis XIV est faite dans
le mérne esprit, le soup{fon permanent eontre la
magistrature. ColLert voulait remplacer les élec-
tions par des eompagnies de finances (2). Cette
défiance a été justifiée par la Fronde et par le
XVIII" siécle , dans l'ordonnance de 1667, on trou ve
quatorze articles qui soumettent le juge ades dom-
mages et intéréts envers les parties; plusieurs au-
tres l'obligent, en outre, ala restitution du qua-
druple. Lamoignon fit en vain observer que ee
soup{fon était injurieux a la magistrature ; que,
jusqu'alors, le juge avait été puní ponr des fautes


(1) Art. d de I'ord . des eaux et foréts .
(2) Notf' (le sa main. Forh., tome 1, page 511.




272 jTAT DE LA FRA~CE AVANT LA RjVOLUT.
graves, mais qu'il ne (1) l'avait jamáis été pOlil'
des erreurs de proeédure. On réhahilitait le prin-
cipe du moyen-áge, la responsahilité du juge, avee
cette différenee que, dans les Cours féodales, le
délit était présumé eontre la partie, et qu'iei il
était eontre le souverain. Le juge fut non seule-
ment tenu d'obéir aux ordonnanees, il lui fut
méme interdit d'en interpréter les dispositions
douteuses, défense exorbitante dans un ternps
oú il n'y avait si mince tribunal qui ne füt légis-
lateur ('2). Le droit de remontranee fut réduit a
rien par I'ordonnanee de 1672.


Le méme esprit se retrouve dans l'ordonnanee
eriminelle. Lamoignon s'opposa a eette menaee
perpétuelle faite au juge : « Les peines, disait-il,
étaient trop prodiguées; » mais il ne parlait que
des peines portées contre le mngistrat. II y avait
eependant autre chose aflétrir dans cette législa-
tion, d'aprés laquelle, selon l'observation de
Pussort, qui s' en félicite, le procés pouvait étre fait
et parfait aun accusé présent daos les vingt-quatre
heures. Si le juge est obligé d'interroger le pré-
venu dans le jour de son arrestation , ne croyez
pas que cet article soit en faveur du dernier; Pussort
en donne le véritable motif: «C'est pour eonvaincre
plus sürement le coupable (3). ) La certitude de la


(1) Preces-verbal de I'ord , de 16(37.
(2) Art. 7 el 8 de l'ord. de 1G67'
(:l) Proces-verbal de l'ord. criminelle ,




ÉTAT DE LA FRANCE AVANT LA RÉVOLUT. 273
répression l'emportait sur les garanties dues a
I'accusé, et ce sentiment e.talt -partagé 'Par des
hommes d'une humanité reconnue. Ainsi, Lamoi-
gnon ne demandait pas qu'on accordát un conseil
al'accusé dans toutes les affaires; il ne le voulait
que pour certains cas moins criminels que civils.


Pussort arriva au mérne résultat que Lamoignon
sur la suppression de la torture, par un motif
différent; il trouvait inutile ce que Lamoignon trou-
vait cruel. Mais ni I'un ni l'autre ne parut tenir
beaucoup a son opinion , et la torture ne fut pas
moins consignée dans l'ordonnance. Elle n'a été
abolie que par Louis XVI.


En général, la loi est d'autant plus rigoureuse,
que le législateur est sur qu'elle rre lui sera jamais
appliquée. Au xvrr siécle, un rnagisLrat, un homrne
de la classe élevée, traduit devant un tribunal,
était une rare exception , de nos jours, au contraire,
ou chacun sent qu'il peut étre appelé en jugement,
qne la faveur De viendra pas pour l'y soustraire,
on est moins porté a voir dans tout accusé un
coupable; plus l'égaliLé politique s'étend, plus les
lois sont humaines. Nous ne prétendons pas que
ce soit la l'unique cause des changements dans
notre droit pénal, mais e' est sans contredit l'une
des principales. Ainsi le bien engendre le bien,
cornme le mal engendre le mal.


Au criminel comme au civil, il existait deux 01'-
dres de juges : les juges royaux et les juges parti-


18




274 ,ETAT DE LA FRANCE .4.VANT r.A REVOLU'f.


culiers. Mais l'autorité de ces derniers était bien res-
treinte; on évita, dans l'article 1I, de spécifler
tous les cas royaux. Lamoignon fit ajo,uter :
el azares cas expliques par nos reglements el 01'-
donnances , e'était déc\arer inutile \a définition
qui précédait, Les cas prévótaux dont nous par-
Ierons tout a l'heure, le droit de prévention ac-
cordé au juge royal, si le juge seigneurial n'infor-
mait pas dansles vingt-quatre heures, étaient autant
de limites ala justice privée, Enfin, comme tout
jugement a mort devait étre prononeé par sept
juges, toute condamnation a une peine aíllictive
par trois , que, dans tous les cas, il y avait appel
devant le tribunal royal, le pouvoir judiciaire n'é-
tait plus qu'un mot entre les mains des seigneurs.
Les tribunaux ecclésiastiques n'avaient pas été
plus heureux, Il était de jurisprudence que tout
crime, sujet aune peine aillictive, était privilégié,
et sortait de la compétence ecclésiastique (1), ex-
cepté dans les cas de police oú la condamna tion ne
valait pas l'appel; le pouvoir royal avait concentré
ces deux juridictions qui, au moyen-áge , avaient
tout envahi; ji les avait supprimées de fait et non
de droit. Dans les ordonnances de d' Aguessean, ji
est encore parlé des seigneurs hauts-justiciers.


La justice royale s'exercait elle-rnérne de deux
manieres: d'un coté, étaient les haillis, les prési-
diaux et les cours souveraines ; de l'autre, les


(1) Flcury, Disc. sur I'Histoire ecclésiastique .




ÉTAT DE J"A FR.tNCE AVANT J,A RÉVOLUT. 275


prévótés des maréchaux. Dans le premier cas, la
compétence dépendait du lieu du délit ([); dans le
second, de la naturedu délit et de l'état de l'accusé.
Les vagabonds , les gens sans aveu étaient soumis
ala justice prévótale (2).


Les prévóts des maréchaux n'avaient eu d'abord
d'autre mission que de punir les crimes commis
ala suite des armées; plus tard , leur juridiction
s'étendit a une foule de caso lIs prononeaient sur
l'assassinat prémédité, sur l'altération des mon-
naies, si toutefois ces crimes étaient commis hors
de leur résidence, L'exercice de cette j ustice am-
bulatoire est encore ordonné sous le regne de
Louis XIV (5) : elle devenait pour les coupables
puissants un moyen d'impunité. Le marquis de
Canillac, accusé d'un meurtre, avait fait trairier
son procés pendant douze ans (4). L'ordonnance
de 1670 mit fin acet abus; elle donna aux prési-
diaux le droit de prévention sur le juge prévótal ,
obligea ce dernier afaire j uger sa compétence par
le présidial le plus prochain (5). Ainsi e'était


(1) Ord , crim., tit , 1, arto l.
(2) Ord, crim ,tit. 1, arto 12.
(3) Ordonnons aux prevóts des maréchaux de faire leurs chevau-


cliées, sans demeurer es villes, et nettoyer les pays de leurs esta-
blissements de volcurs et vagabonds.


Isamb., tome XVII, rage 390, an 1660.
(4) Preces-verbal de l'ord. de 1670.
(5) Tit. 1, arto 17.
Cette disposition remonte aL'Hópital ,
Elle avait été répétée daos I'art , 184 du Code Michaud.




276 . .ETAT DE LA FRANCE AVANT I"A REVOLlTT.


moins une nouvelle juridiction qu'une autre ma-
niere de juger.


La différence caractéristique était que le juge-
ment prévótal était san s appel. L'accusé pouvait
seulement appeler du jugement de compétence.
Sept juges étaient nécessaires pour la validité de
ce jugement (1) et ponr la sentence définitive. Cette
justiee expéditive s'appliquait aux nobles cornme
aux roturiers. Dans le projet primitif, les prétres
eux-rnémes y étaient soumis (2); mais eette der-
niére disposition fut retirée. Un édit de 17'51 en
affranehit les gentilshornmes (3). Les crimes com-
mis par les gens sans avcu , les gens de guerI'e, les
condamnés, les vols sur les grands chemins étaient
prévótaux : les autres suivaient les degrés de la
hiérarchie judiciaire, pour aller se terminer dans
les cours souveraines. Aucune condamnation, soit
aune peine affiictive, soit a la .torture (4), ne
pouvait étre exécutée sans leur approbation.


Un procés criminel ne ressemblait en rien ace
que nous voyons aujourd'hui : rien u'était public;
toute la procédure, les conclusions mérne de la
partie publique étaient secretes. JI était méme dé-
fendu au procureur du roi de les motiver (5), tant


(1) Tit. 11, arto 18, 24.
(2) Proc.-verb. de I'ord . crirnin .
(3) Guyot, Voc. Nohle.
(4) Ord. crim., tit , XIX, arto ¡.
tua., lit. XX VI, nrt . c.
JI) ti.r., t.it , XXIV, arto 3.




iTAT DE LA FRANCE AYANT LA R~YOLUT. 277
on craignait que I'accusé ne pút préparer sa dé-
fense, « Les accusés seront tenus de répondre, par
» leur bouche , sans le ministére de conseil, qui
» ne pourra Ieur étre donné, si ce n'est pour.crirue
» de péculat, concussion, banqueroute fraudu-
\) leuse, vol de commis OH associés en matiére de
» finance OH de banque, supposition de part , ou
» fausseté de piéces (1). » La faculté de donner un
conseil était mérne , en ce cas , Iaissée a la con-
science du juge. Si le crime était capital, l'accusé
était tenu en secret; ses moyens de défense dimi-
nuaient en raison du danger qu'il courait.


On croit lire le Code de I'inquisirion. La seule
garantie, donnée a l'accusé , était le nombre des
juges : trois étaient nécessaires en premier ressort,
sept en dernier ressort , pou!' que le jugement fút
valable (2). Nous ne sommes pas assez reconuais-
sants en vers la révolution Iraneaise ; les droits
qu'elle a consacrés, I'humanité introduite dans
nos lois , nous semblent si naturels , qne nous ne
POUVOI1S les prendre ponr des innovations. Il y a
en un temps en France, oú l'accusé n'était pas dé-
fendu , ou le choix de la peine était laissé ala con-
science du juge, ou les philosophes seuls élevaient
la voix contre cette tyrannie , et étaient écoutés
avec le dédain habituel des praticiens pour la théo-
rie; et ce temps , nos peres l'ont Vl1.


(1) Tit. XIV, art . 8.
',,' Til. XXV, arlo r o el 11,




278 ETAT DE LA FRANCE AVANT I.A RÉVOLUT.


Sous quelque point de vue qu'on considere la
France a cette époque, qu'on regarde ses finances,
ses lois, elle était profondément diverse; elle n'était
une que sous le rapport administratif. Cette unité
était due a la création des intendances. Tout le
royaume, pays d'élections et pays d'États, pays
de droit écrit et pays de coutumes, était divisé en
trente-deux généralités d'une étendue tres inégale.
Chacune de ces divisions était administrée par un
intendant et par ses subdélégués. Au dessus des
intendants était le conseil du roi, lien commun
entre les diverses partiese L'autorité royal e était
partoutservie par des agents révocables. Nous avons
déja parlé de plusieurs de leurs attributions : ils
avaient, en outre, la direction des travaux pu-
hlics, la surveilIance sur toutes les provinces, De-
puis Louis XIV, les gouverneurs, princes du sang,
ou grands seigneurs, ne vivaient que de la vie de
Versailles, et ne paraissaient qu'á de longs inter-
valles dans leurs provinccs; ils n'avaient conservé
du pouvoir que les apparences et les prérogatives
de l'étiquette.


Malgré la plénitude de eette autorité, son titre
était mal défini. Ainsi les subdélégués des inten-
dants n'avaient aucun caractére légal (1) : toutes
leurs décisions devaient étre rendues au nom de
l'intendant; ce pouvoir leur était acquis par une
espéce de prescription.


('1 Hemontranccs de 1774. l\Iat. dimpóts, rage 65j.




ETAT DE LA FRANCE AVANT LA RivOLUT. 279


La centralisation administrativo existait sous
l'aneien régime, et elle excitait alors les mémes
plaintes qu'aujourd'hui,


« On est venu, de conséquence en conséquence,
» jusqu'a déclarer nulles les délibérations des ha-
» bitants d'un village, quand elles ne sont pas
» autorisées par I'intendant (1); en sorte que si
» ceHe communauté a une dépense afaire, quel-
» que légere qu'elle soit , iI faut prendre I'attache
» du subdélégué de l'intendant, par conséquent ,
» suivre le plan qu'il a adopté, employer les ou-
» vriers qu'il favorise, les payer suivant son arbi-
» trage; et si la communauté a un procés á sontenir,
» il faut aussi qu'elle se fasse autoriser par l'in-
» tendant; il faut que la cause de la communauté
» soit plaidée a ce premier tribunal, avant d'étre
» portée ala justice. Et si I'avis de l'intendant est
» contraire aux habitants , ou si leur adversaire a
» du crédit a l'intendance, la communauté est
» déchue de la faculté de défendre ses droits. »


Sans cette institution créée par Richelieu et
mise en ceuvre par Louis XIV, la France révolu-
tionnaire eút, avec peine, échappé au fédéralisme ;
si les hommes n'eussent pas été faconnés al'obéis-
sance, elle n'eút pas réalisé les prodiges de la ré-
volution et de l'empire. Il n'y avait de changé que
le nom et le titre de celui qui commandait: depuis
longtemps, le bras de l'autorité centrale s'étendait


(.) Remontrances de 1714. Mal. d'irnpóts, page 654.




280 ÉTAT DE f,A FRANCE AVANT LA RÉVOLUT.


sur toute la France. La división par déparlements,
de Sieyes, fut la conséquence et non l'origine de
ce systerne : la révolution I'a achevé , pou,r ainsi
dire, en portant dans les autres parties du gou-
vernement I'unité bornée ala seule administration.




CHAPIT.RE IX.


. .


F.TAT D.~ I.A FRA~CE AVANT LA REVOLUTION.


-- GOVVERNEMENT.


Le pouvoir judícíaire séparé du pouvoir exécutif. - Em-
pietements de celui-ci sur la justice réglée. - Commis-
sions.-lHagistrature.- Son opposition. - Son autorité.
- Elle est impuissante. - Pourquoi. - Sa cause n'esr
plus eelle du peuple. - Langage élevé de lVIalesherbes.
- Causes particulieres qui limitent le pouvoir absolu.-
Les fonetionnaires propriétaires de Ieurs charges. - La
nation divisée en COl'ps. - Liberté dans les moeurs. -
Traditions féodales.- État de la soeiété.- Gentilshom-
mes. -Causes qui aífaiblissent l'aristoeratie.-La diffu-
sion des Iumieres rapproche la bourgeoisie de la noblesse.
- Peuple des campagnes. - Son affranchissement ne
date que de la révolution. -- Résumé. - L'égalité poli-
tique consacrée en Ij8g.-Bornée en fait ala bourgeoi-
sic. -- Elle doit s'étendre ¡\ tous. - Liberté politique.-
Seule gal'antie aujourd'hui de la liberté eivíle.


Nous avons examiné quel était le mode d'ac-
tion du gouvernement; comment il administrait ,
cornment il percevait l'impót , comment il rendait
la justice; il nous reste a jeter un coup d'ceil SU['
le gouvernement lui-mérne , sur la constitutiou
politique du pays. Ici une grave difficulté se pré-
sente , les faits et les textes de lois sont dans une
contradiction perpétuelle : l'autorité royale est
absolue dans la théorie, lirnitée dans l'application,




282 ÉTAT DE L."- I"UANCE AVANT LA REVOLUT.


sans qu'on apercoive c1airement la nécessité qUl
la force as'arréter aun point précis.


Le pouvoir exécutif avait renoucé a exercer
l'autorité judiciaire, et ill'avait ahandonnée a un
eorps de magistrats héréditaires, Les charges
étaient nne propriété particuliére j une place su-
périeure ne pouvait devenir une récompense.
L'indépendance du juge était donc réelle, puis-
qu'il n'avait ríen acraindre ni aespérer du gou-
vernement.


Si le gouvernement se füt borné a statuer par
des lois générales, et ne fút jamais intervenu dans
les cas particuliers, il y eút eu sécurité et liberté
chiles pour le citoyen. Dans les affaires privées,
dans les poursuites des crimes ordinaires, le be-
soin de l'ordre naturel a tous les pouvoirs lui
faisait désirer que la justice fút bien rendne; il en
laissait donc la poursuite aux tribunaux réguIiers.
Mais iI est certaius attentats OU il ne s'agit pas
uuiquement de la sécurité publique: ce sont ceux
dans Iesquels la personne et I'intérét de ceux qui
gouvernent sont attaqués. Le nombre de ces procés
ou le pouvoir était partie était alors bien plus
commun qu'aujourd'hui en matiére fiscale. Ceci
tenaita la multiplicité et a la confusion des taxes
publiques.


Il semble naturel que la puissance mérne de
I'accusateur eút dú doubler les garanties données
aI'accusé. II en était tout autrement. Les ennernis




ÉTAT DE LA FRANCE AVANT LA RÉVOLUT. 283
de Richelieu, au XVUe siécle , les gentilshonlmes
révoltés de la Bretagne, sous la régence, furent
jugés par des commissaires, Si cette arme ne fut
pas employée plus souvent, on doit l'attribuer a la
rareté méme des insurrections politiques; ce qui
prouye que ce n'était pas modération de la part de
I'autorité, e'est le fréquent usage qu'elle en fit
dans les affaires de finances, oú elle avait aperdre
ou agagner achaque décision.


Le lecteur se rappellera les deux derniéres
chambres de j ustice; mais méme, dans le cours
ordinaire des choses, l'ordre judiciaire fut peu
respecté. 00 nornmait des commissaires pou!' ju-
gel' les délits de contrebande. L'intendant était
souvent autorisé a traduire les prévenus devant le
présidial qu'il choisissait (1). Les commissions de
Saumur, de Reims et de Valence s'étaient emparées
de presque toutes les affaires criminelles sur le sel
et le tabac (2). Cet abus durait depuis dix-neuf ans.
En 1760, tout ce que la chambre des aides put
obtenir fut que les commissaires seraient pris.
dans son sein (5). Souvent les affaires étaient évo-
quées au conseil du roi et décidées par le seul
contróleur général; enfin , souvent les formes
étaient dédaignées, et des lettres de cachet infli-
geaient une peine sans jugement (4). L'ahus avait


(1) ~able des edits, an 1710.
(2) MaL d'impóts, pages 13,32.
(3) !\IaL d'irnpóts, page 370, an 1164.
(4) MaL dimpóts, puge 634:




28' iTAT DH LA FRANCE AVANT LA REVULUT.
été porté loin SOtIS Louis XV ; elles étaient déli-
vrées ponr des causes bien minces, quelquefois
sur la simple demande d'un commis des fiuances.
« Personne, disait Malesherbes, n'est assez grand
» ponr étre aI'abri de la haine d'un ministre, ni
» assez petit pour n'étre pas digne de celle d'un


.


