IIIST()IBE DE LA EN EUBOPE DU NTli'fv1F AU'l'ElJh HISTOIRE DE LA...
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IIIST()IBE


DE LA


EN EUBOPE




DU NTli'fv1F AU'l'ElJh


HISTOIRE
DE


LA HOURGEOf SJE J)E PAfU S
4 vol. in-Ro - Prix : 28 fr.


l. La Bourqecisie aux pnses avec la. Royaute


n. La Bourqeo.r.ie pendant. les guerres de reilG"on
llI. La Bourqeoieie en .ut.te aVEC le Proiotar.at


IV Les Bourqcois ce.ebres ,




IIIST(JIHE
111·, L\


EN EUROPE
DEl'llS SOi'í OI\I(~INE .11'801"'.\ NOS .IOI"I\S


I ',H:


~l. FHANCrS LACO~IBE


TO ~1 E PH EM I EH


PAHIS: AMYOT, HUE DE LA P;\IX


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AVIS.
l.'autcur et l'éditcur de ect ouvrage se rúscrvcm lt~ droit de le traduir«


OH de le Iaire traduire en tontos langues. 1'01lte8 contrefacons ou tra-
ductions, Iaiu-s uu rnépris de leul',-- droits , seront poursuivies en ve-tu des
lois. dócrots ct traites inLernalionaux.




INTRODUCTIO~ .


.le n'ai pns le patriotísme f;tl'oil
d'une fronliere politique : mais
j'~i celui I1'UU Européen.


FlcorFL"O'Y1'.


La premiere pensée de l'ouvrage que nous pu-
blions aujourd'hui , remonte ¡\ I'année 1.8f¡.8; elle
fut concue aumilieu des événcments révolutíon-
naires qui ébran lerent tous les trónes et en abíme-
rent quelques-uns.


Durnnt cette époque sinistre, la Monarchie en-
ropéenne , prise en flagrnnt délit de faihlesse et
d'unprévoyance, avait apeine assez de force pour
repousscr les envahíssements de la République uní-
verselle, Partout la néga tion des anciens principes:
basede touteautorité politique, servait d'atflrmatíon
ú quelques idées nouvelles: eouronnement de toute
révolution. Partout, une rupture profondc écla-
tait entre les peuples et leurs gouvernements. Par-
[out aussi, je no sois quel pouvoír occulte battaít


L ((




-II-


en breche les pouvoirs publics , un moyen oc
rnanifestes secretement répandus parmi les mul-
titudes, dans le but avoué de créer l'anarchie; de
détruire a la fois et l'ordre temporel et l'ordre
spirituel des États; d'opérer une métumorphose
complete dans la situation respective de l'Indivi-
du vis-a-vis de la société, et de la société vis-á-vis
de l'indlvídu : en un mot, de rernplacer la souve-
raineté divine ou dynastique, par la souveraineté
humaine ou natíouale : symbole exclusif de la
Fatalité se substituant a. la Providence !


On disait aux princes :
- « Votre mission est finie; retirez- vous, cal' la


démocratie veut commencer la sienne. Les temps
prédits par Mirubeau et par Napoléon, prophetes
révolutionnaires, vont s'accomplír. Puísque la
vieille civilisation de l' Furope a changé d'esprit,
il est nécessaire qu'elle prenne une forme nou-
velle pour exprimer l'État religieux, social et poli-
tique, tel qu'il doit étre comprís au XIX" síeclc,
Assez et trop longtemps, la fausse théorie du droit
divin a porté le malhenr au sein des sociétés,
comme tout fruit porte son germe. Cette barriere
vulgaíre, boune sans doute il empécher les en-
fants de lambel', est desormuis inntile, puisqne




- III -


les nations, dcvenues hOUllUCS, veulent assurer
clles-mémes leur propre félieité par la théorie
d'un autre droit : véritable synthese ele toutes les
émancipatíons humaines. Aprés l'Ancien Testa-
ment, Dieu nous donne le Nouveau: apres Christ,
le peuple; apres la rédernption morale, la rédemp-
lion matérielle l.i. Princes , retirez- vous! Sem-
blables aux autiques divinités de l'Olympe , quí
s'en allaient Ü l'approche du Christianisme , les
lloyautés moderues s'en vont a l'approche des
Démocratics, qui doivent cornpléter les progrós de
l' humanité ... Priuces, encore une fois, rctirez-
vous! l'heure cst supréme, Cessez done, cessez de
faire obstacle , par votre immobilité négative, au
déveJoppement définitif des sociétés. Sachez qu'il
s'opére, en ver tu d'une loi morale, supéríeure a
toutes vos législations écrites; et qu'il exprime,
pour la vie générale , un avenir des it préscut
incompatible avec votre existence personnelle.
n(~signez-vous! e'est un arrét írrévocable, NulIe
force physique ne pourrait empecher, neutraliser
ou seulement modifier cette régénératíon absolue
de la grande faruille humaine, paree qu'ello es!
conforme aux vues nrystérieuses de la Natura et




~l\-


Aínsi pensait t ainsl aglssnit 1In parti pnlitique
devcnu formidable dans presque toute l'Europe. Et
tandis que les csprits écluirés n'apcrcevaient plus,
au milieu de la confusion et des ténébres dont ils
étaient entourés, qu'un désordre systématiquc
sans exemple [usqu'á ce jour, on voyalt surgir ú
la fois, sortant du monde oeeulte pour envahír le
monde offieiel, mille sectes diversos, mais égnle-
ment dangereuses par leur auduco, lcur énergio
indomptable ct leur détcrminution. Cal' elles appe-
Iaient tous les peuples á la révolte, ¡\ la désorgani-
sation sociale, an renversement de l'autorité , a
l'anarehie, sous prétexte de réaliser un idéal de
société plus en harmonie avec I'ordre gén~~ral qU1
doit régner dans l'univcrs. Arborant le drapean de
~a Démoeratie la plus radicale, ú l'encontrc des
.floyautés stupéfaites , elles engageaient , sur un
immense théátre , le conflit définitif de la Bépu-
blique égalitaire contre la Monarchie plus ou
moins aristocratique.


Monarchie et République!
Tels étaient alors el tels sont encoré aujourd'hui


les deux termes opposés du problema politique b.
résoudre, durant cette période critique ou l'on
n'attaque la forme des gouvernements qu'afin de




- v-


mieux atteiudre l'essence méme de la civilisatiou.
Arres avoir concu le projet impie et ehimérique
de fonrler le bonheur absolu de l'homme sur la
terre , par la réalisation d'une idéc sociale plus
vasle , plus efllcace , plus pure, affirrnaient - ils,
el, en quelque sortc, plus chrétienne que le
Christianistne lui-mérne dont on niait la réalité
diviue , les partis ultrá-révolutionnaires multi-
pliaicnt les utopies et les catastrophes.


Au plus fort ele cette crise violente qui compro-
rnettait ahsolument les destinées uuiverselles, plu-
sieurs nutres partis, eugendrés par un detui-siccle
de morcelletuent intellectuel, mais u'étant divisés,
couune en France , que sur des questions pure-
ment constitutionnelles ou dynustiques, se réuni-
rent dans le hut de sauvcr la société, Les diverses
nuauccs politiquee disparurent provisolrernent ; il
n'y cut plus que dCLlX couleurs tranchées : celle
du purti de 1<1 conscrvatiou , el celle du partí de la
destructiou. AuLa nt l'action révolu tionnaire de
cclui-ci avait été brutale, autant la réactíon de
celui-lá fut énergique, On se eomballit pnrtout,
dans les téuebres ; nulle part on ne rechercha les
lumiercs, paree qu'aucun partí n'éprouvait le be-
soiu de s'éclaircr. II en resulta qu'au licu de se




- \l-


vouer, des deux cótés, ü la rccherchc de la vérité :
unique príncipe de sulut pour les peuples de
mérne que pour les individus, chacun se retruncha
derrióre une erreur capitale, lei, 1'011 prétcndait
qu'il uy avait rien ú Iairo dans l'unlre économlquc:
el lá, on prétenrlait que tout était el refaire duns
l'ordre social. C'est ainsi que le monde civilisé
resta en péril, paree que personne, hélas ! ne VOIl-
lut reconnaítre ses propres Iautes !


Nous essayámes de résumcr, dans nos {tudes SIlI'
les Socia lisles ct daos l' JI istoire de la Bourqeoisie
de Paris, cct état de choses tout-a-fuit alarrnant,
afio dévitcr, s'il se pouvait, á notre malheureuse
et ficre patrie, l'hurniliation du despotismo, apres
les poignuntes angoisscs de la liberté illimitéc. Si
los évcucmcnts survenus, rlepuis la publication de
ces deux ouvrages, ont pleinement justifié nos ap-
préhensions a cet égard, est-ee une ruison pour
nous de purtager l'optimisme insensé de ecux qui
pensent que le eycle révolutionnaire est fini, paree
(1 ue celui des Césars rccommence ~


Quoique la situation gouverucrnentalc de la
Frunce et de l'Europc ait complétemcnt changé
depuis 1041-', car, d'uu cóté, les Mouarchics be :-,uuL




- 111-


rallermies sur leur base, et, de l'autre, la Ilépu-
blique s'est transformée en une sorte de dietature,
il est évident que la situation intelleetuelle de
l'Europe et de la Frunce est restée absolument la
mémc. En eflet, de quelque titre qu'on les décore ,
aprcs une phase d'anarehie ou la soeiété a failli se
perdre , les dietatures servent sans doute; mais
elles ne doivent servir qu'a gagner du temps. Le
sabre a beau traneher toutes les questions , il ne
résoudra jaruais aucun probleme de l'intelligence.
Quand le despotisme apparañ , c'est que les peu-
pies, fatigués de leurs propres folies, ont besoin de
sang-froid ou de rcpos : il leur fau1 une si grande
trauquillité d'esprít et de cceur pour se eonduire
avec sagesse el pour cntendre la raison !


Le moment done est venu, maintcnant, de met-
tre ú profit les tristes lecons de l'expérience. TOl1-
tefois, ne nous Iaisons pas d'illusion sur l'avenir. Ne
!lOUS endorrnons polnt devant le péril, cal' notre ré-
veil serait trop terrible. Proclamons-le bien haut,
ulin que chacun puisse nous entendre: Non,larévo-
lution du ,'\" sicclc n'cst pas finie; elle rccornmen-
cera Lt'd 011 tard, ;\ moius qu'uur: scicnce nouvclle,
créée dans les I;:!als, ne la uuduisc en une vasto
róforruc.Pour prévcuir el conjurer les crises révo-




- IJlI -


lutiounuires d'une maniere définitive, il Iaut d'a-
bord les rendre entierement inutiles.


Ainsi, tant que les problemas, qui dívisent l'esprit
public et qui légitiment l'existence des partís con-
temporains , ne seront pas résolus, sous le doublc
rapport dn suvoir humain et de la destination po-
sitive des socíétés, on doit s'attendrc Ú oc nouvcl-
les catastrophes. Nos iustitutions politiquee subi-
ront de terribles défaites ; car, dans l'état actuel
des opíníons et des partís, aucune victoire décisive
ne peu t assurer le triom phe absolu de la elvilisation
européenne. Cette victoire ne saurait étre obtenue
que lorsque les hommes d'ÉtaL, jaloux de justifier
leur titre et la fonction magistrule qu'ils exerceut
au-dcssus des peuples, auront declaré une guerre
implacable a lous les préjugés, dans l'unique but
de mettre d'accord toutes les antinomies du
XIX' siecle, ou mieux de pacifier l'intelligence hu-
maine. Cela faít, on ne se demandera pas seule-
ment: aqueIle forme d'nutorité l'État socia! actucl
peut-il condulre les nations '? 11ais encore : á quel
príncipe de gouvernement la teudunce de l'esprit
public peut-elle conduire les États? De cette ma-
uicre, UIl découvrlru progrcssivcruent le destiu 1J1'U-




- 1\-


pro de chaquc pouple , en regard de la dcstiuée
géuérale de l'h umuní té ; on évitera l'ignorance,
le mensonge et l'égoísme : sourees inépuísables
de catastrophes, puisque la science européenne,
régénérée par su base, ne prendra plus le moyen
pour le but, le faux pour le vrai , le relatif pour
l'absolu , ct qu'elle s'appuiera également sur la
théoric ct sur I'cxpéricnco ou la pratiquc : ces
deux points de départ de toute grande spécula-
tion philosophiquc, sociule et poli tique. Et l'ou
marchera ainsi, d'un pas ferme, dans les voies
supérieures, avee la eertitude rationnelle d'arriver
it la conqucte de la vérité. Les questions partlcu-
lieres s'effuceront aussitot devaut les questious gé-
nérnles. II s'agira désorrnais en Europe, non de
révolution politique , mais d'évolution intel-
Icetuelle; non de destruction physique, mais de
création morale : non ele tel ou tel pouvoír, de
lelle ou telle eonstitution, de telle ou telle dynas-
tic, mais de la Souveruineté índividucllc ou collee-
tire, hórúditnire ou électivc, considérée duus son
origine el daus ses fins incondi tiounelles, recon-
nue toujours nécessaire et ne pouvant jamuis élro
Iatale , par cela seul que Dieu Iui-mérne l'u instituén
pour dirigcr , daus l'Histoirc , ou inicux daus le
;:~"I..:'"


':/




-x-


temps, la marche progressive de l'humanité vers
ses destinées éternelIes !


Des qu'il sera posé de la sorte , le problema du
Gouvernement ou de I'État no tardera pas il étrc
résolu; cal' on reconnaítra bien vite, comme nous
l'uvons énoncé ailleurs (1.), que la création de
l'homme et la formatlon de la société , ou mieux
l'instiLution de l'État, ne sont qu'une seule et
méme chose; que dire l'origine de l'un, c'est dire
l'origine de l'autre, et qu'ayant eu le mérne corn-
mencement et le méme príncipe, ils doivent avoir ,
en toute réalité, la méme destination et la méme
fin.


Pour résouclre, avec certitude, cette vieille ques-
tion de l'Autorité humaine, il faut done renouveler
en quelque sorte le uiiracle de la créatíon, puisque
l'uutorité elle-méme n'existerait pas, saus un FIAT
de la Divinité.


La farnille primitive forma évidcmmen t la prc-
miere société; elle exprima et ne pul qu'cxprimer
la coustitution typique et définitive de l'univers,
En effet, sous quelque rapport qu'on la considere,
on y trouve, ainsi que dans toules les associa-


(1)\1. ¡'ralleis I.:U'Ulllhc, Ú11¡[C.i sur /1'.\ .\ucia.'i.'lcs. l l l" pcllllC,
dltlp. 1", paó- 'I~)U.




- Xl -


tions particulieres , sorties de cette sourcc
commune , un chef: pere-souverain , dont l'auto-
rilé positive et monde, créée par la gráce de Dieu
comme les divers rapports d'homme á homrnc
qu'implique I'cxistcncc mérne de la société , avait
pour objet la garantie de la justice Ici-has ; et des
membres: enfants-sujets, ne pouvant par oonsé-
quent se soustruire ü l'obligntion morale et posi-
tive de reconnaitre ccttc autorité , mais pouvant y
ótre contraiuts : cal' leur soumlssion, indépen-
dantc de leur propre volonté , était absolument
néccssuire au développement normal de tou te
I'humanité sur la terreo


Cette néccssiié irréfragablc de l'obéissance aux
lois sociales, et, par suitc, de la souruission du SlI-
jet á son Souverain, découlait , découle encore,
découlera toujours , el naturcllemeut , de l'obéis-
sanee que l'hornme doit lIUX lois divines , et de la
soumission que toute créature dolt 11 son Créateur.
Loi admirable el absoluc , que la dérnison hu-
maine pent nier durant les époques d'nnarchie ,
mais que la raison atllrmc, paree que sur elle repose
l'ordre génr"rnl du monde moral el politique l
Yoi!il ponrquoi tous les chcfs cl'l::tat, sans excep-
LlUlI uucuue, l'cres, I'utriurches. J lIge::;, Ilois, ele. 7




- \Jl --


quels que fussent, d'ailleurs , leur nom oíliciel
et la forme de gouvernement dont ils étaíent les
symboles, ont recu, recoivent encore et recevront
toujours le titre de JIajestc, le droit d' 1nviolabilité
et la faculté d'étre Augllslcs (1). Triple amplifica-
Han morale au moyen de luqucllc ils réalisent le
but propre de tout Pouvoir, en manifestant, a la
Iois, leur suprérnatie positivo uu-dessus des na-
tions; leur invíolabilité, individuelle et collectivc,
Ú l'égard de leurs sujets; et l'initiative permanente
qu'ils prennent ou qu'Ils doivcut prendre en fa-
veur de l'humanité, dont les destinées progressives
leur sont confíées et dont ils sont responsables
dcvant Dieu !


Il est done vrui et ubsolument vrui de dire que
toute Souveraineté humaine , moralement consti-
tuée , exprime positivernent le príncipe du droit
divin ; et que ce droit, n'útunt pus créé par I'homme
el conséquemment ne pouvant pus ttre clétnút par
lui , est le dogme ímmuable et fondamental de
toute vérituble religión sociale. « C'est pour cela,
dit Bossuet , que le tróue royal n'est pas le tróne
d'un hornme , mais le tróne de Dieu méme (2). ~


(1) iloi'ni' \1 ronski, Hdil)IOliúl/I/I, 1';1";. 1 11;; 1'1 suiv, - l~;"'.
(:l) l'olitiquc I/Iú: de t'Écriturc, Liv, 111, arlo :l.




- XliI -


S'f'n~llit-il f(1W 1(' rlrnil divin, rcconnu ct accepté
comrne étant le palludium supréme de l'ordre dans
la civilisation, doíve absorber en luí-méme le droit
humain et l'anéanLir? Non, mille fois non: car,
quoique le c1roit humain soit purement conc1ition-
nel, pulsqu'il ne se développe que selon le degré
de puissance intellectuelle des nations et en re-
gard du droit divin qui est ioeonditionnel, qui
subsiste par lui-rnéme, qui est le meme toujours ,
le droít hurnain , disons-nous , est également in-
destructible, en fait et en prlncipe, commc toute
création morale ou se manifeste ici-bas le mérite
de l'homrne avec la gráce de Dieu : double origine
et double fin de la puissance des peuples , aussí
bien que de la puissance des Rois.


Done, il résulte de la co-exlstence méuie de ces
deux principes, dont l'un est absolu et l'autre re-
latif, une source, en quelque sorte commune, de
droits et de devoirs, pour les Souverains envers
leurs sujets et pour les sujets envers leurs Souve-
rains. Si d'un coté, en effet, les peuples doivent
étre soumis a leurs chefs légitimes, paree qu'ils
expriment le droit divin : pierre angulaire Uf!
tout l::tat, ou mieux, source de toute uutorité
sur la terre; d'un autre coté, les ehefs d'État




- XI"-


doívent reconnattre Ú leurs sujets plm; 0\1 moins de
Iacultés sociales, selon le <legré de lcur développc-
ment intellectuel, paree qu'ils expriment le
droit humain, en tant qu'hommes, c'est-á-dire, en
tant que créatures de Dieu; et que leur véritable
but, a. eux Souverains, est 011 doit étre d'identíflcr,
au seín de leur autorité et par leur propre auto-
rilé elle-méme, le droit divin et le clroit humain,
qui forment préseutement les deux póles du
monde moral et politique.


De ce qui précede , nous croyons pouvoir con-
clure, en these générale , que la nature et la ten-
dance de tout gouverneuient, quel qu'il soit d'ail-
leurs, dépend de la maniere dont les I~tats como
prennent, et l'existence de I'honune et l'cxístence
de Dieu l 11 est incontestable que les peuples out
été gouvernés, sous l'influence des idées chrétien-
nes, autrement qu'ils u'uvaieut été gouvernés sous
l'Influence des idées paícnnes ; et que les SOlIVe-
rains cux-memcs ont régné, sous l'cmpire du
Christlanisrue , uutrcment qu'ils n'uvnlent régné
sous l'empíre du Puganlsme : cal' l'esclavage étaít
le mobile des civilisutions antiques, tandis que le
mobíle des civillsaüons modernes , c'cst la liberté.


Sans doute, il y u eu dans tOIlS les temps «t chez




- xv-


tous les peuples, un gouvernemeut ayaut pour ob·
jet de prévenir les íniquités sociales résultant de
la violation d'un droit public, plus on moins bien
défini, suivunt l'éducation plus ou moins faite de
lhuuianité. Mais ce droit, expressíon de la justice
ir telle ou telle époque, nous paraít malntenunt,
apres tant de progres successifs, exprimer I'injus-
tice la plus monstrueuse. Est-ce ü dire que le ré·
gne de la justice u'a jamáis été assuré ici-bas? Loin
de nons cette pensée : insulte posthurne et gra-
tuite s'adressant a toutes les générations gou-
vernementales qui ont précédé la nótre. Si nous
tenons, en ellet, un compre exact des abus de POII-
vair qui ont souvent cornpromis l'existence de
l'autorité parmi les nations, c'est précísérnent qu'il
serait par trop ubsurde et niais de croire a I'im-
possihilité ahsolue de pratiquer les lois morales et
humaines, ou mieux, d'étre juste sur la terre, des-
lorsqu'on yexerce un commandement quelcouque,
Toutes les translormations législetives ne prouveut
réellerneut qu'une scule chose, savoír : que la
notion du droit, relative á tel ou tel État, atelle OLl
Lelle civilisation , change nuturcllernent et s'épuro,
en vertu du dévelol)[l:llleIlL progressif de ccue
mcme civilisation et ck C(' IIH'llle Etat, comme




- "1 -


Ioul CI' qn i concome g('nt"I'¡t\etnCn t la science h11-
maine 01'1 le Iaux disparuít il mesure que le Hui s'y
découvre, puisque su couquéte graduelle marque
chaqué pas de I'homme sur la route qui conduit
u l'Absolu: príncipe de la vérité universelie.


Et maintenant, si l'on considere les innombra-
bles changements de scene qui se sont eífectués
sur le théátre du monde, il est fuelle de voír que
le grand róle du Pouvoir, quelquefois índéfini ,
d'autres fois tres-limité, mais toujours afTectant Ir'
méme but, varíe ou doit varier positivement seIon
la vocation spéciale et, en quelque sorte, person-
nelle de chaque peupIe dans chaque civilisation,
De mérne que l'individu isolé , jeté au sein d'une
société quelconquc , tout '::tat particulier n'existe,
en ellet, purrni les autres l::tats, qu'á la condition de
roicourir, dan s la mesure de ses forces, maís de
toutes ses Iorces , au développemen: complet de
l'humanité.: développemcnt que Dieu lui-méme ne
saurait borner, sans anéantir l'humanité dans sa
propre essence, puísque moralement, sinon ma-
t~ricllement, elle participe de !'infini! 01', dans
ce travail qui s'accornplit en tOLlS licux oú la
pcnséc de I'hOt1l1l1C se munifoste ou peut se manl-
fester , les peupl-s. ouvriers collcctifs ct provideu-




tlels, sont heurcux ou malhcureux, tombent de
lassitude ou s'élévent avec plus de vigueur, s'a-
grandissent ou se rapetissent, montrent des vices
ou des vertus , c'est-á-díre la varíabilité de leur
propre caractere : et malgré cette discordance in-
cessuntc et inévitublc , tout contribue néanmoins ,
par des moyens que l'ceil humain n'apercoit pas,
mais que l'intelligence devine, a l'harrnonie uní-
verselle : emblcme du Progreso


Impossible d'expliquer autrement les révolu-
tious diverses qui se sont accomplies dans le
monde, el qui toutes , quelque monstrueuses
qu'elles paraissent aux rcgards du rnoraliste, lors
de leur déchaínement, « tournent a la fin, comme
dit Leibnitz, pour le mieux en général.» Cal'
l'anarchie ne peut étre , surtout HU sein de la
civilisution chréticnne, qu'un temps d'arrét fatal
a un vieux systeme d'existence sociule , qu'uue
crise décisive, apres laquelle se développe natu-
reJlement el surnuturellement une existence nou-
velle dans les sociétés.


L'expérience a, des longtemps, prou vé aux
peuples qu'll leur importe de réaliser ces méta,
morphoses sans cornprornettre l'ordre mutérie],


j, ú




- XYIH -


toujours nécessaire á la progression de l'ordrc
moral: seu le force qni fondeo C'est dans ce but de
conservation permanente, que, depuís l'institu-
tion des États, les nations ont employé toutes les
formes de gouvcrnement, ou a peu prés , selon
qu'elles leur paraissaient propres ti garan tir leur
bíen-étre el leur sociabilité.


« Comme c'est le propre des choses humaines,
dit PufIendorf, de n'arriver il la perfection que
par degrés, les premieres Bépubliques étaien t pcu
de chose, jusqu'a ce que les diverses parties du
gonvcrnement cussent pris pcu a pcu la forme
qu'elles devaient avoir, et qu'on eút faít des loís,
des reglernents et tout ce qui sert u la conserva-
tion des États, Ainsi, les prerniéres Ilépublíqucs
ne consistaient qu'en un petit nombre de voisins
dont les habitations n'étaient pas si éloignées \05
unes des autres , qu'ils ne pussent s'assembler
commodément, soit pour tenir conseíl sur leurs
iutéréts communs, soit pour se préter un secours
mutuel contre la violence de quelque cnnemi
L'hístoíre nous fait voir que plus on remonte dans
l'antiquité, plus on trouve de petits Etats détachés
qui, venant dans la suite s'Incorporer les uns nver:
les nutres, soit de gTé it gré, soit par le droit {L~




- XIX-


conquéte, out rondé avec le temps des Ernpíres
formidables (l). 11


l.:f:tat était alors et no pouvait étre qu'une
Bépublique. L'exercice de la Souveraineté de-
vait, en eflet , appartenir ú tout le monde, lú
011 le territoire ne contcnait qu'uu petit nom-
bre de Iamilles rangées sous I'autorité páter-
nelle, 11 n'y avait positivement de sujets que
dans la vie privée, paree que la vie publique y
était á peine pressentic. Mais, des qu'clle parvlnt Ú
se révéler, soit par le sentiment intime de l'in-
sufllsance réelle d'un pareil gouvernement, soit
par une force étrangere et supérieure exprimant
le droit de conquéte, la puissance de tous se n~­
suma dans le pouvoir d'un senl. C'est alors ({IW
la Ilépublique disparut, pour ainsi dire, devant la
\Ionnrchie; paree qu'en príncipe, sinon en fait, la
concentration des íorces morales et actives d'un
pays parut toujours préfórable á leur éparpillo-
ment.


Quand nous affirmons que l'opinion menar-
chique fut, entre les diverses idées qui scindereut
la civilisation des peuples, celle autour de la-


(1', tntroduction il/,{listoire gl'I/('1'I111' ct ¡JO/;/;I/II" de (¡IiI¡,'O'S.
Tom, 1". rl¡:Ip. 1". pa". :~"I,




- xx -


qnelle on vit se grouper le plus grand nombre de
partisans, nous n'entendons nullement nier que
les Monarchies aicnt eu, sans cessc, h lutter, ici
el la, contre des adversaires plus ou moins redou-
tables; mieux vaudrait révoquer en doute les té-
moignuges les plus authentiques de toute l'histoire
humaine. Aussisouvent que l'esprit d'autorité s'est
trouvé aux prises avec l'esprit de liberté sur la
terre, aussi souvent la forme républicuine a es·
sayé de réagir contre la forme monarchíque. Elle
l'n fait méme avec succcs durunt certaines épo-
qnes troublées , 01'1 nul principe religieux, social
et politique ne sauvegardait plus l'ordre dans le
monde. Maís, des que ces orages formidables
avaient cessé de bouleverser les grands États, le
calme de la sítuatlon provoquaít lui-meme la
défaite des Républiques et la victoire des lVI 0-
narchies, en restituant a cellcs-ci leurs anciens
droíts ou en leur imposant de nouveaux devoírs ,
cal' l'expérience de tous les siecles avait prouvé
aux peuples , víctlmcs de l'anarchie, que cette
forme de gouvernement est celle quí leur procure
la plus grande sornme de stabilité sociale dans 1'01'-
dre, sans ríen leur enlever de tout ce qui est 1110-
ralement nécessaíre aux progrcs de l'hutnanité.




- \Xl-


« Entre toutes les Monarchies , dit Bossuet , la
meilleure est la succession héréditaire , surtout
quand elle va de mále en rnále et d'aíné en aíné ..•


D Point de brigucs, point de cabales dans cet
État, pour se Iairc un Roi; la nature en a fait un :
le niort, disons-nous, saísit le vif , et le Iloi ne
uicurt jamais,


- Le gouverncmcnt est le rucillcur, (lui est le
plus éloigué de l'auarchie. A une chose aussi
nécessaire que le gouverucmcnt parmi les horn-
mes, il fnut douner les príncipes les plus aisés,
el I'ordre qui roule le mieux tout scul (1). »


Quiconque aborde séricusement , de bonnc
Ioi, c'cst-á-dire sans parti pris, les problemes re-
latifs it I'l~tat, au gouvernement et it la socíabllíté
humaiue, en considéraut ces institutions dans leur
origine el duns lcurs Iins , duns leurs fonctions
générales aiusi que dans leurs fonctions spécialcs
ou particuliercs, se trouve contraint d'avouer, en
elfet, que, suivant les conditions naturelles ct, cn
quelque sorte, organiqucs des grands peuples ,
les Monnrchles hérédltaires sout le plus puissant
moyen d'ordre, de Iélicité publique, de progrcs-




- .\\1l -


sion rnorale et de perfcctionncment universcl.
On eomprend déja, par ce que nous avons


énoncé plus haut, que la Monarchie, méme élee-
tive , coustítue un progrés réel pour l'État
mineur, sorti des langes de la Ilépublíque dont il
rejette la tutellc, puisque I'action du gouverne-
mcut peut étre des-lors une el uiultiple tout en-
semble; et que ectte action pcut égulemcnt
s'exercer du centre aux limites extremes du
territoíre national , sans rencontrer le moindre
obstacle dans l'opiuion. Mais ú cheque chango-
mcnt de rcgne ct ü la mort de chuque Roi, le sort
de cet État sera toujours en péril , s'il n'est
pas encore complétcment émuncipé , GU devenu
majeur, aprés s'ctrc uífranchi de l'esprit républi-
caín, trouvant son dernier refuge dan s la forme
d'une Monurchie élective; en un mot, si son exis-
tcnce ne repose pas sur le principe de I'hérédité,
qui perpétue le gouvernement d'un peuple dans
une famille, qui lie moralement el uaturellcment


toutes les générations humaines les unes avec les
nutres, et qui communique ainsi au pays, jouis-
sant des hient'aits de eette institution auguste, le
scntiment de l'innuortaliíé : aussi 1lc':cpssail'tC uux




- .\.\1l1 -


rce, de stabilitó, de civilisation, de puissance , de
régénératlon el de progreso


C'est a cause de cela préclsément que la Menar-
chic hórédituirc a été suns cesse combattue, par
voic occulte ou par voic publique, dans les teuips
autiqucs el dans les tciups rnoderues, al! llütll de
tous ceux qui, nés pour le mal, ont voulu ell1pé~
eher la prutique el le culte du bien sur la terreo
Conunent n'auruient-ils pas conspiré la ruine de
cette ins titution províden tielle, alors qu' elle régu-
Iarisait la forlune des Étals, en deviuant leur génie
et leur destinée; en restant une dans sa pensée
C0ll1111e dans su forme; en devenunt, quelque sim-
ple qu'clle soit, l'cxpression des príncipes les plus
complcxes ; en fuisant alliance avec l'esprit de tous
les siccles, pour mieux détermíner la tendance de
telle ou telle époque ; en se repliant sur elle-
mernc, ou en se dévcloppunt HU préjudice eles nu-
tres établisserncnts humuins, suivaut les circou-
stunces plus ou moins critiques auxquelles elle
s'applique, ou iuieux qu'elle doit subir et domi-
ne!'; el en restant Ildclc un véritahle róle qu'elle
doit jour-r ',Ul' la S('·"IH' historlque , dont les péri-
pétics óurouvuutcs eutruíuent toujours la chute
d' lIU pcuplc ou le sulut des sociétés '




- n1\ -


I'ar cette large maniere de comprendrc le l'ou-
voir que, seule, elle pcut ainsi réaliser dans les
grands États cívilísés, la Monarchie s'est rendue,
en quclquc sorte, immortelle, Aussi n'a-t-elle point
subi et ne subira-t-elle jarnais le sort de ces insti-
tutions arnbulatoires qui, exprimant, non le tra-
vail séricux des siecles, mais le caprice d'un 010-
ment, s'élévent et tombent, naissent et périsscnt,
sans que les peuples les aient, pour uinsi dirc,
connues. En eflet, née avec la société qu'elle repré-
sente, la Monarchie semble ne devoir périr qu'a-
vec elle, cal' elle se forme ou se dissout, se ré-
forme ou se transforme comme la société et en
métne temps que la socíété.


Durant ces crises , quelquefois violentes, mais
toujours formidables, il peut arriver que le but
du gouvernement ne soit pas ceJui du pays. Alors,
malheur aux Princes qui ne comprenncnt point
les devoirs de leur propre Iloyautú : COlllll1C
aussi, malheur aux peuples qui revendiquent, par
des moyens iniques, leurs droiLs plus ou moins
méconnus, puisqu'en aglssant de la sorte, ils alte-
rent le príncipe memo de leur exisLcnce! N'a-t-on
pas vu , hélas ! pcndaut des jours terribles, oú la
de::iLl'lIl.:Lioll huuiaiuc poursuivait I'u.uvre du Créu-




tour, tel el tcl peuple se rcndre coupablc du criuie
de lése-dívinité, en immolant son Iloi, c'est-u-dire
l'expression physique des lois morales qui consti-
Lucnt le droit divin et qui assurcnt la réalisation
pleine et en tiere de la Souveraincté divine parrni
les hounnes , et, en d'autrcs temps aussi, tels el
tcls l'riuccs méconnaüre positivernent l'obligatiou
morule qu'ils avaient contractée ou qu'ils devaicnt
coutracter vis-á-vis de leurs peuples, et se rendre
coupables du crime de lese-humanité, en víolant
la lettre ou I'esprit du droit public, c'est-a-díre en
dúcapitant moralcmen t leur Nation , puisque ce
droit était nécessaire a son existence et qu'il ga-
rantissait aux hornmes I'uccomplissement de leurs
destinées (1).


Sí l'on vcut éviter de setuhlahlcs catastro-
phes, qui compromcttcnt absolurnen t le sort des
peuples et celui des dynasties, iI importe de pro-
clarner bien haut le salutaire príncipe de leur so-
lidarité reciproque : Ioi toute chrétiennc, mais
dont les civilisations paiennes scmblent avoir eu


¡ .\0\1SI1I' j1O\I\'IIIS que Pi): 1']' ¡ei lr-s divrr, prolJl"rnrs rclatils :¡
1;1 philnsophie de rf:[;¡l :\1,111"'1]1' vv rouski lesa luu- r0:'llill:',"'il
I.J;Llh "a JJ':I({I'ulili'{l'c. soit daus SUII II isfOl'ioS01'ill:c, jlll]¡lic,' dc-
jlill" peu 1I1)11'IIJ!Lr(' H;[,~ ('1 '111i 11'-("1.1". ,,¡llh l'ulIlrl'lti[, I',!IIIIIII: le
mouumcu! sl'iclIliliqlle ele uulre epoque,




- XXii -


le pressen timen 1. e' est qu'il y a pour la Monur-
chie, comme pour tout ce qui existe dans le
monde et pour tout ce qui doit y exister indispeu-
sablement, des conditions vitales dont elle ne peut
se dépnrtir, sous peine d'une déchéancc mortelle,
11 en résulte que les Nations et les Haces royales
out des obligations morales reciproques. Leur
transgression souvcraine est de nature ú indigner
les peuples contre les Princes; cal', malgré leur
inviolabilité absolue, quoique cette trausgres-
sion ne puisse en aucun cas autoriser une révo-
lution , elle suffit néanmoius pour l'excuscr al!
point de vue purement humaín ou relatil,


Dans ces circonstances extrérnement graves et
tout-á-Iait exceptionnelles, si la possession du Pou-
voir passe, par le fait, d'un Prínce áun nutre Prince;
de droit, elle ne saurait passer d'une dynastie il une
nutre dynastie. On se hate pourtunt de reconstitucr
un gouvernement quclconque au-dessus du pcuple,
de peur qu'íl ne s'égare lui-méme hors des voíes de
la justice ; et que , tombé dans [r' crimc , il ne
puisse plus s'en relevar. 01', 1'(' g():¡V,l'll(~ll](;nl,sur
quel príncipe doit-il étrc fondé, pour qu'il ait une
valeur uiorule et positivo '! Luí Icru-t-un cxprimcr




- \\\11 -


celui de la Souverainetó nutionale ou le droit hu-
mniu , h l'exclusion elu droit divin : base de la Sou-
vcraineté monarchique ':l Mais agir ele la sorte, ce
scrait considércr le pellple comme étunt le proprc
créateur des lois morales qui régisscnt l'Univers ,
et, par conséquent, le VÚFIEU: chose fatnle et mous-
trueuse, uu point de vue de In pure mandilé. Lui
Ieru-t-on exprimer, au contraire, le príncipe de
la Souvcraineté ruonarchique ou le droit divin , á
l'exclusion du droit hurnuiu? Aussitót la questiou
chango, car la possession du Pou voir supréme n'im-
plique plus une autorisation positivo du peuple, mais
bien une autorisutiou tacite de Dieu lui-meme, La
mora lité se trouve sutisfaite. 11 ne s'agi t done, apres
cct ótublisscmcnt salutairc , que de prevenir toute
réactíon Iatale de la part ele la société, qui, imbuo
du priucipe révolutiounaire, peut se croire appe-
lée « ti octrosjcr taalorite potitiquc par UII acte ld-
"gal;)) tundís qu'au coutraire son véritable role se
borne ou doit se borucr, durunt les crises, á avoucr
authentiquemeut que la constitutiou du Pouvoir
cst conforme aux lois morales, créées par Dieu, en
faveur de l' hnI;nue et d i ~:; soc ¡í'1/..;. ¡¡ :', uit de 1h
111.18, dans l'état actucl de I'Luropc, In prétcuduc
" Souvcruiucte uutiouulc He suuruit ctre 1'1e11 uutre




- XX\l1[ -


» que la faculté [uridique de refuser l'obéíssancc
»a tout ce qui est contraire aux lois morales, » au
cas oü la Souverainetó rnonarchique, « exclusive-
» ment íondée sur le principe du droit divin », se
rendrait positivement iJlslf/jisanle et moralement
illcqale (1) ,en n'appliquant pas son pouvoir supréme
Ú opérer I'identification du droit divin et du droit
humaln, et ¡\ conserver l'ordre étuhli dans unc di-
rcction supérieure absolurnent nécessaire pour
que l'humanité puisse remplir tous ses huts sur la
terreo


Mais iI ne suílit pas que l'Autorité polítíque soit
légitime 011 paraisse l'étre aux yeux de la société
qu'elle doit gouverner, II faut encere, cutre celu,
qu'elle le soít ou qu'el\e le devienne aux yeux des au-
tres sociétés, couforrnément á I'esprit el ú la lettre
des traités qui existcnt entre les divcrs Üals; qui
déterminent leurs droits et leurs devoirs récipro-
ques; et qui exprimcnt enfin la législatiou générale
et particuliere, désignée SOtiS lc nom de Droit des
gens. On le voit : si, d'un coté, la Nation doit
aoouer authcntiqucmcnt qne la possession du Pon-
voir supremo n'est pas contraire aux lois morales,


1 \1. lIu"lle \\ 1!i1i"kl,J/isiunu,\ujl/ti, UIl \C1';IU:!~ de tIlisunri,
H' partie, [0111. 11, pil". ui.




- \\I\-


(1'1111 nutre colé, l' Europe doít recounaitre authen-
tiquement aussi que la constitutiou de ce Pouvoir
est pure de tout acte d'immoralité. Ainsi, deux
conditions essentielles et obligatoires sont impo-
sées iJ. toute dynastie qui prétend se fonder : l'aveu
iuuional , absolument spontaué , et la reconnais-
sanee étranqcrc , exprímée par l'adhésion égule-
ment spontanée de tous les Souverains des autres
États, qui [ormeut ensemble le corps politique de
l'Europe (1). Ce double concours moral et positif
une foisobten u, le fait divin prend ou peut prendre
possession de la conscience hurnaine ; la force ma-
térielle cede la place au droit, le tyran au monar-
que, l'esc1ave au sujet : en un mot, l'autoríté et
la liberté pésent alors d'un poids égal dans In
balance des destinées communes !


Cette investiture du Pouvoir, par le double aveu
de la nation a laquelle il est destiné, et des chels
de tous les autres États avec lesquels il est ou
110it étre en relations, devient d'autant plus néces-
saire que l'action de toute autorité est double elle-
méme, puísqu'elle s'exerce simu1tanément et á
l'intérieur el aI'extérieur, ou mieux, sur le monde


1.\1. 1I0(;né wrnnski. tt istoriosophic ou seiel1l'1: de tItistoirr,
11' partie, 10m. u, pago 07 el suiv,




~ xxx -


politique proprement dilo On concevra facílement
qu'un parcil usage n'ait pu s'élablir que dans une
époquc 01'1 les relations de Souverain á Souverain,
de peuple ú peuple , de gouvernement a gouver-
ncment , déterminées depuis Iongtcmps , ont été
régies par des principes Iixes , nu seul effet de
Iormuler une garantie générale un droit assez
puissante pour prévenir l'ubus de la force, pour
contcnir les élements danarchie toujours prets h
se déchainer contre l'ordre social et pour Iavoriser
le mouvement graduel de chaqué Etat particulier,
en regard du progres de tous les autres États civí-
lisés.


Voilá bien, ce me semble, les idées qui servent
maintenant de hase nu systcme politique de l'Eu-
rope , dont tous les actes internatiouaux émanent
de tels et tels traites ou les qucstions relatives un
muintlen d'une uneieune dynastie, ses droits étant
indestructibles. et ú la fonrlntion d'une dynastle
nouvellc, ses droits n'étant pus encore créés, sont
résolues par nvanee, de maniere ú ce que les basaros
d'une révolutioll,!Ji les capriccs du sullrage univer-
sel dan s un État ou l'amhition d'un indivídu , ne
puissent snfrnindrc les regles Iondarnentales de In
constltution européennc. Benjamín Constant a done




- XXXI -


('11 rnlson de le dlre : u La Monarchie n'esl point
uno préféreuce accordée á un homme aux dépens
des autres ; c'est une suprématle consacrée d'a-
vance : elle décourage les ambitíons, mais n'oflcnse
point les vanités ; l'usurpation exige de la part de
tous une abdicatíon immédia te en faveur d' un sen1;
elle souleve toutes les prétentions ; elle met en
fermenlation tous les amours-propres..... un Mo-
narque arrive nohlement au treme; un usurpateur
-v glisse ú travers la boue et le sang ; et quand i l
y prcnd place, sa robe tachée porte l'cmpreintc de
la corriere qu'il a parcourue (1) .•


Le droit public de l'Europe, tel qu'on le définit
de nos jours, rend heureusement impossible toute
usurpation analogue , paree qu'il est fondé sur les
lois morales. C'cst la, saus contredit, une gnrantic
positive de c1ignité, d'harmonie, ele repos, de bien-
étre pour les nutions uuxquclles 011 assure, avec
une sage répartitíon d'un territoire limité et des
divers buts du monde politiquc, le développement
libre el sans limites de toutes les Iégitlmltés Illl-
maines,


'1 111' resllri/ de ronuuin 1'/ di' tnsnrpntion, duns /I'I/IS '"]":
j)"'/s arcr /11 eirili,l/flillll ,'IU',,/II,'UI',', l l" 1''1111/'. eli:'!" 11, I';I~.
7/¡-7Ij, :Jo' ,'dil. '1 H1 11.




-- XXXlI -


Non-seulement, la créntion de ce droit public n
empéché bien des iniquités particulieres, mais en-
care elle a sauvé la civilisation de l'Europe monar-
chique, en la protégeant centre les envahissements
des sectes répuhlicaines qui avaient juré la des-
truction de toutes les dynasties. A voir la nature
des événements que I'histoire enregistre depuis
pres d'un síecle, il nous semble permis de penser,
en eflet, que les Boyautés modernes auraient subi
le sort des Royautés antiques, si elles n'eussent
opposé une barriere diplomatique infranchissablc
a taut de principes et tant de voies de fait con-
traires aux lois morales par lesquelles Dieu , étre
incréé, preside luí-rnéme al'accomplissement des
destinées transitoires de l'étre collcctíf el raison-
nable qu'il a créé !


Itcportons-nous done vers ces tem ps qui expri-
ment á la fois la chute de l'homme et cclle des so-
cié tés. Un seul pcuple conserva le sentiment de cette
chute: souillure morale et universelle que le Créa-
tour promit d'effucer avec son propre sang ; mais
toutes les uutres nations de la terre oublíérent
méme la celeste promesse. Des ce moment, le but
du genre lnunuin fut déplacé. Car, au lieu de sui-
He une direction divine, il ne suivít plus désor-




- \\XTTI -


mais qu'une direction satauique ; el il réalisa ainsi
la barbarie sous le nom d'une civilisatlon mon-
strueuse, issue du mal prirnitif, pour se perdre
dans le mal définitif (1).


Tout concourut au suecas de cette horrible
entreprise , et l'humunité défaite n'eut ricn á
espérer que de la uiisérícorde infinie du Tres-
Haut l Les cités el les dynastics ne s'élevaient plus
50U5 la protcction de Dieu, mais bien 50lJS celle
des oracles, remplíssant, dans le Paganlsrne, le
role que le suffrage universel remplit maíntenant
au sein des socíétés prétendues chrétiennes. Cha-
que chef d'Empire naissant se posait dans le monde,
non comme le rcprésentant de Dieu, en tant que
Souverai n, e'est-á-di re in torprete social de la loi
rlivinc ; mais comrne Dicu lui-méme, en consa-
erant parmi les peuples le dogmc de la pluralité
des Dieux el, par conséquent, le principe de la di-
vision humaine, pour míeux détruire le príncipe
de l'unité uníverselle : seul apte a préparer
I'homme de la chute au salutaire bienfait de la
Rédemption ! Ainsi, jaloux de fonder son pouvoir
absolu par la dictature de ses propres lois, chaque


'1; \1. Francis Lacomhe, ¡:;!II!l,'s SIII' les Sorialistrs, 1'" parlip,
('JI:II'. 11, pago :Jí.


l.




- XXXI\" -


Monarque abusait non-seulemcnt de ses sujets,
considérés en tant qu'ctres raisonnables, milis il
abusait encare de Dieu, considéré conune príncipe
génératcur el, régénératcur de toute puissance.


La Souvereineté, comprise et cxercée de la sorte,
loin de répondre ula loi de son origine et, par
conséquent, á ses fins augustas ici- bas, en y sauvc-
gardant la justice el la moralité duns les rclutions
sociales, ne pouvait que compromcttre, par sa pro-
pre ímmorulité et par ses iuiquités, le hu 1suprcme
des sociétés h umaincs. II en resulta 'IHe tou Les les
disposiLions législatives nécessaires au muinticn
de l'ordre public nc Iureut , en quclque sorte, fa-


vorables qu'á l'anarchie, Deux peuples, mission-
naires providentiels, sortirent bicntot de Icurs ci-
tés, el. fireut rentrer l'humanité dans ses voies, au
110m de la liberté qu'elle devuit conquérir : cal'
son émancipation était positivement néccssuirc
pour étre digne de mériter, apres tant d'iudigni-
tés successíves, la gráce absolue de Dieu [


Te! est le sens moral de ces époques Iamcuses
01'1 la Grece et ltotne entreprirent, tour-á-tour,
(le suhstituer , dans l'univcrs, Ic príncipe répu-
hlicain au príncipe monarchiquc, ou micux de ré-
gl'nércr la forme de lOtllc~. les sociétés, Duraut




ces périodes révolutionnaires, blen des couronnes
furent aplatics sur le front des Ilois ; et la plupart
des sceplrcs furent brisés entre leurs maíns,


« II sernblait, (lit un écrivain moderne, que la
race en fút ú jamaís retranchée. Pour la dignité du
genre humain, il n'en étaít pas ainsi, Dieu 11e l'a-
vait pas maudite, mais njournée : sa peine n'était
qu'une expiation passngere. Dieu la teuait en ré-
serve pour des dcstinées nouvelles et mystéricuses.
Dégénérée en Asir, su terre natale, péuiblemeut
émígrée sous les feuillées eles foréts gfTlIlllniques
ou daos les neiges scandiuaves, la Iioyauté atten-
duit le Christianisme (t). ))


El peudun t q L1C le peupie romain asservissait
tontes les Monarchies aux lois de su propre Hépu-
blique, Marius, Sylla, Pompee, Jules César, tra-
vaillaicnt au sein mérne de ltome, par les proscrip-
tions et les gilerres civiles, á trausforruer cette
Hépublique en une sorte de Monarchie ; mais la
pire de toutes. L'ere des Césars, que je ne sais
quels écrivains ont tant célébrée de 110SjOurs, sor-
tit de eette sítuation immorale; et Auguste entra
dans l'histoire avec le titre d'Empereur, devenu


!-1 ". ,~. (10 ":'¡~l'-""i"! if,\/oil" Ir (,1 Ilrl//IIII/I. TOIII. 1"'. l'l'u-
{¡:(/{IJ/I¡'II(S.




- \\\\1 --


le symbole de la puissance milltaíre, íllimitée et
absolue.


«L'Emplre, dit un historien rccommandablc,
ne fut pas une Monarchie, mais une dictature pro-
longée: les Empereurs ne gonvernant qu'en tant
qu'ils réunissaient en eux toutes les fonctions des
ancieus magistrats. Le Iondemcnt de lcur uutorité
(leur titre méme l'iudíque) étnít la force; el la jll-
ridíction civilc leur servait ü couvrir l'usurpution
militaire, aussi nécessnire que fuelle.


« TI n'y avait done pour eux ni ordre de succes-
sion, ni mode légul ú'élcction ; ils furent des
fyralls et non des rois ; leur pouvoir fut immorléré,
mais précaire, des norns anciens servaient 11 mar-
quer des choses nouvellcs. AlIgllsle, cm-ay(: pitr
la mort de César, n'osa donner ;\ son gouvernc-
ment aueune forme stuble, ni lui fixer des limites,
de peur de montrer aux Ilomains que son pouvuir
n'en avait paso C'est done a lui qu'il faut imputer
les abus de ses successeurs, dont les vices poussés
á l'exces ou les vertus intempestives entrnínerent
la ruine de l'Empire , c'est á luí qu'il faut deman-
del' eompte du despotisme mílitnire, la pire des
tyrannies, paree qu'clle tue les passions gcnóreuses
qui sont la víe de la société , et uussi des prétcn-




- \:-.XV[[ -


tions sans mesure des prétoriens et des boulever-
sements fréquents qui, apres avoir anéanti la mo-
ralité des soldats et effacé les souvenirs qui survi-
vaient parml le peuple, pennirent enfin á Dioclé-
tien de s'crnparer du pouvoir absolu ; puis it Cons-
tantin de consommer la révolution, en abolissant
jusqu'aux anciennes formes et aux appareuces de
la liberté Cl). ))


En partant du regne d' Auguste, si l'on veut ar-
river a cclui de Diocléticn , il Iaut traverser bien
des mussacrcs d'Empcreurs, comrnis souvent par
les prétoriens, c'est-á-dire par ccux-la mémc qui
ouvrirent, au petit-Iils de César, le vaste horizon
de la vic impérialc. A peine tous les maitrcs du
iuoude cciguent-ils le diaderne, qu'ils se foot ado-
rcr counnc des díCIIX ct qu'ils se conduiscnt
conuno des tigres. Tibere, Néron, Caligula el tant
d'autres obtienueut les suflrngcs du peuple, tou-
jours prét it subir la dictature d' un hornmc, ou á
l'exercer pour son propre compte. Néanrnoius les
Elllpprclll's ne s'huuumisent pas, upres s'úlre d(~i­
lié~,; cal' le Hnmain civilisé rcugi t bientot con tre
leur oppression ilVCC le secours de la barbarie.


1 \l. C"S,lI' Cantu, ll istoi¡« IIIÚ ic¡,;)c!" .• TUIIJ. 1", ¡"I<:. :Ju-:!7,
)'cilio, lli~.).




.-- .\\\ \ 1Il 0-.


Mais ce u'est déjh plus I'existcnce de l'Fmpereur
qui est en danger, c'est l'existence mérne de l'Em-
pire. Il va périr, ú moins qu'il ne se transforme de
fond en comble, qu'il ne recule, pour ainsi dire,
dcvant les progres d'une civilisation nouvelle, et
qu'il ne se retrernpe virtuellement dans les CiJUX
du christianisme : symbole de la régénération
humaine par le sacriflce divin!


Cette transformation merveilleuse, Constantin
la réalise mntóriellerucnt en s'inspirant du génie
chrétien, Apres avoir partagé l'Empire en quatre
préfectures, divisées elles-memes en diocescs et
subdivisées en provinces : apres avoir organisé ,
sous le nom de Patriccs , une aristocratic nouvelle
el monarchique , par conséqucnt hostile a l'aristo-
cratie républicaine , pleine de vieux Sénateurs ;
apres avoir créé le titre de Nobilissimus pour les
princes du sang , ü l'effet de Iaire prévaloir les
idées dynastiques; et enfin , apres avoir trans-
porté le siégc de l' Empire, non ü Nicomédie, vílle
de pluisancc , mais ú Constantinople , ville-mai-
tresse qui garde les deux clefs avec lesquelles on
fcrme l'Europe et l'on ouvre l'Asie, Constantiu ,
Empereur et Souverain- Pontife , chef d' l~tat poli-
tique el chet de Heligiou , ruontre aux peuples




qu'il pcut changer tontos les lois du monde. II
n'a besoin pour cela que de rcnverser la statue de
Jupitcr , ou rnieux de dresser , au milieu du Capi-
tole, centre de l'idolau-ie, une simple croix , por~
tant cette inscription : Eccc homo : Yoílá l'homme
et voilá Dieu l


Par ce douhlc rctublissemeut du príncipe de
I'uuité divino et du príncipe de l'unité humaiue ,
au-dessus des innombrables divisious qui re-
gnaient a101's parmi les hornmes, Constantin Ionrlait
positivcment une société nouvelle, ayant pour but
d'opérer dans son sein la réeoneiliation univer-
selle, en vertu de la réhabilitation morale de cha-
cun, libre ou eselave, á l'égard de tOIlS. L'Empe-
reur s'inspirnit done, en cette circonstance, du
vrai sentiment de l'humunité que Dieu seul , pal'
son intervcntion manifeste, pouvait extraire de la
barbarie.


Quoiqu'il Ilt servir ainsi les prérogutives du
Souverain-Pontife u introduire le Christianisme
dans l'Empire , Constuntín , déjh Hoi héréditaire
SOllS le titre d'Ernpcreur , ne songea nullement á
nhdiqner 5:1 ';ll¡m'~I1Ii11 ir spirituclle : il est vrai que
les ¡';ve(lue:)!le la lui contcstcrcut point au Concile
de \1 icóc.l\éaulllOins, lIU cxeuiplcsu lu taircfut donné




- XL-


aux Chefs des sociétés le jour al! le jeunc Grulicn ,
se dépouillaut lui-tuéme de ceue pulssuuce , re-
poussa, comme sacrilégc, la robe de Grand-Prétre,
et publia un édit par lequcl « il renvoyait ill'tH~­
»que de Ilome l'examen des autres prélats , aíln
• que ce ne fussent point des jugos profanes qui
» conuussent de la religion, muis un Pon tire de la
D religión avee ses collegues. u


Cet acte memorable et conforme aux dogrncs
établis par le Christ, tracait une ligne de démar-
cation posilive entre le pouvoir temporel et le
pouvoir spirituel, ayant ehaeun désormais un do-
maine spécial et une direction spéciale , puisque
l'un se réscrvuit la conduite du monde politique ;
I'autrc , cclle du monde religicux. Deu\ socíétés
completes se trouvaient done en présence , lJOB
pour réagir l'une contre l'uutre , muis pour s'i-
denlifier moralement et ubsolumeut dans les hau-
tcs régions , c'est-á-dire en principe , sinou en
fait; cal' toutes les deux ne se réalisaient dans le
temps qu'á la seule fin de développer la moralité
parmi les honnnes, ou mieux, de leur íaire opérer,
en eux-mémes el par eux-memcs, la sublime con-
quéte de l'éternité !


Le Pape, de tucuic (IlIC l'Empcrcur , dcvuit




-- XLl -


donner et douna , 8n eífet, ü sa puissuuce, le carne-
fJ~re de l'universalité. L'unité du Sacerdoce était
encore plus néccssaire que l'unité du Pouvoir ,
puisqu'il s'agissait surtout de réaliser , en Iait et
en príncipe, une civilisation morale universelle ,
pour triompher complétement de l'imtnoralité
générale, La Papauté siégea daus R0111e, et
cette capitule du monde antique devint la ca-
pitale du monde nouveau ; muis l'Empire se con-
fina lui-meme dans Coustantinople . Bicntót ,
C0ll1111e si ce deruier cut déjá comprís que la civi-
lisatíou chréticnne était négative pour lui, il vou-
lut étre négatif pour elle. Ce Iut le signal de sa
chute, que Dieu [ugoa nécessaire ú ceLte heure
sUl'retlle 01'1 son WllV1'C de redeurptiou se trouvuit
ctrangernent cumprouiise. Les Barbares répoudi-
rent, de toutes parts, Ül'appel divin ; el leur framée,
iustrument de conqueto , 11e respecta que la croix.
Lorsqu'ils cureut rcnversé I'iustitution impériule,
dont la forme décrépite était un déf depuis long-
temps jet,': aux idees nouvcllos , il nc resta plus
rien de la société antique , si ce n'est le souveuir
de ses saturnales odíeuscs, de ses crimes et de sa
dégrada tion ahsolue.


Soudaiu, une civilisuuou rcgulicrc se cree duus




- XLII -


les entrnilles mémes de la barbarie! tout scniblc
mort; maís tout va renaftre. l.'Empire a cessó
0'6t1'e, paree que la servitude n'avait plus de huí
moral; nons assistons á la Iormation des Menar-
ehies modernes qui doíveut régénérer le monde
par la liberté. L'Église, société morale univcr-
selle, donne déjá le baptérne il plusieurs Ltats ou
sociétés politiques particulieres. Les Francs et les
Goths , prenant au Christianisme l'élément incou-
ditionnel de toute constitution sociale , douncut ,
á leur tour, au monde, la Iloyauté , c'est-a-
dire le principe eonditionnel de toute constitution
poli tique. Théodoric et Clovis se partageut le gou-
vernement de l'Europe; et avec eux ou leurs suc-
cesseurs , le génie monarchique en gendrera peu Ú
pell les grandes nationulités des tcmps modcrnes ,
lorsque la rivalité de lcnrs diversos institutions
aura montré, une fois de plus, pour I'éducatiou
pratique des peuples, le dualisme du princi pe
d'hérédité royale exprimé par les Princes, et du
principe d'électíon , exprime par leurs sujets. Les
Fruncs muintienneut l'hérédíté duns toutes Ieurs
dynasties ; les Goths, au contrnire , I'abolisscnt :
el l'histoire, par la ruine de la conquétc gotIJiqlle
el la stabilité de la couqucto Irauke , I1Uli~ tll'-




- xuu -


prend lequel de ces deux principes Iondamentaux
est le plus favorable au développement des gé-
nérations humaiues.


Lorsque Charlernngne, chef ternporel de toute la
chrétienté, cut Ü!Ít prendre ala Royauté francaise
les immenses proportions de l'Empire d'Occideut,
il ne transforma pas son pouvoír héróditaire en
un pouvoir électif; mais il identifia personnellc-
ment les deux autorités coutradictoíres pour cons-
tituer l'unité de sa puíssance. Cette immense
révolutíon, qui réalisa transitoirement le bonheur
de l'humnnité , provoqua ponrtaut bien des désas-
tres, en retombant sur la tete de Louis-le-Débon-
naire qu'elle cerusa. L'esprit de chnngcment et de
morcellernent prít racine dans le sol de I'Europo
entiere. Les ficfs Iéodaux , j usque-la non hérédí-
taires , le devinrent; el la Royauté, jusque-Iá
heréditaire, devint élcctive. Cette mutation de
formes politiqucs ne pouvait avoir clle-méme un
caractere définitif, paree qu'elle aurait fait ob-
stacle a la progrossion générale des ídées chré-
tíennes. Aussi le principe de l'hérédité raya le
triumpha-t-il hicntót sur la ruine absolue du prin-
cipe d'élection, Des-lors, en Frunce, en Germa-
uic, (:11 Augleterrc , t11 Iíussic , eu Espagnc, el!




Portugal, en Hongrie , partout les Monarchies se
constituerent largement pour servir de base ct
de levier aux nationalités continentales. Enfin ,
la Papautó, dont les peuples et les Ilois accep-
taientl'auguste suprématie, íntervint directernent
dans leurs debuts Oll dans leurs querelles souvcnt
injustes , au nom d'une religion de justiec et de
paix ; elle forma ainsi l'unique Monarchie univer-
selle possible, paree que, étant seule purement
inorale , elle doit , a ce litre, dírlger l'Europe
chrétienne dans la voie pratique OU ses destinéos
peuvent s'uccornplir.


Ou a souvent nié, dans un hut de politíque
mosquino Oll d'unpiúté , la gruutlcur de ceue ins-
titution religieusc, el I'inllucnce providcnticlle
qu'elle exerca sur la civilisation , durant tout le
Moyen-Age. 11 nous faut done invoquer id le tó-
moignage d'un ministre protestunt , c'cst-á-dire
d'uu eunerui, qui resume en ces termes les glo-
rieux truvaux de la J[oJ1arc/¡ic pontificale : « Elle
rapprocha los nations , afflrrue-t-il ; ('lit' fui pour
les États ce que la puissance publique est POUl'
les particuliers, un pouvoír couctíf et menncant.
Ce Iut un tribunal suprcme élevé au milicu de
l'uuarchic uuivcrsellc, el dout les arr0L::; Iurcut




- ,LV-


(,filclquelois aussi respectabtcs que respectes: elle
prévint et arréta le despotisme des Empereurs ,
remplace le défuut d'équilibrc , el diminua les in-
convénients du régime féodal (1). o


Soyons plus .i ustcs, La Papauté lit mieux que
cela; elle fit surtout davantnge , afin d'obtenir la
rcgénératiou morale de l'hornme et de la société ,
duns un ternps OÜ ron ne reconnalssait, en quelque
sorte, que la force pliysique el le glaive, centre
lesquels elle réagissait avec la seule parole de
Dieu l N'est-ce pas elle, en eflet , qui dressa les
tables de l'affranchissement humain pour obéir Ü
fa volonté divine? N'est-ce pas elle qui transforma
l'homme-escluve en citoycn-Iibro , et les rois-
tyr.ms en rnonarques-chrétíens , c'est-á-dire ehar-
g¡':s de réaliscr daus leurs gouvernements les
maximes évungéliques, établissant une tnorale su-
périeure ü tout droit positif? N'est-ce pas elle ell-
fin qui, par ses Conciles el par sa proprc constitu-
tion, a révélé aux peuples l'esprit et la forme des
Monarchios représentutives , considórées comme
le dernier terme ele la grandeur chez les peuplcs
civilisés et exprimant le príncipe du libre exu-


T F. Anr illnn, 't'ahlcau des rcrol, da S,IIst. polit . de {'EI/NI!)I'.
rom. 1". lulrud., pago i:JO.




- 'ir.YT-


men nppliqllé h \'~:tat, dans l'(~tat, (le mérne qn'Il
fut, des l' origine, appliqué a l' Église , dans l' Í~~
glise, pour favoriser universellement la réalisation
progressive du Verbe au sein de l'humanité?


11 Iaut bien l'avouer : durant les síecles de foí ,
la Papauté accomplít potentiellemcnL l'émancipa-
tion gruduelle de la raison , qui , depuís , s'cst
retournée centre elle et a tant abusé de sa propre
indépendance morale, qu'elle se heurte aujour-
d'hui centre des entreves matérielles !


Cette révolte, parLie, de l'Église, boulcvcrsa cha-
que État, en faisant le tour du monde intellectucl.
Privé d'un principe absolu ou incondltlonnel , le
libre examen a créé le Protestantisme rcligieux et
politique; mais il détruisit positiverncnt l'uníté
supréme qui existait dans l'esprit humain , ou-
vert désormais aux divisious les plus immora-
les et les plus inconclliublcs , mais Ierrné a toute
rJirection supérieure , généralc, universelle, et né-
cessaíre pourtant, si l' OIl veut garan tir les destinées
augustes de l'humanité. Le SaíutSiége ne fut
plus, des-lors , ce qu'Il avait été depuís Gré-
goire VIl, ni ce qu'il dcvuit étre : le centre de la
Iédératíon morule de tou tes les Mouarcbies, inspi-
rées pilr Ir !d'nip df' In Papuuté : symbol« dívin de




- XT.Vn -


la déllvrance humnlne, Puisque les progres de la
cívilisution luí ont été funestes , ah! gardons-nous
du moius ele méconnattre , enfants ingrats que
HOUS sommes , les innnenses bienfaits de cette in.
stitution , mere de toutes celles dont le monde
s'honorc, paree qu'elles l'ont fait ce qu'il est, ou
mieux , ce qu'il devrait etre! Quoí qu'il en soit,
iuununhlc daus son principe , comme tout ce qui
emane de la Diviuité , ou comme tout ce qui est
diviuerncnt liumain, si l'on peut parler de la sorte,
la Pupauté scrvira toujours de base aux transfor-
matíons humaines ayant une destinatíon divine.
Cal' si les divers peuples de l'Europe ont un but
diílérent ou distinct , en tant que Francais, An- . c·'


;, \ ti- •'¡~'i .
glais , Ilusses ..\Jlcmanels, etc., ou mieux en tant --:.~
qu'appurteuaut it tel ou tel Étut, c'est-a-dire le but
urerne de cct 1~lal; uu chréticn , en tant que chré-
tien , ne sauruit avoir d'uutre but que l'uccornplis-
sement du Christiunisme lui -méme.


Pour avoir méconuu cettc grande 101 1110-
ralc , d'ou dócoulc nuturellement le précepte pru-
tique de la Iratcruité des peuples el des individus,
l' Hal. moderno llIallqlle d't'~(lllilibre;el, suivant le
mol proluud de Luther, il « rcsscuible ir 1111 paysun
.ivrc. Veut-on lc mettrc d'uu {'Úl{'~, iI retumbe de




- XT,VlT! -


;, l'autre, >, En eflet, H. mesure que le Pouvoir spirí-
tuel des Papes, symbole de paix et de mansuétude
aux yeux des peuples, perdit. du terrain dans le do-
maine de la civllisation, le Pouvoir tcmporel des
Ilois l'envahit brutalement; et les destinées de
I'Europe furent nbaudonnées , pcndant plusicurs
siecles, aux chanccs aléutoires des butailles.Chaque
tróne , plus ou moins élevé , aspira positivement h
rernplucer morulernent le Saint-Siége , soit en fa-
veur du catholicisme, soit en fuveur du protestan-
tísme. Bíeutót le príncipe d'ufflrruution disparut,
écrasé par la négation 011 le matérialisme des faits,
L'unité rcligieusc, sociale el. politique dísparut ;
et uu milieu des divisions les plus désastreuses,
on vit surgir avcc stupcur un Ponvoir occnlte qui
S(~ dressait contre tous les I'ouvoirs ofliciels , afín
d' assurer l' indépendance des 1:: lit! s el la liberté des
íudívidus , également comprornises depuis que la
Papuuté u'ui ait plus la puissance de les proteger.


Loin de remarquer , durant cette situation si-
nistre, la répugnance morule et pour ainsi dire 01'-
ganique, tant elle est invincihle , que I'homme
éprouve pour tou te dornínntiou arbitraire, les chefs
d'¡'~lats y uouvñreut I'occasion de Iortificr leur des-




- \LTX -


potisme: de sortc cIllc plus ils s'ólcvaíent matériel-
lement; plus ils tombaient inorulement.


Au lieu dc restaurer le droít, considéré comrue
cxpression absolue de lu justice, les Monarqucs es-
sayerent de régler l'Europe en cornbinant les at-
tructions el les rópulsions des peuples entre eux,
afin d'établir un certain équilíbrc , sans prcndre
garde qu'ils transformuicnt uinsi le monde moral
en monde physique ; et que, par conséquent, ils
déuiorulisalcut eux-mcmes I'humauité. Ce systérne
de contre-Iorcc , -- comme on l'uppelle dans la
languc diplomatique - ayant pour but d'opérer le
salut des nationalités, et, par suite, celui de la ci-
vilisatíon monarchique, precipita et devait préci-
piter leur double chute; puísque les rapports qui
unissalent les l~:tats entre eux, les Souverains ú
leurs sujets , les sujets ¡'¡ leurs Souveruins , et
I'hommc ti l'homme dans les sociétés, étant déter-
minés hors des príncipes chrétiens, u'uvaicnt plus
et ne pouvaícnt plus avoir de cohésíon morale.


Ln bouleversement général était done íuévita-
ble, disons mieux : étaít Iatalernent nécessairc, par
cela seul que l'Europe , aynnt fait fnusse route en
s'éloiguant du Bien el du Vrai, avait besoin de re-
cucillir tous les détcstahlcs fruits du Mal et du


L




- L-


Faux, pour revenir d'elle-iuéme aux príncipes in-
conditionnels quí maintiennent l'ordre dans la el-
vilisation. C'est alors que la Bévolution Irancnise
déclara la guerre aux Royautés européennes, avec
l'Intention evidente d'accomplir leur dcstruction et
deprocéder á la dissolu tiou totalc dcsl.tuts, sous pr(;.
texte qu'Ils avaient méconnu les droits de l'homme
et qu'ils n'ofTraient plus une garantic suílisante aux
sociétés humaines, en travail de régénération ah-
solue. Il importait de constater l'origlnc morale de
cctte efTroyable catastrophe , et M. Cuizot l'a Iait
U la maniere des hommes d'État qui remontcnt
des efTets aux causes et reconnaíssont ainsí la
déterminatíon finale de chaqué évóncment hu-
maín :


« En 1.78a, dit-il, quand la Révolutlon a éclaté,
la Itoyauté francaíse était représcntée par un prince
rare, quoiqu'il n'eút rien de supérieur ; vertucux,
sérieux, de mreurs simples upres Louís XIV, de
mreurs pures upres Louis XV, modeste j US(lU'á
l'humilité, scrupuleux jusqu'á l'Irrósolu tion, hu-
muin et hon [usqu'a la Iaiblesse : tourmcnté dans
sa conscience et sans cesse troublc d.ms su con-
duite par l'incohércncc de ses ídécs de droit ct de
devoir : EOII/s .:\ V l doutait de son J'(IJ,'.r;, de SIl cause,




-Ll-


de S()I/ avenir, de tui-iuéme; 1'/ S'¡I/CUlla;" presque,
daus sa pensec, DEVA'IT l\E SOIJVElUJ'IETJ~ AUTItE QUE
LASIE~l'íE; el, en meme temps.il conservait, sur 1'0·
rigine el la nature de son pouvoir, les notions des
temps anciens (l). »


Toute l'hístoirc de la Ilévolution francaise est
renfermée dans cette pago splendide , avee ses
horribles résultuts ct ses cspérances encare trom-
peuses. Non, la Ilóvolution n'est pas sortie des
massacres de septombro , ni du régicide néfaste
du 21 janvier. Nul dócret de la Convention ne lul
donna naissance. Elle est sortie du pieux ccrveau
de louis XVI, qui presscntaít la nécessité d'un
nouveau hut qu'il fallait nécessaíremeut donner a
l'État, pour cxprimer la vie civiJe et politique de la
France; et Louis \VT tomha martyr de eette situa-
lion, non sous la guillotine de Robespierre que
nons n'entcndons pas justifier, mais bien plutót
sous le coup de sa propre pensée royaJe qu'il lui
était impossible de définír !


Le principe de la Souveraineté du peuple ter-
rasa le príncipe de la Souveraíneté monarchique.
Le lroit huuiain écrasa le droit divin, quoique
cette ole -de-fait, dlrígéc centre Dicu lui-mcme,




- LII-


en tant que créateur des lois morales, cntratnat
positivement la ruine de l'humaníté et le triomphe
de la barbarie, qui prit le nom de TERREUR. La
Révolution francaíse, alors invincible en fait et en
théorie , combattit víctoríeusement toutes les
Royautés européennes, pendant un quart de sié-
ele, SOllS la forme d' une République imperson-
nelle el foudroyanle d'abord : ensuíte sous la forme
d'un Empire ou d'uno dictature miiituirc, conqué-
rante et personnelle. Quoique ses crimes et ses
vlolences de tout genre fissent méconnattre le sens
moral el le véritablc esprit de justice qu'elle avaít
pour but de répandre sur la terre, l'Europe mo-
narchique les reconnut néanmoins, puisqu'elle
traita, tour-u-tour, avec les divers gouvernements
que la Franco d'alors se donnait, ou plutót subís-
sait avec une résignation futidique. Cependant ,
bien des États furent détruits; beaucoup d'autres
furenL alternativement créés , soit pour elle, solt
contre elle. Aprés avoir lavé le sang du Boi-mar-
tyr dans le sang de toute la nation; apres av~ir
ennobli son drapeau , a force d'héroisme, par ues
victoires splendides qui le firent flotter dampres-
que toutes les capitales du continent; (lpr';, avoir
détróné tant de dynastíes ct institué tan'UC Son-




- Ulr--


verains, pris au milicu de ses propres sujets , la
Ilévolution fut reconduile ü son tour, de défaite
en défuite , [usque dans sa capitule , ou les Ilois
coalisés, redevenus mnítrcs des destiuées du mon-
de, comprirent enfin qu'ils dcvaícnt y [aire place
a Dieu et oflrir des garanties positives al'homme,
de méme qu'aux sociétés í


La Sainte-Allinnce, principe moral, fut substi-
tuóc, upres les conveutions préllmlnaircs de Pa-
ris, nu priucipe déquil ibre mécanique entre les
divcrs Etats , el pour micux consacrer leur indé-
pendance d'une facón confurme aux idées chré-
tiennes, en matiere de gouvernement, les Monar-
chies constitutionnelles remplacercnt , prcsque
partout, la Monarchic absolue. Dés-lors, la stabi-
lité de l'Europe semblait eutiérement conquise
avcc la paix. Le problcme du Pouvoir , tel qu'il
doit étre constitué au ~IXP sieclc, paraissait égule-
ment résolu par la Souveraincté du droit divin,
qui octroyait au droit humnin une cxistence offi-
cícllc , c'est-ñ-dire la précicuse faculté de recen-
uaítre, en vertu d'un libre examen, la juslice des
acles de son autorité supréme. Rien de tout cela
n'eut lieu pourtant, Les idees morales, annihilées
ou coutrariccs dans lcur développeuicut rutiouuel,




- LIV-


depuis trois longs si{~cles, par les doctrines ma-
térialistes, ne pouvaient reprendre aussí prompte-
ment possession de l'humunité. La Monarchie
elle-méme, symbolc constítutíf du droít dívin ,
se trouva quelque temps apres , et se trouve
toujours en présence d'un adversaíre formi-
dable, résumant toutes les luttes primitives dans
un combat qu'il veut rendre définitif, avec l'es-
poír de réaliser la Hépublíque universellc : sym-
bale constituant de la Snuveraineté populaire ou
du droit humain.


Aussi, le redoutable problema qui se dressait de-
vant Louis XVI il Y u soixante ans, se dresse-t-il
encore aujourd'huí , plus rnenacant que jamais,
devant toutes les Hoyautés européennes. Sont-elles
destinées II périr, COll1ll1C Louis XVI; ou bien, plus
heureuses que lui, pourront-clles s'élever acette
autorité moralc et supéricure qui doit les sauver?


L'alternative est terrible, sans doute ; mnis elle
est d'une exactitucle mathématique.


Nulle autre issue n'est ouverte.
Eh quoi! faut-il croire que la Royauté, eette in-


stitution positivo el naturellc, cornme tout ce qui
préside légitimemont uux dcstinées des nations , 11e
leur soit plus néccssaírc z Oh! gurdons-nous d'uue




~ r,v-


pareille pcnséc ; car, autant vaudraít clire que les
peuples n'ont besoin d'nucune clireetion partícu-
liére, pour leur faire suivre la direetion générale
que Dieu imprime Ú l'uriivers. Maís alors, pourquoi
tant de partís acharués centre la Monarcliie tra-
dítionncllc, qui ost la scule véritahle, paree qu'elle
exprime le Pouvoir le micux autorisé: et qu'elle est
destinéc il rétablir la solidarité morale ele toutes
les nationulités el de touícs les dyuasties P Pour-
quoi cette crise profonde qui travaílle tous les
f:taLs~ Pourquoi cette stupeur du présent et cette
haine da pnssé , partout OÜ l'on se préoeeupe de
l'uvenir ?..


C'est que, par la maniere dont les Souverains ont
COl1(,:U l'I~lat, dcpuis le eommeneement du síécle,
ils ont prouvé qu'ils n'étaicnt pas plus avancés au-
jourd'hni que no l'étuit Louis XVI lui-rneme , et la
íaute, avouons-le, en est moins ü eux (lll'h nous-mé-
mes. C'est qu'il n'y a plus aucun prlucipe , aucun
dogme, aucuue Ioi, aueune raison, aucune vérité,
dans l'esprit de l'homme ni dans celui eles sociétés.
C'cst (lile l'intérct matóricl domine en l'absenee to-
tnle de j'illién',¡ morul, et la rlocte ígnoranCCRllliclJ
el place du véritnblc SUVOlt', sans lcqucl il ue sau-
rait existe!' de I'ouvoir véritablc. EL de lit vieunen L




- Llt-


ces interminables expériences politiques ou sociales
qui font subir tour-u-tour aux peuples, toutes les
formes du despotismc, toutes les reformes de la
liberté, sans mcttre fin iJ. ectte anurchic formida-
ble, quoique la créaüon d'un nouvcau gouverne-
mcnt soit mis sans ccssc ti l'ordre du [our.


te problema de I'Í~tat reste done ti résoudrc, sinon
cornme forme, du moins eomme fondo }lais cette
solutiou , une el douhle tout á la fois, espere-t-on
l'obtenir par le scul cmploi de la force mutériellc >
Nous ne le pensons pus, cal' le Pouvoir dégéuérerait
alors en un despotisme absolu, 01', le despotismo
u'est pas un prineipe, mais un fait anormal; c'est
la démenee du Pouvoir, et l'Europe, mieux avisée,
en eherehe et veut en trouver la raison. Qu'on ne
l'oublic pas d'ailleurs : tout ce qui se fait contro
la liberté, tout ce 'luí se fait aussi centre l'auto-
rité, est invineiblement nul de sol, Nos peres l'a-
vaient tres-bien compris, lorsqu'cn résumant leurs
droits et leurs devoirs dans l'État, ils s'écriuieu t :
a Éclairer le prince et lui obéir ; tels sont les vrais
v princi pes ('1). "


Résllmons-nous.


1 LI', ]'!,',¡dclll Ilcu.rul}, J1r.'IiIUI'I¡W\ ¡"U'/U u/tljl'S ,\/U t.,
trcisictn« racc .




-- LYlJ -


De tout ce qul préccde , faits 0\1 ídées , il ré-
sulte deux príncipes selon nous irréfutables :


D'une part, une lógislation positive consacre et
doit consacrer ce príncipe salutaíre , savoir: que
les droits réels des Maísons royales au tróne ser-
vent de fondernent ü tous les États européens ,
et que ces droits no pcuvent pérír qu'avec les
Etats eux-mórncs : d'uutre part, une législation
morale consacre ou doit consacrer ce príncipe
également salutaire, savoir : que les droits pro.
blématiques de I'Iiomme servent de fondement
a toutes les sociétés, et que ces droits ne peu-
vent périr qu'uvec les socíétós elles- mémes,
Pareillement, les devoírs des Souverains et des
sociétés sont contradictoires: et c'est eette double
contradiction des devoirs et eles droíts, qu'il s'agit
de mettre d'accord au XIX' siéclc par l'identifica-
tion uhsolue du droit diviu et du droit humain,
des lois morales et des lois politiques, du passé ct
de I'avenír, pour résoudre le problema de l'ÉtElt,
d'une maniere définitive, en créant un bíen-étre
durable el général, sous peine d'étre anéantis par
des catustrophes universelles.


Voila, sans con tred i 1, qucl doit l~tre I'idéal de
J'f:tat h l'époquc af'lncllr.. C'ost l'Ilistolre, c'est la




- [XIII -


Pliilosophle, e'est la Ilaison, c'cst la Foi qul par-
lento « Je les écoutc, selon les belles paroles de
1\1. le eomte de Ficqueluiout, j'écris sous leur die-
tée, je erais done utilc de répéter ce que j'entends:
je le fais ú mes rísqucs et périls ; je ne recherche
pas la tranquill ¡té el' OHtre-tombe; je me sens trop
petit pour ne parler qu'a la postérité ; jc ne rends
pus des oracles quí ne devraieut étre conuus que
longues nnuées apres moi ije désire seulement
parler á mes contemporníus, el, de concert uvcc
eux, cherchcr la vérité (1). u


, I


La vérité l base inébrnnlablc de I'édiílce politi-
que et social! arche d'ullinnce et de salut pour les
peuples connne pour les Ilois ! Oui, no craignons
pas de l'afllrmer, la mission ele tout gouverncment
monarehique peut se résumer en deux mots : Sxvom
et PQtJVOIll. Par le premíer, on crécra les réformcs,
c'est-a-dire le bien, en détruisant les ahus, c'est-
a-diré le mal; et par le second , on réalisern ces
mémes reformes, en distinguant le vrai, pour n~­
pudier le Iaux. Ainsi, les Hois, vaincus trap sou-
vent dans le pussó, restcront vainqucurs sur le
champ de bataille de l'uvcuir, paree qu'ils auront


(1) I.ori! uutm-r«, 11, [',111(11"1111'1' 1'/ ¡, ('olilÍ/U'II/, tOIl1/' l i.,
pagp ,'t:3.




- LI~-


su remédier un désordre extreme qul régne dans
toute l'Europe , paree qu'Ils auront déterminé, en
vertu de leur propro autorité , une tendance nou-
velle émanant <1'U11 prineipe supérieur, absolu,
arte enfin b. exprimer toutcs les forees dívíues et
humaínes, matérielles et morales de l'ordre publie;
paree qu'cnfin la Mouarchíe, fait prirnitif', cst la
forme définitive ct supréme ele l'État dans les civi-
lisatíons chrétienues.


J'avais besoin d'une pareille certitude pour
éerire l'JIistoire de la ¡1Jonarc/de~ non dans l'In-
térét d'un parti, mais dans l'Intérét de la socíété
enropéenne. « L'histoire, s'écriait naguére M. de
Salvandy, avec l'éloquence qui le earaetérise, l'hís-
toirc veut des ames indépendantes et des mains
libres, comme la [ustice. Toutes les chaíncs sont
contraires ¡\ sa nature. »


Cetle haute pensée, je la prends pour drapeau ,
ct j'espere, Dieu niduní , que [e lui resterai fidóle,
ITumhle soldat de la civilisation, je combats en
vue de la pnix gónérale et du progres : unique
objct de mes sollicitudes. Est-ce un leurre de
mou esprit ? Je no saurais le croíre. D'uilleurs ,
- oserei-je le dire z-c-malgró taut de réalltés déce-




- LX-


vantes, iI me reste encare une íllusíon : c'est I'es-
poir d'assister a la fin de nos luttes civiles et au
commeneement d'un régime qui puissc allier ,
parmí nous el au-dessus de nous, I'autoríté sans le
despotisme el la liberté sans la licence, Quel que
soit le prix de mes Iaibles eíforts, je ne demande a
Dieu que la consolation de rópéter, un jour, umes
concítoycns, ce que Socrate disait ü ses [ugcs : -
e Bien que je n'uie rcmpli aucune magistrature,


je erais avoir rendu pourtant des services ú ma pa-
trie, en n'abundonnunt jumuis la cause de la jus-
tice, en ne cédant jumais ni ü la force ni ü l'auto-
rilé, soit du peuple, soit des tyrnns. »




HISTOIRE
DE LA


MON.ARCI-IIE
EN EUROPE.


------ ------ -------------- ----


CHAPlTRE t-.
l.' (:<;I,I:"E ,1I0\AHIITlI: l.\I\EI\SI:r.U:.


Sommaire.


Cettevlonnrclrie est la l'rPlllii're dans l'ordre chrouologique et par son
importa uce moralr. - Eil,' est I1f~ íondntíon diviu«. - l.es c1I1'I'-
tions elles p:üens.- Couuueut ils dilfl'ren! entl\' ('IlX sur la uranier«
lj'l'nl"Ísagpr le íouvoir dans la JI,'rsonlll' d,' l'ElllJl('I'I'Ul'. - (.1111'1
a él,'. le hut des Ht"puhliqnps anciennes, - (,lue] est el doit "'11'1'
le ¡!UI 11('8 \lnllarciJi,'S Pllrop""11IlI'S. - L'I~glis". typc itlt"al dI'
rr::tat. - Lp"olll"r:lill pOllli!'1' duran! Il's p,'!'séclllions.- Consti-
íutiou g"'lIóra!,' d" l'I::glbc I'llrdhlnc sous Cons!anlill.-C'esllllle
_\lonarclJil' nni\prseile, ,"ll'l'lill' l" H'pl't'-scnlnti\". - Sllpl'l'nlilti..
Un Pape' l'econllll(' par h's E111 JI ercurs , par les concílcs r-t par los
(o\"~qlles d'Ori-ul, - \':''I'ssit,', ahsolu« ril' cettc SlllJl'l'Jllillil: pOl1r
maíuteuir 1'1111 i[(', l'amJi les nations ciJl'(',ti"IlJles. - r":1..«Iion .ln
Pape pI des ("I('lJlles. - EXCOlll1l11111icalio1l8. - c(Hlciles.- '10-
nasteres..- PI'I'nJi,'r exemple eles grallds travaux liluus pi volon.
taircs, intellectuels, agricoles el industriels, - Bul moral et hut
posilil' des sociélés.- ItIl'ps g"III'rales sur la Papaulé, cousidéréc
commc puissance lemporcllc el spirituclle,


Entre les Monurchies quí se sont Iorrnécs en
Europe sur les débris de l'Empire romain , la pro-
micro, suivant l'ordre chronologique ainsi que par


1


-.;;i
.


e
el




-2-


son importanee morale, c'est la Papauté, ou mleux
1'F:glise, monarchie spirituelle: née d'une paro le du
Christ, Antérieurc uux dlvcrscs iustitutiuns de Iahri-
que humaine dont l'histoire moderne enregistre
tour lJ. tour la naissance et la mort, seule elle a sur-
vécu a toutes les révolutíons, il tous les progres, Ú
toutes les décadences, paree qu'clle exprime, dans
son origine divine et dans ses fins inconditionnel-
les, des priucipes supérieurs , absolus, nécessaires
aux développements de l'humanité sur la terreo


« VOllS eles bien hcureux , Simon , fils do Jeun ,
» paree que ce n'est point la chair ni le sang
Il qui vous ont révélé ceci, mals mon Pere , qui cst
J) dans les cieux.


» Et moi aussi , je vous dis que vous eles Pierre,
» ct que sur eette pierre je bátirui mon J;:glise, et
» quc les portes de I'enfer ne prévaudront pas
» eon tre elle.


1) EL jc vous donnerai les eles du royaumc des
» cieux, et tout ce que vous lierez sur la torre, sera
n nussi lié dans les cieux , el tout ce que vous d(:--
)) licrcz sur la terre , sera aussí délié dails les
» cieux {l). )


En s'exprimant ainsi devant ses disciples ,


(1) :"aint :\!atlJÍen. xvr, 17,18. t!l.




-3-


l' Homme-Dieu fonduit positivement la plus grande
nutorité qui ait jamáis été constituée dans le
monde. Non-sculerncnt il désignult, par son propre
nom, celui d'entre eux qu'íls devaíent reconnaitre
pour chef, pour son véritable représentant arres
sa mort; mais encare il lui donnait une puissance
spirltuclle ou divine, propre ase maintenir inva-
riablement au milieu des permanentes variations
de la puissancc humuine , nfin qu'ellc déterminát
sans cesse les lois morales et le but final de la vie
de l'homme id-baso - Voila pourquoí l'Église est
comme le roe qui s'eléue inébraulable au-dessus des
vagues oraqeuses du temps (1).


Lorsque tout fut consommé, selon les prophúties
de l'ancien Testamcnt, les apótres se disperserent
sur la surface du globe á l'effet d'y propager l'É·
vangile : taudis que saint Píerre s'acheminait vers
llome, 011 il allait établir le Saint-Siége et trouver la
palme du martyre. Les persécutions ni les suppli-
ces n'empécherent nulle part le développement du
eh ristianisme. Ils prouveren L, au con truire, que
le saug est la semence des chrctiens; et saint J ustin
put s'écrier, dans la prcmiere moitié UIJ 11e siccle :
" 1I 11'est pus de peuple grec ou barbare, pas de


In \1.11111'["1'. 1il' dlunoccnt UI. TUJlI. 1", Ji;¡~. 7'1.




-4-


»nation, quels que soient son nom et ses mreurs,
J) quelque ignorante qu'elle soit de I'agriculture et
»des arts, qu'elle habite sous des tentes ou qu'elle
) s'en ailIe errante sur des chars couverts, chez le-
~ quel ne s'élévent, au nom du Christ cruciíié, des
• prieres au Pere et Créateur de toutes choses (1).)1


te supréme pontificat, que les qrands a¡)(ltres ont
únJn'égllé de leurs doctrines el de (CUl' sanq, se per-
pétue sans in terruption de S. Pierre aLln, Anaclet,
Clément, Évariste, Alexanc1re, etc., qUÍ exerccnt
leur pouvoir spirituel dans les catacomhes pour
échapper, s'Il se peut, aux regards de l'impiété im-
périale. Ccpendant, uinsi que nous l'avons observé
nilleurs, ( chaqué César n'cn voyait pas moins avcc
stupeur les miraculeux progres de I'Évangile. Ce
code régénérateur de l'humanité , les Empereurs
nc purent l'anéantir , malgré les supplices horri-
bles qu'Ils inventerent contre les premíers chré-
tiens, Vain espolr l on les tuait bien, mais lcur doc-
trine prenait une vie nouvelle it chncunc de leurs
funérailles, La proscríption humalne devennít
done ímpuissante contre la clémence díviue , en
vertu de laquelle on annoncalt l'érection d'un Em-
pire qui devait renverser le tróne des Césars, et


(1) nilll, ClIIII TI'!J]I/IO/U',




-;J-


réaliser le príncipe de l'unité sociale il cóté de
l'unité religieuse. Mais la lutte de l'homme ímpé-
riul contre Dieu n'en devient que plus implacable.
Les persécutions sunglantes sont partielles; on les
généralise ; ct tous les chrétícns proscrits mar-
chent á la mort, suivant l'exemple tic leur divin
modele qui lcur a transmis pour symbole une
croix , íustrument de supplice et d'immortalité!


» En ngissnnt uinsi, les chrétiens ne reconnais-
snicnt pas , commc le faisaient les paiens , la divi-
nité périssablc de l' Empereur, maís ils s'incli-
naicnt avec eux dcvant son autorité impérissable ,
en tant que chef visible des peuplcs: admirable
exprcssion de l'obélssancc due au Pouvoir humaiu
et divin, que les rcvolutionuaires ni les impies ne
comprendront jamais, et que les chefs des sociétés
paiennes ne com priren L pas eux-mérnes! e'est ce
qui amena leur chute eflroyuble, dont nous devons
méditer les causes en ce momcnt critique ou la
civilisation européenne subit les memes épreuves,
en attendant peut-étre la mérne destínée.


» A celte époque de concupiscence et d'immo-
rnlité absolue, on voulaít que l'arhre social portút
des Iruits tucrvcillouscmcnt hous, ct la S¿~Vl~ qui le
Iaisuit vivre n'ctuit pus autre que le príncipe du




-0-


mal! La civilisation, telle que le christianisme
venait en révéler le type supréme , était négative
pour lui, cal' elle aílírmuit une sociabilité morale
fondée sur le dogme rédernpteur du calvaire, Le
monde antique avuit réalisé, dans toute son éten-
due, le principe de la liberté politique ou maté-
rielle, malgré la coexisten ce de l'csclavage social
dont il était également l'expression, seIon le but
positif des Ilépubllques grecques et de la Répu-
blíque romaine ; le monde nouveau devait réaliser
la liberté monde ou immatérielle, en rcgard de la
négation absolue de l'esclavage qui n'avait plus
d'expression leí-has, puisque le but positif des Mo-
uarchics européennes étai t d' établir la j ustice hu-
maine sur la moralité universelle , c'est-á-dire de
représenter la réhaliilitatiou morale de l'homme
par Dieu, en vertu du christianisme, de méme qu'cn
vertu du paganísme et de l'idolatrie, les sociétés
ancienncs uvaient representé la chute morale de
I'honnne vis-á-vis de Dieu n (1).


Maís, pour que cette destination auguste du
Pouvoir dans le monde fút pressentie ou han te-
ment rccounue, par les rois aussi bien que par


(1) 'l. J.'¡'illl'i,- L'ICOIII)II'. Etudcs 1IIr les Socinlistcs, 1" parue.
Cltilp. v, pilg. 11/1-11(;.




7


leurs propres sujets , il était d' abord nécessaire
qu'un ordre entíerement moral s'élcvát au milieu
de l'anarchie universclle, qui précéda et suivit
la chute de I'Empírc rornaiu. Ce miruculeux en-
Iautcment cut lícu , pendaut que la iuort déciiuait
les chrétiens, considórés conune les cuncuiis per-
sonnels « des dieux , des empereurs , des lois , des
nllHBurS, de la uature entiere »(1); et l'Eglise ,
avcc sa constitution el sa paix intérieure, sortit en
quelque sorte de leur torube, pour étrc le berceuu
de la civilisation humaine , en forrnant le type
idéal de l'État.


