MÉMOIPtES DES CONTE~fPORAINS. Se lróuve aussi A la Galerie de BOSSANGE...
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MÉMOIPtES
DES


CONTE~fPORAINS.




Se lróuve aussi


A la Galerie de BOSSANGE PEnE, Lihr8ire de S. A. S.
l\tgr le dnc d'Orléans, rue de Richelieu, nO 60.


DE L'IMPRIMERIE DE L.·T. r.ELLOT.
rue dll (;oIombier, ni) Jlt








~ c.~ V//J- 23¿
\(J •
~. !IÉMOIRES


DES


CONTEMPORAINS,
POUR SER VIR A L'HISTOIRE


DE LA RÉPUBLIQUE ET DE L'EMPIRE.


~ " f' , ~temtete tlltátSOtt.


-----~@!!!!!!---


PARIS,






l\fÉMOIRES
DD


GÉNÉRAL RAPP,
. AIDE-DE-CAMP DE N APOLÉON,


ÉCRITS PAR LUI-MEME,


ET PVBLIÉS PAR SA F'AMULE.






AVER TISSEMENT.


Ces Memoires n' etaienl pas tI' ahord des-
tines a l'impression. C' etait une esquisse ,
une .sl~rie d' anecdotes que le genéral écri-
vait pour lui-meme. 11 eherehait a se eon-
soler de nos malheurs ; il recueiHait ses
souvenirs. La reconnaissanee acheva un
travail enlrepris par l' ennui. Une fou]e de
braves qui avaient eoncouru a la défense
de Dantzjek demandajent qu'on rendit a
leur courage la justice dont les evene-
ments les avaient prives. Le general resolut
de, le ütire de la manjt~re (!uÍ lui parut la
plus propre a les vcngcr de cet ouhli. 11
refondit ses Mémoires, et en fit en quel-
que sorte le personnel de ceux qui s' é-
taient le plus distingues par leur bravoure.
Un éerit avait été li"re a la lihrairie eomme




VIII AVERTISSEMENT.
un don du général, aur¡ uel 011 l' attribuait.
Le rang de eelui qui s'en disait le dona-
taire avait dt1 en imposcr a l' éd ¡tenr, fJui
l'imprimait sous le titre de MÉ.\fOIRES DU
GÉNÉRAL HAPP. CeHe cireonstance nonoS a
déterminés a publier les véritahJé's. NOlls
les Jivrons au public tels que le généraI
les avait arrHés.




lVIÉMOIRES
DU


G ÉN:ÉRAL RAPP,
PREMIER AIDE-,DE-CAMP


DE N APOt}:ON.


CHAPITRE PREMIER.


Je n'ai pas la prétention d'etre un pprsonnage
historique : mais j'ai approché long-temps d'un
homme dont on a indignement travesti le carac-
tere, j'ai cOlllmandé a des bravcs dont les ser-
vices sont méconnus; l'un ma comblé de biens ,
les autres m'eussent donné leuY' vie : je ne dois
pas l' oublier ..


Je servais depuis plusieurs années; je donnais
obscurémeut quelques coups de sabre, eomme
cela se pratique quand on est subalterne. Je fus
a la fin assez heureux ponr étre remarqué par




2 MÉMOIRES
le général Desaix. Notre avant-garde en désordre
était vivement ramenée. J'accourus avec une cen-
taine de hussards; nous chargeames les Autri-
chiens, et nous réusslmes a les mettre en {uite.
N ous étions presque tous couverts de blessures,
mais nüus en fUmes bien dédommagés par les
éloges que nons re<;umes. Le général daigna
m'engager a prendre süin de moi, et me fit déli-
vrer l'attestation la plus flatteuse que jamais sol-
dat ait obtenue. Je note eette cireonstance, non
paree qu'elle me valut les épaulettes, mais paree
(Iu'eUe me concilia l'amitié de ce grand homme,
t>t ([n'elle fut l'origine de ma fortulle. L'attesta-
tiOll ¡'·ta it ainsi eon<;ue :


ARMÓ': 1)1': mIl:'\" FT 1\10SELLE.


" Au qllal'til'r géneral a Blotshcim, le 30 fl'llctidor, an 3 de la
république fraUl,aise, une ct indivisi.ble.


» Je soussigné, général de division comman-
dant l'aile droite de ladite armée, certifie que le
citoyen Jean Rapp, lieutenant au dixieme régi-
ment de ehasseurs a cheval, a servi sous mes
ordres avec .ledit régiment pendant les deux
dernieres campagn'es; que dans tOlltes les occa-
sions il a donné des preuves d'une intelligence
rare, d'un sang-froid étonnant, et d'une bra-




DU GÉN}<~RAL RAPP.
youre digne d'admiration; qu'il a été bIessé
tres grievement á trois reprises différentes, et
que notamment le 9 prairial de l'an 2 , a la tete
d'une compagnie de chasseurs, il s'est précipité
sur un~ col~nne de hussarcls ennemis, plus que
quintllple, avec un dévouement si intrépide,
qu'il culbuta cette masse redoutable, protégea
la retraite d'une partie de nos troupes, et i'em-
porta l'honneur de la journée. On ne peut trop
regretter que, victime de son úIe, iI ait été
blessé tres d,angereusement et de maniere a ne
pouvoir plus se servir de son bras. Il est trop
digne de la reconnaissance nationale pour ue
pas mériter d'etre honorablement employé dans
une place, si un service plus actif n'est plus en
son pouvoir. J'attestc que le citoyen Rapp em-
porte avec lui l'amitié et l'estime de tous ceux
qui le connaissent.


»DESAIX. "


Devenu aide-de-camp du modeste vainqueul'
d'Offenbourg, je fis aupres de lui les campa-
gnes d'Allemagne et d'Égypte. J'obtins successi-
vement le grade de chef d'escadron a Sédiman,
Otl j"eus le hOllheur, i:t la tete de cleux cents
braves, d'enlever le reste de l'artillerie des Turcs;
ft de cnlonel a Sal1lanhout sous les ruines de


1.




MÉMOIRES
Thebes. Je fus grie,ement blessé dans ecHe der·
niere affaire, mais aussi je fus eité bien hono-
rablement dans les relations du général en chef.


A la mort du brave Desaix, tué a Marengo
au moment ou il décidait la vietoire, le premier
consul daigna m'attaeher asa personne. J'héritai
de sa bienveillanee pour le eonquérant de la
haute Egypte. J'eus des 10rs quelque eonsis-
tance; mes rapports devinrent plus étendus.


Du úle, de la franchise, quelque aptitude
aux armes, me mériterent sa eonflance. 11 a sou-
vent dit a ses alentours qu'il était difflcile (]'a-
voir plus de hon sen s natllrel et de diseernc-
ment que Rapp. On me répétaif ces éloges, f'l
j'avone que j'en étais flatté : si e'est une faiblesse,
qu'on me la pardonne ; ehaeun a les siennes. Je
me serais fait tuer pour lui prouver ma reeon-
naissanee, il_Ie savait: aussi repétait--iI fréquem-
ment a mes amis que j'étais un frondcur, nne
mauvaise tete, mais (lue j'avais nn bon ereu!'.
Il me tutoyait, ainsi que Lannes; quand iI IlOU~
appelait vous ou Monsieur le généra(, nous étion~
inql1iets , nons étions surs d'avoir été desseryis.
Ll avait la faiblesse d'attaeher de l'importanee h
une police de eaquetage, yui ne lni faisait la
plupart du temps que de faux l'apports. Cette
méprisahle poliee! elle él empoisonné sa "i(':




DU GENÉRAL RAPP.
elle l'a souvent aigri contre ses amis, ses pro-
ches, contrc 5a propre épouse.


Napoléon faisait peu de cas de la bravoure;
il la rcgardait comme une qualité ordinairc,
cominune a tous les Franc;;ais: l'intrépidité seuk
était quelque chose a ses yeux;· aussi passait-
iI tout a un intrépide. C'était son expression:
quand quelqu'un sollicitait une grace, soit aux
audiences, soit aux revues, il ne manqllait ja-
mais de lui demander s'il avait été blessé. Il
prétendait (lile chaque blessurc était un quar-
tier de noblesse. Ilhonorait, j) récompensait
eette espece d'illustratioIl : il savait pourquoi.
Cependant il s'apen,;ut bientot qu'elle n'allait
pas aux antieha1nbres, et les ouvrit a l'ancienne
easte. Cette préférence nous déplut : il le re-
marqua, et nous en sut mauvais gré. « Je voÍs
)) bien, me dit-il un jour, que ces nobles que je
» place dans ma maisoIl vous donnent de 1'0m-
Il brage.» J'avais pourtant assez bjen mérité du
privilége. J'avais fait rayer de la liste des émigrés
plusieurs gentilshommes; j'avais procuré des


I


places aux uns, clonné de l'argent, fait des pen-
sions anx antres: quelques uns s'en rappeUent,
la plllpart 1'0nt oubiié. A la bOllne heure; ma
caisse esl fermée depuis le retonr dn roí. Aussi-
hi('!1 n'('¡ail.~c(' pas ¡Jp la reconnaissance que jt:




6 MÉMOIRES
cherchais. Je voulais soulager l'illfortune; malS
je ne voulais pas que les émigrés vinssent s'in-
terposer entre nous et legrand homme que nous
avions élevé sur le pavois.


J'avais oublié cette scene désagréable : mais
Napoléon n'oubliait pas les choses pénibles qui
lui échappaient; il avait beau chercher a se
montrer sévere, la nature était plus forte, sa
bonté l'emportait toujours. Il me fit appeler;
il me parla de noblesse , d'émigration, et re-
venant tout a coup a la scene qu'il m'avait
faite, a Vous croyez done que j'ai de la prédi-
»lection pour ces gens-la! vous vous trompez.
de m'en sers; mais vous savez pourquoi : car
» enfin suis-je noble moi , mauvais gentilhomme
»corse?- Ni moi, ni l'armée, lui répliquai-je, ne
»nous sommes jamais iIlform~s de votre origine.
» Vos actions nous suffisent. D Je rendis compte
de cette cOIlversation a plusleurs de mes amis,
entre autres aux généraux Mouton et Lauriston.


La plupart de ces memes nobles prétendent
cependant qu'ils ont cédé a la violence. Rien
n'est plus faux. Je n'en connais que deux qui
aient re<;u des brevets de chambellans sans les
avoir demandés. Quelques autres ont refusé des
off res avantageuses; mais, a ces exceptions pres,
tous sollicitaient, priaient, ünportunaient. C't'-




DU GÉNÉRAL RAPP. 7
tait un concert de úle et d'abandon dont on
n'a pas d'exemple. Le plus chétif emploi, les
fonctions les plus humbles, rien ne les rebutait;
Ul! eút dit que c'était a la vie et a la ll1ort. Si
.iamais quelque main infidCle se glisse dan s les
cartons de MM. Talleyrand, Montesquiuu, Sé-
gur, Duroc, etc., de qneHes expressions brú-
lantes eHe enrichira le langagc du déyoucl11cnt !
Ils rivalisent aujourd'hni de haines et d'invec~
tives. La chosc cst bien naturelle : s'ils avaient
en cHet pour lui la hainc profonde qu'ils témoi-
gnent, iI faut convenir que pendant quillze ans
qu'ils furcnt a ses pieds ils ont dú se faire une'
étrange violence. Et pourtant toute l'Enrope le
sait! a l'aisance de leurs manieres, a la conti-
IlUité de leur sourire, a la souplesse de lellrs
révérences, on eut dit qu'ils y allaicnt de creur
et que cela leur coútait bien peno




l\IÉMOIRES


CHAPITRE lI.


Beaucoup degens dépeignent Napoléon comme
un homme violent, dur et emporté : e'est qu'ils
ne l'ont jamais approché, Sans aoute, absorbé
eomme il l'était par les affaires, contrarié dans
ses vues, entravé dans ses projets, il avait ses
impatiences et ses inégalités. Cependant il était
si bon, si généreux, qu'il se fUt bientot ealm{-:
mais, loin de l'apaiser, les confidents de s(>s
ennuis ne faisaient qu'exciter sa colere. (C Votre
Majesté a raison, lui disaient - ils : un tel a m(~­
rité d'etre fusillé ou destitué, renvoyé ou dis-
gracié .... Je savais depuis long-temps qll'il étail .
votre ennemi. Il faut des exemples; iIs sont né-
cessaires au maintien de la tranquillité. »


S'agissait-il de leyer des contributions sur le
pays ennemi, Napoléon demandait, je suppose,
Villgt millions : on lui conseillait d'en exiger dix
de plus. Les contributÍons étaient-elles acquittées,
« Il hmt, lui disait-on, que Votre l\Tajesté ménage
son trésor, qu'elle fasse vivre ses troupes aux
dépens des pays conquÍs, ou les laissc en suh-




DU G ÉNÉRAL RAPP.
sistallce sur le territoire de la confédération. 1)


Etait - il question de lever deux cent mille
conscrits, on lui persuadait d'en demander trois
cent mille; de liquider un créaneier dunt le droit
était incontestable, on lui insilluait des doutes
sur la légitimité de la créance, un lui faisait ré-
cluire a moitié, au tiers, souveut a rien, le mon-
tant de la réclamation.


Parlait-il de faire la guerre, on applaudissait
it ecUe généreuse résollltion : la guerre seule
enrichissai1la France; il fallait étonner le monde,
et l'étOllIler d'une mauiere digue de la grande
nation.


VoiL'! comment, en proYoquant, en encoura-
geant des vues, des elltrepriscs encore incertai-
nes, on l'a précipité dans des guerres con ti-
Huelles. Voila eomment on est parvenll a impri-
mer a son regne un air de violenee qui n'était
point dans son caractere et dans ses habitudes:
elles étaient tont - á - fait débonnaires. Jamais
homme ne fut plus enelín a l'indulgenee, el
plus sensible a la yoix de l'humanité . .Te pour-
rais en citer mille exemples: je me borne au
sui vant.


George et ses eomplices avaient été condam-
nés . .Toséphine iEtereéda pour MM. Polignae,
Mural pOllr M. de Ri,it~n': ils l'éussil'ent I'un et




10 MI~MOlltES
l'autre. Le jour de l'exécution, le banquier Sehé-
rer aceourut tout en pleurs a Saint-Cloud: il
demanda a me parler. C'était pour que je solli-
eitasse la grace de son beau-frere, M. de Russil-
Ion, ancien major snisse, (Ini se trouvait impli-
qué dans eette affaire. Il était accompagné de
quelques 1ll1S de ses eompatriotes, tous parents
du condamné. Ils savaient bien, me dirent-ils,
que le major avait mérité la mort ; mais iI était
pere de famille, iI tenait aux premipres maisons
du canton de Berne. Je cédai, et ll'eus pas lieu
de m'enrepentir.


Jl était sept heures du matin; N apoléon, déja
levé, était dans son eahinet avec Corvisart: je
me fis annoncer. « Sire, lui dis-je, il n'y a pas
» long- temps que Votre Majesté a donné sa mé-
» diation aux Suisses. Elle sait que tous n'en ont
» pas été également satisfaits, les Bernois surtont ...
» Il se présente une occasion de lenr prouver que
)) vous etes grand et générenx : 1111 de leurs compa-
» triotes doit etre exécuté anjourd'hui; il tient a
» ce qu'il y a de mieux dans le pays, et certes la
» graee que vous lui accorderez fera scnsatioll, el
» vous y attachera beaucoup de monde. - Que! est
» cet hommc? Comment s'appelle-t-il;l - Hussjl-
!J IOll. » A ce nom, il devint furieux. - (( 11 est plwi
') daugereux, plus eoupablt' qUl' Geor~e méme.




nu GÉNÉRAL IU.PP. II
» - Je sais tout ce que Votre Majesté me faít
)) l'honneur de me dire; mais les Suisses, mais sa
»famille, mais sesenfants, vous béniront. Faites-
D lui grace, non pas pour lui, mais pour tant de
» braves gens qui ont assez gémi de ses sottises.
)) - Entendez-vous? » dit-il en se tournant ver s
Corvisart. En meme temps, il m'arrache la péti-
tion, l'approuve; et me la renclant avec la meme
impétuosité, « Envoyez au plus vi te un courrier
)) pour qu'on suspende l'exécution.» On peutaisé-
ment se figurer la joie de cette famille, qui me té-
moígna sa reconnaissance par la voíe des papíers
publics. Russillon fut enfermé avec ses compli-
ces, et obtint plus tarcl sa mise en liberté. Il a
faít, depuis le retonr cIu roí, plusieurs voyages
a Paris, sans que je l'aie vu. 11 a pensé que j'at-
tachais assez pen d'importance á ce petit service;
il a en raisoIl.




12 MÉMOIRES


CHAPITRE IIJ.


Personne n'était plus sensible, personne n'é-
tait plus constant dans ses affections que Napo-
léon. Il aimait tendrement sa mere, il arlorait
son épouse, il chérissai t ses sreurs, ses freres,
tous ses proches. Tous, excepté sa mere, 1'ont
abreuvé d'amertumes: iI n'a eependant cessé
d~ leur prodiguer les biens et les honneurs. Lu-
cien est celui qui s'est le plus opposé a ses vues,
qui a plus obstlnément contrarié ses projets.
Un jour, dans une vive discussion qu'ils eurent,
je ne sais aquel sujet, il tira sa montre, la jeta
par tene avec violence, en lui adressant ces pa-1'. remarquables: ({ VOllo.; vous briserez comme
') j'ai brisé cette montre, et un temps viendra OÚ
)) votre famille et vos amis He sanront ou repose!'
» leu!' tete. » Il se maria quelques jours apres, sans
avoir obtenu son agrément, ni meme lui avoir
fait part de son dessein. Tout cela ne l'a pas em-
peché de J'accueillir en 1815: it. la vérité, il se fit
presser; Luden fut obligé d'attendre a l'avant-
derniere poste, mais il ne tal'da pas a etre admis.




DD GÉNÉRAL RAPP. lj
Napoléon ne se bornalt pas a ses proches:


l'amitié, les ser vices , tout avait part a ses bien-
faits. Je puis en parler par expérienee. Je snis
revena d'Égypte, alors aidc-de-camp du brave
général Desaix, avec dellx cents lunis d'¿~pargnes;
c'était tout ecqucjc possédais. A l'époqne de 1'ab-
dication, j'avais quatre cent mille fl'anes de
revenus, tant en dotations, qu'appointcments,
gratifications, frais extraordinaires, etc. J'en ai
perdu les cinq sixiemes; je ne les regrette pas:
ce qui me reste forme encore un assez beall
contraste avcc ma fortune primitive. :NIals ce
que je regrette, e'est ce long amas de gloire ac-
quise au prix de tant de sang et de fatigues; elle
est a jamais perdue : voila de quoi je suis incon-
solable.


Je ne suis pas le seul qu'il ait combIé de biens.
Mille autres ont été accablés de faveurs, sans
que jamais les torts que plusieurs de nons ont
eus- envers lui aient pll nous faire perdre sa
bienveillance. Quelque forts que fussent ces
griefs, il le~ oubliait toujours, des qu'i! était
convaincu que le creür n'y était pour rien. Jl'
pourrais citer cent exemples de son indulgencc
a cet pgard : je me borne aux suivants.


Lorsqu'il prit le titre d'empereur, les chan-
gements qll'il fut obligp de faire dans sa mai-




MÉMOIR.ES
son, qui jusque -la n'avait été que militaire, d(·-
plurent a plusieurs d'entre nous : nous étions
habitués a l'intimité de ee grand homme;
la réserve que nous imposait la pourpre nous
blessait.


Les généraux Reignier et Damas étaient alors
en disgrace: j'étais lié avec l'un et avec l'autre,
et je n'avais pas l'habitude d'abandonner mes
amis malheureux. J'avais tout fait pour dissiper
les préventions de Napoléon contre ces deux of-
ficiers généraux, sans pouvoir y rénssir . .Te rc-
vins un jour a la charge au sujct de Reignier;
N apoléon impatienté prit de l'humeur, et me
dit sechement qu'il ne voulait plus entendre par-
ler de lui. J'écrivis a ce brave général que toutcs
mes démarches avaient étó infructueuses; je
l'exhortai a la patience, et j'ajoutai quelques
phrases dictées par le dépit. J'eus l'imprudence
de confier ma lettre a la poste; elle fut ouverte
et envoyée a l'empel'eul'. Illa lut trois ou quatre
fois, se fit apporter de mon écriture poul' com-
parel', et ne pouvait se persuader que je l'eusse
écrite. Il se mit dans une colere affreuse, et m'en-
voya de Saint-Cloud un courrier aux Tuileries,
oú j'étais logé . .Te crus etre appelé pour une mis-
sion, et partis sul'-Ie-champ . .Te trouvai Caulain-
court clans le salon de service avec Cafarelli : je




DU GÉN.ÉRAL RAPP. 15
lui demalldai ce q[['ii y avait de nouveau. Il COll-
naissait déja l'affaire, ii en paraissait peiné; mais
iI ne m'en dit pas un moto J'entrai ehez Napo-
léon, qui, ma lettre a la main, sartait du C:l-
binet comme un furieux. Il me regarda avec ces
yeux étincelants quí ont fait tremblel' tant de
monde. « Connaissez.;. vous cette écrÍture ? -
)l Oui, Sire. - Elle est de vous? - OllÍ, Sire.
» - Vous etes le dernier que j'aurais soup<;onné.
» Pouvez-vous écrire de pareilles horreurs a mes
)) ennemís? vous que j'aí toujours si bien traité !
)) vous pour qui j'ai tont fait! vous le seul de mes
» aides-de-camp que j'ai logé aux TuiIeries !» La
p~)rte de son cabinet était entr'ouverte; il s'en
aper<,;ut, et aIla l'ollvrir tont - a - fait, afin que
M. Menneval, un des secrétaires, entendit la
seene qu'il me faisait. « Allez, me dit-il en me
» toisant du haut en bas, vous etes un ingrat!
» - Non, Sire; l'ingratitude n'est jamais entrée
» dans mon ereur. - Relisez eette leure (il me la
»mit devant les yeux), et décidez. -- Sire, de tons
» les reproches que vous pouvez me faire, celui-l:'t
n m'est le plus sensible. Puísqne rai perdn votre
» confiance, je ne puís plus vous servir .. - Oui ,
») f .... e, vous l'avez perdue. » Je le saluai res-
pectueusement, et m'en allai.


J'étais décidé a me retirer en Alsace. Je fis




MÉl\10IRES
mes préparatifs de départ. Joséphine m'envoya
dire de revenir et de faire des excuses a Napo-
léon; Louis me donna un conseil tout opposé.
J'eusse pu m'en passer, ma résolutlon était déj:'t
prise. Deux jonrs se passerent sans que j'enss('
rc~u de nouvelles de Saint-Cloud. Quelques ami s,
au nombre desquds était le maréchal Bes~if.res,
vinrent m~ faire visite. « Vous avez eu tort, me
» dit-il, vous ne pouvez en disconvenir. Le res-
)) pect, la reconnaissance que vous devez a l'empe-
)) reur, vous en imposent le devoir; faites-lui l'aveu
)l de votre faute.» Je cédai. A peine Napoléon eut-
H re~u nia lettre, qu'il me fit elire de monter a
cheval avec lui. Il lIle bouda cependant quelque
temps. Enfin, un jour, il me demanda de tres
bonne henre a Saint-Cloud. « Je ne suis plus fa-
l) ché contre toi, me dit-il avec bonté : tu as fait
l) une lo urde sottise; je n'y pense plus, tout esto
J) oublié. Mais il faut que tu te maries. » II me
nomma deux jeunes personnes qu'il me dit me
convenir. Le mariage se fit : malheureusement
il ne fut pas heureux.


Bernadotte était en pleine disgrace, et le méri-
tait. Je le trouvai a Plombieres, ou on lui avait
permis d'aller prendre les eaux avec sa femme et
son fils, et Ol! j'étais pour le meme ohjet. J'ai
toujours aimé son caractere affable et bon; je It~




DU GÉNÉRAL RAPP.
voyais souvent; ilme con6a ses ennuis, et me pria
de m'intéresseraupres de l'empereur, qu'il n'avait
.iamais,. disait-il, ces sé d'admirer, et aupres de qui
i{ avait été calomllié. J'appris, a mon re tour, (Iue
ses amis, son heau-frere, madame J ulie elle-meme,
avaient inntilement intercédé pOllr lui. N apolpon
ne voulait rien entenclre j il était toujours plns
irrité. Cependant j'avais promis, il fallait tenir
parole. L'empereur se disposait a se rendre a Vil-
liers, ou Murat lui donnait une fete: il était de
bonne humenr; je résoJ liS de profiter rle cette cir-
constance. Je fis part de mon projet au maréchal
Bessieres, avec lequel je l'accompagnais : il m'en
dissuada. Il m'apprit que madamc Julie était en-
core venue lematin meme a la Malmaison, qu'elle
était repartie tout en pleul's, qu'elle n'avait rien
pu obtenir. Cette circonstance n'était pas propre
a m'inspirer de la confiance; je me hasardai néan-
moins. Je dis a ~apoléon que j'avais vu Berna-
dotte a Plombieres, qu'il étaittri sfe et fmt affecté
de sa disgrace. « Il proteste, ajontai-je, qu'il n'a ja-
)¡ mais cessé de vous aimer et de vous etre dévoué.
l) - Ne me parle jamais de ce h .... e-la; il a
), lllél'ité d'étre fnsillé; )) et il partit au galopo Je
trouvai chez Murat Joseph et son épouse: je leur
fis part de ma mésaventure. Bernadotte l'apprit,
et m'a toujours su gré de ma démarche. Tous le~


2




MÉMOIRES
gl'.iefs de Napoléon contre ce pr.ince ue l'empe-
cherent pas de lui pardonner plus tard; ¡Ile cam-
bIa de biens et d'honneurs. Le prince royal est a
la veille de monter sur le trone, et l'auteur de
sa fortune exilé au milien des mers.




lHI G]~NERAL RAPP.


CHAPITRE IV.


11 Y en a qui prétendent que Napoléon n'a ja-
mais été braveo Un homme qui de simple licute-
nant d'artillerie est devenu chef d'une nation
comme la notre ne peut etre dépourvu d'aucune
espece de courage. Au surplus, le 18 brumaire,
le 3 nivosc, le complot d'Al'ena, attestent s'il en
manquait. JI savait combien il avait d'ennernis
parmi les jacobins et les cllOuans : cependant
presque tous les soirs il surtait a pied ; il se pro-
menait dans les rues, se perdait au rnilieu des
groupes, sans etre jarnais accornpagné de plus de
deux personne3. C'étaientordinairernent Lannes,
Duroc, Ressit'-res, OH qllelques UlIS de ses aides-de-
eamp, qui le suivaient dalls ees eourses noetur-
nes. Ce faít ll'était ignoré de personuc a Paris.


On n'a jarnais bicn eonnu dans le pubLie l'af-
faire de la rnaehine infernale. La poliee avait pré-
yenu Napoléon qu'ou eherchait a attenter a sa
vie, et lui ava1t eonseillé de ne pas sortir. Ma-
dame llOllapal'te, mademoiselle Beauharnais, rna-
damc 1\lurat, Lannes, Bessieres, l'aide-de-eamp


2.




20 MÉMOIRES
de service, le lieutenant Lebrun, aujourd'hlli dnc
de Plaisance, étaient au salon; le premier consul
travaillait dans son cahinet. On donnait ce jour-
a l'Oratorio d'Haydn ; les dames avaient grande
envie de l'entendre, et nous le témoigllerent. On
demanda le piquet d' escorte; et Lannes se chargea
de proposer a Napoléon d'étre de la partie. Ce
prince y consentit; et trouvant sa voiture préte, il
prit avec lui Bessieres et l' aide-de-camp de service.
Jeflls chargé d'accompagner les dames.Joséphine
avait re~u de Constantinople un schaIl magni-
fique, qu'elle mettait pour la premiere fois. «( Per-
»mettez, lui dis-je, que je vous en fasse l'obser-
)) vation, votre schall n'est pas mis avec cette grace
)} qui vous est habituelle. » Elle me pria, en riant,
de le ployer a la maniere des dames égyptiennes.
Pendant cette singnliere opération, on entendít
Napoléon qui s'éloignait. (( Dépechez-vous, ma
), sreur, dit madame Murat impatiente d'arriver
)} au spectacle; voilaBonaparte qui s'en va.)) Nous
montames en voiture : celle du premier consul
était déja au milieu du Carrollsel; nous la suivl
mes: mais nous étions a peine sur la place, que la
machine fit explosiono Napoléon n'échappa que
par un singulier honhellr. Saint-Régent, ou sou
domestique FralH;;ois, s'était placé au milieu
de la rue Nicaise. Un grenadier dI" ¡'escorte.




1> [j GENERAL RAP P.
qui les prit pOllr de véritables porteurs d'ean,
leur appliqua plusieurs eoups de plat de sabre
qui les éloignerent ; iI détourna la eharrette,
Bonaparte passa, et l'explosion se fit entre sa
voiture et eeHe de Joséphine. A. cette explo-
sion terrible, les dames jeterent les hauts eris;
les glaces furent brisées, et madcmoiselle Beau-
harnais fut légerement blessée a la main. Je des-
cendis et traversai la fue Nicaise au milieu des
cadavres et des pans de murs que la détona-
lion avait ébranlés. Le consul ni personne de
sa suite n'avaient éprouvé d'aecident facheux. JI
était dans sa loge, calme, paisible, occllpé a lor-
gner les spectateurs; il avait Fouché a ses cotés.
({ Joséphine!» dit-il des qu'il m'aper(!ut. Elle en-
trait a l'instant meme, il n'acheva pas sa question.
« Ces eoquins, ajouta-t-il avec le plus grand sang-
»froid, ont voulu me faire sauter. Faites-moi ap-
J) porter un imprimé de l'Oratorio de Haydn. »


Les spectateurs apprirent bientot a quel dan.
ger il avait éehappé, et lui prodiguerent les té·
moignages du plus vif intéret. Voila, je erois,
des preuves de courage qui ne sont pas équi-
voques : eeux qui l'ont suivi sur le champ de
bataille ne seraient pas embarrassés d'en citer
. (l'autres.


. __ .~




MÉMOIRES


CHAPITRE V.


N apoléon, quoi qu'en disent ses détractcul's,
ll'était ni avantageux ni tenace dan s ses opi-
nions. Il provoquait les lumieres ; iI recherchait
les avis de tous ceux a qui il est permis d'en
avoir. L'envie de lui plaire dominait quelquefúis
au conseil : quand il s'en apercevait, il rame-
nait aussitót la discussion a sa sévérité nalu-
relle. « Messieurs , disait-il a ses lieuteuants, ce
lJ n'est pas ponr etre de IDon avis, mais ponr avoir
)) le vatre, que je vous ai appelés. Exposez-moi


. ..


D vos vues : Je verral SI ce que vous proposez
Jl vaut mieux que ce que je peuse. l)


Pendant que nous étions a Boulogne, jI dOllua
une le.;;on de cette espece au ministre de la ma-
rine. Il lui avait proposé quelques questiom;
auxquelles M. Decres répondit par des flatteries.
« Monsieur Decres, lui éerivit Napoléon ,je vous
l) prie dem'envoyer dans la journée de demain uu
"1'1émoire sllr eette question : Dans la situation
,des choses~ si l'amiral f/iLleneuve reste a Cadix~
(Illt ¡:lf1t-il fa;re? Ele\'ez-volls il. la h;mtf'lIr (les




lJU GÉ~ ÉRAL RAPP .
., circonstances et de la situation oú se trouvent
vl:rFrance et l'Angleterre. Ne m'écrivez plus dE"
"Iettres comme celle que vous m'avez écrite;
" cela ne signifie rien. Je n'ai qU'UIl besoin, celui
» de réussir.


» Sur ce, je prie Dieu, etc. »
La surveille de la bataille d'Austerlitz, une


partie de l'armée étaÍt placée dan s une positi(Jll
désavantageuse, et le général qui l'occupait en
exagérait encore les inconvénients. Cependant
lorsque le conseil fut assemblé, il soutint qu'elle
était tenable, et prmuettaÍt de la défendre.
« Qu'est-ce ci? dit le grand-duc de Berg. QUE'


» sont devenues, monsieur le maréchal, les in-
1) quiétudes que vous malJifestiez tout a l'heure?
» - Pourquoi flatter quand on délibere? dit a
)) son tour le maréchal Lannes. Nous devons ex-
) poser les choses telles qu'elles nous paraissellt
., a l'empereur, sauf a lui de faire ce que bon lui
Jsemble. - C'est juste, reprit Napoléon; pour
» mefaire plaisir il ue faut pas qu'on mf' trompe.»


Mais autant il recherchait les conseils de ceux
qui peuvent en donner, autant il accueillait
mal les observations des gens peu capables.
Fesch voulut un jour lui en faire au sujet de la
guerre d'Espagne. 11 n'avait pas (lit deux paroles.
que ~apoléon, le conduisant yers l'embrasure




JiIÉl\IOIRES
tI'une fenetre: « Voyez-vous cette étoile?)j C'était
en plein midi. - «Non, répondit l'archeveque.
)) - Eh bien, tant que je serai le seul qui l'a-
'j per<{oi ve, j'irai mon train et ne souffrirai pas
» d'observations. ))


An I'etour de la campagne de Russie, il déplo-
rait, avec une vive émotion, la mort de. tant de
braves, moissonnés, non par le fer des Cosaquef:l,
mais par le froid et la faim. Un courtisan vou-
lut placer son mot, et dit d'un ton de pénitent:
" N ous avons fait une bien grande perte ~ --, Oui,
»repartit N apoléon, madame Barilli 'est morte.))


n mystifiait l'indiscrétion, mais il ne repous-
sait ni la plaisanterie ni la franchise.


Madame Bachioci amena un jour aux Tuile-
ries M. d'A ... , un de ses parents. Elle se retira
apres l'avoir introduit au salon de service, et le
laissa seul avec moi. Cet homme avait, comme
beaucoup de ses compatriotes, une mauvaise
figure; je me défiais de lui. Je prévins néanmoins
Napoléon, qui le fit entrer. Il avait sans doute
des choses importantes a lui communiquer. Un
mouvement de tete m'avertit de rentrer au sa-
lan . .Te feignis de ne m'en etre pas aper<;u, et
restai : je craignaÍs pour sa personne. Il vint a


, Célebre eantatrice du théatre ltaliell.




UU GÉNÉRAL RAPP. !l5
moi, el me dit qu'ils désiraient etre sellls. Je sor-
tis, mais je laissai la porte entr'ouverte.


Quand Napoleon eut congédié M. d'A ... , il mf'
demanda pourquoi je voulais absolument rester.
- « Voussavez, lui répondis-je, que je ne suis pas
)) indiscret; mais , je vous l'avone franchement ,je
» n'aime pas vos Corses.» Il raconta lui-meme
cette anecdote, qui déplut beaucoup a sa famille;
quant a lui, il prit tres bien la chose. Je sujs
persuadé cependant qu'il eut mieux aimé ne
pas m'entendre ainsi parler de ses compatriotes.


Un soir, apres la bataille de Wagram, nous
étions a jouer an vingt-et-un. Napoléon aimait
beaucoup ce jeu: il s'amusait a y tromper, el
riait de ses supercheries. 11 avait devant lui une
grande quantité d'or, qu'il étalait sur la tableo
-" N'est-ce pas, Rapp, me dit-il, que les Alte-
" mands aiment bien ces petits napoléons ?-Oui,
» Sire, bien plus que le grand. - Voila, répli-
" qua-t-il, ce qu'on peut appeler de la franchisf'
J' germanique. »




MÉM01RES


e HA PI T JU.'~ VI.


J'étais ~u camp de Boulognc lorsque la troi-
siemc gucrre d' Autriche éclata. N ous passames
le Rhin. Coupée, battue, l'armee ennemie alla
s'enfermer dans Ulm; elle fllt allssitot sommée
de mettre bas les armes. Le rlétail clf' eette négo-
ciatioll, conduite par M. de Ségllr, peint trop
bien le désorclre et l'anxiété du malheureux gé-
néral pour ne pas trouver place ici. Voici en quels
termes il en rendit compte.


"Hiel', 2!~ ,endémíaire (16 octobre), l'empe-
reHr m'a fait appeler dans son cabinet; il m'a
ordonné d'aller a Ulm, .de décider Mack a se
rendre dans cinq jOllrs, et, s'il en exigcait abso-
!tllnent six, de les lui accorder . .le lJ'ai pas I'C<{1l
d'autres illstructi/\Jls. La Huit était noire; un ou-
ragan terrible yenait de s'éIever, iI pleuvait a
flots : il fanai! passer par (tes chemins de travcrse,
et eviter des bourbiers 011 l'homme, le cheval et
la mission pouvaicnt finir avant terme. J'aí éte
presque jnsqu'al1x portes de la vitlc sans troll-
ver \lOS avant-postcs; iI Il'y PIl a\'ait plus: fae-




nIJ GÉNÉRAL RAl'P. 27
tlOnnaires, vedettes, grandes-gardcs, tout s'était
mis á eouverl; les pares d'artillerie meme étaient
abandonnés; pOillt de fellx, point d'étoiles. n a
fa Un errer pendant trois heures pour trouver
un général. J'ai travers{' plusieurs villages et
({uestionné inutilement ceux qui les remplis-
saient.


» J'ai enfin trouvé un trompette d'artillerie á
moitié noyé dans la boue, sous son caisson; il
était raiele de froid. Nous nons sommes appro-
ehés des remparls d'Ulm. 011 nous attendait sans
doute; cal', au premier appe] , M. de Latollr,
offie~er parlant bien fral1(,'ais, s'est présenté. Il
m'a bandé les ycux, et m'a fait gravir par-dessus
les fortificatiol1s. J'observai a mon condHcteur
C{ue la Huit était si noire qll'elle rendait le ball-
dean il1utilc; mais il m'objeeta l'nsage. La COllrse
me paraissait longue. Je fis causer mon guide :
mon but était de savoir qucllcs troupes renfer-
mait la ville. Je lui demandai si nOllS étiollS ell-
eore loin de la demeure du général Mack et
de ceHe de l'arehidue. C'est tout pres, me ré-
pondit mon guide. J'ell conclus que nous te-
nions dans Ulm tout le reste de J'armée antri-
chienlle. La suite de la cOllversation me confirma
dans celte eonjecture. Nous arrivames enfin dans
l'allberge oú le gént"ral en chef demeurait. n




MEMOIRES
m'a paru grand, agé, paJe; l'expression de sa
figure annonce une imagination vive. Ses traits
étaient tourmentés par une anxiété qu'il cher-
chait a cacher. Apres avoir échangé quelques
compliments, je me Ilommai; puis, entrant en
matiere, je lui dis que je venais de la part de
l'empereur le sommer de se rendre, et régler
avec lui les conditions de la capituiation. Ces
expressions lui parurent insupportables, et ii
ne convint pas d'abord de la nécessité de les
entendre. J'insistai, en lui observant qu'ayant
été rec;u, je devais supposer, ainsi que l'empe-
reur, qu'll avait apprécié sa position: mais il me
répondit vivement qu'elle allait bien changer;
que l'armée russe s'approchait pour le secourir,
qu'elle nous mettrait entre deux feux, et que
peut-etre ce serait bientot a nous a capituler.
J e lui répliquai que, dans sa position, il n' était
pas étonnant qu'il ignorat ce qui se passait en
AJlemagne; qu'en cOIlséquence, j~ devais lui
apprendre que le maréchal Bernadotte occupait
Ingolstadt et Munich, et qu'il avait ses avant-
postes sur l'Inn, ou les Russes ne s'étaient pas
encore montré~. « Que je sois le plus grand ...... ,
»s'écria le général Mack tOllt en colere, sije ne sais


)) pas, par des rapports certains, que les Russes
»sont a Dachau ! Croit-on m'abuser ainsi? Me




OU GENERAL RAPP.
lJ traite-toan comme un enfant? Non, monsieur de
» Ségur. Si dans huit jours je ne suis pas secouru ,.
» je consens a rendre ma p~ace, a ce que mes sol-
)) dats soient prisonniers de guerre, et leurs offi-
» ciers prisonniers sur parole. Alors on aura eu le
» temps de me secourir, j'aurai satisfait a mon de-
»voir: mais on me secourra, j'en suis certain!
)1 - J'ai l'honneur de vous' répéter, monsieur le
» général, que nous sommes non seulement mal-
JI tres de Dachau, mais. de Munich : d' ailleurs, en
• supposant vraie votre erreur, si les Russes sont
l,¿l Dachau, cinq jours leur suffisent pour venir
JI nous attaquer, et Sa Majesté vous les accorde.
JI - Non, monsieur, reprit le maréchal; je de-
nmande huit jours. Je ne puis entendre a au-
JI cune autre proposition; il me faut huit jours ,
» ils sont indispensables a ma responsabilité. -
» Ainsi, repris-je, toute la difficulté consiste dans
JJ cette différence de cinq a huit jours? Mais je ne
J) conc;;ois pas l'importance que votre excel1ence y
» attache, quand Sa Majesté est devant vous, a la
)) tete de plus de cent mille hommes, et quand
JJ les corps du maréchal Bernadotte et du général
JI Marmont suffisent pour retarder de ces trois
)) jours la marche des Russes, meme en les sup-
)) posant ou ils sont encore bien loin d'etre. - lIs
J) sont a Dachau, répéta le général Mack - Eh




30 MJtMOIRES
) bien! soi t , l110nSiellr le baron, et méme a Augs-
»bourg; nous en sommes d'antant plus pressés de
) terminer avec vous : ne nuus forcez done pas
') d'emporter Ulm (fassant; car alors, au líen de
)) cinq jours d'attente, l'empereur y serait dan!; Hne
"matinée. - Ah! l11onsieur, répliqua le général
)) en chef, ne pensez pas que qllinze mille hommes
» se laissent forcer si facilement; il vous en COllte-
» rait cher! - Quelques centaines d'hommes, lui
" répondis-je; et a vous votre armée et la destruc-
»tion d'Ulm, que l'Allemagnc vous reprocherait;
» enfin tous les malheurs d'un assaut que Sa Ma-
»jesté vcut prévenir par la proposition qu'el1e m'a
») chargé de vous faire. - Dites, s'écria le maré-
J) chal, qu'il vous en couterait dix mille hommes!
)) La réputation d'Ulm est assez connue. - Elle
) consiste dans les hauteuI's qui l'environnent, ct
~ nous les occupons. -- Allons donc, monsieur,


)J il est impossible que vous ne cOllnaissiez pas }<I
» force d'Ulm ! --- Sans doute, monsieur le maré-
) chal, et d'autant mieux que nous voyons dedalls.
» - Eh bien! monsieur, dit alors ce malheureux
» général, vous y voyez des hommes prets a se


1) défendre jusqn'a la derniere extrémité, si votrc
» emperelll' ne -leuI' accorde pas huit jours. Je
,) tiendrai long - temps ieí. 11 y a dans Ulm trois
') mille chevaux que nous mallgerons , plut6t que




DlJ (~~N ÉRAL RAPP. -,j 1
» de nous rendre, avee autant de plaisir que vous
» le feriez a notre place.··· Trois mille ehevaux ?
»I'épliquai-je; ah! monsieur le maréehal, la di-
1) sette que vousdevez éprouver est done déja bien
» grande, puisque vous songez a une si triste res-
» souree?»


» Le maréehal se dépeeha de m'assurer qu'il
avait pour dix jours de vivres; mais je n'en eras
rien. Le jour eommen~ait a poindre; nons n'a-
vaneions paso Je pouvais aeeorder six jours;
mais le général Maek tenait si obstinément a ses
huit jours, que je jugeai eette eoneession d'un
jour inutile; je ne la risquai paso Je me levai ,
en disant que mes instructions m'ordonnaient
d'etre revenu avant le jour, et, en eas de refus,
de transmettre, en passant, au maréehal Ney
l'ordre de commencer l'attaque. leí le général
Maek se plaignit de la violenee de ce maréehal
envers un de ses parlementaires, qu'iln'avait pas
voulu éeouter. Je profitai de eet incident pOUl'
bien faire remarquer qu'en effet le earactere du
maréchal était bouillant, impétueux, impossible
a eontenir; qu'il eommandait le c(~rps le plus
nombreux et le plus rapproché; qn'il attenaait
avee impatienee l'ordre de livrer l'assaut, et que
e'était a lui que je de vais le transmettre en sor-
tant d'Vlm. Le vieux générallw s'est point lajss~


,.. \.r' I,, __ , ... ~.




MÉMOIRES
effrayer; iI a insisté sur les huit jonrs, en me
pressant d'en porter la proposition a l'empe-
reur.


»Ce malheureux général est pret a signer la
perte de l'Autriche et la sienne; et pourtant dan s
cette position dpsespérée, ou tout en lui doit
souffrir cruellement, il ne s'abandonne pas en-
core ; son esprit conserve ses facultés, sa discus-
sion est vive et tenace. Il défend la seule chose
quí luí reste a défendre, le temps. Il cherche a
retar del' la chute de l'Autriche dont il est cause;
a veut luí donner quelques jours de plus pour
s'y préparer: lui perdu, iI dispute encore pour
elle. Entralné par son caractere plus poli ti que
que militaire, il veut encore jouer au plus fin
contre le plus fort; sa tete s'égare dan s une foule
de conjectures.


"Le 25, vers neuf heures du matin, j'ai re-
trouvé l'empereur a l'abbaye d'Elchingen, ou je
lui ai rendu compte de cette négociation ; il en
a paru satisfait: il m'a fait rappeler; et comme
je tardais, iI a envoyé le maréchal Berthier me
porter par écrit les propositions nouvelles qu'il
voulait que je fisse signer au général Mack sur-
le-champ, L'empereur accordait au general au-
trichien huit jours, mais a dater du 23, premie)'
jour du blocus; ce qui les réduisait en effet all"X




De GÉNt:n AL RAPP .
.,ix jours que j'avais pu d'abord proposer, et
que je n'avais pas vouIu concéder.


» Toutefois , en cas d'un refns obstiné, j'étais
autorisé a dater ces huit jours da 25, et l'em-
perenr gagnait encore un jour a eette eoncession.
n tient a entrer prompteinent dans UIm, ponr
augmenter la gloire de sa victoire par sa rapi-
dité, pour arriver a Vienne avallt que cette ville
soit remise de sa stupeur et que l'armée russe
ait pu se mettre en mesure, et enfin parce que
les vivres cornmencent a nous manquer.


» Le major-général rnaréchal Berthier me pré-
vint qu'il s'approchprait de la ville, et que, les
conditions réglées, il serait bien aise que je l'y
fisse pénétrer.


» Je suis rentré dan s Ulm vers midi , toujours
avec les memes précautions; mais cette fois j'ai
trollvé le généraI Mack a la porte de la ville;
je Iui ai remis l'ultimatum de l'empereur. Il est
alIé le discuter ave e plusieurs générallx, parmi
lesquels je crus remarquer un prillce de Lich-
tenstein, et les généraux Klénau et Giulay. Un
quart d'heure apres, il revint disputer encare
avec moi sur la date. Un malentendu lui per-
suada qu'il obtenait les huit jours entiers a par-
tir du 25. Alors, ;),vec une émotian de joie bien
singuliere : (1 Monsieur de Ségur! mon cher mon-


3




3'1 MÉMOIRES
»sieur de Ségur! s'écria-t-il, .le comptais sur la
" générosité de l'empereur : je ne me suis ras
" trompé ... Dites au maréchalBerthier qut~ jf~ 11?
» respecte ... Dites a l'empereur que je n'ai plnsqne
» de légeres observatÍons a faire; que .le signerai
» tOllt ce que vous m'apportez ... Mais elites a sa
» majesté que le maréchal Ney m'a traité bien du-
)) rement ... ; que ce n'est ras ainsi qu'on traite ...
» Répétez bien a l'emperenr (Iue .le comptais sur
» sa générosité ... )l Puis, avec llll{, effllsion de creur
toujours croissante, il ajouta : ,( Monsienr dI?
" Ségur, je tiens a votre estime ... ; je tiens beau-
» conp a l'opinion qtíe vous allrcz de moi. Je venx
"vous faire voir l'écrit que j'avais signé, car j'é-
" taís décidé. ¡) En parlant ainsi, iI déploya une
feuille de papier oú je lus ces mots: Huitjours
ou la rnort! signé M ack.


» Je restai frappé d'étonnement en voyant l'ex-
pression de bonheur qui brillait sur sa figure;
j'étais saisi el cumme consterné de cette pnérile
joie ponr lIne si vaine concession. Dans un nau-
frage sí considérabIe, a qnelle faíble branche le-
malheurellx général croyait-il done pouvoir rat-
tacher son honneur, celui de son armée et le
salllt ele l'Autriche! TI me prenait les mains, me
les serrait, me permettait de sortir d'Ulm les
veux libres; iI me laíssait introduire le maréchal




Dlí GENEBAL HAPP. ,)J
Berthier dans cette place sans formalités. Enfin
il était heureux! Il Y eut encore devant le maré-
chal Berthier une diseussion sur les dates. J'ex-
pliquai le malentendll : on s'en remit a l'empe-
reur. Le général ~Iaek m'avait assuré le mat;n
qu'il lui restait pour dix jours de vivres; il en
avait si peu, eomme an reste j'en avais prévenu
sa majes té, qu'il demanda devant moi la permis-
sion d'en faire entrer des le jour meme.


J) Maek, se voyant tourné, s' est imaginé qu' en se
jetant et restant dans Ulm, il attirerait l'empe-
reur devant ses remparts, l'y retiendrait, et fa-
voriserait ajnsi la fuite que tentel'ajent ses autres
corps par différentcs directions. Il pense s'etre
dévoué : c'est ce qui soutient son courage. Lors-
que je négocie avec lui, il eroit notre armée tout
entiere immobiÍc, et comme en arr~t elevant
Ulm. Il en a fait sortir furti\'ement l'arehiduc et
Werneck. Une autre division avait tenté de s'é-
vader vcrs Memmingen; une autre encore fuyait
vers les montagnes du Tyrol : toutes sont ou
vont etre faites prisonnieres.


)) Aujounl'hui 2 71e général Mack est venu voi!'
I'empereur a Elchillgen. Toules ses illusions se
sont évanouies.


)) Sa majcstó, pour le persuader de ne plus lE'
retenir illutilement devallt ljlm, lui a fait emi-


:).




36 MÉMOIRES
sager sa position et ceHe de l'Autriche dans toutc
son horreur. JI lui a appris nos succes sur tous
les points; que le corps de Werneck, toute son
artillerie et huit généraux capitulaient; que l'ar-
chiduc lui-meme était atteint, et qu'on n'enten-
dait pas parler des Russes. Tant de coups ont
anéanti le général en chef; les forces lui ont m:m-
qué, il a été obligé de s'appuyer contre la mu-
raille; iI s'est affaissé sous le poids de son mal-
heur. Il est convenu de sa détresse, et qu'il n'a-
vait plus de vivres dans Ulm; qu'au lieu de quinze
mille hommes, il s'y trouvait vingt-quatre mille
combattants et trois mille blessés; qu'au reste la
confusion était telle qu'a chaque instant on en
découvrait davantage; qu'il voyait bien qu'il n'a-
vait plus d'espoir, et qu'il consentait a rendre
Ulm des le lendemain 28, a trois heures.


» En sortant de chez sa majes té , il nous vit, et
je l'entendis dire : « Il est cruel d'etre déshonoré
»clans l'esprit de tant de braves officiers. J'ai pour-
» tant dans ma poche mon opinion écrite et signée,
»par laquelle je me refusais a ce qu'on disséminat
»mon armée; mais je ne la commandais pas : l'ar-
»chiduc Jean était la. » Il se peut qu'on n'ait obéi
a Mack qu'avec· répugnance.


» Aujourd'hui 28, trente-trois mille A utrichiens
se sont rendus prisonniers; ils on t défilé elevan t




DU GÉNÉRAL RAPP. )~ , /
l'empereur. L'infanterie a jeté les armes sur le
revers du fossé; la cavalerie a mis pied aterre,
s'est désarmée, et a li vré ses chevaux a nos ca-
valiers a pied. Ces soldats, en se dépouillant de
leurs armes, criaient, "Vive l'empereur ! J) Mack
était la; il répondait aux officiers qui s'adres-
saient a lui san s le connaitre: «Vous voyez elevant
»vous le malheureux Mack ! »)


J'étais a Elchingen avec les généraux Mouton
et Bertrand lorsqu'il vint rendre ses hommages
a NapoléoI1. « Je me flatte, l\Iessieurs, nous dit-il
) en traversant le salon de l'aide-de-camp de ser-
» "ice, que YOUS ne cessez pas de me regarder
» comme un brave l:omme, quoique j'aie été
) obligé de capituler avec rle~ forces aussi considé-
» rabIes. 11 était difficile de résister aux manceu-
»vres de votre empereur; ses combinaisons m'ont
»perdu. »


Napoléon, plein de joie d'une aussi bonne
affaüe, en voya le général Bcrtrand vérifier les
états de situation de l'armée qui se trouvait
dans Ulm. Il vint rendre compte qu'il y avait
2 l J OOO hommes; l'empereur ne pOllvait le croire.
«Vous parlez leur langue, me dit-il, allez voir ce
» qui en esto » l'allai, je questionllai les chefs de
corps, les géJJéraux, les soldats; et je trouva'Í,
d'apres ces renseigncmcnts, que la place renfer-


¡




36 MÉMOIRES
mait vingt-six mille cO'mhattants. N apoléol1 me
réporidit que j'étais un fou, que cela ne se pouvait
paso Effectivement quand eette arméedéfiladevant
11011S, elle eomptait trente-trois mille hommes,
L:ümme le dit M. de Ségur, dix-neuf généranx .
!lne caYalerie et une artillerie snperbes,




DlJ GENERAL RAPP. :'i9


CHAPITRE VII.


Nous n'avions pas pu enfermer tous les Au-
trichiens oans·Ulm. Werneck s'était échappé par
Heydenheim, I'archiduc courait apres. Tous deux
fuyaient a tour de route: mais le sort avait pro-
naneé; on n'appelle pas de ses décisions. N apo-
léon, pn;venu au milieu de la nuit qu'ils gagnent
\lbeck, mande aussit6t le granel-duc. « Une di-
',visioll, lui dit-il, est 50rtie de la placeet mellace
"nos derricrcs. Suivez, prenez, dissipez-Ia. Que
» pas un n'échappe. » La pluie tombait par tor-
rents, les chemins étaient affreux : 111ai5 la vic-
toire fait oublier les fatigues! On altait, on cou-
rait, on ne songcait qu'a vaincre. Murat joint
l'ennemi, l'atta(plc et le culbute. Il le presse , le
pousse dans sa fHite; pendant deux lieues il ne
lui laisse pas reprendre haleine. Des rnasses oc-
cupaient Erbreetingen avec du canon. La nuit
était close, nos chevallx exténnés. N OllS fhnes
halte. Le ~r léger al'riya sur les dix heures. N ous
marchames en avant. L'attaqne recommen<,;a;
village, artiHerie, caissons, tont fut enlcvé. Le




MÉMOIRES
général Odonel cherchait 11 faire ferme avec SOl1
arriere-garde; un maréchal-des-Iogis l'apert;oit,
le bies se et le prendo Il étaít minuit; la troupe
tombait de lassitude. N ous ne poussi'unes pa~
plus loin nos succes.


L'ellnemi fuyait en tOl/te hate sUr' Nordlingen,
ou nous avions de l'artillerie et des dépots. II
était important (le le prévenir. Murat dé tacha des
partis q ni le harcelaient, l'inquiétaient dans sa
marche, le for<;aient a prendre position, c'est-a-
dire a perdre du temps. D'un autre coté, le gé-
néral Rjyaud dcvait mettre le pont de Donnavert
en sureté, et se porter avec le surplus de ses forces
sur la Wiesnitz. Tout passage était intercepté.
Ces dispositions prises, le prince se mit en mou-
vement et atteignit l'archiduc, qui se déployait
a Neresheim. Nous l'abordames avec cet élan que
donne la victoire: le choc fut irrésistible; la ca-
valerie fnyait, l'infanterie metlaiL bas les armes;
les pieces, les drapeaux, les soldats, se rendaient
en masse. Tout était dan s un désordre affreux.
Klein, Fauconet, Lanusses, les poussaient, les
coupaient dans tous les sens, les chassaient dans
ton tes les dire~tions. On somma Werneck de se
rendre : il hésitait; un concours de circonstances
inoules le décida. L'officier chargé d'escorter le
oarlementaire francais cherchait son chef a tra~
i' ~




IHi GÉNÉRAL RAPP. !,1
vers champs. n rencontra le prince de. Hohen-
zolIern, allquel il fit part de l' objet de sa mission.
Celui-ci vouInt 1'accompagner, ne doutant pas
que le feld-maréchal n'acceptat : ils se dirigerent
sur N ordlingen, qu'iIs trouverent .accupé non par
ce général, mais par les troupcs fran.;;aises. D'un
autre cOté le généraI Lasalle s'était porté sur
J\lerking, et y avait cnlevé un millier cl'hommes;
les fuyards vinrent jeter l'épouvante au quartier-
général. Ces rapports ébranlerent Werneck, iI se
JI10ntra disposé a traiter; iI ret1nt I'officier fran-
t;ais, et clonna en otage le majo!' du régiment de
Kaunitz. Il remit cepemlallt la llégociation aH len-
demain : il voulait teutel' les chaucesde la uuit.
Des qu'elle fut close, il essaya de se rallier a l'ar-
chiduc; mais les troupes frall<{aises interceptaient
la route, le généralRivaud culbutait Lichtenstein,
et coupait le grand parc que nos hussards pres-
saient en (lueue. "\Vel'lleck n'osa passer outre; il
se crut enveloppé et négocia. Le général Belliard
se rendit aux aqut-postes : nos troupes OCCU-
pcrent les hauteurs, afill d'etre en mesure coutre
les supercheries. lVIais la Huit approchait; JIohen-
zollern, qui, la veille, avait trouvé la capitulation
inévitable, profita des ténebres pour 1'éluder; le
général ~Iiskiéry suivit son exemple: ils s'échap-
perent avec la cavalerie et queiques fantassins;




MÉMOIRES
ils faisaient partie elu corps qui avait mis has
les armes. On pouvait croire qu'ils t'taient Jiés
par les actes de leur chef; il u'en étaít ríen ce-
pendant: ces messieurs le crurent du moins,
puisqu'íts rejoignirent les débris de l'architlnc ,
avec leqllel ils se jeterent sur le territoire de
Prusse. N ous les atteignlmes a Gunderhansf'l1;
HOUS les sommames el'exécllter la convention. Le
prince ele Schwartzenberg alléguait des ordres,
,'oulait éclaircir des doutes, écrire, s'expliqllcr,
en un mo\: gagner <In lemps.


Les Prussiens a leur tour criaient a la neu-
tralité; ils demandaient que la ville ne fut pas
attaquée, que la colonne ennemie put l'évacuer.
Ln personnage a rabat vint, sous l'escorte des
officiers de l' archiduc, nons menacer de la co-
lere du roi Guillaume. Le général Klein n'était
pas homme a se payer d'une mascarade : il eu-
voya au granel-Juc ce magistrat a Jivrée alltri-
chienne, et fit SOllIler la charge. Le prinee de
Schwartzenberg accourut tont déeontenancé: il
ne croyait pas que le général fut si proche. II
prétenelit aussi que nous ne devions pas violer
le territoire de la Prusse, proposa de le respec-
ter, et de ne pas occuper Gunderhausen. Klein
lui répondit ele precher d'exemple, qu'il l'imite-
rait. On avan<;aittolljours, et cependant Schwart-




DU GtNF:n AL RA PP. /'1;)
zenberg ne se décidait paso Murat, fatigup d'etre
pris pour (Iupe, ordonna de ces ser ces disCllS-
sions et de marcher. L'arriere-garde enllemie prit
alors le galop, et Hons céda la place. N ous la
poursnivlmes pendant quelques lieues, sans pou-
voir l'atteindre. 11 était nuit : nous primes pogi-
tion. Nous nons remimes en marche a la pointe
du jour; mais l'archiduc avait tellemcnt préci-
pité sa fuite, que ce ne fut qu'a Nuremberg que
nous atteignimes la queue de ses équipages. Un
piquet d'a vant-garde les chargea, et fit mettre
bas les armes :m hataillon d'escorle. De la, il
poussa en avant, el s'engagea dans un chemin
boisé, a travers l'artillel'ie et les bagages, pous-
san!, cnIbulant queIques cenlaines de dragons
qui cherchaient vainement a se rallier. Le gros
des Autrichiens nons attendait dans une position
aYantagcusc. Nos chasseurs furent contraints de
pIier. Lf'S hllssards, les carabiniers accoururent:
tout fut culbllté. 1.'archi<111c Ini-m(~me fai1lit étre
pris. Ce fut le coup de gri'tce du corps qui s'était
échappé d'Ulm. En cinC( jours, sept mille braves
parcoururent un espace de quarante-cinq lienes,
détruisirent une al'lUpe de vingt - cilHI mille
hmmnes, lui enleverellt sa caisse, ses équipa-
ges, s'empal'ert'nt de ceut vingt-huit picces de
canon, onze drapeaux, et firent douze a quinze




!~4 MEMOIRES
mille prisonniers. De tont ce qu'avait ramené
l'archidnc, a peine restait-il quelqnes milliers de
malheureux dispersés dans les bois.


Cependant le général Klein persistait oans ses
réc1amations: Werneck lui-meme insistait sur
la foi jurée. Ils exigeaient que les officiers com-
pris dans la capitulation vinssent se constituer
prisonniers. Le général franl,;ais adressa ses plain-
tes a l'archiJuc, ou, en son absence, au général
commandant l'armée antrichienne; mais le dés-
ordre était tel, que le parJementaire fut obligé
de courir jllsqu'au fond de la Boheme pour
trouver un officier qui put recevoir ses dépeches.
La réponse se fit long-temps attendre: elle ar-
riva enfin. C'était une lettre du général Kollo-
wrard, qui lui transmettait la correspondance
qui suit:


Au lieutenant-général de sa majesté impériale et royale ,
comte de Hohenzollern.


«l\10NSIEUR LE LIEUTF.NANT-GÉNl-;RAL,


"VOUS m'avez soumis la lettre du lieutenant-
)) général \Verneck. Je vous répondrai que, selon
)) les loís de la guerre et les droits des nations, je
)) trouve tres illégales les prétentions du généraJ
• fran<;ais.




DU GÉNÉRAL RAPll.
"En conséquence, je déclarc que vous et les


• troupes avec lesquelles vous etes rentré ne pou-
)) vez etre compris dans la capitulation. Je vous


)) ordonnc donc, ainsi qu'a elles, de continucr a
) servir comme auparavant. »


Egra, le 23 octobre 1805.


Signe, FERDlNAND.
El plus has, MORV AI.H,


majo!' el aidc-de-camp.


Au moyen de cette piece la capitulation n'était
pas une capitulation. Hohenzollern fuyait sans
forfaire a l'honneur. Il s'étonnaitqu'on voulút lui
faire rendre en masse des soldats qu'il perdait
aussi bien en détail. 5a lettre était curieuse; la
VOlCl:


A 1'!l. le feld-maréchal bu!'on de Werneck.


«l\loN TRES CHER CAl\lARADE,


"Je ne puis vous cacher ma surprise sur la
)) prorosition de me rendre avec la ca valerie qui
)) était de votre corps. Lorst{ue je vous ai quitté,
) vous aviez refusé toute capitulation , en ma
»présence; et pour moi, je pensais au moyen
¡¡ de ramener, cOlIte qui coute, la cavalerie a
)) l'armée, si vous, avec l'infanterie, ne pouviez
»VOUf', tirer d'affaire. J'ai essayé, j'ai réussi. Je ne
» COIH';OlS pas de quel droit je pourrais étre pri-




MÉMOIRES
"sonmer de guerre, n'ayant pas été présent ~
)) vos arrangements, auxquels jamais, par ma per-
)l sonne, je n'aurais pu me pretero Maintenant que
n depuis hiel' je suis séparé de vous, il ne m'ap-
) particnt plus de remplir vos ordres : je les re-
» cois de son altesse rovale notre général en chef.


, "


» J'ai l'honneur tl'étre votre tres humble et
)) tres obéissant serviteur. »


Signé, le lieutenant-général DE HOHENZOLLEI\N ,
conseillcr intime.


Napoléon était content de lui, de l'armée, de
tOllt le monde. Il 110US témoigna sa satisfaction
par la proclamation qui suit :


« SOLDATS DI': LA GRANDE A.RIHÉE!


,) En quinze jours nous avons fait une campa-
.) gne. Ce que nous nous proposions de taire esl
» rempli : nous avons chassé de la Baviere les trou-
.) pes de la maison d'Autriche, et rétabli notre
,allié dans la souveraineté de ses états.


)) Cette armée qui ayec autant d'ostentatioll
j) que d'lmprudence était venue se placer sur no~
)) frontieres est anéantie.


» Mais qu'importe a l'Angleterre? Son but est.
" rempli : nous ne sommes plus i1 Boulogne, et
., son subside ue sera ni plus ni moins grand.




nu CÉNl~HAL HAllP.
» De eent mine hommes <¡ni eomposaient eeUe


) armée, soixante mille sont prisoIlniers: ils "ont
Hemplaeer nos conscrits dans les travaux de la
ncampagne.


)) Deux cents pieces de canon '. tout le parc,
quatre-vingt-dix drapeaux, toos leurs généraux ,
» sont en notre pouvoir. Il ne s'est pas échappé
n de ceUe armée quinze mille hommes.


]) Soldats! je vous avais annoncé une grande
»bataille; mais, graces aux mauvaises combi-
• naisons de l'ennemi, j'ai pu obtenir les memes
» résultats sans coul'il' aucune chance; et , ce qui
~ est sans exemple dans I'hist01re des nations,
» un si gl'and résultat ne nous affaiblit pas de
» plns de quinze cents hommes hors de combato


» Soldats 1 ce succes est du a votre confiance
:) sans bornes dans votre empereur, a votre pa-
)) tience a supporter les fatigues et les privations
1) de tonte espece, a votre rare intrépidité.


» Mais nous ne HOUS arreterons pas la. Vous
1) étes impatients de commencer une seconde
') campagne.


» Cette armé e russe que 1'01' de I'Angleterre a
,) transportée des extrémités de l'univers, nous
,1 allons lui faire éprouver le m(\mc sort.


)) A ce combat est attaché plus spécialement
,¡ l'honnenr (h~ l'infallterie fran~aise; c'cst la qUf'




48 MÉMOIRES
)¡ va se décider, pour la seconde fois, cette ques-
» tion, qui l'a déja été une fois en Suisse et en
» Hollande, si l'infanterie fran~aise est la pre-
» miere ou la seconde de l'Europe.


» Il n'y a pas la de généraux contre lesquels
» je puisse avoÍr de la gloire a acquérir. Tout
) mon soÍn sera d'obtenir la victoire avec le
»moins d'effusion de sang possible: mes soldat~
» sont: mes enfants. ))




DU GÉNÉRAL RAPP. 49


CHAPITRE VIII.


Les Autriehiensavaient flni, nous eourumes
au-devallt des Russes. Kutusof affeetait de la ré-
solution, nous le eroyions disposé a eombattre,
nous nous fél'íeitions de eette nouvelle occasion
de gloire : mais toute eette eontenance n'était
qu'un simulacre; iI abandonna l'Inn, la Traun,
l'Ems; on ne le vit plus. Nous poussames sur
Vicune; nous a vanciolls, nOllS allioIls, nous
marchions a tour de rOllte : jamais mouvement
n'ayait été si rapide. L'empereur en fut inquiet,
il craignait que eette préc:pitatíon ne compromlt
nos derrieres, que les Russes ne non s prissellt
par le flanco « Murat, me dit-il, court eomme
»un avenglc; iI va, il va, comme s'illle s'agissait
»que d'entrer ii Vienne : l'eulIemi n'a persoTlne
» cn faee, il peut disposer de toutes ses forces et
» écraser Mortier. A vertis Berthier qu'il arrete les
»eolonnes.1) Berthier vint, le maréehal Soult eut
ordre de rétrograder jusqu'a Mautern i Davoust
prit positioll a l'embranchement des mutes de
Ijlicnfi>ldt et de N eustadt, et Bernadotte a Mcelck.


4




50 MÉMOIRES
Ccs dispositions ne purent prévCllir l'engagement
dont N apoléon craignait l'issue. Qllatre milk
Fran«;ais furent chargés par l'armée ennemie toul
entiere; mais l'habileté, le courage, la nécessité
de vaincre, suppléerent au nombre: les Russes
furent culbutés. A la Ilouvelle de cctte étonnante
victoirc, tout se remit en mouvement: l'empe-
reur pressa la marche avec encore plus de viva-
cité qu'il ne l'av<lit suspendue; il voulait gagner
les Autrichiens de vitesse, surprendre le passage
du Danube; tourner, couper leurs alliés, les
battre avant l'arrivée de nouvelles forces. Il e'Cpé-
diait, hatait les ordres : hommes et chevaux, tout
était en mouvement.« Lechamp est ouvert, Mural
» peut se li vrer a toute son impétuosité; mais i I
» faut qu'il agrandisse le terrain, il faut qu'il sur-
»prenne le pont.» Et illui écrivit sur-le-champ :
«La grande affaire, dans le moment actuel, est de


» passer le Danube, afin de déloger les Rnsses de
» Krems en se jetant sur leurs derrieres; l'erl1lemi
¡) coupera probablement le pont de Vienne : si ce-
» pendant il y avait possibilité de l'avoir en entier,
»il faut tacher de s'en emparer. Cette considéra-
»tion seule peut forcer l'empereur a entrer dans
¡) Vienne; et dans ce cas vous y fereZo entrer une
)) partie de votre cavalerie et les grenadiers seu le-
)) ment. Il fant que vous connaissiez la force des




In; (; ENERAL RAPP.
"troupes bourgeoises qui sont armées a Yienne .
• j L'empereur imagine qne vous avez fait placer
.j quelqnes pieces de canon pour intercepter le pas-
j) sage sur le Danube en tre Krems et Vienne. Il doit
"y avoir des partis de cavalerie sur la rive droite
') du fleuve; vous n'en parlez pas. a l'empereur. Sa
"majesté trouve nécessaire de savoir a quoi s'en
) tenir, afin que s'il avait été possible d'intercepter
» le Danube au-dessous de Vienne, on eut pu le
» faire. La division du général Suchet restera avec
11 une partie de votre cavalerie sur la grande route
)) de Vienne a Rukersdorf, a moins que vous ne
., soycz maltre du pont sur le Danube, s'il n'a
» pas été brulé; et dans ce cas, cette division s'y
» pOl'terait, afill de pouvoir passer le (]euve ave e
)) votre cavalerie et vos grenadiers, et se mettre le
» plus tot possible en marche ponr tomber sur les
» communications des Russes. Je pense que l'em-
u pereur restera toute la journi'e a Saint-Polten.


»Sa majesté vous recommande, prince, de lui
»rendre compte fréquemment.


» Quand vous serez a Viellne, tachez d'avoir
» les meilleures cartes qui s'y trouvent des envi-
"nms de Vienne et de la Basse-~utriche.


1) Si M. le général comte de Giulay se présente,
1) ou toute autre personne, ponr parler a l'empe-
)) reur. ellvoyez-Ie en toute h:lte ici.





52 MÉMOIRES
) La garde bourgeoise qui fait le service á


j) Vienne doit avoir tout au plus cinq cents fusils.
II Il vous sera facile, une fois a Vienne, d'avoir


» des nouvelles sur l'arrivée des autres co]onnes
» russes, ainsi que sur le projet des autres, en se
Jl cantonnant a Krems.


) Vous aurez, pour tourner les Russes et pour
"tomber sur leurs derrieres, votre cavalerie, le
) corps du maréchal Lannes et celui du maréchal
» Davoust. Quant aux corps des maréchaux Berna-
» dotte et Soult, ils ne peu vent etre disponibles
)) que lorsqu' on saura définitivement le parti qu'au-
JI ront pris les Russes.


» Passé dix heures du matin vous pourrez done
j) entrer a Vienne; tachez d'y surprendre le pont
" du Danube, et s'il est rompu avisez a trouver les
"plus prompts moyens de passage: c'est la seqle
)) grande affaire dans ce momento Si cependant
)) avant dix heures M. de Giulay se présentait


11 pour apporter des propositions de négociations,
» et qu'il vous engageat a suspendre votre marche,
»vous suspendriez votre mouvement sur Vienne,
»mais vous ne vous occuperiez pas moíns de
~ trouver tous les moyens de passer le Danube a
» Klosterbourg ou a tout autre endroit favorable.


»L'cmpereur ordonne que depuis Seghartz-
,) Kirchen jusqu'a Vienne vous placiez de deux en




DU GÉNÉRAL RAPP. 53
• deux lieues de Franee un poste de eavalerie de
»dix hommes, dont les ehevaux serviront a re-
D layer les officiers que vous enverrez pour rendre
II compte de ce qui se passera. Les ho~mes du
"meme poste pourront porter les dépeehes de
»Seghartz-Kirehen a Saint-Polten. Le maréchal
II Bessieres fera placer des postes de la garde de
~ l'empereur. II




54


CHAPITRE IX.


Nous étions a Saint-Polten. Napoléoll se pro-
menait a cheval sur la route de Vienne, lorsqu'il
vit arriver une voitnre. ouverte ou se trou-
vaient un pretre et une dame tout en pleurs. n
était, comme a son ordinaire, en costume eh-
colonel de chasseurs de la garde. Elle ne le recon-
nut paso 11 s'infurma de la cause de ses larllles el
OU Jieu Otl elle dirigeait sa course. (( ~Iunsieur, lui
JJdit-elle,j'aiété pilléedans unecampagnea deux
» lieues d'íci par des soldats qui ont tué mon jardí-
» nier. Je vais demander une sauvegarde a votre
» empereur , qui a beaucoup connu ma famille, a
»laquelle iI adegrandes obligations.-Vutre Hum?
»-De Bunny; je suis la fille de M. de Marh~llf,
» autrcfois gou vernenr en Corseo -.Te swis charmé,
»madame, répIiqlla Napoléon avec heaucoup d'a-
»mabilité, de trouver une occasion de vous étre
»agréable. C'est moi qui suis l'empereur.» Elle fut
tout interdite. N apoléon la rassura et lui dit d'aller
l'attendre a son quartier-général. TI la traita a
merveille, lui donna un piquet de chasseurs de sa
ganlf', et la renvoya hemeus(' e[ satisfaite.




DU GÉNÉRAL RAPP. 5~)
Napoléon avait re<,;u un rapport, qu'il lisait


avec satisfaction ; j'entrai dans son cabinet. «Eh
»biell! Rapp, sais-tu que nous avons des partis
» jusqu' au fOlld de la Boheme? - Oni, sire. - Sais-
» tu quelle cavalerie a battu les houlans, en levé
') des postes, pris des magasins ? -- Non, sire.
» - N os fantassins perchés sur des chevanx de
»trait\ - Comment cela?» Il me donna le rap-
port. Desdétacnementsqui avaient pénétré en Bo-
heme s'étaient tout a coup trouvés dans un pays
découvert : lIs n'avaient qu'une vingtaine de
dragons; ils ne voulaient ras rétrograder, ib
n' osaient péllétrer plus avant. Dans cette pel'-
plexité, le chef imagine un expédient : il réllnit les
chevaux des bagages, monte ses fantassins, et les
lance ainsi équipés a travers les épaisses forets
qui avoisinent Égra. Des partis de cavalerie vin-
rent a leur rencontre et furent culbutés; nous
primes des hommes, des chevaux, et des approvi-
sionnements qui furent livrés aux flammes. Je
rendais le rapport : (( Eh bien, que te semble de
») cette nouvelle espece de cavalerie? ._-- Admirable,
) sire. - C'est que qlland on a du sang franl,iais
»dans les veines, on fait toujours entrer la mort
)) dans les rangs ennemis. »


N ous marchions a la suite de l'arriere-garde.
11 nous eút été facile de l'enlever; nous n'eumes


•... ;.; ...




