BALAAM A VERSAILLES P. GEORGES LONGHAYE BALAAM A...
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BALAAM A VERSAILLES






P. GEORGES LONGHAYE


BALAAM
A VERSAILLES


MM. FERRY, SPULLER, BERT, DESCHANEL,


Panégyristes des Jésuites.


SIXIlblE ÉDITION.


PARIS
LIBRAIRIE VICTOR LECOFFRE


90, RUE BONAPARTE, 90.


1879






BALAAM A VERSAILLES


Le titre de cet opuscule n'a rien de déso-
bligeant pour personne; ce n' est point de
la monture du prophete, c'est de lui-meme
qu'il s'agit.


Balaam le mage, fils de Beor, est appelé
pour maudire le peuple d'Israel.


11 s'y essaye a trois reprises, mais tou-
jours c'est la bénédiction qui jaillit malgré




6 BALAAM A VERSAILLES.


lui de ses levres. Et comme on s'en irrite,
il répond : « Puis-je done pader autrement
que ne l'ordonne le Seigneur (1)? »


Quelque chose de semblable vient de ss
passer a v ersailles.


La Chambre des députés a' voté la loi
dite « sur la liberté de l'enseignement su- .
périeur. » Ce résultat afflige plus qu'il n' é-
tonne.


Mais a coté, mais au-dessus du résultat,
il ya la disc~ssion méme. «Ah! Messieurs,
a dit quelqu'un, cette grande et belle dis-
cussion, - je la qualifie ainsi, selon mon
sentiment, sans intention de flatterie, -
cette grande discussion a été fertile en en-
seignements (2). » Telle est aussi notre
pensée. Le résultat n'est qu'un fait, la
discussion a fait saillir bien des vérités. Or
les faits passent, mais les vérités demeu-


1. Livre des Nombres, XXIII, 12.
2. M. Madier de Montjau, 7 juillet, Officiel, p. 6322,1.




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rent; elles demeurent plus que jamais
grandes et rortes quand elles ont pour elles
le téf110ignage de leurs ad versaires; elles
demeurent non al' état de consola.tion vaine,
mais a l'état de germe pour l'avfmir.


Nous avons éte défendu::l, avec quel CO':lUf
et quelle logique, on le sait, et nous nous
refuserons la consolation de le redire.
Écoutons plutót nos détracteurs: la tache
est ingrate mais utiIe. Nous avons étu-
dié leurs discours, suivi avec une atten-
tion facile a comprendre les arguments ou
iIs se fondent pour nous exclure de l'ensei-
gnement, pour- nous déclarer interdits,
incapables, indignes. Au terme de cette
étude, une question s'impose a nous :
« Sommes-nous humiliés, sommes-nous
flétris? » Dénoncés, accuses, un peu trai-
tés de pestes publiques, nous trouvons-
nousen fin de compte dans la nécessité de
rougir?


Avouons-le tout dé suite : c'est plutót le




BALAAM A VERSAILLES.


contraire. Les réquisitoires semblent paríois
des apologíes, et ce quí nous reste de cet
assaut, de cette déíaite, si ron veut, ce se-
rait plutót la fierté, une proíonde et sé-
rieuse fierté.


Paradoxe, dira-t-on, amour-propre qui
se roidit et se compose.


Dieu sait qu'il n'en est rien.
L'heure est trop grave pour nous amuser


au paradoxe; il n'y aurait point seulement
faute de gout, il y auraít manque d'intelli-
gence. de Cffiur et de foi. Qu'on nous lise
d'ailleurs et que ron juge.
. Quant a l'orgueil, a cet orgueil de corps
qui pour certaines gens explique tout le
Jésuite, nous devons avouer avant tout
que si nous avions le malheur d'y sacrifier,
nous serions en opposition formelle avec
1'esprit de notre Institut et avec les recom-
mandations les plus expresses de notre
fondateur. Cela noté, nous interrogeons
notre conscience et nous la trouvons en




BALAAM A VERSAILLES. 9


regle. Nous sommes soldats; le combat fini,
nous comptons nos blessures : en cela point
d'orgueil. Aussi bien, dlit M. P. Bert nous
accuser de casuistique, ceux qui pensent
savent que ron peut etre fort modeste poul'
soi-meme et tres fiel' de la varita que ron
défend.


Non certes, ce n'est point pour nous
grandir que nous releverons les aveux
échappés a nos détracteurs. Bien loin de
la, ce qui nous y détermine, c'est plus que
tout le reste le besoin, le devoir de pro-
tester contre certaines allégations qui noua
grandissent outre mesure. On nous attri-
bue devant les autres congrégations reli-
gieuses, devant le clerge séculier, devant
Nos Seigneurs les Éveques, devantl'Église
universelle, une attitude, une influence,
une prépotence que ~ous ne pouvons a
aucun prix paraitre accepter. De servi-
teurs et d'auxiliaires, on no~s transforme
en inspirateurs, en dominateurs, en oppres-




10 BALAA1f A VERSAILLES.


seurs tout simplement. Ignorance ou rna.:..
lice, qu'importe : en tout cas, voilit qui est
intolérable, et il ne sera pas dit que nous
l'ayons toléré, meme par le silence.


Nos adversaires, les seuls qui nous oc-
cupent, nous ont parfois accusés; nous
verrons ce qu'il nous conviendra de ré-
pondre. - Plus Rouvent, et sans réflexion
peut-etre, ils nous ont glorifiés : nous ve1'-
rons ce dont il nous conviendra de prenclre
acte. - Mais, par-dessus tout, ils nous ont
surfaits ; et nous protesterons par ce besoin
de vérité quí est au fond de l'honnete
hornme, et plus encore du chrétien et du
religieux. Voilit tout le but de notre étude.


Grande et belle dicussion, disait M. Ma-
dier de Montjau. Ouí vraiment, grande
par les aveux qui s'en clégagent, belle par
cet invincible pouvoir de la vérité qui trans-
-forme les détracteurs en panégyristes, et le
talle en hosanna.




1


LES JÉSUITES ET L'ÉDUCATION






1


Morale et Histoire.


Le blame direot, l'accusation faisant
scandale et appelant apologie, tient une
place minime dans l'ensemble de la díscus-
sion. M. P. Bert dénonce notre enseigne-
ment moral; M. J. Ferry notre enseigne-
ment historique et voila tout.




14 BALAAM A VERSAILLES.


Sur ces deux chefs l'apologie n' est plus a
faire, et nous ne la recommoncerons pas (1).


On a dít a M. P. Bert ce que valent les
sources ou il a puisé, notamment cetodieux
factum des Assertions que Theiner lui-
meme - et il n'était point de nos amis -
appelle « un vrai cloaque de mensonges. »
On sait que sur neuf auteurs appelés d' abord
en témoignage de notre enseignement con-
temporain, M. P. Bert a eu cette remar-
quable fortune de ne pas rencontrer un seul
Jésuite. On admire son inconcevable mala-
dresse a diffamer, non la morale de la
Compagnie, - si tant est que la Compagnie
ait une morale a elle, - mais celle de
l'Église tout entiere. Bref, il reste évident


1. Lett"es a MM. J. Fe,"'Y et P. Be¡·t en réponse a
leurs attaques contre l'enseignement catholique, par
le P. Ch. Clair, 'de la Compagnie de JéSU8. - Paris,
Lecoffre.




BALAAM A VERSAILLES. 15


cette fois encore que les succes de scan-
dale n'exigent pas grande habileté.


Mais a part tout cela, mais sans aHendre
la réfutatíon de détail toujours tardive et
boiteuse eomme les prieros dans Homere,
il était une considération de bon sens capable
de suppléer a tout le reste.


Qui dénonee notre en&'eignement moral?
Qui le garantit ou le partage? Qui sont nos
aeeusateul's? Qui sont nos patrons ou nos
compliees?


Il va sans dire que nous ne regardons
qu'aux doctrines; les personnes appartien-
nent au jugement de Dieu.


Or notre aecusateur et eeux qui l'applau-
dissent, professent notoirement des doc-
trines telles ou un tel neant de doctrines que
l'idée meme de llloralité ne peut etre chez
eux qu'une tres heureuse inconséquence,
un vestige mal effa.ce de l'ame naturelle-
ment ch1'étienne. De bonue foi, est-on re-
cevable a parler mo1'ale, decalogue meme,




16 BALAAM A VERSAILLES.


quand on résout négativement ou quand on
écarte par systeme la question d'origine et
de fin, la question de Dieu, d'ame et de li-
berté? Tels sont nos adversaires, nos dé-
tracteurs.


Mais nos approbateurs? nos adhérents ?
nos complices? - Les Éveques, l'Église
entiere. C' est M. P. Bert qui le publie. Eh!
Monsieur, nous ne vous aurions pas prié de
dire autre chose.


On sait qui est contre nous; on sait avec
qui nous sommes. Voila qui nous suffit
comme a tous ceux dont l'estime nous tient
au CCBur.


Et vraiment a-t-on pu espérer de nous
faire passer pour des empoisonneurs de la
morale publique, pour des théoriciens du
vol et du mensonge, aupres des fideles qui
usent de notre ministere, aupres de nos
éleves et de leurs familles, aupres de
tout ce qui croit et de tout ce qui sait, au-
pres de tout ce qui pense encore en




BALAAM A VERSAILLES. 17


France autrement que par les journaux du
parti?


En est-on bien convaincu dans le partí.
meme? Est-ce politique pure et simple?
M. J. Ferry passe condamnation sur tout
cet ordre d'arguments : « ne laissons pas,
dit-il, la discussíon s'égarer sur le terrain
des catéchismes, revenons a la question
hístoríque (1). » On l' entend: «les cítations
de M. P. Bert nous servent assez mal; les
miennes sont les bonnes. »


Voyons.
On a péremptoirement démontré que, sur


cette question de l'enseignement hístorique,
M. J. Ferry s'est comporté moins en mi-
nistre qu'en avocat et en avocat trop con-
fiant pour ses secrétaíres, généralísant des
faits isolés, transformant en instrument de
propagande un ouvrage présent dans cinq
bibliotheques sur cent sept, insinuant a


1. 8 juillet. Officiel du 9, p. 6375.




18 BALAAM A VERSAILLES.


faux que l'enseignement de l'histoire con-
temporaine se poursuit chez nous jusqu'aux
actualités les plus irritantes, entln, chose
plus grave, découpant les textes de íagon
á faire tomber sur 89 des jugements porté s
sur 93, en un mot se laissant imposer par
ses oftlcieux quelques-unes de ces menues
habiletés que les bonnes causes dédaignent.


Et que n'aurait-on pu"dire encore?
Sauf un ou deux passages empruntés au


« fameux livre de propagande », on pouvait
mettre en lumiere la parfaite modération
des autres fragments incriminés.


Laissant á part le P. Gazeau, le seul
auteur Jésuite, dont le texte arrangé con-
stitue moralement un faux, on pouvait par
exemple admirer l'apreté du ministre á
dénoncer les appréciations si parfaitement
mesurées de M. l'abbé Courval. Cette
apreté, nous allions dire cet acharnement,
va jusqu'á la distraction la plus étrange.
Ayant á juger la déclaration des Droits de




BALAAM A VERSAILLES. 19


l' Homme et notamment la définition de la
loi par l'expression de la volonlé générale,
M. l'abbé Courval écrit: « Cette loi,
meme voulue par la majorité, doit etre
juste pour que la conscience du citoyen
soit tenue a l' obéissance (1). « Eh bien !
N'est-ce pas absolument ce que proclamait
deux jours auparavant M. Spuller du haut
de la méme tribu~e? « Non, Messieurs, ·la
majorité n'a pas le droit de faire ce qu'elle
veut, je vous le dis franchement : au-
dessus d'elle il y a le droit. (2) » Devrons-
nous croire que M.le ministre ne pense pas
de meme? Nous forcera-t-on d'enseigner
comme these de moralité historique la
sainteté du nombre et son infaillibilité ?


Car enfin - et c' est la que le débat
s'élElVe - si l'on trouve dans notre ensei-
gnement authentique un point illégal, un


1. Offic., p. 5689, 3.
2. Offic., p. 5605, 1.




20 BALAAM A VERSAILLRS.


point contraire aux pri,ncipes fondamen-
taux de toute société, voire a la sécurité
du gouvernement, qu'on juge et qu'on
frappe. Mais si cela n'est pas, voudrait-
on par hasard nous dicter nos apprécia-
tions historiques? Ce sont opinions, opi-
nions libres; discutez, a la bonne heure,
mais ne proscrivez point.