» commrs, »


La liberté civile n'existait donc paso En effet,
elle suppose toujours la liberté politique, c'est
a dire la liberté dans les institutions. Qui dit pou-
voir absolu dans la législation, dit pouvoir arbi-
traire, Nul ne peut empécher le législateur de dé-
truire aujourd'hui ce qu'il a fait hiel', et de lég~­
tirner ses violences par ses lois. L'inconséquence
de tout l'ancien régime a été de s'opposer aux
abus dans un cas particulier, sans s' éIever ala cause
générale : la magistrature l'a cependant essayé.


Son opposition a ce caractére particulier qu'elle
s' est toujours exercée malgré des textes formels ;
I'interdiction des remontrances n'était pas imaginée
par Louis XIV, e' était le retour aux anciens
príncipes. L'Hópital avait été aussi absolu que
lui ; « et cependant nos dites ordonnances tien-
» dront ce que nous voulons avoir lieu , tant pour
» les ordonnances faites qu'á faire (1). HMais il y
avait en France un instinct plus fort que toutes
les Iois positives; e' était cet instinct que Montes-
quien appelait honneur, et qui séparait la rnonar-


(1) Ol'rl o de ,\Iolllius, art., l.




~TAT DE LA FRANCE AVANT LA R~VOLUT. 285
chied'avec le despotismo. Il soutenait lesmagistrats,
el la eour osait rarement en venir a des moyens
extremes. Arreter un Parlement, priver un eon-
seiller de sa charge n'était pas seulement un acte
de rigueur, c'était encore une spoliation , cal' le
magistrat avait payé, soit au prince, soit a son
prédécesseur, le prix de son office.


L'autorité des magistrats ne se bornait pas a
l'application de la loi; tous les tribunaux avaient
le pouvoir réglementaire. Dans les enregistre-
ments, ils ajoutaient souvent aux ordonnances des
dispositions qui devenaient obligatoires comme le
lexte prirniti f. La part qu'ils voulaient prendre a
l' exercice de la souveraineté n'étonnai t done per-
sonne, puisqu'ils enjouissaient en partie; cal' elle n'a
pas d'attribut plus essentiel que celui de faire la 10i.


Corornent expliquer l'impuissanee de l'opposi tion
parlernentaire avec un si grand retentissement, et
sa chute complete avant les orages de la reforme
dont elle avait donné le signal ? Il y a de eeei plu-
sieurs causes. Le Parlernent de Paris n'était qu'une
fraction du pouvoir jndiciaire ; il pouvait agir sur
les antres cours par voie d'influence, mais non pas
d'une maniere directe; cal' il n'était pas leur supé-
rieur. Au xvnr' siécle, on essaya bien de fairc un
seul eorps de toute la magistrature franeaise, et
I'on-inventa le mot de classes, dont chaque cour
souveraine était membre ; maís c'était 13. une
création sans aucun précédent. Si la cour pléniére,




286 ÉTAT DE I.A FRANCE AVANT I.A RÉVOLUT.


dont parle l'édit de 1774, qui, sous ce rapport,
resta inexécuté, eút remplacé les Parlements, elle
eút pu faire une résistance plus sérieuse, elle eút
représenté la France entiére. L'origine mérne de
la magistrature était un embarras pour elle; les
Parlements n'étaient que le conseil du roi, les
dépositaires d'une autorité que celui-ci pouvait
toujours ressaisir. Les magistrats cherchaient ase
débattre centre l'évidence, ase payer de subtilités,
mais sans pouvoir échapper aux conséquences 10-
giques de leur institution méme. Si une portion
considérable du droit civil et presque tout le droit
politique n 'eussent pas a10r8 été laissés ala juris-
prudence, l'objection eút encore été plus forte,


Enfin ij n'est pas dans la nature des choses
que le juge, pour qui le respect de la lettre est un
devoir, soit l'organe du progrés dans le gouverne-
ment. Le tribunat va mal a des magistrats, et
surtout a des magistrats héréditaires; sa force
réside dans un contact continuel avec le peuple :
il est fort de toutes les passions qu'il represente et
qu'il partage. 01', les Parlements ne se sont pas
associés au mouvement des idées, opéré autour
d'eux: ils ont proscrit les ouvrages philosophiques,
arrété les réformes de Turgot, interdit l'inocula-
tion en 1763, comme ils avaient, au siécle précé-
dent, interdit la philosophie de Descartes. lIs
étaient fideles aleur role naturel, celui de défen-
seurs dupassé; leur vertu méme, l'austérité de




~TAT DE LA FRANCE AYANT LA RiYOLUT. 287
leur vie, conservées dans un temps oú les mceurs
étaient faeiles, les isolaient de leurs contemporains.
Il y a certains vices qui sont des qualités chez des
chefs de parti,


La constitution spéciale de la magistrature fran ..
caise séparait sa cause decelledu peuple. Louis XIV
lui avait rendu le privilége de la noblesse trans-
missible, qu'il lui avait enlevé dans un moment
de colére, Elle formait donc une classe interrné-
diaire, se rapprochant de plus en plus de la
noblesse; ehaque pas qu'elle faisait dans cette
voie Iui enlevait cette qualité de bourgeois qui lui
avait valu tant de sarcasmos dans la Fronde, et
qui était le secret de sa puissance j elle restait
elle-méme un des abus qu'il fallait détruire,


L'abnégation de l'intérét privé, si rare chez les
partieuliers, l'est eneore plus dans les corps,
paree que l'égolsme peut s'y cacher son s les appa-'
renees du dévouement. Les Parlements furent plus
opposés a la révolution francaise que la noblesse
elle-rnéme ; ils y perdaient autant qu'elle en privi-
lége, et de plus le pouvoir politiqueo


Tou tefois , graee a l'opposition de la magist.ra-
ture l'obéissance en France n'a jamais été muette;
il y a toujours en des voix pour rappeler au peuple
sesdroits, et pour évoquerdevant l'autorité absolue
le souvenir des États généraux.


( Et, dans un temps oú le joug imposé sur la
J) tete des peuples devient de plus en plus difllcile




288 jTAT DE LA FRANCE AVANT LA REVOLUT.
» aportp.r, est-il prudent de leur óter j usqu'a la
» consolation de penser qu'ils jouissent encore du
» premie!' de leurs droits, de l'avantage d'avoir
» des juges, organes incorruptibles de la loi, et
» qu'on ne peut pas les traiter en esclaves. . .
» La propriété, sire, est le droit essentiel de tout
» peuple qui n'est pas esclave. L'impót souvent
» nécessaire est néanmoins une dérogation a ce
» droit; mais, dans l'origine, les irnpóts n'étaient
» établis que du consentement des peuples, donné
» dans les assemblées des États; que ces assem-
» blées aient cessé d'avoir lieu, la condition des
» peuples n'a pas dú changer pour cela; leurs
» droits sont aussi imprescriptibles que ceux du
» souverain. Ses domaines peuvent s'accroitre, les
» bornes de son empire peuvent s'étendre , mais
» il ne croira jamáis pouvoir mettre la possession
» de ses sujets au nombre de ses conquétes ; et
» depuis que les peuples ne peuvent plus se faire
» entendre par Ieurs représentants, e' est a vos
» Cours, sire, a remplir cette importante fonc-
» tion (1); les Cours sont aujourdhui les seules
» protections des faibles et des malheureux; il
» n'existeplusdepuis longtemps d'Élats généraux,
» et dans la plus grande partie du royaume, point
» d'États provinciaux. Tous les corps, excepté les
» Cours, sont réduits a une obéissance mueUe et


(I) Bcmoní.rances de 1770. MaL d'impOts, page fi30.




I<.:TAT DE LA YHANCE AYANT LA nÉVOLUT. 289


)) passive; aucun particulier dans le royaume n'ose-
J) rait s'exposer ala vengeance d'un commandant,
» d'un commissaire du conseil et encore moins a
» ceHe d'un ministre de Votre Majesté,


» Les cours sont done les seules a qui il soit
» encore pcrmis d' élever la voix en faveur des
» peuples, et Votre Majesté ne veut point enlever
» cette derniére ressource aux provinces éloi-
» gnees .....


» Mais s'il existe dans un pays des lois ancien-
» nes et respectées, si le peuple les regarde comme
1) le rempart de ses droits el de sa liberté, si elles
» sont réellement un frein utile contre les abus de
» l'autorité, dispensez-nous, sire, d'examiner si,
» dans aucun État , un roi peut abroger de pa-
l) reiJles lois : il nous suffit de dire, aun prince
J) ami de la j ustice, qu'il ne le doit pas....


» Ce peuple avait autrefois la consolation de
») présenter ses doléances aux rois vos prédéces-
» seurs; mais depuis un siécle et derni les États
)) n'out point été convoqués.


») Jusqu'a ce jour au moins, la réclamation des
» cours suppléait acelle des États, quoique im-
» parfaitement; car, malgré tout notre zele , nous
)) ne uous flattons point d'avoir dédommagé la
» nation de l'avantage qu'elle avait d'épancher
J) son.cceur dans celui de son souverain.


» Mais aujourd'hui, l'unique ressource qu'on
(( avait laissée au peuple lui est aussi enlevée ,


19




290 ETA.T DE L\ FRANCli AY.n1' LA RÉ\'OLV'J'.


» On a cru pouvoir anéantir la premiére cour
») de Franee par un seul acte d'autorité arhitraire.


» D'autres cours ont fait en vain les plus grand~
» efforts pour faire parvenir la vérité jusqu'al1
» tróne : les avenues en sont occupées par les en-
» nemis de la justice , et ees eours Be retiréren t de
» leurs démarches que la stérile consolation d'avoir
» vu I'Europe entiére applaudir a Ieur zéle et a
» leur courage.


» Votre Cour des aides vient aujourd'hui se jeter
» aux pieds de Votre Majesté; mais peut-elle se
» flatter d'un plus heureux succés ? La magistra-
l) ture entiére vous a été rendue suspecte , parce
» que la magistrature entiére est attachée aux lois
» qu'on veut détruire, et nous n'ignorons point
» qu'on a formé le projet de nous détruire nous-
» mémes avee ees lois dont nous sornmes les dé-
» fenseurs.


» Mais eeux qui vous ont déterminé aanéantir
» la magistrature vous ont-ils persuadé, sire ,
» qu'il fallút livrer a leur despotisme la nation
» entiére, sans lui laisser aueun défenseur, aueun
» intercesseur auprés de Votre Majesté? ..


» 1nterrogez done, sire, la nation elle-méme 1
» puisqu'il u'v a plus qu'elle qui puisse étre écou-
» tée de Votre l\fajesté.


» Le témoignage incorruptible de ses repré-
» sentants vous fera connaitre du moins s'il est
» vrai , comme vos ministres oc cess~nt de le Pll-




iTAT OE ~A FRA~CE AVANT LA RrivOLUT. 291


) blier, que la magistrature seule prend intérét a
) la violation des lois, ou si la cause que nous
» défendons aujourd'hui est celle de tout ce peuple
» parqui vous régnez, et pour qui vous régnez (1). »


Ce langage ferme et élevé empéchait la prescrip-
tion de la liberté; au XVlIIe siécle , temps oú les
idées étaient si puissantes, émettre un principe,
c'était crécr une force.


Le pouvoir absolu de la royauté était modifié
par diverses causes dans l'application; ses agents
n'étaient pas soumis a une dépendance aussi
complete que de nos jours. Sal1S parler des
magistrats, les receveurs des finances, des tailles
étaient propriétaires de leurs charges par achat
011 pal' hérédité; les intendants eux-mérnes étaient
toujours pris parmi les maitres de requétes.
Tout fonctionnaire public prenait l'esprit du eorps
dont il faisait partie, et cet esprit, par les préjugés
mérnes qui tiennent ala nature , formait obstacle
a la servilité administrative, Aujourd'hui I'ohéis-
sanee absolue est une condition de l'administration;
mais il ne faut pas oublier que nous avons placé
les garanties autre parí. La liberté, introduite au
sommet de l'État, nous dispense d'y songer dans
les degrés inférieurs.


L'état mérne de la société, en France, protégea it
les individua. Tout homme était classé , enrégi-


'1) It emon t r.mcos dc qjl. 1\Ial. dimpót s, pageá48.




2!)2 ÉTAT DE Ll FRA~CE AVA;,\"l' L-\ RÉVOrrl'.
menté dans une profession; il appartenait ou ala
noblesse, aI'armée, ala magistrature, ou aux ('01'-
porations des arts el métiers (1). Il Y avait cornme
une espéce de solidarité entre les membres rl'une
méme classe. La violence eontre un seul d'entre
eux était faite centre tout le eorps, et le pouvoir
hésitait avant de se eharger de cette inirnitié col-
lective. Ce sont la, sans doute , de faibles garan-
ties , si on les compare aeelles dont nous jouis-
sons; mais que la France garde bien sa liberté! Si
elle la perdait, elle subirait un despotisme qu' elle
n'a pas encare eonnu. II ne serait arrété ni par la
rnagistrature , ni par la noblesse, ni par les corps
privilégiés; ce serait le régime de l'Orient : nous
l'avons vu ébauché au commencement du siécle.


Certaines idées , pour n'étre pas écrites dans les
lois positives, u'en étaient pas moins puissantes.
I ..a féodalité , dans sa chute, avait entrainé le pou-


(1) Tous vos sujets, sire, sont divisés en autant de corps diffé-
ren ts qu'il ya d'états diílérents dans votre l'oyanme. Le clergé, la
uoblesse, les cours supérieures, les ofliciers attachés aces t.ribunuux ,
les AcaJémies, les Universités, les compagnies de finances, les com-
pagnies de commerce, tout présente et dans toutes les parties de
l'}<~tat des corps existants, qu'on pcut regarder comme les anneaux
d'une grande chalne, dont le prcmie r est dans la main de Votre
Majes té, cornme chef et souverain administrateur de tont ce qui
c~mstitue le corps de la nation ,


La seule idéc de détruire cettc chatne précieuse dcvrait paralt rc
effrayantc. Les communautés de marchauds et d'artisans font par-tic
de ce tout inséparable qui oontribue ala police générale du royaume.


Disc , de l'avocat général Séguit'l' daos le lit de .i ustice de 1776.
L;unh.¡ tome XXIII, pa~l' 4~~3.




iTAT DE LA FRA~CE AVA~'r LA R~VOLUTe 293
voir individuel; mais l'indépendance s'éta it con-
servée par une tradition non interrompue. Dans
l'antiquité, ou l'individu u'était rien en face de
l'Élat, le service militaire était un devoir impé-
rieux dont celui-ci pouvait exiger l'accomplissc-
ment; l'obéissance du gentilhomme, au contraire,
érait volontaire. II lui était toujours permis de se
retirer, el, en le faisant , il ne renoncait qu'u la
faveur ; il ne reconnaissait que lui pour juge dans
ce qui intéressait son honneur. Ces idées étaient,
pour ainsi dire, I'atmosphére au sein de laquelle
la société vivait , dont I'influence agissait sur le
souverain, comme sur les sujets. Les princes méme
les plus absolus n'y échappaient pas : Louis XIV,
a qui la jalousie du pouvoir, les idées reli-
gieuses avaient dicté des lois si sévéres contre
le duel, renvoyait du régiment de ses gardes les
ofliciers dont le courage avait été soupconné. Il
justifiait comme homrne ce qu'il avait proscrit
comme législateur. La liberté, chassée des lois,
s' était réfugiée dans les mceurs. Cette derniére li-
berté, toute bornée qu'elle est , n'est pas mépri-
sable. Les acles de notre vie oú la loi nous atteint
sont toujours assez peu nombreux, tandis qu'il
n'en est pas un oú nous ne soyons dirigés par cet
ensemble d'opinions et d'habitudes qui forme les
moeurs.


Quelle était la société dirigée par ce gouverue-
ment dont nous venons de donner une idée? Elle




était , conune nous venons de le <Jire, divisée en
classes nombreuses dont chacune formait cornme
un petit peuple dans la nation elle-rnéme. Il fallait
méme appartenir al'une de ces divisions POUl' étre
compté ponr quelque chose dans la société légale.
e'était, en quelque sorte , le régime des castes,
avec cene différence toutefois qu'elles n'étaient pas
seulernent héréditaires, et que ces priviléges pou-


. 'hvaient s ac eter.
De tout son ancien pouvoir, le gentihornme


n'avait conservé que des priviléges ; ils lui don-
naient le droit exclusif aux fonctions brillantes du
gouvernement. Louis XIV a pris la plupart de ses
ministres parmi des parvenus; mais tous ses gé-
néraux appartenaient ala noblesse militaire. Uoe
ordonnanee de Louis XVI interdit au roturier
d'aspirer a un grade plus élevé que celui de capi-
taine. L'égalité était done bannie de la carriére oú
il semble qu'elle devrait le plus régner, de celle
oú les devoirs , les dangers , les privations sont les
mémes : tout était cornrnun , hors l'espérance.
Avant que les grandes armées fussent en usage,
les gentilshommes pouvaient, ala rigueur, obtenir
seuls les grades supérieurs. Plusieurs d'entre eux
étaient soldats ; mais, quand Louis XIV tint400,000
hommes sous les armes, qu'en temps de paix , sous
Louis XVI, l'armée s'élcvait a 200,000 hommes,
te tiers-État fournissait un cont.ingent nombreux.
eeHe inégalité de traiternent devait le blesser dans




E1AT DE L~ FRAXCH AVA~T LA REVOLUT. 295


ce que les hommes ont de plus sensible, 1'arnour-
propre.


Quatre mille charges donnaient les priviléges de
la noblesse (1). Il est vrai que plusieurs compa-
gnies refusaient d'admettre des roturiers parrni
leurs membres. Chaque famille était obligée, en
quelque sorte , a faire, pendant une génération,
un noviciat dans une place inférieure, avant d'ar-
river a la premiére, Mais , en derniére analyse ,
l'argent , aprés des délais plus ou moins longs, était
la voie qui donnait la noblesse. Il ne faut point
douter que ce mode de recrutement n'ait contri-
bué, pour heaucoup, aaffaiblir l'aristocratie. Son
pouvoir consiste surtout dans l'opinion publique.
Les parvenus du tiers-Étar, en dépouillant leur ro-
ture, excitaient au dessous d'eux l'envie qui s'at-
tache ala supériorité de fortune; Ieur création ne
rappelait ni I'autorité des services rendus , ni le
rcspect naturel pour ce qui est ancien et inconnu,
toutes choses incompatibles avee la noblesse ache-
tée, De toutes les inégalités , celle qu'on accepte le
moins est celle que I'on voit faire, et alaquelle on
peut arriver ; c'est mérne un des inconvénients in-
hérents a la démocratie. Cornme les priviléges ac-
quis étaient aussi étendus que les héréditaires,
l'ancienne noblesse de naíssance était confondue
avec la nouvelle daos la méme défaveur.