56 MÉMOIRES
garde de le faire : nous voulions endormir sa "i-
gilanee ; nous ne la poussions pas, nous répan-
dions des bruits de paix. N ous laissions éehapper
des troupes , des bagages; mais quelques hommes
de plus n'étaient pas une affaire: la conservation
des ponts était d'une bien autre importance.
Rompus, il fallait reprendre sons cenvre une
question déja résolne. L'Autriche assemblait de
nouvelles forees, la Prusse levait le masque, et
la RussÍe se présentait sur le champ de bataille
avee tous les moycns de ces denx puissanees. La
possession des ponts était une victoire ~ et il n'y
avait que la surprise qui pút nous la faire rcm-
porter. N ous primes nos mesures' en consé-,
quence. On défendit aux troupes échelonnées sur
la route de faire aucune démonstration capable
de donner l'éveil, on ne permit a personnc d'en-
trer a Vienne. Quand tout fut bien V11, bien
examiné, le grand-duc prit possession de eette
eapitale et chargea Lanusses et Bertrand de faire
sans délai une reconnaissance sur le fleuve. Ces
deux offl'Ciers étaient suivis du 10· hussards. IIs
trouvcrenf aux portes du faubollrg llll poste de
cavalerie autrichienne. On ne se battait plus de-
puis tr01S jours ; il Ji avait une especc de suspen-
siori d'armes. lls abordenl le comm;mdant ,IÍenl
COlwersal ion avec lui, s'aUadu'lll ~t "es pélS, tH'




DU GÉNÉRAL RAPP. 57
l'abandonnent plus. Arrivés sur les bords du
fleuve, ils s'obstinellt encore a le suivre malgré
lui; l'Antrichien s'emporte, les FralH;ais deman-
{lent a cOImnuniquer avpc le général qui com-
mande les troupes stationnées sur la rive gauche:
iI y consent , mais il ne souffre pas que nos hus-
sards les accompagnent; le 10· est obligé de
prendre position. Cependant nos troupes arri-
vaient, conduites par le grand-duc et le maréchal
Lannes. Le pont était encore intact, mais les
conducteurs étaient étabIis, les canonniers te-
naient leurs meches: le moindre signe qui eút
déceIé le pl'ojet de passer de force eút fait
avorter rentreprise. Il fallait jouer de ruse; la
bonhomie des Autrichiens s'y pretait. Les dellx
maréchaux mirent pied aterre, la colonIfefit
haIte, il n'y eut qu'un petit détachement qui se
porta sur le pont et s'y établit. Le général Bel-
liard s'avan<;a en se promenant les mains der-
riere le dos avec deux officieI's d'état - major.
Lannes le joignit avec d'autres; ils allaient, ve-
uaient, causaient, el arriverent ai11si jusqu'au
milieu des Autrichiens. L'officier du poste ne
voulait pas d'abord les recevoir, mais iI finit
par céder, et la conversation s'établit. On lui
répéta les propos qu'avait déja tenus le général
Bertrand, que les négociatious avanc,aient, que




58 MEMOIRES
la guerre était finie, qu'on ne se battr<1it, qu'oll
ne se déchirerait plus. « Pourquoi , lui dit le m<í-
» réchal, tenez-vous encore vos canons braqués
» sur nons ? N'est-ce pas assez de s:mg, de com-
II bats? Voulez-vous nons attaquer, prolonge1'
» des malheuI's qui vous pesent plus qu'it nous?
)l Ulons, plus de p1'ovocations : tournez vos pie-
" ces.» Moitié subjugué, moitié convaincu, le com-
mandant obéit. L'a1'tillerie fut di1'igée surles trou-
pes antrichiennes, et les armes mises en faisceall.
Pendant ces pourparlers, le peloton d'avant-garde
aVrtIH;:ait lentement, mais enfin iI avalH;ait, mas-
quant des sapenrs, des eanoIllliers, qui jetaient
c1ans le fleuve les matieres combustibles, ré-
pandaient de l'ean sur les pondres 'et coupaient
les condueteurs. L'Alltriehien, t1'op peu familier
avee notre langue pour s'intéresser beancoup a
la conversation, s'aper¡;;ut que la troupe gagnait
du te1'1'ain, et s'efforc:;:ait de faire comprelHl1'e que
cela ue devait pas etre, qu'il ne le sonffrirait
paso Le maréehal Launes, le général Bellia1'd, ta-
che1'ent de le 1'assurer ; ils lui dirent t'fue le froid
(~tait vif, que nos soldats marquaient le pas, qu'ih
ehe1'ehaient a s'échauffer en se donnant du mou-
vement. Mais la eolonne approchait toujonrs,
elle était déja aux t1'ois quarts du pont; iI perdit
patience et commanda le fcu. Toute la troup¡'




DO GENERAL RAPP. ;)~,
courut aux armes, les artilleurs appretaient lellr~
pieces, la position était terrible: un peu moins de
présence (]'esprit, le pont étaiten l'air, nos soldats
dans les flots, et la campaglle compromise. Mais
I'Autrichien avait affaire a des hOllimes qui u'é-
taient pas faciles a découcerter. Le maréchal Lan-
llesle saisit d'un coté, le généralBelliard de l'autl'e;
ils le secouellt, le menacent, crient, empechellt
qu'on ne l'entende. Arrive sur ces entrefaites le
prince d'Hogsberg, aceompagné du général Ber-
trand. Un officier cou1't remire compte au gralld-
duc de l'élat des choses; tranSlllet a la troupe,
en passant, l'ordre d'allouger le pas et d'arriver.
Le maréchal s'avance au-elevant du prince, se
plaint du'chef du poste, demande qu'il soit rem-
placé, puni, éloigné d'une arriere-garde ou iI
peut troubler les négociations. Hogsberg dorme
dans le piége. JI discute, approllve, contredit, se
perd dans une conversati()J] inutile. Nos troupes
mettent le temps á pl'Ofit ; elles arrivent , débou-
chent, et le pont est emporté. Des reconnais·
sances sont aussiLot dirigées dalis tous les sens, et
le général Bellíanl porte uos colonnes sur la route
de Stokrau, oú elles prennent position. Hogsberg,
confus de sa loquacité intempestive, se rencl au-
pres du grand-duc, qui, apres un conrt entre-
tiell, l'adresse il N apolf.í)lI et passe aussi le Oeuve.




(ju MÉMOIRES
Le piquet autrichien veillait toujours a la gard!"


du ponto N ous bivouaquions pele-meIe. Les trou·
pes étaient confondues a Stokrau comme sur les
bords du fleuve. N apoléon trouva ce méIange
inutile. 11 envoya les houlans a Vienne, ou ils fu-
rent désarmés.


N ous arrivames a Austerlitz. Les Russes avaient
des forces supérieures aux notres; ils avaient
replié nos avant-gardes et nous croyaient déja
vaincus. L'action s'engagea; mais, au líeu de ces
succes faciles que leur garde senle devait obtenir,
ils tronverent partout une résistance opiniatre.
n était déja une heure, et la bataille était loin
de se décider pour eux. I1s résolurent de tenter
an centre un dernier effort. La garde impériale
se déploya; infanterie, cavalerie, artillerie, mar-
cherent sur le pont sans que N apoléon aper<;ut ce
mouvement, que lui dérobaient les accidents du
terrain. Un feu de mousqueterie se fit bientot
entendre, c'était une brigadc commandée par le
général Schinner que les Russes enfon<:;aient. Na-
poléon m'ordonna de prendre les Mamelonks,
deux escadrons de chasseurs, un de grenadiers
de la garde, et de me porter en avant pour recon-
naltre l'état des choses. Je partis au gaIop, et n'é-
tais pas a une portée de canon que j'aper<;ns le
désastre. La cavalerie était an mllieude nos car-




DU GÉNÉRAL RAPP. 61
rés, et sabrait nos soldats. Un peu en arriere
nous discernions les masses a pied et a eheval
qui formaient la réserve. L'ennemi lacha prise et
aCCOUJ'llt ama reneontre. QlJatre pieces d'artille-
rie arriverent an galop et se mirent en batterie.
Je m'avall(;ai en bon ordre; j'avais á ma gauehe
le brave eolonel Morland, et le général Dalle-
magnc ama droite. «Voyez-vous, dis-je a ma
"troupe, nos freres, nos amis qu'on foule aux
» pieds : vengeons-les, vengeons nos drapeaux. »
Nous nous précipitames sur l'artillerie, qui fut
enlevée. La eavalerie nous attendit de pied ferme
et fut culbutée du meme ehoc; elle s'enfuit en dé-
sordre, passant, ainsi que nous, sur le eorps de
nos earrés enfoneés. Les soldats qui n'étaient pas
blessésse rallierent. Un eseadron de grenadiers a
eheval vint me renforeer, je fus a meme de rece-
voir les iéserves qui arrivaient au secours de la
garde rllsse. N ous recommen¡;ames. La charge fut
terrible; l'infanterie n'osait has arder son feu; tont
était péíe-mele; nous combattions corps a corps.
Enfin l'intrépidité de uos troupes triomphe de
tous les obstacles; les Russcs fUlent et se débdn-
dento Alexandre et l'empereur d'Autriche furent
témoins de la défaite; placés sur une élévation a
peu de distan ce da champ de bataille, ils virent
eette garde qui devait ftxer la victoire taillée en




.MtMOIHES
píeces par ulIe poignée de braves. Les canon s ,
le bagagc, le prince Repnin, étaient dans nos
mains; malheureusement nons avions un bon
nombre d'hommes hors de combat, le colonel
Morland n'était plus, et j'avais moi-meme un
coup de pointe dans la tete . .T'allai remIre compt{~
<le cette affaire a l'cmperenr; mon sabre a moitié
cassé , ma blessure, le sang dont j' étais couvert.
un avantage décisif remporté avec aussi peu de
monde sur l'élite des tronpes ennemies, lui in-
spirerent l'idée du tableau qui fut exécuté par
Gérard.


Les. Russes, comme je l'ai dit, se flattaient de
nous battre avec leur garde sel/le. Cette jactancc
avait blessé N apoléon , il s'cn est rappelé long-
temps.


Apres la bataille d' Austerlitz, N apoléon me
nomma général de division, et m'envoya au 'cha-
tean d'Austerlitz pour soigner ma blessure, qui
n'était pas dangerense. Il daigna me faire plu-
siellrs visites, une entre autres le jour de l'en-
trevue qu'il accorda a l'empereur d'Autriche. n
me remit deux lettres que les avant-postes avaient
interceptées; l'une était du prince Charles, l'au-
tre d'un princ~ Lichteinsten. Elles se trouverent
assez importantes: je les fls traduire. Le soir
N apoléon vint en prendre lectnre a son retour.




DU GÉNÉRAL RAPP. 63
iJme parla beaucollp de FraIH,;ois II, de ses
plaintes, de ses regrets. 11 me dit a ce sujet des
choses fort curieuses.


N 011S partimes pour Schrenbrunn. Il y avait
il peine quinze jours que nOllS y étioIlS lorsque
~ apoléon me tit demander. "Etes-vous en état
»devoyager?-Oui,sire.-En ce cas, allez ra-
»conter lesdétails de la bataille d'Austerlitz a
» Marmont, afln de le faire enrager de n'y etre.
»pas venu; et voyez l'effet qu'elle a produit sur __ .
» les Italiens. Voici vos instructions. ,~~ 1..1




»l\'JoNsumH Lf: GJÜn::RAL RAPP,


») Vous vous rendrez a Gratz. Vous y resterez .).
» le temps nécessaire ponr faire connaltre au gé-
»néral Marmont les détails de la bataille el' A uster-
J) litz; quedes négociations sont ouvertes, mais que
» rien n'est flni; qu'il doit done se tenir pret a tont
)) événement et en mesure; et pour prendrc eon-
» naissance de la sitnation daIis laquelle se trouve
» le général Marmontel: du nombre d'ennemis
J) qn'il a devant lui. Vous lui direz que je désire
~ qu'il envoie des cspions en Hongrie et qu'il
»m'instruise de tout ce qll'il apprelldra. Vous
» poursuivrez votre route jusqu'a Laybách, ou
» vous verrez le corps du maréchal Masséna, qui
» forme le huitieme Lorps de l'armée; vous m'en




MEMOIRES
»enverrez l'état exacto Vous lui ferez connaitl'e que
» si les négociations se rompaient, comme cela
» est possible, il serait appelé sur Vienne. Vous
J) m'instruirez du nombre de troupes cnnemies que
» le maréchal Masséna a devant lni, et de la sitna-
» tion des sienncs sons tons les points de vne. Vous
»vous rendrez a Palmanova, apres avoir beallcoup
»pressé le maréchal Masséna de bien armer et
» approvisionner ceUe place, et vous me ferez
» connattre dans -quel état elle se trouve. De la
» vous vous rendrez devant Venise , vous y verrez
»les postes que nous y occupons et la situation
» de nos troupes. Vous irez de la a l'armée du gé-
» néral Saint-Cyr, qui marche sur Naplcs; vous
)) verrez sa composition et sa force. Vous revieu-
» drez par Klagenfurth, ou vous verrez le maréchal
» Ney; et vous me rejoindrez. Ayez soin de m'é-
» erire de ehaque lieu ou vous vous arreterez :
»expédiez-moi des estafettes de Gratz, Laybach,
» Palmanova, Venise, et du lieu oú se trouvera
» l'armée de Naples. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous
» ait en sa saiute garde. »


NAPOLÉON.
Sch<enbrunn, le .5 frimaire an 14 •


.le rejoignis Napoléon a Munich, oú iI se trou-
vait pour le mariage du prinee Eugene, qui vint
d'Italie, et que j'accompagnai. Pendant mOll aL-




DU GÉNÉRAL RAPP. 65
sence, la paix s'était faite a Vienne. L'empereur
cut une entrevue avec le prince Charles; il lui
destinait Hne épéc magnifique, mais il fut mé-
content de l'archiduc, l'épée ne fut pas remise.


N ous partimes pour Paris. Ce fut partout des
cris de joie : jamais Napoléon n'avait. été re~u
avec autant d'enthonsiasme.




(j(j .MÉ.MOIRJ~S


r: HA PITRE, X.


PCllllant que HOUS {~tjons a Ulm, les PrussiellS
s'(~taient tout a coup avisés qu'ils avaieul l'h("l'i-
tage d'une longue gloire a défendre : les tetes
s'échaufferent, on courut aux armes, Haugwitz
vint llOllS signifif'r ceHe réminiscence i nopint'>e,
Mais la bataille d'Austerlitz eut licu dans l'in-
lervalle. Quand le ministre arriva, il lIe fut plus
t{uestion que d'alliance et de dévollement. Na-
poléon Be fut pas dupe de ces protestatiolls di-
plomatiques: il savait les intrigues, les scelles
de chevalerie qu'on avait employées pour agiter
la multitude. Déjil avant l'actioB il avait dit : « Si
» je suis battu, ils marcheront sur mes derrieres;
¡¡ si je suis vainqueur, ils diront qll'ils voulaicnt


I
» (~tre pour moi.,) lIs ne surent opter n.i pOli!' la
paix ui pour la guerre; ils épierel1t les (~véne­
ments. eette politique tortueuse porta son fruit,
elle leur couta le pays d'Anspach, Earcuth, IIne
partie du granel duch(~ de Berg, et les posses-
SiOIlS qu'ils avaient en Westphalie : ils étaieut
furieux. Je fus envoyé dans le Hanovre,~que nous




THJ Gr~Nf:RAL RAPP. (i¡
lenr avjons abandonné. Le motif apparent de
mon voyage était la remise de la forteresse de
Hameln.; le véritable, de s'assurer de la situation
des esprits. J'étais chargé de voir comment iIs
étaient vns dan s le pays, si I'on . y parlait de
guerre , si les militaires la désiraient, enfin d'a-
cheter a Hambourg tout, ee q,ue je ponrrais de
pamphlets contre Napoléon et contre la Franee.


Ma mission n'était pas difficile a remplir. Les
Prnssiens étaient ex.aspérés et insolents : les Ha-
novriens les détl'staient. Cependant le nord de
I'Allemagne comptait encore Sl1l' cette puissance ,
qui s'était jusqlle-l~ rnaintl'nue intacte. Le corntl'
de Schulemburg étai! gOl1vernetlr de la nou-
velle aeqtlisition du roi Cuillanme; il me ret;ut
assez mal. Nos sueef.s d'Ulm et d'Austerlitz lui
paraissaient médioeres; eette derniere bataille
meme avait dé imléeise; elle ressemblait a eelle
de ZorJl(lorf, livrh~ autrefois par le grand Fré-
dérie aux Russes, el a laquelle i 1 avait assisté.
« Cornment les lui faut-il donc?)) me dit Napo-
léon lorsque je lui raeontai cette aneedote.


J'allai de la a Hambourg, oú je trouvai Bou-
rienne; OH me fit beaucoup d'accueil: je savais
pourquOl.


Je retournai en Franee . .Te passai a Munster,.
oú était le général mucher, que j'avais vu quel-


5.




MÉMOIHES
ques années auparavant. Je lui fis tille visite. 11
ótait indisposé contre nous: il mp re<{ut Ilt"an-
moins avee beaueoup d'égards.


Je m'arretai huit jours a Franefort ehez A llge-
reau ponr voir et pour entendre : c'étaient mes
instruetions. N apoléon venait de demander des
contributions a eette ville; elle craigw¡it (rt~tr('
ohligée d'en payer elleore.


N ous oeeupions le pays de Darmstaclt. Le m<l-
réchal..., qui avait son quartier-général dalls la
capitale de eette principauté, n'était pas plus
a illIPue la conr que des habitants; son état-ma-
jor encore moins. lVf;¡dame la grande duchesse
me tit inviter par Augereau , qui paraissait ;¡ffec-
tionner ce pays; je refusai, je n'avais pas d'ordrc:
elle .le chargea de me transmettre ses plaintes.
Elles étaient ameres.


Je partis pour Wesel. Je devais examiner les
dispositions du papo Nos troupes J'occupaient
déja.


A mon re tour , je rendis compte a N apoléon
de ce que j'avais vu et entendu. Je ne lui cachai
rien. Je lui parlai surtont en favenr du pauvrf~
pays de Darrpstadt; mais il ~tait outl'é contre la
duchesse. Elle avait éerit au roi de Haviere llJW
lettre terrible, au sujet de la m<"salliance dc sa
lliece Auguste avec le prjll(~e Eugene. )::ntre




fH I (~E~ E R A L R ,\ PP. 60
,llll:res expressiolls outragcalltCi't se trou vait cell('
d'llOrrible mariage. L'empercnr, qui cr'Oyait que
la gloire (l'avoir [aÍl de gralldesdlOses \alait
bien l'avalltage de descelldre de cenx qui peut-
hre n'en avaient pas [aites, He lui pardonuai t
pas ses prévelltions féodales. ji fut sur le point
de lui .. oter ses états; mais lVIaxirnilien in tercéd a
pourecllc: elle en fut quitte pour une occllpa-
tion de quelques mois, c'est-a-dire que son peu-
pIe expia les torts de sa vanité. ,


TI n'y avait pas quillze jOllrs que j'étais relltré.
La conr était a Saint-Clowl, et Napoléon assistai t
au spectacle; an milicu de la piece, il re\,l1t 1lI1('
dé peche du granel-duché de Bel'g. JlI'ollvrit. C'é-
taient des détachements prussiens qui avaient at-
taqué nos troupcs. (I:le vois bien, me dit-il, qu'i ls
)} veulent absolument en tater; mOlltez a chevaJ ,
)) el allez chercher le grand-duc a Neuilly. J) Mu-
rat connaissair déjit l'aH;lÍre; il vint aussitot. Na-
poléoú s'cntretillt uu 1110rnent avec iui, et llJC.
donna ordre le lendemain d'aller prendre J(>
cornmandement de la division militaire a Stras-
bourg, d'y organiser des bataillons, de,~ eSl';t-
drons de marche, de les diriger au fur et a mesure
sur Mayellce. et d'y expé(lier heanconp d'arti l-
¡erie. L'infautpI'ie s'embarquait sur le Rhiu pOIll"
;tlTiver plus tat.




7° NIKMOIRES
Je correspondais directement avec Napoléoll.


J'employais les courriers, les télégraphes, tout ce
qui allait plus vite. Je ne devais pas mettre cent
hommes en mouvement, déplacer un canon, re-
muer un fusil, sans l'en prévenir. J'étais depuis
Jeux mois occupé de ces apprets, lorsqu'll arriva
a Mayence, d'ou il m'écrivit d'aller le rejoindrp
a Wurtzbourg. I1 m'envoya une leUre p8ur le
grand duc de Bade, et me chargea de la porter
moi-meme a ce prince. C'était pour l'engager
cl'envoyer a l'armée son petit-fils, le grand cIuc
actuel. Je trouvai ce respectable vieillard dans
son ancien chi'tteau de Bade; jI parut tres af-
fecté de I'invitation; il se résigna néanmoins, et
donna des ordres pour les préparatifs de départ.
I1 me fit l'honneur de me recommander d'une
maniere fort touchante le jeune prince, qui se
mit en route deux jours plus tard, et n011S re-
joignit a Wurtzbourg. Le roi de Wurtemberg y
était déja. Il vcnait d'arrCtcr le' mariage de sa
tille avec Jéróme. Napo)¡'oll était d'une humeur
charmante. Cette alliance lui sou1'iait. Il ll'était
ras moins satisfait du granel duc. Murat l'avait
singulierement <lisposé en faveur de ce prince.
«Je me sllis rendu, lui avait-il écrit quelques jours
» allparavallt, chez le grand cluc de \Vnrtzbourg ,
I que la lcttre et ensuite la Jlollvelk quc je lui ai




7'
» donnée, que le traité qui l'admet dans la confé-
)) dératioll a été signé a Paris, ont tiré de la plus
» grande inquiétude, tant il craignait de ne pas
») y étre re~u. Les sentiments de bienveillance que
)) je lui ai annoncés de la part de votre majesté
») ont surtout paru le toucher vivement. Il montre
l) la mcilleurc volonté pour tout ce ([ui concenH'
)) le service de l'armée. Aujourd'hui on a proclamé
)) son· admission dans la confédération dn Rhin.
)) On a tout préparé pour, recevoir votre majesté
" au chatean, oú il paralt qu'on ne néglige ríen
» ponr tacher de lui en remire le séjour commodc
)) el agréabk. ))


Nous ll'avions encore anCUlle dOllllée précis('
au sujct des Prussiells; HOUS ne savions s'ils
étaient sur la route de Magdebourg, en Saxc, a
Gotha, ni quel était leur nombre. N ous avious
pourtant assez de monde en campagne. Les gcn-
tilshomrnes ne manquent pas plus all deta du Rhin
qu'ailiellrs; mais les rapports étaient si cOlltra-
dictoires qn'on llC pouvait asseoir allCllne id('e.
TautOr l'avant-garde ennemie était a Hoff, Co-
bourg et Memmingen étaient occupés; les Prus-
sicns dédaignaient toute action partielle, ils VOll-
laienl ten ter la fortune en Lataille rangée, ils
11(' voulaiPlI1. point ¡l'affaire dp d~taijs : talltol
lIohplllolH' s'a\aIH.:ait sur Schleitz, Ruchel avait




]V[ lt]V[ o 1 R .E S
fait sa jonction , la reine s'était reudue ;1 El'furt;
ce n'était plus a Hoff, e'était a Nauenhourg que
les troupes se réunissaienl. Cette.disposition n'é-
tait pas en hal'monie avee la nature des lieux ; elle
semblait inconeevable. N oas étions aussi ineer-
tains sur la masse des forees ennemies que sur
lcur ligne d' opérations.


Au milieu de eette incertitude, nous apprim~s
que Cronaeh était oeeupé. Le granel due manda
qu'on travaillait a réparer eette citadelle, qu'elle
serait bientot en état. N apoléon fut étonné que
les Prussiells ue s'en fllssent pas rendus maitres.
« Que! motif les arretait, puisqu'ils voubient ab-


)) solument la guerre? Les diffiellltés ' il n'yavait
)) ni approvisionnements ni artillerie; l'entre-
)1 prise n'était pas au-dessus de leur eourage. Nc
II la jugeaient-ils pas assez importante ponr s'es-
» sayer? Ce fort commande trois grands débou-
)) chés; mais ces messieurs s~ sUllcieut peu des
» positions, ils se réserveut poul' les grands coups;
II IJOllS les sf'rvirons a sonhait. II


11 l'ecevait achaque instant des lIouvel1es de
l'armée pl'ussienne. Ruchel, Blücher, le duc de
Brunswick, étaient impatients de commencer la
guerre, et le prince Louis encore plus. 11 hihait,
iI pressait les hostilités, ii craigllait de laisser
t>chapper l'occasion. C'était, du I'f'stf', uu homTIH'




DU GÉNERAL HAPP.
pleill de courage et de capacit6; tous les rap-
ports s'accordaiellt a eet égard. Napoléon, a qlli
cett(~ pétulanee ne déplaisait pas, s'entretellait
un soir avee 1l0US des généraux ellnemis. Quel-
qU'llIl pronoIl(;a le nOIn du prillce. (( Quant a
» eelui-Ia, dit-il, je lui prédis qu'il sera tuó eette
» campagllc.» Qui aurait el"U q~]e la prédictiOll
dut se vérifier si vite?


La Prusse s'était enfm explíquée. Elle exigeait
que nous abandonnassions nos conquétes, et
Baus mena~'ait de taute sa colere si nOlls persis-
tiollS a ne pas évacuer l'Allcmagne, si nou') ne
repassioHs pas le Rhin. La prétentioIl était mo-
<leste et bien digne de ceux qui l'élevaient. Na-
poléon n'aeheva pas, il jeta la picce, de dédain :
« Se eroit-il en Champagne? veut-il reprodnire
» son manifeste:J Quoi 1 par journées d'étapes '
» Vraiment, j'ai pitié de la-Prusse, je plains Guil-
») iaurne. Il ne sait pas quelles rapsodies on.lui fait
») écrire. C'est par trop ridieule. 11 He le sait paso
» Berthier, on nous dorme pour le 8 un rendez-
» vous d'honnellr; une belle reine veut etre spec-
)) tatrice du combat : aUons, rnardlOlls _ soyons


, .


» courtois, n'arretons pas que nous ne soyans ell
» Saxe. » Se tournant eHsuite vers SOtl secrétain' ,
il lni dicta tOllt d'unc halcine la proclaIl};U:ú.lll,
sui v au tp :




MÉMOIHES


«SOLDAn; !


)) L'ordre pour votre rentrée en Franee était
» parti; VOUS VOUS en étiez déja rapprochés Uf'
» plusieurs marches. Des fetes triomphales vous
l) attendaient, et les préparatifs pour vous rece-
» voir étaient eommeneés dans la capitale. l\fais
l¡ lorsque nous nous abandonnions a eette trop
» eonfiante séeurité, de nouvelles trames s'our-
" dissaient SOllS le masque de l'amitié et de l'al-
» liance. Des cris de gl'lerre se sont fait elltelldre
)¡ a Berlin; depuis deux mois nous sommes pro-
"voqués avee une andaee qui demande vell-
))geance.


» La me me faction, le meme esprit de vertige,
~ G


» qui, a la faveur de nos dissensions intestines,
)) conduisit, il ya quatorze aus, les Prussiens :tu
)) milieu des plaines de la Champagne, domine f'1l-
'j core . dans lellrs conseils. Si ce n' f'st plus París
) qu'ils venlent brúler et renverser jusque dans
"ses fondements, e'est aujourd'hui leurs drapeallx
)) qu'íls se vantellt de planter dan s la eapitale dt~
) nos alliés; e'est la Saxe qu'ils veulent obliger' il
» renoncer, par une transaction honteuse, a SOIl
» illllépendanee, en la rangeant an n(JmJ¡n~ dp
»leurs provillces; .p'est enfin vos lallriers qll'il~,
'1 "PlIlellt :trracher de votrc frOlIt. lIs vClllelll. Ijll('




DU GENÉltAL RAPP.
)) Hans évacuious l'Allemagne a l'aspect de leur
)) armép. Les inseusés! Qu'ils sachent doue qn'il
» serait mille fois plus facile de détruire la grande
)) capi tale qne de flétrir l'houneur des enfan ts du
)) grand peupleet de ses alliés. Leurs projets fllrent
)) eonfoudlls alors; iIs trouverent dans les plaines
JI de Champagne la défaite, la mort et la houte :
JI mais les le<;:ous de l'expérience s'effacent, et il
"est des hommes chez lesquels le sentiment de
)) la haine et de la jalousie ue meurt jamais.


» Soldats, il u' est aueun de vous qui veuille re-
» tourner en France par un aulre ehemin que celui
,) de l'honneur. Nous lIe devons y reutrer que sous
» des arcs de triomphe.


)) Eh qlloi! nOllS n'auriolls dOllcLravé les saisons,
') les mers, les déserts, vaincn l'Europe plusieurs
» fois eoalisée contre nous, porté notre gloire de
)) l'orlent a l'oceident, qne pourretouruer aujour-
)) d'lmi dans notre patrie eomme des transfuges,
." al)I"es avoir abandonné nos alliés, et pOllr entell-
)) dre dire que l'aigle fralH;aise a fui épouvantée
)) devallt des armées prl1ssiennes L ..


)) Mais déja ils sont arrivés sur nos avant-pos-
)) U·s ... Marchons donc, pnisque la modération n'a
» pn les faire sartir de eette étoIlnante ivressc. Que
;J I'ann(~e prussicnne éprollve le meme sort ql1'elle
)) pprollva i 1 .y;¡ quatorze aus. Qu'i ls appreullent




-G i\lEMOIRES
/


» que s'il est facile d'acquérir un accroisspnH'llt di'
» domaincs et de puissance avec l'amitié dn gT~llId
» peuple, SOll inimitié ( qn'oll ne peul provoq"I'1'
') que par l'abandon de tOllt esprit de sa~esse et dI'
» raison) est: plus terrible que les (empeles di'
)\ I'Océall. »


Les soldats !le demandaiellt qu'a combattre. J .es
Prussiens oceupaient Saalfeld et Sehleitz ; nons les
chargeames, non s les eulhutames, nons le nI' fimes
Ull millier de prisonniers. Ce furent les deux pre-
miers engagemeuts que llOUS ellmes ayec t'ux. JI'
quittai Murat, que j'avais eu ordre de suivre. el
aIlai rendre compte de I'affaire de SchJeitz a Napo-
léon, qui avait son qllartier-général ~t queJques
lieues en arriere, chez une princesse de RellS-
Lobenstein. n travaillait avec Berthier. Je lui ap-
pris les succes du gra11l1 due et la déroute de Tauell-
zien. II Tauenzien! reprit Napoléon, un des f¡i-
»seurs prussiens ! C'était bien la peine de tanl
» pousser a laguerre ! )) Il me dit que jc ponvais me
coucher; que dans quelques beures OH m'éveil-
lerait pour aller en mission. J'igllorais oú ce POll-
vait etre. Je fus effectivement aprelé ver s les cillq
heures. L'empercur me remit une lettre pOllr le
roi Guillamlle, qni avait alors, je Cl'Ois, SOIl (1";11-
tier-général a Sondershauscn. « VOllS il'ez" IlH'
,(lit-jI, couril' apres le roi de Pl'llsse; vous luí ['('-




DL ~;ENI~RAL RAPP. , ,
\) 111 el U'('z cel te ldtre de ma parlo Jc lui demande t'1l-
" ("ore Ulle ()is la paix, quoiqne les hostilités soien t
,) (k'jú commellcées. Vous ferez bien sentir a ce


)) souveraill le dallger de sa position et les suites
,) fll1lest(~s (pl'ellf~ peut ;)voir. Vous revielldrez sur-
'J le-champ m'apporter sa répoTls"e. Je marche sw'
"GÓra.)) Nos pqllipagesétaient el/core en arriere,
je n'avals pas de voiture; j'ell empruntai une des
remlses de la princesse, je la fis attcler ele quatre
bons chevaux, et me mis en route vers les six
henres, .Te n'avais pas fait une lieue que N apoléoll
lil c()ul'ir aprés moi. Je montai dans son cabinet,
cllJ il av;¡it travaiW; toute la Tluit. 11 me dit de re-
mettre la lettre a Bcrthier :' TOllte réflexion faite,
J).ie ne veux pas qu'un de mes aides-de-camp soit
» chargé d'un semblable message. Vons hes des
) persoIlllages trop importants ponr que je vous
» expose a etre mal re<{us. ) Elle futenvoyée deux
jours plus t;Jrd p;¡r M. de lVIontesquiou. Il partit, je
erois, de Gpra. On sait le traitement qu'il essuya.
H fut arreté par le prillce de f-iohenlohe, alors
commandant de l'armóe prnssienne, qui le fil
assister a la batúlle de Jéna, et n'expédia, a ce
qu'O[] assure, la leUre qn'apres l'affairf'.


Plusieurs pcrsonnes de la suite de N apoJéon
onl prélendu que si j'enssp achevé la mission dont
j't"tais d'abord ehargé, je serais arrivp chez le roí




MÉMOTRES
de Prusse, et que peut-etre la guerre n'eut pas
eu lien. Je ne le pense paso Le gant était jeté, il
fallait le ramasser. Je ne erois pas meme que Na-
poléon fUt plus enclin a la paix que le roi Gl1il-
hume.




l> li G E N~: H A L R A PP. :-9


CHAPITRE XI.


<..!L1oi qu'il en so:t, 1l0US étions Inaltres du COlll'S
de la Saale et en mesure de tourner l'armée ell-
neUlie; le el DC de Brunswick était bien déchn. 11
avait imaginé de nons aller ehercher sur le Mein,
d'occuper BOS aiks par des eorps détaehés et de
t101lS I'ompre all centre avant que nous fussions
rél/Bis. n avait encore tOHS les 61s de ce vaste sys-
teme d'espiol111age qui pesait sur la Franee depuis
l'émigration : il connaissait la force et l'itilleraire
de' divers eorps qui pal'taiellt de Meudon. 11 ne
doutait pas de nous prévenir. N apoléon se plaisait
a 1I0nrrir eette illusion; il faisait desapprets,
des reeonllaissances sur toute eette ligne. Le duc
ne douta plus de IlOUS avoir pénétrés : 11011S de-
viol1s déboueher par Kcenigshoften; ille eerti6ait,
il en était convaincu. N os mOllvements sur son
centre n'étaient qu'un piége, une ruse de gnerre;
IlOUS voulions lui donner le change, emptkher
llu'iJ ne débouehat par les forets de la Tuhringe ,
tandis que nous nous porterions vers Cobollrg,
Memmingen, d<lIlS des pays boisés, montneux, OÚ




So .MF~MOIR ES
~;a c;¡v;¡lel'ie perdraitl'occasion d'agir OH tout al!
moins sa supériorit{,. 11 était urgent de nOlls prt'>-
venir, il courut sur Krenigshoften.


L'ellnemi était engagé dalls les bois; Napoléoll
se porta sur Schkitz, a soixante licues dll point
<l'attaque présllmé. Le troisieme corps couchait
paisiblement le loa N auenbourg sur les derrieres
du duc de Brunswick. Les hostilités ne dataient
que de deuxjours, et ce princf', cléja débordé sur
sa gauche, était a la veille d'etre tout-a-fait coupé;
ses communications avec l'Elbe aaient compro-
mises; iI allait essllyer les memes disgrikes que
Maá, eonlre lequel ii avail fant inveetivé. SOIl
avallt-garde arrivée sur le Mein n'y trouva per-
S011nc. Cctte eirconstance lui parllt inoule, sallS
néanmoins lui faire SOllp¡;;Onner le danger Ol! ii
était: la déroute de Saalfelrl put sellle le tirer de
sa sécnrité. Il rebroussa en toute hate; Weimar,
Hohenlohe, eurent orclre d'aceollrir,f't I'armée d!'
n~serye de foreer de marehe; mais les 1II1S s\'>gare-
!'ent, les :1utres IH' firf'1l t P;¡S assez de diligence ;
Ulle partie des troupes ne put prendre par!" a la
bataille. Le dlle, déeoneerté par UIl systeme rI(·
mouvcmellts si nonveaux ponr lui , ne savait qmd
parti prendrf' : ces marches, ces dispositions, qui
se pressaient, se succédaient l'une a l'autre, fo1'-
maient un imbroglio dont il ne saisissait ni la




DU Gf~NliHAL RAPP. 81
r:ombinaison ni le bul. L'occupation de. Nauen-
bourg le tira de cet état d'anxiété; ii vit que
son :úle gauehe ~llait etre tournée Oll tont au
moins débordée; ii ne voniut- pas attendre, ÍI
eOllrut rallier l'armée de reserve qui avan!{ait sur
Halle, et iaissa Hoheniohe au camp de Capellen-
dorf pour masquer le mouvement retrograde.
Ses troupes, qui n'avaient pas partagé les dis-
graces de Sualfeld et de Schleitz, persiflaient les
corps battus; elles criaient vive le roi, la reine,
tout le monde: elles allaient venger l'affront fait
aux armes prussÍennes; iI n'y avait pas assez
de Fran\,ais pour elles. Le duc lui-mpII1e avait
repris tOllte 5a coufianee. Il ne trom,-a sur la
ehallssée d'Auerstaedt qu'une trelltaÍne de chas-
seurs. Ses communieations étaient libres; iI était
impossible qu'elles fussent interceptées. Un ma-
nreuvrier comme lui n'était pas facile a sur-
prendre. Les Prussiens de Hohenlohe campaient
derricre les hautcurs de Jéna: il yen avait a perte
de vuei iIs se prolongeaient par-del a 'Veimar. Na-
poléon les reconnut dan s la soirée du 13, et fixa
l'attaque au leudemaÍn; il expédÍa dans la nnit les
ordres de mouvements pour les divers corps.
« Qllant á Davoust, il hut qu'il marche sur ApoIda,
»afin de tomber sur les derrieres de eette armée~
»qll'il tienne la route qui luí convicndra, je le


()


"




MÉMOIRRS
» lalsse le maitre pourvu qu'il prenne part a la
)) bataille. Si Bernadotte est a portée, iI fallt qu'il
,) l'appuie. Berthier, donnez des instructions en
» couséquence. » 11 était dix heures du soir; tontes
les disposit~ons étaient faites, et eependant le
généraI ennemi se flattait encore que nons ne
L ,


pourrions d(~boucher; mais la pioche tit justice
des obstades, on ereusa le roe, on ouvrit des
tranehées : l'armée s'éeoula par tOl1tes les issues.
L'aetion eommen<;a; de la droite a la gauche,
la melée devint terrible. Davoust surtout se trou-
vait dans Hne position sons laquelle Hn homme
moins tenace eút sllccomhé. Rernadotte refusa
de le soutenir; il défendit meme a deux divisions
de la cavalerie de réserve, qui pourtant n'était
pas sous ses ordres, de prendre part a l'action.
Il paradait autour d' A polda pendant que vingt-
six mille Fran<;ais étaient aux prises avec soixante-
dix mille hommes d'élite eommandés par le dnc
de Brunswick et le roi de Prusse. An reste, eeUe
cireonstanee ne fit que rehausser la gloire de-
celui qu'clle aurait dil perdre. Le maréehal fit des
dispositions si bien entendues, ses généraux, ses
soldats déployerent tant d'hahileté et de courage .
que Blücher avee ses douze mille chevaux n'eni
pas meme la satisfaction d'entamer une compa-
gnie. Le roi, les g,lrdes, toute f'armée, se précipi-




OU CENEHAL RAPP. 1:l3
taient sur IlOS troupes san s obtenir plus de succés.
Au milieu de ce délnge de feux elles conservaient
toute la gaieté nationale. Un soldat cIue ses cama-
rades appelaient l'empercur s'impaticntc de l'ob-
stination des Prussiens: « A moi, grenadiers! en
)) avant, s'écrie-t-il; allons, suivez l'empcreur!)) n
se jette au plus épais de la meló e, la troupe le suit,
et les gardes sont enfoncés. Il fut fait caporal;
ses amis remarquaient qu'il ne lui manquait plus
"fIue le protectorat.


A Jéua, la victoire 11 'avait pas été moillS
brillante. La déroute était entiere, était géné-
raleo Tout fuyait, tout ~tait dan s la confusion.


Je fus ehetrgé vers le soir de poursuivre avec
le grand-duc les débris de l'arm('e prussienne.
Nous primes quelques bataillons saxons. "NOllS
entrames pele-mete avec eux dans Weimar. Nous
pl;¡~ames nos postes en avant de la ville; nous
envoy:hnes de la cavalerie sur la route d'Erfurt,
et nons nons présenlámes au dülteau. M. de Pa-
penheim, que je me rappclai avoir vu ~ París,
vint au-devant de nous. 11 était tout effrayé : nous
le rassuramcs. La cour entÍere, a l'exception du
grand-duc et de sa famille, était a Weimar. La
duchesse non s rel{ut parfaitement. Je connaissais
plusieurs clames de sa suite, dont une est deve~
nuc depuis ma }wlle-s!X!ur. Je les calmai. Chacull


6.




M ME.\IOIRES
reprit coul'age. Il y cut bien quelques petits dés-
ordres, maÍs ce fut peu de chose.


Murat s'établit au chateau. J'a11ai rejoindl'e
Napoléon él Jóna, afin de luí rendre eompte deg
événements de la soÍrée. Il ne eroyait pas qu'on
dépassel'ait vVeimar.ll fut extrcmement satisfait.
Le courage de la duehesse l'étonna.1l n'imaginait
pas que eette eoul' osat l'attendl'e. Il ne l'aimait
pas, i.l le l'épétait SOlIvent. La nuit était fort
avancée; il venait de reeevoir des nOllvelles du
deuxieme corps. « Davollst, me dit-il, a eu une
3 affaire terrible. 11 avait devant lui Guillaume et
»le duc de Bruns\"ick.Les Prussiens se sont hat-
l) tus avec beaucoup d'acharnement : a en a fait
»une boucherie affreuse. Le duc a été dangereu-
J) sement blessé, et toute eette armée para!t ctre
»dans un désordre épouvantable. Bernadotte s'esl
») mal conduit : ~ aurait été enchanté que navoust
"manqllat eette affaire, qui lui fait le plus gl'and
»honneur, d'autant plus que Bernadotte avalt
» rencru sa position difficile. Ce Gascon n'en fera
"jamais d'autres. "


La bataille était perdlle : les Prussiens n'é-
taient plus él la guerre; iIs demandaient, ils in-
voqnaient la paix; ils ne vOlllaient plus d'muo
lutte qui leur réussissait si mal. A force de dési-
rer une suspension d'armes, ils s'étaient imagi1H'~




DO G EN ERAL RAPP. 8ft
qu'elle avait été conspntie. Kalkreuth annon¡;,ait,
Blücher jurait qu'elle était concluej qui pouvait
refuser d'y croire? Sonlt, cependant, ne donna
pas dans le piége. I;imprlldente générosité d'Aus-
terlitz ne J'avait pas disposé a la confiance. Il
refnsa de livrer passage allX, troupes qu'í] avait
coupées. « La convention dont vous parlez, dit-
» il au feld-maréchal, est impossible, Posez les
» armes, je prendrai les ordres de l'empereur,
l) vous vous retirerez s'il le permet.» Kalkreuth
ne voulut pas d'un expédíent de cette espece, Il
échappe tonjours quelque chose d'une défaite. 11
aima mieux l'essuyer. D'autrcs colonnes furent
plus heureuses; mais ce n'était que partie re-
mise. Elles fnrent obligées de rendre les armes
quelques lieues plus loin. Ce n'était pas la peine
de recourir a la supercherie.


Le roi lui-meme était rebuté de ses disgraces.
N os hussards ne lui donnaient ni treve ni reposo
II se rappela tont ce que Napoléon avait fait pour
éviter les hostilités; ji lui écrivit. C'était un peu
tarel pour répondre a des ouvertures qui avaient
été si mal accueillies. ({ Il eut mieux valu s' expliquer
» dellx jours plus tOt; mais n'importe, je veux
n arreter l'effusion du sango Je suis disposé a me
» preter a tont ce qni est compatible avec la di-
»gnité pt les intén'·ts de la nation. J' enverrai Du~




80 "'1 EJ\IOIH ES
\) roe au roi de Prusse. Mais iI y a qnelque chose
») d'encore plus pressé : Duroc, par tez de suite;
}) allez a N aucnbourg, a Dessan , partont ou il )
)) a des blessés. Assurez-vous qu'iI ne leur man-
» que ricn, voycz -les, visitez -les de ma par!:,
» chacun en particulier. Donnez-leur toutes les
}) consoIations dont i1s peuvent avoir besoin. Oi-
») tes-Ieur, di tes au ma'réchal que lui, (¡ue ses
»généraux, que ses troupes, ont acquis ponr
) jamais des droits a ma rcconnaissance. »


Il ne se contenta ras de ce message , il écrivit
a Davollst combiell iI était charmé de sa conduite.
Sa lettre fut mise a l'ordre dI! jonr, elle enivra les
soldats; les blessés mcmes étaient dans le délire.


L'empereur porta son quartier-général a Wei-
mal'. Il eut tous les égards possibles pour la du-
chesse, a laquelle il trouva de l'amabilité" de
l'esprit, de grandes manieres.


Cependant l'ennemi se ralliait: sur Magdebourg.
Les débris de Jéna, l'armée de réserve , les trou-
pes de la vieille et de la nonvelle Prusse, aceou-
raient sur cette place. Le duc de Wurtemberg
prenait déja position a Halle; Bernadotte y mar-
cha. Son corps n'avait pas combattu a Auer-
staedt; il ne demandait qu'a se dédommager de la
part de gloire dont il avait été privé. Il aborda les
Prussiens a la balonnette, renversa , culbuta tout




DU GENÉRAL RAPP. 8'"' ¡
ce qui se pl'Psenta sur son passage. Le carnage fut
affl'eux. Le lendclllain N apoléoll vi:;ita le champ
de Lataillc. Il fllt frappé á la vue des monceanx
de cadavre~ (lui t'Htoul"aient ceux de quelquei-'-
UDS de !lOS soldab; il s'approcha , ct l'cconnut les
numéJ"os du 32 e • « J'en ai tallt fait tuer, dit-iJ , de
» ce régiment-Ia en Italie, en Égypte el partollt I
l) qu'il ne devrait plus en etre question. ))


Il se dirigea sur Dessau et tralta a merveille 11:'
vieux dnc, qui y était resté avec son fils. n y
avait quelques mois qu'un M. de Gussau, attaché
á fa COllJ' de Rade, m'avait dit a Paris : (( Vous au-
)) rez sans doute la guerre avec les Prussiens. Si
» cela arrive et que vous pénétriez, cette campa-
)J glle, jusqu'a Dessau, je vous reCOITlmallde son
l) respectable souverain, qui est le pere de ses
»sujets. » M. de Gussau dut etre bien étonné de
voir que les Fran«;ais, au lieu d'aller jusqu'a Des-
sau, pénétri>rent jusqu'au Niémen, et plus tard a
vingt lieues au dela de Moscou.




lHEMOIRES


CHAPITHE XII.


Les Prussiens fuyaient a toutes jambes; mai~
plus la fuite était précipitée, plus la poursuite
était ardente. Culbutés a la vue de MagdeLourg,
ils se réfugierent derriere des retranehements·in-
formes oll ils fureIlt bientot foreés et eontraillts
de mettre Las les armes. La place fut illvestie;
et Guillaume, qui s'y trouvail, fut trop hellreux
d'éehapper. Tout, autour de lui, avait plié sous
l'orage. Ce n'était plus eette nation fameuse qlli
devait nous refouler sur le Rhin. Un revers 1'a-
vait abattue, un seul coup avait suffi pour la
concher dans la poussiere. Elle courait au-uevant.
de la défaite, elle s'ahandonnait, ell(~ se livrait
elle-meme : jamais natÍon n'était tornbée plus
a plato 5a chute allait se consomrner; tous les
corps étaient en marche sur la capitale, el
s.e disposaiellt a en prendre possession. N a-
poléon réserva cet honneur a celui qui avait lt'
plus eontribué a la victoire; e' était eclui de Da-
voust. Voiei les instructions qu'il adressa au rna-
réchal :




UU GÉNÉRAI. RAPP.


Wittembcrg, le 23 octobre 1806.


ORDRE A M. LE :\fARÉCHAL DAVOUST.


(( Si les partis de trollpes iégeres, monsieul'
1) le maréehal, que vous n'aurez ras manqu~ d'en-
,) voyer sur la route de Dresde et la Sprée, vous
)) assurent que vous n'avez pas d'ennemis sur vos
1) flanes, vous dirigerez yotre marche de maniere
»á pouyoir faire yotre entrée á Berlin le 25 de
)) ce mois a midi. Vous ferez reconnaitre le général
J) de brig;¡de Hnllin ponr eommalld;¡ntde la place
» (]e Berlin; vous );¡isserez d;¡ns la vme un régi-
)) ment a yotre choix pour f;¡ire le serviee; vous
J) enverrez des partis de cavalerie légere sur les
» routes de Kustrin, de Langsberg , et de Franc-
JI fort-sur-l'Oder. Vous placerez votre corps d'ar-
l) mée á une lieue, une lieue et demie de Berlin,
» ladroite appll,"pe a la Sprée, et la gauche a la
) route de LangsLerg. Vous ehoisirez un quartier-
) général sur la route de Kustr;n, dans une maison


L


)) de eampagne, en ;¡rriere devotre ;¡rmée. Comme
)1 l'intention de l'empereur est de laisser ses trou-
"pes quelques jours en repos, vous ferez fairf'
)) des b;¡r;¡qucs ;¡vee de la p;¡ille et du bois. Gé-
» néraux, officiers d'état - major, colonels, 1'1




MÉMOIRES
)) mitres, logeront en arriere de leurs divisions
"dans les villages , personne a Berlín; l'artillerie
» sera placée dans des positiolls qui protégeAlt le
) camp; les chev31lx d'artillerie aux piquets, et
') taut dans l'ordre le plus rnilitaire.


» Vous ferez coupel', c'est-a-dil'e i.ntercepter le
,) plus lut qu'il vous sera possible ]a navigation de
) la Sprée par un fort parti, afin d'arreter tous les
) bateaux qui de Berlin évacneraient sur rOdero


» Le quartier-général sera demain a Postdam ;
') envoyez un de "OS aides-df'-camp qui me fasse
') connaitre or'! vous serez dan s la nuit du 23 au
)) 24, et dan s eelle du 2r, au 25 ..


» Si le prince Ferdinand se trouve a Berlin,
») faites - le complimenter, et accordez -lui une
D garde avec une entiere exemption de logements.


» Faites pnblier sur-Ie-champ 1'0rdre de désar-
J) mement, laissant seulement six cents hommes
)) de milice ponr la police de la viJIe. On fera
l) transporter les armes des bourgeois dans un
) lien désigné, pour etre a la disposition de l'armée.


» Faltes connaltre a votre corps d'armée qu e
» l'empereur, en le faisant entrer le premier a
" Berlin , lui dOllne une prenve de sa satisfaction
» sur la belle conduite qu'il a tenue a la bataille
"de Jéna.


"A)ez soin que tous les bagages, et surtout




DU C;-F~NÉRAL R-'\PP. 01
)) ceux qui sont sí vilains a voir a ia suite des di-
»visiollS, s'arretent a deux licues de Berlín, eL
)) rejoignent le camp sans travel'sel' la rapitale,
» mais en s'y rendant par un :mtre chemÍn sur
» la droite. Enfill, l\1ollsiellr l(~ maréchal, faites
1) votre entrée dalls le plus grand onlre et par
1) division, chaque division ayant son artillerÍc
D et marchant a une heure de distance l'une de
D l'autre.


» Les soldats ayant nne fois formé le camp,
1) :ljez soÍn (JlI'ils ]]'aillent en yillf' que par tiers,
» de manit\l'e qu'il y en ait tonjollrs deux tiers pré-
,) seuts au campo Cmnrne sa lIlajesté peuse faire
1) son entrée a Berlin, vous pouvez provisoirement
» recevoir les clcfs, en faisant conllaitre aux ma-
l) gistrats qu'ils ne les remettront pas moins a
» l'empereur quand il fera son entrée. Mais vous
» devez tonjours exiger que les magistrats et no-
l) tables viennent vons recevoÍr aux portes de la
l) ville avec toutes les formes convenables; que
» tous vos officiers sojent dans la mcilleure tenue,
l) autant que les circonstances peuvent le permet-
» treo L'intention de l'empereur est que votre cn-
)) trée se fasse pat' b chaussée de Dresde.


» L'empereur ira vraisemblablemcnt loger au
J) palais d~ Charlottembourg: donnez<les ordrcs
1) afin gw' tout., soi! prt'-par{"




MÉMOIRES
D n y a un 'petit ruisseau qui se jette dans la


» Sprée , a une lieue et demie ou deux de Berlin,
)) et: qui coupe le chemin d'Eu. ))




DU GÉNERAL RAPP. i.p


CHAPITRI XliI.
'. !.


Nous partimes puur Postdam. L'orage nons
surprit : il était si violent et la pluie si abondante,
que nous nous réfugiames dans une maison voi-
sine. Napoléon, enveloppé dans sa capote grise,
fut hien étonné de voir une jeune femme que sa
présence faisait trcssaillir: c'étaitune Égyptienne,
qui avait conservé ponr luí cette vénération re-
ligiellse quc lui portaient les Arabes. Veuve d'nn
officier de l'armée d'Orient, la destinée l'avait
eonduite en Saxe dan s eette meme maison, ou eHI:'
avait été aceneillie. L'empereur lui donna une
pcnsion de douze cents franes, et se ehargea de
l'édlleation d'un fils, seul héritage que lui eut
laisse son mari: ({ e'est la premiere foís, nons dit
» N apoléon, que je mets pied aterre pour éviter
» un orage. J'avais le pressentiment qu'uue bonue
» action m'attendait la. »


Postdam était iutact; la eaur avait fui avec
tant de précipitation qu'elle n'avait rien enlevé.
L'épée du grand Frédéric, sa ceinture, le granel
cm'don de ses ordres, y étaient encore. N apaléon




MÉMOIHES
. :~'en empara. "Je préfere ces trophées, nous dit-


1) ii avec enthousiasme, a tons les trésors dtl roí
n de Prusse. Je les enverrai a mes vieux soidats
)) des campagnes de JIanovre; je bs oonnerai au
)' gouverneur des In valides, qui les gardera comme
"un témoignage des victoires de la grande armée
) et de la vengeance qu'elle a tirée des désastres
"de Rosbach. »


N ous étions a peine a Postdam que llOUS fúmes
assiégés de Mputations; il en vint de Saxe, de
Weimar, departout: Napoléon les acclIeillit avec
bonté. L'envoyt'~ du dnc de BrulIsw ich, qui re-
commandait ses sl1jets a la générositó franr;aise,
fut re<:;u avec moins de bienveillance: "Si je fai-
)) sais démol~r la ville de Brunswick, si je n')
» laissais pas pierre sur pierre, que dirait votre
» prince ? La loi du talion 'ne m'autorise-t-elle pas
¡) a faire a Brunswick ce qu'il voulait faire dans ma
» capitale? Annoncer le projet de démolir des
)) villes peut etre d'un insens{;; mais nndoir otel'
,¡ l'honneur a toute une 3.rmée de braves gens, lui
)) proposer de quittel' l' Allemagne par jourllées
)) d'étape, a la senle sommation de l'armée prus-
)) sienne, voila ce que la postérité aura peine a
)) croire. Le duc n'anrait pas dli se pernÍettl'c UlI
,¡ semblable ontrage. Lorsyu'on a blanchi sons les
,armes, on cloit respecter l'honnenr militaire. Ce




"n'est pas c/'ailleurs dalls les plaines de Champa-
»gne que ce gélléral a acquis le droit de traiter
"les dl'apeallx frmH.:ais avec tallt de l11épris. Une
" pal'eille sommatiou ne déshonore que celui quí
') l'a faite. Ce ll'est pas :m roi de Prussc <lu'en res-
» tera la honte, c'est au chef de son conseil de
» guerre, c'est au général a qui il avait remÍs,
» dans ces eireonstanees difficiles, le soin de ses
» affaires; e'est enfin le duc de Brunswick que la
» Franee et la Prusse accuseront des calamités de
» la guerreo La frénésie dont ce vieux général a
» donné l'exemple a autorIsé une jcuncsse tur--
"lmlente, et entrall1l' le roi contre sa propre PCIl-
» sée et son intime cOllvictiol1. ToutPÍois, mon-
O) 3ieur, elites aux habitants du pays de Brunswick
» qu'ils trouveront dans les FraIH;-ais des ennemis
» généreux; que je elésire adoucir a leur égard les
»rigueurs de la guerre, et que le mal que pour-
» rai t occasioner le passage des troupes est contre
» mon intention. Dites au général Brunswick qu'il
» sera traité avec tous les égards dllS a uu offieier
) ennemi, rnais que je ne p\lis reconnaitre un SOll-
» veraín dans un des généraux du roí de Prusse.
)) S'il arri ve que la maison de Brunswick perde la
» souveraineté de ses ancetres, dIe ne pourra s'en
») prendre qu' a l' autenr des deux guerres, qui,
• dans l'unA, voulut saper jusque dans ses fon~




ti 9 M:EM:OIHES
,dements lagrandecapitale; qui, dans l';mtre, pré-
"tenditdéshonorerdellxcentmille D!aVeS, qu'on
:) parviendrait peut-titre a vaincre, mais qu'on ne
») surprendra jamais hors du ch(~mjn de l'hollneur
., et de la gloire. BeaUCOll p de sang a été versé en
,) peu de jours í de grands désastres pesent sur la
,) monarchie prussiellne. Qu'il est.digne de bl<lme
») cet homme qui, d'un mot, pouvait les prévenir,
" si, comme N estor, élevant la voix au milieu des
»conseils, il avait dit :


)) .J eUlIesse inconsidérée, taisez-vous; femmcs,
») retournez a vos fuseaux et reutrez dans l'inté-
» rienr de vos ménages. Et vous, sire, croyez-en
» le compagnou du plus il1nstre de vos prédéces-
» seurs: puisque l'empereur N apoléon ne vel~t
)) pas la gllerre, ne le placez pas entre la guerre
» et le déshollneur; ne vous engagez pas dans
»une luUe dangereuse avec une armée qui s'ho-
)) nore de quinze ans de travanx glorieux, et que
» la victoire a accoutumée a tout somuettr\"!.


)) Au lien de tenir ce langage, qui convenait si
») bien a la prudence de son age et a l' expérience
») de sa longue carriere, il a été le premier a crier
) aux armes; il a méconnu jusqu'aux liens dn sang
» en armant un fils (le prince Engene de Wurte111-
)) berg ) contre son pere; il a menacé de plantel'
) ses drapeaux sur le palais deStuttgard; et aCC0111-




Dll GEN ERA L RA PP .
. ; pagnant ses démarches d'imprécations coutre
) la Frailee, ji s'est déclaré l'auteur de ce mani-
"leste inscnsé qu'it ava1t d"sa voué pendaut qua-
)) tOJ'ze <lns, qnoj(lu'il u'osat pas uier de l'avoir
)l I'evetu de sa signature. »


Spandau venait de se remIre an maréchal
Lanlles. N apoléon la visita eu détail, et m'envoya
a Berlin , ou Davoust était entré, complimcllter
de sa part le vieux Fel'dinaml et son épouse. Le
prince "tait triste et abattu, il venait de perdl'e
son fils; la prince~sc parajssait plus caln:e et plus
résiguée. J'allai (~galemcllt compJimclltcr la prill-
cesse Henl'y , el la sU'm' de sa lll:'jCSl(; prussieIlue,
la princesse de Hesse. La premien' parut 1Ó1'l. sen-
sihle a la prévenallce de N apoléun; la secollLle
était retirée dans une aile un chatean, oú die
vivait tranquille avec ses petits-enfants. La po-
sitio11 de cette pl'incesse m'inspira beaucoup
d'inléret et de venération. Elle parnt rassurée.
Elle rne- pria uéallllloillS de la I'ecommaJlder
a Napolt'on, qui alta lui l'cndre visite aus~,i!(\t
qu'il fut arrivé. Elle lui inspira les 1l1t-rnes seu-
timeuls.


L'empereur porta SOIJ lfllarlipr-général a Char-
lottemLourg, 11 fit son eutrÉ'e le lendernaill dan s
la cupitalc, et auressa a l'armée la prochmatioll
qui suit.




l\<IÉMOIRES


« SOLDAn;!


)) Vous avez justifié man attente et rt'>polldu
) dignément a la conflance du peuple f1'an(;ais.


,) Vous avez supporté les privations et les fatigues
)) avec antallt de coul'age que. vous avez montré
» d'intrépidi té et de sang - f/'Oid au milieu des
» combats. Vous etes les llignes défenseurs de
» l'honneur de ma couronne et de la gloire dll
» grand peuple. Tant q lle VOllS serez animé~ de
» cet esprit, rien ne pourra vous r{>sister. Je ne
)) sais désormais a qnelle arme donner la pré-
» férence ... Vous etes tons de' bOlls salclats. Voici
') le résultat de nos travaux.


)) Une des premieres puissances de l'Eurore, qui
» osa naguere nous proposer une honteuse capi-
» tulation, est anéantie. Les forets, les défilés ele
» la Franconie, la Saale, l'Elbe, que nos peres
» n'eussent pas traversés en sept ans, nous les
)) avons traversés en sept jours, et li vré elans l'in-
» tervalle quatre combats et une grande hataillf'.
»Nous avons précédé a Postdam, a Berlín, 1<1
') renommée de nos victoires. Nons avons fait
;) soixante mille prisonniers , pris soix;¡nte-cinq
» drapeaux , parmi lesque]s ceux des gardes du
)) roi de Prusse, six cents pieccs de canon, trois
J forteresses, plus de villgt gt'-néranx; cepelldanl




DU GENÉRAL R"\.PP.
¡; plus de la moitip de vous regrettent de n'avoir
» pas tiré un coup de fusil. Toutes les pl'milH:es
» de la monarchie prussiellne jnsqu'a l'Oder sont
¡) en notre pouvoir.


J) Soldats, les Rllsses se vantent de venir a rJ(ll!S;
~ JlOUS l1wrcherons;1 Icur renco n tre, nOtls lenr
¡Jépargnerons la moitié du ehemill; iIs retl'ome-
:) ront Austerlitz au milieu de la Prusse. DIle 11:1-
'J tion qui a anss1tot oublié la générosité c10ut
») nons avons usé envers elle apres eelte bataille
»oú son elllperenr, sa eonr, les débris de son
J) armée, n'out dú lenr salut qu'ala capituIation
') que 1I011S leur avons accordée, est une nat.i(¡1l
» qni ne saurait IIlU.er avec sneees contre BOl/S.


) Cependant, tandis que nous marchons au-
»devant des Russes, de nOllvelles armées, for-
)) mées dans l'intérieur de l' empire, vienneut pren-
)) dre notre place ponr garder nos conquétes. Mon
J) peuple tOllt entier s'est levé honteux de la hou-
)) teuse eapitulation que les ministres prussiens,
J) dans leut' déli re, nOlls OH t proposée. 'N 0:-' l'outes
» et IlOS villes frontieres SOllt rf'Illplies de cou-
» scrits qui brúlent de marcher sur vos ti';1ces.
l) NOllS ue serons plus dpsormais les jouets d'une
» paix traltrf'sse, et nOlls ne poserons plus les a1'-
)) mes (Jue nous ,úyons obligé les Anglais, ces
, éteruels ellUClllis de llolre llatioll , a rellOllCf>l





100 MÉMOIRES
» au projet de troubler le continent, et a la tyran-
»nie des mers.


)) Soldats, je ne puis mieux vous exprimcr les
II sentiments que j'éprouve ponr vous qu'en di-
»sant que je porte dans mon creur l'amour que
"vous me montrez tons les jours. »




DU GENÉRAL RAPP. 1411


CHAPITRE XIV.


Napoléon se rendit ensuite au camp el passa
la revue du troisieme corps; tous ceux qui
s'étaient spécialement clistingués re<;urent des
grades OH des décorations. Les généraux, les of-
ficicrs , SOllS- offieiers, furent appelés autour
de sa personne. (c J'ai VOL/lu vous réunir, leur
)) dit-il, pour vous t{>moigner toute la satisfactioll
» que m'inspire la belle eonduite que vous avez
II tenue a la bataille du 1 [l' l' ai perdu des braves;
» ils étaient mes enfants, je les regrettej mais
)) enfin ils sont morts au champ d'honneur, ils
)) sont morts comme de vrais soldats! Vous m'avez
» rendu un serviee signalé dans cette circonstance
)) mémorable : e'est surtout a la brillante eonduite
» du troisiemc corps que sont dns les grands ré-
)) sultats que nous avons obtenus. Dites a vos
)) soldats que j'ai (~té satisfait de leur eourage.
II Géuérallx, officiers, sous-offieiers et soldats,
» vous él vez tons acqnis ponr jamais des droits a
}) lIla reeonnaissauce et a mes bienfaits. » Le ma-
réchallui répowlit qne le troisieme corps serajt;




jU;¿ NlEJ\IOIR E~
tonjollrs digne de sa conflance, qu'jl serait COJl-
stamment pour lni ce que la dixieme légion a,ait
pté pOllr César.


M. Denon a'lsislait ~ cetle scene d'émotion;
pellt-rtre son pinceall en consacrera-t-ille souve-
ni!': lIlais epwl que soit son talent, iI ne peiu(Ira
jamais l'air de satisfaction et de bonté répandu
dans les traits du souveraill; ni le clévouement,
la reconnaissance dessinés sur toutes les figures,
depuis celle do maréchal jusgu'a celle du dernier
des soldats.


La procIamation que Napoléon avait a(lressé('
anx troupes les avait rempIies d'Ulle llonvelle
ardenr; elles se précipitaient a la sl1ite des dé-
hris de Hall et de Jéna. I.e prince de Hohenlohe
en avait rallié une masse considérahle, avec la-
quelle il eút pu nous échapper : il ne 6t pas
assez de diligence, il perdi t el 11 temps. Ces retards
nous reneliren t l'espérance de le voir coupé : Na-
poléon l'attendait impatiemment. (( Bernadotte ~
»me dit-il pendant que nous nOlls installions au
» palais, doi t ctre a cette heure a Cremen. Il aura
» súrement déhordé les Prussiens; Murat les pous-
» sera avec son· impétuosité ordinaire : ils ont a
» eux deux plus de monde qu'il n'en fallt pour les
) prendre.J'aurai, d'ici áquelques jours, le prince
"de Hohenlohe avec tout son corps, et bientút




DU CÉNEHAL RAPP. JO:'>
)) apres ce qui leur reste d'artillerie et d'équi-
)) pages; mais il faut de l'ensemble : il n'est pas
JI prpsumable qu'ils se laissent prendre sans se
)) battre. ))


Tont se passa COll1me N apoléon l'annonc;;ait :
les Prussiens, ébranlés par la cavalerie et la mi-
traille, furent SOll1ll1és par le général Bellianl , et
ll1irent bas les armes. Vingt-cinq millc hommes
d'élite, quar~nte-cillq drapeaux, soixante-qua-
torze pieccs d'artilleric, défilerent devant la ca-
valerie franc;;aise: c'était une deuxieme jonrnée
rl'Ulm. L'empereur fnt charmé d'un si beau ré-
suItat: « e'est bien, dit-il; mais il reste encore
»ce Rlücher si habilc a improviser des arll1istices;
»il faut qu'il vienne aussi. )) Et iI écrivit de suite a
Murat : « 11 n'y a rien de fait tant qu'il reste a
)) faire : vous avez déborclé la cavalerie du général


)) Rlúcher; que j'apprenne bientot que ces troupes
»out éprouvé le sort de ceHes de Hohenlohe. n
Berthier lui écrivit aussi pour lui recommander
le duc de Weimar: a Indépendamment des petites
)) colonnes égarées, iI Y en a trois principales:
»ceHe du prince Hohenlohe, que vous avez prise
na PrentzIow; ceHe de Blücher, qui, le 28 a la
» pointe du jour, a quitté \Vessemberg, et que
)) YOUS aurez súrell1ent rencontrée aujourd'hui a
JI Pasel" alch; eufin, une troisieme du duc de




¡ oí M~~MOIRES
,,\Yeimar, qui a !'>urpris a M. le maréchaI SOllIt
» le pa!'>sage de l'Elbe, qu'elle a pa!'>sé, a ce qll'il
"paralt, dll cótédeS~mdon etd'Have!sberg le 26.
n d'oú ('He s'est dirigée par \Yuo.;terhausen, Ne-
» wrupin, Crallspe ou par Furstemlwrg. Or, d'Ha-
nvclsbí'rg a FllJ'stemherg, il y a vingt-cinq liclles;
), le dllc de 'Veimar ne peut done pas étre ~l 1"llrs-
» temherg le 28: mais de Furstí'mlwrg a Pasel-
)) "walch, il Y a vingt lielles; et si la colonne en-
1J nemie prend cette route, vous la reneontrerez
"súrement a Pasehyalch clans la jOllrnée dn ::;0 et
f) dn 31. Ainsi iI cst a présnmer que rien n'éehap-
1J pera entre vous, les marf-eh:mx Lanncs et Rcr-
n nadotte. Tels sont les renscignemcnts que je puis
"vous donner d'apres les rapports parvenus a
)) l'empereur. »


Mais le duc se lassa ele partager les disgraees
des armées prussiennes; il négocia et remit ses
troupes a Rlücher, qui, temt OCCIlP(~ de fllir, ne
s'inqui{·tait pas trop de savoir oú iI allait : son
itin{'raire déeoneertait Napoléou. « Que se P1'o-
)' pose-t-il? Otl va-t-il? Je ne le eOIl«:,ois pas de
»se jeter dans le TIolstein : que fera-t-il, une fojs
)) dan s ce cul-de-s:lc? n ne ven t pas repassel·
)) ¡'Elbe; il serait aceulé, lloyé : il ue songe pas a
» une semblable tentative. n sera bientót ¡ei. )) 11
mit en effet bas les armes quelques jours apreso




DU G:r:NÉRAL RAPP. 105
n ;¡vait coura tOllte la Prusse, violé le territoire
dalloís, pOllr· I'endre C[llelqucs jours plus tard
villgt a vin¡rt-cinq mille hOlmnes, les drapeaux
et les demiers atte1ages ele l'armée prussienne.
Avec 1m peu plus de capacité, iI eut tiré meil-
leur partí de son ohstination. (( A la honne heure,
)) dit "N apoléon en apprenallt ce succes. Les voila
,) en avance avec les Autrichiens : ils se1'onl. plus
,)réservps a l'avenir; ils ne parleront plus d'Ulm:
»en trois semaines il" l' ont renouvelé quatre
)) foís. JI fallt ellVOyer Bliichel' en France, a Dljon.
"TI Y forgera a loisir des suspcnsions d'arIlles.
"f:cl'ivez :m général Bf'llianl : »


Berlin, le 13 octubre 1806.


,'\1. le géneral Bclliard, chef de l'état-majar général de la
réserve de cavalerie.


(( L'intentioJl de I'empercur, général, est qne
» l'on porte le plus grand soin a ce que tous les
') pl'isonniers provenants de la colonne du gé-
»néral mücher et dll rluc de W· eimar se renelent
"COTIlme prisonniers en France. Sa majesté veut
»que tous les générallx et officiers se rendent
)) ('galemcnt ell Fl'allCe; M. le général Blücher sera
" conduit par un nfficif'r ~t niion : le jeune princr




lOO MIÜHOIRES
)) de Brunswick sera anssi condnit par un officier
)) a Chalons-sur-Marne. Tons les antres officiers
)) seront dirigés sur les différents points de la
)) France désignés par le ministre Dejean pOUI'
)) les prisonniers de guerreo 1)


Noms laissihnes dicter la dépeche Quand elle
fut écrite, nous cherchames a l'adoucir en favenr
de cet officier. Nous lui représentames qu'il avait
mis bas les armes, qu'il n'était pas dangereux,
qu'il fallait donner que]que chose a ses habitudes
de hussard : ii en convint, et Blücher se retiret
a Hamhourg.




DU r.ENERt\L RAPP. IO~ ,


e HAPITHE xv.


Le prmce Ilatzff'ld était venu a Postdam ~
eomme Mpllt{~ de la ville de Berlin, et avait été
bien rec;:u. Il rendit compte de sa mission, autan!
que je puis me rappeler , au eomte de Hohenlohe,
et lui donna des détails sur les troupes, les pieces,
lps mUJlitíons qui se trollvaiellt dans la capitale,
ou qu'il aV;lit rencontrées sur la route; sa lettre
fut interceptée. Napoléon me la r~mit,avec ordre
de le faire :1rl'eter sur-le-champ, et de l'envoyer
au quartier-général du marééhal Davoust, qlJ\
étai t a deux lieues de la. Berthier, Duroc, Caulin-..
conrt et moí chercharnes vainement a le calmer;
il ne voubit rien enlendre. M. de Hatzfeld trans-
meUait des détails, des renseignements milítaires,
qui n'avaient ríen de cornmUIl avec sa missioIl :
c'élait éviclernment un délit d'espionnage. Savary,
qui , en sa qualité de commandant de la gen dar-
merie impériale, était ordillairement chargé de
ces sortes d'affaires, était en mission. Je fus obligé
de snppléer a son absencc. J'ordonnai l'arresta-
tion du prince; mais au lieu de le faire cOlldllirf'




101:\ MEMOIRES
chez le maréchal, je le pla<;ai dans la chambre
de l'officier de garde du palais, ({ue j~ chargeai
de le traitcr avcc les plus grands égarus.


(:anlincourt et Duroc qllitterent l'appartement.
l'I¡apoléoll, resté s(~ul avec Berthier, lui dit de s'as-
seoir pour écrirc l'ordre en vertu duquel M. de
Hatzfe1d devait étre traduit dcvant une commis-
sion militaire. Le major-général essaya quelques
représentations. (( Votre majesté nI' pent pas faire
» fusiller un homme qui appartient aux premieres
» familles ele Berlin , ponr aussi peu de chose; la
» supposition est impossible, vous ne le voulez
"pas. » L'empereur s'emporta davantage. Neuf-
chatel insista; Napoléon perdit patience; Berthier
sortit . .Te fus appelé : j'avais entendu la scene qui
venait d'avoir lieu; je me gardai bien de hasarder
la ulOindre réflexion. J'él ais au supplice : outre
le désagrément d'écrire hn ordre allssi sévere, il
fallait aller aussi vite que la parole, et j'avoue
l/lit> je n'ai jamais en ce talent-Ia; il me dicta
littéralement Cl:' qlli sllit :


« N otre cOllsin le maréchal Davoust nommera
» une commission militaire compos¡'e de sert
» coloneIs de soncorps d'armée, dont iI sera pré-
)) sident, afin de faire juger, comme convaincu
) de trahison et d'espionnage, le prince de Hatz-
II feld.




DL GENERAL RAVl'. 10!)
"Le jllgement sera rendu et exf.cuté avant si"


)) heures du soir. ))
Il f.tait environ midi. N apoléoll m'ordonna


d'expédier sur-le-champ cet ordre, en y joignallt
la lettre du prince de Halzfdd; .le n'en ti5 riell .
.I'étais néanJOoins clans uue trallse mortelle; je
tremblais pour le prince, je trernblais ponr moi,
puisqu'au lieu de l'envoyer au quartier-général
je l'avais laissé au palais.


Napoléon demanda ses chevaux ponr aller
faire visite au prince et a la princesse Ferdinand.
Comme je sortais pour donner ses ordres, on
;n'annoIH;a que la prillcesse de Hatzfeld était
tomLée évanouit~ dans l'antichambre, qu'elle dé-
sirait me parlero J'allai a elle, et ne lui dissi-
mulai pas la eolere de N apoléon. Je luí dis que
nous allions monter a cheval , et lui conseillai de
nous devancer chez le prince Ferdinaml, pour l'in-
téresser au sort de son mari. J'ignore si elle eut re-
cours a lui; mais elle se trouva dar;s un des cor-
ridors de son palais, et se jeta t01Jt éplorée aux
pieds de l'empereur, a qui je déclillai son nomo


Elle était enceintc. Napoléon parut touchi'
de sa situation, et lui dit de se rendre au cha-
teau; en meme temps il me chargea d'écrire a
Davoust de suspendre le jugement; il croyait
M. de Hatzfeld parti.




110 MEMOIR ES
Napoléon rentra au palais, ou madame de


Hatzfelcll'attendait; il la ut entrer dalls le salun,
ou je restai. « Votre mari , lui dit-il ave e honté,
» ~'est mis dans un cas [;khcllX; d'apres nos lois
» il a merité la rnort. (~é~J1éral Rapp, dOIl[]CZ-IllOi
»sa leUre. Voyez, lisez, mattnne.» Elle étai t
toute tremblante. Napolóon reprend aussitot la
lettre, la déehire, la jette au feu. (t Je n'ai plus de
» prenve, madame; votre mari a sa grace.» Il
me donaa ordre de le faire revenir sl,r-le-ehamp
du qnartier-général; .le lui avouai ql1e je ne l'y
avais pas envoyé; a ne me fit pas de reproche,
ii parnt meme en etre satisfait.


Berthier, Du roe, et Caulincourt, se eonduisi-
rent dans ceUe eireonstanee comme a leur ordi-
naire, e'est-a-dire eomme de braves gens, Ber-
thier surtont.


A peine le prince de Hatzfeld fllt-il de retour
tlans sa famillc qu'il sut tont ce qui s'était passé.
n m'écrivit uue Icttre <lui peint sa reconnaissance
et les émotions dont il était agité. La voici :


« MON GÉNÉRAL,


» Au milieu des sentiments de toute espece que
u j'ai épronvés dans la jonrnée (['hiel', les mar-
u ques de votre sensibilité, de votre intéret,




DL; GEN ERAL RAPP. JIl
"n'ont pas échappé a ma reconnaissance; rtlalS
» hiel' au soir j'appartellais tout entier au bon-
» heur de lOa famille, et je ne puis m'acquitter
» qu'aujourd'hui euvers vous.


»Croyez, au reste, mon général, qu'il est des
)) moments dans la vie dont le sOllvenir est inef-
» fa<;able ; et si la profonde reconllaissance, l' es-
» time d'un homme de bien peuvellt eh~e de quel-
»que prix a vos yeux, vous devez etre récom-
» pensé de l'intéret que vous m'avez montré.


), Ag"éez l'assurance de ma haute considératioll
» et de tOI1S les sentiments qui m'attachent a votre
') souvenlr.


)) J'aí l'honneur d'etre ,
)) Mon général,


»Votre tres humble et tres obéissant serviteul'"
)) Le prince DE H A'IZFELD. »


Berlín, le 30 octobre 1806.


On vit bientót arrivcr a Berlin des envoyés dI:'
presque tOlltes lescours d'Allemagne, qui venaient
réclamer pOllr leur pl"ince la bienveillance de
Napoléon. La duchesse de 'Veimar nous députa
un certain M. de Muller qui demandait une dé-
ductioIl d'impót et le retour du duc, qui était, je
erois, a Hambollrg. L'empereur ne fut pas con-




1 1 :< MEMOIRES
tent des formes uu diplomate; il le trollva en-
nllycux et me le renvoya. « J'ai , me dit-il , chargé
)) Talleyranu de t'adrcsscr ce mOIlsi(~llr-lú, ponr
» que tu arranges les petites a{'f;lires de la conr de
)) VeiIllar. )) 1I \le vOlllut. p:1S entenu;'c parler du
dnc, eontre lequei ii étalt aussi eOllI'rOIlCé qll'il
ét.üt bien disposé en faveur de la duchesse. II se
calma néanmoins et traita ceHe-ci de cousine, ce
qui était alors qu~~lque chose. Son altesse re<;nt
l'autorisation ,<le 1'el1trer dans ses états. 11 demanda
a son passage d'etl'e pl'éscnté a Napokon, mais
ce jOllr-la nH~me nOllS partimes pOllr la Pologlle.
11 me fit l'hOlllleUl' de m'écrire nour n:e relller-


1


cier de ce que j'avais fait pour sa Ümille. Je
crois que je lui avais effectivement rendu quel-
qnes serviees. Je lui en rendis encore quelque
temps apres, comme on le verra plus tare\. Au
reste, voiei sa leUre: je cite ces sortes de picees
autant paree qn'elles peignent l'époCjllc que
paree qu'elles sont hOllorables pomo celui qui les
a re<;Lles.


« J\iONsumn ,


)) Pénétré de la plus vive reconnaissallee pon!'
)1 toutes les bontés que vous avez bien voula mar-
') quer a ma famille, pour les sClltimcnts d'nn




DlJ Gf:Nf~RA L RAPP. 113
)) íntéret lluJJle que vuus avez prouvés a eeHe-ei.
l' J'~tais tres em pressé de vous en protester de
» vi\'e voix le témoignage, et de v,ous dire en meme
JI temps, mOllsieur le général, qúe la duehesse
» m'avait chargé tUid partieuliel'ement de vous
Hlire eombien grande est l'estimc qu'elle vous a
"vouée. Malheureusemeut le départ préeipité de
» sa majesté l'empereur et roi m'empeche de
JI vous présenter <lujourd'hui mes hommages per~
JI sonneHement. Mais j'ose me flatter que l'époque
"ne sera pas éloignée oú je jouirai de l'avantage
» de vous assurer de bUlIche que la cOllsidération
"tonte particuliere que je vous porte est inalté-
j) rabIe, et q llf' je lIe cessf'rai (1' hre a vec Cf' Sf'n-
j, timent,


"Monsieur,


» Votre tres humble et tres obéissant serviteur,


• Duc de WEIMAl\. »


¡krlin, k ,4 novelllbre ,S,,6.