Tant que les persécutions paieunes sévírent
centre les apótres et les fideles , la condition
du Pape, chef visible de l'Églíse, fut celle de tout
l'Épiscopat chréticn. Iíépaudant tour b tour la foi
et son propre sang , il vivait el mourait dans les
catacombes et sur la place publique, a l'instar de
ses autres Ireres en Jésus-Christ qui l'avaient dé-
signé comme successeur de suint Picrrc , seule-


ment , la maniere dont on sollicitait ses pieux
conscils duraut su vil' et la maniere dont on vé-
nérait sa mémoirc apres su mort , nttcstuient aux
gcntils que ce simple confesseur, cxcrcuut sur les


(1) TCllull¡"1I.1/1%lf,¡i'II((:, L n.




-s-


consciences un empíre indéfiuissable , y était au-
torisé par Dicu,


Le jour ou Galérius , collegue de Liclnius et de
Constnntin, publía son édit célebre, qui perrnettait
aux chrétieus de (1 profcsser librement leurs opi-
» nions particuliercs et de se réunír dans leurs
)) conventicules, sans crainte ni trouble aucun t
»pourvu qu'ils conservassent le respect dú aux lois
)) et au gouvernement établi )) (1), fut un jour de
bonheur pour toute l'humanité (\ el mars 3H). Les
confesseurs, quittant les cachots , les mines et
les catacombes , rentrérent dans leurs foyers; ct
I'l~glise entra elle-meme dans l'histoire, avcc la
certitude morale de n'en plus sortir.


L'autorité ecclésiastíque se trouva, des-lors, en-
tierement constituée aupres de l'autorité politi-
que, avec su hiérarehie propre , spéciale , néces-
saire. La rcllglon chróticnne, sclon les paroles de
son divin fondateur, ne venait pas changer la loi ,
mais l'accomplir : aussi, comme pour le prouver,
l' ordre extéricur de l'l~:gl ise n'est-il , sous tous les
rapports, que cclui de la nation juivc , perfec-


(1) Ensebe. lJi"uirt tUi",li({,I/iI¡lIc. viu , 17; -Ladanl'e. Ve
niorte ucrsccutoruiu., ]lile' 3',.




-9-


tionné. Les levites de l'ancienne loi se trouvent
rcmplacés par un sacerdoce nouveau, dont les
membres sont pris, non pas dans une race ou tribu
distincte , ainsi que cela se pratiquait chez les Is-
raélites , mais dans les diversos clusses de la société
religieuse. On lui donne le nom de Clel'gé, terme
qui signifie succcssion, afin de montrer que la com-
munication de l'Esprit-Saint , descendu sur les
apótres , doit continuer dans leurs SUCCCSSCIl1'S~
dcpuis le premier jusqu'uu dernier, puisqu'ils sont
tous également destinés á exprimer la solidarité
morale de toute l'espece humaine, par le service
divino


La constitution de I'Eglise fut, des l'origine,
en principe, sinon en fait, ce qu'elle est encore
aujourd'hui , c'est-á-dire une Monarchie élective,
représentative et universelle. Organisée OH connue
du monde entier, son influence n'a positivement
d'uutres limites que les limites mémes de la civili-
sation. Comme elle represente, parrni les nations
les plus opposées dans leurs croyances et dnns
leurs hahitudcs , le principe salutaire de l'unité ,
sclon la complete acccption du mot, elle a dú 1'C3-
ter elle-meme une dans sa forme et dans son es-
prit, aíin de mieux résumer, en le dirigcant , le




~IO-


développement de la moralité qu'elle a fondeo
sur la terreo Gil trouver plus de liberté et autant
d' égalité que dans cctte Monarchic spirituelle, au
sein de laquelle chacun el tous, le prince et les su-
jets , 1'individu et les assemblées, ne son 1 sonmis
et ne peuvent étre soumis qu'á la loi divine ; el
dont le Chef supréme, élu par un conclave pour
apprendre, aux díverses races humaincs, qu'ellcs
ont une communauté d'origine el de fin. de rú-
demption et de salut , n'est et ne vcut étre que le
serciteur des seroiteurs de Dieu '(


« La suprérnatie monarchique du Souveruin pon-
» tife, dit Joseph de Maistre , n'a point été sans
»rloute, daos son origine, ce qu'clle fut quel-
- ques sieclos apres ; mais c'est en cela préci-
»sément qu'elle se montre divine ; cal' tout ce qui
"existe légitimement el pour des siecles, existe
»d'ebord en germe et se développe succcssive-
)' ment (1).• Quaut il la suprématie spirítuelle des
Papes, établie par le Christ et devenue le principe
Iondumental de l'Église catholique , elle exprime
ton tes les idées recues en ma tiere d' orthodoxic,
muis elle ne doit ríen uux évéucmeuts. L'histoirc


(1) nu ['ape. pa~. ~1. LYOll. 18M.




- 11 -


ecclésiastique nous prouve que, des les premiers
temps, l'Évéque de Ilome exerca , dan s certains
cas, une juridiction positive sur tous les nutres
évéques : aussí les Empereurs et les concites
cux-niémes suivireut-ils l'exemple des prélats
d'Orient qui écrivaient ú Symmaquc , Souvcrain
pontife, pour -témoigner et reconnaitre que les
» brebís du Christ avaient été coufiées au suc-
)) cesseur de saint Pierre daus tout le monde
hubité » (512); ct, pour accepter le Iormulaire


du pape Hormisdas, cornme symbole d'unité (518),
« s'empressant de mériter, dans cette double cir-


» constance, la corumuuion du siége apostolique,
-ou résíde la vérituble solidité de la religion
» chréticnno. »


Cette suprématie , emblerne de I'unité reli-
gieuse el moral e du genre humain, telle que le
catholicisme seul pouvait la réaliser conformé.
ment u sa mission divine, ceLte supréuratíe, di.
sons-nous, fut combattue ou niée par quiconque
se proposa de démoraliser les peuples au moyen
de l'hérésíc : príncipe de toutcs les divisions qui
ont régué el qui rcgueut encore dans la chré-
tienté. Ou prétendít se fonder sur ce que nul
titre particulier ne curactérisait autrelois le Sou-




-'12-


verain pontife, cal' le mot llape, terme grec si-
gnifiant pére et aicul , sc donnai1 généralement
a tous les évéques durant les temps primitifs ,
el il n'a été exclusivement reservé au siége de
Rome, que depuis Grégoire VII (10í3). Muís il
y avait aussi, durant les prcmiers siccles dc l'E-
glise, plusicurs évéques, notamment ceux d'An·
tioche et d'Alexandrie, qui purtuguieut le Li-
tre de Patriarclie avec l'évéque de Bome , tou-
tefois celui-ci n'en avait pas moins sur eux ,
comme Souverain pontiíc, une incontestable au-
torité,


Grégoire-le -Grand s'exprime ucct égard d'unc
maniere eatégorique : (( Ces trois anciens Pu-
» triarches, rlit-il , sont assis sur une scule el
»rnéme chaíre apostolíque ; ils exercent une su-
» prématie, paree qu'ils ont hérité du siége de
)) saint Pierre et de son Église, que le Christ fonda
s duns l'unité , en lui rlounnnt un chef unique pou!'
j¡ préslder aux trois siégcs principaux des trois ci-
» tés royales, afin qu'elles fussent liées du nreud
» indissoluble de l'unité, el liasscnt étroitcment
- les nutres Églises au chef divinemcnt instituó
1) pour étrc le sommct de l'unité cntierc (1). 1)


(1) ~J. César Cantu, ut». uuic, T01ll. f. pdc' 0In:i.




- i3-


L'autorité du Patriarche de Rome était done
positivement universelle , absolue, sans limites,
tandis que celle des patriarches d'Antioche et
d' Alexandrle était toute locale et relative, leur
juridictíon ne dépassant point les bornes de leur
provlnce. lis ordonnaient les métropolitains el
les évéques ; reeevaient l'appel de leurs sen-
tenees; convoquuient et présídaient les synodes;
stutuaient sur des causes plus ou moins irnpor-
tantes, Dans la suite, le nombre des patriarches íut
accrú. Les évéques de Rome accorderent ce titre
et ectte dígnité spirituelle a I'évéque de Jérusa-
lem, á eelui de Constantinople et á eelui el' Aqllilée,
qui les transmit, plus tard, ¡\ l'évéquc de Vcnise ;
mais rien ne Iut oliaugé, relativement au Souverain
pontife, paree que rien ne pouvaít l'étre : l'unlté
du saeerdoce étant la garantie divine de l'uníté des
sociétés humaínes.


[[ Des qu'il n'y a plus d'unité, dit Joseph de
l) Maístre, il n'y a plus d'ensemhle, et toute uggré-
/) gation se dissout. Il y u bien des cqlises , mais
)) plus el'];'gtise. Il y a bien eles eoéques, maís plus
J) d'L'¡Jiscopat. »


En effet, si chaque peuple s'étaít constitué un
gouverncrucnt spirituel, h l'instur de son gouver-




- 1!1-


nement politique , c'cst-á-díre autonome , ne re-
levant que de luí-méme et indépcndant du Souvc-
rain pontife, chucuu aurait el! sn législation mo-
rule partículiere, de sorte que les nations n'ayant
plus rien de commun entre elles, pour tout ce
qui constitue la suprérue notíon du droít et du
devoír, l'humaníté proprement dile aurait ccssé
d'avoir une direction géuérule et uní verselle.
Ainsi, la suprématíe pontificale, base immuable
de l'unité catholique , apostolíque et romaíne,
exprime, en fait et en principe , non-seulement
l'uníon absolue des peuples entre eux qui constítue
l'Immense fumille humaine , mnís encore l'union
de l'homme avec Dieu qui établit I'origine et la ñn
de toute mora lité sur la terreo


Puisque le Christ n'accorda pas un pouvoir égal
a tous ses apótres, ceux-ci ne durent communí-
quer aux ecclésiastiques ou prétres qu'une auto-
rité relative aux fonctions qu'ils étaient appelés a
remplír dans le sacerdoce. En général, on trouvait
pnrmi eux deux catégories distlnctcs : celle des
pri~ tres [aucicns}, ainsi nonuués pour ne pas les
confondre avec les Jaiques, et celle des évéqucs
(isuendants}; Les pre miers recevaient leur rlignitó




- 15-


et leur mlssion sacerdotalo des seconds, par l'im-
posítíon des mains. lis célébraient le saint sacri-
sacriíice, dirigeaient les prieros, survcillaicut les
mceurs de leur cornmunauté ou paroisse, et en ad-
ministraient les intéréts rnatériels. Quant aux
évéques, rcgardés comrne successeurs des apótres
el dópositaires de la puro doctrine, ils baptisaient,
catéchisaíent, administruient les pénitences, et
souvent rendaient la justice aux fidéles, qui ai-
maien t mieux s'adresser il eux qu'uux tribunaux
Iaiques,


« tes pc~sécutions, dit M. César Cantu , ayant
, fait sentir la nécessité de resserrer les liens de la
» société extérieure, les communautés de la cam-
)) pagne se réunircnt il celles des villes, ce qui
), forma les díocescs. lls ne furent pas néanrnoins
-établis généralement, puisqu'á coté des évéques
• subsistuíent les chorévéques, ou évéques ele la
"cumpagne.


- Afln d'acquérir plus ele force, les évéques
)) des diílérentes Églises se réunissaient il celui de
~ la ville la plus illustre par ses martyrs ou par
)) la Iondation apostolique. Celui-ci prenait le litre
» de metropolitaiu ou arctiecéque, et portait le pal-
» liunt pour marque dístinctive. Son autorité spi-




-16-


~ rituelle n'était pas supérieure aeelle des autres
s évéques : il ne fuísaít que convoquer en concilc
»ceux du diocese relevant du sien: c'est pourquoi
»ccux qu'il avuit le droit de réunir étaicnt appelús
D su'[raqauts, 1I les consacraít avant leur entróe en
• fonetions, révisaít leurs décisions, veillait sur la
)J foi et sur la discipline dans toute la province. Les
»éveques des dix provinces suburbieaires ohéis-
s saient au métropolitain de Rome; les évéques de
l) Lybie et d' Egypte, acelui d' Alexandríe; l'Orient
» avait son métropolitain a Antioche; l'Asie-Mi-
» neme, aÉphése : l'éclat des villes ou ces préluts
~ avaient leur siége réjaillissalt sur eux (1) ))


Des l'origine, les évéques et les simples pré-
tres, désirant se dérober aux rcgards profanes
des gentils, ne se vétírent pas autremcnt que les
laiques. Plus tard , ils porterent un petit man-
teau sur la tuníque ; et leur vétement n'a guere
changé depuis : de sorte qu'ils ont conservé, upeu
de chose prés, l'ancíen costume romain que le
monde laíque perdi t, lors de l' in vasion des har-
bares. Vers le quatrieme siecle, on vit les éveques,
ainsi caractérisés par saint Augustin : chretieus
pour eiuc, coéques ¡J01n' les autrcs, se couvrir la tete


(1) 11 ist. unir, '1'(1111. v, pago [J',:).




-17-


d'une mitre, cmprnntée au sacerdoce de l'Égypte
et de la Gréce, lis la quitterent au huitiéme sió-
ele et prirent alors la mitre élevée, adouble pointe;
mais íls ne flrent usage, ni de l'une ni de l'autre,
que dans l'exercice de leur salnt minístére,
L'anneau, marque distinctive des chevaliers 1'0-
maíns , fut adopté de bonne heure par l' Épisco-
pat. On adopta sans doute, en mérne ternps, le
bátou pastoral, symbole de la houlette avec la-
quelle tout pasteur chrétien conduit son troupeau
sur la terre, de maniere a lui faire gagner les
campagnes du ciel!


« Lorsqu'un évéque mouraít, dit encore M. Cé-
s sar Cantu , le métropolitain désignait un prétre
~ pour admínistrer le siége vacant, et indiquait un
¡¡ jour pour la réunion des évéques des autres dio-
»ceses. Au jour fixé, le clergé proposait un suc-
» cesseur, puis l'ussemblée des décurions et du
»pcuple élisait it son gré, Ainsi l'Église conserva
»Ies élections populaires lorsqu'elles se perdaient
» dans tout le monde. Cependant la nomination ne
lJ clevenait définitive qu'autant qu'elle avait été ap-
» prouvée par les suííragants de la province et con-
» firméc par le métropolituin. L'évóque était cholsí
» parrní les fidclcs, soit laíques, soit prétres, bap-


2




- 18-


»tísés et élevés dans la méme église, afin que le
»pasteur connút ses ouailles et fút connu d'elles,
»Il ne devait avoir eu qu'une femme; il fallait
» aussi qu'il fút connu cornme honnéte homme et
»pére de familie exemplaire, mérne aux yeux des
» puiens. On n'avaít nul égard a la condition de
» l'élu, mais sculement au bcsoin de l'Église. L'é-
» véque devait étre savant et éloquent pour les vil-
D les, simple et affable pour la campagne, guerrier
»rnéme dans les dioceses menacés par I'ennemi ,
• d'un ágc mur le plus souvent, et paríoís éprouvé
J) par le martyre.


Il Le quatríeme concile de Carthage déterniine
» les qualités nécessaíres ú I'évéque, 11 dolt étre
,¡ d'un caracterc prudent, docile, reten u dans ses
»ruceurs, d'uue vie chaste, sobre, attentif ases oc-
» cupations ; humble, affuble, uiiséricordíeux, versé
s duns les lettres et dans la loi de Dieu, ínstruít
» dans les Écritures, exercé dans les dogmes ecclé-
- síastlques, sachant surtout professer la foi dans
- uu langage clair (t). »


Les princes n'Intervinrent dans l'élection (les
évéques, d'une maniere directe ou indirecte, qu'au
sein des villes ou ils avaien t Iixe le síége de leur


(t) ttut. uuic, t'om, \, pa:;. CJ'10-CJ'¡'¡.




- 19-


propre autorité. Le nouvel évéque, librement élu
par le peuple fidele et par lui seul, notifiait sa
nomination a ses confreres dans une lettre pasto-
rale : sorte de profession de foi particullere ; maís
en général, les évéques des divers dioceses corres-
pondaíent entre eux , soit pour se recommander
réciproquement les fideles qui voyageaient dans la
socíété chrétícune , soit pour se transmettre la
liste des excommuniés, afin que s'ils cherehaicnt h
s'introduire dans les églises,ils ne partícipassent
pas frauduleusement aux exorcices pieux dont
ils étaient exclus. C'est ainsi que dans toute
église locale se reproduisait l'Église universellc,
avcc l'unité du sacerdoce , emblérne de l'unité de
direction et de l'unité de hut que la civílisatíon
chrétienne doit réaliser et atteindrc pour le salut
du monde.


Les chrétiens, coupables d'apostasie ou d'un
erime quclconque déterminé par I'Í~gIisc, en-
couraient la peine de l'excommunication, Des les
premiers temps, l'évéque se bornait ula dénoneer
et a intcrdire aux communiunts tout commcrce
avec les excommuuiés ; plus tard, eette eérémonie
eut lieu dans un appareil formidable. Douzc pré-




- 20-


tres sont rangés autour de la nef avec des cierges
allumés, Au prcmier signal, ils les jettent utcrrc
et les foulent aux pieds. Des que les lumíéres
sont éteintes, on dépouille l'autel de ses orne-
ments; la croix est étendue sur le sol an milieu
des ténebres ; et l'éveque, d'une voix terrible,
profére l'anatheme duns le sauctuaire , tandis
qu' au dehors une cloche tinte le glas des funé-
railles, cal' la vie de l'excommunié devient désor-
maís une sorte de mort. Positivement retranché
du nombre des fídeles, il ne peut reparaítre dans
leur communauté qu'upres s'étre régénéré mora-
lernent, au moyen d'une longue pénitence.


L'excommunícatíon , peine toute morale, était
la suprérne ressource coercitive de la société chré-
tienne, alors qu'il fallaít sévír contre les héréti-
ques, c'est-á-díre contre ceux qui, par une sacri-
lége interprétation des livrcs saints, cherchaient il
fuire prévaloir leurs idées subversives eontre la
salutaíre doctrine de l'Église ; et,a eréer mille sectcs
di verses pour détruire l'empire absolu de l'unité,
Considérée, méme uu point de vue entierement
pratiquc, l'excommunication n'étaít done qu'ur.e
cxc1usion temporaire ou définitive, au gré du cou-
pahle, légitimement prononcée par une société




- 21 -


désarmée centre certains individus qui lui faisaient
la guerre saus rnlson, dans son propre sein; ou qui
contrevenaient aux lois de son existence, en fou-
lunt aux pieds l'auguste symbole de la foi com-
Hume, tcl qu'il avait été souveruincmcnt formulé
par les Conciles.


Ces assemblées religieuses sont les premíeres ou
le peuplc ai t été appelé á discuter ses propres croyan-
ces, el ü se régénérer morulement par la recherche
el le culto de la vérité, dans les divers acles de sa
vie, pour se préserver de l'erreur, conune il
convient aux étrcs raísonnables, Elles Iurent insti-
tuées par les apótres dont la réunion á Jérusalern,
véritable synode, servit de type aux divers conciles,
soit oicumcniqucs VIl générau,7:~ soit uatiouauai 011pie-
uicrs, soit prouiuciaux ou dioccsains, qui ont eu lieu
duus le monde chrétien. Saint Pierre presida l'as-
semblée de Jérusalcm , y posa les questions et y
émit le premier son avis, en sa qualité de prince
des apótres: ceux-ci ne prirent la parole qu'aprés
lui. Leur décision , exprimant l'esprit des saintes
Écritures et le veeu de l'Église universelle, fut
udresséc aux égllses particulieres qui la rccurent
el devalen t la rcccvoir avcc une souuiissiou abo
solue ; cal' le syuode avait eiuployé la formule




- 22-


suívante : « Il a paru au Saint-Esprit el a nous. »
Pleins d'un zele charitable pour le troupeau qui
leur avait été confié, les évéques, successeurs des
apótres, suivirent leur exemple et s'entourórent
des conseils de leurs confreres, duns les conciles,
aíiu de mieux excrcer leurs Ionctions pastorales.
Lorsqu'il s'agissait d'aífaires qui concernaient l'or-
dre générul, notammcnt des ordinutious, le clergé
supérieur, le clergé inférieur el tous les fidclcs
prenaient parl au méme vote, dans un concile dio-
césuin. Tout se décidanl en commun au sein de ses
assernblées et, par suite, dans l'ÉgI ise, non-seu le-
ment rien ne pouvaít cntraver l'autorité des ca-
nons, qui servirent de base au droit catholique ,
mais encore l'unité chrétienne se fortifiait de plus
en plus, empruntant une force nouvclle á chaquc
développement des mceurs el de la discipline.


On le voit, la forme sensible ou ternporellc dn
chrislianisme devait marcher commc l'humanité el
avec l'humanité, suivant la propre 10i de son exis-
tence, puisque Dieu I'avait fait naítre dans l'humani-
té. Ainsi, la religion ne peut pas plus s'immobiliser
que toute nutre chose. Elle ne vil qu'ü la condition
d'un progres indéfini, non par rapport a Díeu ,
dont la révélation est absolue , mais par rapport a




- 2~-


I'hommc , dont l'intelligence relative se voue a la
conquéte de l'absolu (1).


Laissons la parole ü M.. César Cantu :
a De meme que l' Angletcrre , dit-il, dans les


-premiers ternps ele son gouvernement represen-
JI tatif, quand se forma la chambre des communes,
)) llC cessait de réclamer pour que les parlcmcn ts
J) Iusscnt tcnus Iréquemment et avec régularitc ,
»de méme l'Église voulait qu'il y eút des couciles
JI dcux Iois l'an, et que le preruier ne se séparát
"pas sans avoir fixé l'époque el le licu ou s'assem-
»blerait l'autre, Cela maintenait l'union entre les
» prétres en les rapprochant, et eonsolidait la dis-
» ciplina: quaud les persécutions s'opposaient ace
J) qu'on se réunít , on y suppléait par des lettres.
"Les décisions des conciles (Canons) , renforcées,
)J pour ainsi dire, par le commun consentement des
)J évéques, soutenues par la représentation popu-
»Iaire et par le droít divin , avaient force de 10i
»rlans la province J\ (2); et, ajouterons-nous, dans
toute la elvilisation , suivant que ces assemblées
étaient générales ou particulieres , cecuméníques
OH diocésaines: cal' elles manifestaieut d'une ma-


(1) ,l. Frnncis l.armnhe. ll istoirc de tu Bourqcoisie de Pari«,
I'UIII, 111, jla!;, Iltíll. Conrlüsion.


(:l) itt«, uni». Tllllle v, pat;. 5~J6.




- 21t -


uicre infaillible , au-dessus des néeessités de lellc
ou tclle époque el de la transformutíon progre s-
sive des sociétés humaines, un dogme immuable,
paree qu'il émane de Dieu, paree qu'il exprime
Dieu, dans le temps et dans l'étcrnité.


Vous voyez, avec toute su perfection d'esprit el
de forme, cette constitution de l'Eglíse , comme
elle apparut, des le premier jour oü Constantin
lui permit de vivre en plein soleil, elle que les au-
tres Empereurs n'avaient pu immoler au fonel des
catacombes; comme elle se montrera jusqu'au der-
nier jour, une sans cesse et sans cesse ídentique i.l
elle-méme , au milieu des variations incessantes
qui bouleversent et détruisent les organisations
politíques des peuples ! C'est ainsi que le Souverain
pontife est encore, aux yeux ele la raison contem-
poraine, ce qu'il était aux yeux de la foi, parmi nos
ancétres, « Instrument imrnédiat entre les mains
n de Dieu, pour assurer le plus grand bien de la
n communauté, tel dut étre considéré, n - s'écriait
nnguere M. Hurter, alors ministre de I'église pro-
testante d'Allemagne,- n tel du t étre considéré par
- les chrétiens de ce temps-lá , par les ecclésiasti-
»qucs, et cncorc plus par ccux qui upprochaiont
s davuutugc du centre de I'Eglisc, celui qui en était




- 25-


»le chef. Toutes les puissances de ce monde ne tra-
n vaíllent que pour le bien d'une vie terrestre, pour
» une fin transitoire; l' Église seule a en vue le sa-
-Iut de tous les honnnes, et truvaille pour une fin
«l'ótcrnelle duréc, Si le pouvoir temporel vient de
D Dieu , ce n'cst pas dans le móme sens, dans la
D méme mesure, ni dans les mémes limites, que le
J, souverain pouvoir spirituel de cette époquc, don t
s l'origiue , le développement, l'étendue et l'in-
n flueuce (indépendamment de toutes les formules
»dogmntlques) forment le spectaclc le plus remar-
~ quable de 1'histoire du monde )J (L).


Serviteur des serviteurs de Dieu, I'Évéque de
Rome tient entre ses mains une clef d'or et une
clefd'argent: ce sont tes clefs de saint Pierre ; syrn-
bole du Pouvoir supréme que Dieu lui 11 donné de
licr et de délier sur la terre, ou bien d'ouvrir et de
fermer les portes du ciel, A ce titre incontestable,
sinon incontesté , il exerce une autorité absoluc
sur l'Église catholique.c'est-á-dire universelle, en
mntiere de dogme 011 de foi; il assemhle les con-
elles recuméniques ; veille sur les conciles par-
ticulicrs , et en fait observer les canons ou regle-
rucnts. Par ses bulles, par ses bre]«, par ses cllc!Jeti.


(1) Vie dtnnoccn: 111. Tomo J", pllS. [,(j.




- 26 -


,/II,OS, il établit, autoríse, reforme ou supprime les
ordres religieux; approuve ou censure leur doc-
trine, selon qu'elle est orthodoxe OH hétérodoxc,
conforme ou non conforme a la direction apesto-
lique de la cathnlicité , 11 accorde des dispenses et
des indulgences, et fait tomber ou leve des cxconi-
municatíons , non pus seulement daus Ilorue, au-
tourdu Vatican, mais dans les contrées les plus éloi-
gnées du centre de la civilisation , urbi el orbi. -
Monarque uníversel, il a moralement des sujets en
tons climats, comme il ya positívernent des repré-
sentants ou ambassadeurs ofliciels. Il entrctient,
en effet , des Nonces , des Légats ou des Vicaires
apostoliques dans les Étuts et dans les Cours étran-
geres , pour maintenir leur union au sein de l't:-
glise; tandis que les humbles prétres , utilice au-
guste et piense, agissant nu nom de Jésus -Christ
et de son Vicaire, le tres-saint-Pere, civilisent les
Barbares, combattent l'erreur, font triompher la
vérité, rachetent les esclaves , consolent les ami-
gés, secourent les pauvres et prient au chevet des
mournnts pour enclormir leurs douleurs terrestres
dans l'espoír des celestes beatitudes.


L'tglise prend I'homme au berceau , l'accom-
pugne durant toute sa vie ct ne I'uhandonuc




-27


qu'aprcs sa mort , dans la tombe. De mérne
la I'apauté a pris la civilisation moderne des
son origine, c'est-á-dirc entre les mains de la bar-
barie, et elle ne l'abandonnera qu'á l'heure de sa
complete dissolution. Gráce ú son inf1uence créa-
trice, le monde chrétícn, encoré aux príses avec le
monde paien, vil naitrc peu it pcu tou tes sortes
de monasteres qui oJlrirenl a l'Europe le prernier
excmple des grnnds travaux libres et volontaires,
en s'occupant des divers métiers manuels ou en
défrichant les Ioréts et les déserts, et en établlssan 1
des écoles publiques, afin d'agir directement sur
l'csprit humain , comme ils agissaicnt directo-
ment sur In terreo Leurs giguntesques efforts
passércnt bientót de l'état d'exception a l'état de
généralisation , et íormulerent ainsi , non-seule-
ment le but moral, mais encore le but positif
des sociétés hurnaines. A dater de ce jour, l'Église
résuma les divers cotés de la vie publique chez
tous les peuples, sans constituer un État particu-
lier dans les Etats, cal' elle n'était que leur loi
morale et le génie de leur esprit, c'cst-a-dire leur
ame univcrsclle !


Mais voila que le bútou pastoral, symbolo de
protection avec lequel le saiut-Pere couduit les




- 28-


brebis de J ésus-Christ au J)Muruge, se transforme
en sceptrc, symbole de dominatiou. Chef de l' É-
glise, Évéque de Home et Souverain temporel des
États-Ilomains, il prend et doit prendre la tiare,
triple couronne , devenuc I'cmblcme des diverses
puissances qu'il résume en son auguste personnc,
Est-ce adire, pour cela, que l'orgueil et l'ambi-
tion vont siégcr désormais sur le tróne de l'h umi-
lité chréLienne? Est-ce adire que l'organe ele cette
pensée divino : Rendez á César cequi cstaCésar, ne
serve plus qu'á proclamer et a légitimer le Iait
d'uue usurpation ? Est-ce a dire que le lcvier pro-
vidcnticl de l'émancípation humaine soit devenu
l'instrument d'une oppression Iatale aux destinées
des peuples? Non, mille fois non: et Dieu n'eút
jarnais permís qu'on abusát aínsi, durant plusieurs
siécles, d'un pouvoir qu'il a créé pour la glolre de
son nom et pour le salut de l'humanité.


Laíssons done, nous surtout qui sommcs Fran-
cais, un pareil langage a l'ignoranee, a la dérai-
son, Ü l'impiété, ü la haine, au mensonge, N'ou-
blions pas que la puissance temporelle du Saint-
Siégc est notro ouvragc en quclque sorte person-
ucl. « Les I'rancais, dit Joseph de Muistrc, curcnt
), l' hou ueur j usigue, el dout ils u' UH 1pus été, abeau-




- 29-


»COl1p prés, assez orgneílleux, celul d'avolr consti-
J tué humalnement l' f:glisc cutholique dans le
I monde, en élevant son auguste chef au rang in-
I dispensable dú á ses fonctions divines, et sans
» lequel il n'cút été qu'un patriarche de Constunti-
g nople, déplorable jouet des sultans chréticns et
¡) des autocrates musulmuns. Charlemagne, le Tris-
~ mégiste moderne, éleva ou fit reconnattre ce
» treme, fait pour ennoblir ou consolider tous les
J nutres. Comme il n'y a pas en de plus grande
n institution dans l'unívers, il n'y en a pas, sans le
»moindre doute, ou la main de la Providence se
JI soit montrée d'une maniere plus sensible (1). jj


Avantcette transformation esscntiellement civi-
lísatrlce , le Pape, toujours soumis aux Empe-
reurs, leur payaít des redcvances et lenr dernau-
dait de confirmer sa propre électíon. Toutefois le
penple de Borne, si longtemps rol du monde,
s'Indignalt de dépendre d'un Souverain résidant u
Constantinople, tandis qu'il se montrait fiel' d'étre
rangé sous l'autorité des Souverains pontiíes qui
marchaient á la téte de ses institntions munici-
pales; qni l'avaíent preservé des fureurs d'Attila,
el dont la suprématie sacerdotale, reconuue dans


(1) DII p(lIJe J pago S-O, Lyon. 18!1!"




- 30-


toute la chrétienté, faisait rejaillir sur le Vatican
une splcndeur morule beauconp plus grande que
celle qui rejaillissait autrcíois sur le Capítole. Aux
yeuxde ee peuple, la civilisation pouvait ehangerde
principe, mais elle ne devait pas changer d'assiette.
L'établissement du pouvoír tcmporcl des Papes
fut done, pour les Romains, une affaire d'amour-
propre national; eomme il fut, pour tous les
peuples, en ces temps de politique farouehe et
d'oppressíon, une garantie d'uflranchisscment el
d'humaníté.


Fidéle á la sain teté de sa mission, la Papauté,
puissance typique et modératrice, eut la gloire de
fonder l'ordre social en Europe au milieu de l'u-
narchie universelle ; de créer des rapports moraux
et matériels entre les États les plus éloigués, en se
faisant le centre commun de la civilisation, et de
repousser la barbarie qui, durant tant de síécles,
se proposa pour but l'anéantissement des nationa-
lités chrétiennes et cclui du ehristianlsme lui-
méme. A vrai dire, e'est la Papauté qui a fait sor-
tir le monde ehrétien du chaos, en constituant les
rois et en organisant les peuples, en venant au
secours des opprimés et en coutraignant les op-
presseurs Ú coulormcr leurs actes au véritable es




-31-


prít de la justice, a la seule fin d'établir l'autorité
et la liberté dans leurs domaines respectifs, pour
qu'elles accélérassen t, par leur double concours,
le progres des sociétés. Cette reuvre , tout-a-faít
divine, elle l'accomplít humainernent, apres des lut-
tes terribles, longues, incessantes. Maisdes qu'elle
íut en possession absolue de sa victoire, qui était
celle de la Providence, elle se retrancha momen-
tanément dans son propre passé; elle parut Oll-
blier que l'Église est el doit étre toujours mili-
litante, puisque sa vie n'est et ne peut étre qu'un
cornbat continuel pour la conquéte de l'avenir, ou
iuieux de l'éternité dans le temps. Un pareil oubli
devin t fatal aux destinées universelles ; cal', suivant
les éloquentes paroles d'un cardinal célebre : « la
II puissance pontificale exerce une influence mar-
II qnée sur la civilisation, la culture et le bonheur
II des homrnes. Avec les vertus de ceux quí en sont
-successivement revétus, on voit fleurir les vertus
\) de loute la tcrre; les vices bien rares, il faut l'a-
)) vouer, mals, hélus l trop influents, de quelques-
~ uns d'eutre eux , trouvent un funeste écho dans
pIe reste du monde chrétíeu qui cn resscnt les
.funestes atteiutes. Les vertus humaines sout
• comme une mer qui s'élevc ou s'abaísse, qui est




- 32-


ij en flux ou en reflux, par cela seul que la vertu
,des Pontiíes est en progres ou en dimiuution (1).»


Ces hautes pensées recurent mille applications
sucessives durant le XIV', le xv" et le XVI' siecle,
Entre tant de calarnités, iI n'en est pas une seule
quí ne prouve, de lu maniere la plus posítíve, que
le sort de la Religion divine et celui du Pouvoir
humain sont attachés ü la destinée du Suínt-
Siége : Monarchie temporelle et spirituelle. Des-
lors, en effet, l'unité n'exista plus, ni dans l'ordre
spirituel, ni dans l'ordre temporel. Cette situation
morale épouvantable s'est prolongée jusqu'a nos
jours au milieu des entreprises permanentes de des-
truction contre tout Pouvoír établi : soit contre ce-
lui des Papes, soit contre celni des Bois.Elle cessera
seulement, lorsque les peuples, rcculant devantleur
propre suicide, mais s'avancant vers des progres
nouveaux, fuiront l'anurchie, présage de mort, et
reviendron t d'eux-mémes ü la raison, a la foi do-
venue certítude, au príncipe de toute existence!


« Et quel enseignement n'y a-t-il pas, s'écrie un
s vraí philosophe, a. voír la Papa II té, Iréle pouvoir,


(1) l nnumstrntions h)lIl!IjI'/i'/III'S, puhliéos p~l' \\. 1'~liJ¡l; \Ii~lll:.
'l'om, \ \. - (;UII/~ ,\111' /11 ,,11/,/,,'01111;1 (/11 /',t/}/') par .\1('1', "i""lllilll,
png, nvl-~t:;2.




- 33-


, traversant les persécutions, les schismes, l'anar-
I chic, les révoltes, les guerres , les exils, el tou-
~ jours ferme sur su base! Plus elle est battue, plus
- elle est victorieuse; plus elle est bafouée, plus
»elle est triomphante: e'est le plus grand el le
») plus mystéríeux spectacle de l'histoire » (1).


Oui, suns doute. Et tundís que certaíns índlvi-
dus, prétendaut s'élever iJ. l'état de prínces ou
fonder une dynastic durable, tombent, en un jau!',
de l'extréme puissance á l'extréme infortune et ne
laissent aprés eux qu'un nom sonore dans l'amour
ou dans la haine ; tandís que les dynasties elles-
mémes nalssent et meurent; tout en subissant les
mémes périls, les mémes vícissitudes, les mémes
catastrophes qui mettent fin aux principautés hu-
maines , la Papauté, institution divine, seule ue
meurt [amais, car les Pontifes succédent toujours
aux Pontifes. C'est que la mission du Pape,
comme chef de l'Églíse , est bien plus haute et
bien plus nécessuire que celle des divers chefs d'É-
tats , puisqu'il doit fixer universellement, siecle a
siecle , de génération en génération, la moralité
de l'homme sur la terre ; et opérer ainsi, au nom
du Pere quí est dans le cíel, en vertu de la loi du


(t) 'l. Laureutie. u¡ 1'(l¡J(lUlé, pag, 152.




- 31¡-


progres, regle supréme du sort de I'humanité, la
manifestution gruduclle de Dicu ! Chncun de ses ac-
tes apostoliques a done ou doiL avoir un hut sacré =
celui de libérer loute société de la domination du
Mal et du Faux, et o'y maintenir ou d'y créer la
dornination du Bien et du Vrai, afín que notro es-
pece, délívrée du péch{~ origiucl , puisse arrivcr ,
dans sa marche ascendante , au point final 0['(
ses destinées seront accomplies. Cette direction
providentielle que I'J~glisc imprime ü la pensóe
humaine, par l'organe dn Souverain poutifr, ne
produirnit pas ses résultuts infuillihlemcnt salu-
'aires, si son uutorité n'étuit permanente ct po-
sitivement indcstruclihle conuno la pcnsée hu-
maine elIC-I1lL'l1le : cet instrumcu t divin, au moyen
duquel l'étre raisounnble et terrestre est appclé
b conquérir, dans le chrisiiunisme ct par le chris-
tianisme, sa celeste immortalité [




CIlAPITRE u,


u:~ Hl)b l:oTIIS FT LES nors LmrnUIf)S EN IT.UIE,


Sornrnaire.


Los H:1l'hnrrs nppOI'If'nl on Europ« le príucipr monarchlque et colui
d1' la liltrrl,'! indivuluoll-. -Les (:otlis ..1 les Francs, - TIH"odfUic
el Clnvis, - Paralll'].· elltre Cl'S dr-ux princes el ces doux natious,
-- 'I'1,,"odoric ;'t la rour d.' Constantinopb. - I)eV"IHl roí des Ama-
les, il n'sll' dabnnl lallié de Zénon, 1'lllprre\1l'; ensuite il tourne
SI'S armes centre luí. - Thédoric es! nommé cónsul par Z(\non
qui l'autorise il CfilHIIl('rir l'Jlalie S\1l' Odoacre, - Tricmphe de
'llu-odoric, - Ce qu'étuít un noi el ce qu'étaít un Ernpereur. -
COlIslillltion f!ollliqll". - '\nl;l~oldsIlH~ d.,s HOlnaíns el des Colhs,
- Cnnspirntions dalls le séunt. - Suppliee dt' Bo(;ee el de SYlII-
lllaljll". -\101'1 de 'I'héorlori.', caractere de son gouvernemenl.-
Ji a \011111 '\[1'I! J:oi d.,s ¡:obo - ~Iouar('hjt' golltiqlle électiv«. -
Ello, 1'sl d.ilrllilt' par ¡ps l.nmhards. - CoUVel'nt'lllPnt des trente-
six .lucs. - \ionarel¡ip ]d'l'I"dítain' lal'gement conslitw'e. - Anti-
palhi« untion.rl« pi religicuse entre les ltomains ct ¡1'S Lombnrds,
- Fin dp km dominalinn. - S¡'ril' dos reís Colbs el des rois
Lumbards,


Nous venons d'assister a la fondatíon de I'É-
glise, monarchie spirituelle, universelle, élective
ct représentative , ¡\ laquelle Christ a rlonné , eles
son origine pritnitive, une forme que I'on considere
COJUlllC le dernier tenue de la grandeur 011 du pro-
gres social chez les peuples ci vilisés; nOLlS allons




- ~)n -


voir maíntenant ses principes générateurs et régé-
nérateurs devenir la pierre angulaíre de tous les
établíssements politiques appelés agarantir la re-
chcrche du progreso C'est pour cela que l'Église,
ernbléme de l' unité relígicuse parfaitement défi-
nie, sera désormais la regle absolue des actions
humaines et des mobiles memes de ces actions,
conformément a la destination positive du chris-
tianisme, qui est d'assimiler, autant que possible,
le regne de l'homme sur la terre au régne de Dieu
dans le ciel.


Aussitót que I'Église eut pris possession du gou-
vernement des ames, étahli au nom de la liberté et
de l'égulité, en rcgnrd de l'Empire, gouverncmcnt
du corps politique, établi au nom de l'esclnvagc el
de l'inégalité, il Iut aisé de voir que ces deux so-
ciétés , aínsí constituées, ne pouvaient vivre long-
temps , l'une a coté de l'autre , puisqu'clles se
niaient réciproquement. Le triornphe de celle-ci
ne pouvait étre complot qu'apres la complete dé-
faite de celle-la. En effet, par l'Évangile, loi non-
velle qui considérait l'homme comme un étre li-
bre, intclligent et moral, Dieu révélait a l'humu-
nité ses destinées immortellcs , tandis que, par
l'ancienne loi qui consídéruít l'hornrne comme




- 37-


un étre brute, humoral et esclave, les Empereurs
ne propageaíent, dans l'humanité, qu'une doctrine
de perdition ~ de déchéance , de mort, La puis-
sanee divine devait done avoír raison de la puís-
sanee humaine; I'Église chrétienne, de I'État
pillen: et la cité romaine, en qui s'incarnait l'es-
prit des civilisations antíques, élevée par la force,
dcvait étre reuverséc par la force, afin que l'esprit
des civilisations modernes püt s'incarner en elle,
ú son tour, pour la rógénércr. C'est ainsi qu'apres
avoir opprimé l'uuivers par les armes, elle était
appclée ul'aílranchir par une idée.


Cette idée n'était pas autre chose que le chris-
tianisme!


Les Barbares, oríginaires de l'Asie, qui fut le
berceau de l'ancíen monde, s'aohamerent bientót
sur l'Europe, qui allait étre le berceau du monde
moderno el chréticn, Lorsque la vieille société
politiquc cut succombé sous leurs eoups, la so-
ciété nouvelle naquit du simple rapprochement des
vainqueurs et des vaíncus, au sein de I'Église.
Tous les Barbares, sans exception ~ apportulent
dans l'organisation de tant de tribus farouches,
dcux grands príncipes civilisateurs : le príncipe
de la liberté iudividuelle qu'ils représcutaieut




-. :18-


en eux-mémes, et le principe de l'unité polítique
expriméo par leur chef, le Roí chevelu. 01', le
Pape et les évéques , chargés d'émnnciper les
races esclaves , s'arrncrent de ees deux prin-
cipcs générateurs pour anéuntir , d'un scul coup ,
les derniers restes du despotisme impérial, par-
tout ou la puissance barbare voulut devenir
le centre d'uue civilisation quelconque. En tcu-
dant la maiu á ces cohortes indomptablcs , le
Clergé ~ interprete de l'Évungile, espérait arnoin-
dril' les violences de la conquéie et pacifier le
genre humain. L'établissemcnt de la Boyauté
Irunke dans les Gaules fut le résultat spontané de
cctte uníon solcnnelle, durable, décisive du prótre
et du soldat ('1). Si la Monarchie des Goths 11 i
eelledes Lombard ne purent preudre racíne en Ita-
He, e'est qu'elles méconnurent eeLLe eondition de
leur cxistenee; aussí moururent-clles, apres avoir
végété durant plusieurs sieclcs, maís sans avoir
porté aueun fruit. Néanmoins, les Goths et les
Franes sont les seuls d'entre les Barbares qui, en
vertu de leur carncterc, de leurs travaux et de
leurs établissements, aient influé d'une maniere


(1) \1. FraJlI'i, LII'Ollllw. IIistoiic de la Bourqeoisie de Puris.
rom, ¡", pug. ;;6-;;7.




-;¡\l-


positive sur la Iormation des lttats européens.
u Conduits par leurs croyanccs, par leurs pas-


}) sions et surtout par leurs roís, disait naguere un
- écrlvain, ces deux peuples ne se sont pas enga-
»gés dans la mérne route; ils se sont partagé le
'lllOnde romain, mais sans le posséder au méme
¡>litre; cal' tous deux , quoique barbares, eurent la
}) noble ambition de légitimer leur conquéte : l'un
}) s'nppuya sur le passó, I'autre s'ahandonna el l'a-
H venir. Le Coth fut le copistc, I'ituitateur, le cour-
n tisun des vaincus ; le Franc se contenta de régner
•par la victoire, Le Coth s'ugenouílla devant l'i-
)dolo de Iíorue ; le Frunc campa au has de son
»piédestnl sans lever les yeux sur elle, ne voulaut
v ni la niaudirc ni l'udorer. Dcvenu muítre de la


!J Gaule méridiouule, de l'Italie et de l'Espagne, le
» Gcth n'eut d'autre sollicitude que de conserver
~ l' Empire avcc ses coutumes, sa législation el son
n protocole; le Franc apporta ses propres codes au
• milieu des Caules, el les mil en regard de la 101
-romaiue. Sa Iusion s'opéra plus tard, el mérne
» ne se fit pas trop uttendrc ; elle s'accomplit non
}) par les édits el le glaive, muis par l'exemple el le
tcrnps. Des deux cótés, le résultat fut logique : le


• Goth, affublé de la toge romaiue, perdit sons ce




- 4u-
• costume étranger le souvenir de ses mreurs el le
»sens de l'hérédité royale ; le Frane, par un proeé-
» dé contraire, implanta dans les Gaules la Royauté
•héréditaire, seul remede aux maux de I'nnarchie
• éleetive. Qu'on mesure l'efficacité de Ieurs maxi-
~ mes a la durée de leur domination. Cette durée
» ne fut point l'eífet du hasard, mais la consé-
)1 quence immédiate et nécessaire de leur politi-
»que (f ). »


Théodorie résume, chez les Goths, tontes les
grandeurs de la race des Amales, antagoniste de
eelle des Baltes, eomme Clovis résume chez les
Francs tout l'héroisme de la race des Mérovingiens
qui n'eut point de rivale.


Issu de la célebre dynastie des Amales , Théodo-
ric étaít destiné á recueiJIir l'héritugc monarchiquc
de son pere Théodemir,'établi en Pannonie de l'a-
veu des Empercurs d'ürient, apres la défaite d'At·
tila. Des l'áge de huit ans, il fut envoyé COll1ll1C
otage aConstantinople, oú il séjourna pendant dix
années, C'est lit que ce prince vint prendre les
goúts d'un monarque plus ou moins civilisé ; mais


(1) :\1. A. de :-;iuul-!'ricsl. tu«, de /a l1oyalltl:. Tom. 1", pago
326-327.




- 41 -
c'est lit aussi qu'il manífesta au milieu des peti-
tesses d'une cour pleine d'eunuques et d'intrigues,
l'instinct des grandes choses; et qu'il se montra
entierement homme par rapport aux autres Bar-
bares de son temps.


Apres étre devenu roi des Amales, Théodoric
resta pendant assez longtemps l'ullié fidele des Em-
pereurs d'Orient, Il rétablit d'abord Zénon sur le
tróne de Constantin, que Basilisque avalt usurpé;
ensulte, au Jieu de porter ses armes redoutables en
Occident , ou Odoacre avait renversé la puíssance
des Césars, il assaillit les Goths Triaires, au mé-
pris des liens de raee el de ses propres intéréts.
Ccux-ci, l'ayant attiré dans les gorges du mont
Sondis, luí crierent : a-Déserteur, traítre envers
I tes Iréres, va te faire tromper par la fourherie ro-
I maine, et réduire par elle á n'avoir ni argent, ni
»chevaux. » Les reproches des Triaires émurent
l'áme de Théodoric qui, ne voulant plus les e0111-
battre, non-seulement traita de la paix avec eux,
mais régna sur eux et les conduísit , de succes en
suecos, j llsque SOIlS les remparts deThcssaloniquc,
Zénon, son anclen nllié, Iut alors obligó de s'hu-
milier devant son nouvel advcrsuire, en l'adoptant
conuue son fils d'armes ; en le nommaut sénatcur,




- id-


capitaine des gardes, consul; en lui déceruaut
les honneurs du triomphe et en lui érigeant une
statue équestre devant son palais impériul.


La paix et le repos convenaient mal a I'activite
dévorante de Théodoric. Un jour, se présentnnt
devant Zénon, illui dit : ( Est-il possible que I'Ira-
» lie et Rome, votre héritagc , lunguísseut plus
»Iongtemps S011S la tyrannie du barbare Odoucre '!
»Envoyez-rnoi dans ce pays avec mon peuple... si
»je suis vainqueur par la grúcc de Dieu, le bruit
• de votre religion éclatera au loin. ll est entendu
»que dans ce cas , moi , votre serviteur et fils, je
- tiendrai ce royaume de vous, bien diífércnt du
»tyran que vous n'avez pas reconnu, et qui íait
~ peser son joug sur votre sénat et sur une notable
»partie de votre républíque, "


L'Empereur accepte cette proposition avee d'uu-
tant plus de joie, qu'il ne se sentait pas libre daus
Coustantinople, depuis que le Roi (les Amules cam-
pait victorieux au milieu de ses États. Théodoric
háte ses préparatiís ; et bientót une borde sauvage,
pleiuc de gucrrierset de Icmmes, d'enfnnts el de
vieíllards, recrutés dans l'llIyrie, dans la Paunonic,
dans la Thruce el ailleurs, se rnet en route avcc
ses bagages, ses chars nómades el ses troupeaux,




- h3 -


sous la couduite de ce Harbare ú moitié civilisé :
il est vrai qu'il lcur prornet une conquéte, un
foyer, une patrie, presque toute la cívilisation !


Cependant Odoacre , pannonien lui-1118111e et
chef de tribu, avait (lllilt<'~ les bords du Danube sur
le présage d'un solitaire qui I'avait salué chef de
nation. « Tu te rends en l talie, vétu d'uno étofle
), grossiere , s'était écrié le pieux ermite; mais,
n avant peu, tu seras l'arbitre des plus hautes 1'01'-
»tunes. » - Odoacre cornmenca d'abord par vivre
de pillage dans la Norique : puis, ayant été admis
avec sa troupe au sein de la garde impériale sous
les murs de Buvennc, iI Iinit par se trouver a la
tete des Hérules que soklait l' Empire. Le barbare
s'était Iait esclavo, pour appreudre ú devenir tyran,
Brisaut les liens de la servitucle, non-seulement
il s'affranchit les aruics Ú la main et rallia les
Barbares autour de lui, maís encare il détróna
l'Empereur Augustule et gouverna toute l'Italie ,
sinon avec la dignité, du moins uvec I'autorité
d'un Roi; car il avait supprimé le titre d'Empereur
d'Occídent. Au reste, ce fut l'unique changcmcnt
qu'íl opéra dans l'État rornain, puisque le sénat,
les conciles, le prófct du prétoire, les magistrnts
impériaux ou iuuuicípaux , en un mot tout le sys-




- 44-
teme gouvernemental et admlnistratif, hommes et
choses, fonctionna sous le nouveau chef, suivant
l'uncícn usage. Odoacre s'était borné a repartir,
selon la coutume récemment admise par les chefs
des tribus germaniques, le tiers des terres con-
quises entre ses compagnons, pour qn'ils consu-
crassent leur vie adéfcndrc sa puissance que d'au-
tres Barbares venaient attaquer.


Moius grand qu' Alaric, le vainqueur de llame,
et moins ambitieux que Ataulphe qui, apres avoir
obtenu l'investiture impériale pour sa Royauté go-
thique, voulait imposer le 110m de Gothie it tout
le genre humain, Odoacre ne songea qu'á repousser
Théodoric et atraiter avee lui dans Ilaveune, apres
y avoir soutenu un siége qui dura trois ans. Les
deux princes promirent de régner en commun;
mais Théodoric se débarrassa de son collégue en
le faisant poignarder au milieu d'un festin.


« Aprés avoir rendu ce dcrnier hommuge it la
» barbarie, dit A. de Saint-I'riest, il résolut de
s n'étre plus qu'un Empereur romain : íl n'en prit


)) pas le titre. Attila et Odoncre s'en étaient égale-
»mcnt abstenus par calcul, Les bornes de la lmis-
& sanco des Empereurs avaient été souvent rccu-
~ lées; largos et vestes, elles échappcnt uux re-




- f¡5 -


• gards ; mais la source de cette autorité no se
•perd ni dans la nuit des siecles ni dans les mys-
• téres de la Coi natíonale. L'Empereur était un
» parvenu puissant dont chacun connaíssait la gé~
l) néalogie. Plus d'une fois cette notoriété géua les
• Césars... Plusieurs ont aspiré au litre de Iloi,
• tous ont tendu ul'hérédité, conséquencc néces-
~ saire de la Royauté. Théodoric ne voulut point
!) troquel' cet avantage contre une dignité élective.
• Il pouvait étre Empereur, il voulut rester Roi.


n Plus tard, Charlemagne étaít Roi et voulut étre
• Empereur (1). n


Celafaísunt, Charlemagne ne eonvertissait pas
un titre héréditnire en un litre élcctif : mais ,
au contraire, iI résumaít personnellement le
Pouvoír élcctif et le Pouvoir hérédítaíre, le droit
divín et le droit humain, identifiés d'une ma-
niere sublime au sein de toute la chrétienté.
Il avaít done le droit - et lui seul devait l'obtenir
dans l'histoire européenne - de donner u sa
vaste Monarchie la qualification de Saint-Bmpire,
afin de montrer qu'il réalisuit, en sa haute puis-
sanee, une supériorité morale el positive, alors
nécessaire aux développements des États. C'est tel-


(1) tu«, de la lloYU/llt'. rom, Je., pago 3G7-358.




- 'I(i-


lement vrai, que le type de son gouvernement, in-
connu avant lui, s'est perdu apres lui, et n'a
pu étre retrouvé par Charles-Quint, par Louís XIV,
ni par Napoléon.


Théodoric avait trop de barbarie dans le sang,
et n'avait pas assez de civilísation dans l'intelli-
gcnee, pour asseoir son au toritó sur une husoaussí
large. Privé de spontanéité, paree qu'il manquait
de force monde proprcmont dile, au lieu de créer
l'État, il ne songea qu'u détruire la liberté des
peuples vaincus auxquels il preuait idées et sol,
institutions et soleil, tout eufin : sans ricn lcur
donner en échango de la cívilisation, si ce n'cst
le despotisme d'un barbare. Pourtant , il faut luí
savoir gré de n'avoir pus, des l'origíne, trop abusé
de la force matérielle en vertu de laquclle il se ren-
dit maitre absolu de l'Italie, de la Ilhétie, de la
Norique, de la Dalmatie, de la Pannonie et de plu-
sieurs autres contrées. Sa tyrunnic ne devin t odieuse
quc vers la fin de son régne, Ainsi, la I'éninsulc ,
déjü bouleversée par tant de guerras, jouit, durant
1rente-trois ans , non pas d'un ordre politique
parfaitement régulier , rnais d'une paix bienfai-
sante, au sein de laquelle elle supporta quelque




- 47-
temps l'esclavage, avec plus ou moins de résigna-
tion , aprés la perte de son indépendance.


La constitution monarchique des Goths est ainsi
faite, que le Pouvoir réside entierement dans la
personne royale, gouvernant selon son bon plaí-
sir. « Le roi paraít étrc le législateur unique, dít
, \/. César Cantu , puisque I'on ne voit pas trace
"ele ces usscmblées nationales , qui cepenclant
étaient communes chez les peuples germaniques.


» en conseil d'Etat, siégeant ú Ruvenne » - sous
l'reil sévére de Théocloric - (l discutait les acles
i, duutorité supréme qui étaient ensuite commu-
¡j niqués au séunt de Rome. Ce corps dégénéré
j) pouvait s'enorgueillir, lorsque le roi lui adressait
,ses décrets rédigús en forme de séuatus-consultes,
"et lui écrivait : - (1 ~\ ous SOIl/WitOIlS, Péres con-
u scrits, que le qcuie de la liberté reqarde »otre
,asscmbtée dun aill bienoeillant 1)" maís, en réa-
» lité, iJ ne pouvait répondre que par des cornpli-
»ments, et dire oui (t). 1)


Cette invocation (1 la liberté prononcée par 1'01'·
g-ane dII despotísme, devait, t61 Oll tard, réveil1er le
désir de l'indépendance nntlonale clans l'esprit des
Ilomains asscrvis. En effet, Théodoric n'avait com-


d) n¡«. 1II1il. '1'(1(11. vu. JI. 17'(,


"




- 48-
pris le gouvernement qu' á la maniere barbare; il
airnuit mieux dominer les peuples vaincus, en les
écrasant, que régner sur eux en les protégeant ;
aussi ne travailla-t-il jamaís il préparer une Iusíon
désirahle entre les deux races, paree qu'il voulait
que la nation conquérante fút toujours distincte de
la nation subjuguée. Cette absence d'unité, dans la
dírection des hommes et des choses, devait tendre
uécossairementá l'anarchie; cal' nul ordre quelcou-
que ne saurait étre durable lá 011 l'antagonisme des
idées, des intéréts, des sentiments et des personnes
elles-mémes n'est comprimé qne par la force.


Les Goths avaient embrassé l'hérésíe d'Arius ;
les Romains, au contralre, étaient restés fidéles ¡\
I'Église : de sor te que les haines religieuses écla-
tercnt avec d'autant plus d'animosité qu'elles se
trouvaieut eutretenues par le duulisme des natio-
nalités hostiles, vivant sur le meme territoire. Théo-
dorie s'en apercoit il la fin et il s'épouvante de
cctte situution sinistre pour les destinées de su
couronne. Désormais il ne veut réguer qu'en ins-
pirant aux peuples encore plus de terreur qu'il
n'en éprouve luí-uiéme ; aussí renouvelle-t-i! ¡\
colé du Saint-Siége, les fureurs aboruinables (le
'l'ibére el de NéI'OIl.




-/¡l)-


I'Cependant le sónat , apres avoir si longtcmps
combé la tete sous le joug de l'étranger, com-
menee ü ressentir les affronts de Théoc1oric,et de-
vicnt enfin le centre d'une opposition magnanime,
qui se fait au nom de la dignité natiouale. Un séna-
tour, Albín, est accusé d'es¡¡áel' la liberté romaíne ;
Hoi:ce, quoique consul, patrice et maítre des offl-
ces du roi goth, s'Indigne : (, Si c'est Ih un crime,
»dit-Il.moi et le sénat tout entier nous en sornmes
n coupablcs.» Ce patriotlsme devait le perdre.
Théodoric inscrivit le nom de son ministre dans
la condamna tion d' Albin: et les sénateurs sane-
tíonnerent ce double arrét de mort. Boéce, en
rcccvant cette nouvelle , s'éeria: a Puisse dans ce
D sénat ne plus se trouver personne qui soit cou-
., pable du méme crirne que moi! » Avant sa mort,
il écri vit dans sa prisan un peti t livre in titulé:
«De la Consolation philosophique , - de Conso-


n talione plulosophica ; • son nom était déjü grand,
maís cet ouvage devnit le rendre immortel.


S'entretenant avec la Philosophie, dans un dia-
logue melé ele prose et de vers.I'illustre condamné
lui parle en ces termes: a Si tu me demandes
en somme de quel forfaít je suis accusé, ils dísent
que j'ai voulu que le sénat Iút libre. Si tu t'ínfor-





- 50-


mes de quelle maniere, ils m'imputent d'avolr dé-
tourné un délateur de révélcr au roi la conspira-
tion ourdie contre su pcrsouuc, pour recouvrer
la liberté... quelle liberté est-il permis d'espérer
désormaís ' plút ú Dieu qu'il yen eút quclqu'unc
á espérer l j'aurais répondu cormne Cannius á
Caligula, quand celui-ci l'accusait d'avoir en con-
naissance d'une conspiration : « -Si [e t'aoai« sue.•


,


«toi, tu l'aurais iquorée, »
Le supplice de Boéce ne fit que précédcr celui


de Syrnmaque, son beau-pere, condamné ú mort
pour l'avoir pleuré. Théodoric survécut peu aux
deux victimes de sa barbarie yet en mourant, il
pouvait croire néanmoins que son regne n'uvaít pas
été inutile a la civilisation naíssante. Le prernier
en tre les rois harbares, il proclama la supéríorité
de la loi ou du príncipe sur le Iait , et celle de l'cs-
prit sur la mutiere, « Que les provinces, disait-il,
• qui nous ont été soumises , par le secours de
)) Dieu, soient admiuistrées par nos lois, cal' 1ft }IIS-
atice cst la {orce des priuces ('l). II Maxiuie admira-
ble, dont il se souvint trop rnrement pcndant sa
vie, mais que la postérité ne devait pas oublier, en
le jugeaut ; cal' c'est, sans doute, pour avoir com-


(1) C~ssi(lrl')J'I" r({}'illl'l()}I rv. 12.




- ~1-


paré la générullté de ses propres acles avec ce
príncipe, qu'il montra tant de faiblesse aux ap-
proches ele la mort.


Durant son rcgne, Théodoric ne laissa échupper
aucune occasion de prouver aux Ilomains, en tete
de ses ódits, qu'il représcntait díx-sept génératious
de rois , tous nés elans la mérne fa milie, de mále
en malo, sans lacune. Il s'Iutilulait fnstueusement :
LE I\OI! dans sa corrcspondunce avec les chefs des
Bourguignons, des Iléruies, des Thuringlcns, des
Varnes, etc., comme s'il eút voulu remplír, au
scin ele la Barbarie, le role de Roi des rois qu' Aga-
mcmnon remplissait, sur le théátre de la civili-
sation primitive, chez les Grecs. Quoí qu'il en soit,
Théodoric , malgré la gruntlcur ele son autorité,
n'exerca qu'une tres-faible influence parmi les
chcfs des trihus ou nations germaniques. Ccux-ci
ne le oonsidéruicut plus comme leur chef naturel,
depuis que, n'ayant pas de fils, il avait violé la loi
de l'héródité royale pour se donner un successeur.
Loin de consolider son tróne, en y appelunt Fu-
laric, son propre gendre et dcrnier rcjcton de
la race des Amules, au lieu et place de l'héritier le
plus proche, il l'ébranla positivcuieut. Bientót,
la Iloyauté héréditaire se trouvant avilio par son




- 52-


représentant , les Goths s'en priren t et a la per-
sonne royale, ct á l'institutíon elle-mérne. lis dé-
posérent d'uhord le roi Théodubat , ensuite, ils
éleverent au tróne Vitiges, guerrier célebre, maís
d'ohscure origine, /en Iuí faisant épouser Matha-
zonte, petíte-fille du grand Théodoríc. Cette pre-
míere violation de la loí monarchiquc en p1'o-
voqua beaueoup d'autres , qui précipiterent la
chute de l'établíssement des Goths. 11 avait duré
soixante ans (493-553).


« En abrogeant a I'imitation de Ilome, dit A. de
Saint - Priest , le maintien du pouvoir supréme
dans une farnille privíléglée, les Goths renouce-
rent au seul prineipe de vie quí pút soutenir un
corps en défaillance ; aussi les conséquences de
cette malhabile et funeste imitation ne se firent
pas longtemps attendre. L'invcstituro impériale
donnée a Ataulphe reparut , stigmate iudéléhile,
sur le front de tous ses sueeesseurs. Les Balthes
et les Amales avuient brillé quelquc temps en-
care sur les trónes de Toulouse, de Toledo et de
Ravenne; Enrie, les deux Théodorie, rois des Vi-
sigoths de Galiee et d'Espugne , le grand Théodo-
ríe, roí d'Italie, portercnt uvec ficrté le diadérne
héréditaire des Ases - de 1r19 il 52(3 ; - mais,




- 53 .-


Théodoric mort, il n'y cut plus, du Tibre au Bé-
tis, que confusion et désordre, La filIe du noble
roi d' ltalie expire, abandonnée, dans une He sau-
vage, au milieu d'un lac, Des tyrans élus se sui-
vent pour succomber honteusement sous des
Crees du Bas-Empire, Seul, Totila, vainqueur de
Bélisaire, soutient l'effort de Narsés et ne cede
que mort; mais iI emporte avec lui le nom et la
puissance éphémere du royaume gothique d'Ita-
\ie. Thela, successeur de Totila, est le dernier roi
de cette tribu; il ne trouve pas d'autre moyen
de gouvorner que le massacre du sénat; le sang
eoule, les ruines sont amoncelées, et l' Italie ne
se range sous les lois des successeurs de Constan-
tin que pour retomber , quelques années plus
tard , sous le joug plus pcsant encere des Lom-
hards (1). 11


Ces autres Barbares, sortis de la Pannoníe
comme tous ceux qui pénétrerent en Italie, fu-
rent conduits par Alboin ; ils venaient fonder avec
lui un nouveau royaume, Pavie, cité Ilorissante, en
devint la capitule. Assasstué au milieu de ses triom-
phes, Alboin cut pour successeur Cléfis. Ce nou-


l'




- 54-
veuu chef, non moins belliqueux et non moins
farouche que l'aucien, fut élu, dans une assemblée
généralc des ducs Lornbards: i! etuit chargé de com-
pléter la conquéte, si heureusement comrnencée
par son prédécesseur, Cléíis cu t le méuic sort
qu'Alboin. Apres sa mort, c'est-ú-dire apres son
assassinnt, la Hoyuuté Iombarde, momentunément
supprimée, se trouva remplucéc pUl' le gouverne-
mont des trente ou treute-six ducs , ou micux de
tous les ehefs qui marchaicnt Ü la tete du pcuple
conquérunt, organisé en hataillons, et qui , de-
venus souveruiuement possesseurs du tcrritoire
couquis, ne voyaient dans le pays que le licu OH
l'cspuce d'un charnp de batuille,


Au sein de cette Ilépubiíquc, les ducs agissnicnt,
non en corps de na tion, niais indi viduellcmcn t.
Chacun, duns su seigncurie distinctc, vivait ú sa
guise et pour son intérét personnel, nullement
pour celui de la socíété ou de l'f:tat, qui d'uil-
leurs n'existníeut plus en l'absence de la ~lonar­
chic: symbole d'une direction uuique, des intéréts
communs et d'un but social déteruiiné. Cet épar-
pillernent de lcurs forces morulcs el matórielles
deviut Iuneste üla puissance des Loniburds: il em·
pecha leurs tribus guerriercs, orgauisécs par bu-




- 5;)-
tuillons (farc! et régies militniremcnt, de valncre
le peuple romain, désurmé, sans organlsution ,
ayant U peine quelqucs places lsolées pour lui
servir de cítadclles et ne pouvunt apposer aucune
résistance ú une aunque générale , qui uurait
achevé la conquétc de toute l'Italie. Quelques
dues cssayereut de fuire seuls et pour leur
propre comptc, ce que la nation en masse aurait
pu accornplir , Le succes ne couronna pas tou-
jours leurs entrcpriscs ; mais, du moius, ceux-ci
u'attirerent aucun desastre ni sur la Ilépubli-
(lile, ni sur eux-mémcs, connue le firent ceux-lá
qui, établis nLI pied des Alpes, eurent la futale
pensée de Iranchir ces montagnes, pour ravager
les plaines conquises par les Francs entre le
llhóne et la Méditerrauéc. Childebert, le roi che-
veiu, prit aussitót lcs armes, et lcur audace uurait
recu un chatímcnt terrible, si, ason approche,
les Lomburds nc sc Iusseut ernpressés d'élire le
roi Autharis, fils de Cléfis, qui renvoya le Méro-
vingicn , apres l'uvoir largcmen t iudeumlsé.


Authuris, guerrier habile et profoud politique,
agrundit la domination territorlale des Lornbards
et restreignit la puissunce des ducs, sans leur irn-
poser aucun dcvoir inconciliable avcc l'exercice de




- 56-


lcurs droits légitimes. Il constitua si puissnmment
I'unité monarchique dans ses États, sans cessc
préts ase diviser, que les ducs furent contraints
de lui restituer les biens des anciens rois qu'ils
avaient usurpés durant I'intcrrégne , et de lui
préter assístance en cas de gucrre, SOtlS peine
d'étre dépouilIés de leurs propres domaines, corn-
me eoupables de félonie. Dépositaire du pouvoir
monarchique, Autharls sut done les maintenir,
seIon la eoutume gerrnaine, dans l'obéissance au
sein de l'État, pour tout ee quí eoncernait la direc-
tion politique et le reglement des intéréts généraux,
quoiqu'il ne Ieur enlevát rien de l'nutorité par-


.


ticuliere qu'ils exercaíent dans leurs scigneuries
en maticre civile el milituire ; cal' ils étaicut gou-
verneurs des cháteaux et des villes 00 ils se fíxaíent.
Maítres absolus de leurs propriétés, les ducs, égaux
en tre eux, en transmettaien t le gouvernemcnt
ímmédiat u leurs hóritiers respectifs de la ligue
masculine, pourvu qu'ils fusscnt majeurs. Au cas
ou il Y eút plusieurs enfants, ceux-ci adminis-
traient ensemble; si une eontestation quelconquc
s'élevait entre eux, les hornmes libres du duché
avaicut seuls le droit d'iuterveuir el de statuer.
Le roi lui-mcrnc, somee de toute justice daus




- 57-


le royaume lombard, ainsi que dans tous les Etats
monarchiques, ne pouvait en connattre que comme
arbitre supremo des dcstinécs du puys.


Les ducs avaíent sous leur dépendauce immé-
diate les sculdasques ou centenicrs , qui, chargés
de l'administrntion des hourgades, rendaicnt la
justice durant la paix et commundaient les re-
crues pendant la guerreo A cet effct, ils trunsmct-
taient leurs ordres aux dizaiuiers , chefs de dix ou
de douze {ares: sorte de bataillons formés pOLlr
servir dans l'udmiuistration ou daos l'arrnée, et
saos doute aussi pour garantir l'exécution des
lois, ou le muintlcn de l'ordre publico Cctte orga-
nisation pleine de rudesse est matéricllement con-
forme aceJle des Saxons : de méme que les princi-
pes législatifs des Lombarda, unís aux Saxons par
les liens du sang, sont presque idcntiques au droit
de ces peuples, qui s'appelaient entre eux : Iiom-
mes de la tcrrc rOI/ge.


Bien qu'ayunt une demcure fixe, hase du sys-
tÜ11e civil, les Lombards.eutourés comme ils l'é-
taient d'ennernís, ne purcnt jumais ubandonner
le systéme milítníre , particulicr aux tribus no-
uiades. C'est pourquoi le mot caicrcitus designa la
nation ; et le mol c.ccrcitatis, le Loinbard libre, ou




- 58-


ahriman (lteennann), selon la cou tumo germa ine,
Tous les ahrimans, suns en cxccptcr les évéqucs,
devaient courir aux armes sous peine de vingt SOllS
d'arnende, u l'uppel du Roí, En outre, nul ne pon-
vait, sans encourir la peine capitalc, changer de
domicile autrement qu'avec sa [are : chacun était
done considéré comme un soldat qui no peut dé-
ser ter son régiment. Tout ahriman entrait de
droit dan S l'ussemblée générale, mais les notables
pouvaicnt seuls discuter ct délibérer sur les in-
téréts publícs, quoiqu'il n'cxistat uucuue distinc-
tion entre les personnes libres, la loi politique
ayant pour príncipe l'égulité,


« JI ne faut pas confondre néanruoins, dit ~l. Cé-
sar Cantu, cette orgnnisation avcc le syiLl:me féo-
dul. Le rol, les ducs, les ahrimans, avaicnt la dis-
position libre et absolue de leurs terres, Ce n'ótuit
pas d'elles que dérivait pour eux l'obligatíou du
service militaíre , mais de leur qunlitó d'hommcs
libres; si bien qu'elle n'uurait pus cessé quand
ils n'auraient plus été propriétaircs. Si le roi ou
le duc confiait un domaine qui leur appartínt, a.
quclqu'un de leur dépendance, c'étuit en récom-
pcnse d'un scroicc, non II tiire {Joda l. Parfois le
propriétaire accordait ú quelqu'un Ylumucur, c'cst-




- 59-


á-diré le 'Iroit de gouverner une terre de son do-
maine, en lui abandonnant la [ouissance des re-
venus; mais bien que le béudjicier fút tenu a la
Iidélité et au serviee militaire envers le concé-
dant , sa condition ne différait pas de celle des
Castalds et des oíflcicrs ordinaires de l'armée,
En un mot, les ducs , les sculdasques , les dizai-
niers , posséduient les terres connnc officiers de
la nation, autrerneut dit de l'armée lombarde (1).»)


Quantuux douiuincs du Iloi , considerables en
nombre et en étendue, ils étaient gérés par des
gastalds, sur-intendants, juges et chcís militaircs,
Les villes de Come, d' Arczzo, de Sienne, de
Suze, etc., faisaicnt par tie des propriétés royales.
Milan appartcnnít á la [oís au Iloi et ;l un duc : ee
dernier partageait son autorité avec le gastald dé-
signé par le prince.


Quclquo puissant que Iút le Souverain de la
Lombardic, rclativcmcnt aux ducs, apres qu'Il cut
conquis di verses contrées sur les Ilomains, sous le
rapport national et monarchique, il ne l'étaít pas
cncorc assez, puisqu'il nc put cmpecher plusicurs


scigneurs de s'ngrandir et ele se soustruire ason au-
toritó, en Iormant des duches indépcndnnts. Ceux


(1) ui«. uuic, 11)1ll. VIl, U(¡~. ::07.




- 60 -


de Béuévcnt el tleSpolette,qui survécurent ala Mo-
narchie lombarde, étaient de ce nombre. Dlsons-le
bien vite : ce n'est pas sous le regne d' Autharis que
eette rupture aurait eu lieu ; mais ses nornbreux
successeurs prouvérent que lui seul étaít capable
de inaintenir tous les ducs dans I'obélssance, en les
Iiant it l'Étut par une constitution vigoureuse qui
fui admírée des peuplcs libres el qui aurait suuvé
la Iloyuuté lombarde, si elle eút pu s'idcntificr
avcc les transformations successives de la civilisa-
tion italicnne.


A coté de ce droit politiquc, attcstant une cer-
taine aptitude sociale dans l'esprit des vuinqueurs,
iI exístait un autre droit que la couquéte el la do-
mination barbare n'avaícnt poiut anéantí parmi les
vaincus, L'antagonisme de ces deux législations,
exprimant l'antagonisme de deux races, dcvait étrc
aussi fatal a la Monarchie lombardc , qu'il I'a-
vait déja été a la Monarchie gothique, Lorsque les
conqnérants eurent renversé les villes, détruit les
églises, tué le ciergé el les patriciens , ils laisserent
vivre les populations romaines, devenues leurs tri-
butaíres, paree qu'ils ne voyaicnt en elles qu'une
tourbe servile, conservant sa propre loi , il cst
vrui, tnais privée des droits politiquee luhércuts ú




- 61 -


la condition d'homme libre ou de Lornbard ,
Ainsi chassés de l'État, les Romains se réfugiaient
dans l'Église, (Ille Grógoirc-lo-Grnnd dirigeait vers
les plus hautes dcstinées, Ilcureuse d'étre sous-
traite ú la juridiction des Barbures, ses farouches
oppresseurs , la race italienne faisait j uger les dif-
íérends entre eux et avec leurs ennemis, par les
curios épiscopales, ou elle retrouvaít des fréres,
L'autorité ecclésiastique fut done une arehe de sa-
lut pour le partí national , qui, toujours défait, ct
toujours reconstituó, ne voulut jamais reconnaítre
dans les Lombarda, maitrcs de l' ltalie depuis deux
siecles, autre chose que des étrangers et des héré ~
tiques, dont il fallait délivrer Ilome et la Catho-
licité.


On le voit : de part et d'autre, l'antípathie était
fatale, invincible , mortelle ; puisque deux re-
ligions, deux races, deux nationalités vivaicnt en
présence, avcc l' intention de s'entre-détruire : ící,
la Monarchie lombarde avec sa eonstitution mili-
tuire qui déja tombait dans la décadence; la, l'É-
glíse, monarchie univcrselle, quí s'élevaí t.avcc sa
consti tution moralc, sur la eh lite du royaume que
les Barbares avaient essayé de fonder.Or,les Papes,
défenseurs-nés de la liberté des provinces italiques,




- 62-


s'étaient constasimcnt opposés a la domination
brutale des Rois lornbards, pour mieux favoriser
celle des Etcarqucs, gouvcrnant ces provinccs au
nom ele l'Empereur d'Orient. Crégoirc-Ie-Grand,
lutteur infatigable, avait employó , des I'origine,
,1 cette reuvrc de salut patríotique , autorité, re-
ligion, éloquence, diploruatie, argent, íntrigues ,
ses successeurs suivirent son exernple. Anssi, cha-
que fols qu'ils furent menacés par les Lornbards,
réclamerent-ils aussitót les secours ele Constantí-
nople,


Mais ces secours n'arrivaícnt jamais; et l'état
d'ahanelon oú l' Italie se trouvait rédui te, par le
mauvais vouloír de son gouverncment, renclait
l'autoríté temporelle ele I'Évéquc de Ilorne, positi-
vement Indispensable. C'était un refuge tutélaire,
et l'unique ressource de cette nution oppriméc, soit
qu'il fallút subvenir aux frais de l']::tut; soit qu'il
fallút contenir dnns l'ordrc lógu! des populations
toujours prétes á la révoltc ; soit cnfin, qu'i! Iallút
négocícr, dnns l'intérét ele la civilisation, avec Ics
Barbares, a qui rcspcctaient beaucoup plus la di-
D gnité et surtout In parole du Pontife que celle de
» l'Exurquc. I.cs Papes en iuterveuant ulors.commc
» ils le fuisaient si souvcnt dans les aflaircs publi-




- 63-


nques, nc faisaient que céder á la nécessité absolue
o dcscirconstanccs, et aux vccux réunis des princes
)) et des peuples (1). , Grégoire-Ie-Grand, dont le
Pontíficat s'écoula au milieu des négociations et
des comhats qu'il fut obligó de livrer ou de con-
clnre, au Iieu et place de l' Exarque, le déclare
cxpressément. « L']~V(\Iue de Ilome, dít-il, il rai-
o son de sa charge pastorale, est tellernent oeeupé
o de soins extérieurs, qu'il ya souvent lieu de dou-
» ter s'il fait I'offieede pasteur ou celui de seigneur
» temporel (2). »


Désíraut endormir la vigilance des Souverains
Pontifes, les princes Lornburds cnrent l'air de se
convertir et de vouloir étre leurs auxlliaires, aprcs
avoir été si longtemps Ieurs ennemis. Luitprand
s'in ti tula Itoichréticn el catkoliquedesLombardsbicn-
aimes de Dieu, pour micux cacher ses projets j maís
il montra bicntót, en reprenant les hostilités ,
qn'il n'était entré dans l'í~¡.;lise, qu'uvec la pensé e
d(~ la subjuguer. « Il assiégea Ravenne, dit un au-
tcur contempornin, et s'empura de la floUe impé-
riale qu'Il détruisit. Alors le patrice Paul envoya


(1) L'al,iJ,; Cosselin. Poncoír tl.tt ['I())(' au :lIoYI'I/-d(Ji' , etc..•
jI:l':'. 20(;.


(2) S, U/'{'iIOI'!í J~·l'ís{ol., tu: T, I'pist. (o¡Ji'!'({., rom, n.)




-6fJ-
de Ilavenne des émíssaires, aoec ordre de [aire
mourir te Pape; mais cette conspiration échoua
par la résistunce des Lombarda, qui prirent la dé-
fense du Pontife, et qui Iurent secondés, en ce
point, par les hahitnnts de Spolctle, et par d'au-
tres Lornburds de Toscanc. Ce fut dans ce méme
temps que l'Empereur Léon fit hrúler ú Constan-
tinople les images des suints, dont iI avait dé-
pouillé les églises ; et il demanda au Pape de Iaire
la méme chose, s'il voulait recouvrer ses bonnes
gráces. Mais le Pape méprísa ses ordres. Toutes
les troupes de Buvenne et de Venise s'y oppose-
rent aussi unanimement ; et si elles u'cusscnt hé
rctcnues par te Pape~ elles eusscut ckoisi un autre
Empcreur (1) . »


Anastase-le-Blbllothécalre confirme le mérne Iait
qu'il entoure de nornbrcux détails. « Le saint Pon-
tire, dit-il , se prépara ú résíster ú l'Empercur
comme iJ. un cnnerni, rcjetant ouvcrtcmcnt son
hérésie, et écrivant de tous cótés aux fidelcs pour
les prévenir contre une pareille impiété Aussi,
les habitnnts de la Pcntapole ct les troupes de
Venise, touchés des cxhortations du Pape, rcfu-




- 65-


sérent d'obéir aux orares de l'Empereur, décla-
rant que jamais ils ne souffriraient qu'on attentát
ala vie du Pontlfc, et qu'ils étaient préts apren-
dre ouvertement sa défense. lis auathémutisaient
en conséquence l'exarque PniJI avec tous ses
adhéren ts; et, au méprís de son autoritó, tes PCIl-
Jites d'Ltalie se choisiretu de 101/8 cátés des clic]«, afin
de pourvoir ainsi a lcur liberté et ú celle du Pape,
Bien plus, a la nouvellc des mauvais desseins de
l'Empereur,loute t'Ltalie se rcsalu! de se clioisir un
azare Empcreur, el de le conduire it Constantinople;
mais le Pape, qui espérait la conoersion du prince,
empéclia texecution de ce dessein .. o •• Il redoublait
ses aumónes, ses príeres et ses jeúnes, comptant
beaucoup plus sur la protection de Dieu que sur
celle des hommes; et en témoignant au peuplc
sa reconnaissance pour ses généreuses disposí-
tions, il l'exhortuit par de touchants discours, el
pcrsévérer dans la foi et dans les bonnes muvres ;
mais il taccrtissait aussi de ne pas oublier l'al-
tachement el la fidélilé qu'iis deoaictu el l'Empe-
reur (L). »


Ainsi, dans la situation la plus critique et la


(1) Vil!! Creqorii lf ainu! Labhc, concii. 'í'om, vt, pag:.
1.!la:_1-1405,


5




- 66-


plus sinistre qui fut jamais, lorsque, d'un cátc,
l'héresie arméc 'de fa puissance impéria!e s'ell'ol'-
rait de s'iniroduirc en Ltalic, el que, de l'aulre
cáté, l'Ltalie scmblait ue pouooir repousser l' hél'é-
sic qu'en se recoltaut centre son Souoerain, le Pape
Grégoire 1I remplit égalcment deua: deroirs qui
paraissaient alors incompatibles, Chef intrcpidc
de I'Église.. il s'opposa u l'exéeution des édits
contraires a la pratíque et aux principes du chris-
tianisme ; et fidd/e sujet du priuce dans l'Élat, mal-
gré les complots sanglauts qu'il trumait contre Sil
vie, it etou[a l'espri: de révolie.. se montra supe-
rieur lt tout scntiment de »cnqcauce OH de crainte,
et (ut asscz genéreux pour conserver h l'Empereur
iconoclastc, 1'1 talle qu'il ullait hicntót perdre sans
retour (1).


En agissant de la sorte h I'égard du Souveruín
tcmporel, Grégoire Il, Souverain spirituel, Iaisait
une application de ecttc muxime qu'il avait procla-
mée lui-méme el qui servit constammcnt de regle
u tous ses actes pontiflcaux ou politíqucs : [l{altl
que chacun de U01l8 demeurc daus tcuu oh Dieu fa
appelé (2).


(1) 1.('J¡'·;m, llist. <In Bus-Bnu.ire, rom, \1lT, lib. 1.\111,11" Gil.
(2) (Jn'fjol'ii E;lis/o/ic 1 el 2 I/))I/({ LaJ¡¡l/', concil. rom. Y!I,


pat'. 20.




- 67-


Cependant, Grégoire lIT oeeupe le Saínt-Siégc ;
et l.uitprand , déjá maítre de Buvennc, se présente
devant Ilome, en conquérant, Dans eetle eonjone-
ture, l' Italie u'espere échapper a la servítude et a
l'hérésie qu'en se détnchant de l'Empire. La civili-
sation de l'Occideut veut done rornpre tout pacte
avec eelle de l'Orient : c'est la voix de la nature
proclamant une loi supréme que tous les peuplcs
ont rccounue ('1) : eelle qui les autorise ase sou-
mcttre u tel ou tel prince étranger , lorsqu'ils oc
peuvent plus attendrc uucun secours de leur pro-
pro Souverain. Cette loi posítive, Crégoirc IlT
l'uccepta, comme l'uniquc moyen de sauver toutcs
les provinces italiennes; el Charles-Martel recut
alors des nmbassadeurs chargés de luí oflrir le li-
tre de consul, au nom du Pape, des ofllciers et du
peuple romain , qui « renoncaít, par décret, a la
» domination de I'Empereur, suppliait Charles de
D prendre su défcnse, et avait reeours USa protec-
D tiou invincible. D


Les événcmcnts vont désormais se précípiter en
méme temps que les idées, et l'Italic deviendra le
centre de eette rógénérution. Rome et le Souverain


(1) l'ufl'enllorf, J)c JIlI'I', nato el grnt. Ji],. VIr, cap. 7 ~ !I.-
(;l'oliuslJeJlll'c el {¡c!li 7wcis, lib. 1I,cap. 6 §5.




- 68-


Pontife n'échnppcnt momentanément aux maíns de
Luítprand, que par l'intervenlion diplomatique
de Charles-Martel, le sauveur de l'Europe et de
toute la chrétíenté, Une intervention militaire ,
ceHe de Pepin contre Astolphe, sera bientót plus
eflicace; mais celle de Charlemagne contre Di-
dier, sera tout-á-faít décisive. La Monarchíe lom-
barde a voulu étouffer l'Italie et l'Églíse , ou
mieux, la civilisation sous le poids de sa barba-
rie , mais l'Eglise prcnd une vie nouvelle, en de-
venant un gouvernement temporel, par les dona-
tions successives de Pepin et de Charlemagnc ; et
l'Italie elle-méme forme un nouveau royaume
avec les débris de celui des Lombards , qui n'ont
pas été annexés aux duchés de Bénévent el de Spo-
lette.


Toutes ces transformations ne sont que par-
.ielles , mais elles vont se généraliser, de l'un a
l'autre bout de l'Occident, qui s'émancipe vis-il-
vis de I'Orient. Placées ala tete de ce mouvement
providentiel, héritieres de l'ancíenne civilisation
romaine et puissamment constituées sous la forme
d'une Monarchie, les Gaules pouvaíent seules dé-
terininer une aussi vaste révolution devenue le
point de départ de la cívílisatíon moderno. Con-




- 69-


duit par son Roi, le peuple gullo-franc vcnait en
ltulie, non pour l'opprimer, muispour la délivrer ;
non pour se substituer a la Monarchíe lombarde
que trois siecles d'existenee n'avaient pu nationa-
liser, mais pour former un pouvoir éleetif avec les
éléments mérne de la nationalité italienne, et pla-
cer le Souverain Pontife, vicaire du Christ dont
le royaume est dans le ciel, au rang des princes
de la terre,afin qu'il Iít tourncr,autour de l'Église,
axe iuunobile de l'univcrs religieux, la sphere
mobile des intéréts humains. Déjá vénérables par
eux-mémes , en ruison de leur suprématie sacer-
dotalc et apostolique , les Papes seront encore
plus majcstueux, en raison de Ieur puissance tem-
porelle, IIs recueilleron t le titre de seroiteurs des
scroitcurs de lJieu, que Crégolre-le-Crand leur a
transmis; ils dirout tous égulernent, eornme lui et
avec lui : Je na dd(ends ¡){lS ma cause, mais celle de
Dicu el de l'liglisewdverselle. Ainsi pénétrés de
leur mission auguste, apres avoir fuit obstacle aux
gouvcrnements barbares, ils se méleront aux gou-
vernements féoc1aux, modifieront leur despotisme
brutal, et les régénéreront peu apeu, en vertu des
príncipes chrétiens d'égalité , de liberté, de eha-
rilé. Mals uussi, nous les entendrons répéter aux




- 70-


tyrans et aux hérétiques 1 il quicouqnc, par le
glaive ou par la parole, peut compromeltre les des-
tinées du Christianisme, celte calme et fiere 1'6-
ponse que Grégoire 111 écrivait it Léon l'Isuurien ,
pendaut le tumulte des conspiratlons et des ba-
tailles :


(e Vous croyez nous épouvanter en disant : « J'cn-
»verrai Ü Rome bríser l'image de salnt Pierre ; et
» je feraí eulever le pape Grégoire, chargé de chul-
» nes, conime Constan t f 1 it ji artiu, I¡ Mais sachcz
(pie les Pontifcs sont les niédluteurs et les arbitres
de la paix entre l'Orient el l'Occldcnt., , Vos me-
naces ne IJOllS effrayent paso Nous sommes en sú-
reté a. quclques millos de Ilomc. Les regnrds des
nations sont fixés sur notre huniilité ; elles révé-
rcnt ici-has, cornme un Dieu, l'apótre saiut Picrre,
dont vous menacez de briser la figure. Les royau-
mes les plus reculés de l'Oecident rendent hom-
mage uu Christ et á son vicaire, et vous seul étes
sourd ü sa voix... Si vous envoyez quelqu'un pour
renverser l'image de saint Pierre, je vous en aver-
tis, il pourra bien y avoir du sang répandu, Pour
moi, j'en suis innoccnt , ct tout le criuie reto ni-
bera sur vous. 1)




-71-


SÉlUE DES HOlS GOTlJS.


Itots IlÉl\ÉDITAIHES.


'I'hóodnrie-lc-Graud, •
Atalaric.
Theodal.


llOIS ÉLECTll'S.


Viligl~s..
1lildchakl.
Eraric..
Tolila..
Tildas.•


suu E DES HOIS LOJIlU.lllJS.


ú75-52G
526-5:j[¡
534-530


536-5110
5/10-541
5ú1
541-552
552-553


Alboiu .•
CIl'lis. • • •
Autharis. • •
At;ilulL. .
Agilnlf el Adaloal. •
Adaloal. .
Ariovald, • • •
Ilutharis. . • •
Hodoald.
Aribert l'''.. . . •
Gonclebert el Pertari t.
Grimoald, • • • •
Garihald. . .
Pertarit (2"regne).
Pertarit el Cuuibcrt,
Cunibert, •
Luitpert. •
Jíagimpcrt. •
Aribert Ir. .
Auspran.l. •
Luirprand. . ••
Luitpraud el Ilildchrand.
Hachis.. •
Astolphe. •
Diclier.. . . .
Didier el Adelchis,


560-573
573-575
58!¡-S91
591-615
605-615
605-625


• 625-036
• 636-652


652-653
• 653-661


661-662
662-671
671
671-686


• 678-686
678-700
700-701
701
701-712
712


. • • 713-736
736-7ú4
744-749
7!r9-756
756-767
767-774




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CIIAPITUE 111.


ÉT.\.DLlSSE}[E:'iT DE LA }IO:'iAllCIIIE rn.L\I,AlSE.
I'I\E:lJlf:llL HACE.


Sommaire.


L\llinitó parliculierc entre les Francs et les Gaulois, - La Iloyaulé
jJ:lrllli les nalions ¡:ermaniqlles. - Le Itoi est íils d'un héros Oll
d'un derui-diou.v- liynastics. - L'hún'rlité el l'clcction. - I'our-
quoi lu uoyanté précedc-t-elle toujours la }[onal'ehie. - I-hara-
mond. - \l(~l'oy('e. - Vision de Childéríc, - JI Y découvrc la
¡:rilndcur el la ckeatlenee (le la l'ilee, .'lél'o\'ingienne. - olovís
el les ('~v('r¡lles Canlois. - Dovnirs de la Hoyanté au scin de la ei-
vilisation rllr('tienne. - ronversion de Clovis. - La saíntc-am-
poule, - Le I'ouvoir royal el l'aulorité ccclésiastiquc cm concile
d·Or1óans. - Le l.ni cst trcs-cnrcticn, mais la I:oyalltr reste har-
hal'e.-Ilivision entre les ll'iblls.-lnité IlIonarclJir¡lIe.-Pal'lage
du 1:nyau 11 11'. -cllltillle préfi're voir ses Iils JlIO!'tS i/IIC totulus.>«
1.<1 i1rlllllCralil' mililaire des Frailes se trnnslorme eu aristocratie
li-niloriah'. - Conlli! entre le prinrip« Ill'riditairl' el le priu-
dpe (;¡"elir. - 1'1'elllii'l'e alleinte au príncip« rle r]¡,'nicliló royale
SOllS Clotaire 11. - La mairie (tu palais el les rois Iainéants. -
Confusions dans la ligl1c rlirccl«, - Supposilions de. princes che-
vclus, - SU!,!,l'I'ssiou totale lll' la Itoyunté par Charles-Martcl.
- Ctglise ctl'f.:tal. -\lliance (tu elcrgé avce Pcpín. ,- Avan-
tages qui en résulleut pour la civilisalion.- Avcncment de Pepín,
roí dl'clif daliord il SOiSSOllS, puis roi héredítnirc il Saiul-Ilenis.-
Le Pa!,eJitienne, en vcrtu du sacre, lni douno le caraclere COIl1-
]>li~lellleullOyal; el transforme sa fumillc, en une race de princes
propres i¡ régner, - Série des Itois tuerovingiens.


