PRÉCIS 'BISTORIQUE D B S , , PRINCIP AUX EVENEMENS POLITIQUES ET MILITAtRES ...
}

PRÉCIS
'BISTORIQUE


D B S
, ,


PRINCIP AUX EVENEMENS
POLITIQUES ET MILITAtRES


Ql1I Ol'iT AMEl'iÉ


LA RÉVOLUTION n:ESPAGNE •


. i .




lE erois avoir prouvé qu'en Europe, comme en France , ce qui
est ancien c'est la liberté, ce qui est. moderne c'est le despotisme;
et que ces défeoseurs des droits des natíons, qu' on se p)ait a
représeoter comme des novateurs, n'oot pas cessé d'invoquer'le
passé. Quand cette vérité ne serait pas évidente, iI n'en résulte~
rait qu'uo devoir plus pressant d!inaugurer le regne de la justice
qui n'aurait pas encore étémis en vigueur; mais les príncipes de
liberté sont tellement gravés dans le c~urde l'homme, que, si
l'histoire de tous les gouvernemens offre Je.tlibleau des efForts du
pouvoir pour envahir, elle présentc' a'ussi celuide la tutte des peu-
pIes contle ces efforts.


Considérations sur la RéPolution Fran~ais ••
Par Me. DE STAEL, t. JU. chapo r.


Cet Ouvrage se trouve aussi au P!ll;¡is-Royal, chez le9
libraires suivans:


PELAUNAY, i
PELICIER ;' .'
LADVOCAT;
PONTHIEU;


Et a la librairie constitutionnelle des rrcres BEAUDOUIN.
rue de Vaugirard, nO. 36.


A BRUXELLES,
Chez W AH LEN et ce. imprimeur-libraires.;
Et chez les principaux libraires de France et d'Europt'.


DE L'IMPRIMERIE DE }<'AIN,
PLACE DE L'ontoN.




~ , ....
~ \,.
, .


PRÉCIS
HISTORIQUE


DES
, ,


PRINCIPAUX EVENEMENS
POLITIQUES ET MILITAIRES


QUI ONT AMENÉ


LA RÉVOLUTION D'ESPAGNE.


TI importe de répéter • tous.les partisans
des droits· qui reposent sur le passé, que
c'est la· liherté qui est ancienDe, et le
clespotisme qui est modernCJ.


Considérations sur la llévolulÍo'n Francaise.
Par Me. JlB ST.lEL, l. 1, chap·. IC.


PARIS, q.~
A LA LIBRAIRIE UNIVERSELL, lO


DE P. MONGIE AINÉ, ~::;IiíI"'"
11011 LEVA R T POISSON N I ERE, NO. 18.


182I.






AVANT .. PROPOS.


I.JE désirde juger par nloi..,. menl,e des
.causes qui ont amené lechangement im-
portantque l'imprévoyance, les fautes,
,et les criJ.nes dequelques hOlTIlneS ont
rendu nécessaire dans le gouvernenlent
,de l'Espagne, Ul' a décidé a quitter la re-
traite que j' avais ,choi~ie, depuis quatre
An.s a Bruxelles, pour me rendre a Ma~
drid. La nohle cause de la liberté, fondée
sur le respect des lois divines et humai-
nes, -est devenue tellement solidaire entre
tOtlS ceux qui l' ont enlhrassée, que tout
ce qui tend , dans les deux luondes, a son
a~ssement et 11 son triomphe, est
aujourd'hui le premier de leurs devoirs ,
et qu'il n'est poirnt de sacrifice.s' qui ne
doivent leur parahre faciles pour l'ac-
éomplir. Mais cODlhien cedevoir ne cle-




"


1 J
viel1t-il pas encore plus ohligatoire et plus
sacré, a l' aspect des odieuses et dégou-
tantes calolllnies que la haine, le men-
songe et les passions les plus laches, ne
cessent d' entasser sous la plullle de quel-
qucs écrivains, qui se font un jeu de tra-
hir ilnpudemment la vérité dans toutes les
pages de leurs méprisaJlles libelles, - et
de présenter COlllme une sédition crimi-
nelle, 1'effort le plus généreux et le,plus
régulier auquel ait pu se porter un peuple,
poul' hriser le joug de la superstition la
plus honteuse et de l'oppression la plus
insupportable !


La révolution~ aussi grande qu'inatten-
due, qui s' est opérée, au conlmencement
de 1820, dans le gonvernement dela pé-
ninsule Espagnole', et· qui, pen de mois
apres, a été si glorieuselnent imitéedans
les États de N apIes, et plus récemment d~ns.
ceux de Portugal, a été considérée, par
quelques hommes trompés, superficiels,
ou de 11lauvaise foi, connne reffet d'une
intrigue ll1ilitaire, sans ,racines dans l' opi-




iij"
nion nationale. C' est eette assertioll; évi ...
demment im pruden te ou calolnnieuse, que'
je m'attacherai a détruire dans cat ouvrage;
quoique les faits y aient déja i:mpérieuse-
ment répondu, et que 1'Espagne, tout
entiere sous les armes; ne soit pas moins
disposée aujourd'hui a faire respecter le
grand reuvre de sa régénération poli tique "
qu'eIle ne le fut, en 18;1:2, au prix de tant
de sang'et avec tant de persévérance et
de gloire, fi' reconquérir son indépen ....
dance ~ur le redoutable guerrier qui,
apres avoir asservi sa patrie; préparaita.
f-Europe' des' chaines que l' énergie des'
peuples armés parvint seule a briser, et
dont un manque de foi, sans exemple,
de la part de quelques princes, sauvés
par eux, a été 1'uni~ue récompense (1).


(1) Avant les ,actes des congres de Troppau et de Lay'"
bach, ce reproche était satIs application a celui des vrin'"
ces du nord qui reconnut le premier, en 1812,laSouve-
raineté des peuples dans l'existence des Cortes d'Espagnc1
et dont lons les soins, depuis son aVEmement au trone r




IV


En effet ,par qui, au milieu des dé-
fiances, des eraintes réciproques, entre-
tenuesdans la péninsule par l'unionde la
tyrannie .religieuse et oligarchique, le vreu
national pouvait-il done etre exprimé?
N' était-ce pas par la se,ule force qui -con-
servat encore son indépendance? et quelle
était eette force, si ce n' était celle de l' ar-
lnée? Par une subtilité toute spécieuse,
de vils écrivains, vendus a l' oligarcb~e
européenme, ont comparé l'année e.spa-
gnole aux gardes prétoriennes df! l'empire
romain; comparaison absurde! Les pré-
toriens déposaient, égnrgeaient les em-
pereurs; ils' élisaient leurs succesSeurs ;


semblaient tendre a dissiper les ténebres qui couvraient
autrefois son vaste empire, en donnant aux peuples qu'i1
gouverne une liberté progressive,]a seule dont i]s puissent
encore jouir. ])epuis les résoJutions émanées de ces con-
gres, et les événemens auxquels elles ont <lonné líeu, le .
}Jrince qui est l'~bjet de eette note, est devenu justi-
ciable de }'histoire, dont il est rareque les arrets ioient
lnoins séveres que ccux des con teJllporains.




't


ils dictaient des loÍs au Sénat. IJoin de la,
le premier acte de l' armée espagnole, en
proclamant le vceu du peuple, a été de
consacrer, par une reconnais~ance solen-
neHe, l' autorité constitutionneÍle du Chef
de l' état, de convoquer les Cortes, et de
déposer dans les nlains de la nation tous
les pouvoirt qu'eIle tenait de l'empire
des circonstances. Qu' on dise maintenant
quel point de cOlnparaison existe entre
les insolens et féroces prétoriens, et ces
nohles défenseurs de la liherte de l'Espa-
gne, dont le triomphe, vierge de sang,
ti'a conté ni un regret ni uné larme' a leur
patrie!


Ce qu'il irnporterait aux honnnes qui
gouvernent les états d' approfondir et de
méditer, hien autrement que les moyens
par lesquels s' operent les révolutions,
moyens presque toujours hors du do-
maine de la prévoyance et des calculs
»umains, ainsi que le pronverent en 1,89
les evénemens de la France, et que 1'0nt
prouvé en 1820 ceux d'Espagne, de




vj
IV aples et de Portugal (1), ce sont les
causes qui rendent ces révolutions inévi-
tahle~ ; et quoique c'ette diseussion ne soit
pas le hutdu travail que llOUS avons entre-
pris, elle llQUS paralt eependaut d'une trop
haute importance, et trop essentiellement
lié e aux événemens que nous alIons racon-
ter, pour ne pas oceuper iei quelque place.


Le seul aspect de l'Espagne, de ce
vaste et puissant elnpire, toolhé, en tr9is
$ieeles, du falte de la gloire et de la pros-
périté, dans l' ahlme de l'infortul1e, suffirait
seul pour porter dans tous les hons esprit s
la convietion profonde que, sans la revo-


(J) Sans doute, les causes qui ont amené ces grands
événemens n'ont aucune identité entre elles; mais par ...
tout on apercevait fortement Ieur existence; non pas de
maniere a.faire prévoir dans que! instant }Jrécis elles agi-
raient efficacement sur le corps poli tique , mals a faire
juger qu'il était impossibJe que cette action ne se mani-
festat pas a un moment plus ou moins éloigné. Certes, a
l'insla~t meme oh nous écrivons, iI ya bien peu d'états,
en Eur~pe, sur l~squels , grace a la présomptueuse igno,..
rance de queJques ministres, iI ne ftIt permis de porter
~TrC assllrance le m~llle l)rpsage.




vii
lution que vient d' éprouver ce pays, un
demi-siecle de plus d' existen ce du gouver-
nement qui le régissait, le faisait a jamais
disparahre de la liste des états civilisés. Je
me hornerai sur ce point ~ interroger la
honne foi·de quiconque ·aura,comlue luoi,
traversé endivers sens les provinces espa-
gnoles: qu' on di se si, parto u t, a l' exception
ele toute la Catalogne, de la Galice, et de
quelques points des royaumesde Valence,
de Grenade, d' Andalousie et de la pro-
vince de Biscaye, toutés n' offrent pas l'ilua-
gede la dépopulation, de l' absence de toute
culture, de toute industrie, de tout corn-
luerc'e, de toute civilisation! Tels sont les
fruits arners de l' affreux systenle adopté,
depuis quelques siecles, par le gouverne-
lnent de l'Espagne; et l' on oserait denlan-
der si, dans un tel état de choses, une
révolution éta~t nécessaire, si elle était
légitime! si, dans .l'inlpuissance ou la
lnauvaise volonté du gouvernelnent de-
111ettre un terlue a de pareils nlalheurs,
il appartenait a une natioll, grande de·




viij
sentltnens et de souvenirs, mais l'nalheu ....
reuse et opprimée ;de secouér un joug
honteux et barhare! Elle serait coupahle,
par cela seul qu' elle aurait triomphé dans
la plus juste des, causesL ... Maintenant
haignée dans le sang de ses glorieux. dé-
fenseurs, si elle eÍlt été vaincue daos eette
nouvelle lutte, on oserait lui de~arider
compte du succes de ses efforts! et, ne
pouvant attaquer l'~clatante légitimité- des
motifs qui lui firent prendre les armes,
on croirait pouvoir la eondamner de les
avoir remises aux Dlains de ses défenseurs
naturels 1. •.. Eh quoi! l' assen,imeút una .....
nime donné palo toute l'Espagne aux glo-
l'ieux événemens de l'Ile de Léon : son
adhésion soudaine aux principes procla-
més par quelques hataillons, que dans
d' autres tenlps, un ordre de l' autorité ellt
suffi pour disperser, et dont toute la 10rce
était luaintenant d'exprimer le vceu retenu
par la terreur au fond de toutés les ~hnes ;\
ne démontrent-t-ils donc pas assez évideni.-
ment que la conscience et la volonté na ....




IX


tionales avaient parlé, bien avant que
l' armée ne se fut rendne lenr interprete!
Yoilil ce que les faits ne pernlettent pas
de révoquer en doute, et ce qni répond a
toutes les objections. Que fexpression du
vreu national ait précédé ou suivi l' acte
de l' armée, pen inlporte, si ce vreu a été
unanime et spontané, et s'il est délnontré
qu'il ne pouvait etre exprimé autrement.
C' est ce que j' ai pretendll étahlir, avaut
d' entrer dans les détails des grands évé-
nemensqui, en changeant le systeme df:
gouverneluent des monarchies Espagnole,
N apolitaineet Portugaise, doivent influer
si puissamment et si heureusement sur
toutes les monarchies européennes, en
substituant partont, par la seule force de
la raison et du temps, l' égalité aevant la
loi aux priviléges, le systeme constitu-
tionnel au caprice des gouvernans.


On s'étonnera peut-etre du grand nom-
hre de détails, souvent lninutieux, ré-
pandus dans cet ouvrage, et dont je n' ai
pas cru devoir faire gracc au lecteur;




x


mais que ron veuille bien considérer que
l' ouvrage lui-meme n' estpas moins écrit
pour les luilitaires que pour les citoyens,
et que les hommes de l' art ne liront pas
sans le plusvif intéret, une fonIe de cir-
constances dont il résulte qu' avec les plus
faibles moyens , l' armée nationale de San-
Fernando, formée de deux divisions, a
pu opérer d' aussi grandes ehoses, et anle-
ner un résultat qui, malgré le vreu gén.é-
ral del'Espagne et eelui de l'armée,était,
selon toutes les vraisemhlanees, encore
éloigné.


A u reste, au moyen de la carte topo-
graphique de l'Espagne, la plus ordinaire,
pour peu qu' elle ne manque pas ahsolu-
ment d' exaetitude dans les détails , iI sera
facile, meme pour la eIasse de lecteurs
la plus étrangere a l' art militaire , de sui-
vre toutes les opérations des arluées de
l'Ile de Léon, de Galice ,et de la1\'lanche.
Les grands résultats, produits par les plus
petits moyen8-, rurent, dans tous les temps,
ceux qui procurerent le plus de gloire a




:xj
leurs auteurs, et ceux aussi dont le récit
attache plus vivement les lecteurs qui
cherchent dans l'histoire de grandes le-
(]ons ou de grands exemples ..


Pour moi, étranger a l'Espagne par la
naissance, lnais dévoué depuis vingt-cinq
ans, parsentiment et par principe, a la
noble cause de l'indépendance et de la li-
herté qu' elle défend avec tant d' énergie
et de gloire, et qu'elle ne flétrira jaluais ,
sans doute, par aucun des exces déplo-
rabIes auxquels cette helle France, a
qui j' appartiens, a dli tous ses malheurs:
j'ai voulu, en m'isolant de toutes les opi-
nions qui partagent encore, en Espagne ~
les amis de la liberté (lllal nécessaire,
inévitable dans toutes les grandes comrno-
tions politiques, et qu'il faut hien se gar-
der de confondre avec les crimes des fac-
tions), préparer parmi mes concitoyens,
a la gloire du peuple espagnol, les maté-
riaux d'un ll10nU111ent,' d'autant plus
. durable qu'il n' aura ponr hase que l'im-
partialité la plus absolue : le dévouement




1:1J


le plus sincere a la cause de la liberté ~ et
de l' ordre sans lequel la liherté est impos ....
sihle : et qu' enfin, aucun autre intér~t n' en
aura inspiré la pensée, que celui qui unit
entre eux, sur tons les points de la terre,
les hommes libres, aniis des 10ís et de la
vérité. Si j' ai rempli ce hut : si j' obtiens
en Espagne, dans ma patrie, et·' dans le
reste de l'Europe, l' assentiment et le
suffrage des hommes dont. je viens ,de'
parler, et pour lesquels, seuls, je me
suis proposé d'écrire, je ne crOlral pas
avoir fait un voyage inutile.


París, le ISinars 18:11.


N. B. Le changement de ministere qui vient d'avoir
lieu en Espagne, serait, en lui-meme, un événement
¡n'esque sans intéret, si le roi, par cette mesure évi-
demment hors de s~n caractere craintif et irrésolu , et
qui ne peutetre attrihuée qu'aux inspirations du conseil
seoret par lequel ce prince est entraiué d'erreur en
erreur et de faute en faute, ne s'était })lacé dans une
position toujours plus fausse a l'égard de la nation. Le
renvoi des ministres avait été déja tenté plusieurs foís;




Xll)
e' est a ce but, avoué par -elle, que tendaient, depuis
long-temps, tous les efforts de la faet.ion anti-constitu-
tionnelle qui forme, autour de Ferdinand, une nouvelle
Camarilla. JI est done tres-probable que, dans l'impossi-
hilité de se pJaeer eux-memes dans le ministere (car la
seule apparenee de eette prétention, dan s les hommes de-
ce partí, déterminerait une erise violente dont ils sont
tres-décidés a ne pas courir les chanees), les ennemis de
l'ordre constitutionnel se s~mt crus trop heureux d'avoir
llU, décider leroi a former une nouvelle administration ,
quelle qu'eIle ftit; l'essentiel, pour eux, était de se dé-
livrer de ceHe qui gouvernait. l/avenir IlOUS appre.ndra
ou les aura conduits cet instantde demi-triomphe ; mais
ils sel'atent certainement }lerdus si, prenant quelque
confiance dans leurs fOfees, par le sueces de eette intri-
gue, ils voulaient en faire I'essai. Comme les anciens mi-
nistres s'étaient faits, dans]a classe des libéraux les plus
exal~, un grand nombre d'ennemis, qu'i1s devaient
.beaucoup moins san s doute aux fautes tres-ré-eIles qui
peuvent etre justement' imputées a quelques-uns d'en-
tre eux, qu'a l'impossibilité ou se trouvent les hommes
publics de satisfaire toutes les prétentions personnelles,
l'éloig41ement de ces ministres, a l'égard desquels I'opi-
nion des ami s de la liberté, .. lilnie surtout le reste, était
divisée, ne sera probablement }las une cause de trouhles,
a moins que cette cireonstanee ne se complique avec
d'autres causes. Quoi qu'il en soit, les ministres qui se
retirent, s'ilsne sont pas sans reproche comme admi-
nistrateurs, le sont du moins comme citoyens et COInme
110m mes d'état; les int.érets de leur patrie leur ont cité
';onstamment chen; ils les ont défendus, a l'égard de




XlV
Pétranger, avec un admirable conrage et Ü. plus noble'
persévérance : et l'Espagne ne compte pas de citoyens
plus fideles , plus dévouésa sa liberté, a son indépen ....
dance, a son bonheur, et a sa gloil'e. Au reste; les amis'
de la liberté paraissent etre d'accord sur la probité poli-
tique des nouveaux ministres, dont les tlfemiers actes
ne tarderont pas a faire connaltre s,¡ cetteopinion est
fondée. En dernier résultat, il est d'autant moins pos-
síble que le changement de ministere inflne dé favorable-
ment, en ce moment critique mais sans nul danger POUy
l'Espagne, sur la situation de ce }Jays, que les Cortes
étant assemblés, et tous les yeux étant ouverts sur les
démarches de la cour ainsi que sur les actes des ministres,
on }leut dire, avec vérité, que c'est la nation qui fait
elle-meme ses affaires; 01', la France sait, llar l'expé-
rience des premiel's temps de sa révolution, expérience
qui a coi\té bien chel' a son repos , mais qui, en élevant
3U plus haut point sa gloire militaire et sa puissance, a
si cruellement humilié l'orgueil et trompé l'espoir de ses
insolens provocateurs, que Iorsque les nations font leurs
affaíres elles-memes, les intrigues de cabinet sont de pen'
d'importance ,et que les grandes trahisons réussissent
rarement; d'ailleurs, des entreprises de cette nature, exi-
geant presque toujours beaucoup d'audace et de compli-
ces, présentent a ceux qui les tentent des chances telle-
ment imminentes de périls, que l'on peut affirmer qu'il
ne se trouverait lJas en Espagne, dans toute la faetíon
iervile, dix. hommes d'un caractere asscz énergique l)O-U~
les braver.




PRÉCIS
HISTORIQUE


DES


,. ,


PRINCIPAUX EVENEMENS
POLITIQUES ET MILITAIRES


QUI ONT AMENÉ LA RÉVOLUTION n'ESPA.GNE •


. ENTRAINÉ par une de ces conceptions insensées
que le génie de la liberté semble tenir en ré-
se~ve pour confondre les desseins du des po-
tisme et amenerl'affranchissement des peuples,
le cabinet de Madrid, ahhorré en Espagne, ou
on lui demandait compte du sang des Porlier,
des Lacy, des Vidal, et de tant d' autres vic-
times, moins iIlustres, répandu sur les écha-
fauds : sans considération chez l'étranger, a
qui sa marche chancelante et contradictoire
n'inspirait que le mépris, avait formé, des ses
premiers pas dans la carriere du gou verne-
ment, le projet d'asservir, par la force des
armes, des colonies justement insurgées con-


1




2


tre la tyrannie qui pesait depuis long-tenlps sur
elles, et qui, depuis le nouveau regne, était.
devenue tout-a-fait insupportahle. Dans l'exces
de son délire, iI osait leur proposer, en récom-
pense de leur sounlission, et a l'instant meme
ou tout annon~ait que leur cause allait triom-
pher de tant d'efforts conjurés confre elles, d'a-
haisser leurs drapeaux victorieux devant les
chefs inhahiles et crueIs, envoyés ponr les
combattre, et de partager l'humiliation et les
fers de leurs concitoyens du continent, qui,
des lors, ne s' occupaient que des moyens' de
hriser le joug ue leurs oppresseurs, et de re-
conquérir les antiques droits qui avaient élevé
si haut, et pendant si long-temps, la gloire
ét la prospérité de leurs ancet;res. Dans ces
conjonctures, s'éleva sur l'un des points les
plus reculés de la capitale, un cri de liberté (1),


(1) On a beaucoup répété que, sans la réunion des
troupes destinées 11 l' expédition d' Amérique, la révo-
lution d'Espagne n'aurait l}as eu Jieu; il est incontes-
table qu'elIe n'eut pas eu líeu a la meme époque el par
les memes moyens; mais iI ne l'est pasmoins que. dans
la disposition actuelle. des esprits, tous les hommes
éclairés de l'Espagne j.u~eaient· eette révolution inévi-
table et prochaine. Si la cause qui I'a produite n'eut pas
existé, une autre se serait présentée. L'une des grandes




5
qui, prompt comme l'éclair, retentit bientot
d'une extrétnité a l'autre du vaste empire es-
pagnol, et détruisit, j usque dans ses fondemens,
cet édifice gothique et sacrilége, élevé 'par la
tyrannie, ]a superstition et l'ignor:ance, et dont
la longue et sanglante existence semblait accu-
ser l'éternelle justice. C'est le tableau de cette
lutte, aussi terrible que glorieuse, que nous
allons exposer aux yeux de nos lecteurs; mais
avant de commencer le récit de ces faitsim-
mortels, ou la nati()n et l' armée rivalis~rent
de courage et de vertu, et dont l'éclat rejaillit
également sur toutes deux, il importe de re-
'prendre de plus haut les événemens, et de
remonter jusqu'a l'époque a laquelle Ferdi-
narid-,:élevépar le peuple espagnol sur 'le
trone constitutionnel fondé par les Cortes, ve-
nait, par les pe~fides conseils de ses courtisans,
de détruire le titre le plus auguste de sa puis-
sanee, et de déchirer , de ses mains, le pacte


erreurs de quelques-uns des ministres qui .dirigent au-
jourd'hui les d~tilÍ.é~s de l'Europe, est de croire qu'une
grande revolution est le résultat de tel1e ou telle cir-
eonstanee. L'étineelle qui produit l'explosion du magasin
a poudre, ne peut-elle done y })énétrer que d'une
maniere?




4
d'apres lequel la nation s'était engagée a lui
etre fidele.


Du moment ou le conseil privé du roí eut
résolu, contre les colonics espagnoles, la
guerre d'extermÍnation qui a précipité sa rui-
ne, tous les plans conciliateurs qui, seuls, pou-
vaient, en épargnant l' effusion du sang , ame-
Del' un résultat favorable, furent repoussés
avec opiniAtreté, et leurs auteurs regardés
comme des novateurs dangereux que l'autorité
devait désormais considérer en ennemis. On
n' examina pas ]a légitimité des réclamations
des Américains; et la terreur qu'inspiraient
de plus en plus, dans le nouveau monde, les
exces de]a double tyrannie qui accablait la mé-
tropole et le reste de l' Espagne, ne parut, aux
yeux des oppresseurs, qu'une rébellion qu'il
faIlait étouffer dans le sang de ceuXiqui l'avaient
allumée, et contre laquelle il importait, sans
perdre un moment, da réunir et dediriger
toutes les forces d'une monarchie qui sortait des
plus horribles convulsions, et dont le premier
süin eut du etre de calmer toutes les haines,
de réconcilier tous les coours, de vivifier toutes
les branches de l' administration, et de rendre a
l'industrie et ·au conlmerce, épuisés par ·la
guerre la plus terrible mais la plus glorieuse ,




5
c;:ette protection et ceUe liberté qu' appelaient
tous les vreux et que réclamaient tous les in-
térets.


Aulant le projet d'anéantir l'insurrection
américaine, par la force, était ~éraisonnable
et tyrannique, autant furent violentes et per-
fides les instructions. données aux généraux,.
et les moyens employés par ceux-ci pour les
exécuter.


Toutefois ce n'était pas seulement la nation
qui regardait avec horreur ]a guerre impie qui
s'appretait; les troupes chargées de soumettre
les malheureux Américains au joug qui pesait
sur elles-memes et que, des ]ors, elles eussent
voulu pouvoir briser, ne voyaient pas sans une
inquiétude secrete les dangers de plus d' un: genre
auxquels elles allaient etre exposées. On crai-
gnait I'influence d'un climat ardent etmal-
sain; les privations, les inconlmodités et tous
les hasards d'une longue navigation; le genre
de combats qu'on alIait avoir a soutenir avec
des peuples presque étrangers a la civilisation,
mais braves. et déterminés a, sacrifier leur vie
au lnaintien de leuf indépendance. Com~e si
le gouvernement. eut voulu écarler de lui une
responsabilité qu'il prévoyait devoir luí t!tre
un jour si funeste, il ahandonna au sort le soin




6
de désigner les régimens qui devaient faire par-
tie de l'expédition. Plusieurs de ces .corps se
sounlirent, quoique avec une extremerépu-
gnance; d'autres refuserent formellement d' 0-
héir; on employa inutilement a leur égard ,
les séduetions et les menaees; ils se Dlontre-
rent inébranlables; iI fallut les désarmer; et
pour y parvenir on ept hesoin de recourir a la
ruse et a la force. On ohtint par ces moyens
une apparence de retour a l'ordre et a l'obéis-
sanee; on en profita avec plus d'adresse que
de prévoyanee; et bientot, graces a l'a-c~ivité
du général Abadia, inspecteur des troupes ex-
péditionnaires, on vit s'élever dan s les rnurs
de Cadix, une armée considérable, égale-
ment· remarquablepar sa discipline· et sa beau-
té. En meme temps, le port se remplissait de
hAtimens nationaux et ~trangers, destinés a
transporter en Amérique ces vietimes malheu-
reuses d'une politique imprévoyante et eruelfe.
Les frais de l'expédition étaient immenses ; on
vida les eaisses des quatre royaumes d' Anda-
lousie; on exigea un emprunt; Oll mit une
contribution de 25 franes sur toutes les bouti-
ques de la péninsule; ennn, tous les efforts
étaient prodigués , comme s'il ne fUt resté au-
cun doute sur le sueces de ce vaste plan. Ce




7
fut a11 général don Pablo lVloriUo que ful con-
fié le commandement suprenle des (orces de
terre et de mero Cet homme , qui, des enlpIoi5
militaires les plus obscurs, s'était élevé par
sa bravoure aux premiers grade~ del'armée ,
nlanquait absolument d'instruction; il était sur-
tout dépour'{u des qualités nécessaires poul'
réuss.ir ~anS des entreprises de la nature de
,ceHe dont iI venait d'etre chargé~ Nul homme
n'avait moins que lui l'esprit de conciliation
et de sagesse, sans le que I le plus brillant cou-
rage De peut rien. Prodigue de son sang conlme
de celui de ses soldats , il eut cru s'humiliel~ en
'négociant avec ses enneluis; et lorsque la né-
~essité l'acontraint d'avoir recours a ce moyen,
iQstrumeat·aveugl~ et dévoué·des orares d'un
gouvernement perfide et sanguinaire, iI a b'op
souvent prouvé, par sa conduite, qu'il ne voyait
dans les négociations qu'une ressource pon!'
s' ass'urer les memes résultats que ceux que lui
eut donné la victoire, et que, cesrésultats obte-
~US, il se croyait affranchi de tout~ fidélité a
ses engagemens. D'apres le caractere connu du
généralMorillo, le choix d'un tel homme, en
faisant juger d'apres queIs principes allait conl-
nlencer la guerre contre les colonies, était
sans ,doute de l'augure le plus sinistre; ma13




8
les instructions ministérielles de la métropole
devenant de jour en jour plus cruell es el
plus impolitiques, ses conséquences ont dé-
passé' tont ce qu'il avait été. possible d'en
redouter.


Cependant, les généreux habitans de Cadix,
qui, dans une occasion antérieure, avaient dé-
veloppé avec un si haut degré d'énergíe, les
princip,es lihéraux dont ils étaient animé s , ne
pouvaient voir avec indifférence l'heureuse
occasion qui s'offrait a eux de lever l'étendard
de la liberté, etde détruire l'reuvre delaforce,
par la force nleme qui l'avait établi; et iI n'est
pas douteux que si, saisissant une circonstance
aussi favorablé, un honlme d'un grand caractere
se fUt mis tont a coup a la t~te de ces troupes,
humiliées, exaspérées dn traitement ignomi-
nienx qu'elles épronvaient, la révolution n'eut
éclaté des ce momento n n' en fut pas ainsi, et
cet honneur qui, dan s des' circonslances aussi
décisives, semblait devoir etre le partage d'un
seul individu , fut réservé a quelques négocians,
amis de la liberté, qui ne craignirent pas de se
comprometb~e pour sauver Ieur pays. On cir-
convint le général Morillo; on s'empara de son
esprit; on parvint a le décider a se faire initier
dans une des nombreuses sociétés secretes qui




9
existaient alors a Cadix, et se composaient des
citoyens les plus recommandables. De grandes
difficultés, pour l'entretien et la solde de 1'ar-
mée, renaissaient a tout instant; un million de
piastres fut oifert pour subvenir a. ces besoins;
bientot on 6t au général, des ouvertures qui ne
furent pas repoussé~s; enSo, tout faisait con ce-
voir les plus heureuses espérances, lorsque les
pretres ayant nlanifesté quelques soup~ons sur
les principes reJigieux de Morillo, celui-ci en
fut a peine instruit, que, jugeant combien de
tels bruits pouvaient lui devenir funestes: cédant
aux 'Íllortelles frayeurs qui s'étaient emparées
de lui, et tcnant surtout a conserver le poste
important qui lui était confié , il résolut de
rentrer, a tout prix, en grace avec des ennenlis
aussi dangereux. On vit alors, par une especc
d'amende honorable que les circonstances
firen~ généralenlent considérer cornme une
transaction honteuse entre le clergé et lui,
le général en chef d'une grande arnlée, un
cierge a la main, suivre une procession a la-
quelle il ordonna a son état nlajor d'assister.
Ce spectacIe qui , dans d'autres tenlpS, et sur-
tont dan s les mreurS espagnoles, eut paru la
chose du monde la plus simple, inspira de vives
alarmes aux amis de la liberté; ils avaient pu




10


juger assez bien le fond de l'ame et de la pen-
sée de Morillo, ponr n'aUrihuer des dé~on­
strations aussi étrangeres a ce qu'ils supposaient
etre ses vrais sentimens qu'a une anlbition pro-
fonde, réfléchie, et capabI,e de tout sacrifier
au sucees de ses vues. Des lors, ils résolurent
de cesser toutes co~munications avec l'-honlme
auquel ils avaient eu l'imprlldence de se livrer;
néannloins, tout se horna a la rupture desné-
goeiations; on ne se vit plus; et l'expédition
partit.


Cependant, loin de s' affaiblir par les dangers
auxquels on venait d'échapper, l'amour de la
patrie', le désil' de sa délivrance ,s'affernlis-
saient dans toutes les ames; malgré la surveil-
lance, tous les jours plus active, de l'autorité
civile et de ceHe de l'inquisition, les sociétés se-
creteS' eontinuaient a se propager, quoique plu.s
lentement. Déja leurs travaux prenaient ce tri-
ple caractere d' uni té, d' énergie et de prudence,
si nécessaire dans les grandes entreprises ; Ieurs
réunions étaient meme souvent protégées par
la force militaire destinée a s'y opposer; bien-
tot Grenade devint le centre de toutes ]eurs
opérations. Ce fut dans ceHe ville que prit
naissance la société a laquelle se rattacherent
ensuite toutes les autres; ses ramifications ne tar-




11


derent pas a s'étendre jusqu'aux points les plus
reculés de la péninsule,etelle compta pourchefs
plusieurs des personnages les plus distingués de
la monarchie, dont quelques-uns avaient con-
stamment repoussé, avec horrenr .et nlépris ,
l'offre qui leur avait été faite, par les tyrans,
de partager avec eux la tyrannie. A Grenade,
les réunions étaient présidées par le Capitaine
général de la province, le comte ·de Montijo,
si connu par les persécutions inoules que l'in-·
quisition lui a fait éprouver. Un grand nombre
de magistrats, de militaires de tout rang.., de
membres du clergé, de chef;' d'administration,
de fonctionnaires publics, et meme de per-
sonnes attachées par état a la cour, et dont
quelques-unes étaient assujetties a un service
assidu aupres de la personne du roi, faisaient
partie de c~s assemblées, 'auxquelIes l'Espagne
allait devoir bientot sa liberté.


Madrid, laCorogne, Valence, Cadix etl\iurcie,
se distinguerent surtout par de plus grands
efforts pour soutenir et éclairer l' espri t public :
111ultiplier les initiations, et propager de tou-
tes parts les principes généreux dont la seule
manifestation devait frapper de nlort la tyran-
nie. En un mot, tout annon~ait que, bientot, ii
ne se trouverait pas dans la péninsuJe un seu!




12


homme, estimé de ses concitoyens, qui n'ap-
partint a cette grande famine, dont lesliens
étaient d'aQtant plus intimes, que lespersécu-
tionsdes Inquisiteurs et des Capitaines-géné-
raux, tous les jours plus injustes et plus cl'uelles,
ne faisaient acception ni de sexe, ni d'age, et
portaient partout la terreur et le désespoir.


C' est dans ces circonstances qu' éclata en Galice
la conspiration de Porlier, connu en Espagne
sous le nom de Marquésito. Ce général, d'abord
bien rec;u de Ferdinand, Iorsque ce prince était
rent~é en Espagne en 1814, ~'avait pas tardé
a concevou' un vif mécontentement de ]a tour-
llure qu'avaient prise les affaires de ce pays,
par le refus, fait par lui, de reconnaitre la
constitution proclamée en ! 812, a Cadix,
par l~s Cortks .. P~rlier a"ait écrit de Madrid au
conlte de Toreno (1) son heau-frere, qlli, en
ce moment meme, venait de quitter les Astu-
ries, ou sa su reté personndle était menacée,
pour se rendre en Portugal, une lettre dans
laquelle, en s'exprimant sur le compte de Fer-·
dinand daos les termes les moios ménagés, iI
engageait son heau-frere a quitter l'Espagne;


(1) Aujourd'hui membre des Cortes.




15
gémissait sur la perte de la liberté, et proposait
divers moyens pour la rétablir. Cette lettre,
interceptée par le gouvernement, fut mise sous
les yeux du roi, qui ordonna que Porlier serait
arreté sur-le-champ, et conduit au fort de San-
Anton en Galice, pour yetre détenu comme
prisonnier, pendant un espace de temps qui
ne fut pas déterminé.


Tous ceux a qui les exces du nouveau gou-
vernement avaÍent {aÍt prendre parti parmi les
méeontens, s'empresserent d'aller rendre visite
au général, et lui eommuniquerent les projets
que formaient depuis long-temps les meilleurs
citoyens, pour s'affranchir d'un joug qui deve-
nait de plus en plus intolérable. Il y souscrivit
avant qu' on luieut encore indiqué quel serait le
chef du projetqui lui était annoncé. Ce chef
était Laey, eapitaine général de la Galiee; qui
venait alors d'etre nlandé a la cour, pour s'ex-
pliquer sur les accusations qui s' élevaien t contre
lui, et les projets qui lui étaient imputés. En
quittant la Galice pour obéir aux ordres qui
l'appelaient a :Madrid, Lacy avait déclaré qu'on
pouvait compter sur lui poul' se nlettre a la
tete de l'insurrection; mais le gouvernement
de Ferdinand ayant jugé a propos de révoquer
ce général de ses fonetions de Capitaine géné-




r4
1'al de Galice, et de l' envoyer en quartier (1)
a Valeuce, des lors, toutes les communica-
tions entre la Galice et lui s' étant rompues par
l' extreme sévérité avec laquelle le gouverne-
ment surveillait les col'respondances, tous les
yeux se tournerent sur Porlier, pour lui succé-
del' dans les desseins formés par les amis de la
liberté. Celui-ci accepta sans réserve les pro-
positions qui lui furent faÍtes; et des 10rs il ne
fut plus question que de s' assurer des dis-
positions des chefs des corps qui avaient été
sons ses ordres, et qui étaient alors dispersés
sur plusieurs points de la Castille et des mon-
tagnes de Santander. On trouva le moyen d'in-
struire Lacy de tout ce qui se passait; et on
l'invita a seconder, de son coté, les efforts qu'on
aUait tenter en Galice. Sur ces entrefaites,
arriva dans ce pays la nouvelle d'un mouve-
filent qui venait d'éclater a Cadix; cette cir ..
constance décida les bons citoyens deCastille,
de Galice, de Valen ce , et de Catalogue, a ten-
ter un soulevement par lequel ils espéraient
intimider le gouvernement, en faisant con-
naitre leurs forces; tout était pret poul' l'exé-


(,) eeHe express ion répond a peu pres en espagnol
au mot fran~ais en disponibilité.




13
cution de ce plan, lorsqu'on apprit le débar-
quement de NapoIéon a. Cannes; dans la crainte
de paraitre d'intelligence avec celui qu'ils con-
sidéraient comme l'oppresseur de leul" patrie
et de la liberté, les citoyens se ré:unirent, et,
d'un accord unanime, déclarerent: (e Que les
» plus justes nlotifs leur ,faisaient un devoir
» de ne pas lier l' exécution de leur plan a l' é-
» vénement dont toute rEurope était alo1's
» occupée." Ponr donner une juste idée de
l'esprit qui animait, acette époque, le gouver-
nement espagnol, il n' est pas inutile de rap-
porter. une circonstance qui . serait a. peine
troyable, si tout ce qu'il y a de plus ridicule
et de plus absurde ne trouvait quelquefois
place dalls la tete de certains ministres, et si
elle ne donnait une idée de l'apathie et de la
faihlesse qui présidaient alors aux délibérations
du cabinet de Madrid; un membre de ce ca-
binet (1\1:. de Cevallos) proposa sérieusenlent :
c( Qu'aprcs avoir inutilement employé tous les
») moyens de salut, on mit l'Espagne sous la
) protection de la Vierge.» Quel que fut encore
le fond d'idées superstitieuses répandu dans la
111ultitude, on rit généralenlent de cette pro-
position, et l' armée, qui trouvait d'autres res-
sources dans son patriotisme et daos sa valeur,




lb
l'aeeueillit avee toute l'indignation et tont le
méprís qu'elle devait exciter parmi des hraves.
Bientot les corps qui devaient opérer la révo-
lution politique, (urent envoyés sur la fron-
tiere pour s' opposer a une invasion, a laquelle
Napoléon était toutefois bien loin de son gel' ;
mais, peu apres, l'issue de la bataille de Waterloo
vint mettre fin aux alarmes du nlinistere espa-
gnol.- Cependant Porlier était toujours prison-
nier a San-Anton. Quatre bataillons et une -hat-


o terie d' artillerie, sur lesquels les amis de la
patrie pouvaient eompter, composaient alors
toutes les forces de la Galiee. Sous prétexte
d' aller prendre les hains, Porlier sollicita et
obtint une liberté provisoire. Si eette demande
eut été refusée, sa délivrance par la force était
certaine, et peut-etre cette cireonstance eut-elle
été un honheur, en produisant sur-Ie-champ
un grand 010uvement qui, probablement, eut
électrisé tons les esprits --et entrainé tous les
creurs. A peine en liberté, Porlier se mit a la
tete du soulevement produit par l'unanimité
des vreux des citoyens et de l'armée. Le 21
septenlbre 1815 , iI puhlia un manifeste adressé
a la nation (1) , et le meme jour , par une pro-


(1) Voyez pÍeces justificatives.




17
c1amation aux soldats, respectueuse envers le
·Roi, mais pleine de dévouement a la constitu-
tion, il déclara: ( qu'il prenait les armes pour
rendre la liherté a la patrie. » En meme temps
les cinq autorités de la Corogne', les seules de
tOute la Galice sur lesquelles on ne put pas
compter, furent mises en arrestation par ordre
du général; la constitution fut proclamée ,aux
acclamations des habitans; et le soir, la ville
fut spontanément et unanimement illuminée.
A peine les chefs des troupes en garnison a San ...
tiago, eurent-ils appris cet heureux événement,
qu'ils envoyerent a la Corogne deux officiers
déguisés en paysans, pour demander deux cents
hommesavec lesquels ils étaient assurés de dé-
cider le reste de la.garnison 'de ceUe vine. Ce-
pendant, l' archeveque de Santiago,les chanoines,
et le commandant Pezzi , Italien de naissance ,
mai-s étranger auX nobles sentimens d'indépen-
dance qui ne cessent d'animer sa patrie, se
réunirent au premier bruit, et, a force de
prieres et de menaces, parvinrent a faire dé-
clarer une partie des troupes en faveur de la
tyrannie. Aussit6t, sans perdre un instant, ils
publient un ordre du jour dans lequel ils dé-
signent Porlier et ses amis , comme Jes factieux
et des traitres. lIs s'avancent sur la route, et


2




18
arretent, avec deux pie ces de canons, un batail-
Ion qui allait se réunir au général. Pendan! ce'
temps, l'archeveque et Pezzi font distriboer
leurs proc1amations; mais la troupe reste encore
incertaine sur le parti qu'elle doit prendre.
Instruít de toot ce qui se passe, Porlier, néan-
moins, n'abandonne pas sonprojet, et part, le
24 septembre, a milluit, avec 800 hommes et
quatre pieces d'artillerie. Cependant, 'dans 1'in-
tervalle du 21 au 24, les chanoines, les agens
de la cour et leurs nombreux complices, avai~nt
distribué des SOUlmes considérables d'argent
aux troupes. N'ayant rien pu ohtellir des offi-
ciers, qui resterent constalumen t fideles a l'hon-
Jleur et au dev·oir, ces nlisérahles parvinrent a.
séduire un petit nombre de sous-officiers ; mais
c'était plus qu'il ne Ieur fallait pour assurer
l'exécution du plan qu'ils avaient con<.;u. Arrivé
a une distance de trois lieues des troupes royá-
les, Porlier 6t faire haltea ses soldats, et entra
lui-meme, avec plusieurs de ses officiers, daos
une hótelle rie voisine pour y prendre quelque
reposo A deux heures de la nuit du, 25 all 26
septenlbre, un bruit confus s'éleve dalls le
canlp; quelques voix se font entendre : « vive
J) le Roi ,notre Seigneur, a has les trattres. »
A ce cri, qui indiquai t assez de quel coté était




19
la trahison, et queIs étaient les corrupteurs, un
misérable nommé Chacon, sergent de marine,
parait a la tete de 60 grenadiers qui entrent
dans la maison; plusieurs officiers sont tués en
se défendant; l'infortuné Porlier, "a moitié nu,
avait sauté par une fenetre et s'était caché en-
tre quelques arbustes ou il fut bientot découvert
et saisi. Enchainé avec ses amis, ils furent trai-
nésdans les cachots de l'inquisitioll, d'ou ils ne
sortirent que pour aller a la mort. Pres de
monter a l'échafaud, Porlier écrivit a sa femme
une lettre touchante, dans laquelle il la priait
de faire graver cette épitaphe sur son tombeau;


ce leí reposent les cendres de D. Juan Diez
Porlier, ancien général des armé es espagnoles."
Il fut heureux dans tout ce qu'il entreprit
contre les enllemÍs extérieurs de sa patrie, et
mourut victÍme des discordes civiles. HOlllmes
sensibles a la gloire, respectez les cendres d'un
patrÍote malhellreux. ))
. Nous ne nous arreterons pas sur l'horrible


proeédure qui conduÍsit a la mort un général
estimé et d' excellens citoyens. Elle est connue
de I'Europe entiere, a qui elle a inspiré une
horreur unanime contre le gouvernement san-
guinaire qui opprinlait alors l'Espagne, et
faisait la honte de l'humanité. Honneur a la




20


courageuse assemblée qui, en pla<;ant Porlier
et Lacy au premier rang des citoyens qui out
bienmérité de leur patrie, a si noblement fait
la part des victimes: maÍs qu'elle n'oublie pas
qu'illui reste encore un devoir sév~re, nlais
non moins sacré a remplir : c' est de faire aussi
la part de la j ustice ! ...


La malheureuse issue de la cOllspiration de
Porlier ne découragea pas les amis de la liberté;
on attribuait généralemellt cette déplorable
catastrophe au caractere trop confiant, et a
l'imprudente franchise de l'infortuné géné~al,
qui n'avait pas su préserver son armée des
séductions des chanoines de Santiago; et
quoique, depuis ceUe époque , la tyrannie eut
multiplié ses agens sur tous les points de ~a
Péninsule, et révoqué tous ceux d'entre eux sur
lesquels elle ne croyait pas pouvoir compter
absolument, les honlmes courageux qui avaient
résolu de périr en se dévouant a la sainte cause
de la patrie, proportionnerent leur énergie et
leurs efforts a la violence de leurs persécuteu~s,
et comprirent enftn combien il leur. importait
de placer leur confiance dans des che[5 mili-
taires, déj ¡t connus par leurs services, estÍllJ.és
de la nation, et chers a l'armée. Sous c~ double
rapport., les hommes que distinguait alors l' opi-




21


nion publique, étaient les généraux Lacy, et
O'Donnel, comte de l' Abisbal.


Ces deux chefs s' étaient brouillés, sans se
connaltre personnellement, quand ils com-
lnandaient deux armées qui agissaient sinlul~a­
nément dans I'Est de la péninsule, a l'époque
de la guerre contre Napoléon. Une rivalité
malheureuse s'était étahlie entre eux; et 10rs-
qu'il ne s'agissait que de concourir au salut de
l'état par une parfaite unanimité de sentinlens
et d' opérations, l' amour-propre, plus puissant
que la voix de la patrie, avait jeté entre ces
deux hommes les germes d'une haine qui,
dans les circonstances actuelles, pouvait deve-
nir funéste a la cause de la liberté. On savait
Incme que des . circonstances postérieures
avaient augmenté eet éloignement. Lacy, inl-
pétueux, frane, loyal, avait, apres le retour
de Ferdinand, désapprouvé, avec un couragc
digne de son noble caractere, les lnesures qu'on
avait embrassées pour detruire le systeule con-
stitutionnel adopté par l'Espagne. Sans espoir
de ramener a ses sermcns et a ses véritables
Íntéretsun prince aupres duquella Vél'ité avait
perdu tout acces, et qt;li s'enfon~ait tous les
jours davantage dan s l'abinle que l'igllorance:l
l'adulation el le fanatisme avaient creusé· sous




22


ses pas, il s' était retiré a Barcelone (1) ou íl
ne cessait de 5' occuper des moyens de rétablir
les institutions que le despotisme avait ren-
versées par la violence. 11 avait entretenu
des correspondan ces avec Porlier.; on a vu
qu'il avait long-temps agi de concert avec lui;
mais quand l'explosion de Galice avait eu lieu,
ríen n'était encore pret dan s la Catalogne.
Tous les soins de Lacy durent done etre alors
de soustraire a la connaissance du gouverne-
ment les intelligCinces qui avaient existé entre
lui et le malheureux général qui venait de
périr victime de la plus infame procédure. Il
parut y avoir assez' hien réussi; et sOlt con-
viction, soit manque de preuves, soit que le
gouvernement ne se crut pas encore assez fort
pour frapper un coup d' état de cette impor-
tance sur un des généraux qui avaient rendu


(1) Il est 11 remarquer, pour éclaircir ce qui a été dít
précédemment sur le líeu de la résidence de Lacy, que
ce général, apres avoir obtenu du roí l'autorisation de
se rendre en Catalogne, re!;ut en route un contre-ordre
pour revenir 11 Valence, oh une instruction fut dírígée
contre lui, 11 raison de l'adhésion qu'il avait donnée au
systeme constitutionnel; le proc es jugé, Lacy était revenu
en Catalogne.




25
d'aussi éminens services a la cause de l'indé-
pendance nationale ; soit enfin qu'il ne pensat
pas que l'instant d'agir fUt encore arrivé, Lacy,
'. •• I • • " • qUl avalt aJourne ses proJets, et qUl s etalt
rendu a :Madrid pour se concerter avec ceux
qui pourraient en hlder l'exécution, jouit d'une
grande sécurité dans cette capitale ou son
séjour demeura ignoré, quoique son départ
de Catalogne n'eut pu l'etre.


Le général O'Donnel se trouvait alors dans
cette ville. Nommé capítaine généraI de J' An-
daIousíe depuis le rétablissement de Ferdinand,
iI avait embrassé et serví avec chaIeur, dans
ces fonctions, la cause dudespotisme. Amhi-
tieux, mais souvent imprévoyant, il avait dépas-
sé, plus d'une foís, dans l'exécutiondes mesures
de rigueur prescrites aux capitaines généraux,
les instructions meme de la cour; et la ville
de Cad ix tremblait sous son pouvoir. Afin de
se concilier de plus en plus la confiance et la
faveur du gouvernenlent, iI 6t publier par ses
créatures qu' on devait a ses soins et a son acti-
vité la découverte d'une conspiration dirigée
contre l'autorité royale, mais qui n'avait pro-
hablement existé que daos son imagination.
Au mílieu d'une nuit il 6t hattre la générale,
établir deux pieces de canon dans unehelle




24
place qui sert de promenade aux paisihles
habitans de' Cadix, et installer une grand-
garde de cavalerie dans un des cafés qui ornent
cette place. Pour donner plus de vraisemblance
aux bruits qu'il avait fait répandre, O'Donnel
avait eu soin de s'assurer de la persollne de plu-
sieurs citoyens dont la haine pour la tyrannie
était plus particulierenlent connue. Il exila les
uns, jeta les autres dans les prisons, et se rendit
a Madrid pour y solliciter le prix du grand ser-
vice qu'il venait de rendre, et sur lequella cou!',
qui croyait alors avoir besoin de lui, el quelle
que fut son opinion sur les faits qu'il avait dé-
noncés,voulut bien ne pas se montrer difficile.
Cette inexplicable conduite n'effraya pas les.
amis de la liberté; ils persisterent a ne voir dans
les démarches d'O'Donnel qu'un plan profondé-
ment combiné pour dissimuler ses vrais senti-
roens. Leur confiance fut toujours la nleme.
IIs entrerent en négociation' avec lui, lui rap-
pelerent l'enthousiasnle avec Iequel il avait,
l'un des premiers, preté serment a la consti-
tution, et réussirent a l'enchainertout·a-fait a
eux par les memes expressions dont iI s'était
servi Iui~meme, lorsqu'il avait annoncé a l'ar-
ll1ée qu'il commandait lapromulgation du code
politiqueo En fin, apres de nouveaux pourp~rlers)




25
dans lesquels iI se montra fermement résolu a
ernbrasser la cause nationale, on obtint ~e lui
qu'iI se réconcilierait avec Lacy, lequel, de
sOn coté" toujours disposé a' sacrifier ses res-
sentimens a l'intéret de la patrie, accueillit
avec empressement toutes les ouvertures qui
luí furent faít~s, et témoigna une joie aussi
vive que sincere d'acquérir dans O'Donnel un
ami utile, dévoué aux memes intérets, et dont
l'influence pouvait etre d'un si grand avantage
a la cause cornmune.


eette réconciliation , a laquelle les amis de
la liberté attachaient avec raison un sí haut
degré d'importance', eut lieu a Madrid , dans
une réunion nombre use , et fut précédée par
l'initiation du général Q'Donnel. eette' cir-
constance est trop étrange, elle peillt d'une
nlaniere trop frappante le caractere de cet
homme , qui, apres avoir causé de si grands
malheurs a l'Espagne, a pris une part si décisive
aux derniers événemens qui lui ont rendu la
liberté, pour oe pas mériter une attention par-
ticuliere. Certes, ce ne fut pas un spectacle or-
dinaire ponl' r obsel'vateur attentif, que celui
d'un ancien agent du despotisme ; de l'homme
qui, naguere, était le persécuteur de qui-
conque pensait a rétablir, dans sa patrie, la




26
constitution acceptée et jurée par elle: intro-
duit, presque nu et les yeux bandés, au milieu
d'un grand nombre de personnes, dont iI ne
connaissait ni les noms ni la qualité, mais
dont iI ne pouvait ignorerque plusieurs avaient
a lui rcprocher les rigueurs exercées contre
des amis, des parens , et peut-etre contre elles
meOleS. Ce fut cette confiance, qui, pouvant le
perdre, le sauva, en inspiran tune parfaite sé-
curité dans ses inténtions a venir, COlume elle
semblait interpréter d'une nlaniere favor~bIe
les motifs de sa conduite passée. Un jeune ca-
pitaine d'artillerie (de ce corps dont le cou-
rageux et patriotique dévouenlent a contribué
depuis si puissamment a la liberté de l'Espagne)
présidait la séance. Il fit connaitre auprosélite
CC' qu'il ne s'agissait pas d'une vaine cérémonie;
qu'on exigeait de lui le serment de servir la
cause de la liberté, avec autant et plus de zele
qu'il n'~n avait mis a la poursuivre; que la
moindre indiscrétion ou réttactation serait
punie de mort, par des moyens assurés que la
société avait a sa disposition; enfin, que s'il se
repentait de s'etre engagé si avant, il était
encore temps de reculer; et que, dan s ce cas ,
on n'exigeait rien autre chose de lui que la
réserve qu'on avait lieu d'attendre d'un mili-




27
taire et d'un homme d'honneur. » O'DonneI
n'hésita point : iI décJara qu'il persistait dans
les résolutions qui l'avaient amené daos I'as-
semblée; j usti6a comme il put la conduite
q~'il avait tenue a Cadix; l'expliqua par la né-
cessité ou il avait été de dissimuler ses vrais
sentimens aux yeux de 1acour; s'engagea, par
les sermens les plus sacrés., a concourir de tous
ses moyens au rétablissemeot de la liberté; et
demanda avec empressement d' etre initié a des
mysteres qui lui étaieI).t encore inconnus.


A I'instant ou la lumiere luí fut rendue, il
vit Lacy, qui se précipita dans ses bras; c( Tout
est oubl~é ,» s'écria ce brave général, « les
memes sermens nous lient, nous marcherons
au meme but: la liberté de la patrie.» -Oui, »
répondit O'Donnel, c( soyez le premier, e' est
un honneur qui vous est du: mais je serai le
secoll:d, et je me soumets a tout ce que mes
nouveaux amis exigeront de moi.)) Aussitot
apres que ce serment eut été re<;u par l'assem...;
blée, elle se réunit dans un banquet fraternel,
ou des toasts multipliés ra tifierent les senti-
mens qu'on venait d' exprimer. Celui que porta
O'Donnel fut : (e Au succes de la révolution par
laquelle le général Lacy doit rendre la liberté
a I'Espagne. )Pour se faire une juste idée de




28
l'esprit qui régoait alors parmi les citoyens et
la plupart des corps militaires , il suffira de re-
marquer que tout ceci se passait dans lequartier
le plus bruyant et le plus populeux de la capitale;
non loio de la garde, et a une époque ou les
délations avaient rempli les cachots de victimes!