J) :\cck cr..\ el mili ist. oc:-; Iinuuccs ,




296 ETAT DE J~A I!'RANCE AVA~T J,A REHlLUT.


L'aristocratie anglaise S'est conservéc par une
cond uite opposée; elle s' est rajeunie par les illus-
trations qu'elle a admises ; elle recevait d'elles, en
éclat el en autorité , autant qu'elle leur donnait ,


1]ne cause générale, qui tient aux progrés
mérnes de la civilisation , rapprochait le tiers-État
el les gentilshommes. Nous voulons parler de la
diffusion des Iumieres. Les hiérarchies de caste,
qui se sont maintcnues , ne I'ont fait qu'en s'assu-
rant le monopole des eonnaissances. Vovez les
prétres de l'Égypte, de nos jours encore, les bra-
mes de l'Inde; la civilisation européenne n'a jamáis
éíé constituée d'aprés ces príncipes égolstes. C'est
pourquoi dans ses deux phases principales, dans
I'antiquité et dans les temps modernes, elle a tou-
jours abouti a l'égalité. Le siécle oú les lumiéres
étaient les plus grandes a vu disparaitre, a Home,
les restes du patriciat; la mérné cause a emporté,
en Franco, ceux de la féodalité.


La vie intellectuelle n 'a jamais été plus active,
n'a jamáis en autant d'influence qu'au XVIIIC siécle.
Dans l'examen de toutes les questions, une seu le
autorité érait reconnue, ceHe de la raison ; le point
par lequel tous les hommes se touchent, c'est sans
eontredit, l'intelligence. Elle est l'inégalité natu-
relle des temps policés, cornme la force matérielle
est celle des ternps barbares. Des que eeue mesure
commune est recue, toutes les autres différences
doivent s' effacer; elles tirent leur force des lois,




ETAT DE LA FRANCE AVANT LA REVOLUT. ~97


des institutions, causes temporaires, tandis que la
suprématie de l'intelligence tient au fond méme de
la nature hurnaine, Voltaire, par exemple, et les
eneyclopédisles exercaient sur leur siécle une ac-
tion plus énergique que les grands seigneurs, leurs
contemporains. lls étaient a la fois supérieurs
comme philosophes -' inférieurs comme roturiers.
Mais, acette époque, la noblesse n' était plus une
puissance, c'était simplement un préjugé; il Yavait
done lutte entre la société légale et la société réelle.
La révolution a fait cesser cette contradietion;
routes les inégalités conveutionnelles se sont éva-
nouies. Le pouvoir a été donné comme l'empire
d' Alexandre, au plus digne.


C'était un intérét politique qui soulevait le
tiers-État eontre la noblesse , il s'agissait pour lui
plutót de conquérir le gouvernemeut du pays que
de se garantir de I'oppression. La supériorité du
gcntilhomme sur le bourgeois se manifestait par le
mépris, et non pas par des vexations : elles étaient
réservées pour le peuple des campagnes. Celui-ci
n'avait aucune place dans cette hiérarchie de cas-
tes, régime ou tous les droits étaient des excep-
tions : il était le paria de cette poli tique.


La féodalité détruite dans les villes s'était
maintenue autour des cháteaux. Comme, par sa
faiblesse, elle nexcitait pas Ta jalousie de l'au-
torité royale, elle avait conservé bien des droits
oppressifs. Sans doute, le sort du paysan au




298 .ETAT DE LA FRANCE AVANT LA ~EVOLVT.


XVIlI€ siécle n'était plus ce qu'il était au xne ;
il n'était plus serf, il pouvait se marier, quitter le
fiar sans la perrnission du seigoenr; mais si 00
prend pour type de comparaison l'ordre des choses
actuel, on trouvera une différence presque aussi
grande. Une portian considérable de la taille,
tontes les corvées pour la confection des routes,
étaient portees par lui seul. Cornme l'impót du
sel se répartissait d'aprés la population des con-
sommateurs, sans avoir égard a leur richesse,
c'était aussi lui qui en sentait le plus la rigueur.
La vraie mesure de l'impót n'est pas dans le
chiffre, mais dans le rapport du chiffre avec la
pauvreté du contribuable. Le pauvre, taxé a la
méme somme, payait donc réellement plus que le
riche; outre les charges générales, il y en avait de
particuliéres dans chaqué seigneurie; le droit de
chasse, celui de garenne, de colombier étaient la
cause d'une foule de tvrannies. Dans plusieurs pa-
roisses, les seigneurs avaient conservé le droit de
forcer les habitants a se servir de Ieur Iour, de
leur pressoir, de leur moulin. Certaines corvées
étaient dues par les roturiers, POQf la culture des
terres du seigneur; certains droits qui, aleur ori-
gine, avaient été peut-étre les conditions d'un don
et d'une vente, atteignaient le paysan jusque dans
le produit de son charnp. Le principe général était
que nulle terre o'était saos redevanee; cette rede-
vanee tantót s'appelait cens, et alors c'était une




ETAT DE LA FilANCE AVANT LA REVOLUT. 299


somme d'argent; tantót champart, et c'était une
portien déterminée dans les fruits, cornme le nom
l'indique (1). Dans les ventes de biens roturiers, le
scigneur percevait le douziéme ou le huitiéme du
prix, sous le nom de lods et ventes. La justice sei-
gneuriale n'avait conservé de pouvoir que sur ces
rnatieres, si minces aux yeux de celui qui gouverne,
si graves pour celui qu'elles intéresseut. Devant le
juge du seigneur étaient portées toutes les contes-
tations entre celui-ci el ses paysans; et celles des
paysans entre eux. Il y avait bien la faculté
d'appeler; mais pour le pauvre, il n'y a guere
qu'un degré de juridiction.


Un seul fait nous montrera combien les paysans
étaient comprimes. Parmi ces parvenus qui, soit
dans les lettres, soit dans le clergé, ont illustré le
xvn" el le XVlIlC siécle, nous trouverons beaucoup
de GIs d'artisans , aucun d'eux n'est sorti d'un
village,


La nature méme des armes employées par le
riers-État contre la noblesse confondait sa cause
avec ceHe du peuple; comme ce n'était pas en
vertu de litres ou de priviléges qu'il demandait
l"égalité et la liberté poliLiques, mais au nom des
droits éternels de l'humanilé; qu'il en appelait ~
la loi naturelle, sans s'occuper de la loi écrite, il
plaidait la ca use du peuple tout entier. Celui-ci
la senti par l'effet de cet instinct si sur dans ses




300'
,


ETAT DE LA FRANCE AVANT LA REVOLUT.


amours et dans ses antipathies, qui anime les mas-
ses, et il a ehaudemenl appuyé la révolution fran-
eaIse .


Un double mouvernent a cette époque s'est
done faitentre Ies classcs de la population francaise;
la noblesse s'est confondue avec la bourgeoisie, la
bourgeoisie avee le peuple.


Il faut revenir sur nos pas el rappeler briéve-
ment quel était l'état de la Frauce a l'époque ou
nous avons commeneé ces recherches; en rappro-
chant les deux points extremes, nous jugerons
mieux l'étendue du chemin parcouru.


La France morcelée était a peu pres dans la
position 00. se trouve l'Europe nujourd'hui ; les
divers Étafs indépendants les uns des autres en
appellent a la guerre pour terminer leurs ditTé-
rends; cal' la force est le seul juge possible la OU
n'existent rn une loi ni un tribunal ponr 1'appliqúer.
Comme chacun des fiefs possédait les prérogalives
souveraines , qu'il formait un état séparé, les rap-
ports entre eux étaient plutót réglés par le droit
des gells que par le droit politiqueo La souve-
raineté du roi , plaeé au sommet de la hiérarchie
féodale, était le principe qui devait concentrer
toutes ces impulsions divergentes; mais alors c'était
moins une force qu'un litre. Sous ces petits gOll-
vernements vivaient deux nations : l'une, les pos-
sesseurs de fief, avait part au pouvoir politique;
l'autre , les serfs , ne jouissait méme pas de la




t:TA.T DE Lo\. FRANCE AVANT LA RÉVOLUT. 30 t


liberté civile : ils étaient la chose de leur maitre;
il n'existait done a vrai dire , en France, ni une
nation ni un gouvernement.


Le travail de la société francaise pendant huit
siécles a été d'élever les serfs jusqu'aux gentils-
hommes, et de donner a la royauté un droit ex-
clusif au pouvoir poli tique; en un mot, de créer la
nation et le gouvernement chargé de la rcprésen-
ter. La royauté a touché le but la prerniére ; elle
tournait les príncipes de la féodalité contre la
féodalité elle-mérne. Le roi, comme souverain, était
le supérieur de tous les vassaux , ce droit, oublié
pendant la longue nuit oú s'ensevelirent les der-
niers Mérovingieus et les premiers successeurs de
Hugues-Capet, n'était nié par personne; il ne lui
manquait que la force ponr prévaloir. La bour-
geoisie, au contraire, u'avait pas les mémes précé-
dents; elle avait surgi comme un fait nouveau
dans la féodalité; elle avait done contre elle toute
l'autorité qui s'attache aux traditions.


Heureusement pour elle, les progrés de la royauté
la servirent; chaque prérogative enlevée aux
gentilshommes l'élevait par cela seul que ceux-ci
étaient abaissés. Quand il ne leur resta de leur
pouvoir détruit que des priviléges d'opinion, ce
fut une faible différence entre les sujets d'un méme
maitre.


Nous avons dit comment, aprés les États géné-
raux, le roi suhstitua son autorité a ceHe des




iW2 .ETAT DE LA FRANCE AVA~T LA REVOLUT.


seigneurs dans la perception de I'irnpót, comment
Charles VII se réserva le droit exclusif de lever des
hommes et de l'argent; des lors la souveraineté de
particuliére devint générale. L'influenee laissée
aux grands seigneurs dépendit, eomme celle de
toute aristocratie de leur fortune, de leur considé-
ration personnelle ou héritée; ils u'eurent plus la
force d'un gouvernement; toutefois les souve-
nirs de Ieur grandeur passée furent ménagés dans
tout ce qui ne genait pas le pouvoir royal; ils con-
servérent de Ieurs priviléges le droit de justice
dans leurs terres, J'exemption des impóts. Ce ne
fut mérne que dans le xvn- siécle qu'on essaya de
les atteindre dans leur fortune. Richelieu avait
consommé Ia ruine de l'aristoeratie par des sup-
pliees; la Fronde avait fait plus; elle avait donué
la preuve de son impuissance, La nohlesse n'é-
tait plus en réalité le premier eorps politique ;
cette place avait été prise par la magistrature
sortie du tiers-État. Quand Louis XIV leva la
capitation et le dixiéme sans aueune distinction de
classe, il ne fit que reeonnaitre une révolution
opérée; il n'y avait plus en France qu'un souve-
rain absolu et des sujets. L'inégaIité entre ces
derniers ne reposait plus que sur la vanité; elle
n'a été jetée aterre qu'en 1789'


La gloire de la révolution francaise est d'avoir
écrit le dro it naturel dans le droit positif; elle
s'est ernparée d'un fait aceompli, l'unité de la




ÉTAT DE LA I<'RA!\CE AVANT LA RÉVOI.UT. 303


nation et l'unité du gouvernement, et I'a poussé
jusqu'a ses derniéres conséqu ences. Les inégalités
entre les provinees, les modes divers d'administra-
tion, les priviléges des divers ordres, tout a dis-
paru, et ce qui prouve combien ccue réforme
radieale était conforme a l'état des ehoses et des
esprits, e'est qu'elle a été respectée par les gouver-
nements les plus diverso L'eeuvre de I'assemblée
constituante est passée intaete au travers de l'em-
pire et de la restauration,


L'égalité poli tique a done été le principe eon-
sacré en 1789. Comme, de tous les changements
dont l'histoire fasse mention, c'est peut-étre le
seul qui ait eu lieu en vertu de théories arrétées, le
seul dont les auteurs aient vu toute la portée , ils
ne se sont pas hornés asanctionner le présent , ils
ont proclamé la loi de I'avenir. Ce n'a pas été seu-
lernent entre la noLlesse el le tiers-État que l'éga-
lité a été établie, elle I'a été encore entre le tiers-
État et le peuple (1). Réaliser ee dernier résultat,
telle est la táche laissée par la révolution a ses
hériticrs. 11 n'a pas dépendu d'elle que le but ne
fút atteint du premier bond.Mais, pour avoir voulu
devancer les faits, il a fallu plus tard reculer. Si la
bourgeoisie n'eút pas été l'égale de la noblesse par
la lumiére , la richesse, par tout ce qui donne


(1) Nous connaissous davauce I'objcction que fait naitre cette
.l ist.inction entre le peuplc et la bourgcoisie; mais tout le monde,
.'enx nH~mf' qui la soulevero nt , n011S com prenrlra.




304 iTAT DE LA FRANCK AVANT LA REVOLUT.


l'autorité, elle n'eút pas garclé ses conquétes ,
telle n 'était pas la condition du peuple. Cornme
l'égalité n'existait pas dans les choses, celle de la
loi n'était qu 'une Iettre morte.


e'est ala bourgeoisie de voir si elle veut appeler
aelle les classes inférieures, les relever de la dé-
chéance morale, ou bien lutter contre le cours
irresistible des événements. Le dernier partí serait
plus que de l'égolsme, ce serait une folie. L'esprit
exclusif a tué, en France, l'aristocratie; et cepen-
dant elle était entourée de défcnses autrement
fortes que les barrieres moLiles qui séparent la
bourgeoisie du peuple. Les idées ont acquis au-
jourd'hui un empire plus absolu que jamais ; tót
ou tard elles se feront jour. Le peuple a POU[' lui
le droit; pou!' encouragement, l'exemple de la vic-
toire; la fusion de la classe moyenne et de la classe
inférieure est le probléme qui agite tous les
esprits : dire queHe en sera la solution définitive,
quels changements cette solution amenera daos
les distributions du travail et des richesses , serait
une grande témérité, ala distance qui nous sépare
encore du résultat. NQuS ne pouvons voir que le
fait général, les détails nous échappent; mais cette
incertitude sur les moyeos et sur le mode n'est pas
une raison suffisante pour le nier. Si 1'0n eút dit
aux esprits les plus éclairés de Rome ou d'Athénes
qu'une société sans esclaves était possible, que
d' objections n' eussent-ils pas enes contre cette chi-




ÉTAT DE LA FRANCE AVANT LA nEVOLUT. 305


mere'! L'avenir n'est pas tout entier dans le passé,
Il faut done préparer cette révolution la plus


grande alaque11e la société «it été destjnée depuis
l'esclavage aboli, lui épargner ces secousses vio-
lentes dans lesquelles le bien general est paye par
tant de maux particuliers : nous n'appuierons pas
davantage sur ces considérations. Il nous répugne
de n'invoquer ici que le calcul. Relever les classes
pauvres et lahorieuses de I'incapacité qui pese sur
elles, les appeler a prendre leur part dans les bien-
faits de la civilisation , les lumiéres, le bieu-étre,
héritage cornmun de l'humanité, n'est-ce pas un
résultat qui vai lIe la peine d' étre désiré pour lui-
méme. Une cause si élevée doit rallier tous les
esprits généraux.


L 'égalité, quelque étendue qu'on lui suppose,
ne va pas aussi loin que le rnouvement démoera-
tique de 1789. JI Y a aussi égalité absolue sous
le despotisme, et e' est la le danger d'une si tuation
ou la force est tout entiére au gouvernement.
Maintenant qu 'ji n 'ya plus ni corps privilégié, ni
magistrature héréditaire, que I'autorité ne voit au
dessous d'elle que des individus, la résistance d'Ull
particulier serait une folie. La seule garantie a
espérer est dans la nature du pouvoir lui-méme ;
les auteurs de la révolution l'ont bien vu. Ce n'est
pas assez qu'il n'y ait en France que des sujets et
un gouvernement, il faut que ces deux classes se
confondent, qu'il y ait une véritable dérnocratie


20




306 .ETAT DE LA FRANCE AVANT LA REVOLUT.


<fans le sens liuéral du mot. C'est la ce que doit réa-
liser la liberté politique, e' est adire le concours
des eitoyens aux affaires publiques. En introdui-
sant ce principe nouveau dans notre histoire , la
révolution a clos le passé et ouvert I'avenir.
eette intervention peut s'allier avee des formes
diverses; elle peut s'exereer d'une maniere di-
recte comme en Amérique, ou par voie d'in-
fluenee eomme dans la monarchie représentative.
Ce dernier mode présente mérne des avantages qu'il
serait superflu d'énuméreriei. Mais quelsque soient
les noms, la suprématie de la démoeratie est dans
tous les esprits : le gonvernernentdu pays est devenu
la ehose publique. Qui pourrait prétendre a gou-
verner la Franee malgré elle, et autrement qu'elle
ne veut '1 Tous les pouvoirs ont toujours cédé ou
tombé devant la volonté nationale; sans doute, eette
volonté ne s' est manifestée encoré que dans de
grandes et rares circonstances. Elle ne sait pas
bien eneore s'intcrroger et se reconnaitrc. Mais a
mesure que les institutions poli tiques seront mieux
comprises , qu'elles seront passées des Iois da ns les
habitudes et dans les meeurs , elle-s'appliquera ~l
plus d'objets : apprcndre avouloir , e' estl'éducntion
des peuples comme ceBe de l'indi vidu. I




NOTESET PIECES JUSTIFICATIVES.


