LE GOUVERNE1fENT REP R I~ S EX TA TI F Autres ouvrages de M. J. Stuart Mill ...
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LE


GOUVERNE1\fENT
REP R I~ S EX TA TI F




Autres ouvrages de M. J. Stuart Mill


PuMiés pm' Les lIIe'lIIes éllite/ll'.I'.


PRINCIPES J)'Éco:'\omE POLITIQrE, ayee qu('lqll(~,,-uncs de leul'!'
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BIBLIOTHEQUE DES SCIENCES MORALES ET POLlTlQ'UES


LE


-GOUVEHNEMENT




REPRÉSENT Ar-rIF
PAH


JOIll\' -STUART l\IILL


TRADUIT ET l'RÍ,ctDt D'U:\'E INTRODUCTION


PAII


M. nUPONT -'VlIITE


T ROl S 1 l~ i\1 E l~ D I T 1 U N


PARlS
GUTLLAU~nN El' ü C , ÉDITEURS


De la Collrclion des principaux Éconolllisl:'s, du Joul'llal des Écollomistes, du Dictiollllail'c
tle n:rollomil' politique,


du DictiolllJaire UII i ,eml du COllllllcrcc el de la \avigatioll, di'.
R ue Richelieu, 1. 4


1877




1




INTRODUCTIO N


Qni a jamais In un lraité sur le gouverncment
rcprésenlalif'? L't~xelllplc un l'étiqueltc de ]u chose
{~st parlulIt, la th(~uJ'ie nulle part. Ce n'es! ]las
que les apeq;us el nlt~llle les doctrines f¡¡ssunt
défaut en ce slIjet: on a dil les cItoses les pius
piljlHllltes sur la sOllvcrailleté de la raison el sur
le gouYel'llemellt de la hOllrgeoisie : tOltt a été uc-
casio n aux chcfs de parti, de cabinel, de jOlll'-
nanx, pOlll' COllllllcnter Ol1 professer le régime
SOl1S lequel iis YÍ\uient. )Ialgl'é tout, on ne pent
pas di re {{ll(~ ce n~gitlw ail suggéré ú tanl d'1ta-
hiles interpretes une teuue mélhodique et magis-
trale, {IlIelfIlIe chose comme celle de ~lontesqllieu
Sll!' 1'~\p7'it des Lois, d'Adam Smith sur la Ri-
d/f'ssr: des .. YatioNs, de TucqllcYille sur la Démo-
u'fllie (f))U:l'iCfrlUf': iI manque ici le poids d'un
line, el ce ll'esf pas pen de chose que ceUe lacune.


e'es!. forl lIien fail a une institution d'etre his-
tOl'ÍfIUe, illllllémoriale et (le remonter aux brUllles
du !Huyen ¡Ige, sans ólI'l'ir nulle part le nwiudre
vestige de raison théoriquc. Peut-etre fallt-il la
classer pour cela pal'llli ces idécs innées COllllllC
en ont. fjlleIqllefois les peuples, parmi ces choses
nécessaircs d vitales qu'une proridence judi-
·cieuse ne confiera jamais a la sagesse humaine.




IXTRonCCTION.


l\1ais ce qui n'a pas commcncé pnr In scienee
doit an rnoins flnir par lu. QUtlnd on a ótó 11'Ollrí~
dans les hois, ce qui est l'originc assigllée par
Montesquien au systórne repn~scntatif, ce n'esl
pas· une raison pour ,irre éternellcment (rin~­
tinct: se connaltre soi-mhnr: est la sagesse des lois,
quand ces lois ne sont pas llniqllemcnt pOIl!' des
casto"rs et des aheilles. Cela ferient Ü dire qu'il
faut savoir ce que l'on fait, ne mt-ce que pon1' le
mieux faire, que l'úge de la réflcxion UlTirc pOli!'
les peuples comrne ponr les individus, et qn'une
nation doit posséder une th(jorie de ses lois, alls~i
bien que de son langageel ¡le sa pruductioll.


On peut trouver étrange que ce pays, avee tan!
de traités sur les participes et sur le libre (~c1li1ngl\,
n 'en ait pas un sur ]e gouvernement représentatif.
Mais aprós tout ce n'est pas la France qui pon-
,'ait faire cela, tandís qu'elle (~tait il l'mmTe ponl'
crécr chez elle ce gOllvernemcnt, Ü travel'S tanl
d'émotions et de conflits.


Quand on est sous l'illflllf)71Ce des passioJ7s, di!
lord Byron <lans une de ses lettres, U/I Jl(' ¡{¡it que
sentir ('t uf/ir: OJl ne jJr'llt ¡){{s d/('J'¡/'(', pas plus
fju' en af/issant vous Ji(' pUlfve:s (,O/fS tUW'llf')' IH')'.'1
I'otl'ecoisill el lui couter l' aventure.


PílI'mi les Anglais, l'arellturc est a terme; i!:-;
unt franchi les angoisses et les défilós de cet eu-
fantement, depuis qu'ils ont ell pUlIr roi Ceorge lIt
un fou, dont le rógne a ótt~ sans COIl tredit le plll~
brillant de leur histoire. Permis aux }lrécurscllrs
de se faire ap(Jtrcs: il ]ellr appartielll d'annoncer
ccUe Lonne nouvelle <l'un pellple d(~eidémelit li-
hrc, de l'acontcr leur expérience, el d'expuscr




I~TBODl!CTION •. VII


COllllllel1l il!":;administrent, eOlllmcllt ils ront amé-
liorel' le hicn qlli Icul' ('st aequis.


e'est dilllS cellc idée que M. Mill vient de prell-
tire la parole: un esprit presque aussi connu de
J'Europc que M. de Humholdt, dout on suit le!""\
OIH~l'illions arec un rare plaisil', parce qu'il est
(Ixcmpt de licllx eommUIlS, ce qui est pent-etre la
gm'tlIltie des plus saines qnalités aussi bien que
des plus IHlIlIC'S. YOIIS 11e lui voyez de déclamation
Ilulle part pUlir tellir liell de faits ohsern~s a nou-
veau, de IlIWIlCeS saisies, d'opinions indépen-
dautes el n'~l1éehies. Bien ne lui arra che des
phrases: ni la liberté, paree qu'illa possede d'ulle
antique posSCSSiOIl, eomme un patrimoine; ni
les lllaux flllí semblenl inhél'enls a l'essor el Ü
I'arenir dl~ la libcrtó, paree que cette menace est
purement logiqlle, eL qn'il est (l'un esprit comme
(l'un pa1's tl'Op sagc pOLI!' ell'e conséqnent.


Tant dc calme en pared slljet me semble digne
d'admiraliun' et d'enyie.


II c~t nalllrcl cn efl'et de se porter tout d'abord
arce élall el sylllpafhie ycrs une forme de gou-
\,(~l'Ilelllenf, (lui est la forme el le noUl de la li-
herté parllli lcs natioll!""\ lllodernes. Pour ma part,
eette acclalllalioll me rait refret d'une solution.
Ce flui rait hattl'e les Cmlll'S porle en soi un mérite
moral: gngllCI' ainsi, sans alllrement d'explication,
les parl ies lucides et éle\ées de notre nature, est
un trait el une pill'tie oe la H~rité. Tont ce qui est
grand el néecssail'c es! nrticle de foi, affaire d'in-
stincl, nOlls pélll~tl'C el 1l0US gourerue, quoi que
nons eu ayulls. La libe!'l('~ illlssi bien que la reli-
glOll peut rcyendiquer ces jllflcmcnts du cmúJ',




VIII I~TRODCCTlON.


comme dit Pascnl. Oú en ~rrait l'r~póee llllJllaine;
inculte et irréfléchie cOlllme r!le ]'('~t, ~i C(~ dont
elle a besoin lui deyai! ,enir par yoie de :"y]]ogi:"me
sCllJement, si elle n'("lail pnllrruc de cerlílin~ !Ions
spontanés, de fll1elrflw intuitioll pOOl' d(\~(¡ll\Tir
ses Hns, sa discipline, el sur/out ses druil~? (ons
les préjllgés n'ollt pílS tort: ils sont en nOlls el ne
son! p<1S de nOI1S, une rt'~y('~I<1tioll pellt-(\tn~ ... On
pent les suirre jnsqli'ü HU Cl'l'lilin poilll. k~ con-
sulter al] Illoins, par 1<1 IlH~lIle r,liso!l (I!I(~ It's
nrientaux honorent lcs fOllS, cunduils 1'n1' lJi¡'lI
pUisqll'ils ne se contllliscnt pas em':-Ill(~ille:".'


Toutcfois, il y a en Hnns ,l'ílu(res prill<'ipc; de
conyiction et de condllile qne le ~(,lltillH'lll, '(111(11)(}
ce ne serílit que la H<11son ~ une f¡¡e\lIV~ il dOlll>1o
jlllplll~ion - I ílll tM ilécrHluant des' faits durí!
l'ensemhle constitlle l1lW pl'euY(~, une loi -
tantót pl'enant ílU pllls hall! (l(~ n()II~-mell1es qllel-
iJue príncipe, fJllelrJllC Hxiome qni ú lui ~(;I¡[ I'ait
regle et alllorit(~.


Cela fait de\lx jngPI1H'llls d(~ In raisoll. t!PIlX
~nanicres de cnncl\ll'f'. I ir, ¡WIII' pn'lldI'p 1011 t ¡j'(I-
hon} une haute ídée dn g(lII\('J'lll'IlIt~1J1 /'(')11'(":-;('11-
tatir, il faut le consid("J'('J' dnns ses prodllils liis-
toriques, plutul qne dilllS ses SOIIl'('(~S logiljll('S : il
est plus Sltr de le jngel' al! pnillt d(' YIH~ des J'llits
et ,les résultnts qu'en théo)'ie }Hlt'U. C"ln ¡H'li!, snlll-
hIel' étrílnge, mais la yoie synth('·tiqIlP, I'nlllll'f' ((
priori n'est pns eelle nú ¡'on COlllpl'l'lul It~ Illiell'.:
tOllt ce qn'il ynut. En reYílnc]¡e ~es IlH~J'il('s ("cla-
tent, pon!' pe11 qn'oll y nppliqlle rannlys(~ el qll'Oll
le regarde ponl' ainsi dire HYCC les y(~11X de ln ll\le.


A-la lumilm~ et ü la chalenr de ce n~gillle, YOllS




INTRODUCTIO~ • IX


apercevez ](!s plus riches eft10rescences de biell-
elre universe], de richesse concentrée, de lerh-
toire, de puissance an loiil, de forces productives.
Que l'on compare entre elles deux natiolls ou deux
époques de la memo natíon, ce jugement est in-
faillible: la plus 1'orte en ceuvres, e' est la plus
représentée, la plus libre, si vous aimez mieux.


Remontcz sculcmcnt au sieelc dernier et regal'-
dez ces dellx peuples qui bordenl la Manche: l\m
laissant déclwir ses armes, dépérir ses maJlUfac-
tures, (~ch(\ppcr ses colonics, payant de ]a Dastille
ou de l'óchafaud ses plus hardis procoJlsllIs, sans
voix et sans compensation au [ladage de la Polo-
(fne dé(fénéranL en mariue secondaíre conO'édiant b b , b
le dernier des Slllarts, réduit pOli!' loule alliance
a l'Espagne, l'impuissante Espagne, quí fut la pl'e-
miere aIliée OU Comité de salut public! ... tandis
que l'autre prend le Canada, les Indes, les mers,
créant le dl'oit maritime que bon lui semble, et
cela sans se détourner un instant des affaires de
J'Europe, melé ü lOllt ce quí s'y passe bien moins
par le lIanovre que par la plus vigilante ambition ;
y choisissant ses alliances, du droit qu'on aquand
on pJlye ses alliés; dépensant Lrois milliards dans
la guerre de la successioll d'AuLriche, eL quatre
milliards oans la gllerre de sept ans ; laissant dire
ses économistes qui se mellent jusqu'a vingt-deux
(sir John Sinelail' en a fait le compte dans son
HistoiJ'c de l'lmput) pour lui prédire la banquc-
route; descendant ü tout propos sur le continenL,
non-seulement sons forme de subsides, mais
avec le poids de Mulborough, de CumLerlund,
<le Wellington, etc ..


a.




x INTRODUCTION.


Ces deslinées si diverses ont une explication
bien simple: c'est qu'en France le gonvernement
se faisait absolu et irresponsable, tandís que parmi
les Anglais il passait a la nation, de plus en plus
libre, mai1resse d'elle-meme, représentée enfin.


Jllsqu'a la fin du xvne siecle, tOllt s'était balancé
entre les deux pays, richesses, colonü~s, manu--
factures, grandeur militaire et navale; on peut
meme dire qu'a ce dernier égard l'avantnge était
uu cóté de la FraH'ce. Mais, a partir de cette épo-
que, la fortune des deux peuples fut comme leur
liberté. La Grande-Bretagne, purgée des Stuarts,
ne cesse de grandir ; mais la France, visiblement
maléficiée, semble perdue (le Jangueul' el d'épui-
sement, u subir l'aggravation de sa monaréhie el
la ruine total e des libertés qui n'étaient pas (~tran­
geres a sa tradition. Tandis qne]a Grande-Bre-
tagne, restituée a elle-meme, se redressait dan s
ses proportions naturelles, b France, identifiée a
ses rois, n'eut désormais que leur taille, ce He de
Louis XIV sur ses fins, du regent, de Louis XV.
Laíssons la leurs vices quí leur out été reprochés
de reste. Ce n'est pas que leur cynisme, outre
leur immoralité, ne soit infiniment répréhensible:
iI me semble qu'ils auraien t bien pu faire quel-
ques fac;ons avec les apparcnces quí veulent etre
sauvées, avec le monde qui veut (Jtre trompé,
comme dit le cardinal de Belz. Mais apres tout
un polygame tel que Salomon, un veuf comme
Henry VIII, peuvent etre de grands rois, batir
des temples, changer la religion, laisser un renom
de sagesse el non moins de proverbes que Michel
Cervantes. Tout autres furent les souverains aux-




INTRODUCTION. XI


quels on fais·ait nlll1sion cn premier lieu: u'affreux
égoistcs, de unis Móroyingiens, de pllrs Orien-
taux pour la fainéantise et le fa lalisme; de telle
fa<jon qu'au lien dn Titnn quí eút été nécessaire
pour porler le poids de la mOl1nrchie alors qu'elle
se faisait absollle, la France eut simplement un
reste de grand roi el, la 11n des llourbons, aussi
défaillants, ilussi proJlres it tout pel'dre que l'é-
taíent les Valois deux siecles auparanmt.


La France, dou{~e comme on sait, est le derniel'
[lays qui deuait abdiquer au profit d'un monar-
(lue. Commcnt pOIllTait-elle tl'ouYcr l'équivalent
d'elle-meme dal1s un horllllle, ne l'ayant pas tl'ouvé
dans une c1asse, je yeux díre dans la Iloblesse
subie it bon dl'oit pal'tout aillellrs comme classe
gouvernante? L'instincl démocratique n'est pas
pure enYie: il tient aux supériol'ités naturelles
répandues chez un peuple, qui par cela meme
supporte malles supériorités factices établies par
la loi. Tel fut l'instinct de l'!talie au moyen áge:
on saÜ ce qu'elle fit de la noblesse. Par la, une
démocratie comllle In France doit étre encore
plus hoslile a . .la monarchie absolue qu'a l'aristo-
cratie: cal' un grand monarqlle, cel accidenl
heUJ'eux, comme disait un Czar, est encore plus
accidentel daos une famille, que le génie de
gOllvernement dans une classe.


Nous aVOllS parlé de traditions interrompues en
ce pays par le despotisme qu'y établit Louis XIV.
C'est beaucoup dire, et ce langage n'est pas sans
jactance. Il y a en chez nous des apparitions pI u-
tót que des traditions de liberté, et 1'0n sait




XII INTRODUCTION.


qn'en 88 il faIlut fnire nppeI nI/x ól'lldits ponr 1'0-
trollver une loi électoI'nlo. Le fait est (1110 nol1'(\
histoire ne nous onseignait nullement la liberté.
Le jour oú la Frnllce voulut etfO libre, elle out
fOllt a créer, Lout a itnenter dans ceL ordre de
raí ts; ce qui est une sÍtllation violente dnns uu
monde oú la loi de conliIlilÍfó ll'est pns moins
certaine que la loí dll pl'ogTes. Cependant, iI faut
mnrcher, l'avenir appelle les pellpIes. Qnílnd un
n'a pns pour cela l'impulsion du pilssé~ jI faut lJi(\n
se confier a In Rnison : Ü llloins do Jll,u'qllel' le P¡¡S
éternellement, ce (fui est une Sollltion llltlUSSilde
el non moins chimérirlllC que le pUl' essor dnns
les espaces de In thóorie. ,


II vaut mieux échouel' ¡'¡ l'ccnvre de progn'~s que
d'en désespérer: cnl' ],pfl'ort est un jll'éct"dent,
l'insueees lui-memo cst. llll prollliel' paso Ce que
tout un peuple a vouIn, l'üIH-il vouIn trop tUt, est
un bien qui múrira ponr lui, qui récompenseril
un jour ses grnndes et dispendieuses nspÍl'ations.


Telle fut en 89 1 'andaee de laF'rance. JI y ay[lÍ!
en ce temps-Ia lIne croynnee univel'splle au\: droits
humains, une conliance nOIl 1ll0illS IIlli\erselle
dnlls la rnison eornIlle capahIe de J(~~; COJlflllt'l'ir et
de les rédiger. Les d)'oits des lunmnes )'(:uuis en
socüJté, disait Turgot 1 J7r son! JWs !()Julés Sil)' ICllJ'
histoire, mais su/' Irl{)' }lr!lItJ'f'.


Jamais il ne fut tallL queslinll de la nature eL de la
raison qll'nll dix-huitiell1e si<~elc. C'était ce qui-
malHllwit le plus: l'avantnge de la société S\l1' ses
gOllvernements fnt d'étre la premiere ü sentii' par
ou elle péelwit, el de le proclmncr par 10l1s se:-;
tribuns. Écoutez .\lirahcau : 11 Jl'y a d'inuJluablf'




I:'ITHODUCTIO)¡. XIII
que la raison.:. ellc(tJlil'a par domptcr, OU, ce
fJui l'{/llt mÚ'l(.r" par 7nodáeJ' t espece /wmaine
r·t .r¡OUC(Tll(')' tOllS fes yOlluernements de la terre:
¡lhlJJS est le tyran, mais la Raison est le soui'eraz'n
du mond(· ... El quand la llretagne redcIllUude
ses.J~'tats, comme illui rait la le~on ! Ce n'est pas
rlrms de vif'illrs cltrfl'tr·s flu'il faut cllo'cher les
droz'ts r!r1 fa '!latio71, e'est dans la raiso71 : ses droits
sont aJlci('Jls cOJnme le [r'mps el SflCJ'/S comme la
JUltm'e. A la Jongne, cela de\'ient insoulenable. Il
n'ya pas jnslJll'an roí (lui, dans la séance royale
ti 11 -Í ft'>rricl' J 700, ne fólícite au nom de la Raison
les déparlcmen ts Sllbstitués aux pl'minces !


Encnre ([uclques années, el ce pCllple devera
des alltels Ü culto (lt'~csse. Ponr le momen!, il a
cenf coudóes, JI tOllche au'X 11l1es, cherclwnt nn
nOUyeilll I1wnde comIlle Christophe Colol1lb, sur
la foi d'nl1e idée : et cela, je YOUS prie bien
de le remarquer, sallS que l'idée 11uise au reste.
Si l'EuI'ope n'est pas contente, YOUS yelTeZ ces
idéol,ogues meltre pied h terre et s'expliquer
avec les coalitiolls : une foi fluí prend les armes,
ulle forLe inl'ilIlterie, tontes l'ót1e_üons faites. e'est
'lit qu'eslle Gallicisme! La postérité le dira quel-
que jou\' : le grand courant de l' esprit humain a
passé par la France; de Grece et de Judée, le
Verbe e::;t venu en ce pays ou l'attiraient les
éclail's d'nne langlle et d\me épée incompara-
bIes: il s'est faiL nation, drapeau, victoire ... et
l'on peut placer ici une des foudres de Bossuet :
·Glaive du SeigneuJ', quel coup vous t'enez de
¡rapper ! toute la teJTe en est émue.


Parmi ces idées triomphanles dont elle tient




XIV INTRODUCTION.


école, la France eut tout d'abord ridée d'(dl'e li-
bre : elle l'eut en 89, avant les orages, et qnane]
elle avait encore la sérénité de son jugcment.
Qui est-ce qui a donc voulu nons persuadel; que
nous avons, pour toute passion politiqlle, ceHe
de l'égalité! Hérésie, sophisme d'antichambre.
On calomnie la France en la comprenant ainsi :
ces interpretes n'y yoien t pas plus haul qu'eux-
memes. Lü-dessus nous savons désormais a quoi
nous en tenir : on y a reganlé, on est remonté
aux cahiers de 89, el l' OH Y a trouvé (dcrn1cr éclat,
de1'111e1' service d'un penseur imlincllt) que la
France tout entiere bourfreojsc sacenlotllIe , ~ o' ,
nobiliaire, avait donné mandat ú ses déput(~s de
fonder le gouvernemcnt représentalif. Non, sur
l'ame et l'honneur de nos pcres, jI ne s'agissait
pas seulement alors d'abaisser des priviIéges, d(~
dégraderdessupériorités! ce qne voulait la Fnll1ce,
c'était de se constiluer et de s' élcver loul entiere,
de se niveler dans l'exaltalion de tous, et non
autrement. S 'il faut un passé aux choses, une tl'il-
dition aux idées, un pl'écédent aux instÍtlltions,
ce titre ne manque pas aux inspiraLiolJs lihéraIes
de la France, il est écrit dans le mandat unanime
el impératif émané d'elle en 89.


Depuis cette époque iI n'cst yenu a l'esprit de
pel'SOnlle que la France pút appartenir a un homme
el se retrouver aux pieds d'une dynastie. Quand la
dictature a reparu, avec l'excuse de qllelqlle grand
homme, de quelque grande alarme, il s'est 'passé
quelque chose de tl'es-signitlcatif. 11 a fallll fln'elle
reveLit les formes et prit les couleul's de la libertó:
un aveu des dl'oits de la Fri1l1ce.




INTRODUCTION. xv


Que la France el la liberté soient faites ]'une
pour I'autre, e'est le jugement de tous a ceftaines
heures clnirroyantes comme la mort OH comme
I'adve'rsité.


On a vu tel souverain reyenir de l'ile d'Elbe,
telle dynastie rappelée de l' exil, telle coalition a
force de défaites ontrer dans París: ce qu'ils ont
appris les uns et les nutres, ü travers t;-mt de for-
tunes, c'es! le droít de la France sur elle-meme.
A rlle el' Ell){', llisait X apoléon,j' ai entendu comme
dans un tambeau la voix de la postérité. Ce fut
alors une effusion d'actes additionnels, de char-
tres octroyées, de constitutions sénatoríales : un
retour et un emprcssement de tous vers la li-
berté. Remarquez, s'il vous plait, que tous en leur
temps l'avaient, Oll détruite, OH sacI'ifiée, ou com-
haHue : mais il n'1' cut personne a ee moment
lucide, qui ne l'appclat comme le salut commun,
eomme le seul régime ou la France put vivre en
paix avec elle-meme et avec l'Europe ; ]'acclama-
tío n fut universelle : nul n'y manqua, ni les
vieux conventionnels fortement dé guisé s qui re m-
plissaíent le sénat, ni les intérels et les opinions
qui siégaient a I'Hótel de Ville, ni cet intelligent
émigré qui revenait d'I1artwell et dataiL du di x-
huitieme sieclé, ni l'au tocra te iHuminé de toutes les
Russies, ni la froide raison des représentants de la
Grande-Bretagne, ni l'éveque d'Autun eL ses amis
dont l'expérience ramassée a tant de sources,
dont la tolérance fameuse devint croyance a ce
moment : une croyance ou se fixa leur vie et leur
tidélité. Grand spectacle devant lequel on peut
bien s'arreler ! Il Y a apparence que ces chefs d'ar-




XVI IXTHODUCTION.


mée ou de lógatioll, que tOIlS ces souverains, I¡¡nl
vainqllellfs que vaincus Oll res taurés, savaien t les
afI'aires, l'lJistoire, l'esprit el le poids de la Frilllcc.
lIs avaienl été a terrible éeole! Plus on ólilit
grand, plus on avait tremhlé ! 01', on fut unanillle
a ces hauteul's illmninées par la foudre, el pen
hantées d'utopie ou de dómagogie, on fut, dis-jc,
unanimc el i1l1périeux a vOllloil' eette cl61ul'e Iles
balailles el des eataslrophes : le gouVCl'llenwllt
de la Franee par elle-mell\('.


OH voit corimlCnl est lJ(';e dieZ 110l1S la lihert(~ :
lúer ou avant-hier, toujours en hOlllieu, sans tl'a-
dition de longue date, mais non sans combinaisol1
el sans PJ'ovidellee. Jamais pelll-etJ'e OH, /le ,jI
au berceau d'une institnlion ceLle maturilé de
eonseils, tanl de sagesse délibérée, tant de l'ili-
son y compris· la raison d' lhat. Le trailé de
\Vestphalie n'esl qll'llne convelltion postale, COlll-
paré a ces IH~gocialions sans bornes flui s'excr-
(~aient sur la mappenwlllle, sur le sort des dyllas-
tie, fluí tOllchaient lll(\nw aux droits intimes el
pour ainsi dire a l'tune de la France.


Le fait est que l'Eul'ope, apres vingt-cinq LlllS
d'éprcllves, prollonyait sur le gou\'ernCllWl1t de
la France lout comme la France l'anlit fait e1le-
meme en ~9, au début des éprcllres : eL les dCllX
choses l'éllnies ne sont peut-eLre }las dépourvucs
de sens, d'aulorité.


1
Pcrsonne ne se trompaít en voulant la France


libre: iI faut dire aussi que la liberté ne trompa
personne.




INTRODUCTION. XVII


Je "ais tont u'ahord il son plus grand titre, au
progrcs mora] qu'elle répanuit soit uans le public,
soit uans ]e gourernement., sous forme de droi-
ture, d'humanité, de modóration, de sentimcnt
des conyenances et tIc rIlOnneur. Les rapports
entre gOllvernements et gOllvernés uevinrent alors
ce qu'ils n'avaient jamais óté, - l'État cessa d'e-
tre le fallx monnayeur, le hanq neroutier, le Dra-
con flu'il était si volonfiers autrefois. Il fit cet
etfort de payer ton tes ses deUes. Il tellljH~ra la
terreul' (IU'il avait mise dan s ses codes, il l'article
des complots et meme un pen partout. Les crllau-
tés dispal'lIrent : la peine de mort, qui n'en est
pas une, de\i11t elle-meme plus rare dans nos lois,
plus rare llH\me dans la pratique; iI serait rnal-
séant de ne pus l'appeler ici que le droít de grace
s'exer~a quelffllCfois d'une maniere rnagnanime,
hérolque. La justice soup~onna qn'un accusé n' est
pas nécessairement un coupable, et ses arrets,
cornrne ses procédós, s'en ressentirent. La poliée
jl)(~me el la prison eurcnt leurs accomrnodements,
lelll' dOllcellL


On serait dósolé de faire des phrases. Cependant
il faut hien <lire qn'on se lit alors une iuée- assez
haute <In traitemüut quí cOlnient aux hornrnes, en
cette silllple qualité, fussent-ils negres, malfai-
teurs, insolvables, écoliers, soldats, fous a líer,
population d'h6pitul. J e ne sais quoi d'humain et
de sensé pónétra partout. On abolit la traite des
noirs, les IOleries, les maisons de jeu. On établit
de toutes parts des écoles primaires et des caisses
.d'épargne. Mais surtout on inventa, OH pratiqua
me me jusqu'a un cCl'tain point une vertu nouyelle,




XVIII INTRODUCTION.


c'est-a-dire l'honneur poli tique, la fidélité des
hommes et des partis á leurs engagements, a leH!'
passé et meme a leurs erreurs. e'est qu'en etret
le respect de nos erreul'S fait partie un respect de
nous-nH~mes : une expiation quelquefoís. Si vous
changez de conduite politique (je ne parle pas du
changement (l'idées : somll1es-nous maitre de nos
idées'1) sons prétexte de la lumiere qlli s'est faite
en vous, de l'ancienne errenr qui vous a quitté,
vous lenez le langage des acrobates, je vous pré-
viens de cela; el il vous reste a pl'ouvel' que vous
n'enavez pas les sentiments.


Enfin ce pays, qui n'avait encore eu, comme
dit M. Thiers, que l'éducation pen lIlol'ale dl1 des-
potisme et des révollltions, pl'it des mmllrs nOll-
velles en s'adonnanl aux pratiques viriles de la
liberté: une émancipation qlli est Slll'tout disci-
pline et responsabilité. Il parut) iI s' établit parmi
n~)Us, gruce aux influences parlemen taires, un
adoucissement et une élévation génél:ales qui leur
ont survécll, s'imposant et protltant ü tout ce flui
les a suivies. Je sllpprime les détaiIs : je l'apl'clle
selllement que telles révolutions éclaterenl, sans
échafaud ni hanquerollte : que tel intérim de Lous
les pOllvoirs publics dont noos avo/ls d(~ téllloins
ne fut pas le déchainement de tons les méfaits.


C'est que la liberté est un cours permanent de
1l10rale publique. Commo l'égo'isrne dns castes' et
des dynasties a cessé d'etfo un droit et n'ose-
rait s'avouer, comrne les partis se perdrnient it
penser tOllt haut... On ne peut user de la fa-
elllté de tout tlire que pour professer ]e hien lm-
hlic, ce qui cst d'une ccrtaine cOllséquence. Al!




I;\TRODUCTION. XIX


1'on(1 des camrs, JI reste toujours des rnotifs bas,
des passions cupides; mais il n'en peut sortir qu'un
fJ,ljJ()sé df> l'J'!tr.rff>s éminernrnent propre a cultiver
le sens mOfal des peuples, a fortifier les principes
\\a\'(',l\\s UQ. b. eOllsÜ\'uÜcm, a l\C'x l~~ (',()l\d\\\te~
par le langage et peut-etre rneme la conscience
d~ l'hypocrite par ses propres déclarnations.


En meme temps qu'elle était l'éco]e des rnceurs,
]a liberté [llt une explosion des capacités poli ti-
ques répanuucs uans le pa-ys, jusqlle-la inertes
et pcut-etrc ignorécs d'elles-m(~mes. A l'appel
des élections, aux éprcuves de la tribune et du
gouvcrncment, qll vit, sous un aspeet nouveau
ce que e'est que ]a Franee et ce que vaut la li-
'Jerté. D'oú venaient-il5 donc ces ministres, ces
orateurs, cdte assernlJlée quí dllrait encare en
1820, et dont I'óloqllcnce était le rnoindre rné-
rite? D'oú tomhaient-ils ccs inconnus, étrangcrs
jusque-la aux afI'aires publiques et qui parurent
tout a COllp ayec tant d'éclat et de services? Il
est certain qne la France eCtt beaueoup perdu a
laisser ((ans l'ombre ceUe partie d'elle-meme: et
ron }lent doutel' qU'IlIl monarque absolu eut été
(lécolnTir el mettrc en 111n1Íi~l'e ces précieux ser-
viteurs dont l'un osa hien dirc qu'il fallait plantel'
le dJ'ajJrau J'O?Jal au milieu du pays : forte parole
que l'on n'eut garde de comprendre.


Outre l'occasion politique olferte aux esprits,
la liberté portait en elle un principe de vie qui
éclata dans la renaissance des arts et des leUres.
En quel ahime était tombée la France ! l'école de
David, les romans de Piguult-Lebrun, d'infiniment




xx INTRODUCTION.


petites comédies élaien t toute la joie de nos
peres. Au sortir de ceUe indigence, nous ellmes
<les podes d'une lyre inouie, des érlldits u sens
pittol'esque, des critiques faits comme des his--
toriells, talldis que les historiens eux-memes tou-
chaient 11 l'art et a la philosophie. Chaque genre
s'élevait au-dessus de lui-meme, manié par des
esprits pllissants et créaLeul's. Nous eúmes sur-
tout des philosophes de l'histoire. II n'est pas
besoin de dirc que ce-s grands csprits tirent école
et rallumerenl tOllt ce qlli s'éteignait, les éLndes,
les gOllts, les muyres : on peut etre bref lu-desslls,
jamais généralion n'ayant fait son propre doge
comme ceUe a l-aquelle on a l'honneur d'appartenir.


En revanche, on ponrrait etre prolíxe sur les
bienfaits économiques de la liberté; mais cela cst
sujet a certaines distinctiolls.


Il n'est pas clair que tont ici appartienne uni-
quement el nécessairelllent ti la liberté_ Quelqlle-
fois un pellple se ruc en fahrique et se livrc éper-
dUlllcnt ti ses facuHés productives, parcc flll'il a
long/cmps puti el qll'il rencontre, apres maintc
angoissc, unc liberté ou une sécurité l'clatire.
Telle fut la 11"rancc, soit SOllS I1enri IV, soÍt SOllS
la Hégence ; et l' on pourrait atlrihuel' ti la meme
cause cette reprise, cette ferrcnr des alfaires quí
se montra des lcs premieres ilnnées de la He~­
tanratíon. POllr peu qll'une na/iolJ respire, tont
d'abord ellc se lllet Ü ,iHe: t:cla cst si naíurel !
et elle y porte ce besoin de l'éfection flui sllccóde
Ü l'épuisClllent des Iongs ctI'Ol'ts, lIne ardeur et
une vitalité de cfJJl"alescent. - Toulefois, dans
le progl'es écollomiqlle de la France, uellx choses




INTRODUCTION. XXI


tiennent visíblement a la liberté; je veux parler
du crédit public et des développements de la Ban-
que de France.


Payer totItes les deHes de l'Ihat, meme les dettes
contractées par le prédécesseur, par l'usllJ']JateuJ',
c'est ce que fit le gouvernement de la Restaura-
tion, et cela sent tout d'abord un gouvernement
responsable.


Le bénéfice en fut immédiat; on revit des em-
prunts, ce que la France avait eu le temps d1ou-
blier depuis 1\1. Necker. Je trouve dans un écrit
de l'abbé de Pradt un fait peu connn, je crois,
l'hístoire d'une tentative d'emprunt sous I'Empire,
la seule qn'on ait vu a cette époque. Il s'agissait
de douze millions demandés par le roi de Saxe
a la place de París, a dix pour cent, avec l'hypo-
theque des mines de sel de Viczica, avec la ga-
rantie du gouvernement fran9ais: or, sept mil-
hons' seulement s'offrirent sur toutes ces súretés,
et encore la bonne moitié en était fait"e' par l'Em-
pereur. Tel étaíta cette époque'l'état· du credit.
Grace a la liberté, la France envahie put emprun-
ter, faire honneur a tous ses engagements et
fermer, non pas précisément l'abime des révolu-


, tions, mais celui des banqueroutes. Qui osera faire
désormais ce qui ne se fit pas apres vingt-cinq
ans de guerre, dans l'épuisement des défaites et
de l'invasion?


Qllant,a la Eanque de France, elle prit le carac-
tere d'un établissement privé, indépendant, sur-
veillé sans cloute par l'État pour le bien du public,
mais non exploité par l'État pour son propre bien,
au 'gré de ses besoins. Notez que ce caractere-




XXII INTRODUCTION.


est le seul ou cet établissement puisse servir le
public et l'État, surtout l'État. Est-il dans la dé-
pendance du Trésor? il passe pour manufacture
d'assignats, et tout est perdu: il ne faut plus
compter du moins sur ces avances de Banr¡ue,
qui sont le salut des États modernes, quünd l'ag-
gravation de l'impol est impossibIe, et que les
emprllnts sont a bout : avances qui s'éleverent en
Ileux années, apres la révoIution de 1830, il cinc¡
eent einquante millions. Une banque d'lhat n'a-
vanee en pareiI eas qu'un papier suspeet, décrié,
qui représente les besoins de l'État et ríen de
plus; . tandis que le papier d'une banque privée
représente les produils induslrÍels donl iI est la
eontre-valeur. 01', le pret, l'avance de ce papier
signifie la confiance inspil'ée par l' l~tal allX classes
productives dont la Banque est l' Ol'gane et le foyer.
)Iais, pour créer une banque a earaclere privé,
pour la fonder avec des garantíes contre l'assi-
gnat capables d'inspirer confiance, il faut un en-
semble d'instilutions oú tous les droits pri\(;s
aíent leurs gal'anties publiques, oú personne ,le
puisse elre violenté dans son industrie SOI1S all-
cun prétexte, meme quand ceUe industrie est
,1' émettre du papier au porLenr, meme quand le
prétexte serait une raison, celIe des uesoins de
l'État. e'est ainsi que la llanque de France a
connu ses plus hautes prospérités, a rendll ses
plus éminents ser vices : presqllc tout le bien
(Iu'elle a fait dans nos crises est. imputable il cette
base de droit et de liberté qu'elle acquit. sous le
régime constitutionnel.


Voilil ce que devinl la France, une fois mai-




INTRODUCTION. XXIII


tresse d'elle-meme par ses institutions. L'ascension
fut rapide : on la revit tout a coup, avee le poids
quí appartient, <lans les équilibres européens et
dans le mouvement des affaircs ou des esprits.


S 'il Y a des ombres a ce tableau, et il y en a, on
ne veut pas les dire: on ne laisse pas que d'etre
dans le vrai, ayant montré les aspectslumineux quí
remplissent presque totIL


Mais en altribuant tont cela a la liberté, aurait-
on eommis par hasard eertain sophismc quí est
de prendre la suite des clIOses pour leur eonsé-
quenee, et de dire :' Post ¡we ergo pJ'opt(!)' ¡lOe?
Aurait-on pris pour l'effet de eertaines instillltions
une grandeur quí n'était que leur eontemporaine?
.le ne erois paso Dire que les nations sont grandes,
paree que les hommes sont grands, paree qu'ils
out des droils el des garanties, e' est-a-dire de
l'orgueil et d~ la séeurité, il me semble que e'est
rapporter },(,(1et a sa cause.


Vous me direz qu'un pays peut etre grand
dans l'obéi~sance, s'j] eroit aux dynasties ou aux
castes qui le gOllvernent sans qu'il s'en mele. -
,Cela est vrai; mais ce peuple ne saurait monter
aussi haut qlle celui qui eroit en lui-meme, qui se
gouverne lui-meme, oú l'esprit, qui est la force
humaine pour conduire les affaires de ce monde,
ne se borne pas proprio motu et ne se refuse nulle
occasion, nulle gymnastique.


Ainsi le gouvernement représentatif a ponr luí
le témoígnage imposant de l'expérienee la plus
décisíve, expérienee nationale, expérience voi-
sine, partout couronnée d'ordre, de richesse et
de tous les succes ou peut prétendre un peuple.




XXIV INTRODUCTION.


Bien lui en prend d'étre aussi solidement assis
dans les faits et de pouvoir montrer ce qu'il sait
faire el'une nation. Car au point de vne théol'ique,
envisngé á priori, il ne fail pas une grande fi-
gure: c'est du moins une des notions qui ont le
plus besoin d'etre expliqllées, et qui comportent
le plus de cas réservés ti des temps moiHcurs, ou
meme exceptés absolumcllt. 00 ne yoiL pas que
le gouyernement représentatif reponde tout d'a-
bord a quelque grnnd idenl, OLl de liberté, ou de
,-ertu, ou d'universalité. .


En premier lieu, la plus haute maniere d'etre
libre, ce p'est pas d'étre représenté; c'esL (rétre
souverain en personne sur la place publique, c'est
cl'exécuter directement a ciel ouvert (qunnd le cie]
le ·permet comme en Grece) ces grands exercices
politiques qui consistent ti légifére~', a juger, a
élire les mügistrat?, a decréter la paix ou la guerreo


En second lieu, on pout dire, comme a fait Mon-
tesquieu, qne le príncipe de la républiqlle esl la
vertú. Müis a l'égard du représentatif, en est-iI de
meme? lei touL dépcnd de ce qui sera représenté.
L'ignorance, l'ineptie, les vices, l'égoi"sme ont
un droit douteux a se faire gouvernement ou ins-
piration de gouvernement. Hiehesse et noblesse,
prises en cette qualité seulement, ont un titre
politique qui ne vaut guere mieux : leur égolsme
a laissé certains souvenirs. Ainsi, on ne peut
pas dire que représentation soit le nom d'une
chose essentiellement bonne et désirable, comme
la tolórance religieuse, l'impot proportionnel, la
publicité judiciaire, etc., etc., la chose ne vaut que
par une infinité de conditions qui ne tiennent pas




INTRODUCTION. xxv


dans son nom, et qu'il faut ajoufer a son essence.
En troisierne lieu, il est cIair que ce gouverne-


ment n'est pas applícable partollt. Exceptons d'a-
bord les peuples ou les trihus qui ne supportent
allCUll gouvernement, tels que les sauvages de
l'Arnérique du Nord : ils ont al1 pn~alable quelquc
cltose a apprendre, une f()~on, une con trainte a
opérer sur eux-memes, qui est de savoir' obéir.
Cela ne vient }las illlX hommes aussi facilement
que nous pourl'ions le croire: et pour peu qu'on
y pense, on s'aper~oit que ce progres est peut-
etre morillement supórieur a celui par lequel ils
veulent etre libres. Comprendre le droit des autres
est encore mieux que de comprendre son droit.


Telle est la difficnHéde ce progres, qu'il n\ en
a guere d'exemples. Tel est l'attl'ait de la sauva-
gerie qu'on la voit plut6t conquérir des civilisés.
que se convertir en civilisation. Il est fOl't ima-
ginaire de dire avec Condorcet que les hommes
commencent par composer simplement des tribus
de chasseurs, qu'ils s'élevent ensuiLe ü l'état no-
made, pour se fixer enfln dans des champs ou
dans des manufactures. Ce! itinéraire du progres
est de pure fantaisie : et le progres lui-meme n' est
pas partout. Les nornades surtout tiennent prodi-
gieusement a leur maniere d'étre : les Tartares et
les Arabes menent encore la vie d' Abraham. Le
degré inférieur a ceHe civilisation, la sauvagerie
pure, est peut-etre plus maniable, plus suscepti-
ble d'avancement. Quelques récits du moins le
donneraient a croire.


Un voyageur croit avoir VtI une armée de qua-
rante mille Cafres, sous un roi dont le bon plaisir


b




XXVI INTHODUCTION.


est de se faire apporter toul vifs des éléphants
sauvages par ses sujets velus et arrnés seulement
de javelots. VOiHl un peuple gui est arri vé 11 la
phase d'obéissance, guí pourrait etre EUl'opéen,
continental, représenté. Ce peuple porte en lui UI1
principe de cohésion et de centralisation. S'il
existe, il me semble promis au plus bel avenir, et
pourra incormnoder les Anglais du Cap.


Classons encore comme incapables de représen-
latian ces nomades dont nous parlions tout a
l'heure, cette populalion errante des steppes, atta-
ehée a des troupr.aux: une civilisation ou suftisent
l'herbe et la famille patriarcale. Ce n'est pas que
ces pasteurs aientl'aversion detou! gouvernement,
mais 11 cel égard leurs besoins sont bornés: il
leur suffit de cetteloi tm'tare, ouservée par un
missionnaire, laquelle prépose chacun a la garde
du voisill et rend chacun responsable dn hétail
volé. Quand on a l'espace, on a l'ordre el la paíx.
L'espace manque- t-il aux nomades? ]e paturage
trop étroit est-il disputé? IJs ne s'en gouver-
nent pas plus : il arrive selllement que les plus
raibles émigrent COrIlllle uno avalanche, se répan-
dent, débordent sur l'Europe, sur l'Inde, sur la
Chine, font en passant la fOI'Íune de quelque At-
tila, de quelque Gengiskan, et finissent, faute
d'esprit (lequel ne se cultive guere a la suito des
troupeaux), par s'assimiler a leurs vaincus,Latins,
lndous 011 me me simplement Chinois, quí ont.
l'avantage d'une éducation pllls avancée.


11 est telle espece de civilisés supérieure aux
nomades, qui ne se prete pas mieux au gouverne-
ment représentaLi f : je veux parle!' des peuples




INTBODUCTION. XXVII


orientaux, Ies(IlleIs s'adonncnt a la théocratie et
yivent de relígíon. Commc toutes choses au monde
leur semhlent régl('üs par nn décret d'en haut,
par une préordination divine, ils n'auraient garde
d'y toucher. Pourquoi nommeraient-ils des re-
présentants, des légisIatenrs? leur loi est toute
faite: c'est le dogme; et les pretres sont leurs re-
présentants tOllt trol1vés.


En avons-nous finí avec ces excIllsions, ces in-
~apacités? pas encore : iI nOllS reste a noter un
cas éclatant entre tous, jo dirais presque une
sllpériorifé. Il s'agit de ces fortes races qui ont la
révolLe dans le sang, oú circulent la séveet le fen
de l'individualisme, ou chaque hornme s'érige en
souH~rain. Ce ne sont pas elles qui vont déléguer
Ieurs pouvoirs et régner par procurenr. D'ailleurs
res races ignorent l'llnité de la loi parmi des po-
pulations nomhreuses et sur des territoires éten-
dus. Elles ne connaissent pas ce grand accord
pour ohéir qui fait les nations et les troupeaux. A
ce compte, elles n'ont que faire d'etre représen-
tées pour etre lihres; leur rnode de liberté est
individuel, Ienr gouvernement est direct. Vous les
,"orez se camper fa et H1 en petits groupes indé-
pcndants, comme les cités de la Grece antique,
comme les répuhliqlles d'Halie au rnoyenage. -
Ne les jugez pas au nombre et a l'espace. n n'y
a rien de si grand sous le soleil qu'un hornme
libre, et ces peuples, dans la folie de la liberté,
ont fait et ont dit des choses dont nous vivons
encore. Bref, iIs sont trop grands, trop fiers, pour
etre représentés : l'hurnanité perdrait a ce qu'ils
ne fussent pas sonverains eux-mernes.




XXYlII ¡;'.;THODUCTION.


Par ce qui lui manque de ce coté, par ce qu'elle
possl~de d'ai!leur~, J'Europe convient de tout point
au gourel'nement représenlatif. Un certain fond
(1'()J){~i:;;sance, nulle obsession de l'idée religieuse,
des e:;;paces el des nombres qui ne peuvent songer
au gOllvernement direct : \oil:'t nos titres, quel-
'ques-uns tres-négatifs, pour nons gouverner par
"oie de repr¡~sentants.


Mais encore que l'Europe soit au point voulu
pour ce dcgré de liberté, n'en youlant pas moins
et n'en pourant pas plus, il s'en fallt de tout que le
gourerllement représentatify soit compris partout
de la mcme fa<;on. JJeallcoujJ jJJ'ennent le thyrse,
nwis peu sOlltillSpiJ'és da dieu, disait Orphée.
Le fait est qll'iry a plus d'une race, plus d'lIll cou-
rant d'esprit a travers l'Eul'ope, et cetle diversité
parail dans la dlOse que tous appellcnt du meme
Hom et croient peut-ctre pratiqller a l'unisson.


Il n'est pas bien surprenant qu'il y ait plusieurs
manieres d'entendre la politique, puisqu'il y en a
plusieurs d'entendre la métaphysique et la moraJe,
c'est-a-dire l'esprit et le devoil' humain. Quand il
y a diverses notions de l'homme, de l'indivídu,
,comment n'y en aurait-il qu'une du gOIlYcrncment
des sociétés humaincs'? Sllrtout si nOlls chcrchons
,ce gourernement en elles-u)(~mes et non plus a
l' extl~J'ieur en quelfIue sorle, au hasard, a genoux)
parmi des dynasties 011 des théocratics absolues.
Le fjollU{')'llement, s'écriait un jOUl' M. Cuizot, est
le plus fji'and emploi des j'acllltés Iwmaines! Oui,
a coup sur; mais quelles facultés avons-nous au
juste? Il me semble que cela est ü considérer dan~
.le probleme du meilleul' gouvernement.




1 ~T HOD l; CTION. XXIX


r a-t-iI en nous une faculté (la Raison, je sup-
pose) pOLIr saisir spontanément la yérité abso]ue'?
eette vérité n'a-t-eIle pas un rayon quí s'appelle la
.Justice et qui s'impose a notre yolonté comllle re-
gle, comme diseipline, eomme devOIr enfin'? Ce
devoir n'est-il pas pour les gouvernements comUle
pour les individus?


A. toutes ces questions, si vous répondez oui,
vous concluerez d'abord au gOllvernement de la
nation par elle-meme, vu que rien ne garantit une
corrélation intime entre ce qui naH sur le trone
el ce grano devoir de justice; - puis au gouvel'-
nement de la nation par les meillf'l{),s; toujours
en vue de la justice, qui n'est pas plus le fait de
'IOl1S que du pl'emier-né d'nne reine; - enfin, H
'des procédés pour reeonnaitre et instituer eette
élite politique, eette somainereté des meillew·s.


Cela veut, dire, mis en CBuvre et traduit en lois,
que certains aUfont le <11'oit, en vertu de leur mé-
fite présumé, d'élire le législateur ou meme d'etre
dus législaleurs. Il faut bien que la garantie des
·choix se rencontl'e qnelque part : iI est meme spé-
·cieux de dire qll'elle doit et1'e partout, c'est-a-díre
·chez le mundalail'e comme ehez le mandant. En
deux mots, suffl'age 1'esl1'eint, eens éleetoral, cens
.d'éligibilitr., tel est le mécanisrne qui découle des
principes ei- dessus. Ceci ne représente pas rnoins
que le gouvernement et les éleetions que nous
·avons vu fonetionner en France de 1814 a 1848.


On va me dire que j'oublie la royauté, en par-
aant du méeanisme éleetoral eornme si tout le
gouvernement sortait de la. Oui, je fais volontiel's
abstraetion tIe la royauté; rnais les pays libres


b.




xxx I:.'\THOOCCTIOS.


n'en ront pa~ d'[llltres, ohIigeant In eOllronne a
user de ses droits comme l'entcndent les r('pr(~­
sentants de la natíon, pnl' exemple en ce qui ton-
che le choix des ministres et des chamheIlans, la
politique extérieul'e, le droit de gráce, etc., el c.
Cela ne s'écrit pns, mai~ cela se faiL : de teIle fa-
(,'on qu'on n'est pa~ cOllpahle d'ollhIier le fond des
cho~es, a parler d~s éIecteurs et des éIus comnw
décernant OH exér~~ant le pOllvoir sOllverain.


Pellt-etre rejetez-vous les uonn{~es qu'on expo-
sait tout a l'heure : raison, ülées ahsolues, jnsticp,
den1Ír? vous arri"ez alors pn1' nnemétaphysiqueet
par une morale toute différente tl une maniere non
moins diffél'ente de comp1'endre le 7'fpJ'/se~ltatlf.


Si vous rédllisez l'homme allX sensations, yoici
son programme et ses limites: iI aura, comme
etre sensible, des impressions de peine et de
plaisir : iI aura, comrne {·tre intelligent, l'idér
qu'il faut fuir l'une et chercher l'autre; iI aura
enfin, comme etre moral et actif, le mobíIe con-
tenu dans ceUe idée, l'implllsion des iiltérets.
N'ayant pas autre chose dans tOllte sa suhstance-
individuelle, iI ne saurait fournir une autre base
aux constructions politiqlles et sociales.


Je sais tous les elforts, tOlltes les contorsions
de l'utile, pour s'élever et se rnffiner ... JI ya des
¡Hines et des plaisil's de tonlre mm'al; il y a des
intél'ets comme eelui de la patrie, eelui da salat;
il y a une 7'fncontJ'e, une (lision incessante de
tutile avee le juste.


Tout cela ne me i>assure pas sur la politiqlle
. 'luí peut naitrc de ce príncipe, quand je yois
Hobbes, un esprit fameux pour sa droÍlure et sa




INTRODUCTION. XXXI


rigueur logiqllc, don1 on n'a jamais, que .le sache,
critiqué les (MdllClions, tirrr de l' atife le pouyoir
absolu d'un seul. Supposé qu'on en tirat aussi bien
le regne dn nomhre, l'alternative est médiocre,
si le pouvoir ahsolu persiste. Ji y a cela de cer-
tain, que la justice est ahsente de ces sollltions.
Au fait, comment y scrait-elle, quand eHe n'est
pas dans lellrs élúments, ni dan s ]a sensation, ni
dans les idóes d'origine sensihle, ni dans l'impul-
sion qui sort de crs idées?


Vous alIrz me dire que les mmurs sont lit, dont
le proprc est de borner les principes dans l'exces
de leur déyeloppement rectiligne el de faire en-
tene/re raison it la Jogiqne. Peut-etre : mais, en
tout cas, fai une bien aLltre objection contre le
principe de rutile, une objection prise justement
de ce qu'en certaines occurrences il choque les
mamrs elles-memes, le sens national, l'histoire.


Il me semble qne fonder la loi politique de cer--
taines sociétós su[' le principe des intérets, c'esí.
mettre en oublí celui quí se montre a leur forma-
tion, e1' qu'on leur donne la pour vívre un autre
élément que celui dont elles sont nées.En général,
les nations ne se forment et ne prennent de cqhé-
sion que par les idées morales, un (ondant qui
groupe, quí cimente les indiviLlus : quant aux in-
térets, ils auraient plutl'\t une puissance cl'isole-
ment et de dissolution.


Si }'intéret était l'ame des nations, si chaque
intéret constilllail un droit, est-ce qu'on verrait
abdiqués et fondus sous la meme loi des intérets
naturellement cnnemis, comme le nord et le midi,
l'élément foncier et l'élément capitaliste, l'inté-




XXXII I~THOOUGTION •


rieur des ten'es eL le littoral. .... le speclacle
enHn que nOllS avons en France. Par cela meme
que de granus États se composent u'intéreLs di-
vergents et anlipathiques, iIs expriment ou pIulút
i ls im pIiquent le sacrifice de ces intérets a qnel-
(In e idée, a quelque hesoin de l'ordre moral: in-
·dépendance, grandeur collectivc, religion, langue,
("quité des lois.


Une objection est tonte IH'ete, - « ces diver-
« sité~ d'intéret n'onL pas été consultées sur l'opé-
«( ration qui les a groupées en un seul peuple : c'est
« la force qui a tout fait,et eette vioIence ne prouve
( 1'1el1. » - Mais depuis quand est-il donné a la
force toute seuIe de faire CBllvre qui dnre, ~Ie pré-
valoir et de s'établir contre les eondilions nalu-
relles oú le vwu des peuples est bien (Iuelque
chose? Avons-nous gardé la Navarre? I'Espagne
a-t-elle gardé le Roussilloll? 1\1. Augustin Thierry
nous apprend que la Guyenne trouvait son compte
a la domination des Anglais, a ces vaisseaux qui
venaient chaque année emporter les vins dn payg·;
'que cepenuant elle préta fortement les mnins h
l'expulsion des Anglais. II faut bien croire ieí ir
quelque attrait, a quelque eonvenunce lllornle plus
écoutée fJn'un besoin de commerce, qu'un intéret.
De la, on peut conclure que la représentntion po-
litique d'un peuple doit etre arrangée de fa~on a
satisfaire les besoins moraux qui le constituent,
plutót que les intérets qui le divisent et qui le dis-
soudraient, s'iIs étaient puissants comme iIs sont
égoistes.


Cependant nous ne pouvons nous en tenir a
,cette conjecture sur les effets politiques que doit




J;,\THODlJCTlO~. XXXIII


produire en g(~llél'al le principe ue l'uLile, ni
meuw ü l'autol'ité de JIobbes. Il fm!t préciser et
horner la qucstion. - Jhant donné un peuple
oú l'appétit de 1'utile est l'impulsion capitale, ou
rit]ée de rutile est la philosophie dominante, que
va-t-il sortir politiquement de ces mreul'S el. de ces
doctrines? Comment par exemple vont-elles mar-
quer leur pl'ésence dalls l' ap pal'eil re présen tatif?


La l'éponse Jl'esl pas douteuse. Si les intéréts
sont des dJ'oits, tous les intéréts doivent etre re-
pl'ésenlés. M. Mill n'y résiste llullement: Oui,
dit-il, fa sUlwel'aineté appartient á l'aqJ'(:qatioJl
lout entiere ... la J'aison en est que chacun est fe
meilleur y([rdien de sr>s dl'oits et de ses intércls.
Soit: mais il y a ues esprits chagrins et ombra-
geux : ils vont vous dire que ceci est le regne du
nombre, c'est-a-dire la souverainelé du pmruc et
flnalement la spolialion du riche. - Voila, pen-
sez-vous,une pl'évision bien olllrée, bien vio-
lente! Peut-etre ... ilIlle semble qu'il y a une at-
traclio,n invincible entre ces deux termes: sou-
veraineté et propriété. J e ne sais pourquoi ce
vers de Corllcille me revient ü l'esprit :


Il est des nreuds secl'ets, de douces sympathies .••


X'y a-t-il pas quelque cllOSe comme cela pour en-
trainerle pouvoir vet'S la. l'ichesse? eette a.nnexion
semble écrite. Ce qu'on voit. en général dans l'his-
toire, e'est le rjche, le propriétaire se fa.isant sou-
yel'ain : Thucydide nous apprend qu'Agamemnon
était le plus riche des Grecs. Mais ce qu'on pour-
rait ltussi bien voir, c'est le souverain se faisant
:propriétaire. Le peuple, le nombre, pour en venir






XXXIV I~TROD(JCTION •


la, n'a hesoin qlle de dm1X choses: 1 h de n'étrc
pas propriétaire ; 2° d'etre le plus fort en vcrtn
des institutions, comme ill' est déja physiqucment.


Cela fait, l'événement n'est pas doutellX: on
peut. s'en rapporter a ce dOllble et énorrne pou-
voir, mis en mouvement par }' acquisivité, une
proiuhérance des plus saillantes et des plus répan-
dlles, a ce que J'acontent les phrénologistcs. On ne
voit pas clairement queb obsfaeIes pOlll'raient ar-
reter ce pOllvoil'. Ce n 'est pas l'opinion, puisqu'illa
fui t, ni la eonscirncc, PllisfJll'il pelli toujonrs lui
montrer Ü l'appui de ce qtúl faiL les formes eL le&
apparences sacrées dll juste, c'est-a-dire une loi.


L'insfinct divill, le guide immortel, c'est ainst
que ROllsseall nppelle la conscience, est capabl<.~
de s'y trompero Unc majorité, ma1tresse des lois,
va pent':'etre croire avec unc eertaifle candenr
qu'elle l'est dll droit. L'illusion, il faut en conve-
nir, est facile non moins que tentante eL prot1ta-
hle, pnisqll'en certains cas hien connus, celui par
exemple de l'expropriation Oll celui du réginw
protectenr, l'infél'et du plus grand nombre est
admis ü prévaloir sur tonl nutre intéret, et de
l'aven de tous constitlle un droit. Vous me direz
que ces cas sont exceptionnels, el que faire de
l'exception la regle, c'est faire acte de boulever-
sement, violer le droit ..... Allez done dire cela
au plus fort ! qni porte en lni - cornme législa-
teur, l'organe dll droit - comme nombre, un
commencement de droit.


Les masses, dans leur itlée de progres, pour-
raient en conceyoir un quí serail un simple dé-
placernent de r oppression, inflig(~e d(~sorlllais au\.




lNTRODUCTION. xxxv


minorités, tandís qn'elIe l'était autrefois aux majo-
fités. Chosc nouvelle assurément, et meme d'ap-
parence progrcssíve ; mais e'est la justice. que
nous cherehoas. Le nombre a cela de terrible qu'il
pellt se pI'endre avee une cel'taine bonne foi pour
la jllstiec memc; ce qui est une dépravation in-
connue au regne des anciennes monarchies et
oligarchíes. Tel bon plaisir tenait lieu de loi,
mais apl'es tOllt n'en était pas une: on brulait
Rome, sans érigel'l'incendie en droit impérial ; ce
·quiimportean salutdela conscience humaine,etlui
épargne non-seulement un outrage,mais une ruine.


Je eonviens qu'aux États- Unis le nombre est
seigneur et maUre san s avoir comlllis de spolia-
tion; mais attendons la fin. On croit avoir donné
déja quelque explication de ce phénomene.


« Il y a des peuples que la nature a' magnifi-
« quement ,traités, les répandant sur une patrie
« immense e t fertile ou les indí vidus naissent en
« quelque sorte pl'opriétaires. 8uum cuique, leur
« dit la nature : voilit une équité quí dispose mer-
« veilleusement les hommes a etre libres el jus-
« tes ... La propriété, diffuse cornme elle l'est aux
« États-Unis, y tranche péremptoirement certai-
« nes grandes dlftlcultés quí troublent le conli-
« nent. Elle y est. entre toutes les mains allssi
( bicn que le droit politique, et cela est inesti-
« mable. Cal' sOllveraineté el propriété sont faites
« l'une pour l'autre. Le souverain devient pro-
« priétail'c, quand le propriétaire n'est pas le sou-
« verain : cetle attraction est le fond de toules les
l( discordes sociales. Aux États-Unis oú le souve-
« rain, c'esl-a-dire le peuple, le nombre, est pro-




XXXVI INTRODUCTION.


« priétaire par la force et la favenr des circon·-
« stances,il est clair qu'il n'ira pas ahl1ser de ]a loi
« pOlll' conqllérir la propriété. CeUe répuhlique
« a rune des bases que Platon voulait pOll1' ]n
« sienne: l'universalité, si ce n'esl la comlllunu\1lé
« de hiens. Les abcilles vivent en société, et cette
« súciété est une paix ina]U;l'ahle, - la raison en
« est simple: il y a des fleul's pOllr tontes. » .


Ln historien illllstl'e, tont en tenant compte
de ces raisons, ne leur attriblln qu'une valeur
transitoire: aux yen x de Maeaulay, ce qui fail la
modératioll et le salnt de la démocratie améri-
caine, est un pUl' accitIent, qni va s'évanouir au
premier jonr, laissant paraitre eL agir dans tonte
sa crudité, dans t 011 te Sil terreur, le }lrinei pe dé-
mocratiqlle. n prédi( ccrtaines catastroplws allx
I::lats-enis, telles qlle la ruine de leur liberté Oll
de leur civilisation, pent-etre nH~me de I'llne et
de l'autre : el dans lIIle leUre all slljet de Jeffer-
son, adressée h un eitoyen de ce pays, il s'en ex-
plique avec une véritable fl'anchise (1).


« Yotre destinée est écrite, f(lIoique conjl1r{'('
« pour le moment par des canses toutes physiques.
« Tant que vous alll'eZ une immense étenuU8 d(~
« terre fertile et inoecu pl~e, 'os travailleurs se-
« ront infiniment pll1S a l'aisn que cellX <Iu vieu\
« monde, - et, sons l'(~Jt1pil'c de ecHe cil'con-
« stance, la politique de .Jem~I'SOIl sera prllt-etre
« sans désastre. Mais le temps viendra Otl la
« nOllvelle Angleterre sera 'allssi dl'lImcnt pCllp]ée
« que la rielle Angletel're. Chez rOl/S, le salaire


(1) Lettre dll 23 mars 18,)7, 1mbliéc pal' le Times le 7 ayril
l;-;üO.




I~TRODUCTION. XXXVII


\( baisscra el prenura les memes fluctuations, la
« mcme prócu1'ité que chez nous. Vous aurez vos
« )lanchester et vos Birmingham, ou les oU\Tiel's
( par ccntaines de mille aUfont assurément leul's
( jours de chómage. Alors se lEwera pour vos
" institulions le grand jour de l'épreuve. La dé-
« tresse rend partout le travailleur mécontent et
« mutin, la proie naturelle de l'agítateur qui luí
« représellte combien est injusle cette répartition
« ou l'un possede des millions de dollars, tandis
,( que l'aulre est en peine de son repaso Chez nous,
\( dan s les mauvaises années, iI y a beaucoup de
;( murmures et meme quelque émeute. Mais chez
« rwus peu importe: cal' la classe souffrante n'est
« pas la classe gouvernante. Ce Sllpreme pouvoir
« est dans les mains d'une classe nombreuse, il
( est vrai, mais choisie, cultivé e d'esprit, qui est
« et s'estime 'pl'ofondément intéressée au rnain-
« lien de l'ol'd1'e, a la garde des propriétés. Il
\( s'ensuit que les méconlents sont réprimés avec
t( mesure, mais avec fermeté : et l'on franchit les
(1 temps 'désastreux sans voler le riche pour assis-
,( ter le pauvrc; et les sources de la prospérité
« nationale ne tardent pas a se rouvrir : l'ouvrage
« est abondan t, les salaires s' élevent, tout rede-
({ vient tranquillité eL allégresse. J'ai vu trois ou
« quatre fois l'Angleterre traverser de ces épreu-
« ves; et les États-Unis auront a en affronter de
« toutes pareilles, dans le courant du siecle pro-
« chain, pellt-etre rneme dan s le siecle ou nous
« vivons. Cornment vous en tirerez-vous ? Je vous
« souhaite de tout creur une heureuse délivrance.
« Mais rna raison et mes souhaits ont peine a s'en-


e




XXXVIII I~TKODUCTION


« tendre, el je ne puis m'empecher de próvoü' ce
« qll'il y a de pire. 11 est clair comme le jOllI' que
« \otre gOllVel'neITIent ne sera jamais capable de
« contenir une majorité souffrante eL irritée. Cal'
« chez vous la majoritó est le gouvernement, et
« les riches qui sont en minorité sont absolllmenl
« it sa merci. Un .iour viendra, dans nÚat de
« l\ew-York, oú la ITI11ltitllde, entI't~ une moilié de
« déjeuner ella perspective d'une lJloitié de diner,
« nommera les législatcurs. Est-il possible de
« concevoir un doute SIII' le genre dc législateurs
« qui sera nommé? - d'lln cóté un homme d'lhat
« prechant la patience, le respect des droits ac-
« quis, l'observance de la [oí publique; - d'un
« autre cóté un démagogue déclamant conlre la
« lyrannie des capitalisles et des usuriers ; et se
« demandant pourquoi les uns boivent dll vin de
« Champagne et se promenent en vo'iture, tandis
« que tant d'honnetes gens manquent dll néces-
« saire. Lequel de ces candidats, pensez-vous,
« aura la préférence de ]'ouvrier qllí vient d'en-
« tendre ses enfants luí demander plus de pain '!
« J'en ai bien peur: vous ferez alol's de ces clI0ses
« apres lesquelles la prospérité ne peut reparai-
« treo Alors - ou quelque César. quelque Napo-
« léon prendra d'une rnain pllissanle les renes du
«( gouvernement - ou votre républiqlle sera aussi
,( affreusement pillée el ravagée au xxe siecle,
« que 1'a été l'empire romain par les barbares
« du ve siecle: avec cette différence que les dé-
( vastateurs de l'empire romain, les Huns et les
« Vandales, venaient du dehors, tandís que vos
« barbares seront les enfants de votre pays et




INTRODl!CTION. XXXIX


{( l'ccuvre de vos institutions. Avec cette maniere
« de voir, j e ne puis véritablement regarder J effel'-
« son comme un des bienfaíteurs de l'humanité ... »


)1. ~lill a fortement prévl1 ce péril, cette infir-
mité du gouvernement représentatif; ce sont les
expressions dont iI se sert tout le premier. Il y
met ordre : lOen exclnant du suffrage quiconqne
ne sait ni lire, ni écrire, ni compter ; 20 en accor-
dant plusíeurs suffrages a certaines catégories de
personnes, pour lellr intclligence présllmée; de
telle fa~on que l' équilibr6 se trouve rétabli a ~e~
yeux entre les intérels du nombre et les intérets
de la pl'Opl'iété. C'est le suffrage universel, mais
inégal: il y a des exemples de cette inégalité dans
les élections paroissiales de la Grande-Bretagne,
ou la meme personne peut voler jusqu'a six rois.


Ce que vatidrait ce systeme dans la région poli-
tique; s'il s'absl iendrait de porter le débat aux
racines mcme de la société et de conclure a une
nouveIle répartition des l'ichesses; si des intérets
ennemis et armés pour la luUe aimeraient mienx
une transaction ( ce qui pourrait bien etre une pure
hypothese) qu'lln conflit a outrance, que des lois
exclusives el passionnées au profit dn plus fort (iI
faut bien qu'il yen ait un) ... ,nuI ne peut le prédire.


Je vois bien que dans ce systeme on fait grand
état de l'esprit pour tenir le nombre en échec : et
j'avoue que l'esprit est une force qui peut étre
morale el résister ílUX immoralités, aux violences
du nombre. Mais pourquoi n'en serait-il pas com-
plice? l'esprit n'implique pas nécessairement le
sens moral, n'exclut pas nécessairement la pas-




XL INTRODUCTION.


sion. L'homme le plus intelligent peut trOllver son
compte d'argent ou de vanité a servir les mnsses,
a les mener partout oú elles tendent. 11 pell t
meme s'y porter de tOl1te sa conscience, soit que
les masses aient. la just.ice pour elles, soit qu'elles
en fassent l'illusion á un esprit droit et per9ant,
mais emmanché de tempérament, d'indignations ..
de sympathies furieuses.


J'avoue encore que les c1asses admises au droit
politique y prendront un développement marqué
d'intelligence et d'expérience : cet avantage est
capital, pas moins qu'une création. Mais aussi bien
il y a la une carriere ouverte aux sentiments les
plus équivoqlles. Des gens qu'on y appelle au nom
de leur int.éret pourraient bien y faire acle d'é-
goisme, ncte constant et systématique. On pel1t
soup90nner que ce qu'ils apprendronUe plus vite.
c'est le profit a tirer de leur souveraineté. Vous
me elites bien comment l'esprit vient aux peuples ;
mais el'Otl leur vienelra l'empire sur soi-meme, la
mesure dans le triomphe ?


A d'autres égards encore on pourrait douter de
ce que vaut l'utile comme principe politique : voyez
pIutót les exces oú il mene le plus 10giql1ement
du monde!


Il veut le gouvernement direct cornme la plus
haute certitllde que puissent avoir les inlérels de
~e faire compter selon leur laille et Ieur nombre:
íl vous dira que la représentation est une trahison.


A défaut de gOllvernement direct, il veut au
moins le fédéralisme Otl les intérels gardent tout
pres d'euxlajuridiction, la fiscalité, les lois civiles
et criminclles, les travaux puhIics.




INTllODUCTION. XLI


Il veut enfin, a défaut de fédéralisme, le mandat
impératif, san s quoi les intérets dureprésenté pour-
mÍent etre omis, intercepté s par le représentant.


Ces objections s'adressent au principe de l'utile,
mais non a l'auteur des Considératif1ns sur le
Gouvernement représentati(, qui est Anglais, par-
lisan de la doctrine des intérets, fort imbudes
idées de TIentham, mais quí est surtout lui-meme,
et qui, dans ce li\'re, n'a nulle part professé ce
príncipe. JI y incline visiblement, iI Y adhere plus
d'une fois; mais il ne s'y livre jamais tout entier,
ni dans ses déclarations théoriques, ni dan s le
choix de ses expédients, de ses procédés. M. MilI
n'est pas homme u s'incommoder, en pareil sujet,
d'un príncipe absolll. On voit lu l'idée naturelle
d'un esprit supérieur tout comme la premiere le-
ron de la science et de la "ie, c'est que nul prin-
cipe, si grand qn'il soií, ne P(~ut contenir et ré-
SOUGre a lui seul une question politique, je dirais
yolontiers une question humaine.


M. :Mill croit u d'autres forces, a d'autres légiti-
mités, que les intérets seulemenl : c'est par la
qll~il espere l'heurellse issue dn dnel représentatif
entre riches el panvres, c'est-u-dire par l'inter-
vention et par le poíds des meilleurs qui se trou-
"ent uans toutes les classes el au-dessus de tous
les íntérels de classe ; un petit nombre sans doute,
une minorité partout, mais capable peut-etre de
tout décider 3n se réunissant aux fractions dont
l'intéret se rencontre avec la justice.


II
lci qllelque hésitation est permise. On peut se


c.




XLII 1 ~TRODUCTlON.


demander s'il ne vnudrait pas miel1x, uans I'orga-
nisation d'llne société libre, aIler tOllt d'abord a
ce petit nombre eL luí confIer le gouveruement, au
lieu de ce róle hasal'deux d'appoint et de renfol't.


C'est ainsi qu'étaienL con<¡ues et inLentionnées
les lois électorales qui fonctionnaient avant 1848.


Mais ~ d'Ull autre coté, que d'objections contre la
théorie fl'an<;aise, docLrínaire au moins, de la sou-
veraineté de la raison, quí est le fond plus au moins
reconnaissable de ces lois !


Ah ! vous tenez la raison pour souveraine ! mais
iI lui faut des organes, des interpretes apparem-
ment. Il va sans dire que les meillellfs seront
appeIés a cet office : c'est de l'aristocratie, mais
passons sur le mot; la ehose prise étymol'ogique-
ment est saine et irrécusable. Seulement voici oú
la difficulté commence : le moyen, s'il vous plait,.
de reconnaitre les meilleurs '? Les' superiol'ités
d'esprit, de naissance, de fortune, sont les unes
fort apparenLes, les autres visibles jusqu'a un
certain point. ",lais nOllS cherchons les supério-
rites de vertu ... trouvez donc ce qui se cache!
fiez-vous donc a ce qui se montre ! Qlland les h1'-
pocrites sont en peine du meilleur masque, vous
pensez, vous, simple législateur, trOl1yer un signa-
lement exact, complet, infuillible !


Convenons d'une chose : le plus so len n e) des
utilitaires pourrait se moqller fOl't agTeahlement
de notre príncipe, eL de nos regles pour le metlre
en CBuvre.


Toutefois, ce príncipe a ses champions, ses doc-
teurs qu'il n'est pas aise de l'étluire, et j'entends
d'ici ce que ces regles VOllt dil'e pour leur défense :




![\;TRODUCTION. XLIII


H XOIlS avons tIu béotisme dans le détail, c'est
« vrai; mais, si nOllS n'étions la pour fonder et
( pOllr limiter tant hien que malle droit politique,
« ce droit ne serait nulle part ou serait partout. ...
« Que vous en semble '? cela cesse tI' etre plaisant. »


D'ailleurs, ces rógles ne sont pas plus fantas-
flues que tout autre combinaison ou il s'agit, soit
de peser un homme en sa capacité, soit de parquer
un droit tIans la limite d'un délai. D'ou vient que
je suis majeur et la proie légitime des usuriers,
aujourd'hui qu'a sonné ma vingt et unieme année;
tandÍs que je Be l'étais pas hier? Que s'est-il donc
passé en moi depuis vingt-quaLre heures pour
m'élever a cette dignité? On ne pent s'enr61er
avanl dix-hllit ans révolus, ni tester avant seize
ans révolns, ni se marÍer tIe son seul aveu avanL
vingt-cinq ans révolus : etes-vous done sur que la
valeur et le discern.ement aienL attendu cet age
précis, et que len!' saison commence a jour fixe?
- et les delais ! c'est chose indispensable pour
en finir avec les droits auxqueIs iI plait de s'ou-
hlier,' de sommeiller, et qlli éclateraient eomme
une perturbation le jour oú il leur plairait de re-
paraitre : les délais, dis-je, sonl néeessaires; mais
qui pourrait donner une raison néeessaire de
leurs dimensions '? Pourqlloi la preseription s'ob-
ticnt-elle par trente ans pIutót qu~par vingt-neuf
ou par trente et un? Il n'est pas plus déraison-
nable, dans l'assiette des droits politiques, d'user
d'approximation pour apprécier la valeur morale
des hommes. Le fait est qu'il faut des regles ('11
certains eas, et leur vice inévitable vaut miell\
que leur absence.




XLIV INTRODUCTION.


Ces explications sont plausibles. Mais iI reste a
savoir si le suffrage restreint n'a pas un travers
odieux qui est de laisser au dépourvu les intérets
populaires, en les tenant a l'éeart du droit élee-
toral. Les lois étan t faites par les élus du petit
nombre ne seront-elles pas uniquement a son
profit. .. Non pas peut-etre avee un oubli volontaire,
mais avee une insoucianee toule naturelle des
elasses les plus nombrellses, de ces existenees pré-
caires, de ces hum bIes tlestínées, qui font les frais
et qui portent les ombres de la prospéríté 'publique?


Toute loi devrait etre un allégement de leur con-
dition, Le socialisme est une ivérité quand il si-
gnifie application spéciale de la poli tique au bien
des masses. 01', jamais la politique n'aura' cette
\'ertu, jamais le législateur ne prendra eette tu-
te1le, sj le mandat pOPlllaire ne leur en fait une
nécessité.


Celte conelusion est excessive, diront les parti-
snns du suffl'age restreint. N'ollhliez pas que nous
attribuons le droit politique a l'élite uu pays, d'a-
pres des regles qui ne sont pas infaillibles, mais
qui produiront toujours quelque défense et meme
qllelques triomphes de l'intéret populaire. La ga-
rantie ne semble pas riche ni assurée. Cependant
quelqlles indices feraient croire qu'elle est effi-
cace. L'abolition des lois céréales a élé votée en
Angleterre par les pouvoirs, par les classes qui
avaient le plus d'intéret a leur maintien. Le meme
pays fait a ses pauvres, encore qu'ils ne soient pas
souverains, une liste civile de 200 millions. En
France, quelques faits sont 11 noter, de moindre
importance, mais de meme nature : telles sont les




INTRODUCTION. XLV


écoles primairrs eL les caisses d'épargne ou l'lhat
5' est fait, principaIement depuis 1830, l'instituteur
et le banqllier des masses, a grands frais et sur-
tou! á grands risqnes : instituteur presque toujours
gratllit, banqnieI' comme on n'cn yoit pas, resti-
luant atonte réquisition les dépóts dont il sert les
inlérels an COl1rs légal.


Ainsi une garantie de bien pnblic et meme de
hien poplllail'c pCllt se rencontrel' dans certaines
lois constitutivcs d'ul1(-~ élite politique, d'un pays
légal, comme OH disait, iI y a vingt ans. Est-ce que
M. de Maistre aurait raison dc dire qu'il pent y
aroir des représentants qui ne soient pas des man-
dataires? Peut-elre bien que oui, mais en tout cas
a une condition qll'il néglige, qui est la liberté de
la pressc. Dans des pays oú la pub licité se li~ye
lons les matins comme le soleil, oú l'opinion est
une puissance, oú les raisons de bien public sont
les senIes qni puissent s'avouer, il n'1' a pas d'in-
téret qni~ soiL ponr sa propre valeur, soit ponr la
force qu'il prete a ses partisans, n'obtienne un
jour ou l'autre audience et justice.


En accordant ceUe part a l'opinion, nous ne fai-
sons que répéter le dire de M. MilI, quí a traité
d'une fa~on méthouiql1e et complete toute ceUe
matiere du gouvernement représentatif. Il fait
mieux encore que d' embrasser le sujet; ilIe do-
mine. e'est esprit est d'une aulorité sonveraine,
d'nn calme inaltérable : dan s ce livre, comme
(lans celui de la Liberté, il juge tout sans pitié et
sans colere - les assemblées qui ne doivent pas
toucher de leurs mains brouillonnes aux projets de
lois élahorés par des mains fortes et savantes, -




XLVI I~TRODUCTION.


les religions, sans excepter le chl'istianisme, qui
éUwent le monde, mais en le fixant au point oú
elles l'ont élevé, - les masses populaires ou bour-
geoises qu'il traite de médíoerités d'oú ne sortira
jamais qu'un gouvernement médioere. .


On voit que M. Mili est un exeentrique, on le
voit a l'indépendanee de ses idées eomme a la ma-
niere dont il parle des exeentriques~ les appelant
quelque part le sel de la terreo Toute sa eomplai-
sanee, toute son admiration est ponr eux. Qlli est-
ce qui voudrait l'en blrlmer? Olli, parlez-nous de
ces hommes nés dehout, que rien ne eourbe, ni
amis ni ennemis, qui osent etre eux-memes, qui
exeellent a dire non, qui regarderaient le soleil en
faee, qui ont retenu eeUe fameuse devise d'autl'e-
fois: Etiam si omJlCS c.rJo non; des monstres el' or-
gueil, ll1ais la plus haute taille Ütl parvienne l'hu-
manité. Rare en est l'espece, si ral'e qu'elle touche
a l'idéal, et que la plus belle note des lyriql1es,
e'est l'apothéose des obstinés. Justum el tflla-
cem ... , ehantait Horaee. Qllant au Paradis pel'du,
son héros n'est pas Satan, quoique eet archange
ait un assez grand air : e'est le poete lui-méme,
e'est Milton, vieux, pauvre, aveugle, dont les der-
niers regards ont Yll tomber la républifIue, fou-
droyé luí aussi, mais inflexible eomme tout un
Pandémonium.


JlI
En résumé, la question du systeme représenta-


tif, tel que l' en tend -'1. Mili, est ceHe du gonverne-
ment par les gOllvel'nés. Les hommes sauront-ils
s'imposer eux-m(~mes la discipline que veut la so-




I~TnODUCTlON . XLVII


ciété? Pcuvcnl-ils se cOllfier les uns aux autres
la conduile de lan1 de choses qui les intéressent,
el, pOllr padeL' Het, la gardc de ce quí leur appar-
líent? ou bien, 110US fanura-t-il toujours de ces
pouvoirs extérieurs a la société et supérieurs au
droil, donl le monde a en tont le temps de se fa-
tiguer, mais qui ne laissaien t pas que de régler la
soci(~té, ll'y enlrelenir le droit au-dessous d'eux,
d')' soufI'l'il' me me le Progres? Certes, leurs ser-
vices n'élaient pas pOut' rien : ils vendaient chef
la paix du rOl; iIs abusaient de la société en pro-
priétaires absolus, en pasteurs dévorants. Toute-
fois la qucstion est grave.


Hegardez-moi ce porlefaix sans idée, ce fat
perdu d'égo"isrne : deux miseres qui ne représen-
tent pas mal notre condition et notre nature.
Voila les souverains qu'on vous propose! Souve-
rains est le mol, cal' iI ne s'agit plus de les sous-
traire aux avaníes, aux monopoles) aux intolé-
rances d'autl'efois. Cela esl fait: ces negres ont
été émancipés en 89. Toul autre est le probleme
actueI, Ol! iI esl question non plus de ce que mé-
rile l'homme; mais de ce qu'il vaut, non plus des
droits dont il est digne, mais des pouvoirsdont il
est capable. L'homme ayant été relrouvé et res-
tauré, on se demande s'iI faut le créer citoyen,
c'est-a-dil'e souverain, lui donnant sur les pou·
voirs publics un droit d'élection et de con-
trole, donl il finira par sentir la portée, par ap-
prendre l'usage irrésistible, par concevoir el
revendiquer le profit.


Vous trouvez peut-etre qu'il est imprudent de
eonfier a l'hornme en eeHe seule qualité les ger-




XLVl1I INTHODUCTION.


mes d'une tel1e puissance ; que pOllr lui recollnuitre
un tel empire sur uutrui, il faul uu préuIabIe 1'1I-
,'oir élevé au-dessus de lui-lllcme .


. \1. :Mill est plefnement de cet avis! Éducatioll
universelle d' abol'd, ensuite suffl'aye ulliversel.
POUf plus de sureté, non content de celte condi-
lion ou le nombre se rail intelligence, iI en ajoute
une autre déja remarquée, cf_'lle de sullra,qe plu-
ral, par oú l'intelligence se fait nomhre. Tel est
l)esprit de ce livre, el la solution qu'il contie ü
l'avenir. Nous avons dit quel est l'esprit d'une mItrc
légíslation qui a vécu sous nos yeux, ceHe du sul-
(rage restreint, quí a fourni une carriere agitée,
mais brillante et salutaíre : nous ll'éprouvo~s pas
autrement le hesoin de conclure.


Peut-on amencler la démocratie par l'adjonction
d'éléments intellectuels, a tel point que la démo-
cratie ne viole pas la justice contre les 'minorités ?
Peul-on amender une aristocratie par le contróle
de l'opinion a tel poinl qu'ellc ne viole pas la jus-
tice contre les majorités? telles sont les qucstÍons-,
lelle estl'alternative assez délicate, qui se trouvent
au bout de ces réflexions. Nous laissons a de plus
habiles, a de plus aftirmatifs, le soÍn de prononcer
d d'opter.




PRÉFACE


Ceux qui m'ont fait l'honneur de lire mes écrits
précédents ne rccevront pas sans doute du voIume
que voici une forle impression de nouveauté. Car
les principes sont ccux auxquels j'ai travaillé pen-
dant la plus grande partie de ma vie, et la plupart
des vues pratiques ont été déveIoppées par d'autres
ou par moi-meme. Cependant, il y a nouveauté a
les déployer dans leur enchainement; et ce que
j'avance a leur appui offre souvent aussi, je crois,
quelque chose de neuf. Dans tous les cas, pIusieurs
de ces opinions, si elles ne sont pas neuves, ont
pour le moment aussi peu de chance de rencontrer
un assentiment général que si elles l'étaient.


Il me semble cependant, d'apres divers in dices et
surtout d'apres les débats récents sur la réforme du
Parlement, que les conservateurs et les libéraux (si
je puis continuer a les appeler comme ils s'appel-
lent encore eux-memes) ont perdu confiance dans
les doct.rines politiques qu:ils professent nominale-


I




2 PRÉFACE.
ment; tandis que des deux eOtés personne ne parail
avoir fait un pas pour trollver (Iuclque chose de
mieux. Pourt.ant, ce mieux doit Cll'e possible; non
pas un simple,compromis qui partagerait le diffé-
rend entre les Bellx doctrines, mais quelque chose
de plus yaste, de plus compréhellsif que l'une ull t
l'autre, et qui, en yertu de celle sllpériorité, pour-
rait etre adopté et par les consenateurs et par
les libéraux, sans élirniner pom' cela Lout ce qui,
5elon eux, a réellement quelque valeur dans leul's
croyances respectives. Lorsque tant d'hommcs 5en-
tent vaguement le besoin d'une pareille doctrine eL
10rsqu'lIn si petit nombre se flatLe de 1'avoir ren-
contrée, chacun peut sans présomption c.ffl'ir ce t¡ui
dans ses propres idées (et dans ce qu'il connait de
meilleur parmi les idées d'aulrlli), est capable de
concourir a la formation de eelte doctrine.'




LE


(iOUVERNEMENT
REPRÉSENTATIF


CIlAPITBE PRE~IlER
JCSQU'A QCFL 1'01:\1' LES FOHMES DE GOCYEHNElIENT SO:\T-ELLES


CNE AFFAIRE DE CHOIX?


TouL-es les spéculations relatives aux formes de
gouverllement portent l'empreinte plus ou moins
exclusive de dCl1x théories opposées en matiere
d'instilutions politiques, ou, pour parler avec plus
de propriété, dc deux manieres différentes de con-
cevoir ce que sont les institutions politiques.


Pour quelques esprits, le gouvernement est un
art strictement pratique, d'ou naissent uniquement
des questions de fin et de moyen. Les formes de
gouvernement, telles qu'ils les eon<,;oivent, sont des
expédients eorome d 'autres pout atteindre un de




4: GOUVEH~EMENT HEPIIÉSENTATIF.


--ces objets, que les hommes peuvent se proposer
une pure affaire d'invention et de combinaison.
Jhant faites par l'homme, on affirmc que l'homme
est lil>re on de les faire, ou de ne pas les faire, et de
décider comment et d'apres quel modele elles se-
ront faites. Le gouvernement, suivant eeUe concep-
tion, est un probleme a traiter comme toute autre
question d'affaires. Le premier pas vers une solution
est de reconnaltre quelle est la tache imposée aux
gOl1vernements; le second est de rechercher quelle
forme de gouvernemen test. la plus propre a l'ac-
eomplissement de eeLle tache.
}~tant édifiés sur ces deuxpoints, et.ayant reconnu


quelle est la forme de gouvernement qui renferme
la plus grande somme de bien avec la moindre
somme de mal, ce qui nons reste a faire est cl'obte-
nir pour l'opinion que nous nous sommes formée
a nous seuls, l'assentimenl de nos compalriotes ou
de ceux auxquels les instilutions sont destinées.
Trouver la meilIeure forme de gouvemement, per-
suader aux autres que c'est la meilleure, eL, rayant
fait, les exciter a la demander, yoila l'ordre des
idées dans l'esprit de ceux qui adoptent ceHe vne
de la philosophie poli tique.


Ils .regardent une constitution (a pal'l l'impor-
tance respective des choses) du meme mil qu'ils re-
gardent une charrue a vapenr ou une machine a
haare le grain.




FOR~IES DE GOUVERNEl\IENT.


Mais celte doctrine est vivement contredite. D'au-
tres logiciens politiql1es sont si loin d'assimiler une
forme de gOllVCl'l1erncnt a une machine, qu'ils la
l'egardent comme une espeee de produit spontané,
et que, selon eux, la science du gonvernement est
une branchc pour ainsi dire de l'histoire naturelIe.
Non, disent-ils, les formes de gouvcl'nement ne sont
pas une affaire de choix. Nous devons les prendre,
pour la plllpart, comme nons les trouvons. Les gou-
verncments ne peuvent pas etre établis par un des-
sein prémédité. « lls ne se font pas : ¡is poussent. »
Notre affaire avee eux, comme avec les autres faits
de l'univers, c'est de connaitre leurs propriétés na-
turelles et de nous y adapter.


Les institutions poli tiques fondamentales d'nn
penple sont regardées par ceUe école eomme une
sorte de produr-tion organique de la nature el de la
vie de ~e peuple ; e'est un produit de ses habitudes,
de ses inestinets, de ses Lesoins et de ses désirs in-
conscients, el ce n'est presque pas le fruil de ses
desseins délibérés. La volonté du peuple n'a en d'au-
tre part dans l'affaire que eelle de répondre a des
nécessités temporaires par des eombinaisons égale-
ment temporaires. II est donné a ees eombinaisons
de subsister, lorsqu' elles son t en eonformi té suffi-
sante avec le earactcre el les sentiments nationaux;
el, par une aggrégation suceessive, elles eonstituent
un gouvernem,nt adapté au peuple qui le possede,




(i GOCVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
mais qu'on s'efforcerait vainement d'imposer a tout
peuple chez lequeIla nature et les circonstances ne
l'anraient pas produit spontanément. "'"


Il est difficiIe de décider Iaquelle de ces doclri-
nes serait la plus absurde, si l'on pouvait supposer
l'une ou }'autre soutenue comme une théorie exclu-
si\'e. Mais les principes que les hommes profe:::;sellt
sur tout snjet discut6, sont une marque ld~s-im­
parfaile des opinions qu'ils ont réellement. Per-
sonne ne croit qne toul peuple soit eapable de ma-
nier toute espece d'inslitutioll. Poussez aussi loin
que vous le voudrez 1'analogic des combinaisons
mécaniques, un homme ne ehoisit pas meme un
simple outil de bois et de fe1', par ce seul motif que
c'est en soi ce qu'il y a de micllx. Il' se demande
s'ii pos~ede les conditions qui doivent s'ajouter a
cet instrllmcnt pour en l'endre l'emploi avantageux,
et particulierement si ceux qlli doivenl s'en servir
possedenl le savoir et l'habileté nécessai1'es pour en
tirer parti.


D'un autre coté, ceux qui parlent des imtitutions
comme si elles étaient une sorte d'organismes vi-
vants, ne sont pas non plus en réalité les fatalisLes
poliliques pOllr lesquels ils se donnent. Ils ne
prétcndent pas que l'lllÍmanilé n'ait absolument au-
cune liberté de choisir le gouvernement sous lequel
elle doiL vivre; que la considération des consé-
quences qui découlent des différentes formes de




FORMES DE GOUVERNEMENT. ... j


gourernement ne soit d'aucun poids dans la déter-
mination de celIe qlli doit Otre préférée. Mais qlloi-
que les deux écoles, dans leur opposition mlltuelle~
exagerent grandement leurs théories respectives et
(Iuoique personne ne soutienne ces théories sans
modification, les dcux doctrines correspondent a
llne difl'érencc tres-profonde entre deux manieres
de pemer. Bien qu'évidemment aucune d'elles ne
::ioit tout a fait dans le vrai, néanmoins, comme il
est également é\'ident qu'aucune d'elles n'est tout
a fait dans le faux, nous devons nous efforcer de
pénétl'cr j usqu'ü lCUl'S racines, et faire notl'e profit
de la somme de vérité qui existe dans chacune.


Rappelons-nous done, en premier !ieu que les
institutions politiques (quoiqlle cette proposition
puisse elre quelquefois ignorée) sont I'CBllvre des
hommes, qll'elles doivent leuI' origine et toute leur
exisíence a la volontó humaine. Les hommes ne
les ont pas trollvées toutes poussées, en s'éveillanl
un beau matin d'été. Elles ne I'essemblent· pas
davantage al1X a1'1>l'es, qui, une fois plantés, « c1'ois-
sent toujow's » tundis que les homilles « dorment. ')
Dans chaqllc ~ode de leur existence, l'action
volontair0 de l'homme les fait ce qu'elles sonL
Done, comme tontes les choses qui sont faites par
les hommes, elles peuvent etre ou bien faites ou
mal failes ; on peut avoir déployé, en les eréant, du
jugement et de l'habileté ou bien tont le contraire.




8 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Et de plus, si un peuple a omis ou si une oppres-
sion extérieul'e l'a empeché de se donner une con-
stilution par ce procédé expérimental qui est d'ap-
pliquer un correcLif a tous les maux a mesure
qu'ils paraissent, ou bien 11 mesure que ceux qui en
souffrent acquicrent la force d'y résister, ce retard
du progres poli tique est sans aucun doute un grand
désavantage pour le peuple en question; mais cela
ne prouve pas que ce qui a été trouvé hon pour
d'autres peuples, ne l'aurait pas été aussi pour lui,
et ne le sera pas encore, quand il lui conviendra
de l'adopter.


D'un autre cOté, iI faut également se rappeler
que le mécanisme politique n'agit pas de lui-meme.
Tout cornme il fut. a son origine fait par les
hommes, il doit aussi etre rnanié par des hornrnes,
et meme par des hommes ordinaires. Il a besoin,
non de leur simple acquiescement, mais de leur
participation active, et doit Otre ajusté aux capaci tés


\et aux qualités des hommes tels qn 'on les lrouvc.
Ceci implique trois conditions: 10 Le pcupIe auquel
on destine une forme de gouvernement doit con-
sentir a l'accepter, ou du moins iI ne doit pas s'y
refuser, de faGon a opposer un obstade insurrnon-
table a son établissement; 20 H doit avoü'la voJonté
et la capacité de faire ce qui est llécessaire pour
en maintenir l'existence; 3° il doit avoir la volonté
et la capacité de faire ce que celle forme de gou-




FORMES DE GOUVERNEME~T.
vernement exige de lui et sans quoi elle ne pourrait
atteindre son but. Ici le mot « (aire» signitie abs-
lention aussi bien qu'action. Ce peuple doit etre
capable de remplir les conditions d'action et le's
conditions de contrainte morale qui sont néces-
~aires, soil pour mainlenir l'existence du ge)U\'er-
I\~ffi~l\\ étab\i, 160i\ \,)our lui lournir les m(J~ens


Ú' l\e.e,Oln~\ir ses fU1S " \' (l~tl\\lÜe ü\.\n ~(J\l'\lernemen\
;\ cet égard conslituant son mérile.


FauLe d'une de ces conditions, une forme de
gouvernement, quclques belles espérances <Iu'cUe \
puisse donner d'ailleurs, ne saurait convenir au cas
oü se rencontre cette lacune.