Quoi! l'on nous forcerait, par exemple,
d' enseigner l'histoire telle qu' elle s' est
faite a la tribune pendant cette discussion 1
N'avons-nous pas entendu M. Louis Jan-
vier de la Motte résumer ainsi le dernier
siElcle : L'Église est cause de tout le mal et
les J ésuites sont toute l'Église?. ..
M. Spuller, le docte M. Spuller, ne nous
a-t-il pas révélé que si la France au
XVI" siecle ne s'était point faite protes-
tante, c'est qu'au-dessus des querelles
religieuses elle mettait déja « son propre
génie, juridique, civil et lalque, » (1) en-


1. Offic., p. 5604, 1.




BALAAM A VERSAILLES. 21


tendez qu'elle adorait déja l'Etat-Dieu?
N'avons - nous pas appris du grave
M. P. Bert que nous sommes, nous Jé-
suites, une imitation des Khouans de
l'Islamisme, et que saint Ignace doit son
plan de fondation religieuse au Maure
qu'il pensa pourfendre sur le chemin de
Montserrat? D'honneur, plutOt l'interdic-
tion que l'obligation d'enseigner de
pareilles reveries ! (1)


Sur toute cette question de l'histoire,
M. le ministre a livré d'un mot le grand
secret: « Voila, nous a-t-il dit, ce que vous
faites de la Constituante et de ses lois, «de
ce que nous'appeZons, nous, notre Évan-
gile. (2) » Non, Monsieur, naus ~'avons


1. Un roman de quínzieme ordre nous tombe sous
la maín, ou noua apprenons que les Jésuites ont fait
la guerre de 1870 et la commune, quitte a se laisser
un peu fusUler Ilour cacher leur jell. - Voila. qlli
vaut Ilrecisément les divinations historiques de
M. P. Bert.


2. Offio., p. 5689, 2.




22 BALAAM A VERSAILLES.


point tant médit de la Constituante et de
ses lois; mais nous confessons n'avoir,
nous, qu'un Évangile, celui de J ésus-Christ,
et au nom meme de la Constituante et de
ses lois, au nom me me de 89 et de la
liberté de conscience alors proclamée,
nous réclamons le droit de jugar, de dis-
cuter, de distinguer a la lumiere de cet
Évangíle l'histoire tout entiere, y cqmpris
89 et la Constituante et ses lois. Ce droit,
nous l'avons exercé ; voila le crime : vous
ne nous en ferez pas rougir.


Et le chapitre du bUme est déja dos;
nous n'avons plus désormais qu'iJ. recueillir
ou a repousser des hommages.




11.


Hommages indirects.


Tout d' abord les hommages indirects ;
ce sont quelquefois les plus nalvement si-
gniflcatifs.


Ai-je tort d'en trouver un dans toute la
marche de cette affaire, dans cette évo-
lution chaque jour plus manifeste qui con-
centre surnousl'effort? Au début, l'article 7




24 BALAAM A VERSAILLES.


n'etait dans la loi qu'une parenthese
egaree, equiv<1'1:J.ue. La droiture franQaise
hesitait. M. le Ministre expose ses motifs
et le doute cesse. M. Spuller ecrit son
rapport et la lumiere augmente. M. Paul
Bert parle et nous apprenonsque l'article 7,
le hors d'CBuvre, est« la partie la plus im-
portante, la plus considerable, la plus
nouvelle de la loL (21 juin.)) MM. Des-
chanel, Spuller, J. Ferry sonnent l'alarme
et revelent a l'État son peril. Mais ou est-il,
ce peril? « Ou est le peril ? Messieurs, je ré-
ponds sans hesiter : il est dans les Jesuites.
Il est dans leur accroissement, il est dans
leur progres, il est dan s leur puissance
incontestable et incontestée. (1) » Ainsi la
question marche et se deplace, l'accessoire
absorbe le principa:,l, la parenthése devient
la pensee dominante; a n'écouterque la dis-
cussion, il semblerait que l'article 7 est a


1. Offio., p. 5685, 1.




BALAAM A VERSAILLES. 25


peu pres touta la loi; il semblerait que les
Jesuites sont a peu pres tout l'article 7.


Voila deja bien de l'honneur; en voila
tropo N'etaient les consequences ou l'on
tl'lnd etles ruines que l'on prepare, ilyaurait
Heu de sourire en pensant au lievre de
La Fontaine:


Je auis done un foudre de guerre,
Je meta l'alarme au camp ••.•


Lorsque, par distraction peut-étre,
M. Paul Bert, depassant la loi meme, declare
que voter pour ou contre c'est voter pour
ou contre « l' existence » (1) de la Oom-
pagnie de Jesus; lorsque d'autre part le
rapporteur a prononcé que poser la loi c'est
po ser pour l'État « une question d'exi-
stence; » lorsq ue, pour tout dire, ils s' ac-
cordent a nous presenter comme tenant le
monde moderne en balance et en echec ; la


l. Offic., p. 5491, 1.




26 BALAAM A VERSAILLES.


faute serait-elle a nous si nous venions a
prendre de notre importance une idée
excessíve? De bonne foí, je ne me savais
pas, moi J ésuite, a ce point «illustre et
redoutable, » pour employer les propres
paroles de M. J. F erry.


Faut-il aussi rapporter a. nous seuls,
faut-il expliquer par les sympathies qui
nous entourent l' émotion des croyants et
leur protestation douloureuse a l' encontre
de la loí projetée? Tout cel~ dérange et
inquiete nos adversaires. Tantót ils avouent
la surpríse. «Il semble que les fondements
me me de la société soient ébranlés,» s'écrie
M. P.Bert, non sans dépit (1). Ta:rij;ót ils
jouent le calme et le dédain: on devait
s'attendre a ce,bruit, on s'y attendait, in-
sínue quelque part M. Spuller. Mais enfin
tous le constatent et il ne tíent pas a eux
que nous n'en tirions quelque vaine gloire.


1. Offic., p. 5490, 3.




BALAAM A VERSAILLES. 'in


Eh bien! non: soyons justes. Certes, Dieu
nous a fait cette fortune de n'etre ni aimés
ni hals médiocrement. A cóté de l'hostilité
ardente, implacable, il a mis' sur notre
route des sympathies cordiales, généreuses,
dévouées, notre meilleure consolation nans
ce monde. Mais malgré tout si nous étions
seuls en cause, la France catholique ne
parlerait pas ainsi tout d'une voix et ne
s'indignerait pas ainsi d'un seul Calur. Elle
voit ou l'on vise, elle sait ou l'on va; les
artifices employés ne la rendent point dupe,
et nous n'acceptons, nous, que pour notre
humble part, l'honneur de la faire ainsi
tressaillir.


Une chose e~ bien a nous cependant,
c'est la haine privilégiée de quelques sec-
taires, haine irréconciliable offrant - en
tonte sincerité, qui en doute? - de recevoir
acomposition ceuxavec quinous combattons
sous lameme banniere, mais nous exceptant
par avance de l' armistice et des négociations




28 BALAAM A VERSAILLES.


a ouvrir. « Les Congrégations pourront se
faire autoriser,» dit généreusement le
Ministre, meme « des congrégations
d'hommes, pourvu qu'elles apportent leurs
statuts et les soumettent a la, pompétence
civile.» Et qu'en sera-t-il des Jésuites? Si
la « société secréte » se dévoile, si elle
dépose sur le bureau de la Chambre les
statuts dont on l'accuse ridiculement de
faire mystere, a-t-elle chance de les voir
agréés ou seulement discutés par le concile
laIque? Non, répond le Ministre, craignant
peut-étre que nous ne retardions son reune
en sollicitant avec candeur la reconnais-
sanee d'État. « Puisque je tiens a vous parler
en toute franchise, je dirai volontiers
que pour les J ésuites e' est autre chose; la
cause est entendue, les Jésuites sont
jugés. » (1)


A la bonna heure! Ce parti pris nous fait


1. Offió., p. 5727, 2.




BALAAM A VERSAILLES. 29


peine pour les juges; íl peut avoir quant
a nous-memes des conséquences am_eres,
mais le moyen de nous sentir humiliés?
Ne serait-ce point le contraire, et quand
nous aurons mieux vu ce qu'íl suppose,
n'y trouverons-nous pas encore un hom-
ma,ge trop excessif pour étre accepté sans
réserve?






III


L'Enseignement.


J'ignore si nos adversaires ont pris le
temps de mesurer leurs paroles ou si peut-
étre leur tactique ne serait point de nous
accabler sous les fleurs.


Voici venir les éloges directs, a bout
portant, véritable embarras pour le bon gout
et que1<luefois meme pOUl' la conscience de




32 BALAAM A VERSAILLES.


ceux a qui on les adresse. Monsieur le
Ministre, le plus acharné de ces compli-
menteurs, est vraiment trop hon de con-
stater a la tribune que nousjouissons comme
instituteurs de quelque estime. « e'est une
grande cause et une grande garantie de
succes pour un établissement d'enseigne-
ment secondaire libre que de pouvoir mettre
sur son fronton le nom . de l'illustre corpo-
ration. (1) » De vrai, la louange est peu
délicate dans sa forme, et nous ne la reIe-
verions pas si l'on n'en faisait une arme
contre nous. Interdits pourcause de sueces:
voila quelle note on nous inflige; il en est
de plus lourdes a portero


Mais enfin pourquoi ce succes qui nous
condamne? Est-ce paree que nos maisons
sont plus riantes et de plus grand air que
les austeres et anciens lycées? M. J. Ferry
le donne a entendre. Poursatisfaire les


1. offic., p. 5725, 1.




BALAAM A VERSAILLES. 33


familles catholiques, il n'~st, selon lui, que
d'embellir et d'égayer les établissements de
l'Etat. Commerivaux, comme contribuables
meme, nous n'avons rien a dire a cette pro-
position digne en tout de la république
athénienne. Que n'en sommes-nous a la
république spartiate? Pour résoudre le
probleme elle n'aurait qu'un mot : confis
cation.


Quoi qu'ilen soit,je doute que l'on apaise
completement avec ces améliorations ma
térielles les ombrages de la conscience
catholique. M. J. Ferry qui semble parfois
manquer de mémoire, n'a-t-il point avoué
ailleurs que nos anciens é16ves n'envahi-
ront probablement pas les lycées meme
restaurés et embellis ? (1)


Chose étrange ! en meme temps que l'Uni-
versité se fera pour nous ressembler sédui-
sante et gracieuse par le dehors, on extir-


l. Offto. p. 5727, 2.




34 BALAAM A VERSAILLES,


pera soigneusement ce qui lui reste encore
de notre esprit et de nos méthodes. Votez
ma seconde loi, dit le Ministre. «Donnez-
nous le plus tót f>ossible un conseil supé-
rieur, et nous briserons définitivement dans
les méthodes de l'enseignement secondaire
la tradition trop vivante, malheureusement,
de l'Institut de Jésus »(1). Ici meme nous
pourrions tirer vanité d'inspirer encore si
peu que ce puisse etre l'enseignement uni-
versitaire. Mais voici qui est plus grave.
En quoi l'mspirons-nous ? Quelles traditions
chez luí vivantes continuentd'attesternotre
influence? J'en trouve deux: la religion,
au moins unereligion d'étiquette, et la haute
culture intellectuelle, les nobles études
littéraires, un certain respect d'habitude et
d~ pratique pour ce qu'on nomme excellem-
ment les humanités. Entre les deux élé-
ments trop jésuitiques d'origine, lequel est


2',Offio" p. 5943,2.




BALAAM A VERSAILLES.


eondamné a disparaltre? La religion offl-
cielle? Mais alors quelle ombre de con-
flanee laissez-vous aux familles catho-
liques ? - Les études dites humanités?
Hélas! il Y a vingt-einq ans, d'éminents
universitaires, M, St-Marc-Girardin entre
autres, nous louaient hautement d' en main-
tenir le culte dans nos réeents eo1Ieges, Que
diraient-ils aujourd'hui ? L'instruetion pu-
blique, eédant a toutes les influenees maté-
rialistes du siecle, va-t-elle dlllle se faire
de plus en plus technique et profession-
nelle? Le lycée embelli va-t-il prendre pour
idéal cette « usine-caserne » (1) dont par-
lait naguere unjournal eonservateur?
Le radicalisme va-t-il démontrer plus
évidemment que' jamais aux dépens de
rame franc;aise qu'il veut bien des demi~
savants spécialistes, mais que les hommes
lui font peur et q u'il importe a sa domination '


1. Paj'ü-Journal, 6 juin.




36 BALAAM A VERSAILLES.


qu'on n'en forme plus? Voila ce qUl re-
sulte des insinuations peut-etre étourdies
de l'impétueux Ministre. ns avaient done
bien raison, et plus encore qu'ils ne le sa-
vaient peut-etre, ceux qui tout d'abord ont
dit: « Prenez garde ! en tuant les Jésuites,
vous préparez la mort de l'Université.»
Ainsi les Jésuites en disparaissant de l'en-
seignemeni emporteraient avec eux ou du
moins compromettraient gravement ce qui
reste en France de haute culture intel-
lectuelle! Triste gloire et dont ils ne se
consoleraient pas.


Revenons aux succes qu'on veut bien
nous reconnaitre et aux causes par ou on
les explique. -


Tout n'est pas, semble-t-on avouer, dans
la belle apparence de nos écoles. Il y a
plus : les professeurs J ésuites sont « sé-
duisants entre tous par l'affabilité qui les
caractérise, par la douceur qu'ils appor-
tent dans leur enseignement. (1) » Pour-


l. Offic. p. 5691.




BALAAM A VERSAILLES. :rr


quoi done entre tous, M. le Ministre? J'ai
eu pour roa part l'honneur d'approcher
d'assez pres les professeurs de plusieurs
roaisons eeclésiastiques et je ne vois, je
vous jure, aucune raison de ro' estimer plus
séduisant qu'eux. Affabílíté, doueeur dans
l'enseignement, mais e'est le eoromun
caractere du roaltre chrétíen, pretre ou
laIque, et ce caractere je sais que dans
l'Université meme vous le rencontrez quel-
quefois. Des que la charité s'ajoute a la
bienveillance naturelle on devient affable
et doux sans grande peine. Il suffit de
croire a J ésus-Christ et aux ames et íl n' est
pas besoin d'etre Jesuite. Encore un trait
flatteur ou nous ne pouvons nous recon-
naitre seuls.






