MÉMOIRES TlRÉS DES PAPIERS Cet OuYrage se tl'OllYC Chez PONTHlEU, llIcHELsEN...
}

MÉMOIRES
TlRÉS DES PAPIERS




Cet OuYrage se tl'OllYC


Chez PONTHlEU, l\lIcHELsEN ct comp. Leipsig.
G. REIMER. Berlin.
C. GEROLD. f'
P. -J. SCHALBACHER. Vienne.
F. TENDLED.
L)¡CH.lR:LlEll. BruxclleJ.


PAIUS.-IMPIUMERIE DE COSSON,
rue SaiIlt~Gcrmajn-des-Prés, n-O 9.




\ .... a."-.
\\. M~É M O IRES


TIR1,S 1JES P:\PIERS


f D'(JN I-IOMME D\ETA~r,
st:l\


LES CAUSES SECRÉTES Q:JI ONT DÉTER~lINÉ LA POLITIQUE
DES C.UllNETS OAi\S LA GUEltRE llE LA mtvoLUTION,


U.EPLIS 1792 JUSQU'.E~ 1815.


TOME PREMIER.


PARIS,
PONTHIEU ET COlVIP"', PALAIS-ROYAL,


ET QUAJ MALAQUAlS, N' 1.


1828,






,


PR.EFACE.


---,


LA révolution, pl'odigieusement décrite
et commentée, l' est encore tous les jours
dans une multitude d'ouvrages qui se
succedent et captiycnt plus an moins l'at-
tention publique : len!' SOUl'ce {(~concle
sera long-temps a se tarir. Une ere nouvellc
devait amener de 110uycaux l'écits et une
nouvelle histoire. J\'Iais dans ce grand
nombrc d'écrits quc la. révolutioIl a fail
IwItre, et qu' elle produit chaque jour eu-
core, on ne la considere presqlle jamais que
50n5 lc poillt de yne de su 5C(~nC intérieure


T. a




II PRÉFACE.


et de sesitribulations domestiques. A peine
a-t-on efTIeuré jusqu'ici son action extérieure
et la réactiol1 du el ehors sur ses destinées po-
litiques et militaires. On n'avait point en-
core offert un corps d'ouvrage cOl11plet sur
eette partie si essentielle, et en mel11e lemps
si peu connne de son histoire.


L'envisager ainsi, remonter anx causes
prcl11ieres de cette coalition Je rois armés
eontre la France, en divulguer les circonstan~
ces les plus cachées, en signaler et en suivre
la politiquc, soit dans ses démarches, sOlt
dans sesécarts, en expliquer les sucd~s et les
revers depuis le premier coup de canon jus-
qu'a la paix générale, al11cner cnfin sur eeHe
double scene de la diplomatie et de la guerre
les principaux actcnrs de ce grand drame,
et faire connaltre leur caracLcrc, tels sont
les différens objets qu'en.]Jrassent ces Mé ..
!noires nouveaux qui s'élevent inconlesta-
blcment ~l la hauteur de l'histoire.




PRÉFACE. In


Un tel ouvrage manquait el a l'instruc~
tion et a la curiosité des contemporains. La
premiere partie que nous livfons au public
était sans doute la plus difficile a produire : en
effet c'était un chaos a débrouiller. Elle sera
promptement suivie de deux autres livrai-
sons, qui conduiront le leeteur jusqu'a la
seconde paix de Paris, en 1815.


Le double titre attaché a ces Mémoires
en spéeifie le principal objet, par la révé-
lation des causes secretes qui ont déter-
miné la politique des cabinets dans la
guerre contre la révolution.


On la connaltra done cette politique
de notre age, sí compliquée et pourtant si
étroite et si impuissante contre le mou-
vement progressif de la civilisation des
Deux Mondes, h,hé par ]a révolution
de Franee ~ Elles se dissiperont ellfill les
obscurités qui dérobaient aux regards de
l'histoire les aberrations de la diplomatie




IV


contel1lporaine, ~t les fautcs cncore plus
irréparables des généraux qui oat com-
mandé en chef les annécs des puissal1ces
belligérantcs ! Ton t sera mis au granel jour
dans cette investigation sévere. Le temps
est venu de recueillir, sans passion, sans
préjugés, sans rétieences, l'expérience po-
litique et militaire des trente années d'nne
erIge sans cxemplc, féconde ell chan-
gCl1lens de sc(mes et en catastrophes. Des
faíts aussi séricux sont pcu attrayans pour
une attcntion vulgai/'c; mais ces l\lé-
moires, bien certaincment, seront goútés
par tous les lcclenrs réiléchis et attentifs;
par tons ceux (luí on1 quel(Ille hahitude de
la sctme du monde.


lIs sont plus politiqnes qne militaires,
et on en a caractérisé la nature ct la source
en les produisant commc tires des pa~
piad d'Wl /wlllme cl'etat. Ce n'est point
iei lll1 titrc de pure illvcntion dOllt on aurait




v


voulu se servir comme d'une amOl'ce. Le
public, si éc1airé de nos jours, est a portée
d'en juger par lui-méme. Il recollnaitra ais6-
menl que tout l'ouvrage repose sur les1'on-
dcmens solides de la vérité des faits et de
l'authel1licité des prcuves; il se cOlwaincra
que la lX1rtíe politique n'a pu t~trc réelle-
ment puisée que dans le portefeuille d'ul1
diplomate du premier rango


L'auteur, que! qu'íl wit, en prenant ses
principaux points de VllC au scin meme de
l' Allemagne, pivot diplOTnati(llle de la vieiBe
Europc, n'a tuit que se placer sur le terrain
de ses mat<h'iaux les plus précicLlx. Nul
donte qu'il n'ait resu commllnicaLÍon confi-
c1entielle de doeumeus et ele nOles pl'ove-
nant des caLinets de Prnsse el (r,:\utrichc.
Si on luí delllandail eOlIlluent et dans queHe
vue, illul suftirait de n(pondre qne e'est b.
précisólllent]e seCl'('L de son onvl'age.


TOllt ce qu'il pOUlTéltt ajOllter, C'CSl qu' iI




PHl~FACE.


lui eút été [lcile d'en justifier plus victoricu-
sement le titre, en y attachant un nom tiré
de la haute sphere, d' ou émanent les infor-
mations introduites dans son cadre, et qui se
reproduiront de plus en plus dans la seconde
partiede ces Mémoires. Tout bien pesé, l'au~
teur a jugé préférable et plus sur d' en laisser
pressentir l'origine, évitant par la de blesser
la susceptibilité de certains cabinets, ou d'ir-
riter la morgue des chancelleries d'outre-
Rhin.


L'ouvrage d'ailleurs ne pouvait que ga-
gner a cheminer ainsi avec un brevet d'in-
dépendance. CeUe heureusc émancipation
l'a débarrassé de tout l'attirail d'une diplo-
matie servile. Des 10rs, moins restreint, le
sujet meme a pu s'agrandir. Tout ce qui
était susceptible d'en accroitrel'importance
et l'intéret a été mis en ceuvre. La pre-
miere vue de l'auteur l'a porté a y m~ler
l'histoire patente a l'histoire secrete, cornme




PRÉFACE. VII


s'éc1airant l'une par l'autre, et se fortifiant
1l1utuellcment.


Ainsi, dans ce vaste tableau qu'animent
tanL de sccnes diverses, on pourra toujours
remonter a l'origine des événemens dont
les causes se trouvent confirmées par les ef-
fets sensibles, de m~me que les cffets s'y
montrent dérivés de leurs causes memes.
Il en résulte qUl~ tout est lié dans cette
prodllction presque européenne : son tissu
et son enchainement s'appuyent sur un
corps de preuves irréfragables; les actes el:
les faits sont la pour écal'ter tous les doutes,
et amener la conviction .


. Non-sculement la politique et les S6crets
des cabinets s'y révclent, mais toutes les
démarches, toutes les négociations des di-
plomatcs y sont mises en action, de meme
que les grandes opérations militaires dont
les résultats se trouvent expliqués par le jeu
des rCSS01't5 cachés de la politiqueo




VIII PTIÉFACE.


A cet égard, qu'on ne s'attende a nen
d'extraordinaire ni d'incompréhensible.
Les différens mobiles qui ont agi dans cette
immense erise soeiale n' ont pas différé de
ceux que l'histoire, a toutes les époques,
nous montre eomme les reS50rt5 habituels
des passions humaines. Si peu d'hommes se
sont montrés grands et forts dalls le eours de
tant d'années mémorables, e'est qu'on n'ar··
rive plus aujourd'hui a de grands résultats
que par les masses, e'est-a-dire qu'on ne
peut plus rien accomplil' , soit en politique,
soit dans les armes, que par l'entrainement
des peuples.


Qu'on ne s'attende pas non plus a un ou-
vrage partial, passionné, ou écrit dans un
intéret privé. Touty a été vu de haut; et ce
11'est ici qu'une reuvredevéritéet de bonne
foi.


Quant a la partie teehnique, on yerra
d'ahord que l'autelll' ne procede poiut par




PRÉFACE. IX


chapitres, c' est-a-dire épisodiquement et
d'une maniere décousue ; mais par époques ,
formant un tout historique.


L'Introduction fait connaltre a fond l' AI-
lemagne, et particulierement 1'état de la
Prusse a la mort de Frédéric-Ie-Grand.
Vicnt ensuite la premiere époque, qui re-
monte a 1786 et finit en 1792. La se trou-
vent rapportefs tous les préeurseurs, tous
les prélíminaires de la coalitiol1. Tandis
que eeUe ligue se forme et se développe,
la révolution de son coté grandit, et se
fortifie en proportion du concert des rois.
C'est iei que se montrc surtout le discerne~
ment du peintre: aussi ne reste-t-il plus
dans 1'ame du leeteur aUCUl1 doute sur les
vrais moteurs qni, des deux cotés opposés
de l'horizon politique, suscitent la tempetc
qui amene la guerreo Que de lumieres nou·
velles jailJisseut ensuite de la narration cir-
constuneiée de la campagne de 1792 ! On y .




x PRÉFACE.


voit a découvert les causes de son avorte-
mento


Dans ce premier volume sont aussi rap-
portées différentes négociations secretes,
dont les détails ont été ignorés jusqu'a ce
. Jour.


Le second tome comprend tous les évé-
nemens poli tiques et militaires de la se-
conde époque, c'est-a-dirc a partir du mois
de novembre 1792 jusflu'aux dernieres sti-
pulations de Bale, en 1795. C' est sans aucun
doute une des périodes les plus compli-
quées et les plus terribles que présentent les
temps modernes. Soient les faits, soient les
résultats, n'avaient pas encore été suffisam-
ment éclaircis, ni approfondís; on les regar-
dait meme a certains égards comme impéné-
trables. Grace a ces Mémoires, la plus vive
lumiere est répandue sur les événemens :
elle faít disparaitre toutes les obscurités de
la p litique.




PRÉFACE. XI


Dans le cours de ces trente-six mois si
mémorablcs, la coalition des mis lutte pres-
que toujours en vain et d'apres de faux
plans contre une nation armée pour son
indépendance. On avait vu au mois d'aout
1792 les coalisés prendre l'offensive, et en-
vahír la Champagne. Deux moís sont a
peine écoulés que la révolution réagit
contre la ligue elle-m~me, et déborde
hol's des limites de l'ancienne Franee. La
Belgique envahie, la Hollande menacée,
]' Angleterre intervient. Sa politique n'a ríen
d'ambigu ni de douteux ; richesses et puis-
sances, voila les deux mobiles qu' elle avoue
hautement. TOlls ses griefs, tous les sujeta
de rupture entre les deux nations rivales
sont ici exposés avec autant de lucidité que
de précision.


Bien que grossie par le concours des
puissances maritimes, la coalition n'ob-
tient encore dans la seconde campagne




XII PRt:FACE.


que des sucd~s éphémeres. La bataille
de Nerwinde, l'~vacuation de la Belgique,
la défection de Dumouriez et le congres
d'Anvers en marquent le début. Une re-
lation complete et authentique du congres
d' Anvers manquait a l'histoire de cette
époque : ces Mémoires y suppléent. C'est a
l'issue de ce premier eongres que la díplo-
matie européenne, usurpallt la place de la
force, fait avorter presque toutes les en-
treprises militaires, d'ailleurs mal eonsues
et mal conduites. Tout ce qui se rapporte
aux deux campagnes de 1795 et 1794 est
frappant. Leurs résultats seraient encore
inexplicables, si l'autenr de ces Mémoires
ne s'était trouvé a portée de conférer la
partie secrete des opérations offensives
avcc les travall.:\ politiques d'une ligue in-
cohérente san s unité de Viles et de sen-
timens.


Du reste riell de plus élllincmment his-




PRÉFACE. Xln


torique que le spectacle. des plus grands
potentats de l'Europe au-x prises avec une
ré\'olution qui place sa force et son in-
dépe~ldance sous la sauve-gal'de de la ter-
remo Jamais cettc terrible dictature n'a
été roieux définie et caractérisée que dans
ces :Mémoircs. La troisieme campagne n'é-
tait pas encore terminée que déja les prin-
cipales puissances continenta1es étaient en
proie au découragcment. En vain l' Angle-
terre offre ses subsicles pour raviverl'ardeur
guerriere de la Prusse et ele l'Autriche : le
cabinet de Saint-Jamcs ne recrute que des
mercenaires a pathiques et indociles. La
Prusse, entrainée par les émigrés et poussée
par l'esprit chevalcresque de son roi, s'ar-
ret,e eUhn; et son cabiuet, prenant d'au-
tres erremens conformes a l'esprit de la na-
tion, change de poli tique et abandonne ses
alliés. On suit pas a pas dans cet ouvrage
ses négoeiations, et on en réve}e tontes les




XIV PRÉFACE,'
particularités, ainsi que les articles secrets
du traité de Bale, qui rompt le nceud de la
coalition des rois.


Ici se termine, avee la seeonde époque
historique de cette guerre soeiale, la
premiere livraison des Mémoires d'un
lzomme d' état. En méditant sur cet im-
mense sujet, on en vienUneeonnaltre que
la guerre n' est rien sans la politique, et
qu'une bataille n'est qu'une affaire d'état,
selon l'expressioll d'un grand homme (1).


Quelle que soit la portée d'un td ou-
vrage,l'ariecdote ni le portrait ne devaient
l)as en ~tre exclus dans de justes propor-
tions, et ave e le sentiment des convenances
que réclame le genre sévere de l'histoire.
La variété est done entrée aussi comme élé~
ment dalls la composition de ces Mé-
moires. Parmi les esquisses et les portraits


(1) N apoléon,




PRÉFACE; :Xv


des hauts personnages qui, dans la pre-
mi ere partie, figurent sur l'avant-sd:ne ou
sur la scene m~me de ce grand théatre ~
on remarquera ceux de Frédéric-Ie-Grand ~
de Joseph 11, de l'empereur Léopold, de
l'empereur d' Autriche actuel, de Kau-
nitz, d'Hertzberg, de Frédéric-Guillaume,
du duc de Brul1swick, de Lucchesil1i, du
prince de Cobourg, de Dumouriez, d'Haug-
witz, d'Hardenherg, de Thugut ...


Danton, Robespierre et Carnot y sont
peints anssi a grands traits dans len!' centre
d'activité révolutionnaire. Quant aux anec-
dotes, elles ne sont ni frivoles, ni hasar-
dées; on n'y a introduit que ceHes (Lui,
amenées par le sajet meme, présentent par
conséquent une sorte de caution morale
et l)olitique de leur authenticité.


L' objet de cette Préface sera complete-
ment rempli, si le public y trouve le fU
indicateur qui doit le guider dans la lec-




XVI PRÉFACE.


ture forte d'un ouvrage que nous lui pré~
sentons avec confiance comme étant d'un
ordre nouveau.




1


lV[E~IOIRES
TIRES DES PAl>IERS


D'UN HOMME D'ÉTAT.


INTRODUCTION HlSTORIQCE.


==-


LES nations, considérées comme corps poli ti-
ques, se meuvellt d'apres des regles constan Les :
c'est la marche de la nature; les mceurs et les
coutumcs seu les varient selon le c1imat et le
mode de gouverllemeut. C'est dans les senti-
mens religicux et patriotiques que les sociétés
pnisent les forces morales qui les animent; leur
vigueur matérielle dérive des avantages de la
propriété et ele l'industrie, des néccssités de la
guerre et des bicnfaits de la paix. De mcrnc que
le globe, les uations quí en t'mancnt sont su-




:UÓWlll¡:S


,icttes :\ !les erises et a des róvoIlltions. Les erises
qllí les afIeclent n'ont ríen d'effrayant, si elles
HC sont que temporaires ou locales; mais sont-
elles contagienses ou ehroniqucs, la faec de la
terrc pent en etre ehangéepar le bou1eversement
snccessi[ de l'ol'dre moral et politique : tene a
l~té, te11e est la révolntion fran<.:aise avec toutes
ses conséquenccs. ·Pendant tl'ente ans et sous
des formes di verses, soit ayec le mantean royal,
soit avec le bOllllet de la liberlé, soit avec tout
l'attiraiJ de Bellolle, elle a iuttó avec une im-
mense sllpériol'ité eontl'e l'ancienne hiérarchie
socia1e, dégénérée OH afhiblie jusqne cbns les
gel'l11cs ele so. puissance : rnelllc apres ses dé-
faites, la róvolution a prévaln par la magie de
ses doctrines f()Jl(léc Slll' l' égaJi té.


Réccmrncnt on l'a cru étollftt~e, ou <.Iu moillS
accablée sous le poids de la guerre des souveraius
et des peuples agissant de COllcert : ii en a été
autremellt. Désarméc comme pouvoir, la révo-
llltion n'en est pas moius resté e sur son ter rain ,
d'ou elle répand ses théories, et renouvelle ses
entl'eprises, les unes dé<;ues, les autres accom-
plies, soit dans rAncien, soit dan s le Nouvean-
Monde.


Si, daus ce long el grave conDit, oú tout
l' llnivcl's ('sI veHU prclldrc part, des intéréts
slll'auués, liés á la wajcsló des CO!ll'üJIUCS, ont




JUS'IORIQVl':. 3
éprouvé des l'evel'S ou subí des humiliations
pires que des revers, quel1es en sont donc les
causes poli tiques et morales: Les hommes d'état
ne sauraient trop s'appliquer a les découvrir,
soit par une exaele investigation des événemens
conte~porains, soit par une parfaite connais-
sanee de leurs mobiles : éclairés alors par cette
haute expérienee, seule boussole certaine en
politique, peut-etre pourraiellt-ils éviter désor-
mais les écucils ou sont venus se hriser les ef-
forts de lenrs devanciers.


Ce 11' est donc pas ponr le vulgaire, encore
moins pour les sophístes et les rcvcurs, que
nous allumcrons le flambeau quí uoit jeter une
si vive lumiere sur les révolutions de notre épo-
que; nous le destinons a tous les hommes at-
tenti[s ct réfléchis, ;'¡ C¡;u).. qui son t appelés spé-
cialcment a tenir le lmrin de l'histoire ou á
diriger le timon des affaires. n s'agit de leur ré-
véler, saIlS détour comme sans' réticence, les
causes secretes qui ont affecté les cabinets dans
la conduite de la gl~erre COl1tre la révolution
frall<.;aise; iI s'agit de dissiper les obscurités qui
couvrent les écat'ts OH les erreurs de la diplo-
rnatic, ct, ce qui a l'll~ plus iITéparable encore,
les fautes des généraux; iI est temps enfin de 1'e-
trace!' le tableau fideIe de l'expériencc polítique
et militaire de notre :lge. •




4 IXTRODUCTION
Cet amas de ciar tés ne pouvait etre formé


qu'en dehors du foyer des révolutions, S011S
peine de le voir étouffé ou obscUl'ci par l'aven-
glement des préventions contemporaines. 01', il
ne fallait rien moins qu'une préméditation noble,
vigilante et sage p011r essayer de rassembler
ainsi tons les élémens du secret des cabinets; il
fallait SUl'tout une position sociale élevée pOlIr
expliquer avec discernement tant de faits graves
et décisifs. Mettre le tout en ccuvre, exposer le
tout an granel jour, telle est notre tache: c'est
des sables du Brandebourg que va jaillir la la-
miere.


Soit qu'on envisage l'Allemagne comme une
république de princes, soit qu'on la considere
cornme une fédération d'États indépendans, elle
n'en est pas moins réputée avec raison la cita-
deHe de l'ordresocial el1ropéen, le bOl1Ievard des
hommes forts et judicieux, appelés a concilier un
jour dans des formes stables les deux opinions
qui divisent et agitent le monde. Cette haute
médiation n'a-t-elle pas déja su l'accomplir il y a
environ deux siecIes a l'issue de la guerre de
trente ans, guerre encore plus poli tique que re-
ligieuse?


De nos jours, l'Allemagne a été pIutot surprise
et envahie que subjuguée; iI a suffi de quelqnes-
uns de ~s bastiollS restés intacts pour la reCOIl-




mSToRIQUE. 5
qncnr, tout en la préparant aux modifieations
que les temps et la sagessc réclament: e'est dans
son se in qn'est le grand foyer de résistance aux
passions désordonnées dn siecle; trop long-temps
les cabinets ne surent ni en apprécier la destina-
tion ni en diriger les forees.


A vant que la révolution fran<;aise ne vlnt
ébranler le monde, l'Earope était réellement
dans une sorte d'équilibre politique, garant de
l'ordre social. En Allemagne, tont se balanc;ait
visiblement par des pOlrvoirs opposés, qui main-
tenaient ainsi l'équilibre malgré tout le poids de
la maison el'Autriche.


Rodolphe ele Habsbourg avait fondé la puis-
sanee de eette auguste maison. Les comtes de
Habsbourg, d'Argau en Suisse, dont les posses-
sions en AIsace el en Souabc figuraient a peine
sur la carte de l'Europe, y joígnirent successivc-
ment avec la dignité impéríale, l' Autriche, la
Styrie, la Carniole, la Carinthie, le Tyrol, les
Pays-13as et les deux couronnes de JIongrie et de
TIoheme. Seizc el'entre eux furent empereurs, six
autres occuperent le trone d'Espagne; trois foís
ils firent tl'cmbler l'Europe, ce qui n'est jamáis
arrivé a aucune autre dynastie. En général, les
princes d'Autriche devilll'ent plus grands encore
par la fortnne et par la poli tique de leur cabinet
que par leurs vertlls gnerrieres; et leur cabinet




6 INTRODUCTJOX
eut plutot la renommée d'une politique raffinée
que d'une politique franche.


L'Empire, qui, sous Charles-Quint, aspirait it
la monarchie universelle, ne fut refrené et ar-
reté que par la ligue protestante qui s'appuya
sur les armes de la France; cal' la politique de
la France , dirigée par le génie de Riehelieu, fran-
chissait déja le Rhin, les Alpes et les PYl'énées.
Riehelieu vit dans la liberté de l'Allemagne la
súreté de sa patrie; Riehelieu eonnaissait la
grandeur du role qui convenait aux Bourbons :
le résultat de son plan fut le traité de Westpha,;,
lie, qui fit perdre a la maison d' Autriehe la haute
prépondéranee dont elle avait si souvent abusé
depuis Charles-Quinto La liberté politique de
l'Empire germaniquc et la Iibertl~ rcligieuse des
protestans, consacrées par ee tmité eél(\bre, lui
ravirent son ascendant dominateur : ce traité,
vaste et systématique, devint la principale étude
de l'homme d'État et du diplomate.


L'époque de la paix de Westphalie fut celle de
la fixation définitive du systeme de la COllstitu-
tion germanique: iI n' est done pas hors de propas
d'en donner ící une idée sommaire, eette eon-
stitution ayant subsisté clans son intégrité pen-
dant plus el'un siecle, et sa destruetion ayan t
été la suite des bonlevel'semens dont nons <le-
vons aSSlgner les canses. Il est d'ailleurs utile




llISTORIQUE. 7
que la g¡'~nération actuelle connaisse le méca-
nisme de l'ancienne constitution allemande; elle
en appréciera mieux les événemens de l'époque,
et pourra juger avec connaissance de cause sous
quel rapport le présent diHere du passé.


L'Empire germanique, sons les premiers Ca\'-
Jovingiens, d'aLord lllonarchie limitée par les
institutions et par les m~nrs de l'époque, s'était
transformé par la pente irrésistible du régime
féodal en une fédération de plusieurs centaines
d'l~tats; t011S reconnaissaient un chef sllprcme
commun, avaient des lois et des obligations
cornmllnes. Ces divel's~~tats étaient distriLués
en dix cercles ou circonscriptions territoriales,
dont chacun avait son prince conl'oquant. Les
dix cercles et les pays de l'Empire qui n'y étáient
pas compris contenaient, avant la guerre de la
révolution", a peu pres vingt-neuf millions d'ha-
bitans sur trente-quatre mille lieues carrées.


Le chef de l'Empire était choisi par certains
princes á qui ectte haute fonction conférait le
titre d'électeurs. Le principe de l'égalité des
pl'inccs, quant au droit d'élection, avait sub-
sisté dan s toutc sa force depuis l'extinction des
Carlovingiens jusqn'a l'avenement de Lothaire II,
duc de Saxe. La faiblesse de Lothaire aJant avili
la majcsté impéria!e, les états conférerent a dix
princes le dl'oit d'élection : telle fut l'origin? du




8 INTRODUCTION
collége des électeurs. Le regne de Lothaire fai.t
époque dans I'histoire de l'Empire par l'éman-
cipation presque entiere du Saint-Siége, et paI'
la presque total e indépendance des princes crAI-
lemagne, L'Empire devint alol's une arene san-
glante, ou souvent plusieurs compétiteurs se
disputaient le sceptre impérial. Aussi, les mai-
sons les plus puissantes cherchaient a concen-
trer entre elles le droit d'élection. La loi fon-
damentale, appelée la bulle d'o!', publiée en
J 355 a la diete de N uremberg, fixa enfin le
mode a obser\'er pour l'élection des empercurs,
et restreignit a sept princes le dl'oit d'y con-
cOllrir. Elle sanctionna un mitre changement
poli tique de la plus haute importance, l'indivi-
sibilité des Etats électoraux, qui ne pouvaient
plus etre affaiblis par le pal'tage : ce fut un
grand pas vers la stabilité et la civilrsation.


Par le traité de Westphalic le nombre des'
princes électeurs fut porté a huit; savoir : les
trois archeveques de Mayence, de Cologne et
de Treves, le roi de Boheme, les ducs de Saxe
et de Baviere, le margl'uve de Brandebourg et le
comte palatino Plus tanl, un neuvieme électorat
fut érigé ell faveur de la I:.laison de Hanovre.


Les fOllctions et les droits de l'cmpereur
avaient aussi élé classés et dótel'millós par la
bulle el'o!'.




IJISTORIQUE. !J
La diete germallique, dans laquellc résidait la


souveraíneté de l'nmpire, síégeait a Ratisbonne;
elle se composait de tous les états assemb1és en
tl'ois colléges, cclui des électeurs, celui des
princes et celui des villes. Les del1x premiers
s'appelaíent colléges supérieurs. Chaqlle collége
délibél'ait séparément, et leur réunion en une
assemblée n'avait líeu que dans certains caso


Lorsque les trois colléges étaíent d'accol'd on
dl'essait, conformément a l'avis commun, un
rés111tat qu'on nommait conc!usum, en allemand
Reichs Gutac11Icn. S'i1 n'y avait que deux col-
léges d'accord OH dressaít deux cunclllswn qui
étaient présentés a la commission impériale au-
pres de la drete. L' empereur, ayant approuvé la
délibération prise par trois OH denx colléges, on
eH fOl'lnait une résolutíon cl'Empíre, qui des 10rs
avait fOl'ce de loí. Ces résolutions, rédigées a la
fin de la cUete en un seul corps, formaient ce
qu'on appelait un reces de l'Empíre.


Le collége des princes était composé de
plusieurs élémens. Trente-tr01S prinees eeclé-
siastiques, e'est-a-dire archeveques, éveqnes
et abbés, formaient le bane ecclésiastique.
Soixante-un princes séeuliers, al'ehidues, cIues,
eomtes palatins, margraves et landgraves,
prinees ou comtes princiers, siégeaient au bane
séeulier. Tons ces prinees avaient une voix per-




10 INTRODUCTTON


sonnelIc,ou, en style de droit, un votum vil'ile.
Apres eux venaient les deux banes des prélats
et eles abbesses elites de Souabe et du Rhin, et
les quatl'ecolléges des comtes; savoir de Souabe,
de Franeonie, de Weteravie et de Westphalie.
Ces six corps avaient chacun une voix clans le


. eollége eles prinees.
Les qual'ante-sept villes libres qui autrefois


s'élevaient a cinquante-uue formaiellt le troi-
sieme collége depuis la paix ele Westphalie; mais
onlle les consultait plus guel'e que pour la forme;
tout se décidait dans les eleux colléges supé-
rieurs ..


Les tribunaux de l'Empirc formaient encore
un eles principaux liens eonstitutionnels ele l' Al-
lemaglle. C'étaient, en premie re ligue, la cham-
bre impériale qui siégeait a Wetzlar, et le conscil
aulique qui suivait toujours la cour impériale.
L'une et }'autre avaient beaneoup perelu de leu!'
consiclération et de leur importance.


Chaque cercle pouvait lever eles impositions
sur ses membrcs, et en cas de guerre fournissai t
un certain nombre d'hommes pour former les
contingcns, dont la réunion eomposait l'armée
ele l'Empire, qui n'était rien moins que for-
midable.


Ce systeme fédératif, iI fant 1'avouer, n'anrait
présellté ni l'ésistance efficace contre un ennemi




JUSTORIQUE. 1 t


extérieur, ni ordl'e, ni súreté, illtériemenient,
san s la prépondérallce et le poids de la maison
d'Autriche et des autres pllissances dll secolld
et du troisieme ordre.


Quand Louis XIV, abusant de ses armes,
voulut assujétil' non-seulement l'Empire , mais
l'Espagne et l'Italie, on vit l'Angleterre venir
puiser en AUemagne le systeme général d'équi-
libre; ce fut une véritable création de Guil-
Iaume III, et dans la politique ce fut une révo-
lution contre la prédomination de Louis XIV. On
touchait aux dix dernieres années du dix-sep-
tieme siecle. La haute pensée de l'équilibre de
l'Emope allait étendre désormais ses combinai-
sons sur une bien plus grande échelle de puis-
san ce géographique et militaire.


A compter de cctte époque, deuxÉtats, jus-
qn'alors obscnrs et presque inaper~us, apparu-
rent et grandirent presque tout a coup, l'un an
seinde l'Allemagne s-eptentrionale, l'antre dans
le vaste espace qui confine a l'Asie, et s'étend
an-dela.


Vorigine de la pllissance russe est assez con-
nne : e' est une création de. Pierre-Ie-Grand, cal'
le génie seul a le droit de cl'éer. Il fallut toute
l'énergie d'un despote, s'appuyant sur }'autocra-
tic pOLIr ol'ganiscr en un vaste empire ~ moitié
asia tique ,moitié europécn, eette lleuviemc pa\'-




'.


]2 HiTRODUCTIO:Y


tie de la terre habitable, peupléc de cent nations
barbares qui ne connaissent ni la craintc ni la
désertion, et dont les cohortes infatigables las-
sent san s pOllvoir etre aUcintes, et dévastent en
fuyaut. Pierre fut l'al1tocrate nerveux de cet em-
pire nouveau, voisin inaccessible de l'empire
chinois d'une part, et de l'autre , s'approchant
peu a pen du Niémen et de la Vistule. Lc
nord se vit forcé de recevoir sa loi; la tcrreur
ue ses armes ébranla l'orgueilleuse ignorance
des Ottomans; et la Russie , venant peser désor-
mais sur l'Europe, occupa les cabinets qui, du
temps de Louis XIV, en croyaient a peine ce
que l~s voyageurs racontaient de sa puissance.


La puissance de la Prusse est plus réeente,
plus surp¡'enante encare. Il ne suffisait pas aux
princes qui en ont jeté les fondemens de vainere
eomme la Russie les obstades de la nature: que
n'a-t-il pas faUn de courage, de prndence el
d'économie pour former des états de Brande-
bourg, morcelés et ouverts de toutes parts,
cette monarchie militaire qui a figuré si rapide-
mentparmiles premieres puissances de l'Europe!


La maison royale de Prusse a pour tige la
maison de Hohenzollern, dont l' origine se perd
dans la nuit des temps; (luelqnes auteurs la font
des cendre de Witikind.· Elle tire san nom de
l'antique chateau de Zollern ou Hq,henzollern,




HISTOnIQUE.


situ6 en Souahe dans un pays montagncllx et
peu fertile, formé de deux districts séparés,
dont l'un est traversé par le Danube, l'autre
par les montagnes de 1'.,,1 lb. Dans le douzieme
siecle, Conrad, chef de ]a branche cadette de
cette maison, pass a en Franconie", et fut mis en
possession du burgraviat de N uremberg, ville
impériale. Les burg,'aves étaient chargés alors
par les empereUl's de la garde des ehateaux et
des palais qui faisaient partie de ]enrs do-
maines : c'étaient des gouverneurs subordonnés
aux eomtes palatins. Conrad, tlevenu burgrave,
c'est-á-dire juge ch{\.telain, habita, comme ses
devaneiers, le clúteau appelé d'abol'cl Castel-
lwn-Noricom ou N oriburg, paree qu'il clevait son
origine aux peuples de la Norique, et connu
ellsuÍte sous le IlOm de NUl'llberg OH N urem-
berg. Il eut la haute jmisdietion dans le l'{ord-
Galt, province qui comprenait a pea pres le
pays qui forme anjourcl'hui les principautés
d' Anspaeh et de Bareuih. Conrad II, troisieme
burgrave, qui mOUl'ut en 1260, fut conseiller
de l'empereur Frédérie Il, qui lui confia l'édu-
cation de ses deux fils, et lui donna le gonver-
nement tcmporaire du duché d'Autriche.


L'avénement de Rodolphe de Habsbourg a la
dignité impériale donna un plus grand cssor á
la fortune de cette branche eauette de la mai-




J 4 INTnODUCTION
son de Hohenzollern. Frédéric IlI, qui en était
alors le chef, était en meme temps neveu de
Üodolphe; iI montra un grana úle pour faire
conférer la dignité impériale a son oncle, et,
par ses démarches aupres des électeurs, iI par-
vint a Jui assurer les suffrages. Rodolphe recon-
naissant lui donna, en J273, l'investiture héré-
ditaire du burgraviat de N uremberg, que les
ancetres de Frédéric tenaient dcpuis pr{~s d'un
siecle au nom de I'Empire. leí eommence done
la puissance poli tique de· la maison de Hohcn-
zollern, qui a donné sept burgraves héréditaircs
a N uremberg, onze éleeteurs aH Brandebourg
et cinq rois a la Prusse. C'est la seule maison sou-
veraine de l'Europe, la maison de Savoic ex-
ceptéc, qui oeeupe la souveraineté de pere en
fils depuis plus de cinq cents alls. Lile alltre
particularité, OH plu tat un phéllomene gélléa-
logique, ajoute a son illustration : la plupart
des maisons souveraines remontent, par leurs
allianees en ligne direete, a Frédérie de Hohen-
zollern, premier hmgrave héréditaire de N u-
remberg, qni se trouve ainsi le perc de presquc
tous les souverains qui regnent en Europe.


Marquons iei avec clarté et précision les ae-
croissemens suceessifs de eette puissance llOU-
vclle.


Apres trois géllérations et au commcncement




n'UN IIOllIME n'ÉTAT.
dll qninzi(~mo siccle, Frédéric, sixieme bur-
grave héréditaire, prépara en quelque sorte le
berccau de la monarchie; son habileté et ses ri-
chesses lui avaient donné de boune heure un
granel crédit elans l'Empire, et il contribua ¡mis-
samment a l'élection de l'emperéul' SigismonU.
En récompcnse l'empereur lui céda, en 1412.,
tout le pays de Rralldebourg avec le titre de
margrave, mais cn se l'éservant la dignité élec~
torale. Ce pays avalt été occup{~ jaclis tantot par
.Ies Sucves, tantot par les Valldales, tantut par
les ,Saxons et mcme par les Francs. Le tcmps
commell~ait ~t coufomlre les descelldans de ces
différens peuples, ainsi que leurs lois et ]eu~s
m~urs. :Frécléric sy rendít avec une petite ar-
mée ponr en prendre posSCSSiOll; iI Y trouva le
régime feodal ellcare dans toute sa force, et 1'0-
~ut a NeubrandeLourg la presta tia n de seTment
de la plupart des seigucurs; ceux qni s'y refllse-
rents'y virent bientot contraints par la force des
at'mes; l' Ull 1.1' eux possédait nn grand nombre de
ch¡lteaux, qui furent rasés. I"c nouveau mar-
grave, appe1é á la diete de COllstancc, y exer¡;:a
la plus grande influcllce, et dirigea presque seuI
le conseil de Sigismond. Ce prince avait besoin
d'al'gent i il cut recolll'S a Frt'déric, qni était ri-
che de sou économie el da crédit dont i1 jouis-
s:lÍt aupi'es des négociaus de N uremhel'g, aux-




ilElIIOIRES


queIs il vendit le BUl'g, ou clúteau impérial,
Jont iI avait été gouverneur héréditairc; ce qui
le mit a meme de preter quarante mille ecus
d'or a Sigismond. En revanche iI en obtint, par
une déclaration impériale, signé e le 30 avril
1415, les titres d' électeur de Brandebourg et
d'archi-chambeIlan du Saint-Empire.


Cette investiture de la dignité électorale, du
COllsentement des seigneurs et des princes de
l'Empire, recélait le germe de la monarchie. En
effet, les descendans de Frédéric se virent éta~)Iis
désormais sur un ~pied stable dans la possession
de la 1\Iarche de BrandebolIrg el de la dignité


. électorale. La branche cadelte de la maison de
Hohenzollern ue fut plus désignée des lors que
sons le nom de maison éleclorale de :Grande-
bourg,


De retour dan s son électorat ~ Frédél'ic prit
l'engagement de seconder l'empereur dans ses
efforts ponr soumettre les Bohemes, sous la
condition qne Sigismond, a son tour, l'aiderait
a reconqnérir la Marche-Ukraine, qu'avait en-
vahie le dnc de Poméranie. Le due, battu a
Angermundc, fut contraint d'abandonner a Fré-
déric tont ce qu'il possédait dans la l\laJ'che.
}'rédéric jonit comme prcmicr margrave et élce-
tenr el' Llne grande consiclératicn; il flIt qncleItw
temps vlcaire de l'Empirc, et conlribna encore it




l'élection des deux empereurs Albert JI et Frédé-
ríc JI! : acLiE et puissant jusqn'á son lit de mort,
il réullit par hérédiLé les dellx principautés de
Fl'anconie (Anspach et Bareuth), uans lesquelIes
le burgraviat ayait été partagé; mais au terme
de sa vie active, en 1 [¡[¡o, iI partagea de nouveau
ses possessions entre ses fils. Ce systeme 'tl'apa-
nagcl' tenait encore au r<"gime feodal, et n'était
propre qu'a entretenil' la division et l'anarchie
par héritage : les esprits commelH:aient á en
etre frappés, et l'intéret du pouvoir préparait
partout en Europe un changement en faveu!'
de l'unité monarchique.


Albert, troisieme électeur, commen~a la ré-
volution dans ses états; il fixa en 1473, par une
ol'donnance, l'incJi\'isibilité de la Marche de
nranJebolll'g, et l'ordl'c de succession dans les
prineipautés de Franconic, eomme faisant partie
intégl'ante des possessions électorales. Or, il fut
réglé q~l'a I'avenÍl' la Marche de Bl'andebourg
devait tOlljours rester unie, et qu'il n'y aurait
jamais que deux lignes régnantes dans le bur-
graviat de N uremberg. Cette pragmatique peut
etl'e eonsidérée eomme la premicre base solide
de grandeur ;l lac¡uelle la maison de Brande-
bourg s'est en~uite élevée.


Apres quclques regues qui ont laissé uans
l'histoire pell ele traces, la pllissauce brande-


l.




INTHODCCTIOK


boul'geoise rec;ut, sous l' élccteul' J can Sigismond,
un accroissement de la plus haute importance :
la posses~ion de la I)russe.


Ce n'est que dans le dixieme siecle que l'his-
. toire du duché de Prusse commenec a s'éclaircil'.
Les peuples qui l'habitaient ne flll'ent compris
sons le nom général de Po-Russes que paree
qu'ils étaient voisins des Russes, dont l'empire
s'étendait alors, eomme de nos jOIlI'S, sur toute
la Courlande et la Lithuanie : lá vint se former
la puissance militaire des chevaliers teutolli-
ques, nobles débris des croisades; la Prussefnt
eonqnise, convertie et civilisée par eux. L'ordre
ayant décliné perdit, en combattant contre les
rois de Pologne, sa gloire militaire, une partí e
de son indépelldance et de ses possessiolls. En
1525, il avait pour gl'alld - maltre Albert de
Bl'a11l1ebourg, qui, sacrifiant son oro re a son
ambition, l'anéantit, en se faisant reconnaitre,
par le traité de Cr:Acovie, cIuc héréditaire de la
Prusse sous la souveraineté de la Pologne. Volla
comment un pays, que les chevaliers teutoniques
avaíent conservé sous leUl's 10is pemlant trois
siecles, passa sous l'autorité el'un prince de la
maison de Brandebolll'g.


::\Iais ce ne fut qu'un siecle plus tard que le
.


duché de Prusse, ou Albert avait introduit la ré-
forme de Luthel', entra dans la maison électo-




IIISTOnfQV:E. 19
rale, dont la Polagnc avait d{'ja reconnu le droit
de succcssion.


Voici comment fut consommée eette acqni-
sition déeisive pon!' la grandeur futme de la
Prusse : J ean Sigismond, neuvicme électeul',
ayant épousé en I5g!~ Anne, filIe unique d'Al-
bert-Frédél'ic, dnc de Prusse, dont il était le
neven, abtint uu vivantmeme de son beau-pere,
qui avait l'esprit ::tliéné, I'auministration dll du-
ché. Son beau-pcre étant mort, il entra en pos-
sessian en 161 1 , et l'e<{ut l'investiture.


Ainsi ce fut au commencerncnt du dix-septieme
siecle que la maison électorale se tronva régner
a la fois sm la Marche de B1'andebourg et sur le
duché de Prusse, dont on ne soupc;onnait point
encare l'impartance.


George Guillaumc, succcsseur de Jean Si gis-
mancI, n'exer<:a point l'influence qu'aurait dli
lui assurcr tant ele posscssions réunics. Prince
faible, il fut sllbjugué par son principal ministre,
et devillt le jouet des événcmens ~t une époque
terrible. L' Allemagne était alo1's embrasée par
la gue1'1'c de tl'cntc ans. Le systeme de gouve1'ne-
ment avait changé dans le Brandebourg. Fré-
déric, premier électem, accélérant la chute dll
régime féodal, avait assujéti les grands. Dcpuis ,
les états da pays conservcrent qllelque inflllence;
mais ils la perdirent peu á peno Gcorge Guil-




20 INTRODl;CTION


laurne les consulta pour la derníere foís en 1631
sU!' une alliance projetée avec la Suede; iI les
rcmpla¡;a bientot apres par un conseil que do-
mina son premier ministre Schwal'tzemberg, le-
quel parvint sous ce regne a un degré d'autorité
peu différent du pouvoir des mairt¡s du palais
en France. Schwartzemberg, dévoué a l'Autri-
che, porta son prince a se rangel' saos les éten-
dards du célebre Wallestein. Les premiers élec-
teurs n'avaient cn fait de troupes qn'une garde
de cent hommes et quelques lansquenets; en
cas de guerre, ils convoquaient l'arríere-ban,
multitwle sans ordre, qui ne laissait la possi-
bilité de faire ancune opération solide. George
Guillaume leva une armée de vingt-cinq mille
hommes, entretcnus par les subsides de l'em-
pereur et de la Holbnde; mais ce prince était
peu capable de diriger une telle armée, et de
s'en faire un rempart. S'étant laissé entrainer a
trahit, les intél'ets des protestan s et ceux de la
ligue germanique, le Brandebourg clevint le
champ de bataille et la proie tour a tour des
Suédois et des Impérianx; la fin de ce regne
surtout ne fut qu'une suite de revers et de mal-
hellrs.


Mais survint FréJéric-Guillaume, a qui la pos-
térité impartiale a donné l'épithete de grand
électeUl'; il était né pour relever sa malheureuse




ITISTOnIQFE. 21


patl'Íe. Ce prince n'avait que vingt ans lorsque,
en 1640, iI parvint á la régence.


Résolu de gouverner par lui-meme, illui fal-
lait, pour s'affranchir du j« de l'Autriche,
otel' tout pouvoh' au comte de Schwartzemberg
dont les conseils avait dominé son pere; c'était
une entreprise assez délicate que ceHe de ren-
verser un ministre plus souverain que son mattre,
selon l'expression dll royal historien l. Adam,
comte de Schwartzemberg, avait accumulé sur
sa personne les charges les plus importantes; iI
étaít a la foís conseiller privé de l'Empereur,
président du conseil du Brandebourg, grand
chambellan et gouverneur-général des Marches.
Á ce del'llier titre il disposait des principales
fortel'esses de l'électorat par des commandans
qui lUÍ étaient dévoués. C'était lui aussi qui re-
doutant le coup d'ccíl SCl'utateur de Frédéric-
Guillaume, avait ten u ce jeune prince éloigné
de la cour et dans la disgrace de son pel'e. Que
de motifs d'indignation pour le nouvel électeur!
Tout porte a croil'e néanmoills que le ressen-
timent individuel aurait fléchi sans la raison
d'État, Quoique sur ses gardes, le ministre op-
presseur du BrandeboUl'g et vendu a l'Autriche,
est cnlcvé militairement et didgé de Berlin sur
la forteresse de Spandau, En route et arrivé pres


I Fredéric 11,




IXTltO DUCTIOS


d'un bois de sapins, que la tradition désigne
encore, on le bit dcscendre de voiturc, et la on
lui tranche hl tete sans formes de proces, cir-
constan ce sur la.elle Frédél'Íc, clans ses J1fé-
moires sur le Brandebourg, jette un voile offi-
cieux. Il assure que Schwartzembcrg n'eut que
le temps de se réfugier a Vienne, Olt il mourut
la meme année. Nous affirmons au contraire
que le !~ mars 1641, ii fut réellement décapité
et qu'on l'inhuma ensuite dans l'égIisc meme de
Spandau, 011, envil'On un siec1e et demi apres,
des personncs notables de Spandall ont vu ses
restes et la tete séparée un tronco On 11t publier
qu'il était mort subitement u'apoplexie. Dans
les mémoires déja cités, Frédéric jctte a dessein
de l'obscurité sur un coup d'état qu'il n'aura pas
vouln dévoilcr. Quoi qu'il en soit, au moyen de
ces mesures énergiques, le nouvel électeur par-
vient a établir son autorité. L'empereur Ferui-
nand Illne fit aucune recherchc sur le genre de
mort de son conseiller privé qní lui avait assu-
jéti si long-temps l'électorat. Sa correspondan ce
particuW~rc que Frédéric - Guillaume avait dé-
couverte en faisant saisir les papiers de Schwart-
zemberg, aurait déposé contre le ministre pré-
varicateur. Mais Ferdinand accueillit avec un
intéret marqué son fils Jean-Adolphe, des qn'on
lui eut remlu sa liberté qu'il avait perdue au mo-




UISTORIQVE.


ment mI ron avait arre té son pere. Ferdinand
le nomma a'abord cOIlseiller privé; ensuite iI le
décIara chef de son conseil, chevalier de la toi-
son d' 01', le fit prince et le combla de biens: e' est
de lui que descendent les princes de Schwart-
zemberg ¿le nos jours.


Des que le nOllvel électcur eut pris ainsi les
n\nes de l'.État, son génie réparateur écIata,
aussitot; iI forma un autre conscil, donna des
départcmcIlS pUl'ticuliers á chacun de ses mi-
nistres, établit deux conseillers par province
pOUl' en traiter toutes les affaires, mit de 1'01'-
(lre et de l'écollomie dans ses finanees, prit
les armes et se mit en campagne. Apres avoir
recouvré- une partie de ses États, que les
Suédois tenaient encore, il conclut une treve
avee la Suóde et ulle alliance avec la Pologne :
on touehait ü une pacification générale. L'é-
leetenr obtint par le traité de Westphalie, et
pour avoir soutenu le parti protestant, les éve-
chés de Minden, d'Halberstadt et de Camin,
ainsi que la survivance de Magdebollrg en in-
demllité ele la Poméranie citérieure cédée a la
SlH~de. L'avantage pour l'électorat était sensible;
ses frontieres fixées, son ter'ritoirc libre d'en-
nemis et sa situation intérieure permettaient a
l'électeur d'aspirer a la gloire sans compromettre
sa súreté. La guerre que l'ambitiop de Charles-




INTRODüCTIO'i"


Gustave allnma en Pologne lui en foul'Uit bientüt
1'0ccasiOll: Frédéric-Guillaurne, formé ~l I'école
uu malheur, voit le dangcr de sa position en tre
tleux puissances qui portent sur ses fl'ontiéres
meme le théatre de la gnerre; il créc el'abonl un
corps d'année permancnt, et obtient des États
du pays, excr\ant pom la c1erniere fois le droit
de voter l'impot, les sommes nécessaires a l'en-
tl-etien de ses troupes. Ce prince était alIié de la
Pologne; mais il connaissait l'ineertitlldC' de ses
résolutions, les embarras qni llaissaiellt de sa
constitution intérieure; il su pportai t d'ailleurs
impatiemment l'idée d'etre vassal de eette répn-
blique; a ses yeux c'était un joug c1éshonorant,
et iI aspirait a s'en délivrer. Apres avoir hésité
quelque temps, iI se détermine enfin a s'unir au
roi de Suede, yoisin plus redolltable, allié plus
puissant, qui déjá meme s'était emparé de la Prusse
ducale, et il conclut a Kcenigsbel'g, en IG56, avec
Charles-Gusta ve , un traité qui devait lui assurer
les palatinats de Posnanie, de Kalisch et de 5i-
radie. Joignant aussitOt ses trollpes á ccHes de
son nouvel allié, il décidc pal' sa v~illance le gain
de]a bataille de Varsovie, le 18 juillet, bataille
décisive, disputée pendallt tl'ois jours par le roi
de Polognc Jean-Casimir. Cette premiel'c victoil'e
jelte les fondemens de la gloire militaire des
tl'oupes nationales el:.! la maison de Bl'andebourg.




JIISTORrQrE. 25
Charles-Gustave et l'élccteul' allraient pOlIr-


suivi de concert lcurs succes, si le I'oi de Dane-
mal'ck et l'empereur Ferdin:md III, I'edoutant ]a
dominatioll de la Suede dans le Nonl, ne s'étaient
hatés d'embrasser la défense de la Pologne, Le
roi de SuCde se trouvait a son totir dans une po-
sitian critique. Déja l'électeur, prévoyant la non-
velle direction qu'allaien t prendl'c les a ffaiI'CS ,
s'était séparé de ce princc, amenant avec lui ses
troupcs, sons prétexte d'aller couvrir la Prusse
contre les incUl'sions des Polonais. Charles-Gns-
tave, dans 1'espoir de s'attacher l'électeur, lni
confere I'entiere souveraineté de la Prusse par
le traité de Labiau I, et eourt ensuite a la eon-
quete du Danemarck; mais Frédéric~Guillaume,
n'éeoutant que l'intéret de l'État et profitant de
sa position, cOllclut l'année suivante avee la Po-
logne le traité de llromberg, qlli lui assure les
memes avantages que celui de Labiau. Joignant
plus tard ses armes a ceHes de l'empereur, et
renforcé par un corps de tl'Oupes impériales, il
marche lui-meme a la délivrance du Danemarek,
et, a la tete de trente mille hommes, attaque les
Suédois, qu'il ehasse du Schleswig et du Jutland.
]~n 1660, le traité d'Oliva fixe la balance des
puissances du N orel, et reconnalt la souveraineté


, ro Novembre I65G.




lNTRODUCTION


de l'électeur sur la Prusse avec des frontieres
plus étendues.


l"rédél'ic-Guillaume, au sein de la paix, s'ap-
plique a rétablir la prospérité intérieure de ses
États. « n relevait les mllrailles des villes; les dé-
» serts devenaient des charnps cultivés; les forets
» se ehangeaient en villages, et des eolonies de
» laboureurs nourrissaient leurs tronpeaux clans
» des enrlroits que les ruvages de la guerre avaicnt
») rendus l'asile des betes sauvages '. }) Ce prince
était occupé a réorganiser son pays, quand les
amlÍl'es générales de l'Enrope attil'crent de nou-
veau son attention. Il nc balan<;a point ú faire
partie de la eoalition formée con tre la puissance
mena<;ante de Louis XIV, et, se mettant en eam-
pague avec une armée de seize mi11e hommes,
que ses talens et son activité rendaient redoll-
tables, il vint renforeel' en 1674 l'armée battue
des alliés. Tout a coup iI apprend, dans ses
quartiers en Franconie, que les Sllédois sont
elltn~s dans les Marches du Brandebourg, et les
mettent an pillage : c'était Louis XIV qui le fai-
sait ainsi aUaquer par une pnissanee, inquiete
elle-meme des accroissemens de la maison de
Brandehourg dans le Nord. L'électeur part de
son camp, arrive a Magdebourg, reprend Rate-


• Mémoires da Brandebolll'g, par Frédéric n.




nrsTonJQUr.
nau par ruse, et, á l'aide du génél'al de sa ca-
valerieDerfflinger, son conseil et son lieutenant,
il se porte el marches fOl'cées avec cinq mille six
cents chevaux au secours de ses malheureux
sujets, sUl'prend et débit les Suédois a Fehr-
bellin. Cette victoire, rem porté e en 1675, fit
une sensation prodigieuse en AIlemagne : un
peuple nouveau venait de fMtrir les antiques
lauriers des SUl~dois; I'Empire se félicitait de
voir s'élever dan3 son sein un vengeur de ses
droits et de sa tl'anquillité.


Le granel électeur, profitant de sa victoil'e,
prit Anclam, St~ttin, Stl'alsund, et fit une des-
eente dans' rile de Rugen : toutc la Poméranie
subit la 10i du vainqueur. Au creur de l'hivel',
~.


ce prinee est prévenu que le comte de Horn est
entré en Prusse par la I-ivonie avec seize mille
Suédois; il part de Berlin ave e neuf millc hom-
mes, poursuit l' ennemi, fait faire a ses troupes
sept grands milles en traineaux, préparés sur
les glaccs dll Frisch-Haff, et, terminant cette ex-
pédition étonnante pat· la déroute complete des
Suédois, rentre triomphant, le 1 {~ janvier, dans
les murs de KrenigsLerg.


La désunion des alliés le pl'iva du fruit de ses
victoi¡'es : seul exposé aux vengeances de la
Franee, il rendit ses conquetes a la Sueue auxi-
liaire de Louis XIV. La paix fut concIue a Saint-




Il\"TRODUCTlON


Germain le 2gjuin 1679, et ce fut avec peine que
l'électeur obtint de garder les villes de Camin,
de Gartz, de Greinferberg et de Wildenbrllck. La
France l'indemnisa en partie des pertes qu'il avait
faites et du ravage de ses provinces, en lui payant
huit cent mille écus. Si Frédéric-Guillaume,
clans eette derniere guerre, ne grandit pas en
puissance réelle, iI éleva duns l' opinion la Prusse
et le Brandebourg, et prélllda ainsi a un sicde
de triomphes : créateur d'une patrie qui devait
étonner le monde dans ses développemens ul-
térieurs, et doné el'un coup d'reil vaste etpéné-
trant, il avait famiIiarisé son génie a traiter la
grande poli tique qni décide de la destinée des
États. Sa sollicitude an sein de la paix se porta
sur tontes les branches de l'administr'ation pu-
blique; iI fit fleurir les arts et régner la justice;
sons ses lois le Brandebourg et la Prusse réu-
nis commencerent· a forme!' une puissance.
N'ayant que deux millions de sujets et six mil-
Jions de revenu, il ayait porté son armée a trente
mille hommes; et, avec des moyens si faibles, il
n'en fut pas moins, selon l'expression du plus
grand de ses descendans, ({ le restaurateur et le
)) défensenr de son pays, l'arbitre de ses égaux,
)) l'honneur de sa na lÍon, le fondatenr de sa }mis-
) sance l. » Ajontons qu'il fit sOl'ti1' la Prusse


• M¿moires dll Braltdebourg, pal' Fréd¿ric Ir.




IIISTOIlIQUF..


de son obscurité, et acquit une espece de PI'O-
tectorat de fait sur tont le nord de l'Allemagne.


Son fils Frédéric Ier lui snccéda en 1690. Il am-
bitionnait ardemment les insignes de la royauté
et le titre de rOÍ; ,il sollicita l'un et l'autre du
chef de l'Empíre. La cour de Vien'~e crut s'atta-
cher par la un prince qui pourrait lui etre utile.
L'empereur Léopold l"r, s'altribnant la prél'o-
gative de cl'éer des rois, érigea le duché de
Prusse en royaume. Le 10 févl'ier 1701, Fl'édé-
ric rer se Couronlla roi de Prusse a KCBnigsberg
ave e une grande pompeo Reconnu tel pat' toutes
les puissances, excepté la Pologne, iI s' entoura
d'une conr nombreuse et d'une magnificence
jnsqu'alors inconnne ~t Berlin; son royaume s'ac-
crut sous son regne des comtés de Teklcm-
bourg, de Ilohenstein, ainsi que uu pays de
Nenfchatel et de Valangin; mais iI eut pen de
poids en Europe, les différentes parties qui le
composaient n'ayant encore ni solidité ni nnité
d'amalgame. En se faisant uonner le titre de
roi, Fl'édél'ic Ier prépara sa maison a venir se
placer parmi les puissances prépondél'antes :
l'éclat de sa conr fut une espece de prestige tres-
ntile á ses vnes et a ses intérets, a une époqne
surtout ou les dehors de la grandenr captivaient
les esprits.


Sous ce point de vue, tont changea de fa ce




30 INTRODUCTlO:"-
en 1 7 1 3 á l'avénement de son fils Frédéric-Guil-
lallme ¡el'. L'économie la plus sévere prit la place
de la magnificence : l'économie était pour aiusi
Jire une maxime d'état dahs la maison de Bran-
ueboUl'g. A l'exception de l'électeUl' Joachim II,
qui avait laissé environ scpt millions de dettes,
et <Iu roi Frédéric F r , auquel l'amoUl' de la
royauté avait dicté des pl'ofusions extravagantes,
tons les nutres princes de cette ('ace s'{·taient dis-
lingués par un ordre sévere clans leurs finances
et par la plus excessive rigidité clans les dépenses
de leur maison et de leur gouvernement : c'était


<-


par la qu'ils avaient prépal'é la grandeUl' et la
puissance dé lem dynastie. :Fl'édél'ic~Guillaume
en était convaincú; aussi montra-t-il dans 1'ad-
ministl'ation de l'ftat tOllt ce que pCllt un esprit
tenace el Leallcoup d'onll'c. Toutcfois son ar-
mée fut portée au complet de cinquante mille
hommes, et meme jusqu'a soixante-douze mille
combattans pendant la guerreo Dans son sys-
teme de gouvel'nement, c'était l'esprit militail'e
qui dictait toutes ses mesures. D'nn autre coté,
il répugnait, par principe d'économie, a s'im-
miscer dal1s les guerres que suscitait l'ambition
de Charles XII; mais Charles, a son 1'et01l1' de
Turquie, ayant rompu imprudemment la con-
ven tion par laquclle la Poméeanic suédoise était
confié e en dépót á des garnisons prussiennes,




HISTOlUQUE. ~I
Frédéric-Gliillaul11c joignit aussitút ses armes á
ceHes des Danois et des autres alliés. Apres avoi¡'
contrihué a chasser les Suédois de l' Allemagne,
iI obtint dans la pacification de 1720, en payant
deux millions, la possession de Slettin et de la
Poméranie citérieure, acquisition importante
en ce qu'elle laissait la Prusse maitresse de l'em-
bouchure de rOller. L'Allemagne commen~ait
aussi á changcr de face sous le point de vlIe
politiqueo


Par les guerres et les traités conc1us dans le
dix-septieme sieclc, et au commencement dn
dix-huitieme,l'.Empirc germallique put se con-
vaincre en fin que, ualls ses débats avec l'Europe,
sa constitntion ne luí perrríettait plus de jouer
un role illd{>penc1ant. Des que cette cünvictioll
fut devcnuc gén(~rale, clwque prince puissant
de l'Allemagne se Íorma un systeme de politique
á part, chaqlle maison ne pensa qn'a sa propre
conservation, á l'ag;randissement de ses États et


'--


a l'augmentalion eles ses armées. Si la maison de
Brallllebourg était venne se ranger parmi les
puissances prépondérantes du Nonl, c'était sur-
tont pom avoil' élé la pl'emiere á cntrevoÍl' ce
systeme, et la plus prompte a en faire !'ap-
plication.


Déja le úle de l'Empire pour la maison d'Au-
triche s'affaiblissait; l'Allemagne ne se ralliait




INTRODUCTIO'V


plus avcc le meme empressement autom' de son
chef. D'nn autre coté, la France et la Suede y
avaient perdu leur influence : la Saxe, unie a la
Pologne, le margrave de Brandebourg, dcvenu
roi de Prnsse, la maison de Hanovre, élevée SUl'
le trone de la Gramle-Bretagne, se crurent, soit
par vanité, soit par in téret, appelés a régler les
destins de l' Allemagne.


Tout en ne pel'dant pas de vue la politique gé-
nérale, Fl'édéric-Guillaume donnait a son gou-
vernement les soins dont son ame forte était
capable : iI avait complété l'établissementdu
despotisme en réduisant le pOllvoir de son con-
seil d'état et celui de ses ministres; iI avait établi
un graNd dil'ectoire partagé entre quatre dépar-
temellS qui avaient chaeun á leur tete un mi-
nistre d'état. Ce prince cJ'éa aussi dans chaqne
province un collége de justice et un collége de
finances, soumis aux ministeres de ces départe-
mens. Sur le rapport de ses divers ministres, le
roi décidait et signait; aucun corps n'avait le
<1roit d'arreter, de ralentir ni de modifier l'exé-
cut ion de sa volonté, qui tenait lien de 10i. Sous
son regue, laPrusse encoredésertefut défrichée,
repeuplée et embellie. En mourant, il laissa un
pays qui commen~'ait ü flenrir, une armée par-
faitement disciplinée, un ordre merveilleux dan s
toutes les uffail'es, et un trésor Pllb1ic rempli ,




HISTOnIQL'E. 33
c'est-a-dire le nerf de la guerreo Illaissa ainsi réglé
le royaume a son fils, qll'il avait voulu faire dé-
capitel' poul' cause de désobéissance; et ce fils,
en parlan t d'un tel pel'e, dont la violenee parfois
ressemblai t a de la férocité, mais doné aussi de
l'ares vertus, s' exprime ainsi: (( S'il est vrai de dire
» qn'on doit l'omhre dn ehcne qui nous couvre
» a la vertn dn gland qui l'a produit, tOllte la
)) tene eOllviendra qU'Oll trouve dans la "ie la-
» borieuse de ce pl'ince, et dans les mesures
» qu'il prit avec sagesse, les príncipes de la
» pl'Ospérité dont la maiSOIl royale a joui arres
» sa lnort I. »)


Frédéric-Guillaume avait créé la partie méca-
niqlle de l'armée : Fré<léric JI allait l'animer de
son génie. Le trésor que son pere venait d'a-
masser, l'a!'mée qu'il avait vu organiser, iI allait
s'en senil' pou!' consolide¡' la pnissance de la
monarchie: elle était dépourvne de frolltieres et
de forteresses; par conséquent elle était faible.
Frédéríc, épiant l'état de rEurope, vit au pre-
miel' coup d'ceil, dan s la coalition formée contre
J\Iarie-Thérese pour lui ravir la succession de la
maison d'Autriche, que le moment úait venu
d'élever la Prusse an rallg des puissances du pre-
mier ordre. Prorncttant d'ernbrasser la cause de


, Jlémoires úa Erandebolll'g, pal' Fl'édéric lI,


J. 3




INTRODUCTION


Marie-Thérése, il demanda la Silésie, et, a ce
prix n'ayant pu I'obtenir, il en fit la conquete.
Cette guerre dura dix-huit mois : apres le gaill
dé cinq batailles, la Silésie fut abandonnée et
assurée a Frédéric par la paix de Breslaw.


L'effet immédiat de cette premiere guerre fut
l'élévation de la maison de Brandebourg.La fer-
tile et indllstrieuse Silésie devint le plus beau
diamant de sa couronne. Ce prompt agrandisse-
ment et plus encore ses causes, le vaste génic
politiqlle et militaire de Frédé,:"ic changerent
réelJement le systeme intrinseque de l'AlIemagne.
Dne puissance s'éleva qui put contrebalancer la
maison d'Autriche: les armes de la France n'é-
taient plus nécessaires. La Pl'usse devl:mait ainsi
la protectrice de tous ceux que l'Autriche oppri-
mait; elle se trouvait d'aillcnrs (bns le fait rem-
placer la Saxe a la tete des états protestans.
Ainsi la religion, la poli tique , I'ín téret de fa-
mille, tout concourait á établÍI' la séparation
de l'Empirc en deux puissances rivales et sbu-
vent ennemies. Cette séparation affectait es seu-
tieHemep.t la constitution germanique, en rédui-
sant tout le pouvoir de son chef an líen, déjá
relaché, dll zele religienx et de l'intéret de l'É-
glise catholic¡ue, et a l'in[luence que nc pOllvait
manquc!'(i'avoir, sU!' des yoisivsfaibles, l'Autri-
che comme puissance du premiel' rango




HISTORIQUE. 35
01', la digllité impél'iale, dont la maison de Ba-


viere n'avait pu récemment supporter le poids,
sembJait ne pouvoir conserve¡' qllelques restes
de son anden lustre qne relevée ou soutenue
par la force d'une grande puissance; en un mot,
il n'y avait plus que la Prusse et l'Autriche qui
pussent désormais se la disputer. .


C{'s considél'ations fmppe¡'ent tellement Ma-
rie-Thérese et son ministre le prince de Kaunitz
qne, pour déraciner le ge.'me d'une si dange-
reuse rivalité de puissance, ils ne virent d'autres
moyens que l'humiliation et le dépouillement
absolu du roi de Prusse: on espé,'ait le Sllr-
prendre dans une imprévoyante sécmité. Ce
n'était pas seulement la Silésie qu'on voulait re-
conquérir; c'était l'Empire entier' qu'on préten-
dait assujétir de nOU\'eau a la Í)l'épondérance au-
trichiennc.


Fue ligue se formaj des passions mises en jeu
intervinrent; se masqllant de prétextes frivoles,
elles firent perdl'e de vne l'équilibre de l'Enrope
et les illtérets des natiolls, par conséquent tous
les príncipes d'llne sage politique: telles furent
les causes de la guel're de sept ans, précipitée
par la découvel'te que tit le grand Frédéric dll
projet des COUl'S de Dresde, de Saint-Péters-
bOUl'g et de Vienn~ d'envahir ses états et de
l'en dépouiller. Ce prince trouva son salut dans




36 INTRODT;CTION
la célérité et clans l'anclace; iI prévint ses enne-
mis, et commen~a la guerre par des conql1t~tes.
En vain la France vient se joindre a la coalition
qui avait conjuré sa perte : iI n'eft résiste pas
moins a eette masse imposante d'ennemis qui
l'entourent et le pressent; iI Iutte seuI contre
rEurope. Que de combats a outr'ance, que de
chanees, que de vicissitudcs pendant quatre
campagnes eonséeutives! La position de Frédé-
rie s'aggrava; elle devint meme désespérée; et
toute rEnrope crut que l'année 1760 allait mar-
quer la chute de ce prince et le partage de ses
états. L'inactivité des Russes lui permit d'al-Jer
battre les Antl'ichiens, et le sallva. Mais la cam-
pagne suivante, ses nombl'eux ennemis eoncer-
tent leurs mouvemens et le resserrent de tous
cotés. Pcut-etre le héros de la Pmsse anraÍt-il
sllceombé, si Pierrc III, son admirateur, ne fUt
monté tont a eoup sU!' le trane des ezars par
la mort imprévué de l'impératrice Élisabeth;
cal', elans eette eoalition, deux femmes eouron-
nées jouaient les premiers roles. Pierre nI, ayant
fai t sa paix, rompít palo Ht' sans retour les plans
des alliés.


Cette nouvelle ehance rouvrit a Frédéric la
route de la fortune, et}l put sortir victorieux
d'une Intte presque sans '...cxemple cluns I'his-
toire : l'Europe cntiere n'avait pu luí arracher




HISTORIQUE. 37
un seul pOllee de terrain, quoique ses états fus-
sent ouverts de toutes parts; sept grandes vic-
toires et une suite de marches étonnantes l'a-
vaient placé au-elessusde tous les hérosmodernes;
jamais la fortune n'avait plus complétement
trompé les combinaisons des cabÍnets.


La paix vint mettre le comble a la gloire de
Frédéric; et, pour la sureté de l'Europe, le sys-
teme des deux puissances rivales en Allemagne
fut des lors fixé : le granel objet de leur politique
fut désormais de conserver l'équilibre de leurs
forces mutnelIes. On vit l'application de ce prín-
cipe dans le premier partage de la Pologne en
I7P' Le projet en avait déja été ébauché un
siecle auparavant. Frédéric.fut entrainé a y con-
courir par les deux eours impériales; son lot
fut le moins riche dan s eette premiere dépouilIe
et dan s ce triple coneert. Le district de N etze et
la Pl'usse oecidentale, pays alors mal cultivé et
mal peuplé, ne donnerent pas a la puissance
prussienne un accroissement notable; mais ils
mirent l'ancienne Prusse eneommunication avec
la Poméranie et le Brandebourg.


AillSi des agrandissemens mntnels et propor-
tionnés, soit aux dépens de la Pologne, soit
meme allX dépens de la Turqnie, et une
augmentation relative de puissance militaire,
comme ponr conserver une sorte d'équilibrc,




38 INTRODUCTIOlY
telle fut l'essence de la politique des principaux
cabinets dll nord vers la fin du dix-huitieme
siecle. La France seule restalt stationnaire; mais
l'influence morale de sa littératUl'e et de ses
mreurs était procligieuse dan s tous les pays ci-
vilisés.


Du reste, il avait faUn les ressources du génie
de Frédéric pour fermer dan s ses états toutes
les plaies de la guerre de sept aÍls. Par la S3-
gesse de son administration, et malgré les mal-
heurs publics, il avait accrn de plns du double
la faíble population de la monarchíe qui, a son
avenement, ne s'élevait qu'a deux millions deux
cent quarante mille ames l. Il avait créé six centa
villages, bati des places fortes, rendu a l'agricul-
tllre des friches et des marais immenses; il avait
étahli et soutenu de nouvelles Jabriques; en un
mot, il venait d'élever la Prllsse en affermissant
les troís bases principales de sa puissance : la
force milita ir e , la justice et l'économie.


Ce prince, qui avait formé son armée poul' la
guerl'e, en fit a la paix l'armée la mieux disci-
plinée de l'nnivel's; lui-meme présidait a túutes


• Frédéric, dans ses OEuvres., la porte :\ trois million.; mai. Son édi-
te\1r HertzI1erg .ffirme que la vél'Ítable papolation de la mon.rcbie,
en I? 4a ,ne dépassait pa. deux millians den x cent quarante mille ames,
et que Fl'édéric ne l'avail éle\'éc a trois miIlio\1s que paur fannel' ce
qu'HertzLerg appclle Un nombre roml.




HISTORlQUE. 39
les revues, a toutes les parades et surtont aux
grandes mana:uvres de Potzdam, que venaient
admirer chaque année les militaires de tous les
pays. Partont on s'empressait de snivre les le-
<,;ons d'un si granel maltre; les principes de tac-
tique et, de discipline qn'il prescrivait á ses
troupes étaient adoptés aussitot par les diffé-
rentes nations de l'Europe, et sont encore ceux
qui, de nos jOtll'S, reglent les évolutions de
toutes les armées: c'étaient la vitesse, la justesse
et l'harmonie de ~,ous les mOllvemens qni for-
maient les qualités eminentes des troupes prus-
siennes, de nH~me que la tenue et la précision
du maniement des armes.


Cette armée d'ailleurs n'était pas un ramas de
vagabonds et ele mercenaires, ainsi que l'ont
avancé légcrement plusieurs écrivains fran~ais.
Le noyau se composait déja sous Frédéric de
fils de cllltivateurs, qni tous naissent soldats; il
Y enavait a peine un tiers d'étl'angers levé par des
enrolemens hor:; de la monarchie. Le but que
se proposait Frédé,·ic par ces enrolemens était
d'aUirer en Prusse un surcroit de population:
lA d'ailleurs la sévérité de la conscription mi-
litaire était singulierement adoncie par des
sémestres et des congés de dix mois, qui don-
naient an sémestrier la facuIté d't~trc tour a
tour soldat, laboureur ou artisan.




40 INTRODUCTION
Quallt aUx. officiers, Frédéric eut a la fois des


motifs rnilitaires et de puissantes raisons d'état
pour établir en principe qn'ils devaient tOI1S
etre pris dans l'ordre de la noblesse, a l'excep-
tion des offieiers des corps du génie, de l'artil-
lerie et des régimen s de garnisons. Qu'on se
reporte au temps, et on admircra la politique
avec laquelle Frédéric sut tirer parti de l'orgueil
de la naissance ponr former un esprit de corps
parmi ses officiers, et ponr imprimer an soldat
un respect plus profond pour ses chefs. N'avait-il
pas raison, ce prince, de réserver i:t une noblesse
nombreuse et pauvre la carriere des armes? Le
temps n'étaitpas venu de snivre d'autres prin-
cipes.


e'est ainsi que Frédéric eut une armée de plus
de deux cent mille soldats ; savoir : cent soixante
mille d'infante1'ie, qnn1'ante milIe de cavalerie,
dix mille d'artille1'ie, etc. L'ent1'ctien de eette
armée redoutablc abso1'bait les deux tie1's des
revenus de l'État.


Ce grand homme touchait anx glaces de l'age¡
et sut pourtant maintenil' encore dans ses limites
I'Autriche, puissance rivale qui convoitait la
Baviere.


Au douzieme siec1e le duché de Baviere était
passé de la famille des Gnelphes a la maison de
Wittelsbach, qui déji:t deux ou trois sieclcs aupa-




IlISTORIQUE. 41
ravant en avait eu la possession, Qtto de Wittels-
hach est la souche des maisons bavaroises et pa-
latines, et de leurs branches collatérales. Le
haut palatinat \t la dignité électorale leur étaient
échus. Plus tard une huitieme dignité électo-
rale fut néée pour la branche palatine a la con-
dition qu'elle s'éteindrait 10rs de la réunion des
lignes palatines et bavaroises. Cet événement
survint en 1777 par la mort de Maximilien-Jo-
seph, électeur de Baviere. Son héritier Charles-
Théodore, électeur palatin de la branche de
Sulzbách, lui succéda. L'Autl'iche fit aussitót rc-
vivre certaines prétentions SOl' la partie de la
Baviere la plus pBuplée, la plus riche et la plus
fertile, quoiqu'elle y eut renoncé plus de t1'ois
siecles aupa1'avant. Elle prit incontinent des me-
sures qui manquent raremcnt de réussir a une
puissance supéricure contre une plus faible
quand elle n'est pas sur ses gardes. Ainsi l'élec-
teurChar1es-Théodore souscrivit a l'amiahle un
accommodement tres-désavantageux a sa mai-
son, et cont1'aire au pacte de famille, a la bulle
d'or, a la paix de Westphalie, a la liberté du
pays, á l'inclination des sujcts, á la constitu-
tion de l' Empire, a l'intéret général, et dont la
demande av~it été appuyée de toute une arméc
autrichienne. Cet accommodement ne bis-
sait aa nouveau dnc de Baviere que la plus




INTRODUCTION


médiocl'e pal'tie da pays avec ton tes les
dettes. On ne tl'ouvait d'autl'e diffél'ence entre
eette prise de possession adroitement préparée
par l'Autriche et l'assujétissement total de l'Em-
pire, sinon que la premie re ayant lieu on évi;..
terait difficilement l'mItre. D'ailleurs la Baviere
forme en quelque sorte un mur de séparation
entre l'Autriche et un grand nombre de petits
états d'Allemagne; c'est la Baviere aussi qni sé-
pare les armées de l'Autriche des armées de la
}<~rance.


Les desscins du cabinet de Vienne ét:mt dé-
voilés, tous les esprits furent en mouvement,
et les regards de l'Europe se tournerent vers
Frédéric. Ce prince était a10rs dans la soixante-
quatorzieme année de sa vie active. 11 arma contre
l'Autl'iche, et se mit en campagne. l,e dernier
laurier dont iI oma sa tete fut la paix con-
clue a Teschen sous ls doubIe médiation de la
France et de la Rnssie, paix utile et sage qui
affermit l'inaliénation de la Baviere.


Apres quarante ans d' expérience et de ré-
flexions, Frédéric avait recor~nu que les armées
de la Prussc, son trésor amassé pendant de Ion-
gues années, la sagesse de son cabinet et le pa-
triotisme national devaient etre consacrés désor-
máis a la canse générale de la liberté germanique,
plutot que d'en faire les instrumens J'une som-




llISTORIQUl:. 43
,


bre et dangereuse ambition. C'cst dans ces sen-
timens qu'il venait de signer ]a paix de Tesehen.
On pcut dire que la Prusse et l'Autriche eurent
des 10rs pour principe poli tique de s'épier et de
se contrebalaneer.


L'auguste antagoniste de Frétléric, Marie-
Thérese, touchait a son Melin. Elle avait pro-
curé la dignité impériale a Franc;ois ler de Lor-
rain e , dont elle avait bit son époux; la meme
dignité, eHe l'obtintponr son fils Joseph, prince
ainé de la maison de Lorraine, et héritier des
états de ecHe de Habsbourg.


L'impératrice-reine mourut en 1780, laissant
une monarchie presque aussi étendue que toute
l'Allemagne a une maison qui, cent ans aupara-
vant, ne ponvait défendre son petit hél'Ítage.
Elle luí léguaitvingt millions de sujets, un revenu
de plus de quatre-vingt-dix millions de florins,
tl'oís eent mille soldats aguerrís et disciplinés!
de plus le nom des Césars, les prééminences et
la majesté impériales.


A la mort et a l'avenement de Joseph JI, la
monarehie autrichienne ne fut plus animée du.
meme esprit: elle prit des moyens de gouverne-
ment tous neufs. On s'attendait, íl est vraí, qu'un
jCllne empereur, qui avait vu avec des yeux seru-
tateurs presque toute l'Eul'ope, changerait de
systeme, .et laisserait la les vieilles maximes. On




!i4 IXTRODUCTlON
ne fut done pas surpris de la eonduite hardie
du fils de Marie-Thérese, que ríen ne put modé-
rer. C'était u~ priuce d'un esprit tres-omé , af-
feetant beaucoup de simplicité et l'horreur de
l'étiquette. Réformateur ímpatient, il se httta de
changer l' ordre religiellx, financier et militaire
de ses états, dans des vues pbilosophiques, et
pour le bien de ses sujets. Mais ses peuples,
n'étant pas au níveau de ses lumieres, étaient
peu eapables de l'apprécier. Ses projets de ré-
forme, qn'il ne se donna pas le temps de murir
ni de préparer, lui aliénerent surtout le clergé
et la noblesse, dont ils diminuaient les péroga-
tives et l'influence. Joseph II y persista, ne vou-
lant agir que d'apres un systeme arreté de do-
mination et de gouvernement. JI n'était pas d'ail-
leurs dénué d'ambition; le désir ardent de la
gloire militaire le tenait en haleine. JI aurait
voulu s'élever a la haute renommée de Fré-
déric, et en meme temps acelle de Catherine,
s'associant a la politiqlle de cette, grande sou-
veraine, dans la vue de démembrer de con-
cert l'empire turco Se croyant súr de l'appui
de la czarine, Joseph II fit d'abord revivre les
prétentions de son cabinet sur la Baviere, en
poursuivant la .réunion de ce pays a la maison
d'Autriche par voie d'échange. Il ne s'agis-
sait plus seulemcnt d'une partie de la Baviere,




HISTORIQUE. 45
mais du duché tont entier, dll hant palatinat,
des principautés de X enbolll'g et de Sulzbach, et
du landgraviat de I.leuchtemberg, surface de
sept cen t quarante-huit lieues cal'rées, tra ver-
sées par le Danube, en partie limitrophes ues
pays hél'editaires, de maniere que Passau et
Saltzbourg y auraient été renferniés; en partie
ouverte uu coté du cercle de Souabe, dont la
septieme partie était autrichiel1ne, et le reste
appartenait á quatre-vingts seignenrs. Et c'était
ponr tontes ces possessions que l'Autriche of-
fraít an nouvel électeur de Baviere de lui donner
les Pays-Bas en échange avec le titre de roi!
Ainsi la conr impéáale laissait pénétl'er un pro-
jet, suivant lequella puissance autrichiel1ne au-
rait embrassé une étendue de quatre cents lieues
depuis la France jusqll'á la Turquie.


A cette nouvelle, Frédéric sonne l'alarme, et,
excitant le uuc de Deux-Ponts, comme héritier
éventuel, á protester contre tont échange de la
Baviere, iI leve aussitot l'étendanl d'une nou-
velle ligue germanique, et amene ainsi l'Autriche
a se désister de son projet. L'histoiJ·e d'AlIe-
magn.e fournissait plllsieurs exemples de telles
confédérations. Des le mois de mars 1785 Fré-
déric communiqua son plan aux électenrs de
Saxe et de Drunswick-Lunebourg 1, qui l'ac-


, L'électeur de Hanovre.




46 INTRODUCTION
cueillirent.Le 22 janvier suivant, les sceauxfurent
apposés a l'association par les trois électeurs de
Saxe, de Br-andebourg et de Brunswick-Lune-
bourg. PalO un article secret, ils se promirent
réciproquement de prévenir l'incorporation de
la Baviere dans la monarchie autrichienne. Cette
ligue pamt tellement recommandée par l'intéret
général que neuf cours d'Allemagne y accede-
rent, savoir: les ducs de Saxe-Weimar et Gotha,
ceux de Deux.Ponts et Mecldembourg, la maí-
son de Hesse, l'éveque d'OsllabruclL, les princes
d'Anhalt, le mar·grave de Bade, et r ce qui fut
tres-remarquable, I'électeur de Mayence, archi-
chancelier de l'Empíre.


L'objet de l'allianee de Berlin, connue sous le
nom de corifédération des princes germaniques,
fut énoncé dans le préambule; elle était pure-
ment défensive, et tendait au maintien consti-
tutionnel des dl'oits des états de l'Empire, fondés
sur les loís et sur les traítés; elle devait remé-
dier aux crises auxquelles I'Empire pouvaít se
trouver ex posé. Dans le fond c'était contre les
vues ambitiellses de la maison d'Autriche qu'elle
était dirigée.


Ce fut le dernier acte de ce regne rempli de
travaux et de gloire. Trois cent quatre-vingt-dix
jours apres que les électeurs de Saxe, de TIran-
dcbourg et d'Jlanovre eurcnt signé a Berlin 1'as-




II1STORIQ"L"E.


sociation g'crmanique, Frédéric-le-Gra}}(l mou-
rut a Sans-Souci, laissant a son successeur un
royaume qu'il avait agraudi de treize cent vingt-
cinq milles carrés d'Allemagne, et dont il avait
doublé la pepulation. Pendant un rcgne de qua-
rante·quatre ans et trois mois jusqu'au jour meme
de sa mort, jamais il n'avait négligé les affaires
de son royaume; il finit comme il avait vécu dans
toute la dignité de S3 grandeur. Les Allemands
ont surnommé ce roi l' Unique, épithele qui ca-
ractérise ses rares et étonnantes qualités. GI':ll1d
dans la poli tique comme dans la guerre, il avait
fait revivre le génie de César dans un pay~ du
N ord ou, avec peu de moyens, il s'agissait de
faire de grandes choses. En descendant au tom-
bean il laissa une pnissance affermie a Frédéric-
GuiJIaume JI, son neveu et son sllccessenr; il
luí laissa une armée formidable, un tl'ésor garni
,et des généraux renommés; mais il lui laissa
aussi le role le plus difficile a remplir, celui de
suppléer un grand homme.


Dans qnel état lui légua-t-il l'ensemble de la
monarchie, que lui-meme avait élevée au rang
des premieres puissances militaires? Prenans-en
lme vne générale.


Les états qui ohéissaient an sceptl'e prussien
ne formaient'pas une IIlasse cohérell te, ni si bien
alTondie que ceHe des états de la maison d'All-




48 INTRODUCTION
triche. lIs jouissaient bien moins que l'Autriche
de l'avantage inappréciable d'avoir des frontieres
tracées par la nature. A l'exception d'une partie
de la Silésie et des états maritimes, les limites
de la moharchie prussienne étaient entierement
l'ouvrage de la diplomatie et de la politiqueo


La Prusse royal e avec la Silésie, l' électorat <le
Brandebourg, la Poméranie, les uuchés de lVfag-
debourg et d'Halberstadt étaiellt les parties qui
se touchaien t san s interru ption, en se retrécis-
sant toujours néanmoins en largeUl' vers l'ouest.
La figure du royaume de Prusse proprement dit,
et qui a été successivement formé <les démem-
bremens de la Pologne, est ceHe d'un hexagone
il'l'égulier dont les faces donnent une périphérie_
d'environ quatre cent cinquante lieues. L'air
dans ces contrées est plus froid que dans les pays
plus occidentaux, dans la meme latitude, á cause
des exhalaisons humides des forets, marais et
laes qui occllpent une tres-grande partie du ter-
rain. L'immense plaine que forme ces provinces
n'est interrompue que par des coHines peu con-
sidérables; les foréts y sont d'uue ételldue et
d'lln rapport ímmense.


La parlie contigué de la monarchie, bornée
au sud-est par les monts Sudetes, forme une im-
mense plaine, composée en général de terrains
fútiles, coupée de quelqucs districts sablonneux,




urSTORIQUE. 49
et arrosée par de nombreuses rivieres qni tontes
vont se décharger dans la Raltique on dans la
mer d'Allemagne. L'Oder et la Vistnle sont les
deux gl'ands fleuves de la monarchie, et tous
les dcux ont 'leurs sources dans les états an-
trichiens. Cette direction uniforme des eaux,
ainsi que la facilité de les réunir par des canaux,
donne á la Prussc un granel avantagc commercial
sur l'Autriche. La monarchie ton che d'aillenrs
á deux mers : celle d'Allemagne et la Ralti-
que; et ses rivages, l1ans une étendue de cent
cinquantc lieues, offrcnt ponr asiles aux navi- .
gateurs les ports el'Ernden, Schwinemunde, Col-
bcrg, Rugenwald, Pillan, Memel et Dantzig.


Les provinces de Franconie etde Westp~alie
formaient alors le dixicmc enviro n de la monar-
chie quant a la population; mai" seulcment un
quinzieme quant a l'étemlue. La nature leur a
danné des champs fertiles et de riches cam-
pagnes.


On évaluait la snrface de tonte la monarchie a
quatarze mille lieues carrées, et sa papulation a
pres de huit millíons d'habitans. Cette popnla-
lían el'ailleurs était taujonrs croissante, soit par
des causes naturelIes, soit par les émigrations.
Déjá, sons Albert, troisieme électeur, les Pays-
Bas ct le palatinat fournissaient des colons a
la Marche de Brandehourg. L'élccteur Frédéric-


I. 4




50 INTRODUCTfON
Guillaume recueillit les huguenots de France
apres la révoeation de l'édit de Nantes. Sous
Frédéric II, la Marche re'tut un assez granel nom-
bre de ,familles étrangeres, la plnpart fran~aises.


Berlín, capitale de l' électorat, aiusi que de
toutr la monarchie, offraít ~ la mort de Frédéric
une population eroissante de cen t quarante milI e
habitans. Frédéric désignait Derlin, Kcenigsberg
et Breslau comme ses trois capitales.


Sous les rapports militaires voici quellcs
étaicnt alors les frontieres de ]a monarchie.


Vers l'est, un voisin redoutable, le colosse de
la Russie, touchait, depuis qu'il était maitrc de
la Courlande, au territoire prussicn, sur une
ligne de cent vingt lieues, a l' extrémité scpten-
trionale de laqnelle est sitnée Meme] , forteresse ~l
peu pres nulle. IJne ligne de eenLlieu~set plus for-
maít les f¡,ontieres VCI'S la Pologne autl'ichicnnc :
elle était également dépourvuc de place s fortes.
Ainsi une ligne de deux ccntvingt a deux cent
trente licues restait sans aueune forteresse qlli
put servir de point d'appuia une armée réduite
a la défensive. La nouvelle citad elle de Graudentz
fut d'abord destinée á dominer la Vistule.


Toutefois la nature pl'ésentait ver s la Rllssie
tl'ois lignes militaires de défense. La premiere
formée par le large fleuve de Memel; la seconde
pres de cet amas de lacs presque contigus, flan-




HlSTOnTQt;¡·:. 51
quóe al! 1101'(1 pnr le Prt'gel, qui a son embOll-
chure dalls la mer; et an sud par la Narew, qui
se réllnit a la Vistule. Enfin la Vistule elle-meme
offrait:une rctraite etla troisieme lignedéfcnsive.


En quittan t la Silésie, rOller traverse la Marche
et la Poméranie. SUI' ce flfmve, qui est large,
s'élevent les deux forteresses de Custrin et de
Stettin, auxquelles iI faut joindre Colberg, si-
tué plus avant clans la Pomél'anic sur les bords
de la Daltique. Ces trois pIaces formaient un
rempart pou!' Berlin clans le cas ou les Russes
se seraicllt relltlus maltres de toute la Prusse
royale.


La Marche élccLorale était absolumcnt sans
fortcresse;car Spandau ne sanrait etre comparé
qn'ú une bastille. Qurlllt a l\Iagdebourg ce n'était
qn'uuc elef de l'EIhe, ú moins qu'unc année ell-
tÍ<~rl' nc vlut s'y mettre a l'abri.


Les pl'ovincl's westphaliennes n'offraient de
place s fortes du cóté de la France que la cita-
dclJe de Wescl SUl' le Rhin.


l"a seull' Silésic présentait t1'ois lignes de fo1'-
teresses, et tons les aV::l.l1tages de la natul'C rén-
l1is a ceux de l'art. C'était le cuté brillant de la
monarchie, san s défense régnliere vers l'est,
asscz bien gnrdée Sll\' une moitié de sa frontiere
méridionale, et pourvue vers l'onest de quelques
places isolécs. 01', contrc la France et la Russie




INTRODUCTION


et meme contre I'Autriche, son désavantage de
position était sensible dans une guerre d'jnva-
sion Habilement conduite.


Du reste qui ne sait que sans la bravoure
d'une armée nationale, sans l'énergie d'un
monarque guerrier, san s l'enthousiasme d'un
peuple patriote, les forteresses ne sauraient pré-
serve!' un empire sérieusement atta qué ? La
grandeur et la force de la monarchie prussienne
lle pouvaient done résider que clans son armée,
dans -l'élan patrio tique de '60n gouvernement
et de ses habitans. Jl faut a une monarehie
onverte de toutes parts de la prudence et du
courage, de l' économie et des alliances.


Voyons maintenant sous quel point de vne on
envisageait, sous Frédéric, le systcme financier,
économique et comme¡'cial de la Prusse.


:Frédérie-Guillaume avait déja laissé un trésor
considérable. Frédé,'ic II montra le meme pen-
chant a thésauriser. On l'en a blaméavecaigreur,
et il fallt convenir que ce moyen extreme de
s'assurer par l'accaparement métallique une
ptlissante épargne est contraire en général a une
bonne économie politiqueo Mais a la rigueur la


• question ne ponvait s'appliquer á une ~onarchic
naissante, qui, formée par la force des armes,
devait eneore long-temps fondel' sur le meme
mobile sa sureté et son existence. Il fallait, sons




HJSTOIUQUE. 53
la maÍn d'un prlnce tel que Frédéric, un trésor
disponible.


C'cst son s le mcme point de vue qu'il fant re-
garder les opérations par lesquelles il a considéra-
bIement augmenté les revenus de l'État, bornés
a son avimement au trone a vingt-hnit millions.


Quoique Frédéric fit de ses finances une sorte
de mystere mhne a ses ministres, on est a peu
pres certain qu'il éleva les revenus de l'État non
pas a cent millions, comme on l'a dit, mais a
soixante-six millions de fmncs. Il en fut moins
redevable á l'incorporation de la Silésie ~t de 1a
Prnsse polonaise qu'aux progres de l'agriculture
et a une meilleure administration Íntérieure.
Quant ::tux manufactures et a l'industrie, les
Prussiens n'avaient montré jusqu'alors que peu
de dispositions an commerce en grand. Il faJ1ut
appeler des étrangers qni naturellement exige-
rent des concessions et dClo priviléges. Enfin, et
c'était la le principal nreud, un gouvernement
absoln et militaire pouvait-il offrir au commerce
ce grand príncipe de vie et de liberté, sans lequel
l'argent, nerf de toutes les affaíres, s'arrete et se
concentre en trop peu de mains? Voila les rai-
son5 qui expliquent le systeme suivi par Frédé-
ric, et trop séverement critiqué par le célebre
Mirabeau. En ce qIli concerne la PI'USSC, l\Iira-
beau a été sonvent un explorateur amer, et, dan s




54 JNTRODUCTION
sa correspondance secrete ii s'est montré plus
satirique qu'historien.


Le systeme adopté par :Frédéric convenait
surtouta une époque oú il fallait créer et con-
solider les parties constitutives de ]a monarchie,
et on les grands príncipes de l'économie politi-
que moderne étaient encore ignorés. Quant aux
monopoles, convenons qne la maniere vexa-
toire dont les impositions indircctes étaÍent
exigées les rendit odieuses a la natíon. Mais
}i'rédéric sentait peut-etre que ses successcurs
adouciraient l'apreté de ses institutions finmi-
cieres. L'abolition ou ou moins la díminution
successive de tous les monopoles crÍans, a me-
sure que Ieurs octrois s'écoulent, a commencé
sous le successeur de Frédéric, et s~est continuée
sous le roi régllant.


Le véritable commercc vivifiant prévaudra un
jour; mais iI n'étaít qu'ébanché alors. Si la po-
sition de la Prusse offre divers avantages au com-
merce, d'un autre coté, les ports peu nombreux
qu'elle possede sur la Baltique étant situés SUJ·
une mer intérieure, les navigateurs ont a pren-
dre un chemin long et difficile pour gagner
l'Océan. Voila pourquoi le po,·t d'Emden était
déja si précieux pour la Prnsse, et il l'eut été
plus encore a l'embouchnrc d'un grand fleuve.


l\'lais un spectacle tont différcnt s'offre aux




HISTORlQUE. 55
regards Sl OIl les porte sur la navigation inté-
rieme. Aueun pays de l'Enrope, la JIollande et
l'Angleterre seu les exeeptées, ne présentent une
eowmnllieation par eau si faeile et si étendue
que la Prusse.


Toute la masse colJérente desF:tats prussiens
est eoupée par uu ellehainement de rivieres
et de canaux, qni , pel'me~tant de faire par eau
dellx a tl'ois ceuls lieues, ouvre une navigation
d'ahol'd par mer entre Memel, Krenigsberg,
EILÍl1g, Dantzick; puis intérieurement par
Thol'll, Varsovie, Stettin, Francfort-sur-l'Oder,
TIreslau, Berlin, Magdebouq;.et HambOl~rg, e'est-
a-Jire entre les douze plaees de eommeree qui
intéressent le plus les négocians de la Prusse.


En résultat voiei en quoi consistait la balance
dn commCl'ce pruSSiCll. On pOllvait estimer sans
elre taxé d'exagél'ation le tolal des expoI'tations
dll royaume a quaranLe millions, savoir : douze
pour Kecnigshel'g, douzepour Dantzick, dix pOUI'
Elhing, six pour Memcl, outre une exportation
tl'l~~s-considéraLle aussi de marchandises et de
denrées par terre en Silésie, en Gallicie, et dans
la Lithuanie rllsse. e' étaient la IIolIande, l' An-
glcterreetl'Italie qni en recevaientla plus grande
partie. Les toiles de fabrication silésienne, trans-
portées soit a Hambourg, soit a Dantzick, se ré-.
pandaient de la dans toute l'Europe.




56 INTRODUCTIO~
Passons aux, institutions de la Prusse sous le


...


regne que nous venons d' esquisser. Comme élec-
Í(~ur de Brandebourg le roi était soumis de droit
a l'empire germanique; mais avec deux cent mille
soldats toujours tout prets, une telle soumission
tombait en désuétude ou devenait illusoire.


Quant á l'administration de l'État elle n'était
pas sur un pied uniforme. Il y avait dans quel-
ques provinces, en Silésie par exemple, un mi-
nistre dirigeant qui jouissa.it presque de l'auto-
rité et de la considération d'un vice-roi.


Le conseil d'État privé, oú se décidaient en
dernier ressort les, affaires importantes, était
formé par la réunion de trois grands minis-
teres, savoir: le rninistere du cabinet ayant le
département des affaires étrangeres et en mem'~
temps l'inspcction de la grande chancelIerie; le
directoü·e général du département des finances
partagé en six directions; et le rninistere de la
justice, comprenant, outre le département de la
justice propre, celui des affaires ecclésiastiques,
des écoles et universités. Tous ces départcrnens
avaient a lem tete des ministres d'État; mais tons
les ministres n'étaient pas appelés au conseil
privé. Indépendarnment du conseil d'État privé
iI y avait un supremc collége de guerrc et un
contrOle général des finan ces avec la grande
chambre des comptes.




mSTORIQUF:.