Comme plusieurs des autorités sur lesquclles nous
nous sommes appuyé ne sont pas généralement con-
nucs, nous allons en donner une idee au lecteur: autant
que nous l'avons pu, nous ne nous en sommes rapporté
qu'a des témoignages contemporains. Il y a dans les
originaux une réalité qui se perd aprés plusieurs inter-
prétations. Pour les premiers chapitres de cet ouvrage,
Bcaumanoir, la collection des ordonuances, les notes
de Lauriére sur Loisel, qui sont bien supérieures au texte;
Ducange, qui par son éruditiou semble avoir venu dans
les temps dont il rapportc les usages, nous out fourni
des matériaux nombreux. Adalerdu régnedeCharlesVIII
la collection du Louvre nous a manqué; nous avons eu
recours a cclle de Fontanon. L'ordre de matieres que
l'autcur a substitué a I'ordre chronologique a l'incon-
vénient de morceler et d'éparpiller les ordonnances, il
Iait plutót eonnaitrc l'esprit du compilateur que celui du
ícxtc , mais pour nous c'était un avantage. Comme la
prcmiére édition de cet ouvrage a paru en 1588, nous
avons pu le considérer pendant tout le xvr' siecle eomme
un témoignage contemporain. L'édition de 161 t con-
tient plusieurs pieces relatives au régne de Henri IV ;
dcpuis ecuo époque, les doeuments législatifs se multi-
plient, la collcetion de 1\1. Isanbert, les diverses ordon-
nances de Louis XIV, les baux des fermes , les économies
royales de Sully, ouvrage confus, mediocre comme
oeuvre littéraire, nous donnent les premiers renseigne-




308 NOTES ET PIECES JUSTIFICATIYES.


men (S authentiques sur les finances , dcpuis ils no nous
manqueront plus, grace surloul a l'ouvrage de Forbon-
nais. Cet auteur a pu consultor plusieurs pieces. qu'il
serait impossible de rctrouver aujourd'hui , il a eu a sa
disposition les papiers de Colbert, ceux du ducde Noailles
président du conseil des finances sous la régence; il
avait lui-méme vu le systéme de Law. Soit par Iui-rnéme,
soit par les documentsofficiels qu'il a recueillis, il éclaire
toute l'histoire financiére du XVIl e el du cornrnencement
du XVIUe siécle,


Plus tard nous avons l'ouvrage de Necker, sur I'ad-
ministration des finances, cornposé par lui aprés qu'il
eut quitté le controle géuéral, les divers comples oe plu-
sieurs de ses prédécesscurs, entre autres de Turgol el
de M. Boul1oagne. Enfin le gouvernement a publié en
1788, al'imprimerie royale, unouvrage en quatre volu-
mes sur les impositions en France , on voit donc que,
depuis la fin du xvr' siécle, les documcnts authentiqucs
sont assez nomhreux. Nous nous somrnes aussi heaucoup
serví d'U11 volume intitulé: 'Afatú}re d'1'mp6ts~ recueil de
piéces , arréts, remontrances relativos ace qui s'est passé
a la cour des aides, depuis 1758 jusqu'en t 776; c'cst
le mécanisme financier et judiciaire en action, Le lectcur
pourra s'apercevoir, en lisant cetouvragc, que nous avons
puisé a beaucoup d'autres sources;cornme ce sont des
ouvrages plus répandus, nous n'en parIerons pas ici, Il
n'est pas une citation qui u'ait été faite d'aprés les ori-
ginaux; nous avons pu nous tromper sur l'appréciation
des faits, mais les faits eux-mémes sont hors de doute.
Toutes les fois que nous avons voulu en tirer des con-
séquences, el passer du connu a l'inconnu, nous avons




NOTES El' PIECES JUSTlFICATlVES. 309


expuse nos raisons. Il nous eút été Iacile de grossir ce
volume, mais sur des matiéres aussi arides il ne faut dire
que le néeessaire, et ne pas rebuter par des longueurs le
petit nombre de leeteurs qu'elles intéressent.


NOTE 1. Chapitre 1.. page 17.


On trouve dans César un passage fort curieux : « Viri,
quantas pecunias ab uxoribus dotis nomine acceperunt,
tantas ex suis bonis, restimatione faeta communicant.
Hujus oruuis pecuniai conjunctim ratio habctur, fructus-
que servantur ; uter eorum vita superarit, ad eum pars
utriusque cum fructibus superiorum temporum perve-
nit. » N'cst-cc pas la la communauté légalc telle quc le
Code civil Pétablit? Cette permanallce d'une législation
qui a résisté ala conquéte romaine et al'invasion barbare,
qui s'est maintenue sous la religion des druides et sous le
ehristianisme, qui, aprés avoir gouverné nos ancétresdans
une civilisation apeine ébauchée, s'applique encore au-
jourd'hui, mérito d'Ctre signalée : elle prouve combien
la connaissance de l'histoire est nécessaire a I'étude des
lois, II y a dans chaque pcuple un certain fonds d'idées,
d'habitudes , que les changements poliliques modifient
sans le dénaturer : c'est ce qui forme le caractere na-
tional.


Il y aurait aussi plus d'un rapprochement a faire entre
l'état de la nation gauloise, avant les Romains, et la
France féodale. Dans I'une comme dans I'autre, le peuplc
était presquc esclave, les chevaliers et les prétres étaien t
seuls comptés ponr quelque chosc. Les clients dont les
chevaliers s'entouraient ne rappellent-ils pas les vassaux?
César, liv. VI,chap. XVII et xv. Il semble que la domina-




310 l'"OTES ET Ill.ECES JUSTlFICATlVES.


tion romaine n'ait fait qu'effleurer le pays. Les deux eivi-
lisations qui se sont succédé dans les Gaules ont eu le
mérne point de départ.


La féodalité est née des mreurs germaines et des mceurs
gauloises combinées: « In pace, » dit César en parlantdes
Germains, « nul1us eommunis est magistratus; sed prin-
cipes regionum atque pagorum ínter suos jus dicunt el
controversias minuunt. »


NOTE 11. Chapitre 1 ~ page 1!•.


Nous croyons devoir prévenir une objeetion qui se
présentera peut-étre al'esprit du leeteur. Dans le tableau
que nous avons donné de la jurisprudcncc, Beaumanoir
est presque la seule autorité citée , ccpendant il u'avait
éerit que sur les eoutumes du Beauvoisis, On pourrait
done supposer que les dispositions des autres eoutumes
étaient tout afait différentes. Mais la diversité ne portait
pas sur les points importants: la féodalité, cause de la
division, était cependant un caractére commun a. tout le
territoire; les droits el les obligations eonsacrés par elle
étaient presque partout les mémes. Quclques citations
suffiront pour le prouver: Il est coustume en Champaigne
que se eschoite vient de costé que 1'0n en doit relief,
e'est a savoir la valeur de l'issue d'un an. Art. 18 de
l'ane. cout. rédigée vers 1220. Le droit de relief est re-
venu d'un an. Art. 47 de I'anc. eout. de Paris. Art. 26
de la nouvelle eoutume de Champagne redigée en 1509.
Art. 193 de la coutume de Sens rédigée en 1550.


La représentation était proscrite dans toutes les au-
ciennes eoutumes. Art. 11 de I'anc.cout. de Champagne.




NOTES El' PIECES JUSTll<'ICATlYES. 31 t


Art. 66 de Vitrj-lc-Francais. Art.H de :Mcaux. Art. 100
de Mc1un. ArL 72 de Sens: elle ne futadmise que dans les
uouvelles rédactions.


Il nous serait aisé do démonlrer de mérne quc le
donaire, la communauté , le droit d'aincsse, le retrail li-
gnager el lc retrait féodal étaien l rccus avec de légéres
différences dans toute la législation coutumiére.


NOTE III. Chapitre I, pagc 29.


Nous n'avons pas voulu surcharger le texto de notes
trop nomhreuses , nous pensons qu'on ne sera pas fáché
de trouver ici quelques nouvelles preuves de nos asser-
tions sur l'ótat du peuple.


« Les serfs ne son t pas tous d'une conditiou , cal' si uus
» des sers sont si souget aleur seigneur que leur sire puet
» penre quanque ils out a mort el avie, et les cors tenir
» en prison toutes les fois que illeur plest soit a ton soit a
» droit, que il n'en est tenus arepondre fors aDieu. Et si
J) autres sont demenés plus dehonnairement; cal' tan l
» comme ils vivent, lesseigneurs si ne leur puent riendo-
» mander se ils ne meffont, fors leurs eens, redevanches
» que ils on t accoustumé apayer pour leurs servitudes; et
» quant ils se muerent, ouquant ils se marient en franches
» femes, quanques ils ont eschiet a leur seigncur. »
Beaum., page 257.


Dans I'ancienne coutumc de Champagne, si un sci-
gneur ahonnait ses hommes , c'est a dire s'il substituait
une somme déterminée a des taxes arbitraires, ceux-ci
devenaient la propriété du seigneur supérieur. Art. XVIl.


La distinction des serfs et des bourgeois du roi subsis-
tait cncore au commcucement du XV¡e siécle. Cout. dc




312 NOTES El' PlECES J'JSTlIllCÁTlVES.


Champagne rédigée en t 509 , art. 11 , 11I, IV, V, VI el IX.
Cout. de Chaumont-de-Vitry, art. CXLV; de Meaux, art. 1,
LXXXVIH, LXXXIX.


II est probable que la mainmortc a été, pendant un
temps, la condition légale d'une partie de la France: HOUS
allons cntrer ace sujet dans quelques détails. Le main-
mortable avait pour héritier cclui qui demeurait en com-
mun avec lui , Loisel, regle 7 Ji- : dans ce cas, c'était plu-
tót une continuation de propriété qu'un héritagc. Dans
tous les autres cas, le seigneur lui succédait. L'homme
de mainmorte ne pouvait disposer de ses hiens par acte
de derniére volonté; il ne pouv ait les aliéner aun homme
de franche condition, ArrCt du Parlement de Dijon de
1672. Bretagne, sur la cout. de Bourgognc. Le main-
mortable ne pouvait prescrire sa liberté; la mainmortc
était un droit seigneurial qu'aucun laps de tcmps no
pouvait périmer. Dans lacoutume de Bourgogne, I'homme
franc qui allait demeurer en mainmorte et y demeurait
an et jour, devenait mainmortahle ainsi que ses enfants.


Dans toutes les coutumes, la mai nmorte u'était pas
aussi ahsolue : il y en avait quelques unes oü elle s'appli-
quait seulement aux biens : le seigneur héritait tantót
des meubles el tantót des immeubles , en ce cas, le main-
mortable, en renoncant ases propriétés, devenai 1 franco
De Lauriére sur Loisel.


NOTE IV. Chapitre 1I, page 32.


Il n'y avait au moyen-áge, a proprement parler, qu'un
degré de juridiction; l'appcl était une aecusation contre
le juge. Le juge se défendait, et l'appel se terminai t par




NOTES El' PIECES JUSTU'ICATlVES. 3 l 3


un combat. Le changement de la procédure sous saint
Louis ne toucha pas a ce principe , le juge était toujours
la partie principale, il était appelé, la partie u'était qu'in-
timée. L'appelant ou le juge étaient condamnés a une
arnende , cal' il y avait un délit ou de la part du juge
pour avoir prononcé un mauvais jugernent, ou de la
part de l'appelant qui meuait a tort le juge en cause.
Cette amende était considerable ; elle était de 60 Iivrcs ,
du temps de Beaumanoir , elle fut réduite a 60 sols, en
1356. Ord., tomeIlI, page 144.


L'appel était done une ehose grave; le délai pour le
faire était des plus resíreints. Il fallait appeler dans l'au-
dienee avaut que le juge fút sorti du tribunal. Font., an
1453) tome 1, p[lge 629. Tel fut toujours le principe de
l'aneienne jurisprudence; mais, dans la pratique, eeUe
rigueur fut adoucíe. La chaneellerie délivrait des leUres
appelées reliefs d'illico ; et le délai était, en réalité, de
trente ans. Hcnrion de Pansey, de l'Autorité judiciaire.
L'usage d'appeler les juges ne fut plus qu'une vaine for-
malité qui se perdit peu a peu; dans les pays de droit
civil, le juge n'avait jamais été obligé de venir défendre
sa sen tence.


NOTE V. Sur le rapport de l'arqen: avec les denrées, Cha-
pitre IV, page t 60; chapitre VI, page 204.


On a généralement choisi pour terme de comparaison,
entre les valeurs des diverses époques, le prix du blé ,
e'est une denrée de premiére nécessité, dont la produe-
tion et la consommation sont Iimitées , enfin la vente el
l'aehat du hlé sont des actes tellement répétés que plu,




314 NOTES ET prECES JUSTIFICATIYES.


sieurs de ces marches nous out été conserves. De tous
les rapports, c'est celui qui approchc le plus de la vérité,
ceUe vérité n'est cependant ¡laS absolue. Plusicurs causes
quí ne tiennentpasá la richesse générale ont une influence
sur le prix du blé. Sans sortir du sujet qui nous occupe,
il est certain que les entraves mises au commerce des
grains ont dü le maintenir pendant Pancien régime
au dessus de son cours naturel , dans le moyen-áge, OU
lo commerce existait a peinc, les alternativos dc hausse
et de baisse devaien t se succéder dans une proportiou
beaucoup plus forte qu'aujourd'hui. L'abondance de la
récolte d'un pays ne pouvait pas aussi facilement sup-
pléer a la diserte d'un autre, Pour réduirc ces chances
d'erreur, nous avons, autant quc nous l'avons pu, donné,
outre les changements dans le prix du blé, ceux qui on t
porté sur d'autres valeurs. CeUe précaution nous a
paru inutile pour les deux derniers siécles, OU la sécurité
plus grande, le commercc plus avancé établissaient en-
tre les diversos années une moyennc plus exacto.


Prix du setier de blé.


Dates.
1289
1290
1294
1304
1312
1314


Monnaíe du
temps.


6 s. 3 d.
8 4
9 8


40
16
10


Ilapport de cettemonn.
avec la nótre.


commc 17 est il 1
id.
id.


comme 6 et 7 est a1
comme 12 est a1


id.


Monnaie
actuelle.


5 f. 30 c.
6 65
8 15


14
8 60
6


Il convient d'élaguer l'annéc 1304 : le prix de ~'O soIs
était un maximum fixé par ordonnancc dans une an
née de disette excessive.




NOTES ET PIECES JUSTIFICATlVES. 315


La moycnnc des autrcs prix cst de 6 liv. 94 e. Dans
le méme tcmps, un mouton se vendait :


en 1312, 6 s. 8 d.
1313, 6 3
1316, 6
1320, 8


La lUoycnnc cst de sept soIs, dans notrc monnaie,
3 fr. 60 c.


Prix du blé.


en 1390, 20 s. 6 d.
1398, 14
1405, 18
1410, zz


La moyenne est de 18 sols, la monnaie valait huit a
neuf fois la nótre,


Le prix moyen du blé était de 7 a 8 francs, Un mou-
ton, a la méme époque, se vendait, 10 soIs ou 4 fr.


Prix dú blé.


en 1443,
1444,
1450,
1459,
1462,
1465,
1466,


4 liv.
20 s.
11 s.
14
11
12
21 s. 8 d.


La mOJcnne esl de 24 soIs: la monnaie valait six a
sept fois la nótrc.


Le prix mOJell est done de 7 a 8 fr.




3 t 6 NOTES ET PIECli:S JUSTlFICATIVES.


Prix du blé.


en 1499,
1501,
1508,
1510,
1511,
1513,
1515,
1519,
1520,


26 s. 8 d.
30
27


8
8 8


20
55
22
35


La moyenne esl de 25 sols , ou 6 fr. 25 c. de nótre
monnaie.


Ce résultat mérite d'autant plus de confiance qu'il
s'accorde exactement avec le prix donné par Budéc,
auteur contemporain, daos un ouvrage de statistique.


en 1558, 66 s. 8 d.
1559, 77 6
1560, 75
1561, 83
1562, 100
1564, 66
ra., 86
ta., 86
1565, 100
Id., 130


Prix moyen , 4 Iivres ~ soIs.
Daos notremonnaie, 14 fr. 75 e.


..


Dans un demi-siécle, le hlé a donc passé de 6 f. 25 c.
a 14 f. 75 c.


00 pourrait aítribuer ce résultat, s'il était isolé, ala




NOTES El' PIECfiS JUSTlFICATI ,rES. 317


guerre civile qui désolait la France; mais les autres va-
leurs subircnt une augmentation analogue. La décou-
verte de I'Amérique, l'importation des métaux précieux
est la cause générale qui a changé tous les rapports des
ehoses. Ainsi une messe d'obit, qui, en t 501, 1504,15 t 5,
1519, se payait 6 sols de notre monnaie , se paie, au
milieu du siécle, 11 soIs, en t 584 et 1594 15 soIs.


Les gagos d'un vicaire, qui, en 1566.• étaient de 3Iivres
6 sols par mois, sont, en 1576, a 6 francs 4. sols , a la
mérne époque, le prix commun du hlé était de 8 livres le
setier, enviren 20 francs de notre mounaie.


Toutes les données qui ont servi de base aux calculs
précédents sont extraites de l'ouvrage de Dupré de Saiut-
Maur; dans le méme ouvrage, on trouve un tableau dé-
taillé duprix dublé, depuis 1596jusqu'en 1746. L'auteur
a donné pour chaque année le prix du blé vendu a
quatre marches de Rozoy, en Brie , il s'est appuyé sur
des registres authentiques. Jl cut été inutile de grossir
ce volume de la table primitivo, puisque chacun peut la
consulter , nous nous sommes borné a publier le résultat
general, extrait par l'auteur lui-méme. Chacun des
ehiffres de eeUe tahlo est calculé sur dix anuées ou sur
quaranto marchés , iI présente donc toute l'exactitude
désirable. La valeur du blé dans les trois derniéres pe-
riodes nous a été fournie par M. Preschez , juge de paix,
aRozoy ; il a eu la patience de consulter plusieurs mil-
Jiers de chiffres. Comme le setier de Rozoy u'est pas
ceIui de Paris, nous avons eu recours au rapport em-
ployé par Dupré de Saint-Maur lui-méme, el nous avons
augmenté d'un cinquieme Je prix du setier de 1780 a
1789.




318 NOTES ET PIECES JUSTlFICATI VES.


Le lecteur eonnait maintenant d'aprés quels éléments
est formée la table que nous donnons ; elle différe sensi-
blement de eelle de Say, dans son Cours d'économie
politique , il a ehoisi ses chiffres au lieu dc prendre des
moyennes. Il faut aussi faire attention qu'il ne s'agit
pas du blé commun, mais du plus beau. Dupré de Saint-
Maur n'évalue le blé ordinaire qu'á 15 livres, tandis
qu'il porte le blé d'élite a t 8 livres,


On peut remarquer que le prix du hlé croit dans les
temps de désordre : l'administration de Sully lc tit hais-
ser d'un cinquieme, Le plus haut prix qu'i] ait aUeint
dans le XVIl" siecle coincide avec les désordres de Ma-
zarin, le plus bas avec les bcaux temps de Colbert.


Pria: du setier de Me, depuis le XIII" siécle jusqu'd nos
Jours.


Années. Monn. du tcmps. Monnaie actuelle,
1289 a 1314 l. s. d. 6f. 94 c.
1390 1410 18 7 a 8
1443 1466 24 7 a 8
1499 1520 25 G 25
1558 1565 4 5 14 7[)
1596 1605 9 16 9 26 45
1606 1615 8 1 9 21 70
1616 1625 9 2 3 23 85
1626 1635 12 8 9 32 9;)
1636 1645 12 5 1 23 25
1646 1655 16 19 '1 32 20
1656 1665 17 16 1 33 80
1666 1675 9 15 4 18
1676 1685 13 /. 9 25
1686 1695 14 13 4 24 60
1696 1705 16 12 3 26 55
1706 1715 22 1 5 2g 50
1716 1725 17 18 4
1726 1735 15 13 11 La dilTércnee entre le
1736 1745 19 O g franc et la livre est si
1780 1789 24- O 80 faiblc, qu'elle ne vaut
1801 1810 25 O 52 pas la peine d'étre cal-
1826 1Ba5 30 O 65 eulée.