I I í 1Vf~~MOI RES


CHAPITRE XVI.


L'électeur de Hesse voulait aussi traiter; mai"
I'empereur était si courroucé contre ce prince
Cju'il ne re<;ut pas son envoyé : « Quant a cehú-la,
"dit-il, il a fini de régner. II


Magdebourg ouvrit ses portes au maréchal
N ey : on apporta avec les clefs une petitt: cas-
sette qui renfermait des objets précieux <lppal'-
tenants, disait-on, a cet électellr. rls ;¡.yaiellt été
tronvés dans la place.


Colbert, Custrin, Stettin, capitulerent, Le grand
duc avait détaché la'cavalerie légere de Pren tzlow;
elle se présente inopinément devant la place. Le
jour baissait. Le général Lasalle annonce que des
troupes le sllivent, que l'armée prnssienne a ca-
pitulé. 11 somme, menace, intimide le gouver-
neur; iI l'amelw a des ouvertures. Le général
Belliard arrive, brusque la négociation, et <k-
clare que si dan s uIIe heure la place n'est p:1S
rendne, il l'inonrle de projectiles. Les Prussiells
prennent l'alarme; ils imaginentque l'armpe,
que le pare, que tout est pret a les foudroyer,




nu CENERAJ __ RAPP. 115


et livrellt leurs murailles a nos hllssards. Custrin
fit encore mieux. N os troupes faisaient leurmou-
vement pour franchir l'Ocler; elles rencontrent,
chemin faisant, quelques centaines de Prus-
siens qu'elles dispersent; la place tire sur elles,
des boulets tombent dans nos raIigs. Le général
Gudin lui signifie que, si elle ne ces se pas un feH
inutile, elle sera incendiée sur l'heure. Le gouver-
l1eHr effrayé propose des arrangements; on refuse,
on répond qu'il n'y en a point a faire: il insiste;
mais le général avait continué sa marche, il n'y
avait personne pour le recevoir. On court avertir
le général Petit, qui se trouvait a une asscz grande
distance: le parlementaire s'obstinait toujours a
faire des arrangements. « A quels arrangements
)) voulez-vous que j'entende? lui répondit grave-
l) ment le général; mes instructions sont précises :
)) si la place n'est pas rendue dan s deux henres, j'ai
~ ordre de la foudroyer. On prépare les batteries;
n quatre-vingts JIlortiers OH obusiers vont tont a
JI l'heure vomir le fe l·' et la flamme sur vos rem-
» parts. Voici le colouel d'artillerie (c'était au
') contraire celui du quatre-vingt-cinquieme de
)) ligne qui arrivait); vous allez voir si j'exagere.
» Vos pieces sont-elles placées, colone!, vos dis-
» positions achevées?-Tout est prl'h, général; je
» n'attends que vos ordres. - Suspcndez un lUS-


8.




llG MEJ\l()1 H ES
)) tant, mOllsieur apporte dt's paroles de paix. "ous
» le voyez, dit-il a I'offieier prussien, yotre \'i1le
;) touehe a sa ruine; évitez-Iui des malheurs q lli ne
» changeront pas la faee des affaires. Abattuf' OH
» debont, nons n'en pousserons pas moins llOS
¡) avantages : la eapitulation ou le siége, peu m'im-
" porte; choisissez, mais choisissez vi te. :r f' }1f'
,,\eux, dn reste, traiter qu'avec le gOllverneur. »
(:elui-ci parut bienlot sur rOdero


Le général Gauthier aIla reeevoir le gouverllellr
el le eonduisit dans Ulle maiSOll yoisine; le gélÍt'~ral
Pt'tit les joignit, et la capitulation fut signée.
Quatre mille Prussiens, qlli l'egorgcaif'llt de yivres
d dt' ffinnitiol1s, mirent has If's armes de\'allt UlI
régiment d'infanterie qui ne les sommait pas, quí
He pOllvait aller a eux. De tels hommes avaienl
droit (le Hons demander de repasser leRhin : not.re
voisinage était trop dangcreux.


N apoléou euvoy"a Duroe au roí (iP Pi'lIsse; mais
pcrsonne ue croyait a la paix.


Comme llOns nOlls promeniolls, Caulineolll't
N moi, dans la conr du chateau, nous vimes :11'-
river a 110ns llll grand ]'cnne homme blond tres


<.. '


simplemcnt vétu ; illlOUS saIna: c'{'tait le prim~e
Paul de Wurtember~. Il venait de quittcr l'armée
prussienne, oú ii avait servi contre la vololl ti> de
son pere, ave e leC¡llel iU~tait [o1't mal ainsi qu'aH'c




j){J CI~Nl~RAL RAPP. II)
NapOU'01I. " Que vieut faire ici votre altesse! » lui
demanda Caulincourt. Jl répolldit qu'il désirait
rentrfT dans les bouIles graces de l'empereur, et
pria ce géllt'l'aJ de l'aUJlOllcer. Le tIue de Vicenee y
consentit; mais Napoléon ue voulut pas recevoil'
le prince : ille fltal'reter et conduire par un officier
de gendarmerie dans les états du rOl son pere,
oú il fut détenu pendant plusieurs années. Caulin-
court fit tout au monde ponr adoucir sa captivité.


Le quartier-géJH'raI fut transféré a Posen; I'in-
surrection qui s'était manifestée des que nos
troupes avaient pal'U éelata avec une lIouvelle
force. Kalisch avait désarmé la garnisoll prus-
sienne; une fonle de places sui vaient cet exemple
ce ll'était qu'imprécations contre les auteurs dI!
partage. Les villes, les villages, Varsovie merne,
(l'lOique occupée par les Russes, envoyaient dt'~
d(~putatiolls, demalldaient que l'indépendance de
la Pologne fút proc!amée. de le voudrais bien, lIle
))dit Napoléoll; mais laml'chc uue fois allnm('c,
') (Jui sait Olt s'arl'etel'a J'incendie? Mon prem ¡el'
" devoir est envers la France; je ne dais pas la
» sacl'ifier a la Pologne : il faut s'ell J'emettl'e
"au souvcrain qui régit tont, au temps; lui seul
I llOIlS apprendra ce que nous aUJ'OllS a faire. ),


Dllroc 11O\1S l'ejoignit a Posen. NOlls parthm's
pOIll' "a1'SO\ i(' : k graud 1l1ar{cha I versa dal!'-




118 j\IÉ~IÜIRES
ce trajet, et se cassa la clavicule. Napoléull eu
fut tres affecté. Duroc a toujours été pour lui
un homme presqne indispensable; il a constam-
ment joni de la plus haute faveur et de la plus
grande confiance: il le méritait á tous égards.
TI était difficile d'avoir plus de tact, d'esprit de
conduite, d'habileté, et en meme temps plus de
modestie : son dévouement était illimité; iI avait
le crenr droit, iI était honnete homme : OH ne pou-
vait lui reprocher que la crainte lie déplaire et u IH'
excessi ve timidité.


N OHS arrivames en fin dans la capital e de la
Pologne; le roi de Naples nous .Y avait précédés
et en avait chassé les Russes. Napoléon fut rec;u
avec enthousiasme; la nation croyait toucher au
moment ou elle allait renaltre; elle était au
combIe de ses vrellX. Il est difficile de peindre la
joie des Polonais et le rcspect fln'ils avaient pour
nons. Nos soldats étaient moills satisfaits; ils
montraient surtont une vive répugnance a passer
la Vistule. La misere, I'hiver, le mauvais temps -
lenr avaient inspiré ponr ce pays une extreme
aversion: c'étaient des plaisanteries continueHes
sur la nation, les épigrammes ne tarissaient paso
Us n'en battirent pas moins les Russes (bus les
bones de Nasie!sk, á Colymin, a Pltltnsk, et p'u~
t;mI a Evlall.




DL GÉNÉl-tAI .. RAPP. II!)
\ Hile n~vue oú les Polonais se pl'essaient SHr


IlOS troupes, un soldat se mit a jurel' tout haut
con/re:' le pays et le mauvais temps. " Vons avez
»bien tort, lui dit une demuiselle, de ne pas
" aimer notre pays, car Hons vous' aimons beau-
» coup. - V 011S etes fúrt aimable, lui répli(pla
» le soldat; mais si vous voulez que je vous croie,
l> vous nous ferez faire un bon diner a mon cama-
» rade et a moi. 11 Les parents de la jeune personne
emmenerent effectivement les denx soldats, et les
traiterent.


C'était SIlJ'tout au spectacle que la tl'oupe se
dOll1wit beau jeu. La toile tardait un soil' a se
lever; un grenadier perdit patienee : ~ Commencez
,) done, messieurs les Polonais, cria-t-il du fouel
» du parterre; eommeneez done, OH je ne passe
;, pas la Vistule. »


M. de Talleyram¡ s'embourba avee sa voiture
a quelque distance de Varsovie, el resta llIle dou-
zaine d'heures avant de ponvoir s'eIl tirer. Lt's
soldats, d'assez mauvaist' humeur, demandérellt
r¡ui c'était. (,Le ministre des relations extérieures,»
I'Ppondit quelqu'un de sa suite. "Que diable aussi
"vient-il faire de la diplomatie dans un pays de
» cette es pece ? II


Quatre mots constituaienl, POI!!' PUX, toat
l'idiolllP polonais : Klcf¡rt? niema; vola? sara,'




120 l\1ÉMOIRES
du pain'? il n'yen a pas j de l'eau? 011 va en ap-
portero C'était la toute 1a Pologne.


Napoléon traversait unjour une colOlllle d'ill-
fanterie aux environs de N asielsk, oú la troupe
éprouvait de grandes privatíons a cause eles boUt~s
qui emp(khaient les arrivages. a Papa, kleha?"
lui eria un soldat. " Niema,» répondit l'empereur.
Toute la colonne partít d'nn éclat de rire; per-
sonne ne dem"anda plus rien .


.Te rapporte ces anecdotes paree qu'elles font
voir quel esprit animait nos soldats. Ces respec-
tables vétérans méritaient plns de ree()lH¡;¡issal1c(~


"1' t bt qu 1 s n en on, o enll.
Napoléon s'amusait de ces plaisanteries, et


riait quand on lui parlait de la répugnance de
l'armée a passer la Vistule. Quelques généraux au-
guraient mal de sa situation morale, et se plai-
gnaient de voir le dégout suceéder a l'enthou-
siasme. « Lenr avez-vous parlé de l'ennemi? Sont-
» elles sans élan quand elles l'aper¡;;oivent? Ces
» gens-la, me dit- il ensuite, ne sont pas fait
JI pour apprécier mes troupes; ils ne savent pas
» qu'elles bouillent des qu'il est questioll de
» Russes, de vÍctoire : je vais les réveiller. » n ap-
pela un secrétair8 et lni dicta la proclamatiol\
suivante:




uu G~~NERAL RAPP. I:n


« SOLD~TS!


JI li ya aujourd'hui UlI an, a eette heUl'c mell1e,
JI que vous étiez sur le ehamp mémorable d'Aus-
» terlitz : les bataillolls russes épOll van tés fuyaielll
)) en désordre, OH enyeloppés rendaient les armes
» a leurs vainqueurs. Le lendemain ils firent l'1I-
JI tendre des paroles de paix; mais elles étaien!
» trompeuses : a peine échappés, par l'effet d'une
)) générosité pelll-etre condamnable, aux désastres
» de la tl"oisieme eoalition, ils ell ont ourdi une


JI qU:llrieme; mais l'allié sur la tactique dnqud
» jls fondaient lenr prillcipale espéranee n'est
» déjil plus: ses places iortes, ses capítales, ses
))magasills, ses arsenaux, dellx cent quatre-villgts
)) drapeaux, sept cents pieces de bataille, cinq
» grandes places de guerre, sont en notrepouvoir.
» VOder, la Wartha, les déserts de la Pologlle,
» les mauvais temps de la saison, n'ollt pu vous
)) arreter 11n momen!; VOllS avez tOllt bravé, tout
»surmonté; tout a fui á votre approche. C'est en
)) vain que les Russes ont voulu défendre la capi-
)) taje de cette ancienne et illustre Pologne; l'aigle
JI fraIl(;aise plane sur la Vistule. Le brave el ill-
)) fortuué Polonais, en vous voyallt, croit revoir k~
)) l(~giolls de Sohieski elfO retomo de leur mt>lllOr;¡!J!(·
)) pxpt>di lioll.




MEMOjRES
)) Soldats! HOUS ne déposerons pas les armes


)) que la paix générale n'ait affermi et assuró 1:1
)) puissance de nos alliés, n'ait restitué a notre
» commerce sa liberte et ses colonies. N ons avolls
)) conquis sur l'Elbe et l'Oder POlldichéry, nos
)) t~tablissements des ludes, le cap de BOllUC-
» Esperance et les colonies espagnoles. Qui dOll-
» nerait le droit aux Russes de balancer les des-
;) tillS? Qui leur donnerai t le droit de renverser
» de si justes desseins? Eux et nous, ne SOllllnes-
)) nous plus les sohlats d'Austerlitz ~ »


Les troupes furent réunies sur la place d('
Saxe : c'était l'anniversaire du couronuement;
les Russes occupaient le faubourg de Prague.
Ces circonstances, ces souvenirs, cette perspec-
¡ive de gloire, furent accueillis par de longues
acclamations. On ne songea plus qu'a vaincre ;
toutes les préventions disparurellt. L'ennemi cou-
vrait la rive gauche, il avait remorqué tous les
batiments; un maréchal-des-Iogis brava les lances
des Cosaques, et reussit a s'emparer d'un bateau.
C'en fut assez, l'armée opposée leva son carrip
pendant la nuit; nous passames sans obstac1e. Lt~
Bug HOUS offrit pltis de difficultés; sa rive gauche
est plate, marécageuse, disposée pOllr la dMellse;
mais Benigsen ue sut pas profiter de ses avau-
tag('s. NOlls l(~ lTlella(:ame~ sur SPS aiks, nOlls r('-




DU GÉNÉRAL RAPP. I 2~)
mimes a flüt les bateaux qu'il avait submergés; i1
hésita, lefleuve fut franchi. Les Russes revinrent
a la charge, ils essayerent d'enlever la tt~te du
pont que nous avions élevé a Okuniew ; mais toul
avait été prévu : Davoust était en· mesure, l'en-
Ilemi fut culbuté, batlll, obligé de repasseI' lt,
Wkra.




CHAPITRE XVII.


Cepcndant le VlellX Kamin¡;ki avait pris le
commandement de l'armée russe, i1 avait porté
son quartier-généra1 a Pultusk. Ses généraux s(~
concentraient, tout annon<;,ait le projet de S(~
porter en de<;a du fleuve. Napolóon accourut
pour les déloger; ji visita le camp retr;lJlcll/·
d'Olmniew, reconnut la riviere, la pOSÜiOll des
Rtlsses, et la plaine qu'il fallait franchir pOlI!'
arriver a eux. Couverte de bOÍs, d'abatis, de
marécages, elle était presque aussi diHicile a el1l-
porter que les redoutes derriere lesquelles s'abrj-
taient les Cosaques. L'emperellr l'examina JOl1g-
temps et a plLlsieurs reprises : des bouqllets d('
boi5 lui masqnaient la vue; iI se fit apportcr UlH'
échelle, monta sur le faite d'une chaumier(',
observa la disposition des lieux, les mOllvenwnh
qui s'opéraient a l'autrc rive. ,. C'est bien, n(Hl~
n allons passer; faites venir un officier. » Le SOll~­
chef d'état-major du 3c corps se pr{'st'llta, ('{
;'crivit sous sa diclée les dispositiolls suivalltes :


'( La prcmiáp divisioll pas~wl'a dawi 1'1I(~, ('1




DU CliNEH\L RAPP. 1:!:J


,l se fOl'lm~1'a le plus loín possible de l'cllllemi.
)) TOllt ce guí appa1'tient a la 3c ¡{ivísion 1'es-


,) lera dans la téte ou pont; ne devant participer
"ell ríen ,1 l'attaque, elle oemeurera en réserve.


" On fmmera des bataillons avec les huit
,) cmnpagnies de yoltigeurs, ce qui, avec le ha-
» laillon du 13c léger, fo1'mera trois colonnes ;
» ces t1'ois colouIles se porteront dans le plus
l) granel silence sur les trois extrémitós du canal,
" et s'arreteront au milieu de l'ile, de maniere
» a etre hors de portée (le, la fusillade; elles au-
)) rOllt chacune dcrriere elles trois pieces (le
llC<lnon.


¡) Chaque colonne dótachera ses pieces, escor-
,) tées par une compagn:ie de voltigcurs; ces COl11-
)) pagnies commenceront la fusillade, se cou-
» vrant par les haies. Pendan! ce temps les offi-
¡) ciers d'artillerie placeront leurs batteries, et
Il tireront a mitraille sur les bataillons et les


t 1,· .J' » roupes que enneml ne manqnera pas II op-
» poser au passage.


)) On jettera les ponts sous la protection de
¡) cNte artillerle.


)l Les trois colonncs passeront; et uu mo-
» ment ou elles serOGt plad-es de l'autre coté,
)) trois píquets de chasseurs I1 che val , chacun de
;) soixante hommes, passeront pour charger l'en-




NII~.MOj H. ES
J) n~mI, le gagner ele vitessp et faire des prison-
» llIers.


)) Le I 7" régiment passera immédiatement apres,
)l se mettra en hataille, laissant entre chaque ha-
II taillon un intervalle de vingt-cÍuq toises, en
) arriere desqueIles seront placés trois escadrons
)) de cavalerie légere; le reste de la division pas-
J) sera apres et se formera en arriere. ))


Nous nous porttnnes sur les hauteurs qu'oc-
cupait l'ennemi; nous l'attaquames par la droite,
nous l'attaquames pa~ la gauche : iI ne put sup-
por ter le choe, tout fut culbuté. Les troupes
avaient déployé une valenr ~ans exemple ; N apo-
léon applaudit a leur courage. I1 lit appeler les
généraux Morand et Petit, auxquels il di t les
choses les plus flatteuses; il voulut que les corps
qui venaient de combattre prissent quelque re-
pos, et détacha la division FrIant a la poursuite
des Russes. N os voltigeurs les atteignent a N a-
sielsk, se jettent sur leur gauehe, les coupent,
les culbutent, leur prennent trois pieees de ca-
non. lIs les suivent au miliell des bois, la fusil-
lade s'engage, nous épronvons une vive résis-
tance; nons n'avions pas d'artillerie, nous IW
pouvions débusquer des colonnes que les lieux
et la mi traille protégeaient. A défaut oe pieees,
on recourt' a l'auoace; la charge bat; le (¡Se,




concluít par I'intr~pide Barbanegre, se jette t(~t('
haisspp sur les masses ennemies, et les renvers('.
La nuít approchait , elle les déroba a nos baton-
IIcttes. N ous ramassames une mnltitude de pieces
embourbées sur la route.


N 011S avions en vue des masses formidables,
mais elles n' m;aient nous attendre; elles fuyaient
l'une vers Golymin, l'autre ver s Pultusk. Je sui-
vis la premiere ave~ la division de dragons que
l'empereur m'avait confiée; le maréchal détacha
Daultanc ponr couvrir les derrieres du 5e corps,
qll'iJ savait s'etre porté sur Pultusk. "Le dégeJ
('tait complet depuis deux jours, ce qui , dan s
la saison, est 1'are en Pologne. Le terrain quc
nous parcourions est un, fond (l'argile entre-
coupé de marécages; les chemins étaient affrellx;
cavalerie, infanterie , artillerie, se perdaient dan s
ces fondrieres; personne ne pouvait s'en tirer
qu'avec des peines inoutes; il fallait deux heures
ponr faire une petitc licue. Des officiers, des
soldats restert~nt enfoncés dans la bOlle pendan!
tout le temps que dura la bataille d(' Pllltusk.
lis sf'r-vaient de point d(' mire a l'ennemi.


La 3c di vision avait a peine débouché du v11-
lage qu'elle fut préveTllle par ses éclaireurs
c¡n'lllle masse eonsidérable de cavaJe1'ie couvrait
a t¡uelque distano' 1IIH' coJonnc (1''1rtil1e1'ie et




NI l~l\I O 1 HES
d'¡"rfuipage¡,;. Le génél'al Friant les Eit observer
par des détachements de troupes a cheval, bien
convaincn que ectte nuée de Cosaqlles se dissi-
perait des qu'elle verrait paraltre l'infanteric. En
PEfet, iIs s'enfuirent; nous primes de l'artilleric,
des munitions, des voitures, des caissons de
toute espece, Le général, satisfait de ces avan-
tages, allait asseoir sa position de nuit, 10rs-
c¡u'une canonnade terrible se fit entendre; c'était
le maréchal Lannes qui chassait les Russes de
Pultusk. N ons eúmes natre tour le lendemain;
i ls occnpaient un bois, nons voulions les en dé-
loger : nos colonnes s'avancprent, les voltigeurs
étaient en téte, et l'infanlcde disposéc der-
riere par éehelons. L'ennel1li opposait une vive
résistance; iI Hons aborda, Hons chargea it
la baroHllette; mais nos bataillons le refoule-
rent sur ses masses. Nous resta:m.es maitres du
champ de bataille; il était eouvert (k cadavres
et de saCSj les Russes les avaient jetés pour étr(~
plus alertes. L'infanterie était débusqnée, la ca-
'{alerie s':lV:lw;ait; j'allai a sa rencontre et la
cnlbutai : mais les voltigeurs répandus dans les
marais nous accablaient de halles; j'f'llS 11" bras
gauche fracassé.


J'ayais été hlessé quatre fois dan s nos pre-
Hlieres campagnes aux armées l1u Rhin, SOllS




DU CENJÜ{AL RA PP. 1 '~!)
enstine, Pichegrll, Moreau, Desaix; deux fois
sous les ruines de Memphis, et dans la Haute-
Egypte sons les murs de Thebes ; a la hatai11e
d'Austerlitz et a Golymin: je le fus encare quatre
[ois, comme on le yerra par la snite, a la Mos-
kowa.


De Golymin je fus transporté a Varsovie. Na-
poléon y entra le 1 cr janvier; il me fit l'honneur
de venir me voir. « Eh bien, Rapp, tu es encore
» blessé, et toujours au mauvais bras. /) C'était
la neuvieme blessure que j'avais r€(,!ue a ce bras
seulem,ent, qll'il appelait le b1'as malheureux.
" Cela n'est pas étonnant, sire; toujou1's eles ba-


II tailles! » -« NOllS fillirons, rt'pliqua-t-il, guand
l) nous aurons quat1'e-vingts ans. n
M~'I. Boyer et Y van me panserent en sa


p1'ésence. Quand íl vit que la fracture était
réelle, il dit a ces messienrs: « n faut luí cou-
}) per le bras; il est déj:'t trop malade, iI pour-
II raít en Jllourir. » M. Boyer luí r6pondit en
riant : « Votre majesté veut aBer trop ,-ite en
)) besogne; le général est jeune, il estvigoureux,
¡)HOUS le guéri1'ons.» -« J'espe1'e bien, luiré-
» pLiquai-je, que ce n'est pas la derlliere fois que
» vous lile martyrisei"ez. !,


N apoléon partit bientot de Va1'sovie pom la
halaille d'Eylau, et ptablit SOll quartit'r gén{~1'al a


9




130 MÉrtiOIRES
Osterode; c'est la que je re({llS l'onlre d'allel'
prendre le commandement du gouvernement df"
Thorn, pour achever de me rétablir. J'expédiais
des vivres, de l'artillerie, des munitions, pOUl"
presser le siége de Dantzick .


.T'étais alors la providence des généraux prus-
siens. Ils m'écrivaient, ils me priaient d'inter-
céder pour eux. Blücher lui-mcme ne dédaignait
pas de solliciter la grilce de sa majesté l'empereur
et roi d'Italie. Il devait d'abord etre conduít a
Dijon, comme on l'a "U; mais iI avait mis bas
les armes: qn'importait qu'il fUt a Dijon OH ail-
leurs? On hú permit de se retirer a Harnhourg.
Il s'y ennuya bientot et demanda a se rapprocher
d!' Berlín. V oici sa lettre


,( "MONSIEUR LE GÉNÉRAL,


)) Votre excellence se rappellera pcut-etre que
,) j'ai eu l'hollueur de faire votre connaissance,
¡) il .v a quelques annécs , a votre passage a Muns-
,) ter; et les témoignages d'attention que vous avez
) bien voulu me donner alors me font espérer
» que la situation malheureuse dans laquelle je
') me trouve adllcllement ne vous sera pas abso-
» lument indifférente . .T'ose ainsi m'adresser a
,) votre excdlence pour vous demander votre in-




DLJ G:E:NERAL RAPP. 1->1
1) tervelltion pres de sa majesté l'empereur des
,)Fl'an~>ais, roi d'ltalie, afin qu'elle ait la gracede
,) me faire délivrer des passe-ports pour moi, mes
) del1x fils officíers, et le reste de ma famille,
,¡ pour pOllvoir nous retirer uaIis les environs
J) ue Berlín ou dans la Poméranie, sur une de
)) mes terres. Ayant peruu tout par le sort des
)) armes, iI m'est impossible de faire face aux dé-
;) penses que le séjour d'une ville ou tout est
» aussi énormément cher qu'a Hambourg exige.
n D'ailleurs je suis malaue, et je sens que ce ne
;¡ sera que dans le sein de ma famille, et menant
" une vie tres retirée, que je pourrai rétabljr ma
JI san té.


)) Ces raisons et la générosité de sa majesté
;) l'empereur me font espérer qll'elle daignera
H bien soulager mon sort pénible en me permet-
»tant de choisjr roon "éjour; et la protection c¡ue
» votre excel1euce voudra bien m'accorder a ce
)) sujet joindra les sentimeuts de la plus vive
1) reconnaiss.'lllce a ceux de la plus haute consi-
, dération, avec lesquels j'ai l'honneuI' d'ctre


» De votre excellence


)) Le tres huroble et tres obéissant serviteur.
» BT,UCHER , lieutenant-génél'al. )'


Hambulll'g, Jp .5 llo\'"mbre .806.
9,




MÉl\IOIRES
L'empereur refusa; mais le général noit se


rappeler la maniere dont je le traitai. TI peut
dire si les Fram;ais savent respecter le malhenr.


A la reddition de Dantzick, je fus llOlllmé
gouverneur, avee le rang de général en chef.


N apoléon arriva dans cette place le 29 mai; il
Y passa deux jours. 11 comptait en tirer des res-
sources immenses, en argent surtout. le re¡;us
les ordres les plus sével'es de faire rentrcr les
contribntions, qui s'élevaient a vingt miLlions,
et qui furent portées a une trentaine en denrées
par le traité que je fis avec eetle ville quelque
temps plus tarel. J'avais carIe blanchc; j'étais au-
tOI'Í;lé a tout pour effectuer ce recouvrement:
mais iI était impossible; iI m'a causé bien des
ennl1is. Tantot c'était une mesure de sévérité,
tantot une autre. La population, les citoyens
les plus riches et les plus influents étaicnt tour ;1
tour mcnacés. J'ai constamment éludé ces ordres
violents; j'ai évité aux Dantziclwis toutes sortcs
d~ déboires. A la paix, ils devaient encore dix-
sept millions.


NapoIéon assista aux batailles d'treilsberg, de
Friedland. Huit jours apres son départ iI w'é-
crivit :


« M. de Talleyrand se remlra a Dantzick; il Y
1) restera avec vous pendant quelqlle tcmps. V OlIS




"le reccvrez et vous le traiterez en prince. VOllS
Jl connaissez toute l'estime et tont l'attachemen t
)) que j'aí pOli r ce ministre, etc. » n eút évité bien
des malheurs s'il ne se f11t jamais brouillé avec
ce diplomate.


!\pres le traité de Tilsit,~ apoléon m'envoya
des instruetions particulieres. 11 m'annonc;a la
paix et m'ordonna d'exercer une surveillanee sé-
vere sur la Prusse et la famille royale. 11 était
toujours courroucé contre Guillaume et ses su-
jets. Jc chcrchais pourquoi, je ne pouvais le de-
viner; Berthier me l'expliqlla : la cause ne me ra-
rnt pas tres j tlste. Le prince était: venu a Dantzick
me transmetlre de nouveaux ordres, et me re-
nouveler celui d'avoir toujours l'reil Ollvert sur
les menées (iui se faisaient autour de moi. Je
devais rester dans eette place jusqu'a la eessatlon
des hostilités. Les Russes étaient pour nous. N ous
avioI\s beall jeu avec les Anglais; avant deux ans
ces insulaires devaien t etre obligés de demander
la paix.


Enfin je restai ú Dantzick. Je correspollllais di-
rectement avec Napoléoll; presque tontes ses
lettl'es respiraient ulIe humeur extraordinaire,
et j'avoue que je l'ai moi-meme partagée long-
temps.


Les pro pos , la conduite de quelques officiers




i 3/, Mt?lIOIRES
prussiens, contribuaient a entretenir ecHe pré-
vention. Je sévissais contre eux, fa moindre
faute était séverement punie; mais aussi .ir leur
faisais rendre justice, je ne sOllffrais pas (l','on
les molestat. Tout S(~ calma cependant. On mit
de part et d'autre le fiel de coté, la confiance sé
rétablit . .Te les voyais, je les recevais ~ et je pnis
dire que (les la premiere année de mon comman-
dement tons les rapports que j'envoy;lis a Paris
étaient marqués au coin de la modération et de
la vérité . .Te représentais a Napoléon qn'il était
difficile aux Prussiens d'oublier si vite leur gran-
deur passée, que les esprits se ca lmaient, que
le roi, les ministres, la familIe royale, ne ces-
saient d'inviter la nation a cette résignation que
le malheur rend indispensable.


J'ai toujours écrit dans le meme sens. Je n'a-
vais a me plaindre de personlle; de mon coté
j'étais tres bien avec les antorités ci\"iles et mili-
taires. Je les voyais sOllvent; et tOlltes, j' ose le
dire, avaient en moí la plus grande confianc(>;
elles étaient sensibles a mes bons procédés.


Mais tons les commalldants n'y mettaient pas
la meme bienveillance. LeuI's rapports, les dé-
sastres de Baylen , dOlll1t~rent a N a polpon de non-
veaux doutes sur la cond"itt' de la Prusse. JI me
chargca de red()IIblf'r de sllrveillancc. « N e passez




DU GENÉRAL RAPP. 13G
iI rien aax Prussiens , me disait-il dans une lettre ;
» je ne yeux pas qu'ils levent la tete. »


La nOll velle des revers que nons avions éprou-
vés dans la péninsule se répandit de suite en
Allemagne; elle éveilla de nouvell~s espérances;
toutes les tetesétaient en fermentatioll. J'en rendis
compte a Napoléon ; mais il n'aimait pas qu'on
lui rappeltü des souvenirs pénibles, encore moins
qu'on lui mOlitrat un avenir malheureux. Il me
répondit : « Les Allemands ne sont pas des Es-
» pagnols; le caractere flegmatique d'un AlIemand
i} n'a den de commun avec celui des féroces Cata-
'} lans. }}




MÉMOIRES


CHAPITRE XVIII.


L'entrevue d'Erfnrt eut líeu. Napoléon partit
pour l'Espagne; il battit, il dissipa tout ce qui
tai fut opposé: l'armée anglaise était perdue s'il
aHit pu lui-meme la poursuivre; mais la- qua-
trieme guerre d'Autrichc avait éclaté, il fut
obligé d'accollrir au secours de la Ravi(~re. Le
prince Berthier m'envoY:l J'orelre de rcjoindre
l'ar:l~fe; l'emperenl''y était déj:'i : je le trouvai a
Landshut, q ui venait de rem porter la victoire de
RatisboIlne; je ne fus pas content desa réception.
Il me demanda d'un air assez s¡:c : « COInrrv>,nt se
» portent vos Prussiens el vos Dantzickois? Vous
» auriez dú faire payer a ces derniers ce (IU'ils me
» doivent. Vous le voyez, I10US ne sommes pas
» tous morts en Espagne; il me reste encore assez
n de monde pour battre les Autrichiens. )l Je sentis
l'allusion.


Nous mart,;h<'unes sur Vienne. L'empereur s'a-
doucit et me traitait ayec plus de hienveillance.
L'affaire d'Esslingen eut lien: lllle fonle de braves
avaient perdu la vie; le maréchal Lalllles était




Jnr GENÉRAL RAPP.
hors d~ combat; la cavalerie, l'al'tillerie, étaient
dtltr[lites; et le village d'Esslingen, le point le plus
important qlli 1IO[1S restait a défendre, inondé
par vingt bataillons de grmadiers hongrois :
nous ne pouvions plus nous y. maintenir; déja
ils pénétraient dans la maison carrée que N a-
poléon avait fait fortifier la veille. Le eomte Lo-
hau s'avarH;-a a leur rencontre et les arreta;
mais ils re<;urent tout de suite des renforts. L'em-
pereur s'en aper/{ut : je fus chargé de prendre
deux aulres bataillons de la jenne garde et de
voler an secours des natres; je devais les dégager,
faire retraite avcc eux, et prcndrc position entre
le village et le reste de la garde, sur les bords du
Danuhe, pres du pont qui avait été rompu. Les
colonnes alltrichiennes s'avau(:aient de tOllS les
catés sur ce point; la position devenai t terrible :
a notre gauche, Masséna occupait encore Gros-
asperll; iI avait perdu heaucoup de monde,
niais enfin il se mainteJlait. Je me mis a la tete
de mes deux bataillons et j'entrai dans le víllage :
je disposai mes troupcs en arriere du général
Mouton, et flls lni porter les ordres de l'empe-
reur: mais toute la réserve ennemie, conduite
par l'archiduc Charles, se déployait a quelqlles
paso « Vous avez, dis-je au comte Lohau, étonné
)) ces masses par votre résistance; abordons-les a




1:18 M!ÉMOIRES
,) la balonnette, rejetons -les sur les colonnes
,) c¡ui s'avancent: si nous réussissons, l'emp~reur
,¡ et l'armée nOllS sanront gré du succes; si nous
., sommes malheureux, la responsahilité pes era
) sur moi. - Sur tous les deux, rf'prend le gé-
» lléral. " Nos cinq bataillons s'ébranlent, eulbn-
lent, dispersent tout a eoups de balonnettes:
nous SOillInes maltres du village. L'archiduc
cherche en vain a le rcprcndre : einq foís il ra-
mene ses troupes a la charge, cinq fois il est dé-
fai t.; nons lui fimes éprotl ver une perte innnense.
~T • ,. _. J' bl
'.' üus enaVlODS essuye aUSSl une conSlOera e:
le général Mouton, le général Grossc, étaicnt
blessés; beaucoup d'autres officiers avaient perdu
la vie. N apoléon fut enchanté de cette affaire; il
me dit des choses flatteuses, et ajouta : « Si jamais
n tu as bien fait de ne pas exéellter mes ordres,
»e'est aujourd'hui; car le salut de l'armée dépen-
" dait de la prise d'Esslingen. ))


N apoléoIl trouvait les VienIlois plus exaltés que
daus nos eampagnes préeédentes ; jI m'en fit la
remarque. Je lui répolldis que le désespoir y était
pour beaucoup; que partont l'on était fatigué de
nous et de nos victoires. Il n'aimait pas ces sor tes
de réflexions.


Schill courait alors la Saxe; il l'apprit el en
fut inquiet: c'était une maniere de somIer l'opi-




DU CENERAL RAPP. 139
uíon. La Prusse préludait a eette gllerre d'insur-
rection qu'elle nOllS fit plus tard : j'avoue que je
!le le croyais pas; j'avais une trop haute idée de
la loyauté nationale. Je cherchai a dissiper les
préventions de l'empereur; mais ses soup<;ons
étaient plus forts que tOllt ce qlle je pOllvais lui
di re. Une autre circonstallce contribuait a le
rendre défiant: la marche des Russes n'était pas
plus iranche que ceHe des Prussicns; ils tergi-
versaient. Ce manque de foi le relldit furieux.
11 résolut d'en tircrvengeance : mais il lui f"allait
dn temps.


La bataille de Wagram eut lieu: je n'y as-
sistai paso 1'rois jours auparavant j'accompagnai
Napoléon a l'ile Lobau : j'étais dans une de
ses voitllres ayec le général LauristoIl; nous ver-
sames : j' eus une épaulc démise et trois cotes
fracassées.


L'empereuI' poussa jusqll'a Znaim et I'evint
s'établir a Schoenbrunn; ii Y apprit enfin la dé-
faite et la mort de Schil!; i1 en fut satisfait : il
eút cependant mieux aimé que ce partisan eút
été pris.


H y eut, pendant les négociation~, (li verses
émeutcs a Vienne. PlusieuI's persolmes, convain-
CHes d'y avoir trempé, furent condamnées a
morl : <lela bourgeois et \In .iuif allaient etn~




JIÉ1UOIRES
exécutés; .ie fus ass€z heureux pour obtenir leut'
gnke.


Napoléoll {-tait assez constamment de bonne
humeur; cepcnclant les rapports que lui faisait
la police venaient <le temps a antre troubler sa
gaieté. Ses ennemis avaient répandú. le bruit ridi-
cnIe d'une aliénatioll mentale : il en fut blessé.


(( C'est, dit-il, le faubourg Saint-Germain qui
)) imagine ces belles choses; ils en feront tant que
»je finirai par envoyer ce monde-la dans la Cham-
l) pagne pouillense. »


Un jaur je lui demandai de l'avanccment pour
dcux officiers. « Je ne veux plus, me dit-il, en
» donner tant; ce <liable de Rerthier m'en a trop
)) fait faire. » Puis se tournant vers Lauriston :
~ N'est-ce pas, Lauriston, que de notre temps OIl
» n'allait paf, si vite? Je suis resté bien des années
l) lieutenant, mo\ 1-Cela se peut, sire, mais dc-
» puis vous avcz bien rattrapé le temps perdu. »
Il rit beaucoup de ma repartie, et m'accorda ce
que je sollicitais.




IH] Cf~NÉRAL RAPP. I!f I




CHAPITRE XIX.


Cependant la paix tralnait en longueur : le~
négociations n'avanc;aient pas; et l'Allemagne
souffrait toujours. Un jeune homme, égaré par
un amour aveugle de la patrie, forma le dessein
de la délivrer de celui qu'il regardait comme la
cause de ses maux. Il se prósenta a SchoenbrUIllI
le 23 octobre, pendant que les troupes défilaiellt :
j'étais de service; N apoléon était placé entre le
prince de Neufchatel et moi. Ce jeune hommc,
nomm'é St ... , s'avan<;a ver s l'empereur; Berthier,
s'imaginant qu'il venait présenter une pétition ,
se mit au-elevant et lni dit de me la remettre;
il répondit qu'il voulait parler a N apoléon : on
lui-dit encore qlle, s'jl avait quelques commu-
nicatioIls a faire, il fallait qu'il s'adress:h a
l'aide-de-camp de service. 11 se retira quelques
pas en arriere, en répétant qu'il ne voulait parle!'
([U';:' N apoléon. Jl s'avaw:-a de llouveau et s'ap-
procha de tres pres : je l'élojgnai, et lui dis en
allemand qu'il eut a se retirer ; que, s'il avait
c¡uelque cllOse a demancler, on l'f-couterait




NI EMOll{ ES
apl'e~ la parade. JI avait la llIaiu droite ellfon-
cée clans la poche de coté, sous sa rf'dingote;
il tenait un papler dont l'extrémité était en
évidence. Il me regarcla a,'ec des yeux qui me
frapperent; son air décidé me douna des SOllp-
I,~ons : j'appdai un officier de gendarmeric <tui Sf'
trouvait la; je le fis arreter et conduire au eha-
teaH. Tout le monde étuit oecupé de la parade;
personne ne s'en aper<;ut. On vint bientot m'aiJ.-
noncer qu'on avait trouvé un énorme couteau de
cuisinc sur St ... : je prévins Duroc; nons nOlls
renrl1mes ton s au lieu ou il avait eté conduit. 1I
était assis sur un lit ou il avait étalé le portrait
({'une jeune femme, son portefeuille, et une
bourse qui contenait quelques vieux louis el'or.
Je lui demandai son nomo - « le ne puis le dirc
1) qu'a Napoléon. -Quel usage vouliez-vous faire
» de ce couteau? - Je ne puis le di re qu'a Na-
» poléon. - Vouliez-vous vous en servir pOllr
) attenter a sa vie! - Oui, monsieur. - Pour-
» quoi ? -.le ne le puis dire qu'a lni seul. »


fallai prévenir l'empel'eur de eet étrange évé-
llement; il me dit de faire amener ce jeul1e
homme dans SOI1 cabinet : je trausmis ses onlres
et je remontai. Üétait avec Bernadotte, Berthier,
Savar)' et Duroe. DellX gelldarmes amenerent
St. .. les mains lipes derriere le dos: il était cahne;




DU GI~NÉRAL RAPP. d,3
la prt'-sence de N:lpoléon ne lui fit pas lamoinrlre
impression; iI le saina eependant rl'une maniere
l'espeetueuse. L'empereur lui demanda s'il parlait
fran~ais; iI répondit avee assuranee : (1 Tres pen.))
Napoléon me chal'gea de lui faire en son n01~ les
questions suivantes:


« D' ou etes - vous? - De N aumbourg. -o
» Qu'est votre pere? - Ministre protestant.-
») Quel age avez-vous? - Dix-huit ans. - Qne
"vouliez-vous faire de votre couteau? - Vous
» tuero - Vous etes fou, jeune homme; vous
)) ctes illuminé. - Je ne sllis pas fou; je ne sais
,) ee que e'est qu'illumjJlP. - Vous etes done ma-
» lade? - Je ne suis pas malade, je me porte
1) bien. - POllrquoi vouliez - vous me tuer? -
)) Parce que vous faites le malheur de mon pays.
»- Vous ai-je fait quelque mal? - Comme a
)) tous les Allemands. - Par qui etes-vous en-
» voyé? qui vous pousse a ce erime? - Per-
») sonne; e'est l'intime convietion qu'en vous
») tuant je rendl'ai le plus grand servÍce á nlOIl
» pays et a l'Ellrope, qui m'a mis les armes a b
» main. - Est-ce la premiere fois que vous me
) vOJcz? - Je vous ai vu á Erfnrt 10rs de l'en-
» treVlle. - N'avez-vous pas en l'intention de
)) me tuer alors? - Non, je eroyais que vous ne
» feriez plus la guerre a l'Al1emagne; j'étais un




MEMOIRES
"de vos plus grands admirateurs. - DepuÍs
» quand etes-vous a Vienne? - Depuis dix jours.
» - pourquoi avez-vous attendn si long-temps
» ponr exécuter votre projct? - Je suis ven u a
» Sehoenbrunn iI y a huit jours avec l'intentioJl
"de vous tuer; mais la parade venait de finir, j'a-
)) vais remis l'exécution de mon dessein a aujour-
"d'hui. - Vous etes fon, vous dis-je, ou vous
» etes malade. - Ni l'un ni l'autre. - Qu'on fasse
» venir Corvisart. - Qll'est-ce que Corvisart? -
"C'estun médecin, lui répondis-.ie. -Je n'en ai
) pas besoin. » N ous restfunes san s rien <Jire jus-
qu'it l'arrivée du doeteu!'; SI ... ét;lÍl ünpassible.
Corvisart arri va; N apoléol1 lui dit de t;her le
pouls du jeune homme, iI le fit. «N'est-ce pas,
» monsieur, que je ne suis point malade? - Mou-
» sienr se porte bien, répoudit le docteur en s'a-
1) dressant a l'empereur. - Je vous l'avais bien
"dit, reprit St... avec une sorte de satisfaetioIl. ))


N apoléoll, embal'rassÉ' de tant d'assllrance, re-
commcn~a ses questions.


« Vous a vez une tpte exaltée, vous ferez la
)) perte de votre familie. Je vous accorderai la
JI vie, si vous demandez pardon du crime que
» vous a vez voulu comll1ettre, et dont vous de-
" vez etre fach{', - Je ne vcux pas de pardon. J'é-
1 prouve le plus vif regl'et de n'avoir pu réussir.




DU Gl~N}:RA L RA PP. 1 '¡5
~-Diable! il para1t qu'un erime n'es~ ríen pour
n VOtIS;> - Vous tuer n'est pas un. erime, e'est
>, un devoir. - Quel est ce portrait qu'on a trouvé
"sur vous? ~ Celui d'une jeune personne que
j> j'aime. - Elle sera bien affligée de votre aven-
) ture 1 - Elle sera affligée de ce' que je n'ai pas
"réussi; elle vous abhorre autant que moÍ.-
)1 Mais enfin si je vous fais gréke, m'en saurez-
)1 vous gré? - Je ne vous en tuerai pas moins.)I


Napoléon fnt stllpéfait. IJ donna ordre d'em-
mener le prisonnier. Il s'entretint quelque temps
avec nous, et parla heaucoup d'illuminés. Le
soir il me lit demamler et me dit: « Savez-vous
» que l'évéllement d'aujourd'hui est extraordi-
» naire. n y a dans tont cela des menées ele Berlín
j) et de ,V eimar.')I le repollssai ces soup<:;ons.
« Mais les femmes sont capables de tout. - Ni
)1 hommes ni femmes de ces dellx eouI's he con-
~ eevront jamais de projct aussi atroce. - Voyez
»leur affaire de SchiII. - Elle n'a ríen de com-
» mun avec un pareil crime. - Vous avez heau
» dire, monsieur le générai; on ne m'aime ni a
» Berlin ni a Weimar. - Cda n'est pas douteux :
» mais pouVez.-volls prétendre qu' on vous aime
»dans ces deux cours? et paree qu'on ne vous
») aime pas, faut-iI vous assassiner?)' Il commu-
niqua les memes soupc;ons ~t.. ...


10




MÉMOIRES
N apoléon me donna l' ordre d' éerire au général


Lauer d'inteuoger St..., afin d'en tirer quelque
révélation. n n'en fit point. 11 soutint que c'était
de son propre mouvement et sans aueune sug-
gestion étrangere qu'il avait eon(,'u son dessein.


Le départ de Sehoenbrunnétait fixé au 27 oe-
tobre. N apoléon se leva a cinq heures du matin et
m~ fit appeler. Nous alUlmes a pied surJa grande
route voir passer la garde impériale, qui partait
pour la Franee. N ous étions seuls. -r~ apoléon me
parla eneore de St.. .. « Il n'y a pas (l'~xeniple
)) qu'un jeune homme de cet áge, Allemand, pro-
»testant, et bien élevé, ait vouln eommettre un
"pareil crime. Sachez eOllJrncnt jI est mort. ,;




DU GENÉRAL RAPP. 14::


CHAPITRE XX.


Une piuie abondante nous fit rentrer. J'écrivis
JU général Lauer de nous donner des détails a
ce sujeto Il me répondit que St. .. avait été exé-
cuté a sept heures du matin, 27, sans avoir
rien pris depuis le jeudi 24; qu'on lui avait
offert a manger; qu'il avait refnsé, attendu, di-
sait-jJ, qll'il lui restaÍt encore ;:ssez de force
ponr marcher an supplice. On lui annon~a que
la paix était faite; cette nouvelle le fit tressaillir.
Son dernier cri fut Vive la Liberté! vice /' A lIe-
magne! morl a son tyran! le remis ce rapport a
N apoléon. II me chargea de garder le couteau,
que j'ai chez moi.


Napoléon me dit que les préliminaires de la
paix n'étaient pas encore signés, mais qne les
articles en étaiellt arreté~, et qu'il la ral.ifierait
a Munich, oú nons devions nous arrelel'. N 0US
;¡rriyames a N ymphellbollrg : la cOllr de Baviáe
s'y trollvait. Je n'avais pas eu l'honneur de yoir
le roi depuis la campagne d'Ansterlitz. 1l me
logea dans son palais. 11 me témoigna beaucoup


10.




MÉMOIRES
de confiance et de b0nté. 11 me dépeignit b
triste situation de ses sujets, et ajonta que si
cet état de choses ne cessait ~ient6t, iI serait
obligé de mettre la clef sous la porte et de s' en
aller. Ce furent ses expressions.


Je conservai le souvenir de ce dernier propos.
J'étais bien décidé a le remIre, non puur lui nuire,
mais puur prouver a Napoléon que toutes les
indemnités qu'il accordait a ses alliés étaient
loin de les,satisfaire et de compenser les charges
que la guerre leur imposait.


La paix fut effectivement ratifiée. Nous quit-
tames N ymphenbourg, et nous arrivames a
Stuttgartl.Napoléon fut re~u avec magnificence
et lugé au palais, ainsi que toute sa suite. Le
roi faisait construire un grand jardin, et em-
ployait a ces travaux des hommes condamnés
aux galeres. L'empereur lui demanda ce que c'é-
tait que ces hummes enchainés. 11 répondit que
c'étaient, la plupart, des rt'belles de ses nouvellcs
possessions. N ous nous remimes en route le
lendemain. ChemÍl t f<Jisant, N apoléon revint sur
ces malheureux et ~e dit : « e'est un homme
» bien dur que le roí de W urtemberg, mais
» aussi bien loyal. e'est le sonwraill de l'Enrope
» qui a le plus d'esprit.» N ous IlOllS arredmes
une heure a Rastadt, ou les princes de Badt> et




DU GÉNÉRAL RAPP. 149
la prillcesse Stéph:mie étaient venus lui faire
leur cour. Le granel due et la grande dnehesse
l'accompagnerent ju~qll'a Strasbourg. n re¡;;nt a
son arrivóe dans ectte ville des dépeches qui l'in-
disposrrent ele nouveau eontre le faubourg Saillt-
Germain. Nous nons rendlmes a Fontainebleau:
aucun pr{>paratif n'était fait, iI n'y avait pas
meme de service; mais peu apres tOllte la eour
arriva, ainsi que la famille de Napoléon.


L'empereur cut de longues eonférellces avee
le ministre de la poliee; il se plaignait du fau-
bourg Saint-Germain. Ce contraste de sonplesse
et d'auoaee, que sa livrée déployait tour a tour
oans ses antiehambres et les salons, le décon-
certait; iI Jle concevait pas tlu'an fút si has et si
perfide, qu'on déchirat d'une main tandis qu'on
sollicitait de l'autre. Il paraissait disposé a sé-
vil'; Fouché l'en dissuada. « C'est de tradition,
duidit-iJ; la Seine coule, le fauhuurg intrigue,
» demande, consomme, et calumnie; c'est dans
)) l' ordre, chacun a ses attributiQns. » N apoléon
se t;:endit, il ne se vengeait que des hommes. On
lui proposa une entrée solelluelle dans la capi-
tale, il la refusa: le vainqueur du monde était
bien au-dessus de ces triomphes dont s'cnivraient
les Romains. Le lendemain la conr quitta Fon-
tainebleau. L'empereur fit le trajet a fralle étrier;




MÉMOIHES
toute son escorte resta en arriere, un chasscul'
de la garde seul put le suivre; c'est ainsi qu'il
arriva aux Tuileries.


Napúléon touch;lit a l'une des époques les
plus importantes de sa vie.




lJU GÉNf~RA.L RA.PP. l;)l


CHAPITRE XXI.


Tl était questiou de divorce; on en Jl~rLait
hautement dans Paris, mais onn'étáit pas d'ac-
conl sur le choix de cet homme extraordinaire.
On (Msignait les princesses de Russie, de Saxe,
l'arehidnchesse. 11 fut d'abord effectivement
questioIl de la premiére. M. de Metternich·l'ap-
pri.t et fit <les onvertures; elles furent acceptées.
Cependant tons les membres de la famille impé-
riale étaient opposés a cette alliance; il~ redoll-
taient l'astuce autrichienlle; ils prévoyaient que
eette cour consentirait, se preterait a tout ce
qu'il lui demandait jusqu'a ce que l'occasion de-
vint favorable; qu'alors elle leveraÜ le masque,
et serait la premierc á provoquer sa perle: mais
le mariage était conclu, les représentations fu-
rent inutiles. Je fus (lésigllé pour assister a la
cérémonie; c'était une espec;e de faveur, puis-
qu'une grande partie de la cour était eonfonc111e
dans la fotlLe. Je n'avais cependant pas, je l'a-
voue, le droit d'y prétendre; je m'étais permis
quelques réflexions sur le divorce du chef de




MEMOIHES
1'état, et elles lui avaient été rapportées. Je plai-
gnais l'impératrice Jaséphine, qui avait toujours
été bonne, simple et sans prétentions. Elle était
reléguée á la Malmaison; j'allais la vair sauvcnt.
Elle me confiait ses peines, ses cnnuis; je l'ai
vuc pleurel' des heul'es cntiercs; elle pal'lait de
son attaehement ponr Bonaparte, c'est air.lsi
qu'tlle l'appelait parmi naus; elle regl'ettait le
beau role qu'elle avait jaué : ce regrct était bien
naturel.


Le lendemain du mariage HOllS re(;úmes 1'01'-
dre d'aller faire les trais révérences <lt'\ aut le
cauple impérial assis sur le trone. Je ne pu:s y
aIler, je fus retenu par une migraine que j'ai
asscz r~gulierement toutes les semaines; j'en
prévins le grand maréchal. N apaléan- ne crut
pas aman indispositioll; il s'imagina que je n'a-
vais pas voulu me soumettre a l'étiqllette, et
m'en sut mau," ais gré. Ilme 6.t llonner l'ordre ele
['epartir paur Dalltzick. Le duc de Feltl'e me re n-
contra sur les baulevards el me communiqua l€s
illtentiolls de l'empereur. Je demandai des in-
structiOllS : N apaléon me répondit sechement
que jc n'avais qu'á surveiller la Prnsse, a traiter
avec égard les Russes, et a rendre compte deee
qui se passerait dan s les parts de la Baltique;
que je pouvais me dispenser de passeJ;' P,\F




DU GÉNÉRAL RAPP. 153
"Rerlin. Je m'arretai quelques jOllrs a Stras-
bourO" a Francfort et ]"arrivai le 10 J'uin a b , ,
Dantzick.


Je fus tres bien rec;u des troupes et des ha]
tants. On se plaignait beaucoup 'du genéral (
bowski : les Dantzickois ne l'aimaient pas;
avaient tort , c'etait un excellent homme.


La garnison ne tarda pas a s'angmenter; elle
re<:;ut des Saxons, des Badois, des Wurtember-
geois, des 'Veslphaliens, des Hessois; c'était une
armee. Ce surcrolt de forces me deplaisait parce
qu'il slIrchargeait la bonrgeoisie; cal' ponr moi
je n'avais pas a me phindre. Les sentiments des
troupes n'étaient pas équivoques, et les souve-
rain s dont elles d~pendaient daignaient pres-
que .tous saisir cette occasion pour m'assurer de
leut bienveillance; je ne citerai que la lettre du
roi de llavicre.


:.vIIIUich, le 15 avril 1811.


" VOUS allez avoir 1110n 14" régiment d'infan-
"terie sous vos ordres, mon cher Rapp; je le
)) recommallde a vos bontés el a vos soins.Le
,) colonel est un brave homme qni fera son de-
"voir. Le lieutenant-colonel et les deux majors
,) sont bons; le corps des oHiciers de meme,




MÉMOIRES
».et les soldats beaux et parfaits. Je les trouve
ji bien heureux, 11Ion cher général, d'etre


Ji sous un. chef tel que vous : und noch dazu ein
'~lsasser.


Adressez-vous a moi directement touÍC'S les
IS qu'il s'agira du bien-etre de ma troupe, ou


fue vous trouverez des défauts, ou qn'elle ser-
Ji vira mal; chose qlli, j'espere, n'arrivera paso Je
ii saisis avec empressement eette occasion, mon
)) cher Rapp, pour vous réitérer l'assurance ele
'1 ma constante amitié.


l) :\LuamLIEN-JOSEPH."


On m'envoya des instructions pour fermer le
port de la place, et surveiller eeux de la Prusse.
Davoust vint prendre le eommandement de .\;fam-
bourg : je n'étais pas sous ses ordres; mais je de-
vais correspondre avec lui et M. de Saint-Marsan.
Je ne connaissais pas ce dernier, cependant jc
l'estimais reallcoup; ses leUres prouvaient qu'il
était homme de biell, qu'il désirait voir la bonne
h;J.rmonie renaitre entre les dellx llations. Je le
{lésirais aussi', nous étions parfaitcment d'ac-
éord ........ m'écrivait sOllvent de me défier de
ce diplomate, que c'était un traltre venclu au roí
C\1illaume e~ a ses ministres. San s doute qu'il
!~n écrivait autant a N apoléüIJ. Henreusemellt




/JU GENÉRAL RAPP. lS:l
q~and ce prince avait une fois son opitíion fIxt"e
su~ un homme, il faisait peu de cas des rapports
qu'on lui adressait : a moins, comme iIle disait,
de le prendre la mai n dans le sac, il ne lui reti-
raít pas sa confiance.


Ma positiún cependant devenait pénible: d'un
coté, les Dantzickois se plaignaient de nourrir des
troupes, de supporter des charges, et d't~tre
sans commerce; de l'autre, les ministres me pres-
saient de faire rentrer les contributions, afin
.de couvrir les dépenses d'une expédition se-
crete et du développement des fortifications.
Les fournisseurs mena¡;aient de suspendre les
livraisons; je ne savais que devenir. Je retirais
bien quelque argent des impositions frappées
sur la Prusse; mais ces sommes étaient' insuffi-
santes. A force cepcndant de persévérance et de
représentations, je réussis a obtenir les fonds
nécessaires pour acquitter les fournitures, et
peu a poo la place fut déchargée de ce service.


On m'assigna des ressources pour les fortifica-
tions, et des valeurs pour les préparatifs de
l'expédition secrete, qui n'était plus un secreto


I.es ministres proposerent un jour a N apoléon
de faire entretenir la garnison par le gouverne-
roent prllssien. On m'écrivit pour avoir mon
avis. Je répondis que si jamais semblable déci-




156 MEMOIRES
sion m'arrivait, je quitterais sur-le-ehamp Da.vt-
zick, saw; qn'aucune considération fút eapahle~rle
me retenir. Je dois rendre justice au maréchal
Davoust, qlli fut également consulté; il fit voir
qu'e cette mesure ptait dangereuse et iilexécuta-
ble. Le projet fut abandonné.


Je ne passerai pas sous silence un différent
bizarre que j'eus a Dantzick.


Je donnais a dinero J'avais entre autres les ré-
sidents de Prnsse et de Russie; je pla~ai l'un a
111a droite et l'autre ama gauche. Celui-ci se for-
malisa d'une disposition semblable. TI s'imagina
que j'avais voulu molester lui ~ sa conr, et tout
ce Llu'il y avait de Rnsses au monde. Il se plai-
gnit; sa plainte fut transmise de Saint-Péters-
bourg a M. de Champagny, qui la communiqua
a Napoléon. Je re(!us des reproches: j'avais man-
qué d'égards au résident d'ulle grande nation,
j'avais donné la place d'honneud. cclui de Prusse;
j'étais invité a réparer eeHe fwte. J'avoue qlle je
fus piqué. Je répondis au ministre. que je Be
dounais pas de diners diplomatiques; que les
consuls étrangers n'étaient pas accrédités aupres
du gouverneur, mais aupres du sénat; qtie je
pouvais mettre a ·coté de moi a ma table qui
bon me semblait; que les plailltes du résident
étaient riclicules; que je ne le l'eccvrais plus:




DU GÉNÉRAL RAPP. 1;)7
j'ai tenu paroJe, et cette affaire n'a pas eu plus
de suite. J'ai cru devoir rapporter eette anec-
dote, paree qu'elle prouve combien on eherchait
encore a eette époque a ménager la Ru~íe.


,.~-!- "
;:".




MEl\101RES


, ..


ClL\PITRE XXII.


Il ne pouvait arr:iver rien de' plus facheux aux
Dantzickois que d'avoir chez ellX des douaniers
fran<{ais. Dcpuis long-temps i1 était LIuestion de
les y établir; je les repoussais de toutes mes
fOl~ces. !-,eur présence devait donner le coup de
gl'ace au peu de commerce que je tolérais encore
malgré les cris de N apoléon.


Elle ne devait pas (~tre mojns a chargc a tout
le littoral de la Baltil(Ue, que je ne surveillais pas,
je l'avone franchement, avec la sévérité qui m'é-
tait prescrite: aussi les dénonciations pleuvaient-'
elles contre moi; mais je savais d'otl elles par-
taie'nt, je ne m'en inquiétais paso Cependant N a-
poléon était outré de man illllulgence; iI m'en
tit des reprorhes. «] .aisser taire' du commercf'
»aux Prussiells el aux Dal1tzickois, me manda-
II l:-i1, c'esl me trahil'. » ..... écrivait dans le memf'
sens el: envoyait des espions partout. N apoIéoll
était fatigué de rapports et de dénonciatjolls. Il
chargea Bertrand de me faire connaltre combien
iI Mait mécontent. « L'empereur, mon cher Rapp,




DT) CENÉRAL RAPP.
'JI m'écrivit ce géni'ral, sait que tu laisses [aire la
"contrebande en Prusse et a Dantzick; je te pré-
¡, yiens qu'il est faché contre toi, etc.» On cria ,
.le laissai crier, et continuai d'user du pouvoir
avec modération. La douane fut insLallée. On sait
combien elle dait sévere, dan s les pays conquis
surtout. La direction de Dantzick singea1t l'jndé-
pt;ndance. Elle prétendait ne recevoir d'ordre que
du ministre Sll,cy; elle citait en preuve celle de
Hambourg. Je tranchai la question. -J'envoyai le
directeur a Weichselmunde : si~ jours de prison
firent justice de ses prétentíi:ms. Un tel acte de
sévérité était alors sans exemple; il fut regardé
comme un crime de Iese-majesté. Le mÍIiistre s'en
plaignit; mais, a sa grande snrprise, Nap::>léon
lui répliqna que si j'avais puni, e'est que j'avais des
motifs. {( D'ailleurs Dantzick est en état de siége,
¡, et dans ce cas un gouverneur est tout-puissant.»
Les donaniers comprirent qu'ils avaient trop pré-
sumé de Ieur crédit; ils furent plus circonspects;
et s'en conduisirent d'autant mieux avec les Dant-
zickois. Le commerce fut rassuré. Ille fut: encore
plus quaud il me vit relacher diverses prises
[aites par nos corsaires. On délloll~a encore, mais
toujours avec aussi peu de SllCceS.


Je re<{llS l'ordre de livrer aux {lammes les mar-
chandises anglaises: eette mesure était désas~




160 MÉMOlRES
treuse; je l'éludai, et, malgré la pr~sence des doua~
niers, Dantzick n'en perdit pas ponr plus de trois
cents francs , et Krenigsberg encore moins . .Te nI"
parle pas de ce qui provenait des prises.


Le systeme continental et les mesures de ri-
gueur qu'employait Napoléon dans le nord de
I'Allemagne lmlisposait de plus en plus. La po-
pulation était exaspérée. On me demandait fré-
quemment des-rapports sur sa sitvatioll morale :
je la dépeignais telle qu'elle était en effet, accablée, .
ruinée, poussée .a bout. Je signalai ces sociétés
secretes ou la nadon s'initiait tout entiere, oú
la haine préparait la vengeance, ou le désespoir
rassemblait, combinait ses moyem. M;lis Napo-
léon trouvalt ces associations ridicutes. 11 con-
naissait peu les Allemands. Il ne lenr supposait
ni force ni énergie; illes 'comparait avec leurs
pamphlets "a ces petits chiens qui aboient el
»n'osent pas mordre. » 11 éprouva plus tard dE'
quoi ils étaient capables.


On me demandait aussi souvent des rapports
sur ce qui se passait en Russie, sur l'armée qui
s'assemblait a Wilna. On désirait connaltre mon
opinlon sur ce que feralt la nation, sur ce que
ferait l' Allemagne ~ daris le cas ou une expédition
au dela du Niémen serait malheureuse ou vien-
drait a échouer tout-a-fait. Je répondis mot pour




lllot ( on croira avec peine a une prédiction (IUI
<¡'es! malheureusement si bien vérifiée) :


« Si vctre majesté éprouvait des rever s , dIe
) peut etre assnrée (Ine Russes et Allemands, t01l5
¡) se leveraient en masse pour seCOller le joug: ce
)l serait une croisade; tous vos aUiés vous ab,m-
Hlonneraient. Le roi de Baviére, sur lequel vous
» comptez tant, se joindrait llli-meme a la coali-
l) tion. Je n'excepte que le roi de Saxe; peut-etre
II iL vous resterait fidéle, mais ses sujets le for-
») ceraient de faire cause commune avec vos en-
llllCmls. »)


N apoléon, com~e on peut le croire, ne fnt
pas content de ce rapport : il l'envoya au 111a-
réchal Davollst afin qu'il en pl'it lecture, et le
chargea de m'écrire qll'il était bien étonné qu'un
de ses aides-de-camp se fut permis de lui adresser
une lettre de cette espece; que mes rapports res-
sembJaient ;mx pamphlets d'outre-Rhin, que je
paraissais l¡re avec plaisir; qn';m reste, les Alle-
mands ne seraient jamais des Espagnols. Le ma-
réchal fit sa commission; N apoléon resta long-
temps in<lisposé. L'expérience a promé si je
voyais juste; je me suis pennis cl'ell faire la re-
marque a ('.~ prince, connne je le dirai plus tarel.


LOrS(l'l'il oblige~ le roi de Prnsse;\ flire con-
duire a lUagdebourg les m~1TclIand1ses pl'ohibé('s


1 1




l\lÉl\I () 1 R E S
qui avaient été confisquées a Kcelligsherg, je tui
adressai les ohservations les plus vi ves; je lui re-
présentai combien cette mesure était propre el
soulever, a exaspérer la nation. M. de Cléram-
bant, qni était consul général, écrivit dans Je
meme sens; nons ne púmes rien obtenir.


La gnerre avec la Russie était a la veille rl'é-
dater; Napoléon songeait au role qn'il devait
donner a la Prusse. S'allier au roi Guillaume, jI
conservait ses doutes et ses préventions. Le dé-
troner, la mesure (~tait violente: c'était pOl1rtant
ce que lui conseillaiellt plusiems pel'SOllneS que


.-je ne nommerai pas; elles voulaient qu'il envahit
les états de ce prince et s'en emparat. Pellt-etre
Guillaume n'a-t-il jamais été bien au fait du
danger qu'il avait couru : j'en connaissais toute
l' étendue, et j' en ressentais des peines bien vi ves;
je plaignais le souverain, jc plaignais la natíon :
je détonrnai ce projet de toutes mes {orces.


Des instructions avalent été déja cxpédiées a ....
Ce général s'attendait a marcher jncessamment.
Quelle fiJt sa surprise, lorsqu'au lien de l'ordre
d'envahir la Prussc il rc(,;ut la nonvclle du traité
d'alliance! elle me parvint de suite; j'en éprouvai
une vive satlsfaction.




])1 CÉNERAL lL\PP. diJ


CHAPll'RE XXIII.


La grande année t'tait déjit sur la Vistnle. N a-
poIéon quitta París, se rendit dans la capital e de
la Saxe, et de la a Dani:zick. Il avait été précédé
par le roi de N apIes, qui avait sollicité la per-
missioll d'aller a Dresde, et n'avait pu l'obtenir.
Ce refus l'avait singulierement choqué: il me fit
part des chagrills et des tribulations que N apo-
léon lui causait; ille disait dn moins. Nous ftJl11es
les premiers que l'emperenr re~ut; 11 déhuta avec
moi par une questiun <111 i étai t assez plais:mte.
"Qu'est-ce que les Dantzickois font de lenrargent,
" de celui CJu'ils gagnent, de celui que je dépense
)) chez eox?;¡ .le lui r('-pondis que lenr situation
était loÍn d't;trc prosp<>re; (lU'ils sonffraient, qu'ils
étaient allX abois. "Cela changera, répliqna-t-il;
)) c'est une chose COllvenue, je les garde maillte-
"nant pOLlt' moi. ))


11 était fatigué: IlOUS HOUS retirames le roi de
N aplf's et moi. Je flls rappelé un illstant apn2s;
j'assistai seul a sa toilette: il me fit diverses ques-
tions sur le service de la place. Quand iI hIt !ta-


l l.




MEMOIRES
billé, son vaIet-dc-chambre sOl'tit. « Eh hien,
»mollsieur le gélléral Rapp, me clit-il, vojl;' les
)) Prussiens qui sont nos alliés; les A utrichieus le
)) seront bielltot. - Malheureusement, sire, nous
)J f:lÍsons beaucoup de mal comme alliés; je re<;,o;s
)) de tous cotps des plaintes contre nos tronpes. -
» Cest un torrent momelltané : je verrai si Alexall-
l) dre vent véritablement la guerre; je l'éviterai si
» je le pnis. JI Et changeant tont á coup de conver-
sation : « Avez - vous remarLlué cornme Mural a
"mauvaise mine? ii parait malade. - }Ialade?
)) non, sire, mais iI a du chagrin. - Pourquoi <lu
)) chagrin? Est-ce qu'illl'est pas cantent d'thre roi?
)) - TI prétend qu'iluc rest pas. - Pourquoi fait-
» il des sottises dans son royaume? Il doit etre
»Franc,;ais et non pas N apolitain. ))


Le soir, j'eus l'hoIllleur de souper avec Napo-
léon, le roí de N aples et le prince de N euchatel.
A vant de se mettre atable, on causa de la guel're
avec la Russie ; 110US étions dans le salon. L'em-
pereur apen;ut tont il coup un buste en marbre,
placé sur la consoie. 1( Quelle est cette femme ? -
)) Sire, c'est la reine de Prusse. - Ah! monsieur
)) le général Rapp, vous avez le buste de la be1le
» reine chez vous! eette fcmme-lit. ne m'aimait paso
» - Sire, lui répondis-je, iI est permis d'avoir
» chez soi le buste d'unc jolie femme; elle était




,d'aillcurs I'épollse fl'un roi aujourd'hui votre
»allie'. ))


Le lell(kmaill Hons mOllt~mes a cheval; Na-
polt~()n visita la pbce, et paraissail content des
tr;nallX, lors(ju'il aperc,llt je Uf' sais cruel objel
quí lui déplut; i\ s'emporta d me dit, devant
un assez graIltl nombre de personnes, « qu'il
» n'ellten~ait pas (iue ses gouverneurs trallchas-
)) sent du souverain, qu'il voulait que les re-
» glements fussent exécutés. » La contravention
était réelle, mais aussi peu importante; elle ne
méritait pas lan! de brllit. (( Ne vous affectez
" ras de ces reproches, me dit tont has le roi de
» "N aples; l'empereur est contrarié, il a re\u ce
)) matin des lettres qui l'ont mis de mauvaise hu-
» meur.)) N ous continuames notre course, et
nous rentr:'nues. Napoléoll rc<{ut les généraux
et officief's SOIlS mes ordres, ainsi que les auto-
rités civiles; iI adressa a celles-ci diverses ques-
tion6 sur le commerce et les finances; elles (ié-
plol'aient leur position : ( Elle changera, lem t'lit-
)) il; je vous garde pour moi, e'est une ehose COll-
)) H'lIlle: il n'y a que les grandes familles qui pl'OS-
) pel'ent. )l Il ;lpef(~ut M. de Franzins aIné. (C Quallt
JI il "OllS, lnonsieur de Franzins, vous ne vous
"plaigllez pas, vos affail'es scmt en assez bon état;
;; YOllS ayez au llIoins tlix milliolls de fürtllue. )l




¡oG MEMOjHES
Le soir, j'eus L'honneur de sOllper cllcore an~c


N apoléon, le roi dp N arIes et le prince de Ncucha-
tel. N apoléon gal'da le silence assez long-tcmps;
et prpnallt toa! ~ coup la parole, il me demalld,(
combien il v avait de Dantzick a Cadix. - « 11 v


• J


» a trop loin, sire.-Ah! je vous cornprends, lIJon-
)) sienr le général: llOUS en sel'ons pourtant bien
» plus loin d'ici a fluelqlles mois. - Tant pis.)) T ,e
roi de N apIes, le priJlce de N euchMel, ne <1irent
pas Ull moto « Je yois bien, messienrs, l'cpritN a-
» poléon, que vons n'avez plus envie de fail'e la
)) guerre : le roí de NapIes ne vent pllls snrtir de
)) son beau royalllne, lkrthicr voudrait chasser a
;¡ Gros-Bois , et Rapp habiter son superbe hotel a
» Paris.-J'en conviens, sirc, Votre majesté ne m'a
»jamais gaté; je conllais fort pea les plaisirs de
.la capitale. ~


Murat et Berthier continuerent a garder le
plus profond silcnce; ils avaient l'ail' piqué. A pre~;
diner iIs me dircllt que j'avais bien hit de parler
ainsi a Napoléon. e A la houne heure; mai" vuus
»u'auriez pas dú, leur répondis-je, me laissf';o
)) parler tout seul. ))




CHAPITRE XXIV.


Napoléon quitta Dantzick et se rellelit ~I Ka~­
Iligsberg; Murat l'avait accompagné, le général
Belliard s'y tronvait aussi. Illeur parla beaucoup
de l'Espagne et de son frere, dont il n'é~ait pas
contento J.e g('n{~ral Flahaut revenaÍt d'ulle 111is-
"iO!l dont i1 avait hé chargé aupres de Sclnvart-
zenberg; jI rcndit compte du dt"vouenwllt dn
prince, et de l'impatience ou iI était de culbutcr
les Russes : l'empereur n'avait pas trop I'aír d'y
croil'e; cependant 11 se laissa persuader : il peusa
(¡da la longue les protestations peuvent devenir
sinceres, et les bienfaits inspirer aussi quelque re-
connaissance. U exposa son plan el ses projets : « Si
)) Alexandre, dit-il, persiste á ne pas exécuter lef.o
)) conventions que nous :lyons faites, s'illle \ eut
)) pas accéder aux dernieres propositioIlS <(ue je
)) lui ai sourniscs, je passe le Niémen, je bats SO!;
)) anuée et m'empare de la Pologlle russe; jc b
)) r{'unis au grand duché, j'en fais un l'oyaume,
)) oú je laisserai cinquante mili e hommes que le
)) pays clltretienura. Les habitants désirt::llt se rc-




lVIE.MOIRES
» eonstitller en eorps ue nation; ils sont belli-
)) queux, ils se formeront, ils allront bielltót ues
» troupes nombrenses et aguerries : la Pologw'
» manque tI'armes, je lui en fournil'ai; elle bl'Í-
» dera les Russes; ce sera UIle barriere eontre l'ir-
)) ruption des Cosaques. Mais je suis embarrass(; ;
" je ne sais quel parti prendre á l'~gard de la Ca-
» licie; l'empereur d'Autriehe Oll plutot son COH-
)) seil ne veut pas s'en dessaisir:j'ai offert d'amples
;) compensations, elles ont été refuspes ... Il faul
» s'en remetlre allx éVl'IleIUents ; eux seuls HOll;;
» apprendrollt ce qn'il cOllviellt de 1:[11'f'. La Po-
» logne, bien orgallisée, peut fOl1rnir cinquallte
» mille hornmes de cavalerie : qu'en dites-vous,
» lIlonsieur le général Belliard ?-Jc le erois, sire,
» répliqua le général: si votre majcsté la mettait a
» eheval, l'infanterie de la Vistule ferait une ex-
)) eellente cavalerie légere, Llu'oH pOllrraÍt op-
)) poser avee succes a eette nuée de Cosaques dont
» les Russes se font précéder. - Nous verrons cela
» plus tardo Vous retournez avec J\Iurat, \'ol1s
J) quittez vos Suisscs; que pensez-vous des Suisses?
,) - lIs iront, sire, iIs se battront : ils ont heau-
»coup gagné; depuis six semaines, ils ue sontpas
» eonnaissables . .l'irai les voir demain. - Allons,
» bien; rejoignez Murat et voyez avec luí tOllte la
" eavalerie. »




Dl; GENÉRAL RAPP. ¡(íg
Les propositions (lont parlait l'emperellr JH'


furent pas accueillics : les Russes se plaignaient
de nos fórces, de nos mesures commerciales; ils
exigeaient (l11e nOllS évacuassiollS l'l.llemagne.
N ous marchames en avant, IlOÜS arriv;hnes :tu
:NiÉ'men: cinc¡ ans allparavant iJ ;¡yait (~t{o témoin
de nos victoires; I'al'mée ne l'aper(,:lll <¡ll'avec
des cris de joie. Napoléon se rendit aux avant-
postes, se déguisa en chasseur et reconnllt les
hords dll fIeuve avec le général Axo. 11 s'entre-
tint ensuite quelyues instants avec le roi de Xa-
pIes: iI lui indiqua l'clldroit Olt il convellail de
jeter les ponts, et lui dOlllla ordn' de concentrf'l"
ses troupes, afin que le passage fút rapidemeut
effectné. La cava]eric était a cheval, l'infanterie
avalt pris les armes: jamais spectacle ne fut plus
magnifique. Éblé se mil a l'ouvrage; lespontoHs
fllf(~Ilt pIacés a minuit: a une heure, HOUS étions
sur la 1'ive droitc et le gt~néral Pajol a Kowsno;
Baga\\outh l'avait évacllé, llOUS I'occuparnes sans
coup férir. Nous continuamcs le mouvcmcllt;
IlOIlS marchions sans rel:khe : nOL1S n'apercevions
(PW quelques plllks de Cosaqnes qui se perdaicnt
a l'llOrizoll. N ous arrivames aWilna; ses immenses
magasins étaien t en fen: nous l'lteig'nimes; la plus


, L


grJmle p,utie ,les suLsistances fut sauyée.




17° NIÉJ'¡IOIRES


CHAPITRE XXV.