I~es décisions et orares' immédiats dn roí éma-
naient du caLinet : lit était le gouvernement su-
premc ponr un prince teI que Frédéric. Les
deux ministres des affaires étrangeres n'avaient
le titre de ministres du caLinet que pour la
forme. Le roi déeidait seul de toutes les affaíres
u'apres les rapports écrits de ses ministres, qu'il
voyait rarement; et jamais ses secrétaires, aux-
queIs iI dictait ses réponses, ne se seraíent per-
mis d'émettre une opiuion.


Ainsi la Prusse, sous Frédéric-le-Grand, n' é-
tait régie que par la puissanee militaire selon la
volonté <Iu roí: telle était sa constitntíon. Ce se-
raít une erreur de croire, comme on l' a avancé,
que le gouvernement de Frédérie était tempéré
par la liberté de la presse : la liberté de la presse
poli tique n'a jamais existé en Prusse. A la vérité,
sous le double rapport de la religion et de la
philosophie, la presse, sous Frédéric, ne con-
naissait d'autres bornes que ecHes de l'esprit
humain.


Les États en Prusse n'avaient aueune influence
dans les affaires du gouvernement. A ]a vérité la
Silésie conservait une partie de son anciennc
constitution féoclaIe, ave e des priviléges sur la
jurisdietion civile; mais ce n'était plus que l'om-
bre des anciens États de ce He province.


Voici en quoi consistaient les prérogatives de




58 INTRODUCTION
la noblesse dans les États prussicns : Tous les
paysans étaient assujétis a la jurisdiction sei-
gneuriale, tandis que tous les gentilhommes n'é-
taient justiciables que des cours royales et des
tribunaux militaircs; il Y avait aussi une diffé-
rence essentielle entre les impositions des terres
nobles et la taxe des terre's des paysans; en outre
les gentilshommes étaient exempts de la con-
scription , et Hs jouissaient du droit exclusif
d'occuper les gl>ades et les dignités militaires.
Les places civiles étaient données Índistincte-
ment an mérite.


Quoiqu'il n'y eut plus en Prusse le ll!0indre
reste de liberté politique de droit, on pouvait
dire que la liberté civil e y était portée a un
degré inconnu dans p]usieurs républiques; les
étrangers eux - memes en jouissaient presque
san s restriction.


Un certain respect pour la liberté, mais plus
encore pour l' égalité et la justice, dominait dans
la pensé e du royal' législateur. Ses snjets pou-
vaient exprimer leur mécontentement et [aire
connaltre leurs doléances, mais jamais par la
voie de la presse. Dans aucun imprimé on n'au-
rait manqué impunément de respcct allX minis-
tres, aux magistrats et surtout aux militaires.


Il reste a toucher deux cordes délicates : la
re ligio n et les mreurs. La tolérance introduite




rrrSTORJQUF. 59
en Prusse par Frédéric, avaít mérité les éloges
de tons les OI'ganes de l'opinion européenne.
Cette tolérance devint excessive, et des esprits
hardis en abuscrent. Le dogme du christianisme
futattaqué avec les argumens spéculatifs de la re-
ligion llaturellc. On laissa meme cÍrculer des ou-
vrages oú les philosophes faisaien t parade d'incré-
dulité et de scepticisme. Le peuple, il est vrai,
n'en fnt point affecté; iI resta pour ainsi dire im-
mobi1e entre les illcrédules et les novateurs d'une
part, et les intoléralls ennemis des lumieres de
l'autre. Ceux-ci accusercnt de corruption et d'im-
moralitl~ les mreurs des hautes elasses; ils s'éle-
verent contre les effets du luxe dans les villes
en proie a ses ravages. A les entendre, on se li-
vrait avee la meme {'urenr aux jeux de hasard
a K~nigshCl'g et a Ikeslau comme a Berlin. CcUe
derniere capitale Slll'tout pretait aux déclama-
tions des rigoristes, en ce qu'ellc offrait une bi-
garrure de mreurs tres - opposées. D'une part
elle fourmillait de militaires; de l'autre les juifs
y étaient fort riches et les nobles fort pauvres;
enfin les Fraut{ais rMugiés y étaient établis en
grand nombre depuis cnvil'Ou un siecle. Cet
amalgame désorientait l'observateur cosmopo-
lite. n se croyait an milieu de cette corruption
de príncipes, an mílien de cette légereté de sen-
timens, en uu mot de ce torrent de vices et de




60 INTRODUCTION
folies quí de París, eomme d'un centre eommun,
s'était débOl'dé dans toutes les partíes de l'Eu-
rope. DU.reste on' a fort exagéré la eorruption
des' mceu'rs de Berlín a cette époque; nous pour-
rions affirmer qu'elle y fut moins générale que
dans beaucoup d'autres grandes villes que nous
avons pu lui comparer. Mais peut-etre y était-
elle plus profondément enracinée, et pour aínsi
dire systématique dans certaines classes.


A l'ombre de la tolérance générale, des asso-
eiations secretes s'étaient introduites a l'instar
de la franc-ma<{onnerie dans presque toute l'Eu-
rope et principalemcnt en Allemagne. On sait
que la franc-ma~onnerie n'avait rien offert que
de louable en apparenee. Plusieurs souvet'ains
dans leurs propres Etats s'en étaient déc1arés
les chefs. Frédéric lui-meme, n'étant que prince
royal, y avait été initié a llrunswick par Rielfeld,
qu'il eréa baron arres l'avoir employé dans sa
diplomatie partículíere l. De nos jours l'em-
pereur Joseph II fut excité a l'initiation par
le baron de Born, chef des franc-ma<;ons de
Vienne 2, et par les principaux affiliés. Born
crutqueJoseph répugnait a se soumettre allX d-


, Bielfel,l obtint dan, les lettres nne certaine répntation par Ji v ers
OU vrages pol1tiqncs.


, Célebre minéralogiste , memhl'e des principales aca,lémie, de I'En-
ro pe , rnort a Yienne en t79L




II1STORIQUE. 6 I
rémonies d'usage ; et ql1oiqu'un diplome envoyé
par le prince Frédéric de Brunswick eut pour
objet de ren dispenser, l'empereur l'~fusa par
des considérations poli tiques , son syste~ne étant
opposé a celui du nord de l'Allemagne, ou la
fl'unc-mac;onnerie avait fait le plus' de progreso


En général les princes qui s'étaient fait re-
cevoir dans les loges ma<;onniques n'yavaient
vu que des associations de bienüüsance, fon-
dées sur cette fraternité cha!'itable que tous les
c~u~ 'sen~iblcs voudraient propage!'. On ci-
tait poM modele les franc-ma\,ons d'Angleterrc.
La, c'était évidemment une société composée
généralement de bons citoyens, qui s'entr'ai-
daient par des príncipes d'égalité sociale. Mais
l'Angleterre avait en meme temps des réunions
politiques autarisées par les 10is, ce qui eút
rendu sans objet tante tentative de la part des
lages, pour s'immiscer dans les affaires publi-
ques. Il n'en était pas ainsi dans les gouverne-
mens absolus de l'Eurape continentale. L'exces-
sive liberté de penser y avait fait naItre dans
les esprits ardens le désÍl' d'envahil' le champ
de la·politique. Euhal'dís par l'état moral de l' Al-
lemagne, les principaux moteurs des' sociétés
secretes se proposel'eut le grand objet d'établir
un ordre philosophique dominant sur l'opiuian
uu genre humaiu. Pen d'adeptes en eurent le




''\'TnOIHJCTrO:V


secreto Les t.unes simples étaient 10il1 de SOllp-
<]onUf:r un but ultél'iem á des aHiliations fon-
dees sur la fraternité d la bif:n{~üsance. D'autres
s'imaginaient que la réforme sociaIe se f(~rait
par les sociétés secretes.


Ce fut principalement ú la faveur de cette dis-
position des esprils) et pom contrc-balancer 1'as-
cendant (Iue reprcnaient, en Baviere, les jéslütes
sous un prince faible, que les amis des lumicres
de la philosophie model'lle établirent l'ordre des
illumillés de Weishaupt, dans le (!esseill ~clai­
rer les hommes et de les remlre heutf..lx. Ils
ne se proposaient ríen 111oin5 que d'inlroduirc
partout la raison el le bon sens; que d'étendre
la sphere des connaissanccs, que d'améliorer
insensiblement la conditioll de l'hommc. TOl/S
leurs travaux devaient tOlli'UCl' it r.wantage de
l'humanité. Le granel objet qn'ils eurent en vuc
d'abord fut d'obtenÍI' dans l'opillion contem-
poraine une supériorité d{~cidéc sur les loges des
fi'anc-ma<;ons, ,don t l'indépendance était plus OH
moins genée par les affiliations officieiles· de d if-
férens princes souvel'ains. A cct effet les illuminés
déciderent en príncipes qu'aucun prince, fút-il
juste et bienfilisant, fút- il meme un grand
homme, ne serait admis comme adeplc ni
cornme régulateur clans lcul' associatíon. D'a-
pres lellrs sermens ils dcvaicnt empechcl' autant




TIlSTonTQU F. 63
qu'il serail en leur pouvoir que les souverains
ne commissent des crimcs on ne tombassent
dans des erl'eurs préjudicíables a la société. Ils
jureren t aussi de travailler constammen t a anéan-
tir le despotisme, a détruire la jurisclíction ecclé-
siastique et a favoriser la liberté de la presse.
C'était la déja une terrible puissance.


L'affiliation s'accrut en nombre; des hommes
ambitieux s'y introduisirent; l'autorité inter-
vint; les. papiers des illuminés furent saisis et
leUl's doctrines mises au grand jour. W eishanpt,
qui était un rcvenr de honne foi, trouva chez
le prince de Gotha une hospitalité généreuse;
iI Y termina des jours moins agités. De la Ba-
viere l'association s'étendit le long du Rhin
clans les États des princes ecclésiastiques.


Sous son reglle, Fl'édéric II avait donné li-
berté entióre aux fi'anc-ma,;:ons qucls qn'ils fus-
sent, soit l'ose-croiX', soit ccntralistes, soit illu-
minés. Chacun pouvait étahlir a son gré des
sociétés et des loges, pourvu qu'il ne troubl<1t
en rien l'ordrc publico Frédéric avait le juge.
ment trop sain pour se laisser prendre aux
amorces de l'enthousiasme fflCtice de l'illumi-
llisme. Une sorte de mésilltelligence s'établit, a
la fin de sa carriere, entre luí et les chefs des
différens ordres llla~oJlniques orgamses dan s
ses États, et principalcmcnt a Berlin.




64 INTRODUCTJOX
eomme rien ne pouvait effrayer son geme,


dont la tolérance était la base, iI ne persécuta
point les soéiétés secretes malgré leUl' tendance
politiqueo Berlin en devint le centre.


\


Les esprits s'étant échauffés, les affiliatiol1s
s'accrurent et rivaliserent entre elles. Il y en
eut dans le sens des lumieres et de l'esprit du
siecle; d'autres dans uu sens contraire. Les
rose-croix fnrent opposés anx illuminés, de
mcme que plus tard ceux-ci eurent contre eux
les théosophes ou visionnaires. llischoffsweruer·
el W ceUner étaient les chefs de ces derniers.
On leul" imputa de pn~ter á l'erreur le langage
de l'illusion, aux passions et aux vices le mas-
que de la vertu, a l'intoléranee le manteau de
la religion. lis excellaient surtout, d1sait - 011 ,
clans l'art d'abuser les prillces. S'agissait-il d'e11-
traIner, soit un homme puissant, soit un po-
tentat, clans les détours prestigieux de la secte,
on l'animait graduellement par l'appat d'arriver
aux derniel"s secrets des adeptes, il la science
des sciences, a l'art des prodiges et des appari-
t10ns. Tout ce qui ponvait effrayer l'imagination
et la faire passer sucecssivement ele la terrcur
a l'enthousiasme était mis en ceuvre dans ce but
avec· une audace imperturbable. Dire, qn'it la
mort de Frédéric JI ce acnre de l)restio-e obt1nt b tJ
acces jusquc sur les marches da tronc, dirc




n'U1\[ IIOlVIJIIE n'ÉTAT. 65
que des jongleurs fanatiques et ambitieux abu-
serent lIIle tete couronnée par des évocations
d'ombres faítes en sa présence au moyen de la
phantasmagorie dont les procédés étaient pen


1 ' t ' '1 t connus a o1's, e es . assez reve er aux con empo-
rains les abcrrations de la fin (h¡ XVIII" siecle
et ceHes d'un pouvoir augustc qu'on livrait a
tous les genres de séduction de l'esprit et des
sens.


Ala tete eles princes franc-ma(>:ons les plus zélés
Jans diverses COUl'S d'Allemagne, on citaiL alors
Louis·Ernest Je Saxe-Cotha, Auguste de Saxe-
Gotha, son frere, Charles-Auguste de Saxe-
Weimar, le princc Ferdinand de Brunswick, le
prince de Neuwied, dont la petite cour était
rcgardée comme un centre d'illuminisme; on
y rangcait aussi l'Ull des prélats n](~me de l'Em-
pire, le coadjlltcur des siéges de Mayence, de
W orms et de Constance, désigné pour le prin-
cipal siége élcctoral ecclésiastiqlle; le baron de
Dalberg enfin, qui se fit connaltre depuis pq.r
un genre de célébrité autrement historique.
Mais ces jeux d'enfans allaient s'anéantir devant
le grand mouvement et la commotion presque
générale que préparait la fin du dix-huitieme
siecIe.


l. 5*




66 lUÉ1UOIRES


LA guerra de l'indépendance des États-Unis
d' Amérique, les discussions parlementaires, les
écrits qu'elIe avait naltre, le dénouement qui ve-
nait de la signaler, exert;aient sur les esprits en
Europe la plus grande iníluence qnand Frédéric-
Gnillaume n prit, le 17 aoút 1786, les renes du
gouvernement de la Prussc_ L'entrainement était
universcl pour les réformes poli tiques. Quel
exemple en effet que cc1ni d'nn grand sonleve-
ment que des soldats n'avaient pu étouffer; que
celuid'un congres,émettant, au nom de la liberté
et de l'égalité, une déclaration solennelle qui
avait pour objet de fixer les droits de l'homme
par rapport a l'état, déc1aration généralement
accueillie, et dont les rois de France et d'Espagne
avaient permis dans lenrs royanmes la traduc-
tion et la publication ~ Ne pouvait-il pas devenir
contagieux, cet exemple mémorable de la révo-
lution de l'Amérique du N orel? En faisant reten-
tir jllsqu'en Enrope le cri de liberté, elle avait
ébranlt~ ton tes les bases des vieilIes institutions




, " D UN II02Ul\fE D J:TAT.


féodales par l'application a la liberté civil e et
poli tique des principes de l'égalité. Qu'on y
joigne l'effet moral produit par la liberté de
penser et par le concert des écrivains philo-
sophes , et on pourra jugel' combien les hautes
et moyennes classes ele la société européenne
exerc:aient sur l'administration publique et sur
la marche des affaires une influenee eontinue.
Le mobile de l'opinion s'éleva des 10rs au-
dessus de tous les ressorts .humains. Partout
les prillces, entrainés par ce meme esprit, s'oe-
eupaient d'assurer le bien etre des peuples par
des innovations et des réformes utiles. Dans
ce noble coneours d'améliorations et de philan-
thropie, on avait vu rivaliser a la fois Frédérie II
en Prusse, Joseph II en Autriehe, Catherine JI
en Hussie, LouÍs XVI enF,'anee, secundé par
les ministres Turgot et Malheserbes ;enfin ,
Charles III en Espagne, aidé par les ministres
el' Aranda et Campomanes. N' oublions pas J oseph,
roi de Portugal, ou plutot son ministre, le mar-
quis de POlnbal, réformateur violent qui, de
concert avec le eomte d'Aranda en Espagne,
et le due de Choiseul en France, avait fait
sanctionner la mesure européenne de l'expul-
sion des jésuites.


La grande question d'État était de savoir si
ces réformes intél'Íeul'es, si cette marche nou-




68 :'\'I.ÉlIro !RES
velle du siecle se poursuivrait avec calme et
régularité, par le fait des gouvernemens éta-
blis. En un mot, iI s'agissait de savoir si la
réformation politiquc s'effcctuerait avec le con-
cours de la volonté des rois et de l'obéissance
des peuples, ou bien si la discorde secouant
ses torches, un grand choc, ~mc conflagration
snbite rompant les dignes de l'ordl'e social,
commencel'ait l'ere des révolntions sanglantes.
Les matitTCS inflarnrnables n'étaient pas par-
tont préparées. En France seulernent se faisait
remarquer l'ardeur des innovations et tous les
symptomes <I'une fermentation alarmante.


La mort de Frédéric II, qui venait d'ctre
cnlevé a cctte un ion imposante des souverains
de l'époque, laissait (bns l'ordre monarchique
européen un viele immense et irrépal'able. On
pouvait dire que l'expérience de tout un siecle
venait de s'ensevelir avec ce prince clans la
tombe. Les différens peuples qui formaient la
nation prnssiellne, las peut-etre du ton sévere
du roi défunt, accneiUirent l'affabilité et les
promesses de son successeur, cléja muri par
l'age plus que par l'expérience et l'habitude des
affaires.


On a supposé que Frédél'ic-Gnillanrile s'était
d'abord proposé un plan de gouvernement
d'apres Ieque] il aurait voulu maintenir la paix




D'CN Hü::IIl\IE n'ÉTAT. 69
avec ses voisins, contenir leur ambition, 50tl-
tenir l'honneur des armes prussiennes, ne ja-
mais entreprendre de gu'erre injuste, [aire ob-
server dans ses troupes la plus cxacte discipline,
et enfin ne point user arbitrairement de son
autorité.


N ous sommes fondés el croil'e que ce plan, tres-
moral sans doute, et qui repose sur les memes
regles que tout nouveau regne semble se pres-
crire, n'a jamais exjsté comme base fondamen-
tale du gouverncment prussien. Aurait- on pu
espércr d'cn faire une rigoureuse application an
milieu des prétentions et des intérets opposés des
états prépondérans? Maintenir la paix avec ses
voisins et contenir. 1em ambition étaient a- peu
pres incompatibles. Tous les princes d'ailleUJ"s
sont-ils d'un caractere constant et fcrme, a l'abri
de Jeul"s propres passions? Quant aux hommes
d'État qui réglent leul"s conseils, que d'incidens,
que d' événemcns imprévus vienneú t presque tou-
jours renverser les combinaisons de ceux memes
qui sont réputés les plus vigilans et les plus pa-
cifiques! Peu de ministres ont un systeme! Les
plus sagcs se comluiscnt par la routille OH se-
Ion les circoI?stances. N'a - t - on pas entendu
dire SOlIvent au grand Frédéric .« qu'il mépri-
11 s'ait la pn'woyance politiqlle outrée, qu'il n'a-
» vait jamais en de plan de campagne tracé d'a-




AI:É:lrroIRES


») vanee, et qu'en politique. comme en guerre il
)) sc conduisait selon les événemclls et d'apres
» l'allure des cabinets auxquels il était opposé?))


Le plan spéculatif que nous venons de men-
tionner pechait d"ailleurs par sa base meme:
il supposait a la monarchie prussienne une
destinée stationnaire. La Prusse eút bien tM
décliné en persistant dans un s'ysh~me absolu
de paix avec ses voisins : iI lui fallait d'autres
maximes politiques dans la situation Otl était
l'Europe livrée alors a l'ambition des deux
conrs impériales d'Aut¡'iche et de Russie. A
la vérité, les projets d'agrandissement de ces
oeux cours ne mena<;aient que la Turquie,
puissanee en quelque sorte extra-européenne;
mais l'équilibre n'en eut pas moins été rompu.
D'ailleurs la regle fondamentale d'un État nOll-
veau, cimentée militairement, consiste a s'a-
grandir et a se fortifier dan s des proportions
relatives aux empiétemens et aux aequisitions
des puissances voisines. La Prusse, sous. peine
de déehoir, était done obligée d'arriver a ce ré-
suItat, soit par des négociations, soit par ]a
guerreo De la cette impérieuse nécessité de main-
tenir au dehors sa considération et son influence
a l'avénement d'un prince qlli avait a soutenir
Une pénible eomparaison avec le grand homme
auquel il succédait.




, " n UN IIOl\Il\iE D ETAT. 71
Ces vues animaient le ministre Hertzberg qui


dirigeait le cabinet. Le nouveau roí d'ailleurs
avaitues selltimcns généreux, des idées élcvées,
et il n'était pas dépourvu de lllmieres. Sa bra-
voure persoIlnclle s'était monlrée avec éc1at uans
les guerres contre l'Autriche.· Mais Frédéric-
Guillaume Il n'était pas destiné a ctl'C un grana
politique ni un grand capitaine. Enc1in d'ail-
leurs aux volllptés et a la rnollesse, on pouvait
craindre meme que son caractere peu constant
ne l'entraln:lt clans la versatilité voisine de la
faiblesse, défauts graves paree qu'ils livrent l'É-
tat comme le monarque anx intrigues des favoris
et aux manéges des hornrnes perverso


Dans l' état oa se trouvait l'Europe, quelle, bar-
riere politique eut pu .reter les progrcs des
deux cours impériales? Un COllcert entre l'An-
gletelTe, la Prusse et la France cut seul élevé
cette barriere. D'aprcs le systeme d'Hertzberg ,
la Prusse ne devait pas balancer de se rapprocher
de la Grande-Bretagne. Du vivant de Frédéric,
il en avait fait la proposition; mais ce prillce,
sans décliner tout-a-fait son intervention poJi-
tique, n'avait pas cru devoir se lier par aucun
engagement contre les deux cours impériales.
A sa mort Bertzberg, deveJlIl pour ainsi dire le
maitre du cabinet, don na d'autant plus de con-
sistance au projet de s'llnir 'uu cabinet de Saint-




lIrÉ}IOIRES


James, qu'il s'était lié lui-memeavec M. Ewart,
ministre d'Angleterre a Berlin. Cet habile di-
plomate ne cessait de travailler son esprit sur
la nécessité et l'avantage d'une ligue anglo-
prussienne.


Un rapprochement avec la Franceétait moins
facile; d'abord iI aurait faUu faire cesser I'al-
liance qui subsistait entre la France et l' Au-
triche, et renouveler ceHe qni unissait au-
trefois la France et la maison de R,'andebourg.
Frédéric en avait manifesté le vcen plns d'nne
foís sans qn'on eútjamais répondu a ses insí-
nuations de maniere a donner líen a des ouver-
tnres sérieuses. Le cabinet de Versailles avait
d'aillenrs nourri des préventions contre Frédé-
ric, et ne 1'avait mén~ dans ces derniers temps
que pour I'opposer a Joseph JI, et meme a la
Russie, mais sans l' appuyer ouvertement. On
ne s'était livré a Versailles qu'avec beaucoup de
réserve an monarque prnssien , et on s'y expri-
mait, an sujet de sa puissance, dan s des termes
qu'on a crn voir faussement se vérifier de nos
jours. « Une armée et un trésor ne constituent
« pas une pnissance,)) disaient les ministres de
Louis XVI.


A l'avénement .de Frédéric-Guillaume II, son
cabinet, OH plutót Hcrtzberg , qui en était rame,
croyant que IP5 préveutiolls de la france contre




n'UN HOM~rE n'ÉTAT.
Frédéric étaient purement personnelles et ne s' é~
tendraient point a son successenr, douna le con-
seil an nouveau roi de chercher a se rapprocher
du cabiuet de Versailles, avec qui jusqu'aIors
on n'avait eu que des rapports tres-réservés.
Ce n'était qll'une tentative a laquelle se preta
Frédéric-Guillaume : il écrivit a Louis XVI une
h~ttre particuliere, ou, apres avoir exprimé son
vreu a cet égard, iI proposait a ce monarque un
tmité d'amitié basé sur la garantie des posses-
sions respectives et sur l'équilibre de l'Europe.


En mcme temps, le baron de Goltz, ministre
prussien pres la cour de France r, eut ordre de·
représenterverbalement au comte de Vergennes,
alo1's a la tete du département des affaires étran-
geres, que la raison, la saine politique, et sur-
tout la tranquillité de l'Europe exigeaient plus
que jamais que la France et la Prnsse fussent
unies. Dans ses communications confidentielles,
le baron de Goltz rappela an comte de Verb"ennes
que c'était la Fmnce qui voulant opposer une ri-
vale a la rnaison d'Autriche, avait donné la pre-
miere la main ~t l'agrandissement de la maison
de Brandebourg, et qui, apres a voir jeté par la
paix de Wesphalie le fondement de sa grandeur,


, F.ernard-GoilIaoffic ele Coltz , coloncl-cha,~eJlan, chanoioe ca-
pitnlaire de Magdehourg, ancien aidc-dc-carnp-génér.l de Frédéric I!,
et ministre plénipotentiaire pres la conr de I!'rnnce tlepula 1; 7~.




MÉMOJRES


n'avait pas laissé échapper dcpuis une seule
occasion essentielle de la cimenter; que la con-
quete, la cession, la garantie de la Silésic, et la
tranquillité meme du partage de la Pologne en
offraient la prcuvc; qu' en vain des intrigues et
des tracas series de ministres, des refroidissemens
de circonstance, et meme une guerre célebre
par sa durée et par les alternatives de sucees et
de revers pour toutes les parties beIligérantes
avaient paru diviser les cabinets de Versailles et
de Berlin; mais que la nature et la force des
choses bien supérieures a la volonté des homnies
les avaient toujours rapprochés; que la paix de
Teschen, la cl()ture de l'Escaut, la répression
des tentatives de l'empereur Joseph contre la
Rol/ande le prouvaientévidemment; que letraité
meme de Versailles, qui unissait les maisons de
Bourbon et d' Autriche, ne devaiellt pas faire
oublier a la France les intér(~ts de la maison de
Brandebourg , qui se trouvaient essentiellement
liés au maintien de l'équilibre de l'Europe; qu'en
un mot ríen ne devait empecher l'une et l'autre
cour de se rapprocher dans des vues amicales et
pa.cifiques.


Il ne fut pas possible de porter le cabinet de
Versailles a sortír de sa réserve accoutumée; les
propositions du monarque prussien el les ou-
vertures de son ministre furent politiquement




n'IIN rrOMME D'ÉTAT.


éludées, mais avcc tous les égards du bon voi-
sinage et d'une estime réciproque.


Des 10rs le cabinet de Berlin se vit dans la né-
cessité'd'incliner en faveurde l'alliance anglaise,
soit pour se ménager un appui, soit pour former
en Europe un contre-poids a la masse énorme de
puissance des deux conrs impériales. L'adoption
de ce systeme poli tique porta le nouveau roi a
écartcr tout-a-fait des affaires le prince Henri,
son oncle, attaché a la paix et a la France. Il ne
laissa également aucun crédit politique au duc
de Drunswick, déjit investid'une grande renom-
mée comme guerrier, et qui, arrivé á la souve-
raineté depuis cinq a six ans, s'était fait aussi la
réputation d'uri des plus sages et des plus habiles
princes de l'Allemagne. Le dnc tenait an meme
systcme que le prince Henri, se rapprochant,
par sa philosophie spéculative et ses théories,
des principes qui animaient les novateurs dont
la France éprouvait encore plus que l' Allemagne
l'influence active et pénétrante.


Seul a la tete des affaire s , le ministre Hertz-
berg imprima an cabinet prussien un mouvement
pronoucé et énergique. C' était un homme d'État,
ferme, plein de lllmieres, mais brusque et en-
teté. Aueun ministre en Europe n'était plus OH-
vertement dominé par la nouvelIe philosophie
et par les idées hardies du siecle. Ministre d'État ",;S,\I~:'~7-:-'7,' '


/;: '; .~~~}>,<
/ '~':;;i'::',,·:
\" ,\';; :;.~~~': '_:'~{~j~.~




lIIÉMOIRES


dans une monarchie militaire, il chérissait la li-
berté de penser, et en mati!~res spéculatives ne
mettait pas de bornes a la liberté de la presse;
conseiller intime d'un monarque absolu, iI finit
par se complaire a susciter, dans des vues poli-
tiques" des émotions populaires et des t~oubles
dans les états voisins.


Dans la grande affaire de la Hollande qui
s'aggrava en 1787, et dans laquelle Frédéric 11
avait refusé de s'immiscer, les liens du sang-
et l'allianee angIaise porterent Frédérie-Guil-
laume et son cabinet a y comprimer le parti
opposé au stathoudérat et a la maison d'Orange.
On s' est mépris sur le caractere des tronbles de
la Hollande a cette époque. Il ne s'agissait ni
de liberté ni d'indépendance , mais d'nne que-
relle intestine et de pouvoir entre les promo-
t.eurs du patriciat holIandais et les adhérens
d11 stathoudérat. Ceux-Ia voulaient agrandir le
cerde de leur influence; ceux-ci aspiraient a
établir, en favenr de la maison d'Orange , une
monarchie limitée et constitutionnelIe qui trans-
formerait le pouvoir exécutif en dynastie. IJa
prin cesse d'Orange, sceur de Frédéric-Guilla ume,
eut le tort d'aigrir les esprits par ses exigeances
et par son caractere hautain. Se croyant off en-
sée, elle cut recours aux armes de la Prusse et a
la politique de l'Angleterre· Une armée pl'US-




n'mt HOllfllIE n'ÉTAT. 77
sienne se miL en marche sous les ordres immé-
·diatsdu duc de Brunswick, dont l'esprit de cette
expéclition contrariait les penchans secrets. Le
duc inclinait pour la France, dont on pouvait
craindre un armement en faveur du partí anti-
stathoudérien ,qu'elle soutenaitpresque d'une
maniere ostensible. Au moindre signe de l'llp-
ture le duc n'eut pas manqué de prétextés pour
ne point s'engager dans des hostilités dont sa
prévoyance cút exagéré les suites; mais le camp
fran<;ais de Givet se trouvant contremandé, le
cluc poussa en avant. Sa détermination fut
réglée des lors pal' des instructions tellement
lwécises qu' en moins de vingt jours la révo-
lution stathoudérienne fut consommée a La
Haye, gd.ce aussi a la dextérité diplomatique
dn chevalier IIarris, envoyé extraordinaire de
la cour de Londres, connn depuis sous le 110m
de lord Malmcsbury,


Si I'Angleterre par la se rapprochait de son
but de maitriser les mers, la Prllsse, pal' une
marche ll1ilitaire qui consacrait sa fOl'ce et son
influence, frappa l'Europe d'étonnement. Mais
le cabinet de Versailles, par ses irrésolutions el
sa faiblesse, vit dispara'itre l'ancienne con si dé-
ration dont la France était redevable a sa posi-
tion, á ses forces et a l'esprit bélliquenx de ses
habitans.




lVIEMOIRES


Cette illtervention armée de la Prusse, secon-
dée par I'Angleterre, pouss'a le ministre Hertz-
herg hors des regles de la politique consacrée
par Frédéric-le-Grand. L' Autriche provoquait
plus particulierement sa surveillance renmante,
et atlrait eu a soutenir l'orage d'une animosité
implacable si le nouveau roí, évitant de s'en-
gager dan s une guerre ouverte, n'eut calmé
lui-meme la fougue de son ministre. C'était
eomme médiateur que Frédérie-Guíllaume s' était
présenté a ~'Autriehe dans la guerre (l'ambition
que l'empereur Joseph II faisait a la Turquic de
coneert avee Catherine. lIertzberg ayant essayé
de donner plus de poids a la médiation de la
Prusse , voiei la lettre confidentielle et tres-
remarquable q~e Joseph II éerivit a ce sujet au
monarque prnssicn dans le courant de jan-
vier 1788 :


fi Monsieui' man [rere ,
») C'est (tvee le plus grand regret que je me


» vois forcé de prier Votre Majesté de renoneer
» a etre médiateur dan s les différends survenus
» entre moi et la Porte ottomane.


» L'épée est tirée, et certes elle ne rentrcra
» pas dans le faurreau que je n'aie obtenu pleine
» satisfaction et que je ne sois rentré en posses-
») sioll de ce qu'on a enlevé a 111a maison.




D'UN HOM1HE D'ÉTAT. 79
» Votre Majesté est monarque, et dans cette


» qualité elle n'ignore pas les droits de la royauté.
» Mon entreprise contre les Osmanlis est-elle
» donc autre chose qu'une tentative légitime
}) pour rcntrer en possession de provinces que
») les temps et les événemens malheureux out dé-
» tachées de ma couronne?


» Les Turcs, et peut-etl'e ne sont-ils pas les
» seuls, ont pour maxime de reprendre dans des
» temps opportuns ce qu'ils perdirent dans des
)J temps de malheurs; pourquoi n'userais-je pas
» de repl'ésailles ?


» La maison d'Hohenzollern, pour arriver au
)) point d'élévation ou elle se trouve, a-t-elle usé
» d'autres principes? Albert de Bralldebourg con-
» sulta-t-il la convenancc des états voisins lors-
» qu'il arracha le duché de Prusse a l'ordre dont
» ii faisait partic ?


» Feu votre onele ne prit-il pas a ma mere la
)) Silésic, dans un moment ou, entourée d'enne-
)) mis, elle n'eut d'autre soutien que la grandeur
» de son ame, ramour de son peuple?


» Qu'ont done fait ces cabinets qui pronent
» tant aujourd'hui leur équilibre européen? Quel
» équivalent ont-ils donné a l'Autriehe pour les
JJ possessions qu'elle a perdues dans le cours de
)) ce sieclc?


)) Mes prédécesseurs ont été forcés de céder




80 nÉlIfOIRES
» l'Espagne lors de la paix d'Utl'echt, les royan-
» mes de Naples et de Sicile par ceHe de Vienne
» quelques années plus tard, Belgrade et la Silé-
» sie, ensuite Parme, Plaisance et GuastálIa par
» la paix d'Aix-la-Chapelle, et un peu avant Tor-
» tone et une partie de ]a Lomhardie.


» Et, durant ce sitkle de pertes, l' Autriche
» a-t-eHe fait quelque acquisition importante? Il
» est vrai qu' elle eut sa part de la Pologue, mais
) la Prusse en eut meilleure portion que moi.
») J'espere que mes motiLs ponr faire la gllerre á
» la Porte paraitront concluans a Votre Majesté;
» qu'elle ne méconnaitra pas la légitimité de mes
») prétentions, et qu'elle ne sera pas moins ruon
» ami quand meme je germaniserais quelques
» centaines de miIliers d'Or·íentaux.


» Votre Majesté peut etre súre, au reste, que
» dans les memes circonstances j' admettrai meme
)) contre moi les príncipes que je professe au-
» jourd'hui.


llJeme recommande a la continuationdevotre
I


» amitié, et suis avec heaucoup d'estime,
» De Votre Majesté, l'ami et hon frere.


» Signé, JOSEPH. II
Le tonr de eette lettre et le ton de franchise


qui semhlait y' régner, tout en contrariant le
cahinet prussicn, n' étaient pas de nature a dé-
plaire personneUement a Frédéric-Guillaume.




, " 1> UN HOilDIE D ETAT.


Ce prince n'y vit aueun motif de se départir
elu systcme expectant que réc1amait la situa-
tion générale de l'Europe, et el'en venir a une
rupture ouverte. C'eut été se jeter imprudem-
ment dans une lutte inégale que d'entreprendre
une guerre eontre les deux eours impériales
unies, sans pouvoir eompter sur la :France et
n'ayant que de faibles subsides anglais pour se-
cours auxiliaires. Le roi, évitant meme de com-
promettre sa politique dans un débat épistolaire,
s'en tint avec l'empereurJoseph aux simples rap-
ports direets de convenances. Maís il serra les
nreuds de son allianee avee l' Allgleterre; et,
donnant un libre essor aux notes diplomati-
ques de son cabinet, sembla fermer les yeux
sur la nature des expédiens auxquels eut re-
cours son ministre Hertzberg. Des lors Hertz-
berg n'hésita plus de eontreearrer les projets
ambitieux de la Sémiramis du Nord, et d'hu-
milier son orgueil en rendant aux Polonais,
par ses manreuvres souterraines et par sa po-
litique ouverte, un éclair de liberté et d'in-
dépendanee; des lors il ne balan<,;a plus a
préserver l'Empire Ottoman des dangers d'un
premier partage prémédité par les deux cours
impériales, en mena<,;ant la eour de Vienne d'une
invasion en Boheme tandís qu'il attisait eontre
elle la Belgique et la Hongl'ie. Par la iI était sur


l. ti




JlfÉMOIRES


de faire accepter tot ou tard la roédiation anglo-
prussienne.


Cependant Hertzberg n'était pas a propre-
lllf!nt parler ministre dirigeant ni principal mi-
nistre; son influence était pour ainsi di re eon-
cemré~. dans le domaine de la politique exté-
rieure. Le ministre W reUner et le baron de
13isehoffswerder se partageaient plus partieulie-
r~ment la confiance intime du monarque. Le
systeme intérieur ne tarda pas a s'en ressentir,
et eette nouvelle influence trouva bientot l'oc-
casion de s'étendre aux affaires du dehors. Il
n'était guere possible que sous un roi qui n'a-
yait pas, corome Frédéric, pour tenir les rEmes
Ile l'État, une main ferme et sure, la tendance
a abuser de la liberté de penser et d'écrire ne
se fit pas remarquer parmi les sujets prussiens.
C'est ce qui donna lieu aux deux édits de relí-
gi0l1 et de censure promulgués en 1788, sur
la liberté de conscience et la liberté de la presse.
Fréd~ric-GuiUaume dan s celui-ci rétablissait la
censure; dan s le premier, apres s'etre élevé avec
force contre les déistes et les philosophes, illeur
interdisait le droit de soutenir leurs opinions.
Dans le fait le déisme et la philosophie n'avaient
jamais été considérés comme incompatibles avec
le gouvernement absolu et militaire de la Prusse.


Ces deux: édits, contre-signés par les ministres




n'u:x JIOAIlIIE n'ÉTAT. 83
Carmer et W relInel', contrariaient tellcment les
opinions dominantes qu'on les regarda en gé-
néraI commc établissant l'intolérance et la cen-
sure la plus rigide. On les imputa aux vision-
naires qui, disait- on, environnaient et obsé-
daient le treme; e'était par un esprit de fana-
tisme qu'ils avaient fait rendre l'édit de religion,
dans le but J'opprimer absolument eette liberté
de penser qui sons le regne de Frédéric était
devenue génél'ale, meme parrni les ecclésiasti-
qnes. Du reste, e'est ici le cas de réfutel' l'as-
sertion d'un écrivain fran<;;ais, tres - honorable
d'aillenrs r, mais qui n'a ellvisagé les affaires
de ]a Prusse que sous un point de vue partíal
et superficiel. Il a prétendu que les dellx édits
furent rédigés dans un sen s tout-a-fait contraire
au Lut que le roí avait paru vouloir atteindre.
Commellt suppose¡' que des ministres de Pl'usse
se fllssent permis de promulguer deux édits op-
posés diamétralemcnt a la volonté de leur sonve-
rain? Nous pouvons affirmer le contraire. L'as-
sertion clel'écrivain fran<;;ais, puisée clan s cequ'on
appelIe des jagots diplomatiques, n'aurait en
quelque appal'ence de fOlldemcnt qui si les deux
édits en question a\aient éLé réelIement pro-
mulgnés avec les titres qu'on leur a faussement


, M. le eorote de Ségur, dans son TabZcau paZitique de l' El/rape,
ua l?SG .. 9G.




8{~ JlIÉJlIOlRES
supposés, d'édits enfaCJellr de la liberLé ue con-
science et de la liberté de la presse, titres qn'ils
n'ont jamais en. n eut été plus vrai de dire que ce
changement, peut-etr.e trop brusque et impoli-
tique, dans le systeme du gouvernement moral
du pays, amena dans les conseils et dans les hau-
tes classes de la Prusse une sourde dissidence ,
qui, aux approches de la révolution fran<{uise,
ne fut pas sans influence dan s la marche des
affaires du cabinet, ni sans résultats dans les
événemens de la guerreo


Déja la France était agitée par les premiers
symptomes de sa révolution intérieure; et c'était
au moment OU une mItre révolution, a laquelle
la Prusse n'était pas étrangel'e, enlevait le Era-
bant a Joseph lI; an moment ou la ligue anglo-
prussienne pla<;ait les c1eux COllrs impériales
entre la guerre des Turcs et la fermentation
mena<;ante des peuples de la Pologne.


Tel était l'aspect de l'Europe quand la révolu-
tion franc;:aise fit sa terrible explosion, le 14 juil-
let 1789' En ce jour de violence , la révolution
sortit de l'orure moral pour entrer dans son ac-
tion rapide et funeste. Les hornmes qui la lni im-
primerent, etque l'histoire désigne, n'agirent, si
l'onen croit certaines révélations, qn'apres avoir
pesé les résistances possiples du dehors et le
caractel'c des SOUVel'aillS qui régnaient alol's en




n'rJN HOl\DIE D'ÉTAT. 85
Europe. Frédéric était dans ]a tombe; la seule
Catherine JI présentait un granel caractere et
une grande puissance; mais trúp éloignée ele
la révolution pour la saisir corps a corps, dis-
traite d' ailleurs par le Turc, elle eut aussi a
s'inquiéter de l' effervescence dé la Polognc,
inclinée sur le meme pench:mt que la France.
Les embarras de Joseph JI et son découra-
gement le mettaient pour ainsi dire hors de
cause. Le roi d'Espagne et les souverains d'I-
talie étaient nuls en puissance et en volonté.
George III, roi el'Anglcterre) avait ]'une et
l'autre et les aurait dirigées contre une révo-
lution dont il avait en horreur les principes,
s'il .eut pu disposer a son gré de sa nation et
de son ministt~l·e. Restait Frédéric-Guillaume
avec une armée toute prete, a portée d'agir et
d'étouffer la révolution dans son berceau. En
ten ter de prim~-abord et isolément l'entreprise
étaitau-dessus de ses forces morales, la Hol1ande
et la France n'étant rien moins que sur une
meme échelle poli tique. Le seul roi de Suede
Guslave IlI, poussé par son caractere chevale-
resque, par son désir immodéré d'acquérir de
]a célébrité, eut pent-etre été cqpable de con-
cevoir et d'exécuter rapidcment une si grande
entreprise; mais les élémens de puissance luí
manquaient, et plus tard une mort tragique




86 lIIÉlIIOIRES
anéantit ses projets. Ainsi ]a révolution ile pou-
VUllt ctre arretée par des forces disjointes au de-
ho1's et au dedans, parut adulte des ses pl'cmie1's
pas sans qu'on put l'empecher de se fortifier et
de grandir.


Mais quelle idée impartiale se former de ce
grand évenement? Sans antl1n doute, les res-
80rts de la vieille 111onarchi(~ étant usés, une
refonte dan s son gonvernement, de nouveaux
mobiles et un régime plus vigoureux pouvaient
seuls la rajeunir. Rétrograder an despotisme de
Louis XI ou au sceptre absolu de Louis XIV
était impossible. N ovateur irnpitoyable; le temps
prépal'e en secret ses métainotphoses; chaquo
siecle pese sur le siec1e qni le süit, et pát' un
mouvement insensible qui agit sur l'opinion des
hornmes iI entraine les institutions, les rapports
et les principes sur lesquels repose l'ord,'e so-
cial. L'habileté du législateur consiste a y ap-
portel' les rnodifications qui coordonnent les lois
avoc le siecle.


y procéder dans des formes légales était pen
compatible avec l'effervescence de l'époque et
avec le délire des opinioIls llontelles, lJe roi de
France; porté de lui-meme amé atnéliotations,
avait montré ectte paternitt, déhonnail'e qlli ne
fait que des enfans ingl'uts, L'iiTésolntlon et la
faiblesse de son cill'acl€<l'e devaiE'llt l'abimet dans




n'UN HOl\ll\IE n'ÉTAT.
une si violente temp(~te. De tous les prinees ré-
gnans, nuI n'était plus propre a souffrir une t'é-
volution, aucun ne l'était moins a l'arreter ou
a s'en ütire un rempart. La Providence, en lui
décernant pour vertu la résignation, semblait
l'avoir formé tout expres pour subir l'iI1itiative
de la terrible le«;;on qu'elle s'app1'€tait a donner
aux 1'ois et aux p~uples.


A peine Louis XVI avait-:-il laissé :entrevoií'
qu'il rendraít a la Franee ses Étas-Généraux,
que la nation presque entiere ne reva phiS que
1'éformes et changemens dans son régin.lC inté-
ríeur. Les hommes qui par leurs talens et leur
éloqnen~e dirigerent les délibérations de lias_
semblée nationale, formerent Ull plan de 50-
eiété sur de nouveaux principes. La réforma.-
tíon du gouvernemcllt avec le COllcours de la
couronne, fut rejetée. Apres avoir proclamé la
souveraineté du peuple, on tira du mélange
ineohérent de la constitution anglaise et de
celle des États-Unis d'Amérique une premiere
ébauche du gouvernemeilt représentatif. Et
pourtant les mobiles de ces deux constitutioIis
politiques different d'une maniere essentielle:
l'une, qui est a la fois a1'istoc1'atique et mo-
narchique, présentait depuis pres d'un siecIe
a l'Europe un état de choses stable et régulier;
l'autre, plus récente et plus fragile, n'offrait




88 :!IfÉl\roIRES
qu'une base purement démocratique et élec-
ti"e. SU!' le te1'1'ain meme d'une vieille mo-
narchie qui s'était appuyée long-temps sur la
hiérarchie des trois o1'dres, l'assemblée natio-
nale constituante établit l'égalité répnblicaine,
des élections tempo1'aires, avec une chambre
unique et une ombre de roi conservé seulement
pou1' la forme et par ménagemens pour l'an-
denne habitllde de la nation. Elle transforma
ainsi brusquement une puissante mona1'chie en
démocratie royale. Une si audacieuse ent1'eprise,
soutenue par de grands talens oratoi1'es, sub-
jugua la France au moment ou ses hautes classes
étaient efféminéeset engourdies.


La prise de la Bastille, la dispersion des mi-
nistres du roi, l'éloignement.des troupes royales,
la fuite d'une partie des princes, et surtont les
affreuses journées des 5 et 6 octobre constate-
rent que le roí et .la famille royal e n'avaient
plus ni autorité ni liberté. Louis XVI était
visiblement retenu prisonnier clans Paris. Cette
succession rapide cl'événemens extraordinaires
frappa les souverains plus encore que leurs
ministres.


Et c'était en pl'ésenee mcme de eette eon-
flagration que les cabinets poursuivaient leu1'
systcme de désunion, d'intrigues et d'empiéte-
mens l'éeiproques. Cependant Vienne et Saint-




n'UN IIO~IME n'ÉTAT. 89
Pétersbonrg voyaient avec inquiétllde les trou-
bIes de la France. Frédéric-Guillaume en était
personneIlement affecté. L' exemple et le voisi-
nage de la France n'étaient pas sans danger
pour I'AlIemagne, qui recélait, meme dans les
hautes classes, un grand nombre de partisans
zéJés des nouvelles idées politiques, et dans les
littérateurs et les savans beaucoup d'hommes sé-
duits par les théories favorables a la liberté. Tou-
tefais les Allemands en général, meme c~ux qui
étaient disposés pour la France, mirent quelque
réserve a s'engouer d'une révolution marquée
par tant de fougues et d'exces populaires.


Ce fut d'ailleurs contre l'empire germanique
que la révolution fran~aise exer~a sa· premiere
action au dehors. Un décret du l~ aout 1789
avait dépouillé de Ienrs droits sans indemnités
plusieurs princes ecclésiastiqnes et lalcs de l'Em-
pire a raison de lenrs possessions enclavées dans
lesprovinces d' Alsace, de Franche-Comté et de
Lorraine. Des le mois de janvier suivant, les
députés du cercle du Haut-Rhin, assemblés a
Francfort, prirent un conclusum portant que
l'empereur et le corps germanique étaient re-
quis d'accorder appui et protection anx états,
a la noblesse et an clergé de l'empire contre les
actes arbitraires de l'Assemblée nationale. Ces
réc1amations furent accueillies par l'empereur




9° ~r:ÉjI,rOIRES
Joseph JI qui vivait encore. De son coté le roi
de Prusse adressa ,le 16 février, comme prince
de l'empire, au comte de Goertz, son ministre
a Ratisbonne, un rescrit portanl que l'Empire
étaitdansl'obligation de s'intéresser ponr les par-
lies lésées en contravention des traités existans.


L' Assemblée nationale de France convaincne
qu'elle avait encore besoin de maintenir l'état
de paix pour achever la révolutioll qu'elle se
flattait de maitriser, invita ce qu'on appelait le
pOllvoir exéclltif a négocier avec les prinees
possessionnés une renonciation a leurs droits
moyennant une indemnité convenable; mais les
princes allemands déc1arerent inacceptable toute
indemnité qui ne consisterait pas en bien fonds.


Tel fut le premier germe de tnésintelligenee et
de ruptlíre entre les souverains d'Allemagne etla
révolutioll fran~aise. A eette époque, Joseph II
cessa de vivre, quoique dans la vigueur de l'age
encore. Réformateur de bonne foi, mais jllgé sé-
verement, illaissa la réputation d'lln prince qui,
dans ses réformes, ne s'était mOlltré sipressé
ele renverser tout le systeme féodal et l'in-
fluente sacerdotale, que pour établir dans ses
étrtts un gouvernement tel que ne le comportait
pas la varié té des formes aristocratiqlles et na-
tionales des États"héréditaires. Ses précipitations
l'avaient fait échouer dans presque tons ses




n'UN IIOlUlIIE n'ÉTAT. 9 t
projets. Léopold, son frere, qui avait gou-verné
sagement la Toscane, se trouvait appelé a lui
succéder. Il trouva la rnonarchie autrichienne
ébranlée jusqne (13ns ses fondemens; les pro-
vinces belgiques venaient de s'en détacher par
une violente insurrection; la basse Autr'iche,
la Boherne, et surtout la Hongrie étaient en
fermentation, el portaient a Vienne de vives do~
léances sur leurs nombr'eux griefs.


D'un llutre coté la rnonarchie prussienne était
en armes et dans toute la fei'Venr de sa rivalité.
Non-seulernent la Prusse avait contt'acté avec la
Grande-Bretagne une étroite a1liance, tnais elle
venait de conclure avec la Porte uU !raité qui
!1vait denx objets: l'mi de ltti faire testituet toutes
les provinces que les deux cours irnpériales lui
avaient enlevées; l'autre d'obtenir sa coopéra-
tion pOUl' arracher la Gallicie a l' Autriche l.


On soup<;onnait rnemc le cabinet de Prusse,
c'est-a-dire I1ertzberg, qui en dir'igeait la po-
litique , de fomenter des troubles dails les États
aútrichiens par ses érnissaires, et de perrnettre
a des Hongrois mécontens de tenir un comité
a Rerlin.


Que cl'embarras pour le nouveau chef de la


r Il n'est pas certain qne ce traité ait été ratilié; nOllS croyons
meme que l'envoyé prussien a ConslantinopJe. M. de Dielz, qui l'avaít
conelu, fut rappeJé ponr avoir ontrepassé ses instrnctions.




lIIÉJlfOIRES


maison d'Autriche au moment meme ou la ré-
volution de France rompait le nreud politique
qui unissait le cabinet de Versailles au cabinet
de Vienne! Il ne restait a Léopold contre tant
d'obstacles et pour s'opposer a la ligue anglo-
pmssienne que l'alliance de la Russie; mais la
Russie était trop occupée elle-mem~ de sa guerre
contre les Turcs pour preter des secours effi-
caces a Léopold; or sa tache était immense s'il
voulait relever ]a puissance autrichienne; il lui
fallait recouvrer les Pays-Bas, calmer les mécon-
tents qui agitaient ses autres provinces, con-
clure avec la Pórte OUomane une paix hono-
rable, obtenir la couronne impériale,et suivre
les négociations occasionées par le~ décrets de
l'Assemblée nationale de France qui lésaient les
princes d'Allemagne; mais quel espoir d'obtenir
aucun de ces objets avant de s'etre réconcilié
avec la Prusse!


Des lors cette vue devint la pensée dominante
de Léopold. Instmit par ses agens et par ses
ministres que Frédéric-Guillaume s'inquiétait
personnellement des progres de la révolution
fran<;aise, il jugea que le moment était venu de
faire. sentir aux tetes couronnées qu'il fallait se
hater d'étouffer lenrs dissensions el leurs que-
relles ponr se préparer a résister a l'ennemi
commUIl. Léopold fonda sur cette idée l'espé-




D'UN HO¡U~IE n'ÉTAT. 93
rance d'amenel' Frédéric-GuilIaume a changer
de politique. Ajoutons que ce fut en pl'ésence
de deux révolutions, ceHe des Pays-Bas et ceHe
de France, que la Pologne prépara aussi la
sienne, ce qui acheva de donner l'éveil aux tl'OÍs
grandes cours du Nord et d'inquiéter leurs
cabinets.


Cependant Léopold sentait qu'il aurait contre
luLies habitudes et le systeme dll cabinet prus-
sien, et que c'était aupres dn monarque et de
ses affidés personnels qu'il lui fallaít d'abord
avoir acceso Le baron de Spíelmann, négociateur
confidentiel du prince de Kaunitz, fut chargé de
s'ahouchel' avec le général Bischoffswerder qui,
jouissant de l'intimité du roi, était réputé le
chef du lXlrti opposé aux conseils téméraires da
ministre Hertzberg. paJ' une correspondan ce di-
recte et loyale Léopold chercha d'abord a in-
spirer des sentiments pacifiques au successellr
de Frédéric; illui offrit, relativement a la Tur-
quíe, de cesser les hos tili tés et de rester in sta tu
qua ante bellum sur le picd du traité de Passa-
rowitz; il n'oublia ríen pour l'amener a un rap-
prochement sind~l'e, sans négliger toutefois de
se mettre en mesure contl'e une attaque sou-
daine. A cet effet, iI fit passer; des tronpes en
Boheme et en Moravie. De son coté le monarque
prussien, favorablement pressenti par ces ouvel'-




94 lHÉJlfOIRES
tures, proposa l' état des choses te! qu'il se troa-
vait avant la guerre de Turquic, et de plus que
Léopold, renonqant a une partie de la Gallicie,
lui laissat l'embouchure de la Vistule, promet-
tant a ce priJt: de ne pas contrarier ses efforts
pour" reCQuvrer les Pays-Ba's, et s'engageant
meme a lui donner son suff¡'age ponr l'élection
a l'empire. L'Angletel're suggéra l'idee d'une
treve; cette propositioIl fut rejetée par ~e roi
de Hongrie et deBoheme, qui désirait pousser
ses avantages contre les Turcs, et avoir ainsi
dans ses mains plus de gages de paix avant que
les Russes fussent pres d'entrer en campagne,
si les négociations n'avaient aucune issue.


Déja Frédéric-Guillaume, apres avoir détaché
des troupes vers la Pologne pour appuyer ses
ouvertnres, s'avan~~ait en Silésie, oú iI vint con-
dnire lui-meme une armée formidable; il étahlit
son quartier-général a Reichembach. La, tandis
que les armécs étaieu t en préscncc, un congres
s'ouvrit, qui cut pour mobile les négociations
confidentielles dont le ministre Hertzberg n'a-
vait pas le secreto


Ce ministre entrava les négociations par son
opiniatreté a demandel' que la Prusse obtlnt la
cession de Dantzick et de Tho1'11, cession pou!'
laquelle la Pologne cut ten u de l'Autriche la
rétrocession de la Gallicie. Quant a cette der-




n'UN lIO~Il\fE n'.ÉTAT. 95
niere puissance, elle cut conservé en com pell-
sqtion Belgrade, Orsowa ~t la partie de la Croatie
enlevée aux Tures; mais Léopold craignit d'ir-
riter Catherine JI quí n'aurait pas consentí a
voir la Prusse malVresse de l' embouchure de la
Vistule, et lui-meme répugnait a dorll1er la
main a un tel aecroissement de la puissanee
prussienne. En vain Hertzberg soutint son plan
avec chaleur, il trouva dans le négociateur au-
trichien, baron de Spielmann, une résistance a
laquelle i~ ne s'était pas attendu. De son coté,
Léopold voulant se rendre plus favorable la
médiation de l'Angleterre, lui communiqua la
crainte d' (';tre obligé de céder une partie des
Pays-Bas a la France. L' Angleterre, et encore
plus la correspondance directe entre les deux
souverains, aplanil'ent les diffieuItés. Tout a
coup Hcrtzberg re<;:ut du roí l'ordre formel
d'apposer sa signature aux articles prélimi-
naires déja secretement convenus; illes signa
le 27 juillet 1790. Le con gres se termina par
une convention définitive conclue le 5 aout, et
par laquelle Léopold prit l'engagement d'ou-
vl'ir avec la Porte Ottomane des négociations
pacifiques, et de donner a la Prusse un équi-
valent si les Turcs lui faisaient a lui-meme
quelque cession. Il s'engagea de plus a ne preter
a la Russie aUCl1n secours dan s le cas ou cette




96 lUÉJ\fOIRES
puissance refuserait de con dure la paix avec
les Turcs; enfin iI obtint de Frédéric-Guillanme
la })l'omesse d'agir' de concert avec la Hollande
et l'Angleterre ponr l'aider a sonmettre les
Belges auxquels il consentait a restituer leurs
anciens priviléges sous la garantie des puis-
san ces alliées.


Le traité signé, l' Ol'dre fu t donné a trente
mille autrichiens de se diriger vers la Belgiqucj
l'ármée prussienne se retira, et Fréeléric-Guil-
laume fut célébré partout comme le modérateur
de l'Europe,


La paix de V érela suivit de pres la conven-
lion de Reichembach; elle désarma dans le
Nord le roi de SuMe et Catherine II, qui ren-
trcrent dans leurs anciens rapports sans perte
ni cession de part ni el'antre; c'était un embarras
de moins pour CatheJ'ine que le roi de Prusse
aurait voulu pOl'tel' de suite a se désister de ses
vues ambitieuses sur la TUI'quie. Sous ce point
de vue le traité de V érela était trop précipité
de la part ele la Suede, et il contraria la poli-
tique du cabinet prussien.


Mais d'un autre coté Léopolel se bata de si-
gner avec les TUl'cs une tl'cve de neuf mois,
pendant laquelle fut ouvert le congres de Sistow,
La devait etl'e réglé avec les plénipotentiaires
des puissances méeliatrices la pacification entre




97
l'Empil'e Ottoman et l'Autriche; mais la aussi
les négociateurs anglo-prussiens se montrerent
également disposés a prescrire des conditions
de paix a Catherine II, pour arre ter les progres
de ses conqll(~tes en Oriento A cet effet, ils s'ef-
forcerent d'engager Léopold, si leur médiation
était vaine, a joindre ses armes a celles des
alliés; mais ce prince n' offrit qu'nne prom es se
dilatoire de ncutralité, jugeant pen politique de ...
rompre son allial1cc avcc la Russie, et peu pru-
dent d'attaquer une puissance si formidable.
Cette complicatiol1 de difficultés et d'intérets
suspendit les conférences de Sistow, et, laissant
une partie de l'Europe dans l'incertitude sur les
résultats de l'ambition de la czarine, favorisa
les progres des révolutions de France et de
PoIogne.


Cependant Léopold, réconcilié ayec la Prusse
et a l'ombre de la convention de Reichembach,
flltp,'oclamé empel'eur le 30 septembre 1790.
Son entrée publique a Francfort ent lieu dans
les premiers jours d'octobre. Sa capitulation ne
différa de ceHe de ses prédécesseurs qn'en ce
point . Léopold y ajonta la promesse formelle
de réclamer pour les droits des princes alle-
mands qui avaient des possessions en France.
C'est ainsi que se raHuma la premiere étincelle de
l'incendie qui devait embraser l'Europe, et que


,..


¡ /




98 l\IÉl\'lOIRES
Joseph II avait laissé, en quelque sorte, s'é-
teindre dans ses mains défaillantes.


Libre de mettre en mouvement une partie de
ses forces, l'empereur Léopold tourna toute son
attention vers les proyinces belgiques; il était
résolu a les faire ren trer dans le devoir, aux
termes de la convention de Reichembach. Déja iI
venait de publier un manifeste, Otl, improuvant
les innovations faites par son pl'édécesseur, il of-
frait de tout rétabliI- sur l'ancien pie(l. Mais les
insurgens , quoique divisés en deux partis dis-
tincts, refuserent avec fierté toutes conditions,
et se mirent en devoir de résister. Il était a
craindre que les deux révolutions de Paris et
de Bruxelles, si voisines, ne se prctassen t un
mutuel appui. Heureusement elles n'étaient pas
établies sur les memes príncipes; eeUe de France
avait pom mobile l'égalíté démocratique el la
destruction des priviléges; ce He des Pays-Bas
était fondée sur le maintien des hiérarchies so-
ciales, et particulierement des priviléges du
clergé et de la noblesse: mais comme toutes les
deux visaient de meme a l'indépendance poli-
tique, on fit a Paris et a Bl'llxelles quelques
tentatives pom établir un concert entre les
deux révolutions.


Le cabinet de Louis XVI, dans l'espoir d'é-
loigner le duc d'Orléans l'éputé l'un des prin-




n'UN HO"\fllLE n'lhAT. 99~
cipaux moteurs des troubles du royaume, avait
formé le plan factice de donner ce prínce au
Brabant pour souverain; mais M. de La Fayettc;~·
qui domínait plus ouvertement a París, s'op-
posait en secret a l' exécution de ce plan, qui
n'avait d'ailleurs aucune base réelle. Un autre
personnage qui n'était point arrivé encore a la
rapide célébrité dont il a joui depuis, le maré-
chal-de-camp Dumonriez, habile explorateur
politique, s'était rendu a Brnxelles dans d'autres
Vlles, apres s' etre abouché a Paris avec deux


, députés clu eongres belgiquc. La, ayant examiné
attentivement l'état uu pays, Dumouriez n'a-
vait déeouvert aueun moyen d'y opérer une
grande diversion qui put détourner le cabinet
de Vienne de s'ocenpel' tót ou tard de la révo-
Iution iranr;:aise; il avait d'ailleurs reconnn que
les cours ele La Haye et de llerlin abUsflient les
Belges au snjet de lcm liberté. J~e général
Schrenfeld, Prussien, qui commandait lenr
armée nationale, ne lui avait p;fs meme caché
que le sort de la Belgique dépenuait de l'issue
du congres de Reichembach.


En effet, LéopDld ,;1 la suite de son couron-
nement, pressant la marche d'une armée de
trente millehommes, fixa ponr dernier terme
de soumission aux Belges, le 21 novembre. Ce
terme expiré, les troupes sous les ordres UU




100 JllóromEs
mal'échal de J3el1(1cl' passerent la Meuse et ap-
pal'llrent aux portes de Bruxelles. Les chcfs de
la révolution prirent la fuite, lenrs hataillons
se débandcrent, et avant la fin de l'année toutes
ces provinces se trouverent rétahlies sous la
domination autrichienne.


Si d'un coté ce dénouement n'éclail'a point
les Fran(,'ais sur les dangers de l'anarchie et, de
leurs déchiremens, de l'atltre, il donna aux rois
et á la pl upart des grands de l' Enrope une
fausse idée de l'isslle probable de la révolution
fran<;,aise. Ceux-ci, de mcme que les émigrés,
regarderent les Pays-Bas eomme le pont pal' ou
la conll'e-révolution pénétrerait en France.


Le cabinet de Bedin envisageait les affaire s
de ce pays sous un point de vue l110ins trau-
chant. La plupart des hommes d'état de la
Prusse jugeaient inlltile et méme dangerellx de
cherchcr á opposer une digue au torrent de la
révolution s'il devait etre contenu par un partí
assez fOl"t et assez sage pour établir, en refor-
mant l'état, une constituLion raisonnable. Ils
pensaient que la politique des cabinets dcvait
se bOl'nel' pour le IYlOmcnt a préserver leur
propre pays 'de l'introduction des principes
anarchiqucs en exercant une surveillunce rióde .


, v


sU!' toutes les mené es des adhérens de la révo·
lution de Paris. TeUe ét:lit aussi l'opinion du




lor
prinee de Kaunitz qu'on rcgardait comme la
lumiere au eabinet de Vienne; mais l'anarchie
parisienne et les procéclés contre le roi de
Franee indignaient les ministres des cours d'AI-
lemagne autant que leurs s011"erains.


Léopold en était blessé doublement, par inté-
ret de famille et par un intérct politique, ne se
dissimulant pas eombien étalt compromise, par
le nouvcl ordre de chose, I'ancienne alliance de
l'Autriche avec la maison de Bourbon. La réduc-
tion des provinces belgiques ayant mis ce prince
en contact avee la Franee agitée, son attention
se porta naturellement sur son auguste sreur,
épouse de Louis XVI, qui gémissait a París, abreu-
vée de toute sorte d' outrages. Mais Léopold,
prinee sage et temporiscllr, allrait vouln tont
attendrc du temps, ne jugeant pas qu'aucune
espece d'in tel'vention pút etre efficacc sans le
concert des couronnes, ce qui demandait une
cntiere concorde parmi les souverains.


Quant au roi de Prusse, il aspirait a y concou-
ri1' le plus promptement possible par l'emploi
de sa médiation personneIle. 11 était temps, se-
Ion lui, que les tetes conronllée~ laissassent la
leurs projets de conquctes et songeassent enfin
a s'occuper du danger commun suscité par la ré-
volution fral)(;aise.


L'intéret qu'il portait a Louis XVI et uux évé-




102 lII:Él\lOIHES


nemens qui bouleversaient son royaume était
sincere et touchant. Frédéric-GuilIaume s'en ex. ..
pliqnait, avec autant de sensibilité que de cha-
lenr, dans ses entretiens confidentiels avec l'en-
voyé de France, marquis de lVIonstier, diplomate
instruit et dévoué a son roi. Il avait accueilli
également le maréchal de camp Heymann, que


• lui avait recommandé Lonis XVI; en un mot,
il ne négligeait aucune oeeasion de faire porter
a la connaissance particuliere de ce monarque les
assurances consolantes de sa sollieitude royale.


Le roi n'ignorait pas que Louis XVI et son
auguste compagne trouvaient insoutenable l'a-
mertume de leur situation, et que leurs fers
étant l'ivés chaque joU!' davantage, ils s'occu-
paient afaire pressentir les dispositions des puis-
sanees dont ils se proposaient de réclamer le
concours et l'appui.


Louis XVI pl'it cette résoIlltion au mois de
novembre, quand il vit qu'on faisait violen ce a
ses sentimens reIigieux pour arracher sa sanc-
tion aux décrets rendus sur la constitution ci-
vile du clergé, qui n'était pas dans ses principes.
Il fit d'abord pa!ijier a son aneien ministre, le
baron de BretGuil, en Allemagne, des pIeins
ponvoirs qui l'antorisaient, vis-a-vis les diffé-
rentes puissanees, a traiter, ponr le bien de son
peuple, du l'établissement de son autorité légi-




, " D TJN HOJ\IlUE D ET AT. 103
time. Il écrivit ensuite aux principales puis-
sanees de l'Europe pour les invitcr a le tirer
de la cruelle position ou il se tronvait. Tont
porte a croir~e qn'il prit l'avis de son beau-frere
Léopold avant de se déterminer a une démarchc
si importante.


Voici la lettre que Frédérie - Guillaume re~ut
du roi de Franee: elle était datée du 3 dé-
cembre J 790.


« Monsieur mon frere,
» J'ai appris par M. de l\Ioustier l'intérct que


» votre majesté avait témoigné, non seulement
» pour ma personne, mais encme ponr le bien
» de mon royaume. Les dispositions de votre
» majesté a m'en donner des témoignages dans
» tous les cas ou cet intéret peut etre utile pour
» le bien de mon peuple, ont excité vivement ma
» sensihilité; je le réclame avec confiance dans
)) ce moment-ci; ou malgré l'acceptation que j'ai
» faite de la nouvel1e eonstitution 1, les factiel,lx
» montrent ouvertement le projet de détruire
» le peste de la monarchie. J e viens de m'adresser
)) a l'empereur, a l'impératric'e de Russie, aux rois
)) d'Espagne et de Suede, et je leur présente l'idée
» d'un congres des principales puissances de
» l'Europe, appuyée d'llne force armée, GOmme


• Son acceptation des decreto constitutionncls, ~pr¡'s les journées
des 5 et 6 oClobre. et gltérieurewent.




~IÉM01RES
)) la meilleure mesure pour arreter ici les fa e-
» tieux, donner le moyen d'établir un ordre de
)) ehoses plus désirable, et empeeher que le mal
» qui nous travaille puisse gagner les autres
» États de l'Europe. J'espere que votre majesté
» approuvera mes idées, et qu'elle me gardera
» le seeret le plus absolu sur la démarehe que
» je fais aupres J'elle: elle scntira aisément
» que les cireonstanees ou je me trouve m'o-
» bligent a la plus grande eirconspection: e'est
» ce qui fait qu'il n'y a que le baron de Breteuil
)l qui soit instruit de man seeret, et votre ma-
» jesté peut lui faire passer ee qu'elle voudra.


» Je saisis cette occasion de remercíer votl'e
» majesté des bontés qu'elle a ponr le sieur Rey-
» mann, et je goute une véritable satisfactian de
» donner a votre majesté les assurances d'estime
» et d'affection avec lesqnelles je suis,


» Monsieur man frcre, de votre majesté
» Le bon frere,


» Signé LOUIS.»
La haute importanee de cette dépeche royal e ,


dont la transmission eanfidentielle était eom-
mune a presque toutes les couronncs, frappa
le roí de Prusse; sa 5011icitllde généreuse en
fut bien plus ,'ivement excitée en faveUl' du
malheureux monarque qui avait recours a son
appui. Le roi se hata de représenter a l'empe-




U'UN HOMl\IE D·hTAT. 105
reur combien il importait a ton s les souverains
de concertcr enfin les moyens les plus conve-
nables de tirer Louis XVI de l'indécente cap ti-
vité dan s laquelle il gémissait au sein de sa ca-
pitale, et combien il était urgent de s' opposer
d'une maniere sérieuse aux progres d'une révo-
lution si menac;ante pour l'autorité roya le. Léo-
pold tout en se montrant indigné des violen ces
et des outrages que le monarqlle franc;ais ne ces-
sait d'essuyer de la part de l'assemblée nationale
et du peuple, tout en adhérant á l'opinion du roi
de Prusse, jugea néanmoins qu'on ne devait rien
précipiter; qll'il fallait d'abord attendre ou pro-
voquer les ouvertures d'assistance et de concert
qui ne manqueraient pas de survenir; promet-
tant de ne ríen négliger d'ailleurs pour s'assurer
du concours des cerc1es de l'Empire, des cantons
suisses, des rois d'Espagne, de Sardaigne eede
Naples. Contrarié par ces délais, Frédéric-Guil-
laume crut en découvrir la cause dans la com-
plication d'embarras que présentait la suspension
du con gres de Sistow, dans la prolongation de
la guerre impolitique des Russes contre les


• Turcs, etpeut-etre dans le désir que nourrissait
Léapald de s'assurer une entiere influence dans
le midi de rEurape en y combinant, dans des
vues ambitieuses, les élémens d'une coalition
qu'il dirigerait él son gré.




106 :miMOIRES
D'un autre coté la Russie et la Suede, e'est-


a-dire Catherine et Gustave, s'appuyant sur la
détresse du roi de France co~statée par sa dé-


. peche secrete et pressante, montraient eonlre
la l'évolution le plus violent aeharnemenl. La
ezarine surtout exeitait Léopold et le monarqne
prussien a intervenir,aidés de ton tes leurs forees,
pour étonffer les semen ces d'une révolution con·
tagieuse.


Mais la poli tique de Catherine paraissait sus-
peete: éerasant les Turcs elle semblait vouloir
pousser loin d'elle les force s intermédiaires €t
protectrices de l'Occident et du Midi. Si l'état de
la Franee exeitait partont des alarmes, les sue·
ces rapides des Russes et le découragement des
Tures en exciterellt bientot de plus vives, soit a
Londres, soit a Berlín. Aigri par ces difficultés,
:Frédéric-Guillaume crut avoir á se défier meme
de la cour de Vienne, qui restait toujours étroi-
tement unie a ceHe de Saint-Pétersbourg; il fut
meme tenté de revenir aux erremens de la po-
litique prussienne, au systeme anti-autrichien.
Mais déja Hertzberg n'avait plus dans le cabinet
l'influence décisive; c'était BischoffsW€nier qui
dirigeaiL en secret la marche des affaires. Soit
qu'il entrat síncerement dans les intentions du
roí, soit qu'il feignit d'y en trer, iI proposa de
prévenir l' Autriche, qui se melerait tot ou tard




, " DUN IIOll'UIE DETAT.


des affaires de France dan s des vues ambitieuses,
et de tirer parti de la position critique ou se
trouvait LOllis XVI, en offrant ace prillce d'in-
tervenir en faveur de son autorité avec la meme
viguel1r et la meme promptitude qu'avait ap-
pOl'tées le gouverncment prllssien a rétablir la
tranquillité en Hollande : on ne demanderait
au roi de Franee qu'un traité qui, détachant la.
maison de nourbon de l' Autriche, l'unirait dé-.
sormais a la maison de Brandebourg. Le roi
l'ayant autorisé a pressentir a cet égard les in-
tentions de Louis, a qui lui-meme avait déjil
répondu direetement dans les termes d'un in-
téret consolant et sind~l'e, nischoffswerder fit
passer aussitót au baron de Goltz rordre d'of-
frir au nom de son maitrc, au roí de France ,
le secours pl'Ompt et immédiat d'une armée
de quatre-vingt mille hommes, a la seule condi-
tion de rompre les liens qui l'unissaient a l'Au-
triche, et de s'engager dans une alliance intime
avec la Prusse. L'envoyé prussien en fit l'ouver-
ture aucomte de Montmorin, qui se trouvait
a10rs á la tete du département des affaires étran-
geres; mais ce minislre, asservi a la faetion do-
minan te, quoiqu' a ttaehé a son roi, eonsidéra
l'offre de la Prusse eomme tenant a un plan de
eontl'e - révollltion d'nne exécntion violente et
dangereuse, contraire d'ailleurs au caractere et




108 J\lÉMOIRES
anx desscins connns de Louis XVI. tI assnra que
ce prince n'avait montré ni la volonté, ni le pon-
voir d'y adhérer. L'onverture ainsi déclinée n'eut
ancune suite.


Cependantles nnages qui obscurcissaient la po-
litique des cours du N ord se dissiperent. On croit
que Léopold eut connaissance, par les adversaires
de Hertzberg, de la disposition d'esprit du roi de
Prusse, et qu'il ne négligea rien pour le rame-
ner, pas meme les mobiles secrets. Il est de fait
que plusieurs courtisans du roi s'attacherent ou-
vertement au systeme de l' AutrÍche. D'un autre
coté la czarine crut prudent de suspendre les
projets de son ambition, afin d'éloigner l'orage
qui se formait en Pologne, et qui commellf:ait a
la menacer. Toutes ces causes réunies a ceHes
qui réclamaient qu'on s'occupat de la France, ra-
menerent a des vues plus saines les cabinets de
Vienne et de Saint-Pétersbourg. Des le mois de
mars 1791, ces deux cours ·se montrerent ré-
soIues a mettre un terme a la guerre d'Orient
par des stipulations modérées. L'assurance for-
melle en fut donnée an cabinet de Berlin.


Déja l'empereur, ponr premier gage d'inter-
vention, ayait écrit officieIlement an roi de
France I a l'effe~ de luí demander le rapport de


• Le r~ décembre I790.




toutes les lois relatives ~ux princes possessionnés
et qui seraient contraires aux traités existans.
Maitrisé par la faetion dominante, Louis XVI
avait répondu que l'afTaire était étrangere a
l'Empil'e; qu'elle ne concernait les princes pos-
sessionnés qu'en leur qualité de vassaux de la
France, et qu'nu surplus on leur avait offert
des indemnités. L'empereur communiqua eette
réponse a la diete, qui l'invita immédiatement
a prendre les mesUl'CS nécessaires pour le main-
tien des droits des prinees et États dé l'Empire.
En meme temps iI fut déclal'é qu'on leur devait
toute p¡'otection et assistance; et OH réclama
l'intervention des puissances garantes du traité
de Westphalie.


L'empereUl' reprenant sa correspondan ce d1-
recte avec le roí de Prusse, lui exposa franehe-
ment ses démm'ches a l'cffct de poser les bases
d'une coalition ponr la délivrance de Louis XVI;
iI s'attacha particuliereinent a mettre Frédéric-
Guillaume en garde contre le systeme de désac-
corel et d'inimitié que semblait perpétuer un
mipistre pleiIl de haines et de passions arden tes ,
derrÍere lesquclles se retranchait une trop com-
plaisante indulgcnce pour les nouvelles doc-
trines. Le roi, f('appé de ce rapprochement et
tonché de tant de confiance, en revint a ses
penchans de Reichembach. Dne assez grande




110 ~flbIOIRES
conformité de maniere de voir s'établit entre les
deux monarques an sujet de la révolntion fran-
t;aise, et la noble sollicitude de Frédéric-Guil-
laume sur la destinée de Louis etcle la reine
Marie-Antoinette se montra bientot dans tout
son jour.


Léopold voyageait alOt"s en Italie. Le roi vou-
lant le porter clécidément a s'armer en faveur de
Louis XVI, lui dépecha le général major Bis-
choffswerder, chal'gé plus particulierement de
ses missions politiques de confiance. Il avait pou\"
instruction d'amener l'empereur a un traité de
concert ou seraient stipulés des arrangemens
évenhlels sur les affaires de France et clePologne
apres l'entiere cessation de la guerre d'Orient :
il falIait se hater d'y mettre un terme si on vou-
lait s'occnper exclusivement de rameHer l'ordre
clans les deux pays agités par des révolutions. Le
roi établit lui-meme les bases de la négociation,
qni se rapportait a une mission analogue de lord
Elgin, et dont le roi d'Angleterre venait de lui
donner connaissance. George III, vivement émn
aussi de la situation de Louis XVI, ávait chargé
particulierement lord EIgin de presser l'empe-
reur d'intervenir en faveur de la famille royale
de France, promettant, comme électeur d'Ha-
novre et prince d'Empil'e, de prendre part a
toutes les mesures qui seraient jugées néces-




n'rTN HO~nIE n'ÉTAT. 1 Il
saires. Les deux envoyés joignirent Léopold en
ltalie, et en re¡;:urent un accueil tres-favorable.
Toutefois Léopolcl ne dissimula point au général
major Bischoffswercler qu'on ne pouvait espérer
d'étabIir une alliance intime et un concert saIu-
taire entre les cabinets de Vienne et de Berlin
tant que le ministre I1ertzberg participerait aux
affaires de Prusse, qu'il avait dirigées dans un
sens opposé aux intentions et a la volonté ma-
uifestée par le roi son maltre; il ajouta que la
Prusse, dan s les circonstances extraordinaÍl'es
ou se trouvait l'Europe, ne pouvait y remédier
qu'en changeant son systt~me politique de ma-
niere a former de l' Allemagne une masse com-
pacte et unie; qu'il s'agissait d'une ere toute
nouvelle qui réclamait un systeme nonveau, et
que les hommes d'État qui, soit par préven-
tion, soit par tont autre travers, répugnaient
a y adhérer, devaient se retirer tout-a·fait des
affaires. Cette insinuation entrait précisément
dans les idées de l'envoyé prussien , connu POut°
etre l'un des principaux auversaires d'Hertzberg.
11 engagea en conséquence l'empereur a s'en ex-
pliquer, sans ménagemens comme sans détour,
dans sa correspondance directe, luí donnant
nlt~me l'assurance que cette fois Hertzberg serait
définitivement écarté du cabinet.


En effet, depuis le mois d'avril, le comte




112 l\IÉl\fOIRES


d' Alvensleben, SUr qui Frédéric II avait répandu
ses faveurs diploma tiques , et le comte de Schu-
lembourg-Kehnert, président du collége de
guerre et ministre du cabinet, étaient adjoints
a Hertzberg, qui ne conservait plus qu'une an-
tarité secondaire. Il continuait néanmoins a
prendre une part nominale aux affaire s , et a
signer, conjointement avec ses collegues, les
pieces émanées de la chancellerie d' état. lVIais,
navré d'etre ainsi l'objet de la défiance du roi,
et d'aiUenrs tres-mécontent de la direetion du
nouveau systeme, il comprit qu'on désirait sa
démission, et ne tarda pas a se retirer dan s ses
terres en Poméranie. Aucun de ses deux succes-
seurs n'était capable de tenir, d'une main ferme,
le sceptre de la politiqueo Le comte de Schulem-
bourg parvint seulement a jouir d'un peu plus
d'influence que son collegue.


La négociation avec l' Autriche prit un carac-
tere plus prononcé, Bischof[swerder et lord
Elgin ayant eu plusieurs conférences avec l'em-
pereur.


A ces deux envoyés vint se joindre le comte
d'Artois, le plus jeune des freres de Louis XVI,
qui, -par son initiative a une opposition ou-
verte dirigée contre la révolution, avait fixé
sur ses démarches l'attention de l'Europe. Ce
prince et les princes de la maison de Con dé ,




n'UN lIOlIBIE D'ÉTAT. 1.3
par leUl' pl'ompte émigration, s'étaÍent mis des
premiers a l'abri des exces populaires, et don-
nant a la noblesse fran~aise la meme impulsion,
l'entrainaient au dehors. Le comte d'Artois était
impatient de présenter a l'empereur Léopold ses
vives doléances contre les outrages auxquels le
roi son frere était en butte au milieu de sa ca-
pitale; iI venait en ltalie pOUl' s'étayer de la mis-
sion analogue donnée aux deux envoyés de
Prusse et d'Angleterre.


Le moment était opportun. Voici en uerniel'
lien ce qni s'était passé dans Paris á l'ombre des
intrigues secretes dOllt le roí et la reine étaient
le centre et l'objet. Le plan que Mirabeau gagné
. par la cour avait tracé ponr sauver la monarchie
s' étantévanoui par lamort inopinée decethomme
célebre, mais pen estimable quoique d'un rare
talent, le roí et la reine éperdus, sans appui réel
dans l'il1tórieur, chargerent le ministre Mont-
morin de presscr la coalition des puissances
clans le hut el'une pnre intervention concilia-
toire. Montmorin s'en était ouvcrt an comte de
Mercy-Argcnteau, ambassadeUl' d' Autrich~, qui,
pour mieux couvrir ses l'clations diplomatiques,
aUan t tantot a Rmxelles, tan tot á La Haye, in-
formait le ministre de Louis XVI des progre s
de]a négociation.


Mais les lcutcurs de la diploma tic , et plus en-
J. 8




l'IIÚWIRES


eore les tergiversations du monarque, laissant
un champ libre aux offenses dirigées contre la
majesté royale, le roi el la reine s'oecuperent
d'un plan d'évasion : iI y en avait plusieurs sur
le tapis. Survint un outrage nonveau qui sembla
fixer les irrésolutions du roi dont iI alarma la
eonscience. On touchait an temps Pascal, et le
roi, voulant se dérober dans ses exercices de
piété au ministere des prctres constitutionnels,
projela de se rendl'e a Sarnt-Cloua pour s'y livrer
phis libremcnt aux pretres insermentés exposés
a l'auimadversion du peuple. A ce motiE se joi-
gnaut la possibilité d'nne évasion, le peuple et la
garde urbaine s'attrouperent clans la conr meme
du palais, et arretant la voiture royale, la force-
rent de rétrograder malgré les efforts de M. de
L[\fayette, commandant de la ganle nationale.
Des lors le roi et la reine se regarderent comme
absolllment confinés dans l'enceinte des Tuile-
rie5, ou lenrs propres serviteurs étaient autant
d'argns épiant lems démat'ches.


TOllt porte a croire que les projets secrets du
rpi et f,es relations an dehors étaient éventés. On
eut quelqu'indice de la lettre qn'il avait adressée
aux souverains; ilpal'aitmeme que les chefs de la
révolntion en cünnnrent l'existence par les affi-
nitésqu'ils s'étaient ménagécs an-dela dll Rhin.
De ce moment lenr défiance les porte a circonve-




II5
ni!' le roi, et ils en viennent á exiger de lui qu'il
autmise l'expédition de la circulaire du 23 avril
adressée a tous les ambassadeurs et ministres de
Franee dans les différentes cours de l'Europe.
La,.par l'ol'gane de ce meme ministre Montmo-
rin, le roi, faisant l'éloge le plus pom peux de la
constitution qni le détronait, se déclarait et se
proclamait parfaitement libre. Ses ennemis espé-
raient le mettre ainsi en contradiction avec lui-
memc, soit dans le desscin de l'aviliv, soit pour
le décrier vis-a-vis des puissances étrangeres.


Mais le roi envoya aussitot des agens secrets
a BruxelÍes et á Cologne avec des dépeches
propres a etre communiquées d'une part au


"!II ...... IIt· de I?¡,lt!th: et de l'autre a l'archiduchesse
Marie-Chrlst e, gouvernante des Pays-l:3as l. Il Y
proteMait contre toute acceptation et sanction
qu'il se velTait contraint de danner allX décl'ets,
de l'assemblée l1ationa1e et aux actes émanés de
scspropres ministres, déclarant que tOlltes les
démarches qu'il faisaitou qu'on le forceraitacon-
sentir en favel11' de la COllstitution devaient etre
interprétécs dalls un sen s apposé, et que plus iI
témoignerait cl'y accédcr plus iI désirerait se voir
promptement affranchi de la situation f~rcée et
de la captivité réelle 01t le tenait la faetion qui
s'était cmparée de ton s les pom:oirs de l'État.


, Sreur de. LC0l'0ld et de Made·Antoineue.




116 JUÚMOIRES
Décidés a rompre leurs fers, le roi et la reine


songerent aussi el se rapprocher non-seulement
du comte d'Artois, qui était a la tete de l'émigra-
tion, mais enco~e de l'ancien ministre Calonne,
qui en était le régulateur, et qui jouissait de toute
la confiance du prinee. Il fallait aux angustes cap-
tifs un intermédiaire súr : ils choisirent le comte
Alphonse de Durfort. Ses instrllctions portaient I
de' déclarer au comtc d' Artois que le roi son
frere ne ponvait plus comptcr sur ses ministres;
qu'il était prísonnier de M. de Lafilyette, lequel "
marchait a la républiqlle sourdement et avec
hypocrisie; que le roi et la reine ayant le phls
granel désir d'effectuer leur évasion du coté de
Valenciennes ou de Metz, mettaient l'lln et l'ant• ¡r
lenr entiere eonfiance clans les in~ns et le
úle du eomte d' Ártois. En mitre il était ehargé
de désavouer la le tti'e adressée aux ambassadeurs.
Le eomte de Durfort partít vers la fin d'avril, et
traversant les Alpes se dirigea sur Vicenee, ou
venait d'arl'Íver le eomte d'Artois. Le prinee y
attendait l'entrevue qu'il avait fait deman~r a
l'empereur Léopold alors a Florenee avee la
reine de Naples sa s<eur.


Instruít par le eomte de Durfort de l'objet de
• L'autelll' est ici ,l'accord avec les révélations de Bel'trand de l\tIo-


I"ville, qui, d'apres le manll.c!'it que luí com'muniqna le comle Al-
phonse de Dudon, fait connaitl'e, dans ses Mémoires, et en délail ,
les instruclions dont iI s'agit.




sa IllISSIOll, ct excité par l'in téret de famille ,
le comte d'Artois se montm profondément af-
fecté des malheurs du roi et de la reine, ainsi
que du retoUl' de confiance qu'ils lui faisaient
témoigner. Il n'en fut que plus impatient de voir
l'empere~lr, et plus fondé dans °l'espérance de
l'émouvoir. Léopold, informé déja par M. de Ca-
lonne des vues et des désirs du prince, avait
fixé a Mantoue, pOUl' le 20 mai, l'entrevue qu'il
aurait avec lui. Ce fllt pendant son vOy3ge qll'il
donna S3 premiere déclaration, datée de Pavie
le 18 mui, par laquelle il annont;ait l'intention
d'agÍl' de concert avec d'autres puissances contre
le~ desseins manifestés par la politique franc;aise.
Tel fut le résultat de ses premiel'es conférences
avec les deux envoyés d'Angleterre et de Prnsse,
et la se trouve le germe de la premiere coalition
si lente a se former.


A son arrivée a Mantoue, le comte d'Artois
apprit de la bouche meme de Léopold que, d'ac-
cord ave e le roi de Prusse, il songeait a venir an
secours du roí et de la reine de France , et qu'il
était ~ssuré du concoUl's desCercles de l'Empire,
de l'Espagne, de ]a Sardaigne et meme de la
Suisse. I..:empereUl' engagea ]e Pl'ince a lui com-
muniquer ses idées sur un objet si important.


Le comte d'Artois soumit le lendemain a l'em-
pereur le plan que des ¡némoires contemporains




lIS :mbromEs
ont divulgué. Il fut réellement tracé par rancien
ministre Calonne, qtti s'étant mis aLL fait (le la
pensée de l'empereur proposait de mettre en
mouvement trente-cinq mille Impériaux vers la
Flandre, quinze mille hommes des troupes des
Cercles vers l' Alsace, quinze mille Suisses du
coté de Lyon, autant de Sardes ver s Grenoble,
et enfin vingt mille Espagnols sur la frontiere
du Roussillon. Calonne et le frcre de Louis XVI
étaient pers~aelés que cent mille hommes ré-
unis aux royalistes rétabliraicnt la monarchie.
Il est tres-vrai que l'empereur corl'igea de sa
main quelques- parties de ce plan, et fixa au
mois de juillet la marche des troupes. Mais
tout mouvement ultérieur, toute opération hos-
tile devaient etre réglés par un con gres dont
Ja tenue entrait clans les vnes ele Léopold. Une
pl'otestation de la maison de Dourboll, sigllée du
roi d'Espagne, du roi de Naples, de J'infant de
Parme et des princes du sang, libres hors du
royaume, aurait précédé le manifeste des puis-
sanees qui devait paraitre au moment ou les
troupes arriveraient sur la ligne d'observation.


Ainsi dans les idées de Léopold 11 ne s'agissait
point , comme dans le plan de M. de Calonne,
d'U!le invasioll .immédiate, sans négociations
préalables. Léopold cntendait se Dornel' d'abord
a une démonstration menac;an te faite par Hne ar-




1 i9
mée européennc, qui an bcsoin cút franchi la
frontiere. V üUa ce que les historiens de l' époque
n'ont su ni préciser ni éclaircir. On a done en
tort de regarder le projet de Mantouc comme
équivalant a un plan tout-a-fait arreté : c:e n'é-
tait qll'un projet susceptible de· modification.
Lorsque le comte Alphonse de Durfort I)I'it
congé de l'empereur, ce prince s'exprima ainsi:
c( Vous direz á mon frere et a ma sceur que
) nous allons nous mclcr de leurs affaires, et
» que ce ne sera pas par des paroles, mais par
» des effets. ))


Éclaircissons maintenant un événement d'au-
tant plus grave qu'il désorganisa tous les plans
de l'empereur : ll(~US voulons parler de la fuite
de Louis XVI. Depuis le mois de décembre elle
était a peupl'cs résolue d'apl'es le conseil du ha-
ron de BreLeuil, qui au dehol's tl'aitait avec les
cabincts au nom du roi. La direction militaire
d'une tentative si décisive était confiée au
marquis de Bouillé, qui pourtant n'en avait pas
caché les difficnltés ni dissimulé le dallger. Les
opinions royalistes tres-prononcées de cet offi-
cier général, et l'importance de son comman-
dcment, qui s' étendait a l\Ietz et en LOl'raine,
avaicnt fixé le choix de Lonis XVI. Pour dé-
terminer le marquis de Bouillé a favoriser son
évasion, ce prince lui donna l'assurance que l'em-




::IIlbIOIRES


pereur et les autres souver:lins exigcaient sa
sortic de Paris, et son enliere liberté avant de
faire ancune disposition pour son rétablissement.
JI est probable que le roi fonda son opinion a
cet égard sur les ~ssertions du haron de Rre-
teuil. Quoi qu'il en soit, tamlis que Louis XVI et
le rparquis de Rouillé comhinaient lellr5 prépa-
ratifs, la connaissance du plan de retraite sur
Mefz ou sur Montmédy parvenait a prcsque
toutes les cours. Léopolll donna l'ordrc án gou-
vernement des Pays-nas de mettre a la disposi-
tion du roí de France non-seülement les troupes
qu'il demanderait, mais encore l'argent c¡ni était
dans les caisses impériales.


D'un autre coté le roí de Snede qnittant ses
États vint se rappl'Ocher de la France, SOllS pré-
texte de pl'endrc les CallX, mais en réalité pomo
joindre Louis XVI dans sa retraite projetée. L'im-
pératriee de Russie l'y avait engagé elle-meme.
Elle lui représenta qll'ayant l'expérience des ré-
volutions et terminé si heureusement eeHe qu'il
avait eu a combattre dans son propre royaume ,
iI pourrait nOJl-seulement aider le roí dans les
eireonstances extraordinaires ou il se trouvaÍt ,
mais p.ucore lui indiqne!" les moyens de garantir
la monarchie de sa destruction totale. Gustave
avait eédé avec empressement aux instances
de la czarine, et iI attendaít avee anxiété aux




, " D eN uo~nn: D t:TAT. 121


bains d'Aix-Ja-Chapclle l'événcmcnt de l'évasion
de Louls XVI.


Mais dan s l'intervalle et immédiatemellt apres
l'entrevue. de Thlantolle, Léopold avait changé
de maniere de voir a ce sujet ; OH lui avait meme
entendu dire qu'il ne fallait plus songer a une
tentative Otl il était si difficile de réussir, et si
dangereux d'échouer. C'était le sentiment dll
comte d'Artois et de M. tie Cfllonne, et l'empe-
rcUl' y avait complétement adhéré. Qní clécida
Louis XVI a fuir malgl'é des autorités d'un si
grand poicls? On en a acclIsé le premier moteur
du projet, le baron de Breteuil, que dominaient
des vues d'ambition. Contrarié par les confé-
rencés de Mantoue, par l'influence que semblait
acquérir le comte d'Artois, et surtont redontant
de voir M. de Calonne, dont il érait l'ennemi per-
sonnel, ú la tete des affaires, cet ancien ministre
Lrusqua, dit-on, le départ de Lou!s XVI, en al-
léguant que tel était l'avis de l'empereur.


Et c'était au moment meme oú l'empereur
était convainCll que la sauve-garde la plus surc
pour la famille royal e résiderait dan s les dé-
monstrations des années de I'Europe et dans des
man ¡festes menac;ans. C' est ainsi du moins qu'il
s'en expliqua dans sa correspondan ce directe
avec le monarque prussien , pendant l'intervaHe
assez court qui sé para la conférence de lUan-




122 MÉl\IOIRES


toue du fatal événemcnt de l'arrestation de
Louis XVI a Varennes. Quelle fiJt accablante


, .


pOUI' tous les souverains ceUe triste annonce
qui suivit de si pres ]a grande et fallacieuse non-
velle de l'évasion ! Les cabinets qui en peserent
les conséquences en ressentirent un effroi d'au-
tant plus profond que des ]ors ils ne virent plus
d'issue, pour ainsi dirc, á une révolution dont les
doctrines cOll1ll1ell(;aient a ébranler le monde.
Aucnn souverain ne flltl)lus frappé que Fréderic-
Guillaume du surcl'Oit d'infortune (lui rivait les
fers de Louis XVI. Les plus noirs pressentimens
assiégerent le monarque prussien , et le timent
pendant plusieurs jours dans un mol'ne abatte-
mento P0l!r tromper sa douleur, le 1'01 attendait
avec une extreme impatience l'impulsion que
clans cette crise solennelle l'empel'cUl' clonnerait
aux différens cabinets.


Les propres sentimens de l'empereur et I'ex-
pl'ession de sa politique scmanifesterent dans
sa circUlaire du 6 juillet, datée de Padoue. Ul
il invitait les autres souverains á se concertel'
avec lui pour décIarel' a la France :


« Qu'ils regardent tous la cause du roi tl'es-
» chrétien comme la leur propl'e;


)) Qu'ils demandent que ce pl'incc et sa fall1ille
)) soient mis sur-le-champ en liberté entiere, en
)) leul' accordant de pouvoir se porter partout




, " [) c'V n011ME n ET,\.T.


» oú le ¡,oi tres-chrétiE'll le cl'oira convcllable,
) el réc1amant ¡JoU!' toutes ces personnes royales
) l'inviolaLilité et le respect auxquels le droit
») de nature et des gens obligent les sujets en-
) vers leurs princes;


» Qu'ils se réuniraient pOU!' venger, avec le
» plus granel éclat, tous les attentats ultérieurs
») quelconqtles qui seraient commis ou qu'on se
)) permettl'ait de commettre contre la liberté,
)) l'honneur et la sureté du roí, de la reine et
» de la f~lmille royal e ;


) Qu'ellfin ils ne reconnaltront comme lois
) constitutionnelles légitimement établies en
» France, que celles qui seront munies du con-
) sentement volontaire du roi, jouissant d:une
» liberté parfaite; mais qu'au contraire ils em-
) ploieront de concert tous les moyens qui sont
) en lenr puissance pOlIr faire ces ser le scandale
» d'une usurpation de pouvoir qui porterait le
» caracterc d'une révolte ouverte, et dont il im-
) porterait á tous les gouvernemens de réprimer
) le funeste exemple. )


Tels furent les termes de la déclaration que
l'empereur proposa aux principaux souverains
pour etre notifiée a la France, et servir de base
a un concert général. Sur cette pieée, mal com-
prise OH mal connue alors, et sur ce qui avait
transpiré de la déc1aration de Pavie et de 1'en-




lIIÉ"'IOIRES


trcvue oe Mantoue a été forgée ]a fable d'un
traité de concert signé dans cette premicl'e ville,
traité qui n'a jamais existé, mais que certains
pub]icistes ont représenté néanmoins comme ]a
pierre angulaire de la premiere coalition. Les
deux déc1arations impériales en étaient, san s
contredit, l'acheminement. Déja presque toutes
les puissances s'étaient empressées de signifter
anx ambassadeurs et envoyés de France l'ordre
de ne plus paraitre a leur cour. J\lais les com-
billaisons et les mesures politiques de Léopold
furent successivement paralysées par la politique
des hommes qui dirigeaient la révolution, et
enftn par l'irrésolution du cahinet de Vienne et
des mItres cabinets.