Ce fut peu de temps apres la séance nlémo-
rabie que nous venons de rapporter, que le
général Lacy partit pour se rendre a' Barcelone,
ou il allait s' occuper de réunir tous les moyens
propres a réaliser le vaste projet qu'il ayait
conc;u, et dans lequel il avait pour coopérateurs
tout ce que la Péninsule comptait de citoyens
éclairés, courageux, et ami s de la patrie.


,Il s' était retiré, depuis quelque temps, dans
un village de la' Catalogne,appelé Caldeta, ou ,il
prenait les eaux minérales, lorsque, se crayant
bien instruÍt par les diverses correspondances
qu'il entretenait dans les provinces, de l'état de
l'opinion publique, il jugea que le momentde
lever l'étendardde la liberté était eofio arrivé.Le
premier confideot de son projet fut le lieutenant
colon el Quer, en qui iI avait remarqué, depuis
quelque temps,une analogie de sentimeos qui le
lui rendait cher, et qui cornrnandait en second
un bataillon de troupes légeres, placé dans un
village prochain. Ce brave nlilitaire comnluni-




29
qua le plan aux autres officiers, excepté au colo-
nel, dont on se défiait, et les décidafacilement a.
prendre part a une entreprise dont le but était
de rendre la liberté a la patrie, et qui devait les
eouvrir de gIoi re. On commen~a done, en con-
séquence, a préparer l'esprit des soldafs a.
l'exéeution du plan arreté. Pendant ce temps-
18, Lacy communiquait ses plans au général
Milans, patriote dévoué et courageux, et a
tous eeux d'entre ses amis qui étaient en garni-
son a Darcelone, ou dispersés sur divers points
de la province. Les réponies qu'il recevait tous
les jours, pleines du plus ardent patriotisme
el.du courage le plus exalté, ne lui laissaient
aucun doute sur le succes de ses projets, en
lui prouvant de plus en plus que l'esprit de la
Catalogne et eelui de l'Espagne, toute entiere,
étaient merveilIeusement disposés en faveur
de la .grande entreprise qu'il méditait. Tout
avait réussi selon ses souhaits, dans le bata ilIon
auquel les premieres ouvertures avaient été
raites, lorsque deux des officiers qui venaient
de preter,avec l'apparence du plus vif enthou-
siasme, le serment de sacrifier, s'il le fallait,
leur vie au triomphe de la· plus sainte des cau- .
ses, eoncurent et exécuterent l'infame dessein
de dénoncer les amis auxquels jIs s'étaient




50
liés. Ce fut au colonel du bataillon qUI,
ainsi qu'on vient de le voir, avaitété mis hors
de la confidence, qu'ils déclarerent tont· ce
qui leur avait été révélé du plan, et les ser-
mens qu' on avait exigés d' eux. Ces misé-
rabIes, étrangers a la patrie espagnole, et
dont le nom doit etre livré a l'exécration des
siecles, étaient les lieutenans Appentel et Nan-
din. Aux premiers détails qui lui sont donnés
par ces traitres, le colonel sort précipitam-
ment de son logement pour réunir son hatail-
Ion, et prendre toutes les mesures convenábles
afin de s' opposer aux projets qui viennent de
lui etre dénoncés. Quer qui l'avait prévenu, et
rassemblait aussi les soldats, mais dans un but
différént, se met a leur tete, et voyant qu'une
partie de son plan est déjouée, iI part avec le
petit nOlllbre d'hommes sur la fidélité desquels
il peuí encore s'assurcr, et se dirige vers l'en-
droit ou le général Lacy l'attendait. Le quar-
tier général fut établi, pendant la nuit, dans la
maison du généralMilans. Le lendemain, quel-
ques soldats d'un autre régitnent, et un assez
grand nombre d'officiers de la garnison de Bar-
celone, vinrent se joindre a Lacy; mais tous
rapportaient' les nouvelles les plus funestes.
Des lors on ne songea plus qu'a passer les Py-




51
rénées; 00 se mit en marche , et a une heure
apres midi, a la voix du lache lieutenant Cue-
ro, les deuxcompagnies qui,-jusqu'alors, avaient
montré tant de dévouement, se séparerent de
leurs compagnons d'infortune, et retournerent
a Jem's drapeaux. Cette trahison fut largement
récompensée (1).


Cependarit le capitaine général de la Cata-
logne, Castagnos, instruit de tous ces événe-
mens, avait envoyé le.' brigadier L Lauders sur
les lieux p04r prendre les mesures convenables
et s' emparer des chefs du mouvernen t. Cet
officier, hornme d'honneur, nlais contraint d'o-
heir, ne sechargeade cette odieuse, cOlnmis ...
sion qu' avec une extreme répugnance, et dans
le dessein de tOllt tenter pour sauver Lacy.
AussÍtót qu'il eut acquis tous les renseignelnens
qui pouvaient guider sa marche, iI dirigea
plusieurs détachemens vers les montagnes ou
s'étaient réfugiées ces nobles victimes. de la
patrie, se mit en route -IUi-melne , et s' empára
bientot de l'épouse et de la filie du général
Milans, auxquelles il prodigua tous les soins
que Ieur position exigeait. Le lieutenant colo-
nel Quer, ce digne ami de Lacy, et un autre


(1) Chaque soldat re~ut 20 franes, en I'Pjoignant son COfJ)S.




52
officier non nl0ins dévoué, étaient ·poursuivis
dans d'autres directions par le hrave et géné-
reux Cabrera, qui dirigea ses recherches de ma-
niere a laisser a ses infortunés camarades tout
le temps nécessaire pour lui échapper. L'Espa-
gne n'ouhliera jamaisque c'est a la prudente
conduite que tint Cabrera, dans cette circon-
stance ou iI pouvait se trouver si facilement
compromis lui.lueme, qu'elle doit la conser-
vation des jours de plusieurs excelIens officiers,
a qui les tyrans se fussent trollvés heureu.x de
faire partager le sort de Lacy. Cependant Mi-
lans fuyait a travers les montagnes les plus
apres de la Catalogue; a pied, sans autres com-
pagnons que ses deux enfans en bas age , qu'il
chargeait souvent sur se's épaules, quand iI
apercevait ou entendait ceux qui étaient a sa
poursuite; et tournlenté par I' affreuse incerti-
tude ou iI était du sort de sa femme et de sa
filIe: Éch~ppé a des dangers inouls, et a des
privations auxquelles et lui-meme et ses enfans
avaient été tant de fois prets a succomber, il
arriva enfiri a un petit port demer (1), ou iI
réussit a s'emharquer, et d'ou iI passa, peu de
temps apres '. a Gibraltar.


(1) Arens-"Del-Mar.




55
Pendant que Milans échappait ainsi aux pour ..


suites de la tyrannie, l'infortuné Lacy, exté-
nué de fatigue et de hesoin, acconlpagné seu-:
lement de deux officiers qui n'avaient jamais
voulu l'abandonner, et n'ayant plus d'espoir
que la nlort, aprep avoir vu échouer les plus no-
bles projets, errait aussi dans les montagnes,
mais sur un point opposé. Réfugié dans la n1ai-
son solitaire ~ d' un laboureur, il s'y croyait en
sureté ; iI l' eut été e~ effet, si sa funeste des-
tinée ne l'avait pas adressé au plus yil des honl-
nles. A peine ce nlisérable eut-il appris le llom
de l'illustre infortuné qui lui demandait, un
asile, qu'il s' empressa d' aller le dénonceraux
autorités du village le plus voisin. On sonna le
tocsin, etquelques paysans . accourure~t, pour
s'emparer de lui. A peine furent ils aper~Íls par
les deux officiers qui accompagnaient Lácy,
que ceux-ci , perdant la tete et cherchant leur
salut dans la fuite, se précipiterent au milieú
des rochers dont la cabane était entourée;
aussitot les paysans firent fen sur eux ; ce bruit
auira le seul détachement que LLauders, i11-
fornlé que Lacy avait trouvé une retraite de ce
coté, y eut envoyé, dans l'intention de le'pro ..
téger s'il en était besoin. Quelle fut sa dou-
lenr, lorsqu'accouru lui-nleme, il vit le gé-


3




54
néral entouré de paysans qlli luidemandaient
son épée, et auxque)s il refusait fierement de la
rendre, déclarant ( qu'il ne la remettrait
,) qu'a un militaire. » Déplorable enchaine-
ment des choses humaines I celui qui profes-
sait une plos haute estime pour Lacy : celui
qui cut voulu racheter ses jours de la -moitié
des siens , est celui-Ia menle qui , pour le sau-
ver, a pris les mesures qui le perdent : celui que
le hasaroamene ponr le recevoir prisonnier et
le conduire devant les juges assassins qui vont
l'envoyer a la mort ! .... La nouvelle de l'arres-
tation de Lacy, et sonarrivé a Barcelone, jete-
rent la consternation dans eette ville. Ce n'est
pas daos -cet état qu'on y attendait celui que
l'on regal'dait d'avallce eorome le libératéur
de la Catalogne et de l'Espagne , tant paraissait
assuré le sueces de cette vaste entr~prise , pour
le tri0mphe de laquelle les .habitans et la garni.
son fornlaient d'unanimes vreux. A peine Lacy
fut .... jl arrivé a 13arceloDe, qu'il fut traduit de ..
vant un conseil de guerre irnmédiatement con-
voqué. 00 entendit ses réponses; mais le ju-
gement qui le -condamna a mort ne lui fut point
communiqué·. Ce jugement, aussitót apref!
avoir été rendu, fut envoyé a la ~our, a la
{!MnleOCe- de laquelle le général Castagnos avait




55
recommandé Lacy. Le conseiI prIve qui ne
pouvait ignorer aquel point Lacy était chéri
dansla Catalogne, dont plusieurs villes venaient
de députer pIusie~rs de leurs citoyens aupres
du roi ,pour intercéder en fave~r de l'illustre
général, et craignant que la, mort de celui;..
ci ne donn!t naissance a de nouveaux trou-
bIes, détermina Ferdinand a ordonner que
Lacy serait sur-Ie-champ transféré dans l'ile
de Majorque, pour y subir sa sentence, a l'in-
stantmeme ou il y débarquerait. Le général, qui
ne se croyait condamné qu'a la prison ou a l' exil,
n'apprit qu'en mettánt pied aterre dans l'ile,
qu'il devait se préparer a mourir. Arrivé a mi-
nuit, le 5 j uillet 1817 , au fort de Belver, iI y
fut mis a mort, le 4, a trois heures et demie du
matiñ. Cette nouvelle ne tarda pas a se ré:..
pandre; l'horreur qu'elIe produisit fut univer-
selle; mais ce fut surtout en Catalogne, oa
Lacj était particulierement conou, que cette
horreur se manifesta d'une maniere plus alar~
maute pour l'autorité. On en con~t de telles
craintes a Madrid, que, quoiqu'un grand nom ...
bre de personnes impliquées dans la meme
affaire eussent été alTetées enmeme temps
que legénéral, et que plusieurs raient été apres,
sa nlort, la cour n'a plus osécoIllmencer de




56
nouvelles procédur.es contre elles, et ]a liberté
Ieur a été rendue, irnrnédiatement apres le 9
mars 1820.


Tant de revers qui s'étaient si rapidement
. succédés, loin d' abaUre le courage· des bons
,citoyens, n'avaient fait que lui donner un
,nouveau degré d'énergie et d'audace~ Plus la
persécution s'attachait a eux, plus ils ,étaient
ingénieux a tromper sa vigilance, et plus aussi
leur nombre s'augmentait. Cependant l'acti-
vité prodigieuse qui régnait dans leurs travaux
flnít par en trahir le mystere. Les précautions,
si faciIes a observer 10rsqu'iI ne s'agissait de
soustraire aux regards de l'autorité qu'un nom-
bre peu consídérable d'individus, étaíent de~
venues presque impossibles, depuis que la con-
spiration était, en quelque sorte, devenue
publique; et le gouverneUlent se vit souvent
réduit a feruler les yeux sur des dangers, dont iI
ne pouvait inlputer l'existence qu'a lui-meme,
nlais dont il n'était plus en son pouvoir de se
défendre. Aussi, des lors ,son systeme deper-
sécution , sans avoir rien perdu de sa cruauté,
parut-il beaucoup llloins assuré dans sa lnarche.
Cependant un o(licier d' artillerie (1) venait de


(l)Gutierres-Acuna; il est maintcnantmcmbre des cortes.




• 37
se rendre en France et en Angleterre, pour se
mettre . en correspondance avec les lihéraux
espagnols réfugiés daos ces deux pays. A
Londres, il éclaira les éc~ivains et les journa-
listes' de l'opposition, sur la véritable situation
de la Péninsule, et iI leur tra~a le plan qu'ils
devaient adopter dans les écrits qu'ils pu-
bliaient sur l'Espagne et les articles qu'ils
inséraient dan s les journaux sur les affaire s de
ce pays. Le' double but de cette importante
mission, qui a parfaitement rempli robjet
qu'on avait eu en vue, était d'effrayer les op-
presseurs de la nation par la publicité donnée
a leurs violences; d'éclairer le reste de rEurope
sur l' affreux despotisme auquel la Péninsule
était livrée ; et de . préparer ainsi les esprits. a
la grande révolution qui allait s'opérer.


Cependant la ville de Grenade était devenue
le foyer, des relations qui unissaient plusieurs
milliers ¿'individus. Une correspondance active
soutenait l'esprit public, et développaii le plan
de ~ette généreuse association. Ainsi l'Espagne,
partagée~ par cette organisation insurrection-
neUe, en trois: régions, et 'subdivisée en plu-
sieurs cercles, qui, tous, avaiel}tun 110m de
convention connu seulement des initiés, offrait
le spectacle de deux nations, dont l'une se




58 •
préparait, a l'insn de rautre, de nouvelles
destil1ées. Toufefois cel état de choses n' exista
pas long-temps. L'archeveque de Grenade,
pretre fanatique et cruel, épiait depuis long-
temps les démarches du capitaine général
conlte de Montijo, et de ses amis. On parvint
a découvrir le lieu ou étaient déposées lei'
archives de la société directrice; 00 s'en em-
para a'tl nlilieu de la nuit; et quoique la plus
grande partie des noms que l' on trouva sur les
registreset dans la correspondance fussent des
noms supposés, les révélations que 1'on obtínt,
et ce qu' on pénétra de la vé~ité , suffirent pour
faire arre ter et jeter dans les prisons, sans
aucune sOrte d'instruction préalable, un grand
nombre de malheureux, dont plusieurs rurent
reconnus plus tard entierement étrangers a
l'association. Le capitaine général fut exilé;
unautre personnage, qui occupait un rang
élevé et jouissait d'une baute influence dans la
société; se réfugia en Italie; l'administrateur
général des postes de Grenade, plusieurs chefs
militaires, quelques pretres,et divers employés,
furent- précipités dans les cachots, dont ils ne
sont sortis qu'au mois de février 1820, c'est .. a-
dire apres une captivité de plus de quatre
années,




39
Les événemens qui se passaient a Grenade


devinrent le signal d'une persécution génél~ale,
et plus barbare t s'il était possiblé, que ceBes
qui l'avaient précédée. Tous les capitaines
généra ux des provinces, plus implacables que
l'Inquisition elle-melue, rivalisaifmt entre eux
de cruauté et de bassesse, pour mériter les re-
gards et les faveurs du ministere, et se faisaient
honneur aupres de lui de dénoncer at de faire
ai-reter quiconque était assezmalheurt:ux pour
exciter ses soup<;ons. Au premier rang de ces
agens de la tyrannie, on relnarqua surtout le
sanguinaireÉlio, capitaine général de Valence,
celui-H.l meme qlli, au retoOr de Ferdinand,
avait supplié ce prince de vouloir bien régnet
a la 1ru;ml.ere d~ se¡ ap.gustes ancétres. Les
prisons publiques- de ceUe ville et celles de
l'inquisition ne suffisaient plus au nombre des
victimes qu' on y entassait j ournellement. Les
couvens furent changés en cachots ,et les mal-
heureux qui y étaient· renfermés, séparés de
1eul'S familIes et privés de toute correspondanc~
avee eUes f saos que la moindre formalité judi-
ciaire établit contre eux le plus léget· iodice de
culpahilité, apercevaiellt d'autant ·mQins le
terme de l'affreuse persécl:1tion dont ils étaient
l'ohjet, que chaque jour leur anlenait de nou-




40
veauxcompagnonsd~nfortune. D'ailleurs, Élio
exécutait avec un tel raffinement de barbarie
les ordres dontil était chargé, qu'il était aisé
de vOÍr qu'il trouvait une jouissance pers~n­
nelle dans les rnaux de ses concitoyens, et que
toute pitié était étrangere a son cceur. En peu
de temps, l'horreur qu'inspirait ce monstre de-
vint si universelle et si profonde, que ·le petit
nombred'amis de ]a liberté, échappés a ses
fureurs, résolut d'en faire justice. Déja ils
s' étaientrassemblésafiri de concerter le lieu et
l'insfant favorables pour délivrerValence de
son bourreau, lorsqu'Élio, instruit du lieu de
leur reuníon, s'y transporta avec une faíble
·escorte. A peine les conjurés le virent-ils' pa-
raitre ,qu'ils nesongerent plusqu~a se défendre.
Uo combat obstiné s'engagea, pendant lequel
Élio tua de sa main le colonel Vidal, chef de la
conspiration, et Tun des tl9mnleS les plus
dévoués a la· cause: de la' liberté. Le tyran,
vailíqueur, n'en devint que plus féroceet plus
implacable; et, des le lendemain, ayant fait
saisir au hasard quelques malheureux· qui lui
furent désignés par ses satellites, iI les Jivra a
une comtnissioo'militaire, oornmée par lui, qui
les condamna -a filort· saos avoir vouhi les en-
tendre, et apres lenr avoir nonlmé des défen·




41
seurs d'office auxquels elle n'avait pas pernlis
de parler. Au nombre de ces victimes fut le
jeune Beltran de Lys, fils d'un des plus riches
~nquiers d'Espagne, quoiqu'il fUt constant
qn'il ne connaissait aucun des conjurés. Ce
nlalheureux jeune homme, a pein"e agé de dix-
huit ans, marcha au supplice avecun admirable
sang-froid ,etrefusa avec dignité, nlais sans
ostentation, d'écouter le pretre qui s'offrait a
l'accompagner. Ayant apel'{;u en passant le
corps de Vida}, placé pres du lieu de l' exécu-
tion: ((Ton sang, s'écria-t-il, aura desvengeurso»
Les cadavI'es" des suppliciés resterent exposés
"pendant plusieurs heures. Élio, accompagné
de son état nl~jor, vlnt lui-meme .repaitre ses
y~ux " ,:de cetáffreux. spectacle. En fl'a'ppant
Valence de terreur, le monstre 'seflaUait d'a-
voir :;tfr(~rmi pour jamais la tyrannie : ¡l" n'en
avait rendu la chute que plus inévitable et plus
'prochaine.


Pendant que Valence était le théatre de ces
horreurs, le ministre de la guerre Eguia, digne
ri"val d'Élio, poursuivait avec un zele irifatiga-
ble le systeme de persécution adopté parle
gouvernement. L'autorité luilitaire, toujours
tyran~ique quand elle cesse d' etre protectrice,
preta 5a police aux vengeances ministérielles;




42
et pour que rien ne manquat a l'oppression,
les cachots de l'inquisition s'ouvrirent a lavoix
des agens militaires. Cette circonstance, qui
caractérise la réunion de tous les gen res de ty-
rannie, donna lieu a un événement digne
d' occuper ici une place particuliere. Dans une
séance du conseil supreme de l'inquisition , un
des juges, le chanoine aiesco, dont le uom
mérite d' etre conservé a la reconnaissance de
ses concitoyens et au respeet de la postérité,
proposa de renvoyer au~ autorités séeulieres
les prisonniers renfermés dans les cachots- de
l'inquisition. L'inquisiteur général, peu dis-
posé a'abandonner ses droits, s'éle~a avec une
énergie qui tenait de la fureur" contre eette
demande, si confórme aux loix de la j ustice,
mais si contraire aux vues ministérielles et aux
prétentions du saint-offlCe. Une vive discussion
s'étant élevée aee sujet, Rieseo adressa a ses
eollegues et a l'inquisiteur général les repro-
ches les plus énergiques sur la lache condeseen-
danee avec laquelle ils se pretaient aux projets
eriminels des ministres; les accusa de profa-
ner le caractere sacerdotal et l' esprit religieux
qui devait diriger toutes les démarchesdes in-
quisiteurs, ~eme daos ce que l' ol'ganisation
vicieuse de ceUe institution offraÍt de plus ri-




45
goureux; et les mena~ de lá' haine et de la
vengeance du peuple espagnol, s'ils persistaient
dans le systeme d' oppression et d'usurpation de
tous les pouvoirs qu'ils avaient embrasSés. Il
les quitta brusquement ensuite, et, ne doutant
pas que son courage De fut présenté au roi
comme un acte criminel, iI se rendit sur-Ie-
champ aupres de ce prince, se jeta a ses pieds,
et apres lui avoir rendu conlpte de ce qui venait
de se passer entre luí et ses collegues : {c Sire,
) s'écria-t-iI, «( pernlettez que je ne vive plus
» avec ces hommes crueIs et intolérans; ac-
)) cordez moi la grace de me retirer, pOUl' le
J) reste de mes jours, dans la cathédrale dont
» je suis c.hanoine. Ceux qui se disent vos
) sujets~. plus fideles provoquent, par Jeur
» conduite, une catastrophe dont les suites
») seront incalculables. Vous avez promis l' ou-
» hli du passé, el iIs cherchent dans la vie de
» chaque individu tOllt ce qui peut rappeler
» des souvenirs accusateurs, Oll donner prise
» a de perfides interprétations. Sire, iI n'y a
» pas un moment a perdre, si V. M. veut pré-
» venir de grands malheurs. }) Ferdinand pa-
rut frappé de ce courage; il accorda a Riesco
]a pernlission qu'il avait demandée; rnais peu
apres l'impression qu' avait produite sur luí le




44
discours de . cet homme de bien s' était eff;¡cée
de sa mémoire , et lesharhares conseils de ses
flatteurs avaient repris tont leur empire.


Cefut vers ce temps que se passa, dans les
prisons du saint-office, une aventure qui n'a-
vait jamais eu d'exemple. dans ces lieux dé-
voués au désespoir, et auxquels OH pouvait si
justenlent appliquer cette inscription que le
Dante. place sur la porte des enfers :


Lasciate ogni speranza , voz" eh' intrale.


Le capitaine Vanhflen, d'origine hollandai-
se, aUaché au service d'Espagne, el particu-
lierenlent connu par l'ardeur de son zeJe a
p¡opager les associations secretes, avait conl-
mencé a semer parmi le peuple de la ville de
:Murcie , ou il était en garnison, quelques-unes
de ces idéesgénéreuses dont le développenlent
dans les classes inférieures deva"it donner tant
d'auxiliaires aux amis de la liberté. Son dévoue-
ment ne resta pas' long-temps impuni ; bientot
dénoncé, il fut conduit en prison. Ses papiers,
dont on s'étaitelnparé en l'arretant, prouve-
rent qu'il était en correspondance avec toutes
les sociétés secretes du·royaume.Le double cri ...
nle dont la tyrannie venait de le convaincre,
parut trop iUlportant aux autorités locales ponr
qu'elles osassent prendre sur elles de le 80U-




45
nlettre a leur décision; Vanhalen fut transporté,
sous Ulle nonlhreuse escorte, dans les prisons
de Madrid, et enseveJi dans un des cachots les
plus obscurs de l'inquisition. On conlmen<;a
bientot l'instruction de sa procédure;: mais ,
ayant déclaré , des le premier instan! de son
arrestation, qu'il ne s'expliquerait que devant le
roi sur les crimes qui lui étaient imputés, et
cette demande plusieurs fois renouvelée ayant
été mise sous les yeux de Ferdinand, ce prínce
ordonna que Vanhalen fut conduit devant lui.
Le supplice d'une captivité rigoureuse, et la
presque certitude d'une nlort cruelle et pro-
chaine, n'a ,'aient point abaUu son courage: loin
de denlander 53 grace, il n'employa l'instant
d' entretien qui luí était accordé qu'a découvrir
au roí l' ahime profond dans lequel il était
entrainé par ses nlinistres. II décIara : ({ qu'en
effet, .1'Espagne, tou te entiere, était cou-
verte de sociétés secretes; que les persécn-
tions, les emprisollllelnens et les échafauds,
étaient vainement enlployés ponr les détruire;
qu'aucune puissance humaine ne réussirait a les
enlpecher d'atteindre le but qu'elles s~étaient
proposé; que ceux qui COlllposaientces sociétés
n'avaient nullenlent le projet d'attenter a la vie
du roi, ni nleme aux prérogatives de son rang




46
et de ~a dignité ; qu' en le pla<;ant sur un trone
dont les lois seraient le sontien, et qu'affermi-
raient la confiance et l'amour des peuples, on
ne voulait en efret que donner a son pouvoir
un plus hant degré de stabiIité ; ennn, que,
pour obtenir un aussi heUl"eux résultat, iI suffi-
rait peut-etre que, de son choix libre, le roi
consentit a se lnettre a la tete des sociétés , et
a se pénétrer de Ieur esprit; qn'il demandat a
la cour de Rorile la révocation des censures
qn'elle avait prononcées contre elles; qu'il
s'affranchit surtout de l'influence intéressée et
sanguinaire de ses conseillers ; que ce .serait
véritablement alors que le roi d'Espagne pour-
rait disposer d'une armé e inviocible, qu'il fal·
lait désespérer sans doute de rendre a la ser-
vitude, mais qui, par cela merne qu'eIle serait
libre, serait aussi plus dévouée et plus fideIe. »
Ferdinand parnt plus surpris qu'ir-rité d'un lan-
gage auquel ses ministres ne l'avaient pas ac-'
couturné. Le caractere de ce prince s'est montré
tellement inexplicable, tellement contradic-
toire dans toutes les circonstance.s de sa vie, que
nous n' oserions décider si la bieftVeillance avec
laquelle il traita Vanhalen fut l'efret d'une coro-
passion généreuse, pu d'une dissimulation pro-




47
fonde(I).Ce qui estpositif, e'est qu'il s'informa,
avec l'apparenee du plus tendre intéret, des pri-
vations qu'iléprouvait dans sa prison, el qu'ap-
prenant qu'il avait l'habitude de fumer, illui
fit envoyer une des eaisses de eig~rres de la
Havane réservées pour son propre usage. Qui
n' eut eru qu'une telle attention était le présage
~e la clémenee du prinée et de ]a liberté de
Vanhal~n? Qu'il était lo in toutefois d' en etre
ainsi 1 Pendant que ron se plaisait a coneevoir
les plus heureuses espéranees sur l'issue de
eette affaire, les ministres de Ferdinand en
pressaient la décision avec aetivité; déja meme,


(1) Des personnesallxquelles il DOUS est impossible de
De pas accorder une grande confiance, nous ont assuré
que, dans l'audience que Ferdinand accorda a Vanhalen,
celui-ci l'effraya tellement, par des révélations relatives
aux projets de· certains individus contre 5a })ersonne,
que ce prince pensa véritablement lui devoir de la re-
connaissance. Nous sommei loin d'adopter eeHe version,
qui transformerait Van halen en dénonciateUl'; nous De
pourrions néanmoins que prendl'e une opinion peu
favorable d'un mllitaire qui continuerait a rester attaché
a un service -étranger (Vanhalen est aujourd'hui colo ..
nel de cosaques au service d~ Russie), lorsque la patrie
qui l'a adopté, rendue a la liberté, aurait besoin du
courage et des bras de tous ses enfans.




48
les amis dé Vanhalen venaient· d' etre instruits
par UNe jeunc fille, servan le du concierge, qu'il


, .


y avait tont a craindre pour les jours de cet
offiéier. Cette enfant; qui avait saisiquelques
mots, négligemnlent prononcés devant elle,
avait réussi a parvenir jusqu'a la ]ucarne qui
éclairait l!! cachot dans Jequel il était renfermé;
elle l'instruisit du danger dont il était menacé ;
et lui 6t passer du crayon et du papier.


Ce futainsi que Vanhalen parvint a lier une
correspondance a l' extérieur, et a faire con-
naitre que, pour peu qu'il fut aidé , les mojens
d'évásion seraient possibles. On lui répondit:
« qu'il pouvait disposer du hras et de la hourse


. de ses an1Ís. » Une grande récompense fut
offerte a l'i~téressante messagere; on tra-.;a un
plan topographique des rues qui envirounaient
la prison; un modele de ce plan fut rernis a
chacun des. amis de Vanhalen, et ron marqua
les points sur, lesquels seraient postés ceux qui
devaient concourir a son exécution.D'accord
sur tout, iI ne s'agit plus que de fixer 1'instant.
C'était en hiver; le jour arrivé, sept heures
du soir so~nent, et le prenlier détachenlent ,
placé a quelques pas de la porte principale de
]a prison, vóit arriver un homme en rohe de
chambre et en pantoufles. Un instant suffit




49
po.ur lui faire endo.sser un unifo.rme étranger.
Enfin, apres avo.ir fait de lo.ngs déto.urs dans
les rues de Madrid, afin de dépister ceux qu'o.n
aurait pu mettre a la poursuite du priso.nnier,
celui-ci fut conduít dans un asile impénétrable,
o.u il tro.uva cinq mille francsen 0.1-, que Jui&t
reolettre le généreux co.mte de Mo.ntijo., et des
passe-po.rts pour sortir d'Espagne. Il se rendit
aussitot en Po.rtugal; passa de Hl en Angleterre;
et prit ensuite la ro.ute de la Russie ~ 0.0. l'o.n
vient de voir qu'il a pris du service. Le secret
avec Jequel fut co.nduite to.ute cette affaire est
d'autantplus remarquable, , et fait d'autant
plus d'ho.nneur au caractere et all patrio.tisme
espagno.l, que, du m.oment qu'il eut été décidé
que V anhalenresterait. plusieurs jo.ursa Madrid
po.ur: se: soustraire aux· recher.ches qu' o.n savait
avo.ir Jieu aux environs de cette ville, tous les
membres des sociétés secretes, instruits de sa
retraite, voulllrent le voir. et le virent en effet,
sans qu'une seule indiscrétio.n ait été co.mmise"
sans memequ'il so.it venu a la pensée du pro.-
scritet de:ses amis qu'elle po.uvait l'etre ! No.us
ne croyo.ns'pasque l'histo.ire d1aucun temps et
d'aucull peuple o.ffre l'exemple d'une co.nfiance
plus sublime et plus admir:ablement j ustifiée ! ...


Ce' fut penda,pt le séjour que Vanhalen 6t




50
da~s Madrid, en attendant l'instant favorable
pour s?échapper, qu'il raconta aux nombreux
«mis qui ne cessaient de le visiter, les détails
de sa merveilleuse évasion. Ils sont tellement
authentiques et paraissent tellement ronlanes-
ques, que nous De croyons pas devoir en pri-
ver la curipsité de nos lecteurs; puiS$e quelque
victime de la tyrannie en faire un jQur son
profit!


Instruit par sa jeune confidente dela disposi-
tion précise de la prison, qu'il avait rapidenlent
traversée en y entrant, il avait fait demander
par le concierge, pour l'hcure convenue avec
ses an11s, quelque objet donl ii dit avoir hesoin.
Au moment indiqué, le concierge arrive, appor-
tant l'objet demandé. Pendant ·qu'il le posait
sur une table, Vanhalen, jeune et tres-vigou-
reux, saisit cet homme, a l'inslant OU .celui-ci y
songe le moios, le jettesur son lit, l'en-
tortille sous les couvertures, sort par la porte
qu'il avait laissée ouverte, la ferme sur lui,
traverse les difliciles détours dont 9 s'était
fait faire plusieurs fois la description par la
jeune servante; et, d'apres lesinstructionsde
celle-ci, au lien de suivre la route qui conduit
a la porte ex.térieure , qu;illui aurait été impos-
sible de franchir, il se dirige v.s l'habitation du




51
concierge, dont la fanlille, composée seuIement
de sa femm~ et de sa fille, s' occupait des soins
du ménage. Ces deux femUles fnrent telleInent
épouvantées de ceUe apparition . inattendue,
que ni l'une ni l'autre ne songerenta mettr~
obstade aux projets de Vanhalen, lequel protita
de cet effroi-pour s'échapper par la porte qui
~onduisaitdeJacbambre ducODciergeaudehors.
Cependant les deux femmes, revenues de Ieur
pr~mie~saisissement, étaient rentl'ées dans la
prison pour y chercher Ieur mari et Ieur pere.
Sans lumiere ,au mílieu de ces vas tes et som.bres
C9rridors, elle ne purentréussir que long-temp$
apres a retrouver la route du cachot de Van·
halen, d'oul~ nouveau prisonllier se ser~it vai-
~w-ent ~~pui~ a~rier J. sans parvenir a se: fa.irA
entendre 1 tallt <le cacho~ étaj~ élQigné ® tQ#t
secours.


Il sembJe que tant de faits qui s'accumulaient
sur tous-les points du royaume, et dont Fardi-
~and était journellement informé, auraient da
~clairer ce prince sur ses dangers personnels et
~~r .ceux· de la monarchie; mais, par une fata-
lité- cruelle, e.\ c:lQot nous laiss()~ a la postérité.
le soin d'assigner les véritable~ causes 1 sa con-
fiance dans ses perfides. copseillers semblait
s'accroitre avec les frayeurs dont iJs l'ohsé-




52
aaient. Les-ministres ,uniquement occupes du
ioin de n"admettre parmi eux quedes hommes
aussi méchans qu'eux-menles, mais n'étant pas
toujours d'accord sur les moyeos 'de faire le
mal, se divisaient souvent ,ce qui amenait des
mntations dans' le conseil (J). Toutefois, ils ne
manquaient jamais de se réunir dans un inté-
n~t qui leur étaitcomniun, lorsqu'il s'agissait
de donnerun successeur au ministre'qui'venait
d'ctre écarté. Si le nouveau candidat ministé--
riel n'appartenait· pasa leur faction, ces hom-
mes -cruels se hAtaient de prevenir CQntre lui
Ferdinand, lequel, livré' a des idées sup~rsti­
tieuses et a de continuelles terreurs, était tout a
la fois leur protecteur et leur esclave. Cependant
il:arrivait quelquefóis que cescritriinelles··intri-
gues étaient déjo\iees, e~ que descirconstances
imprévues donnaient au monarque de grandes
et salutaires le«,;ons, dont il auraitduprofiter
p()ur le 'bonhéur de l'Espagne et pour le sien.
Parmi ces étranges anomalies, le faÍt suivant
mérite une place distinguee dans l'histoire.


Dans un de ces momens, malheuteiísement
trop rares et trop courts, ou Ferdinand, effraye du


(1) Il ya eu ,tre'nte~trois ministres dans l'espace de
six aUi.




55
spectacle des malhellrs publics, et entrainé par
sa conscien~e, cherchait de bonne foi, nlais
avec toute ,la pusillaniI~:lité de son carac:tere,
un hom~e digne ~e 5a confiance, on n~, sait
ni comment ni par qui lui fut suggérée l'idée
de porter au ministere de grace et justice le
vénérable pretre Abad-y-Q~eypo, nomnlé a
l'éveché ,de Mechoa,can : homme également
CODQ.lf 'par ~'austérité de ses mreurs, la sagesse
de ses principes, Ja pureté de sa doctrine,
et Jes persécutions injustes ,qu'il avait éprou-
vées en Amérique. Personne sans doute n'était
moins fait pour entrerdans une cour fanati-
que, corrompue et cruelle, que ce nouveau
L~s Casas; tout en lui annon<;ait un pasteur des
p~e,mi~r~; giecles de, r églis~"! Il sou~it quand, on
lui fit con~aitre cette nomination inattendue ~
et se rendit a I'instant chez le roi, auquel il dit
dans ,toute la simplicité de son ame: «( Qu'il
allair prendre la tache difficile de servir S. lVI.
dans le ministere dont elle venait de l'honorer,
mais acondition qu'elleprendráitsur-le-chanIP
deux' mesures qu'il croyait' d'une extreme inl-
portance : la premiere, de rappeIer tous les
h~nnis ponr délÚs 'politiques; la seconde" de
pronlulguer immédiatement la constitution dé-
crétée pal~ les Cortes en' 181 2.'» Le roí le prit




54
pour un fou; i1 fut aussitot congédié, mais on le
I~issa, -par pitié, vivre dans la capitale. Cepen-
dant,ce qui n'avait paru qu'un acte de folie aux
yeux de Ferdinand , futconsidéré, quelque
temps apros, par l'inquisition de Madrid, com-
nle un atten1at contre les lois di vines (1). Elle
résolut de faire eomparaitre le· digne éveque
devant son tribunal, et donna rordre de s'assu-
rer de sa personne. Quand les sbires du saínt
office lui signifierent la c9mmission dont ils
etaient chargés, Queypo Ieur répondit ce que
sa qualité d'éveque le pla~ait horsde la juridic.
tion du tribunal qui les envoyait, et qu'il n'o-
béirait jamais a ses commandemens. » Voyant
toutefois que ces agens étaient décidés a user de
tous les moyens.pour suivre leurs instfl1ctions,
il leur conseilla d'employer la violence puis-
qu'il était résolu a ne céder qu'a elle; ceux-
cis'étant aussitot mis en devoir d'agir, Queypo


II ) Nous n'examinerons pas ici si l'acte de I'inquisition
ne fut pali provoqué par le ministere lui-meme; il est
per~is de le supposer ~e la part de gens a qui tous les
attentats étaient familiers, mais qui,apres l'espece d'ah-
~olution donnée par le roí aux proposítions de Queypo,
n~osaient pas entreprendre, en Ieur nom, contre ce véné-


. rabIe prélat, une procédm'e criminelle.




55
se coucha par terre.Les sbires l'enlav@rent, le
mirent sur leurs épaules, et le porterent daos
une voiture. Enfermé dans les prisons du saint-
office, il se refusa, avec la plus hérolque per-
sévérance, a répondre aux questions des juges
dont il ne voulut jamaisreconnaitre l'autorité.
Loin de se laisser abattre par le malheur, il
adressa aux inquisiteurs les leUres les plus éner-
giques pour leur reprochel'la profanation qu'ils
exer~aient envers le caractere épiscopal. Il lenr
faisait cr.aindre c( le danger de soulever contre
eux tous les éveques d'Espagne, et n1cllle d'irri-
ter la cour de Rome par une persécution qui
mena~ait les plus hautes dignités de l'église. »
Il y déclarait ce que rien ne lui était plus cher
que r accomplissement de ses devoirs, mais qu'il
croirait manquer a tous ceux que son rang luí
i>mposait, s'il avilissait l'autorité dont il était re-
vetu, en la soumettant a un tribunal désavoné
par la raison et par l'Évangile. ») Toutes ces let-"
tres étaient ternlinées par le serment~de De céder
niauxmenaces ni auxtourmens.Lesinquisiteurs
con~urent qu'ils ne feraiept jamais fléchir un
honlme de cette trempe. Si c'eút été une vic-
time ordinaire, on l'aurait probablement en-
sevelie pour toute sa vie dans·les cachots; mais
l'Espagne entiere avait les yeux fixés sur les




56
destinées' ·de' ce prélat illustre, dont la vertu
était universellementadmirée, ,et a qui son
dernier dévouement et la persécution dont 'il
éiait l'objet, venaient d'acquérir une nouvelle
gloire. Pour la premiere fois l'inquisition se
trouva forcééde céder a l' apinion pu~lique,
et Queypo sortit trionlphant de sa prison. 11
continua de vivre a Madrid dans le petit cercle
d'amis qu'il avait honorés de son choix. Sa piété
douce et tolérante , sa pauvreté , s'on admirable
stolcisnle, étaient la censure la plus amer~ de
la cour de F erdinand; aussi ne cessa-t;..il jam~is
d' etre, craint de ceux qui, sous le non1 ,de mi-
nistres et d'inquisiteurs, opprimaient alors la
natioB espagnole. Néanm,oins son, re pos fut
désormais respecté; l' estime et le respect de
tous les gens de bien formaient autour de
lui un rempart que le fanatisme et l'arbi-
traire n'oserent plus attaquer. Choisi par le
peuple, 10rs des événemens du 9 mars 1820,
pour etre membre de la junte extraordinaire,
qui, jusqu'a la réunion des Cortes, devait sur-
veiller les démarches de la cour, il fut ensuite
nomIné député a cette assemblée. Il est a r:e-
gretter que son extreme surdité ne lui ait pas
permis d'accepter ceHe honorable preuve. de




57
]a reconnai~sanee et de l' estinle de ses eonCl-
toyens .


. Cependant lenlinistere espagnol, ainsiqu'il
arrive toujours dans les gouvernemens fai~les
et désorganisés, devint bientot le jouet de la
poli tique étrang~re, et ce fut l~ eahinet. de
Saint-Pétersbourg, eelui qui, par son élojgne-
ment de .l.'Espag:ne, sa position géographique,
et ses intérets politiques, paraissait devoir
reste1' plus pa1'ticulierement ét1'ange1' aux af ....
faires de ce pays, qui exer~a, sur la cour de
Madrid el le caractere personnel de Ferdinand,
une influenee presque exclusive. Les relations de


. ces deux gouvernenlens étaient devenues tres-
intimes, depuis l'ouverture de la derniere carn-
pagne deRussie. Les Cortes; ~nfermés a Cadix,
avaient envoyé un ambassadeu1' a l'empereur
Alexandre.Ce négociateur traversa l'Espagne
( alo1's occupée par les Fran~ais ), la France,
l?AHemagne, et arriva a St.-Pétersbourg, OU
il re~ut d'abo1'd un accuejl, fort équivoque.
Quelques mois s'écoulerent avant que la cour
de Russie consentit a reconnaitre ses pouvoirs;
mais cette reconnaissance eut lieu aussitot
que l'empi1'e russe se vit envahi par les t1'ou-
pes fran~aises. Des ee moment, Alexand1'e, qui
depuis quatre ans admirait en seCl'et les hé-




58
rOlques efforts de I'Espagne pour s' affranchir
du joug étranger, écrivit aux Cortes, et pro-
clama, avec enthousiasme, la légitimité du
gouvernement espagnol, et celle de la constitu-
tion en vertu de laquelle ce gouvernement exis-
tait. Apres le retour de Ferdinand, en 1814, ce
prince, auxyeux duquel on assure que la per-
fid~e d'un autre cabinet venait de se dévoi-
ler a Valence (1), se hata de resserrer, avec
Alexandre, des liens dont iI attendait le plus


(1) Il passe pour constant en Espagne, malS nous ne
donnons d'autre garantie de ce fail , qu'unbruit public
généralement répandu, que, par suite des difficultés
élevées par le duc de Wellington, au noro duministere
britannique, sur la reconnaissance de la légitimité de
Fel'dinand, que le noble duc contestait , en se fondant
sur l'abdicatÍon de Bayonne , ce prince , pour mettre
fin a ces discussions, s'était vudans la nécessité de
payer a l' Angleterre un tribut annuel. On ajoute que,
pendant les six années qui viennent de s'écouler, des
sommes immenses d'argent ont été envoyées en Angle-
terre par Gibraltar et Lisbonne. On va meme jusqu'a
désigner leducdeSan-Carlos,alors ministre de Ferdinand,
comme ayant été le négociateur et le signataire de ce
traité. Ainsi done, dans un moment OU tant de questions
inintelligibles occupent et partagent les esprits, iI ne
serait pas impossible, enadmettant que ces bruits fussenf




59
utile secours pour l'affermissement de son tro-
neo Ces deux princes s'écrivirent.plusieurs let-
tres remplies de témoignages d' estime et
d' affection; et quoique nous soyons fondés a
croire qu' Alexandre, qui, vers la meme épo-
que, en proclamant en France les principes


-d'une philosophie éclairée, les droits des
peuples, et les n13ximes d' une sage liberté ,
venait de s'élever a une si grande hauteu\'
daos l'opinion de tous les hommes écIairés de
l'Europe , qui tot OU tard assigne la' véritable
place des princes; quoique, disons-nous, nous
soyon5 fondés a croire que ce prince eut désap.
'prouvé le rétablissement du gouvernement ar-
bitraire en Espagne, les relations qui ,s'étaient
établies entre les d~ux états, et auxquelles une
politique et des intérets nouveaux pretaient
alors une plus grande activité, se resserrerent
telle_ment de jour en jour, que l'influence
du ministre russe devint toute~puissante a]a
cour d~ Madrid. Des lors' il fut aisé de juger
que les 'plus grands intérets se traitaient
entre les deux prince~. Ce ministre était le


fondés, de savoir a peu de chose pres, quel est, en
Angleterre, le prix fixe, mis par les ministres de ce pays,
a la reconnaissance de la léf.(úimité des roÍs,




60
hailli de Taticheff , qui, par le zele et l'in-
telligence avec lesquels il avait servi les inté':"
térets de ]a Russie, dans ies différentes mis-
sio~s qu'il avait précédeniment remplies a
Naples et en Sicile, s'était élevé a la confiance
la plus intime d' Alexandre. La souplesse de
son caractere, une ambition sans bornes,
un désir insatiable d'honneurs ,el de dignités;
l'habitude de ces recherches minut~euses et
puériles qui, dans les coursde I 'Orient, passent
poul' de la grandeur; mais surtaut un ton d' as-
surance et de supél'iorité, d'autant plus facile
a soutenir daos une cour ignorante et faible,
que tout tremblait en Espagne aU seul nom
de l'empereur de Russie : telles furent les quaIi-
tés qui De tarderent pas a donner aubailli de
Taticheff une inflúence qu' aucun'autre ministre
étranger n'exer-;a jamais dans les cours de l'Eu-
rope. Ce ministre 6t d'abord quelquesessais de
5a prépondérance aupres du cabinet espagnol,
qu'il trouva entierement dévoué. Bientot plu-
sieurs individus obtinrent des places sur sa re-
c~mmandation; ses favoris re~urent des pen-
sions; des ordres furent adressés' aux tribu-
naux pour donner une attention particuliere
aux proces, auxquels iI paraissait prendre un
intéret spécial. D~ué d'une grande pénétration,




61
el accontumé, par l'expérience, a bien juger les
homrnes, M. de Taticheff eut bientot connu et
appr~cié le "caractere de Ferdinand; des lors iI
employa, "avec une grande persévérance, tons
les nloyens" propres a s' en rendre maitre, et a
l'enchainer a son systeme. On avaitfait parvenir
aux oreilles dé ce prince" des bruits alarmans
sur les dispositions des cabinets étrangers a
son égard; 00 lui avait persuadé que la France
et l'Angleterre allaient demander, d'un ton me-
na~ant, la rentrée dan s leur paysdes Espagnols
constitutionnels qui, "fuyant les persécutions
de ses ministres et les cachots de l'inquisition,
s'étaientréfug,és dans ces deux états; on l'avait
etfrayé, en"luidisant que les principes adoptés
pat~·leS: souv!e\'áini et 'consaCÍ'és par la sa:inte-
alliánce " éta~'nt" "opposés al' arbitraire"qtl'il
venait de rétahlir; que Charles IV allait réda-
roer dans le congres de Vienne ses droits "¿¡ la
couronne"d'Bspagne, usurpés par luí; et que,
soutenu:par tout le parti libéral européen, ce
prince ne tarderait pas a se présenter" sur les
frontieres a la tete d'une puiss~nte armée. En-
fin," on tié' c~it de lui répétér que ce les día;..
t'rihes -\tiolentes";les expressions d'horreur el de
mépris dont les feuilles étrangeres "étaierif jour-
nellernent reIilplies contre son' gouverneme"nt,




62-
n'étaient autre chose que l'expression de la
penséepersonnelle dessouverains a son égard.})
Quelque invraisemblables, quelque absurdes que
dussent paraitre de telJes supposi tions, elles
n'en produisaient pas moins, sur l'esprit d'un
prince accessible a tous les genres de terreurs ,
une impression profonde dont le ministre russe
savait tirer le parti le plus habile. 11 saisissait
ayec adresse toutes lei circonstances ou il voyait.
Ferdinand plus préoccupé des craintesqu'ii
avait quelquefois en l'art de faire uaitre lui-
,meme, pour mettre en avantle IlQqld'Alexan-
dre comme une sorte d'égide qQ:i dev~it pré-
server sa couronne de tous les dangers dont
illa croyait menacée. Enfin, ilavait tellement
amené ce prince aup()int de n~ plus t,rouver
de consolation et d'espoir que dpnsses ~ntte­
tiens, qu'il arrivait souvent a Ferdinand de le
faire appeler aux heures les pl~av~,u;ées dQ.
la nuit, pour pr~ndre.de.lui des reuseigne~eD~
sur les affaires de l'intérieur de s¡on royaume,
el les intrigues de 5a cour, dont iI supposa~t
avec raison que T.aticheff était ~~u~oup mieux
iustruitque luí-meme.· C'est . daos . ces entre-
tiens, pendant les.quels ce ministre,en parais~nt
vouloir lesc.alIXJer, redoublait les fi'ayeurs du
roí, que ce prince, naturellenlent dissimulé,




65
lui ouvrait toute son ame, luí con6ait les
alarmes dont de Iaches courtisans venaient de
remplir son imagination, el se plaisait a rece-
voir de la bouche meme du ministre. russe
l'assurance positive qu' Alexandre ne l'abandon-
l1erait jamais. Le rusé diplomate 'sut mettre a
profit tant de cOl1fiance et d~ faiblesse ; il re~ut
des tmlins du monarque subjugué des marques
solides de bíenveillance; tous les individus
appartenant a ]a légation, furent décorés de
]a croix de Charles III ;. et Taticheff lui-meme
fut créé chevalier de la Toison-d'Or ; chose
inouJe jusque-Ia pour un ministre du second
ordre.


M. de Taticheffavait a son service, en qua-
lité d' agent pour; les affaires de détail, un. es-
pagnol nommé Antonio Ugarte, qui avait débuté
a Madrid par ]e métier de portefaix. Aufant la
taille et les forces physiques de cet homnle con-
venaient a ce métier, autant sa complete igno-
rance, ses manieres ignobles el brutales, et les
préjugés de son éducation, le rendaient peu
propre. aux affaires d'un ordre élevé. Ugarte
n'était en rapportaMadrid qu'avec les employés
inférieurs des tribunaux et des bureaux, aupres
desquels quelques perstmnes , qui lui portaient
intéret, l'avaientquelquefois chargé de la suite




64
de leurs affa'ires. Ses idées n'étaient jamais sor ..
ti es du cercle étroit de la routine et dela chicane.
LorsqueM.de Taticheff étaitarrivé a Madrid,
Ugarte, qui 'avait été chargé de vendre les meu-
hles de sO,n prédécesseur M. de Strogonoff, avait
re~u du nouvea'u ministre l' ordre d' en acheter
d'autres pour lui-mem'e,etde négocier-sur la' pla-
ce quelque leUres de change du gotÍvernement
russe.Jamais iI n'était sorti, a l'égardde M.' de
Tatiébeff, de cet état d'extreme infériorité,
el' quelquefois menIe, jI lui'était arrivé d'at-
tendre dans la loge du portier, avec lequel il
s'entretanait camme camarade; que leur maitre
C0111mUl1 le fit appeler pour rendre 'compte des
commissions dont il avaitété chargé 'dansla
journée. TouteI'ambition di'Ugátte se bornait
alors a obtenir , par la protection du. ministre,
un emploi tres subalterne. Tout a coup, cet
homme devient l'alui de SOil protecteur. '; il est
introduit,' parlui; aupre$'dés.ministres espa~
gnols, auxquels iI est recolnmandé comme un
des meilleurs serviteurs du roi; on va plus lOOn;,
on l'installe daos le cabinet meme de Ferdinand
comme l'hornme le plmt capable de diriger ce
prince dans les' conjonctu'tes' rdifficiles ou il se
~rouve.


En prenant possession de la fa\reur, la' pre-




65
miere opération d'Ugarte, inspIre par M. de
Taticheff, fut la perte d'un grand nombre de
de personnes, dont plusieurs , par l'influence
qu' elles exer.,;aient sur l' esprit du roi, pou-
vaient mettre obstacle au succes dé ses nouvelles
vues.Trois listes de proscription furentdres ..
sées : présentées a ce prince, et signées par lui,
sans la moindre hésitation. La nécessité d'inti-
mider les amis de la liberté était le prétexte de
ces odieuses rigueurs, car Ugarte, instruluent
docile de Taticheff, n'avait pas manqué, des sa
premiereentrevneavec Ferdinand, d'annon-
cer c( qu'il serait l' ennemi le plus ardent et le
plus implacable des Constitutionnels; qu'ins-
. truit de leurs plans perfides ,. iI était convaincu
que les dispositions les plus séveres, et lesexem-
pIes les plus effrayans, étaient seuls capables
d' arre ter dans sa marche une faction qui ne re-
vait qu'athéisme etrépublique.») Ces odieuses et
ridicules calomnies, qui, en justifiant toutes les
frayeurs du roi , s' accordaient si bien avec elles,
concilierent en peu de temps a Ugarte toute la
confiance de son nouveau maitre, et l' éleverent
au plus haut degré de la favenr. Néanmoins,
soit qu'il ne put vaincre la timidité naturelle
que lui inspirait le sentiment de sa complete
nullité , soít qu'il redoutat d' entrer en rivalit~


5




M
ouverte avec des éourtisans fiers , 'puissans , et
qui ne' o"9"ettaient pas impunément un homme
de néant' attenter a Ieurs- droits, iI ne parut
pas aspirer a monter plus haute Satisfait d'etre
consulté sur les affaires les plus graves, de
nOnlmer et' de chasser les ministres, et d'etre
rame de ce qu'on appelait alol'S la Camarilla
ou conseil secret du roí (1) , il se borna a jouir
de son crédit et a trafiquer de sa protection ,
avec toute Tinsolence et toute la rapacité d'un
valet parvenu.


Nous n'entrerons páS ici dansle détail dé-
goutant de toutes les hasses et cruelles intri-
gues dont la COUI' d'Espagne' fiIt le théAtre, a
cette funeste époque. Plllsieots factions, tootes
plus obscures, plus méprisables les unes que
les autres, se disputaient la confiance du prince
et la direction des affaires. La supérioritéresta
riéanmoins a ce qu'on appelait alots lá faction
russe, dont' Taticheff était 'l'ltme et Ugarte
l'instrument.' Incapable de hautes vues d'am-
hition, et seulement dévoré de la soif des


(x) Ce c()n~il exer!rait une police secrete sur les opi-
nions, d~posait des pIa.ces et ,des décorations , et décidait
de toutes cesniesures précipitées, imprudentes, anti ...
nationales, qui ont enfin pr~voqué ~ en Espagne, la
chute du régime de l'arbitraire.




6tJ
richesses, . c'e favori songea hient6t a abandon-
ner a ses nombreux ri vaux les affaires générales
du gou\Ternement, dont il ne s'inquiétaitcgue.¡o.
fes, et créa, pour lni seul, une branché d'ad-
ministration non moin$ fél;onde· en p~duik
métalliques qu' en influence et en pouvoir. Tels
furent les coauuencemens de cette famense
expédition, dont la premiere pensée fut le
sertne de la liberté.


La suite presque continuelIe de revers es-
suyés par l'armée de l\foriUo : l' enthousiasme
toujours croissant avec lequel les nouveaux
gouvernemens qu'OIl voyait éclore tous les
. jOut'5 en Amérique nlarchaient a la conquete
de leur iDdépendance : l'acquisition qu'ils ve-
baient de faite d'UD auxiliaire áuisi importaht
que lord Cochrane : les secours que les États-
Unis, et les amis de la liberté, en Angleterre,
'l\e cessaient de faire passer aux' insurgés amé ....
ricains : rien ne pouvait dessiUer les yeux deg
stupides conseillers de Ferdinand. Ceux memes
qui, pat'mi ces detniers, désiraient la chute de
la faction rússe,et prévoyaie~ l'avantage qu'elle
allait retirerde l'organisation d'une expédi-


. .\ . .


tion nouvelle, s'obstinaient avec a~harnement
a proposer l' emploi de la force armée. Ce fut
ainsi qu'Ugarte se vit bientót a la tetfl d'yo.




