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PROCES
DES .


EX ~MINISTRES.










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PROCES
DES


DERNIERS MINISTRES
DE CHARLES X,


MM. DE POLIGNAC. DE PEYRONNET. CHANTELAUZE,
GUERNON·RANVILLE. MONTBEL. D'HAUSSEZ


ET CAPELLE


OfiNÉ DU PORTRAIT DES PRÉVENUS;


PAR


lJNE socí:Ti lJ'UQMMES lMI'AR'I"'tI\{;X, 5GUS LA DJRECTIOD UE


TO~IE l.


2{ tLlaris,
Al] BUREAU DES ÉDI1':EURS~


1\lT1l DES VIN,UCRIERS, N9 19 BIS,
Au coin de celle Albouy, Faubourg St-Martln,


1830






INTRODUCTIüN.
...... 0 ..


En trois jours la population parlSlenne a brisé
une dynastie parjure que six cent mille haíonnettes
étrangeres avaient violemment imposée a la France,
et qui', remontée sur le pavoi par une de ce.') catas-
trophes imprévues, qui confondent les esprits les
míeux exercés , blessa, pendant seize ans , le peuple
francais dans ce qu'il avait de plus cher.


Aujourd'hui tout a changé de face: le droit divin,
justement rayé de notre constitution , est voué A
l'oubli; asa place, la souveraineté nationale est con-
sacrée en principe, et une dynastie nouvelle , jeune
et vigoureuse, en rapport avec nos moeurs , nos lu-
míéres , ombragée des Iauriers de Jemmapes et de
Valmy, estappelée aaccomplir les grandes destinées
de la patrie.


Ce passagesubit d'une servitude profonde 11 une
liberté entiere , mais sans licence, ne s'est pas opéré
sans répandre du sango Triste destinée des natíons ,
de ne reconquérir lenr indépendance qu'avec le fer!
Pour nous, qui figurames parmi les cohortes patriotes
du 28 j uillet , forts d'une vérité qui, chilque jour, dé-
vient plus évidente, nous pouvons, la main sur la
conscience, dire hautement: Charles X seul et non




( 6 )
. les ,citoyens courageux qui prétérent secours a la


lOÍ, est responsable devant Dieu du massacre de plus'
~13 deux mille Francais 1....


C'est par suite de cette révolution sans exemple
dans les {astes d'aucun peuple, que les Ministres du
dernier Bourbon de la hranche ainée , sont traduits
devant la Chambre des Pairs. L'histoire dira leurs
~~técédens, le véhicule puissant qui, d'un état
obscur, éleva tout-a-coup plusi~~rs d'entre eux au
plus haut degré de grandeur; elle gravera. sur ses,
tables d'aírain ~ leurs fautes, leurs erreurs , leur
-crime... Quant a nous, écrivains consciencieux, ac-


• \ o', l


teurs dans ce drame lugubre, nous dépouilIant de
tout esprit de parti , nous voulons ne pas dérnériter
de la n?~,le école des impartiaux. C'est pour cela
qu~, ~;I;n~ J;lOUS arreter sur les derniers actes de ces
hommes aujourd'hui sous le coup d'une accusation
capit~le, nousnous b:o~nons a do.nne~'i le plus suc-
cintement P?ssible, le détail de ce~te procédure so-
lennelle , jusqu'au momeat QÚ la Chambre des Pairs
s'est occupée du rapport de sa Commissíon , chargée
d'examiner la résolution de la Chambre des D,éputés
décrétant d'accusation le ministere Polignac.


Les (jhambres, violemment díssoutes par les fa~
<;.,,-\ ¡ , ~


meuses .ordonnances que nous reproduirons dans les
piéces justificatíves, se réunirent a Paris le 3 aoüt,
Elles commencerent leurs travaux par investir le
Duc D'üRLÉANS du titre de Lieutenant-Général da
I{oya~me; puis, apres avoir purgé la Chart~'de,plu:
sieurs articles co~traires aux droits du peuple , elles,




( 7 )
proelamerent , d'aprés le voeu national, Louis-Phi-
lippe, Roi des Francais.


Dans la séance du ~, M. Eusebe <le Salvarte dé-
POS;! sur 113 hureau du Président la proposition suí-
vante :
~ La Chambre des Députés accuse de haute ~r~~


» hison les Ministres signataires du rapport au Boi
D et des ordonnances en date du 25 juillet 1~3q. »


Cette proposition, accueillie au milieu de bravos
prolongés, fut renvoyée, suivant l'usage , al'examen
des bureaux , pqqr etre ensuite discutée en séance
publique.


Le 13, la. discussion s'ouvrit: apres un discours
remarquable de M. de Salverte, la prise (!Q. considé-
ration fut adoptée al'unanimité, Aussitot une com-
missionfutnommée, elle se composa de MM. Béren-
gel', Daunon, Caumartin, Madie.. de Montjau, le
barón Pelet, lebaron Lepelletier d'AulnaY2 Bertin de
Vau~, Mauguin et Salverte; M, Bérenger en fut le
rapporteur,


Tandis qu'á Paris on préparait ainsi les élémens
d'un preces sans exemple en France , (jusqu"a, ce jour
la responsabilité ministérielle n'a été qu'une cruelle
déception) que faisaient les ex-ministres ?Eff~a,.és
de l'orage qu'inconsiderement ils avgient soulevé;
apres avoir abandonné Charles X, ils fuyaient sur
des routes différentes, comptant profiter du premier
mouvement d'effervescence et de tumulte pour ga-
goer la frontiere, '


Vain espoir! M. de Polignac, le premier , déguisé




( 8 )
'domestique et accompagnant madarne la eomtesse


de Saint-Fargeau, fut arreté aGranville et incarcéré
a Saint-Ló'; aTours , on reconnut M. de Peyronnet,
voyageant ave e uncourrier de MM. Rotschild; bien-
tót MM. Chanteiauze et Guernon-RanvilIe eurent le
níeIbe 'sort; quantá MM. Montbel, d'Haussez et
Capelle, plusheureux, ils éehappérent a tontes les
reclrerches.


Au'x-'yeux de M. Polígnae, sa qualité de Pair était
sufflsante pour faíredéclarer sadétention illégale.
M. dePeyronnet, dont la pairie venait d'étre dé-
chírée par l'article 68 de 1::1, Charte, annulant toutes
les:#ortlÍnat.ions faites sous le regne de Charles X,
garda le 'silence ; M. de Polignac seul écrivit la lettre
sl1i~imteaM. Pasquier,président de la Chambre des
Pairs,


'M,'lé Baron,
'Arrétéa Granville 'au n~omellt oü , fuyant les tristes et dé-


plorables événemens qui viennent d'avoir lieu , je cherchais a
paf\$ef. at'Be, de Ger8ay ,je me suis constitué prisonnier entre
les mainade la Commiasion-prov;¡.uir.ede,la, préfecture de la
M1!-peh~ : le proeureur du roi de l'arrondissemeut de Saint-Ló
ni le'ju~~d~i~struction n'ayant pu, d'apres les termes de la
Charte ;" décerner un mandat d'amener centre moi, dans le
cas ,. ~e:que j'ign:ore, óü le Couvernement ait dermé des ordrés
pOUI' :ill'áMi~te~. ü3 ¿~t que 'de l'autoeité de lt~ Gh4",bre de8
Paí7\'l, dtt i'article 29c' dela ICqartell~tuelle;:eenferme encela
~-róU,l~llnElCharte , qu'un- membre de 4. Chambre des,Pai,'~
peut étre arrété. J e ne sais ce que fera la Chamhre á ce IIU~ct.
~t si, elle,~e~!ra sur. mon comp~e Ies.tr-ietes.événemens de .deux
iOllrs qúejé f1epróre plus que'quí 1]uece soit , qui sorit arrivés




( 9 )
avec la rapidité de la foudre au sein de 1" tempéte , et qu'au-
cune force, aueune prudence humaine De pouvaient ar-réter ,
puisqu'on De savait , dans ces terribles momens , aqui entendre,
ni aqui s'adresser, et qu'on ne pouvait, tout au plus, que dé-
fendre ses jours.


Mon desir, M. le baron , serait qu'on me perrnit de me re-
tirer chez moi , pour y reprendre les habitudes d'une vie pai-
sihle, les seules qui soient conformes ~,mes gOtits, et auxquelles
rai été arraché malgré moi , comme le savent tous ceux qui me
connaissont, Assez.de vicissitudes ont rempli mes jours ; assez
de revers ont blanehi ma tete dans le cours de la vic orageuse
quej'aí parconrue. Ari moins , Depeut-on me reprocher, dans
les. momens de ma prospérité, d'avoil' jamais conservé aucun
souvenir d'aigl'eur contre ceux qui avaient peut-étre abusé de
leurs forces amon égard dans les tems de mon advecsité ; et ,
en eífet , M. le baron, ou en serions-nous, tous tant que nous
sommes , au milieu de ces changcmens continuels que présente
le siecle ou nous vivons , si les opinions politiquesde ceuxqui
sont frappés paela tempéte devenaient des délits ou des.crimes
aux yeux ~e CIilUX qui ,erobiassent des' opinions politiquee plus
heureusc!I?


Si je ne pouvais obtenir- la perrnission de me retirer tran-
quillement dans mes foyers , je desirerais qu'il me Iüt permis
de me retirer a l'étranger avec ma femme et mes enfans. Si,
enfin, la Chamhre des Pairs voulait prononcer mOD arresta-
tion , je dcsircrais qu'elle fixát le lieu OÜ je serais retenu , au


. fort de Ham , en Picardie , ou j'ai longtems été détenu dans la
l6ligue eaptivité que raí éprouvée dans roa jeunesse, ou dans
quelque eitadelle comrnode et sp<ft:ieuse ala fois. Ce lieu (Ham)
cc;mvienO:tl\i\., ·~l(m.X. q!le tout autre , a\.'état de ma santé , an~oli~.
hIie depuis quelque teros, et altérée surtout depuis Ies dae-
niers événemens qui se sont passés. Les maiheurs de I'hon-,
néte honime doiveút mériter quelques égat'ds en Franco ; mais ,
dans tous les cas, M. le baron ,i! y am-ait , j'oserais presque




( 10 )
díre , quelque chose de barbare a me faire ameoer daos,la ca-
pitale, eo un moment 04 tant de. préyentions ont été s~u­
Ievées contre moi , préventions q1,1e roa seule voix ne Pllut
apaiser , que le tems seul peut calmer. Depuis longtems ~
je ne suis que trop accoutumé avoir toutes mes intentions
représentées sous le jour le plus odieux.


Je vous ai soumis tous mes desirs , M. le baron; je vous
prie , ignorant aqui m'adresser, de vouloir bien les soumettre
également aqui de droit et d'agréer ici l'assurance de ma haute
considération.


Le Prince DE POLIGNAC.


f. S. Je VP\lS prie ~galement de vouloir bien me {aire accuser
r~ception de cette lettre,


De son cóté , M. DUPOllt (de l'Eure ), garde-des-
sceaux, écrivit, en ces tenues, aM. Pasquier:
M~ le Président,


J'ai appeis , non par des rapport officiels , mais par des
bruita divers, que plusieurs des derniersministres, notam-
ment M; le prince de Polignac et M.le comte de Peyronnet,
étaient arretés et détenus aSaint-Lé et aTours. Dans les cir-
constances actuelIes, et en présence de l'accusation pendante
ala Chambre des Députés, j e crois qu'il est indispensable d'in-
former la Chambre des Pairs qu'ils sont détenus aSaint-Ló el
aTours , afin que, d~l~S sa sa~esse, elle décide ce qu'elle [u-
gera convenable.


La Chambra des Pairs , apres avoir entendu la
lecture de ces lettres, el: s'étre éclairée des lumieres
d'une commission spéciaie, a, dans la séance du 23
aoüt , et sur le rapport de M. le eomte Siméon,
tranehé ainsí cette difficulté :


v:u une lettre signée prince de Poltqnec , écrite de Saint-LO,
en date du 17 aoút, et adressée au président de la Chambre des




( 11 )
Pairs, par laquelle, en annon~ant qu'il est détenu , il réclame
le béné6ce de l'articIe 29 de la Charte constitutionnelle pro-
mulguée le 14 aoút présent mois (1) ;


Vu la lettre du Garde-des-sceaux, Ministre de la justice ,
en date du 21 de ce mois, par laquelle il informe la Chambre
que le prince de Polignac a été arrété aSaint-Ló , etle comte
de Peyronnet aTours, sur la clameur publique, comme au-
teurs d'actes qui forment la matiere d'une aecusatlon proposée
en ce moment a la Chambre des Députés , et par laquelle il
~nvite la Chambra aprendre les déterminations convenabies,


La Chambra prend la décision suivante :
11 Conformément al'article 2~ de la Charte constitutionnelle,


» la Chamhee de~ Pairs autorise l'arrestation du prince de
. ~ Polignac faiteaSaint-Ló.


:p Quapt aI'arrestation du comte de Peyronnet faiteaTours,
» vu 1'article 68 (2) de l~ Charte, titre des Di8pq8itio~ parti-
» culíeres, la Chambre déclare qu'il n'y a pas lieu par elle a
» en délibérer.


» La ClIa.ptbre des Pairs charge son président de trans-
~ mettre cette décision au G.tlfde-des-sceaux, Ministre de la
» justice...


Gependant la Commission d'accusation de la Cham-
bre des Députés ne restait Plis inactive ; apres s'étre
fait donner de nouveaux pouvoirs, elle entama une
enquéte sévere , fit traduire devant elle des témoins,
et enfin M. Bérenger prépara son rapport.


Ce rapport, que nous donnons en entier, fut In a


(1) ABT. 19.• Aucun Pair ne peut étre arrété que de l'autorité de
• la Chamhre , el jugé que par elle en matiere criminelle.•


•I (2) ART. 68. • Toutcs les nomínations et créations nouvelles de
• Pairs , faltes sous le regne du roi eharles X, sont déclarées nulles
• et DaD a'fenu~s.•




( I ~ )
la Chambre le ~4 septembre , et la discussion s'ou-
vrit le 28.


Aprés des débats animés , on vota séparément sur
les quatres chefs d'accusation relatifs a. chaque mi-
nistre. Une immense majorité adopta les conclu-
sions de la Commission, en ce qui concerne M. de
Polignac; cette majorité, toujours aussi forte vota.
dans le mérne sens et séparément, sur l'envoi de-
vant la Chambre des Pairs, des six autres ministres;
seulement les voix négatives furent plus nombreuses
lorsqu'il fut question de MM. de Montbel et Guer-
non-Ranville.


.Au reste voici, a cet égard, le tablean des votes
émis pour et contre l'accusation.


Belatiuement aM. de Polignac.
Nombre des votaDa. , , ..... , . , .•..
Boules blancbes ponr l'accnsation ...
Boules noires contre l'accusation , , , ,


291-
244.


47 ..
Helatioement aM. de Peyronnet.


Nombre des 'votans,... . . . . . . . . . . . 286.
Boules blauches pour l'accusation,.. 232 .
Boules noires centre l'accusation.... 54.


Belativement ti M. Chantelauze.


Nombre des votans ....• , ..... , ... , 297,
Boulcs blanches pour l'accusatíon . . . 222.
Boulesnoires contre l'accusation . . . . 75,


289,
214.
74.


Reiativement aM. Guernon-:RanfJiUe .
••Nombre des votans, , , .'. , .• , ... , .. ,


:&>ules blauehes ponr l'accusation . , .
Boules naires contre l'aecusation . , ..




( 13 )
RelatÍ'lJement aM. d'HaU8Sez,.


Nombre des votans ........•..•.. , 279.
Boules blanches pour l'accusation... 213.
Boules noires contre l'accusation . . . . 66.


Rclatiflement aM. Capelle,
Nombre des votans •.•.••.••..••••
Boules blanches pour l'accusatíon .
Boules noires contre l'accusation ~ .


263.
202.
61. •


Relatiflem,nt aM. de Montbel.
Nombre des votans. . . . . . . . .. . . . . . 256.
Boules blanches paur l'accusation. . . 187.
Boules noírcs contre I'accusation . . . . 69.


La Chambre choisit parmi ses membres trois
commissaires pour, en son nom , faire toutes 1es re-
quisitions nécessaires, suivre, soutenir et mettre á.
fin l'accusation. La majorité absohre des 5uffrages
désigna MM. Bérenger, Persil'et Madier de Montjau.
(Séance du ~9 septembre.¡


Aussitot M.le président de la Chambre des Députés
adressa le message suivant aIa Chambre des Paírs.


La Cbambre dE'S Députés a adopté, dans sa séance du 28 de
ce mois, une résolution en vertu de laqueUe MM. de Polignac,
de Peyronnet , Chantelauze, de Guernon-Ranville, d'Haussez,
C;lpelle et de Montbel, .ex-ministrea , signataires des ordon-
nances:du 2,5 juillet, sont accusés de trahison et traduits devant
la Chambre des Pairs. Elle a arrété qu'il en seraít donné con-"
naissance ala Chambredes Pairs par un message. J'ai l'bonneur
de vous I'adresser avec un extrait du preces-verbal de la séanca
du 29, qui constate la nomination des trois -commissaires char-
gés de suivre et soutenir l'accusation , et je vous prie de vou"::




( 14 )
loir bien donner commuríication de ce message ala Chatñbre
des Pairs , etc. , etc.


, .. , LAFITTE, president.


. La Chambre, apres en avoir délibéré daos la séanee
du }h octobre ; décida qu'elle se réunirait en cour
de justiee, le 4 suivant,


Alors elle rendit un arrét dont voici la teneur :
.J..a Cour des Pairs,
-Vu la résolution prise par la Chambre des Députés dans sa


séance du 28 septembre demier, portant accusation detrahison '
centre MM. de Polignac, de Peyronnet , Chantelauze, de Guer- .
non-Ranville, d'Haussez , Capelle et de Montbel, ex-ministres
signataires des ordonnances du 25 juillet ;


Vu le message du 30 septembre portant communication de
ladite résolution ala Chambre des Pairs, ensemble l'extrait du
proces-veebal de la Chambre des Députés joint audit messagé ,
et constatant la nomination de MM. Bérenger, Persil et Madier
de Montjau, en qualité de commissaires chargés de suivre ,
soutenir et mettre a fin dcyant la Chambra des Pairs ladite ac-
cusation;


V u pareillément la délibération de la Chambre des Pairs en
date du lor de ce mois , portant que la Chambre se réunirait
aujour~'huien cour de justice, al'effet de procéder ainsi qu'il
appartiendra sur la résolution sus-énoncée ;


Aprcll en avoir délibéré : .
. Cousidérant qu'aux termes des articles 55 et 56 de la Charte


de 1814, et 47 de la Chane de 1830, la Chámbre des Pairs a
seule le droit de juger lea ministres accusés et traduits devant
elle par la Chambre des Députés pour fait de trahison ;


Considérant, d'une autre part , qu'avant de pallser outre au
jugement de I'accusation portée par la Chambre des Députés, lé
liS septembre dernier, il est nécessaire de vérifier el régler l'état
de l'instruction et de la procédure , tant al'égard des accuséá
détenus, qu'a l'égard de ceux qui na sont poínt arretés;




( 15 )
OrdoDne que, par M. le président de la Chambre et par tels de
MM~ les Pairs qu'il jugera convenable de eommettre pour l'as-
aister et le remplacer, s'il ya Iieu, il sera procédéá I'examen des
piéces transmises par la Chambre des Députés, ensemble á tous
actea d'instruction qui pourraient ~tre nécessairea pour l'éclair-
eissement et la qualification des faits, ainsi que pour la mise en
état de la procédure; lesquels actes d'instruction seront eom-
muniqués aux eommissaires de la Chambre des Députés, pour
~ti'e, par eux, fait telles réquisitions qu'lls jugeraient eonve-
nables.


Pour, apres lesclits examen s et complément d'instruetion
terminéa, et la procédure eommuniquée aux eommissaires de
,la Chambre des Députés, étre fait d u tout rapport a la Cour
et ctre par elle statué ce qu'il appartiendra , les commissairas
de la Chambre des Députés appelés et entendus s'ils le re-
quierent,


drdonne pareillement que, lora desdits examen et complé-
ment d'instruetioo , les fonctions de gr'effier seroot rempliespar
le garde des registres de la Chambre, lequel pourra s'adjoindre
un commia .assermenté pour le remplacer, s'il ya Iieu , et que
les citati~ns ou autres actes du ministére des huissiers seront
taits ~ar les huissiers de la.Chambre.


Le méme jour, 4octohre , elle prit la délibération
suivante:


La Cour charge son président de rappeler, par écrit, achacun
de MM. les Pairs, la stricte obligation qui leur est imposée de se
rendre ameaudiences , lors du jugement de l'accusation portée
par la Chambra des Députés , et de leur annoncer que la Cour
soumettraal'examen le plus rigoureux les motifs qui pourraient
etre allégués POUí' se dispenser de ce devoir; que toute absence
non suffisamment justifiée sera vue par elle avec un vif déplaí-
sir, et qu'il en sera fait mention au proces-verbal.


La Cour arréte , en outre , que la présente délibération sera.
publiée par la voix du Moniteur.




( r ti )
Voila done la Chambre de Pairs constituée eri


cour de justice : i] faut attendre le rapport de la
Commission ehargée d'examiner les pieces transmises
par la Chambre des Députés.


Revenons sur nos pas, et voyons ce que devenaient
les ex-ministres durant ces délais indispensables.


Une modeste voiture de poste, escortée de gardes
nationaux des, départemens, conduisit, dans les
premiers jours de septembre, et pendant la nuit,
M. de Polignac a Vincennes. Lematin du mérne
jour étaient déja arrivés , sous une forte escorte
MM. de Peyronnet, Chantelauze et Cucrnon-Ranville.
Provisoirement, ils furent enfermés dans quatre
petites chambres du pavillon de ia reine ;le gouver-
neur ayant donné avis de leur 'arrivée au Gouverne-
ment, on fit partir de suite trois cents gardes natio-
naux , pourveiller a la sñreté des prisonniers.


Le hasard désigna le 4ebataiUon de la 5-légion pour
cette exursion. L'auteur de cette introduction , gre-
nadier de la eompagnie Lenainville, fit partiedu déta-
ehement, Ses regardsse sont souvent arrétés sur ces
quatre personnages naguére comblés des: Iouenges
du faubourg Saint-Germain , et aujourd'hui conrbés
sous le poids de l'exécration puhlique! Il a vu l'effroi,
la terreurflétrir les traits décomposés de M. de Po-
lignac, de Guemon-Banville et Chantelauze, I'air
hautain et fier de M. de Peyronnet, ne lui a pas non
plus échappé.... Devant luí, ces ruines d'un Gouver-
nement parjure, se sont acherninées lentement, ~u
milieu d'une double haiede gardes citoyennes vers




( 17 )
le donjon. C'étart un spectacle imposant et sévére. Il
ne s'effacera jamais de sa mémoire,


Aujourd'hui encore , les ex-ministres occupent les
qnatre tourelles de cette espece de chA.teaurort.
Sons peu, ils seront transférés dans le local, attenant
au palais de leurs jnges, quí-a étéconverti en prison
d'état; voici a cet égard une deScription d~taillée,
puisée ades sources certaines , qui donnera une idée
des différentes métamorphoses qu'a subíes , depuis
quarante ans, lé petit Luxembourg, et rassurera les
personnes disposées a adrnettre la possibilité d'une
évasion.


En 1795, la Commission d' Intruction Publique,
présidée par M. Garat, tenait ses bureaux et ses
séances dans cettepartie du palais ; elle occupait les
anciens appartemens de l'ex-cbancetíerée France,
M. de Barantin. Un pea plus tard, le Directoire s'y
établit. Une gtandeetmagninque salle était destinée
aux audiences que, chaque jour , un des citoyens di-
recteurs daignait .accorder a la tourbe des sollici-
teurs , beaucoup moins no~reuse qu'aujourd'hui.
Accompagné d'un messager d'état et de deux huis-
siers , le directeur recevait gracieusement les péti-
tions , et y mettait de sa main l'apostille qui en in-
diquait le renvoi, et par suite l'enterrement dans les
cartons de tel et tel ministere.


En 1814 el années suivantes, M. le chancelier
d' Ambray s'installa dans le méme local. Ses appar-
terneos , qui out conservé le mérne ameublement,
sont habités par M. le colonelFeisthamel, M. de Ba·




( 18 )
rantin , beau pere de M. le chancelier , avait été
placé dans le corpsde batimeut situé agauche, et
c'est ce ,corps 'aehati,ment qui fut , en 18~H, et est
encoré transformé en prison d'état,


La grande cour qui sépare lesdeux batimens, a
pris aujourd'hui le nom de cour de Marengo. C'estlá
qu'á son retour d'Égypte , peu de jours avant le 18
brumaire, Bonaparte fut reeu solennellement par le
Directoire exécutif, et qu'on le laissa longtems tete
nue , exposé aux intempéries d'une journée d'au-
tomme, pendant que les directeursétaient abrités
sous une vaste tente qui fut donnée autrefois par le
grand-seigneur a'FrancoisI'',


La porte cochérevqui donne StH la rue-de Váugí-
rard, ne.sera ouverte q ue pour les corps militaires de
service. ~ prisonniers et les personnes qui vien-
dront les visiter, entreront par une petiteporte et
par un guiehet pratiqué acoté. -Aprésavoir traversé
la cour Marengo, on entre sur la droite par la cour
d'Iena , puis par la porte et par I'escalier d'Arcole ,
qui aboutissent du c~ opposé al'escalier et a. la
porte d' Austerlitz, non lointlu corridor et de la porte
de Friedland; car tout ici rappelle les souvenirs de la
grande armée.


Apres avoir traversé, dans le corridor d'Arcole, un
corps de garde oú l'on voit déjá le lit de camp et les
rateliers destinés a recevoir les armes, on arrive aux
chambres destinées aux ex-ministres. La premiere est
celle de M. Chantelauze: toutes les communications
intérieures , ainsi que les armoires et les cheminées




( 19 )
elles-mémes, en ont été murées; au milieu est un
grand poele d'une forme assez élégante et déja muni
de tous les ustensiles nécessaires ; agauche :est un
lit d'acajou, sans alcóve , mais surmontéd'unhalda-
quin propre et simple, auquel pendent des rideaux
hlancs; un sécretaire d'acajou , une commode en
noyer et deux chaises, composent tout le mobilier
de celocal. On y recoit une lumiére siabondante;
grace ala hauteur des fénétres , qu'on ne- s'apercoit
pas au premier abord, que les croisées sont amoitié
masquées .au dehors par des ahat-jours de hois de
chéne dooblés en tóle du cóté de la cour; au-dessus
de ces mémes abat-jours s'élevcnt desbarreaux ·de'
fer trés-rapprochés , entre lesquels sont des mailles
assez serrées de fil d'archal ; cette dispositiona pour
but d'empécher qu'on ne puisse y jeter d¡@.~ ~hors,
des armes ou mémede eímples.Iettres.Dn n'apereoit,
au-dessus des fenétres, que la voúte du ciel, et le dra-
peau tricolore qui flotte sur le dome du Luxembourg.


Les chambres destinées a M. de Guernon-RanvilIe
aM. de Peyronnet et aM. de Polignac, présentent le
méme arrangement; mais elles ne communíquent pas
entre elles; on yarrivepar des corridors différens. Cha-
cune des chambres est fermée d'une porte en chéne
épaisse de quatre pouces, garnie d'énormes serrures et
de gros verroux. Nous allions oublier dedire qu'a!'en-
trée de chaque chambre est une guérite dite tambour,
de forme carrée, On y placera une sentinelle, qui, au .
moyen de deux lucarnes, fermées d'nne vitre, pourra
sans cesse voir tout ce qui se passera dans les di-




( 20 )


verses parties de lachambre dont aueun point n'é-
. chappera ason ínvestigation,


L'on s'attend a entendre murmurar contre cette
-dispositíon , M. de Peyronnet, qui déjá, dit-on , ma-
nifeste de tems en tems de l'humeur contre les me-
sures de surveíllance prises aVincennes. Il se plaint,
;ajoute-t-on. du fracas que cause pendant la nuit la
nécessité de relever les gardes et les sentinelles, et
.du trouble qui en résulte pour les prisonniers, dont
le repos ést, dit-il , l'unique consolation.


Nul n'aura la permission d'entrer daos les cham-
bres mémea-desdetenus, sice ne sont leurs femmes,
Ieurs avoeats et les ecclésiatiques avec lesquels iIs
pourraient témoigner le désir de conférer en secreto
Les autres visiteurs seront admis dans un parloir
eommÍ1~;La.salledestinée a ces visites est partagée
en trois compartimens par deux grillages de bois,
régnant depuis le parquet jusqu'au plafond. Ces
eompartimens sont de largeur inégale et entre les
deux grilles se trouvera un espace libre gardé par un
porte-cleí el un factionnaire,


La partie la plus spacieuse sera reservée aux per-
sonnes venant du dehorsv-et elles seront surveillées
par les Cardes Municipaux de service.


Ileat inutile de dire que la Garde ~ationale, étant
de sanatureétrangére au serviee intérieur des prisons,
n'aura au Luxemhourg d'autre partage que la garde


. extérieure et le service d'honneur. Les prisonniers
seront exclusivement confiés ala Carde Municipale.
Vingt-cinq de ces Gardes Municipaux ont été choisis




( :H )
parrni les ouvriers qui se sont le plus distingués aux
}ournées de iuiHet, et qui, depuis , se sont fait remar-
quer par leur aptitude et leur dévouement, Ils ont
pour chef M. Martin, préposé, par une étrangevicis-
situde des choses d'ici has, a la garde de ce méme
M. de Peyronnet, qui, en 1821, tit contrelui des re-
quisitions fulminantes a Ia.Cour desPairs.M;Mar-
tin , que l' on in terpellait sur les faits I'elatifs au ca-
pitaine Nantil, l'un des accusés contumaces, s'ex-
pliqua d'une.maniere ou l'omhrageux procureur.
général crut voír des réticences , et peu s'en fallut "
queM, de Peyronnet ne le tit arréter et juger comme
suspect de faux témoignage.:


Une cinquieme chambre servira de chambred'at-
tente.


Les, prisonniers seront cooouits ,iI; la,.Cour .des
Pairs, en passant pllT le jal'd~deilsiÚ'tane maniere
que Iefurent 'M. de Trogoff,:I'1nfortuné colonel Caron,
et;les -antres.personnes impliquées dans la conspira-
tion dite militaire de 1820 etr 82I. Onpeut se faire
au dehors une assez juste idée de" la: disposition
du local. On ajouta, aumoyendes elótures en
planches; un prolongement aux enolos .qui for-
maient, sous Ja Constitution de l'an llI, un jar-
din particulier pour chacun des 'membres da Direo-
toire ex~cutif. Ce prolongement renferme, dan s
son' enceinte, la belleet nomhreuse école de rosiers ,
oú un amateur s'estplu a rassembler un échantiflon
de chacune des variétés que présente cette classe des
rosacées."Le passage le plus rapproché du palais est




( 22 )


assez étroit ; la clóture de planches est séparée de la
clóture extérieure par un espace trés-large ; ensorte
que les curieux qui voudront épier au dehors la sor-
tie ou la rentrée desdétenus, ne ponrront gueres
s'apercevoir dn -mouvement qu'occasionera cette
translatioa. Les anciens jardins des directeurs ont
été transformés en vastes corps-de-garde pour la
garde nationale des différentes légions, et pour un
piquet de la garde nationale acheval. Ainsi tout est
prét pour recevoir ceux sur lesquels la Chambre des
Députés, par son initiative, a appelé le jugement sou-
verain de la.Cour .des Pairs.


Tels sont les détails dans lesquels nous avons cru
devoir entrer pour réunir en-un seul eorps d'ouvra-
ge les élémens de cet importante affaire.


Avant '",de poser la plume, nous rappelons qu'il
unpcrte avant"Qu.t~poJ):f,rhonneurdu peuple Eran-
cais , qu'on n'intervienne en aueune maniere dans
les débats solennels qui vont s'ouvrir. Les prévenus
sont sous la sauve-garde de la Ioi ; attenter aI'indé-
pendance de' leurs juges par. des cris de mort ou
des rassemblemens tumultueux "ce. serait dégrader
les vainqueurs de juillet, .Qu'on ne l'oublie pas,
l'Europe nouscontemple, Nous lui avons montré ce
que péut une nation héroíque se levantenmasse
ponl' reconquérir sa liberté; présentous-luí aujour-
d'hui le spectacle rare et sublime, de la sagesse et
de.la, modération aperes la viotoire.


Parfs ; le 10 décembre 1830.
ALEXANDRE BOL'R•..




( ~3 )


...-...-----,------""'r-,-...--,,-~-~-
"CHAMBRE DES DÉPUTÉS.


SÉANCE DU ~3 SEPTEMBÍlE· 1830v .


La Chambreesf tres-nomhreuse , et les tribunes
publiques entíérement garnies.


M. de Bérenger, rapporteur de la Commission
d'accusation, monte a la tribune et prononce le
discours suivant au milieu du pl~s profond silence,


M ESSIEUl\S, .,.
tJ.


La Commission que vous avezchargée de la pro-
position d'accusation contre les ex-ministres signa-
taires des ordonnances du 25 juilletdernier , a mis a
cet examen toute l'attenjion quereclamait un sujet
sur lequel tant de regards sont fixés.


. Au moment d'entrer dans la voie que ·la Charte
.vous ouvre pour obtenir la répression des faits qui
ont si gravement compromis notré ordre social,
vous avez du desirer qu'une religieuse observation
des analogies judiciaires s'unit aux vues élevées de
la palitique, dans j'exercice d'un droit.qui ~éc0nle
de nos institutions. /




( 24 )
Ce voeu imposait avotre Commission des devoirs


dont elle a compris toute l'étendue. Elle a senti que
vous l'investissiez d'une magistrature dont l'impar-


-tialité doit 'ftre le principal caractere. C'est pour
répondre a votre conñance que, des les premiers
jours , elle s'est déterminée avous demander de lui
déIéguer une patie de vos pouvoirs: ils lui étaient
nécessaires, autant peut-étre pour régulariser la de-
tention de ceux des ex-ministres qui avaient été ar-
rétés sur la clameur publique, que ponr fixer , par
le concours de leurs déclarations et des témoignages,
le véritable point de vue sous lequel cette accusation
doit étre énvisagée.


Une instruction a done été commencée: qU,atre
des ex-ministres détenus 11 Tours et a Saint-Ló , ont
été transférés aVincennes, en vertu des mandats
d'amenerdéeernés par la Commission: ils ont été
interrogés aussitót , et sur le champ les mandats ont
été convertis en mandats de dépot. Les témoins ont
été entendus; les piéces qui pouvaíeat servir d'élé-
mens a l'accusation ont été demandées aux dívers
ministereset examinéesavec un soin scrupuleux:
partont les ordres et les mandats de la Commission,
exécntés par les huissiers de la Chambra, ont trouvé
obéissance,


Cette premiere instruction , qui établit et con-
sacre vos droits, a également en pour objet le hesoin
de'll:o~ éclairer , et ceíui ~offril' ala défense tonte
la~ítude.qu'eHea le droit de réclamer,


Néanmoitls, les documens obtenus des divers mi.




( 25 )
nisteres sont peu eomplets: il est certain qu'au mo-
ment de la catastrophe les plus importans ont été
détruits; de sorte qu'un voile eouvre la plupart des
projets dont le développement devait assurer l'exé-
cution des fatales ordonnances,


Mais, envisageant ces ordonnances dans leur en-
semble, votre Commission n'a pu se résoudre ales
considérer comme un simple aceident, c'est-a-dire ,
comme un fait isolé,né des circonstances du roo-


. ment, et sans lien avecle passé.
Elle a donc jeté un coup-d'oeíl sur les tems ano


térieurs , et elle a acquís la déplorable certitude que
les ordonnances du ';15 juillet étaient le complément
d'un plan que la Couronne méditait depuis plusieurs
années.


.


Il lui en coüterait cependant de fáire remontar
au Prince, auteur de la Charle, laooneeptiOn de
ce plan: maisap,einerétabliSllr le tróne de les péres,
Louis XVIII avaít pu apprécier "les projets des cour-
tisans et ceux des membres de sa famille : tels ils
étaient lorsqu'au commeneement de notre révolu-
tion ils avaient quitté l~ sal de la Franee, tels ils se
montrerent lorsqu'il revint avec eux de l'émígration..


Ce long exil sur une terre étrangere.. ces jours
d'adversité, qui, pour tant d'autres, auraient pu de-
venir la .matiere de fructueuses lecons , avaientété
stériles poul' eux: Louis XVIII lutta péniblement
centre leur exigence; ille fit quelquefois avec hon-
heur, le plus souvent sans succes.


En dehors de son gouvernement se formaient




( 26 )
d'autres conseils dont l'action se faisait insensible-
ment sentir sur toutes les branches de I'administra-
tion, et en paralysait le mouvement: déjá on aperce.:.
vait deux gouvernemens dansI'État. .


La vieillesse de Louis XVIII subit la triste in-
fluence de ces conseils: sous lui commenea ce mi-
nistére de six années, dont la mission parut étre
d'accomplir la contre-révolution, Sous luí, erpeut-
étre malgré lui, l'Espagne vit une armée francaise
étouffer ses élans de liberté, . et la célebre orden-
nance d'Andujar annulée de fait au moment de sa
publication.


A la mort de cemonarque , les projets ébauchés
sous son régne, commencerenta recevoir leur exé-
cution: le nouveau roi se háta dedonner satisfac-


.


tion au clergé par la loi sur le sacrilege, aux émigrés '
par celleeurI'indemnité ; il tenta d'abolir la liberté
de la présse par ce projet de 10i qui ¡élevacontre le
ministre qui en fut l'auteur de si justes ressenti-
mens; il tenta d'asservir la profession la plus utile a
l'humanité par un autre projet sur lesjurys médi-
caux et les écoles de raédeeine: il essayade préparer
les esp~ts a la suppressiondu jury, enproposant
cette suppression pour les crimes de baratterie et de
píraterie. Enfin, la contre-révolution fut hautement
avouée, et .l'avenir qu'on réservait a la France ne
fut plus un mystere: tous les intéréts furentme-
nacés a la fois.


Toutefois, dans eette Chambre oú le ministere
s'était faít tant de partisans , il se formait une op-




( 27 )
position qui , vivement seeondée par l'opinion pu-
blique, comrnencait ase rendre redoutable.


Menacé de perdre sa majorité dans lesChambres,
le Gouvernement prit la résolution hardiede con-
voquer de nouveaux colléges ; il espéra, a force de
menaces, de fraudes et de eorruption, d'obtenir des
choix favorables, et c'estpar la qu'il acheva de ré-
volter tout ce qui dans la nation avait un ecetír droit
et le sentiment du bien. En méme tems et aun de


" .


s'assurer la Chamhre des Pairs, illa remplit de ses
créatures ~ et s'efforea d'en changer la majorité par
la plus nombreuse et la plus impopulaire des pro-
motíons. Heureusement les électionsne répondirent
pas a ses 'eepérances, et devant une Chambre nou-
velle, on comprit qu'il fallait ajourner les desseins.
qu'oIÍ méditait. ",


]Sulle nation n'est .plnsconfiante :que la. :nOtre:
"lorsqu'a l?pu~turéde la sessíon de 1828. elle-en-
tendit de la bouche de son Roi la promesserl'un
meílleur avenír, elle y crut , elle oublia le .passé;
trompée tant de fois, elle seTivra encare a l'espé-
rance.


Il y aurait. de l'ingratitúde ane pas reconnaitre
les services que. le nouveau ministere rendit au pays
dans Ie cours de la premiere session: Ia.loi destinée
aréprimer les fraudesélectorales, celle sur.la presse,
quoiqu'on cut·a yr.egretter l'absence du jury , sont
des monumens qui attestentson désir d,e.,ponner
aupays quelques-unes des garanties depuis :spqng-
tems attendues. .. .Ó: -




( 28 )
Mais ce desir méme était unsujet de dé6.auce pour


une cour soup«;onneuse et peu sincere. Leministére
de cette époque se soutenait pénihlemeut ; il laissa
s'écouler la seeonde session sans résultat utile pour
le développement de nos institutions.


Les Chamhres se séparérent ; de tristes pressen-
timens occupaient le public: ils ne furent hélasque
trop justífiés....


La eréation du rninistere du 8 aoüt frappa la
France de stupeur: aprés tant de gloire , apres avoir
vu tous les -peuples de l'Europe rendre hommage a
notre courage dans les combats , anotre résignation
dans le malhenr, a notrefidélité a remplir des' en-
gagemens et a aequitter des charges que. la famille;


. quí occupait le tróne , avait concouru '¡¡- nous impo-
ser; il était done réservé anotre héroíque nati~n de
recevoir.de son Roi plus.d'oetrages en un seul jour ,
que l'étranger n'eut jamais ose lui en faire. ..


Ainsi , on redoutait qu'une armée pleine de valeur
ne p~rtage~t les sentimens du pays! On I'hurnilie
en Iui donnant pour chef l'homme dont le nom lui
rappelait tant d'amers souvenirs, Les exoés commis
en t~815, avaient révolté la nation ! On confie le
mlnístere -de l'intérieur El eelui qued-e cruelles caté-
gories rendirentsi fameux.Enfin; la France réolamait
a grande cris l'exécution de la Charte;et on met a
la tete denotre dip\omatiel'hommé quisi Iongtems
refusa de la reconnaitre.


Queís étaient done ceux qui ,daos cettepaix:
profonde oú nous vivions ~ poussaient le Roi .a de




( :19 )
telles mesures? quels étaient les conseillers seerets
qui luí suggéraient de se mettre ainsi en guerra avee
tout un pauple? Hélas! leurs noms éehappent a nos
investigations l l'accusation, d'ailleurs, trouve déjá
assez de coupables sans qu'il soit utile de ehercher
aen augmenter le nombre.


Disons toutefois, que M. le prince de Polignac
parait étre le confident le plus intime des projets de
Charles X; disons que,' dans l' opinión de la France,
il représente a lui seul toute la faction contre-
révolutionnaire, et que chaque fois que cette faction
avaitmenacé de saisirle pouvoir, c'était lui, ettoujours
Iui , qu'elle offrait aux espérances des ennemis de
I'ordre et des lois,


La composition d'un tel cabinet était significativc:
la France ne put se méprendre sur son objet; l'eüt-elle
fait , les journaux, organes de"la cour, le lui auraíent
assez révélé; jamais contre-révolution ne fut plus
andacieusement ni plus imprudernrnent annoncée.


Une lutte sur la prééminence dans le conseil ne
"tarda pas a s'élever entre le ministre favori et le
plus fougeux de ses collégues: pour remplacercelui-oi,
on fit venir des départemeos UQ. hornme qu'aucune
célébrité parlementaire ou politique ne semblait
recommander : la France s'en étonnait: elle deman-
dait ce qui pouvait [ustifier un tel choix; elle recher-
chait avec inquiétude quelle avait été la vie de ce
nouveau ministre? Une présidence de collége élec-
toral, suivie d'un avancement rapide et inusité dans




( 30 )
la magistrature; un discours récent a l'oceasion.de
son installation auprés d'un grand corps judiciaire;
étaient tont ce qu'on en .savait; on put supposerqu'il
avait donné des gages secrete de ses sentimens et de sa
coopéraríon.


Néanmoins, l'impartialité de votre Commission ne
lui permet pas de taire un mémoire que M. de Guer-
non-Ranville a fait joindre al'instruction, et qu'il
remit an prinee de Polígnac, le 15.décembre 1829,
e'est-á-dire moins d'un mois aprésson élévation au
ministere, et qui, selon lui, fait connaitre dans quels
sentirne:n5,il yentrait. « La Chamhre des Pairs, y dit-il,
» ne peut avoir pour nous ni confiance, ni affection,
» Toutefois eette Chambre ne nous sera pas hostile.
» Il n'en serapas de rnéme de la Chamhre des Députés;
~) la.mille haines, miUeambitionsse ligueront contre
» nous. A la veille d'une lutteaussi inégale, plusieurs
» partís peuveQ t étre p ris ; mais celui que l'op position
)) croit étre dans les vues du ministére , et que font
» pressentir des bruits de coups d'état; celuí enfin
» .auquel quelques royalistes imprudens voudraient
» pousser le Gouvernement, consísterait adissoudre
» la Chamhre, et aen convoquer ~me nouvelle, aprés
» avoir modifié par ordonnance la loi électorale , et
» suspenda la liberté de la presse en rétablissant la
» censure. le ne sais sicette marche sauverait la
» monarchie, mais ce serait un coup-d'état de la plus
» extreme violence; ce serait la violatiou la plus
II manifesté de l'art. 35 de la Charte , ce serait la
)) violation de la foi jurée: un tel projet ne peut




( 31 )
j} convenir ni au Roi, ni a des ministres conscierr-
» Cleux. »


C'est ainsi que. des-lors M; de Ranville jugeait des-
mesures, auxquelles plus tard H eut la:faiblesse dé
concourir, Le prince de Polignac devint président
duconseil: c'est lui qui communiquait avec le Roi 1
et soit qu'il ne fút qu'un instrument entre les mains
de ce prinoe et des familiers, soit qu'il fU.tréeU~ment
l'ame de la faction, il parait démontré qu'il préparaít
et provóquait tout le travail da cabinet.


Mais de tontes parts les citoyens se disposaient a
ladéfense de leurs droits. Dans l'attente des coups-
d'état,on s'unissait pour y résister: les associations
pour le refus de l'impót se propageaient, la conser-
vation des libertés publiques était un besoin dont
l'apprécíation pénétrait dans toutes les.elassesdela.
société, Vainement tradnisait-oa -devant les tribu-
naux ces associations patriotíques ; la magistrature,
tout en les condamnant, produisaít des arréts qui
consacraient la légalité de la résístance, et la sane-
tion judiciaire , donnée ace príncipe, neo fut pas l'un
des moindres services qu'elle rendit an pays.


Le Gouvernementfut obligé de s'arréter , de nier
méme les intentions qu'on lui prétait ; l'hypocrisie
vint au secours de l'impuissance : mais il s'assurait
tontes les positions; il peuplait les emplois de ses
créatures ; il en expulsait toutce qui avait un cceur
ponr la patrie et un sentiment pour les iostitutions
libérales, dont quarante ans d'un glorieux combat
nous a~aicnt dotés.




(32)
Huit mois s'écoulérentj on ne pouvait tarder plus


longtems d'assembler les Chambres : la crise appro-
chait. Le grandjour arriva oú la royauté et son dé-
plorable cortége parurent en présence de la natíon,


Qu'ils furent coupables, les Ministres qui mirent
dans la bouche du Prince la plus imprudente des
menaces!.... .


Rappelez-vous; Messieurs, comme a la suite de
cette séance royale , les cceurs parurent contristés:
rappelez-vous combien les hommes les plus dévoués
ala raonarchie souffraient: de voir la royauté ainsi
compromise: el comme si quelque chose eút man-
qué ád'aussi dures paroles, a un dessein si marqué
d'irriter les esprits, le journal confident .háhituel
du cabinet et des pensées de la faction contre-ré-
volutionnaire en publia, au méme instant , la para-
phrase la plus insultante pour la Chambre et pour
le pays qu'elle représentait.


La Chambre devait au Roi la vérité : elle se pré-
para a la lui dire. Dans ce comité secret oú elle dis-
cuta son adresse , elle ne fut point surprise de l'im-
prévoyance des conseiUers de la Couronne. Objets
de tant de défaveur, ils dédaignerent d'exposer un
plan de eonduite, un systéme d'administration;
c'est que propablement ils n'osaient avouer leurs
projets. Tant d'aveuglement et d'ignorance de leur
position fut tout ce qui, de leur part, resta de cette
mémorable séance ?


Une notable majorité sanctionna lés termes de I'a-
dresse au Roi.




( 33 )
« L'intervention... ; disait la Chambre, fait, du con-


» cours permanent des vues politíques de votre gou-
»vernement avec les voeux de votre peuple, la con-
}) dition indispensable de la marche réguliere des
»affaires publiques. Sire, notre loyauté , notre dé-
»vouement, nous condamnent ávousdire quece
)1 concours n'existe pas.... Entre ceux qui méconnais-
) sent une nation si calme; si fidele , et nous, qui,
» avec une conviction profonde, venons déposer dans
» votre sein les douleurs de tout un peuple.... que
» la haute ~agesse de Votre Majesté prononce I » • ,


Ces nobles paroles ne sont point entendues, et la
Charnbre est aussi surprise que hlessée de laréponse
qui lui est faite.


« J'avais droit, dit le Roi, de compter sur le con-
'/) cours des deux Chambres; mon.eceur s~afflige de
» voir les députés déclarer que; de leurpart. ce con-
» cours n' existe paso»


Perfide insinuation 1a laquelle les conseillers de
la couronne ne craignirent pas d'ajouter que les ré-
solutions annoncées dans le discours du tróne étaient
immuables l


La Chambre fut ajournée , et cet ajournement
était le prélude du sort qu'on lui'réservait. Sa dis-
solution ne fut pas prononcée sur-Ie-champ, 'le mi-
nistére voulait avoir le tems de préparer de nou-
velles élections, et, comme on le yerra bientór,
d'exercer sur elles la plus coupable influence.


On comptait' d'ailleurs, chez une nation entheu-
siaste de la gloire, frapper les esprits par l' éclat


3




( 34 )
d'une .grande entreprise militaire : l'injure faite a
notre pavillon en fut le prétexte : on ne négligea
rien pour son succes ; les trésors de l' état furent
prodigués ; des troupes d'élite dirigées sur nos cotes,
et un armement immense destiné a leur transporto
Ces dépenses, faites , sans l'intervention des' Cham-
bres, suffiraient seules ponr motiver une accusa-
tion, si elle ne s'effacait devant eelle qui nous oc-
cupe. •


Mais le StlCCeS qu'on se promettait eütété incom-
plet ou sans valeur, si on l'eüt obtenu par' un de
ces. guerriel's; orgueil de la France, qui avaient si
souvent.conduit nos soldats a la victoire.


Le commandement de l'expédition fut donné au
méme général dont l'apparition au ministere avait si
fort révolté l'bounet'tt' francais. On comptait sur son
triomphe pour anéantirnos libertés.


La nation ne s'y méprit pas, et si eU~ accompagna
de ses veeux la flotte qui portait tant de Francais,
il fu~ facile d'apercevoir combien cette expédition
étaitpeu populaiee.. ;


Déja, depuis quelques mois, la France était épou-
vantée du spectacleqe'offraient.. quelques-uns des
départemensde é'aneienne "Normamlie: les flamrnes
ydévoraient sans distincteea la cahane du pauvre et
la maison du riche; d'aftI'euX incendies;' dont ,les
.y~rit&ble~auteW's échappaient aux reeherches de la
justice ~ f.()r«;~jende&eitoyeDiS a s'armer pour veiller
~lllemes"Sur leurspropriétés , et'Tivraient les es-
prits ala plus vive exaspération.




( 35 )
Il était peu naturel d'attribuer cescrimes a


une malveillance particuliere-; on en rechercha la
cause dans une combinaison politique "et llf~,'S~up,
l50ns s'éleverent jusqu'aux ministres, ;,; r'." 'Ji: -,


Votre Commission s'est fait com.:pluniq~! les
extraits des. nornhreuses rprccédures ;jIl~truitf¡l~,,sur
ces crimes 1 elle a parcourula volumineuse eorres-
pondance alaquelle elles 9:nt donné lieu, etelle a
trouvé tant d'obscuritéjqu'il.luí-serait difficíle d'as-
seoir a cet égard,~l~ jugement de quelque poids,
'n; est- <;~rta~n cependant que les incendiesjde la
Normandie ne sont pas des crimes privés, ni q.u:QIl
puisse attribuer a des individus isolés etsans rap-
pqrts entre eux : il est certain qu'un gen re de.fana-
tisme y joue un role; divers faits , .etnotamment Ie
silence opiniátre des ind~vidu~.SJlrPli~,aJf;;r;q.p~e~,.,t
du crime, et mis en jugeweJll;;' ~embletaieqt,Je
prouver.' ,., ,


Des condamnations capitales ont été prononcées ;
les coupables ont entendu leur arrch~~: s~ng-f,rojd ,
et ont montré la plus incompréhensibleobstination,
com~e si un serrnent les eút liés .au.secrct, er 'le~if
eút donné le courage d'affronter la mort, "


Les ma'ffistrats conjinuent Jeprs I-e~?erche~. IÍ
f~ut attendre du teros la révélation deces horribles


j., - • '.. , " '. - '" .,,-,


trames.: "
Cependan~¡llJ:l~, nouvelle diyisions~ roapj(e~tait


dan s le cahinet ~ :il,es~:,rare de ,rel~c9!iir~f;~:~~
homrnes également disposés, a. l>raver).a )~.ai,l;¡'f\HP.­
blique pour renvcrser les lois- et lesJ.}stitll.tio~lS.




( 36 )
Deux ministres reculaient devant les projets de leurs
collegues , et paraissaient en redouter la terrible res-
ponsabílíté, Il faIlut songer a les remplacer, et,
comme on avait besoin d'hommes d'action , on cher-
eha parmi nos célébrités politiques celIes qui avaient
donné le plus de gages a la contre-révolution , et
dont , par conséquent , le caractere devait étre le
plus antipathique au pays.


M. le comte de Peyronnet, dont le nom rappelait
si tristement le souvenir de I'adrninistration flétrie
p~r la derniére Chambre; M. de Peyronnetsur le-
lqtLel; óntreune accusation plus générale non encore
purgée,pesa-it de tout son poids, celle relative aux
eruautés et -au déni de justice envers des hommes
de couléur de la Martiaique , recnt le porte(euille
de l'bitétieur. ':&ori earaetére entreprenant le lit juger
propre adirigerltaccélération du mouvement qu'al-
lait recevoir cette branche de l'administration pu-
blique. ,
'Un' démernbrement du méme minístére fut donné


áM;:le:ba¡ión Capelle; il s'étaít montré habile dans
l'art ftecdJu;luire les élections : ce fut son titre de
faveur. ).
Enfi~M. Chanh~l~uié avalt fixé sur lui 'l'attention


de ia Couronne pat l~'voo\l exprimé dans la précé-
dente .session de voir s'opérer un 5 septembre roo-
nátchique; les sceaux lui furent confiés : disons
tdt1tefois qu'il faIlut luí faire violence ; son interro-
gatoíre rcnferme a cet égard des détails qu'il est du
devoÍl;' de l'ínstruction de reproduire, Nommé une




('57 )
premiere fois ministre de l'instructionpuhlique, il
reíusa. Nommé plus récemment au département de
la justice , il exprima le méme refus. Mais de nou-
velles circonstanccs, dit-il , ne le Iaisserentpas libre
de persister dans cette résolution. Effectivementon
a trouvé dans les píéces saisies aux Tuileries lalettre
originale que lui écrivit M. de Polígnacj elle est
datée du 30 avril. On y a égalementtrou,vé 'copie de
la réponse que 6.t M. de Chantelauze acette Iettre :
elle es! datée de Grenoble du 9 mai suivant (il Yex-
peime une, grande défiance de Iui-méme ; il croit
peu convenable, a la veilIe de la convocation des
colléges, de modifier le ministere ; dans tous les cas


. il regarde comme une nécessité de rappeler M.o de
Peyronnet au pouvoir : q Sa présence au conseil le.
J) verait, ajoute-t-il, quelques objeetip~squime sont
» personnelles, cal' 1,In engagement que je De puis
» rompre me lie en quelque sorte a ses destinées po-
l) litiques. n m'en coúte d'avouer que, méme en ce
» cas , j'aurais encore une peine tres-grande a me
» déterminer au sacrifice qu'on me demande. Au
» reste, je suis prét a partir pour Paris lorsque
)) l'ordre m'en sera donné, Ce n'est que la que je
) pourrai juger si mes avis et mon Iconcours seraient
» utiles au service du Roi. »
Ce~te Iettre , il le parait , fut immédiatement mise


sous les yeux de Charles X, et le refus gu'elle expri-
mait, fácheusement interprété par ce monarque ,
cal' une Jettre du Roí a M. de Polignac, cn,core
saisie aux Tuileries , et datée de Saint-Cloud , du




38
J 4 mai, disai t : (( Je vous ren voie, mon cher Jules ,
» la 'Iongue lettre de M. de Chantelauze, celle de
» mon 61s dísait tout (ce prince arrivait de Grenoble,
» oú' :il semblerait qu'il avait été attiré a son retour
» de Proverrce.. par le desseind'une entrevue avec
»M:: de Chantelauzef exeepté le fin mot de la chose ,
» c'est qu'ila peúr de perdre une place agréable et
»inamovible, poul' en prendre une malheureuse-
» ment trop amovible. Au surplus, je ne change
)1 rien a mes projets, et s'il nousoonvient toujours,
»c<1mIÍle je le crois , nous le' ferons presser par
),PeYl'óliIíet. »


M. deChanteitl.uzél;e~ut done l'ordre de se rendre
áParisjet onparvint á triompherde sa I'épugnance.
La Commission doit encere mentionner une piéce
qu'il '8: fait joindfieau proces; c'est une lettre adressée
le 18 mai a M.' són {rere, conseiller a Montbri-'
son, dans laquelle il lui disait: (( Nous .avons l'un
>l envers l'autre gardé un long silenee; je viens
» le rompre le- premier , cal' je ne veux pas que tu
»<apprennes pár le Moniteul' et avec le public, l'é-
» venement le plus important, et je crois le plus mal-
»heuteux/de rnavie, c'est ma nomination comme
»garde-des-sceaux. Voiladellx mois que j'oppose
» une résistancc soutenue a mon entrée au con-
»rseil. On ne me laisse plus aujourd'bui mono libre
>larbitre, et.les ordres qui me sont donnés ne me
»permeftent plus que l'obéissance. Je me résigne a
» ce"rOlede víctime. Veille sur les élections ,' cal' y




( 39 )
» échouer scrait maintenant pour moi une chose
» honteuse.»


MM. de Courvoisier et de Chabrol sortirent du
conseil; M. de Montbel , apres avoir successivernent
occupé les ministéres de l'instruction publique et
de l'intérieur , passa aux finances : ainsi se, trouva
modifié le cabinet.


Une chose frappe dans cette modification; elle.ne
fut point délibérée en conseil et, elle se fit sans le
concours des' ministres conserves. M. de Ranville l'a


.


déclaré dans son interrogatoire; la prel,lve en est
d'allleurs écritc dans la lettre déjá citée du prince
de Polignac a M. de Chantelauze : « Je n'ai pas he-
» soin de vous dire que le plus gr~nd secret doit étre
)) gardé.sur le contenu de cette lettre qui n'est connu
) que des deuxaugustes personn~g~~ qui s'y trou-
II vent nommés.»


. .


• Ainsi c'était une pensée en dehors du cabinet;
-c'était une influence étrangére a ses membres qui
dictaít les nouveaux choix : il parait que les minis-
tres maintenus ne les connurent que par le lJ.fo~
niteur.


Cette pensée, cette influence étrangere , M. de
Polignac en avait seul le secret : il réunissait autour
de Charles X les ministres qu'il jugeait devoir étre
les plus ardens a seconder ses vues,


M. de Peyronnet, interrogé s'il croyait que son
cntrée au conseil eút été motivée par le dessein de
modifier le systeme dans lcquel avait paru étre
formé le ministere du 8 aoút, s'est Lomé a repon-




( !¡o )
dre que les intentions du Roi ne lui avaient paru
avoir été que de rendre le ministere plus propre
aux diseussions de tribune. La Chambre appréciera
le mérite de cette réponse.


Avant la modification du cabinet, le ministere
s'oceupait déjá d'obtenir des éleetions favorables;
ce mouvement ministériel accompli, il se livra tout
entier aee soin.


Chaque ministrefit saeireulaire, chaque directeur-
général la répéta a ses subordonnés, chaque agent
secondaire la transmit aux employés inférieurs; et
cette suecession de menaees, de' promesses, d'in-
jonetions, pénétrant dans. tous les rangs de l'admi-
nistration, y porrait avec la corruption, l'effroi, le .
trouble, et ne laissait d'autre alternatíve aux fonc-
tionnaires que de perdre leurs emplois, les moyens
d'existence de leurs familles, ou da manquer a leurs
devoirs envers la patrie en secondant un ministere
qui les trahissait.


M. de Montbel, dans sa circulaire adressée aux
agans des finances , disait :« En retonr de la confiance
» que le gouvernement du Roi lui témoigne, si un
) fonctionnaire public refusait ¿'unir ses efforts aux
» siens, et se mettait en opposition avec lui, il hri-
D serait lui-méme les liens qui l'attachent a l'admi-
» nistration, et ne devrait plus attendre qu'une sé-
» vére justice, »


M. de Peyronnet ajoutait a ces paroles menacan-
tes un systeme organisé de délation : « Vous me
/) donnerez sur leur conduite (disait-il a ses préfets)




( 41 )
» des renseignemens confidentiels ; je ne les ferai
lJ connaitre qu'á leurs ministres respectifs, qui pren-
II dront a leur égard les mesures que leur dictera
» leur prudence. JI


Et effectivement, M. de Peyronnet s'empare de la
direction des élections : sa correspondance devient
d'une effrayante activité; il excite, il aignillonne les
autres ministres ses colleguesj illeur dénonce.Ies
fonctionnaires tímides, afín qu'ils soient encouragés,
les tiedes , afln qu'ils soient admonestés et changés
de résidence, et enfin ceux qui paraissent peu dis-
posés a voter dans le sens ministériel , pour que
justice en soit promptement faite.


La Commission a parcouru cette correspondance
de la haute administration avec ses agens, et des
agens avec l'administration : le sentiment qu'elle a
éprouvé est celui d'un dégot\t profond, Iorsqn'elle
a VD le degré de perversité du ministere, et le degré
d'avilissement dans lequel un grand nombre de
fonctionnaires de tous les ordres sont tombés. Elle
n'hésite pas a le reconnaitre : c'en était fait de la
morale publique parmi nous, si cetodieux systeme
se fút prolongé. Qu'ilen reste au moins cette grande
lecon , que tót ou tard tous les faits sont connus,
tous les actes sont jugés, et que celui qui a manqué
a sa conscience et a ses devoirs finit toujours par
recevoir la punition de sa faiblesse.


Le ministere trouve tous les moyens légitimes
pour obtenir des suffrages. « Une place d'inspecteur
de l'Académie est vacante, dit M. de Peyronnet .au




ministre de l'instruetion publique: elle est deman-
dée par le fils d'UD procureur du Roi, homme tres-
influent; il faut, si on ne croit pas devoir aecueillir
sa demande, ajonrner la nomination jusqu'apres
I'élection.n-c-- « Deuxbourses , écrit le méme mi-
nistre, sont demandées par le préfet de....... pour
deux fils de deux éleeteursinfluens : c'est en flat-
tant la vanité et lui donnant l'espérance d'étre sa-
tisfaite , qu'on s'efforce de vaincre les serupules de
la oonscience. » - Il ya de l'amour-propre, écrit en-
core M. de Peyronnet au ministre des finances, en
parlanr d'undirecteur des domaines , éleeteur, et
cet amour-propre pourrait étre stimulé par l'espoir
de devenir ehevalier de la Légion-d'hoaneur , dis-
tinction qu'il n'a pas, quoique tres-ancien direc-
teur..» Uneautre fois ce ministre signale ason méme
collégue un sous-inspecteur des domaines, eommc
électeur douteux, et aussitót il lui est répondu :
« J'écris aujourd'hui a son conservateur pour qu'il
lui eommunique les intentions de l'administration,
e' est-a-dire pour qu'il ait a voter pour les eandidats
royalistes, ou ir donner sa démission. »


Il n'est pas, Messieurs, jusqu'aux villes en tiéres,
c'est-a-dire aux localités , qu'on ne soumit a eette
action honteuse de la menace ou des promesses.


« La ville de.... , écrit M. de Peyronnet au min~mre
1) des finances , a adressé a votr.e exeellence des ré-
» clamations au sujet de l'étahlissement d'une nou-
» velle communication de poste pa!'.... Sans préjugcl'
) le fond de la question , il convicnt , clans les cir




( [.3 )
» constances actuelles , qu'en admettant une réponse
» négative, elle n'arrive pas avant L'élection; et s'i!
» doit y avoir faveur, qu'elle ne soit due qu'ala sol-
» Iicitation de députés royalrstes' »


En méme tems, le ministre des affaires ecclésias-
tiques ne craignait pas de compromettre ce qu'il y a
de plus sacié dans l'état , la religion , en appelant le
clergé dans l'arene des factions. Combien il a été dou-


o Ioureux de voir des prélats répondre acet appel par
les mandemens les plus contraíres al'esprit dn chris-
tianisme , et', dans des lettres confidentielles a leurs
curés, s'oubIier au point de faire du vote éleetoral
en faveur du ministere , un devoir de conscience
trés-positif'l Disons toutefois que si la religion a a
déplorer de tels égaremens, il est d'autres évéques
qui ont conservé pUl' I'honneur de l'épiaeopat, et
qui, véritable~ apótres de l'Évangile, ont mieux
eompris leur ministere de paix et de charité : la
vénération , la reconnaissanbe des fideles est la digne
récompense de Ieurs vertus.


J.Ja veille, le jour rnéme de la premiere assemblée
des colléges ,et cornme pour donner un avertisse-
ment aux électeurs, 101Jloniteur apprend avec éclat
qu'un 'ministte-d'état, un maitre des requétes , des
Iieutenans -géjéraux, membres de la précédeñte
Chambre sont on destitués de leurs fonctions, ou
misa la retraite.


C'est ainsi que, par un systéme de terreur large-
ment organisé, on espere intirnider tont ce qui tient
au Gouvernement par quelque líen.




( 44 )
Mais plus le rninistere multipliait ses moyens de


succés , plus I'opinion constitutionnelle se montrait
forte et redoutable;il était facile de voir que la
lutte serait laborieuse: on appréhende de suceom-
ber; alors, o déplorable avenglement! on- reeourt
a l'expédient de faire intervenir le rnonarque, et
de méler son nom !l ces infames intrigues. On dé-
grade la royauté, on la fait descendre de ces hau-
teurs oh. le respeet des peuples l'avait placée, et on
met dans sa bouche le langage le plus propre as'a-
liéner l'amour de la nation, Dans cette funeste pro-
clamation aux électeurs, Charles X se déelareof-
fensé : et de quoi? De ce qu'une Chambre fidéle Iui
a dit la vérité sur des ministres coupables. Le ca-
binet offre ainsi a la France le spectacle d'un mo-
narque qui se plaint de ce qu'on lui a révélé eette
vérité que les ~ons rois ont t~nt a coeur de con-
naitre. .


La proclamation fut délibérée en conseil ; M. de
Polignac fut assez hardi pour la eontresigner.


Enfin , une derniere mesure, inouie jusque-Já
vient surprendre la France au moment oú les ci-
toyens quittent leurs foyer! pour se rendre aleurs
colléges respectifs, Vingt départemens s'étaient plus
partículiérement signalés par l'indépeadance pe Ieurs
choíx antérieurs; ils sont momentanément frappés
d'interdit; une ordonnance , transmise par le télé-
graphe, annonce l'ajoumement de leurs élections.
Celta ordonnance donnait ponr motífs le retare!
mis dans les ressorts de sept Cours royales, au ju-




( 45 )
gement des contestaticns relatives aux droits poli-
tiques des électeurs, et le desir que rien ne fút né-
gligé pour apporter la plus grande régularité dans
les listes. Ce desir était mensonger. Le conseil ne
I'eut pas pour la cour de Grenoble, par e~emple,
oú un grand nombre de contestations de méme
nature étaient pendantes : c'est que l'un des mi-
nistres, M. d'Haussez, croyait avoir quelques chances
d'étre élu dan s le·département de l'lisere, qu'il avait
administré; cet .espoir ne se réalisa pas plus la
qu'ailleurs, mais il eut au moins í'effet de préserver
de l'ájournement les trois départemens qui ressor-
tissent de cette cour.


Vous voyez avec quel peu de respect pour la
bonne foi le ministere se jouait de la France...


Alors, et entre les deux élections, est répandue
comme moyen décisif la nouvelle de la. prise d'AIger.


Pour faire connaitre 'tout I'effet qu'on attendait
de cet événement, il faudrait peut-étre rappeler
cerrains mandemens publiés a ce sujet : iI suffira
de rapporter une lettre écrite le 10 juilIet a M. le
Garde-des-sceaux, par un chefde magistrature qu'on
pouvait croire initié aux secrets de la faction. «Le
7l Boi, dit-il , est vainqueur d'Alger. Dans ce repaire
» de pirates n'étaient pas ses plus implacables enne-
» mis. Les élections les ont mis a découvert; nous
» venons de les voir ; dansleurs rangs sont des paírs
» de France, des officiers -généraux, des colonels
» en activité de service , des magistrats, des memo
» bres de la haute administration. Si ces hommes de




( 4,6 )
)) trakisonsont ménagés... c'en est fait de la légiti-
)) mité et de kl monarchie. Les momens sont ohers;
» la Chambre des Députés va étre J'illvahie, il faut
» que le Couvernement se décide : demain on va ra-
» baisser, annuler le triomphe d'Alger. Dans huit
» jours il n'en sera rien, et le libéralisme, rele-
J) vant sa banniere , marchera en masse contre la
» France et son Roi. »


Non, .Messieurs , le triomphe d'Alger ne.sera pas
sans fruit , iI en restera quelque chose; sans parler de
ses autres résultats qu'il ne nous appartient pas de
préjuger, il restera de la gloire pOUl' la France, il
en restera pour notre jeune armée, qui a fait preuve
de tant de discipline et de couragevet.quí , par sa
noble conduite, a si bien mérité de Ia patrie.


.Vous savez comment les préfets se conformerent
aleurs instructionsj.vous connaissez les scenes d'An-
gers, antérieures a la réunion des colléges, vous
connaissez aussi les désordres et les violences de
MOl}tauban, pendant l~s élections de cette ville:
"Vous avez gémi avec tous les hommes de bien de la
faiblesse des magistrats. La procédure qui s'instruit
sur ces désordres n'est point parvenue ala chancel-
lerie, ni conséquemment a votre cornmission; elle
jettera sans doute un grand jour sur la conduite des
autorités locales. MM. de Peyronnet et Chantelauze
en ont, dans leurs interrogatoires, repoussé toute
la responsabilité, ils ont affirmé avoir donné des
ordres POUIl que tons les auteurs de ces désordres
fussent sévérement punís.




( 47 )
A mesure que les élections d'un départernent


s'accornplissaien t , des rapports étaient faits a la
haute administration sur la part plus ou moins
active que les fonctionrraires y avaient prise, et
c'est ici que la délation se montre sous son aspeet
le plus odieux, Heurense votreCommission l si elle
n'avait a signaler que les rapports desagens de
l'administration ; salariés amovibles, la crainte pon-
vait , jnsqu'a un certain poínt , espliquer la conduite
de -la plupart d'entre eux :. mais combien n'a-t-elle
pas eu adéplorer (fe voir descendre a un róle si vil,
des hommes anxquels l'iuamovibilité et la dignité
de leurs fonctions élevées semblaient imposer le de~
voir de se respecter le plus!


Sans doute, il n'était réservé qu'a 'un tel.ministére
d' autoriser de sen¡blables délati~,par.scn.encou-
ragement.


A10rs sont dístríheées les-peines et les récompen-
ses : les pieces de la procédure apprennent avec
quelle brutalité les premieres furent infligées, et
quelle prodigalité on mita décerner les autres.


Ici , Messieurs, finit un ordre de faits: les élec-
tions sont accomplies; le ministere a attenté aux
droits civiques des citoyens ; il a employé I'auto-
rité iqui luí était confiée a violenter les suffrages,
c'est-a'-dbe'a détruire le Gouvernement représenta-
tif dans.soa principe, Quelque gravitéqu'aient les
autres chefsvd'aceusatiorr., celui-Ia ne peut étre
abandonné; carsi tme moindre peine vl'atteirrt., 'n
ne le cede a aneunpar ses résultats : I~ bMme con-




( 48 )
tre de tels ~tes ne suífirait pas, l~ Chambre doit les
flétrir ajamais.


Une autre série de faits commence : des élections
si tourmentées n'ont pas eu le résultat qu'on atten-
dait : le pays a fait des choix nationaux ,.ila nommé
des députés qui seront fideles aleurs devoirs et qui
défendront ses libertés.


Devant un voeu public si généralement, si mani-
festement exprimé, un autre ministere n'eút pas
balancé sur le partiqu'il avait aprendrei sa retraite
eút été l'aeeomplissement de l'une deseonditions
les plus nécessaires du Gouvernement représentatif.;
iI s'y fút soumis : mais cette retraite eút , comme en
1827, fait ajourner encore des projets qu'on était
impatient de remplir. lJ. fut done arreté qu'on fe-
rait tete ál'orage, qu'on braver~it la nation , qu'on
violerait les lois et qu'on jetterait-le pays dans la
perturbation, plutót que de eéder. .


Nous approchons du moment oú les plus funestes
résolutions vont étre prises : ce pouvoir occnlte et
mystérieux, dont les plans paraissent avoir toujours
précédé les délihératiuns du conseil, avait invaria-
blement arrété ses moyens d'exécution.


MM. de Peyronnet, de Ranville et Chantelauze
semblent s'accorder s díre que ee fut dansun conseil
tenu vers la premiere quinzaine de juillet que le
projet des fatales ordonnances f~t jeté pour la pre-
miére fois au milieu de la diseussion, et que ce
jour-Ia il n'y fut pasdonné snite. Mais on voit dans
une note, remise a M. de Polignac par I'un de ses




( 49 )
familiers le jour bu parurent les ordonnances , que
ce coup-d'état entrait dans le systéme 'luí avait pré-
sidé ala création du conseil. oc Le ~5 juillet.,'y,'.est-
l) iI dit, est le développement d~ la pensée du i aoút.
l) C'esr un coup-d'état sans retour; le Roi, en tirant
» l'épée, a jeté le íourreau au loin, )J' •


Cette funeste pensée , M~ssieur~" .allait done rece-
voir son développemennj selon'MM. de Péy¡'on'net,
Cuemon-Banville et Chantelauze , elle ne ftlt! qu'é-
bauchée dans une premiere réunian spéoiale paul'
cet" objet ; elle futappnofondie et longuement dis-
eutée daos un second eonseil qui eut .lieu quelques
jours apres , sous la présidence da RoL Elle trouva
d'abord deux opposans, MM. de Peyronnet et Guer-
non-Ranville ; c'est ce qui résulte de leurs' .irrterr'o-


. .'. .gatoires, et toutefois, M. de Peyrennet', eraignllnt
. q~e l'aveu de son opposition 'aüx ordonnanees ne
nuisit itceux de ses collegues qui en avaient pleine-
ment adopté le principe, a laissé plutót deviuer qu'il
n'a avoué les avoír personnelIement combattnes,


La méme oppositíon se manifesta au conseil pré-
sidé par le Roi; plus faiblement peut-étre de la part
de M. de Peyronnet , mais avec toute la vívacité de
son caractere de la part de M. de Guernon-Ranville,
qui méme.avait écrit a M.de Courvoisier pum luí
faire connaitre son opinion: c'est encare ce- qu'on
peut induire des réponses de cetex-rninistre , quoi-
qu'en ce qui le concerne, M. de Peyronnet coqtinue
a s'exprirner avec la mérne reserve.


.Ces détails , Messieurs , VQUS étaient dus , nOQ
4




( 50 )
'1u'ih dinrinuent la responsabilité des deux ministres
opposans ; des l'instant oú iIs ontsigné ces fatales
oedonnances, ils t'ont acceptée toutentiere , rriais
paree 'que si le fait de leur opposition est .vrai ; ils
ont le droit de le voir consigner dansce rapport.


Vous savez de quelles dispositions secompletre
le systeme ..une ordonnance pronol1(;a la dissohrtiou
de la Chambre avant qu'elle eút été réunie; genjT('
d'attentat iqui ; dirigé oontre la représentation na-
tionu]« " tendait á la .détt-uire.: la conronne s'attri-
buait pa}: la un droit filie la- Charte ne lui dorniait
pas, celui de casscr lesopérationsdes collézes.


Ce premier pas faíl, po, coneoit que,' si Te minis-
t~re eút convoqué les mérnes colléges , 11 1'J'éÜt pas
obtenu des choix plus f.worables; une antre ardo n-
nance aill1~Jle done nos lois électorales et Ieur snh-
stitue un autre sysieme.,· monument de déception ,
el on pourrait (tire de f~lie, car il y avait'fo1ie ~t
espérer qu'une nation intelligenteetéclairée con-
sentirait a. s'y soumettre, Par ce systeme , le nombre
des députés était réduit de 430'h 238. Les eolleges
d'arronclissément se bornaient a présenter des can;-
didats; lescolléges de ¿Mpatterilent n'étaient tenus
de ehoisir que la moitié des députés parmi e~s can-
didats ; la violation du secret des votes était con-
sacrée; enfin la formation des listes, privée de


Tintervention salutaire des cours royales,' était en-
tierement eonfiée al'arbitraire de l'administration.
Tel était le systeme Ctt1C le ministere avait la térné-
r¡íre prétention d'imposer ;\ la' Frunce




( 51 )
Second attentat non moins caractérisé .que le


premier, autreviolation de fa Charte, quiprohibait
d'organiser des colleges électoraux atitrehi&ht que
par des lois, et qui ne permettait pas a la couronne
de révoquer par ordonnance une loi décrétée , par
les trois pouvoirs de rÉtal:. '


Une troisieme ordonnance convbque les nouveaux •
colléges pour les 6 et 18 septembre , et les Challl-
bres ptmr le 28 du mérne mois,


Mais comme toutes ces mesures auraient "été sans
effet si la presse péríodique cut pu les discuterO, une
quatri~e ordonnance révoque les lois qui consa-
craient sa liberté. On fait revivre les dispositions de
ceHe du 21 octobre 1814, e'est-á-diré qu'on impose
á toutjournal périodique la condition de ne paraitrc
qu'avee autorisati"n, et on ajoute a cette rigueur le
prineipe de la pJ.U5 odieuse d~ spoliations : on dé-
clare que les presses et Ies caracteres des journaux
surpris en contravention seront saisis ou mis hors
de seroice.


M. de Peyronneta avoué , que si la conception de
l'ordonnance électnraleappartenait au conseil ,la ré-
daction .était en gr~nrle partie son ouvráge: ni lui
ni les autres ministres détenus n'ont fait connaitre
quel était le' rédacteur des ordonnances relatives a
la dissolution de la Charnbre et a la suspension (le
la liberté de la' presse périodique.


On assure que l'établissement des cours prévó-
tales devait compléter ce systeme de c~nt~e-révo.
lution. .





( 52 )
011 prétend méme que des ordres étaient déja don-


nés <JaÁs divers départemens pqur les organiserj.on
va jusqu'a nomrner les hommes qui devaient en faite
partie, Votre commission , it. cet égard, n'a recueilli
que des indices : ala chacellerie tout a été détruit;
dansies départemens , divers procureurs généraJlx


• auxquels ont s'est adressé, ont déclaré que leurs pré-
djcesseurs, en abandonnant leurs par.quets, avaient
anéanti tout ce qui pouvait compromettre , sOÜ eux-
mémcs , soit la précédente administration.


Leecahinet jugea convenable de faire précéder ces
extraordinaíres mesures par une sorte d'expbsé des
motifs dans le forme <:l~Vq. rapport au Roi. Les ex-mi-
nistres détenus s'accordent adire qne qdée de ce
f~pport ne vint au conseil qu'apres que le principe
~t I?~.ut-~tre méme la rédaction. des ordonnances
eurent été arretés; M. de Chantelaqze fut chargé de
le rédiger.;'il ú'a point hésité ~ en Iaire l'aveu,


Ce document est un manifeste centre la presse pé-
riodique , a laquelle, avec tant d'autres prétendus
écarts , son auteur reproche particulierement d'avoir
provoqué une adresse .attentatcire aux prérogatives
du treme;'(l'a~oir érigé. e:q pri¡cipe la, réélectio~ des
2~I députés dont elle- était de;'enue l'ouvrage , et
d'avoir aggravé l'offense que ces députés avaient
faite au Rol par leur prétendu refus de eoncourír.
Le rapport finissait par ces terribles paroles : « D'im-
JI périeuses nécessités ne permettent plus de diffé-
J) rer l'exercice de ce ponvolr supréme (ccll.1i: sup-
» posé résultant de l'article 14 de la Charte ). Le


¡




( 53 )
» moment est venu de ~ecourir ades mesures qui
» rentrent, dans l'esprit de la Charte ; maiaqul sont
J) en dehors de l'ordre légaldont toutesles ressources
» ont (,té inutilement épuisées, » •
, L'ordonnance rélative au nouveau systérne éleeto-
ral, eelle suspensíve de la liberté dela presse pério-
dique; et le rappert al! Roí, furent signés par tous
les ex-ministres préseasá Parlsj les deux ordnn-
nances, portant dissolution de la Chambre, et con-


• f' • v •


vocation des 'uouveaux colléges et de la nouvelle-
Chambre , le fur~Q,~ par M. le comte de Peyronnet
seul, .


l\'1ais, par l'effet d'une meoncévable préoccupa-
tion ,. en méme tems qn'on houleversait notre ordre
repsésentatíf , et qu'on frappllit d'incapacité etél~­
teurs et députés ,leslettres eloses ~qu'OD ~t~dans
l'usage d'adresser a teux-eÍ' s'expédiaient, 'se noti-
fiaieat adomícile-;E!t: les -élris de la nation , en marche
de toutes parts' pour se rendre auposte oú le devoir
les appelle, ne connaissent ¡u'en route le!> ordon-
nances qui les atteignent.


•Il était naturel que la coincidence de l'expédition
de ces lettres, avecladissolntíon de la Chambre , fit
naitre des soup~ons; on dut croire que l'intentíon
-du cabinet avait .~té de faire sortir les députés de
leurs départemens, et de les-appeler á Paris , afin de
pouvoir plus faoilemeet se saisi.. d'eux. •


Les ex-ministres détenas, interrogés sur ce point,
ont/épondu que la signatnre donnée par lé Hoiaux
originaux des lettres closes avait précédé l'adoption




( 54 )
du projet de dissolution , et que I'expéditionqui s'err
ñt selon l'usage dans les bureaux, eut l1.eu pendant
que ce projet était encore en délibération.
A~ihironstoutefois les desseins de la providence ~


C'est a un tel oubli, si toutefois c'en est un, que la
Frunce a dli la prompte réunion du pouvoir tuté-
laire,qui,seul, dans cesmomensde crise, pouvait
si utilement concourir a son salut,


Le 25 juillet , joUl' ajamais mémorable dans les
•fastes de notro histoire , fut tout a la fois celui de


la date et de la signature des ordopnances,
Nc croyez pas néanmoins que ce fut sans effroi


que ces ministres imprudens consommaient Ieur at-
tentat ? La déposition de I'hommeqai , -depuis 10n-
gues années , est le témoin officiél de toutes nos .ré-
volutions etsouvent de' nos erreurs , peint trap le
trouble de leur Ame .poué-qu'il soit 'possible de la
passer sous silence, M~ Sauvo , rédacteur en chef du
Moniteur, recut, le 25, l'ordre, inusité pour lui,de
se rendre'chez M. le garde-des-sceaux, a onze heures
du soir: introduit dan! son cabinet, il trouva ce


• •
chef de la tnagistrature en ccmpagnie de M. de Mont-
bel ; l'un _et l'autre la -téte tristement appuyée sur
leur main ; le garde-des-sceaux, remit les ordonnances
aM. Sauvo , lui dit de les' reeonnaitre et d'en don-
ner un recu. En feuilletant et parcourant , quoique
tres rapidement , ce qu'elles renferrnaient , il ftl'tdif-
ficile a M. Sauvo de cacher son émotion; M. de
Montbel la remarq~1a et lui dit avec inquiétude :
Eh bien! Le rédacteur répondit peu de mots, mais




( ,55 )
ils étaient expl'essifs: Monseigneur! Dieu. sauve le


. '
" Roi; Dieu sauoe la France l Un long síleuce succéda,


arres lequel 1\1. de Montbel, désirant qu'íb :¡:expli-
quát , dit encore: Eh bien! M. Sauv~ répéta les
mémes paroles ; il se retirait, lorsque M. de Mont1
hel, se levant précipitamment , le retint, et le pro.¡o-
quant avec anxiété: Parlez !1\1essieurs, dit ~L
» Sauvo en se retournaut , j'ai: cinquante-sepj ans,
» j'ai vu toutes les .jouenées de la révolution, etje
l) me retire avec uneprofonde terreur de neuvelles
l) COlUl-.otions. ».


La porte se referme sur lui; il emporta , pOlÜ' les
publier au 1110niteur du lendemain, .ces terribles
manifestes qui devaient ébranler la monarchie.j. én-
gloutir les ministres, le Roi, et cependant, 'par:1a
plus prompte el la plus miraculeuse.desrévolutíons,
régénérer notre oFd~social.!' .: ~,' '''l:''


Le secret avait été'''prdfondémént gardé; rien. n'a-
vait transpiré : le 2.6, les habitans de París apprirent
á lenr réveil eette conspiration du tróne contre les
Iíbertés publiques: l'indignations'empare aussitót
de toutes les ames, et la courageuse dótermination
de résister se répand comme un feu: électrique.


Mais des prétautions militaires étaient prises : OH'
avaitpréparé les plus énergiques mesures ~ouras­
surer , par les armes ~ I'exécution des ordonnances ,
et iI parait que, pour les prendre ,le pfesident du
conseil s'était passé~ la iparticipation de ses col,..
legues.


Le maréchal el;1\; de Hagllsc, dont le norn malheu-




( 56 )
reusement célebre, ne pouvait inspire¡eonfiauce
qn'a la cour ,' était de service comme major-général
de la g¡¡.rde royale. Des le 20 juillet , iltransmet un
ordre confi~entiel aux divers chefs de eorps, tel


.qH'on n'en doane gneres qu'en présence de l'en-
nemi , ou que dans les circonstances les plus cri-
tiques. ,


Cet.ordre indique les divers lieux oú, en eas d'alerte,
les troupes doivent se rendre; il explique ce que
c'est que le cas d'alerte , il s'entend : « par la géné-
» rale Oll par une révolte quelconque d'~I'oupe":
» mens, armés : dans ces deux cas, les troupes se
j) rendent de suite avee armes bagages et les rnuni-
» tions nécessaires , aux lieux indiques et sans atten-
~,dre d'ordres.. ". Les troupes , dans ces mémes eas,


')J sont encapotes, le sac sur le dos, afin de déjouer
»l.e dessein que pourraient .avoie formé les sédi-
j) tieux, de nous trompen.en se présentant avec l'ha-
» bi t de la garde. )) - Défense est faite aux officiers ,
sous-officiers et soldats de quitter leur poste; dé-
fense de communiquer-avec les habitans. -Si le Roi
est a Saint-Cloud, « Iescorps enfermés a I'Ecole-Mi-
» litaire, infanterie , cavalerie et artillerie s'établi-
)l ront au Champ-de-Mars, L'artillerié- óétachera une
}) hatterfe qui se rendra aux Champs-Elysées, p~r l'al-
» lée des Ve uves , et restera en colonne dans I'avenue
» de Neuillt» Enfin , il est dit que le lieutenant-gé-
néral d'infanterie de service féra remettre une copie
cachetée de 'cet ordre confidentiel an chef de ha-


•taillon qui cornmande lss troupes enfermées ala me




( 57 )
Verte, et que cet officier no devra l'ouvrir qu'en'
cas d'alerte.


Ainsi Messieurs , cinq jours avant la signature
~es ordonnances, conséquemment avant que le plan
en eüt été définitivement arrété , le duc de Ragnse,
mis dans la confidence du prince de Polignac ,veillait
a contenir le peuple de Paris ;: et a étouffer , par h
force des armes, toute tentative de résistance.


. .


f Ainsi, la pensée,de ces, fatales ordonnances com-
mencait areceveir son exécution avant méme que
M. de ~ol'gnac 'en eüt obtenu l'adoption de ses col-
legues. .


Cet ex- président du ~onseil a prétendu , dans son
. . .


interrogatoire.i que l'ordre confidentiei du maréchal
n'a riende surprenant, et que les majors-généranx
de la garde 'en donnent souvent de semblables r il
faudrait alors dépíorer I'espece de' fatalité qui s'at-
tache aus, act~.~ .oe maréchal, et qui les fait si
parfaitement eoineider avec les plans du chef du
cahinet,


Mais voici qui achéve de démontrer que c.1tait
par les vo}es militaires , c'est-á-dire par la force des
armes, que le président du conseil avait desseín
d' assurel' l'exécution des ordonnances. Le méme jour


o(, qtl'elles furent signées, le 25 juillet, une autre 01'-
donnance, econtresignée par le- prince de Polignac
seul, confere au duc de Raguse le commandement
supérieur des troupes de la a re division militaire ;
les autres ministres n'ont en<;ore aucune' connais-
sanee de eette !llesure, si importante dans l'occur-




( 5.8 )
rence , etpar son objet et par le 110m si impopulaire
de celui qui allait prendre ce commandement. M. de
Polignac assure, dans l'un de ses interrogatoires,
que .le projet d'en investir le duc de Raguse étai~
ancien , et causé paree que le général Coutard était
parti p<;lUr les éleetions, et qu'il devait ensuite se
rendre aux eaux ponr quelques mois; mais les col-
Ieges ayant été eonvoqués pour les 23 juin et 3


•juillet, et le général Coutard ayant dú quitter París
avant eett~ époque, comment se Iait-il qu'on ait at-
tendu le 25, et que ee soit précisément ee ,jour la
qu'on ait choisi pom investir le maréchal de ce com-


d ,.;>.man ement superlCur . \ .
C'est' que la ré~ol':ltion-:étaitpris~,.drhltimider les


Parisiens par la terreuri...aussi , des l~, lendemain
(26), le priace de Polignac écrit-il au rnaréchal :
u Votre Excellence aconnaissance des mesures ex-
») traordinaires que le Ro}; dans 's~ ~agesse et dans
») ses sentimens d'amour poor son peuple, a jugé
» nécessaire de prendre pour le maintien des droits
» dee~a couronne et. de l'ordre publico Dans ces im-


») potlantes circonstances, S. M.eompte sur votre
» zele pour assurer l'ordre etIa .rranquillité dans
» touie l'étendue de-votre.conrraandement, J)


La journée dusf se passe en vives agitations ~e
la part du peuple de. Paris et en mesure. actives de
la part de I'autorité, • . /


Des ee moment, c'est directement avec le prési-
dent du -conseil que le préfet de' police et toutes
les autorités se mettent én comrnuuication. A dater


.




( $9 )
du 2.6, l'action des auñ-es ministres disparait en-
tierement, •


Le 27, plusieurs journaux continuent a paraitre ,
et publient une énergique protestation: la for.ee ar-
~ée se transporte dans leurs ateliers d'imprimerie.


Do rapport du préfet depolice a M~ dePolignac
est ainsi concu : « Presses libérales: Onles saisit , .et,
» quoiqu'on 'fa8se, j'en serai maitre; la::.gendarme"
» rie et la ligue tíendront- la main a l'exécution;»
Peu d'heures arres, il lui annonce comme une vic-
toire, qu'il tient en sapossession les presses des j OUl'-
naux le Flgaro, le Com,meTce et le National. Les
presses du Temps furent également mises sous le
scellé.


Cependant la saisie de ces presses ne se fait pas
sans oppositionj la résistance 3. des ordonnanees vio-
latrices de la Charte devenait.un devoir:le peuple
s'assernhle, le tumalte.s'accroit en méme tems que
toute.Ia 'troupe est sous les armes; mais de la part
du peuple on n'entend encore que le cri viv' Ia
Charle r La place du Palais-Royal , la rue Saint-Ho-
noré et autres rues adjacentes sontIes lieux oú les
rassemblemens devíennent les plus nombreux ; iI pa-
rait qu'i!s deviennent aussi le. premier théátredes
scenes s~nglantes que cette jonrnéea adéplprer,


La force armée sur ce point était nombreuse ,et,
sans agression réelle, .sans provocation de la part du
peuple, sans sommation de la part de l'autorité, la
troupe fait usagede-ses armes ; une charge de gen-
darmerie acheval a lieu, sabrant tout ce qui se pré-




( 60 )
sente devant elle, el plusienrs feux de peletons'd'in-
fanterie de la gal'de sont dirigés sur une multitude
désarmée : ces faits résultent de l'enquéte , iI en ré-
sulte aussi que l'antorité civile, au lieu de protéger
les citoyens paraissait animer les soldats contre eux.
un commissaire de policea été vu circulantsans cssso
SUt le front des détachemens et paraissant donner
des ordres a la troupe. .


11 parait résulter encore de l'enquéte que les chefs
de corps étaient porteurs de l'ordre écrit de tirer
sans ménagement sur le peuple: un témoin affirme
un fait qui le prouverait et gui s'est passé sous ses
fenétres: il a entendQ unjchef d'escadron de gen.;..
darmerie [aire aun jeune officier <Vun régim~nt de
ligne, l'injonction de commander le feu; ce digne
militaire dit qu'il n'avait pas, d'inst~uctions; un pa-
piel' lui fut alors exhibé ~mais l'officier répondit par
un signe négatif en inclinant la- pointe de son-épée
vers la terre. -En méme tems on voyait les officiers
~t. !ous officiers distribuer de I'argent aux soldats
pour les eneourager et soutenir leur ardeur,


C'est ici ie cas de di re que les sommes qui furent
_distribuées a la troupe dáns ces jouraées de deuil,
s'élevent, selón l'étatJlue DOUS en a remis M. le mi-
nistre dc¡s finances, a la somme de 974,27 1 fr. 88 c. ,
dont 553,~71 fr. 88 e. furent délrvrés par la liste ci-
vile (1) el 4~I ,000 fr. par l~ trésor-: M.le ministre de


(1) Une lettre de rancien- intendant d~ la liste chile, remiso a
i'inetant-au rapporteUl'; indique que les 555,271 'fl', 88 c. payés par la




( G! ) •
la gneq-e, maréchal Gérard, dans une-note par lui
remise a la cornmission, a judicieusementfait remar-
quer l'irrégularité de la forme employée parl'ex-mi- -
nistre des finances pour la délivranoe de ootie der-
niere somme; il a déclaré qu'il ne pouvait ni la re-
connaitre ni la mettre a la charge de l'administra-
tion de la guerre; et il a rejeté sur M. de Monthel
toute la responsahilité de cettedépense illégale.


De la partie de l'enquéte.que nons analysons , il
~st difficile de ne pas jn4uire que les ordres mili-
taires étaient précis, qu'ils avaient le massacre du


.


peuple.poúr objet, et que, pour l'intimider , on était
résolu al'écraser avant toñte provocation.


C'était done une sorte de guet-a-pens, concerté
entre l'autorité civile et l'autorité militaire, guet,.;a-
pens, consta té des le 2.0 juillet ·par l'ordre dn jour'
eon6.dentiel du duc de RaiN&e, le 2..5 p.r- lancmina..
tion de ce duc, contre-signée Polignac, au cornrnan-
deroent supérieur de la 1 re division militaire ; le 2.6,
par la Iettre que lui éerivit le président du conseil ;
et le ';). 7, par la terrible exécu tion qu'ilreeut,


Votre commission, Mes!:,ieurs, n'a pas pu porter
ses investigations sur les scenes de carnage qui
eurent lieu dan s les autres quartiers, depuis 'ce jour
et les suivans, ni dans les autres communes et villea
de Frunce : ii lui a suffi de constater quel avait été
l'~gresseur,ou du peuple on de l'autorité, "
liste civile , l'ont été áSaint-Cloud dans les-journées du 50 juiUet 311
5 aoüt.


Poroles de M, de BéI'mgor. SéallcQ du 28 septesnbre.
So'




( 62 )
Mais, en méme tems q1J.e <les citoyens sans dé-


fense étaient frappés , un autre genre d'attentat se
préparait : l'autorité j udiciaire , inapercue jusqu'ici,
allait iagir , etil est douloureux d'avoira dire que
ce né fut pas dans l'intérét de la loi , mais pour se-
conder la tyrannie; elle va se Iivrerá l'arbitraire,
violer la libesté individuelle ; et porter atteinte á
tons les droits..»


Un réquisitoire est dressé; un juge d'instruction
y obtempere; quarante-cinq mandatssont décernés,
Le magistrat qui les a requis préténd q':l'il~ nedé-
vaiént-Irapper que les journalistes signataires de la
protestation pub\iée dans·p\usieurs journaux du 27;
et que e'était un simple délit de Ia'pressequ'on vou-
lait réprimer. Il y a sur ce point de l'obscurité, cal'
le nombre des signataires n'était que de trente-huir,
et on ignoredeqlIelslloms se eomplettait le nombre
de quarante-cinq, . .


Les mandats sont remis au préfet de poliee ¡1our
assurer leur exécution ; celui-ci les confie a la vigi-
lance de l'un de ses ag~ns, qui, heureusement ré-
cule devant la' difficulté de cette exécution. Les ré-
quisitoires, les mandats ontété anéantis. Votre com-
mission'n'a pu éclaircir le doute qui nait de Ieur
nombre ( 1 ) •.


(1) Lorsque , dans son rapport la Commission a \lit que le nombre
de. mandats déccrnés le 27 j uillet était de 45; c'est-a-dire 44 centre
les signataires de la protestation de s rédacteurs de journaux el un con-
Ire l'impri.neur , elle avait 5011S les yeux un exemplaire de celle protc;,-
tation : elle u'y eompta que 58 uorns : elle dnt l'CXPI'¡UWI'; rnais depL1b




( 63 )
L'auteur nes réquisitoires , le 'rnagistrat qui y fit


droit; le préfet de police qui consentit a{aire exé-
euter les mandats, agissaíerít-ils de leur propre mou-
vement? on lecrojra difficilernent, 11 est bien plus
naturel de chercher le príncipe de ces actes cruelle-
ment imprudens dans des ordres plus élevés.


Ainsi finit la joumée tlu 27.
Dés-Iors on dut apprécier quel caractere prendrait


la résistance: on dut sentir que le sang versé ajou-
terait a l'éh'eJtie des' citoyens , désorrnais c'était un
colilhai,a ulOrt'qtíiaU;üt se livrer, et le drapeau noir,
arboré sur divers poin t, annoncait assez la nature
de la lurte qui al1ait s'engager.


De grands malheurs pouvaient étre évités, aucune
tentative n'cst faite ponr éclairer la cour , 'le mi-
nistere , que dis-je! le prince de Polignac, cal' lui
seul apparait dansces tristes'mdthens; ene'cherche
point. a faire sonnaitre la ",Úité a Charles X, aluí
diré que Iesang coule par torrens, que peut-étre il
est terns encare de pranoneer des pa~oíesde'conci-
Iiation. :MM. de Peyronnet , Guernon-Ranville et
Chantelauze déclarent que s'il y avait encoré des
ministres, il n'y avait plus de ministere , et/que M.
de Polignac correspondait seul avec la cour.


La joumée. du 28 offre le spectacle d'un Roi de
Fr-anceitraitant sa capitale en ville ennemie ; París
est mis en état desiege ; 'Ce centre des beaux-arts


. ~ , . .


illui a été communiqué un numéro da Natio'nai qui , dit-ou , fut
imprimé sur l'o1'Íginal (le la protestation . et il s'y tronve réellement
44 signatul'cs. ,


(Paroles de M. de BJ1'fltgcr, seullce da 28 septembre. )




( 6/_ )
et de la civilisation , respecté deux foil par les ar-
mées étrangéres, va subir le sort qu'elle n'eútpro-
bablement pas eu a redouter d'une troisieme inva-
sion, Un maréchal deFra~e est chargé de cette hor-
rihle mission, e'est encore le due ae Raguse•....
Singuliere destinée que celle de ce guerrier, qui ,
apres avoir été longtems associé a la gloire de nos


. armes, apparait a chacun de nos déchiremens po-
litiques , comme un génie malfaisant pour sa patrie!


L'ordonnance , qui consacre cette terrible mesure,
n'est contresignée que par le prince de Polignae:
les trqis ex-ministres détenus avec lui, ont affirmé
n'en avoir eu aueune connaissance ; elle ne fut doné
pas délibérée en, conseil, (1 )


En méme tems le président du conseil éerit au
maréchal: « Vous feriez bien de faire dire aN... que
» le Roi donnera de 1'argent aux ouvriers qni ont
» faim, s'ils quittent les révoltés, el q~'il le fasse
» crier partout, et que d'un autre coté un conseil
» .deguerre doít juger les coupables, » e


Effectivement, on s'occupa le méme jour d'orga-
niser ce puissant moy~n de terreur. J-JC -ehef et Ie
seas-chef de bureaux de la justice militaire furent
appelés chez le sous- 'secrétaire-d'état faisant fonc-
tions de ministre de la guerre, oú ils trouverent réu-
nis plusieurs offieiers chargés de la formation d'un


(1 ) L'un des ex-ministres a cffeclivement dit qu'il n'avait pris parl
a aucune délibération sur ccllcordonnancc: mais les nutres onl tI..·-
daré y a~oir participé.


(Paroles dc M. de Bé¡'cngcI'.: S,'allce da 28 .~pplc¡¡¡bl'e.)




( 65 )
tribunal mditaire : mais les événemens s'accéléraient,
le sous-secrétaire-d'état fut mandé aux Tuileries, et
OIl se sépara.


Cependant des ordres furent donnés pour dissou-
dre les camps de Saint-Omer et de Lunéviile , et
ponr en faire marcher les troupes sur Paris. Le
prince de Polignac avoue ces ordres , mais'il .dit que
les troupes étaient dirigées sur Saint-Cloud.


Ce .jour, 00 se bat dans presque tous les quartiers
de Paris ; la garde nationale se .forrne ; des-citoyens
généreux régnlarisent les mouvemens ; la troupe est
souvent vaineue, et tout annonce quelle sera l'issue
de eette lutite.


Vers les deux heures, d'honorables députés, dans
le dessein de faire cesser le carnage,-serendent au-
pres du maréehal; ils demandent le rappó'I"t des 01'-
donnances, le renvoi des í1'linistteset la réunion
immédiate desChambres.jils offrent ace prix de se
rendre médiateurs entre le peuple et l'~rmée. Le
maréchal n'ose prendre sur Iui de suspendre les
opérations militaires, mais il promet de faire par-t.'
de cette dérnarehe a Charles' X.


Le président dn eonseil, qui se trouvait chez le
maréchal , parait d'abord desirer d'entretenir ces gé-
néreuxmandataires , mais il hésite , et oh lit dans
le rapport de la commission municipale de Paris ,
que, sans vouloir les entendre, il finit par leur faire
dire que les ordonnanees ne seront pas retirées.


M. le prince de Polignacassure qu'il écrivit an Roi,
et que le maréchal écrivit de soncóté ; il ajoute que


5




( 66 )
le maréchal ne lui fit point connaitre la-réponse de
Charles X, et que sur fe point d'ailleurs toutes les
fois qtÍ'il sera interrogé sur ce que le Roi aura pu
lui avoir dit ou écrit, un sentiment de respect et
d'honneur Iui imposera un silen ce absolu.


Hélas ! Messieurs , le sang continua del couler , et
son effusion .apprend assez quelle fqt la réponse du
monarque. .


lei on ne peut s'empécher de se livrer ou a de
bien tristes réflexions sur la cour, ou a de graves
soupc;ons sur la conduite du prince de Polignac et
du due de Raguse.


Dissimulerent-ils au 'Boi les événemans, luí Iais-
serent-ils ignorer le' danger des coniectures? lui
conseillérent-ils de continuer eette lutte sanglante ?
ou ce .prince !nsouciant du malheur du peuple et
aveuglé sur sa propre position, voulut-il exposer
sa couronne aux chances d'un résultat désormais
trop prévji ?


I:histoire dira aquelles frivolesoccupations éraient
. Iivrés le monarq'l,le el sa cour, dans ces momens si


décisifs ; la postérité refusera d'y croire,
Cependant une commission municipale s'était 01'-


ganisée, et siégeait al'Hótel-de-Ville ; les citoyens.de
Paris comrnencaient aressentir les cffets de cett~ au-
torité tutélaire ;forts de son appui, ilsredoublérent
de eourage et d'énergie , et comme cE1tte commission
le dit eUe-meroe, le lendemain , 29, la guerre .auait
prononcé. .


n n'-entre pas dans le plan de votre commission




( °7 )
de suivre les événemens ultérieurs ; Fattentat dont
la Chambre a voulu connaitre toute l' étendue est suf-
fisamment exposé; la victoire a empéchéqu'il ne fut
eonsommé, et la plus glorieuse, la plus. heureuse
des révolutions, a enfin délivré la Franee duo gou-
vernementqni depnis seize ans 'pesait sur elle. Qu'im-
porte d'ailleurs qu'une tardive résolution, arrachée
par la peur Otl par les supplications de ceux qui en-
touraient Charles X ait fait retirer les ordonnances
et disons le eabinet ; une telIe mesure est impuis- '
sante, la' guerre a prononcé , il n'y a plus deo mi-
nistres, il n'y a plus de monarqn~; la Franee est
rentrée dans tous ses droits!


Trois jours out suffi ponl' renverser ce tróneque
la 'seule apparition d'un homme en.r Sréavait égale-.
ment fait disparaitre : ríen ne.démontre.néeuequ'íl
n'avait aucunes racines dans .la.nation !


Pour la troisieme fois les mernhres 'de cette branche
des Bourbons quittent la Franee, repoussés toujours ,
puissent-ils eomprendre enfin, cornme toute I'En.,.
rope l'a eompris, qu'ils sont désormais impuissaus
patlr nous nuire !


Ainsi , Messieurs, il résulte du long examen au-
quel votre commission s'est livrée :


Que le projet de contre-révolutionqui a re 'tu son
exécution dans les journées de juillet , 'était médité
depuis longtems, etnotamment depuis I'avenement
de Charles X au tróne ; que depuis 101'5 ce projet fut
successivement repris ou suspendu, suivant que I'état
de l'opinion publique, ·en Francey donnait de la




( 68 )
crainte ou faisait naitre de l'espoir; que le ministere
d:u ~ aoút fut spécialement formé dans le but d'ac-
cornplir lesdesseíns qu'on se proposait; que ce mi-
nistere, ~ont le princede Polignae était l'áme , s'oc-
tupa des-lors de remplir sa mission; qu'apres aveir
éprouvé une premiéne modification en novembre
1829, et une seconde au mois de mai suivant , il
concerta un plan de violences et de. menaces pour
obtenir des élections favorablesa ses vues ; que cene
tentative coupable n'ayant pas eu le résultat qu'il
en attendait, iI se détermina a faire pronoueer, par
'le Roí, la dissol~tion de la Chambre avant qu'elle fut
assernblée, ee qui était casser inccnstitutionnellement


'les opérations des eolléges; que par des ordonnanees
royales il ehangea le systéme électoral établi par des
lois, etIa législation ~ur la presse périodique; qu'i!
'viola ainsi laCharte oonstitutionnelle,troubla la paix
intérieure du pays, provoqua les eitoyens ala guerre
civile, et répandit des sommes considerables pOUlr
animer les soldats centre le peuple; que le président
du conseil- sW-1otd se.~endit provoeateur de cette
guerre intérieure, par la nominationdu due de Ra-
guse'llu eommandement de la premiére diviaion mi-
litaire , par la mise de, Paris en état de siége , et par
des mesures prises pou.. l'emploi de la ~force armée
centre le .peuple-, avant toute provocation.


Tous ces faite, Messieurs, censtituent le crime de
haute trahison , tel qu'il est prévu par l'article 56 de
l'ancienne Charte. .


La France a fait preuvc de longauimité.




( 69 )
Elle aváit besoin d'exposer a la faee du monde le


tableau de ses griefs contre un gouvernement qui
n'est plus.


Un granel acte national est maintenant attendu.
C'est pour la premiere fois qne vous allez exércer


ce droit iuhéreñt a votre nature d'accuser et de tra-
duire devant la Chambre desPairs des ministres
coupables.


Le pays, par, votre intervention, va .demander
justiee des hommes qui ont violé les lois el troublé
la paix dont il jouissaít.


Mais la Franee n'est pas seule attentive : tous les
peuples de l'Europe, les yeux fixés sur notre révolu-
tion , attendent a lenr tour, pour nous juger, de
connaitre I'usage que nous allons faire d'une liberté
si heureusement recouvrée; ils s'affligeraient , 'Cal'
ils nous adrnirent', si nbus ¡nanqtIÍonidesagesse ou
de fermeté. ,_


Justice , et non vengeance j tel est le eri qui part
de tous ,les eCeurs. IJa vengeance f indigae -d'une
grande nation , appartient aux tems des ténehres et
de barbarie: la justice triomphe du droit sur ce
qui est usurpé, de la raison sur le crime , atteste ,
lorsqu'elle est circonscrite dans une juste mesure,
les progres des lumieres et le perfectionnement des
moeurs.


Et quel autre que ce peuple de Paris , l'élite de la
France, a prouvé uno civilisation plus avancée? qnel
autre a montré qu'il savait mieux discerner la justice
de la vengeance? Respectant tous les droits ~ secou-




( 70 )
rant au milieu du cal'llage ses ennemis vaiñcus , évi-
tanttoút .exces , et, aprés la victoire, retournant a
son travail , sans attendre d'autre prix que la satis-
faction d'avoir sauvé l~ patrie" Ah! ce peuple doué
dé tant de vertus s'offenserait qu'on pút supposer
qu'il veut rien d'e plus que la justice 1·La France l'at-
tend avec calme, confiance et dignité : vous la. de-
mandercz ponr 1ui ; et la Chambre des Pairs , dont
l'indépendance est une condition de son existence ,
accomplira sa haute 'mission.


Votre commission vous pro'pose d'adopter la ré-
•sólution suivante :


RÉSOLUTION.


La Chambre des Députés accuse de trahison MM. de
Polignac , de. Peyronnet, Chantelauze, de Cuernon-
Ramille, d'Haussez , Ca.pelle etcle Montbel, eX4
ministres signataires des ordonnances du 2.5 juillet :


Pour avoir abusé de leur' pouvoir, afm de fausser
les élections et de priver les citoyens' du libre exer-
cice de leurs droits civiques :


Pour avoir changé arbitrairement et violemment
les institutions du royaume;
, Pour s'étre rendus coupables d'un complot atten-


tatoire a la súreté extérieure de l'état.
Pour avoir excité lti gllerre .civile, en arrnant ou


portapt les citoyens a s'arrner les uns contre les
autres , et porté la dévastation et le massacre dans
la capitale et dans plusieurs autres communes;


Crimesprévus par l'art. $6 de la Charte de 1814,




( 71 )
. et par les articles 91, 109, 110, 1 '.t3 el n5.du Code


pénal;
En conséqirence , la Chambre des Députés-traduit


MM. dePolignac, de Peyronnct, Chantelauze , de
Cucmon-Hanville, d'Hanssez , Capelle et qe Montbel,
devant la Chambre des Pairs.


Trois commissaires pris dans le sein de la Chambre
des Députés seront nommés par elle. au scrutin se-
cret el ala rnajorité absolue des suffrages, pour, en
son nom, faire toutes les réquisitions nécessaires,
suivre, soutenir et mettre a fin l'accusation devant
la Chambre des Pairs , a quí la présente résolution
et foutes les piéces de la proeédure seront irnmé-
díatemcnt adressées,


M le rapportenr descend de la tribune qu'ilavait
occupée une heure et demie al! milieu de i;attention
la plus soutenue.


La Chambre , apres avoir entendu ce rapport
dans un religieux silence , décida, ainsi que nous
l'avons dit dans l'introdnction, 'que la discussion
s'ouvrirait le 28.


Alors, conformément aux conclusions 'pu rappcirt ,
elle accusa , d'apres les votes affi~matifs consignés
au tablean qui fignre également dans l'introduction,
les ex-ministres de trahison, et les traduisit devant
la Chambre des Pairs.


Avant de passer outre , il importe de connaitre
les' inte. rrogatoires suhis par les accusés ~etarlt la




( p. )
Comrnission de la Chambre eles. Députés, et aux-
qucls il a été fait allusion par M. de nén~ngpr dans
son rapport..


INTERROGATOIRES


SiJ,bis par les accusés devantla Commission de la
Chambre des Députés.


(28 AOUT 1830.)


1\'r. LE l'RJNCE DE POLIGJ>AI'.


D. Quels sont vos nom , prénoms , age et qua-
liti>,.s?,....,..R.Auguste-Jules-Armand-Marie, prince de


. Polignae.,'Pllip dé France, agé de cinquante ans, ~
D. Reconnaissez-vous votre signature auhas du rap-
port au Roi , lequel a précédé et provoqué les 01'-
dormances du 25 juillet dernier P - R. Oui. _
D.~econnaissez ~ vous votre signature au bas de
l'ordonnance relative a la suspension de la liberté
de la presse? - R. Ouj. -- D. Reconnaissez-vous
votre sign~tnre~u has de l'ordonnance qui déclare
Paris en étatde siége? .,..-}t... Oui. - D. Reconnaissez-
VOQ.e; avoirmis votre signature sur l'original de l'or-,
donnance de dissolution de la Chamhre des Dé-
putés , dont voici l'ampliation signée: Pour copie
couforme , comte de Peyronnet? - R. .Te crois. pou-
voir af{i~mér.que je,n'ai pas plus signé l'original que




( 73 )
la copie. _ D. Voici une ordonnance dont nous
n'avons que la copie conforme, signée comte de
Peyronnet, ef relative al'introduction d'un nouveal~
systéme électoral ; reconnaissez-vous en avoissigné
l'original? - R. Je me rappelle avoir signé l'origi-
nal. -- D. Voici une autre ordonnance qui est celle
de la convocation de nouveaux colléges électoraux,
expédiée aussi pour copie conforme.: Peyronnet. En
avez-vous signé l'original ? --R. ~on, je ne l'ai pas
signé. - D. Avez·vous participé méme anx ordon-
nances qui ne portaient pas votre signature? - R.
J'y ai participé par cela seul que je fesais partie du
conseil des ministres. - D. Quel est le rédacteur du
rapport au Roi qui a précédé les ordonnances? -
R. Je ne puis pas le nommer. - D. ~ quelle époque
le plan du -rappol't et des ordonnances a-t-il. été
concu ? - R. Tres-peu' de Jours avant la publica-
tion, - D, Quel est l'auteur de ce plan? - R. re ne
puis le dire.


D. Pourquoi, ayant le projet de dissoudre la
Chambre des Députés et de suspendre la Charte,
avez-vous faít distribuer lés lettres closes aux mem-
bres des deux Chambres ? -- R. J'aífirme n'avoir en
au~une connaissance de l'expéditiort des lettres
closes, et ne l'avoir apprise que par la réception de
roa prop,re lettre close, cornme pair. Je dois faire
observer en ioutre que jamais je n'ai en l'mtentíon
de suspendre la Charle. - D. Pourquoi M. le duo
de Raguse a-t-il été chargé du commandement lIe la
premiere rdivision militaire des le25 juillet ? - R.