IV.


Le Caractere du Jésuite.


En voici d'autres que nous contesterons
moins.


On dit : La loí sera lettre morte; on
réludera de cent manieres. Demandez par
exemple a qui enseigne de déclarer qu'il
n'appartíent pas a une congrégation non
autorisée : les J ésuites répondront ce qu'il




4.0 BALAAM A VERSAILLES.


leur pI aira : ne sont-ils pas les hommes
de la restriction mentale ?


A cela que réplique le Ministre? Il se
redresse, il s'indigne, il proteste pour
l'honneur de notre sincérité dont il veut
bien se porter le garant devant la
France. « Je ne crois pas du tout a ces
travestissements ; je les considere comma
indignes du caractere dont cet ordre
fameux est revetu. (1) » Y songez-vous,
M. le Ministre? Et Pascal? Et Béranger ?
Et las dictionnaires qui donnent ene ore
notre nom comme synonyme da finesse
malhonnete ? Et toute la Iégende qui nous
attribue la duplicité comme signe de race ?
Ainsi vous-meme, parlant de haut a l'une
des deux tribunes nationalas, avec touta
l'autorité de chef de l'enseignement pu-
blic en France, vous mettez a néant ce
lieu commun jusqu'ici indubitable, eon-


1. Officiel, p. 5725.




BALAAM A VERSAILLES. 41


sacré, officiel! Done, le Jésuite est hon-
nete, il est fier, assez honnete et assez fier
pour se laisser interdire, proscrire meme
plutót que de faire acte de duplicité, acte
de Jésuitisme comme on disait encore
jusqu'a votre déclaration, mais comme on
ne pourra plus le dire désormais. Vous
l'ennemi, vous le proscripteur, vous
comptez sur la loyauté des victimes pour
garantir qu'elles n'échapperont point !
Vous nou!! do:anez acte de nos registres
biell tenus, de nos états de personnel bien
a jour (loe. cit.). Done, pour le dire en pas-
sant, vos inspeetions n'étaient pas si fort
inutiles, et si le dernier coup de filet a
ramassé quelques livres, vous savez d'ail-
leurs et vous dites qu'a. travers les mailles
les personnes n'essaieront point de passer.


Monsieur le Ministre a raison. Les Jé-
suites iront jusqu'au bout dans la résis-
tance légale a ses entreprises; mais ils
n'iront pas jusqu'a se renier eux-memes.




42 BALAAM A VERSAILLES.


Ils se rappelleront l'attitude. concertee
entre le P. Olivaint et le P. de Ponlevoy
lors de leur dernil~re entrevue : « J e veux,
disait le futur martyr, je veux me poser
sur mon terrain et me donner poilr ce, que
jesuis : citoyen Franliais sans doute, mais
pr~t~e,. mais jesuite; car c'est, sous ce
titre queje vis et quej'entends bien mou-
rir. » (1) .


Ne croyant pas a la duplicite des Je-
suites, M. Ferry - et cela l'honore, -
ne croit pas plus a leur humeur vindi-
cative. Lorsqu'il ouvrait la campagne, il
n'a pas juge nécessaire de s'éorier tragi-
quement comme M. Cousin, en 1845 : « Il


. .


ro'en arrivera ce qui pourra ! » Du moins
s'imagine-t-il peut-etre que nous exé-
crons sa personne. Eh, mon Dieu! non;
pas meme : charité chrétienne a part., sa


l. Piet't'e o livaint, pt'étre de la Compagnie de
Jésus, par le P. Ch. Clair, de la meme Compagnie,
p.431.




BALAAM A VERSAILLES. 43


personne nous semble peu de chose dans
le débat. Agit-il par conviction et par
haine ? Accomplit-il seulement, lui franc-
maQon notoire, un vmu d'obeissance plus
pesant et moins inoffensif que le nótre ?
Qu'importe? En tout cas, .nous savons de
pires coupables et q uant a lui nous le plain-
drions plutót ; j'irai plus loin et je lui pro-:-
mettrai volontiers quelque reconnaissance
pour glorifier ainsi la loyauté de notre ca-
ractere. La Compagnie de Jésus ne fait
point profession d'etre ingrate; elle a
reconnu souvent de moindres bienfaits.


Vengés. du reproche de duplicité, nous
allons etre .ahsous de l'accusation de sou-:
plesse complaisante et de versatilité inté-:-
ressée.


Les rares FranQais qui op.t lu la cin-
qUÍf~me Pt'ovinciale avaient leurs idées
faite s sur la politique des Jésuites. Un seul
point fixe : la plus grande gloire de l'Insti-
tut, pour tout le reste flexibilité parfaite ;




44 BALAAM A VERSAILLES.


doctrine, morale, esprit, direction, tout
flottant, se pliant, s'accommodant, se
transformant au gré des circonstances et
en vue de l'unique fin souveraina. Sauf la
gloire de l'Institut, pour la gloire de l'Insti-
tut, le J ésuite da Pascal et de la tradition
est, par excellence, l'homme « ondoyant
et diverso »


Eh bien! non, Pascal se trompe, la tra-
dition mento L'esprit du Jésuite est tout
contraire, e' est l' obstination, la rigidité
superbe, prete a mourir plutOt que de plier.
VoiIa pourquoi M. Spuller désespere de
nous convertir aux idées modernes. Nous
sommes la compagnie immuable (1). Su-
mus tales quales, disoml-nous non sans
orgueil; qu'on naus laisEe ou qu'on nous
prenne comme nous sommes; notre devise
est ce mot fameux : Sint ut sunt aut non
sint (2).


1. M. Spuller, Rappa,·t, p. 76.
2. M. Spuller, Rappart, p. 75.




BALAAM A VERSAILLES. 45


M. Deschanel est du meme avis.
Impossible aux Jésuites de se modifier,


de n'enseigner plus ce qu'ils enseignent.
« Par conséquent, plus Hs sont conscien-
cieux, plus Hs sont dangereux, et c'est
rendre hommage a leur caractere que de
les déclarer impossibles (1).» M. J. Ferry
contresigne a son tour ce brevet de fiera
immutabilité. Apres avoir découvert notre
existence contemporaine:« Oui, s' écrie-t-il,
ce sont les memes doctrines, ce sont les
memes aspirations, ce sont les memes pé-
rils, etc ... » Etcomme M. Spuller, et comme
M. Paul Bert, il nous accuse, le dirai-je?
il nous glorifie peut-etre d'avoir, nous im-
muables, transformé l'Église devenue a
notre gré changeante et mobile. Ah! de
grace, Messieurs! Historiquement, c'est une
énormité; religieusement,c' est pour l'Église
un blaspheme, c' est pour nous une into
lérable injure.


1. Offle., p. 5548, 3.




46 BALAAM A VERSAILLES.


Mais le moment n'est pas venu de le dire.
Avant d'examiner l'attitude que ron nous
prete dans la société chrétienne, voyons
celle que l'on nous fait par rapport a la li-
berté. Nous aurons droit.d'en tirer gloire,
non pour nous maÍs pour une vérité de
premier ordre a laquelle on rend hommage
sans paraitre s' en apercevoir.




II


LES JÉSUITES ET LA LIBERTÉ
Nous donnons un étrange spectacle a ceux


qui nous regardent et qui nous écoutent.
D'un cóté on voit les jesuites, cesrétrogrades,
se ranger sous le drapeau de la liberté ..... .
de l'autre on voit les libres penseurs, ces
progl'essistes, se ranger du cóté de l'abso-
lutisme.


(M. Granier de Cassagnac, pere,
séance du 9 juillet.)




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1


Le Fait et les Sophismes.


Les idolatres de la liberté quand meme
ne nous comptent généralement pas comme
étant des leurs, et sous ce rapport le préjugé
entraÍne plus d'un homme grave a des
erreurs d'appréciation dont leradipalisme
s'empare. C'est ainsi que M. Guizot,' cité
par M. Spuller, nous juge institués pour
défendre l'absolutisme daIl,~ rOl'dre, fj3li-
gieux et un peu aussi dans l'ordrapoli-


4




50 BALAAM A VERSAILLES.


tique. (1) C'e~t ainsi que M. Gladstone, cité
par M. J. Ferry, proclame la Compagnie«
le plus grand instrument de sB)'vitude
mentale qui ait jamais été inventé. » (2)
Guizot, Gladstone, deux protestants céle.-
bres, singulieres autorités ainvoquercontre
nous dans un pays catholique ! Aussi bien
Guizot se trompe. Nous sommes par état
champions de la constitution divine de
l'Église; mais cette constitution n' est point
absolutiste, elle est autoritaire, elle est
monarchique, voila tout. Quant a l'ordre
temporel, il ne faudrait pas oublier pour-
tant de quelle vigueur nos théologiens les
plus illustres, Suarez et Bellarmin par
exemple, ont malmené l'absolutisme royal
et le faux droit divin ou les protestants
cherchaient a l'appuyer. Restelaservitude
mentale; mais to~t catholique entend ce


1. Rappo?'t, p. 75.
2. Offioiel, p. 5687.




BALAAM A VERSAILLES. M


qu'elle veut dire surtout dans une bouche
protestante. C'est l'antithese du libre exa-
men, c'est la soumission á I'Église, c'est le
catholicisme et M. J. Ferry devait com-
prendre que le mot de Gladstone nous fait
honneur.


Mais quoi qu'il en soit des doctrines,
voici un fait, un fait qui éclate et quí s'ím-
pose. Dans la lutte actuelle ou done est la
liberté ?Que serait notre défaite? une dé-
faite de la liberté. Qui arréte nos adver-
saires, qui met leur sophistique a bout,
qui les pousse á la tyrannie manifeste, a
l'arbitraire pur? La force des choses qui
unit la cause catholique et par conséquent
la nótre a celle de la liberte.


Une majorité plus indépendante d'esprit
et de caractere s'en fUt émuetout d'abord;
tout ce qui pense dans le pays s'en preoc-
cupe et si I'on veut que I'avenir ne soit pas
severe il n'est qu'une ressource : mettre au
pilon l' Officiel.




52 BALAAM A VERSAILLES.


Car enfin e' est peu de erier a pleine tete:
La liberté demeure, la liberté d'enseigne-
ment demeure, la liberte de conscience
demeure, la liberté du pere de familla de-
meure. Les bravos de la gauche prouvent
mal et un reste de pudeur avertit qu'il
faut prouver. Prouvez done, Messiaurs;
vous les puissants, vous les maitres, don-
nez-nous le spectacle de votre embarras,
de votre gaucherie désespérée. C'est
mieux qu'une eonsolation, c'est une vie-
toire, une de ces victoires morales que
toutes les insolenees du fait ne sauraient
valoir.


On se travaille done a mettre la liberté
hors de cause; on ébauche des distinetions,
on exploite des confusions qui deviennent
des calomnies, mais en fin de compte, il
faut avouer ; le masque de libéralisme ne
tient plus; achaque instant il se dé tache
et la face hideuse du despotisme apparait.
Voyez plutót.




BALAAM A VERSAILLES. 53


La liberté d'enseignement, dit-on, n'est
pas une liberté maítresse, mais une liberté
$ubordonnée ... (M. J. Ferry.) Évidemment.
Elle a cela de commun avec toutes les
autres ; car a part la liberté de servir Dieu,
cene-la me me que 1'on veut ravir a « 1'ame
franQaise, »nommez de grace une seule
liberté maltresse, une liberté qui ne se
subordonne point au droit.


La liberté d'enseígnement, dit-on encore,
n'est pas une liberté essentielIe ; nul n'ap-
porte en naissant un droit essentiel a pro-
fesser. Soit, mais le pere de famille a-t-il
oui ou non le droit essentiel d'instruire
son enfant? Et que faire de ce droit s'il ne
peut le déléguer a qui bon lui semble ? Au
reste on parle peu de la famille, singula-
rité plus qu'étrange dans une discussion
ou la famille est si gravement intéressée.
Est-ce embarras pur et simple? Yaurait-il
la tout un ordre de sentiments assez mal
connn de ces Messieurs? On le dirait a




M BALAAM A VERSAILLES.


leur silence ; on le dirait a leur stupeur,
s'ilarrivequ'un vrai pere, M. de la Roche-
foucauld, duc de Bisaccia, par exerople,
laisse échapper devant eux le cri de son
aroe; on le diraitencore a les voir dans
l'occasion traiter la faroille avec cette lége-
reté dédaigneuse et ce persifflage vrairoent
cruel. Faut-il s'indigner, faut-il sourire
quand on entend M.le Ministre dénier au
pere» le droit de faire instrouiroe son enfant
aílleurs qu'a l'ombroe de son foyero, dans
des conditions et des doctrines contraires
aux principes, aux doctrines, a la conserva-
tion de I'État? (1)>> Done cedroit subversifde
l'État, chaque faroille le possede a doroi-
cile; donc l'État serait perdu sans recours
si tout roécontent pouvait payar un pré-
cepteur. O logique!