68
immense comptabilité, qui embrassait l'arme-
mellt ell'équipement de dix-huitmille hom-
mes; T équipement de tous les batimens néces ...
saires a leur transport; et la foule de détails de
tout genre qu' exigeait une aussi vaste entre-
prise. Les ministeres re~urent du roi l' ordre de
remettre entre les maios du favori toute la
partie administrative de l' expédition; une
Junte fut formée a Cadix, pour exécuter ses
ordres; et ce fut lui qui nomma tous les indi-
vidus qui devaient diriger la marche de c.ette
immense machine. Taticheff sou~enait toujours
son protégé dans l'esprit du roi; ilécrivit a 'sa
cour pour l'engager a prendre une par! active
daDs.l' expéditioD, et a la fortiñer de ses se-
cours~ En effet., on dut aUJe instaDces de cé
ministre l'arrivée de plusieurs vaisseaux et fré-
gates russes, achetés, argent comptant, par
l'Espagne; mais, des le lendemain du jour ou
les uns et les autres furent entrés dans le port
de Cadix, les vaisseaux furent reconDus inca-
pables de soutenir une longue navigation (1 ).


(1) La vérité historique exige que nous ajoutions que,
du moment ou. Alexandre eut connaissanee de ee faít, iI
ordonna l'envoí immédiat d'autres vaisseaux, sans exi-
ger aueune augmentation dans les sommes préeédem-
ment stipulées pour les paiemeni.




69 .
Cependant l'arméé se réunissait; on instruisait
les corps, et l'élite des militaires espagnols en
faisait p'artie. Ce rapproehement de tant d'hom-
mes qui portaient au fond du: coour une meme
p"tmsée; dont plusieurs se connaissaient des
long.temps;'etqui, pour la plupart, membres
des soeiétéssecretes existan tes sur tous les
points de l'Espagne, avaient déja pris une part
'plus ou moinsactive, plus 00. moins ignorée a
tous les projets enfantés :par la haine du des-
potisme, devait naturellenlent amener des ré-
sultats qu'un gouvernemenl doué · de quelque
pénétration eut' facilement calcules, et dont


, la moindre prévoyance eut élóigné le daóger. ~
Cette: époque, tous les partis exer<;aient les "uns
sur ,les autres une surveillance -extraordinair~ ;
chacun d'eux' attendait, comme.la nouvelle
d'un triomphe ou d'une défaite, le llOro du chef
que ,la cour. allait donner -3, eette armée, a
laquelle se rattachaient tant d'espérances. Il
semblait que, d'une circonstance.relative seu-
lement a un grand intéret général, dépendit la
destinée de chacun. Telle était la situation des
esprits a l'~nstant~u la nomitiation d'O-Donnel,
( que nous désignerons désormais sous le seul
nom de cómte' del' Abishal; pour le distin-
guer de ses freres ), fut connue. L'impression




10,
q\J;'elle prod\lisit .fui profoodé. laJactiofl des
oppr~eurs el des courtisans avait une Con-
tianc.e aveugle daos ce général; les amis de la
liberté se rappelaient avec espoir les enga"
lémens de langua main qu'il avait contractés
avec eme; tous .les yeU:Jl: étaient .. donc fixés sur
lui, lorsqu'on le vit arriver a Cadix.


La conduite que tint le cornte de }' Ahisbal,
8epuis qu'il eut pris le conlmandement en eIlef
de l'armée ,< parht entierement différente de
eelle qui, a une epoque'antécédente , lui avait
ali~né tous. les amis de la liberté<~ La confiance
fle éeux ... ci s' aceru t meme a un <tel point,. que_J
pla~ant désormais en lui leurs plus chcres es-
pém.~lées ,< ils resohírent, non-seulelllent de lui
(airepÚ"t 'de leurs projets<,mais encore de lui
en confiero l'e:xécotion. Ce fut le respectable
patriote Aréjula, fún des plus savansmédetin"
de <l'Europe" qui fut1chargé defaire au'général
lespremieres onv.erblres. Elles furent parfaite-
men t '3ccueillies.
Amhitieu~, rempli d'audaee., .jalouxde re~


eonquérir une réputation a.laqu~Ue tant d'in-
certitudes, de faiblesses, etd'acfes plus péni-
bIes a earaetériseI', avaient· porté de mortelles
3tteintes, le comle de l' Ahisbal embrassa avec
une sorte d' enth0usiasme l'heureux moyen qui




71
venait de .lui etre offert de se réhabiliter dans
l' estinle de ses concitoyens;, et bientot la Ilon-
velle de sao détermination, quelque mystérieuse-
meo! qu' eHe eut été répandue, rel'Dplit de jOle
tonte l' armée ; on se la conlmu~quait COl1llDe
un événement de haute importance; il. Sem-
blait, en quelque sorte,. que, de l'opjoion
d'un seu! oomme allait dépendre l'existence
de la patrie. Bientot, le feo de l'insuITection se
répandit d'autant plus rapidementdaosJ'armée,
que, remplie du feu saeré de la liberté, elle De
voyait qu' avec une horreur secrete- qu' eHe était
destinée a la oombattre dans le nouveau mon-
de, et a porter a des con~ito'yens généreux et
hlaves,. -les fers dont elle hrUlait elle ... meme
d' aifranchir sonpays..· Presque ·t011&: ~ offia«s
qui la eomposaient étaient jeunes, ardens, dé-
voués. Con vaincus que le général en chef était
rime de l'entreprise, et que le premiercri
de 'liberté déciderait la levée, en masse de
l'armée, Ieur valeur et leur amoür-propre
étaient également flaUés de cODCoorir a d'aussi
grands événemens.


Tout était done disposé pour agir, et peut:-
etre l' Ahishal était-il ré~olu lui-meme a rem-
plir des engagemens aussi solennellement jurés,
lorsqu'un moment suffit pour opérer daos les




72
affaires le changement le plus extraordinaire et
le. plus. fatal. Le général Sarsfield, déja connu
par la :~valeur qu'il avait déployée dans la pré-
cédente guerre; homme d'un caractere dur et
sombre; étranger a la société comme a l'intri-
gue, arriva, chargé du commandelnent de ]a
seconde division , dont le quartier général était
a Xéres de la Frontera. Sa présence doubla la
confiance de l' armée; personne ne paraissait
plus propre que lui a seconder les grands' mou-
venlens qui se préparaient; on se fé1icitait de
servir sous un homme qui offrai.ta la cause ,:de
la liberté d'aussi éclatantes garanties; toutefois,
a peine eut-¡l pris le commandement, qu'OIl
reconnut combien il' importait, dans des
conjonctures aussi., déCisives, qu'il ne restat
aueune apparence d'incertitude sur les véri-
tables sentimens du général; dans cette vue,
les . colonels don Bartholome, Gutierres ( 1 )
et Don Antonio Roten,,: accompagnés du
lieutenant colonel José Grases ,qui l'avaient
connu en ~Catalogne; se rendirent .aupres
de lui.a Xéres, et l' entretinrent, malS vague-


(1) Il s'est distingué depuis dans l'insurrection del'lle
de Léon, et daos }'assemblée des cortes. dont iJ est
memb~e.




75
ment et saos entrer dans . aucun détaÍl,
des pIans projetés. Sarsfield parut d'abord ne
rien comprendre a ces premie res ouvertures;
mais les officiers espagnols s' étant expliqués.
plus clairement, il,montra un g~and empres-
sement a eoneourir a l'exéeution d'aussi géné-
.reux desseins, et déc1ara : ce qu'illes eonsidérait
eomme justes; qu'il se trouverait heureux de
Ieur preter son bras; que personne n'avait
aimé, respecté et regretté plus que lui le géné-
tal Lacy; que la cause pour laquelle il avait
succombé était sacrée; que les institutions qu'il
destinait a l'Espagne devaient assurer le bon-
heur de ce pays; qu' enfin iI étai t pret a s' en-
gager personnellement, el a· signer cette
p:romesse. » Ces paroles,· pi'ononcées. avec ulle
effusion de creur encore plus éloquente qu!el-
lés, convainquirent pleinement les officiers;
ils ~ndirent compte a leurs amis du succesde
loor négociation; et, tous ensemble, s'accorde-
rellt a concevoir les plus heureuses espérances.
En effet, des ce mornent ils convinrent de eon-
sidérer Sarsfield eomme le véritable chef de
l'entreprise, dans le cas OU le comte de l'Abis-
hal chancellerait dans ses résolutions.


eette prévoyance était d'autantmieux fon-
dé e, que la conduite de cet officier général ,




74
d' abord si rassurante, inspirait maintenant de
nouveaux sou~ons. Il venait de répondre par
00 ref1JS . formel aux propositionsdesprinci ..
paux agens de l'insurrection projetée; on le
voyait envelopperconstamment de mystere
ses correspondances avec la cour; en un mot,
le souvenir des événemens de 1814 était rede-
venn présel1t a tous les souveoirs.; et les amis
de la liberté avaient repris, sur son earactel'e:
et la solidité de ses résol~tions, des défiances
qu'il n'était plus en leur PQuvoir de vaincre,
et qui devenaient doublement. malheureuses
dans un moment ou l'union la plus parfaite,
]a confiance la plus intime, devaient régner
entre tous les membres de ceUe grantleet
patriolique association. Le général Sarsfield
lui':'meme ne paraissait pas étranger aux in-
quiétudes qui lui étaient manifestées; mais ~
saos accuser la conduite dll cornte de Y Ahisbal,
ji paraissait vonloir se réduire au role de con-
e iliateur. e'est dans ce dessein qu'i} se rendit
aeux fois a Cadix. Il eut un.e premiere confé-
rente avec le général en chef, le 6 juillet 1819;
et le meme jour, a son retour qui eut lieu a
onze heures du soir, par Puerto Santa-Maria,
il donna les espérances les plus consolantes et
les plus positives a tOtlS les chef.; des corps, cam-




75
pés a la Vittoria, qui l'attendaient ason passage.


Le lendemain 7, Sarsfield retouroa a Cadix
pour une nouvelle eonférenee, et revint a Xé-
res dans le meme apres-midi. 00 l'attendait
eomme la veille; et cette seeonde entrevue,
par ía maniere dont iI' en rendit eompte a
eeux qu'il appelait ses oinis les plus chers, né
leur parut p,as moins rassurante que la pre-
iniere~, .
'. " Il importe iei de remarquer deux eh oses
également essentieUes; d'abord, e'est que le
premier- entretien de Sarsfield et du comte de
J'Abishal avait eu lien en préserice du colonel
don FelÍpe'Arco-Aguero, parent de ce deroier,
et -dont. lessentinMns patriotiques, si bien
eonnus el :Si ~Lien éproo,:és,; tépondent~.·qu'il
De s'y passa rien de conttiAire a .l'intéret deja
graode association; . en second lien, que le se-
con,d de ces entretiens n'eut point de témoins;
d'ou il faut conclnre que c' es! ·seu.lement dans
celui-cique· les' deux généraux, résolurent de
di88oudre'l'entreprise, et de fairé arreter cellx
d' entr~ lesófficiers qu'i Is connaissaíen t pour ·en
etre le~ f:hefs~ 'Ce- fuI aU surlendemain de cette
secoede entrevue 'que les généraux fixerent
l' exécution de Icur projet; voici eornment
les. choses sépasserent ; toutefois il nous parait


.. ~


",}" '1.
'. :l'~~'" ',' -. :. -~'




76
nécessaire, pour l'intelligence de ce qui va
suivre, d'e donner ¡ci une idée topographique
de la s,ituation de l'armée expéditionnaire, au
7 juillet. Les bataillons de Soria, de Valence,
des Asturies, d'Aragon, des Canaries, des
Guides, et le premier de Catalogne, étaient
campés sur la promenade de la Vittoria" a Puerto
Santa.Maria, avec la hrigade d'artillerie'a pied,
faisant partie de l'armée expéditionnaire. Le
général Sarsneld se trouvait a Xéd~s avec plu-
sieurs régimens de cavalerie; le comte -de
l'Abisbalétait a Cadix, avec les bataillons du
;roi, du' prince, de la princesse, et de Guadala-
jará. Le deuxieme' de Catalogne et celui d' Amé-
riq~e fori'llaient lagarnison de, la ville de San-
Fernando. L'escadr'on d'artillerie volante était
a Puerto-Réale, et les hataillons de, Séville' el
da Malaga" a San-Lucar. " '


Les bataiHoils campés hPuerto-Réale avaient
l' ordrede seformer, comme de coutunle, aqtiatre
heuresdufilatin, pour travailleren ligne. ,Ami·
nuit,,·arriva la nouvelle que le comte de l'Abis-
hal venait de sortir de Cadix avec les corps de
Jagarnison, apres avoirdonné ordre qu'on
proclama!' la Constitution décrétée en 1812 par
lesCortes;etque, lelendemain,la table de pierre




77
fitt placée (1). Cette Douvelle fut a peine répan-
dlle, que les sentimens les pluscontraires s' em-
parerent des esprits; les uns se livraient a l'es-
pérance, tandis que les autres, plus pénétraps,
De. pouvaient se défendre d'une viv_e inqujé-
tude, et que, se rappelant toutes les circonstances
précédentes, ils soup~onnaient le comte de l'A-
bisbal, de .cacher, S011S cette apparence de dé-
vouement a la liberté, des projets entierement
contraires aux promesses qu'il avait faites.
Arco-Aguero 1 qui faisait partje du campenlent
en qualité de chef d'état major, se hata de
faire part de ces craintes au général Sarsfield,
sur lequel se portaient toutes les espérances,
et le pressa d' acco1,lrir le plus promptement
possible. Cependant ceux des chefsdes corps et
Qfficiers qui étaient instruits du projct du comté
de I'Abisbal., se réunissaient, afin de prendre
les mesures quidevaient en assurer l'exécution;
tandis que les autres, également convoqués,
mais daos la crainte de se voir enveloppés a tont
instant, témoignaient une grande hésitation;
cette incertitude régnaitmeme parmi lessoldats.


Les corps, défilant avec lenteur, se dirig~aient


(1) e' est cette table qui a été connue depuis sous le
nom de Pierre de. la constitution.




'8
vers ,la plaine de Palnlar, .¡ni est a une t~-
pelite distance de ]a promenade de la Vittoria;
oil campaient les troupes, afin d'y octuper leurs
positions ordina ires. L'inquiétude était peinte
sur tous les visages, lorsque, to11t acoup, 'o,n
vit la cavalerie s'appl"ocher par la route de Xé;..
res. Le général Sarsfield qui la dirigeait 6t faire
halte , et ordonna de crier vivé leroi ; cet ordre
fut exécuté, sur-Ie-champ, dans toute l'étendue
de la ligne. Au meme instant, parut du cOté
opposé le eomte de, l' Abisbal , $uivi ,de t~ute
la garnison de Cadix, ti l'exctlpti¡)ndubatail ..
Ion du roí, qui faisait le service de cette vil1e ,
et de celui d' Amérique qu'il a.vait laissé a I'ile
de Léon. L'arrivée inattenduedu géDéral CIl
chef, qui exe~ait un' gránd ascéndant sur l' esprj:t
des tl'oupes, 'produisit des impresslons diver-
ses, et l'on attendait avec une anxiété profonde
quel serait le résultat de tout ce qui se passait ,
lorsque l' Abisbal, apres a.voir parcouru rapide ...
ment les bataillons, faisant répéter a tous le eN de
vive le roi, appela tous leurs chefs autoul' de lui,
et Icur déclara qu'ils étaient prisonniers. De
quelque maniere que soit considérée cette affaire,
et en admettar:'t, comme I'a affirmé depuis'le
comte, daos sa défense, que rien ne fUt encore
pret pour l' exécution du plan 1 et que le mou-




19
vement projeté fbtde la plu~ haute imprudence
a entreprendre dans la conjoncture présente, les
noms des généreux guerriers qui se dévouerent
alors pour l'affranchissement de leur patrie,
ont des droits trop sactés BU respect et a la re-
.connaissance .des hommes libres, pour que non.
ne les consacrions pas iei; si la publieité des
grands crimes inspire une horreur salutaire, celle
des grandes aetions leur enfante des imitateurs.


Voici les Doms de ces premieres victimes de
la liberté : Don Demetrio O'Daly, 1 er. com-
mandant du hataillon des Canaries; le lieu-
tettant colon el Don Lorenzo Gareia, 1 el". ad-
judant du meme hataillon; le colonel Don
Antonio" Quiroga, 1 &T. commandant du l· r.
bataillon de Catalogne (1); le colonel d' A ..
ragon, Don Antonio Hoten; le lieutenant colo-
nel Don Alexandro Benisia; le colon el Don Joa-
chinlo Ponte, commandant la brigade d'artil-
lerie; lecolonel Don Felipe de Areo-Aguero (.2),
adj udant général de l' état major de rarrnée; don
!\auton Labra, commandant du bataillon des
guides"; Don Juan Peman" capitaine du meme
bataillon j les cómmandans du 1 er. et .2e • de


(I) Aujo~rd'hui général , et meUlbre des cortes.
(2) Aujourd'hui généraI, et membre des cortes.




80
Soría, Don Salvador Berrio et Don José Malpica;
ceux de Valence, Don Séhastiano de Velasco et
Don José Cendrera ; enfin les deux commandans
des Asturies Don Santos sn .-Miguel, et pon Eva ..
riste sn.-Miguel, son frere. n est remarquable
que quelques-uns de ces officiers n' appartenaient
pas meme a la conjuration.


A peine ce coup d'état fut-iI exécuté , que le
comte de l' Ahisbal fit distrihuer une rationde
vin a tous les corps qui se trouvaient au campo
Il exila sur divers points les capitaiues ,des
bataillons des Asturies , des Canaries ,et 1 er. de
Catalogne; ordonna aux corps qui l'a"vaient
suivi de retourner a Cadix; et resta, de sa per-
sonne, a Puerto, avec le bataillon de la prin-
cesse, destiné a la garde des prisonniers, aux-
quels toute communication fut interdite, et
qui, apres avoir été envoyés, sous une nom ..
breuse escorte, dans une caserne située daos la
ville, furent, peu apres, transferés dans diverses
forteresses. Le brigadier O'Daly, le colonel Bo-
ten et le capitaine Peman, allerent a l'ile de
Léon; Arco-Aguero, les deux San-Miguel et
Labra, au chateau de San-Sébastiano de Cadix;
le c~loneI Ponte et le lientenant colonel Deni ..
sia, a celui de Santa-Catalina de la meme
ville; Quiroga, Bessio, Velasco, Cendrera,




81
Malpiea et Gareia, au eouvent de San-Augus-
tino del Puerto. La justiee et la vérite exigent
que nousajoutions qu'ils y furent traités avec
les plus grands égards, et y jouirent d'une telle
étendue de liberté, que presque tO~lS parvinrent
hientot a s'éehapper; el qu'on a vu, depuis, un
grand nonlbre d'entre eux, a la tete des divers
corps de l'insurreetion.


Ainsi éehoucl'ent en un moment, a la voix
du eornte de l'Ahisbal, qui, a la gloire d'etre
le libérateur de sa patrie , préféra, dans eette
eireonstanee, la honte d'etre le eomplice de ses
oppresseurs, les généreux projets dont un jour
de plus pouvait voir l'aceomplissement.


En nous exprimant avec eette austcre fran-
chise sur un genéral qui, depuis, a rendu h la
liberté d'éminens serviees, il est de notre de-
voir d~ oe pas taire les nloti fs par lesquels il a
lui-meme expliqué sa eondu!te. Si l'évidenee
de ces motifs nous paraissait incontestable,
nul doute que le jugement que toute I'Espagne
a porté sur le comte de l' Abishal , De fut beau-
coup trop rigoureux; lllais, encore alors ,res-
terait-il a savoir, si, d~ns la funeste alternative
de se démettre de ses ell1plois ou d'etre parjure
a ses engag'emens et de trahir la eonfianee de
ses nobles amis (quelles que fussent d'ailleurs


(j




8~
ses intentions pour l' avenir ), le premier- partí
n'étaitpas celui que lui prescrivait l'honneur.
Nous ne préjugerons pas eette question; la con-
duite du cornte de l' Abisbal , depuis cette épo-
que, a effacé de grands torts; elle pent désor-
mais en effacer de plus grands encore. Peut-
etre aussi est-il juste d'observer que, sevoyant
perdu sans ressouree, dans le cas ou il eut été
prévenu aupres de la cour, par Sars6eld,lequel
n'eut paso manqué de saisir cette oecasion pour
l'accuser d'etre d'intelligence avec les conjurés,
le comte de l' Abisbal, se cr.oyant assez fort pour
se rendre maitre des événemens, avait jugé
que, par cette rigueur apparente, jI pouvajt
sauver a la fois, et ses amis, et leurs projets ,
et lu'i-meme.


Quoi qu'il en soit, a la suite de ces événe-
mens, l'AbisbaI se rendit a Madrid~ ou, mal-
gré les défiances de la cour, il fut comblé de
ses faveurs; et quoiqu' on . eut exigé de lui la
démission de sa place de général en chef de
l'armée expéditionnaire, ji passa pour etre
destiné a remplir de plus hauts emplois; néan-
moins, l'opinion publique s'était entierement
retirée de lui; il vivait isolé et en quelque
sorte ahandonné au milieu de la capitale.


Cependant l'exaspération des esprits était au




85
combIe; loÍn d' etre intimidés par les rigueurs
.q~i venaient d'etre déployées, tons ceux d'en-
tre les officiers qui, nloins compromis, por-
taient toutefois dans Ieur anle les memes prin-
ci pes que leurs malheureux camarades, se sen-
~aient animés de plus en plus du désir de les
délivrer et de les venger. Il n' en . est pas des
projets JOl'més pour affranchir la patrie d'un
joug ignominieux, tel que celui qui opprimait
alors l'Espagne, comme des entreprises ordi-
naires; dans celles-ci les exemples rigoureux
intinlident, épouvantent; dans celles-la, au
contraire, dix conjurations déjouées et punies


. ne font que rendre .plus certain le succes de la
onzieme., L'histoÍre en présente mille .preuves;
a l'Espagneétait réservée la. gloire. d'.en offrir
une nouveIle.


A l'abattement, a la consternation qui s'é-
taieI.1t d'abord emparés de l'armée, succéderent
la douleur et l'indignation de se voir si lache-
ment trahie; mais le sort qui attendait les
prisonniers enflammait surt~ut le courage de
leurs amis; ii De leur étaitpas-permis de dou-
ter qu'ilne restat plus, pour l'Espagne et pour
eux-memes, d' autres moyens de salut que daos
lasuite et le triomphe de leurs projets. De
toutes parts, leurs correspondances Ieur annOll-




84
~aiellt -que, dans l'impossibilité d'agir par elle:..
merhé, lá nation fondait sur eux seuls toutes
seS espérances; que sur tous les points de I'Es-
p~gne une parfaite unanimité de vreux régnait
"entre les citoyens et l'armée; qu'enfin, partout
on se disposait a répondre au signal donné par
elle. 11 n'en fallait pas tant pour porter le dé-
vouement de ces braves jusqu'au'dernier degré
de l' enthousiasnle; mais tous les corps de l' ar-
mée étant alors disséminés, les entrevues de-
venaient beaúcoup plus rares; l'on ne pouvait
se communiquer les nouvelles du dehprs qn' a-
vec des difficultés extraordinaires; et il était
plus enlbarrassant encore de se concerter sur
les mesures a prendre, afin que tont marchat
d'~ccord." 'Ainsi:se pet-dait beaucoup de temps,
mais ce mal était sans remede.


A cette époque, se déclara dans l'i1e Gaditane
eette terrible épidémie qui, daos peu de temps,
exer~a les plus terribles ravages sur l'armée.
Ce fléau qui c(}mmen~a dans )a ville de San-
Fernando, et se communiqua avet la pius
effrayante rapidité a cene de Cadix, f-or9a d'a-
bandonner un momen~ les intérets de la patrie
pour ne s'occuper que du salut des individus:
Nous ne retracerons point ici la 10ngue suite de
scenes déplorables dont la vil1e de Cadix et ses




85
environs donnerent journellement l'épouvan-
table spectacle, pendant un espace de trois
mois (1); apres quatre ans, Ieur souvenir glace
encore d'effroi ceux qui en fu-rent les témoins.
Cette calamité forc;a le nouveau généraI en chef,
comte de Caldéron, de sortir de Cadix avec son
état major; et toute communication fut rigou-
reusement interdite avec la place.


Le bataillon de Soria qui y était demeuré,
perdit la plupart de ses braves officiers, presque
tous compromis dans les derniers événemens ;
et le hataillotl lui-nleme fut réduit a moios de
400 hommes.


(1) Aoftt, s~ptembre et octobre 181~}




86


AFFAIRES
DH


L'ILE DE (·RON.


LA contagion ~'étant déclarée dans la plup.art
des villes de la province maritime, il devint
indispensable d'en faire sortir tous les corpsde
l' expédition, qu' on y avait envoyés lors de la
dislocation de l'armée. L'emplacement que
l' on choisit pour cela fut celui de Las-Correde-
ras, pres Alcala de Los-Gazules. Ce fut une
véritahle fete pour cette armée, séparée depuis
le 8 juillet, a l'occasion desfunestes événemens
dont nous venons de rendre compte, de se
trouver réunie pour la seconde Jois. Des lors se
renouerent les liens auxquels la patrie, les ser-
mens et l'amitié avaient imprimé un caractere
si solennel et si auguste.


Convaincus., ainsi que nous l'avons dit plus·
haut, qu'il n'y avait de salut pour l'Espagne ,
pour leurs alnis prisonniers, et pour eux-melues,




87
que dans le sucd~s de leur entreprise ; mais,
devenus plqs prudens par le fatal résultat de
leurs prenlieres confidences a Sarsfield, ils .ne
s' ouvrirent qu'indirectement, a demi, et ayec
une extreme circonspection, a·un petit nom-
bre de chefs; et apres avoir múrement calculé la
gravité des circonstances , et le parti auquel iI
leur convenait de s'arreter, ils résolurent d'é-
lirepour leur.généralle brave colonel don An-
tonio Quiroga, qui, non moins dévoué, rnais
plus heureux que ceux de ses anciens conlpa-
gnons d'armesqui avaient suivi Porlier a l'é-
cbafaud ~ ou partagé Ja pro.~crjptjon oeg géné-
reux comp]jces de Lary> apresavoir servj JelJrs


projets, était maÍntenant prisonnier a Alcala
de Los Gazules. On donna pour chef d'état ma-
jor a Quiroga le colonel don Felipe de Arco-
Aguero, détenu lui-meme dans le chateau de
San-Sébastian , de Cadix. Des lors, nlalgré les
dangers qui s' offraient a eux de toutes parts,
mais qui ne purent jamais ni intimider ni
affaiblir leur courage, ces dignes et infatigables
enfans de la patrie reprirent leurs travauxavec
une activité nouvelle.


Les bataillons dont le patriotisme et l' éner-
gie étaient plus prononcés et inspiraient une
plus grande confiance, étaient ceux des Astu-




88
ries, de Séville, de la Couronne et d1Espagne;
toutetoison ne conlptait guere moins sur les
autl'4;!s, dont les officÍers étaient également dé-
voués.


\ Daos ces circonstances se présenta un hommc
qui, san s avoir re-.;u de grands talens de la na-
ture, et sans avoir beaucoup acquis par l'édu-
cation, était cepeodant doué d'un caractere
tel, que loin d'etre découragé par les obstacles
qui pouvaient s'opposer a l'exécution d'un plan,
une fois arreté par lui, ,ÍI ne trouvait dans
ces obstacles meme qu'un nouveau motif ,de
s'y aUacher plus fortement j cet homme était
don RaphaeI del Riego, nommé adjudant de
l'état major de l'armée expéditionnaire. Arrivé
au camp quelques jours avant le fatalB juillet,
iI avait été initié dans tous les secrets de la
conjuration, etpersonne ne s'était dévoué a
eette sainte cause ave e plus de ferveur, de cou-
rage et de persévérance.Particulierement lié
avec Arco-Aguero et les deux freres San-Mi-
guel, dont l'un (Évariste) a montré depuis que
la pIuole de l'historien ne lui était pas plus
étrangere que l' épée du soldat, le danger de
ses amis ajoutait encore un nouveau degré d'é-
nergie a l' enthousiasme qui lui était naturel.
Triompher ou périr était désormais la seule




89
alternative qui s'offrit a Riego. Ouligé de fixer
pendant quatre mois sa résideuce a Bornos,
pour y rétablir sa santé, une intrigue a~oite
avait pro6té de ce tenlps pour le séparer de
l'état major, et le faire l1ommer" commandant
en second du hataillon des Asturies, 00. il
comptáit, parmi les officiers, un grand nombre
d'amis aussi dévoués que lui-meme. Ce fut le
8 novembre 1819 que, convalescent et tres-
faible encore, Riego prit possession de cet em-
ploi. Peu de jours ·s'étaient écoulés, et déja
ses amis avaient preté entre ses mains le ser-
filent de faire entendre , au premier signal, le
cri de la liberté.


En peu detemps l'effervescence des esprits
s'accrnt a un point extraordinaire. Riego, ne-
connaissaot ni fatigues ni dangers, 'et sans
cesse occupé du soin d' alJumer dans toutes les
ames le fen patriotiqne dont la sienne était
embrasée, se portait partont ou sa présence
était nécessaire. Quiroga, non moins zélé ponr
hi cause de la liberté, mais prisonnier au cou-
vent de Santo Domingo de Alcala de L08-
Gazules, d'ou il ne tarda point a s'évader, n'é-
pargnait, dans sa position, ni soins, ~i efforts,
ni correspondances, ponr concourir au Uleme
hut. On ne travaillait pas avec moins d'ardeur





aCadix, en faveur de la me me cause. Plusieurs
des négocians les plus riches de cette ville
avaient des in telligences actives avec les chefs
militaires, et il est a remarquer que ces intel-
ligences ne rurent jamais interrompues, meme
a l' époque ]a plus difficile pour l' 3.fmée, c' est-
a-dire, Iorsqu'elle était enferméedans rile de
Léon, et que la poli ce la plus soup<;onneuse et"
la plus sévere s' exer~ait a Cadix. Ces excellens
citoyens envoyerent alors des sonlmes consi-
dérables aux bataillons insurgés, et tente~ent
plusieurs fois de provoquer, dans l'intérieur" de
la plac~, des soulevemens au moyen desquels ils
espéraient, ainsi qu'on le verril: dans le cours
de cet ouvrage, en .ouvrir les portes a Qui-
roga.


Don Antonio Alcala Galiano, 6]s du célebre
amiral de ce nom, et nommé secrétaire de la
légation espagnole a Rio-Janeiro, se trouvait
alors a Gibraltar, attendant une occasion favo-
rable pour se rendre a" sa destination. Particu-
lierement lié avec les chefs de l'insurrection, il
avait tracé une partie du plan, et avait consa-
cré ses soins et sa fortune a en assurer le sue-
ces. Ses talen~ oratoires, son activité, son in-
telligence, rendirent alors d'éclatans servic~s a


. la liberté; et a peine l' armée se fut-elle ernpa-




91
rée de rile, qu'il abandonna Gibraltar et se
réunÍt a ses arnis: N ornmé secrétaire de la junte
de gouvernenlent, il en dirigea les opérations,
et mérita ainsi une place distinguée parmi les
citoyens qui se sont· fail remarquer a cette
époque, par un dévouement plus sincere et des
services plus utiles.


Enfin, apres d'innonabrables t~avaux J pres~
séspar l'état, tous les jours plus affligeant,
de MadI-id et des provinces, sur lesquels le
hras de fer du despotisnle s'appesantissait de
plus en plus, les chefs de l'entreprise, d'accord
avec leurs anlis de Cadix, fixerent le prenlier
jour de l'année 1820, pour faire déc1arer
l'armée, en. cOlnmen<;ant· par les bataillons
sur la fidélité etle dévouement desquels on
comptait davantage. Le bataillon des Astu-
ries, depuis Las~Cahezas, et celui de Séville
depuis Villa·Martin, devalent se diriger' sur
Arcos, sous les ordres de Riego, pour surpren-
dre le général en chef, conlte de Calderon, et
sOlf état major. Les bataillons d'Espagne et de
la Couronne, sous les ordres du colonel Quiro-
ga, devaient se porter rapidement, depuis AI:-
cala el Medina , 3U pont de Suazo; s' en emparer
par un coup de nlain; entrer a San-Fernando;
et se présenter ensuite. devant la Cortadura et




92
Cadix, dont il était convenu que les portes
leJlr seraient ouvertes.


Le capitaine Oltra, du régiment de Canaries,
parcourut plusieurs cantonnemens de l'armée,
et arrivajusqu'a Ossuna, ou se trouvaient un
escadron volant et une brigade d' artillerie a
pied. On va juger combien étaient redoutables
les obstacles que l'insurr~ction avait a surmon-
ter: le hataillon des Asturies, cantonné a Las-
Cabezas, était entouré de trois quartiers géné-
raux; celui de la cavalerie de l' armé e , com-
mandé e par le général Ferraz, a Utrera; celui
de la seconde division d'infanterie , aux ordres
du brigadier Michelena, a Lebrija; et eelui du
général en chef de l'armée, a Arcos. Le géné':'
ral Cruz-Murgeon se trouvait un peú plus loin.
Les grandes pluies qui commencerent le .28
décembre, ne permettaient pas de faire sortir
les bataillons des villages, sous le prétexte de
passer des revues d'armes ; 'ou de faire des pro-
meoades nlilitaires; d'ailleurs, les routes étaient
presque inlpraticables ; cependant il fallait agir.
Dans des circonstal1ces aussi critiques, Riego ne
vit d' autre moyen, pour exécuter son plan avec
sureté, que de faire entourer par des faction-
naires le village de Las Cabezas, pendant que
ses hataillons défileraient au dehors; de faire




93
circuler a tout instant le mot d'ordre dan S
ses lignes, et de ne permettre a, qui que ee fut
de sortir. Ce fut en ce monlent , qu' apres avoir
communiqué son dessein au lieutenant colonel
don Fernando de Miranua, et au capitaine Val-
carcel, second adjudant de son bataillon, qui
l'approuverent sans hésiter, il se décida a pro-
mulguer la Constitution politique de la monar-
chie, déja jurée a Cadix, en 1812.


Enfin arriva le premier jour d~ l'année 1820,
époque de glorieuse mémoire pour le peuple et
l'arnlée; et a neuf heures du matin se 6t en-
tendre le premier cri qui devait affranchir la
patrie. Riego, a la tete de ses officiers , procla-
ma, a haute voix, la Constitution, et mérita,
par ce trait d'un courage don! iI donna le pre-
mier exemple et san s lequel les fers de l'Es-
pagne ne seraient pas encore hrisés, d'etre
con~idéré eomme le pl'emier lihérateur de son
pays. Les officiers et les soldats répondirent ,
par leurs acclanlations, a ce cri généreux, et
ron n'entendit plus a Las Cabezas de SR.-Juan,
que des cris de joie, des félicitations a Riego,
et des v~ux ¡>Out' 'la liberté et la prQspérité de
la patrie. Riego nomma provisoirement aleades
eonstitutionnels , don Diego Zuloeta le jeune ,
et don Antonio Zuloela Beato, lesquels, ayant




94
immédiatement pris possession de leurs char-
ges, s'occuperent, avec la plus efficace activité,
de pourvoir a Ja subsistance de l' armée.


Néanmoins, iI devenait urgt:ntde quitter le
village OU l' on pouvait etre en touré a tout in-
stant; et le hataillon, plein d'enthousiasnle ,
faisant retentir l'air de félicitations a l' armée
expéditionnaire et a la patrie: jurant a ses offi-
ciers une éternelle ohéissance et un inviolable
dévouenlent, sem"it en marche a trois heures
de l' apres midi, se dirigeant sur le quartier gé-
néral. Le village demeura cerné; il était trop
essentiel de n'en laisser sortir personne quiput
informer le général en chef de ce qui se pas-
sait, pour qu'une précaution de cette impor-
tance put etre négligée. Ce ne fut que quatre
heures apres que le bataillon en fut sorti, que
la troupe qui avait été chargée de cette con-
signe, se retira.


Une circonstance contribua a répandre de
honne heure Ja nouvelle des heureuxévéne-
mcns qui venaient d'avoir líeu a Las .. Cabezas.
Peu de temps avant que la Constit ution n' eut
été proclamée dans ce village, un domestique
de don Juan de Dios Mendizabal, envoy~ de
Xéres par don' Vicente Beltran de Lys, celui-Bl
meme dont le fils avait été un aQ auparavant vic-




95
time de la férocité d'Élio, y était arrivé avec une
charge d' eau·de-vie et une de fromages, destinées
aux troupes. Cet homme, dont les opinions et la
fidélité étaient parfaitement connus de Riego,
obtint la permission de revenirc~ezsonmaitre,
par A"rcos, et raconta sur toute la route les éton-
nans événemens dont i1 venait d'etre témoib..


Le :2 janvier, a deux heures du nlatin, le
hataillon des Asturies, parti la veille de Las-
Cábezas, arriva, apres une marche de onze
heures, a la métairiedu T éral, a un quart de
lieue d' Arcos, OU l'attendaient quelques officiers,
tous instruits du projet de surprendre le quar-
tier général, et qui, réunis a quelques autres
qui se présenterent successivement, conduisi-
rent les officiers et le détachement dans les mai-
sons OU les chefs devaient s' arreter. Le hatail1on.
6t halte a peu de distan ce du village, attendant
des instructions de la part des officiers chargés
de conduire le bataillon de Séville, qui devait
faire son entré e de l' autre coté du ponto Cepen-
dant le temps s'écoulait, et rien n'annon~ait
l'arrivée de ce bataillon. Déja meme les.cloches
commen~aient a sonner et le chant des coqs
anl1on~ait le jour, lorsque Riego, connaissant
tout le danger de saposition, et craignant que
quelque erreur ou quelque· malentendu ne lui -




96 ,
. 11t perdre en un moment le fruit des mesures
les mieux comhinées, ordonna aux ofliciers
charg~s d'exécuter les arrestations, d'avancer
prompternent; le lieutenant Bustillos était
chargé de l'arrestation du comte de Caldéron,
général en chef; Miranda, de ceHe du général
Fournas, chef de l'état major; et l'adjudant
don Balthazar Valcarcel devait s'assurer de la
personne du général Salvador.


Riego suivai~ de pres les détachemens qui
accompagnaient ces officiers et quelques autres
chargés de commissions du meme genre. Avec
cinq compagnies, il se forma en colonne serrée
sur la petite place, a l'entrée de la viIle, laissant
sur la hauteur qui la domine de ce coté le reste
du bataillon qui escortait les équipages, et qui,
par ce moyen, se trouvait disposé a faciliter une
retraite, s'il en était hesoin. Ces compagnies
furent placées en face de la Corrédera; et deux
postes avancés, a l'extrémité des deux rues,
devaient couvrir l'arriere-garde. A peine ces dis-
positions étaient-elles exécutées, que plusieurs
coups de fusil se firent entendre. Riego, em-
pressé d' en connaltre la cause, laissa le COlll-
mandement du bataillon a son lieutenant; tra-
versa rapidement les rues avec ses sapeurs; et
arriva devant la maison occupée par le comte




97
de Cáldéron, 3U monÍent OU celui-ci, apres s'e-
tre long..;temps refusé a ouvrir saporte, malgré
les vives~ instan ces de Bustillos, venait enfin de
se décider a se rendre : ce qu'il St avec sang-
froid ~t dignité. On apprit aussi quelle était la
cause des coups de fusilqui'avaient été enten-
dus :' il parait qu'alarmé d'un mouvemeI1t. qu'il
cróyait avoirremar(¡Ué" de la part de la garde du
généralcen:chef,' le lieutenant de grenadiers
n:Miguel Pérez avait ordonné de faire feu.eette
erreur, qui pouvait avolr les su'ites'les plus gra-
ves', cOlita'la vie a deux soldatsdes~ guides~ atta-
chés a la garoe:dugénéral en chef. Les autresar-
restations ordónnées,s'exécuter'ent avecla menle
précision; et'tous-les prisortniets ayantété reunis
dans,la·mai9(jttdu'eomt~deCa:Wlel-on,furent.con.
duits'a la rnétairie du, Péral', les nos en voiture,
les autres a pied, sous l'escorte de la 5-.' conl-
pagniéde,ehassel1rs ,des Asturies. Cependant le
hataillon de SéviHe, si' 'Iong-temps attendu a
Arcos,' était arrivé:á i'heuve indiqúée au chá-
tea1l~de F~ih;niai~", par une de ces erreurs, si
órdiÍlai~es· dans les momens de trouble, il ne
puto enfrer qri~ lorsque lesarrestations e~Jrent
été faites.Les deux corps{.) témoignerent une


. ~ ..'


, (1) Asturiea et SéviUe.
,.,




9B
yjy~ jqie,. ~ $tt v-oyantf~qnis .. Apr~ av()ir été
pr~~.é CiQmmaJld~nt gépéral, l\i~o pomma
~h~f d~ SOl! ~t;d-major le Jieutenant eQlonel
~ºJ) Fel~nf:ln(io de. Miranda. On SÓf}~ ensuite
.ª" fl9~.1~r du repos 8'UX. trQupes" ,sallS -e.xposer
lepr sur~té" 'Mfl~ hJ¡t~Uon c1~. guiaes qui.,
a,insi . qu'on vieot de lil voir. i~ trauvait au
quartier g~néral, ue s'était {nsen(lQl)e,entjene-
men~ prGnQJ1cé, pe qui r6nd~it indispe~
!loe ~Qrv~il.;l~ plus :ª,ttentive el de plus
g~tW$plJé~lt\¡~)¡lS~ Tf>Mes ~s eh oses ayant
~té r~l~~.de .la ,m~niere. k ph1s .. oonvenable,
o,n s~ bªt~ d'tlniQStr"ir~ 16 gánhalQuiro4Ja .. ,
9<mt ~~. Pl'6,S~BCe ~t ¡le (!oncaurs allatent devenir
ªi:~~iMt':ª~~~"it~ .~.rations •...
'. jl.y p.~ dª~fb~Bil~&.8ul~, comme
d;t~~ ;t¡(JJl~ lesc~rp$ 9f! l'4~mtie, tOfl gf~od n081-
h:r;e d~ br.v~~ ::q.ú, n"igQovant p~~ q\l~ .leu.rs
pt«Jmi'r~. ~o.~~l~f!~,M~lAlp,aMie,* cm.~is
~'~yant ~s .élé eflcate ~Q' .~~ition dese . pr~
nJ.J~~r hal}t~m~Jí) h ~v~ie~t ~"'~~lJt ~ervi I~
(!~1)~~:~ '~ ;ijh~~ i4V~ 1lqta~tn~ ~~~.qp, ~~
~{::qes., ¡~ Ilfé,¡w.r~m ~~fiJPr~ ~&' !s~dAJ& AUX
gl"~~~ ~Y~J)~s Q1P: V~Q~j~. q~ .i~a~oJnp}ir :
t~l~ ~t~~ ~~ ~inQi~~ rP.iJl~ J Vaije, .Sulana ,
Corral, Conlbe., et un grand nombré d' autres


..qui contrihuerent puissamment a décider leurs




99
camarades et leurs soldats a réúnir l~urs dra-
peaux a ceux: des Asturies et de '$éviUe; " Ce fut
par leurs sojps que le bataiUon des guid«s -s'é·
tant formé sur la place, daos la -matinée'du :2
janvier, doona son adhésion a la eODdoite
des d~ux autres bataillems, aUKquels o.n annon ...
~ait alo.rs que ceux d'Espagne et de 1ft Couronne
venaieot aussidese jo.indre , sans toutefois q¡üe
rien confir.mat eDoore cette heureuse n~uveU~.


Ainsi done, e'était seulement afee tro.is ha.-
taillo.ns, do.nt l'un n'offrait d'autre garantie de
sa fidélité qu'une adhésion récente ~t peut~tre
équivoque, que -Riego, maitt~ du quartier géné!'"
ral ennemi, mais ento.uré d'une arrrnje.d~ 12-000.
ho.mmes, j!)renait l'hél'O"iqU~ 4ft inébraniabt@
résolutionde f'en$ré la'Ultené" sén'PlJ.yst'Saus
doute le voou de rEspogn6', tolJ!te entiere, le
soutenflit daos eettesublime .entreprise ; sans
dou~e l'immense majorité das otticiers de l'ar~
méee,xpéditionDaire partage:;¡it ses sentimens ;
maiscombien 'D'átait~jlpai aeraindrft , qu'ae~'
eoutNmés a une discipline rigoureuse, etoédant
at'habitrnje ee l'obéissance , les'soldats n'~cou­
tassent la vot.x 4es :chefsque leHI'avait dOOMS le
despotisnle, de préférence a eelle de t,t patrie!
PIGe~ -tmtre lamort OH le tl'i{)mphe , aueuoe de
c~s considél'atio.ns n' al'réta Riego,dont tous l€s




100


pas.etaielltmarqués par l'établissement des au-
torités constitutionnelles. Il se fit remettre par
l'intendant de l'armée, Don DonlingodeTorres,
une, somme de 1 1 ,000 duros, la' seule qui fut
alors en caisse pour subvenir aux hcsoins d'une
armée de 12,000 hommes. Le reste de la jour-
née fut employé a faire connaitre aux' corps,
déja compronlis, les nlotifs de larévolution
qui v.enait de s'opérer, et a les convaincre que
lenr salut dépendait d'un attaehement inviola-
ble: a leurs nouveaux sermens. Cependant' il
était, nuit, et 1'0n n'avait encore au quartier
général aucune nouvelle du mouvement qui


. avait du etre exéeuté sur le pont Suazo, par les
bataillons, d~Espagne et de la Couronne, com-
Dlandéspar.le général Quiroga. Dans l'attente
de ces nouvelles, Riego ordonna au lieutenant
Don Antonio :Miro ,i aceompagné du capitai.o.e
de Séville Do'o Franoisco Osorio, du lieutenant
du memeDon IgnaeioSylva, et de l'adjudant '
.DonBa~tazar Valeareel, d'aIler au-devant de ces
bataiUQUs.,· a la tete d'un détacbemeot des Astu-
ries, de Séville et des guides, afio que la pré-
senee et l'union de ces tl'ois eorps attestassent,
mieux que ne pourraient le faire tous les dis-
eours, la véríté de ce qui venait de se passer.


Tant d'agitation d'esprit et de fatigues, ren-




'101


daient lente et difficile la convalescence de Rie-
go; néanmoins, ayant été instruit par quelques
officiers du 2 e • hataillon d' Aragon, en ce mo-
ment a Bornos , des dispositions favorables de
ce corps; et l'un de ses capitaiQes (Don Félix
Zuasnahár, qui s'était déja rendu a Arcos avet
sa compagnie ) ayant confirnlé au général que
sa présence suffirait pour entrainer le bataillon
tont entier, Riego, toujours infatigable, sortit
le jour suivant, 5 janvier, a trois heures du
nlatin, avec un détachenlent de 500 hommes,
afin d'achever de décider le bataillon a se pro-
noncer pour la cause nationale. Il arriva a la
pointe du jour, a peu de dista,nce de Bornos";
pla~a sur la hauteur qui domine le village une
avant-gardedéployée en bataillon; et distribua
le reste de sa troupe dans des postes d'ou 1'0n
pourrait s'opposer plus facilenlent a quelque
atta que inattendue. Toutefois, ne pouvant ré-
sister a son impatience naturelle, il s'avan~a
jusqu'au vil~age, suivi seulement d'un chasseur
des Asturie~' et de deux ordonnances de cava-
lerie. Aussitot le commandant du bataillon
d'Ar~g0l!, Don Juan Llanos, accompagnéde
son lieutenant Valledor, se présenta a lui. Riego
les re~ut avec considération et bienveillance,
et accorda au comnlandant, qui ténloignait dé-




102


siter de nepasse nlettre a la tete de son ba-
taillon " afin de n' etre obligé de se prononcer
nipQur ni contre Ce qui allait se passer, la per-
lilissÍún derester a Arcos. Les officiers Valle-
dor, Alonzo '1 Arrevillaga, Mogrobajo, San-
chez; Zuasnabar, Sorrazabal, 6t quelques a11-
tres, se rendirent de leur{:oté dalis {:eUe ville,
et parvinrent a disposer si favorablement la
troupe, que, des le lendemain fnatiü, le ba-
titillon, unanimenlent déclaré en faveur dé la
cause nation:de ~ sortit dé ses logemens au hruit
de la générále, eñ támoigliant un enthousiasme
in6xprimable; ce qui ne contribua pas faible-
ment a augmenter ]a joie causée par cet heu-
reux tlvénement'l c'est que j la nuit filcme qui
l'avait pré{:édé ,une somnie de 16;000 duros,
envoyée par le' ministere de la guerre i était
entréedans les coffres de l'armée. Dans l'ivresse
d'unpareil SUc.ces, Riego s'empressa d'en faire
part a son chef d'état major ~ don Fernando de
MiJ'anda, lequel ordt>nna, sur-Ie-chanlp, tOlltes
les dispositions nécessaires pdur fatre faire une
réception brillante a son général , par tous les
corr>s, formés €n hataijJe daíls les rues ,de la
Correderá. L' entrée de Riego eut lieu au nlilieu
des aCc1aulatións universelles, et tous les creurs
s'ouvraient a l'espérarlce, en voyant réunis




103


quatre des meilleurs corps de l'armée, sous les
ordres d'tih chef si franchement devóué a la
liberté et a la gloire de la patrie.


Pendant qu'au quartier général tout semblait
prendre une tournure aussi fávotáñle, et <tul! ,
dans la ville d' Arcos, les al1torités titiles ef nliIi·
taires, les officiets isólés dé l'armée, et les em-
ployés des finances ; prétaient serment a la Con.,.
stitunon, on épróu vai t u ríe vi ve inquiétu de de ne
tecevoiraucune nouvelle du ulouveméntdes ha ...
taillons d'Espagne et de' la CouroIine. Ces dellx
corps, ainsi que nous l'avons dit ailleilrs, se trou-
vaient a Médina el Alcala de los Gazules, et de-
vaient faire Ieur mouvement dans la nuit du I er


janvier ,sotIs les ordres du général Quiroga, le-
quel, etlcore prisorhiier au toúv~tIt de San.:.Do-
mingo, était cependant assl1ré d'etre libre au
moment OlI iI vOlldrait l'etre. l/extreme gon-
flement des rivieres avait forcé de suspendre
toute tentative pour les traverser, et dé remet-
tre cette opération jusqu'a lamoitié du jour
suivatit. Le bátailIoIi d'Espagne, . qui se ttouvalt
en cantónnement a Alcala, sdrtit alots pdur
prendre position a une demi-liel1e de ta vilI&-;
el k général Quiroga, devenu libre ,fut re<jlJ
sous les drapeanx avec le's plus vives démoh-
slrations de joie. Aussit6t, ainsi qu' on en éfait




104
conve~u., iI fu! proclanlé.Général en chef, et se
dirigea .four Médina, ou l'attendait le hataillon
de la Couronne, pour se réunir a lui. Les deux
co~ps oe perdirent pas un instant pour se porter
sur, le pont de, Suazo; mais les pluies considé-
rabIes des jours préeédens avaient rendu le~
routes tellcnlent impraticables, qu~les s,oldats
s'enfon~aient dans la boue jusqu'~u genou,
per.~aient leurs souliers, et avan<;aient a peine,
au milieu de la confusion et du désordre pres-
que toujours inséparables des expéditions noc-
turnes. Enf1n, au lieu d' a~river a ,Suazo le 5 ; a
la pointe du jour, afin de n'etre pas aper<;ue, la
troupe ne put, apres les plus grands efforts, y
arrivcr qll'a neuf heures. Par une ,contrariété
n9Qvelle, quelqu~s renforts ~es guides, et d'au ..
tres corps qui attendaient sur la route le géné-
ra1 Quiroga, {l0ur se mettre 8011S ses ordres,
changerent d'idée en n~ le voyant point arri-
ver; la situation du général devenait ainsi de
plus en plus critique; il se erut déeouvert; s'il
l'eu~ été, ríen ne pauvait le sauver. L'inlpré-
voyance et la négligence des autorités et des
chefs de San-Fernando, dont aucun n'était a
son poste, écarterent de lui ce nouveau danger.


Le eapitaine, du bataillon de la Couronne,
Don Miehel Badenas, s'avan~a avee les eompa-




105


gníes des grenadiers de son corps, désarnla le
,poste avancé de Portazgo, qui forn;tait lecor--
don de san té , et arriva, sans s'atreter, au pont
Suazo, dont ilemporta en un moment la, po-
sition. Le hataiIIon de la Couronne suivit. de,
pres celui d'Espagne, ettoos deux ~larcherent,.
réunis, sur la ville de San-Fernando, dont ils se
rendirent .maitres. Quiroga 6t arreter, sur-Ie-
champ, M. de Cisneros, nlinistre de la 111arine,
alors en commission a l'ile de Léon (1), et occu-
pel' les postes de Torre-Gorda et de la métairie
del Orio ; mais conlme, apres une marche de nuit
si fatigante, ilétait impossible d'aller plusavant,
iI résolút de donner quelques instans de repos
a ses soldats; d' ailleurs, ce général se croyait
certain que Cadi~ s'empresserai;t .?e luí ouvrir
ses portes a l'instant ou l'ony a.pprendrait que
San-Fernando étaÍt en son pou:"oi1'.


Cependant le temps pressqit ~.et personne ne
veIiait de Cadix. La force des deux hataillons
était alo1's, en tout, de 1500 hOlnnles, et il est
a remarquer que celuí de la Couronnese COln-
posait presquc. tout entier de recrues. On Jl'avait
guere plus de confiance dan s le dépot du ba-


'( 1) Le lccteur a remarqué, saus doute, des le com-
mencemen t de cet ouvrage, que San-FernaudQ et 1'11('
de Léon sont les deux noms d'une meme ville.




Ió6
taillon de San - Fernando, qui était de 400
hommes. Si ron eut voulu occuper tous les
postes importans, il eut faUu beaucoup de
monde pour les défendre ; ainsi les circo n-
stances ne permettaient pas a Quiroga, quoi-
qu'il fut maitre de la position de San-FernandQ
( qui n'était pas meme fort avantageuse), de
marcher a main armée sur Cadix , malgré les
nombreuses intelligehces qu'il avait dans cette
place.


Dans une telle incertitude, et a I'approche
de la nuÍt, le général, ibstruit <¡u'il n'y avait
dans ]a Cortadura ni troupes . ni artillerie en
état de faire feu, chargea lecapitaine de la
Couronne, Don ~osé Rodriguez, qui ne connais-
sait pas le terr;:iin et n'ávait point de guldes,
de s' approcher de eeHe position ; mais cet offi-
cier ayant elé re~u par une assez vive fusil-
lade qui lui tUá trois hommes, futcontraint
de réttograder.Cette citconstance ma]heureuse
ne pernlit plus au général Qlliroga de douter
que Cadix n' eut' eté mis en état de défense , et
luí prouva que les "amis de la liberté, sur l'assis-
tance desquels il avait cotnpté, n' étaient pas
assez forts pour luí en ouvrir les portes. Ce-
pendant le eoutage des défeÍlseur~ de la patrie
semblait s'accroitre avec les difficultés, et se




1°7
montrait superleur a tous les obstacles. Le
bata ilIon de Soria était fort affaibli; les
officiers sur lesqueIs 011 comptait le plus
avaient succombé a. la violence de l'épidémie;
les chefs o' étaieot p:iS surs; les ~ntéÍ'ets étaient
changés. Le projet de Quiroga ayant échoué, le
général Campana, qui commandait a Cadix, pro-
fita de l'incertitudeet de l'iostaot de découra-
gemeot qui s' était emparé des esprits, pour
porter ses troupes a la Cortadura. Il éleva a
trois piécettes par jour ( J ) la solde de la milice
urhaine; et réussit, a force d' acti vité, d' es-
pionnage et de rigueur, a coruprirner les efforts
des amis de la patrie, qui ne servaient pas la li-
berté, dan s l'intérieur, avec moip.s de zele,
d' énergie ~t· de persévérance, que ne le fai-
saient, au dehors, les chefs militairés.