( 74 )
Ce commanderneut était destinérlepuis 10llgtems au .
duc de Raguse. 111ul a été donné paree que M.le
général Coutard était ~arti pour les élections, et
devait ensuite se rendre aux eaux pour quelques
mois, - D. Quelles sont les instructións qui avaient
été données au maréchal. - R. Aucunes, - D. Savez-
vous, l\1onsieur, qui a donné l'ordre de tirer sur le
peuple? - R. Je l'ignore; mais ee que je puis-affir-
mer , c'est d'avoir entendu dire au maréehal de ne
tirer qu'apres .qu'on aurait tiré sur les troupes. -
D.,.Avez-vous conseillé la mise en état de siége de la
ville "de Paris ? - R. Non; mais on m'a dit que la
chose était légale, et, 'en ma qualité de ministre de la
guerre par intérim, fai eontresigné l'ordonn~.nce; .
<lu reste, je crois que cette ordonnance n'a re«;;u au-
cune publicité légale, et qu'eIle est restée entre les
mains de M. le -maréohal. -' D.Qui vous a engagé a
eontresigner J'ordonnance?~ R. le ne puis le dire.


D. Qui avait donné des ordres aux troupes des
eamps de Lunéville et de Saint-Omer pour venir sur
Paris P~ R. J'aí , d'apres les ordres du Roi, expédié,
en ma qua lité de ministre de la guerre par intérim,


. l'ordre de dissoudre les deux eamps de Lunéville et
de Saint-Omér, et ·d"en diriger les troupes, no~ a
Paris, mais a Saint-Cloud , aupres du Roi. ~D.
N'avez -vous pas fait distribuer des grat,ifications.
extraordinaires aux troupes, pour les engager a
tirer sur le peuple ? - R. Non, je n'ai point donné
d'ordres pour faire distribuer des gratifications aux
troupes ; je n'jgnorc pas qu'il leur en -a éré accordé,




( 75 )
mais non point dans le but de faire tirer 5tH' le
peuple: c'était seulement pour venir au secours des
troupes, qui se trouvaient alors dans un urg~nt .
hesoin. -D. Savez-vous quel jour cette distribution
a été faite? - R. le ne puis le préciser. - D..Savez-
vous quelles sont les sommes qui ont été distri-
hnées? - R. Je l'ignore. - D. Savez-vous de quelle~.
caisses elles provenaient? ...... R.Je l'ignór.e, maís je
suis certain cependant qu'elles ne provenaient pas
des caisses de. la liste civile. - D. Pouvez-vous nc~us
dire qui a signé les ordres de ces distributions P~
R. Je ne le sais réellernent paso - D. N'aviez-vous
pas arrété au conseil le rétablissement des cours pré-
votales P - R. Non, cela est completement faux;
il n'en a pas mérne été question au conseil. -'D.
N'avait-on pas décidé l'arrestation d'uFlfVan~ nomo
bre de députés? - R. Non ,.c:e~tégaleroent fj;lux.


, . .


M, LE COMTE DE PEYRON.1'ET.


.D. Quels sont vos nom, prénoms, qualités et
age? - R. Pierre-Denis, comle de Peyrqnnet., agé de
cinquante-deirx ans.
• (En méme tems, et avant qu'il soit passé cutre :'t
l'interrogatoire, M. le comte de Peyronnet a expri-
mé le desir de faire toutes les réserves de droitsur
les questions préj udicielles dans l'in térét de la dé-
fense gén~rale,dela.cause.) •
, D. Hecorinaissez-vous votre signature au has du
rapport au Roi qui a précédé les ordonnances. .,.- R.




( 76 )
Oui, ~D. Reconnuissez-vcus également votre signa-
ture au has de l'ordonnance de suspension de la
presse péeiodique ? --'-',R. Ouí."'- D. Beconnaissez-
YOUS votre signature au has de l'ampliation de 1'01'-
donnance portant dissolution de la Chamhre des Dé-
putés? - R. Oui. -- D. Reconnaissez-vous votre
slgnature au has del'arnpliation de l'ordonnance por-
tant eonvocation des .colléges électoraux? - R:. Oui.
- D; Reconnaissez-vous votre signatnre au has de
l'ampliation d'une ordonnance du '25' juillet (meme
date (Iue la précédente) instituant un nouveau mode
d'éJe-ctions?_ R. Oni,


D. Pouvez-vous nous dire quel est le rédacteur
du rapportan Roi ?·-R.Ce n'est pas moi.c..D. Avez-
vous participé au rapport? - R. le n'yai point par-
ficipé ; j'y ai adhéré. - D. Avez-vous participé, dan s
le conseil , aI'ordonnance qui suspend la liberté de
.


la presse périodique? - R. le n'en súis pas l'auteur,
mais j'y ai adhéré. - D. Pouvez-vol~S en faire con-
naitre l'auteur? - R. n ne m'appartient pas de le
di re. "". D: Avez-vous participé, dan s le conseil , a
l'orelonnance portant díssolution dela Chambre des
Députés? - R. Oui : le systeme adopté, 'c'est moi
qui ai rédigé l'ordonnance. - D. Avez-vous partj-
cipé, dans le conseil , aI'ordonnaríce portant convo-
cationdes colléges électoraux? - R. Oni, - D.
Avez-vous, participé, dans le conseil, a l'ordonrrauce
qui ét:lb~it uh nouveau mode d'élection?- R. Oui.
- D. Avez-vo'us participé, dans le conseil, a 1'01"- .
donnance r¡uí met la ville deParis cú état de siége ;)




( 77 )
- R. Oui. - D. Pouvez-voas dire quí a proposé
eette mesure? - R. Je ne le dois pas.--'" D. A quelle
époque le plan du rapportet des. ordonpances a-t-il
été con¡;u?- R. Quant a la conception, j'en ignore
l'époque; quant al'adoption, elle a précédé de fort
pen le 2,5 juillet.c.i.D. Pouvez-vousnous q¡a'e '¡ueIs
sont les auteurs de ce plan? --' R. La vérité est que
matériellement je ne le .puis.pas , ~ar' je l'ignore.


D. Pourquoi , ayaut le projet de dissoudre .la
Chambre el' de suspendre la Charte , avez-vous fait
distribuer des lettres clases aux membres des deux
Chaml'>res? - R. Je n'ai jamais eu le dessein de par·
ticiper a ~cs mesures qui dussent avoir ponr eHet
la suspension de la Charte, Quant á la distribution
des lettres clases, la signature, donnée parle RQi aux
originaux , avait précédé l'adoption du projet de.d~­
solution, et l'~x.péditiOn~vjjfj',est,{aite"sel'OnI'usage,
d~Il$·lt$ hm"@aux."a eu.'1ieupendant que le projet
était encere en délibération. -r-r-' D. Pourquoi M. le
duc de Ragnse a-t-il été chargé du comrnandement
de le Ir. division militaire , des le 25 juillet I -;- R.
Cette détermination ni'est completement étrangére ;
je ne l'ai connue qu'apres qu'elle a été adoptée. Au
surplus , je crois qu'il y a crrenrde date: cette dé-
císion ne. pent pas ,manquer d'étre postérieure aux
ordonaaüces. -,-- D. Savez-vous quelles instructions
avaient été données au maréchal P ..:...:.. R. Elles me
sont non-seulemenrétrangéres , mais oomplétement
inconnues, --- D. Qui a donné rorare de tirer sur le
peuple des le ',).7 juillet? - R. Je l'ignore complete- '




( 78 )
mento - D. -Pouvcz.vo. nous dire qui a donné des or-
dres aux troupes des camps de Lunéville et de Saint-
Omer de marcher su;' Paris?- R. Je l'ignore; et d'ail-
leursees ordres n' ont'pas été discutés dans le conseil.
-D. N'a-t-on pas fait distribuer des gratifications ex-
traordinaíres aux troupés; pOllr les engager a tirer
sur le peuple P~ R. Je n'en ai aueune connaissance.
~D. N'avez-vous pas arrété, au eonseil, le rétablisse-
ment des cours prévótales P - R. Nullernent, - D.
N'avait-on pas décidé , au conseil, I'arrestation d'un
certain- nombre de députés? ~ R. Nullement., et a
aucune époque;.ni ¡our des députés, ni pour aucune
autre personne. ' . . -'


. : :).'


M. LI: COM1.'Jl DE GUI>RNON-RANYILLE:


.. \


D. Quelssontvos tioni:,'pténoms, ageet qualités?
- R. Martial'- Cóme- AIlnibal- Perpétue- Maglóire
comte de Guernon-Ranville, agé de quarante-trois
ans, ex-ministre, député de Maine-et-Loíre. ~ D.
Reconnaissez-vous votre síg~ature au"ba? du rap-
port au Roí qtri '3 précédé les ordounances du 25
juillet?- R. Oui.-D. Reconnaissez-vous votre signa.
ture au bas de l'ordonnance sur la sllspension de la
liberté de la p resse? - R. Oui. -D. Reconnaissez-vous
avoir signé l'ordonnance dontnous n'avons'que l'am-
pliation, certifiée pour eopie conforme, ,comte de
Peyrormet , et relative ala dissolution de la Chambre
éleetive'?-R.Non; je erois étre certain qu'il n'a été
signé par -tous les membres du conseil que trois




( 79 )
pieces·, c'est-á-dire le rappqrt au Roi relatif a la
presse, l' ordonríance de suspensión de la liberté' de


•la presse, et l'ordonnance relative ~l I'introduction
'd'un nouveflu systeme électoral. - 'I? Poñvez-vous
nous dire quel est le rédacteur dü rapport au Roi?
- R. Je ne puis le dire: ce fait ne m'~st p.oint:per.-
sonnel , et je ne puis me 'permett),'c" de, révéler les
secrets dd conseil du R<>i.'


D. Avezvvous. par!icipé a. l'ordoni~nc,e portant
suspension de la liberté de la presse périodique, et
a.celle qui institue un nouv.eau syst~me électoral?
- R. Je n'ai jamais su faire de distinction entre la
morale publique et la morale privée. Le Roi ne pon-
vait porter atteinte ala Charte constitutionnelle sans
violer ses sermens , eJ cette seule consLdfr~tio~:·rrJ
détermina a combattre le principe.de 119~~Jl~ilce
sur le systeme ~lectº1raJ, Quant ~ .l'Ór~~~ahce:.sur
la pressecquoiqu'élle n'eüt pour objet que de sus-
pendre I'exécution d'une loi, mesure qui, dans des
cas d'urgence, et lorsque le salut de l'état se trouve-
rait compromis,ne me sernhlerait pas excé~er les "
limites de la prérogative royale, je l'ai de méme
comhattue , par le motif que le cas rl'urgence ne me
pílraissait nullement exister, et j'ém~s dans le conseil
l'opinion qu 'il convenait de laisser- réunir les Cham-
.bres convoquées pour le 3 aoút , et de leur proposer
les améliorations dont la législation sur la presseme
paraissair susceptible.; Au !\éste, je fis conn.a~,tte'
toute 111<1. pensée sur cet objet aM. COl,lr~úisier,~:n
ancien collegne , dans le teros méme OÚ les 'mesures.


..




( 80 )
'. .


furent proposées, -' D. A quelle époque le plan du
tapport et deiordonnances a-t-il ét~ concu? -1\. Je
crois sans pouvoir I'affirmer, que le príncipe sur
lequel r~posént les .ordonnancesa été proposé, pour
la prémíére'foís, dans un eonseil tena dn 10 au r5
juillet Quant au rapport, il n'a été lu en entier que
clans le conseil du ~5 juillet, oú nous avons signé les
ordonnanees. - D. Pouvez-vous dire qni a fait la
premiere pr~ositiondu 10 aIJ. 15fuillet?-R. Jene
puis répondre.acette question.- D. Pourquoi, ayant
le projet de dissoudre la Chambre et de suspendre
la Charte, a-t-on fait distrihuer les lettres closes aux
membres des~xChambres? - R. Je crois que la .
distribuíi?fi des lettres closes a eu lieu. par une er- .
reUr·a~~rbureaux. _ D. Pourquoi le duc de Raguse
a-t..iI>ete.charge du commandement de la premiere
division mílitáire le 27 jumet]~R. le crois que c'est
paree que les troubles ont commencé-desce jour-la.
- D. Savez-vous quelles instructions lui avaient été
données ?-R. Non; mais je crois eependant que ses
idstrutti"()~s avaient été d'agir avec beaucoup de
modération ; Cal' dans, 'tbú's les ordresque je lui ai
'ehtendu donner, il a toujoues recommandé de n'em-
ployer la forca que ponr répondre ades voies de
fait. -Do Savez-vousqui a donné l'ordre de tir-er sur
le peuple des le ~7 juilletP-c-R. Non.-D. Aves-vous


. eenseillé la mise en état de siége de la ville de Paris?
+" R.~Je n'ai pris part a aucune délihération sur eet
objet: .:.,.....1). N'avez-vous pas eu connaissancedc gra-
tifications extéaordinaires-données aux troupes pOUl'




( 81 )
les engager el tirer sur le peuple? -Non : 'a ma
connaissance , il n'y a en aueune délihération a cet
égard. - D. N'avait-on pas arreté au conse'nie, réta-
blissement des cours prévótales? - R. Non. '""7" D.
N'avait-on pas décidé.l'arrestatiqnd'un grand nom-,
bre de députés et de heaucoup d'autrespersonnes P
- R. Il n'en a jamais été question au conseil , et je
ne erois pas que personne y ait pensé.


M. DE CH,~:NT:[I,AU.zE.


D. Quels sont vos nom ,prénoms, age et qna-
lités? - R. Jean-Claude-Balthazar-Victor de Chante-
lanze, agé de 43 ans, ex-ministre, député.j-c-D. R~­
connaissez-vous votre signature au has du ~ápport
au Roi, qui a précédé les ordonnancés du 25 juil-
let , au l:>:yf de l' ordonnance du méme jour, qui
suspend la lihe~té de la presse périodique? - R.
Oui. - D. Heconnaissez-vous avoir signé I'ordon-
nance qui étahlit un nouveau systéme électoral , ~t
dont voiei l'ampliation certifiée conforme par M. de
Peyronnet? - R. Oui, - D,. Avez-vous participé a
l'rirdonnance' du mérne jour, portant dissolution de
la Chambre des Députés, etá celle également du
mérne jour, qui convoque les collégei électorauxj'
-R. Oui. - D. Avez-vous participé al'ordonnance
du ~8 juillet , .qui met la ville de Paris eh état de
siége. -R. Je crois en effet qne cette mesure a été
adoptée en conseil sans qu'il se soit élevé la moindre


6




( 82 )
objection , attendu qu'elleétait fondée sur' 'une loi
positiv.e et justifiée pa'r les cireonstances. '


D. Pouvez-vous dire quel a, 'été le "rédacteur du
rapport au Roi ? - R. Je se!ls toute l'importance de
oette question; mais je n'hésite ras a y répondre
avec sincérité: je suís l'auteur et le .seul auteur de
Ce rapport. J'ajoute que ce ,travail, qne le Roí m'a
ordonné de fairevet quim'a-étédernandé parle
conseil, a suivi et non pas précédé les mesures qui


ont été l'objet desordonnances -du 2.5 juillet. --
D. Pouvez-vous dire a quelle époque a été concu


le plan du rapport et des ordonnances du 2.5 juil-
let? _ R. Je divise laquestion : le rapport n'était


qu'une chose de forme, uniquement destiné au


'public, et tout-a-fait en dehors des mesures dont il
bsf 'questiÓ~; Quant aux mesures en elles-mémes ,
elles n'ont étéudoptées , autant que ma mémoire


peut me le rappeler d'uriemaniere' precise,' qU:~aprés
le 10 juillet ou vers le milieu de ce mois ; elles
étaient subordonnées au résultat définitif des élec-


tíorís. '...:..c-' D. Quel est le' premier auteur de ce plan?
r: Ro Le conseill'a arrété. .."... D.Pourquoi', líjant le
prújet dedissoudre laChambre et de suspendre ja
Charte , avez-vous fait distribuer des lettres..eloses


aux rnernbres de~ deux Chambres P- Ro C'est une
affaire de bureaux. ..:.- D. Pourquoi M:'le duc de


Baguse a-t-il été ch:irgé' du cOlil~andemeilt de la
1;;' di\'ision miÚtair'e des le' 2.7 juillet? - R. Je n'ai
particlpé "~ aucune' délihération sur cet objeto -
D. Sa~ez-,*óils qui a dóIinéfordre de' tirer sur le




( 83 }
peuple des le 27 juillet? - R. Je l'ignól'Ej.~D;
Savez-vous qui a donné les ordres aux troupesdes
camps de Lunéville et de SaintJoOmer--pQl1t fiiarl:her
sur París? ...... R. Ce n' est pas 11tí.objet dont le t:!~n6t!ir
se soit occupé. _ D. A-t..on,failt di&WnH..e~ .des"gra;.:
tifioations extraordinaires aux' troó~A;'l~our ·les 00.;
gager a tirer S~T lr¡p~pHp~.iLA\. '¡'ai!s\};"qú'utíe
gratification d'uri mois ;~t1 denii";dé ~oldEl"avait été
faite aux troupes :je n'ers aí.eu connaíssance qu'a-
pres qu'elle á: été accordée.: c'ette mesure n'a été
l'objet-d'aucnne délibération an conseil, el j'ignore
par qui elle a été provoquée.-D. Savez-vous si l' éta-
blissement des cours prévótales avait été arrété dans
le cansen? -R. Non, et j'affirmequ'aucune mesure
de ce genre n'a été adoptée, - D. Avait-on décídé 3:U'
conseill'atrestation,d'l1ti'cei't'á~,~o1#l#~d~~'~téSí
ou d'autres pet!óO:nn~~(....uR.1 !ÑO~lttrer détihérsti~ (Ih'
conseil -nla 'ell' l'i~jircet~tijet.·' 'j,-


'\ "


DEm:IEME INTERROGATOIítE.
,. - .. ,'


(9 SEPTF.1'IJlJREI 8,lp· )
. . . " .


l\'L tE 1'1I.1Nct 'tú: POLIGNAC,


,~', It. Qui a conseillé au Roi .la Jormation du minis-
t~re4u'18 ~,?ut.?,;¡;:¡i, J e n' al aucune réponse a faire :
j'ai été appelé commeministrepar, le,Roi."""-.D.pou-
vez-vous nOlJ'S;4lr.e}lu~ ~. conseillé et rédigé le dis..
~qw·s.de la couronne prononcé.parIe Roí á.l'ouver-
~ur~Ae;l~ précédente session? """"-R. La dé~erroi:tla­
tíAn a été prise enconseil; lese.cret~¡jwlnt~Ye gard~




( 84 )
sur tout ce qni se .pJlsse dans le couseil du Roí, il
m'est, impossible de.irépondre el cette question. -
D",Qui'l\ suggéréet dicté la réponse que fit le Roi
~J;adl'essede la Chambre?- R. Je ne puis faire que
lamémeréponse a toutes les questions de cette na-
ture. -.:- D. Est-il avotre connaissance qu'ou ait des-
titué heaucoup de fonctionnaiPes el l'occasion des
élections P - R. C'est un relevé a faire dans le M0-
niteur ; quant a la guerre, il n'y a eu de mesures
prises qu'á l'égard.de trois personnes. - D. Qui a
donnéati.duc de Raguse l~s ordres consignés dans
son ordre confidentiel du 20 juillet? - R. Je l'ignore
completeme~~,j&~'en ai en connaissance ni direc-
tep1ent ni indirectemeet, Jecrois étre certainque
lesordres de cette nature émanaient directernent du
major-généra] de la ~garde de service , sansqu'il soit
obligé d'endonnér ;~lImll1icatiopau ministre de la
guerreo - D. Vous aV~;li;dit,\dan$votre .Iettrea la
commission, que lorsque, le 28 juillet, plusieurs
députés se présenterent á l'état-major de la place,
vous résolütes , avec le duc de Haguse, d'en écrire
au Boi : le fltes-vous, 'etqlie répondit le Roi? -; R.
J'ai écrit au Roi; le maréchalduc de Raguse a écrit
de son coté: il ne m'a point communiqué la réponse
qu'il a recue de SaMajesté. Toutes les fois que je
serai interrogé SUl' ce que le Roi aura pu m'avoir
dit oum'avoir écrit , un sentiment de respeet et
d'honneur-rn'imposera un sileneeabsolu.


D. ,Dans les journées du 2~, du !oÍ 7et du 28,' ren-
dait-oneompte au Roí de ce qui se passait aParis?
-:- R. Le maréch~l m'a dit lui avoir envoyé tres-ré-




( 8~ )
gulierement ses rapports. Quant a moi, je n'ai.point
eu eonnaissance des rnouvemens militaires qui se
sont opérés de part et d'autre dans lesrues de París.
- D. Est..il vrai que le 25 vous ordonnátes une
active surveillanee autonr de Neuilly ? .......;R.~Le fait
est eomplétement faux. - D; Des 'mandatsd'arret
ent été décernés , le 27 juillet ; contre un certain
nombre de personnes: ont-ils été délíbérés en con-
seil? - R. J~ n'en ai aucune eonnaissanee. _ D.
Vous avez di t , dans votre lettre a la. Commission ,
que, le sg au matin, vous vous rendites a Saint-
Clond, el que vous engageátes le Roi a retirer les
ordonnances et a envoyer l\'L de' Mortemart it París
pour l'annoñcer. Qu'arriva-t-il ?_R. Le Roj accepta
nos démissions, et retira les ordonnances, J'intro-


- .


duisis ehez Sa Majesté le duc de Mortemart : je le
laissai daos le cabinet , el: depuis cette époque ~e
suis resté tout-a-fait étranger a ce qui s'est passé,
- D. Erísuite de la mise de- París en état de siége,
iI parait qu'on s'occnpait, des le 28 juillet, chez le
sous-secrétaire d'état au département de la guerre,
de l'organisation d'un conseil de gl1erre ou commis-
sion militaire, Aviez-vous donné des ordres pour cette
organisation? - R. Aueun. Je suis resté étranger
él. tout ce qui s'est fait ou a pu se Iaire á ce sujet ,
comme aee qui s'est passé pendant les trois jour-
nées aParis. - D. Le sieur Lisoire , inventeur de
projectiles ineendiaires, aurait été invité par plu-
sieurs ministres a livrer des projectiles pour s'en
servir eontre la ville de Paris dans les journées des




( 86 )
27 et. ~8. juillet.; en avez-vous cennaissance ?7 R.
le fait est faux. Je n'ai jama.is connu persl;mne qui
portát ce nomo le viens de lire sa pétition a la
Chamhre : elle ne contíent que d'infámes calomnies.
- D. Le Roi avait-il, indépendamment des ministres,
d'autres personnes de qui i1prenait conseil? - R.
Je n'en connais aucune.


M~ LE. OO¡\1TE DE P:EYl\O:Nl'IET.


D. Lorsque le Roi vous a appelé au conseil , était-
ce dans I'intention de modifier le systeme dans le-
quel avait paru étre formé le ministére du 8 adút?
~ R. n m'a paru que les intenticns du Roi n'avaient
été que de rendre son ministére plus propre aux
discussiohs de trihune. - D. Est-ee vous qui avez
spgpéré et rédigéla proclamation du Roi aux .élec-
teurs? _ R. Je n'en suis pas I'auteur, mais l'éditeur.
J'avais rédigé un projet; un autre membre du con-
seil en lut un second qui Iui fut préféré. On souhaita
cependantqu'íl y fút .fait, quelques changemens de
rédac.ti?,IJ., et je les fis. -. D. Il Ya flU des trouhles a
~ontauban lors des élections; on a pu supposer que
le ministere n'y était pas étranger. Que pouvee-vous
dire a cet égard? - R. Je n'ai eu de participation a
cette affaire que par les ordres positifs et rigoureux
que j'ai donnés de faire poursuivre , sans retard ni
ménagemens, tous ceux qui s'étaient rendus coupa-
bles de, troubles envers l'ordre public. .-:..... D. Quel
est le rédacteur de l'ordonnance dlL25 juillet rela-




( 87 )
tive aun nouveau systeme électoral P......... R. La con-
eeption appartient au conseil; loa rédaction est , en
grande partie, mon ouvrage. - D. Quel est le ré-
dacteur de l'llrdonnance sur la pre{'ise' périodique ?
- R. Je Wis étranger"a sa rédaction.i-> O. PQurri~~~
vous dire si plusieurs conseils ont été employésá la
discussion des ordonnances du~$ juillet? ........ R. Je
ne crois pas qu'il ait été tena pll.lt> de deux conseils
pour délibérer a fondsur le system~. - D.I.e con-
seil a-t-il été unánime sur l'adoption des ordonnances? .
- R. Je crois de mon honneur de vous dire q~le je
craindrais demanquer au serment que j'ai prété , si
je révélais les détails des délibérations du conseil,


D. Dans le cas oú le conseil n'aurait pas été una-
nime, ne craindriez-vous pas, en gardant le silence ,
de manquer avos devoirs envers eeux de vos ~AQieA~
collegues qui se seraient Qppoliés a1J~ Ol'don~n<:1es?
- R. Je craíndrais plutót de manquer á roes devoirs
envers eu'x, en donnant , par exemple , des explica- .
tions qui me fnssent personnellernent favorables.
Au surplus, par la signature des ordoanances, il y
a eu, du moins en ce moment, une apparenced'u-
nanimité. Antérieurement il y a eu , sans doute , dis-
cussion , et par conséquent dissentiment, - D. Il
semblerait résulter de votre réponseque les expli-
cations que vous auriez a donner vous seraient fa-
vorables. Étiez-vous en disseutiment avec voseollé-
gues? - R. Vous avez de nombreux Úloyens.d'~.
quérir la connaissance de la vérité sur ce point, sans
qne je vous donne Ies-explications que vous me de-




( 88 )
mandez. - D. Nous comprenons le sentiment qui
vient de dicter votre réponse, et nous nous borne-
rons avous demander si M. Guernon de.RanviUe a
été en dissentiment? - R. M. Guernon de Ranville
a en effet exprimé, dans les deux conseiw dont j'ai
déjá parlé ,.des opinions opposées an systeme qui a
prévalu. - D. Dáns les journées des 2,6, '.1.7 et 28
juillet , le ministére rendait-il compte régulierement
au Roi de ce qui se passait dans Paris? - R. Le mi-
nistere ne correspondait jamais par des rapports
écrits avec le Roi; c'était le président du conseil qui
correspondait dans eette forme; et quoique ~e n'en
aie aucune connaissanee positive, je suis néanmoins
convaincu qu'il n'a pas négligé ce devoir pendant
les journées dont il est question, - D. Des mandats
d'arréts ons été décernés le '.1.7 juillet centre un cer-
tain nombre de personnes. Que savez-vous a cet
égard ?- R. J' ignore com pletement les faits qui sont
l'objet de cette question, a plus forte raiion y suis-
je étranger. - D. Le sienr Lisoire, inventeur. de
projectiles incendiaires , prétend avoir été invité par
plusieurs ministres, a livrer des projeetiles pour
s'en servir centre la ville de Paris , dans les journées
des 27 el,,8 juillet. En avez-vous connaissance P-
R. Cette question me fait éprouver le sentiment le
plus douloureux. Le fait est grossierement fáux,
quant amoi. -D. En dehors des ministres, le Roí
avait-il d'autres conseils P- R. Je l'ignore, et vous
sentirez qu'il ne peut m'appartenir, dans aucun cas,
de répondre aune pareille question.




( ~9 )


M. LE eOM'fE D}~ GUERNON-RANTILLE.


D. VOUS étiez ministre du Boi al'époque de l'ou-
verture de la session précédente. Quel a été -le ré-
daeteur du discours ~'ouvertU:re prononeé par le
Roi ?!- R. Je ne pourrais faire une réponse précise.
Un premier projet fut présenté et diseuté paragraphe
par paragraphe; mais: je ne me rappelle pas quel fut
l'auteur <.\.e la premiere rédaction. -- D. Lorsque le
bureau d~ la Chamhre fut porter l'adresse au Roi,
savez-vous qui a suggéré etdicté la réponse du Roi?
- R. Je ne pourrais pas le préciser. La réponse a
été diseutée en conseil. - D. Quel a été le rédacteur
de l'ordonnance qui a établi un nouveau systeme
éleetoral ?- R.Ce fait ne m'étant point personnel ,
je ne puis répondre a la question, - D; Quel est le
rédaeteur de l'ordonnanee relative a la presse pé-
riodique? ~ R. Je ne puis que {aire la méme ré-
ponse. - D. Dans les jonrnées des 26,27 et 28 juillet,
le ministére rendait-il régulíérement compte au Roi
de ce qui se passait a Paris? - R. Ce soin regardait
M. le président du conseil, Je suppose qu'il s'en est
acquitté, mais je l'ignore. - D. Des mandats d'arrét
ont été décernés le 27 juillet centre plusieurs pér-
sonnes, Que savez-vous a cet égard? - R. J'ignore
si des mandats ont été décernés , je ne le erais pas;
mais ce qu'il y a de certain , c'est qu'il n'y a euau-
cune discussion dans le conseil a cet égard. - D.
Pourriez-vous donner quelques détails sur les motifs




( 90 )
qui ont fait appeler M. de Peyronnet au ministere?
- R. Aucuns. Le remplacement de MM. Courvoisier
et Chabrol par MM. Peyronnet, de Chantelauze et
Capelle, n'a point été discute en conseil , et je ne l'ai
su que Iorsqu'il aété consomrné,


D. Les ordonnances du 25juillet ont-elles été vo-
tées a l'unanimité? - R. Non. J'ai combattu ces 01'-
dennances, et dans les conseils préparatoires et dans
le conseil tenu sous la présidence du Boi oú elles
furent définitivement arrétées. Jeerois pouvoir ajou-
ter que, dans le conseil oú , pour la premiere fois,
les principes qui ont serví de base a 'ces orden-
nances furent émis, M. de Peyronnet se joignit a
moi ponr les combattre. - D. Dans le conseil pré-
paratoire qui eut lieu , parut-on abaadonner l'idée
de ces ordonnances? - R. Je ne puis di re si l'idée
fut abandonnée par ceux qui adoptaient le principe ;
ce qu'il y a de certain , c'est qu'alors que chacun
eut émis son opinion, il ne fut plus question de
cette affaire, et rien ne fut arrété. - D. Pourriez-
vous dire, Monsieur, si le Iloi avait d'autres con-
seillers que ses ministres? - R. Je.ne le crois pas;
mais, au reste, je ne puis savoir ce qui se passait
daos l'intimité du cháteau. - D. Avez-vous connais-
sanee de propositions faites au sieurLisoire , inven-
teur de projectiles .incendiaires , de livrer quelques-
uns de ses projectiles pour les diriger sur Paris?-
R. Non , et je suis Uleme tres-convaincu qu'aucune
personne attachée au gouvel'llement du Roi n'a con<;u
cette horrible pensée,




M. DE CIIAN'!'ELAUZE.


D. Savez-vous si votre entrée. au ministere a été
motivée par le dessein de changer le systeme poli-
tique de I'administration ? - R. Non. - D. Savez-
vous qui a suggéré l'Idée de la proc1amation du Roi:
aux. électeurs ? - R. Je l'ignore, je ne puis dire
quel est le rédacteur. - D. Dans les jOllrnées des
26, 27 et ~8 juillet, le ministére a-t-il régulierement
rendu compte au R?i de ce qui se passait ? - R. Je
l'ignore, et il n'y avait plus de conseil. _ D. Savez-
vous qui a décerné les mandats d'arrét qui paraissent
avoir été laneés dans la journée du 27? - R. Je
l'ignore. - D.Savez-vous quelque chose relative-
ment a.. de prétendues propositions faites au sieur
Lisoire , de livrer quelques projectiles incendiaires
dont il est l'inventenr?- R. Je ne sais rien a cet
égard, et ce nom m'est tout-á-fait inconnu. _ D.
Savez-vous si le Roi c;onsnItait d'autres conseillers
que ses ministres? -R. Je l'ignore. - D. Pourriez-
vous donner des détails sur votre entrée au mi-
nistere ?- R. J'ai toujours été fort éloigné d'accep-
ter ces hantes fonctiorrs, Nommé, ver; le ] 5 ou le
r6 aoüt ministre des affaires ecclésiastiques 'kt de
l'instruction publique, je refusai el fus assez heu-
reux pour faire agréer ce refus, Noromé, dans ces
derniers teros, garde-des-sceaux , je manifestai la
mérne répugnance et .exprirnn¡ le méme .refus. .De




( 92 )
nouvelles circonstances ne me laisserent opas libre
de persister dans eette résolution.


Ici se terminent les interrogatoires des ex-mims-
tres devant la Cornrnission de la Chambre des Dé-
putés.




PREMIER INTERROGATOIRE


Subi par les accusés devant la Commissionde la
Cour des Pairs.


(26oCTOERE 1~3o.)
M. LE PRIKCE DE POLIGNAC.


D. Depuis quelIe ~poque saviez-vous que vous de-
viez étre appelé au ministérei.lorsque vous avez été
nommé le 8 aoút 1829? - R. Je l'ai su tres-peu de
jours auparavant, - D. Est-ce vous qui avez formé
le ~inistere, et le Roi s'est-iljentendu avec vous sur
tous les membres quiTont composé? - R. Je I'ai
trouvé formé en partie, j'ai proposé au choix du
Roi M. de Courvoisier, M. de Montbel et M. de Rigny
qui a refusé. - D. Quelle 'regle de conduite vous
étiez-vous tracé en entrant aux affaires? - R. Celle
que'mes prédécesseurs avaient suivie. - D. De quels
prédécesseurs entendezvous parler P- R. De tons;
nous n'avions tous qu'un but, celuide maintenir
I'ordre de choses établi. On adú retrouver dans mes




( 9~ )
papiers, qui rn'ont tous été pris, quelquesnotes qui
constatent mes intentions a ce sujeto - D. En appe-
lant au couseil ou en aceeptant pour collegues des.
hommes que l'opinion désignait eomme ennemis des
institutions constitutionnelles ,votre intention n'é-
tait-elle pas de vous en servir pour les détruire ?-
R. Pour répondre a eette question, il faudrait savoir
quels sont les hommes que ron regarde comme
hostiles aux institutions eonstitutionnelles. M. de
Labourdonnaye était depuis plusieurs années l'objet
des éloges des journaux de l'opposition; 'ce n'est
d'ailleurs pas rnoi qui I'ai proposé, et il était nommé
avant mon arrivée au conseil. Quant aM. de Bour-
mont, on ne luí reprochait qu'un fait militaire , qui
n'avait rien de commun avee la politique, et qui ne
pouvait faire préjuger quelles.seraient ses.vues sur
la direetion des affaires. -,D. Vous avez alons.et de,
puis ,dans lecourant·.de :votte ministére , formeHe-
ment exprimé que votre mission était derenverser
la loi des élections et de détruire la liberté de la
presse. De qui teniez-vous cette mJssion ?~ R. Je
n'ai jamais exprímé que j'eusse cette mission , etpar
conséquent je ne pouvais la tenir de pel'sonne.


D.. Par qui étiez-vousseeondé aupres dw ROÍ, dans
l'exécution du plan qui a amené les Qrdonnaneesdu
25 juillet dernier P- R. JI n:y '::l.' eu aucun plan de
formé a eet égard' jusqu'aa dernier momento - D,
Le- plan de conduite que vous avez suivi.a-t-il été
discuté et délibéré dans le conseil ;> - R. Si par plan
de eonduite, on entend Ierenversement des institu-




( 94 )
tions , ce plan n'a jamais pu étre discuté ni délibéré
en conseil, cal' il n'a jamais existe. Quant au systeme
de gouvernement que lernínistére dont je faisais
partie voulait suivre, il neconsistait qu'á dévelop-
per autant que possible 1 la Chante elle-mérne au
moyen des institutions qur pouvaient étre en har-
monie avec nos lois et nos rnoeurs. J'avais profité de
monséjour en Angleterre pour étudier celles -des
institutions de ce pays qui pouvaient convenir a la
France, et j'avais méme fait sur cet objet un travail
fort considérable qui a dú se retrouver au ministere.
-D. Lorsque VOllS avez conseillé au Roi Charles X
de dissoudre laChambre, aviez-vousdéjá arrété dans
votre esprit, et avec vos collégues , le plan qui s'est
réalisé 'par Iesoedonbaneee da: ;1»5 }uiUet,?--.. R. La
dissolution .de la .:Chamhre aété arrétée en conseil
des ministres et en conseil du Roi , mais elle n'avait
rien de relatif auxordonnances du 25 juillet, dont
alors il n'était aucunernent question, ~D.Comment
avez-vous pu idans la disposition oú étaient alors
les esprits , croire -que la Chambre nouvelle serait



cl.'upe autée opiníon.. que celle donton prononcait.la
dissolution ? '""T" :k.On a 'lutirf7s.t6~J.lventll míen Angle-
terre et .en France , des,chllng~men;; dé ce genre , et
j'avais eneftet;poosé'queJa.compositionde laCham~
brevnourelle serait djfferente. Beaucoep d'autres
p4'rsonnes, ,pantageaient "a:cerégf.lra~jmonopinión.
;,~,D;;-NJ:a}¡,tiznvouspas, .pollJ,"0btenir une Chambre
eomme-vous.le desiriezcemplojé, soitpar vous-méme,
soit parvos agens, pOIlr influencer les électaursv.des




( 95 )
moyens que 1'0n pourrait quaJifier d'illégaux? - R.
Je n'en ai employé ancuns. - D. N'avez-vous pas
notamment employé la menace pour violenter les
suffrages des fonctionnaires publics ? _ R. Jamais ,
et eomme ministre, je n'ai écrit , au sujet desélee-
teurs, qu'une seule circulaire , tellement inoffensive,
quelle n'a jamais donné lien aaucune critique j les
seules élections dont .je me sois occupé, et encere
comme simple.particuliervce sont celles de la Haute-
Loire, araison des relatíonsque j'ai dans ce départe-
ment.c-, D. N'avez-vous pas fait exiger des éleeteurs,
malgré la loi gui assuré le secretrles votes, que les
bulletins fussent remis par eux ouverts et de maniere.
áce que l'on püt voir le~ norns qu'ils conrenaient P
- R. Jamais. - D. Lorsque vous aveznédigé ou fait
rédiger la proclamation royale qui a précédé les éleo-
tions nouvelles, comment n'avez-vous.pas reculé de-
vant la, pensée de eígnaler comme ennemis dti Roi
les. '1." r députés qui avaient voté I'adresse P- R. La
proclamatíon ne les signale pas comme ennemis du
Roí. - D. A quelle époque avez-vous concule projet
des ordonnances du 25 jnillet? ......... B.. Sept ouhuit
jours avant leur signature, et encore leprojet n'a-t-il
été arrété qu'au moment méme, -D. Ce proje~ ~ dú
eependant exister avant l'entrée de MM. de Peyronnet
et de Chantelauze au ministérej' c-c B. Nullement.c-.
D. N'est-ce pas, au moins PQur soutenir et exécuter
des actes de eette nature que vous avez appelé ces
Messieul's ?-R. Aucunement. --' D. M. de:Peyronnet,
qui a rédigé I'ordonnance électorate.duaé.jutllet, ne




• ( g() ).
vous enavait-il pas In une équivalente avant son en-
trée au ministére P - R. Non, je ne puis d'ailleurs
dire qui a rédigé l'ordonnance. - D. N'avez-vous pas
éloigné MM. de Courvoisier et de Chabrol , paree
qu'ils n'ont pas voulu eoncourir a l'exécution d'un
systeme anti-eonstitutionnel?- R. Je n'ai pas éloigné
MM. deCourvoisier et de Chabrol; ilsse sont retirés.
- D. Quels étaient les projets que vous aviez laissé
percer en présenee de MM. de Courvoisier et de Cha-
brol,. et qui les ont déterrninés a se retirer? - R.
Je n'en avais aucun , et par conséquent je n'en ai pu
Iaisser pereer auenn. .


D. La résolution de dissoudre la Chambre n'a-t-
elle pas en pour but d'engager le Roí personnelle-
ment, etde-le compromettre de teUe sorte qu'il ne
pút rester sur son treme qu'en s'appuyant sur les
baionnettes ?-R. En aucune maniere, et j'ignore ce
qui peut donnor lieu aeette question, - D. Si la vo-
lonté de dissoudre la Chambre, de déclarer ennemis
personnels dn Roi les 221 députés, de soutenir son
ministere a tout prix , a tous risques , et quoiqu'il
falhit faire centre les lois, a été con<;;ue par le Roi Iui-
méme , ne Iuiavez-vous pas representé la multitude
de dangers auxquels il s'exposerait P -.- R. -Je com-
meneerai d'abord par mettre hors de question tout
ce qui est reIatíf ala personne du Roí; sa personlle
était sacrée. Je répéte, en second líen, q.ne les 221
députésn'ont jamais été désignés comme ses enne-
mis personnels, En troisieme lieu, l'intentien de con-
server le ministere alors existant , ne ponvait avoir




\.. 97 )
rien d'illégal; ce n'était pas la premiere fois , depuis
la restauration , qne l'on avait dissous une Chambre
des Députés pour conserver le ministere, - D. Si
vous n'avez concu le projet des ordonnances qu'á
l'approche du moment OU elles ont ét~ rendues, que
s'était-il done passé dans le pays -qui vpút motiver
cette mesure? Le pays n'était-il pas tranquille ?-R.
Non; il Y avait un parti qui vouIait renverser la
Charte et la dynastie. - D. Tous les organes de l'op-
position ne préchaient-ils pas cependant le respect
pour l'ordre legal, et I'obéissance aux lois existantes
et a celles qui seraient constitutionnellement ren-
dues? - R. La disposition des esprits nous faisait
craindre que leurs intentions ace sujet ne se réali-
sassent paso -- 1). Les arréts des magisttats étaient-ils
restés quelque part sans exécution ?-R. Pas que je
sache.-D. L'administration avait-elle éprouvé quel-
qne résistance d'une nature grave et propre amoti-
ver un grand changement dans l'ordre de choses
établi ? - R. L'administration rencontrait partout
des obstacles , quoique partont sa marche fút légale.


D. QueIle était la nature de ces obstacles ?- R. Ces
obstacles résultaient surtout de la malveillance avec
laquelle étaient re({us tous les actes du gouverne-
ment, malveillance qui se.manifestait par les criti-
ques les plus ameres des mesur-es mérne que ron
réclamait auparavant , par les calomnies répandues
contre le gouvernement, par les associations for-
mees pour résister a des projets qui n'existaient
pas, par la pnblicité la plus indiscreto donnée aux


7




( 98 )
ordres et aux plansarrétés , pour en comprornettre
l'exécution; enfin il résultait de tout cequi se pas-
sait , qu'un parti s' organisait ouverternent pour le
renversement de la monarchie.-D. Cette situation,
en la Suppos¡nt exacte, existait déja depuis long-
tems et ne vous avait pas déterminé d'abord a pren-
dre des mesures que vous avez prises depuis ; eom-
ment done y avez-vous été porté plus tard? - K Nous
avions espéré que la dissolution aménerait dans la
Chambre une majorité déterminée a soutenir le
ministere ; et nous étions d'autant plus fondés ale
croire, que peu de tems arres le vote de l'adresse ,
plusieurs deceux qui l'avaient votée avaient annoncé
ouvertement que si la chose était a recommencer
ils ne la voteraient paso Mais les nouvelles élections
ayant donné une Chambre d'une opiníon encore plus
prononeée que la préeédente, nous avons pensé que
des mesures du genre de celles qui ont été prises, de-
venaient indispensables. - D. Il est notoire que des
lettres écrites de l'étrangcr ont annoncé a I'avance
les ordonnances qui ont été signées a Saint-Cloud
le 2.5 juillet; cette connaissanee anticipée ne prouve-
t-elle pas que ces ordonnances avaient été méditées
de longue-main, que l'idée premiere en avait été
eommuniquée a des personnes dont quelques-unes
avaient été peu discretes? _ R. Je ne connais aucune
lettre venue de l'étranger qui en fasse mention, et
cela était impossible, puisquc , cornme je l'ai dit, il
n'en avait été aucuncment question avant les huit
OH dix jours qui out précédé leur signature. - D.




( 99 )
Nous vous représentons une lettre de M. de la Fer-,
ronnays, en date de Naples , le zaoút , et arrivée a
Paris apres votre sortie du mitistere; elle prouve
que vous lui aviez fait connaitre , acette époque, des
projets dontil était effrayé ?-R. Cette lettre ue peut
avoir trait qu'aux conséquences de la premiare dis-
solution de la Chambre et a la convocation de la
Chambre nouvelle pour le 3 aoüt, mais en aucune
facon aux ordonnances, dont je puis affirmer que
je n'avais parlé ni éerit apersonne, n' en ayant aucu-
nement con¡;u le projet avant l'époque que j'ai in-
diquée.


D. Les orclonnanccs paraissent avoir été combat-
tues dans le conseil par MM. de Peyronnet , Guer-
non-Ranville et de MantLel; comment avez-vous
pu, contre l'avis de ces membres du conseil, contre
l'avis de la France entiere , et uniquement pour ne
pas céder au voeu national qui repoussait votre mi-
nistere , oser pousser le Roi aune extrémité aussi
redoutablc; comment avez-vous pu, pour votre pro-
pre compte, vous Iancer dans une voie aussi péril-
leuse ?- R. Les ordonnanccs ont été approuvées par
tous les membres du conseil ; ce n'est pas rnéme
moi qui les ai rédigées, mais je les ai aussi approu-
vées, - D. Les ordonnances ont pu étre définitive-
ment approuvées par tous les membres du conseil ,
mais apres que quelques-uns les auraient combat-
tues dans la discussion, Pouvez-vous dire par qui elles
ont été comhattues ?- R Les ordonnances, comme
heaucoup d'autres projets qui avaient alors été pré-




( 100 )


sentés , ont, en effet, été débattues dans une disenso
sion préparatoire, mais elles OIl t été définitivement
approuvées par tots les membres, et je ne puis
m'expliquer sur la part que chacun aurait prise a
leur discussion ou ensuite a leur rédaction. - D.
N'avez-vous communiqué a personne la rédaction
définitíve des ordonnances avant leur discussion au
conseil? - R. Non, je ne les ai communiquées a
personne d'étranger au ministere. - D. N'avez-vous
pas mis une grande vivacité dans le language dont
vous vous étes serví pour exeiter plusieurs de vos


.,. . collegues a signer ces ordonnances alors qu'ils s'y
refuaaienti'-c- R. Non. - D. N'avez-vous pas employé
vis-a-vis d'eux des argunl.ens qui étaient de nature
ales ébranler par la considération de quelqnes faux
points d'honneur? - R. Non. - D. Ce mode d'ar-
gumentation n'a-t-il pas été employé par queJque
autre personne dans le. conseil ? - R. Non.


D. M. Guernon Hanville ne vous a-t-il pas, des
les mois de décembre, adressé un mémoire oú il
combattait a l'avance des ordonnances, les coups
d'état , et oú il exprimait qu'on ne pouvait, -sans
péril, sortir des voies constitutionnelles de la Charte?
- R. Je me rappelle une note qu'il m'a envoyée, et
a laquelle j'ai répondu que je partageais ses idées.-
D. Cependant, pour que 1\1. Guernon-Ranville eút pu
croire qu'il était nécessaire de présenter une note
dans ce sens, il semble qu'il fallait que 1'on eút ma-
nifesté l'intention de sortir de la Charte? - R. JI
n'avait jamáis été question de rien de semblable , et




( tOI; )


je demande que M. Guernou-Rauville soit spéciale-
ment interrogé sur ce point. - D. N'est-ce pas
M. de Peyronnet qui a porté au conseil la minute du
projet des ordonnances? - R. le dois garder le se-
eret sur tout ce qui s'est passé au conseil, et sur-
tout lorsqu'il s'agit d'indiquer le nom des personnes.
- D. Ce projet avait-il été concerté al'avance entre
vous et le Roi. - Non.


D. Vous deviezprévoir que les ordonnances al-
laient soulever beaucoup d'esprits; elles éloignaient
des colléges la presque totalité des négociaps , elles
détruisaient l'élection directe: une résistance légi-
time et loyale devait done étre prévue; quel plan
aviez-vous formé pom en triompher? - R. Nous.
avions espéré au eontraire que les personnes atta-
chées el l'ordre et el la tranquillité reecnnaitraient le
but auquel nous voulions parvenir, et qui était d'ar-
réter l'agitation qui régnait dan s les esprits. Il n'y
avait done aucun plan de formé, parce qu'aucune
résistance n'avait été prévue, - D. VQUS ne pouviez-
ríen attendre des tribunaux, dont la stricte fidélité
a leurs devoirs était connue. A quelle juritlietion
comptiez-vous traduire ceux qui opposeraierst ré-
sistance el l'exécntion des ordonnances ?-R. On ne
comptait avoir recours a aueune autre juridiction
qu'aux juridictions ordinaires, - D. Entendez-vous
par juridiction ordinaire celle des conseils de guerre
et des cours prévótales? - R. Non, en aueune ma-
niere. - D. Comment était-il possible que vous vou-
lussiez res ter sans tribunaux extraordinaires pour




( 102 )


réprimer des actions que les ordonnanccs incrimí-
naient, et que les tribunaux ordinai res auraient trou-
vées légitimes? - R. 11 suffit de lire les ordonnances
pour se convaincre que leur exécution ne devait éle-
ver que des questions administratives. - D. Les
cours prévótales vous avaient été demandées pour
les incendies. N'était-ce pas un moyen de les avoir
a sa disposition pour punir les résistances aux 01'-
donnances? - R. Il n'a jamais été question d' établir
aucune cour prévótale, et je demande que l'on fasse
les recherches les plus exactes a ce sujet.-D. Un
mémoire, trouvé dans vos papiers, et que nous vous
représentons, prouve qu'un homme, qni paraissait
étre dans votre intimité , ne supposait pas que vous
puissiez vouspasser de cesecours ?-R. Ce mémoire,
daté du :l6, ne m'a pas passé sous les yeux, et je ne
puis savoir par qui il m'a été adressé, - D. Vous
aviez dú eroire au moins qu'il y aurait , le 3 sep-
tembre, résistance aux ordonnances électorales, et,
des le premier moment, a celle en vertu de laquellc
on pouvait, aParis et dans les autres grandes villes
du roy"aume, s'emparer sans jugement des pTesses
des imprimeurs, les briser et les détruire, Quels
moyens aviez-vous pris pour faire exécuter ces 01'-
donnances si contraires aux lois? - R. Les moyens
d'exécution des ordonnances ne me regardaient pain t,
et ron ne devait prendre que eeux qui sont indiqués
par la loi.-D. Cesmoyens d'exécútion étaient néan-
moins si graves qu'il est impossible qu'ils n'eussent
pas été concertés a l'avance et connus du président




( 103 )
du conseil? - R. Je ne puis que répéter qu'on n'a-
vait pensé aaucun autre lJloyen qu'aux moyeos lé..
gaux.


D. N'avez-vous pas eependant, a eette occasion ,
demandé aM. le vicomte de Champagny l'étatdes
troupes en garnison a Paris? _ R. Pendant tout le
tems que j'ai eu , par intérim , le portefeuille de la
gnerre, l'état de la place m'était remis ades époques
réglées et dans la forme ordinaire, - D. Avez-vous,
comme ministre de la guerre, fait prévenir les troupes
stationnées dans les lieux circonvoisins de se tenir
prétes amarcher au premier signal ? - R. En aucune
maniere. - D. N1l.vez-vous pas eependant, des' le
20 juillet, fait donner, par M. le duc de Ragnse, a la
garnison de París , un ordre de se tenir préte en cas
d'alerte?-R. Je n'ai jamais eu connaissance de eet
ordre. Il a d'ailleurs été expliqué ala Chambre des
Députés que de semblables ordres étaient donnés di-
rectement de tems en tems par le major de la garde
aux troupes SOtlS son commandemen t. - D. N' était-
ce pas faire une révolution dans le gouvernement
d'un pays que d'en changer les lois. fondamentales,
et ne regardiez-vous pas comme le changement d'nne
loi fondamentale eelui de la loi des élections opéré
par ordonnance? - R. C'est dans ma déícnse que
j'aurai a m'expliquer a cet égard, et aprouver qu'en
vertu de I'art. 14 de la Charte, on pouvait, dans des
circonstances graves, étre amené afaire , par orden-
nance, quelques rnodifications aux lois électorales t
sans faire ponr cela ce que 1'on appelle une révolu-




( 104 )


tion. - D. Ne pensiez-vous pas violcr les lois fon-
damentales de l'état lorsque vous cassiez des élec-
tions légalement faites , en dissolvant une Chambre
qui n'avait point encore été assemblée ?-R. D'apres
l'opinion de personnes graves, la mesure n'a rien
qui soit illégal, et c'est un point qui pent étre con-
troversé , de savoir a quelle époque, les élections
une foís faites , commence le droit de dissolution.L,
D. Les lois sur la presse avaient été rendues par le
concours des trois pouvoirs : avez-vous cru qu'il fUt
possible, sans víoler la loi fondamentale de l'état ,
de changer ces lois par ordonnance ?-H. La réponse
que j'ai faite a la question relativo aux Iois électo-
rales, est également applicable acelle-ci. - D. Lors-
qu'on prend des mesures aussi périlleuses, il parait
naturel de s'assurer d'avance de la force militaire ,
surtout lorsqu'on sait déja que l'on n'a aucun appui
aattendre des tribunaux: aviez-vous sondé les dis-
positions des corps militaires et de leurs chefs?- R.
Non.Li.D. Avez-vous prévenu le préfet de police du
gr'and partí que vous alliez prendre? vous étiez-vous
entendn avec lui? - R. Non. - D. Avez-vous con-
sulté le préfet de pollee sur les dispositions des né-
gocians, qui devaient se trouver profondément hles-
sés pas l'ordonnance sur les élections? - R. Non;
je ne me suis melé, hors du conseil, q ue de ce qui
rentrait dans les attributions qui m'étaient confiées
comme ministre des afíaires étrangeres, et qui n'a-
vaient aucun rapport aux ordonnances.


D. Si vous avez donné an Roí le conseil de puhlier




( 105 )


les ordonnances sans avoir pris le plus grand nom-
bre au moins des précautions que nous venons d'in-
diquer, ne faudrait-il pas en conclure que vous avez
été entrainé par quelque autorité, par quelque puis-
sanee a laquelle vous ne savez pas résister? - R.
Non. -D. Lorsque le Roi Charles X vous a ordonné
de préparer les ordonnances, ou lorsqu'il les a adop-
tées, lui avez-vous fait des représentations pour le
détourner de se précipiter dans cet abime, que ses
plus fideles serviteurs lui signalaient? - R. Comme
le ministere Iui proposait les ordonnances, et qu'il
croyait devoir le faire dan s un but d'intérét public,
il ne pouvait le dissuader de mesures qn'il croyait
nécessaires. - D. Le Roi Charles X, ébranlé par les
représentations des hommes qui lui étaient le plus
dévouésvne vous a-t-il pas plusieurs fois fait con-
naitre leurs objections , poul' les déhattre ensuite
avec vous? - R. Cette qnestion, en ce qui me con-
cerne, ne pourrait s'appliqucr qu'aux ordonnances,
et elles n'ont été connues de personne avant Ieur si-
gnatllre. - D. C'est le 25 juillet que vous avez fait
signer les ordonnances; la dissolution a-t-elle encore
continué dans le conseilde ce jour ?-R. Elles étaient
déja convcnues: elles peuvent avoir encere été dis-
cutées, mais fort brievement , le jour de la signa-
ture. - D. Le Roí Charles X n'a-t-il , en les signant ,
témoigné aucune ínquiétude? - R. Je garderai ton-
jours le silence sur ce qui concerne le Roi person-
nellemcnt. -


D. Avez-vous rendu compre al! Roí Charles X des




( 106 )


premieres agitations de Paris le 26? - R. Je ne les
ai connues que trés-imparfaitement , et n'en ai pas
rendu compte. - D. Avez-vous eu connaissance , le
27, de la résistance des journalistes, et notamment
de celle du Temps , et de la protestation signée par
quarante-quatre d'entre eux? - R. J'ai lu cette pro-
testation dans les journaux. - D. Il paraitrait cepen-
dant que vous en avez eu une connaissance plus
particuliére , puisqne le procurenr du Roi serait venu
chez vous en conférer; ne lui avez-vous pas donné
1'ordre de faire arréter les quarante-quatre signa-
taires de la protestation P- R. Le procureur du Roi
a pu venir chez moi , mais je ne Iui ai pas parlé.-
D. Cet ordre d'arrestation n'a-t-il pas été délibéré au
conseil des ministres, a I'hótel des affaires étran-
geres? - R. Non. - D. N'est-ce pas dans ce conseil
que vous avez délibéré l'ordonnance qui met la vilJe
de Paris en état de siége? - R. Oui, c'était le 27,
vers dix ou onze heures du ~oir. - D. Comment le
projet de mettre París en état de siége, de priver
cette capitale de ses magistrats, de ses administra-
teurs, de les livrer sans déíense ni recours au POll-
voir militaire , ne vous a-t-il pas ouvert les yeux sur
l'inconstitutionnalité des ordonnances, alors que
vous ne pouviez les soutenir que par de pareils
moyens? - R. Nous avons pensé que la mesure
était légale, et que ce serait un moyen de ramener
plus promptement l'ordre en concentrant les pou-
voirs dans une seule rnain , a raison surtout de l'in-
terruption des communications qui résultait du dé-




( 107 )
sordre dans lequel se trouvait la capitale. - D. Aa
centre de I'état , son s les yeux du ministere, lorsque
le président du conseil , ministre de la guerre en
méme tems, est lui-mémé snr les lieux, lorsqu'il
a sous sa main tous les instrumens qui penvent lui
étre nécessaires, la mise en état de siége ne se peut
expliquer que par la volonté de priver les citoyens
de tous leurs recours accoutumés et légaux, de les
livrer entierement ala juridiction , ou pour mieux
dire au pouvoir des eonseils de guerre? - R. J'ai
déja expliqué que eette mesure avait pour but uní-
que de ramener l'ordre. Cornrne ministre de la guerre,
je n'étais point ehargé du commandementdes troupes
dans la capitale, et la difficulté des communications
explique pourquoi on a préféré mettre l'autorité
dans une seule main. L'intention que l'on me sup-
pose dans la question n'était d'ailleurs pas la mienne.
- D. Vous nous avez dit tout-a-l'heure que votre
projet n'était pas de reeonrir, pour l'exécntion des
ordonnances, a aucune juridietion extraordinaire.
Comment se fait-il done que deux jours seulement
apres leur publication, vous ayez pris le partí d' éta-
blir., pour Paris, la seule juridietion des conseils de
guerre, ainsi que cela résulte et de la mise en état
de siége, et d'une lettre écrite par vous au maréchal
duc de Raguse, que nous vous représentons, et qui
annonee l'intention de faire juger les eonpables par
un eonseil de guerre? - R. Je ne pouvais pas pré-
voir que l'exécution des ordounanees rencontrát une




( J 08 )
pareille résistance , ni qu'il fUt jamais nécessaire de
mettre Paris en état de siége.


D. N'avez-vous pas, comme ministre de la guerre,
commandé le :l8, dans les bureaux de la gnerre,
tous les travaux nécessaires ponr organiser a Paris
les conseils de guerre? - R. Non. '- D. Connais-
sies-vous bien vous-méme toutes les conséquences
de la mise en état de siége? -R. Non, je ne pouvais
les connaitre completement , n'ayant pas étudié les
lois sur cette matiere. - D. Est-ce vous qui avez
porté a la signature du Roi l'ordonnance de mise en
état de siége? _ R. Oui, c'est moi qui l'ai portée le
mercredi matin. - D. Comment se fait-il cependant
qu'elle ait été connuedes le ').7, et que le préfet de
police ait lui-méme annoncé des ce jour-Ia qu'il n'a-
vait plus de pouvoirs? _ R. Je n'en ai aucune con-
naissance. - D. C'est le 2.") au soir qu'a été délibé-
rée l'ordonnance de mise en état de siége, et, mal-
gré les scenes qui avaient déja ensanglanté cette
journée ,elIesn'avaient pas été assez générales, méme
aux yeux les plus prévenus, pour motiver une me-
sure aussi extreme; l'état de la ville paraissait mérne
assez calme ala fin de la journée pour queles troupes
aient pu rentrer toutes le soir dans leurs casernes.
Quel a done été votre motif déterrninant ? - R. A
l'époque a laquelIe on a pris cette mesure, Paris
était si lo in d'étre calme, que l'on était venu nous
dire que tous les chefs d'ateliers avaient renvoyé leurs
ouvriers, d'oú il pouvait résulter que pres de qua-




( 109 )
rante mille hornmes, SUllS ouvrage et sans pain, de-
vaient encore augmenter les désordres du lendemain.


D. Qu'avez-vous fait, quels actes extérieurs avez-
vous ordonné ponr rendre publique et authentique
cette ordonnance de mise en état de siége, ponr que
les citoyens fnssent suffisamment avertis et enssent
a se soumettre; cal', antrement, ils auraient pu se
mettre, sans le savoir, dans le cas d'étre traduits de-
vant des eonseils de guerre? - R. Je mesuis borné
a remettre l'ordonnance entre les mains de M. le
maréeha1. - D. Est-ce vous qui, eomme président
du conseil, avez ordonné a la Cour royale de se
rendre aux Tnileries, et quel pouvait étre le motif
de' eette translation? _ R. Ce n'est pas moi qui ai
donné eet ordre. _ D. De qui sont partis les ordres
donnés le mardi pour dissiper pa-r la force les pre-
miers rassemblemens qui ont en lien aux environs
de l'Hótel des affaires étrangeres , du Palais-Hoyal
et de la Bourse? - R. Ils ont dú étre donnés par
M. le maréehaI. - D. Pourquoi cet usagc de la force
n'a-t-il été précédé d'aucune sommation faite aux ci-
toyens de se retirer et de se disperser; ainsi que le
veut la loi? - R. Je n'ai aucune connaissance de ce
fait; (ignore les mesures que l'autorité civile ou mi-
litaire a pu prendre pendant ces trois jours; mais
d'apres ce qui m'a été dit depuis, les sommations
nécessaires auraient été faites, et il y aurait en des
la veille une proclamation dn préfet de poliee ponr-
interdire toute espece d'attroupemens. - D. 11 ré-
sulte cepenrlant de tous les interrogatoires, de toutes




( 110 )


les déclarations , méme des offlcíers de police judi-
ciaire.employés acette époque, que cette importante'
et indispensable formalité n'a été accomplie ni le
marrli, ni le mercredi, ni le jeudi, et qu'elle n'a été
ordonnée par personne. Cette omission extraordi-
naire ne prouve-t-elle pas l'intention de commettre
les troupes avec les citoyens? - R. Tel n'a jamais
,été le but du ministere ; je répéte que tous les faits
qui se sont passés aParis , ainsi que les mouvemens
militaires , ne m'ont pas été connus, qu'aucun 01'-
dre, aucune instruction n' ont été donnés par moi ace
sujet ; d'ailleurs Messieurs les membres de la Com-
mission se seront sans doute adressés aux divers
chefs de corps, et auront su d'eux qnels sont les
ordres et instructions qu'ils ont pu recevoir. Ce que
je puis affirmer, c'est que j'ai entendu moi-mérne
dire par le maréchal qu'il fallait que les troupes ne


.tirassent que quand on aurait d'abord tiré sur elles,
~t en recherchant exacternent ce qui a pu se passer
a ce sujet , on pourrait, je crois, s'assurer que ces
ordres ont été exécutés, et que, jusqu'au mercredi
méme , dans l'apres-dlner, plusieurs décharges ont
été faites en l'air, ce qui prouve évídemment que
ron voulait plutót effrayer que blesser ceux qui
formaient des attroupemens.


D. Avez-vous fait connaitre au Roi, le mardi soir,
que déja les troupes avaient tiré sur le peuple réuni
aux cris de vive la Charte ? - R. Je n'ai jamais eu
connaissance de cette circonstance. - D. Étiez-vous
le mercredi matina Saint-Cloud , lorsque M. le maré-




( 11 1 )


c- chal a rendu eompte, par Iettre , au roi Charles X,
~ cléveloppement que prenait la résistance aParis ?


- R. Non, et je n'ai pas méme su si le maréchal avait
écrit. - D, Quel jour avez-vous ordonné aux troupes
de Saint-Orner et aux régimens stationnés autour
deParis de se diriger vers la capitale ?-R. C'est dan s
la nuit du mercrcdi au jeodi. ~D.A quelle heure, le
mercredi, avez-vous été avec les ministres, vos col-
legues, vous établir al'état-major des Tuileries, chez
le maréchal Marmont? - R. J'ai quitté mon hotel
sur les une heur-e de l'apres-midi; les autres ministres
y sont venus successivement. - D, Pouvez-vous ex-
plíquer la complete inaction du gouvernement pen-
dant cette journée, et l'absence en ti ere de toute
mesure, de toute démarche tentée pour calmer les
esprits : inaction d'autant plus étonnante, qu'étant
venu vous placer au quartier-général des Tuileries ,
vous aviez nécessairement été informé, dans les
moindres détails, de cette fonle de combats sur tous
les points, d'oú résultait une si grande effusion de
sango Qu'avez-vous fait pour arréter cette effusion?
-R. Le motifponr lequel je me suis rendu aux Tui-
leries était d'éviter les rassemblemens nombreux qui
se portaient sur l'hótel des affaires étrangeres, L'inac-
tion du gouvernement s'explique par la concentra-
tion de tous les pouvoirs entre les mains de M. le
maréchal, a raison de l'état de siége. Depuis la signa-
ture de eette ordonnance, les ministres avaient cessé
toutes fonctions aParis , et il est faux que j'aie con-
tinué seul á correspondre avec la cour, ou pris une




( JI2. )


part plus active que mes autres collegues atOUS.les
événemens , ainsi que le rapport fait a la Charo
des Députés tendrait a le faire croire.


D. Avez-vous rempli le devoir qui vous était im-
posé par votre situation 'de président du conseil,
ayant la confiance particuliere de Charles X, de lui
faire connaitre, a plusieurs reprises, d'heure en
heure, et en quelque sorte de minute en minute, la
véritable position des choses et les malheurs dont la
capitale était accablée? - R. M.le maréchal corres-
pondant avec Ie Hoi, j'ai écrit sirnplement aSa Majesté,
comme j'en étais convenu avec le maréchal, pour lui
faire connaitre l'objet de la visite de lVIM. Laffitte et
Casimir Perrier. - D. Avez-vous coníéré avec vos
collegues sur la déplorable situation dont vous étiez
les témoins? Avez-vous pris leur avis pendant le sé-
jour qu'ils ont fait avec vous al'état-major?-R. J'ai
déjá dit qu'il y avait des ministres, mais plus de mi-
nistere ; nous ne pouvions que déplorer les tristes
événemens quise passaient sous nos yeux.-D. Como
ment pouvait-il n'y avoir plus de ministére ? Par cela
seul que Paris était en état de siége, n'aviez-vous pas
d'autres devoirs aremplir vis-a-vis du Roi? - R. J'en-
tends que le ministere n'avait plus d'action a París.
On pouvait d'ailleurs espérer que les désordres qni
avaient éclaté pouvaient encere s'apaiser. - D. IJe
maréchal duc de Raguse n'est-il pas entré au conseil
dans la matinée du mercredi , pOllr vous Jire que les
détachemens des troupes de ligue stationnés dans le
quartier du Luxemhourg fraternisaient avec les cí-




( 113 )


toyens? Ne lui avez-vous pas dit que, daqs ce cas, íl
fallait agir militairement,non-~elllementcentre les
citoyens , mais aussi centre les, détachernens ,q'fi se
réuníraient aeux?_R. Je ne me rappelle nullement
cette circonstance, _ D. N'avez-vous pas refusé de
recevoir les députés de París 'qqi .s9nt venus V045
supplier de faire cesser le carnage ?--:R.:MJe ma~é­
chal estvenu medirej en quelques mots , que quel-
ques députés de París étaient venus lui déclarer qu'il
serait nécessaire de rapporter les ordonnances, aquoi
j'ai r4p()lldu qne je ne pouvais le {aire moí-méme ,
mais que j'en écrirais au Hoi : j'avais préalablement
prié un officier d'état-major de me prévenir aussitót
que ces messieurs sortiraient de chez le maréchaljIl
vint m'avertir effectivement. J'hésitai un illst~ut,~i


j'irais les trouver.rnais , songeant queje n'avais ,d:~jq.­
tre assurance a leur donner :que celle que je leur
avais déja.fait passer par }l. le maréchal , je les priai
dene pas attendre.Ie maréchal m'ayant dit qu'il allait
me faire connaitre les détails de leur conversation.
- Avíez-vous consulté vos collegues pour savoir si
vous les recevriez P- R. Non, la chose s'est passée
en tres-peu d'instans. - D. Pouvant cependantréu-
nir vos collégues avec.beaucoup de facilité et de
.promptitude , ne leur avez-vous pas aumoins fait
connaitrepeu apres ce qui venait de se passer, et
n'ont-ils pas été d'avis de donner suite aux proposi-
tions d e [aire cesser le feu et d'en référer au Roi? -'.
R.Mes collégues ont eu connaissance de la démarche
f;lite aupres du maréchal. Je ferai observer ici que


8




( 1 l4 )
le maréchalne m'a pasparléde faire cesser le len;
qu"il ne m'a p'llS méme indiqué quelles étaient les
personnes avec qui on pouvait traíter, et qu'il n'a
été question quedu retrait des ordonnances, - D.
l\'avez-vons pns connu les nomsdes députés de París
qui sesont présentés a: l'état-major ? - R. Je n'ai su
que M. Laf6tte et M. Casimir Perrier.


D. Avez-vous écrit pour faire eonnaitre au Roí la
dérnarche des députés? - R. Oui. - D. N'avez-vous
pas écrit au Roi Charles X que les rebelles étaient
poursuivis dans toutes les direetions et aHaient étre
rejetés hors des barrieres? _ R. Je ne me rappelle
pas avoir écrit ríen de semblabJe; je n'ai écrit qn'un
mot. Je sais que le maréchal a rendn compte de son


·cOté. '-.'" D. Il paraltque le maréchalavait faitcon-
· naitre au Roi, ce méme jour mercredi , vers midi ,
I'état tres-grave de Paris et la position critique oú il
se trouvait;mais le ROl ne correspondant pas avec
le rnaréchal seul, il a da encore correspondre avec


·'Vous comme président du conseil et camme ministre
de la guerreo 11 parait que vers quatre heures iI était
en pleine sécnrité , et croyait au succes de ses armes
sur tous les:points: 'Son erreur ne provenait-elle pas
des rapports que vous lui faisiez parvenir P- R. Je
ne connais pas le rapport dont vous me parlez. M. le
maréchal ne m'a jamais montré aucun de ceux qu'il
envoyait, et je n'ai eu d'autre correspondance avec
le Roi que la lettre dont je viens de parler tout-a-
l'heure. "-- D.. N'avez-vous pas mandé au Roi Charles
X, soit a ce moment, soit plus tard, que l'on allait




( lI5 )
arréter les chefs de la révolte, et qu'ils allaient étre
jugéspar une commission militaire ?-R. Je n'ai pule
luí mander, d'abord paree qu'on n'ajamais arreté per-
sonne, et en second lieu, parce que l'on n'a jamais
nommé de commission militaire.-D. 11 parait cepen-
dant que le Roi Charles X était encore dans cette pero
suasion le jeudi matin: pourriez-vous dire d'011 elle lui
venait?-R. le ne puis le dire.-D. Avez-vous donné
l'ordre d'arréter les douze députés de Paris? _ R.
Non. - D. Vous venez de dire qu'il n'ya pas eu
de commissions militaires; mais on pouvait croire
qu'elles ne tarderaient pas a exister, puisque vous
aviez envoyé chercher M. de Champagny pour en
conférer avec vous?-R. Je n'ai eu aueune confé-
rence á ce sujet avecM. deChampagny, et n'ai donné
aucun ordre de ce gellre. - D. Un agent de la pré-
fecture de pollee n'est-il pas venu, dans la matinée
du mercredi, vous exposer la difficulté d'exécuter
les quarante-cinq mandats lancés la veille, et ne lui
avez-vous pas réítéré I'ordre de les mettre aexécu-
tion?-R. Je n'ai vu aucnn officier de police, et je
n'ai donné aucun ordre ace sujet; j'ignore méme les
noms des personnes contre lesquelles les mandats
avaient , dit-on, été décernés. _ D. N'avez-vous pas
conféré sur la méme affaire et sur l'exécution des
mémes mandats, le jeudi matin, de bonne heure ,
avec 1.\1. de Foucauld? - R. En aucune maniere. -
D. N'avez-vous pas rer;u, le mercredi, la nouvelle
d'une insurrection a Rouen, et n'avez - vous pas
nommé M. le marquis de Clermont-Tonnerre gour




( II6 )
~rlér p,tén;Jre le cornmándement de cette viHe?-
:R'.,té';n:;ai'eü aueune'coíinaissánee de ce qui s'énih
'"p~~séa Rouen. Qdaht' ace qui concerne M. de Cler-
'H:Ü)Í]'t-TonnÚre,je'lui:avais écrlt huit ou dix jours
-á'\i~nt fes'évéhemens~';poiir"luidiré que le Roí l'avait
¡íotilmé pour remplacer ;' provisoirement M. de La-


:t:Óu¡':.-Foiss'ae, que son servlceitiilitaire 'rappelait a
P:it'is.La lettre Iui futadressée 'dans une campagne
"qú'il venait de quitter.' Je recus sa réponse trois ou
quatre jours ' avant les événemens. Il me mandait


, qu'il venait de rccevoir ma lettre; mais que si les
,úmres duo Roi ne devaient pas étre exécutés immé-
'di:i'ter'nent,' ir resterait encere quelques jours a sa
caii)pagiie:'relüi"~Crr,:ii4e-yenii'de'süite, et il se
~t~HéHl''Múts ai:Pai'Í~;'~ ~D. 'M~ 'de' Clel'rriont-Tónnerre


'. I •
_. ~ •• ; 1 ~ I I . ; " •.'.• " ..'. ."
úe "vous' a-t·íI 'Pas' dit cornbien la monarchie lui sem-


'blh¡'(comj.Ítdmi'sc 'p'arvo~ mesures, et avec quel
courage les Parisiéns sebattaicnt? - R. Je ne me
.rappelle ' nullernent cettecirconstance.
" ::0,) Le';tnhcrédi soir , Iorsqúe toútes les troupes
-on'félé'ttit'cées '~e sere plier sur le I ..ouvre.ravez-vous
St~)' i'éHá.re '¿(;mpie: au :Roí' decet 'eti\t' de,J¿lIÓses 'si
g~ave ?'~';R.;.J~{r'épete qúejen'ai ;~uaiituneconnais-
'~l1hce(;désévénerriens militaires qui ont eu "lieu a
París. - i>: Si vous n'avezpas fait connaitre auRoi
Chirles X tétat vraiide Paris , n'était-ce pas paree
.qu'avec'Ies troupes qui 'arrivaient dans la nuit , Tár-
tillerie de'Vincennes et les torces encore 'disponibles,
vous"éspériézreprendre l'offensive jeudi matin. -
R. 'Non,- et'jc' ne'puis que me référer ama l')récé-




( 1,17 )
dente réponse. - D. Ave~-vou.s été ~~lf;~~lpé¡ (l;:,~) l~~,
députés présens aParís s'étaient ré.u~¡~. \~ ~pr~1i,~r
le mercredi ? - R. Je ne l'ai pas su. '7.I\~f~,\~'~' Vi~~:
vos ordres qu'une somme de ,42.1 loo<?frp,~~~,,~ é~é.
tirée da trésor pour étre distribuée eJl;traRr.(~~<~irt
meat ame troupes? - R. N?~: 7 1): Sav;e~-:vo~s
pourquoi cette somme a é~~ ~~istrih~lé~,? ~ R. ~n¡;)
seulement le jeudi rnatin;'a,Y'~r~~;all~(~.~,~im-:9,1~p.:~rJ
j'ai vu que 1'on li~ait aux, Vl?PP,lf:> u!?-, o.rch'~,\lll·j~!~~:;
et I'on m'a ditqu'il était: relatif a l1IJ~ distribu:ÚÓI~:
d'argent. - D. Le jeudi rnatin, a':antd~¡~I.ll.it,te,~:P~ti~,
n'insistiez-vous pas pOli r qU'c?/1 rf'noHvel~pl('s"4\ta-
ques P- n. Non. --,- D. Sur, r?,~~,el~'!~t}o:n ~?flt,'ia,jm:
du rnaréchal , n'avez-vo~~ p~s9,e:!Jl:in.\1,~,: .~N :s;~l}1m~
Defrance, qui se trOl~vait¡p¡I;é~~f!~~ ~~}~?n fJ.~I;r~~~~1~t
l?RS, avec des,,tr~up~~, di~rm~~~~~sfi)!:~l~f~h~rr .1)~s:PJYi
~itions ';i qU,e: ~1?:~~ :?~~. r~p:~pi~}~/l~~~fj~aJl ~·~¡Jr JM;
néral? ~)i."l~e,lf~ m~.~apl)~I~!~~c~~f~~ ."e:~ef,:Ti(
~~nst.~nce~. (7" ~~l Avie:t~?~~ll~?r~~.m?~~ll\YSA?r~!?~if~
sur le nombre des víctimes du mercrediP - R. Au-
o . < _!1 -; ..Ir' ,i" , • ,1 ~ {~' ~ id:'" "1: ¡ .'.:' ~


cunes; et al1C111~ raPP?rt ~ .er~ sujet ~¡es:~, ren~; \~. m~
connaissal{lc~.,-:-D: Le ~~u~i .ma!~I~.~e,,:~wJ}3r;-':?H~
pas aller ;sGuJa S,ail1kqo~q1 ~~, I;le)~91.1~.~oPJ?~~!~f;
~\~?s pas a c~ ~W~( .wu?e, ~,?\~>~~)~rson~le.an~~ };e~n~~'
p'!1)e~ p~~ar(;l~e~l~preS q~! R,oi?,r: R., F~t~~': c,~\ffmj
sta~,~~~<~t;~~p~~~:el1t pe~l exq~te 9,ue ~lles col.l;'~t~~~<~r
moi nous y avons été tous ensemble. " ' .
",P: ;~I I?n~l~:,~\~~ .1~ ~,~~~Hl~,yl~~ X~éd~!,~~ ~Ir~'~ú~r
~:~: ytri.~abJ~¡,~mL~~ C~ws~~f .é~,<lit ,~li(sJ~~~~rl'~~ljrmH
~~r,s .o,r(~:e: ~e~r~:~: ;~Ju ,matill ,i~ .ral~Pw~gi lt,; !?r~lO~IT




( 118 )
nances et achanger son rninistére , l'en auriez-vous
dissuadé, et étes-vous cause du retard apporté dans
cette résolution? ~ R. Tout au contraire; c'est moí
qui, le premier, adix heures et demíe, lui ai fait sentir
la nécessité de rapporter les ordonnances, et je luí
donnai de suite ma démission, Je Iui indiquaí le duc
de Mortemart comme la personne auprés de luí
qu'il paraissait désirable d'envoyer aParis pour an-
noncer cette nouvelle; le Roí m'autorisa alui parler,
ce que je fis de suite, et j'introduisis immédiate-
ment le due de Mortemart chez le Roí.


D. Avez-vous quelques éclaircissemens a donner
sur le fait sí extraordinaire des incendies qui, pen-
dant les derniers tems de votre.administration , ont
désolé une partie de la: Normandie, et dont I'exécu-
tion se rattacherait sí n:iturellement acelle de quel-
que plan concu par des ennemis acharnés du repos
et dubonheur de la France? - R. Malgré les re-
cherches les plus exactes ordonnées, malgré toutes
les précautions prlses , et dans lesquelIes nous avons
été secondés avec le plus grand zele par les auto-
rités locales, .nous n'avous j~uia~s rien pu décou-
vrir; je ne puis done qu'Insister de to~t mon pou-
voir aupres de la Commission pour qu'eIle prenne
toutes les mesures nécessaires pour amener, s'il est
possíble , sur ee point la manifestation entiere de la
vérité.


D, 11 paraltrait résulter de vos précédentes décla-
rations, que vous n'auriez pris aueune mesure pour
l'organisation des conseils de guerre a Paris, par




( 119 )


suite de la mise en état de siége, L'instruction établit
cependant que vous auriez donné des instructions
a cet égard aM. le vicomte de Champagny, dans ,la
matinée du mereredi, aSain t-Cloud méme , et qu'il
aurait méme réuni les employés dn hureau militaire
pour avoir des renseignemens suroe point. Quelles
explieations avez-vous a donner a cet égard? - R.
Je ne me rappelle point avoir vu M. de Champagny
aSaint-Cloud dans lamatinée du rnercredi ; je crois
méme en étre certain ; mais il est venu me voir aux
Tuileriesdana.la nuit du mercredi au jeudi, Il m'a
'parlé de la formation d'un conseil de guerre et du
choix de ses menlhres, On avait été le prévenir au
ministere de la guerre dans la soirée du mercredi, Je
lui dis que connaissant peu le peesonnel de la gueq'~Ji'
je ne pouvaisIui 'désigneraucun 9fAc,i~r; et q~ej~
l'engageais a se-rendre 'Cll~zl~ m~rechal~a(in~de
s'entendre aveclui-á ce sujet , si l'oncroyait néces-
saire de former en effet un conseil .de guerre'."7: p.
Il résulterait de vos précédenteadéclarations que
vous n'auriez eu eonnaissance d'aucun ordre donné
dans la journée .du mercredi ; ponr arréter plusieurs
eitoyens , el notamment plusieurs députés. L'in,
struction établit cependant qu'un ordre de cette na-
ture ,signé pal' M. le due de Haguse , aurait été
donné le mercredi a M. de Foucauld , et qll~:~t
ordne aurait compris,eutre autres noms, CtlU~@
MM. Laffite el. EuseheSalverte, et, je erois, celui de
M. de Lafayette.. Avez-vouseucounaissancede ~t
ordre? - R. Cet ordre n'ayant pas étésigné par




( J.2d )


moi, je.ne puis répondre aaucnne question relatiw·
a des:faits qui concernent d'autres personne~. -;:1):'
Cómment expliquerez-vous qu'étantvous-méme aux
Túileries en ce moment, lIn fait de Gouvernement
aussi important eút eu lieu sans votre participatien?
- R. Ma qualité de président du conseil n'áva'it
aucun rapport avecl'arrestation des personnes que
vous indiquez. J?al déjá ditpréeédemment que, de-
pnis ma sortie de l'hótel des affaires étrangeres, je·
n'avais plus agi ni commeministre', 'ni: eornme Jité-
sident du eonseil. _ D. Avez-vousété informé d:e
la non-exécution de eet ordre , qui parait avoir été'
snspendu au moment oúIes députés sont sortisdes
Tuiletíes; apre~ q:~'vdtÍs~e'Z·en ~e{lisé de les rede~
volr? A.V~2!:vous;: eón'uu .les 'Úl()tU5 ,ttüi ont fai t SUs0
p'éndre ce! ordre ? .;,..,. R. Les rnotifs de la révocation
tte peuvent qu'étre honorable ala personne qui au-
rait révoqué I'ordre , puisqu'on ne peut légalemene
arréter des personnes qui viennent -vous porter des
pMloles- dé conciliation. Je regrette de n'avoir pas p«
f'pitr\1etperj 'áyaI1t ignore les ordres donnés.i-e- D.
Dans tine·teUé: situatjon, et 'puisque "f'mts:eti())!ieir..
avoir si compíétemeneabdíquéIe' pouvoir par une
conséquence nécessaire de la mise en état de sié~
qne vous avez déclaré , comment la pensée nevous
est-elle pas venue de vous retirer entierement des
affaires en donnant votre démission ? - R. Ce desír
de, fu~ retirer des affaires dont vous me parlez , IJÚn-
séúlement je l'ai eu , mais je l'ai exprime plúsieurs
fois au Roi dans ,le cours de I110n ministere, Quinze




( 1~ t )
jours rnéme avant la signature des ordonnanees, je
luien néitérai l'expression , en le priantau' moins de
nommer un autre président du conseis, ;sliljug~3it
convenahla qne je restasse au.ministere pouelebien
de Sool service, ' .


1>t ''V()tre entrée au ministére n'était-elle pas déci-
dée depuis Iongtems lorsque vous y étes entré, le'
lB mai P- R. Non; et mérne en ce' IDúme~t! j'avaisí
fait: tous mes préparatifs de départ P'O\1 jo .Bordeauí'~
Le jour en étaitfixé au salI1édideJilritert1tHemM'n:el!
-D. M. de Chabrol $t Mi. deConnr()i8iérlSéi¡~firtUít:
pOliI' De pas pattidíperl latl'ltttlestires' qtti s~ 'Prépá..
taienti ooriti'e1a: Ghart~; 'n'arriviez-vous pas púur ae-
eomplir les actes aaxquels ils s'étaient -refusés P-'-'
R. Les motifs qui m'ont été communiqnés de la re-
traite, de MM. de Chahrol el de Coul'voisi~r étaJeüt
la prorogation et la dissolution de la Chambre; J'étais
personnellementattanhé , ainsi que mes anoiens amis
I'Wtiqties~au' systeme: parlementairet' j'ai rédige¡
le1:1I'1Ílái; un plan da 'c~)lldllíte exclusiv~mltt1t;árrat­
Iogue áoé 8ysi~níe.A cette époque je n'avais aUCÜDt1
connaissancé dusysteme qui aprévalu. - D.Avie~¡
vous eu', ávant'\Totro entrée au ministere, aveo le
pmident du eonseil, um cúnférences :~t líl:lrta.rthe
quel'on seproposait de suivre dans la diréctíon¿fles




( I2~ )
affaires? - R. Je n'en ai en aucune. - D. En aece~
tant le ministere de l'intérieur, et en renoncant a
celui de la justice, que vous aviez occupé pendant
plusieurs iannées , ne receviez-vous pas la mission
spéciale de dominer les éleetions en agissant sur les
électeurs PQuels rnoyens si puissans vous supposait-
on pour arriver 11 ce but? - R. La premiere partie
de la question est démentie par Yépoque a laquelle
je suis arrivé au ministere ; a eette époque, tout le
travail des élections était achevé; elle est démentie,
en seco lid lieu, par les aetes personnels que tai faits
dans cette opération; et je saísis eette oeeasionpour
prier MM. les cornmissaires de vouloir bien faíre re:'
présenter et joindre ala procédure , l'original, écrit
de .mamain., de l'unique eirculaire que j'ai adressée
auxpréfetspour les élections.Teaprimerai iei le re-
gret que, dans l'instruction faite par la Chambre
des Députés , on ne m'ait pas représenté diverses
pieces qui m'ont été depuis attribuées , et que j'ai
été Pflr conséquent dans l'impuissanee ele diseuter.
Quant el la seconde partie de la question , je n'ai au-
cune réponse ayfaire. , ;.


D. Ilrésulte de l'un de vos interrogatoires préeé-
densque vous avez été un des principaux rédaoteurs
de la proclamation du Roi aux électeurs, Que ré-
pondez-vous au reproche d'avoir misdans la bouche
du Roi des paroles dont on pourrait induire que les
deuxcent vingt-un députés qui avaient voté I'a-
dresse devaient étre eonsidérés comme ses ennemis
personDe)s?~R. Je crois avoir déjá répondu que




( 123 )
je n'étais pas l'auteur de la proclamatíon , et j'ajoute
que je ne crois páS qu'elle contienne rienqui puisse
motiver le reproche contenn dans la qnestion.- D.
N'a-t-il pas été fait de coupables efforts pour ébranler
et violenter la conscience des íoncuonnaires pub\ics
électeurs? Est-ce par vos ordres qu'en tant de col-
léges électoraux vos principaux agens, alorsque la
10i commande le secret des votes, ont exigé que les
fonctionnaires publics écrivissent et déposassent
leurs bulletins dans les urnes, de telle maniere qu'on
pñt en avoir connaissance? - R. Je n'ai donné ni
ordre ni instruction de ce genre a qni que ce soit;
j'ajoute que tous les écrits relatifs aux élections, qui
sont émanés de moi, existent au ministere de l'inté-
rieur , rien n'est done plus simple que de les con-
sulter et de les joindre aux pieces. _ .. D~ 1I est·na"
turel que les désordres électoraux soientplus ou
moins imputéa au ministre qui est plus spécialement
chargé des élections ; votre attention ne devait-elle
pas étre d'autant plus particulierement appelée sur
l'ahns qui vicnt d'étre signalé, qu'il avaitété Í'objet
des plus vives réclamations, dans la derniere Ohambre
des Députés, lors de la vérification des pouvoirs?-
R. Je ne puis étre responsable que des actes que j'ai
faits ou autor'isés; et je porte le défi de citer le moin-
dre indice qui donne acroire que j'ai autoriséou
provoqué des désordres électoraux. Ceci me fournit
l'occasion de prier MM. les cornmissaires de vouloir
bie~ se faire représenter et joindre aux piéees les
rapports qui m'ont été adressés sur les troubles de




( 124 )
Montan.han et de Figeac, ainsi que mes deux ré·
ponses ; ils. trouveront, sur .l'un des rapports, une
apostille écrite de ma propre main , et ils pourront
juger pal' elle de mes véritahles dispositions.


D. Vous avez dú faire entrer dans vos calculs la
possibilité d'électeurs contraires avos vues; er, dans
ce cas , le projet des ordonnances du 25 n' était-il pas
déja arrété entre vous et vos collegues, ou a,umoius
entre vous et le président du conseil? - R. Ni le
systéme des ordonnauces, ni les ordonnances elles-
mémes n'avaient été l'objet d'aucune communica-
tion, ni d'aucune discussion entre aucun de mes
collégues et moi......: D. Plusieurs journaux, entre


'lesqp¡ela,jl '10. estun aPflu)~l <:>n assure que, \IOUS avez
plusieurs.fois cllv'oY,é: 4es,al',tic1f:s:" n~a'Vai~I)~, cessé ~
depuis plnsieurs mois , d'appeler, d'annoncer d~~
mesures semblahles ou analogues a celles qui out
été. prises par les ordonnances ; n'était-ce pas le
moyen que. le ministere employait-pour y préparer
~ espnits? n'était-ce pas un 11.'0yen p~)Ur y amener
Ie ~9i ~\li-tp,ewe,? ...... R~. J' ignore quelle direction le
lQj»~~~~r~,:4Qnna.t ~ ~~'jqur.lla~:J¡, aWll:~}~ \~\~~>a~¡
depuiscerte époqu~,'ie,n'~~~utqri~~:au,~uJ;le pU9li~
cation de ce ge~re~-,"D. Lorsque le. résultat si dé-
cisif des élections est venu a votre .c():~v;iail?~aD;Cr,
n'aves-vous pas eu In pensée qu'il ~ttrfljtA'U:t:l¡ bon
p'itqy~n et d'un fidele serviteur QQ. ~(A de rpmpr~Je
m\"l~~el'e? Vous en avez agi ainsi.ien 18~Ú ,enJ-ll';l
casmoins évident ; quel aété, danscelui-ci , le motif
d'une.ecnduite si différente? - R. L~ direction des




( I:AS )
affaires n'étant pasentre mes mains , la dissolution
du ministere ne pouvaii dépendre de moi ; il a été
au surplus question, a plusieurs reprises, d'impor-
tantes modífícations.


D. Vous nous avez dit 'que la distributíondes
'leUres eloses n'avait été qu'une affaire de bureau; il
a été cependant assuré que le' dimanche soir 'vous


"en aviez encoreun 'certain nombre sur rvotre :bu..
reau, et les' avíez montrées ir des personnes qui vous
interrogeaient' sur les bruits répandus d'un eoup


: d"etat. - R. Ce fait est entierement inexacto~D. Le
dimanche 25 au soir , n'avez-vous pas encare fait
avertir un .député de sa nominátion, dont la nou-
velle venait d'arriver PPourquoi usait-on de tant de
moyens de déeeption ?- R. Cedéputé faisaitl'essái
. ,


d'une candidature nouvelle;il était,': dans tOU5 les
cas, tres-intéressé a cocnattreIe résultat de I'élec-


'tion; il étaitmon ami, et rien de plus naturel que
'Tavis que je lui ai fait transmettre aussitót que je
I'ai moi-rnéme recu,


D. SiIe projet des .ordonnanees n'a été coneu.,
.. ainsi qu'il' estdit dans vosprécédens interrogatoires,
qu'entre le 10 et le 20 juillet, que s'était-il done


'passé acette époque qui aitpu moriver une pareílle
me~urP ~;R. Bien qu'il soit trés-dífficile et tres.
délicat 'poür rnoi:de faire connaitre des motifsqui
peuvent avoír été allégués dans des conseils dont les
délibérations doivent étre secretes, je erois pouvoir,
sansmunquer a mon devoir, direeeque tout le
monde doit rcomprendre, que l'un des;principau~




( 1~6 )
motifs sur lesquels on s'est fondé, a été la position
périlleuse dans laquelle le résultat des élections avait
plaeé le Gouvernement. - D. L'un des principaux
motifs suppose qu'il ya eu d'autres motifs; ne pour-
riez-vous pas dire ces autres motifs? _ R. Cela me
conduirait a faire connaitre tous les détails des déli-
bérations du conseil, et je ne erois cette révélation
ni légitime ni nécessaire. - D. Vous avez dit , dans
vos précédens interrogatoires, que vous n'aviez
jamais eu le dessein de participar a des mesures qui
dussent avoir pour effet la suspension de la Charte:
ne regardez-vous done pas eomme une premiere vio-
lation de la Charte, le changement, pal' ordonnance,
d'une loi aussi fondamentale que la loi d'élections
votée par les trois pouvoirs, el le changement , dans
la méme forme, de la législation également adoptée
par les trois pouvoirs, et qui régissait la presse? -
R. J'ai toujours considéré comme tres-graves les
questions relatives a l'opportunité de ces mesures,
aleur exécution, aux inconvéniens qu'elles pouvaient
entrainer. Quant au droit qu'avait la couronne de
les prendre, j'ai pensé, avec beaucoup de bons es-
prits, et apres de notables exemples, que la Charte
le lui conférait. - D. Quels sont les notables exem-


•ples dont vous parlez? - R. Le lI'Ioniteur les con-
state, et il seront probablement cités dans la défense
du proceso


D. En admettant que les ordonnances, considé-
rées par vous comme légales, ne fussent qu'excessi-
vement dangereuses, comme vous avez toujours




( 12.7 )
parn le croire, quel est le motif si puissant qui a pu
vous déterminer afaire courir ce danger au Gouver-
nement dont vous faisiez partie , et méme ala cou-
ronne? - R. Il m'est fort diffieile de répondre d'une
maniere positive aeette question , parce que je ne
pourraís le faire sans révéler les opinions exprimées
dans le conseil , les suffrages donnés, et la maniere
dont ces suffrages ont pu etre divisés : au surplus ,
je répete ce que j'ai déja en, je crois, 1'0eeas\on de
dire, qu'il importe de distinguer le systerne en soi ,
et les ordonnances qui ont été concues postérieure-
ment pour l'exécnter aprés son adoption. On doit
concevoir qu'il serait possible que les suffrages se
fussent divisés d'une maniere différente dans l'une
et dans l'autre délihération. - D. Il n'y a done pas
en unanimité sur le systeme ? -" R. Certainement
non. -D. Y a-t-il eu unanimité sur les ordonnances?
- B.. 11 en existe une preuve matérielle dans leur
signature. - D. Est-il, vrai que des reproches, quí
pouvaient étre de nature a exciter un faux point
d'honneur, aient éré, sinon calculés, du moins indi-
qués centre ceux qui ne signeraient pas? - R. Si
cette question tend afaire supposer que des repro-
ches de cette nature soient sortis de la bonche ou de
la plume de quelque membre du ministere, je n'ai
aueune connaissance de rien de semhlable. - D. Ce
reproche serait-il tombé de plus haut que de quel-
qu'un de vos collegues ? _ R. Je ne puis admettre
cette supposition, encore moins y réporrdre.


D. Les ordonnances étant signées, vous avez dú




( n8 )
prévoir les difficultés et mémeles périls qni ,se ren..


.contraient dans ,leur exécntion ?En quoi av~e,z­


.vous pris part aux mesuresprises pour assurer ce,te
exécution?- R. Je n'y,ai prisaucune ,part;j'ajoule


.méme, qu'á dater du :16, aucun rapport de police
ne m'a été transmis, - D. En admettant que, V9US
ayez été étranger aux mesures purementmilitaires,
celles relatives aux jugemens que nécessiteraient les
résistances légales 011 violentes que le Gouvernement
ne pouvait manquer de rencontrer, étaient naturel-
lement de votre compétence; qu'avez-vous.ditet fait
a ce sujet? _ R. Le jugement proprement dit des
résistances n'était point la compétence du ministre


,de l'interíeur ; il n'a au surplus été ni ríen dit ni
rien.fait á cet ,~gard.,-',,D.,ro.u$'cQ:qJ1~i~sW¡':¡f.rQp


.bien I'attachement et méme le dévoüment des tri-
hunaux ordinaires aux; príncipes etaux droits con-


.stitutíonnels, pour qll'ilvQUS eút été possible de
compter sur leur concours dans les voíes extra-le-
,gales oú vous vous jetiez, il vous íallait done une


"autre sorte de justice, A queIle espéce de tríhunaux
'-co~P!~ez·xous vousadresser P,- R. Je Ifaijamais
eu ni entenduexprimer l'idée qll'i~ fll~ ¡pº~~ihle de
s'adressen.a d'autres trihunaux ,q~'a. ceux quí étaient


..établis. -D., La.mise .en .ét:¡l~,de síégen'indíque-t-elle
rasque, pour le premier moment au moins , vous
vouliez recourir, aux conseils degllel're? Cetterne
.sure , lorsqu'on l' employait au..centre du Couveme-
ment etdans un lieu.oú sonaction était d~ja'par·
faitement concentrée , .peut-elle s'expliquer, autre-




( 129 )
ment que par le hesoiu de ces .conseils de guerre ?
- R. La mise en état de siége a été déterminée par
un fait grave et imprévu; elle fut proposée dans la
soirée du ').7, et admise conditionnellement. Elle
était subordonnée al'état qn'oflrirait la tapitate dans
la matinée du jour suivant ; on lacrut fondée dans
le cas 011 des attaques uomhreuses.et étendues aug-
menteraient le désordre de la veiUe. Le principeseul
avait été arreté lemardi , etil avait été convenu que
le président du.conseil prendrait le lendemain les
ordres duRoi d'apres l'état des choses tel qu'il serait
alors. Dans l'intervaIle de la premiere délibération
a la signatnre, je n'ai eu aucune communication a '
ce sujeto


D.' Comment vous, ancien jnagistrat , n'avez-vous
pas été effrayé au plushaut degré parla'seule.pensée
<le mettre Paris en état de .siége, de pi'iver cetté ca-
pitale de ses.magistrats , de ses administrateurs; de
la livrer sansdéfense aux exécutions militaires? Les
conséquences de cette mesure out-elles été exposées
et díscutées dans le conseil? __ R. Cette. mesure
était présentée d'abord comme Iégale, ensnitecomme
propre a imposer aux auteurs des troubles, et a ré-
tablir plus promptement l'ordre, - D. Par qui 1'01'-
donnance a-t-elle été portée ala signature du Roi ?
- R. Tout CeqllC je puis répondre est que ce n' est
pas moi. - D. Savez-vous si on a fait, si on a scule-
ment commandé les mesures qui étaient nécessaires
pour rendre notoire et publique l'ordonnance de
mise en état de siége , pour que les citoyens fussent


9




( 130 )
snffisamment avertis qu'ils devaient s'y soumettre P
-R. J'ai OUl dire que ces mesures avaient été prises;
mais je n'en ai en aucune connaissance personnelle.
~ D. Pouv;z-vous donner l'explication de ce fait
extraordinaire P - R. Cela tient a la maniere dont
j'ai passé la journéedu mercredi, Ce jour était l'un
de ceux oú se tenait ordinairement le conseil du Roi,
N'ayant re((u, a onze heures du matin , ni cornmu-
nication ni rapport quelconque , je partís du minis..
tere (le l'intérieur pour Saint-Cloud, en habi:t de
ministre et avec mon portefeuille, dans la persua-
sion que le conseilse tiendrair cornme al'ordinaire.
J'y restai assez longtems ; et nn seul de mes colle-
gues étantvenu avec moi , le conseil ne fut point
tenu. A mon départ de Saint-Cloud, j'appris, comme
une chose seulement probable, que mes collegues
pourraient étre réunis au cháteau des Tuíleries : je
crus de mon devoir d'aller me joindre aenx, Arrívé
au pavillon de Flore , mon attente fut trornpée : il
n'y avait personne. J'y attendis néanmoins longtems,
supposant que c'étaít dans ce lieu qu'on se réuní-
rait.Cependant, on vint m'avertir que l'un de mes


.collegues devait étre dans l'aileopposée dn cháteau,
Je me rendís , par l'intérieur, dans l'appartement
que l'on m'avait indiqué. Il n'y avait personne. J'y
attendis encore fort longtems, et ce ne fut qu'apres
plusieurs henres que je découvris la partie du cha-
tean dans laquelle mes collegues étaient rénnis,


D. Pendant le séjour que vous avez fait ce jour-la
A Saint-Cloud , avez-vous V11 le Hoi, et était-il instruit





( 131 )


de la gravité des événemens qui se passaient aParis ?
_. J'ai , en effet, vu le Roi; je n'ai pas lieu de
douter qu'il ne fút instruit de ce qui se passait, -D.
Avez-vous entendu dire a Saint-Cloud qu'a ce mo-
ment le maréchal Marmont eút déja envoyé unrap-
port qui pouvait étre considéré comme inquiétant ?
- B." Non, je ne Tai pas OU! dire. - D. n parait
qu'a.un des acles nécessaires pour rendre publique
la ~ise 'en état de siége .n'a été fait ni mérne corn-
mandé. Comment, vous ancien magistrat et premier
administrateur du royallme, n'avez-vous pas senti
leur importance , et comment ne les avez-vous pas
réclamées han temen t? -R. J'ai déja apeu pres ré~
pondu aeette question : j'étais etjesuis encare dans
la persuasión que ces mesures avaient été prises, J'ap-
prends en ce moment, pour la premiere fois, que
ron doute qu'elles 1'aient été, -.- D. Avez-von,s, en
votre qualité de ministre de l'intérieur, donné au
préfet de la Seine et au préfet de police les instruc-
tions nécessaires pour que, nulle part, aucun usage
<les armes ne pút étre [ait contre les eitoyens avant
les sommations preserites par la loi? Vons étes-vous
entendu, a cet égard, avec le cornmandant de la
force militaire ? - R. Des avant l'époque oú ont
commencé les actes de violeuce , je n'ai eu aucune
communication avec les personnes indiq uées dans la
question; je n'en ai eu surtout' aucune avec les com-
mandans militaires. - D. Est-ce que le miuistere au-
rait pensé qu'une fois la mise en état de siége pro-
noncée , tous ses rlevoirs de surveillance devaient




( 13:1 )


cesser, qnil n'avaitplus qu'á regarder et aattcndrej--;
R. Il m'a paru qu'on avait l'opinion que les fonctions
du gouvernement continuaient, mais que les fonc-
tions administratives de toute nature étaient réunies
dans la personne du général en chef. -- D. Est-ce
que le Gouvernement ne s'était pas réservé le pou-
voir et n'avait pas l'intention de diriger lui-m.e ce-
général en chef? - R. Aucune intention de ce ~nre
n'a été ni exprimée ni suivie en ma présence.


D. Il résulte de toutes les dépositions, méme de
celles des officiers de police judiciaire employés a
cette époque dans les arrondíssemens oú les prin-
cipaux engagemens ont eu lieu , que nulle part cette
formalité n'a été remplie t qu'elle n'a été ordonnée
nulle part," niparpetsonne. 'Qtl'á"et-y(;)us 11 dire
'ponr excuser un semblable oubli? - R. Jen'ai aucune
eonnaissance de ces faits; je les déplore profondé-
ment. Je n'ai eu aucune communication avec le pré-
fet de police depuis le ~5, etje ne puis encoré croire,
malgré les dépositíons , que les officiers de police ju-
diciaire aient manqué a ce point a Ieurs devoirs. -
D. Avez-vous eu connaissance de quarante-cinq man-
dats délivrés , le mardi , centre des journalistes et
imprimeurs? I'ordre de délivrer ces mandats avait-il
été délibéré en conseil? - R. Je n'ai en connaissance
de ce fait qne depuis le proces ; il n'en avait point
été question en conseil. - D. Avez-vous eu connais-
sanee de l' ordre donné a la Conr royale de se trans-
Jiorter aux Tuilcries ponr y rendre la justice? Le mo-
tif de cette translation n'était-il ras de l'ernpécher soit




133 )
de confirmer le jugement qui venait d'étrereadu par
le Tribunal de commcrce, soit d'appuyer 'par ses ar-
réts les citoyens dépouillés de leurs droits par les
nouvelles ordonnanees? - R. J'ai OUl dire que cette
mesure avait été prise , 11 ce que je crois , dansla
matinée du jeudi, Quant ases motifs, ils .ne peuvent
étre ceux qu'indique la question; cal' j'entends par-
ler en ce moment , pour la premiere fois , du jllge-
ment rendu par le 'I'rihunal de Paris. Au surplus ,
cette mesure n'a point été l'objet d'une délibération
du Gouvernement. - D. Savez-vous par qui a été
donné, le rnardi , le premier ordre de dissiper par
la force les rassemblemens qui s'étaient formés de-
vant I'Hótel des affaires étrangeres , sur la place du
Palais-Royal et sur la place de la Bourse? - R. Je
ne le sais ni ne puis le savoir , ayant été ce jour-lá ,
pendant les événemens qui se sont passés, soit aSaint-
Cloud , soit a l'Hótel de l'intérieur, et sans aucun
rapport sur les événemens. - D. Lorsque les mi-
nistres ont été tous réunis a l'état-major des Tuile-
ries , savez-vous s'ils ont tenu conseil , et s'Ils ont dé-
Iihéré une ou plusieurs fois? - R. Il n'y a en aucun
conseil de tenu. - D. On ne vous rendait donc pas
compte successivement des sinistres événemens qui
se passaient ? - R. Non: je ne recueillais que des
renseignemens généraux et vagues.


D. Avez-vous eu connaissance de la démarche q ui
a été faite, dans la journée du rnercredi, aupres du
maréchal Marmont , par les députés de la Seine, a
I'effet de le supplier de faire cesser les malheurs qui




( 1 3[~ ) •
affligeaient la capitale. M. de Polignac vous a-t-il fait
part de l'invitation qu'il recevait de la part du ma-
réchal, d'entendre ces députés, et de sa résolution
de ne pas obtempérer a cette demande? - R. J'ai
connu la démarche; j'ai été informé de la présence
au quartier-général des députés dont il est parlé dans
la quesrion. Je n'ai point été informé des détails de
Ieur conférence avec M. lemaréchal. Qnant au refus
de M. de Polignac, j'en ai été informé, et je l'ai cm
fondé sur la nécessité de prendre les ordres du Roí.
- D. Aucun membre du ministere , depuis votre
retour eleSaint-Cloucl, le m'ercredi, n'a-t-il été dans
cette méme journée, a Saint-Cloud, a I'effet d'in-
struire le roi Charles X du véritahle état des eh oses ?
- H. Je ne sache pas qu'aucun ministre y soit allé,
- D. Comment se fait-il qú'a la fin surtout ele cette
désastreuse journée , lorsqn'on avait toute lanuit
devant 50i, il ne soit venu ~ la pensée d'aucun des
membres du conseil de l'employer it faire cette dé-
marche? - R. Les communicarions habituelles du
conseil ave e le Roi n'avaient Iieu qne par son présí-
dento Il m'eút ¿té, d'ailleurs, personnellement impos-
sible de faire avec utilité une démarche de ce genre,
par la raison , qne je erois évidente, que M. le maré-
chal ne m'a vait , a cette époque, rien fait connaitre
de sa position militaire.


D. Cornment s'est enfin déterminé le jeudi matin
le départ de M. de Polignac et des nutres ministres,
ponr Saint-Cloud ? - Il. Je ne puis repondré bien
exactement sur la détermination de M. de folignac;




( 135 )
mais Je puis répondre exactemeut a l'égard de la
rnienne; 1\1. le maréchal annonca l'intention de me
faire connaitre personnellement sa position militaire,
et de me déterminer a en aller rendre cornpte au
Roi; il exécuta ce dessein , et je lui promis tout ce
qu'il souhaitait; je me hátai done de partir ponr
Saint-Clond, oú je m'aequittai vivement et exacte-
ment de ma commission. Au moment de mon départ
des Tuileries, j'avais en d'importantes communica-
tions avee 1Vll\'I. de Sémonville et d'Argout, sur les
événemens de cette malheureuse journée; ces Mes-
sieurs pourraient remire compte des sen timens dont
ils me trouvérent animé. _ D. La résolution que le
Roi a prise en vertu de votre démarche et de plu-
sieurs autres faites dans le mérne sens , parait avoir
été eonvenue a peu pres vers onze heures du matin ,
et eependant elle n'a été mise a exécution que fort
avant dans lasoirée. Est-ce a I'influencedu conseil
dont vous faisiez partie qu'il faut attribuer ce re-
tard apporté dans l'exécution ? -t-t-t H. J'ignore com-
pletement les causes de ce retard; j'ignorais méme
qu'il eút lieu , et j'étais convaíneu que I'exécutiou
de l'ordonnance avait eu lieu immédiatement apres
sa signature.


- D. Avez-vous quelques éclaircissernens a don-
ner sur le fait extraordinaire de ces incendies qui ,
pendant les derniers mois de la durée du ministere
dont vous faisiez partie , ont désolé plusieurs can-
tons de la':Normandie, et dont il est difficile de ne
pas rattacher l'exécution a celle de quelque plan




( 136 )
con<;u par des ennernis acharnés du tepos et du
bonheur de la France? - Les incendies dont il s'agit
avaient commencé longtems avant mon entrée au
minístére, Le premier conseil qui suivit mon établis-
sement dans l'hójel du ministere , j'ouvris les dé-
libérations par un rapport au Roi sur ces événe-
mens ; je proposai au Roi, des ce méme jour, des
mesures fortes et étendues. Le Roí les adopta sans
différer, et en conséquence deux l'égimens de la
garde furent immédiatement envoyés dans la Nor-
mandie , et un líeutenant-général chargé de pon-
voirs extraordinaires y fut également envoyé : c'était
M. Latour-Foissac. J'eus un entretien avec cet offi-
cier général le lendemain matin ; j'espere qu'il ne
me refuserapas d'en rerrdreeompte. D'un, áutre
coté, j'écrivais chaque jour et de ma propre 'rnain ,
aM. le comte de Montlivaut, préfet da Calvados;
je souhaite vivement que ce magistrat soit entendu,
ainsi que M. de Kersaint, préfet de l'Orne, et M. d'Es-
tourmel, préfet de la Manehe ; je souhaite aussi que
les instructions que je ne cessai de donner a ces
magistrats soient recueillies et jointes aux pieces
de la procédure. On y Yerra, je I'espére , que je n'ai
rien négligé de ce qui dépendait de moi pour arréter
le cours de ces désastres; et en découvrir les au-
teurs. Indépendamment de mes instructions jour-
naliéres , j'ai fait publier la promesse d'une récorn-
pense pour ceux qui procureraient I'arrestation des
auteurs et instigateurs de ces crirnes; j'ai plus fait ;
j'ai écrit de ma propl'e main l'ordre et l'autorisatiou




( 137 )
aM. de Montlivaut de se..concerter avec les chefs de
l'autorité judiciaire du lieu , et de promettre aux
agens subalternes qui auraient été condamnés leur
grace, s'ils révélaient des faits importans qui eussent
été vérifiés ;cette démarche de rna part avait obtenu
l'approbation du conseil , et avait été autoriséepar
le Roi.


(~6 OCTOBRE, 1830.)
M. DE CfU:NTllLAUZli:.


D. A quelle époque, avant la formation du mi-
nistere du 3 aoút , avez-vous appris qu'elle devait
avoir lieu incessamment? -R. Je ne l'ai appris que
par les journaux. -D. N'aviez-vous pas, acette.oc-
casion , pris des engagemens avec le roi Charles X
lui-méme ? - R. Non. - D. N'avez-vous pas rédigé,
ponr lui , un travail qni promettait au nouveau


.. ministére , dont il était question, la majorité dans
la Chambre des Députés, telle qu'elle existait alors P
- R. Jamáis. - D. N'aviez-vous pas aussi , a cette
époque, développé, pour l'usage du roi Charles X,
le plan de réformation dout l'accomplissement a
été tenté le 25 juillet 1830? - R. C'est la premiere
fois que j'entends parler de cela. - D. N'était-ce
pas ce plan et les ordonnances de juillet que vous
aviez en vue lorsque , discutant la derniére adresse
de 1:\ Chambre des Députés , vous engagiez le Gou-
vernernent a faire un 5 septembre monarchique P




( 138 ")
-- R. J'ai·déja répondu aQette question, Quant aces
mots de 5 septembre monarchique, qui m'échappe-
rent á la Chambre pendant une longue improvisa-
tion, ils n'avaient pas le sens qu'on voudrait leur attri-
buer , et j'en donnai immédiatement, dans le Con-
stitutionnel , une explication qui était et qui parut
completement satisfaisante. - D. D'apres la réponse
que vous venez de faire, vous n'aviez done pas la
pensée qu'on pút sortir , sans péril, de l'ordre con-
stitutionnel réglé par la Charte? - R. Je ne songeais
nu!Iement alors aux mesures prises le 2.5 juillet , et
qui ne sont pas contraires a l'ordre constitutionnel.
-D. Lorsque la clóture de la sessíon fut prononcée,
M. de Polignac ne vous offrit-il pas formellement
d'entrer au ministere? ne vous offrit-il pas plusspé-
cialement le ministere de l'instrnction publique, et
pourquoi avez-vous refusé? - R. Je ne connaissais
pas M. de Polígnac, et j'avais quitté Paris un moho
au moíns avant la clóture de la session.


D. N'est-ce pas vous qui , a eette époque, ou aux
environs de eette époque, avez développé au roí
Charles X, aM. le dauphin et a M. de Polignac, le
plan dont l'exéeution a été tentée le 25 jllillet?-
R. Non. - D. N'avez-vous pas développé ce méme
plan, ou un plan de méme nature , a M. de Pey-
ronnet? - R. Jamais, - D. N'étiez -vous pas con-
venu, avec M. de Peyronnet, que vous n'entreriez
pas san s lui au mínistére P- H. Non, il n'y a jamais
eu d'engagemcnt de ce genrc; mais plus tard, au
mois de mai , j'en ai bit en quelque sorte une con-




139)
dition de mon entrée au conseil.-D. Lorsque vous
étes parti de París, apres la prorogation de la Cham-
bre, savíez-vous que M. de Polignac avait le projet
de la di~soudre? - R. Non.- D. L'avez-vous encou-
ragé dans ce projet ?- R. Ma réponse est déja faite.