Le premier obstacle, la répugnance d'un peuple
pour une forme parliculiere de gouyernement, n'a
guere besoin d'illusf1'ation, paree qu'on ne peut ja-
mais l'avoir négligé en Lhéorie. C'est un cas qu'on
rencontL'e tous les jours. La force étrangere pour-
rail seuIe décider une tribu d'Indiens de l' Amél'ique
du Nord ;\ se soumettre aux conLrainles d 'un gou-
vernement régulier el civilisé. On pourrait dire la
meme chose, quoique d'une faQon moins absolue,
des Barbares qui ont parcouru l'empire romain. 11
a falJu des siecles entiers et un changement com-
plet de circonstances, pour les former a l'obéis-
sanee envers leurs propres chefs eux-memes, en
dehors du service miliLaire. 11 y a des nations qui
ne se soumettront pas de leu!' plein gré a un autre


L




10 GOCVER:\E~lENT REPRÉ:3ENTATH'.
gouvernement que celui de cel'Laines familles, qui
ont eu de temps immémorial le privilége de leur
fournir des chefs. Certaines nations ne pourraient,
sans une conquCte étrangct'e, s'accoutumer a sup-
porter une monarchie; d'autres ont la meme aver-
sion ponr une république; }'obstacle s'éleve sou-
vent, pour le temps actuel, jusqu'a l'impraticabiEté.


l\'1ais il y a aussi des cas dans lesqllels, quoique
n'ayant pas d'aversion pour une forme do gouver-
nement - peut-eLre meme la désirant - un pcuple
peut no pas ayo ir la volonté ou la capacité d'en
romplir les conditions. Il pcul etre incapable de
remplir telles tic ces conditions qui sont néccssaires
pour mailllenir l'existenco meme nominale de ce
gOllvernement. Aiusi, un pcuple pellL, préférer un
gOllvcrnement libre; mais si par indolenco, ou par
insoucianpe, ou par poltmnneric, ou par manque
d'esprit ~ublic, il est incapable de faire les effo1'ls
nécessaires pour le garder; s'ilne veut pas se baLtre
pour son gouvememont, qllalld cellli-ci est directe-
ment attaqué; s'il ponl el1'e la dupe des adifices
mis en muvre ponr ron déponiller; si, dan s un mo-
ment de découragernent, on dans uno panique
temporaire, ou dan s un acccs d'ellthousiasme pour
un individll, il pent et1'e amené a déposer ses liber-
tés aux pieds d'lln grand hommo, Oll bien a luí
confier des pouvoirs qui le renden t capable de ren-
verser les illstitlltions i dan s tous les cas que voilu}




FORMES DE GOUVERNRMEl"T. H


ce peuple est plus ou moins impropre a la liberté;
et quoique de l'avoÍl' possédée, meme pour peu de
temps, puisse lui avoil' fait du bien, il tardera
exLraordinail'ement a en jouil'.


De mome, un peuple peut ne pas vouloir ou ne
pas pouvoir accomplil' les obligations qu'une forme
particulierc de gouvernement lui impose. Un peu-
pIe grossier, bien que sensible jusqu'a un certain
point aux hienfaits d'une société civilisée, peut etre
incapable des contl'ain tes qu' elle demande; ses
passions pcuvcnL etre tl'Op violentes, ou son orgueil
personnel tl'Op tyranniqne pour renoncer aux lnttes
pri"écs, et ponl' abandonner aux lois la vengeance
de ses torts récls ou supposés. En pareiJ cas, un
gouvernement civilisé, pOUl' etre l'éellement avan-
tagcux, devra se montrer despotique a un degré
considérable, ne subir aucun controle de la part du
peuple et lui imposer en toute occasion une grande
somme de contrainte légale.


Tel autre peuple, dirons-nous encore, n'est fait
que pour une liberté limi.tée et partielle, puisqu'il
ne veut pas concourir activement, avec la loi el les
aulorités, a la répression des malfaiteurs. Un peu-
pIe qui est plus disposé a cacher un criminel qu'a
l'arreler; un peuple qui, comme les Hindous, com-
meUra un parjure pour sauver l'homme qui l'a volé,
plutót que de prendre la peine de déposer contre
lui el de s'attirer par la une venbeance; un peuple




12 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
chez lequel (comme chez quelques nations de l'Eu-
rope et de l'Europe moderne) on passe de l'autre
cOté de la rue, quand on voit un homme en poignar-
der un autre sur la voie publique, parce que c'est
l'affail'e de la poli ce de s'en occuper, et qu'il est plus
sur de ne pas se meler de ce qui ne vous regarde
pas; un peuple enfin qui est révolté par une exécu-
tion, mais qui n'est pas choqué par un assassinat,
- ee peuple-Ia a Lesoin d'autorités répressives,
mieux armées que partout ·ailIeurs, puisque les pre-
mieres et les plus indispensables conditions d'une
vie. civilisée n'ont pas d'autres garanties.


Ce déplorable état de sentilllents chez un peuple
qui a laissé derriere lui la vie sauvage, est sans au-
eun doute la conséquence ordinaire d\m mauvais
gouvernement antérieur qui a enseigné aux hom-
mes a regarder la loi comme faite poue un autre
objet que leur bien, et ses interpretes comme de
pires ennemis que ceux qui la violent ouvel'tement.
Mais si peu de Llame que méritent ceux chez 1cs-
quels ces manieres de penser ont pl'is naissance, el
bien qu'en fin de compte elles puissent ütre déraci-
nées par un meilleur gouvernement, néanmúins,
tandis qu'elles existent, un peuple ainsi dísposé ne
saurait ütre gouverné avec aussí peu de contrainLe
qu;un peuple dont les sympathies sont du cOté de
la loi, et qui pretel'a volontiers son assistance active
a l'exécution de cette loi.




FORMES DE GOUVERNEMENT. 13


De meme, les institutions représentatives sont
de peu de valeur et peuvent etre un simple instru-
ment de tyrannie Oll d'intrigue, lorsque la masse
Jes électeurs ne s'intéresse pas assez a son gouver-
nement pour voter, ou bien lorsque la plupart des
électeurs, au lieu de voter d'apres des motifs de
bien public, vendent leur voix ou votent a l'instiga-
tíon de quelqlle personne influente qu'ils désirent,
pour des l'aisons partieuliercs, se rendre favorable.
Ainsi pratiquée, l'élection populaire, au lieu d'étre
une sécurité contre un mauvais gouvernement,
n'est qu'une roue de plus dans sa mécanique.


Outre ces obstacles moraux, les difficultés maté-
rieHes sont souvent un empechement insurmon-
table aux formes de gouvernement. Dans le monde


. ancien, quoiqu'il ait pu y avoir et qu'il y ait eu sou-
vent une grande indépendance individuelle, il ne
pouvait rien exister comme un gouvernement po-
pulaire régulier en dchors des murs d'une ville,
d'une cité, paree que les conditions physiques
ponr la formation et la propagation d'une opinion
publique ne se rencontraient que chez ceux qui
pouvaient se réunir pour di seu ter les affaires pu-
bliques dan s la meme agora. On croit généralement
que cet obstaclc a disparu lors de l'adoption du
systeme représentatif. Mais pour le surmonter
complétement, il a faUu la presse, et meme la
presse des journaux, équivalent réel quoique in-




1'± GOUVEHNEMENT REPI:tÉSENTATIF.
complot sous plusiours rapports, du PnyJ/ e t dll
Forwn.


Il y :l eu des états de sociétés ou une monarchie
elle-meme ne pouvait subsister sur une grande
étendue de territoil'e, sans se fl'agmenter inévitabIe-
mcnt en petites pl'incipautés respectivement indé-
pendan tes ou unies par un lien aussi lache que
ceIui de la féodaIité; et cela pal'ce que le mécanisme
de l'autorité n'était pas assez parfait pour faire
obéir les ordres du gouyernant a une gl'ande dis-
tance ele sa personne. Le gouvernant n'avait d'autre
garanlie d'obéissance, meme de la part de son
armée, que la fidélilé volontaire, et le moyen n'exis-
tait pas de faire payer au peuple une sommo d'im-
póts, suffisant a entl'etenir la force nécessaire pour
contraindre a l'obéissance tout un vaste te1'1'itoire.
Dans ces divers cas et dans ious les cas semblables,
iI faut bien comprendre que h~ force de l'obstacle
peut etre plus ou moins grande: l'obstacle peut otre
assez grand pour rendre tl'es-défectuenso l'opéra-
tion d'un gouvernement, sans en exclu1'e absolu-
ment l'existence, ou san s l'empecher d'otre préfé-
rabIe en pralique a tout autl'e. CeUe derniere
queslion repose principalement sur une donnée a
laquelle nous ne sommes point arrivés oncore :-
la tendance des différentes formes de gouverne-
ment a favoriser le progreso


Nous venons d'examiner les trois conditions fon-




FORMES DE GOCVERNEMENT. f5


damentales auxquelIes les formes de gouvernement
s'adaptcnt á un peuple. Si les partisans de ce qu'on
peut appeJer la théorie poli tique naturaliste ne veu-
lent qu'insister sur la nécessité de ces trois condi-
tions; s'ils prétendent seulement qne nul gouverne-
ment ne peut exister d'une faQon permanente, qui
ne remplit pas les deux premieres conditions et
m('me en grallde partie la troisieme, leur doctrine
ains! limitée esL incontestahle. Prélendm en quoi
que ce soit á plus que cela me parait inadmissible.
Tout ce (IU'On !lOUS dit de la nécessité d'institutions
a base historÍllue, en ha1'monie avec le caractere et
les usages nationaux, ele., signifie ou cela ou rien
dn tout. Dans de pareilles phrases, il y a, outre la
somrne de sens 1'aLionnel qu'elIes conLiennent, un
mélange cohsidérable de pure sentimenLalilé. Mais,
au point de vne pratique, ces prétendues qualités
indispensables des institutions poli tiques, sont sim-
plement autant de facilités pour réaliser les trois
eonditions. Quand une institution ou un ens'emble
d'inslilutions a ses yoies prépa1'ées par les opinions,
les gouts et les habitudes d'un peuple, non·seule-
rnent ce peuple sera amené plus aisément a l'accep-
ter, mais, des le début, il apprendra plus facilemenL,
el se portera plus vo]ontiers a faire ce qui lui est
demandé, tan t pour le salut de l'institution que
pour son développement el sa fécondité la plus
avantageuse. Ce serait une grande faute a un légis- '




1 ti GOUVERNEMENT HEPRÉSENTATIB'.
lateu!' de ne pas prendre ses mesures de falfon a
tirer parti. quand ille peut, d'habitudes et de sen-
timents préexislants.


D'un autre coté, il ya exagéralion a transformel'
en conditions nécessaires ces choses qui sont si m-
plement un seeours el une facilité. Un peuple est
plus aisément amené a faire el fait plus aisément ce
a quoi il est déja accoutumé; mais un peuple ap-
prend aussi a faire des choses qui lui sont nouvel-
les. Etre familiarisé avec les choses esi d\me grande
assistance; mais une idée sur laquello on s'appe-·
santit. fortement deviendra familiel'e, meme quand
elle commence par étonner. Il y a de nombreux
exemples de peuples entiers al'demmcnt porlés "ers
des choses nouvelles. La dose d'aplitllde que pos-
sede un peuple a faire de nouvelles choses et a
entrer dans de nouvelles eireonstances, esl en soi
un des éléments de la qllestion. e'est une qualité
que les différentes nations et les différents agcs de
la ci\'ilisation n'ont pas, a beallcoup pres, au meme
degré.


Il n'y a pas de regle absolue pour prononcer sur
l'aptitude d'un peuple donné a remplir les condi-
tions d'llne forme donnée de gouvernement. Le
degré de culture du peuple dont iI s'agit, la somme
de jugement et de sagacité pratique répandue chez
lui doivent servir de guide. II y a aussi une autre
considération qu'iI ne faut pas perdre de vue : un




FORMES DE GOUVERNEMENT. 17


peuple pent n'cLl'e pas prépal'é a de'b<?nnes institu-
tions; mais en aIlumer chez lui le dé sir, est une
partie nécessaire de la prepal'ation. Recommander
et défendre une institllLion ou une forme de gouver-
nement particuliere, en montrer les avantages dans
tout leur jonr, est un de~ modes, souvent le seul
mode d'éduration possible pour l'esprit national
qui apprend ainsi, non·seulement a accepter el a
revendiquer, mais encore a manier l'institution.
Quels moyens avaient les patriotes italiens, pendant
la génération aclllelle et la précédente, de préparer
le peuple italien a la liberté dans l'unilé, si ce n'est
de le pousscr a ceLte revendication. Cependant
ceux qui entrepl'cnnent une pareille tache doirent
ctre fortement pénétrés, non-seulement des avanta-
ges de l'institlltion OH de la poli tique qu'ils rccom-
mandent, mais aussi des capacité5 morales, intel-
Iecluelles et actives, nécessaires pour la pratiquer,
afin d'éviter, autant que possible, d"éveiller chez un
peuple un désir trop supérieur a ses aptitudes.


I1 résulte de ce qn'on Yient de dire que, dans les
limites posées par les trois conditions auxquelies on
a si souvent fait allusion, les institutions el les for-
mes de gouvernement sont une affaire de choix.
Rechercheren these générale (comme on dit), quelle
est la meilleure forme de gouvernement, n'est pas
une chimere, mais un emploi hautement pratique
de l'intelligence scientifique; et introduire dans un




18 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
pays les meilleures institutions qui puissent, dan s
l'étaL aclllel dll pays, remplir tolérablement les trois
condiLions, yoila une des fins les plus raLionnelles
donl soit susceptible l'efforl pratique.


Tout ce qu'on peut dire pour déprécier l'effieacité
de la volonté el des yues humaines en matiere de
gouyel'nement, on pen t le dil'e aussi bien partout
oü s'exercent eeLLe yolonté et ces vues. En toutes
rhuses, le pouyoir humain est éLroitemenL borné. 11
ne peut agil' qtl'en maniant une ou plusieurs des
forces de la nature, Des forces applicables a l'usage
désiré doivent done exister, el elles n'agiront que
suiyanl leurs propres lois. Nous ne pouyons pas
raire remonter la rivicre ve1's sa souree; mais pour
cela nous ne disons pas que les monlins ,a eau « ne
se (ont pas, qu'lls poussr:nt, » En poli tique eomme en
mécanique, il faul ehercher en de/¡ol's du mécanisme
la force qui doit faire marcher l'engin, eL si eette
force ne se rencontre pas ou si elle est insuffisante
pon!' surmonter les obstaeles auxquels on peut rai-
sonnal)lement s'altendre, la combinaison man-
quera,


Ceci n'est point une parlieularité de l'art poli ti-
que, eL revient seulement a dil'e qu'il est sonmis aux
memes limitations eL aux memos eonditions que
lous les autres al'Ls.


lei nous rencontrons une antre objecLion sons la
fOl'me nouvelle qne voiei : « Les forces donL dépen-




FOfDIES DE GOUVEflNEl\IENT. HI


« dcnl les plus grands phénom(~nes poli tiques ne
(( sont pas soumises a la dil'eclion des hommes d'É-
« tat ou des philosophes. En substance, le gouver-
« nement. d'un pays est fixé et déterminé d'avance
« par l'état du pays, quan t a la dishibution des élé-
« ments du pouyoir social. Le pouyoir le plus fort
I( dans une société obtiendl'a, quel qu'il soit, l'auto-
« rité gOllyernante, et un changcmcnt dans la cons-
« ti tution politiqllC ne peut Otre durable s'il n'est
« précédé ou accompagné d'unc nouyelle distl'ibu-
« tion du POUYOil' dans la société elle-meme. Une
« nation ne peut donc choisil' sa forme de gO\JYerne-
« lTlCnt. Les pllrs détails, I'ol'ganisa!ion pl'atique'J
« elle peut les ehoisil'; mais ql1anl a l'essence du
H tout, quanl au siége dll pOll\'oiL' supreme, ce sont
{( les circonstances sociales fjuí en déeident pour
h elle. \)


Qll'íI Y ait une portion de vérité dans eeHe doc-
trine, je le reconnais tout d'abol'd ; mais pour en ti-
rel' quelqlle parti, iI faut la ramener a une expres-
sion distinde et a des limites convenables. Quand
on dit que le pouvoir le plus fort dans une société
deriendl'a le plus fort dans le gouvemement, que
signifie le mot pouvoir? Ce n'cst pas la force des'
nerfs el des muscles ; aulremcnt la démocratie pure
seraitle seul gouyernement qui put cxisteL'.


Ajoulez a la force purement museulaire deux
autres élémen ts, la richesse el l'in telligence, el




.20 GOUVERNEMENT REPBESENTATIF.


nous sommes plus pres de la vérité, mais loin encore
d'y etre arrivé. Non-seulement une majol'ité esi,
sóuvellt maItrisée par une minorité, mais encore
la majorité peut ctre supérieure par la richesse, par
l'intelligence individueIle, el néanmoins obéir de
force ou autrement a une minorité qui lui est infé-
rieure sous ces deux rapports. Pour que ces divers
éléments de pouyoir lIient une inflllencc politique,
il faut qu'ils soienl organisés, el l'avantage en fait
d'organisation est néee-.sairement a ceux qui sont
en possession du gouvernement. Un parti bien plus
faible, quanL aux autres éléments du pouvoir, peut
l'emporter de beaucoup lorsqlle les pouvoirs de gou-
vernement sont jetés dans la balance, el iI pellt par
cela seul garder longtemps sa prédominanee ; quoi-
que a vrai dire un gouvernement ainsi basé soit
dans la condition qu'on appelle en mécanique éqlli-
libre non stabJe, comme une chose qui se balance
vers sa plus petite extl'émité, et qlli, une fois dé.fan-
gée, tend de plus en plus a s'éloigncl' de son premier
état, au líeu d'y revenir.


Mais il y a des objections plus forLes encore con-
t1'e cette théorie de gouvernement, dans les termes
ou on la présente d'ordinaire. Toul pouvoir qui,
dans une société, tend a se rom"crtir cn pOllvoir po-
litique, n 'est pas un pouvoir a l'état de repos, un
pouvoir purement passif, mais bien un pouvoir
actif; en d'autres tel'mcs, un pouvoir qui s'exerce




FOHMES DE (jOCVERNEMENT. 21
réelIemcnt, c'cst-a-dire par cela meme une tres-pe-
tite portion de tout le pouvoir qui existe. En effet ,
politiquement parIant, une grande partie de tout
pouvoir consiste dan s la volonté. Comment est-il
possible alors de supputer les éléments du pouvoir
politique, tandis que nous omettons dans notre
caleul un élément qui a~it sur la volonté. Paree que
ceux qui passedent le pouvoir dans une société
posscdl'nt le pouvoir poli tique, ilne faut pas croire
flu'il soit inutile de ehel'cher a influeneer la eonsti-
1 ulion du gou\'l~rnemen t, en agissant sur l'opinion;
Ce' serait ouhlier que l'opinion est en elle-meme une
des plus grandes forces sociales actives. Une per-
sonne avec une croyance est une force sociale égale
a quatre-vingt-dix-neuf autres personnes qui n'ont
que des intérets. Ceux qui ont réussi a persuader
au publie que eertaine forme de gouvernement (ou
11 'importe quel fait sO('ial) mériLe d'etre préférée,
('('ux-Ia ont presque fait la plus grande chose qu'on
puisse faire, pour gagner a eette forme de goUver-
nenlcnl les pounúrs de la société. Le jour ou le
premier martyr fut lapidé a. Jérusalem, tandis que
celui qui devail eLre l'apótre des Gentils assistait au
suppliee, « consentant a sa riL01't,» quelqu'un aurait-il
supposé que le parti de cet homme lapidé était alors,
el la, le pouvoir le plus eonsidérable dans la so-
eiété? L'événement ne l'a-t-il pas démonlré? El
cela paree qne ses croyanees étaient les plus puis-




22 GOUVERNEMEl'IT REPRÉSENTATIF.
sanles de toutes les croyallces exislant alors. Ll'
meme élément fit dOun moine de \Vittemberg, a la
diete de \Vorms, une force sociale plus puissan te
que l'empereur Chal'les-QuinL et que Lous les pI'illee~
réunis en ce lieu. Mais on HOUS lIira pcut-cll'e que
ce sont la des cas OU la l'eligiun était en jeu, el (!lW
les convictions l'eligieuses on L (Iue] que chose de parli-
culier dan s leur force. P renons alors un cas pUl'cmen t
politique, oil la religion, en la supposanlle moin~
du monde engagée, élait surlout lIu t6Lé perdant.


Si quelqu'un yeut clre cUIlvaincu que la pensée
spéculative est un des principaux éléments du pou-
voir social, qu'il se reporte au sit\cle précédent,
alors qu'il y avait a peine un trone cn EUl'ope oil
ne ful assis un roi libéral el réformaLeur ~ un empe-
reur libéral el réformateul', et, chose plus ólrange
que tout le reste, un pape libéral el réformaleur :
qu'il se reporte au siccle de Frédéric-le-Grand, de
Cathel'ine Ir, de Joseph 1I, de Pierrc-Léopold, dt'
Benoit XIV, de Ganganelli, de Pombal, de d'A-
randa; une époque ou les llourbons de Naple:-;
eux-memes étaient libéraux el réformateurs, el ou
tous les esprits actifs parmi la noblesse de France
étaient pleins des idées qui bienLot apl'es devaienl
leur couter si cher. Voila surement qui démonlre
d'une fa<;on concluante combien le pouvoir pure-
ment physique et économique est loin d'étre le
pouvoir social tout entier. Ce n'est par aucun chan-




FOHMES DE GOUVEHNEMENT. 23


gement dans la répartition des intérets matél'iels,
mais bien par la propagation de croyances morales
que l'esclavage des negres a pris fin dans l'empire
britannique et ailleurs. Les serfs de H.ussie devront
leur émancipation, sinon a un sentiment de devoir,
du moins a la naissanee d'une opinion plus éclai-
rée sur les véritables intérets de l'État. e'est ce que
les hommes pensent qui dé termine lenr maniere
d'agir; et quoique les persuasions et les convic-
tions de la maycnne des homIlles soient déterminées
plutót par leur posilion personnelle que par la rai-
son, ce n'est pas peu de chose que le pouvoir
exercé sur eux par les persuasions eL les eOllvic-
tions des personnages d'nne elasse différente et de
plus par rautorité ullanime des gens inslruits.
Aussi, lorsque la plupart des gens instrnits peuvent
etre amenés a reconnaitre un arrangement social
ou une institution poli tique pour salutaire, et une
autre pour manvaise, l'une pour désirable, l'autre
ponr condamnable, on a fait beancoup ponr don-
ner a l'une et retirer a l'antre cette prépondéranee
de force soeiale qui la fait vivre. La maxime que
le gouvernement d'un peuple est ce que l'obligent
a elre les forces sociales existant chez ce peuple,
eette maxime est vraie, dans le sens seulement ou
elle favorise au !ien de décourager les tentatives pour
faire un choix rationnel parmi les formes de gou-
vernement praticables dans l'étatactuel de lasociété.




CHAPITRE 1I
DU CnlTEIHCM D'CNE BON::-;E FORME DE GOCYERNEMENT.


La forme de gouvernement d'un pays donné, étant
(dansles limites de certaines conditions détermi-
nées) une affaire de choix, i 1 fa u t main tenan t re-
chereher par quoi ce choix doit etre dirigé, quels
sont les caracteres distinctifs de la forme de gou-
vernement la plus apte a favoriser les intérels d'une
société donnée.


Avant de commencer cette recherche, iI peut pa-
raitl'e nécessail'e de décider quelles sont les fonc-
tions propres du gouvernement; car le gouverne-
ment étant purement et simplement un moyen, le
Ghoix du moyen doit dépendre de la maniere dont
iI s'approprie a la fin vouIue. Mais cette faQon de
posel' le probleme n'en facilite pas l'étude autant
qu'on pourrait le croire, et meme ne met pas en
lumiere l'ensemble de la question. Car d'ahord les
fonctions propres d'un gouvernement ne sont pas
une chose invariable, mais une chose qui differe
suivant les différents états de société, une chose




D'UNE nONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 25


heaucoup plus vaste ehez un peuple arriéré que
chez un peuplc avancé. Ensuite, le caractere d'un
gouvernernent ou d'un ensemble d'institutions poli-
tiques ne peut Ctre suffisarnment apprécié, si nous
nous hornons a rxaminer la sphere légitime des
fonctions gOllycrncmentales. Car, quoique les bien-
faits d'un gOllVel'l1ement soient nécessairement cil'-
conscrits dans rette sphcre, il n'en est malheureu-
sement pas de meme de ses mauvais effets. Tous les
maux de tontes sortcs el de tous degrés que 1'hu-
mani té est susceptible de souffrir, peuvent lui venir
par le faít de son gouyernement; et l'homme ne
peut retirer de l'existence sociale aucun des avan-
tages qu'elle comporte, si le gouyernement ne s'y
prete et n'y consent.


Ponr ne rien' dire des efrcts indirects, l'interven-
lion directo des antorités publiques pent embrasser
toutc l'existence humaine; et l'influence du gou-
vernement sur le bien-ell'e de la sociélé doit etre
examinée et appréciée dans son rapport, non pas
a,-ec quelqucs intérels, mais avec l'ensemble des
intércts de l'humanité.


Nous trouvant obligés ainsi d'avoir sous les yeux,
comme pierre de touche d'un hon el d'un mauvais
gouvernement, un objet aussi complexe que les in-
térets collectifs de la. société, nous essaierons volon-
tiers de classer ces intérets par groupes détermi-
nés, indiquant par lit les qualités nécessaires a un


2




26 GOUVER:'-iEl\lENT H.EPRÉSENTATIF.
gouvernement ponr favoriser chacnn de ces diH~rs
intérets. Ce serait une grande facilité si nous pou-
vions dire : le bien de la société consiste dans lcb
et tels éléments, celui-ci veut lelle condition, celui-
la telle autre, donc le gourcrnenlent qui réunit tOll-
tes ces conditions au plus haul degré doit Gtre le
meilleur. On construirait ainsi la théorie dn gou-
vernemcnt avec les théorcmes distincls des élé-
ments (llÚ composent un hon état de société.


l\Ialheureusement, énumérer et classer ce quí
constitue le bien-ctre social, de maniere a admel-
lre la formation de pareils théoremes, n'est pa~
cIlose facile. Presque tous cenx qui, pendant la
génération acluelle el la précédcnle, onl éludié la
philosophie poli tique ilyeC des vues 'un pen éten-
dues, ont senti l'importance d'uue pareille classifi-
calion. Mais les tentatives qn'on a faites pour y
arriver se sont arretées jusqu'a présent, alltant que
je sache, au premier paso La dassificalion com-
menee et finit par une didsion des hesoins de la
sociélé entre les deux ehefs d'ordre et de progrc~
(suivant la phraséologie des penseurs fl'anc:ais), de
permanence el de progression, suivant Coleridgc.
eette division est plausible el séduisanle par le
contraste, bien décidé en apparence, qu'offrent ee~
deux chefs, el par la différence remarquable des
sentimcnts auxquels ils font appel. ~Iais je erains
que (quoique tres-admissible dans laconversation) la




D'UNE nONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 2i


distinction entre l'ol'dre ou permanence et le pro-
gres, ne soit inexacte el pen scienlifique, si on l'em-
ploio ponr déterminer les qualités nécessaires a un
go (\ rernemen t.


CaI', d'abord, qll'est-ce que l'ordro et qu'est-ce
que le pl'ogrcs? A l'égard du progres, iI n'y a nnlle
difflcul té, ou nulIe du moins qui saute aux yeux.
Quand on parle du progl'cs comme de l'un des be-
soins de la société hnmaine, on peut enlendre par
progres, amélioration. e'est une idée tolérablement
dislincle. Mais qu'est-ce que l'ordre? Ce mot signi-
tic une portion, tantOt plus grande, tantot moindre,
des c}¡oses nécessaires a la société, en dehol's de
l'amélioralion ; mais il ne résume presque jamais
l'ensemble de ces cllOses.


Dans son acception la plus étl'oite, or<1re signifie
obéissance. On dit d'un gouvernemenL qu'il main-
tient l'ordre, s'il rétlssit a se faire obéir. Mais il
y a différents degI'és d'obéissance, et tous ne sont
pas louables. Un pur despotisme pent seul exiger
des individus une obéissance sans réserve a toutes
les ordonnances de ceux qui possedent le pouvoir
Nous devons au moins borner la définition a celles
de ces ordonnances qui sont générales et publiées
sous forme expresse de lois. L'ordre, ainsi com-
pris, est sans aucun doute un attribut indispensa-
ble du gouvernement. A propremenl parler, un
pouvoir qui ne sait pas faire obéir ses ordonnan-




28 GOüVERNEMENT HEPHÉSENTATIF.
ces, ne gouveme paso Mais l'ordre, qlloiqu'il soit
une condition nécessaire du gouvernement, n'est
pas la fin pour laquelle il a été créé. Un gouvcrne-
ment doit se faire obéir, afin de pouvoir atteindre
quelque autre bulo Il nous reste encore a recher-
chel' quel est, abstraction faite de l'idée d'amélio-
fation, cet autre but vers lequel doit tendre le
gouvernement en touLe société. qu'elle soit slation-


. .


naIre ou progressl ve.
Dans un sens un peu plus étendn, le mol ol'drc


signifie que la paix publique n'est plus troublée par
aucune violenee privée. Gn dit que l'ordre existe
la ou, en regle générale, les habitants du pays ont
cessé de vider leurs querelles a rnain armée, et on t
pris l'habitude de s'en rapporter au gouvel'nement
ponr la déeision de leurs disputes et la réparation
de leurs to1'ts. Mais, dans cette aeeeplion plus vaste
du mot comme dan s la préeéden te, l'ordl'e est plll-
tut une des condilions nécessaires du gouvcrne-
menL, qu'il n'est sa fin ou bien lo criLorium de son
excellence. Cal' l'habitude de se sourncLtre au gou-
vel'nement et d'en référer a l'autorité dans touto
discussion peut étre tres-cnracinéc, el néanmoins
la maniere dont le gOllvernemenl traite les slljets
de discllssion et tOlItes les aulres ellOses dont il
S'occllpe, peut varier entre ce qll'il ya de mieux au
monde et ce qu'il y a de pire.


Si nOtlS voulons comprendre dans l'idée d'or-




D'U~E BONNE FORME DE GOUVERNEMEl"T. 29


dre tout ce que la société exige de son gouverne-
ment, qui n'esl pas contenu dans l'idée de progres,
iI nous faut définir l'ordre comme le conservateur
des bien s de toute sorte et de toute imporlance
qui existent déja, et le pl'ogf'CS comme consistant
dans un accroissemenL de tous ces biens. eette
distinction compr.end, dans l'une el l'autre sec-
tion, tout ce qll'on demande a un gouvernement
de favol'iser. l\Iais ainsi établie on n'y trouve pas la
base d'une philosophie de gouvernement. Nous ne
pouvons pas dire qu'en constituant une politique,
il faul prendl'e cerlaines mesures en vue de l'ordre
et certaines autres en vue du progres, puisque dans
le sens qu'on vient d'indiquer, les conditions de
l'ordre el, du progres son! non point opposées
mais semblables. Rn effet, les influences tendant a
maintenir le bien social qui existe déja, sont abso-
tument les memes que celles qui tendent a l'accroi-
Ire, et vice vel'sa, avec cette seule différence qu'elles
doivent ctre plus puissantes dans le rleuxieme cas
(lile dans le premier.


Par exemple, quelles sont les qualités indivi-
<ineIles qui, chez les citoyens, tendent le plus a en-
tretenir la dose de bonne conduite, de bonne
administration, de succes et de prospérité qui
.existe déja dans la société? Tout le monde recon-
naltra que ces qualités sont le travail, l'intégrité,
la justice el la prudence. Mais est-ce que ce ne


2.




30 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
sont pas la, entre toutes les qualités, celles qui me-
nent le plus directemenl au pl'Ogres? t, esl-ce que
tout accroissement de ces verlus dans la commu-
nauté n'esl pas en soi le plus grand des progres?
S'il en est ainsi, les qualités quelles qu'elles soient
qui, chez le gouvernement, favorisent le travail,
l'intégrité, la justice et la prudence, favorisent éga-
lement la permanence et le prog1'es : seulement il
faut une plus forte dose de ces qualités pou1' 1'en-
dre la société p1'ogressive que pour la maintenir au
point ou elle est arrivée.


De meme, quels sont les attributs particuliers
qui, chez les etres humains, semblent avoir tout
spécialement rapport au progrcs el qui ne sugge-
rent pas aussi directement les idées (l'ordre e1 de
conservation? Ce sont surtout l'activité intellec-
tuelle, l'esprit d'entreprise, le courage.


Mais est-ce que ces qualités ne sont pas tout
aussi nécessaires pour consener le bien que llOUS
avons déja, que pour y ajouter? S'il y a quelque
chose de certain au monde, c'est que les memes
forces qui ont rail nos plus précieuses acquisitions
sont absolument indispensables pour les garder.
Les choses abandonnées a elles-memes dépél'issent
inévitablement. Ceux que le Sllcces porle a se rel&-
cher de leurs habitudes de soin el de prévoyance,
el de leur empressement a affronter les ennuis, ne
voient guere leur bonne fo1'tune se maintenir long-




D'UNE 1l0NNE FORME DE GOUVERNEMEl'IT. al


lemps a son apogée. L'atlribut intellectuel qui sem-
ble exclusiremcnt consacré au progres et qui ren-
ferme au plus baut point toutes les tendances
progressives, c'est l'ol'lginallN ou l'invention. Cepen-
dant, ceHo faculté n'est pas moins nécessaire pour
la permancnco, puisque dans les cbangements iné-
vitablos des affaires bumaines il se présente, a
chaque inslant, de nouveaux inconvénienls et de
nouyeaux dangers, auxquels iI. faut paror par de
nouyolIes rossourccs et de nouvelIes combinaisons,
simplement pour maintenir les choses sur un aussi
hOll pied qu'auparavant. C'est pourquoi toutes les
qualilés qui, chez un gouvernement, tendent a en-
courager l'aclivilé, l'énergie, le courage, l'origina-
lité, sont des c,onditions de permanence aus:;i bien
que de progres; mais généraIemen t il faut une plus
forte dose de ces qualités dans le deuxieme cas que
dans le premier.


Si nous passons mainlenant des conditions intel-
IectuelIes aux conditions matérielles de la société,
iI est impossible de trouver une combinaison poli-
lique ou un arrangement des affaires sociales, qui
conduise a l'ordre seulement ou au progres seule-
ment; fout ce qui tend a l'un favorÍse les deux.
Prenez, par exemple, l'inslitution ordinaire d'une
police : l'ordre est l'objet qui semble le plus inté-
ressé a la maniere dont fonctionne cette parLie de
l'organisalion sociale. Cependant, si la police réus-




32 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
sit a favoriser l'ordre, c'est-a-dire si elle réprime
le méfait de faQon a ce que chanm sente sa per-
sonne et sa propriélé en surelé, peut-il y avoir
quelque chose qui mene plus dil'eclement au pro-
gres? La sécurité plus grande de la propriété esl
une des condiLions el Jes causes principales d'une
production plus grande, ce qui est lo progres sous
son aspect le plus vulgaire et le plus familier; la
répression plus sévere du mal répl'ime les disposi-
tions qui portenl au mal, et ceci est le prcgrcs
dans un sens plus élevé. L'indiYidll, délivré des
soins et des inquiétudes dont il est assailli sous un
régime de proLecLion impal'faite, est libre d'em-
ployer ses facultés a quelque nouvel etrort pour
améliorer son nouvel état el celui des autros, tan-
dis quo la meme cause, en l'aUachanl a l'existence
sociale, en l'empikhant désormais de regardcr son
prochain comme un cnnemi pl'ésenl ou futllr, dé-
veloppe ces scntimenls de JJicnveilIalH:c, de cOllfra-
ternité, et cel inLérel pour le hien-CLre général de
la communauté, qui forment une portion si im-
portante du progres social.


Prenez encore un cas aussi familier que celui
d'un bon systeme d'impóts et de finances. On clas-
serait généralement ceci sous le chef de l'ordre.
Néanmoins, qu'est-ce qui peut mener plus dirccte-
ment au progrcs? Un systcme de finances qui favo-
rise l'un des deux condnit a. l'antre précisément




D'UNE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 33


par les memes qualités. L'économie par exemp]e '
est un moyen non-seulement de conserver le capital
de la richesse publique, rnais de l'augmenter.


Une juste l'épartition des charges, en offl'ant a
tous les citoyens un exemple de rnoralité et de cons-
cience dans des arrangements difficiles, et une
preuve de l'importance qu'attachent a ces qualités
les autorités les plus hautes, tend éminernment a
élever les sentiments rnoraux de la comrnunauté,
sous le double rapport de la force et du diseerne-
mcnt. Une maniere de lever les taxes qui n'empeche
pas le travail du ci loyen et qui ne vient pas gener
sans nécessité sa liberté, favorise non-seulement la
conservation mais l'accroissement de la richesse pu-
blique, et ,encourage un exercice plus actif des fa-
cultés individuelles. Et vice versa: toutes.les erreurs
qui, en fait de finanees et d'impóts, rnettent obs-
tacle a l'amélioration du peuple sous le rapport de
la richesse et de la rnorale, tendent de memo, si elles
sont véritablement graves, a appauvrir et a démo-
raliscr positivement ce peuple. En somme, cela re-
"icnt a clire d'une fac;on générale que lorsque les
mots d'ordre et de perrnanence sont pris dans leur
sens le plus étendu, lorsqu'ils signifient la stabilité
des avantages existants, les conditions du progres ne
sont antres que celles de l'ordre, a un degré plus
grand; les conditions de la permanence sont sim-
plemen t. celIes d u progres dans une mesu re rnoindre.




34. GOUVEHNEMENT REPRÉSENTATlF.
A l'appui de ce principe que l'ordre diffcre es sen-


tiellement du progres etque la consenation dll hien
existant et l'acquisilion d'un bien nouvean sont
choses suffisamment distinctes pOUl' foul'nir la base
d'une classification fondamentale, on va peut-elre
nous rappeler que le progl'eS peut se pl'oduil'e aux
dépens de l'ordre; que pendant que nous acquérons.
ou que nons cherchons it acquéril' un hien d'une
espece donnée, nons perdons pent-ctl'e du terraia
par l'apport a d'antres biens; que par cxemple la
richesse pent eLre en pl'ogrcs, tandis que la vertn
se détériore. En admeUant cela, il en ressort, non
point que le progres et la permancnce sont choses
de genl'es totalement différents, mais que la ri-
chesse et la vertn sont deux choses différenles. Le
progrcs, e'est la permanence et quelque chose de
plus. Ce n~esl pas nous répondre que de aire: le
progl'cs en une chose n'implique pas la permanence
en tontes choses. Tout progres sur un point donné
comprend la permanence sur ce meme point : toules
les fois qu'on sacrifie la permanence a une espece
particuliere de progres, on lui sacrifio encore da-
vantage un antre progres : et si le sacrifice ne va-
lait pas la peino d'étre rait, non-seulement on a
négligé l'inléret de la permanence, mais on s'est
abusé sur l'intéret général du progreso


Si pour donner un commencement de précision
scientifique i\ la notion d'un bon gouvernement,




D'UNE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 35


l'on doit se servir de ces idées mises a Lort en
contraste, il serait plus philosophiquement correct
de laisser en dehors de la définition le mot oJ'dl'e,
et de dire que le meilleur gouvernement est celui .
qui a le plus de tendance vers le progreso Car le
progres comprend l'ordre, mais l'ordre ne COITl-
prend pas le progl'es. Le progres est un degré plus
grand de la chose dont l'ordre est un moindre degré.
L' ordre, dans tout autl'e sens, représente seulement
une partic des qualités voulues d'un bon gouver-
nement.: il n'en est pas le type ni l'essence. La place
de l'ordre serait plutót parmi les condiLions du
progres, puisque si nous voulons augmenter notre
somme de bien, la premiere cIlose a faire est de
prendre un soin convenablé de ce que nous possé-
dons déjil. 'Si nous voulons acquérir plus de riches-
ses, notre premiere regle doit etre de ne pas dissiper
inutilement nos capitaux actuels. Ainsi envisagé,
l'ordre n'est pas un objet de plus a concilier avec
le progres, mais une partie et un moyen du progres
lui-meme. Si ce qu'on gagne sur un point est
acheté au prix d'tll1e perte plus qu'équivalente su!'
.re meme point ou sur un autre, il n'y a pas progreso
L'aptitude du progres ainsi comprise renferme
tout le mérite d'un gouvernement. .


Mais ceUe définition du criterium d'un bon gou-
,'ernement, quoique soutenable métaphysiquement,
ne saurait convenir, paree que, bien qu'elle con-




36 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
, tienne toute la vérité, elle n'en rappelle a l'esprit


qu'une partie. L'idée que suggere le mot de progl'cs,
est une idée d'avancement, tandis que de la far,on
dont nous l'employons ici, il veut tout aussi bien
dire un empechement a reculer. Les memes causes
sociales, les memes croyances, les memes senti-
ments, les memes instituLions eL les me mes prati-
ques, sont aussi nécessaires pour empecher la so-
ciété de rétroga1'del' que pour la faire avancer.
Quand il n'y aurait aucune amélioration a espérer,
la Yie n'en se1'ait pas moins une luLle incessantC'
contre les causes de détérioration, comme elle l'cst
aujourd'hui meme. La poli tique telle que la concc-
vaient les anciens, consistait uniquement en ccci:
« La tendance naturelle des hommes et de leu1's
« cellv1'es était de dégénérel'; mais pou1'tant il était
« possible de neutraliser cette ten dance durant un
C( laps de temps indéllni, au moyen de bonnes ins-
« titutions vertueusement adminislrées. » Quoique
nous ne soyons plus maintenan t de ceUe opinion',
quoique aujoll1'd'hui la plupart des homrnes profes-
sellt une doctrine cont1'aire et c1'oient qu'en somme
la tendance des choses est ve1's le p1'og1'cs, nous nc
devrions point oublier que toutes les folies, tous
les vices, toutes les négligences, toute l'indolence,
toute la nonchalance de l'hnmanité constituent une
force qui sans cesse entralne a mal les affaires hu-
maines, et que l'unique contrepoids de cette force,




D'Ui'iE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 37


ce qni seul l'empeche d'emporter tout a sa suite,
.e'est qu'il y a une classe d'hommes dont les efforts
tendent (chez les uns constamment, chez les autres
de temps en temps) "ers un but utile et élevé. Sup-
posel' que l'unique valeur de ces 'efforts consiste
dans la dose d'amélioralion acluelle qu'ils operent,
et que si on les cessait il en résulterait simplement
la persistance de l'état ou nOllS sommes, c'est avoir
une idée trcs-imparfaite de l'importance des efforts
dont l'objet est d'améliorer et d'élever la natllre et
la vie humaine. Une tres-petite diminution de ces
-eIl'orts, non-seulement arreterait net le progres,
mais tournerait la tendance générale des choses ve1's
la détérioration, laquelle une fois commencée mar-
eherait avecune rapidité toujours croissante et de-
Yiendrait de plus en plus difficile a empecher, jus-
(lu'a ce qu'elle fUl arrivée a cet état souvent décrit
par l'histoire et dan s lequel rampe aujourd'hui en-
core une nombreuse portion de l'humanité, a cetétal
ou un pOllvoir surhumain semble presque seul ca-
pable de changer le mouvement des choses, et de les
Temettre de nouveau dans une voie progressive.


Pour toutes ces raisons le mot progres est aussi
impropre que les termes ordre el permanence, a
devenir la base d'une classification des qualités né-
·cessaires a une forme de gouvernement. L'antithcse
fondamentale qu'expriment ces mots, ne repose
pas tant sur les choses elles-memes, que sur les


3




38 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
, types de caractere humain qui y correspohdent. 11


y a, nous le savons, certains esprits chez le::;queIs
c'est la prudence qui domine, et d'autres chez les-
quels c'est la hardiesse. Pour les uns, le soin et la
garde de ce qu'ils possedent déja, est un sentiment
plus puissant que celui qui pousse aux jouissances
nouvelles, aux acquisitions Ilouvelles; tandis que
d'autres penchent du cóté conlraire, el sont plus
désireux du bien futur que soigneux du bien pré-
sent. Dans les deux cas, la route qui mene au but


.


est la meme; mais les hommes sont sl1jets a s'en
écarter dans des directions opposées. Cette consi-
dération est importante, lorsqu'il s'agit ele com-
poser le personnel el'un corps politique. Les deux
genres de caracteres doivent s'y rencontrer, afin de
pouvoir tempérer l\m l'autre leurs tendances, en ce
qu'elles ont d'excessif. Il n'est pas nécessaire de
prendre aucune précaution expresse pour assurer
cet objet; il suffit qu'on ait soin de ne rien admettre
qui y fasse obstacle. Le mélange natllrel et spon-
tané de la vieillesse et de la jeunesse, de cel1X dont
la forlune et la réputation sont faites, et de ceux
qui ont encore a faire l'llne et l'autre, suffira géné-
ralement pour aUeindre le but, a condition que cet
équilibre naturel ne soit pas troublé par un regle-
ment artificiel.


Pllisque la distinction qui sert généralement a
classer les besoins de la société ne possede pas les




D'UNE ilONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 39


qualités voulues pour cet usage, il nous faul cher-
cher quelque autre distinction premiere, mieux
appropriéc a l'objet qu'on a en vue. Une pareille
distinction me semblerait etre indiquée par les con-
sidérations auxquelles je passe actuellement.


Si nous recherchons les principes et les condi-
lions d'un bon gouvernement dans tous les sens du
mot, depuis le plus humble jusqu'au plus élevé,
HOUS trouvons en premiere ligne les qua lités des
humains qui composent lasociété sur laquelle
s'exerce le gouvernement. Nous pouvons prendre
comme premier exemple l'adminislration de la jus-
tice, et cela d'autant mieux, qu'il n'y a pas une
branche des atfaires publiques ou le mécanisme
pur, les regles et les combinaisons qui dirigent les
détails de l' operaLion, soient d'une importance aussi
vitale. Cependant, ce qui importe encore davan-
tage, ce sont les qualiLés des agents humains em-
ployés. A q~oi sert-iI qu'en [ait de justice criminelle
les formalités soient des garanties, si la condition
morale du peuple est telle que les témoins mentent
pour la plvpart, et que les juges et les autres ma-
gistrats se laissent corrompre? De meme, comment
des institutions peuvent-elles procurer une bonne
administration municipale, la OU on traite ce sujet
avec une telle indifférence, que les hommes qui
pourraient administrer avec honneteté et capacité
refusent de ]e [aire, et en abandonnent le soin a




40 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
ceux qui s'en chargent paree qu'ils y ont un intéret '!
A quoi sert lo systeme représenlatif le plus franchc-
ment populaire, si les électeurs ne se soucient pas
de choisir le meilleur membre du parlement, mais
choisissent celui qui dépellsera le plus d'argen t
pour se faire élire? Comment une assemblée repré-
sentative peut-elle travailler au bien public, lorsque
ses membres peuvent 6tre achotés, ou lorsque 1'i1'-
ritabilité de leur tempél'ament (IUC ne modere ni la
discipline publique ni leur ompire sur eux-memes,
esttelle qu'elle les rend incapabJes d'une déli-
bération calme, et les pousse a en venir aux voies
de fait dans la chambre meme, ou bien a des duels '!
Comment le gouvernement (ou touto autro ent1'e-
prise) peut-il etre conduit d'une maniere tolérablo,
chez un peuple si envieux que lorsqu'un homme
parait SUL' le point de réussir a quelque chose, ceux
qui devraient y coopérer avec lui, s'entendent taci-
tement pour le faire échouer.


Partout ou la disposition générale du peuple est
telle que chaque individu rogardc seulomcnt ceux
de ~es intérets qui sont personnels ot ne s'appesan-
Lit pas sur sa part des intérets généraux ou ne s'en
inquiete pas, sous un pareil état de choses un bon
gouvernement est impossible. Il n'y a pas hesoin
d' illustration pour prouver que le manque d'intelli-
gence est un obstacle a la marche d'un hon gouver-
nement. Le gouvernoment consiste en des actes




D'UNE BONNE FORME DE GOUVEHNEMENT. 41


faits par des elres humains: or, si les agents, ou
ceux qui ehoisissent les agenls, ou ceux envers les-
quels les agents sont responsables, OH les specta-
teurs dont l'opinion devrait influer et peser sur tout
cela, sont simplement des masses d'ignorance, de
stupidité, de préjugé malheureux, toutes les opéra-
tions du gouvernement iront de travers; tandis qu'a
mesure que les hommes s'éleveront au-dessus de ce
niveau, le gouyernement s'élevera de son cOté vers
\'.,~ de.q;,ré. d'e.x.cellence \;lossible a atteindre, quoi-
qu'on ne l'ait encore aUeint nulle part, ou les fonc-
tionnaires du gourernement doués eux-memes
d'une vert.u et d'une intelligence supérieures, res-
pirent ratmosphere d'llne opinion publique ver-
tueuse et éclairée.


Done, le premier élémenl de bon gouvernement
étant la vertu et l'intelligence des étres humains
qui composent la communauté, le mérite le plus
important que puisse posséder un gouvernement,
e'est de développer la vertu et l'intelligence du peu-
pIe lui-meme. La premiere question a l'égard de
loute institution politique, est de savoir jusqu'a quel
point elle tend a développer chez les membres de la
eommunauté les différentes qualités, morales ou
intellectuelles, ou plut6t (suivant la c1assification
plus complete de Bentham) les qualités morales,
intellectuelles et actives. l...1e gouvernement qlli rem-
plit le mieux eette condition, est apparemment le




42 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
meilleur SOU3 tous les autres rapports, puisque tk


ces qualités dans la proportion 011 elles existent chez
le peuple, dépend absolument le bien que peut faire
le gouvernement dans ses opérations pratiques.


Nous pouvons done regarder comme un criterium
de ce que vaut un gouvernement, la mesure dans
laquelle il tend a accroltre la dose de bonnes qua-
lités des gouvernés, collectivement et individllelle-
ment; puisq ue, san s parler de leur bien -Mre qui est
l'ohjet principal dll gouvernement, leul's bonnes
qUéllités fournissent la fOl'ce motrice qui fait mar-
cher la machine. Reste alors, comme autre élément
constitutif du mérite d'un gouvernement, la qualité
du mécanisme lui· meme, c'est-a-dire la mesure
dans laquelle ce mécanisme est combiné de ma-
niere a tirer parti des honnes qualités existantes et
a s'en senil' dans un hut utile. Prenons encore l'ad-
minislration de lajustice, comme exemple et comme
illustratiun. Le systeme judiciaire étant donné, le
mérite de l'administration de la justice esl en raison
composée de ce que valentIes juges, eL de ceque vaut
l'opinion publique qui les influence Oll les controle.
Mais toute la différence entre un hon et un mauvais
systeme judiciaire repose sur les combinaisons
adoptées pour amener tout ce qu'il y a dans la com-
munauté de valeur morale et intellectuelle, a pesel'
sur l'administration de la justice, de fa¡;on a la
remire dument efficace dans ses résultats.




D'UNE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. H


Les arrangements pris pour choisir les juges de
telle fayon qu'on obtienne la plus haute moyenne
de vertu et d'intelligence - les formes salutaires
de procédure - la publicité qui permet de relever
et de critiquer tout abus - la liberté de discussiOlí..
et de censure au moyen de la presse - la maniere
de recueillil' les preuves, suivant qu'elle est plus
ou moins propre a faire luire la vérité - les faci-
lités de toutes sortes pour obtenir acces aupres des
trilmnaux - les moyens adoptés pour découvrir
les crimes et arreter les malfaiteurs - toutes ces
choses ne sont pas le pouvoir, mais le mécanisme
qui met le pouvoir en contact avec l'obstacle; et le
mécanisme par lui-meme n'a aucune action, mais
sans lui le pouvoir, si grand qu'on puisse le suppo-
ser, serait désarmé et inutile.


Cette distinction s'applique aussi bien a l'exécutif
qu'au judiciai1'e. Le mécanisme est bon lorsque les
qualités voulues chez les fonctionnaires sont sou-
mises aux épreuves convenables - lorsque la beso-
gne est,convenablement répartie entre ceux qui
doivent la traiter, lorsqu'on la traite dans un ordre
méthodique et convenable, et qu'on tient note d'une
fayon conecte et intelligible de la maniere dont elle
a été traitée, - lorsque chaque individu sait de
quoi il est responsable, et que les autres le savent
égalernent - lorsque en fin on a pris les meilleures
précautions contre la négligence, le favoritisrne ou
la malversation.




4± GOUVERNEl\lENT REPRÉSENTATIF.
Mais les freins politiques n'agiront pas plus-


d'eux-memes qu'une bride ne dirigera un cheval
sans un cavalier. Si les fonctionnaires qui doivent
empecber le mal sont aussi corrompus et aussi né-
gligents que ceux qu'ils devraient réprimer, et si le
public, le ressort principal de tout le méeanisme
réprimant, est trop ignorant, trop passif ou trop in-
souciant et inattentif pour jouer son role, on reti-
rera peu de profit du meilleur appareil administra-
tit'. Cependant, un bon appareil est toujours préfé-
rabIe a un mauvais. Avec un hon appareil, la force
motrice ou réprimante qui existe peut porter les
meilleurs fruits, et sans cela nuBe dose de force
motrice ou réprimante ne serait suffisante. Par
exemple la publicité n'est pas un obstacle au mal ni
un stimulant au bien, si le public ne veut pas re-
garder ce qui se passe j mais sans publicité com-
ment pourrait-il empeeber ou encourager ce qu'on
ne lni permettrait pas de voir? L'idéal de la consti-
tution parfaite, pour une fonction pulJlique, c'est
que l'intéret du fonctionnaire cOIncide avec son de-
voir. On n'arrivera pas la simplement par un sys-
teme, mais on y arrivel'a encore bien moins sans
un systeme babilement préparé a cet effet.


Ce que nous avons dit des détails de l'administra-
tion du gourvernement, on peut le dire avec encore
plus d'évidence de sa constitution générale. Tout
gouvernement qui vise a étre bon, est une organi-




D'UNE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 45


sation des bonnes qualités existant dans la commu-
nanté ponr la condnite de ses afl'aires. Une cons-
titution représentative est un moyen d'amener
l'intelligence et l'honneteté répandues dans la com-
munauté, ainsi que l'entendement et la ver tu supé-
rieurs des individns les plus sages, a peser plus
directement sur le gouvernement: c'est une maniere
de leur donner plus d'influence dans le gouverne-
ment) qu'ils n'en auraient avec un autre mode
d'organisation. A vrai dire, ce qui existe la d'in-
fluence, quellequ'en soit l'organisation, estla source
de tout le bien qu'il y a dans le gouvernement, et
r obstacle a tout le malqui n'y est paso Plus est
considérable la somme de ces bonnes qualités que
les institutions d'un pays rél1ssissent a organiser,
et meilleur est le mode d'organisation, meilleur sera
le gouvernement.


Nous voila donc arrivés a un point de vue d'otl
l'on aperQoit le double mérite dont est susceptible
tont ensemble d'institutions politiques. L'un con-
siste dans la maniere dont les institutions favori-
sent le progres intellecluel de la c.ommunauté (en-
tendant par la le progres de la c.ommunauté en
intelligence, en vertu, en activité et en puissance
pratique), l'autre consiste dans la perfection avec
laquelle les institutions organisent la valeur morale,
intellectl1elle et active qui existe déja, de faQon a luí
donner le plus d'action possible sur les affaires pu-


3.




<1-6 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
bliques. On doit juger un gourvernement par son
action sur les choses, par ce qu'il fait des citoyens
et par ce qu'il fait ayec ellx, par sa tendancc a amé-
liorer ou a détériorer les hommes eux-memes, et
par le mérite ou le vice des CBuvres qu'il accomplit,
soit¡pour eux, soit ayec eux.


Le gouyernemen test a la fois une grande in-
fluence agissant sur l'esprit humain, et un ensem-
ble de combinaisons organisées pour les affaires
publiques. Dans le premier cas, son action hien-
faisante estéminemmentindirecle quoi qu'elle n'en
soit pas moins vitale, tandis que son action nuisi-
ble peut étre directe.


La différence entre ces deux fonctions d'un gúu~
vernement n'est pas eomme entre' l'ordre et le
progres, une différence simplement en degl'é, mais
en genre. Nous ne devonspoint supposer pourtant
qu'elles u'aient point de rapports intimes. Les
institutions qui aSSllrent la meillcllre direction des
affaires publiques compatible avec l'éLat des lu-
mieres, teudent par cela seul a l'amélioration de cet
étal. Un peuple qui aurait les lois les plus justes,
la judicature la plus honnete et la plus active,
l'administration la plus éclairée, le systeme de
finances le plus équitable et le moins onéreux qu'il
soit possible d'avoir, au degré de progrcs moral et
íntellectuel ou il est parvenu; ce peuple serait en
bean chemin d'atteindre rapidement un progr('s




D'UNE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 47


supérieur, et les institutions publiques ne sauraienL
contl'ibuer plus effieaeement a l'amélioration du
peuple qu'en s'aequittant de ce qui est leur beso-
gne la plus directe. Si au contraire, leur mécanisme
est si mal construit qu'elles exéeutent malleur be-
sogne, les effets s'en font sentir de mille faQons : en
abaissant la moralité, en émoussant l'intelligence
et l'acLivité du peuple. Mais la distinction est néan-
moins réclIc, paree que eeUe circonstance d'un
mécanisme hon ou mauvais est un des moyens seu-
lcment par lesqucls les institutions politiques amé-
liorent ou détériorent l'esprit humain; les causes et
les modes de ectte influence, bienfaisante ou nuisi-
ble, des gouvernements, restent un sujet d'étude
distinct et )Jeaucoup plus étendu.


Entre les deux modes d'opérations par lesquels
une forme de gouvernement, ou un ensemble d'ins-
titutions politiqucs, touche au bien-etre d'une com-
munauté, a savoir - son opération commo agent
d'éducation nationale, et ses mécanismes pour diri-
gel' les affaircs eolIectives de la communauté ou elle
se trouve, - il est évident que le second mode va-
rie beaueonp moins que le premier, selon les diffé-
l'ents pays et les différents degrés de civilisation. Il
dépend aussi heaucoup moins directement de la
constitution fondamentale du gouvernement. La
maniere de diriger la besogne pratique dli gouver-
nement, qui est la meilleure/dans un pays libre,




48 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
serait aussi la meilleure sous un monarque absolu ~
seulement, il est moins probable que ce derniel'
l'emploie. Par exemple, les lois qui régissent la
propriété, les principes de procédure et de preuvc~
judiciaires, le systcme d'impót et d'administration
financiere, n'ont pas absolument besoin d'etre diffé-
rents sous différentes formes de gouvernemenl.
Chacune de ces matiérJls a des principes et des rr-
gles a elles propres, qui sont un sujet d'étude sé-
paró. La j ur.isprudence générale, la législation ciYilc
et pénale, la poli tique financiere et commerciale,
sont en elles-memes des sciences ou plutót des
membres séparés de la scicnce (ou art) si vaste du
gouvernement, et les doctrines les plus lumineuses
sur tous ces sujets seraicn t en général cgalement
utiles sous tous les gouvernements, si tous étaient
eapabIes de les eomprendre eLde s'y conformer, ce
qui n'est guere probable. Il est vrai que ees doctri-
nes ne peuvent pas otre app1icluécs sans qllelqnes
modificalions a tous les états de la société et de
l'esprit humain; néanmoins, le plus grand nombre
d'entre elles ne demanderaient que des modifica-
tions de détail, afin de pouvoir s'adapter a tout état
de société suffisamment avancé pour avoir des
gouvernants capables de les comprendl'e. Un gou-
verllement auquel elles ne sauraient nullement
convenir doit otre un gouvernement si mauvais en
lui-meme, ou si opposé au sentiment public, qu'il




D'UNE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. 49'


ne pcut se maintenir par des moyens honnetes.
Il en est tout autrement pour eette portion des.


intérets de la eommunauté qui a rapport a réduea-
tion meilleure ou pire du peuple lui-meme. Consi-
dérécs comme instrumcnts de eeUe édueation, les
institutions doivenL etre radiealement différentes,
suiYant le degré de progr(ls qu'un peuple a atteint.
La reeonnaissance de eeUe vérité, quoique la prati-
que lui l'ende hommage plulot que la scienee, peut
etre rcgardée eomme le grand trait de supériorité
des théories politiques d u siecIe aetucl sur les théo-·
ries du sieclc derniel': on avait eoutume alors de
réelamer, pour la France ou l'Angleterre, la démo-
cratie représentative d'apres desarguments qui au- .
raient tout aussi bien prouvé que c'était le seul
gouvernement convenabie pour les Bédouins ou les
Malais. L'état des difl'érenLes communantés, en fait
de culture et de développement, descend jusqu'a
une condition tres-pcu supéIjeure a celIe des betes
les plus inLelligenLes. Le mouvement d'aseension
est, luí aussi, considérablc et la possibilité d'amé-
lioraLion future beaucollp plHs grande. Une .eom-
munauté ne peut monter d'un de ees degrés au
degré supérieur que par un eoneours d'influenees
dont la prineipale est eelIe du gouvernement au-
quel elle est soumise. A tous les degrés imagina-
bles de progres, la nature et la somme de l'autorité
exercée sur les individus, la distribution du pouvoir




50 GOUVERNEMENT REPR~SENTATIF.
et les conditions de commandement et d'obéissance
sont les plus considérables des influences, a l'excep-
tion toutefois des croyances religieuses, qui fon t
des humains ce qu'ils sont, et qui les rendent capa-
bIes de devenir tout ce qu'ils peuvent etre. Un gOIl-
vernement qui s'adapte mal au degré de civilisation
dont jouit un peuple donné, peut arreter court le
progres de ce peuple. El le mérite indispensable
d'un gouvernement, celui en faveur duquel on peut
lui pardonner d'ailleurs presque tout, c'est qlt"il se
prete ou qu'il ne s'oppose pas a ce que le peuple
franchisse le pas qui le sépare d'un <legré de pro-
gres supérieur.


Ainsi (pour revenir a un exemple dont je me snis
déja servi) un peuple dans un état d'indépendallce
sauvage, ou chaque homITÍe vit pour lui-meme,
exempt la pI upart du temps de tou 1 controle exté-
rieur, ce peuple est incapable en pratique d'aUCllll
progres dans la civilisation, jusqu'il ce qu'il ait ap-
pris a obéir : ainsi, la qualité indispensable il un
gouvernement qui s'établit sur un pareil peuple,
c'est de savoir se faire obéir. Pour en arriver la, la
constitution du gouvernement doit etre presque ou
tout a fait despotique. Une constitution populaire
il un degré queIconque, dépendant d'un abandon
volontaire par les membres de la communauté de
leur liberté individuelle d'action, serait incapable
d'imposer le premier principe nécessaire aux pupil-




D'UNE DONNE FORME DE GOUVEBNEMENT. ;) I
les dans ecUe phase de leur progreso Par eonsé-
quent, la eivilisaLion de pareilles tribus, quand elle
n'est pas le résultat d'un eOlltaet avee d'autres tri-
bus déjn. eivilisées, est presque toujours l'ceuv1'e
d'un chef absolu, qui tire son pouvoir ou de la reli-
gion ou de sa prouesse, tres-souvent J'une eon-
quele étrangere.


De meme, les raees non eivilisées, et surtout les
plus braves eL les plus énergiques, répugnent a un
travail continu et mono tone. Cependant, toute vé-


I
l'italJle civilisaLion est a ce prix. Sans un pareil t1'a-
vail, on ne peuL ni former l'esprit aux habitudes
"oulues pour une soeiété eivilisée, ni préparer le
monde matériel a la recevoir.


Il faul up rare concours de eirconstances, el sou-
vent par eeUe raison un laps de temps eonsidéra-
ble, pour réeoneilier un tel peuple avee le travail, a
moins qu'il n'y soit conLraint pendanL un moment.
C'est pourquoi l'esclavage lui-meme, en donnant
un commencement a la vie indusLrielle et en l'im-
posant comme l'occupation exclusive de ]a partie
la plus nombreuse de la communauté, peut hAter
le passage a une liberté meilleure que celIe de se
baUre et de piller. n est presque inutile de dire
que ceUe excuse de l'esclavage ne s'applique qu'a
un état de société encore tres-arriéré. Un peuple
civilisé a tant d'autl'es moyens d'inculquer la civi-
lisation aux étres sur lesquels iI a de l'influence,




:12 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
l'esclavage répugne tellement dans tous ses détails
a ce gouyernement dll droit qlli est la base de la vie
moderne, el iI esl une tene source de corruption
pour la classe supériellre, lorsque celle-ci est une
fois arrivée a la civilisation, que de l'adopter n'im-
porte dans quelles circonstances serait ponr une
société moderne une rechute dans quelque chose de
pire que la barbarie.


Ccpendant, presque tous les peuples aujourd'hlli
civilisés ont été, a quelque époque de leur histoire,
une majorité el'esclaves. A un peuple elans celle
condition, il faul, pour en sortir, un gouvernement
tout différent de celui qu'il faut a une nation de
sauvages. Si ce peuple est naturellement énergique,
et surtout s'il renferme dans son sein une classe
industrieuse qui n'est ni esclave, ni propriétaire
d'esclaves (comme c'étail le cas en Grece), il ne lui
faut guere plus pour assurer son amélioration que
de devenir libre; une fois affranchi, il e~t souvenl
capable, comme les affranchis romains, d' excrcer
sur-Ie-champ tous les droits de citoyen.


Ceci pourtant n'est pas la condition normale de
l'esclavagc, el c'est généralement un signe qu'il
tombe en désuétude. Un esclave, proprement dil,.
esl un otre qui n'a pas appris a se servir de lui-
meme. Il est sans aucun doute d'un pas en avant
sur le sauvagc : il connait déja le premier principe
de la société politique, il sait ohéir. Mais il n'obéil




D'UNE BONNE FOm\IE DE GOUVERNEMENT. 53


qu'a un ordre direct; c'est le trait caractéristique
des esclaves nés, d'étre illcapables de conformer
leur conduite a une regle ou a une loi. Ils ne peu-
vent faire que ce qu'on leur ordonne et seulement
lorsqu'on le lenr ordonne. Si un homme qu'ils
craignent est pres d'eux, les mena<;ant d'une puni-
tion, ils obéissent; mais s'il tonrne le dos, ils ne
font pas leur hesogne.


Un despotisme quí peut dompter le sauvage ne
fera (en tant que despotisme) que confi1'll}er les es-
claves dans leu1's incapacités. Cependant, ceux-ci
ne saurruent nullement diriger un gouvernement
placé sons leur propre controle. Leur amélioration
ne peut venir d'eux-mémes, mais doit etre appor-
tée du dehors., La faGon qu'il lenr faut, lenr seule
maniere d'arriver au progres, c'est de passer d'un
gou vernement arbitraire au gouvernement du droit.
Ils ont a apprendre l'empire sur soi-meme, et ceci
n'est antrc chose, au début, que la capacité d'agir
d'apl'es des instrucLions générales. Ce qu'il leur
faut, ce n'est pas un gouvernement qui use de force,
mais un gouvernement qui les guide. Comme ils
sont cependant dans un état d'abaissement trop-
grand ponr céder a la direction de ceux qu'ils ne
regarderaient pas comme les possesseurs de la force,
le gouvernemenl qui leur convient le mieux est
celui qui possede la force, mais qui s'en sert rare-
mento A ce peuple d'esclaves, il faut un despo-




54 GOUVERNEMENT REPRÉSENTA TIF.
tisme paternel ou une aristocralie a la falion d 11
socialisme saint-simonien, un pouvoir qui préside
d'en haut a toutes les opérations de la société (de
maniere a ce que chacun sente la présence d'une
force capable de l'obliger a se conformer aux lois)
mais quL vu l'impossibilité de dcscendre a régler
toutes les minuties de la vie et dn travail, condam-
nerait et pousserait incessamment les indiyidus a
faire beaucoup par eux-memes. Ce gouvernement,
qu'on peut appeler le gouvernement des lisieres,
semble ctre ce qu'il faut pour aider un pareil pen-
pIe a franchir le plus rapidement possible le pre-
mier pas qu~il doit faire dans le progres social.
Tel parait avoir été le type du gouvernement des
Incas au Pérou, et tel fut celui des Jésuites au Pa-
raguay. J'ai a peine besoin de faire remarquer que
les lisieres ne sont admissibles que comme un
moyen d'habituer graduellernent le peuple a mar-
cher seu!.


Il serait superflu de pousser plus loin cette lltUS-
tration. Essayer de rechercher quclIe espece de
gouvernement convient a chacun des états connus
de la société, serait composer un traité, non sur le
gouvernement repl'ésentatif, rnais sur la science
politiql1e en général. Notre projet élant plus limité,
nous emprunterons a la philosophie politique seu-
lement ses principes généraux. Pour déterminer la
forme de gouvernement qui convient le mieux a un




D'lJNE BONNE FORME DE GOUVERNEMENT. ;);,
peupIe donné, iI faut pouyoir discerner, parmi les
vices et les lacunes de ce peupIe, ce qui forme un
obstacle immédiat au progres, ce qui lui barre le
chemin, pour ainsi dire. Le meilleur gouvernement
pour ce peuple est celui qui ,tend le plus a lui don-
ner la chose, faute de laquelle il ne peut avance!',
ou n'avance que d'une maniere hoiteuse et incom-
plete. Nous ne devons pas cependant oubIier ectte
réserve indispensable, toutes les fois qu'il s'agit
d'améIioration ou de progres; a sayoir qn'iI faut
prendre soin, en cherchant le bien nécessaire, de
détériorer le moins possible celui qu'on possede
déja.


Il faut enseigner l'obéissance a un peuple de sau-
vages, mais, non de fa<;on a en faire un peuple d'es-
claves. Et(pour donner a l'obsenation un caractere
plus général) la forme de gouvernement qui réussit
le mieux a déterminer les premiers pas d'un peuple
dans la voie du progres, sera néanmoins tres-mau-
vaise pour ce pellple, si elle fait la chose de maniere
a empecher pour lui toutavanceme'nt uItérieur. C'esl
un cas qui se rencontre fréquemment dans l'his-
toire, et qui en est un des faits les plus regrettables.
La hiérarchie égyptienne, le despotisme paternel de
la Chine, étaient des instruments tres-propres a
amener ces nat.ions au point de civilisation qu'elles
ont atteint. Mais une fois parvenues la, elles sont
restées perpétuellement stationnaires, faute de li-




[¡ti GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
berté intellectuelle et d'individualité, deux con di-
tions de progrcs que les institutions qui les avaient
élcvés jusque-Ht les rendaient complétement inca-
pables d'acquérir : comme ces institutions ne se sont
pas écroulées pour fairc place a d'autres, toute


,


amélioration ultérieure s'cst arrctée.
En regard de ces nations. considérez l'exemple


tout opposé que nous fournit un autre peuple d'Q-
rient: un petit peuple auprcs el'elles : les Juifs. Eux
aussi avaient une monarrhie absolue, une hiérar-
chie : leurs instituLions organisées étaient évidem-
ment el'origine sacerdotale, tout comme celle des
Hindous. Elles ont fait pour cux ce que les institu-
tions eles mItres races orientales avaient fait pour
elles, les assujettissant au travail et a l'ordre et leu!'
donnant une vie nationale. Mais ni les rois ni les
pretres n'obtinrentjamais en Judée comme dans ces
autres pays, une puissance exclusive sur le caraclere
national. Leur religion qui étai t te11e que les per-
sonnes de génie et de haute piété étaient regardées
et se regardaient elles-memes comme inspirées d'en
haut, suscita une institution non organisée d'un
prix inestimable: l'ordre (si on peut l'appeler ainsi)
des propheles. Sous la protection non infaillible
toutefois de leur caractere sacré, les prophetes
étaient un pouyoir dans la nation, pouvoir souvent
plus qu'égal a celui des rois et des prctres : et ils en-
tretenaient dans ce petit coin de la terre cet antago-




D'UNE BONNE FORME DE GOUVEHNEMENT. ;)7


nisme des influences qui est la seule garantie réelle
d'un progl'es continuo Par conséquent, la religion
n'était pas la ce qu'elIc a été si souvent ailleurs, une
consécration de tout ce qui a été une fois établi et
un obstac1e a toute amélioration ultérieul'e.


La remarque d'nn J uif distingué (M. Salvador)
que les prophctcs étaient dans l'Église et dan s
l'Etat l'équiyalent de la liberté moderne de la
presse, donnc une idée juste, mais insuffisante, du
rólejoué dans I'hisloire nationale et universelle par
ce grand élément de la vie juive, gl'ace auquel la
source de l'inspiration coulant toujours, les hommes
les plus éminemment doués du c()té du génie et du
sens moral pouvaicnt non-seulemcnt dénoncer et
réprouver avec l'autorité directe du Tout-Puissant
tout ce qui lour paraissait rait pour un pareil ana-
theme, mais encore donller a la religion nationale
des interprétations meillcures et plus élevées, les-
queIles devenaient des 10I's une portion de ceUe
rcligion. Aussi (jlliconque peut laisser de cOté l'ha-
bitude de lire la Bible comme si c' était un seullivre
(habitude jusqu'a ces derniers temps également en-
racinée chez les chrétiens et chez les incrédules)
voit avec admiration l'énorme distance qu'il y a
entre la morale et la religion du Pentateuque ou
meme des livres historiques (l'reuvre évidente des
conservateurs juifs de l'ordre sacerdotal) et la mo-
rale et la religion des prophetes; distance aussi




:¡S - GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
grande que eelle qui existe entro ces dernieres e~
les Evangiles.


On no saurait imaginer facilement des conditions
plus favorahles au progres; aussi les J uifs, au lieu
do demeurer stationnaires comme les autres Asiati-
qucs, furent-ils, apres les Grecs, le peuple le plus
progressif de l'antiquité, et sont-ils, avec eux, le
point de départ et la grande influence motrice de
la culture moderne.


11 n'est done pas possible de traiter de la maniere
dont les diverses formes de gouvernement s'adap-
tent aux différents états do société, si ron ne prend
souci, non-seulement du premier pas, mais de tous
Jes pas subséquellts que la société doit encore
faire, de ceux qu'on pout prévoir, et de eeux (le
nombre en est infiniment plus grand) qui défient
pour le moment toute prévision. 11 s'ensuit que,
pour juger du mérite des formes de gouvernement,
on doit se faire un idéal de la forme de gouverne-
ment la meilleure en soi, c'est-a-dire tIc eelIe qui
plus que toute autre tendrait a favorisor le progres,
el le progres de toutes sortes et de tous degrés; on
suppose, bien entendu, les conditions voulues pOUl'
donner effet a ces ten dances bienfaisantes. Cela rait,
nous devons examiner quelles sont les différentes
(~onditions intellectuelles nécessaires pOUl' que ce
gouvernement puisse agir d'apres ses tendances, et
quels sont par conséquent les divers défauts .qui




D'UNE DONNE FOR~1E DE GOUVERNEMENT. 59


rcndraient un peuple incapable d'en recueillir les
fruits. Il serait alors possiblc de construire un théo-
reme des circonstances dans lesquelles une forme
de gouvernement peut etrc sagement introduite, et
de j uger aussi quelles scraien t, pour les pays ou on
ferait mieux de ne pas l'introduire, les formes infé-
rieures de gouvernement les plus propres a faire
traverser a ces communautés l'espace intermédiaire
qu'elles doivent parcourir avant d'etre pretes a rece-
yoir la meilleure forme de gouvernement.


Il est évident que nous n'avons pas a nous occu-
per ici de cette secondo question; mais la premiere
formo uno pal'tie essentielle de notre sujet : cal'
nous pouvons sans témérité énoncer des a présent
une proposition dont les prem;es et les illustrations
se pl'ésenteront dans Jes pages suivantes : a savoir
que l'idéal de la meilleure forme de gouvernement
:-.e trouvera dans quelqu'une des variétés du systeme
rcprésenta tif.




CHAPITRE 111
L'IDÉAL DE LA :llEILLEURE FORME DE GOUVERXEME:'{T EST LE
GOUVEl\NE~IEl\'T HEPUÉSE:'i'TATIF.


On a répété longtemps (pcut-etre pendant toute
la durée de la liberté anglaise) que si on pouvait
trouver un bon despoLe, la monarchie despotique
serait la meilleure forme de gouvernernent. Je re-
garde ceci comme une conception l'adicalement
fausse et tres-pernicieuse, de ce qu'est un bon gou-
vernement; et jusqu'a ce qu'on s'en soit débarrassé,
elle corrompra fatalement toutes nos spéculations
sur le gouvernement.


On suppose que le pou voir absolu entre les rnains
d'un individu éminent assurerait l'accomplissement
vertueux et intelligent de tous les devoirs du gou-
vernement. De bonnes lois seraient établies et im-
posées, el on réformerait les mauvaises lois. Tous
les postes de confiance seraient aux mains des hom-"
mes les plus méri tants, la j ustice serait aussi bien
administrée, les charges publiques seraient aussi
légeres et aussi judicieusement réparties, toutes les




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. 61
branches de l'administration seraient aussi pure-
ment et aussi intelligemment conduites que le per-
mettraient les circonstances nationales et le degré
de culture morale et intcllectuelle dn pays. Soit, je
veux bien accorder tout cela; mais il faut que je dé-
montl'e combien la concession cst grande, et com-
bien meme, ponr approcher a peu pres de ces ré-
sultats, il faut plus de choses que n'en ren1'erme
cette simple expression, un bon despote. Le fait est
que pour réaliscr toutes ces conditions, il fau,t un
monarque qui non-seulement soit bon, mais qui
yoie tout. Il doil toujours etre informé correctement
et en grand délail de la maniere dont sont dirigées
et dont marchent toutes les branches de l'adminis-
lration sur tous les points du royaume; et il doit
pouvoir, pendant les vingt-quatre heures de la jour-
née qui sont tout ce qui est accordé a un roi
comme an plus pauvre artisan, donner a toutes les
partíes de ce vaste champ une part suffisante d'at-
tention et de survcillance. Tont au moins doit-il
eLre capable de distinguer et de choisir dans la masse
de ses slljets, non-seulement une grande quantité
d'hommes honnetes et intelligents, propres a di-
riger (moyennant controle et surveillance) les di-
verses branches de l'administration puhlique, mais
encore le petit nombre d'hommes éminents par
leurs vertus et leurs talents~ qui sont capables et
de se passer de celte surveillance et meme de


4




62 GOUVERNEMENT REPHÉSENTATIF.
l'exercel' sur les autres. Pour accomplil' cette tache
d'une faQon passable, il faut des facultés et une
énergie si extraordinaires, qu'on ne peut guere
se représenter le bon despote en question con-
sentant a s'en charger, a moins que ce ne soit
pour échappel' a des maux intolérables, ou bien
~omme préparation transitoirc a quelque aulre
dlOse.


Mais la discussion peut se passer de ce prodi-
gieux item. Supposons la difficulté vaincue. Qu'au-
rions-nous alors? Un homme d'une activité intel-
lectuelle sUl'humaine, dirigeant toutes les affaires
d'un peuple intellectuellement passif. e'est la ce
qu'implique l'idée de pouvoir absoln. La nation
comme ensemble, el les individu5 qui fa composent,
n'ont aucune influ\:!nce sur lenr propre destinée.
lls n'exercent pas de volonté au sujet de leurs in-
tére1s collectifs. Une volonté qui n'est pas la ¡cut',
et a laqnelle ils ne sauraient désobéir sans crime
légal, décide de tont pour eux. Quelle espece d'étres
humains pent-on forme!' sons un pareil régime?
quel sel'a le développement de leurs facultés intel-
lectuelles ou actives? On leur permettra peut-elre
de méditer sur des matieres de théorie pure aussi
longtemps que leurs spéculations ne toucheronl en
quoi que ce soit a la poli tique, et surtout a la poli-
tique pratique. Sur les affaires pratiques on ne
souffrira tout au plus que des suggestions, et meme




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT nÉPRÉSENTATIF. fi3
sous le plus modéré des despotes, les hommes
d'une supériorité déja admise ou accréditée peu-
vent seuls espérer que leuI's suggestions seront,
non pas prises en considération, mais simplement
connues par ceux qui dirigent les affaires. Il faut
qu'un homme ait a un point extraordinaire le gout
du travail intellectuel en lui-meme et pour lui-
meme, s'il prend la peine de réfléchir, avec la
certitude de ne produire aucun effet extérieur,
Oll s'il se prépare a des fonctions qu'on ne lui per-
metlra jamais d'exercer. Ce qui seul ponsse les
hommes a l'effort intellectuel (exception faite d\m
petit nombre d'esprits) c'est la perspective d'en re-
cueillir des fruits pratiques.


11 ne suit pas de la que la nation sera compléte-
ment dépoul'Yue de pouvoir intellectuel. La besogne
ordinaire de la vie que chaque individu ou chaque
famille doit nécessairement accomplir,suscitera une
certaine dose d'intelligence et d'habileté pratique
dans un cerlain ordre étroit d'idées. Il peut y avoie
une classe choisie de savants qui cultivenl la science
en vue de ses applicaLions physiques, ou par amour
de l'étude. Il y aura une bllreaucratie ; et les per-
sonnes destinées a la bureaucratie apprendront au
moins, quelques maximes expérimentales de gou-
vernement et d'administration publique. Il peut y
avoir et il ya eu souvent une organisation systéma-
tique des plus puissanles facultés qui se rencon·




GOUVERNEMENT REPRÉSENTAT1F.
trent dans le pays, a l'égard de quelque objet spé-
cial (en général la direc tion militaire) el cela po ur
favoriser la grandeur du despote. Mais la majorité
dll public demeure sans information et sans inté-
ret sur tous les plus grands objets de la politique
courante, ou si elle sait queIque chose la-dessus,
sa science est une science de dilettante comme le
savoir mécanique des gens qui n'ont jamais manié
un outil. Et ce n'est pas seuIement l'intelligence
deshommes qui souffre de ce régime; Ieurs ca-
pacités morales en sont également nouées. Par-
tout ou la sphere d'action des eLres humains est
artificiellement circonscrite, leurs sentiments tour-
nent a l'étroit et au nain dans la meme proportion.
La nourriture du sentiment, c'est l'action; l'affec-
tion domestique es t aIimen tée par de bons offiees
volontaires. Qu'une personne n'ait rien a faire pour
SOft pays, et elle ne s'en souciera point. On a dit
autrefois qu'avec le despotisme iI y a tont au plus
un patriote, le despote lui-meme, el cette parole
repose sur une juste appréciation des effets de la
soumission absolue, meme envers un maUre bon et
sage. Reste la religion, el la au moins on pourrait
croire qu'il y a une influence capable d'élever les
yeux el Ie~ pensées des hommes au-dessus de la
poussiere qui est a leurs pieds. Mais la religion,
me me en supposant que le despotisme ne l'ait
point pervertie a son prolit, cesse dans ces circons-




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. 65
tanees d'étre une affaire sociale, et se réduit a une
affaire personnelIe entre un individu et son Créa-
teur, ou il y va seulement du salut privé. Sous cette
forme, la religion est tout a fait compatible ave e
l'égo'isme le plus étroit et le plus personnel, et elle
pousse aussi peu le fidele a s'identifier avec ses se m-
blables que la sensualité elle-meme.


Un bon despotisme signifie un gouvernelIlent ou,
autant que la ehose dépend uu despote, iI n'y a pas
d'oppression positive de la part des fonctionnaires
publies, mais ou tous les intérets eolleetifs du peu-
pIe sont traités pour lui, toute pensée relative a ses
intérets conque pourlui, et ou les esprits devien-
nent de leur plein gré tels que peut les faire cette
abdication de leurs énergies intimes.


Abandonner les choses au gouvernement, tout
comme les abandonner a la Providenee, signifie
qu'on n'en prend nul souei et qu'on en accepte les
conséquences, quand elles sont désagréables,
comme des fléaux de la nalure. Done, a l'exception
d'un petit nombre d'hommes studieux qui prennent
un intérét intellectuel a la méditation pour elle-
meme, l'intelligence et les sentiments de tout un
peuple sont consacrés aux soins des intérets maté-
riels, et quand il y a pourvu, a l'amusement et a
l'embellissement de la vie privée. Mais di re cela,
e'est dire, si le témoignage de l'histoire entiere est -
digne de foi, que l'heure du déc1in a sonné pour ce


4:.




66 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
peuple, en admettant toutefois que ce peupIe soit
jamais parvenu a une hauteur d' ou il puisse déchoir.
S'il ne s'est pas élevé au-dessus de la condition d'un
peuple oriental, n continuea végéter dans la meme
condition. Mais si, comme en Grece et aRome, iI
est parvenu plus haut, grace a l'énergie, au patrio-
tisrne, a l'ouverlure d'esprit qui sont, comme toutes
qualités nationales, les fruits de la senIe liberté, il
l'etombe au bout de quelques générations a l'état
oriental. Et cet état ne signifie pas une stupide tran-
quil1ité a l'abri de tout changernent facheux; il si-
gnifie souvent la possibilité d'etre envahi, conquis
et réduit en esclavage, ou par un despote plus puis-
sant, ou par quelque peuple harbare limitrophe, qui
a gardé avec sa rudesse sauvage toute la' vigueur de
sa liberté.


Telles sont, non-seulement les tendances natu-
Fclles du gouvernerncnt despotique, rnais ses néres
sités intimes et inévitables, a moins que le despo-
tisme ne consente a n'etre pas despolisme, a moins
que le bon despote supposé ne s'abstienne d'exercel'
son pouvoir, quoique le gardant en réserve, et 111\
permette a la besogne générale du gouvernemen t
de marcher comme si le peuple se gouvernait i'éel-
lement lui-meme. Si, peu probable que soit la
czhose, nous pouvons supposer un despote se sou-
mettant a la plupart des regles et des restrictions
d'un gouvernement constitutionnel: il pourrait




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. (j7
accorder la liberté de la presse et de la discussion
d'une faGon suffisante pour permettre a une opinion
publique de se former et de se prononcer sur les
affaires nalionales. Il pourrait abandonner aux 10-
calités la direclion des intérets locaux, sans inter-
ven1ion de l'aulorité. Il pourrait meme s'entourer
d'un ou de plusieurs conseils de gouvernement,
ehoisis librement par la nation entiere ou seule-
menL par une partie de la nation, tout en gardant
entre ses mains le droit d'impOt et le pouvoir su-
preme, législatif aussi bien qu'exécutif. S'il agissait
ainsi, el qu'il abdiquat a ce point comme despote,
il détruirait une partie considérable des maux ca-
ractéristiques du despotisme. L'actiyité politique el
la capacité pour les alfaires publiques pourraient
des 10rs se développer librement chez la masse de
la nation, et jI se formercli tune opinion publique
qui ne serait pas simplement l'écho du gouverne-
ment.


Mais une pareille amélioration serait le commen-
cement de nou¡eIles difficultés. eeue opinion pu-
blique, indépendante de l'influence du monarque,
doit etre ou avec lui ou contre lui: l'un ou l'autre.
Tous les gouvernements blessent achaque pas une
infinité de personnes: or, celles-ci ayant désor-
mais des organes réguliers et pouvant exprimer
leurs sentiments, on émetlrait souvent des opi-
nions opposées aux mesures du gouvernement. Que




68 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
fera le monarque si ces opinions défavorables vien-
nent a etre en majorité? Changera-t-il de voie? En
appellera·t-il a la nation? S'il le fait, ce n'esl plus
un despote, ma}s un roi constitutionnel, l"organe
ou le premier ministre de la nation, avec cela seu-
lement de particulier qu'il est irrévocable. S'il ne
le fait pas, iI doil user de son pouvoir de~potique
pour réduire l'opposition au silence, ou bien il s'é-
leyera entre la nation et un homme une lutte per-
manente qui n'a qu'une issue possible. Lo principe
religieux de l' obéissance passi ye e t d u droi t di vin
lui-meme ne reculerait pas de beaucoup les ~
conséquences naturelles d'une tolle position. Le
monarque devrait céder et se soumettre aux condi-
tions de la royauté constitulionnelle, ou bien aban-
donner la place a quelqu'un quí s'y soumettrait.
Le despotisme étant ainsi purement nominal, pos-
séderait peu des avantages qu'on suppose appartenir
a la monarchie absolue, tandis qu'il n'aurait qu'a
un degré tres-impaL'fait ceux d'un gouyornement
libre .....


U ne faut pas s'étonner beaucoup si des réforma-
teurs impatients ou désappointés, gémissant des
obstacles qu'opposent aux améliorations publiques
les plus salutaires, I'ignorance, l'indifférence, l'in-
docilité, l'obstination per.verse d'un peuple et les
coalitions corrompues de I'égo'isme priv~, armées
de ces armes puissantes que leur fournissent les




,


L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF. 69
institutions libres, soupirent parfois apres une main
assez forte pour renverser tous ces obstacles et con-
traindre un peuple récalcitrant a etre mieux gou-
verné. Mais (en meltanL de cOté ce fait, que pour
un despote qui, de temps en temps réforme un abus,
il y en a quatre-vingt-dix-neuf qui ne font qu'en
créer) ceux qui esperen t en un pareil remede, lais-
sent en dehors de l'idée d'un bon gouvernement, son
principal élément, l'amélioration du peuple lui-
memc. Un des bienfaits de la liberté, c'est que S011S
ce régime le gouvernant ne peut pas laisser de cOté
l'esprit des individus, et améliorer pour eux leurs
affaircs, sans les amélioret' eux-memes. 8'il était
possible a un peuplc d'ütre bien gouverné malgré
lui, son bon gOllverncment ne durerait pas plus
que ne dure ordinairement l'indépendance d'un
peuple qui la doit uniquement a des armes étran-
geres. Il est vrai qu'un despote peut faire l'éduca-
tion du pellple: et s'il la fait J'éellement, c'est la
meilleure excuse de son despotisme. Mais toute
éducation qui vise a faire des hommes autre chose
que des machines, finit par les amener a certaines
réclamations de franchises, d'indépendance. Les
meneurs de la philosophie frall(;aise au dix-huitieme
siecle avaient été élevés par les Jésuites: il paralt
que me me cette éducation avait ce qu'il faut pour
éveiller l'appétit de la liberté. Tout ce qui fortifie si
peu que ce soit les facultés, crée un désir pI,us grand





iO GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
de les exercer plus librement, et rédueation d\m
peuple manque son but si elle le prépare a un autre
Hat que celui dont elle lui suggérera certainement
le désir et tres-prohahlement la revendication.


Je suis loin de blamer que dans les cas de néces-
sité urgente, on ait recours au pouvoir absolu sous
la forme d'l1ne dietature temporaire. Jadis, des na-
tions libres ont employé volontaircmcnt ce re-
mede, commc néeessaire pour guérir eel'lains maux
du corps poli tique dont on ne pouvait se purger
par des moyens moins violcnts. Mais l'acceptation
de la dictature, meme pour un temps élroitement
limité, ne peut s'excuser que si, comme Solon ou
Pittaeus, le dictateur emploie tout le pouvoir qui
lui est confié a renverser les obstaeles q'ui se trou-
vent entre la nation et la liberté. Un bon despo-
tisme est un idéal complétement faux, et en pratiqu~
(excepté commc un moyen d'atteindre quelquc but
temporaire) e'est la· plus insensée et la plus dange-
reuse des chimeres. Mal pour mal, un bon despo-
tisme, ehez un pcuplc quelque peu avancé dans la
eivilisation, est plus nUlsible qu'lln mauvais, cal' iI
détend et iI énerve bien plus les pcnsées, les senti-
ments, les facultés du pel1ple. Le despotisme
d'Auguste prépara les Romains a celui de Tibere. Si
le ton général de leur caractere n'avait pas été
abaissé par un esclavage tempéré qui dura pres de
deux générations, il leur serait probablement resté




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. 71
assez d'énergie pour se révolter contre un esclavage
plus odieux.


Il n'y a pas de difficulté il démontrer que l'idéal
de la meilleure forme de gouvernement est celui
qui investit de la souveraineté, ou pouvoir supreme
décidant en dernier ressort, la mas se réunie de la
communauté; chaque citoyen, non-seulement
ayant une voix dans l'exercice de ce pouvoir su-
preme, rnais encore étant appelé de temps en temps
á prendre une part réelle au gouvernement par
l~~xerí'iec de quelque fonction publique locale ou
gén{~rale.


Pour juge!' de eeUe proposition, il faut l'exami-
ner, par rapport aux deux points qui sont a con-
sidérer, ainsi qu'on 1'a démontré dans le dernier
ehapitre.


Pour apprécicr le mérite d'un gouvernement, il
s'agit de savoir: 10 dans quelle mesure il pousse
au bien publie par l' cmploi des faeultés morales,
intellectuelles et actives de ehacun, telles qu'eUes
existent a un moment donné; 2° queHe est son in-
fluenee sur ces faeultés, pour les améliorer ou les
détériorer.


n est a peine nécessaire de dire que l'idéal de la
meilleure forme de gouvernement ne signifie pas
ceHe qui est praticable ou acceptable a tous les de-
grés de eivilisation; mais eelle a 1aquelle appar-
tient, dans les circonstances ou elle est praticable




72 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
et acceptable, la plus forte somme de conséqucn-
ces salutaires, immédiates ou futures. Un gouver-
nement complétement populaire est le seul quí
puisse avoir quelque préten tion a ce caractere. Il
satisfait entre tous aux deux eonditions élémentai
res d'excellence. JI est plus favorahle que tout autre
gouvernement possible, soit a une honne direction
actuelle des affaires, soit a l'amélioration et a l'élé-
vation du caractere national.


Sa supériorité, par rapport au bien-etre actuel,
repose sur deux principes qui sont aussi universcI-
lement vrais et applicabIes qu'aucune proposition
générale susceptible d'etre émise sur les affaires
humaines. Le premier principe, c'est que les droits
et les intérets de qui que ce soit n'ont l'assurance
de n'etre jamais négligés que dans un cas seule-
ment, celui ou les intéressés sont ceux-memes de
force d'humeur a les défendre. Le second principe,
c'est que la prospérité générale s'éleve d'autant plus •
haut el se répand d'autant plus largement, que les
facultés personnelles qui ont charge de la dévelop-
per sont plus intenses et plus variées.


Pour plus de précision, on pourrait dire :
L'homme n'a qu'une sureté contre la malfai-


sanee de ses semblables, la protection de lui-meme,
par lui-meme : il n'a qu'une chance de réussite
dans sa lutte contre la nature, la confiance en lui-
meme, comptant sur ce qu'il peut faire, soit isolé,




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEME~T REPRÉSENTATIF. i3
"ioit assoeié, plul6t que sur ce que les mItres peu-
,"cnt Jaire poue lui.