_ Inquiet· de ne point voir paraitre Quiroga,
Riego se décida, dans la matinée du 5, a se
porter au-devant de ce général, avec les quatre
bataillons des Asturies, de Séville, des guides
et d'Aragon. II se dirigea, en conséquence,
vers Médina et Alcala de Los-Gazules; son in-
teotion était de réunir ses forces aux corps
d'Espagne et de la Couroone " dans le cas ou


(1) Trois franes, monnaie de Francc.




r08
quelque circonstance imprévue n' eut pas per-
mis a ceux-ci de se mettre en monvement. Un
autre motif, d'un grand intéret, le détermi-
nait a·prendre cette résolution; lebataillon du
Prince, qui se trouvait a Ximena, et celui d'A-
mérique, alors a Bejer, étaient déj a compro-
nlis; il s'agissait d'achever de les entrainer.
Toutefois, les officiers ayant reconnu l'inlpos-
sibiIité de traverser la riviere Majaceite, 'deve-
nue tres-forte par les pIuies, firent observer
qu'il serait a la fois plus sur et plus avanta-
geux de se diriger sur Xéres, afin d'intercepter
le courrier de Cadix a Madrid, ce qui, daos
]a situátion présente des choses, pouvait don-
ner d'excellentes lumieres, et offrait des avan-
tages bien plus positifs que l' acquisition de
deux bataillons; qui ne pouvaient manquer de
suivre en peu de temps l'impulsion qui venait
d'etre donnée. Riego se rendit a la justesse de
ces observations, changea l' ordre , et suspendit
la sortie jusqu'a quatre heures de l'apres-midi.


e'est alors qu' on apprit ce qui s' était passé
a San-Fernando; et, sur-Ie-champ, Riego, apres
avoir dépeché a Quiroga son adjudant Don
Santiago Perez, pour lui donner connaissance
de sa nlarche, partit lui-meme a la tete de ses
hataillons pour se rendre a Xéres. Les généraux





109 ..
prisonnicrs suivaient a cheval, les toutes étant
tellement dégradées qu'il était impossible de
les conduire en voittlre; du reste on mit une
attention particuliere a Ieur rendre tous les
égards, a leur prodiguer tous les soins' que
commandaient le rang qu'ils av~ient occupé,
et surtout leul~ situation actuelle.· Les troupes
6rel1t halte dans la métairie de la Pegnuela,.
apres quoi elles continuerent leur marche pour
Xéres, ou elles arriverent le 5 janvier, a huit
heures du lllatin, proclamant partout, sur leur
passage, CONSTITUTION ET LIBERTÉ.


La nombreuse populatioll de Xéres, accou-
tumée, COlllme toute l'Espagne, a la souffrance
et a la servitude, ténloignait un étonnement
profouQ. de l'auda(!e. de ses libérat~urs. Cequi
se passait était meme tellement éloigné de
toutes les prohabilités, de toutes les conjec-
tures, qu'il semblait a chacun que ce fut un
reve; et, dans la crainte de la vengeance Q.es
capitaines généraux et des cachots de l'inqui-
sition, on n' osait encore expliquer ses vceux
qu' en secret, et par l' exp~ession de satisJaction.
et d' espoir qui brillai t sur tous les visagt:!s. Un
habitant de Xéres fut néanmoins plus hardi
que ses concitoyens.:: Don Manuel-Rafael-I)ol de
Quimbert, n'écoutant que son ardent patrio-




110


tisme, et sans calculer les suites d'une démar-
che qui devait le perdre si la cause de)a liberté
venaita succomher, déclara hauternent son at-
tachernent a la Constitution, et montrant a
Riego un exemplaire de cet aete solemnel :
( Je rai gardé six ans enterré, s'écria-t-il,
pour le rendre a la lumiere daos ee jour de
gloire, si ardemment désiré par tous les ami s
de la patrie. »


En arrivant a Xéres, Riego avait donné
1'ordre de s'assurer de la personne du général
Sarsfield; mais celui-ci, efYrayé du sort réservé
a tous les traitres, avait disparu des la Duit
préeédente. Apres avoir fait faire halte a sa
troupe sur la place de l'arsenal, le comman-
da:1';lt.S(! rendít loi-rneme au télégraphe, pour
annoncer au gouverneur de Cadix l'atrivée de
la ,division, et lui intimer l'ordre de rendre la
place; :le décl<lrant responsable de tous les évé-
nemens au}{quels sa résistance pourrait donner
liell. n aIla ensuite a l'hótel de vilI.e, et nomma
des aleades cpnstitutionnels provisoires ~ les-'-
qu.els , ~~pi'es avoir preté serment dans les nlains
du' chef de l'état major, re<;urent l' ordre de
faire, des le lendenlain, promulguer solennel-
lement la cons·titution. L'apres-midi du meme
jour, le lieutenant du batailJon dé lilCouronne




111


apporta a Riego des nouvelles ·de Quiroga.
Enfin, ~. qu.atre heures on se remit en route ,
áux acclamatiolls· du peuple qui, revenu de sa
prenliere, surprise, faisait entendre d'unaninles
vreux pOlJr les. succ~s de l'arIl1ée. Quojque d~
toutes parts l' esprit public éclat~t ave e enthou-
siasme en faveur de la ·pa:isihle révolution qui
s'opérait, on iuge~ convenable néanmoins,
pour éloigner jusqu'aux 1110indres prétextes de
troubles, de ne pas faire traverser la vilIe aux
généraux prisonniers, et de diriger leur marche
en dehors" sous l' escorte des cQmpagnies de
chasseurs des Asturies et de SéviHe, conlmandés
par le capita~ne don Roque de Arismendi, le-
quel attendait, a, un quart de lieue, le reste de
la division, qqi n'arriva a.P~rtQ S~n~-~rja
que fort tard etexcédée de fatigue.:


La troupe venait d'etre casernée, et le com-
luandant généraI, avec son ~tat major, s'é ..
tait retiré pour prendre quelque repos, 10rs-
<¡u 'entre une et deux heures du matin, on
vit,par.aitl'e tout a C01,1pO-Da}y,Arco~Aguero,
Labr.a, l~.:<leux freres Sfln-Miguel ,~t Marin,
~chappés cette nuit mem~., llprf;!$ six l,noi~ dt:
détention, d~ chateau w; S~S~~~tiano. Leur
fuite avait été fayorisée :pJlr rU~ excellent ci-
toyen de Cadix, nommé Don José Diaz Im-




112


hrecht, quiavait mis Un hAtiment a Ieur dis-
position; et par le capitaine Don' Rafael Montes,
com'nlandant le:détachement chargéde leur
garde, lequel, par l' effet du' dévouenlent le plus
rare, avait voulúéclairer Iui-menle leur fuite,
et s' exposer , 'avec eux, 3. tout-es les chances de
danger qu'elle présentait.Débarqriés ~ a une
heure ap'r{~s minuit, dans la haie de" Santa-
Catalina; sans savoir si la garnison de la' ville,
était anlie ou ennemie, la nécessité de prendre
uriparti les' avait décidés a marcher ,en avant,
quel que fut le péril aUaché 3. cette dé termina-
ti~i1. Le premier poste avancé qu'ils r'encon-
trerent éclaircit'leurs doutes, etmit un terme
a leurs cruelles incertitudes; '3. :peine eurent-ils
appris l'arrivée de' Riego, suivi de ses fideles
bataillons, qu'ils' volerent a son logemen t. -


Nous tenterions inutilement de pe~ndre ici
l'ivresse qlíi remplit· toutes -les 'Aflles : aU mo-
nlent d'une réunion si peri espérée: au nlilieu
de circonstances si glorieuses pOLIr la patrie:
lorsque tout -présageait que 'son)affranchisse-
meÍitétaitinéviMble;et prochain: el'surla place
méme ou, six: mois; auparavant; une-fatalité
cruelleavait r~n-v-ersé les généreux projets con-
~us pour la sauver. Que de questions aussitot in-
terrompnes que conlmencées ! que de protesta ..




115


tions de réunÍr tous leurs efforts, de tout sa-
crifier pour la liberté! 'On n~ c{!ssait ·de s' em-
brasser que pour s' embrasser encore; des lar-
mes de joie coulaient de tous les yeux ! Pas
un mot; pas un sentiment de vengeance ! L' a-
venir le plus consolant s'offrait a tOI1S les re-
gards'; il n'y avait, dans toutes les ames, de
place que pour le bonheur, pour l' espérallce ,
pour la patrie!


Au point du jour, les San-Miguel et Don Ra-
mon de Labra furent réinstallés dans leurs
emplois. A dix'heures, la division se réunit au
camp de la Vittoria; la, de solennelles actions
de graces et les vreux les plus arden s pour l'in-
dép,endance '. la ~iberté et la prospérité d,e rEs-
pagne, furent adressés au Tout-Puissant, dont
le nom, prostitué jusque - Ja par des ministres
sanguinaires et de sacriléges inquisi.teurs a
tous ¡es exd~s de la tyrannie et de la supersti-
tion, n'était invoqué maintenant que par dei
hommes libres.


A la suite de cet acte religieux , le Comman-
dant général se rendit a l'hotel de vil1e, ou
l' on procéda a l' élection provisoire et au ser-
nlent des alcades constitutionnels .. Un peuple
immense, pénétré de respect, et constamment


8




114


uni a'- tous les sentimens de l' armée , assistait a
cet imposant spectacle.


A quatre heures de I'apres-midi, la division
se mil en marche pour se rendre a San-Fernan-
do; mais la pluie, qui tombait par torrens,
obligea la plus grandepartie des officiers et des
soldats a s'arrcter a Puerto-Reale, pour y passer
la nuit. Néannloins, Riego, suivi de son état
nlajor, et toujours aeeompagné des généraux
prisonniers , poursuivit sa route jusqu'a San-
Fernando.
, Le 7 au matin, le reste de la di vis ion , qui
n'avait point été inquiété par le feu de la
Caracea, arriva, par petits détaehemens, a
l'i1e de Léon , apres avoir perdu toutefois
pendant la nuít, par la désertion , un nombre
assez considérable de soldats, dont la plupart
appartenaient au corps des Guides.


Les hataillons rassemblés sur la place de la
ville de San-Fernando, et qui manifestaient
tous ]a joie la plus vive et le patriotisme ]e plus
ardent, étaient au nombre de sept: 10. les
Asturies; ,20. Séville; 5°. Esp;¡gne;4°. la Cou-
ronne; 5°. second d' Aragon; 6°. Guides;
7°. le bata ilIon 'du dépót, qui, s'étant enlin
décidé a se' réunir aux premiers ,. avait
~ris le llom de 17 étérans N ationaux. CeUe pe-




115


tite armé e n'avait ni caválerie, ni artillerie.
Daos la nuit du 7, les principaux chefs de


l'insurrection se réunirent chez' Quiroga, pour
régler défioitivement le-plan d'apres lequel on'
devait agir, el organiser l'état ~ajor- général.
D. Antonio Quiroga fut, de nouveau, reconnu
pour général en chef; D. Rafael del Hiego fut
élu commandant généraldes troupes existantes,'
qui delraient former la prenliere division ; lais-
san! pour la seconde les hataillons , déja com-
promis, qu'on attendait d'un moment a l'autre.
Le colonel D. Felipe de Arco-Aguero fut nomnlé
chef de l'état major général, et le comnlan-
dant en seconddu bataillon des Asturies, D. Éva-
rista San~Miguel, second chef de l'état major.
Le corpmandant en second de Soria, D. Fer-
nando de Miranda, fut maintenu dans le grade
de chef d'état majar de la premiere divIsion ,
sous les ordres de Riego.


Des sept bataillons ou premie re division, se
fOrnlerent deux brigades; la premiere, com-
posée des hataillons des Asturies, de la Cou-
ronne, des Guides et des Vétéran~ Nationaux,
ayant pourchef D. Santos San-Miguel, pre-
mier commandant des Asturies, et, pour chef
d'état major le lieutenant d'artillerie D. Ma-
nuel Bustillos; la seconde, composée des ha·




116


taillons" d~ :Séville, Espagne et Aragon, com-
mandée par le lieutenant colonel D. Geronimo
Valle, lequel re~ut pour chef de son état major
le capitaine D. Andrez Bazan.


Il devenait indispensable de remplir les pla-
ces vacantes dans les hataillons ; surtout ce Hes
des com:mandans. On y parvint de la maniere
s~ivante ; Dans le hataillon ,des Asturies, D.
Santos San-Miguel, qui conserva" le comman ..
dement particulier de ce hatailIon, quoique
élu comman«lant de la brigade, et D. A~selmo
Inunigarro"; dan s celui de Séville, D. Antonio
l\luniz et D. Fran~ois Osorio; daos celui d'Es-
pagne,D. Fernando Argaiz et D. Manuel Fon-
freda; daos celui de la Couronne, D. José
Rodrigues Vera et D. Mariano Chaves; dans
oclui d'Aragon, D. Lorenzo Garcia etD. Fran-
cisco Sabater; dans ~eluidesGuides, D. Ramon
Labra et D. Roque de Arismendi; enfin, dans
les Vétérans Nationaux, D. Francisco Valdes el
et D. Pahlo Vives.


Le 8, on promulgua solennellement la Con-
stitution; et une lettreadressée au roi, en
forme de map.ifeste, sous la date du 7 janvier
1820, contenant les motiísqui avaient fait
prendre "a r armée la généreuse résolution de ne
déposer les armes qu' apres avoir obtenu le réta·




117


blissement du code politique solennellement
juré, sept' ans auparavant, par la nation, fut
rendue publique. eette lettre, signée du général
en chef Quiroga , est également remárquable
par son énergie, sa dignité, sa m9dération, et
l'exeellenee des príncipes qu'elle proclame (i).


Ces premiérs soins remplis, on nomnla les
autorités constituées; et, eonformément a la
loi, on établit ]a pierre eonstitutionnelle sur
la place publique. Des le matin, les rUes étaieilt
. remplies d' un peuple i~mense. L' espéranee et le
bonheur brillaient sur tous les visages ; eitoyens
el militaires,tous étaient eonfondus; tous s'ap-
plaudissaient également de voir renaitre les
jours degloire de l'Espagne., et contemplarent
avec ravissemént,le speetacle augnste el con-
solant qui leur en promettait le retour~


Peu de jours apres parut la déclaration de
r Ar~ée (2); . eette pieee acheva de faire
connaitre a I'Espagne combien les intentions
des ehefs de eette armée étaient étrangeres a
toute anlbition personnelle. Deslors, tous les
vreux, jusqQe la ineertains ~et divisés, se
réunirent'en'sa faveur, et elle devint l'objét


(1) Voyez pieces justíficatives.
(2) Voyez p¡¿~ces justificatives.




118


de toutes les espérances et de toutes les con-
versations, a l'instant meme ou le gouver-
nement, par une suite de l'absurde systeme de
condtiite qu'il avait embrassé, s' ohstinait a gar-
der le silence le pl12s profond sur les grands
événemens quioccupaient alors tous les esprits.


On a déjaremarqué que la situatioli de la
ville de San-Fernando, sans ctre une position
militaire de premier ordre, suffisait cependant
pour mett-re les troupes nationales a }'ahrid'un
.coupde main~ El~e avait, en outre, l'avantage de
procurer tous les vivres et 10utes les munitions
nécessaires ,; enfin , on pouvait y instruire conl-
modément les recruesqui arri vaient de toutes
parts. On -observait aussi, avecnne vive satis-
faction, que lecaractere moral des- soldats se
forti6ait par l'esperance de voir bientot Cadix
ouvrir ses portes a l'arnlée nationale.


Toutefois ,-lesobstacles ljui s' opposaient a cet
heureux évériement semblaient devenir tous les
jours plus difficiles a surmonter. Le gouver-
neur- de la 'ville ét le général Campana, dont le
nom est devenu a jamais execrable depuis les
massacres du 9 mars 1820 ~ redpublaient de
vigilance et de rigueur. La garde urbaine sem-
blait faire cause commune avec les agens de la
tyrannie; et le corps de la nlarine, qui, certes,




119


n'avait auenn Motif d'aimer le systeme oppres-
sif qui le ruinait, se montrait run des plus em-
pressés a le défendre. En peu de temps, la
Cortadura fut eouverte d'homnles et de eanons.
De tous les dépots qui se tfouvai~nt a Cadix ,
ron forma un hataillon. qui prit le nom de
Loyaux de Ferdinand PJI. La poliee multi-
plia ses. agens' el redoubla de surveilhinee ; en
un nlot , tout espoir de succes fut encore une
foisperdu pour les amis de la patrie.


Daos ces conjonctures malheureuses, les
hataillons d'infanterie recurent l'ordre de s'é-


- ~


loigner de la position de l'ile, et I'on apprit
en meme temps que le général D. José O'Don-
nel, capit.aiI)e général d' Algesiras, et frere du
comtedé l',Abisbal ~ vena~t de sortir de cette
vilJe, réunissant a lui le bataillon du Prince,
et publiant contre les troupes de l'insurrec-
tion _ une proclamation véhémente. D'un autre
coté, le général Freyre, qui avait refusé autre-
fois le commandement de l' armée royale, ve-
riait maintenant de l'accepter. Tout prenait
done, a l' égard des défenseurs de la cause na-
tionaJ~, un aspect hostile et mena~aht. Cir-
conscrite dans 'l'étroite enceÍnte' de l'ile de
Léon, la révolution restait stationnaire. Il était
d'autant plui a craindre que, trompés daos




120


respérance qui Ieur avait été si souvent donnée
de voir le mouvement insurrectionnel ~'éten­
dre rapidement sur tous les points de la pénÍn ...
sule, les soldats ne perdissent courage et n'a-
handonnassent les drapeaux de la liberté, que
les proclamations, publiées a Cadix, leur pro-
rnettaient le pardo n , en Ieur présentant leurs
chefs comme des factieux. A ces justes motifs
d'alarnle, s'en réunissaient d1autres qui n'étaient
pas moins fondés; les soldats avaÍent éprouvé
de grandes fatigues; presque toutes leurs
marches s~étaient exécutées pendant des pluies
con ti n uelles, et sur des routes presque im-
praticables; les casernes étaient incommo-
des et en fort mauvais état.Néanmoins, loin
qu' aucune de cescraintes se réalisat, jamais
les soldats n'avaient paru plus résignés, plus
fermes dans leurs résolutÍons, plus dévoués a
leurs chefs, plus inébranlahles dans la volonté
d.e sacrifier leurs jours au triomphe de la li-
berté, a la gloire et au bonheur de la patrie.


Lé 9 au soir , ou re~ut la nouvelle que l' esca-
dron et la hrigade d'artillerÍe, avec le hataiUon
léger 'des) Callaries, venaÍent de Fuentes et a'os-
suna, dans le dessein de se joindre a l'armée
nationale. Le g~néral en chef Quiroga décida
que le commandant général Riego ferait une




121


sortie, dans le but de protéger Ieur entrée a
San-Fernando: ce qui fut exécuté a la pointe
du jour du 10, avec une colonne de 1200 hom-
mes, conlposée du hatailIon de la Couronne,
tout entier, et de di verses compagnies des As-
turies, de Séville et d' Aragon. "A la nouvelle
de la marche de Riego sur Puerto Santa-Maria,
la cavalerie qui se trouvait dan s la vilIe prit la


. fuite , et fut poursuivie par les tirailleurs, fort
au dela du Palmar, apres l'échange de quelques
coups de fusil. Sur le pont de Santi-Pétri , un
intrépide chasseur du bata ilIon de Séville,
nommé Navarro, d'un patriotisme et d'un cou-


o rage également exaltés, s' étant présen té a l' en-
nemi en qualité de parlementaire, en fut tres-
tnaltraité; cet ~cte de dévouement fut récoln-
pensé par le grade de sergeut.


L'enthousiasme que manifesterent les habi-
tan s de Puerto Santa-Maria, délivrés de leurs
premieres terreurs, est impossible a concevoir.
lIs s'abandonnaient a une joiequi tenait du dé.
lire, et se précipitaient sur Riego, poul' lui ar-
racher des mains les proclamations qu'il dis-
tribuait. Lui-meme leur parlait avec une vive
énlotiori, et ses discours étaient écoutés avec
un puissant intéret. De toutes parts on n'en-
tendait que des V<Eux pour que l'Espagne, tont




122


en~iere, se décidAt pour la cause de la patrie.
Le commandant général, apres avoir joui


avec délices d'une scene aussi touchante, or-
donna que des rafraichissemens fússent distri-
hués aux tronpes, et disposa sa retraite sur
Puerto-Réale, sans que l'ennemi parut vouloir
y apporter aucun obstacle.


Le 12 janvier, la Constitution fut promulguée
a Puerto Santa-J\laria; et dans la me me nuit,
le général Quiroga· translnit aucommandant
Riego l' órdre de marchersur Medina et Alcala,
ou le commandant général du camp de San ...
Roque, dont il a été déjfi question, se trouvait
alors avec quelque cavalerie, distrihuant des
libeUes et des proclanlationscontre les troupes
armées POUl- la liberté. Riego partit des le len-
demain matin, aux cris de joie et aux applau ..
dissemens des habitans, qui, nlclés dans les
rangs des soldats, Coufolldaient avec eux leurs
vamx, leurs transports et leurs acclamations.


Arrivé a Medina, toutes les autorités civiles
et militaires S'enlpreSSerent de préparer des
logemens a leurs libérateurs; et, en peu d'in- .
stans, deux couvens furent disposés pour rece-
voir les officiers et la troupe.


Forcé de séjou.rner a Medina le 14, par les
pluies abondantes qui avaient rendu impossi-




120


ble le passage des ruisseaux, et dégradé les rou-
tes, Riego avait donné, a minuit, l'ordre a son
aide de camp D. Baltazar Valcarcel, de se
diriger, avec les compagnies de grenadiers et
la 5e • des Asturies, sur Vejer, ou se trouvait le
bataillon d'AmériqueJ pour y remettre au com-
mandant de ce corps , une lettre par laquelle iI
l'engágeait a se joindre a la colonne; mais un
ordre du général en chef, re~u a sept heures
du mati n, changea les projets du commandant
général, lequel ordonna sur le champ a Val-
carcel de contremander les dispositions déja
faÍtes, et de se dirigersur San-Fernando. VoicÍ
les luotifs de l' ordre de Quiroga :


L' escadron d' artillerie et le bataillon léger
de~ Canaries,qui, ainsi qu'onl'a vu plus harii,


. venaient se réunir aux troupes de rile, avaient
fait leur entrée, le 10, a San-Fernando, sept
he~res apres que le général Riego était sorti de
ceHe ville. L'arrivée de ces corps qui, quoique
exténués de fatigue et diminués par les déser-
tions, témoignaient un dévouement sincere
et donnaient l'espoir de nouveIles acquisitions,
excita des transpórts de joie. L'escadron d'ar-
tille ríe était réduit a environ cent hommes a
cheval, san s pieces, mais il avait a sa tete son
digne commandant Lopes Bagnos, qui répon-




124
daÍl de sa bravoure et de sa résolution. Le
bataillon des Canaries, fort d'un peu plus de
cent vingt hommes, était sous les ordres de son
commandant en second D. Francisco Bermudo.
Le plus grand nombre des officiers de la brigade
a pied, avec le reste de la troupe, entrerent
aussi le meme jout dans la ville.


Le général en chef Quiroga, et la plupart des
officiers des troupes nationales, connaissant
bien tous les dangers de Ieur situation, dési-
raient vivement que la marche des affaires prit
un caractcre plus décidé. Les nouvelles qui
arrivaient de l'armée royale étaient de nature
a inspirer les plus justes alarmes. On apprenait
que les préparatifs de défense y redoublaient de .
jour en jour;. et quoique les dispositions des
troupes nationales parllssent de plus en plus fa-
vorables au succes de la cause, les Chefs ,qui
ne se faisaient aucune illusion sur l'instabilité
naturelle des affections ·humaines et qui
n'ignoraient pas combien cette instabilité
est plus a craindre parnli les soldats, dont les
plus généreux sentimens peuvEmt etre si faci,le-
ment égarés, ne voyaient pas sans inquiétude
q~'il se passait peu ~e jours ou ron ne trouvat
affiché sur les murs de la ville, quelque exem-
plaire des proclamations pedides répandues




I25


avec profusion par les généraux de Cadix. Peu
satisfaits de l' emploi des moyens politiques e~
nlilitaires, le ministere et les agens de la tyran-
nie résolurent d' essayer l'usage des armes spiri-
tuelles; et, sans examiner jusqu'~ quel point ils
allaient avilir le caraetere épiscopal, en le ren-
dant l'instrument des viles intrigues qu'ils
prétendaient opposer a l'aeeomplissement du
vc.eu le plus cher de l'Espagne, ils réussirent a
déterminer l'éveque de Cadix a publier, eontre
l' armée nationale et ses nobles desseins, une
pastorale renlplie de sophismes, d'injures, de
mensonges, et tout-a-fait indigne d'un mi-


. nistre des autels.
Cependant la néeessité de se rendre maitre


de la Caraeea· avait été reeonnue par les chefs
del'armée nationale. Il était évident que tant
que eette forte position resterait au· pou-
voir de l'ennemi, le Hane de l'armée serait a
déeouvert, et que toute eonlmunieation serait
impossihle entre Puerto-Réale et San-Fernando.
Le général Quiroga et les autres chefs, membres
de la junte militaire (1), déeiderent en consé-


(1) eette junte était ainsi composée : Le général en
chef Quiroga; le commandant gé~éral Riego; les chefs
O'Daly, Arco-Aguero , Lopez-Bagitos, et D. Évarista
San-Miguel; ce dernier remplissan't aussi Jes fonctions




1.26


quence, une attaque de nuit sur la Caracca, dont
on ne pouvait espérer de s'e~parer que par un
mouvemen t rapide et imprévu. Le lieutenant de
frégate D. Francisco Guiral, second adjudant
nlajor de l'armée nationale, homnle actif, la-
borieux , infatigable, re~ut l' ordre de disposer
les chalonpes, et de faire tous les préparatifs
nécessaires ponr cette expédition, qui devait
partir du pont de Suazo.


Le 12, a nenf heures du soir, 1'0n rassembla
secretenlent, au quartier de Pabellones, 400
homlnes, pris dans les bataillons ~es Guides,
des Asturies et d'Aragon. On jugea ce petit
nombre suffisant pour assurer le succes de l'en-
treprise, et on leur donna pour chefle premier
commandant d'Aragon, D. Lorenzo Garcia.
lIs cornmencerent a défiler a dix' heures, dans
unprofond silence, et arriverent au pont de
Suazo, OU les attendait le géneral Quirog~. Ce-
lui-ci, apres les avoir harangnés quelques
instans, leur 6t donner de l' eau-de-vie; a
onze heures du soir, ils s'enlharqne~en~~ur les
chaloupes préparées a· cet effet, et se dirige-
rent vers la Caracca. CeUe entreprise était


de secrétairc. Quelqu~s jours apres, un gralld nombre
de citoyens , choi~..is parmi les habitans de la ville et ceux
qui arrivaient de Gibraltar, en furent éJus mew.bres.




127
aussi importante que difficile; mais un seul
hasard heureuJ( et l'obscurité de la nuit pou ..
vaient en assurer le sued~s. L'lirl et l'autre se
réunirent en faven!' de la petite artnée , et les
Vétérans arrjverttnt a la Caracca,. sans avoir été
aper«;us des batteries qui les auraient facilenlent
exiermÍnés. Cependant un seul canolluier les
ayanf distingués dans l'obscurité, poussa des cris
qui répandirent bientot l'aJarme. Les troupes
de l'int(:ri·.cur se rassemblerent aussitot pour se
{ornler, mais avec une confusion et un désordre
faciles a inlagiller. Le brave capi taine COlnbé,
qui cOlnm~ndait les gJ'elladiers des Guides, pro-


. Jita a vec intrépidité de ce moment de tumulte,
pour s'avancer le sabre a la ulain. Suivi des
siens , ilvole, il se précipite dans le forf, em-
brasse l'officier qUÍ mettait ses soldats enbataille,
et, en queJques instans, quatre cents honlmes
se rendent maitres de l'arsenal de la Caracca.


le général en chef et ceux des officiers supé-
rieurs qu'on avait mis dans le secJ'ct de l'expé-
dition, et qui étaient demeurés a San-Fernando,
attendaient avec une vive inquiétude le résultat
de l'attaque. Sept coups de canon étaiellt, le
signa] qui devait en apprendre )e succes. Une
heure et demie apres le départ de la petite
division, des cris de joie se font entendr~, et




128


annoncent que le fort es! rendu. Une demi-
heure s' écoule encore, et sept coups de canon
viennent confirmer cette heureuse nouvelle.
Par cette couquete, la garnison de la Caracca,
composée de quatre cents hommes, dont cent
vingt du bataillon de Soria; me,me nonlbre
a peu pres du régiment de Valen~ay; le reste
du corps des Loyaux qu' on venait de former a
Cadix; le vaisseau de )a marine royale le San-
Juliano, de 74; quelques chaloupes canonnieres
et quatre cents hornmes qui les montaient,
tomberent au pouvoir de l'armée nationale.-Le
lendemain 15, ces troupes furent transportées
a l'i1e de Léon. Le hataillon d'Espagne fut dé-
signé pour former la garnison de la Caracca.


Le succes dont venait d'etre couronnée
cette attaque hardie, acheva de convaincre
qu'il fallait imposer a l' ennemi par beaucoup
d'audace. Les chefs de la junte résolurent done
de ten ter sur la Cortadura une attaque de nuit,
par surprise, et tout-a-fait senlhlable a ceHe qui
venait de nlettre Caracca au pouvoir des sol-
dats de la liberté. Toutefois, cette seconde en·
treprise leur parut trop grave pour rien décider
avant l'arrivée du commandant général Riego,
qui, ainsi qu'on l'a déja vn, venait d'etre rap-
pelé par le général Quiroga, et revenait de




1.29


'San-Fernando ,avec ses troupes; car lui seul
était jugé capable d'exécuter un projet de cette
irnportance.


Ce commandant re~l1t done, en conséqllence,
dugénéralen chef, l'ordre de se diriger sur
l'ile, ou il arri va dans la Duit du 14, a pres úne
marche pénible sur des routes détrempées par
la pluie qui neeessait de tomher depuis dix-
huit jours, eta travers des ruisseaux telle-
roent grossis, que les soldats avaient de
l'eau jusqu'au genou. Les souliers de la plu-
part de ces braves étaient restés dans la
boue; enfin, vaincue par la fatigue, mais
jamais par l'ennemi, eette ,petite troupe était
maintenant hors .de service. Les compagnies
conduites par Valcarcel, apres avoir eu a
eomhattre, outre les rigueurs et les incom-
modités de la saison, quelques partis d'in-
fanterie et de cavalerie qui s'étaient mis a
Ieur poursuite, n~entrerent dans ]a ville que
le lendemain. Une circonstance particuliere
fera connaitre l' esprit qui animait les officiers
de l'arrtlée nationale.


Le lieutenant de grenadiers des Asturies,
Don Antonio Den, apres avoir prodigué toutes
les expressions du plus profond mépris, au
commandant de la cavalerie ennemie, lui


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130


porta un défi personnel, que ce ~ernier n'ac-
cepta pas.


L'attaque de la Cortadura devait avoir lieu
le 15, a troÍs heures du nlatin, et s'effectuer
par trois colonnes; l'une devait se por ter du
coté de la chaussée, et les deux autres du coté
de la plage. Tous les préparatifs étaient faits ,
lorsq~le le conlnlandant général Riego re<;ut
l' ordre de se ulettre en marche a la meme
hellre, avec ses troupes, pour servir de réserve
a ceHes qui étaient destinées a l'attaque. En
effet, iI partit, et apr(~s avoir passé le Péage,
il fut invité par le chef d' état ulajor qui venait
au -devan t de 1 ui, a se rendre a Torre-Gorda,
petite forteresse située sur la plage, ou les co-
Jonnes se mettaient en bataille. La, apres les
avoir haranguées, illes. 6t partir, et, nlarchant
a leur tete, les dirigea sur la Cortadura. Jus-
que-la tout prolnettait le succes le plus heu-
reux ; ulais plusieurs circonstances contrihue-
rent a faire échouer l'entreprise.D'ahord le mou-
vement des colonnes fut trop retardé; les échel·
les longues et pesantes embarrassaient la mar-
che; les guides des colonnes, qui ne connais-
saient pas le terrain et ne savaient de quel
coté de la Cort~dura devait se faire l'escalade ,
donnerent de fausses directions, et ajouterent




151


encore au désordre; ~nfin, pour combIe de
malheur, Riego, entrainé par son inlpétuosité
naturelle, et voulant descendre sur la plage,
tonlba du mur qui la sépare de la chaussée.
L'élévation était d'environ vingt. pieds, mais
heureusement le fond était de sable, et cette
circonstance lui sauva la :vie. S'étant relevé, il
chercha vainement une issue; ayant appelé
du secours, les soIdats des Astllríes luí présen-
terent une échelIe au moyen de laquelle iI re-
lllonta sur la chaussée.Il ordonna aIors aux co-
lonnes de se diriger sur la gauche; et s'étant un
peu avancé, iI rencontra le conlmandant D.
Francisco Osorio, avec 80 tirailleurs. Les indica-
tions de ce brav;e officier lui ayant fait concevoir
la difficulté d'une pareille opération, surtout
a vec des soldats non accoutumés a ce seryice ,
et voyant d'ailleurs approcher le jour, il or-
donna la retraite, comptant sur l'approbation
du Général en chef, qui la lui donna en effet.


L'agitation de la marche, et la préoccupation
de son esprit a l'instant de sa chute, n'avaient
pas pernlis a Riego d'en bien juger les consé-
quences. Ce ne fut qn'au retour, et en rentrant
dans son logenlent, qu'il put en reconnaitre
la gravité. Obligé de se nlettre au lit, une forte
enflure, accompagnée de vives douleurs, se nla-




152


nifesta a une jambe; nlais les secours de l'art
furent administrés si a propos et avec tant d'ha-
hileté, que, des le cinquienle jour, tous les
symptollles avaient disparu, et qu'il était rendu
a ses exercices ordinaires.


Le nlauvais succes de la tentative faite sur
la Cortadura, loin de décourager les esprits,
ne fit que les enflammer davantage : un revers
dont le hasard ,était la seule cause, et auquel
l'ennemi n'avait eu aucune part, ne paraissait
pas en etre un. L'armée de San-Fernando ne
fit done que sentir, de plus en plus, la néces-
sité de s' elllparer d'une position aussi essen-
tielle; et, pour y réussir, tous les sacrifices
lui senlhlaient faciles. D'ailleurs, ce n'était que
par cette conquete qu'on pouvait espérer d'ar-
borer l'étendard national sur les murs de Cadix;
et iI n'y avait rien dont I'armée ne se sentit
capable poul' atteindre un résultat qui, dans
les conjonctures ou se trouvait alors l'Espagne,
décidait véritahlement du sort de la guerre.


l'exécution de ce beau plan était done le
constant objet des pensées de Quiroga, de
niego, et des autl'es chefs; on s' en occupait
san s cesse, et on ne négligeait aucun des
nloy~ns qui pouvaient en assurer le succes.
E~pions, négociations, tont était mis en




135
t:euvre. Le second adjudant d'état nlajor, Don
Fran~ois Guiral, qui cOlnlnandait le vaisseau
le San-Juliano, employait tous ses soins a
meUre ce vaisseau en état de servir. n était
décidé que, pendant que la Cortadura serait
attaquée par la droite et par le centre, le San-
Juliano et les chaloupes canonnieres feraient
{eu sur le flanc gauche. C'était un spectacle non·
veau, et que le seul a1110Ur de la patrie pouvait
offrir, que celui de ces chaloupes canonnieres
montées par des officiers d'artillerie, tous
étrangers a ce service, lnais qui, par un
dévouernent et une intrépidité san s exenlple,
conservaient a celles-ci un constant avantage
dans toutes les affaires qui avaient lieu entre
elles et les canonnieres e~nemies. Malgré tant
de motif s d'espérer les plus favorables résuItats
d'une Qttaque, tentée sur une position si faihle
et toutefois si nácessaire, l'agitation continuelle
de la mer dans cette baie, rendant impossible ,
a cette époque de l'hiver, la coopération de la
marine, for<;a d'ajourner a un autre temps
l'exécution d'un projet auquel était aUachée
l'occupation de Cadix.


Dans cet intervalle, on s'occupa avec plus de
soin de l' organisation intérieure de l'arnlée ti
de l'établissenlent de la discipline. On h'avail-




154
Jait a former l'éducation physique et morale
des soldats; on éclairait les citoyens de la ville
sur leurs plus chers intérets; on les invitait a
s'arnler poul' les défendre ; OU 6t adopter par
l'arn1ée la cocarde rouge et verte. Souvent on
convoquait la 111ilice pour célébrer des fetes
religieuses et patriotiques; on expédiait sans
cesse des proclamations et des 111anifestes a la
nation, au reste de l'armée, au peuple de
Cadix, aux grenadicrs provinciaux campés en
face de l'armée nationale; en un n10t, ríen
n'était oublié de ce qui pouvait enflamnlel'-les
espri ts, et les porter a des actions grandes et
gélléreuses.


Un travail de la plus haute importance
occupait alors toutes les pensées du Général
en chef; c'était de ll1ettre les diverses posi-
tions de rile hors d'attaque et de surprise.
Ce travail présentait des difficultés d'autant
plus grandes, qu'il s'agissait de couvrÍr et de
déteudre une enceinte spacieuse avec une force
effective de 5100 hOlnmes, dont il fallait dé-
duire les lnalades, les soldats employés dans
des cOll1missions particulieres, et cette partie
de troupes qui, quoique prononcée pour la
cause de la liberté, ne pouvait cependant pas
etre eUlployée, sans jlllprude~lce, dans les




155
avant - postes. Le bataillon de Soria et les
Loyaux, faits prisonniers a la Carracca, déser-
taient peu a peu; enfin, soldafs et officiers,
tous disparurent dalls les postes avancés du
camp de Soto.


Le 21 janvier, sur quelques avis re~us de
Cadix, Riego se disposait a s~enlbarquer, de
nuit, a Gallinéras, avec quatre cents hOnl111eS
cholsis, portant avec eux des échelIes, et tont
ce qui était nécessaire pour tenter une escalade
sur Cadix; déja il sedirigeaít du coté du bastion
des Martyrs. Un espíon portugais, quí entrete-
nait des intelligences dans la place, s'était pro-
posé pour conduire cette peti te expédition,
lorsqu'on fut instruit a~ canlp, par les fideles
habitans de Cadix qui a vaient constanlnlent l' reil
ouvert sur les nlouvelnens de l'intérieur, que
toute entreprise tentée pendant ceHe nuit, sur
ce _point, échouerait nécessairement, parce
que, dans la cl'ainte d'un coup de nlain, une
garde tr(~s-forte venait d'etre placée dans toutes
les positions voisines des 1\'lartyrs. eette cir-
constance indiquait assez combien les chefs de-
vaient etre en garde contre les rapports qui
arrivaÍent au canlp; ces rapports étant, pour
la plllpart, évidenlnlcnt comnlandés et soldés
par les Génér311x de Cadix J lesqueIs entl'cte-




156
naient au milieu de l' armée nationale, des es.·
pions et des agens, dont l'unique soin était
d'avertir l'ennemi de ses dispositions, afin de
les faire a vorter.


Sur ces entrefaites, le colonel D. Nicolas
Santiago y Rotalde, qui était alors a Cadix,
informa secretement le Général en chef et la
Junte, ( qu'il était sur le point d'exciter, dans
la jqurnée dU24, a la tete des matelots catalans
et des contrehandiers, une insurrection dans la
ville; nlais que le hruit ayant été répandu que
les troupes nationales effr~yé~s s'étaientrenfer-
mées dans San-Fernando, iI convenait de se
porter contre Puerto Santa-Maria, afin d'inti-
l1~ider l'ennemi par l'audace ~e cette agression
~ laquelle il était loin de s'aUendre. ) On décida
done, pour donner au colonel Santiago les
1110yens d'exécuter son projet, que Riego se
mettrait a la tete d'une colonne de 900 hommes,
choisis dans les Asturies, la Couronne, les Guides
el les Canaries, conduisant avec elle un ohu-
sier, et qu'il partirait le 24, a une heure du
matio, afin de faire coincider ainsi l'attaque
de Puerto avec l'insurrection projetée.


Les enn.enlis occupaient eette ville avec une
rorce de cavalerie tres-supérieure en nombre a
toute l'infanterÍe de l'arnlée nationale. Arrivé~




157
au pont de bateaux de San-Pedro, celle-ci le
trouva coupé; l' officier de cavalerie ennenlie
qui commandait un détachement sur la rive
opposée, ahandonna son poste, sans vouloir,
toutefois, écouter les propositi~ns que lui fai-
saient les soldats de la liberté, pour l'engager
a se réunir 3. eux. Le C0111111andant général
s'occupait de rétablir le pont; 111ais a peine
commen~ait-il a exciter les soldats, que trois
d'entreeux, du hataillon des Asturies et de celui
des Guides, sans songer a la rigueur du froid,
qui était alors tres-vif, se précipiterent dans
l' eau, a la vue des ennemis, et rarnenerent vers
leurs bataillons une petite barque et la grande
barque du pont, que l' ennemi en avait séparée.
Alors la colonne effectua son passage, et pour-
suivit vivement la eavalerie ennemie, qui prit
la fuite avec une telle précipitation, qn'elle
n'e.ut pas nlenle le temps d'emmener avec elle
la barque du pont de San-Alexandro, égale-
ment construit en bateanx. Ce dernier pont
ayant été rétabli par les hahitans, qui., malgré
les violentes menaces que leur adressaient les
dragons, accouraient ponr preter secours aux
Asturies et aux Guides, la eolonne entra dans
la ville, au milieu des dénlonstrations de joic
fJt des applaudissemens du peuple.




158
Cependant l' el1nemi, dont toute la force se


conlposait de eavalerie, ayant re<;u des ren-
forts de eeHe arnle et quatre pieces d'artillerie,
retourna a Puerto San!a-.Maria.Le ehasseur
l\tlanuel de Castro, donlestique du e0111nlandant
général, qui s'était avancé a une distance de
.200 pas, arfl3ta luí seu 1, pendant plus de dix
minutes, dix cav3.1iers j et les pl'cnlieres halles de
eeHe cavalerie, don t la v aleur et l'adresse étaient
si renommées, passerent sur sa tete et sur ceBe
de Riego. Enfin, l' cnnenlÍ se décida a faire une
charge. Lacompagnie de chass,eurs des Asturi'es,
qui gardait la barriere de la Vittoria, COnl-
ITlen<;a le feu ave e une telle vivacité, qu'eIle
r ohligea de se retirer, apres lui avoir blessé
quatre hommes. Le eOffiluandant des Canaries,
avcc une partie de son bataillon, soutenait les
chasseurs, observant en 111eme telups les eo-
lonnes de cavalerie qui se portaient sur la ville ,
par le flanc gauche des bafaillons nationaux.


Le conlmandant général qui voyait lehut de
sa 1111ssion parfaitenlent rempli, et qui croyait
ayoir laissé au colonel Santiago tout le tenlps
nécessaire pour effectuer l'insurrection qu'il de-
val t opérer dans Cadix , donna le signal de la
retl'aitc, et la' 6t exécuter avec le plus grand
onlrc. Aussitót qu'il eut passé le pont, il le




159
coupa, ainsi que l'avait faitJ'ennemi. A peine
eut-on fait quelques pas, qu'on vit plusieurs
houlets de canon passer sur la colonne, mais
sans y causer aueun dommage. Les V étérans
Nationaux, réunis avee lacompagnie de chas-
seurs de la Couronne qui couvraient le pont de
San-Pedro, et avec 500 hommes qui pro té-
geaient la re traite de Puerto-Reale, ou ils se
trouvaient daos le dessein de faire des vivres,
retournerent, le 24, a San-Fernando, ou ils
arriverent a huit heures du soir, saos avoir
éprollvé le moindre échee, et avec l'heureuse
conviction et la confiance intinle qu'ils pou-
vaient désormais se nlesurer avee avantage, en
pleine campagne, avec les troupes royales.


Le jour suivant, 25, on fut instruit a San-
Fernando, du triste résuItat du mouvement
excité a Cadix par le colonel Santiago y Rotalde;
de ~a fuite jet de l'arrestation de plusieurs offi-
ciers impliqués dans la meme affaire.


La défense de Cadix avait pris, depuis quel-
que temps, un caractere defermeté qu'elle
n'avait pas eu jusque-la, carIes oppresseurs de
·l'Espagne reconnaissaient maintenant de quelle
importance il était pour eux de conserver en
leur pouV'oir ce houlevart de leur parti. Les
chefs des corps qui formaient la garnison de
. eette place, craignaient de se comprolnettre;




140
et le hataillon des Guides, qui en faisait partie,
et qui était commandé par l'infame Gabarre ( 1),
ne respirait que haine et vengeance contre les
défenseurs de la liberté.


L'espoir de s'emparer de l'importante posi-
tion de Cadix s'éteignait ainsi de jour en jour
dan s l'armée de San-Fernando. n était impossi-
hle d' en concevoir le dessein a force ouverte, et
une triste expérience dém~ntrait qu'on ne pou-
vait espérer d'etre plus heureux par les intri-
gues ou les négociations.


Cependant l'armée du génél'al Freyre s'o1'-
ganisai t; personne n' osait se prononeer hau-
tement pour la cause de la liberté; et tous les
efforts des meilleurs citoyens se réduisaient a
exciter de temps a autre quelques mouvemens,
afin de paralyser, autant qu'il était en leur
pouvoir, les mesures hostiles dirigées contre
l'armée nationale. Au reste, la situation de
cette armée était vraiment extraordinaire.
Vingt-cinq jours de révolution, pendant les-
quels elle n'avait ni perdu ni gagné un pied de
terrain, étaient un véritable phénomene mi-
litaire et politiqueo Il n'était plus possible de
prolonger le séjour a San-Fernando, sans s'ex-


(1) Cet homme est run de ceux qui dirigerent et exé-
cúlerent les massacres de Cadix, au 10 mars '1820.




141
poser a un blocus qui eut pu produire sur l'ar~
mée les effets les plus funestes. Faire une sortie
générale n'offrait pas de moins grands incon-
véniens ; c' était ahandonner un point d' appui
tres~important, en s'exposant, en campagne dé-
couverte, aux chances de nombreuses déser-
tions, que rendait tres-probables la qualité de
soldats dont se composaient les divisions, ou
l' on comptait un grand nombre de recrues et
d'hommes faibles ou douteux.


Riego présenta un projet d'apres lequel ces
deux inconvéniens perdaient heaucoup de leur
gravité: c'était de faire une sortie avec lescorps
les plus braves et les plus éprouvés, et de laisser
au reste la gardede San-Fernando.Par ce moyen,
les divers points de l'ile ne restaient pas sans
défense, tandis que la colonne mohile, par des
marches rapides et d'heureuses manreuvres,
pou.vait rassembler des vivres : faire circuler
des proclamations et des manifestes: enflam-
mer l'esprit public : achever d'attirer a elle les
corps chancc]ans déja compromis : imposer a
l'ennenli, et lui prouver que ce n'était pas la
frayeur, ainsi que la malveillance se plaisait a
le répandre, qui avait retenu l' armée nationale
renfermée dans ses cantonnemens .


. Ce projet, le mieux con~u que l'on put pré-
senter dans les circonstances difliciles ou I'on se




14:1
trouvait a10rs, futunanimementembrassé. e'est
pour en suivre lesdéveloppemens et lesrésultats,
si funestes a la fois et si gIorieux a ceux qui l' exé-
euterent, mais si importans et si utiles pour la
cause nationale, que nous alIons laisser pen-
dant quelque temps rile de Léon. Cette campa-
gne de Riego, entreprise a travers des forces
ennemies presque toujours fort supérieures aux
siennes, et au milieu de populations accoutu-
mée$ a trembler sous leurs oppresseurs, est trop
remarquable, et par elle·me~e et par ses consé-
quenc~s, pour ne pas .occuper une place par ti-
culiere dans le récit des grands événemens qui
ont décidé de la liberté de I'Espagne, et ne pas
ttxer toute l'attention de l'historien.


Ce fut le 27 janvier 1820, que, en confor-
mité du plan con<;u et présenté par lui-
meme, Riego sortit de San-Fernando ave e
la célebre Colonne dont il avait le commande~
ment, et qui se composait du bataillon des
Asturies; de celui de Séville, moins lacompa-
gnie de grenadiers ; du bataillon des Guides; de
deux compagnies du régiment de Valen<;ay; et
de quarante chevaux; en tont 1500 hoIumes.
JI prit sa direction sur ChicIana, dont iI passa
la barque le n'leme jour, a midi.


Sans s'arreter dansce vil1age, qu'elletraversa
aux cris nlille fois répétés de Vive la Constitu-




145
tion! la Colonne marcha jusqu'a Conil, ou elle
passa la nuit. A son approche, le village avait
été abandonné par les autori tés civiles, et ce
fut la,que, pOUf la premiere füis, on put juger
de l' effroi qu'inspiraient au pe~ple le despo-.
tisnle et l'audace de ses tyraos. En effet, per-
sonne n'ignore que ce. peuple était animé des
sentimens les plus patriotiques; mais la terreur
enchainait ses facultés a un tel point, que ce He
terreur, jointe a l'idée que les troupes natio-
nales n' étaient ni les plus fortes ni les plus
nombreuses, et que dans une luUe aussi
inégale elles devaient nécessairenlent SUCCOlll-
her, conlprimait tous ses nlouvemens, et le
faisait agir contre ses plus che res affections et
les premiers de ses intérets.


Le 28, la Colonne se porta sur Vejer!, 011
elle fjlt re~l1e au earillon de toutes les cloches.
Le 29, la Constitution fut prollluIguée dans ce
villa'ge, et 1'00 Y reeueillit quelques somOles
en effets et en valeurs 11létalJiques; lnais elles
étaient si modiques qu'elles suffisaient a peine
a satisfaire a quelques-uns des plus pressans be-
soins qu' éprouvaient les soldats de la patrie.


'eette situation de sa troupe , et la proximité
ou elle se trouvait de la ville ~'AIgésiras, déter-
minerent Riego a el1trer dal1s eette place. Il




144
était \rra~sémblable qu'en se pronon~ant poul'
la liberté, AIgésiras en deviendrait le second
houlevart, et que l'ón trouverait dan s Gibral-
tar les ressources nécessaires pour subvenir
a tout ce qu'exigeait une aussi vaste entre-
ptise, cornrnencée avec d'aussi faíbles moyens.
La Colonne partit done en effet de Vejer, le 51
de janvier; campa ceUe nuit sur les coteaux
de Arretin';- traversa le jour suivant les apres
eoUines de Ojen; et entra le 1 er. février, a
sept heures du soir, et apres la marche .la
plus pénible, dans les murs d' AIgésiras, ou
elle fllt accueillie avec lt!s plus vives démons-
trations de joie, et par une telle amuence
de peuple, qu'il était permis d'espérerque
toute la ville allait se prononeer 'haute-
ment en faveur de la cause nationale. Toutes
ces espéranees se réduisirent néanrnoins, pen-
dant cette nuit, a d'inutiles cris et a des
vcenx stériles. Le 2, on publia une proclama-
tion, dans l'espoir d'éleetriser le peuple, et des
édits furent affiehés pour le maintien du hon
ordre; ulais tout enthousiasme paraíssait éteinf,
ear, suivant leur pertide couturne, les ennemis
du hien pubJic, habiles a porter leurs coups
dal1s les ténebres, avaient ~OUrdell1ent répandu
ici comnle ailleurs, «( que les défenseurs de la ,




145
liberté étaient en beaucoup plus petit nombre
que leurs ennemis; qu'ils seraient infaillible-
ment vaincus; et que les imprudens qui an-
raient embrassé leur cause seraient sacrifiéso))
Ces menaces, sans cesse répétées,.avaient infIué
a tel point sur les esprits, el la terreur dont elles
avaient frappé les citoyens les plus décidés, était
si profonde, que personne n'osait se déc1arer.


Le gouverneur anglais de Gibraltar, sans in-
structions de son gouvernement, ne se montrait
guere plus enclin a embrasser la cause de la
liberté espagnole. La frégate la Sabine, un
brigantin de guerre, et les troupes stationnées
dans I'Isle Verte ( 1 ), empechaient les commu-
nications de la place avec la Colonne; cepen ..
dant les amis de la liberté, partont unis et
partout alliés, lui envoyerent mine paires de
souliers qUÍ ne luí parvinrent qu'avec d'extre-
mes. difficultés; mais les espérances flatteuses
qu' elle avait fondées sur la coopération de cette
ville, ne tarderent pas a s' évanouir.


Lasituation de la Colonne était critique,
sans doute, mais il était tout-a-fait impossible
qu' elle se retirat alors d' Algésiraso Elle man·


(1) Nom d'une iJe située a un quart de lieue d'AIgé ...
• iras.


10




146
quaitde souliers, de chevaux, et d'argent, etl'on
lle pouvait obtenir toutes ces choses en un jour.
Les retards indispensables pour se les' procurer
étaient done absolument sans renlede ;enfin ,
la patience et le courage trionlpherent de tous
les obstacles, et cesbraves défenseurs de la li-
berté obtinrent, pour eux et pour leuts freres
d'arnles, restés a San-Fernando, presque ,tous
les secours qui leur étaient nécessaires.


Cependant, quoique le généraID.JoséO'Don~
nel approchat rapidement avec ses troupes,
et occupat déja les villages de San~Roquc; de
los-Barrios, et de Tariffa, le calnle profond
que nlontrait la Colonne, d:ms: A Jgés'i ras , lui
imposa ; et, ma]gré la supériorité de ses forces,
surtout en cavalcrie, il H'o:-;.a point l'attaquer.
Tout iüdifIuait·néannloins un engagement pro-
chain. Le gé:néral Riego était décidé a 111archer
sur ~'ennen1i, et déja toutes seS disposition!§
étaient faÍtes pour exécuter ce projet, ]or8-
qu'une lettré du général en chef, qui luí fai~
~ait connaitre ses itnquiétud~s et,luitén1Qignait
le :désirqu'il· vhlt au plus, tot se réunir a IU,Í,
changeá ses résolutións, et le for«;a de renon-
cer a son plan d'attaque. Dans un nloment OU
des intérets , peut-etre plus sacrés et plu~ pres-
sans, réclamaient le concours de Riego, c'eut




147
'eté . sallS doute, de sa' part, une imprudence
inexcu5able que ~ de s' engager ,daos une, action
dont ilétait' in'1possible de prévoir: les'· résul-
tats; ainsi, ayant déja obten u les secouts qu'il
avait soJJicités, il résolut de retQurner irnmé-


diatement a San-Fernando, pa.rVéjer OH JUédi-
na. Le dimancbe 6 février, une messe solen-
neHe:,. a laqueUe assisterent le comolandant
général, les chefi; et officiers de. toute'laColollue,
qui était elle-meme sous les arIllts, fut célebrée
au mÍlieu de la place, ·ou les individus nouvel·
lernent incorporés, qui n'avaient point encore
juréfidélité a .la, constitution ,preterent ce


. serment souS' les drapeaux du~ hataÍllon des
,t\sturies .. A la. súite' de-cette cérérnonie, un
religieux dominicain prononc;a Un sermon ana-
logue a la circonstance; et dans Jequel, .apres
avoir fait sentir tous les avantagesdu réginle
con~titution~el; .iL exhortait avec chaleur les
soldats « a resterinébranlabJementattachés a
une aussi noble entreprise; a braver ponr elle
tous lés dangers et toutes les fatigues; a s'im-
poser ennntous les sacriHces pOOl' demeurer
fideles a des sermens aussi saints. ) .Le recueil-
lement, l'entho'tlsiasme.religieux avec lesque]s
fut écoutéce diseours ,et les: acclamations'
qui le suivirt:nt, prouverent assezque'toute~~




148
Colonne était animée des sentimens vraiment
patriotiques, vraiment religieux que venait
d' exprimer le vertueux ministre de l'Évangile •
. , La Coloolle ;pal'tit le 7 février d'Algésiras,
traversa sans obstacle les collines de Ojeo, et
campa cette nuit pr.es de l'botellerie del Fran-
ces, a l' entré e des plaines de Talhilla •.