On distingue le proíesseur. Liberté, dit
M. Deschanel, pour la congrégation ou


1. Officiel, !S681, p. 3.




BALAAM A VERSAILLES. 55


l'enseignement est le but meme et non pas
un moyen subordonné a une fin plus large
et a des vamx. J'entends: liberté pour
toute congrégation qui n'est point une
congrégation, et je conjure l'orateur de
me montrer quelque part cette congré-
gation ainsi définie. - Liberté, dit-on
encore, Ji qui n'a point par des vceux amoin-
dri ou dénaturé sa personne. - Quoi qu'il
en soit de cette ineptie, qu:allez-vous faire,
je vous prie, des francs-maQons?


On distingue l' auditoire. Droit de propo-
ser sa doctrine devant des adultes capables
d'examen et de résistance, mais non pas de
l'imprimer sur le « cerveau malléable» des
enfants. - A la bonne heure! mais de deux
chosesl'une: ou l'adulte ignorant etcrédule
n'est devant le maitre qu'un enfant véri-
table, oul'enseignementprétendun'est plus
un enseignement; la distinction tombe et
la notion meme s'en va. Quoi done!
M. Naquet a droit de precher le divorce




56 BALAAl\f A VERSAILLES.


devant des ouvriers sans doute assez bien
armés contre le sophisme, et je ne pourrai,
moi Jésuite, apprendre ades enfants, selon
les vues etlafoi de leurs peres, que le mariage
est un sacrement!


On distingue la liberté individuelle et la
liberté collective. On ose dire la loi propo-
sée plus libérale que celle de 1875; car elle
se préoccupe d'affranchir l'individu au líeu
que celle de 1875 favorise plutot l'associa-
tion. - Yoila qui surprend par l'audace i
mais pressez l'antithese: elle serait vide si le
socialisme ne s'y cachait. Est-ce que, la loi
de 1875, en demandant des associations
sérieusement constituées, fait autre chose
qu' offrir des garantíes auxfamilles et ál'Etat
lui-meme? Est-ce que, pour enseigner sur-
tout, le droit individuel pourra vraiment
quelque chose si vous lui disputez les res-
sources de l'association? Est-ce que par-
tout l'association n'est point le plus naturel
exercice du droit individuel et sa plus ferme




BALAAM A VERSAILLES. 57


garantie? Singuliers libéraux, ceux a qui
elle fait ombrage; despotes et socialistes,
ceux qni ne veulent rien entre l'État soi-
disant ímpersonnel et l'individu grain de
poussit~re ; tristes dupes, ceux qui voient la
un progres moderne et une conquete de la
liberté!


Comme on a faussé lanotion d'enseigne-
ment, on déplace les notions meme de liberté
et de monopole. Le monopole, dit-on, c'est
l'État imposant a la fois l'esprit et la mé-
thode. Donc il y a liberté si l'État, se <iés-
intéressant de la méthode, se contente
d'imposer l'esprit. Qui parle de la sorte?
M. Thiers, hélas! le M. Thiers du monopole,
le M. Thiers de 1844. Mais je lui en de-
mande bien pardon: il n'a prouvé que la
faiblesse de sa cause. Dussiez-vous nous
asservir a vos méthodes, au moins ne nous
imposez pas votre esprit. Servitude pour
servitude la premiereestlégere; c'estl'autre
qui pese, c'est l'autre qui tue, c'est l'autre'




58 BALAAM A VERSAILLES.


que la conscience catholique n'acceptera.
jamais.


Les tenants du projet de loi veulent
distinguer et ils ne parviennent qu'a con-
fondre; ils s'efforcent d'etre subtils, mais
ils ne feront pas que la loi soit libérale, ils
ne feront pas que la cause catholique, la
came de la Compagnie de Jésus ne soit
a l'heure présente la cause meme de la
liberté.


n ne leur servira pas plus de masqu~r
leurs prétentions et de travestir les notres.
N ous ne voulons que le controle, affirment-
ils. Et tout ce qui n'est pas eux leur
répond d'une voix : non, le controle vous
l'avez, et si vous voulez plus, ce ne peut
etre que le monopole. - Vous voulez lali-
berté illimitée, nous disent-ils encore, l'État
impuissant, aveugle, insouciant de tout et
de lui-meme. Non, leur est-il répondu,
nous acceptons la surveillance d'État aux
termes et au sens des lois existantes,




BALAAM A VERSAILLES. 59


persuadés comme vous-memes que l'État
ne peut se désintéresser de l'instruction
publique, d'ou résulte pour lui, non le
droit au monopole, mais le droit a la sur-
veillance; encore un coup, vousl'avez cette
surveillance, et quoique vous en disiez, on ne
ruse pas avec elle. Que prétendez-vous
donc en outre, sinon la confiscation de la
liberté?


Mais qu' est-ce que la liberté? ce mot
dont tous se réclament ne cacherait-il pas
une équivoque? C'est ici qu'intervient
M. Paul Bert.






11


M. P. Bert et la loyauté
de l'Église.


On raconte que Mgr Darboy marchant a
la mort se retourna et dit : « J'ai tou-
jours aimé le peuple, j'ai toujours aimé
la liberté. » Un fédéré lui répliqua
durement : « Ta liberté n'est pas la notre,
tu nous emb ... (1). »


A Dieu ne plaise que je compare les


1. M. Maxime du Camp : Les Convulsions de Pari&. ~
T. J,p. 369.




62 BALAA:M: A VERSAlLLES.


personnes! mais j'ai droit de rappl'QCher
les paroles. Cet homme venait de résumer
d'avance tout ce qu'il y a de spécieux dans
le premier discours de M. P. Bert.


Entre les fils de la Révolution et les
défenseurs de l'Église, «puisqu' elle seule
est en cause, » quand on parle de liberté
d'enseignement, pas d'entente possible.
Pourquoi? Parce' que la meme formule
evoque des idees différentes. Pour l'éman-
cipé moderne, la liberté d'enseignement
n'est qu'un cas particulier de la liberté
d'exprimer sa pensée, laquelle procede
exclusivement du droit humain. Pour
l'Eglise, et par cela seul qu'elle invoque
un droit divin, liberté d' enseignement veut
dire droit absolu, exclusif, intolérant de
toute concurrence, monopole en un mot (1).


Ainsi parle M. P. Bert. C'est dire en
franQais que la revendication de l'Église,


1. offic., p. 5549, 3.




BALAAM A VERSAILLES. 63


la nótre, cache un piege; c'est dire avec
plus de forme et d'appret ce qui sera redit
ailleurs, que nous exploitons la liberté pour
établir la servitude.


Cet effort d'habileté nous mettrait en
droit d'etre séveres. N'en ayons garde
cependant.


Non, l'Église ne confond pas deux choses
absolument distinctes : la part de liberté
commune qu'elle réclame en exécution des
promesses écrites dans presque toutes les
constitutions contemporaines, et le droit
spécial, unique, incommunicable, qu'elle
tient d'en haut. Sans doute elle n'accepte
pas le principe ou M. Bert fonde la liberté
de communiquer sa pensée: I'Église n'adore
pas l'intelligencehumaine ; l'Église ne croit
pas au relatif pur, a lavérité mobile, a la
vérité en voie de se faire, a l'identité des
contradictoires, a tout ce que suppose la
liberté de penser entendue a la moderne.
L'Église sait que la vérité existe et a seule




64 BALAAM A VERSAILLES.


droit sur les esprits. L'Église se sait par.
ailleurs en possession de la vérité intégrale
en matiere de religion, de morale par con-
séquent. Elle a done conscience de porter
en soi-meme un droit supérieur, indépen-
dant de toute concession humaine, tran-
chons le mot, un droit positivement et
immédiatement divino Aussi quand on la
fait descendre sur le terrain de la liberté
commune, quand on veut qu'elle existe et
qu'elle agisse en vertu, non plus du droit
souverain de la vérité, mais d'un prétendu
droit universel des opinions humaines, elle
sait qu'on la fait déroger, elle le sent, elle
le déclare; mais apres?


Ouestl' équivoque, le malentendu? Quand
l'Église dit liberté, elle dit liberté, et elle
entend ce qu'entend tout le monde. Quand
elle revendique aupres des pouvoirs libé-
raux sa :part de liberté communa" .elle
revendique $a part de liberté commnns;
voWI. tout.,




BALAAM A VERSAILLES. 65


M. P. Bert n'a pas oublie sans doute ca
vieux Romain, qui, apres avoir lutte de
toute sa force contre je ne sais quelle loi
agraire, se présentait le lendemain pour
en beneficier. « Vous etes un incon-
séquent, » lui dit-on. « Pas le moins du
monde, rlJpondit-il: j'ai combattu pour
vous empecher de mettre mon bien en
partage; mais, la chose faite, je réclame
ma parto » Telle est a peu pres la situation
de l'Église.


Vous dites: «elle n'en est pas satisfaite;
elle ne la subit qu'avec l'arriere-pensée
d'en sortir. »


Elle poui'rait tout·d'abord repondre: «Et
quand meme? » Oserait-on bien poser ce
principe : Quiconque est mécontent de
l'ordre de choses ou il vit se rend par le
fait incapable d'en réclamer le bénéfice?
Oserait-on dire: toute minorité est sus-
pecte, paree qu'elle n'accepte pas franche-


5




66 BALAAM A VERSAILLES.


ment sa défaite, paree qu'elle garde par
devers soi l'espoir de re devenir majorité?


Voila bien le plus pur despotisme et
voila jusqu'ou la logique pousse M. Paul
Bert, malgré qu'il en ait.


J'insiste, car il est intolérable de laisser
planer un doute sur la loyauté de sa Mere.
Non, l'Église ne se cache pas, ne se
dissimule pas, ne se renie paso Par dignité,
par charité, par sagesse, elle se garde des
provocations et des bravades ; mais quand
on la met en demeure, quand seulement
on parait faire de son silence une abdica-
tion tacite, elle parle, elle rappelle a tout
risque le principe, la these pure, le droit
absolu, dont elle ne peut, sans suicide,
laisser périr l'idée. C' est l'heure des
Syllabus.


Ne craignez rien du reste. Comme elle
ne perdra jamais ni le sens de l'ordre
parfait, ni l' espoir d'y ramener le monde,
de meme, n'y saurait-elle travailler par




BALAAM A VERSAILLES. 67


des moyens frauduleux. Pointde surprises;
poínt de pieges. Son but est manifeste, sa
stratégie en pIe in jour. Elle veut, par la
libre persuasion, regagner a la foi tous
les individus de la société moderne, apres
quoi, l'unanimité morale étant faite, volon-
tiers elle se reposera sur les néophytes
du süin de ses droits et de la question
de liberté. On l'a dit a M. Spuller en
re1evant ses erreurs, et nous emprunterons
a l'auteur anonyme ce passage qui rend
bien notre pensée :


« Oui, certes, c'est fort bien fait aux
catholiques d'user du droit commun devenu
la condition de la société moderne, d'en
user pour se maintenir et püur s'étendre.
Mais ce n'est pas, comme on 1'ose dire,
«en se tenant prets a en sortir quand la
« force aura passé du cóté de 1'Église (1). »
Nous en usons, encore un coup, pOUl'


1.111. SpuUer, Rappo¡'I, p. 39.




68 BALAAM A VERSAILLES.


amener tout le monde a vouloir en user
dans le meme sens et de la meme fa<;on que
nous. Et si jamais il en est ainsi, quand la
persuasion vous aura rendus catholiques,
vous aujourd'hui libres penseurs, alors
nous vous ferons juges et maítres; il en sera
du droit commun, il en sera du droit de
l'Église ce que vous diGtera votre foi nou-
velle. Voila toute la menace de l'ave-
nir (1). »


Apres cela, inutile de :rassurer, par le
menu, les frayeurs des avocats du projet ;
inutile de leur faire toucher du doigt les
fantómes qu'ils evoquent. M. le Ministre,
par exemple, esperait-il etre pris fort au
serieux quand il se lanQait en pleine fan-
taisie theologique, brouillant tout, confon-
dant tout, attribuant a M. Lucien Brun des
definitions pontificales pour les imputer


1. Les Er¡'eu¡'s de M. Spulle¡' dans son rapport
sur le p¡'ojet de loi de M. Fe,'¡'Y, p. 18. - Paris,
Lecoffre.




BALAAM A VERSAILLES. 69


en fin de compte aux Jésuites; rapportant
a ce qu'on nomme le pouvoir indirect de
I'Église, des objets qu'elle déclare tout spi-
rituels et relevant de son domaine immé-
diat, comme le mariage entre baptisés; -
mélant des opinions librement controver-
sées, étrangeres d'ailleurs'á la religion, la
liberté testamentaire par exemple, avec
des principes théologiques ~ncontestables,
comme l'identité du contrat et du sacre-
ment dan s le mariage des chrétiens?


Et pourquoi cette course aventureuse, ce
raid hasardeux á travers des régions incon-
nues? Pour en rapporter une conclusion que
voici : l'État est en peril, et le sauver doit
étre la loi supréme. A quoi les voix les
plus diverses répondent en chreur: Non, ce
n'est pas l'État qui periclite; ce qui est en
péril et par vos reuvres, c'est la liberté.