Au contraire, les chefs de la révolution, remis,
apres l'événement de Varennes, de leurs pJ;"emiers
embarras, suspendirent le ro.i de ses fonctions ,
ne considérant plus sa persollne, retombée en
]eur pouvoir, que eomme un gage de leur pro-
pre sureté et de l'achevement de leurs travaux.
J~cs dispositiollS des cabillets leur étant con-
nues, ils firent rendre a l'assemblée nationale
plnsieurs décrets onlonnant des levées des ti-
nées a grossir l'armée de ligne, et la mise en ac-
tivité de toute.Ia garde nationale du royanme;
en un mot, iIs se préparerent a la guerreo Hors
d'état de la soutenir immédiatement, ils réso-




, ,.
D UN IIO:VIilIE D ETAT.


lurent de l'éviter a tout prix, ou do moins de la
renvoyer a un temps plus opportun. L'attitude
que prit dans Paris une faction menac;ante ap-
pelait d'ailleurs toute l'attention dn parti consti-
tutionnel.


Il lui fallut réprimer la faction jacobine ou
républicaine qui provoqllait par des attl'oupe-
mens et par des pamphlets incendiaires la dé-
chéance dn roi et sa mise en jugement. On eut
recours a la force année et a la loi martiale : les
rassemblemens des jacobins furent dispersés
momentanémellt, et leurs manccuvres déjouées.
Alors le parti dominant songea aux ressorts de la
diplomatie, el il put les faire mouvoir a son gré •


. Cependant le génél'al major Bischoffswerder,
muni d'instructions pressantes, était venu COIl-
fél'er a Vienne ayec le prince de Kaunitz, et le
25 juillet, dix-neuf jours apres que l'empereur
eut donné sa déclal'ation de Padoue, les deux
négociateurs signel'ent le traité prélimillaire
d'alliance convenu entre les denx souyerains.
Par ce tmité, non officiellement publié, on sti-
pula que les deux cours s'entendraient et s'em-
ploieraient pour efIectuer incessamment le con-
eert auquel sa majesté impériale venait d'inviter
les principales puissances de l'Europe S\ll' les
affaires de France; qu'elles conclueraient une
alliance défensive des que la paix aurait été ré-




126
tablie entre l'empÍl'e OUoman et l'empire Russe;
que cette derniere puissance ainsi que la Grande-
Bretagne, les États-Généraux et l'électeur de
Saxe, seraient invités a y accéder; qu'en mItre
les alliés se concerteraient sur les mesures a
prendre a fégard de la France.


eette convention purement éventuelle avait
pour principal objet de montrer á la Russie que
les cours de Vienne et de Berlin ne s'occuperaient
d'opposer une digue au torrent de la révolution
franc;aise, ainsi que le demandait la czarine, que
lorsqu'elle-meme se serait désistée de ses projets
sur la Turquie. L'empereur lui donna l'exemple:
il pressa les conférences du con gres de Sistow, et
la paix définitive fut conclue le 4 aoúe entre la
Porte et l'Autriche.


LeprincedeKaunitz etleplénipotentiail'e pl'llS-
sien avant d'apposer lcurs slgllatures an traité
préliminaire s'étaient occupés sériellsement de
la 5ituation de la Pologne , qui depuis Villgt mois
partageait avec la France l'attention de l'Europe.
Au:k embarras que suscitait la révolution fran-
~aiseétaientvenues se joindre les appréhensions
que falsaient Jlaitre l' effervescence patriotique
de la Pologne et l'établisseme~t tont récent de
sa nouvelle cOllstitution.


Avant le partage, la natíon polonaísc Be con-




n'UN II01\llIIE n'ÉTAT. 127
sistait que dans un eorps social ele huit a
Ileuf cent mille nobles formant une aristocratie
pureo Cette colme privilégiée n'avait pas meme
un p~uple a gouverner, mais huit a elix millions
de serEs attachés a la glebe et répandus sur un
sí vaste territoirc que sons un autre régime il
aurait pu nourrir trente míllions el'hommes
libres. La les charges héréditaires, les pala-
tinats, les castellanies, les starosties, mcttaient
entre les nobles eux-memes une inégalité im-
mense; la chaque élection de 1'ois rouvrait la
grande plaie nationale de vénalité et de corrup-
tíon; la les dietes orageuses et surtout le libe-
rum veto aehevaient de précipiter la république
dans l'anarchie et le désordre. Ce fut préci~é­
ment cette maladie politique réputée incurable
qui amena le premier partage. A compter de
ce He époque, l'Autriche et la Prusse avalent
abandonné la Pologne a l'influence du cabinet
deSaint-Pétersbourg, c'est-a-dire de CatherineII.
Seize ans r s' étaient écoulés á peine qtlanel la diete
de Pologne, animée d'.un esprit d'émancipation
et fatiguée du joug des Russes, se considéra
comme un véritable corps eonstituant, et mon-
t1'a la ferme intention de changcr le régime in-
térieur de rÉtat. Affranchir le pays de la domi-
nation russe était son but secreto




128 lH:É:UOIftES
Dans cet état de choscs, Frédéric-Guillanme


offrit aux Polonais son alliance, et ce fut de bonne
foí; la raison d'État le luí commandait. Il s'a-
gissait alors de balancer l'énorme influence des
deux cours impéríales dont les projets d'agran-
dissement compromettaient l'indépendance de
l'Europe. Le ministre de Prusse a Varsovie, le
marquis de Lucchesini, re<;ut la mission d'ai-
guillonner le res~entiment des Polonais. C' était
UIl eourtisan adroit, spirituel, d'une instruction
classiqlle, adrnis jadis dans l'intimité de Frédé-
rie II eommc Iittérateur et convi \'c aimable. A
la mort de Frédéric, Ilertzberg ne vit aUClln
incm1Vénient a lui ollvrir la carriere diplo-
matique. De Varsovie on l'uvuit meme appelé
aux eonférences de Reichembach. Dans sa mis-
sion de Polog11e, tout en déplorant les mal-
heurs de cette républiqlle, il uvait exalté la
probité génél'cllse de son maltre, qui,. disait-
iI, voulait garantir l'Emope de l'ambition des
barbares du Nord. Au nom de son gouverne-
ment iI pOUSS3 les Polonais a se donner une
constitution libre; iI offrit meme une allianee
défensivc, insilluant seulement que le roi de
Prusse désirait la souveraineté de Thorn et de
Dantzick avee unc portion de tel'ritoire, mais
a la eondition el'unc compensation convenahle
pOllr la Pologne. L'alliunce fut décrétée, mais




J)'CN ITOl\IM1; D':ÉTAT.


la dicte dcclinant la ccssion de Dantúck et de
Thorn refl'Oidit le cabinct pmssien.


Ccpendant la constitution du 3 mai 1 vellait
d'etre proclaméc par le partí patriotiqne, et ce
parti avait crn mC'ttre un terme ~nix incerlitudes
anarchiques de la Pologue en rendant le tn'mc
héréditaire, et ('H choi~issant l'infante de Saxe
pOUl' commnncer, ;\ la mort de Stanislas-Au-
guste, la nonvellc dynastie. C'était s'aliéner les
forts et ne s'appnyer quc sur les faibles. Soil:
sagesse, soit timidité, l'élccteur de Saxe n'ac-
cepta ni ne refusa cette succcssion éventuelle
qui présentait a sa famille encme plus de danger
que d'éclat. Mais si d'un antre coté on comparait
]a nouvelle constitution proclamé e á Varsovie a
la constitntion informe dont 011 essayait l'élxmche
en France, on pOllvait la considérer comme l' reu-
ne d'une liberté raisonnable. Frédéric·GuiUaume
l'approuva d'ahorcl; mais la Russie manifesta Oll-
vcrtement sa désapprobation.


En signant le traité préliminaire les deux né-
gociateurs, le prince de Kaunitz el le baron Bis-
choffswcrder convinrent, aux termes de lcurs
instructions, d'attacher á ce meme traité trois ar-
tides secrets conccl'l1anl la Pologne, prévoyant:
que bientot on en viendrait a échanger d(~s notes
sur la grave qucstion de la situation iutérieure de


1.




....


L10 :mblOmES


ce pays. Par le premier article les deux cours de
Berlín et de Vienne reconnaissaient éventuelle-
ment l'indópenclance et la nOllvelle constitution
de la Pologne; par le second elles s'engageaiellt
á s'entendre á l'amiable sur l'établissement de
l'infante de Saxe, en dédal'ant tontefois qu'elle
ne pourl'ait éponser aucun prlnce d' Autriche Oll
de Prnsse; enfin, par le tl'oisieme artic1c, Fré-
déric-Guillaume et Léupohl s' ubligeaient réci-
proquement a employer leurs bons offices pour
faire accéder a ce plan l'impératrice de Russie.
Les deux souverains étaient fondés a croire que
la connaissance de ces stipulations secretes por-
terait enfin la czarine a terminer la guerre d'O-
rient ponr ne plus s'occupe-r que de l'efferves-
ceuce de la Pologne, ce qui lcm' permettrait de
dispusel' de la plus grande part:ü~ de lenrs forces,
et de les tourner an beso in contre la révolution
franc;:aise. Il était évident querien ne pouvait etre
définitivement réglé sur la Pologne avant que les
tleux cours nc se fnssent entendues avec Cathe-
rine. On yerra bienlot aquel point ectte sonve-
raine alticre prit a creur de répril1ler l'émancipa.
tian patrio tique des Palonais.


Nous avons a retl'acer auparavant les circon-
stances de la fai11euse entrevne de Pilnitz, qui
sui\it de pres 1a:\sigl1ature ehl traitó prc'límínairc.
Vempereur et le roi de Prnsse, frappés des inci-




, "
D UN HOJ\UIE D J'TAT.


uens graves qui agitaíent rEnrore etvoulant
régler des intérets tJ'es-importans , résolurent de
s'aboucher en Saxe, et fixerent au 25 aout l'é-
poque de lenr entrcvue.


A cette nouvelle le parti constitutionneI de
France 1 redoubla cl'activité dans. ses intrigues
ponl' tout calmer au deuans et au dehors, el
conjurer ainsi la tempete qui ;e formait en AI-
lemagne. Il comment;;a par s'assurer de l'assen-
timent dú roi et de la reine en lenr offrant de
les l'établir sur un trone démantclé d'ou iIs s'é-
taiel1t crus a la veille de descendre. Mais iI fallait
en meme temps désarmer I'empereul' par des
négociations captieuses, et par des concessions
apparentes. On n'ignorait pas 1 París que ce
prince, bien qn'il fút rame de la coalition qui se
formait, désirait évitel' la guerre; on savait
aussi que ceux de ses ministres et de ses gé.t;lé-
raux qll'il consultait le plus volontiers seraient
portés aisément a le fortífiel' dans le maintien
de son systeme pacifique. Des directions confi-


1 Ce parti l'ccoIlníliss~it alors pOU1' rnellEurs OU pour chefs Barnave,
Adrien Duport, lIcanharnais, Lafaycttc, Alexandre et Charles LtI-
rneth, Talleyrand-Périgonl , Larochefoucalllt, IleauIl1etz, Chapelier,
Thouret, DfsmellIl ier, d' André , ctc. Les principaux fenillans, roya-
li'ites luiligés et pal,tisans des deux chnmbres, voulant aussi sauver le
I'oi et la famille royale, secondórent les constltntionnels en leur assu-
ran! la majorité dans l'asscmhlée et un appui dans l'opinion pnblicJll'"
dont les jacobino ne tliS!'OSaieut point encore a leul' gré.




MÉJ\fOIRES


dentielles furent adressées en conséquence an
marquis de Noailles r, ambassadeur de France
a la conr de Vienne; iI en re<{ut dn ministre
Montmorin et des dépntés inflnans qui dispo-
saient des principaux comités de l'assemblée.
Le marquis de N ouilles était tres-dévoué au partí
constitutionnel et a M. de Lafayette en particll-
lier. Quoique l'empereur en apprenant l'arres-
tation et la sllspension de LOllis XVI eút fait in-
timer a 1'ambassadcllr la défellse de paraitre a
sa cour, ce dernier n'en eut pas moinsdes en-
tretiens secrets avec leprince de Kaunitz, le
baron de Spielmann et d'autres personnages qui
n'étaient pas san s crédit sur les résolutions de
l'Autriche. Dans les premiers jours d'aout il fit
remettre une note confidentielle al' empereur, OU
ii exposait que les hommes les plus sages et les
plus éclairés de l'assemblée nationalc voulant
parer a la destruction de la monarchie étaient
déja parvcnus a soustraire le roi de France a la
furenr des jacobins en rejetant sur le marquis
de Bouillé sa tentative d'évasion; qne la faction
d'Orléans qui agissait sur les plus forcenés jaco-
hins n'avait pu réussir a faire approuver la dé-
chéance un roi par l'assemblée, ni a le faire ju-


, Fils du marcellal de. ~oailles, et cousiu-germain du "icomte de
N oailles, membre de l'assemblée conslituanle, élai! am],assalleul' a la
COUl' de Vienne clepuis le mois d'octoble I7 86.




, ~ ,
D UN H02\'f1\U: D ETAT. 133


gel'; mais que le parti constitutionnel au con-
traire, qui était celui de l'universalité de la nation
ayant reconnu l'inviolabilíté du roí, ne désirait
gll'un accommodementet ne cherchait qu'une oc~
casion ponr transiger avec Louis XVI, afin de
parvenir a un ordre de choses et a un gouverne-
ment raisonnable; que ce n'était qu'avec des
moyens doux et conciliatoires ql1'on parvien-
drait a sauver le roi et a parer a la chute totaJe
de la monarchie; que l'effet que produirait en ce
moment une tentative étrangere sur le royaume
ou l'accord unanime des constitutionnels venait
de se manifester, serait d'aigrir le peuple contra
le roi, et de donner plus de force que jamais aux
jacobins; qu'en un mot la sagesse de l'empereur
était seule capable de calmer les passions et
d'assurer le maintien de la paix. Ces considéra-
tions, appuyées de faits positifs, étaient de naturc
a faire impression sur l'esprit de Léopold; les
désirs qu'on lui manifesta de la part du roi et de
la reine, désirs exprimés sous l'influence du
meme parti, acheverent de la disposer a rejeter
les moyens violens.


Quant au roi de Prusse, les constitutionnels
n'ignoraient pas que s'il pcnchait volontiers pom'
les voies énergiques et promptes, d'un nutre
coté iI n'agirait en définitive que par l'impulsíon
de l'empereur. Si Hertzberg leur manquait dans




134 "'IEMOIRES
le cabinet de Berlín, si son pouvoir se tl'ouvait
partagé entre deux autres ministres plus sOllmis
aux vues du monarque, tels qu~ Schulembourg
et Alvensleben, on savait néanmoins que l'un et
l'autre étaient attachés en secret a la politique
de leur prédécesseur. 01' le ministere prussien,
les généraux et les hommes d'lhat les plus en
crédit restaient au fond dans les memes dispo-
sitions a l' égard de la France. Aussi, dans leurs
comités, les constitutionnels se proposaient-ils
de tirer parti de ces dispositions morales quand
iI en serait temps. Ce n'était pas dan~ la ferveul'
d'un systeme nouveau qu'on pouvait espérer de
le battre en ruine. Mais qui pouvait répondre,
dans un avenir ineertain, de la constan ce de
Frédéric-Guillaume? A vait-il, commeFréc1éric n,
eeHe rectitude de vues, cette force de caractere
qui domine les conseils et donne la liberté d'agir
d'apres son propre jugement? Voila les écueils
ou pouvaient venir échouer le nouvean systeme
politique de la Prusse el l'élan chevaleresque de
son roi, dont on se préparail a épier les erreurs
et a mettre a proíit les faiblesses.


Cepenc1ant rien de plus loyal, de plus désin-
téressé que les sentimens dont le roi de Prusse
était personnellement animé dans l'intéret de la
monarehie franc;aise et du reros de l'Europe. Sa
pensée dominante se portait vers]a délivrance de




D'reN H01\IIUE n'ÉTAT.


Lonis XVI, snspendu de ses fonctions royales et
gardé a vue dcpuis sa tcntative d'évasion. Plus
heul'eux dans une meme tentative, MONSIEUR,
fn::n du roi, était parvenu jusqu'a la fl'Ontiere. A
Bruxelles, le comte d'Artois l'avait joint: les del1x
princes y avaient re¡;;u le plus cordial accueil de
l' archiduchesse Marie - Christine, gouvernante
des Pays-Bas, et du duc de Saxe-Teschen, son
~poux. L'électeur de Cologne 1 leur fit égale-
men t, a lem passage a Bonn, la réception la plus
honorable. n était plus particulierement réservé
a l'élccteur de Treves, lenr oncle, Louis-Van-
ceslas de Saxe, de lem prodiguer les soins et
l'appui qu'on doit an malheur. Louis-Vanceslas
leur ouvrit générensement le chatean de Schon-
burnstnst, sa résidence favorite, pres Coblcntz,
qu'il mit a leur disposition. La lVloNSIEUR, tour-
nant ses espér:mces vel's le monarque prussien ,
invoqua ~on assistance royale par l'intermédiaire
du calonel baron de RoH, que les deux. princes
tinrent a Berlin avec la mission d'y négocier
pour leurs intérets et ponr ceux de la noblesse
fran<{aise quí avait pris le parti de l'émigration.
MONSIEUR fit connaltre au roí de Prusse que l'in-
tention formeHe de Louis XVI était que les prin-
ces ses freres fissent de COllcert et en son nom


, Maximilien-Fl'nnr,ois-Xavier-Joseph J'Antriche, le plns jenne des
llls de Marie-Thérese, né le 8 décembre 1756.




J36 MÉl\WIRES
aupres des puissances tout ce quí pourrait ser-
vir au rétablissement de sa liberté et au bien de
l'État; que les princes, tres-empressés de rem-
plirses íntentions, allaient agiren commun pour
sauver le roi, et travailler avec autant de zele
que d'activité a intéresser en sa faveur toutes
les cours, dan s l' espoir de leur faire adopter la
seule détermination quí en délivrant le roí pré-
viendrait les catastrophes dont la révolution me-
na<;ait la France et l'Europe.


Le monarque prussien accueillit le baron de
Roll, et fit témoigner aux princes fran<;ais qu'il
était sensible a leur démm:che et touché de leur
position. N aturellement porté a seconder la cause
royal e , il parut disposé des 10rs a mettre ses
troupes en mouvement vers le Rhin, ne formant
aucun doute que l'empereur ne fút dans des dis-
positions semblables, et se réservant au surplus,
dans sa prochaine entrevue avec ce prince, de
stimuler sa lente circonspection.


Le roi, qui désirait avoir des informations
exactes sur l'état réel de la France et murir les
moyens d'actions qu'il conviendrait d'employer,
songea an marquis de Bouillé-, dont le dévoue-
ment a Louis XVI et la proscription récente ve-
naient d'avoir un grand éclat. Il fit engager cet
officier-général par M. Harnicr, son ministre á
Mayence, et par l'électem lui-meme a se rendrc




n'UN HOllIl\fE n'.ÉTAT.


dan s cette ville pour y conférer sur ces objets
importans. L'électeur-archeveque de Mayence
et primat d'Allemagne, Frédéric-Charles-Joseph,
baron d'ErthaI, était un prince fort éclairé, bien-
veillant et d'un commerce aimable. Attaché a la
politique de la Prusse depuis la fin du regne de
Frédéric II, iI entra dan s les vues du roi, et fit
au marquis de Bouillé une réception honorable.
Le ministre de Prusse montra également, de la
part de son maitre, a cet officíer-général un
grand intéret pour la personne du roí de Francc;
ne luí laissant point ignorer que le monarque
yrussien voulait employer ses forces conjoín-
. tement avec ceHes de l'empereur pour tirer
Louis XVI de sa triste situation; enfin illui fit
de la part du roi des offres personnelles de ser-
vices auxqucIIcs le marquis de Bouillé ne fut pas
dans le cas d'avoir recours. L'électeur et le mi-
nistre prussien lui donncrent conjointement l'as-
surance que le roi se montrait sincerement dis-
posé a venir au secours de Louis XVI; qu'on
était persuadé en Allernagne que sa prochaine
entrevue avec l'empereur a Pilnitz aurait pour
principal objet une coalition entre les deux
grandes puissances qui entraineraient infailli-
blemcnt toutes les autres, et qu'on s'attendait
qu'llne déclaration de guerre en serait le ré-"
suItat. C~s dispositions hostiles gagncrent merne




138 l\IÉ1\IQIRF.S
la diete de Ratisbonne, qui, le 17 aoút, donna
enfln son conclusum sur la réclamation des
princes allemands possessionnés en France. Ce
conclusum chargeait l'empereur d'armer les Cer-
eles de l'Empire, mesure peu inquiétante ponr
la France, mais qui n'en était pas moins un in-
dice de mésintelligence et de guerreo Peu de
jours apres, le ministre IIarnier re<{ut du-,ca-
binet dll roi l' ordre de prévenil' le marquis de
Bouillé qu'il serait attendu le 26 ou le 27 au
chatean électoral de Pilnitz, avec un plan d'o-
pérations des armées, étrangeres sur les diffé-
rentes frontieres de France, qu'on l'invitait a
tracer lui-me~e ponr etre communiqué aux
deux souverains réunis.


Le '),{, aout Frédéric-Guillamue , accompagné
du prince royal de Prusse 1, du général prince
Hohenlohe-Ingelfingen, du baron de Bischoffs-
werder et du colon el de Stein, quitta le camp
de la revue de Schalkow, et se mit en route
pour Gcerlitz dans la haute Lusace, ou il passa
la nuit. Le lendemain iI se rendit a Pilnitz, ré-
sidence d'été de la cour électorale de Saxe. Lit
iI fut re<{u avec les plus hautes manifestations
d'estime et d'amítíé, soit de la part de l'empe-
reur Léopold, quí l'y avait précédé de quelques


• Ánjonrd'hní Fredéric-GuilJanme III , roí régnant.




, " D UN IIOllIlIIE D J'TAT. 139
heures, soit de la part de l'électeur Frédéric-
Auguste, qui depuis les démeIés relatifs a la Ba-
viere était resté attaché an syst~me politique de
]a Prusse. L'empereur avait a sa suite l'archiduc
Frall<;ois 1, le maréchal de Lascy, le baron de
Spielmann et le eomte Palffy. L'électeur était au
miliell de sa cour, l'une des plus polies de l'Eu-
rope.


Ce fut un spcctacle imposant que celui de 1'en-
trenle de den x grands souverains mettant en
oubli leurs anciennes rivalités , se donnant des
témoignages réciproques d'affection et d' estime,
montrant l'intention sincere d'unir leur poli-
tique et leurs forces dans l'intéret des trones
et dans l' espoir de conserver la tranquillité des
nations ct la paix du monde. Le monarque
prussien) remarquablc par sa toul'nUl'e et par
sa haute stature, qui n'était pas d'ailleurssans
dignité, se présenta ave e une affahilité gracieuse
dans les appartemens de l'électrice pour faire
sa cour a cette princesse dont les vertus faisaient
le principal ornement.2. Une table de quarante
couverts réunit les sonveriüns dans un banquet
somptueux. Au banquet succéderent une repré-
sentatíon théatrale, des illumillations, le cercle
et un souper splendide pendant lequel le colo-


r Aujourrl'hui emperenr l'égnant.
, Marie.Amélie-Auguste, princesse de Deux-Ponts.




:.'II:É~roIRES
nel, varon de Roll, vint annoneer l'arrivée du
eomte d'Artois a Dresde I. Quoique ce prince
n'eut pas été appelé aux conférences, iI crut
devoir s'en approcher et sblliciter d'y prendre
part sous les auspiees du roi de Prusse qui obtint
de l'empereur son adhésion tacite. 11 fut attendu
pour le lendemain.


Avant son arrivée les deux monarques eurent
un premier entretien secret, ou furent révélés
au roi de Prusse les vues pacifiques de l'empe-
rcur a l'égard de la Franee. Ce prinee y fit l'aveu
qu'il travaillait a tout concilier par la voie
des négociations pour ne point aggraver,' par
des moyens violens, la situation I critique de
Louis XVI. 11 avoua également que son cabinet
ne penchait point pour la guerre; que sclon le
maréchal de Lascy, le plus expérimenté de ses
généraux, on ne devait pas l'entreprendre lé-
gerement contre un pays tel que la Franee qui
offrait d'immenses ressources, et dont les fron-
tieres étaient réputées impénétrables; que les
conséqllences d'une pareille agression pouvaient
etre tres-dangereuses, d'abord pour la puissanee
meme de l'Autriche, qui tot ou tard y perdraiL
les Pays-Bas, et aussi pour l'cmpire germanique
dont les États, bordés par le Rhin, seraient ex-


, Le danphin. pere dn comte d' Artois, avait epousé une pl'incesse
de Sa¡¡;e • tante de l'électeur aujourd'hui roi de S3xe.




D'UN HOl\I~IE D'ÉTAT.
posés aux ravages des armées et a l'introduction
des maximes turbulentes que la Franee mettait
en crédit, maximes que les peuples semblaient
disposés a accueillir; que tel était le sentiment
de tons ses ministres, ce qui l'avait ramené, en
dépit du malheureux événement de Varennes,
a son premier plan d'assembler'un con gres dans
la vue de négocier avec le parti qni dominait en
France, non-seulement pour le redressement
des griefs du corps germanique dont les droits
en AIsace et dans d'autres provinces frontieres
avaient été lésés, mais encore pour arriver an
rétablissement de l'ordre dans nn royanme dont
l'anal'chie' troublait la tranq. uillité ~ rEnrope
entiere; que, persuadé néanmoins .,une sí im-
portante négociation devait etre appuyée par
des forces considérables, iI désirai t que toutes
les puissances de l'Europe fOl'massent une ligue
génémle et environnassent la Fr'ance de leurs
armées, et en vinsscnt a proposer, par un ma-
nifeste au partí qui se trouverait á la tete du
gouvernement, de rendre ]a liberté an roí et a
la famille royale, de réint~grer le roi dans sa
dignité, et de rétablir le gouvcrnement monar-
chique sur des bases solides et sur des prín-
cipes raisonnables. « Sí la natíon franc;aise s'y
)) refuse, ajouta l'empercur, eh bien! nous la
)) menacerons d'une invasion et d'une attaque


.. '




lIfLiI'fOIRES


» générale, et s'il est nécessaire, nous l'effec-
» tuerons de concert avec une masse de forces
» imposantes. )i


Le monarque prussien avoua qu'il entrevoyait
peu de sUCct~s dans l;emploi des mesures dila-
toires el de ce systeme temporiseur; que l'état
de la Franee pourrait en ctre empiré au contraire
en donnant auparti de la révolution le temps
de se mettre sur la défensive; que son avis s€-
rait de déclarer la gnel're sur-Ie-champ, de se
mettre a la tete des armées, et de ne publier
le mallifeste que Iorsque les trollpes auraient
dépassé la frontiere et envahi le territoire fnm-
t;ais. Le ~i s'appuyait dans son opinion sur
l'expérietlll et les lumieres du marquis de
Bouillé dont iI fit connaItre le plan; iI s'effor\'a
de convaincre l'empel'eur qll'il ne restait déja
plus d'autre moyen d'étOllHú la révolution que
celui de l'intervention rapide des pnissances
alliées soutenues pat· des al'mées nombreuses;
qu'il ne fallait pas s'exagérer les dangers d'une
pareille invasion qui offl'ait peu de difficul-
tés, au moment surtout ou l'armée fran<,;aise,
ahandonnóe par ses chefs, par ses propres of-
ficiers, livrée a l'indiscipline et a la liccnce,
était dan s un état de désorganisation compléte;
que les régimeus ét,'angers au service du roi et
une grande partie de la cavalel'ie couservaient





, " 1) UN IIOM~I1l D }:TAT.


seuls de l'ordre ct de la discipline, et, se mon-
trant encore fideles, étaient prets a cmbrasser la
bonne cause; qu'enfin la plupart des places fortes
étaient dans le plus grand délabrement, et que
l'invasion éprouverait d'autant moins d'obstacles
(púlIle partie de la frontiere était onverte et sans
défense.


L'empereur aVOl/a que ces raisonnemens mé-
ritaient la plus sériellse attelltion; mais iI insista
sur les dangers que pouvait attirer une invasion
brusqllc sur la tete de Louis XVI, qui l' en avait
fait détourner, pl'éfél'unt la voie des négociations
a tout nutre. leí Léopold donl1a au monarque
prussien connaissance des ouvertures faite s par
le marquis de Noailles et par le ministre Mont-
morin, sur lesqncHes néamnoins son avis était de
se tenir en gal'de, ajoutant que le müis de sep-
tembre ne s'écoulcrait pas san s qu'il sut précisé-
ment a quoi s'en tenÍI'; que du reste iI prenait
volontiers l'engagement d'adht~rer au plan qui
entrait clans les vues du monarque prussien, si,
sous tres-pe n de temps, le roi son beauArere n'é-
tait pas libre et rétabli sur son trane; qu'il ne s'a-
gissait que d'un délaí tres-court qui n'empechait
pas ele se prémunir en préparant l'emploi ulté-
ríeur des moyens militaires. Voila comment Léo-
pold, pal' Ulle adroitc déférence, établit son as-
cemlant sur ['esprit de Frédéric·GuilIaume, qui




1\nhWIRES


désormais ne pouvait plus agir (pIe dan s l'orbitc
de la puissance impériale.


1,a scene politique do Pilnitz changea, et pa-
rut s'animer a l'arrivée du comte d'Artois. Ce
prince était accompagné de M. de Calonne, dI!
lieutenant-général marquis de Bouillé, du géné-
ral de Flachslande, du duc de Polignac et du
prince de Nassau-Siégen. 11 ohtint immédiate-
ment une audience des deux sauverains, avec
lesqucls il s'entretint enviran tl'Ois quarts
d'heure, les sollicitant vivement, au 110m de
MONSIEUR et au siel?, de s'occnper de l'objct de
leurs représentations commUlles dans l'intéret,
non-seulement du roi leur frcre; mais de la no-
blesse, du clergé et de la monarchie. Daus ce
premier entretien et dans ceux quí suivirent, le
comto d'Artoís, mOl1Lral1t toute sa vivacité, insista,
sans etre dé concerté par la circonspoctíon de
l' emperenr, sur la l1écessité, a ses yeux, d' exé-
cuter, avec la plns grande promptitude possible,
la contre-révolution par la voie des armes; il
s'efforlta meme d'atténuer autant que le hii per-
mettaient les convenances, les obj'cctions de Léo-
poId, qui opposait a l'élan rapide du princc les
formes lentes de la politiqueo Apres une légerc
controversé les "angustcs Íl1terlocuteurs convin-
rent qne le baron de Spielmann, ministre d' A u-
trichc , le baron de Bischoffswerder, ministre de




n'rIN HOj\EfE n'ÉTAT.


Pl'usse, el M. de Calon1ne agissant .au nom des
princes fran<;ais ,se réurÍiraient en conférence
pOUI' coneerter un projet de déclaration qui se·
rait porté a la signatme des deux monarques
réunis. Le lentlemain 27, apres le diner, les
hauts personnages y compl'is l'électeur et le
comte d' Al'tois étan t allés a Dresde, la confé-
rence eut lien entre les tl'ois mjnistres qui dis·
eutet'ent pendant pres de quatre heures le projet
de déclaration que le baron de Spielmann avait
rédigé d'avance, d'apres la pensée OH sous la dic·
tée nH~me de l'emperem. M. de CalOlll1e y 6t
inutilement plusieurs objectiOl15 clans l'intéret
(les princcs franc;ais et de lem systcme, dont il
était le principal organe. Le soir, apres le re·
tour des sOli'icrains, le comte d'Artois se ren-
dit, avec l\I. de Calonnc, dans l'appartement
de l'empereur, oú se trouvaient déj~l réunis le
roi de Prusse, le mari~chal de Lascy, le baron
de Bischoffswcl'der et le haron de Spielmann.
On lut et on discuta le projet de déclaration :
les points contcstés furent débattns en pré-
sence des deux SOllvel'ains qui, sur les in-
stances du comte d'Al'tois , consentirent a l'ad-
mission de la derniere phrase proposée par
M. de Calollne. La décbration fut a101's revetue
de l'approbation de J~éopold et de Frédé,ric-
Guillaume. L'électeur de Saxe, se bornant a


l. 10




J\I:Él\lO IRES


etre I'hote san s devenir l'associé des souve-
rains, la leur laissa signer, et n'y prit aueune
parto Le lendemain une 'expédition en forme
fut remise au corn te d' Arlois : elle était cOlll:;ue
en ces termes:


ce Sa majesté l'empereur et sa majesté le roi
» 'de Prnsse, ayant entendu les désirs et les re-
» présentations de MONSlEUR et de M. le eornte
» d'Artois, déc1arent conjoíntcl1lent qu'elles re-
) gardent la situation oú se trouve actuellement
» sa majesté le roi de France comme un objet
) d'un intéret cornmun a tous les souverains de
) l'Europe. Elles, esperent que cet intéret ne pcut
» manquer d'etre reconnu par les puissances
» dont le secours est l'p.c1amé; et qu'en con sé-
» quence elles ne refuseront pas d'employer,
) conjoilltement ayec leursdites majestés, les
» moyens les plusefficaees, rclativement a leurs
» forces, pour mettre le roi de France en état
» d'affermir dans la plus parfaite liberté les bases
» d'nn gouvernement monarchique également
» convenable aux droits des souverains et au
» bien-etre des Fralll,;ais. Alors, et dans ce cas,
» leursdítes majestés sont décidées a agir promp-
» tement et d'un mutuel accord avec les forces
» nécessaires pour obtcnir le but proposé et
» commun. En 'attendant, elles donneront a
» lcms trollpes les ordres convenables pouI'




, ),
J) UN HO:lIME D liT.tT.


)l qu' elles soient á portée de se mettre en ac-
» tivité.


» Signé LÉOPOLD, FRÉDÉRIC-GUILLAVAfF::
» A Pilnitz , le 27 aout. »
Telle fi.lt eette déclaration qui fit alors tant


de bmit, et qu'arracheren t polir ainsi dire les
importunités des chefs de l'émigration fran-
<;;aise. Elle manqua son but en décelant toute
la pensée de l'empercur et ses vnes pacifiques.
Que contenait-elle d'ailleurs? le résumé des
pl'écédentes communica tions diplomatiques au
moyen desquelles Léopold s'était flatté d'éta-
blir, a l'égard de la France, nn concert entre
les principaux cabinets. En y énon<¿ant claire-
ment que l'intcrvention des mItres puissances
était nécessaire avant que les deux augllstes si-
gnataires en vinssent a agir offensivement et
aclivement contre la révolutioll fran¡;;aise, n'é-
tait-ce pas donnet· le temps aux hommes qui
tour a tour dirigeaient ce grand mOllvement
de se mettre en mesure de braver les forees
des potclltats de l'Europe?


Et pourtant la eircoIlstance était péremp-
toire el l'opportnnitó san s retonr, si on vou]ait
se décidel' a une intcrvention armée, tenta-
tive tOlljOurS délicate et hasarclcnse á l'égard
d'un pcup!c ce urageux qn'il fau~ snrtout s'ab-
stenil' de blesse,' thms son amoul'-proprc na"




lITÉMOIRES


tional. Mais enfin il fallait agir OH restel' l'épée
dans le fourreau. Dans le premier cas, c'étaient
le temps etles délais qui aHaient décider de l'ave-
nir, c'est-a-dire des destinées du monde. Qu'eút
faít un potentat moins temporiseur, moins cir-
conspect que Léopold? II eút d'abord sondé
toute la profondeur de cet avenir, et apprécié
l'a-propos d'une aclion vive et prompte. Un
grand obstade moral semblait s'y apposer, il est
vrai : la pensé e de la contre-révolution n'était
pas dans les deux cabinets de Prusse et d'Au-
triche. Les hommes d'État de Vienne et de Ber-
lín étaient persuadés que la noblesse fran~~aise
ne pourrait plus jamais rentrer dan s tous ses
priviléges, ni le clergé dans ses richesses et ses
prérogatives, ni le gouvernement dans son au-
torité absoluc. Mais n'y avait-il pas un milicll
entre l'anarchie révolutionnaire et l'anarchie
de la contre-révalution? Ce milieu aurait pu se
ti'Ouver dans la comhinaison des vues poli tiques
de l'empereur et du roi de Prusse, mais non pas
certainement dans 1eur déclaration insignifiante
et nulle. Les vues modératrices de l'empereur
n'avaient besoin que (l'eLre fécondées par l'ac-
tion rapiele que venait de rédamer le monarque
prussien.


Il est avéré qu'a la fin de 1791 et au com-
mencemenl ck 1 792. la Ft'ance aurait pu etl'e I'é-




D'UN R01U:aIE n'ÉTAT.


glée polítiquement par un congres a l'aide du
partí constitutionnel dans l'intérieur. Le succes
n'était pas douteux, cal' les intentions des deux
monarques étaient pures et modérées. Dire qu'ils
n'auraient voulu que proptcr des malheurs de la
France pour s'agrandir a ses dépens est une faus-
se té insigne (rue l'histoire répudie. Plus tard , ii
est vrai, la pensée d'une ambition vulgaire et
impolitique perdit tont, et nous ne Íe dissimu-
lerons pas; non-seulement nous révelerons les
aberratiol1s et les erreurs, mais encore les fautes
énormes des hommes qui ont dirigé le pou-
voir et les forces de la coalition. Qn'on médite
sur cet instant si décísif, cal' il comprend le
nreud du granel drame quí, par suite de" la
stérilité du premier abouchement de deux puis-
sans monarques, n'el1 est point encore a son
dénouemen t, malgré une action si 10llgue, si
meurtriere et si compliqlH'e.


Outre les conférenccs que nous venons de
retracer, l'empereur et le roí de Prusse eurent
a Pilnitz trois entretiens secrets et sans aueun
témoin. La ils discuterent les affaire s de la Po-
logne comme eelIes de France, mais tout, aussi
éventuellement. Leur politique n'eut pour objet
immédiat que de se préparer a un concert de
mesures a l'égard de la Pologne comme a l'égard
de la France, jusqll'au moment ou Catherine-




lIIÚWIRES


la-Grande, en posant les armes et en pacifiant
avec le Ture, eomme elle s'y était engagée,
mettrait enfin un terme 'al1~ appréhensions de
l' Angleterre et de la Prusse, et aux len teurs de
r Autriche; ilfut convenu que seulement alors les
deux. grandes pllissances alIemandes intervien-
draient au dela du Rhin eomme sur la Vistule.


Les denx révolutions eependant suivaient har-
diment leur COUI'S, tandís que du cóté des son-
verains et depuis l'appel ülÍt par Lonis XVI aux
principales pnissanees , huit mois s'étaíent déja
perdus en négociations iUl1tiles et sans résnltat.


Le 28 aout l'empereur et le roi de Prusse quit-
tant le chatean de PiInitz se séparerent avee
tons les signes d'une cordiale intimité et d'nne
conuance mntllelle. Frédéric-Gnillaume se mit
en ronte pOUI" EIstel'werda, oú iI honora de sa
visite le dnc de Courlancle, qui lni donna une
fete brillante. L' empel'eur, de son coté, se dirigea
vers la Boheme, ailant se faire eouronner a Pra-
gue, ou l'aecompagna le gén,éral prinee de Ho-
henlohe, désigné par le roi de Prusse pour as-
sister an couronnement.
C~pendant les meneurs des principaux comi-


tés de l'assemblée avaient déja. eonnaissance de
la déclaration de Pilnitz. Ne se méprenant point
sur l'esprit qui l'avait dictée, ils jugerent qu'elle
se prelerait aisémcu t aux OH vertures secretes éta-




n'UN rrOMME n'ÉTAT.
blies entrc les organes dn parti constitutionneI
et le cabinet de Vienne. A mesme que eette dé-
claration fut plus connue, les uns affecterent d'y
voir la preuve certaine d'une eoalition mena<,;ante
dall.s le but d'anéantir la révolution, d'autres
n'y virent qu'une de ces vaincs . formules em-
ployécs par les cours ponr cacher leurs vérita-
bIes projets, en un mot un acte pnrement com-
minatoire. Sous ce demier point de vne iI suf-
fisait aux chefs du parti dominant de rendre au
mi une appal'ence de liberté et de donner a l'en-
semble de lcurs travaux législatifs et poli tiques
une forme constitntionnelle. Par la ils espéraient
se remIre maltres de la direction des événemens
an dedans et an dehors. Tont fut done préparé
pour amener, dans l'intéret d'un p,arti, ce dé-
nouement [adice et calculé pour la mi-sep-
temlJre. De SOll cuté l'empereur, pendant son
séjour á Prague, re<;;llt les réponses qu'il atten-
dait de Russie, d'Espagne, d'Angleterre et des
principaux souverains de l'Italie; elles étaient
conformes á ses vues. Toutes les puissances,
a l'exception du cabinet de Londres, qui dé-
clarait vouloir garder la neutralité, assuraient
l'empereur qu'il pouvait compter sur leur assis-
tance et leur réunion en concert a l'effet d'oppo-
ser au hesoin une barriere aux dangers -dont la
révolution fraIll;aise mena<;ait les couronnes.




lIrÉJlIOlRES


En meme temps Léopold fllt informé par le
prince de Kallnitz que la charte de la nouvel1e
constitution allait etre présentée a Louis XVI
sons pea de jours; que tont faisait pressentir
que le roi ne pOlll'f'ait se dispenser de l'accepter
sans restrlction s'il voulait ne pas cOllrir le risque
de compromettre ses jours et ceux de sa fa-
mille; que d'ailleurs sa sanction, forcée dans les
circonstances oú se tI'C)Uvait le monarqlle, n'é-
tait d'aucunc importance pour l'avenil" aux
yeux des autres souverains, le roi tIe France
pouvant toujou!'s revenir sur tout ce qu'il se-
rait censé avoir fait par contrainte ; que ríen ne
s'opposerait a ce qu'il put donner en définitive
a son royaume un hon gouvernement qui d'nn
cOté satisflt le peuple, et de l'autre laissat a
l'autorité royale une latitud e de pouvoirs suffi-
sans pou!' maintenil' la trallquillité an dedans
et pour assurer la paix au dehors.


Depuis les conférences de Pilnitz, Léopold
était plus porté encore a s'arreter a ce plan pa-
cifique et en apparence si raisonnable. Toute-
fois il n'y donna son entiere adhéssion qu'apres
avoir consulté Louis XVI. Ce prince lui envoya
secretement le eomte ele Fersen ponr lui ex-
poser ses motifs d'acceptation a l'acte qui de-
vait lui etre présenté incessamment. Il faisaítré-
péter a l'empereur qu'íl formait toujours le




meme vreu, ceJui d'un arrangement quelcon-
que, préfémnt, dans tous les cas, la voie des
négociations an moyen violent des armes.


D'autres sentimcns animaient les princes fran-
<;ais et l'élite de la noblesse. La déc1aration de
Pilnitz ne signalait-elle pas a tmItes les cours
de I'Europe ]a cause de Louis XVI comme la
cause commune de tmItes les tetes couronnées?
Pouvalt-on supposer qn'apres un semblable ma-
nifeste l'emperenr et le roi de Pl'llsse abandon-
neraient le roi de France anx atTets d'une révo-
lntion sangllinaire, eux ql1i "enaient d'engager
les autres souverains a réunir leu!' moyens les
plus efficaces pour mettl'c le roí tres - chrétien
en état d'affermír, dans la plus parfaite liberté,
les bases d'un gouvernement monarchique éga-
lement compatibles avec les dl'Oits des SOlIve-
rains et le bien-etre des Fran<;ais ?


Ne formant aucun doute sur une ligue géné-
rale en favenr du roi, les princes ses freres von-
lurent l'en instruire en luí faisant connaitre
a la fois les íntelltions des souveraíns et la
maniere dont ils envisageaient eux-memes S3
situation politiqueo


Mais n'ayant plus aucun moyen de corres-
pondre directement avec Louis XVI sans courir
le risque d'aggraver sa position, ils prirent le
parti de luí adresser ouvertement, sous la date




lIfÉ~IOIRES
du 10 septembre, une lettre a laqnelle ils don-
nerent la plus grande publicité par la voie des
gazettes étrangeres. Dans cette lettre, ou plutot
dans ce mapifeste, les freres du roi de Fran'ce
1'engageaient fOl'tement a refuser sa sanction a
1'acte constitntionnel qu'on allait lui présenter,
ne voyant dans les principes qui en formaient
la base que l'anéantissement de la religion, le
renversement de la monarchie, la violation de
tous les droits et de tOlltes les pl'opriétés. Qu'a-
percevaient-ils dans les conséquences de ces
principes? L'impunité de tous les crimes, le des-
potisme des brigands, le bouleversement et la
désolation de tout le royaume. Le roi pouvait
seul ptévenir tant de calamnités en exer<,;ant ti-
brement et confol'mément an vreu nnanime de
la nation le droit qu'elle lui avait formellement
reconnu d'intel'venir dans les changemens que
réclamait l'ancienne constitution de la monar-
chie, rien ne pouvant etre légal qu'avec l'assen-
timent libre du monarque. Il était notoire, ajon-
taient les princes, que violemment dépouillé de
tout pouvoir, détenu, gardé a vue dans son pa-
lais ainsi que sa famille, le roi était moins libre
que le dernier de ses sujcts; 01', ils protestaient
d'avance contre toute aeceptation royale donnée
a la constitution, s'appuyant sur l'engagement
mutnel de l'empereur et du roi de Prusse ponr




, " D UN TI03fAfE D llTAT. 155
remIre ¡\ la coutonne son autorité, et renouvc-
lant au roi l'assurancc que les souverains n'a-
vaient pas d'autres intentions qu~ de l'arracher
il l'oppression des démagogues et aux ealamités
de l'anarehie.


eette protestation fit en Franee .et clans l'é-
tranger la plus vive sensfltion; mais quand elle
fut eonnue a Paris, LOtlis XVI venait d'aecep-
ter pUl'ement et simplemen t l'acte constitu-
tionnel. On le lui avait présenté le 3 sep-
tembre, iI l'ayait aeeepté le 13, et le lende-
main il s'élait transporté a l'assemblée nationafe
oú ii avait preté son sennent. Quant a la con-
stitution, elle avait été révisée seulement,
mais point améliorée, tant les ehefs du parti
dominant avaient eraint de se clépopulari-
ser en faisant h la eouronne des coneessions
contraires aux príncipes républicains alors
en vogue, el qui déja l'emportaient sur ceux
des constitutionllels modérés. Les ennemis de
Louis XVI ne manquerent pas de présenter
la protestation énergique des princes ses freres
en témoignage de sa cOllnivence ayec les sou-
verains coalisés et de son pen de sincérité clans
son aclhésion cOIlstitutionnelle.


L'acceptation fut Ilotifiée a toutes les cours
par llnc circulaire royaJe SOIlS la date dll I9 sep-
tembre: on l'yre(,~\ltfrojdemeIlt. Toutefoisquand




)IÉl1roIRES


Frédéric-Guillaume en cut le premier avis il dit
tont hant: « Enfin je vois la paix de rEnrope
» assurée !» soit qn'il s'abusat dans son élan, soit
qn'íl voulut marquer sa déférence ponr l'empe-
renr, dont iI entendait suivre la politiqueo Se
10rnant a accuser au roi de France la réception
de sa lettre, le roí y ajouta seulement: « La part
» que je prends a tont ce qui intéresse votre ma-
» jesté est telle qu'elle est en dl'Oit d'attendre de
» l'amitié sincere que je lui ai vouée. Ces memes
» sentimens pellvent lui etre un sur garant du
» parfait retour avec lequel je répondrai con-
» stamment a ceux dont elle a bien voulu me re-
» nouveler l'assurance dans eette oeeasion.»


L'empereur s'exprima d'une maniere moins
vague. Voici sa réponse, qui était écrite ell la-
tin 1 :


« Tres-sérénissime et pnissant princc, sei-
» gneur, notre tres-cher frere, consin et alIié,
» l'ambassadeur de votre majesté nous a remis
» la lettre pat' laquelle elle nous notifie son ac-
» ceptation de la n~uvelle eonstitution qui lui
» a été présentée. Plus nous sommes étroitement
» unis par les liens du sang, de l'amitié, de l'a1-
» lianee et du voisinage, plus nous avons a c~ur
» la conservation de votre majesté et de sa f.1mille


, Datée de Vienne, le 23 octobre 1 7gI.




, " J) UN JIOMM.E D 1<:1'A1',


» royale, de meme que la dignité de sa comonne
» et le salut de la monarchie fl'an0aise, Ainsí
» nous désirons avec une affection sincere que
» le parti que votre majesté a cm devoir prendre
» clans l'état actuel des choses ait le succes qu'elle
» en attend, qn'il réponde a ses vceux pour la
» felicité publique, et en meme temps que les
» causes qui sont coml11unes au roí et aux princes
» et qui, par ce qui s'est passé dernierement, ont
»'donné lien a de tristes augures, cessent ponr
» l'avenir, et que l'on prévienne la nécessité de
» prenclre des pl'écau tions sérieuses con tre leur
» ¡'etour, »


Les réponses de la plupal't des autres cours
se l'estreignirent a une formalité insignifiante,
n n' en fut pas de meme du roi d'Espagne: il or-
donna a son ministre le comte de Florida Blanca
de déclarer á M, el'U rtubize, chargé des affaires
de France, que le roi catholique ne saurait se
persuader que la lettre tle notification du roí
tres-chrétien ait été éCl'ite avec une pleine li-
berté physique et 111Ol'ale de penser et d'agir.
et que jusqu'it ce que sa majesté puisse se per-
suadel', commc elle le déstre bien sinccrement,
que le roí son cousin jouisse récllement d'une
pal'fai te liberté, elle ne répondra pas a sa leUre
ni ~t aUClln écrit, ni aucune notification ou l'on
prenclrait le nom royal duclit sOtlverain .


. '.




158 ~IÚ'lOIRES
Le roi de Snede I'envoya ]a dépeche sous pré-


texte que le roí n'étant pas libre, on ne recon-
naissait a sa cmIr aueune mission de France.
Catherine II suivit la meme marche refnsantaussi
de reconnaitre la légation fl'ant,(aise.


L'empereur au contraire se servitdu prétexte de
l'acceptation constitutic;mnelle ponr colorer son
inaetion, soit éluprcs des princes fl'eres du roi,
soit aupres des plliss:mces qu'il avait lui-meme
excitées a se coaliser . .Eh conséquence ses ambas-
sadellrs et ses ministres fl1l'en t chargés ele com-
muniquer la note sui\'ante oú ce prince semblait
revenir sU!' ses pas et laisser des chances ou-
vertes a un arrangement:


« Sa majesté üút part a toutes les cours aux-
») ql1elIes elle él envoyé la premiere circulaire da-
» tée de Padone, le G juillet, en y ajoutant main-
») tenant]a Suede, ]e Danemarck, la lIollande et
» le Portugal, que l'état du roi de France qui
» donna líen ü ladite circulaire étant changé, elle
») croit devoir manifester auxclites puissances sa
» fat,(on de pense!' aetuellc. Sa majesté croitqu'on
» doit regarder eomme libre le roí de Franee,
») et par conséquent son acceptation et tous les
» actes qui s'en sont sllivis comme valides; elle
») espere que l'effet de ladite élcceptation sera de
») ramener le hon ordre en France, et de faire
») prévaloir le parti des personncs modérées, se-


.' ..




, " D UN IIO~f~fE D ETAT, 159
) Ion le vreu de sa majesté tres-chrétienne; mais
) comme les espérances du roi pourraient, contre
) toute apparence, etre trompées, et que tons
») les désordres de la licence et les exces de la
» violen ce a l'égard du roi pourraient se renou-
» veler, sa majesté erolt que toutes les lmis-
) sanees auxquelles elle s'est adressée ne doi-
) vent point encore se désister des mesures
J) concerté es entre elles, mais se tenir en obser-
» vatio n , et faire déclarer par leurs ministres
») respectifs a Paris que leur coalition subsiste,
) et qu'elles se1'ont pretes a soutenir de concert,
» en toute occurrence, les droits du roi et de la
» monarchie fran<;:aise, )


Alnsi tout l)rétexte d'intervention armée sem-
blait avoi1' disparu depuis que Louis XVI pa-
raissait d'accol'd ayec la nation sur la nature du
gouvel'l1cment qui les 1'alliait. Non-selllement
l'empereur ref{ut de nouveall a sa cour l'am-
bassadeur de France, mais encore il fut le pre-
mier sauverain qui admit dans ses parts le pa-
villon national.


Ces tergiversations ne laisserent bientot plus
aucun espoir d'établil' entre tous les sOllverains
une enticre unité de vnes, d'intentions et d'in-
tén\t. La conr de Vienne et ceHe de Berlin sem-
blaient c1'oil'e que tont allait finir par des con-
ccssions faites au partí qni dominait alors en




lU.Él\fOIRES


France, et qu'il suffirait de qllclques négocia-
tions adroites pour que le roi pút régner, avec
moins d'éclat peut-etre, mais d'une maniere
paisíble.


La Rnssíe, la Suede, l'Espagne et meme la
Sardaigne n'envisageaient pas sons le meme as-
pect la situatíon de ce royaumc. Gustave III
surtont nc pOllYait concevoir les lentenrs et les
tatolluemens qu'apportaient Léopold et :Frédé-
ric-Guillaume dans l'accomplissement de leU!'s
desseins. Avant merne que les deux com·s de
Vienne et de Berlín se fusscnt entendues, le roí
de Suede s'élait entierement rapproché de la
Russie. Catherine 1I, qni estimaít ce prince
apres l'avoir c,omLattu, avait promis de tenir a
sa disposition un corps consiclérable de ses
troupes dcstinées ú une expédition secrete,
ayant pOU!' oLjet le soutien de lá cause qui de-
venait celle de tous les rois selon Gustave et la
czarine. A cet cfTet les deux COlll'S du N orel
étaient convenues, a l'époqne de l'entrevue de
1\1antoue, qu'nne armée de trcnte-six mille
hommes, Russes et Sllédoís, serait porté e sU!'
la cote de France dans un des poipts les plus
rapprochés de París, BOit ponr marcher immé-
diatement snr cctte capital e , et faire lit une di-
YCl'sion puissante si les armées allcmandcs pé-
llélraient par la frontier<~ du Rhill, soit pour




, " }) UN IIOlVfl\IE D E'l'AT.


s'assl1l'er une position militaire et y attenul'e le
résultat des intelligences pratiquées clans l'inté-
ricm', L'Espagne, qui avait pl'omis quinze mil-
Hons pOtll' les frais de l'armement, aurait en
outre fait marcher un corps d'Uf'mée du coté
des Pyrénées, en meme temps q~e la Sardaigne
aurait fait une démonstration semblable du coté
des Alpes: voila sur (llloi l'armement du Nord
se serait appuyé. Gustave, qui brúlait de se si-
gnaler, se croyait d'autant plus fondé dans ses
espérances qu'on ne pOllvait lui supposer au-
cune vue d'ambition personnelle ni de conquete,
Súr par la de la contlance des Fran¡;ais roya-
listes, il se flattait de jouer le premiel' role clans
cette grande scene, et d' etre á luí seul le
champion et le mobile de la contre-révolution.
Tout s'évanouit pal' la malheureuse tcntative de
Louis XVI: son arrestation a Varennes, sallS
détruirc entierement les projets de Gustave,
forQa néanmoins ce prince a en l'envoyer l'exé-
clltion au prill temps,


01", l'attitude du roi de Suede et de la czarine
en provoqllant la contre-I'évolution a main ar-
mée se tl'ouvait en dissidence avec la politique
des eoUl's de Berlin et de Vieime , et eette dissi-
denee ajoutait aux préventions personnelles que
Frédéric-Guillallme et Léopold nourrissaient
contre Gustave, dont ils désapprouvaient les.


l. 11




l\IÉ~WIRES
projcts. Désol'mais d'accord l'un et l'autre, ils
étaient résolus de ne rien précipiter a l'égard
de la France.


Cependant la marche des événemens vint
bientot jllstifier les prévisions de Catherine et
dé Gustave. L'acceptation de la constitutioll
avait fait prendre á Louis XVI l'engagement
fatal de faire exécuter une charte a pen pres
inexécutable .clans la situation oú se trouvait la
France. C' était inulilement que le parti constitll-
tionncl, successiveme:nt afÜl.ibli, avait chel'ché
par un effort et en compromettant sa popularité
a relever le trone. Poussé hors du. pouvoir dont
iI avait imprudemment abandonné les renes, ce
parti venait d'etre supplanté dans la favem po-
pulaire et dans la nouvelle assemblée par des
révolutionnaires anlens, ennemis acharnés de
la maison royale. Cette mérne époque avait
amené la désorganisation complete des roya-
listes et des modérés de toutes les nuances; le
t1'one se trouvait comme isolé, et Louis XVI
clans une plus facheuse position ql1'avant Iernois
de juin.


Frappés de sa détl'esse, Gustave et Cathe"rine
s'efforcent de persuader au chef de l'Empire
qu'il est dans l'obligation, comme souverain,
cornme frere, et comme empereur, de venir au
secours de sa sreu!' et d'urí roí opprimé; ils lui




n'UN II01UlITE n'ÉTAT. 163
représentent que ce serait s'ahuser étrangement
que de compter SUl' les voies de la raison pour
ramener les Fran<;:ais a un gouvernement stahIe;
iIs pressent de nouveau et en commun l'empe-
reur et le roi de Prusse de décIart)r la guerre a
la Franee. La czarine en particulier écrit une
lettre tres-forte a l' empereur, luí rappelant que
son nouvel allié, le roi de Prusse, pour une
simple impolitesse faite a sa sreur la prineesse
d'Orange , a L'lit entrer, il y a quatre ans, une
armée pmssienne en Hollande, tandís que lui,
chef de l'empire, souffre patiemment les insultes
et les affronts qu'on prodigue a la reine de
Franee, permet la dégradation de son rang et
de sa dignité, et l'anéantissement du trone d'ull
roí son alIié et son heau-frere.


Dans sa répansc, oú régnait un ton modéré,
Léopold se plaignit de ce que, malgré des pro-
messes récentes, la COUl' de Russie n'avait pas
encare fait sa paix avee les Tu1'es. JI représenta
qu'en vain on vienclrait a alléguer la cessatioll
des hostilités, puisqu'elles pouvaient reeom-
meneer d'un moment a l'autre; 01', qu'il n'était
pas possible que dans eette position iI entreprit
lIne nouvclle guc1'rc sur le Rhin. Ces réerimi-
nations ne furcnt pas sans fi'uit.


En attendant, Catherine et Gustave séparant
lenr politique de ecHe de l'empereur et du roi




lU:Él\IOlTIES


de Prusse, conclurent, le 19 octübre a Drotting-
holm, une allianee intime, oflensivc et défen-
sive, dont les articles seerets se rapportaient aux
affaires de France. On put en inférer que Gus-
tave n'avait point abandonné son projet d'expé-
dition mari time ; et en erfet les stipulations se-
cretes réglaient l'opportllnité et le mode d'exé-
cution de l'armcment.


N'apercevant aucnn milieu en lre la révoln-
lutiou et la contre-révolutioll, ces deux tt~tes
couronuées protégeaient avec une sorte d'os-
tentation les princes fran<;ais, les grands .lu
royaume et l'nniversalité de la noblesse qni,
disséminés sur les frontieres, attendaient avec
une vive impatience leor rétablissement a
main armée, avec le secours des puissances
élrangeres, s'aveuglant sur la siluation de la
France et sur les disposilions des cabinets,
prenant la révolutioll pour une simple insur-
rection momentanée, comptant sur un partí
dans l'intérieur qui n'existait pas, et sur des
ressources immédiates qui étaient éloignées ou
chimériques. Se voyant pourtant délaissés Far
Frédéric-Guillau~e et Léopold, les émigrés fon-
derent leurs plus chercs espél'anees Sl1l' l'appui
que leur pretait Ollvertemellt la Russie et la
Suede. Catherine et Gustavc Cllrent des mi-
nistres accl'édit{s anpres des pl'iuces fl'anc.:ais a




165
Coblentz. L'impératrice y envoya le comte de
Romanzow, et Gustavc y fint le baron d'Oxens-
tiern avec un caractere publico Les prínces eux-
memes eurent des envoyés auprcs de plusieurs
SOllverams.


La leUre datée de Saint-Pétersbourg le 19 oc-
tobre, adressée par la czaríne au maréchal de
Broglie, et que tous les journaux rendirent pu-
bEque, manifesta le haut intéret que la cause
des rovalistes francais excitait dan s l'ame de


" ,


eette souveraine. Le stylc de cette lettre et les
brillantes promesses qu'elle contenait entre-
tinrent l'ardeur et les espérallces de l'émigra-
tion.


Et c'était an moment meme ou de nombreux
rasscmblemens d'émigrés venaient de se former
ú Bl'uxelIes, úCoblenlz, ¡'t Etten heim ; au moment
oú différens eorps s'étaient organisés, ou des
chevaux et des armes avaient été achetés et dis-
tribilés, ou des émissaircs al/aient et veuaient,
ou enfin tout prenait un aspect hostile.


L'attitude et les démarches des princes et de
la noblesse dounant de justes inquiétudes dans
l'intérieur, les esprit s s'irriterent contre la COUt',
et on finít par la soup<;;onncr de connivence.
Louis XVI cédant aux conseils de ses ministres,
a la crainte oa a l'influcnee du partí dominant,
désavolla les armemcns faits en son n0111 par les




166 1\IÉMOIRES
deux princes ses freres; mais ni ses proclama-
tions, ni la leUre qu' on lui fit écrire aux princes
ponr les engager a rentrer dans le royamne ne
produisirent l'effet qn'on en attcndait. I~e pal,ti
qui était en force dans le nouveau corps légis-
latif poussanl aux mesures de rigueur, rcquit,
par un décret du 31 octobre, 1.ouis Stanislas
Xavier, prince franc;ais, de rentrer sons deux
moís dans le ropnme, le déclarant, faute de
quoi, déchu de son <1roit évenluel á la régence.
Par un antre décret, l'assemblée décbra suspect
de conspiration contre la patrie tont Franc;ais
faisant partie des attroupemens formés sur les
frontiei'es, et pronon~a la peine de mort contre
tous ceux qni au premier janvíer 17!:)2 seraie11t
encore en état de rassemblement.


Le roi lui-meme employa les ordres et les
prieres pour détourner la lloblesse d'exercer au-
cnn acte d'hostilité. 11 envoya le baron de Viomes-
nil et le chevalier de Coigny, qlli jouissaient de
sa confiance particuliere et de celle de la reine,
aupres des princes a Coblentz pour les informer
des motifs qui l'avaient forcé a acccpter la nou-
velle constitution, et de sa ferme résolution d'es-
sayer de]a faire exécuter, afin que la nation fUt
a portée de l'apprécier par ses dfets. Les deux
envoyés avaient aussi la 111ission de témoigner
aux pripces la désapprobation de LouÍs XVI




U'UN HOlIHIE D'IhAT.


sur l'armement et les préparatifs des émigrés,
Tout fut inutiJe; les freres du roi ne crlll'ent
pas devair répandre; les princes de la maisan
de Candé et la noblesse fran(jaise resterent éga-
lement sOUl'ds aux instances da roi et alix in-
jonctions menu(jantes de l'asseinblée.


Moins depassiolls et plus de sagesse guide-
rent l'empereur, son conseil et la plupart des
princes d'Allemagne voisins de la France. Espé-
rant éviter la guerrc, ils donnerent des ordres
pour la dispersion des rasscmblemens d'émigrés.
Le cabillet prllssien suivit la meme marche.
L' empereur alla jusqll'a manifester par des actes
publics une sorte d'adhésion au gouvernement
constitutionnel de la Franee : il sévit contre quel-
ques insultes faites á la cocarde nationale dans
le Brabant, et fit communiquel' par le commall-
oant militaire de ses troupes une noteadressée
an duc d'Uzcs, á Bruxelles, qní interdisait aux
émigrés fran(juis tout rassclnblement, meme
suns armes.


Mais, comme chef de l'Empire, Léopold sou-
tint sa dignité, soit qu'il y fút porté naturelle-
ment, soit que jusqn'ici, par ses lenteurs et ses
concessions, il n'eút VOUlll que gagner du temps,
et en éloignant ce prétexte de guerre en suLsti-
tuer' un mItre plus plausible et qui parút rallier
les intérets des puissal1ces. Prenant a cceur la




l\IÉl\IOIRES


garantie des princes allemands possessionés en
France, et dont les réclamations avaient occupé
la diete de Ratisbonne, il en fIt le principal objet
de ses négociations.


L'empereur et la diete manifesterent l'oppo-
sition la plus déc'idée a toute voie d'indemnité
envers les princes, quelque avantageuses que
fussent les soumissions déja faites par qllelques-
uns d'entre eux, teIs que le duc de Deux-Ponts,
le prince MaximiIien son frere, le duc de W lll'-
temberg et le prince de L~wensteia-W el'theim:
iIs s'étaient montrés disposés a entrer en arran;,.
gement , la vaie de l'indemnité étant la seule que
les décI'ets fran<.;ais autorisassent. La premiere
assemblée, guidée par la légereté et l'iI'I'éflexion ,
n'avait pas considéré que l'exécution de ses dé-
crets, opéran t la dépossession des pI'inces lésés,
ou dénaturant Ielll's propriétés, il en I'ésultait
I'éellement une violation arbitraire de la so uve-
raineté territoI'iale de l' empeI'euI' et de I'Empire,
a moíns qu'elle ne fut concertée avec la peI'sonne
de l'empeI'eur et avec la diete; que par consé-
quent leur consentement était indispensable
pouI' la validité de toute stipulation d'indemnité
avec les princes possessionnés; que ce consente-
ment n'étant point obtenu et n'ayant pas meme
été demandé, l'empereur était incontestable-
ment fondé a l'éclamer la réintégration plénieI'e




D'r:N HOl\DIE D'ÉTA.T. 169
des vassaux de l'Empire, et que la France ne pou-
vait s'y refuse¡· sans s'exposer a soutenir une
guerre évidemment injuste.


Te]s furent les motifs qni porterent l'em-
pereur a écrire au roi tres-chrétien sa lettre
datée de Vienne le 3 décembrc. Interposant
en son nom et en cclui de l'Empire , la protes-
tation la plus solenneHe en faveur des princes
possessionnés en AIsace et en Lorraine, dont les
décrets de la premiere assemblée avalent violé les
droits, Léopold annon~ait « la résolution for-
» melle de leur porter tous les secours qu'exi-
» geaient la dignité de la couronne impériale et
» le maintien des constitutions publiques de
» l'Empire, s'ils n'obtenaient pas réintégration
» pléniere et conforme aux dispositions des
» traités. D


A cette lettre étaient joiuts les décrets de
commission et de ratification du dernier COll-
cluslim de la diete sur le meme objeto Le décret
de l'empereur portait qu'il avait espéré que l'iu-
stabilité des choses en France pourrait conduire
an rétablissement des droits supprimés en AIsace
et en 'Lorraine, mais que la constitution ayant
été acceptée par le roi sans stipuler aucune ex-
ception a cet égard, sa majesté impériale avait
jugé a pl'OpOS de ratifier les points suivans :


({ ¡oQne l'empereur et l'Empü·e n'auraient an-




170 :MÉiI'IOIRES
)) eun égard aux SOUmlSSlOnS qu'uuraient pu
)) faire qnelques étuts aux indemnités proposées
» par la France, attcndu que l'exéeution illimitée
) des déerets de I'assemblée nationale, rendus
» depuis le 4 aout J 789, était une usurpation
)) arbitraire, une infraction, une violation de
» la souveraineté territorialc de l'Empire et de
» l'empereur;


») 2° Que sa majesté impériale avait vu avec
» peine que la lcUre du roi tres-chrétien n'avait,
» ni quant i:t la forme r, ni quant a son eontenu,
) répondu a l'attente générale SUl' son caractere
» reconnu de justice et de loyanté; qu'elle y re-
» marquait la prétention erronée de croire les
» terres des princes lésés tellement soumises a
» la souveraineté du roí que, sauf une inclem-
)) Hité, il pouvait en disposel' ¡¡broment; que sa
» majesté impériale protestait solennellement en
» son nom et an nom de l'Empire contre toutes
» mesures prises depuis le mois d'aout 1789,
» qui seraient contraires aux traités; qu'elle se
») 'serait déjil empressée de donuer aux princes
» lésés tous les secours quí dépendaient d'elle,
» conformément a la digníté ,impériale et aux
» ]ois de l'Empire, si elle n'avait pas espéré ter-
) miner amiablement ectte affaire.»


, Cette l'éponse étllit écrite en fran~ais, an Jien de ]'"tre en latin,
suivant l'tlsage.




Enfin a ce décret de ratification était joint un
monitoire adressé au directoire des Cercles d'Al-
lemagne, pour les inviter « a empecher lit circula-
» tion des écrits séditieux, a prévenir toute per-
» turbation de l'ordl'e pnblic, en Jor<;::mt chacun
» de se saumettre á l'autorité des magistrats, et
» meme de se preter de mutuels secours en cas
)) d'émcute~ le tout conformément aux ardan-
l) nances de police de I'Empire, et aux recez de
»Spil'e et d'Aushourg. »


Cet officc si important, avant meme d'etre ex-
pédié pour sa destination, fut signalé et annoncé
par l'ambassadeur de France, soit au ministre
des affaires étrangeres, soit a ses correspon-
uans in times de Paris, oú iI donna lieu, par la
connaissauce anticipée de son contenu, a des
comités particuliers. Les informations secretes
du temps ne seront point ici démenties par la
vérité de l'histoire. Dans ces comités préparatoi-
res figuraient d'nne part le ministre des affaires
étr::ngcres et le nouvean ministre de la guerre
Louis de Narbonne, et de l'antre un certain
nombre de personnages en tres-hant crédit dans
l'assemblée, dans les clubs et dan s les conseils
privés de Louis XVI. Déjá la pensée d'en venir
au terrible moyen de la guerre domináit ton s
les hornrnes avicIes de popularité , de pouyoir et
de renornmée, et déja cette pensée avait acquis




JlIÉJlIOIRES


une sorte de consistance poli tique dans les sa-
lons d'une femme célebre, ou se réunissaient
les zélateurs Jes plus marquans de l'indépen-
dance nationale et de la liberté. lci encore le
voile le plus épais serait inutile : on voit qu'i!
s'agit de madame de StaeI, ambassadrice de
Suede, fernme étonnante, et que l'amour de
la célébrité contemporaine mela dan s presque
toutes les grandes intrigues de l'époque. Mais a
ce He passion dévorante se. joignait dans son
creur les élans d'une commisération sensible et
généreuse qui achaque catastrophe lui faisait
expier les erreurs de son jugement et de son es-
prit. C'était eHe qui, en dépit du roi de France
et par ses puissans manéges, venait de porter
an ministerc M. de Narbonne, qn'elIe aimait a
cause des graces de son esprit, de son assu-
rance, et de cet élan d'honneur militaire et
de bravoure franc,:aise qlli l'animait. On préten-
dait que le mobile le plus actjf de ce ministre
remuant était l'espoir de se faire une haute ré-
putation et de répondre a tous les sentimens
exaltés d'une femme extraordinaire. S'íl désirait
avec ardenr d'allumer la gllerre au dehors, c'é-
tajt ponr signaler son ministere constitutiol111el.
Son élocution faciJe luí donnallt une certaine
vogue clans l'assemblée, diriger la révolution ne
lui paraissait pas au-dessus de ses forces unies a




, " D UN JIOMME D ETAT. 173
celles de la femme célebre qui le subjuguait. Ce
qui d'abord excl'I;a leurs actives combinaisons,
ce fut d'eutrainer le roi et son conseil dans
les voies de la guerreo Non-senlement le roi en
repoussait l'effrayante initiative, mais les minis-
tres de Lessart et Cahier de Gerville eux-memes
y répugnaient; ils tr.waillaient plutot a éluder
les hostilités qu'á les provoquer. Mais déji , par
l'implllsion des conciliabules provocateurs, un
message venaÍt d'etl'e fait au !'oi, le 29 llovem-
hl'e, de la part de l'assembléc. Ce messagc in-
vitait le roi a prendl'e des mesures décisives
pour faire cesser enfin les rassemblemens exté-
rieurs qui, disait-on, compl'Omettaient plus
dangereusement la liberté qu'une guerre ou-
verte et déc1arée. (( La nation franc;aise, ajoutait
») l'assemhlée, ne pcut tolércl' plus long-temps
» ce manque d'égards et ces sourcles hostilités :
» un mouvement général entraille la nation, et
») tel est déja le Cl'i de ton s les Fran<;ais : Plu-
)) tul la 6uen'e qu'llllC paticnce l'uineuse et ari-
» lissante! » Ainsi les lwemiers cris de guerre
véhémens coutre les rois seraient partis de
l'hotel de l'ambassadeur d\m roi qu'on savait
le plus disposé a tournel' contre la révolntion
franc;aise toute la pnissance de ses armes!


Dans sa réponse le l'oi dit que l'emperenr
avait l'empli ce qu'on devait attendl'c d'Ull alJié




l\IÉlIIOIRES


fideIe; mais que ses démarches n'ayant pas eu le
meme succes aupres des mItres princes, des
réponses peu mesuré es avaient été faites a ses
réquisitions. Il s'agissait de l'électeur de Treves:
le roi de France, d'apres la nouvelle impulsion
donuée a son cabinet, avait requis de nouveau
l'électenr, et d'un ton menac.:ant, de disperse l'
les rassemblemens d'émigrés formés oans ses
élats. L'électeur avait répondu qu'il n'y avait
dans ses États aucun rassemblement d'émigrés
en corps d'armée; qu'aucune loi de l'Empire ne
lui intenlisait de donner asile a la lloblesse
franc;aise proscrite et fugitive; et qu'au surplus
iI était aisé de reconna!tre que le roí n'était pas
libre lorsqu'il avait souscrit l'office qui lui avait
été remis de la part de sa majesté tres-chré-
tieune.


Qu'on juge de la position du cOllseil : bientot
la connaissance certainc de l'officc de l'empereur
sur les indct;l1l1ités, la crainte de l'effet qu'il ne
pouvait manquer de produire, les fachellses pré-
ventions de connivence entre le roi et les princes
ses fl'eres, entre le roí et la noblessc qui s'agi-
tait et s'armait sur les frontieres du royaume,
préventions qll'il fallait se hatel' de détruire,
toutes ces considérations l'emporterent clans le
conseil; en un mot un art trompenr, melé :\
des cil'constances il'résistibles , décidel'ent le roi




n'CN IIOIUIUE n':ÉTAT.
et ses ministres a une démarche solennelle, ou
plut6t a une représentation parlementaire dont
toutes les machines venaient d'etre préparées.


Le 16 décembre le roi se rend a l'assemblée
accompagné de tout ses ministres: le plus pro-
fond silence régn'ait dap.s la salle; Le roi prend
place et prononce d'une voix assurée un dis-
cours ou il annonce qu'il a fait déclarer a l'élec-
teur de Treyes que si avant le 15 de janvier il
ne fait pas cesser clans ses États tout attl'Ollpe-
meut et toute disposition hostile de la part des
Fran<;ais qui s'y son t réfll giés, iI ne ve)'ra plus en
lniqu'un ennemi de laFrance. Le roí ajonte qu'il
écrit a l'empereur pOlir l'engager a déployer, s'il
le faut, son autorité comme chef de l'Empire
pour éloigner les malhelll'S que ne manquel'ait
pas d'cntl'alIler Ulle plus longue obstination dc
quelques membres du corps germaniquc; qu'il
prend en meme temps les mesures'militaires les
plus propres a Ülire respecter ses déclarations.
l( Si elles ne sont point écoutées, poursuit le roi,
» alors, messieurs, il ne me restera plus qn'a
» proposer la gllene. )' La réponse froide clu
président 1 et l'attitude de l'assemblée laisserent
assez entrevoir qne les députés n'attachaient
aucune idée de force el d'énergie au discours


• M. Lemontey.




176 l\IÉJUOIRES
émané de la conronne, et qni toutefois fnt en-
voyé aux quatre-vingt- trois départemens,


Le roi s'étant retiré, le ministre Narbonne
rcntra dans la salle pour annoncel' a l'assem-
blée que trois a¡'mées, formant cent cinquante
mille hommes, seraient dans un mois rassem-
blées aux fl'ontiúes, SOtlS le commandement des
généraux Rochambeau, Lucknel' et Lafayette.


Quand peu de jOUl'S apres le ministre de Les-
sart communiqua enfin, de la part du roi, la
lettre oe l'empereur du 3 décemb¡'e et les pieces
qui y étaient joilltes, lenr sty1e et leUl' forme
toute diplomatique firent d'abord peu d'impres-
sion sur l'assemblée, quoique l'office de l'empe-
reur contlnt des avertissemens fermes et sérieux,
Le tont fut renvoyé an comité diplomatique.
lttabli par l'assemblée constituantc, et influencé
llans I'origine pUl' lVIirabeau, ce comité interpel-
lait les ministres SUl' toutes les relations exté-
rieures de la Franee, Des 10rs les transactions les
plus délieates et les plus secretes des cabinets
deviment des objets de discussion a la tribune,
Depuis qu'il était privé des lnmier'es de Mira-
bean, le comité diplomatique ne jetait plus le
meme éc1at. Dans la nouvelle assemblée iI était
mené pal' de violens et présomptueux déclama-
teurs étrangers ~t tous les principes de politique;
uussi tont aUllonc,'uit qn'il ne tal'dcrait pas a de-




venir une arme redoutable dans les mai,ns du
parti de la guerre qui dominait dans l'assem-
blée et cluns les clubs.


A compter de cette époqlle, les journaux de
París, les pamphlets et les délibél'ations du
club des jacohins ne eesscrent de provoquer
l'explosion des passions hostiles. L'assemblée
nationale ouvrant, le 19 décembre, la dis-
eussion au sujet des préparatifs annoneés par
le roí, le député Brissot pronon~a un dis-
eours qui fit sensation. Brissot était alors le
coryphée des jacobins et du parti guerroyant;
ii discuta d'ahord les intérets respecttfs et les
moyens des differentes puissances de l'Europe,
s'attachant surtont a prouver qu'il n'y en avait
allcnne qui put penser sérieusement a entrer en
guel'l'e avec ]a France et qui eút les moyens
de la soutenir. On le COUVl'it d'applandissemens.
D'autres orateurs parIerent dalls le me me es-
prit; el l'assembléc adoptant un projet de dé-


..


claration solennelIe proposé par CondOl'cet, fit
connaitre aux puissances les principes et la po-
litique de la France régénérée. C'était une am-
plification revetue d'un vernis philanthr'opiqlle,
et mise en avant pour masquer encore la guel're
dans l'attente de l'achevement de ses préparatífs.


Tandís que les dívers partis mettaient tont en
mouvement pOlll' arríver a une rupture géné-


l. 12.




178 l\IÉl\fOIRES
rale, l'horizon politíque au dellOrs prenait aussi
une teÍnte plus sombre.


Déja l'éleeteur ue Treves, menacé par la ué-
claration du roi de Franee, avait eu reeours an
chef de l'Empire pOUl' qu'il préservat ses fron-
tieres et ses États. L'empereur, prenant en sé-
rieuse considération l'assistance demandée, fit
communiquer· a l'ambassaueur de France it
Vienne, par le chancelier de l'Empire, un nou-
vel office en date da :.< 1 décembl'e. Il contenait
en substance que l'électeur ue Trcves ~l.Yait rendu
compte a l'empereur de la déclaratioll que le roí
de France lui avait faite l'elativement <111 rassem-
hlement des émigrés dans ses États; qmd'élcc-
teur avait répondll a cette dóclaration qu'il avait
suivi les reglemens mis en ,'iguenr dan s les
I)ays-Das alltriehíens, mais que daos la crainte
que les inquíétudes que lui avait dmmées celte
espece ~l'.injoIlction ne se réalisassent, iI ~lYait
rl~~Jamé l'assistanee du chef de l'Empire; que de
son cóté l'empereur, convaincu des intentions
modérées de sa majesté tl'es-chrétieunc, mais
n'étant pas rassuré par son expérience jonrna-
lit're sur l'adoption gl~nérale de ses intcntions,
et craigllant que malgré les principes du roí iI
Ile fút commis des "oies de fait contre l'électeur,
sa majesté impériale avait cm devoir enjoindre
an maréchal de Dender de porte!' les secours les




plus efticaces ~t ee prinee; mais que su majesté
était trap sincCrement attachée au roi de France
pour nc pas désirer que tontes ces mesures fus-
sent rendnes inutiles par le maintien de la tra11-
quillité publique et de la bonne intelligencc
entre les conronnes.


L'assemblée parut violemment agitée par la
lecture de ces dépeehes, qui furent renvoyées a
l'examen du comité diplomatique. Peu de jours
apres, le d(\pnté Gcnsonné, qni en faisait par-
tic, oecupant la tribune, y sanct;onna en qucl-
que sorte les précédentes pl'ovocations de ses
collegues. Les députés Isnard et Fauchet, dans
un acces de frénésic, illsulterent a toutes les
cours en excitant l'illsurrectioIl des peuples.
Tous les partís semblaient vouloir engager la
France dans Hile lune terrilJle eontre tous les
intérets eUl'opéens.


El ce fut apres avoil' exeité lui-meme eette
effcrvescence et l' esprit guerricl· des Fran<;;ais
(lue le eonseil dn roi parut chereher d'nn antre
coté a ¿viter la rupturc dont iI était menacé avec
toutes les cours. Il ne fnt pas plus heureux dans
le choix de ses rnoyens (Iue dans ses tenta-
tives.


D'abord le eorps diplomatique fran<;;ais, ac-
cusé á París d'a.ristocratie el de royalisme, subit
une sor te d'épuration constitutiollnelle. De tous




lIT ÉlI ro IR ES
les diplomates tl'alors, un seul, M. de Noailles,
a Vicnnc, était censé marcher ~laIls la ligne
du notlveau régime. Le premier rappelé fut
le comte de Vergennes ~ ministre pl'eS l'élec-
teur de Treves; on le remplu(fa par M. Bigot de
Sainte-Croix, chargé de notifiel' a l'élcctcur les
décrets cont1'e les émigrés, et de veillel' a lenr
exécution. A M. de Béranger succéda M. de Mar-
bois, an pres de la diete deRa tisbonne. Le chan-
gement le plus marcpwnt fut celui qu'éprouva la
légation de Berlin : au moment múne oú le cahi-
net constitutionncl de Paris envopit a LOIlLh'es,
comme négociateUl's, M. de Biron 1 et l'éveque
d'Autun, Talleyrand-Pér\gord, il faisait passer
en Prusse, avec une 1111ssion particuliere, M. de
Ségur. C'était un homme de COUI', un homme
J'espl'it et un littératcnr aimable qui c1éjil, dans
la car'J'Íere des ambassades, avait en le don de
plaire á Cathel'ine n. J\Iais que les tcmps étaient
changés dans le court intcl'vaIlc de deux ou tr01S
ans ! M. de Ségur, comme diplomate constitu-
tionnel, n'aurait pas plus rénssi alO1's á Saint-
Pétersbourg qu'il ne lleva,t réussir á Bel'lin,
malgréles graccs de sonlangage et la mod('ration
de son car'actere.


::\'1. de Ség'nr, dcpuis son retour de Russie ,
J Connu u'aboru. sous le nom de une de L;J.l1znn ; 11 a }.¡isst:, sous ce


110m '. de, JIi:moil'es, OlJ plul<lt la cbrc,ui'lue g"lanie de son lempo.




D'r;N H02lIME D'ÉT .\'l'.


avait été accueilli par Louis XVI et par la reine
elle-méme. N ommé an mois d'avril IJ9 r. 3m-
bassadeur extraordinaíre a Rome, en remplace-
ment du cardinal de Bernís, il ne s'était poillt
rendu a sa destination. Ses opinions conime
constitntionnel modéré porterent Lonis XVI,
apl'es l'acceptation de la constitlltion, a lui offrir
le portefeuille des affaires étrangeres. M. de Sé-
gur l'accepta d'abord, et finít par le refuser,
ayant appris que le baron de Breteuil, an-dela
dn nhin, conserverait la haute dil'ection des
aHi¡ ires poli tiques. Deux mois a pres, le roí, crai-
gnant de se voir forcé par une assemblée déja
trop ardente a diriger ses armes contreses freres,
chefs des émigrés réunis et armés clans l'élec-
torat de Tl'eves, exigeade M. de Ségur, que tout
en conservant son titre d'ambassadellr, il se
chargeat d'une mission particllliere pour enga-
gel' le roi de Prussc a conseiller a l'électeur de
Tl'eves cl'interdire les armemens 3UX émigrés. La
ne se bornait pas néanmoins ]a mission de M. de
Ségur : il venait succéder en qnelque sOl'te au-
pres de Frédéric-Guillaume ú M. <le Moustier 1,
que ce prince estimait, mais dont les chefs de la


, Pere du mar<¡uis ,le Monotier, memhre de la chambre actnelJe des
dé¡lUté" et plus connu par SOn amhassade a :'>iadl'id el les circonslance.
de son. r.ppel a I'occasioll de l'inlervenlion anglaise dans les del'lliers
trollbles dn Portn!!"l sDscite~ par le prti apostoliq"e <l'EspoSne.




JlObIOJlLES


révolution se défiaient a Paris, a cause de son
dévouement a l'émigration. Aussi Lonis XVI
n'eut-il pas le courage de llli rernettl'e le porte-
[euille des affaires étrangeres, qu'illui destinait.
Les diplomates constitlltionnels, a part leurs
jnstructions secretes, étaient chargés d'engager
les puissances a ne point s'immiscer dans les af-
faires intérieures de la France, de leur proposel'
d'indemniser en argcnt ou en tcrres les princes
germaniques possessionnés en AIsClce, f:t d'ob-
tenir qu'on Dt cesser l'al'mement des émign\s,
clont les rassemblcmens protégés rendraient la
guerre inévitable et entralneraient des malheurs
impossibles a calculer. Mais le fond de la mis-
sion de lVI. de Ségur était d'une naturc encore
plus délicate et d'nn succes plus douteux : il
avait pour instruction secrete d'employer tous
les ressorts de la diplomatie a détacher le ca~
binet de llerlin de sa nOllyelle alJÍance avec l'Au-
tri che , en lui offrant toutes les compénsations
et les avantages d'une alliance contrairc. En cas
d'obstacles aisés a prévoir, il clevait au moins
s'efforcer de paralyser le concours hostil e de la
Prusse par l'emploi des moyens clandestins les
plus actifs et ]cs' plus puissans. lVI. ele SéguI' a'\'ait
représenté vaincment avant son départ la <liffi-
culté crune mesure si tal'diy~ et l'impossibilité
presque évictente de rompre un lien déjit formé:




D'UN IIO~I:!VIE D'ÉTAT.
on exigea qu'au moins il fit , dans ce but, toutes
les tentativos possiblcs. Ses dÍl'ections a cet
égard pouvaicn¡: bien le mettre sur la voie de
certains appuis, soit a Berlin, soit a la cOllr,
soit illl\mc auprcs des ministres, ({ni la pln-
part étaienl pel! pOl'tés pOlE' la gllcrrc; Tnais d'un
autre coté M. de Séglll', a'iec les dispositions d'CE-
prit ou était Frédéric-GuiHaume á l'égard de la
France, pouvait-il se flattel' de rompre les nreuds
qni liaient ce prince á l'empercur Léopold? il
)' avait pen a espél'er de l'opinion publique dans
un pays et dans nn moment ou elle n'exen,;ait
encore qll'une influence détournée sur les dé-
cisions du cabinet. Il y avait pen de fonds a faire
aussi sur les intrigues de cour, presque toujours
impuissantes sans le concours fortuít de quel ...
ques chanees favorables. l\I,. de Ségur allait avoir
d'ailleurs a soutenir la concurrcuce de deux
agens d'un parti contraire, et accrédités pres du
roi. L'un d'eux, le baron de Roll, était otl'icr-
tement reCOIlllU comme I'cnvoyé des princes:
il en a déjit été fait mention. Quoique M. le vi-
comte de Caraman n'eut aucun caractere pu-
blic, il n'en fut pas rnoins avolléa la COllf de
Prussc comme agent pal'ticulier de Louis XVI,
et a ce titre on l'admit a traiter directement
soit avec les ministres do roi, soit avec le roi
lui-rneme. Que d'obstacles a yaincre! M. de




~IÚIOIRES
Ségur était d'ailleurs précédé a Berlin par les
memes préventions qui s'attachaient a tons les
pas des constitutionnels de sa caste.


Le roi, qui était de retour de Potzdam de-
puis le 20 décembre, avait assisté a la parade.
Le 23 il donna un granel diner, ou furent in-
vités les généraux et les ministres d'État. On
s'aper.-;ut que les affaires de France préoccu-
paient le roi, et qu'il préparait son gouverne-
ment a reccvoir une direction hostile.


Sur ces entrefaites arriva 1\1. de Ségur, avec
le titre d'ambassadeur. Il fut signalé aussitot
comme patriote par les émigrés réfugiés alors
a Berlín, et qui redoutaient le succes de sa
mÍssion temporaire. S' étant présenté lé 12. jan-
viet' pour remettre ses leUres de créance, le roí
le re(!ut avee froideur, mais s'entretint cepen-
dant ave e lui pendant plus d'une heure sur sa
mission, et lui répétant : {( N'attaquez pas I'An-
)) trie he , laissez en paix l'Allemagne, et je ne
» vous ferai pas la guerreo » N e se rébutant pas ,
M. de Ségur revint faire sa cour; mais le roi
le regardant avec humeur, et se tournant aus-
sitot d'un autre coté, affecta de sourire au gé-
néral émigré Heymann, qu'il abprda d'un ait-
gracieux. Le lendemain, clans les cercles de la
ville, OH l'épanclit le brnit qu'un hi.llet, écrit
par le roi lui-meme a la reine, avait eugagé




D'UlV HO:lIME n'ÉTA.T. 185
eette princesse a n'accueillir que tl'es-froide-
ment M. de SégUl', et que la reine avait ré-
pondu que jamais ordre ne lui couta moins á
suivre. D'un autre coté, les ministres Schulen-
burg et Finkenstein sé renvoy~ent de l'nn a
l'autre le négociateur fran<;,ais,· qní s'étonnait
avec enx d'nn si étrange accueil, et de ce que
l'envoyt'l de Louis XVI était traité a Berlin avec
tant de méfiance. En effet on eut dit que les
honneurs et la confiance étaient réservés aux
agens des princes dont la mission était regardée
comme un attentat eontre lcm' patrie, meme
par un grand nombre de Prllssiens.


Mais le roi, vivement irrité par lcs· déclama-
tions dirigées de Paris contre tous les trones,
souhaitait plus que jamais qu'on en vint a une
guerre ollverte, á laqllelle il était poussé par les
soIlicitations des émigrés et par les vains pro pos
de ses propres favoris. Les uns et les autres ne
formaient aucun doute que le plus brillant
succt~S ne eouronnat une expédition militaire
dirigée contre la France. A les entendre, la
contre-révollltion de la Hollande n'ayant couté
qlie trois semaines, et le Brabant ayant été SOll-
mis en quinze jours, la contre-révolution en
France devait etre au plus l'ouvrage de deux
mois.


Peu de peJ'sonnes a la cour osaient tenir




18G ~IÉ1\IOIRES
un atltre langage : les ministres auraient eru
se remh'e suspects, et ils se bornaient a des
rcpréscntatioIÍs détournées. Il n'y avait gnere
qlle le princeRenri, lié précédemment avcc
NI. de Ségllr, qti, partisan déclaré de la France,
quelle que fút la nature de son gouverne-
mcnt, et ponssé par l'habitude de fronder,
manifest;\t ouvertcmcnt la crainte de voir s'a1-
lumer une guerre dont OIl 11e pOllvait prévoir
les suités ni calclller les cOIlséqueIlces. Mais ce
prince était saIls influence comme sallS crédito
n n'en était pas aiusi du duc de TIrunswid\: :
placé entre les memes penchans et les amorces
de l'ambition, mais plus avisé, il semblait n' 0-
piner encore ,en faveur dn maintien de la paix
qne ponr ne pas se montrer trop avicIe du com-
mandemcnt général que l'opinion publique lui
décernait d'avance.


Le cabinet constitutionnel s'exagérant la ca-
pacité militaire du dnc tIe Erunswick et l'im-
portance dn role qu'il semblait appelé a jouer
sur le théatre de la eoalition , erut qll'il ne serait
peut-etre pas impossible de, faire la eonquete
d'lln prinee qui au fond aimait la Franee et les
Fran<;ais, 'et p;¡r la d'entralucr le cabinet prus-
sien dans un nutre systeme politiqueo eette né-
gociation secret~ fnt préparéc clans des entrc-
tiens eonfidentiels entre l'arnbassadricedeSuede,




, " D UN I10JUlVIE D ETAT.


Madame de Sta(~I, le ministre de la guerre Nar-
1>onne, M. de Talleyrancl-Périgord et d'antres
affidés inf1uens. 011 en fit l'ohjet J'unc missio11
particulicre, offerte cl'abord a 1\1. de Sógur, qlli,
n'en espérant allcnn succes, la refusa; elle fut
destinée alors au comte de Custine, fils du géné-
ral Custine , qui lni-meme figurera bientot dans
ces mémoires. Le jellneCustine, dont la tOllrnure
et les manieres ('taient séeluisantes, avait l'esprit
cultivé et une illstruction précoce comme mili-
tain~ ; il connaissait la Prusse et la tactique des
troupes pl'llssiennes, qll'il était allé étudier sur
leur propre terrain; il se montrait el'ailleurs
animé de cette valeur franGaise si impatiente dé
se signaler. On le décida facilement a entrer
dans les vues du parti constitutionnel , dont s{)n
pere était un des plus fermes appuis. Ceux qlli
le mettaient en avant parvinl'ent, par le mi-
nistre eles affaires étrangeres de Lessart , a faire
entrer Louis XVI dans l'esprit de sa mission
projetée, et a lui faire agréer le négociateur.
Le roi de France apposa sa signatnre a une
lettre officielle écrite en son nom au dnc de
Brunswick, et clans laquelIe, employant les for-
mules les plus <lélicates de l'éloge et de l'estime,
le roí prcssait le cInc d'accepter la dignité de gé-
néralissime de ses troupes. On voit par ]a que le
partí constitutionnel regardait eomme un conp




188 J\IÉMOIRES
d'État le succes de cette mission, qui eoinci-
dait avec ceHe de M. de Ségur. Porteur de la
lettre de Louis XVI, le négociateur fran<{ais
partit ponr Brnnswick dans les premiel's jours
de janvier, en meme temps que M. oe Sé-
gur se mettait en !'Oute pour Berlin. ArrÍ\'é á
sa destination, et faisant remettre la lettre du
roi, iI attendit impatiemment l'audience qu'il
avait fait demander pOUl' s'expliquer plus par-
tieuliérement sur l'objet de sa mission et rece-
voir la réponse du prinee. Quatre jours s'écou-
lerent sans aucune el1trevuc. Enfin le einqllieme
jour le due ,qni avait eu le temps de la ré-
flexion, aeeordant l'audienee demandée et s'ex-
pliqnant avee une sorte de franehise, dé clara
qu'iI n'aeeepterait point l'insigne honneur que
luí proposait le roí de France; qu'étant déjá
la seconde personne de ]a PI'L1sse et altaché
par des liens indissolubles a eette monar-
chie, son ambition était satisfaite. Vainement
le comte de Custine mit-il en usage tout ce
qu'une cajolerie délieate lui snggéra pOUl' ra-
mene!' le dne aux désirs de la Franee; iI lui
donna meme l'assnranee que ses pouvoirs mili-
taires auraient plus de Iatitnde que eeux qui
avaient été déférés jadis au maréchal de Saxe
sous Louis XV; il lui fit envisager qu'il s'y me-
lerait une haute influence politiqlle si néces-




, " n CN HO'\nrr: JrKL\T. l89
saire non-seulement pou .. maintenil' la paix gé"
nél'ale et ramener la Prusse a un systeme plus
conforme á ses vrais intéres , mais encore pour
consolidel' le gonvcl'nement constitntionnel,
qlli trouverait la garantie de sa duréc dans la
sagesse, l'expériellce et la valem el'un lwince
dont la réputatioIl était européenne. Le duc,
tout en déclarant qu'il honorait le roi de France
et qu'il estimait la natioIl fran\aise, avoua qu'il
ne commettmit pus l' imprudellce d'aller sur le
théatre mouvant des révolutioIls échangel' la
haute et solide position que sa na~ssance, quel.
ques succes et sa fortulle luí avaient départie,
contre un avenir précaire et incerlain. Tonte-
fois il n'ota point an négociateur tout espoir
d'accéder a su proposition dans tI'antrcs eil'·
cOllstanccs. Ainsi lc jellne Custine, par son tact
el son esprit d'obscrvation, tira de ectte mission
manquéc des fruits que le cabinet constitution-
nellaissa múrir, et on le yerra lui-meme paraitre
bientót á Berlin avec une mission nouvelle.