Le lendemain 8, acinq heure~(lu ntatin,
elle se renlit en marche et entra dans les plai4
Des dont nous venoos de parler; a six heures ,
on vil descendre uncorps de cavalerie d'une
des collines situées a la· g~uche ·du froot de la
colonne. Les tirailleurs de ce corps échange-
rent quelques coups de fusil avec ceux de l'ar ...
mée nationale, tandis .que ,cjnq autres corps ,
formant ensemble environ8oo chevaux, étaient
aperc;us sur les hauteurs,s'étendant de droite
agauche .. Quoiqu'entourée de cavalerie, etdans
une plaine qui rendait heaucol,lp plus redouta-
bIes les alfaques de ceUe arme, la Colonne ne
fut pas intinlidée un seul instante Le comnlan-
dant général donna l' ordre de faivehalte , et,
avec les trois .hataiUons des Guides-, de Séville
et des Asturies, il forma trois coIonnés serrées,
en '::cheloRs, et disposées a recevoir vigoureu-
sement toute attaque tentée sur elles. Les équi-
pages el les lllunitions furent pIacés sur la




149
droite ,3. la hauteur de la queue du bataillon
de Séville; et les compagnies de chasseurs de
ce bataiUoñ et de celui des Asturies" sous les
ordres du lieutenant colone1 D. Roque de Aris ..
mendi, couvraient l' arriere-garde. Les corn-
pagnies de chasseurs de Va]en~ay et des gui ..
des, cornmandées par le cómmandant D . José
Gurrea,,- étaient en tirailleurs a l'avant-garde.
Ces dispositions faites, ]a Colonne continua· sa
marche avec calme et lenteur. On n' entendait
au milieu d'elIe d'autres 'cris que 'ceux de,
Vive la Constitution, répétés a vec transport dans
lous les rangs : et, suivant l'habitude qu'elle
en avait prise, elle entonna' le ch;tnt patriow
tique'et,:guerrier composé p.our elle a AIgésiras.


Le calme imposant avec ,leqúel la· -Co-
loune se présentait pour la premiere {ois au
combat, et affrontait d'aussi immenses pe ..
rils., étonna\ l' ennemi, qui, fier de sa
supériorité numérique, ne s'aUendait J sans
doute, ni. a tant d'audace, ni a tant de sang'"
fIlOidi Ses· bataillons demeuraient immobiles,
et gardaient un profond silenee'; ses tirail ...
leurs, repoussés par les soldats de la patrie, se
repliaient, tandis que la· Colon:rie, apres avoir
poursuivi tranquillement sa roúte au milieu de
la· plaine, large d' en viron deux ·lieues, arri va




150


au pieddn·cotea'u d'Arretin; se forma en ba-
taiUe, opposant son front a l' ennemi; et,.
apres avoir re~u une legereration d·' eau:..Ie-vie,-
continua sa marche, et fut passer la nuit a
Vejer, sans qu' aacnn obstacle ] ui eut été opposé.


C'était la que Riego: avait résolu de f.lire les
dispositións nécessaires ponr se' porter sur San-
Fernando; mais les avis qu'il re~nt, sur le
nombre de troupes ennemies cantonnées a
ChicJana, a Medina et a Puerto - Reale, le
forcerent de suspendre son mouvement. Les
divérs émissaires envoyés par lui a Quiroga,
ponr infonner ce g'énéral el :s'assn,ereux-
memes, de l'état des choses, ne revenaient
pas ; l'un d'entre eux était tombé, au pouvoir
des ennemis; et ses dépeches lui 'avaient été
enlevées ; des détachemens de cavalerie qui se
trouvaient en vue de Vejer, donnaient, dans
leurs eommunications parlementaires a vec les
soldats de l'armée nationale, les renseigne-
nlens les plus défavorahles SHr l'état des affaires
de cette armée; et quoi qu'¡'l ne fallút ,ajouter
que peu de foi a ces rapports , dont le but ma-
nifeste était de jeter- le découragement 'dans
les esprits, néanmoins Riego n'ignorait' pas
qu'une force de plus de 6000 hornmes était
chargée d' enlpeeh€I' sa réunion ave<;: le reste




151


de l'armée nationale, renfernlée d~ns }'He.La
Colonne demeura trois jours a Vejer, et.,pen-
dant ce temps, elle 6t des requisitions de
chevaux, et parvint a se procurer les fonds
qui lui étaient aIors si nécessaire.s. Le 1 It~ apt'eS
le service divin, qui fut célébré sur- la place.,
le supérieur de la Merey pronon~a un éloquent
discours sur l'utilité des institutions libérales;
etle soir, iI Y eut un banquet militaire auqllel
furent invités un certain nombre de sergens ,
de caporaux et de . soldats; on y exécuta des
airs guerriers; on y chanta des hymnes patrio-
tiques; le commandant général et le corps des
officiers, y servaient atable; et ce spectacle
de la plus douce fraternité, donnait a cette
fete raspect le plus extraórdinaire et .le plus
touchant. La journée se termina par des danses
.Lfsturiennes, ou tous les rangs étaient con-
fo~dus , et qui , en identi6ant en quelque
sorte les soldats avec la cause qu'ils, défefl-
daient, acheverent d' enflarnm-er leurs ames du
plus saint enthousiasme. Pendant les trois nuits-
des 9, 10 et tI février, l'épouse de l' AIcade
donna aux officiers, desbals OU l€s damesde.
Vejer, brillantes de beauté et de patriotisme,
ne contribuerent 'pas faiblement a affermir ces.
j'eunes défenseurs de la liberté dalls la no.hl~




152
résoJution qu'ils avaient prise d'affranchir Ieur
patrieou de périr.


Dans des circonsfances aussi critiques, le
commandant général ne jugeant pas a propos,
de ten ter de se réunir au Général Quiroga, une
Junte de chefs, convoquée par luí, convaincue
des dangers auxquels laColonneétait exposée,
décida qu'elle dev~it rétrograder, dans le des-
sein d'attirer sur elle l'attention de l'ennemi,
de fatiguer sa cavalerie, dans des pays apres
et dénués de reSSQurces; et attendre ensuite
une conjoncture favorable pour effectuer le
projet de réunion avec l'armée de San-Fer-
nando. 'Gimcna de la Frontera fut le point dé ...
signé pour la direction des :forces patriotiques"
etla Colonnese mitenmouvementlel2 février"
versdix heures du matin. Aucun obstacle ne con-
traria 5a marche pendant toute cette j9urnée."
et la nuit, elle campa a une lieue et dernie d&
Alcala de los Gazules, au pied de la collina
del Gualcarro. Le jour suivant elle contiuuait
sa route, lorsque des avis re~us en chemin,
déternlinerent le commandant général ase di-
riger sur la droite, et a passer la nuit dans le
viUage de Los-Barrios, d' 011 il se rendít a San-
Roque dans la journée du, 14.
t COJ}1me le principal objetdelamissionde.Rieg-O




155
était de s' appuyer sur le patriotisme des eitoyens,
il devait profiter de toutes les, circonstances et
de tous les nloyens qui pouvaieni réyeiller dans
lescoours l' amour de la patrie. Les nomhreux
amis que l'armée nationale co~ptait dans Gi-
braltar 7 indiquaient la viUe de ~lalaga comme-
devant etre le théittre de grands événemens,
du moment- que eeHe armée s'y présenterait.
Des leUres anonyrnes, re~ues de eeUe ville, don-
naient aussi les plus hrillantes e$pérances. Errer
a travers les montagnes, exposée a- tout instant
a despérils sans gloire, n'avait, en résultat, rien
d'honorable ni d'utile pour l'armée; tout/contri.
bua done a décider le conlnlandant général a se
Tendre sur-Ie-champ a Malaga.


La Colonne' partit le 15, et- passa -la nuit a
Estepona (1), d' OU elle continua sa marche'
le 16, pour arriver a .Marhella.


(1) Un fait militaire dont l'histoire des temps anciens
et modernes préseute peu d'exemples, se passa dans le


1r; JI San~Roque a Estepona. Un faíble corps de cava-
lerie précédait la Colonne , pendant cette marche; en
arrivant a la métairie située sur la .. ive droite de la petite
.. Íviere de Guadiato, on fut informé qu'un détachement
de lá cavalerie er.memie 'était dan s une rnétáiríe de la
rive opposée; aussitot le sous-lieutenant de l'escadron
d'arlillerie volante, D. Ramon Ortis, partít avec cinq




154
L'extreme rapidité de la marche de la Co-


lonne, mit dans la nécessité de diriger par mer
les malades; ceux qui ne pouvaient plus soute~
nir la fatigue de la route; et certaines muni-
tions, dont le transport par terre présentait de
grandes difficultés.


Depuis rinstant ou la Colonne était sortie de
MarbelIa, le vent avait été constanunent con-
tl'aire; elle ava!t toujours les chaloupes envue,
mais celL:6~cí ne pouvaient la suivre. Le com-
lllaudant général ordonna que des signaux Ieur
fussent adressés, pour qu' elles se rendissent a-la
cote, et que les deux compagnies de chasseurs
des Asturies et de SévilJe qui fOfluaient l'arrie-
re-garde, protégeraient l' enlbarquement des
hommes et des munitions. La Colonne fithalte
a peu de distance.


L'avant-garde du général D. José Q'Donnel,


cavaliers pour reconnaitre le terrain; et ayant appris que
ce dernier point était occupé par quarante hOlllllles , il
s'avan~a, avec une incroyable audace, et, par un strata-
geme qui honore également sa présence d'esprit et .son
intrépidité, il réussit a faire lJrisonniers un capitaine
ayant rang de lieutenant-colonel , un lieutenant, et qua-
mnte soldats du régiment de Lusitanie, qui , certes" ne
~'attendaient guer-e a thre surpris par cette poignée
d'holllwes.




155
qui ne cessait de la poursuivl'e, arriva sur ces
entrefaites, et commen~a a harceler l' arriere·
garde de ces compagnies. Le comnlandant gé-


. néral, ne perdant pas de vue son objet princi-
pal, 'leur avait ordonné de n' ~n venir aux
mains sous aucun prétexte; lllais, soit exd~s
d'ardeur de ola par!: de son conlmandant Don
Roque de Arismendi: soit que ce cornmandant
lui-mem'e n'eut pn retenir l'impétuosité de ses
soldats : ceux-ci s' engagerent tous, et repous-
serent l'ennemi jusqu'a une montagne qui se
trouvait a quelque distance de la. Aussitót, le
comm:andant 'général envoya' quatre compa-
guies de Sévilleau secours de l' arriere-g~rde ;
et'expédia,e.n meme temps a la Colonne l' ordre
de' retrograder, 'ej:de.prendre~ urie,position qui
la mIt en état de 'se porter partoutou les cir-
constances rendraient sa présence nécessaire.
Les. ennemisse repliaient de plus, en plus. Le
fen ayant alors cessé , Riego pensa que l' ennemi
n'avait eu d'autre projeLql1ed~ retarder sa
:'IÍl~rche,.,¡po.ur;se donner le temps de l'attaquér
'@Dsuite 'avea plus, d' avantage. Plus fortement
décidé a suivre:,son premier ,projet, iI fitr~
mettre laColonne en route ,~pla~ant toujours a
l'arriere-garde les quatre compagnies de Séville,
pour renforcer les chasseurs.




156
L' ennemi revint alors ave e impétuosité sur


ceUe arriere-garde, et recommen~a le combat.
Ellesoutint l' attaque a vec la plus grande fermeté ;
se retira en continuant le feu; sur l'ordre qu'elle
en re~ut du second commandant du halaillon
de Séville, D. Francisco Osario; et viot a l'en ..
trée de]a nuitse réunir a la Colonne; l'e'nnemi
conserva ses postes.


Celte affaire couta a l'armée de.l'indépen ..
dance, cen! hommes, dont le p1us grand nom ...
hre resterent égarés au milieu d'une obscurité
profonde, el dans un pays sauvage~dont les
ehemins leur étaient inconnus; elle fi.t. aussi
quelques prisonniers. ParnlÍ les officiers bles-
sés, se trouvait le commandant patriote Don
Roque de Arisnlendi, mor! depuis a: Tariffa ,
de la suÍ te de ses blessures'; le lieutenant de
chasseurs du hataillon de Séville, Don Do-
mingo Tirado, resta mort sur le r champ de
hataille.


Le retárd qu'éprouva la marche de la·Colonne
fut en effet le dommage le plus. aonsidérable
qu'elle. éprouva, en ce qu'ayant été forcéede
traverser "au milieu d'une nuít tres-obscure,
les collines fort élevées qui sont au hord de la
mer et qui conduisent au village de Franguirola ,
elle ne put arriver dans ce village que le ,18,




157
yers deux heures apres nlinuit. Il o'y a que
ceuxqui connaissent par eUX-nlemeS les pays
escarpés et presqu'impraticables qui étaieut a
tout instant le théatre des opérations de l' armée
nationale, qui peuvent se faire .une j llste idée
des difficultés qu' elle avait a vaincre a cha-
que paso


La plus grande partie des soldats de I'arriere-
garde rejoignit la Colonne au point du jour,
el elle continua sa marche a six heures du nla-
tin, ayant le général O'Donnel a son arriere-
garde, et attendue par le gouverneur de 1\1a-
laga, qui se disposait a la combaure, a la tete
de sa garnison sous les armes; toutefois iI n'y
avait aucun moyen de reculer. D'ailleurs, telles
étaient les ~couleurs favorables sous lesquelles
les habitans de Gibraltar, affectionnés a la
cause nationale, a vaient peint aux chefs de
l'e~treprise l'esprit ptlblic et le patriotisme
~es citoyens de Malaga, que rien De pouvait
ni décourager, ni effrayer l'arnlée. Quoiqu'une
température , constamment pluvieuse, et les
aspérités du terrain, einpechassent de donner
aux mouvemens de la Colonne toute la
promptitude nécessaire, elle passa, le soir,
sous les yeux de l' ennemi , et avec une incroya-
hle audace, le ruisseau de Malaga. Les soldats




158
·apres avoir été exposés toute la journée a une
pluie continuelle, avaient alors de l' eau jusqu' au
genou, et entonnaienf, suivant Ieur conturne
et avec leur enthousiasrne ordinaire, le chant
guerrie'r d' AIgésiras.


De ce ruisseau a la ville il y avait encore
trois quarts de lieue, et iI était impossible d'y
arriver avant la nuit; le passage étaitdifficile
et dangereux; mais le courage des soldats était
parvenu a un tel point de résolution et d'éner-
gie, que rien désormais ne pouvait ni l'intimi-
der, ni l'abaUre. La garnisonde Malaga était
en position. hors des portes; la colonRe s'a-
van~a 'pOUl' l'attaquer; le feu comnlen~a biell-
tot de l'un et de l'autrecóté, par lestirailleurs;
tandis que la Colonue, fonIlée' en batail10n
serré, s'avan~ait l'arme au bras. Tantd'audace
surprit et arreta 'les ennemis; iIshattirent en
retraite, et se retirere~ a v éles Malaga, tandis
que les défenseurs de la liberté entraient en
vainqueurs dans la ville; iI était alors huit
he.ures du soi1'.


Toutes les rues 'étaient brillamment il1u-
millées; nlais, soít que la f1'ayeur qu'avait in-
spirée le .comba! ne fUt pasencore dissipée;
soit que le décou1'agenlent, qui, depuis si
long-tenlps I s'était emparé des esprits, ré-




159
sistat encore a la victoire que venait de re m-
porter l'armée nationale; soit que 1'0n craignit
un retour de la fortune ; soit, enfin, que les ter-
reurs adroitenlent semées par les ennemis de
la patrie, et dont nous avons parlé ailleurs,
eussent pr!s ici beaucoupd'empire : peu de per-
sonnes oserent se montrer dans les rues, et l'on
se horna a faire entendre quelques Vivat par leg
fenetres, sans rien témoigner de cette ardeur
et de cet enthousiasme dont les citoyens d'AI-
gésiras avaient d'abord paru pénétrés.


Le 19, une proclanlation fut publiée, et l'ac-
cueil qu'elle re<;utdonnait lieu d'espérer que le


. peuple allait se décider promptement et pren-
dre les armes, lorsqu' on aper'.;ut, a midi, . des
corps ,ennemis qui se dirigeaient sur Malaga.
Riego, qui sentí t que tout le fruit de son expé-
dition était perdu s'il abandofinait la ville, ré-
solut de les attendre dans les murs, et distrihua
ses trou pes dans le petit chateau , le quartier
dü Nouveau-Monde, ]a place de la Mercy, et
les issues des rues les plus prochaines.


Ence nloment, uneproclamation venait d'e-
tre inlprilnée, et, dans les places publiques,
on comnlen~ait a la lire a haute voix; toute-
rais, les habitans qui l' écoufaient a vec plaisir et
en témoignaient leur approbation, ne se porte-




roo


rent a aucun mouvement. Pendant que ceci se
passait, les ennemis entraient dans la ville, ou
auCuo autre hruit ne se íaisait entendre, que
celui . des portes qui furent toutes fermées en un
instant" et de ]a fusillade des gardes avancées,
'{ui se repliaient. Trois fois]a Colonne fut atta ...
quée sur la'place de la Merey "et trois fois l'en-
nemi fut repoussé. Un petit nombre de caV'aliers
patriotes, suivis de quelques soldats d'infante-
rie ,commandés par le vaillant D. Antonio Por ..
ras, adjQint a l'état major, les chargerent avec
furie, le sabre a la main, jusques sur la place
de I'Hotel de Ville. La nuit survint et mit fin aux
hostilités; les défenseurs de la patrie la passerent
dans les memes postesqu'ils occupaient, des la
veille au soir; les ennemis, qui avaient éprouvé
une perte considél"able, et qu'on 'supposait en-
core aux portes de la vilIe, s'étaient retirés a
plus d'une denli-lieue. Le commandant général
qUi n'étaitpointencore instruitde cette derniere
circonstance, réunit un conseil de guerre, dans
Jequel , apres avoir pesé les avantages et les in-
convéniens qu'offrait l'alternativede sepréparer
a une nouvel1e atta que pour le lendemain, ou
de sortir ,en orrlre, de la place, iI 6t observer
que, d'ailleui"s, effrayée par la présence de
l'ennemi, il n'était plus possibJe d'espérer que




161


la ville s'armat. eette considération frappa le
conseii; 00 se décida a la retraite ; et le .20 fé-
vrier, a cinq heures et demie du matin, la Co-
lonne prit la route de Colmenar, saos ctre, in-
quiétée par l'ennemi.


La faute conlmise dans' cette journée,. par-
quelques officiers qui, pendant la nuit précé-
dente, s'étaient séparés de la Colonne, fut la.
principale cause de la désertion qui semi! de-
pnis daos ses rangs. Une semblable conduite"
daos des hommes a, qui leur position fuisait
un devoir de servir d' exenlple ,ébranJa la fidé-
lité de ceux quí n'avaieot pas autant de raisons
de fllontrer la meme force d' ame et la 1'1lCme
vertu. Le peuple, espagnol et l'armée les con-
naissent, et ce juste c~timen.t sufflt a. leur pu-
nition.


11 est essentieI d'observer que, jlJsque-la,
aucun corps ennemi n~ s'était rallié aux dra-
peau~ de l'armée nationale; que quelques-uns
de ceux sur lesq;uels elle comptait comme auxi-
liairests'étaienthattus contre elle; que, par suite
des causes que nous avons eu souvent occasion
d'indiquer, aucune'ville, aUCtln ~iUage'~ s~é­
taient encore prononcés ouvert-ement; que ceux
qui, au fond de rame, étaient les plus dévoués
a la cause de l~ patrie, se bornaient a former


11




162


des vceux pour son trionlphe ; que l' espoir de
propager le feu de la liberté était presque éva";'
noui;qu'en un mot, l'armée ne pouvait comp-
ter encore sur d'autre terrain que celui qu'elle
occupait, ni sur' d'autre patrie ql1'elle-meme.
Qu'on joigne a cela la connaissance qui lui par ...
'Venait, a tout instant, des procédés infames et
cruels_ dont on usait envers ses prisonniers; l'i-
solement ou elle était du nlonde entier; 1'i-
gnorance ou la meUait de tout ce qui se passait
autour d' elle, le manque absolu d' espions surs ,
quoique tres ... bíen' payés: ,circonstance qui 5' ex ..
pliq1ie par l'effroi que portait partont l'armée
d'O-Donnel, et le peu d'espoir de sucd~s qu'in-
spiraient les efforts des amis de la patrie.' ,


Le Commandant général songea un moment
a marcher de Colmenar vers Grenade; mais les
troupes du général ~guya (J) se portaient déja
sur Loja, et la funeste expérience dece"qúi ve-
nait de se passer a MaIaga,n'était pas de nature,
a faire entrcprendre des tentativesde meme
genre; d'ailleurs, les soldatsétaient excedés de


(1) Ce~néral s'est rendu odieusement célebre SU~ un
plus grandthéAtre qu'Élio, cornme l'un de ses rivaux les
plus ardens en -cruauté ;. on iait qu'il avait été ministre
de la guerre; il commandait alors en chef le royaume
de Grenade.




~o5
fatigue; ils manquaient absolumenl de souliers,
et la plupart d'entre eux n'avaient que la che-
mise qu'ils pottaient. Il fallutdonc se re~o~dre
a suivre la route d'Antequera, OU la Colonne
arriva le 2, a dix heures et demie du soir.


Le commandant général prit les m~sures les
plus pro~nptes el les plus effibaces pour se faire
fournirlesobjets dont la Colonne avaitun
plus.pressant beso in ; nlais quelque céleritequ'il
y mit, l'absence du corrégid?r et des autres
autorites, a qui la crainte d'etre compromis
avait fait prendre la résolution de se retirer de
la ville, apporta d'inévitables retards a cette
opération ,qui ne put ctre terminée que dans
le courant d~ 22; on eprouva S.urtout une plus
grande difficu~téa .seprocurer des- souliers dont
iI se trouvait alors une fort petite quantité dans
les nlagasins d' Antequera.


P.endant la matinée du 25, on Jit des réqui-
sitions de chevaux; vers midi, on aper~ut
quelques corps ennemis qui: s' aYan~aient len-
tement par la route de Malaga. Le com-
mandant.· général donna aussitót l' ordre aux
bataillons de se former sur une hauteur' situee
derriere les capucins ,. etqui domine la ville";
mais ceshataillons ne . lui ; présentant que de
tres-faibles nloyens, il les fit retirer, et diri ..




164
gea la Colonne sur la route del Campillo, d'ou
ellerepartit le :ú., a deux he'ures du nlatin.


Le meme jour, a huit heures,eUe se renlit en
:marche, et entra, a quatre, a Canete la Real.


La fatigae, produltepartant de marches for-
cées, et tant d' autres causes morales ou physi-
ques, avaientréduit la Colonne aneufcents honl-
mes; cette perte, et l'isolement ollelle ét~it de
loute nouveUe, rendaient nécessaire la plus
extreme circonspection dans ses mouvemens.


Le jQur survant, le conlnlanaant gérréral se
porta áv-ec la CGton:ne sur Rooda f dáns le .kssel n
de chercher, dansla parti~ la :f>1us apre de ce
pays de montagnes, un théatre de guerre
analogue ases forees et a ses nloyens'; a une
lieuede c~tte ville, on ·apprit que huít ceflts
hommes de l'avant-ga~de d'O'Donnel étaient
campés en avant des portes , apri:$ avoir fait
une marche forcée de 11 lieues; Riego juge:lut
que l'intéret national "et l'honneur ne lui pet-
mettaient pas de reculer, résolut de les atta-
quer.


Le fen commeo9a done avee l' acharnement
et la vigueuraccoutunlés. Les tirailleurs de la
Colonrre mirent promptemerit en déroute ceux
de l'ennemi; quelques-unes des compagnies de
de celui-ci, qui occupaient les hauteurs de la




165
droite, ne tarderent pas a les ahandonner;
et, toutes ensemble, poursuivies l' épée dans
les reins, par le bataiUonde SéviUe, se
virent bientot dans la nécessité -de rentrer
da~s la ville de Ronda, et de se réfugier de
l'autre coté du pont, situé sous le Fajo (1).
Le hataillon des Asturies, avec celui des
guides, presHue réduit a rien, était denleuré
a la porte pour protéger la retraite et le peu
de cavalerie qui restait encore. Les deux


(


compagnies de Valen~ay, sorties de San-Fer-
nando avec le reste de la Colo.nne, t.'existaient
plus, par l' ~ffet des désertions qui avaient eu
lieu a Canete la Réal, et pllesque sous les yeux
des -braves :etfideles ;eQmpagnons de leurs tra-
vaux et de leurs fa.es.


La position qu'avaient prise les ennemis,
était inexpugnable; tous les efforts du hatail-
IQO .de Séville, et surtout de seshraves ~hasseu.·s
commandés par le capitaine ·Don Jose Urhina,
furent infructueux; on pensait, d'unautre.coté
que le res\e ,de la diyision d?O'Donnell vien-
drait se r~unir avec son avant~arde, aux
Jorc~s contre lesquelles on avait aloflS acom-


(J) Nom d'un précipice escarpé et tres-profond fluí
traverse la ville.




166
battre; cette considération obligea le conl-
mandant géneral a sortir de Ronda ceUe nuit
meme; nlais il n'exécuta ce' projetqu'apres
s'etre fait donner des rations de pain, de vin,
et de poisson, ainsi que des souliers et des
alpargates (1).


La Colonne se mit- done en marche a huit
heures du soir, prenant la direction de Graza-
lema; elle campa sur lahauteur 'qui se trouve
a moitié distance des deux villages; et entra
le 26, a huitheures du matin, dans celui qui
était fixé pour sa destination. -


Grazalema, forte de sa nature, offrait a l' ar-
mée l]ationale, un abri assure contre un coup
de maín'. Le bon accueil qu'elle re~ut de 'Falcade
et des habitans, tous dévonés a la patrie, enga.
gea les chefs . a y donner _quelque repos aux
soldats. L'intéret qu'inspiraient a ces bons ci-
toyens, leurs fatigues> leurs peines, et la cause
auguste pour laquelle ils étaient armes, ne pou-
vait etre ni plus sincere ni plus tendre ; 'aussi les
défenseurs de la patrie, accueillis par eux avec
tant de franchise et de fraternité, en ont-rls
conservé le souvenir le plus- reconnaissant.


Dans cet intervalle, on re~ut une lettre du


(1) Sorte de chaussure de chanvre ou de jonc.




167
capitaine des dragons du roi, Don Carlos
Osorno, qui, étant a Moron, séparé de son
régiment, offrait d'armer et de réunir a la
Colonne tous les dragons qui se trouvaient
dans ce village, pourvu que l' o~ protégeat le
recrutement de chevaux qu'il se proposait de
faire. On annon<;ait aussi que les colonels' des
régimens de Mayorque et de Valen<;ay, mon-
traient le plus vif intéret pour la cause natio-
nale et}e plus ardent désir de faire cause com-
mune avec elle.


Cette flatteuse perspective d'une acquisition
qui devait influer si puissamment sur l'esprit
des troupes, découragées par un si long isole-
ment, détermina Riego a se résigner a courir


; toute les cpances d~ .la fortune, et a se porter
du coté OU se trouvait Osorno. Les affaíres du
partí étaient alors en si mauvais état" qu'un
événement extraordinaire pouvait seul les ré-
tahlir.


La Colonne se mit done en route le ¡er nlars,
a deux heures apres Dlidi, apres avoir re<;u, a


, Grazalema, du drap gris pour faire un panta-
Ion achaque soldat, de la toile pour une che-
l;Dise, 'el une quantité considérable' de souliers.


,Elle marcha toute la nuit, et arriva a Puerto-
,Serrano le 2, a sept heures du matin. Apres




168
avoir prisdeux heures de repos, elle repartit,
et arnva a rnidi a Montellano. .


L' officier da bata ilIon de Valen~ay, chargé
d'assurer les logemens', était occupé a les pré-
pa-rer daos ce village dont le régiment de
Mayorque venait de sortir depuis une heure.
'Les retards inséparables d'une marche de nnit,
le passage des ruisseaux, et le mauvaisétat
des routes, nepermirent pas a la Colonne
d'arriver assez a temps pour se concerter avec
ce réginlent. L'attachement du colonel de Va-
len~ay pOllr :la 'ca~e nationale faisait espérer
de le voir arriver d'unmoment a l'autre a
Montellano ;mais iI ·semhlait· décidé qu'a la
seule armée de San-Fe:rnandoseraient réservés
¡les travaltx, les fatigues, 1es' sacrifices, et la
gloire.


Ce colon el , au lieu de se rendre a Montel-
lano, se replia sur Arahal, et ne donnaqu'une
réponse vague g l'invitation du commandant
général qui, étranger a tout septiment d'am-
hition personnelle et uniquem·ent occupé de
l'intéretde la patrie, lui ()ffrait ,ainsi qu'il
l'ayait déja faÍt 'atousles officiers d'un grade
>supérienr, dellrendFe ·leconlnlandement de la
Colonne.D'un·autre -coté, le capitaineOsorno
demandait des secour-s ponl' équiper son corps.




169
Le commandant général décida done qu' on
irait jusqu'a Moron, ou la Colon,ne arriva le 3 ,
un peu apres midi.


Les dragons démontés de divers régimens
qui se trouvaient dans ce village, au nombre
de deux cents, prirelJtparti sons les drapeaux
de 1a liberté, et furent mis sous les ordres
du capitaine Osorno (f). 00 commen~a aussi
a s'occuperde nlonter ]a cavalerie; et le com-
mandant général mit ses soins et son activité
accoutmnés, a faire réussir une opération si
essentiellepour l'arnlée. Vers la nuit, ce fra-
vail était déja fort avancé, mais pas encore
achevé. D' ailleurs, il était indispensable d' at-
tendre au lendemain, si ron voulait réunir
lésdeox centshommes de cavalerie, dont la
coopération allait rendre a la Colonne sa pre~
nliere force et son premier éclat.


(1) Le capitaine Osorno n'avait jamais fait,partie de
l'armée nationale ; la situation de la Colonne n'offrait pas
une brillante. perspeetive; elle a vait éprouvé une dimi-
nution fort eonsidérable; son isolcment et l'abandondans
Jequel el1e se trouvait étaient extremes; le calenl des
pl'obabiJités était hienlolnd'~tre ensa faveur; cependant
le capitaine Osorno n'hésita point a part3i;er son sort.
Ce traít est héroique. ct il n'est pas un Espagnol, amI
de S3 patrie, qní ne l'aI)pr~cii! (li¡nemen!.




170
Le 4 mars =:tu n1atin, des avis annoncerent


que l'avant ga~'de du général O'Donnel, conl-
nlandée par le général Martinez, était arrivée
a ~Iontellano. Sa force était peu considérable,
et n'annon~ait pas.le dessein d'attaquer. Les
postes avancés, qu' onapercevait a une lieue
et demie de Moron, étaient aussi-tres-faibles,
et ne paraissaient etre la que pour observer.
L'opération du recrutement continuait avec
zeIe et rapidité, et on se flauait de la voir se
term~ner sans que les ennenlis s'y opposassent.
l\lartinez n~aurait point attaqué; mais l'état
des choses changea absolument par- l'arrivée
d'O'Dónnel, avec le reste de 5a division. Les
troupes patriotiques étaient en bataille sur la
place et dans les casernes. Une grand'garde de
soixante hommes d'infanterie et de quinze ca-
valiers, aux ordres du deuxieme commandant
de Séville, Don Francisco Osario, soutintavec
intrépidité el sang froid l'attaque commencée
par les troupes ennemies, et donnaainsi a la
Colonne le tenlps de prendre position dans le
chateau, et sur la nlontagne qui est situé e der-
riere, dans la direction du nord.


L'énornle différence qui se trouvait dan s le
nombre des assaillans ,et de ceux qui étaient
attaqués, rendait inutile a ceux-ci l'avantage de




17 1
Ienr posltlon. En peu d'instans, les ennemis


· occuperent le village, et essayerent d'envelop-
per la Colonne des deux cotés; il était pressant
,d'abandonner le chateau, ce qUI se fit avec
ordre de la part des constitutionnels, et perte
de eeHe de l'ennemi. La montagne sur laquelle
ce chateau est appuyé n'était pas plussuseeptihle
,d' etre défendue; la colonne dut done se replier
en suivant la direetion des montagnes. Dans
cette situation, eHe se form""a en hataillon carré,
et se retirait lentement, ayant ases flanes et a
son arriere garde ses tirailleurs, qui repoussaient
et rendaient inutiles les perpétuels efforts de
l'ennemi pour l'entamer et l'envelopper.
. L'ardeur des', troupes royales était grande'
et leur nombre tellement supérieur a celui des
défenseurs de la cause nationa]e ., qu' elles
'conlptaient deux fois plus de tirailleurs, que
la . Colonne entiere ne comptait de soldats.
Deux des hataillons ennenlis, ainsi déployés,


· faisaientcontre elle le feu le plus vif~ Toutefois,
untel acharnement ne 6t pas nlollirun seul ins-
tant, sa constance et son cou.rage; son mouve-


· filent continuait avec ordre; et ses tirailleurs, en
harcelant sans cesse l' ennemi, contenaient les
impétueux efforts qu'il renouvelait a tout Ín-


. ¡tant,Lacavalerie decelui·ci chargea deux fois,




17 2
et fuí repoussée avec heaucoup de perle par la
Colonne, qui soutint toujours ses attaques
avec la rneme intrépídité. La nuít quis~rvint
ne suspenditpas le feu; mais s'apercevant a la
nn que leurs effortsétaient inutiles, et que
ríen ne pouvait faire dévier la Colon~e de la
direction qu' elle avait pris~ v~",s lesmontagnes,
les troupes royales renoncereut a lapoursuivre,
et le feu cessa entierenlent.


La Colonne continua sa marche, apres avoir
fait une perte considérable, en morts, en
blessés, eten prisonoi~rs. Au nOJ;l1hre des
hlessés, était le capitaine de SévilleDon
Nicolas Charneco, qui mourut quelques jours
apres des hlessuJ.1es,qu'ilavait re~ues daos le
petit chateau; le premier co.mulandant du.
hataillon de Séville, Don Antonio Alugniz; le
second commandaat de ce corps, Don Fran-
cisco Os.orio·; le .premier adjudant du hataillon
des Asturies , . Don Luis de Castro; et le capi-
taine du nlenle corps, Don Felipe Carroseli.
Un assez grand nombre d' officiers furent faits
prisonniers a l'attaque du petit chateau. Don
Ramon Ortiz .l'avait été daus une découverte
précédente, pendant laqueUe iI avait aussi re~u
une hlessure; le capitaine Osorno avait été
pris dans le village de Moron. Ces dignes offi-




17~
ciers, trainés dans la prison publique, y furent
1-raités cornme de vils brigands; enchainés
comme te]s, et dirigés sur Séville.Ils arriverent
en cet état a Utrera, ou Ieur liens Ieurs furent
otés. Enfermés dans les cachots de Séville, ce
ne fut que lorsque la Consti1:otion fut procla-
mée dan s cette· viUe, qu'ils recouvrerent leur
liberté.


La Colonne ayant continué a marcher toute
la nuit, arriva a ViIlanueva de San-Juan, le 5
mars, a cinq heures du nlatin; elle était aIors
réduite a quatre cents homrnes. Les pertes qu' elle
avait . éprouvées le jour précédent, la conster-
naient, sans doute, mais ne la décourageaient
pas: s~ retr'-aite de Moron a:vait été auss~ glo-
rÍense poúr elle qu'utlie 'Vietoire; et cene fut
qu'a sa constance, a sa résolution, a l'héroisme
de son courage, et peut-etre a l'admiratioD
qu'il ;lvait inspirée, qu'elle dut de n'avoirpas été
entierement dCtruite dans cetté derniere affaire.


Deux heures apres qu' elle fut arrivéeá Villa-
nueva ,'elle reprit sa marche, sans avoir éprouvé
d'obstacle pendant tonte cette journée, el en ..
tra a Gilena, oi.t elle passa la nuit.


Le 6 , elle continua son Iílt)üVement, . ti sept
heures du matio; traversa sans s' arreter le vil-
lage d'Estepa, et Be s'arreta pas davantage au




174
pont de Don Gonzalo, situé a deux lieues de
distanced'Estepa. La cavalerie qui était a 08-
suna'venait a la poursuite de la Colonne ;'l'avant ...
garde 'de cette cavalerie, fortede 60 chevaux,
arriva au pont de pon Gonzalo, quelques instansi
apres les troupes nationales , 'et commen~a' une
vive fusillade avec les til'ailleurs qui étaient a
l'entrée du hois d'oliviers situé a peu de dis-
tance du village. Quelques fantassins, qui ve-
naient en croupe des, cavaliers ,'furent aperc;us
alors faisantfeu sur ces memes tira.ilIeurs; mais
les soldats de laColonne les repousserent avec
leur courage accoutumé , tandis qn' elle-meD1e ,
forulée en batailloD carré, continuait sa route.
Les cavaliers persisterent dans lenr projet"
mais toujours aussi' infructuensement; et, en
troÍs lieues de chemin qui séparent le pont de
Don Gonzalo du village d' Aguilar, ils ne cesse ..
rent pas un nlonlent de se fusiller avec les chas-
seurs, qui néanmoins reridirent toujours leurs
efforts inutiles .


. ILa Colo~e arriv'a a,Aguilar, ~e6,a la nuit
tonlbante; et·, apres avoir fait une halte d'úne
heure, a la sortie de ce village , ,pour prendre
une ration de painet une autre de vin, elle
continua sa marche sur Montilla,. ou elle, passa
la nuit.' A la lecture de ce qui précede et de ce




175
qui va suivre, ilest impossible de ne pas re ..
connaitre que tout espoir de salut était des lor5
perdu pour ces braves ; qu'ils en jugeaient ainsi
eux-memes; et qu'il ne s'agissait plus, pour eux,
que de vendre Cherenlent leur vie, et d'illustrer
les derniers instans de leur noble carriere par
qnelques faits écla tan s , qui, par 11lalheur, ne
pouvaient plus etre d'aucune utilité a la patrie.
" Le7, a trois heures du matin, la Colonne


partít de Montilla, dans le dessein de traverser
le Guadalquivir, et de s' enfoncer ensuite daos
les montagnes. On ne savait sur quel point on
devait passer la riviere; mais le pont de Cor-


. doue étant le plus prochain, le commandant
général décida, qu'a tout événement, on ~ar­
cl1erait de ce coté : la Cólonne' suivit ·cette route
avec le dévouement le plus exalté, et résolue
a braver les nouveaux dangers qui s'offraient
a el\e.
- Le régiment de cavalerie de Santiago était
dans cette ville, mais presque entierenlent dé-
m'()nté~ Soixante-dix ou quatre-vingts soldats
sortirent pour se placer vers la rÍve gauche du
Guadalquivir, daos le dessein apparent d'etnpe-
cher la Colonne d' entrer dans la viUe : toutefois,
a son approche, ils se repliererit, et prirent le
chemin·· d'Ecija. Les autres partis d'infanterie ,""_ ..... ,~
,J'-~:::::_"-~-!
-7"~'./
~.: ~"




176
qui se trouvaient ~ Cordoue, avec les officiers-
payeurs et autres qui étaient en commission ,
ne prirent parti ni pour ni contre, et la Colonne
arrivá enfin a la tete du pont, qu'elle passa sans
opposition, entonnant, suivant sa coutum'e ,.le
chant guerrier d' AIgésiras.


11 esL impossible d' exprimer l' admiration et
l' étonnement que témoignerent les habitans de
Cordoue, au moment OU ]a Colonne , qui n' était
plus forte alprs que de trois cents hommes ,
entra dans leurs Dlurs. Les rues étaient renlplies
de personnes qui, par leur silence et la surprise
qui se peignait dans leurs regards, expri-
maient, bien mieux qu'elles n'auraient pu
le faire par leurs paroles, ce qui se passait
au fond de leurs ames, et le sentiment que
leur faisait éprouver l'intrépidité de ces
guerriers. Cordoue étant une vine tres-popu-
leuse, capitale d'un royaume tres - étendu ,
et chemin nlilitaire de Madrid en Andalousie,
il est évident que si les forces qui s'y trouvaient
alors réunies eussent VQulu agir de concert
contre la Colonne , elle eut cessé d' exister des
cet instante Nous trouvons dans ce fait, et dans
la suite de ce récit, la preuve la plus irré'cusahle
de l'union intime de sentimens, d'affections, et
d'intérets qui régnait entre le peuple" l'armée,




177
-et eette poignée de braves qni '8' étaient dévoués
les prenliers pour leur pays.


La troupe, toujours en ehalitant, travers:iles
rues de -la ville peur se reBdre au eouvent de
San~Pablo, on elle fut casernée pendant la uuit.
·Le eomlllandant général fut re~u par la munÍ-
'eipalité avec les plus granas égards, et tont ee
qui était nécessaire a la troupe lui fut abondam-
ment fournÍ. Bientot les habitans de la ville
Brent entr'eux une eollecte, et remirent au gé-
néral Riego. pour subvenir aux besoins de sa
petite armée, une somme de einquante mille
réaux ( 12,500 franes ).


Le jour suivant, 8, ce faible hataillon de
lrois cents hommes, que nous continuerons
d'appeler l'A'rméeNationale, puisqu'en effet
il représentait la nation entiere dont la voix
allait bientot se faire entendre, partit a sept
"heures du matin, et, prenant la route de la
,nl0ntagne, il fit sept lieues, apres quoi il passa
la nuit dans une hótellerie éloignée d'Espier
d'environ une lieue.


-Le 9, il se remit en marche a quatre heures
du nlatin, et arriva a Espier, a sept; il en
repartit amidi, pour aHer passer la nuit a Bel-
nez. Le 10, il se dirigea sur Fuente-Ovejuna,
ou il fut reudu a deux heures apres nlidi. Le


12




178
jour était sonlbre et pluvieux; la tr0':lpe était
trop peu nomhreuse pour occuper toutes les
routes qui conduisaient au village , et le mettre
entierement a l'abri d'une surprise. Le rneme
jour, a quatre peures de l' apres midi, on aper-
cut des corps de cavalerie et d'infanterie qui se
portaient aux environs de ce village, dll coté
de Cordoue. Riégo donna aussitot l' ordre de
hattre la générale, et forma sa troupe a l'ex-
trénlité opposée, mais sa force était tellement
réduite, qu'elle ne lui pernlettait maintenant
d'opposer aueune résistanee a l'ennemi. Cepen-
dant celui-ci n'entra pas dans le village sans
que les tirailleurs eussent fait surlui un feu
assez vif. La colonne se mit en retraite; mais
la pluie qui tombait par torrells, les chenlins,
toujours plus impraticables, et le manque total
de chaussures, ne lui permirent d'arriver, au
village de Azuaga, qu'a une heure apres minuit.


Apres trois heures de repos, réduite a un aussi
petit nonlhre, et s'affaiblissant a ehaque pas par
la nlaladie, la fatigue et le décol1ragement que
produisait la désertion, elle se mit néanmoins
en marche pour se rendre a Berlanga, ou elle
entra a sept heures du matin. Elle continua en-
suite sa route par Villagareia , distant de quatre
lieues de ce dernier village 1 et 6t halte a Bien-




179
vien'ida,ou elle arriva a 'quatre heures du soir.


La fillirent les travaux et l'existenee de ectte
-.colonne célibre qui planta en Espagne le pre-
mier étendard de la liberté. La fortune devait
sans doute de meilléures destinée~ a son dévoue-
meot, a son patr.iotisme, a SOfl étonnante va-
leur, et surtout a ses immenses sacrific.es; nlais
toutes les cireQnstances s'étaient réunies eontre
'elle, et iI était moralement impossible qu'il en
'fut autrenlent; partout elle avait eu a eonl-
haUre des forces triples des siennes; elle s'était
vue souventabandonnée, dans les eonjonctures
les plus -critiques ~ par quelques laches officiers
q:ui s'étaient unis a son sort parles sermens les
plus sacrés; elle avait fait la guerre dalls le pays
le plus sauvage, foreée de .se disséminer sans
-cesse pour faire face a tous ses ennenlis; elle
nnit, il est vrai, par suceomber; mais ce ne
fut qn'apres avoir glorieusement rempli le
grand but qu'elle s'était proposé, celui de pro-
pager d~s le midide l'Espagne les princi pes
d'indépendance et de liherté constitutionnelle
qui Iui avaient mis les armes a la main. Toute
sa conduite fut constamment en harnlonie avec
eette héroique destination. Partout ou elle se
présenta, elle rempla~a par l'ordre eonstitu-
tionnel avoué par la natioo, l'anarchie 1yrao-




180


nique qui était alors le seul gouvernement de
I'Espagne. Partout les propriétés , la liberté des
citoyens furent respectées par elle; partant elle
observa, a l'égard des prisonniersfaits sur l'en.-
nenli, les lois sacrées de l'humanité, si lache-
filent violées par les tt'oupes royales a l'égard
des siens; en Un mot, elle se motltra, pendant
toute la duree de 5a mission) digne de la subli-
Ole cause qu'elle défendait.


Enfin, réduite a une'pOignée de br3ves, elle
était maintenant daos l'irnpossihilité d'attaquer
cornme dans celle de se déH~ndre. Llréna,
Fuente-Cantos, Los Santos 'et plusienrs autI"es
villages dont elle était environnée, étaient
remplis de troupes qni se montraÍent acharnées
a la ruine de cette poignée ,de bra ves qni dépo-
serent lenrsarmes et se séparerent de leur dra-
peau, a l'insfant OU ce drapean alJait tIotter sur
toute l'Espagne. Cependant, dalls d':aussi tristes
circol1stances, il fallait prendre un parti , et le
prendre pronlptement; car la reunion des dé-
bris de la Colonne semblait n' avoir plus d' autre
but que. de tenÍr rassernhlées contreelle les
forces de l'eonemi, sans ancune utilité pour la
patrie. D'aÍlleurs) le soulevement de la Ga-
lice, dont nous alIons rendre compte, apres
avoir jeté un dernier coup d'reil sur l'ile de




181


Léon, et qui a influé d'nne mani~re si di recte
sur·la révolution qui s'opérait a. Madrid, a l'in-
stant meme ou, dans le midi de I'Espagne, la
cause de la liberté semblait succomber avec ses
défenseurs, appelait ailleurs les "pensées et les
efforts de ceux qui lui avaient dévoué leu1's
bras et leurs existences. Réunis sous de nouveaux
drapeaux, ils aHaient done continuer leur no-
hle entreprise, mais dans d'autres lieux et sous
de nouveaux chefs. CeUe détermination fut
unanimementarretée chez le Cornmandant gé-
néral, par tous les officiers qui 8'y trouvaient
alors réunis, et dont la conduite a été, jusqu'a
ce dernier moment, un modele de résignation,
de dévouement el de courage; La ville de San-
F emando ou celles de la Corogne, furent les
points de réunion que s'ind"ique1'ent n1utuelle-
ment les patriotes, vaincus lllais non découra-
gés" et qui v'enaient de donner a 1'univers l'un
des plus nobles exemples que puisse offrir l'a-
mour de "la patrie. L'instant OU ces dignes guer-
riers se séparerent, fut aussi attendrissant que
Ieur courage a supporter ton tes les privations
et tous les malheurs avait été sto'ique : ¡ls s'en1-
brasserent en répandant les larmes des héros, et
pour se réunir plus tot qu'ils ne l'espéraient;
car, a ceUe époque , l'Espagne ne paraissait
pas présenter encore des espérances de salut




r8'2
hien prochaines, et toutefois, lfaurore de fa
liberté était déja levée sur elle t


Cependan t la division de l'armée nationale,.
restée a San-Fernando, apres la sortie de la
colonne mohile, et se trolJvant réduite a un
peu plus de tro.is nlille honlmes, était obligée
de redoubler d'activité et de vigilance pour se
mettre en 'garde contre toute surprise, et four-
nir, ave e un si petit nombre de soldats, a taus
les services que sa situation rendait indispen-
sables.On songea a suppléer, par l'art, a la fai-
blesse numérique des troupes : on fortifla les
hatteries et les positions qui étaientmal défen-
dues ;'on construisit, dans la barriere, une hatte-
rie nouvelle de six pieces de seize avec un obu-
sier; on en étahlit une de huit,du meme calibre,
au moulin de Santi-Petri, sur la baie; une de
quatre, dans les carrieres de pierre; et deux
autres, de meme calibre, dans le petit bras de
mer de Herrera et dans la métairie de rOsis.
Une batterie de dix-huit, sous le nom de Daviz
et V élarde, fut placée a la-gauche de la barriere;
enfil1, deux autres de seize, dont l'une, appe-
lée d'Urrutia, fut élevée a Santi - Petri, et
l'aulre, dans la position connue sons le nom de
las-Gallinera's; chacune de ces dernieres n'é-
tait armée que de denx pieces.


Toute la fa~ade du chatean de Torre-Gorda




185
fut remise a neuf, et le· chat~au Iui-menle fut
réparé, pour servir de dépót a l'artillerie. Des
habitations furent disposées pour les officiers
et les troupes, et, afin que toutes ces positions
n' eussent poin t a craindre une surprise de la part
de la garnison de Cadix, l' on construisit, dans la
chaussée,une demi·redoute dans laquelle on nlít
une piece de vingt-quatre et deux de sei2e. On
éiablit aussi, dans le mouIin de Santi-Bagnes,
trois hatteries a fleur d' eau , dont l'une de qua-
tre pieces de seize; l' autre, de deux pieces de
vingt-quatre; et une derniere d'une piece de
douze. Les hatteries de Santi-Bagnes se j<;>igni-
rent .avec la denli-redoute de la chaussée, par
le moyen d'un canal qu'on établit dans les sa-
lines , et auquel aboutissaient plusieurs autres
canaux qui fournissaient constamment de l'eau.
Les cornmunications, pour faire parvenir les
munitioni aux troupes, avaient lien par un
cherq.in construit derriere ces canaux, depuis
la d~mi-redoute du chenlin jusqu'a la vieiUe
chaussée ou est situé le chateau de Torre-Gorda.
En6n , on éleva un parapet avec des feux qui
croisaient le chemin et la plage, couvrant ceHe-
ci avec des chevaux de frise en fer, jusqu'au
point ou arrive la mer dans son reflux. La plage
était défendue par une hatterie de deux pieces
de huit, construite au pied de Torre-Gorda, etc




r84
en communieation avec le fossé du chateau; et
les chevaux de frise étaient flanqués d'un para-
pet,disposé pour protéger le feu de l'infanterie,


Le chef d'état major général Don Felipe de
Arco-Aguero, et le commandant général de
l' artillerie Don Miguel Bagnos" dirigerent tous
ces travaux avec le zele, l'activité et l'intelli~
gence qui les distinguent éminemment.


Le temps qui s'éeoula entre la sortie de la
Colonne mobile, de l'ile de Léon, et le triomphe
de la liberté, ne fut pas rernarquable pa!' les opé ...
:rations militaires de la division de l'armée -na ..
tionale resté e dans cette ville. La faiblesse des
moyens de eette armée (1) ne lui pernlettait
pas de faire des sorties contre· un elln'Cmi !leau-
€OUp plus fort qu'elle; mais ce qui faÍI bien.
cQnnaitre l'incertitude, le désordre et la divi-
sion qui régnaient dans les conseils de l'en-
nemi, c'est qu'avec des moyens aussi supérieurs"
j,amais il n'ait osé attaquer, avec toutes ses for-
ces, la vaste eneeinteoecupéepar l'armée llatio-
nale, alors meme qu'elle n'avait pu faire en-
core aucun des travaux nécessaires a sa sureté.
Ce n'est pas que plusieurs fois l'ennemi n'ait
ienté quelques attaques partielles; mais elles


(1) On vient de voir qu'elle ne s'élevait ma,inten,anta
guere plus. de trois milIe hommes.




185
furent constamment repoussées avec une telle
intrépidité, qu'il avait fini par se décidel' a n'en
plus essayer de nouvelles. Nous nous bornerons
a indiquer quelques-unes de ceHes qui parurent
plus sérieuses.


Le .29 janvier, la garnison de Cádix sortit
de la Cortadura, et s'avan~a vers Torre-Gorda,
dont les batteries la forcerent a une pronlpte
retraite. Les jou-rs suivans , elle essaya de nou-
velles attaques; lnais elles n'eurent jamais plus
de sl1cces; et tout. se bornait, entre les deux
armées, a des engagemens journaliers parmi
les tirailleurs , et a des escarmouches d'avant-
postes.


Le 51 du meme mois, l'arnlée nationale
ayant mis en mer, du coté de la baie, cinq cha-
loupes canonnieres, elles furent aussito.t enve-
loppées par celIesde l'ennenli, en heaucoup plus
grand nombre; au Uleme instant commen~ades
deux cotés un feu tres-vif, et , apres la plus in-
trépide résistance de la part du bataillon d'Es-
pagne qui était a bord, mais cédant a l' extreme
supériorité du nombre, une chaloupe tonlha au
pouvoir de la marine de Cadix. Les chaloupes
ennenlies s'approcherent tellenlent daos cette
affaire, que leurs boulets arrivaient jusqu'au ci-
metiere; les batteries de l'arnlée nationale, pla-
cées a Cagno de Herrera, et qui n'étaient com-




r86
posees que de pieces de campagne, n'ayant pas
assez de portée ponr les atteindre, l'avantage
de cet engagement demeura a la nlarine royale.
le sous - lieutenant du hataillon d'Espagne,
D. Carlos Sotto, fait .prisonnier dan s l'action, fut
enfermé dans un des cachots de Cadix, ou iI ne
lui fut point donné de lit, et OU il manquait
presque d' alimens.


Cependant l'armée du général Freyre s'ap-
prochait peu a peu de rile) dont la correspon-
dance avec la colonne mobile avait été inter-
ceptée ,des le commencement de février .. -Le
quartier général ennemi s'établit aPuerto Santa-
Maria; le général Cruz·Mourgeon se p]a<;a a Chi-
dana avec ses troupes, et toute son armée campa
dans la foret depins qui est en face de Puerto-
Réal.


Le 8 février, D. Francisco Benitez, habitant
de l'ile, sortit du Péage, et fit prisonniers qua-
tre cuirassiers ennemis.


Le 15, les dispositions de l'ennemi sem-
blaient annoncer l'intention de faire une atta-
que générale et décisive. Des troupes, sorties de
Cadix, marcherent en avant, taridis que des
chaloupes canonnieres et de grandes barques,
plcines de soldats, lnena<;aient d' opérer un dé-
barquement. Le général Freyre, a la tete de
quelques colonnes, s' avan<;a par la. route du




187
pont de Suazo; mai's toutes ces démonstrations
n'eurent aucun résultat, et les troupes royales
se retirerent sans que, de part et d'autre, un
seul eoup de fusil eut été tiré.


Le 19 du meme mois, quelques tirailleurs
nationau~, eomposés de grenadiers de Séville
et de soldats des Canaries, ayant le flane eou ...
vert par les chaloupes eanonnieres de rile, sorti ..
rent par le pont de Suazo, et arriverent jusqu'a
l'épau]ement construit sur le ehemin de Puerto-
Réal, vis-a-vis la batterie du Péage. Les enne-
mis prirent la fuite en désordre, et jeterent
ralarme dans le camp de la foret de pins; l'ar-
mée nationale se retira apres avoir détruit l'é-
paulement, sans avoir éprouvé d'autre perte
que eelle d'un soldat du hataillon d'Espagne ,
bJessé dans une chaloupe.


Tandis que ron constt'uisait la batterie de
Santi-Bagnes, dix chaloupes canonnieres enne-
mies, et plusieurs bombardes se disposerent a
l'attaquer; une pieee de canon de 16, la seuIe
qui fUt montée, secondée par l' artillerie du
chateau deTorre-Gürda, les repoussa, et les for~a
de s' éJoigner, avec perte d'une chaloupe; la
marine nationale n'éprouva aucun dornmage.
Lorsque, quelques jo.urs apres, la batterie put
contenir cinq picees montées, les cnnemis vou-
lurent essayer une seeonde attaque ; mais ils fu-




188
rent rec;us avec une vigueur, proportionnée aux
nouveaux moyens de défense que la batterie ve-
nait d'acquérir.


Ces att::tques, vraies ou Silllulées, se renou-
velaient continuellement ~ l'inteotioo de l'en-
nemi étant de profiter de quelque circoostance
favorable; mais la vigilance des solda.ts de la
liberté était extreme, et, depuis le général en
chefjusqu'au dernier officier, tous déployaient
la plus active et ]a plus constante vigilance.