D. A quelle époque M. de Polignac vous a-t-il fait
connaitre l'intention de vous appeler au ministere de
la justice , et que lui avez-vous répondu? - H. Le
15 on le 16 aoút j'ai été nommé ministre de l'in-
struction publique; j'ai tout aussitót exprimé un
refus qui a été agréé; le 30 avril de l'année suivante,
j'ai recu ma nomination de garde- des -sceaux ; je
manifestai une extreme répugnanee a accepter ces
fonctions. J'ai fait valoir toutes les considérations
qui me paraissaient propres á me soustraire a ce
choix; di verses circonstances, dont ilest superflu de
rendre compte, ne m'ont pas permis de persister dans
cette résolution.-D. Lorsque M. le dauphin vous vil
a Grenoble, ne lui développátes-vous pas le plan
des ordannances du 25 juñlet? -H. Non.-D. Quels
engagcmens prites-vous avec M. de Polignac, Iors-
que vous entrátes enfin dans le ministere? -R. Les
engagcmens qu'ont pris tous les ministres qui ,
depuis quinze ans, sont arrivés au pouvoir. -
D. M. de Polignac ne vous découvrit-il pas 310rs le
projet de changer p~ ordonnance la loí des élections
et la loi de la presse ? _ R. Non. - D. On trouve ,
dans les pieces du proces , un mémoire de lVI. de
Gucrnon - Ranville , du mois de décembre 1829, oú
íl montre combien serait danaereuse une mesure


"




( 140 )


Gilí violerait la Charte au mépris des serrnens prétés,
Avez-vous eu connaissance de ce mémoire , remis
par lui a l\I. de Polignac? - R. Non. - D. M. de,
Gueruon-Ranville avait-il conservé, lors de votre
entrée au ministere , la méme opinion sur l'état de
la France , sur les droits du pap, et les devoirs de
'Charles X ?-R. Je ne puis den di re de ce qui s' est
passé dans l'intérieur du conseil.


D. Aviez-vous , le 19mai , lorsqne, vous étes entré
au mirristern , la volonté de rester fidele ala Charte,
de respecter les lois du pays et de ne pas céder aux
instancesqui pourraient vous étre faites ponr les
violer? - H. Je ne songeais point, ni moí , ni tout
autre , acette époque, aux mesures adoptées le 7.5
juillet, etque je ne puis au reste considérer comme
une violation de la Charte. - D. M. de Chabrol et
M. de Courvoisier s'étaient cependant retirés dans
la crainte de se voir obligés de concourir a de tels
actes. Appelé pour les remplacer , ne preniez-vous
pas l'engagement d'étre ¡:VllS facile qu'eux? - R. Je
puis d'autant moins assigner une semblable cause
aleur retraite, qu'il n'était alors nuIlement question
des orclonnances.-D. A quelle époque précise avez-
vous pris la résolution de donner votre assentiment
aux ordonnances? - R. Peu de jours avant leur
date. -D. En consentant asi~er les ordonnanccs,
vous avez dú comprendre que Ieur exécution en-
trainerait des résistances. Ministre de la justice,
vous deviez , plus qu'aucun autre, vous aecupel' des
moyens légaux qui pourraicnt étre cmployés puur




( 141 )


vaincre cette résistance, Quel plan aviez-vous con~n
~l cet ég~rd ? - R. Aucun ; on ne s'attendait pas a
une résistance matérielle , et les ordonnanees devant
étre e~éclltées par des moyens adniinistratifs , je
n'avais point a y concourir en qualité de ministre
de la justice.-D. Quand lesordonnanees pouvaient
entrainer des saisies de propriétés, comment avez-
vous pu supposer que leur exécution serait pure-
ment administrative , el qu'il n'y aurait pas de re-
cours devant les tribunaux? - R. Bien loin de le
snpposer, le ministere devait compter sur l'appui
de toutes les autorítés pour sauver la monarchie des
périls qui la menacaien t.


D. Parmi les autorités , vous deviez compter les
tribu.ux ; 01' vous saviez , cal' vous l'aviez écrit a
M. de Polignac des le 9 mai , que les tribunaux ne
concouraicnt jamais , par leurs arréts , a l'exécution
de mesures extra-légales. Quel moyen comptiez-vous
done employer pour les suppléer?-R. La présenee
et l'autorité des Chambres devaient faire prompte-
ment cesscr la résistance qu'on aurait pu trouver
dan s queIques corps judiciaires. _ D. Les cours pré-
vótales ne vous avaient-elles pas été formellement de-
maudées? - R.n n'a jamais été qnestion au conseil
du rétablissement des cours prévótales ; mais j'ignore
si quelques fonctionnaires publics en avaicnt fait la
demande, a laquelle , au reste, il ne fut donné au-
cune suite, - D. Au défaut des conrs prévótales ne
comptiez- vous pas sur les tribunaux militaires , et
n' est-ce pas dans ce hn t qn~, des le 27 au soir 1 vous.




( J 42 )
aviez arrété , en conseil, de mettre París en état de
siege? - R. Non. - D. M. de Champagny n'avait-il
pas été mandé le 28; au Tuileries , par M. de Po-
lignac, pour ~rganiser les tribunaux militaires Pu;
R. le l'ignore. - D. Ne devait-on pas y traduiro les
quarante-cinq individus contre lesquels des mandats
avaient été lancés le 'l.7? - R.. Non. _ D. En votre
qualité de premier magistrat du royallme, et devant,
mieux encore que M. de Polignac, sentir tout ce
qu'avait d'odieux une mesure qui enlevait les citoyens
aleurs juges naturels, qui les privait de tous leurs


, secours légaux dansl'ordre administratif et judiciaire,
vous étes-vous opposé a cette mesure? I'avez-vous
combattue, soit aupres de M. de Polignac, soit dans
le.co~seil? - R'. J'ai déja repondu, dans .m~p~~­
rmer mterrogaton-e , que cette mesure avait éfédéli-
bérée et adoptée sans opposition dan s le conseil. le
ne puis d'ailleurs approuver ni la cause ni les effets
que vous attribuez acette mesure.


D. En votre qualité de ministre de la justice, la
légalité dan s les actes et dans la maniere de procé-
der , devant vous occuper plus qu'aucun autre mi-


o nistre , avez-vous veillé a ce que les actes extérieurs
qui étaient nécessaires pouI' rendre publique et au-
thentique l'ordonnance de mise en état de siége fus-
sent accomplis?~ R. nn' entrait pas dans l'ordre de
mes devoirs de veiller a la publicité de cette ordon-
nance. Je devais seulement la faire connaitre aux tri-
hunaux, et la rapidité des événemens ne m'a pas per-
mis de remplir complétcment cette formalité. _ D.




( 1.43 )
11 parait qu'aucune affiche, aucune proclamation u'a
averti les citoyens de se soumettre a cette ordon-
llanee. Comment expliquez-vous cet oubli? -R. Ma
réponse est la méme qu'aux questions préeédentes.
-- D. Est-ce vous qu.avez donné l'ordre a la Cour
royal e de se transporter aux Tuileries? Le motif de
eette translation n'a-t-il pas été, soit de l'empécher
de confirmer le jugement rendu par le tribunal de
commerce, soit d'appuyer par des arréjs les citoyens
dépouillés de Ieurs droits par les nouvelles ordon-
nances? - R. La translation, qui a été preserite par
M. le chancelier, et non par moi, n'a pu avoir cet
objet. J'ignnt'ais mérne l'existenee du jugement dont
on parle. - D. Aviez-vous connaissance qu'il cut été
donné au préfet de la Seine et an préfet de police
les ordres nécessaires pour que nulle part l'emploi
des armes ne pút avoir lieu contre les citoyens avant
que les sommations preserites par les lois eussent
étéIaítes? - J'ignore ce qui a été fait a cet égard,
et n'ai pris~aucune part aux opérations militaires.-
D. 11 résulte de toutes les dépositions recueillies,
méme de celles des officiers de police judiciaire em-
ployés a cette époque, et dans les arrondissemens
oú les prineipaux engagemens ont eu lieu , que nuIle
part cette formalité n'a été remplie , et qu'elle n'avait
été ordonnée par personne. Qu'avez-vous adire pour
excuser un pareil oubli? - R. J'ignore quels ordres
ont été donnés; ils étaient hors de mes attributions.
- D. Lorsque, le mercredi, les députés de Paris sont
venus chez M. le maréchal , M. elePolignac vous a-t-il




( 144 )
consulté sur ce qu'il y avait a leur répondre? - n.'
Depuis le 27 il n'y a point en de délibération du con-
seil , et jc n'ai été nullement consulté. _ D. M. di
Polignac vous a-t-il fait connaitre qu'il informerait
le roi Charles X de la situati-. de Paris? - R. Je
crois que M.le maréchal correspondait régulierement
avec le Roi , et je suppose aussi que M. de Polignac
I'a instruit de la situation de París. _ D. Lorsque,
le jeudi matin , M. de Polignac s'est vu si vivement
pressé d'abandonner le ministere et de faire rappor-
ter les ordonnances, lorsque vous sentiez vous-méme
qu'il n'y avait que ce parti a prendre, lorsque vous
vous étes décidé enfin a aller a Saint-Cloud, com-
ment , avant de quitter les Tuileries , ne vous étes-
vous pas prononeé par quelque acte qui fut de na-
ture afaire cesser immédiatement les désastres de-
yant lesquels vons étiez obligé de fuir? - R. Nous
nous rendimes le 29 au matin a Saint-Cloud , afin de
prendre les ordres du Roi a ce sujeto - D. N'est-ce
pas encore a l'infIuence du conseil dont vous faisiez
partie, et qui s'est assemblé devant le Roí a Saint-
Cloud, que doit étre attribué le retard apporté a
l'exécution de la résolution qui semblait prise dans
la matinée , de changer le ministere et de rapporter
les ordonnances? - R. Il n'y eut a Saint-Cloud
qn'une senle délibération, dans laqnelle tous les mi-
nistres furent d' avis du changement dn conseiI. - D.
Comme ministre de la justice, vous avez dú vous oc-
cuper particulierement de ces incendies qui, pen-
dant les derniers mois de la durée du ministere dont




...


( Í 45 )
vous faisiez partie , ont désolé plusieurs cantona de
la Norrnandie , et dont il est difficile de ne pas .rat-
tacher l'exécution acelle de quelque plan qui aur~it
été concu pour amenel' en France des perturbations
dont on comptait faire son profit danssun but poli-
tique quelconque. Avez-vous quelques éclaircisse-
mens adonner sur ce fait si extraordinaire? -R. Il
Ya une inexactitude fort grave dans les termes mémes
de la question. On ysuppose en effet que les incen-
dies ne se sont manifestés dans la Normandie que
depuis Ie mois de mai , tandis que ce fléau ravageait
cette province plusieurs mois avant mon entrée au
conseil. J'aí pris, comme ministre de la justice, toutes
les mesures qui me paraissaient propres a arréter ce
débordement de crimes , etaen découvrir les autenrs:
on peut consulter acet égard ma cOrJ:~pondan~e
avee le procurcur-généralde Caen. J'aid'ailleurs con-
couru aI'envoi sur les lieux du comte de Latour-Fois-
sac, pour prevenir de nouveaux incendies.


(27 OCTOERE 1830.)


M. m: .GUERNON-RANVILLE.


D. Quels rapports aviez-vous avec M. de Polignac
lorsque vous fútes appelé a faire partie du ministere
du 8 aoüt? - R. le. n'ai jamais eu avec lui.aucun
lapport ni direct ni indirecto -D. Ne fútes-vous,
pas appelé paree qu'on voussupposaitpeu fav~,~e
aux institutions constitutionnelles, ou au~i:os


-"0-,;",,' ..."":'


10
,




( 146 )
tres-enclin 11 y apporter de notables changemens ?
-R Je ne puis savoir quels motifs déterminerent
M, de Polignác ame íaire entrer au conseil; mais ,
ce qui est incontestable, c'est que le choix dont je
fus l'objet, ne put étre influencé par aucune des
considérations que vous venez de dénoncer. Avocat ,
magistrat, je n'ai jamáis laissé échapper une occa-
sion de manifester mes doctrines politiques : elles
se résument en deux mots : le Roi et la Charte. POUf
le Roi, l'attachement le plus vrai et le respect le
plus profond; de hautes infortnnes n'ont fait qu'a-
jouterá l'énergie de ces sentimens. Pour la Charte,
une fidélité inébranlable , fondée principalement sur
la conviction.oú j'aitoujours été qu'elle était la plus
solide garantie de la stabilité du tróne et des liber-
tés publiques. J'ajouterai que je fis connaitre mes
sentimens a cet égard a M. Roeher, conseiller a la
Cour de cassation, qui fut ehargé par M. de Poli-
g-nac de me faire les premieres ouvertures , au mois
d'octobrc, sur le projet qu'il avait COIl(;U de me
faire entrer au conseil. Je desire que M. Hocher soit
entendu acet égard. - D. Il parait cependant que,
apres votre entrée au ministére , vous eútes líen de
croire que M. de Poliguac nourrissait des idées , ou
.était assailli pa~' des propositions fort contraires á
l'existence du Gonvernement dont la France jouis-
sait, On en doit j uger ainsi , puisque, a la date du
15 décembre, vous vous erutes obligé de combattre
eeSc:idees et ces propositions dans un mémoire que
UOUSVOllS représentons. Entre ces idées et ces pro-




( 147 )
positions, quelIes étaient les plus dominantes?-
R. Cette question repose sur une erreur d'interpré-
tation. II est de fait que, a l'époque oú je rédigeai
la note que vous me représentez , ni M.de Polignac
ni aucun autre memhre du conseil ne m'avaient
laissé sQup<;onner l'existence deprojets attentatoires
ala Charte ; mais les journaux retentissant ehaque


-.;.


jour de menaces de prétendus eoups d'état, qui
n'étaient que dans leur pensée, je crus devoir fixer
par écrit les doctrines q!1e j'entendais professer dans
la partie de l'administration quí m'était confiée.
Quoique j'eusse rédígé cette note pour moi seul , je
la communiquai aM le prince de Polignac, qui, en.
me la renvoyant, me declara q u'il en partageait tous
les príncipes.


D. La prépondérance absolue de M. de Polignac
u'était-elle pas des 101'5 établie dans le conseil, el ne
lui arrivait-il pas souvent de faire rendre des ordon-
nances d'un intérét général, sans en avoir entretenu
ses collegues ? - R. M. de Polignac u'exercait et 11'a
jamais cherché as'attribuer aucune prépondérance
dans le conseil. Toutes les ordonnances d'intérét gé.
néral , et méme celles d'intérét particulier un peu
considérables, étaient librement discutées par tous
les ministres: - D. La réponse faite par le Roi
Charles X a l'adresse faite par la Chambre des Dé-
putés fut-elle délibérée en conseil P- R. Elle a été
non seulement discutée , mais rédigée en conseil, -
D. On doit penser que, apres avoir peint á M. de
Polignac comme vous l'aviez fait le dan gel' et méme




( lJlS )
l'immoralité des coups d'état (ce sont vos prQpres
expressions) vous avez dli blámer une mesure qui
pouvait en fournir l'occasion. Vous y opposátes-vousj
- R. Quoiqu'il soit de rnon devoir de garder le
secret snr les opinions émises , les discours tenus en


. conseil , soit par le Roi , soit par mes collégues , la
question que vous me faites se rapportant a un fait
qui m'est personnel , je erais pouvair y répondre
sans déguisemen t. Dans la circonstanee rappelée, je
ne me suis point éearté de mes principes , et j'ai
eomhattu tout systerne contraire a la Charte, qui ne
me .paraissait pas suf6samment nécessíté dans l'in-
térét du salut publico - D. C'est vers cctte époque
que les coupsd'état et la violation de la Charte fu-
rent r1us spécialement demandés par les écrivains
qu'on était habitué a regarder comme les organes
du ministere, N'est-ce pas aussi a c,ette époque qu'a
été propasé dans le conseil le plan qui a été réalisé
plus tard P - R. L'opinion qui signalait certains
journaux comme les organes du ministere était mal
fonclée: il est de fait que le Gouvernemcnt n'avait
aucun journal alui. Quant ala pensée de coups d'état
ou de mesures extra-légales , je n'en ai remarqué au-
cune trace dans le conseil, a l'époque que vous me
rappelez. Les mesures qui ont amené le preces actuel
n'ont été proposées poul' la premie re fois que vers
le milieu dn mois de juillet , á la suite des éleetions.
'Jusque-la le Roi -et les ministres avaient été ferme-
'~~pt résolus de ne s'éearter en rien dt~ réeirne cons-
..,"" .. ,. , ,o
titulíonnel et des voies parlementaires,




( ]49 )
D. Lorsquc, un peu plns tare), 1\1M.. ue c.'n.an\e·


lauze et de Peyronnet fnrent appelés au conseil ,
n'était-ce pas ponr aider a l'exécution da projet si
souvent annoncé depuis plusieurs mois, de refaire
par ordonnances les lois électorales et de détruire la
liberté de la presse ? -- R. L'appel aux affaires de
MM. de Peyronnet et Chantelauze n'ayant point été
délibéré en conseil, je ne puis savoir queIle autre
considération que la nécessité de rendre le ministere •
plus apte aux discussions de la tribuno fixa le choix
du Roi sur' ces Messieurs ; mais il est évident pour
moi que ce choix ne pnt étre déterminé par le rnotif
que vous indiquez , puisque, je le répete , il n'avait
jamáis été question , avant le ]5 juillet de modifier
en quoi que ce soit le réginle constitutionnel. -
D. Il parait cependant que c'est ponr ne pas concou-
rir a cette modification que MM. de Chabrol et de
Courvoisier ont quitté le ministere P - R. C'est une
erreur. JI existait entre MM. de Chabrol et de Cour-
voisier et les nutres membres dn ministere quelque
légere dissidence d'opinion ; mais tous les ministres
étaient unanimes et d'accord avec la volonté royale
sur la nécessité d'cxécuter fidelement la Charte , a
rnoins que des circonstances extraordinaires, et tout
a fait impossibles aprévoir, ne vinssent rendre cette
scrupuleuse fidélité dangereuse pour le salut de
l'état. - D:M.de Courvoisier n'avait-il pas eepen-
dant soutenu avec force devant le conseil la néces-
sité de rester fidele ala Charte, de ne pas renvoyer
la Chamhre, et de marche!' avec elle dans les voies
-~;.; -Ó.\.




( 151) )
constjtutionnelles? Comment se fait-il que, ayant
aussi le 15décembre· précédent , soutenu eette doc-
trine, vous ayez, si peu de mois aprés , changé de
maniere de voir ? - R. La dissolution de la Chambre
était tout-á-fait dans les prérogatives du Roi, et les
ministres qui l' ont aceueillie ne peuvent étre accusés,
pour ce fait, d'avoir dévié de leurs doctrines cons-
titntionnelles. Quant aux suites de cette dissolution,
nous n'en prévoyions pas d'autres qne de nouvelles
élections et une nouvelle Chambre légalement cons-
tituée. - D. Si telle était en effet la pensée du mi-
nistere a l'époque de cette dissolution, qne s'était-il
passé en France dans l'íntervalle de cette dissolution
et la promulgation des ordonnances, qui ait pu mo-
tiver un si grand changement dans la ligne de con-
duite adoptée? - R. Ayant combattu le systeme
dont l'adoption a fait rendre les ordonnances dont il
s'agit, je ponrrais me dispenser de répondre acette
qnestíon; j'observe cependant que l'action , devenue
irrésistible , des associations quí, aujourd'huí, se
qualifient elles-mémes de révolutionnaires, la réé-
lection des 2~U, proclamée eomme nn principe, ac-
cueillie surpresque tous les points, et donnant aune
opposition que ron pouvait eroire hostile une ma-
jorité de plus de cent voix ; enfin , les attaques jour-
nalieres d'une foule de feuilles publiques qui appe-
laíent , de tontes parts, le peuple a l'insurrection,
sous le prétexte d'une résistance légale a de pré-'
tendus coups d'érat dont la pensée n'existait que
<dans I'esprit des rédacteurs de ces feuilles ; toutes




( )5 I )
ces circonstances étaient de nature a persuader a
quelques personlles que les moyens ordinaires ne
suffisaient plus pou!' combattre les élémens de dis-
soIution quí nousdébordaient de toutes parts , et
qu'il était tems de recourir, pour sauver le Roi, le
treme el la paix publique, aux moyens extraordi-
naires que pouvait autoriser et légitimer la disposi-
tion de l'article 14 de la Charle.


D. Comment, dans votre mémoire du mois de dé-
cemhre , vous étiez-vous opposé avec tant de force
aux coups d'état, lorsque vous semblez croire que
l'article 14 pouvaittoujours les légitimer ?-R. Mon
mémoire du 15 décembre a été con<;u et écrit pour
les cas ordinaircs et Iorsqu'il est possible de se ren-
ferml!t dans les limites du droit commun ; mais j'ad-
mettais, comme tous les publidstesqui ont éerit
sur notre régime constitutionnel , que, s'il se pré-
sentait tellescirconstances qui rendissent la loi com-
mune impuissante pour protéger l' état et les citoyens,
eette loi eommune devait alors eéder a la loi plus
ímpérieuse du salut publie, et qne c'était, le cas de
nécessité absolue se réalisant, fe droit et méme le
devoir des gouvernans de reeourir a des mesures
extraordinaires ayant pour objet de sauver l'état et
ses institutions , et, pour ce moyen, la suspensión
momentanée de quelques parties de la constitution.
Telle était , selon moi, dans son entier, et ríen au-
dela, l'interprétation de la derniere partie de l'ar-
ticle 14 de la Charte. Au reste" ce qne je viens de
dire , n'est qu'une profession de doctrines, puisque,




u'ayant point adopté le systeme pal' suite duquel
furent rendues les ordonnances , je ne reconnus pas
que la nécessité dont je viens de parlerfut suffisam-
ment établie. - D. A quelle époque fut ex posé , dans
le conseil , le systeme dont vous ve-nez. de parler?
- R. Je ne puis indiquer de date précise ; mais,
comme ce systeme fut occasioné principalement
pal' ce qui s'était passé lors des élections , je sup-
pose que la premiere pensée ne put en étre émise
que vers le milieu du mois de juillet. - D. Le fut-
elle en préscnce du Roi Charles X, ou dans les con-
seils tenus hors la présencc de ce prince P- R. La
discussion sur le systeme qu'il convennit d'adopter,
dan s les circonstances critiques oú se trouvait la mo-
narchie, eut lieu d'abord en conseil des mi~tres
seuls , puis, dans un conseil subséqnent, en présence
du Roi. - 1). Votre opposition a ce systeme dura-
t-elle jusqu'a la signature des ordonnances du 25 :)
- R. Il fant distinguer entrele systeme en lui-méme
et les ordonnances, qui n'étaient qu'une mise a
exécution. Je comb~ttis le systeme, parles motiís que
les dangers signalés ne me paraissaient ni assez grands
ni assez pressans pOlll' obliger le Gouvernement a
s'écarter des voies parlernentaires, Ce systeme m'of-
frait d'aillenrs de graves inconvéniens, soit a raison
des circonstances dans lesquelles il était proposé, soit
a raison des moyens d'exécution. Je développai ces
considérations , d'abord dans le conseil privé tenu
par; les ministres sculs , et jc fus appuyé par l'un de
mes collegues. Je reproduisis cette opposition, ayer




( "3)\ 1:>
de nouveaux développemens , dans le conseil, en
présence du Roi. Mon opinion n'ayant pasprévalu,
j'attachai pen d'importance au texte des ordonnances,
qui n'étaient que la conséquence inévitable du plan
adopté, et qui , d'ailleurs, ne donnérent lieu , dans
le conseil, qn'a des discussions sur les objets de
détail et les formes grammaticales. le desire que la
Commission prenne sur ce point les dépositions de
l\'I. de .Courvoisier, auquel je communiquai mon opi-
nion avant et apres les ordonnances.


D. Pourriez-vous dire quel est celui de vos colle-
gues qui vous a appuyé dans votre opposition?-
R. Cette círconstance pouvant servir 1'un de mes
colleglles sans nuire aux autres, je n'ai pas de raison
de reíuser de déclarer que mon opposition fut par-
tagée, dans le premier conseil , par M. de Peyronnet.


. .


- D. Comment se fait-il que, ayant été si contraire
au systeme quí a dominé dan s la rédaction des 01'-
donnances, et lorsquc votre opposi tionétait ancienne
et réfIéchie; lorsqu'un pareil plan vous avait paru
contraire aux intéréts du Roi Charles X, contraire a
la foi jurée etá'la moralc politique, cal' tout cela
résulte du mémoire que nous vous avons presenté:
eomment se peut-il que vous ayez pu signer ces 01'-
donnances? - R. De mes réponses précédentes iI
résulteque, dans mon intelligenee, un systeme extra-
légal n'eút été une violation de la Charte et de la foi
jurée qu'autant qu'il n'eüt pas été le seul moyen de
sauver l'état ou, en d'autres termes, qn'il n'eüt pu
étre justifié par la disposition de l'aeticle 14 rappro-




( 1 i;4 )
chée zles cxigences du momento La discussiou se
trouvait done ramenée auneappréciation de Iaits,
Les dangers qui, suivant l'opinionde mes collegues,
eompromettaient,de la maniere la plus grave, le
salut de I'état, .ne me paraissaient pas tels, il est
vrai ; mais je n'avais pas laprétention de me croire
plus sage que les autres membres du conseil , et mon
avisn'ayanrpas été adopté, je dus penser que je
voyais mal les faits que la majorité envisageait au-
trernent que moi. D'un autre coté, j'aurais {lu me
retire," du ministere , maisje ne me dissimulaispas
que, dans les circonstances oú DOUS lIOUS trouvions,
une modification quelconque dans le conseil aurait
entraíné de graves .inconvéniens ponr le Roi, peut-
étre' méme pour l'état; enfin , je mesurais toute I'é-
tendue de la responsabilité que le ministere assu-
mait sur lui., et je n'eus pas la ~ellsée de fuir en
présence du danger. - D. N'eút-il pas étépossible
que le danger que vous supposiez se füt borné aun
changement de ministére? - R. Si nous avions pensé
qu'unchangement de ministere pút conjurcr les
périls qui entouraient le tróne , nul de nous n'eút
hésité amettre sa démission aux pieds du Roi, .


D. Les ordonnances une fois siguées, quelle part
avez-vous eu dans le choix des précautions qui ont
du étre prises pone en assurer le succes ? - D. Les
mesures d'exécution prescrites par les ordonnances
(mtété arrétées en conseil , mais j'ai pris peu ou
point de part a la discussion de ces mesures, qui
rentraienr plus.spécialemcut dans des départemcns




( 155 )
étraugers au míen.Te dois, a eette occasion, recti-
tier une erreur commise , soit par rnoi , S(¡)it:par M. le
rapporteurdc la Commission. Lerapport énonce
que je n'ai point assisté au conseilidans lequeifut
arrété la mise en état de siége. Ou je me suis In,al
~xpliqué, 'ou j'ai été maIcompris: la vérité eshJUc
cette mesure futarr-étée en maprésence; et , quoi-
que je ne l'aie pas -discutéevmon silence doit -étre
consideré comme uneapprohation.-D. Il n'estpas
possible qu'en signant les ordonnances on n'eút pas
prévu ,qu'elles occasioneraient une grande résis-
tance; quelles mesures furent arrétées le 25 pomo
vaincre cette résistance P-lL Les faits, plus irré-
sistibles que tous les raisonnemens , prouvent jus-
qu'a l'évidence qu'on était loin de prévoir une résis-
tance ou plutót une ililsurrection telle que.eelle. dont '
nous avous eu le malheur d'étre les témoins. Si on
eút prévu cette résistance , et qu'on eút en la.vo-
lontéde la vaincre a tout prix, on aurait pris de'
Iongue main les précautions qu'indiquait la prudence
la plus commune. 01', non-seulement le Gouverne-
ment ne prescrivit aucune réunion extraordinaire de
troupes, puisqu'a peine sept mille hommes d'infan-
terie furent engagés dans les trois malheureuses,
journées, mais on n'appela pas méme a París les
portions de la garde royal. qui se trouvaient aCour-
bevoie et aVincennes. Tout fut suhit , imprévu, et
les deux seules mesures prises, la mise en état de.
siége et la nomination d'uneommissaire extraordi-
naire, n'eurent lieu qu'apres les premiereyg'ressions




( 156 )
-du peuple, - D. On devait savoir que les tribunaux
réguliers ne préteraient pas leur appui ades mesures
extra-légales ; ne fut-il pas arrété qu'on établirait des
cours prévótales P Si l'on ne voulait pas en étahlir,
n'eut-on pas le projet de recourir a des tribunaux
militaires, puisqu'on ne pouvait se servir que d'un:
de ces trois choses ; les tribunaux ordinaires, les
cours prévótales ou les commissions militaires? -
R. En prenant des mesures hors de laloi commune
pour sauver l'état, menacé d'une subversiontotale,
les ministres avaient la conviction qu'ils agissaient
dans les limites de l'article I!f de la Charte; ils
croyaient remplir un devoir pénible mais impérieux,
ils ne pouvaient penser que la magistrature hésite-
rait aremplir le sien. Au reste, il n'a jamais été ques-
tion. dans le conseil d'établir, ni tribunaux, ni com-
missions extraordinaires , sous quelque dénomina-
tion que ce fut,


D. Lorsque vous eútes connaissance des premiers
troubles qni éclaterent le 27, et lorsque vous vous
trouvátes réunis le soir , avec vos ~olleglles, chez
M. de Polignac, vous qui vous étíez dans l'origine
opposé an systeme des ordonnances, voyant l'effet
qu'elles produisaient , n'opinátes-vous pas dan s ce
dernier moment pour qu'on en suspendit l'exécu-
tion ?- R. Quoique, desele 27 , des attroupemens
insurrectionnels enssent en Iieu , que les troupes
royales eussent été attaquées, et que le sang eút
coulé, il était impossible de reconnaitre ce jour-la
le véritablf caractere du mouvement qui pouvait




et qui paraissait mémei n'étre qu'un tumulte oc-
casioné par quelques attroupemens d'ouvriers et
d'hommes de la derniere classe du peuple. Il .n'y
avait done pas motif suffisant de songer arapporter
les ordonnanees , et en effet eet objet ne fut pas mis
en délibération dans le conseif : je n'eus done au-'
cuneopinion a émettre a cet égard.- D. C'est ce-
pendant le 27 au soir qu'a été délibérée, dans le
con seil , la mise en état de siége de la ville de Paris ;
comrnent eette mesure, dont la conséquence était
de suspendre l'action de tous les pouvoirs civils
administratifs et judiciaires , de priver les citoyens
de tous 1eurs recours naturels et légaux , a-t-elle p~~
étre prise sur le simple fait d'un tumulto tel que
vous venez de le dépeindre? - R. Je n'admets pas
que les conséquences de la mise en état de csiége
fussent aussi graves, ni aussi étendues quevous
l'exposez; reffet immédiat d'une telle mesure est
bien de faire passer les autorités administratives et
judiciaires , sous la direction de l'autorité militaire,
maís non de détruire les droits fondés sur la loi;
eette mesure effrayante pour les perturbateurs est
pl'Opre, surtont en cas de tnmulte, a rassurer les
bons eitoyens :, c'est ainsi que l'envisageait cet offi-
cier qui récemment mettait un département tout
entier sous ce régime, et fut récompensé pour avoir
pris eette mesure salutaire. - D. On concoit sur
un point éloigné du Gonvernement l'avantage, -dans
un moment de grand trouble, de réunir tous l~s
pouvoirs dans une méme main, mais au centre du




( 158 )
Gotlvernement, dansle-lieu oú son aetion pent etre
la plus prompte et la plus immédiate, lorsque l:e
président du eonseil est en outre ministre de la
guerre,il est dHlicile dene pas eonsidérer que le
résultat le plus certain de cette mesure est l'aboli-


•tion de la justice ordinaire et l'envoi des citoyens
compromis devant les tribunaux militaires. Vous
avez dit cependant , il Y a pen de momens, que
l'intention du ministere n'avait point été de recou-
rir á d'autres tribunaux militaires, - R. Ces obser-
vations seraient puissantes sanso doute pour motiver
~~ns une loi sur la mise en état de siége une dispo-
sitien exceptionnelle en faveur de la capitale; mais
ce'U~ exception n'existe dan s aucune des 10is sur la
ma.tie'i'~~e~ il s'a-girici d'line'question toute de lé-
gali~.,pu~squ·en fuit la mise en état de siége dont
il s'agit n'a produit aucun résnltat dont les citoyens
aient en ase plaindre. Sur la derniere partie de la
question , quand j'ai dit 'que le ministre n'avait pas
el,t l'intentiou d'établir ni trihunanx ni commissaires
extraordinaires , je ne pouvais avoir en vue les ré-
sultats possibles de la mise en état de siége, puis-
que cette mesure n'aété rendue nécessaire que par
des eirconstances fortuites et en dehors du systeme
dwcGouvernemcnt.


1), N?avez-vous pas, vous, ancien magistrat, ap-
pelé anssi l'attentíon de vos collégues sur un autre
poinediune nature infinimentgrave? Il resulte d'une
fonle de déelarations ~et notnmment de celles des
comrnissaires de pollee employés, a cette époque ,




( 159 )
dans les arrondissemens oú ont en lieu les princi-
paux engagemens, qu'aucune sommation n'a ét(;
faite nulle part aux citoyens, par les officiersefvils,
avant que les armes fussent employées centre eme :
bien plus, l'ordre de faire ces sommations n'a'ura'it'
t'té donné ni a personne, ni nullepart. --'-' R. Le
soin de donner les ~rdrés relatifs anx sommations
dont vous parlez appartenaitau commissaireextra-
ordinaire; j'ignore si ces ordres ont été donnés SOl'
tous les points.aJe ne sais si, snr quelques-uns de
ces points, I'agression n'a pas été tellement suhite'
qu'il eüt été impossible d'accomplir le préalable
prescrit par la 10i; mais j'ai la certitude que ces
sommations ont été faites dans phlsieurs eircon-
stances des journées des 27 et 28.


D. A·vez-volls quelques éclairciseemens-adormer
sur le fait si extraordinaire de ces incendies qui ,
pendant les deruiers mois de la durée du ministere
dont vous faisíez partie , ont désolé plusieurs can-
tons de la Normandíe, et dont l'exécution pourrait
se rattaeher á eeHe de quelque plan concu ponr jete!'
la Franco dans le trouble et dans les alarmes? - R.
Les incendies dont vous me parlez ont été l'objet
des plus pénibles sollicitudes des ministres depuis
le moment oú ce fléau se manifesta. Nous n'avons
pas en un seul conseil oú l'on ne se soit occupé de
chercher les moycfls d'y porter remede: ce fut dans
eette vue que deux régimens de la garcle furent en-
vovés en Norrnandie , sous les ordres du général
Latour-Foissac , investí <In titre et des ponvoirs de




( 1 Do )
commissaire extraordinaire, etqu'un certain nombre
d'agens de police y furent envoyés par M. le préfet
de police. Si la Commission prend la peine de se
{aire représenter la volumineuse eorrespondanee qui
a eu lieu a ce sujet entre les autorités locales et les
ministres de l'intérieur et de la justice; si elle veut
entendre les dépositions de MM. de Montlevault,
ex-préfet du Calvados; Latour-Foissac , Eugene
d'Hautefeuille, maréchal-de-camp , qui commandait
alors dans le département, et Guillibert, procureur-
général pres la Cour royale de Ca~, elle aequerra
la eonviction profonde que le Gouvcrnement du
Roi a fait tout ce qui était humainement possible
pour réprimer le mal et en découvrir les auteurs, 1l.,.
est aregretter que MM. les membres de la Commis-
sion d'accusation de 1aChambre des Députés n'aient
pas recouru a ces moyens d'éclairer lenr religion
sur un fait aussi grave; 1\1. le rapportellr se serait
evité le tort d'une insinuation totalement dénuée de
fondement. Il est aussi facile qu'ordinaire d'attaquer
d es .hummes tombés dans l'ínfortune ; mais des in-
culpations sans preuves demeurent des calomnies. Je
desire que l'inforrnation la plus scrupuleuse soit faite
pOtll' découvrir les auteurs de. ces crimes , qui me
touchent d'autant plus vivement qu'ils ont désolé la
province a laquelle je me fais honnenr d'appartenir.




DÉPOSITIONS
DES PRINCIPAUX TÉMOINS.


Nous alioli s rapporter les dépositions qui méritcnt davautage
l'attention de nos lecteurs. Nous n'oublions pasquenotre devise
cstimpartialitt!; on s'en convaincra par le choix que nous avons
fait des dépositions acharge el adécharge.


Domirrique-Franecis-Jean AHAGO, dgé de 4/. ans ,
membre de l'Institut , dc/neurant ai'observatoire.


Avant de m'expliquer sur les faits dont je suis
appelé a déposer; il cst nécessaire que je fasse
connaitre l'origine de mes relations avec M. le due
de Raguse. Lorsqu'il se présenta, en 18J 6, comme
candidat pour une place de membre honoraire a
l'académie des sciences, j'avais, sur la part qu'il prit
aux événemens de 18 J 4, l'opinion qui, malheureu,
sement pom' sa réputation, est si généralement ré-
pandue dans le public; et cette opinion me déter-
mina a m' opposer a son élection, Mais , depuis,
ayant en occasion d'acquérir une connaissance
exacte de cette partie importante de la vie politi-
que du due de Raguse , par le général Foy, par le
colouel Fabvier et par le général prussien Muffling,
je reconnus, non pas qn'elle fút a l'abri de toute
critique, rnais du moins qu'on n'y trouvait ancune
trace de ces honteux calculs d'intérét privé auxquels
le peuple, sur des aperc;us vagues et sans consis-


JI




( 162 )


lance, a attrihué les actes du maréchal. Cen' est point,
au surplus , le lieu d'entrer a ce sujet dans de plus
grands développemens ; mais je tenais a expliquer
comment les principes politiques dont j'ai tonjours
fait publiqnement prolession n'avaient pas dú m'em-
pécher de devenir l'ami du duc de Iíaguse.


Les coups d'état , dont quelques journaux me-
naeaient la Franco dans les premiers jours de juillet,
se montraient alui cornme les germes d'nne révo-
lution sans issue ; il désapprouvait la marche illé-
gale et, par suite, érninemment périlleuse", qu'on
paraissait vouloir adopter, dans les termes les plus
explicites, je puis méme dire les moins mesurés. Le
lundi 26 juillet, jour deja publication des fatales
ordonnances, le maeéchalvint aI'Institut , et , vóyant
combien la lecture du lJloniteur °m'avait douloureu-
sement affecté, il me dit en propres termes : « Eh
)J bien! vous le voyez : les insensés, ainsi que je le
II prévoyais , ont poussé les ehoses a l'extréme. Du
»moins, vous n'aurez a vous affliger qne eomme
» citoyen et comme bon Francais: mais, combien ne
II suis-je pas plus áplaindre, moi, qui, en qualitéde
» militaire, serai peut-étre: obligé de me fairetuer
» ponr des actes que j'abhore et pour des personnes
» .qui, depuis longtems, semblent s'étudier a m'a-
)l breuver de dégoúts! » o


Le mercredi '18 jüillet au matin , j'appris qu'en
conséquence des mouvemens populaires de la veille,
la ~ille de Paris venait d' étre mise en état de siége ,
et queIemaréchal Marmont était gouverneur. Je




( 1fj3 )
sortis aussitót , afin de m'assurer par moi-méme de
l'état des choses. Je parcourus un grand nombre de
quartiers, et il Irte semblait voir que I'insurrection
était heaucoup plus sérieuse qu'on ne le eroyaitgéné-
ralement. Dans plusieursgroupes j'entendis des per-
sonnes manifester hautement l'espérance que le duc
de Ragllse profiterait de cette eireonstanee ponr se
réhabiliter. Ce mot,quoique je n'y attachasse pas,
sans doute, le méme sens qne quelque - uns des
oratenrs de la bouche desquels il étaít sorti, fut ponr
moi un trait de lumiere; .ji me convainquit que je
devais sans retard me rendre chez le maréchal , soit
eomme eitoyen, soit eomme ami, et essayer de luí
persuader que sonhonneur, méme en donnant a ce
terme toute I'extension qu'il a dans I'esprit des mi-
litaires, ne pouvait pa.s l'obliger a se battre eontre
un peuple en état de légitime défense, contre des
Francais aqui on venait enlever un état politique
qn'ils avaient acquis au prix de vingt années de gllerre.
Ce succes qne j'attendais de ma démarche ne m'a-
venglait pas toutefois sur les dangers dont elle était
entourée. Il ne me paraissait pas tres-difficile de
pénétrer jusqu'a l'état-major; mais on pouvait étre
vu ; mais on pouvait étre signalé au peuple COIIune
un émissaire de l'autorité qni alors le fesait mitraillcr ,
et périr soi-méme sous ses coups, cornme un infame
espion, sans pouvoir se justifier.


Tontes ces craintes s'évanouirent a mes yeux vers
nneheure et demie de l'aprés-rnidi, lorsque j'eus recu,
d'une personne qui , ainsi qne rnoi , aurait desiré
concilier les intéréts da pays et ceux de notre mal-




( 164 )
heureux ami, une lettre dans laquelle on me faisait
espérer que ma visite aux Tuileries ne serait pas
sans résultat. Je partis sur-le-champ , accompagné de
mon fils , et j'a rrivai au cháteau sur les deux heures
du soir. Les aides-de-camp du maréchal aplanirent
avec empressement tous les obstac1es qui , dans de
telles circonstances, m'auraient peut-étre empéché
de pénétrer jusqu'a lui ; leurs sentimens et les miens
étaient trop d'accord pour qu'ils ne dussent pas me
voir arriver avec plaisir. Le maréehal me recut dans
le salon qui donne surla place du Carrousel, j'entrai
tout de suite en matiere ; je lui parlai, tant en tnon
propre riom qu'au nom de ses meilleurs amis; j'es-
sayai de lui faire reconnaitre que le príncipe de 1'0-
béissance passíve ne pouvait pas concerner un ma-
réchal de Franee, surtout en tems de révolution;
j'insista.i sur le droit incontestable qu'avait le peuple
de París, de recourir ala force, quand l'autorité em-
ployait, pour le dépouiller, des moyens dont rien
ne saurait légitimer l'emploi, Je proposai enfin ,
comme conséquence , au due de Raguse, d'aller sans
retard aSaint-Cloud , déclarer au Roí qu'illui était
impossible de conserver le commandement des trou-
pes, a moins qu'on ne retirát les odieuses ordon-
nances, et que le ministere ne fñt renvoyé. Cette
double mesure me paraissait devoir mettre fin au


-.combat; car, a deux heures, le mercredi, on était
-p.ans un de ces courts instans oú , pendant les trou-


bles civils, chaque parti peut croíre gagner heau-
coup, tout en faisant de larges concessions au parti
contraire.




( ,65 )
Le maréchal me laissa développer ma pensée,


mais j'apercevais dans toute sa personne un malaise
évident, Ses opinions au fond, n'étaient pas chan-
gées; les actes du lundi ne luí paraissaient ras moins
criminels; la démarche que je lui conseillais lui sem-
blait juste; seulement, par un sentiment indéfini-
sable, puisé dans les habitudes militaires, il ne
croyait pas que le moment de la faire hit encore ar-
rivé, Un maréehal de Franee, un vieux soldat , ne
devait pas, selon lui, proposer des eoneessions, tant
que les ehanees du combat étaient incertaines. J'es-
sayais de lui prouver de mon mieux que, s'il était
victorieux le lendemain, l'autorité ministérielle serait
redevenue toute-puissante, qu'il n'aurait plus de
crédit, que sa démarche alors ne porterait aucun
fruit, lorsqu'on annonca I'arrivée de MM, Laffite,
Gérard, de Lobau, Casimir Périer et Mauguin.


Je passai aussitót , avec tous les offieiers qui rem-
plissaient alors le salon du maréchal, dan s la salle
de billard. C'est la qu'on m'apprit que les ministres
oecupaíent, au rnéme étage, un salon contigu dont
les fenétres donnent sur la rue de Rivoli; quatre
d'entre eux (MM. de Polignae, d'Haussez, Guernon
de Ranville et Montbel), que je ne connaissais pas
méme de vue, vinrent s'y promener successivement;
un des aides-de-camp du maréchal, M. de la Rue,
me les montra, Bientót les députés s'en allerent : ils
étaient presque au bas de l'escalier lorsqu'on les in-
vita a remonter, en leur annoncant, je crois , que
M. de Polignac consentait a les recevoir; mais il
s'était 11 peine écoulé une minute, quand on vint les




( 166 )
avertir sechement qu'ils pouvaient se retirer. L'un
d'entreeux en térnoigna sa surprise par une excla-
mationdont la plupart des assistans comprirent
toute l'étendue, M. Mauguin, avee qui j'avais lié
conversation, pendant qu'il attendait dans la salle
de billard , se louait beaucoup des manieres du m~­
réchal, t out en regrettant que, ccrtaines influences
I'empéchassentde s'abandonner sans reserve a ses.
propres sentimens,


Aprés le départ des Députés, j'espérais reprendre
ma conversation avec le duc de Raguse, mais tont
son teros était employé aécouter les officiers d'état-
majoi- ~qui apportaient incessamment, des divers
quartiers de Paris, des nouvelles plus ou moins dé-
cisives,fLe".colonel de la gendarmerie, M. de Fou-
cauld, arriva ason tour et resta en conférence avee
le maréchalpendantplus 'd'une demi-heure. Avant
de me retirer, j'invitai M. l'aide-de-camp de la Rne a
vouloir bien' dire au maréchal qneje reviendrais le
lendemain pour renouveler mes sollicitations, s'il'


, en était tems encore, e'est-á-dire , si la traupe de
ligne n'avaitpas pis partí pour le peuple. L'impres-
sion que cette phrase produisit me montra qu'on ne
craignait encore rien de pareil. Je m'expliquai da-
vantage, je citai divers', quartiers oú j'avais vu, vers
midi, des groupes de soldats assez nombreux frater-
niser avec les citoyens armés. M. de la Rue crut qne
cette nouvelle inattendue ferait quelque impression
snr l'esprit de M. Polignac. Il me pressa vivement de
la lui communiquer ; je ne crus pas devoir céder a
ses sollicitations , parce que, ayant indiqué moi-




( )67 )
méme le renvoi immédiat des ministres comme une
mesure sans laqnelle tont arrangement sersitimpos-
sible , il m'était difficile d'avoir eles rapports directs
avec eux; je voulais d'ailleurs me réserver le droit
de dire hautement , en cas de besoin , que si j'avais
Vil les ministres; que si, contre mongré, je m'étais
trouvé avec eux dans la méme maison, je ne leur
avais pas du moins adressé une seule parole. Alors
M. de la Rue, avec moo assentiment , alla, dans le
salon voisin, transmettre ma nouvelle au maréchal;
celui-ci s'empressa d'en faire part aM. de Polignac;
mais elle fut loin de produire l'effet qu'on attendait ,
cal' M. de la Rue, en revenant , s'écria avec l'accent
de la plus pro~ondedouleur : (e Nous sommes perdus !
}) notre premie,' ministre n'entend pas méme le fran-
» ~ais! Quand le maréchal lui a dit , en vous citant ,
» que la troupe passait du coté dupeuple, il a ré-
» pondu; EH llIEN, lL FAUT AUSSI TIRERSUR LA TROUPE ! »
A partir de ce moment , il fut évident pom moi que
malgré l'état de siége, le maréchal ne commandait
que de norn , et je me retirai, Il était alors plus de
quatre heures.


Achille-Francois-h icolas DE GUISE, dgé de 39 ans ,
chef de bataillon , dcmeurant ti Paris, me de
Suréne, n° 22.
Le lundi, 26 juillet , j'étais chez M. le maréchal


duc de Raguse, lorsqu'a son arrivée aParis,.illut
pour la premiere íois le iJ1oniteur, qu'il n'avait P" se
procurer a Saint-Cloud, AWes cette lecture , il me.




( J 68 )
quitra pour aller a l'Académie, et retourner de lit a
Saint-Cloud. Le mardi matin, je re~us de lui une
lettre par laquelle il me demandait de l'avertir de ce
qui se passerait aParis, les circonstances pouvant
empécher les journaux de paraitre. J'allais me dis-
poser asatisfaire a cette demande, lorsque je re~us
un autre ordre qui m'enjoignaitde me rendre a l'état-
major. Jem'y rendis aussitót , et M. le maréchal y
était déja arrivé. II était alors entre midi et une
heure. Il m'annonca que, le matin , le Roi l'avait fait
appeler, et lui avait ordonné de se rendre a París
pour prendre le commandement, en lui annoncant •
que des troubles avaient en lieu la veiJIe, mais en
lui permettant de revenir le soir coucher a Saint-
Cloud, si le calme était rétabli.:fe dois faire observer
que jusqu'alors aucnn ordre n'avait été donné aux
tronpes, qui n'étaient méme pas consignées. Des
mesures furent immédiatementprises, et vers onze
heures du soir, je fus envoyépar M. le maréchal
chez M. le prince de Polignac, auquel j'annoncai
que les rassemblemens étaient entierement disper-
sés,et qne les troupes allaient rentrer, En revenant
chez le maréchal, je fus chargé par luí d'écrire, sous
sa dictée, une lettre au Roi , pOllr lui rendre 'compte,
dans le méme sens, de ce qui s'étaít passé. Cette
lettre dut étre portée au Roi le mercredi de grand
matin.
. Vers huit heures dn matin, le rnercredi , M. le


maréchal écrivit une seconde lettre au Roi, dans la-
quelle il lui rendait compre de la marche des événe-




( 169 )
mens, Cette lettre, confiéeaun gendarme, futperdue
par un accident, et M. le maréchal en ayant été im-
médiatement instruit, m'en fit écrire une autre
dans le mérne sens, mais beaucoup plus succincte, et
dont je vous dépose une copie; elle était datée de
neuf heures, et fut portée , d'apres l'ordre exprés
du maréchal , par un officier d'ordonn:ance. Peu de
tems avantou apres le départ de cette lettre, un
jeune homme que je ne connais point, viril trouver
M. le maréchal de la part du préfet de poli ce , et lui
demanda s'il était vrai que la ville de Paris eút été
mise en état de siége. M. le maréchal, auquel plu-
sieurs personnes parlérent également de cette cir-
constance, m' envoya, vers dix heures,chez l\1.le prince
de Polignac, pour savoir ce qui en était , et lnifaire
observer qu'il y avait des conditions de légalité a
remplir pour une semblablamesure. Le ministre
m'apprit qu'eneffet I'ordonnance de mise en état de
siége était sígnée, et qu'il avait envoyé chercher M.le
maréchal, ¡lour qu'il vínt la prendre. Je revins avec
M. le maréchal, qui, en sortant de chez le prince,
me remit l'ordonnance. Nous nous rendimos direc-
tement au quartier-général , oú les ministres ne tar-
derent pas a arriver, sans que je puisse dire s'ils y
vinrent ensemble ou successivement.


A trois henres , M. le maréchal me fit écrire une
nouvelle lettre au Roi, lettre dont je dépose égale-
ment entre vos mains une copie, et qui fut datée de
trois heures et demie. J'en étais arrivé au point oú
vient dans la lettre le compte rendu des événemens,




( J 70 )
lorsque les députés dn département de la SeÍDe
furent introduits chez M. le rnaréchal par M.de
Glandeves; mais je ne restai point présent a la con- .
férence qu'ils eurent avecM. le maréchal, et je n'ai
su que par oui dire ce qui s'était passé. Quand ils
furent sortis, la .lettre fut achevée, et M. le lieute-
nant-colonel Comirouski fut chargé de la portel'.
le pense que M. le maréchal recut des réponsesdu
Roi aux diverses dépéches qu'il luí avait expé-
diées; mais je n'ai poin t eu connaissance de Ieur
contenu.


Dans le cours de la journée , sans que je puisse
préciser a quelle heure, une proclamation fut ré-
digée par l'un des ministres, et communiquée a un
autreministce qui se trouvait la; on mechargea de
la faire imprimer al'imprimerie royale , mais je fis
observer que cela était impossible, et il en fut remis
une, sans que je pusse savoir si c'était celle que
j'avais vue entre les mains de I'un des ministres, au
jeune homme qui était venu de la part du préfet
de poli ce , et qui revint plusieurs fois dans la jour-
née; on I'avait chargé de la faire imprime!' et Jis-
tribll~r,


Le jeudi, de trés-bonne heure, M.le maréchal fit
convoquer les maires de Paris, mais il n'en vint que
trois. Vers sept heures, :MM. de Sémonville et d'Argout
furent introduits, el se rendirent ensuite a Saint-
Cloud en méme terns que les ministres. Apres leur
dé.part, les maires furent chargés d'aller annoncer
que le feu allait cesser. Nous observions avec M. le




( qI )
maréchal quel serait le succes de leur missiou, et
il paraissait assez satisfaisant , lorsq u'une fusillade
tres - vive s'engagea de nouveau , et la retraite
s'opéra,


Ce témoin a déposé les pieces suivantes :


Ordre de M le marquis de Choiseul aM. le général
comte de lFalt.


27 [uillet 1830.
« Mon cher géuéral,


» M. le maréchal vous invite á donner l'ordre au
colonel du 15e régiment de partir du Pont-Neuf el
de suivre le qua ¡ de llIorloge, le pont au Change,
et de se porter jusqu'a la hauteur du marché des
Innoeens. Il détachera alors nn bataillou qui suivra
la rue Saint-Honoré , pour prendre a revers une
barricade qui se trouve pres du PaIais-Royal. Un
bataillon de la garde l'attaquera en mérne tems de
l'autre coté. Cette barricade détruite, le colon el Pé-


. rigann suivra, dans toute sa longueur, la rue Saint-
Denis et descendra le boulevart, tandis qu'un autre
détachernent auquel vous en donnerez I'ordre , mar-
chera asa rencontre. Le régi~ent dn colonel Péri-
gann et le détachernent que vous enverrez asa ren-
contre se croiseront , et ce dernier se rendra an Pont
Neuf. Ces troupes balaieront tout ce qu'elles ren-
contreront sur leur passagej elles emploieront la
baíonnette si on leur résiste , et ne feront feu que
dans le cas oú on ferait feu sur elles ; elles tireront
cependant des coups de fusil aux fenétres d' oúon leur




( 17'). )


jetteraitdes pierres. Elles marcheront avec résolution
et en battant la eharge. 11 estimportant que ce mou-
vement ait lieu avant la nuit, et M. le maréchal
vous prie de donner l'ordre qu'il s'opére a sept
heures.


. ce Les gendarmes apied qui sont aupres de M. Pé·
rigann marcheront avec lui , et M. le maréchal
y adjoindra un détachement de gendarmes d'élite.


« L'aide-major-général ,
) Marquis DE CHOJSEUL. »


lettre du duc de Raguse au Rol.
Mercredi , a 9 heures du matin.


(f. J'ai:déja eul'honneur de rendre hiel' compte a'
Vótre :M:ajesié de la dispersion des groupes'qui ont
troublé la tranquillité de París. Ce matin, ils se re-
forment plus nombreux et plus menacans encore. Ce
n'est plus une émeute; c'est une révolution. Il est
urgent que Votre Majesté prenne des moyens de pa.
cification. L'honneur de la couronne peut encore
étre sauvée; demain, peut-étre, il ne serait plus tems.
.Te prends p~ur la joumée d'aujourd'hui les mémes
mesures que pour celle d'hier. Les troupes seront
prétes a midi, mais j'attends avec impatience les
ordres de Votre Majesté. »


« Trois heures et demie.


ce J'ai mis en mouvement mes différentes colonnes
al'heure indiquée. Le général*** est arrivé ala place
de Greve. J'ai ma communication assurée avec lui




( 1iJ )
par nn bataillon qui occupe le déhouché du Pont-
Neuf. Le général*** marche par les boulevarts pour
s'établir sur la place de la Bastille, Le général ***,
partí de la place 'Vendóme , oecupe avec ses troupes.
la place desVictoires. Malgré tout cela, tout l'espace
entre lui et moi est rempli de groupes insurgés , et
nous ne pouvons communiquer ensemble que par
la place Vendóme,


» Le général*Hest arrivé au marché des Innocens;
mais, apres avoir tourné et détruit plusieurs harri-
cades, et refoulé dans la rue Saint-Denis tout ce qui
s'opposait a sa marche, de nouveau gronpes se sont
reformés derríére Jni, et je ne puis avoir de ses nou-
velles que par des officiers dégnisés.


» Dans la marche des troupes, partout les groupes
se sont dispersés á leur approche; mais, daos presque
routes les rues, des coups de fusil sont partis des
fenétees de toutes les maisons, les troupes assaillies
ont riposté , et leur marche partoutn'a été qu'un
combato


») Les troupes ne sauraient courir le risque d'étre
forcées d'évacuer leurs positions; mais je ne dois pas
vous cacher que la situation des choses devient de
plus en plus grave.


» A l'instant oú j'allais fermer ma Jettre, se sont
présentés chez moi MM. Casimir. Périer , Laffitte,
Mauguin, le général Gérard et le général Lobau. Ils
m'ont dit qu'íls venaient me demander de faire ces-
ser le feu. Je Ieur ai répondu que je leur faisais la
méme priére , mais ils mettent pour condition aleur




(.174 )
JI>


coopération la promesse du rapport des ordon-
nances. Je leur ai répondu que, n'ayant aucun pon-
voir politique, je ne pouvais prendre aucun, enga-
.gement a cet égard. Apres une assez longue conver-
sation, ils se sont bornés ame demander de rendre
compte de leur dérnarche aVotre Majesté.


II Je pense qu'il est urgent que Votre Majesté pro-
fite sans retard des ouvertnres qui lui sont faites. »


Georges-Félix BAYEUX, ágé de quarante-huit ans ,
avocat général á la cour ro/ale de Paris, demeu-
rant ruc Traversiére-Saint-Honoré , n° 25.
Depuis plus d'un mois je remplacais M. le p!'ocu-


reur général qui était parti pour alter aux élections ,
I


lorsque le lundi 26 juillet , j'appris vers mi di que les
ordonnances étaient rendues. Je fus de suite au Pa-
lais, eroyant qne l'on aurait adressé quelques illr
struction au parquet: il n'y avait aucune lettre, De-
meurant aupres du Palais-Royal , des le Boíl' j'eus
connaissance du trouble qui avait eu lieu. Le lende-
main, mardi , je sortis de tres-grand matin , je re-
cueillis -ehez les commissaires de poliee les rensei-
gnemens sur ee qui s'était passé la veille. Je pareourHs
différens quartiers; [e fus informe qne les commer-
cans renvoyaient leurs ouvriers, Jevis les dispositions
hostiles dupeuple , d'ésormais intéressé dans la que-
relle; et a huit heures du matin , je me presenta¡
chez M. le garJe-des-sceaux. Je lui témoignai ma
surprise de ce qne le parquet n'avait pas été informé
officiellement de l'existence des ordonnances. TI me




( 175 )
répondit que l'exécution des mesures étant confiée
a l'autorité administrative , il avait paru inutile. d'en
donner avis aux magistrats. Je lui racontai alorstout
ce que j'avais appris le matin; je luicommuniquai
mes observations , et ne lui dissimulai pas que j'étais
convaincu que la journée ne se passerait pas sans
effusion de sango M. le garde-des-sceaux me répondit
que je m'alarrnais mal a propos, que ron avait la
certitude que la moindre démonstration de la force
ferait tout rentrer dans l'ordre, que le peuple se
bornerait a crier ti bas les ministres! cris que ceux-
ci étaient déterminés a laisser pO/lsser sans en tirer
vengeance. J'insistai en faisant observer que s'il
éraít possible de penser que, dan s le mornent ac-
tuel, le simple appareil de la force pút calmer l'ef-
fervescence des esprits , certes il nepourrait la
comprimer, lorsqu'au moment des' éleetions toute
la France serait en mouvement. M. le garde-des-
sceaux me dit alors que le gOllvernement avait tout
prévu , qu'il était parfaitement informé de l'état
des choses , et que je devais me tranquilliser, Je le
quittai avec la certitude que je ne le tirerais pas de
l'erreur oú il était que le peuple rentrerait dans
l'ordre des qu'il verrait les baíonnettes se diriger
vers lui. .


...


Je fus au Palais, et quelques-uns de MM. les con-
seillers étant venus me voir au parquet, me deman-
derent le sujet de la tristesse qne je manifestais; je
leur racontai ma conversation avec le garde-des-
sceaux , et je leur dis que j'étais d'autant plus ef-




( ] 76 )
frayé, que le ministre me paraissait plus tranquille.
Le soir, vers six heures et demie, j'étais rentré chef.
moi. J'entendis beaucoup de bruit du coté de la rue
Richelieu; et eorome la maison que j'habite n'est pas
sur la me, je descendis pour connaitre la cause de
ce tumulte. Tous les habitans de la rue Traversiere
étaient a leurs fenétres , la tete tournée ~u coté de la
rue Bichelieu. Tout acoup nous enteudons une dé-
charge de coups de pistolets derriere notre dos, Plu-
sieurs Ianciers de la garde venaient d'entrer dans la
rue Traversiere par la petite rue qui est en face du
passage Saint-Guillaume; et sans qu'il y eút aucun
rassemblement dans la rue, sans que j'eusse entendu
aucun tumulte, aucun cri derriere moi, déjá trois
personnes étaient tuées aleurs fenétres. Deux étaient
sur le baleon de l'hótel du Grand Balcon ; c'étaient
un étranger et sa femme ; l'un recut une balle der-
riere la tete, l'autre dans le coté. Un vieillard fut tué a
la íenétre d'une roaison au-delá de celle que j'habite,
et une dame eut la cuisse cassée au ca in de la rae du
Clos-Georgeot, a. quelque pas de moi. Cette attaque
si violente, si peu provoquée, souleva tous les habi-
tans de la rue, jusque-la fort tranquilles, et chacun
songea as'armer pour se défendre.


Le lendemain matin mercredi , je fus au Palais de
fort bonne heure. Je fis demander a plusieurs re-
prises M. le procureur du Roi; il n'était pas arrivé.
A.pres avoir examiné la correspondance qui consis-
tait en une ou deux lettres, on vint me dire que le
préfet de poliee congédiaít tous ses employés; ceux




~ 177
du parquet demandaient ~l se retirer ; je les sui vis et
rentrai chez moi. Vers deux heures et demie, un gen-
darme déguisé vint du Palais m'apporter une lettre,
dont 1\'1. Girad de l'Ain, président alors de la Cour d'as-
sises, avait donné rec..u etqu'il m'envoyait. Cette lettre
était adressée a M. le procurenr général par Ñ!: le
garde-des-sceaux; elle renfcrmait l'ordonnance con-
tresigriée par M. dePolignac, quimettait la villeen
état de siége. n était enjoint d'en faire la notification
a M. le premier président et au tribunal de premiére
instanee. Pend~nt que je lisais cette dépéche , un
autre gendarme dégllisé vint m'apporter un 'autre
paquet; e'l:it une expédition de la méme orden-
nance, qui m'était adressée directement chez moi ,
par M. le garde·des-seeaux. Ce ministre ayant appris,
par le re/{u de M. Girod, que sa lettre ne~avaitpas
été remise , avait cm sans dQu~ 'fil~:;dem'endonner
eonnaissance. Je me rendis~auPalai~; je n'y trouvai
que les gendarmes et la troupe de ligne de service,
pres de la Cour d'assises. M. Girod s'était retiré lors-
qu'il avait en connaissance de la mise en état de siége
de París. Je fis déguiser deux gendarmes et je les
envoyai porter les deux expéditions de l'ordonnance,
l'une a M.le premier président, 1'autre aM. le prq-
cureur du Roi : ces magistrats étaient chez eux.
M. le premier président me renvoya ceUe que je lui
avais adressée ; l'autre fut conservée par M. le pro-
cureur du Roi, et le récépissé qui me fut adressé,
fut signé par M. Perrot de CheselIes, substituto Je
ne pus rentrer chez moi qu'en courant les plus
g ranrls l1angt'rs. 12




( 178 ;
Jusque-la j'avais entendu dire que les ministres


étaient aSaínt-Cloud , et méme plus loin, et je l'avais
eru; en jetant les yeux sur I'ordonnance de M. de
Polignac, et la lettre de M. de Chantelauze, je re-


o marquai que ces deux pieces , qui avaient été écrites
trés-récemment, l'avaient été sur du papier portant
en tete ces mots: Carde rorale , état-major général.
Certain que les ministres étaient encore aParis , je
résolu de les voir, et de bien leur faire connaitre le o
véritable état des choses et I'inutilité de leurs efforts;
mais je ne pus y réussir le soir mérne , paree que ces
mots état-mafor général m'avaient trom~é, et j'avais
été a la place Vendóme oú je ne les tr~nvai point.
Le lendemain, vers huit heures, M. le premier pré-
sido~n~'!'Ácfit:9if.eque lesprisonniers de la concier-
gerie cherchaíentás'échapper. le partis pourtácher
de m'opposer a leurs efforts; mais avant de me
rendre au Palais, je fis une nouvelle tentative pour
voir M. le garde-des-seeaux. Le danger était évident,
les Suisses occupaient les fenétres de la rue Saint-
Honoré , et unbaleon qui est sur une boutique, au
coin de la rue de l'Echelle. Ils tiraient sur le peuple
et celui-ci ripostait. Un de mes amis me proposa de
m'accompagner. Nous levions les l:::tins en l'air pOllJ'
montrer que nous n'avions pas d'armes , et nous
demandions aparler a un officier. Les soldats nous
dirent qu'il n'y avait pas d'officiers avec eux et que
nous nous retirassions ; mais comme ils étaient pias
occupés de se défendre contre ceux qui les atta-
quaient de loin , que de l'approche de deux l.ommes




( J7~ J
désarmés , i1s ne tirerent pas SUJ' nous, Arrivé au
guichet des Tuileries, je renvoyai mon ami, en luí
faisant observer qu'il était inutile de nous faire tuer
tous les denx.


J'eus beaueoup de peine a savoir oú était M. le
garde-des-sceaux: on me renvoyait de l'état-major,
place du Carrousel, aux Tuileries. Enfin, un officier
supérieur me dit que le ministre que je demandaís
était chez M. Glandeves , gouverneur des Tuileries,
Je trouvai en effet dans un salan MM. de Peyronnet
et de Chantelauze : ce fut M. d'Haussez qui me con-
duisit pres d'eux. Ces Messieurs parurent fort em-
pressés d'avoir des nouvelles de l'état de la ville. Je
leur répondis que, hors ce qui les environnait,
tout était calme, tout était dans l'ordre le plus ad-
mirable, que les propriétés étaient respectées , que
tout individu qui était pris était tra ité comme UD
ami, et que ron avait méme pas pillé leurs hótels,
M. de Peyronnet me dit alors : ce Ce sont sans doute
,> les fédérés qui ont conservé lenr ancienne orga-
» nisation. Non, lui dís-je, c'est la population tout
¡) entiere qui se souleve ; les femmes montent des
/) pavés dans leurs chambres, pour jeter sur la tete
l) des soldats, pendan t que leur maris se font tuer
l) dans les rues ; les habitans des eampagnes accou-
» rent armés de fourches et de faulx ; le souleve-
) ment est universel, et toute tentative pour le
)l eomprimer completement inutile. Ce n'est point
» une simple émeute, dit M. de Peyronnet, c'est
)1 done une véritable révolution. Et nne révolution ,





( J 80 )
l> ajoutai-je , qui ne laisse aucune ressource , cal' je
)) ne vousvois aucnn appuí.» Et pO~lr le démontrer,
je racontai ce qui m'était arrivé la veille au Palais ,
lorsque j'étais allé porter l'ordonnance de M. dc
Polignac. An moment de mon entrée clans la salle
de la Cour d'assisses , 'le maréchal-des-logis de la
genl1armerie départeme~tale, qui commandait le
détachement de ser-vice pres de la Cour, était venn
au-devant ele moi et m'avait dit : « N'est-il pas bien
» fácheux , M. l'avocat-général, do tuer les autres , et
) de se faire tuer ponr une aussi detestable cause;
» cal' enfin, ce sont nos droits qu'on nous enleve. )
Un instantaprós , un gendarme, que j'avais envoyé
sur la Tour de l'Horloge, ponr savoir ce qui se ras-
sait ala Greve , étant venume dire que la garde se
retirait, et que les bédoins , nom qu'il donnait aux
citoyens cachés sous le pont de fer, tiraient sur les
Suisses sans que les soldats de la ligne, auxquels
on venait de distribuer des cartouches , et qui étaient
aupres, les défendissent; un soldat d'un régiment
de ligne, faisant aussi partie OU peloton ele service
aupres de l~ Cour, dit : ({ O'est pOltrtant f ..... de
voir tirer sur ses camarades saos les défendre. -
Ses camarades , répartit le sergent qui les comman-
dait, el pour les défendre , sur qui urercs-tu mal-
heureux ? sur tes freres ! »


Du langage de ces deux hommes appartenant a
I'armée, je tirais la conséquence qu'il ne fallait plus
éompter sur .rien. On me demande oú l'on prenait
de la poudre. On prend, répondis-je , celle des 501-




( lfh )
dats , et souvent ils donnent eux-mémes leurs car-
tonches. Il était alors trop évident que le mardi pré-
cédent , j'avais bien concu la position des choses ,
et que le gouvernementn'avait pas tout prévu. Aussi
M. d'Haussez me conduisit vers la fenétre et me dit:
( Fous avez bien raison , M. l'aoocat-général ; royez,
voila nos seuls défenseurs (en memontrantla garde),
il y a uingt-quatre heures qu'ils n'ont mangé et que
leurs chevaux n'ont eu de fourrages. » Je voulais me
retirer et aller au palais , oú mon devoir m'appelait,
M. le garde-des-sceaux me retint en me disant qu'il
avait une ordonnance a me remettre, et que d'ail-
lenrs il était bien aise qne je visse les autres mi-
nistres.


On passa dans une salle amanger ou ces Messieurs
prirent du café, et ensnite nous fumes a l'état-
majar par un souterrain qui cogduit d'un des gui-
chets des Tuileries, en face.1a rue de l'Echelle, j us-
qu'aux appartemens occupés par l'état-major et qui
sont sur la place du Carrousel, J'étais conduit pal'
MM. de Peyronnet, de Chantclauze et d'Haussez ; je
trouvai aI'état-major MM. de Gllefnon, de Montbel ,
de Haguse, et peut-étre une on deux autres pcr-
sonnes, qui passaient d'une piece dans l'autre, et que
jene fixai point assez pOlIr pouvoir dire si c'étaient
M. de Polignac et M. Capelle , mais je ne le erois paso
Je répétai en grande partie ce que j'avais dit aM. le
garde-des-sceaux et aM. de Peyronnet. Qn me de-
manda si ron avait fait choix d'un autre proCllreur~




1, J82 )
général; je répondis que non, et je demandai qui
done l'aurait choisi ?


M. de Guernon s'inforrna si les dépéches expé-
diées la veille par M. le garde·des-sceanx, étaient
parvenus aleur adresse, Celui-ci répondit affirma-
tivement. Le méme ministre demanda alors com-
ment il se Iaisait que ee fUt M. Girod qui eüt donné
un premier rec;u; je dis que e'était paree que M.Girod,
présidant les assises, se trouvait au Palais. «Voilá ,
dit-on alors, ee qui explique tont.» On demanda
qui commandait le peuple ; je dis qn'il n'y avait
pas, a proprement parler, de commandant ; aucune
masse ne se présentant de front , et chacun se hat-
tant pour son eompte personnel , cherehait tous les
moyens de nuire le plus a l'ennemi, en assurant le
mieux possible sa retraite; que dans tout ce qui de-
mandait de I'ensemble , on était dirigé par les éleves
de l'école polytechnique. J'avais précédemment,
dans ma conférence chez M. de Glandeves, dit que
j'étais convaincu que dan s peu de teros les Tuile-
ries seraient au pouvoir du peuple. Aussí ayant en-
tendu un des mi~tres demander a quelle Iieure le
Roi les attendait a Saint-Cloud , et un autre ré-
pondre que c'était a onze heures, je dis que je con-
seillais de ne pas attendre ce tems pour faire hattre
la re traite. Je sollicitais , avec instance, la permis-
sion de me retirer, M. le garde-des-sceaux, qui avait
écrit assez longtems, fit signer , par M. de Raguse,
et me remit une ordonnance qui enjoignait ala Cour





( I 8:~ )
royale de se réunir de suite aux Tuileries et non
ailleurs, Je fis observer qu'il n'y avait aucune pos-
sibilité dans l'exécution, et j'invitai le ministre a
faire transmettre lui-méme l'ordre a la cour. Il me
répondit que, remplacant le procureur-général, c'é-
tait moi qui étais chargé de l'exécution. Je pris
l'ordre, et je demandai alors qu'on me facilitát les
moyens de sortir sans étre esposé aétre tué par les
Suisses, On me dit qulton allaitassurermaretraito;
en effet, un instant apres , on me remit un Iaisser-
passer. Je sortis. Ayant lu ce papier , je vis qu'il ne
contenait qu'une permission de sortir des Tuileries,
oúje ne me croyais pas prisonnier. Je rentrai a l'état-
major; je vis un ofticier supérieur auquel je soumis
mon observation, en le priant d'envoyer un officier
avec moi, pour faire signe aux. soldats de ne pas ti-
rer sur moi , la feuille de papier étant trés-insuffi-
sante pour empécher des hommes qui sont an pre-
miel' étage d'en tuer un dans la rue. On me répondit
que cela était impossible, qu'il fallait me contenter
de ce que l'on m'avait remiso


En vain je tentai de sortir par le guichet qui con-
duit au Pont-Royal; les halles tirées de l'autre coté
de l'eau et sur le pont sillonnaient le passage, Par
la grille du Louvre, le dan gel' était plns grand en-
coreo Enfin , je résolus de revenir par OU j'étais allé.
Quand je rus dans la rue de l'Echelle, et an moment
de traverser la rue Saint-Honoré , je vis tomber
une ou deux personnes dans la rue des Frondeurs ,
qUi je IIl! disposais aprendre. Je changeai de direc-




( J 84 )
tion , et j'entrai dan s la rue Traversiere : la íusillade
était fort animée, J'étais seul dans cette rue ; mais
unmalheureux fruitier. qui voulut voir qui dan s un
pareil mornent pouvait se hasarder sans armes,
avanca la tete et recut un coup mortel; jel'entendis
tomber derriere moi. La COUl' de ma maison était
pleine de personnes qui s'y étaíent réfugíées. On
me demanda ce qne je venais de faire aux Tuile-
ries. Je dis que j'avais fait c~ma1trc anx ministres
la véritable situation des choses , et que je ne dou-
tais pas qu'avant pe;.¡ la lutte nc cessát. En effet ,
j'appris plus tard qu'un parIementaire avait été en-
voyé , mais que le peuple auquel son caractere n'é-
tait pas connu , l'avait tué au coin de la rue de la
Paix.Ayant rassuré.ma famille, je COUI'US au Palaís;
déja le peuple s'en était emparé et avait comrnis
quelqnes dégats au greffe de prerniere instance,
Des que ron me vit arriver, plusieurs personnes
vinrent au-devant de moi et me dernanderent de
Ieur remettre les fusils qui étaient en dépót au
greffe de la cour. Je Icor répondis que je ne le pon-
vais, et j'ajoutaí que tous ces fusils étaient déposés
par des chassenrs pris en contravention ; qu'aucune
de ces armes n'était en état de servir; qu'elles pré-
sentaient méme da danger, et qu'il ne fallait ptlS
s'exposer an hláme d'avoir violé un dépót public
sans aucun avantage. 11s me dirent alors qu'ils sa-
vaient qu'il y avait au greffe pour plus ele cent mille
francs de matieres d'or et d'argent, saisies faute de
marque de garantie; que des malveillans pourraient




( 185 )
profiter du moment pour s'en emparer; qu'il fal-


*lait garder ces objets , et que lorsqu'on aurait des
armes on placerait des factionnaires quiImpose-
raient avec ces fusils dont le mauvais état ne serait
pas connu, Ils entrerent an greffe , prirent les fusils
et firent bonne garde: ancun objet curieux n'a été
sou~trait. Je me rendís ensuite chez M. le premier
président; je Iui laissai l'ordonnance, que nons con-
vinmes de ne pas exécuter.


Et sur notre réquisition le témoin a déposé entre
nos mains , aprés les avoir paraphées, premiere-
ment une ampliation sígnée Chantelauze, de l'or-
donnance portant mise en état de siége de la ville
de Paris; secondement la lettre d'envoi de la mérne
ordonnance au procureur général pres la Cour royale
de París; ladite lettre en date du 28 juillet, égale-
ment signée Chantelauze.


Paris, ce .28 juillet 1830.
« Monsieur le procureur général, vous trouverez


ci-joint une ampliation d'une ordonnance de Sa Ma-
jesté, qui met la ville de Paris en état de siége.


)) Vous connaissez les consé~uénces légales de l'état
de siége, et vous aurez soin de vous y conformer, en
notifiant sur-le-champ ala Cour royale, pres laquelle
vous exercez vos fonctions, l'ordonnance du Roi.
Vous tiendrez la main, en ce qui vous concerne , ;~l
ce qu'elle recoive son entiere exécution.-


)) Je vous charge en mérne tems d'adresser sans
retard cette eommunieation a M, le prOcurcur du




( 136 )
Roi, qui devra aussi la notifier au tribunal de


. premiere instance.
» Je vous ferai connaitre les disposítions ulté-


rieures qui seront prises relativement a l'ordre
judiciaire.


» Vous voudrez bien m'accuser réception de cet
envoi. e


» Recevez, Monsicur le procurenr général,
l'assurance de ma parfaite considération.»


Le garde-des-sceaux de France,
ministre de la justice ,


CHANTELAUZE.


" CHA.RLES, par la grace de Dieu, Roi de France
et de Navarre, atous ceux qui ces présentes verront ,
salut,


») Vu les articles 53, 101, 102 et 103 du décret du
:.14 décembre 181 1;


» Considérant qu'une sédition intérieure a troublé,
dans la journée du 27 de ce mois, la tranquillité de
la ville de Paris;


» Notre conseil entendu,
» Nous avons ord'b~é et ordonnons ce qui suit :
» Art. 1er La ville de Paris est mise en état de


siége.
» Art. 2. Cette disposition sera publiée et exécutée


immédiatement,
Art. 3. Notre ministre secrétaire-d'état de la guerre


est chargé de l'exécution de la préseute ordonnance.
» Donné en notre chatean de Saint-Cloud , le vingt-




!, 187 )
huitieme jour de juillet de l'an de grace 1830, et de
notre regne le sixieme. »


Signé CHAHLES.
Le président du conseil des minis~res, chargé'


par interim du portefeuiile de la guerre,
Signé prince DE POLIGN A.C.


Pour ampliation :
L4 garde-des-sceaux. ministre secrétaire«


d' état de La [usiice ,
CHANTELA UZE.


M. Camille GA.ILL.um, ágé de trente-cinq ans, juge
d'instruction prés le tribunal de premiére instance
de la Seine , demeurant ti Paris, rue du Petit-


"Bourbon-Saint-Sulpice ; n° 7,


D. Quelles relations avez-vous eus avec les ex-mi-
nistres? - R. Aucune : j'ai seulement été une fois
chcz M. de Montbel, pour lui représenter les lettres
attribuées a MM. Colomb et d'Effiat, a l'occasion
d'une procédure relative a ces lettres, - D. Savez-
vous qneHes mesures voulait prendre le ministere
pour assurer l'exécutíon des ordonnances du 25
juillet ? - R. Non, en aucune maniere. - D. N'aviez-
vous pas entendu parler de I'institution d'une ou de
plusieurs cours ppé¡Otales? - R. Non, Monsieur , je
n'en ai point entendu parlero


D. Ne vous avait-on pas demandé, en vertu de
votre qualité de juge d'instruction , de signer des
mandats d'arrét centre un certain nombre de per-
sonnes? - R. Non, Monsieur , et je ne suis pas en-




( 188 )
eore bien remis de l'émotion que j'ai éprouvée en me
voyant accusé , dans eertain journaux , d'avoir dé-
eerné de semblables mandats. J'espere que eeux qui
ont imprimé cette ealomnie n'ont point calculé qu'ils
attiraíent sur moi le poignard a eette époquc. - D.
On prétend cependant , Monsieur , que les mandats
vous avaient été remis , que vous les aviez signés;
on cite méme le nombre des personnes centre qui
ils étaient décernés. -R. J'ignore quels sont les ren-
seignemens qui ont été fournis a la commission;
mais j'affirme que ce fait est entierement faux. J'ajoute
qu'un juge d'instruction ne pouvait recevoir qu'un
réquisitoire tendant a obtenir les mandats susdé-
signes. Aucun réquisitoire de ce genre ne m'a été
présenté. S'il m'eút étéremis, je me serais trop rapo.
pelé les dispositions de l'art, 12.1 du Code pénal, et
les dispositions de la Charte, pour y avoir fait droit.
J'affirme que je n'ai point re<;u un semblable réquisi-
toire. - D. Vous aviez été néanmoins désigné par
les bruits puhlics eomme ayant signé divers manclats
d'arrét , et ces bruits ont pris assez de consistance
pour devenir l'objet d'inquiétudes et de conversa-
tions au Palais entre vos collégues les juges d'in-
struction? - R. Le fait était si grave que je nc suis
point surpris que mes collegues, <yJi ignorent ce qui
se passe dans mon cabinet , co~me j'ignore ce qui
se passe dans le leur , aient causé entre eux de I'ac-
eusation portée eontre moi dans les journaux; mais
je viens de déclarer topte la vérité.


D. Savez-vous par qui les mandats avaient été




( d:lg )
signés? ~ H.. Non: j'ai la conviction qu'ils n'ont
point été requis ; mais en réfléchissant que Paris a
été en état de siége, peut-étre la commission pour-
rait-elle savoir de l'autorité militaire sion ne se se-
rait point adressé a elle pour obtenir et faire exécu-
ter ces mandats? -D. Vous venez de dire qne vous
avez la conviction que les mandats n'ont point été
requis : qui vous a donné cette conviction? - R.
Presque chacun des juges d'instruction de Paris a
des attributions particulieres. M. le procureur du Roi
Billot m'avait chargé, depuis que je suis jnge d'in-
struction, sans que je le luí eusse demandé, et bien
centre mon gré, des instructions sur dt\lits de la
presse et sur délits politiques , et je suis persuadé
que s'il eút pensé arequerir pareilsmandats, .il m'au-
rait adressé son réquisitoire ; et comme il ne l'a point
fait , je peux en conclure qu'il ne 1'a adressé aaucun
juge d'instruction, La commission appréciera ma ré-
ponse.


M. Jean-Francois-Cyr BILI.OT, ágé de 41 ans , ancien
procuJ'eur da Roi pres le tribunal de premiére in-
stance de la Seine , demeurant ti Paris , place
Royale, nO 26.


D. Quelles ont été vos relations avee les ex-mi-
nistres, signataires des orclonnances du 25 juillet?
_ R. Celles que font naturellement supposer les
fonctions que j'exerc;ais.- D. Avez-vons eu connais-
sanee des di tes ordonnances avant leur publication?
- R. Je ne les ai connues que par le MOlliteur. -




(190 ;
D. Savez-vous quelles mesures le ministere voulait
prendre pour assurer l'exécution des ordonnances?
-R. Non. - D. N'avez-vous pas entendu parler de
l'institution d'une 00 de plusienrs cours prévótales?
- R. Je n'en ai ouí parler que depuis les événemens
de la fin de juillet , et uniquement d'apres les jour-
naux, Je suis convaincu, sans toutefois avoir re~u
aucune eonfidence a ce sujet , qu'une pareille me-
sure n'avait nullement été projetée par les ministres.
J'ai pensé et je erois encore que ces bruits ont eu le
méme but et la mérne origine que ceux d'apres les.
quels on assurait , des le 26 et le 27 juillet, que MM.
Séguier, prernier président de la Cour royale, et de
Belleyme, président du tribunal de premiere in-
stance , étaient arretés et enfermés a Vincennes, -
p. Vous venez de dire que vous, étes convaineu que
l'institution des cours prévótales n'était point entrée
dans les instructions des ex-ministres : sur quels élé-
mens reposait votre conviction?- R. J'ai puisé cette
conviction dans mes relations avec les anciens mi-
nistres, soit avant, soit depuis les ordonnances. _
D. Voulez-vous hiendéclarer ala commission quelle
part vous avez été appelé aprendre dans l'cxécution
des ordonnances? - R. Aueune; et je n'aurais point
refusé celle qui m'aurait été demandée dans l'ordre
légitime de mes fonctions. - D. Vous venez, dans
votre réponse antérieure, de parler de relations que
vous avez eues avec les ministres, depuis la promul-
gation des ordonnances : quelles ont été ces relations?
- R. Ce que j'ai dit des ministres doit s'entendre




( J 9 J )
de M. le garde-des-sceaux. J'ai eu avec lui , dans le.
jours qui ont suivi immédiatement la promulgation
des ordonnances , mes relations habituelles de ser-
vice, qui étaient d'autant plus fréquentes , a eette
époque, ainsi que cela arrive toujours pour le pro-
cureur du Roi de Paris , que M. le proeureur-général
était absent. - D. Voudriez-vous préciser les jours?
-R. Je suis certain d'avoir vu M. le garde-des-seeaux
dan s la journée du lundi 26; je erois l'avoir revu le
lendemain , mais je n'en ai pas la méme certitude.
Je me rappelle que, le mercredi, ayant eu beaueoup
de peine a me rendre a mon parquet, a cause des
événemens , et ayant cru devoir~ retirer, tous les
autres magistrats en ayant fait ~tMtut, je me rendís
a la chancellerie ; pour faire connaitre aM. le garde-
des-sceaux que le cours de la justice se trouvait en-
tierement interrompu, et demander ses instructions ;
je . ne le trouvai point , et ne pus m'adresser qu'á
son secrétaire particulier,


D. Quels ordres vous a-t-íl donnés le Iundi et le
mardí , relativement aux événemens? - R. Aucuns.
- D. Est-ce le seul ministre que vous ayez vu, le
lundi et le mardi ?-R. J'ai.vu, le lundi, M. le cornte
de PeYJll)nn~t. _ D. Que vous a dit M. de Peyronnet
relativement aux événemens? - R. Aucun événe-
ment n'avait en lieu le lundi, que l'apparition des
ordonnanees. II a été question entre Iui et moi de
celles-ci , mais uniquement a l'occasion de ce qui
motivait la visite que je lui íaisais. J'allais ehez lui
pour lui faire une ohservation relative a l'application,




( 192 )
de ces ordonnances , en ce qui concernait l'lle de
Corseoú j'ai exercé les fonctions .de procnreur-gé-
néral,


D. Avez-vous eu connaissance de mandats de jus-
tice décernés contre un certain nombre de personnes
qu'on présumait opposées aux órdonnances P- R.
Je pourrais me borner a répondre que je ne dois
aucun compte de ce que j'ai pu faire ou de ce dont
j'ai en connaissance dans l'exercice ou a l'occasion
de l'exercice de mes fonctions. Mais eomme, dans
les circonstances, ce refus de m'expliquer pourrait,
contrairement a la vérité , étre interprété d'une ma-
niere défavorabll·'i ministres dont la mise en ac-
eusation est denl ndée , je vais répondre a votre
question. J'ai en connaissanee , par les journaux ,
qu'ainsi que ~ela arrive toujours quand un gouver-
nement est vioIemment renvoyé , il Y a en des per-
sonnes qui , soit pour le rendre odieux, soit pour
se faire une sorte de mérite d'avoir été l'objet des
rnenaces de p1'oscription, ont tenu un langage au-
quel a trait probablement la qnestion qui m'est
adressée. Je déclare snr l'honneur et SOIlS la [oi du
serment que j'ai prété , qu'a l'oecasion des événe-
mens de juillet, et pour des causes ~lit",nes , il
ri'a été décerné de maudats , ni contre des Pairs de
France , ni centre des Députés , ni contre aucune
autre personne revétue d'un caractere public. Des
mandats de justice n'auraient pu étre décernés a
Paris que sur mes réquisitions, ou du moins remis


.ponr leur exéention a des agens de police on de la




( [93 )
force publique, que par moi OH sur mes ordres. Si
j'avais fait de pareilles réqnisitions ou donné de pa-
reils ordres, j'aurais pensé qne e'était mon devoir,
et eeux qui connaissent mes príncipes et mon carac-
tere savent assez que je ne serais pas homme a le
désavouer ; loin de la, je prendrais sur moi toute la
responsahilité. _ D. A-t-il été décerné des mandats,
ponr cause politique, contre d'autres personnes non
revétues d'un caractere public? - R. 11 n'a été a.
cette époque , comme dans tont le eours de I'exer-
cice de mes fonctions, décerné de mandats que pour
crimes ou délits ordinaires , et quant a des faits po-
litiques , uniqnement. pour délits de la presse. _ D,
AVCZ-VOllS connaissance qu'a l'époque dont il s'agit
il ait été décerné des mandats contre des écrivains?
-R. Déterminé avous répondre uniquement par la
considération que j'ai énoncée au commencement de
roa précédente répoase , je vous dirai qu'en effet des
mandats ont été décernés contre des journalistes ,
mais pour des canses indépendantes des événemens
généranx, et a raison seulement des articles qui se
trouvaient dans les feuilles du jOUI', et ahsolument
de la maniere que cela aurait pu étre fait en tems
ordinaire. - D. Combien de mandats out été décer-
nés? -R. Je crois que c'est de quarante acinquante,
_ D. Ont-ils été délivréssnr votre réqllisitoire?-
B. Oui , sur un réquisitoire collectif - D. Quel est
le juge d'instruction qui les avait Jécernés? - R.
Un motif de convenance qn'on appréciera faeilement
n'empóclic de répondre. -- D. Ponvez-vousdire les


I3




( '94 )
noms des persQnnes eontre lesquelles ces mandats
étaient décernés? - R. II m'est impossible de vous
les désigner autrement que de la maniere dont je l'ai
fait en vous disant que c'étaient ou des gérans res-
ponsables de journaux, ou dessignataires d'articles.
- D. Que sont devenus les mandats? - R. 11s
avaient , suivant l'usage, été remis a la préfecture
de poliee pour leur exéeution; ils me sont revenus,
lorsqu'ils se sont trouvés sans objet et d'une exécu-
tion impossible par suite des événemens généraux.


D. Si les mandats ont été anéantis, n'est-ce pas
paree qu'ils ne portaient pas uniquement sur les
éerivains ? - R. Pour éviter I'interprétation fácheuse
dont j'ai parlé au commencement de ma déposition,
et toujours fidele a la vérité, je 'Vous dirai que,
d'aecord avee M. le juge-d'instruction, cette affaire
ne pouvant avoir aueune suite , nous échangeámes
le réquisitoire qu'il me remit , contre les mandats
qu'il recut de moi, J'ajouterai , pour faire disparaitre
tout prétexte a l'interprétation que la question sup-
pose, bien que mon affirmation sur l'honneur pút
suffire, que le nombre des mandats, que je me rap-
pelle maintenant d'une maniere positive avoir été
de quarante-einq, est exactement le méme que celui
des signataires d'un article du National, sur lequel
je fondai mes poursuites en y ajoutant l'imprimeur,
~ D. N'aviez-vous pas recu d'instruetions de la part
de l'un des ministres, relativement aees poursuites?
~ R. Je me rappelle avoir causé avec M. le garde-
des-sceaux , de l'article dn National, dont je viens




( 195 )
de parler; mais , des-lors, mon opinion, qu'il y avait
matiere apoursuite, était formée, et mon parti en
conséquenee était pris.- D. N'en aviez-vous pas
référé aM. de Polignac, et n'aviez-vous recu de lui
aucune instrnction ? _ R. En fait, ma réponse se
trouve déja dans l'une de celles qui précedent. Ceux
qui connaisseut l'indépendanee de eailCtere avec
laquelle j'ai constamment exercé mes fonctions ,
savent que je n'aurais jamáis recu et suivi ~s ins-
tructions qu'autant qu'elles auraient émané du mi-
nistre dans le département duquel j'étais employé,
et qu'elles auraient été conformes a mon opinion
personnelle, Apres vous avoir fait une déclaration
conforme an serment que vous avez exigé de moi ,
je crois devoir déclarer que, ne pouvant reconnaitre
ala Chambre des Députés les pouvoirs qu'elle s'at-
tribue, je n'ai comparu devant vousqu'en cédant a
la menaee de eontrainte qui se trouve dans la cita-
tion que fai re<;ue.


M. LOUIS DE KOMIEROUSKI ágé de 44 ans , ancien
aide-de-camp de M. le maréchal duc de Raguse ,
demeurant rue Saint Florentin , n° 5.



Le lundi 26 juillet , j'étais de ser vice a Saint-


Cloud avec M. le maréchal : au moment dn déjeuner,
un lieutenant des gardes m'ayant appris la publica...
tion des ordonnances dans .le Mauiteur, j 'allai a
l'instant méme en prevenir M. le maréchal, dont le
premier mot fut de me dire que cela n'était pas pos~
sible , et qui me parut fort préoccuié de eette nou-




( ]96 )
velle, lorsque je le revis apres déjeuner. Vers onze
heures et demie, le maréchal partit pour Paris, et
je ne le revis que le soir a l'ordre, (lui eut lieu assez
tard , le roi ayant été aRambouillet. Le mardi matin,
M. le maréchal commandait sa voiture pour aller a
la campagne, lorsque je lui fis observer que déjá le
lundi soir • y avait eu quelque mouvement aParís,
et qu'au moins il serait nécessaire qu'il m'indiquát
oú 0nit>0urrait le trouver s'il arrivait quclque chose,
Cette observation détermina le maréchal a rester a
Saint-Cloud , et peu de temps apres , il recut l'ordre
de venir chez le roi aprés la messe ; en en sortant,
vers onze heures et demie , il demanda sa voiture ,
et nous partimes al'instant pour París : nous deseen-
dimes chez le prince de Polignac, ou le maréchal
resta quelques instans, apres quoi nOUS nous ren-
dimes al'état-major, et le maréchal s'occupa de don-
ner des ordres. Bientót apres arriva M. de Lavillate,
armoncant qu'un rassemblement de huit cents per-
sonnes se portait sur Ragatelle, pour enlever le duc
de Bordeaux; le maréchal m'envoya sur-le-champ a
l'Ecole militaire pour y chercher cent cinquante Ian-
ciers , et me poder sur Bagatelle , avec ordee , si nous
rencontrions le détachement, de n'agir qu'a conps
de plat de sabre et avee le báton de la lance.
o Arrivéá Bagatelle, je ne trouvai plus rien; le duc
de Bordeanx était parti pour Saint-Cloud , oú je me
rendis, et d'oú je revins ensuite aParis. Le mercredi
matin , je fus envoyé chez M. le préfet de police,
ponr l'engage" de la part du maréchal, a faire des




( J97 )
proclamations au peuple ; il me répondit que cela
serait fait incessamment, J'allai dans la matinée , avec
le maréchal , chez M. de Polignac I chez lequel se
trouvaient plusieurs des ministres : en revenant de
chez le ministre, M. le maréehal m'annonca que la
ville était en état de siége. Les ministres ne tarde-
rent pas a venir aux Tuileries , oú je les revis ensuite
a l'état-major , et ils étaient souvent dans la méme
piéce que le maréchal. Je sais que les ordres donnés
par M. le maréchal aux chefs de colonnes, étaient de
ne tirer sur le peuple qu'apres avoir recu eux-mérnes
jusqu:a cinquante eDUps de fusil.


Le mercredi , vers qqatre heures, je fus envoyé
par IVI. le maréchal a Saint-Cloud, avee une dépéche
pour le roi : j'avais ordre de faire la plus grande dili-
genee, ce que je fis en effet. M. le maréchal m'avait
de plus, reeommandé de dire moi-méme au roí ce
que j'avais vu de l'état de Paris. Introduit dans le
cal:iinet du roi, je lui remis la dépéche du maréchal,
et je Iui rendis eompte verhalement de l'état des
clioses, en lui disant qu'il exigeait une prompte dé-
terrnination. Je lui exposai que ce n'était pas seule-
ment la populace l~e Paris, rnais.Ia population toute
entiere qui s'était soulevée , etque j'avais rilen juger
par moi-méme en passant ~l Passy , oú des coups de
fusil avaient été tirés contre moi, non par la popu-
lace, mais par des gens d'une classe plus élevéc. te
roi me répondit qu'il lirait la dépéche , et je me reti-
rai pour attendre ses ordres : voyant qu'ils n'arri-
vaient pas, je priai M. le tille de Duras d'aller chez




( J 98 )
le roi pour les demander ; mais il me répondit que,
d'apres l' étiquette ; u lui était impossible d'y entrer
aú bout de vingt minutes. Je fus enfin rappelé dans
le cahinet du roi , qui ne me remit aueune dépéche
éerite, mais me ehargea seulement de dire an maré-
chal de tenir bien, de réunir sesforces sur le Carrousel
et ti la place Louis XV, et dagir avec des masses ; il
répéta méme deux fois ce dernier mot. Madame la
duehesse de Berry et M. le Dauphin étaient alors
dans le eabinet du roi; mais ils ne dirent rien. Je re-
vins apporter cette réponse au maréchal ; mais je ne
vis point alors M. de Polignae, et je n'ai pas JiU s'il
avait envoyé quelque dépéche au roi : ce que je sais,
e'est qu'il ne m'en a donné auenne. le n'ai point en
connaissance d'un ordre donné le mercredi ou le
jeudi, pour arréter diverses personnes; mais j'ai été
chargé par le maréchal, le jeudi de tres-bonne heure,
d'aller dire aMo de Foucauld que l'ordre donné pour
les arrestations, était annulé. Je m'acquittai de cettc
mission , mais sans avoir su par qui avait été donné
l'ordre, ni quelles personnes il pouvait eonee~Jler.


M. Jaeques LAFFITTE, dgé de 63 ans , président du
conseil des ministres.


Le 26 juillet, jour de la publieation des ordon-
nances, je me trouvais a 35 lieues de Paris , et je
n'appris cette publication que par un eourrier qui
me fut expédié de ma maison; je n'arrivai done a
Paris que le mardi vcrs onze heures du soir. Ayant
itppris le lendernain que l'on se réunissait chez mOJ]-




( J 99 )
sieur Audry de Puyraveau, je m'y rendis, et j'y
trouvai un grand nombre de mes collegues qui déli-
béraient SUJ' les événemens et sur le partí qu'il y
avait aprendre. n fut résolu qu'une députation de
cinq membres se rendrait chez M. maréchal duc
de Haguse, et, s'il y avait lieu, chez le préfet, afin
de les rendre responsables des malheurs qui se pré-
paraient, La députation choisie par l'assembIée se
composa de moi, detitM. Casimir Perrier et Mau-
guin, du général Gérard et du comte de Lobean.
Ayant été désigné le premier, je las chargé de parter
la parole : nous avions sentí qu'iI ne pouvait nous
convenir de prendre vis-a-vis du maréchal une atti-
tilde menacante , et que notre mission était de nous
concerter avec lui , s'il était possible , pour faire ces-
ser l'effusion de sango Nous arrivámes aI'état-major
vers deux heures et demie ; nous y fumes reeus sans
aucune difficslté et avec tons les égards possibles;
l'expression des figures nous fit pense!' que l'on
éprouvaít quelque satisfactíon de notre démarche.
Intr~duits chez le maréchal , nous lui exposámes


que nous venions au nom des députés présens aPa-
ris, pour examiner avec lui s'il n'y aurait pas quelque
moyen de faire cesser un combat qui, s'il s'engageait
davantage, pouvait entrainer non-seulement les plus
cruelles calamités , mais une véritable révolution. n
nous parut profondément affligé de la position oú il
se trouvait. La mission dont il était char~é était l'une
des fatalités de savie; mais malheureusement il avait
des ordres , et ces ordres étaient positifs; son devoir,




( :lOO )


comme militaire , était impérieux , el son honneur y
était engagé. J'essayai de lui faire quelques. represen-
tatíons a cet égard; mais quoique ses sentimens pa-
russent conformes aux nótres, il se croyait enchainé
pal' sa situation. Nous lui demandámes de rendre
compte au roi de notre démarche, 11 nous demanda
a son tour d'employer notre influence aupres dn
peuple ponr le déterminer a se soumettre. Nous ré~
pondimes qu'avant tout , les."rdonnances devaient
étre rapportées et les ministres changés, et qu'a ces
deux conditions, qui seraient prises ponr bases des
négociations ultérieures, nous nons engagerions a
user de notre influence, sans étre assurés toutefois
d'une réussite complete. Nons ajoutámes que si l'on
n'obtempérait pas a ces justes demandes, 1l0US re-
garderions comme un devoir de nous jeter corps et
biens dans le mouvement. Le maréchal annonca qu'il
instruirait le roi de nos propositions. Il demanda s'il
pouvait nous nomrner , ce dont nous ne fimes aucu?c
difficulté , et il nous promit de nous faire rendre la
réponse du roi , en me I'adressant ; mais il nous fit
entendre qn'il avait peu d'espérances. La conversa-
tion ayant encoré continué quelques instans , il nous
demanda si nous aurions quelque répugnance avoir
M. de Polignac : nous répondimes que nons n'en
avions aucune. Il sortit , et ason retour, au hout de
dix minutes environ, il nous -rapporta que M. de


olignac, instruit par Iui de notre démarche, et sa-
chant de quelle maniere nous avions envisagé la ques-
tion, avait pensé qu'il était inutile quenous.le vissions.




( 20 ¡ )


le dois dire ~HI surplus que, dans le ton du ruaré-
chal et daos les expressions dont il se servit ponr
nous transmettre cctte réponse , je crus entrevoir de
la part de M. de Poligr-ac , non pas un¡refus absolu
de nous voir et une obstirration ane pas nous écou-
ter, rnais bien plutót un sentiment de politesse , qui
dans la conviction oú il était qu'il connaissait nos in-
tentions, le portait anous éviter une perte de tems
inutile , et une conférence que les deux conditions
imposées par nous auraient rendue assez délicate.
Au moment ou nous sortions, M. Larochejaquelin
nous rappela en llOUS disant que M. de Polignac dé-
sirait nous voir; mais sur notre observation que sans
doute il y avait erreur de sa part, il alla s'en assurer,
et nous répondit peu d'instans apres .qu'en effet le
prince de Polignac ayant eu connaissance de notre
démarche par le maréchal , ne désirait plus nous
recevoir. Nous sortimes done, et nous attendimes
toute la journ'e la réponse qui nous avait été pro-
mise. A dix heures du soir j'étais encore al'attendre
chez M. Audry de Puyraveau; mais rien n'arriva , et
ce fut sur-tout cette circonstance qui me détermina
ame jeter dans le mouvement. J'ajouterai que dans
toutes les relations que nous avons eues avec le ma-
réchal, il nous a paru n'étre qu'un instrument et ne
faire qu'obéir a un devoir rigoUl'eux. Lorsqu'il est
entré chez M. de Polignac, rien ne nous a portés a
croire qu~ ce ministre fút alors réuni en conseil a
ses autres collégues.




( 202. )


M. Georges-Franeois-Pierre , baron DE GLANDJ.:VES,
ágé de 72 ans ,pair de France, demeurant ti Paris,
rue Royale, nO 6.


Dans la matinée dn mercredi, le maréehal me pré-
vint que les ministres, ne se trouvant pas en sureté
ehez eux , allaient venir aux Tuileries, et m'invita a
leur faire préparer des logemens. Peu de tems aprés
ils arrivérent en effet al'état-major , al'exeeption de
MM. Peyronnet et Capelle : le premier était, me dit- .
on , aSaint-Cloud. Une heure ou deux apres l'arrivée
des ministres, cinq de MM. les députés se présente-
rent aux Tuileries , et, s'étant adressés arnoi , ils de-
mandérent aparler aM.le maréehal.Je les yconduí-
sis mol-méme , .pour leur éviter tout embarras; et j'y
mis d'autant plus d'empressement que j'éprouvais
une grande satisfaction de la mission qu'ils venaient
remplir; leur hut , dont ils m'avaient fait part en m'a-
bordant, étant de prendre des moyeJfs pour une pa-
cifieation. Aprés les avoir fait intrO'tluirechez M. le
maréchal, j'attendis lenr sortie dans une autre piece,
et j'éprouvai un vif chagrín quand M. le eomte de
Lobean m'annonca en sortant, qu'ils avaient échoué.
Je ne sais d'oú vint le refus; mais M. le comte de Lo-
bean me témoigna, sur la qnestion que je lui en fis,
qu'ils avaient été completement satisfaits de la récep-
tion du maréchal et des dispositions qn'il avait ma-
nifestées.


Je erois de la justice de ne pas manquer cette oc-
casion pour affirrner, dans toute la vérité, que M. le




( 203 )


duc de Ragnse m'a témoigné achaque instant qu'il
m'a vu , le désespoir qu'il éprouvaít de l'affreuse
position dans laquelle les circonstances l'avaient
placé. JI cherchait tous les moyens d'amener une
pacification pour laquelle u aurait sacrffié sa pie;
ce sont ses propres paroles. Entre autres moyens,
il avait convoqué le préfet de la Seine, MM. les
maires et adjoints en costume, espérant que par eux
iI ferait cesser le feu; malheureusement il fut impos-
sible de faire porter les Iettres le mercredi soir; ce ne
fut que lejeudi , de grand matin , qu'on put, a force
de promesses, trouver des personnes assez hardies
pour s'exposer aux dangers de passer les barricades.


-Quelques lettres furent rapportées, d'autres par-
vinrent; cal' trois ou quatre de MM. les maires ou .
adjoints se rendirent en costume al'état-major, hra-
vant les dangers qui étaient alorsbien réels; mais
le événemens se pressaíent tellement , que les meil-
leures mesures devenaient inutiIes. MaIgré les dangers
et l'extréme difficulté d'arríver jusqu'á l'état-major,
Mi)I. de SémonviJle et d'Argout bravérent tout et y
parvinrent; Je causai quelques instans avec eux. Apres
les avoir quittés, j'entendis M. de Sémonvillc élever
vislemment la voix en s'adressant aM. de Polignac,
et Iui demandant la prompte réunion des Chambres.
Les ministres étant rentrés dans leur cahinet ,M. de
Sémonville causa avec le maréchal jusqu'au moment
oú je le fis prévenir que la voiture que j'avais fait
demander de sa part aux écuries du Roí était préte.
Presque dans le méme moment , M. de.Peyronnet




( :w4 )
vint me demander les moyens de se rcndre promp~
tement aSaint-Cloud. Je ne sais si cette détermina-
tion venait de la demande de M. de Sémonville et
de celle de M. le maréehal, qui entra dans le cabinet
occupé par les ministres, apres avoir causé avec
M. de Sémonville. Ils partirent peu apres pour Saint-
Cloud, et je n'ai plus eu aueune connaissance de ce
qui s'est passé pour ce qui les concerne.


M. Casimir-Pierre PÉRIER, ágé de 52 ans ; député de
la Seine , demeurant rae Neuve du Luxembourg,


Le mardi 27 juillet, une prerniere réunion des
députés présens aParis eut lieu ehez moi; c'est dans
cette réunion que fut arrétée la protestation qui fut
ensuite imprimée dans les journaux. Pendant eette
réunion, quelques groupes s'étant formés ala porte
de ma demeure, furent dissipés par des charges de
gcndarmerie, dans lesqueHes quelques jeunes gens
furent blessés , mais la force arrnée ne tenta pas
d'entrer chez moi. Cependant , et eomme plusieurs
corps-de-garde se trouvait aproximité, nous pen-
sámes qu'il était préférable de choisir un autre lieu
de réunion ; et l'on indiqua , ponr le lendemain, la
maison de M. Audry de Puyraveau. Dans la réunion
qui eut Iieu le mercredi chez ce député , einq
membres furent choisis dans l'assemlflée pom se
rendre chez M. le duc de Ragnse, afin d'arriver s'il
étaitpossible , afaire cesser le feu, et aobtenir des
arrangemens qui pussent concilier les príncipes que




( 205 )


HOUS soutenions avec les intéréts de l'autorité qui les
avait vioIés.


Arrivés aux Tuileries entre une heure et denx,
nous trouvámes M. le baron de Glandeves , qni
s'empressa de nous donner toutes les facilités pos-
sibles et de nous conduire chez M. le dnc de Haguse.
Le maréchal témoigna qu'il voyaitavec plaisir la dé-
marche dont HOUS nous étions ehargés: nous lui
exposámes nos griefs, portant particulierement sur
l'illégalitédes ordonnances, et sur ce que la popu-
lation avait été violemment attaquée et la ville mise
en état de siége sans qu'aucun avis en cut prévenu
les habitans. Le maréehal nous parut étonné de ce
que les mesures nécessaires pou!' avertir la popula-
tion n'eussent pas été prises. Il nous parut aussi
tres-affligé de la position personnelle oú il se trou-
vait; mais il nous dit qu'il y avait dans cette posi-
tion une question d'honneur, qu'il avait fait tout son
possihle pour éviter le mal, mais qu'étant attaqué
il n'avait pu.ne pas se défendre. Nous exposárnes a
notre tour que l'aggression n'était pas venue des
habitans, mais que des décharges avaient été faites
sur eux sans aucune provocation ; nous annoncámes
au surplus l'intention d'arriver anne conciliation. Il
y était aussi porté, mais avant tont il dernandait
que la soumission des habitans fút absolue, et il
nons priait d'y employer notreinfluenee. Nous fimes
observar que nous ne ponvions espérer en avoir 3.U-
cune si nous n'annoncions pas comme base de .Ia
conciliation le rapport des ordonnances .et le renvoi




( zof )
du.ministére ; n'ayant aucunement excité le mouve-
ment, qui n'était que le résultat spontané de l'in-


. dignation qu'avaient excitée les ordonnances , il fal-
lait , disions-nous, qu'avant tout elles fussent rap-
portées. Le maréchal nous déclara qu'il ne pouvait
absolument ríen prendre sur lui, mais qu'il ferait
part au Roi de notre démarehe, et qu'il insisterait
pOllr qll'ily fút donné suite, mais en annoncant que,
dans son opinion particuliere , il ne croyait pas qu'il
fallút rien espérer,


Un aide-de-camp étant arrivé et ayant causé quel-
ques instans avec le maréchal , apres son départ, le
maréchal nous demanda si nous aurions quelque ré-
pugnance a voir M. de Polignac : nous répondrmes
qu'étant chargés d'unemission importante dans I'in-
térét du pays, nous n'avions aucune répugnanee a
voir M. de Polignac. Le maréchal entra en consé-
qllence dans le cabinet oú se tenaient, a ce que je
crois , les ministres, et en revenant, quelques instans
aprés, il nous répondit qu'il avait rendu compte a
M. de Polignac des conditions que nous metfions
a l'emploi de notre infIuence pour amener une con-
ciliation , et que le ministre lui avait répondu qu'il
était des-lors inutile qu'il se trouvát avec nous, il
ajouta qu'en conséquence nous pouvions nous re-
tirer, NOllS nous retirámes en effet, et en sortant
nous rencontrámes M. Larochejacquelin, qui HOUS
annon<;a que le prince de Polignac nous attendait.
Nous lui fimes observer que probablement il yavait
erreur de. sa part; il rentra chez le ministre pom;




( 700 7 )
s'en assurer , et revint nO\ls apprendre qu'en effet
le ministre ne dempndaitilns a.nons voir. Dans la
soirée nous ne re~umes aucune réponse aux ouver-
tures que nous avions faites.


M. Francois MAlIGUIN, ágé de 45 ans , député de la
Cóte d'Or, demeurant rue du Gros-Chenet, n° 6.


A l'époque 011 eurent lien aParis les élections qui
précéderent les ordonnances de juillet, mon inten-
tion était d'aIler aux eaux que l'état de ma san té
me rendaitdepuis longtems nécessaires; j'avais méme
commandé des chevaux de poste pour partir le .19
juillet, jour de l'élection, immédiatement apres avoir
déposé mon vote. Au moment oú je votai, M. Vassal
siégeait au hureau dn collége, je lni fis part de mon
projet de voyage, et de mon intention d'étre de re-
tour fort peu de joursapres l'ouverture desCham-
bres. Il me répondit que j'avais, tort de m'éloigner,
paree qu'un coup d'état se préparait, et il me rap-
porta le plan qui depnis fut eelui des ordonnances,
en me disant qu'il en tenait la nouveIle d'un de ses
amís fort au courant des affaires. Cet ami lui avait
indiqné I'époque du 25 ou du 26 eomme devant étre
celle de la publication des ordonnances. Malgré cet
avis, je persistai dan s ma résolution de partir; je
rentrai, et vers onze heures et demie, les chevaux
étant déja attelés , j~ me disposai a monter en voi-
ture, lorsque deux personncs, sur les informations
desquelles je pouvais eompter, arriverent chez moi
et m'engagerent a ne point partir, en m'annoncant




( :208 )
cornme certaine la noq.veHe du eOIlp d'état qui se
préparait. Les détails qj'ils m~ donnerent me dé-
terminerent a res ter , et les chevaux furent dé-


41 •


telés.
Je passai les jours qui suivirent, jusqu'au lundi 26,


ama campagne, pres Saint-Germain. J'y étaís encore
le 26 au soir , lorsque, ayant en connaissance par
une personne venue de Paris , des ordonnances pu-
bliées le matin dan s le Moniteur, et de .l'agitation
qu'elles avaient excitée a Paris, je crns devoir y re""'"
venir sur-le-champ; il était neuf heures quand j'arri-
vai chez moi, et a peine y étais-je arrivé , qu'une
personne d'opinion fort royaliste vint me trouver,
et m'engagea a retourner a la campagne, en me di-
sant qu'il devait étre question le soir méme d'arréter
un assez grand nombre de députés : il m'a été im-
possible de vérifier depuis si cette nouvelle était
exacte.


Ayant appris le mardi que l'on se réunissait chez
M. Casimir Périer , je m'y rendís vers deux heures.
En y arrivant , je vis un grand mouvement au
eorps-de-garde qui avait été établi depuis la veille
dans I'hótel de M. de Polignac; il y avait aussi beau-
eoup de monde dans la me Neuve-du-Luxembourg
La porte de M. Casimir Périer était fermée; je frap,
pai , el le portie¡' ne m'ouvrit ~u'aprcs m'avoir de-
mandé qui j'étais. Quand je fus entré, il me dit qu'un
groupe nombreux , mais non armé, s'étant rassemhlé
devant la porte, et ayant crié: Pille les deputés l a
mesure qu'ils entraient, la gendarmel'ie était arrivée




( 2°9 )
a la fois des deux cótés de la rue , et avait fait une
double chárge sur le groupe en frappant du sabre,
et que, dans eette charge, deux jeunes gens avaient
été tués , et dix-huit ou vingt hlessés : ce Iait me fut
confirmé lors de ma sortie par plusieurs personnes
qui se trouvaient dans la rue; et quelques jonrs
aprés je recus la visite d'un jeune homme qui m'as-
sura que son frere avait été tué en ce momento


Le mercredi nous nous réunimes de nouveau, mais
chez M. Audry de Puyraveau; aprés nous étre entre-
tenus des événemens et des chances du combat qui
se livrait, la proposition fut faite d'aller a Saint-
Cloud , mais nous pensámes que nous ne serious pas
recus, et nous résolúmes de faire une démarche


, .


auprés du maréchal duc de Raguse, de luí exposéc les
risques que courait la monarchie d'une par..t~:.etle
parti populaire de l'autre, de l'enga~r afaire eesser
le. feu, et aobtenir le rapport des ordonnances et le
renvdi du ministere ; aprés quoi nous nous entremer-
trionspour [aire rentrer les habitans dans leurs de-
meures. (Suit le récit déjá connu de l'entrevue des
députés avec M.le duc de Raguse.)