Cependant les démarches de M. de Ségu!, pour
se er(~er des appuis directs a la cour de Prusse
n'avaient pas répondu a son attente. 11 trouva
a Rerlin le commandem' de l\Iaisonneuve, qui,
sous l'égide de M. de Lafayette, dont il était le
parent, venait d'etI'e nomrné envoyé de France
a Stuttgard ,en remplacernent de M. de Mackau.




lIIÉMOlRES


Pendant un séjour á Berlin antérieur ;t la mis-
sion de M. de Ségur, le commandeur de Maison-
neuve, décoré de la croix de Saint-Louis et
jouissant dn grade de maréchal de camp, s'était
fait connaitre depuis 1790 avec le titre apparent
de chargé d'affaires de Malte; il avait en acces
non-seulement ;t la conr, mais dans les plus
lbutes classes de la société. M. de Ségur se
crut donc fondé á croire que par ses rela-
tiol1s le commandeur lui faciliterait le succes
de sa mission en l'introduisant auprcs des pero
sonnes les plus influentes de la cour. Mais soit
CIne cette liaison excitát quelque défiance,
soit qu'on ne vit plus dans l'introducteur de
NI. oe Ségur qlúlIl partisan du nouvel ordre de
choses en France, le commandeur de .Maisoll-
nenve n'ent plus ~l la cour le meme crédito Se
voyant en butte aux préventions qu'excitait le
nouveau ministre de France, il quitta Berlín
pour sa nouvelle destination, livrant ainsi M. de
Ségur a lui-meme. Qu'on juge avee quelle mé-
fiance le roi, déji:t si fortement pl'évenu contre
cet envoyé dll cabinet constitutionnel, rece-
vait les repl'ésentations ou les notes ou ii ex-
posait les suiLes et les dangers d'un embrase-
ment général. 1\1. de Ségur trouva pourtant á
Berlin un Ol'gane de la paix', qui, pl'ofitant'
de son acces aupres du roi, se dévoua pour le




n'UN IIOilfl\fE n'ÉTAT.


succes de sa négociation : c'était le chevalier
de Boutlel's, littérateur bauin el léger, mais
dont le nom historique s'était melé, a Paris,
a ceux des partisans les plus sinceres d'une
monarchie tempérée. Selon M. de Ségur llli-
meme " « Il eut le rare courage ,. an rnilieu de
» passions si violentes, de braver leUl' fougue I
» de dil'e la. vérité an roí de Prusse, et de luí dé-
» voiler l'avenir. Il lui préuit qu'il exaspérerait
» le penple qu'on voulait calmer, qu'il compro-
» mettrait la vie du monarque qu'il espérait de
) sauver, et qu'il ne pourrait forcer la nation
» franc,;aise a recevoir des lois dictées par l'é-
» tranger.)) M. de Ségur eroit que ce lang~ge ,_
appl,lyé par des considérations d'une poli tique
seeondaire qu'il déduit, ébranla les résolntions
de Frédéric-GuilIaumc, ralcntit son ardeur et
suspendit I'orage pret ;\ fondl'e sur la France.
1\1. de SégUl' a pn se méprendre : se voyant
mieux traité par le roí, invité aux eoncerts de
la conr, tl:ou:ant les ministres plus facíles et
plus confians, au point qu'ils se plaignaient de-
vant lui des importunités et des folles demandes
des émigrés, il crut avoil' emporté les trois
points essenticls de sa missioll , savoir : le dós-
armement des émigrés, la négociation a l'amia-


I Tableaupolitiqllc de l'El/rope, depui3 1780 jus'lu'm I7g6! l. n.




:mij\IOlmos
ble avec les pl'inces possessionnés en A)sace , et
l'assurance de la part du cabinet prussien de ne
point attaquer la France si la Francp n'attaquait
pas l'Autl"iche. M. de Ségur fut ainsi trompé par
des apparences dOllt iI ignorait la cause, et i1
s'attribua un succes qu'il ne devait I'éellement
qu'a l'accord des' mesures concertées secrete-
.mellt entre Léopold et Frédéric-Guillaume.


La conc1uite des deux monal'ques s'explique
naturellement. Frédél'ic-Gllillaume parut com-
prendre d'abol'cl que l'illtervelltion des puis-
sances étl'ang~res dans les troubles de la France
pOUl'(ait etre plus nuisible qu'utile am: per-
sonnes augustes pou!' lesquelles il ambitionnait
de pl'endre les armes. Quoiqlle vivement solli-
cité tant par les émissaires des émigrés que par
ses propres sentimens en faveUl' du parti de la
contl'e-révolution, iI n'entemlit jamais s'écarter
par trop de pI'écipitation de la marche tracée
par le chef de I'Empire. Léopold faít-íl notifier,
le 5 jan vier, au cabinet constitu tionnel de Paris,
et en tl'aitant l'assemblée nationale sans ménage-
ment , que la moindre invasioll du territoire de
l'Empire sera regal'dée, par lui, comme une dé-
c1aration de guerre, aussitót Frédéric-Guillaume
charge son ministre a Paris de déclarer au ca-
bint't de sa majesté tres-chrétienne qu'il envi-
sagera une invasion de trouprs franliaises sur le




" ,! D UN HOl\fJ\IE D };TAT.
territoil'e germaniquc comme une l1éclaration
de guerre, ct qu'iI s'y opposcra de toutes ses
forces. Si le roi consenti t ensuite a écrire a l' é-
lectcur de Trevcs pour lui conseillel' de ne plus
permettre l'armement des émigrés dans ses États,
c'est que le chef de l'Empire venait de recom-
mander a ce meme électeUl' de ne permettre
chez lui ni rassembIemells d'émigl'és, ni aUCUllS
préparatifs, ni mesures hostiles. Il cst vI'ai que
les ministres de Prusse se montrerent disposés
,\ suivre une négociation pou!' imlemniser en
terres les princes alIemands possessionnés en
Alsace. lVIais cette base de négociation n'avait
pas été réprouvée; elle était la seule compatible
avec le conclusum de la diete et le décret de ra-
tification de l'empereur. Enun si Frédéric-Guil-
laume décJara en m(~me temps qu'ilne combat-
traÍt la France que si elle atlaqnait l'empercur ou
qnelque pl'ince de l'EJ1lpire, c'est que les deux
cours ét~ient d'acconl de se maintenir sur la dé-
fensive, et d'y attendre les chances que feraient
naitre les événemens.


On ne touchait pas meme a la fin de jan-
yier 1792, que déja M. de Ségur mandait a son
gOllYernement que le cahinet de Prusse suivl'ait
la marche ele celui de Vienne.


Qu'nrriva-t-il lorsqu'essayant de fl'anchir ces
bornes reconnues, on offl'it an cahinet de Ber-


r. I3




lUÉMOIRES


lin de conclure une alliance avec la France con-
stitutionnelle, et que, pour remIre la proposi-
tion plus admissible, on le laissa maltre oe
prescrire telles conditions qu'il lui plairait de
fixer? Le cabinet eut Ol'dre de repousser toute
espece d'ouverture de ce genre, et d'avertir
qu'on s'exposerait a des désagrémens person-
neIs si on revenait a la charge. M. de Ségm ne
tarda pas a demander son rappel, et l'ohtint.


Pen de temps avant son départ dc Berlin,
M. de Ségl1l' ótant tombé maJad e , 011 répamlit a
son sujet les nouvelles les plus extraonlinaires
sur un acte prétendu de profond désespoir sur
lui-meme, et heurellsement non accompli. Mais
commentsupposer qu'un hornme decour,qu'un
diploma te doué d'un caractcre si aimablc et
d'l1ne si douce lll'hanilé eút éié capablc de s'ar.
mel' el'une résolutiou catoniquc? l)'autres, écar-
tant cette suppositioll, parlaicnt d'ul1 atteutat
ténóbrcux commis slll'la personnc de M.l'ambas-
sadenr par des malvcillans. Le fait est que dans
un violent acces defievre, M. de Ségur tombaut
de son lit, fut relevé la figure ensanglantée ,acci-
dent qui n'eut aucune suite, mais qui donna lien
aux fables bientot démenties qui occuperent un
moment non-seulemcnt 13crlin, mais Paris meme.


Reportons nos rcgards sur ]e granel foyer des
passions politiques dont l'explosion devait em-




, " D UN HOMME D ETAT. 195
braser l'uní verso Les amis de la paix n' étaient pas
sans espoir dans Paris meme, lorsque de nou-
ve1les déclamations du député Brissot, précédées
par les rapports du comité diplomatique, rédigés
dans le meme esprit, vinrent attiser le feu qui
couvait depuis si long-temps. Aux griefs qu'a-
vaient f~üt naitre les rassemblemens d'émigrés se
joignaient alors le mécontentement excité par la
réclamation de l'empereur relative aux princes
d'Allemagne possessionnés en France et par
l'office du 21 déccmbrc, plus gl'ave encore dans
son objeto Quant aux motifs de la réclamation
de l'empel'eur et du COnclUSllnl de la diete, le
comité c1iplomatique et l'assemblée elle-meme
s'obstinaient a considérer les fiefs des princes
possessionnés comme soumis aux lois de l'État
claus l'intérieur duque! iIs étai~nt situés. La
lettre de l'empereur, aussi-bien que le concllt-
SllIn, paraissaient d'ailleurs des actes atteuta-
toiTes a la souveraineté nationale. L' office du
21 décembre excita une bien plus vive explo-
SiOll : il semblait qu'il eut déchiré le voile. A vant


, , , f" t l' 1 . t l' t ' l' meme qu on n enl o )Je (un rappor a as-
semblée, iI donna Iícu dans les comités, dan s
les clubs, (lans les conférences entre les minis-
tres et les députés influcns, a dessoup/,?ons,
des reproches, des interpt>étations virulcntes.
On était surtout frappé des expressions de la




lII.ÉlIIOIRES


chancelerie impériale, qui présentait les souve-
raillS réunis en cOncerl pOllr le maintien de la
trallqllillité publique, et pou!' la szlreté el l'llOll-
llcur des courOlllzes. C'était le paragraphe qui
faisait naitre le plus de réflexions et qui laissait
les impressions les plus profondes. On y voyait
l'índice cel'tain d'une ligue formée a l'insu de
]a FI"ance et contre elle. On se demandait pour-
quoi l'empercul', bean-fl'ére et allié du roi de
France, Be lui avait pain t fait part de ce cou-
cert formé entre les souverains de 1'.Eul'0pC, et
a la tete duquel Léopold semblait s'(~tre placé.
On commen<.;ait a croire généralement qu'il exis-
tait une espece de ligue formée entre les prin-
cipales puissances de l'Enrope, clans la vue d'ap-
porte¡" des changemens dans la constitlltion
f'ran\aise. On mettait meme CH a"ant commc
a peu pres certain ce qui jusqu'alors n'avait été
soupc;onné que par un petit nombre de per-
sonnes, savoÍl' : quc les pllissances avalent des-
sein de provoqucr l'établissement d'un congres
oú cet objet serait traité entre eHes; et que lá,
réunissant lenrs forces et lenrs moyens, elles
voudraient contt'aindl'(~ le roi et la nallon á se
soumettre a des lois qu'ellcs alll'aient faites. On
indiquait meme' Aix .. Ja-Clwpellc ponr la tenue
de ce con gres , qui opérerait sur la Frauee comme
les cours de Dediu, de Loadrcs ct (le La Ilayc




n'CN HOllflln: D'ÉTAT. 197
avaient opéré sur la JIollanc1e 10rs de ses demiers
troubles. Le seul indice d'une interven tion étrall-
gere et année indignait la fierté nationale; et
des lors les hommes modérés virent décliner
leur illfluellce. La fermentation des esprits était
au comble.


Comme les rasscmblemens d'émigrés armés
étaient le gl'icf qni excitait le plus J'irritation, des
le 1 cr de janvier 1792, et ayant <l'en venid.ladis-
cllssion :mblique des affaires Iitigienses du de-
hors, un décret violent avait été rendll a une
gralHle majol'ité de voix. Ce décret mettait en ac-
cusation, comme prévenus d'attentat et de con-
spiration contre la súreté générale de l'État, non-
seulement :MONS1EtJR et le comte d'Artois, mais
encore le prince de Condé, M. de Calonne, le
marquis de I,afllwilJe et le vicomte de l\Iira-
beau, comme complice3 des freres de Loúis XVI.
Apres avoir été ainsi décrété d'accusation, JltTON-
SIEUR fut déclaré peu de jOUl'S apres , d'llne voix
unanime, décllll ele son droit a la régence.


Tels fnrent les préludes du rappol't que 'le
comité diplomatique présenta le 14 janvier SUl'
I'offlce du 21 décembrc, communiqué par le'
pl'ince qe Kaunitz a l'ambassadeur de France a
Vienne. Le rapporteur Gensonné soumit a l'exa-
men de l'assembléc les questions suivantes :


« 1 o Qnelle est notre sitl1ation po1itique a




1IIÉ:VIOIRES
1" 1 d }' , , » egarc e empereur, et qu avons - nous a


» craindre de ses dispositions?
» 2° Pouvons - nous regarcler ceUe uerniere


» démarche comme une hostilité de la part de
» l'empereur, et devons-nous accélérer , en l'at-
» taquallt, l'instant d'uue rupture qui doit etre
» tres-prochaine?


» 3° Devons-nous nous borner a exiger de
» l'empereur, dans un bref délai, des explica-
» tiOllS tellement claires et précises qu'elles ne
» laissent plus d'inquiétude sur ses intentions,
» ou que ses réponses ne nous laissent plus de
» prétextes pour déclarer la guerre?


» Il est temps, avait dit le rapporteur dans
» son exorde, il est grand temps de donner a la
» nation fralll;:aise l'attitude qui lui convient au-
» prcs des nations étrangercs, de signaler son
." indépendance, de déjouer cette politique té-
» nébreuse qui ten el a donner ;\ la révolution
» une marche rétrograde , et a soumettre notre
» gouvernement intér~eur a l'influence de quel-
» ques princes étrangers , et la volonté générale
» d'un grand peuple a des lois qu'il n'aurait pas
» dictées; il est temps de détrnire ce foyer el'in-
» quiétueles qui tenel a prolonger la fermenta-
» tíon d'un levain de guerre intestine, et de
» donnet' a tons les peuples une preuve éclatante
» de l'énergie et dn courage des Fran~ais. »




, " D UN II01\IME D ETAT.


L'orateur, considérant ensnÍte la conduite de
l'empereur depuis l'époqlle de la révolution, et
sans remonter aux anciens griefs de la France
contre l'Autrichc, fixa principalement l'atten~
tion de l'assemblée sur le cOllcertdes puissances
dirigées par la cour de Viellne contre la liberté
de la natíon fran\,aise. Il cita la clause de la
déclaration de Pilnitz, rc!ative aux affaires
de France; les notes par Jc!'qudles l'empereur
avait textuellcmcllt manifesté le va:u d'arl'étcr
touta clltreprisc prejudiciaúle á la digllilé da
!'ol; la protcction accordée a l' t'>lectcur de Tre-
ves; la défensc ele porter les coulcurs nationales;
la permission de porter ]a cocarde blanche, et
surtout l'asile et les secours accordés aux émi-
grés. JI conclllt de tous ces faits que I'empereur
avait ouvertement violé le traité de I75G. « Il
)} est plus que probable, ajonta-t-iI, que cette
)) coalition des puissances forméc par l'emlre-
» renr lui-mémc, et qu'il se flaue de diriger a
» son gré, u'a d'antre hut que de nous effrayer
» par l'appareil de la force, et de nous amener
)) insensib'ement a l'adoption d'un con gres qui
» modifierait notre constilutíon, qui I'enverse-
}) raít le principe de l'égaJité des droits et don-
» nerait au treme une autorité presque absolue.
» Tel est le projet de cette coalition; iI a peut-
» etre été formé dans le sein dé la France; des




2.00 ~nbrOIRES
» in telligcnces secretes ont entretenu l' espoir de
» le faire adopter ..... Mais une nation de vingt-
)) quatl'e millions d'hommes libres, qui ne veut
» que la liberté et qui la vent tout entiere, ne
» s'avilit pas au point de soumettre sa sOllverai-
» ueté anx volontés de quelques despotes .....
» C'est a vous, qui etes chargés de parler au nom
» du peuple, et a qlli ii :l confié ses plus chers
» intérets, e'est a vous a examiner, el'apres la
» conduite de l'empereul', si sa derniere note ne
» doit pas etre regardée comme une hostilité,
» et si la guerre peut etre entreprise en ce mo-
» ment sans étre offemire ..... Dans une situation
» semblable, Frédéric-Ie-Grand ne soutint les
» efforts de la ligue que la cour de Vienne avait
» formée contt'e lui qu'en allant au-devant de
» ses projets. Il l'attaqua : une irruption SOll-
» daine as:sul'a sU!' sa tete une COUl'onne que le
» moindl'c oélai aurait pu lui ravir ..... Dites au
» roi, poul'suivit l' orateur, que la guerre est né-
» cessaire, que l' opinion la pl'Ovoque, que le
» salut oe l'État lui en impose la loi, que la na-
» tion désire qu'il lui donne des preuves de son
» attachement, qa'il lui sacriue toute eOllsidé-
» ration étrangere au salut de la patrie, que la
» nation attend de son l'oi une conduitc ferme,
» constante et loyale, que la confiancc ct l'amour
) du peuple en seront le prix. ))




, " D UN HOllfllIE n J~TAT. 201


Unanimement applaudi par l'assembléc et par
les tribunes, le rapporteur conclut pal' un projet
de décret portant en substance que le roi serait
invité a demander a l'empereUt' de faire con-
naitre avant le 10 février prochain, par des ex-
plications claires et précises, ses dispositiolls a
l'égard de la France; et si, dans le cas Ol! elle
se1'ait atta qué e , illui fournirait les secours qu'il
lui devait en vertu de !'article 9 du trailé du
moís de mai 1756; que le refus de donner Ics-
dites explications scrait cOl1sidél'é par la nation
comme une rupture, comme un acte d'hostilité
envers elle de la part de remperenr; que le roi
se1'ait également invité a donne1' les o1'<11'es les
plus précis ponr faire continuer et aCéélérel',
autan t qu'il serait possible, les préparatifs de
guerre et les rassemblemens de troupcs aux
frontieres, de maniere qu'elles fussent en état
d'agir dans le plus bre[ délai.


t'assemblée ordonnal1t l'impression de ce
rapport, ajourna la discussion an 17 janvier.
A peine ce décret fut-il 1'el1clu, que le président
Guadet, s'élan<;;al1t ou fauteuil á la tribune, y
exhala son indignation patriotique oans une vé-
hémente improvisation oirigée contre les prin-
cipaux membres du parti constitutiol1nel de la
premie re assemblée : on les soup<;;onnait généra-
lement de vouloir terminer la révolution par un




202 ~IÉl\romEs
con gres dont l'objet principal devait etre de
faire revivre le systeme des deux chambres et
de présenter son adoption commc le seu! moyen
qu'eut la France de prévcnir une guerre géné-
rale. te Qucl est donc, s'écria Guadet, ce com-
») plot formé contre la patrie, et jusqu'a quand
» souffrira-t-elle que ses ennemis la fatiguent
») par lcurs manreuvres et l'outragent par lcurs
) espérances? S'il est vrai que ces intrigues aient
») été conduites par des hommes qui croient y
») voir un moyen ele se relever de la l1ullité po-
») litique Ol!. ils viennent de descendre, l'assein-
» blée nationale pourrait-elle fenner les yeux sur
») un pareil danger ?.... Apprenons a tons les
» princcs que la nation fran<{aise est résolue a
» mainteni1' sa constitution tout entiere, OH a
») périr tout entiere avec elle ..... l\Ia1'quons d'a-
) vance une place aux t1'a1t1'es, et que eeUe
)) place soit l'échafaud.


» Je propose de décréter a l'instant meme que
») la nation fran~aise regarde comme infame,
» traltre a la patrie, coupable dtI crime de lese-
» nation, tout agent dn pouvoir exécutif, tout
» Fran({ais, qui preno1'aient part, directement
» ou indirectement, soit a un congres dont
)1 l'objet serait d'obteni1' une modification quel-
» conque de la constitutioll , soit a une média-
» tíon entre la natian et les rebelles émigrés ,




n'UN HOllIJ\IE D'ÉTAT. 203


) soit enfin a une eomposition avec les prinees
) possessionnés en AIsace. Je propose que eette
») déclaration soit porté e sur-Ie-champ au roi,
)) avec invitaLÍon d'en donner connaissance a
) tons les princes de l'Europe, et de lem· dé-
) clarer qll'il regardera comme ennemis de la
)) France tout prince qui manifesterait l'inten-
)1 lío n de porter atteinte a la constitution. (e


A peine l'orateur a-t-a cessé de parler, que
tous les membres cW'assemblée se l(~vent pal'
uu mouvement sim1tttané aUSSI prompt que
l'édair, et expriment par de nouvelles acclama-
tions, par Ieurs sermens, l'adhésion unanime a
la décIaration qu'ils viennent d'entendre. Les
tribunes, partageant avec plus de vivacité en-
core ceL enthousiasme, melent leurs accIama-
tlo11s el leurs sel'meus a eeux de l'assemblée.
I,es ministres présens a la séance, et que leurs
liaisons connues faisaient suspecter d'etre atta-
chés an parti constitutionnel, cedent, ponr
écarter tout sonpr,on, a l'entralnement général,
ou plutot au délire de l'assemblée, et des le soi,'
me me ils viennent annoncer que le roi a sanc-
tionné immédiatement la déclaration décrétée
par elle an milieu des acclama tions publiques.


Le lendemain 15 janvier, le ministre dePrnsse,
bamn de Goltz, et J\!. de Blnmemlorf, conseiller
d'ambassade et chargé <!'affaires de l'empereur,




l\IÉl1IOIRES


se hatellt d'expédier, chacun a su COUl', un
coul'rier porteur des journuux et des dépeches
contenant les détails de la séance de la veille.


Ces dépeches firent duns les deux cours, et
surtout dans les conseils de l'empereur, une
sensation profonde. Convaincu depuis le mois
de décembre que le parti dominant voulait la
guerre, le cahinet de Vienne avait pris la ferme
résolution de ne pus la déclarer , ({'éviter meme
tout ce quí pouvait y do. lieu, mais en con-
servant tou tefois les m""S'ens de la soutenir
avec avantage. 5a politiqne sur ce point ne
pouvait convenir aux denx partís extremes :
les émigres et les jacobins ne respiraient que
]a guerre, qui pouvait seule amener les chances
d'un triomphe completo On ne ponvait plus
Jouter, el'apres les nouvelles de Paris, que
le partí constitutionnel, regardé paJ' Léopold
comme le clernier asile de la royauté, ne fut
désormais sans force et sans influcnce clans ¡'in-
térieur. L'empereur et le prince de Kaunitz en
éprouvaient une sorte de dépit. Léopold dit
meme tont hant atable: « Les Fran<;ais veulent
)) la gllerre; ils l'auront, et ils vcrront que Léo-
) .poJd le pacifique sait faire la guerre qualld ii
» le faut. )1


D'tm autre coté l'empereur était persuadé
que les ministres de Loui5 XVI n'avaient pas




, " D UN HO:\UfE D ET A T. 205


encore perdu l'espoir d'évitcl' OH d'éloigner
les dangers d'nne rupture : la voie des négocia-
tions l'estait toujours ouverte. Le ministre de
France, marquis de N oailles, tont en consel'-
vant la dignité de son caraclere, loin d'ü'ritel'
la conr impériale, se servait toujours clans ses
communications des expressions les plus mo"
dérées, qni contrastaient avec les fougueuscs
déc1amations de queIques membl'es de l'ussem-
blée nationale. PlusieUl"s fois jI avait mandé á
son cabinet qu'on était extr(~mement fi'uppé a
la cour de Vienne du désorclre de l'administra-
tion en France, de l'insubordination des pon-
voirs, du pen de respect qu'on témoignait á la
persol1nedu roL Il avait ajouté qu'une des
choses ~lont le ministere autrichien se montrait
le plus choqué, était la licellce eles disconrs et
des écrits. « Ce cabinet, mandait-il, prétend
)) qn'ull gOllvernement Ol! de pareils exces sont
» tolérés, est lui-n1(~me intolél'able. )) A ccUe
communication le ministre eles aiEürcs étl'an-
geres de Lessart répondait : « IL faut considél'cr
») que notre organisation ne f<lit que de naitre;
)) que les ressorts de nofre gOllvernement ne
)) SOllt pas tous encore en activité, qu'an milieu
» des inquiétlldes, qui nons viennent en partie
)1 du dehol's, il est impossible que les lois CXCI'-
») cent au dCCk'lIlS tout leur empire. Que ]'on




,


206 1I'IÉMOIRES


» cesse de nous inquiéter, de nous menacer, de
» fournir des prétext~s a ccux qui ne veulent
» que le désordre, et bientot l'ordre renaitl'a.
» QueUe est an surplus la cause de cette fermen-
» tation inté1'ieu1'e dont la cour de Vienue pa-
» rait si blessée ? e'est la consistance qu'ont pris
» les émigrés, ce sont leurs préparatifs, leu1's
» projets, leurs menaees; c'est l'appui plus ou
» mains réel qn'ils ont t1'auvé dalls la plupart
» des caUt's de l'Europe ..... »


Cependant Lauis XVI, de meme que tous les
prinees faibles, apres s'etrc laissé entralner,
aurait voulu reculer devant les conséquences
d'une rllpture, et en détourner les causes s'il
était possible. Son cabinet ayant re<;u de l'en-
voyé de France a Coblentz, le 16 janvier, deux
jours apres le rapport fait ü l'assemblée natio-
nale par le comité diplomatique, des nouvc1Jes
plus satisfaisantes pour les ami s de ]a paix, le
ministre des affail'es étrangeres se hata d'allel' a
l' assemblée lire ces dépeches, partageant avee le
roi l'espérance que des informations si positives
calmeraient les députés et les disposeraient peut-
etre a pOl'ter plus de modération clans la dis-
cussion importante qu'on avait ajournée au Icn-
demain. L'envoyé de Franee pres l'électeur de
Treves mandait quc la dispeJ'sion des émigrés
était aussi réelle et aussi complete que la nation




, " D UN HO~i~IE D ETAT.


pouvait le désirer; que les eanons, munitions,
approvisiotmemens étaient ou seraient rendus;
que les marehés des fournissellrs seraient rési-
liés; que les puissances n'aeeorderaient aux émi-
grés aucun seconrs; que le· cardinal de Rohan
avait re¡;u Ol'dre de l'empereur ·de ne tolél'er
dans ses possessions aucun rassemblement hos-
tile; que l'empereul' avait annoncé, il est vl'ai,
qu'il était pret a protéger tous les ]~tats de I'Em-
piJ'c, et [¡mtout ceux qui avaient été lésés; mais
qu'il avait promis en meme temps d'empecher
que ces memes Etats n'agissent par des attrou-
pemens et ne tl'Oublassent de leur ehefIa bonne
harmonie entre l'Empíre et la Franee. Ces aSSll-
rances ayant fait peü d'impression, le rninistl'e
se rend á la séance du lendemain, avec l'appl'o-
hation du roí, qni désirait par desslls tout évitel'
la gucl'rc, et Et il adresse ~l l'assemblée les plos
fortes repl'ésentations ponr qu'elle se tienlle
en garde eontre toute détermination qui ne
serait pas dictée par la prudenee et la justice.
11 invoque la constitution, les príncipes clu droit
des gens, ce qu'exigc la dignité de la nation
et la sureté dn royaume. Il représente que les
ménagemens suggérés par une sage ct juste po-
litique doivent thre préferés a toutes les me-
sures qui pourraient exciter un ressentiment
légitime, tclle que celle qni fixcrait impérieuse-




~w8 1IrÉjUOIRES
ment a l'Empil'c OH á l'empereul' un délai de
pen de jours pOUl' expliquer ses intentions. Il
observe que le roi avait employé des moyens
aussi fermes , mais plus conciliatoires, et com-
hien il est essentiel de ne pas contrarier l'effet
J'une négociation si importante ..... ( Je termine,
» njouta le ministre, par une réflexion qui seule
» suffirait ponr avel'tir votre prudence dans le
» choix des moycns propres ~l conserver la paix:
) la plus juste el la moins malheureuse des
» guerl'es est encore une source trop féconcle
» d'injusliccs et de calmnités. »


Ces repl'ésentations produisirent tout aussi
peu d'cffet que la lecture des dépeches du mi-
nistre de Franee á Coblentz.


Le dépllté Drissot montant le premier a la tri-
bune ,pada pendant prcs de Jeux heures pOUl'
~airc prévaloil' tlne poli tique diamétralement
opposée. Les principaux traits de son dis-
conrs n'échapperont point au genre de ces mé-
moires, cal' Dr~ssot, orateul' du partí républi-
eain, á compter de ce jour jusqu'au mois de
maí 1793, va diriger en quelque sorte la diplo-
matie de la révolution. « Le masque est enfin
» tombé, (lit-il; votl'e enncmi véritable est
» connu. L'ordl'e donné au général Dender vous
» apprend son ~OIl1 : e'est l'empereur. Les élce.
» teu:'s n'étaient que ses pretc-noms; les émi-




, " D UN HOllI:ilfE D ETAT.


» grés n'étaient qu'un instrllment dans ses mains.
» Vous devez maintenant mépriser les émigrés;
» e'est a la haute cour nationale a venger la na-
» tian de la révolte de ces prinees mendians .....
» Les éleeteurs ne sont pas plus dignes de yotre
» calere; la peur les fait prosterner a vos pieds.
» Votre cnnemi véritable, e'est l'empereur. Il
» eherche a vous attaque¡' et á vous effrayer. Si
» vous devez etre attaqué, il vous convient de
» prévenir; si ron ycnt vous amuser, vous ne
» devez pas \'ous endol'mil'; si l'on ne tend qu'a
» vous forcer paI' la terrelll' a une capitulation
» indigne de vous, il faut réaliser ce que vous
» avez cent fois promis : la constitution ou la
» mort! l .. a mort, elle n' est point a eraindre ;
». examinez votre position et eeHe de l'empe-
» reul'. Vol/'e constitution est un anatheme éter-
» neI aux trones absolus. Tous les rois doivent
» done hall' votre eonstituti0!l; elle fait leur
)l proct:s, elle pl'OllOnCe lenr sentence , elle sem-
» blc lenr Jire a chacun : Demain tu ne seras
» plus, ou tune seras roí que par le peuple. Cette
» vérité a retenti dans le ccenr de Léopolcl; iI
» cherche a en reculer le fatal momento Il faut
» done dire a l'cmperenr : si e'est notre eonsti-
» tution que vous vonlez détruire, ou renoneez
» a ce projet, Oll préparez-vous a la guerreo On
» vous dira pcut-etre, ponr excuser cette ligue,


J. 14




210 lUÉl\lOIRES


l' qu'elIe n'a point la violen ce pour but; qu'on
p veut seulement, dans un con gres , corriger
» quelques vices de votre constitution. Mais ce
)l congres, fut-il pacifique, serait encore un ou-
l> trage sanglant a la nation fran<,¡aise. Anatheme
1) done ame. ambitieux qui, pour perpétuer les
» troubles et leur influence, en ont con<,¡u le
» projet! Anatheme aux puissanees assez folles
» pour vouloir les protéger! Eh! de quel uroit
)J l'empereur veut-il intervenÍl' dans nos ,démc-
» lés !... .. Négocier, e'est nous faire perdre tons les
) avantages d'une guerre franche: pendant cette
») comédie poli tique , nos préparatifs militaires
)J épuisent nos ressources; les inquiétudes re-
» naissent, les agitations intérieures continuent,
» les forces combinées s'assemblent, la saison
» favorable ponr elles s'avance, les prétentions
» se montrent, la hanteur se déploie uans les
)' offices, les mena ces sllccedent au ton miel-
1) lellx; on s'offense, l'invasion suit, une guerre
» désastreuse éclate dalls nos foyers memes , les
» mécontens se rallient bientot aux drapeaux
» étrangers, et la guerre civile se joint a la guerl'e
)' étrangere. Telles sont les vues secretes de vos
) ennemis; ils sont rois , et vous etes peuple; ils


. » son t despotes, et vous etes libres; 01' iI n 'y a
'» point de capitulation sincere entre la tyrannie
» et la liberté. Je ne dirai done pas a l'empereur




, .,
DUN HOJlfME DETAT. 21l


» avec votl'e comité: Youlez-vous vous engager
» a ne pas attaquer la France ni son indépen-
» dance; mais je lui dil'ai : Yous avt!z formé
)J une ligue contrc la France; fe dois vous com-
» battre; et cette attaque immédiate est juste,
» nécessaire, commandée pal' les CÍrconstances
)) et par vos sermens. » L'orateur conclut par
proposer d'anéantir le traité qui liait la France
a la maison d'Autriche, et d'exiger de l'empe-
reur, d'ici an r o ff~vrier pour tont délai, une
satisfaction telle qu' elle put dissiper les inquié-
ludes de la nation.


Ce discours el d'autrcs encore, prononcés
dans le meme esprit, furent seuls goutés et ap-
plaudis. Avant meme la cloture de la discussion,
le ministre de Lessart, dt'ja intimidé par les in-
terpe1JatioIls et les reproches du comité diplo-
rnatique, frappé aussi de l'extreme irritation du
parti qui voulait la guen'e et qui pl'enail un as-
cendant marqué sur les résolutions de l'assem-
bIé, crut mettre sa responsabilité a couvert en
faisant demander a l'empereur des explications
catégoriqucs. Sa dépeche du 2 J janvier, adressée
á l'ambassadcur de France, décelait tout l'em-
harras de sa position. Arres avoir signalé la pro-
funde impression qu'avait faite sur l'assemblée
nationale l' office impérial du 21 décembre,
apres avoir déduit amerement les causes de




212 1I1óromr.s
mésintelligence qni pouyaient amcner une me-
sure aussi terrible que la guerre, iI s'expl'imait
alllSl:


« Je yiens, Monsieur, de prononcer un grand
» mot, un mot qni occllpe actuellement tOllS les
» espl'Íts; IIn mot qui est l' objet des inqlliétlldes
» des uns et <les désirs des autres : ce mot est
» la guerreo Vous croyez bien que le roi est a la
» tete de ccux qui y répugnent; son excellent
» esprit, d'accord ayec son erenr, cherche ~t en
» repousser l'iclée. Il la regarde, dút-elle etre
» heureuse, comme un fléau pour l'humani té et
» comme une calamité ponr le royaume. l\Tais
» en meme temps, et je pellx vousl'assurer, le
» roi a été vivcment affecté de l'office dn 21 dé-
» cemb,'e. Cet ordre, douné si brusquement a
)) M. le maréehal de Bender, eette apparente in-
)) tention de seeonrÍl' }'éleeteur de Treves, tan-
» dis que ee lwinee tenait ú notre égard la con-
» duite la plus hostile, celte annonee d'un con-
» cert -inconnu entre toutes les puissances de
» l'Europe, la tOllrnure et le ton de l' offiee ont
»fait une impression dont les gens les plus sages
» n'ont pu se défendl'c, et qll'il n'a pas été au
» pouvoir du roi d'effacer.


» Vous devez done, Monsieur, ehercher des
» explications sur trois points : 10 sur l'offiee du
)) 21 décembre; 2 0 sur 1'intel'ventiün de l' empc-




n'UN HO:\Il\IE D't~TAT.
») reur dans ~os affaires intériemcs; 3° ~ul' cc
)) que sa majesté impériale entend par les sou-
» verains réunis en concel't pour la sl1rcté et
» 1'120111leUI' des COUl'onnes. ))


Depuis que les premiers cris de guerre s' étaient
faitentendre a Paris, les dépechcs qui en étaient
arrivées successivement au cabinet d'Autriche
avaient donné lien á différens conseils d'État·:
Léopold y assistait presqne toujoUl's; mais il
n'en sortait encore aucune solution sur la grave
question de la paix ou de la guerreo Ce cabinet
était divisé, c'est-a-dire que les hommes d'État
qui le composaient différaient sur la maniere
d'envisager non-seulement la question de la
guerre, mais la situation intérieure de la France.
n restait done toujours a décider si ron fixerait
une époque que1conque pOtll' l'attaque militaire
du royaume, ou si ron attendraít pOUl' y péné-
trer l'explosion d'une guerre intestine dOIÜ on
ne doutait pas. Le prince de Kallnitz et les
ministres du roí de Prusse étaient de ce der-
nier sentiment, vivement combattu pal' l'impa-
tience des princes fran<,;ais et de la noblessedu
royaume Ce partí affirmait que ce n'était qu'en
y entrant á l'improviste qu'on déterminerait le
soulcvement en faveur du roí. La diete de Ra-
tisbonnc tenait ponr l'avis du pl'ince de Kau-
nitz, a l'exeeption de l'électellr de MayeQce,




l\IÉMOIRES


qui, par l'organe du cardinal prince de Rohan,
pressait de tout son pouvoir l'empereur, comme
chef du corps germanique, de faire le plus
promptement possible une invasion dans la
lIaute-Alsace, oú étaient préparés tous les élé-
mens de la contre-révolntion. De meme que le
conseil de l'empcreur, la cour d'Autriche était
divisée en deux partis qui influaient plus ou
moins sur les déterminations générales. L'un,
séduit ou entrainé par I'émigration fran<:;aise,
mettait en jeu tous les mobiles qui pouvaient
décider l'empereur a brusquer la guerre et a la
faire porter sur-Ie-champ en AIsace ; l'autre, et
c'était le parti temporiseur, se croyait le plus
fort paree qu'il s'appuyait sur les intentions per-
sonnelles de Léopold, et qu'il était soutenu par
des relations directes avec la reine de France et
quelques-uns des ministres de Louis XVI, diri-
gés eux-memes par un comité clandestin l. Ce
comité, toujours dans l'espoir qu'il survien-
drait quelque chance plus favorable qui ne se
présentait jamais , nc demandait qu'une guerre
politique et d'observation qni amenat le renver-
sement d'une constitution dont l'action régu-
liere lenr paraissait impossible, OH qui permit
en fin d'y apporterdes modifications essentielles


• llarnave et Dnport, de l'assemblée constituante, en étaienl répu-
tés les chefs.




n'UN rrOl\IlUE n'ÉTAT.


dont l'expérience faisait sentir tous les jours da~
vantage l'impérieuse nécessité.


lVIais depuis l'arrivée du dernier courrier, le
chancelier de cour et d'État prince de Kaunitz
commen<;ait a cl'Oire une guerre ouverte inévi-
table. Le baron de Spielmann pensait qu'il ne
fallait pas s'y engager tant que la voie des négo ...
ciations resterait accessible. La Russie d'ailleurs
tenait encore en suspens les deux cours de
Vienne et de Berlin. Ces deux cours attendaient
d'un moment a l'autre des nouvelles d'Yassy et
de Saint-Pétersbourg , qui devaient annoncer la
conclusion de la paix entre la Russie et la Porte
ottomane.Enfin le traité arriva : iI venait d'etre
condu a Yassy le 9 janvier, et en vertu de ses
stipulations le Dniester devenait la limite des
deux empires. Catherine donnait la un gage de
sa modération. Exempts désormais de toute ap-
préhension sur les affaires d'Orient, et surs
que la Russie pourrait faire face a la fermenta~
tion de la Pologne, Léopold et Frédéric-Guil-
lanme pouvaient enfin agir et ne plus se borner
a un concert de négociations infructueuses.


Les demandes d'explications renfermées dans
les dépeches de M. de Lessart, du 21 janvier;
ayant été communiquées par l'ambassadeur de
France au cabinet de Vienne, un conseil extra-
ordinaire fut convoqué dans les appartemens




lIIÉ::;rOIRF.S


de l'empereur. A ce eonseil assistercnt, eomme
ministres d'État et de conférenees, les princes
de Colloredo, Stahremberg et Rosembcrg, les
comtes de Lascy et de Hatzfeld, et le baron de
Reischach. En outre le baron de Spielmann y
assista comme réfórendaire ou rapporteur, et le
baron de Kollenbach eomme actuaire ou gref-
fiel'. Le chancelier de cour et d'État pl'inee de
Kaunitz présidait le conseil, I'empereur présent.


Le rapport entendu, il ne resta plus aucnn
doute dan s les esprits sur l'élat des rcJations
poli tiques avec la France , le seul énoncé de la
séance du 14 janvier indiquallt assez que le co-
mité diplomatique, c'est-a-dil'e l'assemblée elle-
meme, s'était emparé de la direction des af-
faires étrangeres, et que par eonséquent la
guerre était inévitable. Venaient a l'appui les
demandes d'explications présentées par l'ambas-
sadeur de France dans sa derniere note. N'y
voyait-on pas le ministre des affaires étran-
geres, et par conséquent Louis XVI lui-meme,
entralnés l'un et l'autre, contre leur gré, dans
les voies d'u~e rupture imminente ?


Le résultat <Iu conseil donna líen a dífférentes
dispositions; voici en résumé les principales:


1° Que dan s toute l'étendue des États héré-
ditaires des préparatifs militairrs seraient 01'-
donnés et activés ;




, ,.
D UN HO~I21m D E.TAT.


2° Que l'Ol'dre immédiat de filer dans le Bris-
gaw serait douné a un corps de six milIe hom-
mes, el qu'on formerait des troupes réunies en
Boheme un corps de trente mille hommespn~t
a marcher au premier signal ;


3° Que le traité préliminaire d'alliance et de
concert, signé le 25 juillet précédent entre l'Au-
triche et la Prusse, serait converti, le plus promp-
tement possible , en un traité définitif;


4° Qu'on ne donnerait l~s explications de-
mandées par la note de M. l'ambassadeur de
:France qu'apres la signature du traité définitif,
et que d'ici la les deux cours alliées s'enten-
draient sur le plan offensif ou défensif qu'il
conviendrait d'arreter en cas de rupture.


Dans l'intervalle, le décret par lequell'assem-
blée nationale termina le 25 janvier la discus-
sion sur la note officielle du prince de Kaunitz
fut porté á la cO~lllaissance de I'empcreur, et
corifirma ce pl'ince dans ses précédentes résolu-
tions. Ce décret était ainsi conc;;u :


« L'assemblée nationale considérant que l'em-
» pereur, par sa circulaire du 25 novembre 1791,
» par sa conclusion d'un nouveau traité avec le
» roi de Prusse, l'e 25 juillet 1791, notifié a la
» diete de Ratisbonne le 6 décembre; par sa ré-
» ponse an roi des Fran¡;ais sur la notification
» a lui faite de l'acte constitutionnel, et par 1'of-




1I1É1UOIRES


» fiee de son chancelier de cour et d'État, en
» date du 21 décembre 1791, a enfreint le traité
» de 1756, a cherché a exciter entre di verses
» puissances un coneert attentatoire a la souve-
» raineté et a la súreté de la nation; considérant
» que la nation, apres avoir manifesté sa réso-
» lution de ne s'immiscer dans le gouvernement
» d'aucune puissance étrangere, a le droit d'at-
» tenclre pour elle-meme une juste réciprocité
» a laquelle elle ne souffrira jamais qu'il soit
» porté la moindre atteinte, applaudissant a la
» fermeté avec laquelle le roi des Fran¡¿ais· a
» répondu a l' office de l' empereur, apres avoir
» entendu le rapport de son comité diplomati-
» que, décrete ce qui suít :


» Art. ler. Le roi sera invité par une députa-
)) tion a déclarer a l'empereur qu'il ne peut
» désormais entretenir des relations poli tiques
)) avec aucune puissance qn'au nom de la na-
» tion fran<;aise et en vertu des pouvoirs qui
» lui sont délégués par la constitution.


» lI. Le roi sera invité a demander a l'empe-
» reur g'il entend vivre en paix et bonne intel-
» ligence avec la nation fran<;aise, s'il renonce
» a tout traité ou eonvention dirigés contre la
)) souveraineté, rindépendance et la sureté de
)) la nation.


» 111. 'L~ roi sera invité a déclarer a l'empe-




D'UN HO'liME D'.ÉTAT. :2.19
» reur qu'a défaut par lui de donner a la na-
» tion, avant le 1 er mars prochain, pleine et
» enticl'e satisfaetion sur les points ei-dessus
» énoneés, son silence , áinsi que toute réponse
» évasive ou dilatoire, seront regardés eomme
» déclaration de guerreo


» IV. Le roi sera invité a continuer de pren-
» dre les mesures les plus promptes ·pour que
}) les troupes franc;aises soient .en état d'entrer
» en campagne au premier ordre qui en sera
» donné.»


Presque en meme temps que ce décret parve-
nait a la connaissance des cabinets de Vienne et
de Berlin, le traité définitif d'alliance et de con-
cert entre les deux cours recevait, le 7 février
1792 , sa signature a Berlin meme. Le main tien
de la constitution germanique, tel était, d'apres
l'article 8, l'un des prineipaux objets de I'al-
lianee. DéJa les ministres d'Autriche et de Bran-
deb,ourg en avaient fait la déclaration officielle
aux ministres de la diete a Ratisbonne : il im-
portait aux deux cours que le traité qui les
unissait 'fut censé avoir pour base la conserva-
tion et la garantie du corps germanique et de
sa constitution. Pendant un demi-siecle n'avait-
on pas cru la trouver cette garantie dans la riva-
lité des deux puissances maintenant réunies
contre la révoIution franc¡aise? Or c'était l'expIo-




2.20 ME]\IOIRES


sion de la révolntion que Vienne et Berlin de-
'vaient s'attacher a repl'ésenter comme mena<;ant
l'ordl'e public et l'indépendance de l'Allemagne.
Mais la plupart des petits souverains du corps
germanique ne voyaient dans la révolution
qu'un danger chimérique 011 éloigné. Les seuls
pl'inces ecclésiastiques, inspirés par l'instinct de
]enr conservation, redoutaient la révolution
fran/{aise, et désiraien t la guerre comme moyen
d'arriver a la stabilité par ]a contl'c-révolution.
L'électelll' de Mayence, éclairé pal' scs I'clations
intimes avec Vienne, disait au marqllis de Bouillé
a ceUe époque : « Vous etes bien heureux que
» les Fran<;ais soient les agresseurs, cal' sans
» cela la guerre n'aurait pas lieu. »


En effet, Léopold ne sembla se réveiller qu'au
bruit des harangues et des décl'ets hostiles de
l'assemblée nationale. (( Anjonrd'hlli, mande-
») t-il a Frédé¡>ic-Guillaume r, c'est elle qui me-
») nace, qui arme, qui nons provoque de toute
») maniere; ces motifs produisent naturellement
)) l'occasion, le droit et l'objet principal d'une
») intervention al'mée. Les principaux points de
) réclamation et d'exigence doivent avoir ponr
») but : 10 que les armemens extraordinaires et
)) les pl'épal'atifs de gllel'l'e que vient d'entre-
») prendre la France soient discontinués et dis-


• Corrcspondancc directe des premiers joor! de Cévl'ier.




n'UNHOJlUrE n':ÉTAT. 22.1
» sons; 2,0 que le gouvernement fassc ces ser et
» réprimer par les mesures les plus énergiques
)1 et les plus suivies les menées audaeieuses et
»eriminelles des assoeiations et des individus
)1 tendantes a propager dans d'autres pays des
II principes capables d'y altérer ola tranquillité
» intérieure; 3° qu'il reconnaisse et mainticnne
» l'obligation et ]a foi des traités publics, et
» qu'en conséquencc iI satisÜlsse les griefs des
» prinees de l'Empire; 4° qn'il 50it adopté des
)1 moyens vigonrenx et suffisaus pour réprimer,
II punir et prévenir efficacement, par la suite •
)1 toutes les entreprises et tentatives d'associa-
» tions ou d'individus tendantes a renverser en
» France les fondemens essentiels du gouverne-
», ment monarchique. II


L'empereur examinait enslIite la nature des
moyens qu'il convenait de détel'Ininer, confor-
mément ° an traité définitif d'alliance. D'apres
son avis, il Y avait urgence a rassembler des
forces tres-considérables pOllr etre a meme non-
seulement de prévenir, de repousser les hosti-
lités et les violences que la France entrepren-
dl'ait au dehors, mais aussi pour la contraindre
a satisfaire complctemcllt le concert des puis-
sanees sur les points de réclamation et d'exi-
genee déduits ci-dessus.


Enfin l'empel'cur anuoIlt;;ait comme prochaine




.222 1I1ÉlIfOIRES


une démarchc formcHe de sa part a l'effet d'a·
mener les puissances a passerd'un concert éven-
tuel a un concert actif de déclarations et de
mesures communes fondées sur les memes prin-
cipes qui avaient concilié les suffrages a ses
premieres propositions, en les adaptant, cette
fois, a l'état actuel'des rapports internes et ex-
ternes de la France.


Le roi de Prusse don na son entiel'e approba.
tion a ce nouveau plan, et les deux souverains
prirent la résolntion de s'entendre pour concou-
1'ir a son exécution le plus promptement pos-
sible.


D'un autre coté le chancelier de cour et d'É-
tat, prince de Kaunitz, adressa, sous la date de
Vienne le 17 février, á M. de Blnmendol'f, chargé
d'affaires de l'empereur a París, sa réponse aux
explications demandées par le ministre des af ..
faires étrangeres de Lessart l. Le chargé d'af-
faires avait ordre de lui en remettre une copie
en le priant de la placer sons les yeux dn roi.
eeUe dépeche est un document d'autant plus
précieux pour l'histoire qu' on peut la considérer
comme le manifeste de Léopold contre le parti
des républicains ou des jacobins. On croÍt que
ce qui concerne l'état intérieur de la France fut
minuté par l'empereer lui-mem~ apres s'etre con-


, Par sa note du 21 janvier 1792.




n'UN rrOMl\fE n'ÉTAT.
certé avec Louis XVI et ses eonseillers intimes.


Le premier éclaircissement donné par le ehan-
eeHer de eonr et d'État était relatif aux ordres
transmis au maréehal de Bender. On y posait en
fait que l'empereur, sans attendre qu'il en fut
requis par la Franee, avait soumis le premier
dan s ses États la réeeption des émigrés aux re-
gles les plus strietes de l'asile innoeent, et qu'il
n'avait promis seeours a l'éleeteur de Treves
qu'autant qu'il aurait pleillement satisfait a la
demande de la France, de ne permettre chez
lui ni rassemblement d'émigrés, ni.aneunes me-
sures hostiles; que la déclaration d'assistanee
était d'ailleurs positivement limitée au eas d'in-
vasion qui surviendrait malgré les dispositions
modérées et prudentes des princes de l'empil'e
a faire oDservcr, a l'égard des émigrés, les memes
réglemens qui étaient en vigneur aux Pays-Bas;
qu'il était done plus clail' que le jour que l'em-
perenr, loin de vouloir menacer la France, n'a-
vait vc~ln que lui rappeIer l'obligation ou iI se
trouverait eomme ehef de l'Empire, co-État et
voisin, de secourir un autre État d'empire contre
d'injustes attaques, dont le menaf,;ait évidemment
la violence extreme qui se manifestait dans les
dispositions de l'assemblée nationale, ainsi que
des départemcns et des municipalités les plus
voisüies.




lUÉMOIRES


Le del1xieme éc1aircissement portait sur le
concours des puissances. Loin de dissimuler au-
cune démarche de l'empereur ponr obtenir ce
concours, le mínistre impérial remontaít a son
origine, en exposait les motifs, et en faisait en
quelque sorte l'historiqlle. «(A cette époque, dit-
» il (juillet 1791), la Franee offraít á l'Europe le


,» spectacle d'un roí légitime forcé par eles violen-
» ces atl'Oces a s'enfuir, pt'otestant soJennelle-
» ment contl'e les acquiescemens qu'on lui avait
» extorqués, et peu apres arreté et détcnu pri-
» sonníer avec sa famille par son peuple. Ouí ,c'é-
» tait alors au beau-fl'cl'c et a l'aBié dll roí a inviter
» les at).tres puissances de rEurope a se concérter
» avec lui pour déclarer a la France qu'ils regar-
» daient tous la cause du roí tres-chrétien comme
» la leur propre. »)


Ici le chanceJiel' de cour et d'État rapportait
les termes de la déclaration que l'empereur pro-
posa anx lwincipaux souvcrains d'atloptel' pour
base d'un concert général l.


« On défie, ajoutait - iI, d'y trouver une syl-
» labe qui ne fut avouée par tout ce que les prin-
» cipes du droit des gens out de plus sacl'é; et
»prétendit.on que la nation fran~'aise, par sa
» nouvelle constitution, se fut élevée an dessus


, La cit'culaire de Pauoue un 6 jllillct 1 jQI, mentiolluér pog. I22
du tomo ler de ces JUmoi,.es.






, " ]) UN HO.ilIlIIE DETAT. 225
)) de la jurisprudence universclIe de tous les
») siec1es et de tons les penples, encore ne saurait-
)) on, sans contredíre la constitution elle-meme,
») caracteriser de ligue contre la France, de réa-
l) llioll des puissances pour contraindl'e le roí et
)) la natioll d'accepter la loi qu'elles auraient
JJfaites \ un conce!'t dont le seul but était de


.) venir a l'appui de cette inviol-dbilíté du roí et
» de la monarchie fran<;aise que la nouvelle con-
» stitution l'econnalt et sanctionne eomme base
» irmnuablc.


») A eette meme époque de la détention dn roi
» se rapporte la stipulation comprise dan s des
» points préliminaires d'une alliance défensive
) entre les eours de Víenne et de Berlín, le 25 juil-
) let de la me me année, portant que les dellX
» COllJ'.l s' entelldNmt, s' elllploiel'OlllpOlll' &ectuer
) incessmnmellt le concert auquel sa mojesté l' em-
») pereal' vient el' im)iter les principales puissanccs
» de l'Eul'ope sur les affaires de .Francej stipula-
») tíon quí répond cntíeremCll t, eomme on voit,
)) aux príncipes et au but du concert, de meme
)) que la déclaration signée en commun par les
)) souverains de l'Autriche et de la Prusse, lors


, /


)) de lcm entrevuc a Pilnitz le 27 aout.
») Ce concert, poursuit le mi.nistre impél'ial,


, Expres;ions tirées des ré'1ui"itions Lites" l'cmpereur nn nom de
la nation fransaise.


l.




nrÉi1iOIRES


» était pres de se consolider lorsque le roí et su
» famille furent relachés, l'aulorité royale réin-
») tégrée, le maintien dlt gouvernement monar-
)) chique adopté par une loi f0ndamentaJe de la
») constitution, et lorsf!ue le roi trcs-chrétien dé-
» clara par sa lettre it l'assemblée nationale du
» 1 3 septembre: qu'il acceptait la constitutian;
» qu'a la vérité il ll'ape/'c('vait poiat, dans les.
» mo.rens d'e:x:écutioll el d'administratioll, toute
» l'énel'gie qw' sCl'ait nécessaire pOlll' conservel'
») l'ullité dails tOlttC'S les pal'tics d'Wl si vaste cm-
)'pire,. mais qu'i! cOllsentall que l'e:J:pén'ellce
») seule en demeul'át ¡uge.


l) Alors l'emperellr s'ad¡'essa nne seconde fois
• ») aux puissances qu'il avait invitées au concert


» pour ]eur proposer (['en suspcndre l'cffct. CeHe
) proposition sllspcllsi ve fnt motivée par 1'ac-
) ceptation du 1'Oi, par la v!':1Íscmblance qu'clle
» avait é:é vololltail'c, et par I'espoir que les pé-
» I'ils qui mena<,¡aieut la liberté, l'houneur et la
» súreté du I'oi et de la famille royalc, ainsi que
» !a conservation du gouvernemcntmonarchique
) en France cosscraient á l'avenir. Ce n'est que


• » ponr les cas oú ces périls se reproduiraient qne
» la reprise active du col1cert y est résel'vée.


» An lieu donc que ccUe dt':pcche cirClllail'e
» serve a constate!', ainsi qu'on l'avance sal1S
j) preuves clans l'invitation en forme ele d.écret,




, " D T'N JIOjlnlE D ETAT.


)) que l'assemhlée nationalc a fait présenter au roí
)) le 25 janvier: que l'emperellr a clzerc1zé á exci-
)) {el' entrc ({¿'(Icrses pllissallccs un COllce!'t attenta-
)) toire el la sow'eraineté, el la sllrcté de la France,
)) elle atteste tout au contrafIPc que sa majesté
) impél'iale a cherché a tranqllilliser les alltres
») puissances, en les engageant a partager avec
)) lui les espérances qlli motiverent l'acceptation )) un roí tres-chl'étien.


)) De¡mis ]ors le COllCCl't de l'empereur avec
)) ces puissances n'a plus subsisté qn'éventllelle-
)) mellt, a raison des inquiétudes qu'il était na-
)}. turel de consen'er apres UIle révolution qui,
)) pour me servir des termes de :1\1. de Lessart,
II s'étalll d'abordJaile avee une extréme rapidité, •
») s'est cllsuite pl'olollgée par les divisiollS, étant
») impossiúle que tallt d'oppositúm} tallt d'rjJorts
)) ct tallt de SeC()llSSeS 1J¿olcllles /le !(ússassent pas
)) apres elles de lallgucs ClgitatiallS ! ...


) Ces inquiétudes et le concert d'observation
) passive (llÚ en l'(~sulte ont un uouLlc motif
» aussi fonué qn'inséparable cluns ses objets.)


Ici le ministre impél'ial, prellant le ton et le
langage du m:mifcste, poursuivait en ces termes:
ee T:lllt ([ue l'état intél'icur de la Frimee, au lieu
)} tI'illviter a partager l'augure 1:1vorable de M. de
)) Lessal't, sur la renaissalice de l' ordrc, l' aclivité
)) dll gOl{Ferllemclll et I'cxCl'cice des [ois, maní ..




l\rúwums


» festera au contraire des symptómes journelIe-
JJ ment croissans d'inconsistance et de fel'menta-
» tion, les puissances amies de la Franee auront
» les plus justes s;!.iets de craindre pour le roi et
» la famille royal~ les memes extrémités qu'ils
» ont éprouvées plus d'llne fois, et pour la F rance
) de la voir replollgée dans le plus granel des maux
» dont un état puisse etl'e altaqué, l'anarehie po-
» puJaire, qui est aussi le plus eontagieux pour
» les autres pellplcs. Et tandis que plus d'un état
» étranger a déjá fourni les plus funestes exem-
» pIes de ses pl'ogres, iI faudrait pouvoir eontcs-
» ter aux autres puissances le me me dl'oit de
» maintenir leurs constitntions que réclame la
» France en faveur de la sienne, pour ne pas
» convenir que jamais iI n'a exi~té de motif d'a-
» ¡armes et de concert général plus lpgi lime,
» plus urgent et plus esscnticl ~l la ti'anqllilIité
J) de l'Europe.


) Il faudrait pareillement pOllvoir rl~cuser le
» témoignage des óvénemcns joul'l1aliers les plus
J) authentiques pour attribuer la prineipale cause
» de eette fermentation intérieure de la France, ¡t
)) la consistan ce qn'out prise les émigrés, it Ieurs
» préparatifs, leurs projets, leurs menaces, a
» l'appui qu'ils. ont tromé. Les Ü¡ibles al'me-
») mens des émigrés ne clemandaiellt point une
» présence de forces, trente Ú fluarante fois plus




, " D r:.~ HOl\IlIIE D ETAT.


» nomorcuse: les armemens des émigrés sont
» dissous, cenx de la France continuent.


)¡ L'empereur, bien 10i11 d'appuyer leurs pro-
.» jets ou prétentions, insiste SUl' leur tranquil-
» lité; les prinees de I'Empíre suivent son exem-
» pIe; aucune puissance ne les soutient par des
» troupes; et les secours pécuniaires qu'elles peu-
)J vent avoir aceorclés il l'intéret dil a leurs mal-
» heurs suffisent a peíne a leuI' entretien.


» Non, ajoutait l'Ol'gane impérial, non, la
» vraie cause de cette fermentation et de toutes
» les conséquences ql1i en dérivent n'est que
)) trop manifeste aux yeux de la France et de
») l'Europc entiere; c'est l'influence et la vio-
» lence uu parti républicain , conclamné par les
» príncipes de la constitution, proscrit par 1'as-
») semblée eonstituante, mais dont l'ascendant
» sur la législaturc présente est vu avec effroi et
» cloulellr par tous ccux qui ont a eccnr le salut
)) de la Francc.


» e'est la fnrcur de ce partí qui produisit les
» scencs d'honeur et de crimes dont furen!
» souillées les prémices d'une rMorme de la con-
» stitution fran<:aise, appclée et secondée par le
» roi lui-meme, et que l'Europe entiere eut vu
» tranquillcment se consommer, si des attentats
» répronvés par tontes les lois divines et hu-
) maines n'eusscnt forcé les puissallces étran-




l\IÉMOIRES


» geres a se réunir en concert pou!' le mainticn
» de la tranquillité publique et pour la sLÍreté et
» l'honneur des couronnes.


» Ce sont les moteurs de ce parti qui , depuis
» que la nouvellc constitlltion a prononcé l'in-
» violabilité du gOllVel'nement monarchique ,
» cherchent sans reblche d'en s~1pcr et d'en ren-


.» verser les fondemcns , soit par des motions Oll
» des attaqnes immédiates, soit par \1ll plan
» suivi de l'anéantir clans le fait en entraillant
"l'assemblée législative a s'attribuer les fonc-
» tions essentielles du pouvoir exécutif, oú en
» fort{ant le roí de céder a lems désirs par des
» cxplosions qu'ils excitent, et par les soupt{ons
» et les reproches que leurs rnanreuvres font re-
» tomber sur le roi l11i-meme.


» Comme ils ont été convaincus que la ma-
. » jeure partie de la natíon répugne a l'adoption
» de leur systeme de répuLliCjlle, OH, pour mieux
» dire, d'anarchie, et comme ils désesperent de
» réussir a l'y entrainer si le calme se rétablit
»dans l'intérieur et que la paix se maintienne
J) au dehors, ilsdirigent tons lenrs cfforts á l'en-
» tretien des troubles et á susciter une guer'l'e
» étrangere.


» C'est dans ·le premier de ces desseins qu'íls
» nourrissaient avec soin les disscnsions reli-
1) gieuses comme le ferment le plus actif des




, " DUN HOJ\Um DJo.T.I..T.


)) troubles civils; anran tissnnt l' effet des vues
)) tolérantes de la constituLÍon par l'alliage d'une
)) intnlérance d'exécution directcment contl'aire ..
)) e'est dans ce hut qu'ils tachent de rel1(lre im-
)) possib!e la réconciliation des partis opposés
)) et le ramcnement d'une classe CiU'OIl s'est alié-
)) lléc par les plus l'lldes épl'euves auxquelIes le
)) cocur lmmain pHisse etre soumis, en lui Cll-
)) levant t01l1: espoii" d'adoucissemellt et d'égards
)) cOllc¡lialls. Et tandis qU'Oll les voit cux-mcmes
)) attaquer ou viole!' impunément la nouvelle
)) constitntioll dans ses principes essentiels, ils
)) provoqnent l'enlllOusiasme public SUl' son in-
)) violabilité et sur son immutabilité cbns les
)) points les plus accessoires,. voulant surtout
)) empccher que le dt'sir d'un l'epos stable et le
)) jllgemcnt de l'expél'icl1ce Jle disposent la na-
)) tion a y adapter des tempéramens non moins
)) conciliables avec le bol essentiel á l'établisse-
)) mant d'unc monarchie, (lue propres á rappro-
)) cher les esprits et a rcstituer l'ordre et l'éner-
)) gie qui manquent a l'administration interne.


)) l'iIais voyant que letl!' créclit et le succes de
)) leurs Vlles dépendeut lI11iquement du degré
)) d'enthousiasmc et d'effervescence qu'ils réus-
)) sissent d'exciter et cl'entretenir dans la nation,
)) ils ont provoqué la erise actuelle de la France
)) avec les puissances étrangeres. Voilá pourquoi
» ils out entrainé le gouvernement a prodigue!'




l\IIÍJWIllFS


» les revenns publics, insnffisans ponr les dé-
» renses courantes et pour le souticn da crédit
» de l'État, a l'armement en guerre de ecnt cin-
» quante mille hommes, sous prétexte de faire
» fa ce aux quatre mille environ que les émigrés
» rassemblaient et ne rassemblent plus en Al-
» lemagne, dans l'attente évidente que ces ar-
» memens, soutenus d'ull langage mena<,;ant et
» dietatoire, provoqueraient infailliblement des
» voies de hit, des con tre-armemens, et final e-
» ment une rllpture Ollverte envers l'einpcreur
» et l'Empire. Voilá pourquoi, an lien d'apaiser
» les justes inquiétudes que les puissances étran-
» geres ont cont{ues depuis long-temps sur leurs
» mellées sourdcs, mais constatécs, pour sé-
» duire les ~lUtres peuples a l'insubordination et
» a la révolte, ils les trament a[Jjoul'Cl'hui avec
» UBe puL licité d'aveu et de mesures sans exemplc
» dans l'histoire d'aucllIl gouvernement polieé
)J de la terreo lis comptaient bien que les SOll-
» verains eesseraient enfin d'opposer l'indiffé-
» rence et le mépris a leurs déclamations ou-
» trageantes et calomnieuses, lorsq{úls verraient
» que l'assemblée nationale non-seulement les
» tolere dans son sein, mais les aecllcille et en
» ordonne meme l'impression I.


1 Ce passagc fait allusion anx discours de trihunc pronollcés par
Brissot et scs amis Ics girol/di"s.




, " D [T~- HOi'lIllIE D l:TA T.


)} lIs comptaient surtout pOllsser a hont l'em-
)} pel'eur, et le forcer a des mesures sérieuses,
)) qu'ils pussent ensuite tourner a l'entretien des
)) alarmes de la nation, en pr,otégeant et soute-
}} nant le nouveau complot de révolte qui vient
)} d'etre découvert aux Pays-Das ,et dont on sait,
)) a n'en ponvoir douter, que le foyer subsiste h
)) Douai 1, et que le plan est fondé sur l'appui dll
)) parti réplIblicain en France. e'est en général
)) contre l'empel'eur, et en proutant de l'état non
)) préparé oú se trouvent ses forces dans ses pro-
») vinces voisines, que parait etre dirigé leur
») princi pal, óu dn moins leur premier dessein ;
)) iIs esperent sans donte prévenü' les consé-
)) quences d'une aUaque qui deviendrait la cause
)) cornrnune des puissances, en parvenant par
)) des négocíalions et des offres simultanées a les
») désunir 2 et á leuI' inspire!', en sens contrairc,
)) les memes mOllvemens de jalousie et de riva-
l) lité d'alliance (JLl'ils ne l'énssiron t nulle pal't
)1 d'exciteI', á une époque oú tontes conspirent


, Attribué a Merlin de DOlIai , "lors juge, et jouissant el'nne tres-
g,'ande inflnence dans la vme ,le Douai , el en outre l'un ,les conseil-
lers intimes du due d'Orléans a ecUe éporlue.


, Ce passage fait allllsion aux tentatives de nrgociation des envoyés
comtitutionnels i, BrnnslYick et a Berlin, et pl'Obablement anssi a
<luelques-unes des notes présentées par M. de Noailles au cabine! de
Vienne, contre la nOllvelJe alliance cntre l'Autriche el la Pl'Usse.




234 ClrÉlIIOIRES
)) sinccl'ement a fondel' un sysleme de repos et
)) de modél'ation générale sur des bases illébr'an-
)) lables.


)) Ce n'cst cnfin qu'a la fnneste in{}ucnee dLL
) meme partí et an meme lmt de précipitcr la
)) guerre avec sa majcsté impériale que peut etre
)) r.ttribué ce décret incompétcnt du 25 janvier,
)) pal' lequel on s'est permis , cmpiélant sur I'ini-
») tiative résenée au roi par la constitution , de
») reproche]' it l'emperenr d'ayoir violé le traité
1J d'amitié et d'alliance ele I7'JG, p:1rce qn'il VOtI-
) lut seeourir le roi de Franee prisonnier, et la
») monarehie franr,:aise détrnite a l'époqne du
» 2 1 juin de1'nie1'; parce que depuis l' époque du
») 1 3 septembl'e il s' est empl'essé de ramener les
)) ~llltres souverains a I' unisson de la détermina-
») tion et des espél'ances de sa majcsté tres-ehré-
)J tienne; par leque! déeret on invite le roí a de-
) man<le¡' raison , au IlOlll de la France (1',i arme
» en guerre, sur les desseins hostiles de l'empe-
») reur qui n'a point armé, qui a fait ces ser les al'-
») memens d'autrui, et qu'on force aujourd'hui (le
» s'armel' en défense; par lerplel décret, ajolltant
)) l' offense ~t l'injus tiee, on s'arl'Oge de prescrire ,
») sur des reproches sans preuve, a un souve-
) rain auguste, l'allié de la Franee, un tel'me
)) péremptoire de satisfaction, comme si les re-
l) gles et les égards consacrés par le droit public


\




, " D VN TTOJlfME n EL'l.T.


» des nations étaient soumis a l'al'biLrage d'une
)) législature fralH;aise! .


)) Malgré des proeédés aussi provoqnans, l'em-
)) percm donnera a la Franee la preuve la plus
)) évidente de la constante sincérité de son atta-
)) chemellt, en conservant de son coté le calme
)) et la modération que son intéret amicar poar
)) la situation de ce royaumc luí inspire. Il rend
») justice aux sentimens pCl'sonnels da roi son
)) beau-fl'¿~re; il est loin d'attribucl' de tels pra-
)) cédés it la majeure partie ~e la nation qui, Oll
)) gémit elle-meme des mallX que lui cause ce
)) parti frénélique, ou participe involontairement
» aux errem's et aux préventions clans lesquclles
)) on travaille a l'entretenir sur la conduite de sa
)) majesté impél'iale.


») Découvrir les détails et les desseins vérita-
)) bIes de sa cOlHluite vis-a-vis de la France, sans
)) retenue, san s déguisement aux ycux du roi et
)) de la nation entiere, voilá la seule arme a la-
)) quclle 1'empereur souhaite pouvoir se bornet·
)) de recomir poul' déjouel' les artifices d'une
)1 cabale qui, faisant état dans l'état, et fondant
» son ascendant répl'ollvé par la loi sur le trouble
») et la confnsion, n'a d'a~tre ressoul'ce poul' se
)) soustmire anx reprQches des embarras inex-
» tl'icables qu'elle a déja préparés a la nation ,
) que de la précipiter dans des embarras et des




l1IÓWIRES


)) calamités plus grandes encore; a la favcur des-
)) quelles elle parvienne á consommer son plan
» de renverser le gouvernement monarchique
)) confirmé par la constitntion ..... l)


Le ministre impérial, dan s sa note du 19 fé-
vrÍer, adl'essée a l'ambassadem' de France á
Vienne, en luí envoyant copie de ce manifeste,
signalait avec plus de force encore le partí ja-
cobin. « Toute l'Europe, disait-il, est eonvain-
)) elle ave e l'empereur que ces hommes, notés
)) pat· la dénomillati~n de partí jacobin, voulant
) exciter la nation d'abord par eles armemens,
) puis a la rupture avee l'empereur, ne cher-
;) chent qu'á amener des prétextes de guerreo
)) Tels sont les motifs des explications qu'ils
)) ont provoqnées d'l111e maniere et avec des
) circonstances ca1calées visiblement ponr ren-
)) dre impossible á l'empel'ear de concilier daus
») ses réponses les intentions pacifiq.ues et ami-
)) cales qui )'uniment, avcc le sentiment de sa
») dignité blessée et de son repos compromis .....


)) L'emperéur, disait en terminant le prince de
)) Kaunitz, croit devoir an bien-etl'c ele la France
)) et de l'Europe cntiere, ainsi qu'il y est auto-
») risé par la provocation el les clangereuses me-
)) nées du parti eles jacobins, de elémasquer et de
») dénoncer publiquemellt une secte pernicieuse,
» llon-senlement comme les ennemis elu roi tres-




)) chrétien et ues priucipes fondamentaux de la
)) consLitution actuelle, mais comme les pertur-
)) bateurs de la paix et du repos publico L'ascen-
)) dant ilIégal de cette secte l'emportera-t-il en
)) France sur la justice, la vét'ité, le salut de la
») nation ? Voilá la question á laql1elle se rédui-
)) sent maintenant toutes les autres. Que! que
)) soit le résultat, la cause de l'elnpereur est celle
)) de toutes les pnissances, ))


Qnandle millistre des afIaíres étrangeres de
Lessal't, apn~s ayoir f~tit connaitre cl'abord les
pieces préalables de la négociation, vint donner
a l'assemblée, clans la séance du 1 er mars , com-
munication de l'office de l'empereUt', iI fut in-
terrompu fréqnemment cbns sa lecture, tan-
tut pal' ele yiolcns murmures, tantot par des
ricallernens sal'dolliqucs ou par des éclats ele
rire insolens. Le ministre, obtenant néamnoins
quc1que atteIltioll, rcnelit comptc de l'{tat des
[orces militaircs de l'cmpcreur dalls les Pays-
Bas, forces qui s'élevaicnt ü cinquante- cinq
mi He hommes, ainsi que ue l'cnvoi de six
mille h0111111es dans le Bl'isgaw, mouvemcnt
dOllt l'ambassacleul' de Franee avait été pl'<~­
veIlll; il fit égalemcnt connaltre l'ol'dl'c donné en
Bohernc pOUI' que trente mille hommes fussent
pl'ets ú malf'cher. Il annOI1<;a cIlle l'ambassadem'
de FraIlee était chargé de déclal'cl' a la COH!' de




MÚWIRES


Vienne que le roi n'avait pas pensé qu'il con-
vint á sa dignité ni a l'ind~pel1(lance de la na-
tÍon d'entrcr en discussÍon sm' des oLjets qui
ne concernaient que la situation intérieurc da
royaume; que sa majesté avait cepClluant l'e-
marqu~, dans le dernicl' office de la COllr de
Vienne, l'assurance donllée an nmn de l'empc'·
reu!', que loin d'appllyel' les projets ou les pl'é-
tentions des érnigl'és, S, JH. I. clésirait maintcnÍl'
la tranqllillít\; et convaincre la natioll franQaise
cambien étaicnt calamlliellSCS les imptttatioll.'i
qu'on s'était permises ell le ta:rallt d'cwolr at-
tenté a f illdépenda/U:e el á la súrelé de la France
par des concerts et des alliances qlli teudaient á
s'imrniscer dans son gOZlfJCl'llement et el l'C12fJerser
oa chal/gel' sa COllsútutioll ; qu' cnfln le roí, troll-
vallt dans la répollse de l'cmp~;rellr des OlIvcr-
tures pa'Ciliques et amicalcs, les avait saisies avcc
ernpre~sement; rnais (Iue, yonlant mettre un
terme ~t des inquiétncles trop prolongées, et
pla~allt toute sa cOIlfiance dans l'amour du
peuple fl'alH;:ais et dan s son attachemellt a la
constitlltion, le roi ne voyait qll'avec peine un
concert qui n'avait plus d'objet, ct: demandait
á l'empcl'eur ele le faire cessel', lui offI'311t, on
p1utot lni rcnollvelant, l'assurance de l'union et
de la paix, lni demandant une p<lreille mani-
festation de ses selltimens et de ses intentions ,




D'UN HOJlil\IE D'íTAT.


maís la lui demanJant prompte, franehe et
catégorique. Enfin le ministre préve.\. 1'as-
semblée que l'amLassadeur de France {~tait
aussi chargé J'annonecr que, pour gage d'une
fidélité réciproquc, le roí promettait qll'aus-
situt que l'empereur allrait pris l'engagement
de faire eesser tous préparatifs de gllcrre dan s
ses États, et de remettre ses forees militaires
clans les Pays-Bas et dans le Brisgaw sur le
pieJ ou elles t~laient le 1 "1' avril [79 [, sa ma-
jesté ferait égalelllent cesser tous prépara tif:",
et réduirait les tl'oupes franc,aises dans les dé·
partemens fl'Ontiel'es á l'état ol'tlil1aire des gar-
n150ns; qUB e' était a ceHe clétel'mination, la
seule qui put convenir a la dignité de deux
grandes puissances et á leul's intér<~ls respec-
tifoS, que le roí l'ecollnallTait les sentimens
qu'il ayait dl'Oil d'altcudrc de son beau-frcre
et de l'ancien allié ele la France; mais qu'apres
une invitation aussi loyale ct aussi formelle,
sa majesté ne pourrait voi,' dans une réponse
qui ne porterait pas les mémes canctercs, que
la volonté de prolonger une situation dans la-
quelle la Franee ne püuvait ni ne voulait res ter
plus long-temps.
L'assl'mbl(~e nationale pal'ut d'abord approu-


ver la cOllduite du roi á l'égal'd de l'empereur;
et, cédant ti. l'impulsion des députés ministé-




JlfÉlIIOTRES


riels, en témoigna sa satisfaction par des appIan-
dissem.s. Mais bient6t la COllI' et le ministre
des affaires étrangeres purcnt juger combien ils
s'étaient mépris sur l'effet que devait produire
dans la I capitale cette espece ele manifeste de
l'empereur, dil'igé nominativement contre les
jacobins, et offrant son appui aux constitution-
neIs. Les jacobius en ti l't\l'en t un surcroit de con-
sistanee et de forces. Le ministre de Lessart eut
pcrsonneIlement a se repentir de l'imprudence
avec laquelle ii s'était laissé aller á ¡ivrer ainsi
á la discussion ele l'asscmblée et du public les
pieces les plus secretes cl'nue uégociation si im-
portante, et qni n'était pas merue terminée. Des,
le lendemain, cluus tous les jonrnaux réputés les
OI'ganes de la révoIution, l'offiee de l'empereur
fnt commenté de la maniere la plllS irritante et
la plus Lleheuse, ce qui ne pouvait manquer
de rendre impossible toute espeee de rappro-
chement et de conciliation. En g{~néral Oll fut
pCI'suadé que la rédactibn soIennelle de cette
piece avait été réellement concertée entre le roí
de Franee, l'empereur et leurs conseillers in-
times; on désigna meme quclques-uns des dé-
pntés de l'assemblée constituante, teIs que Bar-
nave et Dupol't? eomme l'ayant composée. On
ajouta qne le mode1e en avait élé envoyé par la
reine, ,\ Bruxclles, an cornte de !Hercy-Argen-




D'UN nOllIJUE D'ÉTAT.


teau, qui l'avait fait passer a l'empereur r, as-
sertÍon hasardée d'apres un fait grossi ou altéré
par I' esprit du temps. L' office de l' empereur porte
évidemment le cachet du style de la chancellerie
impériale; mais d'un autre coté nous sommes
tres-fondés a croire que l'emperénr, ayant sous
les yeux le dernier mémoire " que lui adressa
la reine de France sur l'état des différens partis
contre lesqueIs ]a conr avait a Iutter, minuta
réellement lui-meme les passages de éet office
dírigés contre les jacobins, et que son chance-
líer de cour el d'État donna ensuite a l'ensemble
de la rédaction la forme diplomatique et offi-
cÍelle. Quoi qu'il en soit, les constitutionnels
eux-memes, qui formaient a10rs le se"ll parti en
état de balancer l'ascendant eles 'révolutionnaires
exagél'és, désapprouverent l'office de l'empe-
reur, tont en purtageant l' opinion qui y étaÍt
exprimée sur la coneluitc et les ex ces de leurs
advcrsaires, compris SOllS la dénomination de
jacobins. Ils trouverent peu convenahle que
l'empereur entra,t dans de si grands détails sur


, Mildame de Stael le dit positivement dans ses Considératio/lS sur
la reyolution jra12faise, tom. 11 .


• Ce mémoire provenait des ex-eonstituans du parti constitution-
nel, qui formaient olors le comité secret et rlirigcant dont l'existence
est histodqllcmellt prouvéc por la piece trouvée dans l'anuoire de fer
aux Tuilcries , sous ce titrc : Projet du comité des ministres J concerté
apee 111M, Lametlt ( ,1{c:x.) el l1amare.


l.




:lIÉl\IOIRES


l'état intérieur des partís en France; en un mot
la fierté pationale se révolta contre les conseils
mcna<,;aps que donnait a lél France un monarque
étranger.


Mais ce mana!'que avait tout a ,?oup cessé de
Yivr~ au moment meme ou son dernier affice
Qc~asipnait toute cette irritation en France, et
m\ H changeait en une alliance active son con-
cert éventuel avec la cou!' de Bedin. Cette mort
si subite ~ et qui cut une si grande influence sur
~~ marche ultérieure des événemens, demande
qn'OQ en l'éveIe les particulal'ités.


Ré$olus enfin d'agir militairement contre la
France, Léopold et F!'édéric-Guillaume s'étaient
décipés a concourir a un nouveau plan de con-
cert par l'emploi d'l1ne armée de cipquante
mille hommes chacun au-delü des forces qui
se trouvaient déja réunies en Westphalie et dans
h~s Pays-Bas. Il s'agissait de répal'tir cent quatre-
vingt mille combattans sur l'immense ligne qui
s' étend depuis Bale jUSqll' a l' embouchure de l'~s­
~aut. A la mi-février, ce plan n'était encare qu'é-
bauché entre les deux souverains; mais, d'ae-
cord sur les bases, Léopold avait ol'donné au
conseil aulique de gllerre de hater les prépara-
tifs; de son coté, Frédéric-Gnillaume venait
d'appeler á Berliú le tIuc de Bl'lll1swick, a I'effet
de conferer avec ce prince, auque! iI destinait




n'[JN HOJ\nIF: l/ÉTAT.


le commandcment général de ses tl'oupes. Le
16 février, le roi cut, avec le due, a Potzdam,
une longl1c eonférenee, a l'issue de laquelle fut
tenu un conseil secret en présence meme du roi :
le due de Brunswick, le ministre d' état Sehulen-
burg et le baron de Bischoffswerder furent les
seuls qui y assisterent. On y agita les points sui-
vans : mettre les troupes sur le pied de guerre,
négoeiel' avec la Saxe pou!' l'entrainer d"lns la
coalition, et arreter ayec la conr de Viellne un
plan de campaglle approprié aux cireonstances
politiques. Le meme jour un courrier extraordi-
naire fut expédié pom eette capital e , et des cir-
culaires furent aelressées a tous les régimens. Des
dispositions relatives aux approvisionnemens et
a l'artillerie ayant été immédiatement ordonnées,
iI {aUnt touchcr an trésor.


Le surlendemain, le général-major Rischoffs-
werder partít pour Dresde, porteur des ouver-
tures du roí clcstinées a la cour électorale. De la
il devait se rendre a Vienne. Il trouva l'électeur
de Saxe peu disposé a faire cause commune
autrement qu'en sa qualité de prince el'Em-
pire. Poursuivant sa route, l'envoyé extraor-
dinaire de Prusse arriva clans la nuit du 27
an 28 février a Vienne, espérant obtenir, des
le lendemaill, une audicnce de l'empereur. S'é-
tant présenté ú 1'h6tel da chancelier de cour


r. (' * 1 )




et d'état de hanne heure, le princc de Kaunitz
vint a sa rencontre, l'accueil1it par des embras-
semens, mais avec l'accent que donne l'inquié-
tude et le trouble : illui apprit que l' empereur,
tombé malade inopinément, était hors d'état de
le recevoir en audience. Le prince de Collorédo
lui fit la meme réception, et lui parla avec anxiété
de l'indispositioIl subite de l'empereur. Mais on
I~tait 10in de soup(jonner Léopold en danger; et
hors de l'enceinte de la cour son état de maladie
était a peine connu. On ravait vn denx jours au-
paravant donner andience a l'envoyé turc, et
jouir en apparence d'une saIlté parfaite. C'était
le 27 seulemcnt que le mal s'était déclaré; mais
en proie des le 28, le jour meme de l'arrivée
de l' envoyé extl'aordinaire dc Prusse, a de vives
douleurs d'entrailles, ses médccin$, eroyant
avoir a eombattre une pleurésie, curent re-
COUl'S aux saignées pour éteindre l'inflamma-
tion. Pendant la nuít ses entrailles se gonflent;
il ne peilt jouir d'ancun repos, les forces 1'a-
bandonnent, les vomissemens convulsifs se
déclarent. Réunis en eonsultation, les méde-
cins, baron de Strerck, Lagusius et Schre1-
bcrs, changeant d'opinion sur la nature du
mal, et se disposant a cssayer d'autres reme-
des, s'abnsent sur le danger; ils quittent fem-
pereur á deux hclU'cS aprcs midi. A trois heures




, " D UN 11 O l\f ME D I·:TAT.


des symptomes plus aJarmans survicnnent; et
ce malheureux prince, dans une erise de vo-
missemens convulsifs et inutiles, n'ayant antour
de lui que deux valets de chambre, expire; le
1 er mars, poUt' ainsi dire dans les bras de
nmpératrice acconrne éplorée et tonte trem-
bIante.


A l'in"stant meme les eris l'empereul' est mort!
l'empereur est mort! retentissent dans -les appar-
temens du palais , et y jettent le désordre et le
désespoir. Quel spectacle que eelui de tonte eette
famille impériale épenlne, plongée dans la dé-
solation! Tout le reste dll jour a peine d.istin-
gue-t-on les augustes maltres de leurs serviteurs
également au désespoir, tant les sentimens de
surprise et de douleur' se eonfondent. Le bruit
de la mort de I'empereur ne trouve d'abord que
des incrédules dans toute la ville de Vienne, ou
l'on était a peine instruit de sa maladie. Tons les
grimds, faisan t atteler leurs carrosses, aceourent
an palais, qn'ils trouvent rempli de lamentations
et d'effroi. A ce moment apparait l'impératrice,
entourée de ses nombreux en fans baignés de
larmes; et, les conduisant ainsi devant re nou-
vean roi, elle vient implorer sa protection ponr
ces angustes orphe~ins. Fran(,;ois Ier, fils ainé de
Léopolcl, confondant ses sanglots avec ceux de
sa mere et de ses freres, dont le plus jeune avait




lUÉl\IOlltES


a peine quatre ans, leur fait la promcsse sacrée
d'en agir avec eux comme un pere.


Mais que penser de ce genre de mort qni,
frappant Léopold comme d'un coup de fowlre,
devenait un si grand évél1ement dans l'état OL!
se trou-vait l'Enrope? La face des affail'es po u-
-vait en etre changée. Meme allX hommes de 1'art,
cette catastrophe semblait inexplicable: ({ Uu la
» gangrenc, disaient-ils, était déja dans les en-
» trailles, ou le monarque a été fi'appé d'un
» eoup d'apoplexie séreuse. »


L'ouverture du cadavre, le lendemain, mit a
déeouvert les entrailles tuméfiées par la gan-
grene et l'estomac saturé de matieres séreuses.
I ... e corps , embaumé immédiatement , fnt exposé
en public clans la chapelle de la cour. Des bruits
d'empoisonnement se répandirent, s'accrédite-
rent meme san s que l'histoire contemporaine
les ait depuis eonfirmés, ni victol'ieusemept
démentis. Les investigateurssont rcstés parta-
gés ou dans le doute sur les causes réelles de
ectte mort inopinée : les uns soutiennent qu'elle
a été l'effet naturel d'une dyssenterie opiniatre
dont Léopold recélait le germe depuis son con-
ronnemcnt a Prugne; et iIs ajoutent que, trop
adonné anx VOlllptés, ce pl'ince avait fait un
usage immodéré d'excitans conIlUS en Italie sons
le nom de diavolini, et préparés dans son propre




, " D UN HOMME D ETAT.


laboratoire, cal' iI aimait a s'occuper de chimie.
D'autres, n'hésitant pas d'attribuer la catastro-
phe au poison, citent en témoignage Lagusins,
son médecin ordinaire, qui, disent-ils, a déclaré
n' en pas douter apres avoir assisté a l' autopsie du
cadavre. Mais d' ou serait parti ]e crime? Telles
étaient alors les animosités politiqnes que les
jacobins et les émigrés firent de cet événcmcnt
l'objct d'accusations mutuelIes. Ceux-Ia se se-
raient débarrassés, par le poison, d'un potentat
puissant, leur ennemi décIaré, et qui enfin
allait agir en armes pour abattre leur propa-
gande; cenx-ci auraient cxcités a commettre le
crime en haine des principes philosophiques de
I.Jéopold, de ses répugnances et de ses lenteurs
a se jeter dan s l'entreprise de la contre-révolu-
tion. Mais par quelle voie, par quels moyens
l'aurait-on commis ce crime? Selon les uns, ce
fut dans un bal masqué qu'une dame, remar-
quée par Léopold, et a la faveur de son dégui-
sement, luí aurait présenté des honbons em-
poisonnés. Selon d'antres, le fanatisme et ]a
perfidie se scraient servis ponr ce noir attentat
de la main meme de la belle ltalienne, tendre-
ment aimée de Léopold. Cette femme, assure-
t-on, aurait joui depuis en Italie, an sein des
richesses et du luxe, de la récompcllse de son
crlme.


I. i:* 10




1\<rÉMmRES
l\fais laissons la des anecdote!i sans preuves.


Toutefois il est hors de doute que Léopold aima
les femmes avec passion; qu'il était tres-attaché
a Dona-Livia, a la Prohaska, a la comtesse de
Wolk.ensteín, et a d'autres encore d'un rang
inférieur : toutes s'éclipserent immédiatement
apres sa mort, redoutant l'animadversion pu-
blique ou les sévérités du nouveau regne. La
comtesse de W olkenstein était la seule maltresse
déclarée depuis le séjour de Léopold a Vienne;
il l'avait meme présentée a l'impératrice, qui,
s'élevant a une noble resignation, avait daigné
lui dire qu' elle la préférait a tout autre, pourvu
qu'elIe ne se melat point des affaire s du gouver.
nement. Léopold luí avait fait le don magnifique
de deux cent millc florins cn obligatioris de la
banque. On croit que la mort ne lui Jaissa pas
le temps de pourvoir uu sort des autres femmes
qu'il avait aimées. On trouvu dans son cabinet
une collection d'étoffes précieuses, de bagues,
d1éventails, et meme jusqu'a cent livres de fard
superfino tes traces de ses galanteries étaient si
frappalltes, que l'impératrice dit au nouveau roi
ces paroles remarquables : « Mon fils, vous avez
») devant vous deux grands exemples, cclui dc
» votre oncl.e et"celui de votre pere; imitez leurs
») vertus, mais gardez-vous de tamber dans leurs
» vices. »




n'UN ROl\nrE D'É'I'AT.


Apres nous etre arretés encore un moment sur
quelques-uns des traits caractéristiques de cel
empereur, nous en viendrons aux conséquences
poli tiques de sa mort inattendue, et dont la
véritable cause restera peut-etre. inconnue a
jainais. Léopold fut sans contre(Üt, en Toscane,
le modele de bons princes. A son avenement au
treme des Césars, sa palitique fut adraite el pl'é-
voyante. On a vu comment iI releva tout a coilp
la manarchie autrichienne, détraquée par les
réformes salutaires, mais intempestives, de Jo-
seph II, san frere et son prédécesseur; iI la re-
leva par une alliance adraiteroent roénagée, et
qui, en rompant le 11reud du systeme politique
établi par le grand Frédéric, le rendit lui-meme
l'arbitre de l'Allemagne. On a vu cambien, apres
s'etre érigé cn chef supreme de la coalitian, il
hésita d'intervenir autrement que par des notes
et des déclaratians diplomatiques dans les trou-
bIes de la France, ce qui luí attíra, de la part des
deux partís extremes, l'épithete d'Agamemnon
cunctator. Mais ce prince avait observé combien
peu était papuIaire la haine de la révolutíon,
et combien les pcuples étaient peu éclairés sur
ses résultats, ce qui luí faisait répéter souvent
dans sa sagesse: « Un palitique habile a dit qu'il
» faut se garder de taucher a certaines choscs
) sans etre capable de les arracher: la plus dan-




M:É~IOIRES
» gereuse de toutes les choses a toucher, e' est
» la révolution fran<;aise. »


Immédiatement apres- sa mort, les ministres
d' Autriche se réunirent en conférence, a laquelle
assista le nouveau roi de Hongrie et de Boheme :
elle dura plus de deux heures. mentot un cour-
riel' extraordinairc fut expédié a Berlín; il étaít
porteur d'une lcttre du jeune roí a Frédéríc-
Guülaume, et dont le contenu était absolument
confirmatif du nouveau systcme arre té entre les
deux cours. Les memes assurances furent don-
nées verbalement a l' envoyé extraordinaire de
Prusse. Toutefoi~ la vacance du trone impérial,
sí . inattendue, allait nécessaírement retarder
l'exécution des mesures actives convenues, et ré-
cemment arretées en príncipe entre Léopold et
le monarque prussien.


La mission du général-major Bischoffswerder
avait eu principalcment pour obj6t de resserrer
plus que jamais les liens d'amitié qui unissaient
si heureusement les deux souverains, et en
meme temps de se concerter dan s les arrange-
mens de détail a prendre a l' égard des affaíres de
France. Mais quand l'envoyé de Prusse voulut
entrer en eonférenee a ee Bujet avee le chancc-
lier de cour et d' état, il ne tarda pas a se eon-
vainere que la eour de Vienne venait d'adopter
un plan purement défellsif. Ses instUllces furent




D'UN HOJUlIIE P':ÉTAT.


itiutiles ponr en faire adopter un autre plus con-
forme a l'esprit de ses instructions.


Alors, jetant un COllp d'reil sur le Jlonveuu
regne, il fit de ses obset'vations particlilieres
l'dbjet d'une dépcchc conficlentÍ<~lle, qui rendít
plus amere aux Jeux de son souverain la perte
dont la nouvelle si récente et si inattendllc lui
avait porté clans l'ihne un des coups les plus
rudes.


Le successeur pl'ésomptif de la couronne im-
périalc avait a peine vingt-quatre ans. Il avaiL
Í'ec,:u it Florence sa premicre édllcation , sous les
yeux dé son pere. Son intelligence n'ayant pas
d'abord p:ltU devoir s'élcver a une tres-grande
hauteur, son ancle, Joseph Il, l'appela pres de
lui, jeune encore, et le fit instruire par des,
hornmes de mérite qui jouissaicnt d'une réputa-
tíon honorable. S'attachant surtout a luí donner
des notions justes sur la constitution , les in-
térets et les rapports de la monarchie autri-
chienne, et cherchant d'un autre coté a l'accoll-
tumer a l'amour du travall, Joseph le traita tou~
joors avec plus de sévéríté que de douceur. Le
jeune prince eut d'ahord quelque peine a seplier
au genre d'esprit de son oncle, et plus encore á
s'acclimater dans un pays comme I'Allemagne,
dont la constitution atmosphérique et physique
ne ress-emble en rien a ceHe de I'Italie. Toutefüis




~fÉl\roIRES
il Y parvint. Sa santé, faible d'abord , s'étant un
peu fortifiée, il fit avec son onele la pénibIe
campagne de Hongrie , qui lui fut presque aussi
funeste qu'a Joseph ,dontelleruinalasanté. Mais
sa jeunesse lui fit tou(surmonter. DéJa on son-
geait a le marier. Le 6 janvier 1788 fut célébré,
sons les auspices de l'empereur Joseph, son
union avec la princesse Élisabeth de Wurtem-
berg. Cette princesse avait embrassé, quelques
années aupara vant, la foi catholique, ce qui ferait
présumer que ce mariage était projeté d'avance.
Les deux époux étaient a peu pres du meme
age, Fran<;ois étant né en 1768, et la princesse
en 1767 : 01' elle avait alors vingt-un ans, et
Fran¡;ois un an de moins. Ce nouveau lien at-
tacha encore plus Joseph aux destinées de son.
neveu, dont la fenime, par les graccs de son
esprit et les qualités de son camr, charmait sa
tendresse. On sait que laperte si prématurée
de cette intéressan te princesse, morte en couche
le 8 février 1 790, hata les derniers momens
de Joseph, lui-meme aux .portes du tombeau:
il vit par la s'évanonir son espoir le plus cher
fondé sur la snpériorité d'esprit de sa niece,
exer¡;ant déja une influence salutaire sur le ca-
ractere timide . et peu formé de son neveu. N e
pouvant supporter le veuvage, Fran~ois épousa
en secondes noces, le J 8 septembre de la meme




, '\ D L'N HOJlIME D .ETAT.


année, la princesse Thérese des Dcux-Siciles.
Ce prince, a la mort de son pere Léopold,


n'était encore que le chef de la maison d'Autri-
che; mais son alliance avee la Prusse ne laissait
aueune incel'titudc sur son choix comme chef
de l'Empirc, cal' sans un chef puissant I'Empire
n'était rien. Jusque la le nouveau roí n'était
aucunement astreint a suivre les engagemens de
son perc, qui dérivaient du collége électoral et
cIu concluswn de l'Empire. Aussi tout semblait
faire une loi de presser son éleetion eomme em-
pereur d' Allemagne.


Sous ce point de Vlle le successeur présomi)tif
de la couronne impériale n' était pas censé don-
ner de grandes espérances, soit a cause de son
inexpérience, soit relativement asa san té , qu'on
regardait toujours eomme extremement débile :
il erachait, disait-on, le sang, et on croyait
meme que sa vie était attaquée dans ses sources
principales. Les médecins, tremblans pour ses
jours, lui interdisaient tout exercice violent, soit
d'esprit, soit de corps. Quoique le nouveau roi
se montrat impatiellt du frein, et ennemi par
ternpéramellt de la sage cireonspeetion du prince
de Kaunitz, iI ne fit aucun changement essen-
ticl dans son conseil. Il nornma ministre d'état
le maréchal de Lascy, qui avait été l'ami intime
de l'ernpereur Joseph, et ministre d'état et du




!\JÚIOIRES


cabinet le comte tle Collorédo, son grand-maltre
d'hotel et son ancien gouverneur. En rétablis-
sant dan s sa place de secrétaire au cabinet
M. Knecht, que Léopold avait congédié immé-
diatement apres son avénement au treme, ilota
les clefs de directeur de ce meme cabinet au
prince Charles de Uchtenstein. Ce favori de
Léopold passait pour avoír eu', avec la dírection
de son eahinet particulier, le département de
ses plaisirs.