La Monarchie frnncaise.considérée dans son ori-
gine, est celle qui s'est formée le plus naturelIe-
ment ct le plus vite; aussi a-t-alle eu le privílégc
uuique d'atteindrc, prcsqu'en naissant, un tenue




-74-
de grandeur et de puissance que les autres Mo-
narchies n'ont pu obtenir qu'apres de longs efforts
et plusieurs siecles de progreso La fusion des Francs
el des Gaulois se fit de bonne heurc, paree qu'cn-
tro les vainqueurs ct les vaincus, genérulcmeut an-
tipathiques dans les nutres contrécs , il Y cut
une atflnité particuliere. D'un colé, les Frenes,
conduits par des rois chevelus , qui , suivant la
LOL Salique, se succédaient ele male en múle, sans
interruption (1) , apportaient uux divcrses confé-
dératíons gauloíses, la forme du gouvcrne.ueut
monurchíque et ,le príncipe d'unité, qu'clles ac-
ceptercnt comrne conditlons de leur proprc déve-
loppemeut ultérieur; d'uu nutre coté, les Cuu-
lois, peuple chrétien , ofTrirent aux Francs leurs
croyunces et leurs ídées, qu'ils ucccptcrcnt COllllllC
conditions d'un établisscment durable. Des-lors, la
Iloyauté francaise entra dans la premiére phuse de
ses destiuées,


Chez toutcs les nutiuns gcrmaníques, - il u'est
pas un scul historien qui ne l'ait observé, -le pr i ncí-
pe d'éleclion et le principe d'hérédí ló ont égulement
concouru ü la formation de la Itoyauté, iors de l'd-
tablisscment des Xlouurcl: ies nW(ÜTJlCS. {( De lit ce ti¡¡ l




~ 75-


presque universel, dit M. Guizot, que l'électiou
n'avait guere lieu qu'entre les membres d'une seule
farnille , investie du privilége de donner un peuple
ses Itois (1). »En générul.c'était une race ele héros
ou de deuií-díeux. L'opinion publique voulait qu'il
en fút ainsi, cal' la Iiertó des Barbares n'aurait ja-
mais consenti us'humilier, par I'obéissance, uux
chefs de tribus dont l'originc, le couragc et l'au-
dace n'eussent pas été surhurnains. Aussi les Goths
choisirent-ils toujours leurs Rois duns la race des
Amales : les Bavarois, daus celle des Agilolfioges;
les Saxons et les Francs, dans celle de Mérovée et
duns cclle d'Odin , qui pour eux n'clait pas un dcmi-
dieu, rnais le plus grund de tous [es Dieux, Simples
juges pendant la paix, et gr'.l1éraux OU chcfs d'ar-
mées pcndunt la guerre, lcur uutorité ne pouvait
pas étre alors, parmi les Barbares, ce qu'elle est de-
venue pius tard, pnrtni les na tlons cívilisées. Limi-
tée en toute chosc par les assemblées nutíonales,
désignées sous le nom de cluunp deJIars ou de JIai,
chez les Franes; de conciles, chez les Visigoths el


(1) Essais .11/,' tu;«. r/i }o'mJlCf, ¡P cssui , rhap. 111, pago ~lü.
- royez ('galell1cnl rCl'lo[: ¡¡isserlaliulI .1111' /a snrccsslon. rll' la
CUIII'O/tl/l' r/l' Frunt«. da!!s 11', .\I<'I/Iuil'l''; rll' !'J {'(((!I:1iI !",' tl«. 1I1SI'!'i/l-
t.ion«, lom« Ir, i11-1¡". - CII:il¡'lllliHi:llId, ¡;Iorlr's lfisloril/llcS.·-
Ilnil.un, /;/~'/lI'(JI'C(/1I J[()!Jul-'liJ", [llllle 1, jil!g. JS~-[IIL - l'cnc-
rus, liistoirc (/'jiS/I(lUnC" lutlJC tI, (Jllg. !¡1~, etc.




- 76 -


de W itenaqliemot, chez les Anglo-Saxons, elle n'étuít
limitée en ríen il l'heure des bataillcs. Au point de
vue purement politique, le Iloi, fils d'un demi-dicu
OH d'un héros, et héros lui-ruéme, n'était que lepre-
miel' parmi ses égaux - primus intcr JJares,- c'est-
á-díre qu'il devait étre acctte époque primitive, ce
qu'il a dú et doit étre encore a toutes les époques,
sous peine ele déchéance monde el posilive : le pre-
miel' hornrne de su nation. Yoil« pour la distinction
individuelle, relative aux devoirs généraux. Quant
ala distinction générale, relative ü la personnc ou
it la race royale, elle étaít d'une sirnplicité admira-
ble, selon les nueurs particulieres et naturcllcs aux
peuples germains. n Si la fumille de leur chef dcvait
etre remarquée par quelque signe, dit Montes-
quíeu.c'était dans la nature qu'ils devaient le cher-
cher : les roís des Franes, des Bourguígnons et
des Visigoths, avaient pour díadéme leur lougue
chevelure (1).11 Comme ils étaient seuls en droit
de la por ter, ee privilége leur valut le surnom de
Ctieoetus,


Phnrnmond , Mérovée , Clodion et Childéric pas-
serent sur le tcrrltoire gaulois, et n'y fircnt que
préparer les esprits a se ranger sous l'uutorité de


(1) Montesquicu, Esprit dos Luis, liv. .\\11l, ('llap..\\/tI.




- 77-


leurs successeurs. C'est pour cela que la Royauté
precede toujours la Monarchie. Le second de ces
rois ehevelus donna son nom aune raee qui de-
vait former notre premiere dynastie; et le qua-
trieme donna la vie au prince, chef de tribu, qui
dcvaít former le Royaume.
lOn sait que Childéric , ayant mécontenté les


Frailes, fut obligé de quitter le tróne, ou mieux le
commandement. II resta pres du roi de Thuringc
pendant huit ans. Apres ce laps de temps, il fut rap-
pelé dans sa patrie par ceux-la mémes qui l'avaient
exilé. A peine était-il revenu parmi ses compa-
gnons, que Basine, femme el compagne du roi de
Thurlnge , abandonna son époux, sacrifié au chef
des Saliens. «Si j'avais connu un homme plus vi-
» goureux que toi, dit-elle aChildéric, je lui aurais
) donné la préférencc. " 01', s'il faut en croire le
témoignage de Grégoire de Tours, la premiere nuit
oü Busine purtngea la caucho de Childéríc, elle luí
tint encore ce langage : « Gardons la continence;
D leve-toi.et ce que tu auras vu dans la cour du pa-
)) lais, tu le rapportcras ata servan te. 1)Le Roi se leva.
aussitót et apercut des Iions, des licornes, des léo-
pards.qui jouaient en hourlissuut.Tl revint le dire a
Basine.« Va et regarde de nouveau, reprit cellc-ci,




- 78-


» puis instruis ta servnnte de ce qui aura frappé tes
»yeux.» Chíldéric sortiL une seconde et une troi-
sieme fois: il vil d'abord des ours el des loups, en-
suite des petits chiens et une foule de bétes im-
mondes. « Ce que tu as vu est la vérité, ajouta Ba-
sine. De nous nnítrn un lion; ses íils cOllfilgem:
sont figures par les léopards et les Iicornes. Ils
engendreront des loups et des ours, courageux et
voraces. Les derniers seront des chiens ; et la
tourbe des bétcs plus petites, indique ceux qui mal-
traiteront le peuple, que ses Ilois ne protégeront
pas (L). » L'histoirc du moycu-áge, cxprimunt les
évóncmcnts sous la forme de fictions ou ele prédlc-
tíons symboliques, résume ainsi la graurleur et lit
décadeuce ele la dynastie l\lérovingienne. ~


Clovis n'avait que quinze ans lorsqu'il recucillit
l'héritage monarchiquc de Childéríc. II est acclumó
Roi, dans Tournay , capitule ele son petit J;:tat,
qu'il quitteru bieutót pour prendre les Gaules
ct y Ionder une vasto Monurchie. Le prince bar-
bare se trouve alors en présencc d'une civilisation,
rlcrnier vestige du puganisme : il la respecte; maís
il la prend pour ce qu'clle vaut, comme s'il corn-
prcnuit déjá qu'clle est stérile ct que lui scul peut


(1) liistoria rrancorum. TOIll. J!, pago ;]a7.




- 79-


la rendre fécondc, en embrassant le christianisme.
Maitre des Gaules, á la suite ele plusieurs vic-


toires, le héros chevelu songe au mariage. 11 de-
mande Clotilde , princesse chrétienne et niece de
Condebaud, roi de Bourgogne; et voici en quels
termes: • Mon dgr, exige la société d'une noble
» épouse, ele qni sortira une race royale pour gou-
» verner mon Itoyaume apres ma mort, »Cette union
fit la fortune de son regne : cal' les Gauloís y virent
aussitót le présage ele la prochaine conversion des
Francs, fuLur ouvrage de Clotilde, Les évéques
se rendirent fréquemment á la tente de Clovis;
et saint Itemi, I'illustre archevéque de Ileims.Tui
avnit memo écrit, des son avénemen t, une lettre OÚ
il définissait ú merveille tous les devoirs de la
lloyauté parmi les pcuplcs chréticns.


Le pieux upótre disait au prínce conquérant :
¡¡ Accomplis les desseins de la Providence, Montrc-
toi moderé dans le pouvoir, juste dans les ré-
compenses, bieuveillant envers les Pontifes et
docile Ú leurs conseils. Si tu trouves bon d'agir
aH~C eux , les peuples seront heureux. Maintiens
la discipline militaire , eleve tes compagnons
darmcs et n'opprime personnc, Seconrs les in-
Iortunés ; nourris les orphclins jusqu'á ce qu'ils




- so-


soicnt en áge de te servir, et tu remplaceras alnsí
la erainte par l'affectíon. Que la droiture de tes
jugements mette le faiblc el l'útranger a l'abri de
la rapacité, Que l'acces de ton palais ne soit re-
fusé a pcrsonne, et que personne n'en sorte mé-
contento Tu possedes les biens patcrnels , si tu
t'en sers pour rache ter les prisonnicrs , fais en
sorte de leur restituer la liberté entíére. Que les
étrangers établis sur tes dornaines ne s'apercoí-
vent pas qu'ils appartiennent a une nation diífé-
rente. Que les jeunes gens íntervíennent a tes
retes, les hommes ágés seulomeut ates eonseils. »


On ignore de quellemanióre Clovis accuelllít
cette lettre ; mais on sait que, des son ínstallatíon
dans lesGaules, il choisi t pour premier ministre Au-
rélien, gullo-romain de nom, d'origine, de mrcurs
et d'éducatíon, qui trulla positivement, avcc saint
Rcmi, de la conversion définitive des Francs.
Cette question si délicate et si capitule, Irupliquait
une révolution immense dans les rapports du Rol
Sicambre avec les Gaulois, dans les rapports des
vainqueurs et des vaincus, et enfin dans les rap-
ports de la Monarchíe nouvelle avec les nutres Etats
de l'Occident, Le nom ele Clotilde ne servit sans
dou te que de prétexte aeette négocíatíon, cal', ainsí




- 8i -


que l'observe Flodoard, cctte [emme ue pouoait flé-
chir Cloois CI); maís Clovís cornprit que, chez un
peuple oü les femmes jouaient un grand róle.l'In-
tervention oílicielle de Clotilde, compromettrait
moins sa propre autoríté, que les conseils d'un
évéque et d'un ministre gaulois (2).


Toutefois, cette intervention lui sernblait encoré
insuffisante. N'étant pas roi, dans I'acception ac-
tuelle du mot, maís simple chef de guerriers coma-
geux, indépendants, volontaires, habitués á suivre
leur impulsion personnelle et an'obéir qu'aux loís
délíbérées au sein des assernblées nationales, Clovis
désira que son amour pour la vicloire parút Nre,
aux yeux de I'armée tranque, l'unique raison qui le
conduísaít il la foi. Une occasíon solennelle s'offrit
aux pluines de Tolhiac, al! les Franes et les Gnu-
lois, reunís, malgré des prodiges de valeur.ullaíent
se disperser, en pleine déroute, lorsque Clovis s'é-
cria: u Dieu de Clotilde, je faís vceu, si tu rn'uc-
J cordes la victoire, de n'avoir pas d'autre religion
J que la tienne. » Aussitót, la fortune des armes
changea de drapean: et les Allemands, naguere


(1) Hi.ltoil'e de /'Ég/ise de I:eims, en latin. Douai, 1617.
(2) ,\. de si, I'rlcst, in«, de la nonaut», rom, r, pago 405.


6




- 82-


vaiuqueurs, maintenant vaíncus, reconnurcnt l'au-
torité du Sicambre triomphaut.


Le jour de Noél fut ehoisi pour la cérémonie du
baptéme (496). Les Gaulois voulant frapper mer-
veilleusement I'esprit d'un peuple barbare, dé-
ployérent, en eette circonstance, tout le luxe de la
eivilisation. Depuis le palais du Iloi jusqu'á la ca-
thédrale, chaqué maison était comerte de tapis et
d'étoffes, de couleurs diverses , mais égalernent
riches; le Clergé ouvrait la marche, portant les
saints Evangiles , la croix et les bannieros ; le Te
Deum, exprimant la plus grande joie de l' Église,
retentissait dans un transport unanime ; l'arche-
véque, revétu de ses habits pontificaux ruisselants
d'or, tenait le Roi par la main ; la reine rnarchait
derriére eux, orgueilleuse pour la terre, hurnble
pour le ciel; et le peuple avait le pas sur I'aruiée,
qui fermait le cortége.


On entra dans l'église OU mille cierges étaient
allumés. Le parfum des f1eurs, le suave encens
de l'Arabie, et un chceur de voix humaines rem-
plissaient la maison de Dieu. c( Maítre D, s'écrin
Clovis, ébloui par tant d'allégresse et de splendeur,
« cst-cc la le royaume des cieux que vous m'uvez
»prolllis? • Pas encare u, luí dit tout bas saint




- 83-


Ilemí , puis, élevaut su voix, le prélat fit entendre
ces paroles célebres: u - Incline ton col, Sicum-
» bre; adore ce que tu as brúlé ; hrúle ce que tu as
• adoré. » Les historiens du temps expriment, par
des flciious symboliqucs, la sublime réulité de cet
événemcnt. II y uvait tant de Ioule dans le sane-
tuaire, disent-ils, que le clerc, porteur du suint
chrérne, ne put en approcher. L'évéque se mil it
prior. Soudain une colombe, plus hlanche que la
neige, luí apporta la salnte-ampoule : fiole pleine
d'une huile intarissable et d'un suave parfum, Les
assistants le respiraient avec délices, lorsqu'un
ange descendit du ciel et remit a Clovis une ban-
níére fleurdelisée. A son tour.saint Remi lui donna
un flucon d'excellent vin, pour qu'il en fit usagc
dans ses cxpéditions, Si elles devaient étre heu-
reuses, le roi et son arrnée avaient bcau en boire,
la liqueu r ne diruinuuit pas (1). Ai nsi l' imagina tion
des pcuplcs, ficre de montrer l'intcrvention posi-
tive du ciel, dans toutes les grandes révolutions


(1) Le premie!' écrivain qui ait parlé, avec quelquc aulorité, dI' la
,ailltf~-alllllOllle ('[ rlr-s miracles de suiul üerui, c'esl í liucru.n-, arelll'-
v·üqnc de Itf'i1ns an IX' sioclc: iI s'appuyait S\1l' des !radiliolls rt
mérue sur des ('eTi!s autérivnrs. L'an.poule servil, dcpuis C1mis
jllsqll'a la névoillfion, h sacrer tOIlS les rois dI' 1'1";1IIe('. Le ¡"'l!!'l"-
seulanl du pcuJJh~ núliI, de strashourg, s'en elllpara pendanl la
Terrl'lll' el la fil YO[('I' en érlats, On sail que ce .Iilcohin ["OI'CI'I1'" se
suicida plus tard,




- 84-


quí s'accomplíssent sur la terre, construit le ber-
ceau de la plus brillante Monarchie des temps
modernes, avee des symboles, comme elle l'avaít
fait pour celles des temps antiques.


A dater de ce jour, les Francs, convertís au
chrlstíanísme, perdircnt graduellement leur carac-
tére barbare; et aequirent ainsi le privilége d'étre
placés a la tete des peuples civilisés Le Pape Anns-
tase II félicita Clovis en lui donnant le titre
héréditaire de Roi trés-chrétien el de fils aitu' de
l'Jé;glise, qu'il méritait ; cal' les nutres princes
d'Occídent et l'Empereur d'Orient luí-ruéme , ou
Ariens ou Eutyehiens, avaient abjuré le catho-
licisme. Clovis comprit toute l'importance morale
que sa conversion lui assurait dans le monde; et
il en profita d'une maniere héroíque puísqu'il fit
germer sur le sol conquis les féeondes semenccs
de la Monarchie.


« Clovis et l' Épiscopat gauloís, dit A. de Saint-
Priest, avalent transigé; la force matérielle ren-
dalt prépondéraute la position du eonquérant;
maís, de part et d'autre, une force morale pres-
que égale rétablissait la balance et maintenait
I'équílibre. Le corps des évéques avait desiré et
appelé les Prancs , il avalt couronné leur chef:




- 85-


des deux cótés, les ser vices furent acceptés et
payés noblement... II Y eut, non pas un pacte
formel, mals une résolution tacite de se renfer-
mer dans les bornes d'une modération récipro-
que... Jarnais deux pouvoirs, liés par un íntérét
commun, ne se portérent un si fidele respect,
ne se traiterent avec de tels ménagements. Non-
seulement Clovis vénéra les évéques et se laissa
prendre UH charrne de leurs vertus, a l'onction
de leurs paroles; il les admil dans sa familiarité,
gouverna par lcurs conseils, négocia par leur in-:
tervention. Entre le Roi et le clergé des Gaules,
nul débat de suprématie, aucun choc d'autoríté.
Un concilc fut asscmblé á Orléans pour fairc,
avec égalité, la part des c1ercs et celle du Roi.
Jatnais harmonic si complete n'avait régné entre
les deux pouvoirs ; leur accord fut unanime ; les
limites de l'autoritó civile et religieusc furent de
part el d'autre posées avec une sagesse, une mo-
dération, une réserve digne des temps les plus
éclairés (t) .•


Nulle défiance ne pouvait plus existcr entre
les Francs el les Gaulois, puisque les deux pou-
voirs , qui avaient dirigé jusqu'á ce jour le mouve-


(1) llist de {allv!Jalll¡;'. TVIII. 1", jJag. !¡06-!¡UU.




- 86-


ment contradíctoire des uns el des autres, s'eu-
tendaient pour jeter les bases d'un droit commun.
Deja comuiencait la fusion des deux races, propre
u former l'unité nutionale, des que le roi aurait
Iui-méme achevé de constítuer l'unité du pouvoir,
Clovis u'ohtint cet heureux résultat, but de toute
su vic, que par la mort de ses rivaux ct par les
plus atroces moyens, Si le Sicambre savait se
conduire en chrétien it l'égard des chréticns, il
agissuit toujours en barbare á l'égard des barbares.


1« Meurs " disait-il au Mérovingien Ilaguacaire,
roi de Cambruí, qu'il égorgea, «meurs, toi qui as
• humillé notre lignage en te laissant lier.» Et á
Ilicar , son frere , qui partngca le méme sort:
n Miserable, si tu avais Iait ton devoir, on n'aurait


» pas lié ton Irere.• Quittons cettc route sanglante
ou Clovis allait immoler toutcs les Iloyautés par-
ticlles, nfin de réalíser l'unité monnrchique, prín-
cipe de salut pour les peuples.• C'est ainsi, dit
• Grégoire de Tours, que le Scigneur fuisait chaquc
» jour tomber les ennemis sous la main de ce
• prince, et angmentait SOIl royaume, paree qu'il
»umrchait d'un coeur droit devant Dieu et fuísait
» les eh oses qui luí sont agréablcs (1). »


(1) llist. 1"/'(1/11'. apud Don: lJOI/I/llcl. ltcrtuu Gallic. el Frunc.
Scrii.torcs.




- 8í-


/ Dans ces lignes, peinture cxucte des idees el
des moeurs de toute ceue époque primitiva, l'horn-
me d'Etat, ministre d'un prince moitié civilisé,
moitié sauvage, se montre eutiérement derriere
la pensée de I'évéque historicn.] N'oublions pas
d'aillcurs que si le roi était chrétien, la Iloyauté
était ct devait restcr encore barbare, au milieu
d'une société militaire ou tout se réglait encere,
entre princes et sujets, moins par les lois qu'á
grunds eOllps de framée. Les Franes acquirent de
la sorte une prépondérance redoutable sur les
Gaulois , auxqucls certuins vétérans enlevaieut
leurs propriétés, et que ron pouvait tuer presque
impuuément, c'est-a-díre moyennant ceut sous
d'or, Ayant acquis force domaines, ils se firent
centres d'autorité civile pour mieux opprimer
les hornmes libres el les esclaves, les vaincus
el les vainqueurs. Ceux-cí eurent heau porter
leurs doléauces duns les assemhlées locales et dans
les asscmblées générules ; seuls riches en présence
d'une multitude de pauvres , les grands impo-
sérent sileuce a la justice et connnirent d'au-
tant plus d'iniquités qu'ils pouvaieut disposer des
armécs, puisqu'ils en avaient le commandement.
Aussi arriva-t-il qu'eu moins d'un siécle.la démo-




- 88-


cratie errante des Francs se trouva, d'un coté, étre
devenue, par le fait, une aristocratie terriloriale,
fixée au sol et dans la société politique, et que,de
l'autre, la Royauté élective se trouva elle-mérne
devenue héréditaire, par l'applícation d'un nou-
veau principe fixé dans la Monarchie. L'uníté du
Pouvoir central triomphe ainsi de la multiplicité
des magistraturcs, livréesaux divers chefs de tribus,
qui empéchaíent, par leur indépenclance tl peu pres
absolue, d'imprimer á l'État une direction générale.


«Apres l'établissement territorial, dit ~I. Guí-
zot, et lorsque Clovis eut rallié sous sa domina-
tion presque toutes les tribus tranques , l'hérédité
du tróne ne tarda pas aprévaloir. C'était le résul-
tat nécessaire de la prépondérance que possédait
en fuit la famille royale, et aussí de l'indépcndancc
al! vivaícnt, Ü l'ógard du Roi, la plupart des chef"
importants. Les uns ne pouvaícnt contester su su-
périorité, les nutres s'en inquiótuient peu, Il est
ridicule de rechercher, dans un tel état de mrcurs,
un príncipe c1airement rcconnu et fermcment
établi; il est inutile d'y vouloír trouver des insti-
tutions publiques savaunnent combinécs et con-
stunnncnt défendues (1). »


(1) Essais mI' (JI ist, ill' FI'u}U'f.• 1\' cssn]; chap. 111, P'Ii" ~~1.




- 89-


Placé dans une siluation pareille et [aloux de la
dominer, Clovis, homme d'action, d'intelligence,
de volonté, eomprit toute la faiblesse politique de
cette société confuse et résolut de se confier il ses
propres [orces, pour y jeter les fondements de 1'01'-
dre monarehique,en faisant de son despotisme dic-
tatorial une question de liberté publique. Son suc-
ces est completo Rien ne devient obstacle : tout,au
eontraire, favorise, durant su víe, eette révolution
salutaire que sa mort seule comprometo


Leroyaume fut partagé entre ses quatre enfants ;
ct les chefs purent satisfaire, en ceue cireons-
tance,leurs projets de réaetion, avcc les débris de
l'uniíé monarchique. La force du príncipe de l'hé-
rédité royale étaü déjú si grande parmí les Frnncs,
qu'illeur semblaít que le plus petit fils de Roi devait
ótre Roi Iuí-mém«. Ledénombrement du territoire
purut done, anos nieux, une ehose naturellc, qucl-
que funcste qu'il Iút aux destinées des Mérovin-
giens, En eflet, l'unító du royaume devint la pas-
sion ct le hut dominant de tous les prinees, mur-
chant sur les traces du Iondateur de la Monarehie.
Apres chaquo partage, les Iils imiterent done Ieur
pcre el voulurcnt obtenir le méme résultnt par des
nioycus idcntiqucs : le mcurtrc ou la tonsure,




- 90-


alors plus odieuse que le meurtre, puisque salute
Clotilde préféra voír ses enfants morts que toudus.


Chez les Móroviugiens, la longue chevelurc était
un emhléme de dignité royale et la tonsure un
signe de dégradatlon. Le princc qui la subissuit,
niort pour la Iloyauté, n'était vívant que pour la
honte.


" Tel fut , dit M. A. de Saint-Pricst, le passagc
sanglant d'une autorité fractionnée á un pouvoir
uuique. Mieux que les déclarnatcurs, elle expli-
que, saus les excuser , ces lorfaits, ces parricidcs
qui ensnnglantent le seuil de notre liistoíre , Sous
Clovis, l'unité uvait été eutrevue un instu nt, le
pouvoir avait été réuni dans une seule maln par
le courage, I'adrcsse et le crime; upres Clovis, le
crime seul était resté, l'uuité avait disparu ; et lcs
évóqucs en sc déclarunt pour Thierry ou pour
Clodomir, pour Childebert Oll pour Clotuirc, u'up-
puyaient plus <IlIC des Iactions et s'uunulaicut
comme corps en se eli visant. 11 n' y avait pius
d'uristocratie épiscopale; mais des pcrsounages
puissants, les uns ecclésiastiques, les nutres sé-
culiers; lcs uns coiffés de la mitre, les nutres du
casque, enroles sous telle ou telle bauniere (1). I


(1) tua. de la lunjaut«, TOllJ. í , pago [¡3U-MO.




- 91 -


L'unité monarchique reparut avec Clotuire ct
disparut également avec luí. Le royaume, partugé
de nouveau entre ses quatre fils, servit de théátre
aux horribles scenes quí se passerent entre Brune-
haut et Frédégondc : deux norns de fcmmes, dont
l'un, celui de la prernicre, fut sur le tróne la dcr-
niere expressíon de la Iloyautó gcrmanique, es-
sayant de résister au choc des événernents pour
nc pas tomber duns l'ubíme íéodal : dont l'autre,
cclui de la scconde, fut sur le tróne la prerniere
cxprcssiou de l'esprit révolutionnaire, engendrunt
une coalitíon formidable des grands et des cleros
centre l'uutorité royule. Frédégonde ne vit pas la
Jiu de cctte luue ; surprise par la mort, elle trans-
mit sa vieille haine il Clotaire ll, son jeunc Iils, vi-
vant avec I'espoir de tuer Brunehaut, dont le sup-
plice juridique et barbare accomplit la ruine du
drolt monarchiquc, te! qu'il était alors compris,
non-seulcment ehez les Gallo-Franes, mais aussi
chez les peuples de la Frise, de la Baviere, de la
Germanie et de l'Aquitaine.qui se'groupaient autour
de la couronne Mérovingienne et lui obéissaient au
besoin ; cal' ils étaient ficrs de la servir par respect
pour le suug d'Odin et de Mérovée. Clotaíre 11 réa-
lisa l'unité royale dans sa personne, en violant la


.,




- 92-


loi de l'hérédité dynastíque : toutefois il ne réa-
lisa pas l'unité du Pouvoír , puisqu'il fut ohligé
de le partager avec l'eristocratie terrienne, qui
dorninait déjá dans la société. C'est ainsí que 1lJ.
tombe de Brunehaut devint positivemeut le ber-
ceau de la féodalité,


JI a fallu, en effct, il Clotaire, le double eon-
cours des évéques et des leudes pour devenir l'u-
nique titulaire de la Royauté parrni les Gallo-
Francs. Le voilá done client de l'aristocratie :
mais client couronné, Déja une assemblée con-
stituante se réunit a París, avec l'intention de
limiter l'autorité royale. Les barons et les éve-
ques y décretont, d'un commun accord, une COIt-
stitution perpctuclle qui exclut du tróne un Méro-
vingien issu du dernier roi; qui donne la cou-
ronne il un collatéral, en statuant qu'nucun íils de
Thierry ne doit vivre, paree que le fils de Frédé-
gonde est et doit étre I'uniquc roi des Gaules;
qui punit de mort quieonque troublera l'ordre el
la paix dans le roynume ; qui défend aux juges de
condamner tout accusé, libre ou esclave, avant de
l'avoir entendu; qui prornct au pcuplc l'abolitiou
des nouvcaux impóts, pourvu qu'il la dcruande
positivcmcn t; qui attrihue la j uridictiou teiupo-




- 93-
relle aux evoques et qui multíplíe les priviléges
des leudes ou barons, en rendant viagers les béné-
fices et les emplois honorifiques restés révocables,
el en rendant hérédítuíres les terres données a
titre de recompense et devant faire retour a la
couronne, On avait l'air d'accorder quelques con-
ccssions aux hommes libres et au peuple , mais,
en réalíté, les seígneurs et harons absorbent tout
dans l'État: et la Royauté,constituée par eux, ayant
perdu toute force constitutive ou eonstituante, ne
représente plus, au milieu d'une aristoeratie cléri-
cale et militairc, qu'une autorité fictive, sans liens
avec le passé, conséquemment sans avenir.


Si ron veut comprendre la partíe morale de ceHe
révolution qui subordonnait le principe héréditaire
au príncipe électif, il faut se reporter aux épo-
fines antéríeures OU les fils du roi héritaient, aprés
sa mort, de son titre ainsi que de son domaíne.
« C'était la pensée commune, dit M. Guizot, qu'ils
avaient droit aux uns comme aux autres, Seule-
ment, pour que le pouvoir suívít le titre, ils se
sentaíent d'ordinaire dans la nécessité de faire re-
connaítre leur droit dans quelque assemblée, plus
ou moins nornbreuse, des chefs et du pcuple qu'ils
devaient commandcr, Ainsi, le príncipe de l'héré-




- 91¡-


dité subsistait, maís SOlIS l'obligation de se [aire
souvent avouer ; les Franes ne se donnaíent point
un Roi nouveau, mais ils acceptaient assez corn-


munément le successeur naturel du roi mort, Ni
l'idée de la légitimité, ni celle de l'élection n'a-
vaient plus de consistance et de portée, Le tróne
appartenait héréclitairement ú une famille, maís
les Francs s'appartenaíent a eux-mémes : el sau]
les cas oh suroenait la »iolence, ces deua: droits se ren-
daient reciproquement 1101Jl111age, en se proclamara
I'un t'autre qnand te besoin s'en [aisait sentir (1).•


01', l'un de ces deux príncipes venait d'étre sa-
crifié ú l'uutre.dans l'assemblée de Paris.ou le droit
électif avait unéanti le droit héréditaire et oú les
leudes, au lieu d'accepter letils daroi mort, s' é taicn t
empressés de le rejctcr, Désormnis supérieurs aux
lois politiques, puisque, loin de coustater leur cxis-
tence et d'cn surveiller I'exécution, ils en devien-
nent les créateurs, toute puissance émane d'eux,
Fiers de leur conquéte, ils la gardent soigncusc-
ment, craignant sans ccsso une surprise de la purt
de l'cnnerni : c'est aiusi que l'arístocratie con sí-
dore Mjú la Itoynuté. Aussí ne se rend-ello plus aux
cluunps de mars el de mai, ou le Iloi peut avoir le


(1) Essais .1111' l'ttist, e/eFI'IIIII'I'; /l" cssai, chnp, 111, pa;.:. 221.




- 95-


désir de reprendre les nombreux avantages et
prérogatives qu'Il a été obligé d'abandonner. Au
lieu de paruitre a la cour ou dans les assemblées,
les Leudes se cachent, pour ainsi dire, dans leurs
domaines , dans leurs cháteuux ou dans leurs
métuiries, dlsséminés sur toute la surface du
terr itoire. 1\Iais s'ils affectent d'étre hautains en-
vers le Boi , i1s deviennent obséquieux aupres
d'un Maire du pulais, - majordomus, - qui dis-
pose des bénéfices á son gré et qui, de revocable
qu'il ótuít sous Clotaire 1", nommé par l'élection
comme le Roi, également inamovible comme le
Iloi, depuis I'avénernent de Clotaire lI, est, duns
la peusée de ohaque baron dont il peut accroítre
les domnincs, d(\jit supérieur á la Royauté, puis-
que son autorlté reste immuable au milieu des Iré-
queules mutaLions du Pouvoir monarchique, En
oflct, les grands s'étant arrogé le droit de confé-
rer, par leur simple vote, cette haute dignité de
I'l~tat, le Iíoi n'a plus meme la faculté d'en ac-
cordel' ou d'en refuser l'investiture. Bíentót ,
usaut lui-méme de la Iaveur dont iI jouit auprés
des Chevelus, le Maire du paluis réclame, daos un
hut d'usurputlon.Ia líeutenance du roi et l'hérédlté
qui faít la dynastie royale et le Roi ; nvec les titres




- 96-


de général des armées et de grand j usticier du roy-
aume. Tout se fait done par lui ou par sesordres ;et
cela dure cent vingt ans, pendant lesquels une foule
de rois mineurs se succedent sur le tróne. Un seul
d'entre eux parvíent ú l'ége d'homme ; il essaie,
mais en vain, de réngír eontre ce mouvement ré-
volutlonnalre avec toute la fermeté qu'on peut ut-
tendre d'un rejeton de Clovis.


Au début du régne de Clotaire Il, la race royale
des Francs avait été attaquée dans la possession de
ses droits séculaires , a la seule fin d'opérer 16t
ou tard une trnnsformatíon dynastíque, « Or
la Royauté franque , si essentiellemcnt hérédi-
taire, n'était préparée aaucune déviation du droit
anclen. Mérne le changement de dynastie par la
veuve d'un Mérovingicn, ne pouvait encoré s'ac-
complir; il fallait un síecle pour múrír eette ídée :
tou tefois le germe étaít semé (I ). » Dugobert 1er,
seeondé par les eonseils de saint tloi et de Dadon,
hornrnes d'Élat, non pas hommes de faction, aurait
détruit ee germe, s'il eút lui-méme plus longtemps
véeu. Profondément versé dans les vieilles tradi-
tions de la Royauté gerrnanique, ce prince était
digne de renouveler l'unité du Pouvoir, en écra-


(1) :\. (lesalnt-t'rícst, ut«. de {a Royal/Id. Tom. 1/, pago 159.




- 97-


sant les partis qui se disputnient dt~ju ses dépouil-
les. D'immenses progres avaient été réalisés dans
eette voie restauratrice par l'énergie de ce menar-
que, lorsque sa mort remit la société dans la voie
révolutlonnaire. On peut dire que toute la race
l\lérovingiennc fut moralement ensevelie dans la
tombe de Dagobert.


Le partí royal survécut néanrnoins El l'un-
cienne Monarchie ; cal' il protesta, mais sans suc-
ces, les armes á la main , en diverses occasions,
contre la pensée du prochain avénement d'une
dynastie nouvclle, Des-lors , l'antagonisrne des
Maires du palais pouvait seul retarder cette révo-
lution. Apres la mort de plusieurs Mérovingicns,
certaiues successions royales amenérent dívers
partages du royuume ; iI en resulta qu'il y eut au-
tant de Mairies du palais que de Iloyuutés, Celles-ci
étaient trap faibles pour guerroyer entre elles;
celles-la, au contraire, étaient trap puissantes
pour vivre en paix les unes a coté des nutres, La
lutte s'engagea violemment. On suit que Pepin
d'Héristal, duc de France, s'empara, en vainqueur,
de toute la Monarchie franque, défaite sur le champ
de hataille de Testry. Maítrc de la destinée politique
des successeurs de Clovis, iI ne prit pas leur scep-


7


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- 98-


tre ; mals il en disposa, ayant háte de reconstruire
avec son intelligence, I'uníté du Pouvolr, qu'Il
avait lui-métne démolie de ses propres mains,


Une pareille tache était d'autant plus difficile
qu'il luí restait a vaincre, non-seulement les
Frisons et quelques nutres nations vassales qui
refusaieut de payer leur tribut annuel pour se
rendre Indépendants, mais encore l'opinion gé-
nérale qui seule pouvait rattacher a ses intéréts
personnels, a son plan de gouvernernent, a ses
vues dynastiques tous les peuples que sa 1 utte
agressive avait détachés de la l\lonarchie. Pepin ne
recula point devant cette double ditñculté. Ilomme
d'actíon et de pensée, de courage et d'adresse, iI
uttuqua ses enncmis de front; mais il dut louvoyer
avec l'esprít public , espérant ainsí le conduíre
plus súrement a son hut : l'avilissement de la
Itoyauté dans le présent et sa réhabilitation mo-
rale dans l'avenir.


A cet effet (1 Des cnfants ou des hommes quí
n'avaient de la virilité qu'une longue barbe, sou-
vent mensongére, furent jetés sur le tróne, dé.
pouillés non-seulernent de leur puíssance héré-
dituirc, mais de leur patrimoine, meuble et im-
meuble, tels que íoréts, métairies royales, pécule




- 99-


particulier , volés , pOLIr trancher le mot, avec
une Impudence que lcurs successeurs u'ont point
déguisée, Leur malheur prit le nom de fainéan-
tise, el cet odieux étalage de Ieur dégradation pré-
médilée, ces tombereaux traínés par des breufs,
ces chevelures postiches, l'upparition de ces pules
fantómes au milieu des assemblés publiques, ton-
tes ces indignités, bien étrangeres au grand Clovis
ct ti sa robuste et véritable lignée, n'cn étaicnt pas
moins données comme retour aux vieillcs mrcurs
el aux coutumes antiques. Par ce moyen, Pepin
flutlait l'aristocratie tant neustricnnc qu'austra-
sienne, dont l'appuí était la eondition nécessaire U
son élévation (1). D


En détruisunt ainsi la force morale de l'unclcnne
Monurchie mérovingienne, il créait done la force
positive de la Monarchie nouvelle qu'il espéraít
fonder dans sa propre famille. C'est par lui que
les vrais descendants de Clovís dísparaissent el que
les Iaux princes osent se produire : c'est par luí
qu'on opere une étrange confusión de la ligne di-
recte dans la dynastíe, afin de moliver son corn-
plet renverscment. II ne se [era pas lougtemps
attendre malgré sa mort qui l'ajourne, el malgré


(1) 1\. de Snint-Priest, ui«. de la noyal/lls.Tom. n, pago 19G-lfl7




- 100-


la résurreetion du par tí monarchique, se croyant
assez fort pour disposer des destinées royales sur
la tombe du vaínqueur de Testry, paree qu'il
se rullie sous les drapeaux d'un Mérovingien dou-
teux, proclamé Chílpéric 1I, fils de Childéric.


Qu'il porte ce titre a raison ou it tort, selon
nous, la n'est pas le probleme : l'histoire d'ail-
leurs ne sauraít le résoudre d'une maniere caté-
gorique, Toujours est-il qu'on le croit Mérovingien,
en le voyant se eonduire vaíllamment et prudem-
ment, soil it la bataille, soit au conseil. Charles,
fils naturel de Pepin d'Héristal, veut, au nom de
lu révolution qu'il symbolise, fuíre obstacle h cctte
brillante restauratíon ; maís il ne remporte sur elle
aucun avantage décisif, Puisque la guerre ne lui
réussit pas, le duc traite de la paíx avee son en-
nemi couronné, pour se donner le temps et l'oc-
casion de l'abattre dans l'opinon de son propre
partí, le partí monarchique, en suscitaut contre lui
soit un Mérovingien véritahle, soit un Mérovingien
d'industríe, Endes, puissant duc d' Aquitaine , se
présen te avecson droi t incontestable et incontesté :
il marche avec Charles á la rencontre de Chilpério
et de Rainfroi, son Muire du palais, La víctoíre
n'cst plus douteuse, Chilpéric est [ait prisonníer,




- 1Ul .-


mais il garde le titre de Roi; le duc d' Aquíteíne
rentre dans ses États qu'il érige en Rayauté suze-
ruine, enfin Charles recueille tous les fruits de eette
campague, continúe l'ceuvre politique de Pepin et
rlonnc encare un remplncant á Chilpérie, paree
qu'il a trouvé [o ne sais quel moine, heureux de
se Iaire appcler Thierry IV, en s'usseyant sur le
tróne de Clovis,


Ccpcndunt, toute la puissance de l'l~tat est ac- ' ..".
caparée par le Mairc du palais, qui , apres avoir
dompté les ehefs Francs, s'appuie sur la uation
gnuloise, uliu d'Intéresser les classes populaires á
la trunsition plus ou moins prompte de la Monar-
chic mérovingícnne ú la Mounrchie carlovingicnne,
11 "cut. se donncr le merite de restaurer la liberté
du peuple, pour mieux [eter les fondements de son
autorité; mais une gloire plus bolle et plus pure luí
est réservéc, ccllc de sauver la Franco naíssante et
le vicil Occident d'un immense péril ; cal' les Sarra-
sins, venus de l'Orient, apres avoir sub]ugué l' Espa-
gne, se proposenl détouflcr, duns le continent, par
la dévastation et une conquéte fatalc, toutes les di-
vincs semences du Christlanisme. leí, l'homrue,
partlculicr ou chef d'État, se transfigure, en quel-
que sorte, daus la splcudcur de sa mlssiou, Charles




- 102 -


prend l'étendard du roi trés-chrétien, dont il con-
fie la défense aux valeureux enfants de l'Austrasie ;
et illes conduit lui-mérne contre les Arubes ran-
gés sous l'étendard de Mahornet. Les deux armées
se rencontrerent dans une vaste plaiue, située entre
Tours et Poitiers. II y eut, peudant sept jours con-
sécutifs, des engagements partiels ; mais l'aube du
huitieme jour éclaira une bntaille générale, 01'-
douuée par Abdérame et acceptée pUl' Charles, qui
araíl hato de gagner son glorieux SUrI10m de
Martel, en frappant les Musuhuuns, de son bras re-
doutahle, comme avec un murtcau,


La Poésie étai t, en ee tem ps-la, véri tahleuieu t
sceur de l' Ilistoire. Isidore de Béjá , barde contem-
porain, devait done célébrer le triomphe des armes
chrétiennes.I« Les Franes, dit-il, étaient rangés
comme des murs solides, comme un rempart de
gtace contre lequel les Arabes, arrués a la légerc, se
hrisaient saus l'éhranler. Ils s'avancalent et se reti-
raient rapidernent ; cependant ils étaieut uroisson-
nés par l'épée des Germains, sous les coups de la-
quelle tomba Abd-el-Ilhaman lui-méme. La nuit
survint, et les Francs élevereut leurs armes, coinuie
pour demander du repos iJ. leurs chefs, voulant se
réscrver pour le combar du Icndemain, cal' ils




- 103-


voyaient la campagne couverte au loin des tentes
des Sarrasins. Mais quund, l'auhe du jour venue,
ils se rangerent en hataille, ils s'apercurent que les
ten les étaient vides, et que les Surrasins, eífrayés
de la grande perle qu'ils avaient éprouvée, s'étaient
retirés pcndunt la nuit, et se trouvaient déjú loiu, u
- Trois cent soixuntc-quinzc mille Arabes péri-
rent, dit-on , autour d' Abdérame; quant aCharles-
Martel, il vécut plusieurs années, dans la gloire el
dans la puissauce, apres cettc memorable jouruée.J


Salué par le pape Grégoire llJ, comme le sauveur
de l' Europe et du Christíunlsme, Charlcs-Martel
pouvaít disposer des ttats Gullo-Fraucs ú sa conve-
nance , aussi n'appela-t-il personue á réguer, pour
luí obéir, apres la morl de Thierry IV. Cet interre-
gne devait saus doute lui donner les moyens de
réuliser promptement, et d'une maniere définitive,
la révolution monarchique a luquelle su famille
travaillait depuis plus d'un siecle , mais Charles-
Martel, quoiqu'il Iút l'idole du pcuple et qu'il exer-
c;al une dictaturc incontestable, mourut néan-
moins sans avoir osé l'accomplir. La force du prin-
cipe dynastique, malgré la défaillance des Mérovin-
giens el la suppressiou totale de la Iíoyauté, se
trouvait encore assez grande pour qu'il craignil,




- 104 -


l'ayant centre lui, de tombcr misérablement de
la hauteur du tróne, aprés s'y étre élevé. ll Iaissa
done la question révolutionnaire pendan le; Pe-
pin-Ie-Bref devait la résoudre.


D'aecord avec les grands du royaume, Charles,
avant sa mort, partagea le territoire entre ses deux
íils, Carloman et Pepin , qui firent cesser l'inter-
régne, produisirent un dernier Mérovingien, Chil-
déric 11 1, et régnerent á sa place, eomme prdfets
par la qráce de Dieu. Quelque tcmps apres, Carló-
man, ayant renoneé Ú ItI vie active des cnmps pour
embrasser la vie religieuse des monasteres, Pcpin
se trouva seul en préscnce du roi auquel il ne
restait plus que son titre, et une longue cheve-
lure, ernbléme de son origine auguste, Quand les
ciscnuxd'un maine auraient coupé eette ehevelure,
Pepin n'avait qu'á laísser croítre la sienne; el, par
le fai L, Chikléric étnít supplan té; mais c'eú L étó
dégrader le principe monarcliique, et diminuer sa
propre antorité, lorsqu'il s'agissait de l'augmentcr,


Pepin désiruit en finir ccpcndant avec une fíe-
tion gouvernementale qui convenait mal á la Iran-
chise de son carnctere ; el il commcnca par s'a-
dresser au Clergé, dont l'uction monde el posilive
pouvait seule, avant l'crc Iéodule , rendrc vir-




- 105-


tuellement au Pouvoir politique toute sa réa-
lité. En effet , « le monde féodal ne sortait pus
encare du chaos, dit M. Guizot, la Iloyauté n'exis-
tait que de nomo TOl1s les éléments eivils de
la société moderna étaíent dans la décadence ou
dans l'enfunce. L'Église seule était á la fois jeune
et eonstituée; seule, elle avait acquis une forme
dófinitive, et eonservait toute la vigueur du pre-
miel' áge : seule, elle posséduit á la fois le mouve-
ment et l'ordre, l'énergie et la regle, c'est-á ..dire,
les deux grands moyens d'influence. N'est-ce pas,
je vous le demande, par la vie moralc, par le mou-
vement intérieur, d'une par t, et par l'ordre, la dis-
cipline, de l'autre, que les institutions s'emparent
des sociétés? L'Église avait remué d'uílleurs toutes
les grandes questions quí intéressent l'homme;
elle s'était inquiétée de tous les problomes de su
nature, de toutes les chances de su destiuée (1).»
En s'udressant uelle, Pepin témoignait hautement
qu'il avait l'intcntion de constituer S3 propre
Iíoyauté d'uue muuiére identique. Sclon lui, l'í:tat
devuit formuler la vie pratique de I'homme social,
C0ll1111e l'l~glisc avait déjá formulé sa vie morale.


(1) ttistoirc qcucrulc de la ciciiisatian en ]<;{/¡'O}Ii', lI' l.cco«
1'ag. 172-178.




- 106-


II s'engageait, vis-u-vis de Dieu, acréer l'ordre et
la discipline poli tiq ue, sans rien anéuu tir duns la
société de tout ee qui lui est néccssuire pour I'arné-
lioration progressive du genre humain; il promet-
tait enfin au gouvernemen t une forme déíiui ti ve,
et aux eorps constitués, le respect de leurs droits,
cal', s'il médituit une usurpation , c'était pour
mieux accélérer le développement de la civilisa-
tion humaine, par le trioruphe de toutes les légiti-
mités qui forment l'existence providcnticlle d'un
grand peuple, Évidemment, l' (~glise, centre de
toute régénération et de tout progres, ne pouvnit
que faciliter eette métamorphose rutiouuelle, Elle
prit donc les íntéréts de Pepin , puree qu'clle
voyait, dans le succés de son entrcprise, le tríom-
phe méme de l'humunité.


Burkard, évéque de \\ urtzbourg, et Fuldrade,
abbé de Saint-Denis, furent envoyés á Iíomc, de la
part des Franes et de leur duc, avec iuissiou de
consulter le Pape Zacharíe , sur cette grave ques-
tion: ~ La puissance royale étant daus la fumille
de Pepin depuis cent-vingt ans (depuis Pcpin le-
Vieux, 630, jusqu'a Pepin-le-Bref', 7;)2), doit-elle
étre rejointe au nom de Roi dans un princc aussi
incapable que Childéric, ou le uorn de Roi doit-il




- 107 -


étre réuni a la puíssance royale dans la personne
de Pepin, si capable de le bien soutenir et de le
rendre utile a l'État ~ D Le Pape, continuellement
menucé par les Lombards et par l'Empereur d'O-
rient, ayant bcsoiu de se créer un protecteur assez
puissunt pour garantir l'indépcndance de l' Église
dans l'Occident, répondit: « Celui en qui ré-
I side la souvcraine puissance doit étre constitué
)1 Roi (1).» ,


.,(
: Le Breviarium d'Erchambert explique les cho-


ses plus naiverneut et avec moins d'cxactitude.
« Avant que Pepín ait été elevé ¡\ la Royauté, dit-
il, le Pape Éticnne vint en Frunce pour lui de-
mander de le secourir contre Astolphe qui s'était
emparé d'une quautité de villes et d'autres lieux
du patrimoine de saint Pierre. On raconte que
Pepin rópoudit : J'ai un maftre, j'ignore ce qu'il
voudra [aire. - Comme Étienne insistait, il lui
dit : - Ne vois-tu pas, ó Pape, que je ne suis re-
vétu ni de la dignité ni de la puissance royale,
corurnent puis-je [aire quelque choseP - Vraiment,
diL le Pape, cela paruít juste, cal' l'autre n'est pas
digne de cet honueur. Puis se retournant vers Pe-


(1) Le I'cre Daniel, tu«. lit' Frailee. roiu, u, pago 153.




- lOS-


pin . Par l'autoriLé de saint Pierre, je te l'ordonne,
tonds cet homme et place-le dans un mouastere.
Pourquol vivrait-il dans le monde, inutile a sol
el aux autres? Cela fait , le Pape ujouta : Dicu t'a
élu aíiu que tu sois par I'autoríté de saint Pierrc,
prince et roi des Francs (1). ))


En reproduisant cetle version , toutc pleinc d'a-
nachronismes, puisque le pape Zuchuric cst ici
confonrlu avec le pope Étienne, son succcsscur,
nous n'cntendons nullement l'accepLcr, pas plus
que cclle du Pere Daniel, déju retrunscrite. Ni
I'une ni l'autre n'est conforme ula vérité. Le Bre-
viar: m~l d' Ercharnbert attribue á Pepin un discours
que Churles-Mnrtel a dú tenir aux ambnssadeurs de
Crégoire lII, lorsqu'ils vinrent réclamer son ínter-
vention armée contre Luitprund et Ilildebrand ,
rois des Lombards. Mais on sait que si le lienienaui
du rol de Frunce intervint npres des instanccs
réitérées , il envoya une nmbassado , nu licu
d'une nrmée. Quant aux deux euvoyés de Pepin
auprés de Zacharie, ils nc préscntcrcnt pas la
question relative a l'établissemcnt de sa dynastic,
coiume une chose toute nouvcllc, ainsi que le


(\ \1, ¡'Cl'lz, EI'c/wnl;crli Brcciaruun. OI'UI11. 11. I'«¿~. 0~O.




- 109-


Pére Daniel nous le raconte. lls priérent, au COIl-'
traire, le Souverain Pontife, de terminer une négo-
ciation qui durait depuis plus d'un síecle (1), afin
que, fort de son appui moral, on pút frapper un
coup décisif sur l'esprit de la natíon émínemment
chrétíenne.


En effet, iJ. peine la réponse du pape Zacharie
aux uuibassadeurs de Pepin a-t-elle franchi les
Alpes, qu'un plaid général est convoqué dans la
plaine de Soissons oü le peuple se prononce,
COl11me l'a déjá fait le Pape, en acclamant le fils
de Charles-Martel Le litre de Roí cesse ou doit
cesser d'ótre l'apanage exclusif de la race Mérovín.
gienne; il appartient désormals á celui qui '~H
remplit les fonctíons. Cctte révolutíon cbange
1'esscnce méme du Pou voír, puisque la Monur-
chíe hérédiLaire se transforme en une Monarchic
élective.


a Pepin, dit A. de Saint-Priest qui a parfaite-
ment décrit toutes les phases de cette révolutíon,
Pepin n'a plus de supóriours, l'exercice de son
autorité n'est plus une délégation, le fait de son
gouvernement personncl est fondé, reconnu. PI~'


(1) :\ desníut-Priest. ut«. tic la llollaul". Tom. n, pnge 256




- 110-


pin est chef de l'État et de l'armée, indépendant
de tout hommage envers un Souverain , mérne
nominal. C'est un grand pas , ce n'est pourtant
pas le dernier, ce n'est que la moitié de sa tache,
ou, pour parler plus exactement , ceHe tache
n'est pas encore commencée. Depuís bien long-
temps I'autorité reposait entre ses mains ; elle lui
avait été transmíse par son pére et par son aleul,
En consídérant la révolution qui le placa seul a
la tete de la nation , sous un point de vue unique-
ment adrninistratif et politique , il n'y cut pas de
changement véritable. Le fait constaté a Soissons
était aeeornpIi dermis Iongtcmps , el, sous ce
rapport, il était presquc inutilc de luí donncr
une sanction nouvelle. L'Incarcération du der-
nier Mérovingien achevait l'ceuvre entumée par
la déchéance de Thierry : cette violence n'avuit
rien de nouveau. Si Childéric perdait su cou-
ronne et sa chevelure douteuse , Hébroin avait
déja tranché la chevelure authentique de Thlerry.
Thierry , cornme son descendant , avait élé en-
fermé dans un cloitre. Bien n'était done politi-
quement changé l...


)) La révolution politique n'est ici que l'expres-
sion , le moycn , la mauifestation d'une révolu-




- Hl-


tion morale autrement considérable. Le vrai
sens de cet événement est la substitutíon da
choix au sang, de I'élection a la naíssance, de la
Iíoyauté originelle et primordiale a la Royauté
politique et dérivée,


u Pepin it Soissons était roi et ne l'était pas , il
étaít roi nouveau, roi moderno, roi d'institution
et de forme récente; il n'était pas roi dans le
sens primitif; il n'était pas un desccndant des
dieux, un fils des Ases, un Mérovingien, un Ru-
the, un Amale, un Agilolfinge. La Royauté s'était
déja snperficiellement étendue snr sa personne,
rnaís elle ne s' étuit pas encore identifiée el sa sub-
stance; elle ne s'était pas assimilée a sa race.
Pour succéder réellement acenx qu'íl venait de
reuverscr , il fallaít que ses fils, ses filles fussent
rois , reines au méme titre que lui , indépen-
darnment de son autorité et de su puissance (1). »


Cela est si vrai, que I'assernblée générale de
Soissons, en accordant a Pepin, ou mieux en lui
Iaissant prendre le titre de Boí, ne prit elle-meme
ilUCUUC décision relativemcnt a l'hérédité , cal' les
unnalistes contcmporains nons l'auraient transmí-


(1) TIL,(. dI' la nO!}!lI/ll'. Tom. tr, pa:;-. 2jfj-2GO.




- 11.2-


se. Éginard, élevé aupres de Charlemagne, n'en faít
pas mentíon el se borne arésumer les événements
de la maniere suivante : - Dans cene année 750,
conformément a la sanctíon du Pontífe romnin,
Pepin fut appelé roi des Francs, oint, pour l'hon-
neur de cette dignité, de l'onction sacrée, par la
maíu de l'archevéque et murtyr Boniface, de salute
mérnoire : puis, selon la coutume des Francs ,
élevé sur le tróne du royaume, dans la villle de
Soissons. Quant aChildérlc, qul se parait fausse-
ment du nom de Roi, il fut envoyé, tout rasé, dans
un monastcre ('1). ~


Ainsi, l'ucte de Soissons n'Impliquait pas
d'hór ódité. L'assernblée éleetive ne pouvait pro-
duire, d'ailleurs , qu'un gouvernement víager, et,
par conséquent, non trausmissible. D'ailleurs, le
droít hércditníre, chez les Franes eornme chez
tous les peuples germaniques, exprirnait une fa-
culté supérieure atel ou tel homme, et inhérente
h une racc spéciale, dont l'origine mystérieuse ct
symbolique était divine ou réputée divine par les
tradítions. Pepin , ayant le litre de roi, mais
n'ayant pas le caractere supréme que ce titre


(1) ilunales /'CrJlIIl! FnlllCOI'III1l, de 7[11 il 821. voír I'édition de
\1. TCll1l't,ltJ'¡:3.




- 113-


comporte en réalité, n'eut pas recours a une fic-
tion pour l'obtenir. Le Pape, vicuire du Christ, le
luí donna par une consécration qui fit dísparaítre,
en quelque sortc, l'uncien Muire du palais, et nous
uiontra le nouveau nor dans toute la plénitude de
son caractere , en vcrtu d'unc trausmission pure-
ment divine du Pouvoir , ou mieux en vcrtu d'une
autorisation universellc et supérieurc de la Souve-
raineté.


Le pape Étienne vint en Frunce acet effet. II
sacra duns l'église de Saínt-Denis, non-seulement
Pepin , inais encare sa femme Bertrade, en méme
tem ps que leurs deux fils, Charles et Carloma n,
c'est-á-dire, le Roi et toute su Iamillc qui devaicnt
constituer la race et la dynastie. Apres que le mo-
narque cut été confirmé par l'actiou (1), le vieil
hornme se trouva régénéré et transformé dans
sa fonction royale de mémo que dans son pouvoir,
propriété morale qui deviut transmissiblc comrne
toute autre propriété. C'est pour cela qu' Étienne
défendit aux Francs, sous peine d'excornmuníca-
tion, de se choisir des ehefs ailleurs (lue dans la
race consacrée, seule propre a diriger désormais
les destinées de leur patrie.


(1) Chl'onir¡lIr de í.anroslu-irn.
1.




- 11',-
« Ilien n'indique rníeux, dit un publíclste dís-


tíngué (1), la puissunce du príncipe monurchique
au sein de cette société francaise, qne les circon-
stances qui accornpagnerent cctte infraction il la
loi fondamcntale d'hérédité... Il fallut plusieurs
générntions de grands hommes , se succérlant
dans la méme famille , et développant la mérne
pensée d'usurpation avcc une modérution dont
I'hístoíre n'offre pas d'exemple. 11 fallut enfin ce
long abandon des droits de la Iioyauté, cctte sorte
d'abdication tacite des princes fuinéants , qui
voyaient le Pouvoír supréme se perpétuer par la
succession dans la famille de leurs ministres sans
essayer d'y mettrc obstucle, pour rendre possíble
un changcment arncné de si loin et quí faisait
cesser le double accident d'une royauté tornbée
en sinécure , et d'un pouvoir ministériel hérédi-
tuíre, »


Pepin-Ie-Bref n'était encore que simple Multe
du paluis, et déjü les Fraucs dataicnt leurs actes7)(11'
les amujes de sa l!oyaUlrJ (2). 'lais quoiqu'il cút pris
le sceptre, ct que le Pape lui eút octroyé , nu nom


(J)\1. (le Lourdouoix, dt la rcstu arcüion de la socictc (I'UI/·
ruisr, p:¡::~.1111-1 /¡~.
(~) \1. C{',aI'Céllllll, iu«. imic. 'rom. VJl1, ]W!. 2:)[1.




- 115 -


de saint Pierre , le signe royal, implíquant a la
fois le caractére civil, militaire ct mérne ccclésias-
tique, - Étienne I'appelle : O notre roi, clier
compaquon spirituel (1), -- Pepin n'en fut pas
moins ohligé de vulnere, par des Iois vígoureuses
et par de sanglants combats, les résistances qui
se dressent toujours devant les fondateurs de dy-
nastie, devenus rois avaut d'avoir été princes.
ll n'étala pas, sans doute, autour de son pouvoir
o1ll1Jrngenx, ce luxe de serrnents que l'on multi-
plie quelqucfois : engagement moral qui ne lie
plus personne durant les {roques de force maté-
rielle ou d'inuuorulité ; muis iI se vit contraint de
tourner ses arrues centre l'Aquitaine, de subju-
gucr les grauds et ele siguer l'arrét de mor! du
petit-fils de Clovis,


l\lalg1'é cct acte barbare, l'avénement de la race
carloviugiennc produisit des ruiracles de civilisa-
tion. Pepin devina sur-lc-champ cette condítíon
d'existence qui protégeait l'avenír de sa famille en
tant (lue dynastie, La Nation entra, des ce jour,
da ns les foneLions régénératrices que la Provi-
dence luí assiguuit positivement, puisqu'elle était


(1) Fi"Ill'v,lTisl. 1~('(li;si(lsli{lllr, \UII.17.




- 11fi-


destinée á introduire le Christlanisme dnns la po-
litique , et it [aire éclater, dans le cours des sie-
eles, son activité merveilleuse pour le renouvel-
lement du monde paien , rornain et barbare. Aussi
les annalistes purent-il rúsumer le truvail de la
Franco en termes sublimes: GESTA DEI PER FHA:\'-
cos!




- 117 -


SJ~IlIE DES ROIS i\l J~ROVING IEJ\S.


Pharamond.
Clodion,
.\lérovée. .
ClJildéric l.
Clovis J.
Childebert 1.
Clotaire J. •
Carihcrt J..
Chilpéric J. .
Clotaire II. .
üagobert I. .
Clovis Il. •
Clotaire UI.
Childéric II.
Thicrry I. .
Clovis III. .
Childebert I I. .
Dagobcrt Ir.
Clotaire IV.
Chilpéric JI.
Thierry H.
INTEI\l\Ü;\ E.
Childéric Il l,


420-ú28
1128-'148
ú48-{¡58
1158-h81
1¡81-511
;JH-5:í8
5.s8-56~
5112-570
567-58 11
58ú-G28
6~8-638
638-6.)6
656-G70
670-67:;
(j7~;-G90
601-GlJ:í
6~15--íll
711-71:í
íLj-71fi
716-720
720-737
736-7111
742-7.10





1


1


1


-1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1


1
I




CU\PlTHE 1\.
U. illU'\AlU:lIH: DES wisrcorus sx ESl'AG.\E,


Sornrnairc.


Les "isif'Ullls Il'EsjI:¡f'tle coucoivent I'Etat á la mauier« eles (:otl1s
¡l'ILtli". - L"l/!"/'L'sí,' I'sl 1I1l oJ¡slaclc pl','squc insunuoulnhlu á
lcur élaIdhsCIIJI'1I1 politiquc, pnrml les pf'up]e:i indif'élll'S qui sont
r.rli!Oi/ox.'s, -- Lulll' el1ll'e 11' Call1OlíeisJlle r'tl','u'ianislIlc. - SI1-
],lillll' i/I"\ol1l'lueI11 dl's 1'\¡\i[neS rspag-l1ols rlurant [es persécutions
l'I.li~il'llSl·S, -La uonarchíe 11l't'I'rlililill'i/es \\isi~utlls finit av.-c la
race des /'uis I\allrs, et la uouarchi« élcctile commnnce al! sr-in
de:; a:;s('mIMes ua[iullales t!uJllill,\es par les gran rls, - 1\,',c[Lret! [
lc-Callroliqu«. - Chute de 1'\ rlanismc dans l'Etat, - La civili-
,aliOli se rcl('ye all'c 11' Calholicisru«, - Constitutiou )'¡'pl'l'"enla-
live el arislocrnliqu« ,le la l'.oyanl12 wisigothu. - Les grands
sculs OHt le droit i/e d<'1'I'rel' la couronne, - Les Ilois son! tout
pendan! la gnC'ITI'; ru.iis ils ne son! ricn pendant la paix, - Les
¡¡s:ielub¡I'es nalíoualcs ,1' transformeut en conciles oÍJ les L'"eCjues
loul coutre-poids aux grauds. -Législalion. - !"lon influence OIIr
11' gOIl\el'llenll'lll du pays, - Les couciles iL Tolér1e.- 1)¡"l1nilioll
du mol ROl d'al'l'l'S le COI le wisigoth. - ürganisill ion arhuiuistrn-
ti\l' di' rilrislocralie. - L'''¡cl'lioll du I:oi es! Ioujours un iuomcut
critique pour la SO('il'\I'. - FaclirJlis Iortuées dans rUat par les
JaJlliil,,-, r¡ui ont dl'jil n';;nl', par qui duilcul cesser de rr-
~1l1'1' d 1"'1' celll's Ijlli d"sil'enl n;~ner. - Le Clerg" scul est ¡J.~­
sinl,'n:SSI' 11,1115 el'lll' qucstiou. - La uoiuinatiou du I\ui íuitccla-
tl'r soil riulluClH'e J!I'I'plllJ(li'rau[,~ des ""¡"IIllI'S, soít III's gl'lltHls.
- ,\IlUigollisme cfu ('lel'gli el ,le i'aristocratie. - ¡:éacUolls ínéví-
laJ¡!I'S el loujolll'S i'ull.'sles au JíoYillllue, - SyneI'L,ti.'llll' du droi l
rornain el du droit wisigoth. - Premier exemple dun souverain
dqllJsé sous 1Jl'l'.\I'Xte de l'énitenee. - Pl'eadenee gl'nérale de la
\Ionarellie. - Diífl\renles Iamilles se disputen! la couroune, -
[,'Espaglle es! couquise par les Arabes. - Le uoí rleclif meurt
avec la uatioualite quí doit ressusclter avec la \ronan~hie hérédi-
[aire. - Ouelques mots sur son caractere primitií. - série des
nojs héréditaires el élecliís en Espa~I1I'.


Si l'établisscment de la Monarchie des Francs
dans les Gaules, a été, pour ainsi dire, l'rcuvre
spoutuuée des Gaulois cux-mémos, taut les peuplcs




- 120-


subjugués se montrerent complaisants aI'égard du
Sicambre vaínqueur, des qu'il fut devenu le Boi
trés-chrétien: I'établissemen t de la l\1 Olla rchie des
Wisigoths en Espagne excita, au contraire, une
grande répulsion parmi les peuples indigenes de
l'Ihérie. Commencée par l'hérésie, la dcstruction
et une barbarie aveuglc, cctte ceuvre constitutive
ne put s'achever qu'apres de longs etforts, des lut-
tes sanglantes, des réactions de toute espece, et
lorsque un prinee régnunt se fut proclamé le Boi
catholique,


Des l'origine, quoique la racc des Bnltes, qui
fonda la royauté des Wisigoths, déclarát étre l'anta-
goniste de la race des Amales, qui fonda la Iloyauté
des Goths en ltalie, elle concut néanrnoíus J'Élat
et l'Église, la Hcliglon et la Politique , le I'ouvoir
et le Gouverncment tout-a-Ialt comme Sil rinde.
En eflet, les Amules et les Bultes.Ariens passionnés,
ayant conquis deux peuples, catholiques fervents,
essayérent de les constitucr, non pus en eorps de
nation, maís b I'état de secte, vis-it-vis de la sociéte
ehrétienne et universelle. Aucune fusion monde
ne pouvait clonc s'opérer entre les vainqueurs et
les vaincus, pas plus en llalie qu'en Espagne. C'est
ce qui multiplia les obstaclcs, engendres par le




- 1:.H -


conflit incessnnt des idées religieuses et de l'inté-
rét social, au début des Monarchies gothiques.
tes Péninsuluires ne virent jamaís sans fréurir une
hérésie quelconque, déja maítresse de leur propre
territoire, l'ernportcr encore sur leur orthodoxie,
Ils avaient bien raisou de s'attacher ainsi aux pu-
res doctrines de la Ioi, puisque c'était pour eux une
condition de salut ; et qu'en définltive, a l'instar
des nutres peuples ele l'Europe , ils ne pouvaient
chercher ailleurs que dans l'Église, symbole de
la communion généralc, les premiers priucipes de
lenr indivldualité natiouale.


En Espagne, comme purtout, l'unité du gouver-
nement ayant dispar u avec l'Empire romain , il
fallait qu'elle se produisít SOIlS une nutre forme et
avcc d'autres idées ; cela eut lieu, gráce au zele
patriotique eles évéques, exprimant l'unité de la
vie moralc, sous les YClIX eles Barbares qui se parta-
geaíent ucoups de hache le sol bouleversé de l'an-
tique Ibérie. D{~jll les Alains, les Suéves, les Van-
dules s'étaíent assis au milieu du sang et des rui-
nes, lorsque dix évéques se leverent dans l'église
Sainte-Marie de Braga,íoil Pnucratien, qui les avait
réunis al/tour de son siégc, leur Iit entendrc ce
picux languge (ú11) :




-122 -


•VOUS voyez, mes freres, comme les Barbares
dévasteut I'Espagno entiere, lis abatteut les tcm-
ples, égorgent les serviteurs du Christ, profanent
le souvenir des saints , les ossemeuts des morts ,
les totnbeaux, les ciuictióres : ils hrisent les forces
de l'Ernpire, el font de toutes choses comme le
vent fait des brins de paillc, Au moment ou ce
fléau piune sur votre tete, j'ui voulu vous réunir
afin que, chacun et tous ensemble nous cher-
chions un remede a la calamite commune de l' É-
glíse, Fournissons des consolations aux limes, de
crainte que l'cxces des mamo et des souflrances
ne les entrníne sur la voie des pécheurs , aux
chaires des hérésiarques, OL\ dans les rangs des
apostats de la vraie foi, Oílrons ú notre troupeau
l'exemple de notre constancc á soullrir, pour le
Christ, une partie des rnaux qu'il u soulferts pour
nous (1). » )


L'assemblée eutiére applaudit a ces nobles pa-
roles de l'évéque de Braga, dont les príncipes ré-
glerent désormais la vie publique de tout le Clergé
d'Espagne, toujours menacé d'une mort plus ou
moins ímminente, par les. Alaíus, par les Sueves,


(1) Jcau de Ferreras, tu«. U('/Ul'Ulc 1l"1,'o)lIIUI/C, i(j vol. in-á: ,
1i:lO-17:l7, trad. un fnlll~'ai:; par vacupcasle d'llerlllilly, en li.il.




- 123-


par les Vandales ou par les Wisigoths. Cette lutte
cífroyable de l' Ariunisme contre le Catholicisme,
dans l'Hispauie, fut done entretenuc par diílérents
peuples ; elle dura aussi plusieurs siecles, pendant
lesquels on \'i t 1es évéques attendre, comme des fre-
res, Ieurs proprcs cnncmís, Quoiqu'ils vinssent
pOLIr accoruplir leur pcrte personnelle et celle de
leur troupeau, les prélats ne reculaient point de-
vaut les Barbares; ils s'avancaíent, au contraire,
vers eux, uvec la certitude morale de les gagner t6L
ou tard a la civilisation chrétienne.


Le premier Iloi wisigoth de la fatnille des Bailes,
qui ait fait preuve d'humanité a l'égard des popu-
lations catholiques et de leurs évéques, fut Théo-
dorie JI, que Sidoiue-Apollinaire, évéque de Cler-
mont, a célébré couuue le héros de l'Occldent.LCe
prélat-écrivain en él tracé le portrait qui suit :
« Théodoric cst comblé, pUl' la volonté de Dieu , et
»par la nature, de tant de dons, que l'envie elle-
)) méme ne lui reiuseraít pas des éloges (I ), I,J L'his-
10i1'e, Lout en se souvcnunt des qualités de ce
prince , n'a lWS oublié qu'il acquit et perdit le
tróue par un Irntricide. Euric , son successeur,
persécu La violennncn t le Clergé catholique , lit


(1) Lcurcs, 1.




- 1:24-


mettre amort plusieurs éveques et profita de la
complete dissolution de l'Empire romain pour
agrandir ses propres États. En rédigeanl par écrit,
sous forme de eode, les eoutumes de la nution,
afin de justifier , s'i1 était possible, ses actes les
plus iniqucs, Euric substitua lc droit harbare au
droit romain, quí avait encere unc autoritó g-éné-
rale parmi les natlons plus ou moius civilisées (1),
et manifcsta aiusi un mépris sauvage pour tout
progrés social. Au Jieu de faci11 ter le rapprochcment
des vaínqueurs et des vaincus, entre lesquels l' Aria-
nisme établissait déjá une séparntion absolue, ses
lois semblaient n'avoir qu'un but : cclui de perpé-
tuer, á l'instar des législations gothiqucs de l' JLa-
Jie, l'antagonisme des hommcs el des institntions
et le dualisme des nutioualités, dcstinées Ú sc déve-
lopper contrudictoirerneu l sur le memo sol.Suumis
par la violence á cette dlrectiou dissolvante , plus
le Royaume wisigoth augmcntait ses domnincs,
moina il devenait puissunt, L'f:La t vicillissuit en
pleine enfanee, cal' la civilisation chrétieuuc ctait
négative pour lui. C'est ainsi que toute la race
des Amules et des Bultos s'épuisn po-itivemeut,
depuis le premier priuce jusqu'au deruier , ú la


(1) vtuutesquieu, t;"wil <in Lois. Liv. _\\.\J1I, chup, 1 elll.




- 125 -


poursuite d'un systéme brutal, irrat.ionnel et chí-
mérique,


Avec les Baltos, la Monarchie gothique d'Espa-
gne reste hérédítalre: apres l'extinction de ceue
ruce, elle deviut élcctive, selon le caprice de l'a-
ristocrutie, au sein des asseuiblées natíonales ou
populaires. L'csprit itnpériul el. romain réagissaít
centre l'csprit royal el gothique ou harbare. Le fait
de I'éleclion laissa les vrais príncipes de gouver-
nement flotter ü tous les vents du eaprice monar-
ehique; el. le pouvoir Cut, tantót proteeteur, tantót
persécuteur de la [Di catholique, maís toujours sans
raison. Cette révolution, fatale U. la Royauté, qui,
pour produire l'ordrc , a besoin de conserver sa
forme Immuahle, comme étant l'expression visible
de Dieu, provoque done autant de discordes civiles
que de dissensions religieuses. Celles-ci furent plus
tót étein tes que ccllcs-la, cal', daus les Étals, l' uni té
de doctrine monde precede constamment l'unité
de vues poliilques.


Une parcille trausformution, si favorable aux des-
tinées ultérieures du pays, ne peut étre que l'oeuvre
d'un Boi.dans toute Monarchie. C'est ce qui arriva.
" Parvenu au tróue, dit A. de Saint-Priest, Récared
vit uisérnent qu'en Espagne l'Arianisme et la Royan-




- 12()-
té étaient antipathiques, Les peuples Indigenes de
l'Ibérie n'avaient jamais accepté l' Arianisme ; leur
fldélité au vieux culto avait gagnó In nation con-
quérante elle-rnéme. Sculs, quclqucs évéques te-
naient encare al'hérésie ; mais, ¡\ rnoins de rísquer
son tróne, un Roi goth d'Espagne ne pouvnit plus
dcmeurcr arien, Saint Léandre, saint Isidore , son
frere, unis par le zcle non rnoins qnc par le sango,
éclaírerent la conscience et la politique du Itoi,
Grace ¡\ des prédications secretes mais ardcntcs,
la ruine de l' Arianisme s'opérn sans eílort. Sous
I'ínspiration d'lsidore el de Léandre, Itécarcd 01'-
donna aux évéques catholiqucs et uriens de debut-
tre devant lui le granel procés qui les partngcait.
Désabusé des UDS, convaíncu par les nutres, il se
proclama Roí catltolique.. titre qni demeura depuís
atous les Monarques d' Espagnc, 1I n' cut Ú COIl vcrtír
que les courtisans, cal' c'était le Iloi qui se réunis-
sait a. son peuple, et non le pcuple qui suivail son
Roi(I).D


La conversion de Ilécurcd inaugure une ere
nouvelle dans l'I·:tat wlsigoth, qui , cessaut d'drc
arien, se modiíle en vcrtu des princi pes adoptes
pUl' le monde catholique; aussi le nom de ce


(1) tu«. de Irl nO:fi/lll/. 'I'nm. rr. P;¡é', 1'1 G-117.




- 127 -


prlnce est resté cher et presque sacré daos la mé-
moire du peuple. Pour montrer la sincérité de su
foí , il se fait couronner solcnnellement, révélant
ainsi ¡\ l'Espagnc une cérémonie encore inconnue
dans les royaurnes d'Oceident et quí vient d'étre
mise en usage dans l'empire d'Orient. Iteconnais-
sant la supériorité de saiut Léandre , Récared se
suhordonne a l'évéque de Séville, lorsqu'il s'agit
d'organíser l' Eglíse nationale , au sein de l'Église
universelle et h coté de l'l~tat régénéré; comme il
se subortlonne uu pape Grégoire, lorsqu'il s'aglt
d'étublir des regles propres amaintenir une bonne
discipline parrni le clergé, 00 le voit : un prince
arien s'est fuit catholique : et la civilisation rccorn-
menee aussitót en lbérie, cal' les divers peuples,
Wisigoths, Suóves , Cullo-Ilomains eL Hispano-Ro-
mains, qui vivaient tristement juxtu-posés dans ce
pays, saus avoir la moindre conforrnité d'éducution
ou de caractere , n'étant plus animés désormais
que d'un méme esprit, Iinisscnt heureusement par
s'entcndre, par reconnaitre tous le mérne Roi, la
mcme croyance religieuse, les mémes loís, et par
ne plus rormer (IU'Un scul corps de nation,


Le probleme de la paix, cutre la société politique
et civile ella société religieuse, était done résolu,


.. '~'




- 12R-


apres tant de guerres intestines, lorsque l'héré-
sie, par une voie-de - fait monstrueuse, parvint á
anéantír encore une fois l'orthodoxie : condition
positive, morale , nécessaire de salut pour l'Es-
pugne. L'ídée arienne réagit centre le príncipe
catholique avec le poignard de Vittéric, el porta
une atteínte profonde a la vie publique, en frap-
pant de mort le roi Liuva 11 (603), successeur de
Récared. S'étant emparé de la Royauté par cet
assussinat, Vittéric ne pouvaít régner qu'au moyen
des persécutions religieuses et de la terreur : maís
eette loi fatale, qui dorninait son existence politi-
que, il la subit a son tour; cal' le peuple, prenant
en main la défense du sacerdoce, poursuivi jusque
dans l'Église, et la défense de l'Élat monarchíque,
dégradé dans son esprit comme dans Sil forme,
renversa le tyran afin de relever les autels ou il ai-
mait apríer Dieu en toute liberté. L'Arianlsme fut
tué du méme coup que Vittéric. Les conciles de
Tolede obligerent désorrnais les Rois á jurer, dans
la cérómonie mérne de leur élection, qu'Ils ne
souflriraient point d'hérétiques au sein de leurs
r~tats (1).


La lutte religieuse venait de finir : maís la lutte
(1) Lahbe. Conciiiornm, Torn. r.




- 129-


poli tique allaít bíentót cornmencer. II étalt im\1(\~­
sible, en effet , que le principe de l'hérédité mo-
narchique n'essayát pas de se reproduire dans
l'État, aprés y avoir dominé au mérne titre que le
príncipe de l'élection roya le. Ce fut le re ve de
Suintila, fils de Récared 11 et son successeur. Afin
de le réaliser, il associa au tróne , Ricimcr, son
propre flls, sans consulter la nation. áussitót, les
grands et les évéques, gardlens des libertés publi-
ques, se récriérent contre ce prince qui, rcgardant
déja la couronne comme sa propriété persounelle,
avait cessé de convoquer les conciles, dans la ville
de Toléde, pour que le despotisme régnát avec lui
sur toute l'Espagne. Suintila répondít a leurs re-
montrances par des supplices, La plupart des mé-
contents furent mis a mort, et les deux Rois purent
se eroire triornphunts , mais de pareils succes ne
sont parfois que les avant-courenrs d'une défaite.
C'est ce qui eut lieu pour Suintila et pour Ricimer.
Ayant groupé un parti considérable dans la Septi-
manie, Sisenand franchit les Pyrénées et vint at-
taquer les dcux tyrans, qu'il fit prisonniers. Le
quatrieme concile de Tolcde , présidé par saint
Isidore, déposa Suiutila , confisqua ses biens pri-
vés, et déclara infame lui, su fenune et ses enfants.


9




- 130-


Non contente de flétrir la famille du roi vaincu, l'as-
semblée donna la couronne au vainqueur, Le prin-
cipe d'élection se trouva ainsi jnridiquement
consacré par les conciles de Tolede que l'on ré-
tablit, et dont les nombrcux canons dcvinrent l'u-
nique loi de la Monarchie.


Montesquieu (1) et, apres lui , la plupart des
historiens du xvnr siecle, ont parlé de ces assel11-
blées célebres avec légereté ou dérision; il arpar-
tenait a la science contemporaine de les considérer
avec plus de justiee et de gravité.


« En Espagne , dit M. Guizot, e'est l'Église elle-
mérne qui essaíe de recommencer la civilisatíon.
Au lieu des assemblées germaines, l'assemblée qui
prévaut en Espagne , c'est le eoneile de Tolede, et
dans le concile, quoiquc les luiques consídérablcs
s'y rendent, ce sont les évéques qul dominent. Ou-
vrez la loi des Wisigoths: ce n'est pas une loi har-
bare; évidemment celle-ci est rédigée par les phi-
losophes du temps , par le clergé, Elle abonde en
idees générales,en théories, et en théories pleíue-
1118nt étrangeres aux mrours barbures., , en un
mot, la loi wisigothe tout enticre porte un carne-
tere savant, systématique, social. On y sent


(1) 1\.1]Jl'il tlc« [,(Ji"" liv, xxvin. Chnp, T.




- 131-


l'ouvrage de ce méme clergé qui prévalait dans les
conciles de Toléde, et influait si puíssamment sur
le gouvernement du pays (1).•


PUl' des emportements dont il s'entacha parmi
les Francs, et sachant se rendre respectahle, paree
qu'il se respeclait lul-méme , le clergé parvint a
posséder en Espagne une grande puissance politi-
que. Les archevéques de Toléde, de Séville, de
Mérida, de Bragance, de Tarragone, de Narbonne,
siégeaient dans les conciles par droit d'ancienneté,
avec les évéques et les abbés. Le commencement
de chuque session étaít consacré a l'examen des
matieres purement religieuses et a la réforme de
la discipline ecclésiastíque , qui se faisaient en
présence des grands du Palais, eles ducs et comtes
des provinces, eles juges et des nobles, siégeant
dans ces auguste assemblées a litre de temoins,
pour prendre connaissance des décrets formulés
par les Péres et pour en assurer au besoin l'exécu-
tion avec leurs épées, Lorsque les questions reli-
gieuses étaient épuisées, on délibéraitsur les ques-
tions politiques, A 101's, le concite changeait de na-
ture; cessant de representar exclusiocment t'Église,


(1) Jl ist, !j('w!rale de la cioilisatioa en Europe, me Levan,
pago 8[,-90.




- 132-


U représentait la tuüion et I'État (1) ; et tous les
membres du concile, ecclésiastiques ou laiques,
prenaient également part, soit a la délíbératlon,
soit au vote.


Ainsi, I'Église travaillaít de toutes ses forces
au renouvellement de l'État social. Tundís qu'en
Frunce les assemblées du Charnpde Mars et de Mal,
et les dietes générales ou particulleres, prenaient
quelquefois un caractere ecclésiastique, les con-
ciles eurent toujours en Espagne un caractére po-
litíque. a Le vaincu, gráce a l'hubit d'évéque OH de
prétre, ysíégeaít acoté du vainqueur, et le chef de
l'armée devenait peu apeu le chef du territoire.-
Dans ces assemblées générales, l'humeur farouche
des Barbares était tempérée par la prudence et la
mansuétude d'une classe désarmée ; et les évéques,
quí avaíent contribué par leurs suffrages a l'élec-
tion du Roi, affermíssaient son pouvoir en recom-
mandant la fídélité aux sujets. lis empéchaíent en
me me temps les abus du pouvoir souveraín, soit en
exigennt du Roi un serment lors de son couronne-
ment , soit en veillant a ce qu'il ne transgressát
pas la loi (2). D


(t) \Iariana, Tlu;orie des Cortes. Tome le', page s,
(2) .\1. César Cailln, nt«. mdu. Torn, VII, pago 2G2.




- 133 -


Les évéques, depuis la conversion de Réeared t-,
partageaient done, avee les grands, la haute direc-
tion des affaires publiques, dont le Roi n'avait que
I'udministration ou la surveillanee, puisqu'il ne
pouvait rien entreprendre, durant la paix , sans le
concours des príncipaux officiers de l'État et de
I'Église, qUÍ représcntaient la natiou. Des que la
Monarchie devint élective, les hauts et puissants
diguitaires, désignés sous le nom général de P1'O-
ccres, s'étaient attribué le droit de déférer la cou-
ronne par leur propre suffrage. Déjá maítres du
sol, en leur qualiLé de conquérants, -ils n'avaient
laissé, comme les autres Barbares, que le tiers de
leurs possessions territoriales aux peuples conquis,
- les Procéres le furent également du pouvoir, et
ils en disposerent selon la nature et l'importance
de leurs Ionctious sociales.


En eflet, l'autorité du Roi se bornait au com-
mandement de l'arrnée, a la nornination des offi-
cien; civils et militaircs, et a la eonvocation des
conciles, dont il devait approuver les canons. Nulle
en temps de paix, eelte autorité devenait absolue
en temps de guerre, paree que, dans l'esprit des
Wísigoths, la gloire des armes l'emportait sur tou-
tes choses. Le monarque prenait done eLabdiquait,




- 134-


en quelque sorte, la puissance, au début et ala fin
de chaque expédition. C'était pour lui une condi-
tion d'exístence, car les grands se montraient tou-
jours préts a justifier la remarque suivante d'un
i1Iustre chroniqueur : ¡ Les Goths ont pris cette
»agréable coutume - hanc delectabilem consuetu-
«diuem, - que si quelque roi ne leur convient pas,
D ils le tuent et en élisent un a leur gré (-1). D


Sans cesse entouré d'une nohlesse jalouse et am-
bitieuse, qui, lorsqu'elle ne s'attaquait pas a sa
personne, s'attnquait el. sa prérogative et la restrei-
gnait au point de la rendre illusoire, le Roi dut
naturelIement lui donner un contre-poids dans
l'État. Le clergé , si longtemps persécuté par les
Rois ariens, assurait au Roí catholique un concours
pacifique, moral, salutaire , propre enfin a conte-
nir la turbulence désastreuse, irnmorale et révolu-
tionnaire de l'aristocratic. Dans le troisiéme COI1-
cile, on entendit le Roí dire aux évéques : «Éta-
s blissez ce qui est propre afaire et á évitcr, et je
D m'y conforrneraí. D Alors il fut décidé que les
évéques se réuniraient une fois par an, et que les
juges locaux , ainsi que les intendants des do-
maines royaux, siégeraient dans ces grandes as-


(1) Orégoire de Tours, lllst, Francorum, lU, 30.




~ 135-


semblées , a/in d'apprendre á gouverner les peuples.
Les évéques, devenus constituants par la vo-


lonté du Iloi, se servirent de leur pouvoir, non
pour se mettre uu-dessus du monarque, ce qui
eút été illégal, mais pour marcher de pair uvec
les grauds dignitaires de l'État, dans l'État, ce qui
était parfuítcment légitíme. Jusqu'á présent, les
Ilois ont été élus ou détrónés par le seul suffrage
des grands, réunis en Congres , dorénavant les as-
scmblées nationales seront transformées en conci-
les, et ces conciles auront, non-seulernent le droit
de confirmer les élections royales, maís encore
celui de participer a ces élections , puisqu'il est
établi désormais que nul ne parviendra au tróne
saus le double consentement des évéques et des
Proceres; qu'ils se réuniront á la mort de chaque
Boi pour lui donner un successeur; et que, durant
son regne , le mounrque ne prononcera aucun
[ugement capital, sans les avoir consultés.


Toutes ces moditications constitutives eurent
lieu dans le quatriérne concile. On ajouta, dans
le sixíéme, que le Roi serait toujours pris parmi
l'ancicnne noblesse gothíque.


Les conciles ne se réunissaient pas dans un pa-
lais, maís dans un temple. Le jour de l'ouverture,




- 136-


les portes de la cathédrale roulaient sur leurs
gonds au lever de l'aurore, Les évéques entraient
les premicrs , puis les prétres , et les abbés des
monasteres qui s'asseyaicnt sur de hauts sié-
ges, Les diacres , les Procires et les notnires
devaient rester debout. Une invocatíon au Saiut-
Esprit inaugurait les travaux de I'assemblée;
ensuíte, un di acre donnalt lecture des procés-ver-
baux ou canons relatifs a la tenue et a l'objet du
concile; et un évéque prenait enfin la parole
pour exhorter les membres du concile a la modé-
ration, au respect des lois, Cette allocution fi-
uie, la session commencaít. Le Iloi se présentait
alors ;il vcnait occuper le fauteuil de la présidence :
privilége exclusif de son titre, de son rango, de sa
majesté. Entré dans la cathédrale, d'abord il se
prosterne humblement au picd de l'autel : puis, il
se releve fierement, car, Dieu, le créateur de toutes
choses, en disposant la structure du corps humain,
a mis la tete en haut et placó daus cette (die le flam-
beau des yeu.:c, afin que de la [ussent apcrrues toutes
tes choses qui pouxaientluire (I ), Ayant I'honneur


(1) Pilero Jusgo 0\1 Forum JIlfEiCIIIII in l' roemio, I\ecncil de
Iois couuneucé par Chiudasvind el aclicvé par son íils Iteccsvind,
642-655.




- 137 -


de présider eette assemblée de la nation lui qui,
dans sa personne, exprime déja la représentation
morale et politique du pays, le Roí justifie son nom
de rea, et prouve qu'il gouverne justement (recte),
c'est-á-dire en employant toute son autorité afaire
observer des reglernents qui n'émanent pas de
sa propre initiative, puisque le Pouvoir législatif,
ou mieux la Souveraineté, réside pleine et entiere
dan s les conciles dont il promulgue seulement les
eanons, eomme lois íondamentales du Royaume.


Lorsque les décrets de ces assemblées portaient
sur des matieres plus ou moins graves et plus ou
moins importantes, la na tion devait étre consultée.
Dans l'origlne, son eonsentemcnt était absolument
nécessaire pour leur donner force de loi (i); mais
ce principe dégénéra plus tard en une simple for-
malité.


Nous avons dit que les litres des grands ou Pro-
ccres, variaient suivant la nature de Ieurs fonc-
tions administratives. 11 y avait, en effet, des
Ducs, des Comtes, des Gardings et des Tinphades,
Chaqué province obéissuit tI un duc. Ainsi, Car-
thagene, la Bétique, la Lusitaníe, la Galice, la
Tarragonaise et la Septimaníe, ayant pour capitales


(1) ~I. ~Iarialla, Tlu!ol'ic des Cortes. TUllI 1", ¡¡a;re 9.


"


.. '1




- 138-


Tolede, Séville, Mérída, Braga, Sarragone ou Tar-
ragone et Narbonne, formaient chacun un gouvere-
nement ducal. Le duc était élu , non parmi les
grands et les anciens propriétaires seulernent, mais
parmí tous les hommes libres sans exception. Cet
otIlcier disposait presque absolument des financcs
et des troupes.·- Les comtes se divisaíent en deux
c1asses : les uns remplissaient les emplois de la
cour; les autres administraient la justice dans un
diocése ou dans une ville. Ceux-ci avaient des as-
sesseurs ou lieutenants, de qui relevaient immé-
diatement les otficiers muuíclpaux, Les Gardi/lgs
(de garda, bien, fonds de terre) étaient símplement
des capitaines, gouvernant les cháteaux royaux,
Quant aux Tinphades, sorte de colonels, ils avaiont
le comrnandement d'une fraction de la milice : les
Miüenarii, les Qui/lgenarii, les Centenarii et les Dd·
uarii, oíílciers subalternes, rnarchaleut sous leurs
ordres. Ces derníers changeaient de nom, en chan-
geant de grade, el suivant le nombre d'hommes
qui leur obéissaient.


Tout ce quí regardait la [ustice, dans chaque
district, Intéressait ala fois l'Évéque, le Comte
el le Carding ; ils siégeaient ensemble pour connaí-
tre des aílaíres générales , et, atour de role, pour




- 139-


connaítre des aflaires rela tives soit al'Église, soit
a l'administration civíle ou militaire.


Puisque le clergé avaít été introduit dans l'État,
afin d'y contrebalancer l'influence de l'aristocra-
tie, la puissance de chacun de ces deux ordres de-
vait, ou marcher de conserve, ou réagir l'une con-
tre l'autre. 01', l'élection du Roi était toujours une
épreuve d'autant plus décisive, dans le concile,
que, depuis la chute de la Monarchie héréditaire ,
douze familles avaient passé tour-a-tour sur le
tróne électif; et que, malgré le nombre des partís
qui se trouvaíent en présence, le suffrage de l'as-
semblée devait étre unanime, ponr que l'élection
fút valide. Chaque vacance du tróne remplissait
le royaume de cabales et d'intrigues, ou, soit la
famille du Roi défunt, soit celles des Rois précé-
dents jouaient un role souvent dangereux , et
toujours révolu tionnaire , cal' la forme de l' l~­
tat monarchique se trouvait sans cesse en ques~
tion, avec les idées d'hérédité et d'élection qui se
débattaient dans le pays. Au milieu de ces divi-
sions, il était irnpossible que l'élection du Roi pút
réunir I'unaulmité des suffrages, quoique le clergé,
par un scntlment tres-honorable, se Iút interdit le
droit de prétendre au tróne, et eút voulu que l'en-




- 140-


trée dans les ordres, ou la simple prise d'habits,
devínt un cas ele déchéance, afin que la Royauté
resrát l'apanage exclusif des hommes d'armes. En
agíssant ainsi, les évéques espéraient étre les arbi-
tres de chaque situation, et, par suite, de chaqué
parti, dans ces circonstanccs critiques oú le pré-
sent engageuit l'avenir. C'était la seule garantie
de sécurité durant les erises les plus rcdoutables,
puisque, seuls elésintéressés dans la lutte engagée
entre les divers compétiteurs, ils ne considéralent
les hommes et les choses, qu'au point de vue du
bien publie et du progrés social.