Vraiment toutes les questions écono-
miques, politiques, sociales sont soulevees
et pendantes á la fois par le monde, et ou




70 BALAAM A VERSAILLES.


serait, d'apres VOUS, le danger supreme?
Dans la foi qui professe que Dieu, auteur
de l'Église et de l'État, les a faits pour
s'unir et pour s'unir d'apres leur nature:
d'ou il suivrait que l'État, etre moral apres
tout, se rapprocherait de l'ordre s'íl tenait
compte des enseignements et des directions
de l'Église, gardienne autorisée de toute
moralité complete et suffisante devant
Dieu! La voiHt, cette« domination du monde
civil par le monde spirituel» que dénonce
M. P. Bert comme 1'esprit propre de la
Compagnie de Jésus (1). Voilil la théo-
cratie,voilil le pouvoir indirect, voilil 1'ul-
tramontanisme, voilil le cléricalisme, voila
le danger, voiIa l' ennemi.


Et qui tient cette doctrine si redoutée ?
Les Jésuites seuls? Non, les catholiques.
Et par queIs moyens voudraient-ils y
ramener la société moderne? Par la vio-


1. Offlciel, p. 6221, 2.




BALAAM A YERSAILLES. 71


lence ou la fraude? Non, encore une fois,
par la persuasion individuelle, par la liberté.
Et comment veut-on s'en défendre? Par
l'étouffement et par la contrainte. C'est
la situation.


L'heure n'est pas venue d'en dégager
tous les l'ésultats. Dans cette mélée s'ache-
vent des démonstrations, de cette ombre


. rayonnent des évidences que Dieu ménage
et dont le monde jouira. Mais on ne nous
défenura pas de constater a la gloire de
l'Église que, dans le présent débat, sa cause,
la nótre, est la cause méme de la liberté.






III


Le Despotisme avoué.


Il faut l'entendre avouer par nos adver-
saires; il faut les suivre jusqu'au bout, jus-
qu'a ces révélations, jusqu'a ces nalvetés
de despotisme ou les pousse la logique vic-
torieuse.


« Liberté, mais dans l'unité, »disait a
Épinal M. le Ministre de l'Instruction




74 BALAAM A VERSAILLES.


publique, sans prendre garde que eettefor- .
mule eommode ouvre aeees a tous les ea-
priees de 1'arbitraire. « Liberté, mais dans
l' égalité, » dit 1\1. Madier de Montjau: e'est
la legon d'Edgard Quinet, d'un grand
homme : « La liberté n'existe que dans
1'égalité. » (1)


J'en demande pardon au diseiple et a
l'ombre du maÍtre : il est diffieile de ren-
contrer avec un plus rare bonheur d'exac-
titude le contrepied du vrai. La liberté
n'existe que dans 1'égalité t mais e'est préei-
sément le eontraire. Des que la liberté
s'exeree, elle rompt invineiblement l'éga-
lité, en élevant les mieux doués, les plus
aetifs, les plus habiles. Des que l'égalité
s'impose, elle enchaine forcément la liberté
qui la détruirait en une heure. L'égalité
complete n'est possible que sous le despo-
tisme absolu.


1. Officiel, p. 6323, !.




BALAAM A VERSAILLES. 75


Mais laissons cette métaphysique élé-
mentaire. Oli va la théorie de la liberté
dans l'égalité? Aprouverquel'Étatne peut
laisser l'Église libre parce qu'il n'est pas
de force a la combattre, parce qu'il est
devant elle comme un petit enfant con-
damne a lutter contre un colosse. Étrange
enfant, n'est-il pas vrai? assez fort pour
enchaíner l'f~glise, pas assez fort pour
lutter contr.e elle s'il ne l'enchaine paso
Voila ce qu'applaudit en 1879 une assem-
blée fran<,aise, voila ou sont réduits les
avocats du despotisme, et c'est trop juste
vraiment.


On retrouve la du reste une de leurs
theses favorites. Ils dépeignent l'État
menacé, opprimé, victime. C'est lui qui se
tient sur la défensive, c'est lui qu'on mo-
leste a peu pres comme le loup de la fable,
c'est lui qui crie : « Raro! mon prince, on
me fait tort. » Il est tel endroit ou ils le
representent humble, faible, mendiant




76 BALAAM A VERSAILLES .


. presque a genoux le droit a la tyrannie.
Accordez-Iui contre I'Ultramontanisme
au moins les garanties légales qu'il avait
sous les rois. Mais non, c'est trop peu :
donnez-lui des armes plus puissantes.
Pourquoi? C'est qu'il n'a pas, comme l'an-
cien régime, la ressource d'un pouvoir
absolu, le prestige d'une vieille dynastie
historique, l'appui du parlement, c'est-a-
dire de la bourgeoisie, la moitié ou les
deux tiers du clergé. Au líeu de tout cela,
voici une bourgeoisie entamé e, un clergé
«asserl.'i, des gouvernements d'opinion ...
passagers, essentiellement fragiles ; une
puissance souveraine et incontestée, celle
du suffrage universel a laquelle rien ne
résiste, mais qu'on ne saurait mettre au
rang des forces permanentes, invariableR,
incommutables. :. Je transcris M. J. Ferry
qui paraphrase M. Spuller et je me con-
tente de noter au passage que l'on pour-
rait donner a I'État moderne une plus fiere




BALAAM A VERSAILLES. 77


attitude. Aussi bien c'est de quoi réfléchir :.
faiblesse et despotisme vont si bien ensem-
ble et il est si commode de proscrire quand
on n'a pas la force de gouverner !


On nous rassure, ir est vrai. Ce meme
État quí a besoin d'opprimer paree qu'il
est faíble, ne doit inspirer frayeur a per-
sonne, paree qu'il est précísément tout le
monde. Ainsi argumente M. P. Bert, ainsi
M. J. Ferry, l'un et l'autre copistes de
Rousseau. Équivoque dérisoire! Est-on
dupe de la vieille fiction eésarienne ? Est-
on assez simple pour confondre la soeiété
avee le pouvoir et les gouvernés avee les
gouvernants? Persuadez done a un membre
de la minorité, a un vaineu, que e'est lui-
meme qui se eombat et se contrarie. Per-
suadez aux cinq millions de Fran<¿ais qui
ue vous out ~as uommés, Ciue vous rqrré-
sentez et que vous appliquez leur pro-
gramme. Persuadez aux 1,600,000 péti-
tionnaires catholiques, si fort dédaignés




78 BALAAM A VERSAILLES.


de vous, que ce sont eux-memes qui se
dédaignent, et si vous arrivez a m'inter-
dire, faites-moi done croire, qu'étant
membre du souverain qui est tout le monde,
c'est moi-meme qui me suís frappé d'in-
terdit.


Qui ne se rappelle la tres démocratique
histoire de Jacques Bonhomme? Ceux qu'il
prit pour intendants a la chute de l'ancien
régime l'asservirent de nouveau en pro-
clamant sa souveraineté absolue. «Helas !
dísait Jacques, j'ai subi deux conquetes:
on m'a appelé serf, tributaire, roturier,
sujet : jamais on ne m'a fait l'affront de me
dire que c'était en vertu de mes droits que
j'étais proscrit et dépouillé.» (1) Bonne
fortune pour M. le Ministre, si on lui eút
trouvé ce texte dans M. l'abbé Courval ou
dans le P. Gazeau!


1. Aug. Thierry. - Dia: anof d'études historiqucs.




BALAAM A VERSAILLES. 79


Non certes, l'État reel et concret, l'État
en chair et en os, l'État qui parle et agit,
commande et dMend, nomme et destitue,
ce n'est pas tout le monde, c'est le gouver-
nement, c'est la majorite, c'est le partí qui
domine. Messieurs tel et tel ne disent
point: «l'État c'est nous.» Modestie pureo
Ils le pensent et ils font bien, cal' c'est la
verite.


Mais, repond M. Vacherot, cite par
M. le rapporteur Spuller, si I'État est le
partí qui domine, ses fautes possibles
restent toujours justiciables delamajorite;
en deux mots : si le mandataíre abuse, il
n'est point réélu. Voila remede a tout.


N e díscutons poínt le suffrage universel
dans son príncipe, ne l'examinons pas
dans son mode d'exercice, oublions
comment les elections se pratiquent et
comment elless'invalident. Unfaitdemeure
et il suffit : la majorité se deplace, les
gouvernants se succedent, les incarnatíons




80 BALAAM A VERSAILLES.


de l'État se détrónent, les Bouddhall
vivants se suivent etne se ressemblent pas.
M. J. Ferry ne dit point autre chose, quand
il exclut le suffrage universel du rang des
forces « permanentes, invariables, incom-
mutables, » c'est son moto


Et maintenant pour cette idole chan-
geante, pour cet État qui se transforme
sans reliche, que réclament les partisans
de la loi? Un droit souverain, absolu,
illimité sur tout ce qui l'intéresse. On a
ramené a ce principe implicite toute la
premiére partie du rapport de M. Spuller
et ron ne s'est point trompé, car il n'y a
pas autre chose; pour qui sait lire, cela
saute aux yeux.


Mais suivez les conséquences. Tout
releve de l'État parce que tout 1'intéresse.
La part du lion est faite: cherchez mainte-
nant celle de la liberté. Vie privée, famille,
domicile, barrieres sacrées a l'abri des-
quelles M. Ferry nous permet jusqu'a la




BALAAM A VERSAILLES. 81


conspiration; roais barrieresfragiles et que
renversetoutnet le principe du rapporteur.
Encore une fois qu'on relise et qu'on
entende. Et quand M. Spuller eut fait du
socialisroe sans le savoir, eorome M. Jour-
dain faisait de la prose, apres tout serait-il
le premier? L'homme d'État qui entreprend
contre la liberté de la conscience catho-
lique en arrive bieniot la, si déterminé
conservateur qu'il puisse etre. e'est la
fatalité de son role, c'est son premier
cMtiment.


Aussi bien le socialisme n'est pas seule-
ment supposé en principe; il se pose, en
matiere d'enseigneroent dumoins, dans des
affirmations que l'Officiel garde et que la
France n'oubliera paso Le rapporteur fai-
sait de. l'État « l'instituteur public par
excellence (1). » M. J. Ferry fatigué de
s'entendre objecter les droits de la famille,


6




82 BALAAM A VERSAILLES


laisse échapper cette énormité : « J e vous
réponds qu'il existe un pere de famille qui
doit etre au moins aussi respecté que tous
les autres, car illes comprend tous: C'est
l'État. »Encore est-ce bien un entraine-
ment de parole? Permis d' en douter lorsque
M. P. Bert vient dire á son tour dans la
méme séance: «En vérité, qu'est-ce qu'un
maltre d'école? C'est un pere de famílle
créé par l'État! (1)>> Il suffit: Danton a
parlé par la bouche de Robespierre; tout
commentaire est superfluo


Ah! la patrie est une mere, il est vrai,
il ya lá plus qu'un vain mot; mais vous ne
nous ferez point confondre l'État et la
patrie. La patrie, c'est la France; l'État,
c'est vous.


Vous étes l'État, et l'État n' est pas seu-
lement pere, l'État est Dieu. Nous appre-
non s de M. Paul Bert qu'il existe une


1. Officiel, p. 59·jB. 1.




BALAA~i A VERSAILLES. 83


morale que l'on pourrait appeler <.< les com-
mandements de l'État. » Morale indepen-
dante au premier chef, morale separee non
pas seulement de toute religion, mais de
toute métaphysique, cal' de son cote M. le
Ministre l'avoue, l'État n'a point de reli-
gion, point de metaphysique a lui. Et eom-
ment en aurait-il? Auj ourd'hui, l'État e' est
le parti notoirement hostile au christia-
nisme. L'État c'est M. P. Bert qui, en sa
qualite de positiviste, fait abstraction de
l'ame et de Dieu; e'est M. J. Ferry qui, le
jour de son initiation magonnique, appelait
de ses VCBUX la disparition de tous les cultes ;
c'est M. Gambetta qui estime tout régime
théologique bon a debiliter les ames, et
proclame « avec une incomparable élo-
quence » que le clericalisme est l'ennemi.
L'État, l'État non pas abstrait et metaphy-
sique, l'État réel avec lequel il faut comp-
ter, n'est pas chrétien, il est resolu de ne
pas l'étre: voila toute sa croyance, l'unique




81 BALAAM A VERSAILLES.


dogme qu'il puisse et qu'il veuille enseígner ..
Que sera done l'instruetion publique? La
négation du ehrístianisme imposée d'offiee
a toute intelligenee, l'État éeartant Dieu
des ames, pour y substituer une idole qui
est lui-meme, l'homme eolleetif divinisé.
Toutes les habiletés se démentent, toutes
les ruses se trahíssent, tous les dehors sont
pereés ajour. Aujourd'huilesJésuites sont
interdits, demain ee sera le pretre, apres
demain l'Université me me sera purgée des
restes de la traditionjésuitique, e'est-a-dire
des restes de son ehristianisme offieiel. Et
alors le radiealisme aura ee qu'il lui faut,
des hommes ivres de demi-seienee et
d' orgueil, mais prets a toutes les servitudes
paree qu'ils auront désappris le eulte de
Dieu pour apprendre l'idolatrie de l'État.


Quant a nous, les premiers frappés dans
eette lutte, si l'on nous honore jusqu'a nous
estimer l'avant-garde de l'Église, est-ee
qu'on ne nous fait pas malgré soi les repré-
sentants de la liberté?