M.Auguste-Gaspal'd BAUDESSON DE RICHEBOURG, ágé
de .quaranie-sept ans, commissaire de la Bourse
de Paris, demeurant rue Monsigny, n° l.


Quelques jours avant la publication des ordon-
nances, le bruitd'un toup d'état prochain s'était
répandu a la Bourse ; mais cette opinion étaiÍ: loin
d'étre générale, et la distribution des lettres closes


14




( z t o )
faites aux pairs et aux députés , avait fait revenir
beaucoup de personnes al'opinion contraire. Ce qui
accréditait prineipalement le hruit d'un conp d'état,
était la grande quantité d'opérations a la baisse', que
M. Onvrard faisait depuis deux 011 trois mois, J'eus
occasion de parler aM. de Montbel de ces opérations,
et de l'opinión oú l'on était qn'elles étaient le résultat
de communications données aM. Ouvrard par M. de
Polignac, relativement au conp d'état que ron pré-
voyait. Il me répondit que cela était absolument faux,
et que M. de Polignac n'avait pas Vil M. Ouvrard de-
puis plus de deux mois. Je dois dire qu'a l'époque
qui a précédé les oi-donnances , on disait a la
~onrse que les personnes qui approehaient M. de
Peyronnet .opéraient ia la hausse, tandis qll~ celles
qui pouvaient étre en relation avec M. d'Haussez
opéraient a la baisse, Dans les rapports assez fré-
quens que mes fonctions me donnaient avec M. de
Monthel , je Iui fl'vals une fois indiqué, comme un
moyen de soutenir le cours en liquidation, d'arnener le
syndicat des receveurs-généraux et M. de Rotschild a
opérer simultanément ; il me répondit quP ce serait
substituer l'erreur ~ la vérité , et que cela ne pouvait
convenir' a un gonvcrnement honnéte. le rapportai
plus tard ce propos a M. de Polignac, qui me dit :
ce Nous savons bien que M. qe Montbel est un homme
)) deconscience, et c'est pour cela que nous tenons
11 a le conservero » J'ajouterai que, dans tous les
rapports que j'ai eus avec M.de Polignac, il m'a ton-
jours pam enticrement étranger aux spéculations de




( 2 r t )
Bourse. Le 26 juillet au soir , ayant rendu eompte a
M. de Polignae de la haisse qui s'était manifestée , il
me dit qu'il était sur que cela rémonterait , etque
s'il avait des capitaux disponibles , il n'hésiterait-pas
ales employer en rentes. .


M. Joseph HOCHER, ágé de 35 ans , conseiller ti la
Cour de cassation , demeurant quai Malaquais,
n' 23.
J'étais secrétaire-généra¡du ministere de la justice


al'époqueoú M. de Labourdonnaye se retira du mi-
nistere, M. de PoJignac m'ayant fait demander chez
lui, me questionna sur M. Guernon de Ranville que
javais connu a la cour de Grenoble, lorsqu'il y était
procureur-général. Je lui répondis queje connaissais
ce magistrat comrne ayant une grandé capacité et
des opinions franchement constitutionnelles, 11 me
demanda ensuites'Ilétait vrai qu'il fút hostile aux
croyances religienses et au elergé ; je répondis que je
ne le eroyais nullement hostiJc. M. de Polignae me
fit alors connaitre que le ehoix da roi s'était fixé sur
lui pour l'appeler au ministere de l'instruetion pu-
hlique, et m'engagea alui annoncer cette nouvelle ,
en Iui. faisant ,part de l'entretien que nous venions
d'avoir acesujet, J'écrivis en conséquence aM. Guer-
non de RanviUe, et je dépose entre vos mains la ré-
ponse qne j'en reyus. Je dois faire une seule observa-
tion sur eette réponse "al'occasion d'une phrase oú
M. Gnernon de Ranville annonce qu'il partage les
doctrines du ministere actuel. D'apres ce que j'ai pu




( ~ (2 )
juger par les entretiens que j'ai en l'occasion d'aroir
avec lui, soit avant , soit dspuis son entrée au minis-
tére , je ne puis l'entendre qu'en ce .sens qu'il parta-
geait les doctrines de la partie modérée du ministére
dont le triomphe paraissait assuré par la retraite de
M. de Labourdonnaye, Je l'ai toujours entendu se pro-
noncer hauternent centre toute mesnre extra-Iégale,
et je ne puis m'expliqner son adhésion aux ordon-
nances, que par un sentiment d'honneur malen-
teudu , quí l'aurait empéché de reculer devant le
danger, méme alors que~a mesure a laquelle il
s'associait était contraire ¡i son opinion, et par cela
seul qu'il avait d'avance signalé ce danger.


« Lyon, 14nove~bre.I829~
'''» "'rai relu trois fois votre lettre du 1 1 ; mon cher


ami, el si vous n'étiez aussi pressé , je voudrais at-
tendre vingt-qnatre heures pour calmer le trouble
ou me jette la proposition inattendue dont vous me
parlez ; mais vous voulez une réponse prompte, il
faut vous la {aire.


» Mon acceptation ne peut étre douteuse. Dévoué
eu Roi auquel j'ai consacré toute mon existence , je
Be reculerai devant au!;¡un des services qu'il pourra
m'imposer ; je lui sacrifierais mavie, le ne puis re-
fuser de compromettre pourlui ma réputation, et
c'est la précisément l'hypothese dans laquelle je me
trouverais si j'étais appelé au ministére.


» Je vous l'ai déjá dit, .je vous le répete du fond
de mon cceur, .el ce n'est ras une ridicule affcctation




( 213 )
de modestie : je erois étre assez hon procurem' gé.
néral; mais je ne trouve point dans mes connais-
sanees des hommes et des choses, [je ne trouve
point dans mon esprit l'étendue nécessaire pour étre
un hon ministre; enfin , je n'ai point cette hahitude
du monde, cette aisance de manieres, qui est aussi
une chose nécessaire dans certaines positions; le
cahinet me convient mieux que le salon, et je sens
que je serais passablement déplacé a la cour. Elevé
au sein de la révolution, mon éducation a été mau-
quée comme celle de beaucoup d'hommes de mon
age, et rien ne peut suppléer ace défaut.


» En un mot, la conscience de mon insuffisance
m'effraie au point que je ne puis me familiariser
avec la pensée de l'énorme fardean d'un portefeuille,


» De lit, mon cher ami, je conclus que, si j'étais
appelé a cette haute missi~n dont vous me parlez ,
j'y perdrais bientót l'espece de réputatlon de talent
que m'ont fait quelques succés d'audience.
. » Communiquez ces aveux, priez qu'on les pese,
et détournez de moí.s'il sepeut) le calice d'amertume.


» QueIle que soit la décisíon , vous pouvez répon-
dre de mon dévoüment. Les doctrines du ministere
actuel sont les miennes : point de réaction , point de
violé,zces, .~ais plus de concessions ; en deux mots
fustice es. fermeté, voilá ma devise: la Charte, voiHl
mO,n évangile politiqueo


» Le reproche d'hostilité ala religion et au clergé
est assez plaisant au moment méme oú les journaux
de la faction m'accusent d'étre [ésuite et congrega-




( 21 ti


niste : VOUS couviendrez que c'est jouer de malheur,
» Vous avez bien dit : je n'ai pas le bOI~hellr d'~tre


dévót; j'y viendrai sans doute, et c'est la une de mes
esperances pour le te~s oú les illusions s'évanoui-
ront, mais je tiens ala religion de mes péres , et je
regarde méme commc certain qu'on ne peut étre
bon royaliste sans croire en Dieu; 01', je pensé que
personne ne me contestera d'étre royaliste.


»Tout cela est ahsurde et ne merite que du mépris,
» Bonjour , mon cher ami, je n'ai pas besoin de


vous Jire combien je vous aime. »
DE GUER:NON-RA.NVILLE.


l\J. Victor-Donatien Mussnr, ágé de 58 ans, chef da
bureau de la [ustice militaire au ministére de la
la guerre, demeurant rue de Grenelle-Saint-Ger-
main , n° 59.


. Le mercredi 28 j uillet , vers dix ou onze heures
du matin , M. de Champagny, alors sous-secrétaire
d'étatau département de la guerre, me fit appeler
ainsi que le sous-chef de IIlGn hureau. Arrivés dans
son cahinet , il nous demanda quelles étaient les
regles á suivre pour la formation d'nn conseil de
guerre dans une ville en état de siége, mais en
nous invitant a ne pas parler de la circonstance
de la mise en état de siége. 11 désirait en méme
terns connaitre la composition actuelle des conseils
de guerre permanens étahlis á Paris, Ne sachant
pourquoi nous étions appelés , nous n'avions apporté
aucun de ces rcnseigncmens ; il fallut les envoyel'




(' '.i.1)1, /
chercher ~ ce qui demanda du tems : nous restámes
pendant ce tems dans le cabinet. On prit un alma-
nach militaire oú l'on marqua plusieurs noms comme
pouvant [aire partie du conseil de guerre si on 1'01'-
ganisait; bíentót apres , et lesrenseignemens n'étant
pas encare arrivés , M. de Champagny fut mandé aux
Tuileries , et ron se sépara, n ne fut aucunement
question dans cette conférence de l'établissement
des cours prévótales.


M. Jean-Baptiste GREPPO, ágé de 34 ans, employé ti
la caisse el' épargnes, demeurant rue des Petits-
Púes, n° 3.
Le mardi 27 juilIet, vers deux heures, je me trou-


vais chez un de mes amis , M. I..etourneur, marchand
de nouveautés, rue Saint-Honoré, au coin de la rue
de Roban, nous voyons, du balcon , les.troupes ran-
gées en bataille, barrant la fue Saint-Honoré , devant
le café de la: Régcnce. Les militaires en agissaient
fort brutalement avec les particuliers; a ce moment
les rangs de l'infanterie s'ouvrirent , et il en sortit un
ofíicier de gendarmerie avec trois ou quatre ~n­
darmes, ils se précipitérent au milieu des grotlpes,
et un malheureux vieillard fut renversé et fouié ame
piedsdeschevaux; il paraissaitvivrecependant encore,'
mais l'officier de gcndarmerie, en revenant, le per<;a
d'un coup de sabre, et il fut emporté sur la place un
Palais-Royal, oú le cadavre resta fort longtems. Cet
événement excita un cri général.'indignation; quel-
({ues instans apres, les troupes firent un mouvemcnt,




( 216 )


et le feu commenca des deux cótés de la rue Saint-
Honoré; mais étant éloigné, je n'ai pu voir s'iI y avait
eu des sommations de faites,


M. Francois Sanvo , ágJ de 57 ans , rédacteur en chef
du Moniteur.


J'ai recu le 25, a cinq heures du soir, l'ordre de
me rendre chez l\I. le gaI,de-des-sceaux aonze heures
précises. J'ai re<,;u de Iui la communication et l'ordre
d'insertion au Moniteur du 26, du rapport au Roi
sur la presse et des ordonnances en date du 25 juillet.


. .Aprés la remise , 1\1:. de Montbel, qui se trouvait dans
le cabinet de M: le garde-des-sceaux, a remarqué
combien j'avais été ému en parcourant les ordon-
nances et en reconnaissant lenr objeto J'ai répondu
qu'il serait bien extraordinaire que cette émotion ne
fút pas aussi grande. M. de Montbel me dit alors ces
deux mots : Eh bien! J'ai répondu: «Monseigneur.je
» n'ai qu'un mot adire: Dieusauoe le- Roi, Dieu sauve
» la France l » M. de MontLel et M. Chantelauze ont
répliqué ala fois : Nous l'espérons bien. En me reti-
ran" ces messieurs ont paru désirer encere quelques
mots.et je leur ai adressé ces paroles :. «Messieurs, j'ai
» cinquante-sept ans, j'ai vu toutes les journées de
) la révolution, et je me retire avec une profonde
1> terreur de nouvelles commotions. »


M. Jacques- Martín LISOIRE, 4s.é de 48 ans, artiste
cirier , rue Neuve-Saint-Sauveur, n° 8.



D. Vous reconnaissez-vous I'auteur de cet imprimé




( ?I7 )


intitulé Pétition ti MAJ. les députés , et revétu de
votre signature. _ R. Oui. - D. Veuillez bien expo-
ser les faits qui sont avotre connaissance relativo-
ment aux propositions qui vous ont été faites d'em-
ployer vosbombes incendiaires dans les journées
des 26,27 et 28 juillet.


Le témoin fait une déclaration en tous points con-
forme au contenu de l'imprimé qu'íl a signé et para-
phé pour demeurer annexé au proces-verbal. JI a
déclaré , de plus, ne connaitre les noms d'aucun des
personnages dont il est fait mention dans ledit im-
primé, a l'exception de M. le Dauphin (1).
1\1. Joseph JOLY, ágé de 37 ans , marchand de vins,


rue de Chartres , n° 2.5.
D. Savez~vous comment a commencé, au Iieu ou


vous vous trouviez, le combat entre la troupe e.t les
citoyens, dans la journée du mardi 27 juillet?-R.
Dans l'apres-midi, j'ai d'abord vu des détachemens
de gendarmerie a cheval envahir la place du Palais-
Royal, et disperser a coups de sabre les citoyens
qui s'y trouvaient réunis et qui criaient vive la Charte.
La place fut bientót déblayée: toutes les personnes
quidébouchaient par la rue Saint-Thomas-du-Louvre
étaient arrétées, conduites au poste de gendarmerie
et accablées de mauvais traitemens. Je dois méme
dire que j'ai vu, dans le poste, un citoyen renversé


(1) Ce témoin , entendu devant la Commission de la Chnmbre des.
Députés , ne l'a ptt" été devant celle de la Chambre des Pairs.




( 218 )


par un maréchal-des-logis de gendarmerie. qui l'a
tué á coups de talon de hotte, et de crosse de fusil.
Apres trois coups de fusil tirés par des soldats de
la garde royale, lespremieres décharges out été faites
sans provocation par les détachemens du 3c régi-
ment qui stationnaient sur la place et qui ont été
exécuter des feux de 'peloton du cóté de la me du
Lycée, Je mentionnerai un autre Iait dont j'ai été
témoin, et qui s'est passé son s mes fenétres. J'ai
entendu un chef d'escadron de gendarmerie intimer
aun jeune offider d'un régiment de ligne l'ordre de
tirer sur le peuple. Cet officier répondit qu'il n'avait
point recu d'instruction: un papier futalors exhibé
par le chef d'escadron, L'officier répliqua par Ull
signe riégatif, et en inclinant son épée vers la terreo
J'ajouterai enfin que j'ai vu des officier's et dessous-
officiers distribuer de l'argent auxsoldats , et que
M. le commissaire de police Mazug circulait sans
cesse sur le front des détachemens paraissant donner
des ordres ala troupe.


M. Albert-Louis-Félix-Eugl'me DE MAUIWY, dgé de
40 ans , officiers de sapeurs du génie , en retraite ,
membre de la Légion d'honneur, demeurant rue de
la Sourdiere , n° 34.
D, Savez-vous quand er comment a commencé le


combat entre la tronpe et les citoyens , dans la
journée du mardi 27 juillet? - R. Le mardi , vers
deux heures et demie ou trois heures, un détache-
mcnt de gendamlerie acheval a débouché pal' la rue




( 21 9 )
de Chartres , sur .la place «u Palais-Royal, sabrant
tous les citoyens sur son passage. Quelque tems
apres eette charge, les gendarmes furent assaillis a
coups de pierre par le peuple réuni sur la place;
j'étais alors prés du café de la régence, La place fut
hientót évacuée; ell~ resta oecupée par deux déta-
chernens du 3e r~giment de la garde royale , ceux
qui composaient le poste du Palais-Royal. En avant
des lignes, vers la rue de Valois, se tronvaient deux
ou trois soldats et un sergent que ses favoris et ses
cheveux iroux rendaient assez remarquable. II cou-
chait sans cesse en joue les personnes qui s'étaient
abritées dans les allées ou dans les coins formés
par les maisons de la rue Saint-Honoré , du coté de
la ruedu Coq. Ce sergent finit par lácher son coup
de fusil', sans aucune provocationj son exemple Iut
aussitót imité .par les soldats qui étaient acoté de
lui; et immédiatement la troupe se mit en mouve-
ment et fit plusieurs décharges, tant dans la rue de
Valois, que dans la rue Croix-des-Petits-Champs. Il
parait certaín que plusieurs personnes, parmi les-
quelles une fernme, ont été tuées. Indigné du spec~
tacle auquel je venais d'ássister, j'allai me mettre a
la tete de quarante ouvriers imprirneurs , du coté
de la.Jue du Rempart-Saint-Honoré. Arrnés de pierres,
nous attendlmes de pied ferme un détachement de
lanciers qui s'avancait par la rue de Rohan : a deux
reprises différentes , nous l'assaillimes a coups de
pierres. Un coup de pistolet fut tiré SUl' moi palo
l'un de ces lanciers (tui s'était détaché de la troupe,




( 220 )


el m'avait poursuivi jusque vers l'hótel de la Loui-
siane, Voilá les faits dont j'ai été témoin le mardi.
le rentrai chez moi afin de {aire mes dispositions
ponr le lendemain. J'ajouterai cependant qu'au mo-
:ment oú la garde royale s'ébranla pour aller exécu-
ter les feux dont je viens de parler, deux pelotons
du 5e régiment de ligne déboucherent sur la place
du Palais-Royal. Suivi de plusieurs ouvriers impri-
rneurs, je me portai sur le"front de ~ette troupe; et
m'adressant a plusieurs officiers et sous-officiers, je
les exhortai ane point tirer sur leurs concitoyens.
Plusieurs d'entre eux nous embrassérent en protes-
tant qu'ils ne tireraient point: et effectivement au-
cune démonstration hostile ne fut faite par ces deux
pelotons, du jnoins pendant que je restai sur les


. Iieux, le n'ai vu ni eommissaire de-,po\ice, ni offi-
cier de paix; et aueune sommation 'légale, ni autre,
n'a été faite, du moins ama connaissance.


M~ Jacques-Jean vicomte de FOUCAUD, ágé de 59 ans,
colonel de gendarmerie en non-activité, demeurant
commune de Noyant.


VoiciIa partie importante de eette déposítion :
M. le maréchal de Raguse, ehez lequel j'arrivai,


me remit un ordre, signé de lui, d'arréter quelques
personnes au nombre de cinq ou six. le erois que
les norns d'Eusehe de Salverte , Laffite, Lafayette,
y étaient; je ne me rappelle pas les autres. A I'in-
stant méme 011 je venais de recevoir cet orclre el
pendant qu'un secrétaire mettait les adresses a cóté




( 221 )


des noms , une députation composée , je croís , du
génél'ul Gé1'31'd, du eomte Lobau et autres, arriva
chez le duc de Raguse, et apres -l'entrevue, ce der-
nier révoqua I'ordre qu'il m'avait donné, et le retira,
Je suis resté le reste de la journée, la nuit suivante
et le lendemain jusqu'á l'évacuation de Paris, pres
de M, le duc de Raguse.


D. M. Mangin, préfet de police,ne vous aurait-il
pas remis une liste des personne aarréter , liste qui
Iui aurait été transmise par M. de Peyronnet?-
R. Non, Monsieur, M. le préfet de police ne m'a
rien transmis , et je n'ai point re<,;u d'autre ordre
d'arrestation que celui dont je viens de parler qui
m'a été remis par M. le duc de Raguse, et qui m'a
été retiré de suite. - D. Il paraitrait cependant,
Monsieur, qu'on vous aurait donné une liste de dif-
férentes pel'sonnes á-arréter-; que 'Vous auriez repré-
senté qne tous vos gendarmes étaient occupés , et
que d'ailleurs, il était impossible d'arréter un si
granrl nombre de personnes? - R. Non, Monsieur,
je n'ai jamáis if~u d'ordre de M. le préfet de police
POUl' arréter qui que·ce soit, et je ne luí ai point
répondu que mes gendarmes étaient occupés , et
.qu'il ne m'était pas possible de faire arréter tant
de "monde.-D. Cependant, Monsieur, il paraltrait
qu'ayant refusé d'ernporter la liste que vous remet-
tait M. Mangin , ce dernier avait tellement insisté
qu'il vous avait determiné al'emporter ?-R. Le fait
est tout-á-fait inexact; M. Mangin ne pouvait pas me
donnerd'ordres semblables.-D. Ne vousseriez,vo~l1S




( 222\


pas présenté chez M de Polignac pOOl' lui faire des
observations sur les ordres d'arrestation qui vous
étaient donnés, et M. de Polrgnac ne vous répondit-
il pas que vous répondriez de leur exécution ?-R.
Non, Monsieur , il n'y a jamais rien eu de sem-
hlable.


D. L'crdre qui vous a été donné d'arréter diffé-
rentes personnes, le mercredi, nevous a-t-il pas été
renouveléle jeudi matin?- H. Non, Monsieur, bien
au contraire, puisque je sus que M. le duc de Raguse,
.avait fait une proclamation aux Parisiens dans la ma-
tinée du jeudi, pour annoncer qu'il avait donné ordre
de faire cesser toute hostilité contrc le peuple, et
convoqué les maires pour qu'ils annoncassent ]a
cessation d'hoetilités. -D. ~l. le maré chal de Ragnse
ne vous auraij-il pa5 envoyé un aide-de-camp pour
vous dire de ne pas exécuter les ordres d'arrestation?
- R. Monsieur , cela est vrai, maisc'est environ trois
quarts-d'heure aprés la remise de l'ordre, paree que,
comme je l'ai dit, j'avais laissé cet ordre pour mettre
les adresses exactes acoté des norns, GIi que cet ordre
venait de m'étre rendu au moñient 011 I'aide-de-camp
vint me contremander cet ordre. e'est dansla rue
méme que l'aide-de-camp me rejoiguit; la, il me dit
que M. le duc de Raguse, m'ordonnait de suspendre
l'exécution de l'ordre qu'il venait de me donner.
J'allai de suite chez l\J. le duc de Raguse qui me dit
eneffetde ne pas exécuter l'ordre, et je le lui rendis.
J'avais perdu de vue que c'était par l'intermédiaire
d'un aide-de-camp que fa vais rf\ll I'avertissement de




( :l~3 )
suspendre l'ordre qui venait de m'étre donné; mais
l'aide-de-camp lui-méme ne parut ras savoir ce dont
il s'agissait. Ce contre-ordre me soulagea d'un grand
poids, paree qne l'exécution de l'ordre me paráis-
sait presque impossible.Te ne snis point si 1\1. le dne
de Ilaguse avait re<,;u lni-méme l'ordre de {aire
arréter les personnes ];1ortées sur la liste, ou si cet
ordre érnanait de son propre -mouvement.


M. Loup-Custave-Alexandre, vicomte 'de VIRIEU, ágé
de 51 ans, colonel, ex-sous-aide majorgénéralde la
ci-devant garde roya/e, demeurant en la commune
du Thour, cantan d'Asfeld.
Ce témoin dépose que le 27, vers onze heures,


les rassemblemens commencant adevenir sérieux ,
et ayant été informé par le commandant duposte du
Palais-Royal que sa troupe venait d'étre insultéede
maniere a,ne pouvoir s'y maintenir , lui, témoin
donna l'ordre p:rr écrit et par ()fdonnance au com-
mandant du troisiéme régiment d'infanterie, de la
garde, de doubler ce poste, et mettre a sa tete un
capitaine sage et ferme, ce qui fut fait : que vers une
heure apres-rnidi dudit jour 27, il rentra a l'état-
major-général; qu'il y trouva le marquis de Choiseul,
aide-major-général , auquel il rendit compte de l'état
des choses; que hientót apres arriva aussi le major-
général, aqui M.de Choiseul renditégalement compte;
que des-lors le service de lui témoin devint purement
passif', et qu'il se retira en attendant qu'on lui trans-
mit des ordres; fIne, dans cet apres-diner , les




( 2'14 )
rassemhlemens prenant plus. de consistance, u fn't
donné par le rnajor-général l'ordre de faire oecuper
par un piquet de cavalerie et un piquet d'infanteríe
les poste du Carrousel.


Que le 28, il entendit un bruit confus, qui le fit
sortir de l'état-major entre huit et neuf heures du
matin; qu'il se dirigea vers le Palais-Royal, d'oú
partait ce bruit, et vit dans les rues Richelieu et Saint-
Honoré des rassemhlemens nombreux; qu'un déta-
cheruent de gendarmerie, qui venait pour les dissi-
per, fut assailli acoups pieI'res par la multitude, qui
s' étant retranchée derr-iere des planchesplacéesdevant
le Palais-Boyal, permit a cette troupe de passer; que
lui déposant rendit compte de cet événement aI'état-
major-général, qui fut en méme tems prévenu que
des attroupemens considérables et nombreux se
montraient sur tous les points, ce qui décida le major-
général afaire diriger des détachemens sur tous les
points menacés; cflle, quaot a lui, témoin , il est
resté constamment a l'état-major tout le reste de la
journée dU2.8, oú il n'a éré occupé qu'á puyer les
fournisseurs de pain et de vio aux troupes qui man-
quaient de tout depuis qu'elles étaient a leur poste.


Qu'enfin , le 2. 9, il est allé , vers neuf heures du
matin, trouver plusieurs boulangers avoisinant I'état-
major, afin qu'ils se chargeassent de fouroir du pain
pour les troupes; qu'environ vers les onze heures, le
major-général s'est rendu a pied a l'entrée de la rue
de Rohan, pour parlementer avec le peuple; que lui ,
témoin , et d'autres officiers l'accompagnerent ; que




( 225 )


dans cet instant la foule déboucha par la rile du
Louvre , se precipita sur les Tuileries , et 'décida le
ruajor-général afaire sa retraite sur Saint-Cloud, par
le jardín des Tuileries et les Champs-Elysées; que,
quant á Iui , déposant, il a suivi apied le méme mou-
vement, apres avoir vainement cherché son cheval
qui était placé au piquet dé cavalerie, et qu'il n'y re-
trouva plus.


Nous avons interpellé le témoin denous déc1arer
s'il sait de quel coté le feu aurait commencé, et si,
avant de faire feu , les conímandans mílitaires avaient
fait faire, oú s'il Icur avait été ordonné de faire faire
les sommations prescritos par la loi.


Le térnoin , interpellé , dépose que, comme il vient
de le déclarer , il n'a été témoin d'aucun engagement,
et n'a pu voir dequel coté le feu avait com'mencé;
que seulement il a su par le rapport des troupes qui
étaient établies sur la place du Palais-Royal, que le
feú avait commencé du coté des rassemblemens, DANS,
LA JOURNÉE DU 28 (1), qu'il ne peut nous dire si,
avant le feu , les eommandans militaires avaient fait
faire , oú s'il leur avait été ordonné de Iaire faire les
sommations prescritos par la loi ; que tout ce qu'il
sait , c'est que les sommations doivent se faire par la
police, et que les ordres donnés a la tronpe par le
major-général étaient de maintenir l'ordre et de re-




(1) a'l sait que la veillc (le innrdi 27), ¡, ce mérne endroit, les
troup cs avnicnt déji. , el plusieurs íois , Iait Ieu sur le peuplc, parmi
)<>'fuelil nv ay"il pa, «ncorc 11n seul homme armé.




( 29.6 )


pOllsser la force par la force; que le témoin pense
que, si l'entention' du major-général cut été de faire
tirersur le peuple, il aurait clirigé ses tronpes en
masse, au lieu de les diviser par détachemens.


1\1. Charles-Jean-Lcuis de SAINT-GEUMAIN, ex-lieute-
nant au 3e régiment d'infanterie de l' ex-garde, tigé
de 34ans, demeurant á Orléans; rue Sainte-Anne,
n° 15.


Le 27, a cinqjheures de l'apres-midi , le sergent
de semaine vint me prevenir de me rendre al'École-
militaire pour prendre le commandement d'un piquet
eletrente hornmes. En arrivaut dans la courde J'École,
M. de Pleineselves , mon colonel, me di t : « Vous
allez prendre ee piquet de trente hommes; vous irez
chez le maréchal de service; vous lui direz que j'ai
été prévenu par le capitaine de ronde que le poste
dn Palais-Royal se trouvant assailli, j'ai cru , pour le
bien du service, devoir envoyer le piquet pour le
renforcer. Si S. Exc. n'approuvait pas cette rnesure ,
le piquet rentrerait ala caserne.. Ayant pris les ordres
dn maréehal de service, dnc de Ragnse, í1 me dit de
eonduire le piquet au Palais-Royal. Je me mis en
marche aussitót : arrivé dans la rue de Rohan, un
grand nombre d'individus qui paraissaient pris de
vin nous crierent de retourner a la caserne et de
respccter lenrs ordres; cette défense était accom-
pagnée des injures les plus grossieres, Lorsque nous
voulümes entrer dans la rue Saint- Honoré, nous
trouvámes une barricade formée avec un Omnibus et




( 227 )


nne charrette de portenr d'eau; ayantétéobligés, po U\'
passer, J.'écarter cettebarricade , nous fümesassaillis
de pierres: plusieurs de mes hommes furent blessés.
D l v r ;Ó» h'ans ce mament es armes n était pas e argees, sans
cela les soldats auraient pu en faire usage. Arrivés a
la cour du Palais-Royal, je remis mon détachement
sous les ordres du chef du poste. Je dois vous dire
que les hommes quinous ont assaillis dans la rue
Saint-Honoré appartenaient aux classes mallrenrcuses
dn peuplc,


Apres m'étre promené pendant quelques instans
sur la place du Palais-Hoyal , je me dirigeai du coté
de la me Saint-Honoré , oú nous avions place plu-
sieurs factionnaires; et m'étant aperc;n que quel-
ques-uns d'entre eux se laissaient entourer par des
groupes, je Ieur dis qu'il ne fallait p~s se laisser ap-
procher ainsi, et qu'ils devaient ócarter la foule.
.Dans ce moment je re(,;us une pierre dans la poi-
trine; les sentinelles ne tirerent pas. La douleur que
me fit éprouver ce coup fut tellement vive, que je
fus ohIigé de rentrer au corps-de-garde, oú je pas-
sai plusieurs heures. Pendant le tems que j'y étais,
iI arriva un bataillon de mon régiment, qui se placa
sur la place du Palais-RoyaJ. Dans la soirée je fus vi-
siter les factionnaires que nous avions mis autour
du Palais-Royal, Plusieurs ayant été assaillis, avaient
été obhgés de faire feu pour se défendre; un d'eux
avait désarmé un bourgeois porteur d'un fusil adeux
coups, sur lequel était gravé le nom de Lepage.
Corrime mon service était intérieur, je ne sais pas




( 228 )


ce qui , dans cette soirée du 27 , a pu se passer dans
les rúes environnantes. Ce que je puis "Vous affirrner,
c'est que nos sentinelles n'ont tiré qu'apres avoir été
attaquées et avoir l'e<;n des pierres : les oíficiers leur
avaient recornmandé d'agir avec la plus grande mo- .
dération.


Le 28, vers neuf heures et demie clu matin, apres
avoir été releves au poste du Palais-Royal, nous sui-
vions les rues qni nous conduisaient a la caserne ;
arrivés a la place du Carrousel , le maréchal de ser-
vice nous fit dire d'arréter et d'attendre ses ordres.
Un instant apres , le 3e régiment, commanclé par
le colone! , arriva et se mit en hataiile devant le chá-
teau. Le colonel, que!ques minutes apres , me fit
dire par un offieier de prendre quinze hommes de
mon détachement , de me rendre de suite sur le quai
des Célestins , et de voir si le 1 f}e y était en hataille ;
et, apres avoir vérifió ce fait, d'cn rendre compte
au maréchal de ser-vice. J'obéis aussitót. Étant arri-
vés sur la place de Greve ",sept OH huit cents per-
sonues, dont la plupart étaicnt arrnóes darrnes á feu,
quelqlles-unes de hátons , courent sur IlOllS en voci-
férant. J'arrétai aussitót mon détaohement , je m'a-
vancai seul vers le penple avec l'intention de l'appai-
ser : a peine avais-je fait quelques pas que l'on fit
une décharge sur moi et sur mes homrnes , dont
deux Iurent tués et presqne tous hlessés ; moi-mémo
je fus blessé : j'ai encare des halles dans le bras
gauche et plusicurs grains de plomb au ventre et á
la figure; mes habits et mon bünnet ú poil étaient




\ :.1.29
percés en plusieurs endroits. J. ne sais pas commeut
j'ai pu échapper a ce He fnsillade, cal' on tirait a
douze ou quinze pas. Mes soldats ont tiré alors , e t
plusieurs hommes sont tombés. Craignant d'étre en-
touré par la foule , j'ai hattu en retraite jusqu'au
pont Notre-Darne. Snr la route on tirait sur nous, et
j'ai entenclu siffler les baIles: heureusement pour
mon détachement, un bataillon du régiment arriva;
on me fit mantel' dans nn cabriolet; mais, comme
on tirait sur moi et que déjá le cabriolet était percé
de plusieurs balles , le conducteur arréta et me fit
descendrc. Je rejoignis alors le bataillon qui , dans
ce mament, était sur le pant Notre-Dame , et qui
rcvint sur la place du Carrousel, apres avoir passé
par le Palais-de-Justice et le Pont-Neuf. Je fus rendre
compte au maréchal de service ele ce qui s'était pas-
sé; il me questionna un instant et me laissa entre
les mains des chirurgiens : un instant apres je fus
concluit a·l'hopita1, oú jc suis resté trois semaines.


Je ne sais pas si les sommations ont été faites au
peuple dans ces cljfférentes journées , mais ce qu~ je
puis vous affirmer, c'est que dans tous les endrrñts
ou je me suis trouvé, la troupe ne s'est servie de
ses armes que ponr se defendre; ce sont toujours
les bourgeois qui ont commencé. Dans ces diffé-
rentes journées , je n'ai vu aucun commissaire de
poliee.




( 230 )


• I


M. Franeois-Isidore DE BLAIR, ágé de 55 ans , chefde
bataillon , capitaine au 3e régiment de I'infante-
ric de l'ex-garde, demeurant ~ux Etangs.
L~ 27 , le régiment sortit de l'École militaire dans


l'apres-midi , avec tous les officiers supérieurs; vers
quatre OH cinq heures, plusieurs détachemens furent
commandés pour la rue Saint-Honoré, le Palais-
Royal et le Louvre; j'étais destiné pour commander
le clétachement dn Louvre, Déja j'étais en route avec
mon détachement, lorsquemon colonel courut apres
moi, me donnant ordre ·de rernettre le commande-
ment de mon détachement a mon Iíeutenant , d'en
retirer vingt-cinq 011 trente hommes , de me diriger
dans la rue Saint-Nicaise , avec un détachement de
gendarmes de la garde, commandé par un officier
que j'avais alors sous mes ordres; d'y détruire une
barricade. Je demandai alors amon colonel si je de-
vais faire charger mes armes? QlJelle demande! me
répondit-il, oui, sans doute, lJOUS allez les faire char-
gel', el lJOUS repousserez la force par la jorce.


\:orome je sortais du guichet, une vive iusillade
s'engageait dans la rue Saint-Honoré. Dans la rue
Saint-Nicaise , je trouvai une misérable barricade qui
nous arréta faiblernens'; toutefois, mon détache-
mcnt fut assailli de pierres et de pavés ; au débou-
ché de la rue Saint-Nicaise , j'en trouvai une formée
de deux omniblls renversés; une foule innombrable
de populace derriere , qui y avait amoncélé plusieurs
tas de briques et de pavés; j'y fus , cornme dans la




( 231 )


rile Saint-Nicaise , assailli ; alors je fis mettre mon
peloton en bataille, vis-a-vis la barricade ; jy íís char-
gel' les armes; et alors porter mon peloton en avant,
et la baíonnette en avant; la foule refIua dans les
mes adjacentes, Quelques hommes de mon dé tache-
ment, qui s'étaient imprudemment portés quarante
a cinquante pas en avant, furent assaillis par des
pavés, et il leur fut tiré deux coups.de fusil ou pis-
tolet, l'un d'un en tresol , l'autre d'un étage plus
élevé ; mes hommes ripostérent , je courus aprés les
faire rentrer au peloton. Les omnibus ayant été dé-
tournés assez poul' donner passage aquatre chevaux
de front, je donnai ordre el l'officier de gendarmerie
de balayer les rues, ce q u'il exécuta , et revint re-
prendre son poste un quart-d'heure apreso Dans les
deux heures environ que je passai dans cette posi-
tion, je fis plusieurs fois détacher des patrouilles de
cette méme cavalerie pour arréter la foule toujours
croissante ; vers la nuit, je fus relevé par un autre
capitaine du rnérne régiment, et reñtrai au noyan
de rnon bataiUon, sur la place dn Carrousel Loú
nous restámes jusque vers minuit , et nous rentrá-
mes a l'École militaire.


Le 2.8, vers six ou sept heures du matin, le régi-
ment sortit de I'École militaire , et fut de nonveau
s' établir sur lp, Carrousel, Vers neuf heures environ,
mon hataillon prit les armes, se dirigea vers le quai
de Sain t-Germain-l'Auxerrois, l¡ place du Chátelet ,
et rentra encare au Carrousel. Enviren deux heures
aprés étre rentré au Carrousel , le régiment en entier




( 232 )


prit les armes, suivi d'un gros détachement de lan-
cierset de plusieurs pieces d'artillerie. Les grena-
diers de mon hataillon étant détachés en avant e
sur la droite, je me trouvais alors tete de colonne .
mon chef de bataillon m'ordonna , pour en éclairer
Ia.marche , de me porter a une centaine de pas en
avant. Arrivé au quai de Saint-Germain-l'Auxerrois,
je trouvai deux factionnaires de gardes nationaux
posós al'entrée de cette rue, qui rendirent les hon-
neurs a mon peloton; je continuai toujours ma
route, remontant les quais; arrivé vers le pont du
Chátelet, j'entendis, sur mes derrieres , de forres
décharges d'artillcrie et de mousquoreric ; non.". ar-
rivámes ainsi jusque sur la place du Chátelet , oú le
chef de bataillon nous fit former en bataille , le dos
a la riviere, face a une multitude innombrable qui
remplissait la place. Le commandant réitéra tres-
souvent la sommation de se retirer. Enviran un
quart-d'heure apres étre établi, un détachement de
voltigeurs poursuivis et blessés pour la plupart ,
ainsi qne l'officier qui le commandait , fut heureux
de trouver le hataillon pour son saIut. Le chef de
batailIon détacha .te suite a leur secours un peloton
de grenadiers; alors une fusillade s'engagea du Ponto
au-Change, du;quai eonduisant a la place, et de plu-
sieurs croisées du fond de la place du Chátelet ; nous
eúmes la beaucoup d'hommes blessés.


Le chef de bataijlon jugeant notre place point
convenable , nous fit passer la rivierc ; nous rernon-
tames a101's, a la favcur dII parapet, vers les ponts




( 2~n I
au Change, Notro-Dame etd'Arcole. J'eus ordre d'en-
lever- celui de Notre-Dame , ce que j'exécutai avec
la perte d'un sergent , d'un sapeur, tués , quatre vol-
tigeurs et six hommes da centre blessés ; je restai
enviren une demi-heure dans cette position, tenant
la me qui fait facc au pont, et observant les quais
adroite et agauche. Nous fumes renforcés d'un ba-
taillon suisse , etdirigéspar le général Saint-Chamans


1 .. 1 1 . , '1 ' . .sur a pace (e Greve, OH 1 S engagea une tres-VIve
fnsillade. L'ennerni rejeté dans toutes les mes abou-
tissantes , maintenu par de simples piquets , on nous
entassa dans le fon<1 de la place, dominés de toutes
parts par- les croísées de I'autre coté du quai. On
nous tila, dans cette marche, beaucoup d'hommes ,
et de ohcvaux aux lanciers et aux cuirassiers, Vers
la nuit, le général Saint-Chamans , qui commandait
toute cette marche, ne recevant pas d'ordre, nous
fIt tous entrer dans l'Hótel-de-Ville ; nous y restámes
jusque vers minnir , relevant de terns cn tcms les
postes engilgés; IlüU5 fimes tranquilIement, rnais"
pas sans jUfluiétnde, notre retraite sur l'École mili-
taire , emmenant avee 1l0US ccnt cinquante a deux
cents blessés.


Le 29, un pCll apres le jcur, nous reprimes de
nouveau les armes; nous nous dirige!tmes encare
sur le Carrousel , que nous quittámes une demi-
henre arres, pour nous étahlir dans le jardín des
Tuileries , avenue des Feuillans , et orrlre d'établir
des postes a toutes les rues aboutissant á la rue de
Jlivoli. Nous restámes deux it trois heures cnviron




( 234 )
dans ceHe posmon , et nous fümes nous établir
place Louis XV, prés l'hótel de la marine; des tirail-
leurs parisiens , faufilés le long du quai d'Orsay, la
Chambre des Députés et le Palais-Bourbon , nous
incommodant for-t, la eompagnie de voltigeurs dn
3e hataillon reeut ordre de passer le pont Louis XV,
de les débusquer de leur position et de s'y établir,
ce qu'elle exécuta avec une perte de neuf hommes.


Vers le milieu du jour, le général Quinfonnas
vint nons faire reprendre les armes, et nous donner
l'ordre de nOI~S retirer dans les Champs-Élysées ;
nous nous y formárnes en bataille le tems seulement
d'y attendre la eompagnie de voltigeurs détachée.
Quelques instans apres , le major-général , sorti des
Tuileries par le Pont-Tournant, avec sonétat-major,
nous fit effectuer notre retraite sur Saint-Cloud.


Partout oú je me 'suis trouvé , des sornmations
ont été faites par les officiers commandan t les postes,
pour que la foule ait a se retirer; tous mes cama-
rades et moi-rnéme avons eouru souvent le danger
de la mort ponr retenir nos soldats, ponr les empé
cher de tirer sur les personnes aux eroisées, et sur
celles non-armées.


Il n'est point a ma eonnaissance que des instruc-
tions aieut _é données pour faire faire les somma-
tions preserites par la loi , ponr la dispersión des ras-
semblemens, sommations qui furent eependant faites,
comme je l'ai indiqué ci-dessus,


J'atteste qne, partout oú les soldats ont fait fe ti ,
avcc ou sans ordre , eomme cela est arrivé plusieurs
~




( :135 )
..


fois , ce n'a jamais été qu'ap.'ts des coups de pistolet
ou de fusil tirés des croisées ou des caves, ne tenant
point compte des pavés ou des briques laneés.


Sur tous les points oú je me suis trouvé, les hosti-
Iités ont commencé du coté des rassemblemens , qui
tiraient des coups de fusil sur les militaires.


M. Louis-Julien DRf,AUNAY, 'dgé de 33 ans , ojJieier
en demi-solde , demeurant ti Hédé.


Ce n'est que le 27 au matin que j'ai appris , en dé-
jeúnant , l'existence des ordonnances. A quatre heures
de I'apres-midi, nous avons reeu l'ordre de nous tenir
préts ; acinq heures, on nous ordorma de 1l0US ren-
dre ala caserne et de prendre les armes. Je fus dirigé
avec roa compagnie , que je cornmandais alors , mon
capitaine étant de garde au Palais-Royal, sur la place
Louis XV, oú se trouve~ent réunis quatre a cinq
bataillons de la garde. Une heure apres , le batailIon
dont je faisais partie fut conduit sur la place du Car-
rouseI. Vers sept heures , un capitaine d'état-major
vint demander un détachement de trente hommes de
la part du maréchal de service. Je re~us l'ordre , de
mon chef de bataillon, de su ivre ce capitaine avec
trente hommes. En traversant la place du Carrousel,
ce capitaine me demanda si les arrges étaient char-
gées; sur ma réponse négative, il me fit commander
de les charger. Au moment oú les hommeschargeaient
les armes, un détachement de lanciers de la garde ,
arrété par les barrrcades de la rue Saint-Honoré , re-
vint pal' la rue de l'Éehelle, en criant : En aoant




( 236 )
. .


l'infanteriel Aussitór lts armes chargées ,. je suivis ,
avec mon détachement, le capitaine d'état-rnajor, A
peine entres dans la rue Saint-Honoré, et la premicre
barricade étant enlevée, une grele de briques lan-
cées de dessus les toits, nous tomba snr la tete. Les
soldats se sentant attaqués , et encouragés par les
ordres du capitaine , firent feu sur tons les hourgeois
qui se présenterent devant eux aux croisées.


Le capitaine me donna ensuite l'ordre de íaire en-
lever une barricade , qui se trouvait en face le hout
de la rne des Pyramides, Une autre barricade , qui
se trouvait a peu pres á cent pas plus loin, couvrait
une po pulace nombreuse. Mon capitaine me donna
ordre de faire fen sur ce rassemblement; mais je m'y
opposai , en Iui faisant observer qne j'apcrccvais
derriere cet attroupement un autre détachement de
la garde. Je m'avaneai alors seul , et j'invitai les
hommes qui faisaient partie de cet attroupement a
se retirer , sans quoi j'avais l'ordre de faire fen L'at-
troupement se dissipa aussitót, Le capitaine 50m111a
les )ocataires de la maison d'oú 1'OIl 1l0US avait jeté
les pierres d'ouvrir les portes, et envoY:l un sel'gent
avec quelques hommes , pour tácher de saisir ceux
fluí les avaient jetées ; mais on ne tronvaque quel-
ques locataires gen alarmes, dont deux avaient été
tués el un blessé. ( On nous dit que ces trois person-
nes étaient des Anglais ).


En nous rendant dans cette rue , nous ne l'ec;úmes
point l'ordre de íaire les sommations prescritos par
la loi. JI' p ris sur moi de Iairc la sorumation dout fai




( ~d7 )
parlé, que je répétai plusieurs fois dans la soirée, et
qui m'a réussi aupres des petits attróupemens qui se
présentércnt devant moi dans la rue de Rivoli , an
bout de laquelle je fus placé avec mon détachement,
Nous rentrárnes an quartier entre onze heures et
minuit.


Le 27, je ne vis aucnn bourgeois en armes. Les
cris que j'entendis partir de ces rassernhlemens
étaient : Vive la Liberté! vive la Charte! el bas les mi-
nistres!


Le 28, a sept heures du mn tin , nous recúmes
l'ordre de no us tcnir préts a prcndre les armes pon!'
nr uf heures, Nous fúmes conduits direetement ~t la
place clu Carrousel, Peu de temps apres , M. de Saint-
Germain , lieutenant au régiment, qui descendait de
garde du Palais-Boyal , fut envoyé avec qninze hom-
mes s.ur le Pont-Ncuf Un quart d'heure apres , le
bataillon dont je faisais partie, accompagné d'un dé-
tachernent de lanciers , fut dirigé du coté de la place
de Greve. A pejlr¡e-arrivés au Pont-au-Change , sur la
place du Chátelet , nons entendimes quelques coups
de fusil, et nous vimes arriver en désordre M. de
Saint - Gcrmain et treize hommes; prcsque tous
étaient blessés, La cornpagnie de grenadiers du b~­
taillon fut envoyée pOUl' repousser un attrotlpement
nornbreux et armé qui poursuivait ce faihle déta-
chernent : qnelques coups de fusil l'.enrent bientót
dispersé. La eompagnie de g,'enadiert; étant rentréc ,
le chef ele bataillon nous rec~mdnisit ü la place du
Carrousel , el'oú nous repartimes , renforcés par un




( :d8 )
défachement de cnirassiersde la garde et deux pieces
de canon, De retour au Pont-au-Change, nous tra-
versámes la Seiue , et nous longeámes le quai aux
Fleurs. Arrivés au hout du pont Notre-Dame, la ca-
valerie qui était en avant; arrétée par une fnsillade
qui venait de la rue Planche-Mibraye, cria : En aoant
I'artiileriel On fit place aux deux pieces, qui bientót
placées en hatterie sur le milieu du pont, tirerent
plusieurs coups sur le rassernblement qui encombrait
cette rue. Pendant qne I'artillerie faisait ce feu, l'in-
fanterie riposta a une vive fusillade' qui venait de la
place de Greve et des quais environnans. Les tam-
bours battaient la charge, et nous arrivámes sur la
place de Greve par le pont qui donne sur cette place.
Deux officiers et quelques hommes étant tombés,
et les conps de fusil nous arrivant de toutes parts,
tant des croisées que des quais , nous fumes ohligés
d'évacuer la place et de nous retirer sur le quai de
Gevres. Les deux] pieceslarrivant anotre secours et
placées sur le milieu de la place ~tifent un fen qui
nous aida anous en rendre maitres une seconde fois.


Un instant apres , mon chef de bataillon m'envoya
avec hui t hommes al'autre hout du pont, pour en
ct.asser t011s les hommes armés qui nous tiraillaient
du quai opposé. J'y restai apeu pres un quart-d'heure,
en défendant hantement ames hommes de faire feu
sur les bourgc9is qu'ils verraient sans armes. A notre
arrivée, tout le rassemblement se dispersa, et jc n'eus
a faite feu que sur un pomme sur lequel on tira trois
coups de fusil, paree qu'il venait nous concher en




( édg )
joue. Apres quoi, voyant le détachernent dora je
faisais partie évacuer la place de Greve, je le rejoignis
pour éviter d'étre pris entre quatre feux. Le général
~lon, arrivant en ce moment, se rnit ala tete du dé-
tachernent, qni se rendit -maitre , pour la troisieme
fois, de la place de Greve. Un instant aprés, un dé-
tachement des Suisses de la garde vint renforcer le
nótre , qui manquait de cartouches, et placé a l'en-
trée des rues qui aboutissent a la place de Greve,
soutint le feu jusqu'á la nuit.


. Sur les cinq heures du soir, le général ayant fait
fouiller l'Hótel-de-Ville, dans Iequel on ne trouva
personne, y 11t entrer tout notre détachement, au-
qlleI s'étaient jointes une partie du 50· et une partie
du 55e de ligne, qui tirerent quelques coups de fusil
en arrivan.¡ sur la place. A peine entrés dans l'Hótel-
de-Ville , le général ayant rassemblé le peu de car-
touches qui nous restaient , je fus envoyé avec rnon
pelotors dans liS chambres du premier étage, oú je
placai Il!s hom~es répartis achaque croisée , afin
de repousser les assailIans qui s'enhardissaient. Deux
détachemens furent en.voyés dans l':~res-midi cher-
che!' des cartouches ; ils ne reparurent paso Le feu
dura jusqu'a la nuit, Le calme s'étant alors rétabli, a
onze heures le général fit charger les blessés dans
trois cahriolets qui s.e trouvaient sur la place; tout
le monde mit sac au dos, et un qnart-d'heure aprés
nous partimes sans bruit, et nous nous rendimes
en bon ordre a la place du Carrousel Aprés une
heure de repos, nous rentrámes au quartier.




( 240 )
Dans le couraut de cette jouruée, je n'eutendis


parlerd'aucun ordre donné pOllr faire des somma-
tions ; aucune ne fut faite it ma connaissance. Qnant
ace qui regarde la journée da 29, je n'y pris 3ncu'~
parto Je sais que le régiment evacua París des le
lendemain matin , et fut dirigé avec tous les autres
eorps sur Saint-Cloud , ou une gratificatian d'un
mois et demi de solde fut accordée a toute la garde.


1\1. Alfred-Amand-Rohert m: SA.INT-CrUJIlANS, ligé de
Ll6 ans, officier-général, demcurant el Paris , rue
de Caumartin , n: 5.


Le 2.7 juillet au soir, j'cutendis Jire c]ú'il Y avai t
des rassemblemens dans Paris , et étant de ser-vice
dans la garde royale , je me rendís-de mon propl'e
mouvement a l'état-mnjor de cette gar~, rue de
Rivoli;j'y suis resté jusqu'a dix henres et demie, sans
y recevoir aucun ordre, et alors je rentrai chez moi.
Le 28 juillet , entre dix et onze heures dn ~tin , je
re(;us l'ordre ( et ce fut le prcmier ~ue je recus ) de
me rendre al' état-majOl' de la garde royale. Aussitót
que j'y fus arrivé, le maréchal dllG de Ha~)IlSe me
donna' l'ordre te prendre le commall(lerue~p d'une
colarme eomposée d'environ neuf cents hommes
d'infanterie , cent cinquante Ianciers et xlcux pieces
de canon; de suivrc les boulqvards jusqu'it la place
de la Bastille et le faubourz Saint-Antoine, de dis-
siper tous rassemblemens tumultueux , de renver-
ser les barricades ({ue je pourrais trouver sur ma
route, ct de reponsser la force par Ja [orce si j't'·-




( ~4I )
prouvais de la résistance. Je n'ai recu ancune in-
struction pom' fairc les sommations presentes par
la loi, et je n'avais d'ailleurs avec moi ancun officier
de police.


Ma marche Iut tranquillo jusqu'an boulevard
Bonue-Ivouvelle ; mais sur la hauteur de ce boulevard
qui domine la porte Saiut-Denis, je trouvai une bar-
ricade formée de planches et autres objets. La com-
pagnie de voltigeurs qui formait mon avant- garde
s'y porta rapidement ponr la renverser et frayer un
passage a la colonne; mais lorsqu'elle commencait
cette opération, elle fut assaillie de p lusieurs coups
de feu, partis de 1a pOI'te Saint-Denis et des encoi-
grJUres des rues qui débouchent au-dessus. Les vol-
tigeurs répondirent a cette fusillade. Il n'y avait per-
sonne dans la rue ; on ne voyait pas ceux qui tiraient
sur nous ; les coups de fusil partaient principalement
de la purte Saint-Denis, et il était entierernent im-
possible de faire aucune sommation. le continnai ma
marche vers la place de la Rastille, recevant de droite
et de gauche des coups de fusil. Les officiers d'infan-
terie m'ayant rendu compte que leurs hommes n'a-
vaient que pen d.e cartouches, et n'ayant pas de cais-
sons de munitions avec moi , j'envoyai M, Petit-La-
montagne, adjudant-major du régiment de lanciers,
en rendre eompte á- M, le maréchal duc de Haguse,
rnais je n'ai plus entendu pat'ler de cet officier.


Arrivé sur la place de la Bastillc , oú je trouva¡
q uelques troupes q ni n'éraient point sous mes ordres,
je me dil'ige..ai :1VC'C ma colonne , dans la rue du Fau-


16




( 2[12 )


bourg Saint-Antoine, ou je trouvai quelques barrí.
cades , et oú je rec;us une fusillade assez vive par les
fenétres des maisons ; mais cette résistance cessa, et
je m'établis, avec ma troupe, dans la grande rue de ce
faubourg. Le feu de mousqueterie ayant entiérement
cessé, les hahitans, hommes, femmes et enfan ssortirent
en foule des maisons et se mélerent avec la tronpe. Je
parlai aplusieurs groupes de ces habitans, les ex-
hortant a rester tranquilles et a reprendre leurs oc-
cupations joumalieres, lorsqu'une fernme s'approcha
de moi et me dit qu'il n'était pas facile de rester
tranquillo lorsqu'on était sans argent, sans travail
et sans pain adonner ases enfans; jc luí donnai une
piece de 5 franes; et alors beaucoup de femrnes , et
méme d'hommes , m'ayant entouré, en me tenant le
méme propos , je leur distribuai l'argent que j'avais
sur mol. Dans mon rapport sur les événemens de la
journée que j'adressai , un instant apres , a M. le
maréchal duc de Raguse, je fis mention de eette cir-
constance. 11 était alors enviran trois heures aprés-
midi, et n'ayant recu aueun ordre de l' état-rnajor de
la garde, je jugeai que les communications n'étaient
pas libres, et je me remis en marche ponr les Tui-
Ieries.


A la sortie du faubourg Saint-Antoinc , ma colonnc
cssuya encore une fusillade assez vive des rnérnes
maisonsd'oú le feu avait commencé quand j'étais entré
dans ce faubourg. Arrivésur la place de la Rastille, il
me fut rendu compte qu'on ne pouvait plus passer
sur les boulevards , a cause dos aba ttis d'arhres ct des




( f?)
" 2i.},)


barricades , et je me décidai á prendre la rue Saint-
Antoine; mais cettc rue était fortement barricadée
et défendue par une fusillade tres-vive et meurtriere
partant des Ienétres des maisons, et, mon infanterie
ayant usé ses cartouches, je me décidai a passer la
Seine au pontd'Austerlitz, ou je ne reneontrai qn'une
résistanee légere , et j e me rendís, par les boulevards
nenfs, a l'esplanade des Invalides, oú, apres avoir
laissé reposer ma troupe, je re<,;us I'ordre , parlln
officier qui me fut adressé par M.le duc de Ragnse,
de me rendre snr la place Louis XV, oú j'arrivai entre
dix et onze heures du soir. Apres y avoir établi les
troupes sous mesordres,je me rendis al'état-major de
la garde, rue de Hivoli , oú je fis a:M. le maréchal duc
de Raguse, le rapport verbal de tout ce que je viens
de dire.


Je retournai sur la place Louis XV, et le 2gjuillet,
vers huit heures du matin, un aide-de-camp de 1\1. le
une de Raguse m'apporta l'ordre de me diriger, avec
deux bataillons, un régiment de cavalerie et une
piece de canon , par l'alJée des Veuves et le quai de
Chaillot, sur la barriere des Bons-Hornmes, afin deré-
tablir , sur ce point , les comm unications avec Saint-
Cloud. Je mernis aussitót en marcheaveccestroupes,
et j'ens a renverser qnelques barricades. Dermis la
sortie de l'aUée des Veuves , jusqu'a la barriere je fus
acceuilli par une fusillade assez vive partant des hau-
teurs dites da palais da roí deRome, des roes de
ChaiHot et de derr-iere la barriere qui était fortement
barricadée , et fIne je fus forcé de [aire eníoncer. Je




r: 244 )
suivis alors la grande route jusqu'a I'embranchement
qui ménca Auteuilj a cet embranchement.j'eus encore
une barricadeá détruire , mais sans éprouver de résis-
tance. Je traversai Auteuilet je laissai reposer un in-
stant mes troupes dans le bois de Boulogne, cal' la
chaleur était excessive, et elles étaient épuisées de
fatigue et de besoin. Je me rernis ensuite en marche
vers la barriere de l'Étoile, ponr me rendre a París,
mais, avant d'y arriver , j'appris que les troupes se
retiraient de Paris, et M. le maréchal duc de Raguse,
queje rencontrai pres la barriere de l'Étoile, me donna
l'ordre de conduire rna colonne a Saint-Cloud , OU
j'arrivai dans l'apres-midi , et oú je l'établis au hivouac
dans la graude allée du pare qui longe la riviere et va
de Saint-Cloud aSevres.


Dans eette derniere marche militaire , eomme dans
celle de la veille i] fut tiré sur roa troupe beaueoup
de COUj;lS de fusil de l'intérieur des rnaisons et des
eneoignnres des rues; mais je ue vis jarnais devant
moi , ni ama portée, aucun rassemhlement auquel
je pusse adresser une sommation , et la trou pe l'épon-
dait naturellement aux coups de fusil qui, aehaque
instant , étaient diriges sur elle de I'iuterieur des
maisons.


M. Nicolas-Charles-Louis-Stanislas-Mal'ie, NO~IPimE,
vicomte DE CHAlIIPAGNY, áge de L¡oans} muréchal-
de-camp, ancien sous-secrétaire d'État au departe-
ment de la guerl'e, demeurant ordinairement au
cháteau de Kanroux , commune de Ploiqan; arron-




" 2/,5 )
dissement de J[orla:x, el momentanement au eh d
teau de Kerduel , en la commune de Pleumeur-
Borlon , arrondissement de Lannion , département
des Cátes-du-Nord.


J'ai eu conuaissance des ordonnances du 25 juillet
par le ¡rJoniteur du 2.6. Je ne me doutais nullement
de ce grave événement. Aucun ordre donné au mi-
nistere de la guerre n'avait pu me le fairc SOllpc;onner
aucun mouvement cxtraordinaire de trol1pes ri'avait
eu lieu, et méme au moment oú elles ont paru, il y
avait aux environs de Paris moins de troup'es de la
garue que de coutume, Deux régimen s de ce eorps
d'élite avaient été envoyés en Normandie , pour cal-
mer les inquiétudes de la population, et faciliter la
recherche des incendiaires, A ce dernier sujet , je
dois dire, parce qne le n'tpport d'accusation de la
Chambre des députés a Iaissé peser de vagues soup-
cons sur le GOllvernement, a l'occasion des incendies,
que j'ai sonvent été témoin de la sollicitude de M. le
prince de Polignac ponr chercher les mOJens de les
faire cesser. La nomination de M. le duc de Ragllse
au commandernent supérieur de la r" division mi-
litaire avait eu líen, je crois j 011, ponr parler plus
cxactement, il en avait' été question avant les ordon-
nances, etM. de Poiignac m'en avait parlé. Cette
mesure de prudcnce me parut natu rell<~, dans un
moment 011 le général Coutard était obligé de s'ab-
senter, et oú , l'opinion publique étant déjá dans une
grande agitatiou, le Gouvernement pouvait craindre




( 246 )
des troubles a l'ouverture de la sessiou, Il est vrai
encoré que je fis expédier des ordres pour le retour
du régiment d'infanterie de la garele qui se trouvait
dans le Calvados; mais ce retour me parut naturel :
les incendies se calmaient, et ce régiment aurait dli
prendre son service aupres du roi des le 1 e r juillet.
Il était done juste de le rappeler, d'autant qu'on
le remplacait en méme tcms par un régiment de
ligne.


Le 27juil1et, je me rendis de bonne heure au mi-
nistére de la guerreo Je m'y occupai toute la journée
de mes ·travaux hahituels , et je ne me souviens pas
avoir recu , ce jour-la , aucun ordre relatif aux évé-
nemens.


Le 28, je partís pourSaint-Cloud , ou jedevais etre
a sept heures du matin, heure a laquelle, une fois
par semaine, j'avais l'honneur de soumettre le travail
des nominations de la guerre a M. le Dauphin. A la
fin de ce travail, M. de Polignac, qui était chez le
Hoi , me fit dire de l'attendre. Lorsqri'Il sortait , il
m'annonca que l'ordonnance de mi,seen état de siége
de la ville de París venait d'étre signée, et il me de-
manda de lui donner des renseignemens sur 'ce que
la législation a fixé relativement a l'état de siege , et
spécialement sur les Conseils de gllerre, qu'il pensait
devoir étre créés, d'apres la loi , aussitót que l'état de
siége est declaré. Craignant dc ne pouvoir pas lui
donner avec assez d' exactitnde les renseignemcns de-
rnandés , je le priai d'attendre mon retour au minis-
terc de la gnerre. J'y rasscmblai dans mon cabinct le




( 247 )
chef et le sous-chef du bureau de la j ustice militairo.
On rédigca une note qui contenait les renseigne-
mens demandés, et , lorsque je fus appelé aux Tui-
leries , je la présentai aM. dcPolignac, qui me char-
gea de la remettre au due de Raguse. Je ne erais
point que eette note ait eu auenn résultat , . et je n'ai
pas entendu di re qu'un Conseil de guerre ait été
formé.


Le soir du ~8, je fis rédiger les ordres de mouve-
ment pour faire marcher sur Saint-Cloud les camps
de Lunéville et de Saint-Omer, et je les envoyai il
M. de Polígnae.


Le 29, au matin, les harricades commencant aen-
vironner le ministere de la gnerre, n'ayant plus
d'ailleurs que quelques employés autour de moi, je
quittai mon cabinet ponr me rendre aux Thuileries ,
que je ne quittai que lorsque les troupes se retiré-
rento


Voici les noms de- tous les autres témoins qui ont
été entendus, rnais dont les dépositions n'offrent rien
d'assez remarquablc pour étre , des a présent rap-
portées: MM. Thomassy , juge d'instruction; Pédes-
cleaux, réíércndaire aux sceaux de Franee; Lanrisset,
chef de l'imprimerie du Moniteur; Thouret , COl11-
missnire de police; Leerosnier, chef de división a la
préfecture de police; Odieuvre, négociant; Chatet,
lihraire ; Poisson , serrurier; Leronx, ancien inspec-




( ~~8 )
teur de travaux publies; Plougoulrn , avocat ; Mar-
chal, ancien officier de cavalerie; de Mazug; Durios;
Bonifaee; Alard; Courteille, anciens comrnissaires de
police ; Hulot , cornte d'Osery, lieutenant-général;
Renault, capitaine au 5ge de ligne; Delaporte, mar-
chand de nouveanté; Pilloy, joaillier ; Chabert de
Praille , capitaine d'artillerie; Chabrol,ex-préfct de
la Seine; Lange, commissairc de police; Féret , li-
braire j Arnous, sous-chef de la justice militaire;
Delangle, libraire; Letourneur , marchand de nou-
veautés; Alexandre Mesnier, Iibraire; de Montlevaut,
ancien préfet du Calvados; Henou de la Brune , ma-
réchal-de-camp ; Julie Bernard , veuve Récamier; De-
franee, lieutenant-général ; Petir, ancicn maire c/u 2'
arrondissement ; Prunier-Quatremere , cornmissaire
de police; Boin, portier du ministere de l'instruction
publique; Perrusset, négociant; Recodere , maire de
Gentilly; Becqnerel, direeteur de Bicétre ; Montan,
comte de Lobau , député; de T1omelín, Iieutenant-
général; Brierc , libraire ; Dubois, sous-intendant-mi-
litaire ; baron de Saint-Joseph , colonel et sous-aide-
major de la garde'; Jauge, hanquier; GaIleton, an-
cien commissaire de poli ce ; Esnouf, député; de Bric-
queville, député; Ducastel, marchandd'éponges;
Barbé, propriétaire; Carpentier , avocat stagiaire; ele
Puybusque, capitaine d'état-major ; Duplan, avocat;
Mercier, député; Dequevauvillers, avocar, Iieutenant-
colonel de la t o" légion; de Tryon , colonel d'état-
major ; Delorme, premier président d~ la cour de




( 249 )
Caen; Lecomte , anclen avoué a Joigny; vicomte
de Virieu , colonel et sous-aide-major de la ci-devant
garde royale; de Saint-Germain, ex-lieutenant-colonel
au 3° régiment d'infanterie de l'ex-garcle; de Blair,
capitaine au 3° régiment de l'ex-garde; Delaunay,
officier en demi-solde.




COUR DES PAIRS.


S.ÉANCE DU 29 NOVE!\fBRE 1830.


Happort fait ti la Cour par l/!l. le comte DE BAS'fAR D ,
l'un des commissaires (1) chargé de I'instruction
du Pro ces des lfIínistres accusés par la Chambra
des Députés.


PREMIERE PARTlE.


MESSIEURS,


C'est au milieu des plus grands événeruens dout
l'histolre puisse jamais conserver le souvenir , que la
Chambre des Députés, usant de l'un de ses premiers
droits, traduit devant la Chambre des Pairs les con-
seillers de la couronnc.


Héritiere des plus nobles souvenirs, et partící-
pant atoutes les gloires de la patrie, la Chambre des
Pairs exerce aujourd'hui en France cette magistra-
ture politique dont toutes les nations ont compris
la nécessité. Dans tous les tems el chez tous les
peuples il exista de grands eorps auxquels il appar-


(1) Les cornmissaires élhielit ~.rj,f. le baron Pasquier, présidcnt , le
cornte de Bastard : le comle do Pontécoulant el le haron ~"¡¡ll¡"r,




( 251 )


tint d'influer puissamment sur la législation , et cl'as-
surer dans toute son étendue le libre cours du droit
de justice, ce premier besoin des peuples et des
rois,


Perrnanent dans l'ancien sénat de Home , plus mo-
hile et non moins absolue dans le tribunal des Am-
phictyons, aussi élevée dans la pairie de la Grande-
Bretagne que dans l'antique Cour des Pairs de France,
eette double puissance se retrouve partout , toujours
également supérieure, également respectée. A toutes
les époques, les législateurs ont reconnu que eette
réunion de pouvoirs dans IIn méme corps, dormerait
seule a la société, assurerait aux accusés , pou1' ces
grandes causes qui n'apparaissent que de siecles en
siecles , et auxquelles semblent lié es les destinées des
nations , toutes les garanties de lamieres, de puis-
sanee, de force, de courage dont la justice alors sent
plus vivernent le hesoin.


La Chambre des Pairs de France , par l'élévation
de son 1'ang dans la hiérarchic des pouvoirs , par l'in-
dépendance que Iui assure la stabilité de son exis-
tence , par le nombre méme de ses membres, par
l'habitude et la nécessité oú elle se trouve de s'occu-
per, chaque année , des plus grands intéréts du pays,
la Chambre des Pairs pouvait seule composer le tri-
b unal supréme de la France; seule, par son caractere
politique et judiciaire, elle pouvait constituer eette
magistrature d'un ordre supéricur , capable de com-
prendre, de juger les grands proccs , et de rassurer
á la fois le pays et les accusés, Seule , elle avait le




( ~5:l )
pouvoir et le' droit de ·s'affranehir des prescriptions
étroites de la loi éerite, et de n'écouter que les regles
éternelles de l'équité et de la raison ; de ne laisser
auenn crime impuni , et d'infliger á chaque crime la
peine qui lui était justement acquise; de résister aux
exigenees de l'autorité et a l'entrainement des par-
tis, de ne voir enfin que le bien de la patrie, que
les intéréts de la justice a laquelle les nations n'ont
jamais manqué impunément. Tel est, Messieurs, dans
le présent et aans I'avenir de la Frunce, le role au-
guste de la Cour des Pairs , telle est aujourd'hui sa
mission, La Cour des Pairs y sera fidele , et chacun
de ses membres saura se placer a la hauteur de ses
fonctions. Mais , plus les fonctions sont graves, plus
lesobligations en sont rigoureuses, plus la eonseience
de l'homme de bien a besoin d'étre fortifiéc par le
sentiment du devoir, Il recherche 310rs la vérité avec
une arrleur nouvelle ; il sent la nécessité de tout con-
naitre , les pensées les plus secretes, les motifs les
plus cachés , les hésitations les plus légeres , il dé-
sire tout apprécier; il voudrait pénétrer dans les
ames, lire dans toutes les consciences , et acquérir
ainsi des grandes questions que, comme juge et
eomme homme politique , il est appelé a décider ,
une connaissance si intime, qu'il ne puisse jamais
étre exposé a un remords ou aun regret.


Qnels qu'aient été les efforts de la eÜl1llnission7
notre travail ne pOUi'ra que bien ímparIaitement at-
teindre ce but si désirable. Du moins , nous n'avons
rien llégligé pour y arriver et ohtenir les lumieres




( 253 )
que l'instruction pouvait nous offrir. N01.1S allons
vous faire cOl1naitre le résultat de l'examen auquel
nous nous sommes livrés, -et vous faire partdes ré-
flexiona qne nous ont inspirées chacune des ques-
tions qui vous seront sournises.


Déja plusieurs fois, sous l'administration qui avait
précédé celle du prince de Polignac, on avait su que
des tentativos avaient été faites ponr le porter a la
tete des affaires. Ces projets eurent enfin leur accorn-
plissement ; et eette edministration , a la loyanté de
laquelle nous devons le complet affranchissement de
la presse, el la vérité dans les élections , fut rempla-
cée le 8 aoút 1829.


Chacun de vous, Messieurs, se rappelle la doulou.
reuse impression que la Franco entiere éprouva ace
changement, et avec quelle inquiétude pour son ave-
nir elle apprit le choix des premiers conseillers de
la couronne.


Quelle part le chef avoué du nouveau cahinet prit-
il a sa formation? M. de Polignac affirme qn'éloigné
depuis longtems du sol de la France, relevant apeine
d'une maladie tres-grave, il resta étranger a la com,
position prcmiere du conseil , et se borna ademan-
del' qu'on lui adjoignit pour collegues M. de Montbel
et M. de Courvoisier.


Nous devons , Messieurs , le dire des a présent, le
choix du dernier de ces ministres, non moins que
celui de M. le comte de Chabrol , laissait cntrevoir
que ce conseil, formé sous des auspices si inquiétans
pour la Franee , rencontrerait des ses premiers PU5,




( 254 )
un ohstacle atoute résolution violente. Aussi ne put-
il convenir d'un symbole qui liát la conscience poli-
tique de tous ses membres. Il se divisa bientót , et a
la retraite du comte de la Bourdonnaye ,le prince
de Polignac devint président du conseil. Mais quels
avaient été, dans cette premiere période de son
existence, les plans du ministere ? Avaiton des-lors
con<,;n le dessein de porter atteinte anos franchises,
et l'exécution n'en fut-elle ajournée que par l'oppo-
sition éc1airée de quelques mesnbres du conseil qui
repoussaient un pareil attcntat? Rien dans les pieces
du proces n'autorise a admettre cette supposition.


Vers cette époque, le comte de Guernon-Ranville
fut chargé du portefeuille de l'instruction publique,
il crut devoir, avant de .l'accepter , ainsi qu'il le dé-
clare, (aire connaitre aM. de Polignac qne la Charle,
nous rappelons ici ses propres expressions , était
son évangil« politique; que sa raison comme ses sen-
timens se liaient aux doctrines constitutionnelles , a
la conservation desquelles était désorrnais attaehé le
salut de la France, Cette profession de foi ne fut
pointun obstacle ason entréc aux aff~¡jres.


Ccpendant les journaux que l'on supposait dé-
vonés au ministere et plus spécialement au prési-
dent du conseil, réclamaient hautement les mesures
les plus violentes, et s'efforcaient d'entrainer le gon-
vernement dans la voie périUeuse des coups d'état;
et si ces journaux n'étaient pas les organes du mi-
nistere tout entier , ils l'étaient au moins du parti
auquel était censée appurtenir la fraction la plus in-




( ~55 )
Huente du cahinet, Aussi ne faisait-on ríen ponr
montrer qu'on repoussait ces insinuations crirni-
neHes, et avec raison la France entiere devait croire
que ron avait adopté les projets les plus subversifs
de l'ordre établi.


Si ces plans ne furent pas discutés au conseil , ils
occuperent tellement les esprits , on les annOIl<;a
d'une maniere si positive , que M. de Guernon-Han-
ville crut devoir les combattre dans un écrit rédigé
d'abord pour s'éclairer lui-méme , et dont vers le 15
décembre il donna communication a1\1. de Polignac.
Il y montrait le danger des coups d'état pour le pou-
voir Iui-mérne , Ieur criminaJité, et cornbien , en
méme terns qu'ils ébranlaient les tremes loin de les
soutenir , ils étaient contraires ala morale éternelle
dont les regles doivcnt également diriger les peuples
et les rois. Nous croyons devoir vous faire connaitre
les passages les plus remarquables de ce mémoire
écrit en entier de la main de M. de Guernon-Ranvillc.


« A la veille d'une lutte aussi inégale, y est-il dit,
)) plusieurs partís peuvent étre pris , mais celui que
)) l'opposition croit étre dans les vues du ministere
)) et que font pressentir les bruits répandus a des-
)) sein d'un projet de coup d'état , celui enfin auquel
» quelques roya listes imprudens voudraient pousser
» le gouvernement, consisterait adissoudre la Cham-
» brc et a en convoquer nne nouvelle, apres avoi r
}) moclifié par ordonnance la loi électorale et sus-
)) penda la liberté de la prcsse en rétahlissant la cen-
Jl Sl1}'(~.




( :156 )
, .


» Je ne sais si cette marche sauverait la monarchie,
» mais ce serait un coup d'état de la plus extreme
)) violence; ce serait la violation la plus manifesté
» de l'article 35 de la Charte , ce serait la violation
» de la foi jurée; un tel partí ne peut convenir ni
) au roi ni a des ministres consciencieux.


» D'un autre coté, une telle mesure ne serait pas
) snffisamment motivée. Les journauxlibéraux, il
» est vrai , nous menacent d'une opposition fort hos-
) tile ; mais ces [ournaux ne sont pas les organes
) avoués de la Chambre. D'autres nous excitent a ces
., '1 r 1


» moyens extremes, en nous presentant a revo u-
) tion comme préte a tout envahir , si nous ne JlOlIS
» hátons de l'enchainer : le danger ne me parait pas
)) aussi imminent , et j'ai peu de coníiance dans les
)} hommes d'état sans mission. Un jour peut-étre
» ceux qni poussent le plus vivernent aces actes d'ex-
» cessive riguel,lr, se joindraient anos ennemis ponr
» nons en demander compte, si le succes ne repon-
) dait pas a leur attente, et nous reprocher d'avoir
)) cédé a de vaines terreurs , au lieu d'attendre que
» cette Chambre , présumée si v.iolente, se soit maní-
» festée par ses acres.


» Les partisansdes conp~ d'état pensent que la me-
» sure indiquée n'exciterait aucun soulevement dan-
» gel·cux. Le peuple , disent-ils , ne s'occupe ·pas de
» nos débatspolitiqnes; les masses restent calmes an
II milieu de i'agitation des partis, qui, au fait, ne
» touchent en rien aux intéréts matériels, et des
» acres {le vigueur leur plairaient d'autant plus, qu'en




·).57 )
~l montrant de la force , ils humilieraient quelques
) sommités pet! populaires. La classe moyenne seule
» s'agiterait; mais , sans appui , elle ne pourrait ex-
» cite!' un rnouvement de nature a cornpromettre la
}) sécurité du gOllvernement.


»le reconnais qu'cn ce moment les masses sont
j) calmes et ne prennent aucune part active aux dé,
» bats politiques. Mais que faudrait-il ponr les ébran-
)l ler? Et peat-on raisonnablement affirmer que la
J) classe moyenne qui touche par mille points á la
» masse ne ppllrrait au besoin soulever une tempere
» dont le plus hardi n'oserait prévoir l'issue?


» Au rcstc , une réponse pérernptoire , selon moi,
» á tous ces raisouncmens plus OH moins fondés en
II Iait , c'est , comme je l'aí déja dit , que les mesures
»dont il s'agit scraicnt contraires ala Charte. 01', on
» ne viole jamais les Iois impunément, et le gOllver-
» nement, assez fort pour se mettre un moment 311-
» dessus de la loi fondamentale, s'il obtient un suc-
» ces passager, compromet, pOllr un terns plus 011
» moins élüigné ses plus précieux intéréts. A cette
» r¿poDse, que justifieraient assez les intéréts maté-
)) riels , ajoutons une considération determinante: le
)) Roi a juré d'observer fidelcmcnt la Charte; nous
» avons tous fait le méme serment ; qn'clle soit a ja-
» mais ponr nous l'arche sainte, Certe regle, qui
» seule est conforme a la morale , est aussi la plus
» súre. ))


A ce Mémoire , dont la Iecture vous fait épronver,
Messienrs, nous n'en &Hltons pas, sur le sor t actnel
I~,




( 25~ )
de celui qui l'éerivit , un sentimeut pénible d'éton-
nement , M. de Polignac parait avoir répondu aM. de
Guernon Ranville qu'il partageait ses opinions, et
que, comme Iui , il repoussait toute idée de mesures
ar-hitraires , tout projet de coup d'état,
J~es Chambres furent convoquées POUI' le 13 mars


1830. Le pouvoir est plein d'illusions, et cependant
on a peine a eomprendre eomment le ministere put
se flatter un moment qu'il allait obtenir une majo-
rité favorable, et si cet avcuglement s'explique ponr
le président dn canseil,. retenn si'longtems loin des
débats parlementaires , cornment ses collegues ne
lui montrerent-ils pas les obstacles sans nombre dont
sa ronte était semée? Leurs voix auraient-elles des-
lors été méconnues? Avait-il déja dans le eonseil
cette prépondérance dont nous aurons plus tard a
vous faire connaitre l'existenee et les effets? Quoi
qu'il en soit , les craintes de tous ceux qui connais:
saient la véritable situation de la France ne tarderent
pas a se réaliser. En vain la Chambre, dans une
adresse , modele a la [ois de respect et de loyauté,
vint-elle déposer an pied du tróne les assurances de
sa fidélité pour la personne du Roi, et les justes ap-
préhensions que Iui donnaient les conseiUeurs de la
couronne; la couronne fut sourde a cet avertisse-
ment , renfermé eependant dans les justes limites du
droit constitutionnel. La Chambre fut ajournée : cha-
cun en prévit la prochaine dissolution.


Ici , Messieurs , combien eut-on lieu de s'étonner-
davantage de l'illusion des ~inistl'es, de ceux du




( 259 )
moins qui adopterent eette résolution si impolitiquc,
et que rcpoussaient les V(l~UX de la nation ] De ce
jour furent prévues et annoncées ces mesures arbi-
traires , inconstitutionnelles, ces coups d'état en fin
qui donnaient l'espérance a des conseillers, désor-
mais aveuglés sans retour , de dompter notre résis-
tance et de nous faire subir le joug des volontés mi-
nistérielles.


Comment avait-on pu fermer les yeux aux consé-
quenccs inévitables d'une dissolution réprouvée par
les citoyens dont i] faIlait pourtant rédamer les suf..
frages?


Fatigues d'une lntte inutile , ct dans laquelle ils
avaient en vain opposé la sagesse de leurs conseils
et la fermeté de leur refus, MM. de Chabrol et de
Courvoisier exprimerent le désir de se retirer , et
furent remplacés par MM. de Peyronnet et Chante..
lauze. M. Capelle fut ala melle époque appelé dans
le conseil.


Lorsque M. de Chabrol et M. de Courvoisier quit-
terent le ministere. il yavait déja deux moisque la
Normandie était ravagée par des incendies que l'on
ne peuvait arréter , et dont presque tous les auteurs
se dérobaient aux recherches de la justiee. Nous
n'interromprons pas notre rapport pour vous p<ll'-
ler de ces incendies et du caractere qu'ils présentent.
Ces faits d'incendie, qui ne font point par-tie de
l'accusation , mais que la rurneur populaire a voulu
y rattacher , seront I'objet d'un examen spécial dans
la seconde partie de notre travail, Maintenant il suf-




tit de savoir que nous n'avons rien découvert qui
puisse autoriser la supposition qu'aucun des minis-
tres accusés devant vous ait pris part au plan infer-
nal qui aurait pu exister, de Iivrer aux ílammes une
province de la France.


Les lois du pays étaient encore respeetées. 11 en
était tems encore, on pouvait s'arr éter sur le bord
de l'abime dont, malgré soi, on devait mesurer toute
la profondeur. Aussi , avant d'entrer dans cette route
dangereuse de gouverner par ordonnance, avant
rnéme peut-étre de s'étre avoué qu'on ne reculerait
pas devant la violation eles plus saints engagemens,
on essaya d'obteuir des députés Jociles á toutes les
exigences du Gouvernement, Hien ne serait com-
mode , en effet, ponr le pouvoir , comme une
chambre flexible et corrompne, qui lui livrerait
sans combat les trésors et les libertés des peuples.
Aussi, lorsqu'on recherche les moti fs réels qui firent


.recomposer I'Administration al! moment méme 011
les élections allaient s'asse;nbler, on ne peut en dé-
couvrir d'autre que le hl1t et l'espérance d'agi,'
pllissamment sur les élections, Depuis longterns,
le comte de Peyronnet était signalé comme un
hornme capable autant que résolu , et qui marche-
rait d'un pas ferme au but qu'il se serait proposé
d'atteindre. Ses talens de tribune le rendaient un
auxiliaire précieux. M. Capelle passait pour avoir
souvent exercé une active influence sur les élec-
tions. M. Chantelauze , plus étranger jusque-la au x
grandes mesures politiques , semhla aussi , par son




26r)
habitude elle la parole, pouvoir étre d'un utile se-
cours. Ce motif aurait determiné son entrée au
conseil. Proposé HU Roi, des le mois d'aoút précé-
dent, pOllr le ministere de I'instruction publique,
II avait refusé. Des-Iors , il apercevait sans doute
tous les c1angers de la marche qu'on allait suivre.
Ces dangers s'étaient accrus ; il resista longtems
aux instances du Dauphin , aux pressantes sollicita-
tions du Roi , et fut entrainé malgl'l~ [ui au milieu
des honneur-s et des ablmes.


Rien ne peint mieux les cornhars qu'il eut a sou-
tenir <Jue la lcuJ'c qu'i! adressa ason frcre le d mai,
veille de son en tréc au conseil, apres avoir re~u les
derniers ordres du Roi. Qlloique vous la connaissiez,
Messieurs, nous pensons qu"l est utile de la remettre
sous vos yeux.


« Nous avons l'uu envers I'uutre gardé un long
)) silence ; je viens le rompre le premier , cal' je ne
» veux pas qne tu apprennes par le 31uniteur et avec
» le puhlic l'évánement le plus important, et je erais
» le plus malheureux de ma vie; c'est ma nomina-
l) t ion eomme garde-des-sce:wx. Voilá dix mois que
» j'oppose une résistance soutenue amon entrée au
)) conseil, On ne me laisse plus aujourd'hui mon
)) libre arbitre, et les orrlres qni me sont donnés ne
» me permettent plus que I'ohéissance; je me rési-
)J gne ace role de victime..Veille sur les élections,
» cal' y échouer serait maintenant pour moi une
» chose honteuse.


Le ministere , recornposé pour la troisierue fois




( 262 )


dans l' espace de moins d' une année, n'eut alors
qu'une seule pensée, ceHe d'obtenir une chambre ~
dont la funeste mission devait étre ele c1étruire la li-
berté de la presse, et de changer la loi des élections.
Il serait injuste sans doute de dénier a la Couronne
une part de légitime influence sur les élections; mais
dans ce combat des opinions, on ne doit employer
que des armes loyales, et les moyens de triomphe
doivent étre honorables et purs.


La Iutte entre la Franco et le ministere était mal-
heureusement trop vive pour que, dans cette cir-
constance, on pút espérer qll'il ne dlipassat pas les
limites que lui assignaient la raison et la moraIe pu-
blique. Chaque ministre s'efforca d'exercer sur ses
subordonnés cette violence morale a laquelle il est
si diffieile que résiste un inférieur aqui ron ne tient
compte ni de ses avis les plus sages, ni de ses résis-
tance ... les plus légitimes. Les promesses et les me-
naces, les refus et les faveurs, furent trop souvent
mis en usage pour gagner des suffrages , pour iecar-
ter des élections les eitoyens les plus rlévoués a la
monarchie , mais que la marche da ministere avait
forcés a se séparer de lui. La religion elle-méme ,
arraehée a son ministere de paix, fut appelée au
secours d'un intérét qui n'était pas le sien. On sol-
licita bien moins les prieres des pontifes que leur
appui politique On ne craignit pas enfin ele faire des-
cendre le monarque lui-mérne de eette régioJl élevée
Ol'. la rovauté est il. l'abri des orages, et de lui [aire
engager un combat persounel avec chaqne électeur.




( 263 )
La proclamation q ui fu t faite a eette occasiou , et


qui montre cambien peu le prince et ses conseillers
avaient compris le gouvernement de la Charte, fut
contresignéc par M. de Polignac. Livré aux plus chi-
mériques illusions , le ministere se croyait sur de la
majoriré ; il n'était pas jusqu'au courage de nos sol-
dats sur lequel il n'eút appuyé ses esperances. Il se
f1attait que le succes de nos armes en Afrique vien-
drait aider ason triomphe. Au jour des élections , la
liberté, le secret des suffrages lui-méme ne fut pas
toujours respecté, et la loi qui l'ordonnait fut el!
plusieurs lieux impuissante ou méconnue.


Cependant , de toutes parts les citoyens menacés
dans Icurs plus chers intéréts s'étaient unis pom' les
défendre et repousser avec les armes de la loi, les
agressions d'un pouvoir qui semblait redouter ce
qu'il y avait d'indépendant , de noble et de généreux
dans le pays. Malgré tous les efforts du ministere ,
les élections assurérent une rnajorité constitution-
nelIe; et la France, d'accord avec la chambre qu'on
venait de remplaccr , proclama par ses ohoix que
l'Administratioll était en désacord avec le pays. Tou-
tefois les élections avaient été troublées dans quel-
ques départernens , notamment a Montauban , oú la
súreté des électeurs constitutionnels avait été com-
promise. lJes ministres, interpellés sur cette époque
si importante de lenr Administration, ont repoussé
eette partie de l'accusation et ont invoqué en lenr
faveur la conduite qu'ils avaient tenue lors des trou-
bles de Fiacac et de Moutaubuu. Il paraitrait que,




( :.¿64 )
dans cette derniere ville, l'autorité administrativo
s'opposait aux poursuites qui devaient étre dirigées
contre les agitateurs. C'est alors qu'en approbation
des mesures qu'avait ordonnées le procureur-général
de Toulouse, le garde-des-sceaux écrivit de sa main
la lettre suivante, dont il cst juste de vous donner
connaissance.


Pari:;, 3 juil'let J 830.
« Monsieur le procureur-général,je ne puis qu'ap-


)) prouver les observations contenucs dans votre
» lettre dn 28 juin dernier au sujet des troubles qui
» ont éclaté a Montauban. Il cst dangercnx d'habi-
» tucr le peuple a s'assembler et a cornmettre des
» actes de désordre, quelle que soit d'ailleurs la cause
» de ce mouvernent, Les considérations que Iait va-
» loir l'autorité administrative ne sont pas de naturo
lo> aarréter le cours de la jnstice. le vous cngage en
» conséquencc aprescrire sans rctard des poursuites
» conrre les auteurs des ex ces qui ont eu líen ;\ la
» suite de l'élection de M. Preissac,


)) Recevez, etc )J.
:LVI. de P.eyronnet a déclaré qu'il avait écrit dans le


méme sens, et a méme invoqué une apostille de sa
main sur une lettre qui devait se trouver au minis-
tere de l'intérieur , mais que toutes les recherches
n'ont pu faire découvrir.


Cependant le jugement solennel que le pays venait
de rendre, irrita, sans les convaincre, les dépositaires
du pouvoir. lis voulurent atout prix conserver une




( 265 '\
, /


autorité qu'iIs se trouvaient dignes d'exercer. L'opi-
nion publique si vivement ma nifestée , les conseils
les plus nobles et les plus désintéressés , tout fut mé-
connu , etl'Administration résolut de se roidir contre
cette éclatante et anauime réprobation. Le roí Char-
les X, croyant encore inhérentes a sa conronne les
prérogatives désorrnais incompatibles avec la Charte,
et que depuis longtems la raison publique ne re-
cormaissait plus, aurait-il poussé son ministere dans
cette voie périlleuse? Lui-rnérne fut-iI entrainé par
de funestes conseils ? Il est diffieile de pénétrer ce
rnvstere.


On pourrait incliner vers la premiere supposition
en s'attachant a une derniere déclaration du prince
de Polignac, dans laquelle iI affirme qu'il avait plu-
sieurs fois offert au Hoi sa démission , et notamment
quinze jours avant la signatnre des ordonnances,
époque a laquelle il I'aurait supplié , si sa retraite
absoIne u'était pas acceptéc, de le remplacer du moins
dans la présidcnce du conseil.


Quoi qu'il en soit, s'il faut en croire les accusés,
personne, avant les premiers jours de juillet oú I'on
se trouvait alors , n'avait songé asortir de la Charte
et asubstituer a l'autorité des lois celle des orden-
nances. Mais en présence d'une chambre si peu favo-
rable, si pénétrée de ses devoirs et de ses droits ;
determiné qu'on était a ne pas céder et amépriser
cette unanimité de voeux et de sentimens qu'on se
plaisait a représenter comme factieux et ennemis, il
fallait bien arréter un plan de conduite , et se 'tracer




la route danslaquclle on voulait entrer. Des opinions
divcrses se produisirent alors dans le conseil; on y
développa deux systemes opposés : on y pro posa ,
d'une part, de se présenter devantles chambres , de
n'y porter que les lois d'une absolue nécessité, et de
ne se livrer qu'a la discussion du budjet. Le respect
pour la Charte, fondement de tous les droits , POllí'
la Charte , si sonvent, si solennellernent jurée, était
la base de ce systeme, que soutenait fortement M. de
Guemon, dont vous connaissez déja les sentimens.
Il fut appuyé dans son opinion par le cornte de Pey-
ronnet, qui tronvait égalemellt que la politique et
la morale comrnandaien t ce respect, et que ríen dans
la situation du pays ne légitimait la violation du
pacte fondamental. D'autre part, on voulait al'instant
méme entrer dans une voie de réformation oú Ie
tróne retrouvcrait toutes les prérogatives dont 00
prétendait qu'il était injustcment dépouillé.


Personne dans le conseil, nous ont dit tous les mi-
nistres accusés , n'élevait de doute sur l'étcndue des
clroits que trouvait la Couronue dans larticle 14 de
la Charte , pour modifier l par ordonnanccs, les lois
du pay s , lorsque Ieur conservation comprornettrait la
constitution mérne de I'État, la paix publique et la
stabilité du treme. Chacun trouvait donc la mesure
légitime et légale, si ron en prouvait la nécessité, et
si 1'0n démontrait que, sans elle, le Hui ne pouvait
conserver ses prérogatives , unique garantie des fran-
chises et des libertésdu peuple. La uécessité de cette
grande mesure aurait done seule étó mise en discus-




sion , et non le droit qu'avait le Roí de la prendre
quand le hesoin en serait consciencieusement établi.
Tout le couseil s'accordait a le lui reconnaitre.


Depuis quinze ans, l'article 14 de la Charte et son
interprétation ont été plusieurs fois l'objet d'une vive
polémique; mais faut-il de grands efforts pour re-
connaitre que, si le prince a le droit de changer a
son gré les lois les plus solennelles et les plus impor-
tantes, d'cn dénaturer l'esprit, d'en détruire le sys-
teme, de se rendre l'arbitre unique de ces change-
mens, et de décider enfin qu'il peut tenir 011 violer
ses sermens, alors les garanties el les institutions ne
sont plus qu'une dérision ; une loi fondamentale n'est
plus qu'un vain mot! et si les peuples pellvent en-
care, ponr un tems, étre heureux, du moins ils ne
sont plus libres; et le bonheur sans la liberté ne peut
étre durable. Nous n'en dirons pas davantage, Mes-
sieurs , sur l'article 14, présenté comme excuse d'une
grande violation de nos droits ; ce n'est qn'aux dé-
bats, et lors du jugement, que ron pourra entrer
dans l'cxamen de son seus naturel, et des moyens de
défense qu'il pounrait présenter aux accusés.


Les premiéres discussions sur l'opportunité des
fatales ordonnances euren t lieu vers le 10 OH 1:2 de
juillet, Déja , depuis trois jours , le ministre de l'inté-
r-ieur avait fait signer l'original de la lcttre close qui
convoquait les membres des chambres pour le 3
30111. Ces letrres furent expédiées par les bureaux ,
et, par u ne circonstance oxtraordinaire , leur cnvoi
coincida a vcc la puhlication des ordonnances ; il es!




( 268 )
des députés qui ne les out recues qu'avec le A1ani·
teur ou ces ordonnances se trouvaicut contenues,
Cet euvoi a-t-il en lieu ponr couvrir le plan récem-
meut concerté entre les ministres? ríen n'autorise
á l'affirmer. Ce plan avait été de nouveau débattu
devant le Roi , et M. de Guernon dit avoir encore
défendu, devant lui , l'opinion qu'i1 avait précédern-
rnent soutenue, On s'était borné , dans les prerniers
mornens , ainsi que nous l'avons deja dit , adiscuter,
d' une maniere générale, quel serait le svsterne que
l'on suivrait, Une {oís arrété , la rérlaction des ordon-
nances suivit immcdiatement. JI semblerait méme que
les ordonnances étaient prépan'>es avant que toutes
les résistances eussent été vaincues , et la réticence ,
plutót que les aveux des accusés , vient a I'appui de
l'opinion, assez généralement établie, qn'nne vio-
lence morale , de nature a faire une forte impression
sur des hommes qu'égarait un íanx sentirnent d'hon-
neur, triompha des dernieres oppositions. Cette
grande mesure, qui devait bouleverser le pays, ne
parait pasavoir occupé le conseil plus de trois séances.


L'ordonnance relative an nonveau systerne élec-
toral; celle qui suspendait la libertó de la presse pé-
riodique, et le rapport qui les motivait, furent con-
tresignés par tous les ministres présens a París le
dimanche 25 juillet, Les deux ordonnances portant
dissolution de la chambre etconvocation desnouveaux
colléges et de la chambre nouvelle, le furent égale-
ment le mérne jour par M. de Peyronnet seul. Le soir,
elles furcnt remises au rédacteur du JJ.!olliteuI', qui




( 'lGg
ne put 5'empécher de I'cm:u'quer, en les recevant , la
profonde émotion de M. Montbel et M. Chantelauze.


L'orrlonnance relative an nouveau svsteme élec-
toral parait a voir été rédigée par' lVI. de Peyronnet ,
M. Chantelauze aurait rédigé I'ordonnance qui sus
pend la liberté de la presse, et le rappor! qni pré-
cede toutcs ces ordonnances; ce rapport, spécia-
lement destiné a combattre la presse périodique ,
s'occupait a peine des élections.


Les accusés se reconnaissent auteurs des ordon-
nances qui portent leurs signaturcs ; mais ils repons-
sent unanirnement I'accusation d'avoir antérieure-
ment et depu is Iongtems formé le complot de détruire
nos institutions et de changer la forme de notre
gouvernement, Pleins d'espérance , disent-ils , que
les .élections lenrs seraient favorables, ce n'est pas
au milieu des illusions dont ils se bercaient qu'ils
auraient pu songer ahriser I'instrument a l'aide du-
quel ils espéraient affermir l'autorité royale. M. de
Polignac a déclaré que, loin d'avoir conspiré á 1'a-
vanee la destruction de nos libertés , depuis long-
tems, et dans le séjour prolongé qn'il avait fait en
Angleterre, il s'était occupé ú recueillir des notes
étendues sur celles des institutions de ce peuple que
ron pourrait naturaliser en France , et que' son V~1l
le plus ardent avait toujours été de nous voir jouir
des mémes franchises dont le peuple anglais se
montre si jaloux et si fiel'. Avant le 10 juillet, iI avait
espéré marcher avec la Chambre et s'entendre avec
elle. Il entrevoyait des difficultés , il prévoyait




( 270 )
des embarras, mais ces difficultés, ces embarras
ne luí paraissaient pas insurmontables, Ces asser~
tions ne seront-elles pas affaiblies par la derniére
partie ele la déposition du marquis de Sémonville.
On y voit , en effet, M. ele Polignac se plaindre , le
jendi 29, que la certitude oú il était que Ja Chambre
des Pairs refuserait son concours a tont projet dont
la légalité ne serait pas démontrée, I'eñt forcé de
s'engagcr dans la voie extreme et périllense ou il
sueeombait. En lisant eette déposition , il sera sans
doute difficile de se refuser a penser que depuis
longtems M. de Po1ignae ne se fút pas occupé d'un
plan de modification ou plutót d'nn changemellt
dans nos lois fondamentales.


Comme M. de Polignac, M. de Guernon a r~oussé
l'accusation d'avoir , antérieurement a la signature
des ordonnances de juillet, con<;u aucune idée de
modification arbitraire aux lois du royaume. Il a in-
voqué tous les discours que comme magistrat il a eu
occasion de prononeer, et tous renferment, nous
a-t-i] dit, la méme profession de foi, les mémes prín-
cipes que ron retrouve dans le mémoire dn ; 5 dé-
cembre précédemment cité.


Pour prouver son attachement aux príncipes con-
stitotionels, M. Chantelauze en appelle aussi a ses
discours comme magistrat et comme député , et
plus spécialement au rapport dont il fut chargé sur
la qoestion éminemment constitutionnelle de la réé-
lection des députés promus a des emplois publics :
faisant remarquer que si une expression d'une de


,




( 27 1 )
ses opinions improvisées dans la Chambre des Dé-
putés a pu préter queIque fondement a l'accusation
dont iI est l'objet, tout le monde sait que des le len-
.lemain du jonr oú ce discours fut prononeé, il dé- 1ft'
sayona pnbliquernent , et par lavoie des journaux,
l'interprétation eriminelle qu'on lui avait donnée.
Enfin M. de Peyronnet, dont l'opposition au systeme
des ordonnances est signalée par la décIaration d'une
partie des accusés , invoque ce témoignage ponr éta-
bl}r qu'il n'avait pu former d'avanee le complot de
renverser nos institutions.


Du reste, s'il faut en croire les déclarations de tous
les ministres, c'est , ainsi qne nous l'avons dit , apres
les éleetions et vers le milieu de juillet, qu'aurait
été mise en conseil d'état la premiere pensée d11 plan
réalisé par les actes du 25.


Voici le moment, Messieurs , de nous livrer aI'exa-
men approfondi de ces actes; il importe de les aria-
lyser avec soin , pour comprendre toute l'étendue des
changemens que l'on voulait apporter á un régime
que tant de lois avaient fondé.


Le premier de ees actes suspend la liberté de la
presse périodique et semi- périodique; le deuxiemo
dissout la chambre des députés des départemens i le
troisieme réforme , selon les principes de la Charle
constitutionnelle , les regles d'élection , el prescrit
l'exécution de l' arlo L¡6 de la Charle. Dans la réaliré ,
ils déchiraient les lois et changeaient les formes du
Gouvernement ;ils en déplacaient les bases.


Et d'abord , des articles de la Charte étaient rap-




( 272 )
.púrllésou réformés ; des lois en viguem étaient abro-
j~S, dQs' lois abrogées étaient rernises en vigneur,
~", par héseule autorité des ordonnances, et sans le
~. concours des Chambres. Et pourtant, aux termes de


'.:§;""l'art. 1 5 de la Charte, la pnissance législative s'exer-
. cait collcctivement en France par le Roí, la Cham-


hre des Pairs et la Chambre des Députés. Selon la Ioi
du 25 rnars 1822, si les droits en vertu desquels le
Hoi avait donné la Charte devaient étre al'abri de
toute auaque, sous la forme de Couvernemcnt qu'il
avai t instituée , il ne rcstait au Roí d'autre autorité
que celle qu'il tenait de la constitution ; ct les droits
et l'autorité des Chambres, rangés sur la rnérne
ligne, devaient étre réputés également inviolables.
Enfin, l'article J 4 de la Charte ne réservait au Roí
que le droit de faire les réglemens et ordounances
nécessaires pour I'exécution de Iois et la súreté de
I'éta t.


Premióre violatíon de la Chartc , attcntat á la con-
stitution de l'état, usurpation des droits et de l'au-
torité des Chambres. Cette violation est cornmune a
la prerniere et a la troisieme des ol'donnanccs.


Mais l'article 8 de la Charte assurait aux Francais
le droit de puhlier et ele faire imprimer leurs opi-
nions , en se conformant aux lois répressives des
abus de cette liberté. Apres des discussions appro-
fondies, apres de nombreuses et pénihles experien-
ces, deux lois étaien t intervenues en 1819 sur eette
matiere : l'une relative a la répression des crimes et .,¡
délits commis par la voie de la presse , 1':111trl" á la




( 273 )
...


publication des joumaifx et éerits .périocliques; elles
consacraient toutes deux un régíme de liher!P aliso-
lue , et organisaient un systerne de responsabilité lé-
gale centre les abus de cette liberté, SOllS l'autorité
des tribunaux, En 1822, deu'x nouvelles lois étaient
intervenues dans le but de modifier cette législation.
Celle du 25 rnars avait été adoptée comme cornplé-
tant le systeme de répression des délits de la presse;
celle du J 7 elu méme mois statuait sur la police des
journanx et des éerits périodiques : elle défendait la
publication de tout écrit ele ce genrc sans l'autori-
sation du Roi , et accordait au Gouvernement de la
soumcttre, daos des circonstances graves, et en I'ah-
sence des Chamhres , a une censure temporaire; en"
fin, une derniere loi , du 28 juillet 1828, avait ré-
tabli , sous ele certaines conditions, le régime de li-
berté fondé par la loi du 9 juin 18 Ig.


En cet état, la premiere des trois ordonnances du
25 jllillet soumet ele nouveau la pressc périodique
a la nécessitó de I'aurorisation préalablc , en exhu-
mant les dispositions abrogées el presque oubliées
de la loi clu :H octobre l"8i 4. Elle va plus loin, elle
les aggrave. L'autorisation préalable devait étre pé-
r iodiquement rcnouvelée , et demeurer toujours
revocable. Elle ordonnait la destruction eles presses
et des caracteres saisis , en cas de contavcntion, La
loí de 1814 avait dispensé de l'examen préalable les
écrits de plus de vingt feuilles d'impression , les
mémoires sur preces et les mémoires des Sociétés
savantes et littéraires. Suivant l'ordonnance , ils de-


IS




~!7/¡ )
vaient y étre soumis en cert:in caso Ainsi ses auteurs
ne se ~ontentaient pas de détruire les dispositions
légales qui protégaient le libre exercice des garanties
constitutionnelles, et de faire revivrc les restrictions
rigoureuses imposées par des lois révoquécs, ils
improvisaient une législation nouvellc ponr creer
de nouvclles entraves, et mieux étouffer les plaintes
des citoyens.


Ceci constitue bien, par l'anéantissement complot
du droit de publier et de faire imprirner ses opi-
nions , une seconde violation de la CItarte.


Selon l'article 50 de la Charte, le Il oi pouvait dis-
soudre la Charnbre des Dépurés; m.us l'usagc de ce
pouvoir, reservé au Roi ponr qu'il pút, en cas de
dissentiment entre son Gouvernement et la Charnbre
élective , vérifier si l'opinion publique avouait l'op-
position des mandataires du peuple , OH si eette
opposition n'était que le résultat de leurs sentimens
personnels , présupposait l'existence d'une Cliambre
Des députés constituée , délibérante et agissaute,
ayant pouvoir de manifester Iibrement ses sen ti-
mens, de les manifester ix~r ses résolutions, D'UllC
part, OIl ne saurait dissoudrc une charnbre qui.
ri'existe pas; de l'autre , le droit de la dissoudre ,
quand elle existe, ne saurait entrainer celui ele repu-
:::.!er les ehoix qui out été faits pour Ia recons tituer ,
juand elle a été dissoute. Le Roi était sans puis-


. auce légale sur les électious. Il n'appartenait q u'a
" Chambre des Députés de juger de leur légalité et
..fl leur validité : aucun pouvoir n'était autorisó it ..,.




statuer sur lenr tendance, et tant que les députés
nouvellement élus n'étaient pas réunis , il n'y avait
pas de Chambre; il n'y avait qne des élections. En
cet état , elles 'ne tombaient sous la juridiction de
pelsonne.


01', la seconde des ordonnances du 25 juillet a
dissous une Chamhre qui ne devait se réunir que le
:Yaout suivant; elle en a prononcé la dissolution en
vue de prétendues marueuores qui auraient été pra-
tiquées sur plusleurs points da royuume, pour {rom-
per et égarer les électeurs. C'est done 1'opposition
présumée des électeurs, el non l'opposition effeclive
des déplllés, qui l'a motivée. Elle a done eu ponr
objet, non de dissoudre la Chambre, rnais d'annuler
des élections valides et réguliercs.


Troisieme violation de la Charte, usurpation du
droit d'annuler les élections, et fausse application
de son article 50.


Enfin , l'article 35 de la Charle portait que l'orga-
nisation des coll&ges électcraux serait déterminée
par des lois, De tellcs 101s sont , par leur nature, de
véritahles lois fundamentales et constitutionnelles ,
puisqu'elles organisent une des branches les plus
importantes de la législature. Deux lois avaient été
portées sur ce sujet , apres de 10ngues et laborieuses
délibérations. Celle du 5 ¡óvrier 1817 avait statué
que tout Francais jouissant des droits civils et poli-
tiques, agé de trente ans accomplis , et payant 300
francs de contributions directes, serait appelé aeon-
courir al'élection du département oú il avait son do-




( 27° )
micile politiqueo Les lois de finances, seules compé-
tentes pomo le classer , placent I'impót des patentes
au rang des contributions directos. La loi du f9 juin
1820 avait établi, daos chaque département , un col-
lége electoral de département et des colléges électo-
raux d'arrondissemcnt , qui devaient proceder di-
rectement, chacun dans sa sphere , a l'élcction d'un
ou plusieurs mernbres de la Chambre des Députés.
Coníormément a une autre loi du 9 juin 1824, la
Chambre devait étre renouvelée intégralement tons
les sept ans ; enfin, deux lois du 2 mai 1827 et du
2 juillet 1828 avaient réglé ce qui concerne la con-
fection et la révision annuelle des listes électorales.
C'~st ainsi qu'un code complet, corroboré par la ju-
risprudence des arréts , réglait, dans toutes ses par-
ties , l'exercice des droits électoraux.


La troisieme des ordounauces du 25 juillet renver-
sait ce cocle en son entier. Ses auteurs, d'un trait de
plume, rayaient du tablean des contribntions di-
rectes l'impót des patentes. IIs déshéritaient Fmdus-
trie du droit de cité. lis ne s 'en tenaien t pas lá : ils
supprimaient les élections d'arrondissement , et si les
colléges d'arrondissement étaient conserves, les élec-
teurs qui y étaicnt appelés se voyaient prives du
droit de nommer des députés; on les reduisait a ne
faire qu'nne proposition 4e canclidats; l'électiori dé-
finitive était réservée aux colléges de département,
composés du quart le plus imposó des électeurs da
département. Toutefois, les choix de ces électeurs si
favorisés devaient nécessairerncnt tomher pOIll' moi-"




( '277 j
tié sur les candidats proposés par les collégt's d'ar-
rondissement. Ainsi les trois quarts des électeurs
étaient dépouillés de lenrs droits , et le quart privi-
légié ri'exercait les siens qu'avec restriction , et n'é-
tait vraiment libre que dans la moitié des ses choix.
Plus de sole~ité ponr, la formatíon des listes, plus
.Íe recours jueliciaire centre les erreurs ou les abus
auxquels cette formation pouvait rlonner lieu; plus
d'intervention des parties intéressées.L'état politique
descitoyens, livré provisoirement aux agens de l'ad-
ministration , devai t étre jugé en dernier ressort par
la Chambre des'Dépl;tés, qui n'a ni le terns ni les
moyens <l'en décic1el' a vec connaissance de cause. Le
renouvellement annuel et par cinquierne de la Cham-
hre des Députes était suhstitué au renouvellement
integral et septennal. La proportion des députés non
domicilies dans le département qu'ils sont appelés a
représenter, subissait aussi des modifications; et de
tels changemens éversifs de toute une législationsont
opérés par' ordonnance ! Les citoyens et les tribu-
naux se voient dépouillés en mérne tems, les UIlS
de Ieurs recours , les autres de lenrs attributions.
Les bases de la représentation nationale sont chan-
gées: cette représentation n'est plus qu'un men-
songe, et ifluS les déhr-is de tant de lois, la Charte
elle.me~e succombe ! .


Ainsi, quatrierne violation de la Charte, et celle-ci
se caractérise ainsi qu'il suit: organisation des col-
léges électoraux par ordonnance; électeurs payant
300 francs de contributions directes dépouillés du




( :17~ )
droit d'élire; autorisation de .choisir dans un dépar-
tement plus de la moitié des députés parmi les éli.
gibles qui out leur domicile politique hors de ce
département.


11 suffit d'avoir soumis de tels actes a l'analyse,
et de les avoir rapprochés de la Chartl et des lois ,
pour les qualifier. Ils contenaient une révolution :
faut-il s'étonner quils l'a ient enfantée?


Nous avons cru, Messieurs , devoir donner un
assez grand développement 11 l'examen des orden-
nances incriminées : elles sont la matiere principale
de l'accusation , le véritahle eorps du délit ; vous ne
pouviez tmp les bien eOllll;¡itrc.


Reprenons la suitc des Iaits q.ui ont accompagné
et suivi leur publication.


L'ordonnance relative a la suspension de la li-
berté de la presse dcvait exciter au plus haut degré
le mécontentemcnt d'une classe active oc négocians
et de nombreux ouvricrs, qne le cornmerce si étendu
de l'imprimeric fournit a Paris. Les spéculations
etaient entravées , les travanx interrompus , I'exis-
tence des familles compromiso, Il était facilc de voir
que la paix publique allait étre trouhlée , et que la
eommotion serait ressentie dans les provinces les
plus éloignécs; ces ordonnances illégal\s devaient
provoquer la résistance active et légitimedes ci-
toyens, et eette résistance amener devant les tribu-
naux criminels ceux qui l'auraient emplovée ; et
cependant personne dans le conseil ne pouvait
ignorer que les tribnnaux ordinaires refuseraient




( :.179 )
leur appui a l'exécution de tout acle inconstitu-
tionnel.


De la l'opinion si naturelle que le ministere avait
préparé l'organisation des cours prévotales, et pris
toutes les mesures qui pouvaient leur assurer eu


A 1" de Ia f ' •meme tems appm torce armee.
Mais si la destruction de la liberté de la presse de-


vait produire a Paris une si douloureuse et si pro-
fonde impression , cambien devait étre plus vif et
plus étendu l'effet de cette ordonnance électorale,
qui bouleversait , par un acte despoti'1ue, nn sys-
teme fondé sur tant de lois , que la Franco s'était
accoutmnée a respecter et á chérir , et dont elle ve-
nait de fairc un si glorieux llsage. Cette ordonnance,
qni détruisait des droits depuis longtems reconnus
devait irriter les électeurs qu'elle frappait de sa ré-
probation, et tons ceux qui aspiraient a l'honneur
de faire partie, plus tard , du eorps électoral. Quelle
résistance ne devait-on pas prévoir de la part des
citoyens qu'on hlessait si profondément, et qu'on
attaquait pour ainsi dire jusque dans leur honneur l
Que ne devait-on pas craindre enfin de la France
tout entiere , dont on brisait outrageusement les
élections a peine terrninées !