La nomination de tel ou tel candidat au tróne de
l'Espagne gothique, ne pouvait [aire prévaloir que
l'intervention cléricale, ou I'intervention militaire,
dans le gouvernement. Avec un parcil dualisme
constituLif, il n'y avait pas d'unité possiblc, et la
Ioi, quoique proclamée dans un but d'ordre, était
elle-mame une source intarissable de désordre et
de rivalités índlvlduelles ou générales, au sein de
l'Assemblée constituante. En effet, suivant que le
Monarque élu devaít son rang supréme au clergé
ou aux grands, il favorisait les uns conLre les au-
tres; et chacun de ses actes publics préparait aínsí,
dans un avenir plus ou moins reculé, plus ou




- 141-


moins prochain, une série de réactions partíelles
et fatales a la Monarchie,


C'est ce qui eut lieu surtout sous le régue de
Chintila et sous cclui de son fils Tulga : tous deux
successivement élus Rois d' Espagne par la seule
influence du clergé, Les grands, étant obligés d'o.
héír ades princes qu'ils considéraient comme leurs
propres ennemis, ne cesserent de manífester contre
eux des tendances révolutionnaires, afin de háter le
moment 01'1 ils pourraient élíre, sans le concours
des ecclésiastiques, un autre Iloi qui serait, a son
tour, l'adversaire passíonné des évéques, Parvenu
au pouvoir sur le cadavre de Tulga, Chindasvln cf-
fraya la civilisation par ses proscriptions dignes
du príuce le plus barbare, Non content d'avoir fait
tuer deux cents hommes du premier rang, il en
égorgea cinq cents de conditlon inférieure ; puis il
exila, déposséda.démaria, poursuívit tout le reste,
notamment les éveques qui furent exclus des af-
[aires séculíeres durant les onze années de son
regué, et centre lesquels il essaya de susciter des
ennemis [usque dans l'Église, en comblant le
bus clergé des plus riches dépouilles, ravíes ases
propres supérieurs,


Aprés avoir écrasé tous les évéques désarmés,




- H2-


Chindasvind, se retournant contre les grands, chefs
militaires, en immola quelques-uns. Pour échapper
ases coups, le plus grand nombre chercha un re-
fuge en pays étranger; mais le tyran eut recours a
la confiscation : triste auxiliaire de ses lois abomi-
nables. C'est alors que les bourgeois des villes, dé-
pouillés de leurs priviléges conune les évéques de
leur rang et les nobles de leurs propriétés, se con-
certerent avec les autres ordres, afin de mettre un
terme ti ce dcspotisme eflréné. La cruauté de
Chindasvind aurait rC<;ll sa juste récompense, ou
mieux, son chátiment, si la douceur de son fils
Récesvind, qu'il avait associé ti sa Hoyauté au mé-
pris des lois fondameutales du pays, n'cút desarmé
l'opinion publique. Ayant convoqué le huitíéme
concile de Toléde, l'un des plus nombreux et des
plus írnportants, Ilécesvind promet avec sincérité
ele faíre oublier le passé, en donnant pleine et
entiére satísfactíon u toutes les pluintes , et il
inaugure un avenir pacifique, en disant presente-
ment aux divers ordres du pays, groupés autour de
su personne :


« - Je vous ai convoques pour que vous déli-
»béricz sur le mérnoíre que je vais vous soumet-
J tre, et pour que vous fassiez les dispositions utiles




- 1.43-


s au bonheur de l'État, au salut de mon Ame et de
s la vótre, »


Les nobles sentiments que le Boí exprimait dans
son mémoire, furent parfuitement interprétés par
le concile. II abrogea les ordonnanees rigou-
reuses que Chindasvind avait rendues contra tout
le monde, aíin qu'aucun citoyen n'osát protester
centre son odieuse tyrannie; accorda au prinee
le droít de gráce et remít en vigueur les disposí-
tlons législatives antérieures, frappant avee la der-
níero sévéríté quíconque aspirerait au tróne par
la violen ce ou par des moyens illicites. D'autres
décrets établirent que le Iloi serait élu au lieu
mérne oú son prédécesseur aurait trépassé , que
ses héritiers naturcls recueilleraíent seulement,
aprós son regne, les biens dont il se trouverait
propriétaire ul'époque de son avénement; enfin
qu'Il jurerait alors de ne favoriser ni les hérétiques,
ni les juifs, et de se eonc1uire sur le tróne il la ma-
niére d'un véritable Iloi cathollque.


Le regne de Chindasvind n'avaít été qu'une suc-
cession d'illégnlités: le regne , long, pacifique et
prospere de Ilécesvind ne fut positivement que ce-
lui de la loi. Déjá , le premier avait Iait re-
cueillí r tou te la législation wisigothe et les débris




- 144-
du droit romain, surnageant encore au mllieu des
ruines du víeux langage phénicien, comme s'il eüt
voulu donner un but de civillsation asa barbarie;
le second, quoiqu'il n'acceptát l'héritage paternel
que sous bénéíice d'inventaire, continua son tra-
vail législatif, lui donna la forme d'un code distrí-
bué en douze livres, et le soumit ula sanction des
Procéres qui l'adopterent sous ce double litre :
Fuero Jusgo ou Forum Judicum. Par suite de cette
réforme, le mariage , jusqu'alors défendu entre
Cotbs etRomains, fut permis désormuis , et, tan-
dis qu'on autorisait les marchands étrangers ase
faire juger, par leurs propres consuls, suivant la
législation de leur pays, les habitants du Royaume
ne purent plus invoquer qu'une seule loi, toutes
les autres se trouvant abolles. Ainsi, la société go-
thique essayait de se régénérer et de garantir ses
destinées au moyen du principe salutuire de l'u-
nité; mais les partís en dísposerent autremen t,
comme s'Ils eussent juré d'accomplir la ruine de
leur nationalité.


Ala mort de Récesvind, ses partísans mirent tout
en ceuvre pour empécher qu'aucune élcetion ne se
produlslt dans le concile, paree qu'Ils prétenduient
restuurer le príncipe de l'hérédité monarchique




~ 1h5-


dans sa famille. Mais toutes leurs tentatives res-
tercnt infructueuses: le régime héréditaire ne de-
vait pas encare triompher du régime électíf, En
effet, le concile oflrit aussitót le tróne a Wamba,
paladin illustre par su pcrsonno autaut (lile par sa
race, quí réuuissait en luí la valeur et l'hnbileté
d'un homme de guerre lt l'intelligence et aux vertus
d'un homme el' Üat : il le refusa. Yainement les
évéqucs, les grunds et le peuple se [eteront-íls a
ses pieds, le conjurant de mettre la couronne sur
sa téte; Wamba resta inflexible. Un des ducs, ir-
rité de cette longue résistance, lni mit alors un
poígnard sur la gorgc, et s'écria : «Lc tróne Oll
"la mort l roi OH caduvrc, choisis l o


Quelques jours aprés , \\amba était sacré par
l'évéque de Tolerle, métropolitain de l' Espagne,


Son régne cornmenca d'une maniere glorieuse,
et par de nombreux SUCC(~s rernportés soít sur des
rebelles, soit sur les Sarrasins, el par des conqué-
tes importantes rúalisées dans le midi de la Gaule;
mais il fiuit d' une maniere tres-bizarreo Wamba,
voyant que le clergé compromettait l'autorité
royale en abusant de son influence excessive, et
qu'il tcndaít la main a l'aristocratic, au lieu de lui
servir de contre-poids, voulut empcchcr la coalí-


1, 1()




- 1116 -


tion de ces deux puissances. A cette occasion, il Of-
donna que les ecclésiastiques seruient astreints au
service militaire comme les séculiers, « 11 paráis-
sait juste, en effct, quand les meilleurs domaines
lcur appartenaicnt.qu'ils supportassent les charges
attachées aux nutres propriétés, et dont le service
de guerre était la principalc. Muis cela cntraíu» la
ruine de la discipline ecclésiastique, surtou! parrui
le clergé du second ordre ; el cette moralitó digne
et scvere des ecclésiastiques, ú laquelle nous avons
attríbué la force du pays, venant it munqucr, il Iut
entruíné duns le précipice ('1). II


Irrité des reformes de Wnmba, le clergé sembluít
capahle de favoriser tous les pluns d'une révolu-
tion. Plusieurs années auparavaut, un certain Ar-
dobaste, cxilé de Constantiuoplc, était venu cher-
chcr un asile it Tolcdc. Iléccsvind le rccut avcc
tant de liienveillnnce , qu'Il lui [it épouscr une
de ses proches paren tes. De ce mariagc naquit
un íils, nonuné Ervigc, qui fut bien vu par \VUlU·
ba , aupres duquel il ,\'cut houornblcment it la
cour, Cct Ervige, Clltl'ji](~ hicntót par l'nmhitiou
de rúgncr un lieu et place de son hicnfnlicur,
fit courír le bruit qu'Ardobastc étuit le Iils de


(1) '11. ci'Sé1l' Cantu, nt«. unir. 'I'om. vrr, Pil!:'. 2GG.




- 1117 -


saint lIerménégild, victime de la monarchie
arienne, qui s'était réfugié á Constantinople aprés
le martyre de son pere et la mort de sa mere. Le
peuple accepta ce mensonge comme une vérité.
Les mécontents s'enteudirent avee Ervige et réso-
lurent de verser ú Warnba un breuvage soporifi-
que et malfaísant, dans le dessein de se délivrer
de lui, ou du moins de le faire paraítre assez ma-
lude pour déterrniner l'urchevéque de Tolede aluí
donner, avec les derniers sacrements, l'habit de
pénitent, selon les usages de l'époque; ce qui le
rendruit incapuble de toutes les fonctions civiles,
quand bien mérne il reviendrait en santé (1).


Cette conspirntion , étrange surtout dans un
pays ou chaqué idée révolutionnaire se manifeste
presque toujours par le poignard, eut un plein
BUCCeS. L'urchevéque de Tolcde, croyant réelle-
mcnt ou feignanl de croire que le Roi était sur le
point de mourir, lui administra les derniers sacre-
mcnts el le revétit de l'hubit de péniteot, pendant
(IUC, de leur cóté, les émissaires secrets qu'Ervige
eutretenait aupres de Wamba lui faisaient signer
une espécede testarnent politique.oú il désignait la


(1) \1. rabJI(\ (;osselin, Poucoir da Pape (/11 Jloyen-Age, page
'10:1.




- 1/,8-


fils d'Ardobaste pour son successeur. te lende-
rnain, Wamba, revenu 11 lui-méme et aux nutres,
fut surpris d'apprendre ce qui avait eu lieu la
veille. II s'était endormi Roi, il se réveillait maine,
la tete rasée, le corps dans un sac de pénitent,
incapable de régner, ou plutót ne régnant déjá
plus, cal' les évéques avaíent eu háte de donner
l'onctíon royale a Ervige. Toutefois, Wamba, qui
était monté sur le tróne avec répugnance, en des-
cendit sans regret. Il vécut méme assez longtcmps,
dans un clottre, pour voir mourir ses ennemis, non
pas dans l'orgucil du triomphe, mais dans les ter-
reursd'une agonie expiatoíre.


Le douzierne concile de Tolcde s'asscmbla im-
médiatement aprés qu'on eut fuit prendre aWarn-
ha l'habit de religieux, et qu'on luí eut en levé les
insignes de chef de l'Etat. Cette précipitation nous
prouve que le clergé Iui-mérne, dépouillant son
caractére moral, jouait alors positivement le triste
role de conspirateur. En effet, outre que Wamba ,
Roí électif, n'avait pas le droit de désigner son
propre successeur, l'assemblée víolait toutes les
lois du Royaume, en ratiíiant cette trausmís-
sion du pouvoir.Quoí qu'il en soit, le douzlerne
concile de Tolcde ofTrit, al'Europe monarchique,




- 1[¡9-
le premier exemple d'un Souverain déposé sous
pretexte de pénitence (1). Pour légitimer, apres
coup, les irrégularités de sa conduite, i1décrétaqu'á
I'avenir , tout prince revétu, mérne ason insu, de
lhahit monastique , serait obligé de le garder,
et deviendrait, comme cIerc, inhabile au gouver-
nement.


Ervige, pendant tout son regne, fut a la discré-
tion de l'aristocratie et du c1ergé. D'une part, il
autorisa l'archevéque de Tolede a nornmer aux
évéchés vacants : ce qui enlevait au Souverain le
seul moyen qu'il eút de ten ir l'aristocratie terríto-
riale et militaire en échec; d'autre part , il laíssa
presque toutes les hautes dignités du Royaume, 00-
tamment celles de duc et de cornte, [usqu'alors
amovibles, devenir le patrimoine inaliénable des
grands. On ne lui avait, sans doute, laissé prendre
le seeptre qu'á cette double condítion,


Lorsqu'il cut ainsi dépouillé le Pouvoir royal du
pell de force morale qu'il lui restaít encore, Er-
víge s'upercut, qu'ayaut perdu lui-meme toute son
énergie physique dans la couspiratlon, il était de-


(1) F1cnry, tiistoire ccctesiastiquc, 'I'om, IX, lív, XL, n° '29.-
ni/o. Dlscours sur CHist. ccclcs. 3' discours, n° 10. - Bianchi,
Delia Potcsta del/a Ctiiesa, TOIll. 1, lib. IU. § 2. n° 5.




- 150 -


venu trop faible de corps, sinon d'esprit, pour con-
server longtemps la vie et le gouvernement. Il
s'oublia dés-Iors et De songea plus qu'á sa farnille.
Sur ses instances, le quatorzieme concile de Toledo
déelara sa femme et ses filies inviolables, aíin que,
lui mourant, il ne leur arrivát rien de funeste,
Cette assemblée décidu, en outre, sous peine d'ex-
connnunicatíon, que les veuves royales De pour-
raient plus se remarier, Malgré ces décrcts, Er-
vige peu rassuré donna, soit á titre de répnra-
tion, soit seulement par prudence, une de ses filles
- il n'avait pas d'enfants males - pour Iemme il.
Egiza, neveu de Wamba, luí fit prcter sermcnt
de ne pas venger son onele, le rcconnut comme
son successeur, et revétit enfin lui-rnerue, volontai-
rement, aprés avoir quitté les insignes de la
Royauté, l'habit de pénitent qu'il avait fait prcn-
dre par force ason prédécesseur.


Le síxieme concile unnulait une pareille élec-
tion, entachée d'illégalité , maís le seizierne la
confirma. C'est a cette assemblée qu'Egiza sournit
le doute suívant : « J'ai juré, dit-il , á Ervigc, de
- ne pas venger I'mjure faite tí "\\amhu; puis, en
»prenant la couronne, fai [uró de ne {las apporter
» d'entravea au cours de la [ustice. Des deux ser-




- 151 -


- mcnts, qucl est celni auqucl je suis tenu ? D et le
concile, orguuo de la souvcraiue équité, quoiqu'il
eút sanctionne des iuiquités flagrantes, rúpoudit :
« Le serment est inviolable, mais il est suns va-


)) leur, quand il tcnd ú protéger le crime. ))
L'histoire ignore de quelle maniere Egizn put


interpréter cette réponse et s'il poursuivit les en-
ncmis de Wamha : rnais elle nous apprcnd qu'il
restitua nux partisans de ce malheureux princc, les
bicns ct les honneurs dout on les uvuit dópouillós,
Quoi qu'Il en soit, la mémoire de Wamba fut réha-
bilitéc, avec d'uutant plus d'cntruiucrnent , que le
Iloyaume était menacé d'une seconcle íuvasinu de
lu part des Arabes ; et que son uom glor íeux lui
rappelait avec qucl élan de patríotisme on avait
repoussé lcur prernierc attaque. Mais, hélus ! les
destinées de la ~lonarchie gothíque allaient bien-
tal s'accomplir. Déjll, la dissolutíon des mceurs
accélérait l'abatardisscuient des races et des carac-
teres. L'aristocratie turbulento s'immobilisait dans
son égoísme. Le clergé, autreíois véritable gónérn-
teur et régénórateur de la vie publique, mainte-
nant sans vcrtu politique ni rcligieuse , ótulait, au
scin d'unc civilisation Irappée de mort, les sean-
dales de la dépravation la plus complete. Sur ces




- l:'j~ _.


entreíaites, les lsraélites, qui s'étaient réfugiés en
Aírique, nouerent des intelligcnces commerciales
avec leurs corcligionnaires de la Péninsule : et ron
craignit qu'ils no voulusseut vendré leur pays il
l'étranger. Cette pensée abominable ne germa
que plus tard, non dans la tete des juifs, mais dans
celle de quelques chrétiens !


Pendant qu'un concile proscrivait les lsraélites,
confisquait leurs bicns et ordonnait que leurs en-
Iauts, au-dessous de sept aus, seruient enlevés ú
leurs fumillos, pou1' étrc ólevés dans le christia-
nisme par les soins de l' État, Egiza proclarnait
un édit plus équitab!c, plus cflicacc el plus poli-
tique surtout, en imposant indistiuctement il tous
les Espagnols, l'obligation du ser vice militaire
dont ils étaient exempts. Cet acte remnrquuhle
eút sauvé la Monarchie, puisqu'il étnbllssait les
rapports de la discipline milítaire el les lieus de
l'unité administrative entre trois raccs diverses
quí vívníent sur le territoire ibérique ; mais les
troubles, les conspirutions el l'csprít de révolte,
n\~.utnllttoerent b. \1en',i'e u' Egi'l.u, de m(~me que
celle de Witiza, son fils, en supposant qu'il en eút
une, ce qui sera toujours un problerne.


La seule choso que nous puissions afflrmer ,




c'est que l' Espagnc, méconnaissant le but de l'hu-
manité, étunt en voie de perdition, par suite de
I'aflaibllssement du pouvoir royal, de l'ordre ah-
surde de succession au tróue, de l'ambition in-
quiete des grands, et de J'influence excessive d'un
clergé tellement oublieux des nobles sentiments et
des príucipes rationuels qui l'animaient dans les
premiers temps, qu'au dix-ueuvicme et dernier
concile, il SCCOlW toute dépcndunce vis-n-vis du
~aint-Siég(', pour se soustraire a la direction pro-
vidcntielle qu'il imprimait aux nations chrétien-
ucs, En présence de tan! de réalités navrantes, a


1
quoi bon, si l'on veut expliquer la chute de cet o'
l-:tat politique, religieux et social, avoir recours
aux Iahles, aux légeudes, aux traelitions relativas,
soit ü la cruauté de WiLizn, soit ú la guerre civile
qui nous uiontre Jullen vcngcant sa tille Fiorinc!e
ou Cava, déshonorée par Ilodrigue, dernier Hoi
des Wisigoths PSous son regne , il est vrai, dillércn-
tes Iarnilles prétendaicut au tróne ; c'étaient les
dcscendants de Léovigild et de Récarcd et ceux
de Chindasviud ; les purtisans de Wamba et cenx
d' Ervige, u11 is alIX fil s de \ \itiza, que Rodrigue
avait exclus ele la Iloy.ruté. Oppa , archevéque ele
Séville ct pcutetre uussi de Toledo, frerc de Witi-




- 15LJ -


za, se mit 11 la tete de tous les par Lis coalisés contre
Rodriguc, qu'il combattit avec Julien, beau-frere
de Witiza et gouverneur de l' Andulousie , eL avec
Réquil, gouverneur de la Mauritanie-Tingitane,
o Ces ambitieux n'eurent pas honte d'appeler de
l'Afrique les Arabes, pour les aider dans leurs pro-
jets, sans se douter qu'ils préparaient ú leur pa-
trie huit síecles de servitude eL ele souffrances,
mais non de lácheté (1). ))


Le sort de l'Espagne wisigothe s'accomplit. Vai-
nement essaya-t-elle de défendre, contre les Ara-
bes, su religion et son territoire, ses institutions
monarchiques et su liberté. Le résultat d'une seule
hataille, qui dura neuf jours entiers - du 17 au
26 juillet 711 - assura aux Sarrasius la conquéte
absolue de tout un Royaume. lis y apportaient la
barbarie, maís ils devaient y fonder une civilisa-
tion.


La Royauté espagnole est morte, dans les pluines
ele Xéres de la Frontéra : champ d'honncur et de
désastre; elle ressuscitera bientót sur les monta-
gnes des Asturies, ou Pélage, dont l'histoire est si
merveilleuse qu'on la croit une Iable, doit plantel'
la croix du Christ en face du croissant de Ma-


(1.) M. César cantu, tu« unl», Tom, vu, pago 267-268.




- 155 -


homet, qui flotte Mju sur les tours royales et
musulmanes de Murcie, de Budnjoz , de Gre-
nade, de Saragossc, de Majorque, de Valenee,
de Tolcdc, de Séville et de Cordoue. C'est lit, au
milíeu de ces rochers si Icrtilcs en hérolsrne, que
I'esprit índomptable des anciens Goths s'est replié,
afin (l'y placer le berceau d'une Monarchie nou-
vello, destinée ti rcconquérlr leurs foyers, leurs
temples, lcurs villes, leurs frontieres, leurs fruuchi-
ses nationales, en un mot, tout ce qu'ils ont perdu.
Neuf jours suflirent uux masscs africaines pour en-
sevelir une nation entiere dans sa tombe, paree
que la trnhison et le déruou de la discorde corn-
battaient en leur Iuveur ; eh bien! une poiguée
d'hommos vuleureux, ayaut it leur tete la gloire de
Pélsge, de Ferdinand-le-Grand ou du Cid, et l'a-
mour de Dicu au foncl de leur cceur, tout ce qui
assure ou conquiert enfin l'irnmortalité ici-bas,
uccepte le dóíi de l'cnfer et demande HU eiel la
victoire , 1'allút- il huit sieclcs de son temps
el trente générutions de son propre sang pour
l'obtcuir !


Les IC~OllS du malhcur portercnt pleinemcut
lcurs fruits, purrni les nobles débris de l' Espague
catholique. Ses llois, toujours occupés ucombat-




tre, paree que leurs sujets n'out et ne peuvent
avoir d'uutrc hut que la guerra coutre les Sarrasius,
reculeut peu Üpeu les bornes de lcur autorité politi-
que avec cclles de leurs dornuines particulicrs, Les
grands eux-mérnes, qui se déíéraieu t au trefois la
couronne récíproquernent, afin de mieux l'h umilier,
n'élevent désormais uu rang supréuie que les dcs-
cendunts de Pélage. La vieille constitution gothi-
que, príncipe de tunt de désordres, ne répondant
plus aux nouveaux besoins de cette socicté mili-
tante, tombe presque uussitót en désuetude ; et
la Monarchie absolument héréditaire, principe d'or-
dre et de sécurité, s'éleve, pour ne plus s'écrouler,
par cela seul qu'elle garantit, des ü présent , les
destinées triomphantes d'une Espague ü venir.


Un prince Irancais, Ilenri de Bourbon. nyunt
demandé ü Alphonse VI, su filie en muriage ; ce
Hoi de Castille lui rcpondit : « Tu uimes ma íille. Si
» tu vcux la posséder, va conquérir un Hoyaume.
» Tout ce que tu preudrus sur les Maures sera pour
I toi et pour elle. l) - Le Iioyaume et la Hoyauté
du Portugal (Porto Calle) n'cureut pas d'autre
origine (iODO).


Duus ces courtes paro les du Roi Alphonse, on
découvre tout le caractére graudiose de la Monur-




- 157 -


chic espaguole. Ne devait-elle pas développer sans
cesse la passion des conquétes autour d'clle, afin
ue réaliser, sur la défai te graduelle de l' islumisrne,
la victoire progressivc du christianistne : unique
base de tout gouvernement et detoute cívilisation
en Europe ?




-1fí8 -


SÉRIE DES nors WJSIGOTIlS K'~ ESPAG~E.


ROIS WISIGOTHS DE LA n~lILLE DES MLTES.


Alarie I.
AtaulplJc. .
Sigéric, .
"all¡a..
Th{'ot!oric L
Tilorisn,olHI.
ThéoJorie II.
Enrie. .
Alarie Ir.
(;ésalic. .
Amalaric,


nois ÉLECTJFS.


Thrudl'S,
Tlléo<!{ogisil.
Agi!:l.
AIIl:lllagild ..
Liuva I.. .
Liuva ct l.covigild.
Leo\igilll.. . .
Hécal'pd l er (le call1Oliljtl''J.
Liuva Jl,
VitU'rie..
(; undcmar .•
Sisebul. .
Hi"eareJ I1
Suilltila el ¡jeiíIH'r.
Si";Plland. .
chilltila.
rrl1lp;a. ..
chiudawii1(l.
HécP'wiud..
"alllba. .
:Er\'j~e .
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"iliLa..
Hourigue


3ü6-f¡10
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11 15
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11 1\)-(¡:Jl
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G:!O-ü31
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(j O-()!¡I
(jI,I-(j':d
(i5:2-672
(ji2-(iHO
(i;;O-(¡;;í
(iKi-ílll
70 [-71u
710-711




CfIAPrrHE v.


J::TABLlSSE)!E.'IT DE U DYSASTlE CAHLOrI.'\GIENNE ET
IICLlllLlSSDIEXT DE L'UIPIH.E 11'OCClDEl'iT.


Sornmaire.


{;ol1l'rrnrlllrnl de Pcpin-le-llrof - 11 légitlme son usurpntíon par
rl/S;l~e ijn'i! I'ail d,' son Jíllll\',ir.- F\[¡(;dilioll"li Ila!i,'.- Ulllla-
tinn au S;lilil-Si,"ge, quí 11111111' la SOll\'('l'ailll'll> lemporelle de.;
l'apl\s. -IhllliJle invcsl ilurc : spirilllelIl' du I'ape au Itoi, ll'11IpO-
),1'11" ¡JI) n"j ;111 !'ape. -~ cJl;II'1l'lIl.1clle, l'ül/([n';1'a1l1 ct l'i\i1is:ltellr.
- 1,1' ¡i'Ji d,' I,'rance ('si 1" e!Jel' Sllpl'l\IlW dIO l'onlre politique en
Fmop".-I'Olll'l[uoi étuit-il á ltome, en ROO ?-C]¡arlelll,lglle E1nl)('-
rcur tl'OCl'i'[i'nt. -11 n'avnit pas sollicité ce litre el 1'anrail rel'ns,'
p"silill'II\('liI,s¡ Ir' l'aI)(' nI' l'eút pas contraint i\ l'acccptor. - Par
cel al'le 1l11;IIlOl'i1iJle, Homc n'esl plus la métropole d'une province;
1'lIi, dl'\ i"llt !a cal'ilille du mond« chrétieu, -Le líen qui uuitl'Oc-
"i¡lent il !'Olirol r-st hris«, - Le Saillt Lmpiro ('1 lit Papauté. -
J'I'I~¡"1Iiillel/C<' .lu l'ouvoir spirituel sur le I'ouvoir tcmporel. - Le
I'a!,r dO!1l1e son ,'otlsellleltlelll it \""!I','lioll de \'EllJ])('I't'nl', ilp1'i's
Ifl1/'. le plinee, clu iI juró lI'ollsene1' les ri'~l.,s ill' la justico. - 11
d"lielll allJrs \'adlllitlisll';tI"111 lell'1'ol't'l ¡j" la elll',:'liel1le. - LI)
¡J""l"llbllll' ,',1 ilil)'Il,,:¡I'¡e 11;111' la Ilol1archie nniverselle, íelle
(jll'"Ji" 0>,' 11011',1' n';,:is"", Jlltr CI:arl"I!la::'IH'. ---llllÍlne acco.rl de la
rilll' I, ,II"C L'1I1"lil.- COtc;I:luliljl1 illlP"'I'iall', - Elle concilie \'01'-
IIre a\ee la lilxrI« en eOlllr(';I;¡Jall~'alll linflucnce des leudes el
ccll!' dc~ ]]llll1tlH':' lilnos, au si'in d\l~ llS:-:;(lllihl(lcs ~t'\lHí!'alcs.-Pollr
la prelll:"l'e Iois le IlI'lIpl., y est l'e¡miselllé par rles IlépIIII's elus
(li.llb cj¡;l(IUe a!'J'ülHli~;-;!\JlH'll[, - OI'~-,llli:-::atiOl1 intéricure de res
tlS:iell,lll,\es, -- La lui d':'t'iH' 111' la COllstillliioll 11\1 Iioi el 11(' I'as-
s"llliln'lIt dl¡ ¡¡el/ple. - i;lill l/es flcr:'IIJI{/I'';, - C;¡pitulairc,. -
Iustrurliou publique. - CJ¡ar\r'III::~ne, 1111lnarque émancipateur
1'[ [lo1'll!ail't'. - S.,s l'iforls pOlir coulenirla j'¡iOllalilé. - Aduiinis-
1I';¡[:'111 .11' la ju-Iir». - ('olule;; ct (icI1l'\ins, -- Armée. - Con-
mlllll'meul lÍe l.ouis-let'ioux, EIlI[1el'cur.-considé'ralions sur la
~J'atld(\lll' l,tia 1!'.'I\'iutI1J!('ll de I"E1111Ji!'(I·


Pem1ant qu'cn Espague les successeurs de Pélage
travaillaient á constituer une nouvclle Monurchie


1#
..


"
l' ,~'''!I




- 1GO-


avec les débris de l'ancienne Royauté wisigothe,
Pepin-le-Bref , apres avoir renversé la Royauté
d'une vieille race, travailluit tt rétablir la Monarchie
en Frailee, arce une dyuus: ic nouvcllc. Doué d'une
habilcté qui est rcstée proverbiale , il poursuivit
sans reluche, el pour le hicu-étre du pays, l'accorn-
plissement de ce dessein, vérituble chef-d'ceuvre
d'ambition personnelle. A la fois audacieux et
prudent, ferme et moderé, dans ses actions commc
dans ses peroles, il savait próvcnir les obstacles ou
les abaurc, en contenant, soit de gré, soit de force,
les princes indépeudauts qu'il soumit it la dépen-
dance de la loi; et en montrant, daus I'avéncment
de sa propre furnille, l'uvénement mérne de la na-
tion(1.).


Cette maniere de cornprcndre I'exercícc de l'au-
torité royale devait obtenir I'approbation de tous
les esprits éclairés. Le íils de Charles-Martel se
proposait un grand but civilisateur, celui d'assi-
miler, sous le rapport du droit puhlic, les vuin-
qlleurs aux' vaíncus, les Gallo-Itornains aux Fruncs,
en les ídentifíant peu a peu au sein de l'unité poli-
tique. C'est ainsi qu'íl Iit concourlr tant d'élé-


(1) '1, Laurcntie, Politiour I'lnJtlle en 1"1'(11/1'1'. ;)' ('dil. 18!1'I,
pag. i:_:.




- 161 -


ments divers a la réalísation d'une seule pensée,
qui transforma le Royaume, devenu l'État le plus
puissan t de l' Europe. Disons-le done, avec un hís-
torien-phllosophe : non-seulement Pepin méríta
qu'on lui pardonn.lt son usurpation, maís encore,
par la maniere dont il employa son pouvoir, u ille
légitima, en quelque sorte, dans un temps 01I les
droits de l'hérédité partlcipaíent encere des droits
d'élection (1). Jl


Avec la raee carlovingiennc, la nation franeaisc
entre pleinement daos l'exercice de toutes ses fa-
cultés, pour n'en sortir qu'á de rares Intervalles
ou elle perd la conscience d'ellc-méme et 01I elle
semble accepter sa propre servítude, comme une
garantic de liberté générale. Pepin devina le ca-
ractere de la Frtmce ; et loin de lui imposer d'ín-
dignes entraves, il en facilita la noble expansiono
A dater de ce jour, le peuple et le Roi cornprirent
que chacun de leurs actes ne devait ríen avoir de
privé GU de domestique; et qu'ils avaient, en quel-
que sorte, charge de clvilisation, puisqu'Ils étaient
la Iíoyauté et la Nation universelle, par excellence.
Protecteur de l'Église catholique, en sa qualité de


(1) Ancillon, Tablcau des rccol. du sust, potitique de l'Burope,
TOIl!. 1", Iutrod.


I. 11




- 162-


Patrice de Rome et de fils aíné de l'Épouse du
Christ, Pepin ne tira l'épée hors de Frunce, que
pour fuire prévaloir, en Europe, le pur esprit du
christianisrne ou les droits positifs du véritable
sacerdoce, toujours attaqués par les princes héréti-
queso Dans ce but, il comhattit tour á tour les
Saxons qui étaicnt idolatres; les Aquitalns, qui
avaient usurpé les biens ecclésiastiques ; et les
Lombards, ennemis du Saint-Siége dont ils avuient
détruit la puissance. Appelé en Italie par le Son-
verain Pontife, le Roi de Frunce restaura d'abord,
son autorité rnorule; ensuite, il Iit don á la Ré-
publique, aínsi qu'a l'Église romaine et a saint
Píerre, de l' Exarchat et de la Pentapole, COll1-
preuant Ravenne, Ilimini , Pésaro, Césene , Fano,
Sinigaglia, Iesi, Forlimpopoli , Forli avcc le chá.
teau de Sussubio, Montefeltro, Acceragio, Monlu-
catí , Serra , Castcl-san-Marlano , Robra, Urbin ,
Cugli, Lueoli, Agobio, Commuchio et Narni , ufin
que, selon les expressíons de Bossuet , a cette
D Église, la mere commune de tous les Iloyaumcs,
» dans la suite ne Iút dépendante d'aucun Royaume
» temporel; » et que la Papauté, considérée au point
de vue purcment humain, Iút a en état d'exercer
»plus librement, pour le bien commun, cette puís-




- 163-


1) sanee céleste de régir les ames; que, tenant en
vmain la balance droite, au milieu d'Empires sou-
»vent ennemis, elle entretínt l'unité dans tout le
»corps, tantót par d'inflexibles décrets, tantót par
»de sages tempéraments (1); » en un mot, qu'elle
occupát moralement et positivement, dans l'hu-
manité, le rang supérieur qu! lui est nécessaíre
pour l'uccom plisserncnt de ses destinées divinos.


Quelques historiens, notumment Fleury, ont pré-
tendu que la donation de Pepin et ceHe de Char-
lemagne concernaient uniquement le dornaine
utile des provinccs comprises dans ces deux ac-
Les, non te luuü domaine ou la Souuerainetc (2) ,


(1) Discours .1111' ['1I1I1[é' tlc {'k/Use, prononcé il I'ouverlure de
l'a"·('IIIJ¡lé,; des ,;Y'''/fues d,' Frailce, qui eul lieu eu 1G82 el qui
adopta la (i'kJJle Ikc!u¡'(//úm des libertes ¡;allieaues.


(2) \ '11 JOit'uI1 tr.unha ecuo question, (Iit\!. (i'sar Cautu (lJist.
1/11ic. TOlJJe YJ[1, P'l¡;. 2,'>8), conun« heunconp d'autres, a\ ee le s,Jllre :


« De nutre camp imperial de Vieune, 17 uiai 1809.
» Considéraut que qunnd cllarJI'magne, EIII)W),CIII' des Prancais


" I'[ uotrc (lIIgl/.~(1' jIJÚli'U',I'.II'III', lit (Ion aux l~I'i'(IIf('S di nonic dr.
» dilferents pays, il lcs lcur ceda a litro de Ilefs, pour assurer le I'e-
» pos de ses sujct-, sans que ítomc eút pour cela cessé de Iaire par-
J) tic d,' son Erupirc;


J) :ion; avous décrélé el décrétons ce qui suit :


J) Les fetals du rilpe soul réuuis il l'Lmpire fran~"is.....
Cc!le lI';¡¡l'palioll hrul al.. des ¡',:lals-I',Oll1ilills ct la d¡¡l'e cap!i\il¡"


qul' \aptMoll íil su!Jir un clil'f dl' rf:c:li,e, all1i~"I'('nl p¡'ofonr!"'IlIl'lll
tout l« IllolHlr aposloliqli('.•\11 iuois dI' 110\'('lll;JI'C JHOU, rEllljJl'I"'III',
SI' í rouvaul {11"olllailH'bll',lIl, n.auda l'ab];é 1~llIer;, supéricur du S(;-




- 1M -


réservée aleurs propres successeurs ; ou que, si elle
comprenait aussi la Souveraineté ou le huut do-
maine, elle n'eut d'eflet que relativement au do-
maine utile. Cela ne saurait étre, puisque lesPa-
pes, qui envoyaíent des j ugos el des fonctionnaíres


mínalro de Saint-Sulpice. Au dire d'Artaud, voíeí quel fut I'entre-
tien qu'ils eurent ensemble:


" Napoléons'étant mis 11 parler de ses démelés avcc le Pape, dé-
clara qu'il respectaít sa puissance spirituelle : mais que, quant il sa
puissance lemporelle, elle ne venait pas de J¡'SUS-CIIl'isl, mais de
Charlemague, el que luí, quí était Lmpereur commeCharles, voulnít
Mcr au Pape cette puissance teuiporelle, afin qu'il lui rcslút plus rlc
temps 11 donuer aux affuires spirituelles.Yt. Émerv, atíaqué sur el~
terrain, objecla que Chnrlcma qu«: n'a!'oil nas douuc auPa¡« IUI/-
tes ses posscssions tcuiporcltes, qui ¡'.taii'nt Il'i's~l'onsid('l'aJ¡I¡'s daus
le ve sil'cle; et qu'au iuoius l'EllIpCI'Cllr ne rh-vail pas touchcr :1 1'1'8
hicns teurporels, \1. 1::ltlCIY allnit ('olllirllll'r; \apllli"OIl, qlli 1I'¡'tail
pas Ilt's-instruit de l'hisloíre ccclésiasrique, el qui pal'aissil i"IIIII'I'1
ce point, ne répoudil ríen it cet égaJ'(], ruais, adoucissunt sa voix, ji
passa brusquement it antro chose, (Il istoire de Pie FU, par ;\tl;llld
de 'tontol', 2e él!il. 'I'om, Ir, clmp, 21, pag, 256.)


Plus tard, Napoléon et l'alilJé {~III('I'Y se rctrouvercnt en préscnco
nu sein de la eommission foI'llll'e, l'an 181t, pour cléli!Il'l'el' sur les
aifaires de l'Eglise, Aprcs acoir dcclanu' cont rc la puissancc sni-
rit uetle tlu Pap» (voir l'ouvrage de \1. l'ahhé Gossrlin : tsn Po uroir
du rape au mouen-tlqc, pog. 323), l'Emporcur, ohlib(~ de buttrc NI
re traite dt-vaul I'nrgumcntntinn serrée de l'ahh« I~m(\ry, se rabatt i¡
it contestcr sa puisstuu:e tcnuiorcllc. xous cítcrous encere le che-
valier Artaud :


« Je ne vous conteste pas, dit Napolécn, la puissance spiritucllc du
Pape, puisqu'il l'a recue ele Jósus-Clnist ; mais Jósus-Christ ur luí
a pas donné la puissance lemporelle; c'est Charleurague qui la iui a
donnée : el moi, successeur de Charlemagne, je veux la lni ¡\¡,'r,
paree qu'il ne sait pas en user, et qu'ellc l'ellluecIJe d'cxercor ses
fonelions spirituelles. 'l. j,mery, que peusez-vous de celaL. -
Sire, répondit \1. Émery, Votrc ~lajesl¡;. honnre le gralJ(ll\üssuet, et
se plait ale citer souvent : je ne puis avoir la-dessus rl'autre sentí-
menl que celui de nossuct, dans sa Prcfuce de la Dcclaratiou du




- 165 -


dans les villcs donnécs, pouvaient dire : Nostra
romana cioitas, nostrum populum romanum ; procla-
mant ainsi qu'ils avaient été substitués a l'ancien
exarque, et qu'ils agissaient en leur lieu et place.
N'oublions pas, d'ailleurs, qu'i1n'existnit á cetle


CI('j'I¡r', oú il soulicn: cxpressément que l'indépendance el la plcine
Iil),'rl1: (tu clJef (le )'i~glii;(' suut uóccssnires pOU!' le libre exorcice de
la supréinuli« spirituel!«, dans l'ordre actuel ele la multiplícité eles
royuumes ct dus cmpíros; je citnrni textuellemcnt le passage ¡¡ue j'ai
11"'';-l'rl'sl'nt ü la mcuioir«. Sire, l\osslIel parle ainsi : "\O\lS savous
,1 r¡1Il~ les l'outifcs romains ct l'ordre sacerdotal liennenl de la COll-
II cession des princos ct posserleut tre.s-Iégililllelllenl des biens, eles
1) druits, des principaull's (illlpcrio), comme en posscdcn! les an-
1) lrcs honnucs, Nous savons que ces possessions, en tant qne dédiécs
)) illlicu, doi\ellléll'e sacrécs; l'l qu'on ne peut, saus couunettrc un
II sacrill'gr, les euvahir, les rnvir elles donner II eles séculíers, On a
1) acconlé au si¡'gc apostoliquc la souveraincté de la ville de IlOIlJe,
,) el rl'autres posscssious, afín qu'il put cxercer avec plus de li-
)) hcrté sa puissanc« daus iout l'univers. Nous en Iélicilous non-
" Si'IlICllll'II1 lc si('~e aposloliljm', maL; encere !'J::~I¡"e uuivrrscllc : el
,) nous souhnilous de toute )';lrdl'llr de nos I'WUX que cette princi-
» p;'lll<' ,:!cn'!' di'/lIc U1'(' S;¡iIIC l'l s;¡ 11 1"(', en toules manieres. » - \a-
pol¡"un, aprcs avuir ¡"colIll~ al'ec pati!'nee, prit douccmeut la parolc,
COllIllJe il alai¡ cOlllllllle de faire lorsqu'il était hautemeut contredit,
el pada aiusi: Jc uc ri'cnsc pas i'autorit» de tsossuct ; tout cela ctait.
orui tic son ICIII}/S, Olí 1'/1111'0111', reconnaissnn: plllSicl/I's 1JWi/i'CS,
ji 11'I'lail pos eOllce/IIl!JI¡· II'I!.' le 1'11111' [trt ({s,m)¡'li 111mSonccrain.
)lUrliculiu..vl ais euct inronccnicnt 1J a-f-il 'l'!" le Papc lile SOI:t
a.I.\IIjt'li, il mui, muint.cnant 'l'!" i'Europ« nc connait d'ctut re
uuntrc qu« mal SI!III? -- M. 1~ll1ery fut un peu ombarrassé, paree
lju'jl ne voulait pas Iaire une réponse qu'il h'r.ssát l'orgueil íntlivi-
duel, 11 se contenia de dire, qu'il pouvait se Iaire ¡¡ue les inconvé-
nieuts prévus par Bossuet n'eusseut pas lieu sousle re.gne de Xapoléon
i'1 sous celui de son snccosscur; puís il ajouta : « Jlais, Sirc , vaus
ronnaissc: aussi IJiI'/l IIIII! nioi itustoirc des I'dvoluliolls ; el! qu!
I,risle Jlwilllnlillll Iltllflle pas (',l'isfer 10lljullrs; á 11'111' 10111', les
i¡¡(O//V¡'nir;JlIs )1j'('Cll,1 pa!' 1I0s,mcl pOlll'ndcnt relJ!lra¡'frc. II lIe
/illJl ¡{OIlC )lliS ('ll/lIlUer UII onlre si saucIIICll1 ,:raMi.)) (Ilisloirc dc
l'ie ViI, ~'Mil. Tum. 11, Chilf!. ~2, pago 2\)6.)




- 166-


époque aucune c1istinetion précise entre le Droit
ct le Pouvoir ; ni, par suitc, entre le domainc
II tile et le gouvernement politique. « Tout proprié-
taire cxercuít ú ce seul titre, dans ses possessions,
quelques actes de souveraineté , maintenait 1'01'-
dre et rendait la justice pcndant la paix, COIl-
duisait les hommes ú la guerrc : tanrlis que le sei-
gneur suzerain y levait les impóts, y cnvoyait des
inspecteurs; mais la plus grande part de l'nutorité
appartenait positivement u celui qui avait la vo-
Ion té la plus énergique eL le plus de forces pour la
Iaire prévaloir.


Quoí qu'il en soit, Pepin avait donné au Son-
verain Pontife, un tcrritoirc qu'il vcnait de COI1-
quérír par ses armes víctoríeuses, et qu'il possé-
dait, conséquemment, au mémc litre que les LOlJ1-
bards clont il démembrait le territoirc, uíin que
l'influence francaise n'eút pus a. luttcr, en Italie,
contre une Roynuté própondérante. Au reste, de
pareílles donations n'étaient pas nouvellcs ; cal' les
Pontifes avaient obtcnu en Frunce, en Italic, en Si-
cile, de nombreuses possessions, toutes concédées
par les Empcreurs grecs, par les Ilois lombards ou
par Charles-Martel. On a merne cru que la donution
de Pepin était le résultat de négociations anté-




- 167 -


rieures a son avéncment, Dans ce cas, il íaudrait
dire avec A. de Saint-Priest que «Pepin et Étienne
o s'étuicnt itnposé une double investiture: spirituelle
»du Pape au Iloi ; temporelle du Roi au Pape U);»
et il faudrait aussí penser que les engagements
íureut scrupulcusernent rernplis, de la part de
l'un et de I'autre, comme de la part de leurs suc-
cesseurs,


Chnrlerungne et les Souverains Pon tires qui oc-
cupercnt le Saint-Siége durant cette époque, n'eu- 0,1"


.J.


rent qu'á développer cette situation respective, pour "
fonder l'unité morale et politique de l' Europe chré- -,
ticunc, Innnódiutemcnt uprcs la mort de Pepin,
les vaillants efTorts de toute S1. vie faillirent pour-
tant ri'avoir aucun résultat, paree qu'il se crut
obligé de pnrtagor son Iloyaume entre ses deux
cnfants, Carloman et Charles, conformérnent á la
coutumc gcrmuiue , toujours funeste , qui voulait
qu'un fils ele Iíoi Iút égalcmcnt Iloi. La Providence
fit obstacle acctte Iatulité. Carlornan tarda peu a
mourir; et les scigneurs de ses États, usant aussi
d'une nutre coutume gcrmuine qui transformait
la Iloyauté en une mugistrature libremcnt con-
fiée par le suffrage ú n'importe que) prince ,


(1) ut«. de 11l11oymllc'. Tom. n, pago 2í5.




- 1.68 -


pourvu qu'il fút de la famillc royalc, rejctcrcut du
tróne les deux fils de Carloman, Irólcs enfunts : et
y appelercnt Charles devenu ainsi, ú l'áge de vingt-
six ans, muítre absolu du Iloynume le plus puis-
sant de I'Europe.


00 a souvent comparé Charlcmagne avcc Alcxan-
dre: cela devnit étre. L'analogie qui existe cutre
l'un et l'autre appartieut bien ú lcur personne ;
mais la différence de leur but, n'uppurtient qu'ú
leur temps, Pepin-le Bref fut pour Charlemague,
ce que Philippe de Macédolne avait été pour
Alcxandre. tes dcux peros ouvrircnt en grands
hommes la carriere de succés , de triornphes , de
gloire, de génie ct de civilisation que leurs dcux
fils out fermée aprés cux ; cal' ils se son 1 élevés ú
des régions tellemeut hautes, cclui-ci duns le
monde pnicn , celul-lá dans le monde chréticn ,
qu'ils restent, pour l'Itlúalité humainc, counue
prototypes en fait de grandeur, d'héroisme et de
gouvcrnement. Alexaudrn prit le glaive afin de sou-
mcttre l'Oricnt Ü l'csprit civilisuteur de I'Occidcnt,
tel qu'il étnit exprímé dans les écoles socratiqucs
OIJ philosophiques de la Crece: Chnrlcmagnc se fit
conquéraut afin d'émancipcr l'Occident El I'égurd
de l'Oricnt el de le régénérer en vertu du Chris-




- 169-


tianisme, tel qu'il était enseigné U Rome, dans la
chuire de saint Picrre. Venus, l'un ct l'autre, aune
époque de morcellement religieux, intellectuel, so-
cial et politique, tous les deux partirent de la mérne
idée : l'unité l mais il n'était reservé qu'á un seul
el'arriver au faít réalisa teur ; et voila ce qui consti-
Lile la supériorité du héros des temps modernos
sur celui des temps anciens.


Ríen ne put dístraire Charlernagne du but p1'O-
vidcntiel qu'il s'était proposé; pas méme les cin-
qunnte-quatrc expéditions qu'on le vit entrepren-
drc, de 760 ¡\ fll ;1, con tre les Aquitains, les Saxons,
les Lombards , les Arabes d'Espagne, les Thurln-
giens , les Avares, les Davurois , les Bretons, les
Slaves au-delú de l'Ile d'Elbe, les Sarrasins en Ita-
lie , les Danois et les Grecs, dout les cíforts plus
ou moins multipliés graduerent la fortuna de ce
granel hornmc. II jeta les fondcments de sa gloire,
en renversunt le Iloyaume des Lornbards , que
son pere n'avait pus encare jugé nécessaire de
détruire ; et en reléguant dans un cloítre, Di-
dier, le dernier succcsscur d'Alboln, pour creer
le Hoyaume d'Italic dont son Iils devint le pre-
miel' Iloi. Cettc conquéte luí fut fuelle, paree que
l'oplniou courbattuit en sa fuveur dans la Pénin-




- 170 -


sule, II n'en devaít pas étre ainsi dans les Pyré-
nées ni sur les bords du Wéser ; cal' les gorges de
Roncevaux cachérent la trahison qui porta un coup
terrible aux phalanges des Fruncs. Elles s'cn ven-
gercnt cruellement sur les Saxons; iuais le mas-
sacre de Fcrsen avait au moins un motif, sinon une
excuse.


Charlemagne traitn les Barbares, en Barbare du-
rant la guerre; en prince chrétien, des qu'Ils cu-
rent accepté la paix. II ne songca plus qu'a leur
aplanir le chcmin de la civilisation, non-seulement
« en bátissant des églíses dans les pays conquis


» et en y fonc1ant des évcchés, duns les mérnes vues
» qui font élever aujourrl'hui des citadellcs (l), »
mais encore par la prédication évangéliquc et par
des lois protectrices, qu'il rendit comrnunes aux
dívers peuples de l'Europe. Déjá sa domination
s'étendait uu Sud jusqu'a l'tbre, ¡'¡ la Méditerranée
el lt Naples : a. I'Occident jusqu'a l' Atlautique ; nu
Nord j usqu'a la mer Septentrionale , á l'Oder et it
la Bultiquc ; it l'Orient [usqu'á la Theiss, aux monts
de la Bohéme, auRaah et ú l'Adriatique. Les États,
qui n'étaient pas compris dans cette vasto circón-


(1) Ancillou, Tablean des i'év. du sUs. poiuiquc de i'Europc,
Tour, [ Iulrotl., pago si,




- 'l71 -


scription, avaicut accepté le role d'alliés ou de
tributaires, aupres do cet acteur gigantesque et
incomparable qui remplissait a lui seul tout le
théátre du monde. Aleuin no tenait done pas un
Iangage hypcrbolique, lorsqu'il célébruit Charle-
magne, ou n.icux, le Roi de Frunce, comme le lioi
de t'Europe. La société chrétienne trouvait en luí,
par le fait humuin, un chef supremo dans I'ordrc
temporel, acóté du Papo, chef suprérne dans 1'01'-
dre spirituel, par lo droit divino


Ainsi, la grandeur de l'Empire romain , morte
dcpuis l'invnsion des Barbares , revit, morale-
ment trunsforméc dans la pcrsonno de Char-
lemaguc, avcc plus d'óclat que jamais, et pour
le bonhcur do l'humanitó , cal' sa puissance est
la garantic memo de la civilisation, Le héros car-
loviugien no cherche pas á l'uccroítre aux dé-
pens des natioualitcs qu'il a couquises. Le titre
de Iíoi de Frnnce, par lui rendu si glorieux, suílit il
son umhition personnelle. Mais on I'attend ú Rome,
afin qu'il y prononee entre le pape L60n ct ses en-
nemis, Charlemagne part, arrive, fait justice quel-
ques jours avant Nocl, ct veut assister, en qualíté de
Iloi de Frunce, de Patrice de Rome et de fils atné de
l'Église, aux solennités de cette Iéte : la plus belle




-172 -


du Christinuisme avec celle de Paques. Le con-
quérant tres-oictorieux s'ugcnouille, en cette occa-
sion, devant le tombeau de saint Pierre, Au mo-
ment oú il se releve, le Pontife, cornme par une
inspiration soudaine, pose un diadéme d'or sur sa
tete; et tout le peuple romain s'écrie: (f A Charles
»AugusLe, au granel et pacifique Empcreur des
» Iiomaíns couronné par Dieu ; vie ct victoire (1). »


Certains historiens pretenden t qu' en agissan t de
la sorte, le Pape ohéit puremcnt et simplcment
aux volontés secretes de Charlemague. Rien
n'est moins vrai ; car tout prouve le contraíre.
Le l\Ionarque, loin de désirer le titre d'Empc-
rcur d'Occidcnt, l'nuruit posltivemcnt rcfusé, si
on le luí eút oflert dans un nutre lieu ou en d'au-
tres circonstances : il fallu L clone coutruiurlrc ce
grand homme il ucccpter une di;;llité que eles
limes vulgaires devalent se disputar aprés lui,
muis qui, loin ele Iaciliter l'accompl issemcut de
sa mission sur la torre, pouvait le rcndre plus diffi-
elle, D'aillcurs, son caructcre étuit trop grave
pour qu'il prétátalnsi les mains a une mise en
scene liistorique, renouvcléc sans cesse par les
comédíens politiquea de tou les les épo(l'ws. II


(1) Lginhard, rila ct qcs!« Caroli JJ({Uni.




- 1i3 -


faut entcndre Eglnhurd , secrétaire de Charle-
mague et en cela d'uccord avec les chroniqueurs,
s'expliquer sur cet événement, « Charles, dit.il,
n'était venu dans Rome que pour remédier aux
troubles de l'Églisc, qui l'occuperent un hiver en-
Herí il y recut les titres d'Empereur et d'Augustc,
dont il étaít si éloigné, qu'il afflrma que , U ue
serait pas entré daus l'l~glise~ s'il aoait pu prcsscutir
le dessein da Pouiife ('1).» En effet, le pape Léon,
ugissant a l'Insu de Charlemagne, mais avec le con-
cours des principaux seigneurs de Dome, méditait
duus l'ombre le rétablissement de l'Empire d'Occi-
dent pour mieux définir un grund jour les tendances
de la civilisntion.• Cet neto décisif, dit Gibbon,
anéantissait le:'> prétentíons des Grecs; Borne ces-
sait d'étrc la métropole d'une province, et allait re-
prendre toute sa rnajcsté... L'Ég1isc rornaine devaí t
acquérir un défenseur zélé et imposant , et , sous la
puissance carlovingicnne, l'Évéque de Rome pou-
vait gouverner cette capitule du monde uvcc hon-
neur ct súreté (2). D


Ainsi, l'élévation du Roi de Frunce á lu digníté


(1) Vita el qcst« Caroli JIu(llIi.
(~) Jlistv/y o] uic dn:lilll: mili [all o] 1/11.' Iiomnn EmpiJ'l.' (Il is-


toire de la dccadcucc el tic la ctuae de t'Euuiirc nomain¡ traduc-
tion publiée par ~l. (;uizol. Paris, HH~.




- 174-
d' Empereur, fut I'eeuvre libre et spontanée du Son-
verain Pontife.


Un autre historien étranger, M. César Cantu,a
décrit cet événement d'une maniere tres-remar-
quable :


a Les contemporains et Charlemagne luí-méme,
dit-il, ne virent duns la cérérnouie de son sacre
qu'une résurrection de l'Empire dOccident; mais
on trouve une sorte de divination dans ces vers,
inspirés par une autre pensée h un annaliste du
Bas-Erupire : .tinsi [u! brúé le lien qui unissait dcua:
cites souneraiues ; ainsi l'épr!e separa la [dle de la
mere, la Rome nouoelic, plciue dejeuncsse et de bcau-
u', de la uieiilc Iiome, COl/verte de rides ct decrepite. D


»En effet, la civilisation antiquc derueurnit alors
séparée de la civilisation ú venir; ccllc-la repré-
sentée par les Empereurs dégénél'és de Byznnce,
celle-ci guídée par le Pontife, qui se mettait á sa
tete, en conférant au roi franc le Pouvoir ternpo-
rel supréme. Si toutc autoritc vicut de Dicu, nul
nutre que le Chef visible de l'!;:glise ne pouvait
se considérer comrne investí inunédiatemcnt de la
puissuncc d'cn huu t; il se trouvnit done virtucl-
lemout le chef de l'humunitó entierc, róunie dans
l'Église universcllc. Cettc puissunce donnéc par




- 175 -


le ciel au Pontife fut consídérée comme étant
d'une double nature, temporelle et spirituelle.
01', de méme qu'Il confere une portion de cette
derniere aux évéques, qui l'exercent sous sa dé-
pendance, il confie l'autorité temporelle a l'Em-
pereur, consacré par luí pour l'exercer sous la
dépendance et la direction du Pape.tout en deve-
nant chef visible de l'Églisc dan s les intéréts tem-
porels. tes deux Pouvoirs sont donc insépurables,
l' un devant servir d'appui a l'autre ; et ils ne sau-
raicnt se détruíre, vu l'essence díverse de lcur
j uridiction.


»Cclui des deux Pouvoirs qui prédornine est na-
turellement le Pouvoir pontifical, prononcant
comme arbitre sur les différends des princes, soít
entre eux, soit avec leurs peuples. Pensée admi-
rable, qui devanea par le fait méme les utopies
d'un philosophe plus humain que pratique, el quí
pouvuit apporter aux massacres de la gucrre le
remede que l'on demande aujourd'huí aux proto-
coles ue la diplomatie (1)."


L'Empercur n'étuit pas seulement le chef de
l'Empire, mais celui ele l'Italie et de toute la chré-
tiente. A ce double titre, la raison voulait que ron


(1) utst. WÚl'. Tom, "lIT, pago 310-3U.


".
-,




- 175-


s'adressát au Pontifc, pour qu'il donnát son con-
sentement et son adhésíon tl toute élection írnpé-
riale. Aussi le prince élu j urait-il, entre les maíns du
Clergéou du Souverain Pontife, d'observer les regles
de la justice et les lois positives: c'étaít la premiere
condition de son couronnement. Si les Empereurs
prétendaient s'en aflranchir ou s'ils se déclaraient
les adversaires de la foi donl ils devaient étre les dé·
íenseurs, ils perduient, aux yeux des Papes comme
aux yeux de leurs propres sujcts, tout titre á I'obé,
issance et au cornmnndement. C'est lu ce qu'il
ne faut jamáis oublíer, surtout lorsqu'on veut ré-
soudre rationnellemeut tous les prohlcmes histori-
ql1CS du moyen-age, ct juger avcc irupurtialité les
grandes querelles du Sacerdoce de l'Empire.


Comme uduiinistrnteur temporcl de la chré-
ticnté , l'Empereur exercait la suprérnutie sur
tous les Boyaurues, et méme sur Borne redeve-
nue la capitule du monde. La chrétienté ne fut
plus alors qu'une vaste monarchic. « Les prin-
ces, poursuit l'historien déjá cité, révérunt Char-
lemagne cornme leur supérieur, les infldcles trai-
tant avec lui corume avec le Chef des croyunts.
Mais ce chef était électií , c'cst-a-dire de con-
fiance, et quelque forme de gouvernemcnt que




- 177-


ce Iút, pouvait subsister sous sa suprématie, memo
la ltépublique la plus libre. Unesemblable unité n'é-
tui t donepas la Monurchie universelle révée tour-a-
tour par Charles V, par Louís XIV, par Napoléon,
contruignant toutes les nations d'obéir aune seule
volonté, de se soumettre il des lois faites pour
d'autres habitudes que les leurs, les sacriflant á
l'iutérét d'un seul pays. Il y avait lit influence et
non pas clomination; l'individualité des natious
n'était pus détruitc, mais leurs civilisations divcrses
se trouvaieut mises d'accord, el les institutions de
chacune d'ellcs étaient respectées cornme étant
Ioudóes sur le caractére, sur les usagcs , sur l'his-
toire de chaque peuple.»


En donnunt it celte vaste domination le titre de
Snnu-Empire, Charlcmagne montra toute sa supé-
ríorité monde et positive, Cal' il se proposaít de fu-
eonner la société laíque sur le meme modele que
la société clóricale, véritable type de cívilisation ,
de substituer un ordre légal á l'anarchíe résultant,
partout, de l'untagonlsme naturel des différents
peuples appelés á vivre ídentiquement sur le méme
tcrritoire, sans avoir ni les mémes croyances, ni
les métucs opinions ; el enfin, d'eífacer toutes ces
dlvisious Intalcs.cn groupant tant de races diverses


J. 12




- 178-


autour de sa poli tique unitaire : symbole d'une
protection générale et d'un droit commun.


Quant il la préérnlneuco de l'Empereur sur les
Rois, elle résultait, dit-on, de ce que cette dignilé
n'était ni héréditaire, ni divisible. Quoi qu'il en
soit, « l'Empire chrétien dcvícn t ainsi le seeond élé-
ment de I'histoíre moderne. Précisérnent paree
qu'il est chrétieu, iI se fonde sur la justice, et
rend impossible la tyrannie d'un elespote OH d'une
factíon, sans que la voix du pasteur et la commu-
nion des fideles soient reniées. Au licu de se sou-
tenir au milieu des contre-poids cornpliqués d'une
eonstitution politíque, l'uutorité repose sur le ea-
ractere personnel, et prend pour guide l'amour
plutót que le droit strict...


» ••• Charlemague merite done plus de reeon-
naissanee de la postérité eomme fondateur de la
constitution qui, [usqu'a nos jours, a réuní I'Eu-
rope centrale, qu'il ue méri te de gloire pour ses
conquétes. Cet Empire, duns le sens chréticn d'u-
niou religieuse de tous les peuplcs de l'Occidcnt,
produisait l'intime aceorc1 de la force avec le droit:
il créait une légitimi té sacrée , en elfl'ctuallt l'u-
o ité existan te duns l' ordrc des choscs tem porel les,
ct en facilítant, comme daus une seule Iumille , la




- 179-


dlflusion des amélioratíons apportécs daus la vie
socíale el dans les idées. Tous les princes les plus
puissants de l' Europe s'employerent pour obtenir
le couronnement qui conférait ce droít supréme,
ce qui fut une cause de mouvernent et de civilisa-
tion. De Ieur colé, les Papes, comme tuteurs de
ccux qu'ils couronnaient, en méme temps que dé-
posituircs de leur senncnt, et du vruu des pcuples,
prétaient leur uppui aux barons , aux princes
ecclésinstiques, aux comrnunes, pour qu'ils oppo-
sassent des barrieres aux empietemcnts des Em-
pereurs: favorisant ainsi la liberté polltique , qui
devait finir par se touruer cantee cux-mémes (1 )."


Cette longue citation, prise daus le bcl ouvrage
récemment puhlió par I'illustre historien de l'Italic,
nous donne uno i.léo complete du grano Iait constí-
tutif qui inaugura, en Europe , des su prcmiere
périodc historique , avec le rcgue de Charlemagne,
Empereur et Roi, syrnbolo d'un ordre fixe el géné-
ral, le triomphe du droit sur la force, de l'esprit
sur la maticre, de la liberté polítique sur le des-
potismc uiilitaire, de la civilisutiou sur la barbarie.
Arbitre supréruc des destiuées de taut de peuples,
Charles u'cut qu'un seul but : celui de leur guran-


(1) \1. Cé,,\ll' Canlu, tu«. unic, roin, viu, pago 31!1-315.




- 180-


tir la [ustíce , la súreté publique et particulicre ,
l'ordre, le travail, l'éducution , et l'indépendnnce ;
paree qu'il savait «que la puissance réclle ne con-
siste que dans la perfection d'un gouvernement et
dans le développement de toutes les forces d'un
État (1).• Laíssant á chaqué nation ses mo-urs,
ses usages, ses habitudes, ses Ioís et sa constitution
propre, il n'en prit que la direction supéricure et
fit aíusi converger ces éléments hétérogenes, vers
un centre commun : l'unité impériale et monar-
chique , symbole de vil'; qu'il ne faut pas confon-
dre avec I'uniformité , symbole de mort. .Ta-
loux de son pouvoir, il craignait d'cn confier une
portion trop considérablc á ses rlélégués, de penr
qu'ils 11e le compromissent: aussi mit-il plusicnrs
comtes, partout OÚ il n'y avaít qu'un seul duc : cal'
l'uutorité de ce haut fonctionnaire se trouvait déjá
si grande, qu'elle lui parut suspectc. Non-seule-
ment il imposa l'obligation morale du serment aux
possesseurs d'alleux et de bénéfices, suzerains daos
leurs domaines, pour mieux lescontenír dans l'I~lat;
mais encare aux hOml11C5 libres, pour les préserver,
par sa propre Souveruineté, de cette horrihle ty-


(1) Ancillou, 'l'U{¡{CUIl acs rccol. da susto potit. de I'EIlI'O))('.
rom, 1". Inlrod,




- 181 -


runuio que la nl'~l)\lhlique Iéodale devait orguuiser
aprcs Iui , grúce il la faiblesse de ses succes-
seurs, sur les débris de leur puissante Menar-
chie,


C'est dnus ce dessein qu'Il diminua, autant que
[rossiblc, la prépondérance des selgneurs , couitcs
ou leudes; et qu'il multiplia les droits, les Iran-
chises du peuple, en l'appelunt fréquemment duns
les ussemblúes nutionalcs, dont il Iut, sinon le créa-
teur, du moins le restaurnteur. Autrefois, sous les
Mérovingicns, on convoquuit la nation, soit dans
les foréts geriuaniquea, soit aux Champs de Murset
de Mui, « paree qne tout ce qui regarc1ait la súreté
commune devuit étre examiné et réglé par une
délíbération commune (1). » Mainteuant , la
vastc étenduc de l'Empire ne permet plus d'em-
ployer un moje pareil de représentation. a Aussí
Charlcmagne Iut-il lc prcmicr , dit Ancillon, qui
concut l'heureuse idée de [aire représcnter le peu-
pIe par des députés pris dans chaque arrondisse-
ment: idée lnconuue aux unciens et qui eut beau-
coup d'influcucc sur la forme de gouvernement
des nutions curopéenncs , idéc qui parult ollrir le
seul moyen de clonner au pcuple des droits politi-


(1) .\iIlIUIJ, 1Jr; qcstis FI'W!CUI'lílII.


.'




- 1R:1-


ques, qui assure le concours des lumlercs sans nuirc
u l'uníté d'action, et qui concilie l'orclre ct la li-
berté (1). »


Les formes observées pour la convocation et les
délibérations de ces asscmblécs générales se trou-
vnicnt exposées, d'une Iacon toutc particulíérc,
dans un traité ou Adalhard , abbé de Corbie et
cousin-gcrrnnin de Churlemagne , expliquait le
mécanisme de son gouvernemcnt rcprésentatif.
Ce traité, qui avnit pour titre : De (Irdiue pulatii,
él été perdu : maís Híncmar , archevéque de
Ilheims au temps ele Louis-le-Débounaire et de
Charles-le-Chauve, en a reproduit la substancc,
dans une lettre arlressée aux grunds du Itoyuumc
et qu'on a résumée ele la maniere suivante :


« S'il Iaisait beau temps , on s'asscmhluit quel-
qucfois en plein aír ; sinon il y avait deux salles
principales, une pour les évéques, l'autre pour les
comtes. Il était libre aux deux Chambres de déli-
hórer it part OH en Chambres réunics, JI y avait
encore plusieurs nutres salles pour le reste ele
I'ussembléc, qu'on appelait mil/ores: c'étaient les
notables, les scabiui ou eschcvíns des villes et dis-


(1) Tablcau. des rcoolutions da syslhne llOliIi11lw de tElll'v}Jl}.
rom, 1". lull'od.




- 183-


tricts , qui accompugnaient les comtes ou gouver-
ncurs á l'ussernblée g{~nérale, et dont le nombre,
pour chaque comté, fut successivcment augrnenté,
et eufin porté ú douze par le JI" Cupitulaire de
Louis-Ic-Débonnaire, de l'nn H10. Apres que tou-
tes les aflaircs de l'assemhlée gér)(~rale étaicnt fi-
nies et avaient obteuu la sanction iroyulc , le Roi
complimcutait l'ussemblée sur ses travaux , et, en
la congédiant ou la prorogeant , chargeuit spécia-
lement chaqué mernbre de s'Informer scrupuleu-
somcnt, pour l'ouverture de l'assernblée suivante,
s'Il s'élcvait quelque murmure ou mécontcnte-
mcnt , et quclle pouvait en étre la cause.


-Les alTaires étaient partagées en causes majen-
res el en causes mineures. On réputait causes mi-
neures celles qui concernaient la juridiction des
évéques, la forrnation de l'arméc, sa discipline, le
mode de rccrutcmcnt , l'orgunisatíou des tribu-
naux , le nombre des juges, les regles á suivre dans
lcur élection, etc. Les causes étaient majeures
toutcs les Iois qu'ñ raison du progres de la cívili-
sation et de l'industrie , on croyait nécessaire de
[aire quelques chnugements il la loi salique , au
codc des Ilipunires ou des Buvarois,


-Les asscmblécs nationales connaissaíent des




- 18[~ _o


causes mincures el les réglaicnt rcules par des (je-
tes législntifs qu'on nppelait des Capitulaires. A
I'égard des causes mujeures, les formes étaient
bien autrement solennelles; la loi était d'abord
ródigée en simple projct. Ce projet était adrcssé ü
tous les gouverneurs, alors connus souslc nom de
comtes: chaqué comte assemblait lcs j uges, les
administrnteurs , les notables dc son comté , lcur
exposait le projet, recueillait leurs suffragcs el le
portait it I'assernblée générulc. VI, les suflragcs
étaíent calculés, et le projet fuisait loi, si la majorité
des comtés l'udoptalt ; autremcnt , il étnit rejctú.


» Telle était l'autorité des dictes générales que
les Rois eux-memes n'uvaicnt pas le droit de Sllp-
pléer , par des dispositions iutcrprétativcs, it 1'111-
sufflsance des actes émanés d'elles. Le plus grund,
le plus puissant d'entre CUX, Charlcmugne, it qui
1'011 demandait si les comtcs avaicnt le droit d'cxi-
gel' un sou pour I'expéditlon de certuins netos, ré-
pondit: « Consultcz la loi salique, el si elle cst
s niuette, adressez-vous it l'nsscmbléc g(~n(~rale.»
(Capit. Vr, anu, 80;), caput. l l , apud EaluZ, 1ib. I.",
pago 20(1.) (1)


(1) Iicnriou tIc Pnnscy. 1/i<\I. des Aom JI/{I/les llflliullu/'os lit
Franca dcnuis i'ctul.lisscmcnt de la Jlullarehie. l'a~. :JI. - l~lü,




- 185-


Suivant Ilincmar, des la convocution de ces a5-
scmblées, Charlemagne proposait les lois dont la
nccessité lui avait été démontrée dans l'inter-
valle des sossions. Il y en eut plus de trentc
sous son rcgnc. Les dietes n'étaient qu'un con-
scil législatif; mais ríen de plus. La loi sc fui-
sait uilleurs , et voicí commcnt : « Que le peu-
ple soit consulté sur les Capitulaires qui uuront
été ajou tés il la loi, disait l' E111 pereur ; et lors-
qlle tous aurout donné leur nssentimcnt, qu'ils
upposent sur les Capitulaires leurs suscriptions
et lcurs adhésions (1). » De la cette maxitne
Iondumentale de notre ancicn Droit public : el La
- loi derivo de la constitution du Roí et du censen-
)) tcmcnt du peuple, - le.e C.C constitutioue reqis el
i COJlSCJlSU ¡Jo/mli (:2). - Quand elle étuit acceptée,
le comte Pul.uiu, et plus tard le chancelier, en re-
mettait copie aux commissaires royaux et aux ar-
chevéques, afin qu'ils la publiusseut dans les as-
scmblécs provinciales. Ainsi la vie politique ou col-
lcctive , a luqucllc purticipait chaque homrne libre,
ctui t graduellernen t organísée en représenta tions
locales ou géuéralcs, sur ton te la surfuce de l' Empire.


(1) .\l'll(ll:alllz. Capil. JIr. Auno 1)0:;. CilPUI. l!!.
en Ilalüz, Z¡cglllH Fruncorum ccqtituturiu pra],




- 186-


La classe des hommes libres, composée des pe-
tits propriétaíres, avait done une influence positive,
it colé de celle des nobles, reuferruant les grands
propriétaires, ecclésiastiques on séculicrs, II n'en
était pus de méme pour les esclaves ni pour les
uflrunchis : ceux-ci dcvaient ú leurs anciens muí-
tres des prestntions en nature ou des services per-
sonnels, quelquefois les uns et les nutres; mais ils
ne jouissaicnt jamais de leurs droits civils qu'apres
la quatrierne généra lion; ceux-la ne pouvaient in-
troduire leur esclavage dans l'État, mais ils n'é-
tuicnt pus sans liberté chcz eux. On les rangcait
d'aillcurs en plusieurs catégories : celle des lites,
ou de ceux qui Iaisaient valoir un fonds quelcon-
que, ü la charge sculemcnt d'un ccns ou ele quel-
ques corvées; eelle des lasscs, ou ele CCllX qui tra-
vaillaicnt pour leurs mattres, milis conservaient
leurs (;C0I10;¡ .ics ; eelle des scr]« ou paysans, ct celle
des serfs proprcmeut dits, attachés h la gl(~he, sous
quelque condition que ce fút, et qui nttendaient
lcur affrnnchlssement non pas de telle ou tclle loi,
non pus ele tel OH tel Monarquc, mais de leur pro-
pre mérito et de la gracc de Dieu !


Heureux de provoquer l'un el I'autre, Charle-
rnagne répandit tous les genres de culLure dans ses




- 187 -


vastos I::tuts, soit un moyen des Capituluircs, por-
tant l'empreinte de la plus haute raison et du sen-
timent si cxquis qu'il parui¡ meme puéril a[orce de
sublimité; soit au moyen eles écolesqu'il construisit
elans les cloírres et dans toutes les églises colIégiu-
les, OlI le peuple vint apprenrlre, chaque jour, a
lire, ú écrire, b. chiílrer, iI chantcr et b. fonder sa
propre dignité sociale en accomplíssant progressi-
vemcut, par son inteIligence, l'rcuvrc de su n~g('~n(~­
rntion morule et politique GU physique, nyant le
christianísme lui-méme pour institutcur l


Quoique les historiens morlernesaicnt bien sou-
vent cité un pussagc du Moiue de Saint-Call qui
prouve b. quel point CiJarlCill:lgnc se préo ccupuit
de l'enseignerncnt public, nous le citcrons une Iois
de plus; cal' le vicux chrouiqucur [WUS revele ainsi,
non-sculement le caractere propre de ce princc.:
mais encore celui de son gouvorncmcnt.


• Le Roí, dit-il , partant pour ses guerres, confía
ú Clément un grand nombre d'enfants appartcnant
uux plus nobles Iarnilles, aux familles de classe
moyenne el aux plus busscs ; afin que le maitre et
les eleves ne munquasscn t point el u néccssa irc, il
ordonna de Icur Iournir tous les objcts nécessaires
il la vie et assigua pour leur habitation des Iieux




- 188-


commodes.•.• Apres une longue absencc, le tres-
victorieux Charles, de re tour dans la Gaule, se íit
amener les enfants rcmis aux soins de Clémeut et
voulut qu'ils lui montrassent leurs lettres et leurs
verso tes eleves sortis des classes rnoyennes et in-
féríeures présentéren t des ouvragcs qui passercnt
toute esperance, et ou se fuisuient sentir les plus
douces saveurs de la science , les nobles, au con-
traire, n'eurent aproduire que de íroídes et misé-
rabIes pauvretés. Le trcs-sage Charles, imitant
alors la jnstice du souverain jugo, separa ceux qui
avaient bien fait, les mit ¡\ sa droite et leur dit :
« - Je vous loue beaucoup, mes enfants, de votrc
»zele ¡\ rcmplír mes intentions et it rechcrcher vo-
» tre propre bien de tous vos moycns, Maintcnant,
»eflorcez-vous d'atteindre iJ la perfection; alors jc
» vous donnerai de riches évéchés, de magnifiques
»abbayes, et vous tierulrui toujours comme gens
»considérables á mes yeux. '1 Tournant ensuite un
front irrité vers les eleves demeurós ü sa gaucho,
portunt la terrcur dans leurs consciences par son
regard enflammé, tonnant plutót qu'il ne parlait,
il lunca sur eux ces paroles plcines de la plus amere
ironie : « - Quant á vous, nobles, vous, fils des
s priucipaux (le la natiou, vous, cnfuuts délicats et




- 189-


l) tous gentils, vous reposant sur votre naissance et
¡¡ votre fortune, vous avez négligé mes ordres et le
» soin ele votre propre gloire dans vos études, et
» préféré vous abandonner ala mollesse, au jeu, a
~ la paresse ou ade futiles occupations. »- Ajou-
tunt ú ces premiers mots SOll serment accoutumé,
et levant vcrs le ciel sa tete auguste et son bras
invincible , iI s'écria d'une voix foudroyante :
« - Par le Roi des cieux, permis a d'autres ele
)) vous admirer, je ne fuis, mol, nul cas de votre
»uuissance et de votre beauté; sachez et retenez
)) bien que si vous ne vous hatez de réparer par
) nne constante upplication votre négligence pas-
), sée, vous n'obtiendrez rien ele Charles ('1) .•


Aiusi, devant Charlcmagne, le mérite, le savolr,
la vertu, l'intclllgeuce, tout ce qui fondo la dignité
morale de l'homme dans la société, et par consé-
quent les supériorités humaines proprement elites,
étuit seulement un titre de grandeur réelle el
legitime. Il le constatait Iiautement er le recon-
naissait d'une maniere [uridíque, en donnant aux
individus qui obtenalent ces qualités distinctíves,
ncquises et non trunsmises, un libre acces a ton-


(1) \1. (;lIizot, Collc«. des 11,'/11. rclat, ú CHist. de Frunce de-
])/tis /0 [andation de /11 lIul/w'¡'/,i" [runc, jIlSI/U'W! XIII' sicrl«,




- 190-


tes les conditions, lt toutes les dignités et atoutes
les distinctions sociales. Car en sa qualité de chef
du Suint-Empire, c'esta-dire, né lloi hérédítaire
par la grúce de Dieu, et devenu Empereur électif,
par son propre mérite, il avait contraeré l'obliga-
tion moralc d'en fuire le partage ou la récompense
positivo des hommcs véritablement supérieurs, Agir
de la sorte, c'était constituer le droit d'égalité poli-
tique, a cette époque d'inégulitó brutale , c'était
devenir l'embléme d'un grand développcmcnt dans
l'état général des personncs conduites vers l'émun-
cipation , en un temps d'oppressiou íudivlduelle ;
c'était eníiu organiser sur une éclielle sublime la
noblesse de l'intelligeuce, pour contre-balnncer la
nob lesse du sang ; et créer dans le présent un but
triornphunt ü la dóruorrutic, qui dcvait se générer
elle-merne pcn ü peu dans l'avcnir, politiquement
el spéculativement parlant, sous les yeux de l'aris-
tocrutic stupéfaite, qui devait u son tour, et par
inertie, dégénércr d'elle-rnéme progressivement,


par cela seul que s'il est privé des facultés moru-
les, iutellcctuellcs, spoutanécs et régénérulrices,
l'hornme aucien ne peut en aucun cas se truusfor-
mer en houimc nouvcuu.


L'cntrctien de Churlemaguc avcc les enfunts as-




- 1.91 -


sis sur les bancs du collége, avait done une portée
iucalculuhle ; car il cxpriruait une grande loi qui ré-
git les sociétés humaines et que lesprinces ont trop
souveut méconnue.Quoiqu'il ne l'aít considéré que
sous un point de vuc puremeut rclatif', M. Lauren-
tie en a constaté I'importance. " 01', dit-il élo-
qucmrucnt, cettc pcnsée d'équité a un curactere
plus générul et plus profond qu'on ne l'a SOUP(?)I1l1(~
peut-étre. En uffermissant la prééminence des ver-
tus populaires , elle consornmait la dornination ele
la Caulo sur la conquéte ; elle rétablissait l'action
naturellc de la patrie sur elle-mémc. Ainsi la poli-
tique royale s'ímplantait dans le sol par la sciencc
et par les ídées, comrnc elle s'y était impluntée
par la j ustice et par les lois (1). )l


Mais, dirá-t-on : " Ce sont lb. des insplratíons du
. génie, exceptionnclles el Iugitives! ~ Nullement,
Et d'abord qu'est-ce que le g'énie, sino n la faculté
que Dieu donne á l'homme de s'éléver, par son
propre mérite et par une grúce providentielle, a la
C,Jl1 naissauco eles é: léuicn b élbsolus de toute créa-
tiou ? Ace cumple, Chnricmuguc lJe Iut, dans la po-
sition suruaturcllc qu'il occupa uaturellement daos


(1) I'ulilillllc I'O:f(lf,· (11 [<'!'IIJ:G!. la:. 22.




- 192-


le monde, un homme de génie, que puree qu'il
cut la révélation intime, positive et rationnelle, de
tout un sysiéme de vérités gouvernementales ou
pratiques ineonnues avant lui; et qu'en les réali-
sant avec le titre de Roi EL d'Empereur, au seín de
l'Europe, il dut en étre logiquement consideré
comme le créateur. Ce systeme de vérités, base
ímmuable de son pouvoir monarchique, devait étre
foulé aux pieds par ses successeurs dégénérés, quí
substítuerent leur inertie destructivc ü son actl-
vité créatricc. Mais s'Ils répudiórcnt cet héritago
auguste, ils en furent cruellement punís. Leur
autorité s'écroula SOllS les coups de la force maté-
rielle indisciplinée , paree qu'cn détruisunt la peno
sée de Charlemagne, ils avaient mutilé l'esprít
humuin, dont la tcndauce est de cherchcr toujours
tI se compléter. De la vient que rien de ce qui est
légitimement acquis a l'humanité, dans le do-
maine moral ou posltif du bien et du vrai, ne suu-
rait se perdre jamais , c'est impossible, muis peut
quelquefois étre neutralisé, d' une maniere ou d' une
nutre, ce qui est tres-possiblo el ce qui devicnt
alors la cause rée\le de ces révolutions terribles
qui changent la forme et le génie des empires ,
ou la barbarie n\¡lgil centre une civilisation dif-




- 193 -


forme, dont les destinées se trouvent absolument
compromíses.


On le sait : Charlemague, dans les derníeres
années de son régne, versa des larmes ameres, en
songeant au sort que ses enfants allaíent faire ases
sujets, Apres avoir consacré toute sa víe á consti-
tucr l'unité morale ct politique de l'Europe, il
assistuit J(~ja, par la pensée, au morcellement de
son vasto Empirc, s'écroulant apres sa mort sous
les coups de l'unurchic, qui devait placer, á cóté de
son torubeau impériul , le berceau de la Iéodulité,
c'est-a-dire, le désordre unlversellement organisé
sur les ruines de l'autorité monarchique et des li-
hertés populaires 1 Le moine de Saint-Gall nous re-
presente l'Empereur appuyé au balcon d'un chá-
tea u el'ou ses rega rds s'étcudeut sur la mer et disant
ú ses Leudes: (( - Savcz-vous pourquoi je pleure ?
Ce n'est pusque je cruigne ces gens-la; mais je m'af-
ílige de ce que, moi vivant, ils aicnt osé aborder
sur ce rivage : et ma douleur est d'uutunt plus
grande que je preveis cambien de maux ils cause-
ront ames fils et á leurs peuples, »


En s'adI'CSS,IllL ainsi aux ofliciers de la couronne,
Charletuugnc ue dévoilait ccrtainement qu'uue
partic <le S('S anxiétés ; cal', Ú vrai dire, il craignait


i. U




- 1% -


heaucoup plus ses propres Leudes que les Bar-
bares; ou mieux, les euncrnis de l'intérieur que
les ennemis de l'extérieur, Son esprit pénétrant
n'avaít pas manqué de reconnuítre, comhicn les
grands étaíeut portes aattircr á cux toute la pro-
priété, soit en dépouillant par la fraude ou par la
violence le petit peuple qui rlépcnduit d'eux, soit
en le surchargeant de corvées et de scrvices mi-
litaires, afin que, réduit aux ubois , il préíérüt
la servitude a sa liberté. Pour réagir con tre cettc
Iatule tendance, l'Empereur, non conteut de sub-
stituer les comtes aux ducs el de rcstrcindre leur
pouvoir, limite de plus en plus le re5501'1 de km
jnrklictlon pOllI' agrundir celui de son gouverue-
mcnt. Il erée l'offiee protecteur et populuire des
envogés rouaua:, missi domiuici, ct d'gllJarise leur
action, qui obtient na turellerneut plus d' i In por-
tunee et plus de généralilé que cclle des conues,
s'cxercant sur telle ou telle localité distincte. En-
fin, l'Empereur désíre tout voir de ses proprcs
yeux, étaut persuade qu'il faut tout counní-
tre, alors qu'on veut bien gouvcrucr, A cet
eflet « il parcourut sans cesse ses provinces ,
daos toutes les saísons ; ses eunernis Ú chaqué
instaut pouvaient craindre Sil présence , et Sf~S




- 195 -


sujets pouvalent tonjours l'espércr (1). »
Cette pensée d'ordre et de liberté, dont l'auto-


rilé de Charlemugne fut la mervcilleuse expression,
éclate surtout dans l'économie des Capitulaires ou
ríen n'est épargné pour que toutes choses, pollee,
commerce, arméc, j udicature, industrie, admí-
nistrution publique et prívée, aillent au memo
but : La [ustíce et la súreté universelle. Reveta
du pouvoir supremo, en sa double qnalité ele Roi
et d'Empereur, non-seulernent il avait le droit ele
battre monnaie, de coníérer les bénéficcs, de
nommer les comtes, d'euvoyer des commíssai-
res el d'iustaller les évéques élus : mais encore
colui de commander les arrnées actives, de COIl-
voquer les assernhlées délibérautcs, et ele juger,
soit les causes peu importantes par appel des
cours inférieures, soit les causes mnjeures,


Les comícs l~laicnt, par délégution royale, chefs
civils ct milituires de leur elistrict. Ceux de la fron-
tiere, plus considérés que ceux de l'intérleur, a
cause (le Icur positiou plus ou molns mcnacée par
l'eunemi , prcnaieut le titre de margraves, exer-
crient une autorité supéricurc, et se trouvaient a


(I)\ncjllon, 'I'llf¡fI'llIl tlrs /'I.:C. du ",/}St. potit, de 1'J"llI'O¡IC. TOIll.
1 "~'o : nlml!.




- Hl6-


la tete de forces plus considerables. Aureste, cctte
charge, non héréditalrc, obligcnit le comte ü con-
server la fidélilé envers le Roi; a rendre la justice
conformément aux loís générales et aux coutumes
particulieres ; a punir les malfaítcurs quels qu'ils
fussent; a protéger les gens de bien, les Iaiblcs el
les opprimés; et apercevoir les taxes dues au fisc
destinées al'entretien des arrnées ou de l'adminis-
tratíon. Les eomtes n'exer caient de juridiction di-
recte que sur les villes OU ils résiduicnt , cal' il y
avuit des vicaires dans les bourgs, des ccntcniers
et des rlixuiuicrs dans les carupngucs, pour rcmplir
les fonctions de juges. Toutefois, leur scntcnce
devait erre portée dcvunt le comtc, Iorsqu'!l s'ngis-
sait de la liberté ou de la propriété des citoycns,
dcvant le comte pulutin , sorte de ganle-dcs-sccallx,
puisqne le chancelicr était sous lui, qui intcrpré-
tait ou couciliait les Iois, pour eles causes graves;
enfin, devant le Roi el son conscil, pour les plus
im portan tes.


En sa qualité ele magistrat supréme du district,
le comte occupait les fonctions ele ministcrc pu-
hlic et de prósidcnt ; rnais le j ugement était réser-
vé udouze asscsscurs OLl échevins, scabini, choisis
par le peuple duns le nombre des propri(~laif'(,.s de




- '19¡-


la ville, ct qui pouvaient étre destitués par le
comte, en cas de forfaiture oud'indignité. Ce der-
nier résumait les voix du tribunal, prononcait les
sentcnccs el veillait ü leur exécution : aussi était-
il ü la Iois, oíllcicr civil el ofllcier militaire,


De tout temps la justice a été représentée ici-
has portant un glaive d'une main, el de I'autre
une balance.


Les propriétaires terriens remplissaicnt l'udrui-
nistration judiciuire el l'arrnéc, qui se rasscm-
blait ü l'ordre du Mouarque. « Les riches marchaieut
en personne , et leurs terres étaient cultivées par
leurs serfs. Ccux qui n'en possédaient pas, con-
tribuuicnt, selon leur forLune, il I'équipement eles
autres. On faisait des approvisiounemcnts pour
trois mois, Quiconque ne venuit pas se ranger sous
la banniere, était coudaumé ü une amende. Les
habitants de chaque comté étaient conduits par le
comte, ils combattaient en raugs serrés: les armes
étaícnt la lance, l'épéc, le bouclier, l'arc el la
Iléche ('1). »


00 le voit Charlemagne ne faisait point de
l"Élat impérinl une contreíacon de l'Église. JI


(l)\II:'t1IUJI, '(a/)Icau deo ICC. du,\!Jst. ¡Julit., de 1'J:;urope. 'I'om.
1u, lulrod.




- 198-


lui avait emprunté son esprit (le bienveillance ,
d'égalité, d'unité, de progres : milis il avait laissé
subsister ton tes les formes diverses qui marquaien t,
dans chaque État, la transition graduelle de l'un-
cienne civilisation a la nouvelle sociahilité. Le
mécanisme de son gouvernemcnt, simple ici et lit
compliqué, imprimuit partout néanmoins la méme
direction supéríeure et salutaire. C'est ainsi que
I'Empereur était le résumé vivant de toutes les
forces motrices de l' Europa et qu'il en facilitait
l'expausion universelle : mouvcment nécessaire
que Dieu lui-mérno imprime a l'humanité, sans
faire violence ason libre-arbitre.


Cornprenrl-on, muintcnant, toutcs les tortures
inorales vque Charlemagne dut éprouver, alors
mérue qu'il réalisait ses plus beaux actes consti-
tutifs, á la seule pensée du démembrcment futur
de son Empire, qui devait provoquer, apres lui,
dan s I'histoire, une halte si fntule aux destinées
hmnaines? Quelque temps avant sa mort, il ré-
solut de prévenir cette catustrophe, en divisant
l'Europe entre ses cnfants: cela tranquillisa les
dcrniéres années de sn vie, " En gOG, il Iit entre
ses troís fils le partage de ses Etats, appuyant cet
acte de prévoyauce sur les uiotits les plus géné-




- 199-


rcux, 11 u'agit ni paramour désordonné de son sang,
ni par une vaine saillie de toute-puíssance, mais
dans l'intérét avoué des populatíons, pour éviter
la confusion et le désordre des guerres civiles.
Tout était prévu ; le partuge -de chacun des trois
Ilois avait pour base, non-seulement la volonté
souveraine, rnais la convenance des nationalités
diversos, et jusqu'á la configuration du sol. .. Si le
monde civilísé avait pu étre renfermé des-lors dans
ses limites et dans ses divisions naturelles, confor-
mément au cours des íleuves, a l'enchaínement
des moutagncs, U la súreté des ports de mer; si
les premiers Carloviugiens avaient tracé et main-


tenu au eentre de l' Europe, trois ou quatre grandes
divisions territoriales, gouvernées par des dynas-
Hes cousanguines, mais indépendantes et séparées;
sans doute un te! ótahlissernent aurait été moc1ifié,
houlevcrsé mémc plus d'une fois au gré des révo-
lutions; mnis leur choc n'aurait pas brisé su so-
lide charpente, puisqu'elle a résisté a la féodalité
méme. Alljourtl'hui, on retrouve encore ces trois
graudcs divisions primordiales et nécessaires:
Frunce, Italie, Allcmagne (1). n


(1) A. de Suiut-I'riesl, lJ ist. de la nuyaule. JU!lJ. 11, pago 340-
37;).


-,


-,




- 200 -


La Providencc ne pcrmit ¡as que ce parlilgl~ de
l'Occident produisít iunuédíatement ses résultats
civilisateurs. Des troís fils de Charlemugne, un
seul devait lui survivre : Louis, auqucl I'histoirc a
donné les deux surnorns de Pieux et de Débon-
naire. Ohligé de maintenir l'unité européenne,
apres ce premier essai de division, l'Empcreur
esssaya du moins de donner ü l'Empire le caree-
tere d'héródité qui est inhércutú la Royauté. Apres
avoir réuni évéques et abbés, comtes et vicaires,
tous les grauds dan s son palais d' Aix-la-Chupcllc,
il eut un eutretien honuéte el pacifique, - pacifice
el honeste, - avec chacun d'eux en pnrticulier ,
dcpuis le premicrjusqu'au deruicr, et leur demanda
s'ils trouveraient bon qu'i1 communiquát ásou íils
Louis le titre impérial. Ceux-ci ayant approuvé la
sagesse de ce dessein, le dirnanchc suivant, Louis
vint prendre la couronne sur l'autcl de la cathé-
drale, en présence du clergé, des palutins el du
peu pie, qui entenclirent Charlemagnc Iui recom-
mander, en ce moment solennel, de ne j amais ou-
blier ce qu'il devait it DiCLl el ¿lUX honunes, aux
prétrcs du Seigneur, ü ses sujets ct ü su propre
Iarnille. - Ce Iut le dernier acle de su vil' d'Em-
percur, mais non pas ele sa vic de chréticn (813).




- 201.-


Quelque tcmps aprés , Charlemague , ágé de
soixaute-quatorze uns, se sentit pris d'un freid gla-
cial en sortunt d'un bain•• 11 comprit sur-le-champ
»ce qui allait advenir de luí. - Scieus filiad [actutn
crat. »- S'étant étcndu sur sa couche, il manda son
autnóuier, rccut les sacrernents, fit le signe de la
croix et Ierma les yeux, en disant : « Seigneur, je
» rcmcts mon ame entre vos mains. D -C'était l'es-
prit c1e la monarchie universelle qu'il rendait au
Créateur! (28 janvier süh.)


En cfTel, lorsqu'il fut tombé, le mouvement qu'Il
avait imprimó u toute la clvilisation européenne
cessa, Tou te penséc consti tu tive allai t étre écraséc,
sinon anénntie, par des événeuients dissolvants.
tes invasions des Barbares que le graud Ernpereur
avait contenues durant si longtemps, et, qu'avcc
rnoins de prévoyunce, on aurait pu croire flnics,
recommencéreu l uvec les S ormands.d' un cóté, nvec
les Sarrasins, de l'uutrc , et les nutions civilisées
qu'ils ne parvinrent pas usuhjuguer, au milieu de
ceue réaction, recouvrerent leur indépendance ou
en concurcnt l'espoir. Enfin la Iéodulité, derníer
tcrme de la división mouarchique OÚ l' Europe al-
lait se perdre, succédant au premie!' élablissemcnt
de l'uuité impórialc (1'1i guranli:;saiL le salut COIll-




- 202-


mun, fut acceptée, a la snite de mille bouleverse-
ments, malgré son odieuse tyrannic, par les Ilois


aussi bien que par les hommcs libres, sinon commc
un hienfait, du moíns comme une treve que la Pro-


videnee leur accordait daos le présent, afio qu'Ils
eussent le temps el I'occasion de se [aire un
meilleur avenir, en rcconvrant lcur liberté.