BALAAM A VERSAILLES. 85


On garde, íI est vrai, la ressouree de
dire eomme M. P. Bert et eomme le fédéré
de la Roquette: «Votre liberté n'est pas
la nOtre.»


N ous n'y eontredisons pas absolument,
mais reste a savoir quelle est la bonne. On
invoque le mot de part et d'autre : reste a
savoir qui parle frane et frangais.


J'entends un partisan de la loi faire pro-
fession de« respect, ») de « piété, » de « dé-
votion» pour la liberté de eonseienee, (1)
et je le sais trop, la liberté de conscience
est tres diversement eomprise. Pour un
bonnombre, elle estle droit den'avoirpoint
de conscience, ou de n'agir point selon sa
conscience, ou de ne soumettre point sa
conscience a l'Église, a J ésus-Christ,aDieu.
Pour nous, croyants, elle est de tout
point le contraire. Pour l'honnete homme
incroyant mais libéral, elle sera du moins


1. Offic., p. 6424, 2.




86 BALAAM A VERSAILLES


le droít d'avoír une conscience et de se
gouverner d'apres elle. Eh bien! ce droit,
qui le menace et qui le dMend ?


Respect en parole, píété de commande,
dévotion d'étiquette, rien de tout cela ne
fait une seule dupe; ríen n'empechera
l'histoire de résumer le débat comme un
des orateurs du dernier jour: «Nous
donnons un étrange spectacle a ceux qui
nous regardent et qui nous écoutent. D'un
coté on voit les Jésuites, ces rétrogrades,
se ranger sous le drapeau ue la liberté .....
de l'autre on voit les libres-penseurs, ces
progressistes, se ranger du coté de)' abso-
lutisme. » (1)


Contraste lumineux. et dérision provi-
dentielle! Quoiqu'il en soit, nous Jésuites,
nous ne pouvons nous en trouver humiliés.


l. M. Granier de Cassagnac pere - 9 Juillet -
Off/c. p. 6·119, 2.




III


LES JÉSUITES ET LE CATHOLICIS~IE


« On a condamné dans l'Église
catholique son dogme, sa morale, sa
discipline, sa hiérarchie, ses pratiques.
le vous concede qu'on a respecté le
reste. »


(M. Lamy. Séance du 26 juin.)






1


Les Jésuites hors de l'Église.


Notre cause est celle de la liberté: est-
elle celle du catholicisme? Est-ce lui que
l' on attaque en nous ?


Question supreme. Le soldat a deux
préoccupations: suivre le drapeau et ren-
contrer la victoire.Pour nous, les deux




90 BALAAM A VERSAILLES.


n'en font qu'une. Marchons-nous avec.
l'Église? Tout est la. En la suivant nous
sommes dans la vérité, nous allons au
triomphe; c'est notre foi meme. Souffrir
n'est qu'un accident, disons mieux, une
loi de notre vie; souffrir avec l'Église et
pour elle, c'est tout honneur. Cet honneur
nous est-il accordé ?


Nos détradeurs n'entendent point ce
langage; ils ne peuvent l'entendre, l'Église
n'étant a leurs yeux qu'une société hu-
maine, faillible, périssable, qui ne garan-
tit rien, qui ne promet rien. Toutefois
pour eux aussí la question est grave. La
France demeure trop catholique; l'opinion
n' est pas mure pour une persécution
ouverte; la haine a besoin de trompero


y réussit-elle ?
On parle de l'habileté de nos adversaires.


Eh bien! ces gens habíles ont-ils su nous
ísoler de l'Église? Ont-ils établi que la loí
n'atteínt pas le catholicísme et qu'on peut
la voter sans se faire persécuteur7




BALAAM A VERSAILLES. . 91


C'est plutót le contraire. On les auraít
crus jaloux d'épargner aux défenseurs de
la Religion, aux nótres, la peine de dé-
montrer l'union '~e deux causes, leur
solidarité, leur identité pratique. Ils nous
ont me me attribué dans l'ensemble du
catholicisme et dans le gouvernement de
l'Église une prédominance que nous ne
pouvons pas avouer, que nous devons
repousser avec toute l'indignation dont
nous sommes capables. Assurément leur
dessein n'allait pas la. Mais il est dan s la
destinée de l'iniquité de se mentir a e11e-
me me et de dire précisément le contraire
de ce qui lui importe en ne disant apres
tout que ce qu'elle veut.


N ous avons le droit de le constater; nous
allons le faire.


«Les Jésuites n'appartiennent pas a
l'Église, » s'écrie M. le Ministre de l'In-
struction publique dans une de ces fougues
dont il n'est pas maltre et qui le perdraient
devant une majorité sérieuse.




92 BALAAM A VERSAILLES.


A vertí par les exclamatíons de la droíte,
il se corrige: « Les Jésuites n'appar-
tiennent pas a l'Église concordataire,
la seule que nous cornaissions (1). »


Correction deux fois aggravante. Ainsi
done tout ce qui n'est pas formellement
stípulé dans le concordat est prohibé par
le faít meme. Ainsí l'Église concordataire
pourrait bien n'etre pas l'Église, et a cóté
du catholicisme catholique il y aurait,
comme l'insinue ailleurs le me me Ministre,
un je ne sais quel « catholicisrne fran-
rais. » De ces deux conséquences la pre-
miere contient la tyrannie, la s8conde fait
songer au schisrne. On n'est pas plus mal-
heureux.


Du moins, dira M. J. Ferry, appuyé cetto
fois de M. Thiers: Les J ésuites ne sont pas
de l'essence du christianisme. Done, les
écarter n'est pas le détruire. (2).


1. Officiel, p. 6374.
2. Officiel, p. 5685, 1.




BALAAM A VERSAILLES. 93


AperQu médiocre. Non vraiment, les
Jésuites ne sont pas de l'essence du chris-
tianisme. L'Église s'est passée d'eux quinze
siecles. Apres avoir expérimenté leurs ser-
vices, elle a marqué, en s'en privant, son
indépendance souveraine; elle avait droit
de le faire, elle l'a fait sans en mourir. Mais
en agissant de la sorte, elle ne se déjugeait
pas, elle ne démentait point les multiples
approbations données par elle-meme a
l'Institut. La suppression de la Compagnie
de Jésus par Clément XIV fut un sacrifice,
elle ne fut ni un désaveu, ni un chatiment :
les pieces le disent, l'histoire le sait,
M. P. Bert lui-meme le confesse (1).


Et maintenant en rétablissant ce qu'elle


1. c... Ce ne fut qu'avec des déchirements inté-
rieurs et une vraie douleur que Clément XIV les
supprima, comprenant. bien que l'ordre des Jésuites
était une milice entierement devouee aux interéts du
Saint-Siége et de l'Église." (M. P. Bert, Offioiel,
p. 6220,2.)




94 BALAAM A VERSAILLES.


avaÍt supprimé, l'Église n'a point seulement
confirmé ses approbations irréformables,
elle a manifesté son vouloir d'user actuel-
lementde la Compagnie de Jésus. Elle
s'est incorporé une seconde fois, elle s'est
pratiquement assimilé la milice particuliere
dont elle relevait le drapeau. Tant que la
Compagnie de Jésus est avouée et voulue
par l'Église, elle fait corps avec I'Église,
on n'y touche pas sans toucher á I'Église,
tout comme on n'attaque pas un corps
d'armée sans se mettre en hostilíté avec
l'armée entiere. Voilá qui est simple et de
bon sens. Non, les Jésuites ne sont point
de l' essence du christianisme, leur exi-
stence n' est ni un dogme ni meme un article
obligatoire de la morale chrétienne. Mais
il est de l'essence du Christianisme, il suit
du dogme et il est écrit dans la morale que
ron doit respect aux décisions souveraines
de l'Église et que l'onne peut, sans rompre
de fait avec I'Église, lui opposer un
démenti.




BALAAM A VERSAILLES. 9:>


Or qu'a fait l'Église et que fait-on J
L'Église a naturalisé la Cornpagnie de


Jésus dans tous les états chrétiens. - On
la déclare, cette Compagnie, essentielle-
rnent étrangere.


L'Église a reconnu dan s le J ésuite, tel
que l'Institut le veut et le réalise, une
aptitud e spéciale a l' ellseignernent de la
jeunesse chrétienne. - On fait du titre
de J ésuite une nouvelle et spéciale inca-
pacité a l'enseignernent de la jeunesse
franQaise.


Voila bien deux dérnentis rnanifestes,
osons le dire, deux soufflets retentissants.


Mais pourquoi? Pourquoi sornrnes-nous
étrangers? Pourquoi sornmes-nous inca-
pables?


Nous sornrnes étrangers parce que nous
sornrnescatholiques. J'enatteste M. J. Ferry
interprétant a sa faQon le feu duc de Broglie
et déclaran.t d'apres lui « qu'une associa-
tion dontle supérieur est a l'étranger, dont




96 BALAAM A VERSAILLES.


le supérieur possede sur chacun de ses
membres une autorité qui penetre jusqu'au
fond des consCÍences est essentiellement
etrangere, et qu'on peut dire que celui
qui en fait partie n'a pas l'allégeance du
citoyen. » (1)


Et maintenant reprenez chacun de ces
traits : en est-il un qui ne vise en plein les
catholiques? Leur superieur est á l' étran-
ger; son autorité spirituelle est absolue,
elle penetre au fond de leurs consciences.
Concluez.


1. Officiel, p. 5684, 2. M. Spuller, patriota jusqu'au
purisme, se plaint d'entendre prononcer a propos des
lois projetées le mot exotique de Culturka;mpf. Que
dirait-il d'allégeance ? Le mot est anglais, mais il
va bien a la pensée qui est protestante.




II


Baculus et Cadaver.


On se récrie : les catholíques n'ont pas
fait de vreux, les Jésuites en ont fait; voila
la différence.


De quels vreux s'agit-il?
Outre la pauvreté, la chasteté, l'obéis-


sanee, fond commun de la vie religieuse,
7




\/8 BALAAM A VERSAILLES.


les profes de la Compagnie de Jésus s'en-
gagent a accepter du Souverain Pontife
n'importe quel apostolat, et a partir sans
rien objecter ni réclamer de «viatique,»
c'est-a-dire sans argent ni provisions de
voyage, alafaQon memedes ApOtres. Est-ce
la ce qui les rend étrangers?


On conte que le roi Louis-Philippe,
fort indifférent de sa personne a l'endroit
des Jésuites, mais fatigué de la comédie
bruyante qui sejouait autour d'eux, les eut
vus avec plaisir s'embarquer tous pour les
missions lointaines, falllit-illeur accorder
passage gratuit sur les vaisseaux de l'État.
Par leur vam spécial, les profes de la Com-
pagnie de J ésus sont tous dans le cas de
procurer le meme soulagemen~ a la Répu-
bUque FranQaise, et qui plus est, ils n'ont
pas le droit d'exiger la faveur du passage
gratuito Le voila, ce vani révélé un jour a
la tribune. devant la majorité surprise et
amusée de sa propre ignorance. Et voila
qui nous empache d'etre Frangais!




BALAAM A VERSAILLES. 99


Mais non peut-etre; ce sera plutót le
vreu indéterminé d'obéissance par ou nous
sommes liés á notre Général, au Tres Ré-
vérend Pere Beckx, BeIge de naissance
et Italíen de domicile. - Dérision! Le
Géneral de la Compagnie de Jésus est-il
done un souverain temporel, politique, a la
fa~on de la reine d' Angleterre ou du czar
de Russie? Croit-on bonnement qu'il
puisse nous commander de lever des trou-
pes ou de préparer un 16 mai? On le sait
pour peu que l' on sache quelque chose : son
autorité est toute spirituelle, elle n'est ni
sans limites ni meme sans controle. Entre
son bon plaisir .et notre obéissance il ya
mieux qu'une constitution, il y a nos con-
stitutions, c'est-a-dire l'Évangile que nos
·constitutions appliquent et auquel nous
avons le droit et le devoir de comparer les
injonctions reQues. Ainsi notre obéissance
n'est point aveugle au sens ou l'entend
quelquefois le monde; on obéit chez nous




100 BALAAM A VERSAILLES.


« en toute chose 011 l'on ne voit point le
peché. »Ainsi va le Jésuite, les yeux
fermes sur la question de répugnance ou
de sympathie, mais tres ouverts sur la
question de droit et d'honneur. Ainsi le
cadaver a une ame, le baculus a' une
conscience; nous sommes des religieux,
nous ne sommes pas des Francs-Ma<;ons.


Une seule chose nousfait done étrangers,
notre catholicisme, le lien plus étroit qui
nous attache au catholicisme. La soi-disant
cité moderne, l'État radical et athée
commence par nous a excommu-9-ier le
catholicisme : bien aveugle et bien sourd
qui n'en voudrait pas convenir.


Nos adversaires le nient, je le sais,
mais d'autre part ils l'avouent, mais ils le
prouvent, mais ils ne le prouvent jamais si
bien qu'en s'effor<;ant de le nier.




III


J ésuitisme, Cléricalisme,
Catholicisme.


Et qui nous mérite l'incapacité dont on
nous frappe? N os doctrines, nos tendances.
Mais quelles sont ces doctrines, ces ten-
dances? Celles de l'Église, oui ou non?