11 était diff.icile de croire que ceux qui avaient osé
concevoir un projet sí hardi u'eusscnr rien prévu ,
n'eussent rien preparé pour appuye,' tant de vio-
lences, et faire réussir une entreprise si hasardeuse,
Dans le systeme des ministres accusés , plus les 01'-
donnances étaient nécessaires , plus le tróne Iitait




( ~8o )
attaqué , plus était flagrante cette conspiration gé-
nérale qui menacait l'autorité royale , .la paix da
royaume, le repos de l'Europe enfin, plus ils avaient
dú _prendre de mesures et réunir tous les moyens
de sicces. Et toutefois, quelque incroyable que cela
parmsse, vous serez forcés, Mcssieurs, de recon-.
naitre que rien , en quelque sorte, n'avait été prévu,
et ces associations si menacantes , ces oppositions si
vives, ces complots si patens, ces conspirateurs si
audacieux, devaient apparemment s'évanouir par la
publication offici elledes ordonnances.Et nous n'avons
ríen découvert qui puisse uutoriser a penser qn'on
se fút préalablement occupé de I'organisation des
tribunaux extraordinaires , et nous croyons pouvoir
direqu'aucune dépéche ministérielle relative a cet
objet n'a été détruite ou enlevée des ad~inistrations.·
En effet, il résulte des déclarations des térnoins en-
tendus, des docurnens que nous avons recueillis ,
d'accord en cela avec les réponses des accusés ,
qu'avant le 25 juillet les ministres n'avaient point
songé a dépouiller les citoyens du droit sacré de
n'étrejugé que par les tribunaux ordinaires dn pays.
Quelque invraisemblable que ce puisse étre , il pa-
rait certain qt.le les ministres avaient pensé que
toutes les questions soulevées par: les ordonnances ,
ou qui en seraient la conséquence se décideraient
administrativement et n'occasioneraient aucune ré-
sistances séricuse.


Nous avons également reconnu ,que le président
du conseil, qui avait alors le portefeuille de la ~uerre,


I




!
( :A8 J ) •


n'avait, ni le dimanehe 25 juillet , ni le lundi 26, ni
_antérieurement ~t eette époqne, donné aueun ordre
pour faire arriver des troupes a Paris, quoique la
garnisoll de eette ville f¡Jt alors affaiblie par le séjour
du Hoi aSaint-Cloud, et par l'absenee d'nn régiment
de la gardc envoyé en Normandie, ponr y maintenir
la tranquillité compromiso par les incendies. Un fait
avait cependant pal'llSe rattacher ades mesures de
prévoyance, et on avait pensé avec quelque appa-
rence de fondement qu'un nonvel ordre d'alerte
donné aux troupes de la garde, le 20 juillet , avait
un' rapport ímmédiat avec les ordonnances qu'on
projetait. Le contraire a été parlaitement démontré.
Dans toute 'place de g~lerre OH dans une ville oc-
cupée par une nombreuse garnison, on donne tou-
jours aux trollpes un ordre spécial en cas d'alerte ,
soit qu'elle ait ponr cause une sédition , un incendie
ou tout autre événement imprévu, Nous nons sommes
fait représenter le livre d'ordre de la garcle, et nous
avons reconnu qu'un premier ordre d'alerte avait été
donné, le 10 mai 1816, et qu'il avait été depuis mo-
difié ú diverses reprises , savoir , le 19 octobre de la
méme année , le:) janvier 1821, le 15 janvier 1822
et le i " mai 1827' Cet ordre était com:nuniqué aux
régimens d'infanterie .tous les deux mois, et tous les
trois mois aux régimens de cavalerie. ~eluí du lor
muí ]827 n'était plus depuis quelque tems en rap-
port avec les casernes occupées par les régímens.
Il fut rectifié par cette unique raison, dans les pre-
rniers jours de juillet, sur la proposition des sous-




( 282 ). '
aides-majors de service, Il fut signé par le marécha1
duc de Raguse, le 20 de ce mois, sans que ce nouvel
ordre modifiát en rien le service de la garde royale.
Ce dernier ordre est, comme tous les précédens ,
inserit sur le registre de service.


Le maréchal duc de Raguse,quoique depuis long-
tems gouverneur de la premiere divison -militaire ,
n'exercait sous ce titre purernent honorifique aucun
commandement. La seule fonction qui lui était alors
confiée était celle de major-général de la garde, et a
ce titre il ne commandait que la garde seule; mais
une ordonnance spéciale, en date da 25juillet, mit
sons ses ordres toutes les troupes d~ fa clivision.
M. de Güernon et surtout 1\1. de Peyronnet indiquent
que cette,,; ordonnance est postérieure au 25, Ce ne
fut en eífet que le 'J.7 que le maréchal en fut informé
par le président du conseil, et tout dans l'instruc-
tion concourt á prouver que le duc de Ragnse ne
fut pas mis dans le secret des ordonnances que I'on
préparait, et qu'il neles connut que le jour de leur
publication aParis , et au moment oú il revenait de
Saint-Cloud, Ce méme jour, iI exprima hautement,
au milieu de l'Institut, les douIoureux sentimens
dont leur publication l'avait pénétré. M. bago,l'un
des témoins entendus dans l'instruction , rapporte


•que le Iundft26 le maréchal vint a l'Institut, et lui
dit en ,voyant la douleur que lui causaient les 01'-
donnances : « Eh bien! vous le voyez, les insensés ,
1) ainsi que je le prévoyais, ont poussé les choses a
» l'extréme. Du moins, vous n'aurez avous affliger




( :.183 )
1) que comme citoyen et comme ban Francais ; mais
» co~bien ne suisje pas plus a plaindre, moi qui s
» en ma qualité de militaire, serai peut-étre obligé
» de me faire tuer pour des actes que j'abhorre et
»paur des personnes qui depuis longtems sern-
» blent s'étudier am'abreuver de dégoúts l »


La confiance du président du conseil était telle-
qu'il avait cru ne devoir mettre personne dans le se-


.cret de ses projets; s'ils furent pénétrés, on a lieu
de croire que cet avantage n'appartint qu'a quelques
tConfidens intimes d'un rang peu élevé , parrni les-
quels se seraient rencontrés quelques-uns de ces spé-
culateurs qui IJe se font jamais scrupule de calculer
au plus vite tout ce"que pellvent leur valoir les cala-
rnités de 13. patrie. Mais le sous-secrétaire d'état de
la guerrc déclare qu'il n'apprit que fort tard, et par
le 1I'1o~iteur, ces funestes ordonnances, Le préfet de
laSeine , que HOUS avons entendu, et le préfet de
police, ne les conn~lrent pas plus tót que le reste de
la capitale.


Cependant tont Paris est ému á leur soudaine ap-
parítion : un cri d'indignation sort de tous les cceurs,
et si I'on se rappelle les engagemeos les plus saints,
les sermens.Ies plus sacrées , ce n'est que ponr .par-
ler aussitót de leur violation, Les hommes dont les
opinions politiques avaient été jusqu'alors opposées,
se réunissent clans un méme sentiment : tous en-
semble accusent les conseillers d'un prince aveuglé,
auquel ils ravissen~ffectioll de son peuple, et dont
ils n'ont .su ni respecter , ni ménager la vieillesse. Si




( :.184 ), .
alors personne ne prévit que, dans trois jours ,
Charles X aurait cessé de régner, tout le monde du
moins pressentit un prochain et inévitable ébranle-
ment de son tróne et de I'ordre social tout entier.
Chacun entrevit les violences nécessaires du pouvoir,
la résistance des citoyens, tous les malheurs en fin .
d'une nouvelle et sanglante révolution. Qui pouvait
supposer, en effet, qu'on n'aurait appuyé que par
de si faibles moyens d'exécution une si audacieuse
entreprise, qu'enfin l'on pút unir ala fois tant de
témérité et tant d'imprévoyance ? •


L'agitation eles esprits , pendant la journéc di126,
fut tres-vive; le peuple y prit une part active; de


" .. ,..
genereux cltoyens se reumrent pour protester con-
tre la violation des lois. Une inquiétude générale
s'empara des premiers fabricans de la capitule. Des
réunions d'ouvriers parconrurent les rues, lancerent .
quelques pierres sur la Trésorerie , et plus tard sur
l'Hótel desaffaires étrangeres. On put prévoir , pour
le 27, une manifestation plus énergique du mécon-
tentement publico Que faisaient les ministres pen-
dant cette premiere journée? Il ne parait pas qu'ils
aient été avertis de l'agitation générale; du moins,
ils assurent ne I'avoir que fort mal connue. Le mi-
nistre de l'intérieur, chargé plus spécialement de
veiller a la tranquillité du royaume, et plus particu-
lierement a celle de Paris, devait avoir des rapport~
continuels avec le préfet de la Seine, et surtout avec
le préfet de police~ Et , toutefoi., ce ministre n011S
a déc1aré n'en avoir en d'aucnn genre avec ces ma-




( 285 )
gistrats depuis le 25; ne les avoir vus ni le 26, ni le
27; n'avoir re~l1 de leur part aucun renseignement
sur la situation de mcapitale. M. de Peyronnet, qui
s'était, dit-il, 0Pfosé au systeme des ordonnances ,
en devait prévoif le danger; plus qu'un autre , par
les devoirs de ses fonctions, il devait étudier , des
les premiers momens, l'effet qu'allait produire leur
publication sur les chefs d'atelier, sur les spécula-
teurs, sur les cornmercans , enfin sur toutes les das-
ses de la capitale, Déja quelques députés , appelés
pou!' le 3 aoút , étaient arrivés a París. Cette ville,
d'ailleurs, en renferrne toujours un grand nombre;
ne devait-on pas chercher a découvrir quelles se-
raient leurs dispositions, quel appui OH quelle ré-
sistance ils allaient présenter au pouvoir? Il ne pa-
rait nullement qu'on se soit occupé de ces grandes
questions.


Comme en un moment tranquille, chaque ministre
se livra au travail particulier de son ministére , et le
président du conseil j ui-mérne expédiait les affaires
les plus ordinaires. Il était occupé, nous a-t-il déclaré,
a passer une adjnclication au ministerede la guerreo
Ancun rapport spéeial sur la situation de Paris ne
lui fut fait, dans eette journée , par le préfet de po-
lice ; mais , en revenant de la chaneellerie a l'Hótel
des affaires étrangeres , il faillit devenir victime de
l'exaspération publique. Cette scene pcrsonnelle ne
fut pas pour lui plus significative que toutes les
autres,


IJe maréchal duc de Raguse ignórait encore, ainsi




( 2R6 )
qne nous l'avons dit, que, par ordonnance du 25,
il eút été appelé au commandement de la premiere
división militaire , ot il était revenu le lundi coucher
a Saint-Cloud, Le mardi matin <¡aignant que les
journaux ne pussent paraitre et lui apprendre ce
qui se passaít aParis oú il ne comptait pas aller, il
écrivit a un de ses aides-de-carnp de le tenir au cou-
rant desévénemens. Dans l'intervalle le Roí ayant
été instruit de l'agitation de la capitale , soit par le
ministre de l'intéri~llr, soit par le président du con-
seil avec qui il entretenait des rapports continuels,
donna l'ordre au maréchal de se rendre aParís, et
d'y prendre le commandement de la divisíon , lui
perrnettant ; sí le calme était rétabli, de revenir con-
cher a'Saint-Cloud.


Les rapports que le prince de Polignac recut dans
la nuit du lnndi au mardi matín luí donnant sans
doute quelqnes inquietudes sur le quartier qu'il ha-
bitait, il demanda du seeours au général comman-
dant de la place. A neuf heures, le comte de WaU
lui écrivit: (( Mon cher prince, d'aprés votre billet
» je viens de demander aFoucault cent gendarmes,
» je fais venir en outre un bataillon du 5~ de ligne,
}) et cinq cents hommes de la garde, caserne de la
» rue Verte; avee cela nous serons en mesure, et il
» est indispensable d'étre préts d'avance, »


Le maréchal arriva aParis vers mi di ; aucun ordre
n'avait été donné aux troupes de la garde, qui méme
n'étaient pas consignées.


Dans l'intervalle le préfet de poli ce avait recu dií-




( :ú 37 )
férens ordres du ministre de l'intérieur ou du prési-
dent du conseil , et un l'apport tres-succinct , écrit
de la main de ce magistrat et trouvé chez M. de Po-
lignac, mais qui peut-étre ne lui était pas adressé,
porte ce qui suit:


Presses libérales. ti. On les saisit , et quoiqu'on
» fasse, j'en serai maitre ; la gendarmerie et la ligne
» tiendront la main a l'exécution.


Journaux, » Toutes les messageries seront-visitées,
» tout ballot d'imprimés saisi et examiné.


Palais-Roral. » J'ai ordonné sa fermeture.
Rassemblemens. » J'ai fait établir des postes de


» gendarmeriE' partollt oú je pouvais craindre.
» Une partie de ces mesures auraient pu étre


» prises plus tót , si j'avais trouvé partout l'activité
» désirable.


» Unepartie des commissaires de poli ce ne vaut
n den, 2.7 juillet, ». M.


Un autre rapport du méme magistrat annorica
aussi auprésident du conseil que les presses du
National , du Fiparo et rlu journal du Commerce
avaient été saisies amidi. Il lui écrivait:


« Monseigneur, les rassemblemens se continuent
» ~u Palais-Hoyal ; les marchands ferment Ieurs hou-
( tiques ,des orateurs y déclament, et y lisent a
» haute voix des journanx séditieux.


» Dans cet état de choses , je viens de signer l'or-
» dre de faire évacuer ce lieu public et d'en ferraer
» les grilles. »


..\.peu-pres a la méme époque de -la journée , M.




( 288 )
de Peyronnet s'était rendu a Saint-Cloud. Il assure
qu'il ne eonnaissait qu'a peine l'agitation de Paris :
mais de qui done alors étaient émanés les ordres ex-
traordinaires donnés au préfet de poliee ?


Déja les gendarmes, les troupes de ligne et les
soldats de la garde occupaient l'Hótel des aífaires
étrangeres , les boulevards, la Carrousel, la place
du Palais-Royal et les rues adjacentes. La courageuse
résistance des rédacteurs du Temps qui, le livre de la
loi a la main , repoussaient la violation de leur do-
micile et la spoliation de leur propriété , avait réuni
dans la. rue de Hichelieu une foule considérab le.
Sans cesse elle s'augmentait de tous les citoyens ex- .
pulsés du Palais-Royal et de ceux qui arrivaient de
tousIes eoins de Paris dans ce quartier populeux ,
avec l'espéranee d'apprendre plus sürement ce qui
se passait dans le reste de la ville. La fonle se rap-
prochait de la place du Palais-Roy~l, occupéc par
des gendarmes et une eompagnie de la garde, Vers
deux heures , les cris de vive la Charle! rcdoublérent
sur la place méme et dans les rues voisines, Les-gen-
darmes chargerent dans la partie de la rile Saint-Ho-
noré qui va du Palais-Royal ú la me de llohan. Plu-
sieurs citoyens furent sahrés et foulésaux pieds des
chevaux. Il paraitrait méme qu'un homme fut tué ,
et que plus tard son cadavre aurait été promené sur
la place de la Bourse et montré au peuple pou!' l' ex-
citer a la vengeafice. Quelques instans apres , une
charge de cavalerie eut lieu de l'autre cóté 'de la
place dn Palais-Royal , et plusieurs décharges d'ar-




( 289 )
mesa fen , faites par une eompagnie de la garclé,
blesserent et tuérent plusieurs personllCS. Aucune
sommation réguliere d'un commissaire de pollee ou
de tout autre agent de I'autorité civile ne précéda
cet emploi de la force.


Plus tard , tandis que le peuple, armé de pierres,
les lancait sur les soldats, un coup de fusil, parti d'un
hótel garni pres la rue des Pyramides , provoq1l3une.
décharge meurtriere qui tua trois personnes aux fe...
nétres de cet hotel. Il en périt quatre autresdans la
rue Traversiére par des décharges d'arrnes afeu fai-
tes par un régiment de cavalerie, Plusieurs charges
de cavalerie furent aussi exécutées dans la fue Neuve
du Lnxembourg et Sur le boulevard qui touehe a
-¡'Hotel des' affaires étrangéres , sur des citoyens' en"
tierement désarmés, dont tout le crime-était de faire
entendre le cri de vive la' Charte ! oivent {es Député«!
Nulle part on n'apercut d'olficier civil pOOl' faire au
peuple assemhlé les sommations prescrites par les
lois. Les 1ois! pouvait-on encoré les invoquer quand
on venait de les fouler aux pieds P Quel officier de
paix eút osé venir, en le ur nom , commander aux
citoyens de souffrir sans se plaindre la violation la
plussolennelle de toutes les lois du pays?


l\Iais, quelque embarrassante.que ftit la positión
oú l'autorité s'était plac('e elle-mérne , l'autorité n'en
avait pas moins le devoir de veiller al'exécution de
ces forrnalités protectrices, el de [aire précéder le
déploiement de la force militaire des sommations so-
lennelles qui en légitiment 011 en l'égnlaris.ent l'em-


]9




( 290 )
ploi, Les nombreux témoins que nous avons enten-
.dussur ce fait onttous déposéde l'absence de ces
sommations préalables que la loi commande. Mais
nous devons á la vérité de dire que, du moment oú
un premier engagement eut lieu , l'agression des ci-
toyens devint aussi vive et aussi prompte que l'in-
dignation était profonde. Cette indignation souleva
sirapidement la population de Paris, que la force
militaire, assaillie, n'eut pas le tems de se reeon-
naitre , et ron eomprend que, ne songeant qu'a se
défendre , elle ait oublié ses premiers devoirs envers
les habitans.


Tels sont les faits qui, d'apres les déclarations que
nous' avons ~et;l1es, signalent le commencement des
hostilités entre .les soldats et les citoyens.
. Dans la-journéedu mardi , .quarante-qu~treman-


dats d'amener furent décernés contre les 9uarante-
quatre généreux citoyens dont la protestation éner-
gique fut le premier signal de la résistance nationale.
Il est difficile de croire que, dans une affaire aussi


.grave, et dans la situation extra-Jégale oú le Gou- .
vernement venait de se placer, le procureur du Roi
de Paris, de sa seule autorité , ait provoqué une pa-
reille mesure centre des hommes dont le nom se
lisait , il est vrai , dans quelques journaux, mais
centre lesquels aucune présomption judiciaire de
culpabilité n'existait réellement. Tout doit faire
croire que ce .magistrat a dú obéir lui-méme a un
ordre supérieur. Les 'mandats furent remis an préfet
de police pour qu'illes fit exécuter ; mais , le lende-





( 291 )
main,lorsque l'on apprit que Paris était en état de
siége, et que les inculpés pouvaient étre traduits de-
vant des commissions militaires, le procúreur du
Roi et le juge d'instruction chercherent a.suspesdre


, la poursuíte , qui resta sans .effet.
Le mardi soir, les boutiques des armuriers furent


enfoncées; une partie de la population s'arma pour
le lendemain, et l'on put prévoir, par les sentimens
dont elle.était émuo , que l'engagement serait général


,et le combat terrible.
Loin d'étre éc1airé par eetteopposition si una-


nime, par eettedouleur si profonde dont les plus
dévoués serviteurs de Charles X étaiént pénétrés,
par eette résistance si spontanée , si inattendue, le
ministere ne songea qu'á réparer I'imprévoyance de
ses dispositions par une mesure tellementrígoureuse,
qu'aucuneépoquede notre bistoire'n'en offre d'exem-
pie: Paris fut mis en état de siége.


Déja Ie due de Raguse réunissait au commande-
ment de la garde et des troupes de ligne, celui de la
gendarmerie de Paris. Cette concentration de tous
les pouvoírs militaires assurait l'unitédes vues , la
rapidité d'exécution, dont le ministére semblait avoir
pressenti la nécessité. Toutefois, ce comrnandement
extraordinairevdonné aun teul homme, réspectait
les droits des eitoyens ' I'ordre des j nr'idictions , toutes
les garanties enfin dtun'état régulier; il suffisait a
tous les besoins. Quelle pouvait étre alors la pensée
du ministére en mettaat París en état de siége? Cette
mesure, qui n'augmentait ni sa force morale ni sa




( 292 )
puissance cmatérielle , n'aurait-elle eu pour but ,
comme elle n'avaít pour résultat , que .d'enlever .aux
oitoyens la premiere de leur garantie, l'indépendance
du.po~vojr judiciaire? Car telle était I'effet de cette
disposition, qu'elle donnait au commandant en chef
le dro~t de remplacer les rribunauxpar des commis-
sions militaires,


Oncomprend sans doute que, 10iD du siége du
Gouvernement, lorsqu'une ville ou un département
tout entier sont en état de rébellion, il so'~t utile de
créer pO).!r un moment ce ponvoir qui réunit et ab-
sorbe tous les autres pouvoirs, qui fait cesser toutes
les .résistanoes .et concentre tons les efforts ; mais a
París¡ sj.ég~uGouvernement , prés du Roi, de qui
tQl}t~ 'alltOt¡t~~aoe,qni penta.chaque instant ré-
voqll~r ses .~enS ou les appeler laoú il~$ juge
plus utilesásenserviee, dans le moment surtout
oú, ministre des affaires étrangeres , le président du
conseil se trouvait en méme tems ministre de la
guerre et réunissait ainsi tant de pouvoirs al'instant
méme 0-4, l'o.u venait de rassemhler toutes les forces
militairessousun chefunique, il est, malaisé de con-
cevoir ce quia ·Pl,lp.ousser les ministres a Une.pa-
reille mesure.
. Il paraltrait qQel~"rdi( Y,~.rs neuf ou.dix heures


du soir, la mise enét4.~:de ~iüP de Paris fut pro-
poséeet discutée <.l~lls le c~~iL 11 regne quelque
incertitude sur ce quU\lt résolu lors de cette pre-
miere délihération. II sembl~rajt que 1'0n se serait
contenté d'arréter que, si le lendemain la viUe était




( 2!p )
anssi agitée, on se servirait contre elle de cene ex-·
cessíve rigocur. Le commandant rriilitairene.fut pas
appelé au conseil ; le préfet de poliee ne parait pas
l'avoir été d'avantage ; et, des le lendemain matin ,


.sans' neuvelle réunion des ministres, M..de Polignac,
qni affirrne n'avoir pas conseillé cette mesure, ·fit
signer 'par le Roi el contresigna lni-méme l'ordon-
nance qui placait la capitale du royáÚille hors de
la loi commune.


Le président du eonseil eomprenait-il f-iutes les
conséquenees de cette ordonnance? Dans son ínter-
rogatoire , iI affirme que non; mais il savait du
moins, comrne l'''Pprend une des pieces du proces ,
écrite de sa main , que les eoupables seraient jugés
par nn eonseil' de gnerre, et c'est delui que'M.de'
Chanl'Pa'gny', sous-secrétaire-d'état au ministére 'dé la
guerre, te~utdes:'l'én'1~tifi'aSaint-Clond l'ordre de
lui'.emetltre une note sur les conséqnences de l'état
de' siége et sur .líes conseils de guerre qu'il y _vait a
former eti par:n cas, Revenu a Paris, M, de Cham..
pagny s'en 0ccupa aussitót; mais la rapidité des évé..
nemens ne perrnit pas d'organiser cene redoutable
et ttt.péditive jnstice.


Chade.s( X, avant de signel; cette nouvelle ordon-
'na!ftce, d:M Q<flna.:itIle, par le mpport détaiHéque luí
fi t le ptté¡ident dUt cc>.~ih l'étar de París el les éve-
nemens d:ela' veilte:.-Le'ma.réellitil avait aussi envoyé
au Roí, de tres-bd1'f11lé;'beó~e, un rapport sur les
évenemens du mardi, .


.Pes le matin du mercredi, l'agitation de la ca~ita(e,




( ~94 )
la destruction, dans tousles quartiers, des embIem~'
de la royauté, cette inquiétude des uns, cette exál-
tation .des autres, tout faisait présager un combato
périlleux entre un ministére que la loyauté et la.
conscience des hommes les plus attachés a la ni?"
narchie se refusaient a défendre, et ces citoyens
qu'avait profondément blessés la víolation des ser-
mens les plus solennels.


Le maréchal, instruit de la disposition des espríts,
mais retenu par un fatal point d'honneur au com-
mandemtñt qu'il venait de recevoir, avait du moins
essayé de faire parvenir jusqu'au Roi la vérité. n
résulte , en effet, de différentes dispositions que,
des huit .heureadu matin , une longue lettre avait
été adressée au Roí par le m~r~chaI, et qu'il y ren-
dait compre dans le plus grand détail de Iamarche
des événemens. Cette lettre fut perdue par le gen-
darme aqui elle avait été confiée. Le maréchal ayant
été inf~mé de ce ,contre-tems, écrivit aneuf heures
une nouvelle lettre dont la copie a ~é déposée par
l'aide-de-camp de service aqui il l'avait dictée; elle
porte ces mots :


« J'ai déjá eu.l'honneur- de rendre , hier, compte
» aVotre Majesté, de la dispersión des groupes qui
» ont troublé la tranquíllíté ~e:IlaJ'is. ~e matin , ils
» se reforment plusnombreuz.et.plus menagans. Ce
» n'est plus une émeute, c'estune révolution. n est


.» urgent que Votre :Majesté prenne des moyens de
1) pacification. L'honneur de sa couronne peut étre
» encere sauvé; demain peut-étre il ne serait plus




( :195 )
» tems, le preuds pour la journée d'aujourd'hui les r


. » mémes mesures que pour celle d'hier. Les troupes
» seront prétes á midi ; mais j 'attends avec impa¡~Rce
1) les ordres de Votre Majesté. l) .,. .


Peu de tems avant ou aprésJe départ pe cette
lettre , nn jenne hommefut envoyé par 'e préfet de
poli ce au maréchal , pour savoir s'il. était vrai que la
ville de Paris fút en état de siége. Plusieurs nutres
personnes ayant fait la méme demande au maréchal,


.il envoya un de ses aides-de-camp chez le président
du conseil , pour qué celui-ci cut aluí faire connai-
tre la vW-ité, et faire observer qu'il y' avait des con-
ditions de légalité pour une semhlahle mesure, qu'il
ne fallait pas négliger. Le prince de Polignac ré-
pondit a l'aide-de-camp qu'en ~ffet 1'0rdonn;Íl~dé
mise en état desíége était signéejet qu'il avait en-
voyé ehercher le maréchal pour q1,J,'Úvint la rece-
voir. ,


Les citoyens ne furent pas instruits du régime de
terreur sous lequel on les avait placés. Vainement le
maréchal envoya l'ordre au préfet de poliee de faire
imprimer et afficher une proclamation qui l'appren-
drait a la capitale , les événemens n'en laissérent
pas le tems , et il est juste de dire que l'autorité ci-
vile fut dans l'impossibilité de satisfaire aux ordres
de l'autorjié }llili!aire. La proclamation ne put étre
affichée que dans J~ lieux voisins de la préfecture
de police.· .


. Déja le sang eoulait depuis longtems dans París.
Des' citoyens inconnus les unsanx autres , mais




( 296 )
réunis pat' une commune indignation, sans chefs,
sans ordres , presque sans armes, attaquaient avec
un co~ragehéroique des soldats que la fidélité aleur
drapeau retenait seule sous le commandement , aussie .
affligés de donner la mort que malheureux 'de la
recevoir encombattant POUI' une cause qu'ils désa-
vouaient, Les vainqueurs et les vaincus maudissaient.
ala fois les funestes conseils qui ensanglantaient la
patrie.


Tandis qne MM. de Polignac, de Ranville, de
Montbel , dHaussez et de Chantelauze allaient cher..
cher a l'état-major de la garde un refug. contre
l'exaspérationdont ils eraignaient de devenir les
vietimes ; MM. de Pey"ronnet et Capelle se rendaient
a.. Saint-Cl~ud oú ils eroyaient Clue se réunirait le
conseil. I1s y virent le RoL Jusqu'a quel point infor..
merent-Ils ce prince de l'état deplorable de lacapi-
tale?' M. de Peyronnet déclare encore que ce jour-
la, comme la veille, il n'était pas exactement instruit
de la situation des choses, et n'aurait pu en faire
qu'un l'3pport tres-incomplet ; mais les conps redon-
blés qui retentissaient alors dans Paris ne suffisaient-
ils pas ponl' apprendre toutes les calamités qui pe-e
saient sor la capitale ? .


Cependant les députés présens aParis , qui , des
la veille ,:s'étaient assemblés chez M. Casimir Périer,
se réunir~nt ce jour-la chez M. Audry de Puyraveau.
Trois d' entre eux , MJM. Dupin, Guizol et VilIemain
avaient été chargés de rédiger une protestation au
nom de tons; mais cet acte si couragel.x et si impor-




( :197 )
tant n'apportait pas un remede assez prompt anx
malheurs de la eapitale. Les.dépntés arrétérent qu'ils
iraient, au nombre de cinq, trouver le maréchal ,
pour s'interposer entre la 'population et l'armée, et
arréter le sang qui coulaítdepuis si longtems. M:Laf-
fitte, M. Casimir Périer.Te genéral Gérard,le comte
de Loban et M. Mauguin firrent -chargés de cette
míssion , qui n'était pas sans quelques dangers. 115
arriverent a l'état-major de la garde,et furent in-
troduits auprés dle maréchal par M. le baron de
Glandeves , Pair de France et gouverneur des Tui-
lenes. Un vif intérét s'attachait aleur pefsonne, et
dans c.et état-major, rempli de militaires si dévoués
au Roi Charles X, chacun cependant faisait des
voeux pour le succes de leur honorable mission ;
chacun paraissait sympathiser avec eux, et partager
leurs patriotiques sentimens, Les cinq députés nous
ont tous dit qu'ils avaient trouré le maréchal péné-
tré comrne eux du desir de mettre fiu a une situa-
tion aussi déplorable, mais accablé sous le poids de
la fatalité , qui, disait-il lui-méme, ne cessait de le
poursuivre. Les députés déclarerent qu'ils venaient,
en sujets fideles, demander pour le peuple , pour le
Roi luí-meme, et dans I'intérét de sa couronne, qu'on
arrétát le carnage, que les ordonnances Iussent rap-
portees, que le ministere fút changé. Le marécha]
ne refusait pas de concourir aux mesures qui POUI'-e
raient amener une heureuse conciliation ; mais il de-
mandait avant tout la soumission des citoyens et




( :298 )
réclamait.pour l'obtenir, la haute influence des cinq
commissaires. Ceux-ci répondirent que l'indignation
publique ayant seule excité le mouvernent , ils ne
pouvaient se flatter d'exerceraucune influence sur
la population exaspérée , s'ils n'annoncaient, comme
base de toute conciliation, ce qu'ils étaientvenu de-
mander , la révoeation des fatales ordonnances et le
renvoi des ministres. Le maréchal déelara qu'il ne
pouvait rien prendre sur lui, mais qu'il allait
faire part au Roi de la démsrche des députés,
joindre ses instances aux leurs, sans dissimuler ce-
pendant que le succes ne lui semblait guere pro-
bable. Il promitde leur faire connaitre sans retard la
réponse, duRoi.
'~e ~aréclJal demanda ensuite aux députés s'ils


auraient quelque.répugnance avoir M. de Polignae,
Ils répondirent que, chargés d' une mission de paix,
ils ne négligeraieut rien de ce qui pourrait la faire
réussir, et verraient M. de Polignac. Alorsle maréchal
entra dans un salon voisin, oú se tenait le président
du conseil; mais il en revint quelques minutes aprés,
annonc¡,an~ qu'ayant rendu compte aM. de Polignac
des conditions que les députés mettaient a l'emploi
de leur influence sur le peuple, celui-ci avait re-
pondu que dés-lors il était inutile qu'il eút avec
eux aucun entretien, et qu'il ne fallait pas les ar-
réter plus longtems. Les députés allaient se retirar,
lorsqu'un officier, igu()rant ce qui venait de se pas-
ser entre le maréchal et M. de Polignac, voulut de




( 299 )
nouveau les iI\troduire aupres du président du con-
seil, qui témoigna une seconde fois n'avoir pas le
desir de les entretenir.


Il paraitrait que, peu d'instans avant cette entre-
vue, I'ordre d'arréter plusieurs députés avait été si-
gné par le maréehal , entre lesmains duquel l'état
de siége avait concentré tous les pouvoirs.. Au
nombre des personnes qu'on devait arreter, se trou-
vaient MM. de Salverte, de Lafayette etLaffite. Cet
ordre, qui, par.sa nature, ne devait pas émaner de
l'autorité militaire, mais bien du-gouvemement lui-
méme, aurait-il été le résultat dela volonté spontanée
du maréchal? OH le duo de- Raguse n'obéissait-il ,
en le signant, qu'á une iníluence supérieure? n est
permis de croire a cette derniére supposition, Iors-
qu'on voit avec quel empressement le maréehal , tou-
ché sans doute de la confiance aveclaquelle les dé-
putés s'étaient rendus a son-état-major , crut se
devoir alui-mérne de révoquer aussitót l'ordre d'ar-
restation qu'il avait signé quelques instans aupa-
ravant,


Desque les députés furent partís, leduc de Raguse
écrivit au Roi la lettre·suivante:


3 heures el demie.
« J'ai mis en mouvement mes différentes colorines


)) a l'heure indiquée. Le général***est arrivé ~ la
» place de Greve. J'aimaeommunicationassuréeavee •
» lui par un bataillon qui occupele débouché du Pont-
» Neuf Ce général marche par le boulevart pour




( 300 )


» s'établir sur la. place de 113. Bastille. te génél'al**-;
» partí de la place Vendóme, o'c<lUpe avec ses trollpieli
» la place des Victoires ; malgré cela, teut l'espace
» entre lui et moi est rempli de groupes insurgés, et
» nous ne POUVO})S commuaiquer ensemble que par'
» la place Vendóme. Le général*"'* est arrivé a'tl
» marché des Innocens ; mais, apres avoir tourné et
» détruit plusieurs barricades et refoulé dans la rue
» Saint..Denis tout ce qui s'opposait a sa Mate'he,
!) de nouveaux groupes se sont formés derriere lu~
» et je ne puis avoir de ses nouvelles que par des of.
» ficiers déguisés. Dans la marche des troupes, par~
» tout les groupes se sont disperses aIeur approche;
» mais, dans presque toutes les, rues., des eoups de
»fusils s()ntpQrti'S-~sfenétres de toutesles maisons,
» Les troupes assaillies ont riposté , el Ieur: marche
II partout n'a été Ql1'U'1l combato Lestreupes ne san-
» raient courir le risque d'étre forcées d'évacuer
» leurs positions; mais je ne dois pas yOUS cacher
» que la situationdes choses devient de plus en plus
J) grave. »


« A I'instant ou j'allais fermer ma letrre, se sont
» présentés chez moi MM. C:simir Périer , Laffite ,
)) Mauguin , le général Gérard et le général Lobau.
) Ils m'ont dit qu'ils venaient me demander de faire
II cesser le feu. Je leur aí répondu que j:e leur faisais
» la méme priere; mais il mettent pour condition a


• » leur coopération la promesse du rappport des or-
) donnances. Je leur ai répondu que n'ayant aucun
) pouvoir poli tique , je ne pouvais prendre aucun




( 30 I )
j) engagemeht acet égard. Apres une assez longue
» conversation, ils se sont bornés a me demander de
» rendre compre de leur- démarehe aVotre Majesté.
) Je pense qu'il est urgentque Votre Majesté pro-
l) fite sans .retard des ouvertures qui lui sont
te faites. J) • .


Cette lettre , dont la copie a étére4 par M. de
Guise, chef de bataillon, aide-de-carnp dif maréchal,
qui l'écrivit sous sa dictée , fut portée par le lieute-
n..mt-colonel Komierowski , a qui le maréchaldonna
I'ordre de faire la plus grande d.iligence; de voir le
Boi , d'ajouter aux détails que la lcttre renfermait ,
ceux qu'il connaissait Iui-méme , et de demander
avec instance une prompte réponse. Cet ufficier qui
sentait combien.les momensétaient précieux , ne
perdít pas un instant , et partit aussitót. A Passy, plu-
sieurs décharges hlesserent trois hommes de son es-
corte. A.rrivé aSaint-Cloud , il reniit lui-méme au Roi
la dépéche dont il était chargé, raconta les détails
de S3 route; ajoutant qu'il avait été non-seulement
insulté par les gens du peuple, mais que des hommes
d'une classe plus relevée avaient fait feu sur lui. Il
dit en fin que I'insurrection était générale, et que
l'on attendait avec anxiété la réponse du Roi.


M.de Polignac, dont le devoir était sans doute
d'iníormer aussi le Roi Charles X de la médiation
offerte par les députés, de l'instrnire de l'état de la
capitule a-t-il remt?li toutes les obligations que lui
imposaient ses fonctions de président du conseil ,
et la haute confiance dont il était environné í4 L'a-t-




( 302 )


.il éclairé sur eette désaffection générale qu'il ne pou-
vait s'empécher de reconnaitre dans ceux mémesqui
restaient fideles au chef de l'état et eombattaient en-
'core pour lui? M. de Polignac déclare avoir écrit dans
ce méme moment une lettre oú il exposait au Roi la
situatíon des choses. On ignore si cette lettre étaitar-
rivée aSai.Cloud, lorsque Charles X rel"lUt ce1le du
~aréehal.·


Le Boi, apr es avoir écouté les détails que lui don-
nait , en lui remettant la lettre du due de Raguse,.le
colonel Komierowski, le renvoya pour attendre ses
ordres, Ces ordres se firent longtems attendre. Le
eolonel impatient supplia plusieurs fois les offlciers
du Roi d'aller prés de lui , et de háter sa réponse. Il
paraitque , méme dans ce moment , les lois de I'étí-
quette élevaient encore des barrieres qu'il n'était pas
aisé de franehir. Enfin le Roi, ayant a cótédeslui
M. le dauphin et madame la duchesse de Berry , fit
rentrer le colonel Komierowski, et pour toute ré-
ponse, le ehargea verbalement de dire au maréchal
« qu'il eút abien tenir, qu'il faHait désormais réunir
» toutes les troupes sur le Carrousel, sur la place
» Louis XV, et ne plus agir qu'avec des masses, »
Cette réponse désespérante , le maréchal ne jugea
pas a propos de la transmettre aux députés , qui
l'attendirent en vain jusqu'a dix heures du soir.


Ce ne fut qu'alors, et alors seulement , nous a dit
l'un des commissaires , que, perdant toute espérance
de conciliation il se crut délié de ses serrnens sans


. ,


retour, et unit ses efforts a ceux des habitans de París.




~ ( 303 )
Le ministere , ou du moins le président du eonseil,


qui I1e fit rien ponr aider a eette conciliation , a ce
rapprochement, que les mandataires du pays étaient
venus solliciter avec tant d'ardeur , enveya Íe soir.
méme l'ordre aux troupes dont sé composaient les
camps de Saint-Omer et de Lunéville, de se porter
sur Saint-Cloud, Le méme ordre fut transmis -en
mém etems al' artillerie de-Vincennes. L'aveuglement
du président du conseil fut dans cette circonstance
tellement inexplicable, qu'ayant appris, au moment
méme oú le maréchal lui rendait compte de la dé-
marche des députés, qu'une compagnie d'un régi-
ment de ligne avait refusé de [aire fen snr les citoyens
et fraternisait avec eux , M. de Polignac voulait que
1'0n ernployát contre ces nouveaux rebelles les forces
de la garde encore ohéissante , sans songer qne, si
des obligationsplus ou moins étroites liaient les ci-
toyens, les tronpes de ligue et la garde du Roi, l'a-
mour de la patrie triompherait bientót, et ne tarde-
rait pas a les réunir dan s un méme sentiment.
• Les dispositions de l'armée n'étaient en effet in-
connues qu'au ministere seul, et nons devons dire


'"que, dan s ces journées si malheureuses pour elle,
une foule de traits générel1x et patriotiqnes témoi-
gnent assez que, par ses sentimens, elle n'était pas
séparée du reste de la nation.


MM. de Peyronnet et Capelle n'étaient pas avec
M. de Polignac lorsque .les députés vinrent trouver
le maréchaI. Ils n'arriverent que pente teros aprés,
et 118 s'accordent a soutenir que, ~puis le 2.7 au




( 304 )
. soir , il n'y avait plusréellement de minístére , phi!:


de conseil, qu'iln'y avait que des ministres tit~air~; .
sans délibérations , sans participation officielle aux
affaires, et qui , s'ils donnaient encore quelques avis,
ne les donnaient plus que comme individus, lIs ,


. . . .


disent que le Roi ne correspondait qn'avec le maré-
chal et le président du conseil; qu'ilsn'ont pas connu
le secret de ces communications , et que M. de Poli.
gnac ne les a consultés ni sur la réponse aux ouver-
tures faites par les députés, ni sur le mouvement
des troupes ordonné par lui, ni sur aucun des actes
de l'administration. Tous les ministres adoptent enfin
ce systéme que, du moment oú la ville avait été
mise en état de siége, ils ne pouvaien t plus répondre
des faits qui s'áccomplissaient SOtlS ce régime; etque
lcur responsabilité disparaissait en quelque sorte
devant celle du maréchal.


Toutefois , il est impossibled'adrnettre qu'ils aient
été étrangers al'ordre donné a la Cour royale de Pa"
ris , et signé par le duc de Raguse, de se transporter
aux Tuileries pour y poursui vre le cours de ses trn-
vaux. En eífet , il serait difficile de ne trouver daI:s
cette mesure qu'une hienveillaute sollicitude po u,"
des plaideurs ordinaires dont on voulait faire discu-
ter les intéréts civils au hruit menacant de l'artillerie,
et de n'y voir qu'une protectlonaccordée ala justice
dans un instant de tumulte et de bonleversement.
N'apparait-il pas an contraire que le dévouement des
magistrats ata. príncipes constitutionnels , que leur
résistance présumée a la violation des lois du pays




( 305 )
préoccuperent le ministére, n voulutse mettre.en
garde contre cette .résistance. Un Iait semble le faire
croire : on avait envoyé au procureur-général tÍ'é
Paris l'ordonnance qui mcttait la capitale enétatde
siége. Le procureur-général éfait absent , e~ aucun
de ses substituta n'était alors au palais, on la pÓrta
au conseiller président de .la cour d'assises, magis-
tral connu pat· ses sentimens constitutionnels, Ce
magistrat prit la dépéche et en donna un recu. 11
parait que le ministre, voyant sur le recu le nbm
d'un .membre de la cour différent de celui qui exer-
cait les 'fonctions de procureur-général, He douta
pas que la Cour royale ne pri¡ une part active a la
résístance , et n'eüt chargé provisoirement un. des'
conseillers de rcmplir les fonctions du.ministérepu-
.blic, Le 29 au matin , l'avocat-généralj.qui rempla-
({ait alors le' ptocureur-gév.éraíllbsent, vint rendre


, -, _.~


compte aux, ministres de l'étatide París, qu'ils con-
naissaient si.mal encere. M. de Peyronnet qui, avec
ses collégues , avait passé lanuit anx Tuileries , s'em-
pressa de demander quel était le nonveau procureur-
général qui avait été nommé. Détrompé de l'erreur
oú il avait été, le ministere n'en donna pas moins a


• f •


la Cour royale, le jeudimatin vers huit heures, par
I'intermédiaire du maréchal, l'ordre de se transpor-
ter aux Tuileri,~'Alors encore le ministere , qi:ü n'a-
vait pas perdu'tout espoir, redoutait la patriotique
indépendance de lapremiereCour royale du
l·oyaume.


An milieu de tant d'événemens, il est difficile
20




( 306 )
d'apprécier avec une justice absolue la part réelle
des ministres a chaque incident, Nous savons ce-
pendant que M. de Guernon engagea le maréchal a
appeler pres de lui le préfet de París , les maires et
les adjoints, ponr aviser aveceux aux moyens de
calmer l'insurrection. C'est lui ~ nous a-t-il declaré,
qui rédigea pour le maréchal les différentes procla-
mations que la mise en état de siége exigeait. Ces
proclaniations furent imprimées, mais il fut impos-
sible de les afficher : ces actes particuliers, nous a-t-il
ajouté , n'indiquent point cependant qu'il ait con-
couru aux mesur~s généralesque ron erut devoir
prendre depuis que la ville, en état de siége, ne
recevait d'ordres que du maréchal qui y cornman-
dait.


Cependant 'le duc. de Raguse, cédant aux héroíques
efforts de la population ,. et exécutant en méme tems
les ordres du Roi , avait concentré ses troupes au-
tour du Louvre, sur la place du Carrousel et dans


, les rues adjacentes; 'vers minuit , le canon avait cessé
de se [aire entendre, et París rentra en apparence
dans soncalme aeeoutumé. .


Mais un obstacle nouveau el plus inattendu que
toutle reste pour des ministres quin'avaient rien
su prévoir, s'était montré tout-á-coup. Des le 2.8 on
s'étalt emprcssé de reprendre- le vieil uniforme de la
garde nationale : la population entiere salua de ses


.aeclamations ,entoura de sa confianee cette garde
citoyenne si foUement détruite en 1827. Le peuple
.y vit le présage de la victoire, le gage de la liberté




( 307 )
et de rordre public, qui devint des ce jOU.l·' le cri
de ralliement des citoyens armés. La Couronne , en
brisant la garde nationale de Paris , s'était privée de
sa demiere ressource , et ce n'étaítpas au moment
méme oú le ministére venait de violer tous les droits
des citoyens , qu'il pouvait les autoriser a reprendre
leurs armes'; et poul' le maintiea de la tranquillité
elle-méme , il sentait qu'il ne pouvait plus' réclamer
l~nr génér~ux secours. Aussi le maréchal répoussa..
t-illes offres qui lui furent faites de reunir la' garde
nationale au chef-líen de chaque~airieet de lui con-
'fiel' la surveillance de chaque arrondissemeut, Au
défaut du pouvoir, elte s'organisa elle-méme, et tout
annoncaít que des le Iendemain elle reparaitrait pres~
que entiere ponr défendre les Iihertés , pour pro-
téger les propriétés et la vie des habitans 'd~ Paris.


Tout .annoneait po~r le jel.1di ~9 des malheurs en-
core plus grands que ceux qui avaient ensanglanté
les journées précédentes. Les citoyens s'étaient em-
parés des magasins de p,?pdre et des armes renfer-
.mées dans les dépóts publics; la population entiere,
sans distinction de sexe ni d'áge , semblait résolue a
prendre part au combato •


11 s'en fallait bien que le ministere fUt en mesure
de ré?ister a nne insurrection si rapide , et son im-
prévoyance avait méme été 'telle que ríen n'était pré..
paré pour les troupes , ni vivres , ni munitions. On


.voulut du moins Ieur distrihuer une gratifkation;
,~, .,


etc'est alors , dans la matinée de jeudi ~,queM. de




( 308 )"
Montbel prit sur Iui de faire sortír des caisses de l'état,
sans ordonnance réguliére du ministre de la guerre,
une somrne de 421,000 francs,


NOIJS ne redirons pas ici , Messieurs, cette suite
d'actions glorieuses , ce patriotisme si désintéressé ,


- ees sentimens si nobles et si purs qui out ilIustré les
trois grandes journées de notre demiere révolution.
Ils vivront dans la mémoire du peuple francais , qui
n'oubliera jamáis que c'est au courage des Parisiens
qu'il a dú l'affermissement de ses libertés. Toutes les
mes de Paris , l'HMel-de-Ville, les casernes, le Lou-
vre, le palais 'dé l'Ins1itut, le¡ Tuileries , portent en-
core les marques de ces mérnorables combats.


Cefut alors ~tan milieudu íeu , qn'en l'absence
presqaeentiérerles membres de la Chambre des
Pairs, qui ne devaient se r~tróuver aPa~is qué pour
le 2 aoút , le grand-référendaire prit la noble et cou-
ragense résolution d'aller , au nom de tous les Pairs
de France , renouveler pres des ministres les efforts
inutilement tentés la veille par les députés , déter-
miné qu'il était d'arriver jusqu'auHoi , et de tout
faire pour l'éclairer sur les périls de la monarehie.
Ifoutes les avenues éloignées des Tuileries étaient
occupées par les citoyens armes : les engagemens
avaient recommeneé sur' plusieurs póints, lorsque le
marquis de Sémonville,. qu'accompagnait le eornte
d'Argout, arriva enfin á l'état-major , oú il trouva le
baron de Glandeves ,~g&1verneurdesTuileríes et le
maréchal. .




( 309 )
Nous croyons, Messieurs , devoir -laisser parler


M.'tle Sémon~ille.. ~ .


« Parvenu aI'état-major vers sept heures et demie
1) du matin, je trouvai Iemaréchal duc de Raguse ,
11 a qui je demandai de Ja~re sortir M. de Polignac
» du conseil. Le maréchal s'offrit de remplir eette of-
» fice et alla chercherM, de Polignac, Celui-ci parait
11 immédiatement , m'aborde avec les formes d'une
» politesse calme. et Iroide: elles sont brusquement
),' interrompues par une vive interpellation de ma
»part, Une-séparatíon profonde se prononee entre
» celui qui vient demander, au nom de son corps,
» le salut public, la cessation des hostilités , la révo-
» cation des ordonnances, la retraite des ministres,


, ,


». etcelui qui essaie encore de prendre ladéíense des
» circonstances déplorahles dont iI est le témoin et
n 1'autenr. L'élévation des voix appelle dans le salon
» du ma~chal, d'une part" les officiers généraux et
» aides-de-campequi étaient dans la premiere piec~;
».de l'autre, les ministres restés dans la salle du con-
» seil. Une díscussion nouvelle s'engage, pendant la-
» quelle on.anvite les généraux a se retire¡'. D'un
» coté f l\'f. d'Argout , le maréchal , dont le désespoir
"était visible, et qui m'appuyai t ¡le toutes ses forces,
» 1\1. de Girardin (AIexandre)., resté aprés le départ
» des généraux; et , de l'autre , les ministres dont
» l'attitude et les traits, plus encore que les discours
» réservés, témoiguaient.de leur affliction et de l'exis-
» tence d'un pOllvoir supérieur au lcur. M. de"Po-




_( 310 )
» lignac soutenait presque seul cette lutte inégal~
» y.mit fin, en propqsant de se retirer en eoñ!réif,
» pouI' délibérer.... Le teros que nous laissait la déli-
» bération des ministres fut employé a supplier le
l) maréchal de mettre fin lui-meme a cette horrible
Jl tragédie. Nous ósámes aller jusqu'a lui demandee
~ de retenir les ministres sous la 'gaI'de du gouver-
» Il~ur, qui, par un mouvcment généreux, censen-
» tait aconsacrer son épée acet nsage. :M. .d'Argont
)) s'exposait au danger d'arréter les mouvemens de
». Paris, enportant au rnilieu dn peuple cette nou-
» velle. Dans I'exécution de cette résolution extréme,
)) qui pouvai~ encore sauver la dynastie, le maréehal
» et -moi nous portions nos tétes a, Saint-Cloud , et
» Ies offrions pour gage de nos intentions, Le flla-
» réchal, "émn jusqu'á répandre des larmesde rage
)) et d'indignation, halan cait entre ses devoirs mili-
» taireset ses sentimens. Son agitation étaiJ presqlie
») eonvulsive: nous l'avons vu deux fois se refuser-
» avec véhémence aux ordres qu'on venait lui de-
l) mander de tirer le canon amitraille, pour repons-
) ser des atraques vers la rue Saint-Nicaise; enfin,
)) il semblait céder a nos instances, ei'j'ai lieu .de


"'.'-


» croire que sa résolution n'était pí,~s doüteuse, lors-
» c,¡:ue M.de Peyrorfnet sortit le preinier du cahinet,
» s'élanea derriére moi .vers la fenétre ouverte, oú
».j'étais appuye avec le maréchal et M. d'Argout.-
» Quoi ! vous n'étes pas partí? me dit-il. Ce peu
» de.mots avait une grande signification ,apres les
lo> desirs exprimes par M. de Polignac que nous n'al-




( 311 )
)) lassions pas aSaint-Cloud, Au méme moment , le
) maréehal se précípite vers une table, écrit á. la háte
» quelques ligues tres-pressantes au Roi , les remet a


. ) M. de Girardin, qui s'offre á les porter ; les Pairs
) courent a leur.voiture , ~t .traveesent les Tuileries,
» lci, il m'a été impossihle, ainsi qu'á M. d'Argout,
» de me rendre compte de la circonstance suivante.
» Dans la rapidité d~ notre marche, au milien de la
» grande allée, nons passons aupres d'un homme a
JI pied, au risque de le blesser; e'est homme est M.
)J f;lc Peyronnet; il nous crie deux fois : Allez vite!
» tllez vite len montrant d'une main Saint-Cloud, et
» de l'autre la voiture qui nous suivait. L'invitation
» était inutile : les chevaux étaient lancés au grand
»,galop : ils conserverent leur avance jnsque dans la
» cour de Saint-Cloud , oú les voitures entrérent
)1 presque en méme- tems. Descendus -Ies premiers ,
» nous fumes entourés par une foule de gardes et de
» curieux qui obstruaient le perron. Il nous fut done
» facile de barrer le passage aux ministres, et partí-
» culierement aM. de Polignac qui les précédait, le
» Iui déclarai a haute voix que je n'étais pas venu
l) pour réclamer un honneur que je voulais bien en-
• core leur laisser; qu'ií Ieur restait un, devoír aremo
» plir, eelui d'éclairer le Roi, d'apposer leurs signa-
» tnres ala révocation des ordonnances, et de se re-
D tirer.


« J'ajoutai que j'allais attendre le résultat du con-
t •) seil chez M. de Luxessbourg ,que les mómens


)1 étaient pressans, et que, s'iIs trahissaient nos es-




( 31:2 )


» pérances, rien ne m'empécherait de pénétrerjus- .&
»qtt'auRoi. Apres cette allocution, le passáge rut
» ouvert a M. de Polignae, qui ne répondit rien, et
» a ses collegues. M. de Peyronnet marehait le der-
» nier , passant pres de',moi, il me sena la main, sans
»mot dire, avec une extraordinaire énergie. J'i-
» gnore ce que devinrent les ministres: nraisá peine
» étions-nous chez M. de Luxemboiirg, qu'un huis-'
» sier de la Chambre vient m'appeler. M: de Poli-
» gnac m'auenoaír a la porte du cabinet du: Roi.
» Étonné de cette précipitation , je luí fis obseger
J) que le conseil n'avait pas eu le temsde délibéfer,
»nimeme de s'assemhler. J"f de Polignac répondit
» froidement: Vous savez ,Monsiellr, quel devoir
» VcOus croyez' remplie, ell venant ici dans les cir-
» constancessprésentes. J'a, informé le Roi que :"C!us
» étiez-lá : vous m'accusez ; c'est a vous d'entrer le
»premie}'. n n'est ni dans mes devoirsde témoin ni
» dans les convenances, de rendre compte d'un long
» et douloureux entretien, da~s lequel, je le déclare,
» enexpdsant le.tablean trop fidele de tant de mal-
» heurs, et leur résultat imrnédiat, le nom d'un mi-
» nistre n'a pas été prononcé une seule fpis, ni .son
» interverition indiquée, Mes instances mes supplí-
» cations, mes déplorables prédictions out donné a
» cettescene un caractere de-vivacité qui a jeté une
» sorte d'alarme parmi les personnages les plus con-
» sidérables, gardiens d~ l'appartement du Roi. La
» porte fu! ouverte , je cfois, a deux reprises par
)J M. le duc de Duras; 11 a pu juger que je m'étais




( '2 " \,J 1) _)


)) dévoué tont entier pour déterminer uI\e réso
) lution dont les retarda onteu de si terribles effets.
») Telles sont les uniques relations que j'ai eues avee
)) les ministres au sujet des oráonnaneeSJó»


Les efforts da, marquis de SémC?nville ouvrirent
en fin les yeux 'duRoi~-Charles X-lint _un xlernier
conseil, Les ministces quitterent'!'le!íPou~oir, il était
trap tardtIa vietoj,re avait prononcé ,et


01e
drapean


nationaljflottait 's~r les tours de Paris. ~\' .
ióus les faits <tui-pnt ~utvi sontf dY'domaine de


I'histoire; ils sont 'tl'angers;aup~ocesdont la Conr
a maintenant les principaux élémens sous les yeux.
L'histoire dira comment moins d'une année a suffi
a I'administration que présídait M. de Polignacpour
renverser un trone qpe ,dans ces. c!!ceva:qtes illí.l-
sions , ¡L.se _croyait appelé a squtqlir c(a con-
sólider'...', -., o' ;"',. 'i~'~' - - , s,: -


SECONDE PA-RTIE.


Depuis la formation du minístere 4u 8 ,aout,
chacun était préoccupé de la si!uation de la France;
une inquiétude vague fatiguaitles esprits, L~ marche
suivie par l'administrationet le renvoi de la Chambre
des' Députés ne justifiaient -que trop "lescraintes
qu'on avait concues. On redoutait, vous le savéz',
Messieurs, quelque gra~d chángement dans ]es,l,~
dn pays; ehacun sentaít que ces changemensne-
pourraient étre ohtenus que par la forcé,~¡'r~,,\io~'


- ,.t-o,' ,,_,. • •
Ience ; car ron savait -que la magistrat11re, fi'IJé';.
gardiennc des lois ~ ne, préterait .pas' spn appt'Íl a '




( 314 )
leur cleltruction.; De la cette opiníon gé~éralem~
répandue que le Gouvemement, en se jetant dans ..
les voies inconstitutionnelles , suspendrait les tribu-
naux ordinaires, établirait les couss prévótales, eher-
cherait a comprornettre les popnlatíons avec les
soldats, et se préparerait ainsi un appui dant
l'anéantissement du pouvoir judiciaire et dan s l'ar-'
mée, L'invraisemblance d'un pareil dessein n'aurait
pas dú sansdoute étre légerement accueillie par I~J:'
hommesaccoutumés a réfléchir aux. exigencis de
notre civílisation; et pourtant il est vraie de dire
que le ministére en était généra'ement accusé.


C'est au milieu de toutes ces craintes que l'on re--
ft~t la nourelledes attentats dont la Normandie com-
:rtién~:¡it,adev~nir le théafre,."et les préventions popu-
laires né tartlc4;.ent pasa en accuser le Gouvemement;
le Gou\"'crnem.ent, de son cóté, ne craignit pas de
faire retomber cette accusation sur le-partí politique
dont les principes étaient différens des siens. L'irri-
tation n'en devint que plus vive: ron comprend sur-
tont qu'apres la chúte de Charles X, les peuples aient
imputé aux ministres de ce prince tous les malheurs
arrivés pendant leur administration : les incendies
de laNormandienesont pasau nombre desriioindres.
ealarnités de cette époque,


Pendant.Ie tems qui s'écoula entre le 8 aoüt 1829
etlc -mois de mars 1830, ilne parait pas que les
<:rirhep s~, soient multipliés en Franco au-dela de la
Pf9po;iion ordinaire , et 1'0n ne remarque pas sur-
tour un plus grandnombre d'incendies que dans les,




( .315 )
époques correspondantes des années antérieures ;
mais, depuis cette époque , ils se multipliérent d'une
maniere effrayante, ~! .


Nous avíons d'abord vótilu vous en présenter l'his-
toire complete, ef vous offrir nae analyse de.chacune:
des instructions auxquelles ils ont donné líen; nous
av.ions In dans ce but la correspondance des magis-
trats et des diverses .~toritéliqui se sont occupés de
la répression de ces erimes , mais cetté ana:lyié; qui
a elle seule 'eut' formé unvolume; nepouvait vous
fai~e connaitre toutes les ~marche5 des magistrats ,
les invéstigations , les interrogátoires.Ies recherches
mulriplíées auxquelles ils se sont livrés : il était im-
possible que notre travail ne présentát pas une cer-
taine confusión qui aurait plntó"lohscl:lrci,HUé~on-
t~é la ;érité. Ce q~il..importe~~. .y.,?.us.~a.i~ec'on~f)i,tte,
c est l ensemble ~s 'mesures ~}!loyeespour arreter
ce fléau dévastateUl',~'éstsurtOut la part qu'ont pu y
prendre les ministré'S' accusés.


Avan't 'l'époque oú les incendies commencerent ,
aucung partie du royaume n'étaitplus paisible-que
le ressort de la Cour royale de Caen. Le comm'~~ce
prospérait; l'agriculture était florissanterléscontri-
hutions s~payaientavecfacilité é-texactitude; enan
le 'récrútement s'opérait sans murmure et sans o~


,'-"


position.
Tout-a-coup , vers la fin de février dernier , ~{ce


','1 . ."
calme profond, a cet état de prospérité o_ntp..uccéd~_
la désolation et l'incendie. Sur les seize~roiulísse':




( 31 G )
mens du ressort, treize ont été Iivrés ace fléauj~'
on fUt que l'arrondissement de Mortagne, épargné .
jus4ue-la, vient d'en étre atraqué.


Lé premier incendie remarquable eut Iieu le 28 fé-
vrier , a Bremoy, arrondisscmentde Vire. Cet é~é.
nement fut d'abord considéré comme le résultat
d'une imprudence , ce que la suite ne vint pas con-
firrner-, D'autres intendies écl~rent coup sur CbUp
dans I'arroridissement pendant le mois de mars; ils
ne s'arréterent plus. Presqu'en méme tems , le fen
se montra avec la méme ftlreur dans l'arrondissement


""". - -.'


de 1\1ortain.
En qnarante jours, trente-quatre incendies ou ten-


tatives d'incendie ,se manifestérent sur une surface
de~tJir'ues4car~ét .,1~t'vínrent"épo(¡ van ter la po-
ptilatión, IirésulfeA~fa. éorre\¡lOndance que nous
avons eue sous les yé'U~, que lesrilagistrats des Iieux,.
les juges d'instruction, les procureurs du Roi, leurs
substituts, firent tont ce qui était en leur pouvoir
pour constater les crimes, procéder aux inforrnations
et~fcliercher lescoupables; mais ces magist~ats ne
podvaierit suffire" a un travail aussi eonsidérable.
Dans de telles eirconstances, la Chambre d'accusa-
tionde la Cour dé Caen trouva qu'il ét~i'?~e~son de-
voird'évoquer I'instruction de plusieurs de ces crimes,
et de délégner, ponr continner les recherches , deux
dd' conseillers de la Conr, tous deux anciens suhs-
.titTits~e parquets, et a.qui les matieres criminelles


.. éraiéntfamiliéres. Ils se transporterent sur les lieux
/ .




( 317 )
et se réunirent aux premiers magistrats pour.com-


,piéter avec eux les instructions cornmencées: le tra-
vail qu'ils ont fait est immense.


Pendant que la j ustice agissait avec toute l'activité
que lui permettait sa marche réguliere , de concert
avec elle, les autoritésmilitaires et civiles travail-
laient aarréter le cours de ce fléau, Lepréfet du
Calvados fitaugmenter les forces de la gendarmerie;
se transporta, lui-méme dans les cantons menacés:


, nous J'avons entendu , et sa .correspondance, qui a
, passé sousnos yeux, atteste qu'il appela l'attention
du Gouvernement sur. la situation de son dé par-
tement,


Mais 110US devons surtout vous faire connaitre les
mesures que, de leur coté, les,p¡jn'stre~ crurent de-
voir prendre. Le garde;.des-sceW~.instruitd~ tous
ces faits, les fitco~~~Jre, par sa lettre du 27 mars,
au ministre de I'mtéfieur, en-luí demandant de se-
conder les effortsde la justice par tous les moyens


, qui étaient en son pouvoir. Hans le commencement
d'avril, il écrivit de nou vean an ministre de l'intérieur
et de la guerre, pour demander l'établjssementd'une
nouvelle brigade de gendarmerie. Le 19, il transmit
des instructions au procureur-général de Caen; ces


,.instructions se terminaien t ainsi: « Le moyen, je
,) crois, de se saisirdes incendiaires , serait de faire
») traquer simultanément, par toutes les communes
» voisines 1 les hoisquise trouvent prés des lieux oú
» l'incendie se manifesto.


» J'ai écrit au ministre de~la gnel're, et jeIui ai de




( 318 )
;, nouveau representé qu'il était urgent de doubler
tl la force de la genduTrnerie dans les arondissemens
» qu'une si horrible trame menace et dévaste. »


Une correspondance activeexistait alors entre le
gardc·des-sceaux et le procurenr général, le premier
président , les procul'eurs du Roi et les commmis..
saires de la Cour délégnés, soit dans l'arrondissement
de Vire, soit dans celui de Mortain. Le juge d'ins-
truction de Vire ne pouvant, a cause de son grand
age, suffire an travail dont il était accahléj le mi-
nistre annonce qu'ille remplace par un magistrat si-
gnalé par son activité, Le ministre demande enfin a
étre instruit, jour par jour, de toutes les mesures
qu'on croira devoir prendre,


Au milieu d'avr~,-Ies incendies abandonnerent
l'arrondissement <le mortain et menacerent celui de
Saint-Ló. Le garde~des-sceaux écrivit au procureur
général : ce le ne puis que vous renouveler mes ins-
» tructions précédentes: arréter tout individu qui
» s'écartera des chernins " surveiller spécialement les
D colporteurs , traquer simultanément les bois des
» eommunesgú les incendies se manifestent , apos-
n terde nuitdes surveillans qniobserventetéchappent
lo) aux regards, etc. »


D'un autre coté, le ministre. de l'intérieur faisait
surveiller a Paris , différens ~ndivig.us, marchands
d'habitset colporteurs signalés cornme ayant des rap·
ports avec les lieux incendiés,


Le 11 mai , le garde-dea-sceaux, M. de Courvoisier,
écrit de sa main au procurenr général : « C'est vrai-




( 319 )
»ment chose inconvenable que ,dans une contrée
.Otl la population, la police , la gendarmel'ie, les
» troupes de ligne, l'autorité administrative et judi..
» ciaire sont ala poursuitedes audacieux malfaiteurs
)} qui Iivrent plusieurs arrondissemens aux flammes ,
» on ne puisse saisir le 61 de cette trame, ni arreter
» les incendiaires. Je n'y concois ríen. »


Les mesures prises par les différens ministres et
celles qu'il y avait aprendre encore furent discutées
plusieurs fois au conseil. Des agens secrets furent
envoyés depuis par le ministre de I'intérieur, ils re..
<,;urent des autorités administratives et judiciaires du
pays les instructions nécessaires pour tácher de dé-
couvrir les auteurs de ces attentats; mais , soupc;on M
nés hientót eux-mémes par la population attentive,
ils furent arrétés parles citoyens comme ailteurs's
incendiés ; plusieurs méme aHaient étre fusillés palo
le peuple exaspéré, lorsque les magistrats parvin-
rent, non sans peine, a les soustraire a la rnort ,
mais sans pouvoir completement désabuser sur leur
compte ceux qui les avaíent arrétés , et qni demeu-
rérent convaincus d'une affreuse connivence entre
le Gonvernement et les incendiaires.


L'agitation et l'inquiétude croissaient tous les
jours, les contes les plus invraisemblables étaient ac-
cueillis sur la maniere dont le feu était propagé. Des.
tubes pleins de feu, des corps en apparence inertes,
mais qui, avec le teros, s'enflammaient et embra-
saient les édifices sur lesquels ils étaient lancés, tels
étaient les moyens, disait-on , employés par l~s in-




( 3~.w )
cendiaires. M. le prooureur général actucl, magistrat
fort recomrnandable , fait observer que, ce jamais on;
» n'a représenté ala justice le résidu de ces préten-
» dus corps enflammés, que des témoins ont cepen-
» dant déclaré avoir quelqueíois éteints, » Cepcndant
le zele et la surveillance la plus active n'obtenant
pas les résu1tats qu'on devait en espérer, et les po-
pulations s'exaspérantdavantage, on crut nécessaire
d'envoyer sur les lieux une forcearmée considéra-
ble. Le 15 mai , M. de Courvoisier annon<;a ces me-
sures au procureur général de Caen, et lui écrivit la
lettre suivante :


ce M. le ministre de la guerre a transrnis hier, par
» le télégraphe, au commandant de Saint-Malo , 1'01'-
» drede diriger imrtlédiatement sur le département)¡tie la Manche, un hataiUon du 5ge• .


. »Une autre dépéche télégraphique porte au gé-
) néral Donnadieu l'ordre de diriger du Ma~ls sur
» Mortain deux escadrons du 16e chasseurs.


» Un ordre expédié, par le courrier, au générai
» Rivaux, lui enjoint de diriger sur Caen le bataillon
» du J2e deligne quise trouve au Hávre,


» Puissent ces mesures mettre fin au fléau qui
» vous désole ! si elles sont insuffisantes, écrivez-
» mOL»


Le J 9 mai , jour oú M. de Courvoisier remettait au
Roi les sceaux de l'état , il écrivit encere une longue
lettre relative au méme objeto


A peine le ministere fut-il recomposé, qu'il s'oc-
cupa tout de suite du Iléau qui dévastait la Norrnan-




, 321 )


die. Un magistrat inférieur, du ressort de Caen,
avait proposé la création de cours prévótales , commc
pouvant offrir a la justiee un moyen plus prompt de
punir les coupables , et de prévenir de nouveaux
crimes.


Le conseil des ministres auquel, soit le garde-des-
sceaux , soit le ministre de l'intérieur, rendait compte
achaque séanee, de l'état de la Normandie et des
moyens pris pour arréter eette série de crimes , pa-
rait avoir repoussé l'idée de rétablir les juridietions
exceptionnelles eomme contraires á la Charte. Telle
est , au moins, la eléclaration eles ministres accusés ;
les cours prévotalcs n'auraient offert, en effet, eontre
le fléau aucun secour réel; cal', Messieurs , si la
sévérité eles peines est un moyen d'arréter de pa'
reils crimes , les jurés, dans de telles circonstances,
seraient plutót séveres qu'indulgens.


Des le 23 mai, le eonseil des ministres résolut
denvoyer en Normandie deux régimens ele la garde,
l'un d'infanterie et I'autre de cavalerie. Toutes les
troupes fnrent mises SOllS les ordres du général de
Latour-Froissac , qui en IS2:l avait été envoyé dans
la Pieá~di~, ravagée également par des incendies que
son aetivité parvint aarréter,


A eette occasion , M. de Chantelauze, alors garde-
des-sceaux, écrivit de sa main au procureur général
la lettre suivante :


ce M. le procureur général, il vient d'étre décidé
" au conseil du Roi qne deux régimens, l'un d'infan-
}) terie et l'autre de cavalerie , seraient immédiate~


21




( :1:22 )
» ment dÍl'igés dans les départemens de la: Manche et
» du Calvados, sur les points menaeés par les incen-
)J diaires : ces troupes, réunies á eelles qui sont déja
» sur les lieux, scront placees sous le commandement
» d'un afficier-général non moins connu par sa pru-
» dence que par sa ferrneté. La présence d'une force
» aussi imposante était le seul moyen de mettre un
» terme a des desastres centre lesqucls l'action de la
) justice a été jusqu'a ce jour impuissante. II faut
» espérer que eette mesure rnmenera la paix dans
) des contrées en proie a d'horrrbles dévastations,
» et détermincra les habitans á reprendre Ieurs ha-
» bitudes de travail , en déposant des armes d'avance
) inutilcs. Je ne saurais trap vous engagel' á secón-
), del', dans le cercle de vos attributions, les cf[orts
» des autorités administrative et militaire.


)) 11 n'importe pas 1110ins de rcclouhler de soins et
» d'activité dans l'instruction des procédures, Il se-
» rait désolant que la: justiee ne pút se saisir des Iils
» d'une trame q ui a si essentiellement cornpromis
)) la tranquillité publique. L'impression qui m'est
» restée de la Iecture ele vos rapports, c'cst qu'il faut
» rattacher ces événemens á des causes polii;Iues.
» Aussitót qu'on sera sur les traces des malfaíteurs,
)) l'affaire prendra un autre caractere , en acquérant
) une extréme importance. Je vous scrai done oh]igé
» de me tenir au courant , comme vous l'avez fait
) jusqu'á ce jour, detout ce qui pourra jeter quelque
» lumiere sur ces machinations ténéhreuses. Je de-
l) sire en méme tems que vous me fassiez connaitre




( 3:,<3 )
» la réponse de I'individu qui , apres s'étre évadé
)1 vient d'étre mis une seconde fois en arrestation,
» Recevcz , etc. ))


Le deruier bit indiqué par la lettre du ministre
avait en Iieu sous l'administration de M, de Courvoi-
sier ; un inculpé s'était échappé des mains des gen-
dat'!~s, et son évasion avait redoublé l'agitation du
pays: on avait cru y trouver une nouvelle preuve de
l'affreux concert qu'on supposait exister entre I'ad-
ministration et les handes de malfaiteurs qui incen-
diaiént les campagnes.


Le r" juin suivant, le ganle-des-sceanx écrivit
encore de sa main au procurenr général: « J'ai In
)) avec une séricuse attention le rapport que vous
)) m'avez adrcssé le 29mai sur les incendies commis
)) ces jOllrs rleruiers dans les arrondissemens de
)) Bayenx et Saint-Ló. Le nommé Bisson arreté dans
» la commune de Saint-Paul-de-Vernay , doit rester
)) sous la main de la justice jusqu'á ce que sa con-
)) duite ait été complerernent justifiée, JCVOllS engage
)) aussi á [aire vél'ificr cxactement tous les détails
) rapportós par Ierudc. Il n'est pas moins nécessairc
)) d'informer avcc soin sur les menaces d'ineendies
» faites a la demoiselle Dufay, dans une lettre en
)) chiffres, dont le proeureur du Roi d'Argentan est
» dépositaire. le vous prie de demander ace magis-
) trat , pour me la transmettre, une copie de eette
)) lettre. Je vous serai également obligé de donner
» toujours les soins les plus actifs atout ce qui se rat,
)) tache a ces deplorables événemens. Vous contí-




( 324 )
J) nuerez am'en rendre compte , jour par jour , en
» me faisant connaitre la tendance des esprits et
» l'attitude de la population, Recevez, etc. »


Le 3 juin, le garde-des-sceaux donne aux procu;
reur général de nouvelles instructions sur la con-
duite qu'il doit tenir envers la fille BailIcul; dont
nous aurons plustard avous entretenir. On espérait
enfin que cette fille ferait connaitre ses complices.
Le 17, le ministre presse le procureur-général de
faire juger les coupables, espérant qu'apres leur con-
damnation , on obtiendra peut-étre des révélations
importantes. On voit dans toutes les lettres, et dans
plusieurs autres qui se suocedent , écrites presque
toutes de la main mérne da ministre, combien les
désastres de la Normandie le préoccupaient.


En 1822., les départemens de l'Oise, de la Somme
et du Pas-de-Calais avaient également été ravagés
par des incendies: deux rapports étendus furent faits
alors sur les attentatset sur toutes les circonstances
qui les avaient accompagnés. Le 15 j uin suivan t, le
garde-des-sceaux envoya. ces anciens rapports au
procureur-général de Caen, pour qu'il examinát ,
ainsi que les présidens d'assises , s'ils ne pourraient
pas profiter des observations qui avaient été ft(tes
en J 82.2.


Tous les jours, et jusqu'a la fin de juillet , la COI'·
respondance la plus active eut lieu entre le garde-
des-sceaux, les magistrats de Caen, les divers mem-
bres du ministere et le préf'et de police de Paris, est
presque toujours les Iettres du garde-des-sceaux




sont écrites de sa main. L'examen attentif de cette
correspondance et des documens nombreux que nous
ont fournis la chancellerie et les différens parquets
auxquels nous nous sommes adressés , n'a pu nous
laisser aucun doute sur les soins et la vigilance du
eheflde la justice pour arréter le fléau qui dévo-
rait <'t qui dévore encore la Basse-Normandie,


Apres nous étre livrés a cet examen, nous avons
eru devoir entendre l'ancien préfet du Calvados, le
premier président de la Cour royale de Caen, M. de
la Brune, qui commandai t alors la gendarmerie, enfin,
les députés des départemens désolés par les incen-
dies. Toutes ces dépositions ne nous ont fourni que
bien peu de lumieres; elles ue répetentque des bruits
vagues qui ne sont appuyés que sur la rumeur pu-
blique; elle~ n'ont signalé aucun fait précis qui ait
pn servir de base aune nouvelle instruction, et n'ont
enfin ríen appris qu'il soit possible de rattacher ,
méme d'une maniere éloignée, a l'accusation portée
contre les ministres de Charles X.


Dans ces dépositions, on doit remarquer plus
particuliérement celle de M. de la Brune , qui vient
d'étre nommé maréchal-de-camp. 11 a en sous ses
yeux les rapports de tous ses lieutenans. Mieux que
personne, il a pu apprécier l'ensemble de ces crimes.
II a déclaré que, dans les rapports qu'il a recus, et
dans les recherches fort actives auxquelles il s'est Ii-
vré , il rr'a rien trouvé qui püt mettre la justice a
méme de reconnaitre la canse des nombreux incen-
dies qui couvrirent de ruines la Basse-Normandie.




( :htj )
Mais il ajoute que, de toutes les mesures prises par
les autorités locales pour arriver a la découverte de
la vérité, les arréts d'évocations de la Cour royale de
Caen furent les plus efficaces. Cette évocation et
l'envoi de magistrats instructeurs, étrangers aux lo-
calités, étaient comrnandés par le granel nombre d'in-
structions qu'il fallait faire a la Iois , et aussi, par
I'effroi que les incenelies excitaient dans toutes les
localités, effroi dont l'influence pouvait se faire sentir
sur les triliunaux eux-mérnes : il finit enfin sa dépo-
sition en disan t :


(eJe dois ajouter que la correspondance di recte de
» M. de Polignac, comme ministre de la guerre, a
» toujours été d'une complete franchise, et dirigée
» dans la vue d'obtenir par tous les moyens la dé-
» couverte de la vérité.»


Dans cet état de choses , nOI1S avons eru devoir
nous occl1pcr particulierement de .trois affaires , que
l'opinion du pays et la cor'respondance eles autorités
locales signalaient principalcment á notre atten tion.
Les aveux et les réticences des condamnés pouvaient
faire naitre eles présomptions plus ou moins pro-
bables sur 1'existence d'agens secrets qui, si ron par-
venait iJ les découvrir , feraient enfin connaitre le
carácter-e véritable qu'il faut attribuer a ce f.,au.


Il était naturel ele concevoir l' espérance que trans-
férées aParis et dégagées des influencesqui ponvaient
mettre obstacle a I'entiere déclarntion de la vérité ,
ces condamuées seraient plus facilement arnenées a
des a veux COn! plets; len r tra nslation a done été 01'-




'Y


3'27
donnée: elles out comparu devant la commission; et
quoique cette mesure n'ait produit aUCUIl résultat,
il n'en est pas moins nécessaire de vous dire quel-
ques mots sur chacune des affaires qui l'avaient
motivée,


La prerniere est celle de la fille mariePauline, con-
damnée á la peine de mort, pom' incendie cornmis ,
le 26 mai, dans la comrnune de Saint-Martin-de-Salleu,
arrondissernent de Caen. Quoique la condamnation
n'ait été motivée que sur un seul fait d'incendie,
l'accusation portait sur deux faits distincts, dont le
premier avait en lieu le 2!¡ mai, et l'autre le 26. L'in-
cendie du 24 avaitcu des résultats graves, le secoml
n'avait occasionó aucun désastre, Tous eleux avaient,
en quelque surte, été annoncés d'avance par la fille
Pauline. L'affectation qu'elle avait mise chaque
fois a semer l'alarme dans le village, sa présence sur
les Iieux , ses propos, et toute sa eonduite, la signa-
laient comme coupable des deux faits; mais elle n'en
avouait qu'un, et la décIaration del jury fut négative
sur I'autre, Ses aveux, assez tardifs, avaient été pré-
cédés d'une accusation portée centre un voisin de-
puis reconnu innocent; ils Iurent accompagnés
el'un récit des plus invraisemblables. Suivant la fille
Pauline, elle aurait été poussée au crime par les
rnenaces et les promesses d'un inconnu. Les ren-
seignemens qu'elle donnait sur cette ineonnu
ayant fait naitre quelques soup<;;ons sur un domes-
tique attaché ü la maison d'un général demeurant
dans le voisinage , la tille Pauline, instruite, a ce qu'il




( 328 )
parait, de ces soupt,;ons, s'empressa de déclarer qu'en
effet c'était un domestique de cet maison qui Iui
avait fait des promesses. Elle ne nommait pas ce do.
mestique; mais elle le signalait, et ce sign:}lement
était contradictoire avec celui qu'elle avait d'abord
donné de l'ineonnu. Il n'était d'ailleurs pas le seul,
disait-elle, qu'il I'eút portée au crime: trois autres
índividus luí auraient aussi faít des proposítions; des
meches incendiaires lui auraient été remises. Mais
ces déclarations se contredisaient elles-rnémes; l'in-
struction les clémentait sur tous les points: c'était
avec un simple charbon que le feu avait été mis.
L'imposture était evidente; la condarnnation fut pro-
noncée. Des le lendemain, nouvelle déclaration de sa
partí indépendamment des individus qu'elle a signa-
lés, des instructions lui ont encere été données par
un homme avec qui elle a vécu en concubinage. La
justice informe, et cette déclaration est également
recormue fausse, Transférée aParis, et interrogée par
nous, elle ne donne aucun renseignement utile, et
ne fait qu'ajoutcr quelques contradictions de plus a
celles dont ses interrogatoires sont déjá rcmplis. La
seule impression que puisse laisser cette affaire est
eelle du dégout qu'inspirent les mensonges d'une
fille déja dépravée depnis sa plus tendre jeunesse.ainsi
qu'elle le déclare elle-méme par les habitudes d'une
débauche héréditaire , et que le vice avait préparée
pour le crime.


Un caractere différcnt s'attachc aux faits reprochés
a la fille Bourdeaux , la secondc des incendiaires ame-




1, 3~9 )
nées devant la commission. Sept fois elle a mis le fen
dans le vilIage de Cremoy, qu'elle habite. Trois fois
l'incendie a été commis dans la propre maison de sa
mere, qui enfin a été consumée , et cependant eette
fine n'avait pas encoré seize ans; elle a dú a sa jeu-
nesse de n'étre eondamnée qu'a la détention dans
une maison de correction. Quel a été son motif? Son
crirne est-ill'effet d'une aberration inexplicable, ou
doir-il étre attribué ades suggestions perfides ? C'est
une qnestion sur laqueIle l'instrnction n'avait jeté
aucune lumiere, Deux mois s'étaient mérne écoulés
depuis sa condarnnation sans aucun éclaircissement
nouveau , Iorsque ceux de ses ancles viennent la vi-
sit~r en prison : 11s la questionnent ; et peut-étre in-
fluencés malgré eux par une opinion accréditée dans
le pays, ils lui demandent si le curé du village ne
I'aurait point portée au crime ; elle abonde dans leur
sens, et fait rcmonter adeux ans les premieres in-
stigations du curé. Cette déclaration, confirméc par
elle dans son interrogatoire, est d'abord soutenue
dans sa confrontatíon avec le curé; mais bientót quel-
ques questions adressées avec calme par cet ecclé-
siastique la font rentrer en elle-méme : elle démcnt
tout ce qu'elle a dit. Plus tard , elle persiste encore
dans cette rétraction hors de la présence du curé.


Mais dans un dernier interrogatoire, elle revient
a ses accusations et les soutient en tace de celui
qu'eIle accuse : ce n'est pas au snrplns le curé seul
qui l'a détcrminée : nn mendiant inconnu l'a mena-
cée aplusicurs reprises, Du reste, ses déclarations




:, 330 )
sont loin d'étre conformes les unes aux autres , elles
varient sur les terns , sur les lieux , sur les discours.
La commissíon n'a pu en tirer que peu de paroles ,
elles ont été accnsatrices contre le curé, mais l'in-
struction faite acet égard ri'a confirmé aucune de ses
déclarations.


Celle des trois condamnées qui inspire le plus d'in-
térét , et dont les déclarations cependant semblent
devoir produire le moins de résultat , est la filIe Jo-
séphine Bailleul. Un seul incendie lui est attrihué ,
et elle l'avoue, Le fen a été mis par elle dans la mai
son rnéme de sa maitresse: Le motif qu'elle en donne
n'est autre que l'explication hanale présentée par la
plupart des condamnés, Un inconnu luí a donrié de
l'argent, et l'a menacée de mort pour le cas oú elle
refuserait. Cette explication, successivement démen-
tie et reproduite dans les divers interrogatoires, est
d'autant moins vraisemblabe , que ce serait dans la
rue, et le rnatin m éme de l'incendie, que les pro-
messes et les menaces auraierit été faites. Une autre
explication, beaucoup plus plausible, ressort au pre-
miel' coup-d'ceil de l'instruction. La filIe BailIenl est
d'une figure agréable; la procédure fait cormaitre
qu'elle avait , non pas des liaisons coupables, mais
des relations fréquentes avec le beau-fils du proprié-
taire de la maison oú elle demeurait. Cette maison,
destinée a étre démolie, devait étre remplacée par
un café, oú le jeune hornrne se serait établi. Le seul
obstacle a cet arrangement était le bail existant; la
rnaisou d'ailleurs était assurée. Peut-étrc quelque




331
projet d'uuion avee le seul hornme qu'elle voyait
aura-t-il germé dans nne imagination vive et dans un
coeur simple. Cette irlée ne peut-clle pas eonduire Ji
celle de háter le moment que l'on souhaite par un
moyen qne l'on croit ne devoir causer de préjudice
apersonne? Ainsi se comprendrait , mérne sans au-
cune influenee extérieure, le crime de la fille Bail-
Ieul: Cette opinion nc parait eependant pas avoir
prévalu dans l'instruction ; on espérait d'autres ré-
vélations. La fillc Bailleul , vivement pressée dans le
débat , parat un instrmt préte a s'cxpliquer, mais
l'émotion excessive qu'elJe éprouvait amena une erise
violente, qu i se termina par ces mots adressés ason
défenseur: Lalssez-moi plucát condamner. La con-
damnation fut en effet prononcée. Mais l'intérét
qu'avait excité cette scene donna lieu Ji mille con-
jectures, La fille Bailleul obtint une eommutation :
mais ni cette graee, ni les instanees réitérées de
votre commission , n'ont pu ríen obtenir d'elle; et
la justiee reste en dou te de savoir si les rétieences
de cette rnalheureuse doivent étre attribuées ala ter-
reurque lui auraient inspirée de grands coupables,
on a la crainte de eompromettre, par des aveux plus
complets , l'o1jet d'une secrete affection.


lls nous reste a entretenir la cour d'un dernier
fait qui, par la puhlicité qu'il a re¡;ue bien plus que
par son importance réelle, exige une explieation
precise. Le nomrné Charles-Théodore Berrié , agé de
3~ ans , déja condamné en ]824 a 15 mois de prison,
l'avait été de nouveau en ,826 adeux ans de réclu-




( 332)
sion pour vol. Détenu aBicétre , oú il subissait sa
peine, il avait su, par une insinuante hypocrisie ,
capter la confiance des snpérienrs de la prison, et
exciter I'intérér de l'aumónier et de quelques ecclé-
siastiques du dehors qui se consacrent al'instruction
des prisonniers. Parvenu aobtenir une gra.ce entiere
avant l'expiration de sa peine, il était retourné sur-
le-champ a ses criminelIes habitudes, et il était dé-
tenu aToulouse sous le poids de plusieurs accnsa-
tions graves, lorsque le grand preces qui vous oc-
cupe, et l'incident des incendies, que quelques opi-
nions y rattachaient, lui parurent une occasion de
retarder sa condamnation imminente, et de luí pro-
curer, soit quelque adoucissement ason sort , soit
au moins quelque chance d'évasion. Une fable est
aussitót imaginée, et ponr la rendre vraisemblable',
il y méle tous les noms que ses relations aBicétre ,
ou des articles de journaux , ont pu lui Iaire con-
naitre. Il écrit qn'il a des révélations a faire ; il dé-
clare devant la justice qu'il a été mis en reune poor
l'organisation des incendies. De l'argent, des lettres
mystérieuses lui ont été confiés; il a vu les chefs du
complot. M. de Polignac lui-méme , duquel il fournit
du reste un signalement quí n'a aucun rapport avec
celui de I'ancien président du conseil ; M. de Po-
lignac s'est livré a luí sans réserve; une sorte de
sauf-conduit de la main de ce ministre est parmi les
papiers qn'il a laissés a Bordeaux. Ces papiers con-
riennent les renseignemens les plus précieux , mais
il ne les livrera flue sur la garantie d'un: adoucisse-




( :-Li3 )
ment ason sort, Il est immédiatement amené aParís
par ordre de la cornmission; il comparait devant
elle, il confirme, il développe ses déelarations. Mais,
pour livrer ces papiers , qui seuls peuvent les corro-
borer, il demande toujours des garanties étendues :
ces gal'anties lui sont données pour le cas oú ses ré-
vélations seraient vérifiées. Il indique alors la per-
sonne entre les mains de laquelle il a déposé ces
pieces importantes; il donne son adresse , sur la-
quelle il commence ponrtant par varier d'un jour a
l'autre. Des perquisitions sont íaites dans les deux
maisons, et la preuve est acquise que dans l'une et
dans l'autre la personne indiquée par Herr-ié est com-
plétement inconnue. Tous les autres pointe de ces
déclarations SOlÚ également éclaircis , et partout le
mensollge est constaté. S'il se fut agi d'une affaire
moins grave, un pareil incident cut été écarté sans
examen; mais il faut mieux encore qu'il ne le soit
qu'apres une complete vérification des faits,


Tel est, Messieurs , le résultat du travail auquel
votre commission s'est Iivrée sur les incendies. Elle
n 'a pas prétendu vous donner I'histoire complete de
ce fléau qui dure encore; elle n'a dú s'en occuper
que dans ses rapports avec les ministres accusés. La
se bornait le mandat de votre commission.


Mais en terminant cette partie de notre travail,
sera-t-il permis acelui qui a été chargé de vous faire
ce rapport, de dire qu'il a vécu douze ans avec le ma-
g'lstrat qui tenait les sceaux de l'état, et auquel l'ad-
ministration de la justice était plus spécialement




l :B4 )
confiée lorsque les premiers incendies éclaterent; ce
n'est pas aMo de Courvoisierqu'on eút osé offl'ir d'em-
ployer le crime au succes d'un parti politiqueo Sa ver-
tueuse indignation eút accabléle misérablc qni lui en
eútfait la proposition Malheureusement pour lui on
triompha de sa résistance a faire partie du ministere
du 8 aoút, mais ceux qui l'ont connu savent assez
que, zélateur sincere des libertés puhliques , qu'il
avait défendues longtems a la trihune , il ne céda
que par de nobles sen timens , et dans l' esperance de
conjurer les tempétes qu'il voyait se former autour
de nous. Lorsque cette espérance s'évanouit , il ren-
tra dans la vie privée,


Qu'ilsoit permis cncore a votre rapportelll', an-
cien premier président de la Cour royale de Lyon,
dont M. de Chantelauze était membre, de rendre
hommage a ses q ualités privées, acette intégrité du
magistrat qui appelait la confiance et l'estime de ceux
dont i] avait apeser les droits et a discuter les inté-
réts ; intégrité qui se retrouve tout entiere dans la
correspondance qui a été mise sous vos yeux.


Je devais a M. Courvoisier et a 1\1. Chnntclauze ce
témoignage public, auqucl mes Iongs rapports
avec eux donnent peut-étre quelqne poids.


Si les incendies qni dévastent encore la Franco
sont le résultat d'un affreux complot, espérons en-
fin qu'il sera découvert : le Gouvemement pour sai-
sir le fil de cette horrible trame, redouble de zele ,
et nous devons tout attendre de ses cfforts; mais au-
jomd'lu1Í qu'il nous suffisc de dire que rien n'an-




( 33S )
nonce qu'aucun des membres dn dernier ministere
ait con<;u ces complots, qu'il les ait appuyés; et
qu'ainsi ron doit écarter du nombre des faits qui
leur sont imputés tont ce qui a rapport aces atten-
tats exécrables.


TROISIEME PARTIE.


Nous vous avons, Messieurs , dans la premlere
partie de ce rappart, exposé les faits qui constituent
le chef principal de l'accnsation , et les circonstances
qui en dépendaient immérliaternent ; nons vous avons
préseuté ensuite une analyse rapide des incendies,
qu'une rumeur publique, qne nous n'avons pu dé-
daig"ner, voulait y rattacher. n nous reste mainte-
nant a appeler votre attention sur les principes qui
doivent présider a la vérification de votre compé-
tence, et vous mettre en état de jnger si les parties
civiles qui se presenten t devant la cour sont fondées
a demander que leurs droits y soient discutes et ap-
préciés.


En ce qni concerne votre eompétence, vous ne
pOllvez la vérifier et la reconnaitre , sans qne I'accu-
sation ne soit parfaitement qualifiée a vos yellx.
Mais , pour ohtenir ce résultat , il est néeessaire avant
tout d'interdire la loi sous l'empire de laquelle le
erime dont cette accusation est l'objet a été cornmis.


L'article 47 de la Charte constitntionnelle du 14
aoút 1830, porte que la Chambre des Députés a le
droit d'accuser les ministres, et de les traduire de-




( 336 )
vant la Chambre des Pairs qui seule a. celui de les in-
gel'. L'article 55 de la Charte de 1814 était identi-
quement le méme,


Mais il était suivi d'un autre articlo qni n'a pas
été reproduit dans la nouvelle Charte. Selon cet ar-
ticle, les ministres ne pouvaient étre accusés que
pour fait de trahison ou de concussion, Le législa-
teur annoneait aussitót apres que des lois particulíe-
res spécifieraient eette nacure de délit , et en déter-
mineraient la poursuite.


La eomparaison des dispositions des deux Chartes
manifeste entre elles une difTérenee notable. Suivant
la Charte de 1830, les minis tres peuvent étre accusés
de toute sorte de crimes ou de délits; suivant la
Charte de 1814, ils ne pouvaient étre aecusés que de
trahison ou de concussion,


C'est sous l'empire de la Charte de 1814 qu'ont
eu Iieu les faits dont les derniers ministres de Char-
les X sont accusés d'étre les auteurs, C'est donc
uniquement dans la Charte de 1814 qu'il faut recher-
cher les élémens légaux de l'accusation.


Sous la Charte aetuelle, nul doute que les crimes
prévus par les articles 91, lag, IlO, J23, 125, du
Code pénal ne pussent devenir la matiere d'une aeeu-
sation intentée par la Chambre des Députés contre
les ministres du Roi; mais sous la Charte de 1814,
ils n' auraientpumotiveruneaeeusation deeette na ture
qu'autant qu'ils auraient été considéréseomme ren-
trant dans les crimes énoncés dans son article 55, et




'. 337 )
ceux ci n'avaient été déíinis par aucune loi. On pom-
rait done en conclur-e qu'unc telle accusation était
et demeure encare impossible,


En effet, en matiere criminelle ordinnaire et de-
vant les tribunaux de droi t cornmun, la spécification
légale du fait incriminé doit non-seulernent précéder
toute condamnation, rnais tonte accusation et toute
ponrsuite; cal' on ne saurait traduire un citoyen en
justice que pou!' un fait spécialement prévu par la
loi pénale. Aussi tou t acte d'accusation indique-t-il ,
avcc les circonstances du fait qni constitue le corps
du délit, la disposition de la 10i qui le définit et le
spécifie.


Toutefois , en matiere de crimes politiques et de
responsabilité rninistérielle , lorsqu'il s'agit de l'in-
dépendance ou de la süreté de l'état, du maintien
des institutions OH des lois, des libertés publiques
ou des garanties individuelles, devant nn tribunal
que la constitution aplacé au sein de deux chambrcs
législatives, dont l'une a l'accusation et l'autre.Ie ju-
gement, il est impossihle qu'il n'y ait pas accusa-
tion quand il y a eu péril pom la patrie, et qu'il n'y
ait pas jugement quand il y a en accusation.


SanS doute , la súreté et la liberté d'un citoyen
doivent étre préférées a la répression d'un trouble
ou d'un désordre que le législateur a négIigé de si-
gnaler. Si la société souffre de cette omission, le mal
est réparable ponr l'avenir , et il serait injusto qu'uno
peine quelconquc atteignit celui qui naurait pas été
préalablemcnt aver ti par IIIl texte exprés de la loi,


22




( 338 )
puisqu'il n'aurait pas enfreint ses défenses; mais it
n'en saurait étre ainsi lorsque la súreté et la libertó
du pays ont été mis en danger par ceux-la méme qui
doiven t veiller aleur conservation; cal' la liberté et
la súreté de tous sont préférables acelles de quelques-
uns. De si audacieux abus de la puissance publique
sont souvent irréparables. Ceux qui les commettent
se mettent en guerre avec la société; elle nepeut de-
meurer désarmée centre leur attaque. La justice
politique n'est pas seulement du droit public, elle
est du droit des gens; elle est inherente au droit
naturel, qui appartient achaque peuple, de veiller
asa propre conservation; elle ne doit, elle ne peut
clone jamais manquer ni de tribunaux, ni de lois.


Il y avait quelque témérité dans la pl'omesse con-
tenue dans l'article 56 de la Charte de 1814, et il
u' était peut-étre pas au pouvoir du législareur de
spécifier OH de définir a l'avance tous les faits qui
peuvent -compromettre l'indépendanee du pays, ou
porter atteinte asa constitution; enfin , par quelque
motif que ce soit, et quoiqu'on en puisse renser,
cette p-romesse n'a point été tenue. En cet é tat , c'est
a la Chambre des Députés qui accuse , et alaCour des
Pairs qui juge, asuppléer al'absence d'une définition
légale appliqnée au crime de trahison. Les actes d'un
tel preces ne sontpas seulementjudiciaires, ils parti-
cipent nécessairement du caractere législatif, et , en
efíet , la puissance qui, en cette matiere , regle la pro-
cédure, qualifie les faits, determine la peine, en
méme tems qu'elle statue sur toutes ces choses en




( 339 )
principe , ct qui fait aussitót, et presque simultané-
ment, l'application du principe, crée la loi, et en
use a l'instant méme ponr prononeer le jugement,
Ainsi le commande la nécessité qui proroge tous les
pouvoirs, et qui est la plns irnpérieuse et la plus
irréfragable des lois.


Ce n'est pas, d'ailleurs , san s dessein que la consti-
tution a placé si haut , et dans une région exclusive-
ment politique et législative, le jugement des crimes
de trahison commis par les chefs responsables de
l'administration. Cette disposition indique assez que
le législatellr a voulu qlle eesjugemens participassent
du caractere des juges dont ils émaneraient , qu'ils
fússcnt sans reeours eomme sans appel , et souverains
eomme la loi móme, Déja la pratique de la Cour des
Pairs a prouvé qu'elle connaissait toute l'étendue de
ses droits et de ses ponvoirs, Dans des causes OU il
s'agissait de erimes que le Code pénal avait prévus,
par des motifs d'un ordre supérieur au texte de la.
loi éerite, en présence des grands intér éts de l'État,
elle n'a pas craint d'arbitrer la peine, de s'écarter de
celle qui était déterminée par le Code, et de choisir
eeUe qui lui paraissait le mieux proportionnée avec
la nature du délit, Cette puissance, elle pourrait en
user encore; elle le pourra toujours. M3i5l'usage d'un
tel pouvoir, entierement facultatif, n'est par cela
mérne concevable, et n'a pu trouver son application
que dans les cas prévus par le Code,let dont la con-
naissance était eependant réservée a 'la Cour, Tel a




( 340 )
ét<' celui «l'attentat a la súreté de l'état su!' lequel la
Cour a déja en a prononcer.


Dans le cas présent, au contraire, dans celui d'une
accusation de trahison portée contre des ministres
par la Chambre des:Députés, tant qu'il n' existera pas
de loi antérieure quí définisse ce crirne et détermine
une peine que la Cour des Pairs puisse ap\)liquer ou
modérer , l'usage de sa puissance législative est forcé,
Il cesse' d'étre un droit pOlll' devenir un devoir; car
si la Cour n'instituait pas la peine en prononcant la
condamnation, toute condamnation deviendrait une
iniquité, puisqu'elle appliquerait une peine que ríen
n'autoriserait, ne justifierait, q ui ne serait établie par
aucune loi.


Que si la sñreté de l'état commande, en effet, de
soumettre de grancls fonctionnaires, qui ne cessent
pas ponr cela d'étre citoyens, a des poursuites crí-
minelJes; de leur faire subir l'épreuve solennelle des
débats judiciaires, et de les exposer, peut-étre, aune
condamnation capitale'en vertu d'un accusation dont
le titre ne se trou ve poin t daos le Code des lois
pénales et contre les regles ordinaires dn droit cri-
mine], ce serait excéder toutes les bornes que de
laisser peser sur eux les peines portees par le Cede
ponr des crirnes spécifiés et définis , mais qui ne se-
raientqne les élémens ou les conséquences dn crime
dont ils sont accusés. On ne saurait invoquer contre
eux la sévérité des mémes Iois dont OIl ne les ad-
mettrait pas aréclamer la""pl'otection, Le Cacle pénal




( 3~ 1 )
est hors du proces; pour étre éqnitable et conséquent,
il faut écartcr ses dispositions, puisqu'on ne tient
aucun compre de son silence,


Vous aurez done a examiner , Messieurs , si les
faits constatés par l'instruction, constituent, non pas
aux termes de telle ou telle loi • mais selon la raison
et le sens naturel des mots, le erime de trahison.
Vous ne vons arréterez aux qualifications données a
ces faits et ex traites des divers articles du Cade pé-
nal , qu'autant qu'il est nécessaire pOtllr bien saisir
les élémens du crime que vous étes appelés en ce
moment a spécifier et areconnaitre.


En efEet, la mission de la COUI' des Pairs a évi-
demment trois objets : la qualification du crime, qui
est le titre de l'accusation ou la vérification de la
compétence; l'examen des faits incriminés, ou l'exa-
men de la culpabilité des accusés; enfin la détermi-
nation de la peine ou son application, si les faits
sont déclarés eonstans et les accusés reconnus cou-
pables.


Nous sommes au premier de ces trois périodes du
proceso


Les accusés étaient ministres du Roi, comme tels
ils sont justiciables de la Cour des Pairs. Ils sont
accusés d'avoir cornmis le crime de trahison , vous
examinerez d'ahord si les faits qui leur sont impu-
tés constituent ou non ce crime. Vous aurez a con-
stater plus tard s'ils en sont ou s'ils ri'en sont pas
les auteurs,


Le principal de ces Iaits, celui auquel se rattacheut




tous les autres, consiste aavoir conseillé au Roi les
mesures illégales et inconstitutionnelles consacrées
par les ordonnances du 25 juillet, et ales avoir con-
tresignées. 11 est évident que ces mesures tendaient
achanger arhitrairement et violemment les institu-
tions du royanme. Si elles ont été eonseillées au Roi
par suite d'un concert entre ses ministres, ce con-
cert, attentatoire ala su reté intérieure de I'état, aggra-
verait sans doute leur culpabilité, mais ne change-
rait pas la nature du crime et n'en constituerait
qu'une cireonstance accessoire. CeHe gnerre civile
de peu de jours , grace a la résolution vigoureuse et
au généreux courage des citoyens , les dévastations
et le rnassacre qui en ont été les suites , ne son t en-
core que des circonstances accessoires du fait prin-
cipal. Toutefois, la gravité de ces circonstances est
telle , qu'elles auraient pu seules imprimer le carac-
tere de trahison a des coriseils moins pernicieux, a
des actes moins iliégaux que les ordonnances du 25
juillet , surtout si l'on venait a découvrir que leurs
sanglantes eonséquences avaient été prévues ou pré-
méditées,


Mais en présence des ordonnanees du 25 juillet ,
qui transportaient sans partage la plénitude du pon-
voir législatif au Iloi et ason conseil , sans respeet
ponr la división des pouvoirs publics établie par la
Charte eonstitutionelle; qui dépouillaient arbitraire-
ment et sans jugement un nombre considerable de
citoyens de leurs droits politiquea; qui annulaicnt
ks élections g?nérales rlu rl)yaume, légalement et




( 343 )
I'égllliel'cmcnt Iaites; qui détruisaient la liberté de
la prcsse, el qui remplacaient par les rescrits du
prince et de ses ministres les lois fondamentalcs
qu'elles abrogeaient; ne trouverez-vous pas la tra-
hison flagrante? Etre accusé d'avoir eontresigné de
tels acles, lors méme qu'on ne les aurait pas con-
seillés ; étre accusé de les avoir eontresignés apres
les avoir conseillés, c'est évidemment étre ac~usé
d'avoir commis le erime prévu par l'art. 56 de la
Charte de 1814 Il est inutile de chereher au-dehors
de ee fait des circonstances caractéristiques de la
trahison pour établir la eompétence de la Conr des
Pairs. JI est oiseux de s'enquérir si les crimes prévus
par les articles 9 [ , 109, J 10, J:!3 et 125 du Code
pénal, eommis par des ministres, constitueraient le
crime de trahison. Il existe dans la cause un eorps
de délit manifeste, Ce délit , dont les pieces de con-
viction sont sous les yeux de l'Europe entiére, ne se-
rait prévu par aucune loi , s'il n'était l'ún de ceux
que I'art, 56 de la Charte énonce; et eependant c'est
un des plus graves déIits poIitiques qui puissent au-
toriser J'aecnsation des ministres. Vous n'hésiterez
done pas, indépendamment de toutes les circons-
tances qui peuvent l'environn¡r, a le qualifier le-
galement de trahison , et cette qualification procla-
mera votre eompétenee, puisque, suivant le titre de
l'accusation, MM. le prinee de Polignac ,le comte
de Peyronnet, deChantelauze, deGuernon-Ranville,
de Montbel , d'Haussez , Capelle, ex-ministres, sont
accusés d' élvoir signé les ordonnances du 2.5 j uillet ,




( 344 )
et d'avoir , en les signant , chungé arbitrairement et
violemment les institutions du royaume.


TI nous reste encore , Messieurs, une question im-
portante a examiner. Si la compétence de la Conr
des Pairs comprend les faits et les accusés dans le
cercle tracé par la Charte , peut-elle aussi s'étendre
a tous les intéréts civils , a toutes les conséquences
pécuniaires quc ces faits peuvent entrainer? Cette
question a cessé d'étre pour vous une pure théorie ;
vous étes obligés de la résoudre.


Des parties civiles ont déposé entre les rnains de
votre cornmission des demandes en intervention :
elles rédament de la justice de la Cour des condam-
nations pécuniaires , atitre de dommages et intéréts.
La commission a re¡;u leurs pieces et les a jointes a
la proeédure. V1 se bornait sa mission ; a la Cour
seule appartenait le droit d'examiner sa eompétence,
la qualité et le titre des intervenans,


Il est nécessaire que cet examen ait lieu sans re-
tard , et c'est pour la Cour des Pairs une haute con.
venance de régulariser avant tout la marche de la
procédure ; il importe que sa décision éclaire l'opi-
nion sur" le mérite de ces demandes. L'adrnission de
I'intervention , si on croit devoir la pronol1cel', éveil-
lera les intéréts léséf et permettra de réunir tontes
les demandes analogues. Son rejet épargnera aux
parties civiles des démarches infructueuses , et a la
Cour des discussions tout au moins inutiles, et qui
ne pourraient qu'emharrasser la marche du grand
proces qui vous est soumis,




( 345 )
Nous allons , l\Iessieurs, essayer de Iournir a la


Cour tous les élémens qui peuvent éclairer sa discus-
sion , et lui facili ter la décision qu'elle est appelée a
porter sur cette question, digne de ses méditations
les plus sérieuses.


Et d'abord , Messieurs , si l'on ne s'en référait
qu'aux principes du droit commnn, l'intervention
des tiers pourrait-elle étre contestée? Nous ne le pen-
sons paso


L'article 3 du Code d'instruction criminelle dit, en
effet, que l'action civil e peut étre poursuivie en mérne
tems et devant les mémes juges que l'action publique,
et ron n'apercoit pas au premier .eollp d'ceil ponr-
quoi la juridietion plus élevée qu'exeree la Courdes
Pairs priverait les parties qui se prétendent lésées
d'une faculté qui ne leur serait pas contestée de-
vant une juridiction ordinaire ; mais cette argllmen-
tation ne tornbe-t-elle pas devant un examen plus
attentif?


Nul doute que toute personIle qui se croit lésée
par un crirne ou P::lI' un délit , n'ait le droit, d'apres
I'article 63 du Code d'instruction criminelle, de s'a-
dresser directement au juge instructeur , et de saisir
ainsi la juridiction criminelle par la voie de la plainte.
Ce droit d'action explique tres-bien le droit d'inter-
vention. Comment, en effet, la partie civile ne pour-
rait-elle pas se présenter devant un tribunal corree-
tionel OH méme devant une cour d'assises , Iorsque,
elevan t la premicre de ces juridictions , il lni est pel'-
mis de saisir directemcnt le tribunal , et qu'au gran,l




( 346 )
criminel elle a du moins la faculté de donner I'irn-
pulsion a l'action publique. Le droit d'action de la
partie lésée est alors si incontestable, qu'elle peut
former opposition al'ordonnance de la Chambre du
eonseil, et saisir ainsi , par sa seule volonté, la Cham-
bre d'accusation obligée de prononeer sur sa plainte;
qu'elle peut assister aux débats, y prendre des con-
clusions positives, les soutenir , et aggraver ainsi
la situation de l'aecusé; et qu'cnfin, si ses droits
avaient été méeonnus, et que l'on eüt refusé d'ins-
truire sur sa demande, la prise a partie lui est en-
eore accordée eomme demiere ressource ponr forcer
le ministére public en .retard a donner suite a la
plainte qu'il aurait négligée.


01', c'est préeisément paree que, dans les formes
ordinaires , le droit d'intervention s'explique par le
droit d'action, que, devant la Cour des Pairs , appelée
ajuger les eonseillers de la couronne, l'intervention
est inadmissible. La j uridiction élevée de cette COU!'
prend sa source dans la loi fondamentale elle-méme,
et ne peut étre mise en mouvernent que par la
Chambre éleetive, arbitre suprérne du droit d'action :
la Chambre des Députés n'est pas, comme la partie
publique, dans la nécessité d'agir sur les faits qui Iui
sont dénoncés; elle n'est pas, eomme les juridictions
ordinaires, obligée d'admettre les plaintes portées
devant elle, et de juger leur plus ou moins de fon-
dement: et ainsi , pour rentrer dans les termes ,oigon-
reux de la loi, l'on peut di re que, devant la COUI' des
Pairs , les parties civiles se trouvent écartées par cet




( 347 )
axióme si connu, que le droit d'intervention ne pellt
étre la oú le droit d'action n'existe paso


Il est bien d'autres considérations , Messieurs, qui
viennent, clans le preces actuel, confirmar eette déci-
sion. Devant les tribnnaux ordinaires, aucnn obsta-
ele pe se présente al'exercice de l'action civile; et si,
par exemple , POUl' l'appréciation des dommages dont
la réparation est réclamée, des vérifications ,"t\esau-
ditions de témoins, des enquétes sont nécessaires,
les magistrats peuvent les ordonner et se livrer a
leur appréciation. L'administration de la justice,
dans tous ses détails , est le devoir des tribunaux 01'-
dinaires , le but de leur institution, et leur tems tout
en tier doit 1ui étre eonsacré.


Qui ne sent, au contraire, que la Cour des Pairs,
qui doit avant tout a la société une haute et solen-
nelle justiee, verrait sa marche embarrassée, entravée
par tant d'actions diverses et contraires peut-étre ,
que feraient naitre des plaintes dont elles ne ponr-
rait ni Iimiter le nombre, ni entraver la discussion,
sans porter préjudice au droit le plus sacré de tous,
celui de demander réparation d'un dommage? Qui
ne voit que l'accusation politique dont les commis-
saires de la chambre sont les organes, disparaitrait,
pon!' ainsi di re , au milieu des questions , si norn-
breuses el si graves, dont les interventions seraient
la source? Et eomment, pourtant, juger sainement
ces plaintes, sans entrer dans toutes les appréciations
de détails, sans les considércr dans leur ensemble el
dans leur situation accidentelle et personnelle , el




( 348 )
sans juger enfin par quels licns nécessaires elles se
rattachent a l'accusation prineipale, seule hase de
votre compétence et de votre justiee?


Il est bien d'autres difficultés qui surviendraient
dans I'application, si la Cour des Pairs était obligée
d'examiner les intéréts eivils. Elle n'a rien dans son
organisation intérieure qui la rende propre a cette
nature de travaux , soit le nombre de ses membres,
soit leurs habitudes parlementaires, soit les formes
accoutumées de ses diseussions. On sent déja avee
quelle peine et quelle lenteur la Cour proeéderait au
jugement de ces proces ; quel tems réclamerait leur
examen; quel préjudiLe il en résulterait pOllr les par-
ties lésées, et, ne craignons ras de le dire, ponr l'état
tout entier. La jnstice, pour étre la premiere des obli-
gations de cette assemblée en cour criminelle,n'est pas
le seul devoir de la Chambre des Pairs ; et l'on como
prend combien elle pourrait étre détournée de ses
autres travaux et de ses occupations législatives.


En effet, l'intervention des parties civiles une fois
admise dans les proces politiqnes, le nombre ne pent
s'en calculer. Comment évaluer en effet celui des
hahitans lésés par des calamités qui auront pesé peut-
étre sur une province cntiére ? Chaque citoyen vien-
dra-t-il dernander la réparation des pertes qu'il aura
éprouvées par la mort eles étrcs qui [ui étaient les
plus chers , par l'incendie de ses propriétés ou de ses
récoltes? Tous les malheurs eníin seront-ils une
cause légitime de dommagcs ct intéréts? Mais alors
le nombre des plaiguans He po urra-t-il s'élevcr Ü




( 349 )
plusieurs milliers?Commentles entendre eux et leurs
défenseurs ? Comment pouvoir seulement les adrnet-


,tI'C, et quelle sera la durée d'nn débat oú tant d'in-
dividus sont appelés a prendre une position et á
jouer un role?


Ce n'est pas iei le lieu d'examiner si, lorsque tant
d'individus sont atteints, quand il en est un si grand
nombre qui pourraient dernander des réparations ,
ee n'est pas l'état tout entier qui se trouve alors
lésé; si cen'est pas alui qu'il appartient d'aviser ala
réparation de tant de malheurs, deja demander dans
la mesure qui peu t la rendre praticable , comme
aussi de réparer par d'autres moyens que par des
actes j udiciaires , toujours bornés de leur nature , des
dornmages que lui seul peut constater .er apprécier.
Les tribunaux , juges naturels des parties, seront
appelés a décider ces graves questions, et nous de-
vons nons abstenir ici d'un avis qui pourrait gene!'
leur décision future,


Mais l'intervention serait-el!e jugée possible dans
les accusations politiques, ce n'est jamais devant la
Cour des Pairs qu'elle pourrait étre portée. 11 est
reconnu eneffet par les criminalistes les plus estimes
que le pouvoir judiciaire étant réparti en France
entre les tribunaux civils et les tribunaux criminels,
ceux-ci ne peuvent que par exception se trouver
appelés aprononcer sur une action civile; et personne
n'ignore qne les exeeptions sont de droit étroit: aussi
les tribunaux crimincls ne peuvent-ils connaitre des
actions en dommagcs et intéréts qu'en vertu d'une




( 350 )
attribution spéciale de la 101. Toujours la Cour de
cassation est restée fidele a ce principe. Un arrét le
rappelle d'une maniere tellement précise, que nous
nous sommes décidés a le mettre sous les yeux de
la Cour.