Cct incendie, cette terre qu'avaient tant de f01S
fonlée les légiolls polonaiscs au retour de leurs
glorieuses expéditions, nons remplirent d'lHlf'
l10nvelle ardeur : l'arm(~e s'abandonnait a la puis-
sanee des sonvenirs. N ous nons préeipitamcs ;'t
la slIite de l'ennerni; mais la piuie tomhait par
torrents, le froid était dCVCIlll sévere; c'étaiCllt les
houes, les fondricres de Pl1ltusek : nous n'avl0ns
ni abri ni alirnents. Si du moins les Russes eussent
osé Hons attelldre; mais ils gagnaient le Borys-
thene, ils se jetaient sur la Dwina, ils fl1yaient, dé-
vastaient: ce n'était pas une guerre, e'était uup
lutte a la COUI'se. J ls n'avaient plus ni (~nsembl('
ni communieatiolls; llOUS aviolls perJn l'espé-
ranee d'une baudle. A force de vitesse, l'arrnée
enllemie parvint eependant á se rallier; elle se
réfugia dans les ouvrages qu'elle avait élevés a
Drissa; mais elle se vit bientót menacée dans
ses retranehement'set sa retraite: elle ll'osa courir
ecHe oouble ehanee et s'éloigna. Elle était perdue
si elle eút tardé quelques hcures; toutes les di s-




()tI e JtNÉRAL P.A.PP. 1-;1
I


positiollS étaient faites pOllr la prendre en flall/:
et lui intercepter la ruute : un coup de main la
sauya. nes corps av;n1C~S He se gardaicntpas aycc
assez de vigilance; WiUgenstei ti les slIl'pl'it : Na",
poléoIl crut que les Russes mal'chaient á nOlls; ii
arreta s('s coloIlIles: ce retan) les S;lU\,;¡; ils :¡v:liellt
fait leurmouvement quamlllous ~Irr¡vi'mws a Hrs-
zenkównzi. Le roi de Naples les suivit; ii les
atteignit, les culbuta a Ostrowno, les chargea
encore á quelques lienes plus loin, et dispersa
toutel'arriere-ganle. Au reste, voici SOB rappOl't:
je l'insere paree qu'il peint la maniérc dI' ce
pl'illCC, qui HC méritait pas de mourir ailleurs
que sur le champ de bataille.


« Je mis en mouvement le premier corps de la
, réserve de la cavalerie et deux bataillons d'ill-
J) fanterie légere : la divisioll De!zons slli \ i t. le


}) monvemcnt. NOllS rellcolltrAmes l'arricrc-garde
J) enneuue a euv iron den x lielles d'Ostrowllo;
»elle était avautagellspment placée derl'icl'C un
» ravin escarpé; elle avait une nomhret1Sf' artil-
» lcrie, son front et ses flanes étaien t cUl!verts par
"des Lois toufflls : OH échaflgea quelquC's eoups
»de canon, on envoya les bataillons pOllr arr~ier
» l'infanteric qui faisai! rétrogradel' nos hussards.
"La c1ivisiull Delzons arriya; ll? role de la ca\';t-
) lcrie était fini. Le ,ice-roi fit ses dispositicns,




Mltl'/lOIRES
» OIl marcha a l'ennemi; on passa le ravin : la
)) brigade de cavalerie étr:mgere qui longe;¡it la
» Dwina prat<'gcait natre ganclw et d{'botlchait
l' dalls la plaine ; le reste des troupes légeres mar-
)l chait sur la chanssée a mesure que l'infalltel'ie
)) enllemie rétrogradait. Les cuirassiers furent lais-
') sés en réserve en arriere dll ravill et les canons
') mis en batterie. Ma droite était protégée par
)) eles buis immenses, et éclairée par de nomhrenx
)) partis. L'ennemi fllt pUllssé jusqu'a la dcuxiemc
» position en arriere dn ravin uu était la réserve;
») jj nous ramena a son tour sur le ravin; jI en
)) fut de nouycau repoussé: il nous ramenait pour
)) la seconde fois; déja il était sur le point d'en-
) lever nos pieces, embarrassées dans UH défilé
)) qn'elles traversaient ponr aller prendre position
)) Sllr les hautellI'S; Ilotre gauche était cnlhntéc,
)) et l'ellnemi faisait un grand mouvemcnt sur la
l) droite : la brigade <"trang(~re allait ctre dispcrsée.
)) l);¡ns cet état de dioses, iltl'} avait cjlt'une charge
l) de cavalerie qui pút rétablir les affaires ; je la
)) tentai. ~()us nous portames sur cette infanterje
)) qui s'ava1H;ait audacieusemellt dans la plaine;
)) les braves Poloilais s'dancerellt sur les batail-
)) 10l1s rus ses : pas un homme n'<"chappa, pas un
)) ne fut fait prisollllier; tont fut tué, tout périt;
)) lc bois meme ne put dóro:,cr pCl'sollue au tran-




DU r.F:NtRAL R\PP. 1~3
» chant <In sabre. En lll(~me temps les carrés s'é-
» brallJaient au pas de charge; le général Girar-
» din, (jui coudujsai t les bataillolls de galldw,
¡¡ faisai I un changement a droite, et se portait par
» la grande chanssóe sur les dcrricres de l'cnnemi;
» les troupes qui se trollvaient il dl'Oite exécu-


.» taient la rneme manreuvre. Le général Piré les
» soutenait; ji chargea a la tete du lmitieme de
» hussal'ds: l'ennemi fut culbuté; jI ne dut son
» salut qu'aux bois et aux ravins qui retardaient
JI la marche. Toute la division suivait le mouve-
'>lnent; l'infanterie s'avall(;ait par la chaussée, la
» cavalerie débouchail sur les hauteurs: je faisais
» callonner les cinq a six régimenrs a cheval
n qu'elle avait en faee. Ce fuI dans ceUe position
» que me trouva votre majesté; elle me tit
)) ponrsuivre l'ennemi, je le poussai jusqu'a une
1) lieue et demie de Witepsk. Voila, sire, le réeit
)) de l'affaire que IlOUS \cnons d'avoir avec les
» Rllsses ; elle leur eotlre environ trois milJe
1) mortó; et un granel nombre de blessés; llOIlS n'a-
»vons presque perdu personne. Ce résultat est
)) en grande partie l'ouvrage du comte Tlelliard,
j) qui a oonné dans cette jouruée de llouvelles
» preuves ele dévouement ct de courage. e'est ;\
.lui L1u'on doit la conservatiOI1 de l'artillerie de la
l) divisioll Delzons. ))




MÉlVI01HES
T6ut fatigue a la longue; la lassitllde m(~m('


inspire du courage. Barclay l'pprollva : deux ou
trois fois il eut le dessein de tenter le sort des
armes; mais je ne sais tIuel pressentiment oe dé-
faitt; l'agitait a la Ylle de nos soldats: a peine il
les \opit 1'a1'altrc qu'il pr{~eipitait sa fui te; ses
magasins, ses pieees, ses ouv1'ages, tombaient
(~ans nos mains sans l'émollvoir. 11 n'avait qu'un
hllt, qu'ull objet; c'était d'etre toujours quelques
licues en avance. Bagration imitait cet exemple,
mais montIaít parfois de la résolution; il ent di-
\'('1'5 engagements avce notre avant-garde. Le ma-
réchc.] DaVonst lf' pOllssaiL viH'ment; mais le mi
de Vestphalie warc!t;lit ayec nlOlIf's.~e, Vaudame
disclltaít aH'C ce souvcrain, les ordres ue s'exécu-
taicnt paso eeUe rnésintelligence sauva le prince
rnsse; il nons gagna de vitesse, atteignit Mohi-
low, fut battu: il fut bien arrivp pis sans ces con-
testatÍons que Napoléoll rw devait pas prévoir.
Les Husses, éparpillt"s sur les !lord s dn Niómen,
se troll vaíen t J'éunis sur ceux du Borysthenc:
as se préparaicllt a dófenc1re Smolensk, et nous iJ
l' empol'ter.




lHJ GltJ\ÉRAL RAPP. 175


CHAPITllE XXVI.


J'avais quittÉ' Dantzick et traversa!s la Lithua-
nie; ce pays était agreste, c'étaient des boi5, des
steps, un tableau indéfini de misere et de déso-
lation. Nous étions a cette époque de l'année Ol!
la natllre étale ses richesses; cependant la végé-
tation était faible, l.anguissante: tout, dans ces
fatales contrées, peignait le deuil, tout présageail
les désastrcs qui devalent nous accabler.


La plllie n'arrctait pas, les routes étaient dé-
foncées, impraticables; on se perdait dalls la
vase, on succombait de lassitude et d'inanition:
dix mille chevaux gisaient sans vie sur un espace
que nOlls avions parcouru en deux jours; jamais
morlalité a1JssÍ effrayante u'av:-litsignalé le débnl
d'une campagne. N os soldats, chancelants sur ces
terres argilellses, s'épuisaient en vaills efforts;
la plupart ne ponvaient suivre, ils trainaient; les
troupes alliées surtout en avaient un nombre
prodigieux sur 110S derriéres. Il était facile de
pressentir que l'issue de la guerl'e serait malheu~
reuse: ¡lOUS a vions pOUl' nOlls la force et le cou-




1'":6
I


l\IJt 1\10 IR ES
rage, mais la natllre prenait parti pOllr ellX; it
la lougue HOUS devions succomher. Quoi qu'il en
soit, j'arrivai a Wilna; j'y trouvai le duc de Bas-
sano, dont les pl'onostics étaient l1Ioins somhres;
le général Hogendorp, aide-cle-camp de N apoléoH,
(lue je ne connaissais pas encore; et ce généra I
J omini qui, depuis, déserta nos drapeaux. Le~
uns et les autres auguraieüt mienx que moi de
la lutte qui s'était engagée. Elle se présentait en
effet sous des auspices spécieux : la Pologne en-
tiere était en mouvcment; honnnes, femmes,
paysans, bourgeois, gentilshommes, tOl1sétaient
animésdu plus noble euth(msiasnle; les troupes
s'organisaient, les administrations se f(wmaient,
on assembIait des ressourccs, et on se disposait el
refouler l'oppression par-dela le Borysthene. La
diete de Varsovie était ouverte; cette nation,
si long-temps battue par l'orage, croyait cnfin
toucher au port : aucun sacrifice ne lui colltait.
Le discours t1u président ayait excitt~ des ac-
clamatiolls générales, partout jI avait été re~u
avec transporto Je fus curieux de le lire; M. de
Bassano me le communiclua : '1 n pourrait etre
¡¡ mienx, me dit-il, mais en fin iI est passabIe. ))
L'empel'cur eut clésjré qu'il fUt plus fort de
dIoses et renfermat des phrases moills savalltes.
C'c'-¡ ait ¡'élan dn patriote d non les mouvements




compass€s de l'o1'aten1' qu'il fallait dans une si
grave circonstance; lléanmoins il a procluit son
effet.


" LOllg-temps avait existé dans le eelltre de
;) l'Europe une natioll célebre, maltresse d'llne
» contrée étenduc et feconde, brillante du dOllble
,; éclat de la guerrc et des arts, protégeant depuis
») des siécles, cl'UlI bras infatigable, les barrieres
)) de l'Europe contre les barbares qui frémissaient
» autollr de son enceinte. Un peuple nomb:reux
)) prosp{'I'ait sur cette terreo La natllre répondait
) a vec libéralité a ses travaux. Sou vent ses 1'ois
» avalent pris place dans l'histoire a cOté de eimx
»qui out le pllls honoré le rallg supreme.


») i'vIals eette terre e'est la Pologne, le penple e'est
» vous: quesont-ils devenus ?eomment s'est opéré
» le déchirement de notre patrie? comment eette
• grande famille, qui meme en se divisant ne se
)) st'parait pas, (lui avait su res ter unie a travers des
» siccles de di v isions; COIlnnent eette pllissante fa-
n'mille s'est-elle vue delllembrée? quels on! été ses
)1 crimes et ses juges ? de quel droit a-t-ellc été at-
) ta(!uée, emahie, effacée de la liste des ('tats el:
» des pcuples?d'ou lui sont venus des oppresscllrs,
), des fcl's ?, .. L'uniyers indigné uous répolldrait ...
» chaque état, chaque peuple nous dirait qu'il a
"{TU voir son tombeau s'entr'ouvrir a coté de


l. :2




J\TÉMOIH ES
)) celui de la Pologne, que dans l'a[!(hcieuse pro·
)) fanation des loís sur les(luelles reposent pgale-
)) ment toutes les sociétés, chus l'insultaut mépris
"qu'on en a fait pour nOlls perore, le monde a pu
) se croire li vré au senl empire des convenances,
) et que bientót, pour lui, iI n'y aura plus cl'autrc
)) maltre. L'Europe effrayéc, menacée, indiqucrait
» surtout a notre juste ressentiment cet empire
)) qui, en nous caressant, se préparait a peser sur
» elle d'ul1 poids nouvcau. C'cst la Rllssie qui est
)) l'auteul' de tmls nos maux. Depuis un sit'-clc elle
Il s'a \'ance a pas de g{:ant vers eles pellples qlli igno-


. . , ~
» raleut Jusqu a son Hom.


» La Pologne ressenlil aussÍtc)! les prcmiers ef-
» fets de cet accroissemellt de la puissance ['usse.
» Placée au premier rang de son voisinage, elle a
» re<,;u ses premiers comme ses derniers coups. Qni
)) pourrait les eompterdepuis qu'en 1 í 1 '; laRnssic
») essaya son ínfluenee par le licellciement de l'a1'-
)) mée polonaise? Depuis eette Ppociue quel instant
J) a été cxcmpt de son infJncllcc Ol! de ses outrages?


)) Si eette pllissance astucieuse s'unit a la Polo-
)) gne, c'est pOllr lui imposer, eomme en 176", eette
» funeste gar;:¡lltie ciui attachait l'illtégrité de llOS
») frontiercs a laperpétnité df' l'anarehie; pOllr fairc
)) de cette anarchie le m0,ven de rcrnplir ses cles-
)) seins ambitieux. Le monde sait ce (Fl'ils ont étt,




De GENERAL RAPP.
) depnis ectte flllleste époqlle. C'est depuis elle


i) que, de partage en partage, on a vn la Pologne
¡¡ disparaltre en ticl'ement san s erimc eomme ~ans
) vengeanee; c'est depuis elle que les Polonais ont
)) entendu, en frémissant, le langage insultan! des
» Repnill, des Sivers; e'est clcpuis elle qne le 501-
)) dat russe s'est baigné dansle saug de lellrs eOll-
)) citoyens, en préludant a ce jour a jamais expera-
» ble, faut-il le rappeler, dans leguel, au milien
) des hurlements d'un vaingueur farouche, Var-
)) sovie entendit les cris de la population de
»Prague qui s'éteignait dans le meurtre et ]'in~
)) cendic. Polonais, cal' il est temps ele faire re-
» tentir a vos oreiHes ce Hom que nous n'auriolls
)) jamais dú perdre, voila les rontes odieuses
») par lesquelles la Russie est pancenue a s'appro-
)) prier nos plus belles provinces; volla les litres,
» les sellls titres qu'elle exeree sur Bons. J~a force
)) sCllle a pll IlOllS eIlchalllcr, la force peut anssi
» bríser les ft.~l'¡'; qu'elle sCIt]e a forgés. Ces fers se-
') ront brisés. La Pologue existera done; que di-
)) sonS-IlOUS? elle existe dé'ja, OH plnlót elle n'a pas
)) cessé fl'exister. Que font a ses droits la perfidie,
') les complots, les violenees 50HS lesquelles elle a
) succombé? Oni, Hons sommes eucorela Pologne,
)) llüUS le SOIllllles anx titres que nOLIS tenons de
"la nature, de la société, de HüS ancc-lres; a ces


1 !J.,




,t)o ~IÉJV[OIRES
») titres sacrés que reconnalt l'univers el elont le
)) genre humain a fait sa sauvegarde. ))


Je fus entrainé. J'avais tant vu les braves lé-
gions. polonaises en ltalie, en Égyptc et ailleurs!
fls avaient véritaLlement raison; ils étaient encore
la Pologne. « En fait de courage, dis-je au duc, rien
)) ne me surprendrait de la part de eette vaillante
"nalion; mais j'avoue que je ne la Soup(;onnais
"pas de ce talento - Vous etes bon., reprit M. de
"Bassano; ils unt bien autrt~ chose a faire que des
» harangues!-Qui rient doncla plumell-L'abbé.


l) - Que! abbé? Croyez-volls que l'empereur ait
» de la prédilection pour les rabats ? - Non,
»ulais enfin , au teulps 01" IlOUS SOIllInes, ce n'est
"pas sans des considérations pllissantes qu'on con-
1) fie une ambassade a un pretre. - C'est l'arche-
1) veque? - Lui-meme; nous l'avons envoyé a Var-
» sovie pour eni vrer les Polonais de son (~loquence.
¡¡.Te ne le erois pas fort habih~ en affaires : mais il
» est tOllt dévoué ;ll'empereur; c'estle principal.
1) Ses ennemis !'accllsent d'etrc ambitieux, inquiet,
» sans consistance dans ~es affections, dans ses
" idées, de chanter hlanc, de chanter noir, d'etre
»tont ce (ple les circonstances exigent. Jecrois ce
)) portrait chargé. Je sllis meme persuaelé que si
)) les événements compromettaiel1t la gloire de nos


1) armes, OH ne le verrai t pas oans les rangs de




VU GÉNÉRAL RAPP. lb]
) nos détracteurs. - Je le erois bien; il a trop
D maltraité les eosaques pour devenir jamais leur
» patriarche. ))


La députation de la diete était encore a WiIna.
Je connaissais lfuelques uns de ceuxqlli la com·
posaient. Je les vis, ils me parlerent de leurs cs-
pérances, de Ieul's moyens et de Ieurs droits. Ces
idées me frapperent; j'en rendis eompte au cIuc.


({ Vous etes admirable ~ me dit-il. Quoi! vous nt'
)) reconnaissez pas l' al'chevelfue? vous ne voycz
"pas a vec quel art il se trahit? Et ces réminis-
)) ccnces hibliqnes., a qui voulez-vous ({u'elles vien-
))nellL~sice ll'est HU pretre? Au reste, je vais
)) vous passel' la piece.»


« Sire, la dipte el 11 granel duché de Varsovie,
» réunie a l'approche (les puissantes armées de
» votre majesté, a reconnu d'abord qu'elle avaIt
)) des droits a r{~clamer et des devoirs a l'emplir;
)) d'une voix unanime, elle s'est constituée en eon-
» fédératioll géllérale de la Pologue; elle a déclaré
» le royaume de Pologne rétabli dans ses droits,
» et en meme temps que les actes usnrpateurs et
)) arbitraires par .1esque1s on avait détruit son
»existence étaient nuls et de nulle valenr.


» Sire, votre majesté travaille pour la posté-
» rjh~ el pour l'histoire. Si l'Eurape ne peut mé-
)) connaitre nos droits, elle peut encore bien




ME.l\IOIR ES


» moms méconnaltre nos devoirs. N ation lihre el
» indépenrlante depuis les temps les plus reeulés,
» nOlls n'ayons perdu notre territoi1'e et Ilotre
» indépendance ni par des trait<"s ni par des eOll-
» quetes, mais par la perfidie et par la trahison.
» La trahison n'a jamais constitué des droits.
» N OIlS avons VII notre clernier roi Irainé a Saint-
» Pétersbourg, ou il a péri, e.t notre nation dé-
)) chirée en lambeaux par des pri1l(~es avec qui
» nOllS n'avions point de gllerre et qui He nons
» ont point conquis.


» N os droits paraissent done évidents aux yel/x
.) de Dieu ct des homrnes. N OíIS, Polollai~, nons
,» avons le droit de rétablir le treme des JagelIons
» et des Sobieski, de ressaisir notre indépendanee
»nationale, de rassernbler nos membres divisés,
» de nons armer nous-rnemes pour notre pays
») natal, et de prouver en nous battant pour lui
lJ que nous sornmes de dignes deseendants de nos
" ancetres.


» Votre majesté peut-elle nons désavouer on
)) nons blarner, ponr avoir fait ce que notre de-
l> YO ir , eornme Polonais, exigeait de nOl1S, et
» pou1' avoi1' repris nos d1'oits? Olli, sire, la Po-
» logne est proclamée de ce jonr; elle existe par
»les lois de l'équité, mais elle doitexister par le
,) fait; le dl'oit et la justice légitioH'nt notrf' réso-




Ul! GÉNERAL RAPP. 103
"llltioll, mais elle doit etre sontenne de notre
JI cút(\ Dieu ll'a-t-il pas ass~~z puní la Pologne de
))ses diyisions? vcut-¡I perpéluer nos malhellrs'~
"et les Polonais, ;ljwes avoir nourri l'amollr de
)) leur patrie, devaient-íls descendre au tombeau
» malheu1'eux et san s espoi r? Non, sire. Vous
» avez été envoyé par la proyidence; le pouvoi1'
» est 1'emis aans les mains de votré majes té , et
)) l'existence da grand duché est due a la puis-
) sanee de vos armes.


JI Dites, sire: Que le royaume de Pologne existe;
') et ce d(~el'et sera ponr le monde éqnivalent a la
"l't·alité. N ous sommes seize millions de Polo-
» nais, parmi lesqllels il n'y en a pas un dont le
») sang, les bras , la fortune, ne sOlent dévoués a
» votre majesté. Chaque sacrifice nous paraitra
!, léger s'jl a pour objet le 1'établissement de notre
») pays natal. De la Dwína au Dníester, du Bo-
Il rysthene a l'Oder, un seu] mot de votre majesté
"lui dévouera tOllS les bras, tous les efforts, tons
)) les creuI's. eette gllerre sans exemple que la
)) Russie a osé déclarer, 110110bstant les souvenir5
)) d'Austerlitz, de Pultllsk, d'Eylau, de Friedland,
)) malgré les serments re<{us a Tilsit et a Erfurth,
)) est, nous n'en dOutOIlS pas, un effet de la provi-
)) dence, qui, touchée des infortunes de notre na-
"tion, a résolu d'y rnettre fin. La seconde guerre




MÉMOIRES
» de Pologne vient seulement de commencer, et
» déja nOllS appol'tons nos hommages a vntre ma~
» jestp oans la capitalt' des .Tagellons. Déja les
» aigles de votre majest(~ sont sur la Dwina; et
)) les armpes de la Rllssip, séparées, divisées, C011-
» pées, errent incertaines, et. cherchent en vaín
) a se réunir et a se former, etc.))


" C'est bien. - Ouí, san s dOllte; mais il est si
») charmé du chef-d'ccLlvre, qu'il croirait manquer
» asa gloire s'i1 ne Pllbliait partont qne son génie
») protége la Pologne. Vingt foís par jour je sllis
)) oblígé de mod¡'>rer ces exccs c1'amour-prop1'e. Ce
» matin encore je lui ai f.'li t sen [ir l'incoll\'enance
» de ses mouvements de vanité. - 11 ossianise:
» vous 1'appelez-vous le mot?- Ille peint a me1'-
» veiUe. Au reste, si sa prose va bien, l'ambassade
)) ne va guere. Sans Duroc, qni le convre de son
»omb1'e,je l'aurais déjarenvoyé á ses ollailles. Que
»diable l'auinolleriea-t-elIe de commun avec les
)) ambassades? C'était hien la peine de se donner
» tant de mouvemt'nt pour ne rien faire qlli
)) vaille! ))




IHJ G r~N É R AL RAPP. 1,,,5


CHAPITRE XXVII.


Je me remis en route ; c'étaiCllt lles hoís, des
steps, tout ce que la nature a de plus sauvage;
mais je rencontrais achaque pas des oftlciers qni
allaient en mission; ils me donnaicnt des nou-
velles de mes amis, de l'armée ; j'oubliais les lieux
que je parconrais; je discourais sur les chances
probables de la guerre; ils me parlaient de la
valenr des tl'OU pes, de la pl'odigieuse acli viré de
l'empel'eur. Elle était eH eHet inconcevable ; les
mouvements, l'admillistration, les mesures de
sureté et de prévoyance, il embrassait tout, il
suffisait a tout. Les instructions données a 1\'1.
d'IIautpoult en sont un exemple. Elles méritent
d'étre cons!~rvt"es.


« L'oflicier d'ordoll nance d' !lautpoult se remIra
» a OstrowIlO, et de la a Beszenkowkzi. II verra a


.» Oslrowno si le viJlage est réhabité eL s'il a un
J) cOllunandan l de place pou l' le réorganiser; il
» yerra a Beszenkowiczi si les ponts sont faits,
»et si on a sllbstitué un pont de radeaux au pont
)) de chevalet qui ne résisterait pas aux premieres
» ques de la rivi.ere; il verra si on travaille a la




MÉMOIRES
)) tete du pont; il yerra l'hopital, la manuten-
II tion, les magasins; et enfin, si le pa~-s cOJn-
» menee á se n'organiser. 11 me rendra compte
Jj des troupes qu'il relleolltrera, soit cavalerie, soit
j) artillerie, soit infanterie, soit équipages mili-


)) taires. J1 verra a Heszenkowiczi le quatri(~me rt'-
" giment des chasseurs de la garde et le bataillon
» de IIesse-Darmstadt, auxquels j'ai ordonné de
) res ter la en POSitiOll jusqu'a nOllyel ordre : il
» doit y aYo!r aussi plusieul's pii>ces d'artillerie;
») il fauclra avoir soin qne tout cela soit en po si-
"tion, et qLl'on travaille a la tete du pont, afin
)) de la terminer. Il s'informera si on a des nou-
)) velles des Cosaqnes; et, 5'il est nécessaire, il
)) restera un jour a Heszenkowi,ezi, afm de tout
» voir et de faire sa dépeche. n m'écrira de eet
)) e.ndroit, en ayant soin de remcttre sa lettre a la
j) premiere estafette qui passera a Heszenkowiczi.
)) Il eontinuer? sa ronte sur Polozk, d'oú il m'ex-
j) pédiera sa seconde d(\pcche; il verra les fonc-
» tionnaires de la yille, l'hópital el la manutcn-
l) tion. n me fera con naltre combien de prisonniers
"a faits le due de Rcggio a ces différentes affaire s
» qui vieunen! d'avoir lieu; eombien de blessés ;
)) tout ce qu'il pourra apprendre sur cette affaire
) et sur la situation du co1'ps du duc de Reggio.
, Le duc de Tarellte ayant pris Dünahourg, ],()f-




no (~~:N~~R·\L RAPP. 18;
,) ficier d'orrlollnance d'TTautpoult s'informera si
»Ia COJllIlHlflication entre les denx corps s'est
» opérée. 11 prendra tO'.ltt~S les informations quí
» pOllI'ront me faire connaltre la nature des forces
»opposées an duc de Reggio; iI restera avec ce
» maréchal, auquel il remettra la Iettre ci-jointe,
» j~squ'a ce que celui-ci ait atta qué l'ellllcmi,
»éclairci la ri ve droite et opéré sa commnnicatiol1
» avec Dünabourg.


,,"NAPOLÉON.»


Mais toute cette vigilallce ue remédi<lit pas au
mal. L(~s tralnards se multipIiaiellt a vue d'ceiI; iIs
encombr;¡icllt lJOS derrii>res . .le rendis compte á
l'emperellr, que je rejoignis au bivouac ~ trois
lieues en (le<;:a de Smolensk, dll triste tableau
que je n'avais cessé d'avoir sous les yeux dans
mon voyage. « e'est la suite des 10llgues marches;
» je frapperai uu grand coup et tout le monde se
» raUjera. Vous velJez de vVilna ; que [ait Ho-
» geIlllorp? il se berce dans son índolellce? Il n'a
» pas de femme avec luí?" Je n'ell sa\'ais rien, je
ne pus rien répondre. Napol{~on reprit ; « S'il asa
» femme, il faut qu'elle rentre en FraIlee, ou du
"moins (l'úl la renvoie en Allemague, sur les
») del'rieres .. Herthiel' va lui éerire. ,) On apporta
df's papiers qu'on venait de traduire ; les uns
étaient les réeits de ces vietoires ou quelques poi-




MÉMOIRES
gnées de Cosaqm>s nous avaient tous battns; les
antres des proclamations, des adresses ou l'on
nous signalait eomme lme troupe ue mission-
naires. (C Voyez, me <lit Napoléon; vous ne vous
» dontiez pas Cjlle Hons fussions des apótres : voila
)) pourtant que nOllS venons damner les Rllsses.
!l Ces pauvres Cosaqnes, jls vont devenir idola-
l) tres. Mais en voici bien d'llne autre! tenez,
» lisez; e'est du russe tout pUl'. Le pauvre Platon 1
»Tout est de memcfürce uaus ces tristes climats.»
Je lus : c'était un long amphigouri dont le patrial'-
che assaisonnait une relique du saint Serg'e qn'il
offratt a l'cmpcrcur Alcxalldre. 11 le tenninait
par ce paragraphe : "La yi lIe de Moscoll, la pre-
llmiere capitale de l'empire, la nouvelle Jérusa-
)) lem, re¡;oit son Christ, comme une mere, dans
)) les bras de ses fils zélés ; et, a travers le brouil-
II lard qui s'éleve, prévoyant la gloire brillante
)} (le sa puissance , elle challte daos ses transports:
)) Hosanna, héni soit celui qui arrive! Que l'arro-
)) gant, J'cffrollté Coliath apporte des limites de
» laFrance l'effroi mortel aux confin s de la Hnssie;
» la pacifique eeligion, cette fronde <Iu David
)) russe ahattra soudain la tete de son sanguinaire
li orglleil. Cette image de saint Serge, antique dt>-
)l fenseur du bonhellr de notre patrie, est offertf'
)\ ~ yotre majesté impériale. »)




nu GÉNf:RAL RAPP. 189


CHAPTTRE XXVIII.


L'affaire de Smolensk eut Iieu. Ün se battit, OH
se canonna avec yiolence. Les Husses, pris d'é-
charpe et d'enfilade, furent défaits. Ils ne purent
défendre ces murs tant de fois témoins lle leurs
victoires et les évacuerent; mais les ponts, les
édifIccs publics, étaient la proie des flammes.
Les églises slIrtollt f'xhalaient des torrents de fcn
et de fumée. Les domes, les fleches el cette mul-
titude de tourellcs qui dominaient l'incendie,
ajolltaient encore au tableau et produisaient ces
émotions mal définies qU'OIl ne trou\e que sur le
champ de bataille. NOllS entrames dans la place.
Elle était a moitié consumée, d'un aspect san-
vage, encombrée de cadavres et de hlessés qu'at-
teignent déja les flammcs. Le spcctacle était af-
freux. Quel cortége que celni de la gloire!


N ous avioIls besoill de détournel' uos regards
de ces scenes de carnage. Les ltusses fuyaicnt, la
cavalerie s'élan¡;a sur lcnrs traces; elle atteignit
bientot l'arriere-garde. Korff voulnt tellil', il fut
accablé. Barclay accourut avec ses masses, nons


J'




MÉMOIHES
re<; limes eles renforts; l'action devint terrible. N ey
attaquait en tete, J unot par le flanc; l':-trmée enne-
mie était cOllpée, si le duc se fút porté en avant.
Fatigué Je ne pas le voir paraitre, Murat courut
a ]l1i : « Que fais - tn? que n'avances-tu? -Mes
» W estphaliells chancellent.-Jc vais ]eur r10nner
» l'élan. » Le roi de Naples se jette a la tete de quel-
qnes escadrons, charge, culhllte tOllt ce qui s'op-
pose a son passage. « Voila ton haton de rnaréchal
» a rnoitié gagné; acheve, les Russes sont pf'rclus.»
Junot n'acheva pas; soit lassitude, soit ddiance,
le brave des hraves sornrneil1a au bruit du canon;
el l'enncrni, qui accourait pour maillfell;r ses
derrieres, se reporta sllr la liglle. IJa melée dc-
vint affrellse; le hrave Gmlin perdit la vie, et
l'ar111ée russe nons échappa. Napoléon visita
les lieux ou ron avalt cornhattu. « Ce n'était pas
»au pont, c'estla, c'est au village ou dcvait dé-
» boucher le huitie111e corps qu'était la hataille.
» Que faisait JmlOt? l) Le roi de Naples chercha a
atténuer sa f~lUte. Les troupes, les obstacles, tous
les lieux C0111rnuns d'usage furent e111ployés. Bcr-
tllier, qui avait toujours aimé le duc , s'intéressa
pOllr lui; Caulincourt etl flt autant. Chacllll plaida
de son mienx en' ÜlYeur d'lln brave a qui on ne
ponvait reprocher fJu'nn instant d'oubli. Mais
nOllS ayions pcrdu de trop grauds ayantages.




nu e ENÉRAL RAPP. 19 1
N apoléon me fit appeler : « Junot vient de man-
J) quer pour tOlljours son baton de maréehal. Je
)) vous donne le eommandement du corps west-
JJ phalien : vous parlcz leur langue, vous leur
Hlonnerez l'exemple, vous les fcrez battre. » Je
fus flatté de eette marque de cúnfiance et le lui
témoignai; mais Junot était eouvert ele Llessnres,
il s'était signalé en Syrie, en Égypte, partout; je
priai l'empereur d'oublier un moment d'absenec
en favenr de vingt ans de courage et de dévoue-


t 11 t 1" , . men . «( es cause que armee russe napas m~s
)) has les armes: cette affaire m'empechera '}Wl1t-
JJ etre d'aller a Moscoll. Mettez-vous a la téte des
»Westphaliens. )) Le ton dont il pronon~a ces cler-
nieres parolcs était déja bien radouci. Les ser-
vices de l'ancien aide-de-camp atténuaient l'inac-
tion du huitieme corps. Je repris : « Votre majesté
) vient de me parler de MOSCOll. L'armée ne s'at-
» tend pas a eette expédition. - Le vin est verse, il
) faut le boire . .le viens ele recevoirde bonnes nOIJ-
JI velles: Schwartzenberg est ell W olhinie; la Po-
» logne s'organise, j'aurai touteespee.:e de secours. ll


.le qnittai Napoléon pour faire part au prince
de N euehatel et au dlle.: de Vicenee de la disgrace
dont Junot était menacé. (( le sOllffre, me dit le
» princc, de lui voir oter ses troupcs; mais je ne
» puis disconvenir qu'il n'ait fait manquer la plll~




MÉJ\'IOIRES
J' belle opération oe la campagne. Voila a ([uoí
"tienllent les sllcces de la gnerre, a un oubli,
"une absence d'un instant : vous ne saisissez
), pas l'occasion a la volée ; elle disparait et ne re-
""ient plus. Personne n'a plus de cOllrage, de
» capacité. Il joint aux qualités du militaire les
» connaissances les plus étendues; il est intrépide,
)) spirituel, aimable et bono Il s'est oublié pen-
"dant une heure; iI s'est préparé bien desenne-
» mis. A u reste, je verrai avee Caulincourt. » Ils
agirent si bien l'un et l'autre que Junot conserva
son commandement; j'en fus fort aise, d'abor!l
parce que cela lui évitait nn affront, et qu'ensllite
je ne me souciais guere de ses saldats. Malheu-
reusement la fatigue avait succédé a l'impétuosité
du jellne age. n ne montra pas a la bataiUe de
T\Ioskowa cet élan, cette énergie dont il avait
tant de fois donné l'exemple; et l'affaire de Veréia
mit le comble au mécontenteinent de Napoléon.


Nous apprimes, tFlelques jours apús, l'irrnp-
1ion de TormasoJT. N ous étjOllS inquiets, nous
discouriolls de ces IOllgues pointes, des dangers
auxquels on s'expose en s'éloignant outre mesure
de sa ligue d'opérations. Sans dOllte Napoléon
Hons entendít. 11 ",int a nons , parla beaucoup dI"
la maniere dont iL avait assuré ses derrieres, des
corps qui forma¡ent nos ailcs, et (te cette chaille




nü GÉNr~RAL RAPP. 193
de postes, qui se liaient depuis le Niémen J llS-
qn'anx lieux ou nous nous trollvions. « Tormasow,
» nons dit-il, a mis tOLlS les enfants de Varsovie
II en l'air. I1s le Yoyaiellt déjit fonctionnant it Pra-
)) gue; mais le voiLl renvoyó plus vite qu'il n'é-
» tait veUl!. » 11 rentra dans son cabinet, et se mit
a dicter avee indifférence, mais assez haut ponr
que nons n'en perdissions pas un mot, des in-
structions pour le due de Bellune.


Napoléon au major-g'énéral.


Dorogobuj , le 26 aoút 1812,


«Mon cousin, éerivez au duc de Bellune de se
»rendre de sa personne a "Vilna, afln d'y voir le
') duc de Bassano et d'y prendre connaissance des
» affaircs etde l'état des choses; (Iue je serai apres-
., dernaill Ú 'Vjaezma, c'est-a-dire ,1 cinq marches
)) de Moscol!; qu'il e~t possible que, danscetétat
)) de choses, les C'.JlTIlllunications viennent a fotre
J) interceptées; <!u'il faut done que qllelqu'un
» prellue alors le commandement et agisse selon
)) les circonstances; que j'ai ordollné qu'on diri-
/J geat sur Minsk le cent-vingt-ncuvi(\me régiment,
» le régiment illy.rien, le régiment westphalien ,
)) qui était a Kcenigsberg, et les deux régiments


13




MÉMO [RES
II saxons; que fai en outre placé entre Minsk eL
» l\Iohilew la division Dombrowski, forte de
II douze batailbns et d'nne brigade de ea\'alerie
l) légere; qu'il est important que son eorps s'ap-
') proehe de Wilna, et qu'il se dirige selon les
l) circonstanees, afin (l'etre a meme de soutenil'
II Smolensk, Witepsk, J\Iohilew et Minsk; que
1) la division Dombrowski doit etre suffisante pour
» mailltenir les eommunications de }1insk par
» Orsza jnsqu'a Smolensk, puisqu'elle n'a a con-
» tenir que la di v isioIl russe dn général Tleztel qui
» est ;\ J\Iozyr, forte de six a huit mille hommes,
)) la plupart recrues et contre la(!uelIc, d'ailleurs,
"le général Sehwartzenberg peut opérer; que
" les nouveaux renforts que j'envoie a Minsk pOllr-
)) ront aussi subvenir a tous les inconvénients; et
» dans tous les eas, le mouvement du due de
)) Bellune sur Minsk et Orsza, et de la sur Smo-
» lensk, me parait propre a maintellir tous les
» derrieres; que j'ai quatre miJlc hommes de gar-
» nison a Witepsk el autallt a Smolensk; que le
» dne de TIelluue, preuant aiIlsi position entre
» le Dnieper et la Dwina, sera en communieatioll
)) faeile avee moi, pourra promptement rccevoir
"mes ordres et· se tronvera en mesllre de pro-
» téger les eommunications de l\linsk et de Wi-
" tepsk, aillsi (Iue celles de SnlOlensk sur Moscou;




nu GÉNÉRAL RAPP. 195
)) que je suppose que le général Gouvion Saint-
) Cyr a sllffisamment des deuxieme et sixiéme
l) corps pour tenir en échec vVitgenstein, et n'en
» avoir riell a crainore; que le duc de Tarente peut
) se porter sur Riga pour investir la place; enfin,
) que j'ordonne aux quatrc dcmi-brigades de
~ marche, formant neuf ll).ille hommes, qui fai-
Qsaient partiede la division Lagrange, de se (Ii-
"riger sur Kowno : qu'ainsi ce ne serait que dans
»le cas oú le général Gonvion Saint-Cyr serait
) battu par le général Witgenstein et obligé de
) repasser la Dwina que le dllC de Bellune devrait
"marcher a son secours d'aLord; que, ce cas
nexcepté, iI doit sllivre sa direction sur Smo-
" lensk.


jI Sur ce, etc.
>l Signt! NAPOLÉON.ll


13.




MÉl\IOIRES


CHAPITRE XXIX.


L'armée continuait son mouvement, poussant
tOlljours devant elle les troupes qu'elle avait bat-
tues a VaIontina. On chantait bien des Te Deum


.


en Russie; on en chante pouJ' tout dans cet heu-
reux pays : mais les victoires a la fa~oll de ToIly
ne calmaient pas l'anxiété de la nation; elle sen-
rait que eette malliáe de vainerc la, refoulerait
hientOt en Sibérie: elle résolut de mettre se,;
destinées en d'autres mains. Kutusow puisait aux
pieds des images ses inspirations militaires; iI jeu-
nait ,priait, flattait les pretres et la noblesse; le
eie}. ne pouvait lui ref~ser son assistance : il fut
nomm(~. Admirables dans les COllrs, les pasqui-
nades ne suffisent pas sur le champ de bataille;
toutes les rnomeries religiellses He tiennent pas
devant une bonllc disposition : il 1'éprouva. I,e
roi de N aples, qui ll'avait ponr les amulettes que
le mépris d'un soldat, fonel sur lui et le taille en
pieces. Il vcut faire ferme a Chevarino; mais la
cavalerie s'ébranle, la charge bat; on le cnl-
bute, on le jette dans ses retrallchements : le




VU GÉNÉRAL RAPV. 19~
courage l'emporte sur les saints de la Russie.


Ce début n'étaít pas de bon augure; le cid
répondait froidement au úle des Cosaques. On
rcdoubla de snpplications : Kutusow déploya ses
images; on défila devant la vicrge de Smolensk.
dont nous vOlllions déposséder la dévote nation:
on fit des prieres, des vreux, des offrandes;
et les orateurs des Calmouks débit$-ent l'homélie
qui suit :


« FRimFs!


»Vous voyez devant vous, dans cette image,
»objet de v(Jtre piété, un appel adressé au ciel
» pom' qll'il s'unisse aux hommes contre le tyran
»qui tronble l'univers. Non content de détruire
» des millions de créatures, images de Dieu, cet
»archi-rehelIe a toutes les lois divines et humai-
» nes pénetre á main arméc clans nos sanctuaires,
» les souille de sang, l'enverse vos autels, et expose
» l'arche meme du Seigneur, consacrée clans ectte
» sainte image de notre église, aux profanations
"des accidents, des éléments et des mains sacri-
» léges. Ne craignez done pas que ce Dicu, dont
» les autels ont été ainsi insultés par ce vermis-
j) sean que sa toute-puissance a tiré de la pous-
.j siere, ne soit point ayec vous; ne craignez pas




190 lVIEMOlRES
» qu'il refuse d'étendre son boucIier sur vos rangs,
» et de combattre son ennemi ayec l'épée de saint
» Michel.


» C'est dans eette croyance que je venx COIH-
»battre, vainere et mOllri 1', certain que mes yeux
» mourants yerront la victoire. Soldats, remplis-
»sez votre devoir; songez au saerifice de vos
» cités en flammes et a vos enfants qui implorent
» votre protection; songez a votre elllpereur,
)) votre seigneur, qui vous considere eomme" le
J) ner[ de sa force; et demain, avant que le soleil
» n'ait disparll, vous aurez tracé votre fo; et V()tI'(~
» fidélité sur le sol de votre patrie, avec le sang de
»l'agresseur et de ses guerriers. ,)


L'épée de saint :Michel est sans doute une épée
redoutable; mais des soldats dispos valent encore
mieux: aussi Kutusow n'épargnait-il pas les liba-
tions; il accroissait d'autant la ferveur des Cosa-
queso Quant a nous, IlOUS n'aviolls ui inspir{~s,
ni prédicants, ni meme de subsistan ces ; mais
!lons portions l'héritage d'une longue gloire;
nous a11ions décider qui des Tartares ou de I101lS
devait dOllner la loi au monde; nous étioIlS anx
confin s de l'Asie, plus loin que n'était jamais
a11ée armée européenne. Le succes Jl'était pas
doutenx: aussi N apoléon aper~~ut-.il a vec la joie
la plus Yi ve les processions de Kutusow. « Bon,




DlJ CENÉRAL RAPP. 199
JI me dit-il, les yoila occupés de pasqllinades; ils
» n'échapperont plns. » II fit des reconnaissances,
expédia des ordl'E's de mouvement, el" se prépal'<l
it la journée dn lendemain. Le roi ele Naples ju-
geait ces dispositions superflllcs : il s'était em-
paré de la principale redoute, la gauche de la
position était déhordée; j1 ne pensait pas que
les Russes voulussent acceptel' la hataille; il
croyait qu'ils se retireraieut pendant la uuit : ce
n'Üait pas leur projet; ils creusaient, ils re-
ml/aient la terl'f~, i1s assayaient leuT' position.
I"e lendemain nous les apcr~úmes qui élaient
tüus a l'ouvrage: il était Ollze hcures, NapoléoIl
m'envoya faire l/ne reconnaissallce; j'étais charg{'
d'approcher le plus pres possible de la ligne en-
nemie. Je me débarrassai de llles plurnes blall-
ches, je mis une capote de soldat et examinai
tOllt avec le plus de soin qu'il me fut possible:
jen'étais sui,i que d'un chasseur de la garde.
nans plusielll's cndroits je dépassai les ve<lettes
rllsses : le village de BorodülO n'était séparé de
nos postes que par un ravin étroit et profolld;
je m'avan~ai trop, OH me tira <leux coups de ca-
non a mitraille; je m'éloignai; je rentrai vers les
oellx hcures, et vins relldre compte de tout ce
que j'avais 'u. Napoléon s'entreteuait ayer le roi
de Naples et le prince de Neuchatel; Murat avait




200 MI~MOIRES
bien changé d'opinion : surpris de voir, a la
pointe ou jour, la ligne ennemie encore tenrlne,
il avait jugé l'actíon imminente et s'y était pré-
paré. D'autres généraux souteuaieI1t cepembnt
encore flue les Russes n'oseraicnt en courír la
chance: ([uant a moi, je prétellllais le contraire ;
j'observais qu'ils avaÍent beaucoup de monde,
une a"ssez bonne position; j'étais convaincu qu'ils
nous attaqueraient si nous ne les prévenions.
Napoléon me fit l'honnenr d'etre de mon avis,
(lui était allssi ("eluí de Berthier : ildemanda ses
chevaux, et tit en personne la meme reconnais-
sance. II fnt ret;ll comme je l'avais étt' devant Bo-
rodino; la mitrai Ile I'obligea de s'éloigner : ce
qu'il aper~ut acheva de le convaincre qu'il !le
s'était pas trompé; ildonnaen rentrant des ordres
en conséquence.


La nuit arriva. J'étais de service; je conchai
dans ]a ten te de N apoléon. L'endroit Ol! il repo-
sait" était ordinairement séparé par une cloison
en toile de celui qui était réservé a l'aide-de-camp
de service. Ce prince dormit fort peu. Je I'éveil-
lai plusieurs fois pour lui remettre des rapports
d'avant-postes 1 qui tous lui prouvaient que les
RlIsses s'aúenoaienta etre attaqués. A troi5 heures
du matin iI appela un valet de chambrf' et se ut
apporter du punch; j'eus l'hol1uelU' ¡}'en prendrt~




DU G ÉNÉRAL RA PP. 201
avee lui. Il me demanda si j'avais bien dormi; je
ll~i l'Ppondis que les nuits étaient di-ja frakhes,
que j'avais sOllvent été réveillé. 11 me dit: « N ous
» aurons affaire au.iourd'hui 11 ce fameux KutusO"\v.
)) VOllS vous rappclez sans <loute que e' est lui qui
» comman(lait a Braunan lors de la campagne
» d'Auslerlitz. TI est resté trois semaiues dans
» eette place sans sortir une seule fois de sa cham-
» bre; il n'est pas seulement monté a cheval pour
) voir les fortifications. Le général Bennigsen,
» quoiqnc aussi viellx, est UlI gaillanl plus VigOll-
» reux que lui. J e ne sais pas pOllrqlloi Alexandre
» n'a pas en vOyt" cet JIaIlO\Tien ponr remplacer
» Barclay. )) U prit un ,"erre de pUllch, lut quel-
qnes rapports et ajouta ;


« Eh bien! Rapp, erois-tu que nOlls ferons de
» bonnes affaires alljollrd'hui? - 11 n'y a pas de
)1 doute, sire; nons avons épnisé toutes nos res-
» sourccs, 110115 somm('5 forcés de vaincre. »
Napoléon contirllla sa lecture et reprit; « La
)) fortune est une [ranche courtisane; je l'ai sou-
,) vent dit, et je e01lll1leUCe a l'éprouver. - Votre
») majesté se rappelle qll'elle m'a fait l'honneur de
» me dire a Smolensk que le vin <"tait versé, qu'il
)) faIlait le boire. e'est maintenant le cas plus que
)) jamais; iI n'esl plus temps de reculer. L'armée
n connalt d'aillellrs sa positioTl : elle sait qu'dle




M~~MOIRES
"ne trouvera de subsistances qu';J Moscuu (~I
J) qll'elle n'a plus que trente lieues a faire. -
» eette pau vre armée, elle est Lien rédllite : mais
» ce qui reste est bon; ma garde est d'ailleurs in-
»taete.» Jl mauda le prince Berthicr et travaiHa
jusqu'á cinq hellrcs et demie. N ous montihnes á
c:heval. Les trompcttes sonnaient, les tambom:s
Lattaient; des (Iue les trollpes I'aper<;urent, ce ne
fut qu'acclamations. « Cest l'enthuusiasrne cl'Aus-
)) terlitz. Faites lire la proclarnation.»


" SOLDATS~


) y oila la bataille que vous avez tant désirée ~
l) Désormais la victoire dépend de vous; elle nous
» est nécessaire; elle nous donnera l' abolldallce ,
)) de bons ({uartiers d'hivcr et un prompt retonr
1) dans la patrie. Condnisez-vous comme a Aus-
)) terlitz , a Friedland, a Witepsk, a Smolensk, el
)) que la postérité la plus reculée cite votre COll-
)) duite dans cettc journée; que l' on dise de vous:
)) Il était a cette grande bataille sons les rnurs de
)) Moscou. 9 Les acclarnatiolls redoublerent, les
tronpes ne dell1andaient qn'a comLattre, l'action
fut bientot engagee.




DU GENÉRAL RAJlP.9.o:>


CHAPITRE XXX.


Les ltaliens et les Jlolonais tenaicllt les ailes.
Napoléon opé1'ait sur la gauehe des masses enne-
mies. Du reste, nous n'avions aucun l'enseigne-
ment précis; femmes, enfants, vieillarus, bes-
tiaux, tont avait disparu; il ne restait personne
<{ui pút nons donner la moindre i:i1dieatioll. Ney
marcha a J'ellllemi et I'enfollc,a avee eette vigueur,
eette impétuosité dont il a donné tant d'exem-
pies. N ous emporttnnes les t1'ois redoutes qui
l'appuyaient. n accou1'llt avec des trollpes fral-
ches: le désonlre se mit dans nos rangs, nous
(~vaewlmes deux de ces ouvrages; le dernier
meme était compromiso Les Russes couronnaient
déja la cn~te des fossés. Le roi de Naples voit le
danger, vole, met pied a terre, entre, monte
sur le parapet; iI appelle, anime les soldats. La
redonte se garnit, le feu uevicnt terrible, les as-
saillants n'osent ten ter l'assaut. Qllelques esca-
drons paraissent; Murat monte a cheval, charge,
culhute les colonlles dispersées dans la plaine.
Nous reprenons les retranchements, HOUS nous




l\íÉMOIRES
y établissons pour ne les plus eplitter. Ce trail
d'audace décida la journée.


Le général Compans venait d'étre blessé; j'allai
prendre le commandement de sa division. Elle
faisait partie dll COl'pS d'armée du maréchal Da-
voust. Elle avait enlevé une des positions retran-
chées de l'enncmi; elle avait déja beaucoup souf~
fert. Je me concertai en arrivant avec le maré-
chal Ney, dont je tenais la droite. Nos troupes
étaient péle-mélc; nOllS les ralliilmes, nOlls nons
précipitihnes sur les Russes, Bons leur fimes ex-
piel' leur succes. La canonnade, la fnsillade, n'arre-
taieut pas. lnfanterie, cavalerie, se chargeaient
avec f:trenr d'une extrémité de la ligne a l'autre.
Je n'a,ais pas encore vu de semblable carnage.


N ous avions trop appnyé sur la droite; le rOl de
N aples restait seul exposé aux ravages des batte-
ries de Scminskoé. Il n'avait que des troupes a
cheval; nn ravin profond le séparait du vil1age,
il n'était pas facile de l'cmporter: il le fallait ce-
pendant sous pcine d'étrc écrasé par la mitraille'
Le généraI Belliard, qui n'aperc;oit qu'un rideau
de ca valerie légi-re, conlfoit le dessein de la re-
fouler au loin et de se porter par un a gauche sur
la redoute. « Cours á Latour-Maubourg, .lni rf.J"'
J) pond I\Iurat, dis-lni de prendre une brigade
» de cuirassiers fran((ais el SilXOllS, de passer 1<,




DU GÉNÉRAI, RAPP. 205
',ravin, de tont sahrer, d'arriver au galop sur le
}J revers de la redoute et d'enclouer les pieces. S'il
)l ne réussit pas , qu'il redenne dans la meme di-
)) recÚon. Tu disposeras une hatterie de quarante
» picces el lUle partie de la réserve ponl' protéger
JI la retraite. » Latour-Maubourg 'se mit en rnou-
vement, culbuta, dispersa les Russes et s'empara
des ouvrages. Friant vint les occuper. Toute la
réserve passa et s'établit a la gauche du village.
Restait un dernier retranchement qui nous pre-
nait en flanc et nons accablait. Elle venait d'en
enlever un, elle pensa qll'elle pOllvait en empor-
ferUll ;Iutre. Caulillcourt s'avalH;a, sema au loinle
désonlre el. la mort.ll se rabattit tout á coup sur la
redoute et s'en remEt maitre. Un soldat caché
dans une embrasure l'étcudit mide mort. II s'en-
dormit du sommeil des braves; iI ne fut pas té-
moin de nos désastres.


Tout fu}ai t, le fen avait cessé, le carnage faisait
halte. Le général Bel1iard aIla reconhaitre un hoís
placé a quelque distance. 11 aper<;:ut la route qni
convergeait sur nons; elle était couverte de trou-
pes et de convoís qui s'éJoign;:¡ient. Si on l'intel'-
ceptait, toute la dl'oite de l'armée cnuemie était
prise daus le segment ou elle se trouvait. 11 "int
en pl'évenir Murat. (( Cours en rendre compte a
~ l'empereur, lui dit ce prmcc.» 11 y fut, mais




206 ME.M01RES
~apoléon ne crut pas le moment venu. de n'y
» vois pas encare assez clair sur mon échiquie1'.
)) J'attends des nouvelles de Poniatowski. Retour-
)} nez, examinez et revenez.» Le général retonrna
en effet, mais il n'était plus temps. La ga1'de
russe s'avalH;:ait; inEmterie, eavale1'ie, tont a1'ri-
vait pOllr renouveler l'attaque. I .. e géné1'al n'eut
que le temps de rassembler queiques pieccs. De
la mitraille, de la mitraille, et toujour~ de la mi-
traille, dit-il allX artillellrs. Le fen s'onvrit, l'effet
en fut terrible; en un instant la ten'e se COllvri t
de morts; la colonnc écrasée se dissipa commc
une ombre. Elle u';lvait pas tid.. un coup de 1ilsil.
Son artillerie arri va quelques illstants apres;
nous nous en emparames.


La bataille était gagllée, mais le feu était t011-
jours terrible. Les balles, les obus, pleuvaient a
mes cotés. Dans l'intervalle d'une heure je fus
touché quatre fois, <1'abor<l de deux coups de
fen assez léghement, ensuite <I'un boulet au bras
ganche, fJlli m'cnleva le drap de la manche d~
mOIl habit el la ehemisejusqu'a la chair . .l'étais
310rs a la téte du soixante-unieme régiment, que
j'avais connn dans la haute Égypte. 11 comptait
encare quelques offieiers de eette époque: il était
assez singulier de se retrOllY(T iei. Je re(,~US bientot
une guatrieme blessure ; un biscalen me frappa




DU GÉ NÉRAL RAPP. 20"'7
I


a la hanehe gauehe et me jeta a bas de mOll
eheval : c'était la villgt-deuxiemc. Je fus obligé
(k quirter le ehamp de bataille: yen fis prévenir
le maréchal Ney, dont les trollpes étaient mélées
a vec les miennes.


Le général Dessaix, le senl général de eette
division qui ne fút pas blessé, me rernpla(;a; un
moment apres 11 eut le bras cassé: Friant fut
atteint plus tanl.


Je fus pansé par le ehirurgien de Napoléon,
qui vint lui-mpme me faire visite. « e'est done
~ tOlljours ton tour? Comrncnt vont les affaires?
» -5ire, je erois que vous serez obligé de bire
)) donner votre garue. -Je n/en gardcrai bien; je
)) ne veux pas la faire démolir. Je suis sur de ga-
"gner la bataille sans qu'elle y prenne part.))
Elle ne donna pas en effet, a l'exception d'une
trentaine de pieccs qui firent des merveilles.


La journée fillit; cinquante mille hommes gi-
saient sur le champ de bataille. Une foule de
généraux étaient tués ou hlessés : nOllS en aVi0l18
une quarantaine hors de combat.


N ous avions fait des prisonniers, en levé q uel-
ques pieces de canon; ce resultat ne compensait
pas les pertes qu'il nous coútait.




!w8 MÉMOIRES


CHAPITR_E XXXI.


L'armée russe se retirait sur sa capitale : eHe
fit encore qnelque résistance a Mojalsk et gagna
Moscou. Nous occupames cette ville sans coup
férir. Murat y entra a la suite des Cosaques,
s'entretint avec leHes chefs et donna meme sa
montre a l'un d'el1x. Ils lui témoignaient l'admi-
l'ation (lue leur causait SOIl cOllrage, I'ahatte-
ment qu'entrarnellt [es long-nes disgraces, lors-
que des coups de fusil se firenl entendre : c'était
quelqnes centailles de bourgeois qui avaient pris
les armes. 11s firent eux-memes cesser ce fen inu-
tile et continuerent lenr retraite.


N apoléon fit son entl'ée le lcndemain. 11 sY~ta­
blit au Kremlin avec UIle partie de sa garde et
les pcrsollues de sa maison; mais nous étions si
mal qne je fus obligé de prendre un autre loge-
mento Je m'installai a quelque distan ce dans une
maison qlli appartenait a un des membres de la
famille N areschkin. J'étais arrivé a quatre heures
dll soir. La ville était encore illtacte : la douane
sente était la proie des flarnmes, qui la dévoraient




DU Gl~NÉRAL RAP P. 209
déja avallt qu'allcuIl Fran~ais par'út; mais la nait
'.int, ce fnt le signal de l'incendie; a ganche, a
droite, partout iI éclatait.


Les édifices puhlics, les temples, les propriétés
particulieres, tout était en feu. La conflagration
était générale, rien ne devait échapper. Le veut
soufflait avec violeuce; l'embrasement fit des pro-
gres rapides. A minuit le foyer était si effrayant,
que mes aides-de-camp me reveíllerent; ils me
soutinreut; je gagnai une feIH:~tre d'oú je contem-
pldi ce spectacle, qni devenait affrcux. L'incendie
,. 'h ' s avan~';l1t slIr 1I0US; a quatre eures on me pre-


"int qu'iI f;dlait déloger. Je sortis; qaeIqnes in~
stallts apres la maison fut l'éduite en celldres . .le
me fis conduire rtu coté (lu KremIin; tont y t'-tait
en alarmes. Jerétrogl'adai et me rendis au quartier
des Allemands. On m'y avait al'rÜé l'hotel d'UIl gt'>-
lléralrusse; j'espérais m'y remettre de mesblessu-
res; mais quawl j'arJ'j \,;li, des boufffes de feu et de
fumée s'en échappaient déjá. ]e n'entrai pas; je
retonrnai cncore au Kl'emliu. Chemin faisallt
j'apcn;;us de~ soldats, des artisans I'usses qui sp
répandaicllt dans les maiSOllS et les incencliaient.
N os patl'ouilles en tnÓl'ent quelques IlIlS en ma
présence et en élrreterent uu assez gI'and nombre.
Je rencoutrai le maréchal Mortier. « Oú allez-
)) vous? me dít-il. -- LI' f(,lI me chasse, (iue1qtW


J '!




~lO I\lF:MO 1 n ES


» part que Je me loge; je vais décidément au
) Kremlin. - Tout y est en désordre, !'incendie
» gagne partout: éloignez-vons plutot. -- Oú se
), retirer?- A mon hótel j mon aide-dc-camp vous
~ conduira. ,) Je le suivis. La maison était pres de
l'hospice des enfants-trouvés. Nous y étioI1s a
peine, qu'elle était Mja embrasée. Je me déter-
minai de nouveau a aller aH Kremlin. Je pas-
sai la JVloskowa pour m'établir vis-a-vis le palais,
qui était encore intacto Je rencontrai en route le
général Lal'iboissiere, accompagnp de son fils,
malade; Talhouet se joignit a nous; nous nous
logeames tous dans des malS011S placées sur la
riviere. Mon propriétaire était un brave chape-
lier qui appréciama position et me prodigua tons
les soins possibles. J'btais a peine installé chez
cet honnete al'tisan, que le feu se manifesta de
tOlltes parts. Je quittai a la hate: les quais sont
étroitsj si j'euse tardé, je n'eusse pu échapper


• 1V A l' t avec ma vOlturc. L' ous repassames ean e nons
vinmes n011S établil' en plein ai1', derriel'e les murs
du Kremlin; c'était l'unique moyell de trouvcr
quelque reposo Le vent soufflait avec une violence
toujours croissante et alimelltait l'incendie. Je mt~
dépla~ai encore une fois, mais ce fut la derniere.
Je me retirai pres d'une barriere: les maison~
étaient isolées, éparses; Ir feu ne putlesatteind,'<'




DU GEN1~RAL RAPP. 2il
Celle que j'occupai étaIt petite, commode, et ap-
partenait á un prince Gallitún. J'y ai nonrri pen-
dant quinze jours au moins cent cinquante ha-
bitaJlts rt-filgiés.


Napoléon fut a son tour "obligé de se retirer
devant les flarnrnes. TI quitta le Krendin et porta
son quartier- général hors de la ville, dans une
maison impériale, ou il s'établit. Il n'y resta pas
long - temps; il rentra au palais <les czars des
que l'incendie fut tout-a-fait éteint. Il envoyait
presgue tous les matins le général NarboIlue
savoir de mes 110U vdles. Ce général, comme
beaucoup de monde, était fort iJ1(luiet. Il me
disait SUlivent que l'empereuI' ayait tort decomp-
ter sur la paix, que nons n'étions pas a méme
de dicter des conelitions, que les Russes ne s'é-
taient pas résignés au sacrifIce de le nI' capitale
pour accepter des traités <lésavantageux. « lis
"nous <ílnllsent pOllr prendre leuT revanche et
¡¡ avolr plus beau jeu. ))




212 MÉNIOIRES


CHAPITRE XXXII.


Moscou était détruit; l'occupation de ses dé-
combres n'était ni súre ni profitable; nous étions
trop éloignés de nos ailcs, nous ne pouvions
nous procurer de suh:;istances, et nons n'avions
aucun intéret a garder des ruines. Chacun était
d'avis qu'il ne {aJ'lait pas séjourner; mais on
n'était pas d'accord sur ce qu'il convenait ue faire.
Le roi de Naples proposait de marcher sur Ka-
luga, d'y détruire les seuls établissements que
possede la Russie, et de revenir cantollner sur le
Boristhene. On ne pouvait pas suivre les Cosa-
qucs au bout du monde; la plus longlle fllite
doit avoir son terme : nous ~tions prets a com-
battre; mais nous ne vOlllions plus courir. Tel
était le sens de la proclamation qu'il conseillait
avant de se mettre en mouvement. Le vice-roi
pensait au contraire qu'il {allait marcher aux
Russes, les battre, pousser sur Pétersbourg, et
se diriger ensuite sur Riga: OH elrt rallié Macdo-
nalel; apres quoi on se fút établi sur la Dwiwt.
D'autres présentaient ¡]'antres plalls: tous étaienl




DU CÉNERAL RAPP. 2 1,)
bons, tous étaient: praticables; mais l'empereur
avait des dOJ.lnées particulieres: iI voyait juste si
on n'eút re<;u les inspirations de l'Angleterre.On
s'est beaueoup appesanti sur ce séjour: e'est une
faute puisque les événements l' ont eondamné;
mais ceux qui se récrient n'avaient ni le secret
des aff:üres ni eelui des négociations; iIs peu-
vent, sans trop de modestie, eroire que la sa-
gaeité de ce grand homme n'était pas au-dessous
de eeHe que la nature leur a départie. Il s'est
trompé; nous en avons senti les eonséquenees :
OH saura peut-hre un jour queUes combinaisons
l'ont égart'. Quoi qu'il cn soit, on resta, on né-
gocia, on batailla, on ne décida ricn. L'armée de
Moldavie faisait son mouvemeJlt; eUe s'ayan<;ait,
mais on ne sayait encore sur quelle ligne elle aI-
lait agir: les uns prétendaient qu'elle se rallierait
a Kutusow; les autres craignaient qu'elle ne se
portat sur nos derrieres. Qn était dans l'attente
de ce qui se préparait: l'empereur n'était pas
lui-meme sans inquiétude; mais iI sayait, jus-
qu'au dernier homme, ce qu'il avait de troupes
échelonnées depuis le Rhin jusqu'it Moscou; il
se croyait en meSllre; iI se boma a expédier des
instruetions : celles qu'il adressa au due de
Bellune méritent d'etre citées; elles prouvent de
quelle llature était ce sommeil qu'on luireproche.




MEl\10TRES


Napoléon au major-général.


(( Mon cOllsin, faites connaitre au dnc ele Rel-
j) hme que je ne lui ai pas encore <lonné d'ordres
» pOllr son mOHyement, paree qtle cela d(;pend
)) du U10uvement de l'ennemi; que l'armée rnsse
)) de Molda vie, forte de trois di visions ou de vingt
»mille hum mes , infanterie, cavalerie et artille-
»Tie comprises, a passé le Dniéper dans les pre-
» miers jours de septemhre; qu'elle peut se di-
» riger sur Moscou pour renforeer l'armée que
» eommancle le général KutllSOW, Oll .'iur la Vo-
» lhinie pour renforeer eelle de Tormassow; que
» l'armée du général Kutusow, battue a la bataille
» de la Moskowa, est aujourd'hui sur Kaluga, ce
»qui pOllrrait faire penser qu'elle attend des ren-
» forts qui lui vienclraient de la Moldavie par la
» route de Kiow; que dan s eette hypothese, le
» due de Bellune recevrait ordre de se joindre a
» la grande armée, soit par la route de Jelnia et
}) de Kaluga, soit par toute autre; que si a11 COl]-
"traire les vingt mille hommes de la l\Ioldavie
»s'étaient porté:; au secours de Tormassow, ce
» renfort porterait Tormassow a qHarallte mille
» hommes; mais que notre droite, que eom-
!l m;¡nde le princf' de Schwartzellberg, sprait en-




D LJ (; E!~ E R AL R A PP. ~! I J
)1 eore d'pgale [orce, puisque ce prince, avec les
'1 Alltrichiells, les Polonais et les SaxoHs, a environ
11 quarante mitle hommes; que d'aillf'lU'S j'ai de-
l> mandé a l'empf'ITur d'Autriche que le corps que
11 connnande le général alllrichien Reuss a Lem-
)) berg fitun mouvement, et que le prince Schwart-
II zenbf'rg re.,;út un renfort de dix mille hommes ;
)} que, d'un antre coté, l'empereur Alexandre
)) renforce tant qu'il peut la garnison de Riga et
) le corps de Wittgenstein, afin de pouvoir M-
l> poster le mari'chal Saint - Cyr de Polozk, et le
"cluc de Tarente de Riga et de Dünaburg; que
)) des lettres qui arrivent du prince de Schwut-
}) zenherg, en date du 2!~, tenclraient a prouver
)) que l'armée de Moldavie, au lien de venir sur
) Mascan, s'est rendne a l'armée de Tormassow et
» l'a renforcée; qu'il est done néeessaire de savair
" ce qui se passera; que dans cet état de choses,
» je désire que le dnc de Bellnne cantonne son
)) córps de SmoJensk á Orsza; qu'il entretienne
11 une correspondance exacte par tontes les esta-
)) fettes avec le duc de Bassano, afiu que ce mi-
l> ni5tre lui écrive et lui donne toutes les nouvelles
l> qn'il aurait des différents points; qu'il envoie
» un ofGcier sage, discret et intelligent, aupres
) du général Schwartzenberg et du général Re-
» guíer; 41tH' cd officier apprendra du générJl




MÉMOIH ES
)) Sehwartzenberg ce qui se passe, et du genéral
)) Hegnier le véri table état des chosl"s; f[u'il se
») mette en correspondance réglée ave e le gOIl-
)) vernenr de Miu!ik, et qn'enfin iI ellvoie des
» agents dans diffprentes dircctions pOIlI' savoir ce
»qui se passc; que la division Gérard sera placée
») du cóté d'Orsza, Ol! elle se trouveI'a a quatre
)) Ol! cinq marches de Minsk, a t1'ois de Witepsk,
»a quatre ou cinq de Poloz.k; que l'autre division
)) qui sera entre Orsza et Smolensk pour1'a l'ap-
)) puyer rapidemt>nt, et qll'enfin la troisieme di-
)) vision sera aupres de Smolensk; que, par ce
» moyen, son corps d' armée se reposera et paurra
») se nourri1' [,1cilement; qu 'jI falt! le placer au
)) haut de la route, afin de laisser la grande com-
»munication ponI' les troupes qui arrivent; que
)) dans ceUe position, iI sera également a meme
» de se porter sur Minsk et Wilua, si le centre de
» nos communications et de nos dépóls était me-
» uaeé, et si le maréchal Saint-Cyr était rcpoussé
)) de Polozk; ou d'cxécuter l'ordre qu'il recevrait
)) de rCH~nir a Moscou par la route rl'Telnia et dI'
II Kaluga, si la prise de Moscou et le nouvel étal
)) de choses avaient décidé l'ennemi a se renforcer
l) d'unc portion des troupes de i\Ioldavie; qu'ainsi
» le duc de Bdlune fm'mera la réserve générale
l) pour se porter, soit an secours du prince d(>




DU G ¡;:NÉH AL RAPP. 217
»Schwartzcnberg et couvrir Minsk, soit au se-
l) cours du marÉ'chal Saint-Cyr ~t couvrir Wilna,
»soit enfin a Moscou pour renforcer la grande
)) armée; que le général Dombrowski, qui a U"l1e
» division de huit mille hommes d'infanterie ei"


. .


» douze cents chevaux polonais, est sons ses 01'-
» tIres, ce qni portera son corps d'armée a <{uatre
» divisions; que la brigade de réserve de Wilna,
1) composée de quatre régiments westphaliens, de
» deux bataillons de TIesse-Darmstadt qui, ver s
\) la fin de ce mois, arrivent de la Poméranie sué-
» doise, et de huit pieces de canon, sera aussi
" sous ses ordres; qn' en/in, dans le courant de
» novembre, déllX nouvellf's divisions se réunis-
)J sent, J'uIle a Varsovie, c'est la trellte-deuxieme
l) division, ({ni sera angmentée de trois bataillons
» de W úl'tsbourg et restera commandée par le
)J général Durutte; l'autre a Krenigsberg, c'est la
'1 trente-quatrjeme divisioIl, qui était en Pomé-
., ranie sous les ordres du gélléral Morand, et qui,
» augmentée également de quelques bataillons,
,) ser:\: sous les ordres dn général Loison; ainsi,
)J soit qu'il faille marcher au secours du prince
J) de Schwartzenberg 011 au secours du maréchaJ
)) Saint-Cyr, le duc de Bellune pourra toujours
» réunir UBe rnasse de quarante mille hommes;
»que comme la correspondan ce de l'estafette est




.MEMOIRES
» prompte, je serai toujours a mcme de donner
" ~nes orclres, et que ce ne serait que dans le cas
» ou Minsk OH 'Vilna seraient menac{~s que le dnc
)) ele ReHune devrait se mettre en marche de son
J) autorité pouI' couvrir ces deux gI'ands dt'>pots
» de l'art~lée; qne le duc de Dellune, ayant le
1) commandement général sur toute la Lithuanie
» et sur les gouverncments de Smolensk et de
» Witepsk, doit partout activer la marche de l'ad-
JI ministration et suI'tout prendre des mesures


',) eHkaces pour que les réqui"itiüns de blé et de
') fourragc ajent lieu; qll'i I Y a des fours a Mo-
l hilew, a Orsza, á R asasna, á Dubrowna; ga'il
" doit faire faire beaucollp de biscuit, etse mettI'e
j) en situatjon d'avoiI' trente jouI's de vivI'es as-
)) surés pour son corps, sans prendre rien ni sur
» les transports rnilitaires, ni sur les convois qui
') viendraient de l'armée. Le duc de Bellune aura
) süin d'avoir aussi une correspondance a Wi-
" tepsk : il est maltre d'y envoyer des troupes pour
:; souteniI' ce point et s'y maintenir; il pouI'ra,
)) de sa personne, se porter a Mohilew, aa Wi-
') tepsk, a Smolensk, ponr connaitre le terrain et
" faire marcheI' l'aclministration. Si, par accident
» quelconque, la cornmunication a vec Moscou
» venait a etre interceptée, ii aurait soin cl'cnvoyer
, de la cavalerie et de l'infallterie pourla rouvrir.»




DU GÉNI~RAL RAPP.
Nous n'avions plus ni vivres ni fourrages;


hommes et cheya!!x étaient également exté-
nués: la retraite devcnait indispensable. On s'oc-
cura eles moyens d'évacuel' les hlessés. Je com-
menc,:ais ~ marcher, j'allai le J 3 .au chateau; N a-
poléon me demanda avec bonté en (Iuel état se
trouvaient mes blessurcs, comment j'allais; il me
tit. voir le portrait du roi de Rome , qu'il avait
re({u au moment. d'engager la bataille de la Mos-
km"a. TI l'avait montré a la plupart des géné-
ranx : j'étais a porter des ordres; l'affaire com-
men({a; nous dImes autre chose a faire. Il von-
lut me dédommagel'; il chercha le módaillon,
et me dit avec une satisfaction que ses ycux ne
cachaient pas : {( Mon fils est le plus bel enCan t
» de France. »


On apporta, un instant ~pres, un mémoire de
l'int('Udal~t - général, qni demandait quarante-
cinq jours pour évacuer les blessés, « Quarante-
)) cinq jonrs! iI se trompe. Si OH ne faisait ríen,
)) partie guérirait, partie mOllrrait; il n'yaurait
)) que le surplus a évacuer; et l't'xp¡'rience prouvC'
l) que trois mois apres une bataille, il ne reste 'que
)) lt' sixiemt' des hlessé~ : je veux les faire év;:¡cuer;
)) jt' ne veux pas qll'ils Testent exposés aux bruta-
\) litt':s des Russes. J)


Nous apel'cevions, da salan, les ouvriers qui


", j.




MÉMOIRES
travaillaient a enlever la croix du grand 1 van.
"Voyez quelle nuée de corbeaux voltigent au-
»tour de cette ferraille! Velllent-ils aussi nous
»elnpecher de l'emmener? J'enverrai cette croix
)1 a Paris; je la ferai placer sur le dóme des In-
') valides. ))


N ous Mions au 18 octobre; le départ fut fixé
au 19. Ma blessure n'était pas tont-a-fait fermée;
je montai a cheval pour voir si j'en supporte-
rais le mouvement.




DU CENÉRAL RAPP. 221'


CHAPITRE XXXIII.


Le lendemain, je me rendis de bonne heure
au Kremlin; a peine arrivais-je au palais, que
N apoléon en sortait pour quitter a jamais Mos-


·1' t J' ' eou; 1 m aper(/u : « espere que vous ne me
» suivrez pas a eheval; vous n'etes pas en état
» de le faire : vous pouvez vous mettre dans une
» de mes voitures. »


Je le remerciai, et lui répondis que je eroyais
etre a meme de l'aeeompagner. Nous quitt<lmes
cette capitale, et nous primes la route de Ka-
luga; lorsque nous fUmes a environ trois lieues,
l'empereur s'arrcta pour attendre des nouvelles
de Mortier, qui avaÍt ordre de faire sauter le
Kremlin, en évacuant la place. Il se promenait
dans un ehamp avec M. Daru; celui-ci le quitta:
je fus appelé. « Eh bien, Rapp, nous allons
»nous retirer sur les frontieres de la Pologne,
» par la route de Kalouga; je prendrai de bons
)) quarticrs d'hiver : j'espere qu'Alexandre fera
» la paix. ~ Vous avez attendu bien long-temps,
» sire; les habitants prédisent un hiver rigoureux.




Mtl\IO rH ES
.-Bah! hah! ayec vos h,lhi:ants! Nous ayons
») aujourd'hui le 19 octobre, voyez comme il fait
» Leau; est-ce cIuC vous ne l'econnaissez pas 1110n
») étoile? Jc ne pOllvais, d'ailleurs, partir a vant
)) (\'avoil' mis en rutlte tunt ce qu'íl y ayait de
)) malades et de blessés; je ne de, ais pas les aball-
" donner a la fureur des Hus~es. - Je crois, sire,
') que vous eussiez mieuxfait de les laisser a Mos-
)) cou; les Husses ne leur auraient pas fait de mal;
J, talldis qll'ils sont expos{'s, faute de secours, a
» mourir sur les grandes routes. 1) NapoJéoll Il'en
COllvellait pas, mais tout ce yu'il me disait de
rassurant ne le séduisait pas lui-mf:me; sa fi-
gure portait l'empreinte de l'inquiétun.e.


Arriva en fin un officier qu'avaít dépeché le
maréchal: c'était mon aide-de-camp TUl'kheim,
qui nOU8 apprit que Moscou était tranquille:
que quelques pulks de eosaques ayaient paru
dans les faubourgs, mais qu'ils lI'aVaiellt eu gardt,
d'approcher ni du Kremlin ni des quartiers
yu'occupaient encore les troupes fran<;:aises.


N OllS nous remirnes en ronte. Le soir llOU~
arrivames a Krasl1o-Pachra. La physionomie du
pays ne souriait pas a Napoléon: l'aspect hide.ux,
l'air sauvage de ces esclaves révoltait des yeux
accouttimés a d'autres c1imats. « .Te vOlldrais IH'
)1 pas y laisser un homme; je dOllncrais tous le ..




)¡ trésoi's de la Russie pour ne pas' lui abandon-
)l nel' llll blessé. Il faut prendre les chevaux ,
»les fuurgons, les voitures, tout, pour les
» transporter. Fais-moi ,enir un secrétaire.)} Le
secrétaire vint, c'était pour écrire a Mortier
ce qu'il venait de me elire. Il n'est pas inutite
de citer la dépeche : ces instrnctions ne sont
pas indignes d't~tre connues; ceux qui ont tanl


"-(léclamé contre son indifférence pourront les
méditer.