Tout ce qui vivait de la vie propre de Charlema-
gne mourut done avec lui et de sa propl'e ruort,
g Ce fut peut-étre le honheur de l'Europe ,


dit un écrivain-homme d'État (1). ~ Peut-étre ;
mais ce bonheur ne se réulisa qu'upres bien des ca-
lamités. Le sort du monde chréticn ne pouvaít
plus, il est vrai, dépendre d' uu scul homme, quel-
que grand qu'il fút. L'Empire de Charlemagne s'é-
croula sur son cercucil, comme au Xl\:C siécle I'Em-
pire de Napoléou s'écroula sur sa propre fortune,
puree que les destinées générules avaient besoin de
se répartír entre les divers États ou nations dis-
tinetes, nées ou a naítre, égnlemcnt appelées ü
concourir dans leur sphere respective, par leurs
formes, par leurs idées, par leur caractere, par
leur physiouomie, par leur activité, par lcur libre-


(l)\neillun, Tublccut des ¡'Ct'. dú sust. uolii. de tEuro¡«, TUlLJ.
1". Introd,




- 203 -


arbitre, par tout ce qui constitue enfin la person-
nalité morale d'un peuple, aux fins augustes de
l'humanité.


De quelque maniere qu'on l'euvísage, a. son le-
ver ou a son coucher, la figure majestueuse de
Charlemagne resplcndit , comrne le solcil , au-
dessus de toutes les gloires. Alexllndre avait été
le type idéal de la Monurchie des temps puiens ,
Charlemagne fut le type idéal de la Monarchle
duns l'ere chréticnne, Chaque chef de dynastie ou
d'État voulut, soit étre comparé a lui, soit le
prendre pour modele. Louis XIV et Napoléon
prétendirent méme 11 devenir ses successeurs en
Iait de puissance et d'autorité (1); mais ils ne
Iirent (IllC tcuter la Providonce, qui se transforma
coutre eux en futalité l Désoruiais, l'homme aura
beau s'agiter dans son orgueil ou dans son delire,
dans sa Iolie ou daus son iuiquité, le sceptre uni-
versel et le tróne du monde, sur lequel Charlema-
gne fit fleurir la victoire et la puix, le travuil et les
urts, l'industrie et la pensée, n'appartient plus


qu'a Dieu!


(1) vnir lesr J/,IlVJ'('S (1t; \apo](501l elle Jh'moJ'ill/ de Saiutc-Ile-
lau: par le comte de Las Cases,






CHAPITHE vt.


cJlrn: m: l.'¡nrl'rIlE J)'UCCIllE.\T ET .\n~.\E3[E.\T DE LA
M \ hU\ IlOL\LE DE FH.\.:'íU:.


Sommaire,


Louls-le-üchonnairo 0\1 Ir Pieux couunence dans les prospérités un
l'i'gnr qui doit fluir dans la désolution, - Le Pape, les I\ois el les
pl'upli's lui romlcnt llOIlllllage. - ~on caracterc, - Il partnge
\'ElI1l'ire enll'i' ,1'S lrois ílls, pour comhiner le systerue de división
mnnarchiqu« adoptt'> panu! les \lél'o,ülgiens, avec le systeme d'u-
!lit,' illq)i'~l'iale. - li(',olle de BCl'llal'd, I\oi 11'llalie. -- Sa mort, -
Lothnir«, lli"jh\ugl1,;lt" prcnrl son titr« el ses l~tats. -Louis-le-
l)l'b(llluaiJ'(~ avilit I'alilorité 8111'),("111'" - Son l!lal'iage avec Jutlilh,
qui lui donnc UII quatrieui« Iils : Charlcs-le-Chnuve. - HelllaJlie-
111('111 territorial ele I'Ellipire pour lui creer un 110m can Jloyaume.
- li"rolles JllolÍ\i'es des Irois nutres Hoi" ses enfauts, - Les
!wl1ples cUllquis par ClJal'll'lllilglle connnenceut a secoucr leur
joug. - L'Fmpereur, prisouuir-r ele Lotliaire. - .\Jallifi'ste
eles éveqm's el des grands qui inviteut le peuple á comhat-
11'0., daus les raugs ele l'iusurr.-ction. pour Dicu, le Iioi I'{
lu .1l0l/{{¡'clde. - Le Pape, I.othaire ,I'epin el Bel'l1arel, á
nuLhfdd. - 1)t"TlIlsilion de Louis-le-l rébonnairo. - lléaction.
- Louis-le-Débounaire rcprcnd le sccptre. - Autres partnges
el aulres réhellions, - Lothaire , ernporcur. - Guerre entre
li's quatr« fr.\rps, souvcruins, - Bataille de Foulcuay. - L'EI1l-
pire psi atlalflll' par le Bretons, les \orlllal1 ds, les saxons et les
~arrasi;ls. - 'l'ruil: el,' "l']'(IIlII. - Alliance ollcusive et déícusive
entre le" l\oisell'Eulfwrelll'. - F('odalill'.-ConfliL Pl1lre Charles-le-
Cllallle el Ll I'apallll\. -- J'1'l'llIii~rc's libertes dc l'f~glisc gallicane
fOl'llllllt',p, p;JI' l liurmar. _. Charlus-le-Chauvr , EIII])('I'CIII'. - I'ro-
gr"s di' la fl'ollalill'. - Les Ilcfs del'iellnPIlL héréditnircs, -
],;1 3loll'lrchie redovicnt élec:live. - Louís Tri el Carlomnn
sOlll ,'1l1s par I'iutlucncc elp uugues-le-urand el dl~ Bozoll.-


..




- 206-


- Tnus les peuplos élisent des nois nnlionaux, - E\IIle~,
lihéraleur de Paris, Hoi de Franco. - Aruold, lioi oc (:el'-
maule, - BOZOIl, ltoi de l'I'O\'('l1cc. - B('hahilitatiol1 ¡le Charles-
le-Simple. - Élcctiuu de Bollerl, COI1l'OIlI1I" il ~oi"ons. - 1rugues-
le-Crand rcfuse lrois fois le sceptre, qu'il donnr II Iiaoul, il Louis-
d'outremer el il Lnthairc. -lonis-II'-Failll'anl l,\gul', en mouranl,
le tróne iI Hugnes Capet, - Avénemcnt (le la truisieme raee. -
- Origine de la ~Iaison royale de Franco. - ldcntification du
peuple el du Hoi dans un hut d'vma ncipation, ele pl'ogl't·s el (le
lihert« univorselle. - Série dus Ellljlerellrs et ltois d'Italie carlo-
víngíens, - Série des Itois de Franco carlovingieus.


Lorsqu'un homme apparait dans le monde pour
y remplir une grande mission provldcntiellc, Dieu
qui l'a choisi, soit parmi les princes héréditaires
ou électifs, soit parmi leurs ministres, soit dans la
foule, afín de prouver toute la hicnvcillunce qu'il
porte a. l'humanité, mesure la force et I'intellí-
genee de eet honune au degré d'ünpulsíon qu'il
veut donner aux peuples, Aussi cst-íl rare que
le mouvement qu'il leur a imprimó durant sa
vie, s'arréte ínstantanérnent apres sa mort.


L'Empire eréé par Charlcmugne, n'échappa point
a. la loi commune. Quoique cet élu de la Provi-
dcnce n'eút pas transmis sa propre fortune á
l'héritier de son autoritó, l'élun qu'il avait Iait
prendre, aux nations et aux individus, étaít si con-
sidérable , que son génic, survivant Ú sa personne,
fut assez fort pour protéger, quelque ternps en-




- 207-


core , la faiblesse de Louis-Ie - Déhonnaire. En
Iavorisant l'expunsion générale et rationnelle de
tous les nobles sentiments du síécle, il avait telle-
ment activé le progrés au seín de l'Empire, qu'il
semblait a l'ubri de la décadence. D'ailleurs, son
SlICCCSSCllr était si bien habitué ú voir marcher ou á
fuire niarcher lui-mérnc houuncs et choses cnavant,
qu'il auruit Iallu ótre doué u'un esprit vraiment
prophétique, il l'iustur de Gracioso, évéque de Ila-
vcnn«, pour prévoir tant de retours en arriere, qui
anéantirent 1:1 puissauce morule de l'Empereur et
compromirent Iatalement l'cxistcnce de sa Monur-
chic uni versclle,


« En ce tcmps-la, s'écrinit Gracioso, pelJ de
temps uprcs la mort de Charlemagne, l' Empire s'en
ira en morccaux , surtouL par l'ceuvre de ses habí-
tants, et la g'llCITC se ructtra entre eux. La métro-
pole du monde sera assiégée, ses ennemis la Ioule-
ront aux pie.ls... Alors les chrétiens devícndront
trlbutaíres (1' au tres ehrétiens, et aucun n'éprouvera
de pili(~ pour son prochain ... des nations incon-
nues, ubordunt sur les coles, dévasteront les cam-
pagues ... la ruce d'Agnr s'élcvera de l'Orieut pour
dilapider les villes ruaritimes ; el il ne se trouvcra
pcrsonue pon!' la chusser, atlendu que duns tous




- 2ÜH -


les pays de la terre, les Rois seront indignes et op-
presseurs de leurs sujets, L'Empíre des Frenes pé-
rira, et les Rois s'assiéront sur le tróne impériul,
el toute chose ira de mal en pis, et les serviteurs
l'emportcront sur les maítres, et chucun se con-
fiera dans sa propre épée; il ne restera plus sou-
venir des ancíeunes ínstitutions , chacun s'urran-
geant pour cheminer dans les senticrs de l'impiété.
La justice sera méconnue , les jugements ini-
ques ('1)."


Néanmoins, Louis, encore fidelc á la polítique
de son pere , commence dan s les prospérités un
regué qui doit finir dans la désolatiou. Tous les
peuples de l'Europe ont preté rol et hommage it
l'Ernpcreur ; cal' nul n'ose por ter ornbrage a son
autorité, pas memo le pape Eticune 1Y, succes-
seur de Léon l l l , Aprcs avoir Iait jurel' au peuple
romain íidélité ¡'¡ la personne iuipériule , ce Pontife
ne se contente pus de luieuvoyer des ambassadeurs,
pour s'cxcuser de ce qu'il a pris la tiare avant que
Louis eút confirmé son élection; mais il vieut lui-
mérne le sacrcr á Iteims et luí dire : « César, Itome
» t'cnvoie les préscnts de snint Pierre ; ils sont dignes
» dII pius di gne, et tu les méri tes, Voici la coman ne


(1) \pwlllls. ui. ]JlJllri(. pal(. 1RO.




- 209-


ji d'or et de perles qui appartint autrefois á Cons-
» tantin. "


Deux tronos avaient éié plucés cote á cóte pour
cette cérémonie imposante , ils étaient également
splendidcs , maís ínégalement élevés, Le Pape
s'assi! sur le plus petit , l'Empercur sur le plus
grund, comrne seiqucur et maure de Iiome ~ comrne
[/ow'C1'IUlJIt te siéclc el connne auan: autorite sur le
uunule CIl riel' (1). Louis recut humblement ces ac-
clamations proférées par Étienne; puis, iI deseen-
dit du tróne, et se jeta aux pieds du Pontife, qni
mil le diadérnc sur su tete, aprés y avoir ré-
pnrnlu l'huile sainte, Ici , le fils de Charlemagne
rcsseruble Ll son pere ; avec plus de doucenr,
il n'a pilS encere molns de majesté, Ce n'était
point , sans doute , une de ces natures multíplcs ,
complete:", íoudroy untes, qui terrussen tune révo-
lution, lorsqu'elle est debout , ou qui la retardent
d'un sieclc , nussitó! qu'elle veut se faire jour;
c'étuit, au contrnire, un de ces caracteres bíenveíl-
lants, sympathíqucs et vcrtueux ou le sentiment se


(1) l}ui 1'I';;is imperium mundi, sa-clumque gubernns,
()ni ]\(Il!1:I' CCIISCS orbi- habere caput,


Frmoldus '\igl'llns, rurnuu in IWilOl'('1Il Lmtocici, ap. 'I.Ccorge-
JII'III'i I'nlz. 1/01'1111/. GI'I'III. '1'0111, Ir, p:lg. /¡8G.


1. 14




- 210-


développe aux dépens de la raison. 1l est rare que
ce soit une qualité chez l'homme indivirluel, sim-
ple particulier : rnais c'est toujours un défaut ca-
pital chez l'homme d'Etat , chef d'Empire ; cal'
trap de générosíté engendre la faiblesse , et alors
tout ce que perd l'ordrc social est gagné par
l'anarchie.


Tels furenL les résultats du long rcgne de Louis,
que les Italiens ont surnommé le Pieua: - Pio -
et les Francnis, le Débonuaire. Voulant parta gel'
l'udminístration de ses nombreux Élats entre ses
trois Iils, il consulta le peuple au sein d'nne Diete
générale, De l'aveu uatioual.Pepin, son second Iils,
obtint le royaume d' Aquitaine, et l.ouis, son troi-
siéme fils, le royaume de na viere. Lothaire, son
fils aíné, prit sculemcnt la qualité el' Auguste , paree
qu'il était destiné ú portcr le double titre d'Em-
pereur dOccldent et de Iloi d'Itulic, t.pres la mort
de son pere, milis il exerC;<l dcs-lors une supré-
matic positive sur les Royautés accordécs ü ses
íreres. Ce partage avait done pour hut de com-
biner le systeme de division rnonarchique , adopté
par les Mérovingicns , avec le systcrur: d'uniié
impériale creé par Charlemague. La charte de di-
visión - charta dioisiouis - porte expressérnent




- 211 -


que les prínces-rois ne pourront faire la puix ou la


guerre , céder des places ni contracter mariage
sans le consentcment de l'Ernpereur ; qu'il sera
leur héritier, s'ils viennent a mourír sans enfants;
enfin,que leur Royaume ne sera point partagé entre
eux, s'ils en laissent, le peuple devant en élire un,
au nombre de leurs fils, et Lothaire le reconnaí-
tre aussitót, ufiu de lui assurer l'intégrité de son
territoire. Pareillement , si Lothaire vieut lui-
méme il décéder, la na tion seule aura le droit de
choisir l'Ernpereur parrni ses freres (1). Ainsi,
ricn ne semblait oublié pour maintenir l'unité de
l'Erupíre , mais, hélas! tout ce luxe de précautions
dcvint bientót inutilc; cur le moyen que Louis-
le-Débonnaire employait, pour garantir le salut
commun, amena plus prompternent la ruine gé-
nérale.


Cette charte, avait done l'iutention de coucilier
deux principes contradictoires, la di vision poli-
tique et territoriale et l'indivisibilité de l'Ernpíre,
le droit électif ou populaire et l'autorité ímpériale.
A peine cut-elle été solennellement jurée , que
Bcrnard, fils naturel de Pepiu et son rernplacant


(!) [íOIIl I ',O11fJ '1('1, nl'llIlII Ulllfil'ill'liJlI I'l [ruucharmn. scrintorr«,
TOlli, \ 1.




- 212 -


an tróne, poussé ti la révoltc par les seigneurs
lombards et pUl' quelques évéqucs, se declara
d'abord prétcndant al'Empire, en sa qualilé de Iíoi
d'ltalie; puis il arma contre l'Empcreur, malgré
le serment de fidélité qu'il avait prété entre ses
mains, Aprés quelques vuines démoustrations, i!
fut obligéde se [eter aux píeds de Louís, quí Iui fit
gráce de la vie; mais il permit qu' on lui brülát les
yeux , ainsi qu'á ses complices, égulement condam-
nés ti mort par les grands vassaux. Bernard ayant
succombé dans cettc cruelle épreu ve, Lothaire,
déjá associé ti l'Euipire, alla prcndrc possession de
son Iloyaume et se faíre couronner a Ilome (8:23).


Pendant que son fils afilé entrait orgueilleuse-
ment dans les voies de l'uutorité, Louis en sortait
par exces d'humilité ou de repentir. Ileligicux au
poiu t de consic1érer le Clcrgé cornme superieur á
toute qrandeur luunaine, paree qu'il implique la
grandeur divine , il convoque les évéques dans son
palais d' Attign y,ou se trouvaient déjá les nutres sci-
gneurs du Royaume. 11 parut devant eux, non en
Empereur, muis en pénitcnt ; se reprocha d'avolr
gouverné avcc négligcncc.uvec inertic.uvec cruau-
1<~, el en demanda purdon ti Dieu et h la nation.
C'était montrcr ct trop de magnnnil1lité relígieusc,




- 213 -


el trop OC Iaiblesse politique, alors surtout que
toute pénitencc publique, mémc [aite par pure dé-
votion ('1) ,-le sort de Warnba nous en a donné la
preuvc , - rendait íncapuble de réguer, Les
grands, qui avaicnt condarnné Bcrnnrd, virent dans
cct acle une insulte it leur caractcre et une oc-
casion de révol Le; les évéques, eléjh puissan ts, vi-
rcnt, <1U contraire, une sorte d'abdication absoluc
de l'Élat civil el politique en faveur de l'Etnt ce-
clésiustique ; quaut aux íils de Louis, en le voyant
se dépouiller lui-méme eles droits imprescrip-
tibles ele la Iloyautó et avilir la majesté su-
prérne de l'Empire, ils ne le jugerent plus digne
de rcspcct, L'Empereur vcnait de mettre I'a-
narchie dans tous les esprits : elle devait passer
bien vito duus les événcmcnts et précipiter la dé-
cadcncc de l'ordrc étubli par Charlemagne.


Sur ces cntrcfuites, Louis, veuf d'Ilermengardc,
s'était rcmarió avcc Judith. II en cut un quatri-
eme fils, Charles-le-Chauve, pour lcqucl elle
réclama et ohtint, en Allemagne, la constitution


d'un nouvcau Iloynumc détnchó des États de Lo-
thairc. Celui-ci, (Mjú associé ü l'Empire , ne COl!-


(:J) \1. l'abhé 1.osseliu, ¡'olivoi!' du 1'(//11.' 'W IlIOUcll-ÚUC, ele.
pat;, 406.




- 214-


sentituu démembrement de son dornniue (fue par-
ee qu'il était alors occupé, dans Borne, El accroítre
son uutorité, üUX dépens de celle du Pape. En effet,
Pascal 1" s'étunt trop bien souvenu du précédent
établi par Étienne IV, pour ne pus oublier de [aire
confirmer son élection par l'Empereur, uvait pro-
voqué la colere du Hoi-Auguste. C'est ú cctte occa-
sion que Lothaire proclama une charle instituant
des commissaires ex latere imperatoris, el décréta
que la future ordinn tion des Souveruins Pon tifes
ne serait valable désormaís qu'uutant qu'elle au-
rait lieu en présencc d'un envoyé impóriul, Des
qll(~ le Pape eut juré de se conformcr aux principes
íixés duns eette constitution, Lothuire luissa le
gouveruement el le titre de Iloi d'Itulie ú son fils
Louis, pour se reunir á ses íréres avec l'intention
positivo de détróner son propre pére , coupable de
trop favoriser Charles-le-Chauve. Cette guerre
civile servit de signal a la guerre étrangcre. Les
peuples , qui avaient accepté la dornination glo-
rieuse de Cbarlemagne, secoucrent le joug et re-
fuserent d'obéir a ses enfants dégénérés. La pesle
el la Iumine , en méme tcmps que la guerre,
désolerent le beau pays de France , voué au triple
fláuu du Dieu trois (oís Dicu - tcrui terna {lagella




- 215-


Dei (1). - Des prieres et des jeúnes furent 01'-
douués, ct les évéques formcrent un concile pour
trouver un remede u tunt de muux ; tandis que
les princes coalisés , marchant sur Compiegne,
arrétaient l' Ernpereur et le confiaient il la garde
de Lothuire , pour atteudre qu'une asscmblée
uat ionalc eút pronoucé sur su dcstinóe, Muis une
réconciliution Iut ménag.ie entre Louis et ses en-
Iant-, par le Clergé iníérieur. Les chefs de la ré-
volle, grands ct prélats, étuicnt condamnés amort;
Louis cornuiua leur peine et les laissa vivre dans
uu cloitrc : fa lite énorme , cal' ils reparuren t bien-
tul ú la tete d'une nouvclle rébellion , apres un
partage nouveau de l'Erupire. L'Empereur sü-
crifiait encore les intéréts des trois fils de son pre-
miel' lit, il Cburles-le-Chnuve, unique fils du second.


En montrant tant de partialité, le Monarque in-
digna la natiou, L'aristocratie et le huut clergé
chargerent aussitót l'urchevéque de Lyon, Ago-
bard, de rédiger un manifcste de guerre,ou il
accusa la cour de troubler la paix et ou il invita
le peuple u combattre, dans les rangs de l'in-
surrection, pour Dieu, le Boi ella JIonarcliie.


a Juste Seigneur du ciel el de la terre , s'écrie-
(1) Chroniquos da tcnuis.




.- 21.6 -


t-il dans cctte proclumntíon, pourquoi as-tu pcr-
mis que ton serviteur dcscendn ú une tcllc né-
gligence que de ferrncr les yeux aux inaux qui
l'entourent, d'aímer qui le hait et de haír qui
l'aime? Selon des personues bien instruitcs , ii u
pres de lui quelques ambitieux avides d'cxtcrmi-
ner ses fils, el, s'ils y réussisscnt, de s'crnparer de
l' Empire el de se partager le Iloyuumc, qui lom-
bera, si Dieu n'y pourvoit, aux muins des ctruu-
gers, ou sera divisé entre plusieurs tyrans (J). »


Les trois fils d'Ilcnncugarde, se réunissent pres
de Rothfeld, dans la Iíaute-Alsace, avcc des Iorccs
considérahles. Grúgoirc 1V, venu ele ltomc, parait
au milieu d'eux. Lothaire, ostucieux el habilc, C';L
le prcmier de tous les princes qui ait invité [e
Pape a régler ses propres dlflércnds : il e.', 1. vrai
qu'il espérait, avec l'autorité monde du Souvcrain
Pontife, porter un dernicr coup Ú l'untoritó pnli-
tique de l'Empercur. Grégoirc écrit, en cllct, aux
úvéquos restés fidcles ú Louis, pour les mcnuccr
de l'anathúrue, s'ils ne déscrtcnt pus ses drapeaux.
Ceux-ci , loin d'uccepter l'Iutcrvcntion pontificale
duns les aflaires du HOJ a11:1](', la rcjcttcut avcc (\Jli'l'-


(1) Libcr I1pololjetic//'\, apurl H;¡ltw', ~ \01. in-S", 1(ilj() , -- P"ll
Uouquct, licruni qatt¡«, el 1'/'(//lC. g"i'i¡IIOI'CS. T1IllJ. YJ, paco ~!IU.




- 2i'i'-


bj(~, rópoudaut au Pape « que s'il est venu pour
» cxcommunler, il s'cn retouruera lui-méme excom-
)) munié (1). )) Crégoire ne perd pas contenance ;
it se reud HU calllp de Compiégnc.uvec l'íutentiou
d'y négocier ¡'¡ la Iois, el avec Louis, el avec l'Épis-
copat.11 cst plus hcurcux auprcs des évéques,
qu'aupres de Louis, Ce princc, qui voit en lui un
jllgc partial, nc lui Iuit Pl\S la moiudre concession,
taudis qllC les prclats, qui avaient employé ú l'é-
t;arcl du Pontife le titre de [rcrc, lui accordeut ce-
lui de pcrc. Quoi qu'il en soit , la présencc du
Pape ,IU cnmp de Cornpicgne devint le signal d'une
désertiou gcuéralc. Aussi l' Lmpcreur, nétant plus
cntouré que rl'un petit nombre de íideles, songca
sur-lc-cluunp Ú sauver ses amis les plus compro-
mis: puis il se livru lui-ruémc, avcc sa Iemrne et
son rlcruicr Iils, entre les mains de ses enfunts
r évoltós, uuxqucls il demanda seulerncnt de ICl1r
conscrvcr la vie et les membrcs.


Ccpcndunt les priucipnux scigncurs de l'armée
des princcs, réuuis ú liothfeld, déposcnt tumul-
tucuscmcnt l.ouis el désiguent Lotliaire pour le
J'C'II\piilccr. Avuut de prcndrc la couronne, celui-ci


(i) L' \,ltl>lIOIIII', lira l.nclucu: I)ii, iJ',llL p<ll' k jl1L;"idclIl CUIlSÚ¡
daus ~l)JJ llist. de l'JilJl/Jin: d'Uccidcr«, 10tiJ.


.~.


.;.




- 218-


voulait étre reconnu d'une maniere plus authen-
tique, soit en contraignunt son pere a une abdica-
tion quí serait ccnsóe vclontaire ; soit en provoquant
l'aveu du pays dans une assemblée quelconque,
11 s'agissait surtout de détruire l'effel moral pro-
duit par celle de Ilothfcld, dont les acles furent
jugés avec tant de sévérité qu'on appela désormais
ce lieu: le Cliamp du MensOllge. - Campus mcn-
tifus, Lugen(eld. - Louis-le-Déhonnaire ayant re-
íusé d'abdiquer, Lothaire convoque done pour le
prciuier jour d'octobre S33, une diete a Compie-
gne, ou se réunirent un grand nombre d'évéques,
d'abbés et de seigueurs, On n'y comptait que ses
partisans ; cal' les autres en furent exclus, eomme
« ennemis du gouvernement établi par la na-


» tíon. » Cette assemblée avait a sa tele, Ebbon,
archevéque de Ilcims el Irere de lail de Louís-le-
Débounairc. Quoique l'Empcrcur l'cút tiré ele la
servitude et de la misérc, pour le comhler d'uutant
d'honneurs que de richesscs, daus l'Étut et dans
l'Église, Ebbon n'cn suggéra pas moins ú I'assem-
blée de se transformer en concile, et il Lothaire
de poursuivre juridiquement son pére, • comme
» coupable de plusíeurs crimes contre les intéréts
»de l' Église et de l' État; aprés quoi ou le coudam-




- 219-


»neraít ala pénitcnco publique pour le reste de sa
») vie, et on lui appliqucrait les canon S qui défen-
» dalent aux péni ten ts de por ter les armes et de se
»rnéler des uflaircs publíques. )


L'expédient fut ngréé avee d'nutant plus d'cm-
prcssement que, d'upres les maximes géuéralement
adruiscs par les peuples de l'Europe, l'Église, en
certains cus particulicrs, avait déjá "le pouvoir
»au moins indírect d'iustitucr et de dcstituer les
J Souveraius (l). )) Uue partie du clergé s'arrogea ce
droit et en fit usage, dans cette circonstance,
d'une maniere aussi insolite qu'iuiquc, L'ordre
spírituel nc semblait alors dorniner l'ordre ternpo-
rel, qu'a la sculc fin de multiplícr les nouibreux
éléments d'anarchie qui boulcvcrsuicnt déjá la ci-
vilisation impcr iale. En effet, Ehhon récligea ou
fit rédiger par ses collégucs de ce conciliabule d'i-
uiquitc (2), sous forme de confession, le [actum
suivant que 1'0n devnit mettre dans la bouche de
Louis-le-Débonnaire :


« Je suis coupable d'homiclde el de sacrilégc;
j'ai violé mes serments, consentí á la mort de


(1) ,1. l'abIJ6 Gosselin, Poncoir du Pape «u UlOljell-¡}YC, etc.,
pago ft07.


(2) h"neloll, Disscruuio, de Auctoriuuc Suuuui Poutiiicis , cap.
~.\,\L\, jlag. 382.




- 220-


niou neven, íait violence á mes parents, entrepris
des guerres sans nécessité, au grand dommuge
de mon Royaume. Je n'aí point écouté les remen-
trances que des personnes zclées me Iaisaient pour
le bien de mes sujcls; je les ai, au contraire,
Iait arréter, dépouiller de Icurs hiens, tratncr
en exil ; j'ai Iait condamner des nbscn ts Ú 1110rt,
violenté les juges pour leur [aire rcndre des SCIl-
tences iniques , í' ai rom pu l' accord fuit avec mes
enfants pour le bien de la paix, contraint mes su-
jets ú se parjurcr par de nouvcaux scrrncnts, et je
les ni arrnés les uns contre les nutres pour s'entrc-
détruire , eufiu, sans néccssité, j'ui Iait une expé-
dition guerriere dans le saint tcmps du Caréme , el
délíbéré de íaíre uneasscmblée générale dans \'extré-
mité de llles États le jour du Jeudi-Suint, Iorsquc
les chrétiens ne doivcut s'occuper qu'ü se disposer
á célébrer le saintjourde Páqucs (1). })


II fallut exercer une longue prcssion moral e sur
l'esprit de Louis-le-Débonnaire et mcme le mena-
ccr dans la pcrsonne de sa femme, de son fils bien-
airné et de ses partisans, pour qu'il se dóterminát
it produire publiquement eette odíeuse confessinn.
En fi11, aII gra nd plaisir de ses en ncmis et surtou t de


(1) ~!l'zej'élY, i1i81, de Frunce, 'l'UJlI. 1", jI:'i;, GOG. 1Gú:';,




- 221 -


Lothaire, il parait dans l'Église, u plutót avec l'air
"consterné d'un homme abattu par la crainte,
))qu'avec la componction d'un péuitent (1).• Des
qu'Il est prosterné au bas elu sanctuaíre , on
l'exhorte, c'est-á-direon le sornmc d'avouer ses pé-
chés ; el on lui reinet un écrit portant sa confession
telle qu'il doit la faire , ou mieux, tclle qu'il doit
la lire. L'Empercur en donne Iecture d'une voix qui
renferme plus ele sanglots que ele paroles, Il óte
son baudrier militaire et lejette au picd ele l'autcl,
en signe d'abdícaüon ; il se dépouille encare de la
pourpre impériale et ele tous les insignes royaux;
puis on vient le revétir elu cilice des pénitents,
Suivaut une loi du Iloyaume (2), il étai t ¡\jamais in-
hahile ú régner ; néanmoins, Lothaire s'cmpressa
de le conduire á Aix-lu-Chnpelle, comme si Louis-
lc.Débounaire ne pouvait abnndonner définitiva-
ment sa couronne que dan s la villo-capitala ou il
l'uvuit prise,


Quund les peuples apprirent tous les détaíls de
ecuo córérnonie étrange, ils manlfestsront sur-le.
chump uno iudignution d'autant plus vive que
Louis était contlamnó JJO/lr des crimcs dont il 1/'(:_


(1)\nql1i'lil, ui«. de Fruurc.
(:J) !\ii.lllZ<', H(I/' !,,¡',UI!'. rapit, r, mIO,




- 222 -


tait pas conoaincu. «La pénitence publique ímpo-
sée a Louis en cette occasíon, et l'application
qu'on fit alors a ce prince, des canons qui ínter-
disaient aux pénitents de porter les armes et de
se méler des affaires publique!'>, étaient sans doute
des ínjustices manifestes, inspirées aux évéques
par l'esprit de rébellion que Lothaíre leur avait
commuuiquó (t). » D'un cóté, les grands , heu-
reux de réagir contre les évéques, dont l'autorité
n'avaít plus de contre-poids dans l'État, joignirent
leurs conjurations aux murmures du peuplc , de
l'autre Pepin ct Louis eurent pitié de leur pere,
en voyant que ses malheurs ne profitaient qu'a la
fortune de Lothaíre , et plusieurs armóes s'ébran-
lerent aussitót pour venir le délivrer. Des que
Louis fut redevenu libre, il se presenta spontané-
ment aI'église et rétracta les nvcux qu'on lui avait
urrnchés par la torture. Mais íl ne voulut pas, ou
míeux , selon le droit public de cette époquc, il ne
put pas repreudre la couronne, le baudrier militaire
et les ornements impériaux, avant qu'ils ue luí fus-
scnt rcndus par les prélats qui lcs lni avaient ravis.


En remontan! sur t" tróuc, Louis-le-Débonnaire


(1). \!. ]':ll,hl' ¡;"ssrlin, vouroir d.n Pi/pe (/11 monrn-ásp-, etc.,
]1~g. fl07.




- 223 -


pardonne II tout le monde, excepté aLothaíre, qui
continué la guerre avec quelques suecos, et ne s'at-
tend pus encore il une défaite. Abandonné par les
siens,dans les environs de Blois, ce dernier est pour-
tant contraint, a son tour, de se livrer entre les
mains de Louls.Ie-Débonnaire et de luí dernander
pardon en présence de l'armée. L' Empereu frait
élever un tróne dan s sa tente,ouvertede tous cótés,
11 y monte majestueusement; bientót arres, Lo-
thaíre vient se mettre á genoux devant lui pour en-
tendre une réprimande sévere que son pere doit
lui adresser ; mais il se releve pour se jeter dans
ses bras, qui lui sont tendus avec tendresse. Louis-
le-Débonnaire luí permit de retourner en Italie :
mais il Iui défendit dereparaítre en Frnnce.á moins
d'y étre appclé. Ses nombreux compliees furent
auuristiés; Ebhon.seul, el le plus coupnble de tous,
perdit son archcvéché ; il put uéanmoins renouer
ses relations de Iortuue avec Lothaire, qui lui avait
fait briser les lieus du crcur , de la rccou nnissance
et de la morulité proprement Jite.


Chaqué paix entre Louis-le-Débomaire el ses
enfunts amennit un nouveau purtage du territoirt'.
Dans celte circonstance, quelques provinces dis-
ponibles Iurent données ñ Louis de Bavierc et Ú




- 224-


Pepin d' Aquitaine; mais Charles, fils de Judlth,
obtínt la plus grosse purt; uussi abandonna-t-íl
le titre de Roí de Ilhétie, pour prendre celuí de
Roi de Neustrie, Les grunds vassnux, convoqués au
chatean de Créci, approuvcrcnt ces divers chan-
gemcnts, ct lieaucoup d'autres ; cal' le vieil Em-
percur se réservait toujours le droit de diminuer
ou d'accrnitre les possessions territoriales de ses
fils, sclon leur conc1uite ou son propre caprice ct
suivunt la marche des óvéncmcnts.


Pepin étant mort, apres son retour en Aqui-
taine, Louis-le-Débonnaíre assigna ce Iloyaurne
lt Charles, au détriment ele Pepin, fils aíué du pré-
cédent et qui aurait dú lui succédcr. Cet acte in-
juste amena de nouvellcs hostilités. Louis de lln-
viere se révolt« paree qu'il désirait uhtcllir 1:) Crr-
manie, pOllreontrebalancer, au bcsoin, la puissnuco
prépondéran te de ses freres. L'Empercur .au lieu de
traiter sur cette base vraimen t politique, próféra
suivre les eonseils de Judith; s'ussocler encoré une
Iois Lothaire et diviser en deux parts tOIlS ses Eiuts,
la Baviére scule exceptée. Lothuire chnisit ran-
cien Hoyallme ele Rlj(~Lie ct r ¡folie, lnisse úChar-
lcs.le-Chuuvc, la Ncustric, c'est-á-dire la Frunce
tclle qu'ell« existe anjourd'hui, en y comprennnt




- 225-


l'Aquitaine, et jure de le protéger, en sn quali té
d' Empercur , contre quiconque menacera l'iuté-
grité de ses possessions (839). Ensuite, il eutratne
son pere au-delá du Rhin, oü il espére écruscr son
Irere Louis, Celui-ci forme un noyau de nations
allemandes, prend le norn de Germanique et en-
role ainsi l'esprit de nationalité sous sa bannlere ;
tundís que les peuples d'Aquitaine, dósiraut, de
leur cótó.rccouvrer leur cxistencc propre , se don-
nent pour Iíoi un fils de Pepino La guerre done re-
commenee, plus formidable que jarnais , Louis-le-
Débonnaire n'en yerra pas la fin. llmeurt pres de
Mayence, en paix avec l'Église ; maís non avcc
sa couscieuce, lui reprochant d'avoir provoqué,
dans sa famillc, tant de sanglantcs querelles qui
ex isteron Lj usqu' Ú l' en ticre dissol ution de l'Empire.


Lothaire ne se contenta pas alors du titre d'Em-
pcrcur, il vou1ut en avoir la puissance. Aux ter-
mes des trai tés, ses Ireres devalen t obéir Lt ses lois
et lui prétcr serment de fidélité; mais ils refu-
sereut, cal' il était moius leur protecteur que leur
cuncmí. Enfin Lothaire , ne pouvant les dominer,
a résolu de les subjuguer. 11 passe d'abord en Ita-
lie , oú il prcud , par le sacre, le caractere impé-
rial ; [mis, il se dirigo vcrs la Ncustrie, oú Louis
1.1j




- 226-


le-Germanique et Charles-Ie-Chauve lui offrirent,
soit la paíx, s'il s'en remettait a la décision d'un
concile composé d'évéques et de luíques , soit la
bataille, s'il u'acceptait que le[uqement de Dieu (1).
L'Empercur , toujours confiant dans sa destinée ,
ayant renouvelé ses prétentions avec plus de hall-
teur que jamuis, il fallut combattre.,; L'actíon
s'engagea dans les plaines de Fontcnay, prcs
d'Auxerre (25 juin 8lt.'1); et le carnage fut ef-
royable. Tant il y eust d'occys de chascune portie,
dit la grande Chronique de Saint-Denys, que mé-
moire d'homme ne recordé mie qu'il y cust oncques
en Franco si grande occision de chrestieus, La vic-
toire pencha longtemps du coté de l' Empereur;
mais elle se fixa clu coté des Rois. Cettc défaite du
despotisme ímpérial consacra finaJemcnL lu pro-
míére indépendance des nationalités curopéennes.


le prince, vaincu par ses freres , dévora sa
propre humiliution, redoubla d'orgueil et s'utta-
qua rnéme a Dieu, qu'il considérait comme son
ennemí personnel. « Reniant la gloire de Charle-


('l) Nilharrl, De disscntioniuus iilioruni Ltulorici l'iiJ ap, non
Bouqurt, 1'(')', gallo el [ranc. scriiu, - \1. (:eorge-Ilcmi "erlz, ji' sa-
vaut bihliothccnire du Itoi ele Hr.nuvrc, a j1llhli¡;, WI cette é[iolji!e,
des rlocumeuts pleins d'iutéret el denuuvcauté, danS ses Jlo/!{(JJWlIls
de la Gcrmanic, - JI01l1l11wnta Germanice,




- 227 -


!11ng'I1C, méme celle de son pere qui n'était en-
core ternie qu'á moitié , Lothaire permit aux
Gerinains de rctourucr il leurs faux dieux, te
clcrgé, uttaché jusqu'alors il l'Empcreur , ne vil
plus en lui qu'un truítre, un renégat. Ilome elle-
mérne, dont iJ avait embrassé la politique et qui
avaít constaté [usque-lá sa partíalité par la pré-
sence d'un légat, n'osa plus protester en sa fa-
vcur (1).• Apres avoir houleversé l'ordre moral
de la civilisation , 11 Y propagea matériellement
l'unarchie, C'est dans ce but, qu'il donna la liberté
aux esclaves , des terres aux hommes libres, et
l'Ile ele Walchercn it Harold, roi des Normanda,
qui en prit possession au 110m de la barbarie et
de l'idolatrie, pour I'épouvunte du monde chré-
ticu,


Cepcudant Louis et Charles, s'étant réunis U
Strasbourg (f\lI:2), cirnon taicnt leur alliunce par
deux scrments prononcés, non pas dans l'ídiome
du clergé, comme cela se pratiquait alors : muis
dans la langue vulguirc de la Gaule et de la Gorma-
nic, afín d'Intéresser ces nations au triomphe de
lcur politique. Ayallt COllVO(lUÓ un concile d'óve-
(lUCS,Ú Aix-lu-Chupellc , ccttc uscmblé« déclara que


(1) ,\. lle -uínt-I'ricst, ut«. ttc t« n0!f(/lIu'. rom, IJ, IJélg.371.




- 2~R -


le jugement de Dieu nvuit rejeté Lothnire , et
transféré l'Empino aux plus dignes. Toutefois, avant
d'autoriser Charles et Louis á prendro posscssion
des Élats Gallo-Francs, on leur demanda s'ils en-
tendaient « régner selon les exemplcs de leur Ircre
dépossédé , ou selon la volonté de Dieu? Sur
lcur répouse qu'ils se réqlcraieu: CIl,OC el tcurs peu-
pies, de tout le savoir et de tont le pouvoir que lcur
accorderait Dieu, selon sa sainte volonté; les évé-
ques reprirent : « Au nom de l'autorité divine ,
»prenez le Hoyaume et gouvernez-le selon la vo-
n lonté de Dieu. Nous vous le conseillons, nous vous
»y exhortons, nous vous le couuuundons, » Les
deux íreres choisirent chacun douze des Icurs,1I
l'urbitrage desquels ils s'en remirent pour le par-
tugc du Royaume (1). "


Tandis que les commissaircs désignés se met-
taient Ú l'u.uvre, l'Ernpire étuit sur le point d'etre
démembré par les Bretona el les Normanda qui
avaient envahi la Neustrie ; par les Sarrasíns qui
dévastaient la Gothic, la Provcnce et l'Italie , par
les Saxons qui repoussaíent toute dominution BOlle


(1) \ilhard, f1ls Ll':\ngilbel't ct petit-ms de Charlcmague, l'un
des cnunuissaircs dc'signl's: Ve dissciü, {ilior, Lutl. Pii, lib. lV,
cap. 1".




- 2:29-


velle, pour revenir Uleurs anciennes lois. En pré-
senee de tant de dangcrs qu'ils ne pouvaient plus
conjurer, puisqu'ils avaient usé les Iorces de leurs
États respcctifs il s'aílaiblir mutucllement, les fils
de Louis-le-Uébonnaire terminerent leur longue
querelle et sigl1¿~rell t le Irui té de Verdun. Le ré ta-
hlisscmcu t de la lloyuuté , ou mieux son indépcn-
dance daus chacun eles priuces qui en étaít investí,
scrvit de hase il cettc transaction. Le nom d'Em-
pire el le titre d'Empereur Iurent eonservés; mais
le nouvenu traite leur fit perdre l'nncienne supré-
matic qu'ils avaient sur les gouvernements euro-
péens. Lothaire ne gouverna positivcmcut que
l'Italic et le pays comprís entre les Alpes, le Ilhiu,
l'Escaut, la Mcusc, la Sa6ne et le TIl16ne; Louis
cut toute la Gcrmauíe truus-rhénane, y comprís
Worms, Spire et Mayence ; les États situés entre
l'Escaut, la Meuse, l'Ehrc et les deux mers res-
terent aChnrles-le-Cbauvc qui ouvrit la série des
Iíois de France proprement dits. Apres ce partage,
les Cnulois adoptcrcnt le nom de Fraucais; les
Lombarda, celui d'Itafíells; et les divcrs peuples
germauiques, cclui d'A llcmauds, apparteuant ja-
dis aux tribus Sucvcs, mauilcstunt aujourtl'hui
lcur teuduucc VCl'S I'unité, Aiusi rcparut, cousu-




- 2;)0-
crée par le traité de Verdun et par tant de des-
tructions successives, la pensée créutrice (le Char-
lernngno, pour exprirner les trois graneles divisions
territoriales qui, avec la Péninsule d'abord, él les
Iles Britanniques , plus tard, coustituercnt l'Eu-
rope monarchíque jusqu'au traité de Westphalie.


Les Souveruins négocierent la paix cntr'cux,
paree qu'ils étaient ohligés de guerroyer, et con-
tre les peuples barbares, qui tnenncaleut les [ron-
rieres de leurs Étuts, et contre les vaSSQUX, qui
menacaíent leur autorité. Ccue réuction féodule ct
anti-monarchíque ne pouvuit étre contenue que
par une coalition des Ilois et des peuplcs, Lothnire,
Louis-le-Germanique et Chnrlos-lc-Chauvc con-
clurent, en 8l¡7, un traité d'allinnce offensive ct
défensive, par lequel ils contractnient l'obligation
de se soutenir réciproquement contre lcurs cnne-
mis, qnels qu'ils fussent; et de respecter les droits
héréditaircs de lcurs fils, á la condition que ceux-
ci rcconuattralcnt In suprémntíe de leurs oncles.
Malheureuscment, ils compromircnt leur propre
cause, en déclurunt qlle nul vassul ne pourrait
('lre dépn:"C(~r1i" dI' son héiii'f!('('; ('[ ({Ile les hommes
libres, uuxquels on assuruit, il est vrui, la juslice
dans les formes anciennes, devraicnt, suivant un




- 231 -


usagc nouveau en Occident,se recommander aleurs
scigneurs dont ils ne se détacheraient plus désor-
mais, saus motifs graves et déterminés. C'était
fonder le despotisme de l'aristocratie moderne sur
les ruines de la vieílle liberté germanique. Recon-
naissons-le pourtant : les princes cherchaient a
maintenir le pays en état de sécurité aux dépens
méme de leur puissance, Ils s'imaginaient sauver
ainsi l'ordre social; tandis qu'ils accéléraient
sa chute et perdaient la Monarchie. En effet, les
scigucurs, maitres de la situation, contraignirent
bíentót Charles et Lothaire de reconnaitre, dans
une assembJée générale tenue á Liege, a qu'ils
»uvaient mal gouverné j usqu'alors, et qu'ils se
» comporteraient mieux u l'avenir.•


Un parcil aveu impliquait l'abdication morale de
l'Empereur et celle du Roí. Tout tendait au re n-
versement de l'autorité monarchique, méme ses
propres lois, depuis que Charles avait donné une
charte pour restituer aux églises leurs biens et
leurs priviléges; pour recommander au peuple de
respecter le Roi et les seigneurs; aux vassaux et
aux évéques, • de s'opposer a telles associations
» illicites, qui sapent la Monarchie ; »pour renou-
veler solcnncllemeu t aux Leudes la promess de ne




- 232-


les dépouiller de Ieurs bénéfices que par droit el
[uqemcnt; pour pennettre [1 chncun de choisir la
loi qu'il désirait suivrc , pour assocícr les évéquts
au pouvoír séculier; pour ordonner l'emploi des
reliques el des serments contre les voleurs; pour
accorder aux prétrcs un droit d'inquisition centre
les malfaiteurs et u pour inviter tout íidéle a dé-
»rioncer les erreurs dans lesquelles le Roi pourrnit
II tornber (1). II


Ces divers acles législatifs n'étonnent personnc;
car, suívant l'ohservation d'un historien du siecle
dernicr, it cette époque « les grnnds, les Iaiqucs
et les ecclésiastiques partent du mérne pri ncipo : ils
supposent la méme vérité , mais ils en ahuscut.
« -Le Boi.disent les évéques, n'n d'autre supérieur
que Dieu; il est le magistrat déposltaire du Pou-
voir de l'Éternel, qui seul a le droit de lui dcman-
del' cornpte ele ses actions ; mais ce juge souverain
des Ilois nous a établis ses vicaires el ses represen-
tunts ; nous composons sa cour, commc les magis-
trats qui cnvírouncnt le trüuo forment la cour
du Monarque: nous avons le droit de j uger celui-ci,
an norn ot par l'antori Ir', cl(~ Dien móme ; el, cornme


(l) (>1'. Caivi "}'. nom L;Oll'[III'l, H(¡'.!jilil. (1 (1'</1/1-, scri¡». 'I'uru,
11, pilg. 630,




- 233-


il c!cstilue ses ofliciers, sur le proces qu'il fait
instruirc contre cux, Dieu dépose également le
Prince centre lequel nons avons prononcé, dans
le concilc, la sen tcncc qui le déclare indigne du
trónc (1). Si r(~g-lise, en ces temps de transforma-
tíon généralc el d'incertitude particuliere tenait
le Pouvoir polh ique en Iutcllc, ce n'était pas dans
11 n bu1 égoíste ou mesquin ; cal' elle luttait obstine-
ment, dit \1. Cuizot, coutre [es qrands vices de ['État
social. « L'l~:glise scule, ajoute ce grand historien,
étnit it la [oís jcune el constituéc: scule elle avuit
acquis une forme délinitive; el conservant toute la
vigueur du premier üge, seule, elle possédait it la
fois le mouvcrncnt el l'ordre, l'éncrgie et la re-
gle, c'est-á-díre, les deux grands moyens d'in-
fluence (2). D L'¡'~tat, au contraire, avec sa forme
trausitoire, et sa lcgislution indéterrninéc , par
couséquent, suns ordre stable, u'avait pus plus
d'uctlon sur les esprits que sur les événerncnts.
D'uilleurs , en empruntuut su force monde au
Clcrgó, le Ilol garantissait le peu de force matériel-
le el de Iortune qu'il Iui restait encare, aprés tant


(1) J. \. \101'1::111, 1,I(OllS de 1!Olili'llIl', de 11/0/"011' ct dr droit pu
iJlir', 1':1". ~~!·2r¡.
(~) 1/':,(. !JI,:/U:/". de la cicilisation el! Enrone. 6'L"\'l)ll, pilo. lí 8.




- 234 -


de concessions ruincuscs, cal' il trouvait dans l'E-
glise des sentimcnts énergiquos et de puissantes
idées, un systcme de gouvernerneut qu'íl ue pou-
vait chercher autre parto Et s'il se rencontrait,


parmi les évéques, un esprit dangereux ou pervers,
comme Wenillon, archevéque de Sens, qui, ú force
d'intrigues, fit déposer Charles-lc-Chauve au con-
cile d'Attigny (857), le Prince n'uvait qu'ú suivre
l'exemple de ce méme Iíoi s'adressant au concíle
de Savonniéres, pour obtenir la condamnation du
prélat (85~)), sur la dóclaration suivante t « Pero
sonne n'a pu m'óter ma consécration, et me re n-
verser du tróne, sans l'uvis et le jugement des
évéques, par le ministere desqucls j'aí été con-
sacré Roi, qui sont appelés les tróncs de Dieu,
sur lesquels Dieu est assis, et par lcsqucls il pro-
nance ses [ugements. J'ai toujours été disposé, et
je le suis encore, il me soumettrc h lcurs corrcctlons
paternelles et aux chatiments qu'ils voudraíent
m'irnposer (I ), ~


Par ce langagc, n'cn déplaise aux sceptiques de
notre ternps, la Iíoyauté cxprimnit, il cette époque,
des idéos rcligieuses et politiques tres-sinceres.
Avnnt de juger nos aucctrcs, il scrnit bon de s'iní-


(1) Lepcre Lablic, Concilioruui, rou.. VJI, pa:;. G7V. -1071.




- ~J5 -


ticr, une Iois pour toutcs, tl leurs príncipes, á
lcurs croyuuces el tl lcurs mniurs: trois sources
intarlssablcs d'ou découlcnt, un sein des sociétés,
les lnstitutíons, les lois, les gouvernemcnts. Si les
prétres avaicnt tout le Pouvoir , c'est qu'ils pos-
sédaient ulors tout le Suvoir, Kul n'uuruit songé,
d'uilleurs, tl leur contcster cctte prérogatíve su-
prómc , paree que, pris en corps, ils u'élevaient
pas une seule qucstion d\'golsme; el qu'ils 1'6s01-
vaicut tous les grands problernes relatifs á l' État mo-
narchiquc, afin d'uccélórer les p1'o:;r6s de l'huma-
nité. Plucés entre la f'óo(lditó (fui grnndissait et la
Iloyuuté qui s'ufluissait sur clle-méme.ils s'ernpa-
rérent de la puissuncc, avce I'intcntíon de créer
l'ordrc ct d'unéantír l'anurchie, en faisant recon-
nuítre el en rccouuuissant cux-mémes, un supé-
rieur, un maürc, un souverain (t ),


Le Clcrgé de Frunce rccevuit , en ce moment de
haute crise , l'iuipulsion salutaire qui Iui était
impriuiée par Iliucmar , l'Illustrc urchevéquc de
Ilcims, si souvcnl comparé ú Bossuet , l'évéque de
Mcaux. Couuue ce dernicr, en effet, il fut le noble


(!) ¡iuhl';~ n.«. (¡'¡I:"(f!!!' (ú (t'ltú¡/iss. {Ir ia JIOJUlrc!uc' /I'({;i~
,'uisl di/JIS /es Guuírs. Tlilll. 111, pac:o :3S-173.
, 1',I'rtllier, nt«. de I'L~'U!isc uu!!iCWU). 1'0111. \YlI. Disc, nrclim.,
I,ag. \LI'J. - inU.




- 236-


servitenr des Rois, et il se declara I'antagoniste
des Papes, dans l'ordre temporel, sans devenir
schismatique ; ne voulunt pus briser le lien sacré
qui le rattachaít au Saiut-Siége, dans I'orclre splri-
tuel : symbole de I'uuité apostolique. Les évéques
et les abbés étaient grands du Iloyaume. A ce ti-
tre, ils pouvaient imposer aux :\lonarql1es telIe ou
telle constitntion, suivant les principes et les in-
téréts alors en présence. Hincmar cut le rare avan-
tage de contcnir sonvent leur umbition arrogante;
et de toujonrs donner ü Charlcs-le-Chauve des con-
seils pratiques ou des maximes, quí uuraicnt empé-
ché la Monarchie carlovingienne de tomber, si
sa chute n'eút pas été uécessaire nux développc-
ments ultéricurs de la civilisation (1).


En ce moment, I'empereur Lothaire [ait oublicr
l'orgueil de ses scnudales par un granel acte d'hu-
milité chréticnne, Aprcs une abclication que Char-
les-Quint renouvcllera uu XVi" siecle, il vieut de
quitter la pourpre dans l'abbnye de Prüm et de
prendre le froc d'un moine-péniteut. Ses trois íils
se partagent l' Empire : Louis II garde le Iloyaume


(1) L'J;:tlil di' I'i,[c", pal' kql1cl C!lari,'s-ll'-Chauyc ol'llollllail que
lous le" c1Júll'aIL\, ,'le'\I',,; san" 11' CIIIISI'llll'llll'ulill' !';lIllol'il(' t'i1yalc,
Iussent demolis S\II' le ch.unp (76'1), élaiL l'ruuvrc d'Hiucmar: OH
sait que cette ordoun.uicc nc Iut j.unais e;>.(;clIke,




- 237 -


d'Itulie et la couronne irnpériale : Lothaire .Ir,
l' Austrasie cn-decá du Ithiu, á laquelle il donne le
norn de Lorruine, et Charles, le nouveau Iloyaume
de Provencc, formé par l'ancien Iloyaume de
Bourgogne (855). A peine sont-íls revétus de leur
puissnnce , et déjit ils cherchent á s'en dépouiller
récíproquement, cal' les disscnsions domestiques
et le mépris de la foi jurée sont devenus, pour les
Souveralns, une tradition de familte. Louis Il et
Lothuire se divisen! d'abord la Provence, comme
hériticrs de Charles, mort sans postérité; ensuite,
Lothnire n'existant plus, Louis Il cst obligó de
disputar la successiou de ce frere, a son oncle,
Vaiuement le pape Adrien II enjoint-il aux Lor-
rains de se soumcttre á I'Empereur, frere du Roí
défunt, sous peine d'excomruuuícatíon : ceux-cí
porteut au treme Chnrles-lc-Chuuve, qui se faít sa-
crer par les évéques.


Le Suint-Siége considere ce couronnement como
me une usurpation; mais l'archevéque Híucmar
établit su légitimité sur une base inébranluble,
Fuisant parler la nation, il s'écrie : " Le peuple se
pluínt de nous, et dit : défcndez par vos priéres le
Royaume contre les Normanda el les envahisseurs,
sans vous méler de notre défense ; et si vous voulez




.- 238 -


notro bras, donncz-nous un Roi capahle de nous
garantir des paiens ('1). » Parlant luí-méme au
110m de Charles-le-Chauve ct du Clcrgé, centre le
Pontífe qui n'a pas craint d'appeler devant son tri-
bunal, Wenillon, déjá condamné par le concile de
Savonníércs, Ilincmar ajoute : "Vous nous Iorccz
Ú ne pas vous réponrlro uvcc un esprit pacifique,
comme nous l'aurions désiré , tant est grande la li-
cence de vos lettres, qui , en insultant b la puissnnce
royale, couvicnncnt bien pcu ú la modcstie de h:-
piscopat. Sachez que, malgrú nos Irnvcrscs, nous
n'en sommes pas moins , par la grdcc de Dicu et
par la succession pateruellc, décorés du nom de
Roi, ce comble de la plus sublime grandeur... Le
Pape ne peut étre tout ensemble évéque et Iloi ; iI
doit gouverner I'Église qui est sienne, non rÚat
qui ne lui appartiont paso S'Il vcut la paix, qu'il
n'avance pus d'hérésies, ct n'insinuc pas qu'on nc
pcut gagner le ciel qu'cu recevant le Iíoi donné par
lui sur la terre... Ilé quoi l jamuis u-t-on cntcndu
(Jire qu'un Roí dút envoyer ü Itornc un honune
jngé légalcment ? Roi de Frunce et íssu de sung
royal. je ne suis pa~j con~jdér6 commc le vlcairc


(1) nom .UO\1I111el, ttcr. vul/. el /¡·UIIC. scri¡u, 'JOllJ. \ 11, ¡'él".
340.




- 239-


des évéques, mais comme le maítre de cette terreo
Suint Léon et le concile de Rome ont écrit que les
Ilois , établis par Dicu, pour connnander sur la
terre, ont accordé aux évéques de réglcr les aflaires
sclon les décrcts souvcrains. Aplus forte raíson, ne
sont-ils pas les valcts des beques. Saint Augustin a
dit : tu propriété repose sur les lois royales; maís
le droit des évéqucs ne va pas jusqu'a rendre les
Iiois de simples fermiers et des agents de l'Église.
Le Seigneur lui-móme a ordonné de donner ¡\ César
ce quí est u César, et á Dieu ce qui est b. Dieu.
L'apótre veut que l'ou serve les Iíois : il veut
qu'on les honore, non qu'on les foule aux
pieds ('1) ... »


Cette déductíon de príncipes résnmaít, dans ses
formes Iogiqucs, le scntirncnt du Ilhrc-arbitre , par-
ticulier au pcuple et au clergé de Franco, vis-á-vis
du Saint-Siége , aussi u-t. elle été considérée corn-
me le premícr litre de l' Église gallicane, dont Bos-
suet, dans sa célebre déclaration de Hi82, nous lé-
gua le derníer.


Pour apaiser Charles-Ie-Chauve, Adricn luí pro-
mít la couronne impériale et le sceptre d' Italie,
s'il survivait it Louis Il. Cclui-cí étaut mort, Char-


(l) Itiucmar, IIlli.lI.. aLlUO 872. '1'0111. TI, p<l". 701, -, 1G[15.




- 2'10-


les [lila prcndre l'un ct l'autre il Ilome, quelque
temps apres (875); rnais, de retour en France, il
demanda aux évéques la sanction de eet acte ,
paree qu'íl pensait que Dieu repose sur eua: el dé-
cerne par eu.c ses juqements (L). Agir de la 501'te,
n' était-ce ras reeon naítre la supréma tie ahsol ue
de l'uutorité ecclcsiastique sur l'uutorité royale;
et méconnaítre les conseils d'Il incmnr, qui, dans
l'espoir de sauver la Monarchie, désíralt opérer une
sépara tion définiti ve en trc l'ordre tem porel et l'01'-
dre spirituel, afin que tous les deux, rendus á
leurs destinées diverses et respectives, eOllCOU-
russen t, d' une maniere iden Li(IUC, uu rétubl isse-
mcnt du pouvoir , au maintíen de l'indépenduuco
natlonalc, aux conquétes de la civilisation et uu
triouiphe de l'unité?


Cettc maniere de gouvorner l'Europo étai! d'uu-
tUIIt plus falale, que de violentes divisious avnient
éclaté entre les évéques el les grands, depuis que
Charles le-Chauve faisalt restituer aux églises el
aux monastéres les biens prócédcmmont anncxés
aux fiefs laiques. Les Icudataires, menacés duns
Ieur Iortuuc, se séparereut de la couronne ; aussi,
u'espérant plus se les rauacher, l'Empereur ct tes


('1) ltaluz», cuuit., pago 1'17.




- 2'li -


Rois [urcni-ils [orces de se [etcr dans les bras des
ecclésiastiqucs : snjets fldeles, sournis, éclairés (1).
Muis Ü l'heure du péri] ct, surtout, Ion; des inva-
sions noriuandes, il fullut bien que l' Empereur et
les Ilois achetusscnt le sccours du haronnage, C'cst
aiusi qu'ils se dépouillérent eux-mómes des prúrn-
gali"cs 'I ti i Iaisuien tlcur propre Su uvcgarde; ct qu'ils
multiplicrcnt cutre mesure les prlvilégcs de l'aris-
tocratic qui sollicituit leur ruine. Le Capituluire
de Kierzysur-Oise (817), ussura le triomphe de la
Ióodulité. Charles-le-Chuuve accorduit, aux posses-
seurs de Iicfs, la permission de les trausmeure tt
leurs enfants ou it eles pareuts ; garantlssait, aux Iils
des comtcs qui le suivraiont en Itulie pour guer-
royer contrc les Normands, la survivance des Ionc-
tions el dign i tés de leurs péres: el déclarait, en
son nom counne en celui ele ses successeurs, que
les fidéles pourraient prendre les armes contrc
leur Roi, s'i! leur ordorinait quelque chose d'In-
juste. On le voit : par cet acte qui reconstitunit le
pouvoir laiquc, en rogard du pouvoir ccclésius-
tique, l'Ernpereur complétait sa propre abdica-
tiou. :\ da ter de ce j our néfasle, les pri nccs,


(1) nCJ'lJanli, IJc I'oriqin« ct tlrs ¡u'o!J!',"s de la {('!lis/alioll (¡'(m-
mis!', liv. r, chap. Ir, pat:. 71.


l. 10




- 242-


désírant sauver la patrie, eurent beau publier l'hé-
riban ; les selgneurs , se considérunt eux-mérnes
comme souverains dans lcurs chátoaux, ne vau-
lurent plus en sortir, Et si les hommes libres et
les classes moyennes entraien 1 dans les les unnées
du Roi pour défendre l'État ou lcurs propres
foyers, les grallds en preuaient ombraqe el [auo-
risaient l'eunemi.


Vivant aujourd'hui comme si on était sur de
mourir demain, nul n'ensemence plus son champ :
nul ne travaille plus dans son atelíer : la désola-
tion est universelle. Presque tous les habitants
des campagnes dornandent protcction et súreté
aux villes, aux monasteres el aux cháteaux, sacri-
Iiant leur liberté uíin de conserver Ieur cxístcnce;
car, tandis que les Normunds et les Sarrasins dé-
vusteut, iucendient ou tueut hommcs ct proprié-
tés, le long des fleuves ; les bétes fauvcs s'crupu-
rent des bois et des grandes routcs, ou la civilisa-
tion humalne ose El peine se montrcr. Charles 18-
Chuuve, bien qu'il uit avili positivcment l'autorité
rnonurchique, peut encare la rclcvcr morulcmcnt
par un grand acte de courage; mais il pr(''i'('l'l~ achc-
ter la puix ct la vie, moycnuant cinq ruillc livrcs
d'or. Duns ce moment supréiuc, Ilobert-le-Fort,




- 2l¡3-


eomte de Frnnce, tombait en héros, duns la Marche
d' Anjou, sous le glaive de llastings : redoutable roi
des mers qui venait vaincre les rois de la terreo


Charles-le-Chauve survécut peu ason déshon-
ncur, Louis-Ic-Bcgue, son Iils, d6ju roi d' Aquitaine,
luí succéda (G octobre 877). Les grands prétendí-
rcnt uvoir le droit do donncr la couronne, lorsque
le fils du Hoi ne l'uvait pas recue avant la mort
de son [Jefe: mais Louis montra le tcstament de
Charles, qui le désignait eomme son successeur,
et triompha de eette premiere opposition. Il vou-
lut disposer des abbayes, des eomtés et des béné-
tices en fuveur de ses partísans, pour accroítre
leur influence au centre du gouverncment el 1'8S-
treindre celle des scigneurs de provinees qui lui
étaíeut hostiles. Ceux-cí crierent a I'injustice et
prirent les armes, se fondunt sur ce que le Iloi ne
pouvait rien donncr sans lcur propre consentement
et sans l'aveu du pays, convoqué en assemblée na-
tíonale. Louís, fait prisonnicr a Compicgne, fut
obligó de confirmer, par serment, le Capitulaire
de Kierzy-sur-Oise ; et de rcconnattre, en repre-
nant son pouvolr, qu'il dcvait le tróne al'éleetion
populaire :


« Mol , l.ouis , eonstilué Iloi par la miséri-


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- 2/¡/¡-


corde de Díeu et par l'élcction du penple, je pro-
mets devant l'Église et devant tous les ordres de
l'État, d'observer en entier les lois el les regle-
ments donnés par nos peres aux peuples dont le
gouvernement m'est confié, selon le conseit COIl1-
mun de mes íídéles et les décrets inviolables ele
mes prédécesseurs, »


Ainsi, Louis-le-Bcgue exprime, dans notre bis-
toire mouarchlque, la transition positive de l'hé-
rédiié a l'élection. Son regne , il est vrai, par-
ticipa de ces deux principcs contrndictoires, que
su race devait plusieurs fois concilier apres lui;
mais il n'en accomplit pas moins, d'une maniere
définitive, cette double transformation du ficf vin-
gel' en fief héréditaire, et de la Royauté hérédi.
tuire en lloyauté élective, qui ulluít faire rentrer
l'ordre curlovingien dans le chaos révolutíonnalre
d'oú elle était sortie,


Déja la morl de Louis-le-Begue remet tout en
question, cal' les gruuds vassaux, réunis ú Meaux,
ayant declaré ses fils, Louis ct Carloman, indignes
de régner, ne trouvent rien de mieux a faire que
d'appeler au tróne de Frunce Louis de Saxe.
JI11 gues-Ie-Grand el Bozon, le preniier, corute
de París et duc de Frunce, le second, bcnu-frere




- '2ú5-


de Charlcs-le-Chnuvc et duc de Provence et de
Lombardie, parviennent pourtant il maintenir la
courounc sur le front des deux jeunes princcs, en
cédant la Lorraine au Saxon, il litre de dédom-
magement. Louis III et Carloman peuvcut aínsi
régucr ensemble; triornpher ensemble des Nor-
mauds, il Foutevraut et il Sancourt; repousser
ensemble Louis ele Saxe, qui veut fuire prévaloir
son droit éleclif les armes il la main; et consolídcr
ensemble leur autorité, en recouvrant les do-
maines royaux, en réprimant les usurpations des
grands, en protégeant la propriété mobiliere des
classes moyennes et le travail des basscs classes,
Destines ti vivre de la méme vie, et a périr d'une
mort également violente, ils succombéreut l'un
aprés l'autre: Louis, d'une chute de cheval (882), et
Carlornan, ú la chasse, dévoré par un sanglier (884).


Si le príncipe héréditaire avaít serví de base au
pouvoir mouarchique, Charles, fils posthume de
Louis-le-Begue, leur cut succédé; mais les grunds,
He voulant plus d'hérédité dans l'État pour mieux
la conserver dans leurs fiefs, maintinrent le prin-
cipe élcctif. SOllS pretexto que le petit-fils de Char-
les-lc-Cliauve étuit un enfunt et que le Royaumc
avuit bcsoiu d'uu horuuio vigourcux, ils déíérerent




- 2116-


la couronne aCharles-lc-Gros.déjá Iloi de Cerma-
nie, de Baviere, de Lorraine, de Saxe el de Lom-
burdie, et Ernpereur d'Occidcut. L'Iiéritage pres-
que illimité de Charlemague ful ainsi transmis a
un Monarque, petit de taille et d'Intelligence, quí,
appclé au trono pour [aire la gucrre , acheta 11OIl-
teuscment la paix, On sait que les Parisicns, al-
taqués par les Normands, récluméreut son se-
cours, Il vint avcc une arméc formidable et
planta son cump sur les hauteurs de Montmartrc,
- Mont-dc-Murs..- Chucun s'nttendait a une ha-
tuille décisive, ü une victoire certaine; rnais l'Em-
pereur aimu mieux capituler, rnoyennunt scpt
cents livres pesant d'argeut. Ses propres vassaux
l'ubandonncrcnt aussitót : les IIIlS passerent dans
les rangs ennemis; les nutres ren trerent daus leurs
chúteuux, Eudcs seul, comte de París, héritier de
la gloire ct du patriotisme de son pere Robert-
le-Fort, défendit l'antique Lutece, sauvu l'Élilt et
dcvint Ie héros de la situation.


Des que les peuples de l' Europc curcnt appris
la capitulation hontcuse de Charles-le-Gros, ils
pousserent un eri d'indignation et de révoltc. Les
Franes, les Lorraius, les Bavarois, les Germuins,
les Itulieus, tous CCUK qui lui obeissaient encore,




- 2~7-


paree qu'ils avaicnt autrefois obéi aCharlernague,
foulant aux picds sa eouronne dans la diete <le
Tribu!' (RS7) , le déposerent et élirent des Rois
nntionaux , sans avoir égard á la deseen dance Car-
lovingicnne. Le titre d' Ernpercur fut disputé entre
Gui, duc de Spolette, et Bérenger , due de Frioul,
Ludes, comte de Paris, monta sur le tróne de
Frunce, porté par les évéques el reeonnu par Ar-
nolf, roi de Gcrmanie, it la coudition toutcíois qu'il
lui rcudruit hommagc, Cclui-ci fut élu.comrne étnnt
le plus hravo ; rnuis Bozon devint Iloi de Provence,
commc étant le plus adroit. Ses États renfermés
entre le Iihin, le Ilhóne, les Alpes et la mer, se
composaient de la Franche-Comté, du Dauphiné,
de JaTaren taise, de [a Suvoie, de la Suisse romane,
de toute la Provence et d'une partie du Languedoc,


La Iloyauté reste élective pour les rois nouveuux,
upres l'étre devenue pour les anciens rois, dont le
territoire est morcelé par les Barbares ou par les
feudataires; et dont la puissance , autrefois si
grande, se réduit a n'étre plus qu'un vain titre :
fantórne de l'unité natíonale qui apparaít uu mi-
lieu des plus terribles divislous [ En effet, pendant
que les Surrusins ct les Normands s'ernpareut de
la Nonuaudíc, de la llougric et de Naples, tous les




- 248 -


grands officiers,établis dans les proviuces ou duns
les États de l'Empirc, se déclnrent indépenc1ants
et maítres, les ducs de lcurs duchés ; les marquís,
gardíens des frouticres ou marches, de leurs
marquisats ; les co mtcs, de Icurs comtés; et ils
menacent les Ilois et les peuples, clu haut de leurs
chátcaux , deceuus des repaircs de briqands (1). o


Autrefnis, le Monarque s'entcnduit <Jire, en pró-
sence de ses ofliciers : « Roi trcs-illustre, le Dicu
tout-puissant Ca créé une raee noblemeut royale ;
sa miséricordc t'n conduit ti la piscine 1'ó~(~néra­
trice; i! Ca institué Iloi en rópuudunt sur La tete
l'huilc ele l'onctiou sacrée. Enrichi de tous ecs
dons, tu por les légitimement le diudémc. Ce nom
t'appnrticnt done: premicrcmcnt, paree que tu es
sorti des eutruillcs d'un Iloi ; sccoudcmcnt, paree
que le Iloi des rois t'a choisi pour son fils udop-
tif (2).)) Maintenant , au contraire , dénué de
prestigc et d'uutorité, le Monarque pcut étre im-
punémcnt bruvé, puisqu'il n'u ele puissance, dans
l'État, que par le nOHJb1'e ele seigncurics qu'íl y


(1) {edil ele :i,"I'. - \ (,y..\ ¡11' ,"<lilll-!'iil',;I, Ytt i.«, de la 1I0!lU¿¡U:.
]\J];¡. JI, l:';l:~·. (!0~.
(~~) ¡,';dl!ll', ::i~);¡!'<-dl\ IJi' rUj'd!\'I:~' ~',:tilitlk'l]fl¡¡, [11 IU!Je ni


Vi;l ¡'cll._"::L :q'\:([ . ! r)(')",'U/l o/i.,/ltol srriptoru n! qu] in (;(r!li¡f¡
/;iIJ/;ui!/('('i", u.u.: in«: !i('Il('dicluI'/UIl, la1Il('/'U 11 1, .'i/,ici/('yilllll V
1550-1077.




- 211\1-


possede, Eudes fut obligé de combutre, memc ü
son lit de mort, OU il rernporta une derniere vic-
toirc sur les barons, en leur faisant couronner
Charles, fils posthume de Louís-le-Begue , au
Iieu et place duquel il régnait lui-rnéme, pour
avoir héroiqucmcut renipli I'o11lce royal dc dé-
fcuse nationale qu'uu Empercur el Roi électlf avait
lachement abnudounó (1e' jnnvier 898).


Le prince, que les chroniques injustos onl ap-
pelé Charles-le-Simple, mais que la justice histo-
rique il rchuhiiüé de nos jours (1), fit preuve d'une
véritablc hahilcté politique, en cédant une partie dc
la Noustric (la Normaudic) auso ]\' orrnnnds, a la
condition (ILIe lcur chef, Ilollon, cmhrasscruit le
Cluistinnisme. C'étuit uno sorte de nuturalisation
civilisatrice (1'le le lloi de France Imposnit aux Bar
bares, Cela Iaisun l , 11 truusformai t un eunem i re-
doutuble en un allié ~~l1I' loquel iI pouvait comptcr
en toute occasiou , soit pOIlr repousser eles invasions
nouvcllcs, soit pour Iaire reutrer les harons duns
les limites du droit et du devoir, Le jour ou Rol-
Ion mil ses ruains duns cellcs du Monarque, il
prononca les paroles suivuntcs : « Dorénavant je


(1) e"llc réhahilitation «sl duo aux sayanle, recJIC']'elics (le \f. 1:0]'-
glll't. luir Sil n¡,\sl'l'llllivlt adrcssee ;¡ L\cildl~llJic des oCi!'ll(,('ó' de
Bnl\dle~, en 18l¡:L




- 250 -


»suis votre féal et votre homrne, et je jure de con-
» ser ver fidelement votre vie, vos membres ct votre
» honneur royal. » Les seigneurs, dont le poucoir nc
s'était pas moins acera par tusurpatiou pussc« que
par la restaura/ion presente el), comprireut la
haute portée de cet acle dlrigó coníre cux. Aussi
dénaturereut-ils sa signification propre , en le
présentant comme une violation flagrante des
principes qui constituaient la nationulité gallo-
franke. Ayanl résolu de s'en venger, ils mirent u
leur tete Ilobert, frere du roi Eudes: et ne songo-
rent plus, des-lora, qu'á renverser le prince au-
quel on avait donné la dignité royale comme par
dérision ou Lt la condition cxpresse qu'il ne la
prendrait pas au séricux.


Charles convoque, á Soíssons, une asscmblée du
Charnp-de-Mai, ou il espere tout concilier, quaud
il aura dit : (( Qu'en sa persoune résident la force
el le fondement de l'autorlté ; mais que les lois
divines et humaines rendent ses Féuux participant
de son augusto ministere, el qu'ils doívent travail-
ler á mériter le titre glorieux de coadjuteur du
Souverain (:2). » Le Chnmp-rle-Mai se réunlt, et


(1) \r. Cesar Canlu, iu«. unir, '1'0111. 1\, pac;o L7U.
(~) Halllzc, Callit. atlditio 1/1i(1I'I(I, «un. ::;~\).




- 251 -


les dlvislons éclatent aussitót, Des la premiere
séance, il n'y eut plus moycn de s'entendre. Les
scigncurs, 10iD de négocier avec Charles, rompi-
rent fa paillc; et l'urchevéque de Rcims transporta
la couronuc sur le Iront oc Ilobort (922).Celui-ci
fut tué (lflC!flllC tCl1IpS aprcs, de la main de
Charles, dans un combat sanglant OÜ chacun paya
hravoment de sa personnc ; et ou la révoltc uurait
été déluite, si Hugues, fils de Robert, n'avait ral-
lié les fuyards qui détcrrninercnt la victoire.


Satisfnit d'avolr obtenu le surnom de Graneldans
cette funesto journéc, Ilugucs envoya demander
iJ sa sceur Emma , femme de Ilaoul, duc de Bour-
gogne, auqucl des dcux, de son Irere Ol] de son
époux, elle préíórait donner le titre de Rol. Celle-
ci, (aisnnt allusion aux cérérnonics de l'hommage,
répondit qu'elle aimait tuieu.i: baiser fe geJlOu de son
nuiri, que cclui de son [rérc ; et Haoul Iut porté au
tronco Charles expin dans la misere, une gran-
dcur impuissante ; mais il eut la gloire ele corn-
prcndre les devoirs de la Royauté, ú une époqne
ou il était impossible de Iairc triompher ses droíts,


Apres la mort de llnoul , cornmc la Monarchio
n'cxistait plus que de nom, en regnrd de la Iéoda-


lité, qui s'était purtngó le Iloyaume de maniere ú




- 25:2-


luí donner la forme d'une Ilépublique, persoune
ne voulut prendre le sccptre. Louis d'Outrc-Mer,
íils de Charles-le-Simple, vint occuper un tróne
oú Hugucs-le-Grand , pour la deuxieme foís, re-
Iusai t de s'asscoir (926). Harccló par les hauts
barous, réccmrnent alliés aux Normanda, Louis
voulu t ,s' ü ppu yer sur Othou, lloi d' Allcuiugne ;
rnais les seigueurs, qu'il u'uvait pu diviser malgré
ses largesses réi térées, se ralliercnt en armes au-
tour de Ilugues-Ie-Crand (1), qui devint ainsi le
chef du parti national.


La guerre cívile amene la guerre étrangére.
Louis est déposé (~l6G), malgré les menaces el'O-
thou, Les Allemands envahissent la Frunce: néan-
moins, aucun ucte déclsif n'éclate, ni d'un coté,
ni d'un autre. Les évéucments s'éparpilleut, uu
licu de se résunier. Fra ncaís el Gerrnaius s'en tre-
tuent done iuutilcment, puisqu'ils ne peuvent rlen
creer. Tout le monde s'adresse enfin ü la Papauté :
seule institution moralc qui sauvc, qui ronde el
qui arrive [1 I'apogée de sa puissanco ; pendant que
les institutions politiques s'ubíment dans lcur


(1) rrll;!)]('s-Ie-f:rilllll Iu! tour-atour ],"an1'l"l'i'(' de l.ouis-d'Outrc-
111 el", Hoj de 1'l"ill1l'l', d'Olllol1, noí de (;el"l1l<1l1il', el Ir¡::do uard, ltoi
d'.\I1;.dl'll'l"l"c; ol1c1i' de LollwiI"l', Ilvi de J-'l'iUICI), el bCiW-jJl'I'C de
ltichard, duo de .vortuaudie.




- 25::1-


propre impuissnncc. Un concile se tient á Ingel-
lieim pour y juger les prétcntions reciproques de
Louis et ele llugues, Quoique les seigneurs soient
plus nombreux que les évéqucs, l'assernblée prend
le partí du Monarque, en l'entendaut s'écrícr:
"Si quelqu'un me reproche les troubles et les


)) calamites du Iloyaurne, s'il croit qu'ils provien-
)) nent de ma faute, qu'll paruisse ; je suis prét á
») me justificr de la maniere que le concile ordonne-
»ra, merne par preu ve de 1110n corps en chum p de
» butaillc, » CetLe parole était une noble action. Le
légat Murin, qui présldait le concile, écrivit á
Hugucs et le meuaca d'excommuuícutiou, couunc
perturbatcur de la paix publique, s'il ne cessait
ses hostilités envers son Souvernin. L'orgueilleux
duc s'ínclina devant cette sentcnce, uppuyée par
les armes gcrtuaincs, 11 aída méme Lothaire, íils
de Louis, amantel' sur le trónc, qu'il dédaignalt
pour la troísíeme et pour la dcrniere fois; cal' sa
morl était proche. Toute la Iéodalité sembla tom-
her avec cet houuno (~)56) ; aussi le Roi voulut-i!,
dcs-Iors, relever la couronne de Frunce, en l'af-
franchissaut du patronage de lAllcmagne, dont iI
croyait n'uvoir plus besoin. ~lais de nouveaux
trouhlcs nyaut óclaté , Lothaire íut obligó de




- 251l-


renouveler I'hommage au Iloi de Gerrnanie,et de
renoneer a ses propres droits sur la Lorruiue.
Cette politiquo étui t d'autant plus anti-natlonule
et d'autant plus funesto aux intéréts de la Monar-
chie.que la possession de la Lorraine uvuit motivé
une guerre pendant laquclle Othon JI était VClJU
assíéger Pnris. C'cst alors (lue Jlugucs-Capet, Iils
de Hugues-lc-Grand, uprcs uvoir sauvé la ville
par son génie et par su bravoure, délívra le
Iloyaume en repoussant l'armée impériule [us-
qu'á la Iorét des Ardcnncs.


Des ce momcnt,les Francais rceonnurent morale-
ment Ilugues-Capet.pour lcur vérltable Souvernln.
Lorsque Louis, ¡lIs de Lotkaire el surtunnnié le Fai-
ncant, lui lequa son tráne, ti S011 lit de mort, on eút
dit que la raee carloviugienne voulaít sc réeoneiJier
avee la nation , á 1'11eu1'e supreuie ou elle alluit
comparaítre devaut Dieu, (1) M. Guizot , qui a si
supérieurement déerit toutes les révolutions poli-
tiques de cette époque, l'a dit nvec raison : «I1u-
gues-Capet, ne fut porté au tróne par aucun partí,


(1) \1. (:(;sal' Cantu, ni«. unir'. '1'0111. J\ ]lag. t/3. Ce SG\'i\11t hislo-
ríen eslle 1Il'('lIIit'r qui ail !Í\(' lnllrnlion 1111 111111:11,-, ('j'ullil sur celle
k"ilj¡ualioll jJosiljl", 1'\i",III(I' di' la Illilllil'I'I' :;lIi\allll'; }Jmllilu
¡'(filIO IJ IIUUlli d.u]; I/I/i (UI!UII 1i1ll1U rc.i: [iut ns c,lla Fruucis. -
C/U'UII. (JI)f)jLD\l. Ji! 'r. q.t!'. e! [ruu«. ,\I'J'i/JI.I//JiI/! IIUl1l BUl!llll~t.
'rom. \, pago lG6-:]:]2-2/13-281. - 1738.




- 255-


par uucune combinaison, ancune intrigue un peu
généralc..... 11 acquérait, par lü, dans le pré-
sent, une dignité plutót qu'un pouvoir. La Ilépu-
hlique féodale n'était mcnacée que clans l'avenir ;
et, ucoup sur, elle ne s'en doutait point. Nulle
révolution n'a dé plus insignifiante quand elle
s'est faite, el plus Iéconde en grunds résul-
tats (1).•


Il résulte, de ce qui précéde, que lIugues-Ca-
pct, désigné par Louis-le-Fainéant comrne son
successcur, prit une couronnc dout nul baron no
scmblait se soucíer, ou mieux, que nul n'aurait osé
luí disputer , car, outre ln suprérnatie Iéodale que
lui conférait son litre de Iloi de Frunce, il avait
pour lui le fait antérieur et le droit. La qualifica-
tion d'usurpateur ne saurait done lui étre appli-
quée, puisqu'clle (( emporte une ídée de violencc
» el de rupt epi nc se trouvc point duns l'élévation
)) de la troisicmo ruce de nos Ilois P)·. Voilú ce
que l'histoírc doit proclumer h.unemcnt Ü la gloirc
de Ilugucs-Capet, qui scrt de trait d'uuiou anos
trois dynnstics,ct qui rétublit la solidarité monde
de toutc la Iioyuutc Iruucuisc, puisqu'Il était pciit-


(1) EWlis sur nu«. de rrancc, pago 85.
(:.!) )1. Laureulic, Poli/i'IIIC ronaic C/I F,'tllI('I" pago 2[{.




- 256-


fils de Ilobert-le-Fort, que certains généalogistes
font descendre du fameux Witikiud, Iils d'Odin ;


et que nous uvons fait égalemeut remonter á
Clovis, fils ele Mérovée (1).


A cette époque , le gouverncment Iéodal, der-
niere exprcssion ele l'anarchie , avait étouflé , en
Occident, les premiers élémcuts de l'orclre social.
Chaqué jour amenuit, pour les faruilles et pour les
uations chrétienncs, UIl nouvcau surcroít de mal-
heurs, de miseres, de spoliutions et de servitudes.
" Tous les États de l'Europe, dit Ancillon, ú quel-
ques différences prcs, oílrnicnt le memo spectacle :
un Iloi sans pouvoir , un peuple laborieux ct pau-
vre, opprimé et ignorant, achetant á force de tru-
vail ce qu'i! Ialluit pour ne pas monrlr de faim ; et
une clusse de propriétaires terriens, qui pesait éga-
Ienicnt sur le Roi et sur le peuple, ct se montrait
égulement I'ennemie de l'un et ele l'uutre (2). l)
Ai11Si, l'Iudividu isolé réugissait brutulcmcnt con-
tre la société, Les guerres coutinuellcs des vassaux
entre eux uttribuaient au plus Iort, sur telle ou
tcl le contrée, les droits de propriété et ele souve-


(1) :\1. Francis Lacomho, Hisloi¡'(.' de la Bourqcoisic do ]JII-
ris. Tom. 1"', chap, it, png. G;J.
(~) Tublruu des n,:I'o tl« s,I}sl. polit, de t'liuropc. Tom, 1", ln-


tro.lucti.m. •




- 257-


raineté , qui Iormaient la base du systéme féo-
dul. Les populations laborieuses , commcrcantes
et manufacturiéres, quittant l'cnceinte mal forti-
fiée des villes, vinrent s'établir a l'ombre des cha-
teaux crénelés, OU i1s trouverent la servitude, uprés
avoir perdu le sentirncnt de leur propre liberté.
C'est que la scule force de I'Élat résidnit parmi les
seigncurs, qui le réduisaient ü cette extreme fai-
blesse. Aussi, lorsque les Normuuds menacerent
l'existence des faibles Iloyautés méridlonales, avant
la formation des grandes Monarchies du Nord, ils
n'eurent que les barons it combattre ou aséduíre,
selon qu'ils voulaient eux-mémes détruirc la so-
ciété ou en créer une pour leur propre compte.


En dominant ces catastrophes incommensura-
bIes, la Ilace Capétiennc assure su propre fortune.
Elle s'éleve dan s la gloire et dans le succes, ame-
sure que la Buce Curlovingienne tombe dans la
délaite et daus la honte, Dieu inspire enfin a. Louis
une abdicatiou salutaire en faveur de Hugues-Capet,
deveuant ainsi l'héritier légitime de tous nos Hoís
el de tous les héros qui ont mis leurs épées victo-
rieuses au service de la civílisation contre la bar-
baríe. Son nOI11 sert maintenant de bouclier a 1:.1.
cité de París, ti la nationalité francaise, au monde


1. 17




- 258-


chrétien, II ne s'ugit pas, en cílet, d'une réuction
indíviduelle et despotíque : mais d'une régénéra-
tion sociale ct libóratrice qui counucuce pacifique-
ment, pour mettre un tenue ala longue lutte de la
Monarchie et de la Féodalité. Hugues-Capet exer-
<¡aiL positivemeut la suprématie féodalc, avant
qu'Il ne prit moralement possession de la préro-
gative royale , en vertu du principe héréditaire
eL du principe électif. Lui seul pouvait done
fonder l'ordre de son gouvernement sur l'identifl-
cation absolue des Franes et des Gauloís, des vain-
queurs et des vaincus; effacer leurs fatales divi-
sions, concilier leurs intéréts respectifs, et faire
triompher l'unité providentielle de la Monarchie
cxprírnée par l'union indissoluble de la Maíson
Royale de Frunce et de la Nation Francaise.


Te1le est l'origine glorieuse de la troisieme race
de nos Hois; et telle est aussi la fin émauciputrice
qu'elle se propose, en inaugurunt son uutorité
daus la liberté; condition supréme de graudeur et
de progres pour elle comme pour le pays; cal',
pour le pays COIl1me pour elle, le despotismo, c'est
la décadence. On l'u observé avcc une rnre jns-
tessc : (¡ La troisíeme race u'cst, duruut pres de
neuf siccles, que l'instrumcnt providcnticl du génie




- 259 -


natlonnl. La polüiquc royalc est la politique de la
Frunce; c'est Dieu qui l'inspire, sclon ses desseins
de liberté sur le monde. De la l'ndmirable designa-
tion de l\lAISON DE FnAl\CE, donnée dans la suite des
temps :l la grande race de Hugues-Capct, comme
pour dire que cette race asa vie dans la Frunce, et
aussi qne la France a sa vie en elle. Nulle autre
part l'histoire ne nous avait montré cette sublime
assimilatlon du peuple et de la Royauté (1). »


Antérieure par su formation atontes celles qui
se sont fondees, soit dans le nord, soit dans le
midí de l' Europe, la Monurchie Iruncaise a, des
son origine, le sentiment de ses destinées finales.
Dieu lui a donné l'intelligence pratiquo de la mis-
sion monde qu'elle doit réaliser, non-seulcment
pour la France, mais pour toute la civilísation,
en déterminant le véritable but des au tres Monur-
chíes, dont elle devient tour a tour l'Institutrice
et l'arbitre. Divinement instituée dans un but
d'ordre et d'émancipatíon, de liberté, de bien-erre
el de morulitó, elle combat le despotismo féodal ;
elle oppose le treme hérédituire au fief héréditaire ;
elle contient l'esprit de morccllcment et dindivi-
dualité , elle gúnéralíse le príncipe et le fait de


(1) \1. Laurcntic, Poiitiquc ¡'(l!JlI/e en Francr, pago 28. - 18'I~l.




_. 260 -


l'association, qui part de la Jurando, herccau
de la Bourgeoísle, pour aboutir aux I~tats·(;élié­
raux, berceau du Tiers-État; elle recoustitue
les villes, organise les comrnunes et resume enfin
le mouvcment générateur et régénérutcur de lit
société chréticnne, OÜ chaque homme porte au
front le signe de l'égalíté : sceau indélébile qui lui
est imprimé dans l'État comme dans l'Église , puis-
que le haptéme religieux détermine le baptéme
politiqueo


Natíon universelle par excellence, la Frunce mo-
narchique aime [1 voir son Roi s'inspirer du génie
qui lui est propre, pour micux fuire éclatcr, dans
l'histoire, le caractére chevaleresque dont elle a pu
souflrír quelquefois, milis qui l'a constamment
honorée. Tous ses ñlonarques n'out pas été , sans
don te, également grands, égulcmcnt pieux, égale-
ment bons , tous n'ont pas voulu, comme Louis X,
que dans fe rouaumc des Francs, la cliose en vérité
[ut accordante au nom; de son colé, la Frunce n'u
probablement pas toujours été, comme Bayard,
sans peur et sans reproche. Quoi qu'il en soit.nos
Rois et nos péres, étudiés dans la généralité de
leurs actes, ont été fideles aux príncipes de légis-
lation absolue, qui regleut leur existence récípro-




- 261 -


que ou comuiune el qui formuleut ainsl la réalité
positive el morale de la Frunce, en regard des au-
tres Monarchies. C'est que, suivant d'augustes
paroles : « lls ont travcrsé les siccles, truvaillant
J) de concert, selon les mreurs el les bcsoins du
)) temps, au développernent de notre belle patrie•
• Pendant quatorze cents ans, seuls entre tous les
)) peupies de l'Europe, les Francais ont toujours eu
»il leur tete des Princes de leur nation el de leur
- saug. Leur histoire est l'histoire de la graudeur
»progrcssi ve de la Frunce. ») Yoilb. pourquoi nulle
puissance n'a influé sur les États, pour le bien
coinme pour le mal, d'une maniere aussi com-
plete, aussi durable, aussi irrésistible que la nótrc,
par sa constitution, par sn politique, par ses idées,
par sa littérature, par son langage, par ses arts
industriels, par tout ce qui assure la prépondérunce
incontestable d'un grand peuple daus la civilisation.




SÜUE DES mIPEllELHS E'I' HOlS IYITALlE
Cl\RLOVINGIENS.


Charlemagne , empcreur,
Pepin , roi.
Bernard, roi.
Louis-le- Débonnaire, empereur.
Lothaire, empereur,
Lothaire Il, roi. .
Louis Il , crnpereur.
Charlcs-Ie-Chauvc, cmpereur et roi.
Louis-lc-Ccrmaníquc, roi de Gcrmauie,
Carloman, roi,
Charles-lc-G ros, cmpereur,
Gui , roi,
- Empercur. .


Lambert, empereur el roi.
Amolf', cmpcreur et roí.
Louis In, roí.


Empereur,
Bérenger, roi.•


Empcrcur••
Louis 1Y, roi de Germanie.


Empereur..
Hudolphe, roi,
Ilugues de I'rovcncc , roi.
Lothairc, roi, •
Bércnger 11, roí. .
.ulalbert, associó avcc son pt~re Bérenger.


ROO-H1i¡
780-810
810-818
814-8hQ
817-855
855-869
850-875
875-877
817-876
Rí7-R80
880-888
888
S91-8V4
894-808
890-899
899-923
900-903
888
903-\)24
HVa
9011-011
V2:l-~):!6
V:2(j-~)117
9:l1~-0jO
!JJO-D66




símIl': DES nois DE l%\NCE CARLOVINGIENS.


Pcpin-Ie-Bref.. • .•
CharleIJIa~lIe..
Louis-le-I'irux ou le Déhonnnirc.
Citarles Ir, le Chauve.
Lonis [1, le lE'guc.
Louis IIf et Carluman.
Carloman, seul.
Charles-le-Gros. .
Eudos (1" roi Cupétien),
Charles l l I, le Simple.
nolH'!'L ( 2" mi Capéticu ).
llauul (vassal élu ), •
Louis 1V, d'Outrcmcr.
Lothaire.
Louis V, le Fainéant.


752-768
768-Hll¡
8111-RIIO
8'jO-R77
R77-879
H7\)-R82
882-H8l¡
884-888


• H88-S9S
8\)8-923
922-923
\)23-\)36
936-95 1¡
!l54-986
OS6-987




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CII.\PITHE YII.


FOIUUTIO,\ DE L\ }IO\AHCllIE .L'iGLUSE, DES
TIlOIS IWYUm:s SIT'illl.\ArES ET DE


L'E\Il'IIIE ])E Ill"SSIE.


Somrnairc.