« Considérant que toute action en dornrnages-
JI intéréts est de sa nature une action civile dont la
J) connaissance n'appartient , d'apres les principes
J) généraux du droit , qu'aux seuls tribunaux civils ;
J) que par conséquent les tribunaux criminels ne
J) peuvent en connaitre que dans les seuls cas d'ex-
)J ception précisés par la loi , casse, etc, J)


Ces príncipes s'appliquent tres-bien a la position
actuelle. La Cour des Pairs , investie par la Chnrte
constitutionnelle d' une juridiction criminelle spéciale
et complete quant a I'espece de délits qui fonde sa
compétence, n'a été cependant instituée juge des mi-
nistres que sur le chef ele trahison ou de concussion:
hors de la point de juridiction, et, par conséquent,
point de droit pour statuer sur les demandes qui ont
trait aux biens des ministres accusés devant elle. Ce
sont les príncipes de notre ancien droit franeais.
D'Agllesseall établit, d'aprés les autorités les plus
nombreuses et les plus imposantes, que les tribunaux
privilégiés par la nature du crime on la qualité des
accusés , peuvent bien atteindre les personnes, mais
que leurs jugcmens n'affectent jamáis la fortune du .
condamné.


l]ne derniere réflexion achéverait , s'ilen était
besoin , de démontrer cornbien la COIu' des Pairs




( 35 [ )
differe de celles des juridictions ordinaires , combien
ses droits sont plus restreints. Les COUI'S d'assises
peuvent, aux termes mémes de la loi, méme en cas
d'acquittement ou d'absolution , accorder des dom-
mages-intéréts ala partie plaignante, et dans la vérité,
le juge en qni reside une juridiction universelle pour
statuer sur les intéréts privés, conservedans l'exercice
de la justice criminelle la plénitude de ses droits et
de son autorité. Mais dans I'hypothese de l'acquitte-
ment des ministres, la juridiction de la Chambre des
Pairs s'évanouit tout entiere avec le délit , source
unique de sa compétence; et alors que deviendront
les plaintes des parties civiles, et les démarches in-
fructueuses, onéreuses peut-étre , dans lesquelles
elles ont été entrainées ?


En fin , Messieurs , une derniere considération , plus
décisive que toutes les autres, mais spéciale , nous
devons le dire, ala cause actuelle, et qui ainsi laisse
ala Conr toute sa latitude ponr I'avenir et empéche
méme qu'on ne puisse Iui reprocher d' étre en opposi-
tion avec ses précédens, vicnt achever cette sui te <le
raisonnemens, desquels il semble résulter la démon-
stration la plus complete qu'on puisse désirer.


Le ministere puhlic est absent, et ne doit point
paraitre dans cette cause.


La Cour a pensé qu'il ne pouvait y étre recu ; sa
présence , inutile pour la justice , ne pouvait qu'y
étre pénible ponr la Couronne et ernbarrassante pou\'
MM. les commissaires de la Chambre des Députés. A
ces cornmissaircs appartient, dans cette cause, l'accu-




( 352 )
sntion publique, mais seulement dans le cercle de
leur mandato


01', il est de doctrine que les droits civ.ils des in.
tervenans 11e peuvent se décider qu'en présence du
ministere public , que la loi charge spécialement de
porter la parole dans les affaires de cette nature,
Toutes les fois qne des magistrats civils, ayant com-
pétence ponr connaitre ces sortes d'affaires , les ont
jugées sans entendre les conclusions du ministere
public, la Cour de cassation , gardienne des lois, a
toujours annulé ces arréts. Il n'est pas nécessaire ,
Messieurs , de vous citer les nombreux monumens de
cette jnrisprudence; mais nous croyons devoir re-
mettre sous vos yeux le texte méme de la Ioi.
L'article 58 du Cede d'instruction criminelle porte
« qu'aprés le jugement, la Conr statuera sur-les dom-
» mages-intéréts respectivement prétendus, apres qne
» les parties auront proposé leurs fi.ns de non-recevoir
» on leurs défenses, et que le procureur généraloura
» été entendu.


)J La Cour (dit encere ce mérne article ) pourra
1) néanmoins, si elle le jnge convenahle , cornmettre
') l'un des juges ponr entendre les parties, prendre
» counaissance des piéces el faire son rapport á l'au-
» dience , oú les parties ponrront présenter leurs
)) observations, et oú le ministere puhlic sera en-
» tendu de nOllvean »,


Il y a une grande pensée d'équité dans cette in ter-
vention du ministere pnblic, si l'igolll'CnSernent exi·
gée par la loi.




( 353 )
Spit, en eHet, que le condamné se trouve soumis a


des dommages-intéréts, soit qu'il ait a .en réclamer,
c'est alors qu'intervient le ministére public, organe
impassible de la loi, modérateur des droits et des
passions dan s .l'examen des intéréts privés , eomme
il venait de l'étre dans celui des intéréts géué-
raux.


Ce n'est pas ici un de ees principes étroits, un de
.ees axiomes de proeédure dont la Cour des Pairs peut
s'affranchir ; c'est une des regles fondamentales de
l'ancienne justice de Franse , de cette justiee a la-
quelle tous les peuples ont rendn h.ommage, et qui
a dú une partie de son lustre aux travaux des mem-
lJres du rninistere public appelé a éclairer le magis-
trat et a le diriger dans la voie de la justiee .et de
l'impartialité.


01', pom,le jugement des ministres, il n'existe
point pres la Cour des Pairs de ministere public l'e-
présentant la société ponr toutes les actions crirni-
nelles et civiles. Les députés , par Ieurs eommissaires,
ne le représentent que POUl' une aetion unique,
immense sans doute , l'aeeusation de trahison : mais
hors de la, ils sont sans pouvoir. Ces intéréts eivils,
dans lesquels les eommissaires de la chambre seraient
sans aetion, manqueraient donc de ce modérateur
que doivent réclamer également les accusés etles
parties civiles, et qu'on ne peut leur refuser sans les
dépouiller d'une partie .des garanties les plus impor-
tantes que la loi leur accorde,


Il faut done le dire, Messieurs, si la Cour des Pairs
:l3




( 354 )
manqued'un élément indispensable a la décisiop de
ces intéréts civils, elle est in compétente.


Mais ce n'est pas seulement par respeet ponr les
principes, pour les droits des accusés et des parties
civiles elles-mémes , que vous ne pouvez admettre
Ieur intervention, c'est dans l'intérét du proces ac-
tuel. Vous avez reconnu, en effet, que, dans cette
cause, le concours du ministere public serait non-
seulement inutile mais embarrassant, rnais nuisible.
Vous ne pOllvez admettre, a plus forle raison, des
intervenans, dont le nOlilbre, les droits divers, vien-
draient bien autrement entraver la marche réguliere
du grand preces qui vous est soumis. Tout-se réunit
donc poul' décider que la cour ne peut reeevoir I'ín-
tervention des parties civiles. Si elles ont des droits,
e'est.devant d'autres juges qu'elles devront les faire
valoir.


Nous n'avons pas craint , Messieurs , de donner a
cette grave question le développement dont elle était
susceptible, súrs que tout ee qui pourrait éc1airer
votre religion, et montrer ala France le zele et la sol-
lieitude dela Cour des Pairs pour les victimes de notre
derniere révolution, serait bien aceueilli par vous.


Tel est, Messieurs, le résultat de l'instruction
dont vous nous avez chargé. Nous avons In avec
soin toutes les piéces de la procédure; nous en aVOIlS
extrait' les documens qu' elles pouvaient nous affrir.
Nous avons entendu pres de cent temoins; les accu-
sés ont été interrogés plusieurs fois. Nous n'avons
rien négligé enfin pour obtenir sur chaeun d'eux




( 355 )
les renseignemens qui pouvaienot modifier sa situa-


•tion personnclle.
La signature des ordonnances incrimipées était


hors .de to~e discussion et ne comportait aucune
instructionTpéciale, et nos investigations ont dÓ. na-
turellernent se porter sur toutes les circonstances
accessoires de ce fait principal. .


. Quatre seulement des ministres aécusés sont au-
jourd'hui sous la main de la jnstice , les trois autres
sont absens. Attendrez-vous , Messieurs, ponr juger
les premiers , que toutes les formalités relatives aux
contumaces soient remplies? L'éloignemcnt du domi-
cile de quelqlles-ulls d'entr'eux prolongerait, sans
nécessité , la situation des accusés présens , et peut-
étre trouverez-vous juste de distraire les contumaces
pour les juger plus tard, et de passer immédiatement
au jugement des accusés al'égard desquel~ l'instruc-
tion est complete.


Quelque pénible qu'ait été la mission que nous
avons re<;ue de votre confiance , .nous nous sornmes
efforcés de la remplir avec cette impartialité du ma-
gistrat, a Iaqnclle rcfusent toujours de eroire, d~IlS
les teros d'agitation politique, ceux que la justice
n'a pas servís au gré de Ieurs intéréts ou de leurs
passions. En présence de ces accusés tombés du faite
du pouvoir ,. et sur lesquels pese l'attente d'un si
grand jugement, en présence de la partie outragée
qui demande une éclatante ré.paration et des garanties
pour l'avenir , 1l0US n'avons écouté que notre con-
science , nos devoirs el la vérité.




( 356 )
La Cour, apres asoir entendu ce rapport a rendu,


a huit dos l'arrét suiva-nt :
ce La Cour des Pairs , etc .




Vu la résolution adoptée par la Cha~re des Dé-
putés , le 28 septembre dernier, lad~ résolution
transmise a la Chambre des Pairs, par un message
du 30 da méme mois ;


Vu l'arrét de la Cour des Pairs du 4 octobre der-
nier;


VU les requétes d'intervention afins civiles, dépo-
sées dans le cours de l'instruction par Marie Elisa-
beth Gottis, veuve Crussaire et autres;


ÚUI, en la séance de ce jour, M. le comte de Bastard,
en son rapport des examens de pieces et complé-
ment d'instruction auxquels il a été procédé en vertu
dudit arrét; •


Les commissaires de la Chambre des Députés en-
tendus;


Apres qu'il a été donné lecture par le greffier des
ordonnances du 'J5 juiilet , insérées au Moniteur
<.In 26; e •


Et aprés en avoir délibéré ;
Vu les art. 55 et 56 de la Charte de 1814, lesquels


sont ainsi con<¡ns :
fe Art. 55. La Chambre des Députés a le droit d'ac-


» cuser les ministres et de les traduire devant la
)} Chambre des Pairs , qui, seule , a celui de les
» juger.


) Art. 56. Ils ne peuvent étre accusés que poul'
» fait de trahison et de concussion. Des lois particu-




( 357 )
» lieres .spécifieront cette nature de délit et en dé-
)) termineront la poursuite. ))
. Considérant que, par la résolution de la Chambre
des Députés susdatée , les sieurs de Polignac,. de
Peyronnet, Chantelauze, de Guernon-Ranville,
d'Haussez , Capelle 'et de Monthet, sont aceusés et
traduits devant la Cour des Pairs pour faits de trahi-
son. , eomme ayant conseillé et eontresigné lesdítes
ordonnances du 25 juillet;


Considérant que, tant a cause de la qualité des
personnes que de la nature des faits qui leur sont
imputés , la Cour des Pairs est seule competente pOU\'
les juger;


Coosidérant aussi que, dans le proces porté de-
vant elle par la résolution de laChambre de.'> Dépu-
'tés, la Conr des Pairs , a raison de la nature de l'ae-
tion et des formes dans lesquelles cette aetion est
poursuivie , ne se trouve pas eonstituée de maniere
astatuer -sur des intéréts civils;


J.Ja Cour ordonne que Anguste-Jules Armand-Ma-
rie , prince de PoJignae , ancien ministre des affaires
étrangeres , président du conseil ,agé de 50 ans, né
aParis ; Pierre-Denis , eomte de Peyronnet, ancien
ministre de l'intérieur , agé de 52 ans, né aBordeaux;
Jean-Claude-Balthazar-Victor de Chantelauze, aneien
ministre de la justice, agé de 43 ans , né a Montbr-í-
son; Martial-Come"'Annibal-Perpétue.Magloire, eomte
de Guernon-Hanville , ancien ministre de l'instr;lction
publique, clgé de 43 aus , né aCaen; d'Haussez , an-
cien ministre de la marine; Capelle , ancien ministre




( 358 )
des travaux pnblics, et de Montbel, ancieuministre
des finances , seront pris an corps et traduits dans la
maison du Petit-Luxemhourg , que la Conr désigne
pour servir de rnaison de j ustice pres d' elle; sur les
registres de laquelle maison ils seront écroués par
tout huissier de la Cour sur ce .requis ;


Ordonne que la résolution de la Chambre des Dé-
putés du 28 septembre dernier sera annexée au pré-
sent arrét , po ur le tout étre notifié tant achaeun
des accusés détenus qu'aux accusés absens , mais
sans que l'instruction de la contumace a l'égard de
ces derniers, puisse retarder le jugement des détenus;


Ordonne que les déhats s'onvriront an jour qui
sera ultérieurement indiqué par le président- de la
Cour ; de laquelle indication il sera donné connais-
sanee au moins dix jours a l'avance tant '3. MM: les
commissaires de la Chambre des Députés qu'a cha-
cun des accusés présens ;


Déclare que dans lesdits débats ne seront appelés
ni recus aucun. intervenant ou parties civiles, tous
leurs droits réservés ponr se pourvoir , s'il Y a lieu ,
ainsi qn'ils aviseront ;


Ordonne que le présent arrét sera transmis au
garde-des-sceaux, ministre secrétaire-d'état an dé-
partement de la justice, pour qu'il en procure l'exé-
cution, »


Lelendemain, 30 novembre, M. le baron Pas-
quier rendit l'ordonnance suivante :


Nous , t~tienne-Denis, baron Pasquier ,Pair do France ,
président de la Cour des Pairs ,




v u I 'aITel de la cour en date d 'hier ;
Avons orrlonné el ordonuons ce qui suit :


Les débats du preces suivi devantla Como des Pairs, en
vertu de la résolution de la Chambre des Députés du 28 8ep-
tembre dernier-, s'ouvriront le rnercredi, 1,5 décembreprochain,
adix heures du malino •


11 sera immédiatcmcnt donné connaissance de la presente
ordonnance a MM o les commissairos de la Chambre des Dé-
putés. Elle sera uotifiée aux accusés présens.


Fait au palais de la Cour des Pairs , le 30 novembre 1830.
PASQUIEH.


Le 10 décembre , a cinq heures du matin , le mi-
nistre de l'intéríeur, accompagné da général Fabvier
et des -comrnissaires MM. Alphonse Foy, Joubert,
Thomas et Ladvocat , partirent en voiture pour se
rendre aVincennes. Les troupes qui devaient former
l'escorte étaient art-ivées.


Les formalités ponr I'extradition des prisonniers
ayant été remplies , les huissiers de la Chambre des
Pairs ont exhibé l'ordre de translation. A~ors le gé-
néral Daumesnil a livré les prisonniers.


M. de Chantelauze était malade , et , sur les obser-
vations du général Daumesnil , il n'a pu étre trans-
porté, Deux voitures contenaient les ministres et les
cornrnissaires; le ministre de l'intérieur était ache-
val, a la tete du cortege.


A huit heures moins un quart , MM. de Poliguac,
de Peyronnet et de GuerIlon-Ranville, sont arrivés
au LuxemLourg, et ont été déposés dans le local qui
leur était destiné. La route qu'ils ont pal'conrue,




( 360 )
en partant de Vincennes, est celle du faubourg et
de la rue Saint-Antoine, et des boulevards intérieurs.
Une assezgrande affluence de curieux s'était gortée
sur les différens points de leur passage, mais l'atti-
tude du peuple a été calme, et telle qu' on devait rato
tendre de sa générosité.


Un témoin oculaire a été frappé de I'extréme
maigreur de M. de Polignac; M. Guernon et M. de
Peyronnet déguisaient malleur abattement.


L'eseorte était composée de vingt-einq hommes de
la garde nationale acheval; de quatre-vingts hommes
du Be chasseurs, et vingt artilleurs; M. de Monta.
livet , ministre de l'intéríeur , et M. Carbonel , com-
mandaient l'escorte.


Le méme jour, vers einq heures du soir, le général
Daumesnil a amené, sans aucune eseorte, M. de Chan-
telauze, dans sa voiture. L'ex-garde-des-sceaux mono
trait heaucoup d'hésitation avenir ainsi , sans appa-
reil militaire, asa prison nouvelle, mais il s'est rendu
enfin al'évidence, se confiant surtout ala parole du
généraI dont la loyauté égale la hravoure.


Ainsi s'est terminée fort paisiblement cette trans-
lation complete. Nulle agitation ne s'est maniíestée
dans les esprits depuis l'arrivée des prévenus , la
population de Paris saura observer, nous l'espérons,
pendant tout le proces , ce maintien calme et grave
digne de la capitale de la nation la plus civilisée de
l'Europe.




( 361 )


COUR DES PAIRS.
l'a'¡¡SlDl:llCl: DI: ... LE BAIlOlI l'ASQUIER.


-.....


SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE 1830.


Au dehors, des sept heures du matin , les gardes
nationales , la garde municipale et les troupes de
ligne, se croisent en tous sens , et se rendent aux
divers postes qui leur sont assignés. Toutes les ave-
nues de la Cour, toutes les rues adjacentes, sont en-
tierement libres; pa4i un seul attroupement, pas le
moimlre brnit. Le calme est aussi complet a l'exté-
rieur qu'il pourra l'étre a l'intérieur dans le cours
des mémorables débats qui vont comrnencer.


A neuf heures senlernent les portes de la salle
sont onvertes au petit nombre de citoyens munis de
cartes d'entrée; ils arrivent successivement et sans
encombrement , sans précipitation. Dans la tribune
destinée aux dix billets accordés au barreau , on re-
marque Me Delacroix-Franville , qui, malgré son
grand age ~ se trouvait un des prerniers dans la salle;
a cóté de lui est assis Me Parquin. Dans la tribune
publique, placée immédiatement d~rriere le bureau
de M. le président, on apercoit MM. Audry de Puy-
raveau, en uniforme de colonel d'état-major de la




362 )
garde nationale.; de Saint-Cricq, Pavée de Vandoeuvre,
Cassagnoles, Isambert , Sappey, députés; Aclocque
de Sain t-André , ex-colonel de la 1 1e légion.


Le hureau de M. le président est placé ala gauche
des membres de l'assemblée, qu'il domine apeine.'


En face de la Cour, et dans l'espace ordinairement
occupé par la tr ibune des orateurs et par le hureau
du président , on a construir une estrade divisée en
trois comparfimens ;-l'extrémité la plus rapprochée
du siége el u président , est réservée aux accusés et a
leurs défenseurs; l'autre extrémité contient les sié-
ges destinés aux quatre cornmissaires de la Chamhre
des Députés; le milicu forme u,nc tribuno P.ll-
blique.


Immédiatement derriere les accusés se trouve la
plus vaste trihune , qu'occuper..t les citoyens; c'est
contre la faible estrade de cette trihune que sont
adossées les quatre chaises destinées aux ex-minis-
tres. Dans cette partie du public , et le plus prés pos-
sible des accusés , on remartlue M. le duc de Guise,
et un peu plus loin MM. Anatole de Montesquiou et
Sosthene de Larochefoucault. Aucunc dame n'a été
adrnise dans la. salle.


Des fauteuils préparés devant ceux de MM. les
pairs de Franee, paraissent avoir une destination par-
ticuliere. On y remarque de bonne heure le général
Daumesnil.


Deux huissie~s de la Chambrc des Pairs apportent
les pieces de la proeédure; elles forment plusieurs
liasses tres-volurnineuses qui sont déposées sur une




( 363 )
"t


table dans le corridor , agauche du hureau de lVI. le
président.


A dix heures un quart on voit ar;iver dans la salle,
par la porte située a la droite de l'assemhlée, quatre
hommes en habit noir, précédés de quatre gardes mu-
nicipaux , a la tete desquels marche le capitaine
Bailly, chargé de la garcle des prisonniers : ce sont
les accusés. Aussitótstous le~ regards se porten t sur ,
eux , et un silence profond s'établit. M. de Polignac
marche le premier; derriere Iai et a trois pas de dis-
tance, s'avance M. de Peyronnet ; viennent ensuite
MM. de Chantelauze et de Guernon-Ranville. Ils
montent Ú. l'est1'ade qui lepr est indiquée, et prennent
place dan s le mérne ordre; pas un seul homme armé
n'est aupres d' eux. Au-dessus de leurs tetes, ~t parmi
les spectateprsvon apercoit les épaulettes d'un gre-
nadier , de trois chasseurs, d'un voltigeur , d'un ser-
gent et de deux capitaines de la garde nationnale ,
qüe le hasard a placés immédiatement derrierc les
accusés, On remarque dans l'auditoire deux per-
sonnes i~connlles, qui lenr touchent affectueuse-
ment la main; l'une d'elles surtout (e'est un jeune
homme en habit noir), s'entretient continuel1ement .
avec M. de Polignac.


En ce moment, MM. Laffitte et Casimir Perrier en-
trent dans la salle, oú.Ils sont l'objet de l'attention
publique. lls s'assoient sur les fauteuils disposés de-
vant ceux de la Cour.


Presqu'au méme instant , deux gardes municipaux
montent ven; les accusés, les engagent ñ les suivre ,




( 364 )
el les emménent hors de la salle, Un vif mouvement
de surprise se manifeste dans l'assernblée , oú l'on se
demande quel peut étre la cause de cette mesure inu-
sitée, Bientót onapprendquel'ouverture de la séance
éprouve quelque retard, paree que les commis-
saires de la Chambre des Députés ne sont pas encoré
arrivés.


A dix heures vingt minutes , les quatre accusés
sont de nouveau introduits, et dans le méme ordre.
M. de Polignae tient a la main un chapeau , dans le-
quel se trouvent plusieurs papiers; il est pále et ta-
citurne. En passant dansl'enceinte circulaire , il tou-
che la main au général Dal!ffiCsni1. M. de Pey,'onnet,
dont la-figure est tres-sérieuse , s' efforce de souri re;
!\l. de Chantelauze pa1'3lt souHl'ant; M. de Guel'non-
Ranville, qui a tous les' dehors d'un je'.me homme,
porte toutefois dans ses traits quclque chose de som-
bre et de méditatif


Peu d'instans apres l'entrée eles accusés , sont In-
troduits les témoins, parmi lesquels on remarqHe
MM. de Chabrol, de Courvoisier 7 de Sémonville , le
génér al Gérard, Bayeux, Plougoulm ct quclques au-


. tres, qui prennent place a coté de MM. Laffitte et
Casimir Perrier.


Bientót apres on introduit MM. de Martigllac,
Mandaroux - Vertamy, Hennequin, San zet et eré-
mieux ,suivis d'autant de secrétaires. Ils s'assoient
sur 'deux banquettes recouvertes de velours violct ,
et de maniere que chacun , des défenseurs se trouve
placé devant-son client. M. de Martignac est en hahit




( 365 )
noir , et porte le granel cordou de la Légion-d'Hon-
neur ; tons les autres défenseurs sont en robe d'avo-
cat, et, sous celle da Me Crémieux , on apercoit l'u-
niforme de garde nationnal.


A dix hcures trente-cinq minutes, un huissier an-
nonce l'entrée de la Cour. Aussitót l'assemblée se
leve, et le plus profond silence regne dans toute la
salle. MM. les pairs, ayant aIeur tete M. le président
Pasquier , s'avancent d'un pas lent et grave, et pren-
nent place successivement dans le plus grand ordre.
Chacun se rend au fauteuil qu'il occupe ordinaire-
ment , a l'exception toutefois de MM. de Bastard ,
Pontécoulant et Séguier, membres de la commission
d'instruction , qui s'assoient ~ coté du bureau du
président.On remarque que MM. Decazeset Por-
jalis ont quitté aussi leur place ordinaire pour se
placer pres de MM. les membrcs de la commission
d'instruction et du bureau du président,


A peine la Cour a-t-elle pris siége, qu'on introduit
MM. les commissaires chargés de soutenir I'accusa-
tion. M. de Bérenger est entre ses deux collegues ,
M. Persil et M. Madier de Montjau , qui se trouve le
premier du coté des accusés. 11s portcnt tOI1S trois
l'ancien costume de députés , sur le collet duquel
toutefois des brcderies el] argent ont remplacé les
flenrs de lys.


.llI. le président : La séance cst ouverte, ( Profond
silence). Je vais d'abord adresser aux accusés les
questions d'usage sur leurs noms , prénoms, quali-
tés, age et domiciles,




( 366 )
D. Prince de Polignac, veuillez me dire quels sont


vos nom , prénoms , age qualités et domicile?
1l. (Se levant.) Auguste-Jules-A\"mand-Marie, prince


de Polignac, pair de France , agé de cinquante ans,
né aParis.


JJ1. le président, Asseyez-vous.
D. Comte de Peyronnet, quels sont vos nom, pré


norns, age, qnalités et domicile?
R. (Se levant,) Pierre-Denys, eomte de Peyronnet,


agé de cinquantedcux ans, né a Bordeaux, domicilié
a Monferron. '


Dans l'interrogatoire qu'on m'a fait subir, j'ai fait
des protestations et des reserves devant les commis-
saires de la Chambre des Députés et devant la Corn-
mission de la Chambre des Pairs, Je crois de mon de-
voir de rcmettre sous les yeux de la Chambre ces pro:
testations, et je me flatte, M. le président, que vous
voudrez bien les faire eonsigner au preces-verbal.
Puis-je espérer quil en sera ainsi? »


lJL le président. Oui , Monsicur.
(M. de Peyronuet s'asseoit.)
D. M. Guernon de Ranville, quels sont vos nom ,


prénoms , age, lieu de naissance et domicile?
R. (Se levant,) C6me-Apnibal-Perpétue-Magloire,


comte Guernon de Ranville, ex-ministre et député
de Maine-et-Loire , agé de quarante-trois ans , né a
Caen.


Mon intention , Mi le président, est de faire des
réserves et des protestations comme M. le comte de




( 367
Peyronnet, et de demander qu'elles soient insérées
au proces-verbal. ))
1U~ .le présidcnt, Asseyez-vous,
D. M. de Chantelauze, quels sont vos nom, pré-


noms , qualités , profession, age, lieu de naissance P
R. Je m'apelleMartial-Jean-Claude-Baltbazar-Vic-


tor de.Chantelauze, agé de quara~te-trois ans, ancien
ministre de-la justice, né a Montbrison.


le renouvelle mes protestations et mes réserves ,
comme dans mes préoédens interrogatoires. )


]J;I le président, Monsieur le greffier faites I'appel
nominal.


Le greffier appelle lVI:.\'I. les pairs dans l' ordre
suivant:


Le baron Pasquier , le due de Mortemart, le duc
de Fitz-James, le due de Valentinois, le du~ de Cler-
mont-Tonnerre, le due de Choiseul, le due de Broglie,
le duc de Montmorency , le duc de Maillé , le duc de
Laforce, maréchal de Tarente, maréchal de Reggio,
le marquis de Marhois , Je comté Cornet, le comte
Du Puy, le marquis d'Abaneourt, le comte Klein,
le cornte Lemercier, le eomte de Monbazon, le comte
Péré, le comte Soulés, le .duc de Castries , le duc de
Doudeauville, le due de Brissac , lemarquis d'Aligre,
le marquis de Boissy du Coudray, le baron Boissel
de Monville, le marquis de Castellane , le comte de
Centades, le. duc de Caraman , le comte Compans,
le comte de Durfort, le marqnis de Biron, le marquis
de la Guiche, le comte d'Haussonville , le marquis de
Louvois , le comte Molé, le marquis de Mun, le mar-




( 368 )
quis d'Orvilliers , le marquis de Raigecour, le mar-
quis de Rougé, le comte de Ricard, le comte de
Rully, le baron S'éguier, le marquis de, Talaru, le
marquis de Vérac, le comte de Linch, le marquis
d'Osmond, le comte de Noé, le duc de Sabran, le
comte de la Roche-Aymon, le dnc de Massa, le duc
de Dalberg, le duc. Decazes, le comte Lecouteulx de


'Canteleu, le comte d'Argout, lebaron de Barante, le ,
comte Becker, le comte Belliard , le comte de Béren-
gel', le comte Claparede, lecomte Chaptal, le marquis
de Catellan, le duo de Cado re , le comte Cornudet,
le c?mte d'Arjuzon, le marquis de Dampierre , le vi-
comte d'Houdetot, le baron MOllnier, le comte Mol-
Iien , le comte de Marescot , le' comte dé Pontécou-
lant, le .comte Reille, le comte Rampon, le comte de
Sparre, "le marquis de Saint-Simon, le maréchal de
Trévise, le marquis de Talhouet, le vice-amiral comte
Truguet, le vice-amiral comte de Verhuel, le mar-
quis d'Angosse, le marquis d'Aramon, le comte Cer-
miny, le comte d'H unolsjein , le comtc de Latour-
Maubourg , le prince duc de Poix, le comte de
Montesquiou, le cnmte de La Villegontier ~ le mar-
quis d'Aragon, le baronDubreton, le comte Mathieu
de la Redorte, le maréchal de Conégliano, le maré-
chal Jourdan, le comte de lVI:ontalembert, le comte
Bastard , le marquis de Pange , le comte Portalis , le
comte Fabre de l'Ande, le duc de Praslin , le mar-
quis de' Vence, le duc de Crillon, le duc de Valmy,
le duc de Coigny, le baron de Bernonville, le comte
Siméon, le comte Portal, le comte Boy , le comte de




( 369 )
Yauul'enil, le eomte de Saint-Priest, le eomte de Tas-
cher , le eomte de La Garde, le marquis de Morte..
mart, le vieomtede Molitor, le eornte de Bordesoulle,
le eomte Bourke , le eomte de Puységur , le eornte
d'Haubersaert , le eomte d'Orglandes, le eomte de
Courtavelle, le eomte de Breteuil , le vicomte Lainé,
le marquis de Rastignac, le eornte el'Anibrugeae, le
eomte de Vagué, le rnarquis deCoislin, le comte De-
jean, le comte de Riehebaurg, le due de Plaisanee, le
vicomte Dode , le vicomte Dubouchage , le eornte
Davonst, le rnarquis de Maleville, le duc de Feltre, le
duc de Brancas , le comte de Sussy, le cornte Cholet,
le eornte Boissy·d'Angbs, le duc de Montebello, le
duc de Noailles, le cornte Lanjuinais, le marquis de
la Tour-du-Pin-Montauhan , le rnarquis de Laplace ,
le duc de Larochefoucault, le comte de Chabrillan ,
le duc de Beaumont, le eomte Clérnent-de-Ris, le vi-
comtc Ségur-Lamoignon, Le duc d'Istrie , le comte
Abrial, le rnarquis de Lauríston , le rnarquis de
Brézé, le dne de Périgord, le comte de Saint-Au-
laire, le marquis de Crillon, le dnc d'Avaray, le
eomte Donaticu de Sesmaisons , le eornte de Ségl1r,
le due de Hichelieu , le comte de Sainte-Suzanne ,
le marquis Sauvaire - Barthélerny, l'amiral baron
Duperré, le marquis d'Aulx Lally, le due de Crussol-
d'Uzes.


:MM. les Pairs qui viennent d'étre nomrnés sont
tous préscns.


/U. le Président : J e vais fai¡'c connaitre a la Cour
les exe~ses des memlires absens.




( 37° )
Ce sont MM. le duc d'Aumont, le prince de Bau-


fremon t, le dne de Bellune, de Boisgelin, du Cayla,
Choiseul-Gonffier, duc de Duras, Eyrnerv, comte de
Laforest, prince de la Trérnouille, Mor-el de Vindé,
Pelet de la Lozere , de Tournon, de Traey, de Van-
ban, baron de Laroehefoueauld, Vauhois , qui tous
produisen t des certificats (le médccins , attestant
qu'ils sont retenus pour cause de maladie ou d'in-
firrnités , ainsi que M. le maréchal l\Iaison, ambas-
sadeur a Vienne, et M. le duc de Dalmatie , ernpéché
par des travaux extraordinaires.


11I. le Président, MM. les défenseurs- des accusés
connaissent les dispositioris de l'article 221 du Code
d'instruction criminelle , je les leur rappelle,


M. le gl'effier donne lecture de la résolution de la
Chambre des Députés , qui accuse de l;aute-trahison
MM. de Polignac, de Peyronnet, Chantelauze, Cuer-
non de Ranville , de Montbel, d'Haussez et Capelle ,
ex-ministres signataires des ordonnances du 25juillet,
et de l'arrét de la CUlII' des Pairs.


l1I.le Président , aua: acct/sés. Vous venez d'en-
tendre que vous étes accusés eomme signalaires des
ordonnances du 25 juillet. Vous allez entendre les
charges qui seront produites contre vous a l'appui
de l'accusation.


La parole estaMM. les commissaires de la Chambre
1 "0' ,l.es . eputes.







frl. Bérenger, conunissaire de la Chambre des
Députes.


Pairs de France, la résolution de la Chambre des
Députés dont vous venez d'entendre la leeture, pré-
cise J'accusation portée contre.les derniers ministres
de Charles X.


Délégués et organes de cette Chamhre , nous ve-
nons, au nom du pays, vous demander justiee de la
violation de nos lois, du renversement de nos)nsti-
tutions, du sang de nos citoyens.


Nulle provoeation ne justifiait ces attentats; les
lois étaient ohéies , les mazistrats respectes; nos
jeunes soldats répondaient aux appels : malgré quel-
ques réclamations sur les exercices, les impóts se
recouvraient facilement; les élections venaient de se
faire avec calmej.jaloux de leurs droits, les citoyens,
amis d'une sage liberté, s'étaient montrés partont
pénétrés de leurs devoirs, ou si quelqne part l'ordre •
avait été troublé dan s les coJléges électoraux, le re
proehe ne pouvait en. étre adressé qu'au parti
paur [equel le Gouvernement réservait toutes ses
faveurs.


C'est au milieu d'une tranquillité. si rassurante
pour la Couronne, tranquillité dont les violences mo-
rales exercées sur les électeurs reJevaient encere le
mérite et le prix, que les fatales ordonnances de
juillet furent promulgnées.


La presse périodique détruite; la censure rét-blie;
les opórntions des coJlégp:,; Jnda'~iel1sem('nt annnlées


;




( 3?~¡ ,
SbU5 la forme d' une dissolutiou de la Chambre des
Députés; nos lois électorales abrogées et remplacées
par un vain simulacro d'élections ; la force des armes
inhumaíncmentemployée pour comprimer l'indi-
gnatÍon et pour assurer le succes de ces désastrenses
mesures; voilá les crimes dont la réparation est due
au pays.


Mais plus la nation a droit ace que la réparation
soit éclatante, plus il Iui importe que le haut tribunal
qui est appelé a la prononeer soit indépendant el
libre ~ s'il pouvait cesser de l'étre; s'il y avait sur lui
une apparence mérne légere d'oppression, sa déci-
5io11 ne serait pas un jugement; la France , l'Europe,
la postérité lui en contesteraient le caractére.


Messieurs, c'est dans votre courageuse énergic,
c'est dans la droiture de vos consciences et dans le
souverain pouvoir que vous tencz d~ la constitution,
que le pays aime atrouver aujourd'hui ses plus fortes


.gal'anties; il les trouverait encare, au besoin, dans
eette généreuse population de Paris, qui, si grande
aux jours da danger, achevera son ouvrage en
protégeant vos délibérations et en fais3n! res-
pecte!' votrc arrét ; elle sait que son hanneur y est
engagé.


Le grand actc qui se prépare va dore nafre révo-
Iution , et ce sera un spectacle imposant aoffrir au
monde que celui d'une nation qui, apres avoir rnon-
tré le plus sublime courage dans la conquéro de ses
droits, apparait calme, confiante et pleine de dignité j .
lorsqlle'!C mornent est "cm! de demander a la loi ,




( 373 )
«t d'obtenir des magistrats , la pnnition de ses
offenses.


Nous requérons qú'il soit procédé a l'interroga-
toire des ministres accusés , et a l'audition des
témoins.


.lJí.1e..président. M. le greffier faites J'appel des té-
moins cités ala requéte de MM. les comrnissairesde
la Charnbre des Députés et ceux appelés 5111' la de-
mande des défenseurs,


Témoins ap,pelés sur la demande des commissaires
de la Chambre des Députés.


MM. le comte de Chabrol-Crussol , de Courvoisier,
Joly, de Mauroy, Dclaporte, Pilloy Greppo, Letour-
neur, Pérusset, Ilayez, Courteille , Boniface, Ducastel,
Billot , Lecrosnier, Musset , Vicornte de Champagny,
Arago, de Guise, harón de Saint-Joseph , de Komie-
rowski, de Glandeves , Bayeux, marquis oe Sérnon-
ville, eomte de Saint-Chamans, de Foucauld, Laffitte,
Casimir Périer, maréchal Cérard, de Tromelin, eomte
Chabrol-Volvic,


Témoins appelés sur la demande des défenseurs.


MM. Baudesson de Riehebourg, Barbé, Galleton,
Plougoulm, Petit, Féret, Baugé , Turgot, Terricr ,
1\lasson.


111". le président. Huissier , condnisez les témoins
dans la salle qui leur est destinée.


lrJ. le président. Prince dn Polignac, vo LIS COJ~




( 37q )
naissez l'accusation portée centre vous et les charges
sur lesquellcs repose cette accusatio n. 11 importe,
pom la manifestation de la vérité et pour la clarté
du débat qui va s'ouvrir , que vous présentiez vos
explications sur chacun des faits que le débat est
destiné a éclaircir, .


Appelé au ministere le 8 aoút 1829, depuis quelle
époque connaissiez-vous la volonté du.Roi Charles X
avotre égard?


31. le Prince de Polignac. Je ne l'ai connue que
sept á huit jours avant d'entrer en fonctions.


D. Est-ce vous qui avez présidé ala fc>rmation du
ministere ? - Quelques personnes m'avaient été
désignées, deux entre autres que j'ai présentées au
RoL


D. Quelques démarches nouvelles n'ont;elles pas
. été faites pour engager M. de Chantelauze a faire
partie de ce ministere? - R. Non.


D. Avait-on arrété al'avance le plan de conduite
qui devait étre suivi par le ministére P- R. Non


D. Quels furent les motifs de la retraite de M. de
Labourclonnaye?-R. Lanomination d'un président
du eonseil.


D. Par quiM, Guernon de Ranville fut-il proposé
au Roi pom entrer au ministere ?- R. le l'ignore :
le Roi, medonna l'ordre de faire connaltre aMo Guer-
non de Ranville ses intentions a son égard.


D. Le discours prononeé par le Roi a l'ouverture
des Chambres, le 2 mars dernier, avait-il été délibéré
en consei.l?- R. Oni.




( 37:í .:
D. ~ud PU était le' rédacteur?-R, Je tic. puis


le dire,
D. Je crois du devoir de la justice de vous inter-


l'oger surtout cequi peut tendre a l'eclaircissement
de I'affaire soumise a la Cour , et que vous devez y
répondre ; je pense que ce devoir est encore plus
rigonreux pOllr vous lorsqu'il s'agit defaits qui peu-
ventintéresser vos co-accusés? --,-R. Je suis lié, comme
tous les nrembres GU cabiner, par le serrnent, de ne
rien divulguer de ce qui était agité dans le conseil;
je ne puis répondre a ceci, si ce n'est que les
devoirs que j'ai a remplir, je les connais aussi,


D. La réponse c/u Roi a l'adresse de la Chambrc
des Députés avait-elle été discutée en conseil? - R.
Oui.


D. Quel en était le rédacteui-? - R Je l'ignore.
D. Quels furent les motifs qui déterminerent la


prorogation de la chambre? - R. Le Hoi desira pro-
roger la chambre ponr avoir h tems de calme!' les
esprits.


D. La prorogation donna-t-elle matiere a une
longue discu ssion da ns le ~onseil? - R. Oui.


D. La dissolution de la Chambre des Députés ri'a-
t-elle p~s des-loes été arrétée dans le conseil? _ R.
Non, ce ne fut pas a cette épOqllC.


D. A l'époque ou la dissolution fut prononcée,
cette mesure donna-t-elle líen a de longnes discussions
dans le eonseil?-R. Je ne puis le dire.


D. Quels furent les motifs qui déciderent leminis-




( 37G )
tere ala pronoDeer ?'- R. Le desir d' avoir unecham-
bre qui entrát mieuxdans ses intentions.


D. Quelles furent les raisons qui, a cette époque,
déterminerent ,MM. de Chabrol et de Courvoisier a
se retirer du ministere ?~R. Ce furent des dissen-
timens qui n'avaient pas trait ades modificatio~Js de
I'art. 14 de la Charte, .


D. Ces deux ministres ne donnerent-ils pas leur
démission, paree qu'ils eurent connaissance dé la
direction qu'on voulait donner aux affaires? - 1\.
Aucune direction nouvelle n'avait été proposée; au-
cune discussion n'avait par conséquent eu lieu a ce.
sujeto


D' Cependant n'auriez-vous pas vous-méme pro-
posé une nouvelle direction dans le cas oú la nO~l­
velle ehambre n'aurait pas répondu.a votre attente ?
-.- R. Je n'avais proposé aucune nouvelle direction.
Je n'avais soumis au conseil aueun projet a eet
égard.


D. M. de Courvoisier n'a-t-il pas dit qu'un minis-
nistere sans majorité devait se retirer, et que si cette
opinión ne prévalait pas, il ne pouvait faire partie
du conseil?-R. Oui,


1).La retraite de MM. de Conrvoiser et de Chabrol
ne fut-ene pas des-Iors une affaire eonvenuc?-R Je
ne sais quelles furent leurs intentions a cet égard;
mais la dissolution paraissant arrétée , ces rnessieurs
préférent se retirer. .


D. Par qui fut proposée an ROl l'entrée au conseil
deMM. Pevronnet , Chantelauze et Capelle? - R. Je
.", , .i




( " '~-'77 )
l'ignore. Je fis savoir aces messieurs quelle, était l'iu-
tention du RoL


D. Quels étaient les motifs qui détorminerent
ces choix P_ B.. Le desir de renforcer le minis-
tere d'orateurs hahiles pour se présenter devant les
chambres.


D. Quels furent les motifs de l'ordonnance du 13
juin qui ajourne, pour quelques départemens , la
réunion des colléges électoraux? - R C'était, autant
que je puis me le rappeler, dans l'intention d'appli-
quer aux difficultés qui s'étaient élevées en matiere
d'élections, uneloi antÚieure qui autorisait le renvoi
ala cour d'assises des questions de ce genre. Comme
le tcrme n'était pas assez long, nous crúmes devoir
le prolonger, afin que Ies Cours pussent examiner les
points en litige.


D. Quels furent les motifs qui déterrranerent le
conseil a proposer au Roi de s'adresser directement
aux électeurs, par Id, proclamation du 13juin? cette
proclamation fut-elle discutée au conseil?- R. Cette
proclamation fut discutée au conseil. La chose
d'ailleurs n'était pas nouvelle.


D. Quel fut le rédacteur de cette proclamation?-
R. Je l'ignore.


D. N'est-ce pas vous qui l'avez contresignée?-R,
Oui, c'est moi.


D. Pourquoi ne le fut-elle pas par 1\~. le ministre
de l'intérieur , dans le département duquel rentrc
plus spécialement ce qui est relatif aux élections :.'
.Z- R..le l'aisignée comme président du cO~lseiL




( 378 )
D. N'eut-on pas recours ades manceuvres illégales


pour amener les électenrs a choisir les candidats du
rninistere? - R, Je n' ai pas co nnaissancc que de telles
manoeuvres aient jamais été employées,


D. Des injonctions, des menaces, des promesses ne
. furent-elles pas faites au pres des Ionctionnaires pu-
blics?-R. Non.


D. Le secret des votes ne fut-il pas violédans pltl-
sieurs colléges?-R. Jene le crois pas, mais si cela
eút existé c'eút été centre l'intention du ministere,


D. Des instruotions avaient-elles éte données POUI'
empécher de pareilles manceuvres? -R. Sans doute.


D. Lorsque le résultat des élections vous cut dé-
montré que vous ne pouviez rester constitutionneIle-
ment ala tete des affaires da pays qui. VO~lS repous-
sait , quelles résolutions avez-vous prises? - Mes
défenseurs répondront a ces questions.


D. A quelle époque fnt concue la pensée des or-
donnances du 25 juillet? - R. Huit ou dix jours
avant leur signature.


D. Cette pensée ne se rattaeherait-elle pas a un
plan de conduite plus ancien? -- Il. Aucuncment.


D. La note écrite de votre main, avant le (5 avril ,
'et que nous vous représenterons si vous le jugez né-
cessaire , ne j ustifie-t-elle pas cette supposition? -
R. Oui , jedesire la voir. (Apres avoir parcouru
cette note que M. le président íait mettre sous ses
yeux. ) Cette note est le résumé d'un rappol't que
j'aurais des iré trouver dans les pieees, et je n'y vois
d'ailleurs rien qui puisse justifier l'attention toute




( :)7~
spéciale dont elle est l'objet. Le rapport auquel a
trait cette note aunonce au contraire l'intention du
ministere de rnaintenir toute.la Charte; que sa sus-
pension rnornentanée cút contribué a rendre plus
immuable encore. n résulterait donc de cette piece
que l'intention ferme , la volonté du ministere était
de ne pas sortir des formes tracées par la Charte ,
jusqu'a ~n moment qu' on ne pouvait pas prévoir ;
je le répete , c'était l'intention du ministere ,c'était la
mienne.


M. de Perronnet. Le rapport, acet égal'd, était
explicite.


M. le présideat. Comte de Peyronnet, chaque ac-
cusé doit parler áson tour.


Une phrase , citée dans ce rapport , a frappéfat:
tention des ptlrsonnes qui vous interrogent.


hI. de Peyronnet. Voudriez-vous alors , M. le pré-
sident avoir- la cornplaisance de Jire latotalité du
rapport.


JJ1. de .'11artignac. Ce résumé ne suffirait pas; il
serait a desirer que M. le président voulút bien le
confier a la défense , attendu qu'il se rattache aun
mémoire qu'il faudrait lire en entier,


D. Par qui la proposition, dont'es ordonnances
ont été les conséquences, fut-clle d'abord faite au
conseil? - R. Cette proposition fut examinée , dis-
cutée. Je ne puis faire connaitre son auteur.


D. Plusieurs séances ne furent-elles pas employées
acette discussion. - R. Quelques-unes.


D. Quels furent les mernbres du conseil qui s'op-




( 380 )
poserent ason adoption. - R. Chacun appOl'h't :\u
conseil sonopinion qu'i] fit valoir.


D. Quels furent les motifs qui firent adopterdéfi-
nitivement cette mesure? - R. Mon défenseur en-.
trera dans les détails.


.D. Par qui fut rédigé le rapport au Roi sur les 01'·
donnances de juillet? - R. Par un membre du
conseil.


D. Cette rédaction fut-elle discutée en conseil. -
R. Oui.


D. Ce rapport ne fut-il pas signé par vous et par
tous les autres ministres? _ R. Oui.


D. Par qui fut rédigé l'ordonnanee relativo a la
presse périodique ? -; 1\, Je n'ai rien a dire , rien a
répondre a eet égarrl,


\ "
D. Fur-elle discutée en conseil ? - R. Oui,
D. Ne fut-elle pas contre-signée par vous et par


tous les ministres? - R. Oui.
D. Par qui fut rédigée I'ordonnauce relative aux


électeurs ? - R. Je ne puis le dire.
D. Fut-elle discutée en conseil ? - R. Oui.
D.Ne fut-elle pas contre-signée par vous et pal'


•tous les ministres ? -. R. Oui. .
D. Le plan général des ordonnances et l~ur rédac-


tion particuliere avaient-iIs été arrétés en conseil
avant d'étre souruis au Roí? - R. NatureUement
ríen n'était presenté au Roí avant d'étre diseuté
dans le conseil , et iI Y donnait son approhation.


D,· Les discussions qui s'étaient elevées dans le




( 3th)
conseil préparatoire se renouvelerent-elles devant le
Hoi? -Je ne puis le dire.


D. Quelques personnes étrangeres au conseilau-
raient-elles été mises dans la eonfidence des mesures
qui se préparaient ? _ R; Non.


D. Les ordonnances une fois signées, le ministere
s'occupa-t-il de moyens d'exécution ? - R. Non,
pnisqu'on ne prévoyait pas de résistance.


D. Ne fut-il pas question d'étahlir d~s tribunaux
extraordinaires dans le cas ou Ia justice ordinaire se
refuserait aapPvyer l'exécution des ordonnances ?
-R. Jamáis.


D. Des précautions n'a vaient-elles pas été prises
pou!' appeler une force militaire capable de surmon-


. ter toutes les résistances? _ R. Il n'y eut pas d'au-
tre force militaire que eelle de la garnison de Paris ,
qui méme ne fut pas augmentée.


D.Comment se fait-il que l'ordonnance quiconfie
au duc de Raguse le commandement dés troupes de
la premiere division, ait aussi la date du 25 juillet,
_noDepuis longtems on sollicitait pour le maréehal
le commandement de la premiere division. Le Roi
avait ajourné sanomination ; je-I'obtins enfin quel-
ques jours avant les ordonnances.


D. Ne faites-vous pas eonfusion avec des lettres
de ser-vice et le commandement plus spécial des
troupes. Le eommandement dontil s'agit ne parai-
trait-il pas donné non' comme gouvernenr de la divi-
sion , mais comme major de serviee qui commandait
nlors la gunle royal". - R. Mon intention était de




( 38~ ) .
lui faire avoir des lettres de service comme gouver-
neur de la premiere división.


D. Les autorités civiles de París, le préfet de la
Seine et le préfet de police, furent-ils prévenus offi- .
ciellement de la signatúre des ordonnances, - R.Ils
ont dú l'étre.


"D. Furent-ils invites aprendre les mesures néces-
saires pour assurer la tranqulllité de la capitale, -
R. Cela a dti étre.


D. Cette invitation leur fut-elle adressée avant la
signature des ordonnances. - R. Gela a dti étre,


D. Le procureur génér~l et le procurcl1r du roi
furent-ils avertis? - R. Oui.


D. Le commandant 'de la place tut-il prévenu P --
R.Cela a dü étre.


D. Des instructions furent-elles données au coro-
mandant de la place et :UlX- divers fonctionnaires
pour les cas de résistance qui pouvaient se prévoir ?
-- R. Ces moyens d'exécution ne me regardaient paso


D. l"ut·ii rendu compte au Roi clamo la journéedu
lundi de l'impression produite sur la population par
la publication des ordonnances? -- R. J''ai vu tres-
peu de monde dans la journée du 26. Je n'obtins pas
de renseignemens tres-positifs.


D. Ne fútes-vous pas prévenu des derniers rassem-
blemens qui eurent lieu ce jour-la au Palais-Hoycl ?
- R. J'en eus connaissance seulement acinq heures
du soir. Ce jonr-lá ils ne íurent pas considérables.


n. Ne sont-ce pas les rassernblemens qni enrent
lieu prés dt' l'hótel du ministre des affaires ótrnn-




( 383 )
ghe~ qui vous firent demander que la place Ven ..
dome fút occupée par 500 .hommes ? - R. Je crus
avoir besoin de quelques troupes pour protég'er
mon hotel. •


D. Le Hoi ne fut-il pas informé par vous de ces
prerniers mouvemens? - H. Pas le méme-jour : il
étair trop tard ; mais le lendemain.


D. Le conseil ne délibéra-t-il pas sur la de.nsion a
prendre , dans le cas o~ les troubles viendraient a
s'accroitre le lendernain ? - R. I1 n'y eut pas con-


•seil ce jour-Iá.
D. Le mardi , en votre qualité de ministre de la


guerre, ne donnátes-vous pas des ordres ala gar-
nison ? - R. Aucun


D. Vous étes-vous concerté a ce sujet avec M. le
préfet de police.· - R. Non, je n'avais aucun rap-
port avec le préfet de police.


D. Ce magistrat vous a cependant écrit le 27, ce
qui ferait supposer que vous lui donniez des ordres P
- R. Je ne lui-ai donné, je le rép éte, aucun ordre,


D. N'avez-vous pas en quelques conférences avec
le procurenr du Hoi , relativement a la saisie des
pl'esses des journaux qui paraissaient sans autorisa-
tion? - R. Non, cela ne-me regarclait paso


D. Aviez-vous pris toutes les précautions néces-
saires pOUI' que cette saisie s'opérát sans trouble?
- R. Cela ne me regardait pas davantage.


D. N'avez-vous pas été a Saint-Cloud dans la jour
née du mardi. - R. Oui,


D. A quelle heure, le mardi, avez-vous été instruir




( 334 )
d{~stroublcs- qui se sont manifestés ? -'- H, Ce futa
midi on une heure que ces troublesavaient en lieu
m1 Palais-RoyaL


D. Ne vous a-t-il pas été fait raprort que plusieurs
chefs d'áteliers avaient renvoyé leurs ouvriers? _
R. On m'en a parlé.


D. N'avez-vous pas en connaissance de la protes:.
tation insérée dans quelques journaux le 27. - R.
Je l'ai appris par les papier~ publics..


D. N'avez-vous pas donné l'ordre de faire arréter
les auteurs et les signataires de cette protestation ?
- R. Non.


D. N'avez-vous pas su que cet ordre avait été
donné par d'autres ministres, et en a-t-il été question
au conseil ?'.-,- R. Non;
D~ N' est-ee pas par votre ordre <in?ont ea lieu les


premiers mouvemens de troupes.opérés par la gen-
darmerie et la garde royale. - R. Non; une des prin-
cipales charges de l'accusation qui pese sur moi ,
c'est le reproche qu'on me fait de n'avoir pas con-
couru de tous mes moyens pour arréter l'effusion
du sang , et c'est de tous les reproches eelui qui me
tonche le plus vivement. J'espere qu'il ressortira de
ce débat que j'ai fait tout ce que j'ai pu Ilour faire
retirer les ordonnances, dont , plus que personne,
j'ai déploré les conséquences malheureuses. Je crois
répondre ainsi a ce reproche que je repousse.


D. N'avez - vous pas donné ou fait donner aux:
tronpes l'ordre de dissiper les rassemblemens qui se
présente raientdevant elles? - H. Je l'Ppctf' que je




( 365 )
n'ai donné aucun ordre a cet égard. Ces moyens
d'exécution regardaient le maréchal, commandant la
division.


D. Mais dans les instructions que vous avez sans
doute données a la force publique, avez-vous re-
commandé que, dans les eas prévus par laloi de 1791,
l'usage des armes fut précédé des sommations vou-
lues par cette loi ? - R. Ces sommations ont dú étre
faites par les commissaires de poliee; quant ace qui
concerne la force armée, j'ai entendu M. le maréchal
donner des ordres pour ne tirer sur les rassemble-
mens que si on faisait feu sur la troupe.


D. D'apres les sentirnens que vous exprimez et
les regrets que vous manifestez, ne serait-ce pas
vous qui auriez signé l'ordre pour que la garde
royale assuyát cinquante coup de fusil avant de tirer.
- R. Je n'ai pu donner aucun ordrc de ce genre:
tous les pouvoirs étaient alors coneentrés dans les
mains du maréehal; on ne pouvait obéir qu'a lui.


D. Vous repoussez done toute participation aux
ordres militaires qui auraient été donnés, Vous re-
poussez sans doute aussi un autre ordre donné au
I er bataillon du ler régiment de la garde royale , et
qui portait ces mots: Tirez partout oú vous vou-
drez et ou vous pourrez. _ R. De méme que je n'ai
pu donner aucun ordre rigoureux , de méme je n'en
ai pas donné qui ne le fút paso


D. Vous a-t-on rendu compte des premiers enga-
gemens qui ont eu lieu aux environs du Palais-
Royal? - R. Oui , dans la journée du mardi ; rnais
~5




e386 )
ce n'était pas nn eompte officie1. Plusieurs personnes
ven~ient achaque instant me donner des détails ,
mais aucun officier ne pouvait eorrespondre offi-
ciellement avec moi.


D. A quelle époque l'attaque a-t-elle commencé?
Avez-vous connu le nombre des personnes tuées ?
_ R.Non.


D. Avez-vous sn qne ce jour-lá plusieurs houti-
ques d'armuriers avaient été enfoncées a la suite de
quelques engagemens? - R. On me l'a dit.


D. Avez-vous été informé qne le feu avait été mis
au corps-de-garde de la Bourse ? -R. Oui, on me
l'a appris.


D. A quelle henre avez-vous connu ces évene-
mens P - Le mardi aune heure.


D. Avez-vous connu la réunion des députés qui
s'est tenue chez M. Casimir Périer, le 27? _R. Nul-
lement.


D. N'avez-vous pas en connaissance de la protes-
tation redigée , en leur nom, par MM. Dupin, Gnizot
et Villemain? - R. Je ri'en ai en connaissance que
le lendemain.


D. Avez-vons rendu compte an Roi des évenemens
de la journée dumardi? - R. Je rédigeai un compte
exact de tont ce que j'appris, et je l'envoyai an Roi
le mardi soir.


D. N'avez-vous pas en des conférences avec le ma-
réchal ? - R. Oui ; et il m'a dit qu'il verrait le Roi
dans la journée.




( 387 )
D. N'est-ce pas vous qui avez provoqué la réunion


qui a eu lieu le soir a votre hotel? - R. Oui,
D. La, par qui a été proposée la mise en état de


siége de la ville de Paris ?-R. Je ne puis le dire,
D. Cette mesure n'a-t-elle pas été l'objet d'une


longue discussion? - R. Elle a été discutée en
conseil.


D. Quels sont les memhres du conseil qui s'y sont
opposés? - R. Elle a été adoptée.


D. QueIles raisons I'ont fait adopter? _ R. Mon
défenseur entrera dans ces explieations.


D. A-t-ilété question , dans ee conseil, de l'établisse-
ment de conseils de guerre, eomme conséquence de
I'état de siége? -R. Non.


D. La résolution de la mise en état de siége avait-
elle été définitive le mardi, ou provisoire, c'est-á-dire
subordonnée ala continuation des troubles du lende-
main?-R. Elle n'était pas définitive,


D. A quelle heure vous étes-vous rendu le rnercredi
aSaint-Cloud Pc-s-B. A cinq heures.


.D. Vous aviez sans doute re~u, avant d'y aller , de
nouvelles informations sur l'état de Paris : rendites-
vous compte au Roi de ces renseignemens avant de
lui proposel' de signer l'ordonnance de mise en état
de siége?-R. Oui.


D. Avez-vous informé sur-le-champ de la mise en
état de 'siége ?-R..Oui.


D. Les autorités civiles en ont-ellesété prévenues a
l'instant mérne? Avez-vous pris les mesures néces-
saires pour que cette ordonnance füt portée ala con-




( 388 )
naissance des habitans de Paris? - R. Je me suis
borné á remettre l'ordonnance entre les mains du
maréchaI.


D. Est-ce avec VOI1S seul ou avec le conseil que le
maréchal de Raguse devait se mettre en rapport?-
R. Ni avec moi, ni avec le conseil.


D. S'il en est ainsi , comme vous l'avez dit dans
votre précédent interrogatoire, l'administration civile
et militaire passait dans les mains de M. le maréchal;
il y avait cependant encore l'action supérieure du
Gouvernement que vous n'avez pas dú croire étre
dessaisi. Expliquez-vous sur ce point? - R. Le ma-
réchal avait le commandement en chef


D. N'avez-vons pas demandé aM. de Champagny
des renseignemens sur l'organisation des conseils
de guerre quand une ville est en état de siége. - R.
le lui ai demandé des renseignemens sur la législa-
tion acet égard, et que je ne connaissais pas.


D. A quelle époque et dans quellieu lui avez-vous
demandé ces renseignemensi'-c-R. Le mercredi matin,
a Saint-Cloud. Je me suis trompe en disant, dans
mon interrogatoire, que je ne I'avais pas vu.


D. A quelle heure, le mercredi, avez-vous quitté
l'hótel des aífaires étrangeres ?-R. A 2 heures de
l'apres-midi.


D. Quels motifs vous ont déterminé aquitter votre
húteP-R. Lesrasscmblemens étaient fort nombreux
et la défense de I'hótel était tres-difficile.


D. Avez-vous fait connaitre cette détermination




( 389 )
aux autres ministres? - R. 11s n'ont pas tardé a en
étre instruits.


D. A quelle heure les autres ministres sont-ils ar-
rivés al'état-major?-R. Aprés rnoi.


D. Avez-vous été informé exactement des mouve-
mens militaires qui s'exécutaient , et du progres de
la résistance de París? Une fois placé a l' état-major
de la place, ces informations vous sont-elles par-
venues plus directement?-R. Elles ne me sont pas
parvenues directement.


D. N'avez-vous pas tenu .le Roi au courant de ce
qui se passait a cet égard. - R. Non. Je n'écrivis au
Roí qu'a onze heures , et jusque-lá je n'avais connais-
sanee d'aucun fait positif.


D. Avez-vous conféré, dans le jour, avec les autres
ministres sur les évenemens qui sepassaient P-c-H.
Quand nous nous trouvions ensemble, nous causions,
mais nous n'étions pai< réunis en conseil, J'ai déjá
dit qu'il y avait des ministres, mais plus de mi-
nistere.


D. Par qui avez-vous appris que des députés
étaient venus chez le maréchal ? - R. Par lui-
méme.


D. Vous a-t-il rendu un compte exact et détaillé
de l'objet de lenr dé marche ?-R. Je dois entrer dans
quelques détails acet égaf(~.Aussitót qne j'ens appris
que ces messieurs étaient allés chez le maréchal , de-
sirant leur parler, j'expédiai un officier d'état-major
pour les retenir, Je fis alors demander le maréchal;
il vintrnedire queI était le but de la visite des députés




( 390 )
et leurs conditions, qui étaient le retrait immédiat
des ordonnances et la démission du conseil. Je ré-
pondis que je ne pouvais pas prendresur nioi de re-
tirer les ordonnances; mais que j'en référerais au 'Roi.
Ces messieurs desiraient me voir ; comme je n'avais
pas d'autre réponse a leur faire, et qu'il m'eüt été
assez désagréable de la leur donner moi-méme, je ne
les vis paso Ils sortirent et rencontrerent l'officier qui
avait re<;u l'ordre de les faire attendre un momento
Cet officier remplit son message; il les pria d'atten-
dre et vint me prévenir. Je conférai quelques instans
avec le maréchal, Voyantque je n'avais rien aajouter,
je fis príer MM. les députés de ne pas attendre plus
longtems. On a mal interprété eette circonstance.
On a dit que j'avais refusé de les voir; la chose n'est
pas exacte; j'ai au contraire desiré de les voir ; mais,
comme je l'aidit, l'embarras me prit,et c'est Ie seul
motifde ce prétendu refus.


D. Ainsi, e'est parsuite de l'embarras oú vous vous
trouviez pour le retrait des ordonnances , que vous
vous étes déterminé a ne pas recevoir ces députés?
N'avez-vous pas.d'autrepart, employé tous vos efforts
poul' faíre retirer ces ordonnances, et obtenir Ieur
retrait aussitót que cela vous a été possible? La Cour
voudrait connaitre quelle est plus particuliérement
la nature des efforts que vous avez tentés pOOl'
arriver a ce résultat.- R. Le mercredi a sept heures
du matin, deux pairs sont venus chez M. le Maréchal.
Au souvenir de ce qui s'était passé la veille et a la
vue des événemens du moment, je pris sur-le-champ




( 39 1 )
la résolution d'aller aSaint-Cloud recevoir les ordres
du Roi. Aman arrivée, j'entrai chez le Roi accompagné
de M. de Peyronnet. La, je rapportai á S, M. toutce
que j'avais appris, et , en lui offrant la démission du
ministére, je lui proposaí de rapparter les ordon-
nances. MM. de Sémonville et d'Argaut étaient aussi
aollés aSaint-Cloud pour Iortifier le Roi dans les in-
tentions que nous avions cherché a éveiller en lui.
Je dois dire que le retrait des ordonnances et le
changement da ministere étaient déja une chose
arrétée dans l'esprit du Roi. Je préparai S. M. a la
visite des deux nobles pairs. Une heure aprés la dé-
marche de ces messíeurs, démarche qui rendít plus
certaine et plus prompte encore la résolution royale,
les ordonnances étaient rapportées 'et la démission
du ministere était acceptée,


D. N'avez-vous pas cru devoir informer plus partí-
culiérement vos collegues de cette démarche, de ce
que vous aviez cru devoir dire auRoi el de la réponse
de S. M.? Le conseil n'a-t-il pas délibéré dans ces
instans critiques sur ce qu'il avait a faire?-R. Le
conseil ne put délihérer , puisque nous étions séparés
les uns des autres. \


D. Le soir du mercredi le conseil ne délibéra-t-il
pas sur les mesures aprendre pour arréter l'effusion
da sang, etapres les démarches faites aupres de vous
par des députés et des pairs, ne pensátes-vous pas
qu'il serait a propos de eompaser un nouveau mi-
nistere Pc-. Le maréchal ne m'a jamáis parlé que du
rappart des ordonnances.




( 3~2 )
D. VOUi avez dit, dans votre interrogatoire du 2.5


novernbre que, quinze joursavant la signature des
ordonnances, vous aviez exprime au Roi Charles X,
le desir de vous retirer des affaires. N'auriez-vous
pas alors exprime ce desir plus vivement, lorsque la
nature de la demande faite par les députés vous
prouva j usqu'a quel point vous vous étiez trompé
sur leur compte ainsi que sur celui d'un granel
nombre d'excellens citoyens qu'on représentait saus
cesse comme voulant renverser la Charte et la dy-
nastie? R. Je n'ambitionnais nullement d'étre mi-
nistre; J'ai plusieurs fois offert ma dérnission an Roi,
il ne jugea pas a propas de l'accepter. J'en parlai
encore a S. M.qninze jours avant la signature des
ordonnances. Pour vous dire précisément qu'il me
soit venu dans l'idée de donner ma démission, je ne
le pourrais.


D. N'est-ce pas vous qui avez donné l'ordre d'ar-
réter un certain nombre de personnes?-R. L'ordre
fut donné par le rnaréchal. Il y avait sur la liste
qu'il en avait dressé des noms que je ne connais-
sais mérne pas. I1 parait que cet ordre fut retiré' une
heure apres. .


D. N'est-il pas étonnant que M. le maréchal
ait pris cette résolution sans avoir-, en quelque sorte
obtenu votre approbation? _ R. Il n'en avait pas
besoin.


D. Savez-vous si ce sont les démarches qui furent
faites par les députés qui déterrninerent le maréchal
~ suspendre cet ordre?_R. Induhitablement icar il




( 393 )
me sernble avoir entendu dire que plusieursdéputés
se trouvaient sur eette liste.


D. N'avez-vous pas dit , en apprenant que des
troupes deligne commencaient aprendreparti poul'
le peuple, que dans ce eas il faudrait tirer sur la
ligne?-R. Je n'ai pas tenu ce proposqui ne se trouve
que dans la déposition deM, Arago.


D. Avez-vous fait part a vos collegues de la dé-
marche que les députés avaient faite aupres de vous?
-R. Nous en avons parlé ensemble?


D. Avez-vous écrit au Roi, ou -envoyé quelqu'un
pour lui porter ces détails?-R. Oui, j'ui envoyé ces
détails au Iloi,


D. Avez-vous recu une réponse du Roi?-R. Des
sentímens d'honneur et de respeet m'empéchent de
répondre.


D. Vous pouviez ccpendant assembler vos col-
legues en eonseil et délibérer apres la jOlll'Ilée du
mereredi sur les événemens graves qui avaient lieu
et sur les informations plus 011 moins exactes qui
:vous arrivaient de tous cótés P - R. Il n'y a pas
eu de conseil tenu; nous causions seulement en-
semble.


D. Le soir du mercredi, avez-vous vu le maréchal
et De vous étes-vous pas concertés sur les moyens les
plus propres aarréter l'effusion da sang ?-R. Nous
ne connaissions pas exactement toute la gravité des
circonstances et nous ne savions quel parti prendre,
Nous espérions toujours que tont se calmerait.'


D. Avez-vous en quelques communications avec




( 394 )
Saint-Cloud dans la nuit du mercredi au jeudi?-
R. Le soir , a onze heures, une personne partit
pour Saint-Cloud et nous la chargeámes de faire
part au Roi des informations dont nous étions en
possession,


D. Fútes-vous informé de bonne heure de ce qui
se passait le jeudi, et de l'impossibilité d'arréter le
mouvement?-R. En allant chez le maréchal, j'appris
ce qui se passait,


D. Est-ce par votre ordre que la Cour royale avait
été mandée aux Tuileries ?-R. Non .


. D. Cette mesure n'avait-elle pas été arrétée en
conseil ?-R. Non.


D. N'avait-elle pas été arrétée dans les conversa-
tions dont vous parliez tout-a-l'heures-i-R. Non.




( 395 )


TABLE ANALYTIQUE
DES MAnERES


CONTENUES DANS LE PREMIEH VOLD:\lE.


Page,


INTRODUCTION.· 6


Lettre de ~1. de Polignac a M. le baron Pasquier. 8


Arrét de la Cour des Paírs , autorisant l'arrestation
des ex-ministres. 10


Tableau des votes émis par les députés , pour et
contre l'accusation des ex-ministres. J:a


Lettre de lU. Lafflte , au présídent de la Cour des
Pairs , annoneant la résolutíon de la Chambre des
Députés , décrétant d'accusation les ex-ministres. 13


Arrét de la Chambre des Pairs , déc1arant qu'elle se
constitue en Cour de justice, 14


Délíbératíon de la Cour des Paírs , relativement a
ceux de ses membres qui s'abse~teraient pendant
les débats. 15




( 396 )


CHAMBRE DES DEPUTES.


Rapport de M. de Bérenger (séance du 25 !ep-
ternbrev ) :.5


PREMIER INTERROGATOIRE


Subí par les accusés decani la Commission de la Chambre de¡
Depuiés ( 28 aoút 1830. )


1\1. le prince de Polignac.


lH. le comte de Peyronnet.


l\'l. le comte de Guernon-Ranville.


M. de Chantelauze.


DEUXIEME INTERROGATOIRE.


(9 septembre 1850. )


M. le prince de Polignac.


M. le comte de Peyronnet.


M. le oomte de Ouemon-Itanvllíe.


lU. de Chantelauze.


INTERROGATOmE


75


11I


91


Subi par les accusés decantla Commis.líon de la Cour des Paírs
( 26 octobre 1850.)


M. le prínce de Polignac.
1\1. le comte de Peyronnet.
M. de Chantelauze.


1'1. de Guernon-Ranvillc.


121




DÉPOSITION
DES PRINCIUUX TÉMOIN5.


M. Dominique-Franeois-Jean ARAGO, membre de


l'Institut. 161


M. Achille-Francols-Nícolas DE GUISE, chef de ba-
taíllon. 167


Ce témoin a déposé les deux pieces suivantes .:


10 Ordrc de 1\'1. le marquís de Choiseul a M. le gé-
néral comte de WaH. 171


2° Lcttre du duc de Ilaguse au Roi. 17:1


~I. Ccorgc-Félíx Baveox, ex-avocar generala la Cour
royale de Paris. 174


Ce témoin a déposé les pillees suivantes :


1° Lettre de !\l. de Chantelauze a M. le procureur-
general. 185


2° Ordonnance du Rol, portant mise en état de síege
de la ville de París. 186


M. Camille GAILLARD, ex-juge d'instructíon pres le
tribunal de premiere instance de la Seíne. 187


M. Jean-Francois Cyr BILLor, ancien procureur du
roi pres le tribunal de premíere instance de la
Seine, 189


M. Louis de KOIIUEROVSKI, anclen aíde-de-eamp de
M. le maréchal , duc de Raguse, J 9.)




( 398 )
tI. Jacques LAFFITTE, présídent du conseil des mi-


nistres. 11)8
M. Ceorges-Francoís-Pierre , baron de GLUlDEVEs,


pair de France, :102


M. Casimir-Pierre PÉRIEII., député. 204
M. Francoís l\!.A.UGUIN, député. :l07


M. Auguste- Gaspard Baudesson de RICHl!BOVIlG,
commissaíre de la Bourse. :109


M. Joseph Booasa.conseiller á la cour de Cassatíon. 211


Ce témoin a déposé la piece suivante :
Lettre de M. GuerDoD de Ranville au témoin. 212


ltl. Victor-Donatien MUSSET, chef de bureau de la
justice militaire. 2 14


M. Jean-Baptiste GREPPO, employé a laCaisse d'E-
pargnes. 215


M. Franeoís SAUVO, rédacteur en chef du MODiteur. 216


1\1. Jacques-Martín L1S0IRE, artiste círíer. 216


M. Joseph Jor.r , marchand de vins, aParis, 217


M. Albert-Louis-Félix-Eugene de MAURay, officier
de sapeurs du génie , en retraite. 218


1\1. Jacques-Jean , vicomte de FoucAu~T,colonel de
l'ex-Gendarmerie de Paris. 220


M. Loup-Gustave-Alexandre, vicamte de VIVIEN,
ex-sous-aíde-maior général de la cí-devant garde
royale. 1I23


M. Charles-Jean-Louis de SA1NT-GERMUN, ex-líeu-




( 399 )
tenant au troísiéme régíment d'infanteric de 1'ex,


garde. 226


M. Franeois-Isidore DE BUIlI, capitaine au troisiéme
régiment d'infanterie de l'ex-garde. 230


M. Louis-Julien DlILAUNAY, officier en demí-solde, 255
M. Alfred-Amand-Robert de SAINT-CIlAMANS, offi-


cier-général.


1\1. Nicolas-Charles-Louis-Stanislas-lUarie NOMPEB.E,
vicomte de CHAMPAGNY, anclen sous-secrétaíre
d'état au département de la guerre.


Liste des autres témoins entendus, mais dont les dépo-
sitions , peu importantes, n'ont point été insérées dans
ce recueil. 247


CHAMBRE DES PAIRS.
Rapport de M. DEBAST!RD , un des commissaires


chargés par la Cour des Paírs, de l'instruction du
preces des ex-ministres (Séance du 29 novembre
1830 ).


PREMIERE PARTIE. 250
DEUXIEnIE PA,RTIE. 3J3
TnÚISIEME P.lRTIE. 335


Arrét de la Cour des Pairs, qui disjoint de la cause
les contumaces, pour étre jugés plus tard ; or-
donne que les ex-ministres seront traduits dans
la maison du Petit-Luxembourg; ordonne qu'au-
CUlI intervenant ou parties civiles ne seront appe-
lés ni recus , et Iaísse a son présídent le soin de
f¡xer le jour de l'ouverture des débats. 356




( 400 )
Ordonnanee de M. Pasquíer, qui, eonformément iI.


I'arrét ci-dessus, fixe au 15 décembre, l'ouverture
des débats,


COUR DES PAIRS.
SÉANCE DU 15 DÉCEMBRE.


Interrogatoire de M. de Polignac.


NOTA. Le prospeetus n'a pas promis le procés
complet; nous ignorions et le publie aussi quel serait
le nombre de matériaux nécessaires ace eomplément.
400 pages ont été promises, elles sont livrées. Pour
eompléter l'ouvrage il faudra au moins 25 feuilles;
nous le garantissons. Il importe done que les sous-
cripteurs renouvellent, s'ils veulent avoir eette
deuxieme et dcrniere partie.


:rIN DU pn~MIE:R. VOLUME.




7--,( )
--"':"-'


PROCES
DES


. EX -MINISTRES.




lUPRlldllBJE VII GCE'fICRY, lIUB LOUII-U-GJUl'ID, N" 55.












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PROCES
DES


DERNIERS MINISTRES
DE CHARLES X ,


MM. DE POLIGJ.IlAG, DE PEYROJ.llNET, CHANTELAUZE,
. GUERJ.IlON·RANVILLE, MONTBEL, D'HA[)SSEZ


ET CAPELLE


.ORNÉ DU PORTRAIT DES PRÉVENUS;


PAR


17l'fE socliri D'BOMME5 IMPAaTIAUX, SOUI LA DIRECTION DE


TOME U.


2llPari5,
AU BUREAU DES ÉDI'l'EURS,


RlTE DES VINAIGRIERS, N' 19 BIS,
Au eoin de celle Albouy, Faubourg St-Martin.


1850




~ --,


"
.


..


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CODR DES PAIRS.


(COl'fTI~l1.A.TIOl'f J?E LÁ SÉüCE BU [5D5cEHBIll: 1830.. )


'""
..... 0-


Suite deLinterrogatoire de M. de Polignaa.:


M. le Président. Quand M. de Sémonvilleet
M. d'Argout se présentérent a -l'état-major, que
vous demanderent-ils ?


M. de Polignae. .Le rapport' des ordonnances et
notfe démissíon.


D. N'avez-vous pas résisté au desir que mani-
festaient ces Messieurs de se rendre a Saint-Cloud
pour éclairer le Roi sur la véritahle situation del
affaires? - R. Je n'ai opposé aucune résístance.


D. Apres .avoir entendu MM. de Sémonville et
d'Argout, ne vous retirátes-vous pas avec vos col..
legues, en votre conseil, suivant l'expressíon dont
vous.voudrez vous servir, pour en délihérer , et




( 6 )
quels.furenr les u',is.J;xprimé.s dans ectte réuuion?
-R. 11 n'y a pas en de conseil. Je suis ar-rivé le pre-
miel' a l'état-major. J'ai vu le premier M. de Sémon-
ville, Mes collegues sont venus presqu'immédiate-
ment aprés. Quand nous avons connu ce qui s'était
passé la nuit et la veille, nous nous sornmes dit sur-
Ie-champ qu'ilfallait aller aSaint-Cloud pour éclairer
le Roí. . . ¡ .


D'. Quand vous rutes arrivé a Saint-Cloud , fites-
vous connaitre au Roi tout ce qui s'~ait passé?-
R. Aussitót que j'arrivai a Saint-Cloud, je déclarai
au Roi que je ne pouvais 'rester ala tete des affaires,
et que le retrait des ordonnances devait avoir lieu im-
médiatemente., ~e Roí panJt avoir .déja,arrété dan s
sa pensée le rapport des ordonnances et notre dé-
mission , ce qui n'empécha pas, j'en suis sur, que
¡\!. de SémonviHe ne le fortifiát davantage dans cette
résotntion. .'


.D. N'avez-vous pasen aSaint-Cloud, au Trocadéro,
une entrevue avl,lc M. de Sémonville, auquel vous
auriez demandé si' onne'poUl'raif'pasdisposer de
la Chambre des Pairs? Expliquez-vous, Quels étáient
vos projets sur la Chambre 'des Pairs ? que vouliez-
vdus'enfaire et en obtenir i"- R. Je De peux pas
avoirdit cela.


D. N'y a-t-il en aucune ()ppositio~ au retrait
des ordonnances, de votre part et de celle de vos
collégues ?-R. Ilen fut délibéré dans le eabinetdu
Roi.:


D.Ne fnt-il pas distribué , les :A8 et 29, de l'argent




( 7 )
aux troupes pour les engager a soutenir la lutte?
N'est-ce pas par les ordres du Roi que cette distri-
bution a eu lieu. -R. Il n'y a pas eu distribution
d'argent le 28. Le !Ag au matin, je sais qu'il a été dis-
tribué aux troupes qui se trouvaient dansle Car-
rousel, une somme de 4OH 500 mille francs: J'ignore
qui l'a donnée, et qui l'a reeue pour la distribuer, et
si cet argent a été tiré du trésor.. " .'
, n: GepeI1dantb'estM.d~Mo:ntbelqui asigné I'or-
d~nnaIice. bOÍJiment expliquer que eette ordon-
nance relativo a des dépenses de la guerre, n'ait pas
été autorisée par' vous, qui remplissiez le ministere
de la guerrepar intérim.-c-H. Je n'ai pas donné d'ordre
a.cet égard; si cet ordre m'eút étédemandé, j'aurais
refusé.


D. N'a-t-il pasété donné ordre aux troupes des
eamps de Saint-Omer et de Lunéville de se diriger
sur Paris? Quel était votre but?--'-R. J'ai recul'ordre
de dissoudre les deux camps le jeudide midi.~ une
heure. .,' .'" .. " ".; .
:'(L'audienceest suspendue a deux heures , et re.'


prise vingt minutes apres pour proeéder al'interro-
gatoire de M, de Peyronnet.)
..M. le président. Comte de Peyronnet , vous COIl-


naissez l'aeeusation portee centre-vous et les char-
ges sur lesquelles eette, accusation s'appuye. 11 im-
porte, pour la manifestation de la vérité et la faci-
lité du débat qui va s'ouvrir , que vous présentiez
~ explications sur chacun des faits que le débat
est'liestiné aéclaircir,




( 8 )
D. Avez-vous su connaissanee, longtems avantle


t 8 mai, .que vous deviez faire partie du ministere
qU,i a été composé acette époque? - R. Non, M. le
président,


D.Avant votre entrée au ministerejavez-vous eu,
avee le président du conseil, des conférences sur la
marche que l'on se proposait de suivre dans la di-
rection des affaires? -.- R. Je n'ai en de conférences
a ce sujet que la' veille de mon -entrée au ministére,


ID. QueI était l'objet de ces conférences? -R.
Elles étaient relatives a. la modification apportée
daos la composition du ministére. •


D. Avez-vous conseillé la dissolutíon de la Cham-
hre des Députésle 16mai? -. R. Je ne faisaispas alors
partie du ministére. '


D. Saviez-vous quels étaient les motifs de la re-
traite de MM. de Chabrol et de Courvoisier ? -R.
Je les ignorais absoIument a cette époque; je ne les
aiaPJfis que ílepu:is.


D. Quelle direction vous proposait-on d~ donner
anx affaires? -' R. Il n'a j~isété question de leur
imprimer une direction nouvelle.


D. Votre entrée au'conseil, ala suite de la retraite
deMM~ de Chabrolet de Courvoisier, n'avait-eUe
pas pour but d'accomplir des mesures auxquelles
eeux-ci avaient refusé de prendre part? - R. J'ai
regretté qu'on n'ait pas fait usage de pieces jointes a
la procédure , et desquelles iI résulte qu'á l'époque
dont iI s'agit iI n'existait aueun projet anaIogue a
celui dont vous parlez, I1 existe daos la procédure




( 9 )
uurapport fait au roi , sur l'état intérieur du royau·
roe; rapport qui constate que la volonté du Roi était
de roaintenir et de développer les institutions qui
avaient été fondées en France par Louis XVIII. La
date de ce rappprt est importante; elle est do. 14
avril, par conséquent tres-rapprochée de ceUe oú le
Roi daigna ~'arpeler pour la seconde fois ~ans son
conseil. Je dois ajouter que lawolonté arrétée par le'
R.oi .de maintenir les institufions était Ia garant;ie la
p1lJ,s forte , cal' je ne connais rien de plus sacré au
monde que 1a source d'oú elle émanait.


D. Quels sont les motifs qui déterrninérent le con-
seil aproposer au Roi de s'adresser directement aux
électeurs P- R. Ces motifs ont sans doute été ana-
logues a ceux qui avaient déterminé une pareille
mesure en 18~0 ,de la part de Louis XVIII.


D. La pr~clamation du Roi fut-elle discutée en
conseil? - R. Oui.


D· Quel en fut le rédacteur? - R. Je ne dois nom-
"~ .


roer personne. ,.'
D. Pourquoi est-elle signée par le président du


conseil , et non par le ministre de l'íntérieur? - R.
II a paru plus convenable qu'elle fut contresignée
par le président du conseil,


D. Quels furent les motifs qui, déterminérent le
Roi aajourner la réunion de plusieurs colléges élec-
toraux P- R. Le desir d'introduire dans les collé-
ges électoraux un plus grand nombre d'électeurs
dont les droits avaient été contestés. Des décisions
avaient été rendues dans des sens diverso 11 était dans




( lO )


I'esprit de la constitutipn du pays de donneraux tri-
hunaux le terns nécessaire pour statuer sur les-récla-
mations, afín que ceux qui n'avaient pas de droit
fussent exclnsdes colléges électoraux , et que ceux
dont les droits étaient reconnus pussent y étre ad-
mis.
- DiDes mesures illégales n'ont-elles pas éu lieu, a
I'effet de procnrer aux candidats du goüvernement
la majorlté dans les élections? - R. le puis affirmer
qu'aucune mesure de ce genre n'a été prisesous roa
direction. Je prierai M. leprésident de rémettresous
les yeúxde la Cour la seule circulaire que j'aie adres-
sée allX préfets. .


¡JI'. Hennequin donne, avec l'autorisation de M. le
président , lecture de cette circulaire , ainsi concue



Paris, 15 juin laJa.


(( M. le préfet , le Roia ordonné de nouvelles électiOlls : VOUff
ne devez ríen négliger pour que l'ordre le plus complet se
mai~tienne sur tous les' points de votre département pendant
leur durée .


» Les elections doivent étre libres ; elles ne peuvent l'étre qu'au-
tant que les dlectcurs joui~8ent d'une entiere sécurité.· .


» Il y a violation des droits consacrés par la Charte, toutes
les fois que, palo des insultes, des menaces, des démol1strations
publiques et tumultueuses, 011 entreprend d'imposer des suf..
frages, OU de détourner les électeurs timides d'un devoir qu'ils
pcuvent croire dangereux.




J. [ )


JI L'art. 11«de la loi du 5 février 181'7 attribue ~ MM. les
yrésidens et vice-présidens la poliee des colléges électoráux.


)) L'art. 8 de I'ordonnance royalc du 11 octobre 18:w, décide
que nulleforcé armée ne peut, sans leur dernande.tétre placée
auprés du lieu des séances.


)) Enfin, par l'art. 8 de la 19i du 5 février 1817 j et parI'art.
i o de l'ordonnance da 11 octobre 1820, toute discussion et
toute délibération quelconques sont interdites dans le sein des
colléges é~ctoraux.


)).O~ ne doit ~otdoute\' .que MW. les présidens de colléges
ne remplissent avec fer~eté et avec sagesse les devoirs impor-
tans que la lf:Ji leur a confiés.


» Mais, hors des lieux dont la police leur estréservéa , elle
appartient aux magistrats ordinaires, et ceux-ci doivent I'exer-
cer avec vigilance.


D 'Prenez des mesures pour que les abords descolléges soient
libres, que la personne des éleeteurs soit iruiistinctement respec-
tde , qu'aucun ontrage ne leur soit adressé, qu'aucune clameur .
populaire ne puisse exercer d'influence sur Ieur vote, qu'aucun
tumulte extérieur ne SI) fasse entcndre dans le lieu.des séances
et ne trouble l'C;)I'dr~ des opérations électorales. . •


» Qu'al,lcun attr.,oupe~ent illégal 'ne soit toléré ; qu'aucune
iufraetion aÍ1xlói~'ne ~oit~Orlni1Íseimpui1émént;que les in-
ftli'é'feur~soieritsaisis ~ I'instant-, conforrnément a l'art. 16 dü
Code d'instnuction criminelle, et remis aux tribnnaux qui de-
vrout les juger


) Les art. 109, 1 10, r i i , H 2 et 113du Code penal pronon-
cent des peines séveres contre ceux qui vendent ou achetent des
¡l,uffralt,es, qui falsifient les votes OH. qUl troublent, par un.
moven quelconque, la liberté et la sécurité des électeurs .


.)) Faitcs publier et affiche!' de nouveau' ces articIes. Que les
électeuri snchent el sentent que la protcctiou dos lois lenr est as-




( J:¡ )


.urtÍ,> el que VOU8 'mette« au rang de vos premier¡¡. devoi1'S cIZui
fui lJeut que VOU8 gurantissiez a toue vos administrésle Zilw, el
paisihle eaereice de leurs droüe,


)1 'Vous" me rendrez compte des. mesuree que YOUS aurez
prises et de leur exécntíon,


JIl Ágréez, M. le préfet, ·l'assurance de ma eonsidération tres~
distinguée.


" Le pair de France,¡ mini#re secrotaire-
d'étal au' dilparlement de rinlérieur,


.1


M. di! Perronnet. Jedemanderai la permission
d'ajouter quelques mots qui confirmeront de plus
en .plus les sentimens dont j'étais animé"


Plusieurs présidens de colléges'furent choisis dans
le sein ,de la eharnbre.des pairs. J'ai 'en l'honneur de
voir troisd'entre'eux quí siégent dans eette cour, Ils
m'ont interrogé surIa direction qu'il était conve-
nable de donner, Jeles adjure ici, J~espere-qu'ils ne
refuseront pas de déclarer quelle a été roa réponse.
Vous pourrez par la acquérir la conviction qne je
n'ai conseillé aueun aete, aucune mesure, aucune
démarche qui tendit a faire violence aux élee-
teurs,


D. N'a-t-il pas été fait de coupables efforts pour
ébranler et violenter la conscience des fonctionnaires




( 13 )
publies électeurs? - R. Jen'ai .adressé de menaces
a qui que ce soit, ni .fait de promesse a qui que ce
soit,


D. Avez-vous su que dans certains colléges électo-
raux, on aurait exigé..que les}onctionnaires publics
dépossasent leurs bulletins de maniere qu'il fút aisé
d'en prendre eonnaissance, et n'avez-vous rien fait
pour obvier a cet incónvénient qui VQQS avait -été
signalé .paf 1M· 'Vj:ves~ rec;tamations,; qu'íl .a exci tées
dan'sla Chamhre des Députés? - R. Il est vrai que,


101'5 de la vérification des pouvoirs, on a fait con-
naitre quedes mesures de ce genre avaient été prises,
mais je n'en ai été informé qu'á cette époque. Puis-
que vous jugez a propos de me demander Si je n'ai
pas cherché a obvier a un pareil inconvénient; je
ferai remarquer que' je ne pouvais le prévenír , cal'
j'aurais eru peu convenable de prévoir des choses
plus ou moins illégales et d'adresser des parolessé-
véres aux présidensdes coUéges choisis p.armi .les.ci-
teyens Iesplns óQnsiqérV>les. l"


D.' N'avez-vous point eonnaissance que des me-
naces et des promesses aient été faitespar plusieurs
administrations P- R. J'ai la convietion qu'aucune
administration.n'en a faites de ce genre; mais je ne
puis en parler d'une maniere positive, cal' Ieurs cir-
culaires n'ont point passé sous mes yeux. ,


D. Expliquez-vous sur ce qui a eu lieu al'occasion
des troubles de Montauban? - R. Aussitot que j'en
ai été informé, j'ai dicté des instructions séveres, J'ai
envoyú des instructions semblables ti Figeac oú des




, ( 14 )
troubles avaientaussi éelaté. Le lendemain je recus
un nouveau rapport qui m'annoncait que les esprits
étaient fort animés , el que des poursuites rigou-
reuses pourraient les exciter davantage. On me de-
mandait d'autoriser une sorte de reláchement 'de ces


, , 0


poursuites, Je saisisa l'instant mérne la p.lume, et
.j'krivis en marge du tapport qu'on venait. de mettre
SatIS mes yeúx 1 l'expression duo sentiment vif et pé-
nible qne j',(frrouvais, et l'ordre positif de ne -rien
épargner ponr rétablir-la tranquillité et tali'e chátier
oeux qui la troublaient.


J'ai eu -l'honneur .de faire.' connairre ces faits a
MM'~ les commissaires de laChambre des Députés ,
lorsqu'ils m'ont interrogé : je les ai pressés de faire
faire la reoherchade ces piéces; malheureusement
les recherches ont été infructueuses au ministere de
l'intérieur. le f'egrette que le temsne m'ait pas per-
mis de les faire ehercherr aussi a lapréfecture de
Montaublln.Le.préfet du département et le secré-
taire-général ont eu conn~ssan¡ceJlu ra,ppor,t et .de
mes réponses. Quoique ces pieces n'aient pu'etre re-
trouvées, elles .n'existent pas moins , et-j'espére
qu'aueun membrede la Cour n'en doutera,


(M. le .président donne lecture d'une lettre de la
préíecturev.d'oú ilrésulte qu'on n'ya trouvé aucune
trace des pieces dont.il s'agit.)


D.A -quelle époque a été agité pour la premiére
fois , .dans leconseil, le systeme des ordonnances du
7.5 juillet?_ R. Apres que le résultat des élections
a été connu.»




15
D. L'idée qui présidait a ce .systeme ne se ratta-


chait-elle pas aun plan de conduite plus ancien. N'a-
vait-il pas été arrété j} l'époque de la dissolution?-
R. S'il a existé un plan aatérieur 1 je raí entierement
ignoré. le nie qu'il.it été déhattu antérieurement
entre les ministres du Roi. \ '


D. Quelques journaux avaientannoncé a.I'avance
q u'un coup.d'état. se préparait- .Cette annouce résul-
tan-elle ..~ la commu:{ljeatjon qui Ieur auraitété faite
d;U: s,-steme du Gouvernement? -:&. J'ai déja ré-
pondu a cette question daos mes interrogatoi..es
éorits. Ma réponse n'ayant pas été assez développée ,
je vous demande la permission de rétablir les faits.
Vou~ m'avez parlé, dans mon interrogatoire , de


journaux qui se publiaient amon eatrée au minis-
tere , et qui contiennent quelques articles relatifs
aux coups d'état. Vous m'avez demandé alors si on
ne pouvait pas en induire que déja des projets ana-
logues étaient.formés , et si ces pub1icatilmsJ;l'avaient
~ ,


pas pvur but d'y préparer le public , et méme d'y
dis~r l'esprit du Roí.Je me suis borné árépondre
que j'avais ignoré eompletement la direction don-
née aux journaux avec Iesquels le ministere pou,-
vait étre en rapport avant mon entrée, et qu'aprés
je n'avais autorisé aueune publication de ce genre.
Vousm'avez rappelé que l'opinion s'était répandue
dans le publicque je n'étais pas personnellement
étranger a quelques-uns des articles publiés par ces
journaux. Je dois vous remercier de cette ouverture ,
paree qu'elle me fournit l'occasion de rappeler une




( 16 )
circonstance qui ne peut pasétre utile. Je ne Die
pas, je n'ai jamais nié qu'il. n'y eütun journal atta-
ché.á l'opinion que j'ai professée toute ma vie, et
dans lequel quelquefois des articles qui étaient mon
ouvrage aient été accueillis ; 'zw.is si l'on en tirait la
preuve que des ce tems je favorisais de mon suffrage
le. systeme qui a été plus tard adopté dans des cir-
cqnstances impérjeuses ,. -(1)- tomheraít dans une
grave'erreur; car je crois pouvon- affirmer que le
journal dans lequel des articles de moi ont été P'?--
hliés, n'a cessé , pendant tout ce tems, de combattre
les proposítíons ..'de coups-d'état, (Rumeurs néga-
tives. ) ..


D.Par qui la proposition des ordonnances fut-elle
d'>.lhord faite dans le conseil? -, R. Il neIut pas fait
dans le conseil de proposition d' ordonnances , mais
une proposition de systeme, Aprés avoir établi cette
distinction ~ je 'demanderai la permission de ne ré-
pondré 11 aueune-questíon qui pourrait ~'adresser
au Roi. Jt


D. Ne pourriez-vous pas cependant dire.quelsfu-
rent les ministres qui s'opposerent a ce systeme P~
R. J'ai éprouvé heaucoup d'incertitude et un sen ti-
ment pénible pendant un tems fort prolongé , et' en
présence de membres j dont la déclaration nesaurait
étre suspecte, lorsqué cette question m'a été adres-
sée, pour la premiére fois, par MM. les commissaires
de la Chambre des Députés, Cette question était
complexe; elle enveloppait quelques-uns de mes
collegues et moi-méme.T'étais retenu par un devoir




( 17 )
.impérieux , celui de ne pas divulguer, au mépris de
mes sermens, le seeret des délibérations qui avaient
eu lieu dans le conseil du Roi. J'étais pressé , d'un
autre coté, par la erainte de nuire ; en dissimulailt
une vérité a un homme malheureux comme moi.
MM. les commissaires de la Chambre des Députés
ontété témoins de ma ré¡istance. Ils l'ont vaincue;
ils ont obtenu de moi la vérité sur un fait Cét:t8·iJ¡.


, • ·1


Macis si vous voules que j'aitle·plus Ioin , c'est-a-dire
que j'étende mes réponses jusqll'a moi-mémezje vous
priede trouver hon quejene le fassepas. Sí la réponse
doit me nuire, vousne pouvez pas vouloir que je la
fasse; si elle doit me servir , l'honneur me défend de
la faire , paree qu'elle -pourrait nuire a un .autre,
(Sensation; tous ~s yerix se portent sur M. de Po-
lignac. )


D. Je respecte, autant que qui que ce soit, lafoi du
serment; maisapres tant d'événemens accomplis,
lorsque le gouvernement que vous serviez n'existe
plus; lorsque vos pa1'01esJ1e;peuvent plus muire a
son aetion if ne penserez-vous pas qu'i1estde votre
intérét et de ce1ui de vos collegues d'éclairer I'opi-
nion de la Conr sur les faits qui se sont passés. -
R. Le.serment que j'ai fait était absolu; iln'était pus
conditionnel; et je ne sache pas que le malheur délie
des sermens.


D. Avez-vous été du nombre des-opposans au sys-
·teme qui a prévalu P- R. Je n'ai ríen ~ répondre.


. D. Quels furent lesrnotifs qui l'ont tait prévaloir?
-R. le ne saurais les expliquer sans révéler le secret


11. 2




( 18 )
des débats du conseil , et sans violcr mes sermens.


D. QueJs furent vos motiís particuliers pour vous
réunir a la majorité du conseil? - R. La Cour me
dispensera de répondre encore ácette question.


p. Avez-vous participé a la rédaction du rapport
an Roi? - R. Je n'ai, pas a répondre.


D. Avez-vons signé les "rdonnances? - Je les ai
signées. "


n.Que} est l'auteur de l'ordonnance sur-la presse?
-'- H. Je n'ai ríen arépondre.


Do Quel est l'auteur de l'ordonnance portant dis-
solution de la Chambre des Députés? - R. C'est
moL· .


DiS'est-il élevé une.diseussien dans le' conseil sur
la question de savoir.si laCharte donnait au Roi le
droit de dissoudre une chamhre qui n'avait pas en-
eore été-rassemblée? - R. Lesmotifs quipeuvent
avoir été donnés rentrent dans les réponses que j'ai
déja faites, . .


D. Qui a été le rédacteur de.I'ordonnance sur les
éleetions P-' R. J'en ai rédigé la plus grande partie.


D. Cette ordonnance a-t-elle été eontre-signée par
tous les miaistres P - R. Elle a été signée par moi
en coopération avec mes collégues et de leur aveu,


D. Le Roí n'a..t-il pas été éelairé par son conseil
sur l'illégalité des ordonnances? - S'il s'agit de ré"
pondre sur cequi se serait passé dans l'intérieur du
conseil.je serai. encoré obligé de m'en abstenir;
mais si vousme permettez de parler al'occasion de
cette question ,-je ferai remarquer q.u'il serait invrai-




( 19 )
semblable que des mesures de ce genre n'eussent
pas été débattnes pareellxqui y prenaient part, et
que le Roi n'eút pas été informé. Je répete que je
n'entends pas révéler les secrets d,u conseil, ,


D. L'ordonnance qui nomme le duc de Itaguse
n'est-elle pas datée du 25 juillet? - R. Je l'ignore,
complétement. Lorsqu'on m'a interrogé Ja premiere
fois sur ce poipt,j'ai cru queI'ordonnance avait.été
publiée dans ,la soirée dU15 bu IC26 au malino Je
n'ai j'amais été détrompé a'cét égard. Cette eri'eur,
ne surprendra pas ceux qui savent de quelle maniere
se traitent les affaires de la guerreo Chacuncompf-en-
dra que je n'ai dCI étre informé que trés-imparfaite-
ment «le ce' qui était relatií ~ eette ordonnanee.


D, Malgré vos réponses négatives, il parait ressor-
tir évjdemment de l'interrogatoire, que le systeme
qui á prévalu, .n'était pas le vótre , et je me crois
fondé :l vous adresser cette demande. Votre respect
pour des opinions et desvolontés , qui au;aient ~é-,
duit votre raison ausilence, n'aurait-il pasinflllé
puissamment sur la détermination ~ laquelle vous
avez céqé, ,de signer les ordonnanees? - R. Je suis
profondément touc,hé, l\'[. le président, du sentiment
qui vous porte ,a m'adresser eette question. Je rends
la Cour [uge du sentiment qui me porte amon tour
a refuser d'y répondre.


D. Veous avez dú concevoir descraintes sur I'exé-
cution ~es ordormances : vous avez dli prévoir des
diíficultés , envisager de grands périls,' puisque Ce
systeme n'était pas le vótre, Quelles mesures' avez-




( 20 )


VOUS prises, dans les attrihutions de votre departe-
ment, aun d'éviterles malheursque vous redoutiez?
.-...:... R. Des le mercredi qui a précédéTa publieation
des ordonnancesj-j'avais demandé l'autorisation d'a-
voir des communieations sérieuses avec le préfet de
poliee; elles me paraissaient nécessaires ¡ elles ne pa-
rurent pas aussi immédiatement nécessairesá d'au-
tres, et en conséquence elles fu~'ent différées jusqu'á
la soirée du 27. Ce jour-la , adix: heures duo soir , le
préíet de poliee vint chez moi, et depuis ce moment
des dispositionsd'une autre l~ature ayant été prises,
je n'ai pu ni {h'i' dcnneraucun ordre.


D, Inforrnátes-vóus alors le préfet de police de
l'existenee des ordonnanees? - R. OUl.


D. Avez-vous pris préalablement des informations
sur l'effet que la publication des ordonnances-pour-
rait produire a Paris? - R. Les rapports dont je
viens de parler avaient contribué ainspirar unedan-
gereuse et fatale sécurité.


D. Aussitót que les ordonnances ont été rendues ,
en avez-vous prévenu les auforités administratives
sous vos ordres , en Ieur donnant les instructions né-
cessaires? --'- R.· Je n'ai rien a ajouter a la réponse
que j'ai faite.


D. Vous.n'avez done pas vu le préfet de police dans
la matinée d.l~ lnndi? -: R. Je ne l'ai vu que le 2.5 a
dix heures du soir. Il est resté ayer moi ap~u pres
une demi-heure , et depuis je ne l'aipas revu , et je
n'ai recu de lui ni lettres ni rapports.


D. ~'avez-vol1s pas vu le préfet de la Seine ?-Le




( '11 )


préfet de la Seinc est ven u chez rnoile lundi et le
mardi, et , d'apres ce que je viens de dire , je n'ai eu
aucune instruction a lui adresser.


D. Avez-vous vu , dans la matinée du Iundi , le
procurenr du Hoi de Paris P-- R. 1] est en effet venu
chez moi pour me faire remarquer-que le départe-
ment de la Corse , par son organisation spéciale , exi-
geait aussi des mesures spéciales pour 'l'exécution
des ordonnances. . ,


D. Le procureur du Roi ne vous a fait aucune ob-
servaríon sur ce qui pouvait concerner la capitale P
- n. Je ne m'en souviens aucunernent.


D. Avez-vous été prévenu dans la soirée du lundi
des premiers troubles qui s'étaient manifestés au
Palais-Royal et dans les environs de l'hótel des af-
faires étrangeres. -R. J'étais sur la place Vendóme.
Je vis de mes propres yeux le démélé fort pea con-
sidérable qui s'y passait. J'entendis quelques cris
proférés par plusieurs persOImes, je reatrai chez
mol.


D. Par qui fut donné I'ordre relatif a la saisie des
presses P(M. le président fait représenter cet ordre
a l'accusé.) - R. La piece elle-méme répond a la
question. M. le président pouvait se dispenser de me
l'adresser.


D. Avez-vous eu connaissance des rassemblernens
qui se sont formés le mardi? - R. J'étais lemardi a
Saint-Cloud, Je suis rentré au ministere de l'intérieur
fort tardo
• D. Savez-vous si des instructions ont été données,




( 22 )


conformérnent aux dispositionsxle la loi du ~ r juillet
1791 ? - R. J'ai toujours été convaincu que des 01'-
dres avaient étédonnés, Ils étaient tres-implicitement
renfermés dans l'entretien que j'avais eu avec le pré-
fet de police,. quoiqu'áce moment jefusse loiri de
prévoir les violences qui ont éclaté ; mais quant a
la connaissance directeet personnelle de ces Instruc-
tions, elle' ne m'est jamais parvenue.


D. Avez-vons connu qu'il y avait eu ce jour-la une
réunion de députés? _ R. C'est plus tard que j'en
ai eu connaissance.


D. Avez-vous assité au couseil oú fut délibérée
l' ordonnancede mise enétat de siége de la ville de
Paris ?- R. Oui. . ,


D. Par qui cette mesure a-t-elle été provoquée ?-
R. Le pon!' et le centre ontété débattus.


D. Quels sont les motifs qui ont déterminé la mise
en état de siége? - R. L'état le la, ville, les souleve-
mens qui.avaient éclaté.et la prévoyance que, dans
la jonrnée du lendemain , des soulevemens plus con-
sidérahles ne portassent un plus g1'and trouble a
l'ordre public,


D. La résolution qui a été prise était-elle définitive
ou conditionnelle ?-R. 11 ya eu quelque erreur dans
les interrogatoires a ce sujeto L'ordonnance n'a été
arrétée que vers dix heuresdu soir. On conservait
I'espoir que les troubles ,avaient atteint leur terme;
on avait annoncé au conseil que tout était calme 1
que 1'01'd1'e était si bien rétabli que M. le maréchal
avait prescrit aux t1'onpes de rentrer daos leurs ro-
. .




( 23 )
sornes. Si cette cspéranee s'était réalisée , l'ordon-
nance de mise en état de siége devenait sans objeto
Cependant, comme on prévoyait un nouveau dé-
ploiement de forces dans la journée du lendemain ,
on choisit un remede qui était propre ale prévenir,
C'est ainsi que j'ai entendu cette mesure. .


D. Est-il a votre connaissance que des mesures
aient été prises pOllr donner la plus grande pub!icité
possible aI'ordonnancede la mise en état de siége?
-.. R. Tout ce qui était relatif a l'exécution de eette
ordouuunc« regardait M. le maréchal , et s'est passé
a mon inscu, J'étais éloigné alors de mes collegues ,
et je ne me suisréuni a eux qu'á une heure tres-
avancée dans la journée du mercredi.


D. Na deviez-vous pas, comme ministre de I'inté-
rieur , pourvoir a toutes les mesures préalables,
avertir les citoyens de l'état nouveau dans Iequelils
allaient se trouver? _ R. Je ne le devais ni ne le
pouvais. le qe le de vais pas acause des dispositions
qui:avaient été prisea; et je 11e le ponvais , patee que
je n'ai.appris ce quí a été eonsornmé acet égardqu'á
mon retour aux Tuileries , et fort longtems aprés ,
puisque j'ai passé plus de trois beures dans le pavil-
Ion de Flore et dans I'appartement de M. I'évéque
d'Herrnopolis, avant d'avoir pu découvrir dansquelle
partie du cháteau se réunissaient mes collégues, Tout
ce qui était relatif a l'exécution de Pordonnance de
la mise en état de siége s'était fait dans les.heures qui
avaient précédé, et je n'en ai été informé que dans la
soirée.numoment oú je me suis réuni a mes collegues,




( 24 )
D. Cornme chef de l'administration , n'avez-vous


pas pris des précautions pour étre instruit de ce -qui
se passait'dans la capitale? -R. J'ai déja en l'occa-
sion de dire que, des le 25 á dix heures du soir ,j'ai
cessé d'avoir des rapports avec le préfet de police.


D. Je.vois bien- que le préfet de police a cessé d'a-
voir des rapports avec le ministre de l'intérieur, mais
je demande si le ministre n'a rien fait pour obtenir
qu'on lui rendit compte de ce qui se passait. - R. Je
n'ai rien fait ponr cela. La ville ayant été mise en état
de siége, tous les pouvoirs administratifs se tr:ou-
vaient réunis dans la- persQnne du cornmandant en
chef, et toutes les autoritésdevaient correspondre
aveclui.


D. La ville n'a été mise en état de siége que le
mercredi, Dans I'intervalle qui s'est écoulé entre le
lundiet le mercredi, n'avez-vous pas pris des me- .
sures pour étre suffisamment informé? D'ailleurs ,
quoique la ville eüt été mise en état de.siége, .la res-
ponsahilité ministérielle qui pesaít sur vous, vous
faisait un devoirde vous informer de ce qui se pas-


e .
sait , afín de savoir quand il faudrait {aire cesser l'é-
tat de siége? - R. Votre intention est de m'interro-
gel' a la foís sur ce que je n'ai pas fait avant l'ordon-
nance de mise enétatde siége, et sur ce que je
n'ai pas fait apres cette ordonnance. Je répondrai
d'abord a la premiere partie de la question. Je n'a-
vais rien a {aire, et je n'ai eu les moyens mstériels
de rien faire postérieurement al'ordonnance de mise
en état de siége. J'ignorais, le mercredi aonze heures




( '1.5 )
du matin , que cette ordonnance eút été mise á exé-
cution , bien que je dusse le prévoir; mais je n'en
avais aucun avis officiel : je partis pour Saint-Cloud,
et j'en revins un peu tardo J'appris que mes collegues
étaient réunis, selon les apparences, au chatean des
Tuileries. Je me rendís au pavillon de Flore; je n'y
trouvaipersonne, Je supposai que je les avais dévan-
cés; je m'arrétai dans les salons assezIongtems, Il
me vint dans l'esprit qne peut-étre mes collegues s'é ..
taient rassemhlés dans unautre Iieu : je priai un
gar~on de salle de s'en enquérir. On vint me dire
qu'ils étaient réunis dans l'appartement qu'occupait
M. l' évéque d'Hermopolis :je m'y rendis. Jene trouvai
encore personne dans cetappartement. Trois heures
s'étant .écoulées ainsi , et aucun avis ne m'étant
donné, je chargeai un officier de paix, qui se pré-
senta, d'aller ala découverte, Ce fut par luíque j'ap-
pris que mes collegues étaient réunis a I'état-major
de la place. Vous voy.ez que ce n'est que forttard
que j'ai pu les rejoindre. Commentsupposer que,
dans ma position, j'eusse ea les moyens de communi-
quer avec le préfet de. police, qui, depuis le mer-
credi matin, n'était plus dans son hótel? Ainsi, quand
bien méme j'aurais cru que postérieurement a la
publication de l'ordonnance de mise en état de siége,
il était de mon devoir d'entrer en communication
avec les magistrats de l'ordre administratif, les,
moyens matériels n'étaient pas en mon pouvoir.
Quant al'époque antérieure, j'ai donné, ce me sem-
hle, des explications qui se trouvent consignées dans




( 26 )
le rapport de MM. les com~issaires de la Chambre
des Députés.


D. N'avez-vóus pas vu M. le préíet de la Seine le
mereredi matin ? - R. Oui.


D: Ne vous parla-t-il pas de .l'état de Paris , et de
la crainte oú il était de voir s'établir une municipa-
lité provisoire? - Oui.


o D. A quelle heure vous étes-vous réuni le mer-
credi avos collegues ?- R. le mesuis réuni a l' état-
major , mais je ne saurais indiquer l'heure.


D. y fut-il tenu quelque conseil sur I'état des af-
faires et sur les mesures aprendre?- R. n n'y a
pas 'en de eonseil ti l'état-major; d'ailleurs, les sept
ministres ne s~y sont pas tro.uvés un seul ins~ant tous
ensemble.


D. A qui appartenait alors la direction des affaires?
-r-r- R. Elle ne m'appartenait paso


D. Le conseil nese serait-il réservé aucun moyen
de diriger bu de surveiller les conséquences de l'état
de siége? - R. Le conseil n'a pas étéréuni eomme
tel depuis la soirée du rnardi, Jamáis la question que
vous m'adressez , n'aété l'ohjet d'une délibération.


D. Le conseil, ou les ministres collectivernent ,
ont-ils demandé a connaitre les ordres qui avaient
été donnés ponr l'emploi de la force publique? -
R. nn'est parvenu ama connaissance aucun ordre
donné dansce sens par les ministres collectivement.


D. Avez-vous connaissance de l'ordre donné au
coloncl Foucault pour l'arrestation de plusieurs per-
sonnes , et notamment des députés i' - R. Je n'en ai




( 27 )
eu connaissance que par la questíon qui m'a été
adressée a ce sujeto Si vous voulez bien vous rappe-
ler les heures , vous verrez qu'il était ímpossible que
j'eusse connaissance de cet acte.


D. C'est acause de cela qu'il eút été important de
fixer l'heure de votre arrivée a l'état-major. _ R. Je
ne pouvais la préciser.,


D. Avez-vous été averti de la démarehe faite par
des députés aupres du maréchal P- R. Oui,


D. Le président du conseil ne vous a-t-il pas con-
sulté sur' la qnestion de savoir s'il verrait les députés,
ou s'il refuserait de les voir? - R. C'est de la bou-
che rnéme du prineede Polignac que j'ai été informé


- de la démarche qui avait été faite; mais en méme
tems l'obstacle qui s'opposait. a une réponse immé-
diate m'a été communiqué , et l'obligation d'en réfé-
rer an Roi et d'attendre ses ordres a été exprimé par
M. de Polignac ou par rnoi. •


D. Savez-vous s'ila été rendu co.mpte au Roi, á
l'instant , de cette démarche, soit p-ar le maréchal,
SOl! parle président du conseil P- R. J'ai la con-
viction profonde que l'avis de cette démarche a été ,
a l'instant mérne , transrnisau Roi. Je ne vous diraí
pas d'une maniere positive si e' est par. M. le maréchal
OH par M. de Polignac.


D. Ne vous étes-vous pas eru obligé de rendre
eompte au Roí de l'état de la capitale , le mercredi
soir ? - R. Je n'étais informé de rien officiellement ,
je ne savais rien que d'une maniere tres-vague. M.le
rnaréchal , aupres duquel je m'étaís trouvé plusieurs





( ~8 )


fois dans le cours de la journée, ne rn'avait douné
que des explieations tres-géaérales. J'étais hors d'état
de rendre compte de la situation de la capitale , des
dispositions du maréchal, de ses espérances , et par
conséquent de donner mon avis sur le partí qu'on
devait prendre.


D. Ou avez-vous passé la nuit du mercredi au
jeudi? - R. Aux Tuileries.


D. A quelle heure vous eres-vous réuni , le jeudi
matin , ave e les antres ministres? - R. Je ne saurais
le dire d'une maniere positive, paree que le tems
passait longuement alors, Je rn'étais levé de tres-
grand matin ; je n'avais pas dormi. Jeme souviens
de m'étre promené longtems sur la place du Carrou-
sel avec M.le baron de Glandeves, et qu'apres l'avoir
quitté, je fus rencontré par M.le,maréchal qui, pour
Iapremiére fois, me témoi.gna le desir de me corn-
muniquer en détail la' position des ehoses que luí
seulconnaissait, ~'~tpar-laqu'il avait aequis la con--
viction que des mesures urgentes étaient indispen-
sables. La responsabilité qu'il m'offrait me patut un
pell irréguliére , et quoique les circonstances fussenr
assez impérieuses pour autoriser beaucoupd'irrégu-
larité, je lui demandai la permission d'aller , avant
de l'entendre davantage, avertir ceux auxquels cette
responsabilité appartenait. Il comprit roa pensée. Je '
le quittai et je sentis la nécessité de me rendre de
suite aSaint-Cloud. Je montai dans mon apparteinent
pour passer un habit; M. lemaréchal vintm'appeler:
il s'approcha de moi , me pressa avec beaucoup de




vivacité de l'écouter attentivement, afin que je pusse
répéter d'une maniere exacte au Roi tout ce qu'il
allait me dire, Il m'expliqua nettement sa position
mltaire; il me fit de plus en plus partager la con-
viction oú il était qu'une mesure prompte devait
étre prise. Je Iui promis d'étre I'interprete fidele de
son opinion aupres du Roi. En le quittant , jeren-
contrai des personnes fort_ graves avec lesquelles j'tti
en .occasión d'échangee quelques mots -qui étaient
de riatúre abien faire connaitre les sentimens qui
m'animaient. Je cherchai a l'instant les moyens de
me rendre á Saint-Cloud. Je demandai un cheval a
M. de Girardin et une voiture aM. qe Glandevés. Une
voiture m'ayant été pfferte , je l'acceptai, Quelques
collegues se joignirent amoi et nous allámes aSaint-
Cloud,


D. L'ordre fut donné de transférer aux Tuiler-ies
la cour royale de Paris. Savez-vous par qui a été
prise l'initiative sur cette proposition ? _ Non. J'en
ai été informé a l'état-majer.