:\'OTRS ET PIECES JUSTlFICATl VES. 319


Pri»: dn Idus bcarc blé »endtc sur le marché de
Rozar, en Brie, saooir :


Années,
1779 18 liv. io s. Le setier, OH 14 décalitres,
1780 18 12
1781 18 13
1782 17 11
1783 18 6 Nota. En retranchant \'année
1784- 23 2 1779, le prix commun des dix an-
178[) 11 lR nées est de 20 fr. 66 c. le setier.
1786 17 5
1787 18 3 L'ancien setier de Rozoy se1788 22 16
178\1 30 6 composait de 8 boisseaux,


x
x
t


u
nn. Ann.
800 20 f. 61 c. Le setier OH 1825 24- f. 19 c. Le setier o
801 30 fU 15 décalitres. 1826 24 62 15 décalitres.
802 40 15 1827 28 83
803 26 06 Nota. En re- 1828 36 09 Nota. En re
804- 21 08 tranchant \'an- 1829 40 82 tranchant l'an
SOS 25 20 née 1800, leprix 1830 35 09 née 1825, le pri
806 24 » commundesdix 1331 35 36 commundes di
807 26 64- autres années est 1832 34- 50 autres annéeses
808 21 81 de 25 f. 52 c. les 1833 24 87 de 30 f. 65 c. le:


1809 16 29 I'5 décalitres. 1834'22 83 15 décalitres.
810\23 06 1835(23 54


.


A
1
1
1
1
1
1
1
1
1


Ce relevó a été raíl sur les registres des gros fruits
tCHUS Ü la mairie de Rozoy.




320 NOTES ET prECES JUSTIFH:A.TlVES.


NOTE VI. Sur la population de la France .
Abrége du dénombrement des peuples en l'état qu'1'[ était


ti la fin du dernier siécle. Ce dénombrement eomprend
les hommes, les [emmes et les en(ants de tout age et de
tout sexe.


NOMS NOMS Nombre Anlll:es


des des de- du


intendauts . généralités. peuples. dénomb.


M. Ferrand .
,1\1. de la Grange .
1\1. le Boucher ...•.


1\1. Larcher 1'a corn-
meneé etM. de Po-
meren l'a aehevé.


17°0


dJ98


IG94
1700
IG99
1698
IGD8


1698
16D8
IG98


16g8
IGg8
¡G!]S
1°98


158.836
3:l7'9.56
85.449


15G.599


GII.004


363.000
340.1 2 0
245.000
543.585


1.540.000
51l).500
21 1.869


1.2Ú6.35l)


7'20.000
85G'D38
6°7·IG5


l.oG9· 616
1.655.000


¡
Ti ré d'un Jénombr.


fait en 1694. Paris ..
!1\1. Phelippe~l.IIx G~n~ralité ~e P~ris.
,.1\1. de Bouville . '" General. d Orlénns.


1


1\1. de .1\lirosménil .. Général. de Tours ..
1\1. de NointeI. Bretagne .
'MM. de Foucaut et Normaudie divisée


de Pommereu.. . . en trois général..
M. Bignon......•.• Picardie .


Artois.•..........


¡
MM . Desmadris et Flandre Flarnnim-


de Barentin . . . • . . gante .
1\1. de Bagn.~ls Flandre Wa.u0nlle ..


1M. de Berrricres Pays de Hai na ut ...
11\1. de St-Con test. .. Les trois évéch és ••.


Champagne compris
les souverainetés
de Sedan, de Rau-
court, dc Chütcau-
Hegnault, duché
de Bouillon,ee que
nous tenons d u
L~IX;~bourg, les


prevales deStenay,
Jamel s, 1hin, et le
comté de Clermont


M. Sanson Génér. de Soissons.
1M. Ferrand...•..•. La l>ourgognc, du-


ché corn pris, la
Bresse , le Bugey
et le pays de Geix.


Lyonnais , ..
Comté deBourgogne
Alsace ...•.... , .•.
Dauphiné .


A reporter .




NOTES ET PIECES JUSTIFICATIVES.


SUITE.


:321


1


Noms Noms Nombre Années


des des des du


intendants . généralités. peuples. dénomb.


I . > Report, ...... 11'981.840M. r.e Bret , ........ Provence.......... \;39. 805 1700
lU. de Basvi llc ..... Languedoc ........ 1.4/u.ooo 1698
Tiré de feu Buusse-


Jot, directeur des
fortifications, et Roussillon......... 80. 369 1697
du grand-vicaire
del 'bt1c!1l;d 'Ern e,
a Perpignan .....


M. dDrmesson .... Allvergne ......... 557· oG8 1697


1
Génér. de Bordeaux,
comprisle comté de1M. de Besons ....•. Bigorre,le Morit-de- 1.482.:304 1698)Iarsan, pays de La-
bour el de Soulle .


.M. Guyet. ........ Béarn el n.-Navarre. 241 .o\)4 1698
1\1. Le Cendre.•.... Gén. de Montauban. 788.Goo 16~)9
:M. de La Bourdon-
, nay~............ Gén. de Limoges... 585.000 1G98
M. Begon ....•.... Gén , de la Roehelle. 360.000 1698
.l\I. dc l\Iaupeou .... Gén. de Poit.iers ... 612.621 16f)8
1\'1. d'Argollges..... Gén . de l\lolllins ... 32·L332 16!.J8


Total. ......... 19.094.146


( Dime royale , page t 80. )




322 NOTES ET prECES JlJSTIFICATlVES.


Population des pays de grande gabelle ti trois époques .


Iieceus. Recens. Recensem.
de de de


Vauban. Necker , 18310


1.510.000 l.gI3.000 2.645·7!l8 Normanc1ie.
1.5¡6·938 1'781 .000 2.415,945 Paris el Ile-cle-Frnnce .


G07 . 165 7°9· 400 749.3 r4 Orléans .
1.266. 359 1.087.300 1. 357.7 57 Bourgogne, duche.


6n3•2H 812.8(10 1.122.886 Champagne.
61 \,004 437.200 513.000 Soissons ,
Sl9·boo 5:33 .000 543.000 Picardic .


1.069.616 1.338.700 1.117. 11 3 Tours, Anjou el Maine.
291. 232 51'1.500 501.348 Boul'¡;es.
324.332 564.400 669.87° Moulins .


8.499. 390 9.489.300 11.63(;.391


On remarquera sans doute que, d'apres ce tableau, la
population des paJs de grande gabelle, dépasse le chiffre
de 8,300,000, qui, selon Necker, compreud tous les ha-
bitants soumis acet impót : ceci tient ace que, dans cer-
taines généralités, il y avait des paJs exempts de l'impót
du sel. Ces habítants privilegies comptaient dans le dé-
nombrement de leur généralité. Nous avons pris, pour
former la troisieme colonne de ce tableau, le recensemen t
de 1831, Ann. du bureau des lonqitudes, comme les fron-
tieres des départements ne s'accordent pas toujours avec
celles des anciennes provinces, iI a été impossible d'éviter
toute inexactitude.


La population totale du royaume , d'aprés le mémc
document, est de 32,560,934.




~m ES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 32 :l


Résumé de l' étendue de la population di! choque
qeneralité.


Norns des généralités.


Aix .•................•.....
Amiens ..............•..•..
Auche et Pau •..............
Bcsaucon .•.•...............
Borde~ux et Bayo nne .
f3ollrges .
Ohálons ..............•.....
Dijon .
Grcnob]c , .
La Rochellc .
Lill e •.....•.........•.•...•
Limoges .
Lyon .
.Me tz ........•..•.•..•••.••.
Mon tauban ..............•..
Mon 1pellier .
Moul in s•...............•...
Nancy .
ürIéans .
Paris..•....... '" . " .
Perpignan . '" .
Poitie'rs .
Rennes .. " ...............•.
Biorn .................•....


{
Ra llen .


Normandie. . Caen .
Alencon .


Soisson s " .
Strasbourg .
To urs .
Vulcn cicnnes .......••......
Corseo , .


Licues
,


carrees .


l. 146
458


1.341 1/2
871 1/2


1.625 1/2
686 1/2


1.226 1/4
1.IS4 1/4
1.024


464
414 1/2
854
416 1/4
514
583 3/4


2.140 :V4
8ü1
8u4


1.021 1/4
l. 151


28ü 1/3
1.057 1/4
I. 774 1/2


6[>1
587 1/2
&83 1/2
464
445 1/3
52!) 2/3


1.388 1/4
25¡ 3/4


Nombre
des


habitants
par


généralit.


754.400
533.000
81:3.000
6¡8.800


1.439.000
512.[00
812.800


1.087.300
664.600
479.7 00
1:H·60o
C46.5oo
6:33.600
349.:300
530.200


1.669. 200
564.400
834.600
7°9. 400


l. 78 1.7°0
188.900
69°·500


2.27 6 . 000
681.500
74° ' 1° 0
644 000
528:300
43 7 . 200
62Ü.400


1.338,7 00
26.5.200
J24.000


658
1.164


603
779
885
747
663
918
649


1.034
1·772


757
¡ .522


680
908
794(hg
934
6H5


1.540
660
653


J.282
1. 047


J·17°


982
1.183


964
1.031




32í NOTES El' P1El:E:3 JVSTlFICATIVWL


Résumé des contribuiions de chaqué qeneralité , et de
leur rapport aoec le nombre des habitante,


Noms des généralités.
Contributions


par
généralités.


Contributions
par


i ndividus ,


Aix, y compris la contribution
pour les chemins........ '" 15.000.000 Iiv. In Iiv. 18 s.


Amiens. ......................... 1&.200.000 28 10
AlIch et Pau .........•.•


'" .
11.300.000 13 18


Besanccn ..........•.....•... 9.300.000 13 14
Bordeaux et Bayonne ........ 23.000.000 IG 00
Bourges, y corn pris la contri-


hution p0ur les chen.ins .... 8.000.000 15 12
CÍJillons .....•.•..•.......•.. 21.800.('00 2(j 16
Dijo n ..... " ................ 20.800.000 11) 3
Grenoble ..•........•...•.... 11.800.000 17 15
La Ro chelle .. , .............. 1).100.000 I!; I\)
Lille,y cornpris la contrihution


ponr les chemins........... 14.800.000 20 3
Limoges, idcru . . . • . . . . . . . . . . . 8.\)00.000 1:l 1&
LJon. ................................. 19.000.000 30 00
~Ietz ....•................... G.80o.ooo In 9
Montallban, y compris la con-


tribution pour les chemins .. 11.800.000 22 5
Mont.pellier, idem ............ 37·&00.000 22 1
Monlins ... , .............................. \).800.000 q 7
Nancy ..................•... 10.800.000 12 19
Orléans..................... 20.000.000 28 4
París, la dép. des chem, payée. 114.500.000 64 5
Perpignan...•..•.•.••....••. 2.600.000 13 15
l'oit iers ....•......... '" .... 12.300.000 17 lti
Rennes...•..•..• , ...•.. , •. , . 28.500.000 12 JO
Riom. ........... 11 .......................... 12.800.000 18 ¡(j


) Rouen. 27.400.000 l.
Norrn. Caen •. 15.200.000 51.000.000 29 16I Alenc; .. 14.400.000
Soissons. .................................. 11.300.000 25 l'j
Strasbollrg. ......................... 8.800.000 14 1
Tou rs , ..................... 30.000.000 22 8
Valenciennes ............. " . 5.500 000 20 15


5G8.00o.ooo




:W)TfiS I~T I)IECES JUSTIFICATJVES. 325


Ces deux tableaux n'ont pas été composés de la méme
maniere: celui de Vauban a élé fait d'aprés un recen se-
men t genéral fait par les intendants a la fin du xvn" sicclc.
Ce n'était qu'une portien d'un immense travail ordonné
par Louis XIV pour l'instruction du due de Bourgogne.
On avait demandé achaque intendant une descriptiou
exacte de la généralité qu'il adrninistrait , c'est le pre-
miel' essai de statistique officicILe tenlé en France. Mal.
heurcusemen t, la nouvcauté memo du travail I'a empéche
d'étre complet : comme chaque intendant était libre de
choisir I'ordre des matieres et les matieres elles-mérnes ,
aucun des mémoires n'a été fait sur un méme plan. On
trouve sur ccrtaiues provinces des renseignemenls qu'on
cherche en vain pour d'autres, Boulainvilliers a eu la pa·
tience d'analyser cet immense recueil, et d'en donner un
extrait en six volumes.État de la France, Londres, t 7.52.


Eneore qu'á eeUe époque les registres de l'étal civil
fussent tenus par le clergé, que l'administration n'eút
pas un agen t dans chaque vilIage, on pouvait cependan l
appuyer uu dénombremen t sur des bases assez solides:
le peuple était complé depuis longtemps dans les pro-
vincos de grande gabelle. Comme I'impót se distribuait
en raison du nombre des habitants , le fermier avait un
grand intérét a connaitre tous les changements de la po-
pulation. Enfin, par les roles de la taille , et surtout par
ceux de la capitation que tous les hahitanls payaient , 011
pouvait obtenir des renscignements cxaets. Vauban a
cependant fait une omission , il a oublié la générali té de
Bourges. Elle eomptait 29 r, 000 habitanls. Boul., tom. VJ,
pago 26t. 11 s'est de méme trompé sur la population des
rrois évéchés : l'intendant l'évalue a 356,000. IbÚI.,




J26 ~OTl:S ET PIECES JUSTlFICATIVES.
toro. ur , pago 356. Ainsi, ú la fin du XVII C siécle, la
Franee contenait 19,500,000 habitants.


.Necker a pris pour base de ses recherches le rapport
entre le nombre des naissances el celui des habitants ; il
a choisi celui de 25 et trois quarts : la proportion est
maintenant de 32,2, Ann. du bureau de! lonqitudes.
La proportion des uaissances aux décés étai t alors de
1,1 i, elle est aujourd'hui de 1,23. L'accroissement de la
popuIation suit done une loi plus Iorte.


La différence en trc 1, 1!~ et 1,23 ne doit pas étre im-
putee tout entiére a une diminution dans la mortalité.
Les eurés, qui étaient, avant 1789, chargés des registres
de l'état civil, omettaient quelquefois les décés d'enfants
pauvres : la nécessité du liaptéme faisait qu'ils n'ou-
bliaient guere de naissances.


QuelIeque soit l'exactitude de ces rapports, on sen t qu'ils
ne peuvent avoir la mérne autorité qu'un rccensement :
il y a toute la différence qui sépare un raisonnement d'un
fait.


AV311t de faire quelques comparaisons entre les divers
tahleaux que nous venons de donner, il Y a une remar-
que afaire sur les changemcn ts survenus daus le terri-
toire. Dans le XVIII" siécle , la France avait gagné la
Lorraineet la Corseo Ce queLouisXIV céda de la Flandre
a la paix d'Utrecht n'était pas a beaucoup prés aussi im-
portant. Il faut done, pour comparer la population aux
deux époques, retrancher 500,000 sur le chiffre de Nec-
ker , augmentat.ion due a une adjouction de territoire.


Entre la Franco de Louis XVI et la nótre, il ya parité
complete: la réunion du Comtat compense a peu prés ce
que nousavons perduen 1815.




1,till.


1,33
gag'ué


~OTHS ~T I>LECl<.:S JUSTlFICATIVES. 327


Le rapport cutre la population du xvns siecle a celle
du xvur' est de. . . . . . . . . . . • . . .. 1,24-


Le rapport de la population acluelle acelle
du xvu- siécle est de .


Le rapport de la population acluelle a celle
du xvnr' siecle est de. . . . . . . . . . . . .


Ainsi .• en soixanle ans , la populatiou a plus
qu'clle n'avait Iait en un siécle.


Si maintenant nous considérons sépnrément la popu-
lation des pays de grande gabcIle, nous trouverons :


Que depuis Vauban jusqu'a Necker elle a augmen le
dans la proporlion de. . . . . . . . . . . .. f, 11
(trcizeccntiémcs au dessous de l'accroissement moyen).


Depuis Necker jusqu'á nous, dans la propor-
tion de. . . . . . . . . . . . . . . • . . .. 1.. 22


Le rapport qui , pour la population générale , n'a aug-
menté que de ncuf centiémes sur 124, a augmentó de
onze sur t 11. Ce résullat prouve l'inlluence des lois
financieros sur la population : il y a une liaison néces-
saire entre la richesse d'un pays et le nombre des ha-
bitants.


Nous allons maintenant essayer de déterminer le
nombre des habitants de la France a une époque sur la-
quelle nous n'avons point de renseignemcnts officiels ,
le régne de Henri IV.


11 faut d'abord tenir comple des accroissements de
territoire : depuis le xvu" siécle, la France avait conquis
ou obtenu par des traites :




328 -'"OTES El' PIECES ,JVSTIFICA'fIVES •


.i\orns des provinces ,


FranclJe-Comté. . . . . . . .
Iloussillon . . . . . . . . . .
Alsace .
Flandre Wallonnc. . . .
Flandre flammingante ..
Hainaut .


Total.


Pop ularion ,


340,720
80,369


24-5,000
337,000
t 58,000


85,44·9


Elle avait fait, en oulre, dans la généralité de Chálons,
dans l'Artoiset dans laPicardie, desacquisitions nouvelles:
on Be se trompera done pas en évaluant ces adjonctions
a 1,500,000. La France dans les limites Iaissées par
Henri IV comptait donc, au siécle de Louis XIV,
18,000,000 habitants. Combien le méme territoire en
avait-il un siécle plus tót ?


La loi d'accroissement ohservée entre le xvu" el le
xvm- siécle est de 1,2 /,. : nous croyons qu'elle peul s'ap-
pliquer sans ineonvénient aux époques précédentes : rien
n'était changé ni dans les lois , ni dans la condition du
pcuple. Ce serait done une population de 15,000,000
d'habitan ts.


Essayons de voir si, par une autre voie, HOUS pourrons
arriver au meme résultat. Necker dit que les provinces
de gabelle consommaient de son temps 15,000 muids de
sel ; d'aprés le bail de Jousse rapporté par Fontanon, le
roi garantit au fermier une vente de 8,000 muids. Mais
c'était la une límite iuférieure, ainsi, dans le bail de 1668,
on ne garantít al'adjudicataire qu'une consommation de
9,000 muids, quoique la vente réel1e eút été de 9,700.




NOTES El' PIECES JUSTlFlCATlVES. 329


On peut done évaluer la consommation des paJs de
grande gabclle ü 9,000 muids. Si Pon admet que la po-
pulation de ces provinces ai t cru dans la méme proportion
que la vente du scl , qu'en outre le reste du royaume fut
soumis a la méme loi d'accroissernent que ces provinces,
on trouvera, pour le régne de Henri IV, 13,200,000 ha-
bitants. Avant de faire le calcul, nous avons retranehé
un huitieme pour les accroissements de territoire sous
Louis XIV et sous Louis XV.


Nous pourrons, du reste, essayer cette méthode indi-
recte pour le régne de Louis XIV sur lequel nous avons
des rcnseignemcnts positifs, et jugcr par la du degré de
confiancc qu'cJlc mérito,


L'impót sur le sel, qui, en 1668, Forh., tomo1, p. 407,
rapportait t 3,700,000 f., rapporta, en 1683,17,800,000.
Cornmc le prixdu scl u'avait pas changé, Forb., p. 565,
ce résultat cst uniquernent dú a un accroissement dans
la consomrnation : cet accroissement était d'environ un
tiers. La consommation du sel , d'aprés Ie hail de 1668,
était de 9,700 muids , elle était donc de t 2,000 en 1683.
Si maiutenant nous répétons le caleul que nous avons
fait plus haut, nous trouverons, pour la population de la
France, f 9,000,000, chiffre qui coincide presque avec
celui de Vauban.