La pl'emiere proposition - que chacun est le
seul gardien sur de ses droits el de ses intérets -
cst une de ces maximcs élémentaires de prudence
(!ue suit implicitement, toulcs les fois que son in-
U~r0t persollnel se trouve en jeu, toute personne
:'apable de diriger ses propres affaires. Beaucoup
de gens ú la yérité la détestent en tant que doc-
trine poliliquc: e~ se plaisent a la flétrir comme



tIllO dociL'ille d'égoi'sme universe!. A cela nous pou-
yons répondre : lorsqn'il eessera d'etre vrai que
les hommes, en r¿'gle générale, se pl'éferent eux-
memes allX autros el préfen.\lil ('cux qui les tou-
chent de prus au resto de l'humanité, a partir de
ce moment-la, le comlllunisme de\'iendra la seule
forme de société, non-seulement praticable, mais
soutcllable, el sera des lors adoptée tres-certaine-
monl. POUl' ma part, ne eroyant pas a l'égoi'sme
uniycrsel, jo n'ai pas de peine a adrnettre que le
communisllle ne soit des a présent praticable
parmi l'élile de l'humanité et ne puisse le devenir
parmi le res te. Mais (:ornrne cette opinion n' est
nullcmcnl en faveur aupres de ces défenseurs des
institutions aetuelles, qui critiquent la doctrine de
la prédominance générale de l'égo'isme, peut-elre
pensenL-ils au fond que la plllpart des hornmes se
préferent a auLrui.


r' tJ




74 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Cependant, il n'est meme pas néeessaire d'cn


affirmer si long pour appuyer le droit de tous a
participer au pouvoir supreme. Nous n'avons pas
besoin de supposer que quand le pouvoir réside
exclusivement dans une classe, eette classe sacri-
fiera a elle-meme, sciernmcnt et de propos déli-
béré, toutes les autres classes. On sait, et cela suf-
fit, qu'en l'absence de défenseurs naturels, l'intéret
des classes exclues eourt toujours le risque d'ctre
négligé, et que la meme oú il est un objet d'at-
lention, il est eonsidéré avee des yeux qui ne sont
pas du tout eeux des personnes direclement inté-
ressées. Dans notre pays, par excmple, ce qu'on
appelle les classes ouvrieres peu"ent etec regar-
dées comme exclues de toute participation directe
au gouvernernent : je ne crois pas que pour cela
les classes qui y participent aient en général au-
cune intention de sacrifier les dasses ouvricres.
Elles l'on!. eu autrefois eelte inlenlion, témoins
les efforts persévérants qu'on a rail pendant si 10Ifg-
temps pour abaisser les salaires pa r la loi. Mais
aujourd'hui leur disposilion habiLuelIe est bien
ehangée; elles font volontiers des sacrifices eonsi-
dérables, surtout de leu!' intéret pécuniaire, au
profit des c1asses ouvricres, et elles pechen t plutó t
par une bienfaisance prodigue el aveugle. Je nc
erois pas non plus qu'il y ait jamais eu des gOll-
vcrnants inspiré s par un désir plus sincere d'ae-




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. 75
complir leur deyoir enyers ce qu'il y a de plus
humble parmi leurs compatriotes. Néanmoins,
est-ce que le parlement ou aucun de ses mem-
bres se place jamais au point de vue d'un ouvrier,
pour envisagcr une question quelconque? Quand
on discute un sujet qui intércsse les travailleurs
('omme travailleurs, se placc-t-on jamais a un
autre point de vue qu'a celui des patrons? Je ne
dis pas qu'en général les ouvriers voient plus juste
que les ,atrons sur ces questions; mais ils voient
quelquefois lout aussi juste, et en pareil cas leue
opinion devrait otro respectueusement écoutée,
tandis que IloIl-seulement OIl ne s'y conforme pas,
mais on l'ignore. Sur la qucstion des greves par
exemple, il n'y, a peul-etre pas un des principaux
niembrcs des deux chambres (lui ne soit convaincu
({ue les malLres ont complétement raison dans
lcul' maniere d'cIlvisager le sujet, et que les
onniers le voienL SOIlS un jour tout bonnement
absurde. Ceux qui ont éLudié la question savent
eombieIl il est loin d'en ütre ainsi, et combien ce
poinl serait discuté d'unc faQon différente el beau-
coup moiIls superficielle, si les classes qui font
greve étaient capables de se faire entenjre au par-
lement.


Quelque intention sincere que l'on ait de pro-
téger l'intérct des autres, il n'est ni sur ni salu-
taire de leur lier les mains : ceci est une condi-




76 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
tion 'inhérente aux affaires humaines. Une vérité
encore plus évidente, c'est qu'ils n'opéreront que
de leurs propres mains une amélioration posiLi\'t~
et durable dans leur situation. Sous l'influencc
réunie de ces deux principes, toutes les commu-
nautés libres ont été plus exemptes de crime el
d'inj uslice sociale, plus prosperes el plus brillantes
a tUllS égards que les autres communautés, ou
qu'cllc::: ne lo furent ellos-memos, apres atoie perdu
lcur liberté. Comparez les~~tats libres dll monde,
tandis qll'ils possédaienL leur liberté, ayer les Sl1-
jets contemporains du despotisme monarchiqne Ol!
oligarchique : Les cités grecques ayec les satrapie:-;
perses, les républi(lUeS italiennes el ,los villes libres
de Flandre ol d'Allcmagne ay ce les monarchie~
féodales de l'Eul'ope, la Suisse, la Hollande et
l' AnglclL'nú avec l' A utriche un la Pranee d'avanl
b Hévolution. Leur prospérité sllpéricure élait Ll'Op


..


évidente pour ayoir jamais élé ni(~e, tandis que leul'
supériorilé, sous le rapport dn bun gourel'l1cmenl
et des relations sociales, esL prourée par lour pros-
périté meme et éclato d'aillenrs a ehaque page de
1 'histoire.


Si nous comparons, non un siccle a un aulre,
mais les différents gouvernemcnts qui eoexisle-
rent dans le meme siecle, nous trouverons que la
somme de désordre qui peut avoil' existé au milieu
de la publicité des États libres n'esl point com-




L'IDÉAL EST LE GOUVEHNEME~T REPRÉSENTATlF. 77
parable, meme en l'exagérant heaucoup, a cette
habitudc de fouler dédaigneusement aux pieds la
mas se du peuple, qui était passée dans les mreurs
des pays monarchiques, ou a la révoltante tyran-
nie individuelle qui se déployait chaque jour dans
leurs systemes de pillages qualifiés d ·arrangernents
fiscaux, et dans le rnystcrc de leurs affreuses cours
de justicc.


Il fau t reconnaltre que les bienfaits de la liberté,
telle qu'on en a joui jusqu'll présent, ne s'éten-
daiente (Ju'a une portion de b cornrnunauté, et
qu'un gouvernernent, sous lequel ils s'étendraient
impartiaIement a tous, est un desideralum encore
non réalisé. Mais quoique tout ce qui peut en rap-
procher ait une vaIeur intrinseque, et quoique
bien souvcnt dans l'état actuel du progres général
011 ne puisse faire qu'en approcher, la participatiorr
de tous aux bienfaits de la liberté est, en théorie,
la conception parfaite du gouvernernent libre. Du
moment oú queIques-uns, n'irnporte lesquels, sont
exelus de ceUe parlicipation, leurs intéréts sont
privés de la garantie accordée aux intérets des
antres, et ils sont eux-memes dans de moins bon-
nes conditions que les autres pour appliquer leurs
facultés a arnéliorer leur état et rétat de la COffi-
munauté, ce qui est la chose d'ou dépend la pros-
périlé générale.


Voila le fait, quant au bien-etre actuel, quant a




78 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
la bonne direction des affaires de la génération
existante. Si nous passons maintenant a l'influencl.'
de la forme de gouvernement sur le caractere, nou::;
trouverons la supériorité du gouvernement popu-
laire sur tout autre, encore plus prononcée et pll1~
incontestable, si e'est possible.


En réalité, ceHe question repose sur une autl'e
plus fondamentale encore : a savoir, quel est entre
les deux types ordinaires de cal'actere eelui qu'il
est le plus désirable de voir prédominer pour le bien
général de l'humanité, le type actif Oll le type pas-
sif, celui qui lutte contre les maux ou celui qui
les supporte, celui qui se plie aux circonstances ou
celui qui entreprend de les faire plier.


Les lieux communs de la morale, et les sympa-
thies générales de l'humanité sont en faveur du
type passif. On peut admirer les caracteres éner-
giques; mais les caracteres tranquilles et soumis
sont ceux que la pIupart des hommes préferent
personnellement. Ce qu'il y a de passif chez nos
voisins accroit notre sentiment de sécurité, et joue
pour ainsi dil'e le jeu de ce qu'il y a ehez nous
d'impérieux. Les caracteres passifs, si nous ne
venons pas a avoir besoin de leur activité, sem-
blent un obslacle de moins sur notl'e chc·min. Un
caractere satisfait n'est pas un rival dangereux.
Cependant rien n'es! plus certain : tout progre~
dans les affaires humaines est l'ceuvre des carac-




L'lOÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. 79
teres méeontents; et en outre il est bien plus
\~~\.\~ \\. \\.\\. ~S,~~\t (\.~t\t d.'(\.~C\\.\~üt l~~ C\\la\lté~ \)a-
tientes, qu'it un esprit passif d'acquérir les qualités
énergiques.


L'exee\\enee mentale e~t intelleetuelle, 1watiq\1e,
et morale. Or, on voit tout d'abord en ce qui re-
garde les deux premieres catégories, 1equel a 1'a-


vantage du caractcre passif ou du caractere actif.
Ton te supériol'ité intellectuelle est le fruit d'un
effort acLif. L'esprit d'entreprise, le désir de s'a-
vaneer, d'essayer de nouvelles choses pour notre
p!'opre bien ou pour celui d'autrui, est la so urce du
talent pratique et meme du talent spéculatif. La
culture intellectuelle, compatible avec 1'autre type,
est eeUe culture faible et vague qui est le propre .
d'un esprit s'arretant a l'amusement ou a la simple
contemplation. Une heureuse applicalion a la pra-
tique, telle est la marque d'une pensée réelle et vi-
goureuse, d'une pensée qui poursuit des vérités au
lieu de rever creux. Oil ee dessein n'exisle pas p·our
donner a la pensé e de la précision, un caractere
déterminé, un sens intelligible, elle ne produit rien
de mieux que les V édas ou que le mysticisme mé-
taphysique des Pythagoriciens. Par rapport a 1'a-
mélioration pratique, la chose est encore plus évi-
dente. Lo caractere qui améliore la vie humaine est
eelui qui luUe avec les lendances et les forces na-
turelles, et non pas celui qui leur cede. Les qualités




80 GOUVEfI~EME~T REPflÉSE:\'TATIF.
dont nous tirons un profit peI'sonnel sont toulos du
cOté du caraclere adif eL énergiql1e, el les habitl!(lc:-:,
et la conduite qui profilenL achaque mem)¡re de la
communauté sont, en partie au moins, celles (tui
ronslituent a la longue le profit et l'amélioration de
la communauté tout entiere.


Mais si ron recherche lequel des deux lypes est
préférable sous le rapport de la prééminence morale,
h premiere vue l'hésitalion semble permise. Je ne
fais pas allusion au senlimenL religieux qui génél'a-
lement s'esl tonjours prononcé en favellr du ca1'<1('-
tere inactif, comme étanl plus en harmonie avee la
sonmission duc a la volonlé diYine. Le christianisme
a développé ce senLiment toul comme d'aull'es reli-
gions; mais c'esl la prérogali\'e du christianismc de
pouvoir se débarrasser de cette perversion aussi
bien que de beaucoup d'autres. Abstraelion faite de~
considérations religieuscs, un caractere passif qui
cede devanL les obstaeles a11 lien de ellCreher h les
vainere, ne peut pas a la vérité etre ll'cs-ulile allX
autres, ni a lui-meme non plus; mais on peut s'al-
tendre dll moins a ce qu'il soit inolrensit'. On a Lou-
jours rangé la résignation au nombre des verLus
morales; mais e'esl une erreur complete de suppo-
ser que la résignation apparlienne nécessairement
ott naturellement a la passivité de earaelere. Or,
quand il n'en est pas ainsi, les conséquences mo-


\


rales sont nuisibles. La ou existe une convoitisc




L'IDÉAL EST LE GOUVERNE~IENT REPRÉSENTATIF. 81
~'<\.~o..·~\\.'Ó5~~':-, \\.()\\. ~a~s~d~s~ l'es~rit <\ui ne \)arte \)a~
en fui la puissance de les posséder un jour grace a
s'd.ll1'üpre {>,nergie, )ütte "Volontiers un regard de haine
et de mal ice sur ceux qui sont mieux parlagés.
L'homme qui s'agite, plein de l'espérance d'amélio-
rer sa situation, est porté a la bienveillance envers
ceux qui tendent au meme but ou qui l'ont alteint.
Et lorsque la majo1'ité est ainsi occupée, les mCBurs
générales dn pays donnent le ton aux sentiments de
reUK qui n'atteignent pas le but: ils altribuent lenr
échee au manque d'efforts ou d'occasion ou a leu1'
mal1"raise chauce personnelle. Mais ceux qui tout en
dési1'ant ce que les autres possedent, n'emploient
auenne éne1'gie pour l'acqué1'ir, eeux-la se plaignent
incessamment de re que la fo1'tune ne fait pas pour
eux ce qu'eux-memes n'essaient pas de faire, ou
débordent d'envie et de malveillance contre ceux
qui posscdent ce qu'ils aimeraient avoi1'.


L'envic se développe comme un t1'ait de ca1'actere
nationaI, d'aulanL plus que le succes dans la vie
passe poue faLalilé, d'antant moins qu'il passe pour
la récompense d'un effort. Les etres les plus en-
vieux de la terre sont les Orientaux. Chez les mo-
ralistes orientaux, dans les contes orientaux,
l'homme envicux apparait achaque paso Dans la
vie réellc, c'cst la t8rreur de tous ceux qui posse··
dent quelql1c chose de désirable, que ce soit un
palais, un hel enfant, OH meme la bonne santé et


D.




82 GOUVERNEMENT nEPnÉSE~TATIF.
la bonne humeu!'. L'effet supposé de son simple ru-
gard a engendré la superstition si généralemenl
répa'nd'Úe du mal/va/'s (Ell. Aprcs les Orientaux 1 cer-
tains peuples du midi de l'Ellrope sont les premien;
ponr l'envíe et l'inertie. Les Espagnols OIlt pour-
sniYi de leur envie tous leurs grands hommes, ont.
empoisonné leur existence, et n'ont pas manqué
généralement de mettre bon ordre a leurs succes(1).
Chez les FraIlQais, qui sont essentielIement un peu-
pIe méridional, la double éducation du catholicismc
et dn despotisme a fait de la soumission et de la
résignation le earaetere ordinaire du peuple, en dé-
pit de leur vivacité naturelle, et le type le plus gé-
néralement reQu de sagesse et d' exeellence. E t si les
FranQais ne sont pas plus enYieux, soit les uns des
autres, soit de toute supériorité, cela tient á ce que
ce vice est nelltralisé en eux par nombre de bonnes
qualités, surtout par eeHe éncrgie indi"'iduelle qui,
quoique moins tenace et moins régulicre qn'elle ne
l'est ehez les Anglo-Saxons toujours luHant et ne
comptant jamais que sur eux-rncmes, s'est mani-
festée néanmoins ehez les Fl'al1(~ais dans presque


(1) Je parle au passé seulement, paree que je ne voudrais
rien dire de facheux SUl' le compte d'un grand pcuple qni
mail1tenant enfin est libre, et qui entre dans le mouvement
génpral du progres européen, avec une vigueur qui promet de
lui faire rapidement rcgagner le terrain pel'du. Personne ne
peut douter de ce dont l'énergie et l'intelligence des Espagnols
sont capables; et leurs travers, comme nation, sont de ceux
que la liberté et l'ardeur indllstrielle excellent 1t guérir.




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. 83
toutes les elirections ou leurs lois l'ont encouragée.


Il ya sans aucun eloute en tout pays eles hommes
récllement satisfaits, qui non-seulement ne cher-
chent pas mais encore ne elésirent pas les biens qui
leu1' sont étrangers : ceux-la naturellemént n'ont
aucun mauvais vouloir contre quiconque semble
avoir un 10t supérieur. Mais la grande masse eles
résignations apparentes n'est au fond que mécon-
lentement melé el'indolence et d'abanelon de soi-
mcme, par ou tout en n'employant aucun moyen
légitime ele s'élevcr, on prenel plaisir a abaisser les
autres a son propre niveau. Et si l'on vient a consi-
d-érer ele plus p1'es les cas de résignation innocente,
Gn s'aperQoit que nous ne les aelmirons qne la
ou l'indifféren,ce porte seulement sur les biens exté-
rieurs, tandis qu'il y a d'ailleurs un effort incessant
pour gagner en valeur spiriluelle ou au moins un
zele désintéressé ponr l'avancement d'autrui.
L'homme satisfait ou la famille satisfaite qui n'a
aucune ambition de rendre quelqu'un plus heureux,
de travailler au bien de son pays ou de ses voisins,
GU de gagncr sous le rapport de l'excellence mo-
rale, n'excite chez nous ni admiration, ni appro-
bation. Nous aUribuons, et avec raison, ceHe sorte
de résignation a la pure mollesse et au manque
d'énergie.


La résignalion que nous admirons, c'est une
aptitude a se passer gaiment de ce qu'on ne sau-




8t GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
rait ayoir, une juste appréciafion de la yalenr com-
paratiye des différents objcts qu'on désire, et une
renonciation yolontaire aux moins imporlants de
ces objets, lorsqu'ils sont incompatibles avec les
plus importants. 01', ces qualités sont d'autant plus.
naturelles a un homme, qu'il s'occupe plus actiye-
ment d'améliorer son propre sort ou celui de quel-
que autre. L'homme qui se mesure conlinuellemenl
ayec les difficultés, apprend quelles sont les difficul-
tés insurmontahles pour lui et queIles sont celles
qui ne yalenl pas la peine qu'il se donnerait ponr les
vaincre. L'homme dont quelque entreprise utile el
praticable réclame et emploie ha.bituellement toute5
les pensées et toutes les facultés, est eelui de loutO'
la ·terre qui se laissera le moins aller ~l 'un fonds de
méeonfentement au sujet de choses qui ne valent
pas la peine d'ctre recherchées, au moins dans sa
situation. Ainsi, le caraclcre actif s'aidanl lui-
meme, est non-seulement le meilIeur en soi, mais
encore celui qui acquerra le plus yolonllers ce qu'il
ya de réellement excellent el, désirable dans le type
opposé.


L'esprit de lutte et d'audaee propre a l'Anglelerrc
el aux ttats- Unis ne mérite d'elrc critiqué ql1'a
cause des objels tres-secondaires sur lesquels il dé-
pense sa force. e'est en soi la hase des plus belles
espérances pour l'amélioration générale de l'hu-
mallité.




L~JDÉAL EST LE GOUVERNEMENT HEPRÉSENTATIF. 85·
. On a remarqué finement que, 'quand quelque·


chose va mal, la premiere impulsion des FranQais
est de dire: « Il faut de la patience, ) et celle des·
Anglais est de dire : « QueIle honte!) Le peuple
qui regarde comme une honto de yo ir quelque chose
al1eI' mal, qui court a cette cone] lision que le mal
aurait pu et aurait dü eLre empeehé, ost celui qui a
la longlle fait lo plus pouI' rendre lo monde meil-
leur. Si ses désirs ne sont pas élevés, s'ils no s'éten-
dent pas audola du confort physique et des biens
extérieurs, les résllltats immédia~,s de son énergie
ne soront guere plus que l'exlension continuelle du
pouyoir de l'homme sur les objets malériels; mais
cela meme fraye le ehemin et prépare les conditions
mécaniqlles" pour les plus grandes CBUYfeS sociales
et intellecluelles. L'inertie, le manque d'aspirations,
I'absence de désir, forment un obstacle plus fatal
au progres que lliimporte queUe fausse direction de
l'énergie; et lorsque ces défau ts existent dans la
masse, e'est alors <!u'une fausse direction, lres-dan-
gereuse de la part d'une minorité énergique, devient
possibJe. C'est la principalement ce qui relient dans
un état sauvage ou demi-sauyage la grande majo-
rité de la race humaine.


Mainlenant, on ne peut nuUement douter que le
gouvernement d'un seul ou d'un petit nombre ne
soit favorable au type passif de caractere, tandis
que le gouvel'ncrnent du granel nombre est fcrrorable




86 GOUVERNEMENT HEPRÉSENTATIF.
au type aclif s'aidant lui-meme. Des gouvcrnants
irresponsables ont plus besoin de la tranquillité de~
gOll\'ernés que de toute activité, autre que celle
qu'ils peuvent imposer. La soumission aux com-
mandements humains, comme a des nécessités de
nature, est la leQon qu'inculquent a leurs sujets
tous les gOllvernements. despotiques. On doit cédCl'
passivement a la volonté des supérienrs, et a la loi
comme étant l'expression de cetle yolonté.


l\1ais les hommes ne sont pas de purs instruments
ou de purs matériaux entre les mains de leurs gou-
vernements, quand ils ont de la volonté, de l'ardeur,
ou une source d'activité intime dans le reste de
leu!' conouite : 01', toute manifestation de ces quali-
tés, au lieu d'etre encouragée des despotes, a plutOt
a s'en faire pardonner. Mais quand des gouverne-
nants irresponsables ne redoutent pas assez les con-
séquences dangereuses de l'activité intellectueIlc de
leurs sujets, pour chercher a la réprimer, la posi-
tion est en soi une répression. L'efforL est plus effica-
cement réprimé par la certitude de son impuissance
que par un obstacle positif. Entre la soumissiún á
la yolonté d'autrui ou les vertus d'empire sur soi-
meme, de ressource en soi-meme, il ya une incom-
patibilité naturelle. Elle est plus ou moins complete,
suivant que la servitude est plus ou moins étroite.
Les gouvernants different beaucoup dan s le degré
auquel ils controlent l'action libre de leurs sujets,




L'IDÉAL EST LE GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF. 87
ou l'annulent en raisant leur bcsogne pour: eux.
Mais c'est une différence de degré et non de prin-
cipe, et les meilleurs despotes sont souvent cenx
{lui enchainent davantage l'action libre de leurs su-
jets. Un mauvais despote, quand il a pourvu a ses
satisfactions personnelles, peut ctre disposé quel-
quefois a laisser le peuple tranquille; mais un bon
despote Líent a lui faire du bien, en l'obligeant a
accomplir sa propre besogne d'une meilIeure faQon
qu'il n'aurait su le faire a lui seu!. LAS reglements
qui astreignent a des procédés fixes les principales
branches de l'industrie fran\aise, furent l'reune du
grand Colbert.


Tout autre est l'état des facultés humaines, la on
l'homme ne sent d'antre frein que les nécessités de
la nature on que les lois de la société, lois qn'il a
faites pour sa part, qn'il peut blamer tout haut les
tronvant manvaises, et qu'il peut aspirer meme de
tontes ses forces a réfol'mer. Sans aucnn doute gons
un gouycrnemcn t parLiellement populaire, cette
liberté peu t ctre excrcée meme par ceux qui ne
jouissen l pas de tous les priviléges des citoyens.
Mais un homme est porté bien davantage a s'aider
lui-meme et a prendre confiance en lui-meme,
lorsqu'iL sent qu'il est au niveau des autres; lors-
qu'il n'a pas a sentir que son succes dépend de
l'impression qu'il peut prodllire sur les opinions et
les dispositions d'un corps dont iI ne faH pas partie.




k8 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
C'est un grand découragement pour un individu, eL
plus encore pour une classe, d'étre laissé en dehors
de la Constitution, d'étre réduit a implorer les ar-
bitres de sa destinée, sans pouvoir prendre part 11
leur délibération. L'effet fortifiant que produit la li-
berté sur le caractere n'atteint son maximum que
lorsqu'une personne a, des a présent ou en perspec-
tive, une plénitude de priviléges qui ne 10 cede ?t
ceux de qui que ce soit.


Ce qui est encore plus important quo eotte affaire
de sentiment, c'est la discipline pratique a Iaquelle
se plie le earactere des citoyens, lorsqu'ils sont ap-
pelés de temps en temps, chacun a leur tour, a
exereer quelque fonction sociale. On ne considere
pas suffisamment combien iI y a peu de choses dans
la vie ordinaire de la plupart des hommes, qui
puisse donner quelque grandeur, soit a lours con-
ceptions, soit a leurs sentiments. Lour besogne est
une routine, une amvre 1.l0n poinL de eharité mai~
d'égolsme sous la forme la plus élémentaire, la
satisfaction des besoins journaliers. Ni la chose
qu'ils font, ni la maniere dont ils la font, ll'éreillent
chez eux une idée ou un sentiment qui les répan-
dent hors d'eux-memes. Si des livres instructifs
sont a leut portée, rien ne les pousse a les lire, et
la plupart du temps l'individu n'a aucun acces au-
pres des personnes d'une culture bien supérieure a
la sienne. Lui donnor quelque chose a faire pour le




L'IDÉAL EST LE GOlJVERNEl\lENT REPBÉSENTATIF. 89,
public, supplée jusqu'a un certain point a Loutes
ces lacunes. Si les circonstances permettent que la
sornrne de devoir public qui lui est confiée soit
considérable, iI en résulte pour lui une éducaLion.
Malgré les défauts du systeme social et des idées
morales de l'anLiquité, la pratiquo des affaires judi-
ciaires et politiques élevait le niveau inteHectuel
d'un simple citoyen d'AnH~nes bien au-dessus de ce
qu'on a jarnais atteint dans aucune antre agglomé-
ratio n d'hommes, antique ou moderne. En lisant
notre grand historien de la Grece, on en trouve des
preuves achaque page; mais il n'en faut guere
d'autre que le style élcvé des harangues que leurs
grands oratenrs estimaient les plus propres a agir
puissamment sur lenr intelligence et sur leur vo-
lonté. En Ang'leterre, les rangs les plus humbles de
la classe moyenne trouvent un aYantage du meme
genre, si ce n'est du meme degré, a remplir les
t'onctions de j ul'és ou les fonctions paroissiales; ce
qui, sans e1re assez continu, sans etre assez répandu
et sans fonrnir une assez grande variété de consi-
dérations élovées ponr e tre comparable a l' éducation
publique que tout citoyen d'Athimes trouvait dans
ses institutions démocratiques, constitue cepen-
dant des etres tres-différents, sotis le rapport des
connaissances et des facultés, de ceux qui n'ont
rien fait leur vie durant, que tenir la plume ou
vendre des marchandises derriere nn comptoir.




90 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Encore plus salutair'e est la partie morale de l'ins-


truction acquise par l'accessíon du citoyen, si rare
qu'elle soit, aux fonctions publiques. II est appelé
la a peser des intérels qui ne sont pas les siens; a
consulter en face de prétentions contradictoires une
autre regle que ses penchants particuliers; a mettre
incessamment en pratique des príncipes et des maxi-
mes dont la raison d'etre est le bien publico Et il
trouve en général a cOté de lui, dans ceUe besogne,
des esprits plus familiarisés avec ces idécs et ces
opéralions, dout ce sera l'étude de fournir des rai-
80ns a son intelligence et des excilants ü son scnli-
ment du bien pub lic.


Il apprend a sentir qu'il fait pal'tie uu public el
que l'intéret publíc est le sien. La oil il'existe pas
cette école d'esprit public, c'est a peine si 1'0n com-
prend que les personnes pnvées qui ne sont pas
dans une position social e éminente, aient a l'cmplir
envers la société des devoirs autres que celui d'obéil'
aux lois et de se soumettre au gouvernemcnt. Iln'y
a aucun sentiment désintéressé d'identificalion avec
le publico Toute pensée et toul senliment ou d'inlé-
ret ou de devoir, sont absorbés dan s l'individu
ou dans la famille. L'homme n'a jamais l'idée d'in-
térets collectifs, d'intérels a poursuivre conjointe-
ment avec d'autres. Son prochain ne lui apparait
que comme un rival, el au besoin comme une vic-
time. Le voisin n'étant pas un allié ou un associé




L'lDÉAL EST LE GOUVEHNEMENT REPRÉRENTATlF. 91
puisqu'il n'est jamais engagé dans aucune entre-
prise commune pour le bien général, est donc seu-
lement un concurrent. Ainsi il y a souffrance pour
la moralité privée; quant a la moralité publique,
elle est éteinte. Si c'était la l'état universel et le
seul état possible des choses, les plus hautes aspi-
rations du législateur ou du moraliste n'iraient qu'a
faire de la masse de la communauté un troupeau
de moutons paissant innocemment, cOte a cOte.


D'apres toutes ces considérations, il est évident
que le seul gouvernement qui puisse satisfaire plei-
nement a toutes les exigen ces de l'état social, est
celui auquel participe le peuple tout entier; que
toute parLicipation meme a la plus humble des fonc-
tions publiques est utile; que la participation doit
etre partout aussi grande que le permet le degré
de ciyilisation ou est en général parvenue la com-
munauté, eL que finalement on ne peut rien dési-
rer de moins que l'admission de tous a une part de
la souyeraineté. Mais puisque dans une commu-
nauté qui dépasse les bornes d'une petite ville, cha-
cun ne peul participer personnellement qu'a une
tres-petite portion des affaires publiques, le type
idéal d'un gouvernement parfait ne peut etre que le
type représentatif.




CHAPITRE IV


A QUELLES CONDITIONS DE SOClhÉ LE GOUVEIlNEMENT
REPRÉSENTATIF EST-IL lNAPPLICABLE.


Nous avons reconnu dans le gouycrnement repré-
sentatif le type idéal du gouvernemcnt le plus par-
fait, auquel par conséqucnt tout pCllplc s'adaptc
d'alltant mieux, qu'il e st parvenu a un dcgré de
progres plus élevé. l\1oins un peupIc est avancé dans
son développemen t, et moins ce tte forme de gouver-
nement peut, généralemcnt parlant, lni, convenir.
Toulefois, cecí n'est pas universellemenl vrai : cal'
l'aptitude d'un peuple au gouvernement représen-
tatif ne dépend pas tant de la place qll'il occupc
dans l'échelle générale de l'humanité, que du point
auquel il possede certaines conditions voulues toutes
spéciales, conditions liées toutefois d'une maniere
si intime avec le degré de civilisation générale, que
tonte disproportion entre lesdeux, est plutótl'exeep-
tion que la regle. Examinons a qnel poinl dans la
série deseendante, le gouvernement représentatif
cesse complétement d'etre admissible, soit paree
qu'en lui-meme il ne saurait convenir, soit paree
que quelque autre régime conviendrait mieux.




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIÉTÉ, ETC. 93
El d'abord le gouvernement représentatif, comme


tOllt au tec gOllvernement, ne saurait convenir la ou
ilnc peu t subsister d'une fac¡on permanente, c'est-a-
dire la ou ne sc rencontrent pas les trois conditions
fondamenlalcs que nous ¡wons énumérécs dans le
premier chapi tre, el qui sont : 1.0 que le peuple soi t
disposé a l'aceepter; 2° que le peuple ait la volonté
et la capacilé de faire ce qui est nécessaire pour le
maintenir; :3° qne ce peuplc ait la volonté et la ca-
pacité d'acGomplie les devoirs el de rcmplir les fonc-
tions que ce gonvernemenl lui impose.


L'inclinalion dn pellple a accepler le gouverne-
men t représen tatir devien t simplemellt une question
pratique, lorsqu'ungouvernant éclairé ou bien une
on plusieurs nations étrangcres qui on t pris de l'as-
cendant sur le pays sont disposés a lui offrir ce
bienfail. Ponr les réformateurs individueIs, la ques-
tion cst presquc sans portée, puisque si ron n'a
el'autre ohjection a élever contre leur entreprise que
l'indifl'érencc Oll la résistance de l'opinion 'natio-
nale, ils ont une réponse toute prete et tres-conve-
nable : ils vous elisent que ele converlir a leur propre
opinioll l'opinioll publique est précisémentle but ou
iIs visent. Quand l'opinion est réellement opposée,
c'est pIut6t en général au fait du changement
qu'elle s'oppose qu'au gouvernement représentatif
luí-meme. On a bien vu quelques exemples elu con-
traire; iI Y a eu quelquefois une répugnance reli-




~14 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
gieuse a limiler le pouvoir d'une rae e parliculiere
de gouvernants; mais, en général, la doctrine d'o-
béissance passive signifiait seulemenl la soumission
a la yolonté des pouvoirs existants, qu'ils fussent
monarchiques ou populaires. En général, quand il
s'agit d'essayer quelque part le gOllvernement re-
présentatif, l'indill'érence pour cette forme de gou-
vernement et l'incapacité d'en comprendre les pro-
eédés et les exigences, sont les obstacles auxquels
on doit s'attendl'e plutól qu'a une opposition posi-
tive. Ces obstacles toulefois sont aussi funestes eí
aussi tenaces qu'une aversion positive; cal' iI est
presque toujours plus aisé de ehanger la direction
d'un sentiment actif que de créer un sentiment dans
IIne condition antérieurement passive.


Quand un peuple n'a pas l'estime ni l'aUache-
ment qu'il faut pour une constitution représenta-
tive, il n'a presque aucune chance de la conservero
En tout pays, l'exécutif est la branche du gouver-
nement qui manie le pouvoir immédiat et qui est
en contact direct avec le public; a lui s'adresscnl
les espél'ances el les craintes des individus, et e'est
surtout par lui que sont représentés tout a la fois,
aus: yeux du public, les bienfaits et les terreurs du
gouvernement aussi bien que son prestige. Si done
les autorités qui doivent conlenir et modérer l'exé-
cutif ne sont pas soutenues par une opinion et un
sentiment puissants chez le peuple, l'exécutiftrouve




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIETÉ, ETC. 95
toujours moyen de les mettre de cOté ou de les
réduire a l'ohéissance, et il est sur d'étre aidé a.
eeUe reuvre, La permanence des institutions repré-
sentatives dépend nécessairement de la batailIe que
le peuple est pret a liHer ponr elles, lorsqu'elles
sont en danger. Si on les estime trop peu pour en
venir la, iI est rare qu'elles prennent pied, ou si
elles y parviennent, elles sont sures d'elre renver-
sées des que le chef du gouvernement ou tout chef
de parti qui peut rassembler assez de forces pour
un coup de main, sera disposé a courir queIque pe-
tit risque pour arriver au pouvoir absolu.


Ces considérations se rapportent aux deux pre-
mieres causes d'échec pour un gouvernement repré-
sentatif. La troisieme cause se rencontre lorsqu'il
manque au pcupIe, soit la yolonté, soit la capacité
de jouer le role qui lui appartient dans une con s-
tüution représentative, Quand il ne se trouve per-
sonne, ou quand iI se trouve seulement un petit
nombre d'hommes qui prenne allX affaires génétales
de l'État le degré d'intérct nécessaire ponr la for-
mation d'une opinion publique, les électeurs n'em-
ploieront gucre leur droit de suffrage qu'a servir
leur intérCl privé ou l'intérét de leur localité, ou
celui d'un homme avec lequel ils sont liés soit
comme adhél'ents, soit comme dépendants, La classe
peu nombreuse qui, dans cet état de sentiment pu-
blie, obtient la direction du corps représentalif, ne




96 GOUVER;\1E;\IENT HEPRESENTATlF.


l'emploie la plupart du temps que comme un moyen
de faire fortune. Si l'c:J.·écuti( est faibIe, iI y a lutte
dans le pays, luUe YIolente pour les places; s'il est
fort, il se rend despotique en apaisant a hon mar-
ché les représentants ou tels d'entre eux qlli seraient
capables de lui donner du souci, au moyen d'une
part dans le bntin; el le seul produit de la repré-
sentation nationale, c'est qu'outre eeux qui gouver-
nent réellement, ]e public défraie une assemblée,
et qne nul abus, oú est interrsssée une partie de
l'assembléc¡ n'a chance d'etre rlétruit.


Cependant quand le mal s'arrete la, on peut s'y
sonmettre afin de jonir de la publicité et de la dis-
cussion qui sont l'accompagnement naturel, sinon
invariable, de toute représentation meme nominale.
Par exemple, on peut a peine douter que, dans lt~
royaume moderne de Grece, les coureurs de place~
qui composent en grande partie l'assemblée repré-
sentatiye, n'entretiennent l'idée des dI'Oits popu-
laires el ne contribuent grandement a la liberté
réelle de la presse qui existe dans ce pays, (IUoique
directement ils ne fassent rien ou peu de chose pour
que le pays soit bien gouverné ni meme ponr tem-
pérer le pouvoir arbitraire de l'exécutlf. Toutefoi~
ce bienfait dépend entierement de l'existence d'un
foi héréditaire a cOté du corps populaire. Si, au
lieu de se disputer les faveurs dll gouvernement
principal, ces factions égo'istes et sordides se dispu-




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIÉTÉ, ETC. 97
taienL la place principale elle-meme, le pays demeu-
rerait, comme l'Amérique cspagnole, dans un état
de révollltion clll'onique et de guerre civile. Unesuc-
cession d'aventuriers poliLiques exercerait a tour de
r61e non point le despotisme des lois; mais celui
de la v¡olence, et le nom eL les formes de la repré-
sentalion n'auraicnL d'autrc effct que d'empécher
le despotisme d'arrivee a celte stabilité et a cette
sécuriLé, qui sont les seules conditions ou puissent
s'adoucir ses maux, et se réaliser le peu de bienfaits
donL ii est capable.


Dans ces di"ers cas, le gouvernemcnt représen-
tatir ne peut cxister d'une fa¡;on permanente. Il y
en a d'auLres ou iI n'est peut-üLre pas impossible,
mais ou une, autre forme de gouvernement serait
préférable; par exemple, lorsqu'un peuple a besoin
pour s'élever en civilisation, de se pénétrer de quel-
que rnaxime, de contractor quelque habitude a l'ac-
Cjllisition de laquelle le gouvernement représentatif
mettrait probablement obstado.


Le plus évidontde cescasostcelui que nous avons
déja considéré, ou un peuple ignore encore le pre-
miel' principe d'obéissance. Une race, a laquelle ses
lnttes contro la nature et contre ses voisins ont en-
seigné l'énergie el le courage, mais qui ne s'esL pas
encore pliéo a l'obéissance permanente envers un
chef commun, aurait peu de chance d'acquérir cette
habitude sous le gouvernement collectif de sa propl'e


6




!:}8 GOUVERNEl\IENT REPRÉSENTATIF.
communauté. Une assemblée représentative, prise
parmi un tel peuple, ne ferait que refléter son insu-
bordinaLion turbulente. Ellerefuserait son autorité a
tous les actes qui voudraient imposer une contrainte,
si désirable qu'elle fUt, a sa sauvage indépendance.


Les nécessités de la gllerre et l' autorité despotique
indispensable au commandement militaire peuvent
seules, en général, amener de pareilles tribus a subir
les conditions élémentaires d'une société civilisée.
Un chef militaire est le seul supérieur qu'elles re-
connaitronl, si ce n'est peut- elre Qa et la quelque
prophetequi leur semble inspiré d'en haut, quelque
magicien renommé pour de prétendus miracles. De
pareils hommes peuvent exercee un ascendant tem-
poraire; mais comme cet ascendant est purement
personnel, rarement opere-t-il quelque modification
dans les habitudes générales du peuple, a moins
que le prophete ne soit en meme temps un chef mi-
litaire, comme Mahomet, et ne se présente, comme
l'apótre armé de la nouvelle religion, ou bien a
moins que les chefs mililaires ne s'allient avec son
influence, et n'en fassent un des soutiens de leur
propre gouvernement.


Un peuple n'est pas moins impropre au gouverne·
ment représentatif lorsqu'il a le défaut conlraire a
celui que nous venons d'exposer, c'est-a-dire une
extreme passz"vüé et une prompte soumission a la
tyrannie. Si un peuple, ainsi réduit a rien par son




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIÉTÉ, ETC. !19
caraetere et par les circonstanees, pouvait obtenie
des institutions représentatires, il choisirait inévita-
bJement ses tyrans pour représen tants, etla combi-
naison, qui a premierevue semblerait deyoie alléger
son joug, ne ferait que le rendre plus pesant. Au
contraire, plus d'un peuple est sorti petit a petit de
ceUe condition, avec l'aide d'une autorité centraJe
qui pat' sa position était la rivale, el qui a fini par
devenir la maltresse des despoles locaux, et qui sur-
tont possédait cet avantage d'etre unique en son
genre. L'histoire de France, depuis Rugues Capet
jusqu'a Rienelieu et Louis XIV, offl'e un exemple
continu de eette marche des choses. Meme quand le
roi était a peine aussi puissant que la plupart de ses
prineipaux f.eudataires, le grand avantage qu'il ti-
rait de n'Ctre qu'un a été reconnu par les historiens
franQais. Vers lui se tournaient les regards de tous
ceux qui étaient opprimés localement; dans tout le
royaume, on espérait en lui, on ayait confiance en
lui, tandis queehaque dominateurlocal n'était puis-
sant que dans un espace plus ou moins borné. De
tons les recoins du royaume, on venait chercher pres
du roi refuge et protection, tantOt contre l'un, tantót
contre l'aulre des oppresseurs immédiats. Le pro-
gres de son ascendant était lent, mais iI s'opérait en
mettant a profit successivement des occasions qui
ne s'offraient qu'au roi seu1 ; aussi ce progres éLait-
il sur, et a mesure qu'il s'accomplissait, iI diminnait




100 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
chez ] a portion opprimée de la nation l'habi lude de
se soumettre a l'oppression.


C'était l'intéret du roi d'encourager tous les ef-
forts partiels des serfs pour s'affranchir a l'égard
de leurs maltres el se placer saus sa domination
directe. Avec sa protection se formerent de nom-
breuses communautés qui ne reconnaissaient per-
sonne au-dessusd'elle que leroi. L'obéissance envers
un monarque éloigné, comparée a la domination
du seigneur du chAteau voisin, c'est la liberté
meme: et le monarque fut longtemps conlraint par
les nécessités de sa position, d'exercer son autorité
plut6t comme l'allié que comme le maltre des
classes qu'il avait aidées a s'affranchir. De cette
faQon, un pouvoir central, despotique en principe,
quoique généralement tres-restreint en pratique,
fut le principal instrument qui .fit franchir au peuple
une phase nécessaire du progres, dont, selon toute
apparence, il n'aurait jamais pu approcher avec un
gouvernement véritablement représentatif. JI ya des
parties de l'Europe oil la meme ffiuvre est encore a
faire, etn'aaucunechanced'elre accompliepar d'au-
tres moyens. Rien autre chose qu'un gouvernement
despotique, ou un massaere général, ne pourrait ef-
fectuer l'émancipation desserfs dans l'empire russe.


Aux memes époques de l'histoire, on voit c1aire-
ment un autre mérite de la monarchie absolue sur-
montant certains obstades au progres de la civili-




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIÉTÉ, ETC. 101
satíon, que le gouvernement représentatif tendrait
positivement a aggraver. Un des plus puissants obs-
tacIes au progres, jllsque dans un état de civilisa-
tion assez avancée, c'est un esprit invétéré de loca-
lité. Des portions de I'humanité qui, sous beaucoup
d'autl'es rapports, sont capables dejouirde la liberté
et prépal'ées a la recevoir, peuvent n'avoir pas les
quaIités vouInos pour se fondre, meme en la plus
petite des nations. Non-seulement des jalousies et
des antipaLhios peuvent les éloigner les unes des
autres et empecher toute possibilité d'union volon-
taire, mais elles peuvent n'avoir pas encore acquis
les sentiments ni les habitudes qui rendraient l'u-
nion réelle, en supposant qu'elIe fUt accomplie
nominalement. Certains groupes de population,
comme les citoyens d'une ville antique ou comme
les habitants d'un village d'Asie, peuvent avoir
acquis une grande habitude d'exercer leurs faeultés
sur les inté1'ets de leu1' ville ou de leu1' village; ils
peuvent meme s'acquitte1' passablement d'un gou-
rernement populai1'c surcet étroit théatre, étrangers
d'ailleurs a tou1e forte sympathie en dehors de ces
limites, cornme a tont usage, a toute capacité de
manier des intérets cornmuns a beaucoup d'autres
cités semhlahles. Je ne sache pas qu'un certain
nombre de ces atomes ou corpuscules politiques se
soientjamais fondus en un COl'pS, qu'ils aientjamais
appris a se sentil' un seul peuple, sans avoir été


6.




102 GOUVERNEMENT RErnÉSENTA TIF.
préalablement soumis tous a la mrme autorité ccn-
trale (1). C'estl'habitude d'en référer a cctte autorité,
d'cntrer dans ses plans, de se soumcttrc a ses "ues,
qui ouvre l'esprit d'un peuple, tel que nous 1'avons
supposé, a la conception de grands intércls compre-
nant un terl'itoirc d'une étenduc considérable. Au
contraire, de tcls intérets sont nécessaircment la
considération qui prédomine rlans l'esprit du gou-
vernement central; et, grace aux rclatiolls plus ou
moins intimes qu'il établit progressivemcnt entre
les localités, ils deviennent familicrs a 1'csprit du
publico


Le concours de circonstances le plus favorables a
ce progres serai t cel ui ou l' on verrai t des institu-
tions représentatives, sans gouvernement représen-
latir, un ou plusieurs corps représentatifs tirés des
localités se faisant les auxiliaires ou les instruments
du pouvoir central, mais n'essayant gucre de le con-
trarier ou de le controler. De cette faGon, le peuple
étant appelé ponr ainsi dire au conseil, quoique ne
partageant pasle pouvoir supreme, l'éducation poli-
tique donnée par l'autorité cenlrale est rapportée
bien plus efficacement qu'elle ne pourrait 1'etre


(1) L'ltalie, qu'on peut seule citer comme une exception, n'en
est une que sous le rapport de la derniere phase de sa
transfol'mation. Le progres plus difficile qu'avaient opéré déja
les villes isolées de Florence, de Pise ou de Milan, en se réu-
nissant pour former l'unité provinciaJe de la Toscane ou de la
Lombardie, s'est fait de la fa<;on ordinaire.




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIÉTÉ, ETC. 103
autrement, aux principaux habitants des localités et
a la popnlationen général. En meme temps, on con-
serve la tradition d'un gouvernement par consente-
ment général, ou du moins la sanction de la tradi-
tion n'est point donnée a un gouvernement absolu,
lequel, lorsqu'il est consacré par la coutume, a si
souvent mal flni des choses bien commencées, et
présente un des exemples les plus fréquents de la
triste falalité qui dans bien des pays aentl'avé le pro-
gres des ses premiers pas, l'muvre d'un siecle ayant
été faite de faGon a empccher l'mune nécessaire des
siecles suivanLs. En aHendant, on peut établir ceci
comme une vérité politique : c'est qu'une monarchie
absolue réussira bien mieux qu\m gouvernement
représenlatif a fondre une multitude d'unités poli-


. tiques insignifiantes en un seul pays ayant des senti-
ments généraux de cohésion, assez de force pour se
protéger contre la conqueLe etl'agression étrangere,
et des affaires suffi~amment varié es et considérables
pour occuper dignement et développer dans des
proportions convenables l'intelligenc~ sociale et
poli tique de la population.


Par ces diverses raisons, le gouvernement royal
avec des institutions rcprésentatives capables peut-
etre de le fortifier sans le controler, est la forme de
gouvernement la plus convenable pour toute com-
munauté en bas age, san s en excepter des cités
comme ceHes de la Grece antique. La en elfet, au




1M GOUVEHNEMENT lIEPltÉSENTATIF.
dire de l'histoire, le gouvernement des rois, controlé
jusqu'a un certain point par l'opinion publique
rl'une maniere réelle qnoiqu'elle ne fUt ni ostensible
ni constitutionnelle, a précédé, et de beaucoup san s
don te, lontes les institutions libres, et n'a cédé la
place qu'a des oligarchies d'un petit nombre de
familles qui la garderent longtemps.


On pourrait montrer chez un peupIe cent. autres
infirmités ou lacunes qui le rendenl impropre a
faire le meilleur nsage possible ou gouvernement
représentatif; mais ici il n'est plus aussi évident
qne le gouvernement d'un sel11 ou d'un petit nombre
ait quelque tendance a guérir ou a diminuer le mal.
l .. es défauts qui dominent chez un peuple, que ce
soit de puissan ts préjugés, un altachement obstiné
a de "ieilles coutumes, des vices positifs dans le ca-
ractere national, ou bien simplement de l'ignorance
et un manque de culture intellectuelle ; ces défauts-Ia
se retrouveront tous dans les assemblées représenta-
tives du peuple, et dans le cas ou l'administration
exécutive, le maniement direct des affaires, tombe-
raiL entre les mains de personnes comparativement
exemptes de ces défauts, ces personnes feraient sou-
vent beaucoup plus de bien, si elles n'étaienl entra-
vées par la nécessité d'obtenir l'assentiment volon-
tairc des corps représentatifs. Mai~ dans ce cas, la
posilion des gOllrernants ne suffit pas aleur donner,
comme dans les autres cas que nous avons examinés,




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIÉTÉ, ETC. 105
des intéréts et des tendances qui operent dans une
direction bienfaisanle. Rarement le gouvernant
uniqne et ses conseillers, ou bien le petit nombre
des gouvernants, seront exempts de la faiblesse
générale du peuplo ou de celle qui tient a l'état de
civilisation, a moins qu'ils ne soiont des étrangers
apparten:ll1t a un peuple supérieur on a une société
plus avancée. Alors, sans doute, les gouvernants
peuvent elro do lons poillts supérieurs en civilisa-
tion a CO\1X flU 'ils gOllvernent, et la soumission a
un gouvernemont élranger de ceUe espece, malgré
ses maux in6Yitables, est souvent le plus grand des
avantages pour un peuple; cal' elle lui. fait franchil'
rapidement plusieurs phases du progres et écarte
bien des obstacles qui auraient pu subsister indéfi-
niment, si la population soumise avait été aban-
donnée a ses chances, et a ses tendances naturelles.


Dans un pays qui n'est pas sous la domination
étrangere, la seule cause capable de produire de
pareils bienfaits, c'est le rare accident du génie sur
le trone. lIs sont en petit nombre dans l'histoire ces
bienfaiteurs de l'humanité qui ont régné assez long-
temps pour rendre quelques-unes de leurs amélio-
rations permanentes en les 1aissant a la garde d'une
génération qui avait grandi sous leur influence.
Charlemagne en est un exemple; Pierre-Ie-Grand
en est un autre. Néanmoins, de tels exemples sont
rares, et on doit les c1asser parmi ces heureux acci-




,


!O6 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
oents qui déciderent tant de fois a un moment criti-
que, si quelque portion importante de l'humanité
prendrait un éJan soudain, ou retomberait dans la
barbarie. Tel fut le personnage de Thémistocle a
l'époque de l'invasion des Perses, tel celui du 1 er ou
du 3me Guillaume d'Orange. Il serait absurdo d'éta-
blir des instilutions uniquement en vue de mettre
a profit de pareilles éventualités, d'autant plus' que
les hommes de cette trempe, dans tonto position
distinguée, trouveront un moyen, sans etro armés
Ju pouvoir despotique, d'exercer une grande in-
fluence, aimi que l'ont prouvé les trois personnages
nommés en dernier lieu.


Le cas qui mérite le plus d'étre examiné sous le
rapport des institutions, c'est le.cas assez fréquent
ou une portion peu nombreuse, mais éminente d'ail-
leurs, de la population, a sur tout le reste une supé-
riorité marquée de civilisation et de qualités diver-
ses, grace a une différence de race, a une origine
plus civilisée, ou a quelque autre circonstance par-
ticuliere.


Dans ces conditions, la masse, gouvernée par ses
représentants, serait exposée a perdre presque tout
le profit qu'elle pourrait tirer de la ci"ilisation
plus élovée des classes supérieures, tandis que le
gOllYernement des représentants de ces classes irait
a dégrador de plus en plus la multitude, et ne lni
laisserait l'espérance o'elre traitée convenahlement




A QUELLES CONDITIONS DE SOCIÉTÉ, ETC. 107
que le jour ou elle se débarrasserait d'un des plus
précjeux éléments de son progres futur. La meilleure
chance de progrcs pour un peuple ainsi fait, repose
sur l'existence d'une autorité sans 'limites constitu-
tionnelles ou du moins prépondérante en fait, dans
la personne du principal gouvernant de la classesu-
périeure. Lui seul trou ve dan s sa posi tion un inté-
ret, qui est d'élever et d'améliorer la masse dont il
n'es! pas jaloux, pour en faire ]e contre-poids de sa
caste dont jI est jaloux, Et si des circonstances heu-
reuses ont mis ;\ coté de lui, non comme conLl'oleur
mais commc subordonné, un corps de représentants
de la classc supérieure, qui par ses objections, par
ses discussions et meme au besoin par ses explosions
d'énergie entretienne des habitudes de résistance
collective, et qui puisse devenir avec le temps et
petit 11 pelit, une représentation vI'aiment nationale
(ce qui est en substance l'histoire du parlement an-
glais), la nation a pour le coup devant elle toutes
les pcr_'3pcctivcs d'amélioI'ation qui peuvent s· offrir
a une communauté placée et constituée de la sorteo


Parmi les tendances qui, sans rendre :un peuple
absolument impropre au gOllvernement représen-
tatif, peuvent Ctre un obstacle sérieux a ce qu'il en
recueille lous les fruits possibles, il y en a une qui
mérite une atlention pal'ticuliere. Il est dellx incli-
nations tres-différentes en elles-memes, avec quel-
que chose de cornmun par ou elles se rencontrent




108 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
souvent dans la direetion qu'ellcs donnenl aux 01'-
forls des individus el des nalions : l'une est le désil'
de eommander, l'autre est la répugnance a subir le'
commandement. La prédominance de l'une ou de
l'autre de ees dispositions chez un peuple, esl UlI
des éléments les plus imporlanls de son hisloire. 11
y a des peuples Oll la passion de gouverner aulrui
surpasse tellernent le désir de l'indépendance per-
sonnelle, que les hommes saerifieront yolontiers la
substanee de la liberté a la simple appal'ence clu
pouyoir. Chacun d'eux, comme le simple soldat
dans une armée, abdique de grantl erenr sa liberté
personnelle d'action entre les mains de son géné-
ral, pourvll que l'armée soit lriomphante et vic-
torieuse, et qll'il puisse se flaUer d'elre membre
d'une armée eonquérante, qlloiquc l'itlée de la part
qui lui éehoit dans la domination exei'eée sur le
peuple conquis, soit une illusion. Un gouyernemcnt
dont les pouvoirs el les aLtributions súaiull stric-
tement limités, dont on oxigerail qu'il no se melat
pas de tout el qu'il laissat mareher les ehoses la
plupart du temps sans prendrc le role d'un tuteul'
ou d'un direetellr, ce gouvernement ne plairai t pas
a un tel peuple. A ses yeux, les possesseurs de l'auto-
rité ne peuvent guere trop entreprendre, pourvu
que tous les eitoyens puissent un jour ou l'aulre
arriver a l'autorité. Chez eette nation, un homme
préférera en général la chanee (si lointaine et si




A IJLJELLE~ CONDlTlONS DE SOCIÉTÉ, ETC. 109
improbable qu'elle soit) d'exercer quelque portion
de pouvoir sur ses conciLoyens, a la certitud e pour
lui el pom'les autres qu'on n'exercera sur eux aucun
puuvoir inutile.


Voilit ce qui conslitue Ull }Jeuple de coureurs de
place s - un peuple on la politique est déterminée
pl'incipalement par la course aux places, on 1'0n ne
prise que l'égalité el point la liberté, on les contes-
tations des partis politiques no sont que des luttes
pour déeider si le droi L de se moler de tout appar-
tiendra a une classo au liou d'uno autre (peut-etee
él un gl'oupe d'homllJes publies au lieu d'un autre);
uu l'idée qu'on se !'ail de la démocratie est simple-
ment ;'idée d'ouYI'ir les fonclions publiques a tous
et non plus 11 un petit nombre seulement, on enfin
plus les institutions sunt populaires, et plus 011 crée
un nombre infini de places; en conséquence, l'exces
de gouvernemenL exel'cé par tous sur chacun, et
pal' l'exéclltif Slll' lous, deviellt plus mun5trueux que
jamals.


Il n'yaul'aH ni justico ni générosité a présenter
ceci on quelque cllose d'approchant, eomme un
portrait tunt a fait exact du peuple franQais.


Le lrait de cal'actero par on le peuple anglais est
plus propre qu'aucun autre au gouvernement repré-
sentatif, c'est qn'il appartient presque universelle-
ment au type opposé. 11 s'insurge volon tiers contre
loute lenlativc faile pour exel'cer sur lui un pouvoü;


7




110 GUUVEH.NEi\lENT H.l!:PRESENTATlF.


que ne sanctionne pas un long usage, uu sa pl'upl'e
opinion du droit; mais il se soucie Lees-peu en gé-
néral d'exercer le ponvoir sur autmi. N'ayanL pas
pour leur compte la moindre passion de gouveI'ner,
sachant tres-bien d'ailleul's pOUl' quels motifs inté-
ressés on rechel'che le gouveI'nement, les Anglais
préferent que cctte fonction soit accomplic par ceux
a qui elle échoit naturellemcnt comIlle une con sé-
quence de leur position sociale. Si les étrilngel's com-
prenaient ceci, ils en comprendraient miellx cel'-
taines anomalies apparenLes cllCz les Anglais; leul'
gout, leur empressement a subir la supériorité poli-
tique des hautes cl~sses, eL aveccelanuIle soumission
p~rsonnelle envers ces memes classes; une passion
qui ne se voit en aucun autre pays, de résiste¡' a l'au o
toritéJorsqu'elle dépasse les bornes prescrites, une
détel'mination ardenLe de l'appeler sans ces se aux
gouvernants qu'on veut eLre güuverné a sa guise eL
non autrement. Ainsi la course aux places est une
forme d'ambition a laquelle la nation anglaisc en
général est presque étrangere. A l'exception des quel-
ques familles sur le chemin desquelles les em~
plois officiels se trouvent placés directemenL, le~
idées des Anglais sur la maniere de s' élever prennen t
une direction totalement opposée, celIe du succes
dans les affaires ou dans une profession. I1s ont le
plus vif dégout pouI' les individus ou les partis po -
Jitiques qui ne font qne se disputel' les places: et il




A ()UELLES CONDITlUNS DE SOCIÉTÉ, ETC.ltt
II 'esL den qui leur inspire plus d'antipathie que la
multiplication des emplois publics, une: chose au
contraire toujours populaire chez les nations du con-
tinent qui, entetées de la bureaucratie, aimeraient
mieux payel' des imp6Ls plus élevés que de diminuer
le moindrement leurs chances individuelles d'ob-
tenir des places. Vous les entendez peut- étre criel'
a l'économie, non pour l'abolition des places, mai!'i
pour la réduction des traitements de certaines
places trop eonsidérables pour etre a la portée d'un
citoyen ordinaire.




CHAPITHE V


DES l'ONCTIONS QUI APPARTlENi'\ENT AUX CORPS REPR¡;;SENTATlFS.


En traitant la question du gouvernement repré-
senLaLif, il importe) par-dessus tout de ne jamais
pel'dre de yue la distinction a faire entre son idéal
ou essence, et les formes particulieres que eet idéal
a revetues, sous le coup d'accidents historiqlles,
ou sous l'inf1uence des notions I'eeues a quelque
époque donnée.


Gouvernernent repl'ésentatil signifle que la nation
tout enW~re ou au moins une portion nombreuse de
la nation, exerce, par l'entremise de député!:! qu'elle
nomme périodiquement, le pouvoir du controle su-
preme, pouvoir qui dan s toute constitution doit l'é-
sider quelque part. Ce pouvoÍJ' supreme, la nation
doit le posséder dans toute sa perfection. Elle doit
etre maitresse, quand elle veut, de toutes les opél'a-
tions du gouvernement. Il n'est pas nécessaire que
la loi constitutionnelle elle-meme lui donne ceL
empire. Elle ne le donne pas dans la constitution
britannique; mais ce qu'elle donne revient au memo,
en pratique. J.,je pouyoit, de Gontl'ulc final esi aus~i




UF,S FONCTIONS QUI APPARTIENNENT, ETC. 11:3
t~~sentielIement. nnique dans un gouvernement mé-
l;mgr el, pondél>p que dans une monarchie ou une
démocratie purr. C'nst la ce qu'il y a de vrai dans
eette opinion nes anciens, adoptée de nouveau au-
jourd'hui par de grandes autorités, qu'une constitu-
tion pondérée est impossíble. Il ya presque toujours
une pondération; maís jamais les plateaux de la
balance ne sont parfaitement a niveau. A ne regar-
del' que la surface des institutions politiques, on ne
voit pas toujours lequel l'emporte. Dans la consti-
tutíon britannique, chacun des trois membres com-
hinés de la souveraineté est investi de pouvoirs qui,
¡,¡'illes exerQait pleinement, le rendrait capable d'ar-
reter tout le mécanisme du gouvernement. Done,
nominalement chacun d'eux possede un pouvoir
égal de contrarier et d'arreter les autres. Et si l'un de
ces trois membres pouvait apercevoir un avantage
a exercer ce pouvoir, le train ordinaire des choses
humaines !lons permet de supposer qu'il l'exerce-
raíl. Sans aucnn doute, chacun des trois membres
emploierait tous ses pouvoirs pour se défendr,e, s'il
se trouvait attaqué par l'un des deux autres ou par
tous deux ensemble. Qui est-ce qui l'empeche done
de s'en senil' agressivement? Les maximes non
écrites de la constitution, en d'autres termes la
moralité positive et politique du pays : e'est eette
moralité positive el politique que nous devons
considérer, si nOllS voulons savoir oil réside le




11 í· ciOUVERNEMENT REPRÉSE;'I;TATIF.
pOllvuil' naiment supreme uans la COIlstituliún.


Par la loi constitutionnelIe, la couronne peut re-
ruser son assentiment a tout acte du parlcment, et
nommer ou maintenir dan s son emploi lout rninis··
tre, malgré les remontrances du parlement. Mais la
moralité constitutionnelle du pays annule ces pou-
voirs, elle empuche qu'on en fasse jamais usage,
elle exige que le chef de l'administration soit tou-
jours nommé virluellemenl par la chambre des
communes: par la elle fai t de ce corps le vél'itable
souverain oe l'État. Mais les regles non écrites qui
circonscrivent l'emploi des pouyoirs légaux, n'onl
d'effet el de vie qu'a condition de s'accorder ave/'
la distribution actuelle de la véritable force politique.
En toute constitution, il y a un pouvolr plus fort,
un pouvoir qui remporterait la victoire si les com-
promis, grace auxquels la constitution fonctionne
ordinairement, étaient suspendus et que les forces
en vinssent a se mesurer. On adhere aux maximes
constitutionnelles, et elles ont un effet pratique,
aussi longtemps qu'elles donnent la prédominance
dans la constitution a celui des pouvoirs qui posscde
au dehors la prépondérance du pouvoir actif.


En Angleterre, ce pouvoil' c'est le pouyoir popu-
lail'e. A ce compte, si les précaulions légales de la
conslitution britannique ainsi que les maximes non
éCl'ites qlli reglent par le rait la conduite des diffé-
renles aulol'ités politiques, ne oonnaient pas a 1'{>lr-




lIE~ Fl)~CTfONS QUI APPARTIENNE~T, ETC.IIJ
ment populail'e dans la constitution, cette supré-
matie véri table dans toutes les branches du gouver-
nemenl) qui eorrespond a son pouvoir réel sur le
pays, la constitnlion ne posséderait pas eette sta-
bilité qui la caractérise, on les lois et maximes
non écrites anraicnt hient61 a changer. Ainsi, le
gouyernemcnt bl'itannique est un gouvernement
représentatif dans le vrai sens du mot, et les pou-
yoirs qu'il abandonnr aux mains de ceux qui ne
.,ont pas direclement responsables envers le peuple,
ne peuycnt éll'e regal'dés qne rom me des précau-
tions qnc le ponvoil' dominant pel'met de prendre
contre ses pl'opres erreurs. De telles précautions
ont existé dans toutcs les démocraties bien consti-
tuées. La constitution athénienne en renfermait un
grand nombre, et il en est de meme dans la consti-
tution des Etats-Unis.


Mais, tandis qu'il est essentiel pour un gouver-
nement représelltatif que la suprématie pratique
dan s l'État appartienne aux représentants du peu-"
pIe, on se demande queUes seront les fonctions vé-
ritables que remplira directement et personnelle-
ment le corps représen tatif? quelle sera sa part
précise dans le mécanisme du gouvernement? Sous
ce rapport, de grandes varié tés sont compatibles
avec l'essence du gouvernement, pourvu que les
fonctions assnrent au corps représentatif l'aulorité
supreme en tontes choses.




11 n 1101i\'EH~E~IENT HEPHESENT\TIF.


1I y a IIlle diffÉ'l'ence radiealt' l'ntn l controleJ' la
besogne tlu gouH' rnen1C'nt el. l'aceomplil' l'éelIp-
mento Le meme homme OH le meme corps peul etre
capable de tout cOllt1'6Ier mais He pent pas tout
faire, et, dans bien des cas, moins il essaiera d'agil'
par lui-memo et plus son contróle sllr toutes choses
sera satisfaisant. Le chef d'uIle armée ne pourrait
pas si bien en diriger les mOllvemenl.s s'il combat-
I.ait dans les rangs ou s'il montait il l'as~allL. 11 en
est de meme ponr les nssemblées hllmainrs. Certai-
neschoses ne peuvent etre bien faitcs que par des
assemblées, d'autres ne peuvent lItre hien faites par
plIes. En r,onséquence, savoil' ce fllúme assemblét'
populairedoit controler est lIne question, savoil' ce
qu'elle doit faire en est une autre. Comme nous l'a-
vons déja vu, elle doit controler toutes les opéra-
tions du gouvernement. Mais pour décider de quelIe
maniere ce controle pent le mieux Otee exercé, el
queHe portion de la besogne du gouverncment 1'as-
semLlée représentative doit accomplir elle-meme,
il nous faut examiner quel genre de besogne un
corps nombreux est capable d'accomplir avee; suc-
cCs. Il ne doit se chargcr personnellemcnt que de
ce qu'il peut bien faire. (Juant au reste, sa tache
est de ne pas le faire, mais de s'arranger pour que
d'autres le fassent bien.


Par exemple, l'office qll'on l'egarde comme ap-
parf enan 1 pltb pal'ticnlirl'emt'll t que ton f :1utre ~l




DES FO:\lCTTONS QUJ APPARTIENNENT, ETC. 117
une assemhlrc rcpr0sentative du peuple, e'est celui
dI' yoter l'imput. Néanmoins dans aucun pays l'as-
semblée représentative n'entreprend de préparer
les budgets, soit elle-meme, soit par des délégués.
Ouoique le budget des dépenses ne puisse etre voté
que par la chambre des eommunes, et quoique la
sanetion de la Chambre soit exigée également pour
l'approprialion des revenus aux différents item de
la dépense publique, e'est une maxime et une pra-
tique habituelle dans la constitution , de n'aeeorder
l'argent que sur la proposition de la eouronne. Il
fut compris sans doute qu'on ne peut espérer de la
modération quant a la somme, du so in et du jnge-
ment dans le détail de son applieation, que lorsque
le gouvernement exéeutif par les mains duquel cel
argent doitpasser, est responsable des plans et des
calculs sur lesquels se ba.sent les appels de fonds.
En conséquenee, on ne demande pas au parJement,
et meme on ne lui permet pas de diriger préeisé-
ment soit l'imposition des taxes, soit la dépense.
Tout ee qu'on lui demande, e'est son eonsente-
ment, et le pouvoir de le refuser est le seul qu'il
possede.


Les prineipes eontenus et reeonnus dans eette
doctrine constitutionnelle, si on les suit jusqu'au
bout, sont un guide pour reconnaitre et définir les


I


fonctions générales des assemblées représentatives.
D'abord, il est admis dan s tout pays ou le system.e


7.




IIR GOCVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
repl'ésentatif est compris en pratique, ({ue des COl'pS
représentatifs et nombreux ne deuaient pas adllli·
nistrer. CeUe maxime est fondée non-seulement. su!'
les principes les plus essenliels d'un hon gouverne-
ment, mais sur ceux d'ou dépend le sucees en toute
affaire. Nulle colleetion d' hommes, a moins qu'elle
n'ait une organisation et une hiérarchie, n'est pro-
pre a l'action, dan~ le vrai sens du mol. Meme un
conseil d'élite, composé d'un petit nombre de mem·
bres familiers ave e la besogne qu'ils ont a traiter,
est toujours un instrument inférieur a quelque in-
di\'idu qui pourrait etre trouvé parmi ses membres,
et ce conseil gagnerait énormément a ce que cet
individu devint le chef, et a ce que les autres lui
fussent subordonnés. Ce qu'une assemblée peut
faire mieux qu'aucun indiYidu, e'esl de délibérer.
Quand iI est nécessaire ou important que heaucoup
d'opinions contradicloires soient enLendues et pri-
ses en considération, une assemblée délibérante est
indispensable. Ces assemblées sont done fréquem-
ment uliles, meme pour la besogne administralive;
mais a titre de conseillcres, cal' en regle générale
une pareille besogne est toujours mieux dirigée pal'
une seule personne responsable. Meme une compa-
gnie par actions a toujours en réalité un gérant: la
bonne OH la mauvaise direction de la eompagnie
dépend essentiellement des qualités d'un seul indi-
vidll, el les autees direcLeurs ne servent qu'a eon-




DES FONCTIONS \)UI APPARTIENNENT, ETC. 119
'3eiller cet individu, ou bien a le surveiller, a l'arre·
ter ou a le changer en cas de mauvaise gestiono
Qu'ils aient ostensiblement une part égale a la
sienne dans la direclion, ne serait nullement un
avantage, mais un ohstacle considérable. Cela affai-
blirait grandement dan s l'esprit du gérant et dans
celui des antres, le sens de cette responsabilité in-
diridllelle qui doit peser sur lui et sur lui seul.


Mais une asscmbléc populaire est encore plus in-
('apable d'administrer ou de donner des ordres dé·
taillés a ceux qui sont chargés de l'administration.
Meme avec une intervention honnete, eette in ter·
vention est presque toujours r&cheuse. Toute bran-
che d'adminisll'ation est une affaire délicate qui a
ses regles, ses traditions particulieres dont beau-
coup ne sont pas me me connues, si ce n'est de eeux
qui pendant quelque temps ont mis la main a l'reu-
ne, el dont nulle ne peut ctre appréciée que par
les personnes (lui onl une eonnaissanee pratique de
la c11ose. Je ne veux pas dil'e que la conduite des af·
raires publiques rcnferme des mysteres ésotériques
aecessibles seulement aux initiés. Les principes de
cette conduite sont intelligibles pour tout homme
de bon sens, qui se représente fidelement l'ensem-
ble des eirconstanees el des eonditions auxquelles
il a affaire; mais pour cela il faut connaitre ces cir-
constances et ces eonditions, et eette connaissance
lW yient pas par in tnition. 11 y a heaucoup de regles'




120 riOrVERNF.\rF~T HEPRf:SF.\'TA TrF.
de la pll1s haute imporlancr dans tOl1tes Irs hran-
ches des affaires pnhliques (comme dans tonto OCCtl-
pation priyée) donl un indiyidu nouvoau a la chos('
ne peut connaltrc la raison ni meme soupronne!'
l'existence, paree que ces regles sont faites ponl'
avoir raison de dangers ou d'inconvénients auxqllcls
il n'avait jamais songé. J 'ai eonnll des hommes pn-
blies, des ministres d'une capaci té plus qll'ordinaire
flui, lorsqu'ils abordaient une hranclw d'admillis-
Lration nOllvelle poureux, faisaienl souril'e leurs in-
férieürs, de l'air qu'ils annOlH:aienL commc une ni-
rité ignorée jllsque-la el mise en lumiere par eux,
quelque idée élémentaire qui s'offrc a promiere vne,
et qu'on laisse hiontót dcrricre soi on avancant clans
le sujet. Un hommo d'État, il est vrai, est celui qui
sait quand il faut so départir des traditions anssi
bien que quand il faut y adhérer. Mais c,'est un\'
grande erreur de supposer qll'il y réllSsil'a mienx
ponr el1'e igno1'ant dos traditions.


Une pe1'50nne qui no eonnalt pas h fond lf's ma-
nieres d'agir que l'expérience communc a sanetion-
llées, est incapable de voir quantl les rircollslancps
exigent qu'on se départe de (',('S manieres hahi-
tu elles d'agir. Les intérets qui reposent sur les aeles
émanés d'une branche d'administralion, les con sé-
quences qui peuvent résultc1' d~ (jncl(JlH' maniere
particuliere de la diriger, sont choses qui velllen t
etre pesées et estiméps aye" une sorLn de savoil' el




!lES FONCTIO~S QI'J APPARTTENNENT, ETC. i~t
¡Jn jl\gemenl spéeial Lres-exel'cé; et cela ne S8 YGit
pas plus chez Cf'UX qui n'ont pas été élevés pour la
chose, qu'on ne rencontre la capacité de réformer
la loi chez ceux qui ne 1'ont pas étudiée profession-
nellement. Toutes ces difficultés seront ignorées a
coup sur d'une assembléc représentative qui entre-
prend de prononcer sur des mesures spéciales d'ad-
minisLration.


A mettl'tlles choses au mieux, c'est l'inexpérienee
siégcant pOlll' juger l'expérience, e' es tl'ignoranee sié-
geant pour juger le savoir; l'ignoranee qui ne sonp-
connant jamais l'existence de ee qu'elle ne sait pas,
est également insouciante et hautaine, traitant ayec
légerf'té, si ce n'esL ave e colere, tonte prétention a
émettl'e un jngement plus digne de considération
que le siell.Voila ce qni en est quand nul motif in-
téressé ne survient; mais dans le cas contraire, on
a le speetacle d'un maquignonnage (jobbery) plus
n fl'ro n té eL plus audacieux que la corruption la plus
dfroyablc qll'on puisse yoir dans un service pnblic
SOllS un gourcrnemcnt de publieité. Il n'est pas né-
eessaire que la majorité de l'assemblée ait un motif
intéressé. Dans bien des cas~ il suffit que deux OH
teois de ses memhres en aient. Ces deux ou trois
membres auront un intéret plus grand a égarer l'as-
semblée qu'aneun des autres n'en aura probable-
ment a la remettre dans le bon chemin. La masse
¡}n l'assemblée pent 1'ester les mains nettes; mais




122 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
elle ne peut porter un esprit bien vigilallt, ni beau·
eoup de jugement et de diseernement sur des ma-
tiere::; auxquelles elle ne connait rien : une majoriLé .
indolente, comme un individu indolent, appartient
a la personne qui se donne le plus de peine pour
s'en emparer.


Les mesures mauvaises et les nominations mau-
vaises d'un ministre peuvent étre controlées par le
parlement, et l'intéret qu'ont les ministres i'l se dé-
fendre, comme l'intéret qu'ont leurs rivaux a les at-
taquer, assure un débat flui peut ütre passablement
sérieux. Mais « quis custodiet ct¿stodes? » qui contro-
lera le parlement? Un ministre, ]e chef d'un service
publie, sent peser sur lui une certaine responsabi-
lité. En pareil eas, une assemblée ne se sent nulle-
ment responsable. En effet, quand a-t-on jamais vu
un membre du parlement perdre son siége pour la
maniere dont iI avait voté sur quelque détail d'ad-
ministration? POll(' un ministre ou ponr le chef d'un
serviee, ee qu'on pensera de ses mesures au bout de
qllelque temps, est plus important que ce qu'on en
pense au moment meme. Mais une assemblée, des
qu'elle a pour elle l'opinion du moment, et quand
meme cette opinion serait irréfléchie ou gagnée pal'
artifice, se regarde et est regardée par tous eomme
complétement disculpée.) si désastreuses que puis-
sent etre les eonséquenees. En outre, une assemblée
ne ressen t jamais personnellement les inconvénient"




DES FO~CTIO:'\S QUI A PPARTIENNENT~ ETC. 123
de ses mauvaises mesures, avant qu'ils aient atleint
la dimellsion de m:lllX publies : les ministres et les
adminisLratenrs voient approcher ces inconvénjents,
el ils out l'euuui et la peine d'y chercher un re-
mede.


Le devoi1' propre d'nne assemblée représentative,
quant anx matiores d'administraLion, n'est pas d'en
décide1' par son prop1'e vote, mais de veiller a ce que
les personnes qni en décideront soienl les personnes
vouIlles, el elle ne pel~t meme pas faire cela d'une
fa(on avanlageuse, en nommant les individus. 11 n'y
a pas d'acte qni venille plus impérieusement etre
accompIi sous le poids d'une grande responsabilité
individuelle, que lauomiuation aux emplois publics .


. L'expérience, de ton te personne familiere avec les
affaires publiques, vient a l'appui de cette assertion,
qu'il ya peu d'actes oil la conscience d'un homme
ordinaire soit moins délicale, eL qu'il y a peu de cas
oü on fasse moins d'attenlion aux capacités; moitié,
paree que les hommes ne voient pas la différence
qu'il ya entre les eapacités d'unepersonne et celles
d'une autre; moitié, parce qu'ils ne s'en inquietent
paso Ql1and un ministre fait un de ces choix qui pas-
sent pou!' honnf~tes, c'est-a-dire quand il n'abuse
pas de cette occasion au profit de ses relations per- .
sonnelles ou de son parti, un ignorant va peut-etre
supposer qu'il sera tenLé ele donner la place a la per-
sonne la plus eapable de la remplir. Point du tout.




12í, GOUVERNEME~T REPRÉSENTATIF.
Un ministre ordinait'e se regarde eommc un miral~lf'
de verlu, s'il donne la place a une personne qui
a du mérite ou un droit queleonque 11 la reconnais-
sance du public, quoique le droit ou le mérite puisse
etre tont l'opposé de celui qu'il faudrait. « II (al/ait
un calculateur, ce fut un dansew' qui l'obtint, )) le mol
n'est guere plus une caricat.ure aujourd'hui, qu'il
ne l'était du temps de Figaro, et le ministre estime
sans doule que non-seulement il est sans reproches,
mais encore qu'il mérite des éloges, si l'hoÍnme
danse bien.


En mItre, les aptitudes qui rendent certains indi-
"idus propres a remplir cerLaines fonctions ne peu-
vent 8tre aper<}ues que par ceux qui eonnaissent ces
individus, ou bien par eeux qui se font un devoil'
d'examiner et de juger les gens d'apres leurs amvres
OH d'apres le témoignage de personnes qui sont en
position d'en juger. Quand ces obligatic.ns conscien-
cieuses sont tellement négligées par de bauts fonc-
tionnaires publies qu'on peut rendre responsables
de leurs nominations, que serait-ce de la part
d'assemblées sur lesquelles on n'a pas cette prise?
A njourd'hui meme, les pires nomina tions sont eel1es
qu'on fait ponr gagner un appui ou ponr désarmer
l'opposition dans le eorps représentatif; a quoi
pourrions-nons nons attendre, si les nominations
étaient faites par le corps lui-meme? Les corps
nombrenx ne s'inqnictent jamais des aptitudes spé-




/lES FO:\'CTIIINf' 1)[') A PPARTlf:N,';"El'\T, ETC. U;)
('¡ales. Un !lomme, amoinsqll'il ne soitbon a pend1'e,
P'i¡ regardé comme aussi capablo que t.out aut1'e de
tout cmploi qu'il lui plait de solliritcr. Quand les
nominations faites par une assembIée populaire ne
dépendent pas, comme iI arrive presque toujours,
de liaisons de partis ou de manrnuvres privées, un
homme est nommé, soit paree qu 'il a une réputation
de talent général, qui souvent n'est pas méritée, soit
(ce qui est un ras tres-fréquent) par eette seule raison
qu'iI est personnellement popuIaire.


On n'ajamais eru désirable que le parlement nom-
mat lui-memo les membres du cahinet. 11 suffit qu'il
d{~cidc véritahlement qui sera le premirr ministre OH
quels se1'ont Iesdeux ou trois individus entre Iesql1els
on choisira lepremier ministre. En agissant ainsi, ]0
parlement reconnait simplement ce faít: que cer-
taine personne est le candidat du partí auquel, pour
le bien de la poli tique générale, le parlement doit
preter appui. En réalité, le parlement ne décide
qu'une senIe qnestion, ceUe de savoir lequel enlee
deux parti.s ou trois au plus, fournira le personnel
du gouvernement exécutif; l'opinion du parti llli-
meme décide lequel de ses membres est le plus
propre a etre son chef. De la maniere dont ees choses
marchent dans la constitution britannique, elles pa-
raissent sur un aussi bon pied que possible. Le par-
lernenl ne nomme aucun ministre, mais la couronne
nornrne le chef de l'administration, conformément




I:!fi flOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF'.
aux désirs et aux penchants généraux exprimés par
le parlement : puis, elle nomme les autres ministres
sur la recommandation du chef, tandis que sur
chaque ministre personnellement pese la responSa-
bilité morale de nommer les personnes voulues aux
autres emplois de l'administration qui ne sont pas
permanents.


Dans une république il faudrait employer quelqup
autre mécanisme; mais plus il se rapprocherait ('n
pratique de ce qui existe depuis si 'Iongtemps ('n
AngIeterre, plus il aurait de ehance de bien fone-
tionner. n faut ou que le chef de, l'e,r:r!cutir soit éln
par quelque influence indépendante du corps repré-
sentatif, cornrne dans la républíque américaine, ou
que ce corps se borne a nornrner le premier ministre
et a le rendre responsable du choix de ses collegues
el de ses inférieuI's .


. le suis pleinernent. convaineu qu'en théorie an
moins toutes ces considérations obtiendront l'as-
sentiment général; rnais en pratique la tendanec
est forte parmi les corps représentatifs a s'immiscel'
de plus en plus dans les détails de l'administration.
On n'est pas le plus fort sans éprouver une tenta-
tion eroissante d'abuser de sa force: e'est une loi
générale et un des dangers pratiques auxquels l'ave-
nir des gouvernements représentatifs sera exposé.


Mais il est également vrai, quoi qu'on ne s'ac-
corde a le reeonnaltre qne lp,ntemenl et depuis peu,




DES FONCTluN~ QUI APPARTIENNENT, ETC.
qll'lllH' assemblét' nombrellsf' est aussi improprc a
la hesogne direC'te de la légisJation qu'a ceHe de
l'administration. Fai re des lois est une (Buvre qui
veut plus qu'aucune autre non-selllement des esprits
expérimentés et exercós, mais encore des esprits
formés a ceUe tache, au moyen d'études longues et
laborieuses. Cette raison snffirait, quand meme il
n'y en aurait pas d'autres, pou!' que les lois ne pm;·
::,cnt jamais ütre bien raites que par un comité com-
posé o'un trés-petit nombre de personnes. Une rai-
,",on non moins concluante, c'estque chaque dause
de la loi veut etre faite ayec la perception la plus
exacte et la plus prévoyante de son effet sur toutes
les autres clauses, el que la loi une fois complE~te
doit pouvoir'se fondre el s'encadrer dans l'ensemble
des lois préexist.antes. Il est impossible que ces
conditions soient remplies a un degré quelconque,
ql1and les lois 50nt votées clause par clause dans
lIne assemblée composée d'éléments diverso L'in-
congruité el'une telle faQon de légiférer frapperait
tous les esprits, si nos lois n'étaient déja, quant a
la forme et a l'interprétation, un tel chao s que rien
ne semble pouyoir en augmenter la confusion et la
contradiction. Pourtant, meme sous ce régime,
l'inaptitllde complete de notre mécanisme législatif
a alteindre le hut qu'il se propose, se fait sentir
tous les ans davantage par des inconvénients pra-
tiques.




I t~ (iOUVER NEM EXT REPKI~SENTATlF.
Rien que In temps employr nl'-cessail'emrnl ¡\ ITet-


verser la proeédure des MI/s, I'end le parlemrnt dt>
plus en plus ineapahle d'rn passer aucun, si ce n'est
sur des sujets détachés et bornés. Qu'un Mll ait éLé
préparé, qui entreprenne de traiter dans son en-
semble un sujet queleonqlle (el il est impossihle
du statuer eonvenablement sur quoi que ce soit,
sans avoir présent it l' espriL l' ensemble d'un sujet\
Ir bitl trainera de session en srssiOll uniquement
paree qll'on ne pellt trouver le temps de s'en ocru-
pero Pen importe que le M(I ait {·té rédigé it loisil'
par l'autorité estimée la plns compétente et d'ail-
lrnrs munie de toutes les ressoul'ces el de toutes les
informations, ou bien qu'il ait été préparé par une
commission d'élite, chargée de ce soin pour sa pro-
ronde connaissance du sujet, qui a passé des années
entieres dans l'étude et la coordination 'de la me-
sure dont il s'agit. ... le bill ne passera pas, paree
que la chambre des communes n'abandonnera poinL
le préeieux privilége de le remanier <le ses lourdes
mains.


Depuis peu on a adopté assez généralement la
rontllme, lorsque le principe d'un bill est aceepté h
la seeonde lecture, de le renvoyer pour un examen
détaillé a un comúé ('hoisl. Mais on n'a pas trouvé
que eeUe coutume épargnat beauroup de temps ~
cal' lorsqne ensuite le comité de t011te la chambre
pl'nnonce sur le Mil. les opinions OH les lnhil's pl'i-




VES FO;-'¡CTlONS (jUI APPARTIENNENT, ETC. I:!!)
vées, jusque"-la malLl'isées par le savoir, insistent
Loujuul'S pOut· retrouver leur chance devant le tri-
bunal de l'ignorance. Cette coutume a été adoptée
principalement par la chambre des lords, dont les
membres sout moins occupés, moins avides de se
melel' de toul et moins jaloux de l'importance de
leurs voix individuelles qu'on ne l'est a la chambre
élcclive. Et quand un úill a clauses nombreuses
réussit a se faire discuter en détail, comment dé-
peindl'c l'état dans lequel iI sort des mains du
comité! On a oublié des clauses qui étaient essen-
tielIes a l'efret du reste; 011 en a inséré d'incroya-
bIes pour gagner quelque intéret privé ou pour
satú;faire quelque membre sujet a lubies qui me-
nal:C de rctal'del' le úil1)' a l'instigation de quelque
dCllli-savallt <lui n'avait {lu'une teinLure superficieIlc
du sujet, 011 a intl'oduiL des éll'ticles conduisant a
des (Iollséqucnces qui n'ont été prévues, au premier
rnol11Cul, ni par le lllembl'e (lui a proposé le bill ni
par l'eux: (lui l'unt appuyé, et il faudl'a a la se"ssion
suivanle un acte d'amendement pour en corriger
les mauvais efl'ets. C'est un mal inhérent a la ma-
niere actuelle de eonduire ces choses, que l'exposi-
tion et la défe11se d'un hill solent rarement le fait de
la personne dont il est la conception propre et qui
probablemellt ne siége pas a la chambre¡ La dé-
rense r1'1.I11 hilll'evient a quelque ministre un a qtIel-
<IHe mcmbl'e du parlelhtmt qlli ne l'a pas cOÍl<;u¡




1 ;)0 (jOUVI~H¡>'; EM ENT itEPitÉSENTATI F.
qui a besoin d'étl'e appl'ovisionné par aull'ui dc lOlls
ses al'guments, excepté de ceux qui sont évidenls
d' cux-memes, qui ne connait pas toute la force de sa
cause, ni les meilleures raisons qui viennent it
son appui, et qui se tl'ouve tolalcment incapa-
ble de l'épondl'e a des objeclions irnprévues. On
pent remédier a ce mal, en ce qui rcgarde les úills
du gouvel'nement, et on ya remédié dans quelquc~


,


eonstitutions l'cprésentatives, en permetlanl au gou-
vernement d'éll'e représcnté dan s les deux charn-
bl'es par des personncs qni onl sa confiance el qlli
ont le droit de parler, quoiqu'elles n'aicnl pas celui
de voter.


Si cette majorité dc la chambl'e des communes,
majorité jusqu'i'l présent c011sidérable, qui ne désire
jamais proposer un amendement ou faire un dis-
cours, voulait bien ne plus abandonner la direction
de toutes choses a ceux qui proposenl et qui par-
lent; si elle voulait se rappeler qu'il faut d'autres
facultés pour la législation que ceBes de parler
facilement et d'obtenir les voix d'un corps de com-
mettants, et que ces qualités pcuvent se l'encontrer
en les cherchant, 011 reconnaitrait bientót qu'en
fait de législation comme d'adrninisLration, la seuIe
Lache dont une assemblée représentative soit capa-
ble, n'est pas de fairc la besogne clle-meme, mai~
de la fail'e faire, de décider a qui 011 la confiera, et
une fois flu'elle esl faite, de lui accorder ou de lui




lJES F(J~CTlUNS VUf APPAHTIENNENT, ETC. 1;)1
mfuscl' la sandion naliunale. Tout gouvernement
fait. pon!' Ull <legré élcyé de civilisation, devrait avoil'
parmi ses éléments fondamenLaux, un corps dont les
melllbres ll'excédcraiollt pas en nombre ceux d'un
('abineL eL donl la charge spéeiale serait de faire les
lois. Si les lois de notro pays étaient reVlles et re-
fondues, comme elles le seront sans doute sous pen,
la eommission de codijication qui aecomplirait eeUe
Ulche devrait subsister comme insLitution perma-
nente, pOllr yeilIer sur son amvre, en prévenir la
détérioratioll el y faire loutes les améliorations qui
deyiendraienl nécessaires. Personne ne désirerait
que ce corps possédAt par lui-meme le pouvoir de
l'endre des loís ; la commission ne ferait que repré-
sen ter l'élément d'iutelligence, le parlement repré-
senterait l'élémenL de volonlé. Aucune mesure ne
deviendrait une loi sans avoir été expressément
sanctioIlnéc par le parlement, et le parlement ou la
.. hamhre des lords aurait le pouvoir non-seulement
de rejeter un bill, ll1ais de le renvoyer a la commis~
sion, pour y etre l'éexaminé eL amélioré. Chacune
des challlhres pourrait aussi déployer son initiative
en sig'nalanL quelquc sujeL de loi a la commission.
Naturellen1Pnt la cOlllrnission n'aurait pas le pouvoir
de se refnsor a la eonfeclion des lois demandées par
le pays. Des instrnctions étant données de eoncert
par les deux chambres pour préparer un bill qui
atteindl'ail quelque bul particulier, ees instructions




j 3:! GOUVE~N EMENT HEPHÉtiENTATlF.
devraient elre obéies par les commissaircs, ii moins
qu'ils ne préférassent donner leur démission. Cc-
pendant la mcsure une fois préparée, le par]emellt
ne pourrait point la changer, lllais simplcment pas-
ser le hill ou le i'ejeter, ou bien, s'il le désapproll-
"ait en partie, le renvoyer a la eommission pOll!' Cll'L'
réexaminé.


Les commissail'cs seraient nommés par la cou-
ronne, mais garderaient leurs places penrlant llll
tcmps déterminé (disons cinq ans), a 1110ins qlle les
oeux chambrcs ne sollicilasscnl lenr rév(waLlol1,
soit pour inconduite personnellc (comme dans le
cas des juges), soit pour refus de préparer un hit!
conformémenl aux demandes dll parlement. A l'ex-
piration des cinq ans, un membre perdrait sa place,
a moins qu'il ne fUt renommé; on aurait ainsi un
moyen commode de se débarrasser des membres
qui ne se seraient pas monlrés a la halHetir de lelll'
emploi et d'infnser dans les veines dn CI)l'P~ un san;.!
nouveau eL plus jeune.


La nécessité d'une semblable préeauli()n s'élaIt
rait sentir meme dans la démocratie athéllienne ou;
rIaus le temps de sa plus gl'ílndt' puissauee, IJEcclé-
sta populaire pOltvait rasser des PSép/l1slIles qüi la
pluparl du temps élaient des décrets sur des rna-
W~res de sim))le poliee; mais quant aux loís pro-
pl'ernenl dites, elles ne pouvaient etrc rendues üU
('hangées q (le pal' un CUl'Jls dill'él'Clll el ltluins 110111-




DES FONCTIONS QUl Al'PARTIENNENT, ETC. 133
breux appelé le NOllwlhelce, qui avait aussi pour de-
ruir de réviser l'ensemble des lois et de pourvoir a
ce qu'elles s'accordassent entre elles. Dans la cons-
titution anglaise il est tres-difficile d'introduire
un arrangement nouveau et dans le fond et dans la
forme; mais, comparativement parlant, on ressent
tres-peu de répugnance a édicter de nouvelles me-
sures en y adaptant les formes, les traditions exis-
tantes. Il me semhle qu'on pourrait trouver le
moyen d'enrichir la constitution de ce grand avau-
Lage, en y employant la chambre des lords et ~es
procédés. Une eommission ponr préparer les biUs
ne serait pas en soi une plns grande nonveauté dans
la constitution que le burean pour l'adminisLration
de la loi des pat¡vres ou que la commission des cl6-
lures. On pourrait, en considération de la grande
importanee et de la digniLé de la charge, établir
comme regle que toute personne nomm~e m,embre
de la commission législatiYe serait pair a vie, a
moins qu'elle ne fUt destituée sur une demande du
parlement: iI est probable qu'aloI's le meme bon
sens et le meme bon goftt qui abandonnent en pra-
tique les fondions judiciaires de la pairie au soin ex-
dusif des lords jlll'is(~onsnltes, abandonneraient aux
législateurs de profession la tache de faire les lois,
exeepté sur des <Jue~tioI1stouchant aux principes et
aux inlérets politiques¡ Il cst probable aussi que des
II/lIs \~Ol}(.:.us par la chamhre haute seraient Ldujo urs


8




134 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
préparés par ces memes législateurs, que le goUYCl'-
nement leur confierait la préparation de tous se~
bills, et que les simples membres de la chambre de~
eommunes finiraicnt par trouver beaucoup plus
eommode et beaucoup plus favorable au succb
de leurs mesures une maniere de proeéder par
laquelle, au lieu d'apporter un bi!l et de le sou-
mettre directement a la chambre, ils obtiendraienl
la permission de le préscntcr et de le voir 1'en-
Yoye1' ensuite a la eommissiolllégislative. Car natu-
l'ellement la chamb1'e serait libre d'adresser a la
commission, pou!' etre examinée pat' elle, nOll-
seulement une matiere, mais toute proposition spé-
ciUque, ou bien un projet de óiU in extenso, si <¡uel:-
que membre se croyait capable d'en préparer un qui
fUt digne de passer: sans aucun doute la chambrc
adresserait a la eommission tous projets semblables,
quand ce ne serait que comme matériaux et a cause
des suggestions utiles qu"ils peuvent renfel'mer:
elle adresserait de meme a la commission toul
amendement ou objection que pourraicnt pl'0pO-
ser par éerit les membrcs de la ehamhre, l'elative~
ment a toute mesure émanée des commissaires.


Le changement des bills par un comité de toute la
chambre ne serait pas aboli formellement, mais
tomberait en désuélude. On n'abandonnerait pas
ce droit; on l'enfermerait dans cet arsenal ou sont
déja le veto royal, le droit de refuser les subsides et




DES FONCTIONS VUI APPA RTIENNENT, ETC. 1 :~;;


tLlUl.res instrumenLs surannés de guerre politique,
dont personne n'a envie de faire usage, mais dont
on ne veut point se défaire, de crainte qu'un beau
jour, dans une circonstance extraordinaire, on ne
vienne a en avoir besoin de nonveau. Au moyen de
tels arrangements, la législation prendrait sa place
comme muvre exigeant une grande habileté, une
expérience et une étude spéciale, tandis que la na-
tion conserverait intacte la plus importante de ses
libertés, celle de n'etre gouvernée que par des lois
qu'ont acceptées ses représentants élus. eette
liberté prendrait plus de valeur, une fois isolée des
inconvénients sérieux mais nullement inévitables
qui l'accompagnent sous la forme d'un procédé
législatif mal, conQu.