D. N'avez-vouspasvu M. l'avocat-général Bayeux?
- R. J'étaisavec M. de Glandeves quand il vint; je
le, connaissais fort peu. L'eutretien s'engageaentre
un de mes collegues et lui. Je n'avais pas de rapports
familiers avec luí; il y avait déja fort longtems que
j'avais eu occasion de lui étre utile.


D. Expliquez-vous sur la demande du retrait des
ordonnances et du changement vde minístera L;
R. Apres avoir eu deux entretiens successifs avec
M. le maréchal , je me hátai de partir pour Saint-




( ·30 )
Cloud avec qnelques-uns de mes col'legues, dans la
voiture qui avait été mise a ma disposition, Nous
étions a peu pres ala moitié du chemin , lorsque
M:. de Polignac nous joignit a cheval. •


D. Vous venez de dire que le maréchal vous avait
parlé d'une opinion qu'il voulait transmettre au Roi:
quelle était eette opinion? - R. La révocation des
ordonnances el le changement du ministére, .


D: AssistaJes~volls a la pre,mi~re conférence qui
eut líen chez le Roi avec le président du conseil i-c-
R. Dui. En descendant a Saint-Cloud, je rencontrai
M. de Sémonville et M. d'Argout. Nous montámes
les premiers éhe!' le Roi; nous rendimes compte a
Sa.Majesté dela nécessitéde preJldre un parti prompt.
Le Roí me parut apeu prés.détermíné : il était na-
turel qu'il ne prit une réselution définitive qu'aprés
avoir entendu son' conseil, Il le rassembla ,et c'est
dans ce conseil que fut prise la détermination.


M.le président, Oemte de Chantelauze , vous con-
naissez l' aoeusation portée centre vous, et les eharges
sur lesquelles repose l'accusation; Il importe póur
la manifestation de la vérité et pour la clarté des
débats qui vont s'ouvrir, que vaus présentiez vos
explications sur ohacun des faits que les débats so.
destinés a ~clairdr. . .


Connaissiez-vous M. de Polignae au montent de la
formatioll du ministére du 8 aoút ?


JJ1. le comte de Chantelauze. Non, ]\f. le prési-
d.ent. A ce sujet, je donnerai une petite explication


, , . . . b l'en reponse a cette qnestion et a eancou p Ceautres




( 31 )
de la méme nature. Je n'ai pas desiré le renverse-
ment du ministere qui a précédé eelui du 8 aoút :
j'en atteste mes amis politiques, c'est-a-dire cent a
cent cinquante membres de la Chambre des Députés,
Je pensáis seulement que qu~lques modifications
devaient étre apportées dans ce conseil et dans son
príncipe de gouverllement. Un grand nombre de
memhres de la Chambre des Députés partageait , a
cet égard, mes voeux ; mais c'étaient des voeüx qui
pouvaient rester stériles.


D. Connaissiez-vous quelques-uns des membres
du rninistére du 8 aoút P- R. Plus d'un mois apres
la formation de ce ministére s'était écoulé que je n'a-
vais entretenu aucune relation avec ses membres.


D. Qui vous a décidé a entrer au conseil apresIa
dissolution de la Chambre ? Avez-vous conféré a l'a-
vanee sur la direction qui devait étre donnée aux .
affaires? - R. JI n~y a en auenne conférence a cet
égard: je ne suis.arrivé aParis que le 17mai. Je
voulais parler au Roi ; mais je nepus areiver j~squ1a
lui , et mon entrée au conseil fut décidée dans l~
soirée du J 8.


D. N'avez-vous pas de~andé eomme condition
que M. Peyronnet fpt appelé en méme terns quevous
au ministere? - R. J'ai en effet manifesté le desir
que M. Peyronnet entrát en méme teros qu~ moi au
conseil; j'en fis mérne une des conditions de mon
acceptation. Mais il n'y' eut jamais acet égard aucun
engagement entre nous.


D. Cette condition ne fait-elle pas présumer que




(3~ )
vous aviez avec 'lui une intelligence parfaite sur le
systéme qui devait étre suivi ? - J'avais avcc M, de
Peyronnet des rapports deconfianceet d'amitié;.
j'avais une haute estime pour son caractere et sur-
to~t pour son expérience et pour ses talens.


D. Aviez-vous su les motifs de la retraite de
MM; Chabrol et Courvoisier? - R. Je savais que ces
Messieurs avaient quitté le ministére. Je n'ai jamais
supposé qúe ces deux membres du conseil se fussent
retires dn conseil pour d'autres motifs que ceux de
rentrer dans la retraite.


D. Ignoriez-vous qu'a cette époque certains jour-
naux, sur lesquels ori prétendait que le ministere
n'avait pas étésans influencevréclan.aient des me-
sure. de violence ,eicherchaient a en démontrer la
nécessité P- R. le n'ai jamáis supposé que ces jour-


. naux fussent les organésdu ministere.
D. Alots entré aurconseil apres la dissolution ,


n'avéz-vous pasemployé ~ous vos efforts pour di-
rigerle vote des fonctionhaires publies de votre ad-
ministration? - R. J'avoue que j'ai employé des
moyeos légaux pour diriger les votes des membres
de Í'ordre judiciaire; mais je nie avoir mis quelque
prix acet actede conscieuce.


D.. N'avez-votls pas employéles promesses.Tesme-
náces, les injonctions, .et.mis les fonctionnaires dans
l'alternative de la perte de Ieurs empiois , oude I'a-
doption du candidat rninistériel , alors que cette
adoption blessait Ieur conscience? - R. Je ne me
suis jamais melé des opérations electorales dans ce




( 33 )
sens. J'ai recu peut-étre au ministere de la justice
mille demandes de destitution de membres de l'ordre
judiciaire, et je n'en ai aeeueilli qu'une seule, celle
dirigée contre un procureur du Roi, paree qu'elle
éfait Iondée sur des motifs étrangers ases opinions
politiques.


D. A quelle époque a été proposé le plan des or-
donnances? - R. C'est vers le milieu du mois de
juillet.


D. Par qui eette proposition a-t-elle été faite?-
R. Je ne puis le dire; le serment n'est pas vain pour
moi; ma fidélité est mon seul bien, la seule censo-
lation qui me reste.


D. La diseussion qui avait eu lien dans le conseil
des ministres se renonveJa-t-elle devant le Roi?-.
Je ne puis rien dire a eet égard.


D. Quel fut l'auteur du rapport au Roi? ---'- R.
C'est moi ; mais ce rapport a été tout-á-fait en dehors
des ordonnances du 25 júillet : iI était primitivement
destiné au public; par·conséquent il n'a pas détcr-
miné l'adoption des mesures. La rédaction de ce rap-
port n'a été achevée que le 25 au soir. La lecture
n'en a été faite dans le conseil que le 25 juil!et:
adopté par le conseil, ce rapport .fut revétu de la si-
gnature de tous les membres.


D. Quel íut le rédacteur de l'ordonnance relative
ala presse périodique.-R. La réclaction fut arrétée
au conseil.


D. Ne l'avez-vous pas signée? _ R. Oui.
TI. 3




( 34 )
D. N'avez-vous pas centre-signé l'ordonnance re-


lative aux élections. - R. Oui.
D. A~t·il été délibéré en conseil sur les mesures a


prendre pour l'exécution des ordonnances P- R.
On ne s'attendait pas aune résistance pareilJe.


D. Les autorités judiciaires n'avaient-elle pas recu
des instructions ace sujeto - R. Les autorités judi-
ciaires ne devaient pas en recevoir, puisque ces 01'-
donnances devaient étre exécutées par des rnoyens
administratifs.


D. Comment compreniez-vous que des moyens ad-
ministratifs .pourraient suffire pour exécuter des 01'-
donnances qui pouvaient entrainer des résistances
légales, lesquelles ne pouvaient étre vaincues que
par des jugemens. - R. Il suffit de lire les -ordon-
nances pour étre convaincu d~ la vérité de ce que
je dis; les tribunaux n'étaient pas appelés a concou-
rir a l'exécution de ces ordonnances; au reste, si
les mo.yens d'exécution.de ces ordonnances exigent
des développemens plus étendus, il~ pourront trou-
ver ·place dans la défense.


D. N'avez-vous pas prévu que jamais les tribunaux
ne concourraient a l'exécution de ces ordonnances ,
si jamáis on s'adressait a eux , et qu'il refuseraient
tout appui a ces mesures extra-Iégales? N'avez-vous
pas alors avisé aux moyens de suppléer aces tribu-
naux? - R. Je vous priede remarquer que I'ordon-
nance de la presse était entierement provisoire; la
mesure devait en étre convertie en loi dans la pro-
chaine session; que par conséquent il n'y avait pas




lieu de craindre un défaut de concours de la part des
autorités administratives et jndiciaires.


D. N'avait-il pas été question de constituer des
tribnnaux extraordinaires , dans les cas oú les cours
et tribunaux refuseraient ce concours? - R. Ja-
mais.


D. Avez- vous en connaissance de la protestation
insérée les 7 dans le National et dans d'autres jour-
naux\ - R. Je n'en ai pas eu connaissance dans
tonte la Journée dn 27. C'est á sept hellres du soir
seulement que je vis arriver , chcz le prince de Po-
lignac, le procureur dn Roí de París, qui me rendit
compte de quelques íaits qui rentraient dans mes
attributions, n me parla aussi de la protestation dont
il s'agit, et il m'annonca que, conformément aux
lois existantes, il avait dirigé des poursuites centre
les auteurs et signataires de ces protesta tions, .


D. N'avez-vous pas été informé de la gravité des
événemens, et pourquoi, dans c~ cas, navez-vous pas
communiqué.ce renseignement auxautres ministres?
-R. Je erois me souvenir que le mardi, ':).7, j'ai vu
M. Bayeux et causé avec lui sur l'exéeution des 01'-
donnances et la manifestation de l'opinion publique
aleur sujeto Ma mémoire ne me retraes pas les dé-
tails de eette conférence ; mais je ne erois pas que
M. Bayeux ait eu la moitié de eette prévoyance qu'il
s'est attribuée dans son témoignage. •


D. Quels moyens avez-vous employé pour évirer
l'effusion du sang et pour prevenir une lutte qui
ponvait s'engager entre la force armée et les ci-




( 36 )
toyens ? - R. Toutes les mesures étaient hors de
mes attributíons.


D. Av·ez-vous continué d'avoir des rapports avec
les autorités P- R. Jusqu'an 2g.au matin jcn'ai en
aucun rapport avec les autorités,


D. Avez-vous été averti des moyens d'exécution
des ordonnances et de la mise en mouvement des
eorps militaires P - R. Cescorps militaires ont été
mis en mouvement paree 'qu'il y avait e~ des ras-
semblemens dans la jpurnée de juillet, Ce n'est
qu'aprés mon arrestation que j'aí connu ces détails.


D. Avez-vous recommandé a la force militaire de
se conformeria loi du ~ 1 juillet [791, et de faire
précéder l'emploi des armes des, sommations vou-
lues ? - R. Je ne devais ni ne pouvaisélever aucun


.doute a ce sujeto Je rappel1e que les mesures apren-
dre ne me concernaient pas, en qualité de ministre
de la justice,


D. N'avez-vous eu aucun rapport avec le préfet
de police dans la 'jüurnée du 27. - R. Aucun:


D. Avez-vous vu le procureur du Roi dans la
méme journée. - R. Non.


D. Avez-vous participé a la délibération dans la-
quelle a été arrétée la mise en état de siége de Paris?
- ,R. Cette délibératión a été prise deus un conseil
a~lquel j'ai assisté.


D. Quel motif a amené cette mesure rigoureuse?
- R. La situation de Paris et la gravité des circon-
stances, D'ailleurs ces motifs seront développés dans
la défense.




( 37 )
D. Cette mesure fut-elle arrétée le mardi soir dé-


finitivement au provisoirement? _ R. Il me parait
que cette mesure a été prisesans condition,


D. A-t-il été avisé aux moyens de porter la con-
naissance de cette mesure et le plus tót possible a
vos concitoyens ? - R. Je ne puis parler que de ce
qui me.concerne en qualité de ministre de la justice.
Je saissqu'il était de mon devoir de notifier cette 01'·
donnance 11 toutes les autorités judiciaires; aussi en
ai-je adressé une ampliation au procureur-général ,
le chargeant de la transmettre au procureur du Roi
et aux autres autorités. Si le terns me l'avait permis,
j'aurais completement rcmpli cette.forrnalité en ce
qui concernc la Cour de cassation.


D. Avez-vous connaissance des mesures prises re-
latí vement ala formation d'un conseil de guerre?-
R. Non.


D. Le conseíl a-t-il cessé de tenir ses séances de-
puis la mise en état de siége, ou a-t-il donné cours
a ses déliberations? - R. Le conseil n'a pas eu de
délibérations depuis le 2.7 juillet au soir,


D. Les membres du conseil ont-ils eu connaissance
des ordres donnés par l'autbrité militaire po ur l'exé-
cution de l'état de siége? - IL Aucune,


D. Des mesures avaienr-elles été prises ponr que
le conseil íút averti des événernens , et pour les [aire
conuaitre au Roi? - n.. Aucune mesure, aucune
précaution de ce genre n'avait été prise; le pouvoir
se trouvait concentré entre les mains du maréchal,.
lui seul pouvait donner des renseignemens.




( 3H )
D. Vous avez done-pensé qIie la mise en état de


siége vous soulagerait de tous les devoirs attachés
au ministere , el enleverait la responsabilité qui·
pouvait vous atteindre; car enfin la mise en éta t de
siége était un de vos actes. Ne deviez-vous pas étre
averti des avantages et des inconvéniens de cet état
de siége pour, pouvoir en inforrner le Hoi, et Je faire
cesser du momsnt oú vous auriez reconnu qu~l était
inutile? - R. Nous n'avons jamaispensé que la mise
en état de siége ait pu nous décharger de la respon-
sabilité ; mais ayant concentré tous les pouvoirs
entre les mains du maréchal , HOUS ne devions pas
intervenir dans ses opérations militaires. J'aurais de-
siré pouvoir arréter l'effusion du sang; plus que
personhe j'ai gémi des malheurs des trois journées,
et du sort des victimes qui sont tombées. n ne m'ap-
partenait pas de provoquer aucune mesure a cet
egard. Il fallait que S,'1\1. fút informée de la situation
de Paris , elle ne pouvait l'étre par moi, puisque
j'ignorais la majeure partie des événemens,


D. Avez-vous eu connaissance de l'ordre donné
d'arréter plusieurs personnes, entre autres des dé-
putés? - R. Je n'en aientendu parler d'une ma-
niere précise que depuis mon arrestation. Je ne puis
me souvenir qu'il en ait été qnestion auparavant.


D. Savez-vous aquel moment ces ordres ont été
invoqués de vous? - R. Non.


D. Avez-vous eu connaissance de la démarche faite
par quelques Députés? - R. Oui ; quelquc teros
apres , dans les conversations souvent interrompues




( 39 )
que nous avions ensemble, OH se rendait compte
mutuellement de la marche des événemens ; e'est
dans un de ces entretiens , et seulement apres la re-
traite des députés , qne j'ai eu eonnaissance de leur
démarehe et des propositíons qu'ils avaient faites au
maréchal.


D. A-t-il été tenu , dans la soirée du mercredi, u~
conseil ? y á-t-il en une réunion des ministres, dans
laquelle on ait indiqué ce qu'ilconvenait de faire,
par suite de cette démarche des députés, et quels
moyens pouvaient étre employés pOllr déterminer
le Roí aprendre un parti qui pút arréter l'effnsion
du sang? - R. Non; il n'a pas été tenu de conseil,


D. Savez-vous ..'il a été rendu eompte au Roí,
dans la soirée du mercredl , des événemens de cette
jonrnée, et notamment de la demande des dépu-
. .


tés? - R. Je ne l'ai jamais su. J'ai toujours eru que
c'était au maréchal arendre CQlllpte au Roi de eette
démarche.


D. A quelle heure vous ches-vous réuni a vos col-
legues le jeudi matin ? - R. Je ne puis préciser
l'henre, mais c'était de tres-honneheure.


D. A-t-il été pris alors quelque résolution IlOU-
velle a l'occasion des mouvemens qui se dévelop-
paient avec plus d'énergie que la veille? - R. Le
maréchal nous réunit , n~ms rendít compte de la si-
tuation de Paris , et nous décidámes qu'il fallait nous
rendre tout de suite aSaint-Cloud ponr faire con-
naitre eette situation a S. M., ponr obtenir le rap-




-


( 40 )
port des ordonnances et l'acceptation de nos dé-
missions,


D. M. Bayeux n~ vous avait-il pas donné des ren-
seignemens précieux? - R. M. Bayeux me trouva
aux Tuileries une heure avant que le maréchal nous
réunit pour nous rendre le compte dont je viens de
parlero M. Bayeux me don na en effet quelques dé-
tails sur la situation de París. Il m'exposa que le Pa-
lais-de-Jnstice était: entierement investi , que les pri-
sonniers de la conciergerie s'ameutaient et mena-
caienr de se sauver ; il me fit sentir la nécessité que
la Cour royale pút se réunir ponr rendre des juge-
mens sur quelques affaires d'une nature urgente. Ce
fut d'apres les observations de M. Bayeux que je pen-
sai qu'il était convenable' de proposer a M. le ma-
réchal de convoquerla Cour r~yale aux Tuileries ,
puisqu'il n'y avait pas dans tout Paris d'autre local
disponible et libre. Tel était l'unique objet de la con-
vocation de la Cour royale aux Tuileries.


D.n me reste avous demander si cette résolution
de convoquer la Cour royale aux Tuileries avait été
délibérée avec vos collegues P_ R. Non.


D. Lorsque M. le marquis de SémonvilIe se rendir
aux Tuileries, les ministres délibérerent-ils entre
eux sur le partí aadopter-, et prirent-ils la déterrni-
nation de demander le rapport des ordonnances et
d'offrir leur démission? - R. On ne s'était pas con-
certé ace sujet; mais je suis convaincu que cette
pensée était celle de chacnn de nous,




( 41 )
D. Arrivé aSaint-Cloud, avez-vous assisté au con-


seil. - R. Oui.
D. Est-ce dans ee eonseil que fut prise la résolu-


tion du Roi de ehanger le ministere et de retirer les
ordonnances? - R. Oui, ce fu t dans ee conseil : e'est
moi qui ai contresigné les ordonnances de la nomi-
nation de M. de Mortemart eomme président du con-
seil et ministre des affaires étrangeres.


On passe a.l'interrogatoire de M.le comte de Guer-
non-Banville.


D. Avez-vons eu quelques I'apports avec le présí-
dent du conseil , avant d'étre appelé au ministere.c-e-
R. Non, M. le président.


D. Ne vous a-t-il pas été faitquelqueouverture re-
lativement a la conduite que le ministére se propa-
sait de suivre? - R. Aucune.


D. Ne vous erutes-vous pas obligé de-faire con-
naitre au prince de Polignac quelles étaient vos doc-
trines poli tiques ? - R. Oui , lors de la premiere ou-
verture qui me fut faite, je répondis que ma devise
était le Roi et la Charte, que la Charte était mon
évangile poli tique.


D. Quel motif vous a porté a rédiger une note qui
a été tronvée dans vos papiers , et qui avait pour
o'bjet de combattre les propositions contraires ala
morale et a la foi jurée ? eette note ne se rattachait-
elle pas ades propositions de ce genre , qui auraient
été émises dans le conseil ?-:- R. Aucune proposition
de ce gen re ne m'avait été faite. Les journaux par-
laient chaque jour de coups d'état qu'ils prétendaient




( .1 2 )
projetés dans le conseil. Je rédigeai cette note, non
pas pour la mettre sous les yeux du président du
conseil, mais ponr rédiger par écrit les opinions po-
litiques que j'avais toujours professées.


D. Avez-vous participé a la rédaction du discours
prononcó par le Roi al'ouverture des Chamhres ?-
R. Il n'y a pas de doute , puisque ce discours fut dé-
libéré en couseil.


D. Avez-vons participé a la réponse que le Roi fit
al'adresse de la Chambre des Députés? - R. Oui.


D. Cette réponse a-t-elle été l'objet d'un débat?-
R. Elle fut discutée : je puis méme dire qu'elle fut
rédigée dans le conseil, et que chacun ,y prit parto


D, Quel fut le motií de la retraite de MM. de Cha-
brol et de Courvoisier? ...:-. R. Une dissidence d'opi-
nion sur la mesure qu'il y aurait .a prendre dans le
cas oú les élections ameneraient une majorité hostile
an ministere.


D. Expliquez-vous davantage sur cette mesure?-
R. Je ne puis rien préciser de plus. M. de Courvoi-
sier pensait que le ministere devait se retirer. Cette
opinion n'a pas été adoptée par la majorité du
conseil.


D. N'avait-il pas été question, acette époque, de
déterminer quelle ligne de conduite on suivrait pOlfr
le cas oú les élections seraient contraires au mi-
nistere?- R. Non. Iln'avait pas été question de cet
objet al'époque du 2. 1 avril; plus tard, c'était une
opinion arrétée dans·le conseil de suivre constam-
ment les voies parlementaires et constitutionnelles.




( 43 )
i'J. le président m'a fait l'honneur de rappeler une
note que j'ai tracée au mois de dócembre : je rappe-
lerai a mon tour qu'un mémoire redigé, dans le
méme sens, avec plus de talent, et dans lequel les
mémes doctrines étaient professées, avait été pré-
senté au Roi par le président du conséil a l'époque
du 14 avril. Ainsi j'ai la conviction profonde qu'á
eette époque les doctrines du prince de Polignae
et de tous les membres da oonseil étaientparfaite-
ment conformes acelles que j'avais développéesdans
ma note.


D. Par qui furent proposés MM. de Peyronnet et
de Chantelauze ? - R. La modification du ministere
m'est tont-a fait étrangere.


D. Lorsqu'au mois dernier les élections, devinrent
nécessaires , des promesses et des rnenáces n'ont-
elles pas été employées pour obtenir les suffrages
des fonctionnaires publics ? - R. Je ne crois pas
qu'une pareille doctrine soit entrée °daris les inten-
tions d'aucun membre du conseil. Qnant a ce qui
m'estipersonnel , il existe deux eirculaires, l'une
ponr lVIlVl. les évéques , lautre pour les recteurs de
l'Académie. On verra que je n 'appelais , a l'aide du
gouvernement, l'influence que pouvaient exercer- les
évéques et les docteurs , chacun dans leurs attribu-
tions , que daos des termes qui neo laissent aucun
doute sur mes intentions. Je les adjurais d'employer
leur iufluence a procurer des Députés loyaux , ti-
deles au Roi et au pays. Cette noble Charnbre ne
pensel'a pasque j'aurais invoqué la vertu des évéques




( 41. )
de France al'appui d'un moyen qui pourrait étre re-
poussé par la loyauté et par la loi. Je dois m'expli-
quer sur un fait de destitution : une seule destitu-
tion a été prononcée par moi dans le département
de l'instruction publique. Elle a frappé un profes-
seur électeur ; non pas précisément paree que je sup-
posais qu'il voterait dans un sen s contraire aú gou-
vernement, mais parce que, .dans les lieux publics
et notamrnent dans les cafés, il disait hautement que
son vote était acquis au candidat de I'opposition.
J'ai dú , pour l'honneur du eorps enseignant , répri-
mer une conduite qui m'a parue contraire au devoir
d'un professeur,


D. A quelle époquc fút-il question pour la pre-
mi ere fois des ordonnances de juillet. _ R. Du 15
au 20 juillet.


D. Par qui fut faite cetre proposition? -:- R. Je ne
puis faire de réponse a ce sujeto


D. Les principes sur lesquels reposent les ordon-
nances du 2,) juillet, n'avaient-ils pas été, longtems
avant cette époque, l'objet des diseussions du con-
seil. - R. Non.


D. N'écrivltes-vous pas aM. Courvoisier POUI' con-
naiere son opinion sur cette question ? Quelle fut sa
réponse , et ·a quelle époque la recütes vous? - R.
J'écrivis en effet' a M. de Courvoisier , non pas pré-
cisément pour le consulter sur la proposition faite
au conseil , mon devoir ne m'aurait pas permis de
révéler cette proposition , mais j'entrai dans l'exa-
men d'une question générale , et j'interrogeall'ex-




( !l5 )
périence de M. de Courvoisier. C'est vers le 5 j uillet.
n n'avait pas encare été question dans le conseil du
systéme a suivre,


D. Pendant combien de séances les ardonnances
ont-elles été discutécs dans le eonseil ? - R. Je erais
que c'est pendant deux séances.


D. Par qui ont-elles été combattues Pc-> R. Cette
questian me place dans une position délicate. Je n'ai
pas a cet égard pensé comme .mes collegues. J'ai cru
qu'il convenait de faire id une distinction. Je sens
autant que personne toute l'importance d'un ser-
ment; rnais iI me semble que l'obligation du serment
ne doit s'appliquer qu'a ce qui constitue les secrets
de l'état , et qu'il est possible, sans manquer a ses
obligations, de déclarer a la justice les circonstances
accessoires et peu importantes. Ce fut d'apres ce
principe que j'ai cru pouvoir révéler mes opinions
personnelles , en respectant ce q ui était particnlier a
mes collegues. Quand j'ai eu connaissance de lenr
interrogatoi.re, j'ai vu qu'ils avaient donné plus d'ex-
tension que moi a cette observation du serment.
J'avais cm me tromper; mais l'exemple de MM. de
Chabrol et de Courvoisier m'a prouvé qu'il parta-
geaient mon opinion.


D. Cette réponse me force a vous d:'mander si
vous avez combattu la propositiori des ordonnances
dans le conseil? - R. Oui , je l'ai combattue.


D; Avez-vous fait sentir dans toute son étendue le
danger de ce systeme , en vous appllyant sur l'illéga-
lité des acles proposés P- R. Je sens combien il me




( !I6 "', I /
serait pénible d' entrer dans ces détails. Mes doctrines
politiques se trouvent consacrées dans la notevdu
mois de décembre; elles sont connues. On voit assez
quels moyens j'ai dú employer al'appui oc mes opi-
nions.


D. Avez-vous développé ces opinions devant le
Roi, comme dans le conseil des ministres? - R.


,


Oui , M. le président.
D. Quel jonr la décision fut-elle définitivement ar-


retée ? - R. Le jour du conseil qui a précédé la ré-
daction des ordonnances.


D. Votre position a-t-elle été partagée P - R. Je
erois pouvoir dire qu'un des membres du eonseill'a
partagée.


D. Quel jour la rédaction des ordonnances a-t-elle
été adoptée? - R. Elle a été adoptée la veille et
I'avant-veille de leur signature.


D. Par quels motifs ceux qui s'étaient opposés au
systeme ont-ils été amenés asigner les ordonnances?
- R. La majorité avait adopté le systeme. Cette
adoption reposait sur des faits, sur des attestations.
Les ministres qui ri'avaient pas été de l'avis du .sys-
teme durent penser que ces faits auraient été mieux
appréciés,\:>ar leurs collegues et se ranger de l'avis
de la majorité.


D. N'avez-vous pas cédé aune imissante autot-ité?
_ R. Le respect que je dois a la personne du Roi
devrait m'imposer entierement silence sur eette ques-
tion; mais je crois de mon devoir de déclarer que




( 47 )
le Roí n'a jamais exercé sur moi ancune autorité
dont ma eonseience dút avoir a se plaindre.


D. La publication des ordonnances devait étreac-
eompagnée de l'idée de la résistance, d'une tempéte,
le conseil eút il adélibérer sur les voies d'exécurion ?
- R. Dans une note du 15 déeembre, je prévoyais
eette ternpéte dont vous parlez , mais je ne pouvais
avoir en vue les événemens qui ont suivi les ordon-
nances. J'avais étédéterminé par la conviction pro-
fonde que ee systeme seul pouvait sauver le treme et
nos ínstitutions.


D. La nomination de M. le (1ue de Raguse devait
faire prévoir eette résistanec? - R. Je eroyais que
e'était une faveur du Roi, je ne la rapportais pas a
l'exéeution des ordonnanees.


D. Quel jour avez-vous eu eonnaissanee des pre-
miers troubles de París ? - R. Le mardi,


D. La résistance s'étant manifestée, le sang ayant
eoulé le mardi , le eonseil prescrivit-il l'exacte obser-
vation de la loi du 21 juillet 1791 ? - R. Le eonseil
n'eut pas a s'occuper de ces fnesures de détail qui
devaient étre prises par les autorités civiles et mili-
taires dans un ordre inférieur.


D. Le eonseil s'est-il informé des eireonstanees
dans lesquelles les premieres hostilités ont été com-
mises et si les sommations ont été faites? - R. Le
eonseil s'est assemblé le.mardi pour la derniére fois.


D. Comment avez-vous pu penser que, paree que
la ville était mise en état de siége, vous aviez ab-
diqué toute espéce de responsabilité? Le ministere




( 48 )
ne devaít-il pas surveiller le pouvoir militaire afin
de savoir quand il serait tems d'en faire cesser l'em-
ploi? - R. Aucun des dépositaires de la confiance
royale n'apensé que la mise en état de Eié§e le dé-
chargeait de la responsabilité qui pesait sur sa tete;
mais le conseil est un étre c~llectif qui ne peut,
comme chaque ministre, exercer son autorité que
dans le cercle de ses attributions. Le conseil réuni
n'a point d'action, Il ne'<s'est pas réuni depuis le
mardi jusqu'au jeudi.


D. A qui le maréchal a-t-il rendu eompte? était-ce
au président du conseil ou au ministre de l'intérieur?
- R. Je ne puis, a cet égard, émettre qu'une opi-
nion, qu'une croyance. Je pense bien que M. le ma-
réchal, chargé du pouvoir extraordinaire, aura eu
une correspondance active avec le Roi. fe pense aussi
qu'il aura pu communiquer avec le président du con-
seil ou avec d'autres membres,


D. Avez-vous été infdrmé que dans la journée du
27 juillet il eút été fait nsage des armes sans réquisi-
tion préalable? _ R" Je n'ai rien su de précis a cet
égard, mais j'ai la conviction qu'aucune atraque n'a
en rien de la part des troupes, si elle n'a été pro-
voquée par le peuple. Cette conviction est fondée
sur les ordres que j'ai entendu donner par le ma-
réchal aux officiers qu'il envoyait sur divers points.
Illeur recommandait a plusieurs reprises de n'em-
playel' la force que pour repousser l'aggression, et
de ne se servir d'armes a feu que lorsqu'on aurait
tiré sur elles.




( 49 )
D. Lorsque les circonstances .sont devenues de


plus en plus graves, n'avez-vouspas pressenti la né-
cessité d'y mettre un terme, en offrant au Roí votre
démission et en proposant le retrait des ordonnances.
_ R. Dans les deux journées que nous avons pas-
sées aux Tuileries , il n'est pasun de nous qui n'eút
voulu racheter au prix de son sang le~malheurs qtli
désolaient la capiiale.; maisen;'ce ..l1'lo~~<il.ét~it
impossible deprendre aucune determinatióH.; ce
n'était qu'a Saint-Cloud , en présence du Roi, qu'elle
pouvait etre. prise.


D. AqueIle heure étiez-vous, le mercredi , aux Tui-
leries? - R. Vers midi,


D. N'y avez-vous pas été appelé par le président
du conseil? - R. Nous avions reconnu la veille que
le présidcnt du rconseil ne pouvaitplus restertdans
son hotel, qui avait été assailli, on convint de se
rendre aux Tuileries.


D, Vous avez eu, a l'état-major, connaissance dela
démarche faite par les Dép.~tés?'-R. Je no les ai
Pas vus, mais on m'a raconté les détails de leur dé-


.'marche.
D. Vous n'avez done pas été consulté Sl1I' la ré-


ponse qui Ieur a été faite? - R. Nullemen t.
D. Avez-vous connu eette réponse? ~ It. Elle m'a


été communiquée apres leur départ.
D. A-t-elle donné lien a' une délibération entre les


mi!1istres présens? - R. Les ministres présens ne
ponvaient délibérer sur la proposition faite par les
Dépntés. La démarche était un conseil officieux, un


11. "1




( 50 )
conseil sage, mais elle ne pouvait pas donuer lieu
a une délihération du conseil des ministres, puis-
qu'ilsne formaient pas alors de conscil.


D. Avez-vous su si le Roi avait été informé de la
démarche des Députés P- R. Je n'ai pas douté que
le maréchal n'ait fait part au Roi de cette importante
démarche,


D. Avez-vous su qui a rendu compte au Roi de
l'ensemble des événemens P -R. Je nem'en suis pas
informé.


D. Les divers mouvemens exécutés daps la journée
dumercredi ont-ils été concertés entre le maréchal
et les ministres? - R. Le maréehal ne pouvait faire
aucune communication a un couseil qui n'existait
paso Quant aux communications individuelles, elles
!le pouvaient étre qu'officieuses.


D. Avez-vons su quelle somme considérable a été
distribuée aux troupes dans la nuit du mercredi au
jeu<li?-R. Je n'en ai pas eu connaissance,


D. Avez-vous en eonnaissanee de la démarche
faite par MM. de Sémon~ille et d'Argout? _ R. Oui,


D. Les ministres se sont-ils réunis pour aviser au
parti qu'ils auraient a prendre? - R. Les ministres
n'ont pas tenu de conseil aux Tuileries; ils ne pou-
vaient en tenir. 11 était plus simple de se rendre a
Saint-Cloud et de soumettre l'avis au Roi.


D. Avez-vous assisté au .conseil de Saint-Cloud?-
H. Oui,


D. Est-ce dans ce conseil que pour la premiere
fois était décidé la retrait des ordonnances ?-R. Oui.




( '~ \eH )
Je saisis cette occasion pour faire une observation


relative aune déposition, Un térnoin , M. Thouet, un
ex-procureur du Roi, a déposé sur un fait qui se se-
rait passé a l'époque oú j'avais l'honneur d'etre pro-
cureur-général a Grenoble. Il dit daos sa déposition
qu'il me consulta sur la question du mariage des
prétres , et que je lui aurais réponduque sij'étais
juge, je n'hésiterais pas a medécidereri<favéiirdll
mariagedes prétres. "le me dois de relever cette dé-
claration qui ne peut étre (pJe le résultat d'une mé-
moire infidele ou d'une faussc inrerprétation de ma
pensée, Pour moi , je snis convaincu q ue le concor-
dat de l'an 10 et la Charte constitutionnelle, qui dé-
clarait la religion catholique rcligion de l'état, avait
consacré les réglémens de la discipline sans lesquels
le eatholicisme perdrait son earactere , et par con-
séq~lent, je n'ai jamais dú p&nser que, nonobstant le
silence de la loi civile, on pút autoriser le mariage
des prétres en France.


Cet interrogatoire est termiué.
!l'1. le Président. Prince de Polígnac, vous avez parlé


dans votrc interrogatcirc d'un rapport destiné a -
étre préaenté au Roi, a-t-il été mis sous les yeux du
Roí?


!!l. de Polignac. Oui , autant qne je puis me le
rappeler.


D. Vous rappelez-vous quelle inipressi?n iI fit sur
le Roi? - R. Nullement.


D. Vous avez dit que vous aviez écrit au Roí le
mercrcdi soir , au sujet de la dbnarche des dépu tés;




, ( 5:1 )
avez-vous r~c;u.une réponse acette lettre ?- Il, Oui,
maisl'honneuret la délicatesse m'obligent ane ríen
dire duoontenu de cette lettre.


D.Avez·vous parlé au maréehal de eette lettre?· -
R;Je lui ai dit ce qu'elle cantenait.


D. N'avez-vous demandé aucun renseignement pai'-
ti,~Wi~r,~u'préfet de palice?--R. Je n'ai jamáis été


. t: ",~o..,,- íIt:-:-O' ,-: ';,.' .;", , ,,' ':.
en:rawort·avec,.ce ~agJstJ;at.


.' ]1f; le Président. Comte dé Peyronnet, il pourrait
y avair quelques doutes dans les esprits sur un fait
extraordinaire qui se trauve dans votre interroga
toire, ~~.• qui peut-étre n' est pas suffisamment éclairci
Vous vous rappelez que je vous ai demandé si vous
aviezvu le préfetde police, Vous avez répondu que,
depuis ledimanche al! soir , vous n'aviez pas revu


" cemagístrat. Je vausai fait observer qu'il était
difficilede concevoir qué vous, ministre de l'inté
l'~f:~lr,n'ayezfluaueunardre a transmettre au préfet
lclúndr, JeUlwqj »,i le mercredijpour en obtenir les
renseignemens néeessaires. n est indispensable quP
la Cour soit fixée á cet égard, qu'elle c¿nnaisse pal '
faitementpourquoi vous avez interrompu voscornmu-
nications avec 'Ie préíet de police.


, M. de Peyronnet. Ces motifs étant déjá constatés
dans la procédure .j'espere, M. le président, que vous
me dispenserez d'ajouter d'autres réflexionsa celles
que j'ai déjá présentées, et qui sont consignées clans
des actes importansde la procédure,


11'1. le Président, Il y a une différence essentielle á
faire entre la procédure écrite et les dépositions




( fJj ) •
males. La procédure écrite n'est considérée que
comme renseignement, .tandis que ce sont les dépo-
sitionsorales seules qui doivent former la conviction
de la Cour. Je vous engage dans votre intérét a ré-
pondre plus positivement.


M. de Peyronnet. Mon intérét ne me déterminera
jamais dans aueune circonstance de ma vie, et plus.
cette circonstance sera graveet dangereu~.e,FIY'sje
m'abstiendrai de céder -;1 ,~ce~~~~f~>:.,nf~:~~pi,r.
a:dress~'ce~·téponsé-,· je'feral observer que ce'que
dit M. le président serait vrai' en príncipe si eette
Cour était une Cour d'assises , et que je fusse en
présenee des jurés. Non-seulement on écoute tout
ce qu'on dit, mais encare on lit tout ce qui a été
écrit. •


M. le Président. MM. les commissaires de la Cham-
bre des Députés ont-ils quelques questions aadresser
aux accusés?


11:!. Persil. Quelques-uns des aceusés- out déclaré
faire des protestations; je les priede:V()ri:I~rJ~pli,.·
quer en quoi consistent les protestlHioñ's qll'ÚS ré-
servent;car nous ne les connaissons paso 'l(.


M. de Perronnet. Comme c'est moi qui ai fait fa
premiere réserve et la premiére protestation, la Cour
ne sera pas surprise que je me leve acette interpella-
tion, Il me sera permisde dire qu'ellea quelque droit
de me surprendre , parce qu'elle m'est adressée par
des membres d'une commission auxquels j'ai fait
connaitre avec étendue l'objet de ces protestations.
Quoi qu'il en soit, et je dois le dire , il est facile i1e




( M )
eomprendre que le premier des objets de eette pro-
testation porte sur l'irrégularité fréquernment répétée
dans les parties les plus importantes pour la d¿cou-
verte de la vérité, pour l'administration de la justice,
et dans la prerniere infcrmation qui nous a amenés
en présence de la Cour; et que lesecond objet de
cette réserve est, non pas comme on l'a supposé dans
le p~hli'F, relatif.á la. compétence 'de la Cour, qui est


,cOll~,~~t1t"í~~{ltlje~tjncontestable, mais al'exercice
actuel-de sa j 11rididiün ,én ce q9i concecne ,les accu-
sés qui ont été traduits devant elle.


A1, Persil..Jedemanderaiencore si les accusés sont
dans l'inteution de faire de ees protestations un sujet
de conclusions.


J}1. de Jrlai-tignac. Cela ~entre dans le domaine de
la défense,


,jU. de Perronnet. Je erais que M. le commissaire
a parfaitementraisonde m'interpeller, et j'espére qu'il
me pardonnera, si je suis réduit ici alui dire qu'il a
cO)nplet_e)ll~~,t tO.J;tdans )<1. nature de: son interpella-
tion. Je cOIíl¡Jrend.rai difficilement qu'il se crút au-
torisé a interroger les accusés sur la natnre, le sys~
teme et le but des conclusions que les débats, qui ne
sont pasencore ouverts, pourront leur faire sentir
la nécessité de prendre.


J'en ai dit assez , je crois , en parlant des irrégu-
larités multipliées sur lesquelles votre raison ne se
méprend paso Je le répéte, la compétenee de la Cour
est incontestable; j'éleve 'seulement des doutes sur
Iexercice actuel de sa juridiction, Je n'ai rien de plus.




( 55) ,
a Jire en ce moment; je ne crois pas qu'il soit pos-
sible qn'on m'interroge davantage sur ce point.


Quand les rlébats auront été terminés, quand les
commissaires de la chambre auront été entendus,
quand la parole nous aura été accordée, ce sera alors
que les regles écrites dans la loi, ainsi que notre
intérét , no~s avertiront que le moment est venu de
prendre nos conclnsions positives. Jnsque-la nons
avons intérét; nous avons droi\ d'eDll•.e\C1.)':'nóus


. .
clélihérons¡' ',. . .


M Persil. Le mardi 27 a-toan fait un rapport sur
les événemens de la veille. J'annonce que je m'adresse
aM. de Polignac.


J/lI. de 1Vlartignac. Je ne pense pas que MM. les
'commissaires aient le droit d'interroger les accusés .


.llf. Persil. Nous maintenons que nous avons ce
droit.


Plusieurs yO ix . Et nous ne l'avonspas, nous-autres,
ce droit,


Al. le Président. Je ne pense pas qu'il-soit de
l'intérét de personne d'élever a cet égard quelques
difficultés. Il n'y a auenn dontc que MM. les com-
missaires aient ce droit. J'engage MM. les commis-
saires a aj.ressel' directement des questions anx
accusés.


111. Persil. M. le président nons ayant donné la
parole pour adresser des questions aux. accusés , nous
usons du droit que la loi nous accorde.


Je prie done M. de Polignac de me donner une
nouvelle réponse. Je luí demande si, dans le conseil




( 56 )
du mardi 27,ona fait un.rapport sur les événemens
de la journée et sur.ceux de laveille.


lit: de Polignac. On n'a fait aucun rapport un con-
seil, par.ee qú'il n'y avait aueune autorité qui se


. trouvát en rapport avee le conseil, et qu~ chacun de
ses membres ne pouvait y apporter qn~ le résultat
de ses informations particuliéres.


. 11'1: Persil. Il y avait un ministre de l'intérieur
c4~~1e.~iU:il' tout cequise passeet qui peut in-
téresser ']a súreté publique. Ce minístrepouvaitfaire
un rapport au conseil. Puisquil n'en a pas été fait,
je demande comment et sur quels élernens on a pu
mettre en délibération , au conseil , la question de
samil' si, le lendemain , on mettrait la ville de París
en état de siége.


1J1. de Polignac. Je ferai remarquer que, bien qu'il
n'y ait pas ea de rapport officiel, chacun apportait
au conseil le tribut des informations qu'il avait re-
cueillies dans le cours de cette journée. 01', ces in-
formations-aous firentcroire qu'il était utile de met-
tre la villeen état de siége.


fU. Persil. M. de Polignae a dit dans une de ses ré-
pouses que, jusqu'au 27, iI n'avait pas connu les
événemens; c'est pour cela que j'ai eru ,q,voir adres-
ser cette question aM. de Polignae, pour connaitre
les motifs qui engagerent une délibération aussi ex-
traordinaire que celle de la mise en état .de siége.


1/1. de Polignac. ~l est vrai que j'ai .fait cette ré-
ponse a1\l. le président., mais elle dépendait de la
maniere dont M. le président avait posé la question-


..




( 57 )
J'ai dit que quelques renseignemens, quelquefois
vrais , quelquefois Ianx , m'avaient étéadressés sur ce


. qui se passait dans les divers quartiers de Paris.
111. Persil, M. de Polignac vient de dire que chaque


ministre apportait au eonseil le tribut de ses infor-
mations. Je demande eomment ( et je ne m'adresse
qu'á M. de Polignac) M~ de Polignac avait recueilli
des renseignemens. n avait p~r 'interim Jeporté-
feuille de la guerre, recevait-tlees i~:rls~Igih!mélM~e'
la polioe militaire ?


llI. de Polignac. Aucun rapport ne me parvint
par eette voie, En ma qualité de ministre des affaires
étrangeres , j'~pédiais des affaires de ce département
tout-a-fait étrangeres aux ordonnances.


M. Persil. A qui M. le maréchal devait-il faire
parvenir ses rapports?


j'J;!. de Polignac. Le maréchal devait faire parvenir
directement ses rapports auHoi : il a rempli ses de-
voirs.


]Ji: Persil. Je demanderai aM. de Polignacsi par
la mise en état de siége, il se regardait eomme déli-
vré de tonte espéce de responsabilité ministérielle?


]11. de Polignac. Da moins pour les mesures qui
étaient dan s le cercle des attribntions de M. le maré-
chal,qui concentrait tous les pouvoirs.


ffi: Persil. Vous avez declaré qne le «llle de Ra-
gnsc vous avait parlé de l'ordre d'arrsstatíon d'un
certain nombre de personnes. Qne vous en a-t-il dit?


¡¡J. de Polignoc. Il me dit qu'il avait donné I'ordre
d'arréter un ccrtain nombre de personnes; je n'avais




( 5~ )
jamais entendu parler du nom de, quelques-uues
d'elles: L'ordre de M.le duc de Ragusen'estd'ailleurs
d'aucune importance; 'cal" le maréchal m'a dit Iui-
méme qu'il avait donné contre-ordre une heure
apreso


M. Persii. U est important de fixer l'attention de
la Cour sur lepoint de savoir si c'est vous on M. le
duo-de Raguse qui avez donné cet ordre.


- M. dtJ,PQUgná.c, L'ordee a été signé par M. le ma-
réchal de Huguse.


111. Persil. Sans doute , M.le maréehal a signé
l'ordre; mais n'est-ce pas vous qui aviez donné cet
ordre? •


,1I'L de Polignac. Je'l'ai déjá dit, je n'ai pas donné
cet ordre.


lJ'L Persil. Le mercredi , des rapports vous ont-ils
été adressés sur la situation de la capitale?


1J1. de Polignac. Aucun. Comme président du con-
seil , je n'étais en relation avec aucune autorité civile;
comme ministre des affaires étrangeres, pas davan-
tage. Ce n'était que comme ministre de la guerre que
j'aurais pu conserver quelques rapports avec les au-
torités. 01', tout se trouvait a cet égard entre les
maius de M. le maréchal.


M. Persil. En sorte qu'il n'y avait pas d'intermé-
diaire entrctle Roi et le duc de Raguse.


u. de Polignac, Il n'y en avait paso
ltI. Persil. Á- on-z.e neUl.'es du sore , U\el'cl'edi, VOl\~


avez écrit au Roi. Comment est-il possible que vous
ayez fait connaitre au Roi l'état vrai de la capitale ,




( 59 )'
alors que vous n'aviez aucun renseignement sur les
événemens?


HI. de Polignac. Je n'ai ras dit a ce sujet ce qu'il
y avait dans la lettre. Il n'y avait que la réunion des
renseigncmens vrais ou faux que j'avais pu recneillir.


llI. Persil Vous avez dit, monsieur, qn'il n'y avait
pas eu couseil depuis le mardi soir, Pourqnoi tous
les ministres se sont-ils trouvés réunis le mercredi
aux Tuileries? PQurq\.l0i,Y" ~nt"1ils~Cstés '. toute la
iC?urI).ée et jusqu'au lendemain? '


M. de Polignac. Il me semble avoir expliqué a la
Cour que j'avais été forcé de quitter l'hótel des af-
faires étrangeres et de me rendre aux Tuil~ries.Deux
ou trois de mes collegues se sont réunis a rnoi , les
autres s'y sont successivement rendus,


/U. Persii. Ainsi voilá fortuitement une réunion
qui ressemhle assez a un conseil en permanenee.
( Vives réclamations au banc de ~IM.les défenseu'rs )
Je veux fixer les faits de l'accusatiou.


¡Ji. de ,7J!IaftignaCc. Je proteste eO'ntre ce qui se
passe en ce momento En supposant qtlelviM. les corn-
missaires de la Chambre des Députés aient le droit
d'adresser des questions aux accusés, ils ne peuvent
se Iivrer ades argumentations. Nous sommes ici dans
une position tout-á-fait exceptionnelle. La position
des commissaires de la Chambre n'est pas la mérne
que eeHe du ministere publie dan s les affaires crimi-
nelles ordinaires. Dans l'état actnel des chosesje ne
crois pas qu'il soit possible de laisser adresser une
série de questions aux accusés , surtout qnand it




( 60 )
convient ü M. le cornmissaire de méler aux interro-
gatoires des argumentations dont les réponses entrent
dans les limites de la défense. &,


Jlf. le président. La Cour a décidé qu'il n'y aurait
pas ele ministére publie devant elle, autre que les
commissaires de la Chambre des Députés, etque ce
seraientces commissaires qui rempliraient ces fonc-
tions, flar conséquent ~ ils doivent jouir des droits
accordés au mínistére public, qui est.souverain dans:
ce sensv Apres avoir entendu les interrogateires, fai
donné la parale a :MM. les cornmissaires ; elle Ieur
appartient incontestablement.


M.Persil. La Chambre des Députés est, non pas
l'intermédiaire entrela couronne et la justice, mais
bien un pouvoir qu'il exeree ses droits par lui-rnéme,
direetement. On ne peut pas l'assimilier au minis-
tere publico Si OIl le faisait , nous aurions droit de
dire que la Chambre des Députés est au-dessus du
ministere pubijc, qu'elle exerce nn pouvoir direet,
etque toujours , et dans, tous les pays, elle a eu le
droit d'adresser des qnestions aux accusés qu'elle
avait traduits, C'est méme , il faut le dire ,de cette
maniere que se sont toujours pratiqués !es débats de
eette nature,


Je m'adresse aM. le eomte de Peyronnet.
Jedemande pardon de revenir sui; une question.


La réponse qui ya été faite esttellement extraordi-
naire, nons avons tant d'intérét a fixer l'opinion de
la cour er de la France entiere sur l'état des choses
dans les journées deos lundi , mardi et mercredi , que




( 6 [ )
'la cour comprendra tres-bien le but de ma question,


Je demande comment il se fait que depuis le di-
manche soir, aonze heures, lorsque M. de Peyron-
net savait que les ordonnances avaient été signées,
ayant chez luí M. le préfet de policc, il ne lui ait
pas donnédcs ordres sur ce qui ponvait arriver le
lendemain, et que surtout, apres la journée delundi,
il ne lui aitp~~d~rnéln~6~~~ppOr:t~p~'~~~te).ou"~ée.
.M., .z~.mte.de Pefrónnét. La répétitiori 'de la
quéstion qui rn'est adressée est présentée d'une telle
sorte, qu'elIe m'autorise adire qu'on n'a pas entendu
et recueilli ma réponse. J'ai soigneusement distingue
la journée d, 2.5 et la journée du 2.6. J'ai dit en
termes ex~)l'l'~s que le 2.5 au soir , apre~ en avoir ob-
tenu l'autorisation , j 'avais mandé chez moi le préfet
de police. Je dis et je répete qu'il y est venu a dix
heures du soir, Je répete , et ce n'est pas la premiére;


. w
fois, que je lui ai donné pendant une derni-heure
des instructions gu~ je regrette bien ~e'nepas~voir
,écrites ,.paree qu'eÍles me'dispenseraié~t·de revenir
sur .ce point de l'.accusation. Je remplis par' consé-
quent dans cette journée, d'une maniere com-
plete et irréprochable cornrne aprés , les. devoirs
légaux qui m'étaient prescrits. Qu'on ne parle done
plus de l'étonnement qu'on éprouve, de ce que,
ayant eu des entretiens avec le préfet de police , je
n'aie pas rempli les devoirs qui m'étaient prescrita.


Postérieurement , je n'ai pas vu le préfet.de poliee.·
Je n'ai pas recu de rapports de lui. Je ne lui ai pas
adressé d'orrlrc, La question de1' motifs de cette con-




( 62 )
duite m'a été adressée par M. le président, J'y ai ré-
pondu comme je le devais. M. le président et la noble
Cour savent tres-bien que, lorsque dans une affaire
grave,j'ai exprimé unerésolution que'je crois devoir,
c'est une résolution arrétée dans mon esprit et dans
ma conscience dont je ne rn'écarte jamais.


!.\'lais lorsqu'nne question soumise par le président
est renouvelée par M. le commissaire , j'ai le droit
de lui adresser une réponse d'une autre .ture. J'ai
dit an président que je ne pourrais donner de nou-
velIes explications, par la raison que des explications
plusétendues étaient consignées dans la procédure,
J'ai le droit d'étre surpris que les co~issaires pro-
voquent des réponses qui se trouvent dans leur lan·,
gage imprimé.


M. Persil. Les comrnissaires ne connaissent pas
les réponses imprimées dont on parle; ils demande-
ront a l'accusési le lundi , il était ministre de I'inté-
rieur, s'il y a:vaitun préfet de police; ils lui deman-
deront comment le tundí soir il n'a pas pris des me-
sures pOUl' assurer l'action de ce suhordonné. Comme
les commissaires ne comprennént pas la réponse de
l'accusé] ils sont obligé d'insister.


]Jf. de Peyronnet. Je suis convaincu qu'en y l'é-
fléchissant unpen, le comrnissaire comprendra poul'-
quoi je n'ajoute rien. Je m'étonne qu'il ait répété sa
q~ti(m en votre présence. Je ne puis penser qu'il
oe co~~aissepl;\SCe quej'ai In, cal' ils l'ont écrit, et
ils l'ont sans doute pensé avant que je pnsse le Jire;


]J[ le président. J'ai encoré une question aadres-




( 63 )
ser a M. de Peyronnet : iI existe une contradiction
dans vos réponses acettAudiencc et dans celles que
vous avez faites dans l'instruction. Vous dites acette
audience que vous avez vn M: Mangin le dimanche
soir , tandis qne M. Mangin dit qu'il n'a en connais-
sanee des ordonnances que par le Moniteur.


./JI. de Peyronnet, Je répeteque des le mercredi ,
concevant l' importance de la ~sut'e,.jt-~ais de-,
mandé de m'entendre avec M. le préfet de police re-
lativement aux précautions de súreté qu'iI était né-
cessaire de prendre ; eette résolution n'eut 'pas de
suite, et le dimanche soir seulement , a la sortie du
conseil, quand les ordonnances furent signées, j'é-
erivis a M. le préfet de police de venir me trouver
dans la soirée, Je lui demandai de venir un peu tard,
parce que j'avais du monde chez moi. M. le préfet
de police vint a dix heures du soir. Je ne lui dis pas
avec détail en quoi consistaient les ordonnances ;.je
lui en fis seulement connaitre la nature , et je l~invi­
tai a. redoubler de soinspour empécher que l'ordre
public ne fut compromiso On ne doit pas étre surpris
de ce que je n'ai pas donné aM. le préfet de poliee
des instructions relatives a la eonduite qu'il devait
tenir dans la journée dn.mardi, a l'occasion des dé-
sordres que j' étais bien loin <k prévoir.


M. le président. M. le eomte de Peyronnet veut-
il bien indiquer le passage du rapport imprimé au-
quel il a fait allusion?


M. de Perronnet. Dans ce moment , je n'ai pas ce
rapport en main ; mais je suis súr qu'apres un mo-








"-1>'-


( 64 )
ment de réflexion , Mi\'l les commissaires sentiront
quelle estma réponse.Je .ande qu'on ne me force
pa~ a'aÜ~r plus loin. En fait, il est certain qu'a dater
c:lUJiuH:{ije n'ai en aucun rapport avec M. le préfet
~~poiice. Il est certain , en fait, que le lundi et le


, rHai-di, ~.' le préfet de la Seine étant venu me trou-
.~~;,~~~.iI;~l?;(¡mqi~({ue je n'avais pas d'ordres a luí
cl.~Im~r.::Ce'3.· f.és~e pe.l~ procéduee 7je n'ai .rien a
ajouter, . ~~,


M. le président: Je demande a M. le eomte de
Peyronnet de qui il a obtenu I'autoi-isation clont il a
~ri~~cl'iI}former le préfet de police de prendre des
niéS:ii"r~~.., '... . ~ "";' h' .


JU. de Pey~o'tnet. le necomprendspas.
M le président, Vous avez dit que le mercredi


précédent, vous aviez demandé l'autorisation de vous
e'nten"&~ avec, l\f. 1\:Iangin; de qui avez-vous recu
c~HeJ.ll\()ris~tion?
.,.tl{. 'dc,·Peyronnet.. A quipouvais-je demander , de


qui pO(1Váis-j~ récevoir .uÍle autorisation decette, na-
ture? ce n'était d'aucun de mes collegues, le I'ai de-
:rp.andee. a celuí-Ia seul qui avait le pouvoir de me
l'accordert aqui seul jepouvais la demander.


11f. le président. •L'intgrrogatoire esto terminé.
Huissiers , faites .appel~r les, témoins,


(M. le coro te Chahrol-de Crousol, premier témoin,
est introduit.) .


ffI. le président. M~ le comte .de Chabrol " vous
avez fait pa~.tl~ ~ ministere du 8 aoút, Dites a la
mur qnelle part vous avez prise a sa composition ;




( 65 )
sous quelle influence et suivant quels principes ~lle
a été opérée.


]Jf. le comte de Chabrol de Crousol. Je pourrais
sans doute répondre a ces questions qu'engagé par
serrnent a ne point révéler les délibérations du con-
seil , je dois me renfermer dans un silence absolu;
mais dans une circonstance aussi grave et aussi 50-
lennelle, lorsque ce silence pourrait étre interprété
en faveur 'de l'accusation et contre les accusés, ma
conscience me dit que je puis , sans manquer a mon
serrnent, révéler ce qui m'est demandé au nom de
la justice souveraine et de la vérité.


J'ai été entierement étranger ala premiere forma-
tion du ministere du 8 aoút. Sorti du ministére le 4
mars 1828, je vivais fort retiré et étranger a toute
sorte de mouvemens , et surtont d'intrigues politi-
queso Trente années passées dans les premieres admi-
nistrations de la France et de l'étranger me faisaient
desirer le repos Je n'avais re~u aueune communiea-
tion di recte ni indirecte au sujet du ministére , 101's-
que le 2 aoüt , auta'nt que je pnis me le rappeler,
]U. le prince de Polignac vint chez moi en m'annon-
cant qn'il se présentait de la part dll Roi, qui comp-
tait sur mon dévoúment ponr accepter un porte~
feuille, Le prince de Polignac me prévint en mérne
tems que Sa Majesté avait déjá fait choix de deux
ministres.


Je dus faire remarquer a M. de Polignac que la
eomposition prerniere du ministere , telle qu'il me
l'annoncait , me paraissait manquer d'une des condi-


11. 5




( 66 )
tions les plus essentielles , dans un gouvernement
représentatif, le talent de la tribune, que je ne
pouvais moi-méme , en ce qui me concernait, qu'étre
arre té par cette considération , qu'il m'était impos-
sihle de déférer aux desirs du Roi. J'entrai dan s di-
verses explications qui étaient relatives a la marche
du GouverneIhent et a la formation du cabinet dans
lequel je regardais comme impossible de ne pas con-
server en premiere ligne quelques-uns des membres
de l'ancien ministére , distingués ou par de grands
talens 011 par des connaissances spéciales, Je dois a
la justice de déclarer que je trouvai M. le prince de
Polignac disposé a. entrer dans ces vues , et qu'il me
perrnit de mettre mes observations sous les yeux du
Roi.


Je fus appelé a Saint-Cloud le lendemain de eette
conférence. J'y retournai encore deux jours de suite,
Apres avóir soumis au Roi les réflexions que me die-
tait ma conscience, je persistáis a me refuser a en-
trer dans le nouveau cabinet , lorsque des paroles
du Roi, auxquelles je ne pus résister , et auxquelles
je me reprocherais melle aujourd'hui d'avoin pu
résister , me déterminerent a ne pas hésiter plus
longtems amettre mon dévoüment ases pieds.


Je devais naturellement desirer savoir quelle serait
la marche que le Roi voudrait imprimer a son Gou-
vernement, et je puis le dire avec vérité, les assu-
rances les plus formelles me furent données sur
l'intention de rester dans les termes de la Charte et
des lois du royaume. Le Boí m'a dit , et je rapporte




( 67 )
ses propres paroles , qu'il n'avait pas voulu faire un
rninistere tout d'une piece ; que pour avoir la majo-
rité dans la chambre, il l'avait pris dans les diffé-
rentes nuances qui pouvaient composer cette majo-
rité : coté droit , centre droit et centre gauche qu'il
croyait représentés par MM. de Courvoisier et de
Rigny. Des instructions positives ont été plusieurs
fois renouvelées au ministere ide rester dans cette
ligue, et d'éviter de donner aucun prétexte fondé
aux atraques dont des le moment mérne de sa forma-
tion, il se trouvait l'objet. C'est dans cette ligne
que le ministere est invariablement resté jusqu'au
moment de l'ouverture des Chambres et de leur pro.
rogation,


M. le président . Quel fut le plan de eonduite
adopté par le ministere?


M. le comte de Chabrol. Le conseil n'avait arre té
d'autres systemes que de se renfermer strietement
dans la Charte, d'éviter de froisser I'opinion par des
destitutions qui jamais n'ont été plus rares, et de
se conformer aux .instructions precises qui avaient
été données par le Roí au ministere , des le moment
méme de sa formation.


h/. le président, Quelles sont les ca!lses qui ont
motivé la retraitede M. de Labourdonnaye?


R. Le conseil n'avait pas tardé as'apercevoir qu'il
ne pouvait y avoir d'unité et de direction dans le
conseil et d'ordre dans ses délihérations , qu'autant
qn'il y aurait nn président : i1 en fit la proposition.
M. le cornte de Labourdonnaye , qui n'adoptait pas




( 68 )
cette maniere de voir , annonc;a qu'il donnait sa dé-
mission : c'est la seule cause que je puisse assigner a
sa retraite,


M. le président, Qllelles ont été les causes de votre
retraite du ministere?


.M. te comte de Chabrol. Ce ne sont point des
projets de eoups-d'état, ni les ordonnances du '25
juillet, qui ont été les causes de ma retraite, mais
du dissentiment sur les conséquences de la dissolu-
tion de la chambre, et les ehances que pourraient
offrir de nouvelles élections.


Ces dissentimens existaient depuis quelque tems.
J'avais toujours pensé que le ministere devait étre


modifié, soit pour le mettre plus en harmonie avec
la chambre, soit pour le rendre plus propre anx dis-
cussions de trihune dans 10 cours d'une session qu'on
présageait devoir étre difficile et orageuse.


J'avais desiré , et une grande partie du ministere
partageait cette opinion, qu'on profitát de la retraite
de M. le eornte de Labourdonnaye pour arriver a ce
résultat. Plnsienrs d'entre nous offrirent méme leur
portefeuille pour rendre eette considération plus
large et plus complete.


Ce plan, qui n'était pas rnéme repoussé parM. le
prince de Polignac, ne fut point adopté; il fut repris
quelque teros avant l'ouverture de la charnbre : il
n'eut pasplus de succes.


A l'époque. de I'adresse , il fut encore reproduit;
el dans les diverses opinions qui furent alors expri-
mées , soit relativemeut ala dissolution de la charn-




( 69 )
bre, soi t relativement ala modification du ministere,
on s'arréta a la prorogation eomme a un mezzo ter-
mine qui perrnettrait d'examiner plus a loisir cette
question importante.


Cette prorogation durait encore, et aucun parti
n'avait été pris, lorsque plusieurs ministres desiré-
rent que cette question devint l'objet d'une délibé-
ration spéciale , qui eut lieu le ,21 avril,


Dans cettedélibératiou,plusieursquestions furent
posées sur la mesure de la dissolution, et les censé-
quences qu'elle pouvait amener, entre autres eelle-ci :
Que devrait-on faire ,dans le cas oú de nouvelles élec-
tions ameneraient une majorité plus. hostile centre.
le ministere ?


L'opinion du ministére était fort divisée surIe ré-
suItat de nouvelles éleetions. Les uns se fondant sur-
l'état de prospérité matérielle du pays , qui se mani-
festait par tant de symptómes, I'élévation du crédit,
le développement des snansactions eommerciales,
la progression de tous les droits de consommation,
se flattaient que les élections seraient favorables. On
produisit méme des statistiques électorales d'oú de-
vait résulter une majorité de soixante voix,


Ils se flattaient que les actes du ministere, qui
seuls pouvaient tornher sous le controle des cham-
bres , ne pouvant donner lieu aaueune censure, la,
résolution hautement annoncée de se soutenir , lui
rameneraiant tous les hommes sages, quiredoute-,
raient l'issue d'une lutte ouverte entre le tróne et le,
pays.




( 70 )
Les autres ne pouvaient partager ces illusions; ils


voyaient la méme chambra s'ouvrir plus forte et plus
animée, paree qu'elle aurait été par le fait de l'élec-
tion retrempée dans l'espritdu pays..


lis voyaient dans cet état de choses la probabilité
d'un conflit tres-grave, par suite duquel iI était na-
turel de présumer, ou que le ministere tomberait
violemment devant les Chambres, au grand préju-
dice de l'autorité royale, ou, si la Couronne persistait
a le conserver , qu'il y aurait de la part de la Cham-
bre refus du budjet, ce qui mettrait le tróne dans
l'índispensable nécessité de surtir de l'ordre légaI et
d'en venir peut-étre ades coups-d'état, au risque de
tout compromettre.


Ce sont ces motifs qui ont déterminé la retraite
de deux ministres qui durent déclarer que s'ils
étaient préts a s'engager aussi avant qu'ille faudrait
dans la canse de la monarchie, jamais ils ne consen-
tiraient aengager la monarchie daos la cause du mi-
nistere.


La question ne consistait done, jusqu'a ce mo-
ment, que dans l'appréciation d'un fait, celui des
chances probables des élections prochaines. Du reste,
aucun projet semblable aux ordonnances du 25juil-
let, aucune proposition du coup-d'état n'avait été
mise en avant.


La modification du ministere a été la suite de la
retraite des ministres. On a méme pensé, par suite
des mémes iUusions, que cette modification devait
avoir líen avant les élections eomme pouvant exer-




( 71 )
cer sur elle une utile intluence. Les événernens n'ont
que trop prouvé combien cette opinion était erro-
née.


Sorti du conseit le J 5 mars, je suis parti pour un
département éloigné oú j'allais exercer mes droits
électoraux, Je ne suis revenus que peu de jours
avant les ordonnances, auxqueUes j'étais si loin de
m'auendre, que j'avais re<;:u trois jours auparavant,
une lettre close pour la convocation des Chambres
le 3 aoñt.


¿rI. le président. Huissier, faites entrer le second
témoin, M. de Courvoisier.


M. de Courvoisier est introduit.
1}I. le président. Vous avez fait partie du minis-


tere du 8 aoút. Dites a la Cour ce que vous savez de
l'esprit, delacomposition etde l'influence qui avaient
présidé acette composition, et sur la ligne de con-
duite qui avait été arrétée dans le ministere.


M. de Courooisier. le n'ai eu aucun renseignement
quelconque sur la formation de ce ministere ; j'ai
seulement appris que M. de Polignac m'avait désigné
.u Roi pour les sceaux.


Au mois d'aoút 1829, une dépéehe télégraphique
m'ordonna de me rendre a Paris ; elle m'annoncait
que le Roi me. confiait les sceaux. J'obéis. Je vis
M. de Polignac ; [e le priai de soumettre au Roi mes
objections et mes craintes; il le fit avec beaucoup
d'exactitude et de loyauté. Le Roi voulut que je me
rendisse a Saint-cloud : il me dit qu'il connaissait
mes opinions; qu'il ne voulait lui-méme qu'aílermir




( 72 )
ala fois le treme et les libertés publiques; qrJe ses
ministres ne pouvaient ni ne devaient s 'écarter de
ce but; que de bons esprits différaient sur les moyens,
mais que tons reconnaissaient la nécessité d'accom-
plir la Charte.


Les plans dn ministere se sont en effet liés a la •
Charte ; tout était prét pour l'ouverture de la ses-
sion; les projets deloi, les discours qui en expo-
saient les motifs , devaient obtenir l'assentiment des
hommes sages, on pouvait raisonnablement, selon
l'opinion de heaucoup de personnes, espérer sur
l'une et l'autre Chambre. Il n'en fut pas ainsi, Vous
eonnaissez la marche des événemens. La Chambra
des Députés fut dissoute; des plans, des conseils ont
des-lors assailli le Roi et les ministres.


Le 21 avril , le président du conseil soumit a la
délibération la question suivante : Que fera-t-on si
les nouveaux choix présagent une opposition plus
violente, une majorité plus hostile?


J'opinai le premier; mon avis fut qu'un ministére
sans majorité devait se démettre; j'ajoutaí que si
eette opinión ne prévalait , je ne pouvais continuef'
de faire partie du conseil. M. de Chabrol opina dan s
le méme sens, Le conseil n'arréta rien ; la retraite de
M. de Chabrol et la mienne fut, des ce jour, chose
convenue; mais elle ne dut étre officiellement recon-
nue qu'apres le retour de M. le Dauphin , qui allait


\ se rendre aToulon,
Dans l'intervalle on n'agita, relativement ala poli-
. .


tique intérieure , que eette question, savoir , s'il ne




( 73 )
convenait pas que les opérations des colléges élec-
toraux fussent terrninées avant l'annonce officielIe
de notre remplacement au conseil du Roi ?


Cette question avait été ptoposée par 1\1. de Mont-
bel; il insistait sur la nécessité de l'ajournement;
telIe était aussi l'opinion de M. Guernon-Ranville.
M. de Montbel voyait la erise et le danger; il desirait
vivement des choix rnodérés., et trouvait une res-
source dans le retourde M. de Villéle , de qui lagau-
che et le centre gauche avaient montré l'intention de
se rapproeher; iI ne doutait pas que M. de Villéle ne
réussit a ramener l'opinion par la eomposition du
nouveau cahinet et la direction qu'il saurait lui don-
ner.


1\1. le Dauphin revint de Toulon; peu de jours
apres, le Moniteur annonc;a notre retraite. M. de
Montbel voulut aussi se retirer : il résista pendant
deux jours aux plus vives instances; il De eéda que
sous la condition expresse qu'il remettrait son porte~
feuille aussitót apres les opérations des colléges d'ar-
rondissement , et avant méme qu'on en eút connu le
résul tat. J'ai su des-Iors que eet excelIent homme ,
dont l'intégrité, .le désintéressement , les vertus et la
modestie sont au-dessus demes éloges, n'avait aban-
donné sa résolution que pour se lier au sort du IDQ.-
narque dont allait se briser le seeptre.


M. de Guernon-Ranville s'est montré dans toutes
les délibérations auxquelles j'ai assisté , fidele aux
príncipes de la Charte, Il m'a écrit deux fois depuis





( 74 )
mon départ de Paris. Sa premiere lettre est du 5, S:J
seconde .est du 30 juillet.


Dans la premiere , il m'informait confidentielle-
ment de tout ce que sa position avait de critique; il
voulait bien me demander conseil, il repoussait sans
indécision l'idée de suspendre la Charte, celle de
dissoudre de nouveau la chambre et de proceder sur-
le-champ parordonnanees. Quelques hommes probes,
mais aveugles, un plusgrandnombre de méprisables
intrígans poussaient aces mesures, et ne voyaient
que la des moyens de salut. M. de Ranville les trai-
tait de fous; de tels actes lui semblaient plus qu'im-
politiques; ils seraient immoraux, disait-il; le Roí
violerait ses sermens,


Il hésitait sur un principe : les lois sont faites pour
les besoins du momento Ne pourrait-on pas en sus-
pendre I'exécution si d'autres besoins plus pressans
rendaient cettesuspension nécessaire? L'article 14 n' a-
t-il pas prévu cecas et montré la ressource?


Je lui répondis que suspendre par ordonnance
l'exécution des lois, ce serait évidemment violer la
Charte.


Dans sa seconde lettre M. de Ranville me donnait
les désastreux détails des journées des 27, 28 et 29
juillet, regrettánt de n'avoir pas été Iui-méme frappé
d'tine baIle. Il me rappelait sa lettre du 5, et me
disait quemes raisonnemens l'avaient convaincu,
qu'il avait combattu de toutes ses forces les projets
d'ordonnances auconseil et devant le Roi, qu'il avait




( 75 )
insisté sur la néeessité de réunir les chamhres. n
ajoutait que dans l'intervalLe de la délihération sur
le principe, a la rédaetion définitive, il avait été dix
fois tenté de mettre sa démission aux pieds du Roi;
que dix fois il avait pris la plume pour écrire ace
sujet au président du conseil; qu'il avait été retenu
par la crainte d'affliger le Roi par une retraite qui,
dansee moment critique, aurait eu l'air de l'ahandon,
et la craintenoa moins vive de paraitre fuir devant
le danger.


En donnant ma déclaration , j'ai spéeialement fait
mention de deux membres du conseil du Roi, M. de
Ranville et M. de Montbel : j'étais requis de m'ex-
pliquer sur deux lettres que j'ai recues du premier:
le second sera jugé par coutumace ; je ne devais
pas dissimuler des faits qui peuvent éclairer les juges.


On pourrait induire de mon silence sur M. le
prinee de Polignae, que dans les délihérations aux-
quelles j'ai assisté , il a pu, notamment le 21 avril ,
manifester le plan ou l'idée des mesures prises en
juillet.


le déclare que, dans aueune délihération, M. le
prinee de Polignae n'a , inplicitement ni explicite-
ment, manifesté l'intention de porter atteinte a la
Charte. n croyait, ilvoulait la respecter dans toutes
les mesures qu'il concevait pour assurer l'ordre et
affermir le treme. Le plan des ordonnances rendues
en juillet n'a été formé qu'apres ma retraite; je ne
puis produire devant lajustiee aucun renseignement
a ce sujeto




( 76 )
M. le Président. M. de Polignac n'a-t-il point pum


céder a un empire irrésistible?
M. de Couruoisier. Revenant deSaint-Cloud aParis,


avec M. de Polignac dan s la méme voiture, je l'ai
trouvé animé des sentimens les plus sinceres pour
le maintien de la Charte, plusieurs fois il m'a expri-
mé Íesmérnes-opjrtions ; mais le lendemain-il hésitait ;
saferrne résolu tion paraissait rencontrer des obstacles
qu'íl ne pouvaitvaincre. (M.de Polignac fait un signe
négatif )


M. Cl'émieux. La déposition de M. Courvoisier me
rappelle une expression dont s'est senvi M. Gnernon
de Ranville dans ses relations avec lui, pour caracté-
riserl'opinion de Ía France.


M. Courooisier. Jemerappelle qu'ún jou», au con-
seil du Roi, il peígnit ainsi l'opinion de la France :
La France, dit-il, est centre gauche.


Me Sauzet. Je demande a M. de Chabrol , s'il n'a
pas en des relations avec M. de Chantelauze avant le
mois d'aoüt.


M.le eomtede Chabrol. 11 ya quatorze ans que je
connais M. de Chantelauze. Je I'ai connu avocat-gé-
néral aLyon pendanttrois ans, et procureur-général
a Riom. Je l'ai vu a diverses époquesvet sousdes
influences fort diverses. Je I'ai toujours trouvédans
la méme ligne de sagesse et de modération, t~ujours
convaineu que 'le Tróne et la Charte 'devaient s'ap-
puyer l'un sur·l'autre. J'ai eu constarnrnent avec lui
plusieurs conférences il y a des années , sur des ques-
tions tres-graves, et qui occupaient á cette époque




( 77 )
tous les esprits, les questions religieuses. La mesure
et la sagesse avec lesquelles il envisageait les con-
séquences qni pouvaient en résulter, me firent en
effet penser qu'il justifierait la eonfiance du Roi dan s
le ministere de l'instruction publique, pour lequel
il avait été proposé, non le 8 aoút, mais , autant que
je puis me le rappeler , le 2. du méme mois, lorsqu'il
fut question de faire passer M. de Montbel ala ma-
rine, aI'oceasion du refus de M. de Rigny.


Me Crémieux, Je ferai la me me interpellation a
l'égard de M. Guernon de Ranvillc.


M.le comte de Chabrol. Je mets d'autant plus d'in-
térét arépondre aeette question, que M. Guernon
de Ranville n'a point ignoré que, n'ayant point
l'honneur dele connaitre avant son entrée au conseil,
et partageant méme les préventions qu'on avait
données contre ses opinions, j'ai vu avec peine que
le choíx du Roi eút été appelé sur luí; mais je lui
dois la justice de dáclarer hautement que je l'ai tou-
jours vu dans les doctrines constitutiorinellés , qu'il
défendait mérne quelquefois avec cette roideur quí
appartient ason caractere ; que, notamment dans la
discussion qui a amené la retraite de deux ministres;
i] se pronon~a dans le sens de leur opinion avec une
force qui me fit penser que sa retraite était une
chose décidée.


Il est quatre heures et quart. Avant;d~ ie~er la
séance , M. le présiden t ordonne d'emmener les ac-
cusés , et recornmande au public de riep~is"quitter




( 78 )
les tribunes avant qu'ils soient sortis. Les accusés
se retirent toujours dans le méme ordre, et précédés
des mémes gardes municipaux. On remarque qu'en
passant devant la-Cour , MM. de Polignac et de
Peyronnet saluent plusieurs fois en souriant,


l11. le président. La séance est levée el renvoyée
adernain dix heures, pour la suite des dépositions
des témoins..




. SÉANCE DU 16 nÉCllMBRE.


Meme affluence qu'hier dans les tribunes pu-
bliques; méme calme, méme ordre a l'intérieur et
au dehors. Il était difficile de se montrer, dans la
disposition de la salle, plusfavorable a la publicité ;
on a soigneusemént profité de toutes les ressources
qu'elle pouvait présenter pour faire assister ace pro-
-ces national le plus grand nombre de citoyens pos-
sible, et l'étendue de la tribune réservée aux journa-
listes,atteste combien l'on avait a eoeur de leur
fournir tous les moyens de rappeler a la' France
entiere tous les détails , tous les incidens de ces
.immenses débats, Cette _tribune, qui se trouve en
face des accusés, des défenseurs et des commissaires
de l'accusation, présente vingt-deux places de front




( 79 )
SUl' le devant, et peut contenir au moins einquante
personnes. 11 y regne un silencieux mouvement ,
une activité qui attire plus d'une fois l'attention
des spectateurs.


Dans la tribuneadestinée aux cartes d'entrée du
harreau , on remarque aujourd'hui M. Dupin ainé ;
des eitoyens se pressent autour de lui, et bientót on
voit plusieurs pairs de Franee venir aupres de l'ho-
norable député et lui adresser Iaparole... :¡>ans une
autre tribune on remarque aussi MM. Etienne,
Viennet, de Sade et Mestadier.


A dix heures et un quart les quatre accusés sont
introduits dans le méme ordre qu'hier; ils sont
précédés d'un huissier, du capitaine Bailly, de deux
gardes municipaux, et suivis de deux autres gardes
municipaux. M. le capitaine Bailly et un garde mu-
nicipal se tiennent constamment au pied de l'estrade,
oú ils sont assis , et al'entrée de l'escalier par lequel
ils passent pour y montero


Quelques minutes aprés , arrivent successivement
les défenseurs, la Cour, et MM. les commissaires de
la Chambre des députés,


M. le président. M. le greffier va procéder a
l'appel nominal.


Pendant cet appel, qui constate la prés.ence de
cent soixante memhres , MM. de. Peyronnet ,de
Chantelauzeet de Guernon-Ranville lisent les jour-


- naux qui rendent compte de la séance d'hier , et
se communiquent leurs observations. M. de Polignac
s'entretient avec M' Malldaroux-Vertamy, qui était




( 80 )
assis hier acoté de lui , et qui est pIacé aujourd'hui
derriere Mo Hennequin.


M. le président: Huissiers , faites entrer' M. Joseph
J01ly.


M. Jo11y n'est pas présent. •
,M. le président. M. Mauroy a adressé une lettre au


président, dans la quelle iI annonce qu'il est malade.
Faltes entrer M.Laporte.


M. Laporte. marchand de nouveantés, rue Saint-
Honoré, n° 152. I


D. Étiez-vous chez vous dans la journée du 27
juillet, quand les hostilités commencerent ?-R. Oui,
Monsieur, et.j'y suis resté jusqu'a une heure,


D. De quel coté, selon vous, paraissait venir l'ag-
gression ?--'-R. De la troupe. A deux heures j'ai fait
fermer mon rnagasin , et je me suis mis au.balcon
pour examiner ce qui se passait. L'agitation était ex-
treme. Je vis le monde courir par handes en criant:
Vive la Charle! ahas les gendarmes! et se diriger
vers le Palais-Boyal, Versdeux heures des troupes
de la garde royale ont tiré sans aucune provocation
de la part des citoyens, et j'ai vu revenir plusieurs
personnes blessées et deux OH trois étaient tuées. Les
personnes qui portaient les cadavres criaient: Aux
armes! »engeancel Bientót le' calme serétahlit, au
m¿ins en apparence; tout reprenait un' aspect assez
calme/A.peu pres acinq heures des groupes se re-
formeretit &M·la rue Saint-Honoré; la garde royale
s'avancai t vers'cette<pa.ptie. de la rue, oú j e me trouvais,
et tirait sur nous. Á six heures je m'ahsentai et re-




( 81 )
comruandai a l'uu de mes fils de tenir les fenétres
ferrnées. Un régiment de la garde se trouvait alors
vis-a-vis l'Oratoire , et ron tirait par les Ienétres. Mon
fils, apereevant le monde qui se précipitait ponr
échapper au da'nger, cut l'imprudence , ponr mieux
examiner le mouvement, de se mettre á la croisée.
11 y était apeine qu'une halle le frappa. Il expira peu
d'instans apreso


D. L'emploi des armes par la troupe, avait-il été
P-fécédé de sommations aúx citoyens de se retirer ;
sommations qui auraient été faites par I'autorité ci-
vile ? _ R. Aucune sommation de ce genre n'a eu
lieu. .


D. Savez-vous, M. Laporte, si, lorsqu'il vous est
arrivé le plus grandmalheur pOlir un pere, quelques
coupsde fusils, partís de votre maison avaient précédé
celui quiatteignit votre enfant ?-R. Aucun coupde
fusil n'avait été tiré de ma maison, mais h.ién d'ail-
leurs. N~us avons vu passer une patrouille de. gen"
darrnerie qui était ahimée. .


.M. Pilloy,joaillier.r-D. Vous étes-vous trouvé, le
27 juillet, dans quelques-uns des lieux oú le combat
était engagé ?-R. Oui, Monsieur; le 27 juillet je me
trouvais rue Saint-Honoré : la, je causáis avecdes
rnilitaires de la ligne aqu~ on avaitdonné ordre de
protéger les boutiques des armuriers , lorsque je vis
arriver .un bataillon de la garde .royale; il venait du
coté du marché des Innocens. Arrivé a la hauteur
de l'église de l'Oratoire, il lit feu ; plusieurs per-
sonnes furent atteintes par des balles, A· peine


n. 6




( 8~ )
eurent-ils dépassé la rue Croix-des-Petits-Champs, que
je vis deux jeunes gens jeter par les croisées des pots
de fleurs sur l~s soldats. La troupe riposta alors
par des coups de fusil tírésaux fenétres. Plus loin , un
engagement eutlieu entre les lanciers et les bourgeois.


D. Mais, avant cet instant, aviez-vous vu jeter des
pierres ou tirer sur la troupe?-H. Non.


D. Avez-vous remarqué que des sommations au-
raientété faites ame citoyens parles magistrats civils,
avant l'emploi des armes parla troupe?-RNon, au-
cune sommation de ce genre n'a été faite et l'aggres-
sion est venue de la troupe.


M. Bressant , employé a la Caisse d'épargnes.-
D. Etiez-vous, le 27, dan s quelques-uns des lieux oú
il y a eu des engagemens entre la troupe et les ci-
toy.ens ?-R., Oui, lemardi, j'étais du coté de la place
du· Palais-Boyal. Au coin de la galerie deNernoürs ,
se trouvait posté un régiment de la garde, paremerís
et collet jaunes. La foule était grande. AII bout d'une
demi-heure , les rangs s'ouvr-irent. Il en sortit cinq
ou six gendarmes quí écraserent plusieurs personnes
sous les pieds de lenrs chevaux, et notamment un
vieillard qui était réfugié pres de la Cif.'ette. Cette
éharge irrita lepeuple. Les gendarmes se rangerent
sur la place. Un de leurs officiers furieux porta un
violent coup de sabre aun homme qui, rangé pres du
mur ~e&maisons , ne faisait pas partí des rassemble-
mens. Le feu eomrnenca ~ l'homrne qui succomba au
milieu de la char;ge de la gendarmerie fut transporté
sur la place de la Bourse.




( 83 )
D. Vous n'avez rien aajouter avotre déposition?


--R. Non.
D. Avez-vous su que .des sommations aient {·té


faites ?-R. Jamais je n'en ai vu faire.
M. Rasset, marchand de vin, négociant, est


appelé,
M. le président. Le témoin 'a une teUe extiuc-


tion de voix qu'il serait difficile de l'entendre, S~i¡'
vent s'approcher de moi , je répéterai a la Cou .. sa
déposition. .


D. Étiez-volls sur les lieux 011, le 27, il Yeutdes en-
gagemens entre la tronpe et les citoyens; avez-vous
remarqué de iquel coté venait l'aggression? Dites a
cet égard tout ce que vous pouvez savoir.-R. Je
sortais de la place du Palais-Royal a4 heures et de-
mie, la foule était considérable, et res gendarmes se
bornaient a reponsser la foule sans sabrer personne.
Mais cette troupe ayant renversé un citoyen, la foule
irritée devint plus tumultueuse, et onjeta (fes pierres
a la garde royale, rangée le long du Pálais-Royal :
étant spectatrice immobile sur le lieu oú la scene se
passait , et la tranqnillité allait renaitre peut-étre,
Iorsqu'un officier d'état-major parla au comman-
dant. La troupe se mit en mouvement et chargea
tont ce qui se présentait devant elle; les feux (ie pe-
lotons commencérent , et moi-méme j'eus apeine le


.tems deme réfugierdans le café dé la Hégence, Dans
la journée du 28 , j'ai vu distr-ihuer de l'argerit aux
troupesj moi-méme je leur ai changé plusienrs píéces
de 5 francs. Le 29 des distributions de vin furent


. .





( 84 )
faites aux Suisses, et cela ne servit qu'á les animer
davantage,


Un Pairo Le témoin a-t-il été blessé? - R.
Non,


M. de Laporte. J'avais oublié de dire qu'a 4heures,
le 27, sur la place du Palais-Royal, un officier de gen-
darmerie dit a la foule :J'ai ordre de vous faire reti-
re}'; retirez-vous ou jé commande de faire feu.Je dis
cela pour répondre a ce que M. le président m'a de-
mandé relativement aux sommations,


M. Roger, concierge de la maison de M. Casimir
Périer. ~ D. Dans la journée du 27, les députés
étaient-ils réunis chez ~. Casímir-Péríer?-R. Oui,
monsieur.


D. Que se passa-t-il pendant et apres cette réu-
nion ?-R. Le matin, a9 heures, des éléves des Écoles
de médecine et de droit se promenaient et s'arré-
terent tlans notre rue; Alors des patrouílles de gen-
darmerie , sortics de la cour du ministere de la justice,
firent feu sur ces jeunes gem, et en blesserent plu-
sieurs.


, D. Les citoyens sur qui eette charge fut exécutée
avaient-ils provoqué ce mouvement ?-R. En aucune
maniere.


D. Des sommations Ieur furent-elles faites avant
l'emploi des armes ?-R. Ancnne.
, Un pairo Comment le témoin sait-il qne ces jeunes


gens étaient 'des eleves en droit ou en rriédecine?-
R. Paree qu'ils meI'ont ,appris. Ils m'ont méme dit




( 85 )
qu'ils croyaient qu'on voulait arréter les députés pré-
sens a la réunion.


M. Bonifáce, ancien commissaire de police. J'ai
été informé de l'apparition des ordonnances dans la
matinée du lundi. Le soir , je recus I'ordre de' M. le
préfet de poliee, d'ernpécher le lendemain la lecture
des journaux autres que ceux dont ilme transmettait
la liste. Dans la rnéme soirée , une troupe de jeunes
gensparcdur.urE)nt le quartier en brisant les rever:
beres, Le lendemain, je recus l'ordre de {aire fer-
mer le Palais-Royal. A trois heures , je me rendís au .
poste du Cháteau-d'Eau, Les gendarmes chargeaient
le peuple al'arme blanche, le peuple ripostait par des
pierres. Une demi-heureapres, un chefd'escadronqui
comm:mdait les gendarmes, vint rn'inviter afaire des
sommations prescrites par la loi. Mais le peuple ve-
nait d'étre ehargé, 'plusieurs eitoyens avaient été
hlessés. Je erus que des-lors, la troupe' ayantagi , il
était devenu inutile de faire des sommations. '


Je me rendís ala préíecture de police pour pren-
dre les ordres de M. le préfet de police, Il me parla
de I'état de siége; sans me donner aucun détail; je
passai la nuit au poste afaire panser les blessés. Voila
pour le mardi.


Le mercredi matin , M. le préfet de poliee m'en-
voya cherchervers sept heures. M. Crosnier me re-
mit un mandat pour saisir les presses du Temps. Je
lui répondis que j'avais assez de .responsabilité dan s
le qnar tier; du Palais-Royal , sans aller aussi loin m'oe-
cuper d'autres fonctions--qui pouvaient me retenir




( 86 )
fort longtems. II se rendit a mes raisons et je re-
tournai elans mon quartier oú je passai la journée a
constater les déces des personnes tuées, soit dansla
rue, soit dans les maisons.


M. lepresident. M. le préfet de police, quand i]
.vous a vu, vous a-t-il donné l'ordre de faire des som-
matious ?


Le témoin.·Lorsque je vis M.le préfet de police, le
mardi, il se bo~na ame parler vaguement de Fétat
de siége. Le mercredi rnatin , M. le préfet de police,
que je vis dans son cabinet , me parla positivernent
de l'état de siége. Il me dit : vous n'étesplus com-
rnissaire , je ne suis. plus préfet de police. Je n'ai plus
d'ordres avous donner; vous n'en avez plus a rece-
voir de rnoi.


UJÍ pairo M .. le présielent veut-il bien demander
an témoin quel jour le préfet de police lui a annoncé
la mise en état desiégei-e-B. le mercredi a 9 henres
du matin.


D. Des coups ele fen ont-ils été tirés avant votre
arrrvée P- R. Le chef d'escadron Reish me la dit.


M. le duc de Fitz-James. Est-ce avant d'avo~rparlé
au chef d'escadron que vous avez fait soigner des
gendarmes blessés P - R. Oui : il y avaít des gen-
darmes blessés a coup de pierres.


D. Ce chef d'escadron n'a-t-il pas voulu vous for-
cer de l'accompagner? Ne vous a+·i1 paspris au collet?
- R. Non: iI m'a ,violenté , il a voulu me conduirc
aux rassemblemens , _mais je n'ai pas fai] attention
aux injurcs, aux menaces de cet homme. 11 m'a con-




..


duit devant son cheval vers le rassemblement, mais
je lui ai fait observer que, l'engagement étant com-
meneé, il devenait impossible de faire les sornma-
tions.


M.le président. Etiez-vous revétu de vos insignes?
- Oui, monsieur.


M. Tourneur, marchand de nouvcautés, s' est
tr~)Uvé sur leslieux ou il ya en des' engagemens en-
tre la troupe et les ti toyens. Des la journée du 27, a
dix heures du matÍn, .sur la place du Palais-Boyal ,
l'affluence était grande. Des détachemens de gendar-
merie parcouraient la place au milieu de jennes gens
qui faisaient retentir l'air des cris de vioe la Charle!
Tout se passa assez paisiblerncnt ju-squ'1. quatre heu-
res. Alors des gendarmes arrivent au galop sur la
foule; renversent huit 011 dix personnes, fernmes ,
enfans, vieillards. Une fcmme est blessée. Une, non-
velle charge amene encoré d'autres malheurs On n'a
pas le terns de se retirer. Le 'pellple, irrité, lance
des pierres a la troupe, Un chef de bataillon de la
garde royale ordonne de charger les arme!" et dit au
peuple : Hetirez-vous , ou j'ai ordre de faire feu ; r~­
tirez-vous , ou vous tombez sous les haionnettes ;
retirez-vous.


D. Mais aueune des sommations de ce genre !le fut
faite par des officiers civils? -lt Aucune.


M. Feret , libran-e au Palais-Boyal , galerie de Ne-
mours, - D. La position de votre magasin vous' a
mis a méme de bien connaitre toutce qui s' est passé




( 88 )
le :17. - R. Le 27, a deux heures, lepeuple était
en masse sur la place' du Palais-Royai. Une maison
alors en démolition était adossée amon magasin. Le
peup,le s'y était placé , afin de pouvoir y trouver des'
pierres pour les jeter sur les gendarmes qui étaient
de planton aux deux coins de la place; la gardc
royale arriva et parvint a l.es débusquer, L' officier de
ser-vice au Palais-Boyal sort avec une o vingtaine
d'hommes ; le peuple se replie sur la rue Montpen-
sier ; la, on commence ajeter encore de pierres aux
gendarmes placés derriere le' Théátre-Francais ; on
se'disperse, mais hientót , sur les deux heures , les
rassemblemens deviennent plus nombreux; Fofficier
de service s'avance avec ces hommes pour faire éva-
cuer la rue du Lycée , on n'obéit pasa ses in jonc-
tions ; il s' emporte, prend 11'( fusil de son sergent,
apres avoir inutilement ordonné de tirer sur les
bourgeois, et eommande le feu. Cependant, sur les
représentations qui lui sont adressées , il s'arréte ;
des pierres sont de nouveau lancées sur sa troupe;
il revient, les soldats tirent: dans la décharge, un
homme est atteint et tué; pn transporte ce malheu-
reux au poste du Palais-Boyal. Qu'avez-vous fait ca-
pitaine ! críe-t-on a cet officier : il se retire pour
prendre d'autres hommes aux poste.


D.-Vous n'avez vu dans ce moment aucun officier
civil faire les sommations voulues par la loi? - R.
Non, M. le président,


D. Combien de personnes furent victimes de eette
attaque ? - R. Une fnt tuée, trois out été hlessées.




( 89 )
C'est moi 'qui , le ~9, ai fait mettre les morts el les
hlessés sous la remise des voitures de Passy, rue de
Rohan.


D. Combien y en avait-il P- U. Quatre-vingts.
M e , le duc de Fitz-James. Un coup de fusil avait-il


été tiré par la troupe lorsqu'elle fut assaillie de pier-
res? -R. Le témoin. Non, monsieur.


D.. Le peuple avait-il jeté des pier~esavaJ1tque la
garde eút tité? ~ Oui, '


D, Dans le nombre des hlessés qui furent releves,
y avait-íl des soIdats de la garde üu de la ligne? -
R. De la garde ,quatre tu es et un blessé ; les autres
blessés furent enlevés.


M. Jauge, banquier. Il y a eu dan s mon quartier
plusieurs engagemens. Je rentrais chez moi. C'était
le mercredi on le jeudi, je ne saurais préciser, Iors-
que je vis un gr~upe au milieu dúquel j'apercus un
homme qui parlait assez haut. n disait qv'il-avait
ses poches pleines de cartouches, saisies sur un sol-
dat du 5e régiment de ligne. J~eDtre dans le gro~lpe:
je m'approché de cet homme. JI me dit : Au fait , ces
cartouches ne pouvaient faire de mal a personne,
cal' il n'y a pas de baIles dedans. On ne voulait appa-
remment que faire peur. J' entrai dans son idée , et
je dis au groupe que ce qu'il y avait de mieux il'
faire, était que chacun se retirát chez soivcar il se
pourrait, ajoutai-je , que le but de l'autorité était de
vous amener avous retirer en vous faísant peur.


Un pairo n n'y avait pas de baIles dans ces car-
tonches?-R. Non, cet homme en avait les mains




90
pleines , j'en pris une, c'était un rnorceau de papier
gris, dans lequel était eontenue de la poudre.Voiei le
morceau de papier identique, je 1'aiconservé eomme
une piece curieuse.


Un autre pairo Le témoin a-t-i] examiné plusieurs
de ces cartouches Pc-eR. Non, je n'en pris qu'une; je
profitai du hasardqui se présentait, et j'avoue q'ue
je n'eus pas assez deprésence d'esprit pour faire une
enquéte sur' les poches de cet homme.


M. le président. Faites passer cette cartouche.
M. Jauge. Je 1'aie1éjHaitvoir a'I uelques personnes;


vousne la írouverez pas tout-á-íait dans I'état oú je
l'ai recue ; mais c'estbien le me me papier et la poudre
qui s'y trouvait quand cet homme me la donna. Ce
fait fut raconté e1evant plusieurs personnes , et con-
statépar l~nepersonnetrés-connue, je crois, de quel-
ques-uns dé MM. les pairs. On m'a encore rapporté
un autre fait qui viendrait a l'á]5'pui de l'exactitude
decelui-ci : quelques soldats, dans la rue de Rivoli,
s'étant trouvés séparés de leur camarades , étaient
suivis assez vivement par le peuple. Un de ces mi-
litaires rnarchait avec peine, soit qu'il fút ivre OH
accablé de fatigue; le peuple se saisit de lui et fouilla
dans sa giberne. Celui qui m'a rapporté ce fait en-
tendit celui qui s'était emparé des cartouehcs reno
fernié!(da~$'la giber,ne, s'écrier , apres les avoir ou-
vertes: «Tiens, il n'y a pas de halles dedans. )/


Un pairo QUe\. 'est lenom de lapersonne de qúi
vous tenez ce fait?.;...;..R. M. Dossemon , beau-pere de
M. de Guichin , major des Ianciers de la garde.




( 9' )
.D. Ce soldat appartenait-il aun régiment de ligne?


-R.Oui.
D. Yavait-ilbeaucoup de cartouches dansla main


de l'homme qui pérorait les groupes? - R. Je ne l'ai
pas remarqué; il m'adit qu'il en avait les po ches
pleines et je ne les ai pas eomptées, comme vo~s pou-
vez' le croire. C'étáit un hasard pOUl" moi d'étre passé
dans ce moment. ,
U~ pairo Quelj.our el a quelle heure avez-vous


recu la eartouche ,que vous possédez encare?~ R.
J'ai déja en l'honneur de vous di re qn'il me serait
irnpossible d~ le préciser. Je erois cependant que
c'est le jeudi. . ' '.


Le sieur Pillvy, déjá entendu , demande a faireune
observation qui lui est suggé"ée par la déposition que
la cour vient d'entendre. Partís pour Rarnbouillet,
nous nous arrétámes a Versailles, et OIl nous délivra
par ordre du géneral. Pajbl , des cartouches quine
eontenaient pas de balles , et n'étaient bónnes qu'a
tirer aúblanc ' .


M. deCastel, négociant, rue aux Fers, Le mardi a
six heures du soir je vis passer devant ma demeure
un grand nombre de citoyens armés; ilsedirigeaient
vers le corps-de-garde oceupé par la gendal'lnerie a
la Halle a~lX draps.A len r arrjvee , les gendarmes sor-
tent du poste; lehrigadier parvint a faire entendre
raison acette multitude, qni se retira. Le lendemain,
dé nouveaux grou pes se présenterent devant ce mérne
corps-de-garde, s'en emparérent sansdifficulté , et
les gendarn~es hu-ent reconduits aleur caserne, Vers




( 92 )
midi , le mercredi , je vis arr-iver dan s la rue 'Saint-
Honoré, une compagnie' de la gardp- royale : sans y
étre nnllement provoquée, eette treupe fit feu sur
le peuple. n s'était passé pen de teros lorsque les
suisses arriverent dans la rue de la Féronnerie; la,
un feu roulant cut lieu de eette rue acelle desProue
vaires. Alors arr-iva 'un général qui nous dit : Rentrez
chez vous , ilDe vous sera rien íait, .


D. Des sommations he furent p~sraites 'par les
offieiers eivils?-R. Non. "


lJ'I. Terrier ; coníiseur. J'ai été témoin de bien des
faits, mais heaucoup demanderaíent un long tems


! Ir lesra.eo~ter; Je ne parlerai do~e q,ue'des circon-s ances prmclpales.· .' .
(Le témoin parle tellement vite et d' une voix si


faih]», qu'on ne peutsaisir un' seul mot.)
jJ1. leprésident. MM. les comrnissaires ont-ils quel-


ques questions afaire au témoin.
M,Bérimger. Cela serait difficile; ear nous n'avons


pu entendre, r Ó: ,
M. le président. Void le résumé de. eette déposi-


tion, Le mardi soir , un offieier supérieur de la garde
royale a fait tirer apres qu'on eut fait fen de l'hótel
de Windsor, rue Neuve-Saint-Augustin.


M. Plougoulm. Jen'ai connaissance personnelle
d'aucun fait important. Comme vient de direM. le
président, j'ai été chargé d'un travail qui m'a mis
en possession d'un grand nombre de documens. Je
ne dais done parler qu'avec une extreme reserve.
L'objet de re travail est spécial; j'ai ét~ chargé de




( 93 )
constater tous les faits glorieux et mémorables de
notre révolution, et en cela ma mission était vaste,
Je pourrais rapporter quelques détails dont la con-
naissance ne .serait pas peut-étre inutile dans eette
affaire.


M. de Martignac. Le témoin a été appelépour faire
connaitre a la Courtout ce qu'il avait pa apprendre.
La déposition du térnoin ne ,repósantpas sur desfaits
eonnus de luí personnellement, la Cour jugera ce
qu'elle peut entendre,


M. le président. Témoin, eontinuez. La Cour appré-
ciera votre déposition.
. M. Plougoulm; Il m'a paru résultendes divers do-
cumens qui me sont parvenus, qu'aux affaires étran-
geres, par exemple , quelques pierres avaient été
laneées sur les troupes ; mais que dans quelques
autres líeux, entreautres au Palais-Royal, I'attaque
a paru venir de ia part de la troupe , prineipalement
de la gendarmerie. .


Ce qui, dans tous les cas , queUe qu'aitété 1:1 eon-
duitedes troupes a l'égard du peuple, me semble
devoir étre constaté, e'est que, malgré les résultats
déplorables de l'aflaire , la troupe n) a pas porté
toute l'animosité , toute l'ápreté qu'aurait exité~ en
elle la présence de véritable ennemis, ·et qu'aux
momens les plus critiques, laplus grande partie-des
troupes, prouvait par sa conduite qu'elle n'ávait pas
oublié qu'elle avait afaire ades concitoyens.


le pourrai.citer a l'appni de ce que je dis , quel-
quesofaits 'solés. Je dirai , par exemple , qu'il est ama




( 9-4 )
connaissance presque personnelle (je tiens le f~lit d'un
ami iotir-ne), qu'un officier supérieur, sur le bou-
levard du Temple ou Saint-Martin , fut couché en joue
par un homme qui lui tira deux coups de fusil sans
le toucher ; et que cet officier, au lieu de faire tirer
sur .ce citoyen, s'approcha de lui, et luidit: Il faut
convenir que vous efes bien maladroit, mon ami;
rentrez chez vous.


Je vais citer un autre fait,. non moins remar-
qnable, ce sontdeux individus a qui le tráit est
personnel, q~IÍ sont venus me lerapporter chez moi:
ces deux cítoyens se sont braqués sur un toir , a la
place de Grev..e. La, dans cette position , il firen t
pendantlongtemsbeaucoup demal a la troupe. L'on
finit par découvrir d'oúvenait le feu , et un officier
ordonna de braquer un canon sur la chemin.ée derriér-e
laquelle .ces· deux individus allaient étre tués. Le
canonnier, avant de mettre le feu, leur fit signe de
se retirer, et leur en donna le tems. A peine avaient-
ils abandonné leur poste, que la cheminée fut
abattue.


Je pourrais citer un grand nombre d'autres traits,
ilest vrai, qui pourraient balancer ceux-lá: On m'a
dit que le mardi, au commencement de l'action, un
officierdegend~t:merieavaittué un vieillard, et l'avait
fou~ aux pieds de son cheval.


-Jeu',3i, je le répete , aucune connaissance.positive,
personneUe ~e ces faits ; ce ne sont pour moi que
des ondit; ce n'e~t aussiqu' avec nne ex treme réserve
que je les livre a'la Co~r. L'on m'a dit \ussi que,


QQ




( 95 )
dans la rue Saint-Denis, u~ citoyen inoffensif avait
été blessé par la garde royale; qu'il était allé ehez
un ami et que, plus inoffensif encore, on avait pris un
cruel plaisir ale percer de COllpS de ba'ionnette. C'est
un fait dont je ne garfUltis pas l'authenticité.


M.le président. Par qui avez-vous été chargé de 'la
rédaction de ce travail? .


M. Plougoulm. Par la commissionjnunicipale..
M.leprésident. 9.uelestle nom de l'ami intime dont


vous venez de parler?
M. Plougoulm. Il se nomme M. de Vouzet.
M. leprésident. Résulte-t-il de vos recher~~es qu~


l'attaque ait été comrnise plus spéeialement du coté
des troupes que du cóté des citoyens?


M. Plougoulm. .L'attaque n'a pas en líen p,artout
de la méme maniere, cornme je 1'ai fait observ~r an


.commeneement de ma déposition. '
M.le Rrésident. Résulte-t-il de vos recherches que
le~ sommations voulues par la loi aient été faites par
les. trcüpes avant de faire feu? .


M. Plougoulm, J'ai la' eonviction profonde qu'il
n'a été fait aucune sornmation sur aucun point.


M. Persil. Je prie M. le président de demanden au
témoin comment il sait qu'aux affaires étrangeres le
peuple a coinmencé par jeter des pierres?


M. le président. Témcin , vous avez entendu la
question : veuillez y répondre,


M. Plougoulm. Je ne peux pas dire positivement
comment je le sais; cela es! résulté pourmoi ~e nom-




( 96 )
breux documens, soit verbaux , soit écrits; que j'ai
recueillis. •


M. Petit, ancien maire du deuxieme arrondisse-
mento Le lundi , je traversai le Palais-Royal pour
rentrer chez moi, adix heures et demie du soir , je
ne remarquai ancun mouvement dans ce quartier.
Les grilles du jardin étaient fermées. J'apercus un
groupe devant le bureau du Régénérateur. Un ouvrier
dit: « On est au ministere-des fihances. » Passant par
la me Saint-Honoré , je vis un groupe de jeunes gens:
On cria vive la Charte! on cassa les reverberes. Arrivé


.au ministere des finances , je vis jeter des.pierres au
factionnaire, Le commandant fit seulement prendre
les ar~'es au poste. lé me rendis ~ la p;éfectur~de
police. M.,le préfet n'y était pas; M, Thouret vint a
moi et, me dit .qu~ le colonel de la"gendarmerie était
monté á cheval avec six gendármes. Je fus surpris de
ce p~t~t nombre. le lendemain , j'allai voir M. de Cha-
brol, préfet de la Seine, .pour luí demandar des in-
strúction. u n'en avait, pas a medonnér ; il me elit
qu'un grand nombre d'ouvriers avait été renvoyé des
ateliers.


Le mercredi , plusieurs gardes natiouaux me de-
manderent s'ils devaient s'arrner. J'étais fort en peine
acetégard.Je ne pouvais leur donneraucun ordre.
le me rendis au Tuileries auprés ide k. le prince
de Polignac :je lui fis connaltre-I'objet -qui m'ame-
nait. Il medit : allez.de suite trouver M, le maréchal.
Je le trouvai sur la place du Carrousel. je lui fitpart
du desir desgardes natiouaux dé mon arrondisse-




~ 91 )
menr. M.lemaréehal me' répondit que déja plusieurs
personnesI'avaient consulté sur ce point, mais qu'il
ne pouvait donner aucnne instruction , et il ajouta
qu'il pourrait y avoir du danger pour ces gardes
nationaux.


Jeudi, vers 9 du matin , je recus une lettre de
M. le maréchal, par laquelle iI m'engageait Ji me
rendre en costume au'I'uileries, Je m1y réndisaussitót,
U. j~ vis M; de Sémon~iUe';,l\f.'lep¡iince dePi>lig,ac
me dit: wM. 'le maire, je vais aSaint-Cloud prendre
les ordres du Roi : je vous engage ú attendce avec
l\f. le due ,de Raguse. Le maire du ro" arrondisse-
ment vin.t me rejoindre. Nous dimes aM. le maréchal
q n'il pouvait disposer de nous : M. le maréchal nous
répondit : « Je vous ai fait venirdans des intehtions
de paix. Portez-vous sur les points oú il importe de
rétablir l'ordre, Táchez de calmer les esprits. »
~ous dimes aM.le maréchal que, pour espérer de


les calmer, il f~llait pouvoirpnrter des-paroles de
paix: ({ Vous :riavez qu'á ~nnoncer, nous dit M. le
. '


maréchal, que j'ai demandé au Roi la révocation des
ordonnanees et qu'elles seront retirées. )} Nous
acceptámes cette mission. Arrivés a la place Ven-
dome, M.le eomte de Walsnous dit qu'ilavait porté
l'ordre du maréchal de faire cesser le feu, que chacun
devait conserver ses positions, que la garde ne ferait
aucun pas en avant. Nous agitámes nos mouchóirs
sur la place, Vendórne. La population .nous entendit
assez, Nous nousrendlmes .de-láála rue de l'Échellc ,
oú un combat était engagé. Nous allárhes demander


il. 7





( 98 )
aú maréchal .s'il avait donrlé l'ordre de faire cesser
loe feu sur ce point. Il répondit qu'il avait donné cet
ordre, mais que la population ne voulait pas suspen-
dre les hostilités. Il nous don~a des officiers d'ordon-
nance pour nous accompagner. Nous agitames des
mouchoirs. La garde'royale.mit aussi de~mouchoirs
aubout~s íusils. -Nous arrivámes ainsi en face du
Th'éatr6..F;.;m~is, 011 .nouti·::vime~ une population
da?sun grand état d'esaspératíon. NOU5 parvinmes
cependant afaire cesser le feu. Le calme s'était un
peu rétabli, ily avait une sorte de rapprochement. Un
soldat de la garde dit: oui vive la Charte!mais avant
tout vive le Roa


Tout a.coup, nous entendimes míe expiosion du
. . .


eóté du Louvre, Nousnoirs portámes de ce coté, et
nous vimes qu'il n'y avait plus moyen de remplir
notre mission. Trente iá quarante soldats s'étaient
emhusqués dans une maison de la rue Saint-Honbré.
Nous engageames l'';fficier qui les commandait a se
retirer. n parl1t partager uotre sentíment; mais il dit
que sans l'ordre du maréchal, -il ne pouvait quitier
son poste. NOllS nous retirámes pour nous réfugier
daos une rnaison de la rue de Rohan.


M. de Martignac. 11 importe singuliérement a la
défense de M. de Polignac de bien 6xer.1a Cour sur
ce -quia en lieu au _Chateau des Tuileries au roo...
ment. oU les ministres sontpartis pour Saint-Cloud.
k demanderar au témoin dans q.uelle disposition
d'esprit il a trouvé 1\1. de Polignac; s'il savait ce gu'il
allait faire aSaínt-Cloud ..




( 99 )
M~ Pe lit. Je ne savais pas quelles instrucñons


M. le prince de Polignac allait chercher-aSaint-Cloud,
inais comme c'était pour une mission de paix que
M. le princé de Polignac m'avait dit de m'entendre
avec M. le duc de R¡tgu·s.e; je dus croire que c'était
aussi dans une mtention de paix qu~M. dePoligpac
allait prendre les ordres du Rqi.M. le marénh~llTI"a­
vaitdi\ : All~ aRnonéet que rai.demandé~le·tap'polft
des ,~"4oimances·,. et qué· j'espere que le Roi rac-
cordera.


(La seance est suspendue pour un quart d'heure ,
á midi et demi, )


M. Barbé, propriétaire. .J'étais., le mereredi, au
marché des Innocens, occupé aéteindre le feu qu'on
avait allumé au milieu de la ~lace, lorsque je 'vis
arriver uné colonne de la garde royale.quí allase
former en pelotons rue Saint-Denisvenface de,la rue
Auhry-Ie-Boucher, Un instant apres, j'entendis Rile
-décharge assez eonsidénble. Jc'.40is. dire. "Lue l'offi-
cierqui commandait 1~ détaehement placé au coin
dela rúe auxFers s'avanca devant son pelotonet fit
la sommation dan s les termes suivans : «Alinornde
la 10í, retirez-vous! retires-vous! ·retirez-vous! ón
'Va faire feu! ') Un instant apres , les fusil s furent bais-
ses, mais l'offícier se tourna vers sa ttToupe et .dit:
(e Ne tirezp~s ! :o .