Oui, répond l'Épiscopat d'une voix una- .
nime. Oui, répond le clergé desecond




102 BALAAM A VERSAILLES.


ordre, unaníme comme l'Épíscopat. Ouí,
répondent les Catholiques en masse. Oui,
répondent meme d'honnetes íncroyants
qui n'ont pas fait voou de contester l'éví-
dence. Les doctrines des J ésuites sontcelles
de l'Église, les tendances des Jésuítes sont
celles de l'Églíse. Bonheur ou malheur :
c'est un fait.


Et que disent les proscripteurs des
Jésuítes?


« Tou,t le haut clergé et une immense
partie du bas clergé est avec eux contre
les grands pouvoirs de l'État .... On ne
peut plus les combattre sans paraUre
attaquer du meme coup l'Église tout
entiere.» (M. Deschanel.) (1)


«L'Église catholique s'est pour ainsi .
dire cristallisée autourdu Jésuitisme. lO>
(M. P. Bert.) (1)


1. offic., p. 5548, 2.
1. Offic., p. 5435, 1.




BALAAM A VERSAILLES. 103


M. P. Bert ne se lasse point d'y revenir.
A l'entendre, plus sont choquantes, plus
sont énormes les opinions que l'on trouve
chez les auteurs Jésuites, plus on est sur
de rencontrer le pur enseignement catho-
lique et l'approbation pontificale(l). O'est
la un criterium facile : tout livre approuvé
par Rome professe les doctrines des
J ésuites (2) ; a ce point que, sans prendre
garde a la signature, on peut tenir pour
doctrine j ésuitique toute doctrine regue dans
l'Église. (3)


Donc ríen n'est plus net : a la question


1. Offic., p. 6214.
2. Offic., p. 6217.
3. Ibidem.-Et voila précisement pourquoiM. P. Bert


voulant.traduire devant l'opinion la morale actuelle
des Jésuites, ne cite que des auteurs étrangers a l'ordre,
a part le seul P. Gury. C'est, aurait dit Voltaire,
retomber sur ses pieds par une gambade; procédé
quelque peu étrange pour un homme réputé grave,
mais surtout procédé leste a l'endroit de la Chambre.
On ne se moque pas mieux d'un auditoire.




104 BALAAM A VERSAILLES.


de savoir si nous sommes avec 1'Église,
nos détracteurs répondent comme tout le
monde et comme nous-memes: ils disent
oui.


Mais ce oui les gene et alors ils s'em-
pressent de dil'e non.


Non, s'écl'ie M. J. Ferry, «les Éveques
sont unanimes contl'e le pl'ojet, » san s
doute, « mais de la a direqu'il sont tous au
jésuitisme il y a loin. » (1).


Non, tout le clergé ne professe pas le
« credo jésuitique, » le Syllabus, «reuvre
jésuitique des J ésuites, » reuvre puissante
il est vrai comme « l'Institut qui en a eu
l'heul'euse idée, »mais reuvre qui, apres
tout, ne constitue pas un article de foi,
etc., etc.


Et poul' accorder si ron peut ce oui et ce
non qui s'entrechoquent, on insiste sur la
distinction entre le clél'icalisme et le


1. Offic., p. 5725, 2.




BALAAM A VERSAILLES. 105


catholicisme. Cléricalisme, ultramonta-
nisme, jésuitisme, tout cela est la meme
chose, mais tout cela n'est point le catho-
licisme. Ces Messieurs le savent, ils le
disent et on les en croira.


Le cléricalisme, le jésuitisme, l' ennemi,
c'est, dans le domaine de la pensée, une
timidité d'esprit facilement crédule et
qu'effarouche le ·libre examen; c'est, dans
le domaine de l'action, la tendance a envahir
le temporel au nom du spiritueJ, la poli-
tique au nom de la Religion. Ainsi parle
M. Spuller. M. Bert goúte surtout la
seconde partie de la définition; illa répete
avec un léger changement dans les termes.
Bref, nous savons a quoi nous en tenir:
jésuitisme, ultramontanisme, cléricalisme,
c'est l'esprit du Syllabus, c'est le nom
commun du systéme qui attribue en droit
quelque part d'influence sur les affaire s
humaines a l'Église, a J ésus-Christ, a
Dieu.




106 BALAAM A VERSAILLES.


Et ce systElme n'est point le catholi-
cisme.


Il serait piquant d'ouvrir a ce propos une
enquete et de convaincre de cléricalisme,
aux termes de la définition, Bossuet,
David et Jésus-Christ meme, ce qui les
ferait sortir de l'orthodoxie, résultat
quelque peu forcé.


Tenons-nous-en a I'Église contempo-
raíne, a I'Église de France. Est-elle ou
n'est-elle pas cléricale?


Tout d'abord elle prétend l'étre; elle
repousse la distinctíon; quand on dit clé-
ricalisme, elle entend catholicisme quand
on parle des cléricaux elle se reconnait.
Que répondre a cela?


Et sí nous sommes, nous Jésuites, les
cléricaux par excellence, pourquoí nous
soutient-elle, pourquoi fait-elle avec nous
cause commune, pourquoi déclare-t-elle
que rien ne la séparera de ceux que ron
menace en prétendant l' épargner? Si ce




BALAAJ.! A VERSAILLES. 107


n' est pas unanimité dans la doctrine et la
tendanee, qu'est-ee done?


Nos détraeteurs ont trouvé le mot: e'est
eselavage.




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IV


Les J ésuites oppresseurs
de l'Église.


L'Église est esclave des Jésuites.
L'Église romaine est« asservie .... aux


Jésuites» M. Deschanel) (1). Le clergé de
France est« leurcaptif» (M. J. Ferry). (2)


1. Officiel, p. 5549, 3.
2. Officiel, p. 5276, 1.




110 BALAAM A VERSAILLES.


« Les Jésuites sont déja les maitres du,
pouvoir spirituel. La proclamation du
dogme de l'infaillibilité pontificale a con-
sacré la prépondérance de leurs doctrines.
Les Éveques ne sont plus que des préfets .
apostoliques. Les autres ordres religieux
reconnaissent la prééminence de la société
de Jésus. Et quantau clergé séculier,
on n'en parle plus. C'est a peine s'il faut
en faire mention pour dire que, suivant un
mot célebre, il marche comme un régi-
ment des que le chef a commandé. » (1)


Utiles a la Papauté dan s la guerre contre
le libre examen et la réforme, les Jésuites
ont entrepris également de la servir contre
le rationalisme moderne, mais aquel prix!
« En méme temps que la vieille Com-
pagnie ... reprenait les armes pour le
service du Pape, en méme temps elle
faisait ses conditions, elle imposait au


1. M. Spuller~ Rapport. 2" partie § IlI.




BALAAM A VERSAILLES. 111


catholicismeses opinions personnelles,
et elle le {orrait d'admettre le dogme de
l'lmmaculée-Conception et celui de
l'in{aülibüité du Pape parlant ex ca-
thédri (1).


Ainsi les J ésuites « sont parvenus
depuis la révolution a {aire prédominer
dans l'Église leurs opinions particu-
lieres, a tel point que ces opinions sont'
aujourd'hui devenues des articles de
{Ot (2).»


V oila done le mot de l' énigme et le nceud
de ces faits contradictoires. L'Église qui
en serait restée volontiers au pur et simple
catholicisme, s'est laissé. faire cléricale
pour acheter a ce prix le concours des
J ésuites; les J ésuitesl' ont·asservie ; I'Église
les soutient par impuissance, par routine,
par habitude du joug, mais - on l'insinue


l. M. P. Bert, Offloíel, p. 6220, 2.
2. Ibídem.




112 BALAAM A VERSAILLES.


- elle ne serait pas ingrate a qui voudrait
l' affranchir.


N ous avons cité sans commentaire; en
appréciant nous nous rappellerons le
respect de nous-memes; c'est le seulou
nous nous sentions obligés.


Quand on dit a un serviteur discret et
honnete:« c'estvous quimenez la famille»,
qui est plus humilié de la famille ou du
serviteur?


Certes les romanciers d'histoire ecclé-
siastique capables de nous attribuer cette
inqualifiable attítude, s'embarrassent peu
de l'ímpressíon qu'íls nous donnent. Ce-
pendant j'inclinerais a croire qu'ils s'ima-
gínent nous fiatter.


Qu'íls se détrompent. Blasphémateurs de
ée qu'ils ignorent, excusés peut-etre par
leur ignorance, a moins que leur ignorance
meme ne soit coupable, íls ne réussissent
qu'lt révolter en nous la conscience du vrai,
le bon sens et ce tact profond qui se souleve




BALAAM A VERSAILLES. 113


chez l'honnéte ftomme en présence de l'adu-
lation outrée jusqu'a l'absurde et impu-
dente jusqu'au ridicule.


Encore blessent-ils des sentiments plus
délicats que toute délicatesse personnelle,
Souffletés, nous pourrions tendre l'autre
joue; mais cette fois comme toujours c'est
l'Église qui regoit le soufflet.


L'Église 1 tout catholique la sait indépen-
dante, souveraine, immuable, conduite, en
dépit de l'infirmité possible de ses ministres ,
par l'Esprit infaillible et la providence
spéciale de Dieu. Ula sait vivante, progres-
sive, capable d'exploiter, de développer le
dépót de la vérité divine, mais incapable de
l'altérer jamais, assez large d'esprit et ~e
coour pour comprendre et saisir les oppor-
tunités humaines, mais trop haute pour
accepter unjoug. Tout cela c'est notre foi,
c'est l'histoire aussi, non l'histoire fantai-
siste des Spuller et des Paul Bert, mais
l'histoire.Nous le croyons, nousle savons,


8




114 BALAAM A VERSAILLES.


nous le voyons : l'Église n'a qu'un maitre,
Dieu meme. Asservie, elle ne serait plus
l'Église. Pourelle, tomber sous le joug e' est
mourir.


Eh bien! nous apprenons qu'elle est
morte, que e'est nous qui l'avons tuée en
l'enehainant: elle n'est plus l'Église, elle
est le Jésuitisme; ellen'est plus a Jésus-
Christ, elle est a nous.


A qui done M. Paul Bert a-t-il prétendu
le faire eroire? Aux libres-penseurs? Que
leur importe? - Aux eatholiques? Je l'en
défie. Le eatholique qui le eroirait devien-
drait par la meme protestant.


Done nous avons impose a l'Église le
dogme de l'Immaeulée-Coneeption. -
Mais qui done en avait rempli la Tradition
tant de siécles avant notre naissanee?
M. Paul Bert ne s' en doutait point; l'igno-
ranee est eommode, elle épargne bien des
embarras.


Done nous avons foreé le eatholieisme




BALAAM A VERSAILLES. 115


d'admettre l'infaillibilité du Pape. - C'est
nous aussi peut-etre qui l'avons rendue
transparente dan s l'Évangile et pratique-
ment incontestée des les origines chré-
Hennes. Et l'on ose parler d'histoire !


Done nous avons « eu l'heureuse idée »
de faire le Syllabus; le Syllabus est notre
ceuvre, «l'ceuvre jésuitique desJ ésuites.»-
Encore a-t-il fallu pour cela faire tous les
actes de Pie IX et une foule d'autres plus
anciens dont le Syllabus, pris matérielle-
ment, n'est que le résumé ou la tableo Mais
un Ministre de l'Instruction publique ne
s'attarde pas a ces détails. (1)


Done nous avons transformé tout sim-


1. A ce propos M. J. Ferry nous révele avec une
elégance et une courtoisie parfaites q u'il ya", deux
especes de prétl'es et d'évéques : ceux qui ont inventé
le SyllabuB et l'imposent et ceux qui le subisBent et
l'interpretent." (Offioiel, p. 5725,2.) Voili du moins
que nou, n'avons pas tout seuls le mérite de l'in-
Tention.




116 BALAAM A VERSAILLES.


plement la religion et d'une fagon que
M. Spuller trouve « humiliante » pour
notre époque. A Bossuet ont succédé les
panégyristes des miracles de Lourdes et
de la Salette; a Port-Royal, les ap6tres
de « je ne sais quelle dévotion répu-
gnante ..... » (1)


11 fallait transcrire, car transcrire c'est
chatier.


« Si vous n'y comprenez rien, taisez-
vc1u.s, » s'est écrié a ce mot un membre
de la droite, M. de Valon. Voulant etre
indulgents, nous ne dirons pas autre chose.
Nous souhaiterons pourtant a M. Spuller
de vivre assez pour voir achevée la basi-
lique du voou national : peut-etre y trou-
vera-t-il quelque pnrt un ex-voto spécial
en souvenir et en réparation de son blas-
pheme.


Pour nous, Jésuites, si nous avions la


1. Offioiel, p. 5604, 1




BALAAM A VERS.\ILLES. 117


puissance follement gigantesque dont on
nous gratifie, si nous l'avions exercée
comme on nous en accuse, nous aurions
fait contre l'Église de Jésus-Christ plus
que n'ont pu faire les Néron et les Dioclé-
tien, plus que ne pourront faire les
Spuller et les Paul Bert, plus que ne
pourra faire la franc-maQonnerie,. la .syna-
gogue de Satan, comme l'appelle Pie IX,
« l'irascible Pie IX: (1). » Sur cette meme
eoUine de Montmartre, lieu natal de la
Compagnie de J ésus, il eonviendrait d'éri-
ger une statue au fondateur, avec l'in-
scription cette fois véridique: Nomine
Christianorum deleio.