Le chiffre de 13 a u' rnillions, adopté dans le texte,
page 159, a done toute la certitude qu'on peut exigcr
daus des reehcrches de ce genre.




330 XOTES El' PIECES JUSTIFICATIVES.


NOTE VII. Valeur du marc d' argent n«. d' aprés
Dupré de Sa·ínt-j}Iaur.


Prix du Piix du Prix du
mare mare marc


d'arg . pur. ll'argent puro d'argellt pUl'.


Ann. 1. s , d. Ano. 1. s , d. Anu. 1. s , d.
1295 3 S 3 I ;~.)!) 12 17°1 33 I 1 2 2/11
1304 S 7 I laüo 16 17C)!f 38 18 I 1/11
1306 4 13lío I ~ 17°7 34 10 U ·g/Il
1322 4 7 9 1360 l[i 17°7 47 81327 6 1360 6 !j08 h 13 !l 2/5
133o 3 1372 6 17°8 36 1.4 8 2j.)
1336 4 10 13\.J1 6 15 17°f) 33 5 5 5/11
13:J8 6 1413 11 II¡ IiO!) 31 12 -\ I¡!t I
133u 7 10 1417 15 I i 13 1t3 12 8 sil I
13:lg 9 ddl 24 qla .j 2 10 10 10/1 I
1340 lO 10 1420 40 17 14 4 I !) I 1/1I
1340 12 1423 7 10 1714 3/1 18 2 2/11
13h 15 I j:3 I 8 17'5 33 16 4 4/1 I
1343 3 15 I446 9 17'5 30 10 10 10/11(345 3 14 1467 II .1 J7 18 43 12 3
1348 9 1475 10 I 1 I'f 18 U5 9 I 1/1 I
1350 6 1476 12 Ij I!) (;3 5 5 5/1 I
1350 9 1478 10 16 11 1 9 61 1 9 9)1 I
1351 12 ¡l¡ 83 1,. 1720 (JI I 9 gil I
1351 13 1488 I I 112° 65 !) I 1/1I
1351 7 10 15J4 12 1720 61 18 2 2/11
1352 lO 151 9 13 Ij~w 65 n 1 1/1 1
1352 12 1540 15 112 0 S~ 5 5 5/II1
1353 11 156:3 16 [3 4 I 7~w 98 3 7 7/1 I
135:3 6 [O 1575 21 f) 8 112O 76 7 3 3/11
1354 6 1582 20 [ 2 4 1720 7° 1l) 2 2/11
13.')5 12 ltí02 22 1720 9°
1355 16 If¡36 27 10 1720 81 16 4 4/1 I
1355 IS 1641 29 3 7 7/1 I 172O 173 12 8 8/JI
1355 20 If¡43 28 13 8 1120 130 18 2 2/11
[355 6 Ifj89 :32 2 1720 I4 I I \) 9/1 J
1356 [2 169° 32 [ I 8 S/I1 Ij20 n8 '} 7 7/1 I<l
13[,8 S 1692 31 12 3 3/1 I 1720 85 1 9 9/11
1358 \) [69 3 31 4 6 6/[ I 1720 68 I4 (j (j/I1
1:!58 10 17°0 34 19 7 7/[ I 1724 75 5 5 5/11
135S [ 2 17°0 34 10 7 7/1I 1/24 67 I 9 9/II
1359 15 qO[ 32 [ [ S S/[ I q24 54 [O 10 10/1 I
1359 18 qOI 36 19 3 3/1 I 1124 43 12 S Rjll
135u 24 170 2- 35 Ig 9 g/I I Ip6 45 5 5 5/1 I
135u 45 172.6 5f¡ 6 6 6/11




NOTES ET PJECES JUSTIFICATI\'ES. 33 t


Nous avons pen d'observations afaire sur ee tablean;
un simple coup d'ceil suffit ponr justifier ce que nous
avons avancé dans le texte sur les falsifications de
monnaie. Les autoriLés sur lesquelles s'appuient ces ré-
sultats ne permettent aucun doute. Dupré de Saint-Maur
n'a fait qu'abréger, pour les premiers siécles, le travail
détaillé publió par Secousse dans le recueil des ordon-
nances. Le Blane, sous Louis XIV, s'était déja occupé de
ces matieres.


Cependant plusieurs variations brusques ne sont pas
portees dans ce tableau , Dupré de Saint-Maur n'a cal-
culé le prix de l'argcnt fin monnayé que ponr cclles quí,
par leur durée, avaient eu une influence sur le prix des
dcnrées , il a Il(·gligé celles qui furent simplement des
banqueroutes.


Ainsi, dans l'annóe 1359, lemared'argent fin recu aux
monnaies valut, au 23 Iévrier, 53Iiv., au 3 mars 721iv.,
au 18 mars 102Iiv., au 24 mars 11 liv.


Dans l'usage que nous avons fai l de cette table, nous
avons, autant que possible, pris des nombres entiers,
et laissé de coté des fraetions; le prix du mare aujour-
d'hui dépasse 5,~, franes de quelques centimes. Il nous
él paru que, dans ces reeherehcs, la simplicité était préfé-
rable a une trop grande précision, et le ehiffre de
54· francs a étó cclui que nous avons choisi pour type de
comparaison; il suffit d'en avertir le lecteur.


NOTE VIn. Des finances de la Frunce d l' époque de la
récohuuni.


Necker sera sur ce sujet notro guide principal;
l'exactiíude de son ouvrage est incontestable. 11 est d'ac-




33'1. NOl'ES E.l' PlEC.E.S JUSnnc.A.l'lVES.


cord avec tous les autres documen ts authen tiques, le
compte de Boullongne, celui de Turgot; les attaques qu'Il
a soulcvées n'ont porté que sur des délails insignifiants ,
mais comme, par la nature méme de son esprit, iI pré-
férait des améliorations partielles aune reforme radicale,
il a négligé quelques articles assez importants dans les
charges publiques. La dime ecclésiastique, les droits sur
les marches possédés par le roi ou par les seigneurs n 'é-
taien t, asesJCux, que des propriélés: c'élaicnt cependan t
de véritabIes impóts prélevés sur la richesse générale.
D'autres auteurs 110US permettront de suppléer a son
silence.




NOTES ET PIECES JUSTlFICATlVES.


Voict' le tableau des impositions selon Necker,


333


1 •


2.


3.
4.
5.
G.

S.


10.


JI.


12.


13.


14.
15.
16.
q.
IS.


19·


20.


21 •


~G.


Vingtiemes .
'I'roisiéme-vingt iéme ..•.•••.
Taille '" .
Capitation ..........•......
Impositions locales .
Ferrnes générales .........••
Régie générale .
Administration des domaines.
Fermes de Sceaux et Poissy ...
Administration des postes .••
Fermes des messageries .
Monnaies .
Régie des poudres .
Loterie royale .
Revenus casuels ......•.....
Droits de marc d'or .
Droits per<;. par les paysd'État.
Clergé •....•.......•.......
Octrois des villes, liópitaux et


chambre de commerce ....
Aides de Vcrsailles ......••..
Impositions de la Corse.••.••
Taxe uttribuée aux gardes


frnncuises et suisses .
Objets divers "
Droits r ccouvrcs par les priuces


ou les engagistes .
Corvées ou imposirions qui en


tienncnt [icu ...•..•..•...
Contraintes, saisies , etc ...•.
.i\1ilice .
Logement des gens de guerre.
Irnpót indirecto par la con-


n-ebaude.•...............


55,000,000


2' ,500,000


9' ,000,000
4 I ,500,000


2,000,000


166,000,000


51,500,000


·11 ,000,000
1, I 00,000


10,300,000


1,100,000


500,000


800,000


11,500,000


5,7°0 , 000
1,7°0,000


10,500,000


11,000,000


:q,ooo,oOO
9°0 , 0 0 0
600,000


300,000


2,500,000


2,500,000


20,000,000


7,500,000


Mémoire .
ld.


id.
Total '" 585,000,aoo




334 ~OTES ET prECES JUSTlFICATlVES.


A ce chiffre il convient d'ajouter la dime ecclésias-
tique, les diverses laxes per<.;ues par les seigneurs. L'ap-
préciation de ces divers articles présentera toujours quel-
que incertitude , le lecteur prononcera.


La dime était répartie de la maniere la plus inégale ;
elle De se levait méme pas partout sur les memos objets.
Ainsi les étangs, les bois et les prés étaient exempts ,
mais eeUe exemption n'était pas générale, elle ri'était pas
recue dans certaines paroisscs. 11 y avait quelquefois
une dime des agncaux, de la laine. Guyot, Répert. : en
Normandie, le décimateur levait la onzieme gerbc; daus
d'aulres provinces, il n'avait droit qu'a la quinziéme ou
ala vingtieme. Vauban, Dimeroy., page 52. Dans la
méme élection de Vézelay, la dime variait du treiz icme au
vingt et uniéme, selon Iaparoisse. Ib., page 121. On sent
combien ces varié tés font obstacle aune cstimation gé-
nérale ; nous allons cependaut le len ter , mais en choisis-
sant toujours le chiffre le plus has.


Il résulte de deux tableaux par paroisses, rapportós
par Vauban, pages 142-147, que, dans cinquantc trois
paroisses de Normandie, d'une fertilitó médiocre, la
taille s'élevait a ~,6,370 liv., el la dime ü 73,080;
que, dans les cinquante-quatre paroisses de I'élcction de
Vézelay, qui est, dit I'auteur, un des plus méchants
pays du royaume, la taille était de 45,025 liv. ; la dime
de 37,458. Vauban fait, en outre, obsorver que, l'année
1699, pendant laquelle fut fait ce travail, la réeoIte fut
tres mauvaise; en effet, le blé se vendit 26 liv., monnaie
du temps. Dupré de Saint-Maur, page 176. La disette
diminuait la dime, mais ne faisait rien a la taille.


Comme dans l'élection de Vézelav, la dime variait




NOTES El' PIRCES JUSTlFICATlVES. 335


selon les paroisses, mais sans jamais monter au chiffre
elevé de la Normandie; on peut, sans s'exposer a des
chancesd'erreur, supposer que le rapport donné par
Yauban était la condition commune du royaume. En
1700, l'impót direet dépassait42,000,000: en admettant
que la dime n'eút pas augmenté depuis Vauban, ce
serait, d'aprés la différence des mounaies , environ
70,000-,000; d'un autre coté, Sully évalue la dime a
12,000,000, somme inférieure de 2,000,000 a la taille


qui se levait de son tcmps , depuis le commencement du
xvn- siecle, les conquétes de Louis XIV avaient aug-
menté la France d'un huitiéme. En tenant compte de
cette différcnce, on arriverait au méme résultat que
Vauban, l'égalité de la taille et de la dime. Si l'on oh-
jectait que les curés de campagne étaient loin de toucher
une somme aussi forte, nous ferions observer qu'une
partie considérable des dimes ne leur appartenait plus.
Elle avait passé depuis longtemps entre les maius des
évéques, des chapitres et méme des seigneurs évéques,
GUJot, ih., dime. 70,000,000


Les droits de mutation per~us par les sei-
gneurssont évalués par M. de Boullongne a. 4,500,000
Les droits sur les marches, sur les péages sont
évalués par Cormeré , a.. 5,000,000


79,000,000


Les corvécs dues aux seigneurs étaient encore une
charge considerable dont il est impossible de fixer le
ehiffre.


C'est donc une somme de 79,000,000 qu'il faut ajou-
ter aux .585,000,000 de Necker, c'est adire, en tout ,




336 NOTES ET PIECHS JUSTIFICATIVES .

66!~,000,OOO. Mais Necker a retranché des impóts tout
ce qui n'était pas payé par le contribuable, le prix d'ac-
quisition du tabac, du sel, le produit des bois, les salaires
des employés aux poudres, 20,000,000 sur les formes,
12,000,000 sur les domaines, une somme qu'ilnc fixc
pas sur les postes et sur les poudrcs. Avant de faire au-
cune comparaison avec notre budgct, il faudrait opérer
sur les recettes des réductions analogues qui seraien t bien
plus considérables, ou rétahlir dans le budget de l'ancien
régime ce que Necker en a óté, Nous avons prís ce
dernier parti.


11 se levait douc , en France, environ 700,000,000
d'impóts; ils étaient payés par une population de
21,,800,000, la moyenne était donc de 28 liv. par tete.
Comme le prix des choses a augmenté d'au moins un
cinquieme depuis 1789, l'impot payé alors équivaudrai t
a 33 francs 60 centimes , ce fait répond a bien des dé~
clamations.


Le tablean de Necker qu~ nous avons donné précé-
demment prouvc combien le fardeau était plus Iourd sur
certaines provinces que sur d'aulres.


L'impót direct était le tiers de l'imposition généralc.




~OTES ET }IIEcrLS JllSTltrICATlYES. 337
Voici mainteuaut le tableau des dépcnscs :


l. Intéréts dc la dette publique 2°7,000,000
2. Remboursements................. 27,500,000
3. Pensions . .... . . ... . .. .. .. .. .. ... 28,000,000
4. Part.ie des dépenses de la guerre... 105,600,000
5. Dépenses dc la marine...... 45,200,000
6. Aílaircs étrangp.res......... 8,500,000
,. l\laison du roi:. . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13,000,000
8. PrévOté de I'hótel , . . . . . . . . . . . . . . . 200,000
H' B1timents....................... 3,200,000


10. Maisons royales.. . . . . . . . . • . . . . . . . 1,500,004
11. Maison de la reinc............... 4,000,000
12. l"amille royale .. '" .. .• .. . 3,500,000
13 . Les princes, fréres du roi.. . . . . . . . 8,:100,000
14. Frais de recouvrement........... 58,000,000
15. Po nts et challssées............... 8,000,000
16. Sccnilaire d'¡~tat, e~ employes dans


I'administration .. , . . . . . . . . . . . . 4,000,000
11. lntcndantsuc provinces..... ..... 1,400,000
18. Poliee.. . . • . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2, I00,000
19. Payé de Paris., . . . . . . . . . . . . . . . . . . 900,000
20. Frai;; de lns!ice.............. ... 2,400,000
21. l\1an·challssec.................... 4,000)000
')2. Dépót s de mendicilé............. 1,200,000
23. Prisons et maisous de force. . . . . . . 400,000
24. Dons ct aumones................ 1,800,000
25. Dépenses ecclésiastiques , . . . . . . . . . 1,600,000
26. Erais Uu trésor royal et de diverses


eaISSf's. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ~ ,000,000
27. Traitements divcrs.; . . . . . . . . . . . . . 400,000
'.18. Eneouragements an eommercc. .. . 800,000
29. Haras. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 800,000
30. Ilniversi tés, colléges, etc... . .. (Joo,ooo
3), Académica. .. .. .. . . .. . .. .. . 300,000
;)2. Bibliollj('.ql1C du roi.............. 100,000
33. Jardinsduroi................... 12,000
34. lmprimeries.....•........• ,..... 200,OO()
35. Constrnctions el cn tretien des pa-


lais de justice, etc '" . . 800,000
:313, {nlendan'\ des postes. et dép. secr. . 450,000
37. A utres depenses relat ives aux postes. 600,000
38. Frauchiscs et pusse-ports , . . . . . . . . 80n,00o
3g. Ordre du Saint-Esprit............ 600,000
40. Dépenses dans les provinces , . . . . . . 6,500,000
41. lle de Corse ' . . . . . • . . . . 800,000
4". Dépenses diverses . . . . . . . . . . . . . . . . I )tlno,ooo
4:l. Dépenses 11art: ~u clergé de Frailee. 750,000
H. Id., du clcrge ctranger. . . . . . . . . .. 50,000
45. Dér~~¡~~: ..~~~t:i~:l~~e.r.e.s•.~~~ ..~~~~ .1,500,000
46. En t.ret.ien el confection des rontes. 20,000,000


.47. Dépenses des v illes, hópitaux et
chamhres de commerce. . • . . . . .. ?6,ooo,000
~S. Supplérnent additionnel , pGur for-


mer nne somme ronde , 78,000
Total. " 6, 0,000,000


22




338 .:\OTES ET I'IECIiS Jl:STlFICATl\'ES.


252,000,000 sur Gí O servaient a l'acquittcment des
charges publiques. La guerre et la marine forrnaien t ;1
peu prés le quarl de la dépense totale.


NOTE IX. Chapitre VII, page 255.


La population des provinces de petite gahelle éíait de
-l,600,000 ames: le sel s'y vendait 331iv. 10 s. le quin-
tal: ces provinces étaient le Lyonnais -' le .Maconnais,
le Forét, le Beaujolais, le Bugey, la Bressc, le Dauphinc,
le Languedoc, la Provence, le lloussillon, le Rouergne,
le Gévaudan et une partie de l'Auvergnc. Necker, 1. 11 ,
p. 8 el 9. Le droit n'était pas uniforme. Imp. en frau.,
lom.IlI,page 151.


Dans l'enceinte mérne des grandes gahelIes, un petit
pays de la Basse-Norrnandie ne payait que le vingt-cin-
quiéme du prix du sel , sous le nom de quart- bouillon.


Da ns le paJs de Salines -' c'est adire en Franche-Comté,
en 1..orraine, dans les trois évéchés et dans une portion
de l'AIsace, le sel était vendu par le roi a raison de 21 1.
10 s. le quintal: quelques seigneurs ou des villes d'Al-
sace jouissaiént de ce droit de gabelle. Imp. en fr. 1'6. La
population de ces provinces était de 1,900,000 ames.


Le pays redime comprenait le Poitou , l' Auuis , la
Sain tonge, la plus grande partie de l'Auvergne, du Pé-
rigord, du Quercy, de la Guienne el du pays de Foix ;
4,625,000 habitauts. II n'y avait sur le sel qu'un droit il
l'ex traction. Necker.


Les provinc.es [ranches , la Bretagnc , rArtois , le Hai-
naut, la Flandrc, une portion de l'Au nis el de la Saín tongt-
el quelques disíricts eompris dans les pays dI' gralH]e ga-




,"OTES El' PIECES JUSTlFrCATIVES. 339


belle jouissaien t d'une immunité complete. La population
de ces pays était de 4,700,000. Necker.


Sur une zone de frontiéres qui était de deux lieues en
Bretagne el de trois dans les autres provinees, il était
défendu aux habitants de conserver chez eux plus de sel
que leur provision de six mois calculée a raison de
7 livres par personne. Imp. en fr., tomo H, pago 230.


NOTE X. C1wpitl'e VII, pa,qe 2iO.


Le nom de la taille et la maniere dont elle se pereevait
n 'étaicnt pas, dans les proviuces récemment réunies, les
mémesqucdans le restedu royaume. Dans les troisévéchés,
la taille s'appelait imposition ordinaire : elle était Ievéc
d'aprés les mémes principes que dans les pays d'élection.
Il Y avait seulement plus d'arbitraire : toutes les eontes-
tations étaient portées devant l'intenda nt. En Alsaee, l'in-
tendant répartissait seul un impót de 300,000 livres: les
deux tiers étaicnt payés par les fonds de terre, le reste
par l'industrie. La premiere partie de cette imposition
était réelle.