Dans le billet par Jequel Fraw;;oís luí demanda
sa démíssion de la place de directeur du cabinet
secret, iI ajouta : « Au reste, je me réserve vos
» services pour d'autres cas, et je vous prie de
» me servir avec la meme fidélité que vous avez
)) serví mon pere.» On vit par la que FraIU;ois
était capable de garder, avec des familles puis-
santes telles que celles-ei, des ménagemens de
convenanee. Le prince dont iI s'agit était fils du
prince CharleE de Lichtenstein, mort de ses
blessures dans les dernieres guerres de l' Autriche
contre les Turcs. Il n'avait alors que vingt-sept
ans. C'était le compagllon ordinaire de Léopold
dan s ses voyages : il avait la directíon de ses af-
faires personnelJes, et jouissait au plus hant de-
gré de sa faveur ..


Le nonveau roí s'était établi dans les apparte-
mens qn'avait occllpés l'emperelll' Joseph ; son




, " D UN nOl'flIrE D ETAT.


capinet était arrangé exaetement eomme ~elui
de son ancle. Ce fut le 14 mars qu'il donna sa
premiere audienee publique. Outre les deux
jours d'audiencc ordinaire, il était libre ehaque
jour a tont individu de la monarchie de s'a-
dresser an roi, les femmes exceptées. C'étaít le
eomte Collorédo qui les reeevait, et qui remet-
tait au roi leurs mémoires.


A son avcnement, Léopold avait fait bruler
toutes les dénonciations anonymes et secretes
re\-ues duns le eabinet de son prédécessenr.
Fran«;;ois fit mieux encore : il ordonna a tOtites
ses chancelleries de ne recevoir dans aueun eas
de pareillcs dénoneiations. Ce prinee enjoignit
a la censure de ne permettre l'impl'essiQn d'au-
cnn article qui contiendrait son éloge, « Parce
» que, dit-il, c'est á l'avenir seul a juger si je
) seraí digne d'éloge ou de blame.» Comme on
lui présentait la liste d'apanage de la famille
royale, il effal,,'.a le nom de sa mere en disant:
« Ma mere ne doit pas etre du nombre des pen-
») sionnés. ) Ce fut avec eette belle aurore que
se présenta le nouveau regne.


Quant a la maniere dont le roí de Hongrie et
de Boheme envisageait les affaires de France,
on n'avait encare la dessus que pen d'indices.
Le partí du baran de Breteuil , chargé au dehors
des intérets du roi et de la reine de France,




lIfElIfOIRES


sembla décIiner, et le parti des prinees ou de
l'émigration parut an contraire prévaloir a la
nouvelle cour. Fran<,;ois fit assurer les princes
fraD<;ais « qu'il resterait fidele au systeme de
)} son pere; )) assurance susceptible d'interpré-
tations di verses. L'ambassacleur constitutionnel,
marquis de Noailles, n'eut plus aucun crédit:
depuis la mort de Léopold ii était en queIque
sorte gardé a vue.
, A cette époque, et avant meme qu'on ne re-


c;:ut a París la nouvelle de la mort de l'empe-
reur, iI s'y opéra une révolution ministérielle
qui précipita l'Europe vers ecHe guerre mé-
morabIe qui devait cffacer dans l'histoire les
revcrs et les prodiges de la guerre de trente
aus. On n'y préluda que par de grandes intri-
gues en France. Le ministre Narbonne, qui,
de concert a"ee les constitutionnels, peu goútés
a la cOlIr, s'était tant agité dans les préparatifs
hostiles en alIant lui-meme sur les frontieres
visiter les pIaces fortes et inspecter les troupes,
vitnéanmoins décliner sa popularité a mesure
que le parti démoeratique prenait le dessus. n
erut s'assurer dans l'assemblée les suffrages cIu
parti anti-ministériel, J'abord en se mettant en
relation avec Condorcet, Brissot, Carra et d'au-
tres Jéputés meneuI'S des jacobins et tres-sus-
peets a la cour, ensuite en clénonqallt clan s les




n'UN HOMl\fE n'ÉTAT.


journaux, comme ennemi de la constitution,
son collegue Bertrand de Moleville, ministre de
la marine, avec qui iI était en dissidence. Le
renvoi de M. de Narbonne fut aussitót résolu
dans le conseil, malgré lá réclamation de M. de
Lafayette. Congédié par le roi, M. de Narbonne
ne retira de sa démarche que le triste avantage
d'entrainer son adversaire dans sa chute, et de
désorganiser entierement le ministere. Des lors
Brissot et la fuction ardente voient jour a s'a·
vaneer eux-memes dans le pouvoir, a s'empa-
rer de la direetion de la guerre et de la poli-
tique extérieure. Ils coneertent aussitót une
dénonciation en forme contre le ministre de
Lessart, qui semble avoir toute la. confiance
du roi, et qui, a lcurs yeux, sert de lien entre
le cabinet de Vienne et le parti qui dirige
en secret les conseils de LOllis XVI; ils arre-
tent dans Iellrs l'éunions que B,'issot fera sur-
le-champ le fapport insidieux qu'il a préparé
d'avance, et san s le discuter ni le communi-
quer au comité dipIomatique, dont iI est mem-
bre, m~is ou le ministre a aussi ses créatures.
Tout étant disposé dans le clessein de frapper
un grand coup, á peine le député Girardin ,
a la séanee du JO ma¡'s, voit-il l'assemblée oc-
cupée du renvoi de Narbonne, qu'il impute a
l'inel'tie combiné e dtl ministere la cause des


l.
'7




JVIÉJlIOIRES


troubles de la France. « Je demande, dit-il,
» l'accusation contre les ministres; les rapports
» prouveront que run d'eux est plutót ministre
)J de Léopold que de Louis XVI. ») Gensonné
soutient que tous les ministres sont coupables
de trahison envers la nation et le roi. Guadet
dit qu'all dedans les renes du gonvernement
sont dans les mains de l'aristocratie; qn'au de-
hors Léopold, les roi8 de Pru8se et d'Espagne di-
rigent le fil des relations de la France : il de-
mande que Brissot soit elltendu a l'instant.
Bdssot monte a la tribune, et avallt d'entrer
clans la discussion des pieces renvoyées an co-
mité relativement aux négociations avec la cour
de Vienne, il présente avec art les principaux
fails qui les avaient précédées. n examine d'a-
bord la conduite á tenir vis-a-vis de l'empereur,
ensuite le parti a prendre a l'égard du ministre
des affaires étl'angel'cs; iI rappeIle que la cir-
culaire de l'empereur aux diverses puissances
'de l'Europe, et son tr~ité avec le roí de Prusse
prouvaient un concert formé contre la sureté
(.'t la constitution de la France, ce qui avait
nécessité le décret du 25 janvier, décl'et qni
exigeait une déclaration pl'écise de l'empe-
reur; iI ajoute que le ministre de Lessart,
apres avoir provoqué cette mesure dans le co-
mité, en avait fait faire ensuite une censure




, " D VN HOl\flIfE D nTAT, 2. 59
amere dans un message; qn'il en avait imposé
en aIlllOn¡;ant que le roi avait écrit a l'empercur,
tandis qn'il ne s'agissait que d'une leUre de lui
ministre; que dans cette lettre , en avouant qu'il
avait été un temps, avant l'acceptation de la
constitution, ou la cause des éniigrés était liée
á celle du roí, opinion qui démontre qu'aIors
de Lessart était un traitre envers le roi OH en-
vers la l1atiol1, il avait ainsi justifié la ligue
formé e par l'emperem. Brissot établit que la
politique de l'empereur n'a pas varié; que loin
de désavouer le concert avec les puissances, il
vicnt, le 12 février, de faire un nouveau traité
avec la Prusse. U s'attaohe ensuite a prouver
que la conduite qn'il y avait a tenir clans chaque
circonstance était si simple, si clairement indi-
quée, qu'it moins de trahison ou d'íneptíe ex-
treme 011 ne pOllvaít pas en snivre une autre. Il
soutient comme un princípe incontestable que
la responsabílité du ministre des affaires étran-
geres est tl'cs-différente de celIe de ses collegues,
en ce qu'elle pent tres-rarement etre exercée a
son égarcl sur des preuves positives et maté-


. rielles; qu'il ne faut pas se réduire a discuter
s'jI a enfreint ou exécuté les lois; qu'il fant
principalement examiner s'il a trahi ou négligé
l'intéret national; quc plus ces différcntes ma-
nieres d'envisager cet intérct et d'appréciel' des




JllÉlUOIRES


mesures politiques rendent ce He responsabilité
difficile el examiner, plus elle doít etl'e sévere,
soit en raison de la grande confiance que la na-
tme des choses force d'accOl'der au ministre,
soit en raisan des ressomces d'impunité que luí
fournissent sa double correspondan ce , l'une os-
tensible et l'autre secrete, et la facilité qu'il a
de n'en communiquer que ce qu'il veut. (( L'in-
» capacité seule, ajonte Brissot, devient clans un
» tel ministre un véritable crime; car s'opinia-
» trer el tenir le gouvernail dans une tempete
}) lorsqu' on n'a ni la force, ni la tete, ni le COll-


, • " 'r\ l' }) rage necessalres, e est s exposer a etre assas-
» sin de ses freres, qu'un hornme plus habile
» pourrait sauver. »


Apres avoir ainsi disposé l'assemblée a punir
aussi séverement l'incapacité que la trahison ,
Brissot accuse principalement de Lessart u'a-
voh' compromis la súreté et la constitution de
la France en ne donnant aucune connaissance
au corps législatif de la circulaire ue juillet, du
traité avec le roi de Prusse, de la convention
de Pilnitz, ni meme de la déclaration du moís
de novembre. (l Si le ministre a connu ces pie-
» ces, dit-il, son silence est une trahison; s'iI
» ne les a pas connues, sa négligence est inex-
» cusable. » Brissot l'accuse en outre d'avoir
celé, jusqu'au 1 er 111ars, l'office re\u le 12 jan-




, ,.
D UN HO~llIIE D "FTAT. ~6(


vier, qlli annon¡;;ait les sentimens hostiles de
l'empereur. C'était la note remise le 5 janvier
par le Pl'ince de Kaunitz a l'ampassadem de
France 1 J et ou le chancelier de cour et d'État
faisait ressortil' la faiblesse et la pusillanimité
de la majorité des membres de l'assemblée na-
tionale, qui, disait-il , pliaient eontínuellement
SOtIS l'ascendant d'une minorité factieuse. En
exprimant tonte son horreUl' ponr le partí des
révolutionnaires ardens et décidés, appelés ja-
eobins, le chancelier de cou!' et d'État disait,
au nom de l'emperenr : « Ces monstres ne
» sont pas assez abhorrés, assez eonnus; ils
JJ ne sont pas seulement ennemis de toutes les
» religions et de tous les trones , e'est a l'ordre
» social, allx propriétés , aux propriétaires qn'ils
» en veulent pour établir partont la souverai-
» neté des brigands. )} Cette note avait pam si
amere an ministre, et si propre a irriter les
passions, qu'il s'était c\'abord abstenu c\'en don-


. ner eonnaissance au comité diplomatique, et
avait surtont évité de la communiquer a l'as-
semblée, ce dont on lui faisait un grief, Enfin
Brissot l'accusait d'avoir donné le change, en
atténuant les preuvcs indubitables du concert
des rois réunis (suivant eux) pOUl" le maintien
de la tranqui/lité publique et la slÍrete des cou-


• Mentionnée ci-dcssns, pago 192.




l\IÉl\lOIRES


mnnes, et d'avoir demandé a cet égard des ex-
plications, tandis qu'il avait les pieces allthell-
tiqnes son s les yeux. En conséquence de ces
griefs, Bl'issot proposait le décret d'acCllsatioll
contre de Le5sart. L'assemblée et les tribunes
applaudirent avec transport; et, a la suíte el'une
brillante improvisation de Vergniand contre ce
ministre et contre la cour, le llécret fut mis
aux voix et adopté a une tres- grande majo-
rité, sans que l'accusé eút été entendll dans
ses moyens de défense.


LOllis XVI assistait a son conseil quimd ceUe
foudroyante nouvelle lui parvint; il en fut vive-
ment affecté : on lui enIevait a la fois deux mi-
nistres en qui iI avait pIacé sa contIanee , l'un
par une accusation capitule, l'autre en le for-
~ant a la retraite l. La consternation et le
découragement se peignirent sur sa physiono-
míe dans ce tl'iste conseil du JO mars, pen-
dant la durée duquel , pour mettre le comble a
ses chagrins, arriva le courrier de Vienne qui
lui apportait la nOllvel1e de la mort de l'empe-
reur Léopold.


Le par ti dominant ne vit dans cet événemellt
illattendu que la cbance la pllls hCl1l'euse ql1i
pút se présentel' en faveur des progres el du
triomphe de la révolutioIl .


• M. Bertrand de MolevilIc.




, " D UN HOl\'DIE D ETAT.


Le fil de la ligue formée cantre elle ne se
trollvaÍt plus dans les mains de l'Autriche; le
successeUl' ele. Léopold, en sa qualité de chef
de cette maison, n'était nullement a craindrc
pOUt' la France commc agresseur; et quelques
mois de répit semblaicnt encare assurés an partí
qui voulait la gnerre, s'il lui convenait d'en pre-
fiter pour compléter ses armemens. Déja meme
on croyait it Paris que l'Autl'iche serait forcée
pal' les circonslances d'abandol1Iler an mains
pOli/' <luelques mois le ton mena<;ant. Les diplo-
mates constitutionncls discutaient par avance la
question de savoir si le sceptre de la coaliticin
passerait dans les mains de Frédéric-Guillaume ;
qui n'avait pas, disaient-ils, pour s'en emparer
le meme intén:t que Léopold , ni l'ambition 01'-
gueilleuse de Catherine, ni l'ardeur chevale-
resque de Custavc nI.


Mais Gustave lui-meme étail fl'appé a mort.
Quinzc jours apl'es le déces de Léopold iI suc-
comba d'lIne maniere encore plus tragique, par
l'effet d'une conspiration née du mécontente-
ment de la noblesse sllédoise, a Iaquelle 1 en
1772, il avait ravi, á l'aidc des snbsides dll
eabinet de Versailles, une granrle partie de ses
prérogatives : c'était une réaction. L'exemple
de la révolntion francaise avant fait naltre an , ..
sein de eette noblesse un esprit plus ardent




lIIÉ.HOIRES


d'opposition, Ankarstroem, l'Iln des conjurés,
s'arma co'lltre Gustave dans la nuit du 16 au
17 mars, et lui tira un coup de pistolet a brille-
pourpoint dan s un bal masqué. Quoiqu'avertí
dn dan gel' par un billet anonyme , Gustave, par
un exces de témérité, s'obstinant a pa,'aitre an
baI, n'avait pu échapper a sa destinée. n survécut
encore douze j9urs a sa blessure, et dans ce
triste intervalle il luí échappa eette réflexion
remarquable : « Je voudrais bien savoir ce que
II Brissot <lira de ma mort! » Elle fit en Europe,
et surtout a Paris, une grande sensation. Il sem-
blait que la révolution fran<;aise , avant meme
d'en venir a combattre les rois a coups de
canon, avait le pouvoir magique de se débar-
rasser des tetes couronnées qui se déclaraient
le plus vivement contre elle.


Les émigrés surtout déplorerent la mort dn
roí de Suede. « Il y a maintenant, disaient-
II ils, da vide dans le Nard. » La plupart attri-
buaient a la propagande la premie re idée du
complot sous lequel venait de succomber ce
prince. « Le coup est parti de France, s'écriaient-
» ils, et les régicides préparent bien d'autres
» forfaits. » Cctte m:miere de voir sombre s'ac-
créditait peu en Allemagne. La mort de l'em-
pe¡:eUl' Léopold y parut bien autrement impor-
tarlle : elle arrivait cluns un moment ou la




n'UN HOMlIIE D'ÉTAT •


. vacance de l'empire, ou l'éclipse dll chef de]a
coalition ne pouvait manquer de faire vaciller le
systeme poli tique tle l'Europe centrale; mais en
réalité la mort de Léopold TIe fit que suspendre
un moment et précipiter ensuite .les événemens
avee plus de violence. La composition du n~u­
vean ministere, que Louis XVI dans ses per-
plexités et dans sa détresse se vil contraillt
de former, était désormais incompatible avec
auenne vue de coneiliation et de paix. Frappé
du déeret d'aecusation porté contre le ministre
des affaires étrangeres de Lessart, et recIoutant
de voir dénoncer la reine, ainsi qn' on l' en aver-
tit secretement, Louis laissa la les moyens ter-
mes, et re(¡ut les ministres des mains de la
faetion ardente qui vonlait le subjuguer par la
guerreo Peut-etre ceHe mesure désespérée an-
rait-eIle pu le sauver, s'il y avait en dans ses
résolutions plus de franchise et dans SOB cal'ae-
tereplus de ferrneté : on ne perd les couronues
que par faiblesse ou pal' entetement.


Le rninistel'c fran<;ais de la fin de mars 1792
marque dans l'histoire par cela seul qu'íl eut pOUJ'
chef le célebre Dnmouriez, mili taire-diplomate
plcin de capacitó, de fen, d'impndence, d'an-
dace et d'ambition. Fils d'un commissaire des
guel'l'es, Dumoul'iez, sons le regne précédent,
s'était fait remarquer de bonne hem'e SUJ' les




lIf.ÉlIfOIRES


champs de bataille en Allemagne et dans quel-
qlles missions diploma tiques , cal' ses penchans
le portaient tout autant vers la politique que vel's
la guerreo Il avait nourri cette premiere passion
a l'école de la diplomatie immorale du publiciste
Faviel', cheville ouvriere de la correspondance
secrete dll cornte de Broglie sous Louis XV. Fa-
vier était un homme de génie dans son genre,
un penseur profond, tres-instruít, mais cylli-
que et sans principes, fertile en cxpédicns, en
pl'Ojets vastcs, en combinaisons machiavéJi-
que~. Par ses saillies, par son cyllisme a la foís
docte et effronté, il exaltait et tournait a son
gré la tete des jeunes adeptes qu'il initiait dans
les mysteres de la politiqueo C'~tait a ses le«;ons
memes OH par la connaissance de ses écrits qll'on
avait vn se fonTIer dans la carriere diploma ti-
qlle les divers personnages qui ont successive-
men t figuré comme explorateurs ou négocia-
tems sur l'avant-scene ou sur la scene meme de
la révolution.


Dnmouriez, an milieu d'une crise sociale,
nageait pour ainsi dire dans son élément. Il
avait adopté avec ardeur et bonne foi les prín-
cipes des constitutionnels; maís il était tou-
jours pret néUl1IDOins a servir le roi d'abonl,
comme Mirabeau, a l'ombre des libertés pu-
bliques, ou bien a se réunir a tel parti de la ré-




, " D [/:'1 HOllI:i\IE D ETAT.


volulion qni offrirait h son ambition pétulante
plus de chances et c1'attraits : ses li::lisons avec le
député Censonnó, l'un des chefs de la fLlction
de Drissot ou de la Gironde, ne fllrent pas sté-
riles. C'était lni d'aillcurs qui, d::lllS des mé-
moil'es rédigés ele sa m;¡in el (¡ans des con-
fél'ences politiques, avait poussé ce parti a la
guerre en lni dOl1nant pour regle d'exiger la
Jissolution an concert des puissances. Dnmou-
mOllriez Ji'élait pas non plus sans appui aupres
de Louis XVI: ]'intendant de la liste civiJe, de
Laporte, son ancíen condisciple, lui fraya aussi
la route cln ministere. Lllmieres acquises, ex-
périence pratique, connaissance pal'faite des
hommes et des rouages qui constituent les di-
vers gOllvernemens, coup d'cril exercé, soit
comme homme politique, soit comme homme
de guerre, ríen ne manqllait a Dumoul'iez que
la prudcnce, qui múrit et acheve son ollvrage.


Nommé ministl'c des affaircs étrangeres le
16 mars , il met á son acceptation une condi-
tion , sine qud non; iL veut un seCOllrs de StX
millions pour les dépenses sccrétes de son dé-
parlement, et annonce an roi qne si on le lui
rcfllse, il ne pl'endra pas le portefeuiHe. FOl't
dn par ti qui l'a poussé au ministere, il obticnt
l'assurance qu'il aura les six millions á sa ais-
position, dont il ne sera tenu de rendre aucun




~IÉl\IOIRES
compte. Il s'installe pIein de confiance , organise
ses Dureaux, et s'entoure de ses créatures. Voici
son premier discours a l'assembIée :


« Le roi, en me nommant ministre des aff:'lires
)l étrangeres, c1it-il, a cherché a pronver son at-
» tachement a la constitution. Nous sommes
» devenus les gages de la confiance publique,
» de l'accorrl en tre les pouyoirs constitués, et
» de l'union qui seule peut nous donner les
» moyens de résister a l'orage et de l'écarter.
» Pendant que vous travaillerez a perfectionner
)) nos Iois, a dissiper les factions, a rétabIir 1'0r-
» dre dans le royaume, a faire renaltre la con-
» fiance; pendant que mes collegues travaille-
» ron t , chacun dans leur départemen t, a donner
» a l'exécution des loís l'ensemble et la force
» nécessaires, je serai aupres des pnissances
» étranger'es l'organe de votl'e énergie. La vérité
» dictera toutes mes déptkhes au nom du roí
» des Fran<;ais. Une nation libre et puissante ne
» doit point avoir recours a rastuce et au men-
» songe. Votre confiance nous a précédés dans
» le ministere, qu'elle nous y accompagne. L'as-
» semblée nationale, le roí, les minis tres ne
» sel'Ont plus qn'l1n tout indivisible. »


Le roí connaissait déjA les príncipes et les
opinions de son nouveau ministre sur la révo-
lulion. Il les avait précérlemment développés




, " D u:'\ HOllDrE D ETAT. 269
dans un mémoire qu'il avait fait parvenir a
Louis XVI ven la fin de l'année 179 1 l. Quant
a son principal mohile, on a vu qne Dumouriez
n'était entré en fonctions qu'apres s\~tre assuré
le ne¡f' (le la diplomatie.


Selon son pl'opre parti, voíci les principes
d'apres lesquels iI devait la régler. La diplo-
mati.e fran<;aisc présentait deux réformes a exé·
enter avec promptitudc : celle des hommes
et ceHe des pIaces. (( Gil sont les envoyés pa-
trio tes ? disait l'un des organes dll comité dipIo-
matique 2 ? Est-ce un M. de Ch:tlons a Lishonne?
ses liaisons avee MM. de Coigny et de Polignae,
ses complaisanees ponr le dnc Luxemhourg ne
sont-eUespas assez connues? Est·ce un M. de
Durfort a Venise? A-t-on ouhlié la cocarde
bJanche arborée dans son palais á la nouvelle
da départ du roi ponr Varennes? M. de Mons-
tier, nommé ponr Constantinople i a été dési-
gnépo'ur Londres. Eh bien, lisez la Police dé-
voilée par M. :Mannel, tomo 1 er, pago 242, vous
jugerez sa délicatesse 1 Que le comité diploma-
tique lise sa correspondance de Prusse, il jll-
gera son patriotisme. M. de Choiseul-Gouffier


, JI esl rapporté dans le Reweil des pi¿ces trauries dans l'armoire
de ler, el avait été remis au roi par de Lapoae, son intcndant.


'Dans un article .emi-officiel et iutitulé Diplumatie, pllhlié le
Lt ayril.




270 lIfÉlIWIRF.S
est a Constantinople: ouv1'ez, ouvrez aussi sa
correspondance, et vous dontcr'cz si ellc est
éCl'ite de Worms Oll des rives da llosphore. Des
talens littéraires et les gravures d'llU ouvl'age
fait par des coopérateurs sont quelque chose
pour les a1'ts; mais son t-il5 des gal'ans suffisans
du civisme d'un ambassadeur: Et tant d'autres,
ql1'il serait trop long de nomme1', qll'Ollt-ils fait
p01l1' mél'iter notre confiance, OH plutót quc
ll'ont-ils pas faít pom' la pcrch'c?»


Voyons maintenant le chapitre des dépenses :
( A quoi sert un ambassadeur á Rome, a F10-
rence! deux cent mille francs de traitement a
!tome 1 un ambassadeur a Parme pour assistel'
aux processions de l'illfant! a Venise un am-
bassadeur pour yoir lancel' le Bllcentallre! a
Genes, dont le territoil'c ll'cst qu'une langue
de terre, un ministre pOU!' complimenler les
sénateurs et prendr'e des Ier,olls tIe sigisbéat ! .....
N'est-il pas plus important de surveiller l'am-
bition orgueilleuse de la maison d' Autt'iche ,
plutot suspendue qu'anéantie par le coup qu'élle
vient de receIJoir? ..... » On indiqnait ensuite
un plan de réc1nction de dépenses et de ré-
duction de pIaces á la nomillation on pOllvoil'
cxécutif, et on citait avec {:loge J\IJ\I. Ternaut,
Descorches Sainte-Croix, Sémonville et Digot de
Sainte·Croix, qU'Oll préscntait comn~c dignes




, " DUN HOJ\fME DETAT.


d'occuper de meilleures et de plus importantes
légations. » Ce qu'on propose, ajoutait l'organe
du parti dominant, l'ancien miuistre se serait
bien gardé de l' exécuter; la raison en est simple:
M. Ternaut est honoré de la confiance de Was-
hington, et il est l'ami de M. de Lafayette; ne
serait-il pas mieux placé 11 Londres qu'it Philadel-
phie? M. Descorches Sainte-Croix est duclub des
jacobins, et iI était it la tete de sa municipalité; ne
serait-il pas mieux 11 Madrid, qu'11 Varsovie?
~'f. de Sémonvillc, électeur de 1789, et réuni 11
la commune le I3 juillet, a mis sur sa porte
á Genes la devise de la nation le joU!' qu'on
croyait 'le roi 11 Montmedy, et de plus iI est dé-
siré a Constantinople par tout le commerce de
Marseille et de Lyon. M. Bigot de Sainte-Croix
est un homme sinceremcnt ami de la révolution,
et qui, placé en Polognc, y recevrait le prix de
ses services par un avancement réel. Il connait
la Suede et la Russie, et iI pourrait en étudier
les mouvemens. »


Peu disposé néanmoins á etre régenté, le
nouvean ministre se borna d'abord aux chan-
gemens suivans dans le corps diplomatique fran-
¡;ais : il envoya M. de Maulde, son parent, á La
Haye; M. I~eh(lc 11 Hambourg; M. de Vibl'aye á
Copenhague, et M. Villars á l\Iayence.


Dumouriez mit sous les yeux du comité




lIIÉlI'IOIRES


diplomatique un rapport eonfidentiel sur l'en-
semble de son département l. La France , mal-
gré sa grande existence, était devenue, selon
ce ministre, dan s l'état politique de rEurope,
une pllissance tout an plus du second ordre. La
révollltion et les mouvemens des émigrés avaient
achevé de l'anéantir, et elle était alors comme
effacée du tableau politiqueo On avait chargé les
affaires étrangeres d'environ un million de pen-
sions pour de grands seigneurs, pour des étran-
gers et pOUl' des services secrets, comme espion-
nage; et enfin pour le secret des postes, e'est·a-
dire pour l'abus de l'ouverture des lettres.


On'traitait en France, dans l'opinion, eomme
ennemis les eabinets qui désapprouvaient les
exces de la révolution et qui donnaient re-
traite aux émigrés, ce qui en soi-meme n'était
pas répréhensible; mais on devait rcgarder
comme hostiles les gouvernemens qui se dé-
c1araient plus ouvel'tement contre la nation
franc;aise, en prenant hautement le parti des
émigl'és, en protégeant la levée de corps ar-
més sous des enseignes et des dénominations
franc;aises, et avec l'intention ouvel'te de faire


~ En comparan! les détails qui, dans cr. Memoi!"e., concernen!
DllInomiez avec ceux <qu'il rapporte lui.m~llle dans ses propres mé-
nloil'cs, on aura une idéc des réticences qu'il a eru uevoii' s'imposcr
a cau'. de S3 posilion et de cel'taines convenallces politiques.




n'ml HOMlIfE D'ETAT.


la guerre civile; en donnant aux princes fran-
«¡;ais non-seulement de simples pensions ali-
mentaires, mais de vrais suhsides pour payer
leurs troupes; en refusant de traiter dorénavant
avec les ministres de la France, négociant au
nom du roi; en reconnaissant ~ quoiqu'avec
un caractere secrct, les plénipotentiaires des
princes émigrés; en ayant l'air de voir en ces
princes le vrai gouvernement et l'uníque re-
présentation de la monarchie fran<;aise.


La Russie montrait contre la révolution
un acharnement tres-violento Pcut-etre, selon
Dumouriez, eouvrait-elle une politique pro-
fondeo Cette puissanee ne pouvait que gagner
a jeter lóin d'elle les armées de la Prusse et
de l'Autriche, et a les envoyer se détruire
eontre les plaees fortes dont la France est hé-
rissée.


La nation véritablement intéressée a ce que
les troubles qu'occasionait la révolution fran-
~aisc se tcrminass"ent promptemcnt et sans s'é-
tendre au-dehors, était la nation germanique.
Dumouriez voyait en elle trois intérets tres-dis-
tincts : eelui du corps germanique proprement
dit ou de I'Empirc, celui du roí de Prusse,
eclui de la maison d' Autriche. Ces intérets, bien
entendus, devaient cngager ou a une neutralité
parfaite ou a une médiatiol\ conciliatoire. Mal


l. 18




1I1ÚWIRES


entendus, ¡ls entrainaient nécessaircment et
tres-promptement la guerreo


Le corps germanique avait été lésé par les
décrets constitutionnels dan s la personne de ses
membres qui avaient des enclaves dans I'Alsace,
paree que ces biens se trouvaient nécessaire-
ment déchargés des droits U~odaux et de tout
servage.


Mais c'était une simple discussion juridi-
que, suivant Dumouriez, discussion qui n'ínté-
ressait pas assez tout le corps germanique
pour le mettre dans le cas d'avoir recours aux
armes. Il était juste, disait-il, d'acheter le
droit de souveraineté de quelques-uns de ces
enclaves, et d'indemniser pour les droits utiles
de toutes ces propriétés : l'affaire était en né-
gociation. Déja plusieurs de ces petits souve-
rains, comme le comte de Lowestein-W ertheim ,
avaient passé des traités avec le prédécesseur
de Dumouriez, qui cut réussi a les satisfaire en
suivant les regles exactes de la justice, si les
grands souverains de l'Empire, ajoutait le nou-
veau ministre, n'en avaient pas fait une affaire
générale ponr l'embrouiller. Il en anrait coúté
de l'argent á la France, et l'assemblée n'était
pas assez injnste pour refuser un accommode-
ment raisonnable, quí était la base des négocia-
tions du ministere, et qui convenait au corps




))'wr HOADm D'(TAT. 275
germaniqne pal' de hautes considérations tres-
importantes. Une guerre contl'e la France, pour-
suivait Dllmouriez, ne pouvaitdonc que ruiner
le corps germanique, qui n'avait rien a y ga-
gner; au contraire, si la Prusse et l'Autriche
l'étahlissaient la monarchie arbitraire, elles
senles profiteraient du démembrement, et tonte
augmentation de leur puissance a1lait au détri-
ment des autres États de I'Empire et a la dimi-
nution de sa force constitutive. e'est d'apres ces
principes que Dumouriez adressa de nouveUes
instructions anx divcrs envoyés de France en
AUemagné.


Venant a l'Autriche, iI représenta que le
seul moyen de ramener la confiance des Fran-
<;ais clan s la conr de Vienne, eut été de faire
jOllcr a cette COUI' le noble role de concilia-
trice, convenable ú ~a dignité et a ses vérita-
bIes imércts, puisque par lá elle eot assuré a la
France son régime constitutionnel, ct a elle-
meme la confirmation de son alliance sur des
bases invariables et la garantie de la tranquil-
Jité drs Pays-Bas. Dumouriez rappelait que la
cour de Vienne avait para d'abord adhél'er ú
eette vue politíque, puisque le comte de Met-
tCl'llich, ministre plénipotentiaire des Pays-Bas,
avait envoyé précédemment un agent a París
pour négocicr sur ces principes. Mais que d'un




lIIÉlUOInES
A , A 1 autre cote eette meme conr, prenant (ans ses


notes récentes le ton de l'aigreur et de 1'hosti-
lité, hérissait d'entraves et d'obstacles la négo-
ciation des indemnités des princes aIlemands ,
les menar,;ait meme de faire cassel' par la diete
de l'Empire fons les traités, et excitait surtout
les Cercles ponr les engager a en faire une cause
commune et les tire1' ainsi dc leur esprit de
neutralité. Annol1l;ant l'intention de ramener la
négociation avec I'Alltriche an point de dígnité
et de respect mutuel qui convenait ú deux
grandes puissances, ji commllniqua an comité
diplomatique un échantillon de sa corl'espon-
dance avec cette cour.


Voici que1qnes traits de sa premiere dépe~
che I a M. de N oailles : ee Les affaircs, lui man-
dait DUl11ouriez, doivent prendl>e par la l110rt
de Léopold une direction llouvelIe. La disgrace
que lVI. de Lcssart vient d'éprollver est venue
en grande partie de la faiblesse tIe sa négocia-
tion, qui, a l'avenit·, va prendre une marche
simple et vraie : telle est l'intention du roi,
et e'est ce qu'il m'a recommandé en entrant an
ministere. Ce que vous me mandez sur le ca-
ractere du roi de HOllgrie et de Boheme fait es-
pérer qu'il cllvisagera les horreurs d'une guene
interminable, dont lni se~ll serait dans le cas de


I Du l\) mai'S 1 ~02.




n'tíN IIO:lIlIIE n'ÉTAT.


faire les frais, et d'essuyer les pertes quand
meme iI réussirait a ruiner la Franee. Certaine-
ment, s'il favorisait la fureur eoupabIe des émí-
grés qui déehirent le ereur paternel du roi, il
n'en résulterait pour lui qu'un état de faiblesse
et d'épuisement, pareil a eelui dans lequel il au-
rait plongé la Franee elle-meme, et alors il per-
drait tout l'aseendant que deux cents ans de
possession du trane impéria! ont donné a ses
prédécesseurs : voila le tableau de ses dangers
en eas de sncces. Si, au contraire, la guerrc
qu'on semble nons décIarer tournait mal ponr
les puissanees attaquantes, alors les sneees de
la :France seraient uniquement nuisibles au roí
de Hongrie et de Boheme, puisque lui seul pos-
sede les États limitrophcs dans lesquels se ré-
pandl'aient nos armées victoricuses .....


Dumomiez, apres avoir examiné les motifs
de la guel're dont on mena({ait la France, ajon-
tait : « Je ne parlerai point des clubs et des
pamphlets : ce ne peut pas etre un motif de
guerre; si c'en était un, depuis long-temps tou-
tes les puissances de l'Europe auraient été for-
cées de faire une eroisade contre l'Angleterre .....
Le concert des puissances est évidemment di-
rigé contre le roi; ce coneert n'est que momen-
tané, paree qu'il blesse l' ordre et l'intéret poli-
tique; il ne peut pas durel', et iI eessera néces-




lIIÚIOIRES


sairemcnt ou apres la gnerre ou pendant la
guerreo Dans tous les cas, le chef de la maison
d'Autrichc restera isolé, épuisé de finances et
de troupes. Tont ce danger peut cesser de part
et d'autre par une déclaration franche de la
cour de Vienne et par un désarmement récipro-
que. Le prétexte de la nécessité de beaucoup de
troupes dans les Pays-Das, pOU!' emptkher l'es-
prit de révolution d'y pénétrer, est un motif
insuffisant. Les armécs ne conticnnent pas les
peuples quand ils veulent etre libres; plus on
oppose de force, plus l'énergie s'augmente et
devient fureur : Genes en est un exemple
pour la maison d' Autriche; cette ville médiocre
a chassé de son sein une armée entiere. La ré-
volution fran<,:aise en est un ex cm pIe encore
plus frappant. La cour de Vienne sait bien quels
ont été les agitatem's de la Belgique; elle sait
bien que l'assemblée eonstituante a rejeté les


. Belges, paree que leur révolútion théoeratique
était l'inverse de la natre. La diminution des
troupes dans eette provincc est done un des
points nécessaires, ainsi que l' expuIsion. de tous
les émigrés armés et attroupés de toutes les pro-
vinces de la domination autriehienne. Cet exem-
pIe entralnerait les souverains inférieurs de la
ligue germanique; bientat les attroupemens et
les ~oupt;ons cesseraient de part et d'autre;




n'UN HO~Il\IE D'ÉTAT.
toutes les menaces et les préparatifs de guerre
s'évanouiraient, et il ne resterait plus qu'a ar-
ranger a l'amiable l'affaire des princes posses-
sionnés : eette affaire ne peut pas se traiter au
milíen du tumulte des armes. Quant au con-
cert des puissances, eomme il ri'a qu'un objet
qui n'existerait plus, comme e'est un monstre
poli tique , il se détruira lui-meme : telles sont
les bases sur lesquelles le roí vous ordonne de
traiter ave e la cour de Vienne. »


Passan t a la Prusse, Dumouriez rappelait les
motifs qui avaient porté eette puissanee a chan-
ger entierement son aneien systeme politique,
et a contraeter avee la eour de Vienne une al-
liance qui ne faisait que suspendre leur vieille
rivalité. Quoique la Prusse traitat la France avec
rigueur et parut favoriser les émigrés, Dumou-
riez toutefois était d'avis de ne pas cesser de
ménager la cour de Berlín; il regardait son rap-
prochement avec la COUl' de Víenne comme une
aberration politique qui ne tiendrait paso En
conséquence, il concluait que, sans s'arreter au
partí que prendrait le roi de Prusse, il fallait ne
pas le traiter en ennemi, et séparer toujours sa
cause de ceHe de l' Autriche; par la on laisserait
une porte ouverte a des négociations conciliatoi-
res, quand on s'apereevrait de quelque refroi.
dissement dans une allianee aussi peu naturelle.




lIIÉl\WIRES


Consiclérer ainsi le traité qui liait le cabinet
de Vienne a celui de Bel'lin, de meme que les
díspositions de ce dernim' cabinet a l'égard de
la France, formait le fond du systeme politique
du nouveau ministre des affaires étrangeres; le
comité diplomatique en était lui-meme imbu,
et ce comité était l'élite de la faction qui pro-
voquait et voulait la guerreo Les orateurs, les
écrivains du meme partí avaient tous le mot
d'ordre. Sígnaler comme une monstrueuse aI-
Iianee, comme un íneeste politique l'union des
deux grandes puissanees de l'Allemagne, si Iong-
temps rivales, telle fut lenr tache. Dumouriez,
mettant de coté le caraetere et les dispositions
de Frédéríc-Guillaume, affectait meme d'etre
convaíncu que le cabinct de Berlín n'était nul-
lernent sincere dans sa liaison avec l'Autriche,
et iI donna cette dil'ection poli tique aux instruc-
tions confidentíelles qu'il transmit au comte de
Custine, qui, dans les premiel's jours de mars,
était venu remplacer a Berlín M. de Ségur, mais
seulement en qualité de chargé d'affail'es. Du-
mouriez, qui faisait un cas infihi de ce jeune
négociateur, prétendit d'abord l'attacher aupres
de la cour de Prusse comme ministre plénípo-
tcntiaire, fondant sur la dextérité de sa négo-
ciation de grandes espérances; maís M. de Cus-
tine ne réussit point a se faire reconnaitre. Du-




D'UN HOMnn~ n'ÉTAT.
mouriez Jui manda de ne pas se décourager ,de
rester {erme a son poste en se ménageant les
moyens secrets dont les ressorts lui etaie:r:.t con-
nus; que du reste il croyait inutile de diriger de
loin son langage; qu'il lui Iaissait a cet égard
toute la latitude d'une confiancesans bornes.


Le négociateur ne s'abusait point sur sa posi-
tion , et il entrevoyait la marche des affaire s : ni
les sentimens du roí de Prusse sur la révolution
fram,;aise, ni ses préparatifs hostiles ne pouvaient ,.
échapper' a ses investigations; il savait que Fré-
déric·Guillaume détestait cordialement la révo-
lution frau(,;aise, et qu'il brulait dela combattre;
on pouvait meme croire qu'il en redoutait l'in-
fluence d'apres l'ordre récent émané de son ca-
binet. Cet ordre portait de désarmer les paysans
des provinees prussiennes, et de défendre la cir-
culation d'écrits dangereux dans les campagnes.
Quant aux préparatifs hostiles, on n'en faisait
déja plus aucun mystere.


Outre les troupes formant les garnisons prus-
siennes en Westphalie et dans la forteresse de
Wesel, mises au complet, onze bataillons et une
division d'artillerie venaient de se rapprocher
du Rhin moyen, en prenant lenrs quartiers dan s
les principautés de Fl'anconie , qui n'étaient
pourtant pas dépourvues de leurs propres
troupes.




l\f:É~fOIRES
lci se présente naturellement l'occasion de


parler de l'incorporation de ces principautés a
la monarchie prussienne, et d'introduire en
meme temps sur le théatre des événemens, par
reffet de cette derniere cÍrconstance, l'homme
d'État, identifié a la Prusse et adopté par elle,
qui, ponr prix d'éminens services, y est pa~­
venu a la plus haute élévation : c'est le meme
dont la conduite, la politique, les travaux, les


• recherches et les vues forment la base et les
principaux élémens de ces récits contemporains.
Commen~ons par ce qui concerne la réver-


sion des deux margraviats, quí, depuis trois
siecles, constituaient l'apanaged'un des rameaux
de la maison de Brandebourg, et faisons d'abord
l'observation que les margraves d'Anspach et
de Bareith, placés au centre de l'AIlemagne,
avaient des attentions p¡us marquées pour l'Au-
triche que pour la Prusse, bien qu'ils fussent
unís a cette derniere puissance par les liens du
sango


Christian-Frédéric -Charles -Alexandre, mar-
grave de Brandebourg, Anspach et Bareith,
duc de Prusse, comte de Sayn, était parvenu a
la souveraineté en 1769 : ce prince avait alors
trente-trois ans; sa mere était sreur ainée du
grand Frédéric, qui avait montré quelque pré-
dilection pour son neveu. A peine sorti de l'en-




fance, le jcune margrave, s'étant mis a voyager
avec ses précepteurs, avait séjourné deux ans en
Hollande; quiltan t ensuitc les Provinces-U nies,
il s'était renclu en Suisse, de la a Venise et a
llome, d'oti, revenant a Anspach,. iI y avait ap-
porté le gout eles arts, des lettres et des voya-
ges; iI possédait et aimait beaucoup la langue
latine. La carriere eles armes n'eut aucun at-
trait pour lui; les nreuds du mariage l'unirent
a une princesse de Saxe-Cobourg peu atttrayante;
d'autres affcctions le subjuguerent : il s'attacha
long-temps a la célebre mademoiselle Clairon,
qu'il avait connue a Paris. Cette grande tragé-
dienñe avait quitté le théatre dans la force de
l'age, a la suite d'un acces d'humeur provoqué
par des tracas series auxquelles sa fierté et son
orgueil ne pouvaient plus s'accoutumer. Apres
quelques années d'une douce re traite , rendue
tene par l'aisance de sa fortune, elle fut attirée
par le margrave a la cour d'Anspach, ou elle
clevint en quelque sorte le premier ministre.
Elle avait alors cinquante ans, el inspira néan-
moins des sentimens jaloux a madame la mar-
grave, tandis que, d'un autre coté, les courti-
san s la voyaien t d'un reil d' envíe; cal', ainsi
qu'ellc le dit spirítuellement clans ses Mémoires,
Ji n' est si petite cour qui n' ait son Narcisse.
Mademoiselle Clairon domina plus ou moins la




JIIÉ:lIOIRES


pe tite COUl' d'Anspach pendant dix-sept ans de
sa vie, et ne quitta l'Allemagne pour revenir a
Paris qu'ati début de la révolution, piquée de
se voir supplantée dans l'affection du margrave
par lady Craven, qui fixa pour jamais ce prinee
inconstant. A eeHe époque, il n'était plus lui-
meme dans l'age des passions; le soin de ses
magnifiques haras, ]a ehassc au eerf, et de
douces habitudes eharmaient ses loisirs dans sa
retr~lÍte de Triesdorf, a trois licues d'Anspach;
iI en préférait le séjollJ' ;\ celui de sa capital e , et
plus encore a celui de Bareith, ville qu'il n'ai-
mait paso Souvent meme iI passait l'hiver a Tries-
dorf, qu'avait embelli un jardin anglais, ajouté
par lady Craven au granel pare. C'était presque
toujOllJ'S l'Italie qui devenait le but des voyages
par lesquels le margrave, rompant de loin en
loin la monotonie de ses habitudes, eherehait a
se distraire des soueis de l'administration de ses
États. Ce prince était sans héritiers et sans es-
pérance d'en avoir; a sa mort, ses deux princi-
pautés devaient tombel' en partage au roí de
Pl'usse en vertu de ses dl'oits évcntuels. L'idée
el'aller vivre paisible et tranquille en Angle-
terre eomme un simple particuIier, étant "e-
nne au margrave, il songea des lors á ab-
diquel' le gouvernement de son pays pour en
transférer de son vivant la souveraineté a Fré-




D'UN HO~nIE D'ÉTAT.
déric-Guillaume. Ce n'était pas une mince ac-
quisition pour ce monarque que ceHe de deux
principautés au cceur de l'Allemagne, offrant
ensemble quatre cents lieues carrées d'étendue,
et une population de trois cent soixante-dix
mille flmes, avec un revenu de plus d'un million
d'écus de Prusse. Le territoire de Bareith com-
prenait a lui seul dix-huit villes et trente-six
bourgs; celui d'Anspach quinzevilles et soixante-
seize bOlll'gs, indépendamment des villages et des
hameallx. Le pays d'ailleurs o[[rait toutes les res-
sources nécessaires a l'homme civilisé, de meme
que tous les élémens appropriés a une gestion
paternell¿; mais jusqu'a ces derniers temps l'ad-
ministration des margraviats n'avait pas tou-
jours été bien entemlue ni réglée avec assez d'in-
telligcnce et d'économie. Plein de son projet, le
mm'grave demanda au roi Frédéric-Guil1áume
un ministre pour en prendre l'administration.
Le roi lui désigna le baron de IIal'denberg.


CUARLES-AuGUSTE, baron DE HARDENBERG,
issu de ]a branche ainée de la famille noble de
ce nom, dont l'origine remonte a l'époque des
cmpereurs d' Allemagne de la maison de Saxc,
naquit dans la ville c!'H:movrc le 31 mai J 750.
Son pere, qui avait embrnssé la carriere des ar-
mes, s'étant distingué pemlant la guel'l'e de sept
ans, paryint au grade de feld-maréchaI. Élcvé




l\IElIIO IR ES


avec soín, Hanlenberg perfectionna ses études
aux universités de Goettingue et de Leipsick, et,
voulant de bonne heure se vouer aux affaires,
il fiten quelque sorte son noviciat dan s les bu-
reaux de l'administration publique du Hanovre;
mais il sentit lui-meme le besoin de s'onvrir
une carriere plus large et ele s'y préparer par
les voyages. En effet, c'est clan s les voyages que
tout homme qlli se sent appelé a la science de
l'aelministration et aux af[aires d'État trouve
une véritable étude-pratique. Hardcl1berg visita
en observateur l'Angleterre, la France, la JIol-
lande et l'Allemagne; il vint résider ensuite
a Wetzlar, pres la chambre impériale, ou il
compléta ses études sur le droit publico De cette
époque date sa liaison intime avec le célebre
écrivain Godhe. Hentl'é dans l'administratiou
du Hanovre, I-Iardenberg fut chargé a deux
reprises de missions pOllr l'Angleterl'e, l'une
en 1778, l'autre en 1782; il ne s'en déclara pas
moins ponr le parti de l'opposition dans les
États; enfin, une eirconsta,nee partieuliere 1 et
sa ten dance poli tique le déeiderent sans retour
a quitter de nO,uveau son ¡)ays natal.


C'était a l'époque ou le due de Brunswick com-


r Cette cil'constnn"ce particulicL'e se rapport;¡it a oes chagdns do ..
mestiques : le baron de Jlardenberg avait "pausé lUadcmoiselle <le
Revent1olV, fort bcnc personne, dont iI se sépara.




n'UN HO~Il\fE D'ÉTAT.
men~ait dan s ses États l' exereice-pratique de la
souveraineté avec l'émulation louable d'ajouter
a 1'écIat de sa réputation militaire le mérite plus
modeste d'une administration économe et bien-
veilIante. Le principal objet du due était de rame-
ner le bien-etre dans un pays qui avait souffert et
par la guerre et par le délabrement qui en est la
suite. Il sentit le besoin d'un concours éc1airé et
actif: appclant Hardenberg a son service, iI le
nomma grand-prévot et son conseil privé. Non-
seulement ce choix fut bientot justifié, mais eette
époque meme de la vie de Hardenberg décida
de son avenir, a la faveur d'une circonstance
heurellse : on sait que fe dnc, neveu du grand
Frédéric, s' était voué, n' étant que duc hérédi-
taire, au service de sa couronne, et avait ajouté
a la gloire militaire prussienne; il en était ré-
suIté une plus étroite union entre les souve-
rain s du duché de Brunswick et la maison royale
de Prusse, ce qui explique pourquoi le testa-
ment de Frédéric-le-Gl'and fut déposé aux ar-
chives ducales de Brunswick.


A l'avénement de FrécIéric-GuilIaume, le cIuc
régnant choisit, pOUl' etl'e porteur de ce testa-
ment a Berlín, Hardenberg, qui s'effol''ia de
relever eette honorable mission par la maniere
dont il parut a la cour uu nouveau roi. Quel-
ques agrémens extérieurs et personnels ajoute-




288 lII:ÉlIfOIRES
rent a la dignité de su mission aa moment ou
iI présenta lui-meme au roí l'acte solennel dont
iI était porteur. Le roi l'accueillit avec autant
d'intéret que de honté; il ne vit pas seulement
en lui un de ces courtisans qui ne brillent que
par les graces de leurs manieres, mais un ser-
viteur dévoué qui, par sa capacité dans les af·
faires, semblait destiné a prendre rang parmi les
hommes d'État. Hardenbel'g s'aper<;;ut aisément
qu'il avait gagnJ les bonnes gd.ces de Frédéric-
GuilIaume, et plus tard il eut la preuve cel'-
taine que l'impression qu'il avait faite an roi
n' était rien moins que passagere. En effet, elle
se réveilla comme si elle était restée gravée dans
l'esprit du roi, quand le margrave, comme nous
l'avons dit, lui fit la demande d'nn ministre
capable de prendre en main l'administration des
États qu'il se proposait d'abdiquer au profitde
la Prusse. Hardenherg, acceptant avec joie cette
haute mission, s'établit a Bareith en qualité
de ministre-directeur. La, répondant a l'attente
du margrave, il prit d'nne main ferme les renes
de l'adminlstration des deux principautés, et
prépara tout ponr que le nouveau souverain de
ce p~lyS n'eút plus qu'a en recueillir les fruils
précieux. 11 paya tOlltes les dettes, dimin,lIa les
impóts, et introduisit de grandes amélio'rations
dans l'économie rurale.




n'UN nOl\1l\IE n'ÉTAT.


Dans le courant de 1791 , Frédéric-Guillaume
ayant attiré le margrave a llerlin pour conférer
avec lui sur son projet de résigner ses États a
la Prusse, Hardenberg , a l'issue des conférences
auxquelles il assista, fut seul chargé de l'exécu-
tion des arrangemens projetés entre les deux
souverains. Excepté lui et lady Craven, personne
autre que le roi n'avait la moindre idée des in-
tentions du margrave. Par wn acte d'abdication,
arreté et signé a Berlin au mois de décembre , il
cédait ses d,eux principautés de Franconie a son
héritier éventuel le roi de Prnsse, moyennant
une forte pension viagere l.


Le roi ayant eonféré a eette occasion le titre
de ministre d'État et de guerre an baron de
Hardenberg, le chargea d'aller prendre posses-
sion, en son 110m, des deux principautés. Le
25 janvier suivant, Hardenberg, revenn de Ber-
lin a Dareith, publia l'édit de possession de la
Prussc, et fit preter aux officiers civils et mili-
tail'es le serment de fidélité au roi. Immédiate-
ment apres cette prestation, le roi confirma Har-
denberg dans sa qualité de ministre-directeur
des principautés de Franconie, en le nommant
ministre de son cabinct. Il le chargea spéciale-


, Apres son abdication, le margrave partit pour LisDonne, Olt il
epousa Élisabeth Ilal'krlcy, ve uve de lord Cl'avcn; il se retira ensuite
en Allgletel'l'c, Olt iI est mort en 18oG,


l.




:nnhWIREs
ment d'introduire les institutions de la Prusse
dan s ces nouvelles pl'ovinces, et d'en diriger
toute l'administration. Sa premiere ordonnance,
adressée a la chambre royale de Bareith, eut
pour objet la distribution de vingt mille florins
entre les pauvres.


Telle était la situation politique des deux prin-
cipautés, lorsqu'aux approches de la guerre le
roi y envoya en quartier les premiers corps de
troupes prussiennes destinés contre la Franee.


Le roi, que tous ees mouvemens préoccu-
paient, parut a Berlin le 28 mars pour y donner
audience a l'envoyé de l'électeur de Mayence,
eomte de Hatzfelt, qui venait lui notifier de la
part du ehancelier de l'Empire la vacance du
trane impérial, et l'inviter, eomme électeur de
Brandebourg, a l'élection du nouvcl cmpcreur.
L'asscmbléc d'élcction était renvoyée au 3 juil-
let pour mettre all moins quelque intel'VaIle en-
tre les cérémonies du couronnement précédent
et eeHes auxquelles celui-ciallait donner líeu;
on devait y procéder avec moins de faste et de
pompe a cause des dépenses que ces cérémo-
ni es entralnent, et dont le poids retombait pres-
que tout entier sur les sujets des électorats ee-
clésiastiques. L'envoyé de l\Iayence, apres sa
réception, fut invité a diner avee le roi, qui re-
tourna ensuite a Potzdam. Les dépeches d'Ano •




, " ]) UN HOl\Dm D .ETAT. 2.9 1
triche et dc París étaicllt l'objet d'une sél'ieuse
attention de la part du cabinet prussien; le roi
continuait arecevoir une correspondan ce directe
du général-major Bischoffswerder, qui n'avait
pas encore quitté Vienne. Cet envoyé extraor-
dinaire avait trouvé dans cette capitale le juif
Éphraim, émissaire prussien, déja signalé a
Bruxelles, a A.msterdam et a Paris; iI le fit rap-
peler, soit qu'il {út contrarié par la présence
de cet agent secret, soit qu'íl voulút etre chargé
seul des négociations de tout genre. Bischoffs-
werder cut de fréquentes conférences avec le
maréchal de Lascy et avec le prince de Kaunitz.
Non-seulement le roi de Hongrie et de Boheme
avait pleinement confirmé les traités de son pré-
décesseur avec la Prusse; mais iI venait aussi
de renouveler le traité d'alliance avec la Rus-
sie. L'accord politique entre les dellx cours
de Berlín et de Vienne n'éprouvait donc aucune
altération essentielle; seulement les derniers ar-
rangemens hostiles pris avec Léopold étaient
suspendus, le nouveau roi persistant a rester
sur la défensive, au risque d'etre attaqué par la
France; mais d'un autre coté Fran~ois Ier était
tres-résolu a opposer beaucoup de fermeté et
d'énergie aux exigen ces de l'assemblée natio-
nale. La premiere note officielle que le prince
de Kaunitz fut chal'gé j le 18 de mars, de re-




J\'IÉJUOIRES


mettre a l'ambassadeur de France, au nom du
nouveau roi, se rapportait aux demandes con-
tenues dans les dernieres dépeches de :;\1. de
Lessart. Elle était con<,;ue en ces termes:


« Le gouvernement fran<;ais ayant demandé
» des éclaircissemens catégoriques sur les in-
» tentions et les démarches de feu S. 1\1. l'em-
» pereur, relativement a la situation actuelle
» de la France, le chancelier de conr et d'É-
» tat, prillce de Kaunitz, est d'aulant moins a
» portée d'en ajouter aujourd'hni de Ilouveaux,
» que le roi de Hongrie et de Boheme adopte
» complétement sur ce point les sentimens de
» l'empereur, et que les nouvelles demandes
» que M. l'ambassaueur de :France a uepuis été


,» chargé de faire ici, rentrent dans celles aux-
» quelles il a déjá été complétement réponclu.


» On ne connait point d'annement et de me-
» SUl'e dans les }~tats autrichiens qui puissent
» justifier des préparatifs de guerreo Les me-
» sures défcnsives ordonnées parsa majesté im-
» périale ne peuvent etre mises en parallele avec
» les mesures hostiles ue la France; et quan t
» a ceHes que sa majesté apostoliqne pourra
» juger nécessaires pour la súreté et la tranquil-
» lité de ses propres États, et surtout ponr
» étouffer les trollbles que les exemples de la
» France et les coupables mené es du parti jaco,":




n'CN JIOl\nIE n'iTAT. 293
» hin fomentent dans les provinces helgiques,
») elle ne pourra ni ne voudra jamais consentir
» a se lier les mains d'avance avec qui que ce
» soif. Personne n'a le droit de luí en prescrire
» les bornes. Quant an concert dans lequel sa
» majesté ímpériale s'est engagée avec les plus
» respectables puissances de l'Europe , le roi d~
» Hongrie et de Boheme, et ces memes puis-
» sances ne persistent pas moins dans lenr opi-
» nion et lenr détermination communes. lVIais
)1 ils ne croient pas convenable ni possible de
» faire cesser ce concert avant que la France ait
») fait ces ser les causes quí en ont provoqué et
» nécessité l'ouverture. Sa majesté s'y attend
» d'autant plus de sa part, qu'elle présume trap
)) des sentimens de justice et de raison d'une
» nation distinguée par sa raisan et sa douceur,
)) ponr s'interdirc l'espoir qu'elle ne tardera pas a
» soustraire su dignité, son indépendance et son
)) repos aux atteintes d'ul1e faetion sanguinaíre
» et furieuse qui, s'acharnant de plus en plus a
» détrníl'e, par la voie des émeutes et violences
» populaires , tont exercice, taute espece d'an-
» torité , de lois et de príncipes, ne vise qu'it ré-
)) duire á des jeux de mots illusoires et la liberté
)) uu roí tres-ehrétien et le maintien de la mo-
» narchie fran<;;aíse, et l'établissement de toute
») constitntion et de tout gouvernement régu.




.1IIÉl\IOIRTIS


)l lier, ainsi que la foi des traités les plus so·
)) lennels, les devoirs les plus sacrés du droit
» publico Mais, dussent leurs artífices et leurs
» desseins prévaloir, sa majesté se flatte du moins
)) que la partie saine et principale de la nation
» envisagera alors dans une perspective conso·
)} lante l'appui, l'existence d'un concert dont les
)} vues sont dignes de sa confiance et de la crise
)} la plus importante qui ait jamais affecté les in·
» térets communs de l'Europe.


» Vienne, 18 mars 1792.
)l Signé KAUNITZ. )}


Dumouriez, en donnant connaissance a l'as·
seroblée nationale de cette note du ministre iro·
périal, la fit préeéder par une courte explica.
tion: « Je prie l'assernblée, dit·il, de retenir la
» juste indignation que lui inspirera la lecture
)} de eette piece ..... Elle est terrninée par un ap·
}} pel a la partie saine et principale de la nation,
» c'est-a-dire de l'aristocratie, pour l'inviter a se
}) rallier au concert des puissances. J'aime a pré.
JI venir que ce concert sera sans harmonie, et
}) que la France, unie par les liens du patrio-
)l tisme, triomphera de toutes les ligues. J'invite
)l l'assemblée a attendre, pour statuer sur cette
» piece, la réponse catégorique que j'ai deman-
» dée a la cour de Viennc au nom de la nation et
» dq. roi. )}




n'mv IIOl\fl\fE n'ÉTAT.
L'assembléc, d'apres l'invitation de Dumbú-


riez, ne prit aueune délibération, passant a
l'ordre dn jour immédiatement apres la leeture
de la note, lecture que les plus bruyantes risées
avaient souvent interrompue.


Vainement l'ambassadeur de Franee a Vienne
s'était efforeé de persualler au prince de Kaunitz
que, s'il voulait maintenir le repos de I'Autriche
et assurer ccIui de la France, il fallait surtout
éviter, dans le langage officiel émané de sa
conr, tontes observations qni tendraicnt a cen-
surer l'administration intérieure du royaume
iI n'avait cessé de répéter que de semblables
critiques, tout au plus permises dans les en-
tretiens particnliers, devenaient, lorsqu'elles
étaient consigné es dans des écrits ministériels,
les offenses les plus sensibles a l'honneur d'une
nation.


De son coté, le roi de Hongrie et de Boheme
se montra extrcmement choqué de l' ordre donné
par Dumonriez, au noro dn roí de Franee, a son
ambassadeur, de requérir la diminution des
troupes autrichiennes dans les provinces belgi-
queso S'emportant avec violence chez le prince
de Kaunitz, on s'en apcn;ut a I'altération de ses
traits quand iI sortit de la conférence qui s' était
tenue a ce\ sujet dans l'appartement meme du
vieux ministre: c'était le 26 marso Le prince de




lIIÉl\IOIRES


Kaunitz s'étant rendu e.t:\sllite chez le roi, on
tint eonseil privé, et la il fut résolu que le gou-
vernement, pour toute réponse, donnerait asa
note du 18 mars et a eeHes qui l'avaient précé-
dée la plus grande publicité possible. En consé-
quence, toute la négoeiation entre le eabinet
d' Autriehe et la France fut livrée a l'impression
eomme pour éclairer le peuple sur la grande
question que la guerre allait décider.


Dans eette attente, Frédéric-Guillaume emt
devoir mettre un terrne a la mission extraordi-
naire du général-major Bischoffswerder, qui,
dan s de fréquentes audiences, avait re~u du roi
de Hongrie et de Boheme des témoignages de
confianee 'honorables pour lui et satisfaisans
pour sa cour. Avant son départ, l'envoyé prus-
sien eut avec le jeune roi un long cntretien,
qu'il ramena avee assez d'adresse sur un objet
tres-important : il s'agissait, d'apres une del'-
niere dépeche re~ue de Berlin, de disposer le
roi de Hongrie et de Bobeme a laisser a Frédé-
ric-Guillaume la direction de la guerre üffensive
contre la France dans le cas Ol!. la cour de Vienne
persisterait a ne pas en prendl'e elle-meme I'ini-
tiative.Selon le roi de Prusse, ce n'était que par
l'invasion qu'on pouvait arriver a un résultat
poli tique, et remIre ainsi utile a la cause eommune
l'armement général: tel était surtant le sentiment




D'UN HOJlOrE n'ÉTAT.
des émigrés fraru;ais, dont l'influence s'exer-
c;ait encore plus sur le monarque prussien que
sur ses propres ministres. Bischoffswerder trouva
le successeur de Léopolcl tout pret a témoigner
au roí de Prusse toute sorte de déférences rela-
tivement a la conduite de la guerre des qu'il se-
rait temps d'agir.


Le général- major prit cohgé, et partit de
Vienne le 5 avril pour retourner a Berlin. Il se
serait mis plus tot en route s'il n'avait attelldu
quelques jours ]a rédaction d'une circulaire qui
devait ctrc adressée aux cours coalisées et aux
états de I'Empire comme co-États, a l'effet de
demander a chacun les secours qu'il se propo-
sait de fournir en cas de guerre, soit en hommes,
soit en argento


A Prague, il s'arreta pOUl' convcnir, avec le
prince de Hohcnlohe, du jour et du lieu oú le
général autrichien pourrait avoir une entrevue
avec le dnc de Drunswick : c'était a Leipsick
qu'elle devait avoir licuo L'activité des prépara-
tifs redoubla en Prusse a l'arrivée du général-
major a Berlin. Toutes les dipositions annon-
<;aient une marche pl'ochaine eles tl'oupes. L'or-
dre antérieul' donné par le roi fut encare une
fois réitért~; il portait défense aux régimens d'en-
roler des FranQais, des AIsaciens, des Lorrains,
des Suisses, ou tout autre Allemand que des su-




MÉMOIRES
jets prussiens. Les recrues devaient etre scrupu-
Ieusement examinées apres 1eur arrivée a leurs
corps respectifs.


On voit par ce qui precede que la grande
question européenne a l'ordre du jour se ré-
duisait , un mois apres la mort de Léopold, a
examiner si, dans l'intéret des puissances qui
étaient en débats et en armes, il était plus avan-
tageux a chacune d'elles d'attaquer que de se
laisser attaquer. Il était visible, d'apres les pas-
sions qui agitaient ]a France et le caractere par-
ticulkr des Fran<,;ais, qu'ils prendraient avec
ardeur l'initiative de la guerre : attaquer a pres-
que toujours été a 1eur avantage. C'était d'ail-
leurs la doctrine politique de Dumouriez, qui
commenc;ait a diriger les affaires de la France,
et il était trop entreprenant et trop habile pour
manquer l'occasion, en se popularisant, de se
frayer toutes les routes qu'aspirc 11 parcourir
tout homme pénétré de cet esprit djambition
politique et militaire qui en révolution n'a pas
de bornes.


La négociation avec l'Autriche n'était plus
a ses yeux qu'une voie plus sure pour y arriver,
moyennant que1ques détours, iI est vrai, et avec
des formalités plus ou moins adroites pour me-
nager la conscience de Louis XVI, et le porter
naturellement au grand acte de la guerre que




D'V"Y HOl\r~IE D'lÍTAT.
luí seul, en verta de la constitution, avait le
droit de déclarer. Parcourons les détours de
ces négociations fallacieuses suivies par chaqlle
pllissance ponr mettre de son coté les appa-
l'ences dll droit.


La nomination de Dllmouriez au ministere
avait singlllierement aigri le cabinet autrichien,
qui regardait le choix des nouveaux ministres
de Louis XVI comme un triomphe de la faction
des jacobins contee laquelIe le prince de Kaunitz
avait lancé plus d'un manifeste qui , loin de leur
nnire, les rendaient plus importans. Non-seu-
leJIlent la premie re dépeche de Dumouriez avait
été mal re<;¡ue, maís le prince de Kaunitz ne
daignait plus traiter lui-meme avec l'ambassa-
deur de France. Le vice-chancelier de cour et
d'État, comte Jean-Philippe de Cobentzel, était
chargé de ce soin.


Il ne faut pas le confondre, comme on le fait
souvent, avec Lonis, comte de CobentzeI, son
cousín, qu'on verra bientot figurer d'une ma-
niere encare plus saillante dans la haute diplo-
matie autricbienne. I,e comte Jean-Philippe,
dont il s'agit, était plus agé de douze ans. Tous
les deux avaient débutés dan s les emplais émi-
nens sous les anspices du prince de Kaunitz ,
dont ils étaient les créatures. Celui-ci fut nommé
d'abord conseiller des finances ; iI fut employé




300 JIÉ3IOIRES


ensuite, conjointement avec son cousin, daos
l'administration de la Gallicie et du Lodomerie,
apres le premicr partage de la Pologne; puis on
l'envoya ambassadeur au congres de Teschen.
Ce fut apres cette mission que le prince de Kau-
nitz le fit élever a la dignité de vice-chancelier
de cour et d'État. Employé comme conseiller
privé aupres de la caue des gouverneurs géné-
raux des Pays-Ras a l'époque des troubles , iI
fut chargé, en J 790, de négociee avec les chefs
de l'insurrection belgique; mais les Jttats de
Brabant refusant de le reconnaitre, il se retira
dans la forteresse de Luxembourg. Ul. il publia
une déclaration par laquelle iI révoquait, an
nom de l'empereur, tous les édits qui avaient
été la cause des déchiremens, espece de con-
ccssion qui fut rcgardée comme un acte de fai-
blessc. On le croyait en disgráce a l'avenement de
Léopold, quand le vieux prince de Kaunítz le fit
appeler a Vienne : en reprenant sa place de vice-
chancelier, i1 devint son coadjute'ur au départe-
ment des affaires étrangeres. Vint l'époque ou, a
la veille de la rupture avec la France, les négocia-
tions ne tenaient plus qu'it un fil : ce fil tomba
dans ses mains. N'étant rien moins qu'étranger
an ton insinuant et a la souplesse fran<;aise, il
ouvrit des conférences avec le marquis de N oail-
les, et montra des formes polies san s raideur. Il




U'UN HOllfllIE D'ÉJ'AT. 301


chercha d'abonl ú le convaincre que les renforts
de lroupes envoyés clans les Pays-Bas et dans le
llrisgaw ne devaient causer aucnn ombrage a la
France, qu'il ne sagissait que de maintenir dans
les deux pays la tranquillité; il s'attacha aussi a
11li faire entendre qu'il n 'y avait 1)as de raison
pour que le concert eles puisances ne continuat
pas d't~tre ce qll'il avait été jusqu'alors , c'est-a-
dire éventuel. Il pal'aissait d'ailleurs persuadé
qne le gouverncment nOllveau de la France n'a-
vait ni force ni assiette, et qn'on y marchait a
grands pas vers le systeme républicain. (( Si
» votre constitution, <lit-il, est réellement des-
» trnctivc elu pouvoir monarchique, elle est
); d'nn dangereux exemple qu'il ne fandrait pas


. » laisscr aux peuples. Ses succes, s'ils étaient
» possibles, seraient encore plus á craindre que
» ses inconvéniens, cal' ils accroltraient la }JUis-
) sanee de la France á un degré qui finirait par
») l'ompre tont équilibl'e. » Et le ministre autri-
chien citait en pl'euve la réunion récente dn pays
d'Avignon, réunion alarmante ponr les cou-
ronnes, en ce qu'elle décclaÚ un plan d'agréga-
tion et d'agrandissement indéfi.ni. lVIais dans ses
explications il élndait toujours les réponses ca-
tégoriques.


Ce n'était pas ce que demandait Dumonricz,
tres-disposé par caractere a tracel' autonr des




302. l\I~~fOIRt:S
hommes d'État de l'Autriche le cercle de Popi-
Hus. ,( Je vois, mande-t-il aussitót á l'ambassa-
» deur, 1 que la négociation se prolon gerait in-
» définiment, si vous ne la suiviez pas dans
» l'esprit de ma premicre dépeche, et si l'opi-
)\ nion de M. de Cobentzel prévalait. Il est ab-
» solument impossible de nous convaincre que
» les troupes qui nous cernent partont ne doi-
» vent nous causer aucun ombrage. Comme
» nous voyons dans toute I'Europe des prépa-
» ratifs hostiles contre !lOUS, iI n'est pas possi-
» ble de s'en tenir davantage á toutes ces pa-
l) roles. Notre gouvernement, quoi qu'en dise
» M. deCobentzel, a de la force et de l'assiette : il
») n'est pas du tont question de systeme répu-
)) blicain; le roi est re ve tu d'un pouvoir consti-
)) tutionnel bien supérieur á c'eIui du despo-
)) tisme. Si ron nous croit dans l'anarchie, on
)) ne nous regarde donc pas comme redoutables,
» et on ne se ligue contre nons que pour parta-
» gel' nos dépouilles; sinous sommes en hon
» état, on a tort de nous menacer : ainsi, dans
» tous les cas, iI n'y a aucun motif de se liguer
») contre nous. La réunion d'Avignon est encore
» un vain prétexte; cet État, enclavé au milieu
») de nos provinces méridionales, a long-temps
» appartenu a: la France, qui n'a jamais laissé


I Dépeche du :1.7 marso




D'UN nOMlIfE D'ÉTAT. 303
» prescrire son titre: c'était un proces entre le
» roí de France et le pape; il est devenu un
» proces entre la natioll fran~aise, le rai des
» Franr;ais et le pape. Ilne peut tout au plus
» flnir que par des indemnités,. comme dans
» l'affaire des princes possessionnés.


» M. de Cobentzel ne croit pas plus que vous
» aux observatíons qu'il vous a faítes, et qui,
» bien loin d'amener une négociation pacifique,
» abligeraient a rompre toute cette négociation,
» d'ou dépenclle sort de l'Eurape. Le roi, chargé
» de la représentation et de la confiance d'une
»grande nation, attencl de jaur en jour une ré-
» pan se eatégorique. Si le successeur de Léopald
» veut maintenir ses traités avec la Franee, il
» cloit rompre san s balancer ceux qu'il a faits a
» son insu et avee des intentions hostiles eontre
» elle, et de plus retirer des traupes qui nous
» menaeent, paree que eet état de perplexíté est
» contraire d'une part aux procédés d'un ancien
» aHié, de l'autre aux intérets de la cour de
»Vienne elle-meme. Si eette déclaration n'est
» pas tres-promptc et tres.franche, le roi, an
» retanr du courrier que vous renverrez, se re-
» gardera décidément comme en état de guerre.»


A la réeeptian de eette dépechc, M. de N aailles
se mit en devoir de remplir les instructions
qu'elle portait. Cet ambassadeur, a l'avtmement




30!~ 1I1ÉlIfOIRES
de Dumomiez au ministere, encore étourdi
du coup qui venait de renverser M. de Lessart,
avait donné sa démission 1; mais, s'étant ensuite
ravisé a cause de l'appui que ,lui pretait M. de
Lafayette, il s'était décidé a rester a son poste,
et avait ronvert la négociation. C'était par la
voie du vice-chancelier, comte de Cobentzel,
qu'il faisait parvenir an roi de IIongrie et de Bo-
heme les communications de son cabinet. Dans
une longue conférence, le 4 avril au matin, iI
lui dit tout ce qui pouvait comluire á une ex-
plication définitive. Apres lui avoir représenté
combien les inquiétudes devenaient de jour en
jour plus fondées a la vue des préparatifs hos·
tiles qui se faisaient de tous cótés contre ]a
France, il lui déclara que son cabinet avait be-
soin d'etre rassuré autl'ement que par des pa-
roles; que de simples assurances pacifiques ne
lui paraitraient actuellement avoir ponr but que
de gagner du temps; qu' enfin les choses en
étaient vennes au point qu'il avait re~u l'ordre
positif de demander une déclaration par la-
quelle la conr de Vienne renoncerait a ses a1'-
memens et a sa coalition, ou d'annonce1' qu'au
défaut de cette déclaration, le roi de Franee se


• Ce qui lui a!tira, Ole 1 ~ ayril. un decret d'accnsotion rapporté le
lendemain, attendu que, d'apres sa dcrnicl'e dépcchc. il s'était con-
formé JU>: onlres du I'oi en restant a son poste.




, " D UN HOl\IJUE D ETAT. 305
regarderait comme en état de guerre avec l'Au-
triche, et qu'¡j serait fortement soutenu par la
nation entiere, qui ne soupirait qu'aprcs une
prompte décision.


Le comte de Cobentzel entreprit de justifier
sa com' sur les vues hostiles qu'on lui suppo-
sait; il protesta que le roi ele Hongrie et de Bo-
heme était tres-éloigné de vouloir se meler des
affaires intérieures de la France, et ne pensait
nullement a appuyer les intérets des émigrés;
iI répéta ce qu'il avait déja dit a plusieurs re-
prises a M. de Noailles, qu'on avait envoyé des
renforts dans le Brisgaw, par.ce qu'on les avait
jugés nécessaires au pays pour y maintenir 1'01'-
dre et la justice, et pour etre a portée de don-
ner du secours aux États de l'Empire, qui re-
quéraient assistance dans le voisinage. M. de
Noailles obsen'a que tant de précalltions, el'a-
pres le concert qui était connu de la France, ne
justifiaient que trop ses alarmes; iI insista par-
ticulierement sur la cessation de ce concert, si
contraire a ce que la France aurait dti attendre
de son allié. Le ministre autrichien lui dit alor8
que le concert n'était plus une affaire person-
nelle :m roi de Hongrie et de Boheme, qui ne
pouvait s'en retirer qll'avec les autres cours, el
que ce concert continuerait d'avoir le meme
objet, aussi long-temps qu'on n'aurait pas ter-


J. 20




306 lUÉMOIRES
mme ce qui restait a régler ave e la Franee; il
spécifia ainsi qu'il suit les trois poi n ts princi-
paux de la négociation :


1° La satisfaction des princes possessionnés;
2° La satisfaction du pape pour le comtat


d'Avignon;
3° Les mesures que jugerait a propos de pren-


dre le gouvernement de France; mais telles quil
eut enfin une force suffisante pour réprimer ee
qui pouvait inquiéter les autres États.


Tous les raisonnemens sur ces diHerens objets
étant épuisés, M. de N oailles demanda áu comte
de Cobentzel si, poul' réponse aux représenta-
tions qn'il venait de lui faire, il pouvait mander
que sa cour s'en tenait a la note officielle du
18 marso Le ministre autrichien répondit qu'il
prendrait a ce sujet les ordres de son sou-
verain.


Mais déja Dumouriez pressentant le tour que
prendrait la négociation, avait tout préparé au"
pres du roi et dans le conseil pour amener la
déclaration de guerre, concertée avec le parti
qui l'avait poussé lui-meme au pouvoir, et qui
l'y soutenait.


Sous prétexte de rompre le machiaIJélisme des
ministres d' Autriche, il pro pose a Louis XVI
de s'adresser directement au roi de Hongrie et
de Boheme , et luí faít signer la lettre suivante :




n'UN rrO:VIlIIE n'JhAT.


« Monsicnr mon frere et nevell, la tranqllil-
» lité de l'.Europc dépcnd de la répollse que fera
» votre lllajesté a la démarehe que je dois aux
» grands intérets de la nation franc,;aise, a ma
» gloire et au salut des malheureuses victimes
» de la guerre dont le eoncert .des puissances
» menace la Franee. Votre majesté ne peut pas
) douter que e'est de ma propre volonté et libre-
» ment que j'ai aecepté la eonstitution franc,;aise ;
» j'ai juré de la maintenir, mon repos et mon
) honneur y sont attachés; mon sort est lié a
» celui de la nation, dont je suis le représentant
» héréJitaire, et qui, malgré les calomnies qu'on
» se plait a répandre eontre elle. mérite et aura
» toujours l'estime de tous les peuples: les Fran-
» <(ais ont juré de vivre libres ou de mourir; j'ai
» fait le nH~me sermentqn'eux. M. de Maulde,
)) que j'el1voie mon ambassadeur extraordinaire
» aupres de votre majesté, lui expliquera les
» moyens qui restent pom empecher et préve-
» ~ir les calamités de la guerre qui menace l'Eu-
» rape. e'est dans ces sentimens, etc., etc.


» SifJlzé LOl;JS. »
Dllmouriez parut a l'assemblée, a laquelle iI


communiqua les pie ces et les dépcches relatives
a la négociation a;ee l'Alltriche, ainsi que la
lettre de Louis XVI. Bien qu'elle n'eút été écritc
que sous la dictée des ministres, l' assemblée en




308 lUÉJllOIRES
parut satis faite ; elle le fut encore plus dn style
ferme et dn ton d'assmance qui régnaient dans
les instructions du nouveau ministre des af-
faires étrangeres : c'était ce que le parti domi-
nant appelait de la dignité.


Le lendemain Dumollriez, apres s'etl'e con-
certé avec la plupal't de ses collegues et avec
les principanx meneurs ele son partí au sujet
des derniers rapports ele M. de Noailles, en fit
l'objet de la délibération du conseil en présence
du roi : la iI déc1are que les conditions seches
et dures imposées par I'Autriche sont inad-
missibles; qu'elle demande le rétablissement
de la monarchie sur les bases de la séance
royal e du 23 juin 1789, par conséquent le ré-
tablissement de la noblesse et c1n clergé comme
ordres; de plus la restitution des biens du
clergé et ceHe des tcrres d'AIsace allX pl'inces
allemands avec tous lems droits de souvcrai-
neté et de féodaJité, et enfin la l'estitution
au pape d'Avignon et de tout le comtat venais-
sin; qu'on ne pouvait pas proposer des con-
ditions qui fussent plus incohérentes avec la
marche qu'ay~it prise la révolution depuis trente-
trois mois qui s'étaicnt écoulés a partir ele la
séance royale. (( D'aillleurs de quel droit, ajoute
)) Dumouriez, la cou!' de Vienne imrose-t-cHe
)) des conditions sur une discllssion de propriété




V'UN HO::lrlHE v'krA'I'. 3°9
)) territol'iale entre la France et le pape, entre la
»france et les princes d'Allemagne? Encore si
)) ces conditions, tont inconvenantes qu'elles
J) sont, avaient été préscntées ayec un mode
)J conciliatoire, on aurait pu entrer en discnssion
)) réglée, et la cour de Vienne aurait pu jouer le
)) role non pas d'arbitre, mais de médiatrice en·
» tre le roí et la nation; mais la forme meme de
)) sa derniere note est insultante et pour le roi,
)) qu'on affecte de regarder comme nul, et pour
)) la nation, qu'on traite eomme rebelle, et son
) assemblée eomme illégalc. Dans cette situa-
)) tion, mieuxvaut, dit Dumouriez en concluant,
)) un état de guerre décidé qu'une paix perfide,
)) pleine de dangers et de honte. )) Ses eollegues,
se rangeant de son avis, votent ponr que le
roí déclare la guerre a l'Autrichc dans les for-
mes voulues par la eonstitution. Le malheureux
roí, pris comme dans un piége, demande quel-
ques jours pour se décider. On était d'ailleurs
dans l'attente du prochain courrier, annoncé de
Vienne par M. de N oailles. Ce eourrier arriva
porteur de la répome donnée par le cOmtc de
Cobentzel, au nom du roi de Hongrie, et qui se
référait a la note du 18 marso Le viee-chancelier
décIarait qu'on pouvait d'autant moins changer
les dispositions cxprimées dans eette note, qu' elle
renfer'mait aussi l'opiuion du roí de Prusse sur




310 MÉ:LIIOIRES
les affaires de France, opiníon conforme en tout
point a ceHe du roi de Hongríe.


Toute apparence d'arrangement s'étant éva-
nouie, comme s'y attendait Dumouriez , iI s'cf·
force, dans un entl'etien confidentiel, de con-
vaincre le roi, en présence meme de la reine, qu'il
compromettra sa couronne s'il ne déclare pas la
guerre al' Autriche, tant on est porté générale-
ment a le supposer de connivence avee le ca-
binet de Vienne. Ce n'est, lui dit.iI, qu'en sou-
tenant la dignité nationale et en se ralliant a la
majorité des Franc;;ais, qui défendent lem con-
stitution, qu'il pOUl'l'a écarter l' orage qui grande
sur 5a tete. Louis, persuadé ou intimidé, cede au
vren de ses ministt'es, et consent a faire usage de
l'initiative constitutionnelle en allant lui·meme
á l'assemblée proposer la guerreo Tout se pré-
pare aussitot ponr cette démarche soIenneJIe, si
opposée a son caractt~re et a ses véritables in-
tentions.


Le 20 avril, le rOÍ, accompagné de tons les mi·
nistres et du faíble cortége qni le saivalt encore,
sort de son palais et se dÍl'ige vers l'assemblée.
Une fonle innombrable, répandue dan s toutes
les avenues qui aboutissent á la salle, s'est déja
emparée des couloirs, des tribuncs publiques,
et s'introduit meme dan s l'intérieur; les députés
garnissent la salle. On annonce le roi; tous les




D'UN HOlUi'fE n'ÉTAT. 311
députés se levent, restent découverts jusqu'a ce
que le roi soit placé dans le fauteuil qui lui était
destiné; puis ils s'asseyent; les ministres et le
cortége du prince restent seuls debout. Apres un
moment de silence et de calme, qui laisse aper-
cevoir sur les physionomies les divers sentimens
qui les affectent, le roi, d'un air triste et résigné,
dit ces paroles : «( Je viens au sein de l'assemblée
» nationale pour-l'entretenir d'un des objets les
» plus importansdont elle puisse s'occuper. Mon
» ministre des affaires étrangeres va vous lire le
» rapport qu'il a fait dans mon conseil sur notre
» situation poli tique. »


Les principaux traits de ce rapport méritent
d'autant plus de trouver ici leur place, que ce
fut Dumouriez qui, par ses écrits , ses actions et
ses discours, contribua le plus a allumer cette
guerre, l'une des plus terribles qui aientjamais
embrasé l'univers.


« Sire, dit - il, lorsque vous avez juré de
» maintenir la constitution qui a assuré votre
» couronne, lorsque votre creur s'ést sincere-
» ment réuni a la volonté d'une grande nation
» libre et souveraine, vous etes devenu l'objet
» de la haine des ennemis de la liberté. L'orgueil
» et la tyrannie ont agité toutes les cours; aucun
» lien naturel, aucun traité n'a pu arreter leur
» injustice. Vos anciens aIliés vous ont effacé du




312 lIIÚWmES


» rang des des potes ; mais les Franc;ais vous ont
» élevé a la dignité glorieuse et solide de ehef
» supreme d'une nation régénél'ée. Vos devoirs
» sont traeés par la loi que vous avez aeeeptée,
» et vous les remplirez tous. La nation franc;aise
)) est ealomniée ; sa souveraineté est méeonnue;
» des émigrés rebelles trouvent un asile chez
» nos voisins; ils s'assemblent sur nos frontieres;
» ils menaeent ouvertement de pénétrer dans
» leur patrie, d'y porter le fer et la {lamme. Leur
» rage serait impuissante, ou peut-ctre elle aurait
) déjit fait place au repentir, s'ils n'avaient pas
» trouvé l'appui d'llne puissanee qui a brisé tous
» liens avee nons des qu'elle a vu que notre ré-
» génération ehangeait la forme de notre allianee
» avec elle, et la renelrait néeessairement plus
») égale. ))


leí Dumonriez, développant les prineipaux
griefs élevés eontre l'Autl'¡ehe, signalait Léo-
polel eomme ayant été le ehef d'nne ligue qui
tendait an renversement de la constitution fran-
c;aise. Ses projets hostiles, Léopold les avait mis
a déconvert, soit (lans sa note du 18 févriel', soit
en établissant garnison dans le pays de Poren-
truy, sur la demande irrégulierc de l'éveque ele
Bale, soit en augmentant ses garnisoIls dans le
Brisgaw. SeloB DUl11ouriez, l'ordre de dissiper
les attroupemens d'émigrés n'était qu'lln orclre




D'UN rrO:!\'fJ\lE n'ÉTAT. 313
illusoire. IJa note du 18 février, Dumouriez la
présente comme l'explosion de l'humeur du
prince de Kaunitz contre ce que le ministere
d'Autríche nomme le parti des jacobins. « Ce que
» lVI. de Kaunitz désigne par des gens , ajoute Du-
» mouriez, c'est l'assemblée., c'est la nation en-
» tiere exprimant son vreu par ses représentans.
» Le roi de Hongrie adopte complétement sur
» ce point les sentimens de son pere. » Dllmou-
riez cite en prcuve l'ultimatum de la conr de
Vienne, la note du 18 marso «C'est ainsi, ajoute-
» t-il en parlant dll signataire de cette note, qu'un
» ministre octogénaire lance au milieu de nous
)l d'une main débile le tison de la guerre intes-
» tine.


») Non, sire, les Fran¡;:ais ne se désuniront
» pas 10rsque la France sera en danger. Beall-
» conp d'émigrés quitteront les étendards crími-
») neIs qu'ils ont suivis, rougiront de leurs er-
») reurs, et viendrout les expier en combattant
) ponr]a patrie. Votre majesté donneral'exemple
») du civisme en ressentant les injures qui sont
» faites a ]a nation.


» Lorsque vous m'avez chargé dll míuistere
» des affaires étrangel'cs, j'ai du remplir la con-
» fiauce de la natío n et la vótre, en employant
» en votre nom le langage énergíque de la
» raison et de la vérité. Le ministre de Vienne




ltIÉ1UOIRES


» se voyant trop pressé par une négociation
)) pleine de franchise, s'est renfermé en lui-
)) meme et s'est référé a cette note du 18 mars
)) dont je viens de vous présenter l'analyse;
») cette note est une véritable déclaration de
)¡ guerreo Les hostilités n'en sont que la con-
)) séquence; cal' l'état de guerre ne consiste pas
» seulement dans les coups de canon, mais
)) dans les provocations, les préparatifs et les
» insultes.


») Sire, de cet exposé il résulte 1 ° que le traité
») de 1756 est rompu par le fait de la maison
)) d'Autriche; 2° que le concours f5ntre les puis-
» san ces , provoqué par l'empereur Leopold au
») mois de juillet 179 I , confirmé par le roi de
)) Hongrie et de Boheme, d'apres la note du
» prince de Kaunitz du 18 mars 1792, qui est
») l'ultimatum des négociations, étant dirigée
) contre la France, est un acte d'hostilité for-
» mel; 3° qu'ayant mandé, par ordre de votre
») majesté, qu'~lle se regarderait décidément
)) comme en état de guerre si le retour du cour-
») rier n' apportait pas une déclaration prompte
») et franche en réponse aux deux dépéches des
» 19 et 27 mars, cet ultimatUln , qui n'y répond
) point, équivaut a une déclaration de guerre;
») 4° que des ce moment il faut ordonner a M. de
» N oailles de revenir en France sans prendre




, " D UN IIO~[l\fE D .ETAT.


» congé, et cesser toute correspondan ce avec la
» cour de Vienne. »


Le ministre passant ensuite a l'historique des
négociations, et les ayant résumées, conclut a
ce que le roi, fort de la justice ·de ces motifs
et de l'énergie du peuple fran(,;ais et de ses re-
présentans, se rcnclc, accompagné de ses mi-
nistres, a l'assemblée nationale pour lui pro-
poser la guerrc contrc l'Autriche.


lei le ministre ayan t cessé de parler, le roi
reprit la parole cl'un ton pénétré, et dit : « Vous
)l venez d'entendre le rapport qui a été fait a
» mon conseil; ses conclusions y ont été adop-
» tées unanimement. J'en ai moi-meme adopté
» la détermination; elle est conforme au vreu
» plusienrs foís exprimé de l'assemblée natio-
» nale, el a cclui qui m'a été adrcssé par plu-
» sieurs citoyens des divers départemens. J'ai dli
» épuiser tous les moyens de maintenir la paix;
» maintenant je viens, aux termes de la consti-
» tution ..... » leí la voix de Louis s'altere, et, en
pronon<,;ant ces mots : Vous proposer formel-
lement la guerre contre le roi de Hongrie et de
Bohéme, on lui voit répanclre des larmes.


De froicls et rares applauclissemens accueilli-
rent la proposition royale, qui pourtant rem-
plissait le VreU le plus ardent de l'assemblée;
mais on n'y vit que l'effet de la contrainte sur




:'IIÉl\IOIRES


un prince destiné a etre plutot la victime que
le héros de la guerre qu'il provoquait. La ré-
ponse du président 1 porta le caractere de ce
laconisme arrogant que l'assemblée affectait en-
vers la personne du roi : il dit a Louis qu'on
l'instruirait par un message de la délibération
de l'assemblée.


Impatiente de statuer sur cette grande et ter-
rible proposition, elle arreta qu'il en serait dé-
libéré le soir meme. Un mouvement généraI agi-
tait tout París, oú les passions hostiles semblaient
animer toutes les classes de la population; par.
tout, dans les lieux les plus fréquentés, onn'en-
tendait que l'effrayant cri de guerre poussé par
ceux-Ia meme a qui ce fléau devait etre le plus
fnneste.


Vers six heures du soir l'assemblée se forma;
chaque député accourant prenait place, et bien-
tot les tribunes publiques, les conloil's de la
salle se remplirent d'une multitude fougueuse,
qui semblait plutot réunie pour intimider les
membres pacifiques de l'assemblée que pour at-
tendre paisiblement le résultat de ses délibéra-
tions; l'effervescence de la plupart des députés,
accrue par les fumées de leur digestion, tenait
l'assemblée dan s une agitation continuelle. Il
y avait loin de cet état d'exaltation au pro-


, M. Bigot de Preamen~u.




, " D UN HO~fAIE D ETAT.


fonu recueiIIement, a la maturité de réflexion,
a l'impartialité d'examen que réclamait une
proposition d'une si haute importan ce; cal' il
ne s'agissait pas seulement du sort de la :France
et de plusieurs générations, mais de la destinée
de tous les États de l'Europe, peut -etre du
monde entier; enfin il s'agissait bien certaine-
ment ele la vie de plusieurs millions d'hommes.


Quelques-unes de ces considémtions furent
el'abord efflenrécs a l'ouverture de la séance
par les députés Lasource et Daverhoult; ils
étaient d'avis qu'avant de délibérer sur la pro-
position royale, le rapport fait an conseil et les
pie ces y relatives elevaient etre renvoyés au co-
mité diplomatique pour en rendre compte. Ces
motions dilatoires, lancées dans une assemblée
déja si agitée et si inquiete, exciterent de la part
des spectateurs et des députés de violen s mur-
mures, des interruptions, et les éclats de la plus
vive impatience. Le député Mailhe dit que de-
puis long-temps les délibérations de l'assemblée
appelaient la proposition dn roi; qu'il ne fallait
pas perdre ele temps en vaines délibérations;
en un mot, qu'iL ne fallait pas faire anx défen-
seurs de ta patrie l'injnre de douter un seul in-
stant de lenr courage. L'assemblée ouvrit a l'in-
stant la discussion. Le député Hna demanda une
nouvelle épreuve, et voulut en vaill représen-




, lIfÉlIIOIRES


ter qu'une question de cette nature était trop
importante p~ur ctre traitée dans une séance du
soir, dans un moment surtout ou les passions,
agitées par plus d'une cause, pouvaient préci-
piter la France dans un ablme de maux, qu'au-
cune puissance créée ne pouvait combler. On
le réfuta par des murmures, et la discussion fut
décrétée et rouverte par une nouvelle épreuve
a la presque unanimité. Prenant aussit6t la pa-
role en faveur de la proposition, c( Sans doute,
» dit le député Pastoret, J nous ne devons pas
» nous laisser entralner aux mouvemens exagé-
» rés de l'enthousiasme; cette passion I ne doit
» pas plus que toutes les mItres atteindre les lé-
» gislateurs d'un grand empire : mais estoce done
» d'aujourd'hui que nous sommes provoqués,
» et doute-toon encore de notre longue patience
» pour oser nous accuser d'enthousiasme? Le
» ministre des affaires étrangeres nons a pré-
»senté aujonrd'hni le tablean des griefs de la
» nation fran~aise envers la maison d'Autl'iche:
» je n'entreprendrai pas de vous le retracer;
» mais enfin ces armemens de concert, provo-
» qués par l'empel'ellr et maintenus au pl'ix de
» toutes sor tes de sacrifices par le ro~ de Hon-
» gl'ie et de Boheme; la violation répétée des


; Anjonrd'hl1i marqllis de Pastoret, merubl'e de la ehambre des
pairs.




n'UN IIOMl\IE n'iTAT.


» traités faits avec la France depuis quatre cents
» ans, voilit sans doute des motifs suffisans pour
» autoriser la France menacée, attaquée, a se
» mettre en état de guerre pour sa propre dé-
» fense; iI est temps en fin de s'arracher a la
» Iongue incertitude qui depuis lorig-temps tour-
» mente tous les vceux et toutes les pen sées; il
» est temps que l' on voie une grande nation dé-
» ployer tout son courage et toute la force de
» sa volonté pour défendre sa liberté, c'est-a-
» dire la cause universelle des peuples. Oui, la
» liberté va triompher, ou le despotisme va nous
J) détruire : jamais le peuple fran<;ais ne fut ap-
» pelé a de plus hautes destinées. Quand nous
» connaissons le courage des gardes nationales,
»]e ze!e qu'elles ont montrépour la défense de
» la patrie, nous ne pouvons douter du succes
» d'une guerre entreprise sons de si généreux
» auspices : la victoire sera fideIe a la liberté, et
» lessoldats-citoyens et les citoyens-soldats s'em-
» presseront a la défendre d'nne maniere égale
» et it l'affermir par des triomphes.


» Les défenscurs de la constitution ne sont
» pas tons aux frontieres; ils existent dan s nos
» vilIes; iIs font prospérer nos campagnes, ils
» travaillent dans nos ateliers; enfin partont ou
» iI y a des Fram;ais libres, iI Y a des défen-
» seurs de la liberté, et si nos ennemis ponvaient




3:20 l\IlhIOlRES


» avoir un mom~t de succes, l'on verrait aussi-
» tot se réunir de toutes les parties de l'Empire
» des citoyens ponr repeupler nos armées, y ra-
» nimer l'énergie, elleur assurer des triomphes:
» jamais la nation fran<;:aise n'a mieux ressenti
» le besoin de la gloire et de l'indépendance. »
L'orateur conclut a l'adoption de la propositiou
du roi.


Un seul député, M. Becquey " osa parler hau-
tement contre la guel're au mili ea meme des
murmures qui s'échappaient des trihunes, et
en dépit des marques d'improbations de ses
coll(~gues.


« Lorsque le roi, dit-il, pro pose de faire la
» guerre au nom de la nation, les représentans
» du peuple doivent se recueillir profondément
» sur une déclaration dont les conséquences
» peuvent si puissamment influer sur' le sort
» de l'Empire : jamais délibération ne dut etre
» précédée d'un plus mur, d'un plus sérieux
» examen.