Mais nous le répétons, a qui ces Mes-
sieurs le feront-ils croire?


Non, les Éveques n'ont pas été dégradés
par nos mains. lls restent ce que les a faits
le Saint-Esprit, chefs et pasteurs de l'Église


1. M. J. Ferry. Offlciel, p. 5686, 2.




llS BALAAM A VERSAILLES.


de Dieu, mais sous le chef et pasteur su-
~reme. Quant a nous, religieux, nous ne
sommes et nous ne pouvons etre que leurs
tres humbles et tres dépendants auxiliaires.
Nos Seigneurs le savent, et si nous avions
le malheur de l'oublier, les moyens ne leur
feraient point défaut pour nous rappeler a
la vérité de notre role. Laissez done en
paix le martyr de la Roquette. Si un jour
il a eru pouvoir entrer en conflit de
juridietion avec le Souverain Pontife lui-
meme, eette querelle de grand vassal a
suzerain est pour vous chose absolument
étrangere. Et qu'y faisaient les religieux?
-Carnous n'étions pas seuls en cause. -
Les religieux n'ont été 13. qu'une oecasion,
une tres passive occasion. La supériorité
des religieux sur les Éveques! - que
M. J. Ferry me pardonne, -cen'est point
un article duo credo jésuitique; e'est un
articIe du syllabus mac;.onnique a l'usage
de nos ealomniateurs.




BALAAM A VERSAILLES. 119


Non, si le clergé contemporain s'honore
par un esprit de docilité, d'union, de catho-
licité peut-etre incomparable, nous n'avons
pas, nous, le droit d'en tirer gloire. Nous
ne travaillons avec le clergé, nous ne tra-
vaillons pour le clergé que dan s la mesure
ou il veut bien le désirer ou le permettre,
et par ailleurs, on le sait, le développement
de nos colIeges absorbe la plus large part
de nos forces. Il est bien vrai du reste : le
clergé de France n'est plus ni gallican, ni
janséniste, rien ne paralyse plus en lui la
seve catholique. On l'avoue, et nous en
prenons acte, mais que la gloire en soit a
Dieu et au clergé franQais lui-meme 1 Poul'
tout dire, la révolution n'y a pas nui; ce
que l'on fait et ce que l'on prépare est pour
y contribuer encore.


Non, nous n'avons point imposé notre
prééminence aux autres congrégations
religieuses. Allégation odieuse et risible a
la fois. Avons-nous done enlevé aux




120 BALAAM A VERSAILLES.


Dominicains, par exemple, quelque chose
de leur originalité fiere? Dictons-nous au
Pere Monsabré ses admirables confé-
rences? Lacordaire était-il notre fondé de
pouvoirs a Soreze? Gouvernions-nous Ar-
cueil sous le nom du Pere Captier, le mar-
tyr? Ah 1 elle vous confond, elle vous gene
cette union cordiale, fraternelle, indivi-
sible des milices catholiques et religieuses;
et pour la rompre vous avez - on le sait
- tenté bien des voies plus ou moins
droites, et pour l'expliquer vous n'avez que
cette ridicule hypothese: tyrannnie d'une
part et servitude de l'autre. Maladresse de
la haine 1 Mais en vérité, si vous nous sentez
plus que jamais unis et solidaires, qui en
est cause? Apres Dieu, c'est vous.


Loi bizarre, discussion plus bizarre
encore 1 La loi vise des congrégations nom-
breuses; la discussion nous met seuls en
cause. Le dispositif frappe tout le monde,
les considérants n'accusent que nous.




BALAAM A VERSAILLES. 121


Sommes-nous done tout le monde? ou plu-
tot n'est-ee pas que l'on poursuit en nous
la foí et la liberté de tout le monde?


Mais non, nous sommes les oppresseurs
individuels, d'ou il suit que les avocats de
la loí se posent en libérateurs de l'Églíse.


Eu:x.!






v


Les libérateurs de l'Église.


Comment traitent-ils le clergé national,
ce « véritable clergé franQais (1)>> dont
nous avions confisqué l'indépendance?
Écoutons: c'est instructif.


1. M. Spuller, Rapport.




121 BALAAM A VERSAILLES.


Pourquoi, s'ils nous frappent pour des
doctrines qui sont les siennes, lui font-ils
l'honneur ou l'injure de l'épargner? Pour-
quoi repoussent-ils la logique encore in-
complete mais déja supérieure de M. Madier
de Montjau?


C'est qu'ils esperent.
Qu'esperent-ils?
Ils aperQoivent « quelques prodromes


de modifications... qui puissent ramener
quelque harmoníe entre l'Église d'une part
et le progres, le libéralisme, la civilisation
moderne. » (1)


Cela s'entend : ils comptent voir le Pape
rapporter le Syllabus prochainement,
et- que sait-on? -le symbole des Apótres
un peu plus tardo


Mais encore quelles différences mettent-
ils entre le pretre et le religieux?


Le pretre, dit J. Ferry, est fils du sillon,


1. M. P. Bart. Offic., p. M95, 2.




BALAAM A VERSAILLES. 125


fils du peuple de 89 (1). ~ Et le religieux
a-t-il done été néeessairement bereé sur
les genoux d'une duchesse?


Le clergé, dit P. Bert, est « nommé
par les éveques (onctionnai1"eS de l'État,
composé lui-meme de fonctionnaires
investis par l'État, payés par l'État(2).


Payés par l'État! Ce n'est la qu'u~e
erreur juridique . et historique, ear le
budget des eultes est une eompensation et
non un salaire. Je eomprends toutefois :
on paye le clergé, done on en est maitre.
O libérateurs!-Mais investís par l'État 1..
Qui parle de la sorte? Est-ce un républicain
de 1879? Est-cE,l l'empereur Henri IV de
Germanie? Quoi! l'État républicain, allié
a c: l'Église concordataire, » donne l'in-
vestíture auxÉvéques et aux Curés !-Oui,
sans doute répond M. Ferry venant a la


1. Officiel, p .6733.
1. Officiel, p.5495, 2.




126 BALAAM A VERSAILLES.


rescousse, les prétres sont «des fonction-
naires de l'État, de ceux que Mirabeau
décorait de ce beau nom d'officiers de
morale (1) ».


Cela suffit. On voit la pensée et l'on
sent l'injure. Voila done ee que doit étre
dans leur France a venir le prétre affranchi
du Jésuite: quelque chose de moins qu'un
pope, un officier de morale (2) investi par
l'État, une doublure inutile, génante, bien-
tOt supprimée, de l'instituteur, ce« pere de
famille créé par l'État! »


Apres cela, libre a M. le Ministre de
deplorer la seconde politique de la Consti-


1. Offioiel, p. 6374.
2. Quelle morale? Peut-etre celle de M. Descha.nel.


u Est-ce que a.ujourd'hui les honnetes gens de touta
croyance, catholiques, protestants, israélites, musul-
mans, libres-penseurs, ne se rencolltrellt pas sur le
terrain commUll de la morale universelle, indépen-
dante des dogmes et des croyances particulieres?"
(M. Deschanel. Offioiel, p. 5549, 3)




B~LAAM A VERSAILLES. 127


tuante envers le catholicisme, la Oonstitu-
!ion civile du Olergé, « la guerre a l'Église,
faite avec violence, avec passion, avec
exceso :. (1)


Ou le Ministre ne s'entend pas lui-mema
ou il ignore la premier mot de l'histoire,
ou il a entrepris, lui, contre l'Église une
guerre déloyale, maisgauehamentdéloyale.
Oomment ne voit-il pas que la Oonstitution
eivile du Olergé est tout enWire dans l'idée
qu'il se fait du pretra? Et aquel pretre
espere-t-ille cachar?


Mais non, qu'on se rassure, point de
Cultu'I'kampf, point de persécution. Las
gouvernements n'entreprennent pareille
chose que pour avoir un coneordat, etnous
en avons un, Dieu merci ! -


Done, si Néronmit en eroixsaint Pierre,
e' etait pour en obtenir un concordat ou
peut-etrepour lui faire accepter desarticles
organiques un peu subreptiees. Pitié!


l. Offioiel, p. 6374, 1.






Conclusion.


Un illustre Cardinal disait naguere de-
vant une assemblée de ses prétres, qu'apres
avoir lu attentivemeJ;lt les discours favo-
rables a la loi, il demeurait dans une humi-
liation profonde.


Je le clíIOis bien.
Nous aussi nous nous sentons profondé-


ment humilies.
Humilies pou\' cette assemblee franQaise


9




130 BALAAM A VERSAILLES.


eapable de tout aecepter et detout applau-
dir;


Humiliés pOUf l'intelligence du pays
que l'on estimedécidément bien ravalée ;


Humiliés surtout pour notre clerge natio-
nal outrage par la bienveillance hautaine
et protectrice de ces hommes plus encore
que par leurs menaees mal déguisees et
leurs eonseils d'apostasie. (1)


Avons-nous lieu d'etre humiliés pour
nous-memes ?


Nous pourrions l'etre assurément de ne
point reneontrer de plus sérieux adver-
saires. Voila done tout ce qu'ont pu trouver
et dire ces hommes a qui certes la malveil-
lance ne 'manque pas, a qui d'ailleurs on
fait dans le parti une réputation de savoir,


1. M. Desehanel adjure naivement les pretres d'en
revenir a 1682 et de renoneer il. l'infaillibilité pon-
tificale. (Offio., p. 5548, 2.)


M, Spuller leur en fait éqllivalemment un devoir s'il"
veulent rester Fraogais,




BALAAM A VERSAILLES. 131


d'habileté, d'éloquenee: un peu, tres peu
de diffamation maladroite, puis force
Mages, éloges parfois exeessifs, inaeeep-
tables, - puis eet involontaire mais inévi-
table étalage de despotisme qui ne nous
menaee qu'en menaldant toutes les vraies
libertés, - puis surtout eette démonstra-
tion solennelle de l'identité pratique de
notre cause avee eelle de I'Église.


Mais iei toute amertume se perdrait, s'il
en était besoin, dans un sentiment de
reeonnaissanee humble et fiere. Soldats,
nous sommes done bien sous le drapeau;
religieux, nous sommes done bien avee
l'Église; Jesuites, si 1'0n nous hait, e'est
done bien pour le nom de Jésus. Nos
adversaires l'ont mis hors de doute; nous
prenons aete et nous disons merci.


On nous aecuse d'asservir. d'absorber
l'épiscopat, le elergé, les congrégations
religieuses; c'est avouer qu'ils daignent
ne faire qu'un pour nous défendre.




132 BALAAM A VERSAILLES.


On nous accuse d'imposer nos opinions
á l'Église; c'est avouer que nous n'avons
que les siennes.


On nous accuse de mener l'Église; c'est
avouer que nous marchons avec elle.


Que 'pouvions-nous souhaiter de plus?
Voilá pour adoucir tout regret, pour
embellir toute souffrance. Apres cela si
Dieu permettait que l'iniquité triomphat,
s'il accordait une heure á la puissance des
ténebres, nous marcherions en pleine
lumiere et nous souffririons avec pleine
joie, car nous saurions pourquoi et pour
qui.


Le XIX' siecle a été dans son ensemble
une époque de renovation religieuse. Le
Jans¿misme et le Gallicanisme éteints, la
séve catholique plus vivac e et plus fé-
conde, des reuvres multiples et merveil-
leuses, des dogmes chers a la piété de tous
les siecles sortant du champ des opinions
libres pour enrichir le trésol' des vérités




BALAAM A VERSAILLES. 133


définies, l'Église menacée trouvant par-
tout pour sa défense de l'or, du sang, des
ames ..... que ne pourrions-nous pas dire ?
que n'avons-nous pas vu ?


On nous attribue toutes ces grandes
clIoses : erreur, injustice; nous protestons.
Nous y avons travaillé pour notre part, et
cette part Dieu la sait modeste. Mais veut-
on nous punir les premiers de ces triomphes
catholiques? Faut-il payer au nom de
l'Église universelle la ran<¿on de tant de
merveilles? Dieu soit loué! le role est beau,
s'il est douloureux. Quand on ne peut plus
parler pour la vérité, il reste de souffrir
pour elle. Alors s.urtout on n'est pas inu-
tile, on n'est pas vaincu.


G. LONGHAYE
Poitiers, 16 juillet 1879.


En la féte de Natre-Dame du Mant-Carmel.




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TABLE


Balaam a Versailles .


I. - LES JÉSUITES ET L'ÉDUCATlON
L Morale et histoire •
2. Hommages indirects
S. L'enseignement. .
4. Le caractere du Jésuite


n. - LES JÉSUITES ET LA LIBERTÉ


13
2S
SI
S9


1. Le fait et les sophismes. . • • 49
2. M. P. Bert et la loyauté de l'Église 61
S. Le despotísme avoué. • . 73


III. - LES JÉSUITES ET LE CATHOLIC!SME
1. Les Jésuites hora de l'Église . .• 89
2. Baculus et Cadaver . . • • " 97
S. Jésuitisme, cléricalisme, catholicisme 101
4. Les Jésuites oppresseurs de l'Église . 109
5. Les libérateurs de l'Église 123
COnclURi()n . 129


Pari •. - J. Mersch, impr., ~3, houl. ,rl<'nr"l'.