Au major-genéraL


« Faites connaitre au dnc de Trévise qu'aussi-
"tot que' son opération de ll'loscou sera finiE' ~
Il c'e8t-a-dire le 23, a troi8 heures du matin, il se
» meUra en marche, et arrivera le 24 a Kubins-
"koé; que, de ce point, au lieu de serendre a
n l\lojalsk , il ait á se diriger sur Veréia, ou il ar-
» rivera le 2 5 : i1 scnira ainsi d'intermédiaire
» entre Mojalsk, ou est le duc d'Abrantes, et Bo-
"rowsk,ou sera l'armÉ'e. II sera cOIlvenable (pt'il
)1 envoie des officiers sur Fominskoé, pour nOl1s
II instruire de sa marche; il menera avec lui l'ad-
",iudant-commandant Bourmont, les Bavarois et
), les Espagnols qui sont a la maison Galitzin.
)l Tous les Westphaliens de la premiere poste et




MÉMOLRES
» de la deuxieme, et tont ce qll'il trollvera de
» W estphaliens, il les réunira et les dirigera sur
»Mojalsk; s'ils n'étaient pas en nombre sufllsant,
» il ferait protéger leur passage par de la ca va-
" lerie. Le due de Trévise instrnira le dllC d' Abran-
') tes de tout ce qni sera relatif a l'évacuation de
» 1\'Loscou. Il est nécessaire qll'il IlOUS éCl'ive de-
» main 22, non plus par la route de Dessna,
» mais par ceHe de Karapowo et Fomiuslwé; le
» 23 il nous écrira par la route de rtIoja'isk : son
» offieier qnittera la route a Kubinskoé, pOUl'
)) venir sur Fominskoé, le quartler-génél'al de-
)) vant etre probablement le 2::; a Borowsk 0([ a
» Fominskoé. Soit que le due de Tr6vise fasse son
)) opération demain 22 a trois heures du matin,
» soit qu'il la fasse le 23 a la meme heme,
» comme je lui ai fait dire depnis, il doít prendl'l'
» ces memes dispositions; par ce moyen, le due
JI de Trévise pourra etre considéré comme l'a1'-
» riere-garde de l'armée. Je ne sallrais trop lui
J) rccommander de charger sur les voitnres (k
J) la jeune garde, sur celles de la cavalerie a pied,
)) et sur toutes ceHes gu' on trouvera, les hommes
)l qui restent encore aux hópitaux. Les Romaiw,
»donnaient des c¿urolllles civitlues a cellx qui
)) sauvaient des citoyens; le duc en méritera au-
» tant qu'il sauvpr<l de soldats. 11 faut (jll'il les




DU GÉNÉRAL RAPP. 22.-)
,) fasse monter sur ses chevaux et sur cenx de
n tont son monde. C'est ainsi que l'empereur a
» fait au sipgede Saint-Jean-d'Acre. 11 ooit d'antant
»plus prendre cette mesure, ({U'a peine ce convoi
)) anra rejoint l'armée qu'on lui donllera les che-
» vaux et les voitnres que la constlmmation aura
)J rendus ¡nutiles. L'empereur espere qu'il aura
)) sa satisfaction a témoigner au dnc de Trévise
» pour lui avoir sauvé cinq cents hommes. Il
)) doit, comme ele raison, commencer par les offi-
»ciers, ensuite les sOlls-officiers, et préférer les
)) Fran<,:ais. Il faut qn'il assemble tous les géné-
)) raux et officiers sons ses ordres, pour lenr fairf'
» sentir l'importance de eette mesure, et com-
)) bien ils mériteront de l'empereur en lui sau-
)) vant cinq cents hommes. ))


N ous nous dirigefnues sur Borusk, nous arri-
vames c1ans cette ville le quatrieme jour : elle
était ahandollnée. CependantKutusow s'occupait
tranquillement a faire ses proc1amations : il était
paisible dans son camp de Tarelltillo; il n'pc1ai-
rai! ni son front ni ses ailes; il ne se doutait pas du
moU\'ement que nous faisions. II apprit enfill qLle
nous mal'ehions sur Kaluga; illeva aussitot ses ean-
tonrwmellt" et parut a Malojaroslawitz en mtime
temps que nos eolonnes. L'action s'engagea; nous
entendions de Borllsk une canonnade lointaine . .Te


15




MÉMOIRES
souffrais beaucollp de ma blessure; mais je ne
voulais pas quitter Napoléon : nons montames a
cheval. Nous· arrivames vers le soir él la vue du
champ de bataille : on se battait encore; mais
bientot le feu cessa. Le prince Eugene avait en-
levé une position qui eút dti etre défendue a ou-
trance: nos troupes s'étaient couvertes de gloire.
C'est une journée que l'armée d'Italie doit inscrire
dan s ses fastes. Napoléon bivouaqua a une demi-
lieue de la : le lendemain nous montames a che-
val a sept heures et demie pour visiter le terrain
ou l'on avait combattu; l'emperenr était placé
entre le (Iuc Je Vicence, le prince de N euchatel
et moi. N ous avions a peine quitté les chaumieres
ou nous avions passé la nuit, que nous aper-
<(umes une r:mée de Cosaques; ils sortaient d'un
bois en avant sur la droite; ils étaient assez bien
pelotonnés; nous les primes pour de la cavalerie
f ran<{aise.


Le duc de Vicence fut le premier qui les
reconnut. «Sire, ce sont les Cosaques. - Cela
»n'est pas possible,» répondit Napoléon. lis
fondaient sur nous en criant a tue-tete. Je sai-
sis son cheval par la bride; je le tournai moi-
meme. « Mais e·e sont les nútres? - Ce sont les
"Cosaques; hatez-vous. - Ce sont bien eux, dit
»Berthier.·- Sans aucun dmlte, ajollta MOl/ton. "




DU C}:NI~RAL RAPP. 22"" /
N apoléoll donna quelques ordres et s'éloigna:
je m'avan<,'ai a la tete de l'escadron de service;
nons fúmes culbutés : mon cheval re<:;ut un coup
de lauce de six pOllees de profondeur; il se ren-
versa sur moi : Hons fúmes foulés aux pieds par
ces barbares. 11s ape:n;:urent heureusement a
quelque distance un parc d'artillerie; ils y cou-
rurent: le mart'chal Bessieres eut le temps d'ar-
river avec les grenadiers a cheval de la gardc; il
les chargea et lenr reprit les fourgons et les pieces
qu'ils emmenaient. Je me redressai sur mes jam-
bes, on me repla<:;a sur ma selle, et je m'ache-
rninai jusqu'all bivouac. Quand N apoléon vit mon
cheval couvert de sang, il craignit que je n'eusse
été de nouveau atteint; il me demanda si j'étais
blessé : je lui répondis que j'en avais été quitte
pour quelques contusions : alors iI se prit a rire
de notre aventure, que je ne trouvais cependant
pas amusaute.


Je fus bien dédornmagé par la rcIation qu'il
publia sur cette affaire; ii me combla d'éloges :
je n'ai jamais gouté de satísfaction comparable
a ceHe que j'éprouvai en lisant les choses flat-
teuses qll'il disait de moi. « Le général Rapp, por-
"tait le bulletin, a en un cheval tué sous luí
~ dans cette charge. L'íntrépidi té dout cet officier-
¡¡ général a donné tanl" de preuves, se montrt"


IS.




MÉMOIRES
o dan s toutes les oeeasions. » Je répete avee 01'-
gueilles éloges de ce granel homme : je ne les ou-
blierai jamais.


Nous retournames sur le ehamp de bataille :
Napoléon voulait visiter les lieux qui avaient.été
le théatre de la gloire dll prinee Eugene. 11 trouva
la position des Russes exeellente; il s'étonna
qu'ils se fussent laissé forcer; il reconnut a
l'aspeet des eadavres que les miliccs étaient con-
fondues avec les troupes de ligne, et que, si
elles ne se ~attaient pas avec intelligence, elles
·yallaient du moins avee eourage. L'armée enne-
mie se retira a quelqucs lieues sur la route de
Kaluga, et prit position.


La retraite était intereeptée : nous nous jc-
tamesa droite sur Veréia; nous yarriv:hnes le
lendemain de bonne heure, nous y couehames:
e'est dans eette ville que Napoléon apprit que
le Kremlin était sauté. Le general Winzengcrode
n'avait pas assez contenu son impatience; il s'é-
tait aventuré dans ectte capitale avant que nos
troupes l'eussent ~vacuée : elles le eouperent; iI
essaya de leur faire croire qu'il venait parlemen-
ter; ii était ne sur le territoire de la eonfédpratioIl,
il ne se souciait pas d'etre fait prisonnier : ille
fut cependant, en dépit du mouchoir blanc qu'il
agitait. Napoléon le fit venir, et s'emporta avec




DlJ GENÉRAL RAPP. 229
violence; il le traita avec mépris, le flétrit du
nom de traltre, et le mena<,;a de lui en faire in-
flige!' le supplice; il me dit meme qu'il fallait faire
nommer une commission pour instruire le proces
de monsieur sur-le-champ : ¡lle flt emmener par
des gendarmes (l'élite, et donna ordre de le
mettre au secret. Winzengerode chercha plu-
sieurs fois a se disculper; mais N apoléon ne
voulut pas l'entendre. On a prétendu dans l'armée
russe que ce général avait parlé avec courage, et
dit des choses tres fortes a l'empereur: cela n'est
pas; J'anxiété était peinte sur sa figure; tont en
lui exprimait le désordre d'esprit ou l'avait jeté
la colerede Napoléon. Chacnn de nons s'effor<,;a
de calmer ce prince; le roi de N aples, le dnc de
Vicence surtont, lni firent sentir cambien, dans
la sitnation des choses, la violence envers un
homme qui cachait son origine sous la qualit?
de général russe serait f~cheuse : il n'y eut pas
de conseil de guerre, et l'affaire en resta la. Quant
a HOUS, Winzengerodc ne dut pas se plaindre
du traitement que Hons lui fimes; sa position
nous illspirait a tous de l'intéret. Son aide-de-
camp fut traité avec beancüup de hienveillance.
N apoléon lui demanda son nom: « N areschkin,
» rrpondit le jeune officier. - N areschkin! Quand
»on s'appelle aill3i, OH n'est pas fait pour etre




MÉMOIRES
»l'aide-de-camp d'un transfuge.» Nous fumes
navrés de ce manque d'égards; nous cherchames
tous les moyens imaginables de le faire oublier au~
général.




DU (~.ÉNÉRAL RAPP. 231


CHAPITRE XXXIV.


N ous parthnes le lendemain, et nous ga-
gnames la grande route de,Moskou par Mojaisk.


Le froid, les priva tions étaient extremes;
l'heure des clésastres était sonnée. Nous retro u-
"ames nos blessés morts sur la route, et les
Russes qui nous attenclaient a Viasma. A la vue
de ces colonncs, le soldat reclleillit un reste d'é-
nergie, fundit sur elles, et les défit. Mais IlOUS
étions harcelés par des troupes qu'excitaient l'a-
hondance et l'espoir du pillage; achaque pas
nous étions obligés de prendre position, de
combattre; Hons ralentissions Hotre marche sur
uusol dévasté qu'il eut f::tllu franchir a tire-cl'aile.
La température, la faim, les Cosaques, tout
ce qu'il y a de fléaux était déchainé sur nous.
L'armée s'affaissait saus le poids .de ses maux;
sa route était dessinée par les cadavres; ce qu'elle
souffrait passe l'imagination. Combien j'ai ren-
contré, dalls cette terrible retraite, de généraux
malades on blessés, que je croyais ne jamais re-
voir 1 De ce nombre était le général Friant, dOIlt




M~~MOIR.ES
les blessures étaient encore ouvertes ; le général
Dnrosnel, qui fit le trajet avec une fievre ner-
vellse, presl{ue constarument dans le délire; et
le braye général Belliard, atteint d'un coup de
fen a la hataille ele la Moskowa. Il avait autre-
fois pénétré jusqu'ell Éthiopie; iI avait porté nos
eoulellrs plus loin que n'avait jamais été l'aigle
l'omaine: il elevait trouver de la différence entre
les df'uX climats.


Nous marchames sur Smolensk; elle devait étrt'
le tenue de nos miseres; nous devions y trouver
des subsistances et des vetements, de qlloi IlOUS
garantir des fléaux qui nons dévoraient: nous n'en
étions plus qu'a dix-huit lieues. Napoléon logea
dan s un de ces blockaus qu'on avait construits
pour recevoir des postes de cinquante a soixante
hommes, chargés de protéger la correspondan ce
et les communications. J'étais de service: iI y
avait déja quell{ue temps qu'iI n'était pas ven u
d'estafeties; il en arriva une, je la remis a l'em-
pereur. JI ouvrÍt le paquet avec pl'écipitation;
un monitellr lui tomba 5011S la main, il le par-
courut: le premier article qui se presenta a ses
yeux fut J'entreprise de Mallet; il n'avait pas
lu les dépeches, il ne savait ce que c'était.
"Qu'est-cc que cela! quoi! des complots! des
) conspirations! ») Il ou"rit ses lettres; elles con-




DU GÉNÉRAL RAPP. 23:;
tenaient le détail de la tentative : iI fut stllpéfait.
Cctte poliee qui sait tont, qui devine tout, s'était
laissé prendre au dépourvu; il n'en pouvait pas
revenir. « Savary a la Force! le ministre de la
)) poliee arreté, concluit, enfern'lé dans une pri-
)) son! » J'allais transmettre quelques ordres. L'a-
venture avait cléja transpiré; la surprise, l'éton-
nement, étaient peints sur toutes les figures;
on faisait des rapprochements qui jusque-la
avaient éehappé.


L'imprévoyance des suppOts de la poli ce était
manifcstc; ils ne sont alertes que paree qu'on
croit a lem vigilancf'. N apoiéon ne s'étonnait pas
que ces misérables qui peuplent les salons et les
tavernes, qUl obstruent tout, qui s'insinuent par-
tont, n'eussent pas pénétré la trame; mais iI ne
concevait pas la faiblesse de Rovigo. « Comment
)) ne s'est.-il pas [ait tuer plntot que de se laisser
') arréter! Doncet et JIullin ont montré bíen plus
11 de courage. ))


N A A ous nous renllmes en route; HOUS passames
le Borysthene. L'empereur établit son quartier-
général dan s un chatean dévasté, a UIle douzaipe.
de licues en avant de Smolensk, et a une et de-
míe derriere le fleuve. Les rives en sont fort
escarpées dans cet endroit; elles étaient couvertes
de verglas. N apoléon craígnait que l'artillerie ue




MÉMOIRES
pút les franchir; il me chargca de joilldre Ney,
qui commandait l'arrierc-garde, et de rester avec
lui jusqu'a ce que tout flJt en sureté. Je tl'ouvai
le maréchal occupé a donner la chasse aux Cosa-
ques; je lui eommuniquai les ordres que j'avais
a lui transmettre, el nous nous retirames a un
bJoekaus qui devait assurer le passage, et ou le
quartier-général fut établi.


Une partie de l'infanterie passa; l'autre bi-
vouaqua dans un peti! hois, sur la rive óú
HOUS étions. Nous fUmes occupés toute la nuit
a faire passer les pieees; la derniere montait
la rampe quand l'ennemi parut. 11 attaqua sur-
le-champ avee des masses eonsidérables; nous
re<{umes ses charges sans nous ébranler: mais
notre but était atteint ; le combat n'avait plus
tl'objet; nous nous éloignames. Nous abandon-
nions quelques centaines d'hommes que l'inani-
tíon et les blessures avaient mis hors d'état de
sui vre. Les malhenrellx! ils se plaignaient, gé-
missaient, demandaient la mort; e'était un spec-
tacle déehirant : mais que pouvions-nous faire?


. CJ;¡.aeun pliait sous le faix de la vie; on se 50U-
tenait a peine; personne n'avait assez de forces
pour les partager. Les Russes IlOUS suivirent;
ils voulaient passer de vive force. Ney les re<{ut
:nec eette vigueur, eette impétuosité qu'il met-




DU GÉNÉRAL RAPP. ~35
tait dans ses attaques; ils furent repoussés, et le
pont devint la prole des flammes. Le feu eessa;
nous nous retirames pemlant la l1uit. Je rejoi-
gnis le surlendemain soir N apoléol1 a Smo-
lensk. Il savait qu'une halle m'avait effleuré la
tete, qu'une autre avait ahattu mon cheval; il
me dit: « Tu peux etre tranquille maintenant;
)) tu ne seras pas tué eette eampagne. - Je désire
» que votre majesté ne se trompe pas; mais vous
»avez souvent donné la nH~me assurance au pau-
)) vre Lannes, qui a pourtant fini par y passer.
»- Non, non, tu ne seras pas tué. - Je le
}) crois, mais je pourrais bien etre gelé. )) L' empe-
reur se répandit alors en éloges sur le maréchal
Ney. « Quel homme 1... quel soldat ! ... quel vi-
»goureux gaillard!... )) Il ne parlait que par
exclamations; il ne' trouvait pas de mot pour
rendre l'admiration que lui inspirait cet intré-
pide maréchaJ. ]~e prince de Neuchatel entra;
il fut de nouveau question de Mallet et de Sa-
vary. Nápoléon s'égayait aux dépens du duc; sa
surprise, son arrestation, étaient le sujet de mille
plaisanteries, dont le refrain était toujours qu'il
aura!t díl se faire tuer piutot que de se laisser
prendre.




l\IÉl\IOIRES


e HAPITRE xxxv.


La retraite avait été cruelle. Tout ce que la
nature a de f1éaux nous l'avions éprollvé; mais
chaque jour nous rapprochait de Smolensk: nOlls
devions trouver dans cette ville le repos et 1'abon-
dance. Nous marchions: 1'espérance nous soute-
nait; elle-mem~ allait nans abandonner: nos mal-
heurs devaient etre inouls comme nos victaires.
Le quatrieme CCirpS perdit ses pieces ; la brigade
Augereau fut détruite, et Witepsk enlevé. Nons
n'avions plus ni munitions, ni subsistances; nous
étions dans une position affreuse: il fallut se rf>-
signer. Nous nous remlmes en marche. Nous ar-
rivames lelendemain a Krasnol. Kutusow, qui se
portait sur nous avec toutes ses forees, y avait
déja une avant-garde; elle se replia a la vue de
nos soldats, et s'établit a une lieue plus loin. Elle
bivouaquait agauche, sur la lisiere d'une fortit
(~\ú·lle cml:'1ta.\t 'de {em:;.. Nap()t~m\ m~, flt ap-
peler, et me dit : « N ous avons tout pres d'ici de
» l'infanterie russe: c'est la premiere foís qu'elle
) montre tant d'audace. Je V0US charge de l'atta-




DU GÉXÉHAL RAVP. 23--
I


» quer a la balonllette vers le milieu de la nuit.
)l Surprenez-la; faites-lui passer l'envie d'appro-
)l cher si pres de mon quartier-gélléral. .Te mets a
»votre disposition tont ce qui reste de la jellne
» garde.» J'avais fait mes apprets; j'attendais pres
d'un feu de bivonac polonais' que l'heure fUt
venue, quand le général Narbonne arriva. « He-
» mettez vos troupes au duc ele Trévise, me dit-il :
» sa majesté ne veut pas vous faire tuer dans cette
)) affaire; elle vous réserve une autre destina-
)) tion.» Je re((us ce contre-ordre avec plaisir, je
ne le cache paso J'étais exténué de fatignes, de
souffrances et de froid. Je ne tenais pas a mar-
cher a I'eunerni; du reste, ses Cosaques lui avalent
déja donné l'éveil, il étalt en mesure, il nous re({ut
de so'u mieux. 11 fut néanmoins rompu et rejeté
sur ses masses. CeHes-ci étaient en position pa-
rallellement a la rOllte; elles s'étendaient pour
ainsi di re de Smolensk a Krasnol; elles nous pre-
naient en fJanc, elles ellssent pu nons accabler.
Heurellsement Je prestige dnrait encore: nons
étions protégés par le souvenir de nos victoircs.
Kutnsowvoyait de loin noscolonnes qui défilaient
sur la ronte, et n'osait les aborder. Il se décidait
enfin a conrir la fortnne; mais un paysan lui
rapporta que N apoléon était a Krasnol, que la
garde en occnpait toús les alentollrs. Cette nou-


"




MÉMOIRES
velle gla!{a son courage : il ré\'oqwl les ord1'es
qu'il avait expédiés.


N ous avions depuis long-temps la mesure de
sa capacité, nous la portions en ligne de compte;
c'était un de nos moyens; il pouvait néanmoins se
raviser, courir aux armes et nons anéantir' nons
le sentions tons; mais nOlls n'avions pas de nou-
velles d'Eugene; Davoust et N ey étaient en a1'-
riere; nons ne pouvions les abandonner. La tem-"
pératnre devenait d'ailleurs chaque jour plus
apre; les Russes souffraient; ils avaient sommeillé
jusque-Iá, ils pouvaient sommeill~r encore. N a-
poléon résolut cl'en cOlIrir la chance; iI attendit.
Tont réussit comme il l'avait pr~vn. Millora-
dowitz voulut intercepter le qllatrieme corps;
mais il ne put y parvenir: cinqmille hOIDmes d'in-
fanterie, qui n'avaient ni ch"evaux pour s'éclairer,
ni pieces pour se défendre, repousserent con-
stamment les flots de soldats qui se précipitaient
sur eux, firent tete a toute ectte avant-garde, et
se dégagerent. Davoust suivait; l'ennemi se flat-
tait de premlre sa re van che surcemaréchal; mais
l'empereur y pourvut. n se déploya a la gallchc
de Krasnoi, engagea quelques trollpes, et Dt ou-
vrir un feu d'artillerie assez bien nourri. Kutn-
sow, effrayé a la vue de quatorze a quinze mille
hommes qui couraient aux armes, rappela ses




nu \'É~ERAL RAPP. ?39
corps détachés : le maréchal passa et vint prenare
part a l'action. Le but était atteillt; le feu se ra-
lentit, et la retraile comment;¡a. L'ennemi voulnt
la troubler; mais le premier de yoltigeurs de la
garde repoussa toutes ses attaques: la cavalerie,
l'infanterie, ni la mitraille, ne purent l'éb1'anler;
il périt sur place. eette hérolque résistance at-
terra les Russes; ils cesserent la pou1'suite.


Des que nous étions ho1's d'un embarras, nous
tombions dans un autre : nons avions osé, qua-
torze a quinzemille que nous étions, nous mettre
en ligne <levant les cent vingt mille hommes de
K utusow; nons étlOns sortis san s échec d'une posi-
tion oÍ! nous eussious dti tons etre enlevés; mais
nos stlbsistances, nos derrieres n'étaient plus iJ
nons : Minsk avait été surpris, l'armée de Mo¡""
davie couvrait la Bérésina'; Ney était encore en
arriere : jamais notre situation n'avait été plus
terrible. N ;~poléon, que cette complica~ion de
circol1stances malheureuses étonnait, expédía
l'ordre de reprendre l'offensive et d'enlever Po-
Josk : le succes luí paraissait facile. {( Pour peu
"que le dnc de Bellune y mette de l'élall, l'eJltre~
)' prise est immanquable; la qllalité des troupes
»ql1'iJ commande la garalltit. C'estNeyqui rn'in-
»quiete; que va-t-il devellir?» Ce maréchal était
en efret dalls une position sans exemple; il fallait




,,40 MÉMOTRES
toute la valeur, le sang-fruid et la p~rsévérance
de cet intrépide guerrier pour en surtir; iI avait
re¡;u dans la nuit dll ,6 au '7 la nouvelle du com-
bat d'Eugene et du départ de Davollst: ce dOll-
ble évéllement ne put l'ébranler. « Tous les Cosa-
)) ques de la Russie, dit-il en l'apprenant, ne m'em-
» pecheraient pas d'exécuter mes instructions; je
» ne romprai pas d'une semelle qu'elles ne soient
» remplies. » Il acheva ses dispositions et se mit
en marche: six millc hommes rl'infanterie, trois
cents chevaux et douze pieces de canon com-
posaient toutes ses forces; iI était harcelé par les
troupes légeres de l'ennemi qui voltigeai~nt sur
ses flancs; il marchait serré, prCt a recevoir tout
ce qui se présenterait. A trois hellres, son avant-
garde atteignit Katowa, et fit halte a la vue du
corps de Milloradowitz. Le temps étaitbrumeux;
on n'apercevait de part ni d'autre quelles forces
on avait en tete: Ney franchit un ravin qni le
séparait des troupes ennemies, enfonce la pre-
miere ligne, culbnte la secunde, et eut renversé
l'armée entierc si les ravages de l'artillerie ne
l'ellssent arreté. n fut contraint de sonner la re-
traite; mais son attaque avait été si impétueme
qu'on n'osa le suivre. Il aUuma des feux de Li-
vouac, comme s'il eut eu dessein de s'arrcter la
nuit: les Russes l'imiterent. Des qu'il eut pris quel-




nu e 1:: N l~RA L R.tPP. :-!/, \
'ine n'pos, ii s'{>loiglla, rt~soltl de mettl'e Je Bo-
rysthéne entre 1ui et des troupes trop nombrellses
pour qu'i1 pút 1es forcer; il s'éJanf,':l dans l'eal[,
sur la ghce, et gagna la rive oj)}wsée : 111ais at'


e '---/ '---


l10uveanx périls l'y aUendaient.
Les eosaques couvl'aient la I)laine, ils nons


chargeaiellt, nous mitrai Ilaicnt a "ee flll'ellr.N ey,
qui ne pouvait répondre á eette eanollllade meu r-
triere, précipitaitsa marche, dispersant,eulbntant
tout ce qui osait l'aUendre. 11 gagnait un bois qui
n't'tait pas (>loigné; 11 allait l'atteindl'e, lorS(!U'Ulle
hatLerie se démas(llle el d{~sorganise SJ. COIOlll1e.
Le sol( bt chann~lIc, jette ses armes; mais le ma-
rt~chaJ lui rend bieliltlj SO]] {~Ilergie; ses p:tl'o!cs,
sa voix, son exemple, ellt1anuIlellt les pll!s ti-
mides: on s'élance; les picces fuien!; I10tIS SOIn-
mes maltres du bois. Mais ce taillis n'avait ni
routes ni frayés; il était coupé de tant cleravins,
scmé de fallt d'()h~tacles, qll'Oll n'en sortit
(!u'avec des peines iufinies : presque tout le ma-
tt'Tiel )' resta. Lcs Ccsaques eH devinrcnl plus
pressants; penuant denx jours ils ne CE'-s(\reot
de l'enouyclt'I' leurs ;ittaqllE's: mais eUX-!lll;nWS
a \'alcnt été obligés de faire un détoul' , leurs
piéces élaient en :trrihe, ils ll'avaient pas d';lr-
tillerie; qlJelqlles voltigeurs en faisaient jllsticC'.
~ey touchait á Orsza : la mlit était avancée;


¡()




l\n~MOIRES
il marehait en silenee, il se flattait d\~tre enfÍlJ
dégélgé : tout a eoup il apen,;oit des feux de bi-
vouae , il déeouvre le eamp d'une armée llom-
breuse. 11 ne savait s'il devait se l'éjouir ou erain-
dre, s'il voyait des Fran<;ais ou des Russes, lorsque
la fllsillade le tire de son anxiété: le3 reeonnais-
sanees sont aceueillies a eoups de fusil; les dé-
tonations, les eris , les tambours, se melent, se
confondent; on eút dit que nous allions avoir
affaire á toute la Russie. Furieux de voir le dauger
renaltre au moment oú ji eroit en sortir, le ma-
réehal veut s'ollvrir 1m passage; il se précipite
sur ces feux ... mais le camp est désert ; e'est une
ruse, un strat;lgcme. PIMow 1101lS avait apparem-
ment pris ponr les sit>ns; il avait eru nous effrayer
avec des ombres. Le due dédaígna de suivre quel-
ques Cosaques qui avaient servi a eette fantasma-
gorie; il poursuivit sa route, et atteignit le (pla-
tl'ieme eorps trois lieues plus loin.




nu GENERAL RAPP.


e HA PI T R ]~ X X X VI.


Pendant que tout ceei se passait, 1I0US ayjons
(luitté Kl'asnol. N apoléon mal'chait a picd a kt
tete de sa garde, et parlait souyent de N ey; il
l'appelait ce coup d' reil si juste et si SÚl', ce cou-
rage a toute épreuve, enfin tout ce qui le rendait
si brillant SlIr le champ de bataille. « Il est perdn.
).Eh bien r j'ai 300 miIlions aux Tuileries, je les


jI donuerais pour qu'il me flit rf'ndu. )) 11 établit
son quartier-gént'>ral a Dombrovma. NOl!S 10-
gefnnes chez une dame l'usse qui avait en le cou-
rage de ne pas abandonller sa maison. J'étais de
service ce jour-Ia: l'empereur me fit appeIer
vers une heure du Illatin; il était tres abattu :
iI était tlifflcile (lU'il ue le fút pas, tant le tablean
était affreux. 11 me dit : « Mes affaires vout bien
)) mal, ces panvres soldats me déchirellt le crenr; je
" ne puis cepenJant y porter remede. 1) 011 cria aux
armes, des coups de feH se firent entendre, tout
était en rumeur. « Allez voir ce qlle c'est, me dit
)) Napoléoll avec le plus granel sang-froid; je suis
¡¡ súr que ce sont qnelques mauvais eosaques qui


.6.




21¡,!~ MÉJ\lOInES
» veulellt llOUS empécher de dOI'wir. )) C'étail ef-
fectivement une fausse alerte. 11 n'était pas COll-
tent de certains personnages (llte je m'absl iells
de Ilommer. « Quels rois de th{'atre! sans énergi(',
)) sans cOllrage, sans force moralc! Ai-je pu me
)) mépremlre a ce point ~ A quels hommes je me
)) sl1is confi(~! Pauvre N ey, avec qui t'avais-je ap-
)) pareillé ! ))


N ous partlmes pour Orsza, lIOUS logeames chez
des jésuites. N apoIéon désespérait de rcvoir 1'ar-
riere-garde. Nous n'apercevions plus d'iufanterie
russe; iI était prohable qu'elle avait pris posi-
tion: elle ne devait rien Ialsser échaplwr·. J.,e lelí-
demain nous poussallles á deux lieues plus 10111 ;
nous fimes halte (bus un mauvais hamean. C'est
la que l'empereur apprit ver s le soir l'arrivée de
N ey, et sa jOIlction avec le quatrieme corps. On
peut facilement se faire une idée de la joie qn'il
éprouva, et de l'accueil qll'il fit le lendemaill all
maréchal. N ous arrlyarncs a Borisow : Oudinot
avait hattn Lambert; les fuyards s'étaient ral-
liés a Tchitschacof, et couvraient la rive droite
de la Bérésina. N apoléon devait etre inquiet :
nous n'avions ni éqllip;¡ges de ponl ni subsis-
lances. La grande :1rmée avan\"ait, 'Vitgenstein
approchait, et les troupes de Moldav ie 11011S fer-
maient le pélssage; nOllS étions cernt's sur tOllS




1) Ü (~~:\ E R A L R A PP. :! ',:J
lps points : la positioll <·tait affreuse, et ll'avait
peut-~tre pas d'exemple. 11 ne fallait rien moins
(Iue la téte et le grand cal'actére de l'empel'eur
pour 1I0l/S tirer (l'UB si mauvais pas : aucun 1"ran-


. '~T]' "'d"h (:aIS, pas meme "-,apo f~on, n cut 1I ec :lpper.
Ce prince s'arrt;ta UII illstant a Rorisow , douna


des onlres pour la fausse attaque qui llOUS sauva,
et s'achernina vers le (luartier-général d'Oudinot,
q ui était a quel<lues lieues plus loin. N ous cou-
chtunes un peu en-defia, dan s une campagne qlli
appartenait a un prillce Radziwill; nous passa-
mes la ullit, le ~{~Il(~ra! :\'Iouton et moi, sur une
poiguée de pail1e; Ilons pellsiolls a la journée dn
lendemaill, nos réflexions n'étaient pas gaies.
NOllS nous remimes en route a qllatre heures;
nous étions dans une des cnleches de l'ernperenr.
Nous apercevions les feux des Russes, ils COLl-
vraienL la l'i ve oppost;e; les bois, les marais en
étaient relIlplis; il Y ('11 a,'ait á perte de vue.
La riviere était profondf', vaseuse, tOllte enuverte
de gla(~ons; c'était lit qll'il fallait la franchir, c'{~­
tait lit qu'il fallait passer ou se rendre : 1101IS au-
gurions mal un succés. L~ génioral s'expliquait
avec franchisc; ill'ayait souvellt fait devant Na-
poléon, qlii le traitait de [rondeur, et qui uéall-
moins l'aimait heaucoup.


NOlls aITi,ánH:'~ m¡ clual'tier-général d'Oudi-




M E l\10 llU:: S


not; le jour commen<{ait a poindre; l'elllPcrem'
s'entretint un moment avec ce maréchal, rnallgea
un morcean et donna des ordres. Ney me pl'it en
particulier, nous sortlmes; il me dit en allemallcl :
(( Notre position est inollle; si Napoléon se tire
• d'affaire aujourd'hlli , il fallt qll'il ait le diable au
l) corps.Jl NOllS étiolls fort inquiets,ct il y avait de
quoi. Le roi de Naples vint a nous, et n'ptait pas
moins soucieux. H)'ai pro posé a N apoléon , llOUS
» dit-il, de sauver sa personne, de passel' la I'i viere
• a quclqucs licues d'ici ; j'ai des Polonais c¡ui me
Hépondraient de lui, et le conduil'ait~ll t a lVi/na:
)) mais jI repollsse cette idée, ct lle \cut pas en cn-
,) tendre parlero Quant a moi ,je ne pense pas que
¡¡ nons puissions échapper. )) Nous étions tous les
trois du me!re avis; Murat reprit : « N ous y pas-
') 5eron5 tons; iI n'est pas question de se remire. )


Tout en causant, Hons aper(,~t1l11es l'eJllleJlli qui
filait; ses maS5es avaient disparu, 1es fellx ftaien!
deints; on ne voyait plus qlle la quem" de'>
colonlles qui se perdait dans les hoi5, d cinq a
six cellts Cosaques ppars dans la plairw. N Oll~
examinames avec la lorgnette, llOlIS JlUIIS con-
\'ainqulmes yue le camp ptait levé. fentrai chez
Napoléoll, qui g'entl'etenait avec l¡~ mari~chal
Oudinot. (( 5irc, l'ennem! a quiw" ~a positioll.
,·--Ceb n't·~t pas possible. ;) J.e l'oi de N aples, b




maréchal Ney, arriverent, et confirrncrent ee que
j'aunOllr:ais. L'empereur sortit de sa baraque, jeta
UIl coup d'reil sur J'autre coté de la riviere. (( J'ai
» mis dedans l'amiral (il ne pouvait prononcer le
) nomTchitschacof); ilme eroit sUr te point Ol! j'ai
» ordonllé la fausse atta que , ji COllrt a Borisow. ))
Ses yeux étincellellt de joie et d'impatiencc; il fit
presser l' établissement des ponts, mettTe une ving-
taine de piécl's en hatterie. Celles-ei étaient com-
malldt'es par un brave ofGeier a jambe de bois,
llommé Brcchtcl; un boutet la lui emporta pen-
dant l'adioJl, et le re/1versa. « Cherche-moi, dit-il
J' a un de ses canmllliers, liBe autre jalnbe dans le
Ji fOLlrgon n° S. » 11 se l'ajusta, et continua son feu.


L'empereur fit passer a la nage une soixan-
taine d'hommes, sou~ la eondllite du eolone]
Jacqueminot. I1s s'aventurerent mal a propos a
la slIite des Cosaques; un d'entre eux fut pris,
questionné, et flt C0l111altre aux Russes sur quel
point se trollvait Napoléon. Tchitschacof re-
broussa chemin; mais il ll'était plus temps : Na-
poléon, sa garde, N ey, Oudinot, et tout ce yne
ces deux maréchaux conservaient de troupes.
avaient p;tssé. L'amiral, confns d'avoir pris le
change, ollblia les marais de Lemblill. Le pont
qni cuurt pendallt cinc¡ quans ele lieue sllr ce
terrain fangeux était notre sellle issue; s'ill'eút




MÉMOIRES
(lt"truit, il tenait encore nos destiuécs dan s ses
mains : mais 'Vitgenstein ouvrait le fcu su)'
la Tiye gauche; il occllpait la droite, se~ sol-
dais nageaient dans J'abondance; une pOig'H~P
d'honmws, qui slIccomoaiellt S01lS le faix de la
"ie devaient (~tre foul(~s al/X pieds. II négligea
le défilé, Eugene COltl'ut s'en emparer; nous
étions súrs de nos derriel'cs, IlOUS attendimcs
Tchitschacof.


N ous n' étiOllS pas huit m ¡He, haletant de fa-
tigue et de faim; iI avait loute l'arruée de Mol-
da"ie: rissue du combat ne lu; pal'aiss:tit pasdon-
teuse. Jl s'avance avec l'dau de la vietoiré; on
se mele, on se confond, la terrc est jonchée dí:'
morts. Ney dirige, anime les eharges: partout les
Russes sont enfoncés. Ils se rallient , iIs appellent
de nouvelles forces: rnais Berl,eilll al'l'i Ye; les
euirassiers se précipitent sur ces eoloflllcS. tout
est taillé en pieees.


Napoléoll était entortr(~ de sa garcle, (p,'jl ;l\aÍl
mise en bataille a l'elltrée de la foret; elle étai¡
encore IH~lle t't imposante, deux l1lille prisoll-
lllers dMjlaient deyaJlt elle; nOlls {tions eniVl'és
d'un si beau r<ésultat : notre jOl!:' fllt COlll'te, le
l'écit de quelqlles Russes la calma. PartollIleau
ayait été· pris, toute sa Olvlsion a \ait mis bas les
:lrmes; un alde-rle-camp du maréchal Victor vint




DU CÉNÉRAL RAPP. :.>.~~)
COJlflrmer ecUe triste nOllvelle. N apoléon fllt v i-
vcmellt affeet(~ J'un malheur si inattendu." Faut-il
)) aprl's avoir échappé COlllme par miraclc, apres
>l avoi1' cOlnpléternent battu les Russes, que eette
)J défection vieune tout gater !,)


J-,e combat était toujours tres vif, sur la ri ve
gauche; quatre a cinq mille hOlllmes opposaient
a l'armée ennemie UIle resistan ce opiniatre. « Al-
)) lez voir que! est l'état des affaires; gravissez
J) la rive droite, examinez ce qlli se passe sur la
)) gallche, et vous v iendrez m'en renclre eom pte.))
.I';¡llai, jc vis des eharges d'infallterie et de cava-
lerie Irt>s brill;wtes ; eeHes cIue eonuuisait le gé-
lleral FOllrnier surtout étaiellt remarquables par
leur ensemble et leur impi~Luosilé. Mais la <lis-
proportion était immense, jI fallut céJer; les
IWrrell1'S du pOlll COlllmE'IlClirent: il est iUlltile
de reprodllire CpUt~ sel'lw de désolatiou.


NOlls qUitt~lllWS les tristes rl\ages de la lkTé-
silla, oú 1I0US a "Ions aCljuIs tan t ele gluire, et es-
suyó tant de lualheul's; llOUS llUUS dlrig(~<lnws sur
'Vi)na. On ne s'('nlr'clew\Ít, (JI! lit' s'occupait alol's
que de t'arrl,ée des AlItriehlell~; !e llJoilHlre sol-
da!. ne n~\ait (IHe de SchWal'tzcllherg. Oú pst-il/
que fait-il? pourquoi Ile parait-il pas: .h' ne me
permctll·ai aUCllllC l'éHcxiull sur les muuYelllents
de C~ pl'im'e, aloJ"s notre allit'>.




MÉl\IOIRE5
Depnis long-temps nous n'avions pas de 1I0U-


\ elles de France, nOllS ne savions pas ml;me ce
qui se passait uans le grana duché; nOlls l'ap-
primes a Malotechno. Napoléon re<?Lt dix-neuf
~'staf('ttes a la fois. e'est la, je crois, qu'il arreta
le projet dc quil:ter l'armée, mais il ne l'exéeuta
qu'a 5morgoni, a dix-huit lieues en avant de
\Vilna. Nous y arrivames. L'emperenr meo fit
demander ver s les dellx hellres; il ferma soi-
gueusement les portes de la piece qu'il occllpait;
el me dit : « Eh bien, Bapp, je pars ceUe nuit
'pour Paris; ma prósence y esl nécessaire pour
" le bien de la Franee, et J}l(~m(~ pOOl' cdlli de
'j eette malheurellse armée. J'ell donne le com-
',mandement an roi de Naples. » Je ú'étais pas
préparé a cette confidence; car j'avoue franche-
ment que je n'étais pas dalls le secret du voyage.
« 5ire, lui r('pondis-je, votre départ fera une


)) facheuse sensatÍol1 parmi les troupes, elles lIe
;, s'y atteuclent paso - Motl retonr est indispen-
) sable; il fant que je surveille l' Autriche, el que
» je contienne la Prusse. - J'ignore ce que fe-
l) ront les .Autrichiells; ienr souverain esl votI't'
» beau-pcre : mais pour les Prussiens, vous ne les
"retiendrez pas, nos d('sastres sont trap grands ;
" i Is en proGleront. » N apoléon se pl'omenai t les
:nains derriere le dos; il garda Ull illsLanL le si-




len ce , et l'f'prit: :1 Quand ils me sauront a Paris,
J) qu'ils me verront a la tete (le la nation, et de
)) douzc cent miUe hommes que. j'orgalliserai,
)) jls y regarderont a deux foÍs avant de me faire
» la guerreo Duroc, CaulincouI't et Mouton parti-
)) ront avec moi , Lauristou ira a Varsovic , et toi
"tu retourneras a Dantzick; tu verras ~ey a
»Wilna, tn t.'arreteras avec lui pendant au llloins
)) ({natre jours; Murat vous joindra, vous tache-
»rez de rallier l'armée le miel1x qu'il vous sera
» possiblc. Les magasins sont pleius, \OI1S trou-


)) \"erez !out en abondance. Vous arreterez les
"R I1sses; tll Jeras le conp de sabrc avec N ey, s'il
II est nécessairc. 11 doit avoir :1ctuellement la di-
)) vision Loysol1, qlli compte au moills dix-Imit
)) mille hommes de trollpcs fraiches; vVrede lui
)) améne aussi dix mille Ravarois; d'autres ren-
)) forts so1l1 ell marche. Vous prendrez des cau-
)tonnemcllts. ))Napolt"ol1 partit. Je rCC;l1S des
orc1res du lllaj()r-gt~nél'al , qui me dit dans 1lI1e
lcttre ce que l'emperellr m'avait déjú dit clf' vi\"t~
yoix, il me l'emit eH meme lemps une lettl'e par-
ticuliére de ce prince, oíl il lIJe rt'-pétait : « Fais
» tOlit ayec Ney pour rallicr l'ann(~e a \'\'ilna,
¡) res tez-y quafre jOUl'S au rnoins; tu te remIras
)) í:'llsuite a Dautzick. ))


]e partis le lell'llemain : le [roid élait SI vi f'




2.J2 MEMOIHES


(lue, qlland j'al'rivai a ''Vilna, j'avais le lJf'Z, HIle
oreille et deux doigts gelés. Je descendis chez le
général Hogendorp et me rendis de suite an loge-
ment du mal'l~chal Ney; jc lui fis part eles ordres
de Napoléoll et de la c()nyt~rsation que j'avais eue
ayec ce prince au lllOment de son départ. Le maré-
ellal flll bien étonné dClS forces <p/illni supposait,
il nw dit: « J'ai fait tout a l'heure battI'(~ la géné-
llrale,je n'ai pu réunir cinc¡ ceuts hOllJrnes: toul
)) le monde est gelé, fatigw", (j{'couragó; pcrsonne
»ll'en "cut plus. Vous a\ez rail' sOllffrallt; allez
II vous reposer, de11lain nous Y('r1'ons. » Le lende-
main je me rendís ch(~z l,ú : le 1'01 del\'aples
veuait d'arriyer avec la garde; 1l0US causihnes
beaucoup de Hotre sitllation. Ney opinait pOBr
la retraite; il la jllgeait indispensable. « Elle est
)1 forcée; il n'y a pas moyen de tenir un jOllI' de
II plus. » Ti n'avait pas achevé, (PW le canon se fi!:
entellllre: les Russes arrivaiellt en fOJ'(~es; ou se
battait a une clemi-Lieue de la. Tout á COllp, nous
\imes les Bavarois qui rentraient en désordre;
jls étaient péle-méle avec nos trainards : la con-
fusion était au cornblc; ainsi que le disait Ney,
il était impossible de rien faire avec nos trou-
pes. Le roi dc N aples vint a nons: il se flattait
Cllcore d'opposer quelque résistance; mais les
rapports qu'il rec;:ut des hauteul's ele Willla l(~




nu (;l~Nl~RAL RAPP.
d¡'·trompt·J"cnl. 11 nr(lanna sllr-Ie-champ le mou-
Yemellt r¡'~trograde, etse porta sur le NiémclI.
".le vous cOl1seille, me dit ce prince, de partir


)) sans délai pOllI" Dautzick ~ oú yotre présence va
» devenir nécessaire. T ,e plus léger retanl peut
,) vous faire tom1er dans les rnains desCosaqlles:
JI ce serait un accident fkheux ([ui Be serait pro-
)l fitable ni a I'armée ni a l'empereur. ))


.Te suivis ce conseil; je louai deux juifs, qni
me conduisirent jusqu'au Niémen. J\Ies équi-
pages, fllÚ avaient heureuscmcnt échappé aux
désastres, étaient déja partís.
~orlS arridmes bientót a cette fnneste ha u-


tevr oú fut aband0lll1é ce (p1i nous restait de
matérie1. Ji HOUS fut impossible de la mantel' :
nos chevaux s'épuisaient en vains efforts, nOllS
les aidions, nous les excitions; mais le terrain
était si glissant, si rapide, que nous fUmes obligés
de renoncer a l'entreprise . .Te délihérais avec mon
aide - de - camp sur le parti qu'H convcnait de
prendre. Mes Israélites me proposercnt de sui \Te
\ln chemin de travcrsc, qui avait d'ailleurs l'a-
vantage d'etre plus conrt; ils me dirent que jc
devais m'en rapporter a em:, qn'ils r¡{>pondaient
de moi. Je les crus; nans partlmes, et le lende-
maill au so ir nons étions au dela <Iu Niómen . .le
50uflrais horriblement; mps doigts, mon nez,




- I
.2:1+ MÉ:MOIHES
nlOn orcille, commen~aient a nw dOllner de l'in-
quiélllde, iorsqu'lln LarLier polonais m'indiqua
un remede un peu d¿'sagréable, mais qui me
réussit. J'arrivai enfin a Dantzick; le roi de Na-
pIes me sui vit a (fllf~lqlles jours de distance; i\Iac-
dOllald, que les Pl'ussiens avaient si indignement
tr3.hi, ycnait apreso « Ce n'est que par miracle,
» me manda-t-il, que moi, mon état-major et la
¡) septieme division, n'avons pas été détruits: nous
» étions livrés, nos jambes HOUS ont sallvés. II 11
me remit ses troupes, qui furent incorporées aycc
ceHes que j'avais sous mes ordres. Les Russes
parurent presque immédiatement. Le génél'aJ
Bachelet eut ayec el/X un ellg'agement des plus


L L


vifs. 11s se rt~pandirent au tour de la place, et le
hloeus commen<:;a.




DU CÉNÉRAL RA.PP.


CHAPITRE XXXVII.


Dantzick semble destillée a etre une place
forte : baignée au ndrcl par la Vistule, protég<'-e
au sucl-ouest par une chalne de hauteurs escar-
pées, elle est défenclue dans le reste de son pour-
tour par une inondation qni s'étend au moyen
de deux rivieres quí la traversent, la Rarlaune
et la Mottlau. Frappé des avantages d'une posí-
tion si belle, Napoléon avait résolu de la remIre
inexpugnable; il a vait fait ouvrir des travallX im-
menses. Des tetes de pont, des forts, des camps
retranchés, devaient la mettre a l'a1ri d'insultes
et dominer le cours du fleuve; mais le temps
avait manqué, et la plupart des ouvrages étaicnt
ou imparfaüs ou a peine ébauchés : ancun ma-
gasin n'était a l'épreuve de la bomhe; aUCUll abri
assez solide pour que la garn1son put)' etre avec
sécurité; les casemates étaient inhabitables,
les logements en ruines et les parapets d<'-gra-
dés. Le froid, toujours plus sévere, avait sol1-
difié les eaux; et Dantzick, dont l'assiette est
naturellement si hellreuse et si forte, n'était




:\rEMOIRES
plus qtúme place Otlverte sur tous ks points.


La garnison n'était pas dans un meillellr état ;
clle se composait d'un ramas confus de soldats
de toutes armes et de toutes nations : il y al'aíl
des Fran<:,ais, des Allemands, des Polonais, des
~\.fricains, des Espagllols, des Hollandais, des
ltalien5. La plupart, ~pllisés, malades, s'étaieut
jetés a Dantzick fmIte de pOllyoir continuer leul'
route : iIs s'étaient flattés eI'y trOlner qllelc¡ue
soulagement; Inais, c1épourvu de nH'dicanwnts,
de viande, de légumes, sallS spiritlleux, saús
fourrages, j'~tais oblig(: de remoyer cellx qui
n'~taient pas ahsolunwut illcapables el'(·, :Icuer
la plan>. ~~éallmoÍIJs jI m'ell resta cncore plus


de trente-cinc¡ millc, (Jlli ne fourllissaiellt pas a11
(lela de hllit a dix mille combattants; encore
étaient-ce presque tous des recrues qui n'avaient
ni expérience ni discipliue. Cette circollstance
a la vérité m'inf{uiétait peu; je connaissais nos
soldats; je savais que, pour bien faire, ils n' out
besoill que de l'exemple; j'étais résolu de ne pas
m'épargncr.


Te! <'~tait l'état déplorable oú se trollvaient la
place et les troupes chargées de la d(~fellclre. 11
fallait d'aboro pcinryoir an plus pressé, el nOU5
mettre a l'abri d'insultes; la d1Use rú'lait pas
ais(;e : la nei~(' encombrait les fortifications;




DU GÉNÉRAL RAPP. 257
elle obstruait tous les chemins eouverts, toutes
les avenues; le froid était extreme; le thermo-
metre marquait au-dela de vingt degrés, et la
glace a vai t déj a pI usieurs pieds d' épaisseur. N éan-
moins il n'y avait pas a balancer; il fallait se
résoudre a etre enlevé de vive force, ou se
soumettre a de nouvelles fatigues presque aussi
excessives que ceHes que nous avions essuyées.
Je me concertai avec deux hommes dont le dé-
vouement égalait les lumieres : c'étaient le co-
lonel Richemont et le général Campredon, tous
nenx attachés au génie, dont le dernier avait le
commandement. Je dOIlnai l'ordre d'élever de
nouveanx ouvrages et de dégager les caux de la
Vistule. eette entreprise semblait inexécntable
par une saison aussi rigonreuse; néanmoins les
troupes s'y porterent avec lenr zete accoutumé;
malgTé le froid qui les accablait, elles ne lais-
saient échapper ni plaintes ni murmures. Elles
exécutaient les travaux qui leur étaient prescrits
avec un dévouement, une constance au-desslls
de tout éloge. Enfin, apres des peines inoules,
elles triompherent de tous les obstacles; la glace,
détachée a coups de hache, et poussée avec
des leviers vers la mer, dont le courant augmen-
tait encore l'impulsion, laissa voir au milieu du
fleuve un canal de seize a dix-sept metres de


17




]\¡IJ~MOIRES
targe, danf> une étendpe de deux Jj(;llf'S et demip.
Mais HOUS étions destinÉ's a voir les difficultés rt'-
lIaltre a mesure- qu'elles étaient vainClles; a pt-'inp
ti n succes inespéré avait-il cOllronllé nos ('fforls ,
IJue le froid se fit sentir avcc plus de violellce;
en une seule Huit, la Vistnle, les fossés, fUl'ent
COUVf'l'ts d'une couche de glace presque atlssi
épaisse que celle que nous aviOllS rompue. En
vain des bateaux circul<tient san s relache pour
entretenir la fluidité des eallX; ni ces soinf>, ni
la rapidité du fleuve, ue purent les préserver : il
Clllut reprendre ces tra VatlX qui nOllS avaien l
tant couté, pt qu'Ull jnstallt ;¡vai t di,trujts. A p-
pliqués jour et mút a rampre la glacc, HOUS lIC
púmes cependant l'empecher de se tendre une
troisieme fois; mais, plus ?piniatres encore qup
les éléments déchainés contre nous, nos soldats
se roidissaient contre les obstacles, et paryjllrt~llt
enfin a en triompher.


Sur tout le reste du front de la place, c'étaielll
meme zele et memes difficllltés; la terre, gel(~f' ~
plnsieurs pieds de profondeur, repoussait la
beche et bravait les efforts du pionnier; rien Be
pouvait désunir cette masse compacte; la hache
meme rebondissait. Il fallut l'ecourir au feu pOlll'
l'amollir; de grands amas de bois, disposf-s de dis-
1,\Jlce en distance, et alimellté~ long-temps, furelll




OU GliNÉRAL RAPP. :lCl9
les seuls moyens qui permirent de faire les ter-
I'assements, d'élever les palissades néeessaires. A
force de travail et de persévérance, nous eumes
tmcore la sat1sfaetion de V01r en état de défense
des ouvrages a peine ébanehés. Le Holm, Weich-
selrnullde, le camp retranché de Neufahrwasser,
et eette multitude de forts qui protégent les avc-
nnes de Dantzick, furent mis a meme d' opposer
une noble résistance; el si cette ville ne re~nt
pas le degré de force dont elle est susceptible,
elle fut du moins capable de soutenir un siége
dont la durée et les épisodes ne sont pas ce qui
honore le plus les armes étrangeres.


Ces fatigues étaient au-dessus des forees hu-
maines : le bivouae, les privations, un service
continuel, les aggravaient encore; aussi les ma-
ladies ne tarderent pas a paraltre. Des les pre-
miers jours de janvier, chaque soleil nous em-
portait cinquante hommes : a la fin du mois
suivant, nous en perdions jusqn'A cent trente,
et nons eomptions plus de qninze mille malades.
Des troupes, l'épidémie était passée aux habi-
tants; elle faisait parmi eux les plus affreux
ravages; ni l'age ni le sexe n'étaient épargnés :
eenx qu'assiége la misere, ceux que l'aisance, que
le luxe environnent, sont également sa proie.
Tont suecombe, tout p(~rit, et le jeune homme




M ÉJ\101 R ES
qlli essaie la vie, et le vieillard qui acht~v(, iO;1 cal"
riere: le deuil regne dans tontes les f:llnilJes, l:l
eonsternation est dans tons les c<:curs. Dantziá"
autrefois si animé, p10ngé maintenant dan s un
morne si1ence, n'off1'e partout a 1'rei1 attrist¡',
que des pompes, que des chars funebres. Le son
r1es cloches, ces catafalqucs, ces images de la
mort, reproduites sous toutes les formes, aggra-
vaient encore une situation déja si déplorable.
L'imagination des troupes commeIH,;ait a s'ébran-
ler; je me h~tai de couper le mal a sa raciuf' :
j'interdis ces funérailles solennelles qne la piété
de eenx qui vivent consacre il ceux gui lH' sont
plus. ,


.Te n'avais pas attendu que l'épidémie ftit dalls
toute saforce pOlIr lacombattre. D¿'squ'on eneut
remarqué les premie1's symptomes, j'avaisfait Oll-
vrir des hopitaux, acheter des médicaments, des
lits et tout ce qui est nécessaire pOllr eette partir
du se1'vice : une nour1'iture saine et abokHlante
eút ét" bien plus efficace; mais nOlIS étions si
mal approvisionnés, ({U'a peine pouvions-nolls
fournir a une distribution journaliere de deux
onces de vi ande fraiche. Un peu de viande saléf' ,
quelques légumes sees, composaient tout ce qu'i L
rn'était permis d'offrir ~ des hommcs épuisés par
de longues privations. Cet état de choses ptait




I H~ e t~ N E lL1. L 11. A PP. Al 1
Cl'llel;jr Il'y pouvais cependant apporter <tUCUIl
remede. J'avais inutilement expédié un batlmeut
pour StralsUlld, afiu de tire1' de la Pomérallie
suédoise, que nOllS possédions encore, des vivres
d des módicaments : l'aviso chargé de mes dé-
peches, assailli par une violente tempete, ftIl
l'ejeté sur la cote. N ous tO~lchions ~l l't'~qllinoxe,
la Baltique (~tait déjil soulevéc par les orages; il
He fut pas possible de faire une seconde tentative.


11 ne HOUS restait de ressources que ceHes du
courage : ce u'était plus qll'á la pointe de l'épée
(llle 1I0US pouvions obtenir des subsistauces; mais
que! (lile fút le dt"vouemcllt df'.s troupes, la pru-
.(lence ne permettait pas de les condnire a l'en-
llemi, cousLlmées comme elles étaieut par les
maladies et la misereo Il fallut se résigner a son
éLoile, et attendre patiemment que la donce ¡n-
O ueuce de la belle saison vlnt réparer leurs force s :
ce tenue ne 1'ar;1I ssait pas éloigné; tons les signes
qui l'anlloncent se mallifestaient déja. La tcmpe-
I'ature s'était adollcie, les ghces commen(,'aiellt
;" fondre, la déb;"tcle élait prochaine, el l'oll se
flattaÍt que l'illontlatioll apporterait enfin (Luel-
(PlC rclache aux fatigues qU'OIl cssuyait; maís ce
(lni cl(~vait soulager nos maux était loujoUl'S ce
qui les pol'tait al! comble.


La Visllllp se tkgagea avec violencf' : dqmis




M El\HH l{ E S


17'75, on n'avait pas eu d'exempk d'UllC telle
impétuosité; la plus belle partie de Dantzick,
ses magasins, ses chantiers, devinrent la proie
des eaux: la campagne en était couvertc; elle
ne présentait, dans une étendue de plusieurs
lieues, que l'affligeant spectacle d'arbres déra-
cinés, de maisons détruites, d'hommes, d'ani-
maux sans vie, flottant pele-mele au milieu des
gla<,;ons. Notre perte semblait inévitable : tous
nos ouvrages étaient détruits; nos palissadesem-
portées, nos écluses rompues, nos forts entr'ou-
verts et minés par les flots, non s laissaient
sans Jéfense Jevant un ennemi nombreux. Nous
ne communiquiol1s plus avec le Holm, position
si importante et dont les fortifications étaient
presque anéanties. L'ile d'Heubude était {lans un
état Jéplorable: nos postes Ju Weroer, ceux du
Nerhung avaient été submergés. Pour combIe de
maux, nous étions menacés, quand la Vistule
reprendrait son cou.rs, de voir tarir l'inonJation
qui couvre habituellement la place.




DU GENERAL RAPP. '<0:1


CHAPITRE XXXVIII.


Mais les aLliés secolHlerent mal les (~k'men Is
'1ui combattaieui pour eux. Au liCll de veni t' ~I
1I0US, ils se consumaient en intrigues miséra-
bIes: c'était proclamations sur proclamations;
il .Y eH ;lvait ponr la magistrature, pour les ha-
hitallts, pour les soldals. Les uns étaient excitt'>s
Ú 1;1 rt'vol le, les a litres á la déscrtion; les bra ves
Polon~is, les Westphaliens, lesUa varois, ('taien l'
tour á tour sollicités, pressés, menacés. CcUe
guerre de plurne m'inquiéta peu; je cOIlllaissais
la loyauté de mes tronpes, j'avais en elles la plus
('IlLiere cOllfiallce. Je lenr en donnai la preuve :
d('s qlle les pI'oc!alllations 1l0US arrivaient, je les
l'aisais lire á la ü\te des régimen ts. eette maniel'p
franchc ¡eur plut, ils m'cn sllrent gré; ils Jl'CU
coucurent que plus de rnépris ponr IIn ('lHlemi
c¡ ui se promettait d'a voir meillellI' rnal'ch{' ele
lelll' hormeur que de leur courage, et souveul
ils m'apportaiclltcux-rnemes, sans les avoil' [ues,
ces beJIes productiollS du génie I'usse.


Les assi<'g(~ants )wl'sistaieut a se tenir les bras




MÉMOTRES
croisés dans la place; je les tirais de temps a
autre de la léthargie ou ils étaient plongés. Ces
messieurs nous mena<;aient hautement d'un as-
saut; ils avaient meme, sur la fin de janvier,
commandé un gralld nombre d'écheUes dans le~
villages du Wherder. Je résolus de leur faire sen-
tir que nous n' en étions pas encore la: le 29, je
mis quelques forces en mouvement dans la di-
rection de Brantau; le général GTanjean dé-
boucha de Stries avec quatre bataillons, un pe-
loton de cavalerie, et deux pieces de eampagne :
il dispersa dans sa tournée des partis de Bas-
kirs et de Cosaques. JI préllllbít ;'1 UIle actiou
plus 5ériellse,


Je savais que des troupes fra1ches étaient ar-
rivées devant la place, qu'elles s'étaient répan-
dues dans le N erhung, et occupaient e.n forces
Bohnsack et Stries; je les fis recoIlnaitl'e. Le gé-
néral Detrées fut chargé de eette expl~ditjon. ¡l
culhuta d'abord tout ee qlli se présenta sur son
passage; mais ses til'ailleurs s'abandonnercnt
trop a la poursui te, et faillirent etre vietimes df'
lenr témérité : une lluée de Cosaques fondit sur
eux, et les eut taillf>s en pieees si le eotone! Fa-
l'ine ne les eút dégagés. N ous fúmes moins heu-
reux sur un mItre point; nos avant-postes avaient
ol'dre de se tenir sons les armes, d'observer les




DU GÉNÉRAL HAPP. 265
mouvements (le l'ennemi, mais de ne pas eu-
gager d'action. Le coloncl de Heering, qui com-
mandait a Stolzenherg, ne put se contenir; il des-
cendit mal a propos dan s la plaine, poussa les
eosaques avec une impétuosité irréfléchie : ses
troupes, surprises dans un dMilÉ', ne purent ró-
sister au choc de la cavalerie, et furent enfoncées.
Cette imprudence ~OllS couta tleux cent cin-
guante hommes. L'ennemi s'échauffa : ce petit
succes lui avait donné de la confiance. Vers les
trois heures de l'apres-midi, ses colonnes se pré-
senterent devant Langfuhr, et parvillrent a s'y
établir. Trente hommes pos tés en avant de ce
village farent faÍts prisOlJOiers; ils s'étaicnt jetés
dan s une maison, et avaient opposé une longuf'
résistance; la terre était jOIlchée de morts, mais,
ne se voyant point secourus, ils furent contraints
de mettre has les armes, faute de munitions. Je
donnai aussitot l'ordre de reprendre cette posi-
tion; le général Granjean se mit en marche avec
hllithataillons, quatre pieces d'artillerie, etquel-
ques troupes a cheval: l'attaque eutun plein suc-
ces, les ltusses furent culbutés et mis en fuite. lis
tentérent de revenir a la charge; mais, toujours
romplls, toujours écrasés par notre cavalerie, ils
pal'UI'(~l\t enfin se décider a la retraite. NOlls lH:
tal'<L'unes pas á suivre leut' expmplc : k champ de




Mf:MOlHES
bataille était presque evacué, lorsquc les N apo-
litains, laissés a Langfuhr, furent tont ;~ ('oup
assaillis par des nuées de Cosaques que soutenait
une infanterie nombreuse. Le géaéral HUSSOll, te
commandant Szemheck, accourent en toute hate
avec un bataillon polonais , chargent l'ennemi ~I
la halonnette , el en font une houcherie affreuse.


Cet échcc calma la pétulance des aIliés : ¡lBe
fut plus questioB d'échdlcs ni d'assallt. De
mon coté, .le les laissaí trauquilles : je n'étais }las
a meme de leur donner des alertes bien fré-
quentes; mes troupes étaient exténué(~s : sur piee!
uuit et jour, consumées par les maladies, trall-
síes de froid, mal vetnes, plus mal lloul'ries en-
core, elles se soutenaient a peine; rien n'égalait
lenr misere que la résignation avec laquelle elles
la supportaient. Des soldats dont le nez, les
oreilles étaient gelés, OH les blessures encore
onvertes, faisaient gaiement le servlce des av:tllt-
postes. Qual1ll .le les voyais défiler a la parad!'
affublés de peaux, la tete enveloppée dans des lin-
ges, ou marchant a l'aidc d'un baton, j'étai",
touché jusqu'aux larmes. J'eusse \'oulu dOJlllt'l'
quelque relacheá des hommcs si malheureux, el
pourtant si dévoués; le::. Russes ne le soulTl'iren l
paso lIs s'{·taicnt imaginé que ]elll's proclama-
tiolls avaieul pl'oduit loul I'dlel (IU'i]s el! atlcll-




nu CI~NERAL RAPP. 2G7
(


daient, que nous nous battions entre nous, que
le peuple t'taÍt en révolte. 11s résolurent de pro-
fiter d'aussi belles circonstances, et de nous en-
lever.


N ous étions au mois de marso Le 5, des la
pointe du jour, ils fonclent comme des essaims
sur mes avant-postes; ils couvrent, ils inonclenl
toute ma ligne, et se répandent par torrcnts dans
le5 village5 qu'elle renferme. Au bruit d'llne aussi
brusque attaque , je donne les ordres nécessaires
et je m'achemine vers Langfuhr avec le général
de division Granjean. NOllS avions a peine faÍt
fJllelques pas que Hons entenclimes battre vive-
ment la charge; c'étaient les chefs de batailloll
Claumont et Blaer qui se précipitaient a la
baionnette sur une colonne de trois a quatre
mille Russes , et la dispersaient. N ous doublames
de vitesse pour les soutenir; mais le choc avait
été si impétueux que nous ne púmes arriver a.
témps : nons touchions au village, lorsque les
acclamations des soldats nous annoncerent la
victoire. J'accourus pour les féliciter de ce beal!
fait d'armes; cal' c'en était un, puisque moins
de huit cents hommes avaient fait mordre la pous-
siere a des mas ses quadruples d'infanterie et de
cavalerie. lIs avaient meme failli s'emparer des
pieces : tl'01S voltigeurs napolitains coupaient




268 :\IÉIVIOIRES
lh'ja les traits des chcvaux morls, torsqu'ils fll-
rent chargés a leur tour et obligés de lachl'l'
prise.


La fortuue !lOUS était moins favorable Slll'
!l'autres points; le général Franccschi se lllaill··
tenait avec peine en avant !lf' Alt-Schottlantl; iI
cédait le terraiu, rnais en le défendant pied a
ricd : il suivait ses instructions, jI gagllait du
lemps. Le brave colonel Ruthler accon1'ait en
toute hate a SOl! secours. A peine pa1'venus aux
prelllie1'es lllaisons du village, les Ba va1'ois se jet··
tent avec impétuosité sur l'ennellli , le pousscnl ,
le cha1'gcnt a la baionnctte, et pa1'vicnllcnt á le
conteni1'; mais pendant qu'ils iont iacc ¿'un coté- ,
les Russes les menacent de l'aut1'e. Apres t1'ois at-
taques infructueuses, ils avaient en fin triomphé
de la belle 1'ésistance du chef de bataillon Cló~
ment, et s'étaient emparés de Stolzenbc1'g; jl~
débouchaient déja de cc village, et aHaient llOU<;
prcnd1'e en flanco Ce mouvement eih été dócisif:
je me hatai de le prevenir; je donllai ordre an
sixieme régiment napolitaill el' occuper SUl' la
droite un lllonticule qui assurait notre position.
Le général Det1'ées conduisit l'attaqllc ('t cnIeva
le platean au pasde chargc; I'enuemi accoll!'ul
pOllr le 1'eprcnd1'e, mais ji ne pul y pal'VenjL
Tout eonve1't de contusions, ses hahils eriblé~




D U G}: NÉ H A L R A PP. 269
de halles, 11:' colonel Degenllero lui opposa IIn\'
n'sistancp illvincible, et le forl{a a la retraitc.
Ccpendant le gén!'-ral Bachclu, avec quatre ba-
taillons S011S ses ordres, gravissait les hauteurs
a droite de Schidlitz; tout a coup il fond sur
les alliés, les attaque a revers et les culbute.
En vain ils se jettent dans les maisons et s'y re-
tranchent; nos voltigeurs, conduits par le liel/-
tenant Bouvenot et le sous-officier Tarride, en-
foncent les croisées, brisent les portes, tueut,
prennent ou dispersent tOllt ce qn'ils rencon-
trent, et s'emparcnt d'une piece d'artillerie : un
génél'al J'llSSP animait les siens a la défendre;
mais l'irnpulsion étaÍt donnt'e; trois braves, le
sous-lieutenant Vanus, le maréchal-des-logis AH-
tresol, et.Ie fourrier Hatnite, s'élancent a la coursp
pt s'ell emparent.


J1 était trois heures apn~s midi, et les alliés
occupaiellt encore SehoU];mo et Ohra; malgré
tout. son courage le chef de bataillon Boulan n'a-
vait pu les déloger. le résolus d'essayer lIne se-
conde fois d'une manreuvre qui m'avait si bieu
réussi, je les tournai. Pendallt que je menais une
fausse attaque par la f(~te de Schottland, le gé-
néral Bachelu masquait sa marche et se portait
sur Ohra; iI était snivi de trois bataillons d'in-
fauterie, de cput cinquante cheyanx, et d'une bat




terie légere. Nos troupes bouillaient d'imp;¡-
tience : des qu' elles entenuirent battl'e la chargf',
ce furent des cris de joie; elles s'élancent sur
J'cnnemi, le rompent et le culblltent.


n se rallie et revient a la charge. "M:ais la mi-
L>


traille redouble, la b:úonnette porte le désordre
dans ses rangs. Il fuit , il s'pchappe par toutes les
issues, et n'en trouve aucune qui ne soit inter-
ceptée. La nécessit(~ réveille son COLlr;¡ge , il se
reclleille, débouche , fond sur nons. La melée
clevient terrible: il vent se déruber a la hUllte,
nos soldats veulent COllsommer la victoire: de
part et d'antre 011 se pr(~ssc. OIl se pousse avec
furenr. Un adjudant-major dll 2ge de ligne, De-
londres , s'élance au milieu des Russes; quelques
braves le suivent: la mort et la confusion volent
sur ses pas ; accablé bientot par le nombre, épuis(~
par de larges blessures, il est obligé de rendrp
les armes: mais ses esprits reviennen t , 11 se r('-
metí l'indignation lui donne des forces : il attaque,
amen e son escorte, et vient prendre part a la
victoire : elle n'était plus disputée. Nos tronpcs,
acconrues au br1lit de la fusillade, s' étaient for-
mées en avant. d'Ohra, et avaient ouvert un fen
menrtrier: l'ennemi en est accablé; il plie, sp
debande, et n'échappe a la mort qu'en invoquant
la démence du vainqueur.




Dalls 1111 iustanl les rues sont jOIlchées de morl",
CilH¡ cents ilommes mirent bas les armes : la
plupart ('taient de cHte arméC' de Moldavie que
nons avions presque détruite au passage de 1;1
Bérésina,


L'enncmi fuyait sur lous les points. Dans 1('
NerhulIg, a Nellfahrwasser, partout il avai,
CXpil' par la défaite lefl ~mcccs que la surprisc
tui avait donnés. Le major Nougarede n'avait el!
qu':'t paraitre ponr disperser des nuées de Cosa-
ques qlli s'escrim:l ient sans succes contre de fai-
bies postes napolitains qne nons avions sur les
derrit'.res. ])ps postes de dragons donnerent la
chasse aux R lIsses 11'li s'étaienl. pOltés en avall t
de Saspe, et enlevcrent Brasen.


Nous occupions de nouveau les positiollS que
HOUS tenions avant l'attaque: malheurensement
elles nOlls coútaicnt assez cher. Nons avions six
cents hommes hors de combat; il est vrai que la
plupart se rétablirent bientot de leurs blessures.
De ce nombre étaient le major JIoradam, le co-
¡onel d'Egloffstein el le général Devilliers, qu'on
verra si sonvent figurer dans ce récit.


L'ennemi avait été bien plus maltraité : deux
1Il iHe des siells étaient eOllchés dans la poussiere;
nous avions onze a douze cents prisonniers dans
nos mains , f't ulle pit'ce d'artillerie,




MÉMOIRES
Cette journée fut une. des plus bel1es du


siégc; elle était un nouvel cxemple de ce que
peuvent le courage et la discipline. Sous les
murs de Dantzick comme au passage dc la Bé-
résina, consumés par la misere ou les mala-
dies, nous étions toujours les memes ; nous pa-
raissions sur le champ dc bataille avec le meme
ascendant, la meme supériorité.




DU G ÉNERAL RA PP. 27:)


CHAI)ITRE XXXIX.


J_es Russes devaient t'trc satisfaits. Il n'était
pas probable qu'iis revinssent de sitót a la charge.
Cependant lajournéc du 5 rn'avait convaincu tle
la nécessité de diverses mesures que je répu-
gnais a prendre. Ils n'avaient pénétré jusqu'aux
pieds de llichofsberg, üu le colonel Figuier excl'-
\,ait une surveilbnce séváe, qu'a la faveur d'un
ancien comellt de capucins : ce voisinage était
trop dangerellx; je fls aLallre le vieil édiflce.
On retraucha aussi quelques ulaisons dans diffc-
rents villages, et surtout a Schottland. NOlls ne
l'avions rf')wis qu'aw'c beaucoup de peine; la
résistance a\ait Im'me été si opiniatre qu'il fut
un inslaut (!lJcstiull de l'incendier. Je rejetai
ce moyen cruel; je ne pns pas me rI~solldl'f' it
ruiner des haLitallts qui a\aif'nl déjil tant s0uf-
ft>rt pelldant le prernier ~iége. Je trom ai plus
honorable de chassf'r les Husses a coup de hai'ou-
nettf'<;, el j'y réussis; mais je ue vOlllais pas
cüurir oe Ilomean ceUe cllance péril!eme.


Cepeudallt l'épidémie était l(Jiu de se calmer.
18




NIEMOIHES
Elle semblait au contraire pl'cndrc chaqlle jOll r
de nonvelles forces. Six mille hOlllmes avaienl
déja péri, dix-huit mille gisaient san s vie dans
les hopitaux. Le général Franceschi , que la mort
avait épargné sur tant de champs de batailIc,
venait ele succomber. Chaque heure, chaque mi-
nute augmentait nos perles, nons emportait nos
plus vaillants soldats. Une nourriture substan-
tielle les eút sauvés; mais nos provisions tou-
chaient a leur tenue. Nous n'avions plus, pour
ainsi dire, ni vi ande ni bestiaux; la paille meme
!lOUS manquait pour cOllcher nos malacles. Je
résolllS de chercher quelqlle remede aux m:Hlx
qu'enduraient tant de braYC's. La tentative était
périllcuse, mais ils méritaient bien f{U'On s'ex-
postlt a quelques dangers pour les secourir.


Depuis long-temps je projetais une expédition
sur Quadendorf, oú ]'on supposait d'abondantes
ressources. Je l'avais différée jusque-Ia, paree que
les tl'oupes dont je disposais ITIC pal'aissaient in-
suffisantes; mais la nécessité parlait plus haul
que tO!ltes ces cO!1sidél'ations : je n'hésitai plus.
Le général Devilliers couronna les hauteurs de


v


W onneberg et de Pitzkemlorf, la droi te a ppnyée
a Zigangenberg, el la gauche sOlltenuc par la
brigade du général Husson. 11 ouvl'it sans délai un
fi:m roulanl d'artillerie ct de mOllsqllcteric. Pen-




IH) C;É~ERAL RAPP. 9.75
dant que l'enllemi ripostait de son mieux a ecUe
":line fnsillade, le général He~delet débouchait
par la valIée de Malzklall et enlevait le poste
chargé de la défendre. Le général Bache1u mar-
ehait en téte. Douze cents hommes, six pipces
de canon condnites par le gónéral Canlt, s'avan-
<,'aient en seconde ligne et forIllaient la réserve.
Cinq cents Russes voulurent nous interdire l'en-
trée de Borgfehl. Ils furent foulés aux pieds. Ce
l{ui pchappa a la baionnette alla périr sons le
tranehant du sabre : tous re<,'urent la mort. l...'en-
nemi accourut avec les masses et ne fut pas plus
heurellx. AecabJé, rompu avant d'etre en dé-
tense, iI ne trouva de salut que dans la fuite.
Ses pieees ne pllrent se mettre en batterie;
poursui vies sans reHtche, elles furen! contrailltes
de vide,' le champ de bataille sallS avoir tiró un
seul cour. Les Polonais étaient irrésistibIes : chefs
et soIdats, tons fondaiellt sur lf's Russes avec un
abandol1 , une ;¡u(1:'¡ce dont 011 n'a pas d'exemple.
Un tambotll·, le brave nIattuzaLk, en terrassa
un avec ses baellettes, et le forca a se rendl'e. o ,


Pendant que nous les chassons devallt 110l1S,
le général Heudelet menace lellrs deITieres. Dés
qu'ils s'apel\~oivent de ce mouvement, ce n"est
plus une fllite , c'est un désordre, une confusioJ1
dont íl ('st difficile de se faire une image. I1~


18.




lVIÉMU[HES
abandonnent leurs blessés, Icur's hópitaux; ils
évacuent en toute hate Schweiskopff, Saint-A 1-
brecht, et ne s'arretent qu'au -delfule Praust, Ol!
nos voltigeurs entrent pele-meIe avec eux.


En arrivant a Saint-Albrecht., j'appris que les
Russes tenaient encore sur les digues de la Mott-
lan. Je fis des dispositions pour empecher qu'ils
ne fllssent seconrus pendant que nous irions les
chercher. Le major Scifferlitz, avec un bataillon
OU 13e bavarois, soutenu par une compagnie
de Westphaliens et la flottille, fut chargé de eette
attaque. Elle eut lien aw~e beaucoup d'ensemble
et d'impétuosité : trois cents RllSSf>S fllrent COll-
chés dans la poussit>re avec leur chef, tombé sons
les coups du bravc Zarlinwski; le reste fut noyé
ou pris. Une centaine s'échappait a ttavers l'i-
nondation, lorsqu'ils furent atteints par le licu-
tenant Faber, qui les chargea a la tete de quel-
ques braves, ayant de l'eau jusqu'au COH, et les
ramella. "Cn enfant, le jeulle Kern, enflarnmait
nos soldats; ji les devanee, il les excite, il se
jette au plus épais de la melée. Ses camarades
balaneent, hésitent a le suivre. II se retourne
avee l'assurance (lile donnc le courage : En avant.
Bavarois, s'éerÍe-t-il, et iI les enléve.