Invasious scandinaves, uoruiaudes ou dunoiscs d.ms le ruidi el dans
Ir: uord de l't.urope. - Le I\arharc se f:tr:ollne it la civilisation.c-
La Iri1J1l crraulr. erél' des ¡i[al,lissl'tlwtlls fixes pour constituer
une so('i¡"l¡".- 1)"nolllllrl'llH'lIt des í~tats de l'Eurnpe au x' siecle.
-- Les pouples du \li¡li el ceux du xord suivent une direction op-
JlOS¡'¡', -- Caracli're de ce dualísm«, - La Féodalité. -c'cst une
lir.pnbliqlll' dI) tyrannics, snllsliluée ;\ diverses vlonarchies ind¡;-
!"'lHlallll)s ellilll'('s..- Ili¡'rarcllÍl' fl'odalr unívcrsell«. - sonuent
IIn vassal, hOJIIIIII'-lige. - 11 n'appartcnnit plus ni an noi , ni il
la natiun : rnais ,\son suzernin, rnuune partie inl.;granle d'nn fief.-
nans le SYSU'IIIi' I','oda!' Jl' Pape ,'st scul d¡'!Jo.silair(' dn pouvoir ah-
SOII1,ell ¡jll:llil(' de "i('airl' d¡, nieu.--Ilne SI' rr'serv« ué.unnotusquc
l'autorit. spirillll'¡ [1' el ('urJli.' l'autori 11" pol i1il[111.';\ l'Elnpereur, chef
tll'S liois.-Cil;lqlll' I'l'incl' r('gllillll velll ('Ire U'gill dI' I'Empcreu:',
- Le travail de la civilisalion, jusqn'ic! conccntré« rlans le 'liL1i,
,'étend <", pn'sclIl yers Ii' \¡)J'(l.-Les -nxons en nn·lilgllf'.-{nilü
monarchiquo expriml;e pilr le Chefdes chcfs, an milieu des ctau»,
0\1 gOll\'ernelllenls cuntonaux. - Iuvasions successivesdes tribus
sn xnunos forman! cbacnne un pelil noyaume. - Heptarchie. -
(;ouvcl'llemenllentonic¡ne. -\rlhur, héros dr la naüonalité hre-
Iounc, - I'::;hert S011mel touie l'Itcptarchie ases 1ois. - Alfred-
le-nrand, prince réformntcur. -- Son peuple I'abandonne. - Les
\ ngln-s:t.\nns suhjnguos par les üanois. - .\Ifrel! retiré chez un
bomjr'l',-Il li"l1tia call1pagne ida Hlilnil"re des handits el dcvient
11n héros. - iI :;1.' ri'lll! au eallljl des Danois, dég'nisr en barde. -
nellvrance dr' la nrl'lagl18. - Alfred-lu-ur.md remonte sur le
lróue el s'inspire des idees de Clrarletuague qu'il prend pour 1110-
di'le. - Constitution de la \lollarrlJie anglo-saxonne. - Teolll-
lllC1I1 d'Alírcd-lc-urund, prcinier fondateur de la lillerié unglaise.




- ~G(j


- Les Allglo-~a:\olJs snl>jllgl¡('S par les Iianuls. - kauui-lc-
Crand réunít dans SI'S mains les couronnes d'Angletcrr«, du
Dancuiark, de la :'íol'\Yi'ge ct de la sucdc, - :'>on ]J,~]Pril\age
it llome. - Lortrc (le Kauul ailressée anx 1)l'("lats de ses tli-
vers l\oY<1Utl)(~s. - knuut-lc-urnud dans les ¡,lals scandínaves
convertís au calholici:;llle. -- CU'ilcU're civilisatcur de son gou-
vernemcnt, - Les xcandínavcs ct les :'>1al'es en ítussie..- ¡¡urik
et ses frcres, - Oleg, tutcur d'lgor, ilSsi¡ige Coustruuinoplv ,
oú ron a d{'já pródit que ccttc villc-mctropnle doit [owlH'r ('!l-
tle les lllains des Itussos, - \\Iaililllir-I,,-,;r;¡ntl. - ."il mis-
síon cst providr-ntioll». - .\ vanl d"'Jldll'ilSsel /" c):)'¡"lianisllll',
i/ Interrogc des juifs , des catl101Íi[lleS l'l lles IlllIS11IIlJanS. -
JI ouvoie des aurhassndours it 1<01111' cl it Constantinol'h'. ~
\YJaililllir-lc-I;1',111 el se pronour:c en LiY"\\l' de la religioll
grer,qnc. - II se Iail hapliscr S11I' les hords du [lnit'pI'!' avoc
vingl mille ltusses. - Coustitutiou dalJlie par ce \lOllal'llne,
vérítahle Iondatcur de la puissance russe, ~ Iuvasiun des Tar-
tares. - Iiécadence de l'Euipire de nussí«. - '.lllel1e 110il 01!'1'
sa destinée au XE" sieclc. - xouvell-s lunes cutre les rnces
scandinaves, - Les :,axons el les '\0l'l11all(i:! lnujours 1'\1 snene
sur le sol anglais, - Gnillnnmc-lc-uatard fail la conquete d,~ Lvn-
g/derr!'. - Crandeur (le ce r'\S1illal. - TransformiltilJll ;,hsulll!'
du gli\ll'rm!'nl!'1l1, (lcs iusl.ilutiuns pI du Lll1gage.-J.·l-:[;¡[ allcJais
esl dcfiuítive.ucn! rondé. - OriDine des SllelTes qui out llcu 1"'11-
dant plus de quatre siecles entre la France el l'Anglclel'1'l'. - :-c-
ríe des noís Anglo-saxons.üanois el Bretuns en Anglcterrc.


La raee de Charlemagne nvait laíssé tomber de
son front,' outre le diadéme impérial, toutes les
couronnes de l'Europe, que les peuples releve-
rent de leurs mains, Chuque nation voulut se
créer une existence personnelle. Quelques petits
Royuumes, ayant chacun á su tete, un prínce élu
dan s le pays, naquírcnt aíusí ct vécurcnt, plus ou
moins de temps, autour de la Frunce, de l'Italíc et
de la Germanio : seuls États qui, sous une forme ou




- 267-


sous une nutre, devaient se perpétuer dans les sic-
eles, paree qu'ils étaícnt assez grands pour centra-
liser et contenir le mouvement de la civilisutlon
européenne, une dcrníerc Iois menacée par les
Barbares.


Chaqué jlonarchie, conime chaque peuple, a
déjü son hut propre ; sinon pnrfaítcment déterrní-
né, du moins cnticrcment pressenti. La Frunce et
l' Allernagne., ne pouvant plus étre réunies, se sé-
parcnt désormais. Les Saxons, qne le héros carlo-
vingien avait réduits ü I'obóissance en leur im-
posant des loís avec le glaive, se sont emparés
du sccptre qui symbolise encere un commande-
ment suprérnc panul les Iarnillcs de Ilois, Aussi
fixent-ils en Gcrmanie ce glorieux litre d'Empire
qu'clle saura conscrver jusqu'upres la bataille
d' Austerlitz et la paix de Presbourg (L8ü6), oú
Fruncois Il , Empercur d' Allernagne, change de li-
tre et de puissance, pour prenclre les noins d'Em-
pereur d' Autriche el de Francois 1. cr, selon la vo-
lonté absolue de Nupoléon, s'imaginant ressusciter,
au nom du despotisme, l'épopéc de Charlemagne,
parco qu'il détruit, ü grands COLlpS de sabre, les
dernieres traces des institutions créées par le géuie
curloviugien, uu 110m de la liberté!




- 268-


Cependaut le midi et le nord de l'Europe sont
égnlement euvahis pUl' des Barbares, qui, ul'excep-
tion des Sarrasins, viennent successivement pren-
dre part aux progres de l'humuníté. tes harrdes
scandiuaves, danoises ou norrnandes envahissent
Ú la foís l'Italie, pour y cflaccr les dcrniéres traces
de l'Empire, en y jctant, sous la forme d'un du-
ché, les premiers fondements du H.oyaume des
Deux-Siciles ; et l' Angleterre, pon!' la subjuguer,
en se l'appropriant et en constituant l'unité de la
civillsatiou dans le Nord, par la fondation presque
simultanée des Royaumcs du Dunernark, de Nor-
wcgc el de Suedc, suivant l'exemplc des Vurcgues,
qui, s'étaut mélós aux Slaves, out créé comrue par
enchantetuent , le vaste Empire de Ilussie. Partout,
la tribu errante s'arréte, se fixc et se transforme
en société. Purtout, l'houime ..farouche el sauvage
cherche use faconner aux habitudes, aux IlHBUfS,
aux lois el ula religion de l'honune civilisé, L'un-
tagonisme des races, naguere si formidable puis-
qu'elles ne faisaienL que se hcurter ou se reucon-
trer sur un champ de bataille, disparaít graduelle-
mcnt; cal' elles veulent vivre cote ü cóte, dans un
but de counucrce, d'iudustric, d'action el de réac-
tiou, inoralc ct mutéricllc, reciproque. Leur aggré-




- 269-


gation réussit.pnrce que chaque État, granelou pe·
tit, marche d'un pas súr ú l'ombre de I'Église, dans
la voie universelle, suns sortir néanmoins de ses li-
mites naturelles, que Dieu lui assigne et que son
Roi fait respecter. Les nationalités se coustituent.
Nous voyons enfin surgir, Ü cette époque de com-
plete rénovation, les Monarchics diversas quí doi-
vent exprimer, dans leurs tendances respectiv es ,
tous les cotes de la civilisatiou européenue.


« Vingt-ncuf uus uprés la mort de Charlerua-
gne, son Empire est divisé en Itoyaumes de
France , de Germanie, d'Italie. Quinze ans plus
tard, il se morcelle en sept Etals, de Frunce, de
Navarre , de Provence, de Bourgogne , de 1.01'-
ruine , de Gcrmanie , d'Italíe. Au coinmence-
ment du XC siecle , l' lLalie est rattachée Ü la
Germanie, el le Iloynuuie d' Arles se forme de la
Provcnce, réunie il la Bourgogue, Les uutres peu-
ples se fondirent en partie, et eurent une histoirc
propre, de sorte que l' Europe se trouva divisée en
vingt États : au Xord, l' lrlande, l'Angteterre, l' É-
cossc, le Duucmark, la Norwege, la Suede, la Ilus-
sic el l'Islande ; au Centrc,la Fruncc.Iallourgogne,
la Il ougrie, la Cermanie, prédomínant sur tous les
nutres, et les peuples entre le Danube et le Don;




- 270-


au Midi, le Iloyaume de I.éon, la Castillo, la Na-
varre, Cordouc, les Principautés musulmanes,
l' ltalíc, la Croutie (l) .')


Quoique la civilisation moderno et chrétienne
n'ait qu'un seul point de départ, elle suit pourtant
deux directions opposécs : l'une dans le Midi, l'au-
tre dans le Nord, comrne si les Etuts de ces con-
trécs u'uvaicnt, ni le méme but, ni la méme des-
tinée. Ce contraste éclute il la Iois dan s le langage,
daus le gouvernement et dnns la religion, selon
qu'ils dérivent des mccurs latines, ou des usages
teutoniques : les deux seuls élénients qui concou-
rent a former l'unité morule de l' Europe,


L'organisation de la fóodulité fut plus dissol-
vante, dans les grands Itoyaumcs du Centre, ([Ile
dans ceux du Nord ct du '\lidi. L'esprit Iéodal
dótruisit non-seulement les institutions , mais ,
pour ainsí dire, le sol, en Frunce et en Angleterrc;
il réduisit, en Allemaguc, la suprématie impériulo,
si íorte naguere , il u'étrc plus qu'un valn titre;
tundis qu'Il 1](; créu pas rucmc un scul fief en Espa-
gne el en Itussie.T.e Monnrque rl1SSC prít le titre de
Czar et le nom c]'rw{ocratc de toutcs les Principau-
tés: le Iíoi cutholiquc ou cspuguol , toujours en


('1) \1. Cl'SQI' Cautu , u¡«, unic, TUIlI. L\. tpilo(JllC, pago (¡Si,




- 27i -


gucrrc avcc les Maures, fit triompher l'unité
un commandcmcnt et du droit, pour empécher
toutc division qui auralt cotupromis le succés de
ses armes et le but de ses glorieux travaux.


Ces graneles métamorphoses attírent bien des
calamites sur les peuples et sur leurs Souveraíns,
Chaque prédiction de Gracioso, i' évéque inspiré,
se trouve ainsi réaliséc, cal' « l'Empire des Francs
» a péri ; les Iíois sont assis sur le tróne impórial ;
)) toute chose va de mal en pis, et les serviteurs
)) I'emportent sur les maítres, et chacun se confie
)) en sa propre ópéo (1), » depuis que le baronnuge,
passant de l'état de sujétíon it l'état de gouverne-
ment, par la fa tale association du principe de sou-
veruineté avcc le príncipe de propríété, consacre
l'asscrvisscmcut de l'csprit huruain.


L'iunnobilíté physiquc el monde des Empereurs
et des princcs de la race carlovingienne uvait
produit les mouvcmcnts révolutionnuíres, qui con-
stitucrcnt la puissance féodule sur les déhris de
I'autorité mouarchique. En tous lieux ou dominait
nutrefois un pouvoir général et souverain, exprés-
sion d'une Monarchie plus 011 moins lihórale,
on voit paraítre millo dcspotisuies particuliers, ex-


(1) Voir 1" C"lnlllf'IH~t:III"l1l (111 c!l~pill'l; qni iJ!'/'ci'z1".




- 272 -


pression d'une Oligarchle mititaire ou arístocruti-
que et religieuse, politique et civile, • dont les cer-
eles concentriques s'cn vont resscrrant autour de
la couronne, Dans chacun de ces cercles s'iuscri-
vent d'autrcs cercles qui ont des centres propres a
leurs mouvements ; la Iloyauté est l'uxe autour du-
que! tourne cette sphere coinpliquéc, Ilépubli-
que de tyrunnics diversos (1). )} Sur eette échelle
formidable, s'élcve graduellement le simple pos-
sesseur d'arriere-fief', scigneur de villagc ; puis
l'abbé ou le baron , seigueur d'une petite ville
murée ou non murée, bútie al'ombre d'un cha-
teau-Iort ou cl'un grand nionastere ; puis l'évé-
que, le comto ou le marquis, scigucur d'uno
ville consídérable : puis l'archevéque ou le duc ,
pair du Itoyuurne el gouverncur d'une province ,
puis, cufin , l'Empercur 011 le Iloi , chef morul de
tous ces Ieudataires ('2), liés les uns vis-a-vis des
autres par un serment ele foi et hom niage ; mais
ne reconuaissant, avraí dire, d'autre príncipe que
le fait, d'uutrc justice que le glaive.


Pour maintenir ce líen social, le seul qui fút


(1) Chateauhriaud, Études histari.uu-«, Tom. rrr.
(:1) \l. lrancis Lacomln-, tlistoirc de la tsourqcoisie de Pi/riso


Tome l'", rlIilJl.III, pago (j7-G8.




- 273-


positif en l'absence de tout nutre, on imagina, bien
que les fiefs fussen1 devenus hérédltaires el con-
séquemment trnnsmíssiblcs, de faire préter le ser-
ment de foi el hommage : cette sorte d'investi-
ture morale renouvelée U chaque mutation de
propriétairc. Celui-ci se présentaít alors devant
son seigueur-suzerain immédiat , découvrait sa
tete, déposait son báton el son épée , se mettaít
a genoux, el, placant ses mains dans les sien-
nes, disait : - «De eette heure, je suís votre
s honnne-i lige de ma vie et de mes membres;
)) honneur el foi vous porteraí en tout temps
)) pour les terres que je tiens de vous. » - Aprós
nvoir próté serment sur l'Évangile, il poursuí-
vuit en ces termes: - « Seigneur, [e vous serai


)l fldéle el loyal; je vousgarderai ma foi pour les ter-
» res que je requiers de vous; je vous renc1rai loya-
- lcment les coutumes el services que je vous dois.
)) Ainsi Dieu et les saints me soient en aide, ))-
Le vassal se relevait pour baíser l' Évangile et
rcccvoir une branche d'urbre, une motte de gazon,
une molle de terre ou tout autre objet, que son
scigneur lui remettait , comme un symbole de
I'investiture demandée et de son identification
personnelle avcc lui-méme : principe absolu du


J. 18




- 274-
gouvernement féodal. Dégagé des licns qui au-
raíeut pu I'attacher soit au Iloi , soit ti la nation,
dans un autre ordre social el politique , le vas-
sal est l'homme de son seigneur. 11 se trouve lié
uLJi par des nreuds tcllement indíssolubles, qu'il
ne saurait obteuir, en dehors de luí, ni justice, ni
protection ; que ses proprcs acles n 'cntrníncn t
aucune responsahilité personnelle ; qu'il ne s'ap-
partient en aucune facon ; et qu'il est la chose de
son seigneur, Cal' s'il cornptc pour n'irnporte quoi
dans l'humanité, ce n'est point paree qu'il cst fait
a l'image de Dicu; maís, au contrairc, paree qu'il
esi partie intégrante d'un eorps constitué sous le
ti trc de FIEl" !


« C'est un beau speetacle que celui des lois [60-
dules, dit Montesquíeu. Un chéne antique s'éleve ,
l'ceil en voit de loin les Ieuillugcs , il approche , iI
en voit la tige, mais il n'en apercoit pas les raci-
nes : il faut pereer la terre pour les trouver (1).»
En eífet, le sol ou mieux le domaine, cnvisugó au
point de vue de la souveruineté, scrt de base au
droit féodal et au fuít méme de la Iéodalité, quí se
résume tout entiére duns le fief ccclésiastique on


(t) Es¡>ril des Lois, Tom 1lI, lív. XXX, chap, J, pago 376. f:dit.
d' Amsterdam, .\J.DCCL.\.l.




- 275-


sécnlier, ligo ou non lige, divisible ou indivisible,
jnridictionnel ou censuel ('1).


Nous n'avons nparler ici que de la deruiere es...
pece de fiefs, snvoir : le Iief juridictionnel, qui n'o-
bligeait le vassul qu'a la fidélité personnelle envers
son suzerain ; et le fief censuel, quí cntrainait de la
part du vassal, outre la fidélité, une redevance an-
nuelle qu'Il devait payer ason seígneur direct. Le
memo indívidu, roi, prince, duo, comte ou baron,
se trouvait souvent , seigncur et vassal tout á la
fois, homme-lige sur une terre et suzeruin sur une
nutre. Pouvait-il en étre différemrnent, alors que
les posscsscurs de ficfs étaíent liés entre eux par
un systérne hiérarchique si complet, que le vilain
dépendalt du bourgeois; le bourgcois, du valvas-
senr : le valvasseur, du chátelain ; le chútelaíu, des
barons ; les barons, des vicomtcs; les vicomtes, des
comtcs ; les comtes, du duc ; le duc, du Roí ; et le
Iloi luíméme , du Pape: unique dépositaire de
la puissance nbsolue, en tan t que vicaire de Dieu,
principe et fin de tout pouvoir, sur la terre
comme dans le ciel! Néanmoíns , le Pape ne snu-


(1) Toules tes distinctions, qui caractéríscnt les diversos nil-
turos de flefs, sont parfuítcment étahlies dans le íravail de 'l. Fora,
mili, intitulé: Manualr: du jurisprudcnca Ieudat«. Vcuisc, 18111.




- 276-


raít gouverner directemcnt l'humanité. Aussi,
ayant confié ul'Empereur I chef des Rois, I'autoríté
universelle pour ce qui concerne le gouverne-
ment poli tique ou temporel, ne se réserve-t-il l'au-
torité absolue que pour ce qui concerne le
gouvernement religíeux ou spiritueI. Cette gran-
díose dualité se manifesta magnifiquernent nu
ternps de Charlemagne; maís elle s'évanouit avec
l'unité impéríale , cal' les Monarchies indépen-
dantes qui se fortuérent apres sa dissolutíon , ne
voulurent pas se soumettre a un pareil ordre ju-
ridictionnel. Chaque Roi fut, en eflet, ou voulut
paraítre l'égal de l'Empereur aupres du Pape.


Jusqu'á présent, tout le travail des sociétés a été
circonscrit dans le midi et dans le centre de l'Eu-
rape; maintenant, il cherche á s'étendre d'une
maniere illimitée. Enfin un immense besoin de re-
pos, de sécurité, de vie sociale, d'ótablissements
fixes et de croyances morales se manifeste parmi
les peuples du Nord, fatigués de leur existence
nomade ou honteux de leur activité sauvage ,
depuis qu'ils ont comparé leurs propres actes
avec les príncipes des nations chrétiennes. Ces
farouches enfants d'Odin, qu'íls ont surnommé
tour a tour « le Dieu des armées, le Pere du car-




- 2i7-


~ nage, le Dépopulateur, l'Ineendiaire, ~ paree
qu'ils ne voyaient eneore, dans la eréation divine,
qu'un vaste champ ouvert ula destruetion humaine,
quittent la mer et prenent terre, afin de seeonstituer
des Empires, de les peupler et de les policer en de-
venant eux-mémes enfants deJésus-Christ, á l'iustnr
des peuples civilisés. Un cycle social commence
pour eux; pour eux aussi, l'ágc barbare ton che aSu
fin. Apres s'étre assis, un moment, au milieu des
États européens; ils se relévent, emportant, vers les
contrées stérilcs du Septentrion dont ils veulcnt
faire leur patrie, tous les principes de civilisation
quí doivent la féeonder.


Le premier établissement poli tique des Saxons
fut fondé en Bretagne (Angleterre), pendant l'ir-
ruption générale des Barbares. Ne pouvaut dé-
Cendre ectte riche possession oú brillaient déjá
quatorze villes florissantes, l'Ernpereur Honorius
invita les Bretons, Cambriens et Logriens, a se
confédéror pourse défendre eux-mémes, C'est alors
qne les Pieles et les Scots, peuples des montagnes,
vinrent assaillir ces malheureux habitants de la
plaine et s'ernparer de Icurs foycrs. Une partie de
la population indigenc, courbéc sous la loi des
vaiuqucurs, demeura sur son territoirc: l'autre par-




'- 278 -


tie se réfugíadans l'Armorique. Ungouvernementde
Clan (d'une ancienne famille) fut établí ou réta-
bli: cal' les grands, tous indúpendants les uns vis-
a-vis des nutres, s'arrogeaient , chacun dans son
district, une sorte d'autoríté souveraine (1).


Le Pouvoir, ainsi fractio nné, au Iieud'exprirncr
les diversos forces du pays, n'exprimait que son
extreme faiblesse. Bientót apres les Bretons, con-
fédérés entr'eux, instituercnt un Chef des chefs
appelé Pendraqon : symbole de puíssance et d'u-
nité; maís cette sorte de magistrature royalc ,
créée pour maintenir l'ordre et la liberté, deviut
un pretexte de discordes et une cause d'asservís-
semen t (2). Vortigern, prince de Coruouaílles,
était Chef des chefs, lorsque les Saxons se préscn-
terent sur les cótes de Bretagne. Aprós avoir es-
sayé vainement de réunir les différentes tribus
índigénes, dans un noble but de défense nntionale,
il prit la résolution de traiter avec les étrangers, et
de leur donner l'tle de Thancs, en récornpense de
leurs services militaires, cal' il espérait s'en [aire
un moyen de gouvernement. Muis les Saxons,


(1) HUBle, ni«. d'Anglctcrrc. 'rom, J, clnp. r.
(~)\I. AlIg, T1Jie l'l'y, I1 ist. de la CUJUIW;lc de C/lnglclal'c par


les Normanas, ron., 1, lív, 1, pago J\).




- 27\J-


(h'~ja ligues avec les Pictes, voulaient dominer pour
leur proprc compte. Loin de déposer les armes,
selon l'esprit et la lettre des traites invoqués par
Vorügcrn et par son fils Vortimcr, ils commencé-
rent une guerre qui dcvíent presqu'interrninable,
el pendant laquelle Ilcnghist fonda, sur la ríve
droite de la Tamise, en á55, le royaume des hom-
mes de Kent (Kent-uara-ricey, OElla, en á77, l'é-
tablissement des Saxons du Sud iSuüc-Seaoma-ríco~
Susscx.; Certlic et Kynrie, son fils, en áGi, le
royaume des Saxons occidentaux (~Vest-Seaxnu­
rice, Wesse,t'); et Erkenwin, de á95 a50S, le royau-
me des Saxons orientaux (Easl-Sea.ena-rice.. Esse,}').


Chaque jour augmentaít la conquéte des Saxons
en Bretagnc, durant eette invasíon séculaire ; mais
Arthur, le fabuleux héros de 1'histoire nationale
et des romans de la Chevalerie, limita leurs suc-
ces et garantit l'indépendanee des Cambriens, avec
le surnaturel appui de l'enehantcur Merlín qui luí
donua uno épée magique, A sa mort, les Angles et
les Pieles poursuivírent leurs destruetions victo-
rieuscs pour eréer, dans le pays des Carnhriens, le
royaume des hommes du Nord de l'Ilumber tNor-
tkan-Ilumbra-menu.. Northumbricns, d'oú le nom
de Northurnberlnud) : plus loiu, le royaurnc




- zso -


d'Estanglíc (East-englaJld) , sur la cote orientale;
et enfin, entre l'Humbcr et la Tamise, le
royaume de Mercie (Merk~ marche), de 5l¡7 a
5GO. Tous ces royuumes, au nombre de sept,avaient
en 58h, une organísatíon violente, défectucuse et
barbare; car les vainqueurs substituercut partout
leurs mceurs, leurs lois et leur laugugc il ccux des
peuples vaincus, C'étaient done autant de murs de
séparation élcvés entre la Bretagne et le reste du
monde civilisé.


Les États anglo-saxons, formant l'Ileptarcbie, se
réunissaient et se séparaient tour á tour, sclon que
l'intérét commun ou l'Intérét individuel venait a
prévaloir. Outre l'entourage ordinaire el partícu-
lier des Ilois (Koning) , sorte de cour, il y cut des
assemblées générales désignées sous le nom de
Wittenaqhemot, ou diete des sages: ce qui ne les
empécha point de se Iivrer 11 tous les genres d'ex-
ces. Le príncipe du pouvoir royal, iclentique á ce-
lui des peuples germains, exprimait un mélange
d'électíon el d'hérédíté dans la famille du Rol. La
rcprésentation générale, militaircment organisée,
déterminait moins 1[\ loi que la guerreo Aussi était-
il irnpossible que tous ces petits Élals, volsins, in-
dépendants el rivaux, ne cherchasscnt pas réci-




- 2tH-


proquement ú s'cntrc détruire. C'est cc qui cut
lieu, Les Royaumes les plus faibles furent con-
traints de devenir tributnires et auxiliaires des
Royaumes les plus íorts. On vil les États de
Wessex, de Mercie et de Northurnberland , s'iu-
corporer peu tl peu les États de Keut, d'Est-án-
glic, d'Esscx ct de Sussex, Enfin, Egbert, Iloi dc
Wessex, desceudant de Cerdic et contemporuin de
Churlemagne, sournit ases lois toute l'Heptarchie.


Quelques historiens prétendent que ce prínce,
couronné a Winchester, prit le titre de Iloi d' An-
gleterre; mais d' autres afllrment qu' Édouard-
l'Ancien fut le premier princc qui s'intítula, dans
les monnaies : Ilc.c Augtorll1Jl. Egbert, il est vrai,
conserva leur titre aux Ilois de Mercie , d'Est-
Auglie et de Northumberland , tout en leur ótunt
la puissance; néanmoins son autorité etait seule re-
connue dans l' Ile Britannique. Apres taut de guer-
res intestines, l'Angleterre comptc jouir d'une paix
durable et prospere, en vertu de l'uuité monarchi-
que: príncipe d'ordre et de progrés: mais elle se
trouve hientót sous le coup d'un autre fléau. Les
Norrnands paraissent sur ses cótes, avee quel-
ques voíles , counne autrefois les Saxous, Au-
[ourd'hui, ce sont eles pira tes ; demain, leur ílouc




- 282-


étant plus nombreuse, ce seront des conquérants.
Les Danois ou Normands débarquent, en eflet ,


non loin de Cornouailles et y sont recus avcc ami-
tié, en haine des Saxons. Vainement Ethclvull,
Éthelbald, Éthelhert et Éthelred , Itoís de la torre
Brítannlque, essaient-ils de repousser, avee un
certain courage, les Rois de la mer; ceux-ci n'cu
envahíssent pas moins les anciens Royaumes de
Murcie, de Northumberland et d'Est-Anglie, pour
y former de nouveaux établisscrncnts. Leurs pos-
sessions devíennent bientót si considérables, que
les nombreux domaines auglo-saxons sont dcj¿l
réduíts au seu! État de Wessex. Plus le territoirc
national se rétrécit , plus le découragcmcnt uug-
mente. A la mort d'Ethelred, le péril publie cst
tel qu'on abandonne ses enfants niineurs et
qu'on appelle au tróne , ou plutót au commandc-
ment général, son frere Alfred : il est vrai qu'il
possede l'áme, le courage, le génie d'un graud
homme (871). L' Anglcterrc se sauve, paree que
Dieu l'inspire,


Alfred remporte d'abord plusieurs victoires sur
les Danois; mais ensuite il cst Iui-méme défait
par ses propres sujets, Homme de savoir et de
clvilisatiou, il avuit compris, duns ses voyagcs il




- 283 -


llame j tous les avantages du christianisme ;
aussi móprlsnit-ll la religion et les institutions de
l'Augloterrc, n'cxprimant que l'ignorunce brutale
et la barbarie. Habitué it conduireson pays, al! pas
de course, lorsqu'il s'agissait de reconquérir le
territoire sur lcs Dunoís, il s'empara de l'autorité
absolue afin d'accomplír plus vite la réforme reli-
gicuse et sociale : malheureusement on le prit
pour un despote, pour un égoíste royal, tandis
qu'il ne faisnit que résumcr en su pcrsonne la li-
berté morule et politique du Iloyaume. Ce malen-
tendu ne porta bonheur ni nu Monarque, ni it la
nation. Lorsque les Danoís reparurent en 878, i\l~
[red envoya dans les villes et dans les hameaux
son mcssager de guorre, portaut une fleche el une
épée nue, maís, il cut heau dirc : (¡ Que quiconque
»ne veut pas étre tcnu pour un homme de ríen
D (u/l-nitlting) , sorte de su maíson et arrive; »nnl ne
hougea. Ce grund cupltnine abandonna aussitót le
trónc, non l' Angleterre, quoiquc, duns son propre
aveuglement, elle s'abandonuát elle-méme a la
servltude ótrangere et harbare; sous prétexte de se
dérober an despotismc c1'un prince qui devait ron-
del' son indépeudancc natioualc el poli tique.


Penduut que le roi Godrun, chef des Danois, li-




- 28/¡-


vrait lo Royaume au pillage, Alfred, retiré ehez un
bouvier, sur les fronticres de Cornouailles, gagnait
son paín en rendant les plus humbles serviees et
ne perdaít pas l'espoir de sauver son pays; si le
sentiment patriotique, mort dans le présent, res-
suscitait dans I'avenír, Le Iloí passa quelques mois
duns eette eondition misérable. Un [our, plu-
sieurs de ses anciens compugnons d'armes
l'ayant rencontré et reconnu, malgré son déguise-
ment, i1s lui exposérent l'état réel de la nation,
n'uttendant plus qu'un slgnal pour se lever ,
comrne un seul hommc, contre la tyrannie étran-
gere. Aussitót Alfred se met á leur tete, choisit un
poste fortifié, afin d'ctre ¡\ l'abrí de toute surprise,
et tient la eampagne ü la maniere des bandits, qui
devient celle d'un héros. Les rangs de son armée
grossissent peu ü peu en méme tcmps que su re-
nommée. La réapparition du Roi qn'on avait cru
mort, ranime le patriotisme des Saxons ; ils de-
mandent a marcher eontre l'ennemí. Alfrcd mo-
dere leur impatience guerriere : quoiqu'il compte
religieusement sur le eoncours de la Providcnce,
il ne veut Iaisser aucune ehance nu husard, Acet
cffet, prenaut l'habit et la Iyre d'un barde, il
s'lntroduii duus le cump de Codrun, pour obser-




- 285-


ver ses forces el ses falblcsses , puís, il en sort,
chauge de vétement et de caractere , et releve
eníin la banniere du cheval blanc : symbole des
combats el de la délivrance britanuique.


Les Norrnands, surpris ú l'improviste, n'eurent
pas méme le temps de se ranger en bataílle. Ceux
qui échappérent aux lances de l'armée saxonne,
vinrent tomber sous le sabre du peuple , venu en
masse u l'appel de son Boi, Godrun auraít perdu
toute sa conquéte, s'il n'eüt embrassé le Christia-
nisme : il recut alors le nom d'Athelstan et con-
serva le Royaume d'Est-Anglie ; maís l'ile entiere
fut soumise aux lois d'Alfrcd cIue les États libres
de Sussex et de Kent proclamérent, Des ce ma-
ment, l'ancienne division hcptarchique se trou-
vant complétement efTacée, les Angles et les Saxons
resterent unis dans la bonne comrne dans la mau-
vuise Iortune. Gráce a cet heureux concours, AI-
fred parvint, encore une fois, a sauver son pays
d'une seconde invasion, Le redoutable Hastings
parut sur les cotes de l'Angleterre avee une flotto
immense; et il fallut lui livrer cinquante-síx ba-
tuilles , mélées de défaitcs, pour obtenir une
victoíre décísive.


Forme et résolu dans l'adversité, modéré dans




- 286-


la prospérité - constant aud resoluto in adversity l'
moderate in prosperiut, - Alfred merita le titre de .
grand, comme Boi-oapitaine et comme Iloi-légis-
lateur : aussi a-t-on essayé de le comparer aChar-
lemagne. En effet, de méme que le héros carlo-
vingien, il se proposa de régénérer son peuple par
l'éducation, par la foi religícuse et par la science
ou l'instruction répartie selon les aptitudes indivi-
duelles et générales. Non- seulement il établit des
écoles élémentaires OU chaqué pere de famille
fut obligó d'envoyer ses cnfants; mais cncore l'é-
cole célebre d'Oxford, et divers autrcs établisse-
ments, destinés a propager le savoir le plus élevé,
dans un temps ou l'ignorance était ú son comble,
Mais l'actíon de Charlemagne s'exerca sur toute la
civilisation occidentalc , tandís que eelle d'Alfrcd-
le-Grand ne dépassa point les limites de l' lle Britan-
nique, Charlemagne étonne , épouvante , subju-
gue; Alfredintércsse, rassure, passionne. Le pre-
miel' réunit dans l'unité de son exístencc la con-
ception et l'exécution :ces deux hémisphéres de l'art
gouvernemental que tant d'uhímes séparent prcs-
quetoujours. Le second, uu contrairc, no fut qu'un
vulgnrisatcur grundiosc ; il calquait, uu lieu de
créer. Charlemagne était une intelligence prime-




- 287 -


santiere ; Alfred ne fut cívillsateur que de seconde
main. La seule identité qui existe entre ces deux
caracteres si dilférents, c'est que l'un et l'autre
s'eppliquercnt 11 la réalisation constante du bien
moral dans tous leurs actes, et a la recherche per-
pétuelle de In j ustice dans toutes leurs pensées,


Les hístorlens anglais consíderent Alfred-le~
Grand comme le fondateur du drolt national ilequm
anqlicanorum conditor, Pour bien apprécier son
ceuvre léglslative, nous devons done jeter un coup
d'rcll rapide sur l'état j uridique de I'Angleterre
pendant el apres l'Ileptarchíe,


A cette époque, le Royaume se divisait en com-
tés purticulicrs et gouvernés par un A lderman , ou
comte : chef politíque de la province, auquel de-
vaient obéir les Tltaues ou nobles, les Ceorls, ap-
pclés aussi Ilushatulmcn, formant la classe moyenne
Oll les hommes libres et les esclaves, Detoes. La no-
blesse avait plusieurs degrés. Les nobles du pre-
miel' ordre étaíent nommés Tliancs du roí; et ceux
d'un ordre inféríeur restaient sous leur dépen-
dance, en lemps de guerre comme en temps de
paix (1). Le Wcreqild ou la composition pour meur-
tre nous prouvc la vuleur positive de cette hlérar-


(t) vvilkins, LCIJt'.l wl.g!o-sa.rQn. pago M-IOl.


".... ..
,~ ..




- 288-


chie, cal' la vie d'un tluuie royal coütait alors 1200
schellings, celle d'un l!tanrde dcuxierne ordre, 600;
ccHe d'un céorl, 200 (1).


I ..a dignité de tliane étaít accordée atout négo-
ciant qui avaít fait trois grands voyages maritimes ;
et á tout ccorl, propriétuirc de ciuq Iiudes de terre ,
ayant chapelle, une cloche, une salle et une cuísine,
ou mieux d'un domaine seiqueuriai (2).-Chaque
Ityde égalait 120 acres.


En leur qualité d'hommes libres, les céorls de-
vaient le service militaire: conditíon de sécurité
pour leur personne et pour leurs bicns,


La nation avait son assemblée générale, connuc
SOllS le norn Wiuenaqhemot; et chaqué comió, son
assemblée partículíere, connue sous le nom de
Shire-Gkemot. Cclle-ci , cornposée des thancs du
district, jugeait les afTaircs civiles et crimínelles :
aussi contribua-t-elle puíssamment « ti fixer les li-
D bcrtés de l'Angleterre sur une base large et popu-
- lalre, en restreignant les droits de l'arístocrutíe
» féodale (3). 9


L'Assembléc nationale se composait des évéques,


(1) Spelman. Fl'lIds and tcnurcs, pago .'tO.
(:l) Se/den tiuics 01'tiouour, pat;'. 51.-).


Lj:l) 1I,L11alll, CElu'o})e (la 1II0Yl'n-Iíge. I'om, ]J, paf(. 18.




- 289-


des abbés et quelquefois méme des nbbesses (1),
des A ldermen et des lVites ou sages.que certains
historiens prennent dans la classe des savants, des
juges ou des jurisconsultes; et que d'autres pren-
ncnt dans les bourgs , mulgré leur puuvreté géné-
rale (2) et malgré les dénominations particuliéres
de Priucipes, Satrapes.Maqnates, etc, données aux
députés du Wittenaqhemot, C'est pour y voir l'orí-
gine de la Chumbre des communes, Il faut croire
que ce mot de lVites ~ désignait les grands et
moyens propriétaires du pays.


Telle étaít l'organisation prirnitive de l'Anglc-
torre. Alfred-Ie-Grand se proposa de la modifier,
en renouvelant l'ancíenne division politique et
territoriale des Saxons, et en l'appropriant aux
nouveaux besoins de la société. Dans l'origine, les
populations se distribuaient en compagnies (Fri-
borg) de dix hommes libres, qui s'obligeaient réci-
proquement á obtenir réparation de quíconque
troublerait la paixpublique, et qui obéíssaient aux
ordres d'un chef appelé Temqéré]« 011 Ilitinqman,
Dix compagníes formaient une centurie, Ilundrcd
('Va¡len-Tace) ou Ilundreder, sous le cornman.


(1) Spellllan, Closs. nu mol Parunnentnni, ei1t" par Hume.
(2) Brady, Traitt; dC5 {;OW'U.I ('I'reat, 01' lJorO/l(Jhs), pago 30!i


J. 19




- 290-


demcnt d'un eomte (Gél'é{a); et plusleurs ccntu-
ríes formaient une division (Sftire) , ayant Usu tete
le Shirqerc]« qui était luí-memo sous un A lder-
man, [uge supréme des cantons, commandant-
général des troupes, et oceupant le premier rang
aprés la fumille royale (t). Alfred ne fit que régu-
lariser cette organísatíon, partíe civile et partie
militaire. L'adminlstratíon de la justice fut établie
sur le méme plan que la division territoriale et
politique. Les difTérends qui s'élevaient entre les
membres d'une mérne dizaine ~lltitings), étaient ju-
gés par la dízaine elle-rnéme, sous la eonvocation
et SOllS la présidenee du Thitinqman, Les affaíres
plus graves, soit les appels des sen tenees rendues
par les dizaines, soit les contestatíons entre les
dizaines, se portaient devant l'assemblée du can-
tan (/tUndred),présidée par un chef, tite Ilundreder,
Douze Free-Ilolders, c'est-á-dire fruncs-tenanciers ,
étaient ehoisis et prétaient serment avee le Hun-
dreder, d'adminístrer une justice impartiale; et
proeédaient ensuíte ul'examen de I'aflaíre soumise
u leur [ugement. « Les formalités observées par ees


(1) Yoir .\1. Auguslín 'l'hiorry, tusi. de la conquátc de l".1nu1e-
terre par /1'.1 Normands, - CeoJfroide \I01ll1101ItiJ, ll ist, tirito-
nUIII. - Guill, de Malmcshury, De qcstis rcq, anglorurn.- slraron
'rlmrner, llist, o] ttie Anglo-Saxons.




- 291 -


s cantons méritent d'étre rapportées, comme étant
-I'origine des jurés : institution admirable en elle-
»rnéme, et ce que l'esprit de l'homme a pu ima-
o giner de mieux pour maintenir les libertés natío-
males et I'administration de la justice. o


Quoique cette assertion de David Hume ait été
níée par plusieurs autres historiens, nous pouvons
atlirmer, sans crainte d'étre démenti, que ees
vieílles institutions renfermaient le germe de tous
les principes qui ont prévalu dans la législatíon
moderne.


tes appels des sentences rendues par l'assem-
blée du canton, et les différends entre les can-
tons, se portaient devant la eour du comte,
Cette cour, siégeant a Páques et a la Saint-Mi-
chel , était composée de tous les vassaux de la cou-
ronnc en armes, a la maniere teutonique; et pré-
sídée , soit par l'évéque, soit par l'Alderman, gou-
verneur de la province, Enfin, les décisions judi-
cíaires les plus importantes ne pouvaient etre pri-
ses que par la cour du Rol, tribunal supremo,
Quant aux questions de politique majeure, elles
étaient agitées dans une assemblée nationale que
le Roi convoquaít deux Iois par an, ufin d'en laisser
l'initiative au pays. On le voit, l'idée générale de




- 292-


Charlemagne se tradulsaít par chaque acte partí-
culier d'Alfred, en tout ce qui servaít au dévelop-
pement de la uatíonalité britannique. II publia un
eorps de lois consideré comme la source du droit
commun en Angleterre. Jaloux de maintenír
les libertés de la nation, premier fondement
de l'autorité monarchique, il résurna sa vie daos
ceHe maxirne publiée arres sa mort (901) : Les
A nglaisdoinent étre aussi libres que leurspensées(1).


Édouard-I'Ancien, fils atoé de ce héros, porta
sur le tróne toutes les bonnes qualités de son pere
(he posscss'd all his [ather'sgood mus). Épée redou-
table et ame valeureuse, nul n'osa lui disputer le
Pouvoir supréme. II n'en fut pas de méme pour
son fils, qui se vil obligé de conquérir la succes-
sion paternelle. Aussi les scaldes el les bardes pu-
rent-ils s'écrier, aprés son triomphe: • Le Roi
Athelstan, le Chef des chefs, celui qui donne des
colliers aux braves, el son frere, le noble Edmond,
ont combattu aBruman-Burgh avec le tranchant
de l'épée ; ils ont fendu le mur de boucliers; Ils
ont abattu les fameux guerriers scots et les hommes
des navires, Olaf s'est enfui avec peu de gens, et


(1) Tcstamcnt el':1l(l'cd-lc-Grand. Voy. sa Vic pulrllée par ,\8-
serius.




- 293-


il a pleuré sur les flots. L'étranger ne racontera
point cette bataille assis a son foyer, entouré de
sa famille ; cal' ses parents y succombérent, et les
anciens n'en revínrent paso Les Rois du Nord ,
dans leurs conseils, se lamenteront de ce que leurs
guerriers ont voulu jouer au jeu du carnage avec
les fils d' Édouard (L), a


Tous les descenduuts d' Alfred-le-Grand ne par-
tagerent pas, comme ses successeurs immédiuts,
son courage et son respect pour les libertés popu-
laires. Edred substitua un pieux re pos ti. l'activité
gucrriére. Edwin, s'étant fait tyran, suscita une
révolution et perdit l'uutorité dont íl abusait , rnaís
Edgar, son fils, la retrouva (959) et su t procurer uses
sujets une sécurité permanente: ce qui lui acquit
le surnom de Pacifique - a perpetual pace, iohicñ
gain'd hime ttie name of Pacifick, - Les haínes
de race ti. race ne se manifesterent pas moins
entre les diverses nationalités qui étaient juxta-
posées, l'une en regard de l'autre, dans l'Ile Britan-
nique. Depuis que les Saxons avaíent subj ugué les
Danois, ceux-ci, traités avec une rigueur exces-
sive, imploraient secours el protection aupres de
leur mere-patrie. A peine Éthelred, quoique d'un


(2) Ediuon Gidson, Chronicon Sa.conicon. Oxford, 16U2.




- 294-


naturel tlmide et d'une fainéantise outrée - very
fearful nature, asid ertraoaqant indolent - eut-ll,
par sa tyrannie, mécontenté l'Anglcterre au point
de faire éclater une révolution contre lui, que, de
Ieur coté, Swend ou Swain , Roi de Danemark,
et Olaf, Roi de Norwége, vinrent l'assaílllr iJ. la
fois. Éthelred préféra payer ses ennemis que les
combattre, Swend quitta le sol anglais, apres avoir
recu quatre mille huit cent livres; mais il y revint
plus tard, avee une armée nornhreuse, pour occu-
per l'Ile entíere et prendre le titre de Roi. Il no
le transmít pas El son fils Kanut-le-Crand i cal' ce-
luí-ci l'obtint par une élection qui mít fin El la
guerre acharnée que deux nations se faisaient
depuis plusieurs síecles. Le résultat le plus pro-
chnin de cet événernent fut le triornphe du chris-
tianisme en Angleterre , en Écosse , en Sucde ,
en Norwege et dans le Danemark (1017).


Avant que les sceptres de ces divers États
fussent réunís dans une seule main, ils n'exis-
taient, a l'exception de l' Angleterre, pour le
monde civilisé, que comme autant de repaires ou
s'abritait la barbarie. Vaincment, depuis Charle-
magne , les Papes, les Empereurs et les Bois
chrétiens avalen t - ils envoyé des missionuuires




- 295-


dans ces contrées, afin de réc/tauf{er par le verbe de
Dicu les qlaces de Laquiion; Malgré le zéle des apó-
tres, la prédication chrétienne n'obtenait aucun
suecas: paree que les Rois du Nord, voyant un joug
politique dans le líen religieux qui devait les rat-
tachcr a l'Empereur d'Allemagne, fondaient leur
nationalité sur la haine de leurs sujets contre les
chrétiens, Partout oü la paro le divine semblait
etre accueillie avec quelque faveur, les Souverains, ,;
a l'instar de Corm-le-Vieux, Iloi d' Irlande , se há-
taient d'interveuir, de la maniere la plus barbare,
pour extirper du creur de l'homme, le premier
principe de l'humanité, Cette lutte supréme entre
le christianisme et l' idolátríe confuse des races
scandinaves et des races slaves, long drame, aux
péripéties longues, terribles, sanglantes, se termina
par trois actes mémorables : la conversion de
Hallan, duc de Normandie, et des seigneurs de
son armée, entre les mains de Charles-le-Simple,
Roi des Francs; celle de Harold Blaatand et des
autres chefs danois, entre les mains de I'Empereur
Othon Iel; eníin, cellc de Kanut-le-Grand, qui com-
pléta cette immeuse transformation, et donnait
l'unité chrétieunc pour hase iJ. la constitution mo-
rale de toute I'Europe.




- 2 6-


L'avénemeut de Kanut semblait étre d'un mau-
vais présage aux yeux de l'Angleterre. TI se mon-
tra d'abord soupconneux, farouche et cruel, non-
seulement envers les princes de la dynastie anglo-
saxonne ; maís envers les populatlons qui avaient
fait preuve d'un noble courage, en défenrlant leur
patrie. Mais plus tard, iI n'établit aueune dis-
tinetion entre les Anglais et les Danois , adrnit
les vaínqucurs aussí bien que les vaincus aux
charges publiques, et gouverna jusqu'á la fin
de son rcgne avcc tant de doueeur et d'équité,
que ses plus grands ennemis devinrent les meil-
leurs appuis de son autorité. Des qu'il cut conso-
lidé son pouvoir, il se rendit en pelerlnage a
Rome, avec une suite nornbreuse, quoique sans
fuste, puisqu'il chcminait a pied, la besace au cou
et le bourdon a la main. C'est alors que ce prince
écrivit la lettre suivante , immortcl témoignage
de sa régénération personnelle et <le celle de la Mo-
narchie européenne, dont elle exprime le véri-
table caractere, tel qu'il a été formé par le chrís-
tíunísme :


« Kanut, Roi de tout le Dauernark, de l'Angle-
terre et de la Norwege, et d'une partie de la
Suede, aEgelnoth le métropolituin, á l'archevéque




- 297-


Alfric, a tous les évéques et primats et U tout le
peuple anglais, nobles et vilains, salut!


n Je vous fais savoir que je suis allé derníere-
ment il llame pour obtenir la rémission de mes pé-
ches, el pour le salut des Rouasunes el des uations
fjui sont SOllS mou sccplre. 11 y a longtetnps que je
m'étaís prornis et que j'avais fait VCBU d'entre-
prendre ce pelerinage ; mais j'en fus longtemps
empéché par les affaires de l'État et par d'autres
encore. Aujourd'hui, cependant, je remercíe hum-
blement le Dieu tout-puissant qui m'a permis de
visiter les tombes de ses bienheureux apótres
Pierre et Paul, et tous les lieux saints, hors de
Borne ct dans Ilome, et de les honorer en per-
sonne : et j'ai fait tout cela, paree que j'ai appris
de la bouche des sages que saint Pierre l'apótre
avait recu du Seigneur l'éminent pouvoir de líer
et de délier. et qu'il est le gardien du Iloyauuie
des cleux, C'est pourquoi j'ai [ugé utile de réclu-
mer spécialement son intercession aupres de
Dieu.


• Mais apprencz qu'il s'est tenu ici, dans la so-
Jennité pascale, une grande réuníon de nobles
personnages ; le Pape Jean et l'Empereur Conrad ,
tous les premiers des nations , depuís le mont




- 298-


Gargano [usqu'á la mer qui nous avoisine. Tous
m'ont accueilli avec dístinctíon et m'out honoré
de riches présents ; l'Empereur Iul-rneme me
donna des vases d'or et d'argent, avec des métaux
ct de riches armes. J'ai trouvé l'occasion d'entre-
tenir le Pape, l'Erupereur et les princcs, des abns
qui pésent sur mes sujets, tant Anglais que Da-
nois; ['aí taché qu'ils jouissent de lois uniformes
et égales pour tous ; j'ui demandé pour eux plus
de sécurité dans leur peloriuage uHorne ; qu'ils
ne soient plus retardes dans leur routc par les
clótures des monts, ni vexés par d'éuormes péa-
ges. Mes demandes furent toutes accueillíes par
l'Empereur et par le Iloí Ilodolphe, et il fut una-
nimement convenu entre les princes que mes
hommes pélerinsou utarchands, pouvaient ú l'ave-
nír, aller et revenir de Rorne en pleiue sécurité ,
sans étre arrétés aux monts et sans payer des laxes
illégales,


D Je me suis plaint aussi HU Pape des sommes
enormes extorquées u mes archcveques, quand ils
se rendaicnt, suivant l'usagc, aupres du Siége apos-
tolique pour obtenir le pallium, Un décrct a été
rendu pour supprimer cet ímpót, Tout ce que
j 'ui demandé pour le híeu-etrc de mon peuplc,




- 299-


soit au Pape, soit u l'Empereur el aux princes
dont on traverse les possessions pour aller u
Rome, me fut accordé de bon cceur et confirmé
par leurs serments, en présence de quatre ar-
cheveques, vingt évéques et d'une foule de ducs
et de nobles. Je remercie done Dieu d'uvoir si
bien réussí dans mes désirs, et d'avoir réalisé tous
mes souhaits.


»Maíutenant, sachcz-le bien, j'ai voué ma vie
au service de Dieu, il gouverner mon Royaumc
avee équité, ct il obtenir la justice en toute chose.
Si par l'unpétuositó ou l'incxpériencc de ma jeu-
nesse, j'ai quelquefois violé la justice, mon iu-
tention est, avee l'aide ele Dieu, d'offrir de justes
compensations. Je pric done et j'ordonne a ceux
auxquels j'ai confié l'administration dc la loi,
s'ils veulent conserver mon amitié et sauver leurs
ames, de ne commettrc d'injustice, ni envers les
pauvres, ni envers les riches. Que tous, nobles 01l
manants, obtienncni lcurs droits suioant la loi : ou
ne deora [amais s'en écarter, soit par craintc de
moi, soit pour [aooriser le pouuoir oupour remplir
mon trcsor ; [e ue oeua: pas de I'arqcut produit de
t'injuslice•


• Je suis maintenant sur la route du Dancmark,




- 300 -


oü je vais concture la paix avec ces nations qui
font tous leurs efforts pour nous priver de notre
couronne et de la vie. Mais Dieu a détruit leurs
espérnnces, et j'espere que dans sa bonté il nous
sauvera el humiliera tous nos cnnemís. Lorsque
j'anrai terminé avec les nations voisines et ar-
rangé les affaires avec mes États de l'Est, mon in-
tention est de retourner en Angleterre aussitót
que le beau temps me permettra de mettre a la
voile, Mais j'ai voulu vous écrire auparavant, afin
que tout le peuple de mon Royaume se réjouisse
de ma prospérité, Cal' vous savez tous que je n'ui
jnmais épargué ni n'épargnerai ma peine lors-
qu'elle aura pour but le bicn-étre de mes sujets.•


Kanut, sortant de Rome, entouré d'une foule de
missionnaires catholiqucs et missionnaire luí-
méme, allait entrer dans ses États scandinavcs
avec la pensée d'établir la religión cbrétienne
d'une maniere définitive, non-seulcment dans le
Danemark, en Norwege et en Suede, maís encore
parmí les nations voisines ou slavonnes. Ces con-
trées encore sauvages, devaieut former, a la Iois,
nutant par leur propre caractere, que par leur
position géographlque, un mur de séparution et
un trait d'uuion entre l'Europe et J'Asie, entre la




- 301 -


civilisation et la barbarie. Ce projet, aussi noble
que vaste, Kanut le réalísa, sinon en totalité, du
moins en grande partie. Le Danemark se conver-
tit plus facilement que la Norwége, oü Hakon, fils
d'Harold, avait échoué dans la méme entrepríse.
Cal' les Norwégiens, hommcs libres et esclaves,
attachaient, aux idoles de píerre et de marbre,
d'étranges príncipes d'índápcndance. u Quand tu
» devins notre Roi, dlsaíent-ils a Hakon, nous
I croyions redevenir libres; et maintenant tu veux
• que nous abandonnions le culte de nos vaíllunts
I ancétres pour nous soumettre iJ. une servitudc
»étrangere! • Olaf Icc avait étédétróné, paree qu'il
voulait détruire cette erreur grossiere et créer
la vérité religieuse au moyen de la violence. Quoi-
que plus avisé, Olaf II n'obtenait encore que de
faibles résultats par l'Instructíon populaire et par
son royal exemple , lorsque Kanut vint faire,
par les armes, la conquéte de son Royaume.
Quant a la Suede, qu'Olaf Scolkonung avait ini-
tiée, vers l'an 1000, aux premíeres notions du
christianisme, elle suivait ee mouvement régé-
nérateur, sans en pressentirencore les conséquen-
ces finales et absolues, Nc devait-elle pas aussi, en
tant que natíon chrétienne, oflrir son concours h




- 302 -


la Papauté, pour que la cour de Rorne complétát
la constitution morale du monde moderne?


Kanut mérite de por ter le surnorn de Grand,
paree qu'il a été le réalisateur volontaire de
cette haute pensée ; paree qu'il s'est montré, dans
tous ses actes, véritablement Roi et chargé d'une
mission providentielle en íaveur des peuples : en-
fin, paree qu'il n'a vu, soit dans l'aggloméra-
tion du Danernark, de la Norwege et de la Suede,
réunis entre ses mains puissantes , soit dans
l'agglomération des nations slaves, qu'un moyen
grandiose d'accomplir l'unité de la vie spirituelle
ou religieuse et de la vio tcmporclle ou politique
dans le continent. Déjá les trois Royaumes de la
Scandinavie recevaient une organisation intérieure
et extérieure plus ou moins conforme a celle des
autres États monarchíques : ils éprouvaíent done,
quoique de loin, l'influence de chaque progres ef-
fectué au sein de l' Europe méridionalc; el, dé-
pouillant peu a peu leurs mceurs farouches, ils
devenuient partie intégrante de la civillsation.


Des que le systeme d'agglomération socíale eut
prévalu sur le systeme d'éparpillernent, principe
de toutes les ínvasions barbares qui désolereut,
pendant plusieurs síécles , chaque nation civili-




- 303-


S(~C, les chefs J' Étuts ne songerent plus qu'á
trausforrner leurs divers peuples, encore nómades,
en corps de société, ayant des établissements
fixes et des lois justes dictées par le christianisme.
Les races slaves, qui obéissaient aux Krols ou Rois
hérédítaires de Bohéme, de Croatie et de l'Ile de
Rugen, au lieu de se dispersor dans le centre
de l'Europe, se réunirent avec les Hongrois, ú
son extreme frontióre, afio de lui servir de rem-
part contre l' Asie. Non loin de lit, quelques
tribus de la mérne famille, quí avaient fondé au-
trefois Notooqorod-la-Grande, cité gouvernée en Ré-
publique par un fantórne de Royauté, se voyant
íncapables de défendre leur indépendance natio-
nale, accepterent la loi des Normands pour mieux
repousser le glaive terrible des Finnois, des Tcher-
messes et des Tchoudes (85V).


Sur la proposition du vieux Gostomusl, les Sla-
ves s'adresserent aux Vurcgues, peuple normand
de la Norwcge, en leur disant: (( Notre pays est
» vaste et riche, maís la justice y manque ; venez
"nous gouvcrner selon les lois. ,) Trois freres nom-
més Ilurik (le Pacifique), Siwax (le Victorieux) et
Truwal (le Fidele), sortirent de leur patrie avee
un certain nombre de compagnons, entrerent dans




- 30ll -


le pays de la Grande - Nowogorod, et se porté-
rent aux trois points les plus menacés. Siwax et
Trunwal étant morts , Rurik réunit leurs États aux
siens, s'établit a Nowcgorod , prit le titre de
grand-prince, donna au pays le nom de Rosland,
pour montrer a la race slave qu'il était le maítre
de ses destinées (868), et fonda ainsí la Monar-
chie russc. Il distribua le territoire entre ses
fideles (boyal'ds) a titre de seigneuries , mais
ces domaines royaux ne purent, en aueun temps,
devenir des tiefs; paree que Rurik et ses suecesseurs
eurcnt le soin de faire gouverner les villes princi-
pales, ainsi que les districts, par des líeutenants
(posadniks) a. leur choix, et, conséquemment, ré-
vocables.


Rurik ayant oublié, sans doute adessein,Askold,
el Dir, dcux hardis compagnons, dnns la réparti-
tion des seigneuries, ceux-ci abaudonnerent ses
f:tals pour ehereherfortune aillcurs. En se dirigcant
vers Constantlnople , ils apercurent Kiow (pro-
noncez Tckio{) , ville eonsidérable, assise, dcpuís
plusieurs síecles, sur les bords du Dniéper, el
s'en rendlrcnt maítres , avee l'espoir d'y fonder
un Iloyaume índépendant, Mais ils furent assaillis
par Oleg, tuteur du fils de Rurik, qui, ayant réuni




- :)O[i-


cct Í~tat a ses propres conquétes, fit de Kiow la
capitule de son Empire. Des qu'il fut ü la tete de
cette natíon populeuse.puíssante et guerriére.Oleg
lunca dans la mer Noire et dUBS le Bosphore deux
mille vaisseaux montés par quatre-vingt mille
hommes, et mit ¡'¡ la voile pour aller assiéger Cons-
tautinople. Léon-Ie-Philosophe, ne pouvant sou-
tcnir la guerre, s'empressa d'oflrir la paix , ct
d'accepter les conditions les plus humílíantes.
C'est ainsi que l'Empire de Ilussic, encore bar-
bare et a peine créé , fuillit détruire rEmpirc
de Byzunce, et justifier une prédiction déjh con-
nue, annoucant que les Itusses dcuaieui 1111 jour
semparer de Constantinople. Cette prédiction ,
répétée sans cesse depuís neuf siecles, cst chuque
jour a la veille de s'accomplir; Cal' telle doit étre
la mission et le but suprcme de la Ilussie, surtout
depuis qu'elle est devenue chrétíenne et que
Byzance ne l'est plus.


La conversion des Busses, qui auruit dú les fairc
participer au mouvemcnt politique et civilisatcur
des autres Monarchies continentales, s'cflcctua
sous Wladimir - le- Granel, petit-Iils de EL/rU::.
Son pero, Igor, avait purtagé la Monurchie entre
ses trois enfunts, selou l'usagc mérovingícn : aussi


1, 20


;




- 306-


les discordes fraternelles et sanglnntes que nous
avons signalées dans les Gaules, aprés la mort de
Clovis, se retrouvent-elles en Hussie. Oleg avait
été tué par son frére Iaroposk, lorsque Wladimir
I'Immola ason tour. Il rétablit l'unité du pouvoir
paternel apres ce doublo frutrícide. Quoique vo-
luptueux et farouche, ce prince n'en remplit pas
moíns, dans ses États, une mission providen-
tielle; puisqu'il renversa les idoles grossieres ponr
élever la croix et donner, a son peuple, qui sem-
blalt s'immobillser dan s la barbarle.un culto pro-
pre a favoriscr son développement et su cívílisa-
tion, au milieu de l'humanité.


Des son enfance, Wladimir avait recu de sa
propre mere OIga, baptisée á Constantiuople,
quelques notions positíves sur le Christianisme.
Néanmoins il résolut de confronter I'Église avec
tous les Temples, l'Évangile avee toutes les
croyances , afin de choisir celle qui lui con-
viendrait le míeux. A cet efíet , il Interrogea
des juifs, des catholiques et des musulmans.
Ccux-cí lui promirent d'abord le paradis de
Mahomet. Le prince révait déjü, dans son írnagí-
nation voluptueuse, un bonheur sans fin avec les
houris, lorsqu'on lui parla de la circoncision, quí




- 307 -


tui paru! un usaqe odieiuc. Seretournantdu coté des
missionnaires catholiques allemands , le fils d'Olga
les laissa parlcr ; mais il était trop imbu des prin-
cipes de la confession grecque, pour les écouter
avcc Iaveur. -« Iletourncz chez vous, répondit-
» il; ce n'est point du Pape que nos pcres ont recu
» une religion.» Les rabbins s'uvuucerent el Ieur
tour..- « Quellc est votre patrie? leur demanda
Wladimir -. Jérusalem; mais Dieu nous a dis-
»persés dans sa colere sur toute la surface du
» globe.» -« Comment, poursuivit le prince, vous
»etes maudits de Dieu, et vous voulez donner des
»Iecons aux hommes. AlIez, nous ne voulons pas,
»cornme vous,rester snns patrie. D


Aprés cetLe conférence memorable, Wludimir
envoya dix ambassadeurs en Allemagne ou a Ilome,
et quatre ambassadeurs á Constantinoplc, afin
qu'ils prissent connaissance des diíférents cultos.
Ces dernicrs revinrent á Kiow, bien avant les pre-
miers, lls avaient assisté , dans l'église de Saintc-
Sophie, á une cérémonie ou le Patriarche , pom-
peusement revétu de ses ornements sacerdotaux,
célébrait l'office divin, entouré d'un nombreux
clergé et d'une foule d'enfants, en habits blancs,
chantant sur la terre comme les auges doívent




- 308-


chanter dans le clel, Frnppés d'adrniration , les
ambassadeurs russes crurent que ce temple était
la demeure positive de l'Éternel, et qu'íl s'y ma-
nifestaít immédiatement aux regnrds des mortels.
Rcvenus aupres de Wladimir,ils lui dirent: n Tout
» homme qui a porté ases Iévres une douce bois-
» son, éprouve de l'aversíon pour tout ce qui
s est amer, Mnintenant que nous connaissons la
-religion grecque , nous n'en voulons plus d'au-
»1.1'e ('1).» Wlac1imir adopta eette religion; mais
avunt de l'embrasser, il fit quelques déruonstru-
tions hostiles centre Constantinople, afin d'obtenir
la main de In princesse Anne, srcur de Basile 11
et de Constantin VIII, Empereurs.


A l'occasion de ce mariago, il voulut que tous
ses sujets fussent baptisés avec Iui. Enviran víngt
millo Ilusscs se réunircnt.ce jour-Ia, sur le Dníé-
per; les adultes prírent de l'eau jusqu'a la ceinture
el jusqu'a la poitriue ; les plus jeunes se tinrcnt
sur le bord ; et les enfants Iurent élevés dans les
bras de leurs parents, Les prétres passérent, entre
leurs rangs, dans des buteuux et en récitunt des
prieres, a la suite d'un métropolite que le Patri-


(1) Karnmsin, Il istoirc de ('E/II)JiJ'c tlc Iiussic. Tom. 1", pagp
260 et suiv.




- :lO\>-


arche de Coustantinople avait euvoyé. Aprus
cette cérémoníc grandiose, Wladimir, prosterné
pres des flots et tenclant les mains au-dessus de
sa tete, s'écria : - « Dieu du ciel et de la terre ,
)) ubaisso ton regard sur ee peuple; bénis tes nou-
)) veuux enfants ; Iais qu'ils te reconnuissent pour
) le vrai Dieu , fortifie en eux la vraie foi; soutiens-
~ moi eontre les tentations du démon, comuie
»j'espere triompher de ses píéges avec ton assis-
» tunee. » - A dater de ce jour, la Ilussie fut
ehrétienne. Mais uu lieu de contracter une allí-
ance intime avec toutes les nutres Monurchies de
l'Europe, qui avaient acccpté, pour base de leur
poli tique, la eonstitution uiorale et universello du
CathoIicisme, embléme de l'unité religieuse el de
l'union absoluc des pcuples entre eux, dans l'État
et dans l'l~gIise, rnalgré leur iudépeudance récí-
proque, l'Empire de Ilussie ne contracta d'allíance
in Lime qu'avec l'Empire d'Orieut , exprimant un
schismc a l'égard de la Papauté et une rupture
complete avcc l'Occideut, Wludiruír eréa deux ar--
chevéchés, I'un i\ Kiow, l'autre ü Novogorocl : ils
relevercnt du Putriaroho de Constantinople, resté
le chef de la rcligion grccquc-nuie jusqu'á Pierre-
Ie-Urand. Ce prince voulut douuer iJ la llussic une




- 310-


Eglise propre ou distiucte comme son propre Étut,
en les idcntifiunt l'un et l'autre dans la personne
du Souverain, Pape et Empereur tout ensemble,
c'est-á-dire : Aiüocrate, - termo grec qui signifie
soi-méme puissance s-: cal' il uc cherche qu'en luí-
méme, soit pour la religion, soit pour le gouver-
nement, la raison absolue de son autorité.


Non contcnt d'uvoir décrété la constitution reli-
gieuse de son peuple, Wladimir s'eíforca d'amélio-
rer son existenee physique et morulc, en bátissant
eles villes, en défrichant d'immenses déserts, en
instituant des éeoles publíques , en appelant u
Kiow les savants de Constantinnple, et en accor-
dant ason c1ergé assez de pouvoir dans I'Üat ]JOU!'
contrebalancer, autant que possiblc, la tyrannie
des princes, dont le pouvoir était sans bornes. Au-
tant il fut cruel et furouche au début de sa carrierc
gouvernernentale, autant il devint doux et clémeut
á la fin. Sa piété ressemblait presque ü de la íai-
hlesse. Il luí arriva souvcnt d'absoudre des cou-
pables , en disant : - • Que suis-je , iuoi, pour
» condarnner les nutres ü mort? » - Le chef bar-
bare s'était done convertí en princc chrétien,
Chacun de ses actes u'expriuiuit plus qu'uue
idée salutaire , paree qu'il tcndnit toujours au




- 311 -


dévcloppement et il la prospérité de son Empírc.
C'est la ce qui constitue sa véritable grundeur aux
yeux de l'histoire. Quoique Wladimir se Iüt tour-
né vers l'Orient, pour ne pas recevoir les impres-
síons religieuses de l'Occident, unique centre de
la civilisation générale, il uvait fondé la puíssance
russe avcc tant de génie, qu'elle ne pouvait pas
rester longternps en elehors de ce mouvement
transformateur. Mals ses fils détruisirent, apres sa
mort, tout ce que leur pere avait pu créer durunt
sa vie (1015). En vain désigna-t-il , parmi ses
dome enfants, celui quí devait étre granel-princc
et suzerain de tous les nutres, auxquels il ne luís-
sait que eles apanages, afin de conserver l'unitó de
ses États, leur división cut lieu au milieu des guer-
res civiles et des Iratricides. L' Ernpire russe, né
géant, s'amoindrít de plus en plus; ruillc troubles
intérieurs favoriserent les entreprises de ses enne-
mis extérieurs, et, bientót aprcs, il devint la prole
des Tartares.


Empruntons, il un historien national, le récit
ele ces catastrophes: « II semblait, dit Karamsin,
qu'un fleuve de feu l'eút parcourue depuis ses li
miles orien tales j usqu' a ses Irontióres a l'Occi-
dent : on aurait dit que la peste, que les tremble-




- ::;12-


meu ts de terre, que tous les ílénux de la na ture
s'étaicnt ligués pour sa destructlon ; en déplo-
rant les ruines de la patrie, la perte des villes ct
l'anéantissemeut d'une partie de la population,
nos unnalistes ajoutcnt : - Tel qu'une béte féroce,
le l\han nau dévorait les provínces enticres.dont il
déchiruit aoec ses fjl'i/1L'S les misérables restes. tes
plus vaillants princcs russes uvaient perdu la vie
duns les comhats; les autres erraient sur des torres
étrungcres, cherchnut, parmi les peuples de reli-
gion diflérente, des défenscurs quils ne trouvaient
pus ; les meres désolées pleuraicnt leurs cnfunts
écrusés á leurs yeux par les chevaux des Tartares.
Les Icmrnes des hoyards , qui n'uvaicnt [umais
COl1l111 le travnil , qui naguere étaíent couvcrtcs des
plus riches vétemeuts, entourées d'une Joule d'es-
claves, devinrent les servantes des Barbares: en
un mot, la Russie essuyu , it cctte époquc futalc,
tous les désustres qui accableren ti' Empire rornaiu,
dcpuis Thécdose-le-Crund jusqu'uu VIl C siécle ,
ulors que les nations sauvages du Nord ravageuicnt
ses florissan tes provinces. ~


Les invusions orientales continucrcnt pendant
dcux siccles. L'Empire russe fuLdone perdu pour la
civilisation et rcgagué par la barburie.Lorsqu'iI en-




.- 3U-


treprit de reconstituer son État et son Eglise par-
ticuliére, avec le génie créateur de Pierre-le-Crand..
les Monarchies de l' Europe ne s'entenduient déjü
plus sur la maniere de coneevoir leur État distinct,
ni l'Église universelle, Tant ele elivisions politiquee
surgíssaíen t sur les débrís de J' unité morale! Cha-
que partí aspirait it la dictature, depuis que le but
propre des snciétés se Lrouvait anéantí. Mais, tan-
dis que le eontinent prostitualt ainsi ses destinées,
la Ilussie, placee en dchors ele ce mouvcmcnt re-
volutionnaíre et anti-social, restaít vierge de tout
destino Sítuation admirable que celle de eette na-
tion! N'ayunt ríen eu de commun avee le passé de
l'aucienne Europe, et, conséquemment, seulc
désintércssée dans tou tes les questions qui diviscuL
le moudc actuel, elle sernblc, en eflet, appclóc par
la Providencc.á résoudre, pour l' Europe nouvelle,
au .\IX" sicclc, le granel problcme de son avenir.


\Vlaelimir rccut le baptéme de la maiu du clergó
de Constautinople et uccomplissalt la conversiou
des États russes au sein de l'Église grecque, pres-
que en mérne temps qu'ÉLienne, premier Roi de
Hongrie (007), qui répandit le Christianisme
parmi les Turtures , connus sous le norn de l\1a-
gyares, obtenait du Pape la couronnc dite dvul/(Jd-




- 314-


tique; et avant que Kanut entreprit de íaire
entrer les États scandinaves et les nutres natíons
voisines au sein de l'Église romaine. Parmí ces
trois princes, qu'on peut également considérer
comme fondateurs d'Empires ou de Royaumes, le
premier et le dernier furent de si puíssants instí-
tuteurs, qu'ils obtinrent le surnoin de Crauds.
Wladimir fixa la destinée de son peuple dans le
cercle étroit dócrit par l'Orieut ; Kanut déterminn
celle des races normandes, en les Iaisunt partíci-
per aux irnmenses évolutions qui s'opéraient en
Occident. Le dynaste russe, Monarque absolu ,
crut constitucr l'unité politique de son Em-
pire, en désignant son propre successeur choisi
parrni ses douze fils; et son ccuvre périt dans la
division. Le dynaste scan dlnave , au contraire,
Monarquc constitutionnel, cornme on le dirait de
nos jours, apres avoir constiLué l'unité morale de
plusieurs États, les divisa lui-rnéme entre ses trois
fils (1036) ; et son ceuvre a survécu,


Suénon, Harald el Hardckanut, nés de deux lits
diflércnts , eurent en parLage la Norwcge , l' An-
gleterre et le Danemark , rendus a une existence
indépendante, Le Roí du Danemark déposséda le




- 315-


Iloi d' Anglctcrre , par la violence : Harald mou-
rut en défendant ses droits , et Ilardckanut tornba
lui-méme , bicntót apres , au milíeu d'un festin
(HlÚ1). L'anLagonisme de la race danoise et de la
raee saxonne s'exprima par une réaction de cellc-
ci eontre cclle-Iá , qui avnit armé Hardckunut
contra son frere. Les Saxons , ayant repoussé les
Danois, élurcnt pour Iíoi Édouard, fils d'Éthelred ,
alors rélugié duns la Normundic. En recevan t la
couronne, ce prlucc promit de ne donner aucun
emploi de J' I~tat aux Norinnnds d'origine scandi-
nave; ct, voulant donner pleine sutisfaction aux
idées triornphuntes, il épousa Édithe, fille de God-
win, le prornotcur des événcments quí venaient de
le porter sur le tróne d'Angleterrc. Néanmoins, Sil
eour fut bicntót plcine de Normnnds, Quelques-
uns d'entre eux obtinrent des cmplois publics ,
des dignités séculiercs et ccclésiastiqucs. Codwin
abandonnu aussitót Édouard , son gendre , en-
tomé d'étrnngcrs ; et rcconstitua le partí national
uvcc son Iils Ilarold : scul guerrier capable de tenir
tete aux Normnnds. Parmi ces derniers, 00 distin-
guait surtout Cuillauruc, Mt,lHI el successeur de
Hohcrt, duc eJe Nortuandic , suruomrné le Diable,
et qui s'cn glorifiuit, puisqu'il disuit : - Ego




316 -


Guillelnuu cognomento Bastardas (1), - et si-
gnait : H?ilhehnus Nothus. Édouard, qui l'accucil-
lit comme un anclen ami, lui confía , lorsqu'il re-
partit pour son duché, la garde d' un fils et d' un
neveu de Goclwin, que celuí-cí luí nvait rcmis en
otage; cal' il avaít faít la paíx aprcs quclques 1105-
tllités. A la mort de Godwin, Ilarold reclama ces
deux otagcs, et se dirigea vers la Normaudic, aíiu
de les obtenír. Mais , ayant échoué sur les lenes
de Guy, comte de Ponthíeu , il fut retenu prison-
nier par droit d'uubaine. Guilluume , en étant in-
formé, paya sa rancon, l'accueillit avcc courtoisic,
le gurda longtemps sur ses domaincs , fit chova-
líers les deux otages avant de les lui rendre, elles
conduisit dans une expédition eontre les Bretons,
afín qu'ils gagnassent bravcmeut lcurs éperons,


Harold, ennemi implacable des Normands, ::;'é-
tonnaít de recevoir une si merveilleuse hospitulltó
chez Ieur propre duc, paree qu'il ignoraiL eucore ses
projets. 11 les upprit bientót de la houche méme du
Bátard : - « Quand Édouard exilé, dit-il, vivait avcc
»moi SOllS le mérnc toit, il mc prornit, s'il devcnait
» Iloi d'Angletcrre ,de me [aire son héritíer, Si tu


(1) Iroru Douquct, Iicrum qiül; el [rauc, scripwns. '10m•.\JI,
pag.56!l.




- 317-


~m'aides á réalíser cette promessc, tu t'en trouve-
) ras bien; [e ne te refuserai ríen de ce que tu me
) demandcras. Tu donneras ta sceur en maríage a
» un de mes barons, et tu épouseras ma filIe Adéle,
» tn me laisseras en partan t un des deux otages; je
)) te le rendrai quand je déharquerai en Angleterre,
» al! tu fortíficras le chatean de Douvres , pour le
» livrer b. mes hommes d'armes, » - Harold, sur-
pris de cette confidcncc.et ne pouvant refuser son
adhesión sans dunger, acqniesca de bouche.pour
surtir d'embarras. Cuilluume lui fit préter serment
sur deux reliquaires , en présence de tous les sei-
gneurs normands. A peine Ilarold eut-íl juré que,
sur un signe du Bátard, on découvrit une immense
cuve, pleine jusqu'aux bords des reliques de toute
la contrée. Le fils de Godwin changea aussitót de
vísage, cal' son serment, qu'Il se promeuait de
rompre auparavant , liait désormnis sa conscience
d'uue maniere absolue.


De retour en Angleterre, Harold va trouver
Édouard et lui raconte tous les détails de cette
étrange scen«, Le Iloi , effrayé du présent autant
que de l'avenir, assemble les chcís de la nation ,
et les engage it couronner Ilarold aprés sa mort,
comme étant seul capable de les sauver. A peine




- 318-


Harold est-il monté sur le tróne (t0G6), que Guil-
laurne le somme d'en c1escenc1re, et lui déclare la
guerre en cas de refus, - in case of rcfusal. - Ha-
rold lui répond qu'il regne par la volonté ele 1'1\n-
gleterre, et non par la sienne propre, Des deux
cótés, on se prépnre : íci.pour l'attnquc ; lú, pou1'
la défense. Le Hoi d'Angletcrre triomphe du Roi
de Norwege , le jour méme (2~) septernbrc) OÜ
Guillaume part avee trente mille harques et
soíxante mille Normands, qui aborderont a Pe-
vensey, le lendemain. En mettant le pied sur la
rive, iI fait un Iuux pas et tombe : « Mauvais pré-
sage ! » disent ses eompagnons; ct lui de s'écríer
aussítót : « Qu'avez - vous? je viens de prendre
» cette terre ele mes mains, et, par la splendcur de
» Dieu, tant qu'il y en a, elle est a nous! » - La
batail!e d'Hastings, qui eut Iieu le 1h oetobre sui-
vant, justifia ces paroles du conquérant.


« Guillaurne, dit ~l. Guizot, fut véritablement
un grand homme , et si la grandeur des princcs se
mesure, eornrnc il faut bien que cela soít, par la
diffículté des ceuvres et par l'importunce des ré-
sultats, i! n'y en a pas beaucoup qui lui soient su-
péríeurs•.•


)) Au XI' siecle, Upeine au sortir de la barbarie,




- 319-


sans aucun des moyens que nons donnent aujour-
d'hui la civilisation et la science, le duc Guillaume
a assernblé, embarqué, transporté au-delá de la
Manche, débarqué sur un sol ennerni, plus de
trente mille hommes; et apeine débarqué, il a ga-
gné des batailles, il u conquis un Iloyuumc.


D Yoila pour la difficulté de l'entreprise; voici
pour la grandeur du résultat. Non-seulement il u
conquis un Itoyaume, il a Iait bien plus: il a íondé
un Etat, il a fortement et solidement établi, sur
une terre étrangere, son pouvoir, su race, des in-
stitutions et une langue nouvelles, et son reuvre a
duré des siccles et dure encoré, et c'est encare
daus la langue du roi Guillaume qu'on parle a la
noble rei ne d' Angleterre dans son Parlement, et
qu'elle répond (1). J)


Nous aurons sans doute ¡\ raconter, dans le cours
du présent ouvrage, des conquétes plus vastos ct
plus éclatantes que celles de Guilluuruc-le-Bñtard ;
mais, ajoute M. Guizot, «elles ont disparu aussi
rapidernent qu'elles ont été faltes. C'est un phéno-
mene rare que des invusions qui forment des Etats.
Guillaurne a accompli cette ceuvrc. 11 ótait en pnr-


(1) Discours prononcé it Caen> le 2G oclobre 1851, pour I'Inau-
guratiou dI' la statue dI' (;Ilillaume-Je-Conqmól'alll.


",,\- t.41,)
'..


/ r::
.";1


e,




- 320-


faite harmoníe avee l'esprit et les intéréts perma-
nents de son siécle : il avait autant de bon sens
conservateur que de génie conquérant. Nous
avons bien le droit de lui rendre eette justice,
cal' sa gloire nous a coúté assez cher.•


En effet, e'est it Guillaume-Ie-Conquórnnt qu'iI
faut remonter dans I'histoire pour trouver la
source de eet antagonisme national qui dura pres
de quatre síecles, entre la Frunce et l' Angkterre,
et qui fit verser tant de sang sur le sol de notro
patrie. Phili ppe lcr, monarque léger et railleur,
destiné á régner pucifiquement sur des héros sortis
de France pour fonder les Royaumes d' Angleterre
ct de Portugal, dit un jour, cn parlaut de Guil-
laume, dont l'embonpoint étaít excessíf : (( Quund
»Ie Roi d'Angleterre compte-t-il [aire ses cou-
s ches ? • Ce propos blessant fut rapporté it Guil-
laumc, qui s'éeria : « - Par la splendeur et la na-
»tivité de Dieu, quand je feraí mes relevaillcs,
»j'allurnerai tant de eierges aNotro-Dame de París
) que le Roi de Frunce en sera émerveillé. » Tou-
jours prót ü combattre, Guillaume s'avanca contre
Philippe avee une arrnée nornbreusc, en incendiant
les villes ct les hnmeaux. Dieu sait jusqu'á quel
point il aurait porté sa vengennce cruelle, si une




- 321-


chute de cheval ne l'eüt arrété aMantes-sur-Selne,
au milieu de sa marche triomphale. 11 mourut, as-
sure-t-on, avec le rernords des dévastatíons et des
cruautés qui lui avaicnt valu le nom de Conqué-
ran t. Mais les Rois d' Angleterre, ses successeurs,
vassaux révoltés ('1), n'en continuerent pas moins
d'arrncr contre les Ilois de France. L'inirnitié des
princes devint peu a peu l'ame des deux uations ,
n'uspirunt plus qu'a se posséder l'une l'autre ufin de
mieux se subj uguer, Cette ere ele guerres nationalcs
fut aussí pour nous une ere de guerres civiles, ala
faveur desquellcs on vit un Iloi d'Angletcrre s'asseoir
sur le tróne de la Frunce vaineue,et,en quelque sorte
noyée dans son propre sango Alors parut Jeanne-
d'Arc, la paysanne de Vaucouleurs, la vierge d'Or-
léans, l'héroíne de Ileírns et l'ange de notre histoire,
que Dieususcita pour relever nos cités, pour cffaccr
le désastre de nos défaites dan s la splendeur de


(1) f~(1ouard JI, Iioi d'Angleterre, fit honuuage a Philíppe de
Valuj,;, ponr le duché d'Aquitalne, en 1329, daus le céréruoninl sui-
vaut arrel!" d'avauce: (1 Le roy d'Angleterre, duc lle Ca,cogne,
li<'ndl'a Sl'S ruains rlnus les mains du rol' d(' Frauce, et colui qui par-
lera pour le rov de Frunce, adressera ces paroles au roy dAngle-
Í<'lTe, dile de (;uienne, et dira aiusi : Vous deoencz honnnc-tiqe ilu
rtn¡ de Fm1U"', ct luy ]JI'IJf/!I't/I'Z (oy el lOYllltlte .. tlitcs roirc
(cmi). El le dit roy el duc el ses successeurs ducs de (;uíenne di-
seut : (oire: el alors le roy de Franee recevra le roy (I'An:-del"l're el
duc au dít jWIl1lIla:óe-1isl', il la [oy el ala bouche , salir son droit Pl
l'uuuuy. JI


J. 21




- 322-


nos victoires, pour reconsü'uire enfin piece a
píéce l'édifice tout entier de notre Monarchie, avec
ses franchises, ses coutumes, ses lois écrites, ses
mceurs libres et fieres, et notre indépendance na-
tionale! Jeanne consacra, par sa propre mort, la
résurrection de sa patrie; mais, selon les bellos
expressions de l\1. Guizot, nous púmes, du moíns,
rejeter les vainqueurs Normands sur « cette terre
» par eux conquise oü nous les avions envoyés! ))




sÉnm DES nOIS


ANGLO-SAXO~S. DAi\"OIS ET BnETO~S


EN ANGLETEnnE.


DYNASTIE ANGLO-SAXO)¡NE.


Eghert.
I~:llwlwulph.
I':lhelhaId. .
I~lheIherl. .
1::IIJ(:lred. .
Alfrcd-Ic-Orand. •
(~uonanl-l'Aucicn,
Athelstan.
Edmond Iv-lc-Picux.
Edrcd..
Erlwy..
Eugar.
Édouard Il.
(.:Ihelred 1I.
Edmond Il, dil Cflle·de-Fer.


DYNASTlE nA;'lOISE.


Svrnnu.
Kauut-le -Grand.
I1arolrl.
Ilardeknnut. .


nois nnET01'\S.


i-:doll ard-le-Confcss(~ ur, .
lIarold 1I. •.••


801 - 838
838 - 858
8:)8 - S60
860 - R(jo
86G - 872
872 - 900
900 - 9211
925 - 9'¡1
9il1 - 91,8
%8 - !Eí5
955 - 959
959 - 975
Dí5 - D79
Di\) - 101G


1016 - lil17


1014 - 1017
101 D - 10:1(j
11l:i6 - 1(1:\\)
10~19 ~--lol,l


10/,1 - 10(j5
10(j;) - 1()(j(j






CIlAPITRE HIl.


orrnnssrox DE t'(.:r.USE PAn tES E:lIPEnE1RS.


SOIlunaire.


Les llois de l'Europe groupés autour dn Pape el de l'Empereur. -
L'f:¡;lise el r(\lal unís par unlien inrlissoluhlc-c- La I\oyauté euro-
premie acceple l'arbltrngc de la Papau!¡'. - Le Sail1l-Siége est un
tribunal supn-me d'ou ressortisscnt ú la Iois le spirituel elle lem-
porcl, - 1I en"e en Europe la scicncc (les rolalions iutéricnrcs el
extéríeures r/ans cf¡aqu(' (\laL - 11 fait, entre les divers pcuplos,
une équilable ]'(\parlilion des destinées nuivcrsr-Iles vaiuerncnt
demandce, par l'époque aclucll«, aux protocoles de la diplrunali«,
-L'Empereur est lc lieutennnt dnPape.- L',\l\eJllagnc se substi-
tUl' peu it pen au lieu el place (\c la France el ol.ücnt la Ilignik iui-
périalo. - Coustitution de la Hoyaull' scrlllani([ue. - \Ionarcilie
élccrivc. - Les Oíhons, - I'remii're apparition dos phalanges 111-
desqucs en Ilalic.- Olhnn-le-Grand s'engase it ne rien cntrcprcn-
dre contre l'f·:glise. - ll est couronné Empereur. - Le Pape,
voyant qu'il s'est donné un matlre, essaie de hriser le joug alle-
ruand. - Ollion el Jean X1I. - L'Empercur faiL déposcr le Pape
et nommer Lcon It Sil place. - _\ ntngnnisme de l'aristocratie el du
peuple dans nomc, - .lean "\Ir remonte sur le Saint-Siése, le cas-
que en lele et 1\'1)('(' á la main, - ;':a mort.- Le peuple roiuain lui
désigue un successcur: mais 1" Empereur Iait décréter, par un con-
rile, (¡u'á lui seul apparlil:nilra rlésormuis de nommer son prnprc
successeur au tróne dItalie, de choisir le Pape et de coulérer l'in-
vestiture aux évcques. - I'ortrait d'othon-le-nmnd, - Son íils,
Otliou 11, continuo sa politique.- iI se crée un partí uuissant dans
Home. - Les corntcs tll' la Sabine et les comtes de 'rusculuui. - Le
l'ape Cr,'goire Vet l'auti-pnp« Jean \lfl.-üthon Ill le Dissolu el
llenri lile SIl/lIt,-Sous ce dernier prince, l'Empire accorde qucl-
que liberté d'nction á l"l':glise. - lIenri 11 it l'ahluye de Saiul-
Vanncs. - Conrad-Ie-Salique, - Les comles de Tusculum, alliés
de n:mpl'renr, trausformenl le Saint-siége en une surte de fiero
- ucnri-le-xoir. - Il Ieint de vouloir rendre le priviíége des
élections ponliflcales au peuple romnin, qui le refuse. - L'Empe-
reurdcvient maltre ahsolu de la Papilutr. - Le Souvcmin Pontife
n'est plus que son délégué, - Cetle situalion anonnale compro-
tuel le surt dc tous les Élals civilisés, - 7'écessité d'uue révolu-
!ion.


Lorsque Kauut-lc-Crand, lloi d'Auglctcrrc, de




- 326-


Danemark, de Norwege et de Suede, au commen-
cement du xr' siecle, se dirigca vers Borne, il allait
assister a a une grande réunion de nobles person-
»nages : tous les premiers des nations » continen-
tales et catholiques, Cette asseuihlée augusto des
Souverains de l'Europe, délibérant sous la prési-
den ce du Pape Jcan et de l'Empercur Conrad, in-
téressait trap l'hurnanité, pour qu'clle Iút le résul-
tat d'uue circonstance accidentelle ou d'unc ren-
coutre fortuite. Le hasard ne sert jamais de mi-
nistre a la Providence, quand il s'agit, a la suitc
d'événements plus ou moins considérables, qui
ont changé l'esprít et la forme des Étuts, de leur
impriuier une impulsion morulc, nécessairc, supé-
rieure, et de les faire concourir, tous ensemble el
chacun en particulier, aux progrcs généraux de la
civilisatíon.


Jamais, depuis que les Ilois, d'accord avec le
Souverain Pontife , avaient établi l'usage de ces
conciles d'un nouvcau genre, l'histoire n'offrít aux
peuples le spectacle d'une assernbléc de princcs
aussi nombrcux, aussi puissauts, nussí ununimcs
dans leurs moyens et dans leurs buts, chargés
surtout de régler d'aussi vastes lntéréts, que cellc
ou Kuuut-le-Crand viut déposer ses mceurs de Chef




- 327-


harbare et prendre celles d'un Monarque civilisé.
Non-seulement, eomme il nous l'a dit luí-méme,
les Rois ce s'étaient acheminés vers Rome pour obte-
n nir la rémission de leurs péchés; mais encore pour
• le salut des nations qui se trouvaient rangées
,) sous leurs sceptres. » Car ils se proposaient de
créer un lien commun et indissoluble entre I'Église
et l'État, entre la religion et la politique euro-
péenne; et de détruire les derniers vestiges de la
barbarie, en tous lieux ou se manifestaient les
prerniers gerrnes de la régénération morale, pro-
duite par le eatholicisme. Certes, il est beau de voir
tant de prinees, dont quelques-uns étaient hiel' en-
core chefs de pirates ou bandits, aujourd'hui chefs
de sociétés bien réglées ou héros, abdiquer, pour
ainsi dire, la souveraineté de la force, afin de mieux
exercer la souveraineté du droit; constituer eux-
mérnes une théocratie universelle, en eonsidérant
le Pape, dont la puissance est née d'une paro le di-
vine ou céleste, comme supérieur atoute grandeur
humaine ou terrestre; ne vouloir étre, dans leurs
Itoyaumes, que les lieutenants armés d'un Pontife
désarmé; transformer le Salnt-Siége, symbole de
l'unité morale et positive du monde, en un tribu-
nal supremo d'ou rcssortissent ala fois le spiritucl




- 328-


elle tcmporel, el deseendre enfin eux-mémes , de
leur tróne orgueilleux, pour y comparaítre avec 1111-
milité, en déposaut la eouronne devant la tiare, en
réclamant justice ou en Iaisant l'aveu de lcurs pro-
pres iniquités , soit au sujet des querelles qu'ils
ont entre eux, soit relativement aux démélés qu'ils
ont avee leurs peuples !


Mais aussí quel magnifique rólc que eelui de la
Papauté , remplissant aelle seule, par l'expression
de sa dietature impersonnelle, néeessairc, absolue,
tout le théátre de la civilisation l Dans ces temps
ou la science des relations intérieures el extérieu-
res, entre les diverses puissances, était apeine pres-
sentie, elle seule pouvait embrasser et embrassait
eITectivement le systérnc enticr des intérets mo-
raux et des intéréts matériéls, nés ou a naítre,
parmí les natíons. Elle seule, eonstituée sur des
principes inconclitionnels et ayant acquis, des le
premier jour de son existenee, une forme défini-
tive, pouvait offrir et offrait positivement un corps
de doctrines, mi ensemble complet de constitu-
tíons répondant aux divers buts de tout gouverne-
ment. Elle seule, subordonnant la vie terrestre á
la vie céleste, et les lins transitoires il des íius d'une




- 329-


étcruelle durée, devait étre appelée adésarmer
toutes les hostilités ; a concilier tous les antago-
nismes ; h prevenir tous les conflits, particuliers et
généraux,et a faire régner la bonne harmonie, en-
tre les individus comme en tre les États, pnísqu'elle
est obligée de travailler constamment au salu! de
tout homme et au salut de toute société. Elle seulc
encore, dans sa position exceptionnelle, recueillant
el pouvant recueillir scrupuleusement les regles et
muximes admises, reconnues, acceptées , consa-
crées par la coutume ou par les conventions, fixait
et devaít fixer les droits et les devoirs des Étals;
cal' elle dounnit et pouvait seule donner un carac-
tére de légalité absolue it ces conventíons et á
cetie coutume, Elle seule enfin, dont l'autorité
supréme est la garantie infaillible de l'indépen-
dance de chaqué nationalité, réalisaít el pouvnít
réaliser, entre les divers peuples civilisés, au nom
de Dieu, duns tous les temps, cette équitable ré-
partition des dcstinées univcrseIles du monde, vai-
ncmcnt demandée, par l'époque actuclIe, aux pro-
tocoles de la diplomatie, qui, ne reconnaissant
plus rien de supérieur atout ce que l'équilibre
rnécanique peut détermincr en Europe, u perdu
I'impérutif moral que le Christianísme conservalt,




- 330-


en vertu de la Coi, au sein des sociabilités menar-
chiques 1


Telle étaít, en eflet, la puissance du principc
religieux, que l'intérét social el politique u'avaí 1
plus la moindre virtualité, des qu'il se mettait,
d'une maniere quelconque, en contrudiction avcc
la foi : unique force alors constituanle et constltu-
tive des États. Les Rois ne pouvaient done em-
ployer raisonnablemcnt d'autres principes que
ceux de l'Église, en Iondant les Monarchies euro-
péennes. Aussi proclamerent-ils eux-mérnes la su-
prématie du Pape, seul prínce quí fút absolument
Souverain, en sa qualité de chef de l'ordre spirituel;
et qui se donna un lieutenant, chef de l'ordre tem-
porel, dans la personne de l'Empereur d'Occident.