Le véritable office d'une assemblée l'eprésentative
n'est pas de gouverner, elle y est radicalement im-
propre; mais bien de surveiller et de contról~r le
gonverncmcnt, de mettre en lumiere tous ses ac-
tes, d'en exiger l'exposé et la justification, quand
ces actes paraissent contestables, de les bUmer
s'ils sont condamnables, de chasser de leur emploi
les hommes qui composent le gouvernement s'ils
abusent de leur charge ou s'ils la remplissent d'une
faQon contraire a la volonté expresse de la nation,
el ele nommer leurs successeurs, soit expressément,
soit virtnellemenL. Voila sans doute un pouvoir as-




I:W GOLJVEltN EMENT REPIH~SENTA TIF.
~ez vaste el. d'une séCllrité snffisanLe pOl1!' la li-
bert.A de la nation. En mItre, le parlement a une
ant!'e fon~tion qui, pour l'importance, ne le eedp
pas a la premiere : c'est d'etre a la fois pour la na-
tion un 4'omité des griefs et un congres des opi-
nions. Le parlement, 4,'est une al'fmr ou n011-
senlemenL l'opinion généralc dn la natjon, mais
encore l' opinion des diversos parties de la natiou,
et autant que possible eelle de lous les individus
(;minents que renferme le pays, peut se produire
au grand jour et provoquer la discussion. L11, Chíl-
que citoyen peut etre sur de trouver quelqu'un qui
oxpose son opinion, aussi bien ou mioux qu'il ne
pourrait le faire lui-meme, non pas exelusivemenl
a des amis et a des partisans, mais a 'des adversai-
res, de faGon a lui faire subir l'épreuve de la con-
troverse ennemie. La, ccux dont 1'opinion a le des-
sous ont la satisfaction intime d'avoir été entendus
et d'etre éconduits, non par un caprice arbitraire,
mais pour des raisons réputées supéricures et jn-
gées teIles par les représentants de la majorité dt'
la nation. La, tout parti ou toute opinion peut ras-
sembler ses forces et perdre ses illusions sur le
nombre et le pouvoir de ses partisans. La, toute
opinion qui domine dans la nation se montre do-
minante, et fait manomvrer son armée en présenct'
<In gonvernement qui, de la sorte, pent et doit lui
céder sur eettr simple manifestation, sans (ltlendre




DES FONCTIONS QIll APPARTIENNEi'lT, ETC. 1:li
qn'elle rasse un nsaw' rél'l de sa forre. La, enfin,
les hommes d'Í~tal pCllvenl vél'ifier, avec plus de
eertitude que partout aillellrs, ce qui monte ou ce
quí décline parmi les élémenls de l'opinion et du
pouvoir; et il ne lient qu'a eux de prendre leurs
mesures par rapport non-seulement aux besoins
actuels, mais aux trndances ({ui sont en voie de
progreso


Les enncmis des asscmblées représentatives leur
ont SOllvcnt repro(~hé d'f>tre le séjonr triomphant
<lu vel'biage et uu bavaruage. On ne saurait imagi-
ner une raillcrie plus pitoyable. Je ne sache pas
qu'une assemblée rcpréscntalin"\ puisse employel'
son temps plus ulilcmcnl qu'it parler, lorsque les Sll-
jets de ses discours sont les grands intérets publics
el lorsque chacune de ses paroles représente l'opi-
nion ou d'une classe importante de la nation, OH
d'un individu dans lequel une de ces classes a mis
..¡a confiance. Une réunion d'hommes' 011 chaque
intéret, chaqne nnanee d'opinion peut voir plaider
sa cause, pent me me la voir plaider avec passion it
la face dn gonvernement et des autres intérets et
opinions, peut les eontraindre a l'écouter, a di re
oui a ses demandes ou a démontrer clairement
pourquoi ils disent non, est en soi une des institu-
tions politiques les plus importantes qui puissent
exister, et un des plus précieux bienfaits du gou-
vernement libre; De telles paroles n'auraient Ja-


¡¡¡;




13~ GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
malS été traitées ayec dénigrement, si on ne leur
avait permis d'entraver 1'adion, chose qui n'al'ri-
verait point si les assemblées savaient et reconnais-
saient que parler et. discuter sont leur besogne pro-
pre, tandis que l'action, comme résultat de la dis-
cU5sion, est la tache non pas d'un corps nombreux,
mais d'individus dressés a cet effet, le véritable
office d'une assemblée étant de veiller a ce que ces
individus soient choisis honnetement el intelli-
gemment, et cela rait, de ne plus se mt1ler de leuI'
conduite, que pour les critiquer ou pour leu!' sug-
gérer des idées, ou bien enfin pour leur accordel'
ou leur refuser le seeau de l'assentiment national.


C'est faute de eette judicieuse réserve que les
assemblées populaires entreprcnnent de faire ce
qu'elles ne sauraient bien faire - gouverner et lé-
giférer - et n'imaginent pas pour la plus grande
partie de cette besogne d'autre mécanisme qu'elle-
meme, quoique naturellement chaque heure pas-
sée a discourir, soit une heure de prise aux affaires
réelles. Mais le fait meme, qui rend une assemblée
impropre a etre un conseil de législation, savoir-
qu'une assemblée n'est point un choix des plus
grands esprits politiques du pays, dont l' opinion
ne peut rien faire présumer de certain sur l'opi-
nion de la nation; mais bien qu'une assemblée,
lorsqu'elle est convenablement constituée, est un
échantillon véritable oe tous les degrés d'intelli-




DES FONCTlO~S QUI APPARTIENNENT, ETC. t3H
gence parmi les classes qui ont voix au gonverne- .
ment- ce fait-lit mtnne est ce qui la met en état
de bien remplir son antre fonction. Le role des as-
semblées, e'esl d'indiqner les besoins, d'etre un
organe pour les demandes populaires, un lieu de
discussion pour toutos les opinions sur les affaires
publiques, petitos on grandes, et en meme temps
de contenir par leur critique et au besoin en leur
retirant leur appni, ces hauts fonctionnaires pu-
blics qui dirigont en réalité les affaires publiques,
OH qui nomment ceux par qui elles sont dirigées.


Pour jouir a la fois des avantages du controle
populaire et des bienfaits d'une administration et
<i'une législation habile (lesquels deviennent tous
les jours plus nécessaires a mosure que les affaires
humaines croissent en ill1portance et en com-
plexité), iI faut absolument réduire dans ces limites
rationnelles les fonctions des corps représentatifs.
Un ne cumule ces avantages qu'en séparant ces
fonctions, en mettant d'un cOté la c.harge de criti-
quer et de controler, de l'autre, la c.onduite réelle
des affaires ; en confiant la premiere aux représen-
tants du plus grana nombre, tandis que l'on confie
la seconde a un petit nombre d'hommes éclairés,
expérimentés, préparés d'ailleurs par une éduc.a-
líon et par une pratique spéc.iale, et qui ne cessent
pas pour cela d'etre responsables envers la nation.


Apres la rliscussion qu'on vient de voir sur les




1 íO GO{)VERNE~!ENT REPRÉSENTATIF'.
fonetions qui appartiennent a l'assemhlée repl'é-
sentative souveraine de la nation, re serait le li(ln
de rechercher quelles sont les fonctions propres
des corps représentatifs moins importants qui de-
vraient exister ponr eles ohjets purement locaux.
Une pareille recherehe forme nne partie essentielle
de cet ouvrage : iI est a propos cepcndant pour di-
verses raisons de l'ajourner jusqu'a ce que nous
ayons examiné quelle est la romposition la plus
eonvenable du grand eorps représentatif, destiné il
rOlitróler souverainement les aetes législatifs el
l'administration des affaires générales de la nation._




CHAPITRE VI


DES INFIRjIITES El' DES DANGEIIS ACXQL;ELS U: GOUVERNE~IENT
IIEP¡Ü:SENTATIF EST ~UJET.


Les défauts d'une forme quelronque de güuyer-
nement peuvent 0tr~ ou négatifs on positifs. Ces
défauts sont négatifs, si la forme de gouyernement
ne eoncentre pas entre les mains des aulorités un
pouvoir suffisant pour qu'elles pnissent accomplír
leurs fonctions nécessaires, ou si elle ne développe
pas suffisamment par l' exercice les capacités acti-
ves et les sentiments sociaux des divers citoyens.
Il n'esl pas nécessaire, au point oi! nous sommes
parvenns dans nos recherches, de parler longue-
ment sur ces deux eatégories de défauts négatifs.


Si un gouvernement manque d'un pouvoir suffi-
sant ponr maintenir l'ordre et favoriser le progres
du peuple, cela tient plutót a un état de société gé-
néralement grossier et sauvage qu'a une forme par-
ticuliere d'union politiqueo Quand le peuple est trop
attaché a sa barbare indépendance pOUl' supporter
la 'dose de pouyoir que dans son prnpre inLérel iI




1!~2 liúUVERNEMEl\;T REPRÉSENTATIF.
devrait subir, la société (ainsi qlW Il()U~ "HYfJl1!'
déja fait obseryer) n'est pas encore prépal'ée au
gouvernement représentaLif. Lorsqne le temps sera
yenu ou ce gouvernement deviendra peaticable, on
peut ütre sur que l'assemblée sOl1veraine possédera
un ponvoir suffisant pour faire tout re qni est né-
cessaire. El si l'e.n)cutif ne possede pas une assez
grande part de ce pOlrroir, cela ne pellt provenir
que de la jalousie de l'assemblée envers l'adminis-
tration : un sentiment qui n'pxisLe gllcre que la oil
le pouyoir constitutionnel qlli appartiant a l'assem-
blée de destítller les membrcs de l'administration,
ne s'est pas encore fait reconnaltre d'une maniere
suffisante.


Partout ou ce droit constitutionnel est pleine-
ment admis, en fait aussi bien qu'en príncipe, iI
n'est pas a craindre que l'assemblée refuse de ('on-
fiel' a ses propres ministres la dose de pouyoir dé-
sirable. Ce que ron doit redollter au contrairc. c'esl
qu'elle ne leur accorde trop volontiers un pOllvoir
trop étendu, puisque le pouvoir du ministre, c'esí,
celui du corps qui 1'a nommé et qlli le maintient.
Cependant, il est tres-possible qll'une assemblée
cont7'Olal1te (et c'est me me la un de ses dangers) soiL
prodigue de pouvoirs, mais qu'ensuite elle mette
obstacle a l'exercice de ces pouvoirs, qu'elle donne
l'autorité en g'l'OS et qu'elle la reprenne en détail,
en mnlLiplianL les actes isolés d'intervention dans




INFIRMITES ET DANGEH.S OU GOUVEH.NEMENT, ETC. 1+3


la hosogne administrative. Nous nous sommes suffi-
samment appesantis, dalls le chapitre précédent,
sur tous les inconvénients qu'il y a a ce qu'une
assemblée s'empare ainsi du gouvernement lui-
meme, au lieu de se borner a critiquer et a contenir
ceux quí gouvernent. II ne peut y avoir d'autre ga-
l'antie contre cette intervention déplacée, que la
eonviction tres-forte et tres-répandue qu'une pa-
reille intervention est dangereuse.


Ouant a l'autre défaut négatif qui peut se rencon-
trer dans un gouvernement, celui de ne pas exercer
suffisamment les facultés morales, intellectuelles
et actives des individus, on s'en est expliqué d'une
rna1!íere générale, en faisant ressortir les maux ca-
ractéristiques du despotisme. Entre deux formes
de gouvernement populaire, l'avantage a cet égard
appartient a celle quí répand le plus largement
l' exercice des fonctions publiques - soit en excluant
du suifrage ]e moins de monde possible - soit en
accordant a toutos les cIasses de citoyens privés,
autant que cela est compatible avec d'autres objets
également importants, la plus large accession aux
détails de la besogne judiciaire et administrative,
1els que le.i ury, les offices rnnnicipaux, et surtout
en leur accordant toute la publicité et toute la li-
berté possible de discussion; ce qui est le moyen
de donner mie part dans le gouvernement, une
part dans l'instruction el dans l'exercice intellec-




lH GOUVEH.NEi\[ENT H.EPH.ÉSENTATIF.
tuel qlll est inhél'ent au maniement des pouvoil's
publics, non -seulement a quelqucs individus l'un
apres l'autre, mais dans une certaine mesure au
public tout entier. C'est pourquoi nous attendrons,
pour exposer ces avantages, aussi bien que la me-
sure a observer dans la poursuite de ces avantages,
que nous en soyons venus h traiter des détails d'ad-
ministration.


Les maux el les uangel's positifs du gouvernemenl
l'eprésentatif ou de toute autre forme de gouverne-
ment, peuyent se réduire a deux chefs : 10 l'igno-
rance et l'incapacité générales du eol'ps conlrólanL
ou, pour parler avec plus de ménagement, l'insuf-
fisance de ses qualités intellectuelles; 20 le dan-
gel' que ce corps ne soit sous l'influence d'intérets
non identiques au bien-etre général de la commu-
nauté.


On suppose cn génél'al que le gouvernemenl po-
pulaire est plus sujet que tout autrc au premier de
ces défaut, c'est-a-dire a manquel' d'une eertaine
élévation intelleetuelle. On compare volontiers l'é-
nergie d'un monarque, la ferrneté et la prudence
d'une aristocratie aux vues courtes et vacillantes de
toute démocratic, lllenw de la plus capable, et ecUe
antithese semble peu favorable a la démocratie.
Cependanl ecs pl'opositions ne sont pas aussi fon-
dées qu' elles le paraissent a prernicl'e vue.


Sous lOllS ces rappUl'Ls i le gouVel'llClUCnl l'cpré-




INFIRMITÉS ET DANGEllS DU GOUVERNEMENT, ETC. 1±¡)
sentatif n'est nu11ement inférieur a la monarchie
simple. Excepté a une époque grossiere, la monar-
chie héréditaire, lorsqu' elle est vraiment te11e, lors-
que ce n'est pas une aristocratie déguisée, dépasse
de beaucoup la démocratie dans tous les genres
d'incapacité qu'on croit particuliers a ceUe-ci. Je
dis excepté a une époque grossZ('!J'e, paree qu'un état
de société l'éellement grossier garantit chez le souve-
rain une véritable capacité de comprendre et d'agir.


sa volonté est sans cesse contrecarrée par l'ente-
tement de ses sujets et de certains individus puis-
sants parmi eux. Dans les circonstances ou se trouye
la société, il ne rencontre pas grande tentation de
s'abandonner aux plaisirs : l'activité intellectuelle
et corporelle" surtout politique et militaire, voila
ses principales retes: entouré de chefs turbulents
et de compagnons effrénés, il n'a guere d'autorité,
iI n'est guere assuré de se maintenir longtemps sur
le tróne, s'il ne posscdc une dose considérable d'au-
dace personnclle, d'habileté el d'énergie. Le sort
tragique d'J1~douard II et de Richard I1, les guerres
civiles et les troubles qui éclaterent pendant le
regne de J ean et de son successeur inhabile, expli-
quenl pourquoi les Henri et les Édouard de notre
histoire sonl des hommes d'un talent si élevé. La
période orageuse de la réforme a produit au'ssi plu·-
sicurs monarques héréditaires émincnts : Élisabeth,
Henri IV, Gustave-Adolphc. Mais pOUI' la plupart


!:j




14,6 GOUVERNEl\1ENT REPRÉSENTATIF.
ils avaient été a l'école de l'adversité, ils n'étaient
parvemis au treme que grace a l'extinction inatten-
due d'héritiers plus proches, ou bien ils avaienl CH
a luUer contre de grandes difficultés au comnH'n-
cement de leur regne.


Depllis qne la Yie européenIlc a pris un aspecl
rrgnlier, Ull roi hér{~dilairü an-tll'SSllS <in médiocre
est devenn Ull(' chuse tres-rare, tandis qne la }l1n-
part se sonl monll'és au-dessons meme du médiocrc t
el comIlle talenL el commc vigllcur de caracLcl'e.
Alljourd'hni, une monal'chie cOllstiLlllionnellemeIl{
absolue, ne se maintient que gra.cü flUX capacités
illtellectuelles d'une bnl'cancratie permanenle, sanf
le cas oil elle se trouve temporairement entre les
mains de quelque usurpateur d'nn l~s'prit actif. Les
gouvernemcn ls russe ct antrichien, el le gonver-
nement f[,(lllQais lui-meme, dans son état normal,
sont des oligarchil's de fonctionnaires; et le chef de
1'Ittat ne fait guere que choisir les prillcipallx d'en-
tre eux: je parle de la mardH' régulicre de ll'lll'
administraLion, cal' naturelIeIllt'nl la volullté du
maltre peut déterminer souvenL leurs actes parti-
culiers.


Les gouvernements qui se sonl fail remarque!"
dans l'histoire ponr leurs talents intclIectuels et leur
vígueur soutenue dans la direction des afl'aires,
élaicnt des aristocraties, mais sans ancune excep-
tíon, des aristocraties de fonctionnaires pubIies. Le~


.




INFIRMITÉS ET DANGERS DU GOUVERNEM ENT, ETC. 147
('orps gOllYernallts étaient si peu nombreux que
duque memore, ou du moins chaque membre im-
portant du corp~, était capable de faire et faisait dll
gO\lvernement une profession active et la princi-
pale occupatioll de sa "ie. Rome et Venise sont les
:-;cnles aristocraties qui aient manifesté de grands
laknls ponr le gOllvernement, et qui aient agi pen-
dant nombre de géllératiolls d'apres des maximes
politi<l'lCS immllables. Mais a Venise, quoique la
rlassc privilégiée fUt nombreuse, la direction réelle
des affai1'cs était confié(\ allX senles mains d\me
oliga1'chie dans l'oligarchie, dont la vie tout entic1'e
était consac1'ée a l'éludc el a la condllite des affai-
res d'lBtal. Le gOllvcrllemellt romain offrait davan-
lage le caract,ere d'une franche aristocratic comme
la nOtre. Mais le corps qui gouvernait en réalité, le
sc-naL, était exclusivcmcllt composé d'hommes qui
avaientexercé desfonctions publiques, et qui avaient
déja rempli OH qui cspéraient 1'emplir les plus hau-
Les charges de l'f~tat, an risqne d'une terrible res-
ponsabiliLé, ell cas d'ineapacité ou d'échec. Dne
fois mcmbre du sénat, leur vic était consacrée a la
direclion des affaires publiques: il ne leur était
permis de qllitLer l'Italie que pour rempEr un de-
voir public : et a moills qu'ils ne se fissent chasser
dn sénat par les censeurs a cause de leur caracte1'e
ou de leur conduite estimée déshonorante, ils gar-
daient jusqu'a la mort lcurs pouyoirs et lcut' 1'8S-




H8 GOUVERNEMENT I1EPIIÉSENT.\ TIF.
ponsabilité. Dans une aristocratie ainsi constituée,
chaque membre sentait que son importance person-
nelle dépendait entierement de la dignité et de la
grandeur de la répnbliqne qn'il administrait et du
r6le qu'il était capable de jouer dans ses conseils.
eette dignité et cette grandeur étaient choses tout
a fait distincles de la prospérité et du bonheur des
citoyens en général (souvent memo il y avait incom·
patibilité complete entre ces denx objets); mai~
elles étaient étroitement liées an sncecs extérieur
et al'agrandissement de I'État; et par conséquent,
c'esl l'ceil toujours fixé sur ce but que les aristocra-
ties romaines et vénitiennes ont déployé ces pro-
fonds systemes de politique collective eL ces grand~
talents individuels pour le gouvernement, dont
l'histoire leur a justement fait honneuI'.


On voit donc que les seuls gouvernementsnonre-
pl'ésentatifs ou une grande habilet6 et de gl'and"
talents politiques, soit sous la forme l1lonarchique,
soit sous la forme aristocratique, aient été autre
chose que des exceptions, étaient essf'ntielIt'menl
des bureaucl'aties. La besogne du gouvernemenl
était la entre les mains de gouvernants par profes-
sion, ce qui est l' essence de la bureaucratie et la
véritable signification de ce mol. Que la besogn('
soit accomplie par les gouvernants parce qu'ils y
ont été dressés ou qu'ils y aient été dressés paree
qu'elle devait 8tre accomplie par eux, cela fait une




INF1RMITÉS ET DANGERS DU GOUVERNEMENT, ETC. 149
grande différcllcc sous beaucoup de rapports, rnais
pas la moindre quant au caractere essentiel de la
regle. D'nn autre cOté, des arislocraties cornrne celle
de l'Angleterre, OÚ la classe qui possede le pouvoir
le tient uniqnement de sa position sociale sans y
etre spécialement dressée ou sans s'y dévouer exclu-
siYement (oü par conséquent le pouvoir est exercé,
non pas direetement, mais au moyen d'institutions
représentativcs constituées oligarchiquement), ces
aristocraties, dis-je, ont valu sous le rapport intel-
lectuel ce que valent les démocraties, ni plus ni
moins, c'est-a-dire que leurs qualités n'ont paru et
n'ont duré qu'autant qn'ii est donné de paraitre et
de durm' a un homme doué de grands talenLs et
soutenu par une position distínguée. Thémistoclé
et Péricles, "Vashington et Jefferson ne furent pas
plus complétement des exceptions dans leurs démo-
eraties, et furent a coup sur des exceptions plus
brillantes que les Chatam et les Peel dans l'aristo-
cratie représentative de la Grande-Bretagne, ou
meme que les Suliy et les Colbert dan s la monar-
chie aristocratique de }1'rance. Un grand ministre,
dans les gouvernemcnts arisl'Ücratiques de l'Europe
moderne, est un phénomene presque aussi rare
qu'un grand roi.


DOllC, quant aux mérites intellectuels d'un gou-
vernement, ii ne faul établir de comparaison qu'en-
tre une démocratie représentative et une bureau-




'150 GOUVERN EMENT REPHÉSENTATIF'.
cratie; toutes les autresformes de gouvcrnemcnt
peuvent étre laissées de coté. Eticil'on doiLreconnai-
tre que sous plusieurs rapports d'une haute impor-
tance, un gouvernement bureaucratique a grande-
ment l'avantage. Il amasse l'expérience, il acquiert
des maximes traditionnelles dument éprouvées eL
dument pesées, et il assure une dose suffisante de
savoir pratique chez ceux qui ont véritablementla
conduite des affaires ; mais iI n'est pas aussi favo-
rable a l'énergie individuelle de l'esprit.


La malarlie qui afi1ige les gouverncmenLs 1ureau-
cratiques et dont ils meurent ordinairemenL, c'esL
la routine. Ils périssent par l'immulabilité de leurs
maximes, et plus encore par ceUe loi universclle en
vertu de laquelle tout ce qui devient ,routine perd
son principe vital, et, faute d'une pensé e présente,
continue a fonctionner mais d'une maniere machi-
nale, et sans accomplir l'ceuvre vouIue. Une aristo-
cratie tend toujours a devenir une pédantoC'ratie.
Quand la bureaucratie est le véritable gouvernc-
ment, l'esprit du corps écrase, comrne chez les
Jésuites, l'individualité de ses membres les plus dis-
tingués. Dans la profession du gouvernement, ainsi
que dans toute autre profession la seule idéc de la
majorité est de faire comme on lui a enseigné : il faut
un gouvernement populaire pour que les concep-
tions d'un génie original aient chance de prévaloir
sur l'esprit inerte et hostile de la médiocrité, qui




INFHll\IITÉS ET DANGERS DU GOUVERNEMENT, ETC. 1151
sait la tradition et qui n'a pas d'autre science. Il
faIlaiL un gouvernement populairc (en mettant de
coté l'aceident d'un despote hauLement intelligent)
pour que sir Rowland Hi1l púL triompher du post-
o/fice. Un gouvernement populaire l'installa au
pnst-nffice, et eeUe administration fllt contrainte
d'obéir a l'impulsion donnée par un homme qui
llnissait au savoir spéciall'originalité et la vigueur
inlellecLuelle. Si l'aristocratie romaine a éehappé
h eeUe maladie earaetéristique d'llne lm1'eaueratie,
elle le doit évidemmen,t a son élémenl populaire.
Le peuple nommait. a tous les emplois spéeiaux, et
a eeux qui donnaient un siége au sénat, et a ceux
que recherehaient les sénateurs. Le gouvernement
russe offre un exemple frappant des bons et des
mauvais eotés de la bureaucratie, par ses maximes
immuables, qui poursuivent d'age en age les memes
objets, ayec une persévéranee toute romaine ; par
son habileLé remarquable a cette poursuite, pa~
son eff1'ayante eorruption inté1'ieure; par son état
d'hostilité perrhanente eont1'e toute amélio1'ation
venant du deho1's: une lutte en fin , ou meme le
pouvoir autocratique d'un empereur doué d'un es-
prit vigoureux n'est jamais vainqueur ou du moins
ne rest que bien rarement, l'opposition patiente
-t!'un eorps fatiguant a la longue l'énergie capri-
deuse et ineertaine d'un seul homme. Le gouver-
nement ehinois, une bureaueratie de mandarins,




t;)2 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
est autant que je sache un autre exemple des meme-s
qualités et des memes défauts.


En toute affaire humaine, des intluences oppo-
sées sont nécessaires pour entretenir chez chacun
la vitalité et la capacité de ce qu'il doit faire. Si l'on
poursuit un seul bien a l'exclusion d'un autre qui
devrait l'accompagner, il advient non pas qu'il y a
excrs de l'un tandis que l'autre fait défaut, mais que
l'on perd peu a peu celui-la meme qu'on avait pour-
sllivi exclusivement. Un gouvernement de fonction-
naires élevés pour ce méti~r ne peut faire pour un
pays les choses qui peuvent etre faites par un gou-
vernementlibre; mais on le croirait peut-etre capa-
hle de faire certaines choses que le gouvernement
libre ne peut faire par lui-meme. Seloll. moi, cepen- .
dant, pour qu'un gouvernement de fonctionnaires
puisse accomplir meme sa propre besogne d'une fa-
c;on efficace ou permanente, un élément extérieur


;ade liberté est nécessaire. Et de me me aussi la liberté
ne peut produire ses meilleurs effets et souvent
échoue complétement, si l'on ne trouve moyen de
combiner avec 'les bienfaits d'un régime libre ceux
d'une administration habile et exercée. Il n'y a pas
a hésiter une minute entre le gouvernement repré-
sentatif, pour un peuple qui est préparé a le rece-
voir, et la bureaucratie la plusparfaite qu'on puisse
imaginer; mais en meme temps les institutions
politiques doivent viser par dessas tout a renfermer




INFIRMITÉS ET DANGERS DU GOUVERNEMENT ETC. 153 ,
la plus [orte dose possible des qualités de l'un et
de 1'autre. Elles doivent, en tant que les deux choses
ne sont pas incompatibles, faire en sorte que la di-
rection des affaires appartienne a des personnes
habiles, formées a cela comme a une profession, et
que les corps représentatifs possedent et exercent
sérieusement un droit de controle général. On serait
bien pres d'en arriver la si 1'on adoptait la ligne de
démarcation tracée dans le chapitre précédent, en-
tre 1'amvre de gouvernement proprement dite, la-
quelle ne peut 6tre bien accomplie que moyennant
étude spéciale, et l'ceuvre de choisir, de surveiller
et au besoin de controler les gouvernants, ceuvre
qui, dans le cas actuel comme d<).ns tous les autres, ,
revient en bonne j ustice non poin t a ceux qui font
la besogne, mais il ceux au profit de qui la besogne
devrait etre faite. On ne peut arriver a avoir une
démocratie habile, si la démocratie ne consent pas
a ce que la besogne qui demande de l'habileté, soit
faite par ceux qui en ont. Une démocratie a bien
assez a faire lorsqu'il fau! qu'elle se pounoie d'une
dose suffisan te de capacité men tale pour accomplir sa
propre besogne, qui est de surveilleret de réprimer.


Comment se procurer et s'assurer cette dos e ?
voila une des questions qu'il faut prendre en consi-
dération, lorsqu'on prononce sur la constitution
désirable pour une assemblee représentative. Si la
composition de l'assemblée est défectueuse a cet


9.




1" , ',H- GOUVERNEMENT HEPRÉSENTATIF.
égard, l'assemblée empiétera par des actes spéciaux
sur le département de l'exccutlr, elle chassera un
bon ministere et elle en nommera et en soutiendra
un mauvais, elle permettra ou meme elle aulorisera
des abus de confiance de la part des ministres, elle
se laissera tromper par leurs faux prélextes, ou elle
retirerason appui a ceuxqui essayent de remplir leur
charge consciencieusement, elle protégera OH elle
imposera une politique générale, au dehors comme
au dedans, 6g01ste, capricieuse, irrélléchie, impré-
voyante, ignorante el pIeine de préjug'és, elle auro-
gera de bonnes lois ou elle en émeltra de mauvai-
ses, elle introduira des maux nOIlVeal1X ou elle s'at-
tachcra aux anciens avec une obstinaliOli penerse.
Peul-etre meme sous l'influence d'imr>ubiollS per-
llicieuses, temporaires ou pl:'rmanentes, émanallt
d'elle-meme ou de ses commettanls, se pretera-t-elle
a des mesures qui mettent complétement de coté la
loi, dans des ras ou une justice parfaite ne plairait
pas aH selltiment populaire. Tels sonl les dangers
du gouvernement représenlalir, si la ('onstitntion de
la représentation n'assure pas une dose suffisante
d'intelligence et de s;woir dans l'assemblée repré-
sentative.


Nous passons maintcnant anx maux qui proyien-
nent de ce que les faQons d'agir du corps représen-
tatif peuvl~nt etre dictés principalemenl par des in-
térets sinlstres, (pOUl' ernployer le mot commode




INFIRI\IITÉS El' DANGERS DU GOUVERNEMENT, ETC. 155
introeluit par Bentham) c'est-a-elire par des intérets
plus OH moins en contradiction avec le bien général
de la communauté.


On admet universellement qu'une grande partie
de tous les maux inhérents aux gouvernements
monarchiques el aristocratiques, provient de ceHe
cause. Un monarque ou une aristocratie assure ou
croit assurer son intérct, par une conduite opposée
h celle que demancle l'intéret général de la commu-
nauté. Par cxemple, l'inlérét du gouvernement est
de meltre de gros impots : celui de la communauté
est de payer aussi peu d'impots que le permettent
les elépenscs nécessaires d'un pon gouvernement
L'intérct elu roi et de l'aristocratie gouvernante,
est de posséder et d'exercer un pouvoir illimité sur
le peuple,de le conlraindre a se conformer pleine-
ment a la yolonté et aux préférences eles gouver-
nants : l'inléret da peuple est d'etre aussi peu con-
trolé que la chose est possible pour que le go:uver-
llement puisseatteindre ses fins légitimes. L'interet,
ou du moins l'intéret apparent et supposé du roi et
de l'aristocratie, est de ne permettre aucune criti-
que sur leur compte, c'est-a.dire aucune critique
qu'ils puissent regardcr comme menaQant leur


I


pouvoir ou comme portant une atteinte sérieuse a
lent' liberté d' action : l'in téret du peuple est d'avoir
la pleine liberté de critiquer tont fonctionnaire pu-
blic, tont acte ou toute mesure publique. L'intéret




156 . GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
d'une elass~ dominante, que ce soit une aristocra-
tie ou une monarchie aristocratique, est de s'empa-
rer d'une variété infinie de priviléges, lesquels tantot.
l'enrichissent aux dépens dn peuple, tantót vont
simplement a l'élever au-dessus du peuple, ou ce
qui est la meme chose en d' autres termes, a mettre
le peuple au-dessous d' elle en le dégradant. Si le
peuple est mal disposé pour ses gouvernants, ce qui
est infiniment probable sous un pareil gouYerne-
ment, c'est l'intéret du roi et de l'aristocratie de le
maintellir a un degré tres-médiocre d'intelligence
et d'éducalion, d'y fomenter des dissensions el
meme de l'empecller d'avoir une vie trop eonfor-
lable, de peur « Ql/il ne devienne gt'as el qu'il ne
1'ue, » suivant la maxime du eardinal de Richelieu,
dans son célebre testament politiqueo


Toules ees choses sont de l'inléret d'un roi ou
d'une aristocratie sous un point de vue purement
égoi'ste, a moins que la crainle de provoquer la ré-
sistance ne crée un contre-poids capable de faire
pencher la halance. Tous ces maux ont été, et beau-
coup d'entre eux sont encore le fruit des intérels
sinist}'es des rois ou des arislocraties, lorsque leu!'
pouvoir est suffisant pour les élever au-dessus de
l'opinion du reste de la communaulé ; et il ne se-
rait guere rationnel de s'attendre a une conduite
différenle dans une te11e position.




INFIRMITÉS ET DANGERS DU GOUVERNEMENT, ETC. 157
Ces choses sont de toute évidence dans le cas


d'une monarehie ou d'une aristocratie; mais on
affirme quelquefois trop gratuitement que les me-
mes influences nuisibles n'agissent pas dans une
démocratie. Si l'on prend la démocratie pour ce
qu' elle est ordinairement, e' est-a-dire pour le gou-
yernement de la majorité numérique, il est possible
que le pouvoir dominant soit sous l'influence d'in-
térCts de classe ou de coterie qui lui imposent une
tout autre eonduite que ne le youdrait la con si-
dération impartiale de tous les intérets. Supposons
une majorité de blancs et une minorité de negres,
ou vice versa: est-iI croyable que la majorité ya se
montrer équitable envers la minorité? Supposons
une majorit~ de catholiques et une minorité de
protestants, ou le contraire : n'y aUl'a-t-il pas le
meme danger? Ou bien, supposons une majorité
d'Anglais et une minorité d'Irlandais, ou l'opposé :
esl-ce qu'un pareil mal n'est pas infiniment proba-
ble ? En tout pays, iI y a une majorité de pauvres
el une minorité qui, par opposition, peut etre ap-
pelé e riche. Entre ees deux cIasses, iI y a, sur
beaucoup de points, opposition complete d'intérets
apparents. Nous supposerons la majorité suffisam-
ment intelligente pour comprendre qu'il n'est pas
de son intérét d'affaiblir la propriété, et qu'elle se-
rait affaibIie par tout acte de spoliation arbitraire.
Mais n'est-il pas fort a craindre qu'elle ne rejette




158 GOUVERNEMENT REPRESENTATIl<'.


sur les détenteurs de ce qu'on appelle la propriété
fonciere et sur les revenus les plus gros, une part
excessive du fardeau de l'impat, ou meme ce far-
deau tout entier ? et qu'ensuite elle n'augment.e les
impOts sans scrupule, sous prétexte qu'cllc les dé-
pense au profit et dans l'intérct de la elasse ou-
vriere? Supposons encore une minorité d'ouvriers
habiles, une majorité inhabile, l'expériellce de
nombreuses associations OlHTil)reS (lt moins qu'elles
n'aient été grandement calomniées) justille la
-crainle de voÍi' imposer comme une obligation l'é-
galité des salaires, et de yo ir abolir l'ollvrage a la
pie ce, et toutes les praliques grace auxquelles une
activité ou des talents supérieurs peuvent gagner
une récompense supérieure. Des es:-.ais législatifs
pour éleyer les salaires ou ponr limiter la concur-
rence sur le marché du tr<rrail - des taxes ou des
restrictions au sujet des machines el des améliora-
tions de toutes sortes, (lui tendent lt supplécr le
travail, peut-etre meme la protecLion du pl'nduc-
teur indigene contre l'industrie élrangcre, - sont
les résnItats tres-naturels (probables je ne l'aftirme-
rais pas) de l'intéret et du sentiment dans leqllel
gouvernerait une majorité de travaillenrs manuels.


On nous dira qu'aucune de ces choses ne sont
dans l'intérCt vél'itable de la classe la plus nOffi-
brense. A qlloi je réponds que si la co'nduite des
ctres humains n'était délerminée que par les con-




INFIRMITÉS ET DANGlmS DU GOUVERNEMENT; ETC. f59
sidérations inléeessées qui constituent leur intéret
véJ'itaúle, ni la monarchie ni l'oligarchie ne seraient
d'aussi mauyais gouyernements qu'elles le sont;
car, a eoup sur, des arguments tres-puissanls ont
Né et sont encore souyent employés pour démon-
trer qn'un roi ou nn sénat gouycrnants sont de
beaucoup dans la plus enyiable des positions, lors-
flu'ils gouvernent avee justiec et vigilanee un peu-
pIe adif, riche, éclairé el doué d'un esprit élevé.
Mais ce n'csl que rarement qu'un roi a envisagé
sons ce jOllr (~le\'{\ son intéret personnel; quant a
Ulle oligarchie, elle ne l'a jamais fait : et pourquoi
nons atlendrions-nous Üllne maniere de penser plus
noble chez les classes ouuieres? Ce n'est pas leur
intéret qu'il faut considérer, mais l'opinionqu'elles
s'en forment; et si une théorie de gouyernement
affirme que la majorité numérique fera habituelle-
ment ce qui n'e~t jamais fait et ce qu'on ne s'attend
pas i't yoit· faire (si el' n'est dans des cas tres-excep-
tiollllels) par les autres dépositaires du pouvoir, a
savoir - qu'elle dil'igera sa conduite d'apres ce qni
cst au fond son intóret véritable, en opposition a ce
(lui est son intéret immédiat ct apparent, - celle
théorie est jugée. Surement, personne ne peut dou-
ter que les mesnres pernicieuses auxquelles on a
fait allusion tout a l'heure. et beaucoup d'autres
aussi mauvaises, ne soient dans l'intérel immédiat
de la massc des ouvriers inhabiles. Il se pourrait




160 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
qu'elles fussent favorables a cette classe, au rnoins
dans sa génération actuelle. Le relachernent de
l'industrie et de l'activité, la dirninution des encou-


.


ragernents a l'épargne, qui en seraient la consé-
quence finale, ne seraient peut-étre guere ressentis
par la classe des ouvriers inhabiles, pendanl la du-
rée d'une seule génération.


Quelques-uns des changernents les plus funestes
dans les affaires hurnaines ont été avantagcux
quant a leurs effets les plus irnrnédiats et les plus
manifestes. L'établissernent du despotisrne des Cé-
sars fut un grand bienfait pour tonte la génération
contemporaine. Ce fut la fin de la guerre civile, un
frein pour les inalversations et la tyrannic des pré-
teurs et des proconsuls, un développernent de la
vie élégante et de la culture intelleetuelle qui ne
se rapportait pas a la politiqueo Enfin, sous ce des-
potisrne, on vit paraltre des rnonllrnents littéraires,
éblouissants pour l'irnagination de ces lectellrs Sll-
perficiels de l'histoire, qui ne réflrchissent pas que
les hornmes auxqllels le despotisme d'AlIgusle
(aussi bien que celui de Laurent de Mrdicis el celui
de Louis XIV) doit son éclat, furent tous formés
par la génération précédente. Les richesses accu-
mulées, l'énergie el l'activité mentales produites
par des siecles de liberté, subsisterent au profit de
la prerniere génération d'esclaves. Néanmoins, ce
fut le commencernent d'un régime sous l'action du-




INFIRMITES ET DANüERS DU GOUVERNEMENT, ETC. 161


quel toute la civilisation acquise jusqu'aIors s'étei-
gnit insensiblement, a ce point que l'empire, qui
avait conquis et embrassé le monde dans son
étreinte, perdit tout, meme sa puissance militaire ;
et des envahisseurs que trois ou quatre Iégions
avaient toujours suffi a repousser, eurent eette for-
tune de parcourir et d'occuper la presque totalité
de son vaste territoire. La nouvelle impulsion don-
née par le christianisme arriva tout juste a temps
pour sauver les lettres el les arts, et pour épargner
a l'espece humaine une re chute en pleine et peut-
etre incurable barbarie.


Quand nous parlons de l'intér8t d'une assemblée
ou meme d'un homme comme d'un principe déter-
minant ses actions, la question de savoir quel se-
rait cet intéret aux yeux d'un observateur impar-
tial, est une des parties les moins importantes du
sujeto Comme le remarque Coleridge : L'homme fait
le motz¡, ce n'est pas le lIwtif qui fait thomme. Ce
qu'il est dan s l'intérct d'un homme de faire ou de
ne pas faire, dépend moins d'aucune eireonstanee
extérieure, que de ce qu'est l'individn lui-meme.
Si vous voulez savoir ee qui eonstitue dans la prati-
que l'intéret d'un homme, iI vous faut eonnaltre
le tour habitnel de ses pensées et de ses sentiments.
Chacun a deux sortes d'intérets: des intérets dont
iI prend soin et des intérets dont il ne se soncie
paso Chacun a des intérets égoi'stes : et un homme




162 GOUVERN El\IENT REPHÉSENTATI F'.
égo'iste a cultivé l'habitude de prendre soín des pre-
miers el de négligel' les autn's. Chacun a des in lór(>ts
présents et des intérets éloignés: et l'homme im-
prévoyant est celui qui soigne les inLél'cLs présents
et qui ne se soucie point de ses intéreLs éloignés.
Peu importe qu'a bien calculer, ces derniers soient
les plus considérables, si les habitudes de son es-
prit le menent a fixer ses pensées et ses désirs
uniquement sur les premiel's. On ossa.ierait vaine-
ment de persuader a un homme <lui hal sa remme
et qui maltraite ses onfanls qu'il serail plus hen-
reux, s'il vivait en bons terllles ayec oux. Il serai t
plus heureux s'jl était l'espece d'homme quí pút
vivre ainsi ; mais il n'est pas celte espece d'homme-
la, et íl est probablemelll trop lard pour qu'il le
devienne. Jhant ce qu'il cst, saLisfaire son amon!'
de dominer eL son caractere féroce, lui semble quel-
que chose de plus désirable que le bien-ctre et
l'affecLion de ceux qui d{~pelldcnt de lui. Leur biell-
,Gtre ne lui cause nnl plaisir, et il ne se soucie poínL
de leur affection. Son voisin qni lle pense pas de
meme, est sallS donte nn homme plus heurcux que
lui ; rnais si on pouvait lo porsnader a ce brutal,
cette persuasion ne feraÍl pl'obablement qu'exa~pé­
rer sa rnalfaisance el son ierÍlabilité. En génél'al,
un hornrne qui a de l'affecLion pour d'antros, ponr
son pays OH ponr l'hnmanité, est plus heurellx
(!u'un hornrne qui n'en a pas; rnais a qlloi sert-il




INFIRMITÉS ET DANGERS DU GOUVERNEMENT, ETC. 163
de prcchcr ceUe doctrine a un homme qui ne se
soncie (fue de sa propre tranquillité et de sa propre
boursc? Autant prccher au ver qui rampe sur la
terre combien il vaudrait mieux pour lui etre un
. 1 1 alg e .
Maintenant, c'est un fail universellement ob-


servé: les deux mauvaises dispositions dont il s'a-
git - par oil nous préférons nos intérels égolstes a
cenx quí nons sont communs avec d'autres, et nos
intérets immédiats et directs a ceux qui sont indi-
rects el éloignés - sont des traits caractéristiques
qu'engendrc el que développe tout particuliere-
ment la possession du pouvoir. Des qu'un homme
ou une classe d'hommes se trouve posséder le pou-
voir, l'intéret individuel de l'homme ou l'intéret


. '


séparé de la classe prend a ses yeux un (legré d'im-,
portance tout nouveau. Voyant que les autres les
adorent, ils en viennent a s'adorer eux-memes et a
se croire le droit d'etre comptés pour cent fois plus
que les antres, tandis que la facilité qu'ils acquie-
rent de faire ce qu'illeur plait sans s'inquiéter des
conséquences, affaiblit insensiblement l'habitude
de prévoir, meme les conséquences qui pourraient
les toucher. C'est l'enseignement de la tradition
universelle, fondée sur l'expérience universelle, que
les homrnes sont corrompus par le pouvoir. Chacun
sait combien il serait absurde de croire que ce
{lU'un hornmc cst ou fait dans une situation privée,




16± GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
il le sera ou le fera étant despote et sur le tróne,
a10rs que toutes les mauvaises parties de sa nature,
au lieu d'étre comprimées et rappe1ées a l'ordre
par chaque circonstance de sa vie et par chacun de
ceux qui l'approchent, seront courtisées par tous,
et servies par toutes les circonstances. Il serait tout
aussi absurde d'avoir de semb1ables espérances par
rapport a une classe d'hommes, le peuple (démos)
ou toute autre. Si modestes, si amenables a la rai-
son que soient les hommes, tant qu'il 'ya au-dessus
d'eux un pouvoir plus fort qu~eux, nous devons
nous attendre a les voÍl' changer complétement sous
ce rapport, le jour ou ils deviendront eux-memes le
pouvoir le plus fort.


Les gouvernements doivent étre faits pour les
étres humains tels qu'ils sont, ou tels qu'ils sont
capables de devenir prochainement. 01', a tOllt de-
gré de culture, les intérets par lesquels les hommes
seront dirigés lorsqu'ils songent seulement a leurs
intérets personnels, seront presquc exclusivcment
ceux qui sautent aux yeux a premiere vuc, el qui
agissent sur leur condition actuellc. Il n'y a, pour
diriger les esprits el les vues d'une classe ou d'une
assemblée vers des intérets éloignés et non palpa-
bles, qu'une considération désintéressée pour les
autres et surtout pour la postérité, pour le pays ou
pour l'humanité, considération fondée, soit sur la
sympathie, soit sur un sentiment consciencieux:




INFIRM1TÉS ET DANGERS DU GOUVERNEME~T, ETC. 165
Dr, on ne peut soutenir qu'une forme de gouverne-
ment soit rationnelle, lorsqu'elle a pour condition
que ces príncipes élevés d'action seront les motifs
premiers et dirigeants de la conduite d'etres hu-
mains ordinaires. On peut bien compter sur une
certaine somme de conseience et d'esprit public dé-
sintéressé rhez les citoyens de toute communauté
mure pour le gouvernement représentatif; mais ne
comptez pas trouver parmi eux une dose suffisante
de ces qualités, combinée avec un discernement
intellectuel suffisant pour eLre a l'épreuve de tout
sophisme plausible, qui tendrait a déguiser en inté-
ret général et en précepte de justice et de bien pu-
blic, l'intéret de leur elasse. eette confiance serait
ridicule. Nous savons tous quelIes roueries on peut
imaginer, a l'appui de tout acte injuste proposé ce-
pendant pour le bien imaginaire de la masse. Nous
savons combien d'hommes, qui ne sont pas autre-
ment sots ni mauvais, ont cru la banqueroute de
l'~~tat justifiable. Nous savons combien il y ena qui
ne sont nullement dénués de talent ni d'une grande
influence populaire, et qui trouvent juste de réser-
ver tout le fardcau de l'impOt aux épargnes réalisées
50ns le nom de propriété foneiere, permettant a
ceux qui, ainsi que leurs peres, ont toujonrs dé-
pensé tout ce qu'ils recevaient, de demeurer, en
récompense d'une conduite aussi exemplaire, libres
de toutes charges. Nous savons quels arguments




Hin GOr\'ERl'\E~1El'T HEPRltSENTATIF.
puissants, d'autant plus dangoreuxqu'ils renfcrmonl
une portion de vérité, on peut employer contro
toute hérédité, contre le droit de léguer, contro
tout avantage qu'une personne semble avoir sur
une autre. Nous savons commc on peut démontrer
facilcment l'inutilité de presque toutes les branche:;;
de la scicnce, a la complete satisfaction de ceux qui
ne savent rien. Combien n'y a-t-il pas d'hommes
qui, sans etre complétement stupides, regardent
l'étude scientifique des langucs commo inutile,
rcgardent la littéraLurc ancicnne comme inutile:
toute érudition comme inutile, la 10giqlle et la mé-
taphysique comme inutiles, la poésie et les bcaux-
arts commc oiseux et frivoles, l'économie politique
comme purement nuisible? L'histoire meme a été
déclarée inutile et nnisible par des hommes enten-
dus. Cette connaissance de la nature extéricurc
acqnise par l'expérience, qni sert direcLement ü la
production des choses nécessaires on agréablos,
serait senle a voir son utilité reconnue par le peu-
pIe, s'il avait le moindre encouragemcnt ;\ doulcr
de toutes ces grandes choses qu'on vient d'énu-
mérer.


Oil sont les hommcs assez délicats de consticnce,
assez équitablcs envers ce qui blessc leur intéret
apparent, ponr rejeter ces sophismes et tant d'au-
tres qui leur viendront de tontes parts avec ]e
pouvoir, les poussant a mettre leur inclinalion par




INFIRMITES ET DANGERS DU GOUVERNEMENT, ETC. 167


liculil"re eL les YlleS hornées do leur égolsme au -des-
sus de la juslice, dn hien public et de l'avenir?Il ne
fauL pas compter sur co prodige, meme parmi des es-
prits bcaucoup plus rultiyés que, ceux do la majorité.


Done, un dos grands dangers de la démocratie
commo de loutos les antros formes de gouverne-
menl, cOllsisll' dans l('s intércls sinistí'es de ceux
qui possedrnt le pouyoir: ce danger est celui d'une
législation de elassr, (1' un gouvernement quí re-
cherche (soit qll'il réussisse, soit qu'il échoue) le
profil irnrnédial do la elasse <lomina.ntc, au détri-
rnent durable de la masso. El c'ost uno chose a
considércl' entre toutcs, lorsqu'on dé termine la
moillourC' cOllslitution d'Ull gouyernement repré-
sentatif, (IUO la maniere de se bien précautionner
{'(mtro ce mal.


Si nous considérons comme une classe, politique-
mOllt parlanl, un Hombre quelconque do personnes
({ui onL le m(lllle intérN únistl'e, c'est-a-dire dont
l'illLél'ct dirl'ct ol apparent ongendro la meme es-
peee do mauvaisos mesures -l'objct désirable se-
rait quo nulle elassc et que nuBe association de
elasscs portées a se liguor, ne fUt capable d'exercer
un inlluencc prépondérante dans le gouvernement.
Uno communauté moderne qui n'est pas divisée par
do forlos alltipathics de race, de langage OH de na-
tionalité, pout etre considérée comme divisible en
deux grandes seclions qui correspondent, saur quel-




168 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
ques nuances, a deux directions opposées d'intérCts
apparents. Appelons-Ies (pour employer des termes
brefs et généraux), l'une, la section des travailleurs


l
et l'autre la section des emplnyeuJ's de travail. Nous
comprendrons toutefois dans la seconde, non-
seulement les capitalistes retirés el ceux qui ont
hérité de leur fortune, mais encore cette sorte de
travailleurs largement payés (les professions libé-
rales) que leur éducation et leu!' maniere de vivre
assimilent aux riches, et dont la perspective et
l'ambition esto de s'élever jusqu'a ceUe classe. D'un
autre coté, nous pouvons ranger parmi les travail-
leurs ces petits employeul's de travail, auxquels leurs
intérets, leurs habitudes et leur éducation ont donné
les désirs, les gouts et les fins des classes ouvrieres,
ce qui comprend un nombre considérable de petits
commerGants.


Dans une société ainsi composée, s'il était possi-
ble de créer un systeme représentatif théorillue-
ment par fait, et de le maintenir en cet état, son
organisation devrait etre telle que ces deux classes,
d'un cOté les travailleurs etleurs affinités, del'antre
les employeul's de trantil et leurs affinités fussent
également balancées, chacllne ayant a sa dispositiün
un nombre de votes égal dans le parlement; puis-
que en supposant que la majorité de chaque classe
fUt principalement guidée dans tous les différends
par ses intérets de classe, il y aurait une minorité




lNFIRMITÉS ET DANGERS DU GOUVERNEMENT, ETC. i.69
dans eh acune d'elles ehez qui eette eonsidération
serait subordonnée a la raison, a la justiee el an
bien de l'ensemble: eette minorité de l'une des
classes se joignant a la masse de l'autre, remporte-
rait conlre toutes les demandes de sa propre majo-
rité qui serait indigne de prévaloir. Pourquoi dans
une société passablement eonstituée, la justiee et
l'intéret général finissent-ils presque toujours par
l'emporler? paree qn'il y a plus d'un égolsme dans
l'hnmanité. Certains égolsmes sont intéressés a ce
qui est mal, mais d'antres sont indentiques a ce qui
est bien: el les personnes qui sont dirigées par des
considérations plus élevées, quoique trop pen nom-
breuses et trop faíbles ponr prévaloir a elles seules,
deviennent Ol'?illairement assez forles, apres dis-
cussion et agitation snffisanle, pour faire prévaloir
le groupe d'intéréts privés, dont la eonclusion est
la meme que eelle de leur désintéressement. Le sys-
teme représentatif devrait Ctre constitué de faQon a
mainlenir ('el état de (~hoses: il ne devrait permet-
tre a aUCUll des divers intérets de elasses d'etre
assez puissant pour l'emporter sur la vérité et la
justice unies aux autres intérets de classes. II de-
vraít toujours y avoir un tel équilibre entre les in-
térets partieuliers, que chaeun d' eux ne put eomp-
ter sur le sueees, qu'a condition d'attirer a lui la
plupart des personnesquiagissentd'apres des motifs
plus élevés et des vues plus vastes et plus éloignées.


10




CHAPITRE VII
DE LA YRAlE Er DE LA FAUSSE DÉMOCRATiE, DE LA REPRÉSEN-


TATlON DE TOeS El' DE LA IlEl'HÉSENTATlON DE LA MAJORIT~~
SEULEMEJ\'T.


Les dangers auxquels est sujette une démocra-
Lie représentatiye sont de deux sortes, ainsi qu'on
vient de le voir : danger d'un degré d'iI).telligence
trcs-médiocre dans le corps représentatif et dans
l'opinion populaire qui le controle; 'danger d'une
législation de c1asse de la part de la majorité nu-
mérique, celle-ci éLant toute composée de la meme
c1asse. Il nous faut examiner maintenant jusqu'a
quel point il cst possible (sans porter une atteinte
matél'ielle aux bicnfaiLs caractérisLiques d'un gou-
vernement démocratiquc) d'organiser la démocra-
tie de faGon a délruire ces dCllX grands mallX, ou
du moins de faGon a les diminucr autant que la
chose est au pouvoir d'llne combinaison humaine.


Un essaie ordinairemellt d'y parvenir en limitant
le caractcre démocratique de la représentation,
au moyen d'un suffrage plus ou moins restreint.
Mais certaine considération qu'il ne faut pas per-




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. 171
dre de vue, modifie gl'andement les circonstances
011 ceUe restricLion semble nécessaire. Une démo-
eraLie eomplétement égale, dans une nation ou la
majorité numérique se eompose d'une seuie et
meme classe, esl toujours aeeompagnée de eer-
tains maux; mais ce qni aggrave ·singulierement
ces maux, e'est qu'il n'y a nnlle égalité dans les
démoeraties qui existent aetuellement; on y voit
meme une inégalité systématique en faveur de la
classe dominante. On eonfond deux idées tres-dif-
férentes sous le mot de démoeratie. L'idée pure
de la démoeratie suivant sa définition, e'est le gou-
verI,lement de tont le peuple par tont le peuple
également représenlé. La démoeratie, telle qn'on
la eonQoit et q:u'on la pratique aujourd'hui, e'est
le gouvernement de tout le peuple, par une sim-
ple majorité du peuple, exclusivement représen-
tée. Dans le premier sens, le mot démoeratie est
synonyme d'égalité pour tous les eitoyens : dans
le second sens (et on les eonfond étrangement) il
signifie un gouvernernent de privilége en faveur de
la majorité numérique, qui, par le fait, est seule a
posséder une voix dans l'~~tat. e'est la conséquenc:e


: inévitable de la maniere dont on recueille aujour-
d'hui les votes, a la complete exclusion des mino-
rités.


lei la confusion des idées est grande; mais il esl
si facile de tout éclaircir qu'on pourrait croire la




f72 GOUVERNEMENT REPRÉSENTA TlF.
plus légere indication suffisante pour placer le su-
jet sous son Yrai jour, devant toul esprit d'unp
portée ordinaire. Il en serait ainsi, sans le pouvoil'
de l'habitude, graee auqllel l'idée la plus simple,
si elle n' est pas familiere, se fait eomprendre aussi
pélliblement que l'idée la plus eompliquée. La mi-
llorité doit eéder a ]a majorité, le plus petit nom-
bre au plus grand, e' est une idée familiere : en
eonséquenee les hommes eroient qu'il n'y a pas a
s'inquiéter d'autre ehose, et il nc leur "Íent pas a
l'esprit qu'il peut y avoir un milieu entre donner
au plus petit nombre le meme pouvoir qu'au plus
grand, ou bien effaeer eomplétement le plus petit
nombre. Dans un eorps représentatif qui délibere
réellement, la minorité doit néeess<lirement avoir
le dessous, et dans une démoeratie ou existe l'éga-
lité (puisque les opinions des eommettants, quand
ils y tiennent fortement, déterminent eeHes des
eorps représentatifs), la majorité dll peuple au
moyen de ses représentants prévaudra et l'empor-
tera, a la pluralité des voix, sur la minorité et sur
ses représentants. Mais s'ensuit-il que la rninorité
ne devraiL pas avoir de représentants du tout?
Paree que la majorité doit prévaloir sur la mino':':'
rilé, faut-iI que la majorité ait tous les votes, que
la minorité n'en ait aueun ? Est-il néeessaire que
la minorité ne soit pas merne entendue? Une
habitude et une assoeiation d'idées immémoriales,




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. n3
peuyent sculcs réconcilier un etre raisonnable avec
une injustice inutile. Dans une démocratie réelle-
ment égale, tout parti, quel qu'il soit, serait re-
présenlé dans une proportion, non pas supérieure.,
mais identique a ce qu'il esto Une majorité d'élec-
teurs devrait toujours avoir une majorité de repré-
senlants; mais une minorité d'électeurs devrait
toujours avoir llne minorité de représentants.
IIommc ponr homme, la minorité devrait etre re-
présentée aussi complétement que la majorité.
Sans cela il n'y a pas d'égalité dans le gouverne-
ment, mais bien inégalité et privilége : une partie
du peuple gouverne le reste: iI y a une portion a
qui l'on refuse la part d'influence qui lui revient
de droit dans la représentation, et cela contre toute
jtlstice sociale, et surtout contre le principe de la
démocratie, qui proclame l'égalité comme étant sa
racine mcme et son fondement.


L'injl1stice el la violation du principe ne sont
pas moins évidentes, parce que c'est une minorité
qui en souffre ; cal' il n'y a pas de suffrage égal, la
ou un individu isolé ne compte pas pour autant
que toul autre individu isolé dans la communauté.
Mais ce n'e5t pas seulement la minorité qui souf-
freo La démocralie ainsi constituée n'atteint meme
pas son bul ostensible, c.elui de donner en tous
cas les pouvoirs du gouvernement a la majorité
numérique; elle fait quelque cho~e de tres-diffé-


10.




174 GOUVERNEl\lENT REPRÉSENTATIF.
rent, elle les donne a une majorité de la majorité,
qni peut n'étre et qui n'est souvent qu'une mino-
rité de l' ensemble. C' est surlout dans les eas extre-
mes qu'on voit la valeur d'un principe : supposons
done que dans un pays gouverné par le suffrage
égal et universel, il y ait une éleetion conlestée
dans ehaque coIlége éleetoral, et que dans chaque
élection une petite majorité l'emporte. Le parle-
ment ainsi formé représente un pen plus que la
simple majorité de la nation. Ce parlement se mel
a faire des lois et prend des mesures importantes
du chef d'une simple majorité dans le parlement
lui-meme. Quelle garantie a-l-on que ces mesures
seront d'aeeord avee les désirs de la majorilé du
peuple. La moilié a peu pres des él~ctenrs ayant
eu le dessous aux hustings, n'a eu aucune influence
sur la décision; toute eette moitié-Ia peut elre
hostile aux mesures, .ayant volé contre tous ceux
qui les ont prises, et elle 1'esl probablement en
grande parlie. Quant aux autres éleclenrs, la moi-
tié a pen prcs a choisi des représentants qni (la
ehose est supposable) ont voté eontre les mesures.
Il est done possible, et meme il est probable
que les mesures qui ont prévalu plairont saule-
ment a la minorité, toute majorité qu'elle est de
eeUe partie de. la nation, que les lois du pays ont
érigé en elasse dominante. Si la démocratie signi-
fie l'aseendant eertain de la majorité, il n'y a




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. 175
d'autre moyen de l'assurer que de permettre a cha-
que chiffre individuel de compter également dans
l'addition. S'i! y a une minorité laissée de cOté,
soit a dessein, soit par la maniere dont fonctionne
le mécanisme, le pouvoir n'appartient pas a la ma-
jorité, mais a une minorité partout ailleurs qu'au
parlement.


La seule réponse plausible, c'est que, comme
l'opinion dominante varie suivant les localités,
l'opinion qui est en minorité quelque part obtient
la majorité ailleurs, et qu'en somme chaque opi-
nion existante dans les colléges électoral1x obtient
une juste part de voix clans la représentation. Et
ceci est vrai en gros, clans l' état actuel du droit
électoral; sans cela le désaccord de la chambre
avec le sentiment général du pays deviendrait bien-
tM évidont. Mais la choso cesserait sur-Ie-champ
d'etre vraie, si l'on accordait le droit électoral a
un plus grand nombre, encore bien davantage si
on l'accordait a tous; cal' en ce cas la majorité
en toute localité serait composée de travailleurs
manllels, et quand il y aurait une question pen-
dante sur laquelle ces classes ne seraient pas d'ac-
corel avec le reste de la communauté, aucune au-
tre classe ne réussirait a se faire représenter nulle
part. Meme a présent., n'est-ce pas un grand mal
qu'en tout parIement un tres-grand nombre d'élec-
teurs, quel que soit leur elésil' el leur passion d'ütre




1i6 GJUVERNEMENT REPRÉSENTATIf.
représentés, ne voient au parlement aucun mem-
bre pour leeruel ils aient voté? Est-il juste que
tout électeur de Marylebone soit obligé d'etre re-
présenté par dcux candidats des assemblées parois-
siales'? tout électeur de Finsbury ou de Lambeth
par ceux la ce qU'OIl croiL généralement) des caba-
retiers'? Les coIléges auxquels appartiennent en
général les personnes les mieux partagées en fait
de culture inlellectuelle eL d'espríL public, ceux des
grandes villes, sont maintenant pour la plupart,
ou pas représentés du tout ou mal représentés.
Les élecleurs qui ne sont pas du meme parti poli-
tique que la majorité locale ne sont point repr:é-
sentés. Quant a ceux du meme partí, il y en a un
grand nombre de mal représentés; car ils ont été·
obligés d'accepter l'homme qui avait le plus de
voix dans leur parti, quoique peut-ctre ses opi-
nions different des leurs sur tout autre point.
L'état des choses est pire sous certains rapporLs
que si la minorité ne pouvait pas voter du tout;
car alors au moins la majorité pourrait avoir un
membre qui la représentat dan s ce (Iu'elle a de
meilleur, tandis qu'aujourd'hui la néccssité de ne
pas diviser le partí, de peur de faire trop beau jeu
aux adversaires, pousse chacun a voter, soit pour
la personlle qui se présente la prcmiere ayec la
cocarde du parti, soit pour ceHe que mettent en
avant les chefs du parti. Ceux-ci en leur faisant




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. 177
l'honneur qu'ils ne méritent pas souvent, de sup-
poser que leut' choix n'a pas été influencé par leurs
intérCts personnels, sont obligés, pour etre surs de
toutes leurs forces, de présenter un candidat con-
tre lequel personne dans le parti n'aura de fortes
objections, c"est-a-dire un homme qui n'a rien de
saillant, ras d'opinions connues, excepté l'enseigne
du parti.


Les États-lJnis en offrent un exemple frappant;
la, a félection <lu président, jamais le parti le
plus fo1't n'osc mettre en avant ses hommes le plus
1'orts, paree que pour ce fait seulement qu'un de
ces hommes a été longtemps en évidence, une par-
tie ou l'autre du publie aurait quelque objection
contre lui; et par conséquent il serait moins sur
de raUier tous les votes qu'une personne dont le
public n'a jamais entenrlu parlero Ainsi, l'homme
qui est choisi, meme par le parti le plus fort, ne
représente peut-ctre réellement que l'esprit de
quelques personnes appartenant a l'étroite lisiere
par ou ce parti dépasse l'autre. Toute section dont
l'appui est nécessaire au succes, peut mettre son
veto sur le candidato Toute section qui s'entete
plus ohstinément que le reste peut contraindre
toutes les autres a adopter son candidat; et mal-
heureu-sement ceUe opiniatreté supérieure se trouve
plutót chez ceux qui s'entetent pour lenr propre
intéret, que chez ceux qui s'obstinent ponr le bien




178 GOUVEHNEl\lENT HEPllÉSENTATlF.
public. Généralement parlant, le choix de la ma-
jorité est dé terminé par ecUe fraction du eorp!"
électoral ({ni esl la plus timide, la plus bornée d
la plus remplie de préjugés, OH bien la plus obsti-
nément attachée a l'intérCt exclusif de la classc :
et les droits électoraux de la minorité, au lieu de
servir a la seule fin pour laquelle OH recueille les
votes, ont pour objet d'imposer a la majorité un
calldidat pris dans ce que cette majorité a de moill-
dre ou de pire.


Que tout en reconnaissant ces maux, bien de:--
gens les regardent comme le prix nécessaire d 'un
gouvernement libre, la chose n'est pas surprenante.
C'était l'opinion de tous les amis de la liberté, jus-
qu'a une époque tres-récente; l'habitude de les
juger comme irrémédiables est si invétérée, que
bien des personnes semblent avoir perdu la faculté
de les regarder comme des choses auxquelles elles
remédiel'aient volontiers, si elles le pouvaienL. Dé-
sespérer d'une cure et niel' la maladie SOllt dellx
choses qui se touchent de pl'cs ; de 1(\ une certaine
avel'sion a voil' proposel' un rem(~de, comme si ce-
lui qui le propose créait le mal au lieu d'en offl'il' le
traitement. On est tellement habitué aux maux,
qu'on trouve déraisonnable, si ce n'est meme ré-
préhensible, de s'en plaindl'e. Cependant, qu'ils
soient évitables ou non, ce doit etre un amant
aveugle de la liberté, celui auquel ces maux ne pe-




VfiAJE ET FA USSE DÉMOCRATIE. 179
sent pas, celui qui nc se réjo11irait pas en décou-
v~ant qu'on peut se dispenser de les souffrir. Au
point ou nous sommes, ríen n 'est plus cerlain;
l'effacement virtuel de la minoríté n'est pas du tout
la conséquence naturelle ou nécessaire de la liberté:
c'est, au contraire, une chose diamétralement 0ppo-
séeau premie!' principe de la démocratie, qui est la
représentation proportionnée auxnombres. Que les
minorités soient représentées dans une juste propor-
tion, c'est une partie essrntieI1e de la démocratie ;
sans cela, íl n'est pas de véritable démocratie possi-
ble; on n'a qu'une faussc apparence de démocratie.


Ceux qui ont Y11 et senti tant soit peu la force de
res considérations, ont proposé diycrs expédients
qui peuvent atlénuer le mal, a un degré plus ou


. moins grand. Lord JOhll Russell, dans un de" ses
bills de réforme, a introduit une clausc par laquelle
cerlains colléges électol'aux pourraienl nommer
trois membres, el dans ces colléges, iI serait per-
mis a chaqne électeur de voler seulement pour
deux: et M. DisraéIi, dans les débats récents, a
rappelé ce rait en le lui reprochant : il pense appa-
remment qu'il convient a un homme d'État con-
seryateur de ne s'occupcr que des moyens, et de
désavouer dédaigneusement tonte unité de senti-
ment avec quiconque a été entrainé, ne fUt-ce
qu'une fois, a songer aux fins 1. D'autres ont pro-


(1) Cette bévne de M. Disraéli (contre laquclle sir John




180 GOUVERNEMENT RE PRÉSENTATIF.
posé qu'il fUt permis achaque électeur de yoter
seulement pour un membre. Par l'un ou l'autre de
ces plans, une minorité égalant ou excédant le tiers
du collége local pourrait, si elle ne yisait pas plus
haut, nommer un membre sur trois. Gn pourrait
arriver au meme résultat d'une meilleure faGon en-
core, si, comme proposait dans une brochurc
pleine de talent, M. James Garth MarshalI, l'élec-
teur gardait ses trois votes, mais était libre de les
donner tous trois au mcme candidat. Ces plans,
quoique, certes, ils vaillenl mieux que rien, ne SOIlt
pourtant que des pis alIer : ot ils n'atteignonL le but


Packington, a son grand honneur, a saisi la prenüere occasion
de protester) est un exemple frappant, entre bien d'autres, de
la maniere dont les chefs dll parti conservateur comprennent
mal les principes conservateurs. San s aller jusqu'a demander
aux partis politiques une dosc suffisante de vertll et de dis-
eernement pour comprendre et pour appliquer a propos les
principes de leurs adversaires, on peut di re cependant (lue ce
serait un grand progres, si chaque parti comprenait ses pro-
pres principes et s'y conformait : heureuse serait l'Angleterre,
si les conservateurs votaient d'une maniere conséquente pour
tout ce qui est conservateur, et les libél'aux pou!' tout ce qui
est libéral. Nous n'aurions pas alors a attendre longtemps des
choses qui, comme la mesure actuelle et beaucoup d'autl'es
aussi importantes, sont it la fois éminemment conservatriccs
aussi bien qn'éminemment libérales. Les cOllservateurs étant
par la loi de leur existence le parti le plus borné, ont a se
reprocher sous ce rapport les plus gros péchés: et c'est une
tl'iste vérité a dire, mais si on proposait sur un sujet quel-
conque une mesure qui fut conservatrice d'une fayon réelle,
étendue et prévoyante, a ce point que les libéraux fussent
portés a y souscrire, la grande masse du pal'ti conservateur
s'¡"hncel'ait aveuglément a l'encontre de la mesure, et l'empe-
cherait de passer.




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. 181
que d'une maniere tres-imparfaite, puisque toutes
les minorités locales de moins d'un tiers, et toutes
les minorités, si nombreuses qu' elles soient, qui
sont formées par des colléges électoraux différents,
resteraient sans représentants. Il est tres-regrettable
cependant qu'aucun de ces plans n'ait été mis a
exécution; cal' chacun d'eux aurait reconnu le vrai
principe, et aurait prép<l:ré les voies. a son applica-
tion plus complete. Mais on n'obtiendra jamais une
véritable égalité dans la représentation, taní qu'un
nombre d'électeurs ql1i aUeint le chiffre ordinaire
d'un colJége élcctoral, ne pourra s' entendre (dans
quelques parties du pays qne les électeurs soient
rlispersés) pour nommer un représentant.


Ce degré de, perfection dans la représen tation
avait paru impraticable jusqu'au jour ou un homme
rl'un grand talent, capable a la fois de vues éten-
ducs et générales et de combinaisons de détails
pratiques, - M. Thomas Hare - en a prouvé la
possibilité, en traQant pour arriver la un plan qui
a figuré dans un projet d'acte du parlement, plan
qui a le mérite, presque sans égal, de développer
un grand principe de gouvcrnement, d'une maniere
qui approche de la perfcction idéale en ce qui 1'e-
garde l'objet spécial qu'on avait en vue, tandis qu'il
atteint fortuitement plusieurs autres objets de
presque autant d'importance.


Aux termes de ce plan, l'unité représentative,
H




182 GOUVERNEl\IENT REPHÉSENTATIF.
c'est-a-dire la quolité d'éleeteurs ayanl droit a UlI
rcprésentant, serait déterminée par le procédé 01'-
dinaire dont on se sert pOUl' tirer des moyennes, k
nombre des votants étant diYisé par le nombre d(·
siéges dans la chambre: lout eandidat obtenanl
ectte quotité, serait élu repl'ésentant, encore qm'
(~ette quotité se composát de yotes épars \a et la,
dans un grand nombre de colléges électoraux. Lc"
votes seraient, eomme a présent, donnés locale-
ment; mais tout électenr scrait lihre de yoter pom'
tout candidat, dans quelqlle partie du pays que (T
candidat fUt présenté. Done, les élecleurs qui IH'
voudraient etre représentés par aueun des eandi-
dats locaux, pourraient aider de leur vote a la no-
mination de la personne qui leur pla'irait le mieux,
parmi toutes celles qui dan s tont le pays se seraient
mises sur les rangs. De eette fac:on, on donnerail
de la réalité aux droits élecloraux dl~ la minorité
qui, de l'autre fa\on, en est virtllclIement dépouil-
lée. Mais iI est important que, nOIl-selllement eellX
qui refusent de voter ponr les candidats 10eal1x,
mais encore ceux qni yotent pour eux et qui son!
battus, puissent trouver ailleurs la représentation
qu'ils n'ont pas réussi a oblenir dans leur propre
districL e'est pourquoi on a imaginé de faire dé-
poser achaque élecLeur une liste de yo tes, eonle-
nant plusieurs noms, outre celui de son candidat
préféré. Le vote d'un électcnl' nc servirait qu'a un




VRAIE ET FAUSSE DÉl\IOCRATIE. 183
~andidat; maissi l'objet de son premier vote
échouait dans sa candidature, faute d'avoir obtenu
la quotité, le second sc,rait peut-ctre plus heureux.


L'électeur pourrait porter sur la liste un plus
grand nombre de noms, dans l'ordre de sa prété-
rencc; de faQon a ce-que si les noms qui sont en
tete de sa liste n'obtiennent pas la quotité ou l'ob-
tiennent sans son vote, le vote puisse néanmoins
etre employé au profit de quelqu'un dont la nomi-'
nation en sera aidée. Afin d'obtenir le nombre de
membrcs ,"ouIu pour compléter la chambre, et aussi
afin d'cmpechcr les eandidats tri~s-populaires d'ab-
,orber presque tous les suffrages, quelque nombre
de voix qu'un candidat put oblenir, on ne lui en
compterait pas, plus que la quotité voulue pour sa
nomination ; les autres électeurs qui auraient voté
pour lui, verraient eompter leurs votes a la pre-
micre personne qui sur leurs listes respeetives en
aurait besoin et qui pourrait avee ce seeours, eOm-
pléter la quotité. Pour déterminer entre tous les
votes obtenus par un eandidat lesquels seraient em-
ployés a sa nomination, et lesquels seraient donnés
a d'autres, on a proposé plusieurs méthodes, dont
HOUS ne parIeron s point iei. Naturellement, un can-
didat garderait les votes de tous ceux qui ne vou-
draient pas 6tre représentés par un autre j et pour
le reste, tirer au sort serait un expédient tres-pas-
'Jable, a défaut de mieux. Les listes de votes seraient




18i GOUVERNEMENT REPR~SENTATIF.
remises a un bureau central oi! les votes seraient
comptés, puis cotés, hiérarchisés par premiel"
deuxieme, troisieme, etc., la quotité serait allonéC'
a tout candidat qui pourrait la parfaire, jusqu'ü ce
que la chambre fUt complete, les premiers votes
étant préférés aux seconds, les seconds aux troi-
siemes et ainsi de suite. Les listes de votes et tous
les éléments du caleul seraient placés dans des dé-
pats publics et accessibles a tous les intéressés ; et
si quelqu'un ayant obtenu la quotité vonluc, n'ayait
pas été nommé, comme c'était son droit, illui sc-
rait aisé de prouver la chose.


Voila les principaux traits du plan. Je renverl'ai
ceux qui voudraient en connaitre avec plus de dé-
tails le mécanisme tres-simple, au T1'(IÚé de M. Hare,
SW' l'élection des l'epl'ésentants (un petit volume pu-
blié en 1859) et a une brochure de M. lIenri Fa\\"-
eett, publiée en 1860 et intitulée: « Le Bill de l'é-
(01'lJW de M. Hal'e simplifié el e:cpliqué. » Ce dernier
ouvrage est un exposé tres-rlair el tres-concis du
plan réduit a ses éléments les plus simples, par la
snppression de certaines mesures de M. Hare, les-
quelles, quoique bonnes en elles-mcmes, nuisaient
plus a la simplicité du plan qu'elles n'ajoutaient á
ses avantages pratiques. J'ose prédire que plus on
étudiera ces ouvrages, et plus on sentira combien
ce plan est praticable, et combien les avantages en
sont immenses. I1s le sont á un lel point, et ils sont




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. 185
1,ellemellt nombreux, que pour ma partje rangerais
ce plan parmi les plus grands progres qu'on ait faits
jllsqu'a présent dans la théorie et dans la pratique
uu gouvernement.


D'abord, ce plan assure la représentation pro-
portionnelle au nombre de chaque division dn
corps électoral, non pas seulement de deux grands
partis et peut-ctre de quelques grandes minorités
de section en certains endroits, mais de toute mi-
norité dans tout le pays, renfermant un nombre
d'hommes assez grand pou!' avoir droit, d'apres les
principes d'ulle justice équitable, a un représen-
tallt. Secondement, aucun électeur ne serait,
comme aujourd'hui, représenté nominalement par
quelqu'un qu'il n'a pas choisi. Chaque membre de
la chambre serait le représentant d~un corps de
commettants unanimes. Il représenterait t,OOO ou
:2,000 ou 3,000 ou 10,000 éledeurs, selon ce que
pourrait etre la quotité, dont chacun non-seule-
ment aurait voté pour lui, mais l'aurait choisi en-
tre tous dans le pays, et non pas simplement entre
1es deux on trois oranges pourl'ies qui compose-
raient peut-étre tout l'assortiment de son marché
local. De cette faQon, le lien entre l'électeur et le
représentant aurait une force, une valeur dont
nous n'avons a présent aucune idée. Chacun des
électeurs serait identifié personnellement avec son
représentant, et le représentant serait identifié avec




186 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATl F.
ses commettants. Chaque électeur qui aurait yoté
ponr lui l'aurait rait, soit paree que de lons le~
candidats au parlement c'est celui qui représente
le mieux les opinions dn votant, soit paree qlH'
c'est celui dont les talents et le caractere inspi-
rent le plus de confiance au votant, et auquel il
abandonnera le plus volontiers le so in de pensre
pour luí. Le membre repl'ésenterait des person-
nes et non plus simplement les briques eL lp
mortier de la ville : il représenterait les yotanh
eux-memes, et non plus uniquement quclque~­
llns des conseillers de la paroisse ou des nota-
bles de la ville. On conserverait cepéndant tout ce
qui vaut la peine d'étre conservé dans la représell-
tation des localités. Quoique le parlement doive se
meler aussi peu que possible des affaires purement
locales, cependant puisqu'il s'en mele, il faut qu'il
)' ait des membres spécialement chargés de yeillct,
aux intérets de toute localité importante, et il ('011-
tinuerait d'en etre ainsi. Dans toute localité quí
contiendrait plus de votants que la quotité (ce qui
arriverait probablement parlont), la majOl'ité p1'É'-
férerait généralement elre représentée pae un de:--
sien s, par une personne connaissant el habitant la
localité, si on pouyait trouver parmi les candidat,
une semblable personne qui méritat d'ailleurs d'r-
tre choisie ponr représenter la localité. Ce se1'ait
uniquement les minorités qlli, étrangeres a la no-




VHAIE ET FA USSE DÉMOCRATIE. f87
mination da membre local, chercheraient autre
part un candidat ayant chance d'obtenir des voix
outre la leur.


De toutes les manieres possibles de constituer
une représentation nationale, voila celle qui offre
le plus de sécnrité, quant aux qualités intellec-
tuelles désirables chez les représentants. A pré-
sent, de raYCn de chacun, il devient de plus en
plus difficile a un homme qui n'a que des talimts
eL de la réputation, d'entrer a la chambre des com-
munes. Les seules pcrsonnes qui puissent se faire
élire sont celles quí possedent de l'influence locale~
ou qui se frayent le chemin par une dépense ex-
treme, ou qui, sur l'inyitation de trois ou quatre
marchands ou procureurs, sont envoyés des clubs
de Londres pa'!' un des deux grands partis, comme
des hornmes sur le yote desquels le parti peut
cümpter en toutes cil'constances. D'apres le sys-
teme de M. Rare, ceux a qui ne plairait pas les
candidaLs locaux, rempliraient leur bulletin de vote
en faisi111t un choix parmi toutes les personnes de
réputation nationale, dont les principes politiques
auraient lenr sympathie. Donc, presque tout
homme qui se scrait distingué de quelque faQoll
que ce soit, quoiqu'il n'eut aucune inflllence locale
et qu'il n'euL juré obéissance a aucun parti, aurait
beau jeu pour arriver a la quotité, et ayec cet e11-
couragemcnt on ponnait s'altendre a yoir de pa-




188 GOlJVERNEMENT REPRÉSENT.\TlF.
reils hommes se présenter en foule. Des cenlaines
d'hommes habiles, d'une opinion indépendante,
qui n'auraient pas la moindre ehance d'elre choisis
par la majorité d'aucun corps de commettanLs ac-
tuel, se sont fait connaitre presque dans chaque
partie du royaume par leurs écrits eL par leurs
efforls touchant quelque branche du bien public,
a un petit nombre de personnes dont ils ont obtenu
l'approbation: et si chaque vote donné pour eux en
chaque endroit pouvait etre compté pour leur élec-
tion, ils parviendraient sans doutc a réaliser le
chiffre de la quotité. 11 est impossible de trouvel'
une autre combinaison par ou le parlement puis::;e
etre aussi sur de renfermer l'élite meme du pays.


Et ce n'est pas uniquement au mo,yen des yotes
des minorités que ce systeme d' élection éleverait
le niveau intellectuel de la chambre des commu-
nes. Les majorités seraient contraintes de chercher
des membres d'une plus grande valenr. Lorsque les
individus composant la majorité ne scraient plus
réduits comme Hobson, soit a voler ponr la pel'-
sonne mise en avant par lcurs chefs ]ocaux, soit a
ne pas voter du tout; lorsque le candidat des chefs
aurait a subir la concurren ce , non pas seulement
du candidat de l,a minorité, mais de tous les hom-
mes d'une réputation établie dans le pays, qui se-
raient disposés a le servir, iI deviendrait désormais
impossible d'imposer al1X élecleurs la premiere




VRAIE ET FAUSS~ DÉMOCRATIE. J 8U
. personne qui se présenterait avec la1'éclame du parti
sur les levres et trois ou quatre mille livres ster-
ling dans sa poche. La majorité insisterait pour
avoir un candiqat digne de son choix, sinon elle
donnerait son vote ailleurs, et la minorité l'em-
porterait: l'esclavage de la majorité a la portion
la moins estimable d'elle-méme, aurait un terme.
On mettrait en avant de préférence les meilleurs et
les plus capables parmi les notables locaux, et au-
tant que possible ceux d'entre eux qui seraient
connus d'unü faQon avantageuse au dela de la 10-
calité, afin que leur force locale eut la chance
d'étre fortiiiée par des votes conférés du dehors.
Les corps de commetLants se disputeraient les
meilleurs candidats ; il Y anrait rivalité entre enx


. a qui choisirait parmi les hommes de science et de
relations locales. ceux qni seraient les plus distin-
gués sons tons les rapports.


La tendance naturelle dn gouvernement repré-
sentatif, cornme de la civilisation moderne, inclino
vers la médiocrité collective : et cette tendance est
accrne par ton tes les réductions et toutes les exclu-
sions dll droit élecloral, leur effet étant de placer
le pouvoir principal entre les mains de personnes,
de plus en plus inférieures au niveau le plus élevé
d'instruction dans la communauté. Mais, quoique
les intclligences et les caracteres supérieurs aient
nécessairemcnt le dessous comme nombre, qu 'ils


11.




lno GOUVEHNEMENT REPRÉSENTATIF.
~oient entendus on non fait une grande différenc{>.
Dans la fausse démocratie, qui au lieu de donue!'
la représentation a tous, la donne seulement a 11:1::
majorités locales, la voix de la minorité instruitc
peut n'avoir pas d'organe du tout dans le corps
l'cprésentatif. C'esl un fait reconnu, que dans la
démocratie américaine qui est construite sur el'
mauvais modele, les membres trcs-cultivés de la
communauté, excepté ceux d'cntre eux qui sont
disposés a sacrifier leurs opinions et Ieurs ma-
nieres de penser, et a devenir les organes serviles
de leurs inférieurs en savoir, ne se préscntcllt
meme pas au congres ou aux législations d'Étal,
tant il est certain qu'ils n'ont, aucune chance d'e-
tre nommés. Si, par bonheur, un ,plan, comme
celui de M. Hare, s'était présenté aux fondatenrs
éelairés et désintéressés de la républiqne améri-
caine, les assemblées fédérales el les assemblée'-
d'État auraient contellll un grand nombre de ces
hommes distingués, el, la démocratie anrait hité
le plus grand reproche qn'on pllisse lui faire, et un
de ses maux les plus formidables. Contre ce mal,
le systeme de rcprésentatioll pcrsonnelle proposé
par M. Rare est presque un spécifique. La minol'itó
d'esprits instrnits, épars dans les corps de commcl-
tants local1x, s'unirait pour nommer un nombre,
proportionné a son propre nombre, des hommcs
les plus capables que renfcrme le pays. Elle aurail




vnAIE ET FACSSE DÉ~IOCRATIE. 191
le~ l'aisons les pllls fortes ponr choisir de pareils
hommes, puisque d'aucune autre faQon sa petite
force numéeique n'arriyerail a quelque chose de
grand.


Les rcpréscntants de la majorité, outre qu'ils
seraienL cux-memes améliorés par l'efret du sys-
teme, n'allraient plus désormais tout le champ a
eux seuls. A la yérité, iIs dépasseraient les autres
en nombre, dallS la mrme proportion qu'une classe
d'électeul's dépassc l'aulre dans le pays ; ils pour-
raicnt toUjOlll'S l'l'mportcr sur les autrcs a la plu-
l'alité des yoix, mais ils parleraicnt el voteraiellt en
leut' présence, cl cn buUe a leu!'. critique. QuaDo
il s'éleverait quclque discussion, ils désireraient
répondre aux argumcnts dc la minorité instruite,
par des raisons puissantes, au moins en appa-
rence: cl comme ils ne pourraient pas, a la faQon
des gcns (I'Ü ont un auditoire unanime et prévenu,
affit'mcl' simplemellt qu'ils sont dans le vrai, iI
¡eur at'l'ivcrail a l'occasioll de se convaincre qu'ils
~ont dans le faux. Comme ils seraient en général
bien intentionn¡'~s (cal' on peut raisúnnablemenL
s'attendre ü cela de la part d'une représentation
nationaIe, choisie avec impartialité), leurs propres
esprits seraicnt élevés insensiblement par l'in-
tluence des esprits avec lesquels ils se trouve-
raient en contact et meme en lulte. Les champions
des dodrincs impopulaires n'exposeraient pas




192 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
leurs opinions, simplement dans des livres eL tlalls
des publications périodiques, lues de leur sen!
parti; les rangs adv~l'ses se rencontreraient fac('
a face, main a main, et iI y aurait une comparai-
son loyale de leur force intellecluelle rn présenct'
du pays. On découvrirait bient6L si l'opinion {lui
l'emporte par le nombre, l' emporte aussi pai' le
poids. La multitude a souvent un instinct juste,
qui lui rait distingue!' un homme capable, quand
iI a carriere pour déployer devant elle ses talenls.
Si un pareil homme n'obtient pas tout ce a (jtIOi
il a droit, c'est la raute des institutions ou des US<l-
ges qui le maintiennenl dans l'obscurité. Dans les
démocraties antiques, il n'y avait pas moyen de
maintenir un homme de talent dans 1'0bSClll'ité ; la
tribune lui était ouverte, il n'avait besoin du con-
sentement. de personne pour devenir un conseiller
publico Il n'en est pas ainsi dans le gouvernement
représentatif, et les meilleurs ami s de la démocratie
représentatire ne peurent s'empccher de craindre
que le Thémistoc1e ou le Démosthene, dont les
conseils auraient sauvé la nation, ne soit incapable,
durant toute sa vie, de jamais obtenir un siége au
parlement. l\Iais si ron peut assurer la présence
dan s l'assemblée représentative d'un certain nom-
bre, mt-iI tres-faible, des premiers esprits du pays,
on peul Ctre sur, quoique le reste consiste unique-
ment d'esprits ordinaires, que l'influence de ces




VHAIE ET FAUSSE DÉMOCHATIE. i9:3
esprits éminents se fera sentir fortement dans les
délibérations générales, quand meme ils seraient
connus pour etre, sous beaucoup de rapports, op-
posés au sentiment et a l'opinion populaire. Il m'est
impossible de concevoir une autre combinaison
qui assure aussi positivement la présence de telles
supériorités que celle de M. Hare.


eeue portion de l'assemblée serait aussi l'organe
propre d'une grande fondíon sociale, pour laquelle
on n'a pris aucune précaution dans les démocra-
ties existan tes, qui cependant, si elle demeul'e
inaccomplie dans un gouvernement, condamne á
coup sur ce gouvernement a dégénérer et a dépé-
rir. On peut l'appele1' la fonction d'antagonisme.
Dans tout gouvernement il y a un pouvoir plus fort
que tout le reste. 01', le pouvoír qui est le plus fort
tend perpéLuellement a devenir le seul pouvoir.
MoiUé avec intention, moitié sans s'en douter, il
s'cfforce toujours de faire céder tout devant lui, et
il n'cs1 pas saLisfait tant qu'il y a quelque chose
qui luí résisle sans reUche, quelque influence qui
n'est pas d'accord avec son esprit. Néanmoins, s'il
réussit a supprimer toute influence rivale, a mou-
ler toute chose d'apres lui-meme, le progres est a
son terme dans ce pays el le déclin commence. Le
progres humain est le produit de facteurs nom-
breux, el nul pouvoir constitué jusqu"ici parmi les
hornmes, nc les renferme tous. Le pouvoir le plus




19i GOUVER~EMENT IIEPRÉSENTATlF.
bienfaisant ne contient lui-memc quc quelques-
unes des conditions du bien; et si le progres doit
continuer, il faut en chercher les autres conditions
a quelqu'autre source. Aucune communauté n'a
été longlemps progressivc, que la OU il y <lvait lutLc
entre le pouyoir le plus fort dans la cornmunauté,
el quelqu'aulre ponvoir rival, entre les autori-
tés spirituelles ct les anlorités temporellcs, entre
lcs auLol'ités militaires ou territoriales et les
classes laborieuses, entre le roi el le peuple, entre
les orthodoxes et les réformateurs religieux. Quand
la Yictoire d'un coté on de l'antre a été assez com-
plete pOUI' mettre fin a la lutLe, et qu'ancunc antre
dispute ne s'est élevée a la place, il y a d'abord sta-
gnation, puis déclin.


L'ascendant de la rnajorité nurnérique est moins
injuste et a tont prendre moins nuisible que beau-
coup d'autres; mais il a exactement les memes
dangers et meme il les a plus certainement. En
effet, quand le gouvernement est aux mains d'un
senl ou d'un petil nombre, le grand nombre existe
toujours comme un pouvoir rival, qui peut ne
jamais etre assez fort pour contróler l'autre, mais
dont l'opinion et le sentiment sont un appui mo-
ral et meme social pour tous ceux qui, soit par
conviction, soit par opposition d'intércts, sont.
ennemis d'une tendance quelconque de l'autorité
gouvernante. l\1ais quand la démocralie est le pon-




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. i u:)
YUl1' supreme, iI n'y a pas un seul ou un petit nOIJt-
~l'e assez fort ponr soutenir les opinions dissiden-
Les, et les inté1'els menacés ou blessés. On trouye
lllaintenant que la grande difficulté d'un gouverne-
lllent démocratiql1e est de mettre dans une so-
ciété démocrati([lIe ce (lui s'est rencontré jUSqU'il
présenl dans toules les sociétés capables d'un pro-
gres supéricur et soutenu - un soutien social, un
point d'appui pOllr les résistances individuelles aus
Lendances du !l0uvoir gouvernant; une protection,
un point de' ralliement pon!' les opinions et les in-
térHs (l11e l'opinion publique et pl'édominante
regarde ayee dd'(lYcur. Fante de ce point d'appni,
les soeiétés antiqucs el presqlle toutes les soeiétés
modernes, a l'exception d'nn petit nombre, ou sont
Lombées en dissolution, on sont devennes station-
naires (ce qui signifie une lente détérioration) a
cause de la prédominance exclusive d'une partie
seulemenl des conditioIlS du bien-etre social et
mental.


01', le systóme de la représentation nationale est
fait pour suppléer a ce défaut, de la maniere la
plus parfaite qui soit possible, dans les'cireonstan-
ces ou se trouve la société moderne. On ne peuL
ehereher un supplément ou un eorrectif aux in s-
Uncts d'une majorité démocratique, que dans la
minorité instruite ; mais avec la maniere ordinaire
de eonstituel' la démocratie, eeUe minorité n'a pas




190 GOUVERNEMENT HEPHÉSENTATlF.
d'organes. Le systeme de M. Hare Iui en donne UlI.
Les représentanls qui seraienl nommés au parlc-
ment par l'agrégation des minorités, fourniraient
cet organe dans sa plus grande perfection. Une
orgallisation séparée des classes instruites serail.
meme si la ehose était faisable, un slljet el'envie,
et ne pourrait et1'e inofl'ensive (Jn'a eonelition de ne
pas avoir la moindre influenee. Mais si l'élite de
ces classes faisait partie dn parlement au rneme
titre que ses autres membres, en représentant le
meme nombre d'éleeleurs, la meme fracLioll 110-
mérique de la volonté nationa1e, sa présence ne
donnerait d' ombrage a personlle : tan(lis que eette
élite serait dans la position la plus avantageuse, el
pour faire entendre son opinion, et son avis sur
tous les sujets importants, et pour prendre une
part active aux afl'aires publiques. Ses talents lui
vaudraient sans doute plus (Iue sa part numériqul'
dans l'administration réelle du gOHyernemenl:
ainsi, les Athéniens ne confiaient pas de foncLions
publiques responsables a Cléon OH a Hyperbolus
(la mission de Cléon a Pylus et a Amphipolis' fut une
pure exception) tandis que Nieias, Thl~ramene,
Aleibiade, étaient eonstarnment employés soit ;\
l'intérieur, soit au dehors, quoique eonnus pour
sympathiser plus avee l'oligarehie qu'avec la dé-
mocratie. La minorité instruite compterait seulc-
ment comme nombre dans le' vote réel; mais,




VRAIE ET FAUSSE DÉMOGRATIE. t9i
comme pouvoir moral, elle compterait pour beau-
coup plus en vertu de son savoir et de l'influence
que ce savoir lui donnerait sur le reste de l'assem-
blée.


Il serait difficile a l'esprit humain d'imaginer un
arrangement plus propre a maintenir l'opinion po-
pulaire dans les limites de la raison et de la j ustice,
et a la préserver des nombreuses iufluences dégra-
dantes qui menacent le cOté faible de la démocra-
tie. Un peuple dérnocratique aurait la ce qni au-
trement lui rnanquerait a coup sur: des chcfs qui
seraientses supérieurs en esprit el en caractere. La
démocratie moderne aurait a l'occasion ses Péri-
des, et a l'ordinaire sa pléiade d'esprits snpérieurs
et dirigeants.


A coté de 'tant de raisons, ponr résoudrc üffirma-
tivement la question, yen a-t-il quelques-unes ponr
une solution négative? Il n'y en a pas de plausibles,
si toutefois le peuple peut etre amené a prendre en
sérieuse considération une chose nouvelle. A la vé-
rité, iI ya des gens qui, sous couleur de j ustice et
d'égaIité, se proposent seulement de transporter
aux pauvres l'ascendant de classe qui aujourd'hui
apparticnt aux riches : ceux-Ia sans doute ne YOU-
dront pas d'un plan qui met les deux classes a ni-
veau. Mais je ne erois pas qu'un pareil désir existe
a présent chez les classes ouvrieres de notre pays,
sans pouvoir garantir cependant que l'oeeasion, que




198 GOUVERXEMENT REPRÉSENTATIF.
les arlifices démagogiques n'y puissentjamais faire
naitre ce sentiment. Aux États-Unis, ou la majorité
numérique a été long'temps en pleine possession du
despotisme collectif, elle serait probablement aussi
peu disposée a s'en départir qu'un despote OH
qu'une aristocratie. Mais la démocratie anglaise se
contenterait, je suppose, pour le moment, d'etre
protégée contre une législation faite par d'autres,
sans réclamer le droit d'cxercer a son tour ce pri-
vilége.