Le jour tombait. Les Russes montrerent des
troupes si nombreuses en avant de QuadendorL




J)U GÉN ÉRAL RAI)l'.
que je ne jllgeai pas a propos de continuer 1'at-
taque. Nous rcntdmes apres avoir causé a I'cn-
nemi une perle immense, et lui avoir pris trois
cent cinquante hommes. Ce fut presque l'unique
résultat J'une sortie si brillante. A peine si elle
nons valnt une celltaine de bestiaux. "N OLlS avion~
été prévenns : tou! ce que rellfermaient les vil-
lages avait été evacué sur les derrieres.


lndi>pendamment des subsistances, j'avais un
autre objet qui ne me réussit pas mieux. Depuis
le COlnmellcement du bloc liS j'étais saps commu-
nication avec l'armée fran~'ajse; je ue savais ni
quclIe {~tait sa force, ni avec quelle fúrtulle elle
combattait. J'a"ais tout mis en reuvre pour obte-
nir quelques lumieres a cet égard; mais la haine
ét:üt si générale et si profonde qu'aucune sé-
duction 11'a, ait pu la vaincre .. .T'espérais que les
bourgmestr('s seraient plus dociles, mais iIs ue
connaissaient que les bruits prop\tgés par les
Russes . .Te restai plOllgt' dan s l'ignorance la plus
complete sur ce qui se passait autour de moL


Apres tout, quels (l11e fns"ent les événements,
iI fallait cléfendre la place, et la défendre le plus
long- temps possible, c'est-á-dire qu'il fallait
vivre le plus long-temps possible avec les res-
SOWl'ces que llOUS possédions encore. Je redou-
blai d'économie, et, comme on gagl1c presque




MEMOl1U~~
toujours a mettre ses idées en comnUlII, je créai
une commission qui fut exc1usivement chargée
des sllbsistallces. Elle était SOllS la présidcnce du
comte Tleudelet, et rendit les plus grands ser-
vices. Elle s';lppliqua d'une maniere spéciale it
améliorer la situatioIl des hópitaux. Elle fit des
achats de linge, de médicaments, et remplat;;a le
beurre, qu'on ne trouvait plus, par de la géla-
tine. Le vin, la "iande fraiche, furent réservés
aux malades; et, afin qu'ils n'en mallqnassent
pas, elle saisit, apres une estimation contradic-
toire, les caves et If'S hestiallx quí se trouvaicllt
claus la place. Les troupcs He rec;urent plus que
du cheval obtenu par la me me voie. Mais toute
la sollicitude de la commission ne put maitriser
l'épidémie : on eút dit que ce fléau cruel s'irri-
tait des obstac1es. Toujours plus violent, plus
irremédiable, iI éclatait avec une nouvelle force
dans les lieux qu'il avait déjit frappés, et enva-
hissait ceux qui ne le connaissaient pas encore.
Weichselmunde, N ewfahrwasser , jusque -la h
l'abri de ses atteintes , sont maintenant en proie
a ses ravages.· Les troupes, la population, d'une
extrémité de nos lignes a l'autre, se débat dans
les angoisses d'une maladie cruellp. Ceux qui
échappent, ceux qui succombent, sont égale-
meut dignes de pitié, Livrés á tOlltes les con-




In; (~ENERAL RAPP. ;~7~¡
\ ulsions de la démence , ils pleurent, ils gémis-
sent, ils rappcllent des combats, des plaisil's qui
!le sont déja plus que des songes. TalltOt calmes,
tantot fnriellX, ils redemandent lenr patrie, leur
pere, les amis de leur ellÜlI1Ce; ils· invoquent , ils
l'epollssent la destiuée des In'aves (lui ne sont
plus, et, tour a tour déchirés par des passiolls
contraires , ils exhalent 1m .'este ele \ie dans les
horreurs du d{~sespuir.


Plus on prodigue les remedes, plus les souf:'
frances sont aigués. Le lnal s'éteml par les efforts
mcmcs qu'on ftit pOllr le détruire. Chaqlle jour
de la dernihe <!uillzaine de mars 1JOlIS eruporta
au dda de deux cents hommes. L'épidémie cessa
peu a peu d'(;tre aussi mellrtriere. Ce ne fllt ce-
pendant qu'a la fin de mai qu'on en triompha
tOllt-a-fait. Elle nons avait a cette époque enlevé
Cillq mille cirHl cents habitants, et douze mille
braves. De ce nombre était le général Gault:
excellent officier, soldat plein de courage, il
méritait un meilleul' sort.


Les maladies Hons faisaient la gucrre aa profit
des Russes; lllais eux - memes HOUS inquiétaient
pen. L'cxpéditioll de Borgfeld avait amorti leu!'
courage; i Is se retranchaient , ils se fortifiaient ~
ils n'ótaient plus ol'cupés que de mesures défell-
si ves. CepeIHlallt comme il falla~t bien donner




MIÜ\IOlHES
(luelqne signe de vie , ils cherchaient de lemps a
autre a sllrprendre mes avant-postes. Fatign{>
de ces attaques insignifiantes, je voulns len!'
remIre les insol1lnies qu'ils nous causaient. lb
,lVaiellt au-dessus de Brentau un signal qni m'en
fournissait les moyells. TI ne s'agissait que de
l'incf'ndiel'; j'ell confiai le soin a dellx officiers
dont l'intelligence el ]a rpsolntion m'étaient con-
nnes. C'étaient les chefs de Lataillon Zsembek
et Potocki. Tls sortent ele Langfnh,' par une Iluil
obscllre, et marchent long-temps sans etre aper-
t;:us. Des coups de fusil lenr apprellnellt elJfill
qn'ils sont dt'>comerts ; aJors ils fondent sur l'en-
nemi et le renversent. Potocki s'avance sur Bren-
tan, et disperse une infanterie nombreuse qui
s'oppose a son passage. Une qllarantaine d'hom-
mes se jettent dans une espece de blockalls. Un
voltigenr les suit et les SOlllme ele mettre Las les


u '


armes; jI rec;oit la mort. Les Polonais fllrieux
inondent aussitót la redoute N extt~rminellt tollS.
les Rnsses qn'die "ellferme.


Pelldant que ces choses se passaiellt an village.
Zsembeck s'cmparait du signal d'alarmes. Il le
Iivre aux t1arn~nes, el clescend allssilol dans la
plaine; iI culbute, il taille eH pit~ces 11'5 postes qu i
se trollvent snr SOlI p;¡ssage, cí pOl,sse jusquc
$OUS les nmrs (1'01 i W;l . (1,', illanee qupfq 11 e" Ohll"




DU GÉNERAL RAPP. 281
J~1l werne temps le brave Devillain, maréchal-
des-logis au huitieme, balaie, avec une douzaine
de hussards, toute cette partie de nos avant-
postes. Il charge avec tant de résolution, qu'il
élO1mc les Cosaques et les enfouce. Le soeces
l'enhardit; il se répand sur la droitc, reconnalt ,
fouille le bois, et ne joint nos troupes qu'au ma-
ment ou elles se retirent.


Cependant tous les signaux étaient en feu.
L'armée rllsse eourait aux armes et s'attendait
d'tminstant á l'autre á se voir attaquée; elle
passa dans eette attitude le reste de la Huit et la
journée clu lendemain. ~ous llli rendlrnes en
masse les alarmes qu'elle HOllS avalt donuées
en détail.


L'horizon poli tique devenait ehaque jour plus
sombre. La Prussf' avait jeté le masque; elle nous
falsait la guerre par insurrection. Cet événement
rie pOll"ait c'tre caché aux soldats; les Rllsses
ayaient trop illkret de les en inslruire. Aussi lle
mis-je aueUll obstacle a ce <It! "iI fu t: divulgué.
A lIssitüt les séductions reeommencórent. On
croyait le moral de nos tl'OllpeS ébralllÉ'. La dis-
proportion des llloyens ll'attac¡ tle .I:~t de défense,
l'argent, les promesses, tout était mis en ocuvre
ponr les ellgagel' a la clt-sertioll. On offrait une
prime ;\ la honte; je pon vais bil'll en prop'J:-;er




~IÉMOIRES
une a la fidélité. J'annolll.;ai deux cents franes de
gratification pour quiconqne livrerait un homme
convaillcu d'embauchage. Cette mesure ellt son
effet. La plupart des émissaires que les assiégeallts
avaient dans la place me furent signalés. D'apres
nos lois ils avaient enconru la peine de mort,
mais les hommes sont en général moins méchants
tlue malhenrenx. Presque tons étaient des peres
de famille qui avaient céclé a la nécessité. Je les
livrai a la risée de nos soldats, jc leur tis raser
1:1 tete, et les renvoyai. Cette mesure les retint
chez eux; j'en fus délivré sans recourir aux exé-
clItions.


La garnison paraissait pea inquiete du surcroit
d'ennemis qu'on luí annon<:;aít. Cependant j'étais
bien aise qll'elle jugeat par elle-me me de quoi
elle était encore c:1pable. N ous tOllchions allX fetes
(le Paques. La températllre était donee, le cie!
sans Iluages. J'indiquai une revne; eHe eut lieu
:l la face de l'arrnée de sit'·ge. Des la poínte dll
jonr les habitants , les malades meme couvraient
les hauteurs de Langfllhr; ils se l'épandent sur
les glacis, les avenllCS, et couronnent tous les
;'evers de la plaine qui sépare Stries d'Oliwa. Les
!rOllpeS ne tardent pas a paraitre. Sept mille
hommes suivis d'une artillerie nombreuse, tous
í~n tenue magnifique, vienncnt StlCcCSSivelUcnt se




rangcr en hataille. I1s manccuvrent, ils dt'filell!
avec tille pr{>cision dont rien n'approche. I,es
Russes, (;tonnps de tan t d'assurance, n'osent nous
trollhler: formé s eux-memes en bataille, ils con-
templent nos mouvements satls y mettre aUCUll
obstacle. Cepelldant l'occasion était belle, aUCllue
arme n'était chargée; j'avais spécialement défendu
qu' on fit usage de cartouches. La balonnette seule
devait les punir s'ils étaient assez téméraires pour
se permettre la moindre insulte. Cette mesure
était pt'ut-etre un pen andacieuse, mais il faHait
ex alter le courage du soldat et le convaincre du
mépris que méritait la jactann; étrangere.




ME~IOIRES


CHAPITBE XL.


A pres «voir paradé, il s'agissait de vivre; la
chose était moins aisée. L'ennemi avait fonillé
tOU5 les villages et n'y avait laissé ni fonrrages
Ili bestiaux; plus de ressources, á moins de les
chercher a une distauce de plusieurs lieues. J'eu
;¡yais fait l'expérience a Borgfeld, au¡;si Je pris
mes mesures en conséqucnce. Je m'l,tais procuré
des renseignements cxacts sur les facilités et les
obstacles que présentait une expédition dans le
Nerhung; je connaissais le nombre, la position
des troupes et leur parfaite sécurilé. JI" os mes
dispositions. Douze cents hommes J'élite, trois
cent cinquallte chevaux, une compagllie d'artil-
[erie légere avec huit bouches a fel!, conduits par
le géni'ral Bachelu, s'avallcérent sllr lTeubude.
L'euuemi cullmté cherche vainemellt a défendre
Bonhsack. Bachelu ne lui donne pas le temps de
se reconnaltre; iI· le pousse, l'enfouee et le re-
¡ette en désordre jnsqu'a \Voldern. Ses principales
forces occupaient ce v illage. Pres de cinq mUle
flOlIlmes l'accueill{'Jlt et le soutiellnent; mais, tOll&




DU GÉNÉHA.L RAPl>. :~tí~
jours emportées par le meme élan, nos troupf't-.
arrivent a la COllrse et ue souffrent pas qu'il se
déploie Elles commencent aussitot l'attaque: une
partie se répalld en tirailleurs sur les dunes et dan s
la plaille, l'autre reste en ligne et ouvre un fen
meurtrier. N os pieccs, notre cavalerie accourent
et consomment la déroute. Elle fut si prompte
et si eutiere que l'artillerie n'essaya pas detirerun
seul coup; elle s'échappa eu toute bate du champ
de bataille. Une colonne de Lithuanieus osa
faire tete a l'orage. Le colouel Fariue s'éIan<;a sur
elle avec ses dragons et la coutraignit de mettl'f'
bas les armes. La rt~serve était encore intactc.
Le brave Redon marche a elle, ill'épie, il saisit
l'instant oll elle se retire, la charge et la fait pri-
sonniere; en meme temps le capitaine Neumallli
se met a la piste des fuyards; iI vole de la gan-
che a la droite, seme partout le désordre et ra-
massc, avec UIle poignée de soldats, quelqlles
ccntaines d'alli{,s (lU'il oblige a se l'endre. Cet
avantage lui coúta deux blesSlll'es. Le sous-lieu-
tenantSchneidel' fut encore plus maltraité et re-
t;'llt a lui senl douze coups de lance .


.J'avais suivi de lIla pel'SOllne le mouvement
du général Bachelu; je m'avan<,;ai jusqu'a Wol-
dern. Mais les Russes fmaient dans un tel dés ..


.;


ordre qu'il me parut inutile d'aller plus loin.




MEMO tH ES
I ,es tl'oupes qui ies avaienthattus suffisaient poar
les poursuivre, Des que j'appris qu' elles les avaient
poussés a plus de douze lienes de distance, j'ar-
retai lenr marche, Elles prirent position, et Sf'
mirent a enlever les fourrages et les bestiaux
<lui se trouvaient dans les lieux dont elles s'é-
laient empan~es.


La réserve que j'avais avee moi était devenue
inutile, par la promptitude et l'habileté ave e la-
quelle le général Bachelu avait concluit eeUe ex-
pt'>dition; je lui fis passer la Vistule. Elle débat-
qua en avant du fort Laeoste, et se porta sur la
digne que l'ennemi oecupait encorp. En menw
temps les eha loupes callonniéres l'emontaien' lf'
f1euve et COIllTllew,:aiellt J'attaque. Les Russes
plient aussitot et se débandent. Nous HOUS ré-
pandimes sans obstacle dan s toute l'étendue du
Werder.


Nous restiunes quatre jours dans ces di verses
positions. Le général l3achelu fouillait sur la
rive droite la partie du Nehrung qu'il avait en-
vahie, tamlis qn'a l'aide de nos canots nons
tirions de la ri \e gauche toutes les ressources
qu' elle nous offrait. Cinq cents hétes a comes,
quatre cents tetes' de menu bétail, donze cents
quintaux de foin, huit cents de paille et deux
mille trois tents décCllitres d'avoinc, furent le ré-




DU r,}~NÉRAL RAPP.
sultat de cette expéditioll .. L'ennemi essaya d'en
interct'pter les convois; mais le sang-froid, l'ha-
bileté du lieutenant Iloékinski et du commis-
saire des guerres Beli-sal triompherent de t01lS les
obstaclcs. Les agressions des Russes tournerent
meme a notre avantage et nous valurent encore
une centaine de breufs que l'intrépide BréLinski
leur enleva apres les avoir défaits. L'armée de
siége ne chercha pas a nous troubler. Immobile
dans ses lignes, elle ne paraissait occupée que
des démonstrations que faisaient nos troupes ~II
coté de Langfuhr et du Newschottland. Son in-
quiétmle <'~tait si vive, que le bruit d'nne grosse
pIuie lui donna le change; elle se crut attaquée,
mit le fel! a ses signallx de gauche, et jeta I'alarme
jusqu'a Pitzkendorf.


Nous avions ravitaillé nos hopitaux; car ponr
nous-memes, notre situation n'était pas changée.
Deux onces de che val , Ulle once de breuf salé,
voila quelle était toujours la ration journaliere.
A mesure que je sortais d'un embarras, je tom-
bais dans un autTe. Je m'étais procuré quelques
subsistan ces , mais la caisse était épuisée; elle n'a-
vait pu faire face au montant des comestibles que
llons avions enlevés. J'avais été obligé d'émettre
des bons payables an déblocus. Cependant iI
fallait assurer la solde, cOllvrir les dépenses de




MÉMOIRES
l'a1'ti11e1'ie, du génie, sans quoi la place tombait
d'elle-n}(~me. Aquel expédient, que) moyen avoir
recours dans cette extrémité? n n'y en avait
qu'lln. Je répugnais a le p1'endre; mais tout plie
dennt la nécessité : je demandai un emp1'unt
de trois millions anx habitants.


Les Dantzickois étaient révoltés. Ils se plai.
gnaient, ils murmuraient, ils menaeaient de se
u '


porte1' a quelqne émeute. L'ennemi devenait plus
pressant. La fIotte, les t1'oupes de te1're, tout pre-
nait une attitnde plus hostile. Ce fut dans ces cir-
constances qu'un baron Servien, condamné a mort
ponr embauchagc, aCCllsa le sénatellI' Piegeleau
d'etre a la tete d'lIne conspiratíon tramée nans
l'intéret de la R lIssie. ~La l'éplltation de ce magis-
trat était intacte, mais les charges étaient si dé-
taillées, si précises, et les conséquences d'une im-
prudente sécurité si graves, que j'ordonnai son
arrestation. Son innocence hit bientot reconnue:
j'avais un instant compromis la loyautéde cet
homme respectable; c'était a moi á lui rendre
hommage . .le le fis de la maniere qui me parut
la plus propre a calmer l'impression de cette
crueHe aventure. Les bourgeois étaient restés
paisibles. et les fréquentes escarmouches qui
m'avaient para si suspectes étaient dues aH sl1r-
er01t des troupes qui se succédaient devanL la




..


DD GF~NÉRAL RAPP. 289
place. Le due de Wurtemberg venaitd'en prendr8
le commalldement. Plus entreprenant, plus in-
quiet que le généraI Lévis, iI ne laissait pas res-
pirer mes avant-postes; échouait-il sur un point,
il en assaillait un autre. Hepoussé a Langfuhr,
mis en fuite a Zigangenberg, il se jctte sur Ohra.
Aússi mal re.;;u dans eette position que dans les
premieres, il n'en revient pas moins a la chargc;
il attaque a la fois Stolzenberg, Schidlitz et le
poste de la barriere: culbuté sur tous ces points,
il reparait de nouveau; de nouveau, il est défait.
Aueun éehec ne le rebute, il tente un dernier
effort; il fond avec la nuit sur mes troupes, qui
se remettaient de leurs fatigues, et surprend
quelques maisons qu'il livre ·aux flammes. Mais
a la vue des deux bataillons qui courent allX
armes, il se trouble et se disperse.


Les patrouilles, les vedettes, étaient conti-
nuellement aux prises. Ces combats, ou le cou-
rage individuel est plus sensible, étaient tout a
notre avantage. Les Cosaques n'y brillaient paso
Trois d'entre eux se réunissent pour accabler un
dragon du 12e, nomméDrumes; ce brave les at-
tend de pied ferme. Renversé d'un coup de lance,
11 se releve, se cramponne au fer, tire a lui son
adversaire et l'étend mort sur la place. Héquet,
autre dragon du meme régiment, f~it tete á 'qua-


19




29(j MÉMOIRES
lrt' de ces barbares. Quoique blessé, iI en renverse
un, en abat un autre, et met le reste en fnite. Je
pourrais citer mille traits de ce genre.


Ces agressions continuelles fatiguaient mes
soldats; je ne devais pas souffrir qu'ils fussent in-
sultés par des Cosaques. N ous primes les armes:
le général Granjean COJ11mandait la droite, le géné-
ral Devilliers était au centre, et la gauehe obéissait
au comte Heudelet. L'apparition inopinée denos
eolonnes gla~~a l'eunemi d'effroi. Ses cheyaux pais-
saient librement dalls la plaine; son infanterie
était paisiLle dans ses camps. II ne s'attendaitpas
a cette attaque. A 11 moment oú nons eommenciolls
a nous ébranler je rc\oÍs la nouvelIe anthentique
des immortelle'S victoires de Lutzen et de Bautzen;
je la communique, je l'annonee, je la répands. La
joie, l'ivresse, l'enthousiasme, sont au eomLle;
tous les sentiments s'échappent a la fois; iI tardf'
de combattre; on brúle de vaincre. De la gauche
a la droite le cri d'en avant retentit partout. Le
signal est donné. Aussitót l'artillerie se démasque;
on se mete, on se confond; la terre est jonchéc
de morts. Le capitaine Preutin fouclroie l'ennemi
et l'oblige d'évacuer Sch<rnfeld. L'artillerie a che-
val polollaise accourt au gaIop, se place a demi-
portée et rellverse tout ce qui se trouve devant
dIe. Le major Bellancourt, le chef de bataillon




DU GÍ~NÉnAL RAPP. :~91
Duprat, pOllssent, accablent les fuyards; iJs les
dispersent a mesure qu'ils se rallient. Culbuté all
centre, J'ennemi se jette sur la gauche et menace
Ohra. Le major Schneider lui oppose une résis-
tance opiniAtre. Cet excellent officier se défend
sur un point, attaque sur un autre '. et compense
par son courage la faiblesse des moyens <1ont il .
dispose. Le général Bressan, le général Husson, vo-
Jent a son secours. Les Russes écrasés ne peuvent
faire tete a l'orage; ils fuient et ne s'a:rr~tent que
sur les hauteurs en arrierede Wonneberg. Bientot
ils se ravisent et fondent sur notre aile droite;
elle tes re<;,oit avec une admirable résollltion.
Le calone! d'Engloff<;teil1, le major Horadam, le
lieutenant-colonel Hope, combattent a l'envi l'un
de l'autre. Le sergcnt Vigneux, le sergent Auger,
oonnent aussi l'exemple du courage. J'accours au
milieu de cette lutte sanglante; je fais avancer le
1 oCpolon"1is avec cinq piecesd'artilIerie quiétaient
en réserve. La melée s'échauffe et devient de plus
en plus terrible. Les Russes cedentenfin et s'échap-
pent en désordre du camp de Pitzkendorf. Je ne ju-
geai pas a propos de lessuivre:achaquejour sllf6t
sa peine. Ils avaient enviran dix huit cents hom·
mes ho1's de combato Je fis cesser le feu. De notre
cotp nOllS comptions quatre centsmorts ou blessps.


Les alliés, vaincus dans deux batailles cansé·
H).




NIÉMOfRES
cutives, avaient sollicité un armistice. La guerr('
avait été reportée sur l'Oder. N ous étions de nOlL-
veau les arbitres de la fortune. N otre gloire étai I
d'autant plus pure qu'elle était tIue tout cntien'
a ce courage impétueux qui supplée a l'expé-
rience et ne recule devant aUClln obstacle. Des
recrues avaient triomphé des forces combinées
de la Prllsse et de la Russie. Le capitaine Planal
Hons en apportait la nouvelle au moment oúJes
assiégeallts· culbutés cherchaiellt lenr salut dans
la fuite. N apoléon avait joint a ses dépeches des
!weuves de sa mnnificence. n daignait m' aécor-
del' le grand cordon de l'ordre de la Réunion. II
m'antorisait a faire des promotions, :'t cOllférer
des grades, et a désigner les officiers supérieurs
qUf' je jugeais susceptibles d'avancement. Ses
victoires avaient exalté tons les courages, Ol!
jurait de nouveau par son génic, on le voyait
déja triomphant sur les bords de la Vistllle. Sa
(U'peche était ainsi cOl1l;ue:


(( MONSIEUR LE CO~ITE RAPP,


»Le major-général vous fait conna1trt~ la situa-
» tion des affaires. J'espere que la paix sera COIl-
» clue dan s le courant de l'année; mais si mes
)) vreux étaieut dé<;us, je viendrais vous déblo-
1) quer. Nos armées n'ont jamais él(" pllls nom-




DU (~It:NÉHAL RAPP. 20,)
II breuses ni plus be11es. Vous verrez par les jour-
" uaux toutes les mesures que j'ai prises el <tui ont
) réalisé douze cent miUe hommes sous les armes
)) et cent mille chevaux. Mes relations son! fort
namicales avec le Danemarck, oú le haroll AI-
)) qnier est tonjours mon ministre. le n'ai pas
l)besoin de vous recommander d'etre sourd J
" t011tes les insinuations, et dans tout événement
») de tenir la place importante que je vous ai
» confiée. Faites-moi connaltre par le retour de
)) Coffieier ceux des militaires qui se sont le plus
)) distillgU{~S. L'avanccment et les d¡>coratiolls qne
) vous jugerez qu'ils auront mpri tés, et que vous
)) demanderez pour eux ,·vous pouvez les eousidé-
" rer comme accordés et en faire porter les mar-
)) qlles jusqu'A la concurren ce de dix croix d'offi-
» ciers et de cent croix de chevaliers. Choisissez des
» hommesqlü aient rendn desservjcesimportants,
» el envoyez-en la liste par le retour de l'officier,
)) afin que le chancelier de la légion (l'honneur soit
» instrait de ces nominations. Vous pOllvez éga-
» lement remplacer dan s vos cadres toutcs les
» places vacantes, jusqu'au grade de capitaillc in-
)) clusivement. Ellvoyez aussi l'ptat de toutes ces
» promotions. Sur ce je prie Diell , etc.


l)NHOLÉON,




MÉMOIRES


CHAPITRE XLI.


Les souverains avaient réglé les eonclitions de
l'armistice. Chaque place devait etre ravitaillée
tan s les cinq jOllrs, el jouir d'une lieue de ter-
ritoi re au-dela de SOIl enceinte; mais le duc dI'
Wurtemberg se chargea d'éluder cet engdge-
ment. Il refusait mes états de situatioll, il con-
testait sur Jes Jimites. Apres bien des eonférenees
nans eonvlnmes d'nn arrangementprovisoire et.
nons renvoyames la question a eeux qui devalent
la juger. Ce fut alors de nouvelles difficultés:
tantat ils alléguaient le défaut de subsistances,
tantat le manque ele transports. Les fournitures
toujours incomplf.tes étaient constamment ar-
riérées, enfjn elles fUfent tout-a-fait suspendlles.
Le tine avait besoin d'un prétexte, jI le trouva.
Il prétendit que nous avions rompu la treve!
paree quenous avions fail justice dc je ne sais
quelle hande de pillards (lui jnfestaicnt nos
derrieres. Sa leure, quí t:ut pu m'etI'e transmise
en deu:,;; heures, fllt dell" jours ~ me parvenil'.
Tant de subterfuges m" l"évo1táent. J'allai droit




IH.! GEN ERAL R APi'. 2~p
au fait . .fe luí répondis ql~e je ne vonlais plus de
tergiversation, qu'iJ fallait se hattre ou remplir
les conditions stiplllées. 11 répliqua, parla de la
cause des peuples et des rois. Ce langage était
curienx. Je lui témoignai combien il m'étonnaít
dans l~ bOliche d'un prinee dont le souverain
avait été cinqans notre aIlié, et dont lefrerecom-
battaitencore avee nons. Ce dernier f'xemple le
toucha peu. Il me répondit avec humellr « qu'l1n
l>général en chef russe ne se eroyait inférieur
»eti aUCllne maniere a un roi de la confédéra-
J) tion, puisqn'il ne dépendait que de l'empereur
)) Alexandre de l'élever a eette clignité, tjn'alors
)) il serait roi tou t enmme uu autre; qu'il y met-
J) trait cepeIldant une petite condition , c'est que
» ce ne serait aux dépens d'aucune puissanee,
» ni de personne. »


On COllrut aux armes. Mais le duc ne voulut
pas se charger .des cOllséquences de cette rup-
ture. 11 off1'it de cOlltinner les liv1'aisons. Elles
devaient avoir lieu des le 24; elles ne recom-
mencerent cependant que le 26 et ne furent ja-
mais compl~tes. Des vi andes corrompues, des
farines si mauvaises qll'on n'osait en faire usage
qu'apres les avoir éprouvées, voila les subsis-
tan ces que nous fournissalent les Russes. I1s n'é·
laient pas plus fideles sur la quantité. N ous ne




:296 MÉMOIRES
re<;umes pas au-dela des dcux tiers de ce quí
nous était garanti par la suspension d'armes.


Le prince de Neudultel me mandait qu'il fal-
lait tenir jusqu'au mois de mai suivant. La chose
était impossible. Je n'avais ni assez de subsis-
talll~es ni assez de trollpes pour une défense aussi
prolongée. Je le lui marquai, ma dépeche était
précise. Tout ce qui était possible nous étions
prets a l'entrepremlre; mais la bonne volonté ne
supplée pas aux moyens.


Dantzick, le 16 ¡uin 1813.


le MON PRINC)',


),J'ai re«u la Jettre que votre altesse m'a faÍt
»l'honneur de m'écrire de Neumarck le 5 juin.
J) M. Planat m'a . également remis la colléction
II des moniteurs renfermant le détail des batailles
» décisives gagnées par Napoléon sur l'armée
»combinée. J'avais, depuis la veille de l'arrivée
» de M. Planat, eu connaissance des brillants suc-
» ces obtenll5 par les armées de N apoléon. Ces
» heureuses nouvelles ont produit sur la garni-
» son le meilleur effet, elle a vu que je ne l'avais
» pas flattée d'un vain espoir; et la paticnce et
» le courage dont elle a fait preuve ont trouvé
n la récompensc qu'elles devaient attendre.


» L'armistice m'a été égalcment rcmis, et j'écri~




DU GÉNÉRAL RAPP. 297
\) particulierement sur cet objet a votre altesse.


)) Je ne dois pas lui dissímuler cependant que
)) ectte suspcnsion d'armes, dans l'état oú étaient
» les choses, ne soit plus défavorable qu'avanta-
)) geuse a la garnison; cal' les maladies occasio-
» nent encore une perte de onze cents hommes
» par mois, d'oú iI résnlte qu'au 1 er aout nous
») serons ene ore affaiblis d'environ dix sept cents
»hommes.


» Nos vivres en mItre se consommeront, et, si le
» clnc de Wurtemberg ne montre pas une mcil-
"lenre voIonté qu'il n'a faít jusqu'ici, nons ne
)) ferons guerc J'économie sur ce que Hons au-
n rions pu mettre a part des subsistances qu'il doit
)) nous fournir. Mon état ne m'inquiéterait pas jlls-
)) (Pl'aU mois d'octobre, mais passé cette époque
» ma position deviendra pénible; car nons man-
)) querol1s de 1ras ponr défendre l'immense déve-
») loppcment donné a nos fortifications, de vivres
» ponr les défensenrs, et nous n'aurons pas plus a
»espérer de ressources du dcdans que dn dehors.


)) L'ótat de composition de la ration depuis le
» blocus fera connattre a votre aItesse que j'ai
»apporté daIis la distribution des vivres toute
)) l'écoIlomie que commandait notre position, (~I
n que j'ai employó acette fin toutes les ressourccs
)) dOllt on pouvai t tirer partí; mais ces ressource:-




.rIEMOERES


"s'épuisent, et ce serait vainement qu'on compte-
)) rait sur celles qui pourraient etre la suite de l'ex-
»pulsion des habitants; en effet, il ne faut, pour
» se convainerecle cctte triste vérité, que se rap-
» peler qu'il y a deux ans Napoléon fit reqllérir a
Ji Dantzick six cent mille quintanx de grains, opé-
'ration qui fut exécutée tres rigollreusement. On


Ji ne laissa a eette époque que vingt trois mille
Ji quintaux pour la subsistance des habitants. De-
)) puis ce moment, ceux-ci ont vécu ave e cette por-
» tion et quelques minces quantités qn'ils avaient
',sonstraites aux recherches les plus séveres.


)) J'ai exposé plus hant a votre altesse la perte
1) mensuelle que nous occasionent encore les
) maladies. L'état de situation des troupes pré-
') sente un effeetif de vingt mille cinq cent cin-
» qllante huit hommes, ce qui suppose, d'aprt>s
') les dOllnées trop certaines qne nOllS avons déja,
., que la garnison sera réduite a la fin de l'armis-
.) tice a vingt mille hommes, dont il faut dédllire
ji au moins deux mille aux hopitaux, en sup-
o posant meme que les privations n'augmentent
.) pas les maladies. Que serait-ce done an mois
» de mai, lorsqlle b progression de'mortalité que
)) l'état actuel des choses suppose aura encore
') lIloissonné beaueoup d'hommes? .. Il résulte dn
.l calcul qu'on pellt faire, qn'en admettant que les




DU GÉNÉRAL RAPP. 299
.) maladies el'hiver ll'augmentent pas beancoup le
) nombre des morts et qu'il n'y en ajt que milJe


») par mois, que la perte serait au 1 er mai de huit
») mille, sans eompter tous ceux qni périront dans
» les affaires ou par suite de blessures. Il ne res-
.) terait done au 1 {r mai (!U'Ull effeetif de onze
') mille hommes, sur lesqllels il y en aura cer-
;) taillcment trois mille aux hopitaux: 01' commenf
¡) défendre avec une si faible garnison des forti-
») fications aussi étendues .


. ) J'ai déja donné des ordres ponr la constrnc-
¡ tíon ¡{'ollvrages destinés a défendre la trouée


,) de Moulan, point extremement faible lorsque
,) les rivieres seront gelées. Je fais tra vailler d'ail-
,) leurs a tout ce qui peut assurer mcs commu- .
) nications ; mais, je le répete, il faut des défen-
"seuI's. Votre altesse ne doit pas douter que, si
+ cela devenait néeessaire, je ne fasse ponr me
jI maintenir dans un point queleonque de Dant-
»zick tout ce que l'honneur et mOll dévouement
1) a l'empereur pourront me suggérel'.


)) L'état des magasins pro uvera a votre altesse
») que nos ressources sont bien bornées; elle cloit
') peuser que je les ménagerai avee tout le soin
» que m'inspire le désir ele faire une défense
¡) honorable : e'est ponr parvenir a ce but que
)) j'ai fait entrer clans la commission des approvi-




:>00


» siounements que la loi a instituée dan s les pla-
)) ces en état de siége un nombre bien plus consi-
» dérable de memhrcs que ceux qu'elle détermine.


»Je les ai réunis sons la présidence du génér:ll .
» de division comte Heudelet. Cette commission
» est chargée de me proposer toutes les mesures
)) qui peuvent tendrc a l'économie et au bien-etre
» du soldat; elle a rendu de gramls services, et je
» suis faché de ne pas lui avoir donné plus tat les
» attributions qu'elle a aujourd'hui.


»L'article des finances mérite une attentioll
» bien particulit'~re de la part de l'empereur el
» de votre altesse. Tous les fonds quj <lvaient été
» laissés a ma disposition ont été consommés ,
71 et j'ai été obligé d'avoir recours a un emprunt
)) forcé, que j'ai imposé a ceux qui étaient suscep-
') tibIes de donner encore que]que chose. Cet
)) emprunt s'est exécuté avec les formes les plus
) rigonreuses envers ceux qui prétendaient ne
» pouvoir contribuer a la défense commnne;
» mais, quelques soins qu' on se soit donnés a cet
négard, et quoiqu'on ait allié toutes les mesures
)) qui pouvaiellt conduire a des résultats pro-


)) chains, on n'a pu obtenir jusqu'ici qU'Ull milliolJ
)) sept cent mille francs, et on aura bien de la
» peille a faire rentrer le reste.


)) Les (lélwnses ele la solde, r1('~ mas~(~s qll'í I




DU GI~NÉRAL lL\PP. 301
» est nécessairc de payer; eeHes des eonstruc-
" tiOIlS du génie, quant a ce qui concerne la main-
» d'reuvre (cal' on prendra par r~quisition payahl(~
JI au débloeus, ainsi qu'on l'a fait depuis deux
,) mois, tous les matériaux qui sont dans la
1) place); ceHes de l'artillerie, ce Hes des hopi-
» taux, des différentes branches de services, des
)¡ subsistances, c'esHl-dire encore tout ce qui est
)) jouruées et maill-d'reuvre; les constructions de
)¡ la marine, l'habillement; toutes ces dépellses,
1) dis-je, dont j'ai fait faire l'évaluation, se mon-
JI tent a plus de neuf eent mille franes par mois.


)) Une maison de commerce étrangere a offert
/) de faire iei des faneis moyennant que le payenr-
¡) gélléral lui assure son remboursement a Paris.
) Ce serait un granel point de tranquillité si je
)) voyais eette affaire réglée; mais je. préférerais
,) que les fonds me fussent envoyés, cal' il peut
J) arriver telle circonstance qui arreterait des
) le second mois le paiement convenu. Votre


1) altesse pense bien qu'il n'y a pas moyen de
JI songer a ne pas payer exactement les dépenses
J) ci-dessus indiquées, surtout avec une garnison
)) eomposée comme ceHe que je eommande; je
" la supplie done de solliciter de sa rnajcsté des
1) mesures qui pnissent assurer le paiemellt des
¡) sommes qui me sont n(~cessajres.




Ml~MOIRES
"Je ne dois pas terminer sans faire observer a


»votl'e altesse que la quantité de poudres qni
» existe encore daps nos magasins n'est pas a
II beaueoup pres en proportion avee eeHe qui se-
» rait néeessaire pour un siége.


» Enfin, monseigneur, .fai dli vous faire a
» l'avance toutes ces observations, qui roulent
l) sur l'illsuHisance (les défenseurs, sur ceHe des
» moyens de subsistan ce, sur les fonds nécessaires
» a nos dépenses obligées, enfin sur nos appro-
), visionnements en tous gen res , qui ne so~t pas
)) a beaucoup pres en raison des besoins a venir.
» Je supplie donc votre altesse de mettre sons
»les yeux de l'empereur la POSitiOIl faeheusc
"dans laquelle nous nous trouveroll5, si 5a ma-
» jesté ne vient pas a notre aide. Ce qui reste de
» la garnison est d'ailleurs exceUent, et l'on peut
» compter de sa part , au moyen de quelques r~­
J) compenses bien appliquées, sur un dévoue-
»ment sans bornes. Elle fera tont ce que l'em-
» pereur peut attendre de ses meilleurs soldats,
» et justifiera la confiance que sa majesté lui a
)) accordée et la favenr qu'elle lui a faite en la re-
l) pla<.;ant au nombre des corps de 5a grande ar-
.,mée.


"Je suis, de.




DU GE:NÉRAL RAPP. :lo:>
Cependant l'armistice touchait a sa fin. Les


troupes, les munitions, l'artillerie de siége, af-
fluaient elevant la place. Bient6t nous eumes en'
présence ttois cents pieces de gros calibre et
soj~ante mille combattants. Cette disproportion
était immense; mais nous avionsvaincu malades,
!lOUS pouvions espérer de vaincre encore. Il ne
nous fallait que des subsistan ces. Les Russes en
étaient si convaincus qu'ils donnaient la chasst'
aux moilldres embarcations qui allaient a la peche.
Leurs canonnieres en avaient meme capturé quel-
ques unes, qui pourtant n' avaient pas dépa~sé nos
limites. J'expédiai de suite un parlementaire a
i'amira1. Je lui représelltai que la mer devait etre
libre jusqu'a une lieue de la cote, et que .le saurais
faire respecter les conditions de l'armistice si 011
essayait encore d'y porter atteinte. Il promit de
s'y conformer et de ne plus inquiéter nos canots.
Il ne les inquiéta plus en effet; mais des le soir
méme il fit enIever nos malheureux pecheurs, re-
tirés sans défiance dans leurs cabanes. Il craignait
l'abondance que quelques livres de poisson al-
taient apporter dans la place. Les paysans, les
cours d'eaux, n'étaient pas mieux traités.On tra-
quait les unS,OIl détournait les autres. Il sem-
blait que tout était occupé a Hons faíre parvenir
des subsistances, qu'elles nous arrivaient p:u




MÉMOIRES
toutes les issues; j'avais beau réclamer, on ne
manquait jamais de défaites ni d'excuses. J'étais
outré de ce systeme de déception. Enfin le prince
de W olkonski me dénont;a la reprise des ~os­
tilités; je ret;us cette nouvelle avec une véritabIe
satisfaction. N os rapports étaient trop désagréa-
bIes pour que je ne désirasse pas les voir finir.




nu GÉNÉRA L RAPP. :>05


e H A PI TRE XLII.


L'ennemi était plein de confiance; il combattait,
iI intriguait, iI se flattait d'emporter la place ou
de la réduire en cendres; mais toutes ses tentatives
échouerent devant la vigilan ce et l'intrépidité de
mes soldats. Ses fusées incendiaires vjnrent se per-
dre sur les remparts; ses attaques furent repous-
sées, et ses émissaires découverts. Plusieurs de ces
mis{~rables s'étaient déja introduits dans nos ma-
gasins, et se disposaient a les incendier. J'eusse
peut-etre du en faire un exemple; mais je crai-
gnis que cet exempIe ne fut dangereux, je crai-
gnis qu'iI ne donnih l'idée du crime él ceux qui ne
l'avaient pas, et qu'il ne rt'~pandit l'alarme parmi
les troupes. Je feignis de croire qu'ils avaient
voulu détourner quelques comestibles, et les
renvoyai; mais je publiai contre le vol des 01'-
don nances si séveres que je tins la malveillance
a l'écart.


Apres trois jours d'humiliations et de fatigues
les assiégeants réussirent en fin a s'emparer du
bois d'Ohra. Chassés presque aussit6t, ils repa-


20




.30(j


raisSt~nt avec de nouvellcs fórcps, t't replit'Jlt 1('
poste. Le bataillon de servicc prcm[ lllJ(' secondc
foisles armes, et vole a S011 SeCOlII'S. Le major
Legros attaque le bois, dellx compagnies dp gre-
nadiers se portent au village; les troupes se joi-
gnent, elles se pressent, se poussent, se culblltt'nt;
la melée devient affreuse. Le capitaine Capgrall
saisit aux cheveux Ull officier prussien; tandis qll'i 1
le terrasse, lui-méme est sur le point de perdr('
la vie; un soldat ratteint déja de sa balonnette :
le lieutenant Sahatier détourne le coup, serre lf'
eosaque, et lui passe son sabre au travers du
corps; mais au moment oú il salive son chf'f, jI
re~oit a la gorge lIlH' b1essure (Jui le force de
qnittcr le champ de hataille. Dalls le bois, dans
le village, partout les Russes sont accablés; le C<l.-
pitaine Duchez en abat quatre; le commandant
Charton, les lieutenants Dcvrine et Rlanchare!,
les moissonnent a pleines mains; une {ou [p de
braves se répandent au milieu d'eux, et accrois-
seut le (lésonlre. Francoll, <lont la "alenr fut
qudque temps aprés si f;nncuse, Martin, COI/-
ture,Rochette, Schiltz, Lepont, J1ennot, Soud(~,
Paris, Belochio, tous sOlls-officiers de trollpps
légáes, le carabinier Riehida ~ le tamhour Brt'i-
gnier, percellt jllsqu'all c!'ntrf' de leurs colOlll1es
el les li\Tent an fer de nos soldats.




DU GENEHAL HAPP. 30~
I


Des troupes fralches prennellt la place de ceHes
ql1i semI dd~tjt<~s, et s'étabhssent dans le bois; nos
bravco¡ s'élancent sur les pas du lieutenant Joly
Delatour, les abordent et les culbutent. L'en-
nemi néanmoins ne perd pas courage; il se re-
forme, el se présente une troisieme foís: mais,
toujours vaincu, toujours taillé en pieces, il
cesse enfin ses attaques.


Des )-e lendemain il se jettc sur Stries, Heili-
genbrunn, et s'empare de Langfuhr. Nos avant-
postes se replient sur deux blokhaus, situés 3
droite et agauche du village. Les Russes les sui
veut et Sí:' disposent á donner l'assaut; mais les
Polonais tirent si hien et si juste qu'ils les for-
cent a la retralte. Ils reviennent en [orces, ils COll-
vreut, ils inondent les gorges du Jesch Kenthal;
ils mcnacellt Heiligenbrunn , ils débouchellt par
Stries; toute ma ligne est en feu. Ces maneeu-
vres ne laissaient aucull doute sur leurs inten-
tions: iI était palpable qu'ils avaient des vues sé-
rieuses sur Langfuhr; je résolus de les prévenir
et de marcher a leur rencontrc. Je rassemblai
líies troupes, la gauche au village, le centre dans
les ravins de Zigangellberg, et la droite s'éten-
dant jusqu'á Ohra. Vingt-quatre pieces de canon,
conduites par le général Lepin, se placent a
"gales distances des deux ailes; elles ouvrent


'-


20.




.)U~ .:vI EMO lB 1': S
3ussit('¡t le feu : les reuoutes de l'ellllenú, ses
masses, son camp de Pitzkendorf, I.Ollt est si!-
lonné par nos bOl/lets; nons d¡'montons deux
de ses pieces, Les Polollais, les Ravarois, les
Westphaliens, et deux ceut cinquaute chcyaux
commandés par le général Farine, débouchelll
en meme temps. Le brave Szembeck, déja aux
priscs avee les Russes, les chassatt de Diwelkau;
des que 110S soldats aper~oivcut ecUe déroute,
il:; s'éehauffeut., ils s'animent, ils foudent sur les
redoutes de Pitzkendorf. Les alliés, refoulés dans
¡eH!'s ouvrages, essaienten vaill de se défendre; le
¡elllle Centurione a la tete de ses hussards franehit
lous les obstacles, et tombe perd de eoups. A la
yue de cel excellent officÍer llloissOIlUé dans un age
aussi tendre, la soif de la vengeance aHume tons
les courages : infanterie, cavalerie, se jettent pele-
mete sur les redoutes. Le trompette Bernardin,
le chasseur Olire, le maréchal-des-logis Roueher,
s'élaneent au milieu des Russcs; le lieutenant
Tirion, accueilli par un coup de fe ti , va droit a
l'officier qui les commande, et le fait prisonnier.
Des lors ce n'est plus uu combat, c'est une bou-
cherie, c'est un eamagc; tout périt son s la baion-
llette, ou ne doit la vÍf~ (jI/a la c1éml'Ilce du nin-
queur. Tandis que llOS soldats s'abandonncllt au
feu de leur cO!lrage , une 11llée de Cosaques rond




D(5 GI~NtB AL BAPP. :)00
sur eux d menace de les tailler en pieces; mal'i
le gÓlléral Cavaignac s'óbranle si a propos avee
la réscrve de cavalerie, les trnupes chargent
avcc tant d'abandon, l'adjuclant-commandant (le
Erens, les chefs d'escadron Bel et l.eluski, les
capitaines Gibert, Fayaux, Vallier, Pateski ('t
Bagatho, déploient tant cl'intelligence et de COII-
<]uite, que l'ennerni culbuté se disperse dan s lp
plus affreux désordre.


La canonnaae s'échallffait de plus en plus.
Les Russes occupaient toujours le Johanisberg ,
le platean ell avant de Pitzkendorf, et assaillaiellt
Langfuhr a vec violellce. Je détachai contre enx uu
hataillon de la Vistllle, sontenu par les Napo-
litains que commandait le général Détrécs, ayallt
sous ses ordres le général Pépé, (¡ue les évélH~­
lI1ents snrveUllS daus sa patric out depuis rendu
si famctlx. Le brave Szernbeck commen<;;a l'atta-
<ple ;<elle cut lieu avec heallcoup d'ensemble ('t
d'impétuosité. Les Russes culbutés it COllpS df'
balonnettes, renversés par des charges meurtl'i(~­
res, chcrchent leur salut dans la fuite. Les Polo-
nais les pressent avcc plus d'audace: le tambour
TlInde en saisit un par sa giberne, l'arrache des
l'angs et ledésal'me. Le capitaine Fatezinsky ouhlip
qu'il cst blessp; il s'élance aans une !Uaisoli qn'ils
oC('tlpent, ll/(·Ipur chefeten bit trente prisollllicr~;.




310 l\TEMO I RES
Les N apolitaills ne sont pas moins impétucux;


ils se pressent a la suite des fnyards, les pous-
sent et les fusillcnt. Le général Pépé, le colone!
Lebon, les commandants Balathier, Sourdet,
les capitaines Chivandier et Cianculli, dirigent,
excitent le11r courage, donnent a la fois le pré-
cepte et l'exemple.


Sur le flanc opposé de la montagne, la melée
Il'était ni moins opiniatre ni moins sanglante.
Ail signal convenu, le colonel Kaminsky a~ait
marché sur les Russes et les avait débllsqllés; iI
les chassait devant lui, la poursuite était arden te.
Des renforts surviennent, l'f'nnemi \'cut faire
tete a l'orage; mais les Polonais le pressent avec
impétuosité : Roseizensky, Drabizclwsky, Doks,
Zaremba, Zygnowiez, que sllivent des hommes
dévoués, fondent sur lui, et le taillent en pieces.


Nous étions maitres du Johanisberg. Le temps
était affreux, et l'ennemi fuyait an loin. 'e fis
sonner la retraite; elle s'exéctl la dalls l'ol'dre le
plus parfait. A six heures tont était tranqllille.
Mais les Russes ne tardent pas a reparaitre. Ils
attaqnent á la fois le belvédel', les hantcurs
d'Heiligenbrnnn', et engagent une fusilladc des
plus vives; néanmoius ils ne pell\ellt obten!r le
plus léger avantage. Le colouel KamiJlsky et It·
commandant Szembeck dppIoieut lln cOHrag(~ ~




DU (~ENERAL RAPP. .) 1 1
l!1le habileté qui les déconcertellt. lis se retirenl,
Illais en meme temps deux bataillolls SOlltCllllS
parllne cavalerie nombreuse se pOl'tcnt sur lf~ vil-
lage de Slries. Kamiusky aceoar!: pour le dé-
leudre. Aussitot les Russes rcviennent a la charge;
ils escaladeut Les hautenrs, ils assaill~nl le hpl-
,,/'del', poussellt, pressent lCllrs attaques. Toutes
IClIrs tentatives échouent contre les excellelltes
dispositions du major Deskur, et la bravollrc
(les chefs de bataillon Johman et Robiesky.


Ce n'était pas la premiere diversion 'qu'ils teu-
Lalent. Déja ils ilvaiellt replié nos avant-postes
delmis Schidliz jusclu'a Ohra : attaqllé de frollt ('1
en flanc, le major Schneider !le se sOLlteuélit dans
cc fanbourg qu'a force de courage. Tout á coup iI
apen;;oit une coIonne nombre use qui s'engage im-
prudemment dalls la grande rue : il la charge ,
il la mitraillp, iI l'anéalltit. L(~ gónéral Hussoll
survient a vec la réserv(~. N OIIS reprenons I'ofl'en-
sive; en un instant le bois, le village, SOllt cu-
ie,,(~s, et les Russes mis uans le plus affreux dés-
orclre. Le chef (le batailloll Bonlanger en dés-
~lrllle huit; un sergent blessé d'llll conp de fen,
le bra ve Veste!, trois; le sOlls-officier COI'lIlI dp-
li vre un des nótres, et fait mettrt~ has les armes
a I'escorte qui I(~ conduisait.


J'étais de j)1)!l\,{';[ll maltl'P du .Iohallisbcrg ('1




312 MÉMOIRES
de Langfuhr, mais ce succes ne pouvait etl'c du~
rabIe; les Russes, revenant continuellement a la
charge avec des troupes fraiches, devaient fi-
nir par l'emporter. D'ailleurs ces deux positiolls
étaient si éloignées qu'clles ne pouvaient ni me
nuire, ni m'etre bien utiles. Je donnai en con sé-
quence l'ordre de les évacuer, si les alliés se
présentaient en force. Mais l'audace avait fait place
a la réserve. Ils craignent de s'éloigner des hau-
teurs; ils n'osent prendre possession d'Ull village
abandonné. Impatients néanmoins de s'en remIre
maitres, ils engagent une action générale ponr
s'emparer d'un poste que j'avais résolu de ne pas
défendre. Les troupes prennent les armes; la
fIotte les soutient. Toute ma ligne est atta-
quée: quatre-vingts canonnieres tonnent de con-
cert, foudroient Newfahrwasser. Schelmulle,
N ew-Schottland, Ohra, Zigangendorf, deviennent
la proie des flammes. L'ennemi se répand comme
un torrent dans la plaine; il renverse, incendie
tout ce qui s'oppose a son passage. J'accours au
milieu de cet affreux désordre. Mais déj:'t les
Russes deviénnent moins impétueux; ils échouent
devant une paignée de braves que commande le
major Poyeck, et laissent les avenues de Ka-
brun jonchées de morts. Je les fais suivre : le
bouillant Gibert accourt avec ses chasscurs; le




DU GENÉRAL RAPl>. :'jI:'
capitaine Maisonnell ve se joint a iui; iis poussent,
ils ébranlent eette multituue en uésordre e t la
jettent dans Schelmnlle. Elle se rallie aux troupes
qui occupent le village et soutient, sans se rompre,
les décharges meurtrieres du capitaineOstrowsky;
mais tournée pres(lne anssitot par le capitaine
Marnier, un des plus braves officiers de l'armée
fran(,;aise, elle fuit, elle se débande, elle cherche
un refuge jusque sous les décombres des b;\ti-
ments qu'elle a livrés aux flammes.


La melée n'était pas moins vive a Langfuhr :
assaillis par douze mille Russes, nos postes lut-
tent, se débattent au milieu de ces épaisses co-
lonnes. Le sergent Szhatkowsky eut besoin ele
toute sa bravoure pour échapper aux eosaques.
Occupé a une construction en avant dn village,
11 avait été, lui treizieme, enveloppé par ces
troupes irrégulieres; il rallie aussitot ses travail-
leurs, fait face d'un coté, attaque de l'autre; il
marche, il combat toujours, et se dégage enfill
sans perdre un homme.


Les Russes humiliés se portent au village. Deux
maisons que j'avais mises a meme de résister a
un coup de main en défendaient l'entrée: ils les
tournent, ils les pressent, ils les escaladent; mais
une fusillade meurtriere les renverse et les force
a s'éloigner. Pour surcroit de maux, les Napoli-




ilÜ:JIOl RES
tains paraissent et les attaquent. Le coloud j ,(:.-
bon, le colonel Dégennero, presseut, romp('llt
la cavalerie, el pénetrent uans Langfuhr. ElI/'
revient a la charge plus nombreuse et plus fii're :.
elle profite des obstacles, saisit l'a-propos, et s't'--
lance sur nos bataillons épars dans les rues. lJ n('
melée sallglante a lieu: le brave Paliazzi tomb!'
percé de dix coups de lance; les capitaines Ni-
colaü, Angeli, Dégennero, sonl couverts de
blessu-res et forcés d'évacuer le champ de La-
I aille. En vaill l'intrépide Grimaldi, en vain les
lieLltenants Amato, Legendre, Huberl, POllza,
Gomez et Zanetti, veutent faire tete ú l'orage; 1('
nombre l'emporte ; nous 50mmes forcés a la rc-
traite ... Quelques braves, engagés trop avant,
ne peuvent suivre et sont coupés: loin de se lais-
ser abattre, ils s'exaltent a la vue du Jaugel' et s(~
rallient autour de l'adjudant-major Odianli. II~
avancent, ils tournent, ils rétrogradent et ga-
gnent enfin les maisons crénelées. Déja elles
étaient assaillies pour la deuxieme fois : les al-
liés, furieux, se jettent sur les palissades; il~
les arrachent, et semblent devoir triompher de
tOllS ces obstacles·; mais cOllchés (hus la pous-
siere a mesure qu'ils se décOll\Tent, ils (kst'spt>-
rCllt bientot du snccés : 1)(' puuvanl les eHl-
porter, ils les livI'ent allx flamllH's. Nos br;\\(";




DU GliNÉH..AL j{ APP. ,)1.)
ne sont point óbranlés : les uns eontjnuent la
fnsillacle, les autres éteignent le feu; et l'ennell1i
n'est pas plus avancé.


Une fumée épaisse nous dérobait les deux mai-
sons; j'ignorais si nos troupes les' occupaient eu-
eore, ou si les alliés s'en étaient rendus maitres.
Des rapports l'anuon<;aient : je résolus néan-
rnoins de faire une tentative; mais les balles
parties des maisons tombaient a flots sur nous ;
je conclus qu'elles étaient perdues. Une circon-
stance rendait la chose vraisemblable ~ la fusil-
lade avait cessl' el l'incendie était flagrant . .le
répugnais cependant a croire qll'clles CUSSCllt été
rendues . .Te les tis de nouv~;m r,~connaitrc : les
alentours de ces deux postes étaient jonchés ele
cadavres vetns de capotes blanches; abusé s par
la canlcur du costumc, les officiers que j'avais
expédiés se persuadérent que les Ravaroi.s avaient
péri: tous l'assuraiellt, tous en étaient convaill-
cus. La perte d'aussi braves gens était pénible,
et méritait bien de ne pas etre adrnisp sur des
apparences. Je chargeai un de mes aides-de-call1p,
le capitaine Marnier, de savoir an juste ce CILI'il
en ctait : eette missioll ne pouvait pas lui dé-
plaire; ji avait, a la batai11e d'Deles, somrné
une di visioll espagnole ele mettre bas les armes?
f't I'avait ;¡Tllen~e : les lauces des Cosaqlws IH'




Mt~MOIHES
devaiellt pas l'arreter. A la pointe au jour, il sor!
de Kabrun avec huit hommes qui demandelll it
le suivre; il se porte a la course vers la maisull
de droite. Aussitót les barrieres s'ollvrent, Ir'
poste se joint a lui, et fait sa retraite malgré les
Husses qui accourent ponr l'enlever.


Restait celui de gallche; mais le plus difficile
{'tait fait. J'avais la certitude qn'il existait en-
cure; je donnai des ordres ponr qu'il mt secourll.
Un bataillon s'avance : a peine l'eurent-ils apen,'1l
que ces admirables solrlats placent leurs b lessés
au milieu d'enx, et fondent sur les alliés. PllI-
sieurs sont atteints; le bravc Dalwick rc<:oit une
baIle qui lui fracasse l'épaule gauche; mais il n'ell
continue pas moins de combattre avec courage.
La melée devient de plus en plus sanglante. Les
Bavarois, qu'échauffe le noble dessein de sau-
ver leurs eompatriotes et qll'en{]amme encon'
]' exemple de deux ufficiers intrépides, l' adj udalll-
major Seiferlitz et le lieutenant MllCk, se préci-
pitent sur l'ennemi, le rompent et dégagt:1I1
enfin eeHe poignóe d'hommes dévou{~s. Ils firelll
une espece d'elltrée triomphale: chacun voulail
les voir, youlai't les féliciter; OH s'entre!ellai¡ dI'
lenr eonstance, on vantait leur résigllation. Seuls,
abandonnés a eux-nH~mes, sans vivres, sans mUlli-


I


tions, cOllsumés par la soif, sulfoqaés par l'incPll·




J) [J (; It N Ji JU L TI A PP. .) J 7
die, ils avaient bravé les menaces, repollssé les
sommations et rejeté avec dedain les insinuations
de l'enllemi. C'{'tait surtout le capitaine Fahrebeck
(Ju'on accablait d'éloges; on admirait son sang-
froid, on exaltait son courage; sa fermeté, sa
prudence, étaient le sujet de toutes les COllversa-
tions, lc texte de tous les entretiens. Il était natu-
rel que je témoignassc a ces braves combien j'étais
satisfait: je mis a l'ordrc du jour les périls qu'ils
avaient affrontés, les dangers qu'ils avaient cou-
rus, et j'établis les blessés dans mon hotel.
Chaque jour je les visitais; chaqne jour je m'in-
formais de leur situation et m'assurais que leurs
besuins t'~taient satisfaits. Un officier qui avait
toute ma confiance, M. Romeru, était en mItre
chargé de leur prodiguer les soins, les con so-
lations que je ne pouvais lenr donner moi-meme.


Des que l'cnnemi fut maltre de Langfnhr, il
mit la main a l'reuvre : c'étaient ouvrages sur ou-
vrages; ilne discontinuait paso Son dessein était
de me resserrer de plus en plus et de me con-
traindrc a m'enfermer dan s la place : ce projet
était admirable; il ne s'agissait que de l'exécu-
ter; la chose était moins faciJe. J'avais couvert Je
front d'Oliwa ct cclui du Hagelsberg par un camp


'retranché formidable; ncuf ouvrages le compo-
saicnt : la lunctte d'lstrie occupait le point cul-




.MtJ\IOTH ES


minallt des hallteurs qui domint'llt le fort et la
gorge d'Hagelsberg; elle était f1anqupe par les
hatteries Kirgener et Caulinconrt. On choisit en-
suite, parná les mamelons qui se trouvaienl. entre
ces onvrages et l'allée de l,angfuhr, cenx qui
étaient le plus avalltageusement situés , et on les
fortifia. Voici guelle était la disposition de ces
redolltes : en partant el!' la droite ele Caulincourt,
la reJoute Romeuf, la batterie Grabowsky, la
redoute Deroy, la batterie MOlltbrun. Enfin,
pour compléter eette ligne de fortifications et la
prolonger jusqu'a la Vistllle, OIl établit encore
deux batteries; l'une, Jite de Fitzer, au travers
de l'allée de Langfllhr : l'aul1'(,, COllIllle sons le
nom de Cudill, (;tait 1111 pet! pllls f,joignée; elle
s'appuyait a une inondatioll artificielle qui s'é-
tendait jusqu':'t la digue de gauche de la Vistule,
et formait la droite de toute la ligne, qui renfer-
mait enco1'e deux batteries plad'es Je l'antre
coté du fleuve. TOllS ces ollvrages étaient palis-
sadés, mllnis de logements et de magasins á pou-
dre. Je fis en outre construire deux camps de
baraques : J'un de quatre cents hommes, vcrs
l'extreme gallche, derriere Kirgener; et l'antre,
pour cent cinquante, derriere Montbrull. La
partie de cette ligne gui s'étend de Montbrun
jusqu'a Cudin fut 1ipp par une espece de chemin




In; (; E N EH\ L H.\ PP. ;)19
convertí ce/le qu; se prolollge sur la ganche étai t
slIffisammellt garantie par les difficultés du ter-
rain; je pensai d'ailleurs qu'il fallait se ménagel'
la bculté de prendre l'offensive dans une portion
de ces ouvrages.


Ohra fnt également mis e11 état de défcnsl'.
LIne masse de maisons qni communiqllaient en-
tre elles et dont les portes, les croisées, avaient
été fermées avec soin; eles parapets, des palis-
sades, qui n'avaient d'issue qu'une langue de
terrr comprise entre deux flaques d'eau assez
profondes, formaient un retranchement avapcé
COflIlll S011S le 110m de premiere coupllre d'Ohra;
la ¡/PI/\.;(\mf>, si tuée il dell'X cents toises en a1"-
ripre, {~tait composée des m~IlIes (~léments, ('t
s'appnyait a un grane! couvent dr jésuites qui
avait été crénelé. Les hautenrs et les gorges qui
pemlent vers le faubourg furent fortifI.ées; les re-
doutes dont elles fllrent revétnes mirent 1'el1-
nemi hors d'étal de 1l()IlS tOlfI'I1er, el devinrent
bientot fameuses SOIl;; le 110m de batler;es et d'él-
vancées Friolll.


Pendant que nous f'x&cutiolls ces travanx, l'cn-
Ilcmi venait fi.'équemment s'exf'rcf'r contre nos
av ant-po~tes : Schidli1z, 011ra, Stolzenbcrg,
daient tour a tour l' objet <le ses attaques. Re-
poussé sur tOllS les PUillb, il tt'llte une surprisl'




MÉMOIRES
sur Hcubude; mais 11 se jouait a plus fin que lui :
le commandant Carré, vieux militaire plein de
vigilance et de ruses, apert,;oit ses colonnes, réus-
sit a les mettre aux prises, et se retire san s perte
d'une position critique.


Tont honteux de cette mystification cruelle,
les Russes se fIattent de prendre lenr revanche
a Kabrun. Ils l'ent0urent, ils l'escaladcnt; mais,
accueillis par une fusillade meurtriere que di-
rige le capitaine N azzewski, lIs s'éloignent et
laisscnt les fossés remplis de morts. Ils se por-
tent de nouveau sur Schidlitz : mis en fuite une
premiere fois, ils reviennent a la charge avec
une vigueur, une impétuosité Ilouvel1e; mais
I'adjudant-major Boutin, les capitaines Kléber
et Feuillacle exaltent si bien nos soldats, qu'ils se
jettent sur les alliés et les enfoncent.


La fIotte n'était pas non plus oisive : le !¡,
des la pointe du jour, elle reparait en ligne;
elle avait échoué la surveille d:ms deux attaques
consécutives, et dépensé en pure perte plus de
sept mille coups de canon. La honte, la soif de
la vengeance, tout l'excitait a combattre : ce fut
l'cxplosion o'un volean. Les frégates et les canon-
nieres tOllnent a la fois, et nons couvrent d'un
déluge de projectiles; mais, 101n de s'cffrayer,
nos batteries redoublent de calme el de justesse.




DU GÉNÉRAL RAPP. 32t
Officiers et soldats, tons s'élevent an-dessus du
danger et ne songent qll'a la victoire. Un canon-
nier chargé de l'écouvillon a le bras emporté;
le capitaine Pomerenski s'en empare et fait le
ser vice. Le sergent Viard sert une piece qui tire
a boulets rouges, et pointe comme au polygone;
le"lieutenant Milewski ajuste, sllrveille les siennes,
coule une canonniere, en endommage d'autrcs ,
et les force d'évacuer le champ de bataille. Le
capitaine Leppigé, le sergent-major Zackowski,
le sergent Radzmiski, le caporal Multarowski,
donnent les exemples les plus admirables de
sang-fl'Oid et d'intelligence. Le capitaine Henrion ,
le lieutenallt llagueny, le capitaine de frégate
Roussean, les marins Dcspeistrc, Coste, les capo-
raux Davis, Dubois, s'attachent. allX pieces, et ne
cessent de combattre que lorsque l'ennemi a pris.
la fui te. La fIotte, convainClle de l'inlltilitéde ses
efforts, gagne le large avec la satisfaction d'avoir
tiré neuf mille coups de canon ponr nous tuer
dellx hommes: elle nous avalt aussi démonté
deux pieces; mais elle avait perdu deux canOll-
uieres; neuf autres étaient fortement endom-
magées, et ses frégates criblées d'obus et de bou-
lets.


N ous cumes bientot un ennemi plus redouta-
hle a combattre. Tout a coup la Vistule s'enfIe;


2 )




MÉNlOIRES
elle franchit, elle rompt les digues et s'échappe
avec impétuosité. La place, les fortifications,
deviennent la proie des flots. Les ponts sont
emportés, les écluses anéanties, et les chauss~es
entr' ouvertes; les eaux, désormais sans obstacles,
s'cngonffrent dans les fossés et sapent les bas-
tions. Celui de Breren, celui de Braunn-Ross,
étaient en ruines, et il était a craindre qu'on ne
pút maintenir l'inondation Iorsque la Vistllle
rentrerait dans son lit: mais le génie ne s'oublia
pas clans cette circonstance désastreuse; a force
cl'habileté et de constance, il parvint a rétablir
les breches; et, quand le fleuve s'abaissa, l'inon-
<lation, alimentée par les branches fluj sillonnent
le 'Verder, n'éprouva qu'une variation de niveau
presque insensible.


C'était maintenant le tour des Russes : ils
avaient profité eles embarras que nous causait
la CI'lle des eaux; ils avaient élev(~ lntteries sllr
batteries, et le 15 novemhre ils en démasque-
rellt une vingtaine, armées de pieces du plus
gros calibre. La flotte vint aussi s'essayer elevant
nos forts. Des masscs el'infanterie étaient pretes
a danner rassaut des que les palissades seraient
Jétruites. L'action s'engage : trois bombardes,
quarante canonnierf's, vomissent le fer et la
flamme sur Newfahrwasser. Loin dp les abattrc,




DU GÉNÉRAL RAPP. 323
le danger enflamme nos soldats; ils jurent de
vaincre, ils jurent de pnnir les agressenrs. Les
troupes de ligne s'attachent aux pieces; l'artil-
lerie les pointe comme a la manamvre; elle en-
dommage, elle démate une foule de canon-
nieres. Tout a coup une explosion terrible se
faÍt entendre: un boulet a pénétré dans la sainte-
barbe, et le sloop a disparu. La meme déto-
nation se répete. On se félicrte, on s'encou-
rage; on brille d'imiter les braves qui tirent avec
cette admirable justesse. Trois embarcations de-
viennent presque en meme temps la proie des
flots, et la premiere ligne se retire toute cou-
verte de débris. La deuxieme prend sa place
sans etre plus heur.euse; et les divisions se suc-
cedent ainsi de trois heures en trois heures, sans
que le feu se ralentisse. Enfin, rebutée des ob~
stac1es que lui opposaient le courage de nos sol-
dats, les excellentes dispositions du colonel Rous-
selot, et la vigilallce du major Fran<i0is, elle se
retin' et va réparer ses avaries. Douze heures de
combat, vingt mille coups de canon, avaient
abouti a nous tuer ou blesser une demi-douzaine
d'hommes, et a nous endommager trois affuts.
Ce fut la derniere tentative. Quclques mois plus
tút elle eút été infaillible; malS a la guerre iI
faut saisir l'a-propos.


21.




321 MI~M()] RES
Les troupes obtinrent plus de sllcces. Elles


attaquercnt nos postes en avant d'Ohra, et s'em-
parer~lIt de celui de l'Étoile sur les hauteul's á
droite du village. Le JIlajor Legros ne lcur lais5<'
pas le temps de s'y étab1ir; quatre compagnies
(\'dite, S011S la conduite des capitaines Valard el.
Aubry, s'y portent sans délai. Elles surprennent,
elles taillent les Rnsses en pieces. En vain ils
reparaissent avec des troupes fra1ches; culhutés,
mis en fuite, ils se dispersent, sans néanmoins
perdre courage. Ils tentent un nOllvel effort;
mais, accueillis par une fusillade meurtriere, ils
se déhalldent et tombent SOllS le feu de deux
compagnies placée5 d~lI1s 1e vi Ilage de Stadgebieth,
qui les anéantissellt.




DU CÉN EH.AL RA P P. :):2.;)


CHAPITRE XLIII.


La saison devenait chaque jour plus apre. Les
pluies ue discontiuuaient pas et entretenaient
un brouillard fétide, qu'un saleil sansO chalenr
pouvait a peine dissiper. Mais, ce qui était bien
plus grave, la disette allait toujours croissant.
Les chcvaux, les chiens, les chats, étaient mau-
gr's; IIOI1S ;¡viOJlS ¡"puisé 100Ites nos ressources,
le sel meme noos manqllai!. TI esl. vrai que
!'industrie y suppléa. Quelc{l':s s!ld~tts imagint'·-
rent de faire bouillir des débris de vieilles plall-
ches, qui avaient autrefois servi dans un maga-
sin; l'cxp¡'~ricllcc r¡'·ussit. N ous exploitames cette
mine de nonvcllc especc, et les hopitaux fureul
approvisionués. La popnlation était réduitc allX
abais; elle ne vivait plus que de son et de dreche~
cucnre n' en avait - elle pas de qlloi se sa tisfaire.
Dans cet état de détresse, je pensai que les phi-
lauthropes alliés nerepousseraient pas des compa-
¡Tintes, et j'cxpulsai les détenus et les mendiants,
lous ccux, (~Il 11 ti mot, ({ui o'a vaient pas de suh-
sistauces.\Iais les Pl'tlssiens furent inexorahles ~




MÉMOIRES
et sans les habitantsde Saint-Albretch, ils les eus-
sent faít périr d'inanition. D'autres se dirigerent
du coté qu'occupaient les Russes, et ne fnrent pas
mieux accueillis. San s abri, sans aliments d'au-
cune espece, ils eussent expiré sous les yeux de
ces libérateurs de l'humanité, si je n'eusse pris
pitié de lcur misereo J e leur distribnai quelques
secours et les renvoyai chez eux. Plusieurs de-
manderent a etre employés aux fortifications, et
recevaient la moitié ou le quart d'un pain de
munition pour salaire.


Cependant l'ennemi avait perfectionné ses 011-
vrages De temps a aUITe il essayait ses batte-
ries, et semblait prélllder a une action plus sé-
rieuse. I~e 10, en effet, toutes sont en feu des
la chute du jour. La ville, le Holme, le camp
retranché de Newfahrwasser, sont inonclés de
bombes, d'obus, de boulets rouges. L'incendie
éclate et dévore le couvent des Dominicaills. Les
prisonniers russes soignés dans cet (~difice allaient
périr; nos solclats accourent et les arrachent a
la mort. Toujours plus arden tes , les {lammes
tourbilloIlnaient sur les maisons voisines et me-
na¡;aient de. les réduire en cendres. En meme
temps, les alliés se présentaient en force devant
nos postes d'Ohra et les repliaient jusqu'a Stadt-
gebieth. J'accours av ce le comte Heudelet. 1/en-




DU GI~NIÜtAL RAPP.
IH'ml clIlhul{; á la oaioIlllette essaie vainernellt.
de reveuir a la eharge; le général TIusson, le
majorLegros, repoussent toutes ses attaques.
Une méprise augmenta ses pertes. Denx de ses eo·
lounes se prennent pour enuemies, et en viellIlcllt
aux mains. Elles se reconnaissent aux cris df1s
blessés; mais plus de trois cents hommes étaient
déjá cOllch('s dalls la poussiere. De notre cot!",
1l0LIS en avions une eentaine hors de combat.


Des le lendemain il reparut devant les mai-
song sltuées au-dela de Stadtgebieth. Repoussé
df1UX fois, il Y mit lf1 feu. Quoiqlle chargé de
deux blessures, le capitaine Basset hésitait en-
core a les évacuer; mais le progres des flanmws
Ile tarda pas a l'y contraindre : ii se retira ell
combattant toujours. Maltres du village, les
alliés se précipitent tout d'une haleine sur le pla-
tean de t'Étoile, et s'en emparent. Les postes
(luí restaient sur le rampant de la montagne
étant. désormais lrop faibles, je les rappelai.
L'ennerni occupait. enfin la position; mais il );1
payait assez cher pour une simple levée de terreo


Plus il cheminait. du col" de Langfuhr, plus sa
position devenait facheuse; pris en Hanc et a rp-
vers, foudroyé par les batteries du Hoime, i I ne
pul bientot plus débollcher des redolltes qu'i I
avait élevées a Kabnm. Confus de s'etre m(';··




MÉMOIR ES
pris sur le véritable pointd'attaque, il porte, iI COIl-
centre ses forces sur les hauteurs d'Ohra. Il tentc
tous les moyens de s'en rendre maltre; je n'en né-
glige aucun de les défendre. J'améliore, je ml1lti-
plie mes ouvrages. Je mets a eontribntion toutes
les lumieres. Des officÍers supérieurs de chaque
arme, présidés par le général Grancljean, avisent
aux mesures qu'exige la súreté de la place. lls
mettent nos vivres, nos munitions a l'abri des
ravages de l'incelldie. Ils divisent les approvi-
sionnements, organisent le service des rompes,
et font construire des moulins , afin que si les
bombes venaient a détruire ceux qu'on possédait
encore, OH hIt a mt'me de les suppléer. Cepen-
dant le fen des alliés aIlait toujours croissant.
Les incendies snccédaient anx incendies et me-
na~aient de tont réduire en cendres. Tout a coup
les batteries se taisent, la fusillade est sllspen-
due. A ce silence inopiné, les habitants reprenuent
courage; ils courent, ils volent au secours des
quartiers embrasés. Malheureux! ils disputeut
aux flammes quelques pans d'écliüces, el la place
ton che a sa ruine! ...


L'ennemi n'avait cessó le fen que pour le rcndre
plus terrible. Des que ses dispositions sont faites,
il l'ouvre avec violcnce. Les batteries de l'l~toile,
eelles dll Johannisberg, de Kabnltl, de Schdl-




ülJ t;I~NERAL R.-\PP. :>29
mulle, de Lallgfuhr, tirent a coups redoublés pt
nous accablent de bombes, de fnsées et de boulets
muges. Les incendies éclatent; les édifices tOlll-
bellt,s'écroulent.Dalltzick ne présente plus que 1'i-
mage d'un volean dont les éruptioIls s'échappent,
s'éteignent, se reproduiscnt sur tous les points.
Les deux rives de la Moltlau, le Buttcr-l'darck, le
Poggenfull, le Speicher-lnsell, tout est cOllSnmé.
En vain les troupes accourent au secours; une grele
continue de projectiles triomphe de lenrs efforts,
et une perte de plusieurs millions vient aggraver
encore les malheurs d'une population désolée.


Nos fOfts, nos vill:lges n'étaient pas dans UlI
meilleur état; Ohra snrtout n'était plus qU'Ull
amas de cendres. Cinq batteries le foudroyaiellt
sans reLlche; des nuées de tirailleurs, abrités par
les accidents du terrain, nous accablaient de
halles, ct cntravaient le jeu de nos pi(~ces. La
premicre eoupare, presqlle :méan tie par le feu et
les houlets, résistait tonjours. Le major Schnci-
der la défendait avee 11l1e valenr, une sagacité
qui promettaient encore une longue résistance;
mais elle ótait sur le poin! d'etre prise par la
trauchée; je la fis f-vacuer. Je cédai égalemellt la
tete de Schidlitz. L'enllemi avai! essayé guelques
jours auparavant de S'(~ll rcndre maltre. Trois
cOlIl¡ngnies s'étaipllt pl'és(~lIlées dev aut uos posl<~s;




J~)O l\H~MOIHES
ehargécs av~c viglleur par le capitaiue Leclcrc el
le lieutenant Kowalzky, elles fUl'ent mises en
déroute, el chercherent leur salut dan s la fui te.
eette lel,{on ne fut pas perdue; les alliés revinrenl
avee des forces plus considérables, et s'y étahli-
rento Un aecident plus grave nous survint hien-
tot apreso Une bombe éclata dans un magasill
de hois et l'incendia. La pondre n'~st pas plus
prompte: en un instant tout est embrasé. Les
flammes, dévcloppées par un vent impétueux,
se cornmuniquellt de proehe en proehe, el
présentent une rnasse de feu qll'aucull effort
ne peut domptcr. Triste spectateur d'Ull dé-
sastre aussi cruel, j'espérais au moins préserver
les batiments éloignés. MOll attente fut encore
dé<;;ue, et nous eúmes la douleur de voir consu-
mer sous nos yellx la plus grande partie d~ nos
subsistanees. OffIciers et soldats, tous étaicllf
plongés dans un morne silence, tous contem-
plaient avec stupeur eette seene de désolatioll J
quand tout a conp une fusillade terrible se bit
entendre. L'ennemi attaquait l'avancée Frionl el
s'en emparait. Le capitaine Chambure vole au
seeonrs. Ce brave .commandait une troupe d'ólite
appclée la compagnie franclte ou les enfants perdus;
il s'élanee dans la redoute el taille les Russes en
pieees. Aucun u'échappe; ceux (!lIi {'Vitellt la




D U G ENÉRAL RAPP. 331
baionllctte tombent sous le fen des cheEs de ba-
tailIoll Clamon et Dybowski. Le lieutenant COll-
rad fit preuve, dalls celte occasion, d'une rare
constance. L'épaule fracassée par une baIle, il se
jette au plus épais de la mdée. Chambure le
dégage : «Vous etes blessé, lui dit-il, votre place
)l ll'est plus ici; allez annoncer au général que
» nous sommes dans la redoute.-Capitaine, ré-
)) ponel l'intrépide lieutenant, j'ai encore mon
)) bras droit, vous n'avez que le gauche! » et jI
continue de combattre.