Ce titre supréme était dévolu au Iloi de France,
en l'honneur duque] il fut rétabli; mais ni lui
ni sa raee ne surent pas plus le eonserver que
se conserver eux-mémes.Bíentót l'agrandissement
de l' Allemagne et l'habileté politique de ses Rois,
determina la réunion de la dignité impériale ala
couronne germanique, Chose remarquable, c'est
le fils de Louis-le-Débonnaire qui prepara la gran-
deur de la Gerrnanie, pendant que son pére et ses
autres fréres travaillaient a la décadcnce menar-




- 331 -


chique de l'État Gallo-Frank! Des que ce prince
fut Investí de l'autorité royale en Allemagne, il
comprit quelle devait étre la mission du gouver-
nement, dans un pays attaqué par les Franks, par
les ltaliens, par les Normands et par les Slaves, et
d'autant plus attaché u son indépendance qu'il
était sans cesse menacé de la perdre. Jaloux de
gagner la confianee de ses peuples, Louis établit
des eomtes, chefs militaires, sur toutcs ses fron-
tiercs, á l'instar de Charlemagne ; et prit le sur-
110m de Gcrnuuiique, pour montrer aux ennemis de
sa puissance, qu'il saurait aussi bien maintenir
I'intégrité de ses États que celle de son Pouvoir.
Tous les obstacles s'aplanírent devant une pareille
énergie : aussi le nom de ce prince est-il resté chcr
iJ. la mérnoire du pcuple.


La Boyauté gcrrnanique avait été créée par
Louis-le-Débonnaire, lors du premier partage de
l'Empire. Une charte.promulguée aeette occasion,
portuit expressément qu'uu cas OU les Ilois mour-
raícnt sans eníants , l'Empereur devait étre leur
héritier ; que, s'ils en laissaient, au lieu de diviser
le Iloyaume entre eux, le peuple scruit appelé a
choisir lui-mémc, par voie d'élection , mais tou-
jours pururi eux, le prince royal qui devait suc-




- 332 -


céder il son pere , et que dans ce cas, l'Empcrcur
serait tenu de le reconnaitre et de lui assurer
la possession de ses États, Cette charte ne lía pns
plus la conscience des enfants de Louís-le-Dé-
bonnaire , que celle de Louis- le - Débonnaire lui-
méme, puisqu'il passa toute sa vie ü divisor et á
subdiviser son Empire. Louis-le-Cermanique, le
premier fondateur de l'unité des peuples allc-
mands détruisit aussi, en mourant, sa propre créa-
tion monarchique, et partngea le Royaurne entre
ses trois fils, selon la coutume franqueo L'unité ne
reparut dans I'État qu'apres de longues et sanglnu-
tes divisions; el lorsque Charles-le-Gros eut réuni,
sur sa tete, les trois nouvelles couronnes, y coui-
pris celle de Charlemagne, qui uplatit son in tclli-
gence.


La Monarchie gcrmaniquc devínt posltívcment
élective, aprés la déchéance de cet Empereur ,
láche et méprisé, auquel on donna pour succes-
seur Arnolf, le plus digne et le plus courngeux de
tous les princes carlovingiens. Celui-ci cmploya
son regne a opérer la séparntion définitive de
la France et de l'Allemagne. Pendan t que le nou-
vean Roi émervcillait I'Europc entiere par la
magie de ses exploits , l'uncieu Empereur l'uflli-




- 333-


geait par l'amertume de ses douleurs. « C'étalt un
spectacle de pitié , propre amontrer le néant des
choses humaines, dit un chroniqueur contempo-
rain, que de voir ce Charles sur qui la fortune avaít
accumulé, sans combats ni dangers, tant de Boyau-
mes, qu'il ne le cédait a aucun Monarque, depuis
Charlemagnc, pour la dignité, le pouvoir, la ri-
ehcsse, que de le voir désormals offert par elle
comme un exemple de la fragilité humaine, en lui
enlevant tout-a-coup, et avec ignominíe, les pros-
pérités dont elle l'avait comblé sans mesure.
Tombé du tróne dans l'índigence, réduit apour-
voir ases bcsoins de chaque jour, il supplia Ar-
nolf de lui accorder de quoí vivre, et en obtint
quelques revenus en Allemugne pour son entre-
tícn (1). "


Arnolf ne porta [amais le titre d' Empereur; mais
il n'en fut pas moins , aux yeux des autres princes,
le représentant réel de la dignité impériale, puís-
que Charles-le-Simple lui demanda l'investiture
roya le. Quoique posssesseur d'un tróne électif,
Arnolf agit, en mourant, de méme que 8'H eüt


(1) Amuües Mctens. apud DO1/! Bouquet, ñerum qallic. el
[ranc, srriptores. ro.», vur, pago G7.




- 334-


vécu sur un tróne héréditaire. Il assigna la Lor-
ruine et la Bourgognc á Zventihold, son fils natu-
rel; aussí les comtes se révolterent-ils contre ce
prince, et les évéques luí refusércnt-ils tout con-
cours, pour empécher le démembrement du
Royaume qui fut livré tout entier ú son fils légi-
time,dernier Carlovingien germani que. Louis-l' En.
fant regne sous la régence des deux Othons, l'arche-
véque de Mayence et le duc de Saxe, surnommé l'1t:
lustre. Ce dernier se voit offrir la couronne arres
la mort du Roi mineur; mais il la refuse, en pleine
diete de Worms, avec la 116re modestie d'un grand
homme; et fait reporter les suffrages du pays sur
la tete de Conrad, duc de Franconie, A son tour,
celui-ci, au lieu d'indiquer son frere ou quelqu'un
des siens pour successeur, désigna Ilcnrí, fils de ce
méme duc de Saxe, qui lui avait ouvert le chemíu
de la Royauté. Les meeurs germaniques semblaient
alors provoquer ces cornbats de générosité chova-
leresque, devenue, en quelque sorte, une modo
héroique, puisque Hugues-le-Crnnd se conduisaít,
en Frunce, comme Othon el Conrud en Allernagne.
Ce zele patriotique et ce désintéressement person-
nel, nous aimons á les signalcr, paree qu'ils ex-
priment le caractére général de cette époque pri-




- 335-


mltive , el qu'ils furent oubliés beaucoup trop
vite (I ).


L'élection du Roi était faite par les grands, en
présence du peuple des différentes races, qni la
confirmait au moyen de ses applaudissements. D'or-
rlinaire, la fumílle du Monarque défunt avait la pré-
férence, dans la diete électorale, sur celle des ducs;
maís comme la nation se trouvait san s cesse atta-
qué e par les lIongrois, pur les Danois et par les
Slaves, elle se détermina souvent a choisir pour
maítre le plus brave, le plus fort, le plus dévoué aux
íntéréts publics. C'est ainsi que la couronnc germa-
níque devint tour-A-tour l'apanage des différentes
races, bavaroise, saxonne, suéve, qui concou-
raient toutes, avec la méme énergie, le méme
éclat, le mérne héroísme, au triomphe de l'unité
nationale. Cette Royauté élective n'avait point de
síége fixe; cal' chaqué prince transférait sa cour
dans la ville quí lui plaisait le míeux. Sous les Rois
carlovingiens, la justiee était rendue par le comte


(1) Apres de semblablesréflexious, 1\ serait injuste de ne pasciter
dcux nctes mémoruhles : celui d'Adolphe, duc de lJolslein, quí re-
fusa les trois couronnes scandinaves, pour les Iaire obíenir il Chris-
tian d'Oldenbourg, premíer noí de l'illustrc race aetuellement re·
~Ilanlc en Danemark; celui de Frédéric-le-Sage, qui n'aceepla pas
l'EJI1píre, maisqui littríompher l'électíonde Charles-ti'Autriche, tléjit
I\ni co-régent de Castille, el dont la puissance devint si rcdoutaule,
"11 Europe, des qu'il porta le nom (le Charles-Quinto




- 336-


palatin, que ses fonctions retenaient toujours au-
prés du Monarque: maís, sous les Rois nationaux,
la justice appartint, en quelque sorte, a l'archevé-
que de Mayence, devenu archi-chancelier; et toutes
les autres dignités du Royaume, personnelles dans
l'origine, finirent par étre attríbuées aux princí-
paux duchés,


Le gouvernement réglait ses actes d'apres les
anciennes couturnes, en attendant que I'on son-
geát a formuler une législation écrite et nouvelle,
Au lieu de représenter un ordre systématique, les
différents pouvoírs de I'État n'exprimaient qu'un
inexprimable désordre. La, surtout, les destinées
de la Royauté dépendaíent absolument du carac-
tére meme du RoL S'il était énergique, le Monar-
que, omnipotent dans l'ordre politique aussi bien
que dans l'ordre religieux, en imposait aux éve-
ques, de méme qu'aux ducs et aux comtes, qu'il
pouvait élire et déposer, S'il était faible , les ducs
et les comtes déclinaient son autorité, sous pré-
texte qu'ils n'exercaient une haute magistrature
dans le Royaume que pour préter aide et proteo-
tion a telle ou telle contrée, comme il n'était Roi
lul-méme que pour donner satisfaction pleine el
entiere aux intéréts généraux du pays. Afin d'é-




')¡)~
- oa t Ó-r-


chapper ace controle Iéodul, le Roi multiplia les
priviléges des évéques et ceux des villes ; maís les
grands réagirent contrc cette politique érnanci-
patrice, au sein de leurs assemblées particulíeres
el souveruines, qui avaient remplacé partout celles
de la nation et qui s'étaíent réservé le droít de
juger tous les crírncs de haute trahison, au seul
eflet d'assujétir la Royauté.


Outre cette puissance prépondérante dans l'l~­
tal, les ducs, gouverneurs des provínces, toujours
meuacées d'une invasion étrangere, y exercerent
une autorité de plus en plus considerable, en res-
taut coustamment sous les armes, soit durant la
paix, soit durant la guerreo Agrandissant leurs pos-
sessíons territoriales en mérne temps que leur
juridiction polilique, ils créereut peu a peu ces
vastos duchés de Baviere, de Saxe, de Franconic,
de Thuringe, de Souabe, de Lorraine, de Cario-
thie, qui eussent pu absorber la Monarchie el se
rcndre entierement indépendants á son égard ,
si ron n'eüt compris qu'elle était d'une nécessité
uhsolue, en tant que symbole de force coactlve «t
rl'unité. C'est pour ceja que les grands vassaux
oflrircnt le trono á Othon-I'Iliustre, apres la mor!


l. 2~




- 338 -


(le Louis-l'Enfant ; et que, sur son refus, lis y firent
monter Conrad de Franconie, descendant de Char-
lemagne par les femmcs (900).


Quoique vaillant et habilc, ce prinee cut nlut-
ter contre des diíllcultés et centre des ndversuires
qu'll ne pul vainero. Tous les vassaux de la cou-
roune , aiueutús coutre lui , prircnt les armes,
ayant a leur tete le duc de Saxe. Apres dix-huit
années d'efforts inutiles, Conrael ne se eroyant pas
assez fort pour préserver la Gerrnanie ele la guerrc
civile el des invasions hougroiscs, chargea f~be­
rhard , son frere , de por ter le muntcuu, la lance,
l'épéc et la couronne des Rois, ú Heuri , duc
de Saxe, fils de son ancien bienfaiteur et son
plus mortel ennemi, quil considéruit néanmoins
conime seul proprc it sauvcr la patrie. Éberhard
trouva le duc ele Saxe a la chasse, le faucon sur le
poing : aussi lui donnu-t-on le surnom frivole
d'Oiscleltr (919). Les grands vassaux , convoqués
en assemblée générale, ratifiereut le choix de COB-
rad; el déja l'archevéque de Mayeuce allaít procé-
der au couronnement , lorsque le duc s'écria :
u La gloire d'avoir été le prernier des míens quí


)) soit monté sur le tróne me suflit ; gnrdf'z le silint-




- ~~9 -


.chréme pour un Roi plus digne que mol (t).»
Henri l" deviut uinsi Roi de Germanie et chef de


la muisou de Saxe, qui, apres luí, produísit quatre
Empereurs, Doué d'un rarc courage et d'une intel-
ligence vruierncnt supérieure, bien qu'il ne sút pas
méme Jire, ce Monarquc repoussa les attaques des
Danois, des Slaves, des Hongres et eles Huns et fon-
da les tuargruviats de Schleswig, de Braudebourg,
de Cotha, de Misnie, d' Autriche et de Styrie, pour
contenir tous les ennernis de I'extérieur ; tandis
qu'u l'Intérieur il uhaissa l'orgueil des grunds qu'il
réduisit al'obéissance, en créant, dans une foule
de villes, auLant de centres de libertés hostiles au
despotisme Iéodal , releva l'autorité royale , en
constituaut le régime populaire des municipalltés
urbaíncs et rurales; et 11 t enfin participer ses
vastes ÉtaLs ú tous les bienfaits ele la cívilisation.


Jamuis Ilcnri ne prit le titre d'Empereur, puree
qu'i1 eut toujours une seule et méme ambition :
celle de régénérer son Iíoyaume, d'en étre le légis-
lateur spécial et le véritable sauveur. Son fils,
Othon-le-Grnnd , que la diete d' Aix-la-Chapelle
élu t apres sa mort (936), concut des projets moins


(1) L. nallk~l. «nnot-:« (tu !"r;.'},lpI,'l' (1·"'.;:i~{jli,jil(J ':c'!.'tY, trs
!,r ill ... l.,:',! \.I.li', 1;"l'iili.'1.',;lj il .




-:l[¡O-


útiles, mais plus élevés : aussi réunit-il la di~nit(·
impériale á la majcsté royule.Tous les résultats que
la Monarchie avait obtenus pendant le regne pré-
cédent, éclatérent, lors de son avénement. Sans
doute, en principe, la Boyauté restait encare élec-
tlve, puisque la diete allait s'ouvrir ¡'¡ Aix-la-Cha-
pelle; mais, en fait, elle nc l'était plus, car, de
l'aveu meme du haut baronnage , son élection ne
fit, avrai dire, que confirmar de la volonté du Mo-
narque défunt.


Ecoutons un chroniqueur comtemporain (1) :
{l Apres la mort de Ilcnri I", dit-il, le pcuple de


Franconie et de Saxe élu t Othon, que le pero
avait désigué pour son successeur. Quand on fut
dcmeuré d'accord que l'élcction se fernit 11 Aix-!n-
Chapelle, les ducs ct priucipaux scigncurs s'y ron-
dirent : el s'étant assemblés urce les princcs et le
reste de la noblesse dans une galerie attcnante ü
l'église bátie par Charlemagne, ils firent usscoir le
prince sur un trónc, Félirent Boi, et lui prétcrcnt
serment de fidélité en lui touchant la main et en
lui promettant de le secourir contre tous ses enne-
mis. Pendant ceci, le grand Pontife (I'urchevequc


(1) "itiekind, bénédictin dI' l'ahbaye (11' Corvey, Annulcs de (festis
(tttununn, aptu! Scrintorcs He!'lun ttcrnumi«, lll'IJll:;I«'dl, '1(j~8.




- ;)1¡[ -


de Muyence) I'nttcndait dans l'cglise ü la tete de
son clergé et revétu de tous les ornements pontifi-
caux, Quand le prince sortit de la galerie, il alla au
dcvaut de lui, le prit avec la main gauche, et l'ayaut
condult jusqu'au milieu de la uef', il se tourna vcrs
le peuple el prononca ces mots : a Voici, je vous
» am611C Othou que Dieu a choisi, que le fcu mo-
)) narque a nominé et que les priuces ont fuit Roi;
» si (elle élcction vous plait, élevez vos iuains ! »


1I Iuut placer au debut de ce r0~ne, quí devait
ctre si hrillnut, l'origiuc ou la créutiou des grands
oíliciers de la courounc, dont les titulaires, d'abord
peu iullueuts dans l't:tat, y acquircnt plus tard
des prérogativcs cxtréruement considérahles. En
eflct, des le courounement d'Othon-Ie -Grand, ap-
pnraissent, pO!lr la preruiere fois, les charges d'ou,
par la sui te , les Ilois de Germanie tirereut leurs
litres lionorlfiques. Cisilbert, duc de Lorraine, sur
le territoire duquel était Aix-la-Chapclle , fut
chargé de fournir le logementet les vivres ida cour
ainsi qu'uux étrangcrs. Éberhard de Franconie fit
le service oc grand-multre ; Hermanu de SOllabe,
celui d'échunson; Aruulfdc Bavi<:Tc, celui de grand-
maréchul. L'archevéque de Troves voulait, á raí-
sou de l'uucicnnetc de son diocesc, lui ceindre la




couronne d'argent; celui ele Colognc élevaitla méme
prétention, paree que Aix-lu-Chapelle était située
dans su juridiction; mais la préférence fut do!1IHSe,
pour cette foís, aI'archevéque de Muyencc,comrnc
prirnat de la Germanie. Ce Pontife conduisit le Iloi
vers l'autel, OU étaient dúposés I'épce, le baudricr,
le manteau, les bracelcts, le sccptre el la cou-
ronne: En luí donnant le premicr de ces insignes,
il dit au Monarque : " Ilecois ce gl,live destiné ü
-repousser les ennemis du Cluist ct ú assurer la
» paix á tous les chrétiens, J}


Chaqué élection royale se tcrminuit par un fes-
tino Celui qui eut lieu apres le courounement
d'Othon, offrit cela de remarquablc, que les prélats
s'assirent acoté du Roi et qu'i!s íurent servís par
les ducs de Frnnconie, de Souabc, de Ilavicrc el de
Lorraine. L'humiliation de la haute aristocratic et
la prépondérance politique du haut clergé dans
l'f:tal, but principal de la Iloyauté gcrmnnique,
semblaient done appartcnir désormais au domuine
des Iaits accomplis. Néanmoins les c1ucs, qui pos-
sédaient de grands gouvcrncmcnts, ne pouvaicnt
se résigner a une pareille servitude, Ils essaycrent
de reconquérir leur indépcmtnncc, en se róvoltant
duus les proviuccs, pcndaui qn'Othou l:lél1l occupc,




hors des froutiéres, a guerroyer contre les Slnvcs.
Mais celui-ci contiuuu les victoires de son pere,
soit au dehors, soit au dedans, pendant pres de
vingt années consécutives. D'un coté, il soumit
la Pologne et la rendit chrétienue ; il envahit la
péninsule cimbrique et contraignit IIarold, chef
de I'État dauois, á recevoir le baptéme ; enfin il
subjugua la Hongrie , en détacha l'Avarie qu'Il
réunit ú la Bavicre, et en forma une province quí
Iut confiée au commandement d'un margrave
d' Autriche (Léopold , comte de Babenherg et d ue
des Franes orientnux). De l'autre coté, il ter-
rnssa les princes de l'Empire et ses prop1'es frcres
qui suscitaient des troubles en Lorrníue, el il
leur cnleva les duchés, sous prétexte de félo-
nie ou de refus d'hommage, pour les transporter
dans des maisons étrungeres dont il faisait la for-
tune, afin de les attacher ú la sienne. Éberhard,
duc de Baviere, fut dépoulllé. Ses possessions
territoriales passerent aux mains de plusíeurs
grnnds vassaux, qui prireut le nom de comtes pa.
latins. Cela fait, Othon investit son frére Ilenrí,
dont il rerloutait lambitiou: de ce duché dérnan-
telé el morcelé : transmit, ü une maíson nouvelle,
tout le ruurgraviat de Ilraudebourg, (IUC son pcre




avait cree, CLl \):W, et céda ~OLl propre duché de
Saxe a une famillc étraugere, pour désarmer la
défiance des vassaux, en leur prouvant qu'il agis-
sait moins dans l'Intérét de sa puissance person-
nelle que dans celui de la Geriuunie. Lorsque ces
grandes conque les politiques et territoriales furent
terminées, on rendit bientot justícc aux vues éclai-
rées d'Othon , qui, aprés avoir multiplié les fran-
chises des villes,diminua les priviléges des grands
vassaux de la couronne, les mit sous la survcil-
lance des comtes palatius, ct subdivisa leurs ficfs,
afin de mieux réaliser I'unité nationalc, A la suite
de ces transforma tions inspirées par le vérituble
génie de la Iloyauté , Othon quitta le titre de Iioi
des Fraucs orieutau;r, pour prcndre ccluí de lloi
des Lotltarinqieus, des Franciqcues el des t.ermains~
et adopter ensuite celui de lioi des Tcutons, qu'il
devait chauger une derniere Iois, en devenant Em-
pereur.


Tous les obstacles ne s'étaieut pas encoré apla-
nis, dans le Nord , SOllS les pas du héros saxon ,
lorsque les Alpes, qui lui servaient de barriere,
dans le Midl, semblercnt s'inclinerdevant ses pros-
pérités, C'était l'époque oü la célebre Adélaide,
liupératrice el veuve de Lothuire, Iloi d' Itulic, s'e-




- ;)11-' -


tuit cufuie de la tour de Gurda, OU Bérengcr IV,
usurpateur du tróue itulien, l'uvuit rcnfermée ,
pour la contruindre d'épouser son fils Adalbert.
Ayant trouvé un refuge dans le cháteau de Ca-
nossa , elle implora le secours du Iloi des Teutons,
Sensible ú ses malhcurs avant de l'étre ú ses char-
mes, Otilan marcha droit vers Pavie, ou Adéluide
I'uitendait avec un certuin nombre de partisans,
Apres quelques victoires, le granel Iloi épousa la
bello Impératrice, el pul alors conserver, en vertu
du droit, la couronne de fer que le sort eles armes
avait Iait lambel' entre ses muins (9,,)1).


L'Italie voit, POUl' la premie re fois , ses cites


orgueilleuses envuhies par les phulanges tudesqucs
ou germaines, qui doivent, désorrnais, intervenir
sans ccsse dans les ufluircs de la Péninsule, trans-
Iormée en une sangluute arene ou se dúbuttront
si souveut les destinées de l'Europe l Ilors d'ctat


de rcpousser par la [orce un conquéraut aussi
rcdoutuble, Bérenger négocic uvcc lui. Othou se
montre d'ubord généreux envers son adversaire.
II le reconnait pour Hoi d' Italie, il la coudition
expresse qu'Il se rccounaítra lui-rneme vassal du
Hoi des Teutons. Béreuger et son üls se rendireut
il Augsbuurg (U52), el y recurent I'iuvcstiurrc du




Iloyaume d'Italic avec le sceptre d'or, de la maín
d'Othon, qui retint pourtant Aquílée el Vérone ,
villes-rnaitresses au moyen desquelles il dominnit
les Alpes. Le Iloi des Teutons s'assurait ainsi le
chemin de Rome oü il avait l'espoir de diriger ses
pas de triornphateur, aussitót qu'Il aurait accornpli
une expédition nouvelle eontre les Ilongrois, ve-
nus plus nombreux, plus terribles, plus barbares
que jarnuis , assiéger Augsbourg durant son ab-
sencc.


L' Allemagne se leva comme un homme 11 l'appcl
d'Othon-le-Grnnd. Ce prince, avant de marcher
contre l'ennemi, voua une ('glisc ú suint Luurent
(10 aoú L 955). Taudís quc ses solda ts se prépn-
raient ala víctoíre, par le jeúne et la priere, I'évé-
que Ulrieh bénissnit IcUI'S arrues. Le sígnal de la
bataille est donné. De part el d'autre on se bat avec
fureur sur les bords du Lcch ; mais les Hongrois
y ont un nombre considérable d'hommes tués ou
noyés, Enfin le combat ccsse ; I'armée germanique
victorieuse, au bruit des cantiques et des hourras,
salue OI/lOn JJh'fC de la patrie. Le prince vnínqueur
ne s'applíqua, dés-lors, qu'a opérer de sages ré-
formes chez le peuple vaincu, en lui inspirnnt de
nobles sen tluicu ts. A peine sortis de la barbarie,




les Ilougrois vorn constituer une Monarchic qui
apparaítrn bicuíó t avec honncur d,H1S l'histoire ;
ct qui rccevru rl'Él.ienuc, picux Monarque, des lois
tcllcinent appropriées ú ses destinécs , que la plu-
part sont encore dcbout, respectées et suivies,
malgré neuf siecles de révolutions (1).


Cettc expédi tion con trc les Ilongrois ct qucl-
qucs hostilitós de Inmille, détournéreut Othou de
l' ltalic que Bérenger gouvernait avec un sombre
désespoir, afin de se vengcr , sur les évéques et
sur le pcuplc , de l'humiliatiou qu'il avait subie ú
Al!gshourg. Les pluintcs s'd(~v(~rent de tous cótés ;
elles parvinrcni jusqu'on Allernagne. Othon, appclé
par le Pape C01l1111e u 11 Ji bóra lcur U)(i t ), marcha
aussitót centre Bércngcr, proclama sa déchéancc
el Iut lui-méme couronné Iloi el' ltalie dans la ca-
thédrale de Milan. Apres avoir juró il Jcan XII, par
écrit, selou l'usage, non-seulernent de ne ricn
en treprcndre centre l' Egliso; mnis encore de res-
pccter son autorité suprérne, sa vic el ses mem-
hres ; de no prcndrc aucune rósolution concernanl
les Ilomains que d'nccord arce le ~ol1Yerain Pon-


(1) 11. Iq¡,'):--lI'il.\, L.'),\'(/I/,I.'ifujo/'ji/( ,\'lU' Ir',\ U'I!I,~U)llSd(',~ l1()u1jrol,)
.11 Lltu'J)( i'~ 'IJiCÚi,/t III('Jl( l'n i"¡'UIU't. 1'de' J0.




les spoliateurs du patrimoine de saint Pierre ,
Othon se rendit a Rome. TI y Iut salué et sacré
Empereur par le Pape et par le peuple (2 février
962), heurcux de prendre cette haute dignité, qui
était tombée avec Bércnger (D2!J), et que personne
encare n'uvuit osé relever. Othon renouvela les
donations successives de Pepin, de Charlemague
el de Louis-le-Débounaire, en y ajoutant Prieti,
Amiterne et cinq autres villes, sau] son droit, cclui
de son fils el de ses desceudau ts (1).


Le Pape et l'Empereur semblaient s'entendrc ¡'¡
merveille, pour régler en commun l'élection pon-
tiíicule et pour étahlír un gouvernement mixte,
confié ü des commissaires spéciaux , relevant de
l'un et de l'uutre. Néunmoins cette constitution
en partie double n'nvait pus la moindre chance de
duréc , paree que l'Empereur cornposait avee le
Pape, afin de le mieux dominer. Le protecteur
armé du Saint-Siége prit bientót le ton d'un dicta-
tcur, On le soufTrit, tnnt qu'il resta dans la ville ;
mais, des qu'il l'eut quittée, Jean XII voulut 5'a1'-
franchír. Cela devaít étre, Othon, arres tout, u'é-


(1) Baronius, 11l1.1w/e,\ cccicsiast iuucs. 'IU1d. \) uuu, ~1(¡2, j¡" 1.
- FliOurj, Il ist . ci.clcs, TVllI, \[1, !J\. Lvl , 11" 1. - Co-lc.. JU¡i"
cauonici.




tait pas maüre de Bome , le pctit-fils de Théoc1ora
et de Marozie , au contraire, en était toujours le
maire et le pontife (1). A ces titres, loin d'accepter
un joug étranger, Jean XII devait s'efforcer patrio-
tiquernent de le hriscr, Apres s'étre réconcilié avec
le fils de Bércnger JI, alors caché parmi les Jl1U-
sulrnans de Frainet et daos les cavernes des Alpes
maritimes, le Pape, accusaut Otbon de faire préter
serment par les vi!les conquises, non El l'Église
romaine, commc il s'y était engagé, mais ala COIl-
ronne teutonique, se mit personnellement El la tete
du partí national.


Quoique ce partí fút asscz puissan t pour repousser
les Allernnnds, il devait néanmoins succomber par
suite des exces du jeune Pontifc, qui déshonoraicnt
la cause de I'Italie el cel!e de toute la catholieité!
~Ialgré la n;pulsion qu'elle manifestait ü l'égurd
des couquérants, Rome, honteusc des débauches
el des folies de Jeun XII, ouvrit ses portes á l'ar-
méc d'Othon, Le Pape s'cnfuit <In cóté des Alpes
el des Sarrnsins, ernportant le trésor de snint
PIerre ; et I'Ernpereur convoqua aussitót un con-
rile ayant pOI1l' objet de le juger.


(1) '" di' <aint-l'ricst. utst. de la nO/III1II". Tom, rr. pago :;011.




- R5()-
tes méfaits articulés centre ce Souverain Pontífe


sont d'autant plus horribles que, s'Il faut ajouter
foi aux uombreux térnoignagcs des prélats ulle-
mands (1), le sacrilége réguait avec lui dans le
palaís de Latran, OÜ des femmes impudiques vi-
vuient, entourées de cardinaux et d'évéques aveu-
glés , mutiles ou mis ú mort , et buvaient en
l'honneur du démou el des divinités paiennes.
Jean Xll ne couiparut pas devunt le coucile,
composé d'évéquos germaniques et lombards. 1\
fut done condamné sans étre eutendu. On le dé-
posa pour lui substituer Léon VIII, encere lar-
que et offlcier du palais, qui devint en un seul
jour diacre, prétre et Pape.


L'aristocratie romaiue , en jurant fidélíté á
Othon, lui avait prouiis, sur l'Évangi!e , de ne
preceder a uucune él-ction poutificale sans son
consentement ou saus celui di; son fils, cou-
ronné Empereur apres le sacre de son pere, Le
choix de Léou VIII ne devuit done pas trouvcr
de contmdicteur. Tout se)))1!!,) réglé aRome;
Othon, croyuntquc sa préscnce n'y est plus né-


(1) Luitprand, iu«. (l1'1'I1/(lIIill' de :-;r;2 ;'¡ 'Hi!¡, ({}!IId \1. I','rlz.
Tom. V. - J\C~iI101l, UII'Olli'/l/l', "pul! l'i,!ol'illS. 1:11/(//1 (jU'!!/(/-
niraru:n ,~~;n'iptr-"i'




- :\51 -


cessaire, SI" porte ailleurs, Des qu'il est partí,
Jean XlI arrlve a la tete d'une troupe de Musul-
mans, et rcprend posscssion du Saint-Slége, le cas-
que en tete, l'épée a la main et aux acclamations
(~)G;-)) du peuple, a quí la haine de l'étranger faít
ouhlier les scandales de ce Pontife, Les chefs du
coucíle qui, obéissant soit aux ordrcs de l'Empe-
rcur, soit 11 lcur proprc conscicnce, l'ont déposé
naguere , 500t tous mutilés; mais le triomphateur
implacable ne jouit pas longtemps de ses atroces
prospérítés. Ayant donné un rendez-vous El une
Icmme mariée, dans la campagne de Home, il y
fut surpris par le mari outragé qui le frappa


cruellement, Jeun XII en mourut au hout de huit
[ours, trois mois aprés sa réinstallation . N'éprou-
vant pas le moindre repcntir malgré l'énormité de
ses désordres, II oífrit au monde catholique, le fa-
tal exernple d'un Souvcrain Pontife qui rend son
.une ¡J. Iiieu, suns manifcstcr aucun sentiment re-
ligieux et snns nccomplir les devoirs d'un (,!II'("-
líen (9Gli).


Aprés sa niort, le peuple romuin se háta d'é-
lire Benoit V: mais Oihon ramenn l'Anti-Pape
Léon VIII, primitivemeut clu par l'uristoeratic
roma ine , et Rfnoi t fut 11';1< ],;111)1' 11', (' 11 C('l'ma nie.




_. 352 -


Léon étant décédé presque sur ces entrefaites,
l'Em pereur nomma.de sa propreautorité, Jean\.lIl,
qu'Il maintint par la force et par les supplices.
Pour se donner le droit d'agir de la sorte, il avait
fait décréter, par un concite, apres le rétablísse-
ment de Léon, que, désormais, il appartiendrait
aux Empereurs de nornmer leurs successcurs au
Royaume d'Italie, de choisir le Pape et de confé-
1'131' l'investiture aux évéqnes daos toute l'étendue
de lcurs États. « Le Iíoyaume d' Italie, dit un his-
torien national, se trouvait par la annexé u l'Em-
pire, et la supériorité des Empereurs sur les Papes
tléfinitivelllent proclamée. C'était le fruit de l'hor-
rible lmmuralité qui livrait toutes les classes de la
société ítulienne a l'entratnemcnt des passíons
immorales, les rendait indociles ú tout frein, obli-
geait les gouvernements Ú pousser la rigueur ú
I'oxccs pour main tenir quclque regle, et Iaisait
passer successivement le peuple d'une turbulence
orgneilleuse Ü une dóplorablc frayeur de la force
élrangl\re, des violences il la lácheté, Apartir de ce
moment , I'histoire de l' Allemagne et celle de
l'Italie ne font (Ine témoigner d'une inimitié I11n-
tuelle et implacable en tre les dcux natíons (1). »


(1) \1. e/'sor C'1lltu.lFi.l't. unir, 'I'om. IX. I':lg. 2/17.




Voulant a tout prix consolider son pouvoír en
l'Italie, Othon envoyait indistinctement prison-
niers en Gerrnanie, les évéques, les princes et les
comtes ituliens qui appartennient üUX Iamilles OH
aux factions les plus opposées : il est vrai qu'ils
se proposaient égalcment pour hut, les uns et les
nutres, I'indépcurlance de leur commune patrie.
Ilienlót l'Empereur, non contentde faire subir uux
vivants des traitements oclieux et barbares, a ré-
solu de se venger centre les morts: et de poursui-
vre legénie de l'Itulic jusque dans son propre sépul-
ere. llar ses ordrcs les tombcaux sont ouverts : et
les osscments hurnains, livrés á tous les vents ; on
dirait qu'en détruísunt les reliques d'un passé glo-
ricux, il espere se créer un meilleur avenir.


Dans ce prince, qu'on a essayé de mettre en
parulléle avcc Charleruague.couuue on l'a Iait pour
tous ceux qui out accomplí des choses plus on
moins graneles, il y avait un dorniel' reste de bar-
barie, emprunté aux Vandales ou uux Slaves ,
chez lesquels il déposa les premíers germes de la
civilisation, Quoíque toujours heureux duns ses
guerres, dans ses conquétes et dans son gou-
vernement, il a détruit plus qu'il n'a créé. Les ré-
sultats de sa politique ont étó durables sans aucnn


r. ).;1




- 3511 -


c101l1.r.; mnis ils n'orn excrcé qu'une influenee négn-
tive su!' les destinécs de l'Europe. Hounue du Non],
il ólait Iicr d'écraser, en vertu de sa toute-puis-
sanee, l'homme du Midí , paree qu'il ne put jamuis
s'élcver ú la véritnble notion de l'humanité. n(~­
gnunt, uu scin (runo paíx doutcusc OH c!'IlIW guerre
dóclarce, sur des peuplcs de caructere, de mrours ,
de passions, de scntuncnts, d'é.lucation, d'intelli-
gcnce et de langage différents , contradíctoires ou
antipathiqucs, au lieu de les concilier en leur ou-
vrant une voie supérieure 011 ils seraieut parvenus
Ü s'cu tendre pour idcn liIier leu rs i Illl'rr\ts, i1 pr(.-
Iéra les muinteuir toujours en cct l'~lat de pcrma-
ucn te hos tili té, afín de mo ti ver l'exorcice de sa
tyrannie également permanente el de no jarnais
reconuuitre d'eutrc loi (ILle son glnil'c. Au résuuié,
qUe!(IUC glorieux qu'il soit. le nom d'Othon-Ie-
Granel ruppellc en ludie, non pas la pensée civili-
sutrice de Chnrlernague ; mais les appétits sauvages
des G01.h5 el des Lomburds, que le héros carlovin-
gien croynit avoir cnsevelis S0115 les créueaux du
Capitole OH sousIes dalles du pnlais ele l.atrnn l


Olhon JI, son fils, luí succéda cornme Iloi et
couune Empereur (973). 11 éri tier de ses vues
relatives , soit il la Cermauie, soit ú l'Italie ,




- 355-


d' 11111' part , il poursn ivit Ir hnt constnnt , mais in-
fructucux • de la maisou de Saxe, dont les cheís se
succédérent saus interruptlon , sur un tróne élec-
tif, dnrant cinq géuórutions cousécutives , avec
l'espoir de rétablir le príncipe monarchique de
l'hórédité dans l'Empire ; d'autre part, il s'eílorca
de tcnir l'Église SOtlS son joug el de trunsfonner,
d'une maniere définitive, le Pape, chef commun des
fideles, en une sorte de chapelain : destiné aconsa-
crrr l'autocratic de l'Empereur.


Cette tendance íinale de la politique saxonne,
qIJC~ Jcun XJI avuit dcvinée des le debut d'Othonlc-
(;ranrl dans la carriere impériale, Iut signulée pnr
une longue serio de crimos ct de catastrophes : ré-
sultut de l'anarcliie quí s'éleva sur la ruine de l'uu-
cicn orrlre religieux, Le Roi de Germunie avait
été uppclé ú Borne, depuis lougteuips aux prises
avec l'oligarchic Iéodale, pour qu'il cn fút le libéru-
teur; mais il voulut etre son oppresseur , des que
le Souveruiu Pontífe luí eut accordé la couronne
de Charlemugue. J usqu'alors, I'élection du Pape
avuit fait prévaloir, soít le clergé et le peuple :
prcsqi le toujours unís et constituant le partí po-
puluire proprernent dit; soit l'aristocrutie : prcs(lllc
toujours divisr':e en Iaclions diversos 011 en !amille,;




rivales, qui semblaicnt considérer le ~aint-SiÍ'gr
cornme leur propriété particuliere. A peine les
Othons se vírent-ils maítres de Rome, que leur pre-
miel' soin fut de substi tuer, aux élections aristocra ti-
ques, les élections impériales; et de secrécr un parti
puissant dans le patriciat romaín, níin de détrulrc
les obstacles qui s'opposaient nu triomphe de l'in-
fluence, ou mieux, de l'ornnipotence germaniquc
duns l'Église. Théophanie, femme d'Othon 11,
princesse hyzantine.ouvrant Ü son époux toutes les
voies de l'astuce, parvint, au moyen des ressenti-
ments qui éclaterent au sein d'une ancienne fa-
mille de Rome, Ü y Iornier une nouvelle faction en-
rólée sous la banníére de l'Empíre,


L'antagonisme des év6nements et des ídécs se
résume des-lors entre deux partis implacables, 1l(~S
dans une seulc rnaison , issus de dcux sreurs fa-
talerncnt célebres : Thúodoru et Murozie, et repré-
sentés, d'un coté.par Crescentius, comte de la Su-
bine, défenseur de la natlonalité ltuliennc: de l'nu-
tre, par le comte de Tusculum, chumpion de l'in-
térét gerrnanique parml l'aristocrutie roiuaine,
te premier groupe autour de lui les fcudataires in-
dépcndants, habitués a. respirer l'uir lihre des rnon-
tagnes : le second, tOIlS cenx qui ne voient, dans le




despotismo impériul, qu'une occasion de fortuue
et de vcngcunce. Chacun de ces deux par lis a son
Pape et son hut prop1'e, qu'il veut faire triompher
sur le but ct sur Ic Pape du parti opposé, On en
vicut aux mains, pendant qu'Othou Il est rctcnu
luin de J'Halie, soit par les trouhles de r Allernu-
gnc, soit par les invasious réitérées des Sarrasius
et des Grees, qui l'aunqueut a la fois dans la Ca-
labre et dans la Pouille. Borne n'est plus qU'Ul1
champ de bataille. Aujourd'hui le cornte de la Sa-
bine dispose, en sonvcrain , par la victoire et par
le crime, des destiriées du Saint-Siége ; demaín
ec sera le tour du comte de Tusculum, qui en dis-
posera de la merne maniere. Les succes et les
voics-de-faít sanglantes se balancent jusqu'á l'ar-
rivce d'Othon Il. L'Empcreur croit étouffer I'a-
narchie et consacrer déíiuitivement son despotis-
me, en nounuuut Pape, SOllS le nom de Grégoire Y,
BI'UnOll, prince de son sang et duc de la Franconie
rhénane , muis l'esprit de la nationnlité italienne
u'u pas encore jeté son dernier crí de liberté.


Certes, Grégoire V était bien digne d'occuper
le Saiut-Siége aux yeux du monde catholique; mais
aux YCIl\ du pcuple rourain , il était priuce el
nllcuiuud : doublc iudiguité. Crescentius , se-




condé par la eour de Constautiuoplc , proíitn de
eette disposition de l'esprit public pour renverser
le pouvoir de ce Pape et celui de l' Empercur, du-
rnnt la minorité d'Othon Il l , íils d'Othon 1I, uqni
les ducs saxons avaient lnissé prendro la CO\!-
ronne , comme si elle faisait partir de la suc-
eession paternelle. Grégoire Vfut chassé de Itornc:
et Crescentius, triornphant, concut l'espoir de ré-
tablir la République romaine, SOI1S le protcctorat
de I'Empirc d'Oricnt. Apres avoir iutrouisé, daus
la chaire apostoliquc, l'urchiruandrite I'hilagutc,
qui prit le nom de Jeun XIII, il se fit lui-mémc
proclamer consul par le pcuple, Cet état de choses
dura deux ans, au bout desquels Othon Ill franchit
les Alpes et rendit le Saint-Siége ú Grcgoirc V.
C'est alors que le Pape, usnnt de son autorité dans
un intérét de nation et de famillo, " établit en prin-
)) cipe qu'á l'avcnir le Roi élu par les Ccrmains se-
»ruit, par cela mérne, Iloi d'Itulie et Empereur des
)) Germains. » En agissaut ninsi , le chef de I'Église
anéantissait lui-mérne toutes les conditions poli-
tiques de son existence, et abdiquuit en íavcur de
l' Empercur.


Fils d'un Saxon et d'une l~l'CC(IlW, el pctit-íils
d'uue Italicuuc, Otliou 11 1, que ses conlcurpo-




- ;).)\)-


ruins ont surnounnó la iucrvcillc du moude, resuma,
par ses qualités ct par ses défauts qui Iorment l'u-
niié de son caructere, ton tes les vertus et tous les
vices partículiers aces troís races diverses, Mysti-
que et sérieux comme un Allemand; esprit délié,
prornpt el astucieux comme un Byzantin ; enthou-
siaste du beau dans les arts et dans les lettres, vo-
luptueux et dévot, beau et brave, extreme surtout
dans ses passions ct dans ses désírs, comme un en-
fuut du Midi, Othon subit des influences contra-o
dictoircs : aussi passa-t-il sa vie entre des saints et
des Inctícux. «D'un cóté, le bruit des armes, les cris
de vengeancc, la férocité des antipnthies na tionales,
de l'autrc, les priores religieuses, I'humanité , la
charüé chréticune daus son esprit sublime et SOl1S
une forme parfaite, cal' saint Nil, saint Homuald
s'attachércnt, comme des unges gardíens, sous les
pas de l' Empcreur adolcsccnt (1). )) Suint Romuald
eut.lc doublc honheur d'empécher la destructíon de
la ville de Tihur , eL de snuver l'existence tl tous ses
habitants, saus en exccpter le cornte qui s'était dé-
claré pour Cresccntíus. Snint Nil cut, an contruiro,
h d0l1l('111' rl.. vnir 1(' Cil!';il'li'l'f' ~:ar('nlot;¡1 ignomi-




- J(jIJ-


nieusemeu t outragé dans la persounc de l' AII ti-
Pape Jean Xl l l , qui íut mutilé malgré ses prieres,
et que I'on promeua sur un áne , avant de le
jeter au fond du cachet oü il utteudít la mort.


Othon avait rétablí son autorlté daos Ilome et
dans les autres cités; mais toutes ses torces ve-
naíent échouer centre les murs ímprenables du
chateau de Saint-Ange, d'oü Crescentius pouvait
tenir en échec la Iortune impériale. 11 fallut recou-
rir á l'artifice. en Iavori du Monarque entama les
négociations avec le consul, qui ne consentit á
rendre le donjon el it se livrer lui-méine que sur
la foi de saint Ilomuald : c'était une raison pour
qu'Othon la violát plus vite. En eflet, Crescentius
fuL pcndu, au mépris des truités (1); et Stóphanie,
sa fcuunc , fut envoyée parmí les concubínes de
l'Empereur, qui, aprcs le supplícc de son mari , la
réservait pour ses plaisirs, saus se douter que l'a-
mour, avcc elle, pouvait se íruufortncr en V8n-
geunce,


Les cruautés .d'Othon excitérent la colére de
saint Ilomuald et de saint Nil, Ces deux apótres


(l) (;la)¡el' hodulph, Chrou. lih, 1, pago ~, tI/!/I11 llistorur
Frmlcurll/I/. 1'. lithuu : 1',,/ 1Ii.,/. Francoruni »criptorc, nr-
tanei, LJudIC¡;U~. TuJU. 1\. 16;JG-IG!l1.




- :Hil -


abandouncreut la cour du tyran, apres l'uvoir me-
nacé de la colore céleste. Ils se retírerent chacun
dans un monastere. Othon versa des larmes sin-
ceres; se rendit píeds nus, en pelerin , au couvent
de saint Romuald; se repentit de s'étre montré
si cruel cnvers les hommes, et s'humília pieuse-
mcnt devant Dieu. En descendant le mont Cargan,
il se dirigen vers le cloítre de suint Nil, pour se
réconcilier aussi avee lui et lui díre : « Dernandez-
)) moi ce qu'il vous plaira comme ú un fils.» Le
moine, appuyant sa muin sur la poitrine du jeune
César, répoudit : ( Je ne vous demande que le sa-
n lut de cette ame. Tout Empereur que vous étes,
s bientót vous rcndrcz comptc á Dieu de vos ac-
» tions (1). " Ces paroles émurent d'autant plus
Olhon , pris en ce moment d'un acces de piétó,
que uagucre, poussant IÍl curiosité [usqu'au sucri-
lego, il avait pénétré daus le tombeau de Charle-
inugne ; et que ce grand Empereur, s'étant drcssé
tout-a-coup sur son tróne Iuncbre, lui avait éga-
lement annoncé une fin prochaíne et fatale (2).


Othon 1Il sorti t du cloitre de saint Nil, comme


(1) ti/llsllIIeli .\ili.
(:.!) .uuuücs JIi!dcs!lcigIlCIlSC', «nn, 1000 «pud \1, i'C¡ü. lUIlI. i.


pago u:!.




- iHj2-
il ótait sor ti du tombeau de Charlemagnc, c'est-a-
dire : grave, silencieux, tout eutier ü ses remords.
JI est vrui que, rentré duns ltomc, il les oublia
bien vite, et ne songea plus qu'ú s'enivrer de vo-
luptés avec ses concubines. La veuve de Crescen-
tius attendaít depuís longtemps l'hcure de Sil ven-
geance : elle sonna bicntót. Cet Empereur mou-
rut, a l'áge de vingt-trois aus, sur une couche par-
fumée, ou Stéphauie l'enveloppa dans une penu
de cerf empoisonnéc (1002).


Ce princc, qu'on pourrait surnounucr le Dis-
solu, eut pour succcsscur Ilcnri 11, dit le Saiut,
qui réalisa le véritable typc de la Iloyuuté chrc-
tienne. Valeurcux sur le champ de bataille, pieux
dans l'J~g!ise, juste dans l'Étut, vertueux clUBS sa
Iumille, il essaya de modifier moralernent la con-
slitution intérieure de la Cermunie, sans Jléglig<T
la conquéte de l' Italie, alors disputée par Arduiuo,
marquis de Givréc et comte de toute la Lombar-
die, qui, apres avoir été mis au ban de l'Empirc,
s'était fait couronner Roi ele la Péniusulc. Sí les
évéques italicns soutena ien t k hardi fonda tour
rl'une Iloyauté nntionnlc. les Papes lui pn"[('rHil'lll
la Monarchie germaniquc , paree qu'ils la consi-
dóruicuL couuuc hériticrc dII pouvoir Ioudc par




- 31i;)-


Churlcmuguc. Muis pcndunt que Ilenri et Arduino
guerroyu icn t en tre cux, les j uristes cux-rnémes
étaicnt 10i11 de s'cuteudrc, lorsqu'il s'agissait de
suvoir positivement de quel coté se trouvait le
droit, puisque les chartes portnient ces 1110t5:
Persounc n'cuuü Emncrcur, - imperante nemine.


Ccpendant Henri Il víut a Borne pour ceíndre
la couronnc impériale. Avant de le revétir solen-
nellement de la chlamyde de Charlemague , Be-
noit Vll l , s'inspirant du pur sentirnent de ses
droits, en tant (lile Souvcrain Poutife, lni tint
ce lilllgngG signlficutif : « Voux-tu étre le défen-
) scur de l'l~~~lise, ct gill'{1cr, il moi et Ll mes suc-
» cesseurs, Iidólitó en toutes choses? ,) - Le Roi
ayant répondu aflirmativement, la cérémonie du
sacre cut licuo Ilcnri put des - lors varier ses
protocoles, en s'intitulant tour ú tour: ROL des
Frailes et des Lomhards, Em/JCrCUF desRomaius, el
eníin, Roi des Bomaius. Ce dcrnicr titrc Iut con-
servé, paree qu'on ne pouvait plus prendre celui
de Roi d'Italie (1).


Jusqu'a préscnt, le regne de IIenri n'a été, pour
ainsi dirn, qu'un long combar, soit contre les Ita-




- 364-


liens, soit contre les Grecs. Fatigué de la vie des
camps, ce Monarque soupirait aprós la vie du
cloitre. Un jour, étant entré dans l'abbaye de
Saint- Vanncs , prés de Verdun, on l'entcudit 5'6-
crier avcc le Psahniste : (( Voilit le repos que je lile
suis choisi, h Interrogó par I'ubhó, Ilcnri déclarn
formellement qu'il désiraít prcndre l'habit de rcli-
gieux. (( O Roi, poursuivit I'abbé, vcux-tu , selou
la regle et l'imitation de Jésus-Christ, obéir jus-
qu'á la mort? - Pére, je le veux, - S'il en est
ainsi , je te rccoís commc moine, je prends la
charge oc ton ame; maís, des ce momeut, tu
m'obéírus avec la crainte du Seigneur. - Pere,
j'y suís prét. - Eh hien! mon fils, comme ton
chef spirituel, je t'ordonne de demeurer it ton
poste de Roi ct dEmpereur. Sois juste, fcrme,
pacifique, et ne déserte pus la place OÜ Dieu t'a
mis. - Pere , j'obéirai (1.). » Fidele it ces grands
principes de gouvernement, Ilenri II humilla la
Féodalité et Iavorisa les communes en Gerruanie ;
tundís qu'en ltalie, íl respecta les droits du Saint-
Siége et confirma, par un nouvel acte, les anti-
ques donations fuites au Saint-Siége. tu I'apauté


(1) I'ila .\/lIleli liic!uli'(li, Ilpud PUII] Louqucl, l1u uui !fllllic. ce
[rauc, Senplun." I'orn • x, [J;¡::;. ;J7t;.




- 365-


reprit aínsi l'Influence morale, auguste, supeneu-
re, nécessaire qu'elle dcvuit exercer pour le salut
des soeiétés.


Avee Henri 1I s'éteignit cette illustre maison ele
Saxe qui éleva l'Allemagne II un si haut degré de
puissance , de fortune et de splcndeur. tes na-
lions gerrnaníques se réuuireut alors pour élire
un nomean Roi. Les ducs, les marquis, les com-
tes et les évéques s'assemblérent dans une ile du
Rhin, située entre Worms et Muyence ; les Saxons,
les 'I'huringiens, les Bavnrois, les Francs orlen-
taux , les Carinthiens, les Bohémes et les Sueves,
se grouperent sur la rivc droitc du íleuve : et ,
sur In rive gauche, les Franes occidcntaux et les
Lorrains. C'cst dans cettc ussemblée solennelle
que Courad-le-Salique fut proclamé (4 septembro
tü2g). Son couronnement, comme Boi de Geruia-
nie, cut licu aussitót; mais il ne fut reconnu en
Italie, qu'apres avoir soumis les grands vassaux,
ecclésinstíques et luiques, de toute la haute ltalie :
notummcnt les priuces de Capone et de Bénévent.
11 se fit eouronner Iloi II dcnx rcpríses : d'abord á
Milan, et puis á Mouza. Enfin, Jean XIX déposa la
couronne impériale sur son front, le jour de P<1-
ques Hl27, en présence de Kannt-le-Crand, Ilol




d'Angleterre , de Dancmark, de Norm\p;¡,\ et de
Suede ; de Hodolphe, Iloi de la 'Iruusjurane, et des
premiers de {Ol/{CS les natious, qui luí servirent
d'assístants.


Henri T[ avait laissé prcndre au Saint-Siógc une
grande liberté d'nction , paree quil reconnaissait
tous les príncipes sur lcsquels se Ionrlc son auto-
rité morale. Courud 1I, au contruire, nógligca ou
méconnut les droits du Pape, ufin de Iaire prúvuloir
ceux de la Iloyauté g·ermaniqll(~. Sous le titre de
voyage de Iíome, il créa un impót spécial, perma-
nent et implíquant une reconnaissancc fOJ'l1lCII(~
de la suzerainctó impériale par le Souverulu Pon-
tife. CC!ui-ci ful obligé de cédcr , paree qu'il était
personnellemcnt une créaturc de Conrad, L'Em-
pereur gouvernait l'Église, depuis que toutes les
élcctious se Iaisuieut ú son choix, ou Ll cclui de
ses propres alliés. C'est ainsi que la famille des
comtes de Tusculurn , depuis la chute de Crescen-
tlusv obtint, en quclque sortc, le uionopolc de la
tiare; et qlle le supremo Pontlficut, détourué de su
dcstinatiou positivc.ncní diviue, íut , entre les
maius de ces Icudulnires, UlW sorte de fief, une
scandulcuse expressiou dtl l'ég-irnc Iéorlal : iniquité
de l'¡'~tat retombilllt sur 1'1';g-lisc, pour la démora-




- 367 -


llscr, Cet etal <1P chos('~; révollnlt rl'autuut plus
les conscieuces hounétes et pieuses, que tous les
13uLs moruux de l'humanité se trouvaient fatale-
ment compromiso


Privécs d' une direction auguste , les affaires de
PLome flouaient au hasard des ambitions ou des
cupidités particulicres. JI en résulta que trois COlYi-
pétiteurs pontiflcaux se produisírent simultané-
ment , sur trois trónes ri vuux et dans les trois
centres principaux de la villo : a Latran , a la tí-
héricnne, au Vatican. Chaque compétiteur brigua
l'appui ele Henri-le-Noir, quí venait de rernplacer
Contad 1I. conuno Boí de Germauie. Celui.ci ac-
courut au plus vitc, se déclura coutre les élections
féodales, el Iciguit de vouloir reudre au peuple
romain l'antiquc privilége d'élire lui-méme le Sou-
vcrain Pontife, SOllS pretexte que le Pape étaít son
magistrat civil; mais, en réalité, il désírait sub-
stitucr son arbitraire personuel Ü cclui des factious.
Cédant aux suggcstions secretes de l'Empereur ,
la Comruune roruuinc , couvoquée solennellernen l
dans la hasilique ele Suint-Picrre, rcfusu d'uccep-
ter une pareille responsubilitó. Elle aíllrrnu « qu'Il
11 apparteuait au Iloi de GeriLGIÜe d'empcchcr des
)) choix indignes et de venir ;1'1 :;('COlll'S de l'Église, "




- 368-


Le peuple luí-méme, consulté uson tour et n'aynnt
d'autre liberté que celle d'augmenter su propre
servítude, «jura ele ne jumais élíre un Pape sans
» le consentement du Roi germain. »


Puisque l'élection épiscopale dépendaít absolu-
ment de la Iloyauté germanique , le rcprésentant
de la Monarchie spirituelle et universelle n'était
done plus que le simple delegué d'une Monarchie
temporelle et particulicre. L~ peuple el le c1ergé
rornain ayant donné leur démission volontaire ou
involontaire, mais positivc , le monde religieux et
moral était, par le fait, eomplétement bouleversé,
Déjá , Ilenri-le-Noir, couronné Empereur, dispose
de la tiare selon son caprice, et n'a plus, en quel-
que sorte, d'autrc souci que de [aire des Papes. 11
en designe successivement quatre, tous allemands,
pour témoígner de la dépendunce uhsolue de I'1:;-
tat ecclésinstique ú l'État séculier. Cette sltuntiou
anormale ne pouvnit pas se prolonger; cal' elle
n'cxprimait que l'anarchie, au norn méme de la
puissance ullemande, qui, dominant en Europe
avec le sccptre impérial , aurait dú exprimcr , par
ses acles et par ses principes , l'ordre général des
sociétés, Agir de la sorre , c'était done méconnai-
tre les desseins de Dieu sur l'humaníté , c'étaít




- 369-


écraser le droít par la force brutale ; c'était, en
fruppant l'Église , proceder a la dissolution géué-
rule des Étals; e'était enlin détruire la seule auto-
rilé constituanle que tous les peuples civilisés re-
couuusscnt a la fois, paree qu'elle garantissait
généralemen t leurs destinées présen tes et futures,


En créant l'Empíre d'Occident, la Papa uté avait
fuit preuve d'un désintéressement remarquable el
trap peu remarqué. Elle voulait Ionder la Monar-
chic politique universelle, en regard de la Monnr-
chic rcligieusc universelle. Dans ce systerne ,
l'Empereur, sans toucher ú rien de ce qui consti-
tue l'iudépcnrluuce des l~tuts, devult étre le chef
temporal de la chrétícnté , comme le Pape, chef
spiritucl et supréme, Ainsi, le monde moderne
uurait rccu une double impulsion , émanant d'une
seule pensée (1). te Pape et l'Empereur, égaux
en anlorité daos leurs domaines respectífs , sem-
blaient ne pouvoir jauiais se heurter l'un centre
I'autrc, ni ehercher a se dominer l'un l'uutre ré-
ciproquement , puisque leur [uridictlon n'avait ni
le méuie principe, ni la méme fin. D'ailleurs , si
l'untagonisme commencait á se déclarer entre cnx,


(1) Lpi!lllilz, In 1mlfl/l. Cotl. 1111'is ücntium J)i¡J/olII.
1. 2ll




- 370-


le génie pontifical flnírait bien, tót ou tard et né-
cossairemcnt, par triompher du glaive impérial.
L'assujétissemcnt purtlculicr, de l'un it l'uutre,
ne pouvait done étre que transltolre : tandís
que lcur liberté réciproque , ayant une action
générale, assurait aux sociétés humaiucs une ere
de progression féconde , auguste , durable el, en
quelque sorte, illímitée.


On a vu ce que devint, dans la pratique, cct
État idéal du monde chrétien, formé pour réaliser
absolumcnt la j ustice parmi les hommes. Tunt que
l' Empereur , consacré par le Pape qui lui conféruit
le pouvoir tempornl supróme, exercu celte antorité
snns bornes dans les limites religieuses et morales
que le chef de l' Église uvait lul-mérue détcrmi-
nécs, la paix universclle fut inúhranlnble, 1'OII(cs
les querelles, relatives aux diflóreuds qui 5'(:/C-
vaient soit entre les princes, soit entre les Beis
et leurs peuples , étaíent portées devant le Saint-
Siége : tribunal uugustc institné par Dieu lui-
méme et devenu son organe dans l'humanité.


Mais, des que les Ilois ele Germanie rcgnrdercnt
la dignité impériale et la couronne d'Italie comme
lcur propre domuine , acquís naturellement, et par
le seul fait de leur propro élcction ; des qu' ü la suite




- 37t -


d'une usnrpatlon flagrante, l'auguste privllége de
créer l'Erupereur , fut ravi au Souverain Pontife
et donné au collége des barons allemands, une
división fatale éclata de toutes parts. C'était sur
les rives de l'Ebre ou UU Danuhe, et non dans la
hasilique de Saint-Pierre , qu'on remettait au Iloí
de la Cermanie le laurier des Césars et la chla-
rnyde impériale de Charlemagne. La cérémonie du
sacre n'était plus déjll qu'une formule vaine , Iors-
que l'Empcrenr, non content de déférer lui-rnéme
toutes les dignítés ecclésiastiques (le l'Empire, vou-
lut encore disposer de la tia re et [aire les Papes;


comme s'Il se fút prnposé de briser , avcc son
glaive, cette chaíne monde el providentielle de
l'Épíscopat , qui ruttache le Pontife régnant aux
Apótres ct ú saint Pierre. N'étant plus la créature
du Pape, il prétend désormais étre son propre
créateur. L'uxe de la civilisation universelle se
trouvait ainsi dóplacé. Tous les rnpports religieux,
politiqucs et sociuux des peuples étaient brisés.


En effet, la liberté européenne se voyait mena-
cée d'uu despotismo d'uutant plus efJrayant que
l' Allemagne, puissance prépondérante, absorbuit
le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, dans
leur essence nniverselle et supréme ; et que les




- :\72-


autres nations n'avaíent plus aucune garantie d'é-
quité, ni en metiere religieuse, ni en matiere poli-
tique. Le monde était tombé dans un tel état de
décadence, qu'une révolution pouvaít seule le re-
dresser. Dieu suscita un grand homme, Les que-
relles du Sacerdoce et de l'Empíre commencérent:
et n~glise, embléme d'une émancipatíon morale
commune b. tous les États, fut délívrée,




CIIAPITltE IX.


AFFIU.\CIllSSE.\IE.\T DE L'ÉIjLISE PAR Gn.ÉGOIRE ni.


Sommaire.


Dt'cadencc morale de l'Eglise, - Les éveques el les ahbés dépcndeut
moins du Pope que de l'Empereur, - I'rerniers symptómes de
rt't',t'.uéralion. - \lonasleres. - Fnnrlntinn de J'abbaye de Cluny.-
Les antros couvenís se soumcuont a sa ri~gle el it ses slatuís, -
Les c1oltl'es comlllcllceul it dourincr dnns la sociélé chréticune.
- Lf'S ahhés de Cluuy, voulant alfranchir le Sainl-Siége, se me},
lell!. en rapport avcc les Empereurs. - Itildcbrund, prieur de
Cluuy,-Son portrail. - Le Pape Lcou IX, nOllJI1lI2 par llcnri 111,
va le trouvcr á Cluny. - Ilildcbraud reluse de recouuailre \lit
Pape dans l'élu de l'Emprreur, - 11]011 JX se diri:;e vers Houle en
habit de péuilcut. - JI cst aCCOlltp:I:;lIt' par l tildebraud. - Le Pape
ne prend possossion dll~aill!.-Sié:;e,(III·apri's avoir obtenu les accla-
malions du pellple el du clergé romain.-Ce scul Iait rcufenuc
lonte une rél olulinn. - Il consacre l'iurlépcndance ele n::;1ise vis-
i1-lis dp U:lat. -lIililebrallll conscillerde victor If, d'(:Uenne L\,
de 'lindas 11 pI d'Alr xtuulrc l I, - tl mot la liar«, diademo royal,
sur lit t0te de Xicolas 11, el soustrnlt désorrnais l'élection des
i'oulifes il I't.mpcrcur, auqucl il nI' demande qu'une approbatíou :
acle ele vaine Iorrmlit«, -- Les reformes ecclésiastiques se généra-
liscnt, - lIé,,Íslallces locales. - "\ la mort de Nicolas 11, I'EI1l1H'.
rcur 1'1 les évcquos lomhards nommeut clcmcnt IH d'uu c()[é; de
l'autro, uildehraud el les cardinaux nouuncnt Alexandrc Ir. -
l;uel'l'e cntr« les deux puissnnces. - Triornphe (]'.\lexandl'e Jf el
irllildehl'and. - Chute ele l\uIlle Ieodale, - Ilildehrand, Papo,
SO!!S lc 1l01ll de (:ré:;oirp \'11. - Silualiun mor.ilo de 1'(::;Ii.s('. pI de
l't.mpir«. -- (;rl':;nil'e veut l'I\alisel' el r('alise, en cITe!, la réfonne
de touto la chr-ticntc. - Cal'acliTP :;éllt\ral ele son Pontifical. -
Cdibal des pt·(·II'Ps. - (Jilcl'elles rlu saccrd(lcP c' ele l'Fmpir« au
sujot des invostiturcs pc('k'siastii[\1I'S. - Théoric gOll\l'nlelllt'lIl;de
rlu ~.,Jillt-."j"~t' ('\/,usI'e /,;11' (;¡·"'l'oil'e \, 1. - 'I'uus les Iluis clll·"-
licus ¡¡('ceplenl lu ;;lIprélJlalic uhsoluc de ¡él t';.IJldllll'. - L'Lu.pc-




n-,
- JI'I-


reur seul la rejetle, - La guerre du Sal'l'J'llul'e el de ['Ellljlil'e na
jamals Irnnchi les Irontiores de l' \llernagtlc el tle l'Italie. - Elle
dait provoqueepll1lr'Jt par la politiquc de ccs di'IIX pnys,que par les
]ll'dentiulls du Pape, - Caracti're de l'Lmporcur llerui IV. --
\lo(['.'l'aliou (le (;I'éguir(' h son ('gard.- Lellre iusultnnto di]
priuco quí fail ([('puser le l'onlif(' llar II1l concile r]'húlues, d('-
]l0SI;S eux-mémes ou schismatiqucs. - 1:.\llelllagtll' se M'clan'
ponr le Pape el coutrc l'Empercnr. - Ilruri IV iL Canossa. -
1;1'I"goire Vil oxpliqu« sa condllile envcrs lui. - Ilép,,"itiol] d('
Iknri 1\ par I('s l"/('cfeul''' alll,tl]amls. - (;lIel'l'l' entre lui el
nodlllplw, SUII I'OIIl)iI"II¡rur. - (;rl"(,':uire \ JI \1'111 1'1',11'1' ]11'1]111';
m.i:s il rst bienlt>t rOrC(\ ,!r' prcndrl' p,¡rli ¡HIIII' I\udolplte.-\ ictuire
d'J!elll'i IV. - 1I s'cmpare tic nome el se Iait sacrcr par clé-
inr nl 111, antl-pape. - Créguire VII, prisounier au cliúlcau de
Saint-,\nge. - ltohert r.uiscnrd le dl"line. - Le Pal1P meurt en
exil. - upinion (les historiens catholiqucs el protestauts, suil S11l'
les (juerelles du sacerdoce el. de l'Empire, soit sur Cl'(\¡;oire \ 11.
- I\I'SUlnt'. - vlission de l'Eglise al! XIX' siecle, - La socíct«
curopécune a Lesoiu d'uu sauveur,


La nution gerrnanique pcssédait, en Europe, une
hau te suprómatic politique : domaine moral qui
avait autrefois appartenu ú la Frunce de Charle-
mugne ; mais dont elle s'était Iaissé dépouiller par
les Othons, restauruteurs ele l' Empire el oppres-
seurs de l'Église. L'Allcmagne, en élevant, sur son
trónc élcctif', une série non interrompue de grands
hounnes, constutuit, pour ainsi dirc, de régne en
rugue, le développement progressif de sa propre
grundcur. Hcurí 1", Orhon J", Conrnd-Ic-Suliquc
e t Ilcnri-le-Noir, princes de raccs dillércu tes, ani-
iués pourtaut d'une mérne pensée, uvnicut défiui-




- 37j -
tiverncnt réuui lc Iloyaume d'Italie au Iloyaume
de Gcrmanic , sous le sceptre imperial. Les deux
ticrs des conquétes de Churleniugne, contribunient
dé:iOl'lllitlS ü forme!' ccttc puissunte unité, consti-
tuunt, au détrimcnt de toute moralité humaine, le
matúrialisme systéuiutique de J'État politique, en
voic de réaction centre J'Église. Rome el la so-
ciété ecclésiastique subissaient alors In domina-
tiou brutalc des Empereurs , toujours occupés á
élevcr 011 Ü déposer les Pontifes ; et ü dcstituer les
abbés elles évéques, selon leur caprice, afin d'en
uorumcr d'autrcs, auxquels ils don naien t l' investí-
ture par la crosse et par l'anncau : signes de la di-
guité épiscopale et de la dignité abbatiale, apres
en avoir r8'tU le double serment de fidélité el
d'hommage. POUl' micux térnoigner encore de la
suprémutie matérielle de l' Empire sur le Sncer-
doce, un préfct exercnit, nu nom des 110is ger-
iuains, le pouvoir du gluive, dans Itome, au-dessus
elu Saín t-Siége, mis hors d' état d'exprimer tempo-
rcllcment le pouvoir du génie catbolique dans
l'humanité.


","0115 uvons vu [nsqu'n présent , avcc Alcuin,
" trois puissauccs supcricurcs atoutcs : la subiimitc
apostoliqnc d'afJul'd, qui gouvcruc, CUlUUle vicaire,




- 3i(j-
le siége du hieuhcureux prince des Apótres; puis
la diglli{é inuuiriale; enfill cellc des ltois (1). »


Maintenant, au contrairc, nous voyons la puis-
sanee irnpériale, seule, écraser les dcux nutres pou-
voirs qui s'élevaicnt naguere au-dcssus des sociétés.
Une révolutíon aussi fata!e n'a C!U s'accomplir,
qu'au moyen d'une démoralisation universcllc,
C'est ce qui est constaté par le concite de 50i5-
sons (909), dans les termes suivants: .De méme
que les premiers hommes vívaiont sans lois et snns
craínte, abandonnés á leurs passions ; de méuie
aujourd'huí chacun fait á son gré. Les lois des
évéques sont méprisées, les puissants oppriment
les faíbles: tout est violenee pour les puuvrcs el
rapine des biens ecclésiastiques. Nous-mémes qui
devons corriger autrui, nous, évéques de nom, non
de fait , nous négligeons la prédicntiou ; nous
voyons les brebis qui nous sont confiées, s'éloi-
gner de Dieu et croupír dans le vice, sans diriger
vers elles ou la paro le ou la main (:2). o


L'Église dégéuérait done chnque [our, perdant la
discipline et ses bonnes moiurs, ne conservant pas
nieme la science, depuis que l' J~:til t sécul ier domí-


(1) /I'/)I'stul" JI.
(2) LalJ1Jc, Collcccion des Concites. 'j'PIIl. L\, il la Iru.




- 377 -


nait I'État ecclésiastique; et que le Saint-Siége se
trouvait a la merci des factions ou de l' Empereur.
Le désorclre allait si loin, en l'absence de toute
regle ou Ircin moral, que Pierre Damien , car-
dinal-évéque d'Ostie , s'écriait avec une salute
indignation : a Le monde se precipite violemment
dans l'abíme de tous les vices; et plus il approche
de sa fin, plus il voit grossir la masse énorme de
ses crimes. La discipline ecclésiastique est presque
universellemcnt négligéc. Les prétres ne recoívent
plus le rcspect qui leur est dú ; les saints canons
sont foulés aux pieds ; et l'ardeur qu'on dcvruit
avoir pour le scrvice de Dieu, est uniqucment cm,
ployée ala poursuite des biens de la terreo L'ordre
Iégitimc des mariagcs cst confondu ; et, á la han te
du nom clirétien, on yvit a la maniere des juifs,
En eílet, oú ne voít-on pas régner la rapine et le
larcin? Qui a honte du parjure , de l'Impudicité,
du sacrilége, et des plus horribles forfaits? (1)....
Le monde entier est comme une mer agitée par la
tempéte ; les dissensions et les discordes, sembla-
bies ades flots irrités agitent tous les crcurs. L'uf-
Ireux homicide pénetre partout , et semble par-


(1) S. I'rlri Il(lmirlli, E/list. lib. rr, epist. T, ad. S. u. Ji. Cartli-
ualcs, initio,




- 378-


courir tous les pays du monde, pour les réduire á
une nffreuse stérili té (1). »


L'État avait depravé les sociétés par l'abus de
la force et des jouissances matóriclles ; il appar-
tenait a I'Église de les régénérer par l'emploi
énergique de son intelligence et de sn mora lité.
Quclque nécessaire qu'elle fút, cene réactíon pa-
raissait d'autant plus diíficile ti provoquer, non-
seulement aux yeux des conciles, maís encare nux
yeux de toute la chrétienté , que le Pape était po-
sitivemcnt sans puissance ; que les prétres el les
clercs étaient simoniaques, incontincnts ou [raudu-
lcu.r, Depuís que la politique des princes uvait
transformé les évéques et les abbés en grands
propriétaires féodaux , ils appnr tenuiout moins it
l'Église qu'ú l'État, En définitive, cela dcvait étrc,
cur, au mépris des canons primitifs, leur investí-
ture émanait uniquernent du Roi ou de l'Empc-
rcur. Aussí reconnaissaient-ils u peine l'exístence
d'une autorité supérieure, en voyant le Saint-
Siége dépendre de l'autorité séculicre, comme
leu1' 1'1'op1'e éveché.


Ccpendant, pour se soustraire aux chutes de


(1) Ibid., ¡\)Ii.'l. ¡¡lo. IV, 1'.'¡ll.Il. 1\, iul. UlIIf'l'icl/lH c)lisCU)IIII/I.
Firnuuuuu, [Jae. 51, ('(dI. ~.




- 3i!; -


ceuc societé qui sembluit maudite, les úmes fortes
el chrétieuucs íuyaient le corrunerce des eours et
chcrcl.aient le sulut dans les solitudes. Alors furent
créés de nouibreux monastércs sur des priucipes
nouvcaux ; cal' les auciens cloitres avaíent élé d¡'~­
truits par [es Sarrusius el par les Normanda. 1\OIlS
avons déjá vu saint NlI ct saint Hornuald foncler,
au milieu des déserts, celui-ci , le couvent des Ca-
mnldulcs , Campus Malduli, sur le sommet des
Apennins; celui-ln, un cloítre qui porta son nom
el qu'il étuhlit uu picd du mont Gurgan. D'autres
asiles picux Iurcnt ouverts u quicouque voulut
acccptcr une regle sévere : digue morale el divine
opposée aux débordcments des passions humai-
nes! Ces exernples magnanimes et si eñlcaces
étaicnt cncore individucls ; mais ils se généralisc-
rent bient6t et devinrent des centres ele travail,
de savoir, de progreso Aussi peut-on dire, avee un
éerivain protcstant, que ( les Ordres furent, dans
J une partie du l\loyen-Age, la clnsse la plus ac-
» tive, la plus éclairée, la plus jalouse de répandre
»la lumíére ; et que les cloítres furent , a cette
-époque , le berccau des arts ct des scíences (1). »


(1) \ ucillou, 'I'/I/I{. des 1'11'01. it« .'!/s/./Julit. de (1:..'1II'o]le. Turu.I'",
introtluction, - JloJllll'c/lic nontiliculc,




- 380-


Le succes de ces associations particulieres influa
donc, d'une maniere positive, sur le développe-
ment moral de la société cbrétienne et assura le
triomphe d'une plus noble civilisation.


Entre tous les monastcres étahlis au commen-
cement et vers le milíeu du x' síccle , le plus cé-
lebre fut sans contredit celui de Cluny, fondé par
Guillaume-le-I'ieux et Ingelberge , le duc et la du-
chesse d' Aquitaine, dans la Bourgogne, aquelque
distance de Macon , pour le rachat de leurs pé-
chés et en mérnoire du roi Eudes , leur seigneur,
Déslreux de gngner le ciel, en travnlllant avcc ar-
deur aextirper les vices ct b. réformer les abus qui
désolaicnt toute la terre, les religieux de Cluny,
loin de s'isoler comme ceux des nutres abbaycs, se
mólerent au mouvement social et en uccélérerent
le progreso Dieu seruhla leur révéler ü cette épo-
que, le véritable but de l'humanité. Bientót les
abbés les plus illustres et les abbés les plus aus-
teres se groupercut duns le couvcnt de Cluny. Lit,
s'inspírant des priuci pes supérieurs qui régisscnt
les alfaires humaines, ils suivirent la marche con-
tinuelle des événcmcnts et comprircnt ainsi la
signification morule de l'étut d'unnrchic ou se




- :,,81 -


trouvait l'Europe , méeontente du présent et in-
certaíue de l'avenir, paree qu'un nouvel ordre de
société était désormais néccssaíre au monde.


C'est pour avoír eu, des son origine, le pressen-
timent ratíonnel de cette grande évolutíon eonti-
nentale, et, surtout, pour s'étre procuré les moyens
de l'ncoomplir, que l'abhaye de Cluny se montre a
llOUS avec une grandeur toute nouvelle, en ee mo-
ment de haute erise ou les ancíennes instítutions
chancelent et s'éeroulent. Déjá, les autres monas-
teros, soumis volontairement asu regle et lt sa dis-
cipline, se rattachent II elle par des Iiens encare
plus positífs. Prenant alors un caractere univer-
sel, Cluny peut créer, au milieu de la dívísíon des
intéréts, l'uníté de la vie monastique : principe
tout puissant avcc lequel ses Abbés souléveront
le monde, pour le rasseoir et le régénérer avec
des idées supérieures, en opérunt une réíorme
complete de l'esprit politique et de la forme ma-
térielle, aristocratique et féodule, que mille usur-
pations successives ont imposésa¡'Église.


En efTet, le probleme que les abbés de Cluny se
proposaient de résoudre, en ces temps d'oppression
unlverselle, était el ne pouvait étre que l'affran-




- 38~ -
chissement ahsolu de l' l:;glise pierre angulaire
de tous les États européens. Mais cette questiou,
il fnllait la poser afllrmativcrnent au sein de chaqué
monastere, avant de l'imposer résolument aux di-
verses eours du continent. Voilú pourquoí l'auto-
rité monde de Cluny prit un caracterc universel ,
conformément au hut graudiosc qu'il devait at-
teindre. Dcvenu , par ce seul fait, le véritable
centre du catholicisme, alors que Itorne gémissuit
dans le deuil , dans la désolation , dans la honte ,
dans la servitude , il forma le conscil des POl1lifcs
et eelui des Princes ; il devint l' arbitre des tyruns
et des peuples libres; il serna l'espoir dans l'úme
des pauvres et des malheureux; il porta le décou-
ragement dans l'esprit des coupables et des Iorts :
en un mot, il dirigen son sicclc, paree qu'il oxprí-
mait l'intelligence, le savoir, la vertu, la sagesse et
la liberté. Ainsi naquit cette doctrine providen-
tiellement révolutionnuirc, destinée il refuire toute
la constitution morale du 111011de catholique un
moven d'une scule pensée : l'indépendance de l'f:.
glise ! oeuvre giguntesque et salutairc, cornmencée
laborieusement par les Orlon et les '\Jayeul; pour-
suivie patienunent par les Gerbert et les Odilon ;
aecomplie enfin glorieusement par Grégoire VII:




- 3R3 -


le libérateur du Saint-Siége et le rénovateur de la
civilisation (¡) !


Pour réussír dans eette entreprise, qui intéres...
sait aun si haut degré le sort de tous les peuples,
il falJait s'adrcsser directemcnt au seul prínce ea-
pable de la Iaire avorter, c'est-á-dire a l'Ernpe-
reur, quoique sa puíssance politique, prépondé-
rnnte en Europe, se proposát un hut absolument
contrndictoire, c'est-a-dire, l'hurniliation tempo-
relle du Souvcrain Pontife et l'asscrvlssement de
I'É~~'[jse. 01', saint Odon , qu'on a justement consi-
d('~ré comme le véritable foudateur de l'Ordre de
Clnuy, espérnnt por ter un coup décisif ú l'unarchlc
Iéodalc, et, par contre, désarmer l'adversaire du
~aint.Siége, établit des rapports intimes entre le
Iils d'Othon-lc-Grand et son propre monastere.
Apres luí, saint Maycul , ou Maiol , refusa, il est
vrui, la tiare; mais Gerbert l'accepta de la main
de l'Erupereur teulouique, afin de réveiller le peu-
pie romain, cnscveli duns la torpeur. En vnin lui


moutru-t-il les lances allcmandes : emblemes ele sa


(J) \l. 1'. Loraiu, d.ms son R.>siti historiquc surí'nbbmtc dcCimnt,
]lld'¡i,' :'1 Ilijo" eu iK:.i!), Iait ('ol\lIa1Ir,' parfailellll'nl l'orgauioaliul\
inl"I'iellI'P dI' ce monastl\J'(~: non, 111' d-vons signaler ici que l'iu-
111i1'IlI'e (\("I'isill' qu'il 1.'.\('J\'él sur la ~1';1Ij(1i:. 1I'IIJlulioll qui Iait le sujel
di' ('e el¡"pitre.




- 3RI, -


servítude et de sa honte : Iíome ne le comprit pas
et gurda rancune au Pontifc, tant elle était encore
peu digne de rccouvrer sa liberté! L'abbé Odilon,
n'en espérant plus ríen, attendít tout de la piété de
saint Henri, successeur d'Othon 111, qui fit hom-
mage au monastére de Cluny de sa couronne, du
seeptre et du globe: triple attribut d'une puis-
sanee polítique alors sans égale. En ce moment,
le but de I'Ordre semblait étrc obteuu par la per-
suasion : l'Empereur paraissait disposé a reudre
désormaís a l'Église l'índépendance et la supré-
matie morale qu'clle devaít exercer dans l'Élat,
mais indépendammcnt de l'État. Le granel pro-
bleme de l'uffranchissemeut ecclésíastíque était
presque résolu ; mais Conrad-le-Salique et Ilenri-
le-Noir tranchórent la question en renforcant le
despotisme impérial. De part et d'autre, il n'y avait
done plus moyen de s'entendre, lorsque Ililde-
brand, quí devait un jour porter sur le Saint-Siége
le nom de Grégoire-le-Grand, prit le titre de
prieur ou d'abbé de Cluny,


Voici, d'upres un historien conscicncleux et
célebre, quelJe était la situation de l'f:glise ü cette
époque : ~ L'Églisc, dít-il , s'étaít dépravée en se
séculartsant , elle avait hesoin de revenir u ses




vrais principes, de rendre la vlgueur au sacerdoce,
au monaehisme, d'instituer uncenseur nc rele-
vant point des pulssances temporelles , et qui [u-
geát et punit les méchants, quel que Iút leur rango
I.e Pape pouvait seul réunir ces eonditions; il
était indispensable de soustraire son électíon ,1
linterveution séculiere, d'affrunchir les prétres dn
líen féodnl, et pour cela de les ísoler de la famille.
Muis cel.ri qui entrcprenait de rompre le triple
nmud de la terre, de la Iamille, de l'nutorité tern-
porelle, dont le clergé se trouvait lió Ü l'égard de
la société , devait s'nttendre ü une lutte terrible
avcc les Hois , dont la puissance s'amolndriruit ;
avec les prétres, dont les passions se trouveraient
genées; avec la force immense des habitudes les
plus douces, Celul-lá ne pouvaít done étre qu'un
héros, et les pas d'un héros , dans des temps mal-
heureux , ne sauraient étre calculés selon la me-
sure de l'homme ordínaire dans des temps paí-
sibIes (1). II


Hildehrand, l'autagoniste des Ilois , le réforma.
teur du clergé, l'émancipateur despotique de tOIlS
les penples et le lihérateur de l'Église , naquit it


(1) \1, 1:/";:11' r.antu. tt¡«, unir, 'rom, f\. P:I". ::0].
l.




- ;iRó-


Soana , villo óplscopale de Toscane , dans lahou-
tique d'un churpcntier. Mnlgré l'obscurité de son
origine, tU'S son cnfuncc il revela ce talcnt plciu
rl'éclat, ce cur.ictcrc énergique ct cette hautcur
de vucs, de combinaisons , de pensécs quí, daus
su vicillesse , devaicnt dormer uno forme ú l'his-
toire. Trop profondément rcligieux pour vivre
dans les scandales d'une société livrée á l'anur.
chie féoc1ale, il se refugia ele bonne heme dans
l'Orrlre de CIllUY, d'oú il ne devait plus sortir
qu'uvec la Ierme intention ele reriouveler la face
du monde. Ilulien de unissance , il partagea toutes
les répulsions de ses compatríoles centre le OC5pO-
tisme brutal que les Allemands Iaisaicnt peser sur
eux , et le mópris qu'ils avuieut pour leur igno-
runre ; mais son gl~nic clt"p¡¡sSill1t les bornes d'IIl1C
Irontiere politiquc, il cornpreunit la jalousie tnoli-
véc que toutes les nntions du contiueut portnicnt ('t
devaient por ter u la I\lnison de Frnnconie, qui oc-
cupait alors le tróne impérial. Dans su jeunesse,
Hi!dlcbrand accornpngna le Pape Grégoire VI á la
cour de l lenri Il l ; puis il revint aupres du Snint-
Siép:e qu'il ne quitta presque plus, Cal' les Pon-
tifes Léon IX, Victor n , ¡::licnne IX, Nicolas 1I el
Alcxnncirc 11, npres l'avoir choisi pour conseiller,




- :lR7 -


h~ rf'~anlt\l'rnl cotnmc niaitre et Sci,r¡IIC1I1' (1). ~ Les
affuires les plus importantes et les plus délícates
lui Iurent abandonnécs , dit un ministre protes-
tant, el il les conduisit avec un succes merité. Ses
relations et ses voyages , ses talents el les places
qu'il occupa , luí Iournirent les occasions el les
moyens de connaíue á fonel l'état de l' Europe, les
qualités des Souveralus , les dispositions eles peu-
píes, la mesure de résistance que eles idées hardies
pouvaient rencoutrer, el la marche qu'il fallait
suivre pour amener leur triomphe (:2). Il


Combinan t , dans le silence du cloitre, tous les
éléments de sa grandeur future, Ilildebrund ,
simple moine , dominait déjil moralement les
puissances du monde, avant qu'il les subju-
guél/ positivement, sous le IlOIH de Grégoire VIL
Sa premiere et sa dcruiere pcnsée fui ele SOllS-
traire l'élection pontiíicale á l'Empereur, pour la
reudre aux fideles : ce qui, par le seul Iait, devait
érnanciper l'Église. Lorsque Brunon , évéque de
Tonl, désigné par l'Empereur elont Il étaít parent
el proclamé Pape dnns la diete de Worrns, vint


(1) P. Lahl¡c., Coucil, 'I'om, IX, pago 11 ;¡;l,
(~) i\ ncillon, Ta/I/I'G/I di's recol. (/1/ s!lst. potit. r/I' ITII/'O)ll'.


Tnm. T", lntror]. r~", '12:101 snív,




- :\8K -


consulter IIildebrand, ulors pricur de Cluny, en
allant prendrc possession du Saint-Siége, celui-
ei lui déclara, quoique Brunon eút déjil pris le
nom de Léon IX, qu'il ne pouvait reconnaftre un
Pape dans l'élu de l'Empereur, dans la créature
d'un Roí de Germnnic. C'est alors qu'il IIIÍ COI1-
seilla de quitter ses vetemeuts pontificaux el, de
prendre l'habit de pelerin , pour mériter I'uppro-
hation el I'nssentirnent du clergé et du peuple
de Rome: condition cssentielle ¡'¡ toute élcction
légitlme. Telle était déjü l'iuíluence du prieur de
Cluny, que le prince, voulant tenir SOI1 titrn
suprérne du libre choix d'un pcuple , rcnoncu
au diplóme impérial , prit le búton ct la hure d'un
peleriu el s'achcmina vers Borne , accornpugné ele
Hildebraud. Le moiue italien avait besoin de 1'(:-
lcction d'un Pape allemand, pour douncr le signal
de l'indépendance ecclésiastique!


Léon IX traversa les rues de Iíome pieds-nus ;
el déclara formellement au peuple «qu'il ne recen-
)) naissait comme Iégitimes que ses suffrages et
D ceux du elergé; que l'autorité des Canons l'em-
1) portait sur toute nomination antérieure , et qu'il


D était prét á rctourner dan s sa patrie, si son élec-
D tion n'obtcnait pns un assentiment général. Jl




- 3lj~)-


TUl! Les 1es acclamu t ions populaires lui répondirent
cornme d'unc seule voix ; et, par ce fait, une révo-
lution de principes , dont la portée morule était
cncorc incalculu lile , fuL définitivcmeut coiu-
mcucúc,


Hihlehrund resta, pour la íinir, auprcs du Saint-
Siég-c dout ji dirigca les nouvelles dcstiuécs. A
peine fut-il instullé daus ses fonctions ministé-
riclles, qu'il annonca hautement sa ferme résolu-
Lion de déposer les évéques simoniaques, de sur-
veiller attentivetnent leur conduite et d'annuler
toute ordinatiou obtenue a príx d'argent, non pas
seulcmcut ü Rome el en ltalie , mais encere il
llcims et ü Maycucc, en Allemague et en Fruuce ,
duus tous les centres de la catholicité. Aussitót les
passions ciéricalcs se déchuínórcnt avec tant de
Iureur ct d'unimosí tú coutrc luí, qu'il fut obligó
d'uscr de tcmpértuncnts et de n'imposer que qua-
ruutc jours de péuitcnce uux prélats convaincus
de simonic. Ccpcudaut les rélormcs s'uccomplis-
saieut pcu it pcu, al! gré du maine austere , les
Papes avaicnt hcuu mourir et changer, llilc1e-
brand vivuit toujours aupres du Saint.Siégn, pour-
suivant son but sans reluche, corrigecnt la disci-
pliue el recünstilllant cufiu la I'apuuté elle-memo.




- ::;~IO -


Sur ses iustances , Nicolas 11, nouveau Pontífe,
élu par un synocle convoqué ü Sienne, enléve,
tant au peuple qu'a l'Empereur, le droit d'inter-
venir dans les élections papales, pour l'accorder á
un concile de cardinaux-évéques el de cardinaux-
prétres, délíbérant les premicrs, et au clcrgé et au
peuple, délibérant les deruiers , .5(/1I/l'a/JjJ/'obalioll
du Clergé el llunuteur dú ([/1./' Empereurs , qui
n'est plus considéré comme UlI acte d'obligution,
mais commc un acle de puro compluisunce. En
outre, afin de consacrer l'indcpcndance absolue du
Saint-Siége l.J. I'cgurd de tous les tr6nes, Hikle-
hraud met sur la tete du Pape un diudéme royal,
dont le cercle inférieur et le cercle supéríeur
portent ces deux inscriptions significa tives : ('O/l-
ronne de la main de Dieu, - Diadémc de tEmnire
de la maiu de saint Piare. - Corona de manu Dei.
- Corona 1mperii de manu Petri (1).


Les évéqnes lornbards, mécontents d'étre privés
du droit électorul , s'assemblerent it Bale, aussitót
apres la mort de Nicolas 1I, priaut l'lmpératrice
Agues, qui gouvernait la Germnnie durant la mi-
norité de Henri IV, d'uholir la constitutíon de ce
I'ontife ; ensuite s'auribuaut CllX··llH~IIJ('S le privi-




••- :j~J I


légc exclusif ele choisir les l'ontifcs panul CUX, ils
(;III1'enl Cndolas, bérpw de Parrue, auqucl on donna
le nom d'Ilonoré 11. ~Jais, de leur coté, les cardinaux
avuicnt élu Anstlme, évcque de Lucques, 50US le
noui d'Alexandrc l I, conformémeut aux désirs ele
Hildcbrand, qui ne vonlait uttcndrc ni le conscn-
tcmcnt ni l'npprobation de la cour impériale. Il
ne rcculait done pus devant un schisrne, afin de
micux consucrer l'uuité moral« et l'inrlópcndaucc
de l'¡;:t;lisc; ni dc:vant la gucrre, afin ele mieux pa-
ciíicr l'csprit humaiu, Yuinernent les évcques lom-
bards s'ncharnóreut-ils centre le Pontifc d'Hilc1e-
brand, et eontrc Hildebrand luiméme ; Alexan-
drelI et son ministre écoutaient, avcc un sang-
[raid admirable, le dóchaínement de toutcs leurs
caleres •• II est ínoui , depuis les siécles des sic-
"eles, s'écriait Benzou , évéque d'Alha , que la
» conservation d'un Pape ait dópcndu des tuoines
- qui, hiel' encere, couverts de lambeaux, doman-
"dilicnL le puin (le l'aumonc, el, uujourd'huí , Iont
"clllcndl'c ar]'()~;¡l!¡l11leil[ leurs voix insolentes (¡). 'i


, \


EL non COlllClI1 <1:' se livror puhliqucmeut, quoi-
que de loiu , aux pi,,:; ('~ niqucs insultes centre le


(1) ¡;,'1II.011, ¡,'/,is(o/I. (/11"'/1\. /11111 1 ~!!IJ·. Il cn¡, ¡JI//I. liJ,. i l ,
"'I,.II'III>'lli"-III,(·dp.ll,dplld,I.1Jurr:1ldnl,"icwtell.T(lJj].L",
l'il2. ~o[I-~!OJ cllUUJ.




- ;)\)2·-


Pape Alexandre 11, Beuzon prit le chcuiiu de ltouie,
pour y soulever le pcuple en Iuvcur de I'Eiupereur.
C'est alors que la guerre cívile C0ll1111en<;u daus la
ville ; elle íinit au seiu d'un concile oú Haiuou, tu-
tour d'Henri IV, fit déposcr Honoré ll, apres
qu'Alcxundre JI se Iut justiflé, «pour la forme, de
»Ia régularité de son électiou (1). » Ainsí, la con-
íirmation de l'électíon pontificale par l' Empereur,
qui était autrefois une coudition de sa validité,
n'est plus nécessaire; bien plus, elle est désor-
mais hors de toute atteinte de la part de I'ElJIpe-
reur. Le Pape, librement élu, gouvernera done l'É-
glise librement. C'est lil un lmrncnsc progres, une
victoire décisive obtenue apres tant de défai tes!
Hildebrand en profitera pour abba ttre l'espri t féodal
qui s'abritc encere derriere les rlonjous de Tus-
CUlUIll; et pour releve!' luI'npauté sur les ruines
du despotisme impérial ct du despotismo local,
toujours d' accord , lorsqu' il s'agit d' ancan lir l' il1-
dépendance de I'Église. N'uyunt plus ríen Ú redou-
ter, ni du cóté de l'Empire, ni du coté de la Ilome


(1) .\1. de I'ollcr, /1;'\1. l/hilos. poli!. el crit, drt rln-istianlsm»,
Tom. IV, pago !lD. - Cel ouvragr-, ou I'l'SpÍI'I' la haine ¡¡Uf' les 1'lle)'-
düpédisles avaient vouée il la n-ligion cllI'dielllH', \'('lIf(,l'lIle u.-au-
moins quelques pages presque hicnveillanles pour (; l'rgoj¡e \"11,
quoique I'auteur ait puise toutes ses inspiratious daus les suurces
les plus partialeselles plus mauvuises,




Iéo.lulc, Uildcbra ud pu t disparuitre et mol!trer C;l'é-
goire Vil occupaut le tróue pontifical: symbole de
la Monarchic univcrsellc, défiuitlvcment consütuéc
au scin d'unc llomc déruocrutique (1) (U)7;').