Dans PArtois, pays d'J~~ats, les impóts étaient établis
d'aprés la valeur des fonds : on Ievait un ou plusieurs
centiémes , selon les hesoins de la provinee. Les nobles ne
devaient qu'un des centiémes ordinaires , mais ils étaient
soumis a tous les centiemes extraordinaires. C'était avec
ces fonds qu' on payait le don gratuit.


Dans la Flandre Wellon ne , le roi déclarai t la sornme
dont ji avail hesoin : les États, ou plulót les baillis des
quatre seigneurs hauts-justiciers qui représentaient les
États, votaient un certain nombre de vingtiémes et u,ne




311-0 NOTES El' I)li~CES JUSTI FICATlVES.


ancienne taille. Les nobles el les ecclésiastiques ne
payaient qu'un vingtieme ot demi , la provinceen donnait
tous les ans quatre OH cinq.


Dans la Flandre maritime, tous les fonds contribuaient.
Ceci tient peut-éíre ace qu'elle avait fait partie des quatre
rnemhres de Flandre, lorsqueArtevellefit le prernier essai
de démocratie au xrv" siécle.


Dans le Hainaut , d'anciens impóts, des vingtiémes, un
impót sur les feux et les cheminécs remplacaicnt la taille.


Dans la Franchc-Comté, les principes étaicut les mémes
que naos les pays d'election ; seulement il n'y avait pas
de collecteurs.


En Lorraine , les exemplions des privilegies étaient
plus nombreuses qu'ailleurs : ceux-ci ne pajaient point
de taille pour les lieux qu'ils occupaient. Le seigncur de
la justice du Iieu exernptait méme son fermier. Dans ces
perites priucipautés, le noble était fortde la faihlesso méme
de son souverain , le peuple était plus foulé. Imp. en
frau, ... tomo n ,




NOTES El' PIlleES JUSl'U"ICATlVES. 341


NOTE XI. Chapitre IV.. page 159.


L'état de tous les deniers quz' sortent de la bourse des sujels
du roi, de toutes conditions et pour toutes sortes de dé-
penses soit volontaires , soit nécessaires j résercé la »ie..
le oétement.. le logement et l' entretien des choses néces-
saires pour iceux, le toutpar estimation.. étantimpossible
d' en rien supputer avec certitude, ce que se pouvant [aire
les sommes en seraient e((royahies.. et partant s' est-on
contenté de prendre une espéce de pied sur lequel il s' en
peut (ormer quclques unes", sinon vraies.. ti tout le moins
oraisemblables.


Prerniéremen t a gens d'église pour
baptémes , confcssions , confirmaLions,
distrihutions de sacrements , prédica-
tions, visitations de maladcs , services
extraordinaires , conséeratious et frais
ponr huiles, eaux et pains bénits, cires,
flambeaux, cierges, bougies, huiles de
Iuminaires el autres frais de marguil-
leries, a raison de 200 écus par pa-
roisse Pune portant I'autre , el de
quarante mille paroisses qu'il y peut
avoir par tout le royaume, compris les
églises qui ue sout point paroisse; le
tout par estimation 8,000,000 d'écus
valant. 21,,000,000Iiv,


Plus pour aumónes generales el par-
ticulieres a dévotion " constructions




34:;¿ .\OTt<:S KI' PIECES JUSTlFICA.'l'lVIl:S.


dég lises, mouastéres et autres lieux
saints, legs testamentaires pour ceuvres
pies, obits, fonda tions de services,
consécrations d'églises et gens d'églí-
ses; magnifiques sépultures, preces-
sions, ornements d'églises, images et
croix , fétes, confréries a patrons et
bátons, voyages et pélerinages és-Iíeux
saints , par estimation a raison de
300 écus par paroisse et sur le méme
nombre de quarante mille églisesou pa-
roisses, 12,000,000 d'écus qui valent. 36,000,000


Plus pour les dimes payées aux pf(~­
tres et curés, el dedans des églises
fondées a raison de 100 écus par pa-
roisse et église, et sur le pied de
4,000,000 d'écus valants. . 12,000,000


Plus pour les décimes payées au roi
par les gens d'églises et autres dépenses
du clergé, ou décimes extraordiuaires
avec les frais pour toutes ces choses par
estimation, 1,500,000 écus valants.. 4.. 500,000


Plus pour argent porté a Rome pour
toutes sor tes rl'expéditions et annates ;
ponr indulgences, dispenses, consécra-
tions de prélats, dédicaces d'églises el
autres semblables dépenses par estima-
tiou, !j,,000 ,000


Plus pour achats d'offices , quarts
80.500,000




NOTES ur pli~t:ES JCSTIFIt:ATIVES. 3 ~ ~


deniers pourrésignations et mares d'or,
ex péditions de lettrcs et réceptions
d'officiers, obtentions d'honneurs, di-
gnités, nohlesses, exemptions , droits ,
prérogativcs et priviléges que le roi
confére par cstimation.. 12,000,000


Plus pour loutes sortes de Irais qui
se fon l par tou les sor tes de eonditions,
de personues pour affaires de preces et
plaidoieries pour avoir justice, tant
pour les juges el présents qu'il leur faut
faire que pour les voyages el chóma-
ges des parties, salaires de solliciteurs,
avocats, pl'ocureurs, huissicrs et ser-
gents; les sommes en sont inestimables,
et néanmoins ci par estimation. 40,000,000


Plus pour tontos sor tes de tailles qui
se lévent pour le roi, en vertu de ses
commissions et dont ses offieiers font
les états, selon ce qui se monte en ceUe
année. . . 20,000,000


Plus pour toutes sortes de deniers qui
se leven t par forme de tailles et lettres
d'assictle, .tant du grand seeau que des
petits seeaux, pour les affaires particu-
liéres des paroisses, tant pour l'cxpédi-
tion qu'cnregistrcment desdites lettres,
qu'auaches sur scellés el frais de l'im-
position par estimation. 4,000,000


156,500,000




31.1. :'lOTES I·:r Plj~l:ES H'STlFICATIVlI5.


Plus pour toutes sor tes de deniers
qui se dépendcnt ou dépérissent au
dommage des particuliers, pour chó-
mages de fétes, perles de journées de
marchands, artisans, laboureurs el ma-
nreuvres, et dépenses qu'a l'occasion
d'icelles ils font és-tavernes, jeux et
hrelans, ensemble pour les maltriscs el
confréries des artisans, el mótiers par
estimation a raison de 100 écus par
paroisse sur le pica ci-devant pris. 12,000,000


Plus pour tous deniers leves sur le
sel par le roi, tant ponr ses droits que
ceux des olficiers, prix de marchand,
archers, droits de passeports, d'embou-
chures, péages de ri viere el autres par
toutes les provinces de Frunce, par es-
timalion.. 11 .000,000


Plus pour tous deniers qui se levent
pour le roi par forme d'aides nornrnés
quatriéme, huitiéme et vingtiéme a
prendre sur le vin , pommé, poiré et
cervoise, compris tous les frais des
officiers par estimation , 5,000,000


Plus pour tous deuiers qui se lévent
pour le roi par forme d'entrée dans les
villes ; péages sur les r iviéres, pon ts el
passages, traites foraincs , domaniales,
r ues, haut passage, douano, enírées


1R7,!lOO,OOO liv.




~OTl~S ET PIECES JUSTIFICATlVES. 34,5


de drogueries et épiceries, impóts, bil-
lots, ports , havres, brieux, traites de
befes vives, droits d'ancrage el d'ami-
rauté par cstimation,


Plus pour toutes sortes de deniers
qui se lcvent par les villes et bourgs,
tant par forme de deniers cornmuns et
patrimoninux que d'octroi, ponr les
employer en leurs menues nécessités..


Plus pour toutes sor tes de deniers
qui se déboursen t par toutes sorles de
condition s de personncs, mais surlout
par les grands el riches de la cour el
des bon nes vi\les, outre ce qui est né-
cessairc de l'honneur et bienséance en
cérérnonies de jours solenncls, étren-
nes, gtlteaux des rois, chandeleur, fes-
tins, hauquets, ivrognerics etcrapules,
amourettes, chasses, habits, meubles,
cquipagcs, bátiments, jardinages, do-
rures, diaprures, bagues, joyaux, eo-
medies, mascarades , ballets, danses,
jeux , brelans el autres bombanees,
somptuosités , luxes el dissolutions
superfluos, au moins.


8,000,000


4,000,000


40,000,000
239,SOO,OOOliv.


(Économics royales, tome IlI.)
Dans ce tablcau Sully a fait entrer les dépenses volon-


taires a cóte des dépenses publiques el forcées; nous
n'avons eu égard qu'aux derniéres. l\Ialgré l'iuexac-




3 ~6 NOTES El' PIECES JUSTlFlCAT1\' ES.
titude Inevitable de certains chiffres, c'est un rensei-
gnemcnt assez curieux : l'exagération mérne 1I0US revele
le caractére de Sully, son an tipathie de huguenot contre
le clergé, el son esprit d'économie opposé au luxe.


NOTE XIJ. Chapitre V, page 176.


Part.ies


Chargcs. de


l'épargne.


Tailles ....•.• H .000.0001. 26.650.0001. 11. 3&0 . 0 0 0 1.
Ferme des aides... 4.000.000 3.600.000 400.000
Toutes lesgabelIes. 1!).000.000 \ 13'750.000 5.2[¡0.OOOParties casuel les .. 2.000.000
Dornaines et bois .. 1.100.000
Cinq grosses fermes. 2.400.000
Ferme de Bordeaux. 1.800.000
31ivres par muid de


vin.a Paris , 30 sols
anciens, et nou-
veaux 10 sols .... 1.280.000


Ferme des 45 sols
au lieu des péagt.s
et droits .•..... 530.000


gliv. 18 sois de Pi-
cardie.......... 174 • 0 0 0


Ferrne deBrouage. 254.000
Foraine de Langue- 2.000.000 10.000.000


doc. Epiceries et
droguer. de Mar-
seille, et 2 pour
100 d'Arles ..... 380.000


Tiers sur taux de
Lyon .......... 60.000


Nouvelles imposit.
de Normandie .. 240.000


Impositions de la
r iviére de Loire. 225.0GO


Ferm.e du fer ..... 80.000
Autres ferrnes non


détaillées. ..... 177. 0 0 0
Suhv. du clergé ... 1 . 30l). 000


Tola] ... 7!)·000.000 /¡(j. 000.000 3;~. non. ono


(Hichelicu, Tcstament poli tique.)




NOTES El' PIECES JUSTI FICATIVES.


NOTE XIII. Chapitre VI, pages 192, 195, 202.


Etat des revenus en 1661.


3t7


Charges.


Gabelles .........•........... 14 • 500 • 000 1. 13 • 351 .000 1.
Ferrnes des 35 soIs de Brouage , 324.000 8.669
Cinq grosses fe rrncs .......... 4.430.000 2.641.438
Convoi de Bordeaux •........ 3.420.000 1.186.484
Patente de Languedoc ........ 566.000 211.7 5 0
Aides ........•.............. 4.520.000 a.4Ig.55g
En trées................•.... 3.6'l0.000 2.008.198
Subvcnt.ion de Bouen ......... 120.000
Gabelles de Languedoc ....... 1.890. 0 0 0 1.173.417


Idcni de Lyonnais ...... , ... 1.048.000 67 8. 3 6 1
I dent de Proven cc et Dauph . 2.050.000 1.112'98 1


Tiers sur t aux de Ly on ....... 60.000
Quarunticmc de Lyon ... , .... 120.000
Reeettes générales des pays d'é-


leetions .................... 42.028.096 25'931.360
Ldem des pays d'Etats .•.•..


.Metz .•.. e ••••••••••••••••••• 126.000 36.000
Alsace ...............•...... 60.000 20.000
Dornaine de Blois ..........•. 20.000
Don gr;¡tuit de Languedoe .... 1.500.000 220.000


1dem de Drctagne .......... 1.500.000 220.000
Idern d'Artois •.•.......... 420.000 18.000
ldem de Bourgogne...... '" 700.000 140.000
Ldem de Bresse el Bugey.... 150.000


Revenus casuels .............. 800.000


Total. ....... 84.~22.096 52.377 '17!!


(Forb., tome 1, pages 281,304,,445, 555.)




3/-.8 NOTES El' PIÉCES JUSTI¡"ICATIYES.


Revenus de 1662.


Charges.


Gabelles •...................
Ferme des 35 sois de Brouage ..
Ciuq gro<ses fermes .
Convoi de Bordcaux , . " .
Patentes de Languedoc .•.•...
Aides .
Entrées. . .. . . . . . .. . . . .. . .
Suhvr nt ion de Rouen .
Gabelles de Roussillon, Lan-


guedor, Pral ence, Dauphiné.
Gal)elles de Metz .
Postes " .
Dornaines d'Als.ice .
Tiers sur t aux et quarant ic me


de Lvon .
Ferme (1u t iers des domaines et


droit s aliénés .
Domaines de RoussiiJon .•....
Recettes générales des pays


d'élect.ions .
Ideni des pays d'IÚats .. ',' .
Dons gratuits des pays d'Etat.s.
Revenus casucls .


Total .


Net... 44.451.360


13. [,00.000 l.
350.000


5.(;50.000
3.Goo.ooo


5GO.ooo
5.211.000
4·72U.OOO


120.o0n


5.67°·000
277. 000
100.000
80.000


180.000


1.000.000
10.000


41 .39~L807
20G.OOO


4. 164.000
800.000


8.g33.0lgl.
8.66n I


2.065.oHJ
7fl2 • 860 I211'7 üo


3.40f.l·fJ76
2.455·:3Do


22'°7 8 . 434
36.000
14.000




~OTES El' PIECES JUSTIFICAl'IVES.


Etat des revenus el des charges en 1670.


Charges el
dirrrinut ione .


349


3[,0.000


2.335.000
f.47'.ooo
2.027.000


130.000


Dornaiues ....•.............. 3.4'{5.0001.
Gahcllcs, aides et cm(( grosses


fermes 40.031.000
Gabelles dc Lanblledoc et Rous-


sillon , .
Idcm de LyoJJnai~ .
l deni de Provence el Dauphiné ,
l dem de Metz •.... " .
Ticrs sur taux et quarant.ieme


de Lyon .
necettes générales des pays


d'élections , 34.019'709
[dem des pays d'Etats.. :2 .806.378
Dons gratuits des pays cl'Etats . :3 .493.136
Bois .....................••. 1.002·flo O
Bevenus casuels 3.1!)8.183
Etapes et secoudes parties.... I '99!).579


Total. , 96.338.885


524.0331.


12 .'202 .3~}2


852·77f1
218.032
5p.453
130.000


Co.ooo


7·°9°·220
2.0(i2.g46


142.111
279. 8 25


{·7 19·1 54


25.855.051 dont


environ 3.000.000 en diminution aux provinccs qui souffraient .


Nel.. " 70 .4~3. 834.




:350 NOTES El' PIECES JUSl'IFICATlVES.


Parties du trésor royal en 1683.


Chal'ges
et


Jimio utions ,


Ferme générale des domaines .• 4.47°. 0361. 1 .069. 964 liv .
Ferme générale des gahelles... 8'7 30'7 07 9. 0 19 . 2 93Secondes parties de ladite ferrn, 52.()27
Ferme des cinq grossef>ferrnes . 10,923.854 466.14tiSeeondes parties ............. 116.266
Ferme géoérale des aides ..... 2I. 112. o:q 887'97 3Secondes parties ............. 6.1)50
Second quart des 2.260.0001. I


en déduction des 7 .300.0001.
dues par le précéd , fermier .. 56,1.000


Ferme des gahelles de Lyonnais. 1.402.244 141'75()
Ldem de Provence et Daupbiné. 1. 549.71 4 5:lo.226
Ferme du tiers sur taux et qlla-


rantiérno de Lyon .......... 340.000 60.(100
Ferme des gabel. de Languedoc. 1.456. 39:~ 899· ü07
Secondes part ies ............. 4.665 I
Ferme des droits de I'Amérique


et du Canada .............. 119. 442 230.558
Recette générale de Metz et irn-


posit.ions d'Alsace .... , ..... 633.696 246.077
Recette générale el don gratuit


de Béarn .................. 2~. 108 94. ll1 8
Rf'cette générale de BOllrgogne


et irnpos. pour les ga rnisons. 8ü.ooo l. OS.1. 1:j[}
Don gratuit de Bourgogl1c et


883.333sllbsislance......•.........
Subsistance de Bresse ......... 20S.26S
Impositions de Eranche-Cornté. 814. 12S IS.81;)
Impositions pour les garnisons


de Languedoc.............. 193. 183
Don gratllil de Languedoc .... ?:hG.294 ¡3 '106
Don gratllit de Provence et


terres adjacentes. ......... 630.000
Recette générale de Bretagne .. 104.41 3 :391:1 •0i 3
Don gratllit de Bretagne ...... 1 . 1no. oon
Don gratuit d' Artois, reste de I1(;82...................... 133.333
ldem en J683 ................ 26ü.66G
Aides el dons grat. de Flandre . 1.2So.600
Revenus casuels .............. '1.000.000
Beis ........................ 1.014.37:3 300.851
Recett. génér. des pays d'élect. 2 . 195.996 .21 Ü
Principale seconde pa r ti c ..... J .!)RO.Ü1[¡ lo.4oo.:l68
Autre secon de part ie ... , .... 530.000


TOla l ................ SH.go7·0211.IG 25.88g.G89 dont
'¡.ooo.ooo enviran en dirniuut iou SIIJ' les tailles.




~OTES ET PIECES JUSTIFICATIVES. 351
Dans le dernior tableau, les charges el diminutions


nc son t pas compriscs dans la prcmiére eolonne; I'en-
semhle de la reeettc était done de 112,876,706 liv.


Le lecteur peut juger par lui-mérne les résultats de
l'administration de Colbert , il convient peut-étre d'ex-
pliquer ce qu'on entendait par eharges et diminutions.
Toutes les deltes de PÉlat avaient pour gage un revenu,
les aides, les g'abellcs par exemple , 011 commencait par
paJcr les dcttcs pcrpótuelles, et ce qui restait étai t seul
cornpris dans les porties du Trésor royal. Les gagcs dc la
magistrature étaien t cornpris dans les eharges; en effet,
ce n'élait pas une fonction publique qu'il s'agissait de
rétribuer, mais une véritable dette. Le magistrat était
deveuu propriélaire de son office en pnyaut Jo droit
annuel, cn outre, dans plusieurs occasions, ils avaient
pris part a des emprunts déguisés sous le nom d'aug-
meutation de gages; ils étaient done créanciers de
l'État.


On peut suivre dans la colonnc des eharges el dirni-
nutions le progrés des réductions ; de 1661 a 1662, elles
furcnt de huit millions environ. "




Généralités. Prix courant. Gages, Évalu3tion. I Annucl , Nombre desofficiers .