Battu a la gauche, l'ennemi se jette sur la
droitc et HOUS replie .iUS(PH~ sur nos forts. Je ne
jugeai pas a propos de reprendre l'attaque par
une nuit obscure, j'attelldis au lendemain. DellX
colonnes commandées par les généraux Dreissan
et Devilliers se portent a la fois sur Stolzenberg
et Schidlitz: les Rnsses les occupaient en force;
mais nos troupes combattcnt avec tant. d'aban-
don, le major Deslmr, les chefs de bataillon Po-
niatowski, Crikicowsl,i et Carré, les capitaines
Fahrebeck, Perrin, Kalisa et Ronsin, les guielent
avec tant d'habileté et de bravoure, que les alliés,
rom pus , laissent le champ de bataille jonché de
morts. Malheureusement le succes nous coutait
cher: le général Breissan, si recommandable par
ses talt~nts et son cOllrage, était dangereusem!:'nl




}lEMOIlU~S


blessé. 011 lui prodigna vainemcllt I.OIIS les S('-
cours imaginables, jI expira apres UIl III01S de
souffrances aigll~s.


Nos troupes ('taient victoricuscs; m~us qud
spectacle les attendait dans la placel des ruines,
des décombres , voilá ce qui restai t de nos maga-
sins. Un seul avait échappé. Sa conservation,duc
an colonel Cottin et au sous-chef d'état-major
Marquessac, n'avait été assurée qt1';\ force de últ,
et de constan ce. Le chef d'escadroll TurcklwiJll;
(pli avait déja clOllllé tant de preuves de dévoue-
ment, et le lielltenant Flcury, étaient aussi par-
venus á sauver quatl'e mille quintaux de graills;
tout le reste était Dagrant, tout le reste avait péri.
N ous ne conseniolls pas pour deuxmois de subsis-
lances, que les flammes toujours plus actives el
Ull bombardement continuel menac,aient ellcure.


Les Rllsses cheminaient lentement, mais ils
cheminaient tOlljours. Ils s'étaiellt elllparl's tIl'
divers postes et s'étaient port{~s en lllasse sur
Stolzenberg. Trop faibles pour opposer UlW d,-
sistance efficace, nos soldats l'avaient évacu{~.lp
géneral Hussoll rassemble C{uelqnes troupcs ('1
fait battn~ la c:harg~. Elle eut lieu avec IIHe rar('
irnpétuosité. Le capitaiu(' I\Iilst'lll,l'adjudalll-
major Rivel, s'élancellt ~ la tple des pllls braws,
joiglleut l'elluell1i el le culbutellt.




Le eapitaine Chambure lui préparait une lt:'(})]!
plus s(~v(~re. 11 s'embarque par une nuit obscure,
trompe la vigilance de la flotte et descend vis-a-
vis Bohllsack. n surprend le village, incendie
les habitations, les magasins, tue, égorge les
hommes, les chevaux, et regagne ses chaloupes.
Elles n'étaient plus sllr le ri vage. Les trompettes
sonnaient, la gt'nérale se faisait entcnclrc : la
mort paraissait inévitable. N éanmoins i1 ne pcrd
pas courage; il calme ses soldats, se jette a tra-
vcrs les retranchcments ennemis, et arrive sain
et sauf au moment ou on le croyait perdu. J L
.'iC reme! bientót en route et marche sur Brresen;
iI tombe á J'improvisle sur les tronpes rpü l'occu-
pent, les renverse , et ne se retire qn'apres avoir
brúlé lenr campo A peine rentrp, il COUJ't a UlH'
expédition plus périlleuse. 11 pénetre dans la
tr:mehée de l' ennemi, culbute, chasse ses postes,
.'t vient s'abriter derriere nos batteries. Le lieu-
. tenant .Jaimeboll, grieyement hlessé en COIll-
men<.;ant L'attaque, combattit comme s'il n'eút pas
été brisé par la donleur; elle ('tait si aigue que la
erainte de décourager les soldats fut seule capable
,I'étonffer ses plaintes. JI mourut cinq jours apres:
IlImneul' a sa mémoire ! ...


La compagllie franche devellait chaque joul'
plus audacieuse. Les tranehées, les palissades




MÉMOIRES
étaient des obstacles illusoires; elle pénétrai t
partout. Au milieu d'nne nuit épaisse, elle St'
glisse d'arbre en arbre le long de l'allée de Lang-
fuhr, et s'approche san s que les Russes l'aper~oi­
vento Elle saute aussÍtót dans leurs ouvrages, tue
les uns, chasse les autres et les suit jusque dans
Kabrun. Le brave Surimont, l'intrépicle Rozay,
Payen, Dezeau, Gonipet et Francou, se préci-
pitent dans la redoute et l'emportent. Une cen~
taine d'hommes furent passés au fil de l'épée, les
autres ne durent leur salut qu'a la fuite.


Nons faisions a l'ennemi une guerre de sflr-
prise et d'audace; il nons en faisait une de ruses
et de proelamations. Ses ba¡ teries n'arn:raient
pas, et nc c'; magasinsétaient détrnits. Nos trollpes,
exténuées, harassées de corvées et d'insomnies,
n'avaient pour réparer lenrs force s qu'un peu
de pain et une once de viande de cheval, si tou-
tefois on peut appeler ainsi les débris d'animaux
qui, rebutés par la cavalerie, rebutés par les
charroÍs, tournaient la meule jusqu'a ce que,
devenus incapables de se soutenir, ils étaient
trainés a la boucherie. e'est a des hommes si
las de comhattre et de souffrir que les Russes
promettaient le repos et l'abondance. Tous les
genres de séduction étaient employés : 1'01', l'ar-
gent, les menaces ~ la col ere du prim'e, la voix




De (; {;SI~H i\ L ]{ A PP. 33:)
de la l)atric, étaiellt offerts et invoqu"s. Le dllC
se joiguait a ses émissaires; il écrivait, priait,
protestait, circonvenait les chefs et les soldats.
La désertion se mit dan s les t~oupes étrangeres ,
d bientot elles refuserent tout sen'ice. Les Bava-
rois, les Polonais eux - mcmes, trop convaincus
de nos malheurs, craignaien t de faire de leurs
armes un usage sacrilége et se tenaient dans l'i-
naction. N ous étions réduits aux seules forces
nationales, c'est-a-dire a moins de six mille
hommes; et nous avions plus de deux lieues
d'étendne a défendre. Je résolus de faire con-
llaltrc a l'emperenr la situatíon facheuse oú nons
étions. La chose n'était pas aisée; l'Allemagne
entiere était en insurrection; la mer était cou-
verte de croisieres enncmies. Maís aUCUll péril,
aucun obstacle n'étonnait le capitaine Marnier; jI
p;ut pour cette expédition aventureuse; capture


L'A • • 1 fl 1 . l· un uatnnent, conVOle avpc a otte ang alse et 11l
éChappe.


Le duc de 'Vurtemberg semblait avoir le pro-
jet de tout séduire. Je ne fus pas moi-meme a
l' abri de ses tentatives. Il exaltait ses ressources,
dépréciait les miennes, parlait de la France, de
la Sihérie, et me proposait de rendre la place.
Ces menaces, ces oppositioIlS s'adressaicnt mal;
jf' lf' lui thnoigllai, et il n'en fut plus llllestion. Des




;)36 MÉJ\lOJ RES
moyens plus cOllycnablcs fiIrelll mis en (en\' re;
les fcux furent cloublés, et le bombardemellt, tou-
jours plus terrible, ne discontinuait ni le jour lli
la nuit. La villc, le Rischfberg, les redoutes Frioul,
étaient écrasés. Soutellus par un fen rl'artillerie
si formidable, les Russes imaginent de nous en-
lever. Tls s'aval1cent mUllis de haches, d'échelles,
et fondent sur la batterie Gudin. Le capitaille Ra-
zumsky la commandait; il les accueille par des
décharges a mi traille , et les rel1vcrse. Ils se re-
mettent néanmoins, et tentent l'escalacle; mais,
accablés par une fusillacle meurtriere, ils se dis-,
pel'sent a la yue du major De~;l\llr ctlaisscnt armes
et échelles dans les maius des hl';n~s capitaines
Zbiewiski el Propocki. Ils essaielll, avec aussi
peu de succes, de se remlre maltres de la batte-
rie Fitzer, clan s l'allée de Langfuhr. Le colonel
Plessmann, le capitaine Renollard et l'adjudant
Stolling leur opposellt Ulle résistance qu'ils ne
peuvcnt vaincre : trois fois ils reviellncllt a la
charge, trois fois ils sont défaits.


Cepemlant les redoutes Frioul étaicnt dan s un
état déplorable : sans parapets, sans fougasses,
accablées par les obas et la mitraille, elles ne
présentaient plus aucun moyen de dl'fense; je les
tis évacuer. La plus grande partie des fortifica-
tions était encore intacle; mais nos vivres tOll-




DU GI~l\"ÉRA.L RAPP. 3J~
chaient a'leur tenne. Le temps des glaces étaít
arrivé. II aurait fallu vingt mille homrnes pour
m'opposer aux progres ou siége, garder les/orts}
l'inondatioll, et maintenir libre le cours des eaux.
La lutte dait trop inégale; c'eut été versel' le
sang pour le seul plaisir de le verser.


Je crus trouver UlI moyeu (lui conóliait mes
Jevoirs et l'humanité. Je calculai le nombre de
jours <Iue devait fournir ce (lui Hons restait de
subsistances; je proposai de suspenore les hos-
tilités et de remettre la place a cette époque, si
le cours des dIOses n'en disposait alltrement. Le
conseil adopta cet avis a l'unanimité. Les négo-
cÍations s'ollvrirenl., le leu cessa. Le général Heu-
delet et le coioue! Richemout se reudirent au
camp, et arreterent ulIe capitulatioll oú la faculté
de rellti'er en France nous était sppcialemellt
garallt1e. 1511(' partie de ces conventions était dl>ja
ex{eu!<··c; les prisollnicrs russes avaient étérend llS,
les fo1'ls livrés, lO1'sque j'appris que l'empereur
Alexandre refusait sa ratificatioll. Le due de
Wurtemberg m'offrait de remettre les choses dans
leur prelllier état. C'était une d('rision. Mais (Iue
faire;) l10US n'avioIls plus de viues. 11 fallut se
l'ésignel'. H r(>gla les choses eomme iI l'entendit,
et nOlls primes le ehcmin de la Russic.


Tow:h(·s de uos rn;¡ihellrS, les auxiiiaires eus-
:J,:./




MEMOIRES
sent voulu les partager. Les Polonais brisaient
leurs armes; les Ravarois jnraient de ne jamais
les tourner contre nous. Mais le devoir fait taire
les affections. Il faUut se séparer. Le général
prince de Radziwil et le colonel Buttler, si dis-
tingués l'un et l'autre par leur caractere et par
leurs actions, les reconduisirent dans leur patrie.


Ainsi finít, apres un an de combats, une dé-
fense pénible, oú nous eumes a lutter contre
tous les fléaux, tous les obstacles, et qui n' est pas
une des moindres preuves de ce que peuvent le
courage et le patriotisme des soldats frall(;ais.




DlJ GENERAL HAPP.


CHAPITRE XLIV.


N aus flanes conduits a Kiaw. N OllS y appri-
mes les prodiges de eette poigllée de braves qui
n'avaient pas désespéré du salut de la patrie. lls
avaient triomphé a ~Iantmirail, a Sezanne, a
C]¡ampaubert, partaut ou l'ennemi avalt osé les
attendre. L'Europe entiere fuyait devant eux, la
coalition était dissoute ... L'obstination d'un soldat
nOlls arracha les fruits de la victoire. Il faUut eom-
battre, vaincre encore; mais les llIunitions man-
quaieut, les corps n'arrivaient pas, les générallx
haranguaient la troupe pour lui faire reeevoir des
capitulations. TOllt fut perdu : notre gloire, HO:;
COIlflllé!es s't'~vanouircnt comme une ombre; les
signes ménw en fureut l'{"pudiés.


Le but de la coalilioll {·t;¡Ü attein!. N otre cap-
tivit{~ n'était plus profitable; nous Han es rendus ~I
la libertl'. N OllS revlllInes en Franee: quel spec-
tade elle pr('sentait! L'émigration avait ell\ahi
l'arm{~c , les <llltiehambres; elle pliait sous les
insignes dll commalldement et les décorations,
La pl'cmicre persollllc ql;e je l'eJlcontl';JÍ allX Tuí-




.. ,


.J IU l\lEJIU IJtES
lpries flll un chef de baLail!on filie j'avais alllre-
fois secouru et prot<'gé: il (~tai t devenll lieule-
nant-général; il ne me reCOllflut plus. Un autre
que j'avais eu Jong-temps a Dantzick, lI'ayait pas
mieux conservé sa mémoire. Je l'avais accueilli
a la l'peommandation dn fIue de Cadore; j'avais
essuyé ses f~Hles adnlations : iI me traitait de
monseigueur, d'excellence; iI m'eút yoIontiers
appelé l'éternel. Plus je lui témoignais combien
ces sottises me déplaisaiem, plus il renchérissait;
ji imagina meme d'assist.er a mon lever. lIIle
tint pas a lui que je ne me crusse un souverain.
Ses mahersations me dóliYl'ercllt dc cet obstil)(~
flatteur; elles devinrent si criantes quc le gou-
verllement fut pres de séyir . .le sal1yai au gen-
tiIhollllne la honte d'uue condamnation; mais
je le fis éIoigner: il alla exereer son industrie
a ..... Il cut bientot connaissanee de nos rc-
vers, s'effraya, prit la poste, et n'arJ'(~ta pas
qu'il ne fút en-de¡;;a du Rhin : la pcur le senil
mieux que n'eút fait le courage. TI avait des épau-
lettes a gros grains , et quatre ou cinq déeora-
tiOllS: c'était assez bien cli'buter clans la caJTiere;
on ne ya pas si vite sur le champ dI:' bataille. IJ
s'i'loigna des qu'il m'apel'¡;;ut: apparemment (Ille
son costume l'embarrassait. reD rt'lIcontl'ai l1lJ
troisieme, que ma préseuce ne mit pas a l'aise.




]) 1 la:N l;:R AL RAPP. :>4J
AU;¡ché ant "dois a J oséphine, II avai t fait preuVC'
d'fllle pd'VO}allCe vpritahlement exquise: :lfin
(I't"tre en mesure eontre ks easimpn'>vus qui
pouvaient sflrvellir dans les pl'OBlE'lliHles et les
voyages, il s' était m u ni <1'11 n \ ase de Yernlf'il ,
qu'il portait cOllstammcnt sur lui. Quand la cir-
COIlstance l'exigeait, il le tirait de sa poche,
le pn'>sentait, le reprenait, le vidait, l'essuyait,
et le serrait avec soin. C'Üait avoi1' l'instinct de
la domt'sticité.


1\'Iais tom ces prellx si arclents a la caisse, anx dé ..
coralions, :lIIX cOHlmaJl(lemellts, donnerent bien-
tM la lI1esure de le!/r cOllrage. NapoléoIl parut,
lIs s'éclipserent. lis avaient assiégé LOllis X VII]
dispensateul' des graces; ils n'eurent pas une
amorce a brúler ponr Louis XVIII malheureux.
~ous essay¡¡mes (l'H'lqllcs dispositions; mais le
peuple, les soldats ll'avaiellt jaruais été compliccs
des humiliations de la Franee; ils refuserenl de
comhattre les cOlllenrs qu'ils adoraient, et l'em-
pel'cur reprit tl'anquillemellt les renes de l'{>tat.


Les géHPraux Bertrdl1(l et Lemarrois m'écrivl-
rent de me remIre aux Tuileries . .Te revins ú
Paris. UlIe lIoU\'elle illvitatioll Jl1'attelldait á mOll
hotel; le granel maréchal m'annonc;ait que sa ma-
jesté désirait me yoir. Je He voulus pas me faire
attendre; j'allai tel qUf' je me trouyais. bien súr




'"' .)-~?, ~lltJHOIRES
que N apoléon saurait faire la part du devoir et
ce He des affections. Je fus introduit sur-lc-
charnp.


« NAPOLÉON. Vous voila, monsieur le gélléral
» Rapp; vous vous etes bien fait désirer ~ 1)'011
)} venez-vous?


:> RA.PP. D'Écollen, ou j'ai laissé mes troupes a
» la disposition du ministre de la guerreo


)) NAPOT.ÉON. Vouliez-vollsréellementvou3 bat-
l) tre cOlltre moi ?


)) TI APP. Oui , sire.
n NA.POLÉCH. niable~
)) Rup. La résolutioll était obligée.
» NAPOLÉON. (D'un ton animé.) F .... e, je savais


»bien que vous étiez devant moi. Si ron se flit
llbattu, j'aurais été vous chercher sur le champ
n de bataille. Je vous aurais fait voir l;¡ tete de
» Méduse: auriez-volls osé tirer sur moi:l


» RAPP. San s doute; mon dcvoir ...
» NAPod:ON. e'est trop fort. Mais les soklats ne


Jl vous auraient pas obéi; ils m'avaient conservé
'1 plns d'affection. Si d'ailleurs vous aviez tiré un
"seul coup,. vos paysans d' Alsacf' VOll5 allraient
» lapidé.


» RA.PP. Vous convicndrez, sire, que la position
» était pénible : VOIIS abdiq lIez, vous partez, vous
» nous engagez a servir le roj ; vous revenez ...




DU G¡;~~ÉRAL RAPP. 0:-/-"-1 ,)
» Toute la puissance des souvcnirs ne peut nOllS
» faire illusion.


)) NA.pod:ON Comment cela? Que voulez-vous
" dirc? Croycz-vous que je sois revenu sans al-
diance, sans accord ? .. D'ailleurs IllOIl systeme
) est changé: plus de guerre, plus de conqlJt~tes;
) je veux régner en paix, et faire le Lonheur de
» lTIeS sujets.


») RAPp. Vous le dites : mais vos antichambres
)) sont déja pleines de ces complaisants qui Ollt


)) toujollrs flatté votre penchant ponr les armes.
)) N APOLÉO~. Bah! bah! J'expérience ... Alliez-


., vous son vent al/x Tuileries ?
» RAPp. Quelquefois, sire.
)) NAPOL~:ON. Commelltvons traitaient ces gens-


» la ?
» RAPP. Je n'ai pas a m'en plaindre.
)) NAPOLÉON. Le roi paralt vous avo;r bien rel{u


"a votre retour de Russic?
)) RAPP. Parfaitement, sire.
» NAPOLÉON. Sans doute. Cajolé d'abord, mis


,) ensuite a la porte. Voila ce qui vous attendait
») tous; cal' enfln vous n'étiez pas leurs hommes,
» vous ne ponviez leur convenir: ii faut d'autres
») ti tres , d'autres droits pour leur plaire.


)) RAPP. Le roi a débarrassé la France des alliés.
»NAPOLÉON. e'est bien; mais aquel prix! Et




MÉ:MOIR ES
)l ses engagements, les a-t-il tenus ? Pourqnoi n'a-
l) t-il pas fait pendre Fcrrand pour son clj~cours sur
)\ les hiens natíonaux? e'est cela; e'est l'í nsolence
II rles nobles et des pretres (lui m'a fait ({lIitter 1'11E'
.. d'Elbe. J'aurais pu arri ver avec trois millions de
)) paysans qui accollraientponr se plaindre et m' 01:
"frir Iellrs services. l\1ais j'étais súr de ne pas trou ..
)) ver de résistance elevant París. Les 13ourbons sont
»bien heul'eux que je sois revenu : sans moi iIs
)) auralent fini par une rpvoIution ppollvantable.


,) A vez-vous vu le pamphlet de ChúteallbríamJ,
)) quí ne m'accorde pas Intime d" cOllrage SIll' }('
II champ de hataiIlt~? Se 1I1',¡VeZ-VOlls pas Vil (Jllcl-
"quefois au feu? Suis-je un Iachc?


D RA.PP. J'ai partagé l'indignation qu'ont reS-
)) sentie tous les honnetf>s gens, fl'une accnsatioll
)) aussí injuste qu'elle est ignohle.


» NAPOL~O]\'-. Voyiez-volls f{uelcplefois le duc
»d'Orlpans ?


)) R.\.pp. Je ne l'ai VII (lu'une fois.
"N.HOLl\O:\'. e'est celui-la qui a de l'esprit de


» conc1uite et du tact! Les antres sont mal en-
\) tourés, mal consei1lés. Tls He rn'airnenl~ p~s. 11s
» vont etre plus furieux que jamais : il y a de
)) flnoi . .le sllis arrivé sans cOllpférir. C'est maillte-
~) nant qu'ils vont crier a l'ambitiellx : c'est la l'é-
)' ternel reproche; ils ne sayent dirc autre chosp~




nu G~:NERAL RAPP. 3'¡;'
)) 1t~pp, Tls ne sonl: pas les seuls qlli ,'OlIS acclI-


" sellt (l'ambitioll.
)) N APOLÚ)N. Comment ... suis-jeambitienx,moi?


)) Est-on gros eomme moi qnand on a de l'am-
)) bition ? (Il se fl'appait avec les deux mains sur
) le ventrf'.)


)) RAPT'. Votre majesté plaisan le.
)) N"\.POLÉOX. Non: j'ai vouIu que la France fút


)) ce llll'elle doit etre; mais je n'ai jamais été am-
)l bitieux. D'ailleurs de quoi s'avisent ces gens-la?
)l 11 leur convient bien de faire de l'imporlance
» avec 1:1 nation et avec l'armée. Est-ce leur eou-
» rage (Jlli les l'end si avantageux?


)) RAPP. lis en out quelquefois montn'" A I'ar-
• mée de Con dé par exemple.


» N APOLÉON. Quel est cet ordre que Je vous
)) aperc:ois ?


)l RAPP. La Légion-d'lTonneur.
)) NAPOLJo:O"'i. Diahle! Ils out en au 1110ins l'es-


) prit d'en f;:¡ire une belle décoration. Et ces ueux
)) croix-Ht? (1l les touchait. )


)) RAPP. Saint-Louis el le Lis. (TI sourit. )
)) NAPOLÉON. Conce, ez-vous eette b ... de Rer-


» thier, quí n'a pas VQuIu restel'. Il revieneira ; jc
)) lui panlQnne tout, a une condition eepenuant:
)) e'est qn'il mettra son habit de garde du corps
" pour paraitre de\' ant moi, Mais tout cela est fini.




NIEJ\HHRES
)) Allons, monsieur le général Happ, il fa.ut encort:!
'J une fois servir la France, et Hnus nous retire-
"I'ons d'oú nOllS sommes.


JJ RAPP. Convenez, sire (puisque vous avez eu
"quelquefois la honté de me permettre de vous
»parler ayec franchise), COllvenez que vous
"avez en tOl't de Be pas faire la paix a Dresde :
)1 tout était réparé si vous l'eussiez conclue. Vous
)) rappelez-vons mes rapports sur l'esprit de l'Al-
)) Iemagne ? vous les traitiez de pamphlets; vous
"me faisiez des reproches.


)) NUOU:ON. Je ne pouyais pas faire la paix a
» Dresde ; les alli6s n'étaient pas sillcercs. Si d'ail-
)) lenrs chaclln eút fait son devoir au renouvel-
J) lement des hostilités, j'étais encore le maltre dll
») monde.J'avais déja pris de mon coté trente-deux
"mille Autrichiens.


)) RAPP. Il n'y a qu'un instant que votre ma-
)) .¡esté n'avait pas d'alnbition, et voici qu'il est
,encore question de la SOllyeraineté dll monde.


"NAPOLÉON. Eh! l1lais, oui. D'aillellrs, Mar-
"l11Ont, les sénatcurs ... Mon plan était combiné
)) de maniere a ue pas laisser échapper un seul
) allié.


"RAPP. Tous ces malheurs sont la cOIlséquence
) des reverS' de Leipsick : vous les eussiez prévenus
• (~U acceptant la paix a Dl'esde.




DU GÉNÉRAL RAPP. 3í¡
» NAPOLÉON. Vous ignorez ce qu'eút été une


»paix sel1lblable.» Et s'animant tOllt a coup,
ííAurais-tu penr, mf' dit-il avec vivacité, anrais-
» tu penr de recommencer la gllerre, toi qui as
)) été quinze aIlS mon aide-de-camp ? Lors de ton
» retOllr d't~gypte, a la mort dC' Desaix, tu n'é-
» tais qll\m soldat, j'ai fait de toi un homl1le;
»aüjourd'hui tu peux pd~tendre a tonto


)1 RAPP. Je n'ai jamais laissé passer une occasion
" de vous en témoigner ma reconnaissance; et: si
» je 'vis encore, ce n'est pas ma faute.


» NAPOI.Úl" . .Te TJ'oublierai jamais la condllite
» a la relTaile di' ;\IOSCOll. 'Ney et toi, vous eles
» (lu petit nombre de ceux qui out I'Ame forte-
»ment trempée. D';¡illeurs a ton siége de Dant-
" zick, tn as fait plus que l'imp05sible. »
~ apoléou me sauta au COll, me serra ave e
v{~h{~m('nce contre llli pendant au moins deux
minutes. 11 m' embrassa plusieurs fois, et me dit
en me tirant la moustache:


íi Allons, un brave d'Égypte, d'Austerlirz, 11f'
» P(~ut m'abandonner. Tu prendras le comman-
» dcment de l';¡nnée ,111 nhin, pendant que je
J) tr;¡iterai avec les Prllssiens et les Russes. J'es-
~ pere que d'ici a un lllois tu receyras TI};! femme
»el mOIl fils a Strasbourg . .le ~YCl1X que df>s ce
:J soir tu fas ses ton scrvice d'aide-de-camp aOp1'(;5




3'¡S .MEMOIRES
»de moi. Écris au comtC' Maison de venir m'em-
.) brasser : c'est un bran' homrne; je ,'ellx le voir. "


N apoléon raeonta ulle partie de eeUe com'er-
sation a qllelqnes persollTles de ses alentours. 11
lem dit qUf' je lui avais parlé avee trop de li-
herté, qu'il m'avait tiré les ol'eillt's.


La forrune lui souriait. Les coul'tisans aCCOll-
I'aienl en foale; c't~tait un abandon, un dévOlle-
went! ils bOllillaient de zele. Ces protestations
n'eurent pOllrtanl pas tout l'efIet qu'j)s s'en étaient
promis. Deaueoup furent repoussés : uu surtont,
(pli s' obstinait a faire accepter ses scrviccs, li.lt
dnremcnt écarté. CombIé de bW'llI'S, d'or el de
clignités, iI avait accablé d'outrages son bienfai-
tenr malheureux; il fut conspué, traité de ~isé­
rabIe. Ces messieurs se targuent anjourd'hui
d'une fidélité ~t toute épreuve. Ils accusent l'in-
clulgence du roi tlalls les salons dn faubourg
Saint-Cermain. lis voudraient voir cowluirc a
l'échaf;¡ud tOIlS ceux (lui ont été employés dans
les eent jours. Le hasartl les a servis, les appa-
'i'ences sont ponr eux; a la honne heure: mais
les généraux , les ministrcs de N apuléon, les of-
íiciers attachés a sa' pel'sonne, savent ce qu'ils
doiyent penser de ces stolcicns c!'antichambre.
Tat 011 tard le gouvernemcut royal sera éclairé:
¡j ya de qnoi supplécr an livre muge.




nlJ CENtltAL HAPP. 3h)
Na poU'() 11 me iit delnallder le 29 mars, et m'an-


BOll<;a qu'il J~dlait partir pour l'armée un Rhin.
11 mt~ donna le grand aigle de la Légion-d'Hon-
llCur, qu'il m'avait destiné apres le sj{'gc de Dant-
zick. Ilme dit qu'avant quinze jOllrs mes troupes
seraient portécs á quarallte miUe hommes (j'en
<tyais quinze mille au commeneement des hosti-
lités); je lui obsenai <{ue e'était hien peu en
comparaison de eelles que nous allions avoir sur
les br;:¡s, que le con gres (sa déclaration était
uéja eonuue) nons mena~ait d'un déluge de sol-
dats. « La déclaration a laquelle vous faites alln-
» sion est fausse, répliqua-t-il avec humenr; elle
J) est fabriqu¡"c a París. Au reste, allez. Lecourbc
'j commandera eu Franche - Comté, Suchet dans
» les Alpes, Clausel sur la Gironde. N ous avolls
» bien des chances. Cérard va a Metz; il vient
)) de me tourmenter pour que je luí donne ce
)) Bourtnont, ,je luí aÍ aceordé á regret; je n'ai
1) jamais aim{~ eette figure-la.


» Lcspropositiolls (1'le j'ai {;lites aux souveraino;
,) ont ét('~ froidcment accueillies. Cependant tOilt
!) espoir (l'arrangement n'est pas détTuit. Il esl


¡) possible (Iue l'énergie asec laquelle se prononct'
)ll'opinioll lf:'s ramene a des sentiments de paix.
1) Je yais eneore faire Hne teutatlve. Voici la lettrf'
.) que je leur {~cris :




« MONSIEUl\ MOr. FRlmE,


» VOUS aurez appris dans le cours dn moís
\) dernier mon retour sur les cotes de Franee ~
') mon entrée a Paris, et le départ de la famille
'l des Bourbons. La véritable nature de ces évé-
» nements doit maintenant etre connuc de votre
)) majesté. lIs sont l'ouvrage d'une irrésistible
)) pnissance, l'ouvrage de la volonté Ilnanime
" d'une grande n:1tion qui cOIlualt ses devoirs et
» ses droits. La dynastie que la force avait:rendue
»au 13eu13le frall~ais ll'était plus faite pour lui :
)) les Bourhons n'out voulll s'associcr ni a ses
)) selltimellts nI a ses mlX'lIrs; la france a du se
)) séparer d'eux. Sa voix appelait un libératenr.
)) L'attente qlli m'avait décidé au plus grand des
)) sacritkes avait été tromppe. Je Sl1i5 venll; et
Jl du point ou faí tOllché le rivage , l'amour de
,> mes pCllples m'a porté jusc¡u'au sein de ma C<l-
,> pitale. Le premier besoin de mOIl ca;ur est dC'
» payer tant d'affection par le maintien d'lIIw
)) honorable tranqllillité. Le rétahlissement du
,> trone impérial était n('cessaire au bunhenr des
,) Fl'au\,ais : ma plus dOllce pensée est de le relHlre
"en meme temps utile a l'affennissement dll re-
'l pos de l'Elirope. Assez de gloire ;¡ illuslré tour




DD e E ~ERAL R!lPP. ')~)I
IJ a tour les drapeaux des diverses nations; lc~
» vicissitudes du sort ont assez fait succéder de
)) grands revers a de grands succes. Une plus
»bclle arene est ouverte aujourd'hui aux souve-
» rains, et je suis le premier a y descendrc. Apús
JI avoir préscnté an monJe le spectaclc de grands
1) combats, il sera plus doux de ne connaitre dé-
»sormais d'autre rivalité que ceHe des avantages
¡) de la p;:¡jx, d'autre tuttc que la lutte sainte de
» la félicité des peup]es. La France se plalt a
,j proclamer avec franchise ce noble but Je tous
)) ses vreux. Jalouse de son indépendance, le prin-
,) cipe invariable de sa politique sera le rcspect
¡) le plus absolu pour I'indépendance des autres
j) nations. Si teIs sont, comme j'en ai l'heurcusl'
)) confiance, les sentiments personnels de votre
)) majesté , le calme général est assuré pour 101lg-
J) temps, et la justice, assise aux confins des di-
J) vers états, suffil'<l sellle pour en garder les
)) frontieres.


» Je sllis avec empressement, etc. )


Mais toutes ouvertures furent inutiles. Il étail
hors des proportions humaincs, il assurait la
sllprématie de la France : c'étaient la des griefs
que rien ne pouvait balancer; j'en étais con-
vaincu. Sa perte était résolue.




jLE;\lOlRLS
.le partís pon!' l'\lsace; l'allituelt· llO~tile des


COUl'S étrallgeres y avait exc.it{~ une indignation
gpnérale: tOlltes les ames généreuses, t(JIlS cenx
qui aohorrent le jong de l'étranger, se disposaiellt
a repousser eette ligue de l'ois qui, sous prÚexte
de comoattl'e un homme, ue cherchaíent ql1'Ú
s'eurichir de 1I0S dépouilles. Les habitants, ele
concert et par un mouvement spontall{~, s'étaient
portés sur les hauteurs (lui dominent les défilés,
les routes ou passages, et trayaillaiellt ú y con-
S truire des retranchernents; les femmes, les enfants
mettaiellt la main a l'ceuue. On s'égayait, on s'ani-
mait l'un l'autre eu chantant des refrains patrio-
tirples. 11 y avait entre tous les eitoyells ri\alité
de úlc et de dévouement : les UJlS éJevajent des
redoutes, les autres eoulaient des balles, remon-
taient de vieux fusils, confeetiollnaient des cartou-
ches. Enfill tous les bras étaient en mouvement;
chacull voulait travailler a la défellse commune.


une scéne touehaute et digue des tel1lps an-
tiques eut lien a 'Iulhauscll lorsfl'le j'y anivai.
On dOllllait un bal, les persolllles les plus dis-
linguées de la viile étaieut réunies; l'assemblée
était brillante ct llombreuse. Vers la fin de la
soirée OH parla de la guerre, de fin vasiol1 dll
territoire ; chaculI comnllmiquai t son avis, cha-
elln faisait part de ses espérallces el de ses craiu-




nu GI~NERAL RAPP. 353
tes. Les clames discutaient entre elles, et s'en-
tretenaient des dangers de la patrie. Tout a coup
une des plus jeunes pro pose a ses compagnes de
jurel' qu'elles n'épouseront que des Fral1(;ais qui
¡[ient défclH.lu les frontieres. Des cris de joie ,
des batlements de mains accueillent cette pro-
posiLÍon. De toutes les parties de la salle on se
dirige vers cet essaim de beautés; on les envi-
ronne, on se presse autour d'elles. Je me joignis
a la foule, j'applawlis a la 111otion généreuse qui
avait été faite, et j'eus l'honneur de recevoir le
serment que chacune des jeunes patriotes vint
preter entre mes mains.


Ce trait rappeIle les mariages des Samnites,
mais il a peut-etre quelque chose de plus admi-
rable encore: ce qui était une instÍtntion chez
ces peuples fut parmi nous l'effet d'une résolu-
tion spontanée; chez eux le patriotisme était clan s
la loi, chez llOUS il <'tait dans le creur des jeunes
lJlles.




Mj~~MO IR ES


CHAPITRE XJ.V.


Tout ce úle cependant ne remplissait pas mes
cadres; le temps courait et les recrues n'arri-
vaíent pas. Les alliés se concentraient sur la rive
gauche, ils pouvaient franchir le fleuve (l'un
instant a l'autre; ma position devenait critique.
Je fis passer mes ét:üs de situation a l'empereur.
IlIle put cacher sa surpríse. 1( Si peu de monde 1 .. .
)) L'AIsace, dont le patriotisme est si ardent ! .. .
» N'importe ... la victojre enfantera les bataillons.
JI Tout n'est pas désespéré; la guerre a ses chan-
»ces; nous en sortirons. JI Il m'avait ordonné
quatre jours auparavant de ne pas laisser un
seul homme de troupes de ligne dans les places
fortes, d'extraire des dépots tout ce qui était en
état de servir, d'inonder, de mettre en état les
lignes de Weissembourg, et d'assurer avec SOÍII
mes communications avec Bitche. J'étais occupé
de ces mesures; mais il ne trOlJvait ras que j'al-
lasse assez vite, il m'écrivit.




TH~ e E NÉR\ L R\ PP. :)5;-)


llJ'ai re<;u votrelettre du l2 mai . .Ie vois, par
l) l'état que vous y avez joint, que le 18e de ligne,
"qui a deux bataillons a votre armée, forts de
JI dOllze eents hornmes, peut vous fOllrnir un troi-
)) sieme batailIon de six cents hommes; faites-Ie
») partir sur-le-champ de StrasDourg ponr venir
}l vous rejoimlre. Le 32" ne peut donner que deux
J) cellts hommes de renfort a vos bataillons de
»guerre, Ce qui les portera a douze cents hom-
») mes. J~e 39" pput vous fOllrnir son troisieme
}l batail1on, faites-le partir. Le :)~)" peut égalemcnt
)l vous fournir son troisieme hataillon. Le 58'
l) peut vous fournir deux cents hommes pourcom-
"pléter ses deux premiers bataillons. Le 103c


II peut compléter ses denx premiers bataillons a
» dOllze cents hommes; le 104" de IIH:hne. Le 7"
}l léger pent vous fournir son troisieme bataillon ;
))de meme le lO" léger. Vous pouvez done avec
» UIl pell (l'activité renforcer votre infanterie de
» quatre mille hommes. Je suis surpris qu'il n'y
,) ait pas eu plus d'engagernents volontaires dans
J) l'Alsace pour ces régiments. Le 3ge de ligne se
JI recrute dans le Haut-Rhin; ee département doi t
)) asoir fOllrni au moins deux mille viellx soldats,


?-3.




1\J t: M () I H E S
)) <1'1Í , répartis entre le 39' , 32 e et 1 M", <leva ¡enl
)) porter les troisiemes bataillolls et mÓl1e les (lua-
) triemcs au completo I.e I OC léger, qui se reCTIItf'
» dans la [[aute- Saóue , doit recevoir Leal/collp
'j de monJe. Le ;)7", qui se recrute dan:~ le DOllhs,
» doit en recevo1régalement beaucoup. Le 7" léger,
"le ;)8", elle IO!~e, qni se recrutent dans !eB:ls-
" Rh1U, de, raÍenl etre au complet. Faites-moi (,Oll-
)) ualt!'e pOUI'quoi 10liS les hommes '1'lf' vous a\('z
)) a vos dépóts ne sont pas sur-Ie-champ habi Ilés,
¡) et n'allgrneutent ras vos cadres. Faites-moi COI1-
» naitre aussi ce CJui est annoncé á Ct'5 r('ginH'nts
)) des différellts déparlPrnents. Espél'C'z-vous (}1I'au
j) 1 ,1' jUiIl vos troisit'lJH:'S bal:¡illolls soi('nt compl(\-
» [(-s, d (PW chacIllC' l'égimellt soit ~ dix-bllit cents
)) hommes; ce qui ferait sept milie hommes pallr
» chacune de vos divisions ? Etes-vous content des
» gélll'rallx de di visioll et de Lrigadc que \'CHIS


)) avez? Quelle sera la sitllation <lit 2' de chas-
))5eu1'S, du 7", et du 19(' de dragons, qlli olll
)) tous le nI' dépot dans votre cliyision, aH 1 cr juin:l
)) Ces tr01s l'égiments avaicllt a leur dt,pút <lllatn'


¡; cents hommes el ITOis cents chevaux : ils doi-
)) vcnt en aVOlr reC;:l1 Jcpuis. AH 1 er jllin, ;nec
)} des mesures' actives, eette divisioll doit etre
)) de quinze cents chevaux. La troisihne divisioll
)) a également tous S(:~ dc'pots dam \otre arrOll-




Dli GE~L~H:\L RAPP.
"dissemcllt: dle a dOIl/',e Cf'lltS hOl11mes a son dé-
)) púL; elle devra done YOlIS fournir dellx mille
» clwvallx.


» N A L' o L ~ () 11' •


J) Pari .... , 1(' I i Juai 1815. )J


.le r{'pIJllrlis slll'-Ie-elnmp aux (Plf'StiOUS qll'il
!l}"adressait; je lui exposai l'c'tat déplorable dans
leePlella Irol! pe était tombée: les armes, la l11on-
ture, l'habillel11ent , i 1 fallait tout remeUre a ueuf.
JI:' lIC pOlI\'ais pas ;lvoir au-dela de villgt-deux
Illillc hOl11llles disponibles ;m 1 cr jnin. Le tableau
Il'était pas brillant; mais l'em pel"f'UI' f:1isait UII
si admirable emploi de ses ressources , qu\m Ile
elevait jamais désespérer. 11 mit de nouveaux
fonds á 111a dispositioll; iI stimnlait mOll zeh~,
lIl'ell!!a~'eait á HC ricn w'>,glig'pr Ilour accroltre mes


e' ~_, l- l. f'


[orces et a reconnaltrr tous les défilés. Sa dép{'-
che mérite (l'etl'e COIlJIllf'.


..::1


« NloNSTEUR LT'~ CO,Wl'V KAPP,


¡¡ Je I'(~(;ois votre lettre du 11:) mai. Jai acconlt',
"trcizc millions pour l'h:lbillement dans la dis-
» tributioJl ¡]p mai. Df's ordollnanceó> pour des
)) sommes cOl1sid('rahl('~ I)nt ét(~ (:,llV()y(~PS it cha-


..;.




3;'8 ME l\l O 1 H ES
» (pIe corps de votre armée : assurez-volls qn'elles
» soient soldées. Je ne puis pas m'accoutumcr a
» l'idée que vous ne puissiez avoir de disponible
» au 1 er juin que vingt-deux mille deux cents hom-
» mes, quand la force desdépóts estde quatrc milIe
» hommes. Appelez a vous le troisieme bataillon
» du 18e , le troisif.me du 39c , le troisieme du 57",
» le troisieme du 7e léger, le q uatrieme cln 10C
O) léger; ce qui vous formera un r{~giment a qua-
» tre bataillons , quatrc a trois bataillolls, et qua-
» tre a deux batai1lons, ou vingt-quatre bataillons.
» Poussez l'habillement; l'argeut esl. en exp{odi-
» tlon , et ne manquera pas. La situation que vous
» m'avez envoyée de votre cavalerie n'est pas
» bien faite. Comment le 6e de cuirassiers n'a-t-il
» que ses troisieme et quatrieme escadrons au
» dépót? Qu'est donc clevenn son· cinquicnw es-
» cad ron ? Meme observation ponr le J 9" de dra-
» gons. Vous avez mille sept cent quatre-vingt-
» sept hommes, et seulement (luatre cent vingt-
» sept chevallx; mais VOHS ne me faites pas con-
» naltre combien d'hommes il y a en détachc-
» ment pour prendre les chevaux (les geurlarmes,
» combien il i ell a en reulOute au dépút de Y('r-
» sailles, combien le r{'giment doit rf'cevoir de
» chevaux par snite des marcl tés Cju'il a passés,
;) combien les départements doiv(~lLt el! fuurnir




nu GÉNERA.L RAPP. .359
)) Si vous y mettez l'activité convenable, vous
)) devez sur ces dix-sept cents honimes en avoir
)) bientOt quinze a seize cents montés, qui, joints
,,;', cellX qui composent aujourd'hui les esca-
,¡ drons, porteront votre cavalerle a pres de
" quatre mille hommes. Vous voyez cela trop lé-
') gerement; levez les obstacles par vOlls-nH~mc;
)) voyez les dépots, et augrnentez votre armée.
,,'\{ontez un espionnage pour savoir ce qui se
)) passe au - deHl dtI Rbin, et principalement a
"Mayence, a Thionville; el connaissez bien tous
"les déb()11Ch{~s des Vosges.


,. NAPOI.É()~.


)) Pal'is, 1(· '10 nlai ¡s.s.})




3tio ME~IOlltES


e HAPITRE XLVI.


J'allai oeeuperles lignes de la Lauter. Vingt-
trois aus auparavant Hons les avions défendues;
mais alors elles {~taient en ban état, la rive gau-
che du fleuve était gardée; 1l0US avions quatre-
vingt mille eombattants, un eorps oe résPI'Ye , et
l'armée du Haut-Rhin nous sontenaÍt. TI ;eH de
tout eela n'exÍstait plus. Lps ligues ll'offl'aienl
que des ruines: les dignes et les écluses qui en
faisaient la principale force étaient presque en-
tierement détruites, et les plaees qui les ap-
puyaient n'étaient ni armées ni 111c111e a l'abri
d'lln coup de main. Nous eomptions a pelrw
quinze mille hommes d'infanterie r{'partis en
trois divisions, aux ordres des gén{~raux Rot-
tembourg, Albert el Grancljean. Deux mille ehe-
vaux commandés par le eorute Merlín cumpo-
saicnt toute nutre cavalerie. De Weissembourg
jusqn'il JTuningue d\me part, et jusqu';'¡ la Bel-
gique de l'autre, la frontiere l:tait complr':tcment
dégarnie. Dans eet état de choses , Cermcsheim
devenait une position importante; d{f('udm> par




une garnison considérabíe et vingt-quatre bOlI-
ches a fCu, die ne pouvait etre emportée que d(~
vive force. Je ne désespérai pas du sllcces, el jt'
fis, des qoe la nOll Vf'llt' des hostilités me fut paf'-
verme, une reconnaissance générale, dans Ia-
quelle je m'empal'ai d'Hann, d':\nweiller, et de
tons les villages de la Queich. Le chef d'escadl'Oll
Turckheim enleva au galop celui de Gol tenstein
et les postes bavarois qui l'occupaient.


Le 21 au milieu de la nuit, toutes les dispo-
sitions étaient faites, el rléjil les cololllles d'al-
taque se mettaicllt en marcht', lorsqu'oll au-
nOll<,~a le (k'sastre de \Yaterloo. Elles furent aussi-
tot rappelées. Je sentais bien que I'cllllcmi W'
tarelerait pas a franchir le ílenve; je mf' 11<IIai tIc
prendre les mesures admin;stratives que les cir-
cOJlstances exigt'aient, el ele mettre en état de
ddense les places qui étaicnt sous 1'11on CO!l1-
mandement. Je jctai un batail10n de ligne dan s
Landau , Olt je fis entrer les caisses du pays. l'bis
dt'>já, comme je l'avais pn~Yu, les troupes de la
coalition avaient passé le Rhin á Oppenheim et
a Germesheim, et s'ét:úenl partout l'épanducs;
nos soldats furent obligés d'ell venir aux maillS
pour arriver á ¡eur destinatioll. N ous llOUS re-
tiranH's !lcrri¿...c la Lauter; et I(~ brllit de l'illva-
sioll du llaut-Rlúll par la grallde armée SOIlS la




;UEMOlHES


eonduite de Sehwartzenberg m'étant paneult
<tu meme instant, je fis partir en poste deux ba-
taillons ponr renforcer les garnisoIls de ~euf­
Rrisaek et de Sehelestadt.


Les Russes, les Autrichiens, les Bavarois, les
\Vurtembergeois, les Badois, et une foule d'autres
Ilations, rénnis ;tU numbre de pi lIS de soixante
mille hommes, SOllS les ordres dn prince royal
aujourd'hui roi de Wurtemberg, déborderen t
aussitol le faible eorps que j'avais suus mes Or-
tires .


.J'avais d'abord en le dessein de défeJldre l'j.l-
sace pied a pied, en me repliant vers les Vosges,
la Meurtbe, la Moselle et la Marne : mais j'appris
que l'armée de la Moselle, qui m'appuyait paI'
sa gauche, s'était dirigée ver s le llord; que des
eolonnes ennemies oceupaient déjit Sarrebruck
et inondaient la Lorraine: ce mOllvement n'étair
done plus possible. l)'un autre coté, une déci-
5ion pI'écipitée, dans des CircoIlstances aussi im-
prévues, pouvait avoir les plus graves consé-
qlLences . .Te temporisai, dans l'espérance cJ.e rece-
voir des ordres pOLlr I'égler mes mouvements.
Mais, depuis la déptiche qui m~ donna cOllnais-
sanee de nos revers, je !l'en rel{us ancune jlls-
f(lt'il la rentl'ée (le LouIs XVIII dans la capitalf'.


lhus la soiróp di¡ 2 í , la cavakl'ie wlfI'\('rnhel'-




DC (~EN ÉRAL RAP P: 363
geoise attaqlla mes avant-postes; les 7" chasseurs
et I le dragons prireut les armes, fondirell!
sur les assaillants , et les taillercnt cn pieces. Le
Icndemain , l'arrnée continua son mouvement de
concentration. Je In'ótablis cn avant de la foret
de Haguellau, la oroite a Seltz, le centre a SlIr-
bourg, et la gauche a chcval sur la route de
Bitche , que l'ennemi avait 'déja investie.


Cette position n'était que provisoire: elle était
trop étendue; je ne l'avais prise que pour ne
pas me porter tout a coup en arriere de la ville ,
et laisser pénétrer les alliés entre cette place et
Saverne, q[J(~ fe fjeutenant-général Desbureanx
occupait avec un bataiUou de ligne, des parti-
sans et quelques lanciers.


Le général Rottembourg était chargé de sur-
veiller le Rhin en arriere et sur la droite. Je
ll'avais pu hli laissel' <lu'une brigadc, quc j'avais
portt'e a Seltz; enCOl'e fus-je obligó de retirer le-
!~oe an moment oú les A utrichiens paraissaiellt.
11 ne lui resta que le 39", dont le deuxieme ba-
taillon fonnait les avant-postes et la ré'ierve. Le
I cr ,une compagnie de sapeurs et huit pieces de
canon composaient le c8rps de bataille pour UBe
ligue de plus d'une demi-lieue d'ételldlle. La po-
sition, sans ótrc mallvaisc par clle-mcmc, n'avait
ri~n de rassHranL La p~~titc ville d(' Seltz, ap-




puyee an Rhin, est situee sur Jes dt;ux ri ,ps U('
la Seltzbach. Cette r¡viere est assez bien (~llca¡ssé(·
sur une étenuue (l'ernil'oll rleux ceuts toi"es;
mais plus loio dlp est partout gué:lhle, d [t'"
bois qui la bordent en fl\oriseJlt encme le pas-
sage. l)'Ull antre cúté, jI' cJ'aignais UlI débarq ll('-
mellt, que l'enllemi pmn ait facilellH'llt dfectlwl'
en arrierc de la droite , d ;tlIqnel je ll'eusse pll
lll'opposer (tUl' faiblewent, attenJu (¡lI(' tonte
l'attelltioll devait sp porter sur le fronl, qui,
comme je l'ai dit, s'ételltlail forl loill.


Dans cette alternativp, le gen{'ral H()¡ lernh()¡¡r~
se décida a ne faire ohs(,I'\('r JI' l{hill (JlI(' pa!'
des patrollilles, et Pllvoya UlH' cmupaguie pOOl'
garder les gues, depuis le rnoulin de Seltz jus-
qu'á Nideradern. n plac;;a son artillerie slIr mw
petite éminence de la l'ive droite, a gauehe de la
ville, et ce qui lui restait de soldats se porta (,JI
avant pour ROlltenir le deuxieme bataiJloll , (!ili
oceupait les avant-postes et le bois.


:\. onzE' heures, l'ennemi ayalltréulli ses rnassl'S,
CtHnmen(;a l'attaqllE' pa!' ¡In fen de mousgucteri('
bien llourri, qll'i 1 appn) a avec J¡ Ili I pit'ces de
canon. La rÉ'sistaace des nutres fut opiniatn', el
pemlallt )Ol1g-telllPS ¡lite plll la v"inere; ltlais ;,
la fin eette petite avallt-g:tl'lle fut eontl'aillt(, de sp
!'('plier dans le bilis. UI(· :,'y maiJllilll a\('[: ~II\




rn~ e 1:: N E R \ L R\ PP.
L'lJ11rag,(' lt(~r()i(lue, el n~si'ita IOll~;-tf'l11pS aH\. ('I~


e L_


rO!'ts dt' huit ;', nenf mille hommes, qUf' soutf'uait
tlll(' al'ti lIerie lloll1hrense. Enfin, apres quelques
lH'urf's de la plus helle rt'-sistanee, eette poignpe
de )¡l':lYl'S se retira dans le plus granel ordre, el
vil1l Sf' I'plInir au premiel' bataillon.


Enhardi par ee succes, I'enncmi fit descendl'f'
ses masses. Il déholleha par la grande ruule, se
dirigea slIr Seltz, dont il croyait s'emparer sans
ti ifflclIltt'-. N ous le laiss~\mes arr1\'e1' SOllS It' fen d('
1IOS batteries; d¿.s qll'elles pnren t jOUf~r, Hne dé-
eharge épouv antable porta la ruort dans ses rangs.
I{assun'~ par le nombre, il eontinua néanmoins
d';¡'.;lIIccr, d le combal s(- n;tablit avee plus de
viguellr (IU'allparavalll. J\:fais, loujOlll'S contenllS
par la valeur de nos soldats, et foudroyés par
l'artillerie fraIH,;aise, les Autrichiens finirent par
et'-c!pr, ('t se cetirérent en désordre dans le hois .
.1 ,('urs l1l0llVemell!S d(~s lo!'s devilll'Cnt incertains,
et jls hésiterent 10ng-tcll1pS sur ce c¡u'ils ayaien! ~
faire"Nos pieces continllaienl de porler la mort;ln
milien deleurs cololllles. L'altaquen'était pas plus
périllellsc quC' l'inactioll; iis marcherent en ayant,
d parvillrent i-t ,,'emparer de la partie de la ville
sitnre SUl' la rin' gauclH'. ~Iais ce tl'iomp'he Jeul'
coúta chel'. Quelqlles obus lanc{>s sur ks maisons
d()nt ils ('taielll lIlaltn''i les cOJ\tl'ai~llir('nt á les




JI EMO r 1: ES
qnitt('l', et a regagller précipitaHlllwnt leur pre-
miel' asile; nos batterics redoubl~rellt ¡CUT' fen,
et {irent essuyer allX fuyanls une perte inmlcns('.


eette attaqup lIe fllt pas la seule dans laqnclle
ils échonerent. Des le commellcement de l'action,
ils s'étaient ,naucés, par la grande rOllte de \'Veis-
sembourg a Haguellall, sur Surbourg, qu'occu-
paÚ un bataillon dll 1 8e , commandé par le co-
lonel Voyrol. Ce village fut yaillamment défendu:
pendant plus de deux heures l'ennemi ne put .Y
pénétr('r; mais il Mplop t'nfin des forces si coú-
sidérables, que, dan s la crainte de voir t011rncr
la position ,le général Albe]'l la fit évacller. Nos
soldats se l'epliereut derrién la Saal'c, oú jI!'. se
réunirent au reste du régimell!. Assaillis en cet
cnelroit par l'élite de l'armée autrichierine, ils
resterent inébranlables. Lassés de tant d'atta-
ques infructueuses, cOllvaiucl!s qu'ils ue parvien-
draient pas a forcer eles hommes qni paraissaiellt
décidés a mourir a leur poste, ni a s'emparcr des
avenues de la fort't, les alli~s se décid¿'rent enfin
a la retraitc.


Nous avions trois cents hommcs tués OH bles-
sés : les Autrichiens, de ¡eur propre aveu, ell
avaient perdu deux mille el avaient eu deux
pieces de canon démontées.


"Nos troupcs avaient a peine pris c¡uelc¡ues beu-




lH~ c,,~ N I~ H AL 11 \ P P. 36-,
res de repos, lorsque je fus obligé de les remetln'
en marche. L'armée alliée du Haut-Rhin s'avall-
~~ait sur Strasbourg; cette nouvcllc m'était par-
veIllle pendant l'action. Je n'avais pas un instant
a perdre. Je me dirigeai sans délai sur cette place,
el l'événement a fait voir si c.ette mesure était
juste.




MÉ::\IOTRES


CHAPITRE XLVII.


Ce fut pendant eette retraite que les soldats
apprirent le desastre de Waterloo et I'ahdication
de I'empereur, que, jusqu'a ce moment, je lenr
avais soigneuscment cach('s. Ces év('nements
produisirent un découragement universeJ , et la
désertion se nlÍt bientot parmi cux. Les moins
emportes roulaient dans lellrs tetes des projets
funestes. Excüés par la malveillance, les uns
voulaient se rcndrc dans leurs foyers, les ;mtres
propOSatCllt de se jeter en partisans dans les
Vosges.


Je fus allssitot informé de ces dispositions .
.l'envisageai de suitp les tcrriblc's eons(~qucnces
(lu'elles pouvaienl avoir. Je publiai un ordre
dn jour; il reussit) les esprit" se calnH~rent;
mais l'inquiélude ne tarda pas a se réveiller.
Arrivé a Haguenall) le *** régiment, autl'efois
si f;uneux, annolH,:a hautement le dessein dI:'
quitter l'<lrmpe et de se remire avee son artille·-
rie dan s les montagues. D(~.ia les pieces étaient
,¡ttt'lées et un batailJon avait pris les armes . .le




OU GÉ~É.RAL RAPP. 36~j
flls a verti; j'accourus, je pris a la maill l'ai31e
de ces rebelles; et me pla(,'ant au milien d'eux,
"Soldats, leur dis-jc, j'apprenrls qu'il est q\lCS-
» tiol1, parmi vous, de IlOllS abandOI1!1cr. J)ans
» une heure nons allons nons battn~; voulez-
» vous que les Autrichiens pensent que vous
)) avez fui le champ d'honlleur? Que les bra n's
)l jurent ele Be quitter ni lellrs aigles ni kllf' gé-
» néral en chef . .Te permets aux laches de s'en
') aHer. » A ces mots, tOtlS s'écrient : « Vive Rapp!
)) vive notre géni-ral! )) 'Ious font le serment de
mourir sous leurs drapeaux, et le calme est ré-
tabli.


NOlls nOlls mImes allssit(')t en llIarche, el nous
nous portames sur la Souffel, a dcux lieups en
avant de Slrasbonrg. La qllinzieme di\ isi('1I ;nait
sa drojte ;\ la riviere rl'Ill, son centre a !klf'n-
heim, sa vauche a SouffelweyersheiIn, et s'éten-
dait juscl'¡'a la rOl/te de Brumpt ; la se;zii'mc
occllpait Lampertheim, "MunrlolslH'im, les truis
viHages de Jlausbergeu, et appuyait sa galldw a
la l'Oute de Saverne; enún la dix-sC'ptj(\nw était
en c010nnes sur celle de Molsheim, ;¡\ec c!('IIX
l'égirnents de ca\alf'I'ie; deltx autres ('taient pla-
cé~ en arripre de la (luinziellle dhisíOll a fiis-
che'im. Telle était la position ele nos Ircupes le ;JI)
aH matin, lorsque l'elllwmi se jeta avec inip('~
')./~




37 0 i\lE}IOIR1~S
tuosité sur le village de Lampertheim, occupé
par un bataillon du lOe, SOllS le commalldemeut
dll général Beurmann. Ce bata ilIon selll soutint
long-temps les efforts de huit mille hommes d'in-
fanterie et le fen continu de six pieces de canon.
Néanmoins, comme le nombre des assaillants
augmentait sallS cesse, il se retira derriere la ri-
viere, et villt, conformément a ses ordres, s'é-
blir a Mundolsheim.


Des colonnes ennemies, fortes de quarante a
cinqllante mille hommes, s'avancerenl allssitot
par les routes de Brumpt et de Bischweiller.
Toutes ces dispositiollS, el les masses de cava-
lerie qui cOllyraient la pr>emiel'e de ces ruutes ,
annoIl<,;aient le projet de séparer les divisions des
généraux Rottembourg et Albert, afin d'accabler
celle-ci. J e ne me mépris pas sur le dessein des
alliés; mais je ne pouvais réunir mes troupes, dé-
ployées dans une plaine immense et déjit enga-
gées sur tonte la ligne. 11 ne me restait qu'un
partí; je le pris sur-Ie-champ: heurellsement c'é-
tait le plus fnneste ponr l'ennemi. Je serre en co-
lonnes le 10c ri>ginwut, au milieu da fen; je fais
avancer le 32 e , et je l'échclonne apr(~s I'avolr
formé en carré.Te reste de la (li vision A 11ert reste
en résel'ye a la hallteul' de Hi(lerhausbergen.


Tout en défendant le tcrrain pied a pied, le




DU GÉNÉRAL Rc· ... PP. 371
géllt'-ralRottemLoul'g 6t un changement de front,
l'aile gauche en arriere, et vint couvrir les villages
de IToenheim, Bischeim et ScJ:üttigheim, en me-
na<;ant le flan e des troupes qui s'engageaient en-
tre ces deux divisions. C'étaient ses instructions.


Le 103" fut placé sur la route deBrumpt, et le
?)6e sortit de Souffelweyersheim pOLlr I'aplmyer;
mais a peine était-il en marche que les allit's atta-
quent le viilage. J'ellvoie allssitot une eompagnie
ponr dai:mdre eette importante position. Nos
soldats s'y portent a la euurse, mais l'ennemi
s'en empare avant qu'ils puissent alriver. Le ca-
pitaine Challvin soutient avec une rare bravonre
le fen cJ'une nuée de tirailleurs, et donne au gé-
néral Fririon le tem ps d'aeeourir. Celll i-ci laisse
un bataillon et quatre pieces de canon pour eou-
vrir la route, et s'avanee au pas de charge avee
le reste de ses forces. Le général Gudin seconde
ce mouyement, et manceuvre sur celle de Bis-
chweiller : les A lltrichiens ccelent el se retirenl;
mais les reufol'ts qu'ils re<;oivent achaque in-
stant ne laissent a nos troupes aucun espoir de
se maintenir. D'un autre coté, les assaillants
avaient débol'dé le 10c , et le moment était vellU
e1'exf:cuter le mouvement que j'avais prescrito En
cOllséqnence, la seizieme divisiün rf'plia son aile
gauche perpendiculairement en arrlf're, et eH


24·




ME.\10 I IlES
conservant la h"te de Hoenheim, d'otl notre al'-
tillerie foudroyait l'ennemi en flanc et a rcvers.
En meme temps, le brave général Beurmann, at-
taqué de tout~s parts et d{'jil enveloppé, sortait
ele Mundolsheim a la tete dn 10", et faisait re-
traite en bon ordre sur la division.


Les Alltrichiens, de !eur cot<;, se portaient sur
la route de Brllmpt avec des ma"ses énormes de
cavalerie et d'infanterie, soutenl1es par une artil-
lerie furmidable. lis s'engagerent entre les deux
divisions, et arriverent sans obstade sur quatre
bouches a fen qui u'avaient cessé de mitrailler
lenrs colonnes. Elles furent enlevées : mais l'en-
llemi prcta le flanc aux troupes d" généraI Bot-
tembourg, et a dl'lIX I'Pgimcllts de ca valerje qUÍ
se tromeaient sur son front. Je profitai de cette
circonstance, je me mis a la tete du 1 le de dra-
gons et du 7" de chasseurs a cheval. Je me préci-
pitai en avant, jc l'cllversai la premiere ligne,
pénétrai dans la seconde, Clllbntai 10l1t ce qui
opposa de la r!'sÍstancc. N ous flmes une bOll-
cherie affrcllse (le la cavalerie autrichienne ei
wurkmhergeoise. En meme temps le 32' de ligllf'
arrive an pas de charge, en colonnes serrées, et
l'empeche de SI' ralIier. Elle se renvt'I'se sur sa
propre infanteric et la met en fuite.


De son cOté le général Rottemboul'g porte S;j




De GÉN:f~RAL RAPP. 373
droite en avant, et fait sur l'ennemi, qui défile en
désordre devant ses colonnes, le fenle plus mellr-
trif'r d'artillel'ie et de mousqueterie; en un in-
stant le champ de bataille est con vert de IIlOrts, et
I'immense armée du prillce de Wurtelllberg mise
en dérollte. Elle fut telle que des bagages qui sc
trouvaient ;\ deux licues en arrierc furent cul-
butés, pillés, et que le prince lui-mérne penlit
ses équipages. Le désordre s'étendit jusqu'a TTa-
gnenau, et aurait été plus loin, si 30,000 Russes,
arrivés de Weissembourg, n'eussent par leuJ' pré-
sence rasslIr(' les fu} ards. La nnit qui sllnint,
et le danger qn'il y aurait eH a s'aventm'er devaut
des forces aussi supérieures, nous emp(;chérellt
de profiter de nos avantages. Nons ne púmes re-
prendre Jlotre artillerie; l'ennemi s'était lúté de
la bire passer Sil!' ses derrj(>res.


Elle llli coútaÍl assez cher pOUí' qu'jl flnt a la
conservero H aya1t quinze cents a deux mille
morts et un nombre de blessés encore plus COIl-
sicléraLle. De llotre coté, nous eúmes emiron
sept cents hommes hors de comhat. De ce nom-
bre étaient les deux capitaines d'artilleJ'ie légáe
Favier et Dandlau, blessés l'un et l'autre en dé-
feudant leurs piéces, et le colonel l\fontagnieI',
I{ni rendit de si grallds services en cette occasioIl.


Le général ennemi se vcngea de sa défaile p;n




~ ,
·)7l l\IÉMOIRES
des dégats. Il incendia, le lendemain ele la ba-
taille, le village de Souffelweyershei m, sous prr-
texte que les paysans avaient tiré Sllr ses trOllpe~,
Le faít n'est pas vrai, et le nom du prínce de Wur-
tcmberg reste a jamais souillé d'une actíon qui a
plongé une foule de familles dans la misereo


Soit que la vigucur avcc laquclle nous avion"
repoussé toutes ses attafjlles 1'eut dégouté d'en
faire de nouvelles, soit tout autre motif, il
resta quelques jours s:ms ríen entreprendre.
Je profitai de ce repos pOllr approvisionnel'
Strasbonrg et me fortifier dan~ mes position~.
J"eus le ternps aussi de dOlll1er a tous les COill-
mandants de place qlli étaient SOtiS mes ordre~
les instructions les plus précises.


Cependant l'armée alliée augmentait sans cesse,
de nouveaux corps venaient la grossil' tous les
jours: bíentót soixante-dix mille hommes se dé-
ployerent devant nous , et vinrent nous pressel'
de toutes parts. Les parlemelltain~s se succédaieut
¡'un a l'autre, el sans avoir aucun but marqué. ;]('
fis proposer au général ennemi une suspensio/)
(l'armes, pendant laquelle je pourraís en voy e!'
un officíer a París, et recevoir dt's on]res dll gOll-
vernement. Le pl'ince de ·VVurtemberg refusa, san"
renoncer néanmoins au svsteme de commllllica-




lion c¡u'il avait adortp




IJLJ GLN:ERAL !l;\PP. ·>7.'
Ce fu! a peu prf.s a eette épOqllC qu'il fit venir


devanl lni le pastenr de Welldenheim, homme
respectable el excellent patriote. (1 Connaissez-
HOUS, lui dit-il, le général Rapp (-Ouí, mon-
JI seigneur. - Vous chargeriez-vous d'une mission
» aupres de lui? - Assurément, si elle n'avait
» rien de contraire aux intércts de mon pays.-
)) Eh bien, allez lui dire que s'il vcut me livrcr
"Strasbourg pour le roí de France, il verra pleu-
,¡ va ir sur lui les biens et les honneurs. - Mon-
» seigneur, le général liapp est Alsacien , et par
)) conséqnent bon Fran<;ais; jamais il ne consell-
)) tira a déshonorer sa carriere militaire. En con-
» séquence, je prie votre altesse de charger un
)) autre que moi de ce message. )


A ces mots, le vénérable pastenr s'incline et
disparalt, laissant le prince étonné et confondu
d'avoir proposé illutilement lIlle bassesse. Néall-
moins son altesse ne se rebuta paso Le 3 juillet,
elle m'envóya le général Vacquant, en qualité
de parlementaire, pour me demander ,au Hom
du roi de France, la remise de la place de
Strasbourg. Afin d'inspirer plus de confiance,
['officier autrichien portait un énorme ruban
bla n e et la décoration du lis. Je lui demandai
,,'il vellait de la part du roi, il répondit que
lIon. « Eh bien, l ni dis-je, je ne rendrai la place




MEMOIRE~
)) que lOI'sque mes soldats auronl mallgé de~
» cllis<;es alltrichicnnes, comuJ(~ ceux que j'avais
)) a Dantzick en ont mangé de russes. ))


ImportulIé des communicatiollS insignifiantes
que m(' faisait passer chaque jonr le commaIHlant
des :llliés ,jP cherchai a pénétrer ses motifs. Dans
eette Y\le, une l'econnaissance gén{~rale fut eXl~­
cntée le () sur les positions autriehiellnes. Nos
soldats ellleyerent quelques postes de cavalerie,
en tailláent d'autres en pieces, et rentrerent
au camp apres ayoir fait premlre les armes á
tOl1te l'armée eunemie.


Une forte canonnade s'étallt [ait enteIH"·c deux
jOUI'S apres du coté de Phalshourg, je I'ésolllS de
faire une seeonde pointe, tant pour m'assurer
au juste des force s que j'avais devant moi , que
pOUI' emppcher le prinee de WurLembeI'g de dé-
tacher des troupes contre cette place. La di visiol}
Albert et la casalerie marcherent coutre le camp
retranché que les Autl'ichiells avaient assis de-
ptÜS la forte position d'Oherhaushergen jusqu';¡
I Liderhausbergen. L'attaque coml1lenc;a a troÍs
henres du mal in , elle fut ilOpétlHmse et cou-
ronnée tln plus granel slIcces. La c;naleric eu-
nemie fut culblltée et mise en fuite par la Dl'igade
clu général Crouwl; les principaux \'illages fu-
rent pris a 1<1 baÚmIlf'tte, t't les retrancherneIlt~




nu C}~NERAL RAPP. 37~
eUlportés. P]usieurs officiers furent faits prison-
uiers (Lms lellrs li¡-s, d'autl'cs au moment Ol!
ils couraieut aux armes. Des généraux s'échap-
pcrent en chcmise, et ne lIul'ent Ienr salut qll'aux
ténebl'es qui les protégeaiellt.


Le 10" d'infanterje légere, commandé par le
bra ve colollel Cretté, déploya dans eette affaire
la meme valeur C{u'it la batai11e du 2/). Le 18°,
sons les ordres du colonel Voyrol , l'uu des offi-
ciers les plus illtrépidcs de l'armée fran<;aise, se
rendít maitre du village de Mittelhausbergen , oú
j1 se rnainLint long-temps contrI" des forces supé-
l'leuJ't's t't des attaques non iuterrompues sur
tOllS les points.


Le signal de la retraite ayant été donné, le
général Albert fit échelonner le 57 c vers l'attaque
de droite, et le 32° ven; celle de gauche. Nous
HOUS repliames dans le plus grand ol'dre. L'en-
nemi \'oulut 1I0US troubJer, il f<Jndit su/' nos
trollpes. Le 57 e le reC;llt sans s'ébranler, et fit
une décharge á bOllt portant qui désorganisa ses
colounes; deux fois la cavalerie aUi{:e revint á la
charge, deux fois elle fllt repoussée avec perte.
Le général Laroche, qui la conduisait , fut atteint
et tomha sons les pieds des chevaux; iI eút péri
si les franc;ais ue fussent venus a son sccours .
• Amis , s'écria-t-il, j'ai servi autrefois dans YOS




MÉMOIRES
'l'angs, sauvez-moi. l) n fut aussitót relevé et
l'endu aux siens. lJn gros de cuirassiers faillit
surprendre le 18e dan s son mouvement rétro-
grade; mais le chef de l'état-major-g(~néral, le
eolonel Schneider, lui ayant hahilement opposé
un bataillon qu'il avait sons la main, rompit son
ehoe et sauva le régiment d'UllC défaitc inévitable.


Les alliés, convaincus qu'ils ne parviendraient
pas a nous entamer, nous laisserent paisiblement
continuer notre marche. N os troupes rentrerent
::m camp apres avoir acquis la certitllde de l'im-
mense snpériorité des forces qu'clles avaicnt a
combattre. De part et d'autre 011 prit des ca11-
tonnements. Une cOllvelltion militaÍre fut conclue
peu de jours apres, et les hostilités cesserent
dans toute l' Alsace.




nu GENERAL RAPP. ')79


CHAPITRFXLVUJ.


L'oisivcté engendra bientOt la sédition. D'an-
tres armées, d'antres corps, que n'égarait allCllne
combinaison politique, avaient foulé aux pieds
la discipli.ne militaire. Est-il étrange qu'au milieu
de l'efferveseenee génerale mes soldats se soien1
¡¡n instant oubliés? Ce1 épisode est pénible. Je lle
dois ni l'écrire ni le taire. Je puis bien sup-
porter le blame qu'ont eneouru Joubert, lVIas-
sl'ua, et tant d'alltres généraux que jc n'ai pas
la prétention d'égaler. Voici en quels termes un
anonyrne a rendll eompte de cet acte d'indisei-
plinc. II ll'a pas voulu tout dire, inais il s'agit
de moi: j e dois ünitel' sa réserve. Je souscris
dn reste an jllgement qu'il a portl>,


«Les Autriehiens, desespérant de se relldre mal-
tres de Strasbourg par la force des armes, eher-
cherent a se ménager des intelligenees dans eette
ville. lIs y réussirent d'autant mieux qu'ils em-
ploy(~rent avec sagacité les dellx moyens qui agis-
sent le plus puissamment sur lecceur de l'homme,
1'01' et la frayeur. lis séduisirent les uns par l'ap-




lVIÉl\IOIRES
pat de~ richesses, ils en subjugllt~rellt d'autres
en leur {aisant crailldl'f' les vellgeances el II gOll-
vernement. Lorsqu'ils se furell t (le la surte as-
sllrés de tons ceux qll'ils jugerent susceptibles
d'etre égarés, ils se h:lterent d'exPcl1lpr lcms per-
fides desseins.


)) Des l'ouvertllre de b campagne, \lOS solrlats
se tronvaient dan s un état d'irritation bien pro-
pre a seconder les vues secretes de l'ennemi : ils
cunnaissaient l'affreuse jonrnée de Waterloo, ils
en savaient tons les détails; mais ils avaient trop
de conflance daus l'habiJeté de cet hommf' fa-
mellx ayec lequcl ils :rvaient cinq fois triomphé
de l'Europe entiere, ils l'avaient vu trup souvent
ressaisir par des inspirations soudalnes la vic-
toire quilui échappait, ponr croire que son génie
militaire l'eút tout a coup abandonné; ils son-
geaient perpétnellement a ce désastre, et ils ne
pouvaient y sOllger sans frémir. Persuadés qu'ils
étaient que nos troupes étaienl tOlljours les
mcmes, et qu'elles avaient affaire aux memes
ennemis, une telle défaite lenr paraissait incull-
cevable. N'en connaissant pas les vér;tables cau-
ses, ils accusaient les trattres de tons nos mal-
heurs : des traitres a vaient livré nos plans, des
traltres avaient commandé de fansscs mallceu-
vres, des traltres avaieut crié sauve qui ¡¡eui; il




\ en :¡yai t parmi ks généraux, parmi les offi~
ciers, parmi les soldats: ({ui sait l11pme s'il n'en
existait que dan s l'arml~e du Horel! ql1i sait si le
corps JOllt ils faisaienl partie, si leur régiment,
si lcur compagnie , n'en htient pas infectés?
POllvaient-ils compter Sllr leurs chef:", sur leurs
camarades? Tout le monde était suspect, il fallait
se d<,fier de tont le monde.


» Tels étaient les discours qui échappaient a la
col('l'e, que 1:¡ malveiIIance accueilIait , amplifiai 1,
(~nveIlimait, el que chaque soldat finit par ré-
péter el par croire. Rientot on expliqua tout par
cptte jdi'c. Accoutumé a teni1' la campagne, OH
s'hail VII ave e dOllleur conlraint de se retil'er
elevant un eIlIlf'ml qll'on méprisait. Il el'¡t (~té na-
turel d'attribuer ses progl'cs a son immense su-
périorité numérique : 011 aima mieux les expli.
quer alltrernent; les chefs étaient d'illtelligence
avec les Autrichiens. Plusiew's circonstances aussi
fatales (!u'jllPvitables vinrent donnpr a eette
opinioIl une sor te de vraisemblanee allX ) eux
des soldats prévenns. Ce fnt d'aborcl l'ordre que
I'e.;;ut le comtc Rapp de licencier l'arm{>e, et de
I'Cllyoycr chaque homme isolérncnt, sallS argent
et sans armes. Ce fut ensuitc une injonction qui
luí fut faite par le gouvernement ele li\Ter a eles
comrnissaires l'USSCS dix mille fu~ils tirés de I'al'-




AlEMOJHES


senal de Strasbourg. Ces dellx dt>peches l'oblige-
rellt d'lmtrer en correspondan ce ayec les alliés.
Les fréquents échanges de courriers qui curent
lien a eette occasion produisirent un mauvais
effet sur les esprits. Le mystere dont le général
fut oblig(~ de s'envelopper pour cacher aux trou-
pes le transpol't des armes a fen augmenta 1'ir-
r1tation; les malveillants la porterent a son com-
ble. lis disaient hautement qne le comte Rapp
¡'tait vendll, qu'il avait re~u plllsiellrs mi1110ns
(les A lltrichiens pour les introdllire dans la place,
et (!'Ie s'il rcnvo) ait les soldats individuellemcnt
el. clésarmés, c'était d'apres une conventioll faite
et pour les livrer á l'cnnerni.


)) Dps qu'une foís ces germes de fermentation
curent été jetés dans les différents corps , ils se
développerent d'eux-memes; les instigateurs n'eu-
rent plus qu'a en observer les progres , a com-
biner les incidents prupres a augmeuter les trou-
bies, et á rendrc inévitable la catastrophe qn'ils
préparaicnt.


1) Qnoique le général Rapp fút bien loin de SOllp-
(!onner une teUe trame, 11 avait pris ~ en quelque
surte, toutes les mesures qu'il pouvait prendrf'
puur la déjouer. Aussitót que la dépi'che minis-
térielle relatiye au licenciement lui fut pal'VeIlUe,
il ayait I'xpédi¡~ en toute hate a Paris un de ses




DU GÉNÉRAL RA.PP. 38:')
aides-cle-eamp, le chef d'eseadron M arnier. Cet
offieier vit plllsicllrs fois les ministres, iI Jeur
repd'senta a quelle violenee l'armée allait se por-
ter si la solde entiere n'était pas payée; mais
il ne put obten ir , malgré les instanees les plus
vivcs, qu'llne traite de quatre ccnt mille franes
sur la eaisse de service. Son rE'tour ave e eeUe
faible sormne vint détruire ton tes les esp{~ranees.
Le général en chef, qui voyait les esprits s'aigrir
de plus en plus, ne llégligea rien pOllr eonjurer
I'orage. Le manque de fonds était ce flui indis-
posait le plus: ponr faire disparaitre ceUe cause
de mécontentement, il essaya d'ouvrir un em-
prullt dans Strasbourg Les habitants lui ayan!
demandé une hypotheque, iI {Jt soIliciter, ;mpres
du ministre des finanees, l'autori~ation d'engagc¡'
les tabacs qui se trouvaient dans la ville : le minis-
tre s'y refusa. N éanmoins, par l'entremise dll gé-
néraI Semelé, qui eommanrlait la place, on obtint
des autorités civiles une SOIIlIllC de cent soixante
mille franes. De si faibles moyens ne ponvaient
satisfaire les soldats, que de faux bruits animaient
S<lns cesse, et l'insurrection nI" tarda pas a éclater.
Elle fut soudaine, elle fut générale, et présenta
un caractere tout-a-fait particuliel'. J'en retracerai
tons les détails, paree flu'ils seryiront a faire
mieux connaltre l'esprit dll <;oldat fioan<;ais.