Parmi les personnes qui font ostensiblement des
objections au plan de M. Hare, quelques-unes pré-
lendenl que, selon elles, ce plan est impraticable :
mais on découvrira généralement que ces person-
nes n'ont fail qu'en entendre parler, ou bien l'exa-
miner d'une faQon lres-légere et tres-rapide. D'au-
lres ne peuvenl prendre leur parti de voir se perdre
ce qu'elles appellent le caractere local de la repré-
sentation. A leurs yeux, une nation ne se compose
pas d 'hommes, m:lÍs d'unités artificielles, la créa-
tion de la géographie et des statistiques. Le parle-
lllent doit représenter des villes et des comtés, et
non des ctres humains . .JIais personne ne cherche
it détruire les villcs et les comtés. On peul supposer
que les villes et les comtés sont représentés, lors-
que les ctres humains qui les habitenl, sont repré-
sentés. Les sentiments locaux ne pellvent pas exis-
ter sans quelqu\m qui les ressente, ni les intél'cts




VlIAIE ET FAUSSE DÉMOCIUTIE. 1!HI
lo('aux san s (luelqu'nn qui y soit intéressé. Si les
dres humains qui onL ces intérOts el ces sellliments
ohtiennenl leur part voulue dans la représentation,
ces sentiments el ces intérOts se trouvenl repré-
seutés, en meme temps que Lous les autees sen ti-
mcnts et inLél'L~ts de ces personnes. Mais je ne vois
pas pourquoi les sentiments et les intérets [{ni par-
IlLH'I1t l'espeee humaine par localités, seraient
l'egardés comme les seuIs dignes d 'Otre l'eprésentés,
ni POU!'(lllOi les gens (lui ont d'autres senliments- et
d'autl'es inlérOLs donl lIs sont plus soucieux que de
l('urs sentimenLs et de leurs intérL-ts géographiques,
séraienl rédllits ü cel1x-ei comme seul principe de
le,ur c1assifiealioll politiqueo L'idé~~ qne le Yorckshire
el le JIiddlesex out des droits dislincls de ceux de
leul's habitanls, ou que Liverpool et Exeter sont les
véritables objets des soins du législateur, par op-
position a la populatioll de ces villes, est un cu-
rieux spécimen de l'illusion produite par des molso


En général, cepcndanl, les personnes qui font ces
objedions tl'allchellt la question, en affirmanl que
le peuple illlglais ll'acceptera jamais un pareil sys-
leme. Je n'elllreprendrai pas de dire ce que le pen-
pIe anglais pensera probablement de ceux qui pro-
nOllcent unjugement aussi sommaire sur son apti-
lude acomprendre et ajuger, et qui trouvent supel'flu
tl'examiner si une chose est bonne ou mauyaise,
:lyant de d{~e1arer qu'illa l'ejettel'a. Poul'ma part, je




200 GOOVERNEMENT HEPRÉSENTATIF.
ne pense pas que le peuple anglais ait mérité ti 'dl'l'
signalé sans avoir été mis a répreuve, commc ayanl
des préjugés insurmonLables eontre toute chuse
qui peut se trouver bonne, soit pour lui, soit pOUI'
d'autres. II me semble aussi que lorsquc les préju-
gés persistent obstinément, e'cst la faute par-dessns
tout de ceux qui se plaisent a les proclamer illsur-
mOlltables, pour s'excusel' ainsi de ne jamais s'cm-
ployer a les délruire. TouL préjugé sera insul'mon-
lable, si ceuxqui ne le partagent pass'y sOllmettent,
le flattent eL l'acceptent comme une loi de la naturc.
Je crois cependant que dans le cas dont il s'agit, iI
n'y aaucun préjugé, si ce n'est sur les levres de ceux
qui en parlent, et qu'en général tous ceux qui jus-
qu'a présent ont entendu parler du plan n'y sont
nullement hostiles. Seulement, ils éprouvent cettt'
défiance naturelle et salutaire qn'inspire toute
nouveauté qui n'a pas été suffisamment discut(~('
pour que le pOUl' el le contl'e de la queslion soicnl
bien évidents. Le seul tort séricux de ecUo idée,
e'est de n'étre pas encore fami1i(~rc allX csprits. A
vrai dire, c'esl un torl capital; cal' l'imagination
peut se réconcilier bcallcoup plus aisément ave\'
un grand changemenL cn substance, (IU'aVec Uli
tres-petit changement cn noms et en forme. Mais le
défaut de j'amilial'ité est un désavantage que le'
temps suffit a faire disparaitre, <1 uand il ya UlH'
valeur réelle dans une idée. Et a not¡'e époque, olI




VHAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. 201
l'on (lisclIle, oil ron prend en général un vir intéret
au progrl's, ce qui était antrefois l'ouvrage des sie-
des, ne demande souvent qne des années.


Depnis la premicre publication de cet ouvrage
un a fait sur le plan (le M. Hare plusieurs critiques
({lÜ prouvent au moins, que ce plan a été examiné
¡wec plus de soin el d'intelligence qu'il ne l'avait été
jusque-Ia. Telle est la marrhc natnrelle de tout dé-
hat sur les grandes améliorations. Elles rencontrent
(out d'aburd un préjugé aveugle, et des argumcnts
<lux(jlwls un pl'éjugé avengle peut senl attacher
'Iue1que valeur. Le préjugé venant a faiblir, les ar-
gnments (IU'il emploie pendant quelque temps
prennenl plus de valeur. En effet, le plan étant
mieux compris, ses inconvénients véritables et les
cíl'constances quí s'opposent a ce (IU'il produise sur-
le-ehamp tout le bien donL il est capable intrinsé-
qnement, appal'aissent au granel jour ainsi que ses
mérites. Mais parmi tontes les objections de quel-
que apparence <{ui sont venues a ma connaissance,
iln'y en a pas une qui n'ait été prévue, examiné e
et discutée par les partisans du plan, et qui n'ait
été démontrée fausse ou légere.


La plus sérieuse ('.n apparence de toutes les objec-
tions, a savoir : la prétendue impossibilité d'empe-
eher la fraude ou le souPQon de la fraude dans les
opérations du bureau central, est celle a laquelle on
peut répondre le plus bricvement. La publicité et




:.>02 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
1I1le complete liherté d'inspeder 'les bulll'tins I/l'
yotes, apres l'éledion, étaienlles garanties pro})( 1-
sl'es. ~Jais on affirme que ces garanties ne SCI'-
yiraient de rien, parce (Ille pomo yérifier les {'ll"'-
tions, un yotant aUl'ait a recomrnencer tout l'q\l-
Hage fait par l'rtat-major des ('ommis. Ceei sl'r'ait
une objeetion tr(>s-fo1'te, s'il y avait quelquc néces-
sité que lrs élections fussent v6rifiées par dlaqm'
votant indiyiduellcment. Tout ee (11l'On pOlll'l'ail
attendre fl'un simple volant, par manic¡'e de Yt"rili-
('ation, ce serait qu'il vérifiaL l'emploi fait de "(Jll
propre bulletin de vote; et a cet effet chaquc bnJ-
letin deHait ctre renvoyé, apres 11n laps du temps
convenable, a l'endroit d'ou il vient. Mais ce fIne 1"
votant ne pourrait pas faire, les eandidats ma1hCll-
l'CUX et leurs agents le feraient pOUI' lui. Pal'mi les
yaincus, eeux qui eroiraient fJu'ils anraient du {>t¡T
{·Jlls emploieraient, ehacnn de lem' I'oté ou l!)lI'-
ensemble, un intermrdiaire pOlll' vérifiLw la IlltU'(:ht'
loul entiere de l'éledion: eL s'ils dó(~oll\Tai('Ill nIlt'
('ITeur, les doeuments seraienl renyoy('s ü un c(/-
//lité de la chamúre des COllWlImes, (lui examinerait el
vérifierait toute s les opérations éledorales dp la
natíon, dix fois plus pl'omptement et plus écono-
miquement que ne se fait dans le systcme actuel,
l'examen d'une senIe éledioll par le c(múl" ({(i/N'-
lion.


Snpposé le plan cxéeutablc, on prétend qu'il y a




VHAIE ET FAUSSE DÉl\IOCRATIE. 20:3
deux cas ou ses avantages penvent etre détruits
eL remplacé s par des conséqucnces nuisibles.
On dit d'abOl'd qu'un pouvoir excessif serait ac-
cordé soit a des groupes OH ligues, a des unions
seetaires, a des associations pour des objets spé-
ciaux (tels que la ligue de la llli du Jléne, la société
da sCl'utin OH de ta(franchissement, etc.), soit a des
corps unis par des intérCts de classcs ou par la
comm'\lnauté de croyance rdigieuse. On objecte en
second lieu que ce systcme pourrait eLre employé
a favoriser des vues de parti. Un organe central de
chacun des partis politiques ferait distribuer dans
lout le pays sa liste de six cent cinquante-huit can-
didats, afin que tous les membres du parti, disper-
sés dans les, divers colléges électoraux, votassent
pour ceUe liste. Leur vote l'emporterait de beau-
coup sur ceux que pourrait obtenir tout candidat
indépendant. Le systeme de ces listes a ce que ron
affirme, agirait uniquement, comme cela arrive en
Amél'ique, au profit des grands partis organisés;
leurs listes seraient acceptées aveuglément, nul vo-
tant n'y changerait den, et ces partis ne pourraient
jamais étre battus aux élections, si ce n'est acci-
dentellement par les groupes de sectaires, ou par
les associations d'hommes unis par un penchant
commun, dont on a déja parlé.


La réponse a cette objection me parait con-
cluante. Personne ne prétend qu'avec le plan de




tO'~ GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
M. Hare, on avee tont mItre plan, l'ol'ganisatio)t
cesserait d'etre un avantage. Les éléments dispersés
ont toujours le désavantage, comparés a des corps
organisés. Commo le plan de M. Hare ne peut pas
changer la nature des choses, il faut s'altendre a ce
que les partis OH scctions grandes ou petites qui
possédent rorganisaiion, s'en servent autant que
possible pour accroltre leu!' influence. Mais ayec lP
sysleme actuel, ces influences sont tout. Les élé-
ments dispersés ne sont absolument rien. Les vo-
tallts qui n'appartiennent a aucune division poli-
tique, grande ou petite, n'ont aucun moyen de tirer
parti de leurs Yotes. Le plan de M. Hare leur en
donne un moyen. Ils pourraient pratiquer ce moyen,
d'une faQon plus ou moins habile. lls pourraient
obtenir leur part d'influence ou beaucoup moins
que leur part ; mais tout ce qu'ils obtiendraient sc-
rait autant de bénéfiee neL Et quand on affirme
que chaque intereL mesquin ou chaque association
pour un objet insignifiant, se donnerait une orga-
nisation, pOllrquoi sllpposerions-nous que le grand
illtéret de l'intelligence et de l'honneur nationat
serait seul a ne pas en avoir? S'il y avait une liste
pl'opagée par une société de tempérance, une liste
de l'école des pauvres, etc., est-ce qu'il ne suffirait
pas dans un collége électoral, d'une personne douée
rl'tme certaine puissance d'opinion pour émettre
une liste du Tllél'ite pel'sonnel, et la répandre dans




VRAJE ET FAUSSE D~MOCRATIE.205
touL le voisinage. Est-ce (jll'un petit nombre de
semblables personnes, se réunissant a Londres, neo
potuTai.l pas choisil' sur la liste des candidats les
noms les plus disLingués, sans avoir égard aux di-
visions techniques d'opinions, et publier ces noms!
moyennant une dépense tr('s-insignifiante, dans
tous les coHéges électOl'allx? n faul se souvenil'
qu'av0c le mode acluel d'élection, l'influence des
grands partis esL illimit6c ; ayec le plan de M. Rare,
elle serait grande, mais bornée par certaines limites.
Les deux grands partis~ comme tous les plus petits
groupes, ne pourraient élil'e qu'un nombre de mem-
bres prop0l'tionné au nombre relatif de leurs'parti-
sanso Le systcme de liste agit en Amérique dans
des eonditions tonks eontraires i't eelles-ei. En
Amérique~ les' électl'Ul's yotenL ponr la liste du
parti, parce que l'éleetion dépend d'une simple ma-
jOl'ité eL qu'nn vote panr qnelqu'un qui est assuré
de ne pas obtenir la majol'ité, est un vote perdu.
~Iais avec le systcme de M. Rare, un vote donné
ponr une pel'sonne d'nn mérite eonnu, a autant de
('hanee d'alTiyer a son but qu'un vote donné a un
randidat de parti. On pourrait done espérer que
tout libéral ou eonservateur, qui serait quelque
chose de plus que simplement un libéral ou un
eonservateUl' et qui aurait quelques préférences a
lui, outre celles de son parti, effacerait les noms
les plus obscurs et les plus insignifiants parmi les


12




:2Qt5 GOUVER~EMENT HEPHESENTATIF.


('amlidals dn parti, afin d'inscl'ire a la place él'tI\':
de quelqnes-uns des hommes qui sunl une glull'l'
¡lour la nation. Et la prohabilité de ce fail serait lLll
pnissant motif pOU!' cenx qui dresseraion t les listo:-;
de parti, de ne pas se borner il p1'cndre des hornmes
déyonés au parti, mais d'inserire égalcrnent sm'
lenrs liste~ respectivos, (:e1les d'enlre les notabilités
llationales qui seraient plus syrnpalhiques a 10m
parti qu'au parti adverse.


La difficulté réeIle, cal' on ne peu L se dissimuJer
(JlI'ilya uno difficnlté, c'est qlle le:-; éleeLeul's indé-
pelldants, cenx qui sonl désÍt'ellx de voter pour de:-;
personnes de mérite sallS patronnage, seraienl por-
tés a inscrire le llom d'un petit nombre de ces per-
sonnes, et a remplir le reste de la liste avcc les
noms de simples candidats de partí, créant ainsi
eux-memes des adversaíres plus nombl'cux a leur::;
candiclats préfé1'és. A cola, il y auraiL au besoin UIl
remede bien simple, a savoi1': do limite1' le nombre
des votes seeondait'es ou évenlllels. 11 n'osl pas J;¡'O-
bable qu'un \'otant ait une pl'éfél'once indépen-
dante, fondée sur une connaissance intime, pour üi5H
ou memo pOU!' 100 candidats. II n'y aUl'ait gllCI'l'
d'objection a ce qu'on limiUH a 20, il JO, ou a un
chiffl'e quelconque, le nombre de cellX qu'il ponr-
rait ehoisir, pourvu qu'il y ait quclque chance qu'il
fasse ce choix par lui-meme, qn'il vote eomme uu
indiyidll et pas ('omme un simple soldat du pal'ti.




VRAIE ET FAUSSE DÉMOCRATIE. 207
~Jaís mem(', sallS eelle reslrictioll, le mal se guéri-
raíL pl'obablement de lui-meme, des que le systeme
('11 viendrail h ('Lre bien compris. Détruire ce mal
devicndrait l'nhjet principal de toutes les associa-
lions ou coterics, dOllt l'illfluenee est si dépréciée.
Dans chaeUlW tI'elles, une petile millorité donnerait
ce mol d'ol'd!'(~: « Volez seulement ponr vos call-
didats spéf'iam:: 011 dll moins inscrivcz leurs noros
en premi(~I'U lignc, afill (le leur donner toutes les
chances que leuI' aSSlll'e \otre force numérique,
d'ohLenir la quolité au moyen des pre-miers voles,
oudu moins sans desecndre trop bas sur l'échelle. j)
I':t les votallts ({ni n'apparticndraiellt a a,ucune co-
torie profiteraienl de la Ie(~on.


Les plus petits groupes allraient pl'écisément la
somme de pouyoil' qu'ils denaient posséder. L"in-
fluence qu'ils pOUl'l'aiellt exerccr serait exacternent
eelle a laquclle len!' llombl'e de votants leur donne-
raít dl'oit eL ríen de plus, tandis que pour obteúÍl'
me me cela, ils alll'aient un motif d'inscrire comme
l'epl'ésenlants de leul's vnes spéciales des candidats
assez rccommandablcs d'ailleurs pour gagner les
suffrages de votants étrangers a la secte ou colerie.
II est curicux d'observel' combien le genre d'argu-
ment empIoyé pour défcndre les systemes actuels
varie suivant la natUl'e de l'atlaque. II y a quclques
années, l'argumellt favori h l'appui du systcme de
l'cprésentatioll qui cxistait aIoi's, e'cst qu'avcc ce




208 GOUVER~EJIENT REPRÉSENTATIF.
systcme tous les intéJ'ets OH classes étaienL rcpré-
sentés. Et certainement tous les intércts OH classes
de quelque importance devraient Nre représentés,
e'est-a-dire deuaient avoir des orateurs ou des dé-
1'enseurs au parlement. Mais on partait de la pour
affirmer qu'on devrait appuyer un sysleme qui
donnerait aux intérets partiels, non-seulement des
défenseurs, mais le tribunallui··mcme. Aujourd'hui,
Yoyez quel changement! Le systcme de M. lIare
l'end impossible aux intérets pal'tiels (l'avoir le tri-
bunal a leur disposition, mais illeHl' assurc des dé-
fenseurs, et on lui reproche de faire meme cela!
Paree qu'i! réunit les mérites de la représentation
de classe et ceux de la représentation numérique,
il est attaqué des deux cOtés a la fois.


Mais en réalité, ce ne sont poinl de pareilles ob-
jections qui font obstacle a l"adoption dn syst(~me,
c'est l'idée exagérée oú ron est, des diffknltés qu'il
trouverait a passer dans la pratiqne. La senIo ma-
niere de répondre complétemellt a ecUc ohjection
serait de mettee le systrme ;'1 l'épl'etrre. Quand les
mérites du plan sel'ont mieux conllUS, quand il sera
plus en faveu!' auprós de tont pensenr impartial, on
devra s'efforcer d'obtenir qu'il soit mis a l'épreuve
par un objet limité, par exemple ponr l'élection
municipale de qnelque grande ville. On en a perdu
une bonne occasion, quand OIl a décidé de divise!'
la partie onest clll Yorckshire ponr lui donner qua-




VRAIE ET FA USSE DÉ:\IOCRATIE. 209
lre mcmbres ; an lien d'essayer du nouveau prm-
cipe en laissant le eollégc électoral intact, et en
permettant h un eamlidat d'ctre nommé s'il obte-
nait par les premiers yotes ou par des yotes seCOIl-
daires, le quart de la somme totale des votes don-
nés. De pareilles expérienees ne clonneraient qu'tmc
idée trcs-imparfaite du mérite du plan; mais elles
mOlltreraient comment il fonctionne, elles prom¡e-
¡'aicnt an pnblic que re plan n'est pas impraticable,
en populariseraient le mécanisme, et fourniraient
certains moyens de juger si les difficllltés qu'on
croit si formidables, sonL réclles OH seulement ima-
iJ;inaires. Le jour oú leparlcment sanctionnera une
de ces épreuves partiellcs, ce jour-Ia inaugurera,
je crois, une (>re nOtlvelle de réforme parlemen-
taire destinée h donner an gouycrnement représen-
tatif nne forme digne de sa période mure et trio m-
phante, lorsqll'il aura acheY(~ la période militante
'lui est la senle oú le monde raíl vu jnsqu'a présent.




CHAPITHE VIII
DE L'EXTElSSION DU SUFFRAGt:.


Une démocratie représentatiyecornmc cellequ'on
yient d'csquisscr - oil tous seraicnt représcntés, eí
non pas seulemcnt la majorité - oú les intéreb.
les opinions, les degrés d'intelligcnce qui sont en
minorité seraicnt néallll10illS entendus, avec chance
d'obtenir par le poids de leuI' réputation et par la
puissance de leurs arguments, une influence supé-
rieure a leur forcc numériqne, - cette démocI'atie
ou se rencontrerait l'égalité, l'impartialité, le gOll-
vernement de tons par tous, ce qui est le seul typl'
véritable de la démocratie, serait exempte des plw-
grands maux inhérenls ü ce qu'on appellc mal ú
propos aujourd'hui la démocratie, et qui sert de
base a l'idée courante de démocratie. Mais (lall~
eette démocratie meme, la majorité posséderait, si
elle voulait rexcrcer, le pOllyoir absolu : 01', ecUe
majorité scrait composée exclllsivement d'une sculp
classe ayant les me mes penchants, les memes pl'é-
ventions, la ml\me mallil're de penser, et tout ceb




l/E L'EXTENSIOl\ DU SUFFRAGI<:. 211


sans eLre hautemcntcultivée, pour ne pas dire plus.
Par consrquent, la constitution serait encore sujette
aux mallX caractéristüIues du gouvernement de
classe, a un degré moindre assurérnent que ce gou-
rernement exclusif d'une seulc classe, qui usurpe
maintenant le nom de démocratie, mais sans autre
frein réel que le bon sens, la modération et la to-
léranee de la elasse ellc-meme.


Si de pareils fl'eins sont suffisants, la philosophie
du gouvernement constitutionneln'est qu'une plai-
santcl'ie solennclle. Une constitution n'inspire con-
liance qu'a ron<lition de garantir, non point que
1(':-; dépositaires du pouvoü' n'en feront pas mauvais
usage, mais qu'ils ne peuvent pas en faire mauvais
nsage. La démorratie n'cst pas l'idéal de la meil-
leure forme da gouvernernent, si ce cOté faible chez
elle ne peul elre forlifié, si elle ne peut etre organi-
sée de faqon a ce qu'aucune classe, pas meme la
plus nombreuse, ne soit capable de réduire a l'in-
~ignifiance politique tout ce qui n'est pas elle, et de
diriger la marche de la législation et de l'adminis-
tration d' apres son intéret exclusif de classe. Trou-
ver les moyens d'empecher cet abus, sans sacrifier
les avantages caractéristiques du gouvernement po-
pulaire, voila le probleme.


Ce n'est pas le résoudre que de limiter le suffrage,
ce qui implique qu'une portion des citoyens sera
dépouilléc de sa part dans la représentation. Un des




:212 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
principaux bienfaits d'un gouvcrnement libre, c'esl
-eelte éducation de l'intelligcnce et des sentimenb
qui descend jusqu'aux derniers rangs du peuplc,
lorsqu'il est appelé a prendre sa part dans des actes
qui touchent directement aux grands intérets du
pays .. rai déja insisté si fortement sur ce point que
si j'y reviells, e'est uniquement paree qu'il y a peu
de personnes quí semblent attacher a cet efl'et des
institutions populaires, toute l'imporlance que la
chose mérite. On croit qu'il est chimérique d'atten-
dre au tant d'une cause qui sem!Jle si légcre, et de
regarde1' comme un puissant instrument de p1'ogr¿>~
mental, l'exercice des droits politiques par les t1'a-
vailleurs manuels. Cependant, a moins qu'une vé-
ritable culture mentale chez la masse de l'humanité
ne soit une pure chimcre, voilll par ou eeUe culture
viendra. Si quelqu'un en doute, je prends II témoin
tout le grand ouvrage de M. de Tocqueville, et en
particulier son jugement sur les Amél'icains. Pres-
que tous les voyageurs sont frappés de ce fait, que,
dans un certain sens, tout Américain est a la fois
un patriote et un hommo d'une intelligence culti-
vée; et .l\!. de Tocqueville a démontré combien ces
(lualités sont étroitement liées a leurs institutions
démocratiques. Une diffusion aussi grande des
gouts, des idées et des sentiments qui appartiennent
aux esprits cullivés, ne s'est jamais vue et memo
n'a jamais passé pour possible aillcurs. Pourtant,




DE L'EXTENSIO~ DU SUFFRAGE. 213
~'eci n'est rien en comparaison de ce que nous
pourrions obtenir avec un gouvernement aussi dé-
mocratique par la largeur de ses bases, mais mieux
organisé sous d'autres rapports également impor-
tants. Car la vie politique en Amérique est certes
une école bien précieuse; mais c'est une école oil
les professeurs les plus habiles sont cxclus de la re-
présentation nationale et des fonctions publiques
en généraI, tout comme s'ils étaient sous le coup
d'une incapacité lrgale. En outre, le peuple étant
en Amérique l'unique source du pouyoir, c'est vers
lui que se tourne toute ambition égolste, de me me
que dans les pays despotiqnes elle se tourne vers le
monarque. Le peuple, comme le despote, est acca-
blé d'adulation et de flatterie; et les effets corrup-
teurs du pouvoir marchent exactement du meme
pas que ses influcnces bienfaisantes et ennoblissan-
tes. Si, meme avec cet alliage, les institutions dé-
mocratiques produisent une supériorité aussi mar-
quée de développement intellectuel chez la derniere
classe américaine, comparée a la meme classe en
Angleterre et ailleurs, que serait-ce si on pouvait
garder la portion bienfaisante de eette influenee,
sans en subir la mauvaise ? Et cecí jusqu'a un eer-
lain point peut etre réalisé ; mais ce n'est pas en re-
fusant a eette portion du peuple, naturellement la
plus apathique, tous les développements de pré-
Yoyance et de pénétration qu' elle acquerra, si elle




11,j. GOUVERl\EMENT REPRÉSENTATIf.
en vient á considérer et a manier les affaires pu-
bliques.


e'est par la discussioIl politique que le ll'avail-
leur manuel, dont l'oeeupation est une l'outine.
dont la ~maniere de yivre ne le met en eontact ayer
nulle variété d'impressions, de eirconstanees ou d'i-
dées, parvient á comprendre l'influenee de causes
éloignées et d'événements accomplis bien loill ·di'
la, influence médiate et sensible sur ses intér0h
personnels et actuels : et e'est par la discussion p"-.
litique et par l'action poli tique eollective, qU'llll
homme dont les intérets sont bornés par ses occu-
pations journalieres a un cercle étroil, apprend ;t
sympathiser avec ses concitoyens, et devient sciem-
ment un membre d'une grande eommunauté. Mai~
quand une elasse II 'a pas de votes et ne eherche pa~
a en acquérir. les discussions politiques lui passeut
au-dessus de la tete. Sa situation, par rapport au:\:
électeurs, est celle de l'auditoire dans une cou!' de
justice, comparé aux douze personnes qui sont sur lt~
bane du jnry. On ne lui demande ras son suffrage,
re n'est pas son opinion (IlÚm cherche ü influen-
cer; on fait des appeIs, on adresse des argllmenh
a d'autres ({U'a elle, rien ne dépend de la décisioll
Ü laquelle elle peut en venir, et il n'y a aucune né-
cessité et tres-pell de raison ponr elle d'en venir ~l
une décision quelconque. Dans un gouvernement
d'ailleurs popnlaire. quiconque n'a pas de vote et




DE L'EXTENSION DU SlJFFRAGE. 21;,


>l'a pas la perspective d' en obtenir, ou sera toujours
mécontent, ou aura les sentiments d'un homme
Ijue les atfaires générales de la société ne regardent
pas, d\m homme pour lequel ces affaires doivenL
dre dirigées par d'autres, qui n'a ríen a voir aux
]ois, :ü ce ll'est d'y obéir, et qui est dans la position
d\m simple spectateur, quant aux intérets et aux
alfaires publiques. Dans ccUe position, il en saura
it peu prcs autant sur les affaires génerales, et il
...;'cn inquiétera a peu pros autant qne le fait une
l'emme de la classc moyenne, comparée a son mari
'IU ¡) ses 1'reres.


Indépendamment de toutes ces \~nnsidérations,
,~'cst une injmitice personnelle de refuser a quel-
'Iu'un, a moins que ce ne soit ponr empecher de
plus grands m'aux, le privilége élémentaire d'ap-
porter sa voix (et une voix qui doit etre comptée
pour quelque chose) dans la décision d'affaires on
il est aussi intéressé que les antres. Si on l'oblige a
payel', s 'iI pout otre obligé a se baUre, si on exige
(IU'il obéisse implicitement, il devrait avoir le droit
de savoir pourquoi, de donner on de refuser son
\~onsentement, de voir compter son opinion pour ce
qu'elle vaut, mais pas davantage. Dans une nation
adulte et civilisée, il ne devrait pas y avoir de pa-
rias, pas d'hommes frappés d'incapacité, si ce n'es!
par leul' propre faute. Tout homme est dégradé,
ilu'ille sache ou non, lorsque d'autres, sans le con-




2J6 GOUVERNEMEl"T REPRÉSENTATIF.
sulter, s'cmparent d'un pouvoir illimité sur sa pro-
pre destinée. Etmeme, en supposant un état bien
supérieur il celui OU l'esprit humain esi parvenu
jusqu'il présent, il n'est pas dans la nature, qUl'
ceux donl on disposc ainsi soient traités ayec au-
tant de justice que ceux qui ont une voix. Les gou-
vernants et le~ elasses gouvernantes sont dans la
nécessité d'avoir égard aux intércts et aux dé,irs de
ceux qui possedent le suffrage; mais envers cellX
qui en sont exelus, rien n'oblige les gouvernants h
ceUe fa<;on, et si honnetement disposés qu'ils soient,
ils sOlll en général trop occupés de choses qu'illeur
faut prendre en considération, pour avoir le loisir
de songer a ce qll'ils peuvent négliger impunément.
e' est pourquoi nulle combinaison de suffrage ne
peut 6tre satisf:aisante d'llne maniere durable, si
par eeUe combinaison une classe ou une personne
se trouve exclue absolument, ou si le privilége
éleetoral n'est pas aceessible a toutes les personnes
adultes qui désirent l'obtenir.


Il y a cependant certaines exclusions motivées
par des raisons positives qui ne sont pas en con-
tradietion avec ce príncipe; el quoíque ces exclu-
sions soient un mal en elles-memes, elles ne peu-
vent cesser qu'avec l'état de choses dont elles sont
la conséquence. Je regarde comme iotalement
inadmissible qu'une personne participe au suffrage
sans savoir lire, écrire, et j'ajouterai sanso savoir les.




DE L'EXTE:\'SION DU SU FFRAGE. 211


premiercs regles de l'arithmétique. La justice de-
mande, meme quand le sllffrago n'en dépend pas,
que les moyens d'acquérir ce savoir élémentaire
pnissent etro a la portée de tous, soit gratuitement,
~oit a un prix qui n'excede pas ce que peuvent
uonner les plus pauYres, eeux-la meme qui gagnent
leur pain. S'iI en était réellcment ainsi, on ne son-
gerait pas plus it donner le suffrage a un homme
flui ne saurait pas Jire, (lU'a un enfant qui ne sau-
mil pas parle!', el ce ne serait point la société quí


_ rcxclucrait, fnaís sa propre paresse. Quand la société
n'a pas accompli SOIl devoir en rcndant ce degré
d'instruction acccssiblc it tous, iI y a bien injustice,
mais e'est une injusticc dont iI faut prendre son
parti. Si la société a négIigé de remplir deux obli-
g;ltions solcnnelles, la plus importante et la plus
fondamentale des deux doit etre remplie la pre-
micre; l'enseignement universel doit précéder le
.;uffrage universe!. Il n'y a qu'un homme chez le-
que! une théorie irréfléchie a fait tairC' le sens
eommun, (pli puissc soutenir qu'on devrait ac-
cordel' le pouvoir sur autrui, le pouvoir sur toute
la communauté, a des gens qui n'ont pas acquis les
conditions les plus ordinaires et les plus essen-
tieUes pour prendre soin d'eux-memes, pour diriger
avec intelligence leurs propres intérets et ceux des
personnes qui les touchent de preso


Sans aucun doute, on pourrait pousser plus loin
13




2(8 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
cel argument, et il pourrait servir a prouver beau-
coup plus. Il serait éminemment désirable que


, d' autres choses, outre la lecture, l' écrilure el le
calcul, fussent les conditions du suffrage, il serait
désirable qu'on put exiger des électeurs une cer-
taine connaissance de la conformation de la terre
et de ses divisions naturelles et politiques¡ une
cerlaine connaissance des éléments de l'histoire
générale, et de l'histoire el des inslitutions de leur
pays. l\Iais ce degré de savoir n'est pas accessible
á tout le monde dans notre pays, el probablement
iI ne l'est pas davantage dans les Étals Unis du
Nord. Il n'existe pas non plus un mécanisme digne
de confiaucc, ponl' s'assurol' si l'on y est parvenu
un non. PO\1r lo moment, la tontativo produirait
de la parlialité, de la chicane el toute espeec
de fraude. Il vaut mieux accordor le suffrage san~
distinction, ou memo le refuser sans distinction,
que de laisser un fontionnaire publie libre de 1'ae-.
cordel' aux uns et de le refuser al1X autres. Cepen-
dant, par l'apport á la lecture, il l'écrlLure et au
ca!cuL iI n'y a pas de difiiculté. Il serait facüe
d' exiger de quiconquo se présenterait a l'inscrip-
tion électorale, qu'en présence du teneur des re-
gistres, il copiat une phrase dans un livre anglais
el fit une regle de trois; iI serait aisé aussi d'as-
surer par dos regles fixos et par une pubIicité com-
pH~te, l'appIication honnete d'une épreuve aus~i




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 21!)
simple. C'est pourquoi cette condition devrait dans
tous les cas accompagner le suffrage universel, et
illl bout de quelques aUllécs ceux-Ia seulement
seraient exclus qui se soucieraient si peu du pri-
rilége, que leur vote, s'ils le donnaient, ne serait
pas l'indication d'une opinion poli tique réelle.


II est importan t allssi que l' assemblée qlli vote
les impOts généraux ou locaux, soit élue exclusi-
yement par ceux qui payent une portion de ces
impots. Cellx qui ne payent pas d'impOts, dispo-


< sanl par ICllrs votes de l'argent d'aulrui, ont toutcs
les raisons imaginables pour otre prodigues, el au-
cune pour elre éeonomes. Tant qu'il s'agit d'af-
I'aires d'argellt, tout pouvoir de voter posséJé par
cm: est une violation du principe fondamental d'un
gouvemement libre; une combinaison défectueuse
011 il ya pouvoir de controle et nul intéret a le bien
exercer. (}'est la meme ehose que de permettre
allx gens de fouiller dans la poehe de leurs voisins,
pour lout objet qu'il leul' plaira d'appeler un objet
publie. Chaeun sait que e' est la ee qui, dans les
grandes villes des Ihats-Unis, a fait monter a un
chiffre tellement exol'bitant les impOts, locaux, dom
le poids retombe tout entiel' sur les elasses les plus
riches. Que la représentation soit aussi étendue que
l'impOt, tout autant, mais pas plus, voila qui est
d'accord avec la théorie des institulions britanni-
queso




220 GOUVERNEMENT REPH.ESENTATlF.


Mais pour concilier ceci, comme eondition all-
nexée, avec l'universalité du suffrage, il est essell-
tiel tout comme il est désirable sous beaucouIJ
d'autres rapports, que l'imput, sous une forme yi-
sible, descende jusqu'aux classes les plus pau\Tes.
Dans notre pays, comme dans la plupart des autres,
il n'y a probablement pas de ramille de travailleurs
qui ne contribue aux impóls indireets, par l'aehal
de thé, de café, de suere, pOllr ne pas parler de:-.
narcoliques ou des slimulanls. Mais ceLto maniert'
de défrayer une partie des dépenses publiques, esl
a peine sentie; le contribuable, s'il n'est pas une
personne instruite et réfléehie, u'identifie pas son
intéret avee la modicité des dépenses publiques,
d'une manicl'e aussiintime (Iue quaildl'argenl pOll!'
y faire face lui est demandé direelemenl : et mc\me
en supposant qu'ille fU, il aurail soin san s doute,
si excessive que fUt la dépense (IU'il pOUl'rait im-
poser par son YO te au gouvernement, il auraiL soill.~
dis-je, que ceUe dépense ne flit point défl'ayée par
des impóts additionllels sur les arLides qu'il <:011-
somme. Il vaudrait mieux qu'un imp6l direct, sons
la forme d'une capitation, fUt levé sur loule per-
sonne adulte dans la communauté, ou que toute
personne adulte devint éleeteur en se laissant im-
poser quelque ehose de plus qu' elle ne doit, en raít
de taxes mobilicres (assessed laxes), ou bien enfin
qu'une petite somme annuelle, dont le chiffre Ya-




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 221


l'icrait suivant le toLal des dépenses du pays, put
etre cxigé de tout éloctour enregistré, de faQon a
ce que chacun puisse sentir que l'argent qu'il vote,
est en partio le sien, et qu'il est intéressé a en voter
le moins possible. Quoi qu'il en soit a cel égard, il
me semble que l'assistance de la paroisse devrail
ótre une exclusion pour qui la reQoit. Celui qui ne
peut pas se soutenir par son travail, n'a pas le droit.
oc se servir de l'argont d'aulrui. Des qu'il en vient
a ce point, de dépendre pour sa subsislance des
autres membres do la communauté, il abdique son
dt'oit a etre traité sur le meme pied. Ceux auxquels
il rloil la conlinuation de son existence meme, peu-
yent réclamer il juste titre la direction exclusive de
ces affaires générales pour lesquelles il n'apporte
rien, ou du moins pas autant qu'il emporte. Pour
posséder le droit électoral, il faudrait que le pos-
tulant n'eut pas été a la charge de la paroisse pen-
dant un certain nombt'e d'années (disons pendant
rinq ans), ayant le jour de l'inscription électorale.


Etre dans un cas de banqueroute plus ou moins
caractél'isé, 011 s'etre prévaln de la loi sur ceux qui
ne payent pas (Insolvent Acl) excluerait du suffrage,
jusqu'il ce que la personne ait payé ses dettes, ou du
moins ait prouvé que depuis assez longtemps elle ne
vit pas des aumones publiques. Le non-payement
de l'impOt, quand on y aurait persisté trop long-
temps pour que ce ne fUt pas une inadvertance, se-




222 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
rait, tant que la ehose durerait, une cause d'incapa-
cité. Ce systeme d'exclusion n'est pas permancnt de
sa nature, il exige des eonditions que tous sont ('a-
pables ou devraient etre eapables de remplir, s'ils ]l'
youlaient. Illaisse le suffrage aeeessi')le a tous ccux
qui sont dans la condition normale d'un Ctre hll-
main: et si quelqu'undoit s'cn passer, e'est qu'illH'
s'ensoueie pas assezpourfaire, aeausedusuffrage,
ce qu'il est déj a obligé de faire, ou bien e' est qu'il
est .dans une eondition générale de dépression ct Of'
dégradation. Quand un homme en est la, le droiU)o-
litique est peu de ehose pour lui, un avantage cIu'iJ
ne sent pas: au sortir de la, l'exclusion politique
disparait ave e le reste, ayee les autres infériorités.


On pourrait done s'attendre a ce' qu'á la longtH'
(en supposant qu'il n'y ait pas d'autres restrictions
que celles dont nous venons de parler) tous fussenl
en possession du droit éleetoral, tous ii l' exceptioll
de ceux (dont le nombre, il faut l'espérer, diminllcra
petit a petit) qui sont a la charge de la paroisse. DI'
eette faQcm, le suffrage serail universeI, ii eeUe }(,-
gere exception preso Comme nous l'avons vu, il esl
absolument nécessaire, dans la conception étendue
et élevée d'un bon gouvernement, que le suffrag:p
soit répandu aussi largement. Néanmoins, sous cel
état de ehoses, la grande majorité des votants dans
la plupart des pays et tres-certainement dans cellli-
ci, se composerait de travailleurs manuels, et le




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 223


double danger, celui d'un niveau trop bas d'intel-
ligence politique, et celui d'unelégislation de classe,
continuerait d'exister a un degré considérablc. Il
HOUS reste a voir s'il y a quelque moyen d'obvier a
ees maux.


On peut y obvier, si les hommes le désirent since-
rement, non par une combinaison artificielle, mais
.en suivant la marche naturelle des choses humai-
nes, qui se recommande a chacun, partout ou quel-
que intéret, quelque opinion traditionnelle ne va
pas a r encontre. Dans toutes les affaires humaines,
toute personne qui est directement intéressée, el
qui n' est pas sous une tuteUe positive, a le droil
d'avoir ulle voix ; ceei est admis ; et on ne peut sans
injustice lui refuser l' exercice de ce droit, quand il
n'est pas incompatible l:vec la su reté de l'ensemble .
. Mais si chacun doit avoir une voix, chacun doit-;il
avoir une voix égale? Voila une proposition totale-
ment différente. Quand deux personnes qui ont un
intéret eommun dans une affaire, sont d'opinion:-,


,. différentes, la justice exige-t-elle que les deux opi-
nions soient regardées comme ayant exactemen 1 la
meme valeur? Si, a vertu égale, l'une de ces person-
nes est supérieure a l'autre en savoir et en intelli-
gence - ou si a intelligence égale, l'une est supé-
rieure a l'autre en vertu - l'opinion de l'etre supé-
rienr sons le rapport moral et intelIectuel, a plus de
v~tleur que celIe de l'etre inférieur: et si les institn-




2M GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.


tions du pays affirment virtuellement que ces dcux
opinions ont la meme valeur, elles affirmcnt une
chose qui n' est paso L'un de ces deux Otres, comme
le plus sage, ou comme le meilleur, a droit a une
influence supérieure. La difficulté est de s'assurer
lequel des deux a ce droit: un discernement im-
possible quant aux individus, mais qui peut s'exer-
cer sur les masses avec une exactitude a peu prrs
suffisante. 11 n'y aurait pas de prétexte pour appli-
quer cette doctrine a tout ce qui peut etre regardó
ayec raison comme un cas de droit individuel et
privé. Dans une affaire qui ne regarde qu'une per-
sonne sur deux, cette persónne a le droit de suiuc
sa propre opinion, quelque préférable que puisse
etre ceUe de l' autre. Mais llons parlons de choses
qui regardcnt deux personnes également; nous par-
lons d'un cas OTI, si l'homme le plus ignorant ne
cede sa part dans l'affaire.a la direction de l'homme
le plus sage, I'homme le plus sage devra céder á
l'homme le plus ignorant. Lequel des deux expé-
dients est le plus avantageux pou!' Jes deux per-
sonnes intéressées, et le plus conforme a la con ve-
nance générale des choses? Si on estime injuste
qu'un des deux ait a eéder, queHe est la plus grande
injustiee? que le meilleur jugement cede au pire, ou
le pire au meilleur?


Eh bien! les affaires nationales ressemblent exac-
tement a cette affaire commune, ayee eette difI'é-




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 225


rence que personne n'est jamais appelé a faire le
sacrifice complet de sa propre opinion. eette opi-
nion peut toujours entrer en ligne de compte, et
occuper sa place, un rang plus élevé étant assigné
aux suffrages de ceux dont l'opinion mérite plus de
considération. Dans re systeme¡ il n'y a rien de
nécessairement.irritant pour ceux auxquels est assi-
gné un moindre degré d'influence.


N' avoir pas de voix dans les affaires générales est
une chose :. voir accorder aux autres une voix plus
puissante, a cause d'ulle capacité plus grande pour
la diredion de;; intérets communs, est une autre
chose. Les deux choses ne sont pas simplement dif-
férentes, elles sont ineommensurables. Chacun a le
droit de se sentir insulté de n'etre compté pour
rien, et d'etre re¡.?al'dé comme n'ayant nulle valeur.
Personne, si ce n'est un sot, et un sot d'une espcce
particuli(lre, ne peut se sentir offensé, paree qU'OIl
reconnalt qu'il y en a d'autres dont l'opinion et
meme dOllt le désir sont autrement a eonsidérer
que son opinion et son dé sir. N'avoir pas de voix
sur ce qui est en partie votre affaire, est une ehose
dont pcrsonne ne s'aceornmodera volontiers ; mais
quand ce qui est en parlie l'affaire d'un hornme est
aussi en partie l'affaire d'un autre; quand cet
homme sent que cet autre entend l'affaire mienx
que lui, voir compter l'opinion de l'autre pour plus
que la sienne, ne le snrprend pas et lui parait d'ac-


13.




:226 GOUVEnNE~lE~T REPRÉSENTATIF.
cord avec la marche ordinaire des choses sur lOlll
autre sujet.. Il est nécessaire seulement que ecUe ill-
fluence supérieure soit conférée d'apr(~s des motir~
qu'i1 puisse comprendre, et dont il soit eapabIe d'a-
percevoir la justice.


Je me hate de dire que je l'egarde comme totah~­
ment inadmissible, meme a titre de pis aller tem-
poraire, que la supériorité d'intluence soit donnél'
d'aprcs la richesse. Je ne nie pas que la richesse lH'
soit une espece de témoignage. Dans la.plupart de~
pays, l'éducatinn, quoiqu'elle ne soit nullemcnl
proportionnée aux richesses, est ordinairement
meilleure chez la portion la plus riche de la société
que chcz la portion la plus pauvre; mais le crité-
rium est si imparfait, le hasard fait tellement plus
que le mérite pour élever les hommes dans h~
monde, et il est si impossible a une personne qui
a acquis un degré quelconque d'inslruction, de
s'assurer un degré d'élévation analogue sur l'échelle
sociale, que cette base du privilége élecloral a tOll-
jours été et sera toujours odieuse au supreme dc-
gré. Si l'on rattachait la pluralité des votes a qllel-
que qualité pécuniaire, non-seulement la chose en
elle-meme serait sujette a objection, mais ce serait
une maniere sure de compromettre le principe, et
d'en rendre impossible l'application permanente.
La démocratie, au moins dans notre pays, n'est pas
jalouse pou!' le moment de la supériorité person-




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 227


nelle; mais elle est nalurellement et tres-justement
jaIouse de celle qui est fondée sur la richesse toute
~eule. L'unique bonne raison qu'on ail de compter
le vote d'une personne pour plus que l'unité, e'esl
la supél'iol'ité mentaIe de l'individu ; et ce qui man-
qu-e, ce sont des moyens approximatifs pour étabIir
cette supériorité. S'iI existait quelque chose comme
une éducation réellement nationale, ou un systeme
d'examen généraI digne de confiance, réducation
pourrait elro prise comme critérium direct. Fallte
de cela, la nature de l'occupation d'une personne
est une espece de témoignage. Un maUre est plus
intelligent qu'un ouvrier; car iI faut qu'il travaille
avec sa tete, el pas seulement ayec ses mains. Un
contre-maltre est généralement plus intelligent
qu'un ouvl'ier ordinaire, et un ouvrier dans les mé-
tiers d'adl'esse, l'esl plus qu'un ouyrier dans les
métiers grossiers. Un banquier, un négociant OH
un mallufaclurier, sera probablement plus intelli-
genl qu'un boutiquier, paree qu'il a des intércts
plus étendus et plus compliqué s a diriger. Dans
wus les cas que yoici, ce n'est pas simplement
d'Ctre chargé de la fonction supérieure, mais de
s'en bien acquitter qui prouve les qualités. Pour
eeUe raison, aussi bien que pour empccher les gens
de prendre nominalement une occupation, afin
d'avoir le dl'oit de voter, il serait convenable d'exi-
gel' qu'on cut persévéré dans ladite occupation




228 GOUVERNEMENT REPRESENTATIF.


pendant un temps donné (disons 3 ans). Moyen-
nant quelque condition semblable, on pourrait ae-
corder deux ou trois votes ~l toute personne qui
exercerait une des ces fonclions supérieures. Les
professions libérales, lorsqu'on les exerce d'unc
faGon réelle et non pas nominale, impliquent natu-
rellement un degré ene ore plus élevé d'instruction.
Et toutes les fois qu'lln examen suffisant, ou bien
que certaines conditions sél'ieuses d'éducation 50nt
exigées avant d'entrer dans une cal'riere, on peut
accordel' sur-le-champ a ton s ceux qui 1'on1 em-
brassée, la pluralité des votes.


On pourrait appliquer la meme regle aux gradés.
des univel'sités, et meme a ceux qui peuvent prou-
ver qu'ils ont faíL d'nne maniere sati~faisante les
Hudes exigées par une des écoles oil l' on enseigne
le~ plus hantes branches de la science,. pOUI'\'U qu'on
suit assul'é que l'enseignement est réel, et que ce
n·est pas un pUl' prétexte. Les examens locaux' ou
de moyenne classe, pour le degré d'assoclé, établi~
par l'univel'sité d'Oxford dans un esprit public si
louable, et tous ceux du meme genre quí peuvent
Ctre institués par (}'autres corps compélenls, four-
nissent (a condition d'ülres acccssibles a tous ve
nan ts sans dis linc Lion) une base, d' a pres laquell e
la pluralité des votes pourrait olro accordée avec
grand avantage a tous ceux qui ont passé par ceUe
épreuve. Toutes ces vnes peuvent donner lieu a de




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 229


grandes diseussions de détails, el a des objeetions
qu'il n'est pas néeessaire de prévoir pour le mo-
mento Le temps n'est pas venu de mettre a exécu-
tion de pareils plans, et je ne youdrais pas etre lié
par les propositions partieulieres que j'ai émises.
Mais, selon moi, il est évident que e' est dans eette
direction que se trouve le véritable idéal du gou-
vernement représentatif, et que s'y acheminer par
les meilIeures eombinaisons pratiques qu'on puisse·
trouver, c'est préparer le véritable progres poli-
tique.


Si J'on demande jusqu'ou l'on peut pousser le
principe, OH combien de yotes peuvent etre aecor-
dés a un indiYidn en vertn de qualités supérieures,
je répondrai que la ehose en soi n'a pas grande im-
portance, pourvu que les distinctions et les grada-
tions ne soient pas failes arbitrairement, mais bien
de faQon a Otre cOll1prises et acceptées par la eons-
eience :et rinlelligence générales. Mais e'est une
condition absolue de ne pas dépasser la limite
preserite par le principe fondamental posé dans un
autre ehapitrc, eOll1ll1c condition d'excellenee de
la eonstitution d'nn sysLell1e représentatif.


La pluralité des votes ne doit, sous aueun pré-
texto, Otre poussée assez loin, pour que eeux qui pos-
sedenL le privilége ou pour que la dasse (s'il yen a
une) a laquelle il apparlicnt principalement, puisse
au ll10yen de ce privil{'ge, l'emporter sur tout le




230 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
reste de la eommunauté. La faveur aeeordée a l'é-
dueation, qui est juste en elle-meme, se rceom-
mande en outre fortement paree qu'ellc garantit
ceux qui ont reQu de l'édueation, eontre une légis-
lation de classe, émanée de ceux qui n'en ont point
reQu. Mais elle ne doit pas aIler jusqu'a mettre les
pl'emiers en ét~t d'exereer eux-memcs a leur profit,
eette législation. Qu'on me perrnctte d'ajouter
que, selon moi, une des eonditions cssentielles dr
la pluralité des voLes, c'est que le plus paune in-
dividu dans la communauté puisse réc1amer ce pri-
vilége s'il est eapable de prouver que, malgré toutes
les diffieultés et tous les obstac1es, il y a droit par
son intelligence. Il devrait y avoir des examens vo-
lontaires ou qui que ce soit pourrait se présenter,
pourrait prouver qu'il est parvenn an degré de sa-
voir et de talent déc1aré suffisant, et pourrait etre
admis en eonséqnenee a la pluralité des votes. Un
privilége aceessible a tou.s ceux qui peuvent prou-
ver qu'ils ont réaliséles eonditions sur lesquelles ce
privilége repose en théorie eL en principe, ne bles-
serait nul sentiment de justice, mais a coup sur iI
en serait autrement, si tandis qu'on l'accorde, d'a-
pres des présomptions générales et pas toujours
infaillibles, on le refusait sur une preuve directe.


Le vote plural, quoiqu'on le praLique tant aux
élections de paroisse que pour ehoisir les adminis-
trateurs de la loi des pauv7'es, est ehose si peu fami-




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 231


liere pOUl' les élecLions du parlemenL, qu'il n'y a
gllcre de chanre qu'on l'adopte promptement ni vo-
lontiers : mais comme le temps viendra certainc-
ment oil l'on n'aura le choix qu'entre cette maniere
de voter et le suffrage égal et universel, ceux qlli
ne désirent pas le suffrage universel ne p~uvent
commencer trop tUt a se réconcilier avec l'autre
maniere. En meme temps, quoique pour le mo-
ment ceL aper<;ll ne soit peut-etre pas d'une grande
utilité pratique, il servira a montrel' ce qu'il y a de
mieux en principe, et nous en pourrons mieux ju-
g'er de la valeur de tous les moyens indirects (soit
existants, soit susceptibles d'Ctre adoptés) qui peu-
vent conduire a la meme fin, d'une maniere moins
parfaite.


Une personne peut avoir un double vote d'une
antre faGon qu'en présentant denx votes aux m(L
mes JIllstings, elle pent avoir un vote dan s denx
corps de commettants diff~rents, et quoique ce
privilége exeeptioIlnel appartienne plulOt ponr le
moment a la snpériorité de richesse qu'il la supé-
riorité d'intelligence, je ne voudrais pas rabolir la
ou il existe; car jusqu'a ce qu'on ait adopté UlI
meilleur critérium d'éducation, il serait déraison-
nable de mettre de cOté celui qui résulte des cil'-
eonstanccs pécuniaires, si imparfait qu'il soit. Oll
pourrait trouver moyen d'étendre le privilége de
maniere a le rattacher plus directement a nne édu-




132 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
cation supérieure. En to,ut hill de réforme abaissant
d 'une maniere sensible les conditions pécuniairos
do l' électorat, ce sorait une sage dispositionque d'ap-
peler tous les gradés des universités, toutes les
personnes qui ont fréquenté avec succes les plus
hautes écoles, tous les membres des professions
libérales et peut-etre meme quelques autres, a se
faire inscrire spécialement comme électeurs á ce
titre, ayec le pouvoir de voter dans lo collége ou il
lcur plait de se faire inscrire, sans préjudice de
leurs yotes comme simples citoyens dans les loca-
lités qu'ils habitent.


Jusqu'il ce qu'on ait tl'ouvé, et jusqu'á ce que
l'opinion populaire soit disposée a accopter un
mode de vote plural, qui assigne a l'.éducation,
comme telle, le degré d'influence ~upérieure qui
suffit a contrebalancer le poids numérique de la
classe la moins cultivé e - jusque-Ia, les bienfaits
d'un suffrage complétement universel seront tou-
jours accompagnés (á ce qu'il me semblc) d'unc
source de maux plus qu' é(IUivalente. Il est possiblc
á la vérité (et c' est peut-etre une de ces lransitions
par ou nous devons passer, dans notrc marche V8rs
un systeme représentatif réellement hon) que los
barrieres qui restreignent le suffrage, puissent etro
complétoment détruitos dans certains colléges élec-
toraux, dont les représentants par conséquent se-
raient nommés surtout par des travaillcurs ma


..




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 233-


Huels. AiIleul's, le droit électoral resterait ce qu'il
est, ou si on le modifiait, ce serait en groupant les
colléges électorallx de faGon a empecher la classe
ouvriere de devenir prépondérante au parlement.
Par un te] compromis, eS anomalies qui existent
dans la représentation, seraient non-seulement con-
servées, mais aggravées. Coci n'est pourtant pas
une objcction concluante: car, si le pays ne vellt
pas poursuivre des fins utiles par un systeme ré-
gulier qui y conduise directement, il doil se eon-
tenter d'un pis aIler irrégulier, eomme étant gran-
dement préférable a un sysleme exempt d'irrégu-
larité, mais conduisant régulierement a des fins,
mauvaiscs ou omcttant des ehoses néeessaires.
Une objection beallconp plus grave, e'est qne cet
arrangement esL incompatible avee le eoneours ré-
ciproque entre les divers colléges électoraux qu' exige-
le plan de M. Rare; c'est (IU'aVec cet arrangement,
chaque votant demenrerait emprisonné dans un ou
plusieurs corps de commettants, ou son nom serait
inscrit el ne serait pas représenté du tout, s'il nc
vou]ail pas voter pon!' un des eandidats de ces 10-
calités.


J'altache tant d'importanee a l'émancipation de
eeux qui ont déja des votes mais auxquels ces votes
sont inutiles paree qu'ils ont le nombre eontre eux ;
j'attendrais tant de l'influence naturelle de la vérité
et de la raison, si on pouvait leur assurer un au-




'23± GOUVERNEMENT REPRÉSE?\'fATIF'.
ditoire et des avocats compétcnls - que je ne dé-
sespérerais pas de l'effet meme du suffrage égaI eL
universel, si on le rendait réel par la représenta-
tion proportionnelle de toutes les minorités, el'a-
pres le principe de M. Hare. Mais qlland les plus
helles espérances qlli peuvent ctre formées sur ce
sujet seraient des certitudes, je soutiendrais encore
le principe de vote plural. J e ne propose pas la
pluralité comme une chose qui en elle-meme n'esl
pas désirahle, comme une chose qui de meme que
I'exclusion politique d'une partie de la commu-
nanté, peut etre supportée temporairement, pOUl'
empecher de plus grands maux. J e ne regarde pas
le vote égal comme une de ces choses qui sont
bonnes en elles-me mes, pourvu. qu' on . puisse se
prémunir contre leurs inconvénients ; je le regarde
comme une chose qui n'est honne que relativement,
comme une chose moins contestable que l'inéga-
lité de priviléges, fondée sur des circonstances ac-
cidentelles ou insignifiantes - mais, selon moi,
e'est une chose fausse en principe, parce qu'elle
reconnait un type faux et qn' elle exerce une mau-
vaise influence sur l'esprit des votants.


Il n'est pas utile, mais nnisible, que la constitu-
tion du pays proclame l'ignorance et la science
également fondées en droit a gouverner le pays.
Tout ce que touchent les institutions nationales,
elles devraient le placer devant l'esprit du citoyen,




DE L'EXTENSION DU SUFFHAGE. :!3;,


sous le jour le plus avantageux ponr lui, et eomme
il lui est avantageux de pense!' que ehaeun a droit
á quelque influenee, mais que les meilIeurs et les
plus sages ont droit a plus d'influenee que les an-
tres, il est important que l'État professe eette doe-
trine el que les institntions nationales la mettcnL
en pratique.


Ce sont la de ces choses qui eonstituent l' esprit
des lois d'un pays, eette portion de leur influenee la
moins eonsidérée par les penseurs en général et
surtout par les penseurs anglais, quoique les insti-
lntions de tout pays, ou iI n'y a pas une grande et
positive oppression, produisent plus d'effet par leut'
esprit que par aueune de leurs mesures directes,
pnisque e'est leur esprit qui forme le earaetere
national. Les institutions amérieaines ont imprimé
fortement dans l'esprit amérieain l'idée que tout
homme (qui a la peau blanehe) "aut autant qu'un
antrc, etI'on s'aper<.;oit que eeUe fausse eroyanee est
étroitement lié e a quelques-uns des points les plus
défavorables du earactere amérieain. e'est un mal
et un grand mal, que la eonstitution d'un pays
vienne a sanctionner ce· principe: y croire d'une
maniere plus ou moins expresse, est presque aussi
nuisible a l'exeellence morale et intellectuelle, que
les pires effets dont la plupart des formes du gon-
yernement sont susceptibles.


On va peut-Ctre dire qu'une constitution qui




':!36 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
donne une influenee égale, homme pour homme~
aux elasses les plus eultivées et a eeHes qui le sunl
le moins, conduit néanmoins au progre,.s, paree que
les appels faits constamment aux c1asses les moins
instruites, l'exercice qu'on donne a leurs faeultés
mentales,' eL les efforts que les classes les plus eul-
tivées sont obligées de faire pour éclairer le juge-
ment des autres classes et pour les débarrasser de
leurs erreurs etde leurs préjugés, sonL de puissants
stimulant~ aux progres de celles-ci en intelligence.
Que eet effet des plus désirables, suive réeIlement
l'admission des c1asses les moins cultivé es a une
part, et meme a une large part du pouyoir, je l'ai
déja ardemment soutenu. Mais la théorie et l'expé-
rience prouvent également que lorsque ces classes
sont absolument prépondérantes, il s'établit un
courant contrai're. Ceux qui possedent le pouvoir
supreme sur toutes choses, que ce soit un seul, un
petit nOJnbre ou un granel nombre, n'ont plus besoin
désormais des armes de la raison; ils peuvent faire
prévaloir leur simple volonté, et des gens auxquels
on ne peut pas résister sont ordinairement bien trop
satisfaits de leurs propres· opinions pour etre di s-
posés a en changer, ou a écouter san s impatience
quiconque leur dit qu'ils sont dans le faux. La posi-
tion qui donne le plus vif stimulant aux développe-
ments de l'intelligenee, e'est la conquete du pou-
voir, et non le pouvoir conquis ; et parmi tous les




DE L'EXTENSION DU SUFFHAGE. 237


temps d'arret, temporaires ou permanents, qui se
trouvent sur le chemin de la conque te, celui qui
développe les qualités les meilleures el les plus
élevées, c'esl le point ou 1'on est assez fort pour
faire prévaloir la raison et non asscz pour prévaloir
contre la raison. Telle est la position ou devraient
étre placés, d'aprcs les principes que nous avons
étaLlis, les riches et les pauvres, les gens instruits
eL les ignorants et toutes les autres classes entre
lesquelles la société se divise: en combinant ce
principe avec le principe, juste d'ailleurs, qui ac-
corde la supériorité d'influences a la supériorité des
qualités intellectuellcs, une constitution réaliserait
ceUe sorte Je perfeclion relative, qui est seule com-
patible avce la nature compliquée des affaires hu-
maines.


Dans l'argumentation qui précede, en faveu!' du
::iUffrage universel mais gradué, je ne me suis nulle-
menl inquiéLé de la difI'érence du sexe. Je regarde
la dlOse ~'()lHll1e aussi entierement insignifiante,
quant aux Jl'oits politiques, que la différence de.
taille uu de couleul' de cheveux. Tous les etres hu-
mains ont le me me intéret a avoir un bon gouver-
nement, leur bien-etre a. tous en est également af-
fecté, ct ils ont tous un égal besoin d'une voix pour
s'assurer leur part de ses bienfaits. S'il y a quelque
différence, les femmes en ont plus besoin que les
hommes, puisqu'élant physiquement plus faibles,




::!:3~ GOUVEiL\EMEXT REPRÉSENTATIF.
elles dépendellt plus de la loi et de la soeiété pOlli'
leur protection.


L'humaniLé. a depuis IOllgtemps ab¡wdonllé le:-¡
seuls principes sur ll~squels se fonde cotle conelu-
sion, que les femmes ne deuaient pas avoir de
,"otes. Personno ne soutienL aujourd'hui que le:-i
l'emrnes deyraient etre asservies, qu'elles deuaiellt
ll'avoir d'auh'e pensée, d'autre désir, d'autl'e occu-
pation, que d'étre;es esclayes domestiques de leurs
maris, de leurs pcres, de leul's frcres. OIl perlllet
aux fernmes non mariées, et il s'en faut de peu
qu' on ne le permelte aux femmes mariées, de pos-
séder une fortune a elle et d'asoir des inLérets pé-
euniaires, des intérels d'affaires, tout comme les
hommes; on estime désirable et conveI'lable que
les femmes pensent, éerivent et enseignent. Dll
moment oü ces choses sont admises, l'ineapacit{·
politique ne repose plns sur aucnn principe. L'opi-
nion dans le monde moderne se prononce avec une
force croissante contre le droit de la société a dé-
eider ponr les individllS de ce dont ils sonL ou ne
sont pas capables, et de ce qu'on leur pel'metLraoll
de ce qn' OIl lcur défendra d' essayer. Silcs príncipes
politiques modernes et les principes d'écoIlolllie
politique sonL bons a quelque ehose, c'est a prouver
({ue les individus seuls pcuvent juger sainement
sur ces matieres, et qll'avec une complete liberté
de choix, partout Olt il Y a des diversités réelle




DE L'EXTE~SIO:,{ DU SUFFHAGE. 239


d'aptitudcs, le plus grand nombre s'appliquera aux
choses donl ii est en moyenne le plus eapable, tan-
dis que les exceptions senIos agiront d'une maniere
.exceptionnelle. Ou la tendance du progres social
moderne est fallsse, ou il faut la pousser jusqu'a
l'abolition lota1e de tontes les exclusions et de toutes·
les incapacités qui fermcnt une occnpation honnelo
ü un elre humain.


Mais iI n'est meme p:1S nécessaire d'en affirmer
si long, pOLIr pl'ouver que les femmes devraient
posséder le sufl'rage. S'il était aussi juste qu'iI est
injuste que les femmes soient nne c1asse subordon-
néc, confinée aux occupations domestiques, et sou-
mises a une autol'ité domestique, elles n'en auraient
pas moins bcsoin de la protection du suffrage pour
elre garantíes contl'e l'abus de cette autorité. Les
llOmmes, anssi bien que les femmes, ont besoin des
dl'Oits politiqlle~, non-scnlement ponr gouverner,
mais pour qU'OIl ne puisse pas les mal gouverner.
La majoritó dll sex(' museulin est et ne será. rien
autre chosc, pendanl tonte sa yie, que des travail-


>


leurs dans les ehamps ou dans ~es manufactures;
mais ceci n(' l'ünd pas le sufl'rage moins désirable
ponr celte lllajol'ité, lli son droit au suffrage moins
irrésistible, quand elle n'est pas porté e a en faire
un mauvais usagc. Personne ne prétend dire que les
femmes ferai~rlt un mauvais usage du suffrage. Ce
que l'on <lit dp pire, c'cst qu'elles yoteraient comme




:2í-0 GOUVEfiNE:\lENT HEPfiÉSENTATIF.
·de simples machines, d'apI'es l'orrlre de leurs pa-
rents du sexe masculino S'il doit en etre ainsi, qu·il
en soit ainsi. Si elles pensent pae elles-mcmes, C','
sera un grand bien, el sinon il n'y aura aucun mal.
Cest un bienfait pOllr les Nres hurnains qu'on leur


. retire leurs fe1's, meme qnanrl ils ne désirent pas
marcher. Ce sorait dójú un grand progl'(\s dans la
position moralo des remmes, de n'0tre plus désor-
mais déclarées par la loi ü)(~apahles d'avoir une opi-
nion et d'expl'imer ulle pr{~férenee, sur ~'es intéreb
les plus élevés du genre hurnaill. 11 yauraitquelqllc
avantage pour elle s, indi vid UelleITH'1l t, si e1l es a vaien t
quelque chose a donner que lellrs parents du sexe
masculin ne pussent lenI' pl'endrc de force etfussenl
néanmoins désil'cUX d'avoir. Ce ne serait pas peu
de chose non plus, qne le ma.ri dlit nécessairernent
diseulel' la quesLion ayec sa femrne, et que le vot(~
11e fUt plus son affaire exclusive, mais bien une af-
faire cornmune. On ne réfléchit pas assez non plus
:\ quel point le fait qu'llnc remme possede, indé-
pendarnrnent de l'hornme, UlW cerLaine inl111ence
sur le monde extérienr, augmellte sa dignité et sa
valeur aux yenx d'un hornrne vnlgaire, el inspir(~ a
celui-ci un respect qu'i! n'aurait jarnais ressenti
pour les qualités persollnelles d'un etre dont iI
peut s'approprier entierernent toute l'existencc
sociale.


En outre, la qualité du vote lui-meme serait




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 2il


améliorée. L'homme serait souvent obligé de trou-
ver en favenr de sa maniere de yoter, des raisons
assez honnCtes pour décider un caracterc plus droit
et plus impartial a servir sous la meme banniere.
Souvent, grace a l'influence de sa femme, il de-
meurerait fidele a son opinion sincere. Souvent
aussi l'influence de la femme serait exercée, non
au profit du bien public, mais au profit de l'inté-
ret personnel ou de la vanilé mondaine de la fa-
mille. Mais parLout oü telle serait la tendance de
l'action féminine, elle se rait déja sentir pleine-
ment dans eette mauvaise direction; et cela d'au-
tant plus certainement, qu'avec la loi et la cou-
turne actuelle, la femme est teop complétement
élrangere a la politique, des qu'nn principe yest
melé, pour sentir qu'il y a la un point d'honneur.
Ur, la plupal't du temps, nous ayons aussi peu de
sy,mpatbie pour le point d'honneur des autres,
(IUand ce n'est pas le notre, que nous en avons ponr
les sentimenl.ó religieux tIe ecux qui ne professent
pas la' meme religion que nous.


Donnez un vote a la femme, et elle sent l' effet
du point d'honneur. Elle apprend a regarder la
politique comme une chose sur laquelle on lui per-
met d'avoil' une opinion, el au sujet de laquelle
chacun doil agir d'apres son opinion; elle acquiel't
un sentiment de responsabilité personnelle dans
la question, el elle ne pense plus désormais,


14




:¿it GOUVEHNEMENT REPRÉSENTATIF.
comme elle le fait aujourd'hui, que (quelque dose de
mauvaise influence qll'elle puisse exercer), pourvl1
qu'elle persuade l'homme, tout est bien et fIue la
responsabilité de celui-ci couvre tout. e' est seule-
ment lorsqu'on l'eneourage a se former une opi-
nion, et a se faire une idée intelligente des raisons
({ui doivent l'emporter chez elle sur les tentatiollS
de l'intéret personnel et de l'intéret de famille,
qll'elle pent cesser d'agir comme une force dissol-
vante sur la eonscience poli tique de l'homme. On
ne peut empecher son action indirecte d'etre nui-
sible qu'en la changeant en action directo.


J'ai supposé que-le droit au suffrage repose sur
des conditions de valeur personnelle, et e'est ainsi
gu'a bien voir, iI devrait en ctre. 'Mais, lh OU il
repose, comme dans ce pays-ci et dans beaucoup
d'autres, sur des conditions de richesse, la contra-
diction est encore plus évidente. Il y a quelque
("hose d'extraordinairement déraisonnable dans ce
fait, que lorsf{u'une femme peut fournir tontcs les
garanties qu'on exige d'un élecleur mascnlin, lors-
qu'elle a une fortnne indépendantc, qn'eIle est pro-
priétaire et chef de famille, flu'elle paye l'im-
pat, qu'elle accomplit cnnu toutes les conditions
exigées, on met de coté le principe meme et le
systeme d'une représentation fondée sur la ri-
chesse, pour une incapacité exccptionnelle et per-
sonnelle dont l'unique objet est d'exclure la femme.




DE L'EXTENSION DU SUFFRAGE. 21:3


Quand on ajoute que le pays oil l'on agit ainsi est
gouverné par une femme, et (Iue le plus glorieux
souverain qu'aitjamais eu ce pays était une femme,
ce tableau d'une déraison et d'une injustice a peine
voilée, est complet. Espérons que, comme on dé-
trnit aujourd'hui, l'un apres l'aull'e) tous les dé-
bris de l' édifice chancclant du monopole et de la
tyrannie, celui-ci disparaitra promptement; espé-
rons que I'opinion de Bentham, de M. Samuel
Bailey, de M. Hare et de beauconp des penseurs
poli tiques les plus puissants de notre siecle et de
notre pays (pour ne parler que de ceux-ci) aura
son effet sur tous les esprits qui ne sont pas en-
durcis par l'égo'isme ou par des préjugés invété-
rés; espérons enfin qu'avant la prochaine géné-
ration, l'accident du sexe pas plus que celui de la
('oulenr de la peau, ne sera regardé comme un mo-
tif suffisant pour dépouiller un étre humain de la
sécurité commnne et des justes priviléges d'un
(·¡toyen.




CHAPITRE IX
DEVRAIT-IL y AVOIR DEUX DEGRÉS D'ÉLECTION?


Dans certaines constitutions représentatives on
s'est decidé a choisir les membres du corps repré-
sentatif, au moyen d'un double procédé, les élec-
teurs choisissant seulement d'autres électeurs, et
ceux-ci nommant les membres du parlement. On
a probablement imaginé cctte comblnaison pour
mettre un léger obstacle au libre cours .du senti-
ment populaire. Par la on donne le suffrage et en
meme temps le pouvoir supreme au grand nom-
bre; mais on l'oblige a ne l'exercer CIpe par les
mains d'un petit nombre, comparativement par-
lant, lequel, a ce qu'on suppose, sera moins acces-
sible que le peuple aux transports des passions
populaires. Or, comme on peut s'aUendre a ce que
les électeurs étant déja un corps d'élite, seront
par l'intelligence et le caractere au-dessus du ni-
veau ordinaire de leurs commettants, on a pensé
que leur choix serait probablement fait d'une ma-
niere plus éclairée et plus soigneuse, et en tous




DEVRAIT-IL y AVOIR DEUX DEGHÉS n'ÉLECTION. 245
eas ayer le sentiment d'une responsabilité plus
grande que l' élection des masses. eeue maniere de
filtre?', pour ainsi dire, le suffrage populaire, au
moyen d'un corps intermédiaire, peut etre défen-
due d'une maniere tres-plausible. En effet, on peut
dire avec une grande apparence de raison, qu'il
faut moins d'intelligence et d'instruction pour ju-
gel' lequel de nos voisins est le plus capable de
bien choisir un membre du parlement, que pour
jugor lequel ~Ist le plus capable d'etre ce membre
lni-meme.


Mais d'abord, si ron peut croire que les dangers
auxquels est sujet le pouvoir populaire, sont dimi-
nués par cet arrangement lndirect, ses bienfaits le
50nt également, et ce dernier effet est beaucoup
plus certain que le premier.


Ponr que ce systemc puisse marcher comme on
le désire, il faut qu'il soit mis a exécution dans
l'esprit ni! il a été conQu; il faut que les électeurs se
servent du suffrage eomme le suppose la théorie,
e'est-a-dirc que chaeun d'eux nc doit pas se de-
mander qui dévrait etre membre du parlement,
mais simplement a qui il voudrait voir choisir ce
membre pour luí. La chose est évidente ; les avan-
tages que possede (il ce qu'on suppose) l'élection
indirectc sur r élection directe, veulent eeHe di s-
position d'esprit chez le votant, et ne scront réali-
sés que s'il prend au sérieux cette doctrine que sa


14.




2"*6 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATI F.
seule affaire e'est de ehoisir, non le membre lui-
meme, mais eeux qui le ehoisiront. 11 faut suppo-
poser que l'éleeteur ne se préoeeupera point
d'opinions ni de mesures politiques, ni d'hommes
politiques, mais qu'il sera guidé par son respect
personnel pour un individu priv~ auquel il don-
nera un pouvoir général de procureur pour agir a
sa place.


01', si l'éledeur adople eeUe maniere d'envisager
sa position, c'en est rait de l'avantago qu'on trouve
d'ordinaire a lui donner un voto: la fonctiün poli-
tique qu'il va remplir ne saurait développer ehez
lui l'esprit public et l'intelligence politique, ni
attirer sur les affaires générales son intéret et sa cu-
riosité. On suppose la des conditions qui s'excluent;
ear si le yotant ne ressent aueun intér8t pour le
résultat final, eomment ou pourquoi peut-on s'at-
tendre a ce qu'il en ressente pour le procédé qui y
mene? Désirer avoir pour son représentant au par-
lement tel individu particulier, est ehoso possible ¿)
une personne d'une intelligence eC 'd'une vertu
tres-ordinaire, et désirer choisir un électeur qui
nomme eet individu, en est la conséquence natu-
relle. Mais qu'une personne qui ne se pré~ccupe
point de l'élection du membre ou qui se sent obligée
a mettre de eóté cette considération, prenne un
intérct queleonque a nommer simplement la per-
sonne la plus digne d'en élire un autre suivant son




DEVRA1T-IL y AVOIR DEUX DEGRÉS D'ÉLECTION. 2t7
propre jugement. .. cecí implique un zele pour ce
qui est bien en soi, un principe habituel de devoir
pour l'amour du devoir, qui ne peut se rencontrer
que chez des personnes assez cultivées, lesquelles
prouvent par ceUe qualité me me qu'elles sont
dignes de posséder le pouvoir politique sous une
forme plus directe. De toutes les fonctions publi-
ques qu'on puisse accorder aux membres les plus
pauvres de la eommunauté, eelle-ei est a coup slll'
la moins propre a éveiller leurs sentiments: une
fonction dont on ne peut arriver a faire cas, que par
lIne vertueuse détermination d'accomplir eonscíen-
cieusemen t tous ses devoirs! El si les électeurs se
souciaient assez des affaires politiques pour atta-
cher quelque valeur a une part aussi limité e de ces
memeslaffaires, iI est probable qu'ils ne se conten-
teraient pas de si peu.


Meme en supposant qu'une personne qui, a cause
de son pen de culture, ne peut bien juger des quali-
tés vouIues chez un candidat au parlement, puisse
etre un juge suffisant de l'honneteté et de la capa-
cité générale de quelqu 'un qu'elle nommerail pour
choisir ce membre a sa place, je remarquerai que
si le votant acquiesce a cette estimation de ses apti-
~ titudes, et désire réellement charger une personne


en qui iI () confiance, de choisir pour lui, il n'y a
nu! besoin d'une mesure constitutionnelle a cet
effet. Le votant n'a qu'a demander en particlliier a




t48 GOUVER~EMENT HEPRÉSENTATIF.
cette personne de confiance, pour qui il ferait le
mieux de "oter. Dans ce cas, les deux modes d'élec-
tions cOIncident dans leurs résultats, ot on ohtient
avec l' élection directe, tous les avantagos de l' élec-
tion indirecte. Les systernes no different dans leur "-
opération, qu'a condition de supposer que le votant
préférerait se servir de son propre jugement pour le
choix d'un représentant, et qu~il ne laisse un autre
choisir ponr lui que paree que la loi ne lui permet
pas d'agir plus directement. Mais si tel est l'état de
~on esprit, si sa "olonté n' est pas satisfaite de la
limite que la loi lui impose, et s'il désiro faire un
choix direct, il le peut malgré la loi. Il n'a qu'it
choisir pour électeur un partisan connu du can-
didat qu'il préfere, ou quelqu'un qui s'engagera a
voter pour ce candidat. Et ceci est tellement l' effet
naturel de l'élection a deux degrés, qu'excepté dans
un pays ou 1'indifférence politique est complete, on
ne pen t guere s 'altendre a ce que cette institution
agisse auLrement.


e'est ainsi qu'a lieu, en fait, l'élection du prési-
dent aux États-Unis. N?minalement, l'élection est
indirecte; la masse de la popnlation ne vote pas
ponr le président, elle vote pon!' des électeurs qui
choisissent le président. Mais les éleeteurs sont
toujours choisis, a la eondition expressc de voter
pour un candidat donné, et jamais un citoyen ne
vote pour un électeur, a cause de qnelque préfé-




DEVRAIT-IL y AVOIR DEUX DEGRÉS D'ÉLECTlON. 2i-9
¡'en ce pour l'homme; iI vote pour le billet Bricken-
¡'¿"(f,r¡e ou pour le billet Lincoln, Il faut se rappeler
qu'on ne choisit pas les électeurs pour qu'ils par-
cou1'ent le pays, afin de trouve1' l'homme le plus
digne d'6t1'e président, ou d'étre nommé membre
du parlement. 8'il en était ainsi, il y aurait quelque
chose a dire en faveur de cette coutume: mais il
n'en est pas, el il n'en sera jamais ainsi, jusqu'a ce
que l'esp¿~cc humaine en général pense avec Plato n
que la porsonno la plus digne de posséder le pou-
voír, est cello qui est le moins disposée al'accepter.


< Los électeurs doivent choisir une des personnes qui
se sont présentées comme candidats, et ceux qui
choisissent ces électeurs, savent déja qui sont ces
candidats. S'il ya quelque activité politique dans le
pays, tous les élecleurs qui se soucient le moindre-
ment de voter, ont décidé lequel de ces candidats
ils dési1'ent voir nommer, et n'auront pas d'autres
considérations en donnant leur vote. Les parlisans
de chaque candidat auront toutes pretes leurs listes
d'électeurs qui se seront tous engagés a voter pour
ret individu, et la seule question qu'on adressera
par le fait a l'électeur primai1'e sera de lui deman-
oer laquelle de ces listes il compte appuyer.


Le cas ou l' élection a deux degrés opere bien en
pratique, c'est celui ou les électeurs ne sont pas
choisis uniquement comme électeurs, mais ont a
remplir d'autres fonctions importantes; par ou ib




2:i,O GOUVEnNEMENT nEPRÉSENTATIF.
cessent d'etre élus, uniquement comme délégués
pour donner un vote particulier. Une autre institu-
tion américaine, le sénat des États-Unis, offre un
exemple de ceUe combinaison de circonstances. On
estime que cette assemblée, la chambre haute pour
ainsi dire du congres, ne représente pas le peuple
directemenl, mais les États, comme lels, el doit etre
la gardienne de ceUe portion de leurs droits sou-
verains, auxquels ils n'ont point renoneé. Comme
la souveraineté intérieure de chaque Etat est par ]a
nature d'une fédération éga]c, également saerée,
€Iuelle que soit la taille ou l'importanee d'un ~~tat,
chacun envoie au sénat le meme nombre de mem-
bres (deux), que ee soit le petit Delaware ou l'Étal-
Empire de New-York. Ces membres ne sont pas
ehoisis par la population, mais par les législatures
d'États qui sont elles-memesélues par le peuple de
chaque État. Mais comme toute la besogne ordi-
naire d'une assemblée législative, la législation in-
térieure et le controle de l' exécutif, relombc sur ces
corps, ils sont élus en vue de ces objets plutot que
de l'autre; et en nommant deux personnes pour rc-
présenter l'État au sénat fédéral, ils cxerccnt la
plupart du temps leur propre jugement, sauf les
égards envers l'opinion publique, qu'un gouverne-
ment démocratique doit toujours lui témoigner.
Les électíons aínsi faíles ont réussi au plus haut de-
gré, et sont évidemment les meilleurcs de toutes les




lJEVHAlT-1L y AVOIlt DEUX DEGRÉS D'ÉLECTION. 251
élcctions da as les Élats-Unis, le sénat étant com-
posé invariablement des hommes les plus distin-
gués parmi ceux ([ui se sont fait suffisammcnt con-
naitre dans la vie publi<Iue. Apres un tel exemple,
on ne peut pas dire que l'élection populaire indi-
recte n'est jamais avantageuse. Moyennant certai-
nes conditions, c'est le sysleme le meilleur qu'on
puisse adopLcr. Mais ces conditions ne peuvenl
guere sc I'cnconlrer que dans un gouvernement fé-
déraI, commc celui des ]~tats-Unis, ou l'élection
lH'¡rt [otre confiée a des COl'pS locaux dont les autres
f'OIICLions eomprcnnent les affaires les plus impor-
tantes de la nation. Chez nous, les seuls corps dans
une posilion analogue qui existent ou qui aien l
('hance d'exister, sont les municipalités, ou les
:tllll'es eonseils qui ont été ou qui peuvent ütre créés
!J0Ul' un bul également local. Cependant, peu de
pl'rsonnes regarderaient comme une amélioration
;\ la constitution de notre parlement, que les mem-
!J,'es pour la cité de Londres fussent choisis par les
aldermen et par le cOllseil municipal, et que les
membres pour le bourg de Marylebone fussenL
dlOisis ouyertement, comme ils le sonl déja virtuel-
lemenL, par les assemblées des paroisses. Meme si
ces corps, en les regardant simplemelll comme des
conseils locaux, étaient snjets a moins d'objeclions
qu'lls ne le sont, les qualités qui les rendent propres
aux fonctions particulicres et bornées de l'édilité




252 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
municipale ou paroissiale, ne garantissent nulle-
ment chez eux une aptitude spéciale a juger des
qualités respectives des candidats au parlement.
Ils ne rempliront probablement pas mieux ce de-
voir qu'il n'est rempli par les habitanls, au moyen
du vote direct: songez en ontre que si l'aptitude á
élire les membres du parlement devait eLre prise en
eonsidération lorsqu'oll nomme une assemblée de
paroisse ou un conseil municipal, beaucoup de ceux
qui sont le plus pl'opres a cette fonetion plus limi-
tée en seraient inévitablement exclus, quand ce nt'
serait que par la nécessité de ehoisir des porsonnes
dont les sentiments, en fait de politique générale,
fllssent d'accord avec ceux des votants. Déja l'in-
fluence politique simplement indirecte des conseils
municipaux, en faisant des élections municipales
une affaire de parti, a fait de ces élections tont
antre chose qu'elles no devaient 8tre. Si c'était une
partie tlu devoir d'un commis ou d'un régisseur dl'
choisir le médecin de son maUre, le maltre n 'aurait
probablement pas un meilleur médecin qu'en le
choisissant lui-meme; mais il serait borné dan s son
chuix d'un commis ou d'un régisseul', no pouvanl
prendre pour cet offiee que cclui qui pourrait s'ac-
(luitter sans grand danger pour sa santé de l'autre
office.


On voit donc qu'on peut jouir, avec l'élection
directe, de tous les avantages del' élection indi-




OEVRAIT-IL y AVOm DEUX DEGRKS D'ÉLECTION. 1.53
recte; eL que quanL a ceux de ces avantages donL Oil .
ne peutjouil' a.vec l'élection directe, on n'en jouirait
pas plus ayec l' élecLion indirecte, tandis que ceUe
derniere a des désavantages considérables qui lui
sonL particuliers. Le simple fait que c'est une roue
additionnelle et superflue dans le mécanisme, n'esl
pas une lég(H'e objection. On s'esl déja appesanti
sur son infériorité décidée comme moyen de culti-
ver l'espriL public eL l'intelligence poliLique: si
€l1c fonclionnait réellemenL, c'est-a-dire si les
,électeurs abandonnaienL complétemcnt a leurs
délégués le choix de leur I'eprésentanL au parle-
menL, elle empücheraiL le yoLanL de s'indentifier
avec son membrc du parlement, eL diminuerait
beaucoup chez cclui-ci le senLimenL de responsa-
bilité enver~ ses commettants. En outre, le petit
nombre, comparativement parlant, des personnes
entre les mains desquelles se trouverait a la fin
l'éleclioll d'un membre du parlement, fournirait
beaucoup plus de facilités pour l'intrigue et pour
touLes les formes de corruption compatibles avec
la condition sociale des électeurs. Les colléges
électoraux scraient universellement réduits, sous
le rapporl des facilités ofrertes pour la corruption,
a la condition des petits bourgs d'aujourd'hui. Il
suffirait de gagner un petit nombre de personnes
'P0ur etre certain d'eLre nommé. Si on dit que les
.électeurs seraient responsables envers ceux qui les


J5




2"1. ;:)1.' GOUVERNEl\lENT REPRÉSENTATIF.
auraient élus, la réponse toute prete, c'esL que,
n'occupant ni une fonction permanente ni une
fonction publique, ils ne risqueraien trien, en yO-
tant d'une maniere intéressée, si ce n'est de ne
plus étre nommés électeurs : une menace peu
alarmante. La grande ressource serait toujours
les pénalités contre la corruplion, ressource dont
l' expériencc a hautement démon Lré l'insuffisance
rlans tous les petits colléges élecloraux, Le mal
serait proportionné exaclement au degré de liberté
laissé aux électeurs choisis. Le seul cas ou ils
ll'oseraient probablement employer leur vote au
pl'ofit de leur intérét personnel, serait celui ou ils
auraient été élus comme de simples délégués,
moyennant un engagement formel de porler pour
ainsi dire le vote de leurs commettants aux hus-
¡ings. Du moment que le double degré d'élection
commencerait a ayoir quelque efl'et, il commen-
cerait a ;woir un mal1vais cffct. Et nous trouve-
rons que ceci est vrai du principe de l'élection
indirecto, n'importe ou on l'appliquc, excepté dans
des circonstances semblables a celles de l' éleclion
des sénateurs aux États-Unis.


II est inutile, en tant qu'il s'agil de 1'Angleterre,
de parler plus longtemps contre une combinaisoll
(lui n'a aucune base dan s les traditions nalionales;
pel1t-étre meme doit-on s'excuser d'en avoir tant
dit contee un expédient poliliql1e qui ne comple-




DEVRAIT-IL y AVOIR DEUX DEGRÉS D'ÉLECTION. 255
rait peut-etre pas dans notre pays un seul partisano
Mais une conception si plausible a premiere vue
el qui a tant de précédents historiques, pourrait a
la rigueur, dans le chaos général des opinions poli-
tiques, remonter a la surface, et reparaitre Qa et
lit avec le don de séduire certains esprits ; il n'est
P,lS permis a ce compte, me me quand on n'aurait
en vue quc le lecteur anglais, de la passer tout a
raít sous silencc.




Cl1APITHE X


!JI': LA ~IAl\Il~RE DE VOTER.


La question la plus importante, par rapport a la
maniere de yo ter, est ceUe du sccret Oll de la publi-
cité, et c'est celle-la que nons abordel'ons sUI'-le-
champ.


Ce serait une grande méprise d'introduire dans la
discussion, des phrases sur la soul'lloiserie ou la
poltronnerie. Le sccret cst justifiablc' dans un grand
nombre de cas, nécessaire quelquefois ; el ce n'esl
pas poltronneric que de chen:her a se gar'antir de
maux qu'on peut honnetemelll h·iter. On ne peut
non plus soutenir raisonnablemünl, qn'il n'ya au-
cun cas imaginable ou le voLe secrct soit jJl'éférablt>
au vote publico Mais je prétends qne dans des affai-
res d\un caractcre politique, ces cas sont l'excrp-
tion et non la regle.


Le cas actuel est un des cas llombrcux OU, comme
j'ai déja eu occasion de le remarquer, l'es[!'rlt d'unt'
institution, l'impression qu'elle fait sur le citoyen,
est une des parties les plus importantes de son
effet.




DE LA MANl~RE DE VOTER. 257
L'csprit. <iu vote par scrutin - la maniere dont


l'intcrpréteraprobablement l'électeur - c'est que-
le suffrage lui est donné pour lui-meme, pour son
usage et pour son profit particulier, etpoint du
tout comme une charge publique. Car si c'est vrai-
ment une charge, si le public a un droit sur son
vote, pourquoi le public n'a-t-il pas le droit de
eonnaltre ce vote? Cette impression fausse et per-
nicieuse peuí. bien etre celle de la masse, puisque
e'était l'impression de lous ceux qui, depuis quel-
ques annéf's, ont été les déff'nSellrS marquants du
seru tino


Ce n'est pas ainsi que la doctrine était comprise
parceux qui lafavoriserentles premiers; mais on voit
mieux l'effet d'nne doctrine sur l'esprit, chez ceux
qui sont formés par eeUe doctrine, que chez ceux
qui la forment. M. Bright et son éeole de démocra-
tes se croient forlement intéressés a soutenir que
le privilége électoral est ce qu'ils appellent un droit,
et non une charge. 01', eette idée, en prenant raeine
dans l'esprit général, fait un mal moral qui l'em-
porte sur tout le bien que pourrait faire le scru-
Un, ~n m~ttant temí au mieux. De quelque YaGon
({ne l'on définisse ou que l'on comprenne l'i-
dée d'un droit, personne ne peut avoir droit (si
ce n'est dans le sens légal) au pouvoir sur autrui =
toutes les fois qu'on permet a un homme de
posséder un semblable pouvoir, il a la morale-




258 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
ment une charge dans toute la force du terme.


Or, l'exercice de toute fonction politique, soit
comme électeur, soit comme représentant, c'esllc
pouvoir sur autrui. Ceux qui disent que le. suffrage
n'est pas une charge, mais un droil, n'ont suremenl
pas examiné les conséquences auxquelles mene leur
doctrine. Si le suffrage est un droit, s'il appartient
au votant pour lui-meme, comment le blamerparce
qu'ille vend ou paree qu'ill'emploie de faQon á 5e
faire bien venir d'une personne á laquelle il vcut
plaire pour quelque motifintércssé? On ne demande
pas a une personne de nc eonsuller que l'intéret pu-
blie dans l'usage qu'elle fail de sa maison, de son
30/0, ou de tontee quc á quoielle a réellementdroit.
A la vérité, un homme doit posséder le suffrage aHn
(entre autres raisons) de pouvoir se protéger lui-
meme; mais seulement contre un traitement dont
il doit également préserver ses concitoyens, autant
que la chose dépend de son yote.


Son vote n'est pas une chose á laisser a son C;t-
price; ses désirs personnels ll'ont ricn a y voir, pas
plus qu'au verdict d'un juré. C'est striclement Ulle
affaire de devoir; iI est obligé de voter suiyant son
opinion la plus éclairée eL la plus consciencieuse <iu
bien publico Quiconque se faiL une autre idée du
suffrage n'est pas capable de le posséder ; son es-
prit en est perverti et non point élcvé. Au lieu d'ou-
vrir son CCDur a un nohle patriotisme eL a l'obliga-




DE LA MANI~RE DE VOTER. 259
tion du devoir public, le suffrage éveille et nourrit
chez un semblable individu la disposition a se servir
d'une fonclion publique suivant son intérét, son
plaisir ou son caprice : ce sont, sur une plus petite
échelle, les sentimenls et les vues qui guident un
despote et un oppresseur.


Il est certain qn'un citoyen ordinaire, placé dan s
une position publique ou chargé d'une fonction so-
dale, pensera el sentira par rapport aux obIigations
qu'el1e lui impose, exactement ce que la société
semble pens:)r et sentir, en la lui donnant. Ce que
la société semble attendre de lui, voiIa son modele,
son type, au-dcssous duquel iI restera peut-etre,
mais au-dessus duquel il ne s'éIcvera certainement
paso Et quan,t a la maniere dont iI interprétera le
vote secret, on peut 6t1'e presque sur qu'il croira ne
pas etre obligé, en donnant son vote, d'avoir égard
a ceux auxquels on ne permet pas de savoir com-
ment iI yote ; il pensera qu'il est libre d'en disposer
comme bon lui sembIc.


Voila la raison décisive pour laquelle on ne peut
appliquer aux éleclions du parlement l'usage du
scrutin, quoiqu'il soit adopté dans les cercles et
dans les sociétés privées. Un membre d'un club es!
réellement, lui, dans la position oil r électeur croit
faussement 6tre; iI n' est obligé de considérer les
désirs ni les intér6ts de qui que ce soit. Il ne décla1'e
rien par son yote, si ce n'est gu il veut ou qu'il ne




260 GOllVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
veut pas s'associer d'une maniere plus ou moins
étroite, avec une personne donnée. C'est un sujet
sur leqnel (la chose est admise) sa fantaisic OH son
inclination est absolnment sonveraine : il vaut
beauconp mienx ponr tont le monde, y compris la
personne rejetée, qu'il pnisse le fairc sans risquer
une querelle. Une autre raison ponr laquells ici le
scrutin est a sa place, e'esl qu'il ne mene pas né-
cessairement ou naturellement h men tir.Les per-
sonnes intéressées sont de la mL\me c1asse Oll dn
meme rang, et ce serait une inronnmance ('hez l'unl'
d'elles d'en presser une autre de questions, sur la:
maniere dont elle a voté. Il en esi tout aulrement
pour les élections parlementaires et il continuera
fi'en etre autrement, aussi longtemps clu'existeronl
les relations sociales qui font désirer le scrutin,
aussi longtemps qu'un homme aura sur un :mtre
une supériorité suffisante pOlIr se croire le droit de
die ter son Yote. Et tandis qu'il en est ainsi, on pcut
etre sur que le silenre OH une réponse évasive sc-
ront regardés comme lIne prenve qne le vote n 'a
pas été donné dans le sens vonln.


En toute élection politique, ml'me dans le cas dn
suffrage universel (et a plus forte raison dans le cas
du suffrage restreint), il y a ponr le votant une obli-
gation morale absolue de considérer non son inté-
ret privé, mais l'intéret du public, et de voter sni-
"ant son jugement le' plus éclairé, exaetenwnt




DE LA MANIERE DE VOTER. 26t


comme il serai t obligé de le faire, s'il était le seul
votant et que l'élection dépendit de lui seul. Ceci
étant admis, e'est au moins une conséquence, prima
facie, que le devoir de voter, comme tout autre
devoir public, soit accompli devant les yeux du pu-
blic, sous le eoup de la critique du public dont cha-
que membre est non-seulement intéressé a l'ac-
eomplissement de ce devoir, mais ene ore peut a bon
droit trol1ver qu'on lui fait tort, si le devoir n'est
pas accompli honnetement et soigneusement. Sans
ancun doutB, eeUe maxime de moraIité poIitique
n'est pas plus absolument inviolable qu'une autre;
elle peut etre dominée par des considérations en-
~:ore plus puissantes. Mais elle est d'un tel poids
(lue les cas qui permettent une infraction, doivent
(\tre tout a fait exceptionnels. Sans doute, iI se peut
tres-bien que si nous essayons par la publicité de
rendre le votant responsable de son vote envers·
le public, iI deviendra par le fait responsable envers
quelque individu puissant dont l'intéret est plus op-
posé i't l'intéret général de la communauté que ne
le serait l'intéret du votant lui-meme, si, protégé
par le sceret, il était exempt de toute responsabilité.
Quand telle est, a un tres-haut degré, la condition
d'un grand nombre des votants, le scrutin peut etre
le moindrc de deux maux. Qlland les votants sont
des esclaves, cm peut tolérer tout ce qui les rend
capables de secouer le joug. Le cas oil le scrutin est


j 5.




262 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
le plus avantageux, e' est eelui ou le pouvoir nui-
sible du petit nombre sur le grand nombre tend a
eroitre. Pendant le déclin de la République romainc,
il y ayait en favenr du scrutin des raisons irrésis-
tibIes. L'oligarche devcnait tous les ans plus riche
et plus tyrannique, le peuple plus pauvre et plus
dépendant, et il devenait néeessaire d'élever des
barrieres de plus en plus forles contro un abus du
droit électoral, qui en faisait un instrumont de plus
entre les mains de personnagcs éminen ts et égoi's-
tes. On ne peut pas douter non plus que le scruLin,
autant qu'il existait dans la conslitution athénienne,
n'y ait eu un efret avantageux . .Memo dan s la moins
instable des républiques grecques, la liberté pou-
vait étre détruite pour un temps par un seul vote
populaire obtenu déloyalement; et quoique le vo-
tant athénien ne fUt pas dans une dépendance suf-
fisante pour qu'on put user de contI'ainte envers
lui, il aurait pu etre corrompu ou intimidé par
les violences illégales de quelque bande d'indiYi-
dus, comme il s'en trouvait meme á Alhe'l1es, parmi
lesjeunesgens riehes el de haute naissance. Dans ees
eas, le scrutin était un précicux élément d'ordre et
conduisait a la bonne administration qui distinguait
Athenes parmiles anciennes républiques. Mais dans
les pays plus avancés de l'Europe moderne et spé-
cialement dans le notre, le pouvoir de conlraindre
les votants a décliné et décline encure aujour-




DE LA MANIERE DE VOTEn. 263


d'hui; la cause d'nn mauyais yote ne serail pas pré-
cisément les influences étrangcres suspendues sur
le yotant, mais bien pIuLOt les intérets sinistres et
los sentiments pou avouables qui le caractérisent,
soit individucIlemont, soit commc membre d'une
classe. Le préserver du premier de ces maux, en
laissant le champ libre au second, ce serait échan-
ger un mal moindre et qui tend a décroitre, contre
un mal plus grand el qui tend a croitre. Dans une
brochure sur la réformc parlementaire, j'ai traité
ce sujet et la question en général, par rapport a
I'Angleterre rontmnporaine, dans des termes que
je me pel'meltrai de transcrire ici, ne me sentant
pas capabIe de faire mieux.