A peine cul-il été uommé Souverain Pontirc,
l'aucion pricur de Cluny voulut recueillir tous les
fruíts qu'il avuit semés dans l'opinion publique,
et réalíscr le vigourcux systerne de puissance mo-
rale qu'il avait concu dcpuis longteuips, Commc
il s'inspiruit du passé, il se fraya une route plus
Iarge vers l'avenir. A ceux qui prétenclaient rendrc
l'Église vassale de l'État, il montruit les Princes,
Iíois ou Empercurs, invoquant la médiution du
Pape daus leurs querelles reciproques, el mcuie
dans lcurs uflaircs de Iaruille , veuant d'cux-mémes
se faire jugcr au tribunal de saint Pierre , el por-
tunt encere sur lcurs Irouts les traces eles Joudres
pontificales qu'ils uvaicnt cncourucs par désobéis-
sanee aux lois canouiqucs : preuves irréfutublcs de
lcur vassalité al'égard du Pape.


L'I':glise passuit done, en un jour , de l'état de
servitude Ú I'état de dominution ct ele suprérnatle
incontestable, sinon incontcstée, L'autorité ¡m;-
cédemment accomplie par les Papes, ses pr(:d(;-


(1) .l. de Saiul-I'riesl, tu«. de ¡aJlu!laI/U. TUlII. JI, pite' :'':'1. i.]




- 3\)11-


cesseurs, et développée, avec une perseverunce
lnouíe, par Grégoire VII, constitua son autorité
absolue. Et cependant, jamuis révolution plus dé-
cisive, plus extraordinníre, plus complete! jarnais
muvre morale aussi grande ne fut entreprise avcc
moíns de forces efTectives; jamais hornme désarmé
n'osa tenter une lutte aussi formidable, nou-seu-
lement avec l' Empereur d' Allernague qui repré-
sentait une puissance militaire du premier ordrc,
mais encore avec les nutres Ilois de l'Europc, qui
se croyaient OH pouvaieut se croirc égulemcnt in-
téressés arepousser les pré Lentions du Pon tifc, On
le voit: ce duel de l'Église et de l'l~l,lt, de l'Etnpirc
et du Sacerdoce, prend des proportions incorn-
mensurables! Les Rois sont d'uu cóté, avec des ar-
mées sans nombre; le Pape est de l'autre, n'ayant
i.t son service qn'une parole d'excommunícatíon :
mais e'est la voix de l'omnipotence morulc l Cal' les
Rois peuvent prendre tout le domaine matéricl de
l'Église, sans que son domaine íuunatériel en de-
vienne plus petit.: paree que, si le., d~ nastics sont
contre elle, du moins elle a pour elle toutes les
idócs róguautcs: c'cst-a-dirc l'evóuetucnt Iutur,
ti défclUt de l'évéucmcnt accouipli! lile mission im-
iueusc luí cst done rcscrvce. (;rl~Duire \!l I Jet coru




prcud dans son ensemble, aprcs l'avoir analysée
dans ses détails ; et il saura bien la remplir a lui
seul, quoiqu'il s'agisse d'opérer la plus vaste révo-
lution qu'un homme ait jamais pu réaliser dans
I'humanité!


Partout, en effet, I'anarchie est a son comble;
les institutíous, les príncipes, les mreurs, la relí-
gion elle-mame, tout semble mourir, tout s'é-
croulc ; et voilá qU(~ tout se releve, que tout prend
une vic nouvcllo, (lIW partout reparuít un ordrc
providenticl et durable. Quand les Iloyautés luís-
scut le mal social se développer en opérnnt la des-
truction graduellc des I~lats civilisés, la Papuuté
seule a le droit d'iutervenir, en réalisant la création
progressive du bien sur la terreo Telle est la
haute pensée de Grégoire VII; eelle qui ne l'aban-
donnera jamais el qui assurera son triomphe, dans
le présent C0111111e dan s l'avenir! Ayant cornpris le
véritable butdel'humanité, sondevoir était de l'at-
teindre, cnr il était le ministre de Dieu dans toute
I'acceptlon du mol. Nullc force politique ou phy-
sique ne pouvai t douo empóchcr l'accomplissement
de son dessein, qui fut le chef-il'reuvre de la Ca-
tholicitó.


Place duus uue ~j tu«llOLJ ,dJ:.AJllIlJJl:I1 LL\Ccl'tJOll-




.- ;,Vf) --


uelle, Grégolro V11 n'attcndit pilS, ne devait pas
attendre qu'on luí nt la guerre , mais il devait la
déclarcr lui-inéme á l'incontinence, á la simonie,
ú la véualité eles prélatures, ú tout ce qui condui-
suit ú la pordition et non uu salut des ames chré-
tieunes. Pour cela seul , il promulgua deux c1é-
crets : par l'un, il aholissait le traíic ues diguités
ecclésiastiques ; par l'autre, il interdisait le ma-
riuge aux prétres, sous peine d'excommuuicatiou.
Le premier ne souleva aucunc espéce de 1'é5i5-
tauee; maís le second, que la prudeuce, une di-
gnité bien enteudue et la liberté mérne du clergé
rcuduíent indispensable, rcncontra, au contralre,
des oppositions presquc générules. Crégoirc \ 11
voulait, qu'au moyen du célibut, l'Église, prúchuut
en fait el en príncipe la coutincncc , IJour empC:-
cher le déhordcmcut des uio.urs, moutrút qu'elle
cst positi venten t cc qu' elle doi t étre morulcmeut,
c'est-á-dirc le typc de la vertu humuiuc ct l'cxpres-
sion visible de la grúcc divine.


Des l'origine , les apótres , suivant l'exernplc <tu
Christ ct de son augusto mere , vécurent en état
de chasteté. Plus turd , on irnposa l'obligutiou du
cclibat , sous peine d'ctre dcposc, it quicouquc




- ?,r¡7-


désira s'élever dans la vie ecclésiastique (1);
mais 00 s'écarta bientót de ces regles primitives,
Un mérite rcconnu fit souvent appeler dans les
Ordres des hommes mariés, Cette tolérance de-
vint funeste it la discipline; le concile d'Elvíre,
tenu en I)()(i, opéra une reforme partielle qui, mal.
hcureusemcn t, ne se W;lH;l'aljsa point, Le Sucer-
doce et les prélatures, se trouvant répartís entre
les plus richcs, au lieu d'étre l'upanuge exclusif
des plus dignes , on se soumettaít d'autant moins
an célibat, que le rnnringc était devenu facultntif
dans certnincs l::gliscs, notamment dans celle d' Al.
lcmague , ou la plupart des évéques pcrmettaienl
Ú lcur clergé c1'avoll' [cmiuc «u toqi», Aussi le M-
cret de Cr{~goire VIi rencontrn-t-il beauconp d'oh-
stacles dans ces contrées.


'I'outefois, l'opposiLion la plus Iorte devait écla-
ter en Lombardíe , paree que les nueurs des prélats
y étaient compléLement perverties. Les évéques ne
craignirent point de prendre les armes pour la dé-
Iense ele leurs vices, et de combattre avec uchar-
ncrncnt une loi qui avait pour but de maintenir la
vcrtu en permanence parmi le clcrg;(;. Mais le peu-
ple , souffrant nioraleinent et physíquement d(~


(1 j COllcile (lr \l'oCrS<ln',p. 1" canon.




- 3<)8-
leurs scandales, pnisqu'ils dépensaient, dans Ir.
fuste coupable de leur existen ce, les rlchesses don-
nées a l'Église pour le soulageuient des puuvres,
soutint énergiquement le décret du Pape relutif au
célibat, qu'il considéruit comme le type de la pcr~
fection. Les opposnnts étaient chassés des églises
et maltraités dans les mes; de sorte que le clergé
se soumit enfin á la loi nouvelle, ou volontaire-
ment, ou par contrainte. Quoi qu'il en soit, le re-
sultat fut le méme au point ele vue purement hu-
main. Le célibat devint tout-á-fait obligutoire. De-
puis 101's, en etTet, le prétre ne doil plus vivre dans
la famille, mais dans l'Église. Il appartient tout en-
tier ala société morale, et nullement a une femme
ou ases propres enfauts. Les diguités ecclésiasti-
CIuPs, ne pouvant plus se transmcttre par héritag('
a litre de propriétés, ce qui uuruit infulllihlcment
amené le clergé ;'¡ Iormer une caste particuliere,
disti nete et predoiui nan te, son L g\~lléralclllen t at-
tribuées a11 mérite : seul titrc de supériorité dans
nne civilisatiou Iondée sur le principe de l'éga-
lité chrétieuue. JI est done vrai de dire que, par
ectte mesure vigourcuse, prévoyante et de haute
moralité , Grégoire VII imprima positivement au
cleraé le caructere rr.éme du Christiunisme , qui




rMtermine la rc"R{'nf~rütion propre ele l'homme et
des socié tés.


L'indópcndauco morale du c1ergé venait d'étre
conquise par le scul Iait du célíbat reudu obliga-
toire ; il fallait maintenant conquérir son indépen-
dance posítive, et résoudre enfln le probleme des
iuoestiturcs, éterncllemen t posé elevan L les con-
elles, si la Papauté voulait complétcr l'uffranchis-
semen1 de l' (~glise.


On entenduit alors, par inoestiture, la tradiLion
et la mise en possession d'un fief ou d'un bien-
fonds, donné par un seigneur suzerain a son vas-
sal. 01', dermis que les princes avaicnt doté les évé-
chés el les abbayes, en leur assigoant des biens-
foods ou des Iiefs, ils voulaient nuturellcment avoir
le .lroit d'eu investir' les abbés et les évéques 1'0111'
le tcrnporul , d« ill\~IJl(~ que cela se prutiquait Ú
l'égurd des scigucurs el des hauts baroos. La
céréiuonie des iuvestitures ecclésiastiques avait
líen par la traditiou de I'auneuu el de la crosse :
erublómes de la juridiction ópiscopale. A la mor!
de chaque évéque el di; choque abbé, une dcputu-
tion du chapitre Oll de la communauté apportait
ces insignes au princc, qui les remettait a celui
qu'il avait choísi, avcc uno lettre ordonnant uux




- (¡Ol)-


offlciers Inlques de le maintenir dans la possession
des torres assignées ü l'abbaye ou ti l'église (1).
Assurément, ríen de plus legitime qu'un pareil
acto, s'il se bornait a la collation du temporel
attaché aux dignltés ecclésiastiques, comme on le
faisait dans l'origine. Mais, peu Ú PCIl, de graves
abus s'inlroduisircnt surIout en Allcmagnc. Puis-
q!le l'Empereur, maitre de Bome, s'attribuait le
pouvoir d'imposer tel ou tel Pape ü toute la Catho-
licité, selon son propre caprice ; ü plus forte rai-
son devuit-il s'urrogcr le droit de conférer la ju-
ridiction spirituelle aux évcqnes ou aux abbés, en
lenr transmettant I'anueuu ct la crosse, conune il
aurnit trunsniis une djgniU' sóculier« quelconque.
Vaincmcnt les Souverains Pontifes et les conciles
u-cuméniqucs avaient - ils protesté centre cel1e
nsurpation rnunífcstc des droits du Saint-Siége
el de l'I;:glise, et réclamé le libre choix de ses mi-
nistres (2) ; l'Empereur n'en . abusait pas moins de
)) l'usage eles investitures pour vendre des évéchés
l) et réduíre l' Églíse de Jésus-Christ ú une éternelte


(1) ,1. ralJ1J(\ C;ossclill, 1'001I'Oil' da Pa)l(} 111I 1101/1'11-.1q", pago
fofil¡-GS:i,
(~) \1. l'a],J)(\ .lagor, voir la 'I1\'anlf' l ntrotturt iou dnnt il a raíl


1'1'¡"('I\d,'r sa IradUi'lioJ] dI' Ytt istoir: di' (;n:yo/I'I' Vil 1'1 (/1; .1(JlI
I/(r/I', ¡f'O/Ji'I'S /1'5 ¡fOI'/I/lII'lIls oriqin.rn.r )':1]'.1, \'fii~'I. H;::'l.




- /,01-


)¡ servitude (1). u Cornprcnd.on maintenant toute
la portee de cette plainte éloquente, sortie de la
houche el de la conscicnce de Grégoire VII. «-Hé
» quoi? la plus misérublc femme peut choisir son
» époux selon les lois de son pays; et l' Épouse de
)) Dicu, comme une vile esclave, doit recevoir le
» sien de la main d'uutruí ? »


Les historicns catholiques et les historiens pro-
tcstuuts s'accordcnt ir le dire : Ce n'était pas une
vaine querelle (lile celle des investitures, puísque,
d'uno part, « c'eu était Iait de l'Église humaine-
ment parlant , elle n'avnit plus de force, plus de
pollee el bientót plus de nom, snns le secours
extruordlnaíro des Papes, qui se substitucrent á
des nutorités égarées ou corrompues et gouvcrné-
rcnt d'une maniere plus ou moins immédiate pour
rétablir l'ordre (2); » puisque, d'autre part, a c'est
daus les preiuieres lurtes des Papes pour conscr-
ver lcur indépendauce, dnns tout ee qui concernc
le gouveruement de l' Église, que le Chrisünnisme
trouva un préservatif contrc l'usservissement de la
puissance temporelle et le moyen de no pas de-
venir simple constitution de I't~tat, comme la


(i) Bossnet, üe(ens. Dcclarat. Lib. 111. caput XII, init!o.
(2] Joscph <le ~Jaistl'e, 011 Pape. Liv, 11, chup, VII, pag. 207.


r. %




- 402-


religion chez les paiens (1). D Eh hien l le seul
nom de Grégoire VII, si longternps insulté par les
coleres hypoeritcs ele l'école prétcndue pliilosophi-
que du xvnr síécle , résume eette transforrnation
presque surnaturcllc de tous les rapports étahlis
entre !'¡::glise, Monarchie spirituelle 011 pureuicnt
morale, et les díverses Monarchíes politiques de
l'Europe,


On aurait tort de penser que Grégoire VIl n'aglt
simplement qu'en vertu du droit divin, qu'il per-
sounifiait aux yeux des nations, en sa qualité de
Vieaire du Christ et de chef de la Catholicité. Dans
tous ses actes, au contraire , il s'inspira du droit
humain , non en subordonnant sa propre autorité
ú eelle du peuple; muis en les Iaisant pcser, l'une el
l'autre, d'un poids égal dans la balance des dostí-
nées communes. Organe du droit div.n el intelli-
gence du droit humain, il les identifin constumrnent
dans ses reuvrcs commc duns sa personne, Vni!i'l ce
qui constitua positivement sa propre supériorité et
la supériorité méme de l'institu tion pon tificulc, non-
seulement ul'égard des Ilois, mais encare lt l'égarrl
de tous les établissemcnts sociaux qui s'élcvaient


(1) vr, Ilurler, tu«. d'Innoccnt JIT. rom, I", pago 123.




- ll03 -


dans l'humanitó. Il nc faisuit done pas de son pou-
voir quclque chosc d'immobile et de stationnaire,
puisqu'il cherchait dans le passé la raison logique
de l'avenir et du progrés, qui doit s'allier avee le
génie de tous les l\gcs. S'il a vou!u renouer la
chaíuc des truditions rcligieuses et morales, ce n'a
pas été pour coneture a l'esclavage de la pensée,
ala passivilé de l'ctre ruisonnablc , mais bien pour
conclure a sa liberté, ú son activité naturelle , a
tout ce qui constituc ubsolument la dignité de l'Jn-
divídu et la grundeur des sociétés. Ilonune du mou-
vement, puisqu'Il don na le prernier signal de l'In-
dépendance rornaine qu'il fullait conquérír, et
homme de la résistance, puisqu'il rétublit magis-
tralcrnent tous les príncipes nnivcrscls dótruits
par l'organisation féodnlc, iI provoque le dualisme
du Sucerrloce et de l'Empire, afin de mieux s'élever
á l'unilé, Ü la suprématie absolne, a la création
d'un nouveau droit alors nécessaire au monde, et
dont on méconnut la signification morale et l'effí-
cacité positivo, des qU'OIl cessn d'en avoir besoin
et qu'un nutre but Iut posé devant l'humanité.


Gardonsnous done de juger Grégoire VII d'a-
pros les écrits de ses panégyristes Oll les pam-
phlets de ses détructeurs: iI vaut míeux l'entcndre




- llOI¡ -


exposer lul-méme I'cnsemble systématlque de su
théorie gouvernementaJe, avec la piété d'un Pon-
tife et l'énergie d'un dictateur :


a L' Église de Dieu doit étre indépendante, dit-íl,
de tout pouvoir temporel. L'uutel est reservé acelui
qui, par un orelre non interrompu, a sueeédé ¡\
saint Picrrc, L'épée du prince lui cst soumise el
vient de lui, paree qu'elle est chose humaine ;
l'autel, la chuire de saint Pierre viennent de Díeu
seul, et dépendent de luí seul, L'l::glise est á cette
heme duns le péché, paree qu'elle est attachée au
monde et aux monduíns. Ses ministres ne sont pas
légitimes, paree qu'ils sont institués par des hom-
mes du monde; paree que chez les oints du Chríst,
qui s'appellent surintendanls des Églises, on trouve
les déslrs et les passions crimlnellcs, avec la con..
voitise des choses terrestres, dont ils ont besoin
des qu'ils sont attachés au monde. C'est pourquol
ron ne voit que dissensions, haine, orgueil, cupi..
dité, envie, duns tous ceux qui doivent posséder la
paix de Díeu.


»L'Église se trouve dans cet état, paree qne ceux
qui doivent la servir ne s'Inquietent que des ínté-
rets d'ici-bas ; paree que soumis á l'Erupereur, íls
n'agissent que comme il lui plait; paree que, ser-




- 4U5-


vant l' Etat et le prince, ils deviennent étrangers a
l'Église,


»L'Eg!ise doit ccpendant étre libre, ou le deve-
nir pUl' le moyen de son chef'," par le premier
homme de la chrétienté; par le soleil de la foi, le
Pape.


»Le Pape tient la place de Dieu, clan 1il gouverne
le Iloyaume sur la terre; sans lui il n'y a point de
Hoyaume. Sans luí, la Monarchie s'englou ti1COl1l111e
un vaisseau brisé. De mérneque les choscsdu monde
sont du ressort de l'Empcreur, cclles de Dieu sout
du ressort du Pape: il convicnt donc que celui-ci
arruche les ministres des autels, aux liens qui lesen-
chalncnt ü la puissuncc temporelle.


• L'Etat est une chose, l'Eglise en est une nutre.
De mérne que la foi est une, le Pape, son chef, est
un; les Iideles, ses mernbres, sont un. Si l'Église
existe par elle-rnéme, elle ne doit opérer que par
elle-méme. De méme qu' une chose spiri tuelle n' est
visible que par une forme terrestre, el que l'úme
ne peut opércr sans le corps, ni ces deux substan-
ces étre unies sans nul moycn de conservation ; de
méiue la Religion n'existe pas sans l'Église, ni
cclle-ci sans les moycns qu! assurent son exis-
tcnce... Les Empereurs et les priuces sont néces-




saires pour cela u l'l~:glise, qui u'existe que par le
rape, comme le Pape n'cxistc que par Dieu.


"Si l'on veut que l'Église et l'Empire prosperent,
il cst néccssuíre que le Sacerdoce el la Monarchie
soieu t étroi tement liés et associcn l leurs cfforts pour
la puix du monde. Le monde cst éclairó par dcux
lumieres, le soleil plus grund, la lune plus petite.
L'autorité apostoliquc ressemble un solcil , les Em.
pereurs, les Rois, les princes ne subsistent que
grúce au Pape, paree que celui-ci vient de Dieu.
Par ce motif, la puíssance du Sicge de Rome est
de beaucoup plus grande que celle des princes,
Le Roi cst soumis au Pape et lui doit obéissnnce.


) Le Pape venant de Diou, toutc chosc lui est
subordonnée , les affaires spirituelles et ternporel-
les doivent étre portées devant son tribunal. 11
doit enscigner, exhortar, punir, corríger, juger,
décider, L'Église est le tribunal de Dieu et pro-
nonce sur les péchés des homrnes ; elle montre le
chemin de la [ustice, elle est le doigt de Dicu, Le
rape est dalle le rcprésentant du Christ el supé-
rieur a tous, Su dignité est grande el rcdoutublc,
cal' il est écrit : "Tu es Pierro, el sur ecuo pierre
)je búIil'a] tuon Eglise, el tes {!orles de fElJ[ec ne
»prévaudront pas contre elle; je le douncrai les




- 407-


)) clés du royaume des cieux; tout ce que tu lleras
• sur la terre sera lió daus le ciel, et tout ce que tu
» dclieras sur la terre sera délié dans le ciel. ») Ainsi
parla Jcsus-Christ il Pierre ; c'est par Pierre que
l'Église romaine existe; en elle réside le pouvoir
de dél ier, et l' l~glisc du Christ est fondée sur


D Cctte Église se compose de tous ceux qui confes-
sent le nom de Christ et qui s'appellent chrétiens.
Toules les Églises particulieres sont done membres
de l'Église de saiut Pierre, qui cst celle de Rome;
cclle-ci est done la mere de toutes les Églises de la
chrétieu té, qui loutes lui sont sournises comme des
filies Ü leur mere. L'Église rornaine prend soin de
toutes les nutres. Elle peut en exiger honneur,
respcct, obéissance, COl11l11e leur mere; elle COll1-
mande il toutes les Églises ct 11 tous les mcmbres
qui lcur apparticnneut ; el tels sont les Empereurs,
Ilois, princes, archeveques, évéques, abbés et au-
tres fidelcs. En vertu de sa puíssance, elle peut les
instituer ou les déposer; elle leur confére le pouvoir,
non pour leur gloíre , mais pour le salut du plus
granel nombre.Tls doivcnt douc humble obéissnncc
ú I'E;.;li:e, el Ioutes les Iois (1U'i15 se [cttent duns
les voies du peché, cctte salute mere cst obligée




- 408-


de les arréter et de les remetlre sur le han che-
min, autrcmeut elle serait complice de leurs mé-
faits, Mais quiconque s'appuie sur cette tendrc
mere, l'uime, I'écoute et la défend, éprouve les
effcts de sa protection et de sa munificence.


»Quelque résistancc que rencontre cclui (lid
tíent sur la terre la place de Jésus-Christ, il doit
lutter, demeurer Ierme, souífrir á l'exemple de
Jésus-Christ, Du chef doit partir la réforme et la
régéuerution ; il doit déclarer la guerre au "ice,
l'extirper et jeter les Ioudcmcnts de la paix du
monde. II doit préter maín-Iorte a ceux qui sont
pcrsécutés pom la justice ct la vérité, La persécu-
tion ct la víolcnce ne doivcnt pas le détouruer de
son hut; et puisque celuí qui menace l' Í~glisc, qui
lui Iait violcnce et qui lui cause de I'emerturne est
fils du rlémon , non de I'ÉgIisc, elle doit le bauuir
elle retraucher de la soclété humaine. 11 fuut done
que l'Église dcmeure iudépcndunte, que tous ccux
qui lui appartienneut soient purs et irréprocha-
bles : accomplir ecuo grande túche est le devoir
du llape. L'Église sera libre (1 ).)


(1) Ce r(;Sllllló CCH11plrt des YllCS 1I11"OriCJIH'S pI praliqucs dp (:I'e-
goirc \11, est cxlrait de ses propl'es [,r:tlres que le 1'. Lahbe a ]111-
J¡lir'c's dans la Collcctio» des CO/lCl:/r'S. ~I. (i'sal' Caulu l'u cik in
extenso duns son II ist, uuio, ro.o, L\, I'a". 312-;)16.




- 1l09-


Voil« done les maximes fondnmentules sur les-
quelles Grégoire VII prétend eonstituer l'Églisc,
en regard ou mieux au-dessus de tous les États
chrétíens, avcc la rcconuaíssauce eles pcuples qu'il
protege et avec l'assentiment des Rois qu'il menaee
011 qu'il subjugue, Cal' il est toujours prét á briser
18111' sceptre, s'ils font obstacle il la régénération
morale du monde: but permanent de sa dictature,
La plupnrt des princes régnants s'étonoent, ad-
mireut, comprcnncnt l'inuuensité du résultat el
mcttent leur propre grandeur ú s'iucliner devuut
le Souverain Pontife. Guillaume-le-Bátard, non
content d'adopter ses príncipes, lui demando en
méme temps une banniere qui Iégitimera son inva-
sion de la Grande-Bretagne ; et Déuiétrius, Czar de
Hussíe, pric Crégoire d'accepier son Hoyuume
conune fief de saint Pierre, La Pologue luí doit
hientót son allrauchlssemeut et son existeuce poli-
tique; la Ilongrie, la Dalmatie, la Sicile et l' Espa-
gnc, se rangent SOllS son uutorité; le Roí de France
en sa quulité de íils ainó de l' Églíse, Iait prévaloir
son indépeudunce respectucuse et orthodoxe ; milis
l'Empereur , prince cruel et mauvais chréticn,
s'iuspirunt des circonstauccs politiques, prctendit
scul empécher le développcment de la moralité en




- 410 -


Europe, Auss! a-t-on dú l'observer : « le ehoe des
deux puissances qu'on nornme si mal ü pro pos la
guerre de l'Empire et du Sacerdocc, n'a jamais
Iranchi les bornes de l'Itulie et de l' Allemngne,
du rnoins quant ü ses effets, je veux dirc, le reuvcr-
scmcnt ct le chungernent des souvcruinetés (1). »


Quelques hístoriens partiaux et tncnsongcrs, ont
voulu présenter Henri IV comme un chef d'État,
aussi éclairé, aussi intrépide que malheureux (:2);
niais, suivant l'opinion générale , qui est ici tI'LiC-
cord avec la vérité, ce prince vil et grossicr, aveu-
glé par les passions (3), fut au contrairc le fléau
de ses propres sujcts. Lougtemps avuut le ponti-
licat de Grégoire VII, les clecteurs impériuux SOil-
gércnt maintes fois a déposcr Ilenri Iv : et ils
l'eussent méme fait sans les amendcments passaqcrs
qu'il Iut ohligé de s'imposer (4). Inunédiatement
apres I'intronisation de l'illustre Pontife , les Saxons
opprimés s'udressent un Saint-Siége, coiume á I'u-
nique tribunal capable de mettre des bornes au
dcspotisme eflréné de l' Empereur , et represen-


(í) ,Tose'pll dc \inisli'e~ TJIi Pa¡«, Liv, 11; cÍl:1Ji. v. P;¡r-;', 2.1~L
0)\111'111"11, 'J'llfl/{'(Ii! de,' rcro], ¡fu sn:t . /)o/i!. dr: iEuro¡«;


'I UIII. I'". lnlrud. -- JIU!UiI'c/lie i'oJUiíi1uiI'.
(:3) ti,''', ttolias qcscti., ele. Li\'. 1\, ('ll<lp. 1"§ 5.
(I¡) J. \uiiól, ll ist, de (j/'(:yuil'c VJI el de SUI! sicclc, pago iu,




- 411 -
ten t qu' il ne C011\ ien t pas de souflrir sur le tróue
un si méchuut [.riucc, vu surtout que llame ne
lui a pas encoré dcnné la dignité royale; qu'il est
á propos de rendre a Ilome son droit d'établir
les Rois; qu'il uppartient au Pape et á la ville
de Ilomc, de concert uvcc les princes (A Ilemands),
de choisir un houuue digne, p[lr sa conduite et par
su prudcuce, d'un rango si élcvé. Apres de nou-
velles instances, les SaX0t1S ajoutent enfin, que


(e l'Ernpire est uu lid de la ville éternelle » ct qu'il
appartient , par conséquent, nu Pape, chef et 01'-
gane du pCllp]e romuin, de venir au secours de
l'Empire, dans I'cxtrémitc oú il S(~ trouve ('1).


Grégoire VII, qui no considérait pas l' Empire
COl111lle un lie! de Bome, dan s le sens propre et ri-
gourcux du mot, au lieu d'intcrveuir dírectement
entre IIcnri IV el ses sujcts, se contenta d'écrire au
due Godefroi de la maniere suivantc : - « Je De
le cede ü personne en zele pum la gloíre presente
et futuro de l' Empereur ; et u la premiare occasíon
je lui ferui, par l'organe de mes léguts, de charita-
bles et paternelles admonitions. S'il m'écoute, je


(1) ,1/IO!o!Jill ¡[IItJ'i!'i ¡v. ,l/mil trstiríum (;(}¡'ii!U/ÚII', tlistorici
illustrcs, in-folio, [I:lt(. 0G2. Cill~ par Iiossuct el par \ oigt : CM
IiUPJ'U,




- 412-


me réjouirai de son salut comme du mien propre;
s'il devait payer de haine l'intérét que je lui porte,
Dieu me préserve de la mcnace qu'il fait en di-
sant t « maudít l'homrne qui refuse de trernper son
épée dans le sang I » - Ces avis bienvelllants fu-
rcnt mal accueillis par l'Empereur, qui persévéra
dans ses désordres et daus sa tyranníe. Grégoire VI[
tui fit alors de íortcs remontrances; mais elles n'eu-
rent pas un résultat plus favorable. Obligé done
d'user de son autorité, le Pontife destitua l'archc-
véque de Bréme, en méme temps que les évéqucs
de Strasbourg, de Spire et de Bamberg, convuincus
de símonic , et frnppa d'excommunication cínq
conseillcrs de l' Empire, umoins qu'ils ne donnas-
sent, dans un délai détcrminé, pleine ct entiere
salisfaction au Saint-Siége. Mais pcndant qu'il nic-
nacait les ofliciers irnpériaux des foudres ecclésias-
tiques, aux yeux de l'Europe, Grégoire agissait
avec beaucoup de modération aupres des parents
el des amis de l' Empereur, quí promit encere une
fois de s'amcnder.


Cette promesse n'était qn'un leurre, IIenri avait
hesoin de gagner du temps pour vainero le 111é-
contentement des Saxous , pour agir centre leurs
évéqucs. II les lit d('3rader CUUlUle uaitrcs ct les




- 413 -


rctint prisonniers; mais il ne se doutaít pas qu'en
devenant impitoyahle envers eux , il préparaít sa
propre ruine. En eflet, d'un colé le Pape réclamaít
al'Empereur l'élargíssement des prélats, l'expul-
sion des oíllciers excommuniés et l'accomplisse-
ment de sa promesse; de l'autre coté, les princes
Saxons exhortaient le Poutife a le déposer. Gré-
goire, ne voulant pas encare ernployer ce moyen
extreme, sonuua Henri de cornparaítre devant un
concile qui se réuníraít ú Rome: d'avoir as'y jus-
tifier ; et le menuca d'CXCOllltll unica tion, s'il ne sa-
tisfaisait pus promptement a l'Église. L'Empereur,
furieux, chassa de la cour les léguts, réunít áWorms
tous les évéques simoniaques ou immoraux que
le Pape avait destitués naguére, et leur fit dres-
ser conlre Grégoire un acte d'accusation rempli des
calomnies les plus infámes, pour se donner le
droit de proclumer 1ui-rnéme sa déchéance du
tróne pontifical (1).


11 notifia lui méme cette étrange décision dans
une lettre inqualifiahle : (( Henri, Roi, non par la
violence, dlsnit-il, mais par la sainte volonté de
Dieu, a Hildehrand , non Pape, maís faux maine.
Tu mérites ce sulut par le désordre que tu mets dans


(t) J. Voigí. llist, de Gl'I'goiJ·c VII pi de son siccle, pago 3o!).




- li1'1-


l' Église; tu as foulé aux pierls ses ministres comme
des esclaves et tu t'es procuré ainsi la Iaveur du
vulguíre. Nous l'uvons tolé1'6 quelque temps ,
paree qu'il était de nutre devoir de conserver I'hou-
neur du Saint-Siégc ; muis notre réserve t'a sem-
hlé ele la peur. Elle t'a rcndu audacicux au point
de t'élever au-dcssus de la dignité roynlc, et de
menacer de nous la ravir commc si tu [lOUS l'avais
donnée; tu as mis en reuvre des intrigues et des
fraudes; tu as cherché la faveur , Ú l'uide de I'ar-
genl, la force des armes, Ü l'uidc de la favcur ; et
c'est á l'uíde de la force (liJe tu m; couquis la
chaire de paix, dont tu as détróné la paix. Toi su-
balterne, tu t'es élevé contre ce qui étuit établi;
01', saint Pierre, vérituble Pape, a dit : craiqucz
Dieu, Iionorez le Boi, maís toi, de méme que tu
ne crains pas Dieu, tu n'honorcs pas en moi son
délégué, tu m'as attaqué personnellement, et
tu as voulu m'cnlcver mon Iloyaume. Tu m'as
deshonoré, mol qui tiens la puissance de Dieu
lui-mútnc ; rnoí, qui, suivant la trndition des Peres,
n'ai d'autre juge ql1(~ Dieu, et ne puis étre déposé
pour un crime, si ce n'cst qnc j'ahandonne la
foi. Tombe, ou sois excommunié. Va dans les pri-
sons subir notro [ugement et celui des évéques.




- 415-


Descends ele cctte chairc usurpée : moi, Henri, et
tous nos b{:q¡ws, nOLlS te l'enjoiguons : A bas, A
bas : (1).


Grégoire, á celte indignité de conduite et de
languge, opposa un langage et une conduito pleí-
nes de noblcssc. La lcttre de Ilcnri fut luc dans un
concilc, Aussítót les 1'e1'e5, d'une voix unanimc ,
prouoncercnt l'excommunicutlun du princc el des
évéqucs réunis tI \Vorms. Alors sculcment le Sou-
vcrain Pontife, appliquaut la loi généralc et fnisant
usage de sa propre autorité, déclara Ilenri déchu
des Iloynuines d' Allcrnugnc ct d'Italie, délia ses Sl1-
[ets ele leurs serrncnts envers lui, et défendit aux
chrétiens toute ohéíssance ason égard, paree qu'il
était exclu de la communion des fídeles. Cet acto
[urldiquc se trouvait tellcmcnt conforme aux prin-
cipes du droit public, que les Saxons et les Thu-


ringlcns, se lcvercnt POUl' le défendre, avec ce cri
de guerre : Saint Pierre t et pour l'uppliquer cm-
mémes. Crégoire fut obligé d'intervenir en faveur
de son ennemi , afin qu'on lui laissát le temps do


(1) Christian. Urstillus, Gcnnnniu: Il istorici 111118 t I'CS. 'I'om. 1",
piti'. :,,1'/. _. 1\;II'(Jllins, Al/no/es. 'ro.». \1, n° 24. -1'"lf'Ul'Y. n¡«.
(n'ft's. 'I'om. -'fIl, liv, L\IJ, n" :W. --,,1. l'ahhé r.osselin, J)/I Po u-
roi¡ dCJ tranes, pago 38f¡.- .J. , ¡r ist . de fl enri Vil et de son.
sirrl«, pago :3í7. -lI1. César Cantil. it ist, uuic, Tom. 1\, pago 31A




- /116-


s'amender; cal', d'aprós les lois de l'Empíre, nul
excommunié ne pouvait étre privé de ses dignités
que « s'il ne s'étuit pas fait absoudre dans l'an-
née ('1). »Malgré l'influence du Pape, les élccteurs,
assemblés á Tribur, voulnien] procéder aI'élection
d'un nouveau Roi. Henri entra aussitót en né-
gociations avec cux, lcur proructtant de se récon-
cilier avec l'Église et de rétubllr la justice dans
I'État. Mais les Burons ne suspcndirent leurs déli-
bérations, que pour lui donner le temps de se
rendre a Tlome, afín d'y a soumettre sa cause á la
décísion du Pape, dcclarant que si par sa faute, il
n'étaít pas absous de l'excommunicutlon dan s l'es-
pace d'un un, il serait définitlvement déchu clu
tróne, sans aucune cspérancc de recouvrer sa
dignité (2). »


Ces cond i tions, quoíque hurnil iantes, furent
néanmoins acceptées par l'arrogant Empereur, qui
était contraint de montrer une obéissance absolue
aux lois de l'(~glise, s'il voulait conserve!' son au-


(1) xícol« uosclli, Vi/a Grcqorii VIl apud uuratorí, Bcrum Ita-
ticuriun scriptorcs nracipui al! auno bOO. Tom. 111, pars. 1, pago
307, no tI' 1'1..\Iilan, in-folio, 1723-1751. - J. "oigl, vidc supr«,
pago 390.


(2) Lambert de Sc]¡afnabourg, Chroniron, auno 107G apud Pisto-
¡'ills Bcruu: Ccrnutn. scriptorcs. 'l'om. 1". Itatislxmte, in-folio,
172(]. - ¡ide srriptorcs cit. ubi SII¡Jl'rl.




- !t17-


torité suprérne dans l' État, D'uílleurs, aux termes
de la coustitution germunique, les princes uvaient
le droít de déposer le Iloi, et par couséquent, de
désigner un tribunal pour le juger. 01', ils ve-
nuient ele choisir le Pape á cet cffcL : Henri ne pou-
vait done en décliner la compétence, Il fut con-
venu égalemcnt qu'il éloigneruit de lui tous les
ofllciers et préluts cxcommuniés: qu'il licenciernít
son armée et qu'il vivrait uSpire en simple par ti-
culicr, [usqu'au moment Ol! le Pontife , invité á
prendre place au sein d'une diete convoquée dans
la ville d'Augsbourg, vieudrait exprimer potcntlol-
lemcut [¡ son égarrl le YeDU de la justice moralc pour
l'Église, et celui de la justice politique pour la na-
tion. Cependnnt le Iloi, qui voulait échapper aux
hu miliutions d' une pareille cérémonie, préféra se
rcndre aupres de Grégoire VII, et partit pour l'Ita-
He. Ason passage, les scigneurs Iorubards, heureux
d'oxultcr nux yeux des populatíons qui aspiraient á
la liberté, un prince qui exprimait le despotismo,
lui ürent l'accueil le plus bienveillant. Le Pape ne
fut point surpris de cettc manifestation; maís crai-
gnnnt quelque embuche, il se réfugiu nn chúteau
de Canossa, pres de la célebre comtessc Mathllde.
Ilenri vint bientót l'y trouvcr dans un simple "p-


I. 27




-1~18 ~


pareil, Ayant quitté ses vétements royaux de-
vant les murs de Canossa, il prit l'hubit de pé-
nitcnt. Les habitnnts du hourg l'uutoriserent nussí-
tót á íranchir les murs d'enceinte; muis le Pape
refusa quelque tcmps de le recevuir, attendu qu'il
déslrait partir lui-méme pour la diete d' Augs-
bourg.


Voici en quels termes Crégoire explique aux
Allemancls, sa conduitc a l'cgard de leur Iloi :
« Il derneuru lá trois jours devant la porte, dit-Il,
dans un état propre u exciter la pitié, dépouillé
de l'appareil royal, pieds nus, vétu de lniue, in-
voquunt arce larrnes le secours et les consolations
de la misóricorde apostolique ; tcllement que tou-
tes les personnes presentes, ou qui en cntendirent
parler, furent touchées de compassion et intercé-
dercnt pres de ¡lOUS, étonuées de la dureté iuouie
de notre cccur. Quelques-uncs s'écricreut que ce
n'étaít pas de la sérérité npostolique, mais une
rigucur de tyran Iarouche. Nous laissanl done Ilé-
chir par son repentir et par les suppllcations de
tou tes les persou nes présen tes, nous rom pímes le
líen de l'uuatheme en le recevant dans la commu-
nion de notre sainte mere l'Églíse (1). » Lorsqu'il


(1) EpiSI. 12. - Apwl Lalihe.




- 4t9-


lui donna l'absolutlon, Grégoire n'entendait pas le
soustraire aux engngerneuts qu'il avaít contractés
envers les grands de l'f~Lal, ala diete de Tribur; en
conséquence, la diete, convoquée it Augsbourg, de-
vait seule décider, dans les formes preserites, si 00
luí conservernit la dignité royale.


Henri, ayant tout promís et donné eaution, fut
invité par le Pape a partagcr avec lui une hostie
consacrée, sil se croyait innocent du crime de si-
monie; c'était en appeler au juqement de Dieu~ s'i!
etait coupable; mais l'orgueilleux pénitent n'osa pus
affrontcr eette éprcuve décisive, qui aurait ter-
miné le COIl ílit du Sacerdoce et de l'Empire. Ne
désirant que gagner du ternps pour attendre l'oc-
casion de reeonstituer son parti en AlIemagne
et en ludie, l'Ernpereur ne vouluit pas s'cngn-
gel' absolument. Aiusi le prernier acle de sa con-
science révéla uux pcuples la dernierc pensée
de sa politique. A son retour I les villes refuse-
rent de le recevoir, et les électeurs manifestercut
l'intention de le déposer pour lui substituer Con-
rad, son propre fils. Excité par les seigneurs lom-
bards, il résolut aussitót d'écraser toute opposiLion,
en déclarant la guerre au Pape et aux seigneurs
allemands. C'est alors que ceux-ei, rassernblés a




- 420-


Forchheim, deposérent Ilenri comme contumace et
élevercnt au tróne le duc Ilodolphe de Itheinfeld,
duc de Souabe et d' Allemagne.


Quoique les destinées du Saint-Siége se débat-
tissent, daos eette lutte politique, entre Henri, qui
ne représentait plus que la Iéodulité lombarde, et
Ilheinfeld, qui représentaít la cause allemande,
Grégoire VII resta neutre, car iI ne pouvait pas
étre a le Pape d'un partí (1).» Mais bieutót les
murmures des Suxons, réclamant toujours son con-
cours moral, et les eXC(~S memos de Henri, central-
gnircnt ce Pontife ale déposer definitiuemeut (lOSO)
et ase déelarer pour Rhcinfeld. En ce moment,
I1enri, ula tete d'une armée formidable, convoquait
un concile, fuisait déposer Grégoire de nouveau, el
reconnaíssait, comme Souveraiu Puntife, Guilbert,
archevéque de Ravenne, sous le nom de Clément l ll,
Ainsi les deux puíssances essayaieut ele s'entre-dé-
truire, La guerre eut lieu également sanglante, fu-
neste, implacable de part et d'autre, maís avec des
chances diverses. Déjá, c'en était fait de Henri, ou
míeux, de sa cause, lorsque Godefroi de Bouillon ,
qui combattait pour lui, enfonca, daos la poitrine
de Rodolphe, lefer de la banniere impériale, sur


(t) Bruno, De Bello Saxonico, pago 216-224.




- 421 -


les bords de l' Elster , et le délivra de son antago-
niste. Désormais assuré du triomphe, íl reprit le
chemin de l'Italie, se fit couronner aMilan et vint
mettrc le siége devant Borne, la cité éternelle quí
lui résista pendant trois ans; mais iI parvint enfin
él s'en ernparer (108ll).


Henri IV, vainqueur de l'Anti-César, se fuisnít
sacrer par l'Anü-Pape , tandis que Grégoirc Vil
languissait, prisonnier, dans le cháteau de Saiut-
Ange. Quelque temps aprés, Robert Guiscard, l'un
des valeurcuxfils dc Tnucréde de Hauteville, accou-
rut pour le délivrer. Le Pontife lunca de nouveau
I'anathéme contre Clément III et contre Ilcnri. Ce
fut le dernier acte de sa vie. Retiré a Salerne, il
rendit le dernicr soupir en disaut : « J'ui aimé la
»justicc et hal l'Iniquité ; voilá pourquoi je meurs
en exil.• Ainsi mourut ce héros de la catholicité,
dont les uctes out été si divcrsement jugés par les
partis, et dont un grand hommc él pu dire : « Si
.jc n'étais Napoléon , je voudrals étre Gré-
» goire VII. » Su vie physique ne dépassa pas les
bornes de la vie ordinaíre ; muís sa vie morale, de-
Y('IlIlC le propre génic de l'Église pcndnnt plusieurs
sieclcs, a etc , la plus vaste, la plus complete, la




- [122-
• plus durable que l'on puisse imagiuer (1). » Les
Pontifes qui lui succéderent , fideles a ses prin-
cipes et a ses actes, eurent tous, malgré la diflé-
rence de leur naissance, de leurs vertus, de leur
áge, de leur caracterc, de leur personnalité, le
mérne esprit de conduite et de gouvernement: ce-
luí de Grégoire VII qui revivait en eux. Grégoirc
s'élait Iait Église ; et l'Église resta Grégoire, si l'on
peut ainsi parler , [usqu'a ce que la déterminu-
tíon d'un nouveau but et el'une clirection nouvclle
fút reconnue nécessaíre ala marche progresslve de
I'humanité.


011 a prétcndu que, loin de constituer une auto-
rité régulíere dans le monde, en faisant prévaloir
la suprématie du Pape sur celle des Boís , Gré-
goire VII avait bouleversé l'ordre public. Rien de
plus inexact; cal' nous lisons dans le J1iroú' de
Souabe, recueil des coutumes germaniques: « Dieu,
qui est clit le prince de la paix , laissa en montaut
au ciel cleux épécs sur la terre, l'une pour le juge-
ment séculier, l'autre pour le jugement ecclésinsti-
que. Le Pape concede u l'Empcrcur la premicre ;
l'autre est confiée au Pape Iui-mérne, siégcant sur


(l)\nr.ilJon, Tablciu: des rccol. da "/J.I!. pvIiI. de 1'1,'UI'v/Je.
TUIlI. 1". Iulrod, - Monarchie Pontilicule,




- !~23 -


HU chevul blauc , afin qu'il juge comme il le doiL;
el l'Empereur doit tenir I'étrier afin que la selle ne
se dérnngc paso 11 cst indiqué par la que si quel-
qu'un resiste au Pape et que IcPontife ne puisse
le réduirc it l'obéissancc, par le jngement ccclé-
siastiqne, l'Empcreur, les uutres princes séculicrs
ct les jugos, doivent l'y contraindre en le mcttant
nuhan('l).n


On a prótendu encore que les querelles du Sacer-
duce el de l'Empire produisírent, en ltalie, toutes
les guerres civiles des Gucl{cs et des Gibelins. D'un
colé" le P. Maimbourg, observant avec raison que
ces dcux partís poli tiques s'entcndaient á mer-
vcille sur les questions rcligieuscs , declare « qu'il
y avait seulemcnt cette différence entre eux, que
les Gibelins reconnaíssaíent les Empereurs pour
leurs souvcrains, et tenaient ele l'Empirc ce qu'íls
occupaicnt; tanclis qu'au contraire , les Guclfes,
s'étant détnchés de l'Empire qu'ils ne voulaient
pas reconnaítrc, se tenaient toujours du cóté du
Pape contrc les Ernpercurs (2). » D'un nutre
coté, Joscph de Maistre affirme, qu'á propre-
uient purlcr, il n'y a jamais eu, dans ces temps


(1) ~,r'n('krllll('l'g, Juris alcm.tuici seu succici !ml'(amen.
(~) 11 ist, de la dcradcncc de /'};mpirc de C/wl'iell!a'.J lle , [lag.


;;'1(;.


<. .




- !¡2!¡-


rnalhcureux , "une guerre entre le Sacerdoce ct
l'Empire. On no ccssc de le répétcr, njoute ce
véhément écrivain, pOU!' rendre le Succrdoce res-
ponsable de tout le sang versé; mals dans le vrui,
ce fut une guerre entre l'Allemagne et l' Italie, cn-
tre l'usurpation et la liberté, entre le maítre qui
apporte des chaínes et l'esclave qui les rcpoussc :
guerre dans luquclle les Papes fircnt leur devoir
de príuces ítaliens et de politiquee sages, en pre-
nant parti pour I'Italic, puisqu'ils ne pouvaient ni
Iavoriser les Empercurs sans se déshonorer, ni
essayer méme In ncutralité sans se perdre ('1). »


On a prétend u en f n fIlIe dcpuis Grégoire VII,
la Papauté, suivant toujours les errcmcnts de cet
iIlustre Pontife, ne s'est longtemps exercée qu'á
juger et El destítuer les Souverains, Joseph de Mais-
tre repousse encoró ce meusongc avec une raison
digne de su foi : {( Combien courpte-t-on de souve-
ruins /u!rédilaires effeclivement déposés par les Pa-
pes, dit-il ? tout se réduisait ú des mcnaces el iI des
transactions. Quant aux princes clecti]s, c'étaicnt
des créatures humaines qu'on pouvait bien défaire,
puisq 11' on les avait fui tes; ct ccpcndan Ltou 1 se ré-
duit encere it deux 011 trois prluces forccnés, (lui,


(1) Uu }'a/le. U¡'i[J. \ 11. VI". JO~),




- ú25 -


pour le bonheur du genre humain, trouverent un
Irein (faible et méme insuflisant) dans la puissance
spirituclle des Papes. Aureste, tout se passait á 1'01'-
dinaire dans le monde politique. Chaque Roi était
tranquille chez lui de la part de I'Église; les Papes
ne pensaient pas it se méler de leur administra-
tion ; etjusqu'ú ce qu'il leur prrt fantaisie de dé-
pouiller le Sacerdoce, de rcnvoyer leurs femmes
ou d'cn avoir deux u la fois, ils u'uvaíeut rien a
craiudre de ce coté ('1). 11


Revenons ú Grégoire VlI, le créateur véritable
de la Monarchic Poutificulc , considérée au point
de vue purement politíque. « En SUpPOS¡:mt qu'il
ait eu, cornme l'uncienne Ilorne , dit un biogra-
phe írnpartiul, quoique protestant, l'idée de do-
miner tous les peuples, oserait.-nn blámer les
moyens qu'íl a employés, surtout quand on consi-
dere ({U' ils étnient dans l'iu térét des peu pIes? ..
Pour bien juger ses actes, il faut considérer son
hut, ses intentions : il faut considérer ce qui était
nécessaire de son temps. Sans doute une généreuse
indignatíon s'empare de l' Allemand, quand il voit
son Empcreur humillé il Canossa , Otl du Francais,


U) u« j'(lIJG. Liv, 11, chap. 11, pa¡;. zrs.




- [126 -
quand il entend les sévercs lecons données iJ. son
RoL Mais I'historien, qui embrasse les événerneuts
sous un point ele vue général, s'éleve au-dessus de
l'horizon étroit de l'Allemand ou du Fruncais, et
trouve fort bien ce qui a été fait, quoique les autrcs
le hláment... Les ennemis mérncs de Grégoire
sont obligés de convenir que l'idéc dominante
de ce Pontife, l'indépenrlance de l'l~glise, étuit
indispensable pour le bien de la religion et pour
la réforme de la société : et que, pour cet eflct ,
il fallait romprc tous les licns qui jusqu'alors
avaient enchuíné l'Église Ü l'l~tat, au granel détri-
ment de la rcligion ... Et qu'on ne jette done pas
1ft pierre á celui qui cst innocent; qu'on respecte
el qu'on honore un hornme qui a travaillé pour
son siecle, selon des vues si grandes et si géné-
reuses (1). IJ


Si nous fuisons retentír ici tous les nobles échos
de l'histoire, c'est afin de prouver que Grégoire V1I
dut étre calomnié par certains partis et par cer-
tains hommes , tant qu'il leur a été impossible de
pénétrer dnns l'intimité de son inlelligenee ; et de
découvrir , conséquemment , la loi supérieure de


(1).r. Yoig-i, liist. de Un!Jotl'c VlI el de 801t .1ir ele, - Conclu-
~¡VIIJ I"lg. (jO') el suiv.




- 427-


su théoric politique et morale. Son but, d'ailleurs,
était tellement élevé, qu'il dépassait les moyens 01"
dinaires de leur apprécíation. 11 a fullu huit siecles
de progres incessants, pour bien cornprendrc cclui
qu'il parvint a réaliser en quclques années. Plus iI
a été outragé, plus iI nous appartieut de le véné-
rcr, cal' en émuncipuut I'.f:glisc, mere des hom-
mes et filie de Díeu 1 Grégoire V1I a préparé l'é-
mancipution de l'humanité ; car, en fondant cettc
dicta ture impcrson l1CUC qu i embrassait l' ensem-
ble de la destinée humaine, il restaura la fédé-
ration moralc des nations chrétiennes , puísqu'il
leur donnaít un but universeI; car, en dominant
les couronncs, durant l'anarchie féodale, il opéra
le salut des Écats et de l'Églisc; il jeta positive-
mcnt les bases ele l'ordre public européen qui
protege aujourd'hui tous les peuples, et détruisit,
dans son essence, le despotisme des Rois. Tibere
a pu se produire dans l'ere des Césars ; mais nul
tyran, de son cspécc, n'aurait pu s'élever sur un
tróne, alors que le pouvoir pontifical cxcrcait sa su-
prématic absoluc: Rome teiu ccrasé. (I ). Glorifions
done ce puissant llbérateur qui renouvela le monde
aveesa pensée, en créant, par son autorité presque


(1) Coquercl, Essai surlhistoirc du Christiuuismc, ¡¡<lOó. 75.




- 428-


divine, le regne de la Foi ; qui constitua le Bien pour
étouffer le Mal, qui ouvrit un cyc1e nouveau a la
civilisation, pour fermer ajamais celui de la bar-
barie, et qui enfin, par l'índépendance de l'Eglíse,
assura dans l'État chrétien la véritable liberté,
celle dont toute autorité légitime a visiblement
conscience, celle dont nous jouissons au XL\" síe-
ele, ou mieux, hélas! celle dont nous devrions
jouir!


El maintcnant , par ce que l'Église a fait dans
le passé, qu'on juge de ce qu'elle peut [aire dans
l'avenir! 1I n'y a pas, en effet, a l'heure actuelle,
un seul philosophe, un seul homme d' État, un
seul penseur vraiment digne de ce titre, qui, en
voyant la déchéance morale et positivo OlJ la reli-
gíon, et, par suite, les sociétés, sont tombées de-
puis plus d'un siecle, ne s'attende aun évéucmcnt
prochain, immense, naturel el surnaturel tout á
la fois, et destiné II présenter l'ordre humain et
l'ordre divin SOllS un aspect compléternent nou-
veau. Considérée de la sorte, notre époque ressem-
bleétrangement iJ cellequi précéda l'avénetneutrle
Grégoire VII au tróne de saint Pierre, Aujour-
d'hui, comme alors, l'histoire, en eflct, n'enrcgistre
tIlle des évéucmcnts siuistrcs , la scieuce, prupre-




~ ll29 -


ment dite, est méconnue , l'ignorance, exaltée; le
scrvilísme, passé ú l'état de vertu; la tyrannie, ac-
clamée comme un hienfait particulier ou eomme
une gloire natíonale, la vérité, haíe; la raison, ha-
fouée; la foi, conspuée; les prlncipes, anéantis. El,
au milieu de ce naufrago universel ou s'engloutis-
sent toutes les rcssources morales des peuples,
l'intéret matériel et personnel jette son ancre, qui
devlent pour chacun l'unique moyen de sauve-
tage, Évídemment, cette situation est trop futale,
el nous craignons que l'humanité ne succorube,
si elle ne recoi t un míraculeux secours de la
Providcnec !


Mais , ee secours, ne fuut-il pas le mériter?
Quoique nous vívlons dans l'ére de la gráce di-
vine, le mérite humaín ne doit-íl étre provoqué
sans eesse, dans le monde laíque ainsi que dans
le monde ecclésiastique, si l'on veut opérer la tran-
sition définitive d'un vieil ordre d'idées et de faits
a un ordre absolument nouveau? Que le Clergé,
dépositaire des maximes révélées par Dieu, preune
des ú présent la clé de tous les problemes qui sont
posés dans I'humanité, afin de nous ouvrir les
sourees de la véríté universelle; de déterminer pé-
remptoirement la tendance de l'avenlr , el de




- 4~o-
substltuer anx intéréts vils et périssables qui nous
dégradcnt, les intéréts supérieurs et élernels quí
réhabílitent , sauvent, immortalisent! Et puís,
vienne un autre Grégoire : esprit de tradition et
de progrés, non pour ébranler le temporel des
Ilois, mais pour flxer le spirituel des saciétés ;
pour accomplir la religion, en rcconnaissant le but
propre de chaque Etat, SilI1S méconnuüre les fins
suprémes de la civilisation g(~né1'ale; pour triom-
pher de notro passivité intellectuelle, avec sa ma-
gnanimc activité ; pou1' mcttrc d'uccord toutes les
antinomies ; pour identilier, en son augusta per-
sonne, le droit humain et le droit divin; pour
réalíser enfin, comme Grégoire VlI, mais nutre-
ment que luí, en s'inspírant de toutes les néces-
sités du temps et en dominant les divisíons so-
ciales et religieuses, l' Lnité Supréme : symbole de
la régénération absolue du monde civilísé.


La Société européenne attend un Sauveur !




TABLE DES MATIERES.


J:'ir.onarnON.••...•.•..••..
(,[1 \l'lTHE 1"'. - r'f:GUSE, ~J01\AnUIIE r~n.EnSELLE.


I
1


Celle,ronarellie cst la prclllii'rc dans l'ordro chronologiqun el par son
impcrlance morak-, -- Ell!' esl de Iondatinn dlvín». - Les clin····
liellsd),o,; pa·jel\s.- Couuncnl ils diíferenlentre eux sur la llwnii'r,'
11','l\yis:¡;2','r le 1'ouvoir d.ins la persouuo de rElllp"I'l'llr. - (lw,j
a 1'1(' j" l.ut des I\l'!,Il]¡liqllcs ancienncs, - {)Ile\ esl el doít ('tn'
Ji, l.ut tI,·S \lon:It'\'llil'S l'ILWP"I'lllll'S. - L'j~glisl', lyp" id,lal de
U:t:t1. - LI,C;"IIYI'I'llin I'illllil'e duran! los persl'cnliolls.- Consti-
tuuon ,~I"III;ra]c dI, U:gtisl' Clll'di"lIlllo SOllS COl\stantill.-C'esl une
\!OIII!I''']lil' univ.-rsclh-, l'II'clÍle el l'I'l'ré,entaliyl'. - :-illpl'l'lllatil'
du 1'1'1'" n'I'OIlI:II,' par I,'s Elll]lI'l'I'nrs, par les co.iciles ('[ par Il's
,"\'''r¡UI'S tI'Ol'i"IIt. -V'cl'ssil(; uhsolu« de celle slI/mllllalie POIIl'
runiulr-nir luuit« purini los nallons c!1l't·'lielllles. - r:lcclioil du
I'a/Ji) ('[ tI"s 1"\('r¡UI'S. -- EXCllIlllll\!IJications. - Couciles, - _\10-
nasteros, - i 'r{'nlier cxcmple des gl'allds travaux lihres I'l volou,
¡;Iin's, inlcllcrlucls, agricoles et industrivls, - But moral el but
jHI"itíl' de, sol'i(;IIIS. - J¡J(;('s gl;IIIII'all's sur la I'apalll(~, ~onsükri"I~
couune [Jlli''''i1iH''' tl'llIp0I'I'11c I't spirituelle.


CllAl'. 11. - LES l\OIS GOTHS ET LES ROIS LO~mAIlj)S EN
HALlE. 35


Les Harhares apportr-nt en Eurolw le princip« monarchique et e('lid
11" la lihert« in.lividuel!». -I,(os ¡101lis 1'1 les l-rancs. - 'I'hllodorie
1,1 Clovis. - l'i1rilIU,[,' I'nl]'1' el'" ¡1"11 '( princes ot ces deux nalions,
- Tlli'ol!lll'i,';\ la ('0111' dp COllslill'linuplc.-llcvenu rni des Ama-
11'0', ii ['(',1.. ¡J'alJlll',i t';¡Jti,', ti.. Zl;¡llIl1, ciupereur; onsuit« il tOlirlle
scs anurs coutrc lui, - T!tclodoril' est nonnné consul par Zi'llol1
qui l'nutorise ;'¡ conquórir 1'ltidil' SI!r Orloucre, - 'I'riOluplw d('
T}II·'o¡Jol'il'. - Ce qu'vluit un I\lIi ('[ ce qu'était un Elllpen'ur. -
t.onstitution ¡;olhir¡IIP. - Autagouismc des ltumains el des (iotlls.
- COllSpil'aliollS daus le sénat. - ~1I!,plil'l' de 1\ot'I'C el de ,C;ym-




- h32-


maque. - \101'1 de Théodoric, earaclt"re de son gouvemement.c-
II a voulu Hre Itoi des uoís. -\Ionan:hie gothíque (~kclive; -
Elle est détruite par les Lomhards, - Gouvcrueiueut des trente-
six ducs. - \Ionarchie h¡;réllitaire largeureut consütuée. - Auti-
pathíe uationale el religicuse entre le~ H1I11Iains el les Lorubards,
- Fin de leur domínation. - Série des rois Golhs el des roís
Lomhards.


r.HAP. ]JI. - ÉTABLISSEMENT nE LA J.1O:'íARCIlIE FRAN<;AISE.
JlREMlEI\E RACE. 73


Afllnité partículfere entre les Frailes el les (;aolois, - La J:OjDllU:
parmí les natíons germaniques, - Le Iloi est íils d'un héros 0\1
d'un demi-dieu.- Iiynasties. - L'herédité et l'élccuou. - I'our-
quoi la üoyauté précerle-t-clle toujours la Xlonarchie. - Phara-
mondo - Vlérovée. - Vision de Cluldéric. - II Y découvre la
grandeur el la décadenoe de la J<H'e Mérovingieune, - Clovis
el les éveques Gaulois. - Devoirs de la noyauté au sein de la cí-
vilisatíon chrélíenne, - Couversion de Clovls. -- La sainlc-am-
poule. - Le Pouvoir royal el l'aulorilé cccléslastiquc au concite
d'Orléans, - Le I\oi cst trcs-chrcticn., mais la Hayanl¡; reste ],¡I1'-
hare.-Division entre les trilms.- t.nit« lIIonarclii'1ue.-Partag¡'
du I\oyaume.-Clotiltle préfere voir ses mSl/loJ'{s !file toudus.-
La déruccratie miliíaire des Fraucs se transforme en arislocratie
territoriale. - Cuntlil entre le principe hériditaire et le priu-
cipe électif, - I'remiere ntteintc au príncipe de l'h"'I'édilé royale
sons Clotaire 11. - La maírie du palais et les ruis fairll;ants. -
Confusions dans la ligue direcle. - Suppositions de ]J1'inees che-
velus. - Suppression totale de la' üoyauté par Charles-\larlel.
- L'Eglise ell'Üal. - Alliauc« du clr'rgé avec l'epin.- Avau-
tages qui en résulleut [JoU!' la civilisalion.- Avénement de I'epin,
roí éleclif rl'abord il Suissons, puis roi liérédilaireil snint-nenís.c-
Le Pape Élienne, en vertu du sacre, lui donnu Ir; carnctcre eOIl1-
plétement royal; el transforme sa Iamille, en une race de princes
propres aréguer, - Série des Itois mérovingiens,


CHAPo IV.-r.A MONARCIIIEDES WISIGOTIlS sx ESPAGNE. f19


Les wísígoths d'Espagne concoivcnt l'Etat il la maniere des (;(illts
d'ttalie. - L'hérésie est un obstacle presque insunuontnble ¡\
leur élahlissement politique, panui les peuples indigenes qui son!
orthodoxes. - Lntle entre le Calholicismeet l'Arianisme. - Su-
l.limo dévouomont dos pvpques espagnols durant les pcrsécutions




- ft33-


religicuses,-La\lonare]¡ie lit"rúlilairet!es wisigoths íluit avcc la
race eles rois Bailes, ella '.fonare[¡le électivc commence au sein
des asscllllill'CS nal iunalus domiuécs par les grands. - llécarecl 1
le-Calf¡oliqne. - C[¡nll~ de l' vriauisme dans l'I~lat. - La civili-
g:tlion ,e relcv« avcc 11' Call1oiici;;nlc. - Constitntion representa-
ti1'(' el al'islo('iatique de la Iloyaull' wisigo(lie. - Les grands
H'liI" onl le Ilroil de dl'f"l'er la CO\ll'OIlIl(,. - Les Iiois sont (out
pendanl la gll"ITe: IIlais ils no sonl ríen' peudaul. la paix. -- Les
:1,,'CIIIIIl"'I'" Ilidiollilles se 1I'a1ISI'Ol'llll'lI I r-u conciles on les 1"viol[neS
f0111 I'old I'e-]loids auxgrallds. - U'gi,.¡Jatioll. - Son influeucc sur
11' gOIl\I'\IIellli'nl du pa)'s. - r.cs l'iJlIl'ili's it 'I'olí;dl'.- ll(011ilitiOll
"11 111(11 1:01 ¡{'a¡II''-'S ¡" co.I« \\i"ir0tll. - Or"ani:ialion tulministra-
til" d" j';lrislol'l'i,li,'. - L'l'li'l'Iioil (\11 ¡\oi c:;1 tcuiours uu momcnt
crilii[ne PO\1l' la soci(o[I'. - Fal'lions rOI'llI('I'S daus ['Étal par les
l'i\llli1ll's qul OIlI IlloJh régné, par ceHes qui duivent cesser de ré-
;c.IH'!' el par celles qui désirent n'oner. - Le Clergé scul esl dé-
sillll'n'ss,', daus edte questiuu.i--La nominalion du ltui íait éclator
suil I'inñucnre [Jrépolldl'l'allle ,[,'s I'VI'qlJ('S, soit coll« des grands.
-\lIlilroniSliJe du Cl('J'ré 1'1 rll' l'aristocratie. - Itéactions iuéví-
lirld,'s cl Ioujours I'IIIli'sles «u i\II\i\\1l1le. - syncrétisme dn droit
romnin el rlu druil Ili,ioulIl. -j'l'l'lIliel' C:\clllp!e d'un Sonvl'l'ain
d"p'h'" SUIIS 111'1'11'\11' de p"'lIi!e!I('e. - 11('(';)III'I1('e gém'lale de la
vlouurchir. - Ilill""l'l'nlt'o Imuilles se disputcut la courounc. -
I:Lspagl1l' Pot couquisc par les Arahes, - ti' ltoi l'lC'l'Iil' 1111'111'1
all'I' la nutionulít«, quí (loil rossusciler avec la vlonarchic ]\i\r¡"rli-
lair«. - (}Ill']qlle:i mols SIl!' SOII caractorc primitif, - série des
Hui,) JII'n"dilaires el élcclifs en ES]JngI1l'.


UL\ P. ,. --- Éi Ai;LiSSUIE:\T DE LA nrNASTTE CAllLO\T\GIFY\F.
ET RÉTAnLlSSE\IEilíT DE L'E\IPIRE D'OCCIDENT.. 159


f "'iII"!'III'!iIl'llt de ¡'I'[lill-Ie-I\rl'l'. -- Jl kgilillle son usurpaliou par
¡'II,;¡;.,,'" ljll'i!f;lil d" SUII [lOlllllil', -- I':\¡H'ililioll «n l lali«. - Dona-
liou au sail!l-Si";';", qui I'olld,', ln SUllleraincl''. tcmporcllc des
1''1[11'0. --ll'I\¡\l!I' iIlYl';;iillil\l: spililllellr, du ¡'a[le al! Iloí, lempo-
rcll« ¡[¡i ¡~ili au ¡'i!Jil!. - t:lli¡r!"llIa¿IH', ron1lur'Ialll el civilisateur.
~--- L(' I~(li di' VJ','lll(';' f':-l JI' r'!!!'!' :~,lpJ'i'lIIJtl de ¡'ol'dre poliliqlll' en
¡<III'I'I"'. 1"'III"Jlllli l'I,(il-,[I:\ 110111(',1'1\ soo '?--cli:lI'lclIli¡glll' i':lIqJl'-
i ;'¡ti' ¡"(k:'III"dL i I II"i:\,'lil. lil'l' :ddl:4"ill'" (1' ¡d]'i l t't r;¡urilil 1'1'1\1:<1',
1",,[1111,'1111'111 [" 1';'111' 11" lvu: I'i!' "l\llraill[ "l'iu'c,'pl"I'. -- Pii]'
"1'1 iwk liiPlllUl',dl!I',liUllIt' 11\'"1 plus la mctrupolcd'unc i'1'iI\iJI"I';


l. 28




rllc devient la capitalr; du mondo r hréticn. -Le licn qui unit lnc-
cident it l'Orient est hris:'. - ¡,l' Saint Empir« el la Papaulc. -
I'réérninence du Pouvoir spiriíuel sur le l'ouvuir tempnn-l, - Le
Pape donne son consentcmcnt it l'élcrlion de l'Krnpereur, ,1 pri's
que le prince élu a juré dobservcr les ri'gles dl\ la justice. - 11
devient alors l'adruinistrntour tempo)'!'l (]¡o la elll'l"lirnll\ - Le
despotisms est impossihlo d.ms la uonarchio universvllc. [eJi('
qu'cllc se trouve réalisél\ par Char!l'll1agtw. -Inlillle accurd di' Ll
torce nvec le tlroil.- Cnnstitution imp1iriale. - Elle concilie 1'01'-
(he avoc la lilwrl,', en coutrebalancant linüuoucc des leudps "1
celle des homuu-slibros, au scin des assemhlées ¡2:¡"u"rales.--Poor
la prcmiere Iois le jJI'ujJk y esl I'I'PI'(',puI0 par dps d¡"j1lll p s ólus
dans c1laque arrondissr-mout. - OrgilllisatiOIl inli"rÍi'llI'e de C("
assemhlécs. - La loi dérive dc la ronstirution du ltoi el de ras-
sentimcnt du pouplc, - j~lal des personnes. - Capilulaires.-
Instruction publique. - chal'll'll1élgtlr', inonarque é'III'l1lcipalelll'
el populaire, - :-;ps elfor!s pour contouirla f¡"udalik - Arlminis-
tration di' la justice. - COll1tC's el ¡'c]wYin,.;. ·,-\rlll¡'''. - Cou-
ronnement de Louis-le-picux, ElIlpet'I'11I'.-c(lnsidérillions Sil!' la
grandcur et la décaclencr\ de l'Empire,


CILU'. VI. _. t:JIlTE DE L'E\JPIHE n'UCCWE\T El A\Éi\;UJE\l
DE LA 'JAISOi\; ROYALE DE FRAC'iCE. 20:)


Louis-le-néhouuaírc ou le 1'11'\1\ ('OlllllJl'llCe daus ¡''s pro,.;p0dt,:s un
ri'gne qui doit fluir dans la désolation. - Le Papl', I,'s I:(ljs el les
PI'Uples luí l'l'I1tiI'1l1 JI(llIlltl,'lgr'. -- <on C,'It','ICli't't', - 11 pal'lnge
l'Empire entre SI'S lrois Iils, pour cmubiuer le syslellle d,' divislon
monarchique adopl¡' parmi les \lórovingiC't1s, mel' le sysli'lIle du-
nit« iuipériale. - 1:l'\olle de Jlel'llanl, I\oi ü'ltalif'. --Sil JlIOt't.--
Lulhaire , deja Augusto, prend son litre f'l ses 1:;Ltls. - LOllis-ll'-
Ilrl1onn,Jire avilit ['alltor¡"; :illpn\uli'. - SOI1 lllal'i;lé.:l' aVI'1' .ltnljlh,
'fui lui dormc HU qllatrii-llI(~ Iils : Cltarles-le-Cllame. - ]lelllallie-
JlII'Il! territorial dI- l'Empire pour lui c)ú-r un Ilomeau noyallllle,
- 1\I"vol!C's JlIo!iü'I'S des trois nutres I:ois. SI's 1'111';1111,.;. - Les
pouples couquis par CJ¡arl,'uln;:)](\ COlllllll')If'I'I1! ;1 sC('01lI')' 1"IU'
jOU¡2:, - L'Emporour, prisonuior 1],0 Lnlhnire. - \lnnifl,<tc
des r\ÚIllI'S 1'1 I\I'S [ir,lI1fl, qui ill\il<,tll le [i"llP¡" ,'1 ClIlltl,;¡!
tre, daus les r,\llgs de ['ill'itltTI'I'liolL po«¡ ni.n, /(' uo. r!
la üonarcuic. - Le PilIJC, Lothuhr., t'('[iill ct ¡;c]'JJél)l! , :(




Holhfeld. - 1l"'l'o,ilion üe Loui--lc-Débuunuirc. - I\úaclion.
- Louis-le-Iréhnunniro reprcnd le scoptre. - Autres purtages
Pl aull'l''; n\hellions. - Lolhairc, Empereur, - (;nerre entre
les (pHlr0 fri're,;, ~.ourerains. -- nalCli1le de Fonlenay. - L'ElIl-
]Iin' esl ailarr1li" par le 1\I"'lons, Ips vornmuds, les Saxons el les
Sarra,;jlls, - '!'l'ail,\ ell' \'''1 ri 11 11. -\l!janee ofleusive et ri,'fpnsiYc
entre le,;l\oi,;pll'l:mpereur. - Féoelali\(\.-Conflil pnlre Chnrlos-lc-
I:I,amp el la 1'1'll!l11Ié. -l'rpllJii'l'('o Iihel'l¡\s de rJ;:glise gallieane
1'01'111111,\"" par Ilinrmar. -CiJarleo-lp-Clla1Ile, 1:1nJWl'e11l'. - 1'1'0-
t,':l'i's ril' la f/'ori;tiilé. - Les ílefs (Je\i('llnent IJI·r¡"(lilail'es. -
1,;1 \lollanliil' I'eripli('nl é¡prlil". - Louis tri et Cal'loJllan
S01l1 (;¡IIS par 1'llIflll('n('(' ¡Jr III1t,':l1Ps-lr-I;l'and el de Bozon. -
- '!'ous 1!'o 1"'llpl('s (!Iiselll lIPS nois nat ionnux. - Endl's,
liJ¡'\l'alpllr d,', 1'aris, noi de Franec. -\rnoJd, ltoi rie (;el'-
maní!'. -' l'oOZOll, noi tii' 1'1'0\1'11('1'. - [\,\hahililalion de Charles-
le-simple. - j'·:I"rlioll ,1!' I\nherl, courour.« iJ soíssons, - llugues-
I,'-(;ran(l rl'fnse ¡I'oi, fois le scepll'l.', IfU'¡¡ (lonlle;'1 Iiaoul, iJ I.ouis-
(l'Oulrelllel'cl iJ Lolhait,p. - "lillis-le-Faill!\1nl li'guc, en mourant,
le ll'(,ne it IIllg:lI's Ca¡wl. -\vl'n0 11 18nl ,lc la troisicmo raee.-
- Originc de la vlnisou J'()yale 111' Frunce, - Identiflcntion du
peuple el dn uoi dans un hui d'émuucipation, de progre s et de
m,,'rl(' uuiversr-lle. - SI\I'ie ,l,'s Elllpereurs el Jlois rl'Itnlic carló-
vingiens, - Sél'ie des üois dI' t-rance carlovíugiens.


C/U!'. VIL - FOJ\~IATION DE LA ~IO:XAnCTIIE A:\:GLAlSE,
DES TnOfS nOYAr;;VIES SCANDll\'AYES ET DE


L'UIPIllE !lE I\USSIE. . 263


Invusions scandinaves, nonnandes 011 danoises dans le midi el dans
le nor!l de 1'1·:nropl'. - Le I\al'hare se faronne it la r,ililisalion.-
La lrihu orraut« cr('(' des t'oia],¡issl'lIlents fixes ]1oU!' eonslítuor
IlIIC sorieté. - Il,';lIolllhl'('lIlclIl des f:lals de l'Europc au ," sicrlc,
-- Les peuples rlu ,\l¡di el ceux (In vord suivent une dircction 0]1-
POS/!I" - Cal'acli'l'e (le el' dualism«, - La Féo(lalil(\. -Ces! une
1\('p"lhlilll"' de lyrallllil's, snll,lillll\e it (livl'r3l',o \lonal'chics inrlé-
p"IHlallll'sPI lilll'('s. - Iliér:llei,il' f¡"odale universcllc, - sermcnt
du vassal, !IOlllllll'-li~"f', - tl n'apparlcnait plus ni au I\oi, ni h
la natir.u ; IIlllÍ:;;1 SOII suzrrain, "0111111/' p:lrlil' inJ,"grantr rl'un licL-
Pans le sy:;li~llle f"'Ollal, '" l'a[)I'('sl soul déposilaire 1111 pnuvoir lllJ-
sclu.euqunlité de Yj"ai]'!' ti!' Pieu.-lllJe se reserve Ill'illllllOilJ:':(lllC




- l¡3G-


I'aulorite spirituelle et confío l'nutorit« politique ü l'Enlpcreur, chd
des I\ois. -Cliac¡ue I'rinco rrgnillll Yen! ('11'1' ¡"'ga] de I'Lmpercur.
- Le travail de la clvilisation, jusqu'iri Cou!'clllr('1' dans le 'ridi,
s'étend it pré.senlvels le \old.-Lcs:-i;I\OIIS clIl~rclagllC.-lllitl)
monarchíqu« exprimée par le Chefdes ('1i1'1's, au milieu des rlans ;
ou gouvcrnemcnts cautonaux. - Iny;¡sions succcssil·es des tribus
saxonncs forman! chucunc un pctit 1\0\ ;(UIUI'. - Ileplal'clJil'.-
4;ouvernement íeulouiquc. - uUun, 1i('J'os di! la uationalit.' ¡m'-
tornu-. - Eghert soumot loute l'Hcptarchic il SI'S lois, - c\lll'l:cl-
hH .rand, princc réfnnnaíour. - <on peuple l'ahandouu«. - Les
!\nglo-Sa:\om suhjl1gn(', pal Ir's 1);lllclj,:. - ..:rll'd rl'lii'(; clu-z uu
])oll\ier.--ll lient la call1paglle ¡Ila mani/'I'e dl's balldils e! dl.'\ ¡ent
un héros. - II se I'I'IHI au camp des Iiauois, dlip¡jSI~ eu l.anle. -
lléliHGl1I'e de la l\l'elagne. - tl1l'rel1-le-C ruud rcmunlc SUI' le
tróue el s'tnspir« des illlies de Cilarlelllaglle 'lU'il prcn.l ponr mo-
dl\!8. - Conslitution de la \1oll:II'cbie an:::lo-s:t:\onne. - 'J,'slQ-
llH'1I1 d'\lI'l'ed-le-r;l'antl, prcmior Innrlalcur dr' la EJ,ml,; allglaise.
- Les Allglo-,C:il\OllS de 110Il':e:IU suJ'jn:"llI's par ks nanois. -
Kanut-le-nrnnd réuuit daus SI'S maius los couronues d'\ilgletelTl',
du Danemark , de la \ol'lYI'ge 1'\ ,1" la ,"111'111" -, Son pélel'illnge
il HonlC. - Lcltrc de Kanu! adl'l~SS('" G'I\ pl'¡"1als de SI'S di-
vors Itoyaunics. - I,anul-Ie'\;l'alld dalls II's ¡::t;lls scandinavcs
convertís au call1OlicisllH'. --, Ctl'ill'li'l'l' «ivilisn.cur de son ,,011-
vernomení. - Les ~,calldillaves 1'( les sliwl's ou ltussi«. - I\urik
el ses Irores, - Olcz, tuteur d',,,ol', assir':.:e COilsi:llllinop!",
oú ron a rll\jil prédit que celk vill--métropole doil lOIl¡))('1' en-
tre les maius des nusscs, - \\ latluuir-lc-urand, -- ,<.;:¡ Jlli,s-
siou est providcrnicll«. - .vvaut d\'lllllrnssel' 11' 1'III'isliani"'III',
il inll'lTogl' des juifs , lil':i l'lltllojjrjlll" ei di" 11111:iltil!!,lll:i. -
ll cnvoic de:i alIlhass:lll"UI:i ;'; J:OIIIC el ;', conshm\inopk. -
\\]:,dilllir-Ie,\;r:lnd ~t': )lrononrl~ r-n fawur l1(' la l'eliuiul!
gl'Pcque. - JI se fait j,aplisQl' sur les hords du lluÍI'l"'1' avcc
vingt mille nusses. - Conslilutinn ('!III¡Jic pill' c(~ \lull~rql1e,
\(il'ilahlc. Iondateur de la puissancc I'\ISSI'. --, luvasiou ,],o,; T;II'-
tnres, - ]),'C,lIlclH'e dc n:lllpire de 1;11"';1'. ,- 1.!i1l'Ji<' doil ,'11""
sa dcstinée au \¡'i' Sh'Clf\ -- "omell,', lidlc,; CUII'I' les !'ilel'S
scnndinavcs. - Les .Saxol!,; el le, :\ol'llIallds loujoll!':' el! c;UI"t'C
sur le sol au;o;lais. - ClIillamlll,-]e-I\;\[al'll f:lil ];,l'onqlll\11' di' r vn-
<.!lr'lCrJ'('. ~..-.. (~rand!'l!1' di_~ ce !""Sil1t:ll. ~- Tr:t!l~i'('i·II.lIl\irHI ;Il)~~¡dl¡()
;1n ,!(lill'l'nw!1lcnl. des iusl ilutions 1'1. dll1:II1,":I"I'.""I:f.:I::1 :'ld,li·,
c~:í d(~finiiircIIlCill'f(lj:dl"'" Ul'it..:,ilH' 11,',·: ~JWJr>' f1l.li (lIlÍ. l¡l\U ¡~"ll
danl plus de Ijuatrl: ~il:deG 1,'1111


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la FI.IIlI.'1' el [',\11,1<:1,"111'. -" .1:"


ríe des lluis '\.lI::;IIJ-~L\XlJnS;Uélnol::: el jjrdulI" en _\.licklnJ'l:.




¡;¡L\P. VUL - OrrnESSTO:\ [)F r:fcJ.lsr PAn LES


I.,'s ltois de nilll'o¡w groupés aulour dll'l'ape el de l'Lmpercur. -
L'I~glise pt l'I~t;¡l uuís par un líen iudissolllJJIi'.- La¡',oyanlr'< ourn-
/,""11111' acel'ple l'arhilr:l!:óe de la 1';1 IJ;lU t,'. -- Le "ail1t-Sii'ge ('si un
I'ihnn;d sllpn\llIe tl'OI" '1',;sol'li,srnl i1la Iois le spintu«! el le lem-
pon:!. - tl !T"'I' .'11 1':l1I'ope 1:1 S,·j"IIC" des relatio\1s illll'I'Íi'lIrl's "1
l'xll'riclll'cs dailScllilqllr ¡ital. -- 1I Iuil, culr« les divers peuples,
\11Ji', <",ijllilalde rópill'liliou des deoliJii'es uuiversellos valuemeut
dell\:lllIi,'p, par I'I'p,l(JIII' adlll'lle, aux prutocolcs lle la diplom.üie.
-1:¡':llIp('r('III' csl Ic lielllenalll tilll'ape,-- L'_\lll'magne se suhsl i-
tue peu ;'¡ ]I('U un lieu el place [1" la lrnncc l't ohlieul la llig'nill) im-
pl"I'iaI('. -- Couslitution de la Hoyaul(' ¡j1'l'lllallillue. -- vlouurch le
,¡¡eelin'. - Les Olhol1s. - Pn'l1Iii're apparilioll des pll;!l;lllges lu-
dcsqucs en Ilalil'.- Olhon-le-r: raud s'eug;1ge i, ne ríen rntrcprcn-
111'1' contre ['(iglisp. - 11 csl cournnn: Emperem. - Le Pape,
voynnt qu'il s'esl donné un mattre, essaic de briscr le joug alle-
iunud. - Olhon et Juau \11. -1.'I':lllpel'eUI' fail déposer le Pape
el 11011 uner Léon :'t sa place. - ,\nlagonisl1Ie de l'nrístocraüe et du
peuple dans 1\011le. - .le.in \11 remonte Sil!' le ~ainl-Sil'ge, le cas-
f/ue en 11"le el ¡"'pl'e ;'¡la main. - Sa mort.- Le penple romain lui
1I(,signe un succosscur; mnis l'Empereur Iail décréter, par un con-
cilc, f[ll";'¡ lui seul ilpparlien(lra désormais de nommcr son pl'opre
successeur au tróuc d'ttalíc, de choisir le Pape el de conférer I'in-
voslilure aux éveqnes. - l'ortrait d'Othou-lc-r.rand. - "on fils,
0l1I0UI!, contiuuc sa politique.- tl se crée un parli puissnnl dans
uome. - 1,1'8 coiutos ¡JI' la Sabine el les comlcs de Tusculum, - ti,
Pape (;J'I"goire l' el ['anli-pape .lean \rrJ.-OlllOn HIle Dissoin el
1I"11I'í Ir le Saint.-SoIIS (Oe dcruíer princc, l'Elllpire acconl« quel-
qnl' Ijl)l;l'l,' d'actíon ~l l'Église, - l lenri II it l'ahhaye do saínt-
vnnncs, - Conrad-le-Salique. - Les corutes de Tusculum, alliés
lb, l'Empcrcu:', transfnnueut le Sailll-,"i(·gl' en une sorte de fil'r.
- l lvnri-lu-voir, - Jl feinl de vouloir rcndre le privilége di'S
¡"ll'elion, pontificales au peuple romain, 1J1li le refuse. - L'Empe-
1'el11' devient mallr« absolu de la Papauté. - Le souvoraiu l'onliJ'"
n'cst pillo 1J1Il', son dél('gUi\. - Celle silunlion anormal.. eOIlI]JI'O-
1111'11.. snl tle lnllo ¡{'S (':I;1ts eilili.;,"'. --- V'I'{"';"il¡' ,rll!W I'("\o/n-
l inu.




~Rtr.onlE vn.


Décadence morale de rf:glise. -- Le, (\\I·IJ\I('''('[I.'s aill'í's ","pC'11I1,'nl
moins du Pape que de lFmpcrcur. - !','C'lni('lo oYlIllllrlllle, dI'
régénérntion, - uonastercs, - Fnurlal iou "e 1'<,,¡J,;[, l' di' r:J¡III~.-,
Les autres couvonts se sOl1l1wlleJl!" ,a 1'1';'/" 1'1 ;', ,,', 'I::!':I". '-
Les cloítres conuueuccut Ú dt/iliilHll' l!;t1JS la ,'::!idt"ll_~ ciln',ti,·lllJi'.
- Les ahhés de Cluny, voulant aJ1ranc1lil' 1" :·,:tilll-~il"gl', '" mel-
tent en rapporl avec les Lmpereurs. - 1iilllelJrallll, prkm ll/'
Cluny,-~on porlrait. - Le l':,pc U'OH J\. nonunc ¡"tI' : [('mi 111.
va le lrouvvr :1 C!UJI}. ,- ItiltlelllillJd ]'('1'11:;1.' lli: I'CCOUililill'l' 1111
Pape duus l'élu de rEJIlpcreL:J'. -- L':(lIl L\ ,e dil'if'c 11'1':; I:Ollle ('U
habil de péuitcut. - 1I "s[ al'Cfl!1Jp,lgIII' pill' IlildclHilllll,- 1.1' I'apl'
ne prenrlposscssíon du5aillt-,';il'ge,qll'a]H'i" avnir 1,IJlI'lllI]¡o:; aec!;I-
matíons du peuplc et du elerg'; romaiu. -- C(' s-ul fdil ¡cllk'l'lIle
toute une révolution. - 1I cousacre J'intl"lwllIlance de 1'I::ó1ise Ib-
a-vis c!el'J::tal. -lliltlebrand consoillerde \ iclorl l, ll'Llieune 1\,
de 'iieo]as JI el d'Alexaudre H. - JlIIII'lIa [jan', diadcme royal,
sur la tete de \icolao 11, el soustraít désormais l'élcctlon des
l'onlifes á l'Empcreur, auquel il JlI' tll'lllillllll' quune approb.uion :
acle elevaine Ionnalito. -, Les niJullllcs eCI'lc'oiil:;liques S" ,,';III'l'a-
Iiscnt, - J:é5iislallce:, locales. - ,\ lil 1111111 di' ,\i,'plas 11, n:llljJl'-
reur el les éIU.lJUi'S jombanl:i 11 ouuu l' 11 1UI'lllelll 1I t duu I'pte'; lk
I'autre, Hildchruud el Jl'o "ill'dimux (lO)IIIII"/11 ¡\ 11',\i111 t1/,1 , 1/. -
Cuerre entre les doux Plti';:;:Jl(I'l';. --- Tl'üI/lIplw IL\leul1lll'i' II el
d'Hildclnand. - C1il11i' de I:UlIle féullale. - Ili\delli'antl, Pape,
sous le nom de (;]'("(;oirc v l i, - síuuuton ll/lllale di', I'l-:[~Ii'i' cl di:
l'Empire, - Grégoire "cut realiser ct n'idbe, I'!I elll'!. la r¡'oj'urllll'
de touto la chrétienté. - Cal'iH'li're g('lléral dc son Plilili/ic;l!. -
Célíbnt des pretres. - oucrellcs du siLrenlucl' el de l'EJlIpil'l' au
sujet eles iuvesliturcs eecli":;ia:;liques. - Tliéurjl' SIIIlYl')'lJI'llll'nl;¡j"
du Sainl-Siége exposée par (; I'égoite \ 11. -- TUIIS le:; HoL' dll"-
tiens acceptent la suprématic ahsolue de la 1':I)llllIl\'. - ¡:ElJIlJ('-
reur seul la rejctle. - La gnel'l'e du ,"a, '\'rd Ill'l' el de lTI/I[,ire n\l
[amais Iranclii les Irouticrcs tic LHll'lIli1glll' el 111' lItalic, - E1!1'
était provoquée plutót par la politiquc ilf' ces rlcux pil}o,que Jlal II's
prétentíons du Pape. - Caracl\'j'{' de l'Lmpcn-ru ll.uui lV, -
Mo<10ratioll \k (;régoire it 5011 ('gill'd. - Lelll'e insultunf du
priuc« 1[1li fail d"pllsel !f.o l'ontilc par un 1'0wjl" d"'I"'lflll'S. d,'-




- 439-
pOSl:S eux-memes 0\1 schismatiquos. - L'Allemagne se declare
pour le I'ape el contra l'Empereur, - llenri IV iJ. Canossa, -
(;r(':;oire Yll explique sa conduite envers luí, - Déposition de
Ilenri 1\ par les électeurs allemands, - Guerre entre lui el
Hodolplte, son compéüteur, - Cn'goire VII veut restcr neutre;
mais il est hil'nt<JI Iorcé de prendre partí pOlll' Itodolplre.c--víctoire
d'lIcnri IY. - II S\'lIlpJrC (le 1\ollle el se fuit sacrer par Clé-
Im'llt 111, anli-j.ape. - lil'égoirc \ 11, prísonuier au chateau de
.~clillt-\ngc. __o Ho]¡crl (illiscanl le ddi\Tc. - Le Pape meurt en
1'\11. - 0p[¡ÜOIl des ili,.;lol'j¡'IIS cal/tolil[ucs el protestants, soit sur
I,'s I¡lil'rel/(', "Ii ,-;;I<'I')'rloce 1'1 de l'Enrpire, soit SUj' (;régoirc VII.
-- 1\"SlllW;. - vlission de U,glisc au XIX' siécil'. - La socíété
I'Ul'Ol'l;¡'nnc a hesoin dun sauveur.


FI\ DE LA. TAnLE DES 'lATIERES


I'llf:\lfJ:r: vot.rur..




."


<-'o


EnnAT.\.


Pn;J;c 93, ligue 14, partie, iise: POlt('C.
9;" lighe 15, puisque, iise: paree que.


112, ligue 15, sUPIn'ime; 1" mol dailleurs.
113, ligne 16, I'uctiou, tise: l'ouct ion.
122, Notr-. Vucopeusre, lisc: Va(l"ette,
170, ligue iO, II 11(' ....ougea, iisc: AIOl'S jI JII: song0U.
176, ligue 15, <tu Sacordo.:e (lI; l'Einpin, l isr: du Saer')'<1oc<' r-t de


l'Empiro,
20, MonaJ'chies. « Le' l'l'iIlCC", lisr: ~Jollart'll¡"', (l J,o,


priuces,
187, Iígno 2, ilu som.imout, l.isr: duu "'Iltilllellt.
19ft, ligue ita, pour agl'Hlldir, [isr : ('1 agt4l11dit.
202, Jigues 11 et 12, Peut-ct re, nuu-, ti«, En tOIlS ras.
207, lignes 14 ct 15, SIIPliI'iIllC: tes 1II(Ils : jll'll (i(> 1<:1111".
223, lignc 12, mais, lisc: pub.
2:':;3, lignc 10, ce gralld, 1i.'H.·~ ce grave,
263, lignü 25, LUlIi:-;, t'Olhfitl!\", ti-c: LUId", <lit-jI, ¡·OJJ...tjllli~.
273, ligue' {1 1 sll/JjlJ'iIllC: le }/Wl : el.'tte.
2D5, Iign« 23, dUlllwit, lisc : (/{lI}Il(I..
;30U, liglle 2!1, jll~qll':'t Pienc-k-Gl'lllld, Use: [nsquau l'¡'ftlH'


tl'\ \ au 1Il.
31;.>. Iignc la, L'C(ut, iisc: rcccvuit.
:Jara, ligue 8, l'l'¡.!;llC, li- c: l"l'gUC alor-,
3!IO, liglle 9, ti!' la volout«, tisc: la volout.',
3!18, ligue fl, )H'(:lld¡'c, iisc: rr--tauu-r,
:360, ligue 21, la rol!"¡"t', l isc: l'iudiguuüou,
362, ligllu 7, Ce! Empercur, lise: L'Enrpnrour,
;,93, ligue 6, I'anciou, [ise: (lite I'unci.:n.
[ti;;, liuue 1~), l'al'l'li<¡llel', lis"o l'accnJlll'li¡'.
ú21, lit.n« 22, la vir, lise: rt,·\j~l('l]C(·1


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