3K4 MEMOfRES
(( Le 2 septclllbre, vel'S les huit heul'cs du ma-


tin, environ soix;¡nte officiers subalternes de dif-
férents rég~ments s'assemblcrent dans un des bas-
tions de la place. lIs arreterent un projet d'o-
béissance aux ordres qui liccnciaient l'armée ,
mais á des conditions dont ils résolurent de ne
point se départir. Cette déclaration commcm;ait
amsl:


u Au nom de l'armée du Rhin, les officiers ,
)i sous-officiers et soldats n'oh{'iront allX ordres
» donnés pour le licenciernent f1u'aux conditions
)) suivantes :


)) ,\rt. 1 er. Les officiel's, sOLls-officipl's el soldats
»ne quitteront l'arl11t·c qll'apn~s avoi1' éb'~ soldés
)) ele tOllt ce qlli Ieur cst dúo


» Al't. 2. Ils partiI'ont tous le meme jouI', em-
¡) portant armes, bagages, et cinquante cartouehes
» ehaeun, etc., etc. »


» Des que cette pil~ce eut été libellée, 11s se re n-
dirent ehez le général en chef pom lui el! donner
cOl1lmunieation. Celui - ei, alors matule, t'>tait
dans le hail!. ÉtoIlué de cette visite inattendue ,
iI clorme ordre de laisser approcher. Cinq offi-
ciers s'approchent aussitot cte la baignuire; ils
font l'cxpos{~ du sujet, de lenI' missjon, et d(>-
clarent que l'armpe Be sllbira le liceneiement
qu'autant que ces eonditions aurout été rcm-




UD GÉN ERA L R.\ PP. 385
plies. A ce mot de contlitiol1s, le général fnrieux
s'élance da bain, et arrachant le papier des
mains de l'orateur : « Quoi ! messieurs, vous vou-
¡ Iez m'imposer des conditions! vous refnsez.


» d'obéir ! des conditions a moi L .. »
» Le ton de voix, le regard du comte Rapp ,


peut-etre l'attitude dans Iaquelle iI se pr<"sentait,
imposerent a la députation. Elle se retira con-
fuse, et chacun des officiers alla rendre comptc
a son régiment du mauvais accueil qu'ils avaient
re~u.


» Les sous-officiers, assembIés au nombre d'ell-
viron cinq cents, attendaient pour agir la ré-
pouse du généraI. Tls sentirent bien, quand lIs
en eurent cOlluaissance, qU'llU tel hommc n'était
pas facile a intimider, et qu'eu.faisant une dé-
marche, ils ne seraient pas plus heureux que
leurs chefs. Mais leuI' parti était pris; ils vinrent
se ranger en batai1le dans la cour el" palais, ct
demanderent qu'on les introduislt aupres da gé-
néral en chef.. Un aide-de-camp descend pOLIr
connaltre les motifs qui les amcnent, ils refusent
d'entrer en explication aH~C lui. "Quel est le
)) chef de la traupe? demande cet officier. Aucun ...
» tous ,» l'épondent-ils en masse. II appelle au
centre les plus anciens de chaque régiment; il
lpul' adresse quelqncs représenlations sur l'acte


25




38ti MEl\101HES
cl'indisr:ipline dont ils se rendent coupables. Mille
voix confuses l'interrompent aUss1tot: « De 1'ar-
"gent! de 1'argent!. .. N ous vonlons etre payés de
"tout ce qui nous est dú; nOllS saurons nous
Jl faire payer. ))


"Le chef d'état-major colonel Schneüler, dont
ils avaient tant de fois admiré la résolution au
milien des dangers, arrive sur ces entrefaites,
et essaic avec aussi pcu de succes de les calmer:
« De l'argent, répetent-ils encore, oe l'argent! n
Fatigués de pousser des cris, de faire des me-
naces inutiles , et n'ayant pn arri,,-er jusqu'au gé-
néral en chef, ils se dispersent enfin, apres s'etre
assigné un rendez-vous. La plupart se portent
sur ]a place d'armes, oú jls procedent aussit6t
a l'élection des nouveaux chefs qu'ils avaient ré-
solu oe se donner. L'un d' eux , nommé Dalouzi ,
sergent au 7" léger, connll par sa capacité, son
audace, et surtont par un babil soldatesql1e qui
lui était propre , réunit tous les suffrages : « Vous
~ voulez etre payés, dit-il a ses camarades, et
»c'est pour cela que vous etes ¡ci. - Oui, ré-
II pondit-on d'une commune voix. - Eh bien! si
"VOUS promettez de m'obéir, de vous abstenir de
n tout désordre,de faire respecter les propriétés,
» de prott'>ger les personnes, je jure Sllr ma tete
)l que vous le serez avant vingt-quatre heures."




nu GÉNÉRAL RAPP.
Ce disconrs fut accueilli avec des cris de joic, et
le sergent fnt nommé général. II choisit aussitot
pOllr son chef d'état - major le tambOllr- major
dH 58c ; un second sous-officier fut chargé des
fonctions de gou verneur de la. place; un troí-
síeme, du commandement de la prerniel'e di-
vision; un aHtre de la seconde, et ainsi de
suite. Les régiments curent des coloncls; les ba-
taillons, les escaclrons, des chefs; et les com-
pagnies, des capitaínes; enfin on compléta un
état-major.


» l .. es autres sous-officiers étaient retournés allx.
casernes, ou les soldats attenclaient avec impa-
tience le résuItat de la démarche qui wnait ¡¡'dre
faite. La générale est aussitót baltlH", et ttJUS
les corps, infanterie, cavalerie, artillerie, sont
dirigés en ordre et a la course sur la place ¿'ar-
mes. L'organisation était a peine tprminú', lors-
qu'ils y arriveJ'eJlt. A mesure qu'ils paraissaipnt,
les nouveaux chefs allaient en prendI'e le COJl1-
mandemellt , et les dirigeaient sur les points
qu'ils avaient ordre d'occnper.


» Cependant le général Rapp, étonné de voir
éclater une insurrection si grave, s'hait hahillé
a la h:lte, dans l'espérance de connattre les mo-
tifs de ces mouvements séditieux, et de parvenir
a les calmer. Mais les diyerses opórations dont


25.




388 MÉMOIRES
nous venons de rendre compte avaient été con-
duites avec une telle célérité, qu'au moment 00
il sortait accompagné de son chef d'état-major eL
oe quelques officiers, les colonnes, suivies d'une
populace uombreuse, débouchaient déja par
toutes les rues qui aLoutissent a la place du
palais. Des qu'clles apen;;oivent le général, les
troupes se mettent précipitamment en bataille,
et croisent la balonnette pour l'empecher de
passer. Aussitot des cris forcenés se font entendre
des derlliers rangs. « Tirez ... il a vendu l'armée ...
)) Tirez done. » Des misérables, répandus dans le~
groupes, excitaient du geste et de la yoix a mas-
sacrer ce vaillant homme. La fureur se répand
de proche en proehe, et Lientot la eonfusion
est a son comble; les soldats égarés appretent
leurs armes; les rangs se doublent; huit pieces
de canon arrivent aH galop, et sont ineontillent
chargées a mi traille.


» Chaque fois que le gélléral Rapp aclresse la pa-
role a ceux qui le menaeent, les vociférations
recommencellt et les cris provocateurs se font
eU.lendrc avee une nouvelle rage. Mis en joue ú
plusieul's reprises, les piéces de canon sont COIl-
stamment dirigées sur lui, et les pointeul's sui-
vent tous ses ll10uvements: « Rangez-vous! s'é-
') criaient-ils, que nous tirion5 dessus.» Un obusier




DU CENERAL HC\PP. ':>89
s'attache avec tallt de persévérance au groupe
dont le général est environné, qu'il s'en aperl,ioit.
Il court au canonnier qui tient la meche: « Eh
"bien! que prétends-tu faire, misérable? lni dit-
p il; vel1x-tu me tuer? Mets le fen, me voici a
» I'embouchure. - Ah, mon général! s'écrie le
» soldat pn laissant échapper son houte-fell, j'ai
1) été an siége de Dantzick avec vous, je vous
» donnerais ma "ie ... Mais les camarades veulent
» etre payés, je snis obligé de faire comme CllX. )l
Et iI. reprend sa meche.


) Accablé de questions vides de sens, d'inter-
peIlations sans objet, élourdi des clamenrs de
la multitude, dont les flots grossissaient sans
cesse, le général se décida enfiu a rentrer au
palais.


JJ Les troupes ry suivirent, et les différentes ave-
nues en furenl snr-Ie-champ occnpées par huit
picces de canon, mille homllles d'infanterie et
uu escadron de ca valerie. eette garde se l10Jmna
la garde extérieure du palais. Un bataillon de
grenadiers vint s'établir dans la conr, et prit la
dénomination (le garcle intérieure. Pres de soixante
factionnaires furent placés deux a deu x atontes
les portes et sur l'escalier qui conduisait a l'ap-
partement du comte Rapp; il Y en eut nH~rne ,


,pendanl quelques instants, jusqu'a ceHe de <;a




l\IÉMOIRE~
chambre a coucher. On s'empara ensuite du te-
légraphe et de la monnaie. Pour témoigner en
meme temps qU'Ull n'avait aucun mauvais des-
scin, un détachement fut envoyé a l'hotel du
général autrichien Volkman, qlli se trouvait dans
la place, et fut mis a sa disposition. Les ponts
ftIrent levfs, et l'on ne communiqua plus avec
les dehors sans une permission signée <iu nou-
veau commandant. Le tambour-major du 58e se
rendit avec un trompette au quartier-général eles
alJiés , et leur signifia que s'ils respectaient la
treve , la garnison ne se porterait a aucun acte
d'hostilité; mais que s'ils essayaient de profiter
de la mésintelligence qui régnait entre le chef
et les soldats, elle saurait opposer une noble ré-
sistance.


)) Cependant Dalouzi avait établi son état-major
sur la place d'armes, et créé denx cornmissions,
l'une des vivres, composée de fourriers, et l'autre
dcs tinances, formé e de sergents-majors; elles
se constitllerent en permanence, délibérerenl sur
les mesures les plus propres a maintenir la tran-
quillité publique, et a mettre la "iHe a l'abri de
toute snrprise. Les postes de la citad elle el ceux
de i'intérieur furent doublés; on pla<;a IIu,;me des
gardes a quelyues vieilles potelfles qui jllslllle-
la ;"aient été lH~gligées; on renfor~a ];:¡ lignc /~X.-




HU GENERAL RAPP. j9'
lerieure, les troupes hivouaquérent sur les places
et dans les rues; enfin on n'ollblia aucune des
pn"cautiolls <lue peut suggérer la pruJencc la
plus soup¡;:onnellsc. Afin de prévenir les exces
duxquels la malveillance pouvait exciter les sol-
dals, iI fut défendu, sous peine de mort, d'entrer
dan s aucun des lieux OIl 1'on vendait dt~ l'e;:m-
de-vie, du vin ou de la hiere. La meme peirlf'
fut portée contre tous ceux qui se rendraient
coupabIes de pillage, de désordre ou d'insubor-
dillation. Enfin, pour assurer mieux encore la
trallflllillité publique, il flIt resolu que l'armét'
serait. iustruÍte de six heures en six heures de sa
sitnation.


» Ces dispositions prises , le rece~eur-général et
l'inspecteur aux revues furent mandés. Celui-ci
lit un état approximatif des sommes nécessaires
pOllr mettre la solde au courant, l'autre présenta
le montant de son avoir en caisse; apres quoi,
Dalouzi convoqlla le conseil municipal, auquel
il ex posa les motifs qui avaient déterminé la gar-
nison a prendrc les armes, et pria le maire d'a-
viser aux moyclls de faire des fonds ponr acquit-
ter l'arriéré.


» Il en voy a eusuite au cOlnte Rapp une deputa-
tiOIl cOJO posée (lu nouveau gouverneul' et de cinq
ou six gt':néraux-sergents. « Eh bien! que me vou-




" lez-vous encore! leur dit ce général avee l'aeceu[
» de l'indignatiou et du mépris. Vous etes indignes
» de por ter l' uniforme francais ... J' ai eru que v ou~
» étiez d('s gens d'hol111eur, je me suís trompé .. .
» Vous vous laissez séduire par des misérahles .. .
» Que prétendez-vous faire? .. POLlrquoi ces gardes
» qui ellvironnent le palais? .. Pourquoi eette ar-
» tillerie dirigée contre moi? .. Je snis done bien
)) redontablc ? .. Croi t-Oll que je veuille m'évader? ..
» Et pour quel1e raison m'évaderais-je? ... Je ne
» crains rien ... Je ne vous crains pas ... Mais au
"fait que me voulez-vous? encore une fois qlW
II me voulez-volls ! .... ), L'agitation au comte Rapp,
en pronon<;ant ces Illots, contrastaít vivement
avec l'aír somhre de la députatíon. Ces sous-offt-
ciers, confus de reten ir captif un chef qu'ils ai-
maient, et dont la valeur, b. loyanté leur étaient
si connnes, gardaient un profond silellce. Jls
étaieut sur le poillt oc se retirer, lorsqu'un rl'en-
tre eux prenant la parole : « Mon général, clit-il,
)\ !lons avons appris que les autres corps d'arm(;f'
)) ont été payés, nos soIdats veuleut égalemenf
)) 1'etre; ils sont en révoltc, mais ils nous Obl'is-
)) sent. Nous ne dcmandons que ce qui 1l00lS esl
l) dú, le faible dédommagement de tant de sang
» et de blessures; !lOUS ne demandons que ce q II i
\ nOllS est indispensable pour faire notre rou te f't




DlJ GENERAL BAPP. :i93


) nOl1s retirer dans nos foyers. Les troupes nI' ren-
.J ITerO!!t tlans l'ordl'p, c'est une chose feJ'Jl1ement
» arretée, que lorsqllc la solde sera alignée pOllr
"tont le mOlHle. - Tl n'y a pas assez (l'argenl ('n
) caisse, repartit 11' général. 1'aÍ eu l'intention de
» vous faire payer, meme de vos masses; j'ai en-
)1 voyé un aide-de-camp a París, il a vu les mil11S-
}¡ tres, mais on n'a pu lui donner que (luatre cellt
)) mille francs. e' est cette somme, ainsi que celle
JI qui existe déjil dans la caisse du payeur, qHf' je
'J ferai répartir entre les divers régiments. - J :ar-
.J mée veut etrf' payée, mon généJ':1l. - Je vous ai
" dit ce que j'avais a vous dire; retirez-vous, et
"rentrez au plus t6t dans 1'0l·dre ... Si l'ennemi a
"malhenreusement connaissance de ce qui se
J passe ici, que deviendrez-vons? - On a ton!
,) prévl1, mon général : un régiment de cavalerie
,) et douze pieces de canon sont partis pOllr ren-
)) forcer la division qui est au campo II vous cst
» facile de nous faire payel'; et vous avez tou t á
»)craindre de la parl des soldats, si d'iei;l yillgl-
)) quatre heures ils ne S011t pas satisfaits. - Que
») m'importc a moi, ce que vous el vos solaats
»pouvez faire! Je vous répetc que vous n'aurez
» (Iue les fonds qui vous sont upstinés. Quelquc
» chose qui puisse arriver, n'esp{~rl'z pas me con-
"trainare h [aire ce q[W mOIl elevoir me défend ..




MÉMOIRES
) - Général, les soldats peuvent vous conduire
,) a la citadelle, ils peuvent meme vous fnsiller;
i) nous répondons d'eux maintenant, mais si
» \ ous ne nous faites pas payer ... - Je n'ai plus
') rien a vous dire, sortez de chez moi ... Si vous
il me fusillez, eh bien, je préfere la mort a la
, honte ... Vous etes des ennemis de l'ordre ... ;
»vous etes des instruments de la malveillance et
)) d'une conspiration que vous ne connaissez pas ...
»L'ennemi est peut-etre d'accord ... Je vous rends
» responsables de tout ce qui peut arriver ... Vous
» m'avez entenelu, sortez ! ... Je rongis de conver-
» ser avec des rebeIles. »


» Ces mots de conspirations firent sur euxune
impression tres vive; ils se turent quelque temps;
ils se remirent néanmoins, et l'un d'eux répondit
que s'il y avait parmi eux des gens qui eussent
des inlentions cachées, ils l'ignoraient; que, pour
eux, ils He voulaient qu'etre payés, mais qu'ils
voulaient l'etre, et qu'ils allaient lui amener les
autorités civile5, afin qu'il donnat l'orore de faire
lesfonds : apres quoi ils se retirerent.


» Pendant que le conseil avisait aux moyens
d'assurer la tranquillité publique, et de faire ac-
quitter la solde arriérée, l'armée avait exécuté
di vers mouvements; elle avait fait des marches,
,Jes contre-marches, toujours au pas de course,




J){J C}~ N EH AL n API'. 3~)5
~allS pl'oférer un rnot, sans se permettre U!1e me-
Ilace COlltl'C les officiers et les généranx qu'eIlé
avait mis el! arrestation. Ce sileuce, peu ordi-
naire allx mili taires fran<.;ais '. a vai t quehItJe chose
ue sinistre dont les habitants étaient épouvantés.
Cependant les troupes s'étaient ellflll calmées,
mais elles ne cornmuniquaiellt pas avec les bonr-
geois; elles refusaient meme de répondre a ICllrs
qucstions. Dans les rnes, sur les places, OH voyai t
se former des groupes qui se dispersaient apres
s't~tre communiqué tout has soit des onlres, soit
des avis. La viIle entiere était plongée dans une
sombre inquiétude : 011 se rappelait des époques
Ílmestes, on craignait de les voir renaltre; cha-
cnn tremblait pour ses biens, pour sa vie meme.
Jamais tablean plus effrayant <fne celui que pré-
sentaitalors cette imrnense cité.


» Le général en chef ayant appris que les habi-
tants avaient consenti a faire les fancls néces-
saires, et qu'ils donnaient a la frayeur ce qu'ils
avaient si long-ternps refusé a ses prieres, en-
voya son chef d'état-rnajor at:.pres des autorités
pour régler avec elles la répartition de l'emprunt.
Cet officier fut conduit a l'hotel de ville par un
caporal et six hum mes qui ne le quitterent paso
II .Y termina ses comptes, et revint au palais
--OHS la merne escorte.




.MÉ1\10IRE5
1) Cependant les généranx el: les chef., de corps


employaient tour a tour les menaces et les prieres
ponr í:amener IE'S mntins a lenr devoir. Ces cler-
niers, qui aimaient leurs supérieurs, et qni Jl'au-
raient osé lenr manquer en faee, nsaient d'arti-
fice pour échapper a l'ascendant et aux représen-
tations qu'ils craignaient. Lorsqn'un officier se
portait cJ'un coté, on avait soin de lui opposer
en premiere ligne des soldats d'une autre arme;
et pendant qn'il haranguait ceux-ci, les mItres vo-
ciféraient par derriere. Si, malgré cette tactique,
il parvenait a joindre un de ses subordonnés et lui
adressait des reproches: « 1\1oi ~ mon officicr,) ré-
pondait l'antre avec lIne doucenr hypocrite, « je
)l ne fais rien, je ne dis pas un moto » Et il se per-
dait aussitot ctans la fonle. Les troupes prirent
bientot Ulle mesure générale pour se délivrer de
ces sollicitations importunes, et tous ceux qui
avaient un commandement important furetn
consignés chez cUX.


» Cependant les alarmes des hourgeois ne ta1'-
tlerent pas a se calme1', la retraite fut battue
long-temps avant la nuít; et des cel: instant, les
patrouilles se succéderent saJlS inte1'rnption. Plu-
sieurs ordres du jour fnrent lns a chaqne poste.
Ils recommandaient la trauquillité, )'obéissance,
et promettaient que les paiements scraient effec-




HU GENIÜiAL RAPP. ,)97
tll(~S dans les villgt-quatre hcnrcs. L'ulle de ces
pieces étaÍt ainsi con<;:ue: « Tou!. va bien, les ha-
)¡ bitants financent, et les paiements sont C0111-
» rnencés. Signé~ GARNISON.»


» La ville eut ordre d'illuminer, afin qu'il f'Ut
plus facile d'exercer une surveillance séverc.


» Les chefs secrets de l'insurrection n'avaient
pas tardé a s'apercevoir qu'une sagesse désespé-
rante présidait a tous les conseils, et que lenr
but était manqué s'ils ne réussissaient a échauf-
fer de nouveau les esprits, et a exciter quelque
émeute elans laquelle le sang put couler.


)} Ils firent donc, vers les cinq heures OU soir,
arriver au galop sur la place <l'armes un chasseur
a cheval, annOH(,:ant qu'oll venait d'arreter trois
fourgons chargés eI'or, appartellants au général
Rapp, qui les faisait sortir sous la protection des
Autrichiens. « Ces trois voitures, ajoutait-il, out
) été conduites au pont couvert, et voic1 le rec;u
» que je porte a notre eommanelant en chef. JI
)) faut fusiller le géuéral Rapp ... e'est un traltre ...
1) iI nous a ,'endus a l'euuemi. "


"Quelque échauffé que l'OIl flit encore, ce dlS-
COUI'S produisit peu d'effet. Les troupes maltl'ai-
taient leur ehef pou!' l'obliger a lever des con-
tributions, mais ~lles ne nourrissaient aucun
SOUpCOll contre tui. Sa réputation d'homuH'





MEMOIRES
d'honncur restait intacte, et son intégrité nc leur
était pas plus suspecte que son courage. Des pro-
yocations au meurtre si ouvertes exciterent la
défiance, et les soldats devinrent plus circon-
spects. Quelques uns cependant semaiertt l'ill-
quiétnde el voulaient qu'on s'assurat de sa pel'-
SOllne; mais l'armée eut le bon esprit de repous··
ser des suggestions dont peut-etre elle ne sentit
pas d'abord toute la perfidie.


» Des qu'un moyen échouait, les conspirateurs
en tentaient un autre, et ne né'gligeaient rien
pour faire verser le sang, persuadés que s'jl avait
!lile [ols coulé, il serait facile de le faire cOlller
encorc. Le cocher du général conduisait un pa-
lais anx écuries un chariot chargé de paille. Les
factionnaires firent quelques difficultés de le lais-
ser passer: il sortit cependant ; mais a peine
était-il dehors que des malveillants crient a la
trahison, et prétenclent que, sous prétexte de
transporter de la paille, on enleve la caisse mili-
taire. Aussitót la multitude se jctte sur la voi-
tme et la décharge ponr la mieux fouiller. On ne
trouve rien; on la recharge, en exigeant néan-
moins qu'el1e rentre : les chevaux effrayés pren-
nent la course et renversent un enfant.


A cette vue la fureur redouble, on force les
gardes. on se préci pite en tumulte dans la cour




DU Gf~NERAL RAPP. ,)99
du palais, on saisit le cocher, et on le massacrc
sans pitié eutre les mains d'un officier accouru
pour le défelHlre. Le désordre ne devait sure-
ment pas se borner a la mort d'un domestique;
mais des grollpes de soldats survinrent, foree-
rent les plus emportés de se contenir, et le coup
fut encore manqué.


/) Toutes les tentatives pour faire égorger le gé-
néral Rapp par la main de ses troupes ayant
t'choué, on eut recours aux voies ordinaires de
I'assassinat. Des que la nuit fut avancée, une
fonle d'individus se succéderent l'un a l'antre,
et uSf-rent de violence pour s'introduire dans sa
chambre a coucher. Mais les aides-de-camp et
quelques officiers en défendirent I'entrée avec
courage, et préserverent leur chef de toute in-
sulte.


1) Au milieu de eette effervescence, une circon-
stance vint tout a conp refroidir les soldats, et
contribua a les faire rentrer dans l'ordre. La ligne
ennemie resserra ses cantonnements au moment
meme ou l'insurrection éclatait, et re({llt aussitót
des renforts considérables. Cette eoncordance
des mesures prises par les Autrichiens avec un
événement qu'ils ne devaient pas encore eOil-
naltre, donna beaucoup a penser: aussi la di-
vision du dehors doubla de suite ses grand'-




MEl\10IRES
gardes ; de nouvelles troupes et de l'artillerÍt'
accoururent de la place.


» L'ennemi intimidé n'osa rien entreprendre.
Peut-etre allssi attendait-ille résultat des machi-
nations qu'il avait ourdies dalls Strasbourg; peut-
etre craignait-il de se compromettrc avec une ar-
mée d'autant plus redoutable qu'elle s'était im-
posé l'obligat10n de vaincre, et qu'elle continllait,
pour tout ce qU1 était relatif aux dispositions mi-
titaires, a reeevoir les ordres du général Rottem-
bourg, dont les Autriehiens avaient plus d'unt,
1'ois, dans eette campagne, éprouvé la valeur et
I'habileté. L'ennemi resta dOlle en position, et
scmblait attendre que le úlOment favorahle fu!
veuu. De son coté, la troupe se tinf. en garde
contre les écarts OU OH voulait la jeter, et pour-
suivit avee calme et eonstance le but unique
qn'elle s'était proposé, l'acquittement de la solde
arriéréc.


» Le gélléral Gal'llisOll redouLlail de vigilance
pour maintenir la tranquillit¡', publique, et sor-
lait fréquemmeut sU1vi de son état-ma jor, tous
en costume de sergents et a cheval, pour s'assu-
rer de l'exécution de ses ordres. Des <{u'il pa-
raissait, les tambours battaient au champ, les
postes prenaient les armes et lui rendaient tons
les hOllneurs dus a un commandant en chef




DU GÉNF~RAL BAPP. 401
Ainsi Strasbourg préscntait l'image de l'ordre le
plus parfait au miljeu du désordre, et la disci-
pline la plus séverc régnait :m milieu d'une ar-
mée en révolte.


)} L'emprunt ayant été réalisé, les officiers-
payeurs, snivant l'ordre numériquc de leur ré-
giment, furent conduits sons bonne escorte chez
le payenr-général, oú ils toucherent lés sommes
nécessaires pour mettre au courant' la solde de
leurs corps. Mais illeur fut enjoint de n'effectuer
les paicments individuels que lorsque tous les
régiments auraient touché ce qui leur étajt duo
Ainsi se passa le premjer jour : il y eut moins
d'agitation dalls le sccond. On essaya encore d'ac-
créditer parmi la troupe quelques brnits propres
a la soulever; mais elle y fit peu d'attcntion.
Vers le soir, la consigne du palais devint mojns
sévere ; les aides-de-camp curent la permission
de sortir sous escorte. VIl peloton de grenadiers
était chargé de les conduirc Ol! ils voulaient, et
ele les ramener.


» Pendant la nuit, les postes furent tous reno n-
velés. Des individus en costume de sous-officiers
se présenterent encore po nI' pénétrer chez le gé-
néral, et s'assurer, disaient-ils, s'il ne s'étajt pas
évadé. Les altercations entre eux et les officjers
de l'¡"tat-major furent plus vives que pmals;


26




MLMOIRES
ceux-ci néanmoim; finirent par l'emporter.Eu-
fin la répartition des fonds fut achevée ven;
les lleuf heures du matin. Aussitot la géuérale se
fit entenclre : J'armée se rassembla, retira se~
postes, leva le siége du palais, et se rendit su!'
la place d'armes. Le général Garnison, accom-
pagné de tout son état-major, fit mettre le5
1 roupes en bataille, f't lenr adresfla la proclama-
tion suivante. N ous la rapportons textuellement.


« SOLDATS DE I~'ARl\IÉE nn RHI]';,


.) La démarche hardie qui vient d'etre f.1ite par
.) vos sous-officiers pour vous ElÍre rendre ¡us-
JI !ice, et le parfait paiement de votre solde, les
"ont compromis envers les antorités civiles et
,) militaires. e' est dans votre bonne conduite,
,) votre résignation et votre excelle:ntc disci pline,
»qn'ils esperent trollver lenr salu!; el celle que
,) vous avez g-ardée jusqll'a ce jour en est le súr
)) garant, et ils en esperenl la continuatíon.


» Soldats, les officiers-payeurs ont entre lellI'~
J) mains tont ce qui vous est dú; la garnison reno
) trera a sa premiere pla('{~; les postes resteront


)) jusqu'a ce que le général en chef ait donné des
~ ordres en conspquence. SitOt la rentrée, les ser-
) gents-majors et marÉ'chaux-des-logis se rCJI(lront




DlJ (~E ~]iRAL E.A PP.
¡ cllez lelll's ofticiers-payeurs, et prenaront note,
) avaut de solder la troupe, de MilI. les colonels,


.) afiu d'exercer la retenue de qüi de <1roit. L'in-
l! t::mterie doit etl'e licenciée, elle prendra des or-
j) dres supérieurs; et la cavalerie, n'ayant cncoI'(c~
» aUCUll ordre, attendra son sort, afin de remire
») an moins, avallt de partir, chevaux, annes, et
) tout ce ([lIi appartient au gOllvernement ; aGn
IJ que 1'on puisse dire : I1s sont Frant;:ais, ils ont
)) sf'rvi avcc honneur, ils se sont fait payer de ce
)) (lui leur était du, et se sont somnis aux ordres
)} du roi, avec ce beau titre de l'arm{'e du Rhin.


) Par ore/re' de' ,'armée du Rhin. ))


») Le sergellt-géneral, apn\s a ,'oir proIlond ce
discours, que l'armée éconta en silence, tit de-
til!'l' devant lui les deux divisions d'inÜmterie, la
c~l\ale]'ie et l' .. rtillerie, et alla en grande pompe
arhorcr ;t la lJl'éfecture et á la mairie des dra-
peaux Llancs laits par SOlt ol'dl'e. Les troupes se
l'endirent cnsuite aHX C;¡SeI'IleS, et r(:utrf.¡ enl
SOIlS l\H1toritl~ de leurs oHiciers respectifs.


») l\trssi tó\ qnc la liberté leur hIt l'endue, le~
gt'>nél':111X, les colonels el. oHiciers supérieurs s'em-
presst"/'ent de se remIre chez le comte Happ,
pour In i tÚIlOigner la doulellr Cfu'ils a vaient elJ(~
de voir l'arl11ée mécounaitl'e ainsi le fi~eill d~ b


:1 (-l.




MÉMOIRES
discipline. 11s firent meme imprimer, contre les
mouvements séditieux auxquels OH s'était livr{~,
une protestation qu'ils signerent tous, et qui
contenait des choses tús flattenses ponr le géné-
ral en chef.


)) Denx jonrs apres, on déposa les armes a 1'ar-
senal, et tons les corps furent licenciés. Dalouzi,
comme chef de révolte, avait encouru la peine
capitale; mais on luí fit grace en favenr dll han
ordre qu'il avait maintenu au milieH de l'insur-
rection '. »


L'armée était dissollte, mon commandement
expiré, rien ne me retenait plus en AIsace. Mais
les bonnes tunes du f:llIbollrg Saint-Germaill
avaient imaginé qUf~ nOl1s étions un sujet d'effroi
pour l'Europe. Sur le champ de bátaille, je le
crois, et les alliés n'en disconvenaient pas.Ail-
leurs! c'était trop présllmer de IlOUS. En fait de
trames et de complots ce n'est pas nous qlli mé-
ritions la palmeo J'allai n{~;lllmnillS au-devant de
ecHe qu'oll vOlllait me c1écerner. J'éerivis aH roi;
.ie n'essayai pas de lui c1éguiser mes sentiInents.
Si j'avais pu jeter dans le Rhin la coalition tout
entierc, je I'aurais fait, je ne m'en cachais paso
Ma lettn~ était ;lÍnsi eOD<;ue :


1 Prá:Ís des opél'lltions des al'llu;es du Rhin el du Jura
en 1815,




DD GENÉRAL RAPP. 405
« SIRE,


) Je ne eherche point a j ustifier ma conduite.
» V otre majesté sait que mon inclinalÍon el mon
JJ éducation militaire m'ont toujours porté a dé-
"fcndre le territoire fram,;ais eontre toute agres-
), sion étrangere; je Be pOLI vais Slll'tout hésiter a
J) offrir mon sallg pour la fléfense de l'Alsaee, quí
,) m'a VLl naitre.


» Si j' ai conservé l' estime de votre majes té, j e
» désire fmir ma carriere dans ma patrie; s'i1 en
)) était autrcment, jc serais le premier a demander
"d'alIcr passcr mes jOllr'S ehez l'étranger; je ne
)) saurais vivre dans 111011 pays sans l'cstime de
» Ilion souveram.


"Je Ite derualldc que l.;ela, et ll'aí besoin (ille lle
),cela. )


Cctte teUre ue fut pas itllllile, Des sigues d'in-
téret échappés all lllonarque continrent la wal-
veillallce. Je passai <lllelqnes 1ll0is a Paris saus
etre inquiétl~; mais l'émigratiou avait envahi lt"s
cb;lInbres et rllgissait a la tribuue. Les vocifé-
rations eontre ee (llH~ la Franee possede d'honnnes
distillgués par lenr talent et lenr courage me don-
llerent taut de dégo1lt qlle je nú"loignai. Je me
retirai eH Suisse, oú <tu moiI.Iti l'aristocratie JW




~II~JHOIH. ES
présentait ras le sean dale des furellrs du jOlll"
á coté clf's bassesses de la "eille. L'ordolJlJance du
G sf'ptembre fnt rendne qnelque temps apres : jI'
revins ;1 Paris, oú .le vis tranrptille au sein de
ma farnilk, et oú j'ai trollVP llll honhellr qm
jns({llf'-lh m'était ineonnll.


Id finissent les MpJ1loires. NOIIs n'ai()[ltf'rOn~
q1!f' qnelqlles mots.


nf'Vpnll mcmhrc (l(~ la chamhre df''i palrs, le-
,~énÉ'ral fnl ap]wJ(\ :1\1pr(>;:. du chef de J'Nat. Cette
f:1\'1"lIr ne le rendit pas infide!e a ses s011venirs.
Tant d'immortelles journÉ'es É't:11ent trop profon-
dément gravées dans son ame~ n ne pouvait Oll-
blif'r nos victoircs, eclui qlli les anit prép;m'.ps,
ceux qui les avaient obtennes. JI y :!yait SOll\'ent
pri'l UIH:' part si gloril'llse T le cOllrar-e lH' se dés-
hÉ'rite pas.A ussi les braves (PI(' ponrsnivaipnt
des 110mmRs qlli s'É'taient éclipsés dpvant eme sur
le champ ele bataille h'ouvel'ent-ils tOlljonrs clan~
le général un protectcur clévollé. S~ hOlll'Se, son
erÉ'rlit, lenr étaient onverts. Jam,lis il lIe rdmta
l'infortune. Ceu" memes (lui lI'avaient auprps de
lui ancuo de~, rlroits que donnc le drapean P:ll'-
licipaient á ses bienfaits. 11 sllffi!>ait qll'ils fllssent




DU CENÉRAL R\PP·'lu~
dans le besoiJl. Le malhe~Ir était qnelque chosf'
(le sacré á ses yCllX.


L'illaetion dans laquelle il était temt a coup
lombé, apres lIBe vie d'alarmes et de fatigues.
avait achevé l'ouvrage des hlessures dont il était


e


cOllvert. Sa santé s'était évanoui.:; bientot il ton·
cha au terme que lni avait assigné la nature. 11
envisagea la mort san s émotion, se fit placer de
maniére a faire front a l'étrallger, qu'iln'avait
jamais regardé qll'cn faee, et rendit l'ame en fai-
<;aot des vceux pGur sa famille et ponr la France.






PIECES JUSTIFICATIVES.


LETTIU<: DU GÉNÉRAL HAPl' A.U DUC 0]<; WUHTEMllERGo


Ou 14 ¡uino


Mo le colonel Richemont m'a communiqué la lettre
dont votre altesse royale l'a honoré le oo. de ce moiso
rai vu avec peine que les propositions tres conciliantes
hlites, en mon nom, par Mo Richemont, n'ont point
été admises et que des discussions se sont entamées
sur des points qui me semblaient ne devoir donner
líen a aucull débat.


En général, je dois ÜlÍre observer á votre altesse
l'oyale que l'armistice n'a pas été demandé par l'em-
pereul' Napoléon, ce c¡ui suppose que tous les arti-
eles doivent etre entendus a l'avantage de 1'armée
fran<¡aise; mais pnisque ron méconnalt les intentions
du traité, je ne vois rl'autrf~ moyen pour remplir le
hut de votre altesse royale et le mien, que de lui
proposer de laisser, quant aux limites, les choses dan~
1'(~tHt oit elles sont, et d'informer les commissaires
nomlllés par l'artiele 9 et 12 rle 1'armistiee, des dif-
fieultés <¡ui se SOJlt élevées ici sur 1'exécutioJl de 1'ar-




.í 10 MEMOJRES
ticlp. G. Je príe done votrc altesse de nornmcl', con-
jointp.ment avee moi , deull offieiers quí scront ehargés
de se rendre :tupres de ces cornmíssaires, el quí rap-
porteront bientót la sollltion ([lH~ nous r1evons at-
lendre.


JI' CO[lsens pareillement a ce que J'artide l'elatif
allX subsistances 11<' soit réglé (file provisoirement,
(.' est-a-dil'e que si votre altesse royale np. voulait pas
prcndre sur ell(~ de fairp. livrp.r trf'ntp.,mille rations (lp.
\ivres á compter dll jour dp. 1'armistice, ainsi qu'elles
11](' sont nécessaires d'apres l' ('tat de la garnison, li'
{'oJone! Riehp.rnont pourra régler avec 1\11\-1. les C0111-
lIlissaires russes, les quantités ljui elevront nous etre
fournies, a valoir sur ce qui sera déliniti vement reglé
par les commissaires de l'armistic(~, auxqueIs on en
référera conuue pour l'artide des limites.


L'offieier qui a apporté )'armistice aurait pu se
chargel' de fairp. connaltre au qllaltier-général impé-
rial les discussioIlS qui se sont élevées, si ses instruc-
tions ne l'übligeaient a l'ctanler son départ jusqu'apres
la premiere distribution qui doit etre faite a la gar-
nison par les soins du général cornmandant le blocus.


raurais beaucoup désiré qu'on s'entemllt pour l'exé-
cution du traité, cal' j'ai lieu de craindrt' que l'on
lIe tire du retanl de cet officier des inductions f1-
cheuses sur la b0l1l1C intclligence que l'armistice sup-
pose entre I10US, ce dont j'aurais été el'autant plus
contrarié qu -il me semple que votre altesse aurait pu
I('('pdp'l' aux propositions du eolone! Richemont; ce




nu í. É ~t:n\ L R APP. {~ll
íiue j'aurais tl'eS ccrtainemc)ü [ah en sa placc, sans
pour cela craindre aueun reproche de mon souverain.


Siglld) Comte RAPP.


-----~----_.----


Sulmin, le 15 juin 181:;,


rai re<;u la lettre que yotre excellence m'a fai,
['honneur de m'écrire en date flu 14 juin, et jc dois
lui avouer avec franehise que je ne puis trop 111' expli-
qller les motifs des mésentendlls qui existent relative-
rJl(~nt iI l' cxéclltion litté!'ale des artides de la trevc.


Ce traité ayant déterminé des bast's fixes ponr éviter
tout sujet de contestation, il me semble qu'il scrait
infinillwnt plus simple et plus naturel de s'y tenir en-
rien>IItt'llt. J'avoue a votre excellenee que e'est avec
une véritable peine que je consens a rn' en écarter
d'apres sa propositioll. Il me semble que, par cet ar-
rangement (Iu'elle désire, nons outre-passons d'une
certainc maniere tOllS deux nos pouvoirs, et qu'il vau-
(Irait beaucoup mieux de régler entre !lOUS le rayon
de llelltl'alilé d'aprés le sens littéral de l'armisticc.
CcpcJl{bnt, pour éviter toutes discussions ultérieures_


• je consens, d'aprcs sa proposition, de laisser le.~ chose~
sur le pied a('tuel; j'ordonnerai mel.le aux chefs de
mes avant-postes (le s'entelldre avee les v¿tres pOll!'
fairc (luelques arrangements qui pourront lui (~trt·




MÉMOIRES
agréables relativement a mes vedettes et a mes piquets,
pour-empikher toute collision entre nos tronpes lé-
geres.


Ponr ce qui concerne l'article des subsistances, la
commission rassemblée a cet effet a déja commencé
ses séances, et j' espere que M. le colon el Richeruont
sera bientot en état de pouvoír luí annonccr que cet
artic1e a été définitivement réglé.


Qu:mt a ce qui regarde les deux officiers que votre
excellence voudrait envoyer aupres des commissaircs
destinés a régler définitivement toutes les difficultés
qui paraissent naltre relativemen,t aux stipulations de
la treve, je dois vous observer, monsieur le comte ,
que je n'ai point le pouvoir de leur accorder les pass e-
ports nécessaires : l'artide des subsislances qui sera
réglé incessanllnent permettra, dans peu de jours, a
1\'1. le capitaine Planat de se charger de cette com-
Il11SS1on.


Veuillez vous persuader au reste, IlIon gélléral,
qu'accoutumé, depuis vingt - cinq ans de service 1 a
remplir avee une parfaite exactitude les ordres de
mon souveraill, j'aurais agi d'une maniere bien diffé-
rente si j'avais consenti aux propositiollS (lui m'ont
été f~tites par 1\'1. le colone! Riehemont, et (lui s'écar-
taient si essentiellcment dcs articlcs d\mc treve dUllt
les exp"tessions simples et naturelles ne laisscnt aucune
latitude it la moindre discussion.


Votl'C exeellence lile tl'ouvera au reste toujOUl'S pn~t
a t:til'e tout ce qui pourra luí etre agréahle et qlli s'ac-




nu GÉNÉRAL RA PP. !~J3
cordera avec mes devoirs. Je saisirai de meme avec
empressen!ent toutes les occasions ou je pourrai la
convaillcre que rien n' égale la tres haute considératiOIl
avec laquelle j' ai l'honneur d' etre, etc.


Signé, ALEXANDRE, duc de Wurtemberg.


1,ETTRE DU DUC DE WURTEMBERG A SON EXCELLENCE


J,E COMTE RAPP.


De mon quarticr-général , le 12 ¡uillet 1813.


( Arriv.tc le '4, quoique le duc ne ('ut 'Iu'n 2lieues de Dantzick.)


GÉNÉRAL,


Un conuier, qni vient de m'arriver du quartier-gé-
néral, m'apporte 1'0rdre de suspendre les fournitul'es
qui Ol1t (.t(; faites .illsCfIl'ici a la garnisol1 de Dantzick.
Le corps de volontaires qui se trollvait 50ns les ordres
J~l majo!' prllssiell Llltzow ayant ('té atta qué, pendallt
la durée de la treve , sans le Illoindl'e motif, on 111'an-
nonce que c'pst la raison qui a causé cette détcl'llli-
nation, qui doit avoir son cours jusqu' an moment oú
ectte affaire sera réglée définitivement.


En coml1luni(Iuant les ordres que j'ai re~lls á votre
exccllence, je la préviens en meme temps qne cett!'
affaire, qui sera pl'obablcmtmt hientot régléc, \le




change cepemlallt point les autres nrticle~ de la treve,
quí <loit subsister <lans toute Sil tenellJ'.


rai l'honneur, etc.


Sigilé) AU:XHllRE, r1ue de WU\·temberg·.
g'énéral rle eavalerie.


R.Él'O'lSE.


Danl.,ick, le lí juillet llh3.


iVloNSIEUR L F. nuc,


Depuis les arrangcments convellus l'ntre 1I0US pal
suite ele l'nrmisticc, j'ai vu av(~c heaucollp de peine
que yotre altesse royale ne les remplissait pas avec
['exactitude fiu'exigent de pareiHes conventions.


l' ai aper<¡u, Jans le retaru de toutes les livraison~,
une guerre sOllrele rpú clétruisait par le bit l'espl'it
de l'al"lllistice. Malgré llles cOllliuuelles réclamations,
ou a laissé arriérer une gl'ande partie des fOl!l"Ilitures;
1/<11IS n'avez pas lIlellle acquitté le c(Jurant, et e'esl
dan s cet état ele choses (llle je resois, aujouru'lmi 14.
la lettre de votl'C altcsse, eu date du 1 \! juillet, qui
me prévient qu' elle a onlre de suspendre les fOllrni-
tUl'es. eette cessation a effectivcment lieu dermis qua-
tl'e jOUl'S, c'est-a-dire depuis le 10; et eonlllle notr,·
GOl'l'CSplhldanec peut nous parvenil' en llellX heures:
.i<: HC caeltcrai point a votre altesse avec (fuels senti·




DL CEN ÉR AL RAP P. i¡I;)
ments je dais apprécier la tlifférence de la date et de
I'arrivé(: <le votre dépeehe.


Les ('onditiolls tl'un ar.Jllisti('(~, monsieur le tlue,
lient égalelllent les deux' parties; et des que l'une
¡\'entre elles se pel"Illet (l'~~n anlluier ulle des dauses
principales rt des plus essentielles, I'armistice est d(,~
lors rompu, et elle se met en hat de guelTe cont!',"
l' autre : et e' est ainsi que je considt-re, des ú prpsclIt)
la dédaration que vous me faites; et quoique votre
aItesse m'annonee que les autres artides de la treve
suLsisteront, elle scntira que je ne puis recevoir de
pareilles lllodifieatLons que par les ordres de mon
souverain. 11 nI' me reste done plus qu'a la prier dI'
m(' f:.¡jl'C savaÍr si les sÍx jours qUÍ doivent précéder
la reprise des hostílités COUITont <Iu 12 a une heu1'/"'
uu matin , OH du 14 a midi.


J e dois lui dédarer, au surplus, que je la rends res-
ponsable de la rupture d'un armistiee eondu entre
nos souverains, et que j .. n .. puis entendre a ancUlIf'
explication évasive (Iu';¡prcs la réception de tons les
vivres qui lIle sont du~.




MÉMOIRES


LETTRE DU DUC DE WURTEMBERG AU GÉNÉRAL
COMTE BAPP.


De mon quartier-général, le 15 juillct 1I113.


Je viens de recevoir la lettre que vous m'avez écritc,
_ et je ne puis dissimuler a votre excellence que j' ai été
plus que surpris de son contenu.


Il serait absolument inutile de répéter encore a
votre excellenee ce que MM. les généraux Borozdin
et Jelebtzow n'ont pas manqué de lui observer a plu-
sieurs reprises, c' est-a-clire que les retards monH'n-
tanés qu' a éprouvés la garnison de Dantzick dans son
ravitaillement n'ont été oceasionés que paree que
l'arrangement proposé et dernulldé par votre excel-
lenee, de faire acheter des vivres par ses propres
commissaires, a été changé subitelllent, ce qui n' a pas
manqué de produire les plus gramIs embarras, les
conunissaires prussiens s'étant excusés sur le dénú-
ment total des provinees lilllitrophes de Dantzick, qui
sont déjit ehargécs depllis si IOIlg-temps de l'approvi-
sionnelllent de mes tl'oupes. Si, eomme je l' avais déjit
demandé plusieurs fois, il Y avait eu ici , á mCIl quar-
ticr-général, conformément allX stiplllations de la
treve, un commissaire fram;ais en permanfmce, il au-
rait pu se convaincre lui-meme de l'embaJTas extreme
qu'ont en les commissaires prllssiens ponr se procurrl'
les charrois et les vivres lH;cessaires pour le ravitail-




DU GENERAL RAPP. !P7
tement de la place de Dantziek, et pour l' entretien dA
mes propres troupes, de maniere que ee n'est point
l'armée formant le blocus qui a mis des entraves au ra-
vitaillement de la place de Dantzick. Au reste, ce n'est
qu'a mon souverain, l'auguste emperenr Alexandre,
auquel je dois rendre compte de mes actions.


J(~ viens maintenant a un article heaucoup plus im-
portant, puisqu'il peut avoir des suites tres consé-
qnentes; cal' il parait, d' apres la lettre de votre excel-
lence, qu' elle est décidée a recommencer les hostilités
de son chef, tandis que les places de Stettin et de
Custrin sont aussi privées momclltanément, comme
Dantzick, des fournitures stipulées dans l'armistice.
J'espere au reste qu'elle fera de múres réflexions sur
ce qu'elle entreprendra; et c'est moi qni la rends res-
ponsable de toutes les démarehcs qu'elle fera, et qui
pourraient empecher les puissances belligérantes de
se l'approcher.


Je lui envoie ci-joint la copie exacte de la lettre que
j'ai re~ue de l\'I. le commandant en chef de toutes les
armé es , Barday de Tolly; elle yerra que bicn loin
qu'il soit question de recommencer h~s hostilités, cela
m 'est expressémellt interdit.


Si, malgré toutes mes observations, monsieur le gé-
néral, dont au reste j'ai pris acte devant mes géné-
raux, commandants de corps, vous ne jugiez pas a
pro pos d'attendre patiemment que l'affaire de la légioll




MÉMOIRES
de Lutzow , qui a causé la suspension momentanée du
ravitaillement de Dantzick, dont les arréragl's au reste
ne sont (lue suspendus, et des alltres forteresses, solt
réglée it l'amiable, et que vous m'attac!uiez, je vous
prouverai que mes hraves Russes ne craignent les me-
naces de personne , et qu'ils sont au reste prets it ver-
ser leur sang pOli!' la cause de tous les souve!'ains et
de tous les peuples.


Signé, ALEXAI'DRE, dllc de WlIrtemberg.


RÉPONSE.


Dantzick, le 16 juiJlet ,815.


rai re<,;u la lettre que votre altesse royale m'a fail
l'honneur de ro' écrire, le 15 de ce mois. J e ne revien-
(hai pas sur les diverses observations C[u' elle me fait
sur la non-exécution des conditions de I'armistice.
relativement aux vivres; elles ont été constalllmenl
reproduites et toujours victorieusement refutée~, (')
ne présentent ríen de nouveau. Le général HeurleleL
tple j'ai envoyé it la conférence delllandée par lU. lt·
général norodzin , a fait connaltre de ma part les seul~
moyens d'arrangement provisoire qui pouvaiel1t en con
avoir lieu entre nous.


DallS une lettre du 14, j'ai pl'ié votre altt'sst' royal,
(le me fixer a tlueHe épotlue devaient COl1lHlt'ncer le'




DLJ GF~NÉRAL RAPP. 419
,ix jOUl'S cntre la rupture et la reprise des hostilités;
jC n'ai pas eu de réponsc positive. Je dois donc la pré-
venir que la lettre de votre altesse royal e elu 12 ne
rn'ótanl. parvenue LJue le 14 a midi, et ne pouvant
considérer son rcfus positif et officiel de continucr
les fournitures qlle comme une rupture ele l'armistice.
les hostilitt-s rCCOIlnuenceront le 2 o; je dois eette clé-
tcrminatiol1 Ú l'empereur et a l'honneur de mon corps
d'armér. Six coups de canon tirés eles divers forts
d(~ Dantzick, a Illicli, ne laissel'ont aucnn doute it ce
sujet.


Je prie votre altesse royale de ne pas cOl1sidél'er
conune une menaee l'obligation ou je me suis trouvé
d'intcl'jJ,'étcJ' la violation rJ'un des al'ticles du traité
commc Hne déclaration fOl'melle qui annulle l'armis-
tice; je connais les braves troupes russes, que j'ai SOll-
vent combattnes , et je sais qn' elles sont dignes d' etre
opposée s aux 1Iotres.


M:a lettJ'(~ serait finir, monsciglleur, si je n'étais
dans l"obligation de {¡tire remarquer a votre altesse
royale , rclatiyeuH'nt á cIuelqllcs ('xpr('ssions de sa
lettre du 15, que je ne dois également comptc qlÚ!
1110110 souyerain de mes déterminations; que, quant I¡
ce que votn~ altesse appelle la canse de tous les sou-
Yél'ail1s et de tous les peuples, ces phrases sont hien
extl'aol'dinaires tlans la lettre d' UIl pl'iIH~e qui sait
lllieux (PH~ pel'sonne que l'empereul' Alexandre, son
souycl'ain, a hé ('ugagé pendant cinq ans dans 110tl'(;
alliancl' cOIltre le despotisme d'tme pmssance man-




MÉMOIRES
time qui voudrait avoir tout le continent pour I rl-
butaire, et que son auguste frere, le roi de Wurtem-
berg, a été depuis long-temps l'un des plus fermes
soutiens de cette meme cause.


Signe!, Comte RAPP.


LETTlm DV DVe DE WURTEl\IBERG AV GÉ~ÉRAL RAPP.


De mon quartier-gcnéral, le 17 juillet 1813.


MONSIEUR LE GÉNÉRAL,


.Te n'aurais plus rien a ajouter a la lettre que j'ai
écrite a votre excellence en date du 15 juillet, si la
guerre formelle qu' elle me déclare eomme de puissance
a puissance ne m' obligeait de faire cncore quelques re-
marques essentielles, aVaJlt le commencemcnt des hos-
tilités qu'elle va entreprendre .


.Te lui observerai done, quoiqu'il me soit absolumcllt
,impossible d' accepter officiellement la déclaration
qu'elle va recommencer les hostilités, et en vous. ren-
dant encore une fois responsable, mon général, dt·
toutes les suites .que produira eet événement, <Iue si,
malgré mes ohsC'rvations, vous persistiez cependant
dans une détermination qui, a ce que je crois, ue sera
pas mem,\ approuvée par l' empereur N apoléon, cfue
le tenue de la l'llpture que vous fixez a1l ~o jllillC't a




DU GENERAL RAPP. /,21
rníd! e'st contraíre aux articles 2 et ;) de l' armistice,
puisqu'apres le 20 juillet, le tenue de l'expiration de
la treve, les hostilités ne pourront eependant reeom-
Illeneer, d'apl'es l'article 9, que six jours apres le 20
juillet, ce qui nous menerait done au 26 de ce mois;
et jJ serait vraiment extraordinaire que nous fussions
les deux seuls chefs de corps sur le théatre de la
guerre qui recommeni2assent les hostilités.


Je suis convaincu qu'avec un peu de patience nous
aumns bientot la nouvelle que les affaires des cabi-
nets prennent nne autre tournure. Que! se1'ait alo1's le
regret de votre exeellence si, par une trop grande p1'é-
cipitation, il pourrait de nouveau naitre des embar-
ras entre les conrs, dont la mienne, au reste, n'a au-
eun reproche á se faire, puisqu'il était bien naturel
Cfu'elle usat momcntanément de représailles aprt~s
avoir appris la destruction du COl'pS dc Lutzow all
milieu de l' armistiee, les hommes ne pouvant point
reualtl'c, au lieu qu'il sera tres possible de fournir a
la gal'llison de Dantzick les ravitaillements arriérés.


Je finis ma lcttre, mon général, forcé de vous bil'C
(luelques observations sur les dernieres phrases de la
votre, qui m'ont paru extn'imemcnt étrangcs. T,'Eu-
rope entiere, et j' ose dire la Fl'ance meme, connalt
parfaitement les raisons qui ont causé la rupture de
la paix signée a Tilsit. Elle connalt de meme aussi le
ton dictatorial dont s'est servi l'ambassadeur comtc
LauristOH au sein de la capital e de Piel're-le-Grand.
L'a¡.lguste empereur Alexandre a dl! appeler, a eeUe




422 NIÉMOIRES
audace extreme, a son glaive; il a eh\ s' entoUI"er de
ses preux, ouvrir les églises saintes , et se confit'r au
peuple généreux et fidele qui lui a prouvé ce (pie
peut unf' nation heureuse dans ses guérets, mais c¡ui
n'a pas balancé un instant de s'armer pOlll' la défenst'
de son honneur et de son souverain.


Ponr ce qui concerne mon fl'ere, le roi de Wur-
tf'mherg, que votre excdle.<ce appelle un des plus
fermes soutiens de la cause qu' elle défend, je puis
assurer votre excellence qu'ull général en chef l'usse
ne se croit point infúieur en aucune maniere a Ull
roi df' la confédération, puisqu'il nf' dépend (iue de
l'emperclll' Alexandre de m'élcver á eettc dignité, s'jl
le juge a propos , el alors je serai roi COIllIllC un alltre :
j'y mt'ttrai cf'pendant une perite conditioll , e'est ([ue
ce ue sOlt point aux dépens d'aucune puissancc, ni
de personne.


Signé, AU:XANDRE, duc de "'urtemberg.




n u e É N E R A L H A P P !-+ ~:¡


CAPITULATION
DE LA PLACE DE DANTZ[Ch..


Capitulation de la place ele Dantzick, SOllS con-
¿itions spéciales, conclue entre leurs excellences,
M. le lil'utcnant-général Rorozdin; M. le général-
major W el1jaminoff, en fonetion de ehef de l'état-
major; et MM. les colonels du génie Manfredi et
Punet; chargés de pleins pouvofrs de son altesse I'oyale
monsl'igneur le duc de Wurtemberg, commandant en
chef les rroupes formallt le siége de Dalltzick, d'un/:"
part:


Et leurs ex.ceUences M. le comte Heudelet, gé-
néral de division; l"L le général de hrigade d'Héri-
court, chef de l' état-majoI'; et M. le colon el Riche-
mont; également chargés de pleins pouvoirs de son
exeellence le eomte Rapp, aide-de-camp de l'empe-
reur , cOlllluamlant ell chef clu dixieme corps cl'armée.
gouverneur-gélléral, d'autre part :


ilUTICLE PRE}IIER.


Les tL'OlIpes formant la garnison de Dantziek, des
fotts et rc(loutes y appartcnants, sortiront de la ville
:Ivec armes et bagages, le 1 er janvier 1814, a dix heures




MÉMOIRES
tlu matin par la porte d'Oliwa , et posel'ont les armes
devant la batterie Gottes - Engel, si a eette époque
la garnisoo de Dant'Úek n' est point débloquée par
un eorps d'armée équivalent a la force de l'armée
assiégeante, ou si un traité eondu entre les puis-
sanees belligérantes n'a pas fixé a eette époque le
sort de la ville de Dant'Úek. mM. les offieiers eon-
servel'ont leul's épées, eu égal'd a la vigoureuse dé-
fense et a la conduite distinguée de la garnison. Le
peloton de la garde impériale, et un bataillon de six
cents hommes , consel'vcront leurs armes, et ils pren-
dront avec eux deux pieces de six, ainsi que les
ehariots de munition y appartcnants. Vingt-einq ea-
valiers conserveront de meme leurs chevaux et len!'s
<trIues.


ARTICLE Il,


Les forts de Weiehselmúnde, le Holm, et les ou-
vrages intermédiaires, ainsi que les cIefs de la porte
extérieure d'Oliwa, seront remis a l'armée combinée
dan s la matinée du 24 déeembre 1813.


~"'RTICr.E JJI.


D'abord apres la signature de la présente eapitula-
t!on, le fort J~aeoste, eelui de N eufahrwasser avee ses
dépendanees, et la rive gauehe de la Vistule jusfju'á
la hauteur de la l'cdoute Gudin, et á partir de ce deI'-




nu GÉNÉRAL RAPP. 425
nieI' ouvrage la ligne des redoutes qui se trouyent sur
le Zigangenberg, ainsi que la Mowenkrugsehantz, se-
ront remis dans leur état actuel; sans aucune détério-
l'ation, entre les mains de l'armée assiégeante; le pont
¡¡ui réunit présentement la tete du pont de Fahrwasser
ayec le fort de Weichselmúnde, sera "reculé et placé a
l'embouchure de la Vistule, entre Neufahrwasser et
la Mowenkrugschantz.


Al\TICLE IV.


La garuison de Dantziek sera prisonniere de guerrc,
et sera conduite en France. Monsieur le gouverneur,
comte Rapp, s'engagc formcllement a ee que ni les
officiers ni les soldats ne servent, jusrfu'á leur parf:út
échange, contre aucune des puissances qui se trouvent
en guerre contre la France. Il sera uressé un controle
exact des noms de tous messieurs les généraux, offi-
ciers, ainsi que des sous-officiers et soldats, compo-
sant la garnison de Dantzick, sans exception quelcon-
que; Cctte liste sera double; chacun de messieurs let.
généraux et officiers signera la promesse et donneJ'a
sa parole d'honneur de ne point servir ni contre la
Russie ni contre ses alliés, jusqu'a lem parfait échange.
On fera de meme un controle exact de tous les sol-
dats qui se trouyent sous les armes, ct un autre de
.:eux lfui sont Oll blessés ou malades.




MÉMOIRES


Monsieur le gouverneur, comte Rapp, s' ellgage de
faire accélérer autant que possible l'échange des in-
dividus formant la garnison de Dantzick , grade pOUl'
grade, contre un nombre égal de prisonniers appar-
tellallts aux puissallces coalisées. Mais si, contre toute
attente, Cf't échallgc ne pouvait avoir lieu a défaut uu
Ilomhre nécessaire de prisonniers l'usses, autrichiens,
prnssiens, ou autres, appartenants aux cours alJiées
('OIltrf' la Franee, ou si lesdites cours y mcuaicnt
quelque obstacle, alors au baut d'un an et d'unjour, I1
datf'r du 1 er janvier IlIil huit cenl quatorze, IItHIVeau
~tyle, les individus forman/. la g'arnison df' Dantzick,
<;erollt déchargés de l'obligation farmeHe contractée
dans l'article IV de la présente eapitulation, et pour-
!'Ont etre employés de nouveau par leur gouvernement.


ARTICLE VI.


Lf'S troupes polonaises et autres appartenantes it la
garnison auront une pleine et entiere liberté de suivre
le sort de l'armée fran\¡aise, et dans cc cas seront trai-
tées de la mi':rne maniere, excepté ceHes de ces troupes
dont les souverains seI'aient alliés ave e les puissances
('oalisées contre sa majesté l'eIllpcI'cur Napoléon, 1es-
(JueHes seront acheminées sur les états ou les armpes
de lelll'S sOllvcrains, suivant les ordres qu'elles en




l'eccvront, et (IU 'elles enYt~rront chercher par des offi-
ciers ou eourriers aussitot apres la signature du pré-
sent. l\tessieurs les officiel's polonais et autres donne-
ront chacun leur parole d'honnl"ur par écrit, de ne
pas servir cont1'e les pllissances alliées, jusqu'a lem
parfaitéchange, conformément a l'explication donné ...
par l'article v.


ARTICLE VII.


Tous les prisonniers, de quelque nation qu'ils soienL
qui appartiennent aux puissances en guer1'e contre la
Franee, et qui se trouvent présentement a Dantziek,
seront remis en liberté et sans éehange, et envoyés
aux avant-postes russes pal' la porte Peters-Hagen, le
matin du 12 déeembl'e 1813.


ARTICLE VIII.


Les malades et les blessés appartenants a la garnisoll
seront traités de la nH~llle maniere et avee les meme"
soins que eeux des puissanees alliées; ils seront en-
voyés en Franee apres leu)' parfait rétablissement, sous
les memes eonditions que le reste des t1'oupes formant
la garnison de Dantzick. Un commissaire des guerre.'
et des officiers de santé seront laissés aupres de ces
malades pour les soigne1' et réclame1' lenr évacuation.




MÉMOIRES


ARTICLE IX.


D'abord qu'un certain nombre d'individus apparte-
nants aux troupes des puissanees eoalisées aura été
échangé contre un nombre égal d'individus apparte-
nants a la garnison de Dantzick, alors ces derniers peu-
vent se regarder eomme libres de leur engagement
préeédent, contraeté formellement dan s l'article IV
de la présente capitulation.


ARTICLE X.


Les troupes de la garnison de Dantzick, á l'exccp-
tion de celles qni, anx termes de I'article VI, reeevront
les ordres de leurs souvel'ains, mareheront par jour-
nées d' étape en quatre colonnes, et a deux jours de
distanee l'une de l'autre, et d'apres la marche-route
ei-jointe, et seront eseortées jusqu'aux avant-postes
de l'arruée franeaise. Les fonrnitnres ponr la garnison
de Dantzick se fcront en marche, conforméruent a l'état
ci-joint. La premie re colonnc se mettra en marche l(~
2 JanVler 1814; la seconde le 4) et ainsi de suite.


ARTICLE XI.


'fons les Fran<,;ais non combattants, et qui ne sont
point au service militaire, pourront suivre, s'ils 11'
venlent) les troupes de la garnison; mais ils lIe peu-




DU GÉNÉHAL RAPP. ií29
vent point prétendre aux rations fixées ponr les mi-
litaires; ils pourront disposer au reste des propriétés
qui seront reconnues leur appartenir.


ARTICLE XII.


Le 1 2 décembre 181 3 , il sera remis au commissaire
n ommé par l' arruée assiégean te, tous les canons , mor-
tiers , etc., etc. , armes, munitions de guerre, plans,
dessins, devis, les caisses militaires, tous les magasins
de quelque nature qu'ils soient , les pontons , tous les
objets appartenants aux corps du génie, a la marine,
a r artillerie, au train , voitures, etc., etc., saIlS aucune
excepLion quclconque; et il en sera fait un double in-
ventairc qui sera remis au chef d'état-major de l'armée
combin("e.


ARTICLE XIII.


MM. les généraux , officiers d'état-major et autres,
conserveront leurs hagages et lenrs ehevaux fixés par
le reglement fransais, et reeevront le fourrage en COTl-
séquence pendant la lllarrhe.


ARTICLJ<~ XIV.


Tous les détails relatifs aux transports á aeeorder,
soit pOllr les malades et hlessés) OH pour les eorps et
offieiers, seront reglés par les chef:" des deux l'tat8-
majol's respectifs.




MÉl\IOIRES


ARTICLE XV.


Il demeure réservé au sénat de Dantzlck cIe faire
valoir aupres de sa majesté l'empereur Napoléon tous
,es droits a la liquidation des dettes qui pt'uvent exis-
ter de part et d'autre; et son excellence le gouvrrneur-
général s' oblige a faire donner a ceux envers qui ces
dettes ont été eontractées des reronnaissanct's qui
servent a certifier lenrs créanccs; mais sous aucun
prétexte, il ne pourra etre retenu des' otag'es pOUl
ces créanccs.


ARTICLE XVI.


Les hostilités de tout genre cesseront de part el
d'autre a dater de la signature du présent traité.


ARTICLE XVII.


Tout article guí pourraít présenter des doutts sera
toujours interprété en faveur de la garnison.


ARTICLE XVIII.


On fera quatre copies exactes de la préscnte capl-
lulatioIl, dont deux en langue russe et dcux en langut'
fran~aise, pOlll' etre remises el! donhle aux Jeux gé-
néraux en chef.




DU GENERA L RAPP.',:'¡


AcRTICLE XIX.


Apres la signature de ces pieces ofticielles, il sera
permis au gouverneur général, comte Rapp, J'envoya
un courrier a son gouvernement ; il sera accompagné
jusqu'aux avant-postes fraIJ(iai~ par un officier russe.


Fait et convenu a Langfuhr, cejourd'hui 29 no-
vembre 1813.


Sigll(f, l~ général de divi_ioJl comte HEUDELET, le gé-
nérd d'H ÉRICOURT, le colonel RICRE1IO'I'T, le lieutenant-'
général et chevaliel' BOROZDIN, le général-major W ELL-
JAmNOFF, en !o!lctioll de chef d'état-majOl', le colon e!
dll géllie i\1ANFl\EDJ, le colon el du génie PULLET.


Vu et approuvé,
Le comte l\APP.




MÉMOIRES


LETTRE DU DUC DE WURTEMBERG AV GÉNÉRAL RAPPo


De mon quartÍer·g~néral de Peloukcu , le 25 déccmbre 18.3,
á • 1 heures du soÍr.


GÉNÉRAL,


.fe suis obligé de vous faire part que je viens de re-
ceyoir un eourrier de sa majesté impériale qui m'ap-
prend que la capitulation eonclue entre votre excellenee
et moi a été approuvée par l'empereur, hormis ce qui
coneerne le retour de la garnisoIl en France. Quoiqu'il
ne m'appartienne pas d'examiner si on a pris en eon-
sidération particuliere que la gamisoll de Dantzick
ne soÍt forcée, a l'instar de ceBe de·Thorn et d'autres
places, a reprendre serviee avant son parfait échange ,
et apres qu' elle aura repassé le Rhin, je suis cepell-
dant obligé de faire part a votre excellence de la vo-
lonté précise de sa majesté , étant eependant persuadé
qu'aucuns de MM. les généraux ni officiers faisant
partie de la brave garnison de Dantzick ne se permet-
traient, dan s aucun cas, de manquer a ses engagements,
ce dont je serais volontiers le garant. Sa majesté m'a
aussi fOl'lllellement autorisé a vous déclarer, mon gé-
néral, que la garnison ne sera point envoyée dan s les
provinces éloignées de la Russie, si votre excellence
me remet la place sans détérioration ultérieure, aux
termes de la capitulation. Elle pourra choisir pOlU' son




I>U GENÉRAtJ RAPP.
~ejour particulier, celui de ~[M. les généraux et offi-
ciers, entre les villes de lleval, Pleskow, Zaliega et
Orcl, pour y demeurer jusqu'a ce que la garnison soit
échangée. D'ailleurs il s'entend de soi-meme que
lVIM. les généraux et officiers, d'apres la capitulation,
conserveront tous les avantages qu¡' leur ont été as-
surés. Pour ce qui con cerne les troupes polonaises quí
se trouvcnt encore a Dantúck, la volonté de sa majesté
est qu'elles soient renvoyées tranquillement dan s leurs
foyers, a leur sortie de la place, de meme que les
troupes allemandes.


J e dois croire, mon général, que votre excellence
n'hésitera sllrement pas de consentir a ces arrange-
ments , puisqu'il est á croire que la guerre ne pourra
pas durer un an, et a1ol's chacun retournera d'abord
chez soi; et je suis el'aut.mt plus persuadé quc votre
excellenee prendra ceUe détermination que, dans le
cas contrair"e, je ne pourrai lui épargner, ainsi qu'a sa
garnison, toutes les rigueurs inévitables qu' entral-
nerait une résistance parfaiternent inutile, qui aurait
pour suite infaillihle dc voir transporter sa garnison
dans les provinces les plus éloignées de l' émpire russe ,
sans qu'elle puisse jOl.iir ators des moindres avantage5
qui lui 5eront parfaitement garantis lllaintellant, ainsi
(iue toutes les eOIllIllodités nécessaires pour la route
et stipulécs dans la capitulation.


Si votl'e cxcellencc, contre toute attente , prenait
cepelldant cette détennination aussi inattendue qU!~
préjudiciable aux illtérets (le la gal'llison , je lui remet-


28




MEMOIRES
trai alors apres-demain samedi, á mi di , tous les ou-
vrages qui ont été cédés a l'arIllée assiégeante, ex-
cepté le fort de N eufahrwasseI' , puisque la volonté su-
preme de sa majesté est que votre exeellence fasst'
50rtir préalablement toutes les troupes allemandcs
qui se trouvent a Dantzick avec armes et bagages,
la confédération du Rhin n' existant plus, tous les
états qui la composaient étant devenus nos alIiés; et
dans ce cas N eufahrwasser lui sera remis de meme
de suite et sans la IIloindre difficulté, J'envel'l'ai aussi
a Dantzick par la porte d'Oliwa tous les écloppés, des
qu'ils seront de retour, et alors les hostilités re-
commenceraient, le lendemainde leur remise, ,3. neuf
heures <iu matin.


Signé, le duc de WURTE1IIlERG.


P. S. Je prie votrp. exccllence de vouloir bien me faire
parvenir sa réponse demain matin. Si ~l. le général Heu-
delet, ou un autre de lUl\l. les généraux, était envoyé ú
mon quartier-général, cela facililcl'ilit illfiniment la COI1-
dusir)Il d'ulle affaire qui poul'l'ait se terminer il 5a salis-
faction .


.I'ai écrit sur ceci asa majesté par un courrier.


REPONSE.


~lo",sELG~EUR ,


rai fait une capitulation avec votr!:' altesse royal e ;
,mjourd'hui elle m'annonct' tIue, sans y avoil' éganl




DU GEN }<~RAL RAPP. !j35
I'empereur Alexandre ordonne que la garnison de
Dantzick soit envoyée en Russie eomme prisonniere
de guerre, an lien de rentrer en }'r::mce.


Le ] oe corps d' armée laisse a l'Europe, a l'histoire,
et a la postérité, a jnger une aussi étrange infraction
des traités, contre laquelle je proteste formellement.


Par suitc de ces principes sacrés, j'ai I'honneur
d'annoncer a votre altesse royaJc que, Ill'en tenant
strictement au texte d'une capitulation que je ne dois
pas regarder comme anéantie paree qu'elle est violé" ,
je l'exécuterai ponctuellement, et que je suis pret a re-
mettre aujourd'hui meme aux troupes !le votre altesse
les forts ,;y eichselmnnde, N apoléon , et le Holm, ainsi
que tous les mag'asins, et a sortir de la place avec ma
garnisoIl le 1 <'r janviel' pl'ochain.


A ceUe époque, la force et l'abus du pouvoir pour-
ront nous entralner en Russie, en Sibérie, partout
Otl ron voudr:l. Nous saurons souffrir , mourir meme ,
s'ille faut, victimes de notre confiance dans un traité
solt~Ilnel. L'empereur Napoléon et la France sont assez
puissants pour nous venger tot ou tardo


Dans cet état de choses, monseigneur, il ne me
reste aucun arrangement a faire avec votre altesse
/'Oyale , m' en référant entierement a la capitulation du
29 novemhre, qu'on peut, je le répete, enfreindre,
lIlais non anéalltil'.


Sig//{:. COlnte Jhpp.
Dantzick, le 2~ decemul'e lt\l3.




~rÉ:MOIRES


LETTRE DU C(HITE RAPP AU DUC DJO: WUHTK'IBERC,


~'[ONSEIGNEUR ,


Mon aide-de-camp m'a remis hiel' soir la lettre que
votre altesse m'a fait 1'honneur de m'écrire.


D'apres le renvoi qu'elle m'a fait de ma leure, jI:
crois m'apercevoir qu'dle me suppose de l'aig'reur.
Votre altesse ne me rend pas justice : voilil 22 alls que
je fais la gUf'rrc; jI' suis hahitué a la bonne ('OJ11ll1C ;\
la mauvaisc fortune.


Votre altesse m'a fait 1'honnl'lI1' dI' 1ll(' diJ'(~ C[u'il
étail tout naturel que J'empereur Alexandn' pÚt rati-
fiel' ou non la capitulation: ou votre altesse était
munie de pleins pouvoirs ou ne l'était pas: ma cOIJIluit.·
dans ce cas eút été toute différente.


Le maréchal Kalkreuth, apres une défense tr(~~
courte, a obtenu une capitulatioll fOl't honorable. JI'
me rappelle meme que l' empereul' N apoléon , quí n' é-
tait qu'il vingt lieues de la place) (~Il était mécontent ;
mais iI ne voulllt pas faire éprollver de désagrément ;'1
son général en dlef, en annulant la capitulatioIl, et
le maréchal Kalkreuth sortit de Dalltúck sans la moin.
drf' humiliatioIl. Il est illlpossible de mettI'(~ plus tll'
clélieatessf' et de loputé que nous l'avoIls fait, le ma-
rt'chal Lefebvre et moi. Le maréehal Kalkrrllth vit ('11-




DU G.ÉNÉRAL RAPP. ~37
eore, et il en a eonservé le souvenir. 11 y a des officiers
prussieJ]s au quartier-général de votre altesse qm
pourront aussi en rendre témoignage.


Votl'e altesse me fait l'honneur de me dire que sa
majesté ortlonne que toutes le~ choses soient remises
sur le meme pietl oú elles haicnt avant, si je veux
recommeneer les hoslilités. Votre altesse sait parfaite-
ment que les avantages étaient alors de notre cóté,
puisqll'dle 1l011S a fait constamment des offres qu' elle
prétendait etre favorables, et que maintenant e' est
tout 11' eontraire : cela n'a pas bcsoill de preuves.


e'est d'ailleurs vous, monseignelll', (lui m'avez tou-
jours proposé d' entrer en arrangement pour faire ces ser
I'l'ffusion dE" sang, en nons offrant eomme eonditioIl
fondamentale notre rl'ntrée en Franee. La eorrespon-
dance de votre altesse aver moi en fait foi.


V otre altesse sait l,ien dans quelle sÍtuation nous
nous trouvons, et qu'il est de toute impossibilité,
SOllS tOllS les rapports, de prolonger notfe défense;
ainsi le choix <fu'elle me laisse devieut parfaitement
iUusoire .


.Te lnil' votre altesM' de faire occuper aujourd'hui
Weichselmunde , le Holm , ct ouvrages intermédiaires .
.Te n'y ai laissé que de petits détachements pour em-
pecher les dégradations. J., désirp aussi que votre al-
tesse envoie des commissaires pour reeevoir les in-
ventaires de no ... ma5asins de toute espcce; j'y tiens
heaucoup, pom qu'il n'y ait pas de réclam:1tion, et
qu'on IH' pllisse pas nous reproeher d'avoir rien dé-




MÉMOIRES
térioré, non pas dans la cl'ainte d'aller en Russie avec
moins de commodités, comme votre altesse le répete
dan s sa lettre, mais par le désir de remplir religieu-
sement tous mes engagements.


rai l'honneur de déclarer de nouveau a votre altcsse
(fue la garnison de Dantzick sortira le 1 er janvier, dans
la matillée, en exécution de l'article ler de la capitu-
lation du 29 novembre, a laquelle je m'en tiens en-
ticrement, et a laquelle il est tout-a-fait inutile d'ajouter
aucun autre arrangement. Les circonstances, apres
notre sortie, nous meLtronl absolument a la disposi-
tion de votre altesse .


.J' ai ) 'honneur, etc.
Sigilé, Comte RAn.


--~~-------


AV MEME.


j\lO~SEIGNEUR ,


Le général Manfredi m'a rernis la lettre de votre al.
tesse royale, d'hier, 25 de ce mois. Ayant eu déjal'hon-
neul' de traiter avec elle les pl'emiers articles de eette
lettre, ce dernier est le seul qui me semble exiger une
réponse. V otre altesse royale me déclare qu' elle ne peut
consentir a me laisser sortir de Dantzick, a moins d'un
arrangement préalable. De mon coté, nc croyant pas




DU GÉNÉRAL RAPP. 439
pouvoir revenir sur la capitulation du \l9 novembrc,
approuvéc par votre altesse royal e et par moi, j'ai
I'hOIlIlcur (le lui déclarer qu'au 51 décembre, n'ayant
plus de moyells de prolonger ma défense , je me mets
it sa disposition , ainsi que les troupes sous mes ordres.
Cet arrangement, monseigneur, est bien simple; e' est
a votre altesse royale a régler le sort de la garnison.


Je me contente de recommander a sa générosité
les soldats, surtout ceux qui par leurs infirmités ct
leurs blessures réclament plus particulierement ma
sollicitude.


J e lui recommande également les' non-combattants,
les fcmmes, les enfants, et les Fralll;{ais qui habitent
Dantzick.


Signé, Comte RAPP.


FIN.