«( Il y a trente ans, il était cncore vrai qu'aux
« élections des membres du pal'lement: le mal
,( contre lequel iI fallait surLout prendre des pré-
« cautions, était celui qu'aurait cmpeché le scrutin,
« la con trainte exercée par les propriétaires, les
({ maltres et la clientele. A présent, j'appréhende
« infiniment plus l'égolsmc ou les inclinations
« égo'isLes <Iu votant lui-meme.


« A présent, j'en suis convaincu, un vote bas et
« malfaisant tienL beaucoup plus souvent a l'inté-
« rel personnel, ou a l'intéret de classe du votant,


.


«( ou a quelque vil sentiment chez lui, qu'a la
« crainte ou a la contrainte d'autrui : or, avec le
(~ scrutin il sorait libre de s'abandonner a ces in-




264 GOUVERNEl\lENT REPRÉSEi\TATIF.
« fluences, sans aucun sentiment de llonte ou de
« respon sabili té.


« n ya pen de temps encore, les classes les plus.
« éleyées el les p,lus riches étaient en pleine pos-
« .,ession du gouyernement. Leur pouvoir était le
« principal grief du pays. L'habitude de voter au
« gré d'un maltre ou d'un propriétaire était si so-
« lidement enracinée, que, pour l' ébranler, il fallait
« un de ces yiolents enthousiasmes populaires quí
«( n'existcnt gu(\re que pour une bonne cause. Un
« vote donné en opposition a ces influences était
( donc en général un vote honnele et plein d'esprit
{( public, mais en lous cas el par qllclque motif
( qu'il fUt dicté, c'était presque a coup sur un bon
{( vote, puisque c'élait un vote contre le mal monst1'e',
{( contre l'influence dominante de l'ohgarchie. Si, a
«( ce moment, le votant avait pu en toutc sureté
( exercer librcment son priyilége, ql1and meme iI
« ne l'aurait fait ni honnC'tement ni intelligelll-
« ment, e'eut été un grand pas en <lyant; cal' c'était
«( secoucr le joug du pouyoir alors dominant, dn
{( pouyoir qui avait créé et qui mainLcnait tont ce
\l qu'il y ayait de mauyais dans les institl1tions et
« dans l'adminislration de l'lhat, le ponvoir dos.
« propriétaires et des marcllands de boul'gs-pourris.


« Le scrutin n'a pas été adopté; mais la marche
« des circonstances a fait et faíl encore de plus en
~( plus, sous ce rapport, l'amvre dll serutin. L'état




DE LA MANIERE DE VOTER. 265~
« politique et l'état social de ce pays ont grande-
« ment changé, en tant qu'ils affectent cette ques-
« lion et changent tous les jours. Aujourd'hui, les.
« classes les plus élevées ne sont plus maitresses du
« pays. II faut fermer les yeux sur tous les signes.
« du temps, pour croire que les classes moyennes
« sont aussi soumises aux classes élevées, el que
« les classes ouvriercs sont aussi dépendantes des.
« classcs élevées el moycnnes, qu'elles l'étaient il:
« y a vingt-cinq ans.


« I~es éyénemcnts de ces vingt-cinq dernieres an-
« nées, non-seulemenl ont enseigné achaque classe·
« qucllc était sa forcecollective, mais encore ont
« mis les individus d'une classe moins élevée en,
« position de porter la tete autrement haute devant
« ceux d'une classe plus élevée. Dans la plupart des.
« cas, le vote des élecleurs, qu'il soit en opposition.
« ou qu'il soit d'accord avec les désirs de leurs su-
« périeurs, n'esl pas maintenant le fruit d'une con-
« trainte qu'onn'a plusdésormais lesmemes moyens
« d'exerccr; c'est l'expression de leurs inclinations.
« politiques ou personnelles. Les vices memes da
« systcllle électoral actuel en sont une preuve. On
« se plaint hautement de ce que la corruption aug-
« mente, de ce qu'elle gagne des endroits qui,
« jusque-la, en avaient élé exempts; done les-
« influences locales ne sont plus désormais toutes
« puissantcs, done les éleeteurs votent mainlenant




26G GOUVERNEMENT HEPRÉSENTATIF.
« a leur gré et non plus au gré d'autrui. Sans doutc,
« il y a encore, dans les comtés et dans les plus
« petits bourgs, une forte close de dépcndance ser-
(~ yile ; mais l' esprit de l' époque lui est eontraire,
«( et la force des événements tend constamment a
« la diminuer. Un bon fermier peut sentir qu'il
( est aussi précieux a son pl'opriélaire, que son
« propriétaire lui est précicux; un commerc:ant
« heureux peut se donner le luxe de se sentir in-
« dépendant de tout client particnlicl'. Achaque
« élection, les yotes deyiennent de plus en plus
« ceux des yotants eux-memes. C'cst leu!' esprit,
« bien plus que leur position, qu'il faul maintenant
« émaneiper. Ils ne sont plus désormais les instru-
« ments passifs de la volonlé d'autrui, ,de simples
« machines destinées a meltre le pouv(lir entre les
« mains d'une oligarchie contralante. Les élecleurs
(( eux-memes deviennent l'oligarchie.


( Plus le yote d'un éleeleur est dé terminé par sa
«( propre volonté, et non par celle d'un autre qui
« est son maltre, plus sa position ressemble a eelle
« d'un membre du parlement. La publicité est done
« indispensable, tant qu'une portion de la commu-
«( nauté n'est pas représentée : 1'argument des char-
« tistes contre le scrutin, joint a un suffrage res-
« lr'eint, est inattaquable. Les élecleurs aduels et la
«( majorité de ceux que tout bill de réforme proba-
« ble admeltrait au rang d'élccteurs, appartiennent




DE LA MANI~RE DE VOTER. 267
« a la c]asse moyenne et ont a ce titre un intéret
{( de cIasse distinct de celui des classes ouvrieres,
« ou des propriétaires, ou des grands manufactu-
« riers. Si l'on accordait le suffrage a tous les ou-
« vriers habiles, ceux-Ia meme encore auraient ou
« pourraient avoir un antre intéret de classe que les
« ouvriers inhabiles. Sl1pposons qn'on accorde le
« suffrage a tous les hommes; supposons que ce
« qui était aulrefois fal1ssement appelé le suffrage
« universel et ql1'ori appelle sottement aujourd'hui
« le suffL'age viril, deyienne la loi, les votants au-
« raient encore un intéret de classe distinct de celui
« des femmes. Supposons que le législateur agitat
« une question qui con cerne spécialement les
({ femmes,comme de savoir siles femmes pourraient


. « prendre de's grades aux uniyersités, ou si les pei-
« nes légeres infligées al1X scéléraLs, qui chaque
c( jour battent leul's femmes presque au point de les
« tuer, ne devraient pas etl'e changées contre quel-
« que ehose de plus efficace ; ou, supposons qu'on
« propose au parlement anglais ce qui aux États-
« Unis est le fruit non d'une simple loi, mais d'une
« mesure spéciale dans leur constitution révisée -
« a savoil', que les femmes mariées aient un dl'oit
« sur ]eul's propres fortunes, - est-ce que la femme
« et les filles'd'un homme n~ont pas le droit de sa-
« voil' s'il vote poul' ou contre un candidat qui sou-
<l tiendra ces pl'opositions ?




268 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
« Naturellement on objectera que ces arguments.


« tirent toute leur force de ce qu'on suppose un
« état injuste du suffrage, et que si l'opinion des.
« non-électeurs a chance de faire voter l'éIecteur
« plus honnetement ou plus avantageusement qu'il
« nevoterait a lui tout seul, ils sont plus propres
« que lui a etre électeurs, et devraient posséder ce
« droit. On nous dira que quiconque est capabIe
« d'influencer les électeurs, est capable d'ctre un
« électeur; que ceux envers lesquels les votants
« dcvraient étre responsables, ceux-la devraient
« elre eux-memes des votants, et avoir eomme Lels.
« la protection du scrutin pour les g;uantir contre
« l'influence illégale de classes ou d'individus puis-
« sants, envers lesquels ils ne devraient pas etre
« responsables.


« CeL argument est spécieux, et autrefois je raí
{( cru concluant. Maintenant il me paralt fallacieux.
« Tous eeux qui sont capables d'influencer les éJec-
« teurs nc sont pas par cette raison capablcs rl'ctre
« eux-memes électeurs. Le dernier pouvDie est
« beaucoup plus important que le premier, et ceux
(( qui peuvent étee propres a la moindre des deux
« fonctions politiques pourraient ne pas etre capa-
« bIes de rempIir utilement la fonction supérieure .


• ({ Les opinions el les désirs de la classe ouvriere la
« plus pauvre et la plus grossiere peuvent etre tres-
« utiIes comme une influence, entre autres, sur




DE LA MANIF:RE DE VOTER. 269-'


(1 l'esprit des yotants et sur eelui du législateur : et
« cependant il pourrait elre hautement nuisible de
« leur donner l'influence prépondérante, en les ad-
« meltanl, dans l'état actuel de lenr moralité et
'( de leur intelligence, a exercer pleinement le droit
« de suffrage. C'est précisément eette inflnence in-
(! directe de ceux qui n'ont pas le suffrage sur ceux
,( qni 1'ont, qui, par son déye]oppement progressif,
« prépar9 les yoies a toutc cxtension du suffrage,
I( quand Ir moment est yenu d'opérer paisiblement
« ecUe extcnsion. Mais il y a une autre considé-
« ration cncore plus profonde, qu'on ne devrait ja-
« mais perdre dp yue dans les spéculations politi-
I( {[ues. La notion que la publicité el le sentiment
« de la responsahilité enyers le publie ne sont d'au-
« cune utilité, si le publie n'est pas capable de ju-
« ger sainement, eette nolion est sans fondement.
« Il fau t élyoir une idée tres-superficielle de l'utilité
« de ropinion publique, pour ne la croire avanta-
« gouso que lorsqu'elle réussit a faire tout plier
« sefYilement.f~tre sous le regard d'autrui, avoir a
« se défondre contre autrui, n'est jamais plus im-
« portant que pour ceux qui agissent en opposi-
« tion a l'opinion d'autrui : car alors ils sont obli-
« gés d'avoir un motif bien fondé. Rien n'est teI
« ponr agir d'une maniere rassise et réfléchie, que
« d'agir rontre une pression. En laissant de coté
« l'effet temporaire d'nne excitation temporaire, nuli




270 GOUVERNEl\1ENT REPRÉSENTATW.
«( ne fera ce qu'il s'attend a voir blAmer hall le-
« menl, a moins d'avoir un projet arrcté el pré-
« conQu, chose qui prouve toujours un caractere
« aneté et réfléchi el qui procede en général,
« excepté chez des hommcs radicalement mauvais,
« de convictions personnelles forles el sinceres.
« Meme le simple fait d'avoir a rendre eompte de
« sa conduite est une raison pllissante pour se con-
« duire d'une fac:.on dont on puisse au moins ren-
« dre compte décemmcnt. Si quelqu'ull croit que
« la simple obligation d'observer les regles de la
« décence n'esl pas un obstacle trcs-considéeable
« a l'abus du pouvoir, c'est qu'il n'a jamais faít at-
« tention a la conduite de ceux qui ne sont pas dans
« la nécessité d 'observer ces regles. La publicité est
« inappréciable, meme quand elle ne fait qn'empc-
« cher ce qui ne peut etre défendu d'une maniere
« plausible, imposant la réflexion, obligeant cha-
« cun a murir avanL l'action ce qu'il dira, s'il est
« appelé a rendre compte de ses actions!


« Mais on peut nous dire que plus tard, quand
« tous seront aptes a avoir des votes et que tous
« les hommes et toutes les femmes seront admis a
« voter en vertu de lenr aptitude, il n'y aura plus
« alors a craindre une législation de classe ; qu'alors
« les électeurs éta,nt la nation ne pourront plus
« avoir un intéret distincL de l'intéret général; que
« meme si quelques individus votaient encore d'a-




DE LA MANIERE DE VOTER. 2iJ


« pres des motifs intéressés, il n'en serait plus ainsi
« pour la majorité; que eomme alors il n'y aura
« plus de non-électeurs envers qui elle devrait etre
« responsable, l'efret du serutin n'éeartant que les
« influenees pernieieuses sera eomplétement avan-
« tageux.


(! Je ne puis, me me dans eette hypothese, ae-
« quicseer an serutin.


« Je ne veux pas croire que, meme si le peuple
« était digne de suffrage universel et l'avait obtenu,
« le scrutin serait désirable. D'abord paree qu'on
« ne peut pas en de telles eirconslanees supposer
« qu'il soit utile. Examinons l'état de ehoses que
{( l'hypothcse implique: un peuple ou l'éducation
« est universellement répandue et ou tout etre hu-
« main adulte possede un vote. Si meme, quand un
« petit nombre seulement a le droit éleetoral et
« que la majorité du pcuple est presque sans édu-
« eation, l'opinion publique est déja, eomme cha-
l( cun le voit aujourd'hui, le pouvoir dominant en
« dernicr ressort, e' est une chimere de supposer
« que les propriétaires et les gens riehes pour-
« raient, lorsque tous sauraient lire et posséde-
(1 raient un vote, exereer sur une eommunauté,
« contrairement a sa propre inclination, un pou-
« voir auquel il lui serait difficile de résister. ~bis
« si la protection du secret devient alors inutile, le
~( controle de la pub licité est plus utile que jamais.




272 GOUVERNEMENT REPRÉSEN'fA TIF.
« On s'est bien trompé dans l'observation de 1'es-
« pece humaine, si l'on se figure que le simple fait
(( d'etre un membre de la communauté el de ne pas·
« uvoir un intéret décidémen t contraire a celui du
« public, suffit pourgarantir l'accomplissementd'un
« devoir public, sans le stimulant ou sans la con-
{( trainte qui dérive de l'opinion de nos semblables.


« La part d'un homme dans l'intéret public ne
« suffit point, meme quand son intérel privé ne le
« tire pas d'lln antre cOté, pour lni faire ac('omplir
« son devoir envers le public; on a lrouvé qu'en
« regle générale il fallait quelque autre stimulant.
« On ne peut pas non plus admettre que, meme
« si tons avaient des votes, tous voteraient aussi
« honnetement en secret qu'en publico '


( En examinant celte proposition que les élec-
« teurs, qlland ils composent l'ensemble de la
« communauté, ne peuvent avoir un intérct a voter-
« contre l'inleret de la communauté, on s'aper-
« cevra qu'elle n'a pas grand sens. Quoiqne la
« communauté comme ensemble puisse ne pas
« avoir (ainsi que l'impliquent ces expressions) un
« autre intéret que son intéret collectif, chaque
« individu dans la commllnallté peut en avoir un
« autre.


« L'intérct d'un homme consiste dans ce a quoi
« il prend intéret. Chacun a autant d'intércts diffé-
« rents. qu'il a de sentiments, de sympathies on




DE LA MANIERE DE VOTER. 273
« d'antipathies, soit égo'istes, soit d'une meilleure
« espece. On ne peut pas dire que chacun de ces
« sentiments, pris séparément, constitue « l'inté-
« rel ») d'un hommo. Cet homme est bon ou mau-
« vais, selon qu'il préfcl'e une classe de ces intérets
« ou l'autre. Un homme qui est un tyran chez lui,
« sera porté a sympaLhiser avoe la tyrannie (quand
( elle ne s'oxerce pas sur lui), il est presque cer-
« tain qu'il no sympathisera pas avec la résistance
« a la Lyrannie. Un homme envieux votera contre
« Aristidc, paree qu'onl'appellelejustc. Un homme
« égo'iste préférera un avantage individuel, meme
« léger, asa parL de l'avantage que son pays tirerait
« d'une bonne foi, paree que les intérets qui lui
« sont parLiculiers sont eeux qu'il est le plus porté,
« par les habitudes de son esprit, a considérer et a
( priser. Un grand nombre d'éleeteurs auront deux
« genres de préférences, les unes fondées sur des
« moLifs privés ; les autres, sur des motifs publics.
{< Ces derni¿'fes sont les seules que l'électeur vou-
«( drait avouer. Le meilleur cOté de leur caractere
« est celui que les hommes sont désireux de mon-
« trer, meme a eeux qui ne valent pas plus qu'eux.
« Les gens voteront d'une maniere malhonnete ou
( basse (par avarice, par méchanceté, par rancune,
( par rivalité personnelle et meme a cause des in té-
« rets ou des préjugés de classe ou de secto) beau-
« coup plus volontiers, si lo vote est seeret que s'il




27tÍ GOUVERNEMENT REPRESENTATIF.
« est publico Il existe des cas - et jI se peut qu'ils
c( deviennent plus fréquents - ou le seul frein qui·
c( contienne une majorité de coquins, c'est son res-
« pect involontaire pour l'opinion d'une minorilé
« honnéte. Dans un cas comme cellli des ~~tats ban-
« qllerollliers de l'Améri(Iue du Nord, esL-ce que
« la honte de regarder un honneLe homme en face
« n'est pas un frein pon!' le yotant sans principes?
« Puisqne tont ce bien serait perdll ayec le scrll-
« tin, me me dans les circonslances qui lui sonl le
« plus favorables, iI fant, pour en rcndre l'adoption
« désirable, un cas beauconp plus nrgent qu'on ne
« peut en trouver aujourd'hui, el ce cas devient de
CI plus en plus rare (1). »


Quant aux autres points contesLables qui se rap-
portent a la maniere de voter, il n'est pas néces-
saire d'en parler aussi longllement. Le systcme de
représentation nationale, tel que l'organise M. Hare,
rend nécessaire l'emploi de bulletins de votes. Mais
il me parait indispensable que la signature de l' é-
lecteur soit apposée au lmlleLin dans un bureau pn-
blic d'enregistrement, ou, s'il n'y en a pas de com-
modément accessible, dans quelque endroit ouvert
a tout le monde et en présence d'un fonctionnaire
public responsable. Je regarderais comme funeste


(1) Pensées sU}' la l'f!Ol'me paI'lemelllaire, 2e éditioll, pages
32-3G.




DE LA MANIERE DE VOTER. 2i5
la proposition qui a été émise de permettre au vo-
tant de remplir chez lui les bulletins de votes, et de
les renvoyer par la poste, a moins qu'ils né fussent
recueillis par un fonctionnaire publico L'acte serait
fait en r absence de toutes les influences salutaires
et en présence de toutes les influences pernicieuses.
Le corrupLeur pourrait, a l'abri du secret, voir de
ses propres yeux l'accomplissement de son marché.
Et l'intimidateur yerrait sur-le-champ devenir irré-
,'ocable la soumissioll qu'n aurait extorquée. Tan-
dis que l'infIuence cOlltraire et bienfaisante, exercée
par la présence de ceux flui connaissenL les senti-
ments réels du yotant, l'effet encourageant de la
sympathie des gens de son parti Oil de son opinion,
seraient compléLement perdus (1).


(1) On a beaucoup recommandé cet expédient, et parce qu'il
pst économique et parce que de cette fagon on recueillerait
les votes d un gl'and nombre d'électeurs qui autrement ne vo-
teraient pas, et qlli sont regardés par les défenseurs du plan
comme une classe de votants particulierement désirable .. On a
mis ce plan i.t exécution pour l'élection des administrateul's de
la loi des pall\TeS, et comme on s'en est bien trouvé, on rap-
pelle ce succes pour faire adopter le cas plus important de
l'électioll d'un mr:mbre de la législature; mais les deux cas
me semblent différents quant au point d'ou dépendent les
a\'antages de l'expédient. Dans une élection locale, pOllr une
espece particuliere de besogne administrative qui consiste
principalement dans la dispensation de fonds pnblics, il faut
empechel' le choix d'etre exclusivement entre les mains de
ceux qui s'en occupcnt d'une maniere active; l'intéret public
qui s'attache a l'élection étant limité et assez faible la plupart
<iu temps, la disposition a s'occuper de la cllose ne se trouve
e;ue,re que chez des personnes qui esperent tourner leur acti-




·276 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Les endroits pour v·oter (polling-places) seraicllt


· assez nombreux pour etre a la portéc de tout y()-
tant, et ron ne permettrait sous aucun prétexte de
mettre les frais de transports a la charge du ClllHli-
dat. Les infirmes, et encore moyennant un certifi-
cat médical, auraient seuls le droit de demander a
· etre tl'ansportés en voiture aux frais de l'1ttat ou
· de la localité. Les hustin.qs (ou assemblées électo-
rales), les commis préposés au dépouillement des
votes (pollcseJ'ks) et lout le mécanisme nécrssaire
des élections, seraient payés par le publico Non-
seulement on n'exigerail pas grande dépense d'un
candidat pour son élection ; mais on ne lui permet-


vité a leur profit particulier, et iI peut etre tres-désirable que
l'intervention d'autres personnes soit rendue aussi peu oné-
reuse que possibIe, quand ce ne sel'ait que poue confondre ces
intéÍ-ets privés. Mais quand il s'agit de la grande affairc du
· gouvernement national, Oll doit s'intére~ser tout homme qui
ne songe pas qu'a lui cxclusivement, ou mcme qui songe 11, lui
d'une fac;on intelligentc, il faut bien plutOt empcchce de votcr


· ceux a qui la ehose est indifféeente, que d(~ les pousser a votm'
d'une autl'e fac;on qu'en éveillant lCUl'S esprits engourdis.
L'homme qui ne se soucie pas asscz dc l'élcction pour aller
donner son vote, e¡,t précisément l'homme qui, s'il pcnt voter
san s ectte légere peine, donnera son vote a la premiere per-
sonne qui le lui demandera, ou le donnera d'apres lc motif le
plus insignifiant ou le plus frivole. Un homme qui ne se soucie
nullement de voter, ne s'inquiétera pas beaucoup dc la far;on
dont il vote, et eelui qui est dans cet état d'esprit n'a aueun
droit moral a va ter, puisque, s'il le fait, un vote qui n'est pas
¡'expression d'une conviction, compte pour autant et contribue
tout autant au résultat final, qu'un votc qui repl'ésente lcs
pensées et les vues de toute une vic (Pensées su/' la réfol'me
.pa1'lementwá, p. 39.)




DE LA MANIERE DE VOTER. 277


trait de faire qu'une dépense limitée et trcs-insigni-
fiante. M. Hare regarde comme désirable qu'on
exige une somme de 50 livres sterling de quiconque
se met sur la liste des candidats, pour empecher
les personnes qui n'ont aucune chance de succes et
aucune intention réellc de persévérer, de se poser
-comme candidats, simplement par étourderie ou
par amour de notoriété, et de distraire quelques
votes nécessaires a la nomination de candidats plus
sérieux. Il y a une dépensc a laquelle nc peuvent
échapper les eandidats OH lou1's partisans, et on ne
peut guerc s'altendre a yoir le publie la payer pour
tous eeux a qui il plairait de la demander: je veux
parle1' de la nécessité ponr un candidat de faire
'connaltL'e ses droits aux éledenrs par des avertis-
sements, des affiches, des eirculaires. Pour toutes
les dépenses néeessaires de eeUe espece, les 50 li-
Hes de M. liare (on pourrait au besoin por ter ce
'chiffre a 100), si on permettait de les employe1' a ces
objets: devraient suffi1'e. S'il plaisait aux amis du
-candidat de se mettre en frais pour des comités,
des brigues, etc., iI n'y aurait pas moyen de les en
·empeeher; mais de telles dépenses de la part du
candidat ou toute dépense exeédant les 50 (ou 100)
livres, seraicnt illégales ou punissables.


S'il y avait quelque apparence que l'opinion re-
fusat de se preter au mensonge, on exigerait de
tout membre, en prenant son siége, une déclaration


t6




2i8 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
par serment üu sur l'honneur que pour son élection
i1 n'a pas dépensé ou ne dépensera pas, en argent
ou en yaleur quelconque, dircctement ou indirec-
tement, plus de 50 liHes, et s'iI était prouvé que
l'assertion était fausse ou que le serment n'a pas
été tenu, le membre serait sujet aux peines du par-
jure. Il est probable que ces peines, en montrant
qne le législatcllr prcnd la chosc au sériellx, la fe-
raient prendre de meme par l'opinion et empeche-
raient le public de regarder, ainsi qu 'il 1"a fait jus-
qn 'iei, comme une simple peceadille, ce erime des
plus graves envers la soeiété. Quand une fois cet
effet aurait été produit, il n'y a aucun doute qu'on
se regarderait comme lié apres une déelaration sur
l'honneur ou par serment (1). « L' opinion ne tolere


(1) Plusieurs des témoins devant le comité de la Chambre des
communes, en 1860, sur l'effet de l'acte contre la cOI"ruption
(C01'I'Upt pl'lIctices preven/ion l/ct) dont quelques- uns avaient une
gl'ande expél'ience pratique de tout ce qui tOllche aux élections,
étaient favorables (soit absolllment, soit en dernier l'essort)
au principe qui exige une déclaration des mcmbres dn parle-
mcnt (Preuves, pages 46, 54,57, 67, 123, 19R, 202, 208). Le
commissaire en chef de Wakefidd Inquil'lj disait (en parlant
certainement d'une proposition différente) : « Si on voit que la
législature prend la chosc au sérieux, le mécanisme marchera .....
Je suis tOllt a fait convaincu, que si quelque stigmate personnel
était infligé dans le cas de corruption démontrée (bribel'Y). la
direction de l'opinion publique en serait changée. » (Pages 26
et 36.) Un membre distingué de ce comité et du cabinet ac-
tuel paraissait trouver de graves objections a ce qu'on attachat
les pénalités du parjure a un serment contenant simplement
une promesse, parce que c'est autre chose qu'un serment af-
fil'matif; mais on lui a l'appelé que le serment preté par un
témoin devant une cour de justice, est un serment qui con-




DE LA MANlftRE DE VOTER. 279
un parjure que quand elle tolere la chose a cause
de laquelle a lieu le parjure. » Ceci est notoirement
le cas, quant a la corruption éleetorale. Il n'y a ja-
mais eu parmi les hommes politiques un effort réel
et sérieux pour empeeher la eorruption, paree qu'il
n'y a jamais eu un désir réel que les élections ne
fussent pas eoftteuses. Leur eherté est un avantage
pour ecux qui peuvent faire cette dépense, paree
qu'elle exclut une foule de rivaux; et l'on maintient


tient une promesse et sa réponse que la promesse du témoin
se rapporte á un acte qui va Otre [ait sur-Je-champ, tandis que
celle du membrc serait une promesse pour l'avenir, ne signi-
fierait quelque cIlose, que s'i! était possible de supposer que la
personne qui pro te serment peut oublier l'obligation qu'elle a
eontraetée, ou la violer sans s'en douter; autant d'éventualité8
qui dans le cas actuel sont hors de question.


Une difficulté plus réelIe, e'est qu'une des formes que revct
...le plus souvent la dépense faite pour une élection, est eelle de


souseriptions aux CBuvres de bienfaisanee locales ou a d'autres
objets locaux ; et ce serait une mesure violente que d'empe-
eh el' le membre nommé par une ville, d'y faire des eharités.
Quand de pareilles souscriptions 80nt bona fi1e, la popularité
qu'on peut en retirer, est un avantage qu'il semble presque
impossible de refuser á des richesses supérieures. Mais lemal
consiste surtout en ce que le produit de ces versements est
employé (c'est l'euphémisme dont on se sert) a maintenir l'in-
téret du membre. Ponr empecher eet abus, il faudrait qu'en
pretant sel'me¡lt le membre s'engageat á faire passer par les
mains de l'auditeur d'élection (election au.dilol') toutes les
sommes qu'il dépenserait pour la ville, ou pour qnelque objet
ayant rapport a la ville, ou a un de ses habitants (excepté
peut-etre la dépense courante de sa maison), afin que ces
sommes fussent appliquées a l'usage déclaré par l'auditeur et
non par le membr'e luí-meme ou par ses amis.


Le príncipe de mettre toutes les dépenses légitimes des élec-
tions aux frais, non des candidats, mais des localités, a été
soutenn par deux des meilleurs témoins (pages 20, 65, 70,277).




"2HO GOUVERl\lEME1\T REPRÉSENTATlF.
an~c soin, comme ayant une tendance conserva-
trice, toute chose, si nuisible qu'elle soit, du mo-
ment que, grace a elle, le par!ement n'est aeeessible
qu'aux gens riehes. Ceei est un sentiment enraciné
parmi nos législateurs des deux partis poli tiques,
et e'est presque le seul point sur lequel je les erois.
réellement mal intentionnés. Qui volera les inquiete
peu, pourvu que l'objet du vote ne puisse ctre
qu'une personne de leur cIasse; ou du moins cette
assuranee leur est plus préeieuse que tout.


lIs savellt qu'ils peuvent compter sur le senti-
ment de confraternité qui unit entre eux tous les.
membres de lenr propre cIasse, qu'ils peuvent
eompter plus surement encore sur la soumission
des nouveaux enriehis qui frappent a la porte de
eette classe, et que ríen de fatal aux intérets de
cette classe et aux sentiments des riches ne doit
ctre redouté, meme ayee le suffrage le plus démo-
cratique, tant qu'on peut fermer aux démocrates
l'acees du parlement. Mais a leur point de yue
meme, c'est une mauvaise politique de balancer un
mal par un mal, au lieu de combiner un bien 'avec
un bien. Il s'agit de fondre ensemble les meilleurs
membres des deux cIasses dans des condilions ou
chacun abandonne ses intérets de classe, oú tous
poursuivent de concert la voie tracé e par 1'intéret
commnn, au lieu de donner libre cours dans les
colléges électoraux au sentiment de cIasse du grand




DE LA MANIERE DE VOTER. 28t


nombre pour le conlraindre ensuite a agir par l'in-
termédiaire de personnes imbues des sentiments
ele classe du petit nombre.


Les institutions politiques ne sont jamais aussi
nuisibles, moralement parlant. - Elles ne fonl ja-
mais tanl de mal par leur esprit - que lorsqu'elles
représentent les fonctions politiques comme une
rayeur a aeeorder, eomme une chose que le dépo-
sitaire doít sollieiter comme s'il la désirait pour
lui, et meme qu'il doiL payer comme si on la
lui donnait pour son profit a lui; les hommes ne
sont pas disposés en général a donner de grosses
sommes pour obtenir la permission d'aceomplir un
devoir laborieux. Plato n avait une idée beaucoup
plus juste des eonditions d'un bon gouvernement,
quand il soutenait que les hommes a rechereher
pour en faire des gouvernants, sont eeux qui y
éprouvent le plus d'aversion, et que le seul motif
sur leqlleI on puisse eompter pour décider au gou-
vernerncnt les meillew's, e'est laerainte d'étre gou-
vernés par les ¡)l·res. Que doit penser un éleeteur
quand iI voit trois ou qualre gentlemen, dont jus-
que-la aucun ne s'élail fail remarquer par la pro-
digalité de sa bienfaisanee désintéressée, luttant a
qui dépenscra le plus d'argent pour pouvoir écrire
sur leurs carles : Membre du parlement? Va-l-il sup-
po ser que e'est dans son intérét qu'iIs font toute
eette dépense? Et s'il se forme une opinion nelte


16.




282 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
de leur motif, quelle obligation morale va-t-il res-
sentir pour son propre compte? Les hommes poli-
tiques regardent yolontiers comme une chimere
d'illuminé la supposition qu'il puisse exister un
corps électoral incorruptible : une chimere san s
aucun doute, tant qu'ils ne s'efforceront pas eux-
memes d'Ctre sans reproche en matiere éleclorale;
car ce sont les candidats qui, en fait de moralité,
donnent le ton aux élcctcurs. Tant que le membre
élu paye son siége de quelque faQon que ce soit,
on échouera a faire de l'élection antro chose rlu'un
marché pour toutes les padies. Tant que le can di-
dat lui-mcme et que le public semblcront regarder
la fonction d'un membre du parlement moins
comme un devoir a remplir que cornme une favenr
a solliciter, on ne fera jamais croire a un électeur
ordinaire que l'élection d'un membre du parlement
est une affaire de deyoir, et qu'il n'est pas libre de
considércr uniquement la dedans sa convenance
personnelle.


Le meme principe qui veut qu'aucune dépcnse ne
soit demandée ni permise au candidat pour son
élection, dicte une autre conclusion dont Ja ten-
dance, quoiqu'elle semble contraire, mene pourtant
au rneme but. Ce prineipe rejette ce qu'on a sou-
vent proposé comme un moyen de rendre le parle-
ment accessible a tous sans distinction : le paye-
ment des membres du parlement. Si, comme dans




DE LA. MA.NIERE DE VOTER. 283


quelques-unes de nos colonies, il n'y avait guere
de personnes capables qui pussent se charger d'une
occupation non payée, le traitement serait une in-
demnité pour la perte de temps ou d'argent, et
pas un salaire. La facilité plus grande de choix que
donnerait un salaire, est un avantage illusoire.
Quelle que fUt la rémunération attachée a la fonc-
tion, ce ne serait point un attrait pour les personnes
engagées sérieusement dan s d'autres professions
lucratives avec la perspective d'y réussir. Par con-
séquent l'occupation d'un membre du parlement
deviendrait, en soi, une occupation poursuivie
comme d'autres professions, en vue uniquement de
ses profits pécuniaires et sujette aux effets démo-
ralisants d'une occupation essentiellement pré-
caire. Ce serait la convoitise des avenluriers de bas
étage. Les six cent cinquante-huil personnes qui
posséderaient le poste, et celles (en nombre dix ou
vingt fois plus gl'and) qui espéreraient y parvenir,
s'efforceraient sans eesse de gagner ou de conser-
ver les suffl'ages des électeurs, en leur promettant
toutes espcces de choses honnMes ou malhonnetes,
possibles ou impossibles: elles se feraient, a qui
mieux mieux, les complaisantes des sentiments les
plus has et des préjugés les plus ignorants de la por-
tion la plus vulgaire de la foule. L'enchere entre
Cléon et le marchand de saucisses dans Aristophane
est une caricature exactede cequi se passeraitjour-




284 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.


nellement. 'Cne pareille institution serait un yr,sica-
toire appliqué a demeure auxparties les plus fragiles
de la nature humaine. Cela équivaut a offrir six cent
cinquante-huiL prix aux flatteurs les plus heureuxt
aux corrupteurs les plus adroits d'une portion du
peuple. On n'a yu sous aucun despotisme un sys-
teme de culture aussi bien organisé pour faire une
récolte abondante de courtisanerie (1). Quand, a
cause de quaIités prééminentes (ce qui peut quel-
quefois se renconLrer), il est désirable qu'une per-
sonne n'ayañt aucune fortune, ni aucun rnoycn d'cn
acquérir, soit nommée au parIcmcnt pour rendre
des services que nulle autre ne rendrait aussi bien,
il y a la ressource d'une souscription publique: le
membre peut, comme André Marvel, vivre pendant
qu'il est au parlement, des conlributions de ses


(1) Comme le remarque M. Lorimer, en ceéant poue les pee-
sonnes de la derniere classe un motif pécuniaire de se consa-
crer aux affaire;;; publi(l ues, on inaugurerait formellement la
profession du dém8gogue. Bien n'est a fuir comme une com-
binaison ou l'intéret privé d'un groupe de persollnes actives
est de pousser la forme du gouvernement dans la dil'ection qui
est déja ceHe de ses mauvais penchants natul·els. Ce qu'on
voit d'une multitude ou d'un individu, lorsqu'on les abandonne
simplement a leul's propres faiblesses, ne donne qu'une faible
idée de ce que ces faiblesses deviendraient si elles étaíent
excitées par un millier de flatteurs. S'il y avait 658 places,
avec des appointements surs quoique modestes, et qu'on put
les gagner en pp,rsuadant a la multitude que l'ignorance vaut
autant et mieux que le savoir, vous la verriez (cela du moin~
est terriblemellt a craindre) penser et agir d'apl'es ce príncipe.
(Article dan s Frase/' magasine, avril 18a:), intitulé: Des éCl'i-
vains récents sW' la Té(oi'me.)




DE LA MANIERE DE VOTER. 285


cornrnettants. A cela il n'y a ríen a dire ; car on ne
rendra jamais un pareil honneur a la pure servi-
lité. Les masses ne se soucíent pas assez de la diffé-
rence qu'il y a entre un flatteur et un autre, pour
prendre un individu particulier a leur charge, afin
d'étre flattées par luí. Elles n'agíront ainsi qu'en ra-
veur de qualités personnelles extraordinaires, les-
queHes, si elles ne prouvent pas d'une faQon abso-
lue l'aptitude d'un hornrne a ('tre un représentant
national, pcuvcnt toujours la faire présumer, et
prouvent en tous cas jusqu'a un cerlain point que
cet hornrne p'Jssede une opinion et unevolonté
indépendanLes.




CHAPITRE XI


DE LA D[jHÉE DES PAnLE~lEN rs.


Au bout de combien de temps les membres du
parIement doivent-ils eLre réélus? Ici les principes
sont évidents; la difficuIté est de les appliquer.
D'une part, un membre ne devrait pas conserver
son siége assez longlemps ponr en vepir a oublier
sa responsabilité, a ne pas s'inquiéter de ses de-
voirs, a les remplir en vue de son intérct personnel
ou a négliger les conférences libres et publiques
avec les commettants, lesquelles, soit qu'il se trouve
d'accord, soit qu'il differe d'opinion avec eux, sont
un des avantages du goúvernement représentatif.


D'autre part, iI faut qu'il se sente assuré de gar-
der son poste pendant un temps suffisant pour
pouvoir elre jugé, non d'apres un acte isolé, mais
d'apres l'ensemble de sa conduite. II est important
qu'il ait la plus grande latitude d'opinion et de dé-
termination individuelle, compatible avec le con-
trole populaire indispensable en tout gouvernement




DE LA DURÉE DES PARLEMENTS. 287
libre; et a cet effet il faut (ce qui en tout cas est
préférable) que le contrOle soit seulement exercé,
quand celui qui en est l'objet a eu le temps de
montrer toutes les qualité~ qn'il possede, et de
prouver a ses commettants qu'il peut se rendre un
représentant désirable et digne de confiance, sans
etre précisément l'organe et l'avocat littéral de leurs
opmlOns.


n est impossible de faire en termes généraux la
part de ch3cun de ces principes. Lorsque le pouvoir
démocratique dan s la constitution est faible ou trop
passif el a besoin de stimulanls, lorsqne le repré-
sentant, apres avoir quitté ses électeurs, entre sur-
le-champ dans une atmosphere de cour ou d'arislo-
cratie ou toutes les inflnences tendent a détourner
sa conduitede la direction populaire, a diminuer
tous les sentimenLs populaires qu'il pouvait avoir et
a Iui faire onblier les désirs et négliger les intérets
de ceux qni l' ont éln, il est indispensable ponr te-
nie son caractere et ses sentiments a la hautenr
vonlne, qn'il ait a revenir souvent a la source de
ses pouvoirs. En pareil cas, trois ans meme son1
presqne une période trop longue, et un terme plus
long est absolument inadmissible.


Lorsqu'au contraire la démocratie est le pouvoir
dominant, 10l'sque ce pouvoir tend a augmenter
encore et que son action a pllltOt besoin d'étre mo-
dérée qll'encouragée, lorqu'llne pllblicité san s bor-




ns GOUVERNEMENT REPHÉSENTATIF.
nes et des journaux toujours présents donnenl au
représentant l'assurance que chacun de ses acte~
sera immédiaternent connu, discuté, jugé par ses
cornmettants, et que sans cesse il perd ou gaglle dn
terrain dans leuT' estime, tandis que par les memos
rnoyens, l'ipfluenee de Ieurs sentirnenls et toutes
les antres influences démocratiques se maintiennenl
vivantes el actives dan s l'espril du représcntanl,
en ce cas-la, disons-nous, une periodo de moins dI'
cinq ans scrait a peino suffisante pOUl' empec1H'"
une dépendance timid(~. J..u ('hangernell t qui s'us!
opéré sous lous les rapporLs dans la pnliLiquo an-
glaise, explique pourquoi aujourd'hui on se soucie
tres-peu et on parle tres-raremcnt des parlements
annueIs qui, il y a quarante ans, formaient une par-
tie si imp0ftante de la doctrine des réformateurs les
plus avancés. Il y a un fait qui mérite d'etl'c pris en
considération : c'est que queHe que soit la durée
d'un parlement, pendant ladernicre année ses mem-
bres sont dans la position ou ils seraient tOlljOUI'S
si les parlements étaient annuels. De sorte que si
la dUl'ée en était trcs-coul'tc, il y auraiL véritable-
ment des parlements annuels pendant la plus
grande partie du temps. Au point ou en sont les
choses maintenant, ce n'est guere la peine de chan-
ger la période de sept ans, quoiqu'elle soit d'une
Iongueur inutile, surtout puisque la possibilité tou-
jours imrninente d'une dissolution plus prompte,




DE LA DURÉE DES PARLEMENTS. 289
rappelle constamment au membre la nécessité d'e-
tre en rapport avec ses commettants.


Quel que soit le terme le meilleur pour la duré e
du manlla t, il pourrait semblcr naturel que chaque
membre abandonnat son siége a l'expiration de ce
terme (en le faisant courir rlu jour de son élection)
et qn'il n'y cut pas un renouvellcment génél'al de
toute la chambro. On pourrait parler beaucoup en
ravenr de ce systcmc, si l'on avait, cn le proposant,
l{ueIque buL praticllle. Mais iI ost condamné par
des raisons beaucoup plus fortes que celles qu'on
pourrait allégucr a son appui. Une de ces raisons
e' est qu'il n'y aurait aucun moyen de se débarras-
scr promptement d'une majorité dont la conduite
serait nuisible ;1' la nation: La eertitude d'nnc élec-
tion gén{'rale aprcs une période limité e qui souvent
sorait presflue cxpir{~e, ot la possibilité de cette
élection toutes les fois que lo ministre la désire
pour lui-mcme ou croit par la se rendre populaire,
out pom' offct probable d'empecher ceUe grande
divergence entro les scntimenls de l'assemblée et
ceux des colléges électoraux, qui pourrait subsister
indéfinirncnt, si la majorité de la chambre avait
toujours plnsieurs années devant elle, si elle rece-
vait goutte a gouite de nouvclles infusions, les-
quelles probablement prendraient plutót qu'elles
ne modifieraient l'esprit de l'assemblée. Il est
aussi essentiel que le sentiment général de la


17




290 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
chambre soit d'accord on gros avec colui de la na-
tiOll, qu'il est essentiel que les individus distingués
puissent, sans perdre leur siége, exprimer libre--
ment les sentiments les plus impopulaires. 11 y a
une autre raison tr8s-puissante contre le renouvel-
lement graduel et partiel d'une assemblée repré-
sentative. Il est utile qu'il y ait une revuo générale
ot périodique des forces opposées, pour mesurer
l'état do l'esprit public et pour jugor ayec tonte
eertitude de la force relativo des différcnts partís et
des différentes opiniolls. On Jl 'y al'I'i"c pas d'une
maniere décisive avoc un rcnouvollomcnt partiel,
meme lorsqu'uno portionnombrouso de la cham-
bre, lec inquieme ou le tiers, ost renouvelée a la fois,
comme dans quelques-unes des eonstitutions fran-
<{aisos.


Les raisons qu'il ya pou!' aceol'der a l'exéculllle
pouvoir de dissolution seront oxaminées dan s un
chapilre subséquent, relatif 11 la con~titution et aux
fonctions de l'exécutij' dans un gOllvcrnement rp-
présentatif.




CIIAPITRE XII


LES :MEMBHES DU l'ARLEMENT DEVRAIENT-ILS llTRE SOUhlIS AU


MANDAT IMPÉRATIF.


Un mernlJl'e de la lógislaLul'e doiL-il eLre ten u
d'obéir aux instructions de ses commettants ? Doit-
il elre r ol'ganc de leul's sentimenls ou des sien s ?
leur ambassadeur a un congrcs, OH lenr agenl pro-
fessionnel, ayan.t pouvoir non-seulcment d'agir
ponr eux, mais de juger poue eux de ce qui doit
etre fait ? Ces deux théoeies un devoir d'un législa-
tenr dans un gouvernement rep~>éscntatif ont cha-
cune lenrs partisans, et chacune est la doctrine 1'0-
connne de quelque gouvernement représentatif.
En Hollande, les membres des étaLs généranx
étaient de simples délégués, et cette doctrine élait
poussée si loin, que, s'élevait-il une question im-
portante non prévue dans leues instructions, ils
devaient en référer a leurs commettants, tout
comme un ambassadeur en réfere au gouvernement
qu'il représente. Dans notre pays, et dans la plu-
part de ceux qui possedent une constitution repré-




292 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
sentative, la loi et la coutume permettent a un
membre du parlement de voter suivant son appré-
ciation de ce qui est juste, quelque différente qu' elle
puisse Nee de l'opinion de ses commettants. Mais
il existe une notion opposée, dont l'efret pratique
est considérable sur beaucoup d'esprits, meme StlI'
les membres du parlement: c'est la ce qui fait
que souvent ceux-ci, illdépendamment de leur
désir de se rendre populaires ou de se fairo réélire,
se trouyent tenus en conscienee d'agir de fac¡on a
ce qne leur conduite, par rappod a des questions
sur lesquelles leurs commettants ,'ont une opinion
décidée, soit l' expression de eeUe opinion plutOt
que de la leur. En dehors de la loi positiye el de::;.
traditions d'un fleuple, laquelle est préférable de
ces deux notions des devoirs d'un représentanl '!


Contrairement aux questions que nous avons
traitéesjusqu'a présent, celIe-ci n'est pas une ques-
tion de législation constitutionnelle, mais pour
mieux dire, de moralité constitutionnclIe - un
point qui tient aux mamrs du gouvernemcnt repré-
sentatif. Elle ne touche pas tant aux institutions
qu'a l'esprit dans lequel les électeurs dcvraient
remplir leurs fonctions, qu'aux idées qui devraient
prévaloir quant aux devoirs moraux des électenr~.
En effet, quel que soit le systcme de représenta-
tion, les électeurs peuvent, si bon leur semble, le
changc!' en un systeme de simple délégation.




DU MANDAT IMPÉRATIF, ETC. 29:.1
Aussi longtemps qu'ils sont libres de ne pas voter


ou de voter comme il leur plait, on ne peut les em-
pecher de mettre a leurs votes toutes les condi-
tions qu'ils jugeront convenables. En refusant d'é-
lire quieonque ne veut pas s'engager a adopter
toutes leurs opinions et meme, s'ils l'exigent, a les
consulter sur tout sujct imporLant et impréYu, ils
peuvent réduire lcur représentant a etre simple-
ment lenr interprete ou l'obliger en conscience a
donner sa démission, le jour ou cette position lui
déplait. Et com me ils on t le pouvoir de faire cela,
la théoric de la constitulion devrait supposer qu'ils
désireront le faire. Cal' le principe meme du gou-
.... ernement constitutionnel repose sur cette pré-
somption, que c~ux qui possedent le pouvoir poli-
tique en abuseront a leur profit : non point qu'il en
soit toujours ainsi, mais paree que telle esL la ten-
dance naturelle des choses, tendance a laquellc les
institutions libl'cS ont pour objet principal de met~
tl'C ordre. e'est pourquoi, quelque tort ou quelque
sottise qu'il y ait aux électeurs a convertir leur
représentant en délégué, cette extension du prin-
cipe élecLoral étant naturelle et nullement impro-
bable, on devrait prendre les memes précautions
que si elle était certaine. Nous pouvons espérer que
les électeurs n'agiront pas ainsi; mais un gouver-
nement représentatif doit etre organisé de faQon a
ce que, s'ils agissent ainsi, ils ne puissent pas faire




2;)4 GOUVERNEMENT REPRÉSENTA TIF.
ce oont aucun corps ne devrait Nre capaLle : une
législation de classe a leur profit.


Quand on dit que la question est seulement une
question de moralité politique, on ne diminue pas
son importance. Les questions de moralité consti-
tutionnelle ne sont pas d'une moindre importance
pl'ati(IUe que celles qui on1 rapport a la constitution
elle-meme.


L'existence meme de cer1ains gouvernements et
tout ce qui en rend d'autres supporlables, repose
sur l'observance pl'ati(lue de dodrines de moralité
constitutionnelle; sur des notions traditionnelles
dans l'esprit des différentes autorités constituées,
qui modifient l'usage qn' elles pourraient faire sans
cela de leurs pouvoirs.


Dans les gouvernements ou il n'y a nu1le balance
- la monarchie pure, l'arislocratie pure, la dé-
mocratie pure - de telles maximes sont le seul
obstacle qui empeche le gouvernement de se liner
aux derniers exces dans la direction de sa tendance
caractéristiquc. Dans des gouvernements ou la ba-
lance est imparfaite, ou ron a essayé d'opposer
des limites constilutionnelles aux impulsions du
pouvoir le plus for1, mais ou ce pouvoir est assez
forl pour les dépasser impunémen1, ce sont les
doctrines de moralité constitutionnelle qui savent
lui imposer un certain respect pour les fins et les
limites de la constitution. Dans des gouyernements




DU MANDAT IMPÉRATIF, ETC. 295
bien pondérés, ou le pouvoir supreme est partagé,
ou chaque parlageanl est protégé contre les usur-
pations des mItres de la seule maniere possible,
c'est-a-dil'e au moyen de ce qu'il est pourvu pour
sa défense d'armes aussi fortes que celles des
autres pour l'attaque - le gouvernement ne peut
marchel' que si ron s'abstient de tous les cótés
d'exercer ces pouvoirs extremes, a moins d'étre
provoqué par une conduite également extreme de
la part de quelque autre possesseur du pouvoir;
el dans ce cas-Ia, llOUS pouvons dire avec vérité
que c'est seulement le respect inspiré par les maxi-
mes de moralité cOllstitutionnelle qui maintient
l'existence de la constitution. l.a question du man-
dat impél'atif n'est pas une de celles qui touchent
d'une maniere vitale l'existence du gouvernement
représentatif; mais elle est d'une grande impor-
tance quanL a son effet bienfaisant. Les lois ne
pellvent prescrire aux électeurs les principes
d'aprcs lesquels ils dirigeront leur ehoix ; mais íes
principes par leS(Iuels ils croient devoir le diriger
font une gl'ande différence en pralique, et 1'0n
embrasse l'ensemble de eeUe grande question
lorsqu'on recherehe si les élec.leurs doivent mettre
ponr conditioll an repr(~sentant qu'il adoptera cer-
taínes opinioils imposées par ses commettants.


Cenx quí ont lu ce traité, ne peuvent douter un
seul instant de la conclusion qui, par rapport a




29G GOliVEHNEMENT HEPHÉSENTATH'.
ecUe qucstion, résulte des principes génrraux pl'O-
fessés jusqu'ici. Des le débul, nous aVOllS affirmé
et jamais nous n'avons perdu de vuc, l'impof'tance
égale des dcux grandes conditions de gouYcl'ne-
ment: 10 la responsabiliLé cnvcrs reux au profil
politiquc desquels le gouvernement devrait fonc-
tionner, et fait profession de fonrlionnc['; 20 l'exer-
cice de cctte fonction (pour qu'elle soit bicn remplie)
par des esprits supérieurs qu'une longuc méditation
et une discipline pratiquc ont pr{'pal'/;~ h cctte
lache spéciale.


Si ce second objet vaut la peine d'ütre ponrsuivi,
il vaut la peine d'ütre payé son prix. Des pouvoirs
d' esprit supérieurs, et des études profondes ne
serviraien t de rien, si elles ne conduisaient pas
quelquefois un homme a des eonclusions différen-
tes de celles ou arrivent sans étude des facultés
ordinaires ; et si l'on tient á obten ir des représen-
tants supérieurs sous le rapport inlclleetucl aux
électeurs ordinaires, on doit s'attendre h ce que le
représentant ne soit pas toujours d'accord avec la
majorité de ses commettants, comme aussi a ce
qu' en pareil cas, son opinion soit presque tOlljours
la meilleure des deux.11 s'en suit que les élecleurs
n'agiront pas sagement, s'ils exigent ponr prix de
leur vote une conformité absolue a leurs opinions.


Jusqu'ici le principe est évident; mais il ya des
difficultés réelles a l'appliquer, et nous commence-




DU MANDAT lMPÉRATIF, ETC. 297
rons par les exposer dans toute leu!' force. S'il est
important que les électeurs choisissent un repré-
sentant plus instruit qu'eux, il n'est pas moins né-
cessaire que cet homme plus sage soit responsable
envers eux: en d'autres termes, ils sont juges de la
maniere dont il remplit sa fonction, et comment en
jugeront-ils si ce n'est d'apres le criterium de lenrs
propres opinions'? El meme comment le choisiront-
ils tout d'abord si ce n'est d'apres le meme crite-
rium? JI ne conviendraiL pas de le choisir simple-
ment pour l' éclaL, pour la supériorilé de quelque
don brillant. Les témoignages d'apres lesquels un
homme ordinaire peut juger d'avance du talent d'un
candidat sont tres-imparfails; tels qu'ils sont, ils se
rapportent presque cxclusivement a l'art de s'ex-
primer, et tres-peu ou pas du tout a la valeur de ce
qu'on exprime. La premicre des deux choses ne peut
pas faire supposer l'autre : 01', si les électeurs doi-
vent mettrc de cóté leurs propres opinions, quel
criterium leur reste-t-il pour juger de l'aptitude a
bien gouverner? lIs ne devraient pas non plus meme
s'ils pouvaient reconnaitre d'une maniere infaillible
l'homme le plus capable, lui donner pleine liberté
de juger pour eux, sans avoir aucun égard a leurs
propres opinions. Le candidat le plus capable peut
.etre un tory, et les électeurs des libéraux; ou un
libéral, et les électeurs des tories. Les questions
politiques du jour peuvent étre des questions reli-


17.




298 GOUVERNEl\1ENT REPRÉSENTATIF.
gleuses, et il se peut que le représentalll soit un
partisan de la religion dominante ou un rationalistc,
tandis que les électenrs sont des dissidents ou ap-
partiennent ü la religion éyangélique, ou vice versa.
En pareil cas, les talents du représentanL ne feronL
que le rendre capable d'alIer plus loin ou rl'agir
plus effiracement dans une directiun que ses com-
meltants peuyent regarder en conscience comme
mauvaise; et ils peuycnt 6tre amcnés par lcurs
conyicLions sinceres ii tI'ouH'r plus impOl'tanL d'6·-
t1'c représcntés par un homme qlli parLage sur ces
qncstions leurs idées de dcyoir, qlle par un homme
doué de talents exceptionnels. lIs peuvent avoir
aussi ii examiner, non-scuhmlCnt commcnt ils
seront le mieux représcntés, mais 'comment ils
paniendI'ont ii faire I'eprésentcl' leuI' position mo-
rak particulic'I'e el leur manit~re de yoir.


L'influcnce de toute maniere de nür, qlli cst
celle d'un grand nombre, devrait se faire sentir dans
la législation : 01', la conslitution élanl ccnsée
;woil' pris ses précautions pour que les manieres de
penser adyerses soient égalcmenL représenlées, as-
surer ü leur propre maniere de penser la meilleure
représentation, peut ctre la chose la plus impor-
tante dont les électeurs aienl ii s'occupcr dans une
occasion donnée. Dans d'autres cas aussi, il peut
(\tre nécessaire que le représentant ait les mains
liécs, afín qu'il reste fidelc aux intérets de ses COffi-




DU MANDAT DIPÉRATIF, ETC. 299
mctlants,ou plutót a l'intérCt public tel qu'ils le
ennQoivent. Ceci ne serait pas nécessaire avec un
sysU>me politique qui assurerait aux électeurs un
ehoix illimité de candidats honnetes et sans préju-
gés. Mais avec le systeme actuel, ou les électeurs
sont presque toujours obligés a cause des dépenses
de l' éleelion et des circonstances générales de la
société, de ehoisir leur représentant parmi des per-
sonnes dOlll la position sociale diffcre beaucoup de
la leuZ' el qui onL un intérct de classe différent du
leur, qui aflirmera qu'ils doivmlt se mettre com-
plélcmenl ;) la discrétion de leuI' représentant?
Pouvons-nous blamel' un élecleur des c1asses les
plus pauvl'es, qui n'a le choixqu'enlre deux outrois
hommos riches, paree qu'il exige de celui qu'il
nomme l'engagemenL de voLer pou!' des mesures
qu'il considere comme une érnancipation a l'égard
des inLél'cls de c1asse des riches. De plus, il arrivera
toujours a cerlains mcrnbres du corps élecLoral
d'etre ohligés d'acceptcr le représentant choisi par
une majuI'iLé de leur propre parti. Mais quoiqu'un
candidal de leur choix n'ail aucune ehance, leurs
votes peuvent Nre nécessaires au succes de celui
qu'on a choisi pouI' eux, et leur seule maniere
d'exercer leuI' part d'inlluence sur sa conduite ulté-
ricure, peuL eLre d'exiger de lui en retour du vote
eerlaines prornesses.


Ces considéraLions et celles qui les combattent




300 GOUVERNEMENT REPRESENTATIF.


sont tellement liées les unes aux autres, -il esL si
important que les électeurs choisissent leur repré-
sentant plus sage qu'eux-memes et eonsentent a
etre gouvernés selon cette sagesse supérieure, tan-
dis qu'il est impossible que la conformité ~l leurs
opinions (quand ils ont des opinions) n'influe pas
grandement sur leur maniere de juger, par rapporl
au candidat qui possede la sagesse el aux preuves
qu'il en a données, - qu'il faut désespérer d'éta-
bEr une regle positive de devoir ponr l'élecleur : et
le résultat dépendra moins d'un précepte établi ou
d'une doctrine fixe de moralité politiques, que du
tour général des esprits dans le corps électoral,
touchant ce! te condition importante: la déférence
pour la supériorité intellectuelle.


Les individus et les peuples qui sentent vivemenL
la valeur de la sagesse supérieure la reconnaltront
probablement, la OU elle existe, par d'autres signes
que la conformité a leurs opinions ; ils la reconnal-
tront meme en dépit d'une grande différence d' opi-
nions, et lorsqu'ils l'auront reconnue, ils seront
bien trop désireux de se l'assurer a tout prix raison-
nable, pour etre tentés d'imposer comme loi leur
propre opinion aux personnes qu'ils respectent a
cause de celte sagesse supérieure.


D'un autre cOté, il y a des caracteres qui ne res-
sentent de considération pour personne, qui ne re-
gardent l' opinion de personne comme meilleure que




DU MANDAT IMPÉRATlF, ETC. 301
la leur ou comme aussi bonne que eelle environ
d'une centaine ou d'un millier de gens faits comme
eux. La ou les électeurs ont ce tour d'esprit, ils ne
nümmeront personne qui n'ait pas, ou du moins
qui ne professe pas leurs propres sentiments; et ils
ne garderont leur représentant qu·aussi longtemps
que ces sentiments se réfléchiront dans sa conduite.
Tous ceux qui aspirent aux honneurs poli tiques es-
saieronl, comme dit Platon dans le G01'gias, de se
modeler sur le type du Démos, et d'y ressembler le
plus possible. On ne peut pas nier que la démocra-
tie n'ait une forte tendance a donner ce pli aux
sentiments des électeurs; la démocratie n'est pas
favorable a l'esprit de respecto Qu'elle détruise le
respect pour 1a simple position sociale, ceci doit
€tre regardé comme un des effets heureux et non
facheux de son influence; quoiqu'en agissant ainsi
elle ferme la principale école de respect (quant aux
relalions purement humaines) qui existe dans la
socíété. Mais, comme la démocratie, dans son es-
sence meme, attache infiniment plus de prix a l' é-
,galité générale des hommes qu'aux titres particu-
liers qui élevent une personne au-dessus d'une
.autre, ce respect pour la supériorité, meme person-
neUe, restera probablement au-dessous de ce qu'il
devrait etre. Voila pourquoi, entr'autres raisons,
je regarde comme si important que les institutions
d'un pays établissent comme un droit l'influence




302 GOUVERNEMENT HEPRÉSENTATlF.
supérieure des personnes cultivées sur ceUes qUl
ne le sont pas; et je serais encore d'avis, en dehors.
de toutes conséquences politiques directes, d'ac-
cordel' la pluralité de votes a la supériorité prouvée
d'édueation, quand ce ne serait que pour donner le
ton an sentiment publico


S'il existe dans le corps élecloral un juste senti-
ment de la différence exlraordinaire de yaleur qu'il
pent y ayoir entre une personne et une autre, les
indices ne manqueront pas it ce corps pouI' l'econ-
naItre les personnes les plus capables d'aLteindre
les flns qu'il se propose. Naturellement, des servi-
ces publics réels seraient la premicre des indica-
tions: ayoir occupé une position éleyée et y avoir
fait des choses importantes dont les résultats ont
prouvé la sagesse, avoir été l'auteur de mesures qui
semblent sagement eonQues d'aprcs leurs effets,
avoir fait des prédictions que l' événemen t a souvent
vérifiées et rarement OH jamais démenties, avoir
donné des conseils dont le pays s'est tl'ouvé bien
ou qu'on a regretté de n'avoir point suiyis; tout cela
scrait autant d'indices. Il y a sans aucun doute beau-
coup de vague et d'incertitude dansces témoignages
de sagesse, mais nous en cherchons qui puis·sent
etre consulté s par des personnes douées d'un dis-
cernement ordinaire.


Elles feront bien de ne pas trop s'en rapporter a
un seul indice que le reste ne confirme paso Dans




DU MANDAT IMPÉRATIF, ETC. 303
leur appréciation du succes ou du mérite d'un effort
pratique, elles dononl altacher beaucoup .d'im-
portance a l'opinion générale des personnes dé-
sintéressées qui connaissent le sujet en question.
Les indices dont j 'ai parlé ne peuvent s'appliquer
qu'á des hommes éprouvés, et ron doit ranger dans
ceUe catégorio ccux qui, n'ayant pas fait leurs
prouves d'une faG,on pratique, les ont faites d'une
manierc spéeulalivo; ceux qui, dans des discours
ou dans des éCl'its, ont disCllté les affaires publiques
de manil'l'J a monll'cr qu'ils les ont sérieusement
étlldiées. De st'mLlahles hommes peuventavoirprou-
vé, simplemclll comnle penseurs poliliques, qu'ils
ont les mt~mes droits ú la con nance publique que ceux
qu'on a vUs ú l'muue en qualité d'hommes d'État.


Quand il esl nécessaire de choisir des personnes
qni n'ont jamais été mises ú l'épreuve, lcs mcilleurs
criteriums possibles sont la réputation de talent
dont cos hommcs jouissent parmi ceux qui les eon-
naisscnt, puis la confianee que leur accordent et
l'appuí que leur prctent des personnes déja respec-
tées; au moyen de pareilles prem'es, les colléges
élecloraux quí atlachent un juste prix a la valeur
inlcllecluelle et qui la recherchent ardemment,
réussiront en général ú se procurer des hommes
au-dessus du médiocre, el souvent des hommes qui
pcuvenl ett'C abandonnés a leur propre jugenient
quant a la direction des affaires publiques, et aux-




30í GOUVERNEMENT REPRÉSE~TATIF.
quels on ne pourrait demander, sans insulte, qu'ils
renonc;assent a ce jugement sur l'ordre de leurs
inférieurs en savoir. Si de pareilles pel'sonnes,
-consciencieusement cherchées, ne doivont pas se
rencontrer, alors a la vérité les éloctours out le
droit de prendre d'autres précautions : cal" na tu-
rellement ils ne mettront de cOté leurs opinions
particulieres que pOUl" s'assurer les servicos d'une
personne dont le savoir est supérieur au leur. A la
vérité, ils feraient bien, meme dans ce ras, de se
souvenir qu'une fois élu le rcpréselltant, s'il se
consacre a son devoir, a plus d'occasions de reclifie!'
un jugement faux a l'origine, que n'en ont la plu-
part de ses commettants : une considération qui en
généralles empecherait (a moins qu'ils ne fussent
-contraints par la nécessilé de choisir une persünne
-en l'impartialité de laquelle ils n'auraient pas toute
-confiance) d'exiger de leur représentant la promesse
de ne pas changer son opinion, üu d'abandonner
son siége, s'il en changeait. Mais lorsqu'on nomme
pour la premiere fois une personnc inconnuc sur
laquelle aucune autorité élevée ne fournit de ren-
seignements certains, on doit s'atlendre a ce qUé
l' électeur exige comme condition élémentaire la
conformité a ses propres sentiments : il suffit qu'il
ne regarde pas un changement d'opinion ultérieur,
changement avoué avec candeur, et dont les mo-
tifs seraient exposés san s déguisement, commc




DU MANDAT IMPÉRATIF, ETC. 30~
une raison péremptoire pour relirer sa confiance.


:Méme, en supposant chez le représentant les ta-
lents les plus éprouvés et une élévation de carac-
tere reconnue, les opinions propres des électeurs
ne doivent pas elre mises complétement de cOté.
La déférence pour la supériorité intellectuelle ne
doit pas alIer jusqu'a l'anéantissement de soi-
meme, jusqu'au sacrifice de toute opinion person-
nelle. Mais, quand la difl'érencc d'opinion ne porte
pas sur les bases fondamentales de la polilique, si
prononcés que soient les sentimenls des électeurs,
ils devl'aient songer qne lorsqu'un homme capable
n'est pas de leur avis, iI y a grande apparence qu'ils
sont dans le faux : et en fUl-il autrement, ils peu-
vent bien re:q.oncer a leur opinion sur des choses
qui ne sont pas essentielles, pour payer l'inesti-
mable avantage de voir un homme capable agir en
leur nom, dans beaucoup de circonslances ou ils
ne seraient pas en position de se former un juge-
ment. En pareil cas, l'électeur essaie souvent de
tout concilier en amenant l'homme capable a sa-
crifier sa propre opinion sur les points qui font
dissidence; mais, de la part de celui-ci, accepter
ce compromis seraiL trahil' sa mission spéciale,
abdiquer les devoirs propres de la supériorité in-
tellectuelle, dont un des plus sacrés est de ne pas
déserter la cause qui a contre elle la clameur
publique, et de ne pas priver de ses sen"ices




306 GOUVEHNEMENT REPRÉSENTHIF.
ceHes de ses opinions qui en out le plus besoin.


Un homme d'une consciencc et d'un talent rc-
connus devrait exiger la pleine liberlé d'agir selon
ce qu'iI juge le mieux, et iI ne devrait pas accepter
de servir a d'autres conditions. Mais les électeurs
ont le droit de savoir cornmenl iI compte agir, d'a-
pres quelles opinions il enlend diriger sa conduite
en lout ce qui louche son devoir publico Si quelques-
une~ de ses opinions leur paraissent inacceptables,
c'est a lui de leur prouver qu'il mérite néanmoins
d'6tre leur rcprésentant ; et s'ils sont raisonnables r
ils passeront, en faveur de son mérite général, sur
beaueoup de graves dissidences. Il en est toutefois
qui ne peuvent etre traitées légerement. Tout
homme qui ressent pour le gouvernement de son
pays la dose d'intéret que doit ressentir un etre li-
bre, a certaines convictions touchant les affaires
nationales, qui sont pour lui comme le sang de ses
veines, des convictions donL il est tellement pénétré
qu'il ne peut la-dessus accepter de compromis, ni
s'en rapporter au jugement de quelque personne
ou de quelque supériorilé que ce soiL. De telles
croyélIlces, quand elles existent chez un peuple ou
chez une portion appréciable d'un peuple, ont droit
a de l'illfluence par le seul rait qu'ellcs existent, el
non pas seulement en raison de leur valeur pro-
bable. Un peuple ne peut etre bien gouverné con-
trairemcnt a ses notions élémentaires du bien, ces




DlJ MANDAT DIPÉHAT1F, ETC. 307
notions fussent-elles erronées a certains égards.
Une juste appréciation des relations qui devraient
exister entre les gouvernants et les gouvernés
n'exige pas que les électeurs consentent a étre re-
présentés par quelqu'un qui se propose de les gou-
verner contrairement a leurs convictions fonda-
mentales. Si les électeurs tirent parti des talents
que posscde d'ailleurs leur représentant; aussi
longtemps qu'jI n'y a aucune probabilité de voir
dbcnLer les points sur lesqueIs il n'est pas d'accord
il,"eC eux, ils ont parfaitement le droit de le ren-
Yoyer des qu'il s'élcve une discussion li-dessus, et
qu'il n'y a pas en f:rvelll' de ce qui leur semble juste
nne majorité asscz assurée pour que la voix dissi-
dente de c,et individu soit sans importance.


Ainsi (je cite des noms propres pour plus de lu-
micre sans aucune intention personnelle) on pou-
yait passer par-dessus les opillions de M. Cobden
et de M. Bright sur la résistance aux agressions
étrangeres, au moment de la guerre de Crimée,
qnand le selltiment national emportait la balance
du coté opposé; et cependant ces opinions auraient
tres-bien pu leur valoir un échec aupres des élec-
teurs an moment de la querelle avec la Chine (la
question étant par elle-me me plus douteuse), paree
qu'alol's il y eut pendant qllelque temps hésitation,
el que leur maniere d'envisager la chose ne fut pas
trrs-Ioin de prévaloir.




308 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Voici maintenant ce qu'on peut affirmer commL'


la conséquence de ce qui précede : 1° on ne devrail
pas exiger d'engagemenLs formels, a moins que par
suite de circonstances sociales défavorables ou
d'institutions vicieuses, les ¿'lecteurs ne soient 1el-
lement bornés pour leur choix, qu'ils aienl a pren-
dre une personne souPGonnée par eux de subir des
influences hostiles a leurs inLérels ; 20 les électeurs
ont le droit de connaltre a fond les opinions et les
sentiments politiques du candidat, et nOll-scllle-
roent ils ont le droit, mais souvent ils sont tenus de
refuser un candidat qui n'esl pas d'accord avec eux
sur les quelques articles qui forment la base de
leur croyance poli tique; 30 les électeurs doivent,
lorsqu'ils ont une haute opinion de la supériorité
mentale d'un candidat, prendre leur partí de le
laisser agir d'apres des opinions différentes des
leurs, pour toute chose qui n'est pas comprise
dans leurs articles de foi; 40 les électeurs ne doi-
vent pas se lasser de chercher un représentant tel,
qu'ils puissent]e laisser complétement libre d'obéir
-aux inspirations de son propre jugement; 50 les
électeurs doivent regarder comme un devoir en,.
vers leurs concitoyens, de faire tout leur possib]e
pour donner le pouvoir a des hornrnes de cette va-
leur, et i]s doivent bien se persuader qu'il est beau-
coup plus irnportant pour eux d'etre représentés
par un homme semblable, que par lel autre qui




DU MANDA'!' IMPÉRATIF, ETC. 30!)
professera un plus grand nombre de leurs opinions ;
car dans le premier cas, ils sont assnrés de recueil-
lir les avantages du talent, tandis que la question
de savoir qui a tort ou raison sur les poinls de dis-
sidence, est tres-douteuse.


J'ai discuté toute cette qnestion d'apres la sup-
position que le systeme électoral, dans tout ce qui
dépend de l'institntion positive, est conforme aux
principes éLablis dans les chapitres précédents~
Mcme dans eeUe hypothcse, la théorie de repré-
sentation par délégation me semble fansse et nui-
sible dans ses efrets, quoiqu'en pareil eas le mal soit
t'ontenu dans certaines limites. Mais si les garanties
dont je me sllis efforcé d'entourer le principe re-
présentatifne sont pas reconnues par la constitution~
si l'on n'a pas pris de mesures pour la représenta-
tion des minorités, ou si l'on n'arlmet auenne difIé-
renee dans la valeur numérique des votes, d'apres.
un criterium quelconque de la dose d'éducation
possédée par les votanLs ... dans ce cas, nuIle pa-
role nc peut exagérer l'importance qu'il y a, en
principe, a laisser au représentant pleine et entiere
liberté: ear ce serait alors la seule chance qu'on eut
sous le régime du suffrage universel, ponr que
d'autres opinions que celIes de la majorité pussent
se faire entendre au parlement. Dans cette démo-
cratie faussement nommée, qui n'est en réalilé que
le gouvernement exclusif des classes ouvrieres, la




3iO GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
seule chanee d' éehapper a la législation de classe
sous sa forme la plus étroile, et a l'ignoranee po-
litique sous sa forme la plus dangereuse, repose
sur la tendanee que peuvent avoir les masses sans
éducation a choisir des représentants ayallt de l' é-
dueation et a s'en rapporter a Iours opinions.On
pourrait s'attcndre raisonnablement a reneonlrcl'
une eertaine dose de eette tendance, et alors iI
s'agirait seulement de la développer le plus possi-
ble. l\fais sj une fois ma1tre~ses de touto la puissanc('
politique, les classes ouvricl'cs imposaient volon-
tairement, de eotte fa({on ou d'une autre, IIIlI'
contrainte considérable a leur propre volonté et h
Ieur propre opinion, elles se montreraient plus
sages qu'aueune classe maltresse du pouvoir ah-
solu ne s' est jamais montrée, et nous pouyons bien
le dire ne se montrera jamais, SOllS ectte influem'('
corrllptrice.




CHAPITRE XIII
n'UNE SECONDE CHAMBRE.


De toutes les qucstions relatives a la théorie du
gouvernemcnt représentatif, aucune n'a été plus
controversée, particulicrement sur le continent,
que la ques tion des deux chambres, comme on
l'appelle. Elle a bien plus occupé l'attention des
penseurs qu'un grand nombre de questions dix fois
plus importantes, et on l'a regardée comme une
sorte de pierre de touche pour reconnaitre, soit les
partisans de la démocratie limitée, soit les partisans
de la démocratie illimitée. Pour ma part, j'attache
peu de valeur au frein que peut imposer une se-
conde chambre a une démocratie que rien ne mo-
dere d'ailleurs, et j'incline a penser que si 1'0n e~t
vonu a une conclusion juste sur toutes les autros
questions constitutionnelles, iI est pen important,
comparalivcment parlant, que le parlement se
compose de denx chambres ou d'une.


S'il ya deux chambres, elles penvent etre compo-
sées d'une maniere ou semblable, ou dissemblable.




3f2 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.


¡jj}/l comfJOsjtjoD des dellx d13mbl'es est sembl{1ble,
elles seront soumises toutes deux aux memes in-
fluences, et quiconque aura la majorité dans une
des chambres sera presque assuré de l'avoir dans
l'autre.


II est vrai que la nécessité d'obtenir le consente-
ment des deux chambres, pour faire passer une
me:mre, peut ctre parfois un obstacle matériel au
progre s, puisqu'en admettant que les deux assem-
blées soient représentatives et égales en nombre,
un nombre dépassant de peu de chose le quart de
la représentation peut empccher un bill de passer,
tandis que s'il n'y a qu'une chambre, le bill est as-
suré de passer avec une simple majorité. Mais quoi-
que la chose ne soit pas impossible, elle'n'est guere
probable. Il n'arrivera pas souvent que de deux
chambres composées de la meme faGon, l'une soit
presque unanime et l'aulre divisée en deux por-
tions presque de meme force.


Si dans l'une des chambres une mesure est reje-
tée par la majorité, cette mesure aura généralement
rencontré dans l'autre chambre une forte minorité
défavorablc. Done tout progres qui pourrait elre
ainsi entravé serait la plupart du temps un progres.
qui n'aurait guere pour lui qu'une simple majorité
dans le corps tout entier, et le pire qui puisse s'en-
suivre serait ou un léger retard apporté au triom-
phe de la mesure, ou un nouvel appel fait aux élec-




O'UNE SECONDE CHAMBRE.


teurs pour s'assurer que la petite majorité dans le
parlement répond a une majorité effective dans la
nation.


L'inconvénient du retard et l'avantage de l'appel
1t la nation pourraient elre regardés dan s ce cas
eomme se conLrebalanQant.


J'attache peu d'importance a l'argument qu'on
présente le plus souvent en faveur des deux cham-
hres: a savoir quc e'est un moyen d'empccher la
précipitation eL !l'imposcr une seconde délibéra-
Lion. En efI'et., il fauL qu'nnc assemblée représenta-
tive soit bicn mal consLituée, si les formalités
établies pour l'expédition des affaires n'exigent pas
toujours beaucoup plus de deux délibérations. La
considération qui parle le plus dans mon esprit en,
raveur des deux chambres (el celle-ci je la regarde'
comme d'une certaine importan ce) c'est le mauvais
effet produil sur l'esprit de tout possesseur du pou-
voir, que ce soit un individu ou une assemblée,. par
le sentimenl qu'il n'a que lui a consulter. Il est im-
portant que nulle assemblée d'hommes ne puisse,
meme temporairement, faire prévaloir son sic voto,
sans demander le consentement de personne autre ..
Une majorité dans une assemblée unique, quand
elle a pris un earactere permanent, qu' elle est com-
poséedes memes personnesagissant habituellement
ensemble et qu'elle est toujours assurée de la vic-
toire, devienL aisément despotique et outrecuidante r


18




3H GOUVEHNEMENT REPHÉSENTATU'.
lorsqu'elle est délivrée de la nécessité d'examineI'
si ses actes seront appl'ouyés par une autre autorit{>
constituée.


Il est désirable qu'il y ait deux chambres, par la
meme raison qui faisait nommer deux consuls anx
Romains, pour que ni l'une ni l'autre ne puissenl
etre exposées a l'influence corruptrice du pouyoil'
absolu, meme pendant l'espace d'une seule année.
Une des qualités les plus indispensables pour la di-
rection des affail'es publiques et sllrtout pon!' le
manicIllcnt des insLitutions libres, e'cst la coneilia-
tion, la promptitudc a transiger, l'cmprcssement h
faire des concessions aux adversaires, et a l'cndre
de bonnes mesures aussi peu blessantes que pos-
sible pour les personnes d'une opinion' opposée.


Céder d'un coté, exiger de l'autre, ainsi que cela
se pratique entre deux assemblées, est une école
permanente de celte salutaire habitude ; école utile
des a préscnt, cl donl l'utilité se ferait probable-
ment sentir encore davantage avec une constitll-
tion plus déIllocratique de la législalure.


Mais il se peut que les deux chambres ne soient
pas composées de la meme faQon, qu'on ait cherché
en le~ composant a les modérer l'une par l'autre.
Si l'une est démocratique, l'autre naturellement
sera constituée en vue de mettre un frein a la dé-
mocraLie ; mais sous ce rapport, son utilité dépend
complétement de l'appui social sur lequel elle peut




D' UNE SECONDE CHAMI3RE. 315


comptet' en dehors d'elle-meme. Une assemblée qui
n' a pas pour base quelque grand pouvoir dan s le
pays, est peu de chose aupres d'une autre qui a
eette base. Une chambre aristocratique n'est puis-
sante que dans un état de société aristocratique. La
chambre des lords fut autrefois le pouvoir le plus
1'ort dans notre constitution, et la chambre des
communes un pouvoir seulement modérateur; mais
a10rs le5 barons étaienL presque le seul pouvoir
dans la nation.


J e ne puis pas croire que dans un état de société
véritablement démocratique, la chambre des lords
aurait aucune valeur réelle comme modératrice de
la démocratie. Quand un parti est faible, le moyen
de le fortifier n'est pas de le ranger en ligne de ba-
taille devant son adversaire plus puissant, et de
déployer a ciel ouvert leurs forces respectives. Une
pareille tactique assurerait la défaite complete du
plus faible. Celui-ci ne peut opérer sainement qu'en
prenant position parmi la foule plutOt que contre la
fonle: au lieu de se tenir a l'écart et de contraindre
chacun a se déclarer pou!' lui ou contre lui, il doit
attire¡' a lui les éléments les plus capables de fu-
sion: iI ne faut pas qu'il se pose en corps ennemi,
ce qui provoque1'ait un ralliement géné1'al cont1'e
lui, mais bien qu'il opere comme l'un des éléments
d'une masse mélangée, infusant son levain et sou-
"ent faisant le pal'ti le plus fo1't de celui qui aurait




31G GOUVERNEMEl'IT REPI1ESENTATIF.


été le plus faible, en lui prclant l'appui de son lll-
fluence. Le pouvoir l'éellemcnt motléraleur <lan~
une constitution démueratiflue, doit agir dans et par
la chambre démocratique.


Je raidéja affirmé, el, selon moi, (;'('sL unemaxime
fondamentalü de gnuyerncmürü: iI fl(~\Tait y avoir
en toute constitution un centre de résistance con-
lre le pouvoir prédominant, et par conséquellt dans
une constitution démocratique un moyen de résis-
tance contre la démocratie. Si un lW\lple qui pus-
sede une représentation démocratique, est, par ses
antécédents historiques, plus portó a tolérer un
pareil centre de résistance, sous la forme d'une se-
conde chambre ou d'une chambre des lords, qne
sous toute autre forme, cela cOIlstitue une forte
raison pour que le centre existe sous eeUe forme.
Mais enfin elle ne me semhle pas la meilleure, ni
.la plus propre a atteindre son but.


S'il y a deux chambres, l'une qui es! regardée
comme représentant le peuple, l'autre comme re-
présentant une classe seulement on comme n'étant
pas représentative du tont, je ne puis pas croire que
la ou la démocratie est le pouvoir dominant, la se-
conde chambre aurait aucun pouvoir réel de résis-
ter, meme aux aberrations de la premiere : on pour-
rait la laisser vivre par déférence pour les habitudes
el les souvenirs, mais non comme un contre-poids
,-efl'ectif. Si elle exerr;ait une volonté indépendante,




D'UNE SECONDE CHAMBRE. 317


'on exigerait qu'elle se contentAl de réparer les ou-
blis accidentels de la branche la plus popu1aire de
b législature, ou de rivaliser avec elle en fait de
mesures populaires.


La possibilité d'un frein réel a l'ascendant de la
majorité, dépend doncde la faljon dont le pouvoir
est réparti dans la branche la plus populaire du
gouvernement, et rai indiqué la meilleure maniere,
:u mon avis, d'y balancer les forces. J'ai démontré
,également ceci : dans le cas meme oil on permet-
trait a la majorité numél'ique d'exercer une prépon-
<iérance complete par l'entremise d'une majorité
-correspondante au parlement, si cependant on per-
Iffiet aussi aux minorités d' exercer le droit qui leur
;appartient également d'apres des principes stricte-
'ment démocratiques, d'étre représentées en pro-
portion de leur nombre, cette précaution garantira
la présence constante dans la chambre (au meme
titre popu1aire que ses autres membres) d 110 si
grand nombre des premie res intelligences du pays,
{lue san s former bande a part et sans etre investie
d'aueune prérogalive odieuse, eeUe portion de la
:représentation aura une influenee personnelle beau-
coup plus grande que sa force numérique, et four-
nira de la maniere la plus parfaite le centre de ré-
sistance morale nécessaire. Une seconde chambre
n'est donc pas indispensable pour atteindre ce but:
-elle n'y conduirait pas, et meme elle pourrait etre


f 8.




318 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
un obstacle. Si cependant, par les raisons que j'ai
exprimées plus haut, une seconde chambre était
jugée nécessaire, elle devrait ütre composée d'élé-
ments, non pas précisément hostiles aux intérets
de classe de la majorité, mais enclins a luUer con-
tre ces intérets et capables de s'élever avec autorité
('ontre les erreurs et les faiblesses du plus grand
nombre.


Évidemment, ces conditions ne se re~contrent
pas dans un corps constitué comme notre chambre
des lords. Du moment Olt le r<lllg conventionnel et
le~ richesses individuelles n'intimident plus la dé-
mocratie, une chambre des lords devient insigni-
fiante.


De tous les principes d'apres lesquels on peut
constituer un corps sagement conservateur, destiné
a modérer et a régler l'ascendant démocratique, le
meilleur me semble Ctre celui qui avait seni de
base au sénat romain, le corps le plus prudent et le
plus sagace quí ait jamais administré les affaires
publiques. Les défauts d'une assemblée démocrati-
que qui représente le public en général sont les dé-
fauts du public lui-meme : le manque d'éducation
spéciale et de savoir. Ce qu'il faut pour y remédier,
c'est de lui associer un corps dont les traits carac-
téristiques seraient l'éducation spéciale et le sayoir.
Si une chambre représente le sentiment populaire,
l'aulre devrait représenter le mérite personnel,




n'UNE SECONDE CHAMBRE. 319


éprouvé et garanti par des services publics rée15, et
fortifié par l'expérience pratique. Si l'une est la
chambre du peuple, l'autre devrait etre la chambre
des hommes d'í~tat, un conseil composé de tous les
hommes publics qui ont occupé des charges ou des
fonctions politiques importantes. Dne pareille cham-
hre pourrait etre beaucoup plus qu'un corps sirn-
plernent modérateur. Ce ne serait pas uniquement
un frein, mais aussi une force impulsive. La, le
pouroj¡· de contenir le peuple appartiendrait aux
hommes les plus capables et en général les plus
désireux de le faire arancel' dans toute direction
utile. Le conseil auqlleI serait confié e la mission
de redresser les erreurs du peuple ne représente-
rait pas une classe suspecte d'antipathie pour les
intérUts du' peuple, mais se composerait de ses
chefs nalurels dans la voie du progreso Aucune
autre maniere de constituer une seconde char'n-
bre ne l'éussirait a donnel' autant de poids et d'effi-
cacité a sa fonction modératrice. Il serait irripos-
sible, quelque somme de mal qu'il pút emprcher,
de décriel' comme un pUl' obstacle un corps qui
5erait toujour5 le premier a favoriser le progreso


Si un pareil sénat pouvait trourer sa place en
AngIeterre (je n' ai guere besoin de dire que ceci
est une pure hypothese) iI pourrait 8tre composé
des éléments que voici : - Tous ceux qui seraient
OH qui auraient été membres de la cornmission lé-




320 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
gislative décrite dans un des chapitres précédents,
,et que je regarde comme un élément indispensable
,d'un gouvernement populaire bien constitué-
tous ceux qui seraient ou qui au!'aient été premiers


juges, ou présidents d'une des cours supérieures,
civile ou criminelle - tous ceux qui pendant cinq
,ans auraient été simples juges - tous ceux qui au-
raient été minisLres pendant deux ans; mais ceux-ci
pourraient entre!' aussialachambre des communes,
et s'ils en étaient membres, leur pairie ou droit
'sénatorial serait suspendu (la condition de temps
est nécessaire, afin d'empccher de nommer minis-
tres certains hommes, simplement pour leur don-
ner un siége au sénat, et j'ai parlé de deux ans
pour que le meme terme qui leur donne droit a une
pensiGn, puisse leur donner droit a une sénatore-
rie) - tous ceux qui auraient rempli la ronction de
·commandant en chef, et tous ceux qui, ayant com-
mandé une armée ou une flotte, auraient été re-
merciés par le parlement, ponr un succes militaire
-QU naval- tous ceux qui auraient rempli pendant
·dix ans un emploi diplomatique de premiere classe
-tous ceux qui auraient été gouverneurs de l'Inde
ou de l' Amérique anglaise, et tous ceux qui auraient
.eu pendant dix ans un gouvernement dans quelque
eolonie.


Le service civil permanent serait aussi représen-
té; on nommerait sénateurs tous ceux qui pendant




D'UNE SECONDE CHAMBRE. 321


dix ans auraient rempli les fonctions importantes
de sous-secrétaires a la trésorerie, de sous-secré-
taires d'État perrnanents, ou d'autres fonctions
égalernent ólevées et responsables. Des fonctions
légales, politiques, rnilitaires ou navales, pour-
raient seuIes donner droit a la dignilé de sénateur.
La distinction scientifique et littéraire est trop in-
définie eL trop sujette a discussion; elle implique
un pouvoir de selectl"on, tandis que les autres quali-
tés parlent d'elles-mcrnes. Si les écrits qui ont fait
la réputation d'un hornrne ne touchent pas a la po-
litique, ils ne prouvent point que cet hornme ait les
qualités spéciales voulnes : tandis que si ce sont
des écrits po!itiques, les différents ministeres pour
raient inonder la chambre d'instruments de partí.


Avec les anlécédents historiques de l'Angleterre,
i1 est presque cerlaill qu'a moins d'une subversion
violente de la constitution acluelle (chose peu pro-
bable), on ne pourrait créer une seconde charnbre
qu'en l'édifianL sur les fondations de la charnbre
des lords. Il est hors de question de songer sé-
rieuserncnt a abolir cette assemblée, pour la rem-
placer par un sénat tel que celui que je viens d'es-
quisser ou par quelque autre. Mais il pourrait ne
pas y avoir la merne difficulté insurmontable, a
~ fondre dans l'assernblée acLuelle, les classes ou les


eatégories qu'on vient d' énumérer, en qualité de
pairs a vico




322 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Une mesure ultérieure et peut-etre nécessairc


d'apres cette supposition, serait que la pairic héré-
dilaire fUt représentée a la chambre par des rcpré-
sentants au lieu d'y siégcr personnellement: une
coutume établie déja pour les pairs d'~:cosse et d'Ir-
lande et qui probablement dcviendra inévitable un
jour ou l'autre, simplemcnt par l'accroissement de
l'ordre. En se servant du plan de M. Rarc, on pour-
rait facilement empecher les pairs représcntants de
rcprésenter exclusivcmcnt le par ti qui a la majorité
dans la pairie. Si par exemple on accordait un re-
présentant par dix pairs, chaque groupe de dix
pourrait etre admis a se choisir un représentant, et
les pairs pourraient etre libres de se grouper a cet
efl'et, comme bon leur semblerait. Voici comment
on pourrait procéder pour l'élection: on exigerait
de tous les pairs qui seraient candidats pOUl' la re-
présentation de leur ordre, de se déclarer tcls el de
porter leul's noms sur une liste. On désignerait le
jour et l'endroit ou tous les pairs désireux de voter
devraient etre présents, soit en pCl'sonne, soit par
procuration, suivantla coutume parlementail'e; on
rccueillerait les votes; chaque paíl' ne votant que
pour un candidat, tout candidat qui aurait dix votes
serait déclaré nommé.


Si un candidat avait plus de dix votes, tous les
électeurs, excepté dix, pourraient retirer leurs votes,
ou bien on en tirerait dix au sort. Ces dix votes for-




D'UNE SECON DE C[]AMBRE. 323
meraient son corps de commettants, et le surplus
de ceux qui auraient voté ponr lui serait libre de
YO ter en faveur de quelque autre. On continuerait
d'agir ainsi jusqu'a ce que (autant que possible),
chaque pair présent, soit personnellement, soit par
procuration, fUt représen té. Dans le eas ou il en de-
meurerait moins de dix non représentés, on pour-
rait encore leu!' permettre, si le nombre s'en élevait
jusqu'a einq, de choisir un représentant. S'ils
étaient moins de einq, Ieurs votes seraient perdus,
ou bien on pourrait leur permettre de les inscrire
en faveur de quelqu'un déja nommé. A eeHe excep-
tion pres, et elle est peu eonsidérable, chaque paiI'
élu représenterait dix membI'es de la pairie, qui
.tous, non-seulement auI'aient voté pour lui, mais
l'auraient choisi entre tous les eandidats eomme
celui par qui ils étaient le plus désireux d'étre
représentés. eomme compensation pour les pairs
(lui ne seraient pas nommés représentanls de leur
ordre, ils ponrraient 6tre élns a la ehambre des com-
munes : une justice qn'on refnse maintenant aux
pairs d'Écosse el aux pairs d'Irlande dans leur pro-
pre pays, tandis que la majorité de eette paifle a
senle le droit d'etre représentée dans la chambre
des lords.


Cette maniere de former un sénat est, non-seule-
rncnt eeHe qui semble la meilleure en soi, mais en-
core ceHe en favenr de laquelle parlent le plus haut,




32'1' GOeVERNEMENT lIEPRÉSENTATIF.
et les précédents historiques et de brillants succes
actucls.


Ce n'est pas toutefois l'unique plan qu'on puisse
proposer. Une autre maniere de former une secondo
chambre, serait de lafaire nommer par la premiere,.
a la condition toutefois que celle-ci ne nommerait
aucun de ses propres membres. Une paroille assem-
blée, émananL a un degré p1'8S du choix po¡mlaire
ainsi que le sénat américain, ne serait pas l'egardée
comme conll'ai1'e aux inslitulions démoc1'atiqllcs,
et acquerraiL probabIemcnt UIle influenec popuIaire
considérabIc. Nomméc comme elle l'au1'ait été, iI nc
serait guere probable qu'clle put exciter la jalousie
de la chambre populaire, ou entrer en collision avec
elle. En outre, on serait a peu pres sl11' (loutes les
précautions étant prises pour la représentation de la
mino1'ité) que la deuxieme chambre renfermerait
un grand nombre de ces hommes hautement capa-
bIes, qui, soit par accident, soit faute de qualités
brillantes, n'auraient pas youlu rechercher ou n'au-
raient pas pu obtenir les suffrages de commettanb
populaires.


La meilleure constitulion d'une scconde cham-
bre, est celIe qui comprend le plus grand nombre
possible d'éléments exempts des inté1'cls de classe
et des préjugés de la majorité, mais n'ayant rien
de blessant pour le sentiment démocralique. Jo
répete cependant, qu'on ne peut se fiel' absolu-




D'UNE SECü:'WE CIIAMBRE.


lllcnt Ú une seconde chambre, quelle qu'elle soit,
pour tempérer l'ascendant de la majorilé. Le ca-
ractere d'un gouvernemont représentatif est dé-
terminé par la constitution de la chambre popu-
laire. Comparées a cela, toutes les autres questions
relativos a la forme dn gouvernement sont insigni-
Hantes.


J9




CHAPITRE XIV
DE L'EXI~CüTIF DANS UN GOUVEIlNEMENT REPRÉSENTATJF.


Il serait déplacé de discuter dans ce traité la
question de savoil' en combien de départemcnts un
de branches, la besogne exécutive du gouverne-
ment peut etre divisée le plus avantageusemen l.
Sous ce rapport, les différents gouvernements sont
différents, et il n'est guere probable 'qu'on fassc de
grandes bévues dans la classification des servicp~,
si les hommes sont disposés a commencer par 1\'
commencement el a ne pas se regarder comme li()~
par la série d'accidents, qui, dans un vieux g()\l-
vernement tel que le notre, a produit la divisi'l11
actuelle des affaires publiques.


II suffit de dire que la classification des fonctio!l-
naires devrait correspondre a celle des matieres, el
qu'il ne devrait pas y avoir plusieurs déparlemen ts
indépendants les uns des autres, pour surveiller les
différentes parties d'un meme tout; ce qui existait
encore tout récemment dans notre administration
militaire et ce qui s'y rencontre aujourd'hui encüre




DE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVERNEMENT, ETC. 327
mais a un degré moindl'e. Quand il s'agit d'un seul
objet (tel par exemple que d'avoir une armée puis-
sante), une seule autorité devrait etre chargée de ce
soin. L'ensemble des moyens dirigés vers un seul
but, devrait etre sous un seul et meme controle et
sous une seuIe et me me responsabiIité. S'ils sont di-
visés entre des autorités indépendantes, les moyens
deviennent des fins pour chacune de ces autorités~
et ce n'est l'affaire de personne, si ce n'est dll chef
du gouyernement (qui probablement n 'a aUCUlle
expérience pratü{llC de la ehose donnée), de pour-
:,uivre la véritable fin. Les différentes classes de
moyens ne sont pas combinées ensemble et adap-
tées les unes aux <mtres, sous la direction (rUne
idée principale;' et tandis que ehaque département
est tout entier a ses besoins, sans s'occuper des
autres départements ni de leurs besoins, l'ensemble,
le but de l'opération est perpétuellement sacrifié ;\
l'opéralion elle-meme.