·M. Galleton; aneien commissaire de police.-
D'. Dites, en votre qualité de commissaire de police,
quelle.partrcipation vous avez prise ~l\l'exéeutiondes
ordonnances de juillet et aux événernens qui en fu-




( 100 )


rent Ies suites? -- R. Le mardi 27, je re~IlS de).1. le
préfetdepolice l'ordre de saisir aux voitures publi-
ques .les jqurnaux qui avaient paru .sans autorisa-
'tion.
': D. Cette sais,j~ eut-elle Í'ieu? - R. Non,mo~­


sieur , et je retournai rendre eompte a M. le préfet
de.policede l'impossibilité de l'exécuter, Je lui par.
.lai en méme tems destroubles sérieux qui sé mani-
festaient dans la capitale ; a l'ordre il m'enjoignit
d'aller a la Bourse ; je m'y transportai. L"effel'ves-
cence était grande, et j'appris que bientót vingt mille
hommes seraient arrnés , en vue de résister ala troupe
et de repous&er la fO'f:.ce par la force..De la ie me ren-
disau Palais-Royal. Je vis l'Qfficier de la garde qui
me manifesta des craintes et m'engagea avoir le pré-
fet pour qu'il eút :a luienvoyer des renforts, s'il
était attaqué , circonstance qu'on pouvait dés-Iors
prévoir, et s'il 'se voyait obligé d'employer la force
ponr repouss.er une agression. Je rendis sur-le-champ
eompte au pr~et de tout ce que j'avais appris; il ~n­
voya immédiatement rnon rapport au commandant
de la place et je retournai dans mon quartier ponr
dissiper les attroupehlcns qui ponrraient ~'y former,
'. 4-(} .henres le commandant du poste du Chátelet
me 6;t préyenér, que des groupes. essayaient de dé-
sarmer ses homrnes, mais qu'enfin-Il était parvenu
ales' d~J,,"{w. Je me r-ends~a.ce .PQsta·afinde pren-
dre des rne's\ll'~S si l'attronpement faisait denouvel-


. le~ tentatíves. J'y trouvai un ho~nme blessé.qui refn-
sait tout secours : un chirurgien que j'envoyai cher-




( ~o 1
cher ne voulut pas le pansér, et fut d'avis de l'en-
voyer al'Hótel-Dieu. Je lis avancer un fiacre , et mis
le blessé dedans avec un officier de paix et deux gen-
darmes. Ils arriverent aI'Hótel-Dieu , mais lepeuple
l'enleva et le pt'omena dans les raes en criant :. re~­
geance! Il mourut ; si on Iui avait donné des soins
il vivrait encore. A ce moment M. de ·Bouooville.;
armurier de la rue des Arcis, vint me wouver;il
avait la téte-coúverte désang;- il m'annonea 'qu"'l.>n'
venait d'enfoncér sáboutique, Je dis auxgendarmes
de protéger sa propriété , si on l'attaquait encore ,
et je voutus me transporter moi-rnémesur Ieslieux,
le ne tardaipas a m'apercevoir du danger, cal' en .
tournant lequaide ]a' Mégisserie, je trouvai .plu-
sieurs hommes armés; l'un me menace d'une épée ,
je ]a saisis, .et tandis que je rn'emparais de .cette
arme, un autre me concha en joue. J'ai la ,fQt'Ce de
me saisir aussi de ce fusil et d'évÍter le coup. Les
deux hommes sont arrétés el-conduits au-":. eorps-de-
garde de la place drrChñtelet ;,Cl.ln:avaitnn poignard ,
l'autre urr-pistolet 'a deux CQUPS; le les interrogeet
les envoieá la préfecture. Depuis.j'aifait snr cela-un
rapport á.M. Girod·de l'Ain et déposé les armes ala
préfecture..


A huit henres du soir , les rassemblemens devin-
rent plus nombreux. Le mercredi, avertíqu'on arra..
chait partoutles armes de France,je fv.s.sur' les
Iieux du désotdre, et-ne pus l'.arretel·i Je-demandais
des ordres au préfet, Il me ditque la ville.étaiten
état de s~ége, et que c'était-al'auterité militairecque




( J (}~ )
, tous les pouvoirs étaient remis, et concentres dans
les mains de M.le maréchalde Raguse. C'était le
mercrediá neuf .heures. Le 'iendemain, j'appris que
le poste duo Chátelet avait rendu les armes, et que le
peuple allait se porter sq.r la pzéfecture, .Je fis sortir-


, huit hommes et 1111 maréchal-des-logis pour empé-
eher de l'investir; mais quand nous débouchámes .
sqi-'le qooi,nougfúmes assaillis; -quelques- hommes
furent tués, d'autres léger~ment})le$.'lé reste prit
la fuite, Dans ce moment, nne voiture dedeuil pas-
sait; deux prétres étaient dedaris : l'un jeune et l'au-
tre "i~uJ¡:; on.cria : abas lesjészi~·te$. Le vieux pretre


. resta- .dans la voiture , le jeune chercha á sesauver :
onluí tira tleux ceups de fusils, Je le,ns transporter
ehez moi. '
,M; Madicr-Monjau. le remarque tine, grande dif-


féreneé.entre la déposition écrite dutémoin et celle
qu'il fait aujourd'hui.
'M. Galleton: Ilest possible que quelques circon-


stancesaieat fui de ma mémoire alors, ets'y repré-
sentent aujourd'hui. D'ailleurs , le' seul fait nouveau
que j'énonce est celui relatif ala voiture oú se tron-
vaíent les deux prétres, Qoond le jeune prétre put
étre transporté dans une maison, rue Planche-Mi-
bray., le peuple monta le voir, et il r~ut méme des
sotos ;decel,lx"quiavaient menacé sao vie. ,


M. 1(3 ;président. Dans vos. fl'éq\1entes.: visites a
M. le,pr.éfet, de poliee :,s.Í1tes-vous s'il adressades
rapports ame. dlfférens.minístres sur l'état de Paris?
- R. Il en adressait aucemmandant de la place.




( 103 )
.JJ. ¡J;Jasson, dooteur en droit , avocar ir la Oour


royale .deParis , cité a la requéte des aceusés:
Le mardi :17 , asix .heures et demie du soir, lacu-


riosité me porta versles Tuileries..J~ metías en face
d'une barricade íormée a l'entrée de la ruedudec
Je Berdeaux, La troupe arriva sur ce point, :r:-e p61il'-
pIe retranché derriére la harri~ade laln~a une' .gr~I~
de píerres, La tro.up~ rispota SlÍl'-Le--chatnp,pa.r:une
né~harge..Je v.is .i'mmédiátefnentmJicer d1u.n second
étage d'unemaison de la rúe du Dauphin, un payé
sur la troupe, qui riposta aussitót par.. une nouvelle
décharge. Je ne m'apereus pasqu'íl restát desrnorts
sur la place; mais des personnes m'assurérent qn'un
homme avait été tué au coin: de la rue du Dauphin ,
et qu'un autre était sorti de latue du duc de'~ú
deaux avec la,figure ensanglantée, De-lá , je meren-
dis a la place des Victoires, oú j'apereus un cadavre
de femme. Il n'y avait pas de sang, d'oú je présumai
que ce corps' avait été apporté la exprés pour exci-
ter lepeuple. \lB me dit que. c'était la femme d'un
tonnelie~.n yavait du monde rassemblé autour , et
'lui crfait oengeance! Cela ne faisait pas beaucoup
d'effet.


(Le témoinentre dans de longs détails defaÍt~
étrangers ala cause, qui excitent des murmures d'im-
patience.)


M. le président. J'invite la Cour et I'audience a
faire silence.


Un pairo Ce n'est ni la Como ni l'audience, se sont
les trihunes.





( 104 )
M. le président, S~ les accusés ont quelques ques-


tionsaadresser au témoin ,sur des faits particuliers,
je les lni transmettrsi. . .


M., dé Martignac. Nous n'avons al'interroget sur
aucun fait -particulier. Nous l'avons fait citer parce
que.nóusavions été informés qu'il savait beaoc'oup
de fitits. .


. .


. M. le pr¿sident..·J'invíte te témoin aaller au fait,
. Le témoin. Jé ne croís pas-divaguer ; je' dis ce que'
je sais.


Dans la rue des .Canettes , prés de la place Saint-
Sulpíce.je vis Une jeune femme en bonnet... (On rit.}
Si: je n'ai pas' de liberté ici , .i,e protesterai corrtre
ce qui-se fera.Caüe .femme ai'~it les .poches.deson
tablier pleiñésde ruhans tricolores. Elle étaitassistée
. . .


de deux hommes robustes pour la défendre au be-
soin. Elle marchait d'un air triomphant. Je rentrai
chez moi.


M. le maréchal Gérard. J'étais au nombre des
commissaires envoyés pa~ la réunion des dép'uté~ au-
pres de 'M. le maréchal duc de Raguse. Le but de
notre mission était de lui demander de mettre fin a
la lutte sanglante qui était engagée entre les citoyens
de París et les troupes de la garnison. M. Laffitté por'
tait la parole, J~ ne puis me rappeler les expressions
qu'il employa ; maís j e- puis dire que son langage fut
coneiliant , et ne tendaít qu'á 'faire cesser les scenes
de carnage qui ensanglantaient les rues de Paris.
M. le duc de Raguse répondit qu'il n'était pas en son
pouvoir d'accéder a notre demande; que, comme




( 105 )
nous , ~l s'affligeait de l'effusiqn du sang f~anf1aig~
mais qu'avant tout, il avaitde grands devoirs arem-
plir, et que force devait rester aIaloi, De son coté,
M. le maréchalnous invita auser de notre influence
aupres des citoyens paur les íaire rentrer dans
leurs domiciles. Nous .lui répondimesque le seul
moyen d'arriver a ce hut, était larévocation.des fa-
tales ordonnances. n n.Qu,!c:4~ que 'e~la: .ne~déeen­
dait.p.asd~J!Ú·;.qqe tont cequ'il pouvait- faire était
d'écriee auBoi , ponr luí fatre connaitre notre dé-
marche et appuyer en son nom sur les périls et la gra-
vité des circonstances.


Dans le cours de la conversation , il nous demanda
si nons n'aurions aucune. répugn~ncc a-voir -?d,. le
prince de Polignac. Nous répondimes que nous n'en
avions aucune, Aprés quelques íustansd'absence ,
M. le maréchal est rentré, nous annoncant qu'i,l était
inutile de voir le premier ministre.


Avant de POU$ séparee"M, Laffite lui,dit.,.d.aOsles
termes les plus vits et-les -plus én.ergicjues, qu'ujle.<im-
mense réspensabrlité p~sait SUrsa tete. M.le~duc de
Raguse nous avoua qu'il en sentait tout le poids , et
il ajouta a plusieurs reprises j et avec une tristesse
remarquable, que c'était l'effet deIa fatalité deson
étoile, Je dois dire, pour rendre homma-ge 'a la.vérité,
que toutes Ies paroles qui ~ortírentdesabouche,nous
faisaient voir combien iIsentait tout ce que sa situation
avait d'affreux.


En sorjant de l'appartement et avant de nous en-
gager dans l'esealier , nous vavons étéahordés par




( 106 ) .
un ofñcier que depuis j'ai suétre M.. de: Laroche-
jacquelein. Il nous demanda. pourquoi"nous n'en-
trions.pásehezMi leprince de Polignac.Nous répon-
dimesqu'on rrous avait dit qu'íl était inutile de le voir.
Cetofnoier noúa pria d'aftendre jusqu'áce qu'il eút
été Iui-mémes'assurer dela vérité du fait. Il revint
quelques instaasaprés-et nousdit qu'en effetM. de
PoI~~ae ne .desil'ai.c;~~nomo voir." .'


M. ;Persil,'tul témo.in. M.'le du.~ de- Raguse vous
dit-il qu'il était inutile de VOiF M, le prince de Poli-
gnac,' ou bien que celui-ci ne voulait pas voir les
députés?
~. Je ne puís rerrdre que le sens.de ce quej'aí en~


rendu; je neipuís me.rappeler lesexpressíons.
. M; P'ersil: .Le témeín a dit dans l'instruction que


M.le due de Raguse avait annoncéqne M. de Polignac
ne voulait pas.voir les députés,


M. de Martigno.c. le remarque dans la déposition
de l\'l~ le eomteGuaro. ,-dyux faits qu'il.importe el'é-
claircir., ,


Dans sapremiére dépositíon , le tétnoin. adéelaré
que M. le maréchal duc de Raguse aurait dit que
c'était par la soumission complete de la popnlation
qu'oh pourrait avoir quelque influence aupres du Roi,
Cette .réponse de M. le dne de Bagusé fut-elle faite
avant ou aprés son entrevue avec M. le' princede
Polignac,


R. Je crois me rappeler qU,e c'était avant,
JI'I.de Martignac. Lorsque M. le prinee de Poli-


gnac fut instruir 'tie ~arrivée au Tuileriés , des dé- .




( 107 )
•putés, il eutle desir de les entretenir, el en consé-


quevce il avertit l'officier- qui se .trouvait sur leur
passage, de les prévenir qu'il les. attendait pour les


.recevoir. M. le comte Gérard, se rappelle-t-il que cet
officier aurait dit qu'íl avait mission de les engager a.
attendre, .


R. M. de Larochejacquelein nous demandasi neus
n'allions pas entrer cli~4'. :M.. de.:P6ligwl~ ; .i:ío~s re-
pond:hpe~_ qq"Qnt\OillS a"flit~i.t qúecela étaíf jnutile ;
alors M. de Larochejacqñelein nous pría d'attendre
et nous dit qu'il allaít s'assurer du fait.


M. le prince de Polignac. le me permettrai de
rappeler ala Cource que j'ai eu l'honneur de lui dire
hiel' ace sujeto , '.


Je ne savais pas que M. le eomte Gérard fút dJI
nombre desdéputés:je n'avais entendn qu,c les n.om~
de MM.Laffite et Casimir-Périer. J'avais un v~rital>le
desir de voir ces Messieurs. Je p,riai .M.de Laroche-
jacquelein de leur dire , .Iorsqu'jls .sortir;t:ient, .q~
je ser~'§. ~icm' aise de ;l~s' .r~(;,er~r.):>ans r~tervalle
M. 1~;duc·~·Rágu~ vint JIl~:,pa;ier de l'objet de la
eonférence qu'ilavait eue avec eux c'est-á-dire le 1'6-
trait immédiat des ordonnanceS. Je ne pouvais pas


. ,


plus queMo le maréchal prendre sur moi de.promettre
le retrait des ordonnances avant d'avoir 1:1. cet égaI'd
consulté le Boi, J'éfr~-vis immédiatement a$a .Itl.~j~~~é.
M. de Laroehejacquelein n'ajant. pa~ été i~swuit, de
cet incident, remplit son message, et vint ensuite
d· trouver. C'est alors -que je luixlis de prier
MM. les députés de ue pas attendre ,queMo le-




( 1~8 )
duc de .Raguse m'avait rendu compte de leur mis-
sion. Ce n'était pas un refus de roa part de les ~ir,
mais la suite .de l'embarras daos lequel je me suis
trouvé vlorsquévj'ai 'appris la condition qu'ils im-'


. '.. .posaient.
lJ'1. Billot ancien procureur du Roi pres le tribú-


liar.(lé ill Selne. ' '.
M",'leprésident, au témoin. Avez-vous été informé


a l'avance des ordonnances du '25 juillet] - R. lene
. les ai connues que par le Moniteur. .


D. Avez-vous recu des instructions particuliéres
du ministere P-:... R. Non, Monsieur,


D. -Quels sontles ministres que vóus avez vus le
lundi et le mardi ?' _. R. M. de Chantelauze et M: de
Peyronnet,
·D~ .Quelles instructions ees ministres vous ont-ils
données7 - 1l. Auennes instructions relativos aux
événemens politíques. La conversation a été générale
avecM.de Chautelauze. Quant ama visite a M. de
Peyronnet , elleavait p6ur objet une observation re-
lative a l'exécutiondes ordonnances dan s l'ile de
Corseo


D. Savez-vous si le préfet depolíce que vous avez
vu également, avait été informé de la publication
d~s. ordonnances P - Il me dit qu'il n'en avait eu
'e6Ilná-~saI1Ce commemoique pár ~MoniÚml';


:Pi. 'S'avez~vous si -le Iundi' matin Iepréfct-dc police
a vu M:d~}~e,yronnet? - le n'ai rien appris de lui a
ce sujet; m:úS:'tfu, causant avec une personne de-la
connaissance déM. Mangin, j'ai appris qu'il avait




( 109 )
été question d'une visite ,faite par le préfet de poliee
a'M. de Peyronnet dans la journée, de- lundi, Cette
p~rsonneme rapporta qu'arrívanta la préfecture de
police au moment 00 M. Mangin y rentrait , ce der-
nier lui aurait dit : (( Je sors de chezM. le comte de
» Peyronnet. p'.


D. Quelqu'ún des ministres- que vous avez 'vus ,
vous a-t-ilentretenu deI' établissement de tribunaux
extraordiIiaiI'e~?-R: Aucunt'fÍlent;


1 • • \. '


D. A-t-il été , avotre connaissance , décerné des
mandats contre des députés ou contre quelques ci-
toyens revétus d'un caractere pubIic? -R. A -roa
connaissance aucun.


D. Quels ont été les motifs des mandataqu] ont
été décernés sur votre réquisitoire ? ':"'-R. Le').? juil-
let, deux ou trois persoimes me parlerent a roan
parquet d'un article du National , qui avait paru le
matin, comme pouvant donner lieu a des poursuites,
Les ordonnances prescrivaient l'autorisatioñpréala-
ble : les propeiétalres du Ñationitz'ne l'avaient point


.. . . . '


obtenue ; -ils ne l'avaient pas, je pense, demandée:
Le numéro du 27 juillet ne fut pas déposé a mon
parquet. J'eus quelque peinea me le procurer; cene
fut que daos )'apres-midi que je pus Tavoit. Je n'hé-
sitai plus apenserque.la publicationde cartide dont
il s'agit ne constituát l'un dea délits prévus 'par la
législation sur la presse. Je l'~gr~ttai de voir au has
quarante-quatre signatures. S'il n'avait été signé que
p~. une seule personne, mes poursuites ne seraient
pas soyties du cercle ordinaire d~ ces sortes de proces ;




( 110 )
mais , 'd',lin áutre eóté ;: je pensaí qu'au ,míl¡eu des
conjónctures OH ron se trouvait, le grandnomhre
de signatUres ne faisait qu'augmenter la gravite du
délit. De~-lors, la 101, mon serment , ma confiance,
et , pourquoí ne le dirai-je pas, mon affection pour
le ~uvernement qui fut .renversé, tout ,rn'ímposait
le deecir d'flgir, et c'eüt été une lácheté de -reculer
de\T:\nt'c~'dév~ir,q~eíqúerig6uretix qu:ilfUt'. Qha-
rante-cinq mandats furentdécernés , sur mon réqui-
sitoire , par Un des jugos d'instruction, lIs furent
remis áu préfet de police afin qu'il en assurát I'exé-
eutiou. Le préfet de police fit appeler 1\1. Crosnier,
'chef de service , qui fit observer-qu'il était trop tard
ce jour~la pour procéder a l'arrestation des qua-
rante-cinq individus, ~t' que d'ailleurs la police de-
vait :fupa'r:lvant s' enquérir de Ieurs demeures, D'un
autre coté, laeonsistance qu'avait prise la sédition
i'e~dait. sinon impossihle , du moins tres-diffieile ,
l'e*éc~f¡on 'd~s mandats. N:óus ~ous <J.uittames en
convenant que, si le'l'endelllaib.l'é"tat des Choses était
'changé, ils, seraient misa exécution; mais le lende-
mairi cela devint impossible : les mandats Eurent plus
tard retjrés de la préfecture de police, et, de concert
avecle jllge d'instruction, je les détruisis, On a ~tta...
dhé', d~ rilft.pórta:ricéA/ cette destruction r. ona insi-
nué 'que le 'gouvernemeht d'alors y était intéressé,
Il résrtlte ceptmdállt del détarls dans lesquels je suis
-entré, qu'en requérant ces mandats j'avais cédé uni-
quement al'impulsion de ma óonscience. Au snrplus,
je ponrrais ~ cet éga:hl dormer, si on le destre, des




( 1 Il )


explications qui semblent exclure toute interpreta-
tion malveillante.


D. Avez-vous eu eonnaissance de la mise en état
de siége de la ville de Paris, aussitót qu'elle a été
prononcée P- R Je ne l'ai connue que le meróredí.
Ceci me conduit naturellement aparler des motifs
qui nous déterminerent , kjuge d'instructien et moi,
aretirer les mandats -de la préfééture depoliee et.á
les dé~r.Uire. .La connaissaneeiqué nous eumes de la
mise' en état de. siége nous fit concevoir des douees
sur la question de savoír sí", au moment oú nous
avions agi, nous avionsencore les pouvoirs néees-
saires pour lancer ces mandats..


Il s'écoula plusieurs jonrs avant que nous 80n,-
ge~mes a les retirer de la préfecture de police. Je
cessai de me rendre amon parqtiet.Ma conscienee
ne me permettait plus de servir un autre gouveme-
mento Je déc1arai au tribunal que, s'il rendait la jus-
tice aunom du duc d'Or'é~ns, je dépsserais roa


r robe. C'est alors que I'idée de retirer les mandats me
revint. a. l'esprit.' Je les jetai avec mon réquisitoire
parmi les papiers de rebut.


M .: Persil. Le témoin vient de dire qu'il tenait
d'une personne que M. Mangin était aUé lundi matin
chez M. le comte de Peyronnet : je 'luí denranderai
quelle est eette personne. - R. Je ne crois pas .'pou-
voir Ianornmer.


D. Le témoin a été procureur du Roí, iL sait par'
conséquent qu'il n'est pas permis de -refuser son. té-'
moignage ala justiee; il a fait sefrnent de dire toute




( 112 )
la-vérité, Nousattachons une tres-grande importance
a connaitre cette personne? - )l.' Je l?e .erois pas
manquer ames devoirs ni ~Ú serment que j'aí prété
en taisant le nom de eette personne:Notre conver-
sation a été toute confidentielle, Si plus tard elle
m'autonise ala nommer , je la ferai connaitre.


M.o !lennequin.Il est "du plus haut intérét pour
M. le comte de Peyronnet que ce point soit éclairci.
le me réunis aM. lé commissairede la Chambre des
Députés pour prier M; Billot denommer cette per-
sonne , afio qu'elle puisse étre appelée devan t la Cour.


M. Billot.. La considération qui vient d'étre
présentée serait pour moi décisive : je demande le
tems. d'y réfléchiref de' consulter 'cette personne.
. . M. le comtede Peyronnet. La Cour me permettra
de -remercier Me Hennequirrd'étre entré tout-á-fait
dans mes sentimens. J'ai le plus grand intéret,' non
pas assurement pour la défense de la cause, mais
pour que ma véracité ne puisse étre 'soupconnée , a
ce que ce fait, comme tous les autres, soit compléte-
ment éelairci. Je ne doute pas qu'il ne soit reconnu
qu'il a été fait. une confusion, soit de tems, soit de
personnes. Jé n'ai vu le préfet de poli ca que 'le di-
manche a dix heures du soir.


;]JI. Balo/.H m'est impossible derésister plus long-
teme, lorsque l'accusé insiste de cette maniere. La
Cour apprécierá le motif qui m'empécháit de nom-
mer cette personne, et l'o~ rendra anssi justice au
motif qui me 'détermine a dire son nom : c'est
M. Rives.




( 1J3 )
M. Persil. Je prie M.le président de vouloir bien ,


en vertu de son pouvoir discrétionnaíre , faire assi-
gner M. Rives.


M. le président.Yeu ai donné l'ordre.
JIIJ. Persil, Le témoin a vu 'M. de Chantelauze le


lundi : quelle est.la nature de la conversation qu'il
eu~ avec lui P- R. J'avais en l'hormeur de dire que
la conversationavait été générale. , .


M. Persil. Jene crois pas qu'il suffl.sede aire qne
la conversation a élé générale. M. Billot était procu-
reur da 'Roí, íl avait vu les, ordonnances dans le
MOlliteur; il a du néeessairement consulter le chef


, J
de la justiee sur ee qu'il avait a faire dans eette cir-
constance et recevoir de lui des instructions. Le té-


, .


moin doit dire toute la .vérité. Te n'ai ici qu'un hut ,
e'est d'arriver ala déeouverte de la vérité, dans l'in-
térét des aeensés comme de l'accusation, ' ~


M. Billot. Je n'ai pas besoin que personne me
rappelle l'importanee duserment , je n'ai pas oublié
eelui que j'ai prété tout a l'heure ; mais je.ne puís
que répéterque , dans la conversation gue j'ai eue le
lundi avee M. de Chantelauze, je n'ai rec;u aueune
instruction particuliere relativo al'exéeution des or-
donnanees et aux événemens poli tiques. '


lU. Persil. Je demanderai ah témoin si, dans la
eonversátion qu'il eút le mardi avec M. de Chante-
lauze, celui-ci a donné l'ordre de décerner, soit des
mandats d'arrét, soit des mandats de dépót,


M. Billot. L'ohservation que fait M. le commis-
saire m'étonne. Procureur- général, il doít savoir


n. 8




( 1I4 )
qu'on ne décerne des mandats de dépót qu'apres les
interrogatoires. ~es mandats d'arrét dont j'ai parlé
n'ayant pu étre exécutés , il n'a pas été fait d'inter-
rogatoire.


M. Persil. Le procureur - général sait tres - bien
comment on décerne des mandats.. Il ,~'ignore pas
non' plus que, lorsqu'il s'agit de décerner des man-
dats centre desperwnnes dont le nom se trouve au
has d'un article , il. faut auparavant s'assurer si c'est
véritablement leur signature. Le procureur-général
ne manquel:a pas a son devoir, et il ne souffrirait
pas que le procureur manquát au sien. Jc reviens a
la quesrión que je dois adresser au témoin.


Commenta-t-il pu se décider arequérir qu'on dé-
cernát quarante-cinq mandats contre des personnes
qu'il ne connaissait pas, qu'il n'avait pas vues , et de
la signature.desquelles il n'était pas sür ? Quel est le
motif qui l'a déterminé a agir ainsi contre tous les
usagesz


. .


. R: J'avoueque fai de la peine a comprendre la
question qui m'est adressée, Il était incontestable
que les quarante - cinq personnes avaient véritable-
ment signé l'article. Dans les circonstances extraer-
dinaires oú 1l0US nous 'trouvions au moment oú l'in-
surrection était flagrante" un article qui le provo-
c¡pait, puhlié dans un joumal , était signé de qua-
rante-cinq individus ," tous journalistes. J'eus la
conviction.que les signatures avaient été véritable-
ment donaées, eette conviction, je la puísais et dans.
les circonstunces du moment et dans les antécédens.




( 115 )


J'aurais cru manquer amon devoir si javais tenu une
autre conduite, et ma conscience me le reprocherait
dans ce momento


M. Lecrosnier, chef de division ala préfecture de
police. Le mardi 27, vers neuf heures du matin , en
l'absence du chef de la premiere dívisron , 'dans les
attributions duquel rentraient plus spécialement
les affaires politiques, M. le préfet de pollee. me fit
appeler..11 m'apprit que, contrairement aux.ordon-
nances, plusieurs journaux avaient paru sans aulori-
sation préalable, et m'annonca son intention formelle
de saisir Ieurs presses. Plusieurs employés de l'admi..
nistration étaient rassemblés dans son cabinet, On y
était divisé d'opinion sur la question de savoir si
ron saisirait la totalité des presses, ou seulement la
presse qui avait servi a l'impression du dernier nu-
méro. Consulté amon tour, et voyantque la saisie
était une chose résolue, je parvins ~ fáireprévaloir
le dernier avis. Des mandats furent. décernés dans ce
sens , et renÍis a différens cornmissaires de pollee. Je
dois dire qu'ilsn'acceptérent cette mlssion pénible
qu'avec une répugnance visible.. M. le préfet me
remit aussi 'quarante-cinq mandats lances contre les
journalistes et hommes de lettres signataires de la
protestation. J~ fis observer a M. le procureur du
Roi, qui se trouvait alors dans le' cabinet de M.1e
préfet, que ces mandats étaient inexécutables.jllme
laissa la faculté de temporiser. Ces mandats ne fu"
rent pas méme enregistrés. Apres la consommation
des événemens, M. le procureur du Roi me les fit




( I16 )
redemander : ils lui furent envoyés. Je dois remar-:
quer ici qu'assez souvent des mandats de justice
sont remis .de la main a.la main a la préfecture de
police, et qu'ils sont rendus de la méme maniere,
lorsqu'il n'y a pas en de commencement d'exécution.
" M: le comte Chabroi- Foloic, ex-préfet de la


Seine.
M le président, au témoin. Avez-vous été informé


des ordonnances du 25juillet? - R. J'en ai été in-
formé a cinq heures et demie du matin par l'arrivée
du Bulletin des Lois , ce qui me snrprit beaucoup,
cal' je ne m'attendais nullement aces ordonnances.
La veille , a neuf heures du 59}r, j'avais recu ma
lettre close comme membre de 'lá Chambre des Dé-
putés qui devait étre convoquée pour le 3 aoüt.


D. Vites-vous, acette occasion, le ministre de l'in-
térieur? -' Ro Lorsque le Moníte{lr m'eút confirmé
cette nouvelle, j'aUai chez Ie ministre de l'intérieur:
je le trouvai dans son cahinet, Je lui dis que les cír-
constances dans lesquelles nous allions entrer He
convenaient pas a mon caractere ; que depuis dix-
huit ans, qu~ j'adrninistrais le département de, la
Seine , j'avais toujours cherché a donner a mon ad-
ministration un' caractere légal et méme paternel;
~e je ne pouvais m'écarter de ces habitudes. M. le
ministre me répondit que si le Gouvernement était
sorti motaentanément , en vertu de l'art. 14 de la
Charte, de ;on~aractere légal, c'était pour Y rentrer-
trés-prochainement. n ajouta qu'il ne pensait pas que
je dusse m'écarter de la marche que j'avais suiviepour




( 117 )


mon administration; qu'il ne l'avait pas entendu cri-
tiquer et qu'il m'engageait ala eontinuer.


Je retournai a l'Hotel-~e-Ville, oú se tronvaient
rassemblés seize membres du conseil-général , ponr
traiter des affaires de la ville. n ~'y 'fut fait auc1;lne
observation .sur les ordonnances, En rentránt dans
mon .intérieur , á cinq heures du soir , je pensai
bien que les ordonnances exciteraient des mo~ve­
mens. dans París, el quoique je n'eussé pasd'agens
a moi t¡ui ·pusserl): m'info~er. d~ l:état de la ville,
car tout 'ce qui regarde la su reté rentre exclusive-
ment dan s les attributions du préfet ~e poliee, je
chargeai quelques hommes intelligens de s'enquéi-ir
de ce qui se passait et d{;"venirm'en reudre compte.
On merapporta que, le lundi soir, il Y avait eu un
rassemblement au Palais-Royal, mais qu'il s'était.dis-
sipé et qu'il n'y avait pas eu d'engagemens. J'appris
le mardi mátln qu'il y avait beaucoup de fermenta.
tion , et que tout faisait présumer qu'il y auraitdes
désordres dans la journée, Je fus informé vers quatre
heures que la foule se portait du coté de la porte
Saint-lVIartin et de la porte Saint-Denis , du cóté du
Palais-Royal et de la rue Saint-Honoré. On me dit
qu'en face du Théátre-Franeais les soldats d'un régi-
ment avaient paru ne pas ohéir aux ordres qui leur
étaient donnés, La chose était grave : je móntai eh
voitnre et j'allai tronver le ministre de l'intérieu:' Il
me parut calme, d'un grand sang-froid, n'ayant rien
a redouter pourIui-méme, mais fort peiné' des' dé-
s~rdre5 que jo h¡i annoneais. Je vis qu'il n'était p~




( 118 )
bien informé de ee qui se passait. Dans l'~tat des
choses , je eroyais nécessaire d'établir une surveil-
lance sur les ponts et de tácher d'empécher les ras-
semblemens , soit, en gardant les postes le long du
canal Sainj-Martin, soit en séparañt en quelque sorte
les quartiers pour ernpécher par cette séparation les
désastres de devenir plus consídérables. :te ministre
de l'intérieur partagea cet avis, Je le quittarpour
retourner chez moi,


Le soir , il n'y eut pas de tres-grands désordres au-
tour de l'Hótel-de-Ville. Cependant 'on avait vu pas..
ser, ala chute du jour, quelques hommes assez mal
armés, qui serendaient dans lefauhourgSaint-ántoine.


........ ..


On apporta un homme blessé -tres - grievement. le
crois que l'intention de ceux qui le portaient était
d'exciter lepeuple: mais cette tentative ne réussit
pas, et cet homIIleblessé fut laissé sur la 'place et
transporté a l'Hótel-Dieu par les soins du commis-
saire de poliee, Le calme se rétabliÍ autour de l'Hó-
tel-de-Villé, et je me retirai chez 'moi aonze heures
dusoir,


Le mereredi matin, on vint me dire que l'agita-
tion était loin d'étre ealmée; qu'on voyait descendre
des gro.upes de six asept hommes du faubourg Saint-
Antoine. Je r~onrnai chez le ministrede I'ntérieur.
~6 me parut pas avoir une eonnaissance exaete de
cequi se passait; il se plaignit de .n'avoir pas rec;u
le rapport de la poliee, .et de n'avoir pas vu le préfet
de poliee. l1 fit demander si le rapport était arriv~,
et je crois qu'on luí répondit qu'il n? l'était paso




( 119 )
Je me rappelle qu'á eette oecasion je dis au mi-


nistre qu'il serait hon de déployer autonr de I'Hótel-
de-Ville un grand appareil de forces , cal' il était
probable qu'on y établirait une municipalité provi-
soire, Déjá la veille j'avais en cetteprévision. J'avais
demandé que le poste de l'HOtel-de-Ville fútrenforcé.
Il était de douze hommes, on n'y renvoya que qt~atre
hornmes. Je fis observer qu'avecu!lP toree si fa)hle
il serait fa:cheux.d'engager un~ ¡ictio~ ,e1qu'ilfaUait
a tout prix empécher l'eífusion du s~mg!


Retourné chez moi , je vis déboucher par toutes
Ies rues quí aboutissent ala place de l'Hótel-de-Ville,
des rassemblemens extrémement nombreux, a la
tete desquels se trouvaient des homrnes qui paráis-
saient fort animés. Tont annoncait des hommes dis-
posés a mantel' a l'assaut, et n'étant pas en état
d'entendre la voix de leur magistrat. Le poste de
l'Hótel-de-Ville s'était retiré, d'apres le conseil que
je lui en avais donné. Com~e lésEo~tes del'Hótel-de-
Ville .étaient fermées, le.peuphts'ar~eta assez lo~g­
terns snr laplace avant qu'elles pussent étre enfon-
cées. Je vis a~river plusíeurs gardes nationaux.vlls
n'étaient pas méme tous habillés : il y en avait q.ui
s'habillaient sur la place méme , mais ils n'étaient pas
en assez grandnombre pour garder le poste el, pro-
téger le magistrat de la ville,


Voyant qu'il n'y avait ipas moyen de tenir dans
l'hótel.je me retirai dans le logement du.sous-biblio-
thécaire , ponr me mettre a l'abri du torrent qui
grossissait d'instant en instaut. Les portes de l'Hótel-




( 120 )


de-VilIe ayant été enfoncées, le peuple se porta au
beffroi, sonna le tocsin, et arbora un drapean aux
couleurs nationales , auquel était attaché un crépe.
En cet instant, o~Aentenditune vive fusillade.: c'était
un détaehement qui débouchait par iequai LepeHe-
tier. Ce détachement n'étant pas en force, fut obligé
de' se réplier; un. second détachement ne pnt pas
non plus t~'r.~aisv.ers midi , il arriva des troupes
en assez grand nombre , suivies de.canons. 11 y eut
un engagemen~ extrémement vif. Lepeuple s'était
emparé des fenetres des m~isons, d'oú il tirait sur
les troupes qui resterent maitresses de la place. 11
n'y eut plt?'s alors qu'une guerre de tirailleurs.


Lorsque le jour vint, j:appris que les troupes
avaient évacué la place '.; apres minuit , et que l'Hó-
tel-de-Ville était abandonné paÍ' tout le monde. J'a-
vais fait effacer tout ce qui indiquait des caisses oú
étaíent renfermés les fonds de la ville. On me rassura


. .


a cet égard ':'on'vl~}itqu.'on se disposait a établir
une municipalité, le me tcouvais dans une disposi-
tion fort embarrassante; mesdevoirs ne me permet-
taient pas de me méler , en aucune facon , a ce qui
tenait a un gouvernement nouveau. Je me retirai
dans le local des magasins de réserve, et la j'écrivis
mon. second rappórt, Vers onze heures et demie
nous apprimes que lepeuple s'était emparé des Tui-
leries, e~ que les troupes étaient en pleine re traite
sur Saint-Cloud.


M. le president, au témoin Vous eútes occasion
de voir le préfet de poliee? - R. Le mardi. le me




( 1 ~ 1 )
transportai chez le préfet de police : je ne lui trou-
vai pas le calme que peut-étre il aurait dú avoir
dans ces circonstances , non pas que je le trouvasse
exaspéré.


D. Quelle heure était-il ? - R. il pouvait étre dix
heures du matin,


D. Le prélet de police vous fit-i] connaltre aquelle
époque et de quelle maniere i1 avait étéinstruit des
ordonnances ? - R. Il De m'en a pas précisément
parlé; mais il ne m'a pas paru aussi étonné que je
I'avais été moi-méme.


D. Vous a-t-il dit qu'il avait vu le ministre de I'in-
térieur la veille au soir , ou qu'il eút eu le projet, de
le voir dans la journée du lundi? - R. n se-disait
fort malheureux; il disait que c'était la journée la
plus pénible de sa vie. n me parla des ordonnances
et de ce que son devoir lui imposait.


Un pairo Je demanderai au témoin si. M. de Pey-
ronnet lui a dit d'une maniere positive que les 01'-
donnances n'étaient qu'une mesure momentanée.-
R. II me fa dit d'une maniere positive. Il a méme
ajouté que I'intention ferme du Roi étaít de rentrer
dans la ligne légale.


M. Persil, M. de Chabrol a dit dans l'instruction
écrite , que M. 'le comte de Peyronnet Iui exprima
son étonnementde n'avoir pas encore Vil le préfet
de poli ce et de n'avoir pas re<;u de rapport de Íui. Je
demande aM. le comte de Peyronnet s'il se souvient
d'avoir manifesté ce chagrin?


M. de Cliabr6l. n est certain que M. de Peyronnet




( 1:1'1 )


me dit : « Je n'ai point encore recu de rapport )), et
qu'il demanda s'il était arrivé.


M. le comte de Perronnet. Ce que le témoin a
rapporté est tout-á-fait conforme ala vérité. Il a pris
la peine de venir chez rnoi i le mardi ; il m'aannoncé
des faitsqui m'étaient entierement inconnus.ll a. dü
entendre demoi l'expression du regret et de la sur-
prise que j'éprouvais de n'avoir recu aucune sorte
de communication.T.e Iendemain , m~rcredi, M. de
Chabrol prit encore la peine de venir chez moi, et
il m'a trouvé dans le mérne dénurnent de rapports et
de communications.


M.Fersil, au témoin. Savez -vous si c'est snr- le
ton de la plainte ou du regret que M.de Peyrormet
annoncait n'ávoir point recu de rapports? - R. Je
ne puis rien dire a cet égal'd.


111. le comte de Peyiannet. :MM. les commissaires
de la Chambre peuvent apprendre de moi que ce
n' est certainement pas sur le ton de la plainte que
j'ai dú annoncer- ce fait a M. le comte de Chabrol.
Qu'ils veuillent bien íaire attention ama position of-
ficielle vis-a-vis du préfet de la Seine? J'ai dú mani-
fester de la surprise; mais des plaintes , si j'avais eu
a en forrner , il fallait les porter plus haut,


M. Baudesson de Richeooerg, commissaire de La
Boarse de París.


'Le bruit d'un coup- d'état s~étant répandu a la
Bourse, Iongtems avant l'apparition des ordonnances,
j'ai cru de mon devoir d' en prévenir M. le prince de
Polignac, qui me répondit : » Ces alarmes ne sont




( J:13 )


)) pas fondées; le ministere n'a point I'intention de
» faire un coup-d'état. Vous 'pouvez en donner l'as-
) surance a la Bourse et déclarer, si vous le jugez
» eonvenable, que c'est moi qui vous y autorise,


M. le président; au -témoin. A quelle époque?-
R. Vers la fin de íévrier. J'étais bien persuade que
ces hruits n'étaient répandus que par la malveillance
et l'agiotage. '


D. Mais dans le ~ois qui a précédé la publication
des' ordonnances , ces br~lits s'ac créditérent-ils? -
Ro On en parlait beaucoup, rnais on les regardait
eomme une manceuvre , et l'envoi des lettres closes
aux députés avait dissipé ces bruits.


D. Quels ont été vos rapports avec le ministere '!
- R. Au mois de mars j'eus .occasion d'entretenir
M. le prince de Polignac des inquiétudes qu'on ma-
nifestait a l'égard du rétahlissement de la censure.


M. le prince de Polignac me dit : « Il n'y a ríen de
»vrai dans les hruits qu'on répand.' ta liberté de
» la presse est 'une condition essentielle du gOllver-
II nement représentatif, et tant que j'aurai I'honneur
" d'étre ministre du Roi, il n'y sera porté aucune
)) atteiute. Assurément les ministres n'ont pas eu
» beaucoup as'en Iouer , mais ils comprennent leur
» devoir et sauront le remplir. Je sais qu,e quelques
» personnes ont témoigné des craintes sur l'influeace
» que peut ~xercer sur les opérations de la Bourse
)1 une trop grande liberté de la presse; mais cette
» considération ne peut nous arréter. Les ministres




( 124 )


}) gouverlIent dans I'intérét de la France et non
}) pas dans celui des agioteurs. »


D. Que vous a dit M. le comte de Montbel ? - R.
Un jour que'je lui parlais du monvement des effets
publies, je lui dis qu'on avait des inquietudes pour
la liquidation du mois , et que je eroyaís qu'il fallait
s'entendre avec Y. de Rotschild pour empécher l!n
trop grand déplacement d'effets. M. de Montbel me
répondit: « Je crois que ce ~oyen pourrait étre
utile, mais ce serait substituer l'erreur a la vérité,


• I


etcela ne peut convenir a un gouvernement hon-
néte, » J' eus occasion de reporter ce propos a lU. le
prinee de Polignae qui me dit : ( Je partage entiere-
ment l'opinion, de M. de Montbel. C'est un homme
de prohité et de eonscience, et c'est paree que nous
le eonnaissons sous ees rapports que nous tenons a
le conserver avec nous, )}


D. Avez-vous remarqué quelque jeu de bourse
peu .de jours avant la publieation des ordonnances ?
-.- R. On n'a parlé ala Bourse que des opérations
de 1\1. Oúvrard qui depuis longtems étaient a la
baisse,


D. Supposait-on que M. Ouvrard était 'plus partí-
euliérement instruit des ordonnances? -- R. Quel-
q1,les personnes prétcndaient que M. le prince de
Polignac avait des relations avec M. Ouvrard. M. de
Montbel, aqui j'en parlai Jrne dit qu'il avait la cer-
ti tude que M. le prince de Polignac n'avait pas vu
M. Ouvrard depuis de~x mois, .


.M. Madiel'-l/1onjau. le prio le témoin de préciser




( ~25 )
le jour oú M. le prince de Polignac á manifesté l'in-
tention de conserver la liberté de la presse? _ R.
Au commencement de marso Je me suis acquitté
fidelement de la mission dont j'avais été chargé et
les journaux du tems en ont rendu un compte exacto


]Jf. Musset, chef de bureau au ministere de la
guerre. Le mercredi 2.g juitlet ,vers midi , M. le vi-


. .


comte de Champagny m'envoya chercher avec le
sous-chef, "et nous demanda si nous connaissions les
formalités nécessaires pour former un conseil de
guerre dans une ville en état de síege. Nous ne les
connaissions pas; on fit prendre ces renseignemens.
Pendant Ce tems , il arriva plusieurs personnes des
Tuileries qui parlerent aM. de Champagny, et il' fut
appelé avant que les renseignemens fussent parve-
nus. Je ne sais pas ce qu'on en a fait; je n'ai pas
revu depuis l\I. de Champagny. Pendant qu'on était
a la recherche de ces renseignemens, on prit des
ahnanachs militaires .pour savoir quels oíficiers fe-
raient partie de ce conseil de guerreo On nornma
plusieurs officiers; on chercha les officiers d' état-
major, les officiers sans tronpes, cependant il n'y
eut pas de liste arrétée•
. M. le président. Fütes-vous prévenu aI'avance des


ordonnances signées le 25 juillet et publiées le ~6
dans leMo'!iteur. A quelle époque en oútes-vous
connaissance P


M.de Champagny. J'ai eu connaissance des ordon-
nances du 25 juillet par le Moniteur du 26; jc ne
prévoyais pas un événement aussi grave; rien n'avait




( u6 )
pu me le faire prévoir. Aucun ordre n'avait été donné
au ministere de la guerreo Aucnn mouvement extra-
ordinaire de troupes n'avait eu lieu. Je dirai méme
qü'au moment oú les ordonnances parurent , il Y
avait autour de París moins de troupes de la garde
que de coutume. Deux régimens , dont l'un de cava-
lerie et l'autre d'infanterie avaient été envoyés en
Normandie , pour faciliter la recherche des incen-
diaires.


Dans l'acte d'accusation de la Chambre des Dépu-
tés, on a laissé peser de forts soupr;ons sur le gon-
vernement relativement aux incendies. Il est de mon
devoir de rendre ici hommage a la vérité. J'ai été té-
moin continuellement de 'la sollicitudede M. de Po-


o


lignac pour chercher aporter remede aces ravages
épouvantahles. Je l'ai vu écrire plusieurs letrres pour
faire exéeuter les ordres qu'il eroyait propres a at-
teindre ce hut.


Je ne pense pas que si l'on eút été décidé des long-
tems afaire les ordonnances , on eút éloigné des ré-
gimens quelques mois auparavant, ou si on n'aurait
pas pris la mesure de les faire rentrer aPáJ'Ís pour
l'apparition des ordonnances.


M. le président. Quels furent les motifs de la-no-
mination du duc de Ragusc au commandement de la
l r o -division militaire PEJ;l avait-il été question avant
les ordonnances?


M. de Champagnv, M. le prince de Polignac en
avait parlé quelques jours auparavant, Les raisons
de cette nomination sont , je pense , que M. de Cou-




( J 27 )
tard étant tres-malade et obligé de sabsenter pen-
dant trois mois , l'approche de l'ollvert~lre de la ses-
sion , au milieu de l'agitation des esprits et de la
crise politique dans laquelle on se trouvait , eette
nomination était une mesure de prudence, dont on
avait eu un exemple quelques années auparavall't.


M. le président. Que fites-vous dans la joumée
du '.l7? ne recútes-vous aucun ordre relatif aux ésé-
nemens.


M: de Champagny. Je suis 'allé le mardi de tres-
bonne heure au rninistere de la guerreo Je ne me
rappel1e pas avoir re~u aucun ordre relatif aux évé-
nemens.


M. le président. N'allátes-vous pas le 28 a Saint-
Cloud ? Par quels motifs y fútes-vous amené?


M. de Champagny. Je partis pou!: Saint-Cloud a
sept heures du matin , le mardi; e'était l'heure a la-
quelle, une fois par semaine, j'avais l'honneur de tra-
vailler avee M. le dauphin.


M. le président, M. de Polignae ne vous fit-il pas
part de la mise en état de siége de Paris, et ne vous
consulta-t-il pas sur ce qu'il fallait faire dans eette
oecasion? .


ltl. de Champagny, Lorsque j'eus fini mon travail
avee M. le dauphin, je me mettais en route pour
Paris, lorsqu'on me dit que M. le prince -de Po-
lignac.demandait a me voir, Je I'attendis. Au sortir
de ehez le Roi, M. de Polignae me dit qu'une ordon-
nance mettant la ville en état de siége venait d'étre
signée. J'ignorais auparavant le ~ut du voyage de




( .I~8 )
M. de Polignac aSaint-Cloud. C'est senlement dans ce
moment que j'appris qu'il était question de mettre
París en état de siége. M. de Polignac me demanda
quelques renseignemens sur les eonseils de guerreo
Je répondis que j'étais peu au fait de eette législa-
tion , et que, pour lui donner des renseignemens
plus certains, je les Iui enverrais des mon arrivée a
Paris.


A peine de retour au ministere , je fis mander le
chef et le sous-chef du bureau de la justice mili-
taire. Des notes furent rédígées dans mon cabinet,
Je portaí ces notes aux Tuileries; je les remis aM. de
Polignae, qui , ace que je erois , attaehait peu d'im-
portanee a eette note, et qui la prit de mes mains
sans la lire, et me chargea de la remettre au dnc de
Raguse. J'ajouterai que, dans ce moment , cette de-
mande de renseignemens était telle que ceux que
réclame l'autorité supérieure avant de prendre une
décision , plutót que des renseignemens pour mettre
a exéeution une décision déja prise,


M. le président. Avez-vous joint aeette note la liste
des personnes qui devaient eomposer les conseils de
guerre? .


M. de Champagny. Oui; iI yavait quelques noms
d'officiers. Je vais dire pourquoí ces noms d'oíficiers
y furent. placés. Ce n'était pas un cadre de conseil
de gnerre; c'étaient de simples renseignemens. Je
pensai qu'il était trop tard pC'ur apporter rna note
au maréchal , sans l'aecompagner en méme tems de
quelques indications. Il eüt été en effet tres-embar-




J2.9


rass? pour former un conseil de gnerre. 11 n'en eút
pas été de mémc si M. le général Coutard , qui con-
naissait tres-bien les officiers qui se trouvaient a
Paris. surtout 'les officiers sans troupes, eút été a
Paris, Alors le ministere de la gnerre n'aurait pas en
besoin de fournir ces sortes d'indications. Je dirai
plus; je ne pouvais pas recevoir d'ordred'organiser
des conseils de gnerre; la législation actuelle déféré
leur formation au commandantde la place. Cette
note n'a en d'aille~rs aucun résnltat.


j'l'I, le président, Qu::wd a été donné l'ordre de di~­
sondre les camps de LunévilIe et de Saint-Omer ?


fr'L de Champagny: C'est dans la nuit dn mercredi
au jeudi que je rédigeai les ordres de ces mouve-
mens. Je ne ponvais signer la mise en mouvement de



troupes.


111. le président. N'avez-vous pris aucune part aux
événemens des 27, ~8 et 29 juillet?


1If. de Champagny: Non, je suisresté le jour et la
nuit au ministere de la gLlerr~ jusqu'au jeudi rnatin,
Ce jour-Ia je fis demander au prince de Polignac des
ordres pour moi personnellement. M. de Polignae
me fit díre de venir le joindre. Je me rendis en effet
aupres de lui. Les ministres partirent alors pour se
rendre aSaint.Clond. Je restai aux Tuileries jusqu'á
ce que ~ous fumes obligés de les quitte.Je me ren-
dis alors a pied aSaint-Cloud. "


M. le Président. Savez-vous quel était le projet de
:M. de Polignac en allant a Saint-Cloud P


111. de Champagny. Je l'ai toujours ignoré.
rr. ~)




( 130 )


M.dePolignac.Je prie la Cour rlc íaire remarque/'
que la forrnation du conseil de guerre n'était pas
formellement arrétée quand , demandant eette note
aM. de, Champagny, je n'avais que 1e desir unique
de m'éclairer sur cette législation que jc ne connais-
sais pas, et que d'ailleurs je fis remettre eette note
ni{ maréchal san; en prendre eonnaissance.


M. Persil. Je prie de demander au témoin si c'est
ele son propre mouvement ou m.andé une scconde
fois par M. de Polignac , qu'il apporta cette note aux
Tuileries ?


M. le Président. M. de Champagny, vous avez en-
tendu la question , veuillez y repondré.


M. de Champagny. J'avoue que je ne me rappelle
pas cette <;íreonstance.


M.' Persil. 11 resulte du premier interrogatoire du
témoin que M. de Polignae envoya ehereher eette
note.


M. de Champagny: 11 me semble me rappclcr
qu'en cffet la demande de la note me fut ac1ressée
de noúveau.
'l~f. Persil. Qui vous a fait [aire cette demande?
M. de Champagny. Tout natureIlemcnt, Monsicur,
M. de Polignac. Je ne me ~ppeIle aueunement


avoir fait demander ectte note. Ce renseignernent
m'était si .u nécessaire que je n'ai pas Iu la note
que je fis remettre au maréchal.


M. Bives est entendu.
2lJ. le Président. Avez-votls en occasion , Monsieur,


de voir 1\1. Mangi», le lundi 26 jnillet? Rendez eompte




( 131 )


ala Cour de ce qui, dans vos conversations , a pu
avoir trait au proces actnel. - R. Le lundi matin ,je
lus le Moniteur , et j'y vis les ordonnances, Ayant
besoin de voir M. lVlangin dans la matinée, je me
rendis chez lui. Je le trouvai dans un état d'exalta-
tion assez extraordinaire. Je lui en demandai la
cause. Il me répondit: Vous n'avez donc pas lu le
Moniteur? A cela, je répliquai que je venais de le
lire. Je n'ai pas été plus que vous averti de cette
mesure, me dit-il. Et ma conversation n'alla pas plus
loin.


D. lVI. Mangin ne vous dit-il pas qu'il avait vu le
ministre de l'intérieur? - H. Il me dit qu'ill'~vait
vu le lundi matin pour se plaindre de ce qu'on ne
l'avait pas prévenu de l' existence des ordonnances,


D. Ainsi , lorsque vous avez vn M. Mangin, il avait
en un entretien ayer le ministre de l'intérieur rela-
tivcmcnt anx ordonnances. Ne -vous a-t-il pas*Hit
qu'il Iui eút été donné, par M. le ministre d~ I'inté-
rieur , des ordres spéciaux pour la circonstance? -
R. Je ne suis pas entré dans plus de détails, J'ai dit
ce que je savais.


D. A quelle heure eres-vous allé chez M. Mangin?
- R. J'y suis allé dans la matinée ,entre neuf et
dix heures.


M. Persil. Je demande au comte, de Peyronnet
d'expliquer cette circonstance ; je demande que l'on
concilie ce qu'a dit M. de Pcyronnet , qu'il avait, le
dirnanche SOi1o, fait connaitre I'existence des ordon-
nances aM. Mangin.Le témoin vient de Jire que




( 132 )


celui-ci les lui avait apprises, Cependant , au dirc de
M. de Peyronnet, il n'aurait instruit le préfet de po-
lice que la veille, entre dix et onze heures du soir.


M. de Peyonnet. J'espére que je ne puisavoir ponr
ma défense aucune sorte d'intérét a dire que j'aí Vll
M. 'Mangin le dimanche soir a dix heures. Si j'ai as-
signé une époque a cette entrevue , c'est uniquement
paree que c'est la vérité, Aucun autre motif qu~ ce-
Iui-Ián'a pu me faire préférer une date a l'autre.
Le lundí , aucune sorte d'événemens n'ayant éclaté
dans la capitale, iI me serait completement indiffé-
rent, ponr les événemens ultérieurs , de dir.; que j'ai
vu M. Mangin le lundi plutót que le dirnanche a 10
heures du soir. La Cour aura remarqué que le témoin
ne rapporte aucun fait dont iI ait une connaissance
personnelle. Il ne parle que de ce que lui a cornrnu-
niqué M. Mangin, des' regrets qu'il lui a témoignés,
et"!lj.e de semhlahles, explications peuvent étre dé-
terminées pat' des motifs que l'on pourrait supposer
n'étre pas tout-á-fait conformes a la vérité, je dis de
la part de celui qui a fait des cornmunications, cal' le
~moin est incapable de rien Jire qui ne soit con-
forme a la vérité.


1\1;1i8 ce qui est certain , et ce sur quoi je pourrais
étre démenti par vingt personnes , si ce que je dis
n'est pas véritable , c'est que 1\'1. Mangin est venu
chez moi le dimanehe a dix henres du soir : je pour-
rais mérne dire de quelle rnaison il venait et de com-
bien de personne,s se composait ma société ,et qui
attestcraicnt la présence de ~l. Mangin; il y est venu,




( 133 )
mandé par moi , par un mot que je lui envoyai vers
qnatre acinq heures du soir, amon retonr de Saint-
Cloud. Je l'ai entretenn d'une maniere générale de
la mesure que le Roi venait d'ordonner , des craintes
qu'elle m'inspirait, de la nécessité que je reconnais-
sais, et qu'il était de mon devoir de lui communi-
quer, et de la possibilité que cette résolution n'ame-
nát des mesures ultérieures de sa part, je, k ren-
voyai , pour plus de détails a la lecture du Mpniteur
du lendemain. Vingt' ou trente personnes étaienf
dans mon salan. C'est un fait sur lequel il ne peut y
avoir de doute , et presqlle publico Ce qui est certain
encare, c'est que je u'ai aucun intérét a ce que la
visite ait eu lieu le dimanche plutót qne le luncli.
S'il était dans les longues habitudes de rna doulou-
reuse vie d'altérer jamais la vérité , ce ne serait pas
surtout aman profit et dans un intérét personnel
que j e le ferais.


11;[. Biliot. Sous la foi du serment que j'ai prété, je
demande a donner quelques renseignemens sur le
point actuellement en litige. On sait combien sont
íréquentes les relations du préfet de police avec le
procureur du Roi. J'aí done vu souvent M. Mangin
dans les journées du Iundi et du mardi. Je dirai non
pas qu'il se plaignait, mais qu'il manifestait des re-
grets d'avoir été informé trop tard, snivant lui , des
ordonnances du 25 juillet. Je me rappclle que dans
une ou deux des occasions OIl il a employé ce lan-
gage, il ernploya littéralement les expressions sui-
vantes : « Ils m'en out bien dit quelque chose (ti.




( I3!~ )
manche soir , mais e' était déja trop tard. » J'en con-
clus que le dimanche, sans entrer dans tous les dé-
tails que le Moniteur lui a appris le leudemain , il
eút du moins des ordonnances une connaissance gé-
néra]e.


M. Hennequin. Je supplie la Cour de se rappeler
que M. le comtc de Peyronnet a dit qu'iI avait de-
mandév.sollicité de laseule personne dont il pouvait
I'obtenir , la permission de faire une ouverture aM.
Mangin sur les ordonnances ; et que, cette permis-
sion obtenue , il avait en a TO heures du SOiI' j avec
M.Mangin, une conversation naturcilemcnt tr-es-
confidential1e sur la nature des ordonnances. Plus
tard, et les nobles Pairs peuventen aperccvoir déja
l'objet , nous auronsa réfléchir sur la position ou se
trouvait M. Mangin , sur la possibilité par lui de Tic
pas se croire libre de parler de cctte prerniere ou-
vcrture et d'indiquer dans la conversation une autre
source a la connaissance qu'il avait acquise clans ce
premier entretien.


2'J;1. Madier-JJ1onjau. Je prierai M. le président d'in-
vitcr M. Rives as'expliquer sur ce qu'il entend par
le mot d'exaltation avee laquelle il a c1épeint la si-
tuation de M. Mangin, lorsqu'il le vit le lundi matin
aprés la publi~ation des ordonnances.


M. Rives. J'ai vouludire agitation.,
M.Biflot. Dansles conversations que j'ai eues avec


M. Mangin , u me térnoignait son mécontr-ntement
du retard qu'on avait mis ii l'informer des ordou-
narices. 11 me man:ifesta l'intention de quittcr se'




( 13~ )
fonctions aussitot qu'il connaitrai t I'ordonnuncc de
la mise eu état de siége. Nous parlámes aussi de la
qualité de commandant-général de Paris , conféréo
au duc de Raguse. Je puis méme me rappeler Iitté-
ralement ses expressions a cet égarJ. IL me dit le
mardi d'assez bonne heure: « Maintenant la gcnda¡'-
merie de París n'est plus sous mes ordres ; je n'ai
plus de responsaLilité dans les mesures qui viennent
d'étre prises; la gendarmerie est réunie aux autres
troupes sous les ordres du duc de Raguse; les é';lé-
nemens ultérieurs ne me regardent plus;» ce qui ex-
pliql1crait <¡tiC des-lors il est possible qu'il n'ait plus
eu de rapp0l't avec le ministre de I'intúrieur.


L'audience est levóe a quatre heures et dcmic, el
continuée ademain dix heures,


SÉANCE DU 17 DÉCEMERE 1830.


OH remarque dans l'auditoirc MM. Cormenin,
Dupin ainé , Isambert ,Grouchy, députés; MM. Dalloz,
avocat ala Cour de cassation , et Dequevauvilliers ,
avocat, en uniforme de lieutenant-coloncl de la
garde nationale.


A dix heures un quart les accusés sont introduits..
Avant de se rendre asa place, M. {le Glli'rtlOI1-lt,lI\-





( 136
ville s'entretient pendant quelques instans avec
M. Cauchy.


La Cour entre presque aussitót en séance. MM. de
Barante et~e Broglie sont placés sur l'estrade méme
oú siége M. le président, et de chaque coté de son
fauteuil.


Apres l'appel nominal, et al'ouverture méme de
, .


la .séance , M: Hennequin demande la parole (mou~
vement d'attention).


« Messieurs , dit l'avocat , un employé du minis-
tere de l'intérieur s'est présenté hiel' .chez moi, et
m'a declaré qu'il avait tenu entre ses mains le rap-
port du préfet de Montauhan, et qu'iI y avait Iu les
injonctions fáites par le ministere de l'intérieur pour
arriver a la découverte et ala. punition des auteurs
des troubles qui ont euIieu a l'occasion des élec-
tions, Nous desirerions que cet empIoyé.....


M. le président, Je vais le faire appeler devant la
Cour. ~


Me'. Hen,!equin, J'ai maintenant une autre oh.
servation a présenter. La visite de .M. Mangin
~hez M. de Peyronnet, lp dimanche an soir, est un
fait que nous demandons a constater par les témoi-
gnages de ·MM. Lejar et Saint-Martin, quí se trou-
~ai(mt le mérne jour et a laméme heure dans le sal~n
de M. Peyronnet, et qní ont vu M. Mangin.


M. le président. Ces deux témoins seront enten-
dus , en.vertu -du pouvoir discrétionnaire.


On introduit un témoin. M. J~ Laffitte , président
du conseil des ministres.




( l37 )
M. le président. Vous faisiez partie de la députa-


tat'ionqui a été envoyée par la réunion des députés,
le mercredi al'état-major de la place. La Cour desire
que vous lui rendíez ,compte de ee qui s'est passé.


M. Lajitte. Le mercredi matin , je me suis rendu
aune réuuion de députés qui avait lieu ehez M. Au-
dry de Puyraveau. La, il fut décidé qu'on rlomrne-
rait une eommission de einq membres ,.qui.ir.ait
trouver M. le maréchal duo de Raguse, afin de voir ,
iil n'y aurai1:pas quelque moyen d\lmher I'effusion
du sango Cette eommission était eomposée de MM.
Casimir Périer, génél'al Gérard , eomte de Lobau ,
Mauguin et moi. Comme président de la commission,
je fus ehargé de porter la parole, Arrivés a l'état-
major , nous fumes introduits avee beaueoup d'em-
pressement et traites avec les .plus grands égards;-
Nous entr~mes dansI'appartement de M. le duo- .íe
Raguse; il était seul.


Jepeígnis en termes énergiques I'état affreux de
la capitale , les dangers qui en résultaient pour la
tranquillité "du pays. etméme pour la süretédu
tróne. M. le due de Raguse m'écoutaavec un sentí-
ment bien prononeé de bienveillanee, et aussi avec
un sentiment non moins prononcé de ee qu'il l'egal'-
dait eomme son devoir d'obéir aux ordres qu'il
avait recus. Il s'établit entre lui .et moi l:;lne discus-
sion a ee sujet. M. leduc, de Raguse nous dit, que
les ordres qu'il avait recus étaient positifs , que
l'honneur .l'obligeait a les exécuter. TI crut que le
seul moyen de s'entendre et d'arréter l'effusion du




( 138 )
sang, était d'obtenir d'abord de la population de
Paris obéissance a l'autorité. Je lui dis que lorsque
tous les droits du pays avaient été violés , il ne fal-
lait pas s'attendre a cette obéissance; que nous ne
pouvions exercer quelque influence sur les masses,
qu'en annoncant ,'pour prerniere condition , le chan-
gemerit du ministere 'et le retrait des ordonnancés.


M. le duc de Raguse montra des sentirneus fort
honorables, en nous parlant de la dífficulté de sa
position , de ce qu'il regardait comme une fatalité de
sa vie ; il nous dit qu'il partageait nos sentimens ,
mais qu'iI était enchainé par le devoir. Je luí de-
mandai s'il n'avait pas un moyen certain et prompt
de faire connaitre au .Roi I'état des choses et la dé-
marche que nous avions faite. M. l~ duc de Raguse
{l0us répondit qu'il- s'en chargeait avec empresse-
ment, et qu'il en desirait le succes de tou~ son coeur.
Maís lCne nous dissimula pas qu'il n'espérait rien de
la démarche qu'il al/ait faire ; il ajouta qu'il adresse-
rait la réponse chez moi aussitót qu'ill'aurait re<,;ue,


Je dois dire que les cinq membres de la commis-,
sion ne se seraient pas rappelé également cette cir-
constance. Je dédare que deux de nos collegues et
moi , nous I'avons entendue de cette maniere.


Pendant cette co~versation, un officíer est entré
dans l'appartement ; il remit un billet a M. le duc


. de Ragusé, et -luí parla a. l'oreille, C'est .alors qu'il
nous- dentanda si nous aurions de la répugnance a
voir M. dePolignac, Nousrépondimes que non. :M. le
duc de Raguse,nous quitta pour passel' rlans un ap-




( 139 )
partement voisin ; il revint quelques minutes apres,
et nous dit qu'il avait fait part a M. le prince de
Polignac des moyens que nous avions propósés ,
qu'il lui avait rapporté fidelement notre.conversa-
tion , et que M. de Polignac lui avait dit qu'il était
inutile de le voir. En conséquence , nous nous reti-
rámes. Nous traversámes les appartemens i .oú se
trouvait une foule d'officiers, Je dois diré-que .Iors
de notre entrée, .leurs figures paraissaient pleines
d'espérances, et qu'a notre départ , elles exprimaient
un vif sentirnent d'inquiétude. M. de Larochejac-
qnelein nons dit que M. de .Polignao desirait nous
voir. Je répondis qu'il y avait probablement quel-
que méprise , puisque M. de Polignac venait de dé-
clarer qu'il ne voyait pas de nécessité a nous rece-
voir. L'officicr insista, en disant : je suis StW que
]\f. de Polignac a le plus grand desir ide vousvoir.
Je vais le prévenir. Il revint bientót apres , et nous
dit que M. de Poliguac ,:instruit par M~ I~ duo fi~
Raguse de I'objet de notre mission , ne voyait pas
de nécessité a nous recevoir.


Voila bien exactement les faits. J'omets une in-
finité dedétails qui me paraissept saus importance.


M. de Mal'tígnac : le crois nécessaire de -fixer I'at-
tention de la Cour sur une eirconstance importante.


Ne fut-il pas évident pour M. Laffitte, dana.Ia
conversatíon iqu'il, eút avec M. le duc d~ Raguse,
avant l'entretien de' celui-ci avec M. de Polignac ,
qu'il y avait peu d'espoir de succes dela démarche
qne le maréchal allait faire aupres du Roi ?




( J 40 )
M. Laffitte. Lorsque M. le duc de Raguse nous


dit 'qu'il n'espérait rien de la démarche qu'on le
priait ocle faire a Saiñt-Cloud , il est évident que cela
ne pouvait avoir aucune application aM. de Poli-
goac, d~IÍt íl n'avait pas encore été question. Cette
inquiétude de M. le duc de Raguse sur le non suc-
ces de 'la démarche , s'appliquait a d'autres qu'á
M. de Póligriac. .J'ajoute que lorsque M. le duc de
Raguse est sorti de I'appartement de M. de Polignac ,
je ne me suis pas aperc;u qu'il y eút dans l'expres-
sion de sa figure, ni dans son langage , aucun chan-
gement qui nous perrnit de supposer qu'il aurait
éprouvé quelque obstacle de la part de M. de
Pol~gnac.· . .


, M. Casimir Périer. En sortant de chez M. Audry
dePuyraveau , nous nous rendimes chez M. Laf-
fitté , afin d'aviser au mpyen que nous prendrions
pour nous faire introduire. Nous voulúmes d'abord
~crire; mais cornme le tems pressait, nous déci-
dámes de nous rendre a l'instant méme aux Tui-
leries.


En descendant de voiture sur la place du Carrou-
sel ~ nous apercúraes M. le baron de Glandevés.
Nous lui fimes connaitre l'objet de notre mission :
il nous introduisit aupres du maréchal. M. Laffi tte
portaít la parole., M. -le maréchal nous parla de la
position .f!cheusedan~laquelle il.se trouvait. Il nous
dit que e'était une position d"honneur, mais qu'il
desirait , autant que nous , voir arre ter l'effusion du
sango Nous lui demandámes de donner l'ordrc de




( l!p
{aire cesscr le feu. n nous répondit qu'il fallait au-
paravant que la population rentrát dans l'ordre..


(Le témoin reproduit ensuite des faits qui sont
rapportés dans la déposition de M. Laffitte, )


La Cour sait , monsieur , quels devoirs vous avez
á remplir (M. Casimir Périer est président de la
Olambre des Députés) si vous desirez vous retirer,
personne, je pense , ne s'y opposera., .-


(M. Casimir Périer va prendre place sur les' siéges
réservés aux témoins. )


M. de Guise, chef de bataillon, aide-de-camp de
.M. le duc de Raguse. .


M. le rnaréchal était de service a Saint-Cloud, en
qualité de major-général. le l'y ai vule mardi 27. Il
me dit que le matin , le Roi lui avait donné l'ordre
de se rendrc aParís , d'y prendre le commandement
des t~upes, ajoutant que si la tranquillité était ré-
tablie le soir , il pourraitreprendre son service a
Saint-Cloud, (mouvement.)


M. le président. Savez-vous sí M.le duc de Raguse
avait lieu de croire précédemment qu'il recevrait ce
cornmandement.


¡l!. de Guise. Je suis convaincu du contraire. J'en
ai fourni la preuve a MM. les commissaires , en leur
remettant la Iettre d'avis de la nomination. Cette
lettre d'avis est datée du 2-7 juillet.


D. Savez-vous si M. le rnaréchal a vu M. de Poli-
gnac aussitót son arrivée aParis? "':-R. Oui. Je l'ai
su par un 'de mes camarades qui était de service.


D. Vous devez avoir eu connaissanee des ordres




142 )


donnés aux troupcs par M. le maréchal. - R. Le
mardi '27, j'ai entendu M. le marécha1 répéter aux
chefs des colonnes, de ne pas faire feu avant qu'ils
eussent recu une fusillade ; et par fusillade , il enten-
dait cinquante conps de fusil.


D. ~L le maréchal avait-il recommandé aux offi-
ciers ~'employerla voie de la persuasion pour dis-
siper les attroupemens ? -. R. M. le maréchal avait
recommandé de la réserve , et de ne faire usage de la
force qu'a la derniere extrémité.


D. Savez -. vous si M. le rnaréchal rendit compte
mardi soir an Roi , de la situation de la journée ? -
R; A midi il écrivit au Roi pOUI' annoncer que les
rassernblemens s'étaient dispersés , et que la tran-
quillité était rétablie dans Paris. ( On rito ) J'ai écrit
moi-méme cettelettre sous sa dictée.


D. s.quelle heure, le mercredi , M')e ml-échal
a-t-il été informé dé la mise en état de siége de la
ville de Paris ? - R. Je ne puis pas bien me rappe-
Ier l'heure ; mais c'est dans la matinée. Un jeune
homme vint , de la part du préfet de police, de-


o mander au maréchal s'il était vrai que la ville de
Paris était mise en état de siége. Déjáce bruít avait
circulé. M. le maréchal m'envoya chez M. le prince
de Polignac pour lui faíre cettequestion, et me char-
gea en méme teros de'Iui dire que', ponr mettre une
ville en état de siége, il Y avait des óonditions de lé-
galité aremplir. M. le prince de, Polignac me répon-
dit qu'il venait 4'envoyer chercher le maréchal ponr
lui remettre l'ordonnance de mise en état de siége.




( 143 )
D.· Lorsque le maréchal rendit compte au Roi de


la situation de Paris , lui fit-il connaitre la gmvité des
événemens ? - R. Des huit heures du matin, le mer-
credi , 1\1. le maréchal avait écrit une lettreau Roi ,
j'en ai zemis la copie a MM. les commissaires. n di-


.. . ..". .. , .


sait au ROl que ce n était pas une emeut~, rqatsune
révolution , et qu'il était urgent de prendre. des
moyens de pacification.; que l'honneur de la .cou-
ronne pouvaitencore étre sauvé , mai§ queje len-
demain il ne serait peut-étre plus tems,


D. Expliquez-vous sur la circonstance relative a
une distrihution d'argent anx troupes.- R. Le mer-
credi ,.a onze heures du soir, M. le maréchal lit ap-
peler le chef de l'état-major poul' lui dire qu'il cut a.
rédiger un ordre du joul', pour annoncer aux troupes
que le Roi leur. avait accordé la gratilication d'un
mois de solde.


D. Vous avez connaissance des rapports que M. le
maréchal eút avec les mairesde Paris? _ R. Jendi
de tres-bonne heureM.'le-"'maréchal convoqua a
l' état-major MM. les maires de Paris. Quatre s'ysont
rendus :ils fu~ent chargés'de s'avancer vers le peuple
et d'anÍlOncer que l'ordre avait été donné aux troupes
de ne plus tirer, M. Huttot ~'Orignys'avall<:adans
la rue de Rohan pour f.áíre.cette .déclaration. En un
instant toutes leseroisées ele la rue furent couron-
nées de monde qui criait vive le Roi,! uive la Ch~"'¡e!
M. le maréch~l avait rédigé. ~tié"~p't~cramation.
Comme.on était ·emb~rrassé I)(;nlr"la cómmuniquer
au penple, 011 .mit en liberté .pfusieurs personnes




( 144 )
qui .avaient été arrétées , et on les chargea de portero
cette proclamation.


D. Savez-vous si les ministres réunis a l'état-major
tenaient conseil ; s'ils avaient de fréquentes commu-
nications avec M. le maréchal ; s'il se faisait rendre
compt~ des événemens P- R. Je ne saurais dire si


.les ministres, tenaient conseil ; mais j'ai vu fort sou-
vent M. le rnaréchal avee eux. (SensatÍon.)


JYI. Persil. Le témoin sait-il SI M. le prince dePo-
lignac, en remettant aM. le due de Raguse, l'or-
donnance de mise en état de siége, lui a donné des
ordres?-'-R. Je n'en puis rien' savoir.


D.:Le tép:lOin sait-il si; depuis ce moment , l\'L le
maréchal .devait eommuniquer directement avec le
Roi, sans l'intermédiaire du président du eonseil?---':'"
R. Je l'ignore entierement. ",


D. M. le dile de Ragnse rendait-il compte aM. de
Polignác "et au('-autres ministres de ce qui se passait ?
-R. Je ne pourrais avoira cet égard qu'une opinion
personnelle qui n'est rien, Je n'étais pas dans la piece
oú se tenaient les ministres. Une fois on m'a fait en-
trer dans cette piece. 011 me remit une proclaination
pour la faire irnprimer a l'Jmprimerie royale. Je fis
observer qu'il n'y avait plus moyen de communíquer
avec ce quartier.


M. Persil. Le témoin a dit qu'il ne pouvait avoir
qu'uné opinion personnelle sur le fait que je viens
d'indiquer. Ba~, la position oú se trouvait le té-
moin , cette. opinión est elle - méme un véritable




(145 )
fait. C'est dans ce sens que Je demande .une expli-
catión.


m: Hennequin. Cette questiorr laisserait -intro-
duire dans le débat un systéme erroné.iIl est évi-
dent que les dépositions ne peuvent porte!' que sur
desfaits dont les témJtns ont pu se eonvaincrepar
eux-mérnes. Les opinionsdes témoift,p()uI'f'aientjeté~
les Illwstrats dans des erreurs involontaíres, et viCie\'
le aé!mt dans son principe~ Je sournets cette observa-'
tion aM~ le commissaire , dont je reconnais la h;aute
science.


'M. Persil. Je m'en rapporterai sur ce point a la
sagesse de la COUl'. Je erois la question que j'ai posée
licite et propre aéclaircir un fait.


M. le président. La question a été posee; M. le
commissaire avait le droit de la poser. La Cour ~p­
préciera, dans sa sagesse, la 'différence qui peux: exi-s- ,
ter entré un témoignage q~i repose sur linJait ,"et.
un t~moi§Dage qüi reposé'suru~eopinion. ~


JI.,. de G:uis.e. le dais strpposer-que M:le maréchal ,
se jreuvant avec les ministres, a dú naturellement
Ieur parler de ce qui se passait. LMouvement).


M. Perstl. Le témoin a-t-il eu connaissance de
I'ordrerl'arrestation délivré pUl' le maréchal?-R. Je
n'en ai eu aucune connaissance pendant les jhurné~'
de juillet. ,


D. A·t-il dépuis acquís cette connQis~an:ceJ.~--)i~Je
rai co~neeomme tout le~oride7p~r'~r~''ep'o5itious
des, témoi.ns..· . .'.' '.


JI1: de M('t,rtignrtc. Si M. le rnaréchal s'était trouvé
11.




10




.....


(&46 )
dans une situation ordinaíre , e'est au ministre de la
guerre qu'il aurait'dü-reridre compte et demander des
ordres.' .
~e ~et-3 en faitque c'est au Roi que M. le duc de
Ragll~.e.rtmdait ses cf)mptes. Le témoin nous a dit
q~ijJa~¡lit~.critsous la dic!é~dll maréchal une lettre
~~ Raf,,~qns'¡a~uelle il rendait eompte directement
des événemens, Je luL·deroanderai s'il a écrit quel-
ques Iettres aussi au .ministre de la· gu~rre? .......B.' Au-
cune. Du reste, je ne sais 'pas pourquoi J\.1. le ma-
réclial lui aurait écrit pnisqu'il était a deux pas de
Iui,


l1I. le pitf,sident. M. le prince de Polrguac pour-
rait donner sur' ce point de.pluS! amples expli-
cations.

, lJI. le ¡»:ince de, Poligttuc. Je donnerai a la Cour .


tous les renseignemens.qu'elle peut desirer. Nous
avions avec M. le maréchal des communications que
pour raient avoir des.personnes avides Ue.connaitre
.les événernens, comme celui qui ,est ala tete de.tout.
Mais lesministres ne recueillaient que des informa-
tions sur ce qui se passait. Du reste, il n'y a pas en
de correspondance officielle. S'il yen avait eu ~ il en
resterait . des traces. Je n'aieu aucnn. rappoet de
M. le maréchal a transmettre aH Roi: M. le maré-
chal rn'a dit avoir écrit au R0- direetement, et lui
avoir re¡>.\l!J.' COll(pt~ de. '9~ qui .se passait, 'De roon
coté, j'ai ~rá deux fois auRoi : une fois ·apres la
visite des d~~útés á Tétat-major ; une áutre fois
pour informerle Roi de ce que j'avais appris: c'était




( 147 )
sous la forme de renseignemens. (Rumeurs dans
l'assemblée),


M. le président, Le témoin sait-il par CJ.uel moyen
M. le duc de Raguse s'est procuré l'argent qui a été
distribné aux troupes ?-R. On l'a envoyé chercher
au Trésor. Il y avait une eentaine d'hommes portant
cqaeun un sac de mille francs (vive sensation) et qui
n'ont eu que le teros de laisser la I'argent pour re-
prendre leurs íusils..


D. M. le maréchal s'était-il adressé au Roi une se-
conde {ois pour avoir l'ordre du Trésor ?~R. Je n'en
ai eu ancune connaissance. Les distributions ont été
faites le jeudi matin en tres-faihles part~s.,


M. Louis de Komierouski, ancien aide-de-camp
de M. le maréchal due de Raguse, demeurant rue
Saint-Florentin , n" 5.


Les traits saillans et les vifs regards de ee témoin
annoncent une grande activité d'esprit et un carac-
tere plein de fermeté; a son accent il est facile de
reconnáltre en lui un étranger. Au moment oú M. le
président lui adresse la preraiere question , il prie I,a
Cour d'avoir quelque indulgence ponr la diffieulté
qu'il éprouve á s' exprimer en francais, (Marques una-
nimes de bienveillance.)


M. le président. Vous étiez aupres du maréehal
due de Baguse pendant les événemens dejuilletj dites
ala Cour ce que vous pouvez savoir relativement a
ce qui fait I'objet ~e l'accusation?


Le témoin. J..J~ lundi, :16 juilletv-j'étais de ser-vice
aSaint-Cloud, avec M. le rnaréchal , au moment-du




~..


( 148 )
déjeuner, un Iieutenant des gardes m'ayant appris
la puhlication desordonnances dans le Moniteur,j'al-
lai a l'inst~nt mémeen prevenir M.le maréchal, dont
le premier mot fut de medire que cela n'était pas
possible, et qni me parut fort préoccupé de cette nou-
velle, Iorsque je le revis aprés le déjeuner, Vers onze
heureset demie , le maréchal partit pour Paris, etje
ne le revis que -le soi r a l'ordre, qui eut lieu assez
tard, le Roi ayant été a Bambouillet (mouvement).
Le mardi matin, M. le maréchal eommandait sa voi-
ture pour alIer a la campagne, lorsque je lui fis ob-
server que déja, le lundi soir, il y avait eu quelque
mouvemen.a Paris, et qu'au moins, il serait néces-
saire qu'il m'indiquát oú l'on pourrait le trouver ,
s'il arrivait quelqne chose. Oette observation déter-
mina le maréchal a rester a Saint-Cloudvet peu de
tems apres, il recut l'ordre de venir chez le Roi ,
a'pres la messe; en'en sortant , vers onze heures et
demie, il demanda sa voiture , et nous partimes aI'in-
stant pour Paris; nous descendirnes chez M: de Poli-
gnac, oú le maréchal resta quelques instans , aprés
qtioi nous nous rendimes a l'état-rnajor, oú le maré-
chal s'occupa de donner de~ ordres. Bientót apres ar- .
riva une personne qui annonca qu'un rassemblement
de huit eents hommes se portait sur Bagatellc, pour
efile~ le duo de Bordeaux ; le maréchal m'envoya
sur-Ie~ch-.npal'-Écolemilitaire poul' y chercher cent
cinquante lanci~rs,et me porter sur Bagatelle , avec
ordre, si nous~~ntrionslerasseJ;nblement. de n'a-
girqu'a COUp!l de pla'hle-sabre et avec le báton de la




( 149 )
lance, Arrivé aBagatelle, je ne trouvai plus riel);
le duc de Bordeaux était parti ponr Saint-Cloud , 00.
je me rendís, et d'oú je revins aParis.


Le mercredi matin, je fus envoyé chez M. le préfet
de police, pour l'eng3~J;.,de la pat't du maréchal , a
faire des proclamations ~u peuple; il me répondit
que cela serait fait incessamment ; j'allai dans la ma-
tinée avec le maréelW, chez M.. de Polignac , 00.
se trouvaiént plusieurs des ministres : en revenant de
chez le ministre, M. le maréchal m'annonca que la
ville était en état de siége. Les ministres ne tarderent
pas a venir au Tuileries , oú je les vis ensuite , et
oú ils étaient souvent dans la 'rnéme piece ~?e le
maréehal.


Le mercredi vers quatre heures, [e fus envoyé par
M. le maréchal á Saint-Cloud , avee une dépéche pour
le Roi; j'avaís ordre de fairelaplus grande diligeoce,
ce que je fis en effet, comme on a pu le reconnaitre
par la fatigue qui m'accablaít amon arrivée. M. le
maréchal m'avait de plus recommandé <W dire rnoi-
méme au Roi ce que j'avais vu de l'état de Paris j je
rapportai au Roí que la population de París tqut
entíere s'était soulevée, et que j'avais pu en jngerpar


•moi-rnéme en passant a Chaillot , oú des coups de
fusil avaient été tirés contre moi, non par la popu-
lace, rnais par des gens d'une classe plus élevée.
Le Roi me répondit qu'il lirait la dépéche '. el je me
retirai POUl' attendre ses ordres ; voyant qu'ils n'arri-
vaient pas, je priai M. le duc de Duras d:aller chez le
Roi pour lui parler de la gravité des événemens;




( 150 )


mais il me répondit que, d'apres l'étiquette, il était
impossible d'entrerdans le cabinet du Roi (Rires
ironiques. )


Au bout de vingt minutes, je fus enfinappelé dans
•Ie cabinet du Roi qui ne me remit aueune dépéche


éer:ite, mais me chargea seulement de dire au maré-
chal de tenir bien; dé reunir ses [orces sur le Car-
rousel et a la place Louis )lIT, et d'agir .avec des
masses, (Rumeurs prolongées.) JI répéta méme deux
fois ce dernier moto (Nouvelles rumeurs.') Jerevins
apporter cette réponse au maréchal; mais je ne vis
point alors M, de Pclignac , et jen'ai pas su s'il avait
envoyé quelque dépéche au Roi; ce que je sais, e'est
qu'il ne m'en avait donné aucuae, Je n'ai point eu
connaissance d'un ordre donné le mercredi ou le
jeudi pour arréter diverses personnes; mais j'ai été
chargé par le maréchal , le mercredi de trés-honne
heure, d'aller díre aM. Foucault que l'ordre donné
pour les arrestations était annulé. le m'acquittai de
eette mission , mais sans avoir su par qui avait été
donné l'ordre, ni quelles personnes il pouvait con-


. .


cerner. Dans ma déposition écrite , j'ai dit que ce
dernier fait s'était passé le rnercredi , je m'étais
trompé, et cela ne doit pas surprendre, je fus tou-'
jours a cheval pendant les trois jours ; on coneevra
qu'íl m'était alors difficile de me rappeler toutes les
ciroonstances.


M. le président, Quels sont les arrestations que
vous venez d'indiquer? étaient-elles en grand nombre.
-R. Je ne sais riena cet égard; je n'ai que reeu




( 151.)
l'ordre de dire au colonel Foucauld l'ordre de sus-
pendre les a.rres~tions.-D. A~z"vous connaissance
d'nn ordre de distribuer de l'argent aux, troupes ?
Savez-vous par qui eetordre a été donné?'----R; Vers
rninuit, mercredi, il arriva a l'état-major nne dépéche
du Roi, cont~nant l'ordre de distribuerde I'argenr
aux troupes,


M. le président. M. de Polignac, vous e~'dez cé
que aéclare le témoin: vous n'aviez J'as c1"argénl'~
l~tat-ma.j&;'ce n'est qu'auTrésor que .1ion. apü se
procurer lessommes nécessaires ala distribution or-
donnée; sur qnel ordre furent-elles délivrées?


lit. de Polignac. Je neo pellx donner aucnn éclair-
cissementa cet égaFdt tont ee qu~ je peux direc'est
que ni ordre ni argent n'ont passé par mes ~ainS ;
ce n'est q\le le jeudi, vers sept heures du matin, que
je sus qu'il y avait eu de l'argent distribué; j'ai ton..
jours eru que ees somme~ne s'élevaient pas ah-
dela de 7 a 8,000 franes. Je ne .sais 'Ili de .quelle
caisse a été- tiré cet argent.mi Sur quel Oi'dre i+;~u~té
délivré. •


M. leprésident, Quelqu'un dés aceusés peut-il
donner a cet égard quelque renseignement á: la
Cour. (Geste négatifau bane des accusés. )


M.le président. Aínsi doncaucun ministré n'a eu
connaissance «es détails de ee Iait.'
. 1Ji. dePeyronnet. Il: parait résulterdes débat&,ce


que j'ig~orajs, que l'ordre de distribu~en.. ,d'árgent
aux troupes ne parvint al'état-major que la nuit. Je
n'étais pas alors dansce lieu. Le j.etfdi matin, je me .




( 15:¿ )


promenais avec M. de Olandeves sur la place du Car-
rousel. C'est la que ,facqui s lá seu~ notíon que j'ai
euede la distribution d'argent aux troupes, le vis un
escadron de lanciers a la tete duquel on lisait un
osdre du jour. Dans les circonstancesau milieu des-
quelles nous nous trouvions placés, je fus curieux de
connaitre l'ordre du jour adressé au~ troupes. Le
Roi Ieur témoign::lit sa satisfaction de leurconduite.
(Vifs mutWutes.) Il annoncait qu'illeur serait dis-
trihué de l'arge'tltet qu'il.leur accorderait des sécem-'
penses.... (Nouveaux murmures.)


M. le président, ti M. de Potígnac. M. de Monthel
se trouvait dans le méme lieu que vous; est-ce par
son 'ordre QI,l par un simple ordre da, maréchal duc
de .Raguse que l'argent a été livré?~ R L'ordre
n'arriva qu'a minuit , comme vient de le díre le
témoin; ~ous étions a .l'étal-major, mais nous.n'é-
tions pas reunii' dans la méme piece : nous étions
done en' quelque SOI'te isolés, et nous ne nous
sommes trouvés ensemble qu'au moment oú les
deux Pairs de France sont arrivés a l'état-major, II
n'y a pas eu d'ordre de moi; on n'en a trouvé au..
cune trace, ce qui 'eüt été facile, s'il eút existé un
ordre, on n'a pu ríen déconvrir ace sujet au minis-
tere des finances. J'ai appris avecbeaucoup d'éton-
nement que les sommes di~tribuées aux -troupes s'é-
lev.al'. troisou quatre cent míllefrancs.


M. Ségu¡:~~ 1'1'018 cent mille franca. •
M. de PO~!'4C' Je le répéte , j'éprouve un véri...


table: étonnf\meflt; cat je n'ai d'abord cru qu'a une




( 153 )
distribution de .ept 00 huit.mille francs ; je ne sais
pas autre chose, el je comprenda difficilement une
distribution aussi c~nsidérable que celle dont on
parle, et que ron porte' a troie cent dix ou qúatre
cent mille francs, le tems matériel de cette distri-
bution me parait excéder celui de la·demi·lÍeure qui
s'est écoulée entre la lecture de I'ondre du jouret la
mise en mouvernent des .troupes.


M. de MaTttigndc. La dépositiGn 'que vous ~hez
d'ent~mdre 'ébntient des choses extrémement imp.Qf-
tantes. Le. témoin a dit qu'il avait été chargé pa.. le
maréchal d'aIler chez le préfet de police pour faire
faire des proclamations au peuple. Ainsi le maréchal
correspondait directement avec le préfet depolíce.
D'un autre coté, vous avez vu qu~ les rápports du
Roi avec le maréchal étaienttout-á-fait directs , et
que c'était au maréchal directement que les or<lté5
du .Boi étaientenvoyés.


M. le vicomte de Foucault , aneien eolonel d~ -la
gendarmeríe Re Paris. '


M.1e président, Qnet' joursutes-vous que M. le.
duc de Raguse était investí du commandernent de
toutes les troupe_s de la divísion?- R. Je l'ai appris
mardide la bouche de M. de Polignac. .


D. '1\1.' de Polignac veus avait-il mandé chez ¡ni
pour vous faire part de ses dispositioás? - R. M.le
comte de Wall me cómmuniqua un biHet qu'il '-av~it
rec;u de M.' le prince de Polignae', qui portait 'que le
soir il devait y avoir chez luí un eonseil des minis-
tres , et qu'il priait de. prendre des me~UI'CS pour as-




( 154 )
surer la tranq.uillité auto~lr de l'hótel, Ce billet pOI'·
tait aussí : « Faites-en part au colonel Foucault.» le
me rendís d'aprés cela chez M. le prince de Polignac,
qui me répéta ce qw.e .contenait le billet. Il me dit
enoutre que M. le duc de Raguse était chargé du
commandement de la division. Je n'ai pM eu d'autre
conversation avec M. dePolignac.


D. Le préfet de police ne vous a-t-il pas parlé des
mesures que' devaient nécessiter l~s ordonnances ?
-- ~. Je me nendis le lundichez le préfet de policle
pour lui parler de ces ordonnances, prévoyant bien
qu'elles nous donneraient heaucoup de besogne.
(Rire général et prolongé;M. de Polignac lui-méme
pa,tage l'hilarité de l'assemblée. }


M.le président. Je rappelle a l'anditoire qu'il ne
doit se permettre aucun signe pendant la déposition
des témoins, .


M. de Foucault. J'aurais dÍ! dire de la tablature,
de l'embarras, (Ri~e étouffé dans toutes les parties
de la salle.") Habitué a voir dans Paris des mouve-
mens pour des affaires heaucoup moins importan-
tes, je devais penser qu'il yen aurait au moins au-
tant dansces circonstances. Je ne trouvai pas d'abord
le préfet de políee chez lui, lundi matin; j'y retournai
aune heure et derriie. Je trouvai M, le préfet .beau-
coup plus tranquille que je. ne l'imaginais. Je lui
disque j'avais ce jour-la une irrvitation adiner dans
le fond ~'u' faubourg -Saint-Honoré , et que je ne
croyais pas devoir m'absenter dans ces circonstances.
M. le préfet me répondit qu'il ne voyait pas de mo-




f


( 155 )
tifs pour rn'empécher d'aller ace dinero Il ne fut pas
question de mesures a prendre. M. le préfet ne me
donna aueune instruction.


D. EsHe par vos ordres .' le.mardi, les dé taehe-
mens de ge~darmérie, quiWtrou~~r;:.rue Neuve-
du-Luxembourg et sur la place du P:ililS''m:>y.a~, ont
employé la force contre les citoyens? ,_o R. Les-gen-
darmes, au nombre de cent qui formaient ces déta-
chemens , avaient été envoyés a la réquisition de
M. le comte de Wall, commandant de la place.
'foutefois les officiers de gendarmerie ne sont pas.
telIement ala disposition des commandans militaires,
qu'ils soient dispenses de rernplir les obligations qui
leur sont prescrites par la loi. Les ordres qu'ils peu-
vent recevoir des chefs militaires ne mettent pas
leur conduite a I'abri de toute responsabilité. Ils
sont justiciables des trihunaux civils, J'ai toujours
prescrit aux officiers de,.gendarmeries,ous mes 01'-
dres , de ne s'écarter,dans aucune eirconstance , des
conditions que leur impose la 10i, avant d'employer
la force publique. Les rapports qui m'ont été arlressés
m'ont fait connaitre que les rassemblemens,qui
s'étaient formés dans la rueNeuve-du-Luxembourg,
avaient été dissipés par la gendarmerie, sans qu'elle
fUt dans l'obligation de faire des sommations , n'ayant
pas éprouvé de résistance.


D. Il parait cependant que les hostilités ontcom-
lllencé par la gendarmerie, d'ahord dans la rue
Neuve-du-Luxembourg ,ensuite sur la place du
Palais - Royal. - R: Le détachement de gendar-




",


( 156 )
merre qui occupait 'la place du Palais- Royal n'y-
a pas été envoyé par mes ordres. Il était com-
mandé par un officier supérieur. Le mardi , vers
six heures du .soir, faii1t roa tournée avec douze
gendarmes, l~ sabre Wns ,le fourreau (cal', dans
toutes ces afffiires, mon sabre n'est jamais sorti da
fourreau), je ne me suis point apen,;u qu'il y
eút eu dansla rue Ncuve-du-Luxembourg, quel-
que acte d'hostilité commis par la gendarmerie. Je
vis plus d'agitation sur la place du Palais-Royal. Un


.. gendarme me dit : « mais, Commandant, l'officier a
» fait mettre le sabre a la main, Cela a causó un pen
» d'irritation.)} re continuai a parcourir le Palais-
Royal. J'invitai les gronpes tres-nombreux qui se
formaient a se retirer. Je n'ai éprouvé aucune in-
sulte. Beaucoup se retiraient] mais je voyais qu'ils
revenaient aussitót que j'étais éloigné. Je leur dis:
f{ Vous résistez aux injonctions qui vous sont faites
JI par la gelldarmer~e, vous pourrez plus tard vous
» en repentir. » Je remontai acheval, el je me portai
du coté de la rue Croix-des-Petits-Champs , oú il y
avait du tumulte. Des pierres furent lancées contre
les gendarmes; j'en re<;;us une a la tete, et je n'au-
rais .pu maltriser mon cheval si j'avais tenu le sabre
a la main. J'entrai dans le passage Montesquieu : je
vis une femme qu'on avait laissée pour morte. Je
demandar ce que c'était aun gendarme. II me dit :
« Mon colonel, elle a sans ~ute reeu une pierse
lancée a un gendaeme.. J'avaisbeaucoup de peine a
reteuir mes gendarmes qui étaient assaillis par une




157
gl'eIe de pierres, Un gendarme pcrdant patience ,
malgré les ordres que j'avais donnés, mit son cheval
au grand galopo


D. 1\1. le duo de Raguse neo vous a-t-il pas remis,
daus la jo~née dn mercredi, un ordre d'arresta-
tion ?- R. 11 m'a remis un ordre d'arrestation con<;u
en deux ligues. Je croyais d'abord 9u'il ne contenait
que six noms , mais il yen ávait huit. Cet ordre était
sigllé par le maréchal duc de Raguse. S'il m'avait été
remis le mardi , j'aurais fait observer a M. le ma-
réchal, que ces arrestations devaient se faire par un
rnagistrat, Mais, en ce moment , connaissant toute
l'étendue de l'autorité du maréchal , je ne me per-·
mis aucune observation.


D. A quelle heure recútes-vous cet ordre? - R.
Versmidi , avant l'arrivée de MM. les Députés,


D. Vous rappelez-vous les noms? - R. Je ne me
suis d'ahord rappelé que les noms de MM. Salverte,
Laffitte et Lafayette, et ensuite celui deM. Audry
de Puyraveau,


D. M. le duc de Raguse, en vous remettant cet
ordre, vous donna-t-il aentendre qu'il avait été con-
certé avec les ministres qui étaient a l'état-major de
la place? - R. M. le maréchal était revétu d'une si
grande autorité que j'aurais cru manquer a.mes de-
voirs de lui faire la moindre observation.


D. Faites connaitre comment cet ordre fut retiré
de v-os mains. _ R. Beaucoup de difficultéa se pré-
sentaient a mon esprit, et je prévoyais_une gr'ande
responsabilité, Je demandai les adresses des per-




( 158 )
sonnes qu'il fallait arréter : un secrétaire les prit
dans unalmanach des 2.5,000 adresses. Je me rendís
a la chancellerie , accompagné de trois officiers qui
étaient avec moi. Je les priai de faire autant d'ex-
traits que d'individus a arréter. Lorsqu'ils furent
íaits , je mis le tout danS ma poche et je revins vers
M. le duc de Raguse. le rencontrai, dans la rue de
Rivoli , un de ses aides-de-carnp , qúi m'annonca que
le maréchal-Iui avait donné l'ordre de suspendre
l'exécution de l'ordre d'arrestation, Cet ofíicier me
souJagea d'un tres-granel poids. (On rit.) L'officier
a dú s'en apercevoir. Je me rendís chez M. le duc de


.Baguse : il me dit qu'il avait révoqué son ordre, paree
qu'il était pea loyal d'arI;eter des personnes qui
avaient fait des démarches pacifiques. le lui remis
I'ordre el déchirai les extraits.


D. Savez-vous bien positivement si le poste de gen-
darmerie de la place du Palais-Royal a fait des som-
mations ? Précisez vos í-éponses sur ce point. - R. Je
n'ai rec;;n aucun rapport de l'officier qui cornman-
dait ce poste; il n'était pasplacé sous mes ordres, le
ne puis pas répondre de ce qui a été fait.


jJ1. Persil. Je demanderai au témoin si, quand il
s'est présenté, le mercredi, chezM.le due de Haguse,
l'ordre d'arrestation était préparé, ou s'il ti été écrit
devant lui? - R. Il n'a pas été écrit devant moi; il
m'a été remis a I'instant méme. •


D. L'accusation attache la plus grande importance
aconnaitre felui qui a pris I'initiative de l' ordre d'ar-
restation, ir savoir si c'est M. de Polignac, 011 quelque




(-159 )
autre ministre, ou M. le duc de Raguse. - R. Je
l'ignore.
. M. de Komierocoski. L'empressement que M. le


maréchal a mis ~ donner contre-ordre fait assez pré-
surner que l'ordre n'érnanait pas de lui. Il me clit:
« Si-vous ne trouvez pas le colonel Foucault, envoyez
deux ou trois ofticiers pour le chercher. partont et
lui donner contre-ordre.


M. aeGuise.J'étais depuis long-tems auprés de M.
le maréchal, je ne lui ai jamais entendu parler de
M. Eusebe Salverte et de M. Audry de Puyraveau,
compás parmi les pe1'sonnes qui devaient étre ar-
'retés. C'est une raison de croire que l'ordre ne ve-
nait pas de 1ui. .


Un Pairo L'ordre était-il écrit ele la main de M. le
duc de Raguse?


M. de Foucault. L'ordre m'a paru écrit de la méme
main que le nom du duc de Raguse, placé au baso


Le méme Pairo Quelle était la-personne qui écri-
vait sous la dictée du maréchal?


M. de Guise.' C'est moi seul, et je n'ai jam"aisécrit
un ordre sernblable.


M. Persil. Je demanderaí aMo de Foucault quelle
était l'étendue de l'ordre d'arrestation P-- R. Une
ligne et demie d' écriture indépendamment des n,oms.
Je ne me rappelle pas bien les termes, mais il était
coneu apen pres ainsi : « Le maréchal de France, duc
» de Raguse, commandant général de toutes les
» troupes aParis , ordonne de faire les arrestations
» suivantes. »




( 160 )


11'1. de Komierowski. le demanderai a M. de Fou-
cault de dire par qui il a fait déchiffrer I'écriture de
cet ordre t cal' s'il avait été écrit par M. le maréchal,
je défie M. de Foucault d'avoirpu le lire,


Jrr.· de Foucault. L'écriture était eneffet fort mau-
vaise : eUé ressemblait ala signature : d'ailleurs , 1\1.
le rnaréchal en me remettant l'ordre , me traduisit
verbalement ce qu'il contenaít.


lw' le président, aua: aides-de-camp du maréchal.
Vous rappelez-vous qu'il fút venu, soit de Saint-
Cloud , soit dequelque ministére , une dépéche ,
dans laquelle on pút supposer que cot ordre était
renfermé ? .


ir.I: de Guise. Non, M. l~ président.
M. de Komierocoski. Je n'en ·saisrien du tout.
M. .drago, membre de l'Académie des sciences :
Lorsque j'eus l'honneur de comparaitre devant la


commission de la Chambra des Pairs , je crus qu'il
était convenable qu~ je fisse connaitre l'originedes
relations amicales que j'avais eues avec M. le duc de
Raguse: Je voyais M. le maréchal presqu8 toutes les
semaines, quelquefois chez luí et le plus souvent a
l'ohservatoire. Les nouvelles du jour , les menaces
qu'on faisait contre la France étaient le texte .habi-
tnel de nos entretiens. Je doís diré que les coups


,


d'état lui paraissaient peu 'probables: cette carriere
lui semblait hérissée de diffie~ltés. Cependant la con-
fiance qu'il avait montrée a cet égard Jut affaihlie
dans deux circonstances 'lue je rapporterai.


M. le maréchal me raconta qu'un jour , aprésle




( 161 )


jeu du Roi, Charles X parla aux personnes qui l'en-
touraient des événemens de son regne (Texpédition
d'Alger n'avait pas encore eu lieu). Ces événemens
luí paraissaient devoir occuper peu de place dans
I'histou'e. Il cita deux circonstances de sa vie comme
pouvant étre remarquées par la postérité : l'une était
la résistance qu'il opposa, en 1789, aux prétentions
du tiers-état ; l'autre était la création .du: ministére
du 8 aoút.


M. le maréchal me rapporta en mitre que le jour
oú les journaux s'étaient occupés avec beaueoup de
détails des moyens de résister: aux eoups d'état , et
que des journaux d'une autre eouleur avaient signalé
ce danger, un personnage important lui demanda
quel serait a son avis la eonduite que tiendrait l'ar-
mée, si l'on employait la force eontre ceux qui re-
fuseraient l'impót, M. le maréchal répondit ace per~
sonnage, qu'il ne désigna pas, que dans l'origine les
soldats obéiraient; mais qu~ bientós, apres s'étre as-
sis au- foyer du 'paysan, ils s'apercevraient qu'ils
ont le méme intérét., et que l'arrnée serait démora-
Iisée ..


Des ce moment les craintes du maréchal me pa-
.rurent extrémement vives, Le lundi, il vintme voir


11 l'Institut: sa vue produisit sur moi une douloureuse
impression; il me dit: ce Eh bien! vous le voyez ,les
choses vont comme je l'avais prévu. Les inseasés ont
poussé tout a I'extréme, Vous n'avez a vous affli~er,
vous, que comme citoyen, comme hon Francais ;
mais combien n'ai-je pas lieu, de me plaíndre , moi,


rr. 11




( 162 )


qui , en ma qualité de mihtaire , semi ubligé (te me
faire tuer pULIr des actes que j'abhorre et pour des
persQllneS qui, depuis longtems, semblent s'érudier
a m'ahreuver de dégoúts ! »


Je parcourus différens quartiers de Paris. Je me
mélai aux groupes du peuple, Je vis des personnes
qui disaient que le duc de Raguse saisissait cette oc-
casion pour chercher ase réhabiliter. Le sens qu'on
attachait ace tenue n'était pas le méme dans tous les
;~roupes. Il me parut que ce mot me laissait quelq ue
chose a {aire dans de pareilles circonstances. J'alIai ;1
I'état-major pOOl' dohner au maréchal des conseils
dans son intérét et celui da pays. Je eraignis d'entrer
au~ Tuileries et d'étre signalé, en sortant, eomme un
espion , et massacré par le peuple, sans pouvoir don-
ner aucune explication. Je reltus nne lettre d'iine
personne qui s'intéressait beaucoup au maréchal.
l.es rensei.gnemens que cette lettre me donnai t me
d(~terminerent a' aller trouver le maréchal aux Tui-
leries. En entrant, sur les deux heures, dans le pre-
miel' salan, j'éprouvai quelques regrets quand jc
vis que I'cntourage du maréchal n'était pas tout mi-
litaire. J'apercus des employés dll ministere des af-
(aires étrangcres , et méme des rédacteurs de jour-


. naux. J'entrai dans l'appartement du marécbal, 011
se trouvait un grand nombre d'officiers, la plupart
en hahíts hourgeois. La majorité de ces officiers éta·it
fo~ cxaltée ret, dans mon opinion, fort peu raison-
nable. Mais il y" en-avait d'autres qui paraissaient
cornprendre la gravít~des circonstances, et qui don-
naient d'excellens conseils.




( 163 )
M. le général Tromelin me parut animé des méiV


leurs sentimens. Je pris le maréchal a l'écart , et je
lui dis qu'il n'y avait pour lui qu'un seul parti a
prendre; que c'était de se rendre aussitót a Saint-
Cloud, de déclarer au Roí qu'il ne pouvait plus con-
server le commandement, s'il ne retirait les orden-
nances et ne renvoyait le ministére ; M.le maréchal
était dans un état de malarse difficile aex primer. Ses
idées sur les ordonnances du 2.5 juillet, n'avaient pas
changé; il trouvait ces actes, le mercredi , tout aussi
criminels que le Iundi ; mais il était retenu par des
sentimcns presque indéfinissables , il ne croyait pas
pouvoir ahandonner la partie pendant le combar,
Je crois qu'il éprouvait aussi quelque regret ,je
dirai rnérne quelque honte de voir que les meilleures
troupes de l'Europe étaient 'battues dans pre.squ~
tous les quartiers de. Paris par un peuple .pris a
l'improviste. .


J'allais peut-étre l'amener a une détermination ,
lorsqu'uue circonstance 'fit revivrejdans toute sa
force, le point d'honneur militaire. Un aide-de-camp
d u général Quinsonas apporta la nouvelle q uele gé-
néral ne pouvait plus tenir dans le quartier des In-
nocens. Je cherchai a montrer au maréchal que le
peuple était dans un étatlégitimede défense, qu'on
ne pouvaitpas l'appeler un peuple de révoltés, pnis-
qu'il combattait ponr des institutions qU'OÍl avait
juré solennellement, au pieddes autels, de maintenir.
J'en étais la lorsqu'on annonca l'arrivé des députés;
je passai. dans un salon voisin. J'appris alors, pour la




(G~ )
premiere foís que les ministres étaient al'état-majoi
J'artendis quelqne tems pOllr savoir que! résultat al'
rait la démarche des dépntés. M. Mauguin me dit el
sortant ,qu'on n'avait rien ohtenu. Je dois ajoutei
qué M, Mauguin se louait heaucoup des manieres el
des sentimens du Maréchal. Les dépntés étaient cléj:
descendus un certain nombre de marches lorsqu'on
les rappela , de la part de M. le prince de Polignac.
Ce retour des Députés fit l'impression la plus favo-
rabIe sur toutes les rersonnes qui étaient dans la salle
de billard-, Bientót aprés on avertit les députés qu'il»
pouvaient se retirer, que ~'I. le prince de Polignac ne
les recevrait pas. le restai encore quelque tems. Je
liai conversation avec un des aides-de-camp du maré-
chal, M. Delarue, chef d'escadron. J~ le priai de dire
au maréchal qtie je le verrais le lendemain, si c'était
possible, e'est-á-diré si les ,troupes n'avaient ras pass!"
tout-á-fait du coté du peuple. Ces paroles firent 1IIH'
tres-vive impression sur M. Delarue; i] me dit qu'il
n'avait recu auoun renseignement qni lui apprit rien
de semblable. Je répondis qu'en parcourant différens
quartiers j'avais VIl ,les' tronpes fratcrniser avec le
peuple. « Mais cette nouvelle, ajouta-t-il, est tres-im-
portante: veuillez la communiquer aM. le prince de
Polignac. l) Je refusai de m'expliquer directement
avéo le ministre, voulant me réserver le droit en ren-
trant dans les flots du peuple, d'affirmer que j'igno-
rais que les ministres fussent aux Tuileries et que ie
ne lenr avais pas parlé. M. Delarue tenait tellement
a communiquer cette circonstance a M. le Prince de




( 165 )
Pohgnac, qu'il me demanda la permission d'aller en
faire part au maréchal , afin qu'illa transmit aM. de
Polignac. Il revint un moment apres , la figure toutc
décomposée.iat s'écria en m'abordant: «Nous son~mes
perdus ! notre premie!' ministre n'entend méme pas


.Je fran<,;ais !Lorsqu'on lui a ditque les troupes fra-
ternisaient avec le peuple; il a répondu : Eh bien, il
faut aussi tirer sur les troupes.


Je ¡riens .Qe rápporter leschoses comme elles se
sont passées, Peut-étre trouvera-t-on , en. comparant
ce que je viens de dire avec ma déposition écrite ,
une légere difrerence. M. Delarue m'a fait savoir que
c'était lui qui avait directement adressé la parole a
M. le prince de Polignac.


M. le président: Si :!)tI. Delarue n'était pas hors de
France , je l'aurais fait assigner comme témoin.


M. Persil. M. Arago a dit qu'il avait ápercu aux
Tuileries des employés du ministere des affaires
étrangeres , pourrait - il les nornmer? - R. Je ne
pourraisnommer que M. de ,Flavigny, que j'ai
reconnu.


M. Persil. Je dernanclerai aM.le prince de Polignac
une explication a ce sujeto


M. le prince de Polignac. Cette explicationest tres-
simple. II est vrai que M. de FJavigny est venu I!1c
demander quels étaient les ordres que j'avais á
donner relativement aux papiers que j'avais laissés
au ministere des affaires étrangeres. J'avais dit aM.de
Flavigny, qui était resté seul au ministere, de venir
prendre mes derniers ordres aux Tuileries. Que le




( 166 )
témoin veuille bien dire cambien de tems M. de Fla-
vigny est resté aux Tuileries , et s'il a vu d'autres per-
sonnes des affaires étrangeres«,


M: .drago. Je suis resté deux heures aux Tuileries;
et M. de Flavigny y est restéaussi tout ce tems-Ia. J'ai
vu une autre personne qui m'a dit étre votre secré- •
taire , d'une taille peu élevée,


M le prince de.Polignac. Je ne sais pas ce qu'il
aurait fait la deux heures , cal' il était.venu seulqment


.


pour prendre mes ordres.
Je dais revenir sur la déposition du témoin,
Le témoi~, en rappelant des expressíons dont se


serait servi M. le maréchal a dit : (( Des gens qui m'ont
toujours abreuvé de dégoUts. ») Je ne .prétends pas sao
voir qui il pouvait avoir en vue acette épaque, mais
certainement ce n'était pas moi. J'ai toujours été
dans les meilleurs rapports avec M. le duc de Ragirse.
J'ai toujours taché de Iui étre utile. Depuis longtems
il desirait avoir des lettres de service pour le gouver-
nement de la premiere division militaire dont il était
gouverneUl'. J'en ai parlé plusieurs fois au Roi. S M.
m'a laissé entrevoir que la chose se ferait. J'ai saisi
la circonstance de I'absence de M. le comte Coutard
p~)llr renouveler mes sollicitations , et j'ai en fin obte-
nu cette faveur du Roi.


11'1. .drago. Je déelare que M. le duc de Raguse m'a
toujours parlé des relations qu'il avait eues avec M.
le prince de Polignac dans les tenues les plus favo-
rables.


111. de l1'Iartignac. Rien de plus douloureux et de




( 167 .:
plus funeste dans l'accusation dirigée coutre NI. le
prince de Polignac, que le propos qu'on lui attribue
dans la déposition du dernier témoin. lVI. d~ Polignac
gémit SOllS le poids de l'aceusation la plus grave. Les
débats sont suivis avec une activité qui clonne aux
juges le hesoin impérieux d'arriver ala connaissance
de la vérité. é~hacun des témoins, pressé par sa con-
science , dépose des fáits d~t il a une connaissance
personnelle, Le bonheur , ou la vérité, qni est un
granel bonhenr, a vonlu qu'aucun témoin jusqg'ici
ne déposát tl'un fait parvenn a sa connaissance per-
sonnelIe qui se rattachát a la participation directe,
immédiate de )tI. le prince de Polignac aux malheurs
sanglans qu'il déplore plus que personne; et voilá
que, porlr la prerniere fois, CUl Iui attrihne une de ces
paroles criminelles, prononcée sans aucune nécessité,
et la fatalité ne Iui permet ·pas d'éclaircir ce fait ..Le


..


témoin est trop honnéte .homme, trop loyal pou!'
di re qu'il a entendu lui mérne ce propos; il Ie tient
d'un autre , et le malheur veut que cette personne
se trouve en pays étranger., Jé recommande cette
ohservation ala couscience de l'ho'mme.


( L'audience est suspendue aune heure, et reprise
au bout de vingt minu tes. )


M. le marquis de Sémonville est appelé, (Vi] mou-
vement de curiosité, )


Ce témoin, dont une attaque de gOlltte rerid les
pas mal assurés, s'avance appuyé sur une canne; il
est revétu d'un habit noir, et porte sous cet habit
le gl'and cordon de la Légion-d'Hormeur : d'une voix




( 168 )
ferme, son ore , et qui pénetre dans toutes tes párties
de la salle, ils'exprime ainsi au milieu d'un profond
silence :


M. le président, Avez-vous, le 29 juillet ~ accom-
pagné de M. le comte d'Argout, faitdeux démarches
d'une grande importanee; l'une a l'état-major des
Tuileries, aupres de M. le due.de Raguse, et I'autre
aSaint-Cloud auprés du Roi Iui-méme ? Veuillez d'a-
bord rendre compte a la cour de votre démarche a
I'étst-major.


M. le marquis de Sémonville. La cour sait , par ma
déposition écrite et encoré plus par mes rapports
avec elle, que je n'ai oonnu les ordonnances que par
le Moniteur, le mardi et le mercredi. Elle ~ait que,
des quej'eu