Cependant, toute communication avec l'in-
térieur était rigoureusenlent interceptée. 'Les
nouvelles de ]a colonne mobile commenc;aient
a olanquer entierenlent, ou, si quelqués bruits
se répandjlient sur sa marche, c'étaient toujour~
les personnes les plus iotéressées a sa ruine qui
les faisaient circuler. Une garnison nombreuse
et formidable occupait alors ]a place de Cadix ;
00 ne remarquait dans l'armée de Freyre aucuo
indice qui donnat l'espérance de la voir se rat-
tacher a la cause de la patrie; la nationentiere,
fra,ppée de stupeur, pa~aissait etre muette a l' ap-
pel de ses défenseurs; et le sort de ceux-ci n' a-
yait rien que de sombre et de funeste dans I'a-
venIr.


Si ron réfléchit que trois mille hommes, seuls,
isolés, étaient bloqués par des forces cinq fois
plus considérables; que ces homules étaien! des




189
so1dats regardés, jusqu'a ce nloment, comme
d'aveugles instrumens de la tyrannie; que ces
soldats étaient attaqués par tous les genres de
séductions et d'intrigues; qu'on ne cessait de
leur représenter leurs chefs et leurs officiers
comrn'e des factieux, des parjures, traitres a leur
roi, rehelles a leurpays, el qui les entrain aient
a une ruine inévitable : oú se convaincra que,
pour avoir résisté a tant de piéges réunis , a tant
d'intéretsligués contre la patrie, il fa11ait que
ces trois mille hom~es fussent doués d'une jus-
tesse d'instinct et d'une rectitude de jugement
bien extraordinaires; d'une pénétration bien
rare; d'une anle vraiment héro'ique; en unmot,
d'un caractere lel qu'on en rencontre peu,
mente dans les dasses süpétieures de la société.


J amais, pendant c~tte erise; le peupleentier
de la vine de San·Fernando ne chancela un roo-
nlen~ daos sa fidélité a la Cause de la patrie; le
blocus, dont les resultats pouvaient lui devenir
si funestes, ne donna naissance a aueune, plainte,
a aueun désordre. Les alcades et les autres roa"
gistrats eonstitutionnels redoubletent d' aetivité ..
de zele, de vigilante, poul' porter remede a
nlille maux que les círeonstances rendaient iné·
vitables ; l'harmonie, l' affection, la eonfianee
qui régnaient entre les troupes et les eitoyens,
ne furent p~s altérées un seul instant; la Junte




190
supreme de gouvernement, installée le 5 fé.
vrier, dans la ville de San Fernando, se dévoua
au maintien du hon ordre; les citoyens se mon-
trerent toujours hérolq~es, et furent, en tout,
dignes de leurs défenseurs.


Arriva enlin ce jour de bonheur et de gloire,
ou le Peuple espagnol, dont un concours de cir-
constances malheureuses avait fermé jusque.la
les oreilles aux cris de ses plus dignes enfans,
manifesta hautement son désir et son irrévoca-
hle VOIOllté de les inliter. La Galice se rappela
son ancienne gloire ; le 21 février, elle se pro-
non~a solennellenlent, et la viUe de la Corogne
devint le second houlevard de la liberté espa-
gnole. Peu de jours suffirent ensuite pour faire
déclarer les Asturies, l'Arragon, et plusieurs au-
tres provinces. On apprenait a tont instant que
la Constitution venait d'etre proclanlée sur les
points les plus opposés de la péninsule ; unani-
mité précieuse, qui pro uve assez combien 1'Es-
pagne était mure pour la liher:é. Toutefois,
pour en exprimer le vreu, il fallait qu'eUe fut
déja affranchie de la terreur que lui inspiraient
les tyrans : c' est la, surtout, le grand, l'imnlense
serviceque lui a rendu l'armée, et c'est sans
doute aussi celui que 1'0Iygarchie européenne
luí pardonne le moins.


Lorsque les autorités militaires de Cadix fu-




191
rent instruites de ce grand mouvement général,
eHes parurent enfin se décider a le suivre, et
un ordre du général Freyre, qui arriva lui-
meme de Puerto Santa-Maria, dans cette place,
afin de rendre, si ce n' est plus" légitime, au
moins plus solennelle, par sa présence , la pro- •
nlulgation de la Constitution, annon~a que cette
rete, qui devait etre le triomphe et qui fut 18
tombeau de tant d' anlis de la liberté, serait cé ..
lébrée a Cadix, le 10 du mois de mars.


La plunle nous échappe des nlains, a l'hor-
rible récit qui nous rest.e a faire; continuons
néanmoins a remplir la tache, souvent si facile
et si belle, et maintenant si pénible, que nous
nous sommes imposée. C'est surtout en ce mo-
ment, qu'en attendant la tardive vengeance des
hoÍnmes, notre anle a besoin de reconnaitre
que l'imnlortalité du crime est un des supplices
que la Providence a réservés au coupable !


Le" général Quiroga, désirant prendre part
a une solennité si viveUlent appelée par les vreux
des généreux habitans de Cadix, lit connaitre
ce vreu au général Freyre, qui l'agréa, et joi-
gnit a sa réponse une invitation formelle.En
Gonséquence, Quiroga chargea une députation
de l'armée nationale, composée du chef de l'é-
~at major général Don Felipe de Arco-Aguero,




192
du commandant général de l'artillerie Don Mi.
guel Lopez-Bagnos, et du citoyen Don Antonio
Alcala Galiano, accompagnés de l'adjudant
Don Ygnacio Sylva, d'assister., au nom de l'ar ...
rnée et au sien, a eette auguste eérémonie.A
peine étaient-ils arrivés a Torre-Gorda, pré ...
cédés d'un trotnpette et de trois ordonnances,
qu'ils rencontrerent une foule immense d'habi ..
tans de Cadix, qui, instruits de la solennité qui
se préparait pour le lendemain, venaient se
réunir a leurs freres de San-Fernando. La eo-
carde nationaleattachée a leurs chapeaux, leurs
acc1amations affectueuses , la satisfaction qu' ex-
pritnaient leurs regards, les expressions de re-
connaiss~nce qu'ils prodiguaient a leurs libéra ..
teurs, tout annon~ait la paix et la plus donce
fraternité. Observateurs fideles des 10is de la
guerre, les députés de l'armée penserent,
DlaIgré les vives démonstrations de joie dont
Icur présence ét~it robjet ,qu'il était de
leui' devoir de faire reconnaitre Ieur qualité
de parlenlentaires; ils se rendirent done a la
Cortadulla , précédespar le trompette, pour y
présenter le titre de Ieur missionaux autorité~
de la place ;on Ieur répondit (( qu'ils seraient
:re~us comme' amis. »Cependant la foule aug-
nlentait sans eesse, et les cris de joic, les vivat




195
cen! fois répétés, a la Constitution, a l'arnlée
nationale et a ses chefs, éclataient de toutes
parts. Entrés dans la ville, les commissaires de
l' armée lihératrice y furent re~us, par les ci ...
toyens, avec un enthousiasme diflicile a décrire ;
les uns étendaient leurs manteaux sous leurs
pieds; les autres leur. jetaient des fleurs qu' on
répandait aussi en ahondance du haut des hal-
cons; ceux-ci pla~aient des guirlandes sur leur
passage; ceux-Ia, les yeux baignés de larmes
de joie, se précipitaient dan s leurs bras, et les


. pressaient sur leur sein. Ce fut au nlilieu d'un
tel cortége qu'ils arriverent a la maison du gé-
néral Freyre, qui les accueillit avec une poli-
tesse froide , ~t Ieur exprima le désir que l' armée
conservat ses positions, alléguant c( que l' entrée
des troupes de l'ile de Léon, dans la pl~ce,
pourrait etre un prétexte de désordres et de
trouhles, et anlener des rixes funestes avec
ceHes qui étaient sous son commandement. »
Un des députés ayant répondu ( que les soldats
de l' armée nationale étaient aussi modérés que
vaillans, et qu'ils savaient respecter la disci-
pline, » Freyre répliqua vivement ( qu'il croyait
que les soldats de son arnlée avaient droit aux
memes éloges. ) Il parait, par l'empressement
que·témoignait le général pour le prompt retour


13




194
,des députés a San-Fernando, qu'ilétaif bien
loin d'éprouver la sécurité qu'il affectait; toute-
fois ceux-ci étaient disposés a satisfaire au désit
qu'il venait de m'anifester, lorsque plusieurs dé-
charges de nlousqueterie s' étant fait entendre,
ils virent le peuplIe se porter en foule et dans le
plus grand désordre vers la maison 'da génél'al ,
demandant a grand cris du secours contre la
troupe qui faisait feu sur les citoyens. La j'é-
ponse du général fut celle-ei :' (f Soyez tran-
quilles, mes enfans, ce n'est rien; n'ayez ,pas
p.eur. » Cependabt le lumulte allait'toujours
croissant; le bruit de la mousqueterie s" appro-
chait et devenait plus vif; enGo, le général se
décida a sortir, paraiSsant vouloir arreter le
désordre qui devenaÍt de plus en plus elfrayant.
H n'en fit rien néanmoins; bien Join de la, il
autorisa, par sa présence et son silence, les atro-
cités et les barbaries qui suivirent inlmédiate-
ment, et dont naus donnerons bientot l'épou-
vantable détail.


Lorsque cette s€ene d'horreu,r commen~a ,les
de.putes', d!apres le c~nseil qu~ils en re«;urent de
Freyrelui~merne, -seretirerent sur uneterrasse
de sa m~is(jn"d'ou, se trainantde toits en toits
et sans etre ape~us, ils aHerent chereher un
asile qu'ils trouverent en'fin dans une maison a




I~
peu de distance de celle du général. L'un deux ,
Galiano, s'étant séparé de ses collegues, pOUI'
se réfugier chez un ami, se vit entouré des as-
sassins, dont, par honheur, iI ne fut pas re-
connu, et entra dans un café ou . iI passa quel-
quesheures. Sorti de la, mais toujours environné
des assassins qui seuls 1 dans ces affreux lllO-
mens, remplissaien t les rues de Cadix, iI parvint
a la maison oceupée par les généraux Villavi-
ceneio et Campana, et reneontra le général
Freyre ehez ee dernier ; il réclama en vain le~
droits attachés a son caractere; on les lui
contesta long-tenlps ;- et lorsqu' enfin ii fut im-
possible de ne pas les reconnaitre, on lui dé-
clara( qu' on ne pouvait lui aceorder la protee-
tion des lois, dan s un instant ou tontes les
autorités étaient méconnues et n'avaient 'aueun
moyen de se faire ohéir; » iI alla done eher-
cher aupres d'un ami la proteetion et la sureté
que lui devaient ses ennemis; et apres une nuit
cruelle, passée dans les plus m,ortelles inquié-
tudes, iI parvint, par l' effet du lIasard le plus
heureux, dans la matinée du 1 1 , a retrouver ses
compagnons. Réunis tous quatre, ils résolurent
de rédanler énergiquement, du gouvernement
de Cadix ( si toutefois iI était possible de don-
ner le Dom de gouvernement a la sanglante
anarchie a laquelle la ville était livrée), les droits




196
sacrésdes parlementaires. On leur envoya pour
réponse un officier qui, l' épée nuea la main et
a la tete de vingt soldats, dont les armes étaient


. ehargées, pénétra dan s l'asile ou· ils étaient re-
tirés, et les fit saisir eomme de vils hrigands.
Ce nlisérahle, indigne de l'uniforme qu'il avait
l'honneur de porter, ne cessa d'insuIter ses
prisonniers, jusqu'au chateau de San-Sébastian,
ou il avait ordre de les conduire. Enfermés dans
cette forteresse , depuis la soirée du 11 jusqu'a
eeHe du 14, ils y furent privés de toute com-
munication entre eux , lnais sans cesser de de ...
Dlander au gouverneur du chateau la permission
d'etre ~éunis, afin de pouvoir concerter ensem ..
hle, et en sa présence, leurs réclamations contre
l' odieux ahus de pouvoir dont ils étaient vico<
times. Enfin, le 14 au soir, et lorsque les événe-
luens de Madrid étaient déja connus a Cadix,
depuis plus de trente heures, on les fit sortir du
cachot, et lenr captivité fut convertie en une
simple détention, don t l' objet n' était plus que
de pourvoir a leur sureté personnelle.


A la réception du court'ier qui avait apporté
. l'importante nouvelle de ces événemens (car
ce serait se tromper étrangenlent que d'attri-
hue!' a la générosité ou au remords des assassins
l'adoucissement qu'éprouvala situation des


ommissaires), on était venu leur anrion~er




197
« qu'ils allaient etre traités en prisonniers de
guerre, et échangés pour un nombre égal de
généraux' retenus a San-Fernando. » O~ devine
facilement quel eut été leur sort dans le cas ou
l'issue des événemens de l\iadrid eut été favo-
rable a la tyrannie! A ~ette déclaration, sur les
motif s de laquelle ils ne pouvaient plus se mé-
prendre, ils se bornerent a répondre (( qu'iIs
feraient connaitre la conduite qu'on avait tenue
a leur égard; i) Toutefois, les nouvelles de
l\ladl'id se succédant alors a tout moment, et
ne laissant plus de doute sur le triomphe com-
plet de la cause constitutionnelle, les généraux
de Cadix, trenlblans "au souvenir du passé,
épouvantés a la pensée de l'avenir, cherchaient
vainement, dans les ordres qu'ils avaient re~us,
les motifs d'éluder la terrible responsabilité qui
pesait sur leurs tetes, et c'est au salutaire effroi
dont ils furent frappés, que les députés de l' ar-
mée durent la liberté qui leur fut rendue le 16
mars, au point du jour. On les fit embarquer
dans la petite rade située en face du chateau de
San-Sébastian, ponr les renvoyer a San-Fer-
nando, sans les faire passer par Cadix, ou il
n'était que trop probable que leur présence,
en rappelant tous les forfaits commis le 10 ,
rallumerait l'indignation générale contre les
abominables agens de la tyrannie, dont le




Ig8
sceptre sanglant venait enfin d'etre hris~. Au
nloment ou ils rentrerent a San-Fernando, les
députés re<;urent de telles marques d'intéret et
d'affection, que bientot tous les maux qu'i1s
venaient de souffrir furent oubliés.


Les événemens, personnels aux parlenlen-
taires de l'armée, occupent une place trop
importante dans la fnneste époque dont nous
retra~ons l'histoire : ils sont trop essentielle-
ment liés au systeme de pedid ie et de cruauté
~l~rs adopté par la cour, pour que nous ayons
eru pouvoir nous dispenser de les rappeler dans
tous leurs détails. Nous allons maintenant pré-
sen ter le tablea u général des eirconstances qui
précéderent, aeeompagI}erent, et suivirent
eette épouvantable eatastrophe.


Le jeudi 9 mal~S 1820, a onze heures et
demi du' matin, on vit entrer a Cadix, par la
porte de Séville, le général D. Manuel Freyre;
eapitaine général de l'Andalousie, et général
en ehefde l'armée royale, lequel, depuis 1'01'-


. ganisation de eette armée,. visitait la place
pour la seconde fois. Sa physiononlie parais-
sait animée d'une joie égale a eeHe qu'inspi-
raie,nt sa présence et les motifs présumés de son
retour. Peu ·de temps apres son =!lrrivée, ce
général, aecompagné du capitaine général de
la marine Villavicencio, se pl'ésenta en cos-




199
turne de gr~nde cérémonie, sur la place San-
AntQnio, ou s'étai~nt formés des groupes plus
nombreux que ceux qui s'y réunissaient de
C()~tulne, pendant les jot¡rs de rete. On s'en-
tret.enait de tous cótés, du jour h~ureux OH la
Constitution allajt etre p;Qblié.e. De vifs applau-
dissenlcns partaient d~s groupes, et s'adres-
sa.ient a~ de~x généraux, pendant que, con-
~inuant Ieur p,romenade, ils souriaient a la ronl-
titude qui se pressait sur leur passage. L'allé-
gresse allait toujours croissant. Quoiqu'il [lit
trois heures nloins lIn quart, heure a laqueHe
les généraux et les personnes les plus distin-
guées se retirer.ent pour se nlettre atable, Ja
p.lace resta CQllstaroment remplie de nlonde;
partout on voyait les. memesgroupes, partout
on retrouvait les memes entretiens. Les Ul1S
avaient ouhJié l'heure du diner; les ~lUtres al-
laient se meltre atable et revenaient aussÍtot,
inlpatiens d' apprendre des l10uvelles et de com-
muniquer ceHes qu'ils avaient apprises. Les
choses se passerent ainsi jusqu'a quatre heures et
denlie; alQrs les gé~éraux se présenterent SUI' un
balcon, donnant sur la place de San-Antonio et
la rue de Linares; lepeuple, en les voyant ,
poussa des crjs de joie, sans prpférer toutefois
le motde ConstitutiQn. A ces vives démonstra-
tions le généraI en chef répondit : «( Demain




.200


au soir; ) et conlnle tout le nl0nde gardait Je
silence, il continua ainsi : «( Le peuple de
Cadix est éclairé : j' espere que ceci ne sera
point une occasion de troubles iI faut que
tous les ressentiulens s'apaisent, qu'il n'y ait
poiot de sang répandu ;divertissez-vous, mes
arnis : ») a ces paroles, dont la feinte douceur
cachait de si exécrables desseins, le peuple
répondit par des acclarnations réitérées et les
eris de « Oui, oui, filon général. » Alors le
hruit des cloches de San-Antonio se lit enten ...
dre et fut suivi de nouveaux vivat a la Consti-
tution et au général en chef.· La joie, déja si
vive, devint universelle et ressembla au dé-
lire, c( Divertissez-vous, mes amis, répétaient
les généraux Freyre et Villavicencio, » mais
que ce soÍt san s . désordre. ») - ( OuÍ, ouí, tout
se passera en fetes l) répondait eetLe foule de
eitoyens confians et généreux, dont la der-
niere heure allait SOlluer. Cependant le peuple ,
dans son empressement, demanda quelques
instans apres c{ que la cérémonie eut líeu le
soir meme, et que la pierre Constitutionnelle
fut placée sur-Ie-champ. » - « Cela ne se
peut, répliqua le général, )~ tous les prépara-
ti fs ne seront terminés que demain,' afin de
donner a cette imposante solennité tonte la
pompe nécessaire; mais jusque-Ia, j,e vais




201


faire placer une pien'e provisoire. Satisfait
par eette réponse, le peuple réclanla la nlise
en liberté immédiate, de tous les individus
arre tés par suite de leurs opin¡ons. Le général,
a gui tous les genres de mensonge, eomme
de perfidie, étaient devenus faciles, affirma
c{ que l' ordre en avait été donné, et que tous
étaient libres. ) Peu d'instans eussent suffi pour
le eonvaincre d'imposture;- nlais le peuple erut
a sa parole, et Freyre était bien eertain que
le jour suivant, a la meme hellre ,personne ne
lui demanderait eompte de l' exéclltion de sa
pronlesse !.. Pendant toute la nuit du 9 au ] o,
des transports d'allégresse éclaterent sur tons
le points de la ville; les magasins demeurerent
ouverts; le peuplepareourut les rues, élégam-
nlent tapissées; l'illnmination générale. dura
jusqu'au jour ; et le lendenlain, avant le lever
du s.oleil, les eommunications furent ouvertes
entre Cadix et San-Fernando. Une foule im-
mense de citoyensde Cadix, les unsen caleche,
les autres a eheval , et le plus grand nombre a
pied, s' empresserent d' aller embrasser des amis
auxquels ils désiraient depuis si long-tenlPs de
se réunir. C'est sur eette route que se rencon-
trerent les députés de l'arIuée qui , ainsi qu'on
l'a vu plus haut, se rendaient a Cadix, et les
bahitans de eette ville qui allaient presser dans




2'Ó2
leurs Mas lellrs freres dé San-Fernando. Déjlt
le journal de Cadix, du 10 mars, avait an-
noncé l'heure a laqueIle la Constitution serait
promuJguée; les jours pendant lesquels la vine
serait illuminée; et publié le progranl'me des
fetes qui devaient etre célébrées a cette grande
époque. Déja s'élevaient dans les raes et sur la
place San-Antonio les échafaudages destinés a
placer les magistrats chargés d' annoncer . au
peuple le rétahlissement de ses libertés; toutes
les aut,orités étaient invitées; et, qni le c:r:oi-
rait? les consuIs des puissances étrangeres
furen!. appelés a venir sanctionner, par leur
présence, l'un des plus horribles aUentats qui
aient ensanglanté les annales homaines (1).


Freyre donna ordre a toutes les troupes de
rester dans leurs casernes, et, sous aueun pré-


(1) Si les consuIs fussent arrivés quelques instans plus
tot, il est probable que, da'ris l'impossibilité de faire
reconnaitre leur caractere par une soldatesque ivre de
vin et altérée de sang, ils auraient partagé le sort des
infortunés hahitans de Cadix. Nous avons sous les yeux
une leltre de cette ville, datée de cette époque, dan s
Iaquelle on an~once que le consul de France avait
d.emandé une satisfaction. Si ce fait est vrai, il est
}lrésumable qu'on n'aura point donné de suite a ~eUe
demande.




~o5
texte , il ne fut permis aux officiers et aux sol ..
dats de se répandre dans la ville; ou' avait un
trop grand intéret a séparer de la joie com-
mune ceux qu'on destinait a devenir; dans
<Juelques instans, les hourreaux ,de leul's pai-
sibles concitoyens. Cet ordre fut observé pen~
dant toute la joúl"née du 9, et durant ce tenlps,
des patrouilles, eomposées de la nlÍlice de Sé-
viUe, dont l'union avec les citoyens ne fut pas
troubléeuo seul moment, maintinrent dans la
viII e un ordre si parfaít, que niles cafés, ni
les nlagasins, ni les lieux de divertissenleot a
l'usage du peuple, ne furent fermés pendant
28 heures; et que, daos cet iotervalle, aucune
personne de l'un et de l'alltre sexe ne commit
le plus léger désordre.


Le 10 tnal's, a dix heures un quart du matin,
au moment on toute la population de Cadix,
livt:ée a l'espoir des nouvelles destinées de la
patrie et transportée du plus saint enthou-
siasme, était rassemblée dans les rues et sur les
places poul' assistel' a la promulgation de l'acte
constitutionnel, indiquée pour onze heures ,
on vi t, tout a coup, sortir de la caserne de la
Bornbe, sQmblables a des lious furieux, et
ivres ponr la pIupart, les soldats du hataillon
des Guides, au hombre de quatre cents, fai-
sant fen de tous cotés, sur la foule, et sur les




204
hahitans que l'horreur d'un tel spectacle faisart
accourir a leurs halcons. lls assassinaient les
citoyens, aux cris de vive le rOl, pendant que
ceux des soldats qui étaient restés dans les ca-
sernes, poussant les memes cris et montrant la
nleme fureur, faisai~nt également feu, du hant
des toits de ces casernes, formés en terrasses et
revetus de parapets. Les soldats qui étaient
sortis des quartiers se dirigerent par la place de
la Verdad, et les rues a droite de ceHe San-
Antonio, continuant a égorger tout ce qui se
trouvait sur leur passage, et nlassacrant iridis,...
tinctenlent hornmes, femmes, enfans, vieil-
lards~ Les malheureux ouvriers qui élevaient
les échafaudages sur la place, et qui ét~ndaiel1t
les tapisseries devant les maisons, tomberent
les preQ.liers sous les coups de ces brigands, qui
paraissaient ne ralentir un nloment leurs assas ..
sinats, que pour dépouiller les cadavres de
leurs victimes. TouSi ceu:X des hahitans a qui
on en Jaissa le temps, se réfugierent dans les
premieres nlaisons quis'offrirent a eux. Cepen-
dant les officiers qUl présidaient a cette épou-
vantable boucherie, vinrent chercher les géné-
raux F~eyre et Villavicencio, dans la maison
ou ils étaientrenfermés, rue de Linares, et les
en firent sortir, pour les conduirechez les
généraux Campana et Val des , logés dans ies




.205


menles casernes d'ou venaient de sortir;
quelques instans auparavant, et aux memes
cris de vive le roi, le régiment des Guides,
et le bataillon d'assassins connu sous le nom
de la Lealtad, suÍ vi des milic.es de Xeres,
destinées a le seconder dans l' exécution des
massacres. Le colonel Capacete et son fils
terminerent cette scene d'horreurs en s' enl-
parant des clefs de la vilIe, qu'ils apporterent
au pavillon habité par Valdes, quoiqu'un
nombre considérablede citoyens mt encore
hors des portes. Ce fut dans ce pavillon que se
réunÍrent ensuite les généraux, et leurs exécra-
bIes complices, les chefs et officiers des hordes
de brigands que nous venons de nommer.
Apres avoir donné le matin, a la Cortadura et a
l' escadre, des ordres pour laisser librement
communiquer les habitans de Cadix et ceux
de l'ile, ils changerent tout a coup ces instruc-
tions·, et prescrivirent de renlettre les forts et
la ville dans le meme état de défense qu'aupa-
ravant. Le général Villavicencio partit a une
heur~ poul' la Cortadura, d' ou il monta a bord ;
Freyre ne quitta Cadix qu'a quatre heures du
soir, pour retourner a Puerto Santa-1\laria.


l!n feu de file ou de peloton , tel que pour ...
rait le faire une troupe de nlÍlle honlnles, avait
duré depuis dix heul'es un quart du matin jus-




206


qu'a une heure de l'apres nxidi; les cris de vive
le roí, .qui paraissaient etre le motd'ordre des
hourreaux, s'étaient meJés, pendant les mas-
sacres, aux génlissemens des hlessés et aux
derniers soupirssles mourans.


Les assassinats continuerent pendant trois
heures; mais les brigandages se prolongerent
au dela de vingt-quatre. Les soldats, divisés
par pelotons de huit, dix, et quinze hommes ,
se répandirent alor8 dans tous les quartiers
de la ville, mena<;ant a tout instant de l'incen-
dier; enfon<;ant les portes des rnaisons ponr
les piller : et ran~onnant, la baionnette sur
la poitrine , ceux que les hesoins de la vie for-
<;aient encore a se trouver dans les rues. Plusieurs
personnes qui n'avaient point d'argent sur elles
furent impitoyablement égorgées par ces ean-
nibales; le nombre des hahitans qui raeheterent
leurs jours de leur hourse fut eonsidérable ,
paree que, outre ceux dont nous venons de
parler, un grand nombre de eeux qui s' étaient
refugiés dans les rnaisons de leurs amis, ayant
eru pouvoir en sortir avec sureté, aussitot
qu'ils avaient vu que le ftm avai t cessé, étaient
tombés ainsi entre les mains des soldats.


Quoique des patrouilles , eomposées des au-
tres eorps de la garnison, pareourussent les
rues, iI fut cependant impossible d'arreter le




2'°7
désordre avant l'apres midi du samedi 11; ce
Uleme jour; vers le soir, une proclamation,
affiehée sur les nlurs de la ville, et dont le but
é.tait de rejeter sur les prétendues provocations
des paisibles et infortunés citoyen.s, les forfaits
inouls qui venaient de se comn'lettre, annon~a
que tOHtétait trall'quiUe , i'llterdit a tous les ha-
hita.ns de porter une arme, soit offensive, soit
défensive; lenr défendit de circuler dans les
rues, apres huit heures du soir , sans passe-
port de leur commissaire de quartier; et
ordenna que les eafés et les boutiques seraient
fermés a sept heures. CeUe proclanlation, qui
n' eut été que ridicule, si ce mot pouvait trou-
ver place au milieud'un tel desastre, fut sui-
víe d'un ordre du jour plus horrible, s'il est
possible, que les forfaits meme de la veiUe.
Daos ceUe picce , vrainlent remarquable par la
franchise de sa scélératesse et l'exces de son
audace, l'abominable Campana, né lui-meme
aCadix, rendait de solennelles actions de
graces aux troupes qui venaient de se baigner
dans le sang de ses concitoyens sans défense ( 1).
Le soir, ces memes troupes furent réunies sur la
place San-Antonio, pour y jurerfidélité au roí !!!


(1) Pieces justificatives.




:208
Le nombre des citoyens qui perdirent la vie


dans cette affreuse journée fut de quatre cent
trente-six; soixante-seize furent blessés, et plu-
sieurs d' entre ces derniers moururent quelques
jours apres, a I'hospice de San-Fernando (1).


Un voile, inlpénétrable depuis dix nlois a la
justice, mais transparen~ pour l'opinion publi-
que, soustrait encore a la vengeance de la na ..
tion espagnole les véritables auteurs des lnassa-
cres de Cadix, dont les Freyre, les Campana
et les Valdes, furent les atroces mais aveugles
instrumens; ce meme voile, qu'il ne nous' ap-
partient pas de lever, mais qui sans doute ne
tardera pas a l' etre, est étendu sur les conspi-
rateurs de Valence, d'Avila, de Burgos, dont


'>


quelques-uns, dit-on, prétendent se justifier en
comprernettant le Dom le plus auguste ; les vé-
ritables Espagnols sont consternés de tant d'im-
punité et d'audace; ils ne peuvent se dissimu-
ler qu'elle doit encourager a de nouveaux at-
tentats les ennenlÍs de la liberté et de l'ordre


(1) Quelque considérable que soit ce nombre, il reut
été bien davantage si les soldats, qu;on avait pris soin
d'enivrer pendant la nuit, eussent tiré d'une mainplus
sure; mais lxlr bonheur toutes les baIles }1orterent tres-
haut, ainsi qu'on l'a vérifié depuis.




209
tonsti,tutionnel ; ils se demandent s'il exÍste en
Espagne d'autre inviolabilité que cellede la perJ.
sonne royale : or, eette personne étant un etre
abstrait ,qu'aucune loi, aucun soupc;on nH~md
ne peuvent atteindre, nous oserons demander,
a notre tour, dans l'intéret d'une nation si
digne de conser:ver la liherté qu;elle a con-
quise, q~elle est la cause inconnue qui; en
rete.nant depuis si long-tenlPS le hras de la.
j,ustice, levé sur des hOlun1es également cou-
pahles envers la patrie qu'ils trahissent et lé
nlonarque' qu'ils calomnient, provoque ces
vengeances populaires, d' exécrable mélllOire ,
dont la France, a l'une des plus funestes épo-
ques de sa révolution, donna l' exemple aU
monde (1).


Mais iI est temps de détourner nos rega.rds
du sanglant spectacle qu'offrait la malheureuse


(1) Les massacres des premiers jours de septembre
1 '792. Pel"sonne n'ignore que les hommes barbares qui
dirigerent ces épouvantables événemens, avaient enflam-
mé l'imagination de la multitud e , en lui persuadant que
les tribunaux de eette époque se refusaient a condamner
quelques hommes qui; a la suite de la révolution du
10 aout, lui étaient désignés comme ses ennemis. Cest
surtout a cette cause qu'il faut attribuer la criminelle
indifférence avec laqueIle la }:lOpulation de París, forte de


14




210


ville de Cadix, li vrée a tOtltes les hórrel1I's
d'une· place prise d'assaut, pour les reporter
sur le théatre de la gloire des libérateurs de
l'Espagne.


plus de huit cent mille ames, vit exécuter, pendant six
jours, sous ses yeux, par un peti{ nombre d'assassins,
et au Dom de la liberté, des forEaits inou'is ,qui, a
trois, et vlngt-trois années de distance ( 1795 et .815)',
furent imités dans d'autres villes de la France (Lyon,
. Marseille , etc.) ,.llar une. faction qui se d-isait royaliste,
en égorgeant , sans jugement ,. des milliers de Eranfais,
au DQm du roi de France!




211


AFFAIRES


DE GAL~ICE~


D E 11 U I S la nlort funeste, mais glorieuse, de
l'infortuné général Porlier, les amis de la li-
berté, qu'une cour perfide et cruelle croyait
avoir épouvantés par l'appareil des supplices,
poursuivaient, en Galice, avec une inébran-
lable persévérance, leurs hérolques désseins
pour tenverser la tyrannie. Malgré les obstacles
de tout genre qu'apportait le gouvernement a
la cjrculation des nouvelles, elles se propa-
geaient néanmoins avec une étonnante rapidi ..
té, d'Jjne extrémité de la péninsule a l'autre.
Du moment qn'on eut appris, a la Corogne, les
événemens qui s'étaient passés a l'ilé de Léon ,
dans les premiers jours de janvier 1820, 00
ne songea plus qu'a: seconder, par tous les
moyens, des projets aussi généreux, aussi
hardis, et dont l'exécution était environnée de




212


tant de périls. La eOnVJetlOn profoude ou
l'on était que si le plus pal'fait aeeol'd ne s'é-
tablissait pas sur-le-chaulp eutre fons les amis
de la patrie, et!tte nouvelle entreprise aurait
le sort de eeHes qui l'avaient précédée, décida
a presser de plus en plus le soulevelnent de
toute la provinee de Galice; toutefois, la des-
truetion d'un gouvernement fondé sur une
obéissance de plusieurs siecles, et fortifié par
la terreur, n 'était une chose ni prompte ni fa-
cile a effectuer; par nlalheur, la nlarche des
opérations était lente, paree que, pendan'! le
eours des six dernie.~es années qui venaient de
s'.éeo1iler, on avai t vu . avorter des; leur nais-
sanee le germe des plus nobles pt'ojets ,et
que, maintenant, ehacun eraignait de se C0111-
pronlettre; il était done néeessaire de comp- .
ter sur un grand nombre d'individu::, inac-
eessibles a la erainte, pleins de eonfianee les
unsdans les autres, et déeidés a tOLlt; il ne l'é-
tait pas nloins que les réunions cIandesti"les ne
se rassemblassent qu'avee un profond mystere"
et que la surveillanee des autorités fut dé<.;ue;
enfin, iI était indispensable de réunir eu un
seu 1 point tout ce que la prudence et la pré-
voyanee humaine peuvent inspirer dans des
conjonctures aussi importantes. D'ailleurs le




213


temps pressait, et les nouvelles qui parvenaient
d'Andalousie n'étaientpasrassurantes; l'arrivée
dll général V énégas alarmait les uns , rassurait
les autres, et décourageait ceux qui, en plus
grand nombre que tous les autres, croyaient
que sa présence pourrait mettre obstacle a
l'exécution de projets déja si avancés.


Ce géné11 al, qui, chargé des ordres de la cour,
n'était cependant parti de Madrid qu'avec une
extreme répugnance, avait déja appris a Villa
Franca del Bierso 1 une partie' des projets qui
se tranlaient a la Corogne, et on ne lui avait
pas nleme laissé ignorer qu'on l'attendait dans


. cette ville pour s'assurer de sa personne; nlais,
soit qu'il n'accordat pas une entiere confiance a
ceux qui luí avalent fait ces com01unicatio11S ,
soit qu'il ne vouhit pas manifester d' avance
des craÍntes qui pouvaient n'etre pas fondées :
OH peut-etre ( ce qui parait plus vraisenlblable ),
qu'il eftt fornlé le desse~n de prévenir, par des
nloyens de conciliation, l'exécution des plans
dont 00 venait de l'instruire, il est certaio
qu'il continua sa nlarche jusqu'a Betanzos, ou
iI arriva le 20 février au rnatin, san s manifes-
ter le 1110indre soup<;on. La, il demanda au co-
Ionel du régiment provincial de Betanzos D. He-
l'aclio Ala'iz, s'jl n'y avalt rien de nouveau a la




214
Corogne; question mystérieuse qui échapa a sa
circonspection ordinaire, car ses craintes aug-
mentaient de plus en plus en approchant de
lacapitale de la province. Toutefois, le colone],
instruit de tout ce qui se passait, par les anlis
de la liberté, qui comptaient sur lui pour
l' exécution de leurs plans, et qui leur avai t
promis toute son assistance, parvint a· dissiper
les inquiétudes du général, avec tant de finesse
et de sagacité, que celui-ci n'hésita plus a con ...
tinuer sa route.


Tel était, en ce moment, l'état des choses
a la Corogne. Plusieurs habitans du Ferrol, de
Vigo,. de Retanzos, d'intelligence avec cette
ville, n'aUendaient q,ue le signal convenu pour
seconder les opérations de leurs ami s , en
levant au nleme instant l' étendard national,
et appelant sur divers points, par cette im ..
portante diversion, un ennemi qui pouvait
disposer de forces et de ressources heaucol1p
plus considérahles qu'eux.


Le général arriva dans l' apres-midi; ·le soir,
plusieurs officiers se réunirent pour déterminer
le temps, le líen, et les moyens a prendre
pour fai.'e éclater la conjuration. Apres avoir
aplani quelques difficultés, et s'etr'e entendus
avec plusieurs des citoyens les plus dévoués




215


de la ville et des villages voisins, ces braves
militaires, certains qu'ils seraient soutenus
par le peuple tout entier, et assurés d'e
I'assentinlent secret du général, qu'on savait
désirer au fond de son coour l' établissement du
gouvel'nement constitutionnel, se séparerent
jusqu'au lendemain, jour désigné pour rendre
la liberté a l'Espagne, ou du nloins, et a tout
événement 1 si des obstacles imprévus venaient
s'opposer a ce grand dessein, pour donner a
Ieurs freres d' Andalousie des secours que Ieur
situation Ieur rendait si nécessaires.


MaIgré les irnminens dangers attachés a exé-
cuter, pendant le jour, une entreprise de la
nature de ceHe dont iI s' agit ici, les conjurés de
la Corogne ,qui n'ignoraient pas ces dangers,
mais qui ne pensaient pas qu'un dessein juste,
tramé pour rendre la liberté a la patrie, dut
etr~ conduit cornnle une de ces conspirations
vulgaires, enfantées par l'ambition ou la ven-
_ geance, résolurent de donner un exempIe tout-
a-fait nouveau dans l'histoire, et a leur démar ..
che un caractere imposant de justice. lIs ne
voulurent point surprendre insidieusement les
dépositaires de l'autorité, mais réclamer hau-
tement, et cornrne une chose sacrée, les droits
d'un grand peuple, indignement usurpés par




216


quelques tyrans. Ce fut done l'heure de midi, et
l'instant ou les chefs et les officiers de lagar ...
Dison se rendraient aupres du général Véné-
gas ,ponr l~ complimenter sur son arrivée 2
qu'ils choisirent pour nlettre leurs projets au
jour.


Quoique tous les officiers ue fussent pas dans
l~ secret de cette conjllration, l'esprit de I'ar ...
111ée était trop bien connu pour qu'il fut perluis
de douter qu'au nloment ou elle éclaterait,
t.ons ll.e fussent jaloux de concourir a la gloire
de défendre la liberté nationale. Cependant,
si, contre toute attente, il en était quelques-
uns d~assez taches pour S'opPQser aUlle aussi
glorieuse résolution, il fut décidé , qu'a l'instant
111enle, 011, prendrait les nlesures les plus éner ..
giques et les plus efficaces poul' rendre leur ré-
sistance inutile, et surnlonter tous les obstacles~


Le 2 ( février, a .nidi, pendant que les
chefs des corps et les officiers se rendaient au
paIais, pour saIuer le Général, un nlurnlure
confns, présage trop souvent fnneste des gran-
des comnlotions politiques, annon<;a que l'heure
était arrivée ou la Galice allait secouer le joug
du plus hontel)x esclavage, et que, pOUI' y par-
venir, les citoyens et l'arnlée n'avaient plus
d'al)tl'cs 1110yens a prcndre (Iue cenx qq'avaient




21 7
embrassés leurs généreux devanciers de l'He
de Léon.


Le grand salon du palais était rempli de mi-
litaires de tout grade, et le général V énégas ,
ne portant pas d'épée ce jour-I~, cóntre son
usage, recevait leurs hornmages sans dé6ance.
le second cornrnandant de la province, Don
Nicolas Llano.Ponte, n'était pas présent ; cette
circonstance, qui n'était en effet que le résllltat
du hasard, ne pouvait cependant etre vue avec
indifférence, dans un nloment ou les troupes,
incertaines sur le parti qu'elles auraient a
suivre, la présence d'un Général pouvait ren-
verser, en un instant, toutes les mesures qni
auraient été prises. Par bonheur, il arriva qu'a
peine cet hQrnnle eut été insteuit, daos la rue,
de ce qui se passait au palais, que, loin de
cOllrir a la défense du Capitaine-Général, iI oe
songea qu'a se sauver lui-meme.


Il -avait été convenu , pour signal du 11louve-
ment, qu'un denli-quart d'heure apres que le
corps d'officiers serait entré daos le salon, les
citoyens, qui étaient avertis, feraient entendre
sur la place les cris de: Vive la Nation, vive la
Constitution. Cependant le temps s'écoulait et
ron n'entendait ríen: Alors le lieutenant co-
Jonel p. José Aranda sortit du cercIe, se pré-




!lIS


senta a run des halcons inférieuI'S du palais ,
qui donne sur la place, et 6t, avec son nlouchoir,
un signe aux citoyens rassenlhlés; il répéta
ce signe par trois fois, avant d'etre compris,
et ce ne fut qu'it la derniere que s'écriant lui-
menle: ( Vive la Nati.on, vive laConstitution, »
et engageant le peuple a répéter ces paroles
avec lui, elles retentirent unanimement, et a
plusieurs reprises, sur lous les points de la
place, pendant qu'un grand nonlbre de citoyens
s'étaient approchés des soldats de )a garde du
Général, pour les eovelopper. eeUe cil'con-
stance fut sur le poiot d' ameller les événenlens
les plus facheux, car la sentinelle et deux sol-
dats ayant déjit fait feu, on était sur le point
d'en venir aux mains. Néanmoius, ce premier
accident n'eut aucuoe suite. A l'instant, les ci-
toyeos José. Varela et José Régal, secondés de
quelques autres, s'emparerent des armes, et
pal'vinrent a enfernler dans le corps-de-garde
l'offici.:;r qui le comnlandait ainsi que les soldats,
a l'exception de ceux qui étaient en sentinelle
dans la partie supérieure du palais.


Le général apprit alors, par un adj udant de la
place, que la garde était en désordre. En meme
temps parnrent arnlés, a la porte du sa10n,
l'hahitant Juan Viniegra suivi de Manuel Varéla.




219
A ce signal convenu, le colonel d'artillerie Don
Carlos &pinosa, qui se trouvait dans ce salon,
met l'épée ~ la main; a l'instant il est imité par
tous ceux qui l'entourent, et dont la plupart,
ignorant la cause de tout ce mou~ement, atten-
daient avec inquiétude le dénouement d'une
sdme aussi extraordinaire. Pendant que ceci se
passait, les hahitans, armés de sabres et de
pistolets, arri vaient de tous cotés dans le salon,
poussant les cris de ( vive la Constitution. » La
sentinelle voisine de la porte essaya de faire
feu; nlais son arme lui ayant été arrachée par
un oflicier des volontaires d' Aragon, celui-ci
entra dans le salon l' arme au hras, et procla-
mant le triomphe de la cause constitutionnelle.
Au milieu de eette scene, le .général V énégas
voulut porter la nIain a son épée; mais, s' a-
percevant qu'il ne l'avait pas, il l'entr~ chez
lui. Le gouverneur de la place s' étant avancé
en incme temps, et ses dispositions paraissant
équivoques, il re~ut une légere blessure et fut
désarmé.


Espinosa, suivi du.lieutenant colonel d'artil-
lerie D. RamOQ y Bagnes, et de quelques autres
officiers, entra a101's dans l'appart~ment du gé-
néral, et lui 6t connaitre ce que la volonté du
peupl~ et de la garnison étaient unanimes; »




220
. " .


ajoutant ( que sa personne était universelle-
nlent estinlée et respectée, et que, ponr obte-
nir lá" confiance générale , iI n'avait hesoin que
de se lnettre a la tete des troupes, et procla-
nler imnlédiatement la Cnnstitution , que le
peuple et l' armée" demandaient a grands cris. »
Enfin, V énégas se déCida a descendre a la porte
du palais , accompagné d'Espinosa et des autres
officiers, pour se convaincre par lui-meme du
VeBll du' peuple.


A peine eut-il vu le petit nonlbJ'e de per-
sonnes qui se" trouvaient sur la place," que,
se renlettant de son prenlier trouble, et se
toui'nant vers Espinosa, illui dit: c( je nevois
point ici le peuple; on vous a tronlpé, Espi-
nosa. - On ne m'a point trompé, nlon géné-
ral, rcprit Espinosa, et si vous" ne pretez
vous-meme sernlent a la Constitution, je ne
réponds pas qu'on ne níanque au respcct qui
vous' est duo -, Bon! "ajouta V éllégas, cecÍ
n'est qu'un moment d'dfervescence; recondui-
sez-nloi dans nlon appartement. »
Tl~Op faible pour se résoudre a donner 1'0r-


ore oe jurel' le Dlaintien de \a Constitution ,
V énégas, dont les talens, les conllaissances, et
les intentions sont dignes des nlemes éloges ,
fut ranlené daos sa chambre, ou iI' fut retenu




221


prisonnier avec le gouverneur de la place; les
colonels et conlnlandans des régimens de Gre-
nade et ue Castille; le colonel' du 2 e • légers
d'Aragon; et le brigadier colonel d'artillcrie
Don Andrés Lavina, qui renlit v~lontairenlent.
son épée. On baUit la générale, et les officiers
se rendirent, du palais a leurs quarliers respec ...
tifs, ou ils étaient attendus par leurs canlarades
et plusieurs sergens, qui, tous, ayant mérité
par leuI' fidéJité a ]a patrie d'etre instruits de
ce qui se tramait pour elle, étaient nlaintenant
occupés a fornler les troupes. On comptait
parmi les braves qui conh,ibuerent le plus au
sucd~s de la journée, plusieurs de ceux qui,
apres avoir servi sous les ordres de Porlier ,
avaient été arretés comme prévenus d'intelli-
gences avec ce général. Un lieutenant du régÍ:-
filent de Grenade demeura, pendant quar'allte-
huit heures, de garde aux portes de la ville, ponr
enlpecher d'en sortir quelques individus euue-
mis déclarés de l'ordre constitutiounel. Ce qui
est digne d' une remarque particuliere, c' est que,
dan s tout ce mouvement , pas la moindre sonl-
l11e d'argentne fut répandue parmi lessoldats; il
avait suffi de Jeur faire connaitre la justice de la
cause qu'ils avaient a défendre, et tous s'étaient.
portés a la servir a vec un égal enthou~iaslne.




22j
L' ordre ayant été donné de rassembler le~
tro~pes sur la place qni venait de recevoir le
Dom de la Constitution, le prenlier officier qui
s'y rendit fut Don Lorenzo Alonzo, capitaine
du deuxieme bataiHon d' Aragon, amenant avec
lui quarante hommes du meme corps, qu'il
avaÍt réunis dans son quartier; Grenade et
Castille le sui virent; le régiment d' al'tillerie ,
obligé d' aueIer ses pieces, ne put arriver que
plus tardo


Don José Aranda, qui, dans la j ournée du .2 1
février, avait si puissamment contrihué a "en-
flammer le courage des soldats : qu' on rencon-
trait partout, presqu' en meme temps : et dontle
zele était infatigable, vit a peine les troupes réu ..
nies sur la place, qu'il courut aux prisons pour
briser les fers des officiers encore détenus par
suite de la tentative malheureuse de Porlier; ils
étaient dix. Un citoyen arre té avec eux pour la
meme cause fut également mis en liberté.


Accompagnéd'unefoule considérable, le colo-
nel d' artillerie Espinosa, qui dirigeait toutes las
opérations de cette journée, s'avan~e l'épé~ a la
main et sans chapeau, vers l'atelier de la ma-
rine, s' empare des armes, et les distrihue aux
habitans. De re tour sur la place, iI est. unani-
meUlent proclamé, par le. peuple et par les




223


trou~es, Commandant général de la province
et de l'atmée. Tous les yeux étaient fixés sur
luí; 00 admirait son activité ,son zele, l'éner-
gie de son patriotisme, et chacun se félicitait
de lui obéir. Pour lui, inaccessible a toute anlbi ..
ti9D personnelle, il ne songeait qu'a rendre a
la patrie ses· droits perdus, ct, quoiqu'il recut
avec reconnaissance les ténl0ignages de la con ...
fiance publique, iI alla chercher lui-nlcme celui
qu'il jugea plus digne et plus capable que lui
de conlmander. Il crut l'avoir trouvé dans le
colonel Don Félix Alvares Acebedo, qu'il avait
connn, depuis long-temps, dans les réunions
secretes qui avaient préparé la révolution; ii
engageavivement la troupe a l'élire pour son
général, et rassura que ce colonel était véri-
tablement l'homnle qui convenait aux circon-
stances. Au mcme instant, et en preuve de la
sinc.érité de ses- discours, il ren1Ít entre les
mainsdu colonelIe eommandement qu'il tenait
lui-meme du choixdu peuple. Acebedofut aussi-
tot recannu par la troupe, en qualité de géné-
ral, et, en peu de temps, la Nation put se con-
vaincre que l'élévation de cet homme respecta-
ble était une obligation nouvelle qu'elle avait
contraetée envers Espinosa, dont la conduite,
dans la journée qui venait de s'écouler, avait




224
été un modele de toutes les vertus qui font tes,
grands ciloyens.


Revetu du eonlmandement, Acebedo, qui;
i.usque-Ia, n'avait paru qu'un hOlllllle ordinaire;
déploya une force d'ame, une préeision d'idées,
une éloquenee et une énergie qui exeiterent
une admiration et un étonnement universels,
el firent avouer a tous qu'il était digne du choix
qui avait été fait de lui.


N éanmoins, eette foule d' officiers; a qui le
serviee de la patrie ne pernlettait pas de eon-
naitre l.e repos, ne le eédait en zcle et en pa-
triotisme ni a Espinosa ni a Aeebedo. Ceux-ci,
s'occupaient a renforcer les, postes; ceux-Ia,
a x:épartir les armes; les autres, a, enflanl-,
nler l'enthousiasme du peuple et de l:armée.
Tous étaient, en quelque sorte, des sentinelles,
avancées et vigilantes, fixant un reil pénétrant
sur tout ce qui se passait autour d'elles, et
pretes a se porter partont ou Ieur présence
serait nécessaire.


Dans cet état de choses on éprou vait lebesoin
d'Ull gouvernement qui, réunissant en lui toute
la force de celui qui venait d' etre détruit, mt.
en état de d~riger avec fernleté la nlarehe
desaffaires, et de réprimer tous les désordres
auxquels les révolutions donnent presque tou~




225


jours naissance, et qui , sous le voile de rin té ...
ret national, ne tarderaient pas a houleverser
l'état. La Corogne, en passant du despotisme
a la liberté, offrit le spectacle des vertus les
plus hérolques, et le bon esprit du peuple
trompa toutes les ambitions particulieres. Un
habitant ayant demandé qu'on hit a haute voix
la liste de toutes les personnes propres a occu-
per une place dans le gouvernenlent, cette
liste fut lue, et touS' ceux qui y étaient portés
nlériterent l'approbation générale. Ainsi furent
llonlmés nlenlbres de la Junte Sl1preme de
gouvernement D. Pedro Agar, président; D.
Felix-AlvaresAcebedo, commandant général;
D. José Maria del Busto, fiscal de l'audience de
Galice; D. Xavier Martinez, marquis de Valla-
dares; D. Manuel LaUre, lieutenant colonel,
et comnlandant du second bataillon des volon ..
taires d'Aragon; D. Carlos Espinosa, colonel
d'artiiIerie; D. Joachinl Freyre, capitaine de
vaisseau; D. Estanislas Pegnafiel, et D. Juao-
Antonio de la Vega, propriétaire et négociant
a la Corogne. Les places de premier et de se-
cond secrétaires de la Junte furent donnéesi a
D. Pedro Sanches Boado et a D. Jayme Quiros.


A peine la Junte supreme fut-elle installée,
que, reconnaissant avant tout la llécessité de


15




2.26


rétablir l'ordre, elle publia sur-Ie-champ une
proclamation que l' on peut cOl1sidérerconlme
un nlodele de raison, de sagesse, de patrio-
tisme et de véritable politique (1).


Les troupes, accompagnées de leurs 'officiers,
se retirerent a leurs quartiers respectifs; les
gardes furent renforcées; et la vigilan ce , sans
laquelIe les plans les mieux con<;us éehouent
presque toujours, fut redoublée sur toos les
points. Sans perdre de tem ps on procéda a la
nomination des commandans de la place, dont
les emplois étaient vacan s par'l'ahsence ou
r arrestation de ceux qui les occupaient précé-
dem'ment. D. Melchior de la Concha fut élu
gouverneur d~ ia Corogne; D. Juan Manuel
Ansel, lientenant de roi; et sergent nlajor, le
lientenant colon el D. Jose Joaquin-Ayestaran ,
lequel a conservé cet emploi jusqn'au 11 marso
Toutes les antres fonctions civiles et nlilitaires
furent confiées a des citoyens et a des officiers
dont le patriotisme et les talens étaient égale-
ment épronvés.


A l'entrée de la nnit, le capitaine général
V énégas, 1e gouvernenr de la place, et les
colonels et commandans désignés plus haut,


(1) 'loyez pieces justificatives.




~~7
accornpagnés d'un détachement de trente VO~
lontaires d' Aragon, et d'hahitans armés, a .la
tete desquels marchaient Acebedo et Espinosa,
rurent transfél,és au chaJeau de San- Anton.


Acehedo désigna deux officiers. ( Marqueli et
Aranda) pour al1er chercher, a Betanzos , le
président D. Pedro de Agar; qui, relégné dans
cette ville pa.r le précédent· gouvernenlent ,
était dans une profonde ignorance de ce qui se
passait daos la capitale de la proviuce. A eette
eomlnissioll on en joignit deux autres, adres-
sé es au colonel Alayz et au doyen du conseil
de cette ville, par lesquelles ils étaient chargés
de faire arreter le corregidor deBetanzos, no·
toirement connu par son opposition au systelne
constitutionnel, et qui, dans. les tempshor ...
ribles qui venaient de flnir, s'était montré le
persécuteur implacable de tous les amis' de la
liberté.


A huit heures du soir, les deux officiers mon·
terenten voiture, et se mirent en !'oute, suivis
de la compagnie de chasseurs de Castille, et de
plusieurs habitans, armés et a cheval. ces CQU"
rageux citoyens 'étaient les memes qui avaient
attaqué la garde dupalais.


La nnit était ce que sont en hiver les nuits
de la Galice; iI pleuvait sans cesse; et iI était




228


néd~ssaire de donner quelque repos a la troupe
et aux citoyens qui l'accompagnaient.Il fut
a peine possible de trouver ce jour-la a diner
pOlir tant de monde. Cette circonstance, et les
inconvéniens de la nuit, ne Ieur perluirent
pasd'arriver a Betanzos avant deux heures du
matin; quelques bruits, vaguement répandus
sur la route, Ieur avaient meme _causé une
sorte d'inquiétude. Deux officiers, qui faisaient
partie do détachement, s'avancerent un peu,
afin de décider une compagnie d'Aragon, qui
sef trouvait la, a se réunir au reste du béitail-
Ion : ce qu' elle fit saos hésiter.


Au lieu d' entrer dans la ville ,la troupe se
mit en bataille sur la place, et quelques offi-
ciers se retirerent chez le colonel Alayz,
qui s'empressa de faire donner aux soldats tou1:
ce qui leur était nécessaire. De la ils allerent
s' assurer de la personne du corrégidor, qui,
d'apres .l'avis qu'il enavait re~u la veiIJe au
soir, de l'auditeur Cid, avait cru devoir in-
struire la cour de ce qui se passait a la Coro-
gne. Lorsque la troupe fut arrivée au quartier
des voIontaires d'Aragon, iI ne s'agit plus que
de lui donner le repos dont elle avait tant de
hesoin.Les voloutaires, considérant que depuis
quinze heures leurs compagnons d' armes étaient




229
accablés ,de fatigues et de sommeil, s' empres-
serent tous , par le plus touchant accord, de
céder leurs chambres aux chasseurs.