En principe, toute fonetion exécn tive, supérieure
ou subalterne, devrait etre le devoir fixe d'un indi-
vidu. On verrait clairemen t alors qui fait chaque
chose, et de qui est chaque faute, chaque négli-
gence : la responsabiIité est nulle, quand personne
ne sait qui est responsable, et meme quand elle est
réelle, elle ne peut Ctre divisée sans etre affaiblie.
Pour qu'elle ,demeure tout ce qu'elle peut Otre, iI
faut qu'il n'y ait qu'nne senle personne qui re-




328 GOOVERNEMENT HEPH ÉSENTATIF.
eueille tout l'honneur de ce qui est bien fait, ou qlli
supporte tout le blame de ce qui est mal rait. Il y a
cependant deux manieres de partager la responsa-
bilité : rune ({ui ne fait que l'afl'aiblir, l'aulre qui
la (létruit complétement. Elle ('st aff'aiblie, quand iI
fallt le concours de plus d'lln fonelionnaire pour le
memc acte. Chacun d' enx continue a porter le poids
d'une véritable responsabilité; si l'aete a été mal
rait, allcun d'eux ne peut dire (Iu'ilne l'a pas fait,
il ya participlS, louL comme Ull complice participe
h un crime ; s'il y a Cl'ime légal, tous pellvent etre
punis légalement, el leur punition ne doit pas etre
moins sévere que s'il n'y avait qu'une seule personne
coupable. ~Iais il n'en est pas de me me pour les
pénalités, non plus que pour les récompenses de
l'opinion: celles-ci sont toujours diminuées lors-
qu'on les partage.' Quandil n"y él pas de crime légal
défini, pas de corruption, ni de malversations, mais
scnlement une erreur, OH une imprndence, OH ce
qui peu t passer pour tel, quieonque y a participé
trouve une excuse ú ses propres yelIx et aux yeux
du monde, dans ce rait que d'aut¡'es personnes ont
agi conjointement avec luí. l/improbité memo
est une de ces choses dont les hommes se regardent
conlllle absous, si ceux qlli allraient du résister et
faire des remontrances n'cn ont ridl fait, bien plus
encore s'ils ont donné leur consentement forme1.


Dans ce ras ccpendanl, qnoique la responsabi1it(~




DE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVERNEl\IENT, ETC. :3':W
soitafl'aiblie, il ya encore responsabilité; chacun de
ceux qui sont impliqué s dans l'afI'aire a consenti ú
l'acte et y a pris part selon sa capacité individuelle.
Les choses sont bien pires, quand l'acle lui-meme
est seulement celui d'une majorité - d'un conseil
délibérant les portes fermées sans que personne
sache ou ait chance de savoir, excepté dans un cas
extreme, si un membre a volé pour ou contre l'acle.
La responsabilité dans ce cas n'existe que de nomo
« Les ,~onseils, a dil spirituellement Bentham, sonl
des abris. » Ce que fail le conseil n'est l'acle de
personne, el pel'sonne ne peut en etre responsable.
La réputation meme du conseil ne souffre que dans
son caraclere collectif, el un membre ne ressent
cela qu'autant qu'il est porlé a identifier sa propl'e
valeur a ceUe du COl'pS; un sentiment souvent tres-
fort lorsque le corps esl permanent et que l'indiyidll
y est lié, "aille que vaille; mais les fluctuations d 'une
,carriere officielle moderne ne laissent pas a un pa-
.reil esprit de corps le temps de se former ; et si cet
esprit existe, ce n'est que dans les rangs obscurs des
-subordonnés permanents. Done, les conseils ne sont
pas un instrument convenablepour la besogne exé-
cutive, et l'on ne peut la leur confier que lorsque,
pour d'autres raisons, il serait cncore pire de don-
ner a un seul minislre plein pouvoir et pleine li-
berté d'agir.


D'un autre coté, il y a une maxime d'expérience




~¡30 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
qui dit que la sagesse se rencontre dans la mnHi-
tude des conseillers, et qu'un homme juge rare-
ment bien de ses propres iniérets et encore moins
de ceux du public, quand iI a l'habitude de ne faire
usage que de son propre savoir ou de ceIui d'un seuI
conseiller. Il n'y a pas nécessairement incompatibili-
téentre ce principe et l'autre; il estfacile de donner
le pouyoir réeI et la complete responsabilité a un seuI,
en le pourvoyant (si besoin est) de conseillers dont
ehaeun n'est responsable que de l'opinion qu'il émet.


En général, le chef d'un déparlement du pouyoir
exécutif est un homme pUl'ement poli tique. Il peut
etre un bon poli tique et un homrne de mérite, et
s'il n'en est pas ordinairernenl ainsi, le gouverne-
ment est mauvais. Mais sor:. talenl général et la
connaissance qu'il devrait posséder des intérels
généraux du pays ne sont pas accompagnés, si ce
n'est accidentellement, par une connaissance égale,
et qu'on pourrait appeler professionnelle, du dé-
partement dont il est destiné a etre le chef. JI faut
done lui fournir des eonseillers professionnels.
Lorsque l'expérienee et les connaissallees suffisent,
lorsque les qualités youlues dans un conseiller pro-
fessionnel peuvent se rencontrer toutes ehez un
seul indiYidu bien choisi (ce qui a líen par excmple
quand iI s'agit d'un jurisconsulte), une semblable
personne pour les yues el les directions supé-
rieurcs, ayec un état-major de cornmis ponr la




DE L'EXÉCUTlF DAN S UN GOUVERNEMENT, ETC. 331
science des détails, est tout ce qu'il faut. Mais la
plupart du temps, il ne suffit pas que le ministre
consulte une personne compétente, ou, quand il
ne connalt pas lui-meme le sujet, qu'il suive im-
plicitement l'avis d'une te11e personne. Il est sou-
vcnt nécessaire qu'il écoute, non pas a l'occasion,
mais habituellement, une variété d'opinions et
qu·il s'éclaire par les discussions d'un corps de
conseillers. Ceci, par exemple, est strictement obli-
gatoire pour les affail'es militaires et navales. Par
conséquent les ministres de la guerre et de la ma-
rine, et probablement plusieurs autres, devraient
étre assistés par un conseil composé, au moins
pour les deux départements précités, d'hommes
capables et doués d'une grande expérience profes-
sionnelle. Afin de réunir malgI'é tous les change-
ments d'administrátion les hommes les plus capa-
bies. les conseils devraient etre nermanents .


..


J e veux dirc par la qu 'ils ne devraient pas,
commc les lords de l'amirauté, se démeltre de
leur~ fonctions en meme temps que le ministere
qui les a nommés ; mais il est bon que ceux qui ont
été choisis pOUI' des positions élevées, qui n' ont
pas été appelés par le droit d'une promotion hié-
rarchique, n'occupent ces positions que pendant
un temps déterminé, a moins qll'ils ne soient l'ob-
jet d'un second choix; ce qui se fait mainlenant
pauI' les nominalions dans l'état-major d.e l'armée




332 GOUVERNEMENT REPRÉSE~TATIF.
anglaise. De eette faQon, les nominations II 'élant
pas faites a vie, sont l'objet de moins d'inlrigues;
en meme temps e' est un moyen de mettre a l' é-
eart sans affront eeux qui ne méritent pas d'étre
gardés et de nommer des personnes haulement
mél'itantes, de moindre aneienneté, qui ne seraient
jamais nommées s'il fallait attendre des morts ou
des résignations yolontaires.


Les eonseils seraient simplement eonsultatifs en
ce sens que la déeision finale serait prise par le
ministre lui-meme, et par le ministre seul; mais
les eonseillers ne devraient pas elre regardés ni se
regarder eux-memes comme des zéros, ou eommo
susceptibles d'étre réduits a ce role, au gré du mi-
nistre. Les conseillers d'un homme puissant el·
peut-etre impérieux devraient etre dans des con-
ditions telles qu'il leur fUt impossible, honorable-
ment, de ne pas eXIJ1'ime1' une opinion, et qu'il fut
impossible a eet homme de ne pas écouter el exa-
mine1' leu1's 1'eeommandations, qu'il les adopte on
non. On t1'ouve p1'éeisément dans la eonslitution
du conseil du gouve1'neur général el des eonseils
des p1'ésidences aux Indes, un modele des rappo1'ts
qui devraient exister entre un chef et des eonseil-
le1's de eette espcce.


Ces eonseils sont eomposés de personnes qui ont
une eonnaissance p1'ofessionnelle des afl'aires de
l'Inde, eonnaissance qui manque ordinairement au




DE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVEn~EMENT, ETC. 333
gouverneur général et aux autres, et qu'il ne fau-
drait guere exiger d'eux. Il est enlendu en principe
que chaque membre du conseil doit. exprimer son
opinion; un simple acquiescement dan s la plupart
des caso Mais s'il y a différentes manieres de voir,
lOUS Jes membres ont la liberté et l'habitude inva-
riable d'exposer les motifs de leur opinion. Le gou-
"erneur général ou gouverneur fait de meme. Dans
les cas ordinaires, 011 adopte la décision de la ma-
jOl'ité : done le conseil a une part réelle dans le
gouvernement. ~lais si le gouverneur général OH
gouverneur le juge convenable, il peut meltre de
'COté l'opinion, meme unanime du conseil, en ex-
posant ses motifs. Il en résulte que le chef est in-
dividuellement et l'éellement responsable de tous
les actes dll gouvernement. Les membres du con-
seil n'ont que la responsabilité de conseillers. Mais
on sait toujours par des documents susceptibles


. d"'6tre produits el qui sont toujours produits, si le
parlement OH l'opinion publique l'exige, ce que
'Chacun a conseillé, et quels motifs il a donnés a
l'appui de son opinion.


En meme temps, gráce ü lsur position élevée,
grace ü leur parlicipation ostensible ü tous les actes
du gouvernement, les cOllseillers ont des raisons
presque aussi fortes pour se consacrer aux afl'ai-
res publiques, et pou!' exprimer une opinion du-
ment réfléchie sur toutos les branches du gouvorne-


19.




:33 1- GO UVE Hl\ I~M E;,\ T RE PllÉSENTATI F.
mcnt, que s'ils portaient toule la rcsponsabiIilé.


Cetle maniere de eonduire les plus hautes af-
faires administratives cst un des exemples les plus
heureux de l'appropriation des moyens a la fin: et
I'histoire poliliql1e, ql1i jusqu'a pl'ésent n'a pas élé
tres-fertile en (l'UneS d'hahileté et de comhinaison,
n'en offre pas beaneoup d'autl'es. C'est une des ae-
ql1isitions dont l'art politiqlle a élé enrichi par l'ex-
périence du gouyel'nement de la eompagnie des
lndes : et de m0me qne la plupal't de." sagüs com-
binaisons lIui ont cOllseryé I'Illdc a ce. pays, de
meme que tout ce que eette compagníe a pl'oduil
de b on gouyernemenl - dans des (:il'constances ct
ayec des matériaux qui en font un objet d'étonne-
ment - ce progres est sans doule de'stiné a périr
dans l'holocauste général qui semble attendl'e
toutcs les traditions dugouvernement indien,
depuis qu'clles out élé mises ;\ la Illel'ci de l'igno-
l'ance publüFH' et de la yanité 1)l'(~Somptlleuse des
hommes politiql1es.


Un cri s'éleye déja pou!' l'abolition des conseils
({ue ron traite de roue superl1ue eL onéreusc dans
le mécanisme du gouvel'llemcnt, tandis qu'on sol-
licite depuis longtcmps, et ayee des cllanees de
succes toujours croissantes, l'abl'ogatioll du service
ciYiI pl'ofessionnel, sCl'yice qui forme les membres
de ces conseils, et qui peut seul garantir leur va-
lenr.




DE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVERNEMENT, ETC. 335
ün principe tres-important de bon gouverne-


mcnt dan s une constitution populaire, c'est qu'au-
Clm fonctionnaire exécutif ne soit nommé par
l'élection populaire, soit celle du peuple lui-meme,
soit celle de ses représentants. Gouverner est d'un
bout a l'autre une muvre délicale : les qualités né-
cessaires pour s'en bien acquitter, sonl de ces qua-
litl's spédales et professionnelles donl ne peuvent
bien .i uger que les personnes qui en sont douées
ellcs-memcs jusqn'a un certain point, ou qui en
ont quelqlle expérience pratique.


Trouver les personnes les plus capables de rem-
plir les fonctions publiques -- non pas simplement
en choisissant les meilleures parmi celles qui se
présentent, m,ais en cherchant les meilleures dans
le sens absolu du mol el en prenant note de toutes
les personnes eapables qu'on rencontre, afin de
pouvoir les rctrouver, si besoin il y a - est une
besogne tres-pénible et qui exige un discernement
aussi sublil que consciencieux. Et, comme il n'y a
pas en général de dcyoir Pllblie aussi mal rempli,
c'est celui oü il eslle plus important d'imposer la
plus forle dose possiblc de responsabilité person-
nclle ; il eonvient d'en faire une obligation spé-
ciale pour les hauts fonetionnaires des différents
départements. Tous les fonetionnaires publies su-
bOl'donnés qni ne sont point nommés d'apres quel-
que examen publie, dCYl'aient elre ehoisis par le




336 GOUVERNE~IENT REPRÉSENTATIF.
ministre qui serait lcur supérieur, celui-ci étant.
directement responsable de son choix. Naturelle-
ment le premier ministre choisira tous les autres
ministres, et lui- meme, quoiqne choisi de fait par
le parlement, serait, sous un gouvernemenL royal,
nommé officiellement par la couronne.


Le fonctionnaire qlli nomme devrait elre la seule
personne ayant pouvoir de destitucr un fonclion-
naire subordonné, sl1jet a destilulion ; chosc qui la
pluparl du temps ne devrait pas exister, si ce n'cst
da.ns le cas do mauvaise eonduitc pcrsonnellc. En
effet, on ne peut s'attendre a ce que les pcrsonnes
qui traitent tout le détail des affaire~ publi(IUes el
dont les qualités sont de beaucoup plus d'impor-
tance pour le public que colles du ministre lui-
meme, se consacreront a leur profession et se
mettront a acquérir le savoir et l'habilelé dans
lesquels le ministre doit sonvent placer son entiere
confiance, si elles peuvent elre mises a la porte
d'un moment a l'autre, sans avoi1' commis aUCllne
faute, uniquement parce que le ministre veut
donner la place a quelqueaulre, soit par caleul
politique, soit pour des raisons a lui persollnelles.


Le principe qui condamne la nomination des
fonclionnaires exécutifs par le suffrage populaire,
devrait-il faire une exception, sous un gouverne-
ment républicain, en faveur du chef de l' exécutif?
La regle qui. dans la constitulion amél'icaine, veut




DE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVERNEMENT, ETC. 337
que le président soiL nommé tous les quatre ans
par le peuple tout entier, est-elle une bonne regle '?
La question n'est pas sans difficulté. Sans aucun
doute, dans un pays comme l'Amérique, Oll la
monarchie ne saurait revivl'e, on trouve un certain
avantage a rendre le premier ministre indépendant
-constitutionnellement du corps législatif, et a faire
que les deux grandes bl'anches du gouvernement
(lesqueIles sont égalcment populaires quant a l'ori-
gine et ú la l'csponsahilité) sc conticnnent réelle-
ment l'une l'autre. Ce plan est en concordance ayer
le soinjaloux que prennent les Américains, d'éYitel'
la concclltration de grandes masses de pOllyoir
entre les memes mains . .Mais cet avantage est
payé infiniment plus qu'íl ne vaul. II semble beau-
toup mieux que le premier magistral dans une
république soiL nommé ouvertement, COl11me le
premier ministre esL nommé virtuellement dans
une monarchie eonsLiLutionnelle, par le corps re-
présentatif. De cette faQon d'abord, on est eerLain
que ce sera un homme plus éminent. Si les ehoses
se passaient de la sorte, le parti qui a la majorité
au parlemcnt nommerait en général son propre chef
qui est Loujours un des hommes politiques les plus
imporlants et souvcnt le premier de tous, landis
que le présidenL des }~tats-Unis, depuis que le
dorniel' survivant des fondateurs de la répllblique a
disparu de la secne, cst toujours OH un homme




:338 GOUVERj\¡EMENT HEPHÉSENTATIF.
obscur, ou un homme <lui a acquis sa réputation
autrement qu'en s'occupant de politiqueo El ceci,
('omme je l'ai déja observr, n'est pas un accident,
mais l'effet naturel de la situation. Les hommes
éminents d'un parti ne sont pas ses candidats les
plus utiles, pour une électioIl OlI tout le pays doit
prendrc part. Tous les hommes éminents ont des
ennemis personnel!3, ou bien ont fait quelque chose
ou tout au moins professé quelque opinion qui
déplait a une grande partie de la communauté, et
qui, proba~Iement, diminuerait beaucoup le nom-
bre des votes en leur faveur, tandis qu'un homme
sans antécédents, dont on ne sait rien si ce n'est
qu'il professe les opinions du parti, réunira facile-
ment tous les votes de ce parti. une autre considé-
ralion importante, c'est le grand danger de manmu-
Hes électorales incessantes. Quand la plus haute
dignité de l'État doit etre conférée une fois tous
les quatre ans par l'élection populaire, le temps qui
s'écoulc dans l'intervalle est employé a ce qui est
implicitement une brigue. Le président, les minis-
tres, les chefs de parti et leurs partisans sont tous
des faiseurs d'cleclion. En fait de politique, tout le
pays n'est profondément occupé que de simples
personnalités ; on discute et on décide toute ques-
líon publique, en ayant égard l1l0ins a ses mérites
<{u'a l'efret qu'elle produira sur l'élection du prési-
dent. Si 1'on avait cheT~hé un systcme pour faire




OE L'EXÉCUTIF DANS UN GLlUVElINEMENT, ETC. 339
dC' l'esprit de parti le principe d'action dominant
dans toutes les affaires publi(IUeS, et ponr créer un
motif non-seulement de fairc de toute question
lllW question de parti, mais encol'e de soulever des
qllcstions afin de pouvoir fonder la-dessus des
partis ... iI allrait été difficilc de trouver un meilleur
mnyen d'atteindre ce bul.


.1c n'aftirmcrai pas qu'il scrait toujours et par-
Lout dési ['abIe que le chef de l' cxécutif dépendit des
votes d'une assemblée reprósentative, comme en
dépcnd le premier ministre en Angleterre, eL cela
sans aUClln inconvénient. Si 1'0n jugeait qu'il vaut
micux éYiLer ceci, lc ministre pourrait (quoique
nummé par le parlement) garder ses fonctions pen-
dant un laps de temps déterminé, indépendant
d\m Yote parlementaire, ce qui serait le systcme
américain, moins l'élection populaire et ses mallX.
Il y a une autre maniere de rendre le chef de l'ad-
millisLration allssi indépendant a l'égard de la légis-
lalure, que fail'c se pcut, sansnuire aux condítions
esscuticlIes d'un gouvernement libre. Il ne dépen-
dl'ail jamais illdúment d'un vote parlementaire,
s'iI availle pOllyoir (lue posscde en fail le premier
ministre anglais, de dissoudre la chambre el d'en
appeler au peuple ; si, au lieu d'ütre révoqué de ses
J'onctiuns par un vote hostile, il ne pouvait ctre
réduiL par le vote, (IU'a l'allerllative de donner sa
démissioll ou de dissoudre la chambre.




340 GOUVER;,\EMENT HEPHÉSENTATlF.
Il me parait désirable que le premier minislre


possede le pouvoir de dissoudre le parlement,
meme sous un sysLcme ou iI sel'ait assuré de gar-
del' sa place pendant une période délerminée. II ne
devrait pas y é1Yoir en polilique de dédalos possi-
bIes, c'est-a-dire de conflit enlre un pl'ésillent el
une assemblée, ou ils seraient faee ú faee pcndanl
un laps de temps donné (peul-Oll'c, plusieurs an-
nées), sans pouvoir se débarrasser run de rautre.
Pour traverser une de ces crises, sans (IlIe de cot(;
ou d'alltl'e on reeourut it un coup d'j~tat, il faudl'ait
que l'amour de la liberté el l'haDitnde de l'empire
sur soi-meme fussent combinés chez un peuple, á
un degré qui ne s'est ene ore reneunlré que lr¿~s­
rarement; et quand meme on aurait pl'is des pré-
cautions contre cette extrémité, supposer qur. les
deux autorités ne se paralyseront pas l'uno l'alltre,
c'est croire que la vie politique du pays '-;era lou-
jours gouvernée par un esprit de tolérance muluel
et de compromis, que ne ponrront lroubler lli les
passions ni les excitations des Julles de parti les
plus vives. Un pareil esprit pent exister; mais il est
imprudent, 101's meme qu'il existe, de le mettre a
une trop rude épreuve.


Il est dési1'able pour d'antres raisons, qu'un pou-
voir dans l'État (qui ne peut et1'e que le pouvoir
exécutif) ait toujours pleine et enLicre liberté de
convoquer un llouveau parlemellt. Quand on ne




'DE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVERNEMENT, ETC. 3±1
sait pas au juste Jequel de deux partis opposés esi
le plus fort, il est impol'tant qu'il existe un moyen
constitutionnel de jug'er la chose. Tant qu'elle res-
tera douteuse, aucune autre matiere politique n'a
chance d'etre traitée d'une faQon convenable: un
pareil intervalle est génél'alement un interregne
pour tous projets d'amélioration législative ou ad-
ministrative, aucun par ti n'ayant assez de confiance
'en sa force pour ten te!' des choses capables de pro-
voquer l'opposition de quelque individu collectif
ou privé, qui a une influence directe ou indirecte
dans la lulle pendante.


Je n'aí pas pris enconsidération le cas oú un
grand pouvoir centralisé entre les mains du pre-
miel' magistrat, et l'attachement iusuffisant du
peuple pour les institutions libres, donneraient a
~e magistrat une chance de réussir dans une ten-
tative pour renverser la constitution et usurper le
pouvOIr.


Oil existe un tel danger, il ne doít pas y avoir de
premier magistrat que le parlement ne puisse
réduire, d'un seul vote, á la condition d'homme
privé. Dans un état de choses ou ce manque de foi
n'est pas impossiblc, celle prérogative du parle-
ment, si énorme qu'elle paraissc, n'est qu'une fai-
ble sureté.


De tous les fonctionnaires du gouvernement, ceux
<lu'il serait le plus facheux de voir nommer par le




:\ Í:2 GOU VERNEl\lENT REPllESENTATIF.
suffrage populail'e, ce sont les j uges. En meme
temps que leurs qualités spéciales et professionnel-
les ne sont pas appréciables pour le peuple, il n'y
a pas de fonctionnaires chez qui une impartialité
absolue, et l'absence compli'te de liaisons avec des
hum mes poli tiques ou des sections de parti, soit
d'unc aussi grande importancc. Quelqucs pcnseurs,
entre antres BClltham, ont été d'avis que bien qu'il
ne conviennc pas d'appliqucr aux jugcs l'élection
populaire, les habitants de leur distl'ict devraient
pouvoir, apres les avoir éprouvés suffisamment, les
destituer de lenr charge. On ne peut nier que l'ina-
movibilité d'un fonctionnail'e public a qui sont
confié s de grands intérets ne soit en elle-meme un
mal.


II n'est aucunement désirable qu'il n'y ait pas
moyen de se débarrasser d'un juge inique ou igno-
rant, si ce n'est lorsqu'il s'est conduit de faQon a
pouvoir étre cité devant une cour criminelle: il
n' est aucunement désirable qu'un fonctinnnaire de
qui tant de choses dépendcnt, se sentc libre de
toute responsabilité, excepté envers l'opinion et sa
propre conscience. Cependant, il s'agit de savoir
si, dans la position particuliere d'un juge et en
supposant qu'on ait pris les sÍlretés possibles pour
que la nomination fut honnéte, l'irresponsabilité
(exeepté a l'égard de la conscience publique et de
la sienne propre) n'a pas en somme moins de tcn-




DE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVEKNEMENT, ETC. 3-1-3
/ dance a pervertir la eOlldllite, que la responsabilité


ellyerS le gouvernemenl ou envers un vote popu-
lail'L'.


L'expériencc a depuis longtemps décidé la ques-
lion dans le sens affirmatif, en ce qui regarde la
l'('sponsabilité envers l'exécutif; el la chose est
lo lit aussi évidente quand c'esl la responsabilité
('Iln~rs le suffrage des électeurs qu'on cherche a
imposer. Parmi les bonnes qualités du peuple
comme électeur ne figurent point celles qui sont
particulierement nécessaires pour un juge, le calme
pt I'impartialité : heureusemenl, ce ne sont point
lit les qllalités nécessaires pour celle intervention
.tu Sufrl~age populaire, qlli est esscntielle a la li-
herté.


La justice, quoiqu'elle soit une qualité nécessaire
h lous les elres humains et par consóquent a tous
les électeurs, n'est pas le motif qui décide d'une
Mection populaire. La justice et l'impartialité sont
anssi pen nécessaires pour nommer un membre du
parlemenl, qu'elIes peuvent l'etre dans une transac-
tion humaine. Les électeurs n'ont pas a donner
une chose a laquelle chaque candidal ait droit, ni
iLjuger a des intérets généraux des compétiteurs; ils
doivent déclarer lequel possede leur confiance per-
sonnelle, ou lequel représente le mieux leurs con-
victions poliLiques. Un juge est tenu de traiter son
ami politique OH la personne qu'il connait le mieux,




:la GOUVERNEME~T REPRÉSENL\TIF.
exactement comme il traite les autrcs. ~lais si UIl
électeur agissait ainsi, il commettrait un oubli de
son devoir. On ne peut prcndre pour bascd'ull argu-
ment, le bon effet produit sur les jugcs tout conune
sur les autres fonctionnaires. par la juridiction mo-
raIe de l'opinion; car, meme sous ce rappol't, ce qui
exercl? réellement un controle utile sur les actions
du juge, quand il est digne de sa fonction, ce n'esL
pas (saur dans certains ras poli tiques) l'opinion de
la communauté en général, mais celle dll seul pu-
blic parlequel sa conduite ou ses quaIités puissent
Btre dument appréciées) a savoir : le barl'eau de sa
propre cour. On ne doit pas se figurer que je re-
garde comme peu importante la participation du
public général a l'administration de la' justice.
Cest chose au contraire de la plus grande impor-
Lance; mais de quelle faGon ? Lorsque le public ac-
complit, a litre de juré, une parlie des fonctions
judiciaires. Ceci est un des cas fort rares en politi-
que, Oll il vaut mieux que les hornmes agissent di-
rectement et personnellement que par l'entremise
de leurs représentanis; c' est presque le seul cas
Oll les erreurs que peut commettre une personne
revetue de l'autorité, sont plus supportables que
les conséquences d'un systeme ou elle serait res-
ponsable de ses erreurs.


Si un juge pouvait otre destitué de ses fonctions
par un vote populaire, le premier individu désirellx




DE L'EXÉCUTJF DAi'S UN GOUVERNEMENT, ETC. 3-l5
I de le supplantcl' trouyer:üt un motif a destitution
dans Lous ses jugements : il en appellerait de ces
jugemenLs a une opinion publique totalement in-
compétcnte, soit faute d'avoir entendu la cause,
soit faule de l'avoir enlendue ave e les précautions
OH l'impartiaIitó rpIi appartiennent a des oreilles
judiciaircs : il exeiterait la passion et le préjugé
populaire PI oil ils existent, et s'efforcerait de les
faire nallre El oil ils n'existent paso El en cela, si
la cause ótait intéressantc, et qn'il se donnat les
soins voull1s, il réussirait eomplétement; a moins
que le juge OH ses amis ne descendissent dans l'a-
rene el ne fissent de leur cOté des appels également
pnissanls. Les juges finiraient par sentir qu'ils ris-
qnenl leUl's charges, toutes les fois qu'ils prononcent
Slll' une cause susceptible d'exciter l'intéret géné-
mI, el (fl1'il est moins essentiel pou!' eux de cher-
eher la déeision la plus juste, que de chercher celle
qui sera le plus applaudie par le public ou quí pre-
tera le moios ü la pcrfidíe des interprétatións. On
s'aperceHa, je le erains, que la coutume établie par
quelqncs-ulles des eonstitutions américaines no u-
yelles OH modifiées, de soumettre les juges a une
réélection populaire périodiql1e, est une des er-
rcurs les plus dangereuses qu'ait jamais commisela
démocratie ; et si le bon sens pratique qui ne rait
jamais complétement défaut au peuple américain
n'était ras, dil-on, sur le point de produire une




:H6 GOlJVEIINEi\lE~T REPIIÉSENTATIF.
réaction profitable it la vérité, on pOllrrait regarde¡'
ceUe errellr eomme le premier indice d'unc d(~­
mocl'atie qui dégénl)re sensiblemen t (1).


Quant it ce corps nombreux et eonsidérablc (PÜ
con~titue la force permanente du servicc publi(' ;
quant it res hommes qui ne ehangent pas ayec l('s
changements politiques, mais qni demeurcnt pom'
aider chaque ministre de leur expériencc el de lem's
traditions, pour l'éclairer de lcur connaissanee de.s
affaires, pour diriger les détails ol'ficiels SOllS SOll
controlo général - ces hommes cnlin flui formClll
la classe des fonctionnaires publics de profcssion, eL
qui embrassent cette carriere eomme un embrasse
les autres, tandis qu'ils sont jellnes avec l'espéranee
d'y avancer graduellement, en avan(;ant en age, iI
est inadmissible évidemment qu'ils pllissent ütn'
destitués et privés de temt le fruit des services qn'ils
ont rendus jusqlle-la, si ce n'esL a cause (rune ill-
conduite positive, prollvée et sériellse. Done, plli..;-


(1) J'ai appris cependant que dans les )::tats OU les .i¡lg(~S son!
élus, le choix n'est pas fait en réalité par le peu pie mais pal'
les chefs de pat'ti, et que comme Hui électellr lIe songe :i VO-
ter pour un autre que pour le candidat du parti, en con sé-
quence la personne nommée se t¡'ouve ctre ordinaiJ'ement celk
qu'aurait choisie le président ou un ministre de la justic,',
Ainsi, une mauvaise coutume en borne et en modi/le une an-
tre; et cette habitude de voter en masse sous une banniel'()
dé parti, qui fait tant de mal partout ('U le droit d'élection ap-
partient au peuple a juste titre, cette habitude, dis-je, tend ;·1
diminuer un mal plus grand encore, dans le cas ou le fonc-
tionnail'e a élire devrait elre choisi, non par le peuple, mais
}Jow' le peuple.




DE L'EXÉCUTIF [)A~S UN GOUVERNEMENT, ETC. :H7
qu 'on ne peut mettre de cOté ces fonctionnaires
(excepté dans le cas de culpabilité personnelle),
qu'en leur accordant une pension aux frais dn pu-
blic, il est de la plus haute importance que les no-
minations soient bien faites des le principe : et il
nous reste a examiner qnelle est la meilleure fa-
Qon d'atteindre ee buL


Pour les moindres emplois, il n'y a guere a
craindre le manque de savoir et d'habileté spéciale
chez ceux qui nomment; mais il faut redouter la
partialité et l'intéret privé ou poli tique. Les can di-
dats étant nommés en général trop .ieunes encore,
non pas comme ayant appl'is, mais bien pou!' ap-
prendre leur profession, la seule chose par ou 011
puisse distinguer les plus méritants d'entre eux,
c'est la maniere donl ils ont rail les études qlli
constituent une éducalion libérale ; et ceci peut
etre reconnu sans difficulté, pourvu que les pel'-
sonnes chargées de ce soin prennent la peine el
posscdent l'impartialité voulues. On ne pelit rai-
sonnablement attendre ces deux choses d'un mi-
nistre, qui doit s'en rapporter entierement anx
recommandations et qui, si désintéressé qu'il soit
quant a ses désirs personnels, ne résistera jamais
aux sollicitations des personnes qui peuvent influer
sur sa propre élection, ou dont l'appui politique
est important pour le ministere auquel il appar-
tient. e'est d'apres ces considérations qu'on a intro-




:ns GOUVEHNEMENT HEPHÉSENTATIF.
duit la contnme de faire subir a tous les candidats
pour les nominations premieres, un examen public
dirigé par des personnes qui ne s'occupent point
de poli tique et qui sont de la meme classe et da
meme rang que les examinatenrs ponr les dignités
nniH'rsitaires. Ce serait probahlemcnt le meilleur
systeme pour tous les gouv.ernements ; mais sous
nolre gouvernement parlernentaire, c'est le seul
qni offre une chance, je ne dirai pas que les nomi-
nations soient honnctes, mais qu'on s'abstienne de
celIes qui sont deshonnetes d'une faQon manifeste
et flagrante.


11 est absolument nécessaire que les examens
soient des concours, et que les emplois appartien-
nent a ceux qui se sont le mieux tirés de l'examen.
Un simple examen n'exclut en général que ceux
qui sont absolument ignorants. Quand il s'agit ponr
un examinateur ou de ruiner l'avenir d'un individu
ou d'accomplir un devoir public qui dans le cas
particulier semble rarement d'une grande impor-
tance, et qnand il sait qll'on lui reprochera ame-
rement d'avoir ruiné l'individu, tandis que personne
ne saura s'il a accompli son devoir on ne lui en
saura gré ... le bon naturell'emporte, a moins que
ce ne soit un homme d'une trempe peu commune.
(Juand on a faibli une fois, il est difficile de ne pas
Nre entrainé a faiblir de plus en plus, jusqu'a ce
que le degré de force vouIne pour passer l' examen




DE L'EXÉCUTIF DANS U~ GOUVERNEMENT, ETC. 349
en yienne a etfe quelque ehose de presque mépri-
sable.


En général, dans les nniyersités, les examens
pour les grades sont aussi insignifiants eL allssi fa-
ciles a passer, que les examens pour les dignités
sont sérieux et difficiles. Quand il n'y a aucun motif
pour dépassel' un ce1'tain minimum, le minimum
deyient le maximum; chacun prend l'habitude de
ne pas yiser plu.; haut, et comme en toutes choses
iI y a certains hommes qui n'atteignent pas tout ee
a qnoi ils yisent, si peu éleyé que soit le but, iI y
en a tOlljou1's plusieurs qui le manquent. Quand
au contrai1'e, les emplois sont donnés aux candidats
supérieurs parmi lous ceux qui se p1'ésentent, et
que les plus ,capables sont choisis parmi les capa-
bIes, non-seulement ehacun est excité a faire le
plus qu'il peut; mais l'influencc de eeUe pratique
~e fait sentir dans Lous les élablissements ou se
dispense l'éducalion lih6l'ale. Ayoi1' fourni. des
élcyes qUÍ ont obtenu de grands sueees a ee eon-
eours, dCYÍcnt pour touL maUre de pension un ob-
jet d'ambition et un moyen de sueces, et il n'y a
guere d'anLre mode par ou r~~tat puisse faire an-
tant ponr l'amélioration des études dans tont le
pays. Quoique le principe des coneours ponr les
cmplois publies n'ail été int1'oduit ehez nous que
tout réccmment, et quoiqu'il soit bien imparfaite-
ment dévcloppé, puisqu'on ne le yoit fonetionner


20




350 GOUVERNEl\IENT REPRÉSENTATIF.
d'une maniere complete que pour le service de
l'Inde, ce principe commence déja a produire un
efl'et sensible sur les établissements d'éducation
de moyenne classe, malgré les difficultés prodnites
par l'état actuel de l'éducation dans notre pays;
étal honteux que ces conconrs mcrne ont mis au
grand jour.


Si pitoyable est le degré d'instruction moyen-
Ilant lequel un jeune homme obtient d'un ministre
le dl'Oit de se présenter comme candidat, que le
('oncoul's de pareils candidats produit un résnHal
plus pauvre que ne serait celui d'un simple exa-
men. Car personne ne songerait a mettre eomme
(~ondition d'un simple examen aussi peu de cho:-ie
'Iue ce qui suffit a un jeune homme pour surpas-
ser ses rivaux. Aussi diL-on que d'annéc en année
le mérite des candidats va diminuant, chaque série
de candidats faisant un moindre efforL paree (JlIe
le résultat des examens antérieurs lui a démontré
(Iue ses devaneiers auraientpu, avee moins d'efforts,
atleindre le but ou ils sont parvenus . .Moitié pOOl'
cette diminution d'efforts, et moitié paree (IlW
Illcme aux examens pour lesquels il ne faut pas
liBe nomination préalable, l'ignoranee qui se rend
.instice réduit a presque rien le nombre des COB-
('urrents, il est advenu que, quoiqu'il y ait toujours
en quelques excmples de grand savoir, le reste des
,'andidats heureux ne représentequ'une dose de sa-




LJE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVERNEMENT, ETC. ~51
voir tres-médiocre; el nous savons par les com-
missaires eux-memes que presque tous ceux qui
ont échoué ont du leUl' insucces a leur ignorance,
non des plus hautes branches de l'instruction, mais
de ses éléments les plus hllmbles : - l'orthographe
et l'arithmétique.


La clamenr que continuent d'élever contre les
concours quelqucs organes de l'opinion fait sou-
"cnL, j'ai le regret de le dire, aussi peu d'honneul'
ú la bonne foi qu'au bon sens des détracteurs. Ils
se pIaisent quelqllefois a dénaturer le genre d'igno-
rance qui cause l'{'chec des concurrent~. lIs citent
avec cmphase les questions les plus abstraite3 (1)
qu'onaitjamais posées, en prétendantque lesinequa
non du suce~s consiste en des réponses irréprocha-
bIes a toutos les questions. Or, en fait, laisser les
qllestions san s réponse n'est pas une exclusion;
mais les résoudre est une faveur, un avantage.


On naus demande ensllite si l'on croit qpe la
SOftc de sayoi1' supposée par leIle ou telle qlles-
tion, pCllt et1'e de quelque usage au candidat,
apres qu'il a atleint son bulo Il se rencontre de


(1) lis nc citent pas toujoul's cependant les questions les plus
abstraites; cal' derniel'cment, dan s la chamb,'e des commulles.
un ennemi des concours a en la naiveté de citel' une sél'ie de
questions presque élémentaires sur l'algebre, l'histoiI'e et la
géographie, pOU\' démontrer quelle somme exorbit.ante de COIl-
naissances scientifiques, les commissaires avaient la cl'llauté
d'exiger.




3i:).2 GOUVEl\NEMENT REPRÉSENTATIF.
grandes différences d'opinions lorsqu'on se met a
rechercher quelle sorte de sayoir est utile. Il existe
des personnes (et un secrétaire d'~=tat aux affaires
étrangeres était de ce nombre) qui regardent 1'01'-
thographe comme une connaissance inutile chcz
un aUaché d'ambassade, ou chez un commis dans
quelque hureau du gouvernement.


Il est une chose sur laquelle tous nos adyersaires
semhlent d'accord, c'est que la culture intellec-
tuelle générale n'est pas utile dans ces fonctions,
quelles que soient d'ailleurs les choses qui puissent
y etre utiles. Si cependant (comme j'ose le croire)
ceUe culture générale est utile, bu si une éduca-
tion quelconque est utile, on doit faire subir au
candidat les épreuves les plus propres a démonLrer
s'il possede ou non ceUe éducation. Pour s'assurer
qu'il a été bien élevé, il faut l'interroger sur les
choses qu 'il saura probablement, s'il él été bien
élevé; me me quand ces choses n'auraient pas un
rapport direct ayec la fonction a laquelle il va etro
nommé. Ceux qui s'opposent a ce qu'on le ques-
tionne sur les c1assiques et les mathématiques,
·dans un pays ou les seules choses régulicrement
enseignées sont les c1assiques et les mathémati-
·ques, voudront-ils nous dire sur quoi ils désire-
raient qu'on l'interrogeat? On parait cependant
s'opposer tout autant a un examen sur ces choses,
(IU'a un examen sur toute autre chose. Si les com-




DE L'EXÉCUTIF OANS UN GOUVERNEMENT, ETC. :353
miss~ires - désireux d'ounir une porte d'admis-
sion a eeux qui n'ont point passé par la routine
d'une éeole de grammaire, ou qui compensent leur
peu de connaissance de ce qu' on y enseigne, par
une connaissance pI us grande de quelque chose
antro - accordent des bou1es blanches au savoir
sur tout autre slljet d'une ntilité réelle, on le leur
reproche égalemonL H.ien ne contentera lours ad-
vcrsaircs, si ce n 'est l'admission libre de l'igno-
rance eompli'te.


On nons <lit d'Ull aÍ!' de lriomphe que ni Clive, ni
\Vellinglon n'auraient pu subir l'épreuve obligaloire
pour un aspirant á une école d'ingénieurs cadets.
Comme si, paree que Clive et ,,: ellington ne fai-
saient pas ce gu'on n'exigeait pas d'eux, ils n'au-
raient pas pu lo faire au besoin. Si par la on veut
seulement nous apprendre qu'il est possiblo d'etro
un grand général sans savoir ces ehoscs, il en cst de
meme pnur beaucoup d'autres qui sont ÍTcs-utiles
a de grands généraux. Alexandre le Grand n'avait
jamais conllll les r('glcs de Yauban, et Jules César
ne savait pas le fl'anc:ais. On nous apprend ensuite
que les dr)VllrellJ's de ¡iI'res, terme qu'on crait pou-
voir appliquer a qlliconque se permet la plus légere
eonnaissanee des livres, ne réussissent pas aux
exercices du eorps, et n'ont point les habitudes de


... .


uenllemen. Cecí est une remarque faite sourent par
les ignorants de condition; mais quoi que puissent


20.




3'" :)':1: GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
en penser les ignorants, ils n'ont le monopole III
des habitudes élégantes, ni de l'activité corpol'elle.
Partout ou celles-ci sont nécessaires, qu'on le~
exige outre les qualités intellectuelles, et non pas
a la place de ces qualités. En memo temps, je tiens
de bonne source qu'a l'école militaire de \Voolwich,
les cadets admis par coneours sont anssi supé-
rieurs sous ce rapport que sous tous les aulres, a
ceux qui ont été admis d'apres rancien systeme de
nomination. On me diL qu'ils apprenuenL plus yite
la manmuvre elle-meme (ce a <Juoi on pouyait s'at-
tendre, car une personne intelligente apprend tout
plus vite qu'une personnc stupide) et que comme
conduite générale, ils sont tellement au-dessus de
leurs prédécesseurs, que les chefs de l'institution
attendent avec impatience le jour oil les dcrniers
restes du vieux levain auront disparu de l' école. Si
la ehose est vraie, et il est faeile de s'en assurel', il
faut espérer que bientól nous n'enl.endrons plus
dire que l'ignorance est une qualité prérérablc aH
savoir pour la profession militaire et (1 jin'{ún't' ponr
toute profession, ou que touto bonne qualité, en-
core qu'eUe ne paraisse pas tünil' a UIle édueation
libérale, doit ~agner h s'en passer.


Quoique l'admission premicre aux emplois du
gouvernement soit décidée par un concours, iI sc-
rait impossible la plupart du temps que l'avan-
cement ultérieur fUt décidé de la meme faqon, et iI




VE L'EXÉCUTIF DANS UN GOUVERNEMENT, ETC. 3;):)
semble convenable que l'avancement soit accordé,
comrne cela se fait ordinairement aujourd'hui, d'a-
prcs un systeme rnixte d'ancienneté et de choix.
Ceux dont les devoirs ne sont qu'une routine s'é-
lcveraient par droit d'ancienneté au plus haut
point oi! puissenl les portm de semblables devoirs;
tandis que ceux auxquels sont confiées des fonc-
tions d'une importance parLiculierc et exigeant une
capacilé spéciale, seraient choisis dans le corps par
le chef du ministere. Et en général il fera ce choix
honnctement, si les nominations premicres ont eu
lien par concours; ('al' ayer ce systcme sun minis-
tere se ('omposera en général d'individus qui sallS
les reiations officielles lui auraient été étrangers. S'il
se trom;e parmi eux un hornrne amluel il porte
quelque intéret, ce hasard ne se rencontrera que
<fans des cas (lÜ Ulle dose au rnoins égale de mé-
rite réel s'ajoutera, aulanl (fue peut le prouver un
examen d'initiaLion, ü cet avantage de liaison. Et
it moins qu'il n'y ait un motif trcs-puissant pour es-
camoter(t(J .lob) ces nominatiuns, il yen a toujOUl'S
un puissant puur nommer la personne la plus capa-
blc: cal' c'est celle qui donne ü son chene concours le
plus utile, qui lui épargne le plus de peine el qui
raide le micllx Ú se faire ce renom d'habileté admi-
nistralive (ltÚ ajunte nécessairement et juslemcnl
au crédit d 'tm ministre, quand meme il serait mérité
plutót par ~cs subordonnés que par lui-meme.




CIlAPI TRE XV
DES COllPS REPRÉSENTATlFS LOCAtX.


Les autorités centrales ne peuvent hien aecom-
plir ou. entrcprendre en toute sureLé qu'unc petite
portion de la besogne puhlique; el meme dans
notre gouvernement, le moins centralisé de l'Eu-
rope, la portion législative (au moins dll corps gou-
vernant) s'occupe beaucoup trop des alfaires loca-
les, employant le pouvoir supremc de l'Jhat a
couper de petits n~uds qu'on devl'ait pouvoir dé-
nouer d'une meilleure fa~on. La sommc énormc
de besogne pl'ivéc qui pI'ClHI le tcmps <In parle-
mcnl, et qui remplit les pcnsécs de ses memhrcs
individuels, au détriment des occupations proprcs
<Iu grand conseil de la nation, est rcgardée par
tous ceux qui pensent el qui observenl comme un
mal sérieux, et ce qu'il y a de pire, comme un mal
qui augmente.


NOllS n'allons pas ici discuter a fond la grande
queslion, qui n'est nullement particulicl'c au gon,.
vel'nemcnt représcntatif, des limites de l'action




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 35i
gouvernementale. J'ai dit ailleurs (1) ce qui me pa-
raissait le plus essentiel, quant aux principes d'a-
pres lesquels l'étendue de cette action devrait Ctre
déterminée. Mais en Otant des fonetio'ns accom-
plies par la plupart des gouvernements européens,
celles qui ne devraient Clre remplies par aucune
auLorité publique, il reste encore un ensemble de
devoirs si nombreux el si variés, que ces devoirs
doivent absolument, quand ce ne serait que d'a-
prcs le principe de la division du travail, 8tre divi-
S(~S entre les aulorités centrales et les autorités
locales. II faut des fonctionnaires exécutifs dis-
tincts pour les devoirs purement locaux (chose qui
existe sous tous les gouvernements); j'ajoute que
le controle p~pulaire ne pent s'exercer avantageu-
sement sur ses fonctionnaires qu'au moyen d'un
organe distinct. Leur nomination premiere, la
fonction de les surveiller et de les contenir, la
liberté de se pretor ou de se refuser aux dépenses
né(;essaires pour leurs opérations, devraient aprar-
tenir non au parlement national ou 11 l'exécutif
national, mais aux habiLants de la localité. Que
les habitanls exercent ces fonctions directement
et personnellement, c'est chose évidemment in-
admissible. Le gouverllement du peuple assem-


(1) Dans le dorniel' chapitre du Trnite SW' la Liberté, et d'une
maniere plus développéc, dans le chapitre final dos Pl'lncipes
d't.'collomie politique.




358 GOUVEHNEMENT HEPRESENTATIF.


blé est un reste de barbarie, contrail'e a tout I'es-
prit de la vie moderne; cependant la marche des
institutions anglaises a été tellement 1'reune du
hasard, que ce mode primitif de gouvernement
local a subsisté en regle généralc pour les affai-
res paroissiales jusqu'a la génération actuelle; el
comme il n'a jamais été légalcment aboli, il existe
probablement intact aujourd'hui encore dans un
grand nombre de paroisses rurales. Reste le sys-
teme de sous-parlements pour les affaires locales,
ce qui doit etre' regardé désormais comme une
des institutions fondamentales d'un gouvernc-
ment libre. Ces parlements existent en Angleterre,
mais tres-incomplétement et avec beaucoup d'il'-
régularité et de défauts de combinaison; dans
d'autres contrées gouvernées d'une faQon moins
populaire, leur constitution est beaucoup plus ra-
tionnelle. En Angleterre, il y a toujollrs eu plus
de liberté et une plus mauvaise organisation qu'ail-
leurs, tandis que dans d'autres pays, au contraire,
il y a moins de liberté et une meilleure organi-
sation. Il est nécessaire done qu'outre la repré-
sentation nationale, iI y ait des représentations
municipales et provinciales: et les deux questions
qui restent a résoudre sont celles de la constitu-
tion des corps représentatifs locaux et de l' étendue
qu'il convient de donner a leurs fonctions. Dans
1'e~men de ces questions, ueux points deman-




DES CORPS REPRESENTATIFS LOCAUX. 359


dent une égale attention, a savoir : 10 Comment
la besogne locale en elle-meme sera-t-elle le mieux
faite? 20 Comment le maniement des affaires loca-
les peut-il le lIlieux servir a l'entretien de l'esprit
public et au développement de l'inte11igence ?


Dans un des chapitres précédents, je me suis
appesanti dans des termes tres-énergiques, - il
n'y en a gllcre d'assez énergiques pour exprimer
l'énel'gie de ma conviction, - sur l'importance de
cet efl'eL particulier des institutions libres, qn'on
peut appeler l'éducation publique des citoyens. -
Or, cel effet s'opcre principalement au moyen des
institutions administratives locales. La part que
les citoyens peuvent prendre, comme jurés, a l'ad-
ministration de la justice, est presque la seule
occasion qu'ait la masse de la population de se
meler personnellement i\ la direction des affaires
générales de la communauté. Lire les journaux
et peut-Ctre y écrire, lenir des assemblées publi-
ques et adresser des sollicitations de différentes
sol'tes aux autorités poli tiques , voila toute la part
que peuven l pl'undre les citoyens privés i\ la poli-
tique générale, pendant l'intervalle qui s'écoule
entre une éleclion parlementaire et l'autre. QUOl-
IIU'il soit impossible d'exagérer l'importance de
('es divers priviléges, et comme garanties de li-
berté et comme moyens de culture générale, ils
cnseiguent pIul6t ü penser fIU'a agir, et i\ penser




:360 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
sans les responsabilités de raction, ce qui, chez
bien des gens, n'est pas autre chose que receyoir
passivement les idées d'autrui. Mais pour les a~­
semblées locales, out1'e la fonction d'éli1'e, beau-
eoup de citoyens ont chacun h leu!' tour la chance
d'étre élus, et beaucoup, soit par choix soit a
t011r de role, remplissent quelques-nns des nom-
breux emplois exécutifs locaux. Dans de parcilles
positions, ils ont a agir pour l'intérct public aussi
bien qu'a pcnser el a pader, el ils ne peuvent pas
toujours penser par procuration. On poul'l'ait ajou-
ter que ces fonctions locales n 'étanl pas recher-
ehées par les classes élevées, apportent a une
classe beaucoup plus hurnble de la société celte
importante éducation poli tique qu'onTeQoit en les·
remplissant. Cette éducation est le grand avantage
a attendre des administraLions locales, lesquelles
aussi bien n'ont pas a traiter des intérMs dn pre-
miel' ordre : d'oi't il suit que cet avantage doit pas-
ser avant tout, et qu'on peut y sacrifier jl1squ'h
un certain point la valeur du personnel adminis-
tratif, ce qui est hors de question lorsqu'il s'agit de
la législation générale et de la conduite des affai-
res d'}=tat.


La constitntion propre des corps représentatifs
locaux ne présente pas beaucoup de difficulté. On
pent parfaitement y appliquer les principes de la
rcprésentation nationale. 11 y a dans les deux cas




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 361
la meme raison pour que les corps soient électifs,
d pour qu'ils aient une base largement démocra-
tique; raison plus puissante encore dans le cas
local, le danger y étant moindre, et les avantages
comme éducation et culture populaire y étant plus
grands sous certains rapports. Commc le principal
devoir des corps locaux consiste dans l'imposition
d la dépense des taxes locales, le droit électoral
devrait appartenir a tous ccux qui payent les taxes
locales, a l'exclusion de ceux qui ne les payent
paso Je prétends qu'il n'y a pas d'impOts directs,
de droits d'oetroi, ou que, s'il y en a, ils sont seu-
lement supplémentaircs, ceux qui en supportent le
fardeau étant également soumis a des contribu-
tions directes. On devrait assurer la représenta-
tion des minorités de la me me maniere qu'au par-
lement, et il y a les memes raisons en faveur de la
pluralité des votes. Seulement, il n'y a pas une ob-
jection aussi décisive dans le cas du corps local, a
ce que le vote plural dépende (ainsi que cela a lieu
dans quelques-unes de nos élections locales) de la
simple supériorité pécuniaire. En effet, la dispen-
~ation honnete et économe de l'argent formant
une part beaucoup plus considérable dans la beso-
gne des corps locaux que dans celIe de l'assemblée
nationale,il estj uste aussi bien que poli tique d' accor-
der une influence supérieure propü~tionnelle, a ceux
qui ont enjeu desintérels pécuniaires supérieurs.


21




362 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
Dans la plus récente de nos institutions locales


représentatives, les consez'ls d' administratl'on (Board!:!
of GUal'dians), les juges de paix du district siégent
ex offido a coté des membres élus, dans une pro-
portion limitée par la loi au tiers de l' ensemble,
Ayec la constitution particuliere de la société an-
glaise, je ne doute point du bon effet de cette me-
sure, Elle garantit la présence dan s ces corps d'une
classe ayant reQu une éducation supérieure, el qu'iI
n'aurait peut-etre pas été possible d'y attirer autre-
ment: et tandis qUe le nombre limité des membres
e.Y officio les empeche d'acquérir la prépondérance
simplement par la force numérique, comme ils ont
quelquefois, a titre de représentants virtuels d'une
autre classe, un intéret différent du 'reste, ils tien~
nent en échec les intérets de classe des fermiers Oil
des petits boutiquiers quiforment la majorité des
administrateurs élus. On ne peut pas faire un sem-


. blable éloge de la constitution des seuls conseils
proyinciaux que nous possédions : les sessions tri-
mestrielles, qui se composent uniquement des
juges de paix, lesquels, outre leurs devoirs judi-
eiaires, ont a remplir les fonctions les plus impor-
tantes de la besogne adminislrative du pays. Le
mode de formation de ces corps est des plus irré-
guliers; ils ne sont pas élus ni nommés dans le
sens pl'opre du mot; mais comme les seigneurs féo-
daux auxquels ils ont succédé, ils exercent yirtucl-




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 363
lement leurs fonctions importantes en vertu de
leurs arpents, le droit de nomination qui appar-
tient a la couronne, ou p1utót en fait a un de leurs
membres (le lord lieutenant), ne servant qu'a ex-
clure quiconque serait un déshonneur pour le
corps, ou quiconque ne pense pas bien en poli-
tique. Cette institution est la plus aristocratique
en principe, de toutes ceHes qui restent en Angle-
terreo Elle 1'est bien autrement que la chambre des
lords; car el1e accorde l'argent public et dispose
d'intérets publics importants, non pas avec le con-
cours d'une assemblée populaire, mais a elle seule.
Aussi, nos classes aristocratiques s'y cramponnent-
elles obstinément; mais l'institution est évidem-
ment en désaccord avec tous les principes qui for-
menL la base' d'un gouvernement libre. Meme un
simple mélange de membres ex officio et de mem-
bres élus, n'est pas justifiable dans un conseil de
Comté, comme dans des conseils d'admim"stration,
puisque les affaires d'un comté étant assez impor-
tantes pour étre un objet d'intéret et d'attraction
pour les gentlemen campagnal'ds, ils n'auraient pas
plus de difficulté a se faire élire membres du con-
seil qu'a se faire nommer au parlement.


Quant a la "circonscription propre des colléges
électoraux qui nommeront les assemblées locales,
le principe de la cornmunauté d'intércts locaux,
qui est mauvais quand on l'applique comme une




:361, GOUVERNEl\1ENT REPRÉSENTATIF.
regle exclusive et inflexiblc a la représentation
parlementaire, est ici le seul juste et le seul appli-
cable. On veut avoir une rcprésentation locale,
afln que tous ceux qui ont en commun un intéret
queleonque, que ne partage pas le reste de leurs
concitoyens, puissent veiller eux-memes a eet in-
téret. 01', le but est manqué, si la représentation
n'a point pour base le groupement de ees intérets
communs. Il y a des intérets lcJcaux parliculiers a
chaque ville, qu'elle soit grande ou petite, et com-
muns a tous ses habitants ; done, ehaque ville sans
distinction d'étendue, devrait avoir son conseil
municipal. . Il est également évident que chaquc
ville ne devrait en avoir qu'un. L'intéret local est
presque toujours le meme pour les différents quar-
tiers d'une ville; pour tous il faut faire les mC'-
mes ehoses et les memes dépenses, et a l'excep-
tion des églises qu'il est peut-etre désirable de
laisser sous la direction de la paroisse, les memcs
arrangements peuvent convenir a tous. Le pavagc,
r éclairage, l'approvisionnement des caux, le drai-
nage, les reglements de ports et de marehés ne
peuvent, sans de gran(},s inconvéniénts et sans une
grande dépense en pure perte, etre ~ifférents pour
les différents quartiers de la meme ville. La subdi-
vision de Londres en einq ou six districts (dont
chacun a ses arrangements distincts pour les affai-
res locales, et dont plusieurs manquent d'unité




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCADX. 365
adminislrative dans l'intérieur meme de leur pro-
pre sphere), fait obstacle a ce qu'il y ait d'une fa-
<;:on réglée et suivie, une coopération commune a
des objets communs, empeche l'existence d'uu
principe uniforme pour l'accomplissement des de-
yoirs iocaux, contraint le gouvernement général a
se charger de choses qu'il vaudrait mieux laisser
aux autorités locales (s'il y en avait une qui gou-
yernat tonte la mét1'opole), et ne sert qu'a entre-
lenir cet assemblage fantastique de 1'oueries mo-
dernes et de úeiUes friperies qu'on nomme la cor-
po1'ation de la cité de Londres.


Un autre principe également important, (,'est
que dan s ehaque localité il n'y ait qu'un eorps
élcetif pour tqute la besogne locale, et non point
différents corps pour les différentes parties de eette
bt'sogne; la dirision du travail ne veut pas dire
([u'il faut partager toute la besogne en menus mor-
('(:anx, mais bien qu'il faut réunir les opérations
qui peuvent et1'e faites par les memes personnes,
et séparer eelles qui seraient mieux faites par des
pcrsonnes différrntes. Les devoirs exéeutifs de la
localité doivent ida vérité Otre divisés en plusieurs dé-
partements, pour la meme raison que eeuxde l'lhat,
paree qu'ils sont de différente sorte, paree que eha-
('un d'eux exige un genre partieulier de s¡woir et
demande, pour 8tre bien aeeompli, toute l'attention
(t"lIn fonctionnaire possédant les qualités youlues.




366 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
Mais, les raisons en faveur de la subdivision qui s'ap-
pliquent a l'exécution, ne s'appliquent pas au con-
trole. La besogne du corps électif n'est pas de faire
l'ouvrage, mais de veiller a ce qu'il soit convenable-
ment fait, a ce que rien de nécessaire ne soit omiso
eeHe fonction peut etre remplie pour tous les dé-
partements par le meme corps, investi d'un con-
trole supérieur; le point de vue collectif et com-
préhensif est préférable ici aux procédés d'une
analyse microscopique. Que chaque ounier soit
surveillé par un surveillant pour lui seuI, serait
chose aussi absurde dans les affaires publiques que
dans les affaire s privées. Le gouvernement de la
couronne consiste en un grand nombre de dépar-
tements, et il y a un grand nombre' de ministres
pour les diriger; mais chacun de ces minis tres n' a
pas pour lui tout seul un parlement destiné a le
surveiller.


Le devoir propre du parlement local, tout comme
du parlement national, c'es! de considérer les in-
térets de la localité comme un ensemble dont tOll-
tes les parties doivent s'harmoniser entre elles et
exigent un soin proportionné a leur importance.
11 y a une raison tres-puissante pour réunir entre
les mains d'un seul corps le controle de toutes les
affaires d'une localité. La plus grande imperfeetion
des institutions populaires locales et ce ({ui les
ruine si souvent, c'est le calibre médiocre des hom-




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 367
mes qui les dirigent en général. Qu'ils soient tr8s-
mélangés, c'est a vrai di re une partie des avanta-
ges de l'institution, eelte circonstance est ce qui
en fait une école d'aptítude politiquc et d'intelli-
gence générale. Mais une école suppose des pro-
fesseurs aussi bien que des élcves; l'avantage de
l'institution, c'est qu'elle met des esprits inférieurs
en contact avec des esprits supérieurs; un contad
(Jui, en général, est chose rare, et dont l'absenet~
contribuc grandement a mainlenir la majorité de
l'espeee humaine a un niveau d'ignorance satis-
faite. En outre l'école est sans valeur, elle est
nuisible au lieu d'etre utile, si, raute de la surveil-
lance voulue et de la présence dans ses rangs d'un
ordre de cara~teres plus élevés, l'action du corps
peut dégénérer, comme elle le rait si souvent, en
une poursuite également stupide et indélicate de
l'intérCt personnel de ses membres.


01', il faut désespérer d'amener des personnes
o'un rang élevé, soit social, soit intelleetuel, ¿\ pren-
Me une part dans une adminislration locale touto
ll10rcelée, pour y elre membres, soit d'un conseil
de pavage, soit ü'une commission de drainage. La
perspective d'avoir a traiter tonte la besogne locale
ne leur ville, ll'est pas de trop ponr décider des
hommes propres aux affaires nationales par lenrs
gouts et leurs eonnaissances, a devenir membres
d'un simple corps local, y consacrant le temps et




368 GOUVERNEMENT REPRÉSENT A TIF.
les soins nécessaires pour que leur préscnce serye
i'l autre chose qu'i'l couvrir de lenr responsabilité
des tricheries subalternes. "lJn simple conseil dc~
travaux, quoiqu'il comprenne toute la métropole,.
sera composé, on peut en I\trc sur, de la memc
dasse de personnes que les assemblécs des parois-
ses de Londres. Il n'est pas possible ni meme dési-
rabIe que ces personnes n'en forment pas la maju-
rité; mais il est important, 'qnelque but qu'on SE'
propose d'atteindre au moycn des corps lorallx -
que ce soit l'accomplissement honnNc et éclairé
de leurs devoirs particuliers, OH hien la culture de
l'intelligence politique de la nation - il est impor-
tant, dis-je, que chacun de ces corps contiennl'
une partie des meilleurs esprits de la: localité, qui
de la sorte sont mis en contaet perpéluel (contad
des plus utiles) avec des esprits inférienrs, rece-
vant de ces derniers le sayoir local OH professionnel
que ceux-ci ont a donner, et en rcLour leur inspi-
rant quelque chose de leurs idées plus étcnducs el
de leurs vues plus élevées et plus éclairées.


Un simple village n'a aucun droit ú une représen-
tation municipale. En parlant du village, j'entend~
un endroit dont les habitants ne se distinguent ni
par leurs occupations ni par leurs relations socia-
les, des districts ruraux adjacents : nn endroit donl
les besoins peuvent trouyer leur satisfaction dan:;;
les arrangements pri~ pon!' le territoil'e enyil'ol1-




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 369
nanL Ces petits groupes ont rarement une popu-
lation suffisanle pour fonrnir un conseil municipal
passable. S'i1s renferment quelques talents ou quc1-
que s connaissanees applicab1es anx affaires publi-
ques, c'est le fait d'un seul homme, qui par lit de-
vient le despote de l'eIldroit : il vaut mieux que ces
villages viennent se fondre dans une circonscription
plus vaste. La représentation locale des districts
ruraux sera déterminée naturellement par des con-
sidéraLiolls géogl'aphiqlles, en tenant compte de
ces sympathies qui aident si bien les hommcs a
agil' de concel't, et qui tiennent en partie allX limi-
tes historiques comme celles des comtés OH des
provinces, en partie a la comnmnauté d'intéreLs el
d'occupation" comme dans les districts d'agricu1-
ture, de marine, de manufactures, de mines.


Les différentes sortes de besogne loca1e peuvent
exiger dill'érentes eatégories de représentations. On
s'est anclé aux unions de pal'olsses comme étant la
lllcilleure base pour les corps représentatifs prépo-
~{,s au sou1agement de l'indigence; tandis que poue
la rég1ementation convenable des grands chemins,
des prisons ou de la police, une plus grande éten-
due, celle d'un comté ordinaire, a paru préférable.
Par conséquent, a l'égard de ees grands districts, la
maxime qu'un corps é1ectif constitué dans une 10-
calité doit régir toutes les aff'aires locales, veut étre
modifiée par un autre principe aussi bien que par


21.




370 GOUVERNEMENT ltEPRÉSENTATIF.
cette considération, qu'il est important de se pro-
curer pour l'accomplissement des devoirs locaux,
les qualités spéciales les plus élevécs. Par exemple,
s'il est nécessaire, comme je le crois, pour la bonne
administration de la loi des pauvrcs, que le tcrri-
toire imposable ne soit pas plus étendu que celui
de la plupart des unions actuelles (principe qui
exige un conseil d'administrateurs pour chaque
union) , cependant, comme on peut apparemmcnt
attirer dan s un conseil de comté une classc de per-
sonnes beaucoup plus hautement culliyée que
celle qui compose un conseil ordillaire d 'adrninis-
trateurs, il serait peut-etre avantageux pour cette
raison, de réserver aux conseils de comtés certai-
nes branches élevées des affaires locales, que sans
cela chaque union aurait tres-bien pu diriger dans
sa propre sphere.


Outre le conseil contrólant ou le sou::i-parlement
local, la besogne locale a son département exécutif,
par rapport auquel s'élevent les memes questions
que par rapport aux pouvoirs exécutifs de l'État, et
ces questions peuvent pour la plupart etre résolues
de la meme fa¡;on. Les principes applicables a
toutes les charges publiques, sont en substance les
memes. D'abord tout fonctionnaire exécutif doit
etre unique, et responsable a lui seul de toute la
fonction dont il est chargé, ensuite il doit 6tre
nommé et non élu. Il est ridicule qu'un inspecteur




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 3i!
des travaux publics, ou un officier de santé, ou
meme un percepteur, soient nommés par le suf-
frage populaire. Le choix populaire dépend ordi-



nairement de l'intéretd'un petitnombrede meneurs
locaux, qui n'étant pas censés faire la nomination
n' en sont pas responsables, ou d'un appel a la
syrnpathie, fondé sur ce qu'un homme a douze en-
fants, ou sur ce que depuis trente ans il est un
conLribuable de la paroisse. Si, en pareil cas, l'é-
lection populaire n'est qu'une farce, la nomination
par lecorps représentatiflocalne yauLguere mieux:
de semblables corps ont une tendance perpétuelle
a devenir des compagnies par actions, ou les inté-
rets et les intrigues de chacun se donnent carriel'e.
Les nominations devraient etre faites sous la ros-
ponsabilité individuelle du président du corps, qu'il
s'intitule rnaire ou président des sessions trimes-
trielles ou tout autrement. Il occupe dans la localité
une position analogue a ceUe du premier rnmistre
dans l'État, et, sous un régime bien entendu, la no-
mination et la surveillance des fonctionnaires locaux
devront former la partie la plus importante de sa
fonction, lui-meme étant choisi par le conseil entre
tous ses membres, et soumis, soit a une réélection
annuelle, soit a une destitution sur un vote du
corps.


De la constitution des corps locaux, je pass e
maintenant a la question égalernent importante el




3i2 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
plus difficile de leurs attributions proprcs. Cette-
question se divise en deux parties : 10 Quelles doi-
vent etre les fonctions des corps locaux ? 20 Doi-
vent-ils avoir pleine et entiere autorité dans l('tu
sphere, ou bien le gouvernement central peut-il
intervenir, et de quelle faQon ?


D'abord, il est évident que tonte besogne pure-
ment locale - toute celle qui ne touche qll'unc
seule localité - devrait regarder les aulorités lo-
cales. Le pavage, l'éelairage, le nettoyage des rlle~
d'une vilIe et dans des eirconstances ordinaircs, h·
drainage des maisons, n'ont guere d'importanc{'
que pour les habitants de eette ville. La nation, en
général, n'y a d'autre intérct que celui qu'elle prend
au bien-etre privé de chacun de ses citoyens. Mab.
parmi les fonctions classées comme locales, ou ae-
complies par des fonctionnail'es locaux, il y en a
beaucoup qu'on pourrait tout aussi bien appeler
des fonctions nationales, puisqu' elles sont la part
de la localité dans quelque branche d'administra-
tion publique dont la condnite importe également
a tonte la nation. Telles sont les prisons, qui, pOlll'
la plupart chez nous, sont au nombre des' attribu-
tions locales, la police locale et l'administration 10-
cale de la justice dont une grande partie, surtoul
dans les villes a corporations, est accomplie par des
fonctionnaires élus par la loealité et pay{'s sur les
fonds locaux. On ne peut dire qu'aucllne de ces




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 373
matieres ait une importance locale, distincte de
son importance nationale. Ce ne serait point chose
personnellement indifférente au reste du pa.ys, si
UIle ville devenait par la mauvaise administration
de sa police un nid de voleurs ou un foyer de dé-
moralisation, ou si par ses mauvais reglements a
l' égard de sa prison, la punition que les tribunaux
auraient voulu infliger aux criminels que cette pri-
son renferme (lesquels pourraient étre venus d'un
autre district ou avoir commis leurs crimes dans
Ull autre district) si ecHe punition, dis-je pouvait
et.rc doublée en intensité, ou réduite jusqu'a l'im-
punité réclle. En outre, les conditions qui consti-
tuent la bonne direction de ces services, sont les
memes part~ut. Il n'y a pas de raison pour que la
police, ou les prisons ou l'administration de la
justice soient dirigées d'une maniere différente
dans les différentes parties du royaume; tandis
qu'il y a grand danger que pour des choses d'une
lelle importance, oü ne suffisent que tout juste
les meilleurs esprits que puisse trouver l'État, les
capacités locales toujours inférieures ne commet-
tent des erreurs assez graves pour jeter un véri-
table discrédit sur l'administration générale :du
pays.


La sécurité des personnes et des propriétés, la
justice égale pour tous, sont les premiers besoins
de la société et les premiéres fins du gouverne-




374 GOUVERNEME~T REPRÉSENTATIF.
mento Si ron peut abandonner ces choses a une
autre responsabilité que la plus élevée de toutes,
il n' existe rien, excepté la guerre et les traités, qui
nécessite un gouvernement général. Sans préju-
ger quels sont les meilleurs arrangements pour
assurer ces fins élémentaires, ils devraient etre
universellement obligatoires, et placés sous une
surveillance centrale qui en garantisse l'exécution.
Il est souvent utile, et me me avec nos institutions
il est souvent nécessaire, vu le potit nombre de
foncti6nnaires qui représentent dans Jes locaJités
le gouvernement gél)éral, que l'accomplissement
des fonctions imposées par l'autorité cenlrale, soit
confiée a des fonctionnaires nommés par la loca-
lité pour des objets locaux. Mais le pub'Iic peut se
convaincre chaque jour, qu'il est nécessaire d'a-
voir au moins des inspecteurs nommés par le gou-
vernement général, pour veiller a ce que les fonc-
tionnaires locaux fassent leur devoir. Si la direction
des prisons est entre les mains des localités, le gou-
vernement central Domme des inspecteurs des pri-
sons pour veiller a ce que -les regles établies par le
parlement soient observées et pour en suggérer
d'autres, si l' état des prisons le nécessite : de meme
qu'il y a des inspecteurs des manufactures et des
inspecteurs des écoles pour veiller dans les pre-
mieres a l'observance des actes du parlement, et
dans les secondes a l'accomplissement des condi-




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 3-;5
tions auxquelles est subordonnée la subvention de
l'État.


Mais, si l'administration de la justice y compris
la police et les prisons, étant a la fois une affaire
universelle et une chose de science générale indé-
pendante des particularités locales, peut et doit etre
réglementée conformément dans tout le royaume ;
si cette réglementation doit étre imposée par des
mains plus habiles et plus exercées que celIes des
autorités purement locales, il y a aussi des choses
comme l'administration de la loi des pauvres, les
reglements sanilaires, etc., qui, tandis qu'elles inté-
ressent en réalité tout le pays, ne peuvent etre
dirigées d'une maniere compatible avec les fins
essentielles ~e l'administration locale, que par
les localités. A cet égard, il s'agit de savoir j us-
qn'a quel point on peut laisser faire les autorités,
sans le controle ou l'approbation nécessaire de
l'État.


Ponr résoudre cette question, il est essentiel de
comparer la position des autorités centrales et lo-
cales, quant a la capacité pour la besogne, et quant
aux garanties contre la négligence ou l'abus. D'a-
bord, on peut etre presque sur que l'intelligence et
le savoir des conseils locaux et de leurs fonction-
naires seront de beaucoup inférieurs a ceux du
parlement et de l' exécutif national. ~nsuite, outre
que ces eonseils et leurs fonctionnaires ont une




376 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
moindre valeur, l'opinion publique qui les surveille
et envers laquelle ils sont responsables, est elle-
méme inférieure. Le public devant lequel ils agis-
sent, par lequel ils sont critiqués, est 11 la fois
moins nombreux et beaucoup moins éclairé géné-
ralement que celui qlli dans la capitale entoure et
reprend les plus hautes autorités, tandis que l'in-
signifiance comparative des intércts engagés dimi-
nue en outre chez ce public inférieur l'altention et
la sollicitude. L'intervention exercée par la presse
et par la discussion publi(!uc est beaucoup moin-
dre, el peut étre bien plus facilement négligée dans
le cas des autorités locales, que dans le cas des au-
torités nationales. J usqu'iei, tout est en faveur du
gouvernement central. Mais si nous y regardons de
plus pres, nous nous apercevons que les motifs de
eette préf'érence sont balaneés par d'autres d'une
importance égale. Si les autorités locales et le pu-
blic local sont inférieurs aux autorilés centrales et
au public central, comme science des príncipes
d'administration, ils ont cel avantage qui compense
tout, d'élre plus directement intéressés au résul-
tat. Les voisins d'un homme, le propriétairc donL
il est le tenancier, peuvent elro beaucoup plus ha-
biles que lui, avoir un intéret indiroct a sa prospé-
rité; mais malgré tout cela, ses inlérCts seronl
beaucoup mieux soignés par lui que par cux. En
outre, iI faut se souvenir que, meme en supposant




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 377
que le gouvernement central administre au moyen
de ses propres fonctionnaires, ses fonctionnaires
n'agissenl pas au centre, mais dans la localité; et
si inférieur que puisse elre le public local au public
central, c'est le public local seul qui peut les sur-
yeiller, et c'est l'opinion locale seule qni peut, soit
agir directement sur leur conduite, soit appeler
l'attention dn gouvernement sur ce que cette con-o
duite a de repréhensible. Ce n'esl que dans les cas
extremes~ qne l'opinion générale du pays peut pe-
ser sur les détails d'administration locale, et ce
n'est qlle plus rarement encore qu'elle peut pro-
nuncer la-dessus avec pleine connaissance de cause.
U1', l'opinion locale agit nécessairement avec beau-
coup plus de, force sur les adminislrateurs pure-
ment locaux. D'ordinaire ils résident dans la ville
d'une maniere permanente, n'ont nul projet de la
quitter lorsqu'ils cesseront d'y exercer leur aulo-
rité : et eeUe aulorité elle-me me dépend, on peut
le supposer, de la volonté du public local. Je n'ai
pas besoin de m'appesantir surce que l'autoritécen-
trale manque d'une connaissance détaillée des per-
sonnes et des choses locales, ni sur ce que d'autres
soins absorbent trop son temps et ses pensées, pour
qu'elle puisse acquérir la quantité el la qualité d'in-
formation locale nécessaire pour la mettre en état
de prononcer sur les plaintes qu' elle reGoit au suj et
d'un si grand nombre d'agenls locaux, et de les re n-




378 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
dre responsables. Done ponr les détails d'adminis-
tration, les corps locaux auront généralement l'a-
vantage; mais pour l'intelligence des principes de
l'administration meme purement locale, la supé-
riorité du gouvernement central, quand il est bien
constitué, devrait etre prodigieuse, non pas seule-
ment a raison de la sllpériorité personnelle proba-
blement tres-grande des individus qui le composent
et de la multitude de penseurs et d'écrivains cons-
tamment occupés a suggérer aux hommes d'État
des idées utiles, mais aussi paree que le savoir et
l'expérience de toute autorité locale ne sont que
locaux, c'est-a-dire bornés a une portion du pays
eta ses modes particuliers d'administrations, tan-
dis que le gouvernement central peut recueillir des
expériences faites dans le royaume, et meme faci-
lement dans les pays étrangers.


Il n'est pas difficile de tirer de ces prémices une
conclusion pratique. L'autorité qui en sait le plus
en fait de principes, devrait etre l'autorité supremc
pour tout ce qui est principe, tandis qu'on devrait
abandonner les détails a l'autorité qui est la plus
compétente en fait de détails. La principale besogne
de l'autorité centrale devrait elre de donner l'ins-
truction, celIe de l'autorité local e de l'appliquer. Le
pouvoir p eut etre localisé, mais le savoir, pour etre
ulile, doit etre centralisé. Il faut qu'il y ait quelque
part un foyer ou se réunissent tous ses rayons épars,




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 3i9
afin que les lumieres imparfaites qni existent d'ail-
leurs, pnissen t trouver la ce qu'il faut ponr se com-
pléter et purifier. Achaque branche d'adminis-
tration locale, qui affecte l'intéret général, devrait
correspondre un organe central, soit un ministre,
soit un fonctionnaire tout spécial au-dessons de lui,
quand meme cefonctionnaire ne ferait que recueillir
partout des informations, et répandre dans une
localité l'expérience acquise dans une autre. Mais
l'autorité centrale a quelque chose de plus a faire
que cela. Elle devrait etre constamment en com-
munication avec les localités, s'écIairant de lenr ex-
périence et les éclairant de la sienne propre, don-
nant volontiers son avis quand on le lui demande,
l'offrant quand elle le juge nécessaire, exigeant par-
tout proces-verbaux des délibérations, publicité de
tout ce qui s'est passé, imposant la soumission aux
lois générales que la législature a établies pou!' l'ad-
ministration locale. Bien peu de gens conteste!'ont
l'utilité de pareilles lois. On peut permettre aux
localités de mal diriger leurs propres intérets, mais
non pas de nuire aux intérets des autres, ni de vio-
ler ces principes de justice entre une personne el
une autre, dont l'État doit exiger la stricte obser-
vance. Si la majorité locale cherche a opprimer la
minorité, ou si une classe cherche a en opprimer
une autre, l'État doit intervenir. Par exemplc, tous
les impóts locanx devraient elre votés excIusivement




380 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
par le corps représentatif local; mais ce corps, quoi-
que élu uniquement par les contribuables, peut
avoir une maniere d'établir et de percevoir les im-
póts qui fasse retomber la plus grande part du far-
deau sur les pauvres, ou sur les riches, ou sur
quelques classes particulieres de la population.
e' est done le devoir de la législature, tont en lais-
sant le chiffre des taxes locales a la disposition du
corps local, d'établir des regles obligatoires pour
l'assiette et la perception de l'impt>t. De mrme, dalls
l'administraLion de la charité publique, l'activité et
la moralité de toute la population ouyriere, dépen-
dent a un tres-haut degré du maintien de certains
principes déterminés. Quoiqu'il appartienne essen-
tiellement aux fonctionnaires locaux,' de décider
qui doit etre secouru d'apresces principes, le parle-
ment national est l'autorité qui doit fixer ces prin-
cipes eux-memes, et il négligerait la portion la plus
importante de son devoir, si, pour une chose qui
intéresse aussi séricusement la nation, illl'établis-
sait pas des regles obligatoires, et ne prenait pas
des précautions suffisantes pour que les regles fus-
sent observées. Le degré d'intervention centrale qui
peut etre nécessaire pour la stricte observance de
ces lois, est une question de détail qu'il serai t
superflu d'aborder. Naturellement, les lois elles-
me mes définiront les 'pénalités, et détermincront
leur mode d'application. Il peut etrc nécessaire




DES CORPS REPRÉSENTATIFS LOCAUX. 381
dans des cas extremes, que le pouvoir de l'autorité
-eenlrale aille jusqu'a dissoudre le conseil représen-
latif, ou a destituer r exécutiflocal ; mais ce pouvoir
ne doit pas aIler jusqu'a fail'e des nouyelles nomi-
nations, ou jusqu'a suspendre les institutions loca-
les. La ou le parlement n'est pas intervenu, aucune
branche de l'exéculzf ne devrait intervenir d'une
faQon impérative; mais comme conseiller et comme
critique, comme agent des lois et comme dénoncia-
teuraupres du parlement ou des colléges électoraux
de toute conduile répréhensible, les fonctions de
re;cecutlfsont des plus utiles. Mais, direz-vou::; peut-
etre, l'aulorité cenlrale a beau surpasser l'aulorité
locale en connaissance des principes administratifs,
le grand objet sur lequelona tant insisté, l'éducation
sociale et politique des citoyens, exige en ces matie-
res la pleine souveraineté des citoyens quelque impar-
faites que soient leurs lumieres. A cela, on pourrait
l'épondre que l'éducation des citoyens n'est pas la
::;eule chose a considérer, si importante qu' elle soit:
le gouvernement el l'administration n'existent pas
uniquement a cette fin. Mais ceux qui parlent ainsi
montrentqu'ils ne comprennent que tres-imparfaite-
ment la ronction des institutions populaires, comme
moyen d'instruction politiqueo Pauvre éducation
vraiment, que celle qui associe l'ignorance ayec
l'ignorance, et qui les laisse, si elles aspirent au sa-
voir, le chercher en tatonnant, sans aucun secours,




382 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
ou bien s'en passer si elies n'y aspirent pas! Ce qui
importe, e'est d'éveiller ehez l'ignorance la cons-
cience de son état, et de la rendre capable de pro-
fiter du savoir ; c'est d'accoutumer des esprits qui
ne connaissent que la routine, a agir d'apres des
principes et a en sentir la valeur; e'est de leur ap-
prendre a comparer différents modes d'actions, el
a distinguer le meilleur en se servant de leur raison.
Quand nos désirons avoir une bonne école, nous ne
ehassons pas le maUre d'école. Le vieux proverbe:
« Tant vaut le maUre, tant vaut l'éeole, » est aussi
\'rai pour l' édueation indireete des hommes par
les affaires publiques, que pour l'édueation di-
recte de la jeunesse dans les pensions et dans les
eolléges. Un gouvernement qui veut tont faire, est
spirituellement comparé par M. Charles de Ré-
musat, a un maUre d'école qui fait les devoirs de
ses éleves a leur place; il peut etre tres-populaire
parmi ses éleves, mais il leur enseignera peu de
chose. D'un autre cOté, un gouvernement qui ne
fait rien lui-meme de ee qui peut a la rigueur
etre fait par d'autres, et qui n'apprend rien a per-
sonne, est eomme une école ou il n'y a pas de mai-
tre d'école, mais seulement des moniteul's qui
n'ont jamais reQu eux-memes le moindre enseigne-
ment.




CHAPITRE XVI
DE LA NATIONALlTÉ DANS SES RAPPORTS AVEC LE


GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.


On peut díre qu'il y a nationalité la ou se trou-
vent des hommes unís par des sympathies com-
munes qui n'existentpas entre eux et d'autres
hommes, sympathies qui les portent a agir de con-
cert beaucoup plus volontiers qu'ils ne le feraient
avec d'autres; a désirer vivre sous le meme gouver-
nement et a désirer que ce gouvernement soit
exercé exclusivement par eux-memes ou par une
portion d'entre eux. Le sentiment de nationalité
peut avoir été engendré par diverses causes; c'est
quelquefois l'effet de l'identité de rae e et de souehe;
souvent la communauté de langage et la commu-
nauté de religion contribuent a le faire naitre, les
limites géographiques également. Mais la cause la
plus puissante de toutes, e'est l'identité d'antécé-
dents politiques, la possession d'une histoire na-
tionale et par eonséquent la eommunauté de sou-
venirs, l'orgueil et l'humiliation, le plaisir et le




384 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
regret collectifs se rattachant aux memes incidcnls
du passé. Gependant aucune de ces circonstances
n'est, ou indispensable, ou absolument suffisante
a elle seule. La Suisse a un tres-fort sentiment de
nationalité, parmi des cantons différant de race,
de langue et de religion. Jusqu'a présent, la Sirile
s'est senti une nationalité distincte de celle de Na-
pIes, malgré l'identité de religion et presque de
langue, el malgré une foule d'antécédents histori-
ques eommuns. Les provinces flamandes et wa1-
lonnes de la Belgique, malgrp. la divcrsité de race
et de langage, sont unies par un sentiment de na-
tionalité commun beaucoup plus fort qu'il n'en
existe entre les premieres et la Hollande, ou entre
les dernieres el la France. Cependant en généralle
sentiment national est plus faible suivant qu'i1
manque une ou plusieurs des causes qui contri-
buent a le faire naltre. L'identité de langage, de
littérature et jusqu'a un certain point de race et de
souvenirs, ont maintenu un sentiment de nationa-
lité tres-fort entre les diverses portions de 1'Alle-
magne, quoique jamais elles n'aient été réellement
unies sous le meme gouvernement; mais ce senti-
ment n'a jamais été assez fort pour faire désirer
aux divers États d'abdiquer leur autonomie. Chez
les Italiens, une cerLaine identité de langue el de
littérature combinée avec une position géographi-
que qui les sépare bien distinctement des autres




DE LA NATIONALITÉ. 385
peuples, et plus que toutes choses peul-etre, la
possession d'un nom commun par ou ils revendi-
quent lous la g'loire artistique, militaire, politique,
religieuse, scientifique, littéraire, de tous ceux qui
ont porté ce nom, - tout cela, dis-je, éveille dans
la population un élan de sentiment national, qui,
quoique tres-imparfait encore, a suffi pour pro-
duire les grands événements qui s'accomplissent
aujourd'hui: malgré un véritable mélange de races,
et bien que ce peuple n 'ait jamais été sous le meme
gouvernement ni dans les temps anciens, ni dans
les temps modernes, excepté peut-étre pendant
que ce gouvernement s'étendait ou était en voie
de s'étendre, sur la plus grande partie du monde
connu.


Lorsqne le sentiment de nationalité existe quel-
que part, il y a une raison prima (acie pour unir tous
les membres de la nationalité sous le meme gou-
vernement et sous un gouvernernent a eux propre ;
ceci revient a dire que la question dll gouverne-
ment devrait étre décidée par les gouvernés. On ne
voit guere ce qu'un groupe d'hommes devrait étre
libre de faire, si ce n'est de chercher avec lesquels
des divers corps collectifs d'etres humains illui plait
de s'associer. Mais quand un peuple est mur ponr
les institutions libres, il y a une considération en-
core plus vital e : les institutions libres sont presque
impossibles dans un pays compasé de nationalités


22




386 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
différentes, chez un peuple ou n'existe pas de líen
sympathique, surtout si ce peuple lit et parle des
langues différentes. L'opinion publique et générale,
nécessaire a l'amvre du gouvernement représenta-
tif, ne peut exister. Les influences qni forment les
opinions et qui décident des actes politiques sont
différentes dans les différentes sections du pays.
Les chefs de parti qui ont la confiance d'une por-
tion du pays ne l'ont pas ailleurs. Les memes livres,
les memes journaux, les memes brochures, les me-
mes disconrs ne leur parvicnnent paso Une section
ignore les opinions ou les impulsions qui circulen!
dans une autre. Les memes incidents, les me mes
actes, le meme systeme de gouvernem,ent, les tou-
chent d'une faQon différente, et chacune d'entre
elles a plus a craindre des autres sections que de
leur arbitre commun, l'État. Leur haine naturelle
est généralement beaucoup plus forte que leur ja-
lousie du gouvernement. Qu'une des nationalités
se sente blessée par la politique du gouvernant
commun, cela suffit pour en décider une autre a
soutenir cette politiqueo Fussent-elles toutes bles-
sées, chacune sent qu'elle ne peut compter sur les
autres pour appuyer sa résistance; aucune n'est
assez forte pour résister a elle seule, et chacune
peut croire raisonnablement qu'il est de son avan-
tage d'obtenir la faveur du gouvernement contre les
antres.




DE LA NATIONALJTÉ. 387
Il manque par-dessus tont dans ce cas, le seule


yéritable garantie en dernier ressort, contre le des-
potisme du gouvernement: la sympathie de l'ar-
mée pour le peuple. L'armée est la portion de toute
communauté qui par sa nature fait la distinction la
plus forte et la plus profonde entre ses compa-
triotes et les autres peuples; pour le reste de la
nation, les autres pcuples sont simplement des
étrangers ; pour le soldat ce sont des hommos con-
tre lesquels il peut elre appelé d'ici a huit jours, a
liner un combat ii mort. Pour lui, la différenee est
celle qu'il y a entre amis et ennemis, nous pour-
rions presque dire entre des hommes comme lui et
une autre espece d'animaux; car en ce qui touche
l'ennemi, la seule loi est celle de la force, et le seul
adoucissement a cette loi tout comme dans le eas
des animaux, e'esl la simple humanité. Des soldats
pour lesquels la moitié ou les trois quarts des su-
jets d'un me me gouvernement sont étrangers,
n'auront pas plus de scrupule a tirer dessus, ni
plus d'envie de savoir pourquoi, qu'ils n'en auraient
pour agir de meme envers des ennemis déc1arés.
Une armée composée de nationalités différentes,
n'a d'autre patriotisme que l'atLaehement au dra-
peau. De teHes armées ont été les bourreaux de la
liberté pendant toute l'histoire moderne. Le seul
seullien qui les retienne ensemble, ce sont leurs
officiers et le gouvernement qu'elles servent: et




388 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
leur seule idée de devoir public, si elles en ont
une, c'est l'obéissance aux ordres. Un gouverne-
ment qui se soutient ainsi, en mettant ses régiments
hongroi3 en Italie, et ses régiments italiens en
Hongrie, peut continuer longtemps a gouverner les
deux pays avec le sceptre de fer des conquérants
étrangers.


Si 1'0n dit qu'une distinction aussi tranchée en-
tre ce qui est du a un concitoyen et ce qui est du
simplement a un etre humain, est plus digne tI'un
peuple de sauvages que d'un peuple civilisé et doit
etre énergiquement combattu, personne n'en est
plus convaincu que moL Mais dans l'état actuel de
la civilisation, on n'atteindra jamais ce but, l'un
des plus dignes que puisse se proposer l'eilort hu-
main, si 1'on retient des nationalités différentes, de
force a peu pres égale, sous un meme gouverne-
ment. Dans un état barbare de société, le cas est
quelquefois différent. Alors le gouvernement peut
etre intéressé a adoucir les antipathies de races,
afin de mainlenir la paix et de gonverner plus faci-
lement. Mais quand il y a chez un de ces peuples
artificiellement réunis, soit des institutions libres,
soit le désir d'en avoir, 1'intéret du gouvernement
est tout autre. Le gouvernement est alors intéressé
a entretenir et a réchauffer leurs antipathies, afin
de les empecher de se fondre, et afin de pouvoir
faire de quelques-uns les instrnments de sa domi-




DE LA NATIONALITÉ. 389
nation absolue sur les autres. La cour d'Autriche a
fait de ceUe tactique, depuis touto une généra tion,
son principal moyen de gouvernement: ayec quel
fatal succes au moment de l'insurrection de Vienne
et de la lulle hungroisc, le monde ne le sait que
trop bien. Heurcusement on s'aperQoit mainte-
nant, a cerlains indices, que nons avons alteint un
degré de progrEls trop avancé pour que ceUe poli-
tique puisse désormais réussir.


Pour toutes les raisons que je viens d'énumérer,
une condition génél'alement nécessaire des insti-
tutions libres, c'est que les limites des gouvernt'-
ments coYncident a peu prcs avec celles des natio-
nalités. Mais dans la pratiquc, plusieurs considéra-
tions peuyent s'opposer a ce principe général.
D'.abord son application rencontre souvent des ob-
stades géographiqnes. Il y a des portions de rEu-
rope memo, otiles différentes nationalités sont tel-
lement entremelées localement, qu'il ne leur est
pas possible d'elre sous des gouvernements sópa-
rés. La population de la Hongrie est composée de
Magyares, de Slovaques, de Croates, de Serbes, de
Roumans., et dans cerlains districts d'Allemands,
si bien mélangés, qu'une séparation loe ale serait
impossible pour eux, el qu'il ne lenr reste qu'a
faire de néeessité vertu, et a prendre leur parti de
viHe ensemble sous les memes lois et avec des
droits égaux. Lenr communauté de servitude qm


22.




390 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
date seulement de la destruction de l'indépendance
hongroise en 18i9,., semble les murir et les préparer
pour une pareille union. La eolonie allemande de
la Prusse orientale est séparée de l'Allemagne par
une portion de l'ancienne Pologne, eL comme elle
est trop faible pour garder son indépendanee dis-
tincte, il faut, pour la continuité géographique, OH
qu'elle soit sous un gouvernement non allcmand,
ou que le territoire polonais qui la sépare soit suus
un gouvernement aHemand. Une autre région cun-
sidérable ou l'élément dominanL dans la population
est allemand (les provinces de Courlande, d'Estho-
nie et de Livonie), est eondarnnée par sa position
10cale a faire partie d'un État slave. Dans l' est de
l'Allemagne meme, il y a une nombl'euse popula-
tion slave ; les habitants de la Boheme sont Slaves
pour la plupart, ainsi qu'une portion de eeux de la
Silésie eL d'autres districLs. Le pays le plus uni de
l'Europe, la Franee, est loin d'clre homogi'ne;
outre les fragments de nationalités étrangcres qui
se trouvent a ses limites extremes, elle se compuse,
comme le prouyent sa langue et son histoire, de
deux portions: l'une oeeupée presque exclusive-
ment par une population gallo-romaine, tandis que
dans l'autre les Francs, les Bourguignons el les
autros rares teutoniques jouent un role considé-
rabIe.


Les exigences géographiques étant admises ilU-




DE LA NATIONALITÉ. 391
tant qu'il est raisonnable de le faire, il se présente
une autre considération purement morale et so-
ciale. L~expérienee prouve qu'il est possible a une
nationalité de se fondre et d'étre absorbée dans une
autre ; et quand eette nationalité était originaire-
ment une portion inférieure ou arriérée de l'espeee
humaine, l'absorption est grandement a son ayan-
tage. Personne ne peut supposer qu'il ne soit pas
plus avantageux pour un Breton ou pour un Basque
de la Navarre franQaise, d'Gtre entrainé dans le eou-
rant d'idées et de sentiments d'un peuple haute-
ment civilisé et cultiyé - d'ctre un membre de la
nationalité franQaise, possédant sur le pied de l' é-
galité tous les priviléges d'un eitoyen franQais, par-
~ageant les avantages de la proteetion frauQaise, et
la dignité et le prestige du pouvoir frall(;ais ~ que
de bouder sur ses rochers, échantillon a moitié
sauvage des temps passés, tournant sans eesse
dans son étroit orbite intellectuel, sans participer
ni s'intéresser au mouvement général du monde.
La meme remarque s'applique au Gallois ou a
l'Écossais des hélutes terres, comme membre de
la nation anglaise.


Tout ee qui tend a mélanger les nationalités, a
fondre 1eurs qualités et leurs particularités dans
une union commune, est un bienfait pour la race
humaine. L'union ne détruit pas les types (on
peut etre sur qu 'il en reste de nombreux éehan-




392 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
tillons, dans les cas qu'on vient de citer), mais
elle les adoucit dans ce qu'ils ont 'd'extreme, eL elle
comble le vide qni les sépare. Un peuple uni, tout
comme une race d'animaux croisés (mais a un de-
gré beaucoup plus grand, paree que les influences
qui operent sont morales, aussi bien que physi-
(Iues), hérite des aptitudes et des qualités spé-
ciales de tous ses ancctres, et le mélange le pro-
tége contre la tendance a cxagérer ces aptitudes et
qualités, jusqu'aux vices qni en approchent. Mais t
pour remIre ce mélange possible, il faut des condi-
tions partieulieres. Les combinaisons de cil'cons-
tances qui peuvent se rencontrer et en affecter le
résultat, sont nombreuses.