Offices de Paris ... 157.402.100 liv. 2.447 .542liv. 58.gll.g&5Iiv. 504. 1671. 5. 149
De la gén¿ralité ... 7.'2 II .090 q6.365 4.656.500 42.860 3.11 I


Soissons .......... 4.764. 200 201.¡[)] 3.28!).236 43.220 I .718
Amiens .......... 6. '7 8. 7!J0 q6'945 3.442.877 50.413 1.705


Chálons .......... 8. 1!)4. 900 236'7!)2 4. S()'7 . 65ft. 65.8[l9 2.868
Orléans .......•.. 9. 28'1.460 361.080 5'944'933 6 I . 167 1.89')


Tou rx ..•.•....... 15.008,900 314'7 39 8.451.898 !)5. 167 3.012
Bourges ........ ,. 3.697. 000 166.904 2.404.801 28.106 l. I 25


Moulrns .......... 6.626.500 q8.656 3.538.844 41.048 2.0{h
Lyon .....•...... 10.8¡0·750 302.468 5.102. 039 46.7 53 1.5(l8


Riom ............ 6.897'7°0 193. 898 3.292. 54 4 37. 081 1.143
Poitiers .......... 6.861.100 I 8:~. 760 4.378. 330 52'979 1.007


Limogcs .......... .1.504.350 Q(}.433 2.864. 663 32.442 1.052
Bordeaux....... ,. 18.t43.800 353.401 11.048·9°1 121.9 15 2.831


Montauban ....... 6.ob7· G5o I ~6. 985 3.248.493 40.800 1.497
Roueu .•......... 2 Ii . :l¡ 3 · 750 38o.dl 12.843.516 17 1 • 603 2.220


Caen ........... 5.684'°!J9 158. 567 2'941.236 42.843 I. 11.3
Alencon .......... 5.577 .550 125.685 3.298. 463 37, 78U 1.056


Grcnoble ... " .... 12.6n3. Goo 288.7 65 4'918.803 64.3.17 1. 049
Dijon............ 18.8bl.200 312.453 7· 4¡.5.85f1 79· S8!) 2.47H


Toulouse ......... 18'!)77 .Gno 2H7·5[W ¡.j18.I13 77 .830 1.386
l\IoTltpdlict'...... 16.".24.280 36¡¡.265 7· g8!). 527 !)!) .8¡r 1.828


Aix ..... ........ 1;1.525.010 26&.475 4.07G·7°S 45.514 I . 124
Pan .............. 2,1/".8.03:1 35.0~". 787. 038 f1. 657 267


Metz ............. 6.".05.Goo 1j3.2n5 2'937. 030 14.810 681
Brctagne ......... 20. :;88. Hao 28n'!l10 6.!)'7. 8 r¡ !)4.027 804


Total général ... 41g .630. 842 8.846. 847 187.276'918 2.002.447 45.7 80


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!\"'OTES ET PIÉCES JUSTlFrCATIVES.


Récapitulation des revenus et des cliarges
en 1700.


Domaines...........••.•....
Gabelles de France, aides el


cinq grosses fermes .
Augmentation des gabelles de


France.....•..............
Gahellcs de Provence et Dau-


phiné .
Idem de Languedoc el Rous-


sillon ••..•.' ....•...•...••.
Postes. . ....•• . .• . .. . ...••.
Tiers sur taux et quarantiéme


de Lyon •......•.•........
Ferme du tahac ...•..•..•..•
Domaine d'Occident. .
Ferme des poudres, du controle


des actes J etc .
Ferme du cont róle des bans


de mariages •.........•....
Ferme des domaines réunis ...
Recettes générales des pays


d'élection .....•......•.•..
Idem des paj's d'États..•••...
Dons gratuils des pays d'Etats.
Bois ......•..•........•....
Revenus casuels..•..•....•...
Monnaie •..••.•....•...••.••
Etapes et secondes parties .••.


4.500.0001.


48.726.750


200.000


2.350.000


2.780.000
2.800.000


340.000
1.500.000


550.000


1.500.000


30.000
600.000


30'727. 447
4.022 .458
8.141.71 5
2.245. 1 27
3.¡40·7 2G
1.062.036
3.424.780


671. 621


1. 037.931
1.040.142


155.318
19 2 • 2 6 1


12.812."h
1,725.404


r o r , 208
G21.339


23




~()TES ET Pli:CES J(JSTIFJCATlVE~.


É,'tat abrégé des reoenus du 1'01' comme 1'/S étaient d la
mort du [eu 1'01' au 1c r septembre 1715, et des charqes
ass'ignées sur iceux,


Dimin utions Pa rt ir-,
Estimat , du trésor


ct chargcs. royal.


~--


Fon ds casuels. Livres , Livrcs, Livrcs.
Parries casuelles ..••..• 1'7°0.000 1.7°0.000
Bois.................. 2·17!)·542 Charg. \)22.27 6 1 . 2[¡7 .2GG


3.87H·542 g22.27 6 2.!J57· 2G6
Impositions ,


Pays d'élections ,
Dirn . :3 .457Taille ..... , ..•.. , .. ' . 41. 287''78 000 13.35G.543Ch. '24.47 3. 635


Capitation, montant des
roles et cotes, affran-


14.065.!)15chissement, " ....... Dim. 2.lOg.886 II·n5G. o? !)
Dixiérne des biens-Ionds. 13'750. 6 27 Dim. 2.062.5g2 11.688.0:35
Dixiéme des chargcs .... 76o·77!J 760. 770


6g. 86L 409 32. 103.113 37·7ül.386
Pays d'lhats.


G. 248.18:) Ch. 804.514Dons gratuits .......... 5.443.6GD
Capitation............. 8.833.284 Dim , 2. 157. 407 6.675.877
Dixiéme des biens ...... 4 '708 .366 Dim. J20.000 4.588.3G6


19·78g. 83:3 3.081. \)21 IlL7°7·!J12
ReceUes générales des-


dits pays d'lhats et •
. .. 4.344.453 Ch. 2.!Jo5·n 3 1.438.G80prOVll1CeS reuntes ....


Autrcs capitations .....• 2'!-I20.GI5 2·!PO.GI[)
Autres dixiémes •... '" 4.830.200 4.830.200


Fermes géllérales et
particul ieres.


Ferrnes genérales ..•...• 47.000.000 Ch. {11.,)OO.ooo




35,)


SUITE.


Est i mat ,
Diminutions


el charges.


Par ties
d u trr'sor


10Jal.


Li vres. Livres , Livres.
47.000.000 Ch. 51.000.000


7°0.000 Ch. G03.üoo 97. 0 0 0
12.000 12.000


420.000 Ch.
'U7· 0 0 0 ·l~d. (01)


1.020.000 Ch. 668.100 3&1 '900
240.000 Ch. 134.400 10[,.600


7 2 3'7 5 0 Ch. 206.520 517.230
3.100.000 Ch. 480.99 2 2.619.008
l. (i2&. 000 Ch. 18.000 1.607.000
3.000.000 Ch. 3.000.000


520.000 el!. 2G8.000 252.000
1°·000 7 0. 0 0 0


300.000 Dim , 300.000


20.000 20.000
550.000 Dim . 550.000


120.000 120.000
527.100 Ch. 327.100 200.000


Sg. n'l7' 850 57.7 5:3.112 6·J~lL138
¡(j5 .S1ti. 792 no. 7 66 . J 95 1 2. 8 I o · 7H7


DI' Paulre pu r t , ....•..
Fcrrncs part.iculiéres.


DOl1wine de Flan dr-o .
- (.Ie tongnry ..
_.- d~()l'cidcnt ..


De Mct z ct Alsaee, el ga-
bellos de Metz el Frun-
clie-Comté .


Ticrs sur t.aux et quuran-
til"me de Lyon .


Francs-ticfs , amor tisse-
mcuts , grcfs rúmis)
préscutations, aflirma-
tions .


Postes .
Tabac , ..•......
Contrúle des acles .
Controle des cxploit s .
Curtes ...........•..•.
COl1rtiers-ja ugeurs .....
'I'résoricrs de' la Boursc


comrnune dcs huissie rs
de Brcfagllc .. , .


Huilcs .
Rc1¡aussemellt du sel en


Frauohc -Comté .
In spectcurs des hoi ssons.


rotal gl~né ral , .
1---':"'---:"-


II faut deduire de la pa rt.ie du trésor royal }Jollr le
manque de fouds sur les chargcs des fermes générales: Ji. 1)00.000


68.810'797




1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1




.\ VÁNl'-PROPOS. v


CIL\PITRE PREl\UER.


DE L<\ FÉODAUTÉ.


Sa nécessité. -Elle régularise la violence.c--La souverainete
Jevientprivée.-Du droit de guerre et du droit de justice ,
- Du scrvice militaire. - Confnsion des lois politiques
el des lois ci viles. - Dn droit civil. - Les lois person-
uelles devicnnent réelles. - Trois classes d'honunes en
France , - Du droit de propriété, - Il n'est pas absolu.
-Droit de testero - Droit d'ainesse. - Influence de la
religion sur la législation.-- Donaire. - Communauté .
Prét a intérét.i-c-De la procédure.-Combat judiciaire.
- Appels. - Revenus attachés á la juridiction, ---
Amendes. -- Confiscations. - Des aides légales. - Du
pouvoir royal. - Sa faiblesse. - Du peuple. - Il est eu
dehors de l'action politiqueo -Sa condition.


CHAPITRE IJ.


PROGRES DE L'AUl'ORITÉ ROYALE.


?ir


Suprématie de la cour du roi.-Le combat judiciaire cess«
el'étre en usage.-Les baillis re~placent les vassaux. ---
Influence des j urisconsultes.-Etablissement du Parle-
melito - DI1 ministere puhlic. - Des communes. - Des
bourgeoisies. - Certains revenus sont attribués exclusi-
vernent au roi.t--Des Juifs. -- Dn franc-fief --.- Revenus




33H
féodaux. - Les tinances séparées de la j llSLÍCt'. -Challlbre
des comptes.·- Altération des monnaies. - Origine de
l'impot.- Sur le sel. - Sur les transports. -- Double ca-


, 1 l' ., 1ractere (e autorité roya e.


CHAPITRE ru.
. ..


DECADENCE DE LA :FEoDALITE.


Des premiers greniers a sel.-Aides.-Vote des impóts -
Falsifications des especes. - États particu1iers. .- États
généraux.-Assemblée de 1355. -Origine de la juridic-
tion spéciale pour les impóts. - Assemblée de 1356. -
Son esprit et son pouvoir. - Raisons qui font avorter
eette tentative. - La royauté en profite. - Regl1e de
Charles V. - Imposition foraine. - Conunencement de
l'inégalité entre les diverses provinces. - Le monopole
des armes enlevé a la nohlesse. - Caractere nouveau de
la royauté. -- Insurrection contre les taxes sous Charles VI.
-Elle est réprimée.v-- Création de la cour des aides.-
Les seigneurs perdent leur autorité exclusive sur leurs
hommes. -- Le roi leve des impóts sans cousulter leurs
États. - Regne de Charles VII. - Ordonnance de 1439'
- Institution d'une armée permanente et de la taille.


,


- Part prise par les Etats i. cette révolution, - Francs-
archers. - État du revenu publico - Réforme judi-
ciairc, - Parlement de Toulouse.- Rédaction des cou-
turnes. -- État de la nation divisée en deux classes.


CHAPITRE IV.
.


HOYAUTE ~IODEIl:H:.


95


Regne de Louis XI. - Les magistrats sont inamovibles. 0_·
Valcur des uupóts, - Miuorité de Cllarles VIlI.-État"




de Tours. - Leur pouvoir. - lis écliouent daus leur
tentative.-Puissance de la Fmnce.-Louis XI[. - Ré-
daction descoutumes. -Création de divers parlements.
- Vente des offices de,fillance. ,- Eraucois Jer vend les
charges judiciaires.-Etat de la France. - La noblessee
est la nation armée.-Revenus royaux. -- Le Concordato
-L'inégalité entre les provinces s'accroit.c--Béforme de
la gabelle tentée par Francois ¡er.-Elle avorte.-Droits
de traite.-Premier tarif puhlié. -Création des généra-
lites, - Présidiaux.-Séparation de la justice civile d'a-
vec la cruninelle.t--Dhangement dans la com~élence. --
Le droit de juger enlevé aux gens d'épée.-Etats géné-
ruuxv-s-La réfonne en est la cause. - Leur faiblesse. -
Etat des fiuances SOllS Henri lII. -- Premier droit établi
Ú I'importation. - De l'octroi. - Etat de la Fnance a
l'aveneiuent de Henri lV.-.Il traite avec les particuliers.
--- Aduiiuistration de SuBy. -- Paulette. - Ses effets. -
Sur la magisrrature.i-cSur I'administratiou.s--Prospérité
des tinances.


CHAPITRE V.


IlEHNIERES i.trrras CONTRE L'AUTORIl'É ROYALE.


La régence rlécel'néc par le Parlement -États de 1614. -
Discorde entre les vrois ordres. - LC1 n o h L , ,.. ,,,,, dernande
la suppression de la pautewe _ Les officiers de justice
députés du 'I'iers. - Leur opposition centre le clergé,
contre la noblesse. - Sagesse de leurs voeux. - 115 sont
mutiles. - Puhlication du code Michaud. - Répression


.des duels.-Indépendance des gouverneurs.-Richelieu
clétruit le pouvoir des grands.-Celui des protestants.-
OPPOSitiOIl de la magistrature, - Administration de Ri-




360 l'ABLE DES 3IATlERf<:S.


chelieu. - Il crée la marine, les intendances. - Des fi-
nances á son avenement et a sa mort. - De la Fronde.
- AutoriLé du parlement. -- Dilapidation de la fortune
publique. - Opposition du Parlement. -- Prerniere
émeute. - Déclaration du 22 octobre. - GueITe civile.
Force apparente de la Fronde. - Sa faiblesse reelle.
- Vues intéressées des chefs.-Fin des troubles.


CHAPITRE VI.


POUVOIR ABSOLt:.


État des finanees apres la régence. - Colbert. - II remet
au peuple I'arriéré des tailles. -ll institue une Chambre
de justice. - Réduit les rentes. - Supprime les offices
inutiles.c-c-Abaisse les droits de ferrne. - Diminue les
tailles. - Fait liquider les dettes de cormnunautés. -
Intervention de l'autorité centrale dans les provinces.-
Direction donnée á l'industrie. - Caractere de Colbert.
- État des eharges publiques sous Louis XIV. - Suc-
cesseurs de Colbert.-Emprunts. -Création d'ofllees.-
Altération des monnaies.-Droit de controle, d'enregis-
trement. - Capitation. - Irnportance de cet impót, -
Lutte de la Franee centre l'Europe. - Papier-monnaie,
-État du Trésor a la retraite de Chamdlard. - Des-
marets - n ótnblit le dixierne. -- La zloblesse y est assu-
jettie. - État des finance~"'" 'la mort de Louis XIV. _.
Dette exigible - Regence. - Chambre de justiee. -Re-
fonte des monnaies.-Réduction snr les rentes. - Law.
-Principes de son systeme.-Ineonvénients.-La com-
pagnie rembourse les créanciers de l'État. - Hausse des
actions.-Baisse. - Effet du systeme sur le gouverne-
ment. - Sur le pays.-Au xvnt" siecle , le gouv(,l'IIemen t




TABLE DES MATlERES. 361


s'irnmobilise. - Illutte contre l'opinion. ...- Le mouve-
ment n'est plus que dans les idées.- Deux faibles ré-
formes tentées par Necker et par Turgot.


CHAPITRE VII.


É'fAl' D~ LA FRANCE AVAN'f LA RÉVOLU'fION.-FINANCES.


Impót direct.- La taille. - Elle était levée dans les pays
d'États par les officiers des États. - Dans les pays
d'élection au nom du gouvernement. - Elle est
réel1e dans certaines provinces. - Personnelle dans les
autres. -Exemptions.- Surcharge du pauvre.- Brevet
de la taille. - Département entre les paroisses. - Le
role.- Collecteurs. - Juridiction de la cour des aides.-
Capitation. - Vingtiemes.- Fixés par l'intendant. - In-
certitude de cet impot.-Arbitraire.- Impóts indirects.
-De la ferme.-Ses inconvénients .-Inégalité entre les
provinces. - Gabelle. -- Diversité des droits. - Ordon-
nance de 1680. -Greniers d'impot.- Greniers de vente
volontaire. - Sévérité des lois de gabelle. -- Juridiction
spéciale. - Prix du sel.- Aides. - Droits sur le vin.-
Ordonnances de Colbert. - Droit sur le papier timbré.
- Douanes. - Division de la France, - Gene du com-
merce. --Réforme de Colbert. h ~T~rifde 1664. -De 1667 .


16.:, .
~ ...


CHAPÍTR:E.I VIII. 2G5


I.:TAT DE LA FRANCE AVANT LA 'REVOLUTlON.


- JUSTlCE ET ADMINISTRATroN.


Réformc judiciaire sous Louis XIV. - Lois sur le COIU-




362 TAHLE DES .MATlERES.
merce. -- Elles font encore partie de notre droit.- LOlS
civiles. - Elles n'ont pas challgé depuis la féodalité. _
Diversité des coutumes, - Causes qui s'opposent al'uni-
fOl'ln1.té.- Nombl:e des tribunaux. - Esprit de la: légis-
lation de Louis XIV.- Défianec contre la magistrature.
-Ordonnance criminelle. -Rigueur des peines.-Deux
ordres de juges.- Les juges royaux , -- Les juges parti-
culiers.- Juges ordinaires et juges prévótaux. - Diffé-
rence entre eux. --- Comparaison des preces crirninels de


tt ' 1 A 1 ' .,ce e epoque avec es "notres.- .J umte ne se trouve que
dans l'adnúnistration. - Intendances. --- Centralisation
administrative.


CHAPITRE IX .


.


ET Al' DE LA FRAl'"CE AVAl'"T LA REVOLUTlO~ •


- GOUVERNElUEN1'.


Le pouvoir judiciaire séparé du pouvoir cxécutif. - Em-
pietements de celui-ci sur la justice réglée. - COllunis-
sions.-l\1agistrature.- Son opposition. - Son autorité.
- Elle est impuissante, - Pourquoi. -- Sa cause n'est
plus cclle du peuple. - Langage élevé de Malesbc;·be....
- Causes particulieres qui limitent le pouvoir absolu.-
Les fonctionnaires l)l~?~lfét.&res de leurs charges. - La
nation divisée en corps:"""~"pel'té dans les mreurs. -
Traditions féodales.- tt¿"V({~ la société.- Gentilsliom-
mes. -Causes qui affaihlissent l'aristocratie.- La diffu-
sion des Iumieres ~:approcl~~lábourgeoisie de la nohlesse.
- Peuple des campagnes. - Son affranchisserueut lle
date que de la révolution.v-> Résul1lé.--· L'égalité poli-
tique consacrée en 1789" -- Horuée en faít Ala hourgeoi-




TABLE DES l\IATIERES. 363


sie, - Elle doit s'étendre a tous. - Liberté politique.-
Seule garalltie aujourd'hui de la liberté civile.


NOTES ET PlECES JUSTIFICATIVES. 307


FIN DE LA TABLE DES lIATIERES.