» Dans un pays libre, on ne fait la guerre que
» pour mettre la constitution a l'abrí des at-
» teintes extérieurcs, ou pour ven gel' les injures
» faite s a la dignité nationale; cal' s'il est un mo-
» ment ou]a natíon a besoin de calme, c'est sans
» doute celui (¡ui succede aux secousses d'une


I Députe de la lIaute·Mame ~ aujourd'hui conseilJer el'État,




» grande révolution. Le mouvement, toujours
» violent, qui accompagne la destruction des
» anciens abus, cause toujOUl'S et inévitablement
» un grand nombre de maux particuliers, qui
» 11e peuvent se réparer qu'au sein de la paix.
» Vouloir la guerre dans de telles circo11stan-
» ces, c'est vouloir pl'olonger les désastres , les
» malheurs, les calamités, et retarder l'époque de
» la prospérité publique. Des institntions nou-
» vdles ne peuven t s'essayer qne clans le calme
» et la tranquillité;]a gnerrc, an contraire, e~t
» un état de crise qui s'oppose sans cesse aux
» monvemens réguliers du corps politique, et iI
» en résulte qu'une nation qui veut régénérer
» ses institutions doit soigneusement éviter la
» guerreo Ce principe me parait plus impérieux
» encore lorsque je l'<Jppliquc aux circonstances
» quí nons environncnt. Notre constitution
» n'est pas encore affennie; les ponvoirs consti-
» tués n'ont qu'une marche incertaine, et la loi
» ll'obtient pas l'obéissance qu'elle obtiendr'a
» sans donte quand on s'en sera fait une sorte
» d'habitmle et de religíon. Les dissenslons iu-
» testines agitent nos départemens, et exigent
» l'emploi de la fOl'ce pOUI' réprimer les tronbles
» sans cesse renaissans. Si nos armé es combat-
» ten t an dehol's, qui pourra contenir les sédi-
~) tieux an dedans? N ous avons besoin anssi


l. :H




'1tÉJHOIR.ES


D d'une autre force, de eeHe qui résultc( des
») finan ces de l'État, et les notres ont encare be-
» soin de quelques années de repos pour que
»l'ordre puisse s'y établir : il faut done, avant
» d'entreprendre la guerre génét'ale, examiner
» s'il ne nous reste aueun moyen de la préve-
» nir, puisqu'elle peut avoir de fnnestes effets,
») meme dan s le cas oú nous serians vainqueurs.))


L'orateur, passant a des eonsidératians de
haute palitique, fait sentir que si an déclare la
guel're a la maison d'Autriche, les premieres
bostilités commenceront par le Erabant, et que
l'Anglet~rre interviendra nécessairement dan s
cette cause, paree qu' elle regarde ce pays comme
nécessaire a la prospérilé de son commerce,
qu'elle ne se laissera pas rayiI' impunément; il
ajoute que ces craintes ponI' le Brabant seront
les memes pour la IIollande, et que tant mou-
vement qui ferait pencher la balance en faveur
de la France serait, aux yeux de l' Angleterre, un
attentat a ce qu'elle regarde comme ses droits,
et lui mettrait nécessairement les armes a la
main. Quant a l'Allemagne, elle épousera, sans
aueun doute , la querelle de l' Autriche et de la
Prusse, qui se montrent moins portés a faire la
guerre qu'a la soutenit' contre des projets d'a-
gl'l~ssions,


« Loin de désirer la guerrc, poursuit M. Bec-




» quey, la cour de Vienne déclare ne vouloir
J)donner aucun appui aux émigrés. A la vérité,
JI le roi de Hongrie et de Bohemé annonce qu'il
J) p,>end un grand intéret aux réclamations ,des
J} princes possessionnés en AIsace; mais en com-
» men~ant par donner des indemnités el ceux de
» ces princes qui ont ouvert des négociations;
» en adoptant, el l'égard de ces indemnítés, }",
» sage projet qni tend el y désintéresser la diett,
» et a séparer la maison d'Autriche du chef
» de J'Empire, on ne peut douter que cette
» affaire ne se termine el la satisfaction des
» deux partis. L'autre point concerne la prise
» de possession d'Avignon. n parait que le pape
JI a réclamé protection aupres de la cour de
» Vienne; mais le roi a été chargé de proposer
» des indemnités: elles peuvent etre l'objetd'une
» négociaÜon tres-facile el entamer. Il faut croire
» que les puissances étrangeres ne se refuse-
» raient pas el des convictions et a des expli-
'h cations amicales, cal' elles sont intéressées el
» notre re pos ; l' Autril:he, qui a le centre de ses
» forces el deux cents lieues d'ici, ne pent nous
» faire la guerre qu'avec des efforts ruineux, et
) ne croyez pas qll'au lien de déto'urner ses re-
» gards de dessus la révollltion de Pologne ,
» qn'au líeu de se COIlcerter avec Catherine sur
)) cet ohjet principal de son traité avec le roi de




lIIÉillOmEs


)) P1'usse, elle consente á vous attaque1' si vous
») nc l'y cont1'aignez. En effet, clle n'a pris, de-
l) puis que les négociations sont entamées, que
» des mesures défensives; l1'ois armées fo1'mi-
» daLles bo1'dent vos fron ti eres ; elle n'y a op-
» posé qu'un nombre de troupes tre5-inférieur,
» vous ne l'ignorez pas, et sans doute vous ne
)) voulez l'attaquel' en ce moment que paree que
» vous savez que vous (hes plus prépar'és qu'elle
» dans vos mesures ..... » Ce de1'nicl' trait excita
le plus violent munnUl'e clans l'assembIée. « Je
» vous le demande enfin , poul'sui vit l' orateul' ,
» pourquoi vouloir vous préci piter dans la gue1're?
» pourquoi appele1' ce fléau cruel? pou1'quoi sur-
)1 tout dire qll'elle est inevitable, puisquc toutes
» les puissances ont un intéret contraire, et
» qu'el1es déclal'ent qu'elles ne venlent pas nous
)1 attaquer? On suppose un concert entre l'A u-
» triche et la Prusse; sans doule la nation a de
» justes 1'aisons de se plaindre de cette coalition
» de rois; sans doute la cour de Vienne a des
» torts, et nous ne devons pas souffrir qu' elle
» usurpe notre souveraineté en intervenant dans
» notl'e administration inlérieure: mais en sup-
» posant que ces puissances refnsassent de re-
» noncer a ce concert, serait-ce une raison suf-
» fisantc pOllr Ieur déclarer ]a gnerre? Doit-on
» la déclarer pour un simple SOUpc,:Oll, pon!' une




, " J) UN HOlU:i\fE D ET A T.


»menace non fondée? Ce concert n'est qu'nn
» systeme défensif qu'elles ont adopté plutot
)l ponr elles que contre nous. Eút-on pu exiger,
» au milieu de l'efferveseence générale qui se
») manifestait en Franee et lorsque des bruits de
) guerre avaient déjit retenti °dans cette en-
» ceinte, que les puissances étrangeres se re-
» posassent sur notre déclaration de renoncer
») aux conqnetes, et qu'elles ne prissent au-
» cune mesure cléfensive, lorsque l'ardenr, l'im-
) pétuosité de nos gardes nationales les me-
)) na<;:aient san s ces se d'invasion? D'apres cela,
») si nous attaquons l'Autriche, nous fOJ;,Cerolls
») tous les roís du monde a se liguer contre
») nous, cal' ils verrout leurs trones ébranlés,
») et une cause commune a soutenir dans ceHe
») lutte de la liberté cOlltre le despotisme. Une
») natíon libre aura- t -elle l'immoralité d'appe-
» ler sur ses voisins les calamités de la guerre
) pour se ven gel' de l'insulte d'lln ministre I?
») Elle serait bien fausse la gloit·c qui consiste-
») rait a se venger de pareil~ outrages! Renon-
») <fons done a une entreprisc qui n'a aucun objet
» raisonnable; bornons-nous a nons défendre, si
)) quclqlle puissanee osait nous aUaquer. Si nous
» nous contentons de eette mesure, nous n'au-


• Ce trait se rapporte aux diatribes do prince de Kannilz contre
les jacobins.o




:UÉMOJRES


»rons probablement pas de gucrrej car, daos
~) ce cas, aueune puissanee n'a réellement inté~
»ret a nous attaquer. En les provoquant, an
» contraire¡ nous jetterons sur notre cause la
» plus grande défaveur aux yeux des peuples
» voisins j on nous pretera le earactere d'agres-
» seurs; on nous représentera comme un peuple
» inquiet qui trouble le repos de l'Enrope au
» mépris des traités et de ses propres lois : vous
» aurez done a combattre non-selllement les des-
» potes, mais les peuples eux· mémes, armés
» contre vous par la haine natureIle qu'inspire
" a t0'P les hommes celui qui vient troubler le
»repos de leur pays ..... »


L'orateur fit encore sentir que eette guerre,
dans laquelle on voulait s'engager pour soutenil'
la révolution, étaít c:ependant désirée par tous
les Fran<;ais ennemís de la révolution, et qui se
flattaient qu'elle en entralnerait la ruine; iI re-
présenta les émigrés sans appui, dan s le systeme
de paix, dirigeant au contraire les armées étra:n-
geres dans l'intérieur lorsque la gnerre aurait
éc1até; il fit voir enfin leurs amis restés en
France, reprenant eourage dans le sein du dés-
ordre, et se ulOntran t plus audaeieux; il eondut,
an milicu des murmures et des eris de rappel a
1'0rdre, a ce qu'il n'y :lit pas lien Ú d(~libérer sur
la proposition clu roí.




Le député Daverhoult s'écrie que, 101'5 meme
que la position de la France ne lui permettrait
pas de faire la guerre, iI faudrait la faire en~
core, parce que la liberté est menacée, et que
les Franc,;ais ont juré de vivre libres ou de
mourir. Guadet, lan¡;ant quelques traits iro~
niques sur le discours de son collegue Bec~
quey, pense qu'il résulte de ce disconrs que
les représentans de la nation ne peuvent pas
balancer a adopter la proposition du roi. Bazire
demande que ]a discussion dure trois séances.
Mailhe déclare qu'il ne s'agit pas de savoir si ron
déclarera la guerre, mais qu'il s'agit de la dé~
créterj que le peuple fran<,;ais a juré que tous les
despotes réunis parviendraient plutot a réduire
la France enticre en une vaste solitude qu'a y
faire rétrograder la liberté d'un seul pas; il de-
mande qu'on ne désempare pas sans avoir dé~
crété la guerreo A ces mots, la salle retentit des
applaudissemens les plus nniversels. Aubert-Du-
bayet s'écrie : « Nous voulons la guerre, et, dus-
» sions-nous tous périr, le dernier de nous pro-
» noncerait le décret! » Merlin de Thionville
demande qu'on déclare la guerre aux rois et la
paix aux nations. La délibérationse termina par
le décret suivant :


«L'assemblée nationale, délibérant sur la pro-
» position formelle du roi, considérant que la




1\IÉ1\IOIRllS


)} cour de Vienne, au mépris des traités, n'a
» cessé d'aeeorder une. proteetion ouverte aux
» Franc,;ais rebeIles; qu'elle a provoqué et formé
» un concert avec plusieurs puissances de l'Eu-
» rope contre l'indépendance et la sUl'eté de la
» nation fl'an\aise; que Franc;;ois le" roi de I-IOll-
» grie et de Bohcme, a, par ses notes des 18 mars
» et 7 avril dernier, refusé de renoneer a ee con-
)} cert; que, malgl'é la proposition qui lui a été
» faite par la note clu 11 mars 1792., de ré-
» duire, de part et d'autre, a l'état de paix les
» troupes sur les frontieres, iI a continué et
» augmenté des préparatifs hostiles; qu'il a for-
)} mellement attenté a la souveraineté de la na-
II tion fran<;;aise en déclarant vouloir soutenir
» les prétentions des princes allemands posses-
» sionnés en France, auxqueIs la nation fran-
» c;;aise n'a cessé d'ofli-ir des indemnités; qu'il a
)1 eherché a diviser les citoyens fran<;;ais et a les
» armer les uns contre les autres, en offrant aux
» mécontens un appui dan s le concel't des puis-
» sanees; considél'ant en fin que ce refus de ré-
» pondre anx dernieres dépeches du roi des
» Franc;;ais ne laissant plus d'espoir d'obtenil',
» par la voie d'une négociation amicale, le re-
)1 dressement de ces différcns gl'iefs, équivaut a
» une déclaration· de guerre, décl'éte qu'il J a
» urgen ce.




n'UN IIOl\nUE n'ÉTAT.


» L'assemblée nationale déclare que la nation
» fraUl:aise, fidele aux príncipes consacrés par sa
» constitution de n'entreprendre aucune guerre
» dans la vue de Jaire des conquétes) el de n' em-
» ployer jamais ses Jorces corltre la liberté d' au-
» cun l}('uple, ne prend les armes que pour la
» défense de sa liberté et de son indépendance;
» que la gnerre qu'elle est obligée de soutenir
») n'est point une guel're de natíon a natíon,
» mais la juste défense d'un peuple libre contre
» l'injuste agression d'un roi; que les Fran~ais
» ne confondront jamais leurs freres avec leurs
» véritables ennemis; qu'ils ne négligel'Ont rien
» pour adoucir le fléau de la guerre, pour mé-
)) nager et conserver les propriétés, et pour faire
)) retomber sur ceux-Já seuls qlli se liglleront
» contre la liberté tous les malheurs insépara-
» bies de la guerre; qu'elle adopte d'avance lous
» les étrangers qni, abjurant la cause de ses en-
» nemis, viendront se ranger sons ses drapeallx,
)) et consacrer leurs efforts a la défense de sa
» liberté; qn'elle favorisera meme pal' tons les
» moyens qni sont en son ponvoit' lenr établis-
) scment en France; délibérant sur la proposi-
» tion formeHe cjl roí, et apres avoü' décrété
» l'urgence, décrete la gnerre contl'e le roi de
)J Hougl'ie et de Bohéme. »


Ce décret fut adopté a la presque unallimité




330 MÉ~roIRES
et par accIamation , einq a six députés seulement
s'étant levés pour la négative l. Les tribunes ap-
plaudirent avec transport, et eette grande réso-
lution n'inspira pas la moindre inquiétude a la
plllpart des esprits en Franee : on peut dire que
des ce jour la guerre y fut nationale.


Le déeret qui venait d'etre porté par l'assem-
blée fut présenté a Louis XVI le meme jour a
onze heures du soir par une déplltation de
vingt-quatre membres, et sanetionné le len-
demain.


A Berlín et a Vienne la déc~aration de gucrre
fut connue trois ou qnatre jours d'avance par la
correspondance secrete émanée de Paris : elle
avait l'initiative sur les courriers ordinaires por-
teurs de nouvelles officielles. A l'arrivée du cour-
riel' expédié le 21 avril par 1\1. de Blumendorf, iI
y eut a Vienne une conférence a laquelle assista
le roi de Hongrie. Des mesures militaires ayant
été aussitot arretées, l'ordre fut donné aux com-
mandans, en Hongrie et en Croatie, de faire
marcher quarante-einq mille hommes vers le
Rhin. (( On vient de nous déclarer la guerre, dit
» le prince de Kannitz a l'ambassadeur de Rus-
» sie, prince de Galitzin, en p¡ésenee d'un grand


, MM. Théodol'e Lamelh, Mathien Dumas, Gentil, Baert, HIla,
Becqney; on cml voir aussi parmi les opposans M. de Janconrt,
mais il le démentit par une lettre qu'il lit inserer dans les jonrnan:,¡.




" ,.
D UN TIOM.wIE J) llTAT. 33.


» nombre de perSODI)eS, et e' est eomme si <m
») l'avait dédarée a votre cour. »)


Instruít par les memes voies que l'Autriche,
Frédéric-Guillaume, impatient d'agir et délivré
enfin des lenteurs de la diplomatie, tint a Pots-
dam, des le 24 avril , un conseil extraordinaire.
La il s'agíssait de régler l'emploi des forees de la
Prusse et de les mettre en mouvement. A ce con·
seil assisterent le due de Brunswiek, le prince,de
Hohenlohe, Bisehoffswerder et le ministre d'État
Schulenburg. On fixa d'abord le nombre des
troupes qu'on ferait marcher vers le Rhin~ et en
meme temps celui du corps d'armée qui serait di-
rigé vers les frontieres de la Pologne. A compter
du 15 mai, les premieres devaient etreportées sur
le piecl de guerre au nombre de cinquante mille
combattans; le eorps destiné pour laPologne étaít
borné a vingt-einq mille hommes, et ne devait
se mettre en marche que le 8 juin. La sollicitude
du roí embl'assait plus volontiel's l'armement, la
tenue et la direction des troupes qui devaient
etre employées contre la FranC€. A compter do.
mois de janviel', le commandement général des
forces prussicnnes et autl'ichiennes réunies avait
été destiné au due de Drunswick par l'empereur
Léopold et par Frédéric-Guillaume; 011 peut
meme avancer que ces dellX monarques ne firent
en cela que ratifler le choix commalldé par l'opi-




ll,¡úr OIR"E5


nion publique; et néanmoins le sort de l'expédi-
tion et l'avenir de l'Europe en dépendaien t essen-
tiellement. C'est ce qu'avait fortement sentí le
roí de Suede Gl1stave, qui aspirait tant lui-meme
a figurer dans ce conflit : (( De l'opinion et des
» talens de celui a qui le commanc1ement sera
» confié, mandait-il avant la fin de 1791 1, dé-
) pendra le succes et la célérité de l' entreprise. ))
Gustave montrait peu de confiance également
dans les grands plans combinés, ce qúi, disait-i1 2 ,
)) ne réussissent presque jamais. J)


Quoi qn'il en soit, dans le début militail'e de
la coalition le cIuc de Brunswick se présente
comme la premiere figure historique; 01', pour
ne pas trop morceler ce qui le coneel'ne et ponl'
le mieux faire connaitre, nous réunil'ons leí les
traits les plus propres a l'évéler son caraetere,
ainsi que les circonstances encore pcu connnes
qui le porterent an commandement général. Rap-
pelons d'abord que son portrait a été tracé avec
talent et avec assez d'exactitnde par Mirabeau 3,
quí l'avait personnellement connu ; il snffira de
le compléter en y ajoutant quelques traits non~
veanx qui ne seront pas désavollés par l'histoire.


Charles-Guillaume-Ferdinand DE BnUNSWICI\.-


, Lettre au marquis' ,la Ilouill¿ .
• lbid.
, D.ns sa correspondan ce secrete.




, " D UN HOJlf1lIE D I:.TAT. 333
,VOLFENBUTTET. naquit a Brullswick le 9 octo-
bre J 735 , du duc Charles et de la duchesse Phi-
lippe-Charlotte de Prusse, sceur de Frédéric II l.
n n'avait que sept ans lorsque son pere confia sa
premiere éducation au ministre protestant Jéru-
saIem 2, aurnonier de la conr, et qui , par ses ser-
mons, s'était acquis une assez grande réputation
dans cette partie de l' Allemagne ; du reste sa foi
en matiere théGlogique était éclairée par une
vaste érudition. Parmi quelques ollvrages esti-
mé" sortis de sa plllme, on citait entre autres des
Lettres sur la l'eligioll de .iJ;[oi'se. On le regarde
aussi comme le fondateur de 1'étabFssernent
justement célebre connn a Brunswick sous le
nom de Collegium Carolinum. Gouverneur du
jeune prince, le conseiller de Walrnoden prési-
dait a son éducation. Ses progl'es furent rapides
dans les sciences, et plus encore clans les langues
modernes et dans l'art de la guerreo Malheureu-
sement iI fut élevé clans une cour dissolue ou
les rnaitresses régnaient : iI en prit de bonne
heure les gouts frivoles. Aussi le vit-on se jeter


, Il était I'.in" de douze enfans , et frere da duc Léopold , devenu si
c"lebre en s'immolant pour sauver deux malheureux dans une inon-
dation de l'Oder.


, Ce savant fut le pere du jenno docteur dont le suicide, a \Velz<
lar, par l'effet d'une passion .momeu,'e, donna lieu uu celéhre roman
de Gottlle, intitul¿ Wereltel'.




334 l\IÓroIRES
dans les voluptés avec toute la fougue d'une jeu-
nesse sans frein. La guerre de sept ans lni ou-
vrant une carriere plus séríeuse, son s les aus-
pi ces du prince Eerdinand son oncle, il ne tarda
pas a s'y distinguer par des aetions d'éclat qni
bientot le présenterent a l'Enrope eomme l'éleve
dn grand Frédérie, dont il devint meme l'ami.
l.a paix le rendít aux occupations paisibles et
surtout aux plaisirs: les maitresses se succé-
daient. Le 1 ti janvier 1764 il épousa la princesse
Auguste, srem' de George III, roí d'Ang"leterre;
elle luí apporta unedot considérable, mais elle
ne put fixer un prince volage ehez qni l'amour
des femmes s'alliait aux" méditations les plus
graves. Il entreprit en 1768 (ayant a peine
trente-trois ans) un voyage en France et en
Italie. Le dnc resta deux mois entiersa París,
son s le nom de comte de BJanckenbourg; la iI
vit tont ce qu'il y ayait de curieux, et étonna
par l'étendue de ses connaissances. Il alIa en-
suite visiter les monumens de Rome avec Win-
Kelmann, et se montra passionné pour les arts
et surtout pour la musique. Partont précédé par
sa réputation, iI put s'enivrer des louanges <1on-
nées a ses talens et a ses exploits militaires. 11
revint "d'Italie avec une maltresse nouvelle, qui
fut élevée plus tard an rang de comtesse Bran-
coni.




, " D UN HOllrl\n: n ET~T. 335
En 1770 et 1771 le due aeeompagna Frédé-


rie U dans ses voyages en SiIésie et en Westphalie
pour visiter les établissemens eivils et militaires.
En J 778, dans la guerre de la sueeession de
Baviere, iI se maintint pendant l'hiver contre
tous les efforts des Autriehiens dans le poste
difficile de Troppau, auquel Frédéric attaehait
une grande impbrtanee. Quand Frédéric , a la
suite de eette guerre , forma le projet d'une con-
fédération des prinees germaniqlle, le due de
Brunswiek y prit une part active par son in-
fluenee soit a Londres, soit a Hanovre , ou il se
rendit. Jnsqu'en 1780, le dne n'avait été que
prinee héréditaire. A son avénement a la souve·
raineté, il trouva les finan ces de ses États dans le
plus grand désordre : les prodigalités de son pere
les avaient endettés de plus de vingt-einq mil-
lions de franes. De graves abus régnaient clans
l'admiuistration, et les subsides de l'Angleterre
suffisaient a peine pour payer les intérets de la
dette publique. Le due signala son avénement
par de grandes réformes, et en commen<,;ant
l'économie par sa propre maisoll. Ce úle ré-
formatenr, qui gagna toute sa cour, ne fut pas
toujours bien entendu. Le due prit enfin des
mesures plus efficaces en encourageant l'agri-
culture, l'industrie et le commerce, en em-
beUissant 5a résidenee et en perfeetionnant l'é-




336 JUÉlIIOIRES
ducation publique. Hardenberg, par des vues
utiles et par des príncipes éclairés d'admínistra-
tion, seconda le duc dans l'exécution de ses pro-
jets d'amélioration, et concourut á la prospérité
de ses États. Le duc présidait aux séances de son
conseil intime, et s'instruisait de tont par lui-
meme. n régnait depnis six on sept ans quand
Mirabean, chargé d'une mission secrete a la conr
de Prusse, vint le voir, et l' étudier ponr ainsi
dire dans sa capitale avant de se rendre á Berlín.
Voici le portrait qu'il fit alors du duc et de sa
cour : « Sa figure annonce profondeur et finesse.
» Il parle avec précision et élégance ; iI est pro-
» digieusement labol'ieux, instruit, perspicace.
» Ses correspondallces sont immenses, ce qn'iI
» ne pent devoir qu'á sa considération person-
» nelle, cal' il n' est pas assez riche ponr payer
» tant de conespondans, et peu de cabinets sont
» anssi instrnits que lui ..... Religieusement sou-
» mis á son métier de souverain , iI a sentí que
« l'économie était sa premiere ressource. Sa mai-
» tresse, mademoiselle de Hartfeld 1 , est la femme


, Le dne de Lanzon, dans ses JJ1émoires, parle de mademoiselIe de
Hartfeld, qu'il avait connuc a Berlin uvant I'époqlle oa elle devint la
mairresse du due de Brunswick. Voici ce qu'il en dit:


([ Je lu'occLlpai avec appIication de l'administration militaire et de
)) l'administl'ation intérieure de la l)rnsse. J'envoyai plusieurs mémoires
»a M.le man,chal du Muy et a M. de Vcrgeunes, eul'absence de;\'1. de
"Pons, ministl'e du l'oi a Berlín. Mademoiselle de Hartfcld, dawe




D'UN HO~rME n'ÉTA.T.
» la plus raisonnable de sa conr, et ce choix
» est tellement convenable, que le dnc, ayant
» montré dernierement qnelque velléité pour
» une autre femme, la duchesse Son épouse s'est
») liguée avec mademoiselle de Hartfeld ponr l'é-
» ca.rter. Y éritable Alcibiade, il aime les graces
» et les voluptés ; mais elles ne prennent jamais
» sur son travail et sur ses devoirs meme de con-
» venance. Est-il a son role de général prussien,
» personne n'est aussi matinal, aussi actif, aussi
» minutieusement exact que luí. Ce prince n'a
» que cinquante ans. Son imagination brillante
» et sa verve ambitieuse se prennent facilement
» de premier mouvement, quoique les symp-
» tomes extérieurs en soient tranquilles; mais
» la longue réfrénation de lui - meme qu'il


»"'honneur de la reine de Prusse, qui avait eu précédcmment une
., grande passion ponL' M. le comte de Guines, sachant que j'avais
"épousé sa nieee, se crut obligée aux plus grande. honn~letés ponr
., ruoi: La confiance s'élahlil bientot; eJle me conlia tous les dé ..
»t.ils de son attacheruent pOUl' M. de Guines ..... Dan. cet inter-
"valle, mademoisel/e de Hartjeld, que je yoyais souvent, se prit d'un
., gont tl'es-vif poul' moi; i1 s'en fallut bien que je le partageasse. Je
)) ne lni cach¡ü pas ffieme que j'en aimais une antre. Un tel avell ne
" diminua pas son attachement; j'en fus reconnaissanl et louché : je
"erns lui devoir la plus grande amitié, je la consol"i, je la plaignis,
"mais je ne dcvins pas son aman! ..... Iffademoiselle de llartjeld est la
"seule femme ponl' qui j'ai eu de mauvai. procédés, qu'elIe ne mé-
)) ritait assul'ément pas; allssi me les suis~je souvent et SeVerelnent rc-
)~ prochés. n


l. 22




338 MÉl\IOIRES
» s'est éternellement imposée, et dont iI a la
» plus persévérante habitude, le ramene aux hé·
» sitations de I'expérience et a la circonspec-
» tion, peut-etre excessive, que sa grande mé-
» fiance des hommes et son faible pour sa
» réputation ne cessent de lui commander. »
Mirabeau représentait le duc comme dominé
par la crainte de voir entamer sa réputation
meme par le plus méprisahle zoile, et en meme
temps comme le plus habile prince de l'Alle-
magne. I1 était d'ailIeurs perslladé que tout
l'appellerait a la supreme influence dans les
affaires de laPrusse apres la mort du grand roi 1,
et que seul iI déciderait de la paix ou de la
guerre, tant il était prévenu en sa faveur; en-
fin, selon Mirabeau , iI possédait au plus haut
degré l'amour et meme la jalousie de la gloire.


Toutefois le duc , dans ses entretiens avec ce
penseur profond, se défendit d'avoir jamais
aimé la guerre, meme au temps ou il y avait
été le plus heureux; et, s'attachant a luí montrer
cambien, índépendamment de ses príncipes,
ses combinaisons de famille et ses intérets per-


• Fredéric vivait encore.Apres sa mort, Frédéric-GuilJanme JI, qni
ne voulait pas 'lu'on put ero;re qu'il se laissait dil"iger, éloi¡;na les
hommes supeóeurs. II u'eot poor le due de Bl'onswick ql1e des egards
de politesse, et le nOmma grand mal'échal, m.is sans aucune auto-
tité. Le duc se linl éloigné de Berlin jnsqu'aux trouhles de Hollande.




, " D VN HOMl\IE D ETAT. 339
sonnels, l'en éloignaient. {( Ne sais-je pas, luí
» dit-il, quel jeux de hasard c'est que la guerre!
)¡ Je n'y ai pas été malheureux ; pcut-etre aujour-
)) d'hui serais-je plus habile et cependant trahi
)) par la fortune. Jamais homme sensé, surtout
) en avanc,;ant en age, ne compromettra sa ré-
» pntation dans une carriere si hasarueuse, s'il
II peut s'en uispenser. »


Et cepenuant une année ne s'était pas encore
écoulée que ce meme prince, quand Frédéric-
Gllillallme, d'apres les conseils d'IIertzberg, con-
sentit a soumettre les Hollandais aux intérets de
l'Angleterre, se chargea de conuuire l'invasion
de la Hollande , quoiqu'il eút opiné dans le con-
seil contre la gllerre et conseiHé les voies de la
doucenr! A présent c'est encore contre ses in-
clinations et COlltre son gré qu'il va diriger une
invasion bien autrement importante, et dont le
succes ne peut dépendl'e que d'une volonté [orte
et prononcée; telles n'étaient pas les uispositions
uu duc de Brunswick contre la révolution fran-
<;aise. Mirabeall explique en partie les contra-
dictions qui vont se faire remarquer entre le
caractere, les sentimeIls et les uémarches du gé-
néralissime de la coalition. « Un meilleur cotIr-
) tisan, uit-il, un homme plus avisé, plus souple
» et en meme temps plus opiniatre n'existe pas.)


Ille uésignait u'un autre coté commele pre-




MÉ¡UOJRES


mier dans la noble earriere des armes: ce Per-
» sonne dan s l'armée prussienne, ajoutait Mi-
») rabeau, ne peut lutter eontre lui, pas meme
») Moellendorf et Kalkreuth. » Enfin il termi-
nait ainsi son portrait : ({ Cet homme est d'une
» trempe rare, mais trop sage ponr etre redou-
» table aux sages. lJ Qu'on ue s'étonne done pas
qu'un parti en Franee, it la veille de la gnerre,
et plein des idées qu'avait légllées Mirabean , ait
désiré placer le cIuc de Brunswick a la tete de
la révolutian dans la vue de désarmer la Prusse I!
Ceci se rapporte a la négociatian dn comte
de Custine, dont nous avons fait eannaitre les
détails. Cambien eette cil'constanee particuliere
ne dut-elle pas augmenter la répugnance se-
crete du duc a faire la gnerre it la France! Ainsi
tout ce qui va sllivre se trouvcra eomme expli-
qué par ce qni précede.


On va voir maintenant eammcnt débnta le
duc dans eette carriere nouvelIe ouverte á son
ambitial1 guerriere. On se rappelle que dans les
pl'emiers jours de fév~ier", lorsque le monarque


• Il parait certain que des cette epoque Sieyes, dan. les reunions
aes ehefs influens de la révolution , app'nyait chaurlement le pl'Ojet de
placer le due de Erunswick a la tete des affai,'es de Fr. nee. La cor-
respondanc(! secrete du jellll~ Custine ne lni fut pns inconnuc; elle
disparat apres le 9 thel'lll:dol' <les cartans élu comité de salat puMie,
dont Sieyes f"isait alors partie.


2 Yoil'd-desSll,;,p;¡g. :l'Í? ct 2r~.




n'UN HOIUlIIE D'ÉTAT.


prussien, d'accord avee l'empereur Léopold,
résalut de faire la guerre a la Franee , il appela
le duc a Bcrlin. Ayant eonféré avec lui sur la
campagne projetée, il lui demanda de dresser
a ce sujet un mémoire dont il incliqua les
bases et pressa la rédaction. Le jou!' meme le
due retournant a Brunswick, se mit a l'ou-
vrage, et le 19 février adressa le mémoire a Bis-
choffswerder avec la lettre su iv ante :


<t Voici le mémoire que j'ai redigé par ordre da
)'> roí; e'es¡, a proprement parler, son ouvrage :
)J je n'ai taít qu'arranger les idées et les rensei-
)J gnemcns que sa majesté a trouvé bon de me
J) eommuniquer. Je désire avoir saisi les idées du
») roi. Seulement, quand nous serons arrivé sur
» les bords de la Meuse, les circonstances indi-
» queront les mesures qu'il sera convenable de
." prendre pour la suitc de la campagne. Vous
11 comprenez mieux que moi quelle iníluenee im.
» portante auront sur les opérations de l'armée
» l'esprit de l'intérieur de la Franee, et le plus ou
~ moillS de dispositions favorables de la part de
JI ceux qui nons faeiliteront la prise des pIaces
») fortes. n serait tres-bien de faire une proclama-
)J tion aux gardes nationales, dan s laquelle illeur
» faudrait dire qu'on ne fait point la guerre a la
JJ nation, qu'on ne tauche point a leur liberté,
:t qu'on ne veut nullemellt renversel' lem con-




» stitution, mais qu'on demande réparation des
»injustices eommises envers les pl'inees alle-
» mands possessionnés en Alsace.


» L'affaire des indenmités amenera de grands
» embarras si on ne peut pa5 déeider l'empereur
» a donner son eonsentemcnt aux ehangemens
» opérés en Pologne. Moi je donne aux acqui-
» sitions qu'on espere ef[ectlH~r en Pologne la
» préférence sur des conquetes en France ; ear,
» par ces conque tes , l'esprit dans lequel on se
)1 propose de faire eeUe gucrre serait entiere-
» ment changé. Tout dépend d'une explication
» ave e l'empereur.


» Signé CHARLEs-GUILLAUJuE-FERDINAND. »
Le dernier paragraphe se rapportait a la po-


litique de l'impératrice de Russie , quí, provo-
quant le renversement de la nonvelle eonstitu-
tion de Pologne, offrait ;\ la eour de Derlín de la
faire entrer en partage d'un seeond démembre-
ment, si Frédéric-Guillaume, eonjointement avee
l'Autriche, consentait a luí donner la satisfactíon
de marcher eontre la Franee. 01', dans eet état de
ehoses, le eabinet de Berlin désirait gagner en
Pologne le plus possible, et mettre en jeu contre
la Franee le moins possible. Les hommes d'É-
tat de la Prusse n'entendaient pas attaquer la
Franee avee toutes les force s de la monarchie
prussienne, qu'ils ne vou]aient pas compro-




D'tTN IIO:'VrME n'ÉTAT. 343
mettre clans l'intéret de la eontre-révolntion,
dont iIs se soueiaicnt peno Ils ne eonsidéraient
done paint eette guerre eomme une croisade,
mais eomme une promenade militaire ou il n'y
avait ríen a gagner pour la Prusse au-dela du
Rhin; en un mot ils la regardaient eomme un
simulaere de guerre qui, vu les dispositions de
l'impératriee de Russie, devait amener un nou-
veau partage de la Pologne dans Jequel il fallait
songer a proeurer a la Prusse un lot eonsidé-
rabIe. Frédéric-Guillaume seul agissait avec fran-
ehise clans le but qui le préoecupait depuis long-
temps: eeluí de délivrer Louis XVI et de le réta-
b1ir sur son treme clans la plénitude du pouvoir
royal. Mais le roi ne dominant point son eabinet
ni ses généraux par eet aseendant írrésistible qui
s'était évanoui avee le granel Frédéric, n'avait
aueun moyen de remIre nationale en Prusse la
guerre qu'il voulait porter en Franee. Or, la ré-
daction du mémoire du clnc de Brunswiek se
ressentit de eette disposition, paree qn'il jugea
que le eahinet ne vou]ait qu'une guerre molle.
Ayant entrevu que si la guerre était eonduite
dans ee systeme, il n'en tirerait ríen pour sa
gloire, et d'ailleurs lui-meme y étant peu porté,
il se soumit a la volonté du roí en eourtisan,
sans aueun úle ni enthousiasme, purement par
devoir et par eonvenance politiqueo




344 l\IÉlUOJRES
Aussi son mémoire était-il en général vague


et sans aueune teinte d'énergie. D'ul1 autre coté,
on y voyait que ce prince ne parlageait d'au-
cune maniere les préventíons ni les illusions
de l'époque au sujet de la facilité ave e laquelle
on pensait généralement pouvoir imposer des
lois a la France. Le duc, dans la tentative pro-
jetée d'invasion , regardait la désorganisation de
l'armée franc;aise comme le principal élément
de succes; il croyait ne pas se tromper en por-
tant la force de l'armée de ligne a cent cin-
quante mille hommes, sans compter la garde
nationale. L'intéret des puissances aUemandes
exigeait, disait-il, qu'il y eut un accard parfait
dans les opérations des armées comhinées, et
surtout qu'on ne se laissat point aller a une trap
grande confiance dans les promesses que les
émigrés faisaient et répandaient avec tant de
facilité. « Le senl moyen de réussÍr, a joutait-il ,
» c'est de conformer les premiers pas que nous
» allons faire an hut qu'on veut atteindre; c'est
» seulement alors que nons pourrons nous di-
» riger dans une guel're qui, ne devant pas
J) se prolonger, doit Ctre décidée rapidement,
» d'autant plus qu'il peut survenir des événe-
» mens incalculables, cal' les tetes dont dépend
») aujourd'hui le sort de la France sont dans
), une tene effervescence, qu'on doit s'attendre




n'UN HOl\!l\fE n'ÉTAT. 345
» aux résolutions les plus extraordinaires ..... »


Son mémoire fut rendu par Frédéric-Guil-
Iaume a Bischoffswerder, qui partant pour
Vienne, était chargé de le commnniquer a l' em-
pereur Léopold, dont la mort in opiné e sus-
pendit, comme on l'a vn \ les opérations dont
les premieres bases avaient déja été arretées en-
tre les deux monarques. Le role de l'Autriche
étant changé tont a conp, de la les délais aux-
qnels iI faut impllter l'intervention tardive de la
Prussc, malgré l'ardeur personneIle du roi.


Les généraux et le cabinet se haterent len-
tement. Les troupes dans diverses garnisons
re<;urcnt l' ordre de se tenir pretes : cet ordre
était con<;u en ces termes: « Il pourrait arri-
» ver que S. M. se vIt forcée de faire marcher
» un corps de troupes contre l'assemblée na-
)) tionale de France. ))


. Le roi écrivit allX électeurs de Mayence, de
Treves et de Cologne pOut' leur faire part du
mouvement de ses troupes vcrs le Rhín; il
les prévenait qu'il venaít de charger le général
Schcenfeld de tons les arrangemens relatifs a
leur marche, pour laqllelle le roi annon<;ait
qu'on ferait les réquisitions d'usage.


Dn coté des Fran<;ais, la campagne s'ouvrit
brusquement, mais sans succes.


, Yoyez ci-desSU5, pag, l50.




346 MÉMOIRES
Dumouriez, qui avait amené la déc1aration


de guerre , tenait tout pret un plan de campa-
gne approprié a la circonstance. Nul n'était plus
fertile en projets politiques et en plans mili-
taires. Il fit adopter le sien de confiance dans le
conseil des ministl'es, lui donnant pour hase
eette vue dominante: « La France étant bien
» surement isolée et abandonnée a ses propres
» fOl'ces , ne doit s'acharner politiquement qu'a
» un seul ennemi, qu'a l'Autriche, ponr lui ravir
» les Pays-Bas, remplis de mécontens et a la
» portée de la France, conquete qui, ajoutant
» a ses forces morales et matérielles, formera
'11 ainsile premier nreuel ele l'alliance des peuples
» contre les rois.» Dumouriez était persuadé que
l'Autriche, n'étant pas pl'éparée a une rupture si
prompte, serait prise an dépourvu, ou tout
au moins étourdie par une brusque invasion
dans les Pays-Bas, et que de son coté la Pru~se
elle-meme, n'étant pas prete, ne pourrait lui
porter aide et secours a temps. Il savait que ré-
tablissement militaire des deux monarchies aBe-
mandes n'avait pas la promptitude pour mo-
bile, et encore moins la précipitation ; que tout
s'y faisait méthodiquement par poids et par me-
sure. Une assez longue paix n'avait que trop
appesanti l'armée prussienne et engourdi ses
généraux. On pouvait calculer qu'il faudrait en-




D'FN H01IBIE n'ÉTAT.


eore a ]a Prusse, vu les fluctuations de son ca-
binet eL les tatonnemens de ses chefs militaires,
pres de trois mois avant de se trouver avec des
{orces suftisantes sur le terrain, c'est-a-dire en
pleine campagne offensive : ear les armées de la
Frunce, s'abstenant de venir chercher l'armée
prussienne, c'était a elle a se porter a leur ren-
eontre aux termes oe sa nouvellc allianee. Les
Pays-Bas n'étaient done rien moins qu'invulné-
rabIes pour des {orces imposantes mises sans
délai en mouvement.


C'était le général Lafayette qui devait effectuer
l'invasion a la tete de quarante mille hommes.
Une seeonde armée , commandée par le général
Rochambeau, était destinée a le soutenir, tan-
dis qu'un troisieme corps, SOl1S le eommande-
men t uu généraI Lnclmer, devait s'emparer de
Mayenee. Mais n'était-ee pas déja trop que deux
généraux et deux armées pour l'irruption com-
binéé de la Belgique, dont le sucees pouvait dé-
pendre uniquement de l'unité de forces et d'ae-
tíon! Le général I-,afayette d'ailleurs, partant de
Metz, avait soixante licues a faire pour se trouver
a jour nommé a Givet, et de la se porter sur
Namur. Le plan décelait déja la défialJee qu'in-
spirait an partí ardent ee génér'al, devenu dan s
l'armée le chef des constitutionneIs, connus sous
la dénomination de fiuillans, et ouvertement




348 MÉJ\IOIRES
opposés aux jacohins , qui tendaient au renver·
sement total de la monarchie.


Dans le court intervalle de l'adoption du plan
de Dumouricz et de l'ouverture de la campagne,
un nouvel ennemi se révéla tont a coup a la
France. Cet cnnemi était le gardien des Alpes,
le roi de Sardaignc. Les uispositions de la petite
cour de Tnrin n'étaient pas équivoques: apres
avoir accueilli avant :mcune autre conr les émi-
grés et les princes freres de Louis XVI, elle
aspirait a prendre rang dans la coalition.


Dumouriez, voulant sonuer les vél'itahles in-
tentions du roi de Sardaigne, chargea M. de
Sémonville, qni résidait a Genes comme en-
voyé extraordinail'e, d'aller suivre a Turin une
négociation déj~l entamée sans sucd~s par un
agent secret nommé Audihert Caille, qui n'avait
pu dépasser la frontierc du coté de Grenoble.
On transmit á cet effet des instructions pal'ticu-
lieres a M. de Sémonville. Il s'agissait de déta-
cher la cour de Turin de la politique de l' Au-
triche, c'est-a-dire des intérets de la coalition.
M. de Sémonville devait d'ahord mettre en avant
une proposition de neutralité qu'on savait etre
inadmissible, et demander ensuite le passage
des troupes franc;aises au moyen d'une aIliance
portant cession de la Savoie et du eomté de
Nice en échange des conquetes qui se feraient




n'rrs JIO:lrllfE n'ÉTAT. 349
en CommUl1 sur les possessions autrichiennes
en Italte, saufIa promesse de faire confirmer a
la paix cet échange éventuel. Tout ici avait I'ap-
parence d'un piége : iI n' en était pas de meme
de la marche prescrite an jenne comte de Cus-
tinea Berlin pour ébranler l'alliance de la Pl'usse
avec l'Autriche. L'illusion de Dumouriez a l'é-
gard de la cour de Sardaigne eut été sans excuse
pour peu qu'il eút réfléchi a la (lifférence des
deux cours et des deux cabinets. La cour de
TUl'in était attachée a celle de France par des
nceuds de famille : le roi, les princes , les grands
y détestaient la révolutioIl; tous les élémens du
pouvoir y étaient d'aillenrs aristocratiques. 01',
la guerre contre l.révolution fran<,(aise, décidée
d' .• P" 1 . d' avance, prenaIt en lemont e ~aractere une
guerre socia]e par l'effet de l'incompatibilité d'o-
pinions , de principes et d'habitudes. Comment
admettre alol's la possibilité d'un rapprochement
et d'un concert? On a depuis prétendu que
M. de Sémonvillc, organe de la l'évolution,
venait proposer au roi Victor-Amédée la cou-
ronne constitutionnel/e d'ltulie s'il voulait faire
cause commune avec la France. Cette étrange
proposition 1, sur laquelle nous n'avons allcune
donnée certainc ,pouvait etre la conséquence


, Elle est consignée en forme d'asserlion dons un écrit peu connu
el puLlie a Iledin en 1800 sous le titre de lrJémoires jlollr sen'ir " l'ltÍs-




550 l\U~l\fOJRF.S
des offres qui ressortaient des instructions du né-
gociateul'; mais le sucd~s en était trop peu pro-
bable pour qu'on put y compter, a moins qu'on
n'admette, comme on 1'a cru dan s le temps;
que la négociatioJ? masquait la mission révolu-
tionnaire de semer des germes de subversion
dan s la monarchie piémontaise.


Quoi qu'il en soit, M. de Sémonville étant parti
de Genes p011r Turin avec le titre de ministre
plénipotentiaire, se dirigea vers Alexandrie,
affectant, a son entrée sur le territoÍre piémon-
tais, de se montrer avec un chapean décoré d'uue
énorme cocarde tricolore. Arri vé a Alexandric,
il Y est retenu par le gouverneur chevalier de
Solar, qui attend, dit-il , poufllui permettre de


. 1" • 1 contlllucr sa ronte autOl'lSatlOn ( e son gouver-
nemcnt. La cour de Turin, en appl'Ouvant la con-
duite du chevalier de Solar, lui dOllne I'ordre de
refuser le passe-port demandé par J\I. de Sémon-
villc, sígnalé a cette cou!' et á d'autres eomme
affilié a la propagande, se vantant lui-meme
d'avoir contribué a la révolution dn Brabant, et
oecupé maintenant, en Italie, de tous les moyens


toire de la derniere gllerre des Alpes, par le baron Patono, ofticier
piémon:ais. II est assez remarquable qu'il fut déjit <¡ue3tiou alors de
transformer la monar:chic absolue du Piémont en Courolifle cOlutitu-
tionneUc d'[taZie, Etait-ce le genne qni, semé plus tara, s'y eot deve-
toppe en IS2I sanS y prendre mcine?




n'UN HOMME n'ÉTAT. 351
d'exciter des troubles en propageant par des
écrits séditieux les maximes les plus propres
a pOlter le peuple a l'insurrection et a l'in-
subordination contre ses magistrats. Déja di-
verses cours italiennes, d'apres ces informations
inquiétantes, avaient annoncé a 'la république
de Genes qu'elles ne communiqueraient plus
avec elle si son gouverncment n'obtenait pas la
révocation de M. de Sémonville.


Pour motiver son refus de' le recevoir, la cour
de Turin , par l' Ol'gane dn comte d'Hanteville,
ministre des affaires étrangel'es, enjoignit a
M. de Porta, son ehargé d'affaires a Paris, de
représenter an gonvernement franc,;ais que le
séjour de M. de Sémonville a Turin y serait
trop funeste et trop dangel'eux pour que sa ma-
jesté sarde put y accéder; que la sensation dés-
avantageuse qu'il produirait dans ce pays, ou il
sel'ait mal vu, l'exposcl'ait a des désagrémens
personnels que sa majesté ne pOUl'l'ait éviter;
qu'elle ne doutait done pas que sa majesté tres-
chrétienne ne reconnut la solidité de ces motifs
et n'y vlt une nouvelle pl'euve de son désir de
continuer la bonne harmonie que le SéjOUl' d'un
tel ministre aurait pu troubler; qu'enfin, quoi-
que ces circonstances empechassentla réception
de M. de Sémonville, sa majesté sarde n'en serait
pas moins empressée de recevoir tout autl'e mi-




35:1 ::IrÉlIrOIRÉs
nistl'c ~ pourvn qu'il fut animé de cct esprit de
paix et de conciliation indispensable pour le
maintien de la honne intelligence entre les oeuJe
cours.


Cette note ayant été communiquée au cabinet
de France , le ministre des affaires étrangcres,
Dumouriez, y fit aussitot la réponse suivante :


« La conr de Turin a violé le droit des gens
» et le respect du au ministre plénipotentiaire
» d'une grande natioll, en l'arretant a Alexan-
» drie, en l'empcchant de rcmplir une mission
» pacifique et amicale. Pour lever tous les ob-
» stacles au rétablissement de la honne har-
» monie entre le roi de Fr:mce et le roi de
» Sardaigne , iI est nécessaire de faire cesser 1'a1'-
») restation de M. de Sémonville a Alexandrie,
) et de le recevoir a la cour de Tm'Ül dan s son
») ca1'actere publico


» S'il y a des griefs pel'sonnels contl'e M. de
» Sémonville, sa majesté sarde voudl'a bien,
) apres la réception de M. de Sémonville dans
» son ca1'acterepuhlic, ordonner a son ministre
)) de les déveIopper avec les preuves; et, dans
») ce cas, lorsqne les preuves seront parfaitement
) établies , le roi des Fran(;ais donnera satisfac-
) tion asa majesté sarde, en retirant 1\1. de Sé-
) monville et lui donnant un successeur. En cas
)) de refus, le roi ordonne an sieur de lalande,




353
» actuellcment chal'gé des affaires de France a
» Turio ,', d'en SOl'ti¡' clans les vingt - quatre
» heures, J'aller joindre 1\I. de Sémonville a
» Alexandrie, et de se retirer avee lui a Genes. »


En meme temps Dllmouriez éerit au sieur
de Lalande une lettre dans laquelle iI exhale
son courroux patrio tique sur l'insulte faite par
la conr de Turin « á la grande nation, dans
» la pel'sonne de son ministre pIénipotentiaire,
» SOtlS le Eutile l)l'étextc de n'avoir pas été pré-
)) vermc du choix de 1'I1Ornme chal'gé dc cette
» misslon avant son arri.-éc, eomme si les inté-
» rets tles pcnples oevaient etre subordonnés a
» oe frivoles étiqnettes de cour. » Il ordonne en
conséquence au chargé d'affaires de demander;
1 °Qlle les o1'ol'(,s donnés au gouverneurd'Alexan-
clrie pour empecher 1U. de Sémonville d'arriver
a Tllrin soicnt levps inccssamment; 2" ~lDe ré-
ponse pl'omptc et catégoriql1e dans les vingt-
quatre heurcs; 3° a etre chargé des passe-ports
nécessaires ponr alle¡' chercher 1\I. de Sémon-
ville a Alexandri~, l'amener a Turin, et le pré-
sen ter au roi el a la conr. « Si le ministre refuse
» vos llemandes, ajoll te Dumouriez, vous en-
) vencz un courricr a 1\1. de Sémonville pour


, Le har"n tle ehois enl, .1lIhassadcnr á Tu!'in <lepui, longues an-
nées, avait sollicité un (,oIlg~ ponr ('ause de snnté, pré-voyant la .. up"
tUff'. C'rtait un con~titutiollnel sngc ct nlo(lért~~


1.




354 lIIÉilfOIRES
») ren prévenir; vous il'cz le rejoindre a Alexan-
») drie, et vous passerez avec lui a Genes, Otl vous
» recevrez les ordres du roi. »


A la séance du 26 avrille ministre vint remIre
compte de tonte cette affaire a l'assemblée, don-
nant leeture des diffél'entes pieees, et notam-
ment de la leUre que le roi, dit-il, l'ayait auto-
risé a écrire a cette occasion, pOUt' sOlltenir la
dignité de la nation fran¡;aise : eeUe lettre fut
applaudie ayec les tl'ansports les plus vifs.


Le rapporteur des comités diplomatique et
des finan ces saisissant l'a-propos, monte a la
tribllne et demande, ce qní élait concerté,
qu'on fixe a six millions le fond des dépcnses
extraordinaires et secretes dn département des
affaires étrangeres. ( Le be50in Ol! nons sommes,
» dit le I'apporleul' Vel'gniau(l, de eonnaitre les
») véritables dispositions des cours étrangeres, el
») d'ctl'e instl'Uits ú propos des éyénemens et des
)) projets dirigés contre la patrie, nons met dans
» la nécessité d'aeeéder a la proposition du roi t.
» Vous sentez qu'il nons est imposssible de nous
») expliquer sur les motifs et sur les 'objets de ces
)) dépenses, puisque, par leur nature, elles sont
» secretes: le moyen de les relldl'e infrnctuellses
)) serait li'en pnblier l'emploi. )) D'apres I'avis du


• Le roí avait ofJlcic!l~mcnt dcmnndé les six milJi~ns, sclon la pl'O-
messe qu'il en avait faite a DUlllouriez.




D'UN IIOM1UE n'ÉTAT. ~55
comité, l'assemblée décréta, a une grande ma-
jorité, que la caisse de l'extraordinaire tiendrait
a la disposition du ministre des affaires étran-
geres la somme de six millíons pour les affaíres
secretes de son département.


Cependant la cour de Turin persista dans sa
résolution de ne point admettl'e M, de Sémon-
ville, et de ne donner á son égard aucune satís-
faction an gonvernemen t [ranr;ais. De ce moment
elle se mit en état de ruptnre, renforc;a ses tl'OU-
pes dans le comté de Nice et dans le duché de
Savoie, et y établit un cordon militaire d'obser-
vatíon.


Sur les frontieres ,des Pays-Bas, cette guerre,
qui bientot devait embraser l'univers, ne se
montm point, á son début, favorable á la. ré-
volution. Le 29 aVl'i[ les colonnes de l'armée
fr-anr;aise uu Non] s'étaient mises en mal'che pour .
attaqller Mons, oú les tl'oupes autrichiennes
avaient pris position. Tout á coup une terreur
panique s'empare de l'avant-gal'de sOl'tie de Va-
lenciennes; des cris nOllS sommes trahis! se font
entenure, et les tl'oupes [uient sans s'arreteJ' et
dans la plus grande confnsion jusqu'aux portes
de la ville. Les memes causes produisent a Lille
des résuJtats encore plus funestes : dans une
fausse atta que SUl' TOlll'llay, tout le COl'pS avancé
se débande soudain, en criant aussi el la tra-




·356 1rÉlIfOIRES
hison! et porte en fuyant dans la ville meme de
Lille le désordre et l'pffmi. Qllelques prisonniers
sont hkhement égorgés par les fu yards, et Théo-
bald-Dillon est massacl'é par les soldats meme
dont ii était le génél'aI.,


On crut voir dan s ces scelH's afIreuses qlli dés-
organiserent presque tonte l'armée, l'emploi des
memes moyens de désordre et de dissolution,
et un accord qui semblait indiquer une pré-
méditation perverse. Dumouriez, dan s ses Mé-
moires, calcule la profonde scélératesse avec
laquelle son plan de campagne fllt, dit-il, déjoué.
D'un atItre coté, le partí auquel il appartenait
alors , et lui-meme, dans sa perspective d'am-
bition, avaient un immense intérét a ce que le
général Lafayette n'acqult pas un plus granel as-
cendant par des succes militnires. Peut·etl'e qne,
plus entreprenant, ce générall1'aurait pas molli:
arrivé le 30 avril a BOll"incs, sur le chemin de
Namur, a la h!te de son corps (ral'mée, et la,
apprenant les désastres de la veille, an !ien d'at-
taquer Namur, il revint découragé prendre po-
sition au camp de Valenciennes.


On se fera aisément une idée de la sensalion
que tirent ces hontenx: échecs de iVlons ct de
Tournay, dans les principales cours de l'Europe,
parmi les antagonistes et les aclversaircs de la
révolution. On était tenté de ne plus cousidérer




n'CN H01I~m n'.ÉTAT. 357
les troupes de France que comme un ramas de
milices indisciplinables. Selon de spécicux cal-
cuh, c'était par l'anarchie et par !'indiscipline
que ce royaurnc allait périr déchirée par les fac-
tions. La snpériorité des armées prussiennes et
autrichiennes qu'on prenait depuis si long-temps
pour modeles n'en paraissait que plus constatée
et mieux établie. On jugera de l'égarement des
opinions qui prévalaient alors par celIes que ma-
nifesterent, a la revue de Magdebourg, les pe¡'-
sonnages qui, jouissant de toute la conflance de
Frédéric-Guillaume, exen;aient la plus grande in-
fluence dans les affaires de la'Prusse. C'était vers
la fin de maí et a Magdebourg meme oú se ras-
semblait, sous les yeux du roi, le corps principal
de l'armée prnssienne qui allait se mettre en
marche. (( N'achetez pas trop de chevaux, dit Bis-
)) choffswerder a plusienrs officiers de marque; la
)) comédie ne Jurera pas long-temps. Les fumées
») de la liberté se dissipcnt déja a París. L'armée
») des avocats sera bientot anéantie en Relgique,
») et nous serons de retour dans nos foyers vers
)) l'automne. )) Le cInc de Bl'unswick, que ces
évenemens entl'alnerent 1101'S des sa circonspec-
tion accoutumée, oubliant sa maniere de voir
exprimée récemment a Bisc11offswerder, tint a
peu pres le merne langage. Apres la revue, ras-
semblant les principaux officiers et parlant asee




358 M ÚfOIRE S
eUA: de la campagne qu' on allait ouvrir , iI Ieur
dit : « Messieurs, pas tant d'embarras , pas trop
» de dépense, tout ceci ne s,~ra qll'une pl'Ome-
» nade militaire 1 ))


On n'était cependant pas encore fixé sU!' le
plan de campagne, celui qn'avait· donné le duc
de Brunswick n'étant regardé que connne une
ébauche. Ce fut a cette mcme rcvue de Magde-
bourg qu'on en arr't-ta finalement les bases. Le
roí avait mandé le génél'al marqllis de Bouillé
pOllr le 27 mai, désirant qu'il vint en personne
luí communiquer ses vues et lui donner des
informations locales sur le plan d'opérations
fntures· des armées combinées. M. de Bonillé
arriva en toute hate de Mayence a Magdebourg,
et la eut avec le cinc de Brunswick plusieurs
conférences en préscnce dn roi. JI indiqua la
Champagne comme la partie la plus faiLle de
]a frontiere, et propasa, comme étant la plus
facile, l'attaque par Longwy, Sé~dan et Ver-
dun; il donna rneme l'assurance que ces trois
pIaces étaient en tres-mauvais état, et pour-
tant les seules ql1i couvrissent cette partie du
royaume, d'olt \'on pouvait marcher rapidement
a Paris par Rhétel et Heims, en traversant
des pIaines fertiles qui ne pl'ésclltent :llIcun ob-
stacle. Dans les guerres civiles et étrangeres que
la France avait eu a soutenil' au milieu du dix-




n'UJlI' HOllBIE n'ÉTAT. 359
septieme sicclc, on avait tonjolIrs Vil les étran-
gers m:lrchel' Sl1l' Paris par les routes de Sédan,
de Stena.v et de Rhétel. La ils n'avaient trouvé
d'autres obstacles que la valeur el le talent du
gratld Condé, qni, deux fois, les arreta par
deux grandes victoires clans )ps plaines de Ro-
croy et de Lans. On fllt d'accord a Magdebourg
qn'il n'y avait plus en Francc de héros sur ce
modele, ni d'al'mée en état de renouveler de tels
prodiges.


Dans ces eonférences mili/aires, le dllC de
Brunswiek déeéla sa préclilection pour une
gllerre sJStématique et lente,; mais iI y mit de
la réserve a canse du roi, qui désirait brusquer
l'invasion : tel était aussi l'avis du marquis de
Bouillé, gt'néral expérimenté et tres au fait de
la situation illtérieure de la Franee. Il observa
que, si ron échouait dans le dessein de par-
venir jllsqu'il Paris, foyer de la révolution, il
ser~lit tres-faeile, en s'emparant de Mézieres et
de Montmédi, places qlli ne pouvaient opposer
une grande résistance, de prendre des quartiers
d'hiver entre la l\Ieuse et la Chiers, le front
COllvert par cette prem¡ere riviere, la gauche
par la Chiers , ainsi que par Montmédi et Long-
wy. Dans ce plan Luxembourg servait de point
d'appui et de place d'armes : ainsi l'inuption
tentée a propos et avec prudence offrait d'au-




360 i\IÓWInES
tant moins de chances de revers qu'elle s'ap-
puyait natllrellement SUt' un nutre systcme qui
pouvait devenir an besoin méthodiquc et dé-
fcnsif. Cet officicr général indiqua aussi la haute
Alsace commc llne des pal'ties les plus filibles
de la fl'Ontiere de rEsto Le duc de Brunswick
avoua que l'une et l'autre, c'est-a-clire les fron-
tieres d'Alsace et des Ardenncs, étaient les plus
susceptibles d'etre atlaquées an~c avantage; et
d'aprcs le v(('tI el II roi, il décida que la pI liS
grande partie des forces combiuées, SOllS ses
ordres, serait portée sur la frontiel'e de Cham-
pagne pour agir offensivement de ce coté, et
qu'on ne laisserait en Flandre et sur le Haut-
Rhin que des corps d'observation.


On en vint a discuter le moJe de coopératioIl
des émigrés. C'était une grande question : le ca-
binet de Vienne avait apporté constammcnt des
obstacles a ce que les émigl'és pussent s'armer
dalls aucunc pal'tie du territoire sOllmis a sa do-
mination; leur organisation militail'e n'ava1t d'a-
bord existé réellement que sur le papier. N OIl-seu-
lement l'empereur Léopold, mais aussi l'électeur
de Cologne, antre frcre de la reine de France,
n'avaient jamais consentí it lenr accorder aucun
cantonnement clans leurs États. Cctte résistance
unanime des deux cabinets de Vienne et de
Cologne, c'est-it-dire de deux souvel'aÍns, l'un




n'eN HOi\BIE n'ÉTAT. 361
a1lié du roí de France , tous les deux ses beaux-
frel'cs et fn~'res de la reine, indiquait nssez que
Louis XVI improllvnit les opérations et la poli-
tique des pl'inces ses freres a Coblentz. Le ca-
binet des émigrés , dEl'ayé de cette persévérante
opposition qui menac;ait de les frapper de nul-
lité, avait eu recours nu cabinet de Berlín, et
y avait trouvé un applli dans les disposítions
personnelles du roi de Prnsse. A la mort de Léo-
poId, les princes fi'an<:ais ayant con<{u l'espé-
pérance d'un changement prochain de politiqlle
en lcur faveur, rcprésenter~nt a Frédéric-Guil-
Iaume, par leurs émissaires et dans leurs dé-
peches, qu'il n'y aurait pas de contre-révolution
possible si les émigrés ne jOllaient pas le pre-
miel' role dan s les opérations de la campagne,
qui leur paraissait imminente; qu'il n'y avait
d'aillellrs qu'un seul moyen el'en assurer le suc-
ces, c'était d'enlever au cabinct de Vienne I'a-
do-ption des plans, le monvement des armées
et la direction de la guerreo Cette adroite et op-
portune insinnation eut son effet. Les embarras
de tout genre qui assaillirent le jeune roi de
Hongrie a son avenenent , le grand intéret qu'il
avait a etre promptement élu empereur, son
extreme dé sir de se rendre le roi de Prusse fa-
vorable, et de mcttre a profit ponr la cause
commune l'ancienne réputatiol1 de valem de




:r.rÚJOIRES
l'armée prussienne, déterminérent le jeune roi
a se départir en faveur de Frédél'ic-Guillaume
da droit que s'était réservé Léopold de diriger
la défense de la monarchie autrichicnne dans
une guerrc qui aIJait etrc Cxclllsivement décIa-
rée a son chef et a ses propres États. CeHe con-
cession emprcssée valut an roí de Hongrie la
certitude d'étre élu empel'em" et conronné daos
les premíers jours de juillet á Fl'ancfort. Une
entrevue a l\Iayence, entre les deux souverains,
fut convenue pom' cctte époquc. Le roí de Prusse
devait etre précédé par son armée qui allait
prendre ses quartiers a Coblentz, pour de la
marcher de suite sur la France.


D'aprcs cette premie re impulsion, si favora-
ble aux vues des princes émigrés, leur partí a vait
d'abord prévalu a Vienne dans les conférences
qui eurent lien vers la fin de mars entre 1'eo-
voyé extraordioaire Bischoffswerder, le prince
de Hoheolohe et le princc de Colloredo, a l'effet
de poser les bases d'un plan d'opérations COffi-
hinées contre la Franee. On proposait d'en aban-
donner la direetion politique aux prinees frcres
de Louis XVI. J\Iais le baron de Spiclmann
avait fait changer depuis cette partie du plan
concerté avec le ministere prussien, en SOl/te-
nant que les opérations des émigres devaient dé-
pendre du mouvemcnt des armées combinées,




n'UN HO!lIl\IF. D'F.TAT. 363
et qu'i! fallait les subordonner et les soumettre
entierement aH plan géné!'al. Ces nouvelIes et
contl'~!'iantes dispositions avalent encore été
sllggérées an eabinet autrichien par le baron
de Breteuil : remplissal1t toujours les fonctions
de ministre de Lonis XVI au dehors, il avait in-
spiré de la défiance meme au roi et a la reine
sur les intentions des prinecs, et s'était fait au-
toriser a demande!' an nom de Louis XVI, ave e
qui il eOl'respondait secn~tement de Brnxelles,
qn'on évitttt surtont, a 1'0nVel'tllre de la eam-
pagne, que la noblesse franc;:aise, réunie en
corps d'armée sons les ordres des princes, n'ae-
quit de l'influence sur les opérations. Il allé~
guait qne, pour rétablir l'autorité royale et la
tranqllillité clans le royaume, il fallait mettre
le roi en état de traiter lui-meme avec le parti
qui, dans l'intérieur, désirait encore le gou-
vernemcllt monarchique, et éviter par con sé-
ql1ent de mettre ce partí en contact avec les
émigrés en armes, dont la seule préscnce so u-
leverait la nation. Ces motifs graves avaient pré-
valu meme dalls J'esprit dll roi de Prusse, qui
néanmoins montrait un intéret tres-vif pour les
prillces fI'an<;ais 3uxquels il venait d'envoyer
une somme d'argellt considérable pour leur


, I
entrcc en campagnc .


I On croít que cette somme s'élevait ¡. deux millioDs.




364 3rÚWIRE5
Ainsi en príncipe, les deux cours alliées se


trouvaient d'accord qne les émigrés ne sel'aient
ras réunis a l'armée qui pénétrerait en France,
et qn'on se bornerait a les rassembler sur la
rive droite <Iu Rhin; la ils devaient former un
corps de vingt mille hommes en y comprenant
quelques régimens que les princes avaient levés
ou levaient encore en Allemagne. Le marquis
de BouilIé proposa au roi et au duc de Bruns-
wick de les diviser en trois corps, dont un de dix
mille hommes, sous les princes freres de Louis,
serait attaché a la grande armée, et les Jeux
autres de cinq mille hommes chacun , seraient
employés sous le pl'ince de Condé et sous le duc
de Bourbon, avec les deux corps d'observation
en Flandl'e et sur le Rhin. Le dac de Brunswick
observa que ce serait donner aux émigrés une
destination active, en opposition au príncipe
arreté entre les deux cours; le marquis de
Bouillé écarta ceHe objection, en expliquant
qu'il avait seulement en vue de placer les corps
émig,'és en seconde ligne comme auxiliaires,
afin d'attirer des différentes parties de la fron-
tiere les déserteurs fralll;ais et meme des corps
entiers, sur lesquels on pouvait compter, tels
que certains régimens de cavalerie qu'on savait
ctre resté" fideles au roi, et quelques régi-
mens d'infanterie étrangere. Le t'oi de Prusse




l/UN HOllIlIfE n'ÉTAT. 365
s'étant rangé de cet avis, OIl fit ele l'opinion du
marquis de Bouillé l'une des dispositioIlS dll
plan général de campagne.


Dans ces nH~mes eonférenees le baron de Bis~
choffswerder eut oeeasion de s'entretenir avec
le marquis de Bouillé, en présen'ce du roi et du
due de Bruns,viek, de lamission de Custine fils
que DmnoUl'iez avait tenn assez long-temps a
Berlin pour négoeier avec les ministres dn roi.
Disons d'aborcl comment s'était terminée ceHe
mission, qui avait en encore plus pour objet
de retarder les opérations offensives de]a Prusse
que d'obtcnir le succes pea probable de détacher
le monarque prussien de la confédération. Le
jeune Cüstinen'avait riel'.. négligé pon!' réussir
en alléguant sans cesse le danger qui menaee-
raít le pOllyoir et la per50nne de Loui5 XVI si
1'0n s'obstinait a enlreprendre contre la France
une guerre d'ínvasioll. Le comte de Schulen-
burg, qui reccyait ses notes, ne lui avait pas
dissimulé que des rapports secrets l'avaient re-
présenté au cabinet de Berlin comme aJant la
mission odieuse de tenter d'opérer une révolu-
tion en P,'U5se. Custine répondit au ministre
prussien que c'était L\ une accusation banale et
absurdc imaginée par les émigl'és, qui l'avaient
d'abord dirígée contre J'rI. de Ségur son prédé-
CeSSelll'; qu'illui serait tont aussi facile d'établir,




366 1tIÉ:nlOIRES
comme l'avait fait M. de Ségur, que sa mission
n'avait pas d'nutre objet que celui d'engager le
cabinet prussien a changel'(le systeme politiqne,
changement tout aussi utile aux intérets bien
entendus de la Prllsse qn'aux intérets plus pres-
sans du roi de France et de sa couronne. « Au
)) surplus, dit-il, le temps n'est plus oú le mi-
)) nistere constitutionnel, abjurant toute fran-
)) chise, suivait a la fois une négociation double,
)) l'une officielle et l'autre cachée. » Il cita en
preuve des négociateurs pris dans un sen s op-
posé; de plus la dissimulation dont on avait üsé
a l'égard meme de M. de Ségur, leqnel n'avait
appris qu'a son passage a Strasbourg, par le
mail'e Dietrich, l'exi:.;tence et le con tena de la
convention de Pilnitz, que le min ¡stere lui a\'ait
laissé ignore!' enti(~rement. « Grace á Dieu,
)) ajouta M. de enstine , depuis que :\1. Dumou-
)) riez a le portefcuille des afbires étl'angeres ,
») ces duplicités diplomatiques ne sauraient se
») reproduire. M. Dumouriez joue carte sur table,
) et n'a pas d'antres arl'iere-pensées que d'as-
)) surer le triomphe de la monarchie constitu-
)) tionnelle. ») Le comte de Schulemburg lui dit
alors en sonriant : « "Mais , monsieur, etes-vous
» bien Slt" que .1\1. Dllmouriez ne tienne pas id
») deux négociatenrs a la foís? » Et iI lui cita en
nH~mc temps un certain M. de Beys, gentil.




D'UN HO~IlIIE D'ÉTAT.
homme hourguignon, qni lui avait fail aussi
des ouvertures. Mais ce M. de Beys n'était qu'un
agent secret sans aucun caractere avoné par
son gouvernement. M. de Custine s'en plaignit
Iléanmoins a París; et, malgré .la déclaration
de guerre fllite a l'Autriche, iI continua jusqnes
ver s la fin de mai á négocier, tantot avec le
corote de Schulenhurg, tantot, mais plus mys-
térieusement, avec le duc de Brllnswick, par
l'intermédiaire d'un J'.L 13enoist, autre agent
seeret de DUI11()uriez r. Le tIue n'en dit pas un
mot dans la conférence dont nous venons de
donner les détails. Le ba1'on de Bischoffswerder
aS5ma le marqllis de Bonillé que le cabinet
prussien avait congéJié M. de Custine sans
éeoutel' ses propositions. Alors J\I. de BOllilIé ,
qui n'avait pas dissimulé all roi la faiblesse du
parti royaliste dans l'in tél'ieur, représenta qll'il
serait peut-ctl'e avantageux de rcnouvelel' avec


, Nous n'affirmons pas qu'il :r ait ident;té entre cet agent secret ,
nornmé Renoist, et M. llenoist , long ·temps chef de di"isi" au mi·
nistere de l'intérieur, et anjourd'hui membre de la chambre des dé·
pUlés el dirccteur des contl'iLntions indirectes. Nous observerOllS seu-
lement que 1\1, Bcnoist, directeur des contribntions indi,'ectes, a
rempli uue missiún secrele a Loudres avec M. NoeI, ve,·s la fiu de
I 79~ jl1srJu'it la déclat'ation de guerre,Du reste le Benoist dont il s'agit
s'appelait Denjs Benoist, on uu moins signajt i1insi. Ce fnt dans les pre-
miers mois ele I'792 fjTl'iI remplit sa mission partJculiere a Brunswick;
il fut aussi a peu pr';. " la meroe époque .gent serre! a Deux·Ponts.




368 l\IÉl\IOIRES
l'agent de Dumouriez eette négoeiation, qm
pouáait mener a un arrangement raisonnable et
en meme temps eonvenable a tous les partis.
Qu'on rema~que bien qui donna ce eonseil an
roí de Prusse, a ses ministres et a son généra~
lissime, et on y déeouvrira l\me des causes peu
éloignées de l'issue rcgardée jusqu'iei eomme
inexplicable, de ectte pl'emicre eampagne de
la révolution don t nons allons l'etraeer les cir-
constan ces.


Vers la meme époque, les cabincts de Vienne
et de Berlín rec,;urent de Saint-Pétcrsbourg un
eourrier, porteur de l'adhésion pleine et entiere
de l'impératriee de Russie :mx plans offensifs
des (leux eours alliées non-seulement eontre la
nation franc,;aise, mais contre tont changement
de formes queJeonques dan s les gouvernemens
de l'Europe: c'était le tr'iomphe de la doctrine
politique de Cathel'ine J qui avait en vlle de ré-
primer a la fois la Franee et la Pologne; il Y
avait ~ng-temps qu'elle pressait ce qu'elle ap-
pelai~e réveil des eouronnes.


Ce que les deux conrs alliées se pl'oposaient
de ten ter contre la Franee par la fmee des ar-
mes, la czariue a11a1t l'opél'e¡' directement et
sans délai contre la Pologne, depuis qu'elle était
assui'éc du conCOllrs des dcux sOllverains de
l'Autriche el de la Prnsse.




n'UN lIOIlIlIIE n'ÉTAT. 369
On se rappelle qu'il avait déja. été décidé a.


Vienne et a Berlín que rien ne seraít définitive-
ment statué sur la Pologne avant que les deux
cours ne se fussent entendues avec Cathe-
rine. Enfin eette príncesse altiere s'était expli-
quée : elle prétendait voil' dans l'enthousiasme
et l'effervescence quí régnaient en Pologne le
germe de ces principes qui agitaient la France et
mena(,;aient tous les trones. La constitution du
3 maí maintenait, iI est vrai, ]a noblesse et ses
priviléges; mais déja les grands de la Pologne
ambitionnaient l'égalité en se faisant recevoir
bourgeois a Varsovie. S'i1 n'y avait pas de con-
nexion immédiate entre les travaux de l'assem-
blée de Varsovie et ceux de l'assemblée natio-
nale de France, iI s'en établissait sans aucun
doute dan s leurs vnes et dan s leur bu t politique;
aussi Catherine n'y voyait-elle qu'nn mode d'ex-
citation pOUl' mettre la Pologne en état d'hos-
tilité contre les Russes. Levant le masque, elle
venait d~ donner, sous la date du 13 mai, sa
déclaration ou plutot son manifeste contre la
nouvelle constitution des Polonais, qu'elle si-
gnalait comme illégale et dangereuse, leur inti-
mant d'en revenir a leurs anciennes lois, et les
mena(,;ant de les y contraindre par la force s'ils
s'obstinaient a résister a ses conseils.


Ce fut un coup <le foudre pOUl' les patriotes
t. 24




l\'IÜWIRES


polonais. La diete, n'osant pl'endl'e anenne me-
sme décisive avant d'avoir pressenti les dispo-
sitions du ministre prussien, luí communiqua
offieiellement la déclaration de l'impél'atriee,
alléguant que la république avait droít, en
ver tu de son traité d'allianee avee la Prusse,
de réclamer son seeours.


Le ministre Lueebesini, instruit des inten-
tions de son eabine.t, s'en référa a la réponse
qu'il attendait de Berlín; iI mit en avant néan-
moíns ponr préparer les espri ts, que le roi de
Prusse, n'ayant pris aueune part a la eonstitu-
tion du 3 mai, ne se regarderait probablement
pas comme obligé de protéger eeUe constitution
si ses partisans jugeaient a propos de la défendre
les armes a la main.


Les ehefs de la diete, pressés d'éclaireü· leurs
doutes a ce sujet, déciderent le roi Stanislas-
Auguste a s'adresser directement a Frédéric-
Guillaume. Stanislas lui fit part, le 31 maí, des
dispositions hostiles de la czarine. « Si l'allianee
» qui existe entre votre majesté et moi, mandait-
» il au roi de Prusse, est un titre ponr réclamer
» son seeours, il m'importe de savoir d'elle le
» mode qu'elIe vent prescrire a ses engagemens.
» La eonnaissance positive eles sentimens per-
» sonnels ele votre majesté m'est aussi nécessaire
» ponr ma conduite que ses forees le seraient




D'UN HOl\UIE D'ÉTAT.


» poul' mes succes ..... Dans une occasion OU,
» comme allié, la dignité de votre majesté est si
» intimement liée avec l'indépendance et l'hon-
» neur de ma nation ~ je dois m'attendre qu'elle
» voudl'a me fail'e connaltre ses sen timen s : ma
» confiance n'a d'autl'es bornes qúe ceHes qu'elle
» y mettra elle-meme.: ... Au milieu de mes in-
» quiétlldes et de mes peines ce qui me con-
» sole, c'est que jamais cause ne fut meilleure,
» ni dans le cas d'avoir pour appui un alIié plus
» respectable et plus loyal aux yel1x des con-
» temporains et de la postérité. »


La réponse ne se fit point attendre : elle était
datée du 8 juin. Frédéric-Guillaume, en blamant
la république de Pologne de s'etre donné, ason
insu et sans son adhésion, une constitution qu'il
n'avait jamais songé a soutenir, ajoutait : (( J'a-
» vouel'ai avec franchise qu'apres tOllt ce qui
)l s' est passé depllis un an, il était aisé de pré-
» voir les embarras dans lesquels la Pologne se
» trouve aujourd'hui engagée. Dans plus d'une
» occasion, le marquis de Lucchesini a été chargé
» de manifester, tant a votre majesté qu'aux
1> membres prépondérans du gouvernement,
» mes justes appréhensions a ce sujeto Des le
» moment oú le rétablissement de la tranquillité
)l générale en Europe m'a permis de m'expliquer,
» et que l'impératl'ice de Russie a laissé entre-




MÉl\IOIRES
» voir une opposition décidée contre la révolu~
» tion du 3 mai, ma fa<,¡on de penser et le lan~
» gage de mes ministres n'ont jamais varié. En
») regardant d'un <:eil tranquille la nouvelle con·
¡¡ stitution que la répnblique s'est donnée a mon
») insu et sans ma concurrence, je ll'ai jamais
») songé a la soutellir ni á la protéger; j'ai prédit
)) au cOlltraire que les mesures mella¡;antes et
» les préparatifs de guerre provoqueraient in~
)) failliblement le ressentiment de l'impérat,'ice,
» et attirel'aient ú la Pologne les maux qu'on
)) prétendait éviter : l'événement a justifié ees
) apparences .. ~,. Votl'e majesté sentira que l'état
») des choses ayant entierement changé depuis
») l'allianee que fai eontractée avec elle, et les
» canjonctures présentes, amenées par la con-
») stitution du 3 mai, n'étant point applicables
») aux engagcmens qui s'y tl'onvent stipulés, iI
)) ne tient pas a moi de déü\rer a l'attentc de
») vatre majcsté, si les intentions du parti patrio~
») tique sont toujours les memes, et s'il persiste
») a vou:'oir soutenir son ouvrage; mais si, en
J) revenant sur ses pas, il considérait les diffi-
» cultés qui s'élevent de tous catés, je serais
») tout pret a me concerter avec l'impératrice et
») a m'entendre en meme temps avec la cour de
)) Vienne, pam~ convenir <les mesures capables
fJ de rendl'e it la Pologne sa tl'unquillité, ))




n'UN HOMl\tE n'ÉTAT.
Ainsi la Pologne aIlait encore une foís suc-


comber par reffet de eette panique terreur que
]a révolution fran«;;aíse répandait dans tous les
cabinets de l'Europe. 11 était visible que le nou-
veau concert des puissances finirait par un non-
vean partage. On a vu que dans le dernier con-
seil tenu a Potzdam, le roi de Prusse avait réglé
que vingt-cinq miIle hommes de ses troupes se
tiendraient prets a marcher vers la Vistnle. Ce
eorps d'armée fut mis sons le eommandement
du général Moellendorf J. Par cette mesure, le
cabil1et de Berlin dévoilait tout son plan : il en
voulait autant a la COl1stitntion de Pologl1e qu'a
celle de France.


Cependant le úle monarchique se réchauf-
fait pcn en Europe au souffle des eabinets inté-
ressés an succes de eette donble croisade. Les
lettres réquisitoriales de la conr de Berlín aux
membres du corps gcrmaniqne avaient fait peu
d'effet. Qnanclles deux cours alliées, achevant
leurs préparatifs, inviterent a Ratisbonne les
princes de l'Empire a fournir leur contingent,
eette déclaration fut assez froidement recue.


r" ::.


On allégua dans les conférences que ce n'était
ni contre l'Empire, ni contl'e la Prnsse, que


• J oachim Wichart de Moellendorf, n,; en r 724, éleve de FréJeric;
fuI créé ponr ainsi dire par ce prince, dont il était l'ami, et qui, de-
pui. 1,83, l'avait Ílomme gouverneur de Berlin.




lIrúrOl RES


la France venait de proclame!' la guerre, mais
seulcmcnt contre la maison d' Autriche. Pcu de
princes d'abord se montrerent disposés a satis-
faire aux demandes des deux cabinets. Les élec-
teurs de Saxe el d'Hanovrc se déclarerent neu-
tres; la cour de Danemarck ne montrait aucune
disposition a prendre une part active ála guerre;
celle de Stockholm avait changé entierement de
systeme depuis la mort tragique de Gustave :
elle tournait vel'S la neutralité. L'Angleterre,
dan s son lle, se plaf,;ait en observation, épiant
l'avenir, se défiant soit de la révolution, soit des
coalisés, et toujours prete a faire pencher la ba-
lance du coté de ses intérets politiqueo L'Italie,
énervée , était incapable de donner aucune im-
pulsion; et l'Espagne elle-meme, depuis que
le comte d'Aranda avait repris)e timon des af-
faires, voyait s'évanouir les velléités hostiles
qu'elle avait manifestées en faveur de I'autorité
de la branchc ainée des Bourbons. Pouvait-on
découvrir dans cet ensemble incohérent de la
politique des cabinets européens les élémens
d'une coalition ferme et .compacte, invariable
dans son but et unanime dan s ses vues?


Les deux cabinets alliés résolurent d'agir de
concert pour ramener a la cause commune les
États qui , sous les apparences de la neutralité,
tendaient a s'isoler dan s Un systeme équivoque.




j)'¡TN IlOl\f:ilIF. n'.ÉTAT.


Leur premie re démarche officielle eut pour objet
d'engagel' le Danemarck á renoncer asa nell-
tralité. L'envoyé el' Autriche, eomte Breuner, et
le chal'gé d' affaires de Prusse , W eguelin, aupres
de la eour de Copenhague, communiquerent
le 12 mai au minist~re danois 'une note par
laquelle eette puissanee était invitée a pren-
dre part au concert des eabinets de Vienne et
de Berlill , tendant a apposer une digne auxen·
treprises de la révolution frant,¡aise.


(( Il s'agit dans ce moment, disaient les deux
, d' , 1 )) envoyes, une eause commune a lous es SOll-


)) verains, ctde l'intéret commnn de tous tes gOll-
II vernemens. Le but du concert réunit deux:
)) sortes d'objets : l'un relatif aux droits lésés
» des pril1(~es de l'Empire et aux dangers dont la
)) propagation des principes fran<;ais menaee
)) plus OH moins, plus tut ou plus tm'd, les
)) autres états , si ron ne parvient a les prévenir;
)) l'autrc con cerne le maintien des fondcmens
)) essentiels da gouvcrnement monarchique en
» Franee. e


)) Le premier de ces deux objets se trouve dé-'
)) terminé dans tous ces points par leur énoncé
)) meme; le second n'est point encore suscepti-
)) ble d'une détermination positive.


)) Les puissances n'ont aucunement le droit
) d'exiger d'une autre puissance grande et libre




jlníMOIRES
» teUc que la f'rance, que tout y soit rétabli
» entierement dans l'état antérieur, ou qu'elle
» adopte précisément telle et non pas d'autres
» modifications de gouvernement. n s'en suit


, , 1 A
» qu on pourra etqu on ( evra reconnaltre eomme
» légale et constitutionnelle telle modifieation
» dans son gouvernement monarchique et dans
» son administration interne, dont le roi, jouis-
» sant d'une liberté plénierc, eonviendrait avec
» les représentans légitimes de ]a nation.


» Quant aux moyens á employer pOUl' rendre
» le sued~s immanquable , ils devront úre suf-
» fisans, proportionnés aux forces respectives
» des puissanees réunies et déterminés d'apres
» un plan général d'opération.


» Pour procéder a l'arrangement de tous ces
» pOilltS, les deux cours alliées proposent ]a
» vilIe de Vienne comme le centre des distances,
» dans l'intention d'accélércr et d'abréger cet ou-
» vrage le plus possible. Mais quand, en con sé-
» quence du concert a conclure, le rassemble-
» ment des armées sera effectué de toutes parts
» et suivi d'une déclaration des puissances pour
» annoneer leur intervention eommune et les
» objets dont elles demanderont le reuresse-
» ment, si aIors iI s'agit d'établirun con gres armé
» formel, iI est tout naturel que ce congres ne
» pourra point se tenir a Vienne, trop éloigné




D'VN ROUME D'ÉTAT.
» de la France , mais dans tel autre endroit que
» les puissances réunies jugeront ctre le plus
» convenabIe. »


Dans la réponse du ministre eomte de Bern-
storff, par laquelIe il déclinait la participation
du Danemarck a la guerre, on reinarquait eette
phrase: (( Que S. M. danoise a reeonnu dans les
» ouvertures des deux eours les príncipes les plus
» justes et la sollieitude la plus respeetable pour
» le bonheur et pour la tranquillité de l'Enrope
» entiere, évidemment menacée par l'anarchie
» fran~aise et par le prestige de ses formes illu-
» soires, mais séduisantes. »


La note des deux envoyés de Prusse et d' Au-
triche est d'autant plus remarq~able, que les ,
príncipes et les vues qui y sont consignés n'ont
reí,;u leur application que vingt-deux ans plus
tard, dans les p]aines memes de la Champagne,
apres une longue suite de leí,;ons séveres et de
désastres. Et encore si on envisage a présent
sous le point de vue de rordre politique eette
immense guerre sociale, on trouve 'lue le conflit
quí l'a fait entreprendre est plutót assoupi que
réglé.


Cependant la marche des troupes combinées
de Prusse et d'Autriche vers le Rhin, annoncée
depuis si long-temps, n'était plus révoquée en
doute; l'Allemagne entiere pouvait l'attester.




lUEMOIRES


Les Prussiens marchaient sur trois colonnes:
ceHes de la Silésie, de l'armée des Marches et
de Westphalie. L'une s'avan<;ait, en passant par
la Hesse, le landgrave voulant se joindre a la
coalition avee un corps de sesmeilleures troupes.
Ce prinee, qui, avant la mort de son pere, avait
gouverné le comté de Hanau sous le nom de
George-Guillaume, avait pris les renes clu gou-
vernement de tout le landgraviat de Hesse-Cas-
sel, le 31 octobre 1785, sous le nom de Guil-
laume IX. C'était son pere qui, au mépris de
l'opinion contemporaine, s'était formé un riche
trésor 1 en vendant le sang de ses soldats aux
Anglais clans la guerre d' Amérique .. A la vérité
c'était un ancien usage féodal parmi les prinees
d'Allemagne de fournir aux grandes puissances
des corps auxiliaires, moyennant subsides; mais
la civilisation du dix-huiticme siecIe s'en était
indignée a l'égarcl du landgrave, qui faisait de
ee trafic révoltant un abus sordide. Du reste, la
position géographique de la Hesse était peu
compatible avec un· systeme de neutralité en
cas de guerre entre la Prusse et la France. Quoi-
que le langrave Guillaume fút souverain seule-
ment d'un pays n'ayant pour toute population
que quatre cent cinquante mille ames, mais un
revenu de neuf millions de franes, iI était re-


I :Evalu~ a quatre-vingts millions.




· devable au systeme de subsides adopté par son
pere de figurer en Allemagne parmi les puis-
sanees militaires du second ordre : iI ne cédait
le rang qu'a la Saxe et au Hanovre, et encore ses
trQupes, modelées sur ceHes du grand Frédéric,
étaient-elles plus estimées a cause de lenr tac-
tique et de lenr discipline.


U ne grande partie de l' Allemagne cédant enfin
a l'impulsion des cabinets alliés et a l'exemple
de l'appareil de Ieurs forces, comment.;ait a se
préparer aussi a la guerreo Ríen n'était négligé
pour engager un certain nombre de princes a y
prendrc parto Le ministre autrichien, comte de
Lehrbach, avait mis tout en ~uvre ponr for-
mer l'as$ociation des Cercles. Malgré de grandes
contradictions, il était parvenu a réunir tout le
Cercle de Souabe, apres y avoir fait circuler un
mémoire insidieux et adroitou iI peignaít la si-
tuation actuelle de I'Europe comme exigeant
cette mesure : il l'avait adressé officiellement
aux cours de Mnnich , de Salzbourg, aux princes
dn hant et bas Rhin. Non-seulement l'allianee
des deux cours se fortifiait de l'accession pré-
méditée du roi de Sardaigne ;mais l'électeur
palatin de Baviere , qni depuis long-temps avait
contrae té l'habitude de ne rien refuser a la conr
de Vicnne, faisait mettre Manheim en état de
défense. Vingt mille Autrichiens, qui se diri-




380 ~IÉMOIRES
geaient ver s le moyen Rhin, devaient se ras-
semhler et se cantonner aux environs de Man-
heim. Quant au landgrave de Hesse-Cassel et
aux éleeteurs de Treves et de Mayenee, ils pa-
raissaient déja. déeidés a prendre part a la guerre
eomme prinees indépendans avant d'y eoneourir
comme prinees d'Empire. Les Cerdes armaient
et formaient les eontingens demandés. Or une
guerre d'Empire que la France n'avait pas en-
tendu provoquer était inévitahle. On regardaít
les éleeteurs ecclésiastiques eomme les premiers
moteurs de l'armement, qu'on n'avouait a la
vérité que comme une mesure défensive.


Toutefois le plan de la coalition ne devait se
démasquer qu'apres le eouronnement de l'em-
pereur, et a l'issue de son entrevue ave e le mo-
narque prussien. L'éleetion de Fran<,;ois rer, roí
de Hongrie et de Boheme, comme chef de l'Em·
pire germanique, eut líeu le 5 juillet a Franefort.
Ce prince y était attendn le 11 avee sa cour. C'é-
tait a Mayenee qu'il devait s'aboueher avec Fré-
dérie-Guillaume. On ne erut pas devoir tolérel'
dan s ceUe derniere ville la présenee du ministre
de France, et l' éleeteur fit remeUre, par le haroo
d'Alhini, une note a M. Villars, pour l'engager
a s'éloigner.dans un moment, disait la note,
qui ne permettait a son égard ni une parfaite
sureté ni l'accueil usité a la cour électorale de




n'UN JIOMME D'ÉTAT. 381
Mayence pour les ministres qui y étaient aceré-
dités.


Le 11 l'émpereur élu fit son entrée a Frane-
fort, accompagné de l'impératriee, de l'arehiduc
Joseph, d'une cour brillante et de tous les am-
bassadeurs éleetoraux nommés pour assister a
son couronnement. On ne se lassa point d'ad-
mirer la somptuosité, l'élégance des illumina-
tions et des fe tes que donna le comte d'Ester-
hazy 11 cette occasion, comme premier ambas-
sadeur électoral de Boheme.


Tandis qu'on interdisait a tout étrangel' qui
ll'était pas a la suite de l'empereur de rester a
Francfort pendant la duré e des solennités et des
fetes, plusieurs régimens prussiens, destinés a
combattre les Franc,;ais, traversaient la ville et
défilaient en présellce meme de l'empereur. Ce
monarque leur témoigna sa satisfaction, et s'en-
tretillt avec les prillcipaux officiers. Le gros des
troupes prussiennes se rassemblait aux environs
de Coblentz. Le duc de Brunswiek y était arrivé
dans les derniers jours de juin, et s'était d'a-
bord cantonné au village de Horeheim, a une
demi-lieue de la ville. Jusque la Coblentz avait
été le principal séjour des émigrés et de leur
cabinet : c'était en queIque sorte Ieur quartier-
généraI. Des sa premiere entrevue avec les
princes freres de Louis XVI, le due de Bruns-




MÉMOIRES


wiek leur annonc;a publiquemcnt qu'il venait
pour rétablir le roi sur son trone. On avait ar-
reté que les prinees partiraient le 1 cr de juillet
pour Bingen, et qu'a eette époque seulement le
généralissime de la eoalition prendrait le com-
mandement militaire de la ville de Coblentz.
Le due s'établit dans le logement qu'avait oecupé
le maréehal de Broglie. 11 paraissait fatigué des
flagorneries de eeux qui déja l'appelaient le
héros da Rhin, le libérateur de la France, le
bras droit des rois. Et ]e philosophe souffre tout
cela, disaient quelques observateurs peu en-
chns a l'enthousiasme de eireonstanee. On van-
tait néanmoins la modestie du généralissime, la
simplieité de son train; on admirait les princes
de Prusse, qui, vivant avee la mcmc simplicité,
la meme économie, étaient cantonnés dans un
village, n'ayant qu'une chambre et couchant
sur la dure.


Le roi était attendu a ~Iaycnce. Il ne partít
de Berlín que le 10 juillet.Partout sur son pas-
sage on avait préparé des fetes ponr le reeevoir;
mais il voyageait avee une extreme rapidité, ne
s'arretant presque nulle parto Son arrivée n'était
annoneée dans les villes que par les salves d'ar-
tillerie. Ayant passé la nuit a Erfurt, une magni-
fique illllmination y signala sa présence. Des
transparens adulatimrs mirent SOU5 les yeux du




n'UN HOMl\rE n'ÉTAT. 383
public des devises analogues aux: circonstances
et a l'esprit du momento On remarqua celle-ci:
Wilhelmus sibi virat, neo'¡rancos deleat, jura
re gis restituat 1 ; elle renfermait tout l'esprit de
la coalition.


Le baron de Hardenberg ayantété au-devant
du monarque prussien, en re~ut des témoi-
gnagnes de satisfaction relativement a l'organi-
sation et a l'état prospere oú se trouvaient déja
les principautés de Franconie, confiées a ses
soins. Frédéric-GuilIaume tenait singulierement
a ces nouvelles acquisitions de la Prusse, qui
dataient de son regne. Le roi, en s'entretenallt
avec Hardenberg de la campagne qu'il allait
ouvril' en personne, lui dit le sen s de ees pa-
roles: que la France ne scrait démembrée dans
aucune de ses parties; qu'on ne voulait point se
meler de son gouvernement intérieur; mais
qu'au préalabIe il s'agissait de rendre an roi sa
liberté, sa pleinc autorité, les ministres aux:
autels et les propriétés aux: propl'iétaires; du reste
que les Fran~ais devaient payel' tous les frais de
la gnerre, et que c'était de toute justiee.


Cependant l'état intérieur de la Franee n'é-
tait pas apprécié avec assez de sang-froid ni
de justesse par les cabincts; OH Y l'épugnait a


t C'est-a .. djre que Grlillalllne cvÍve pOllr sa gloire, ql/il anéant¿sst!
les nouycaax Francs, et 'lu'il rende au ROl tOllS ses droits.




384 MÉlUOIRES
admettre que les hommes les plus ardens et les
plus exagérés pussent entralner la nation tout
entiere et la maitriser. L'Autriche, dans ses
notes, ayant dénoncé diplomatiquement les ja-
eobins comme une secte isolée a laquelle seule
les rois faisaient la guerl'e, on vit les jacobins ,
relevant les gages du combat, dénoneer en re-
présailles un comité autrichien siégeant aux Tui-
leries eomme un centre secret d'opposition a la
liberté. Les ex-ministres Montmorin et Ber-
trand de MolIeville étaient désignés dans les
journaux eomme les artisans de ce comité qui
correspondait au dehors dans les intérets de la
contre-révolution; mais e' était surtout le roi et
la reine qu'on voulait compromettre. Leur po-
sition eritique s'aggravait non-seulement par rir-
ritation des passions popu]aires, mais encore a
mesure que la guerre extérieure se montrait plus
menar,;ante. Louis XVI, voyant ave e effroi la
guerre allumée au dehors, redoutait surtout ]a
guerre civile et les plus sanglantes représailles
contre les pretres et contre les nobles restés en
France. eette déso]ante perspective lui donna
l'idée d'envoyer un agent secret aupn~s de
l'empereur et du roi de Prusse, ponr obténir
de ces deux sonverains qu'ils n'agissent offim-
sivement qu'a la derniere extrémité, et qu'ils
fissent précéder l'entl'ée de leurs armécs dans le




n'UN HOl\fME b'ÉTAT . 385
. royaume d'un manifeste sage et mesuré. Mallet-
Dupan, observateur et publiciste profond, at-
taché par principes au systeme d'une monar-
chie tempérée, fut désigné par M. Malouet a
Louis XVI pour remplir cette mission. M. Ma-
louet avait figuré honorablemerit a l'assemblée
constituante, et il partageait les opinions du
publiciste génevois. l.ouis XVI savait d'ailleurs
que Mallet-Dupan était dévoué a sa personne.
N'osant pas néanmoins luí donner des lettres de
créances, iI chargea M. Bertrand de MollevilIe
de lui remettl'e, pour le maréchal de Castries ,
une leUl'e qui put accréditer ses démarches au-
pres de l'empereur et du roí de Prusse. Quant
a ses instructions, Mallet-Dupan les avait rédi-
gées lui-meme d'apres les bases arrthées par le
roi. S'étant mis en route, deux jours apres son
al'rivée a Geneve iI écrivit au maréchal de Cas-
tries la lettre suivante I:


« Monsieur le maréchal, anivé id avant-hier,
» je me pl'épare a en partir des les premiel's jours
» de la semaine prochaine pour me rendre en
» díligence aupres de vous, et pour vous con-
» sulter 'sur l'exécntion d'une mÍssion particu-
)} licl'c et secrete ponr laquelle j'ai l'el,{u des
l} instrtlctions du roí. Le salut de la monal'-


l' Datée de Geni:vc, le 21¡ mai 1 7~}2 ; nnus 1'arons abrégee pOlll'
n'en conscrver que les lrait. vraiment his\OI·;qufS.