Les nationalités réunies sous le meme gouverne-
ment peuvent etre a peu pres égales en nombre et
en force, ou bien tres-inégales. Si elles sont inéga-
les, la moins nombreuse des deux peut etre ou su-
périeure ou inférieure en civilisation. Supposons
qu'elle soit supérieure, elle peut ou prendre grace
~l sa supériorité de l'ascendant sur le reste, ou étre
subjuguée par la force brutale et asservie. Cecí est
un désastre s'il en fut pour la race humaine :
une de ces choses auxquelles l'humanité civilisée
tout entiere deuait s'opposer les armes a la main.
L'absorplion de la Grece par la Macédoine a été un
des plu,s grands malheurs quí soíent arrivés au
monde; l'absorption de quelqu'un des principaux




DE LA NATIONALITÉ. 393
pays de l'Europe par la Russie serait un aussi grand
malheur.


Si la moindre des deux nationalités, qu'on sup-
pose etre la plus civilisée, peut subjuguer l'autre,
comme firent pour l'Asie les Macédoniens aidés par
les Grecs, ou comme firent les Anglais pour l'Inde,
la civilisation y gagne souvent quelque chose; mais
dans ce cas, le peuple conquérant et le peuple con-
quis ne peuvent vivre sous les memes institutions
libres. L'absorption des conquérants par le peuple
le moins avancé serait un mal; ce peuple doit etre
Lraité en sujet, et cet état de choses est pour lui,
soit un bien, soit un mal, suivant qu'il a ou qu'il
n'a pas atteint le point OU ron est blessé de ne pas
se sentir sons un gouvcrnement libre, et aussi, sui-
vant la maniere dont les conquérants usent de leur
supériorité. Ce sujet sera traité en par\iculier dans
un des chapitres qui vont suivre.


Quand la nationalité qui réussit a subjllguer l'au-
tre est a la fois la plus nombreuse et la plus civilisée,
quand surtout la nationalité soumise est peu con si-
dérable et n'a auenn espoir de recouvrer son indé-
pendance; alors, si elle est gouvernée avec une jus-
tic e tolérable, et que les membres de la nationalité
la plus nombreuse ne lui soient pas odieux a cause
de leurs priviléges excIusifs, la plus petite nationa-
lité peut graduellement se faire a sa position et se
fondre avec l'autre. Aujourd'hui, nnl bas-Breton,




39·f GOUVERNEMENT REPRÉSENTATlF.
nul Alsacien, n'a le moindre dé sir d'etre séparé
de la France. Si tous les Irlandais n'ont pas encore
les memes sentiments envers I'Angleterre, c'est en
parlie parce qu'ils sont assez nombreux pour former
a eux seuls une nationalité respectable, mais sur-
tout paree que jusqu'll une époqne récente, ils ont
été gouvernés d'une maniere 5i atroce, que chez
eux les meilleurs sentiments s'unissaient aux pires,
pour éveiller dans leur creur la haine du gouverne-
ment saxon.


Cette disgrAee pour l'Angleterre et cette calamité
pour tout le royaume, a complétement cessé, on
peut le dire avec vérité, depuis pres d'une généra-
tion. Aujourd'hui, un lrlandais n'est pas moins li-
bre qu'un Anglais, et sa part d'avantages, soit col-
lectifs, soit individuels, n'est pas moindre que s'il
était né daI\s toute autre partie de5 possessions an-
glaises. Le seul grief réel que conserve l'Irlande,
celui d'une église d'État, elle le partage avec la moi-
tié presque des habitants de l'Angleterre propre-
ment dite. Aujourd'hui il n'y a presque rien (si ce
n'est le souvenir du passé et la différence, quant a
la religion dominante) qui sépare les deux races
les mieux raites entre toutes, pour se compléter
l'une par l'autre. La conseience qu'ils sont traités
non-seulement avec une justice égale, mais encore
avec une considération égale, se répand si bien chez
les Irlandais, qu'elle y détruit Lous les sentimenls




DE LA NATIONALITÉ. 39:5
quí les rendaient insensibles aux avantages que le
peuple le moins nombreux et le moins riche re-
cueille nécessairement, lorsqu'il vient a faire partie
d'un peuple, qui non-seulement est son proche voi-
sin, mais encore qui est le plus riche, et un des
plus libres, des plus puissants et des plus civilisés
de la terreo


Le cas ou il y a le plus d'obstac1es a ce que les
nationalités se fondent, est celui ou les nationalités
réunies ensemble sont égales, quant au nombre et
quant aux autres éléments du pouvoir. En pareil
cas, chacune d'elles se confiant en sa force et se
sentant capable de scutenir une lutte contre une
des autres, refuse de se fondre ; chacune d'elles cul-
tive avec un entetement de parti ses particularités
distinctives, ou fait revivre des coutumes surannées
et me me les langages tombés en désuétude, pour
que la ligne de démarcation soit mieux tranehée;
chaque race se trouve Lyrannisée, si des fonction-
naires d'une race rivale exercent sur elle quelque
autorité, et tout ce qui est donné a une des natio-
nalités est regardé comme autant de pris aux au-
tres. Quand des nations ainsi divisées sont sous un
gouvernement despotique qui leur est étranger a
toutes, ou qui, bien que sorti de l'une d'elles, tient
encore plus a son pouvoir qu'a ses sympathies na-
tionales et les traite sur le meme pied, choisissant
indifféremment ses insLruments dan s l'une ou dans




396 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
rautl'e, alors au bout de quelques générations, l'i-
dentité de situations produit souvent l'harmonie de
sentiments, et les différentes races en viennent a se
regarder comme des compatriotes, surtout si elles
50nt dispersées sur la meme étendue de pays. Mais
si l'ere de l'aspiration vers un gouvernement libre
arrive, avant que cette fusion ait été effectuée, elle
ne s'effectuera pas : l'occasion en est passée. A par-
tir de ce moment, si les nationalités irréconciliables
80nt séparées géographiquement, et surtout si leur
position locale est telle qu'il n'y ait ni a-propos ni
convenance naturelle, a ce qu'elles soient sous le
meme gouvernement (comme dans le cas d'une pro-
vince italienne sous le joug franQais ou allemand),
non-seulement il serait convenable, mais encore i1
est né·cessaire, si ron tient a la liberté ou a la con-
~orde, de rompre le !ien complétement. Il y a cer-
tains cas ou les provinces apres une séparation,
peuvent trouver avantage a rester unies par une fé-
dération; mais il arrive en général, que si elles sont
disposées a renoncer a leur complete indépendance,
et a faire partie d'une fédération, chacune d'elles a
d'autres voisins auxquels elles préféreraient s'allier,
ayant en commun avec eux plus de sympathies, si
ce n'est plus d'intérets.




CIJAPITRE XVll


Des gl'ollpe:oi d'hulllllleS (lui ne sOlll pas capablc:-.
ni désireux de Yi\TC suus le meme gouvernement
intérieur, peuvent tl'ouvel' un avantage a Otre unis
fédéralement, quant a leurs relations avec les étran-
gers, d'abord pour se mieux défendre contre ragres~
sion d'États pl,lissants, et ensuite pour empechei'
des guerres entre eux-memes.


Pour qu'une fédération soit avantageuse, plu-
sieurs conditions sont néces5aires. La premiel'e,
(:est qll'il y ait une dose suffisante de sympathie
lllUtuelle entl'e les populations. La fédération les
oblige toujours a combaLtre ensemble, el si elles onL
les unes fmt'ers le~ alltres des sentimenis tel5, OH
bien une LelIe diversitó de sentiments a l' égard de
leurs yoisins, qu' elles préféreront en général combat-
lre les unes contre les üutres, le lien fédéral a peu de
chanee de durer longtemps, et d'etre observé tandis
([u'il existe, Les sympathies ntiles a cet enet, sont
{'elle~ de ra('(', tie langagr, oe religion et pal'-oesslI:-:




398 GOUVEaNE~lE"'T HEPRESENTATIF.


tout d'institutions poli tiques comme conduisanl le
mieux a créer l'identité d'intércts politiques. Quand
un petit nombre d'États libres, incapables de se dé-
fendre chacun séparément, sont environnés ,de tous
cótés par des monarques militaires ou féodaux qui
halssent et qui méprisent la liberté, mcmc chez un
"\'oisin, ces États ne conserveront la liberté et SCl:i
bienfaits, que moyeuuant une union fédérale. En
Suisse, la communauté d'intérets produitc par cettc
cause a suffi pendant pI usieurs siécles pour main-
tenir le lien fédéral, en dépit non-seulement de la
différence de religioll, alors que la religion était la
grande source d'inimitiés politiques irréconciliable~
dans toute l'Europe, mais encore en dépit d'une.
grande faiblesse dans la cOllstitution de la fédéra~
tion en elle-meme. En Amérique, ou existait au plu~
haut degré toutes les conditioIlS nécessaires a11
maintien de l'Uniou, avec l'unique inconvénient de
la différence d'institutions sur le seul mais impoI'-
tant article de l'esclavage, ceUe diffél'ence a si bien
éteint toute sympathie entre les deux parties dt~
rUnion, qu'aujourd'hui c'esl la ce qui l'ompt un lien
si précieux pour l'une et l'autre.


La seconde condUion de slabilité pour un gou-
vernement fédéral, c'est que les divers ÉtaLs ne
soient pas assez puissallts pour pouvoir se défendre
a eux seuls, en cas d'invasion étl'ang'ere. S'ils oní
~ette pllissan¡'e) jI:-:. se¡'ont portés h penser flll'ib ue




I.JE~ GOUVEHNEMENTS kEPkÉSl.;WfA'l'IFS FÉDÉkAUX. 3U9
gagnent pas a leur union avec les autres ce qu'ils
perdent a sacrifier leur propre liberté d'action; et
en conséquence, partout ou la politique de la con-
fédération, dans des choses de sa compétence, diffé-
rcrait de celle qu'aurait suivie un de ses membres
isolément, cette dissidence jointe au peu d'alarme
qu'in~pire l'élranger, serait peut-etre capable de
dissoudr'e complétcment l'tmion.


Une troisiemc condition non moins importante
(Iue les deux autres, c'esl qu'il n'y ait pas une iné-
galité de forces tres-mal'quéc entre les divers~~tats
eontractants. A. la vérité, ils ne peuvent pas etre tous
également puissants; en toute fédération, il y aura
toujours une gradation de pouyoir; certains États
seront plus pOlmleux, plus riches et plus civilisés
que d'autres. 11 y a une immensc difféTence en fait
de richesse el de population entre New-York et
Rhode-Island, entre Berne el Zug, ou Glaris. 1'es-
sentiel, e'est qu'il n'y ait pas un État tellement su-
périeur aux autres, qu'il puisse lutler contre plu-
sieurs d'entre eux réunis. S'il y a un pareil État el
qu'il n'y en ait qu'un, il voudra diriger les délibé-
rations communes. S'il y en a deux, ils seront irré-
sistibles quand ils seronl d'accord, et quand ils ne
le seront pas, tout sera décidé par une lutte pour
le pouvoir entre les dcux rivaux. eette cause suffH
J. elle senle ponr réduire la Confédération germani-
que, indépendamment de sa détestable co'nstitution




1:00 GUUVEHNEMENT HEPH~SENTAT1F.
intél'ieul'e, a l'état pl'esque de nullité; elle lútLLeinl
aUl:un des buts véritab1es d'une l:ollfédéralion. 'Elle
n'a jamais donné a l'Allemagne un systcme de cou-
turnes uniformes, ni meme une monnaie uniforme;
elle n'a servi qu'a donner le droit a l'Autriche et a
la Prusse d'envoyer leurs troupes aider les souvc-
rains locaux a mainlenir leur dominatioll, tandi~
tlu'en ce qui regarde les affaires extérieul'es, la COll-
fédération ferait de toute l'Allcmagne une dépell-
dance de la Prusse, s'il n'y avait pas d'Autriche, Otl
de I'Autriche, s~il n'y avait pas de Prussc. En mel1w
Lcmps chaque petit prince ne peut guere etre qU'UIl
partisan de l'une ou d,e l'autrc, ou bien intriguer
avec les gouvernements éLrangers c~mtl.·e toutes
deux.


n y a deux manieres différentes d' organiser une
fédération. Les autorités fédérales peuvent ne re-
présenter que les gouvernements, et lcurs acles
peuvent n'étre obligatoires que pour les gouvcrne-
ments comme te1s: ou bien elles pcuvent avoil' le
dl'oit de faire des lois et de donner dcs ol'dres (lui
s'adressent directement, dans chaque l~:tal, aux ei-
toyens privés. Le premier mode a été adopté par la
soi-disant Confédération germanique, et par la
Suissc jusqu'en 1847. On en a essayé en Améri(lUe
pendant les premieres anllées qui suivircnt la guel'l'e
de l'Indépendanl:c. L'autl'e prineipc cst cc1ui de la
constit.lltion acLuelle des l~taLs-Ullis, adupté il ~- a




IIES GOl!VER N EM ENTS 11 r. PB f:SE'-'TA TI FS FÉDÉRA 11 X. /~() t
une douzaine d'années par la Confédération sllissp.
Le cong1'8S fédéral de l'Union américaine prend une
part réelle au gonvernement de chaque ~~tat indi-
viduel. Dans les limites de ses attributions, il fait
des lois qui sont obéies par chaque cito yen indivi-
duellement ; illes exécute au moyen de ses propres
fonctionnaires, et ses propres tribunaux en impo-
sent l'observance. Voilii le senl principe qui ait ja-
mais pn el qui ponr¡'a jamais produire un gouver-
nement fédér'a] puissant. Une union entre les gOll-
yornements ~oulemont osL une simple allianee, eL
sujette a toutes les év(mtualités qui rendent les al-
lianres précaires. Si des aetes émanés du pl'é~i<lent
et du congres n' étaicn t obligatoil'os que pour les
gouvernements do New-York, de la Virginie, de la
Pensylvanie, etc., et ne pouvaient etre exécutés que
moyennant des ordrcs transmis par ces gciuverne-
ments a leurs propres fonetionnaires el sous la 1'es-
ponsabilité de lenrs propres tribunaux, nul décret
fin gouvernement fédél'al qui déplairait a une ma-
.iorité localr ur sorait exécllt{~. Ce qu'on exige d'un
gonvernement, on ne pont le lui imposer que par la
gnerre; il faudrait done qu'nne armée fédérale fút
toujours prete a imposer l'observance des décrets
de la fédération h tont ~~tat récalcitrant: et il pour-
raít tres-bie~ se faire que les antres États sympa-
thisant ayec l'Í~tat rebelle et partageant pent-etre
ses scntiments sur le point en question, retirassent




+Ot GOUVERNEM E~T REPRF:SENTATI F.
leurs contingents ou m~me les envoyassent grossil'
l'armée de l'f~tat récalcitrant.


Une pareille fédération súsciterail pluLOl qu'elle
n'empecherait les guerres intérieures; et si te1 n'a
pas éLé son effeL en Suisse, jllsqll'aux événemcnts
flui préréderent immé(liatemcnt l'annéc 'J !H7, e'csL
llniquement paree que le gOllvernement f(;dól'al se1l-
tait si bien sa faiblesse, qu'iln'essayait presque ja-
mais d'exereer aurune autorité réelle. En Améri-
que,nne fédération constituée SU/' C'('\ principe a
f'omplétement échoué au bOllt de tri~s-peu (letcmps;
mais heureusement les hommes dont l'habileté el
la prépondérance avaient fondé la l'épublique, vi-
vaient encore pour la guider dans cette transition
difficile. Le ji'édéJ'aliste, un journal écrit par trois
de ces hommes éminents, pour expliquer et dé-
fendre le nouveau projet de constitntion fédérale
quí avait encore a se faire acceptcr (le la nation, est
aujourd'hui meme le traité le plus insll'uctifque nous
possédions sur le gouvernement fédéral. La fédértt-
tion allemande qui est la plus imparfaite de toutes,
n'aréussiarien, pasmeme it maintenirnne alliance.
Jamais, dans aucune guerre européenne, elle n'a
empeché des membres isolés de la confédération de
s'allier contre le reste, avec des puissanccs étran-
geres. Cependant, c'est la senle fédération qui sem-
ble possib1e entre des ~~tats monarchiqnes. Un roi
qui a hérité de son ponvoir, qui ne le possedr pas




DE" GOlJVlmNE\IENTS REPRI::SE~TATlFS FÉOÉRAUX. 403
par délégation, el qui ne peut pas en etre dé~
pouillé ni etre rendu responsable envers qui que ce
soit de l'usage qu'il en fait, ce roi ne renoncera pro-
bablement point a avoir une armée a lui; et il ne
Sllpportera pas que l'autorité supreme soit exercée
sur ses sujets, non par lui directement, mais par un
autre pouvoir: ponr que rlenx ou trois pays sous le
gouvernement royal pllissent former une fédération
puissante, iI semhle nécessaire qu'ils soient tous
sous le memo roi ; l'Angleterre et l'Écosse forme-
,'ent. une fédératioIl semhlable pendant l'intervalle
d'un siecle enyiron qui S'écollla entre l'union (les
couronnes et celle rles parlements. Mais eette fé-
dération meme devait sa force, non aux institutions
fédérales, car' il n'en existait aucune, rnais bien a
ce que le pOllvoir royal dans les deux constitutions
a été pendant presque tout ce lemps assez absolu
pour que la politique étrangr.l'e des deux pays fUt
dirigée par une seule yolonté.


Ayer le sysU~me plus parfait de fédération, ou tont
('itoyen de cluque État particulier doit obéissance
a de\lX gouvernements, a celui de son propre Étal
el a celuí de la fédération, il est évidernment né-
cessaire, non-seulernent que les limites constitution-
nelles de l'auLorité de chacun de ces pouvoirs soient
précisées clairement, rnais encore que le droit de
prononcer entre eux en cas de dispute, n'appar-
tienne a aurun des gOllvernements. ni a allcun fonc-




W'I· r,OrVE R:-\ E M E:'iT RE PllÍ-:SE'IT.\T I F.
tionnaire qui lenl' soil, sunmis, mais biell ;'1 UlI
arbitre indépendant. Il fanf qu'il y ail une conr su-
preme de justice ot un syslemo de cours subordon-
nées dans cbaque État <le l'Union pour juger de
semblahles qupstions : et le j ugemen t de ces eours,
en dorniel' ressOlt, dniL (\In' d,;cisif. 11 fauLquc ('ba-
que État de ITninn, }(' gO\1Yernement fédrral lui-
meme et leurs fonelionnail'cs h lous puissenl ütrp
poursuivis dcyanl res ('OUl'S, s'ils dépassenL les bor-
nes de lenrs pouvoirs 0\1 s'ils n'(t(,(,()I1lplisselll pas
lenrs devoirs rédéraux; el en grnóral ils doiveul
f~tre obligés de se senil' dü ces eours pour appuy('I'
lenrs droits fédéraux. Ceci implique eeUe consé-
quence remarquable réalisée aujourd'hui aux lhats-
Unis, qu'une conr de justiec, le tribunal fédéral le
plus élevé, possede le pouvoir snpreme sur tous les
gouvernements, gouvcrnemcnt d'f~tat el gouver-
nement fédéral, puisqu'elle a le droit de déclarp['
que tonte loi ou tout acte émané el' cux el(~passe les
bornes du pouyoir que leur a départi la ronstitntion
fédél'ale, et par conséquent n'a ancune yaleur lé-
gale. Il était naturel, avant d' en avoir rait répI'~uve,
de douter forlement de l'effet d'une pareille institu-
Lion; il était naturel dc se demander si le tribunal
aurait le courage d'cxereer son pouvoir eonstitu-
tionnel, si, ayan! ce courage, il exercerail son pou-
voir, el si les gouvernements consentiraient h ex('-
euler paisiblcmcn·t sa décision. Les dispnlps




DES GO(]VERNEME~TS REPRÉSF.\fTATlF'S FÉDÉRAl1X. -íO:i
soulevées par la conslilution amé¡'icaine, avant son
adoption finale, prouvent qu'on ressentait vive-
ment ces appréhensions toutes naturelles. Mais elles
sont maintenant complétement calmées, puisque
durant l'espace de deux générations et plus, rien
ne les a justifiées, qUOiqll'il y ait eu parfois des dis-
russions ll'es-acerbes eL qui ont créé des partis, sur
les limiLes de l'autorité du gouvernement férléral el
des gOllvernements d'États.


L'effet éminemmenl avantageux d'une si singu-
liere insLiLution LienL probablement, ainsi que le re-
marque M. de Tocqueville, a ceUe particularité qui
distingue Ulle COUl' de justice agissant comme telle,
savoir: qu'elle n'impose pas la loi, eo nomine, d'une
faGon abstraite, mais qu'elle attend la SUl'venanee
d'un cas judiciaire oil la question se trouve com-
prise: par oit iI arrive que la eour ne se prononce
pas des le début d'une controverse, qu'une longue
discllssion populaire précede d'ordinaire ses juge-
ments, qu'elle ne les émet qn'apres avoir entendll
discuter pleinement les deux eótés de la ql1estion
par des avocats renommés, qu'elle ne prononee it la
fois que sur eeUe partie de la question impliqué e
dans le ras dont il s'agit, etque sa décision, allliell
(n~tre offerte dans un but politique, lui est arrachée
par l'obligation a laquelle elle ne penl manque!' de
faire justice a ueux partis qui se présentent derant
elle. Ces motif's de confiance eux-memes n'auraienl


2:{.




~06 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
pas sl.1ffi a produirc ceUe soumission respectueuse
avec laquelle touies les autorités ont accepté les dé-
cisions de la cour supreme sur l'interprétation de la
eonstitution, si ron n'avait senti qu'on pouvait se
fier entierement, non-seulement ii. la supériorité
inlellectuelle des juges qui composent ce tribunal,
mais eneore a ]eur complete indépendance de lout
esprit rle parti. La plllparL rlu temps, ceUe con-
Hanee a été justiflér; mais ríen n'est si important
pour les Américains que d'écarteravec le plus grand
soin tout ce qui aurait la mnindl'(' lendance a rlé-
tériorer la valeur de eette grande instilntÍon natio-
nale. La confiance d'oü dépend lastabilité des insti-
tutions fédérales a été ébranlée pour la premiere
fois par le jugement qui déc1arait que'l'esclavage
était de droit commun et partant chose légitime,
dans les territoires qui n'étaient pas encore cons-
titués en États; et cela meme contre la volonté de
la majorité de leurs habitants. eeue mémorable
décision a contribué probablement, plus que toute
antre chose, á ameller la crise actuelle: la prillci-
pale colonne du pacte américain est a peine assez
1'orte ponr sontenir beallcoup de choses sem-
blables.


Les tribunaux qui agissent comme arbitre entre
le gouvernement fédéral et les gouvernements
d'États, prononcent aussi naturellement sur tonte
dispute entre deux États ou entre un citoyen d'un




DES GOCVERNEMENTS HEPR~:SENTATlFS FÉDÉRAlJX. 40i
Étal et le gouvernemont d'un autre.Les remedf'~
ordinaires entre les nations, la gllerre et la diplo-
matie, étant", interrlits par l'union fédérale, iI est
nécessaire qll'un rem(~rlc judiciaire y supplée. La
ronr supl'emü appliCfue la loi internalionale; elle
est le premier grand exemple d'une véritablr juri-
dietion inlel'nationale, ce qui pst aujourd'hui un
besoin vÍ\'mncnt senti rlans les sociétés civilisées.


Naturellement les pouvoirs rl'un gouvernement
fédéral ne consistent pas seulement a prononcer sur
la paix el la gUClTC, el sur tontes les questions qui
s'élevent entre le pays et les goüvcrnements étran-
gers; ses pouvoirs vont jusqu'a faire tous les arran-
gements que les :(~tats estiment nécessaires pour
jouir pleinement des avantages de l'nnion. Par
exemple, c'es't un grand avantage ponr eux que leur
commerce mutuel soit libre de tout obstacle de
douanes. Mais eette liberté intérieure ne peut exis-
ter, si chacun des lhats a le pouvoir de fixer les
droits sur l'échange des prorlnctions entre lúi et
les pays étrangers, puisque tout produit étranger qui
entrerait dans un ~~tat, entrerait dans tous les au-
tres. C'est pourquoi, aux États-Unis, Lons les droits
de douane et tous les reglemenls de commerce sont
faits ou abrogés par le gouvernement fédéral ex-
clusivement. De meme c'est un grand avantage pour
les États de n'avoir qu'une seule monnaie, un seul
:,ysteme de poirls el, mesures, et l' on ne peut yarriver




4-ox liO(]\'EHNEME~T REPR~~SENTt\TIr.
qn'tm confiant la régIementatioll de ces ('hoses an
gouvernement fédéral. La su reté et la eélérité de la
poste aux 1ettre:-; supporLcront un obsLaclc el un
renehérissement, si \Ine lettl'8 doit passel' par une
derni-douzaine de bureaux sournis a des antorit<'s
différentes : iI est done convenahIe que tous les bu-
rraux de poste d¡~pendent dn gouvernemenl frdé'-
ral. Mais, sur de parrilles questions, les sentimenLs
des différentes f'ornmunantés peuvent. différer.
Sous la direction d'un homme qni a déploy¡; ('ommf'
penseur pulitique el, spéculatif des talenLs supé-
rieurs a eeux de tous les politiques américains,
depuis les auteurs « du Fédéraliste )) - (~'est de
M. Calhoun que nous voulons parler - un des
États amérieains a réelarné le droit 'ponr chaqne
~~tat d'e rnettre un veto anx lois de donanes du
í~ongres général; et dans une a:mvre posthnmp
d'un rare mérite (que la 1égislature de la Ca roline
du Sud a fait imprimer et répandre largement), ceL
hornrne d'.~:tat base sa prétention sur le principn
gélll~ral qui veut qll'on limite la tyrannie de la mil-
jorité et qu'on protége les rninorités en leur aceol'-
dant une participation réelle au pouyoir politiqup.
Un grand sujet de diseussioll chez les Amérieains.
au cornmeneement de notre siecle, a é,té la ques-
tion de savoir si le pouyoir (In gouyernement fédé-
ral devait aller, eL s'iI allail, anx termes de la cons-
titution. jllsqu'h I'airp dps I'onlps eL drs ran<lIlX aux




DE;:;; GOrVERNEMENTS REPRÉSENTATlFS FÉD~:RAUX. ItOH
frais de l'Union. C'esl senlement dans les négo-
ciations ayec les pouvoirs étrangers que l'aulorité
du gouvernement fédéral est complétement néces-
:.;aire. Sur tont antre sujet, la question dépend de
la maniere donl les peuples en général aiment a
sentir le lien fédéral, et de la portion de liberté
d'action locale qu'ils consentent a sacrifier pou!'
mieux jouir de l'avanlage d'étre une nation.


QnanL it la constitntion ronvenable pour le gou-
vernement fédéral en lui-meme, il n'y pas grand'.
rhose h dire : ce gouvernement se compose, cela ya
sans dire, d'un département législatif et d'un dépar-
tement exécutif; et la constitution de chacun est
soumise aux me mes principes qui régissent les
gouvernemen,ts représentatifs en général. Quant h
ce qui regarde la maniere d'adapter ces principes
généraux a un gouvernement fédéral, la constitn·
lion américaine semble avoir ag'i tres- judicieuse-
ment en établissant que le eongres se eomposerail
de deux chambres; que l'une serait instituée sni·
vant la population, rhaque ~~tat ayant droit a \ln
nombre de représentants proportionné au nombre
de ses habitants : tandis que l'autre représenterait,
non les citoyens, mais les gOllvernements d'États,
et que dans celle-ci chaqne État, grand ou petit,
serait représenté par le meme nombre de membres.


Par ceUe précaution, 011 emperhe les ~~tats les
plus puissanls d'exrrcer Slll' les aulrps nn pouvoir




í-IO GOllVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
excessif, et 1'on garantit les droits réservés aux gOll-
vernements d'États, en rendant impossible par ce
mode de représentation, autant que faire se peut,
qu'une mesure passe au congres sans etro approu-
vée, non-senIernent pal' lIne rnajorité de citoyens,
rnais encore par une majnritf. des l~tats. J'ai déja
fait allusion a l'avantage accessoil'e que l'on re-
cueille rn outre, lorsqu'on éleve lc~ r,onditions,
les titres qui donnent le droit de siéger dans une
des chambres. Le sénat des ~~tats-Unis - étant
nommé par des corps d'élite, par' les législatures
des divers États, dont le choix ponr des raiso~s
déjA indiqué es a plus de chanre que celui du peuple
de tornber sur des horn.rnes éminents, et qui ont
non-seulement le pouvoir d'élire de' sernblables
hornmes, mais un puissant motif pour le faire,
puisque l'influence de leur ~;tat a chacun dans les


I


délibérations générales doit dépendre beaueoup
de la valeur et des talents personnels de leurs re-
présentants -- le sénat des ~;tats-Unis, dis-je, a
toujours renferrné tous les hornrnes poli tiques donL
la réputation était grande et établie dans rUnion,
tandis que la chambre basse du congres, suivanl
l'opinion d'observateurs cornpétents, a toujours été
aussi pauvre en homrnes de rnérite que la chambre
haute en était riche.


Lorsque se rencontrent les conditions nécessaires
a l'existence d'unions fédrrales durables et puis-




DES GOUVERNEMENTS REPIU:SENTATlFS FÉDÉRACX. /111
santes, leur formation r~t toujour~ un avanlagr
pour le monde. Elle a le meme effet salutaire que
toute extension de la pratique d'association, gráce
a laquelle les faibles, en s'associant, se trouvent
sur un pied d'égalité ayer, les forts. Diminuer le
nombre de ces petits ~:tats, r'esí, affaiblir partont la
lentation d'nsrr d'l1nr politique agressive, soit par
les armes direetement, soit par le prestige d'nn
pouvoir supérieur. Une fédération met fin natu-
rellement aux guerres, aux querelles diplomatiques,
et meme ordinairemcnt aux restrictions de com-
merce entre les divers~:tats qui la composent, tan-
dis qu'il l'égard des nations voisines, l'accroisse-
ment de force mílitaire obtenue par ces États, grace
a leur union, ne pent gurre leur rendre que des
services défensifs.


Un gouvernement fédéral ne possede pas une
autorité assez concentrée pour bien diriger une
guerre qni ne serait pas une guerre défensive ou il
pent compter sur la coopération volontaire de
chaqur citnyen : el il n 'y a ríen non plus de bien
flatteur ponI' la vanité ou pour l'ambition nationale
dans l'idée d'acquérir par une guerre heureuse,
non pas des sujets, non pas meme des concitoyens,
mais de nouveaux memhres de la confédération,
membres indépendants et peut-etre fort genants.
La guerre des Élats-Unis contre le Mexique était
purement exceptionnelle, faite par des volontaires,




j·j2 GOL'VERNEMENT REPR~:SENTATlF.
sous l'influenre de la Lendanc(~ émigrante qui ponsse
tout Américain a s'emparer d'un territoire inoc-
cupé: et si elle était dictée par quelque motif pu-
blic, ce n'était pas parcelui de l'agrandissement na-
Lional, mais bien par une idée de parti, ceUe d'une
extension de l'eselavage. On n'aperQoit guere dans
les procédés des Américains, soit dans ceux de la
naLion, soit dans reux des individus, que le désir
d'agrandir le terriLoire de leur pays, comme tel, ait
en une grande influence. Leur vif désir d'avoir Cuba
c¡.;t également une affaire de partí, el les États dn
Nord, opposés a l'esclavage, ne l'éprouvent nulle-
ment.


On peut se demander (comme on I'a fait ponr
I'Italie au moment de son réveil) si un pays qui est
déterminé a s'unir, devrait former une union com-
plete, ou simplement une union fédérale. La
question est quelquefois résolue néressairemenl
par l'étendue territorial e du pays. Il ya des limitC:'s
;\ l'étendue de territoire qui peuL etre avanLagen-
sement gouvernée, ou me me dont le gouvernemenL
peut etre convenablement surveillé par un senl
pouvoir central. De vastes pays sont goU\'ernés de
la sorLe ; mais en généralleurs provinces, du moins
leurs provinees éloignées, sonL administrées d'unc
faQon déplorable, et iI faurlrait qne les habitants
fnssent presque des sauvages, pour ne pas pouyoil'
dirige!' miel1x leurs affaires a cux seuls. CeL ohs-




!lES IrÜl1VgRNEMENTS ftEl'ftE:-;E~T.\TJF::; FJ;:n~:R.\lJ\. í1:l
tarlt' n'(~xisl(' pas pOlll' I'Italie, donl l'{>tendue n'é-
gale pas celle de plnsielll'S I'oyallmos ccnlralisés
tres-bien gouvernés dans les tomps passés el mo-
dernes. Il s'agit de savoir alors si les différentes
parties de la nation vonlent etre gouvernées d'une
maniere trop différenl0 pour que la memo législa-
tion et le meme minislcre, Oll le meme corps
administratif ait aucune ('hance de les satisfaire
lontes. A moins fJu'il n'o11 soit ainsi, co qui est une
qnestion de fait, il vant mieux pour ellrs etre com-
plétement unies. Deux portions d'un meme pays
peuvent avoir un sysleme de lois totalement diffé-
rent et dos institutions administrativos, tres-diffé-
rentes, sans que cela mette obstacle a l'unité légis-
lative: l'Ang\eterre el l'f~cosse l'ont prouvé. Cepen-
dant, cette coexistence paisible de deux systemes
légaux, sous une meme législature faisant pour les
deux sections du pays des lois différentes adaptées
á leurs différences pl'éalables, pourrait pout-etre
nf pas se maintenir si bien, ou ron pourrait ne pas
f.trr ~i sur de son maintien, dans un pays dont les
législateurs seraient plus sujets (ce qui arrive sou-
vent sur le continent) a la manie de l'uniformité.
Un peuple ayant ceLte tolérance sans bornes qui est
un de nos trails caractéristiqnes, ponr Loute ano-
malie, aussi longtemps que ceux qn'elle touche ne
s'en trouvent pas blessés, offrait un champ excep-
I ionnellement avan tagt'nx pOllf lente!' ecttf' éprenYi'




íH. IjOlJYER~E,rE~T REPRÉSENTA'T'IF.
difficile. Dans la plupart des pays, si l'on voulait
g:arder des systemes de lois différentes, il serait
sans doute nécessaire de garder ponr lenr protec-
tion des législatnres distinctes, chose parfaitement
compatible ayer un parlement nalional et un roi,
on meme sans roi, avec un parlement qui gonver-
nerait d'nne maniere supreme les relations exté~
rieures de tous les membres du corps.


l .. orsqn'on n'estime pas nécessaire de consener
:\ perpétnité, dans les différentes provinces, diffé-
renls systemes de jurisprudence et des institutions
fondamentales basées sur des principes différrnls,
iI est toujours possible de concilier des diversités
moins importantes avec l'unité de gouvernemenl.
Tout ce qu'il faut, e' est de donner une sphere
d'action suffisamment vaste aux autorités locales.
Sous le meme gouvernement central, il peut y ayoir
eles gonverneurs locaux et des assemblécs provin-
ciales ponr les affaires locales. Il pouI'rait arriver,
par exemple, que les habitants des diffél'cn tes pro-
vinces eussent des préférenees e1). faveur de modes
d'impOts différents. Si ron ne peut eompter que la
législature générale se laissera guider par les re-
présentants de chaque province, pour modifier le
systeme général d'impOts suivant le gout de cha-
cune des provinces, la constitution doit établir que
toutes les dépenses du gouvernement qui peuvent
pire locales seront défrayées par des impots loranx




DES GOllVERNEMENTS RgPRÉ~ENTATIF'S F'ÉDÉRAlJ\ . .'d:;
íixés par les assemblées provinr,iales, el. que les d{.-
penses qui devront nécessairement etre générales,
í~omme l'entretien de l'armée el de la marine, se-
ront, dans le budget de l'année, répartis entre les
'diverses provinces, suivant quelque estimation gé-
nérale de lenrs ressources; la somme assignée a
chacune rtant levée par l'assemblée locale, d'apres
les principes qui plaisent le mieux a la localité, et
payée en bloc au trésor national. Ceri ressemble a
(:e qui se faisait SOllS rancienne monarchie fran-
caiso par rapport aux pays (l'~~tats. Chacun rl'eux
ayant consentí au étanL obligé h fournir une somme
fixe, était libre de la lever sur les habitants an
moyen de ses propres fonctionnaires; l'on échap-
pait ai,nsi an despotisme atroce des intendants et
des subdélégués royaux, el ce privilége est toujours
cité comme un des avantages qui contribuaient h
l'aire des pays d'États les provinces les plus floris-
san tes de la France.


L'irlentité du gonvernrment central est compati-
ble ayer, des degrés de centralisation tres-différents,
non-seulement quant a l'administration, mais en-
care quant a la législation. Un peuple peut etre
désireux et capable d'une union plus étroite qn'une
simple fédération, et néanmoins il se peut que
mainte particularité, maint antécédent local, luí
impose une certaino diversité rlans les rlétails de
son gOl1vernement. Mais si de tous cMrs on désire




frrllrmímt qll~ l'exp{'riell(~e I'pllSSiSSf', il 11\ :1111':1
pas de grandes fli ffiCllltés , non-senlement ¡\ m:1in-
lenir ces diyersités, mais encore a leu!' donner une
garantie constitutionnelle contre toute tentative dI'
niyellement, a moins que la tentatiye ne soit vo.:.
lontaire de la pal't de rCl1X f!u'affeder:1it Ir rhan-
grment.




CHAPITRE XVI1I
HU (jUCVERNEME:\T DES COLOj'lIE~ PAH UN I~TAT LIlH\E.


Les~~taLs libres, ('omme Lous les cmires, peU\elll
pussédol' des dópcndanees aequises soit par con-
quete, soit par colonisation; nous en 011'1'o11s le
plus grand exemple dans le monde moderne. La
question de savoir comment ces eolonies devraient
etre gOl1vernéel3 est tres-importante.


11 n'est paso nécessaire d'examtner eeUe question
pour de petits postes comme Gibraltar, Aden ou Hé-
ligoland qui ne sont que des positions militaires OH
navales. Dans ce cas, l'()bjet militaire ou naval est
lc prillcipal, et OH nc peut alors raisonnablement
admctLre les habitanLs au gourernement de la ville:
mais on dcvrait leur aeeordcr toutes les libertés eL
tous les priviléges compatibles avee eotte restl'ie-
tion, y compris la libre dil'ection des affaires muni-
cipales: et pour les dédommager d'etre sa.crifiés


'localemenl a l'avantage de l'~~tat gouvernanL, ils
devraient jouir, dans toutes les autres parties de
l'empil'c, oc dl'oits égaux a eeux des prop1'es ei-
Lo.\-ens de cet ElaL.




±1l:í GOUVEUNEMENT l{EPl{ESEN'i'ATlF.
Les territoires éloignés d'UllC étendue et d'une


population un peu importantes qu'un pays po::,-
sede a titre de colonies, c'est-a-dire sur lesquels ce
pays exerce un pouvoir plus ou moins absolu, sans
qu'ils soient également rcprésentés (si meme ils le
sont) dans sa législature, - ces territoires peuvent
etre divisés en deux classes.


Les uns sont composés de peuples dont la civili-
sation est semblable a ceHe du pays gouvernant1
qui sont murs pour le gouvernement représentatif
et digne d'en jouir, comme les p08sessions anglai~
ses en Amérique et en Auslralie ; d'autres, comme
l'lnde, sont encore fort loin de cet état.


Pour les colonies de la premiere classe, notre
pays en est venu a agir complétement, d'apres les
véritables principes de gouvernement. L'Angleterre
s'est toujours crue obligée, jusqu'a un certain
poirit, de donner a ceHes de' ses populations exté-
deures qui descendaient d'elle, et mcme a quel-
ques-unes de ceHes qui n'en descendaient pas, des
institutions représentatives modelées sur les sicnnes
propres. Maís jusqu'a la génération actuelle, .elle
avait été aussi fautive que les autres pays, en ce
qui touche la somme de gouvernement qu'elle leur
permeltait d'exercer au moyen des institutions
libres qu'elle leur accordait. Elle voulait elre l'ar-
bitre supréme de leurs afl'aires, meme purement
intérieure~, el le~ réglcl' suívant sa pl'opre idée de




IJU GOUVEaNEMENT DES COLON lES. .j.IV
te qui était le plus avantageux, et non suivant l'idée
des populations. eelte habitude était un corollaire
naturel de cette théorie fausse de politique colo-
niale, .- adoptée aulrefois par toute l'Europe, el
que tous les autres peuples n'ont p<\s encore
abandonnée complétement, - qui regardait les
colunies comme précieuses, - paree qu' elles nous
fournissaient pour nos productions des marchés
que nous pourrions gal'der pour nous seuls: un
pl'irilége si hauLement estimé, que nous ne pensions
pas le payel' trop cher, en accordant de notre cóté
aux eolonies le monopole de notre marché pomo
leurs produetions. On a renoncé, depuis quelque
temps, a cette maniere de s'enrichir les uns les
autres, qui consistait a se payel' mutuellement des
sommes énormes dont la plus grande partie se
perdait en route. Mais la mauvaise habitud e de se
meler du gouvernement des colonies, n'a pas cessé
des l'instant ou nous avons abandonné l'idée d'en
tirer aueun profit. Nous avons continué a les toUr-
menter, non dans notre intéret a nous, mais dans
eelui d'une eoterie ou d'une faetion des colons; et
eette persistanee dans. la tyrannie nous a eouté
une rébellion canadienne, avant que nous ayons eu
l'heureuse idée d'y renoneer. L'Angleterre était
comme un frere ainé mal élevé, qui persiste uni-
quement par l'habitude a tyranniser ses cadeLs,
jusqu'a ce que l'un fl'eux, par une résislanee éner-




J20 GOUVERNEi\lE~T IIEPltÉSENTATIF.
;..;-ique, quoique avee des fo\'(~es inégales, l'aH','li:-;:-,c
(In'il est temps de cesser; nous avons été assez sag(~'"
pour n'avoir pas eu besoin d'un seeond averLisse-
menl. Une llouvelle époque dans la politique eolo-
nialc des nations a commeneé avee le rapporL de
lord Durham : témoignagc impérissable du eoul'age,
du patriotisme et du libéralisme éc1airé de ee noble
personnage, et de l'intelligenee, de la sagacité pl'a-
tique des deux collegues qui onL mis la main ü
rlCuvre, M. vVakefield et le regl'ettable Chad('~
Buller 1.


Maintenant, e'est un príncipe ótabli dans la 110-
litique britannique (principe professé en théorie el
mis en pratique fidelement) de laisser le~ eolonies
de race européenne se gouverner elleS'-mémes, tout
comme la mere patrie. On leur a permis de faire
elIes~memes 1eurs constitutions représentatives
libres, en changeant selon qu'elles le jugeaient con-
venable les constitutions déja tres-'populaires que
nous leu!' avions données. Chaeune d'ell('~ e~L guu-
verll(~e par ~a pl'opre légis1ature et par son propl'e
pouvoir exéeutif, eonstitués d'apl'es des principes
hautement démoeratiques. Quoique le parlement el
la eouronne se sDicnt réservé le droií de veto; ils


(1) Je parle ici de cette politique améliol'ée telle qu'on l'a
adoptéc, et non telle ({n'oll la pl'oposait d'a:bord. L'hollneur
d'ell ayoil' été le premier champion, appal'ticnt ,'éritablcment
it M. Hmbuck.




LJU GOUVEHNEl\lENT DE:; COLON1E:;. ·itl


ne l'exercenl que tres-ral'Cment, et uniquemenl
sur des questions qui intéressenl tout l' empire en
général, et pas seulement la colonie en particuliel'.
II est aisé de voir aquel point un comprend d'une
maniere libérale la distinction entre les qnestions
~oloniales el les questions supérieures, par ce fait
que ton tes les terres en friche au dela de nos colo-
nies américaines et australiennes ont été abandon-
nées complétement ú la disposition des commn-
uautés coloniales, quoique le gouvernement mé~
tropolitain eút pn sans injnstice se réserver de les
administrer suivanL l'intéret des émigrants futurs
de toutes les parties de l'empire.


De celte fUQon, chaque colonie esl aussi libre
quant a ses pr<;>pres afl'aires, qu'elle pourrait l'etre
si elle faisait partie de la confédération la plus
élastique~ el beaucoup plus libre qu' elle ne le serait
avec la constitution des ~~tats-Unis, étant libre
meme de taxer, selon son bon plaisir, les artic1es
importés par la mere pa trie. L'union de nos colu-
nies avce la Grande-Bretagne ressemble a la moins
étroite de toutes les unions fédérales; mais ce n'esL
pas une f6dération parfaitement égale, puisque la
mere patrie gardc POUl' elle les pouvoirs d'un gou-
vernement fédéral, quoiqu'ello no les exerce en fait
que de la faGon la plus rcstreinte. Naturellement,
ecLle inégalité esL un désavantage, en ce qui la cons-
lituo, poul'les cnlonió (luí U'Ollt aUCllllC voix dan!"




-í22 GOUVEHNEME~T HEPHÉSENTATIF.
la poli tique étrangere, et qui souvent néanmoin~
obéissent aux décisions du pays supérieur. Elle!:'!
sont obligées de seconder l'Angleterre dans ses
guerres, sans qu'on les ait consultées avant d'en-
gager la guerreo


Ceux (et heureusement ils ne sont pas en petit
nombre) qui pensent que la justice est une ehose
aussi nécessaire aux eommunautés qu'aux indivi-
dus, et que les hommes n'ont pas le droit de faire il
d'autres pays pour l'intéret supposé de lenr propre
pays, ce qu'ils n'auraient pas le droit de faire a
d'autres hommes pour leur propre intéret, eeux-lil
trouvent que meme cette légere dose de subordÍ-
nation constitutionnelle de la part des colonies est
une violation de principes, et ils ont souvent cher-
ché les moyens d'y remédier. C'est pourquoi les
uns ont proposé que les colonies nommassent des
représentants dans la législature britannique, el
d'autl'es ont demandé que les pouvoirs de notre
parlement aussi bien que des leurs, fussent bornés
a la politique intérieure et qu'on créat pou!' les affai-
res impériales et étrangeres un autre corps repré-
sentatif, ou les eolonies de la Grande-Bretagne
seraient représentées de la meme faGon, et aussi
complétement que la Grande-Bretagne elle-meme.
Avec ce systeme, il y aurait une fédération par-
faitement égale entre la mere patrie et ses colonies
qui désormais ne seraient plus de~ dépendance .. ,




nt; GOUVERNEM E~T DES COLO~IES. 42:1


Les senlimenls d'équité el les idées de moralit{>
publique d'ou émanenl ces vues sonl dignes d'é-
loges, mais les vues elles-memes sont tellement
incompatibles avec tous les principes rationnels de
gouvernement, qu'il est douteux qu'aucun penseur
l'aisonnable les ait jamais regardées comme admis-
sibles. Des pays séparés par la moitié du globe ne
se trouvent pas dans les conditions naturelles ponr
8t1'e sous le meme gOllYernement, ou meme ponr
faire partio d'nnc ronfédération. Qnand meme ils
auraicnt h un dcgré snffisant les memes intérets, ils
n'ont pas et ils ne peuvent jamais avoir une habi-
tude suffisante de délibérer ensemble. Ils ne font
pas partie du meme public; ils discutent et ils dé-
liberenl non point dans la meme arene, mais sépa-
rément, el chacun d'eux n'a qu'une connaissance
tres-imparfaite de ce qui se passe dans l' esprit des
antres. Aucun ne sait oil tendent les autres, et n'a
pIeino confiance dans les principes de leur con-
rluite. Qu'un Anglais se demande s'il aimerait que
ses desliw;es dépendissent d'une assemblée oú l'A-
mérique anglaise nommerait un tiers des représen-
tants, et I'Afrique du Sud et l'Anstralie un autre
tiers.


e'est la cependant qu'on en vienrlrait, s'il existait
quelque chose comme une rep1'ésentation juste et
rgale. Or, est-ce que chacun ne sentirait pas que les
reprrsen1ants du Ganada et de l'Allstralie ne san-




í·:l'J- ,j(H:VEHNEM ENT H EPRÉSE~T ATIF.
raient, memA ponr flrs affaires d'nn caracU>rí' il1l-
périal, etre suffisammenf, tonchés par les intrrpl~\
les opinions ou les désirs des Anglais, des Irlandais
eL des ~=cossais? Meme pour des objets purement
fédéraux, il n'existe pas la les conditions que nous
avons reconnues comme étant nécessaires a une
fédération. L'Angleterre suffirait a sa dépense sans
ses colonies, et séparée d'avec elles, elle se trou\'e-
rait dans une position a la fois beaucoup plus forte
et beaucoup plus digne que si elle en était réduitr
a fáire partie d'une confédération américaine, afri-
caine et australienne. Excepté les avantages de
cornrnerce dont elle pourrait jouir également apres
la séparation, l'Angleterre ne tire guere de ses colo-
nies d'autre profit que le jJl'estige qn' elles lui don-
nent, et ce qu'elle en tire la est plus que ('ontre-
balancé par l'argent qu'elles lui content et par la
dissérnination des forces militaires et navales
qu'elles exigent, ce qui fait (fU'en cas de guerre, les
forces britanniques doivent etre deux ou trois foi~
plus nombreuses qu'il ne le faudrait ponr la défensr
de la seule Angleterre.


Mais quoique la Grande-Bretagne put parfaite-
ment se passer de ses colonies, et quoique, d'apres
tous les principes de moralité et de justice, elle fut
obligée de consentir a leur séparation, si le temps
arrivait oi! apres avoir dnment essayé de la meil-
leure forme rl.'llnion, les eolonies de propo~ délihéré




IW I~O{jVEI{~EME~T DES COLONTES. '~:!~¡


revendiquaient leur liberté, il ya de puissantes rai-
sons pour consener le !ien aclucl aussi longtemps
qu'il ne blesse les sentimenls d'aucune des deux
parties. La chose, parlout ou elle existe, est un pas
vers la paix universelle el ve1's une ass'ociation, vers
une amitié générale entre les peuples. Elle rend la
guerre impossible entre un grand nombre de com-
munautés qui sans cela seraient indépendantes, el,
en müre elle les empt'che d'etre absorhées par un
~:tat étranger, et de constituer une SOlll'ce noun'll(\
de force agressivc\ cntl'f' les mains de quelque pou-
voir rival, soit plus despotique, soit plus voisin, el
qui pourrait n't~tl'e pas aussi peu ambitieux el allssi
pacifique que la Grande-Bretagne. Elle maintient
les marchés ~es différents pays ouverts les uns aux
autres, et elle empeehe cette exclusion mutuelle
pratiquée par des tarifs hostiles, a laquelle aucUlW
des grandes COllll1lUnautés humaines, excepté L\n-
gleterre, n'a romplétcment l'f\lloneé ; et, dans le ras
des posscssions britanniques, elle a 1'avantage bien
précieux a l' époque actuelle de fortifier ('11 in-
flucnce Illol'ale et en pl'épondérance dans les conseils
<lu monde, le pouvoir qui comprend le rnieux la li-
berté et qui s'est é!evó (salls ríen méconnaltre de
ses erreurs dans le passé) a un degré de conscienre
el de moralité internalionale qu'aucun autee grand
peuple u'a l'aír dp trouvcr possible ou désirable.
DOllC puisqlle Cunion lll' pen t cuntimH'l' it existel"




~:.w GUUVERNEMENT REPR~:SENTATIF.
tant qu'elle existe, que sur le picd de fédératioll
inégale, il est important d'examiner par quels
moyens on pent empecher eette légere dose
d'inégalité d'etre onéreuse ou humiliante pour les
eommunautés qui occupent la position la moins
élevée.


La seuIe infériorité nécessairement inhérente a la
situation, e' est que la mere patrie déeide et pour
les eolonies et pour elle-meme des qurstions de
paix et de guerreo En revanehe, les colonies ont
cette obligation a la mere patrie, qu' elle repousse
les agressions dirigées contrc elles; mais excepté
lorsque la moindre des deux communautés est si
faible, que la protection d'un pouvoir plus puissant


I


luí est absolument nécessaire, c'est une obligation
qui ne compense pas, pour la eolonie, sa non-ad-
mission aux délibérations. Il est done essentiel que
lorsqu'il s'éleve quelque guerre, a moins qu' elle
ne soit entreprise uniquement a canse de la eolonie,
eomme la guerre des Cafres ou eomme eeHe de la
NouvelleZélande, les colons ne eontribuent point
(si ce n' est sur leur demande volontaire) a en payer
les dépenses; on ne doit mettre a leur eharge que
les frais de la défrnse loeale de leurs ports, de lcurs
cotes et de leurs frontieres contre l'invasion. De
plus, eomme la mere patrie réclame le droit de
pouvoir, selon son bon plaisir, prendre des mesures
ou pOllrsllivre une politique qui exposera pellt-etre




De GOUVERNEMENT DES COLONIE~. '~:(;


les colonies a des attaques, il est juste qu' elle sup-
porte une portion considérable des frais de leur dé-
rense militaire, el meme le total en tant qu'il s'agit
d'une armée permanente.


Mais il y a un moyen encore plus efficace, -le
seul peut-etre, - pour dédommager pleinement la
plus petite communauté d'avoir fondu son indivi-
dualité comme pouvoir réel parmi les nations, dans
rindividualité plus grande d'un empirevaste et puis-
sant. Cet expédient indispensable et en meme temps
suffisant, qui répond a la fois aux besnins de la jus-
tice et aux exigen ces croissanles de la politique,
c'est d'ouvrir aux habitants des colonies, sur un
pied d'égalité parfaite, la carriere des emplois dans
toutes les branches du gouvernement et dans toutes
les parties de l'empire. Pourquoi n'entend-on ja-
mais un souffle d'infidélité dans les iles de la Manche?
Par leur race, par leur religion et par leur position
géographique, elles appartiennent moins a l'Angle-
terre qu'a la France. Mais en meme temps qu'elles
jouissent, comme le Canada et comme la Nouvelle-
Galles du Sud, du pouvoir de régler leurs affaires
intérieures et leur mode d'impót, tout emploi, toute
dignité dont la couronne pent disposer, est accessi-
ble au natif de Guernesey ou de Jersey. On a pris
dans ces Hes insignifiantes des généraux, des ami-
raux, des pairs du Royaume-Uni, et il n'y a rien qui
empeche d'y prendre des premiers ministres. Le




í:.JH GOUVERNEMENT REPRI¡;SENTATIF.


meme systeme avait été adopté, :) régal'd des eolo-
nies en général, par un secrétaire des colonies t1'(\s-
éclairé et trop tal perdu, sir "\Vil1iam Molesworth,
lorsqu'il nomma M. Hinckes, un personnage poli-
tique canadien, a un gouvernemenl dans les Indes
occidentales.


Il faut avoil' une idée tres-superficielle desressorls
de l'aclion politique dans une commnnauté pOli l'
rroire que de pareilles choses son l sans impol'laure,
paree que le nombre de ceux qui sont réellpment en
étal de profiter de la concession serail pen consid¡"-
rabIe. Ce petit nombre d'individus serait compos('
précisémenl de ceux qui ont le plus d'influence mo-
rale sur le reste, et les hommes ne sonl pas assez
dépourvus du sentiment de la dégradation collee-
tive pour ne pas s'apercevoir que refuser un avan-
tage meme a une seule personne, pour une chose
qu'ils ont tous en commun avec cctte persollne,
e'est leur faire affront a tous. Si nons empechons
les principaux personnages d'uno cornmunaulé de
se pl'ésenter devant le mondo comme ses ehefs el.
ses représentants, nous dovons et a lour lrgitime
ambition et au juste orgueil de la communauté, de
leul' donl1{~r, comme dédommagement, une chanc('
égalo d'occupor la meme position éminenlo dans
une nation d'une puissance et d'une importanrl'
supérieures. Si la earriero dos emplois dans l'em-
pire britannique Mait OUVl'rt(' anx habitants des ilps




Ul; GOl:VEH~E:\IE\'T DES (:OI.ONJE~. 't-:!!l


lunienneo..;, 11011S n'enlendriol1s plllS parlf'r lle-Iclll'
d¡~"ir' de s'unir h \a Grerf'. Un(~ pal;eille llnion n'('sl
pas désirabl(~ pou!' ce peuple, qui ferait Ut un pas (In
arriere dan::; la civilisation; mais ilu'esL pas éton-
nant que Corfou, qni a donné a la Russie un mi-
nistre d'une réputation européenne et un pré~ident
a la Grece avant l'arrivée des Ravarois, se sente
hlessée de ce que ses habitants ne sont point admis
aux postes les plns rlev(~s d'un gouvernement quel~
ronque.


Voil;) ce que nOllS ayons h dire des rolonies dont
la population est asscz ayanrée ponr comporter le
gnuvernpment représentatif. Mais il yen a d'alltres
qui n'en sont point arrivéps la, el ([ni doivent étl'e
gonvernées p,ar le pays dominant OH par les délégués
de ce pays. Ce modo de gonvernement est aussi lé-
gitime qu'nn autre, si r,'esL c('lni qui dans l'état de
ciyilisation du ppuple soumis, lui facilite le mieux
son éléYation h un élat supérieur. Il y a, comme
nous l'avons déja vn, des conditions de société on
un despotisme vigoureux est en soi le mode de gou-
vernement le plus propre a inculquer au peuple les
qualités parliculieres qui lui manquent pour étre
capable d'une civilisation supérieure. Il yen a d'au-
lres ou, a la vérité, le simple fait du despotisme n'a
aucun efI'et avantageux, les leGons qu'il enseigne
n'ayant été déja que trop hien apprises, mais oü,
fante d'lln mohile dC' pl'ogri's sponl:1l1f\ rhez \e pen-




.. 30 GOUVERNEMEi'\T I1EPRÉSENTATlF.
pIe, sa seule chance d'avancer dépend d'un bon des-
pote. Sous un despotisme indigene, un bon despote
est un accident rare et transitoire; mais quand un
pays est sous la domination d'un pcuple plus civi-
lisé, ce peuple devrait pouvoir lni en fourni1' cons-
tamment. Le pays dominant denait eLre capable de
faire pour ses sujets tout ce qui poul'rait Nre fait
par une succession de monarques absolus, dont lf'
despotisme appuyé sur une force irrésistible n'au-
rait point le caractere précaire eL incertain des des-
potismes barbares, et qui auraient la supériorit{·
voulue pour les gratifier tout d'abord de tout ce que
l'expérience a enseigné a la nation la plus avancée.
Voila la regle idéale du gouvernement d'un peuple
barbare ou semi-barbare par un peuple libre. Il ne
faut pas s'attendre a voir réaliser cet idéal; máis si
l'on n'en approche quelque peu, les gouvernants
sont conpables d'avoir manqué au devoir moral
le plus élevé qui pnisse échoir it une nation : e1
s'ils n'essayent meme pas d'en approcher, ce son1
des nsurpatenrs égolstes, tont anssi criminels qu'au-
cun de ceux dont l'ambition et la rapacité se sonl
jouées, pendant des siecles, du destiu des masses.


Comme la condition ordinaire (el qui sera bientól
universeIle) des populations les plus arriérées est
d'8tre sous le despotisme di1'ect des peuples avan-
cés, ou sous leur ascendant politique absolu, il n'y a
gllerr aujolll'd'hni de qnestion plns importantr que




DU GOUVEltNEMENT DES COLONIES. ±;H


d' orgalliser ceUe domination de faQon ii ce qu' elle
devienne un bicn et non un mal pour le peuple sou-
mis, en lui aSSlll'ant le meilleur gouvernement ac-
Luel possible, el les conditions les plus favorables
au progres futuro Mais la maniere d'adapLer le gou-
vernemcnt a cet objel n'est pas a beaucoup pres
aussi bien comprise que les conditions de bon gou-
vernement chcz un peuplc capablc de se gouvernel'
lui-meme. Nous pouvons meme dire qu'elle n'esL
pas comprise du tout.


La chose parait tres-facile aux observateurs su ...
perficicls. Si l'Inde par exemple n'est pas capablc de
se gouverncr elle-meme, tout ce qui leur semble
nécessaire, c'est qu'il y ait un ministre pour la gou ...
verner, et qu~ ce ministre, comme les autres minis-
tres anglais, soit responsable envers le parlement
anglais. Malheureusement, cette . maniere de gou-
\'erner tIne colonie, quoique la plus simple, est
presque la pire et trahit chez ceux qui la défendent
llI1e tolale inillLelJigence des conditiollS d'un bon
gouvernemenL. Gou\'ernet' un pays, sauf responsa'"'
bilité ellvers le peuple de ce pays, et gouverner un
pays, sauf respollsabilité cnvers le peuple d'un au""
tre pays, sont deux choses tres-différentes. Ce qui
fait l'excellence de la pl'emiere, c'esl que la liberté
est préférable au despotisme; mais la derniere,
c'est le despotisme. Dans ce cas, le seul choix pos-
sible, c'est le choix enLre les despotismes: 01', il




4::11 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
n'esl pas certain que le despulisme de 20 milliOlls
d'hommes vaille nécessairement mieux que celui
d'un petit nombre ou d'un seu!. Mais iI esL tout a


. fait cerlain que le despotisme de ceux qui ne voient,
n'enLendent et ne savent rien touchantleurs sujets,
a beaucoup de chanee d"etre pire que celui de gOll-
vernants mieux informés. On ne cl'oit pas ol'dinail'c-
ment que les agents immédiats de l'auLorité gou-
\ernent mieux, paree qu'ils gouvernent au nom
d'un maitre absent et d'un maltre qui a mille al/-
tres sujets de sollieitude. Lc maitre pcut lClll' im-
pose\' une stricLe l'esponsabilité, appuyée sur dl':-:l
pénalités t1'8s-séveres; mais iI esL trcs-douteux que
les pénalités tombent souvent a propos.


C'est toujours ave e de grandes diffieultés et t1'es-
imparfaitement qu'un pays peut otre gouverné par
des étrangers, meme quand il n'y a pas une dispa-
rité extreme d'habitudes et d'idées entre gouver-
nants eL gom:el'l1és. Les étrangers ne 8entenl pas
comme le peuple gouverné. lIs ne pcuvcllL pas jll-
gel', d'aprcs le jOUl' sous lequcl leu1' apparaiL lIIle
chose ou d'apres la maniere dont elle touche leurs
sentiments, de la faQon dont elle tOllehera les sen-
timents ou dont elle apparaitra aux yeux de la po-
pulation soumise. Ce qu'un indigene d'une intelli-
gence ordinaire sait comme par instincl, ils ont a
l"apprendre lentement par l'étude etl'expériellce,
el t'ncOl'C lle le savcnt-ils qu'impad'ailemenl. Les




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. 433


lois, les coutnmes, les relations sociales SUl' les-
quelles iIs onl h légiférer, au lien de leur étre fami-
lieres dcs l' enfanco, lenr son t é lrangeres ; leur con-
naissance des délails repose sur les informations
des indigenes, el iI leur esl difficile (le sayoir a qui
~e fiel'; ils sont craints, soup\onnés, probablement
détestés par la populalion ; on ne les recherche que
ponr des molifs inléressés. Lenr penchant naturel
est d'accOl'der leur confiance aux plus senilement
soumis. Ce qn'il y a a craindre, c'est qu'ils ne mé-
prisent les indigcncs, et l'obstacle du cOté des indi-
genes, c'esl qu'ils ne refusenl de croire que quelque
chose de fail par les élrangers puisse etre fait pour
leur bien. Ce n'est la qu'une partie des difficultés
avec lesquelles les gouvernants ont a lutter lors-
qu'ils essayent honnCtement de bien gouverner un
pays ou ils sont étrangers. Vaincre ces difficultés
sera toujours une muYrc (lui exige beaueoup de tra-
yail et un degré de capaGité tres-considérablc chez
les prillcipaux administratenrs, el assez éleyé chez
leurs subordonIlés. La meilleure organisation d'un
pareil gouvernement est celIe qui saura le mieux ob-
tenir le travail et développer la capacité, et choisir
les plus for1s pour les responsabilités les plus pe-
santes. Il est peu probable qu'on en arrive la, en
rendant les fonetionnaircs responsables envers une
autorité qui n'a pris aucune part au travail, qui n'a
rien acquis de la capacité youlue, et qui meme, la


25




'~:H GO[;\'EHl\E~IE~T REPRÉSE~TATIF.
plupart !in temps, 11e soup\onne poinl que l'Ull el
l'autre soient néeessaires.


Le gouvernement d'un peuple pal' lui-meme esl
une chose qni a un sen s et une réalité·; rnais le gou-
vel'nement d'un peuple par un autre peuple est une
chose qui n'existe pas et qui ne saurait exister. Un
peuple peut en posséder un autre comme une ga-
renne pour y faire fortune, ponr y battre monnaie:
une ferme de bestiaux humains destinés a son se1'-
vice. Mais si le bien des gouvernés est l'affaire pro-
pre d'un gouvernement, il est complétement impos-
sible qu'un peuple s'en occupe direclement: le
mieux qu'il puisse faire, c'est de charger quelques-
uns de ses hommes les meilleurs d'y veiller, et pour
ces hommes l'opinion de leur proprC' pays ne sau-
rait etre ni un guide dans l'aceomplissement de leur
devoir, ni un juge eompétent de la maniere dont ce
devoir a été aecompli. Que l'on réfléchisse a la ma-
niere dont les Anglais seraient gouvernés, s'ils ne
eonnaissaient pas mieux leurs propres affaires et
s'ils ne s'en inquiétaient pas plus, qu'ils ne con-
naissentles affaires des Hindous et qu'ils ne s' en in-
quietent. Cette comparaison meme ne donne pas
une idée juste de l'état des choses; cal' un peuple
aussi complétement indifférent a la politique se
bornerait san s doute a acquiescer et laisserait agir
le gouvernement, tandis que, dans le cas de l'Inde,
un peuple politiquement actif comme les Anglais r




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. 435


quoiqu'il acquiesce la plupart du temps, intervient
par ci par la et presque toujours a tort. Les causes
réelles qui déterminent la prospérité ou la misere,
le progres ou la détérioration des Hindous, sont trop
éloignées pour que le peuple anglais puisse les aper-
cevoir. Il n'a pas le savoir nécossaire pour soupQon-
nel' l' existencc de ces causes, encore moins pour
juger de leurs offets. Les intérets les plus essentiels
du pays ponvent etre bien administrés, sans obten ir
son approbation, comme aussi on peuL les diriger
fort mal, sans que cela attire son attention.


Les fins pour lesqueIles il est tenté d'intervenir
et de controler les procédés de ses délégués sont de
deux sortes: l'une est d'imposer aux naturels les
idées anglai~es par des mesures de prosélytisme,
ou bien par des actes offensifs prémédités ou non,
ponr les sentiments religieux du peuple. Cette
fausse direction de l' opinion dans le pays domi-
nant se révcle d'une faQon instructive dans la de-
mande, aujourd'hui si générale en Angleterre, de
faire enseigner la Bible, avec l'assentiment des
éleves ou de leurs parents, dans les écoles du gou-
vernement.


Cet exemple est d'autant plus frappant que tout
y est justice ot droiture, avec autant d'impartialité
qu' on peut en attendre de personnes réellement
eonvaincues.


Au point de vne européen, rien ne peut paraitre




436 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
plus loyal et moins sujet a objecLioll, touchant
la liberté religieuse. Au point de vue asia tique,
c'esl tout autrc chose. Aucun peuple asiatique ne
croira qu'un gouvernement va mettl'e en branle ses
fonctionnaires salariés et son mécanismc officiel,
sans avoir une idée arretée : et aucun AsiatiflllC ne
cI'oira qu'un gouvernement ayant une idée arretée
ne la ponrsuivra qu'a moitié, a moins que ce ne
soit nn gouvernement faible et méprisable. Si les
écoles et les maltres d:écoles du gouvernement en-
seignaient le christianisme, on aurait bcau douner
toutes les garanties possibles qu'on ne l'ensei-
gnera qu'aceux qui le demanderont, aucune preuve
ne pourrait convaincre les parents qu'on n'em-
ploiera pas des moyens déloyaux ponr faire de leurs
enfants des chrétiens, ou tout au moins des rené-
gats de l'hindoui·sme. Si a la fin ils pouvaient etre
convaincus du contraire, ce serait seulemenL par le
complet in su cee s des écoles a opérer des conver-
sions. Que si l'enseignement atteignait son hut, iI
compromettrait non-seulement l'utilité et meme
l'existence de l'éducation donnée par le gouverne-
ment, mais peut-étre le salut du gouvernement lui-
momeo Tout en désavouant le prosélytisme, on ne
persuaderait guere a un protestant anglais de placer
ses enfants dans un séminaire catholique romain ;
des catholiques irlandais n'enverront pas leurs en-
fants a des écoles oü 1'on peut en faire des pro tes-




DU GOUVEHNEMENT DES COLONIES. 437


tants, el nous supposons que les Indous, qui croient
qu'on peut perdre, par un acte purement physique,
les priviléges de l'hindozásme, exposeront les leurs
au danger d'etre convertis au ehrislianisme !


voml. un des modes par ou l'opinion du pays do-
minant tend a agir d'une faQon plutót nuisible
qn'utile, sur la conduite des gouvernants délégués
par te pays. Sons d'autres rapports, elle n'intenient
la plupart du temps que pour les ehoses ou elle en
est obstinément sollicitée, e' est-a-dire pour protéger
les intércts des Anglais. Les colon s anglais ont des
amis dans leur pays, ils ont des organes, ils ont ac-
ces aupres du publico Leur langage, leurs sentiments
sont les memes que ceux de leurs compatriotes :
toute plain~e proférée par un Anglais sera écoutée
avec plus de sympathie, meme sans qu'on ait au-
eun dessein de lui accorder une préférence injuste.
Maintenant, s'il est un fait prouvé par l'expérience,
c'est que, lorsqu'un pays en gouverne un autro, les
individus du peuple gouvernant qui vont dans le
pays étranger pou!' faire fortune sont, entre tous,
ceux qu'il faut contenir le plus fortement. Ils sont
toujours une des principales diffieultés du gouvcr-
nement. Armés du prestige et pleins de l'arrogance
de la nation eonqnérante, ils ont tous les sentiments
inspirés par le pouvoir absolu, moins le sens de la
responsahilité. Chez un peuple comme eelui de
!'Inde, les plus grands efforts des aulorités publi-




438 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF'.
ques ne suffisent pas a protéger le faible con lre le
fort, et entre les forts les colon s européens sont
les plus forts de tous.


Toutes les fois que l'efret démoralisant de la situa-
tion n'est pas modifié a un degré tres-remarquable
par le caractere personnel de l'individu, les colon s
regardent le peuple du pays comme de la boue sous
lellrs pieds; il lenr semble monstruellX que les
droits des indigenes barrent le chemin a leurs
moindres prétentions ; le plus léger acte de protec-
tion envers les habitants, contre tont acte de pou-
voir de leur part qu'ils peuvent regarder eomme
utile a leurs intéréts commerciaux, ils l'appellent et
l'estiment réellement une injustice. eeue maniere
de sentir est si naturelle dans leur situation, qll'il
est impossible qu'il n'en perce pas constamment
quelque chose, meme 10rsqu'eIle est réprimée
comme elle l'a été jusqu'a présent par les autorités
dominantes. Le gouvernement qui, lui, ne partage
pas ceUe maniere de sentir, ne parvient jamais a la
réprimer suffisamment, meme chez ses propres
fonctionnaires civil s et militaires, lorsqu'ils sont
jeunes et inexpérimentés, quoiqu'il puisse controler
Ieur conduite bien mienx que celle des résidents in-
dépendants. Ce que font les Anglais dans l'Inde,
les FranQais le font en Algérie, suivant des témoi-
gnages dignes de foi, elles Américains le font dans
les pays conquis sur le Mcxique.




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. 43!l


Il semble en etre de méme pou!' les Européens
dans la Chine, et meme déja dans le Japon. Il est
inutile de rappeler ce que faisaient les Espagnols
dans l'Amérique du Sud. Dans tous les cas que
voila, le gouvernement auquel sont soumis ces
aventuriers privés vaut mieux qu'eux, et fait ce
qu'il peut pour protéger les indigEmes contre eux.
Le gouvernement espagnollui-meme agissait ainsi,
sérieusement et sinccrement, quoiqlle sans aucun
effet, comme le savent tons ceux qui ont lu l'his-
toire instructive de M. Help. Si le gouvernement
espagnol avait été diredement responsable envers
l'opinion espagnole, il est douteux qu'il eut rait
cette tentative ; car les Espagnols auraient pris le
parti de leurs amis et de leurs parents chrétiens,
plutót que celui des palens.


Ce sont les eolons et nullement les indigcnes qui
sont écoutés par le public du pays dominant; ce
sont eux dont les représentations ont le plus de
ehance de passer pour la vérité, paree qu'eux seuls
ont des moyens et un motif de les renouveler avec
insistan ce aupres de l' opinion publique distraite
et indifférente. Cet esprit de méfiance avec Jequel
le peuplc anglais, entre tous les peuples, controle
la conduile de son pays envers les étrangers, iI le
réserve uniquement pour l'examen des procédés
du pouvoir exéeutif. Dans tout démelé entre un
gouyernement el un individu, un Anglais est eon-




HO GOUVER:'{EMENT REPRÉSENTATlF.
vameu d'avanee que le gouvornement a tort. Et
quand les résidents anglais dirigent les batteries
de l'action polil.ique anglaisc eontre un des ou-
vrages élevés pour meltro les indigenos a l'abri de
leurs empiétements, l'exéeutif, avee ses vclléités
réelles mais faibles d'agir mieux, trouve en géné-
ral qu'il est plus sur pour son intéret parlemen-
taire, et en tous eas plus eommode, d'abandonner
la position disputé e que de la défendre.


Ce qui aggravc les ehoses, e'est que, lorsqu'on
invoque, au nom de la justiee et de la philosophie,
l'esprit publie (eomme on invoque tres-souvent
l'esprit anglais, disons-le, a son honrleur) en faveur
de la eommunauté ou de la rae e soumise, il y a
tout lieu de eroire que, lui aussi,' prendra le
ehange. Car, dans la eommunauté soumise, iI y
a aussi des oppresseurs et des opprimés, des classes
ou des individus puissants et des esclavos pros-
ternés devant eux, et ee sont les premiers, et non
point les derniers, qui ont aeees aupres du public
anglais. Un tyran, ou un homme sensuel, qui a
été dépouillé du pouvoir dont il abusait, et qui,
au lieu d'étre puni, jouit d'une fortune et d'un
luxe aussi grands que jamais ; un groupe de pro-
priétaires privilégiés qui demandent que l'État
abandonne la rente qu'il s' est réservée sur leurs
terres et qui ressentent eomme un grief toute ten-
tative pour protéger les masses contre Ieurs exac-




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. 44t


tions; Ceux-Ul n'auront aucune difficulté a se faire
défendre d'une maniere, soit intéressée, soit sym-
pathique, dans le parlement et dans la presse
anglaise. Les multitudes silencieuses ne seront
point défendues.


Dans tout ce qui préccde, on yoit a l'muvre un
pl'incipe qu'on pourrait appeler évident, si ce n'est
que presque personne ne semble le soupQonner, -
ce principe, c'est que, tandis que la responsabilité
envers les gouvernés est la meilleure garantie de
bon gOtlrernement, la l'esponsabilité envers quel-
qu'un autre, non-seulement n'a pas la meme ten-
dance, mais produira plutót du mal que du bien.
La responsabilité des gouverneurs anglais de l'Inde-
envers la ,nation anglaise n'est utile que paree'
qu'elle assure, lorsqu'un acte du gouvernement
est mis en question, la publicité et la discussion.
11 n'est pas nécessaire pour cela que le public en
général comprenne le sujet du débat: il suffit qu'il
y ait deux ou trois personnes le comprenant. Car
une responsabilité simplement morale n'étant pas
une re,"ponsabilité cnvers le peuple collectivement,
mais bien envcrs toute personne isolée qui émet
un jugemcnt, les opinions peuvent etre pesées
aussi bien que comptées, et l'approbation ou la
désapprobation d'une personne qui connait bien
le sujet en question peut l'emporter sur celle de
plusieurs milliers qui n'y connaissent rien.


"lO>
..... a.




442 GOUVERNEMENT REPRÉSENTA TIF.
Sans aucun doute, il est tres-bon que la con-


duite des gouvernants immédials soil modérée par
la chance qu'ils courent de pouvoir elre accusés,
et cela devant un jury dont un membre ou deux
émettront sur leur conduite une opinion digne
d'etre écoutée, quand meme l'opinion de tous les
autres membres vaudrait moins que rien, ce qui
est infiniment probable. Voila. toute la somme de
profit, ni plus ni moins, que retire l'Inde du con-
trole exercé sur le gouvernement indien par le par-
lement et par le peuple anglais.


Ce n'est pas en essayant de gouverner direcle-
ment un pays comme l'Inde, mais bien en lU,i don-
nant de bons gouverneurs, que le peuple anglais
peut remplir son devoir envers ce pays; et il ne
peut guere lui donner un pire gouverneur qu'un
ministre du cabinet anglais, qui pense toujours,
non a. la politique indienne, mais a. la politique an-
glaise, et qui garde rarement sa place assez long-
temps pour prendre un intérCt intelligent a. un su-
jet si compliqué. En outre, sur ce ministre, l'opinion
publique factice, exprimée au,·.parlement par deux
ou trois orateurs éloquents, agit avec autant de
force que si c'élait la véritablement l'opinion pu-
blique, tandis qu'il n'est sous aucune des influences
d'éducation el de position qui le mcneraient ou qui
le rendraient propre a se former une opinion hon-
nete a. lui seul. Un pays libre qui essaye de gouver-




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. '4i3


ner une eolonie éloignée, habité e par un peuple
dissemblable, an moyen d'une branehe de son
propré exécutif, échouera presque infailliblemen t.
Le seul procédé qui ait une chanee de réussite,
e'est de gourerner au moyen d'un corps déléguó,
dont le caractere serait permanent, comparative-
ment parlant, et de n'accorder qu'un droit d'ins-
pectíon ou une voix négative a l'administration
ehangeante de l'État. Un corps semblable existait
pour l'Inde, et j'ai bien peur que nnde et l'Angle-
terre n'aient a payer cher la politique imprévoyante
qui a détruit cet instrument intermédiaire de gou-
vernement.


II ne sert de rien de di re qu'un corps délégué
ne peut remplir toutes les eonditions voulues de
Don gouvetnement, el que par-dessus toul iI ne
peut avoir cette complete et permanente identité
d'intérets avec les gourernés, oü iI est si difficile
d'arrirer, meme lorsque le peuple a gouverner est
capable, jusqu'a un certain point, de surveilley se:-:
propres afl'aires. Un gouvernement réellement bon
u'est pas compatible avec les eonditions dont iI s'a-
gil ici. 11 n'y a ici (Iue le choix des imperfections.
Le problcrne e'est de constituer le eorps gouver-
nant de maniere a ce que, malgré les diffieuItés de
sa position, iI ait autant d'intéret (lue possiblc ü
bien gouYcl'l1er ct aussi peu que possible a mal
gouyerner. 01', e'est un eol'ps intermédiaire qu i




4440 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
remplit le mieux ces conditions. Une administra-
tion déléguée a toujours cel avantage sur une ad-
ministration directo, qu'h tous événements elle n'a
d'autres devoirs a remplir (Iue ses devoirs envers
les gouvernés. Ellen'a d'autres intérels a considércr
que les leurs. Sa proprc faculté de tirer profit d\m
mauvais gouvernement peut ()tre réduite, comme
elle l'était dans la derniere constitntion de la Com-
pagnie des Indes, a quelque chose de singuliere-
ment insignifiant, et on peut la préservcr de tonte
inflllence d'intérCts de classes ou d'individns. Quand
le gouvernement et le parlemcnt de la merc pa-
trie sont dirig6s par ces influences partiales dans
l'exercice du pouvoir qui leur est réservé, on peut
etre sur que le corps intermédiaire se fera l'avocat
et le champion de la colonie devant le tribunal im-
périal. En mItre, par la marche natul'clle des cho-
ses, le corps intermédiairc est composé prineipa-
lement de personnes qui ont acquis une connais-
san~e professionnelle de cette portion des affaires
de leur pays, qui ont été élevées (lans la colonie
meme, et qui ont rait de son adminisLralion la
principale occupation de leur vie ; pourvl1es de ces
qualilés, indépendantes en lenr emploi des acci-
dents politiques de la mere patrie, ces personnes
identifient leur honneur et leur répuLation aver
leur charge spéciale, et prenncnt un in téret per-
mancnt au succes de leur administration et a la




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. 44t).
prospérité du pays qu' elles administrent. Sous ce
rapport, uu moins, elles sont infiniment supérieu-
res a un membre de cabinet dont tout l'intéret,
toute la pensée appartiennent, sous un gouverne- .
ment rcpréscntatif, au bon gouvernement de la
mere patrie.


Lorsque le choix des fonctionnaires qui doivent
diriger les (úfaires sur place appartient au corps
délégué, les nominations sont faites en dehors des
entl'ainements du parti et des complaisances par-
IcmenLaircs. nécompcnscr des adhérents, acheter
d désarmer des opposants, n'est pas une nécessité
pour le corps intermédiaire; il éehappe a ces in-
Huenees que subit un homme d'État de moyenne·
honneteté, et qui lui font oublier son devoir envers.
les candidats les plus capables. .


Préserver autant que possible les nominations
de toute mauvaise influence, est plus important id
que partou t ailleurs. Cal' ailleurs, si le fonctionnaire
ne possede pas les qualités voulues, iI a au-dessus
de lui l'opinion générale de la communauté pour
le diriger jusqu';i un certain point dans ce qu'iI a
;i faire; mais s'agit-il des administrateurs d'une
('olonie uont le peuple n'est capable d'exercer au-
eun controle? alors la valeur du gouvernement est
tout entiere dans le fonctionnaire individuel, dans
ses qualités morales et intellectuelles.


On ne peut répéter trop souvenl que dan s un




4-í6 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
pays comme l'Inde, tout dépend des qualités et des
aptitudes personnelles des agents du gouvernement.
Cette vérité est le principe fondamental de l'admi-
nistration indienne. Le jour ou on en viendra a
croire que la coutume, déjil si criminelle en Angle-
tene, de nommer a des postes de confiance certai-
nes personnes, d'apres des motifs de convenance
personnelle, peut etre pratiquée impunément dans
l'Inde; de ce jour dateront le déclin et la chute de
notre empire dans l'Indoustan. Meme en supposant
une intention sincere de préférer le meilleur can-
didat, il ne suffit point de s'en rapporter au hasard
pour fournir des personnes convenables. Il faut que
le systeme soit organisé pour les former. e' est ce
qu'il a fait jusqu'a présent, et c'est paree qu'il l'a
fait, que notre gouvernement dans rInde a duré et
a fait des progres constants, sinon tres-rapides, en
prospérité et en bonne administration. Aujourd'hui,
011 traite ce systeme avec malveillance, et l'on mon-
tre une grande ardeur a le détruire, comme si pre-
parer et dresser les fonctionnaires du gouvernement
a leur besogne était chose totalement déraison-
nable et inadmissible; un empiétement inexcu-
sable sur les droits de l'ignorance et de l'inexpé-
nence.


Il y a une conspiration tacite entre reux qui YOU-
dl'aient tl'afiquer des principales fonctions de l'Inde,
au profit de leurs relations en Angleterre, et ceux




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. 447


qui,étant déja dans l'Inde, veulent quitter la facto-
rerie de l'indigo ou leur bureau de procureur, pour
aller rendre la justice a des millions de sujets ou
lixer les impOts que ceux-ci doivent payer au gou-
yernement. « Le monopole) du service civil, cet ob-
jet de tant d'invectives, est comme le monopole des
cmplois judiciaires pour le barreau; et l'abolir serait
la meme chose que d'ouvrir les siéges de West-
minster-Hall au premier venu dont les amis certi-
lieraient qu'il a de temps en temps jeté les yeux sur
Blackslone.


Si l'on prenait l'habitude d'envoyer des hommes
de ce pays-ci ou de les encourager a s'en aller -
pour tacher de se faire nommer a des fonctions
élevées sans ,avoir appris leur besogne en commen-
~ant par remplir des fonctions plus humbles - les
emplois les plus importants seraient prodigués a
des cousins écossais et a des aventuriers qu'~ucun
:;entiment professionnel n'attacherait a11 pays ou a
la besogne, qui ne seraient tenus a aucun apprentis-
sage préalable, et qui ne désireraient qu'une chose ;
1'aire fortune rapidement et retourner chez eux.


Ce qui sauve ce pays, c'est que ceux qui l'admi-
nistrent y sont envoyés toutjeunes ene ore et seule-
ment eomme des candidats qui sont destinés a COlll-
mencer tout en bas de l' échelle et a sélever plus ou
moins haut apres un laps de temps convenablc, sui-
vanl la maniere dont ils se sont montrés. Le défaul




4~8 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
du systeme de la Compagnie des Indes était que t
bien qu' elle recherch&t soigneusement ses meilleul's
fonctionnaires pou!' leur confier les emplois les plus
importants, néanmoins si un homme restait a son
service, l'avaneement, quoiqu'il put etre retardé,
arl'ivait en fin d'une faQon ou d'une autre a l'indi-
vidu le moins compétent, tout comme a celui quí
l'était le plus.


Il faut se souvenir que, dans un semb1ab1e corps
de fonctionnaires, les individus inférieurs eux-
memes étaient des hommes qui avaient été élevés
pour 1em' besogne et quí l'avaient accomp1ie pen-
dant nombre d'années sous l'autorité et sous les
yeux d'un supéríeur, sans démériter, pour le
moms.


Mais le mal, pour etre diminué par a, n' en était
pas moins considérable. Un homme qui n' est propre
ú remplir que l' emploi d' assesseur devrait rester'
assesseur toute sa vie, et ses cadets devraient passer
par-dessus lui. A cette exception pres, je ne connais
point de défaut réel dans l'ancien systemc des no-
minations indiennes. Ce systcme avait déjll rC(ju
d'ailleurs la plus grande amélioration dont il fut
susceptible, par l'institution du concours pour le
choix des candidats a leur début, combinaison qui
reerute des talents et des aptitudes d'un degré plus
élevé, avec cet autre avantage que de cette faQon il
est rare qu'il y ait des liaisons personnelles entre




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. V~!)'
les candidats pour les emplois, et ceux qui ont le
droit de nommer a ces emplois.


Des fonctionnaires publics ainsi dressés doive.nl
. elre les seuls candidats pour les fonctions qui exi-
gent une connaissance et une expérience de l'Inde
toutes spéciales ; il n'y a rien la d'injuste. Si, meme
pour des besoins de circonstance, on laisse ouverte
une porte menant aux fonctions les plus élevées t
sans passer par les plus humbles, les personnes in-
fluentes y frappent si incessamment, qu'il sera im-
possible de la tenir jamais fermée. La seule nomi-
nation exemptée de cette regle deYrait etre la plus
élevée de toutes. Le vice-roi de l'Inde anglaise de-
nait ütre un personnage choisi entre tons les An-
glais, pour ses aptitudes d'homme d'État. S'il a ces
qualités, iI sera capable de les découvrir chez les
autres et de tourner a son profit cette connaissance
spéciale et cette intelligence des affaires locales
qu'il n'a pas eu lui-meme l'occasion d'acquérir.


Il y a de bonnes raisons pour que le vice-roi ne
soit pas un membre du service régulier. Tous les
services ont plus ou moins leurs préjugés de c1asse,
dont le chef supreme denait etre exempt. En outre,
des hommes qui ont passé toute leur vie en Asie, si
capables et si expérimentés qu'ils soient, n'ont
guere de chance de posséder les idées européennes
les plus avancées sur la politique en général, que le·
chef supreme devrait avoir et meler aux fruits de· .




450 GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF.
l'expérience de l'Inde. De plus, le vice-roi étant
d'une classe différente ne sera entrainé par aucun
penchant personnel a faire de mauvaises nomina-
tions, surtout s'il est choisi par une autorité difl'é-
rente. Ces garanties existaient dans une rare
perfection sous le gouvernement mélangé de la
Couronne et de la Compagnie des Indes.


Les dispensateurs supremes des fonctions, le gou-
verneur général et les gouverneurs étaient nommés
en fait, quoiqu'ils ne le fussent point formellement,
par la Couronne, c'est-a-dire par le gouvernement
général et non par le corps intermédiaire : ce grand
fonctionnaire de la Couronne n'avait probablement
pas une seule relation personnelle ou politique dans
le service local, tandis que les membres du corps
délégué, qui avaient servi pour la plupart dans le
pays, avaient et auraient pu avoir de semblables
relations. CeUe garantie d'impartialité serait bien
afl'aiblie, si les fonctionnaires civil s du gouverne-
ment, quoique envoyés tout jeunes comme de sim-
ples candidats aux emplois, en venaient a etre
fournis pour la plupart par la classe qui donne des
vice-rois et des gouverneurs. Le concours meme,
qui est a l'entrée de la carriere, ne serait plus alors
une garantie suffisante. Il excluerait simplement
l'ignorance et rincapacité; il contraindrait les jeu-
nes gens de famille a commencer leur carriere avec
le meme degré d'instruction et de talent que les




DU GOUVERNEMENT DES COLpNIES. 4:)1
autres; le fils le plus stupide ne pourrait pas entrer
dans le service de l'Inde comme il entre dans l'Égli-
se; mais ensuite rien n' empecherait d'injustes pré-
férences. Désormais, les fonctionnaires ne seraient
plus tous également inconnus de l'arbitre de leut'
sort; une portion d'entre eux serait personnelle-
ment, et un plus grand nombre encore serait politi-
quement, en relations intimes avec lui. Les mem-
bres de certaines familles, el généralement ceux
qui appartiendraient aux classes les plus élevées et
les plus influentes, s'éleveraient bien plus rapide-
ment que leurs rivaux, et seraient souvent mainte-
nus dans des situations trop élevées pour leurs ca-
pacités, ou placés dans des situations que d'autres
seraient pl~s propres a remplir. Les memes in-
fluences qui agissent sur l'avancement dans }'ar-
mée agiraient la aussi, et ceux-Ia seuls, s'il existe
de pareils miracles de simplicité, qui croient a l'im-
partialité de l'avancement dans l'armée, pour-
raient s'atlendre a de l'impartialité dans l'avance-
ment des fonctionnaires de l'Inde. Avec le sysleme
actuel, aucune mesure générale ne saurait, je le
crains, remédier au mal; aucune ne fournira une
garantie comparable a ceHe qui découlait sponta-
némenl du double gouvernement, comme on l'ap-
pelait.


Ce qu'on estime dans le gouvernemenl anglais,
e'esl qu'iln'est pas le fruit d'un dessein préconQu,




452 GOUVERNEMENT R~PRÉSENT ATIF.
c'est qu'il s'ost formé de lui-Ínéme par dos expé-
dients successifs et par l'adaptation d'un mécanis-
me créé originairement dans un but différent. Mais
ce qui est un avantage pour le gouvernement de
l'Angloterre est toute autre chose ponr celui de
rInde. Comme le pays d'ou dépendait l'existence
du gouvernement indien n'était pas celui dont les
besoins l'avaient engendré, les bienfaits pratiques
de ce gouvernementne touchaient pas l'esprit public
en Angloterre, et il aurait fallu des titres théoriques
pour le rendre acceptable. Par malheur, c'est pré-
cisément ce dont il semblait dépourvu; et,d'un autre
cOté, les théories ordinaires du gouvernement n'é-
taient pas pour lui en fournir, arrangées commo
elles ont été pour des circonstances qui; dans leurs
traits principaux, n'avaient rien de commun avee le
sujet des colonies.


Mais dans le gouvernement, comme dans les au-
tres domaines de l'activité humaine, presque tous
les principes qui ont été durables furent suggérés
d'abord par l'observation de quelque cas particulier
ou les lois générales de la nature agissaient avec
une combinaison de circonstances nouvellos ou ina-
perQues.


Les institutions de la Grande-Bretagne et ceHes
des États-Unis ont eu l'honneur de suggérer la plu-
part des théories de gouvernement qui, apres des
fortunes diverses, sont arrivéos aujourd'hui avoc le




DU GOUVERNEMENT DES COLONIES. 453


tcmps a réveiller la vie politique chez les nations de
l'Europe. Gaété la destiné e de la Compagnie des
lndes de suggérer la véritable théorie du gouverne-
ment d'une colonie semi-barbare par un peuple ci-
vilisé, et cela fait, de périr. Ce serait une singuliere
fortune si, au buut de quelques générations, ce ré-
sultat spéculatif était le seul fruit qui restat de notre
domination dans l'Inde; si la postérité devait dire
de nous qu' étant tombés par hasard sur de meilleurs
arrangements que notre sagesse n'en aurait jamais
su trouvcr, llOUS nous sommes mis, pour premier
usage de notre raison éveillée et consciente, a dé-
truire ces arrangements et a laisser échapper tout le
bien qui .allait se réaliser, faute de connaitre les
principes d' ou ce bien dépendait. ni rnelim'a; mais


·si l'Angleterre et la civilisation peuvent conjurer
une destinée si facheuse, elles le devront a des con-
ceptions politiques autrement larges que celIes de
la pratique anglaise ou curopéenne, et a une étude
profonde de l'expérience indienne et des conditions
du gouvernement indien, ce qui n'a pas été le rait
jusqu'a préscnt, soit des hornmes politiques de l'An-
gleterre, soit des écrivains qui défraienl d' opinions
le public anglais.


FIN.






TABLE DES MATIERES


Pages.
I:'\TnonUCTIOi\: .•.•••••••.. '" . . . •• •..•..• •.•.........• v
PnÉFAcE..... ••.••.......••...•...•...•....•..•. 1


CHAPITRE PREMIER.


Jusqu'lt quel point les formes de gouvernement sont-elles
une affaire 'CIe choix ...•..•....••..•... , ............ o 3


CHAPITRE n.


Du critet'ium d'une -bonne forme de gOllVel'nement. .. o. o 24


CHAPITRE IIIo


L'idéal de la meilleul'e for-me de gouvel'nement est le
gouvernement repl'ésentatif. .. o o . o .......... , .... o. . . 60


CHAPITRE IV.


A quelles conditions de société le gouverllement repré-
sentatif est-il inapplicable? o o ••. o .. o .. . . . . . . . . . . . . . . . 92


CHAPITRE V.


Des fonctions qui appartiennent aux corps représentatifs.· 112


CHAPITRE VI.


Des infirmités et des dangers auxquels le gouvernement
représentatif est sujeto ..... o ......... " " .. o' .... '" 141


CHAPITRE VII.


De la Vl'aie et de la fausse démocl'atie, de la représenta-
tion de tous et de la représentation de la majorité seu-
lement •..•• o o ••• o, o. o o . o .....• o o. o .......... ' ...... ' 170


CHAPITRE VIII.


De l'extension du suffrage ............... " .. " . . . .. 210




456 TABLE llES MATlERES.


CHAPITRE IX.
l'ages.


Devrait-il y avoir dellx degrés d'élection? . . • . . .• . .. . . . . 244


CHAPITRE ·X.


De la maniere de voter.... . . • . • .. • . . . . . . .. . . . . . . . . . . .. 256


CHAPlTRE XI.


De la dllrée des parlements •...... , . . . . . • . . . . . . . • . . . . . . 286


CHAPlTRE XII.


Les membres du parlement devraient-ils otre soumis au
n1andat in1p,él'atif? ..................... oo .......... ~Ul


CHAPITRE xm.


D'une seconde chambl'e ............................... , :31 1


CHAPITRE XIV.


De l'exécutif dans un gouvernement représentatif.. . . . . . :326


CHAPITRE XV.


Des corp~ représentatifs locaux ••••...•••. '" . . . . . . . . . . :35G


CHAPITRE XVI.


De la nationalité dans ses rapports avec le gouvernement
reptl~sentatif. . • . •... • . . • • . . • . . . . .• . • . • • • . .. • . . . . . . . . 383


CHAPITRE XVII.


Des gou vernements représentatifs fédéraux. • . . . . . .. .. . . :W7


CHAPlTRE XVIII.


Du gouvernement des colonies d'un État libre.. . . . • . .• .. 417


FIN DE LA TABLE DES MATlERES.


2239-76. - CORBEIL, TYP. DE CRÉTÉ.