Tandis que les soldats se reposaient, les offi-
ciers chargés des pouvoirs de la Junte se ren-
dirent a la maison du président", don Pedro
Agar, chez lequel ils se firent introduire,
quoique la nuit fUt déjil fQrt avancée. Celui.ci,
rempli de joie aux nouvelles qu'il apprenait, '
accepta les hautes fonctions qui lui étaient dé-
férées, avec le meme zele et le meme dévoue-
ment qu'il avait, quelque temps auparavant,
renlpli ceHes de régent des Espagnes; et se dé-
cida a se mettre en route sur-Ie-chanlp. Il était
déja jour lorsqu' on partit pour revenir a la Co-
rogne. Les volontaires d' .t\ragon se .réunirent
a ceux de Castille, et quelques officiers, con-
duits par le capitaine Cayuela, s'avancerent
pour arreter l'auditeur Cid, qu'on savait etre
caché dans une maison de campagne attenante
a Betanzos. Le président Agar ~tait avec le co-
lonel Marqueli, dans la voiture, ou se trouvait
aus3i le corrégidor de Betanzos, qu'on vellait
de [aire prisonnier.


On s'arreta pour diner, dans le bourg,ou 1'0n
attendit Cayuela, qui n'arriva que tard, paree
que, outre l'auditeur Cid, qu'il voulait et ne put




250


arreter, °il espérait, mais aussi inutilement,
pouvoir se saisir d'un domestique du général
D. Llano Ponte. Rien de nouveau ne se passa
pendant le reste du voyage , jusqu'au faubourg
de la Corogne, ou un peuple ilumense atten-
dait , avec l'impatience la plus vive, l'arrivée
de D. Pedro Agar. D'aussi loin qu'on l'aper~ut,
les noms de pere de la patrie, de protecteur du
peuple, lui furent prodigués; 00 détela les mn·
les qui trainaient sa voiture, et, par une de
ces démonstrations de respect, de reconnais-
sanee et d'amour, excusables peut·ctl'e a l'égard
de quelques grands citoyens, mais toujours'
indignes d'hommes libres ,eette 'voiture fut
trainée abras jusqu'au palais du gouvernement,
apres avoir traversé les rues remplies d'lln con~
cours prodigieux de citoyens, an son de la mu·
siqlle militail'e, de l'arlillerie et des cris de
joie , qui , en célébra nt le trionlphe de 1a li ....
herté, adressaient les vreux les plus touchans
a l'homme vénérab1é, dont les ennemis lllcme
étaient contraints d'admil'er la vertu.


Des que la voiture fut arrivée a la porte du
palais, Agar en fut enlevé. Porté, dans les bras
de ses concitoyens, jusque dans le salon, il fut
appelé a grands cris sur le baleo n du palais,
par le peuple, qui ne se lassait pas de con-




251


telupler les traits de 'cet homme de bien.
Ce meme jour, la Junte supreme, dont la


présidence par intérim avait été confiée a Ace-
hedo, décida que foutes les autorités civiles,
leurs suhordonnés, les chefs de la finance ,
leurs employés, et les supérieurs des comOlU-
narités de San-Francisco, San-Agustin et San-
to-Domingo ,seraient admis a preter devant
elle le serment prescrito


Non moias pénétrée de l'importante néces-
sité d'étendre et d'affermir dans tout le reste de
la province les b~enHiits de la liberté dont jouis-
sait ]a capitale, la Junte décida que le com-
mandant général Acebedo partirait le lende-
main, a la tete d'une colonne volante, pour
se rendre a Santiago, et faire promulguer la
Constitution dans cette ville, ou ron n'ignorait
pas que se réunissaient, commedans un quartier
général, les nombreux effol"'ts des ennemis de
la patrie, a la tete desquels était le marquis de
San-Roma n , conlmandantd'armes a Santiago,
et dont on retrouvera plus d'une fois le non1
dans la suite de cet ouvrage.


Pour renlplir cebnt ) Acebedo échauffa l'es-
prit de ses soldats, par une proclamation éner-
gique, hien différente, par la loyauté, la fr~n.
chise et la modération des sentimens qu ',dIe ex-




252


primait, de ceHes que quelques autres géné-
raux, serviles agens d'un ministere'crllel ,igno-
rant et corrompu, adressaient daos le meme
temps a leurs troupes, ponr les porter a dé-
fendre le despotisme.


Tout ce qui se . passait a la Corogne fut im-
médiatement connu des villages vojsins, et,
COJ,llme il arrive toujours a 'tl€SUre que les
distances s'eIoignent, les nouvelles prenaient,
selon les désirs ou les intérets de chacun, un
caractere tout-a-fait différent. La Corogne fon ...
dait ses plus grandes esperances sur son unÍon
avec le FerroLEü'dfet, elle ue tarda pas a les
voir ,se réaliser, et depuis 101'8; elle regarda
comme pl'e~que surnlontés, tous les obstacles
q~i pouvaient encore s'opposer ausucces'de
son audacieuse entreprise. Il est a remarquer
que, du nloment ou iI s' est agi du rétablisse-
ment de la liberté nationale, les relations exi ..
stantes entre ces deux pays, se sont resserrées
de plus en plus, et ont acquis cnfin un tel de-
gré d'intimité, que la 'destinée d'une de ces
villes est constammeut devenue commune a
l'autre. La preuve incontestable de ce faÍt est
dans les persécutions éprouvées par les hahi-
tans les plus .recommandables du Ferrol, a la
suite de la funeste issue des projets de Porlier;




.255
dans les évenelllens du jour de la Saint-Joseph ;
danslajoie qui éclata au Ferrol, aux premieres
nouvellesde la généreuse insurreetion de San-
Fernando; el, surtout, dans l'étroite liaison qui,
pour briser au meme instant et .sur différens
points, les ehaines de la tyrannie, s' était for-
mée, depuis le '15 janvier 1820, jusqu'au jour
ou la Corogne a proclamé son affranehisse-
ment, d'une pa~t entre le lieutenant eolonel
D. T0111aS l\,fetzger, et les eitoyens D. José
Moscoso et D. Josél\'longe, habitans du Ferrol:
et de l'autre, les eolonels Espinosa, Acebedo,
et le marquis de Valladara (de la Corogne ) ,
par l' entremise du respectable ami de la liberté
D. Manuel Vicente Gil, lieutenant du régiment
de Burgos.


Pour ne laisser aucune incertitude sur le
succes de l'entreprise, il importait de préparer
avec adresse l'opinion en faveur du gouverne-
ment qu'il s'agissait de rétablir. Le moyen
qu'on adopta fut grand, généreux, et digne de
la noble cause qu'on défendait. Au lieu de 1'0r
de la corruption, on se hornait a afficher les
proclamations du général Quiroga, dans les
lieux les plus apparensde la ville, el a ré-
pandre a la luaín , dans les quartiers les plus
populeux, d' 0« elles parvenaíent aussitot a la




254
connaÍS8ance des habitans et des soldats , toutes
lesnouvelles qui arrivaient d'Andalousie. Par
ce moyen, les esprits étaient préparés douce-
ment, et n'attendaient que le moment favo-
rable pour se soustraire au joug barbal'e et
honteux dont l'Espagne était accablée. Plus
ce moment approchait, plus les éÍtoyens dis-
tingués et les officiers dévoués a la patrie, en-
flammajent les esprits de la multitude et de
l'arnlée.En un mot, dans les quatre derniers
jours qui précéderent le 21 février, plusieurs
officiers, venant du Ferrol, etarrivés a la" Co-
rogne pour s'assurer de l'état des choses, se
conváinquirent tellement que tout était sur le
point d'éclater, qu'ils retournerent en toute
hate au Ferrol, pour donner- ceHe importante
nouvelle a leurs compagnons d'armes. Per-
sonDe n'ignore que, vers le meme temps, les
plans étaient déja presquepublics a la Corogne;
et qu'on y lisait sur toutes les physionomies
l'impatient désir de '-voir arriver le monlent
tant souhaité. ,)


Le ~2 févl:\ier, le major général don Fer-
nando-Freyre réunít tous les chefs du dépar-
tement de la marine dans la maison du capi-
taine généraI. Le meme jour, le colonel de
Burgos, don Juan-Rafael-Lasa1a, pérora long-




.255
tenlps ses soldats', a6i:l de faire changer d'opi.
nion ceux d'entre ellX qui s'étaient montrés
anlis de la liberté. C'est dans l'espoir de par-
venir au menle hut, qu' 00 différa d'un jour
la promulgation de la Constitution. Sur ces
entrefaites les membres du conseil de ville,
les officiers de :Burgos, ceux qui avaient été
impliqués dans l'affaire de Porlier, les citoyens
Monge, Moscoso, Rioboo, le marquis de
San-Saturnino, don Juan-Yglesias, et un grand
nombre d'artisans et d'ouvriers de toutes das-o
ses, préparaient, pour le lendemain, le soule-
vement général du ~"'errol.


En effet, le 23 février, a midi, une grande
partie dll peuple, les officiers de toutes armes,
sergens, caporaux, soldats, se réunirent en
faule vis-a-vis de l'hótel de ville; la, le ci-
tayen Monge donna lecture de plusieurs dé-
darations et du premier manifeste de la Junte
de l~ Coragne. On proclama la Constitution
avec le plus grand entbousiasme; et, dans cette
meme séance, le peuple demanda qu'il fut im-
médiatement formé une Junte qui correspon-
drait avec la Junte supreme de la Corogue, et
obéirait a ses ordres. Le conseil de ville, animé
d'un tres-bon esprit, et qui n'avait besoin que
d'une légere impulsion, se décida a l'instant




256
meme; et, a peu d'instans de-lil, on vit flotter
ledrapeaU national a l'une des fenetres de
l'hotel de ville. Pendant que le peuple se li,rait
ainsi anx transports de la joie la plus franche,
1es officiers de Burgos se rendirent a leurs ca-
sernes pour instruire leur colouel Lasala, qui
se mourait de frayeur, de la volonté du peuple,
de la déternlination du conseil de ville, et de
l'ordre donné par celui-ci, que luí, colonel, se
rendit sur-le-champ a l'hotel de ville; ce qu'il
fit a l'instant meme.


Aussit6t, le peuple, ayant a sa tete le "dra-
peau national, se porta aux caser~es, on se'
trouvait rangé en bataille le régiment de Bur-
gos, ayant a sa tete le colon el Don Juan de
Dios de Alguer, vers lequel Monge s'avan<;a
en lui demandant, au nom du peuple ce de faire
sortir le réginlent avec ]a nlusique; » aquoi
le colonel ayant consertti de fort ¡Lonne grace ,
le régiment sortit en témoignant ]a plus vive
joie, et unissant ses transportsa ceux du peuple.


Ce corps a des droits particuliers a la recon-
naissance et aux éloges des ami s de la patrie ,
par le dévouernent qu'il témoigna a la cause
constitutionnelle, dans cette journée et dans
ceHe qui l'avait précédée.


L'enseigne de vaisseau D. Joachim Lal-




257
lave, qui, malgré l'extreme délicatesse de sa
complexion, venait de rendre, dans cette nou-
velle circonstance et au péril de sa vic, les plus
~mportans services a la liberté, re~Nt du peuple
les témoignages les plus sinceres d~intéret et de
reconnaissance; et, chose merveilleuse, cet of.
ficier qui, long-temps poursuivi par suite de
l'affaire de Porlier, et enfermé a l'hópital,
avait été abandonné par les médecins, et dont
naguere la santé ne laissait plus d'espoir, se
trouva rétabli tont a coup par une sorte de pro-
djge, recouvrant ainsi J a la fOÍs, la liberté et
la santé, qu'il avait perdues toutes deux pour
la patrie.


La Junte, ayant été établie par le concours
de la puissance civile et militaire, 00 conduisit
les troupes deVant l'hotel de ville, pour faire
reconnaitre, par elles, cette nouvelle autorité,
et faire preter en me me temps a ce]]e-ci le
sernlént de fidélité a la Constitution. Tout le
temps que dura cette imposante cérénlonie,
les batteries de la place, des arsenaux et des
chateaux, ne cesserent de saIuer par des salves.
La Constitutioll. fut ensuite puhliée et afnchée
dans toute ]a ville, et une illumination géné-
raIe'termina ]a journée.


La Junte dépecha a la Junte supérieure de




238
la province le capitaine du régiment de Burgos;
D., Pedro Hidalgo, également connu par sa vail·
tance el r énergie de son caractere; eet offieier
partit immédiatenlent dans la chaloupe du ea-
pitaine général.


Le. jour suivant, ron organisa et 1'0n arma
la milice nationale. L"apres-midi, toutes les
autorités, tous les chefs, les corporations et
les eomn'll~nautés de la p1ace, preterent ser ..
ment a la Constitution, et des actions de grace
furent rendues au Tout-Puissant, dont la main
étaitsi visiblement empreinte dans la résurrec-
tion de I'Espagne. Le digne capitaine général
du département de la marine ,Don Francisco
Melgaredo, ne se montrapas seulelnent em-
pressé a jurer.fidélité a l'acte constitutionnel,
mais il prescrivit encore a tons les employés
son s ses ordres de renlplir, a l'instant, ce dé-
voir, et de reconnaitre, dans les cireonstances
actuelles, la Junte de la ,Corogne eomme 1'n-
llique autorité légitime.


Le capitaine Hidalgo alTiva a la Corogne le
25 février, entre dix etonze heures de soir,
apportant la nou velle de tont ce qni venaitde
se passer au Ferrol : ceUe nouvelle futre~ue avec
une joie d'autant plus vive, par les habitans
de la Corogne, qu'ils considéraient avecraison




259
la révolution du Ferrol c.onlme une importante
victoire remportée sur le despotisnle, et une
garantie nouvelle pour eUX-nlel11es.Aussi le dé-
tail de ces événemens fut-il a I'heure meme pu-
bljé dans tOlJte la vi}}e, a la lacar des Oa.alheauK
et au son des instrumens. Aussitot que toute la
ville en eut été informée, toutes les maisons fu-
rent illuminées spontanément, et les citoyens se
féliciterent réciproquement, conlme si quelque
chosed'heureux fut personnellement arrivé a
chacun d' eux. La Junte suprenle de la Corogne,
reconnaissant aussi que les événenlens duFerrol
devaient influerpuissamment sur l' esprit des
troupes, fit partir, sans perdre un instant, un
courrier, avec de$ dépeches adressées au com-
mandant Acehedo, sorti de la ville le matin
lneme, a la tete d'une colonne, pour se rendre
a Santiago. Comnle D. Joachim Blanco 'J\ilal-
donado, gouverneur du Ferrol, s'opposait opi-
niatrement a ce que la Constitution y mt pro-
mulguée, la Junte supreme avait décidé que ce
gouverneur seraitprovisoiren1:ent remplacé
dans ses fonctions , par le colonel d'ingénieurs,
San-Agustin Marqueli, lequel partit le jour sui-
vant, égalenlent chargédes ordres de la Junte
supreme pour le conseil de villeet l_a Junte
provisoire du F errol.


Si l' empressement a vec lequel les habitans




22}0
du Ferrol concoururent au rétablissement dlt
régime Constitutionnel contribua puissarnrnent
a affermir la révolution qui s'opérait en Es'"
pagne, il est juste d' avouer que les habitans de
la ville de Vigo, par une conduite pleine d'é-
nergie et de patriotisme, ne contrihuerent pas
moins au succes de cette révolution, en faisant
prononcer les troupes qui formaient 5a garni ..
son, en faveur de la cause de la liberté.


Aussitot que le maréchaJ de camp Don José
Ymas, commandant généraJ de la province de
Tuy, avait été informé des événemens de I'ile
de Léon, il avah pris les mesures qu'il avait
jugées les plus convenables pour s'assurer de
l'obéissance et de la tranquillité des villes et
villag~s sous son commandement, et pat:ticu-
lierement de ceHes de Yigo. Dans cette vue , iI
avait fait conduire quelques pieces d'artillerie
et que,lques obusiers au chatean deSan-Sébas-
tian, point qu'il regardaitcornrne tres-impor-
tant, pour contenir la population de la ville.
En ce moment , était arrivé, a Vigo, le major
de la compagnie de grenadiers de Santiago,
D. Manuel Llorente, qui était convenu avec le
lieutenant colon e} du deuxieme hataillon de
Castille, D. Ramon Noboa, d'instruire exacte-
ment ce dernier de tout ce qui se passerait a la
Corogne, et de lui trallsmettre ses lettres par




241
l'intermédiaire de D. Juan FontenIa, chirurgien
de la compagnie de grenadiers.


A l'instant ou ce meme Llorente eut avis, a
Santiago, de ce qui s'était passé, le 21 février,
a la Corogne, iI s'enlPressad'envoyer a, Vigo::
D. Diego Pere~ Acosta, l~quel arriva dans cette
ville le .23 au matin. Il instruisit Noboa des évé.
nemens 'de la Corogoe, et celui-ci s'enfenna
toute l'apres-midi avec les officiers dans lesquels
il avait le plus de confiance, afio de concerter
les moyeos de frapper le coup projeté, a l'in-
stant ou neuf heures du soir sonneraient. En
effet, a l'heure indiquée, chacun se. trouvai t a
son poste; et Noboa, accompagné de do.uze
officiers, se rendit ala maison ducommand,ant
général, ou, une heure apres, tQutesles auto ...
rités étaient déja nlises en arrestation, sans, qu'il
eÍlt seulenlent été nécessaire de tirer l'épée.
Lorsqu'on eut pris quelques mesures de précau-
tion et de sureté, et laissé quelques officiel's en
sentioelle, les autres se rendirent dans .leurs
quartiers, p~ur ,infornIer les sergens, caporaux
et soldats de ce qui venait de se pas.ser, et l~s
disposer a soutenir ce qui avait étéfait '; parnli
ces derniers, tous n'avaient pas une égale ~ner­
gie ,mais leurs' braves officiers parvinrent a
dissiper l~s inquiétudes et les craintes des plus
timides, et couronnerent ainsi leur entreprise,
par le sucees le plús brillant.




242
Le capitaine Noboa, unanimemenf appelé,


par les officiers, au commandement du hatail-
Ion, et désirant employer, sansretárd,les forces
dont il pouvait disposer a quelque objet utile
aux intérets présens, qui se conlpliquaient de
plus en plus, envoya quarante hornmes, com-
mandés par un officier, a la ville de Cangas,
pour aider aux opérations que devait diriger le
chirurgien Fontenla. Le capitaine D. Bernardo
Eehanuce flit chargé, en nlenle temps, d'al1er
s'enlparordu trésor de Tuy, ce qui réussit par-
faitement; et le sous-lieutenant D. Romwildo
Aguado eut ordre de se rendre dans le viHage
de Redondela, dans le but de faite connaitre ,
sur tous les points, le mouvement opéré a la
Corogne el au Ferrol. Les autres officiers firent
des patrouilles pendant tonta la nnit, accom-
pagnés de plusieurs habitans; une de ces pa-
trouilles intercepta une dépeche du comte de
San-Rofllan, par Iaquelle ce général ministériel
prescrivait de meUre les nliIices sous les arnles,
et de prendre les mesures de prévoyance et de
viguelir -les plusénergiques, afin de contenir
ceux qu'illui plaisait d'appeler des factieux.


Le lendenlain , le conlmandant N ohoa décida
que le conseif de ville cesserait Ím'médiatement
ses fonctions, et serait remplacé par celui de
1814. n fit ensuite passer des ordres a tous les




243
détacheme.ns qui parcouraient les campagnes
pour y maintenir, l' ordre, afin que ceux-ci se
réunissent aussit6t a Vigo, ce qu'ils exécuterent
ponctuellement. InstruÍt que, d'apres les ordres
de San-Roman, les nlilices de Tuy et de Pon-
tevedra devaient se rassembler, iI envoya le
capitaine D. Roque-Haguire dans cette derniere
ville, avec ledessein de prévenir cette réunion :
d' ouvrir une communication avec la Corogne,
et de proclamer la Constitution, a Pontevedra ..
Cet officier, qui n'avait avec lui que cinquante
hommes, arriva a Pontevedra le 26, au point
du jour; mais la ville s' était prononcée contre
la tyrannie, des la veille dan s l'apres-mjdi, et
les troupes qui s'y rendaieot pour presser cet
heureux événement, servirent: .. seulem.ent a
achever de décider ceux dont les. résolutions
étaient encore incertaines.
L~ coIonel des milices de Tuy, D. Pedro An-


gel Marco-deI-Pont, qui avait été nomnlé com-
mandant général et ¡ntendant de la province
de Tuy, par une. Junte formée dans le palais
épiscopal de cette ville, demanda, le 26 , sept
cents l'ations de paio aux vjIlagesdes alentours.
Noboa, qui en fut instruit, se mit en marche
dans la nleme nuit, avec tout ce qu'il put réu ..
nir de forces, pour s'opposcr aux projets de




244
D. p'edro~ llsurprit ses postes avancés, entra
dans la ville, et y vit le colonel a la tete de cent
iniliciens armés 7 tous formés en bataille ,mais
n'ayal1t pas un seul officier dans leurs rangs. Il
entra atissitot en pourparler avec lui, et, apres
une longue confé.-ence, tous deux convinrent
que le colon el renverrait les miliciens chez eux,
et que l' ordre en serait donné immédiatement
et a l'endroit melne OU ils se trouvaient' alors;
qu'il ne serait laissé a Tuy que les compagnies
de' grenadiers et de chasseurs nécessaires au
nlaintien de l' ordre public; et que, dans eette
situation respective, on attendrait les ordres
de la Junte supreme.


Le colouel D. Pedro accompagnaensuite No-
boa au conseil de viUe, et contrihua beaucoup a
vaincre la répllgnance qu' éprouvaient le prési-
dent et les autres membres de ce conseil, qui se
refusaient absolument a proclamer la Constitu-
tion. Toutefois, ayant obten u que cette proda-
ma,tion serait faite, Noboa reto urna le nleme
jonr 'a Vigo, avec sa troupe, laissant le conl-
nlandement de Tuy au colonel ; nlais des le len-
demain matin, celu.j-ci, nlanquant a sa parole
d'hol1neur et trahissant des engagenlens sacrés
ponr tous les honlmes, mais qui doivent I' etre
plus particulierement encore pour des nlili-




~45
taires '. se ;-mit en marche avec son régiment
pour aIler joind're le comte de San:.RomanJ
00 a généralement attribué au dergé ( etcétte
:opinion est la notre) le changement aussi su..;.
hit qu'inattendu qui s' opéra aloI.'s dans les:ré-
~olutions ,du colonel D. Pedro,' el qui, ne put
etre expliqQé autremeQ.t que comme le résultat
d'une de ces transactions de conscience dont
les hypocrites savent, au nom du ciel, tirel'un
parti si fa.~orable a leurs intél'ets. En effet,
personne n'ignore, et trop d' exemples prou-
yent que ce corps, surtont. dans ce qu' on ap-
p~lle le ;haut clergé, a sacrifié constamment,
~t sonvent s~us les prétextes les plus frivoles ,
le~ intérets deJa société a cell,){ de'son ambi-
tipn, de son ~varice, et de sonagrandissement
personnel.


Cependant diverses sorties avaient lieu en
Ineme teolps et sur différens points. Le batail-
Ion -deCastille, divisant ses forces selon que la
nécessité rexigeait, se porta successivement a
Bayona ,p, PQ.ente Aréas, et particulierement a
l'ile Aroza, ou il apprit que l'archeveque de
Santiago faisait embarquer des sotnmes .Gonsi-
dé rabIes ponr le Portugal. A Vigo, les habitans
se montraient de plus en. plus dévoués au sys-
teme constitutionnel, et plus reconnaissans en ..




~46
vers les troupes, dont le dévooement prenait
tous les jours une nouvelle énergie. Une sou-
scription pour les vetir fut Ollverte par le con-
seil de ville, el un grand nombre d'excel-
lens ciloyoos, parmi 'lesqueJs 00 remarqlla le
llom de José Mathos, Portugais de naissance,
s' empresserent de contribuer pour des sommes
considérables. .


La ville de Pontevedra, par sOn pa'triotjsme
et son aUachement aux principes constitution-
neIs, n'a p"as moifls4e droits aJareconnaiss~nce
nationaié, que 'ceUés deta Cor:ag-tle~ du Ferrol,
et de Vigo. Un détacheníeltt"compOsé·d~unse·r­
gent, d'~n caporal,· el de douzesoldats du 2-.
bataiUon des Vo:lontaires d'Aragon, sons les
ordres du capitaine D. Juan Moritánáro, et
du lieutenant D. José Castan, se troúvail dans
cette ville, a l'époque des événemens l que nous
'venons de rapporter. Le sous '- lientenant de
grenadiers D. Di,ego Perez Acosta ',qui se
rendait a Llégo OU r envoyaitle maíór LI&-
rente, alor5 a Santiago',. les' informa, vers
le soir du 22, de tout 'ce quiétait arrivé ]a
veille, a la Corogne. Le' commaudant·du dé-
tactlement 7 Montanaro ,qui désirait vivement
seconder les projets de ses 'hraves compagnons,
mérita, dans cette circonstance, des éloges par-




247
tieuliers, pour la franehise ave e laquelle iI
instruisit les soldats de tout ce qui se passait ,
sans leur laisser meme ¡gnorer les dispositions
hostiles du eomte de San,-Ronlan, afin qu'ils
ne se déeidassent que d'apres eux-memes, sur
le parli qu'ils avaient a pre:qd,re; ,~t p~ul"se
miel,lJJ: eonvainere de leurs véritables s~Jltil)l~~s,
il exagéra les obstacles qu'iIs avaient a vainere,
et les périls auxquels ils alIaient s' exposer; eeUe
noble conduite fut réeompensée par unplein
succes; un monlent ,suffit pour déeider ees bra~
ves, et leur digne chef partagea avec eui'{ l~
gloire dont les couvrit la proruptitude de leu!"
détermin:ation.
D~ns l~ l1latinée du ~5 , l~lQ~tlln$rO ~prit


par D, F:r.ancisco SeqJ,leil'~S ,. ~apitainQ du :Poo-
vindal (1) .de -Pon tevedra, que)a. COllstitulion
venait d'etre promulguée a Vigo; ce meole
offic.ier l'informa, de la part du ehirurgicn D.
Juan Fontenla, que celuÍ - ei s'occupait a réu-
nirplusieurs soldats et hahitans de la Péllinsule


(1) Ce nom est donné en Espagne aux régimens fou·rnis
par les prOVi)lCes. Ces régimens., qui se composent d'a ..
griclllteurs , ne se rassemblentl que sur une convocation
spéciaJe; hors ce cas, les soldats vaquent aux travaux de
la campagne, comme s'ils n'étaicnt point enrégirnentés,




248
del· Mórazzo, et que, s'il le jugeait con vena-
·hle, ~il;se rendrait, le lendemain, a Ponteve-
. dra,· pour y réunir ses efforts aux siens, et pro-
. clánler la Constitution. Montanaro lui répon-
'dit par le nleme capitaine, ( que ce secours
~lui était 'inutile; que la force de son détache-
nlent était suffisante, et que le soir meme
celte publication aurait lieu; que toutefois,
's'il désirait venir, ce fut sans délai, et seule-
nlent ave e seYs soldats. » Des trois heures apres
'midi, S~queir()s était déja de retour, condui-
sant un petit détachement du secondhatalllon
. de; : Vli:oria; ~ niaiS·· .ayan! considéré' combien
eette force serait Jaible, dan s le cas ou quelque
oppositi'on viendrait a se manifester, iI avait
amenéa 1\1ontanaro un secours de deux cents
hahitans, choisis parnli les six centsqueFontenla
nvait a sa disposition, et dont la plupart
avaient déja fait la guerre (1).


Sur ces e'ntrefaites, Montanaro fut invité a
se rendre a l'hotelde>ville, ou se trouvai~nt


(1 )Ilest apropos d'info-rmer que Fontenla n'a -jamais
eu de rapports qu'avec 16shabitans, et que e'est seuJe-
rnent parmi ce'!x-ci qu'iL a trouvé tous les élémens né-
c.essaires pOUl' organiser ses plaus. Cette remarque noui~
rarait d'autan t plus indisprllsab}/il, qu'elle prouverai t




2/f9
réunis, avec le conseil, les autres'autorités de
la place, le c9mnlandant d' armes, et plusieurs
habitan s notables. On lui denlanda quelle était
la force de son détachement, qu'il porta a cin-
quante hommes, (quoiqu' elle ne fut en effet
que de douze, ) dans le·dessein d'inspirer aUJe
habitans plus de sécurité, et d'audace cOlltre
leurs oppresseurs. 11 apprit que le Colonel du
Provincial, qui était aussi commandantd' armes,
avait re~u du comte de San-Roman l'ordre de
{aire marcher sur Orenze, ou ce général se di-
rigeait lui .... meme, la force qui était asa dispo-
sition, ainsi que d'y faire transporter les armes
et les uniformes du régiment de milices, et de
donner les instructions nécessairespour que les
soldats de ce corps. se rassemblassent. dans cette
ville. Montanaro s'opposa vivementa ces me-
sures ~ sous le prétexte que la force armée-était
néc~ssaire pour mainte,nir la tranquillité a Pon-
tevedra , ajoutant c( que les autorités devaient
rester réunies, afin de prendre au hesoin, et


évidernment si, d'apres ce qu'on a déja vu et ce qui va
suivre, cette preuve avait encore besoind'~tre faite, que
les citoyens n'ont pas &té plus étrangers( 'que l'armée au
grand mouvement -national qui a J'endu a I'Espagne sa
liberté.




250


avec plus de célérité, toutes les mesures de
prudence qui paraitraient convenables. » Apres
quelques débats, ces propositions furent adop-
tées, ~t l'on-sortit ensuite pour chercher le lieu-
tenant Casta n , alors occupé a décider les ha...,
bitans a seconder -les projets des alnis de la
patrie. Ces deux officiers instruisirent de Ieur
projet tous ceux du régimenLprovincial de P'on-
tevedra , afin qu'ils missent la troupe sous les
armes, pretassent main forte ·aux dispositions
qu' on allait prendre , ou eofin , qu'a tout évé-
nemen!, ils l'empoch.assent desortÍret de ser-
vir les vues secretes du' comtede San~Roman.
ToufeS ces chosesarretées, Montanaro, qUÍ ve-
nait d1etre prévenu que Fontenla se trouvait
déja dans les cnvirons, sortit poul' conférer
avec luí. En ce Uloment, l'officier du régiment
de Vjtoria, D~ Pedro Zllbieta, avec la pe tite
force qu'il commandait.,vint troulver le déta-
chement d' Aragon, et tous ensembJe, réunis
avec Fontenla, nloins 200 hahitans qlli·étaient
restés, d~n.~.l~ cfinlp de ~an:-~~~~,. __ !!~tourere_nt
l'hotel de ville de Pontevedra, pour préparer le
nlouvement' gui allait se déclarer. Montanaro
et Fontenl~ ~onterent alors dans la salle ou
les autorités étaient rassemblées; el le premie.r
prenant la parole, leur représenta « l'état




251


d-éplorable ou se trouvait la nation; ses dioits
lnéconnus eJ: violés; tes dé sastres qu'elle avait
éprouvés pendant les ~ix dernieres années; les
avantages du gouvernement cOllstitutionnel;
la promesse du roi de convoquer les Cortes,
restée sa'os exécution; enhn ~ la nécessité d'ap ....
porter un rernMeprompt et efficace a d'aussi
grands maux~ ,)) Apres avoir retracé ce tablean
avec ceUe éloquence du creur que l'amour de
la patrie peut seul inspirer, il invita tons ceux
qui l'écoutaient a suivre l'exemple de Ieurs gé ..
néreux coneitoyens d~l'iie de Léon, de la Co ..
rogne et de Vigo, en pretant, a l'instant meme,
le serment solennel de maintenir et de défendre
la Constitution: de :~la' nlona'rchie 'cspagnole,
décrétée pat" ~leS Cortes a Cadíx, en 181 2. »
Fontenla s'effo~a d'ajouter de' nouvelIes forces
ace discours, en déclarant « qu'il ét~it chargé
par la Junte supreme de propager dans toute
la provinee les principes de liberté embras-
sés avec enthousiasme a la Corogne, a Vigo,
etdán~ tout le t'cste de la province. » Toute-
fois, uÍl·siletJce profond étant la:seule réponse
qu'eussent encore obtenue cesgénéreux 'ci-
toyens, Montadaro ajouta : ce que le peuple
désirait, qu'il voulait la Constitution; et que
la preuve de ce désir était dans la dénlarche de




252


:cette foule de citoyens qui avaient voulu l'ac-
compagner, et se réunir a.la trol,lpe· pour luí
offrir, s'il était nécessaire, le secours de .1e.urs
bras. )) A ce discours, qui:rendit.le courage
aux plus timides (car il en était ici comrne par-
tout, la' terreur avait glacé. toutes les anleS; la
destinée des Porlier, des, Lacy) ¿tait .présente a
tous les souvenirs, et, danslacrainte.d'~prouver
un sort pareil, les meiHeurs citoyens n'avaient
osé, jusque·Hl, se prononcer), un lllouvement
universel éclat¡t; toute l'assemplée prit parti
pour la cause commune,itl'excep#Qn du colonel
cornmandantd'arn-ws,qui ~s~ay~Q.e faireenten-
dre quelques observations : nlaisa l'instant,
Montanaro, au non1 de la nation ,donna l'ordre
de s'assurer de sa personne.; il:descendit en-
suite sur la place; et apres avoir parlé au peu-.
pIe pendant quelques instans, il. fut inter-
rOlllpu tout a cO.QP par les cris de .J7ive la
Constitution, .' vive le roi' consiitutionnel, qui
éc1aterent de toutes p;¡rts et s,e proJo!lger~nt
1~ng:-t~rl!p~.J1~ couseil.~ 4evi\~ t l. acco~npagné
des deux détache~én~ et de Montanaro, se ren-
dit aux casernes; et immédiatement, le capi-
taine Séql1eiros ,. l'adjudant l\f~cientes, ,et plu~
sieurs autres·ofIicie~s,. sortirent avec toute la
troupe, qui avait déposé ses armes,. el procla-





253
nlerent la Constit.ution sur les places et dans
les rues. Le commandement du régiment fut
dónné a Séqueiros, et ceux des officiers qui
se trouverent dans la ville, a l'exception de
deux ou trois, se présenterent a l'instant meme
pOUT faire le service. Les deux cents habitans
qui étaient restés au camp de San-José furent
logés dans les faubourgs; divers reglemens
furent publiés pour le maintien de la tranquil-
lité; et le lieutenant Castan fut dépeché en
courrier a Santiago, ou était alors le comman-
dant général Acebedo, pour l'informer des
événemens (¡ui. venaient d' avoir lieu a Ponte-
yedra.


,Le conseilde viUe voulut nommer Monta-
naro "commandant d' armes ;mais cet officier
qui, dans toutes ses démarches, n'avait que le
hien public en vue, 6t ohserver (( qu'il y avait
dans. la ville un personnage plus éminent que
lui, plus digne a la foÍs et plus capable de rem ..
plir les fonctions qu~on voulait luí confiero »
n désignait ainsi le colonel d'artillerie en
re traite D. Fernando Sarabia, hornme égale-
filent distingué par sesconnaissances, saprohité
sévere, etson amo~r, pOUl' la liberté. Informé
du choix qui venait d' etre fait de luí, cet officier
supérieur se présenta au peuple, et déclara I( que




254
hien que ricn ne lui déplut davantage que de
eonlmander, ii suffisait que, dans des eircon-
stances aussicritiques, on jugeat sesservieesuti-
les' ida patrie, pour qu'il les lui eonsaerat sans
réserve. » Bien différenten cela de ces hornrnes ti ..
1uides ou personnels, vampires des révolutions,
qui, abandonnant la patrie au jour de ses dan ..
gers, ne manquent jamais, lorsque ces dangers
sont passés, de solliciter le prix des travaux aux-
quels ils n'ont pris aueune part, et de l'enlever
ains-i aux hommes généreux en qui l'amour de
la patrie n' a jamais mesuré ni l' étendue des sa'"
crifiees, ni l'ingratitude de leurs coneitoyens ..


Le 26 février, Montanaro et Fontenla réta-
blirent a Pontevedra leconseil de ville consti-
tutiónne11, élu en 18 J 4. Ce conseil, toutes les
autorités, et les· offieiers, preterent le serment
de fidélité prescrit; et tous ensemble travail-
lerent, a vec un zeIe et une persévérance égale-
nlent louables, a eonsolider le nouveau gou-
vernement, et a eonfondre les viles etsourdes
intrigues de quelques misérables.


Cependant tous ces événemens répandaient
autant de joie a la Corogne, que d'effroi dans
l'ame du eornte de San-Roman et eeHe des
perfides conseillers du trone, qui voyaient dans
leur aeeomplissenlent le signe assuréde lcur





255
ruine. L'heureuse révolution de Vigo était con-
sidérée par les amis de la patrie COfilnle une
victoire nón moins inlportante que ceHe du
Férol, qui, par suite du parfait accord qui
régnait parmi les amis de la liberté, avait eu
lieu le nlcme jour. Cette révolution produisit,
surtout ce grand bien, qu'elle empecha que le
cornte de San-Roman put se mettre en commu-
nication avec Ymas et D. José Fuente-Pita; on
connait la funesh~ réputation du premier, dé-
signé dans la gazette de la cour cornme devant
ctre no'mmé lieutenant général lors de la pre-
miere promotion,. araison desservices rendus a
la coura l'époque de la fataJe affaire de Porlier.


AinsÍ augmentait de jour en jour et graduel ..
lement, la force physique du gouvern~ment
constitutionnel, si faíble a s~ naissance. 11
était mathématiquement impossible que des
hanl~aux, des villages, des bourgs, des villes
entieres, exprimassent leurs sentimens et
leurs vreux dans un seul et lllenle instant; un:
tel accord est hors des possibilités humaines;.


/ . . . . .
malS tous sUlvalent, avec un enthouSlasme
inexprimable,l'exemple donné par la capital e
de la pl'ovince.


Cependant le commandant en eh cf Acebedo,
la la tete de la colonne volante ,. repoussait les.




.256
ennemis de l'ordre eonstitutionnel j usqu' aux
frontieres de la Galiee. Néanmoins, apprenant
que· le eonlte de San .... Roman était retranché
a Orenze, il ne jugea pas a propos de l'atta-.
quer avee des forees aussi peu eonsidérables
que eeHes qui étaient a sa disposition, et, en eOIl-
séquenee, le 29 février, u~e se conde colonne,
sous les ordres du eonlmalldant général Carlos
Espinosa, étant sortie de la Corogne pour venir
se joindre a lui, les troupes qui resterent dans la
place furent mises sous le commandement du
tnembre delaJunte suprenle D. Manuel LaUree'
Le meme jour, arriva dans la ville et fut associé
aux travaux de la Junte, le sage et vertueux
D. Diego M1.Jgnos Torrero, l'un des auteurs de
l'acte-constitutionnel, et auquel eette seule qua-
lité avait valu, depuis sixans, les persécutions.
les plus cruelles.


Huit jours s'étaient écoulés sans que l'on sut
a la Corogne, si la ville de Lugo, ou le dergé
exer<;ait une puissante et funeste influence, s'é-
tait enfin décidée apromulguer la Constitution.
Il était es~ntielde s' emparer de ceHe ville et
de celle de Mondognedo, pour déj.ouer les plans
perfides des ennemis de la liberté. Dans cette
vue, la Junte supremefitsortir, le ler, de nlars,.
sur Lugo, une troisieule colonne volante 7
sous les ordres du capitaine D. José ~e la Serna,




257
qui fut investi des pouvoirs les plus éfendus ,
déclaré indépendant de toutes .les autorités,
et autorisé a ne rendre compte de ses' opéra-
tions qu'a la Junte. Celle-ci décida, en nielne
temps " que toutes les troupes éparpiUées dans
les différens villages, se reunÍraient immédia-
tement sous· ses ordres~ Cet officier répondit
dignement a toutes les espérances qu'on avaÍt
con~ues de son activité, de ses talens militaires,
et de sa prudence.


Cependant la conduite de San-Roman éton-
nait de plus en plus ceux qui, ayant connu ses
anciennes opinions, ne 'pouvaient concevoir-
que l'homnle qui .~vait manifesté autrefois tant
de haine contre les oppresseurs de l'Espagne, fut
devenu maintenant l'un de -leursplus violens
satellites. Ce fut le souvenirde 'ces anciennes
opinions qui engagea D. Pedro Agar, en qua-
lité ~e président de la Junte, et en son pro-
pre nom, a écrire a ce général une lettre bien-
veillante et ami cale , mais contenant toute-
fois, avec autant de lllodération que de di-
gnité, de justes reproches· Bursa conduite
actuelle ; San - Roman De daigna pas meme
y répondre.


Toute l'Espagne avait alors les yeux fixés sur
l'ile de Léon et la Galice; cette province et


17




258
une partie de l' Andalousie ne reconnaissaient
plus le despotisme civil et religieux qui, depuis
ta~t d' annécs, mais surtout depuis les six der-
niere,s, avait opprinlé et avili la péninsule.
Les troupes étai~nt divisées; le gerníe de la
guerre civile se développait de toutes parts;
e' était sans doule un grand 'malheur : mais aus-
si, personne n'ignorait l'inl'portance des mo-
tífs qui contraignaient l'armée et la province
de Galice a demander un nouveau gouverne-
nlent, ou plutót le rétablissement d'un gouver-
nement déja connu de tous les Espagnols; juré,
défendu par eux contre l'usurpation étrangere ;
et "regardé comlne l'unique terme de leurs
malheurs. Il devenait done nécessaire, qu'a
l'exemple de l'flrmée de San-Fernando, la Jun-
te supreme de Galice fit conna1tre ses inten-
tions, son but, ses espérances, etjusqu'a ses
craintes ; qu' enfin, elleproc1amat les; peuples ,
souverains arbitres de leurs destinées ,et re-
connut leurs droits inprescriptihles a:se don-
ner te gouvernement le plus proprea assurer
lcut bonheur. Eller~mplit tous ces devoirs par
le 'manifest-equ'elle publia a laCo~og'ne, le
5 nlars 1820 (1).


(1) Voyez pieces justiJicatives.




259
Les généraux et autres. individus ,~. enfer-


més au chateau de San-Anton, a la s~ite, des
derniers événemens, eommen~aient a ,do,nper


• quelques inquiétudes : non que ron pensat q~~
du fond de leur prison ils,trama,ient d~s pro",
jets de subversion de l'~uvr~ ~poli;tique, ~
heureusement eommencée, mais paree qu' on
ne pouvait· douter que leur présence De fut,
pour leurs partisans, un motif perpétuel de cou-
pables espérances. Il n'était pas moins ~crain­
dre que ces derniers, profitant du mo.indre
revers éprouvé par les amis de la ;Ratrie,
dans les combats continuels qu~il~ avaien!' a
.soutenir, ne rendissent la liberté a des hommes
qui, par l'influence dontils jouiss,aient dans
la province, pouvaient, e~ unjQ\lr, J~~r~ :PQr~
dre, au moins pour quelque t~nlP~' le ffllit
des plus nobles travaux.,. el réta~lir une lutte
sanglanteentre la superstition et les lu~ie­
res, 'la tyrannie et la liberté. Dans une telle
situation, il fallait frapper un coup poli tique ,
qui, en rendant infructue~ses les tentativas de
la malveillance, donnat au nouveau gOQv,er;",
nement ce caractere de force et de stabilité,
sans lequella prudenceet la sagesse De peu-
vent rien.




.260


Le' 6 mars, les compagnies de milices- de
Betanzos, arriverent a la Corogne. Leur entrée
dans. ccUe ville fut une fete; la garde natio-
nale, ayant a satete sa musique et ses dra-
peaux, fut recevoir ces' braves jusque dans les
faubourgs, et rentra en ville avec eux, aux
acclamations du peuple. Dans la nuit du 6 au
7, d'ápres une décision de la Junte superieure,
la plupart des prisonniers du chateau de San-
Anton, furent transférés a bord du brigantin
l'Hermosa' Rita, capitaine Nicolin, de Galice ,
sous ~~escorte' du capitaille de Volontaires de
Castille', D.' Vermundo Larrainza, l'un de ceux
qui, 'avant et depuis le 21 février, ont rendules
plus ~éminens services a la cause nationale (1).
Parmi ~eux d' entre les prisonniers qui ne furent
pas comprisdans ceUe 'mesure, une partie
resta' dans le chatean; les autres obtinrent de
garder les arrets chez eux. Le brigantin mit a


(1~~fS principaux prisonnicrsétaient au~ombre de
dix : l~ ~apitaine général d~ Galice, D. Francisco Ja\'ier
de Vin,égas; le Íieutenant général Nicolas Llano-Ponte,
commandant en secorid de la provincej D. José Escudero
y Lison, maréchal de camp et gouverneur de la Coro-
gne; D. Juan Esponseda , brigadier et lieutenant de roi ;





261


la voile le 7, et au lieu d'arriver a Cadix, lieu
fixé pour sa destination, iI entra a Gibraltar,
peu de jours apres son départ de San-Anton.


Si nous n'avons presque jamais, dans cet
ouvrage, a parler du clergé que comme de
l'ennemi le plus inlpl~cable et le. plus dange-
reux des institutions libérales, iI est de notre
devoir de ne pas laisser échapper les occasions,
malheureusenlent trop rares, de rendre a ceux
de cet ordre, dont la conduite a toujours été
confornle a I'esprit de l'Évangile, et par cela
meme tres-patriotique, la justice a laquelle ils
ont droit. De ce nombre est le frere José Ver-
dis, gardien du couvent de San ... Francisco , de
la Corogne. Les 5 et 10 mars, dans cette
meme eh aire qui avait si long-temps retenti
d'injures et d'imprécations contre l' esprit de
liberté et de sage philosophie qui avait dicté la
loi constitutionnelle j ce digne religiellx expli-


les brigadiers D. José Nava Campomanes, coIonel du
régiment de Castille ; D. José Carillo de Albornoz, colo-
nel de Grenade; D. Nicolas de Lavaggi , trésorier de i'ar-
mée; l'auditeur D. J ulían Cid de Miranda; le curé de la
l)aroisse San-Georgío ; D. Diego Péres Delicado; ct le
pere Castro, de l'ordre des dominicains.




.262


qua cette loí ave e une clarté, une candeu-r, une
simplicité, dont tous les auditeurs furent émus ;
iI' pro uva que la liberté est fille de la religion,
et que la loi divine, comme la raison humaine,
ne reconnait ni tyrans ni inquisiteurs.


Tandis que les no(]velles que ron recevait
de l' AndaIousie, ailligeaient profondément le&,
habitans de la Corogne, ceHes qui parvenaient
de I'Aragon, des Asturies, de la Navarre, et
de pIusieurs autres provinces, ranimaient l'es-
pérance dans le creur de ces généreux citoyens,
et Ieur' montraient le terme prochain des mal-
heurs, de la patrie. Chaque jour a:pportait la
certitude consolante que le pouvoir dont s' é-
taient enlparés les sanguinaires conseiHers de
Ferdinand, était sur le point de leuréchap-
per ; leurs dernieres fureurs ne présen-
taient déja plus que l'agonie du crime expirant;
et bientot, la nouvelle de Ieur chute arriva
a la Corogne, avec ceHe des funestes projets
qu'ils se disposaient a exécuter. Les bulletins
de Madrid furent re<;us avec un enthousiasme'
plus facHe a concevoir qu'a décrire; presque en
meme temps tonte la Galice en fut informée;
et quoique l,e despotisme n' existat déja plus
pour elle, elle semblait, daos son ivresse, ne




265
faire dater sa liberté que de l'instant OU rEs·
pague entiere venait de recouvrer la sien ne.
Heureuse la Galice, heureuse rEspagne, si ce
triomphen'avait pas été marqué par la déplo-
rabIe perte de run des héros de cette cause sa-
crée, de ce brave et vertueux Acebedo, qui
venait de Inourir assassiné sur le champ de ba-
taille, le jour meme ou des cris de victoire et
de joie, partis de Madrid, annon~aient aux
Espagnols la fin de leurs ca]amité~ et l'aurore des
plus he~ux jours; toutefois n'anticipons pas sur
le récit que nous avons encore a faire, et dont
l'événement dont nous venons de parler forme
run des épisodes les plus pénihles et les plus
intéressans : on voit qu'il s'agit des opérations
militaires des deux divisions de l'arnlée natio-
nale de Galice, sous le commandement des
colonels D. Felix Alvares Acehedo, et D. Carlos
Espinosa.


La premiere division de cette armée, si fai-
ble en moyens et en ressources, Dlais si puis-
sante en courage, en patriotisnle, el en ¡jer-
sévérance, -n' était désignée que sous le Dom
nlodeste de Colonne volante, et se composait
seulement de cent dix-sept hornm'es, du I er ha-
taillon de Grenade; d'un meme nombre du ler
bataillon de Castille; de quarante hommes de la




264
deuxieme légere d' Aragon; de quatre-vingt d' ar-
tillerie; el de deux petite's pieces decampagne,
avec leur train; en tout tr01s cents cinquante
quatre hommes. Elle sortit de la Corogne le 25
février a lllidi, prenant sa direction vers San-
tiago. Le 24> au point du jour, un courier qui
lui était adressé par la Juute de la Corogne,
luí- apporta la nouvelle que le Ferrol ~ a l'imi-
tation de eette ville, avait levé l'étendard de la
liberté, et que sagarnison avait juré de verser
son sang pour la. défense des droits de la na-
tion. Les officiers donnerent lecture aux trou-
pes d~s leUres qui annonc;aient ces heureuses
nouvelles, et le génél'al parcourut les rangs, an
n1Ílieu des acclamations constitutionneiles les
plus vives, et des cris de joie des soldats. On
continua énsuite la marche vers Santiago, OU
l'on a déja vu que les ennemis de la patrie
concentraient leurs forces, et se préparaient a
rendre a l'Espagne les fers dont elle s'efforc;ait
de s'affranchir.


le conlte de San-Roman avait son domicile
• dans ceUe ville : cet homnle qni, en 18 J 5, avait


manifesté le désir de se réunir aux mnis de la
liberté, pour nlettre un terme aux nlalheurs
publics, avait changé tout a coup de príncipes
et de conduite, et se déclarait maintenantl'en-




~65
nemi implacable de ceux dont, naguere, toutes
les espérances reposaient sur lui.


Ce fut le 22 février, a Inidi, qu'il apprit la
révolution qui s'était opérée la veille a la Co-
rogne; il ne pouvait ignorer qu'elle était 1'0u-
vrage de ses anciens anlis ,et de la garnison
toute entÍere; que la Constitution avait été
promulguée avec le plus grand enthousiasme ;
qu'en un mot, tout annon<;ait que la province
entiere allait prendre les armes; il 6t ordonner,
néanmoins, par ses aides de camp, a tous les
chefs des corps, de se réunir a rinstant chez
lui; Ieur apprit les dernieres nouvelles de la
Corogne,. et fit adopter toutes les mesures de
précaution,nécessaires pour assurer dans la ville
le triomphe de son parti. Ensuite, accompagné
des mimles ehefs ,il se rendit a l'hOtel de ville, ou
étaient réunis les membres du conseil avec deux
chanoines, dont l'un était adnlinistrateur de
l'h6pital. Apres les avoir informés des faits
parvenus a sa connaissance, iI engagea chacun
d'eux a proposer ce qu'il jugerait le plus utile
de faire dans des circonstances aussicritiques.
Tous parurent consternés; et, voyant le petit
nonlbre de troupes dont ils pouvaient disposer,
ils convinrent, ainsi que cela avait été arreté
peu d'instansauparavant par la Junte nlilitaire,




2~6
qu' on se bornerait a maintenir avec ces trou-
pes la tranquillité de la ville. En ce moment ,
l'adnlinistrateur de l'hopital, prévoyant com-
bien le désordre et la guerre pourraient etre
favorables aux intérets de son parti el aux
siens, se leva comme un funeux : accusa de
faiblesse ceux qui opinaient· pour des mesures
de conciliation; et, adressant la parole au comte
de San-Ronlan lui dit, ( que dans le cas OU
V énégas serait au pouvoir des insurgés, lui,
cornte de San-Roman, était capitaine génér.al;
qu'il fallait faire mettre sous les armes tous les
régirnens provinciaux, armer les. habitans,
faire des patrouilles, veillera la sureté publi-
que; et qu'avec ces mesures, iI ne doutait pas
que le saint apotre Santiago (1) ne leur réservat
une gIoire immortelle. »


Enflammé par le discours prophétique du
chanoine adnlinistrateur, le comte de San-
Roman, qui l'avait peut-etre inspiré lui-meme,
s'écria c( qu'il était pret a verser jusqu'a la der-



niere goutte de son sang, pour la défense de
son souverain Ferdinand VII (dont personne ne
songeait a attaquer l'autorité légaIe et consti-
,tutionnelle) .. Tous les assistans manifesterent


(1) Saint-.Tacque¡;.




~67
lemenle vceu. Mais un de~ plus sage de l'asselu"
blée, observa «( que pour prendre les nlesnres
proposées iI fallait d'abord de l'argent. )) eette
réflexion parut d"un grand sens, et on décida
aussitót qu'il fallait s' emparer des caisses des ad-
ministrateurs et de celles de tous les déposi taires
des fonds publics. On discuta quelque tenlps en-
suite pour savoir si les sonlmes qu' n ponrrait
réunir ¡mffiraient pour subvenir aux dépenses a
faite; mais le chanoine administrateur, toujours
fécond enressources, déclara «( que chacun devait
contrihuerde sahourse, car telle était la volonté
de Dieu et de Santiago. » Convaincue et déci-
dée par la force d'un tel argllnlent, l' assem-
blée nomma au meme instant le comnlissaire
ordonnateur, D. Ramon Cajida, en qualité d'in-
tendant de l'armée, et elle se sépara.


A dix lIeures du soir, San-Roman expédia un
conrriera Madrid, ponr informer le roi des
événemens de ]a Corogne, et de ses propres
dispositions ponr attaquer les insnrgés. Il
forma son état filajor, nomma ses aides de
calnp, envoya des espions a la Corogne, et
pla~a, comme g~rdes avancées, a la porte de
5a maison, un détachement de volontaires
d' Aragon, destiné a poursuivre les malfaiteurs,
et qui se trouvait alors a Santiago.




268
Le 2"5 février, San-Ronlan demanda une note


des hagages nécessairesaux corps qui allaient en-
trer en campagne, 6t l'econnaitl'e les chefs de son
étatniajor, etordonnaqueletrésorpublicdonne.
rait une solde h ql1iconque se présenterait,revetu
d'un uniforme d'oflicier, ce qui n'avait évidenl-
ment d'autre but que de se former un partí non1·
hreux en prodiguant l' or. La troupe re~ut ensuite
l' ordre d'etre prcte a nlareher au prenlÍer signal,
et San-Ronlan dépeeha des offieiers a Ponteve-
dra, 'a Tuy et a Vigo, a6n. que ces vilJes diri-
geassent, le plus prornptenlent possibIe , léurs
corps provineiaux sur Orenze. II donna aussi,
aux.officiers, l' ordre de passer la Huit dans leurs
casel'nes, et prévillt l'administrateur des rentes
et le caissier de se tenir prets a suivre l'armée
avec tous leurs enlployés. L'3 meme soir, il pu-
blia deux proclamations adress~s l'une a ses
soldats, l'autre aux habitans de Santiago.


Le 24 au nlatin, tandis que le comll1andant
général Acebedo, a la tete de sa petitedivis.ion,
approchait de cette ville, le eomte de ~an-Ro­
man nlit ses troupes en nlarche, donnant ordre
que fes corps allassent se réunir aSar, petit vil-
lage contigu a la ville, et que 1'0n enlevat tous
les uniforrnes' et autres objets que 1'0n tt'ouve-
rait dans les 111agasins, ce que le nlallque de




269
teInps pour charger les chariots rendit impos ...
sible a exécuter ; car on croyait que la colonne
volante était déja al1X portes de lá ville. Toute
la force de San-Roman COr1sistait en cent vingt
hommes de Santiago; quaral1te. de Conlpos-
telle; un meme nombre de l'école militaire des
Cadets; et vingt du second bataillon de Vitto-
ria; car la plus' grande partie des soldats, des
caporaux, et des sergens de ce dernier corps
étaitre~tée dans la vilJe pour se réunir a la di-
vision d'Acebedo; en tout, l'armée de San-Ro-
man se composait de deux cent vingt hommes.
Il était opze heures lorsque ce général se mit en


. marche, laissant ainsi l' entrée de Santiago
entierenlent libre aux troupes nationales qui,
en effet, arriverent dans les faubourgs, entre
deux et trois heures de l'apres-miq.i.