L




386 MÚWIRES
)} ehie, eelui du roi, de sa familJe, la sureté des
» personnes et des propri~tés, la stabilité de
» l' ordre a venir, qui doit suecéder au boulever-
» sement aetuel , la néeessité d'abréger la erise et
» d'affaiblir les résistances, tout concourt a solli-
» citer l'attention et la condescendance des vrais
)} royalistes pour les vceux de sa majesté. Elle
» redoute avec raison que la guerre étrangel'e
» n'entraine une guerre civil e dans l'intérieur,
» ou plutot une jacquerie : e'est la l'objet de sa
» plus pénible sollicitude.ElIe désire ardem-
» ment, qu'afin de prévenir des horreurs in~al­
)} culables dont on rejette peut-etre trop légere-
» ment la possibilité, les émigrés ne prennent
» aueune part active et offensive dans les hos-
» tilités; qu'ils consultent l'intéret du roi, de
» l'État, de leurs propriétés, de tous les roya-
» listes de l'intérieur, plutot que de trop légi-
» times ressentimens, afin qu'apres avoir dés-
» armé le crime par des victoires et dissout une
» ligue frénétique d'usurpateurs sortis du néant,
)) et les réduisant a l'impuissanee de résister, OH
» puisse , par une révolution si salntaire, pré-
» parer les voies a un traité de paix dans leque!
» les puissances étrangeres et le roi sel'Out ar-
» bitres des destinées de la nation el de nos lois.


» Voila en substance , monsieur le maréchal,
) les intentions et les désirs de S. M.; vous en




n'UN HOMME n'ÉTAT.


» etes instruit depuis long-temps; je ne fais ici
» que vous les rap peler. Les con jonetures ne per~


.» mettent plus a la sagesse d'en.négliger 1'exa-
» men le plus sérieux. Tout sera facile dans le
» présent et dans l'avenir si on s'attaehe au plan
»de eonduite que S. M. reeomrnande, et tout
) se compliquera de périIs, d'ineertitudes et de
») difficultés si ron s'en écarte. C'est a vous seul,
» monsieur le maréehal, que je fais cette com·
» munieation préalahle ..... »


Mallet-Dupan ayant joint le maréchal de Gas-
tries en Allemagne, en obtint des lettres de
haute rccommandation, et aUa conférer d'a-
bord a Coblentz avee le duc de Brunswick,
ensuite a Francfort avec les ministres des cours
de Vienne et de Berlin, qui étaient a la suite
de l'empereur. 1\1ais ne pouvant appuyer sa
mission d'aucun titre, on n'eut I'air de 1'en-
tendre que par égaJ'd pom le maréchal de Gas-
tries. n écrivit aussitót a París qu'on ne l'écou~
tait qu'avec cireonspcetion, réserve et meme
défianee; or, qu'il ne pouvait se promettre au-
enn sueees de sa mission si on ne lui faisait
parvenir, par une voie sure, quelques mots
écrits de la main du roi qui le missent en état
de justifier qu'il était partí. de France par son
ol'dre, et qll'on pouvait l'entelldre et luí parler
avec confiancc. Le roi luí envoya les mots 5ui-




388 U:ÉJliOTRES
vans SUl' une· han de de papier de six pouces
de long sur deux de large : « La personne qui
» présentera ce hillet connait mes intentíons;
» on peut prendre confiance a ce qu'elle dira. »
Les ministres de Vienne et de Berlin ne pouvant
plus douter de la réalité de sa missíon, s'expli-
querent plus ouvertement et luí manifesterent
des dispositions favorables. Il sollieita une eon-
férence. On déeida qu'elle aurait lieu en pré-
senee du eomte PhiIippe de Cobentzel, du mi-
nistre de Prusse a la eour de Vienne, et du
général majorHeymann. Nous avons déj.?t fait
connaitre le eomte Philippe, vice - chaneelier
d'État; arretons-nous un moment sur les deux
autres personnages. Le premier, Chrétien-Henri-
Charles eomle de Haugwitz, gentilhomme silé-
sien, est le meme qui plus tard fut ehargé des
destinées p01itiques de la Prusse, que n'aurait
pu sauver a10rs qu'un granel homme d'État.
Haugwitz naquit en 1758 dans la terre de Krap-
pitz, appartenant a son pere, et située pres de
Hernhut, villes des freres Moraves. 11 fit ses étu.
ues a Gcettingue; et, sans rien a pprofondir, iI
montra néanmoins du gout ponr les lettres. Il
se lia de bonne heure avee de jeunes litt{~ratellrs
ib sa easte, pal'tiellliel'emeilt avcc les eomtes
de Stolberg. En entr:mt dan s le monde, il montm
un penchant excessif pour les plaisirs, et dans




389
ses goúts heaucoup d'inconstance. Toutefois la
filIe du général Tauenzien parut le fixer; iI l'é-
pousa, et crut d'abord avoir trouvé le bon-
heur pres d'elle. Porté par la tournure de son
esprit aux idées romanesques etsentimentales,
iI entreprit avec sa jeune épouse des voyages
lointains et pittoresques. 11 aUa d'abord en lta-
líe, et séjourna successivement a Venise et a
Florence : il eut des relations intimes dans cette
derniere vilIe avec Léopold, alors granel-dnc.
JI aUa aussi visiter la Suisse. La il vit le célebre
Lavater, qui , séduit par ses dehol's, lui trouva
une ressemblaoce frappante avec la tete du
Christ, mais qui, le scrutant, crut apercevoir
dan s son caractere un fomI d'immoralité. De
retour dans sa patrie, Haugwitz, qui avait pour-
suivi un bonheur imaginaire, détrompé par la
réalité et incapable d'ailleurs d'un sentiment du-
rabIe, se détacha de sa femme el demanda le
divórcc. Chcrchant des 10rs a s'ouvrir la route
des affaires, il se fit remarquer par une physio-
nomie heureuse, par une humenr aimable et
facile que réglait toute la finesse d'un conrtisan.
Introduit dans la société de :Frédéric-Guillaume,
il Y parut eomme une espece de Théosophe sa-
chant allierla mysticité aux plaisirs sensuels. Il
IJlut aja comtesse de Lichtenall 1, maltresse dll


I M.dnDle Rietz • créée comtesse de Lichtenau.




390 :l'trÉMOIRES
roi, et atl roí lllí-meme, qui , luí onvrant ]a car-
riere diplomatique, le namma, peu de temps
apres la mort de Léopold, envoyé extraordi-
naire et ministre plénipotentiaire a la cour de
Vienne. Quelqucs personnes assurent que déja
Léopold, apres ]a convention de Reichem-
baeh, l'avait demandé en eette qualité a Frédérie-
Guillaume, trouvant dans le baron de Jacobi,
attaché an systeme d'Hertzberg , et qui résidait a
sa eour, des obstacles a l'accom plíssement de ses
vues d'a1lianee avecIa Prusse. Quoi qn'íl en soit,
Haugwitz ne remplac;a le baron de Jacobi· que
beaucoup plus tard, n'ayant présenté ses leltres
de créance que le 23 mai 1 79~L 11 se trouvait a
Francfort a la suite de J'empereur.


L'autre personnage, le général major Hey-
mann, n'a jOllé dans ceHe premiere campagne
si décisive qu'lln role assez éqnivoque, et avec
plus de mystere que d'écIat. M:aréchal de camp
au servÍce de France au commencement de la ré-
volution, il commandait a Metz sous le marquis
de Bouillé, dont il sut captiver la confiance
malgré ses liaisons connnes avec des hommes
d'un parti contraire, tels que Biron, Dumouriez,
Dillon, Mirabeau. En 1790, BouilIé l'envoya en
Prusse a vec une mission particuliere; on le crut
a Berlin l'agent secret de Louis XVI, qui l'avait
personnellement reco~mandé a Frédéric-Guil-




391
laume. Quand Mirabeau, se rapprochant de la
cour, se cmt a la veille de disposer des po u-
voirs du gOllvernement, il destina I'ambassade
de Pmsse a Dumouriez, qui lui proposa d'y en-


I vOJer, sans caractere public, le général Hey-
mann, alors de retour en France. Dumouriez
connaissait, disait-il, pour lui une place plus
subalterne, mais bien plus importante, celle de
ministre plénipotentiaire a Mayence, pour de
la déjouer les complots des princes franc;ais
émigrés , au moyen de ses liaisons intimes avec
l'historien Jean de Muller, secrétaire du cabinet
et favori de l'électeur. Mirabeau étant mort,
Biron, peu de temps apres, fut envoyé él Metz
pour pénétrer les projets de Bouillé, qu'on pres~
sentait a Paris, et iI y revint accompagné d'Hey-
mann, qui demanda une audience a la reine: iI
l'obtint, et proposa un pbn concerté avec Biron
pour faire évadcr le roí et la famille royal e , et les
mettre en su reté soit en Alsace, soit clans une
~es places d~ commandement du marquis. de
Bouillé. La reine lui dit qu'elle prendrait les 01'-
dres du roi, qui, soupc;onnantun piége, tltremer-
cier Heymann, en l'assurant qu'il n'avait allCllne
intention de sortir de Paris, et que d'aillelll's iI
n'était pas assez sur des sentimens du maJ'quis de
Bouillé pour y avoir confiance. Jamais ni Hey-
mann ni Biron n'en parlerent él ce général, qui




I •


lItEMOrnES


ne sut ces circonstances que par Louis XVI. Six
semaines apres eut lien la tentative d'évasion.
Heymann , que le marquis de Bouillé , a la veille
de l'évéIiement, avait mis dans la con6dence,
suivit ce général hors du royaume, apres 1'ar-
restation du roi a Varellnes, et fut compris
dan s le décret qni le renvoyait a la haute-coUl~
nationale pour y etre jugé en contumace ave e
ses complices. Il reparnt alors á Berlin, y fut
accueilli par le roi, qui d'abord lui donna une
pension alimentaire, et l'attacha ensnite a son
état-major. Cependant on le dénonc;a an roí a
cause de ses liaisons eonnues avec des hommes
marquans de la révolution, et meme eomme
ayant fait manquer l'évasion de Louis XVI. Rey-
mann ne fut point embarrassé de se justi6er sur
ce dcruier chef; quant a scs liaisons, il n'en fit
point mystere : iI les motiva sur son extreme
désir d'obtenir de l'avancement par l'influcnce
de ceux memes qui dirigeaient la révolution, et
en OtItre sur ses intentíons secretes de se trouver
aínsi plus a portée d' etre utile a la cause du roi de
France, dont il invoqua le témoignage. Louis le
voyant au nombre des victimes de sa malheureuse
tentative le {it recommander de nouveau a Fré-


, ,


déric-Guil~ªuml -'. Le monarque prussien, qui pre-
nait intéret a He -nann, luí continua sa faveur;


, v.
11 le jugeait d'ai1I;ul's \. 'ltile ~l ses projets d'invasion




n'UN HOl\fJIfE n'ÉTAT. 393
en France, par ses anciennes liaisons avec des
officiers-généraux dont on espérait ten ter la
fidélité. Heymann se trouva ainsi en position de
servir en secret, -et autant que la prudence le
1ui permit, les deux missions de Custine fils a
Brllllswick et a Berlin, et ceHe -de M. Benoit
aupres du due de Brunswick, dont iI possédait
aussi la confiance. Trois semaines avant son dé-
part de Berlín pour l'armée, Frédéric-Guillaume
l'envoya en observation a Francfort pendant le
couronnement de l'empereur; et e'est de Frane-
fort meme qu'Heymann tit des démarches pour
etre appelé aux conférences que sollicitait Mal-
let-Dupan au nom de Louis XVI.


Elles s'ouvrirent le 15 de juillet, et durerent
deux jours. Le eomte de Cobentzel, le eomte
d'Haugwitz. et le général major Heymann exami-
nerent d'abord le titre de la mission du négocia-
teur; ensuite ils écoutercnt ave e une attention
extreme la lecture de ses instructions et de son
mémoire. Ses instructions étaient concues en


.


ces termes:
« l° Leroijoint ses prieres et ses exhortations


» pour engager les princes et les Fran«;ais émi-
)' grés a ne point faire perdre a la guerre ac-
)} tuelle , par un concours hostile et offensif de
)) lenr part, le caractere de guerre étrangere
» faite de puisJance a puissance.




394 ~IÉ~IOIRES
» 2° Illeur recommande expressément de s'en


» remettre a lui et aux cours interven antes de
» la discussionet de la sureté de leurs ¡ntérets,
» lorsqlle le moment d'en traiter sera venu.


» 30 Il faut qu'ils paraissent seulement parties
» et non arbitres dans le différend, cet arbitrage
» devant etre réservé a sa majesté lorsque la
»liberté lui sera rendue, et aux puissances qui
» l'exigeront.


» [lO Toute autre conduite produirait une
» guerre civil e dans I'intérieur, mettrait en dan-
» gel' les jours du roi et de sa famille, renver-
» serait le treme, ferait égorger les royalistes,
» rallierait aux jacobins tous les révolutionnaire~
» qui s'en sont détachés et qui s'en détachent
» chaque jour, 1'animerait une exaltation qui
») tend a s'éteindre, et rendrait plus opiniatre
)1 une résistance qui fléchira devant les premiers
» sucd~s lorsque le sort de ]a révolution ne pa-
» 1'a1tra pas exclusivement remis a eeux eontre
» qui elle a été dirigée, et qui en ont été les vic~
» times.


» 5° Représenter aux eours de Vienne el: de
» Berlin l'utilité d'un manifeste qui leur serait
» commun avec les autres états qui ont formé le
» concert,etl'importance de rédiger ce manifeste
» de maniere a séparer les jacobins du reste de la
» nation, a rassurer tous ceux qui sont suscepti-




n'mr HOM~rE n'ÉTAT. 395
» bIes de revenir de leur égarement, ou qui,
» sans vouloir la eonstitution aetuelle , désirc=mt
» la suppression des abus el le regne de la liberté
» modérée sous un monarque a l'autorité du-
» quel la loi meUe des limites.


» 6° Faire entrer dans eette rédaction la vé-
» rité fondamentale qu'on fait la guerre a une
» faction anti-sociale, et non pas a la nation
» fran<;aise; que l'on prencl la défense des gou-
» vernemens légitimes et des peuples eontre une
» anarchie furieuse qui bl'ise parmi les hommes
» tous les liens de la sociabilité, toutes les con-
» ventions a l'abri desquelles reposent la liberté,
» la pai~, la sureté publique au..;dedans et au-
» dehors; rassurer contre toute crainte de dé-
» membrement, ne point imposer de 10is, mais
» déclarer énergiquement a l'assemblée, ame
» corps administratifs, aux municipalités, aux
» ministres, qu'on les rendra personnellement
» el individuellement responsables dans leurs
}) corps el biens de tous attentats commis contre
» la personne sacrée du roí, contre ceHe de la
» reine et de leur fa m ilI e , contre les personnes et
» les propriétés de tous citoyens quelconques.


» 7° Exprimer le vreu du roi qu'en entrant
» dans le royaume, les puissances déclarent
» qu'eIles sont pretes a donner la paix, mais
» qu'elles ne traiteront ni ne peuvent traiter




396 l\U~l\IOIRES
» qu'avec le roi; qu'en conséquence elles recjuie~
» rent que la plus entiere liberté luí soit rendue,
)1 et qu'ensuite on assemble un congres ou les
» divers intérets seront discutés sur les bases
» déja arretées, Ol! les émigrés seront admis
» comme parties plaignantes, et ou le plan gé-
» néral de réclamation sera négocié sous les
» auspices et sous la garantie des puissances. »


Le mémoire que lut Mallet-Dupan n'était
que le développement et le commentaire par·
faitement raisonnés de ses Ínstrnctions, avec
des éc1aircissemens propres a fixer les idées sur
le véritable état des choses. Il insistait particu-
lierem~nt sur l'esprit dans lequel devaitetre ré-
digé le manifeste des puissances; il demandait,
au nom du roi Louis XVI, qu'il y fut déclaré
que l'empereur et le roi de Prusse, forcés de
prendre les armes par l'agression injuste qui
leur avait été faite, n'attribuaient ni an roi ni a
la nation, mais a la faction qui les opprimait
l'un et l'autre, la déclaration de guerre qui
lenr avait été notifiée; qu'en conséquence, loin
de se départir des sentimens d'amitié qui les
unissaient au roi et a la France, leurs majestés
ne combattraient que pour les délivrer <lu joug
de la tyrannie. et pour les aider a rétablir l'au-
torité légitime violem~ent nsurpée, l'ordre
et la tranquiUité> le tout sans entendre s'im-




n'UN HOM~IE n'ÉTAT. 397
miscer en aueune maniere dans la forme du
gouvernement, mais pour assurer a la nation
la liberté de choisir celui qui lui eonviend.'ait le
mieux; que toute idée de conquete était bien
loin de la pensée de leurs majestés; que les pro-
priétés particnlieres ne seraient pOas moins res-
pectés que les propriétés nationales; que leurs
majestés prenaient sous lenr sauve-garde spé-
ciale lOus les citoyens paisibles et fideles; que
leurs seuls ennemis , comme ceux de la France ,
étaient les factieux et leUl's adhérens, et que
leurs majestés nevoulaient connaitre et com-
battre qu' eux, etc. , etc.


Les ministres présens demanderent a l'en,Voyé
du roi copies de ses instructions et de son mé-
moire, et renvoyerent la suite de la conférence
au lendemain. Des qu'on se fut rassemblé, le 17,
les ministres reconnurent que les vues propo-
sées par I'agent de Louis XVI s'accordaient par-
faitement avec celles que ce prince avait an-
térieurement manifestées aux cours de Vienne
et de Berlin, qui les avaient respectivement
adoptées. lis témoignerent en conséquence a
Mallet-Dupan une entiere confiance ,et approu-
vel'ent le projet de manifeste qu'il leur propo-
sait. lIs luí déc1arerent qu'aucune vue d'ambí-
tion , d'intéret personnel OH de démembrement
n'entrait dans le plan ue la guerre, et que les




398 lIfÉMOIRES
puissanees Ji'avaient d'autres vues, d'autre inté-
r~h que eelui du rétablissement de l'ordre en
France, paree qu'aucune paix ne pouvait exister
entre el/eet ses voisins tant qu'elle serait livrée
a l'anarchie, ce qui les obligerait a entretenir
des cordans de troupes sur toutes les fron-
tieres et des précautions de sureté tres-dispen-
dieuses; mais que, Jain de prétendre impaser
aux Fran<;ais aucune forme de gouvernement,
011 laisserait le roi de France absolument le mal-
tre de se concerter a cet égard avec la llation.


Le comte de Haugwitz désirait des éclair-
cissemens sur les dispositions de l'intérieur et
sur l'état d'effervescence de la capitale. Mallet-
Dupan avoua que le refus du roi de persécuter
les ministres de la" religion et l'approche des
dangers de la guerre avaient rendu sa position
extremement critique, et serví meme les fac-
tieux dans leur dessein d'exaspérer le peuple;
que I'assemblée nationale, apres avoir com-
mencé par licencier la garde constitutionnelle
du roi, avait déc1aré la patrie en danger, aggra-
vant ainsi la situation de Louis XVI, et d'un
autre coté affaiblissant de plus en plus le partí
constitutionnel, qui ne montrait aucnne éner-
gie; que l'impuissance de M. de Lafayette se
montrait antant (hns la gnerre qne dans l'inté-
rieur; qu'une souveraineté toute nouvelle ve ..




D'UN H01\fME n'ÉTAT.
nait d'etre procIamée au cri de vive [es sans-
·culottesl et que le 20 juin le maire Pétion avait
légalisé, suivant son expression, un attroupe-
ment armé de cette élite de la populace ql1i, en-
trant de vive force au chateaudes Tuileries, avait
insulté et menacé tour a tour le roí et sa famille;
que c'était la un essai de la faction républicaine,
qui se renforc;;ait defédérés venus du Finistere
et de Marseille; que leur dessein ~'était pas
équivoque, le maire de Marseille, au moment
de lenr départ, lellr ayan t adressé lni-meme ces
exécrables paroles : Vous allez ti Paris com-
battre le tyran; sa téte sera votre victoire; sa
téte sera votre récompense! Il était a craindre,
ajouta Manet-Dupan , que les dispositions des
révolutionnaires de París ne fussent combinées
a l'avance sur eeHes des forces impériale et prus-
sienne vers la fmntiere, les armées ayant mis
trop de lenteur a se porte!' sur le Rhin, tandis
qu'aParis les attrollpemens, les rixes, les émeu-
tes, se multipliaient et présageaient une catas-
trophe. Déji:t les séditieux enveloppaient telle-
ment le roi, qu'ils ne lui laissaient plus d'autre


\
moyen de salut que dans l'élan d'nn courage mi-
litaire, que le ciel ne lui avait pas départi.


Les deux ministres ne voyaient pas les affaires
de Franee avee la meme profondeur de vues ni
avec la meme justesse, leur confiance dans les




,400
forces de la coalition qui se développait n'étant
point encore affaiblie par l'expérienee ni par
une plus sérieuse appréciation de l'état moral
des esprits. Le eomte de Cobentzel, revenant au
but de la eoalition, questionna Mallet-Dupan
sur l'opinion publique relativement a l'ancien
régime, aux parlemens, a la noblesse; et les
deux ministres parlerent avec humeur et pré-
vention des prinees fran<;ais, auxquels ils pre-
taient des intentions entierement opposées a
ceHes du roi, et notamment ceHe de se rendre
indépendans et de créer une régenee. Mallet-
Dupan observa qu'on ne devait pas jugel' des
intentions des prinees par les propos légers ou
exaltés de quelques-unes des personnes qui les
entouraient. Enfin, apres avoir discuté les diffé-
rentes demandes et propositions sur lesquelIes
iI était chargé d'insister, les deux ministres el
le général major Heymann en reeonnurent la
sagesse et ]a justesse, et ]uí donnerent les as-
suranees les plus formelles que les vues du roí
étant parfaitement coneordantes avee ceHes des
puissances seraient exaetement suivies.


Reganlant sa négoeiation eomme terminée,
Mallet-Dupan partit de Francfort le 20 juillet, et
reprit la route de Geneve. Toutefois l'objet de
sa mission n'ayant pu parvenir a la eonnais-
sanee des monarques aUiés qu'avee le l'ésultat




n'UN JIO:r.IME n'ÉTAT. 401
des dernieres conférences, iI était déja trop tard
alors pour que les relations des cabinets fussent
encore susceptibles d'en etre modifiées. Les
monarques étaient en route pour s'aboucher a
Mayence, et tellement pressés soit par les événe·
mens, soit par la nécessité d'agir, qu'illeur restait
a peine assez de temps pour délibérer sur l'en-
semble de leurs projets. D'ailleurs les intentions
de Louis XVI leur étaient connues, et ils pen-
saíent y avoir conformé leur politiqueo Maís
quant a l'opportunité de leurs secours, tout
semblait leur faire un devoir de n'en plus sus-
pendre l' effet.


L'électeur de Mayence partí de Francfol'tle 16
juillet était venu présider a la réception des au-
gustes voyageurs. L'empel'eur fit son entl'ée a
Mayence le 19 avec sa suite : on lui fit un ac-
cueil pompeux. A cinq henres apres midi arriva
le monarque prussicn accompagné de son fils
atné le prince royal. On le rc<;ut avec les memes
honneurs décernés au chef de l'Empíre, chez qui
Frédéric·Guillaume se fil conduire sur.le.champ.
Il parut ému en serrant dans ses bras le prince
qui venaít de recueillir le vaste héritage de Léo-
poId son pere, descendu si subitement dans la
tombe, et avec lequel, il n'y avait pas encore un
an, le roi s'était abouché a Pilnitz. Le duc de
Brunswick, le margrave de Bade, le landgrave


1. 26




lIfÉMOIRES


de Hesse-Darmstaelt et le prinee ele Nassau-
Siégen assisterent a l'entrevue. Ce qui ajoutait a
S3 gravité, e'est qll'on se proposait d'y régler dé-
finítivement les hauts intérets débattus a eette
premiere époque, et devenus bien plus pressans
par les délais et par un concours de circonstan-
ces mena<;antes. La révolution, qu'on se décidait
enfin a eombattre corps a corps, prenaít un ca-
ractere gigantesque et des formes plus terribles.
La monarchie constitutionnelIe tombait pil~ce a
piece SOtlS les coups répétés c!'une démocratie
exaspérée, que la guerre du dehors rendait fu-
ríeuse. Louis XVI voyait chaque jour ses faíbles
appuis luí échapper. Son or n'achetait que la
trahison. Paris était visiblement a la veille d'une
catastrophe ; et Louis, objet des appréhensions
des deux monarques, attcndait les derniers
eoups dont on allait le frapper.


C'était devant une perspective si inquiétante
que les deux souverains s'abouchaíent et en
veuaíent a délibérer en commun. Les informa-
tiOflS sueeessives qu'ils reeevaient par la voie
de Bruxelles attestaient les perplexités et les ter-
reurs auxquelles le roi el la reine de France
étaient en proie.


Tout ce qu'on avait mis en délibération soit a
Magdebourg, soit dan s les eonférences entre les.
ministres des deux couronnes, fut plus ou moins




n'UN HOMME n'ÉTAT.


réglé d'un commun accdrd entre les deux sou-
verains. lIs examinerent d'abord le plan de-cam-
pagne, dont on conserva les bases d'apres les-
queIIes les émigrés ne devaient jouer qu'un role
secondaire. L'etnpereur ne se réserva que la
direction supreme de son armée des Pays-Bas,
commandée par le duc de Saxe - Teschen. Ton-
tefois quinze mille hommes devaient en etre
détachés pour couvrir la droite de l'armée du
roi de Prusse, et s'y joindre pres de LOllgWy.
Une autre armée autrichienne, rassemblée sur
le moyen-Rhin, sous les ordres du prince de
Hohenlohe - Kirchberg, et qui s'élevait a vingt
miUe hommes, devait se por ter entre le Rhin
et la Moselle, pour couvrir la gauche des Prus-
siens, menacer a]a {ois Landau et Sarre-Louis,
et faireen meme temps le siége de Thionvi1Ie.
Un troisieme corps d'armée, celui du prínce
d'Esterhazy, rassemblé dans le Brisgaw et ren-
forcé sur le Haut-Rhin de cinq mille émigrés,
sous les ordres du prince de Condé, était destiné
a menacer les frontieres de France depuis la
Suisse jusqu'a Philipsbollrg. On ne demandait
au roi de Sardaigne d'autre concours que de
res ter en observation sur le Var et sur l'Isere.
Enfin iI fut résolu que les opérations offensives
commenceraient dans les premiers jours d'aout;
que la France seraitattaquéeimmédiatement par




404 3IÉlIIOIRES
l'armée d'invasion son s les ordres du duc ré~
gnaut de Brunswick, et que le roi de Prusse suí-
vrait l'armée en personne, pour présider soit
aux négociations soit aux combats qui seraient
jugés nécessaires.


La question si délicate du manifeste destiné
a etre publié an moment de l'invasion, et dont
l'effet fut si contraire á celni qu'on en espérait,
ne fut pourtant l'objet d'aucun dissentiment
entre les deux monarques. Mais cette partie
de l'histoire de la campagne de 1792 ll'étant pas
encore bien connne mérite une explication.


Déjá le cabinet de Vienne avait fait un ma-
nifeste purement autrichien : la, rappelant les
griefs des princes de l'Empire, la fausse inter-
prétation donllée á la protection qu'on avait ac-
cordée aux émigrés, le rassemblement d'une
armée fran~aise menal,;ant les Pays-Bas, la capti-
vité un roi, l'allarchie de la France, et le danger
des trónes, le cabinet d'Autriche en déduisait la
nécessité de rendre a la France son ancien gou-
vernement.


La cour de Berlín avait crtl devoir aussi s'ex-
pliquer au moment ou ]a marche de ses tl'Oupes
vers le Rhin n'avait plus laissé aucun doute sUl'sa
résolution offensive. Rédigée avec sagesse, sa
déc1aration, sOl'tie du cabinet de Frédéric-Guil-
]aume, avait re/fu le titre modeste de iJ'lotifs du




D'eN HO~fl\IE D'ÉTAT. 405
roi de Prusse pour prendre les armes C01ltre la
Franee!. Ces motifs s' appuyaient sur les droits des
prinees allemands, sur le danger de la propagation
des principes révolutionnaires et sur l'agression
des Fran<;ais contre l'allié de la Prusse et contre
l'Empíre. Le roí y motívait plus particuliere-
ment sa déterminatioll sur les déclarations an-
téríeures faites par son ordre, et a plusieurs
reprises, au ministere de sa majesté tres-chré-'
tienne : « qu'il marcherait invariablement, a
» l'égard des affaires de :France, SUl' la meme
) ligne que sa majesté apostolique ..... » Lebut
des armemens du roí y était également exprimé.
« Il n' est aueune puissance, disait le monarque
~ prussien, intéressée an maintien de l'équili-
» bre de I'Eu~ope a laquclle iI puisse etre in-
)) différent de voir le royanme de France, qui
» formait jadis un poids si considérable dans
» ceUe grande balance, livré plus long-tcmps
» aux agitations intérienres et aux horreurs da
» désordre et de l'anarchie, qui ont pour ainsi
» dire anéanti son existenee politique; iI n'est
» aucun Fran<;;ais aimant véritablement sa pa-
» trie qui ne doive désirer ardemment de les
)) voir terminées..... Faire cessel' l'anarchie en
» France, y rétablir pour cet effet un pouvoir
» légal sur les bases essentielles d'nne forme mo-


r Date de Bedin, le 26 juin 179"




406 .i\lbWIRES
» narchique, rassurer par HI. meme les autres gouo
» vernemens contre les attentats et les eHorts
» incendiaires d'une troupe frénétique : tel est
» le grand objet que le roí, conjointement avec
» son alIié, se propose encore, assuré dan s cette
» noble entreprise non-seulement de raveu de
» toutes les puissances de l'Europe, qui en re-
» connais<;ent la justice et la nécessité, mais en
» général du suffrage et des vamx de qniconque
» s'intéresse au bonheur du genre humain. »


Ils'agissait maintenant de proclamer un maní-
feste offensif au nom du généralissime des armées
combinées a son entrée en Franee. Les ministres
de l'empereur et eeux uu roi de Prusse s'étaient
montrés indécis, a leurarrivée a Francfort, sur la
maniere dont il serait convenable de rédiger une
déclaration sí importante. On pensa néamnoins
qu'elie uevait etre énergique et faite d'un ton me-
na<;ant; en un mot, que puisqueles révalutiounai-
res de París s'attachaient a porter la terreur dans
l'amedela famílle royaleetdes royalistes del'inté-
rieur, ce serait un eoupdeparti que d'essayer, par
représailles, de frapper d'une terreur salutaire
des hommes dont on ne calcula point assez rau-
dace ni la pragression des attentats. Vayant l'in-
eertitude ql.li 1.'égnait a cet égard, le marquis de
Liman, par l'impulsion de M. de Calanne, s' of-
11.'it a rédiger le manifeste; les ministres de rem-




n'UN HOIlDIE n'ÉTAT.


pereur y cow3cntirent. Geoffl'oi, marquis de
Limon, d'abo'l'd intendant des finan ces du due
d'Orléans, avait embrassé, de JIleme que ce
prince, la révolution avec chaleur; mais, chan-
geant bientot d'opinion, il était venu se ranger,
en 1791. dans l'émigration, et, depuis lors, iI se
faisait remarquer parmi les royalistes les plus
ardens.


Le ma:-- fes te ainsi rédigé, il le remít luí-
meme a l'empereul' a Francfort avant l'arrivée
de Frédéric-Guillaume. L'emperellr l'ayant ap-
prouvé, le cornmunÍqua an roi de Prusse a
Mayence, qui y adhéra également. Il n'en fut
pas de meme du dllc de Brllnswick : ille jugea
tout autrement -que les deux monarques. Le roa-
nifeste lui déplut souverainement, et ill'eut vo-
lontiers anéanti quand on vint le lui porter a la
signature. lVIais I'approbation de l'cmpereur et
du roi de Prusse lui en imposa. Ce prince aimait
tanta pla-ire, et ses ~apports avec le roi inflllc-
rent tellement sur sa détermination dans cette
circonstance grave, que, n'osant témoigner son
opinion tout entiere, il ne se permit devant le
roí que des observations de détail. « Il faudrait
» cependant, dit-iI, faire quelques changemens
» a ce manifeste et en adollcir quelques phrases,
JI si on ne vent pas encourir le reproche d'incon-
» venance. Je m'entendrai a cet égard avec les




408 MÉlUOIRES
» ministres respectifs si les monal'ques le per-
» mettent. »


lIs y consentirent, et le due entra aussitot
en conférenee avec le feld-maréchal eomte de
Lascy, le eomte Philippe de Cobentzel, le baron
de Spielmann, le ministre de Prllsse eomte de
Schulenbollrg, et le conseiller intime Renfner.
Tous adhérerent aux vues mitigées du dnc de
Brunswick; on effac:;a plusieurs passages trop
durs, et le conseiller Renfner fut chargé de
eoudre les parties disjointes du manifeste ainsi
modifié. Le due crut alors en avoir fait assez. IL
n'était pas content de l'ensemble, qu'il n'osa
pas condamner, se bornant a des eorreetions de
détail qui ne faisaient pas disparaitre ce que
pouvait avoir d'impolitique eette déclaration
solennelle; en un mot iI n'en sentit pas assez
les conséquenees.


M. de Limon trouva les changemens tres-dé-
plaeés, et iI déelara que le manifeste ainsi mu-
tilé ne ferait plus anenne impression sur les
esprits l. Si ron en eroit quelques personnes
alors a la snite du due de Brunswick, ce n'est
qu'apres la signature qu'on aurait introduit la


, Plus tard il réclama les honoraires de son Iranil; mais le roi de
Prusse n'étant plus alors de son opiuion, lui lit répollnre que c'ft.it
¡, ceuX qui lui avaient donné I'ordre de rediser le monifeste ¡. le ré-
eowpeD~cl·.




D'UN HOlUlUE D'ÉTAT. 4°9
phrase par laqueIle le duc mena«;;ait, en cas
d'attentat contre le roi de France, de tirer une
vengeance exemplaire et a jamais mémorable
de París, en livrant cette capitale a une exécu-
tíon militaire et a une entiere subversion. Le
duc, prenant alors l'exemplaire qu'on lui pré-
sentait ainsi interpolé, raurait déchiré avec indi-
gnation, sans toutefois oser le désavouer. Ceci
tendrait a accréditer les bruits répandus a la
meme époque, avec une intention maligne
sans Joute, par des personnages diplomatiques
et de l'émigration fran«;;aise, sur les motifs se-
crets qui auraient guidé les deux monarques
dans eette eirconstance. L'empereur et le roi de
Prusse n'avaient pas ignoré, dirent-ils, les me-
nées pratiquées aupres du duc, ni les offres in-
sidiellses a lui L'lites pour le porter a embrasser
]a défense de ]a révolution; et les deux souve-
rains, en le mettant dans ]a nécessité d'apposer
sa signature an bas d'une telle décIaration, eru-
rent s'assurer par-la qu'il agirait avee une plus
grande énergie contre la France, et ne serait
plus dans le cas de preter l'oreille a aueune pro.
position contraire a Ieurs vues politiques.


Par une singuliere cOInciden ce , le Moniteur 1
d'alors, déja réputé le journal officiel de la ré-
volution , présenta la réflexion suivante a ses


, Du 3 aout 1792.




lIfÉlIIOIRES


lecteurs, en publiant la déc1aration du duc de
Brunswick, et en cherchant a soulever a ce su-
jet l'opinion nationale : « Nous n'y voyons, dit-
)1 iI, qu'un démenti donné d'une maniere éc1a-
» tante ala faction dominatrice qui a eu l'audace
» d'attribuer aux amis de la constitution 1 1'ab-
» surde dcssein d'appcler M. de Brunswick au
») trone constitutionnel de France ..... »


Le duc, apres 1'évencment, appela toujours
cette déclaration le déplorabIe manifeste, et se
servit meme, pour la qualifier, d'expressions en-
core plus fortes. Sans chercher a en faire id
l'apologie, nous dirons pourtant que les puis-
sanees alliées y déclaraient, par l'organe de leur
généralissime, qu'elles ne fera¡ent point de con-
quetes sur la France, et qu'elles ne voulaient
point s'immiscer dans son gouvernement inté-
rieur. A la vérité le généraIissime faisait en leur
nom la menace de traiter en rebelles ceux des
gardes nationaux qui seraient trouvés les ar-
mes a la main, comme si les droits de la guerre
n'imposaient pas l'obligation de traiter la milice
d'une nation comme la troupe de ligne! Quant a
la menace dirigée contre Paris, elle n'était que
comminatoire.


Si l'on considere l'exaspération des esprits
a cette époqucO, on ne s'étonnera pas qu'on ait


I ConslitutioTl qui~ sept jours apres, allait ~tre renversée.




n'UN HOMIUE n'ÉTAT. 411


rédigé ce manifeste de maniere á chercher a pa-
ralyser par la terreur le parti qui voulait sacrifier
le treme, le roí et sa famille a l'indépendance
nationale. Il est de fait que Louis XVI était dans
la déplorable situation de désirer le secour~ des
coalisés, et que, de son coté, le partí soulevé
contre ce prince avait un immense intéret a s'a-
surer de S3 personne. 01' comment a-t-on pu
rendre publique ccUe déclaration des puissan-
ces avant qu'il flit possible de réaliser les me-
naces qui y étaicnt exprimécs? C'était aux por-
tes de Paris, ou au moins apres avoir franchi la
Marne et s'etre emparé de Chalons, qu'il an-
rait faUn la promulguer, et alors pourquoi
ne pas marcher plus vi te et avec une volonté
plus décidée? Sous le point de vue politique ,
voila ]a EmIte; cal' ce ne fut pas le manifeste en
lui-meme qui suscita les obstacles réels qui s'op-
poserent an succes de l'expéditioI1 en Cham-
pagne. Elle échoua militairement, comme on va
le ,'oir, par une série de fausses combinaisons
et de fautes déjil. condamnées par l'inexorable
histoire.


Enfin on a dit que le manifeste avait accé-
léré la catastrophe du 10 aout. Qu' on ouvre le
Moniteur de l'époque : il est plein de révéla-
tions authentiques sur ceUe conspiration contre
la cour~ ainsi qu'elle y est désignée; on y voit




~IÉJlroIRE~
qu'elle devait éclater prímitivement le 29 juillet.
Or la déclaration du duc de Brunswick n'était
point connue a París a cette époque. Elle ne
fut publiée a Coblentz que le 25 juillet, le jour
meme de l'arrivée de Frédéric-Guillaume au
camp prussíen.


Le séjour des deux monarques a Mayence
avait été de courte durée. Le roí de Prusse , im-
patient de se mettre a la tete de son armée,
s'était dirigé en hate vers Coblentz. L'empel'eur,
se reposant sur son alIié du soin de l'expédition
off en si ve, avait pris la route de Prague en passant
par Munich. Son COUl'onnement de Boheme de-
vait suivre le couronnement impérial, qui avait
été précédé par celui de Bude eomme roi de Hon-
grie. Ainsi la triple eouronne allait orner le front
du chef actuel de l'Empirc, qui, dans la série des
nouveaux empereurs d'Allcmagne, fut nommé
alors Fran<,;ois n.


A son al'rivée a Coblentz, le roí de Prusse
passa la revue de la plus grande partie de ses
troupes qui, traversant le Rhin, étaient venues
occuper des cantonnemens a Rubenach et aux
environs. Le 28 juillet tous les généraux s'étant
réunis au chateau de Schonborn-Lust, le roi.
tenant le prince :Frédérie-Louis par la main, et se
tournant vel'S le général Kalkreuth, réeemment
déeoré du granel ol'dl'e de l'Aigle noir: de vous




n'UN HOMME n'ÉTAT.
» remets ici mon fils , lui dit·il; c'est vous qui
» le formerez désormais; faites-en un honnete
» homme et un hon soldat. l)


Ce jour-Ia meme les derniers corps prussiens
arriverent au camp, et le 30 juillet l'armée se mit
enfin en marche sur trois colonries, longeant
la rive gauche de la Moselle et la remontant vers
Treves; elle franchit avec lenteur les défilés de
Martinsthal et d'Ishach; et, traversant la Mo-
selle a Treves le 5 aout) vint camper aux envi-
ron s sur les hauteurs de Kons, pres le confIuent
de la Sarre. Le roi s'était portédeCohlentz a Bin-
gen pour y passer en revue l'armée des princes
fran~ais: cette armée se composait d'infanterie et
de cavalerie noble. L'infanterie, renforcée par
une brigade irlandaise, obéissait au commande-
ment du maréchal de Broglie. La cavalerie, sous
les ordres du maréchal de Castries , ne comptait
pas moins de quatre mille chevaux ou quatl'e-
vingt-dix escadrons, de la plus riche tenue, et
formée presque en entier d' officiers. Douze mille
hommes composaient ceUe armée des princes
destinée a suivre la ligne d'opération du roí de
Prusse. Les princes ayant témoigné au roi le
désir qu'aurait en la nobles se fl'an<,;aise de mar-
chelo en premiere ligne: (( Je fais la contre-
» révolution ponr sauver le roí et la noblesse
» de France, répondit le roí; si je l'exposais,




MÉMOIRES


» si je la faisais écharper, pour qui aurais-je tra-
)/ vaillé?» Etant venu rejoindre son armée
aTreves, le roí établit son quartier - général
au couvent des Chartreux: de la il prome-
nait ses regards sur toute son armée, sur une
~rtiUerie formidable, sur une cavalerie impo-
sante; iI voyait autour de lui soixante milIe
combattans, et il paraissait fier de ce spectade.
Il assembla ineontinent ses généraux pour
arreter les dernieres mesures de la campagne.


, Les émigrés vinrent former lenr eamp aTreves,
derriere l'armée prussienne, et les princes s'y
rendirent a la tete de lenr eavalerie. La, Mon-
sieur, frere da roí, publia, le 8 aout, con-
jointement avee les autres princes émigrés,
une déclaration sur les motifs de leur entrée
en eampagne, et contenant I'exposé deleur con-
duite, de leurs sentimens et de leurs intentions.


Deux jours apres (le 10 aoÍl t) les deux armées
réunies étant encore immobiles dans le eamp de
Treves, le trolle constitutionnel de LouisXVI fu t
renversé par la puissanee du peuple, et ce mal-
heureux prince, déchu de la royanté, fut jeté
dans la tour du Temple a vec sa familIe. Voíci com-
ment avaít été préparé cet immense événement.
Déja 011 avait mis en question, dans le Corps-
Législatif, sí le roí, aux termes de l'acte consti-
tutionnel, n'avait pas eneouru la déchéallce; et




D'UN HOMME D'ÉTAT.


ceci cOlncidait avec la conspiration populaire
qui était a la veille d'éclater, quand, le 2
aout, arriva le manifeste mena<,;ant du duc
de Brunswick. Paris, déja. livré dans ses qua-
rante - huit sections délibérantes a toute la
confusion d'une ochlocratie tumultueuse, fut
aussitot en proie au plus haut degré d:effer-
vescence et aux passions hostiles des agitateurs.
Tels furent les sinistres présages de la journée
du 10 aollt.


Les princes freres de Louis XVI et les prin-
cipaux émigrés pressentaient la catastrophe : ils
pressaient, ils conjuraient le roi de Prusse de
hater sa marche. Dans le~lr impatience ils au-
guraient favorablement des paroles pleines de
franchise et des intentions chevaleresques
de ce monarque, qui montrait l'empresse-
ment le plus vif d'arriver a temps au secours
du roi de :France. Le 12 aout, faisant lever le
camp prussicn, Frédéric-Guillaume se mit de
nouveau en marche a la tete de son armée, qui
défila le long de la Sarre.


Le meme jour , au lever du soleil , les troupes
légeres prussiennes pénetrent sur le territoire
fran<,;ais, occupent Rodemakeren, sur la rive
gauche de la Moselle, et la petite ville de Sierck
situé e sur la rive droite. Quelques habitan s de
Sierckayant tiré des fenetres de leursmaisons sur




MÉMOIRE5


les Prussiens', il s'ensuivit une exécution mili-
taire, et ee triste début fit une impression fft-
cheuse. Toute l'armoo s'avam;ait vers Monfort,
qui n'est qu'a deux lieues de Luxembourg; elle y
campa le 15, et y prit une position défensive.
Le meme jour le roi de Prusse, a eheval,aceom-
pagné <Iu prinee royal et du prinee Frédérie-
Louis, d'une nombreuse suite de généraux
et officiers de son armée, alla visiter la forte-
rcsse de Luxembourg, ainsi que le fort de
Boue, taillé dans le roe. Il fut eomplimenté sur
la place d'armes par l'état-major autriehien et
par tout le eorps d'offieiers. La vinrent le
haranguer un assez grand nombre d'ecclé-
siast~ques émigrés « Le royaume de France,
» lui dirent-ils, fut long -temps l'asile des pon-
)) tifes, des prinees malheureux et. perséeu-
) tés: elle leur ouvrait son sein; elle s'armait en
)) leur faveur. Que les temps sont ehangés! L'ar-
)) bitre supreme des rois et des royaumes de la
)) terre vous investít aujourd'hui, sire, de cette
)) mission eéleste, la plus flatteuse pour un ereur
» magnanime : e'est a vous spécialement a re-
)) placer sur son trone le fils ainé de l'Église,
») l'ainé de lous les roí s de la ehrétienté. NOlls
» sera-t-il permís de le dil'e? Si on peut lui re-
) proeher d'avoir été trop clément, e'est que le
) sang de Henri IV coule dan s ses veines. ) Le roi




l'épondit qu'il s'íntéressait vivement au sort du
clergé de France, et qu'il en donnerait bientot
des preuves. Ne s'arretant que peu d'heures a
Luxembourg, ii reto urna le meme jour avec sa
suite an camp de Montfort, que le duc de Bruns-
wick ne paraissait pas pressé de lever. La par-
vinrent au quartier-généralles premieres infor-
mations sur les événemens dont Paris venait
d'etre le théátl'e: elles farent apportées par un
agent de MONSlF.UR, frere ou roí, qui était parti
de París immédiatement apres la catastrophe.
Son récit parut toucher le due de Brunswick.
« Si nons nc pou vons plus arriver a temps poul'
J) sauver le roi, dit Frédéric-Guillaume, marchORs
» pour sauver la I'oyauté. »


L'armée prussienne décampa le 18, et poussa
rapidement son avant-garde, qui scmblait me-
nacer a la foís Thionvílle et Longwy. Enfin le
lendemain, apres avoír mis vingt jours a faire
quaran te licues, le due de Bl'unswick franchit
avec toute l'al'mée les frontieres de France, et
vint camper a Tiercelet; la il se réunit au corps
autrichien du général Clairfait. On tint· con-
seil; le duc parnt effrayé du dénouement de la
journée du 10 aout. JI n'auguraít ríen de favorable
de la trollée qu'on voulait hasarder dans un pays
dont la popnlation se montrait si 3nimée, si ~xa[­
tée, qu'elle venait de force!' le palais de son roí


L 27




de massacrer srs gardcs, et de jeter le roí lui-
meme dans une tour avec toute sa famille. Mais
Frédéric-Guillanme, s¿n ministre Schulenburg,
les membres du corps diplomatique et les chefs
des émigrés ne voyaient dans. ce nouvel attentat
qu'un motif de plus d'accélérer la marche. (e Quel-
» que affreuse que soit la position de la famille
}) royal e , disaient-ils, les armées ne doivent pas
»,rétrograder. » Le roí s'en expliqlla avec plus
de fermeté encare (( Je désire de tont mon creur,
» dit-íl, d'arriver a temps pour délívrer le roí de
» France, mais mon premier <levoir est de sau-
» ver l'Europe. »


.L'armée des princes frall(,;ais pénétra en Franee
seulement le 29 aout, mais avec une satisfaetion
visible. On y était généralement persuadé qu'on
marchait directement sur París; que ton s les
obstacles sel'aient aisément sUl'montés, et que
bientot les rovalistes coalisés dans l'intérielll'


" joindraient ou seconderaient l'armée combinée.
Outre les généraux fran~ais marquis de Lam-


bert et de Pouilly, qui suivalent le quartier-
général en qualité de commissaires des princes,
le vicomte de Caraman, agent particulier de
Louis XVI, s'y trouvait aussi, mais incog-
nito. Le roi avait permis qu'il ftlt attaché a sa
persenne pendant la campagne, avec l'uniforme
de son .aide de camp ponr mienx cacher 5a posi~




V'UN IfOMJUE n'ÉTAT.


tion. I~e vicomte de Caraman suivait le minis-
tre comtc de Schulellburg; il élait reconnu et
sur le mcme pied que le prince de Reuss, alors
ministre de l'empereur, et que M. Alopeus, mi-
nistre de Russie; tous deux étaient instruits de
sa mission.


L'avant-garde prussienne venait de donner
sur les avant-postes du général Després-Crassier,
qui campait a Fontoy, couvrant a la fois Thion~
ville et Metz. Fontoy fut évacué.
IA~s armées fran<{aiscs se trouvaient alors


dispersées, sans accord, san s chefs et sans liai-
son. L'armée du Nord ou de Sédan n'avait plus
de général. En s' écroulant sous le canon du
10 aout, le trane constitutionnel, que le gé~
néral La Fayette n'avait pas su défendre,
l'entralna lul - meme <;lans sa ruine. Aban-
donné de son armée, sans appui dans I'ín~
térieur et chcrchant son salut dans la fuite, iI
tomba an pouvoir de l'Autriche, qui, en le pri-
vant <le sa liberté, en fit un martyre de l'indé.
pendance de ses opinions. Plus habile, le général
Dumouriez, voyant que toute la force de l'Etat
passait aux jacobins, s'y était attaché d'abord
c.omme ministre, ensuite comme général. A pres
la journée du 10 aqut, le gouvernement provi-
.soire ou conseil exécutif 1 vit en lui le seul


-F Compasé de six Ininistres, savoir : Danton, minjstrr. de la jus~




{po ME JlfOIRES
homme dont les talens poli tiques et militaires
pussent sauver du naufrage l'indépendance
nationale. Le commandement de l'armée du gé-
néral La Fayette lui fut aussitot dévolu. L'armée
de la Moselle passa également. sous un autre
chef: le général Kellermann y remplaf,;a le gé-
néral Luclrner.


Ainsi tout était dans la confusion, et l'armée
de Sédan n'avait pas meme encore son nouveau
général quand, le 20 30ftt, le due de Brunswiek
el le général Clairfait investirent la petite for-
teresse de Longwy. En former l'attaque était fa-
eile, la place étant dominée par des hauteurs:Les
sornmations furent réitérées sans succes, et le
colon el d'artillerie TempelhofI re<;ut l'ordre d'en
commencer le bombardement. Le 21, a l'entrée
de la nuit, iL ouvrit l~ feu, qn'une obscurité
profonde el el,es pluies oragcuses firent sus-
pendre; on le reprit le lendemain, et malgré la'
vivacité du fell de la place, trois cents bomb~s
y furent lancées; un magasin et deux maisons
y devinrent la proie des flammes. Le désordre
s'étant introduit parmi les soldats par suite de
tjce; l\fonge, de la marine; Ro]anu, de l'intéricur; Clavieres, des
contribntionsj Servan, de la gnerre; Tondu-Lebrun, des affaires étran-
gcres; Grouvelle (homme de lettres), secretaire dn conseil.


, Georges-Fréd"éric Tempelhof, eommandant d'artillerie et habile
tacticien, commentateul' et continuateul' de l'histoire de la guerre de
.ept 3ns, de Lloyd, mort a llerlin en 18 o j .




, " D UN HOl\DLE D l<:T A T.


l'épouvante des habitans, le commandant La-
vergne capitula le 2.3 dans la matinée. La gar-
ni son , forte de dix-huit· cents hommes, ren-
tra en France prisonniere sur parole, et. síx
cents Autrichiens prirent possession de Longwy
au nom du roi de France.


Cette conquete faciJe, couronnée par la nou-
velle de la fuite du général La Fayette avec son
état-major, enf1a d'espérances le creur des a1-
liés. On s'attendait au quartier-généraJ a d'au-
tres désertions et a la désorganisation entiere
des armées fran¡;aises; en un mot, on commen-
<;ait a regarder le succes de l'invasion comme
infaillible; le seul généralissime restait froid et
en garde contre tout enthousiasme.


Deux partis déeisifs s'offraient a sa pensée :
laisser quarante mille hommes en observation
devant Thionville et Montmédy, pour se jeter
rapidement avee les meilleures troupes sur I'ar-
mée de Sédan, ébranlée par ]a fuite de son
chef, et qui n'eut pu résister a un attaque ferme
et bien conduite;ou bien s'emparer sans délai des
défilés de l' Argonne, seuJe barriere naturelJe
guí se présentat sur la route de París, et de la
marcher a grandes journées sur eette capitale
par Chftlons et la Marne.


Le due de Brunswiek ne prit aucun de ces
deux partís, qui, clans un moment de désorga-




lIIÉlIWIRES


nisation , pouvaient seuls amener des résultats
politiques conformes au but que se proposait
le roi. Le duc ne montrait auenne volonté déter-
minée, qualifiant de prudence ses incertitudes
et ses tergiversations.


Nul n'aété plus a pOltée de mieux jugercette
grande aberration poli tique el militaire, que
l'heureux adversaire du généralissime des armé es
combinées,


« Longwy, dit le général Dnmouriez [ a été
» pris le 2.3 aOliL eomment l'cnnemi ne s'est-il
» pas décidé a faire marcher sur-Ie-champ un
» corps de trente mille hommes sur Stenay et
)J Mouzon:l ponr attaquer l'armée franr,aise
» san s chef dans le telnps oú elle était conster·
Y) née; et pour attirei' an moins les troupes de
» ligne, puisqne les émigrés avaient annoncé
)1 qu'elles étaient faciles a gagner? JI est ccrtain
» que, si du ?3 an 28 UH corps ne troupcs en-
» nemies se fUt présenté devant Mouzon, l'ar-
» mée franl,;aise se serait débandée; peut-etre
» meme que, si des officiers-généraux de rancien
» régime, bien connns et estimés des soldats,
» comme iI y en avait quelques-uns dans l'armée
)1 des princes, se fussent p,'ésentés avec Ull sim-
» pIe détachemellt, ils auraient entrainé une


1 Uans ses ~lémoires .
• Situés it Imi t et a di>; ¡ielles de Longwy.




n'VN HOllL'\IE n'';TAT.


}J partie des troupcs de ligue, surtout de la ca-
» valerie.


» QuauJ on veut ellvahir un pays déchiré
)) par ulle révolution; quand ou se cl'Oit sur d'y
» avoir un grand parti; quand on veut sauver
» un roi dans les fers; quand on a commencé
» une eampagne trop tard, on doit, surtout
» avcc une grande armé e , multiplier ses forces
» par sa vitesse, et arriver ·comme la foudre
» sur la capitale pom ne pas donner le temps
» au peuple qu'on veut soumettre de se re con-
» naItre.


« Une fois Longwy pris, il fallait, a la non ..
)} velle de la fuite de La Fayette, arriver sur-
» le-champ a Mouzon et a Sédan pour dissiper
» ou entl'alller l'armée fran~aise. C'était un coup
») d'État, et il était cependant conforme aux
») regles de l'art militaire; cal' eette armée dé-
» truite, il ne restait plus d'obstacles, soit pour
» faire la guerre méthodique, soit pom faire
» l'expédition sur Paris. »


Mais rien, pas meme la volonté du roi, ne
put arracher le duc de Brunswick a son sys-
teme d'irrésollltion et d'ajomnemens. 11 lui faI-
lait, disait-il, s'arrcter a Longwy, et y faire éta-
Llil' de5 magasinsde vivres et de fourrages; illuÍ
rallait attendre le corps autrichien du prillce de
Hohenlohe - K,ircheberg, chargé de masquer




l\lÉlUOlHES


Thionville, et d'assurer la communication entre
Longwy, I,uxembourg et Treves. Six jours fu-
rent ainsi perdus. Le roi ne pénétra point assez
que le duc répugnait a exécuter un plan con-
traire a ses vues, et que tout pour luí devenait
un obstacle insllrmontable.


11 faUut pourtant se résoudre a marcher. Le
~8 aout, l'armée prllssienne, laissant a sa droite
Montmédy et Sé dan , s'avan({a sur Longuyon, et
le iendemain a Étain; le 30 elle occupa les hau-
teurs qui dominent Verdun sur les deux rives
de la Meuse. Le duc de Brunswick et le roí de
Prusse prirent lenr quartier-général a Grand-
Bras sur la rive droite. Verdlln n'était défendu
que par de médiocres ouvrages, mais sa garnison
s'élevait a trois mille hommes. La place fut in-
ves tic et somméc des le lcndemain, et les Prus-
siellS commencercnt aussitót l'attaque. Apres
quinze heures de bombardement, une partíe
de la bourgeoisie et de la garnison mutinée for-
cerent les chefs militaires a capituler. Le com-
mandant· Beaurepaire se tua de désespoir dans
le conseil civil et militaire oú fut signée ]a ca-
pitulation. La garnison sortit avec armes et ba"
gages, et le soir meme un corps de mille Pms-
siens, commandés par le génél'al de Courbieres,
prit possession de Verdun au llom rlll roí de
France. Frérleric- Guillaume y ful accueiJli, le




~ , !


D CN HOJ\DIE J) IiTAT.


lendemain, par des réjouissallces publiques. Une
d9putation de jeunes vierges, conduites par
trois sreurs, HenrieUe, Hélene et Agathe Va-
tri n , vint au-devant du roi lui offrir avec des
corbeilles de {leurs des bOltes de dragées du
pays. Ce tribut spontané excitant la défiance
des officiers-généraux qui environnent le roi,
ils le supplient de ne point accepter un présent
qui peut-etre lui sera funeste. Le roi sourit, et ~
de meme qu'Alexandre, prcnd d'une main ferme,
non le breuvage suspC'ct, mais les dragécs des
mains de l'innocence. Il ne soupc;:onnait pas le
sort affreux qui était réservé aux viergcs de
Verdun accourues pour lui rendre hommage l.


Déjit les signes de la liberté fran<;aise y étaient
remplacés par les emblemes de la royauté; le
roi de Prusse recevait au nom des habitans les
plus notables une adresse pleine de sentimens
royalistes, et de son cOté le duc de Brunswick
faisait aux autorités un appel pour qu'elles rc-
prissent les renes de l'administration locale. En
un mot, Verdun fut l' objet d'un essai de contre-
révolution,ét tout son clergé catholique fut bien-
tot réintégré par un prince protestant. Au mo-
ment meme ou le cluc de Brunswick s'emparait


• La l'Iupart furenl envelopp"es dans une condamnation a mQrt
prononcée en 1 '794- f'ontre trente-('inr¡ personnes accusées d'avoir
pris part ,. la reddition de Yerdun.




lUÉl\fOIRES


de Verdun, l'armée des princes se portait a Ilet-
tange, pour se réunir au corps d'armée du printe
de IIohenlohe - Kirchberg. Ce général venait
former l'attaqne de Thionville, et observer en
meme temps le camp de Frascati, pres Metz, ou
était alors Kellermann.


Cependant le duc de Brunswick revenait
a la charge pour transformer la guerre d'inva-
sion en guerre lente et méthodique. Au camp
meme de la cote Saint-Michel, avant la reddi-
tion de Verdun, iI s' était prononcé fortemen t
sur les opératioIls nltérieures de la campagne
en présence du prince héréditaire de Hohen-
lohe, des princes de N assau et de Bade, des
généraux franc;ais Lambert et de PouiUy, ainsi
que de plusieurs officiers de l'armee prussienue.
Il leur avait repl'ésenté que la face des choses
ayant entierement changé en France, que le
roi étant détroné, sa familIe, lui·meme arretés,
et son partí opprimé dan s l'intérieur, on ne de-
vaít plus s'attendre qucles royalistes seraient en
état d'opérer la révolution dont on s'était flatté
en favenr de Louis XVI; or, qu'il était d'une né-
ces si té indispensable de dOIlner une direction
systématique aux armées combinées, et a cet
effet de s'emparer de Montmédi, de Sédan et de
Thionville; que,sans l'occupation de ces places,
la campagne serait nulle, et ne produirait que des




n'UN IIOJ'll\fF: U'ÉTAT.


résultats entierement opposés a eeux qu'on s'é-
tait promis. Le due avait insisté sur les ineon-
véniens et les dangers auxquels serait exposée
l'armée, si OH lui faisait passer la Meuse non-
s~ulement a cause des places qu'elle laisserait
derriere elle, mais a cause de la saisan déja fort
avancée. La conférence avait duré cinq heures
sans qu'il pút eonvaincre les généraux présens,
a"l'exception des officiers-généraux prussiens qlli
partageaient son opinion. A son insu, cette opi-
rlion fut combattue fortemellt aupres du roLL' ex-
treme cireonsrection du nouveau plan contrariait
trop le úle dont le prince était animé pour la
prompte délivraneedu roideFrance,et sonardent
empressement de marcher sur Paris pour qu'il ne
fút pas facile de ramener Frédéric-Guillaume
á d'autres idées. « e' est a Paris qu'il faut mar-
» cher, lui man(!erent les princes franc,;ais, . in-
» stl'llits de l'opposition du eommandant-géné-
» ral; e'est a París oú il ¡¡mt arriver eomme la
» foudre pour ne pas donne!' aux faetieux le
») temps de se reconnaitre. » Excité ainsi par les
frúes du roí, par lcs principaux émigrés, par
la diplomatie russe, et plus encore par ses pro-
pres sentimens, Frédéric-Guillaume décida que
l'armée passerait la l\Ieuse, et mat'cherait dirce-
tement sur Paris.


Mais de nouvelles lenteurs allaient tromper le




:Ui:MOIRJlS


vreu du roi, et faire manquer toute la campagne
devant un ennemi actif et rusé. Déja les vingt
mille hommes de l'armée de LaFayette s'étaient
ralliés et réorganisés a la voix d'un nouveau
général en chef dont la décision et l'energie
étaient au niveau des circonstanees. Repoussan l
les conseils timides, Dumouriez, a11 líeu de re-o
passer la Marne a la nouvelle de la prise de
Longwy et de l'auaque de Verdun, avait mon-
tré sur la carte a ses oHieiers la foret d'Argoune:
{( Voila, lenr dit - iI, les Thermopyles de la
» Franee; si j'ai le bonheur d'y arriver avant les
» Prussiens, tout est sauvé. »)


La· foret d'Argonne se prolonge entre Sédan
et Sainte-Menehould; c'est uneramitieation des
Ardennes; qui s'étend dan s une longueur de
treize lieues sur une largeur inégale; elle est
entrecoupée par des élévations, des ruisseaux,
des étangs et des marais qui la reudent impra-
ticable pour une armée, excepté dan s cinq clai-
rieres qui la traversent sur différens points de sa
largeur. Ces clairieres ouvrent autant de ron tes
ou de débouehés pour passer de la province des
Trois-Éveéhés r dan s la Champagne-Pollillellse,
c'est-a-dire d'un pays riche el fertile dans le
plus affreux pays qui soit en FraIlee, dépourvlI
d'eau, d'arbres, de paturages, et n'offrant de




, " D U:V HOJT!\lE ]) ETAT.


loin en loill que des villages misémbles dans
une plaille stérile.


e'est dans ces défilés que le dne de Bruns-
wick va se laisser prévenir par Dumonriez;
e'est uans ces défilés que les destinées de la
Franee seront balaneées et décidées en vingt
Jonrs. .


Dn ¡el' au 5 septembre, Dumouriez exécute
avee ordl'e et promptitude son mouvement mi-
litaire. Remontant les rives de l'Aisne et de
l'Aire vers leurs sources, il se rend maltre en
trois jours, avec des forces inférieures, de ton s
les passages que les troupcs combinées regar-
dent commc les scnles portes ouvertes a l'inva-
sion: ii lcur ferme ainsi l'entrée de la Franee.
Quel contraste ave e la nonehalance et la len-
teur dt's opér'ations de l'armée combinée! De~
le 1 cr septembre elle aurait pu s'emparcr du
défilé des Illettes, tl'aversé par la gr dnde route
qui conduÍt de Vcrdun á Paris, et défendu seu-
lement par einq mille hommes; mais par l'effet
de eette meme irrésolution qu'agravait la répu-
gnanee du clne de Brunswick, ponr l'exéen-
tion d'nn plan qn'il désaprouvait, l'armée com-
binée ne fi'anehit la Meuse que le 5 septembre.
Marchant sur troi~ eolonnes, elle vint lentement
~ etabY¡r sur les hau\enrs ne ~romer~i\\e, a une
demi-lieue de Verdun. J .. e d1.le prit son qnartier-




430 l\lÉl\'fOIRES
général a Regret et le roi a Glorieu,r, circon-
stance singllliere qui dOllua lieu A un jcn de
mots d'autant plus piquant, qu'il exprimait la
disposition morale du monarque et de son géné-
ralissime.


L'avant-garde alla camper a Livry-Ia-Perche,
observant la raute de Clermont; le général Kal-
kreut occupa les hauteurs de Montfaucon, et
poussa un parti de trois cents chevaux du cOté
de Varennes, qn'on trouva évacué. Le général
Clairfait était a Romange, observant la raute
Grandpré, ou se tenait Dumouriez avec le gros
de ses forces; les troupes hessoises arrivaient a
Longwy, et le quartier-général des émigrés ve·
nait de s'établir a Hettange.


CeUe immobilité sous Verdun avait pour but
apparent d'y attendre les différens corps des-
tinés a couvrir les flancs de l'arniée confédérée
dans son mouvement offensif, et aussi de for-
mer des magasins, d'organiser une boulangerie;
cal' rien n'était préparé, le duc n'ayant d'autre
plan fixe que celui d'éluder, par des délais ou
des motifs plausibles, l'invasion qui le contra-
riait. Il donna ainsi le temps a son adversaire
de s' établir dans les positions de l' Argonne, d'y
recevoir des renforts, et d'y ráffermir l'esprit de
ses soldats, qu(bientot se montrcrent pleins de
confiance dan s l'activité de leur général en chef:




D'UN JIOAnUE D'lhAT.
Déja la petitc guel're entre In cavalcrie I<'górc eles
deux armées était presque toujours a l'avantage
des Franyais.


Cependant, pas un homme dans les provinces
cnvahies ne prenait les armes pour la cause des
émigrés; on avait compté sur dcs intelligences
avec les régimens, avec les pIaces fortes, et rien
ne bougeait. La campagne ne se pronon<;;ait.
d'nne maniere [ranche, ni militairement ni poli-
tiquement. Les émigrés l'imputaient a la politi-
que incertaine des cours.' IIs étaient en général
treS-étOnllés de ne pas voir MONSIEUR déclaré
et reconnu régent du royanme. Au moment de
l'ouverture de la campagne et avant la catastro-
phe du JO aout, MONSIEUR avait écrit a cet effet
a l'empereur, mais sans aucun succes. Le ba-
ron de Breteuil ,qui correspondait toujours au
nom du roi avec les cabinets, se disait chargé
de s'opposer a ce que MONSIEUR exer<;;at la ré-
gence. POtI!' le désarmer et se concilier les
puissances, les princes résolurent de sacrifier
M. de Calonne, rival redouté du baron de
Breteuil; et la retraite de ce premier ministre
de l'émigration eut lien presque aussitót. En
meme temps on écrivit au baron de Breteuil,
alors a Luxembourg, que l'intéret de l'état im-
posait a MONSIEUR le devoir de réclamer la ré-
gence pendant l'emprisonnement dn roi et de




43'1 ~IÚIOIRES
la famiUe royaJe; que ceÚe espece d'interregne
attachait tous les gens incertains a la seule au-
torité existante, ceHe de l'assemblée qui venait
de prononcer la déchéance du roi; qu'il four-
nissait aux puissances faibles un prétexte pour
la reconnaitre, et augmentait la défiance sur les
vues des puissances coalisées, Comment expli-
quer des prises de possessions, des sommations ~
des Ol'dres intimés au Hom d'un roi mort civi-
lement? MOXSIEUR, d'ailleurs, devait sentir que,
pendant la durée de la captivité du roí son [I'ere,
le centre d'autorité ne pouvait etre qu'unré-
gent en titre, et que s'il en exerc;ait les fonc-
tions sans que ce titre lui fut dévolu, il violerait
lui-meme la premiere des lois qu'il était armé
ponr rétablir,


Ces principes firent aussi ]a base de la mis-
sion que l\IONSlEUR confia an comte de MOllS-
tier, le 3 septembre. IlIe chargea de [aire sentir
allX ministres prussiens et an baron de Breteuil
combien iI était indispensable pom la France
royaliste qu'il existat un centre d'autorité ou
tous les rayons pnssent aboutir. Le comte de
Moustier devait représentel" que ce n'était pas
seulement un droit que réc1amait MONSIEUR,
mais un devoir indispensable qu'il avait a rem-
plir; que l'on pouvait bien transiger sur ses
droits, mais jamais sur ses dcvoirs, Si l'on op~




, " J) (iN HOlHí'lE II ~ETi\ T. 433
posait une prétendue volonté du roi et de la
reine, e' est-a-diI'e de nouveanx pon voirs con-
fiés an baron de Breteuil , le comte de l\foustier
(levait se borner a demander si eette volonté
s'était manifestée depuis la catastrophe dn 10
aout. Quant a l'administration diI royaume pen-
dant la régence, MONSIEUR établissait en prin-
cipe qu'un régent, ~ durant la captivité du roi,
ne peut rien faire que de provisoire.


Le négoeiateur se rendit en toute hate un
qnartier-général de Frédéric - Guilluume. La il
eu t avee ses ministres une conférence a laquelle
assisterent le duc de Brunswick, le prince de
Hohenlohe -Kirchberg, le prince de N assau et
le marquis de Lambert. Les ministres prussiens
tout en eonvenant que le titre de MONSIEUR a la
régence était légitime, refllsaient de le reeon-
naitre. Le comte de Schulenbourg fut me me
poussé jusqu'a l'aven du motif particulier de ce
refus, á moins que la conr de Vienne ne s'y dé-
cidat. « C'est de ee coté-Iá, manda le négoeia-
» teur 1, que vient l'obstacle qui arrete une me-
JJ sure si importante que ceHe de l'établissement
» d'Ull gouvernement dans le pays soumis par
» les armes des puissances qni disposent en ce
» moment du sort de la France.)l MONSIEUR, re-
connu régellt par les principaux souverains de


1 D .. ms sa dépedlt' elq () Sf'ptemJn'e.
1.




"MÉMOIRES


l'Europe, eut alors représenté le roí prisonnier
et déchu. L'impératrice de Russie le conseillait
et le désirait; le roi de Prusse y consentait; mais
l'empereur s'y refusait. C'était, disait-on, a l'in-
stigation de la reine de France, a qui l'on sup-
posait la crainte que les princes freres du roi
ne prissent trop de pouvoir si l'autorité royale
était rétablie par eux. Il est de fait que jusque-
la le baron de Breteuil, qu'on venait en fin
d'appeler au quartier-général, y avait mis lui-
meme opposition et qu'il agissait de concert
ave e le eomte de Merey-Argenteau, ministre au-
triehien. «( Je ne pourrai essayer de faire valoir,
» mandait le comte de Moustier, les excellens
J) motifs en faveur de la régence renfermés dans
» les nouvelles instrnctions de MONSIEUR et de
» monseigneur eomte d'Artois, qu'apres l'arri-
» vée du baron de Breteuil, dont l'absence ar-
» rete toute délibération a ce sujeto »


Ainsi, soit de la part des ministres de Prusse
et d'Autriehe, soit de la part des généraux, les
mesures poli tiques et les opérations militaires
étaient entierement paralysées. Sur la frontiere
du N ord on venait de manquer le moment
d'attaquer la place si importante de Lille. A la
grande armée eombinée, le siége de Thionville,
auquel on anait s'obstiner, devait retarder aussi
les opérations générales. Le 5 septembre les




n'PN HO~Hn: D'.ÉTAT. 435
pl'inces hall/:;ais, dont la division était destinée
a ce siége inutile, conjointement avec le corps
d'armée du prince de Hohenlohc - Kirchberg ,
avaient fait sommer la place de se rendre. SU\'
la réponse négative du commandant Wimphen,
deux attaques se succéderent. La place répondit
par un feu vif aux impuissantes batteries des
.assaillans dépourvus de.gros calibre. Un bonIet
emporta le bras du prince de Waldeck. L'inuti-
lité de pousser plus loin l'attaque sans artillerie
de siége, la fit abandonner. Les princes s'cn
plaignirent au prince de Hohenlohe l. «Manque!'
» ThionviUe, dirent-ils, est peu de chose en
}) soi-meme; mais que la premiere place atta-
») quée par l'armée anx ordres de Votre Altesse
» n'ait pas été prise, est beaucoup pour l'opi-
» nion publique. Ce ne sont que les moyens qui
» ont manqué. La retraite de Luckner 2 ne peut
» qu'y ajouter. Serait-il dit que c'est au moment
)) qu'il abandonne ThionviHe a ses propres for-
~) ces, que nous renoncerons a prendre la place?
)) Non, Votre Altesse n'y peut consentir; mais le
» temps presse; nous la conjurons d'envoyer
)) sur-le-champ a Luxembourg l'ordre de faire
» avancer l'artillerie que nOU5 lui demandons. »
Le commandant de Luxembourg I'efusa l'artillf'-


, Por une ¡etlre du 6 seplcmbrc .
• Qlli venait ,re·lr. I'emplne<- palo j("IlCl'rn:nlll.




436 JI-ÉlUOIRES
ríe, et ce siége si mal entrepris, et qui familia rí·
sait avec l'ídée de la résistance, fut convertí en
bloCllS. Les premiers su~ avaient relevé les
esprits, mais rien ne les ayant soutenus, ils re-
tombel'ent dans l'abattement,


Au contraire) de toutes les parties de laFranef'
on était en mouvement pour voler en Champa-
gne et s'opposer anx pl'ogres du roi de Prusse.
Toutefois ce n'était pas sans inquiétude queDu.
mouriez attendait les événemens dans son camp
de Grandpré, Sur la droite iI communiquait avec
cell1i des Illettes, et SUI' la gauehe i! se liait a·la
posi tion dll Chene.;Populeux, I.a il re~n t pour pre-
mier l'enfort le 7 septembre six miUe hommes,
venant de Reims avec quatre pieees de canon,
sons les ordres du général Duval, ce qui éleva
ses forees a vingt-cinq mille hommes, dont six
mille de eavalerie. A vee une si petite armée pou-
vait-il espérel' d'arreter une armée d'invasion
forte de quatre-vingt mille combattans? Molle-
ment attaqué dans ses postes avancés, le 9
septembre, partont iI repoussa les Prllssiens.


Vers le 12 seulement toutes les forces qui
devaient etre mises en action par le duc de
Brunswick se ,trouvercnt rassemblées, et en
mesure d'opérer depuis le Chéne -Populeux
jusqu'au-dela deClermont en Argonne, dan s une
étendue d'environ quinze lieues de France: cette




l/UN U02l-1JHE U'ÉTAT.


ligne d'altaque était occupée par soixante el
douze mille hommes, y compris les Hes50is et
les Autl'ichiens.


Mais il était plus que temps d'agir : le génúral
Kellermann partait du camp de Frascati sur la
Moselle , et s'avanc;ait avee une vingtaine de
mille hommes, tandís que, d'un autre coté, le
général Beurnonville avec onze mille combattans
se mettait en marche de Réthel; des renforts
partiels arrivaient aussi derriere la Mame a la
défimse eommune.


Et pourtant le due de Brunswiek n'avait pu se
(lécider eneoredans leehoixde son véritable point
"tI'auaque. Étant venu reconnaltl'e avee le roi Cl!
personne, du haut de b mantagne appelée l(~
Pas-des-Vaches, pres Clermont, la position des
llIeltes, oeeupée par le général DiJIon a la cote de
Bienne, il avait désesp(~ré de la foreer; il renonc;a
done a percer, malgré les instan ces du roí, par le
débouehé le plus direct sur Sainte-Menehould
et Cht\lons.


Ainsi, ayec plus de soixantc millc hommes
de troupes exeellentes, un général renommt"
n'altaqua point cinq mille soldats couvert.s par
des retranchemens élevés en quatr'e jours, et tI{'
fit :Jueun mouvement pour les dépostel'. Mais
s'il néglige de s'onvrir ce passage, soit de vive
force, tioil en k toumalll, le el tiC tI(> Bnmswick




'lEl\lOWES


n'en prend pas moins la résoll.ltiun d'aller par
un circuit reconnaitre et menacer la position
de Grandpré, que Dllmouriez tenait avec vingt
mille hommes : c'était perdre encore, iI est vraj,
quelques jours de marche dans une saison déja
avancée; c'etait courir de plus grands hasards ~
et mett¡'e contl'e soi les deux chances les plm
décisives a la guerre , ]a distance et le temps.


Mais, disait le dne, il est essentiel de se trou-
ver en présence de Dmnouriez, que j'ai fait
pl'isonnier iI y a trente-deux ans 1 , que j'ai vu
alors couvert de blessmes, et dont je fis pren-
dre soin; peut-etre y aura-t-il moyen de s'en-
tendre on an moins de savoir a quoi s'en tenil'
sur les dispositions particulieres de ce général,
dont la prépondéranee s'aecrolt de jour en jour.
Déja, d'apres les vues de l'état-major général et
<lu cabinet du roi, un émissaire venaÍt de IlIí
etre dépeché pum le sonder de la part de son
ancien ami Heymann, chargé d'une partie de lá
correspondance secrete : on semblait fonder
quelque espé~ance sur cette démarche. Le roi
eut préféré les voies d'ulle guerre prompte el
ouverte; mais, se défiant de ses propres lll-
mieres et cir'convenu d'aiLleurs, iI finissait par
cédel' a l'avis de son cabinet et de ses généranx.
Ceux-ci, el entre autres les deux plus marCfuans .


lo Pendíllll la h'"lll'ITC O{' Sf'pt aWL




, ~ i


D UN HOMlUJi D .l:.TA.T.


tels que KaJkreuth et le prince héréditaire de
Hohenlohe, opinaient presque toujours dans le
sens du généralissime. Quant au cabinet, il s'y
formait une espece de triumvirat entre Lucche-
5ini, Haugwitz, nommé récemment ministr'e
du cabinet, et le secrétaire privé Lombard.
On avait représenté au roi que les affaires ur-
gentes de la Pologne, d'apres les opérations en-
vahissantes de la Russie, exigeaient la plus sé-
rieuse attention, et qu'il fallait se mettre en
mesure d'occuper militairement Dantzick el
Thorn j qu'a cet effet, la présence du comte de
Schulenboul'g a Bel'lin était indi~pensable potlr
suivre de plus pres les intérets majellrs de 1'a-
grandissement de la Prusse. Or le comte de
Schuienboul'g se disposait a quittel' le quartier-
général, et a se mettre en route poul' Berlin. Des
10rs le cabinet dn roi restait SOtlS l'influence de
dellx diplomates suLalternes et du secrétaire
privé.


Cependant le duc de Brunswick, ayant laissé
un corps de Hessois devant le poste des IUette~
et fait quelques démonstrations, vint campe!'
successivement a Montfaucon et a Landres avec
l'armée principale. Talldis qu'il opérait ce mon-
vemellt sur sa droite, la prévoyancc de Dumou-
riez se tronva en défaut, et l'aspeet de la guerre
chaugea subitement. DUmotlrif'z ;¡qit nép'lía(" ('"' ~




440 lui:MOlllES
le passage de la Croix-au-Bois, ou cent hommes
seulement figuraient une défense. Le 12 sep--
tembre le général autrichien Clairfait, de son
propre mouvement, le fait occuper par le jeune
prince de Ligne, et le hasard livre ainsi a l'al'-
mée combinée un débouché que 1'art cherchait
a défendre aiUeurs avec toutes ses ressources.


S'apercevant de la faute qu'il a commise, Du-
mouriez ordonne sur-Ie.champ au général Cha-
zot d'aller avec deux brigades reprendre le poste
sans délai. Chazot, contrarié dan s sa marche,
n'arrive sur le terrain que le 14, aUaque vive-
ment et reprend la Croix-au-BoÍs. Mais, faisant
soutenir ses premieres troupes, ClaÍrfait tourne
le fIane uroit des Frao<;;ais, les repousse, reste
maitre du défilé, et, for<;ant le corps de Chazot
de passer I'Aísne a Vouzieres, le sépare entie-
rement de Dumouriez. Ce fut dans ce dernicl'
combat que le jctiüe prince de Ligne perdit la
vie l. Un autre corps de l'armée fran<;;aise, ce-
lui du général Dubouquet, assailli au Chene-Po-
puleux par une eolonne d'émigrés, venait d'l'hl'c
coupé aussi du corps l))'incipal, et s'était retiré
par Attigny sur Ch:1lons. Les princes, apres avoil'
pen]u dans leur triste camp d'Hettange plusieurs


I Chades, princc de Ligne, to]oncl Jans les truuprs autrÍchienncs,
c:t~jt llIs unir¡uc du célebre print,c de Llglw, rl'ú le 1 ('gl'di.a ~lIl1crem('ut
!! d,>nnait Ir, pIlló hdlc. !";pél'ancc'




D'[)N IIOJ\IME D'~TAT.
jonrs á fournir des détachemens pour "un slege
inutile, en étaient partís le 11, avec toute leur'
·cavalerie, dans le dessein de se réunir ~l l'al'mée
prussienne. Ils avaient laissé an camp le maré-
chal de Broglie avec leur infanterie. Le 13 ils
vinl'ent établir leur quartier-général et canton-
nel' leur cavalerie aux environs de Verdun.
L'espoil' y renaissait : c'était au moment
oú Dumouriez, tourné et réduit dans son
camp de Gl'andpl'é a quinze mille hommes,
était réelIement dans une posilion désespé-
rée. Il avait devant lui la'" grande armée prus-
sienne, tandis que Clairfait et Kalkreuth pl'e-
uaient a revers sa ligne de défense. Si ces deux
corps avancés eussent marché rapiclement sur
Brécy, Dumouriez, enfermé entre l' Aire et
l'Aisne, sans communication avec ses magasins
el ses rcnforts, cut été forcé de mettre bas le::;
armes; peut-etre pour dCl'Iliel'e ['eSSOUl'ce, aban-
donnant son artillcrie et ses é(plipages, aurait·i)
pu s'évader par sa droite a travers les Lois, et
joindre Dillon aux llIettes pour de lá marcher
sur Bar, sa retraite sur Chalons étant coupée,
et le géuéral Kellermann encore éloigné de 1rois
marches. Dans l'une ou l'autre hypothese, la
gllCI'I'e était finie, aucun obstacle ne pouvan t
plus alTetCI' lemonarquc prussÍen dans son rnon·
Vf'ffient SUl' la capilal8.




44~ MÉJ\'IOIRES
Mais le duc de Brunswick persiste a tenir ler.


Autrichiens et les Prussiens immobiles dans leur~
camps; il juge Dumomiez dan s un grand embar-
ras, et le soir meme lui envoie le major Massen-
bach en parlementaíre pom luí demander une·
entrevue.Massenbach, a l' entrée de la nuit du 1 ft
au 15 septembre, part du camp du prince de Ho-
henlohe a Somerame, et, traversant a cheval la
riviere d'Aire, dans les environs de Fleville,
aborde l'officierfranyais qui commandait le poste
avancé. Celui-ci luí fait banuer les yeux, et or-
donnea six dragons de le conduireau générald'a-
van t-garde.',On arrive a Marcq, on le général Duval
re<{oit le parlementaire prussien avec les égards
militaires d'usage; iI envoíe une oruonnance a
Grandpré l'an~oncer a Dumouriez. Massenbach
étonné de la contenance des troupes franyaises,
et n'y remarqnant ancun signe de décourage-
ment, en prit une plus haute idée encore dans sa
conversation avcc le lieutenant de Dumouriez. Il
avoua depuis qu'il sentit diminuer sa confIance
dans la cause et les assertions des émigrés; que
du reste iI jugea qU'(Hl se préparait a quelque
mouvement extraordinaire dan s l'armée fran-
(;aise. L'ordonnance revint annoncer que le gé-
néral en chef n'était pas au camp de Grandpré,
pt qu'il était im:possible de le voir.


Dumouricz élait trop avisé pOllr ~f' Im~'ter ,




, " D lJN lIOl\UlE D ETAT. 443
dans des cÍl'constances aussi critiques, a une
entrevue qui aurait pu le compromettre; il ne
s'occupait d'ailleurs qu'a sortirde sa situation
désespérée, ayant déja pris la résolution hardie
de gagner par une marche nocturne la position
de Sainte-Menehould, d'y rassembler ses forces
éparses, et de se maintenir ainsi dans les défHés
de l'Argonne, quand meme les coalisés se jette-
raient sur ses derrieres. Si d'un coté il perdait
la route de _ChaIons, qui mene directement a
París, de I'autre iI eonservaiL ceHes de Vitry et
de Metz, et par la sa jonction restait assurée
avec le corps d'armée de Kellermann. Ses dis-
positions faítes, ses orares donnés, iI leve le
camp de Grandpré a minuit au moment meme
ou le parlementaire du dnc de Brunswick re-
tourne au quartier-général pI'nssien. Le mou-
vement furtif de Dumouriez est couvertpar UII('
nnit ODSCUl'e et orageuse, circonstance d'autant
plus favorable qu'il s'agit de faire en nombre
tres-inférieur une retraite dan s un pays dont les
Prussiens oecupent et les hauteurs et presqne tous
les passages.Aussi n'est-ce passansappréhension
(lue la petite armée de Dumouriez, Iaissant ses
feux allumés, se met en marche a trois heures
Jll matin; d'abord elle passe l'Aisne a Senuquc
el a Grand-Hans sall;; obstacles, et va bienIo!. sp
lrollver en hataille sur les haulenr!> d' \ IIll'y.




444 1\1 Él\ro !RES
Cependant le majal' Massenhach arrive a


Landres an point du jour, pressé de rendl'l'
compte an duc de Brunswick de ce qu'il a ob-
servé; iI le trouve en ronte pour les avant-
postes. (e Dumouriez, lui dit- il; ne veut pa~
» d'entrevuc, et il est vraisemblable que l'armée
» fI'an<;aise va se retirer. - Il n'y a pas de doute I
» répond le dnc, que Dumouriez doit se retirer;
» Clairfait aujouJ'd'hni tournera entierement son
~,aile gauche; l'affaire de la Croix-au-nois s'esl
» décidée a notre avantage. »


Le dnc envoye aussitot Massenbach iairesoll
rapport au roi, qui était encare a Landres. Le
majar trouve le roi s'habil1ant; les jactances dI'!
général fran<,;ais Duval, qu'il crut devoir rappol'-
ter, dépluren t á Frédéric-Guillanme. Quand Mas-
senhach terminant son rapport, dit que Dumon-
riez se repliait, le roi, prenallt beaucoup d'hu-
menr, ordonna qu'on lui amenat sur-le-champ
son cheval, ct demanda avec vivacité pourquot
on ne lui avait pas annoncé pl~tot la retraile
de l'ennerni. Il ajouta meme avec des marques
d'impatience que l'ennemi allait lui échappel', e!
qu'on n'y regardait pas d'assez pres: jamais Gil
JI'avait vu le roi si irrité. L'onlre de poursuivl'e
les Fran<;ais ayallt été réitéré, le princc hérédi-
tai,'.e de Hohcnlohc se mit en marche sur (;r:lud-
pl'é, puur tacher d'aiLcintlre l'arri(~J'('-ga\'(le awc




1)[JN !10J\flUE n'kr,\T.


denxrégimcns de hussards et quatre bataillons
de fusiliers.


Mais déja Dumouriez arrivait avec le gros
de son armée sur les hauteurs de Dammartin b
sur-Hans, persuadé qll'il avait terminé son mOll-
vement avec honheur; déj:'t meme il trac;;ait son
camp, lorsqu'un événement imprévu faillit chan-
gel' sa retraite en déroute, et luí arracher le
fruit de ses hellreuses combinaisons. Il s'était
fait suivre par la division du général Chazot:
n'ayant pu partir assez tót de Vouziers, elle
uonna tout :'t coup en arrivant a Vallx dans la
cavalerie légere prussienne, qui poursuivaít l'ar-
riere-garde. A la vue des hussards cette division,
saisie d'une terrcllI' panique, se précipite a tra-
vers les colonnes de l'armée, et y porte le dés-
ordre. Les hussards s'y jettent eux-memes par
une charge bl'llsque : tont se débande, tout
prend la fui te; quinze cents hussards prus-
sien s pOllrsuivent dix mille hommes. l .. a ter~
reur est telle que plus de deux mille fuyards de
toutes armes se dispersent avec une incroyable
rapidité a plus de trente lieues dans l'intérieur,
par Rhetel, Reíms, ChaIons, Vitry, publiant
partont que l'armée a été trahíe, taillée en pie-
ces; que Dumouriez et tous les générallx sont
passés dans le camp prussien : la commotion
s'étend .111squ'a París. Hcureusement pour Du-




446
mouriez, le gros de son al'mée ne partagt'
ni la terreur ni le d~sordre de la division Cha-
zot; ses généraux et lui surtout, y opposent
le sang-froid, et font reculer les hussards, qui,
n'étant pas soutenus, se retirent, emmenant
deux pit~ces de canon, une centaine de prison-
niers et quelques bagages.


Le roi de Prusse ne retrouva le détachement
du prince de Hohenlohe qu'au-dela de Grand-
pré; et la il exprima son mécontentement de
n'avoir pas été instruit assez tot de la retraite
des Fran<;ais, et de ce qu'on n'avait pas mis
toute l'armée prussienne a leur trousse. L'idée
qu'ils lui échappaient le préoccupa tout le jonr.


En effet, ralliant son armée, apres y avoir
rétabli l' ordre, Dumouriez lui fit passer la
Bionne sur trois colonnes le lendemain, 16
septembre ,et aIla sans obstacles occuper son
nouveau camp, situé a une lieue en avant
de Sainte-Menehould, sa droite appuyée a la ri-
viere d' Aisne, sa gauche a un étang et a des
prairies marécageuses. C'est de la qu'il écrivit a
l'assemblée et au conseil exécutif: « Dix mille
)) hommes ont fui devant douze cents hnssards
» prussiens; la perte ne monte qu'a: einquante
» hommes; tOllt est réparé, et je réponds de
)) tout.»)


L'extreme sécurité de Dumouriez venait saos




n'UN HOMME D'tTAT.


doule de ce que le duc de Brullswick, se bor-
nant a une simple escarmouche de hussards,
avait négligé le lendemain d'occuper Valmy,
Gizaucourt et Voilemont : la il aurait enfermé
l'armée fran~aise tout aussi aisément qu'elle au-
rait pu l'etre a Grandpré. Mais le duc ne fit au-
cun mouvement décisif ni le 16 ni le 17 sep-
tembre.


Il suivait la négociation secrete. Un émis-
saire neuchatelois, porteur de paroles plus ou
moins insidieuses, allait et venait d'un camp a
l'autre avec un sauf-conduit. Dumouriez faisait
dire a Heymann qu'il se déclarerait pour le roí
des qu'il serait en mesure, soit avec son parti a
Paris, ou tout était dans la confusion, soit a
l'armée des qu'il serait joint par des troupes et
des généraux sur la coopération desquels il
pouvait compter; mais que, pour sedéclarer et
faire impression, iI lui faIlait des forces plus
imposantes, et surtout ne pas se compro-
mettre.


Telles furent les négociations fallacieuses quí;
dans les conseils et en présence du monarque
prussien, firent mettre en avant que Dumouriez
tenait secretement pour le roí e~ pour la consti-
tution; qu'il était dans la ferme intention de
combattre l'état actuel d'anarchie; et que, par
conséquent, le dud de Brnnswick ne pourrait




448
ngir qn'au moment ou tOlltes les arn)('~es fran-
~aises sCI'a¡ent rénnies ponr les accabler a la fois.
Aussi quelle hésitation dans les mouvemens!


L'armée prussienne, entrée le 16 a Grand-
pré, avait débouché le r 7 par Vouziers et
Autry. Le lcndemain, le duc de Brunswick Úüt
avancer son aile gauche en échelons comma
ponr envelopper Dumouriez, le couper de ses
magasins, et de ses renforts, le forcer de ca pi-
tuler. Le J 9, les hussards de Kechler en vien-
nent anx mains avec les avant-postes fran~ais;
des officiers de hussards gagnent la hautenr de
Montrémoi; la ils aper~oivent un grand mou-
vement dans le camp de Dumouriez. La cava-
lerie étaít a cheval, l'infanterie dans la plus
grande activité, l'ailedroitc détendait ses tentes,
Jagauche . seule restait immobilc. Le major-
général Kechler vient faire son rapport aa
roietau dnc; en meme tcmps on rec;oit l'avis
qu'un corps assez considérable est apen:u en
marche sur la route de Chttlons pres de Notre-
Dame-de-l'Épine : c'était Beurnonville revenant
sur ses pas se joindre a Dumouriez.


Le roí, frappé du mouvement qn'on vient de
remarquer dans l'armée franc;aise, vent achevel'
de la tourner pour qu'elle ne puisse lui échap-
per; et, pIeio du souveoir de ce qui s'est passé
a Grandpré quatre jours auparavant, iI oe s'cn




, " J) eN HOJlfMF. D JlTA.T.


rapporte qu'a lui-meme: sans consulter le duc
de Brunswick, il donne l'ordre, de mettre
toute l'armée en marche. Le duc n'ose con-
trarier la volonté du monarque; il se borne
a provoquer des informations plus précises.
Le général Kcechler revient bientot clire au
roi que l'armée fran~aise n'a plus fait aucun
mouvement. Le duc de Weymar et le géné-
ral Heymann, de retour des avant - postes,
confirment ce dernier rapport; mais le roi, sans
aueune notion exacte de ce qui se passe au camp
fraw;;ais, conserve néanmoins l'espoir de donner
dans les colonnes en retraitc; il poursuit so.n
projet de les couper et de les attaquer.


Le voile ne devait se déchirer que le lende-
main. Le mouvemcnt remarqué dans le eamp
de Sainte -.Mcnehould avait eu pour cause la
jonetion du général Beurnonville d'une part,
et du général Kellel'mann de l'mItre; ee qui
mettait en présenee de l'armée prussienne
cinquante-tl'ois mille combattans fran<{ais efrec-
tífs, indépendammcnt de víngt-trois mille hom-
mes répartis soit a Bar, soit a ChaJons.


Tous ces corps, rénnis ou a la veille de l' etre,
présentaient une masse de soixante - seize
mille hommes, dont plus de douze mille de
cavalerie. Ainsi Dumouriez allait avoir dans ses
mains des forces égales a ceHes du due de Bruns-


1. 29




450 :lIÉMOIRES
wick, quant uu nombre, et bien 5upérieures en
égard el. l'état moral des deux armées.


Quel changement de scene! Les Fran<,;ais en
étaient redevables, d'une part a la fermeté et au
talent de leur général en chef, de l'autre aux
tatonnemens stratégiques du duc de Brunswick.
Pourquoi ne pas cerner Dumouriez, d'abord a
Grandpré, puis a Sainte-Menehould? Pourquoi
n'avoir pas empeché la jonction de Beurnon-
ville et de Kellermann a l'armée principale?
Enfin, si l'armée prussienne eUt marché rapide-
ment sur Chalons et sur Reims, elle y aurait
trouvé an moins l'abondance.


Le roí néanmoins, toujours dans la crainte
que l'ennemi ne vint a lui échapper, entendait
qu'on ne le perdit pas de vue, et qu'on se tint
pret a livrer bataille. Les ordres furent donnés
en conséqllence, et l'armée passa au bivouae une
grande parüe de la nuÍt du J9 au 20 septembre.


lei vient se placer le souvenir d'un témoin
oculaire, du célebre Grethe, qui était a l'armée a
la suite du duede Weymar. «Dans le ct'rcle des
» personnes, dit-il, qui entouraient les fimx au
» bivouac, et dont la figure était éclairée par la
» lueur des flammes, je vis un homme qui avait
» l'aír agé el- que je crus reeonnaitre. En rn'ap-
» prochant de lui, sa snrprise fut grande de me
» yoir moi.mpme an milieu ¿'une armée a la.




, " D U.'V HOl1'Il\IE D ETAT.


» veille d'une bataille. C'était le marquis de
» Bombelles 1, que j'avais vu a Venise, ou deux
» ans auparavant j'avais suivi la duehesse Amé-
» lie; iI y résidait comme ministre de Franee, et
» s'était empressé de rendre agréable a la prin-
» ces se le séjour de cette métropole de l'Adriati-
» que. Notre étonne~ent réciproque, le plaisir
» de nousrevoir et de nous rappeler de doux sou-
» venirs répandirent une sorte de contentement
» sur la situation grave ou nous nous tl'ouvions.
» Je lui parlai de son beau palais sur le canal a Ve-
» nise, et de ee moment enchanteur OU, y arri-
» vant en gondole, il nous re¡;:ut d'une maniere si
» honorable et si amicale; enfin je lui rappelai
» les fetes qu'il nous donna. Mais combien je
» fus dé({u, croyant le distraire et le flatter par
» ces joyeuses réminiscences ! Se repliant dan s sa
» douleur, il s'écria: (( N e parlons plus de ces eho-
» ses; ce temps est a présent bien éloigné de
»moi; meme alors, tout en fetant mes llobles
»hotes, ma joie n'était qu'apparente; j'avais le
» creur navré; je prévoyais les suites des orages
» de ma patrie, et j'admirais votre insouciance:
» eHe était teUe que vous n'aviez pas meme


, Le meme qui se fit ordonner pretre en AlJemagne. en 1804,
apres la mort de 83 femme, et qui, de retaur en France en 181!~, fut
nommé premier aumonier de m.dame la duche ... de Berri. Il ~,t
mort en 18~2.




lIrJillWIR¡:S


» l'idée que de pareils dangel's pussent se tourner
» contre vous-memes. Quant a moi, je me pré-
» parais en silence au changement de ma situa-
» tíon; en effet, il me fallut bientot apres quit-
» ter et un poste honorable et Venise, qui m'é-
» tait devenue si chere, pour commencer une cal'-
» riere d'aventures qni en fin m'a conduit ici ..... »


Le baron de Breteuil l'avait envoyé an quar-
tier-général prussien pour l'y précéder et prépa-
rer l'adoption de ses plan s ; iI était ] lIi-meme en
route ponr Verdun, á I'effet d'y veiller de plus
pres aux intérets uu roi de France. 11 était loin
de s'attendre que, sons tres-peu de jours, toutes
ses espérances s' évanouiraient devant les né-
cessités de la gnerre et les caprices de la
fortune.


A trois heures du matin, le 20 septembre,
l'armée entiere se remit en marche sur denx
eolonnes. L'avant - garde, commandée par le
prince de Hohenlohe, s'étant trouvée bientot
en présence de ceHe du général Kellermann, le
roi, en personne, mit en monvement plusieurs
régimells avec l'artillerie a cheval. A sept henres
le brouillard étant tombé, on aper<;:ut plus dis-
tinctement les dispositions des Franc;ais. Le roi
réitéra ses ordres pour la bataille , el fit avancer
sa colonne d'attaque sur les hauteul's de Valmy.
Elles étaient occllpées par l'armée de Keller-




, " D TlN llO:l'IlH.E J) ETAT. 453
mann, a qlli 1)umouriez faisait passer Jes ren-
forts, et qlli íi)I'ma aussitot sa ligne. Cependant,
au lieu d'engager l'action immédiatement, selon
1'intention du roi, et en tonrnant la gauche
de l'ennemi, ce qui alors eut é~é faciJe, le duc
de Brunswick se mit a manreuvrer ponr s' em-
parer des hauteurs de Gizaucourt et de la Lune,
disant au roi qu'il fallait gagner sur l'ennemi la
grande route de Sainte - Menehould a ChaJons.
Arrivé sur les hauteurs, iI Y dpploya ses forces
et lit porter sur son front cinquante-hnit bou-
ches a feu. De nombreuses baUeries étaient aussi
en avant de la ligne franc;aise '. L'artillerie ton na
bientot de part et d'autre, et tout le front des
deux armé es parut en feu. Deux obus, partis
des batteries prussiennes, ayant fait sauter des
caissons pres du moulin de Valmy, causerent
dans l'armée fran<;:aise quelque désordre ; la pre-
miere ligne mcme iléchit, et ce commencement
de confusion rendait le moment propicepour l'at-
taque. 11 était dix heures. Le roi, a che val , bra-
vant la canonnade, fait redoubler le feu, or-
donne lui-meme a son infanterie de se former
sur trois colonnes soutenues par la cavalerie,
et de marcher pour emporter les hauteurs cou-
ronnées par l'armée franc;aise. A mesure que
les colonnes s'avancent, le feu de l'artillerie




MÉl\IOIRES


prussienne diminue, et tout annonce un choc
entre les deux armées, le généraL Kellermann
ayant de son coté formé la sienne en colonnes
a la vue des Prussiens, qui marchaient avec
aplomb et fermeté. Mais survient le généralis-
sime, qui modere cet élan guerrier, qu'il fallait
combiner, dit-il , avec le mouvement du général
Clairfait, destiné a l'attaque du ilanc droit de
l'ennemi, et qui n'était point encore arrivé
sur le terrain. Le duc de Brunswick se porte,
.lccompagné de son état - major, sur les hau-
teurs de la Lune; et la, examinant avec son
télescope la position des Fran<;ais avec une
grande attention, il se retourne et dit tout
haut a ceux qui l'entourent : Nous ne nOU8 bat-
trons point id. Revenant pres du roi, iliui re-
présente combien iI serait téméraire d'assaillir
les hauteurs occupées par une armée dont la
bonne contenance laisse peu de chances favo-
rabIes, et aussitót donnant de nouveaux ordres,
les colonnes d'attaque se replient et rentrent
dans leur premiere position. A la vue de ce mou-
vement rétrograde, les cris de vivela natiolZ! se
font entendre sur tonte la ligne frall4;;aise pen-
dantplusieursminutes et a l'étonnementdesPrus-
siens. Ce hourra national parait un signe d'en-
thousiasme si évident, qu'il acheve de confirmer
le tIue de BnlllS,yick dans l'opiuion fIue la ba-




, " D UN HOlUME D l.:TAT. 455
taille serait douteuse. Le roí frémissait; son mé-
contentement était visible. Cependant le feu de
l'artillerie se soutint de part et d'autre, jusque
vers quatre heures du soir. Alors, sur l'avis que
le général Clairfait arrivait et aUait donner a
son tour, le roi, revenant a sa premiere idée,
tit former de nouveau ses colonnes, marchant
dans le meme ordre pour ten ter une nouvelle
attaque. Ce mouvement était déja prononcé
quand le duc persuada au roi que l'armée ayant
gagné les hauteurs de Gizaucourt et de la Lune,
et se trouvant ainsi a cheval sur la route de Cha-
lons, l'ennemi serait forcé de quitter 5a position,
et de laisser bien plus de chances de succes pour
une bataille générale. Les colonnes s'arretant de
nouveau, l'ordre fut donné de se replier et de
cesser le feu. Les Prussiens resterent la nuil
dans leur po si tío n au bivouac, découragés el
mécontens.


Dans la nuít meme le général Kellel'mann ,
craignant d'etl'c tourné par sa droite, repassa
la petite riviere d' Auve et en couvrit le front de
son armée. Par cette conversíon, sa droite s'ap-
puyant au camp de Dumouriez, il assura ses
communications, et déroba ainsi a l'armée prus-
síenne une grande partie des avantages de Sci
position sqr les hauteurs de la Lune.


Telle [ut la journée de Valmy. OH él vu a\f'C




456 lUÉ.UOI!lES
quelle obstination, dan s ce simnlacl'e de bataille,
le due de 13runswick s'en tint tont le jour a un
simple développement de ses forees. On regarde
comme a peu pres sur' qu'il aurait pu rempor-
ter une grande victoire s'il eut attaqué les Fran-
cais de front ou en flanc an commencement de
.


la canonnade et avant qu'ils ne fussent soutenus.
Qu'on observe que le champ de bataille choisi
par Kellermann était a une licue da camp de
Dumouriez, qui ne parut que vers midi au roint
d'attaquc et rejoignit aussitut son propre campo


Mais si la eanonnade de Valmy fut insigni-
fiante en elle-meme, n'ayant occasioné qu'une
perte d' enviran sept a huit cents hommes a
chacune des deux armées, elle n'en amena pas
moins un ehangement tres-important dan s leu!'
état moral, et il fut tOllt a l'avantage de la
Franee. Elle releva la confiance de ses soldats
en meme temps qn'elle détl'uisit ceHe des Prus-
siens, dont le demi-tour á droite au moment
décisif de l'attaque fut présenté comme une
défaite par les généraux de l'armée fran<;aise.
Quel stimulant pour une nation belliqueuse
menacée dans son indépendance, et cpIi aceou-
rait alors de toutes parts a la défense ele son
territoire 1


L'embarras el'expliquer la manceuvre de l'ar-
mée prussienne se fit remarquer dans la rela-




J)'CN HOJ.U~'lL 1,'.ÉTAT. 1,57
tion oHicielle I'éuigée au qnartier-général du roi
de Prusse 1 et publiée ensuite a Berlín. Le der-
nier paragraphe était COJl(,;U en ces termes :
« L'armée prussienne montra, le 20 septem-
» bre, ce que pent la discipline militaire nnie
» a la valeur. Ses mouvemens se firent avee
» le meme orure, la meme tranquillité qu'aux
J} manrenvres en temps de paíx, et durallt trois
J) henres tont resta tranqnilIement en ligne sons
» le fen le plus vif, sansqu'unsenlhommcpensat
» seulement a quitter son rango Du premier gé-
» néral jusqn'au dcrnier soldat tous brulerent
» uu désir le plns ardent d'etre menés a l'en-
») nemi, et lZOUS eussions remporté le triomphe
») le plus glorieux, si des motifs prépondérans
» n' eussent retenu le roí de se détermifler el hIJrer
J) bataille. »


Ces motifs étaient tirés de la erise polítique
qui avait amené la négociation secrete pratiquée
d'un camp a l'autre. Ce n'était pas sans raison
que Dumouriez. si pénétrant, s'était obstiné a
tenir dans les défilés de l'Argonne, ou iI se pré-
valut avec habileté de la disposition d'esprit de
son adversaire. Il sav<lit combien eette gnerre
répugnait au duc de Brunswick, et combien
le cahinet et les généraux, d'accord avec le


, Dalee de Hans, le 04 "cl'temhl'e.




458 J\IÚWIRES
duc, épiaient soit l'occasion, soit le prétex.te de
transformer en promenademilitaireune invasion
qui contrariait Ieurs préjugés nationaux et leurs
penchans; Dumouriez n'ignorait pas que le roí
de Prusse seul agissait franchement par l'effet
de ses inclinations, de sa maniere de voir et de
ses engagemens politiques. 01', iI jugea qu'it
fallait frapper' vivement l'esprit de ce prince ,
pour le détourner d'uneentreprise dans laquelle,
selon son expression, I'arrnée prussienue s'était
mal enfournée. Cette entreprise d'ailleurs uta_
vait~elle pas contre elle d'une part la sourde op-
position formée dans le camp prussien, et de
l'autrela résistance d'une nation qui se décIarait
fortement pour le maintien de son indépen-
dance?


Voila les données qui inspirerent a Dumou-
riez tant de confiance et de présomption; voila
les sel1timens qll'il sut faire passer dans l'ame ,
non-seuIement de ses généraux, mais du con-
seil exécutif provisoire. Rien n'égalait l'ardeur
et l'activité de ce nouveau pouvoir; toutes les
levé es , tous les moyens de défense, iI les diri-
geait sur Chalons. Dumouriez ouvrant avec le
conseil une correspondan ce miIitaire active,
éc,'ivait en meme tcmps des IeUres confiden-
LielIes a Danton qui dominait le cOllseiJ par son
óut'l'gie eL SOl! anclace.




D'UN HOl\U[E lJ'J~TAT.
Cet homme, ce chef de démagogues, an plus


fort de la erise, avait cru tout sauvel' pal' la ter-
reur et l'effroi. La prise de Longwy ayant fait
dans París une sensation profonde, on s'y était
cru pel'du a la nouvelle que Verdun allait aussi
tombel' au pouvoil' des PrussieU:s. On ne dou-
tait meme plus que le duc de Brunswick ne vint
exercer les menaces contenues dans ses mani-
festes. Mais Danton, relevant les courages, s'était
opposé avec vigueur an projet d'abandonnel'
París, et de se retirer derriere la Loire en y
emmenant le roí et toutes les autorités. Mais icí
commencent les atrocités : Danton conspirant
avec les nouveaux pouvoirs de la commune
qui venait de renverser le trone, souille Paris
des massacres de septembre, scenes épouvanta-
bIes, au moyen desqueIles lui et ses complices
prétendent conjurer les dangers de la patrie.
{( MontroIls, disent-ils, la massue du peuple sus-
>1 pendue sur les tetes royales des prisonniers du
>1 Temple, et prete a les frapper si le roi de
»Prusse ose poursuivre sa marche sur Paris;
>J montrons aux rois, par l'égorgement des pre-
» tres et des nobles, de quoi la vengeance po-
» pulaire est capable [ )1


Ces moyens terribles ne furent pas sans effet.
Dumouriez, tout en les détestant, sut en tire!'
parti arres la coneentl'alion de ses forces, lors-




460 lIIÉ'IJ01HES
que, n'ayant plus ancnne inquiétude, iI vit le duc
de Brunswick disposé 11 mettre de coté les voies
souterraines pour arriver a une négociation
patente. Danton avertt venait de lui Jépecher
l'adjúdant-général Westermann, sa créature, et
le héros du 10 aout. Illui envoya peu de jours
apres Fabre-d'Eglantine, son intime confident,
sous prétexte de le réconcilier avec Kellermann,
mais dan s le fajt pom régler la marche a suivre
dans la négocjation prussienne sur la base d'une
prompte évacnation du telTitoire. Fabre était
aussi chargé de le prévenir qu'il allait recevoir
l'arreté du conseil exécutif qui remplissait ses
vreux, en lui suborc1onnant Kellermann, du
moins pend:ll1t tout le temps que l'armée de ce
génél·al sel'ait jointe a la sienne.


De son coté, le duc de Brunswick obtint du roi
que le secrétaire c1u cabinet, Lombard, irait s'a-
boucher préaJablement ayec Dnmouriez dont on
voulait sonder les dispositions secretes. Par un
arrangement concerté d'avance, Lombard feí-
gnit de tomber dans une patrouille fraIH,;aise
avec quelques voitures d'équipages dn commis-
sariat des guerres et des vivrcs. Il cut la nuít
meme, avec Dumouriez, une conférence ou les
points essentiels de la négociation furent eliseu-
tés sans qu'on pút s'entendre, cal' c'était sur la
hase de la délivrance préalable de Louis XVI el




, ,.
D CN HOllfME )) ETAT.


du rétablissement de la monarchie eonstitution-
neUe que Lombard était autorisé a entrer en
pourpal'lers. Dumouriez, s'attaehant a lui retra-
cer l'état d'effervescenee et d'anarchie ou se
trouvait la Franee, par suite de l'invasion , luí
démontra l'impossibilité absolue d'en venir im-
médiatement a un résultat qu'il désirait lui-
rrJt~me au fond de son ereur, mais qu'il ne lui
serait possible d'atteindl'e qu'apl'es avoir déli-
vré le sol fralll,;ais, et aequis assez de popuJarité
et de prépondérance pour sauver les jours du roi
et pour mettre un terme aux déehiremens de
l'intérieur; a eet égard il engagerait volontiers
sa parole, mais le préalable eonsistaitpour luí
dans l'évaeuation immédiate, et s'il ne pouvait
y arriver par un arrangement, il déclarait qu'il
ruinerait l'armée prussienne, ayant déja sous
sa main quatre-vingt mille hommes qui bientot
seraient portés a eent mille, avec lesquels il
pourrait défier toutes les [orces de la coalition
et assurer a jamais l'indépeudance de sa patrie.
Dumouriez insista fortement sur la prompte
retraitedes Prussiens, comme indispensable pour
préserver les jours dll roi et de la famille royale,
dont le sort n'avait été agravé, dit-¡I, que par ref-
fet dll progres des armées étrangeres dan s l'in-
térieur de la Franee. Lombard l'engagea inutile-
ment a une entrevne avee le due de Brunswiek.




>tlÚrOlRES


Dumouriez luí objecta qll'il ne pourrait s'y pl'eter
sans se compromettre, et qu'en revenant a la
charge sur ce point, illaissait voir qu'on n'avait
au quartier-général du roi de Prusse ancnne
idée de ce qui se passait en France. « Dites an
dnc de Brunswick, ajonta Dumouriez, qu'a la
séance du 4 septembre , un dépnté X, en parlant
des suggestions de la malveillance, a accrédité
le bruit qu'on n'avait suspendu Louis XVI que
pour placer le duc de Brunswick ou le duc
d'Y orck sur le treme; que l'assemblée, se levant
tout en ti ere par un élan patriotique, a juré qu'il
ny aurait plus de roí; qu'elle a aussi accueilli
par des acclamations unanimes la déclaration
proposée par le député Aubert-Dubayet, por-
tant que l'assemblée ne souffrira jamais qu'au-
cun étranger donnc des lois a la France; que
el'un autre coté le parti de Robespierre, qui
prend sa force clans les ex ces de la commune
de Paris, vient d'accusel' le parti du député
Brissot, d'avoir voulu vendl'e Paris au duc de
Brunswick : que hli Dumonriez, d'apres toutes
ces accusations et ces défiances, se garderait bien
de s'abouchel' avec le dnc; qu'il serait bien plus
convenable qn'on lui envoyat du quartier-géné-
ral prussien un parlementaire, sous prétexte de
l'égler l'échange des p,'isonniers. ))


, r:hahot.




, " 11 UN HOM1\IE D ETAT. 463
Le lenuemain 22 septembl'e, Lombard y fut


l'envoyé accompagné par l'adjudant-général Wes-
termann, ehargé de proposer au roi de Prusse ,
au nom de Dumouriez, l'éehange du seerétaire
Lombard eontre le sieur George de Varennes,
ex - constituant, conduit par· les Prussiens
eomme otage dans les prisons de Verdun. Cette
proposition masqua la eonférenee, qui eut
líeu entre Westermann et le général- majol'
Heymann en présenee du due de Brunswiek,
apres que Lombard eut fait son rappo!'t au roi.
IJe duc fut d'avis de traiter: il espérait ame-
ner par des négociations un ehangement dans
les événemens. Le roi autorisa l'envoi des
parlementaires, en désignant Heymann et le
calonel Manstein son premier aide-de-camp.
Ils furent chargés d'entamer avec Dumouriez ,
sous prétexte d'un cartel d'échange général,
une négociation secrete dont la liberté de
Louis XVI, la cessation des désordres en France,
lerétablissement de la royauté et la paix générale
seJ'aient l'objet. Le meme jour Heymann ayant.
fait demander au général Kellermann un sauf-
conduít ponr lui et le eolonel Manstein,illui fut
envoyé sur-Ie-champ. Les parlementaires arrive-
rent te soir meme a Dampierre, ou les généraux
Dllmouriez et Kellermann se trouvaient réunis.


Apres If's premiers complimpns, le colonel




464 MÉ'ItOIRES
Manstein dit a Dumouriez qu'on lui rendait
toute justice dans l'armée prussienne; qu'on
n'ignorait pas le g,'and pouvoir qu'il avait sur
son armée, et qu'on était persuadé qu'il dé-
pendait de lui de mettre fin aguerre; que,
loin d'etre gené dans ses démarches, il aurait
tous les secours qu'il pourrait désirer, s'il vou-
lait faire cesser les désordres en France; qu'il
serait le maltre de la paix et qu'il rendrait
le service le plus signalé, non-seulement a sa
patrie, mais a toute l'Europe, Dumouriez répon-
dit que la France n'avait pas déelaré la guerre
an roi de Prusse; que rien n'était plus aisé que
d'avoir la paix, l'armée prussienne n'ayant qu'a
se retirer aux frontit~res et restel' neutre eomme
les autres souverains de rempire; q~¡ les impé-
riaux livrés a eux-memes ehercheraient alors a
s'accommoder; qll'ainsi la paix dépendait entie-
rement du roi de Prusse; qu'a l'égard de ce qui
se passait en France, tout en désapprouvant
certaines choses, ce n'était pas a lui a y remé-
dier; qu'il lni serait meme impossible d'y tra-
vailler tant qu'il aurait a donner tous ses soins
pour repousser une armée fOl'midable. Il con-
clut qu'il fallait se borner a dresser le cartel d'é-
change. Apres le dlner, ]a conversation deve- ,
nant plus expansive, Manstein engagf'a sans
détonr Dumouriez a se Jéelarer pour le roi en




n'UN HOllIlUE n':ÉTAT. 465
faisant cause eommune avec les puissances.
Dumouriez repoussa avec dignité eette propo-
sition, ajoutant qu'il désirait témoigner au roí
de Prusse son'respect et revoir le colon el Mans-
tein ponr cultiver son amitié, mais pourvl'
qu'on s'abstlnt désormais a IUi faire de sem·
blables ouvertures; que du reste, si on en
venait a des propositions raisonnables, peut-
etre serait - iI possible de s'entendre. On con-
vint que les deux parlementaires iraient le sur-
lendemain diner chez Dnmouriez a Sainte-Me-
nehould. lIs proposerent une suspension d'armes
qui fut établie des le soÍr meme sur le front des
denx armées.


Les Prussiens avaient pris position le meme
jour sur la cote de l'Hyron; Clairfait s'établit sur
la hautenr de Valmy, et le prince de Hohenlohe
avec I'avant-gardc sur les hauteurs de Gizaucourt
et de la LUlle, gardant la route de Chil.lons. Var-
mée combinée faisait ainsi face en arl'iere, tour-
nant le dos a Paris. Quoique dans une position
également hasardée, l'armée fran~aise avait ce-
pendant un avantage : elle eommuniquait avec
Bar et Vitry, en recevait des vivres et pouvait
se jeter au besoin sur Sedan OH sur Metz. Le
eonscil exécutif, et surtont le ministl'e de la


I ". ., 1" d guerre , n etment pas san s Cl'amte a egar
, :\1'. Scrv~ll.


f. 30




466 MÉlIroInES
d'une arméesur qui seule reposait le salut de
la France. I~e ministre insistait pour qu'ellc se
retidt derriel'e la Marne, ou elle eút couvert a
la fois Chalons , Meaux et Reims déja menacés
par les troupes légeres allemandes. Mais Dn·
mouriez tenait a son plan; iL ne voulllt point
quitter son camp de Sainte . Menehould : déja
iL y avait concentré ton tes ses forces. Rassuré
par la connaissance uu caractere et des dispo-
sitions du général qui luí était opposé, il regardait
le so1't de la campagne comme pouvant etre plu-
tot décidé par l'influence des négociations que
par la chance des combats.


Dans ce changement de scene, néanmoins
on s'agitait au quarlier - géné1'al de l~1'édél'ic­
Guillaume : le parti prussien poussait aux né-
gociations et aux mOJens termes, et le parti
russe, émigré et autl'ichien, sans aucune con-
fiance d"ns les négociations, ne cessait d'insistel'
aupres du roí ponr marcher en avant et combat-
treo Frédéric-Guillaume manifestant lui-meme le
désir de pénétrer encare plus avant, les princes
fran~ais firent proposer de marcher sur Chalons
sans plus de délai. Le dnc oe Brunswick s'y opposa
fortement dans le conseil. « Déja, dit - il, les
») armées alliées se trouvent trop éloignées de
)) Verdnn, dont la communication devient tous
)) les jOUI'S plus difficile; elle le serait bien da~




, " D UN HO;\,IlHE D ETAT. 467
) vantage par le rnonvernent qu'on propose, et
)) qui nous éloignerait trop de notre base d'opé-
» rations. Dans une marche aussi hasardée le
) général Durnouriez ne rnanquerait pas de nous
») attaquer sur nos derrieres et de nous couper
)J. entierement de nos rnagasins. Qu'on observe
) aussi le rnauvais état ou se trouvent l'armée
) prussienne et autrichienne; la premie re est
» réduite a trente-quatre rnille combattans, et
J) celle uu génél'al Clairfait a dix-sept mille; enfin
») celle du prince de Hohenlohe - Kirchberg et
» des IIessois, a trei,ze mille; en tou t soixan te-
) dix mille hommes contre soixante-seize mille
» a la disposition uu général frarH;ais. Si nous
) nous pétcrrninions a cornbattre, avant de mar-
» cher sur Chalons, ríen de plus incertain que
) la victoire : elle n'crnpecherait meme pas Du-
» mouriez ue se retirer sur Vitry, oú il sel'ait
» bientot renforcé pal' de nouvelles troupes.
» N ous, au contraire, affaiblis par des cornbats
) sang\ans, par les maladies et par les dé tache-
J) mens nombrenx qui assurellt nos subsistances,
» nous ne pourrions plus ríen entreprendre.
» Exposés a voir ces détachemens battus en dé-
» tail, nous nous consumerions [ante de res~
» sonrces dans un pays stérile et dévasté. Si mal-
)) heureusement nous étions battus,notre défaite
)J nons exposerait a etre taillés en pieces dans




468 l\IÉ1UOIRES
» les défilés de Grandpre, n'ayant plus d'autre
JI retraite que derriere Longwy et Luxembourg,
» si on nous y laissait arriver. Sclon moi, le seul
» partí ra~sonnable seraít de nous retirer par
» Grandpré avant le moment Ol! la saison étant
» plus avancée, les chemins devíendront plus
» mauvais et les maladies plus destructives. Dans
» cecas nos armées tOlljours maitresses des défilés
» et rapprochées de nos magasins, pourraient
» assiéger tranquillement sur leurs derrieres,
» soít Sedan, soit J\Iontmedi, et prendre avec
» sureté des quartiers d'hiver en France. l'vIais
» ces opérations doivent etre combinées avec la
» diversion du duc de Saxe-Teschen en Flandre.
» Je conclns done a ce qn'il ne soit prís ancun
» partí hasardé et a ce que nous attendions,
» avant de rien décider, Ol! nous menera llne
» négociation qui peut nous ctre favorable.» Le
dnc eut pour lui le cabinet et la majorité du
conseil.


Le lendemain, les deux parlementail'es ,
porteurs de ses propositions, vinrent dine!'
chez Dumouriez. lIs avaient ordre de traiter
tOllt d'abord du cartel d'échange. Dumouriez
ne voulant point y comprend,'e les émigrés,
le projet de cartel fut restreint al1X troupes prus-
siennes, hessoises et autrichitmnes. Il entama
ensuite de lui-meme une discussion politiql1c OtI,




, ." D UN Ho;mlIE D ETAT. 469
sontenant que le roi de Prusse avait engagé une
guerre contre son propreintéret,ilassurait que les
Fran<,;ais ne combaUaient ce monarque qu'avec
répugnance. Manstein, de son coté, déclara que
le roi son maitre ne désirait pas la continuation
de la guerre et encore moins de s'immiscer dans
la constitution ni dans le gouvernement de la
France; et pour établir combien les désirs
du roi étaient modérés, iI remit en son nOll
les propositions suivantes: .que Louis XVI se-
raít délivré de prison; qu'on lui rendl'ait son
autorité tclle qu'ill'avait avant le !O aoút; que
l'armée combinée quitterait immédiatemcnt le
territoire frant,;ais; qu'on remettrait les places
qu'elle occupait an nom da roi; que les articIes
préliminaires de paix seraient signés d'apres ces
bases, et la paix générale et défiuitive a la suite
d'un congres oú serai~nt appelés et entendus
les plénipotentiaires franc;ais.


Pour toute réponse, Dumouriez remit a Man-
stein le bullctin officiel qu'il venait de recevoir
a l'instant de Paris, contenant le décret de la
convention llationaIe qui abolissait la royauté
et challgeait la mOllarchie en république. Le co-
Ionel en parut consterné; Dumouriez lui-meme
ne dissimula point qu'il regrcttait infinimellt que
les choses fUSSCllt poussées a une telle extrémité,
d'al,ltant plus qu'iI n'y voyait aUCllll remede.




1\IÉJIOIRES


Il éluda de nouveau la proposition de se ren dre
en personne au camp prussien ; les deux parle-
mentaires en reprirent la route tristemen t apres
qu'il eut été convenu que le colonel Thouvenot,
premier aide-de-camp de Dumouriez, iraíL le len-
demain au quartier-général de Hans confércr ave e
le duc de Brunswick.


Le meme jour, le major Massenbaeh, si-
mulant une mission militaire, s'était renda de
son coté au quartier - généraI de Kcllcrmann. Il
trouva ce général environné des fils du duc d'Or-
léans, qui venait de prendre le nom de Phi-
lippe Effalité;des généraux Arthur Dillon, Laba-
roliere, Schrenberg et autres. La conversatíon
roula sur ]a journée de Valmy et sur la situatíon
politique de la F,rance. Apres le dlner, Massen-
bach s'entretenant avec Dillon, ce général
lui témoigna aussi le reg~et que le roí de Prusse
se fUt laissé entralner dans eette guerre; iI l'in-
vita a dire au roi et au -due de Brunswick que le
partí républieain ayanttriomphé, le roi de France
et la famille royale, dans les fcrs, ne pourraien t
etre sauvés que si la coalition consentait a re-
connaitre la républiquc et a faire immédiatement
la paix. Il ajouta, mais a voix basse, que la paix
anéantirait la république en faisant naltre dans
son sein des partís quí tot ou tard rameneraient
le roi sur le trone; que si, au contraire,on s'achar-




D'UN HOllIlI!E D':ÉTAT.


naít a la guerre, la monarchie fran¡;aise et torite
la noblesse étaien t perdues; que luí-meme regar-
dait sa mort eomme eertaine 1 ; qu'il ne fallait pas
songer an retonr des princes ni des émigrés, mé-
prisés et ha'is de toute la nation: Jetant antanr de
lui un eoup d' ceil inquiet, et voyant qn' on par-
lalt avee vivacité dans la salle et sans l'observer,
il ouvrit la fenetre, et se penchant an - dehors :
( Voyez, dit-il a Massenbaeh, la belle eontrée! »
J~e major rayant compris se pencha de meme,et
alol's DiIlon lui dit a 1'0reilIe : «( Avertissez le roi
» qu'on travaille a Paris a un projet d'invasion en
)J Allemagne, paree qu'on sait qu'il n'y a pas de
"1J troupes allemandes sur le Rhin,et que par la on
» espere hatel' la retraite des armées étrangeres 2.»
Ceci était de la plus haute importan ce , et Mas-
senbach se hata d'aller remIre compte au duc de
Brunswick.He ce qu'il avait vn et entendu. Le due
l'envoya an roi, qni accueillit peu son rapport.
Manstein étant venu confirmer le détl'oncmen t
de 1..ouis XVlet la formation d'une l'épublique, le
roi en avait témoigné beaucoup d'humeur etvou-


, Arthur DilIon s'étaÍl d'a lJOrd déelare contre la revolution du
10 aout, et avait 5emble vouloir suivre J'illlpulsion du génera! La
Fayette. Revenant ensuite sur ses Fas et adhérant a la révolution, il
ne put touterois obtenir la confiance des républicains, qni, apres 1'a-
voir rappelé ues armées, le firent monter plus tanl sur l'échafaud.


, En effet, l'invasion de Custine a ',,"orros, Spire et Mayence était
imminente.




JlIÉMOIRES


lait meme rompre la négociation. Ce ne fut pas
sans peine que le duc , aidé de Lucchesiní, obtint
du roi qu'on receveralt l'aide-camp-camp de Du-
mouriez avec lequel on espérait s'entendre. Enfin
on calma le roí.


De son coté, Dumouriez impatient d'éloigner
les Prussiens pour attaquer les Pays-Bas, cal'
tel était son plan favori, avait jugé que dans l'é-
tat des choses la négociation, récluite a une con·
vention purement militaire, ne devait porter
que sur deux points essentiels; l'ahandon des
émigrés et la prompte évacuation du territoire.
Il donna des instructions en conséqnence au co-
lonel Thouvenot, son confiden t intime, qu'il
chargea d'aller stipuler en son nom la con-
velltion secrete, sanf a la ratifier des que le con-
seil exécutif lui aurait ellvoyé l'autorisation
qu'íl sollicitait. Thouvenot se ren4~t le lende-
main au quartíer - généraI prussien et contera
d'ahord tete a tete avec le dnc de Brunswick
déja décidé aux plus grands sacrifices pour
obtenir sa libre retraite et sauver Louis XVI,
s'il était possible. Le duc rejeta done sur les
princes fran<;ais et sur les émigrés tout le far-
deau de la guerre et des intentions politiques qui
avaient dirigé le ·roi dans son invasion, et iI n'in·
sista nullement pour faire comprendre les émi-
grés dans le cartel d'échange. (( l\Iais, monsieur,




D'UN IIOl\Il\IE D'iTAT.


» dit-il a Thouvenot, vous avouez que nos na-
), tions ne sont pas faite s pour etre enpcmies; n'y
)/ aurait-il pas quelqnes moyens de nous ac-
» commoder a l'amiable? Nous sommes dans
» votre pays désolé par les malheurs inévitables
» de la guen"e. Nons savons que nous n'avons
» pas le droit d'empecher une nation de se don-
» ncp des lois, de tracer son régime intéríeur;
» nous ne le voulons pas : le sort du roí seul
» nous occupe. Nous savons qu'il est traité avec
» la derniere barbarie par la commune de París,
» et ceci affecte particulierement sa majesté le
» roi de Prusse, cal' iI est de l'humanité des sou-
» verains, autant qu'il importe a leur honneur,
» de s'opposer a de tels exceso Que deviendra ce
» malheureux roi? Qu'on nous donne sur lui des
)) assurances; qu'on lui assigne une place dans
» le nouvel Ol"dre de choses; qu'on lui confel'epar
») exemple le titre de stathoudcr ou tont autre
» titre équivalent, et sa majesté le roí de Prusse,
» dont l'ame bonne et généreuse compatit aux
)) maux de la guerl'e, rentrera dans ses états et
)) deyíendra votre allié. - Je n'entrevois, mon-
)) sieur le duc, répondit Thonvcnot, qu'un seul
» moyen possible d'arrangement : celuÍ de tl'ai-
» ter directemellt avec la convention nationale
» OH ses délégués. La conventioIl est la représen-
» tatÍon de la nation entiere. YJ Alors parut Luc-





• 1I1Éc1roIRES
chesini, anponc;ant qu'il était sans mission, mais
qu'il désirait comm~ bon citoyen yoir les deux
nations rentrer dans l'élat de tranquillité dont
elles avaient égalemellt hesoin l'une et l':mtrc.
Un résumé de l'entretien lui ayant été fait sur-
le-champ pour l'amencr an point oú en était la
discussion, iI tronva excessivement difficile d'ou-
vrir ,avec la eonvention nationale les prétimi-
naires d'un accommodement san s la reconnal-
tre, et il demanda s'il n'y aurait pas moyen de
traiter ave e l'année. «( L'année, dit Thouvenot,
)) ne traite pas de politique ; encore une fois ces
)) sortes d'affaires ne peuvent etre portées qu'A
)) la nation elle-meme ou a ses délégués. »


On aborda finalement la véritablc discussion :
TllOuvenot insista an nom de Dumonriez pOlll"
que le roi de Prusse prlt l'engagement de se sé-
parer de la coalition et de ne plus eombattre.
Le dne de Brunswick assura que sa majesté prus-
sienne tenait tellement an point d'honneur qtl'il
serait difficile de l'amener a rompre ses allianees.
Lncchesini observa néanmoins que si on avait
égard aux demandes formées en favenr du roí
de France, et si on voulait borner les opérations
des armée:; franc;aises á l'invasion des Pays-Bas,
en s'interdisant de porter les armes dans l'em-
pire, pent-etre le roí se séparerait ele la coalítion;
mais qu'il exigerait des garanties. Alors Thon-




, " D UN HOJlflHE D ETAT.


venot déclara qu'il faHait se restreindre pour le
moment a une convention militaire secrete
sur la base de l'évacnation immédiate du ter-
ritoire,clans le délai de vingt jours, au plus tardo
Dumouriez s'engageait a ne pOÜ1t inquiéter la
retraite jusqu'a la Meuse; et au-det\ il en serait
de. meme , sauf la remise successive des places
de Verdun et de Longwy. On tomba d'ac-
cord. Mais de meme que Dumouriez, pour
engager définitivcment sa paroIc, attendait un
courrier de Paris, le dnc de Brunswick déclara
qu'il luí restait encore a pl'enc1re les ordl'es du
roi a ce sujeto De part et d'autre on se sépara
plein d'espérance que l'arrangement recevrait sa
conclusion, tant les del1x générallx en chef pa-
raissaient le désircr.


Mais le monarque prnssien n'était pas dans
des dispositions aussi favorables. Dumouriez ne
l'ignorait pas: il renvoya W· estcrmann aParisavec
un extrait de la derniere conférence et une lettre
particuliere pour Danton. Ille chargea en meme
temps de se renclre au conseil général de la com-
mune pour demander des renseignemens sur
LouisXVI, et sur les égards qu'on avait pour sa
personnc, ne luidissimulant pas que ces informa-
tions demandées par le roi de Prusse étaient né-
cessaires au succes de la négociation entamée. A
l'arrivée de Westermann dans la capitale, le procu.




)IÉJ\fOIRES


reur de la commune, Manuel, qui venait d'etre
nommé a la convention, intervint et demanda
qu'il fUt délivré un certificat de chaque arreté
pris par le conseil général au sujet de Louis XVI
pour l'envoyer au roi de Prusse. Les démar-
ches de Manuel dans cette circonstance et ses
entretiens avec le roi au Temple, de concert
avec Pétion et le député Kersaint , donnerent
lien au bruit qu'ils étaient parvenus a déter-
miner Louis XVI a écrire au roi de Prusse pour
l'engager a ordonner la re traite. Cette Iettrc n'a
jamais existé; c'est un fait que nous pouvons
présenter aujourd'hui comme avéré. Mais iI n'en
est pas mojns certain que Dumouriez travaillait
sincerement, quoique sans espoir de succes, a
préserver Louis XVI. Quant a son zele pour la
délivrance dn territoíre iI n'eut pas de bornes. Il
fit un mémoire dans lequeI rejetant tous les tor1s
de la guerre sur la maison d'AntI'iche, iI cherchait
a persuader le roí de Prusse qu'il y allait de son
intéreta.se détacher d'unealliance qui n'était ni
naturelle ni avantageuse. Dumouriez a!la plus
loin : tirant parti des lllmieres qu'il devait aux
conversations de son confidentThouvenotavec le
d llC de Brunswick et avec Lucchesini, iI s' exprima
en ces termes sur le meme sujet: ce Le roi, dit-on,
» ne peut abandonner ses alliés: sont-ils dignes
» de luí ? .. Il ne peut pas, dit-on, rompre son al-




n'UN HO~BrE n'JiTAT.
» Iianee: sur quoi est-elle fondée ? sur des perfidies
» et des projets d'envahissement. )1 Dumouriez
appelait ]a fidéIité qu'apportait le roi de Prusse a
tenir ses engagemens politiques, l'illusioll du
point d' honneur; iI faisait des vceux pour que
cette illusion ne put l'emporter . sur les motifs
qui , d'apres ses raisonnemens, devaient décider
le roi a rompre ses alliances pour en contracter
d'autres d'une nature tout-a-fait opposée. « Si
» le roi de Prusse, disait-il, consent a traiter
» ave e ]a nation fran<;aisc, il se fera un allié gé-
1J néreux, puissant et invariable .... » Dumouriez
envoya cet écrit au colonel Manstein, en le
priant, pour l'intérth des deux nations, de le
faire lireau roi. Manstein le promit, en préve-
nant toutefois Dumouriez que son mémoire
ne ferait aucnn impression sur l'esprit de Fré-
deric-Guillaume.


En effet, ce prince voyant la négociation se-
crete s'évanouir sans espoir d'aucun arrange-
ment raisonnablej voyant la royauté abolie en
France et la république pl'oclamée, ne vouIut
pas différer plus long-temps de prendre un
partí; en conséquence iI convoqua pour le
~6 septembre, a Hans, son quartier-général,
un grand conseil de guerre, ou furent ap-
pelés les· principaux généraux de l'armée com-
binéc aillsi que les ministres de ViClllleet de




1I1 É 1110 IR E 5
Russie. Son intention était de livrer balaille et
de pénétrer plus avant dans l'intérieur de ..la
f'rance : il y était excité par l'arrivée d'un nom-
breux convoi qui venait de tire!' l'armée prus-
sienne de sa détresse, et plus encore par le partí
ues princes et des émigrés qui se defiaient sin-
gulierement des négociations. « On ne con~oit
» rien, disaiellt les émigrés, aux conférences
» un roí de Prusse avec Dumouriez,a moins que
)) l'on n'ait le projet de saw'er les jours dll I'oi
» de Frallce et de ltOltS sacl'i¡Zel' ... Alol's, adieu la
» noblesse, le c1ergé et les pl'opriétés. »


Le eonseil s'étant assemblé, le roí mit en Uéli-
bération si on livrerait bataillc : le uue de Bruns-
wiek ,le géneral Kalkreuth et leS autres gélléraux
prussiens reproduisil'ent tous leurs argumens
sur le mauvais état de l'al'mée, sur les difficultés
de la faire subsister, sur les obstacles que la
saison plnvieuse apportai t á tout mouvement
prompt et á toute entrcprise hasardée; enfin
sur l'imprndence et le danger d'exposer an sort
toujours incertain d'une bataille, une armée si
fort affaiblie par les maladies, et dont les eom-
munlcations avcc Ven1un et Treves, seuls points
dont elle put tirer ses vivl'es, étaient sériellse-
mcnt menacées.


Ces objections furent combattl1es d'aboru par
le par ti des princes fl'ant;ais, que représelltaient




D'UN HOilIl\IE D'.ÉT,~T. 479
au conseille maréchal de Broglie et le maréchal
de Castres. lls y mirent toute l'énergie que lenr
inspirait la position de leur partí et de la fa-
mille royale. Les deux maréchaux ne formaient
aucun doute sur le succes d'une bataille géné-
rale, qll'il fallait, d'apres leur avis, livrer sur-le-
champ, pour marcher ensuite sur Chilons, ou
d'immenses approvisionnemens mettraient dans
l'abondance l'armée pl'Ussienne: la elle n'au-
raít plus á s'a[{aiblir par les nombreux détache-
mens destinés á couvl'lr des communicatioIls
d(~sormais inutiles. Le général autrichien Clair-
fait appuya ceHe opiniol1, et la motiva par de,s
considérations politiques. Le roi de Prusse y
inclina si ouvertement, qn'á la levé e de la con-
férence iI fixa le jour de la hataille an suden-
demain 29 septembre. A l'issne dn cOllSeil, le
duc de nrunsvlick en donna lui-meme. 1'assu-
rance au marquis d'Antichamp. « Voilit done
» un point an'eté, lui (lit-il; le combat est ponr
» le 29.)\ La nouvellc en ay:.mt été portée aussitot
anx princes fran<;ais, répandit dan s leur camp
la joie la plus vive.


l\Iais le parti négociatcur redoubJa el' efforts VOll-
Jant faire évanouir la résoJ u tion du conseil.On con-
naissait l' extreme désil' qn'avait Dnmouriez de se
porter a la conque te des Pays-Bas, et on jugea
qu.'il serait facile de l'amcncr, par la crainte du




480 MÉUOIRES
renouvellement des hostilités, a conclure l'ar-
rangement qui devait assurer la retraite de l'ar-
mée. CeHe combinaison avait encore un autre
avantage: celui de masquer les vrais motifs de la
négociation secrete. En conséquence, le duc de
Brunswick fit parvenir a Dumouriez, le lende-
main, par un de ses aiues-de-camp, un nouveau
manifeste I , par lequcl, rappelant ses précéden-
tes déclarations du mois de juillet, qui avaient
si violemment irrité les Franc;ais, iI improu-
vait avec la plus vive indignation l'emprison-
nement du roi et de sa famille, et les décrets
par lesquels la convention avait aboli la royauté;
le duc déclarait a la nation fran¡;aise que l'em-
pereul' et le roi de Prusse, invariablement atta-
chés au principe de ne point s'immiscer dans le
gouvernement intérieur de la France, persis-
taient néanmoins a exiger que le roi et sa fa-
mille fussent rendus a la liberté, que la dignité
royale fút rétablie sans délai dans la personne
de Louis XVI et de ses succeSseul'S, et qu'il fut
pourvu a ce que ceUe dignité se trouvat désor-
mais a l'abri des avanies auxquelles elle avait
été exposée. Cette double proposition était la
condition sine qud non de la suspension des
hostilités.


Dumouriez fit sur -le - champ dénoncer l'ar-
• Date de ce meme jour ~8 septcmbl'e.




D'UN HOlllllfF: D'ÉTAT. 481
mistice, et donna ainsi lieu de croire que toute
négociation était rompue; mais, bientot in-
struit du fond des choses par une lettl'e d'Hey-
mann, il fit dire an duc qll'il regrettait d'au-
tant pJus d'avoil' rec;u son manifeste, qu'il venait
d't~tre suffisamment autorisé a "ne pas inquiéter
la retraite de l'armée prussienne, aux termes
de la convention secrete dont les "bases avaient
déja été provisoirement consenties avec le eo-
lonel Thouvenot.


Voici ce quí s'était passé dans le conseil a
París.On yavait délibéré pendant plusiellrs séan-
ces sur les ouvertures faites au nom du roi de
Prusse. Danton, pénétré des vues de Dumouríez,
avait exposé qu'en adhérant a la retraite des
Prussiens, qtúl serait peut-etre possible d'éera-
ser dans le Jabyrinthe oú iIs s'étaient enfoncés,
on atteindrait san s compromettre en rien le
sort de I'armée le but principal de lá guerrc,
celui d'enIever aux royaIistes dll dehors et du
dedans lenr point d'apPlli, et que par la on rlli-
nerait leurs espérances de gllerre civil e ; que l'ar-
mée des émigrés, étant des-Iors sans ressources, ne
pourrait plus se soutenir,et qu'on la verraitnéces-
sairemel1t se dissoudre, ce qni mettrait au com-
bIe le découragement des aristocl'ates; que eette
retraite d'ailleurs était caleulée sur le caraeteI'e
national; qu'u ne fuite pl'écipitée du territoire


l. 31




l\:fÉl\IOIRE5


frull(;ais, dans un trajet de quaran te lieues, effee-
tuée par les émigrés et par leurs auxiliaires qui
avaient fait sonner si hallt leurs prétentions et
leurs moyens de force, était a elle seule une Ím-
mense vietoire; qu'elle porterait le sen,timent
d'une dél'oute générale ehez les ennemis de la
révollllion, et eelui de la eonfiance dans le corps
eoIossal de la milice nationale qui allait s'élan-
cer sur le territoire étranger, et y prendre ses
quarliers d'hiver; qu'il ne s'agissait pas d'un
traité diplomatiqlle incompatible avec la nOIl-
velle existellee de la France,mais d'autoriser une
eonvention secrete entre les généraux des deux
arméespar un arreté dont iI donlla lui-meme le
projet , et qlli fut adopté unallimement.


Cet arreté que venait de recevoir DumOllriez
par un eourrier extraordi naÍl'e était conyU en ces
termes: « Les généraux des armées dll N ord et da
))Centre ayant fait conlluitre an conseil qu'ílleur a
J) étéfait des Ollvertllres de la part du roí de Prllssc,
)) qui annoneent quelques dispositions a entrer
» en négociation, le eonseil, apres avoir délibéré
) sur eette communication, a¡'rete qu'il sera
) répondu que la république franyaise ne peut
» entenure a ancnne proposition avarzl que les
» troupes prussiennes aient entierement évacue
» le territoire franrais.


» Paris, 25 septembrc 1792, l'an premier de
la république. »)




n'UN HOlllME n'ÉTAT. . 483
Dumouriez re<{ut en meme temps une let-


tre de Danton, qui, au nom du conseil, in-
terprétant la condition préalable de l'ouver.
ture des négociations avec la Prusse, obser·
vait qu'avant tout ]a république avait besoin
de mettl'c hors de son territoire les armées
étrangeres; que le premier devoir du pou-
voir exécutif devait etre d'affrallchir la ter re
de la liberté; qll'ainsi il était d'une sage politi-
que de chercher a é]oigner l'armée prussienne
sans s'obstiner a prétendre la détruire, sur-
tont quand iI s'agissait d'une puissance qui,
n'étant pas l'ennemie naturelle de la France, se
présentait comme disposée a entamer une né-
gociation pacifique. Danton ajoutait que sur
trois commissaires de la convention 1 qui al-
laient se mettre en route pour le quartier-géné-
ral des deux armées réunies, il en était deux, Sil-
lery et Carra, plus particulíerement munís d'ins·
tructions a reffet de s'entendve avec lui sur le
moda le plus convenable pour arriver a I'exécu-
tion ele la convention militaire qu'il juger:>:t a
propos de conclure.


De son coté le duc de Brunswick, a la suite
de la derniere communication de Dumouriez,
provoqua un conseil du cabinet le 29, dont il
avait pl'éparé les ressorts la veiUe. La il fit rendre


• Fricar de la Marne , Carra tt SiIlcfy.




484 l\li~WIRES
compte au roi 10 de l'état de la négociation se·
crete d'apres laquelle ii ne restait plus el'autres
moyens d'assurer la retraite de l'armée, et ele
sauver les jours de Louis XVI que dans l'entiere
évacuation du territoire frall<;ais; 2° de l'arrivée
d'un courrier portear de dépckhes importantes
d'Angleterre et de Hollande, qui répondaient
négativement a la propositioll faite a ces deux
cabillets, au nom du roi, el'entrer immédiate-
roent dans la coalition; 3U de la confirmation
de l'avis donné par le général Dillon an major
Massenbach, sur la marche immédiate vel'S le
Bas - Rhin d'un corps d'armée réuni a Landau
sous les ordres dll général Custine chargé de
faire une invasion en Allemagne, et de couper
la retraite a l'armée prussienlle. Le dne de
Brunswiek, pesant ces différentes circonstan-
ces et aussi la position hasal'dée et difticile
de l'armée, conjura le roi d'abaudonner toute
idée de pénétrer en France plus avant, el de li-
vrer une batailJe qui serait au moins inutilc
si elle n'était pas dangereuse; ille supplia in-
stamment d'ordonner la retraite pendant qu'il
en était temps encore. Le roi cédant aux instan-
ces du géfléralissime et it l'avis de son cabinet,
révoqua l'ordre qu'il avait elonné le 27, et la
retraite fut résolue.


Le 30 les commissail'es tirés du sein de la con·




n'¡;N nOJUl\lE D'IlTAT. 485
vention étant al'l'ivés an camp de Dumouriez,
firent pl'eter anx troupes le nouveau sel'ment a
la république. Le jonr meme iIs ratifierent 1'a1'-
l'angemel1t sec1'et concIu entre les générallx ~n
chef des deux armées. Lc dllC de Brunswick s'é-
tait engagé a ne pas livrer bataillc. et a se retirer
jnsqu'a la l\Jense, a condition de lle pas etre in-
quiété.


Hien ne transpirait clans les deux camps, qui
Maient restés douze jours en présencc; et au mo-
ment OI'¡l'armée combinée s'attemlait a recevoir
le signal de marcher an combat, elle re<;;ut l'ordl'e
inattendu de rétrograder. Le soirmeme les Prus-
sien s commencerent leur retraite. IIs ne firent
ce premier jour qu'llnc lieue, mais clans le plus
bel ordre. Le Jendemain, premier octobre,
le cIuc de Brunswick continua le mouvement
rétrog!'ade sur (~randpré par Autry, et suivit
aillsi, en sens contrairc, la meme route qui l'avait
conduít au camp de la Lunc.


Dumonriez s'était borné a faire des dispositions
pOUl' sel'rer de pres senlement les Prussienstant
a la gauche qu'a la droite de l'Aisne, sans les per-
dl'e de vue. Sur l'ordl'c qu'il en avait dOIlIlé,l'ar-
mée de Kellermann s'était portée a Suipe. Cette
positioIl gcnait le mouvement rétrograde de 1'ar-
mée combinée, d'autant plus, qu'en se portant en
avant par ulle marche a Fontaine , Kellermann




486 MElIOIl\ES
l'auraitprévenue an passagede l'Aisne et a Autry.
En effet,n'ayant pas le secret de la retl'aite,Keller-
mann fit oeeuper le poste de Fontaine par son
avant-garde, aux ordl'es du général Valen ce. n
se disposait a s'y porter lui-meme avec son armée,
quand il re.,;ut, des eommissaires de la conven-
tion, l' ordre de ne point sortir de son camp,
pnis celni de rappeler a lui son avant -garue.
Mais voyant la retraite des alliés se prononcel',
et craignant uneméprise, iI se remit en marche;
il rec;;ut aussitót un second ordre qui luí en-
joignait de retourner sur ses pas reprendre le
camp de Suipe et d'y rester jnsqu'a nouvel
avis. Ainsi le dne de Brunswick dépassa tran-
quillement Autry et mit la riviere d' Aisne
entre les deux armées.


Les lieutenans de Dumouriez n'en poursui-
vaient qu'avec plus de chaleur les émigrés a l'é-
gard desquels ils avaient carte blanche. Les prín-
ces n'avaient d'abord pu croire que le due de
Brunswiek fut en pleine retraite. Mandés par Fré·
déric-Guillaume, qu'avait aigri l'issue de cette
triste expédition, ils essuyerent de la part du
monarque prussien de vifs reproches au sujet des
fausses espérances dont on l'avait hercé et qui
avaient servi de hase au plan de campagne. Les
princes rentrerent dans leur eamp avec toutesles
marques d'une affliction profonde. ({ La postérité,




D'UN IIOl\lJUE D'ÉTAT.


» s'écria MONSJEUR I , s'étonnera quand elle lira
l) dans l'histoire qu'un grand roi, accompagné
)) des plus fameux généraux et des meilleures
)) troupes de l'Europe, a abandonné son plan a
») la vue d'un général sans nom, chef d'une al'-
» mée indisciplinée. » Qu'on juge de la conster-
nation et de la douleur des émigrés !


S'étant mis en re traite précipitamment, les
princes fllrcnt a la veille d'etre enveloppés dans
le chatean de Sci par le corps d'armée de Dillon.
Leur coJonne d'éqllipages fut meme pillée en
partie avant d'avoir pu gagner la Neuville.


Kellermann ne rel{ut l'ordre d'aller occuper
les hauteurs de Fontaine que lorsque l'armée du
roi de Prnsse eut gagné les défilés de Grandpré;
elle avait alors sur lui deux marches, environ
quinze lieues, d'avahcc. La rett'aite du duc de
Brunswick était ainsi doublement assurée; rien
ll'y mettait plus obstacle, et Dumouriez de son
coté était certain qu'elle s'cffectllerait. Le 4
seulement le général Kellermann put commen-
cer a harceler l'armée prussienne. Mais le duc de
Brunswick réglait ses mouvcmens avec tant d'or-
dre et de prudcnce, qu'il eut été difficile d'atta-
quer une partie de son armée sans en avoir
bientot la totalité sur les bras. Le roi de Prusse,
dan s cette pénible cOlljoncture se faisait persou ..


a Pepu¡" LOl1i~ X VIII.




488 lIfÚIOlRES
nellement remarquer; iI apportait a surveillcr
la retraite autant d'activité qu'iI avait montré de
courage a la canon nade de Valmi.


Le 6 octobre toute l'armée prussienne se trouva
l'éunie sous les murs de Verdun. Le meme jour
Dumouriez mande le général Kellermann a
Autry, et la il Ini déclare: l° son intention de
se porter en Flandres pon!' secouril' Lille et aUa-
quer ensuite les Pays-nas; 2° que désormais,
réuni au général Dillon, il sera chargé ]ui-
meme de reprendre Verdun et Longwy et d'a-
chever de chasser les coalisés du territoire fran-
íjais. Illui insinue en meme temps qu'il fa~lt moins
s'atfacber a comhattre les Pl'ussiens qu'a les dé-
cider par de llouveaux pourparlers a remettre
le plus promptement possible ces deux plaees,
et a se retirer ensuite au-deJa des fronticres.
Plein lui-meme de ses projets, il se rend en
wute ha te a Paris, dil'igeant vers LiI1e la plus
grand partie de ses forees. A peine laisse-t-il
sons les ordres de Kellermann trente millc
hommes, force peu eapabIe de faire éprouver
de grandes pertes aux Prussiens.


Le corps d'armée aux ordres du général Dillon
vient aussitot se déployer elevant leurs positions
en deca. de la Meuse. Les généraux francais d'a-


> ,


vant-gardey établissent des batteries, et mettant
leurs tirailleurs en mouvemeut, fout replier les




D'UN rrO:lllUE D'ÉTAT. 489
avant-postes hessois. Étonné de ce He agt'ession,
le général Kalkreuth fait demander aux généraux
fi'an<;:ais une eonférence. Elle 5'oUVl'it en plaill
champ, le 8 octobre, au- dessous <Iu coteau de
Saint-Barthélemi, a une demi-lieuc de Verc1un ,
entre les généraux Labarolicre el Galbaud d'une
part, le général Kalkreuth, le duc de Bruns-
wick et un officier-général hessois de l'autre.
L'occupation de quelques positions respectives,
tel fut le pr'étexte mis en avant par' les géné-
J'3UX pmssiens; ils abordel'ent enfin la ques-
tion politique et eeHe de la redditÍon de Ver-
dun qui était, an fonel, le véritable objet de
la conférence. Les deux générallx franl{ais y dé-
ployerent Hne telle fierté que le duc de Bl'uns-
wick s'écl'ia: (( Nation étonnante! á peine s'est-elle
» déclarée république qll'elle en prend déja le
» langage ..... Je suis fachó, ajouta le duc, que
» Dumouriez, au sujet demon dernier manifeste,
»ait pris la mouche pOUl' qllelqtl~~s paroles in-
» signifiantes qui s'y t1'Ouvent; ces expressions
» se jettent dans le peuple; mais les personnes
» instruites savent les apprécier. » I~e général
Galbaud ayant parlé des droits du peuple fl'an-
cais de ven u libre, et de la souveraineté na-
tionale: « Je ne conteste nullement a votre na-
» tion, répondit le duc, le droit de régler son
JJ gouvernement; mais a-t-elle choisi la forme




490 :míMOIRES
» qui convient le mieux a son caractere? Voilil
» ce dont on doute généralement en Europe; et
» cert~s, quand je suis venu en Franee, je n'a-
» vais d'autre but que de concomír a rétablir
» l'ordre. - La meilleur preuve que puisse
» donner le duc de Brunswick, répliqua le gé-
» néral Labaroliere, de ses heme uses disposi-
» tions a notre égard, est d' évaeuer le territoire
» fran¡;ais avant que nos armées, qui se grossis-
» sent journellement, ne l'y forcent ..... Si vous
» voulez traiter pour la reddition de Verdun, je
» ne doute pas que la natíon n'accorde aux
» Prussiens toutes les facilités qui peuvent se
» concilier avec ses intérets et la vengeance
» qu' elle doit tirer de la violation de son terri-
» toire. »


Le dnc se réserva de prendre les ordres du
roi a ce sujet , et flnit par demander une suspen-
sion d'hostilités entre les vedettes ponr vingt-
quatre henres. p;n quittant les deux généraux
fran<;ais: « Continuez l'un et l'autre a bien servir
» votre patrie, leur dit.il, et croyez que, malgré
» la teneur des manifestes, on ne peut s'empecher
» (l'estimer ceux qui travaillent avec loyauté a
» assurer l'indépendance de lenr pays. » Pendant
la conférence, les soldats des deux partis bu-
vaient et fumaient ensemble.


Le général Galbaud s'était ménagé aussi une




D'UN HOMME D'ÉTAT.


conversation avec l'officier-général hessois, qui
lui dit en substance, que le landgrave serait tres-
disposé a s'accommoder avec les Fran~ais; qu'il
ne prenait aucun intéret aux émigrés, et que
d'ailleurs il n'était entré que malgré lui dans la
coalition.


Deux jours apres, le landgrave écrivit la lettre
suivante, datée de Luxembourg 1, an duc de
Brunswick : « L'invasion fran<,;aise 2 paraissant
» s'étendre de plus en plus, exige absolument
» le retour de mon corps de troupes de la
» France au bascomté de Catzenllenbogen, pOUI'
» la défense de Heinfelds. Que Votl'e Altesse,
») daigne me les envoyer an plus tot; leurétatac-
» tuel, apres avoir perdu tant de chevaux et eu
» tant de fatigues, leur défend de prendre part
») a d'autres opérations militaires; ce serait a
)) Reinfelds ou ce COl'pS pourrait avoir ses quar-
) tiers d'hiver et se remettre, en couvrant par
» la le Rhin et toute cette contrée. Je ne puis
» passer par Coblentz, je vais par Maestricht et
» Cologne 3. Signé GUII.LAUl\IE. )


eette leUre révelai tI' eEfet moral que produisait
sur les membres de la confédération allemande
la re traite des Prussiens.


I Le 10 octobre I792~
• Celle da général Costinr!
I POOl' reloorner a CMSC\




lIIÚIOlRES


Le 10 octobre, le due de Brunswick 6t eou-
per les ponts sur la Meuse, a Dun, Villone et
Consenvoi. Pendant la nuit, les Autrichiens et
les Hessois déeamperen t san s bruit, traversant
la Meuse a Verdnn, et allant oceuper les hau-
teurs voisines. Le ] 1, dans la matinée, le gé-
néral de Courbieres , gouverneur pour le roi de
Prusse, ret]ut du général Dillon la sommation de
rendre la place. n demanda une suspension
d'hostilités, tandis que le général Kalkreuth
faisait propaser an général Dillon une conEé-
rence. On convint qu'elle se tiendrait an vil-
lagc de Glorieux , qui serait déclaré neutre. Ces
préliminaires remplis, le général Dillon et
le maréchal- de - camp Galbaud se rendirent
an rendez-vous indiqué. lis y tronverent le gé-
néral Kalkreuth, qui s'annon~a eomme n'ayant
aucune mission particuliere, mais comme dis-
posé a caopérer a une sincere reconciIiation
entre la nation fram¡aise el son souverain.
( Vous .connaissez, dit Arthur Dillon, la som-
» mation que j'ai faite; ii me fant une réponse
)) prompte. n est plus que temps que les armées
» étrangeres évacuellt notre territoire; cette
)) condition est un préalable rigoureux a toul
J) accommodement; elle est le résultat d'une
)) délibération uu conseil cxécutif de la répu-
») blique, sanctionnée par Ja~Convention natio-




n'UN HOM:.\fE n'ÉTAT. 493
» nale. » Kal1{reuth observa de nouveau qu'il
n'avait aucnne mission; mais je sais, dit-il, le
roí tres-disposé a écouter toute proposition
honorable. Arthur Dillon, apres s' etl'e élevé
contre l'alliance de Frélléric-Guillaume avec l'Au-
triche, témoigna le désir de voir la Prllsse se ré-
unir avec la France contre leur ennemi natureI.
« Je n'ai pas été consulté sur la guen'e présente,
» répondit Kalkreuth; mais la Prusse a suivi
» l'impulsion donnée a l'Europe entiere, par la
» crainte de voir se propager des opinions qui
» ne conviennent point aux princes. Quant a la
)) sommation que vous avez faite, ene serait sus-
» ceptible de bien des observations: vous dictez
» des lois, et cependant vous n'avez gagné all~
» cune hataille; nos armécs combinées sont
» aussi fortes que les votres. Vous aurcz Ver~
» clun; mais si nous non s obstinions a le garder,
» vous ne pourriez y entrer qn'apres úne vi c-
) toire. J'espere que notre conduite, en vous
» rendant la place, vous prouvera le désir du
» roi de s'arranger avec la France. - Le roi de
» Prusse, répondit Arthur Dillon, pourrait don-
» ner en ce moment une preuve convaincallte
» de ses dispositions pour la natío n franl,{aise;
» ce serait de séparer entierement ses armées
» de celles de ses alliés, et de ces ser de protéger
» et de convrir lenr retraitr. - Mais vous sa-




494 JlIÉMOIRES
» vez, dit Kalkl'euth, que quand des voyageurs
» se sont promis de faire route ensemble, I'hon-
» Jleur veut qu'ils l'achevent conjointement;
») ce JI'est pourtant pas une raison poul' qu'ils
» recommencent une nouvelle route. »


.Au milieu de celte conversation, un aide-de-
camp apporta, au nom du roi, le consentement
de livrer le lendemain la porte de secours de la
citadelle de Verdun, a condition cJ'avoil' trois
jours pour évacuer entierement la place, et
faire transporter les malades sur des voitures
du pays. C'était le l'ésultat d'un mItre poul'-
parlel' 'entre le colonel Manstein , le général en
chef Kellermann et les commissaires de la con-
ventiOll. Manstein ayant proposé de remettre
Verdun et Longwy si on n'inquiétait pas trop la
retraite des Prussiens, les Fran<;ais y consenti-
rent ~ tant pour éviter de faire le siége de ces
deux places, que pour accélérer l'évacuation <In
territoire.


La capitulation rédigée militairement, fut si-
gnée au norn du roi de Prusse par le général de
Coul'bieres, et au llom de la natioll li-anqaise par
le lieutenant-général Valence, qui rernpla«;ait le
général Dillon mandé a Paris.


Le meme jour, le général Valence entra dans
la citadelle avec le général Galbaud, et le lende-
main, 13 octobre, l' armée confédérée s' ébranla




D'UN HOll-nlE n'JlTAT.
sur trois colonnes, les Pru5siens, les Autri-
chiens etlesHessois sedirigeant versLuxembourg
par des mutes differentes. Dans leur lettre a la
convention sur la remise de Verdun, les commis-
saires Carra, Prieur et Sillery s'exprimerent en
ces termes: (( En arrivant a la éitadellc de Ver-
» dun, nous avons vu un moment le général
» Kalkreuth , et sans entrer avec lui dans une
» conférence politique , iI nons a été facile de re-
» marquer que le roí de Prusse pouvait regrettel'
» l'inutile et fatigant voyagc qu'il venait de faire.»


Le 14, l'armée fran<;aise traversa la ville de
Verdun et se remit a la poursuite des Prussiens.
Les troupes légcres tuaicnt ou prenaient quel-
ques hommes isolés, mais leul's plus grands
exploíts consistaient a piller les équipages. Ja-
muis les Franc;ais ne pUl'ent entamer les PI'US-
siens, qui ne fuyaient pas, et dont tons les
mouvemens s'exécutaient avec le plus graml
ordre.


Le duc de Brunswick, apres avoil' fait halte
a Etain, alla occuper une excellente po si-
tion sur les hauteurs de Rouvroi. Le 17, Kel-
lermann s'étant avancé a Vaudoncourt, se vit
tenu en échec par l'inattaquable position de
Rouvl'oi. Le 18, il Y eut une conférence entre
les deux génél'aux ou l'on convint de délivrer
aux Franc;ais, le 22 octobre, une porte de




l\fÉMOIRES


Longwy, aux memes conditions qui avaient
réglé la capitulation de Verdun.


Dans la nuit dn J9 an 20, l'armée prussienne
abandonna les hantenrs de Ronvroi pom' venir
camper derriere Longwy. Pendant ces mouve-
mens, le prince de Hohenlohe-Kirchbel'g et les
Hcssois íilel'ent sur Luxembourg, les Autri-
chiens poul' s'y réunil' an comte d'Erbach, et
les Hessois pour, de la, regagner Coblentz. Clair-
fait se sépara aussi entierement des Prussiens
le 21 , et se dirigea par la route d' ArIon vers les
Pays-Bas.


Le 22, le génél'al en chef Kellermann prit
possession des portes de Longwy, et le lende-
main deux bataillons autrichiens qui y étaient
en garnison l'évaeuerent.Ainsi sortirent du tel'l'i-
toire fi'an(jais les troupes eoalisées, apres y avoir
séjourné deux mois et demi sans avantage
eomme sans gloire.Voyons eommcnt le ministre
de la guel're Servan expliqua l'issll(' de eeHe cam·
pagne a la convention nationale 1 : r( DI1 J 5 au
)) 25 aout, dit.il, les coalisés cle~aient entrer
) clans Paris, eamme leur imprudente présomp-
)) tion en laissait depnis qnelqne temps transpi-
)) rer la nouvelle. Tont était préparé pour aplanir
)) les difficultés, et ron avait, pour ainsi dire,


, I,ettl'e ,lu ~ 3 septclllDl'e.




D'a::i I10lUl\IE D'ÉTAT.


» jalonné leur route. En effet, Luckner n'avait
» a Metz que dix-sept mille hommes. La Fayette
» tramait dans son camp de 5édan a la tete de
lt dix-huit mille hommes, dont aucun ne pouvait
» savoir la vérité; Dumouriez formait de vastes,
» mais inutiles projets, obligé de diviser ses for-
» ces entre Pont - sur - 5ambre, Maubeugc et
» MauIdo; Biron était sur les bords du Rhin;
» mais malgré son ardente envie de servir la
» chose publique, il ne voyait que des trahisons
» a craindl'c ct un pcuplc séduit par le fanatisme
» et la cabale; en vain Custine s'était jeté dans
» Landau;Ferrieres était aPorentruy,Kellermann
» a Weissembourg : les ennemis étaient partout.
» Et tandis que le roi de Prusse devait marcher
» tranquillement et sans obstades sur París, les
») Hcssois et les émigrés devaient passer le Rhin,
» les Autrichiens pénétrer dans les départemens
)) du nord, les Piémontais dans ceux du midi,
») et l'aristocratie lever ouvertement le masque
») dans toutes les parties de l'intérieur : une seule
)) nuit vit disparaitre tous ces projets l.»


l..'armée prussienne ayant campé a Merlo pres
de Luxembourg, et la disposition de l'arreté du
conseil exécutif se trouvant remplie, le duc de
Brunswick fit proposer an général Kcllermann
une cntrevuc pour le 2fJ, aU chate::m de Dan-


• Le ro aoút.


J.




498 lIÉ1UOIRES
brouge, entre Luxembourg et Longwy, en le
prévenant qn'il serait qnestion de propositions
de paix: c'était la einqnieme entrevue antori-
sée par les commissaires de la convention.
Kellermann s'y rendit, et trouva réunis le dne
de Brunswick, le prince héréditaire de Hohen-
lohe, le prince de Reuss, ambassaclenr de l'em-
perenr, et le marqnis -de Lucchesini. Le duc
prenant la parole : ( Général, dit - il, nons
» vous avons prié de vcnir a ce rendez - vous
» ponr parler de paix; » et en meme temps iII' cn-
gage a en posel' lui-meme les bases. « Cela ne
» sera pas difficile, répond Kellermann qui avait
» ses instructions : reconnaissez la répnblique
)) fran~aise le plus authentiqucment possible, et
» ne vous melezjamais directement ni indil'ecte-
» ment du roi ni des émigl'és; les autres diffieul-
) tés pourront facilement s'aplanir. ) Il demande
alors an duc de vouloir bicll s'expliqucr á son
tour. « Eh bien! répond le une, notls nons en
) retournerons chacnn chez nous comme des
» gens dé noces.)) Kellermann se tournant vers
l'ambassadeur impérial lui demande alors qní
paiera les frais de noces. «( Quant a moi, ajoute-
) t-il, je pense que l'empereur, ayant été l'a-
)) grcsseur, les Pays-Das doivent ctre donnés a
» la France en dédommagement.» A cet mots le
prillce de Reuss, ayant montré de l'humeur, le




n'UN HOMME n'ÉTAT. 499
ducfeignitde ne pas le remaftJ.,etditá KeUer-
mann: « GénéraI, rendez compte a la convention
-») nationale que nous sommes tous disposés a 4a
») paix; et pourvous le prouver la convention n'a
» qu'a nommer d.es plénipotentiaireset désigner


4If») un lieu pour les conférences~ nous nous y ren-
» drons. En attendant nous nous tiendrons soit
11 a LuxembotIrg, soit dans les Pays-Bas, ou ron
» pourra nous avertir. »


Ces propositions étaient-eIles sinceres de lá
part du due de Brunswiek? L'extreme désiS que
témoignaient généralement lesPrussiens d'aban-
donner l' Autriche et de se retirer de la coalition
ne saurait etre révoqué en doute; parmi les géné-
raux les plus marquans et meme dans les hommes
qui tenaient les ressorts du cabinet, ces disposi-
tions étaient visibles. Le roi se trouvait alors sous
l'influence de Lucchesini, qui, depuis lE; déclin de
la campagne, s'était érigé tont a coup en diplo-
mate du premier ordre; d'Haugwitz, subitement
élevé a la place de ministre du cabinet, et enfin
an secrétaire privé Lombard. Ce triumvirat était
párvenn a dominer les conseils par de mysté-
rieuses combinaisons, auxquelles n' avait pas été
étrangere la comtesse de Lichtenau, accourue"
aux eaux de Spa pour se rapprocher de son royal
amanto


Du reste, plus' timoré que l'élite de sa na-




500


tion, Frédéri~uillaume tenait, en politique;
au point d'!ZOllllelll' que Dumouriez qualifiait
d'illusion; il Y tenait avec plus de pertinacité en-
core qn'~t cette expédition contre París, qui
venait de s'évanouir malgré sa voIonté et ses ef-
forts, etdont le non-sncccs lui causait un chagrín
morteJ. Mais le parti négociateur n'avait cessé
de mettre en avant les motifs les plus insidieux
ponr jllstifier ses démarches et ses ouver-
tures. Il avaít bercé le roí de l'espérance de
saaver par la Louis XVI et de relever peut-etre
son {rone. Quoique le cabinet n' eút pas réussi
soas le rapport politique dans ses pourparlers
avec Dumouriez, iI n'était pas encore rehuté. A
l'instigation du général-major TI eymann, qui avait
figuré dans toutes ces intrigues, on avait approuvé
que cet officier-général s'adressat, pour renouer
la négociation, au général llil'on, qui eomman-
dait l'armée franc;:aise d'Alsace, et avec qui Hey-
mann s'était trouvé jadís, comme on l'a vu, dans
des relations in times. n écrivit a Riron, pour luí
demande¡' a entrer avec lui en négocialions direc-
tes. Biron fit passel' sa leUre au ministre Servan,aa
moment oú iI quittait le département de la guerreo
Servan remit le paquet au ministre des affaires
étrangeres LebrnrL Le conseil exécutif consulté
chargea Servan lui-meme ele suivre la lll~gociatioll.
Mais ceLte rósoluüoH ayallt été communiquée a


(




50r
Dumouriez comme ayant décidé, par son habi-
Jeté, la retraite des Prussiens, Dumonrie7., en pas-
sant ilParis, fit changer la détermination du con-
seil: sur son avis on autorisa Biron ~l recevoir les
propositions du cabinet prnssien.


Des le 25 septembre, le mi~istre des affaires
étrangeres avait communiqué á la convention les
premieres ouvertures faites an nom du roi de
Prusse, et la réponse du conseil exécutif por-
tant que la républiqlle ne voulait entendre
a a.ucnDes propositions av-ant l'évacuatioIl du
territoirc fraw;;ais. L'assemblée avait couvert
cctte communication d'applaudissemens una-
nimes. Le meme jour, le ministre Lebrnn était
venu remIre compte de l'état général des reb-
tions des puissances étrangeres ave e la France.
(( Avant le 10 aoút, clit Lebrun, la nation
» avait perdu tonte sa considération an de-
») hors. I~es ml~mes causes qni donnaient aux
)i armé es combinées tan t de sécurité et de con-
» france, aux émigrés tant de présomption et
» de jactan ce , allX aristocrates de l'intérieur
» tant d'insolencc et d'andacc, ces causes agis-
» saient aussi clan s le reste de l'Enrope, et nous
» perdaient dans l'opiníon des peuples. l.a jour-
» née du 10 aoút, en déconccrtant, an dedans,
») tous les projets de nos elluemis, a dérangé
)) aussi leurs fansscs spéculations an dehors. Les




:nrÉlIfOIRES


)) peuples ont conc;u de nouvelles espérances ct
)) la terreu/' des 1'0is s'est réveillée. En pl'OIlOn-
)) ¡;;allt ces uerniers mots, je viens, Messieul's, de
)) vous révéler les mysteres de la diplomatie ae-
») tuelle.)) leí le ministre présenta , comme mo-
tífs rassurans, l'inquiete jalousie de tous les po-
tentats, leur ambition, leurs rivalités, leurs
défianees réeiproques, l'ineohérenee de lcur
poli tique , et en fin les ehances de tant el' événe-
mens inattendus et a]a veille d'éclore. « La
) prudence, ajouta]e ministre, ne permet pas
» de divulguer une foule de faits partículiers
» quí vous feraíent juger toute l'étendue de
» nos espéranees.)J Passant en revue les dispo-
sitions des différens cabinets, il en vint a ea-
ractériser la politique de eelui de Berlin, et les
effets de son allianee avec l'Autriche. ce Ce qui
) paralt certain, dit-il, e' est que la réunioll de
» ces deux maisons rivales a été généralernent
» irnprouvée par les grands hornrnes d'éLat de
" la Prusse; e' est qu' elle a achevé de produire a
» eeUe cour une seission dangereuse ponr le roi
») dont les suites sont incalculables; c'est que la
)) guerre dans laquelle Frédérie-Guillaume a été
» entralné a excité dans ses états un méconten-
»tement universel; c'est qu'il existe a Berlin
» une fermentation sourde qui s'aceroit tous les
p jours, et dont l'explosion plus ou moills pro-




, " D UN lIO:!\IlUE D ETAT. 503
» chaine sera terrible; e' est que ceHe guerre a
» achevé d'épuiser les trÉ'sors amassés avec tant
» de peine par le granel Frédéric; e'est que le
II reCl'lltcment des armées en devient extreme-
» ment difficíle, au point qu'on ne peut en ce
» momen t, sans cxp.oser la tranquílli té de l'in-
» térieur, envoyer au roí un. ren[ort de trente
}) mille h0111mes (IU'il a demandé; c'est que déja
» l'on n'apCl'<,;oit plus entre les cahinets ni meme
» entre les deux armées principales, eette eon-
» fiance intime qui scnJe pOllrrn.it déterminer la
» réU5site de ]eurs projets; c'est qu'enfin ron a
» des preuves que toutes leurs démarches ne se
)} font plus de concert.


» Pent-etre, pour bien juger la conduite de la
)l Prusse, famlrait-il ne pas i'isoler de ses auLres
» alliés plus anciens, plus naturels et plus
» adroits. Peut-etre ce qui parait le plus extra-
» ordinaire dan s la poli tique trouverait-il son
), explication dans les secretes influences du ca-
» binet de Saint -James et de La Haye. Ces deux
» puissances ont évidemment suivi a notre égard
» le meme systeme, le meme plan de conduite.
» 1'outes deux ont pris ad rifel'endum, et se sont
») dispensées de répondre a la proposition for-
» melle que lenr ont faite les cOllrs de Vienne
» et de Ilerlin d'entrer dans leur ligue; toutes
» deux ont rappelé les ambassadeurs qu'elles




504 M ÉlIIOInES
11 avaient a Paris, tontes deux ont renouvelé en
)) meme temps l'assnrance de la plus exacte neu-
)) tralité, toutefois avec une réscrve concernant
J) la personne de Louls xv!.. .... 11 y anrait
)) de la témérité, ajouta le ministre Lebrun, a
») se rassurer complétement sur les intentiolls
» réelles de ces deux puissances qui Ollt pris
)) aussi en haine notre révolution. ») Achevant de
faire connaitre les dispositions des antres cabi-
nets a l'égard de la France, jI conclllait en ces
termes: ( Des négociations importantes ont été
)) entamées, et elles promettent une heureuse
) issuc; iI en est une surtont qui intéresse es-
) sentiellement l'existence politique de la répu-
) blique fl'anc;:aise. Je m'absticns d'en dire da-
)) vantage; sans doute vous appronverez ceUe
)) réserve, sans laquelle nous risqnerions de
» perdre tont le fruit de nos tentatives. Des que
» vous l'ordonnerez, cepenuant, je pourrai dé-
) poser ces secrets importans dans le sein d'un
» comité choisi, en attendant qu'il n'y ait plus
» de danger a les révéler an publico »)


Ce comité était celui de défense générale qni
avait remplacé le comité diplomatique des deux
assemblées précédentes. Brissot et l'élite des
députés du parti de la Gil'Onde y dominaient;
Dumoul'iez lui-meme n'y était pus san s influence.
De son quartier-général de Sainte·Menehould,




, " D UN IIO:mHE D J<:TAT. 505
il avait engagé nanton et Lebrun a suivre paJa.
les voies diplomatiques la négociation qu'il v.
nait d'entamer si heureusement par les voies
militaires. Lebrun, qui désirait en faire aboutir
dans ses mains tous les fils, mit aussitot en mono
vcment dcux de ses agens secrets. Il se servit
d'abord, comme inlermédiaire, d'une espece
d'aventurier poli tique nommé le chevalier de
Cologne : il avait fixé sa résidence clans la ville
de ce 110m, et s'était lié avec M. de Dohm, en-
voyé prussiell prcs l'éJecteul' de Cologne. Dans
les premiers jours d'octobre, an moment meme
ou le roi de Prusse commenc;;ait sa retraite, s' ou-
vrant avec mystl~re a M. de Dohm, il hti dé-
clara que la convelltion l'avait choisi pour né-
gocier un rapprochement entre la France et la
Prusse, et qn'tm ngent franc;ais, parti depuis pen
de Paris avec une mission du ministre des af~
faires étrangeres, venait d'arriver a Cologne et
désirait conférer avcc luí le plus tot possible.
On convint d'une entrevne ponr le jou!' suivant:
ragent s'y rendit.


Il se faisait appelcr Mettra; mais son vrai nom
était Méry. Intimement lié avec le chevaliet· de
Cologne, il se tenait ordinairement en observa-
tion a N euwied: il revenait alors de Paris. Meltra
assura que le ministerc fran<;aÍs désirait sérieuse-
ment conclure un arrangcment avec la Prusse, et.




506 lIIÚIOILlFS
d'abord une suspension d'armcs pendant la-


"uclle, pom défél'er au vceule plus anlent m:mi-
festé par Fl'édéric.Guillaume, Louis XVI sel'ait
mis en sauve-garde clans une place forte sur les
bords du Rhin, et sous la protection de l'armée
du monarque prussicn, qui se pol'terait garant
du traité a intervenir. Mais cet agent n'avait
ni pouvoirs, ni lettres de créance. Il annon<;ait
toutefois que le ministre se proposait d'écrire
dircctement a M. de Dohm. Il parla de certaincs
relations politiques, ainsi que des vues tI'un pmti
modéré a Paris; et iI promit avec assurance
de rapporter des pleins pouvoirs. M. de Dohm
lui Melara ne pas etrc autorisé a répondre a ces
ouvertures, dont il rendrait compte au roi
son maitre, et iI lui conseilla de se munir de
lettres de créance.


Au quartier - général prussien on partagea
l'opinion exprimée par M. de Dohm sur ces
communications. Il lui fut répondu, vers le
milieu d' octobre, d'user de la plus grande cir-
conspection al'égard de MeUra, mais d'attendre
ses propositions ultérieures et de les faire con-
naitre, ainsi que la nature des ponvoirs dont il
serait revetu, de meme que les moyens dont le
ministere fran¡;ais comptait faire usage pour la
délivrance de Louis XVI; (( cal', disait-on dans
» la dépeche officielle, cette délivrance, qui était




n'UN IIOlUlIIE D':U:TAT. 50'}
)' le premier mobile de la guel're, uevait ell'e
» aussi la premiere eondition de la paix. »


En attendant que Mettra eút re<;u des pou-
voirs, parut un autre agent fl':lll<;ais nommé
Mandrillon '. Il apportait a l'envoyé prussien
une leUre du ministre Lebrun, son s la date dn
19 octobre : on y reeommandait en termes géné-
raux l'affaire qui amenait le porteur a Cologne;
et clans un post-scriptu17Z Lebrun avait écrit de
sa main ces trois lignes : « Dans l'exposé que
» M. Mandril10n vous fera de son affitire, il ne
» vous dira rien que je ne sache d'avance, et vous
» pouvez y avoir une confiance entiere. l> Man-
urillon assura qU'OIl ne l'envoyait que pour ae-
célérer la négoeiation ({ui devenait chaque jour
plus pressante, et il ajouta qne les événemens
tres-défavorables aux armées alliées qui venaient
ue se passer n'avaient rien changé anx sen ti-
mens du ministere fran<;ais envers la Prusse;
qu'on verl'ait, an contraire, avec plaisir cette
puissance insister sur la délivrance du roi et de
sa famille, quelle que fut la difficulté d'aborder
ce point-li; mais qne l'Autriche devait etre ex-
cIne de la paix et les négociations couvertes dn


, Auteur du Spectateur américa in , arr~lé depuis commc prévenu
d'entretenir des eorrespondanee. ave e le duc de Brunswick, tradnit
ao tribunal révolutionnaire, el condamné a mort le 7 janvier 1794,
a l'age de eioquante-un aos.




508 lIIÉl\IOIRES
plus grand mystere jusqu'a ce qu'elles eussent
acquis une eertaine maturité. L'envoyé prussicn
répondit qu'il était fondé a croire que le roí son
maltre exigerait avant tout l'assurance formelle
de la délivrance de Louis XVI, et que par con-
séqnent une déclaration sur ce point préalable
serait tres-favorablement aceueillie. L'agent ré-
pliqlla qu'illui était absolument interdit de faire
a cet égard aueune ouverture avant que les né-
goeiations ne fussent eommencées; mais il ajouta
confidentielIemcnt que ce point-lá ne les rom-
prait pas. M. de Dohm s'empressa d'adresser au
roi sur le tout un rapport détaillé.


Il rc<,¡ut bientot du ministre Lebrun une nou-
velle lettre, par laquelle on invitait la Prusse a
nommer un plénipotentiaire ehargé des propo-
sitions d'accommodement; le ministre donnaít
l'assurance qu'on y répondrait avee franehise et
loyauté. « J e conviens avee plaisir, ajoutait Le-
» brun, que je souhaite beaucoup, monsieur,
» que le choix tombe sur vous. ))


M. de Dohm fit connaltre le eontenu de ecHe
dépeche a sa COU1', quoiqu'il en eut déja re~u
une réponse par laquelle on lui annon~ait que
S. l\L le roí de Prusse n'entendait pas négocier
avec la France sans l'Autriche, et que le mar-
qnis de Luechcsini {~tait chargé de traiter an




n'UN nOMlIIE D'ÉTAT. 509
nom des deux eours, si du coté de la France
on y était disposé.


Quand survint eette décision du cabinet,
Mandrillon était déja partí pOUl' faire aecélérer
a París l'expédition de ses pouvoirs dans le cas
oú les négociations seraient entamées. Dans son
deruier entretien avee M. de Dohm, le 4 no-
vembre, il voulut lui faire don d'une bague
préeieuse renfermée dans une lettre eonfiuen-
tieUe uu ministre Lebrun. Mais l'envoyé prus-
sien s'y refusa; iI écrivit á ce ministre qu'il s'cn
l'éférait ponr le reste a ce que lui manuerait
son agent MeUra, qui venait de se rendre au
quartier-général prussien, ou se trouvait le mar-
quis de Lucehesini.


Le comte de Haugwitz élant passé á Cologne
peu de temps apres, dit positivement á M. de
Dohm que le roi était résolu ue maintenir fide-
lernent son allianee avec l' Autriche; que par
conséquent iI n'y avait rien a espérer des ou·
vertures faites par Mettra et Manul'illon. n avoua
que si cette allianee n'avait pas été concluc, iI
ne l'aurait pas conseillée; et que ee n'était pas
sans raison qu'a Paris on l'appelait monstrueuse,
mais qu'il ne pourrait etre question d'nn rap-
prochef!1ent avec la France que lorsqu'il s'y in-
troduirait un orure de cllOses qui put offrir quel-
que solidité.




510 MÚIOInES
En erfet, par ces ouvertures, le pouvoir


exécutif de France et le comit~ de défense
générale, ou plutot le partí qui avait alors la
direction des affaires, espérait détacher la Prusse
de l' Autriche, amener la séparation de leurs
forces et rendre ainsi plus facile la conquete de
la Belgique. Un traité de paix n'était-il pas d'ail-
leurs impraticable sur la base de la délivrance de
Louis XVI, dont le jugement et la condamna-
tion étaient déja résolus , soit dans les comi-
tés, soit meme dans la convention? A la toute-
puissance législative la convention réunit, a
son début, 1'exercice de tout le pouvoir d'exé-
cution, la distribution et la surveillance de tou-
tes les autorités. Qu'on ne perde pas de vue les
germes de dissensions et de déchiremens qui se
développerent dans son sein des les premiers
momens de son installation. Etait-ce devant une
telle assemblée que Frédéric-Guillanme anrait
pu passer tont a conp de l'état de guerre a l'é-
tat de paix, au risque de s'isoler et de perdre
tout le fruit de ses relations politiques avec le
cabinet de Saint-Pétersbonrg, qui seul pouvait
luí assurer la possession de Thorn et de Dant-
zick, si enviée par le cabinet prussien ?


Qu'on réfléchisse en outre que la ma.sse de la
nation fran<;:aise, depuis la retraite des armées
combinées, était dans un état d'exaltation et




n'UN HOllOrE D'ÉTAT. 511
d'enthousiasme incompatible avec un traité de
paix raisonnable qui eút mis des born'es a son
élan et a son prosélytisme armé. L'expédition uu
général Custille en Allemagne, que venait d'au-
toriser le conseil exécutif, ne devenait-elle pas
aussi un nouvel obstacle a tout rapprochement
sincere avec une grande puissance allemande?


Cependant la marche rétl'ograde des Prussiens
faisait une impression profonde en Europe. Tou-
tes les idées, 50US le rapport moral et politique,
étaient bOllJeversées par ce brusque changement
de sdme. Ce n'était plus la France,qui se trou-
vait envahie: c'était le palatinat du Rhin, l'élec-
torat de Mayence, la Savoie, le comté de Nicc
ct la BeIgique; ce n'était plus la révolution quí
était vaincue: elle était triomphante sur le Val',
sur les bords du Rhin, de l'Escaut et de la Dyle.
Les causes· de ces résultats inattendus parais-
saient d'autant plus mystérieuses qu'on avait
prep¡¡.té la _relraÍte des Prussiens par des né-
gociations dont les vrais motifs étaient restés
clans l'ombre. Sans doute parmi ces causes, il y
en cut de secretes. Mais le grand vice politique
de ceUe campagne provenait de la médiocrité dcs
{orces qu'on yavaít employées. Si l'apparition de
cent milJe hommes sur la frontiere eút pu en
1791 amener pCllt-etre une transaction raison-
nable entre le roí de France et la nation, deux




512 ~LÉJ\IOIRES
cent milIc comhattans auraient á peine suffi un
an plus tard pour obtenir le meme résultat. En
effet,ladifférence était énorme dans les disposi-
tion5 de la nation et dans la gl'avité des conjonc-
tures. Pourquoi la conr de Vienne mit - elle a
peine soixante mille hommes en mouvement?
Pourquoi garda - t - elle la masse de ses forces
dans l'intérieur de la monarchie? Elle redoutait
les projets de Catherine sur la Pologne, et ce
fut, dit-on, l'entrée des Russes clans ce royaumc
qui la retint de I:lire marcher les tl'OUpCS qui
eussent été nécessaires en Champagne. Com-
ment la Russie et la Prusse, ayant besoin du
concours de I'Autriche ponr combattre la révo-
lution fran~aisc, eurent-elles l'idée de l'exclure
d'un second parlage de la Pologne ? Prellve non-
velle que la résistance de la révolutiori étant mal
appréciée, la premie re coalition n'eut qu'une
hase fi'agile. Lorsque des potentats, qui ont á
combattre la erise sociale la plus mcnac,;ante,
ne savent ni réunir ni combiner Ieurs forees
dan s un but commun et déterminé, iIs sont in-
capables de vainere.


Un autre vice du plan général fnt le ehoile
peu réfléehi du commandant en chef des for.ces
de la confédération. En faisant meme abstrae-
tion des cirCOllstanccs accessoires, le caractere
incertain du duc de Bnmswick n'était propre




D'Ul'( HOl'lfME D'lÍTAT. 5I3
qu'a s'anéantír devant des opinions armées, et
a raspeet d'une erise aussi terrible que eeHe
de 1792. Nous pouvons affirmer que le sou-
venir de eeUe triste et pénible eampagne a em-
poisonné le reste de la vie de ce prinee, et que
sans eesse il eherehait a en pallier les fautes mi-
litaires sans pouvoir alléguer les vrais motif s
qui la Hrent éehouer: le plus déterminant tenait
a des eombinaisons dipIomatiques inaper~ues .


. Il est avéré que le due de Brnnswick n'y montra
de volonté et de fermeté qne pour éluder de
marcher.~hatai.ue. 01', on
sait a présent qu'il n'entrait pas dans la po-
litique du cabinet de Londres que la Prusse et
l' Autriche pussent régler, sans le eoneours de
ee eabinet, les destinées de la Franee. Jamais
les hommes d'état d'Angleterre, qni veillent ~l
5a puissanee, ne permettront qu'une eoalition
ou un dominateur disposent des affaires vitales
de I'Europe sans lenr partieipation. Telle était
déja la po\itique de M. Pitt en 1792. Pítt savait
que le duc de Bl'Unswick aimait la :France , mais
qu'il serait porLé néanmoins a ménager les in-
térets de l'Angleterre. Il jugea finement qu'il
ne résisterait point a l'ascelldant d'une maison
royale puissante avee laquelle iI avait déja d'é-
troites affinités 1, et qui lui présentait la brillante


• Le duc de Brunswick av"it éponsé la pl'iucesse Allguste, SCCllr de
George IlI, mi d'Angletcrre.


1. 33




MÉMOIREC
perspective du mariage de l'héritier des trois
royaumes avec sa propre fille l. Telles furent
les vraies causes des temporisations au moyen
desquelles le due de Brunswick paraly.sa l' expé-
dition de Champagne. Voila. le mobile secret le
plus puissant qui ait agi sur l'indécision natu-
relle de ce prince : la postérité en appréciera
les motif s et en jugera les effets. V oiIa eom-
ment des circonstances personnelles ont pres-
que toujours maltrisé le monde. Voila enfin,
car il faut le dire, ce qui donna lien a. tant de
fables absurdes, aQs~i inju~ ~u mOllarque
prussien qu' a ses généraux. Elles attaquaient leur
honneur en faisant supposer qu'on ne s'était dé.
cidé au quartier-général prussien a un mouve-
ment rétrograde que par des calculs sordides et
honteux.


Admettra-t-on que l'appat de quelques mil-
lions aura pu. engager le due de Brunswick el
compromettre son honneur, sa réputatíon et sa
gIoire? Cette supposition serait sans auenne vé-
rité eomme san s vraisemblanee. Dira-t-on que,
frappé du danger de sa marche sur París, et de
la néeessité de sa retraite, Frédéric-Guillaume
aura secretement stipulé le remboursementdes
frais de eette campagne, a la eondition d'évacuer


• De la princesse Cal'Oline avec le prince de Galles; aujourd'huí
George IV; maria¡oe qui en! líeu an cOlIllllcocemcnt de I?~4.




entierement le territoire fran.;;ais? Dans eette
derniere hypothese, comment, depuis plus de
trente ans, les traces d'une telle convcntion ne
seraient-elles pas tombées dans le domaine de
l'histoire? On peut au contraire affirmer que les
archives secretes des deux pays ne présentent
aueune révélation a ce sujeto


L'opinion contemporaine adone pu errer jus-
qu'ici sur les véritables cáuses des rcvcrs de la
Prusse dans son expédition de 1792. L' esprit géné-


1 d' !. , . 1 r • ra a. po 911tllcl\t-rru5 ~ell ressentn',que es eml-
grés, au désespoir, propagerent en-det;a et au-
dela du Rhin des suppositions injurieuses au gou-
vernem ent prussien. Les murmures, les plain tes
les invectives éc1ateren t sans mesure dans les rangs
des émigrés contre les souverains, leurs minis-
tres et les généraux de la coalition. Ils leur im-
puterent une retraite qui fut présentée comms
un -ex ces d'ignominie. Mais l'histoire ne formera
pas ses jugemenssur l'opinion vulgaire des émi-
grés : en vain leurs chefs, dans cette espeee de
déroute, chercherent a calme!' l'irritation des
esprits: les plus éclairés se montrerent les plus
raisonnables. Voyons par exemple comment le ,
maréchal de Castries, témoin oculaire, s'expri- ",
mait a eette époque sur la retraite des armées coa·
lisées ; {( N ous voila a peu pres au meme point
» oil. nous étion s il y a un an, mandait-il a la fin


• ,


\




516 :lJÉi\fOIlms n'UN HOJlrfME n'ÉTAT.
}) d'octobre J; notre situation est meme pire ... ~.
» La campagne a été sans succes et elle devait
» etl'e teIle. J'avais prévn une partie de ce qui est
» arrivé. Les dcnx: puissances confédérées ont
» méprisé mes avis et ceux des émigrés les plus
» capables d'en donnel' de Lons; elles n'on(pal'u
» agir que pour elles-mcmes. Cependant, comme
» la gloire et nl(~me l'int~l'(~t de l' Autriche et de
» la Prusse se trouvent plus que jamais compro-
» mises, ce qu'elles n'auraient plus vouIu faire
» pOlU' 110US e¡le~ le re!.:.Q.Utp.í1Uz' ellcs~~~mes ....
» La Prusse vacille en ce moment; eHe est mé-
» contente et voudrait entrer en négociation;
» mais elle sera entrainée par l'ascendant et la
» force des circonstances, d'autant plus que le
»point de ralliement, le centre vers lequel
» pomraient aboutir les négociations (la royauté)
»n'existe plus. Le printemps prochain verra
» renaitre une guerre terrible ..... »)


, Let!re interceptéc adl'essé~ a Malet-Dllpo.n.


JlIrf DU PRElIlIER VOLUlII E.




ERRATA.


Page 133, avant·derniere Iigne du premier paragrspbe, acbev~rent
de la disposer, lisez de le disposer.


P. 388, l. 22, vil/es des fn\res Moraves. liaez vilIe.