Les capitaines D. Lorenzo Alonzo et D: Juan
Caballero, aide de camp du cornmandant gé-
néral Acehedo, s'avancerent avec quatre soldafs
et neuf hahitans; lesqueIs, arulés et montés,
$uivaient la division'avec le titre d'ordonnances
d'honneur. Leur but ~tait de reconnaitre les
principales rues et places de la ville, et de cou-
vrir les avenues des routes de Pa~rün et d'O-
renze. Ces mesures prises, le premier süin d'A-
lonzofutdeserendreaux prisonsde l'inquisition,




270
et de faire 11lettre en liberté le comte de Mon-
tijo et tous les autres prisonniers.


Apres avoir rempli, sans obstad e , la com-
mission dont ils avaient été chargés, ces officiers
vinrent en rendre compte au conlmandant gé-
néral, qui ne tarda pas lui-uleme a entrer daos
la ville. Les portes des maisons étaient fermées;
et le peu d'habitans qu'on rencontrait dans les
rues, remplis encore du souvenir de la catas"!'
trophe de Porlier, et des persécutions dont tant
de cit<?yens paisibles aVq-ient été victimes a ceHe
époque, nlanifestaient, par l' expression de ~eurs
physiononlies, la crainte et l' effroi que ·leur in-
spirait une entrepr~se dont ils ne doutaient pas
que l'issue ne dut etre semblable a celle du mal-
heureux général. T outefois , peu de temps apres,
un assez grand nombre de personnes, auirées
par la curiosité de connaitre les événemens de
la Corogne et les intentions de la division , ar~
k'iverent successivement sur la place.


Le commandant général adressa au conseil
de ville l'invitation de faire proclamer la Con-
stitution; nlais celui-ci ne fit qu'un~ réponse
équivoque. Une se conde et une troisieme ¡nvi-
fation lui ayant été envoyées, on ne re~ut en-
core de lui qü~ des explications pen satisfaisantes.
En6n) le commaudant général, décidé a épuiser




27 1
tous les moyens de conciliation ,ayant transnlis
au conseil général un quatrieme nlessage , la
réponse de ce conseil fut ( -que se considérant
en parfaite liberté, iI reconnaissait et adoptait
de son pUl' lnouvement et de sa libre volonté
le gouvernement constitutionnei, jusqu'a ce
que la nation, réunie en Cortes, p~t faire con-
naitre celui dont elle jugeait l'adoption la plus
convenable a ses intérets. »


Pendant que ceci se passait, un officier du
deuxieme bataillon de Vittoria vint annoncer
au commandan~ général c( que la plus grande
partie de son hataillon, avec cinq ofliciers" était
restée a la caserne, apres avoir refusé de suivre
le comte de San~Ronlan, malgré les or,rlres de
son cQmma~dant de hataillon, lequel était parti
avec le général ;, et que tous, désirant avec ar-
deur de sacrifier leur vie poor la' défense des
augustes droits de la nation, demandaient,
comme une faveur, d'etre réunis a la Colonne
volante. )) CcUe demarlCle leur fut accordée au
-me me inst~p~; et C;CS qdele$ défenseurs de la pa~
trie furent accu~illispar leurs nouveaux freres
d'armes, avec le sentiment de la joie la plus,
vive. La suite des événemens a pro:uvé qu'ils
étaient dignes,'p,ar leur fi.délité ,. \eur valeur, et
l~ur constance daos les privatiol1s, de partag,e~




117"
les nobleis :travaux . et 'la gloirir- 'deJeursainés.
L:~·~5~, an point du jou~, Sañ-Ro.ni~I1 (~I)l'es


'avoir' confié le 'commandement de 's'órl :'~ril1ee
. .


<ah' brigadie~ D.' Juan Bautista.' Aguiar, 'se di~
rigea, a marche 'f~rteeS ~ sur Oretize,' -ou 11' es-
pérait, ainsi (¡ti'il' tn'eii:;'afait~ donné l'ordre,
trouver réu'rus plusieuÍ'S' c6rps-'é!e ·lroúpes pró-
vinciales.: ¡', ,'¡¡.)t.' l'.):';',' ~H;


Le meme jour, le conseil de!~iÍl~:de·San ...
tiago se, téunit. ' Les corporations, les ~harioi­
nes et-le; p~pie, · fureot 'conlvóqués; tous'se
~ndil'ent::i rimñaflOti'ja' l~exeeption des·cha ..
,tidíhis'PU~:td~éil:'Je&l\Wit~~fut 'nommé
unanimemenf.' A onze'heures'diii:matiri; ~,Í'oo;,
'}óooe:'se mit bu. ha~~Ue ;::nn pet?ple' im~erise
couvraif la. j,lace: Les próclamations eurent
lieú avecles' sólerinités d'usage,'dans'lesmemes
circonstances; 'et 'la jour~ée' se·te~mina·parurÍe
ilhll~inat~o~) ·génér~le. , ' " ; '-'.' ',>


:, 'Le 26'áu matin ,on app.ortaau commanda'nt
géneral.' Acebedo ' une' afficheqúi" a"tit:;été
tro\xVée le tnátin" a la porte 'dé·:la eátftédrld~~ 'et
dans laqu'élle( ó'n:"é~eltiitHe;p~trple de Santiago..


, a exterfui~erllá' 'divi'sibh ;nationale. Troisindi-
. "idus, 'sou~onnés ,de ce cpim~~~ {urent arretes ;
nlais l:eur infcrrogat<?ire, 'qui fut missous' les
yeux'du commandant général1, ne'fit'Pas con-




:273
naltre les': abt-eurs de l'affiche. L'acti~)Il de tes
misérables méritait la mort; mai~ Aceh~o.ue
laissapas"instruire la procédure, ,et les,satlva
ainsi. du supplice.


Le 27, le bataillo.n de Vittoria. partit po.ut,
Herhon, couventde J?rapciscains,\ situé a quatr~
lieues de , Sa~tiagó', . avec o.rdre de mettre en
liberté le,:yertueux et savant D. Diego Mugnos
Torrero;' aujourd'hui évcque élu de Guadix, et
député pour la province d'Estremadure, a l'as-
semblée des Cortes; ce respectable . eeclésiasti ...
que, honol'é de la haine spéciale des tyrans~a~ait
étéarl-etédans le couvent meme, comme run
des défensE!urs les plus ardens et les pluséclaités
du .dQgme"politique,de la,s(}!-Íveraineté despeu~
ples.,Des,).;.leQ~_a¡(l,,) J~l j,)at;¡ill()n ire~tr~'a
Santiago,raInenant,ávecluiJ~Iugnos Torrero. ,.
et D. Manuel Acugna"archidiacre de San-Les,
et ch~noine de Santiago., lequel était.également
prisonnier daus le couvent des Franciscains.
Ainsi était. successi vemen t rendue a la liberté,
cette'foúle de vi<;times, entassées dans les:pri;..;
sons d'état etdans éelles 'de l'illquisitioh; et
dont pltlsieurs te'rtriihaient journeUement leur
existence et leurs malhe~fs, s~ns. que lenrs
a,mis , leurs,parens; leur~. {amilles, fussent in~
struits, non-seulement des crlmes qui ~eur


18




274
étaient imputés, mais souvent m~me de leur
détel1tion (1).


Chaque jour) eependant, les forees de la di-
visiol1 nationale s'augnlentaient, aufant par la
défection de ses enneníis, que par les détache-
mens épars des défenseurs de la patrie qui ve-
naient successivement se rallier a elle.


Le général Acebedo avait re~u avis le 29,
que deux jours auparavant, le colonel du régi-
nlent provincial de Tuy, trahissant sa parole
d'honneur, et se déshonorant par la plus insigne
perfidie, venait de se réunir au conlte de -San-
Homan, et que, selonl'itinéraire qu'il avait suivi,
iI de:vait passer, le 5 fllars au matio , le hac de
Barbantes sur le Migno. D'apres ees renseigne-
rucns, le commandant général dirigea des trou-
pes de ce coté pour l'atteindre, le tombattre,


( f) N o-us avons eu sous les yeux la preuve que des
étrangers enlevés de leurs dOl~iciJes , a Madrid et dans
plusieurs provinces d'Espagne, pa.' les ordres de l'inqui-
sitioll, sont morts a.u fond des cachots, tandis que les
agens de cet horrible tribunal présentaient aux ministres
des puissances·,_par lesquels ces malheureux etaient recla-
més, de prétendus registres sur lesquels étaient portés les
noms de ces vi~times du plus exécrable pouvoir qui fut
jamais, comme a!ant re~u des passeports pour sortit
du royaume.




275
s'ilétait nécessaire. et 8urto'ut empecher sa
jonction ave e le conlte de San-Romano


Instruit, le 2 du meme mois, que deux cent
cinquante nliliciens étaient réunis a Carbal-
ligno, il chargea les officiers Sa\azar, Peirona,
D. José Molla, et D. JaIme Mas, de se mettre
a la tete des volontaires d'Arragon, et de trente
chasseurs du premier hataillon de Grenade, et
de s' avancer, sous les ordres de son aide . de
camp D. Joachinl Cayuela. En nlenle tenlpS,
Acebedo accompagnédu lieutenant D. José
Mugnoz, donna ordre a la division de semettre
en mouvement; se porta de sa personne, pour
exanliner le terrain, et rejoignit son aide de
camp, avant d' arriver au pont de la riviere
Arentejo. Il pensait, conlme iI était uaturelde
le croire ,qu 'ji rencontrerait la une avant-gatde


. de llliliciens chargée de veiller a la sureté de ceux
qui é~aient dans le village; lnais, n'apercevant
pas un seul soldat, Cayuela avaitjugé qu'ilsen
étaieot partis, et s' était avancé avec trois
ordonnances, dont l'une re~ut l'ordre d'aUer
chercher l'alcade, et de leptévenirqn'il eut a
tenir pret tout ce qui etalt nécessaire potir les
chambrées de la division. Cependaht, ~a l'ap-
proche des nlaisons, un gtoupe s'avail~a vers
luí, en criant : « Aux arlillcs! aux armes!})




276
Cayuela reconnut qu'il avalt surpris les Dlilí-
ciens, et se décida, sur-le-cham p, a ne pas
leur donner le te111pS de se réunir; puis, en-
fon<;3.ut les éperons dans les reins de son che-
val, toujours accompagné de ses ordonnances,.
et avec une intrépidité qui n'altérait en ríen
sa présence d'esprit, il se pré.cipita au 111ilieu
des bataillons ennenlis, proclamant l'indépen-
dance et la liberté nationales .


Cette action d'une hardiesse inoule, eta ]a-
quelle était attaché un si grand danger, était,.
néanmoins indispensable dans la circonstaÍlce,
pourjeter l'épouvante chez l'ennemi. Le succes
en fut complet; et,. du moment ou les tronpes
sons les ordres de Cayuela furent cntrées sans
résistance dans le village, les miliciens l'aban-
donnerent précipitamnlent et en désordre. On.
les pou.rsuivit sur toutes les ron tes , non comme
des ennenlis dont un vainqlleur cruel et irrité
vent tirer vengeance, maiS comnle des hommes
égarés, a qUll'on désire fail'e connaltre l'erreur
dans laquelle ils étaient plongés. la consterna-
tion de~ fuyards était telle, que, seu] avec deux
artilleurs, le lieutenant D. José. Mugnoz fit
prisonniers trente de ces malheureux, et les
for~a de retourner a Carballigno. Cayuela,
suivi des volontaires et de trente chasseurs,




:277
avec leurs officiers, reconnut les hanleaux , le~
Dlétairies voisines et les hois attenans auvillage,
a une distance d'une lieue et denlie; recueillit
quelques-uns des siens qui s'étaient égarés, et
s'assura 'qu'il n'y avait plus de miliciens aux
environs. Cayuela ayantcommuniqué ces re n-
seignemens au commandant général, la di-
vision re~ut l' ordre de faire halte a Carballi-
goo, ou elle arriva vers nlÍdi. Une ularche for-
cée du régiment provincial de Tuy, qui, ainsi
qu'on vient de le voir; devait passer le bac du
lUigno, fut la cause de eette halte, paree que
1'011 venait de reconnaitre qu'il serait inlpossi-
ble d'arrivera tenlps pour lnettl'c obstacle a ce
passage.


A deu~ hellres et denlie de l'apres-nlidi, Ace-
,bedo envoya son aide de canlp D. Juan C~bal­
lero, en courrier, jusqu'au bac de Barbantes ,
et le. chargea cJ'une lettre pour le colon el du
provincial de Tuy; iI yreprochait a cet homme
déloyal, daos les ternles les plus énergiques,
la perfidie et la n13uvaise foi avec lesquelles,
apres avoir juré fidélité a la Constitution et
donné sa parole d'honneur de ne pas sortir de
Tuy, il avait trahi l'un et l'aut.re sernlent; mais
l'aide de camp u'étaot arrivé que lorque le co-
lonel et 5a troupe étaicllt déja sur la rive 0ppo-




278
séé; on lui refusa le passage, on le traita d)es-
pion, et on le mena~a de faire feu sur lui s'il ne
se retirait pronlptement.


Cependant les conlmunications étaient ac-
tives et continuelles, entre Santiago et les di-
vers détachemens sortis de la ville ; tout concou-
rait au meme hut; et, malgré les contrariétés
qu' éprouvaient souvent les anlis de la patrie dans
l'exécution de leurs plans, tout annon~ait pOllr
eux un succes, sinon prochain, du moins assuré.


La Colonne volante se porta le 5 mars, a dix
heures du nlatin, sur Amoeyro , ou elle trouva
une partie des habitans en· fuite, et l'autre ef-
fl'ayée par les infideles récits de San-Romanet
de 5a troupe, qui publiaient partout que la
division sortie dé la Corogne se livrait sur son
passage aux exces les plus horribles. Toutefois ,
ces bonnes gens ayant bientot reconnu con}bien
on les avait trompés, rentrerent, quelqiJes
heures apres, dans leurs máisons.


Le 3 au soir, tous les sergens de la division
se présenterent chez le général Acebedo, et l'un
d' eux, D. Candido Santos, élevé depuis au grade
d'officier, prenant la parole, s'exprima en ces
tel'lnes (1) :


(1) 00 n'a pas oublié que ce fut un sergr.nt (l'infame




279
(( IIlustre et sage général, les Sergen,s de la


division sous vos ordres se présentent en corps
devant V otre Seigneurie, dans le dessein de hli
faire connaltre, ainsi qu'a tous ses officiers,
l'ardent désir qui les anime, d'effacer dans leur
sang l'opprobre dont se couvrirent, en 1815 ,
a la face de toute la nation, ceux d'entre eux
dont la trahison fit échouer ]a noble ten":'
tative de l'immortel Porlier, pour rendre la
liberté a l'Espagne. Instruits que e'est demain
que la dívision doit entrer daos Orenze, pour
en chasser les miliciens qui s'y sont fortifiés; et
que, daos r attaque de cette ville, le pont est,
, a la fois, le point le plus ¡Inportant et le plus
dangereux, je viens, au non1 de mes canlara-
des, supplier V. S. de permettre a tous les Ser-
gens de la division de former un corps particu-


'lier, a qui sera exclusivement confié le so'in de
s' emparer du pont et des retranchemens 'qui y
ont été construits ; et, daos le cas ou les mili-
cieos auraient pris position en avant d'Orenze ,


CHACON) qui , corrompu par l'argent de l'archev~que de
Santiago et des chanoines de cette ville , marcha le 'pre-
,mier contre le général Porlier, le surprit sans défense ~
le livra a ses ennemis , et proloDgea ainsi l'esclavage e t.,
l'agonie de l'Espagne.




280
de nous autoriser a les attaquer en tirailleurs.
En un mot, notre général, nous dcmandons
que, pour réparer, 5'il est possible, les affreux
tnalheurs qu' out auirés sur la patrie les homnles
criluinels qui, en trahissant Porlier, ont trahi
1'Espagne entiere et répandu sur elle un tieuil
éternel, il soit permis au corps des sergens de
votre division d'ouvrir le premier la route de
la liberté nationale, et ceBe de la gloire de leur
digne chef D. Felix Acebedo. »


Cette demande et l'assurance énergique avec
laquelle elle fut pronollcée, produisirent sur
tous les assistans l'impression la plus profonde.
Le g~néral en fut attendri jusqu'aux larmes. Se
pla<;ant alors au nlilieu des sergens, et cherchant
a se rendre 11laitre de l'extreme émotion qui s'é-
tait emparée de lui, illeur témoigna, avec une
vive effusion de tendresse et de reconnaissance,
en SOil 11on1 ,au nOID du corps des officiers, de
la supreme Junte de la province, et de toute
la nation, (( conlbien il était touché d'unepreuve
aussi noble, aussi généreuse, aussi sublime de
Ieur hérolque dévouement; )) 11lais iI leur 6t
connaitre en nltmle tenlps ce qu'une tclle dé-..
luarche pourrait avoir des i nconvéniens graves;
et qn'iJ était heaucoup plus convenable qu'ils




.281


demeurassent au milieu des rangs et parmi leurs '
soldats, dans une attaque ou l'ordre et la disci-
pline n'étaient pas moins importans que la va-
leur elle-nlcme, et ou sans doute chacun d' eux
trouverait facilement l'occasion de se distin-
guer. »


Le diseours du brave D. Calldido, n'a hesoin
ni de. réflexions, ni de commentaires : quand
une nation a reconquis sa liberté, et qu'elle
reIiferme de tels homrnes, aueune puissance
sur la terre, et la réunion de toutes les puis-
sanees ensenlble,. ne peuvent lui rendre des
fers.


Le 4 mars, a onze heures dllnlatin, la di-
vision sortit d' Anloeyro, et, a deuli -lieue de
la, elle rencontra, formée en colonne, la se-
conde division de 'l'armée naiionale, ayant a
sa tete le eornrnandant général D. Carlo~ Espi-
nosa. eette division, C0111posée de deux com-
pagnies de nlarine, dellx de Gastille, et qua-
tre de Burgos, était sortie de la Corogne, le
29 février (6 jOllrs apres la prem,iere), et
apres avoir suivi, pendant quatre jours, des
directions tout-a-fait différentes, elle se réll-
nit enfin a eelle.,.ei, pOllr la renforeer a l'in-
stant d'entrer dans Orenze. La joie et l'enthou-
siasnle que manifesterent les soldats , dans eette




282
rencontre test au-dessus de toute tdée et de
tont éloge. ce Je te félicite, terreur du servilis-
nle », disait ía seconde colonne a la premie re ;
- c( puisse la réunion des deux divisions de la
patrie, etre étel'nelle; puissent-elles ne former:
qu'un senl corps, poul' la destruction de tous ses
ennemis! » répliquait cene-cío Ainsi se passait,
dans d~s félicitations réciproques, qui n'é-
taient interrompues que par les cris de 17 ive
la Patrie! vive la Constitution! vive le Roi
constitlllionnel, le temps nécessaire aux deux
divisions unies pour arriver a Orenze. .


On apprit a Castro de Veiro, que le cOp1~e
de San - Ronlan avait rassenlblé les régimens
complets de Orenze, l\lonterey et Tuy; une
partie de ceux de Santiago, Conlpostelle et
Pontevedra; différens détachemens des corps
de ligne, cent houlmes du bataillon de Vit-
torÍa : et les Cadets de l' école nlilitaire de
Santiago. Le 28 février, il avait faÍt plusieurs
prolTIotions dans son arnlée; iI avait aussi
comnlcncé a fortifier, ou plutót a détruire le
fameux ponl d'Orenze, resp~cté dans la précé-:
dente guerre par les généraux fran~ais et es-
pagnols, dont les connaissances militaires
étaÍent sans doute fo1't supéricllres a cellesde
San-Ronlan, et tout cela, pOlll' fuir devallt des


,




~85
troupes, fort inférieures en nomhre a ceHes
qu'il commandait, nlais animées toutefois
d'un tel. enthousiasme, et chargées d' exécutet
des plaos si bien con~us, que la victoire ne
pouvait m30quer de se déclarer pour elles,
málgré les retranchemens et les autres mesures
de défense prises par le général royaliste, au
préjudice notable des p~opriétés des llabitans
d'Orenze.


D'apres le plan arre té , deux cents honlmes,
sous les ordres du capitaine Échaluce, devaient
attaquer la place a revers; et deux cents autres,
cODlmandés par le capitaine Alonzo, devaient


, passer le Migno sur cinq barques, pour aUa-
quer la ville par la droite. Ainsi, tandis que
les ennemis croiraient n'avoir adéfendre que
le pont, ils devaient ctre forcés 'de porter.leurs'
troupes sur trois points différens. .
C~pendant, les divisions nationales réunies,


qui se disposaient a combatfre valeureusement,
ne rencontraient point d'ennemis; en effet,
apresavoir falt de grandes dénlonstratlons de
défense : apres avoir publié deux pro dama-
t10ns, pour exciter la fureur du peuple contre
ceux qu'jlsappelaient les ennemis du roi, deja
reJigion, et de Ja patrie, San-Homan avait aban-
donné tous ses postes a la premiere nouvelle ,;




284
de l'approche des divisions nationales, et quel-
ques heures avant leurarrivée. Aussi lache dans


, sa fui te , qu'il avait été insolent dans ses nlena-
ces, il ne combaUait nlaintenant' ses ennenlis
qu' en continuant de répandre contre eux d' 0-
dieuses calomnies, poul' épouvanter les timides
hahitans des campagnes qui, livrés a une fu-
neste crédulité, fuyaient dans les hois }lour y
chercher un asile, emUlenant avec eux ce qu'ils
avaient de plus cher. L' éveque d'Orenze, ses
chanoines, et quelques négocians, sortirent
aussi de la ville.


11 sei'ait difficile d' assigner les véritables mo-
tifs qui porterent San-Roman aUlle retraite
aussi . prompte, apres des préparatifs de dé-
fense si extraordinaires; mais il est probable
qll'elle fut décidée par l'arrivée inattendue du
comte de Torrejon, colouel de la colonnedes
grenadiers provinciaux, qui, porteur d'ordres
et d'instructions du ministre de la guerre, était
parti de Madrid en courrier, et s'était rendu
directement au quartier général de San-Roman
avec lequel iI avait eu une conférence dans la
nuit précédente.


La ville présentait l'aspect le plus sonlbre.
La plus grande- partie des luaisons était fermee
ainsi que l'hotel de ville, dont aucun membre




285
du conseil n'apportait les clefs. Le peu d'ha-
bitans qu'on rencontrait , paraissaiellt frappés
de terreur. Le général Acebedo rendit et fit
afficher une ordonnance portant : (( Que toute
autorité, tout employé ou habitant quelcon ..
que qui avait ql1itté SQn poste ou sa n1aisoo,
depuis le jour précédent a onzeheures du
soir, eut a se présenter dans le terme précis
de deux heures, sous peine d'etre considéré
comme ennemi de sa patrie, et d'encourir les
peines portées contre ceux·ci. ))


Cependant l' ordre et la discipline qui ré-
gnaiellt dans les divisions, De tarderent pas a
ranlener la confianee ; et les habitans, d'abord
si craintifs, finirent bientot par se nlcler avec
les troupes; ils leur demandaient des nou-
yelles, se disputaient les proclamations· que
distribuaient les officiers, et, apres les avoir
lues '- se félicitaient de l'arrivée des forces
nationales et du nouvel ordre de choses qui
commen<;ait ponr I'Espagne.


Dans l'impossibilité de se procurer les clefs'
de l'hótel de ville , on en brisa les serrures, et·
l'on pla<;a sons le vestibule d'entrée, une ré-
serve de quarante hommes. On établit des avant-
postes; on caserna la troupe; et on 6t cher-
cher quelques-:uns des membres du conseil de




286
ville de 1814, pour relllplir provisoirement
les fonctions municipales, j usqu'a ce que le
peuple eut élu ses nouveaux magistrats.


Lé 5, apres avoir laissé au colonel D. Juan
de Dios AIguer, le commandenlent des armes
etquarante hommes du régiment de Burgos,
avec trois officiers du meme corps, les deux
divisions prirent la route de Ginzo, a une
heure apres lllidi. Le capitaine Echaluce , ayant
chassé les troupes qui couvraiellt l'arriere·garde
du COlllte de San - ROlllan, se réunit a la co-
lonne avec les siennes.


En partant de Ginzo, le général Espinosa,
a la tete de la colonne de chasseurs', se pla~a a
l'avant-garde. Il commen~ait a faire nuit, lors-
que les troupes arriverent a unechaussée qui
conduit a degrands étangs, qu'on ne peut
traverser qu'en passant, jusqu'a une certaine
distance, sur de grosses pi erres qui s'élevent
au-dessus de l'eau. L'obscurité de la nuit 6t
que les soldats, n'apercevant pas ces pi erres ,
entrerent dans l'eau jusqu'a la mcitié de- la
cuisse; iI faisait alors un froid rigoureux. Peu
de temps apres, quelques . habitans donne-
rent avis qu'il y avait daos le village de
Ginzo, plus de trois cents hommes de milice
et du hataillon de Vittoria, et qu'une gal'de




287
était placée a rentrée. L'adjudant Elorza et le
lieutenant Mugniz, s'avancerent pour deman-
der au commandant de cette garde, comment
on se disposait a recevoir les troupes natio-
llales ; 'cet officier denlanda la permission de
rendre compte de cet incident au commandant
de son bataillon; Acebedo, a qui Elorza 6t
part de cet obstacle, eut l'imprudente géné-
rosité de la lui accorder; mais cette condes-
cendance fut cause, ainsi qu'on va le voir,
qu~on ne put s'emparer de tOlde la troupe, qui
étai ten quartier dans le village. Le cODlmandant
du hataillon de Vittoria, D. Manuel de Torres,


. n'ayant f:lit aucune réponse aux deux messa-
ges qui lui avaient été envoyés , Elorza , impa-
tíent de ne savoir a quoi s' en tenir, entra lui-


. meme dans levillage ; fut trouver ce comman-
dant, et luí demanda, de la part du g~néral
Acebedo, « quelJes étaient ses intentions. »
Torres lui répondit, ( qu'il se félicitait since-
rement de l' arri vée des troupes nationales;


, qu'elles pouvaient entrer avec d'autant plus
de confiance, que son intelltion était de se
réunir a elles. »


Enchal1té de ceHe réponse , Elorza revint sur·
le-champ en rcndre compte au commandant
général, qui Qrdonna aussitót a la· Co]onne de




288
continuer sa marche. Toutefois, on découvrit
bientot que Torres avait usé de. supercherie
pour s'échapper avec plus de facilité. Quoique
la nuÍt fUt fort sonlbre, Elorza se nlit a sa
poursuite , pour lui demander raison d'Ull pro-
cédé si peu honorable; ille rejoignit ~l peu de
distance, et Torres lui ayant donné ponr excuse
ce· qu'il avait été contraint , par ses soldats , .au
parti qu'il avait pris, » un détachement fut
chargé de conduire ce comnlandant devant Ace-
hedo, p~)Ur répondre aux denlal1des qui luí se-
raient adressées. Pendant que ceci se passaif, la
Colonne qui poursuivait dans sa fuite le reste
du bataillon de Torres, arriva a une traverse
ou le chemin se divise en trois branches; la,
elle prit une fausse rouie, et ne reeonnllt son
errel~r que trop tard pour la réparer~ Elorza,
qui étaita sa tete, considérant que la troupe
a'vait fait sept lieues, et que l'obscurité de la nuit
contraJ'iait ses vues, se décida a rétrograder et
revint prendre du repos a Ginzo.


Le résultat de eette surprise valut aux divi-
sions nationales, huit nlille cartouches, trois
caissons ,de guerre, plusieurs chariots de pain,
quelques chevaux et autres objets. Cinq~ ofli-
ciers, parmi 'lesquels se trouvait le COOlman-
dant Torres, et plus de cillquante soldats, fu-




~8g
í'ellt faits prjsonlliers; OH don na des passe ...
ports aux prenúers; les soldats, .dont le plus
grand nombre appartenait ail bataillon de
Vittoria, se réunirent avec joie, a ceux de lem's
compagnons d'arlnes qui fais~ient partie de la
Colonne volante.


Les divlsions, apres avúir traversé )\¡Ion~
terl"ey et autres villages, arriverent a Verin;
le 6., instruit que l'arriere-garde de l'armée du
comte de San-Homan, en était partie depuis
peu, la colonne de chasseurs, aux ordres d'Es..;.
pinosa, se nlit a leur poursuite. En peu d'in-
stans; les nliliciens furent rejoints et mis en
déroute; un grand tlonlbre furent faits prison.
niers, les autres se sauvereht sur les hautem's.
Comrne il fallait nlarcher de nuJ.t, on allait
beailcoup plus lentement; toutefois Espinosa;
actif, serei n, infatigable, et dirigeant sa mar-
che a. travers les Inontagnes, donnait aux offi-
ciers et aux h'oupes, l'exemple de la résigna"
tion asouffrir. II était dix heures du soir, lor5-
que la colonne al'riva au village de San-Chris"
tobal. Les maisons étaient· remplies de mili-
ciens, et il est impbssible de concevoir com-
ment plusieurs otliciers se trouvant avec eux ;
personne n'eut songé a établir despostes avan ...


19




290
cés; 00 leur 6t quatre-vingts prisonniers, dont
trois officiers.


Le 7, l' arrnée nationale 6t de nouvelles re-
crues; le lieutenant Gasque, du deuxienle lé-
ger d'Aragon, vint se réunir a elle, dans le
viJlage de Laza, et lui amenadix-sept hommes
de ce corps.


Le 8, le capitaine Alonzo, qui allait tou-
jours a ·l'avant-garde , avec quarante hommes
d'Aragon I se nlit a la tete de la colonne de
chasseurs, apres avoir passé ]a Cauda. En des-
cendant . un coteau qui conduít a CastiIle, iI
rencoutra cent cinquante miliciens qui parais-
saient disposés a défendre le passage; mais.
Alonzo leur ayant faÍt connaitre qu'il était im-
portant qu'il exécutat l' ordre qu'il avait re~u
de se rendre a Aciveros ~ ou était le· comte de.
Torrejon, avec lequel il devait se concerter
~ur les moyens de faire passer une lettre au
comte de San-Roman, les miliciens se retire-
rento Toutefois, d'autres obstades s'opposerent
depuis a ce qu' Alonzo rempUt cetté mission.


Le gmars, l'armée se mit en mouvement
a midi. La premiere division fut dirigée SUI'
le Requejo ;mais en arrivant a Padornelo, OH
aper~ut les "'iroup.es de San-Roman, comman-




291
dées par Torrejon, et placées dans Une posf-
tion avantageuse. Une partie de celles-ci cou-
vrait la route royale, et l' entrée du village;
l'autre partie, a ]a droite de ce meme village"
appuyait sa gauche sur lui; enfin; la troisieme
un peu plus avancée, avait sa_ droite appuyée
sur une montagne assez éle-vée, mais cepen ..
dantaccessible. Les forcesnationales s'élevaient
a quatre cent cinquante hommes, répartis
ainsi qu'ilsuit : Deux compagnies de Castille;
deux de Grenade; une d'artilJerie ;Ulle de Vit-
toria, et une autre d' Aragon. L' ennerni comp-
tait daos ses raogs, cinq cents hornmes, divi-
sés en six compagoies choisies, de grenadiers ,
de chasseurs, et de fusiliers.


Le conlmandantgénéral ordoona que lesdeux
compagnies de Grenade s' emparassent immédia-
tement de la hauteur 'qui dominait l'enoenli,
et que celui-ci, rnalgré l' extreme importance
de ce point, avait négligé d'occuper. La com-
pagnied'artillerie fut placée sur une hauteur ,
a la gauche de la route, afio de soutenir la
conlpagnie de Grenade. La compagnie d'Arra-
gon, soutenuepar celle de ViUoria, suivit te
grand chemin; et la compagnie de Castille fut
laissée en réserve, a la droite de l'artillerie. Le
comte deTorrej-on, apres avoirobservétous ces




292
mOllVemens, chargea, mais troptard, une canT~
pagnie d'aller s'établir sur la hauteur; s'aperce-
vant néannloins qu'il scrait nécessairerncnt en-
veloppé s'il conservait)a position qu'il occupait
maintenant, iI abandonna son projet et se re-
tira. La compagnie de Castillecontinua a avan-
cer par le chemin, et ceHe d'artiUerie par la
nlontagne, soutellant l'aile gauche de Grenade.
En ce momen t, Acebedo " que ses aides de camp
venaient de quitter pour porter ses ordres,
voyant fuir les nliliciens, et emporté par )'exd~s
d'un zele qui allait devenir si funeste a lui-
nleme et a la patrie, s'élance, seul, et traverse
au ga]op le village de Padornelo. A peine en
est-il sorti, qu'il rencontre les miliciens en dés-
ordre; son chapeau a la maln et l'épée dan s le
fourreau, il s'écrie a10rs : « Enfans, "ne S0111-
nles nons donc pas freres? Quelle fatalité 110US
divise! Abandonnez ces honlmes qui, pou!' sa-
tisfaire leur coupable ambition, vous arrachent
a votre patrie; entendez les cris de ,vos pe res
qui vous rappellent dans le sein de vos famil-
l~s ..... ) Livré a ces doU(;es illusions, et tout
entier a la flatteuse espérance de ranlener ces
bommes a la raison et a ,la patrie, iI était loin
de soup<;onuer que sa confiance l'eut entrainé
au milieu de ses assassins, lorsque plusieufi




295
d"entre eux, qui s'étaient cachés derriere une
palissade vers laqu elle i1 s'avan~ait seul et sans
arnles, firent feu sur lui et lui traverserent la
poi"trine de tl'ois coups de fusil; iI était tomLé
de chevaI et respirait encore, a l'instant ou ces
scélérats, accourant poul' lui oter un reste de
vie, et pour le dépouiller, aper~urent les vo-
Iontaires d'Arragon qui sortaient, du village et
,arrivaient a tout,e hride; ces hraves soldats
ue pouvant cOlltenir leur iudignation et leur
fureu!', a l'aspectd'un forfait aussi lache, se
précipiterent SUl' les hrigands, en blesserent
plusieurs, disperscl'ent les auh'es, et revinrent
ensuite, ,livrés a la plus profonde douleur,
donner a Ieur général expirant tous les secours
qui étaient en leur pouvoir; mais, des lors,
tous ces secours étaient devenus inutiles;
étendu aterre, baigné dans son sang, les yeux
nl0l,lranS et le visage décoloré, Acebedo He put
faire entendre que ces dernieres paroles, qui
exprimaient si bien l'unique pensée de toute
sa vie ; « En'avant, mes enfans; ne vous oc-
cupez point de ma dépouille mortelle; vive la
liberté nationale. )) Ainsi nlourut ce nouvel
Epanlinondas, sur le champ de bataille d'ou
fuyaient, au llleme instant, les ennenlis de sa
patrie. CeHe journée du 9 ma.rs 1820, sera ~
,~


'" f ,<,.S
,-/.',,:




~94
éterllellement , et de plus d'une maniere, cé-
lebre dans les fastes de l'Espagne. A l'instant
ou s'accomplissait, a Madrid, la révolution qui
lui a rendu sa liberté, sa gloire, et le rang qui
lui appartient parmi les peupJes civilisés,
Riego, poursuivi par O-Donnel (1), fuyait a
travers les montagnes. Freyre, Campana, Val-
des, assassinaient a Cadix les citoyens paisibles
et désarmés; et Acebedo, scellait de son sang
généreux, la liberté, dont les fiers accens se
faisaient entelldre, poul' la prenliere [ois,
apres plusieurs siecles, sous les murs dupaÍais
des rois d'Espagne.


(1) De~ Espagnols , bien inst.ruits des affaires de Ieur
pays, pensent que les instmmens meme du despo-
tisme, connsissant bien, a eeHe époque, l'opinion na-
tionale, et ne pouvant se défendloe eux-memes d'une
admiration secrete pour le sublime dévoUemellt de ces
premiers soldats de la liberté, ne voulurent jamais leur
ruine; mais qu'obIjgés d'obéir aux ordres de la cour,
ou de loésigner leurs emplois, la conduite que quelques-
uns d' entre eux tinrent alors , Ieur parut etre un terme
moyen entre ces deux nécessitéso En effet, ce n'est guere
qu'ainsi qu'ilest possible d'expliquer comment existent
encore ces trois cents héros de l'Espagne , qui, sans cesse
envíronnés de si~ a sept mille hommes, }10uvaient, a tout
instant, etre anéantis par une seule manreuvre de leurs
CllnernlS.




295
Au bruit des coups de fusil qui venaient de


priver la patrie d'un de ses nleilleurs citoyens ,
la colonne d'attaque doubla le pas et entra dans
le vilIage. A l'instant ou elle apprit la mort de
son général, un seul cri, uncri terrible et una-
nime se fit entendre: «( vengeance, vengeance! ))
On fit vainement observer que le comte de
Torrejonréunissait sur une h~uteur voisine
les . milicieos dispersés: rien oe put arreter
l'impétneuse furenr des soldats; ils demandent,
¡Is ordonnent le combato Aussitot les tambours
batteot la charge, et les trompettes et tambours
de toute la ligne leur répondent. La colonne,
en triplant le pas, est déjlt arrivée a la moitié
de la hauteur; avide de vengeance, elle est
pres d' en atteindre la cime; mais Torrejon ,
épouvanté. de tant d'intrépidité et d'audace,
et n'attendant plus son salut que d'une pronlpte
fui te , abandonne a la fois, son poste et son
arroée. Le fen des bataillons d' Arragon et de
Vittoria disperse, encore une fois, les mili-
ciens qui ne songent pÍus qu'll sauver leurs
jours. Al'exemple de leur général, ¡ls prennent
la fui te; mais une compagnie de Castille, com-
mandée par le capitaine de grenadiers D. José
Navas, et Alonzo ave e ses quarante hornrnes
d' Arragon, s'élancent a leur poursuite~ Le




296
capitaine Aranda, a la tete de sa compagnie ,
et de concertavec le hataillon de ViUoria ,
cOl11mandé par le capitaine SdJikouski , se place
sur les bauteurs, dans le dessein de couper le
passage a la compagnie ennemie, laquelle s'é.
tant séparée du reste de son arulée, ne pouvait
plus se réllnir a elle. ectte- compagoie ainsi
coupée, changea sa direction; passa le ruisseau
du Rcquejo; et rendit les él.nnes a.u 1110n1ent 00.
le Jieutellant D. JalI11C :Mas, et le sons-lieutei
llant D. José Mola, al1;tient la pOUl'suivre, ave'C
vingt homines -du bataillon de Grenade, .


Cependant les deux .co.mpagnies de ce ha.
taillon' ularchaient sllr-Ies traces de l'ennemi;
hientot eHes renCOll~rerent leurs caula.rades
d' Arl'agOl1 el deCastille sur les hordsdn Requejo;
réunies a ceux-ci et a vingt soldats, cOl~mandés
par un lieutenant etun~ sOlls-lieutenant, elles
s'emparerent ensuited·e six c-hariots charg-és de
vivres, apres avoir dissipé I'escorte qui les ac:"'"
compagnait.


De son coté,. Espinosa ayant l·eCOnnl1 qu'il
n'y avait plus de·miliciens réunis, fit battrc la
générale sur toute la ligue; .rassembia foute sa
divlsion en une heure;. fit passer les prisonniers
a l'arriere-garde; et dirigea sa nlarche sllr le
R.equejo,avec toute la précal.ltion po~sihle, L'~r-




297
til1erie arriva cette nlcme nuit; etcette division
qui avait pa~sé la nuÍt a Padornelo, se mit ~n
marche, des le ]eude111ain, pour Pedralva,
nlarchant a une petite demi-Ijeue de la pre-
m iere. Le commandant général .donna ordre
an capitaine Alanzo de partir en courrier pour
]a Corogne, afin d'instruire la Junte des nlOU-
vemensde la troupe; de la retraite de l'e~nemi
sur les Castilles; et de l'irréparable perte faite
par l'armée, dans la personne de son général,
tué a Padornelo. Toutefois, ne se eroyant pas
autorisé, sans un ordre expresde la Junte su-
prenle ,aentrer daos les Castilles pour y pour-
. suivre l' ennen~i qui se retirait a Bénavente ,iI
suspendit sa marche jusqu'a ce que cet ordre
luí fut parvenu.


Le 12 luars au' mati n, on apprit, par des
voyageurs qui arrivaient· de Madrid, que les
forc~s du comte de San-Homan s'élevaient a en-
viron quatre milJe ciuq centshommes, fous
dans le plus grand désordre, et dont un grand
nombre rnanquaient d'armes. 00 fut informé,
par les rnenleSVOyageurs, des désertionset
des pertes de tout genre qu'il :3vait éprouvées
.les jours' précédens. Les forces . de ee général
étaient les nlemeS que cenes qu'il avaita Orenze,
. roais il faIJait y ajouter les régimens de lugo et




2g8
de Mondogniedo; le premier bataillon de Vit·
toria, et quatre-vingts hommes decavalerie que
lui avait envoyés le capitaine général de la Cas-
tille'Vieille, quoique celui-ci eut, lui-meme,
besoin de conser\rer des forces, tant pour se
défendre contre les mouvemens populaires qui
commen<;aient a se manifester a Valladolid, que
pour porter des secours a la Navarre, rnenacée
d'un soulevernent général, depuis le retour de
:Mina.


Le comte de, San-Rornan, obstiné a défendre
une causé qu'il avait déc1aré naguere avoir en
horreur, usait des moyens et des artifices les
plus 'honteux pour rendre les troupes natio-
nales suspectes et odieuses au peuple. Fidele au
systeme adopté daos tons les pays, par les eo-
nemis de la liberté, tantot il mena~~lit le peu-
pIe de l'intervention de l'étranger, tantot iI le
flaUait de ses secours; et ce fut sans donte dans
l'iotention de s'assurer, un appui ou un asile
dans le Portugal, qu'il entra sur le territoire
de ce pays, et s'aboucha avec le capitainegé-
néral de la province de Tras-los-Montes;. en
un mot, il ne négligea aucun des moyens de
priver de tous les biellfaits que devait lui assu-
rer le régime constitutionnel, une nation a la-
quelle il avait déja conté tant de sang et de




299
larmes. En effet, c'était lui qui avait proposé
de nlettre sous les armes toutes les forces de la
Galice, pour environner de toutes parts et dé-
truire lacolonne volante: c'était lui qui avait
prodigué les noms les plus infames a ceux-Ia
memedont il avait, dans d'autres te~ps, re ..
cherché avec enlpl'eSSement et cultivé l'amitié,
et auxquels iI a écrit ensuite pour essayer de se
disculper; c'était lui qui, sous prétexte d'assu-
l'er la subsistal1ce et l' elltretien de ses troupes,
s'était rendu coupablede nombreuses malver-
sations, et avait dilapidé les fonds publics ; c' é-
tait lui qui avaii aHumé la guerre 'civile dans la
'Galice; c'était lui eolin, qui, ayant pu se cou-
vrir d'une imnlortelle gloire, en demeurant
fidele a ses anciennes opinions et a ses pro-
messes, avait préféré, a I'honneur d~ avoir
proclamé, le premier, dans cette provi~ce, la
lihe~é de sa patrie, l' opprobre et les remords
qui, t6t au tard, sont le partage des traitres.


Lebruit qui se l'épandait au quartier général
et dans laplupart des villes, et des villages de
la Galice, qu' llne nombreuse armée Portugaise
se disposait a eotrer en Espagne; la certitude
qu'on avait acquise, en effet, que le quartier
gélléral de ceUe armée avait été transféré a
Chaves, et que des troupes s'approchaiellt des




500


frontieres, déterminerent le commandant gé-
néral Espinosa a envoyer a Braganes son aide
de canlp D. Francisco Elorza, avec des dépe-
:ches pour le général portugais Silveyra, comte
d'Abl'antes, afio de connaltre, d'une nlaniere
précise, la cause de ces mouvemens. Ce géné-
ra} re~ut Elorza, avec les témoignages d'une ex-
treme affection, et lui déclara, dans les terlnes
les plus flatteurs, ( que le commandant en chef
de l'arlnée nationale espagnole n'avait riena
craindre de sa part; que les nlouvemens qui
avaient inquiété ce général n'aváient d'autre ob-
jetqllede maintenir la tranquillité de la province
dont le cOlnmandenlent lui était confié, etde
défendre ses habi tans des violences,déja exercées
contre quelques-uns d' entre eux, par plusieur:;
solda ts de la di vision du eomte de San-Roman. »)
Ces paroles de paix rassurerent pleinement
Elorza, qui se hata d'en informer son général.
En arrivant au ealnp portugais et en le quittant,
il avait re~u des offieiers et des soldats l'accueil
le plus affeetueux, ce qui confirnla l' opinion OU
1'0n était depuis long·-temps ,que les principes
de l'insurrection espagnole étaient partagés
par toute l'arlnée portugaise.


Le 12, a quatre heures de l'apres-midi, et
lorsqu'enfin les nOllvelles de l\ladrid étaientpu ..




501


bliques et qu'il ne rcstait aucun moyen de les
dissinluler, 011 vit arriver en courrier, au quar~
tier général, le marqu is de Do veda , porteur
d'uue lettre du comtc San-lloman au conlnlan-
dant général Espinosa, et de deux Ól'culaires du
ministre de la goerre, en date des 6 et 7 marso
Des que cet envoyé parut, les troupes se rnirent
en hataille, et il leur fit savoir c( que le roi
avait résolu de preter serment de fidélité a cette
meme Constitution pour laquelle elles conlbat-
taient depuis si long..: tenlps et avec tant de
vaillance; qu'enconséquence, les hostilités
deyaient cesser a l'instant. » Celte nouvelle
fut re<;ue avec les démonstrations de l'allé-
gresse la plus vive et la plus unanime; nlais,
toutefois, on était. telJement en garde contre
la perfidie de la cour, qu'on ne négligea,. dans
ces prelniers nlomens, al1cune des précautions
que. comrilandait la prudence, poUl~ se pré-
server de toute surprise. Trois foÍs les cris de
vive le roi constitutionnel! retentirent dans les
intervalles des salves de l'artilJerie. Un courrier
fuI dépéché sur-le-chanlp a la Junte supreme ,
pOOl' l'informer d'lln événement aussi inattendu,
et lui demander ses ordres. Des ·dispositions
nouvelles, plus actives et plus séveres qu'elles
ne I'avaient été encore, furent prises ensuite,




502


et la vigilance extérieure des avant-postes fut
redoublée.


Le lendenlain 15, le comte de San-Rornan ,
en réponse a une leUre que lui avait adres-
sée, la veille, le cornmandant général Espinosa,
manda a celui .. ci, d'un ton assez impérieux et
surtout assez ridicule, dan s l'humiliante posi-
tion a laquelle il était réduit : « que, puisque
le roi avait preté serment a la Constitution, iI
fallait que les troupes que lui, Espinosa, avait
sous ses orures, pretassent le menle serrnent ,
pour que la circulaire du ministre de la guérre
re~ut son' entier effet. » C' était véritablement
un inconcevable égarement . d' amour - propre
et d'impudence, que celui par lequel San-
Roman, ayant perdu le droit de commander
et eelui d'etreobéi, osait donner, a'ceux qui
l'avaient poursuivi jusqu'a Benavente, les armes
dans une maio et la Constitution dan s l'autre ,
l' ordre de jurer fidélité a eette loi fondanlen-
tale de l'état, pour l'étahlissement de laqllelle
ils exposaient tous lesjours leur vie, et que
lui, San-Roman, n'avait cessé d'outrager
depuis le 21 février.


Le 16 mars, le quartier général fut transféré
a Sanabria, ou la pr-eoliere division entra le
17, a onze heures du matin. Legouverneur de




50~
cette ville se présenta, dans l'apres-midi, chez
le commandant général Espinosa, pour lui
offrir ,'(e non comme gouverneur, disait-il,
mais comme particulier, tout ce qui pourrait
lui etre utile. » Espinosa lui 6t, .aussi comme
particulier, les memes protestations de ser-
vices; mais, en sa qualité de commandant
général de l' armée nationale, il lui ordonna
de garder les arrets chez lui, san s préjudice
des poursuites auxquelles sa conduite pourrait
avoir donné lieu. La seconde division demeura
a Pedralva , et, cette meme nuit, on re«;ut les
ordres de la Junte, qui déterminaient les points
qui seraient occupés par les deux divisions.


Les jours suivans elles continuerent Ieur
route jusqu'a Montfort de Lénlos, ou elles
arriverent dans l'apres-midi du 22; elles y
furent accueilJies avec des transports de joie,
aux .cris de "iv e la Constitution, et au bruit
des cloches, car ]a terreur ne comprinlait plus
les ames, et chaque citoyen osait ·librement
exprimer sa pensée. La nnit se passa en feux
d'artifice et en réjouissances. La troupe se re-
posa une journée entiere dans cevillage,ou 1'0n
voyait accourirde foutes parts les babitans voi-
sins,et tous ceux qui, n'ayantpoint encore preté
le serment de fidélité ala Constitution, témoi-




504
guaien! le plus vif clnpressement de I'e111plÍr ~e
devoirentre les mainsdu commandantgénéral.


Apres avoil' 111arché pendant toule la journée
du 24, l'armée enil'a, le 25, a une heul'c apres
midi, dans la ville de Lugo, dont la garnison;
composée du sixieme régitnent de marine, de
deux bataillons de Burgos, et d'une partie de
cclui de Grenade, s'était formée en hataille sur
la route, pour y attendr'e I'armée nationale;
elle y fu t re~ue avec les tl'anspol'ts accoutumés,
et s-aluée du nOn1 de Libératrice de la patrie.


Le 26, l' arnlée fut passée en revue par le
COll1mandant général, et termina ainsi les
nobles et noolhreux travaux qui avaient signalé
sa courte, mais si glol'i~use existence. L'Es-
'pagne a déja placé les imnlortelles actions des
Espinosa et des Acebedo a coté de eeHes des .
Quiroga, des Riego, des Arco-Aguero, cte. ; et,
tousensemble, elle les a salués du nom de Héros
de la Patr ie. l..'histoi,'e et '1a liherté confil'lue-
ront cette éclatante nlarque d'honneur, qui,
bien différente des monumens imposteurs éle-
vés an despotisme par la servilité, attestera aux
siec1es a venir l'adnlit'ation qu'inspirerenta
leurs contemporains les vertus civiques de ces
guerriers citóyens, et 1'éternelle reconnais-
sanee attachée a leurs inlportans services.




305
Un h~ait qui, s'il n'est pas le plus important


en lui-meme, rest au moins par· ses résu1tats;
manque encore au tahleau que bOuS venons de
tracer; c' est celui des opératÍons de l'armée de
la Manchf¡!, comnlandée par h~ cotnte de l' Abis-
ha}, donl ¡l· a été silong-ternps qtiestión au
commencement de cet ouvrage.: Le despotisnle
était ébranlé de toutes parts, mais iI existait
toujours ;¡ ne pouvant plus combattre, il assas-
sinait encore. L'armée de la Manche luí porta
le dernic¡;- coup, en déci~ant: le ~l1ouvement de
Madrid ..


} ¡
, l'




506


AFFAIRES


DE LA ]\fANC.HE.
'--


ON a vu dans quelle position' se trouvai.t le
eomte de I'Abishal, daos eette eap'it:il~, 101'8-
qu'apres avoi'r-fait arreter, le 8 juillet 18Ig,Jes
chefs de la vaste conspiration dont iI avait élé
long-temps lui-menle le supreme directeur,
il Y était revenu pour réclanler le prix de l'im-
portant service qu'il venait de rendre. Exté-
rieurement combIé d'hollneurs par la cour qui
redoutait son audace, ses taleos, et, il faut le
dire, l'inclination naturelle qui le portait vers
les idées généreuses, ce général était en effet
sacrifié par elle, et vellait de perdre le comman-
dement de l'arnlée. D'un autre coté, les citoyens
a qui sa conduite avait toujours paru inexpli-
cable, et qui ne voyaient dans les derniers évé-
nemeos de rile de Léon, que le résultat d'une
double intrigu~, tendant a la fois a tromper la
cour et les anlÍs de la liberté, ne lui renda¡ent ni




507 .
ieur estime ni Ieur confiance. n'vi vait au milieu
de Madrid dans un état d'isolernent et de -décon-
sidérati~n, qui ne pouvait convenir long-temps
a un homme· de ce caractere. Le petit n?mbre
de personnes recommandabIes qu'il voyait a
cette époque, s'accordent a l'econnaitre que ses
opinions en faveur d'une révolution qui devait
rendre la liberté a l'Espagne , et renfermer le
pouvoir dans les limites constitutionnelles tra~
cées par la ]oi fondanlentaIe de 1812, n' étaient
point équivoques ; toutefois, iI avait tellement
eu l'art de n'en laisser pénétrer a la cour que ce
qu'ilJallait pout la laisser au moins daos l'in-
. certitude sur ses vrais sentimens, que, dan s le
grand dénuenlent ou se trouvait la faction ser-
vile ~'p.ommes a talent, énergiques .el jouissant
d'une haute considération militaire , ·ce fu~ en-
'cor~ sur le comte de l'Abisbal qu' eHe dut jeter
les yeux pour soutenil' une cause désesp6rée.


Appelé par le Roi, conlll1e derniere ressource
dans les dangers dont le despotisnle étaÜ me-
l1acé ,'on n'imagine pa.s saQs doute qu;il dut
ressentir une reconna~ssance bien ~ive d'un
choixqui ne supposait pas meme la conflance,
. et n'était du qu'a la nécessité. A peine eut·il
re<;u le commandenlen~ des troupes de lá Man-
che, que son premier soin fut de s' entendre




50S
ávec sou,frere AZexandre (I), sur les moyem~
a preIidrepollr hater le 1110ment de -réunir toute
l'armée espagnole sous les drapeaux de la liber-
té. Le colonel O'Donncl se rendit done a 1\I1a-
drid ,.avec quelques officiers COllnus par Ieur
dévouement a la cause' constitutionnelle. Plu-
sieurs réunions eurent lieu chez le cornte de
l'Ahishal; le colonely 6t connaitre les bonnes
intentions de son r6g-iment, dont le Pl'emier
hataillon se trouvait a Ocagna, et le secoud a
Santa.;.Cruz de :Mudela. Il répondit en nlenle
tempsdu premier bataillon du réginlent' des
Asturies et de l'escadron de Calatrava, canton-
nés dans ce dernier village. Ces Corces parurent
plus que suffisantes pour provoquer l' explosion
générale, si ardernnlent, si unaninlement dési-
réepar la nation, et a laquelle elle était pré-
paréedepuis si long-temps. Il ne s'agissaitdonc
plus que de concerter les nlesures nécessaires
pour cornmencer les premjeres opérations. Le
1 e-r de mars, une réunion patriotique fut con-
voquéc,3. Madrid, dans la maison menle du
général; un gran'dnombre d'officiers supérieurs


(.) 11 ne fau.t pa~ confondre celui-ci avec Je ~énéral
José O'Donnel, autre frere du comte, lequel commandaít
alors dans le midi de l'Espagne.




50g
Y assisterent; et chacun des membres de. cette
assemblée se porta garant de la coopération de
plusieurs de ses amis. Le général y proposa :
(( de faire opérer le prenlier soulevemeIlt des
trQupes, dans la province de la ·l\tlanche, OU
sont situés les villages dans lesquels les corps
ci-dessus désignés. étaient cantonnés; et d'y
former, jusqu'a la nouvelle de l'ac.t.:eptation,
faite par le Roi , du code constitutionnel , un
gouVel'nelllent provisoire, sous la dépendance
de la junte suprema de Dalice. » Ces disposi-
tions générales ayant été adoptées a l'unani-
nlité ,le comte proposa ensuite, corome nle-


. sures nlilitaires et politiqlles : (( 1 0., d' occuper
les gorges de .la Sierra .. Morena, 'afin d'inter-
cepter toute conlmunication entre l'armée de
Freyre et la capitale; 2°. ,d'augmenter le·corps
qu'on al1ait faire agir, de .lous ceux qui se
trouvaient éparpillés dans la Manche et dans
les provinces limitrophes, el qu'on savait etre
disposés a suivre l'impulsion natiollále; 5°.,
d'appuyer tous les mouvemens que paraissaient
décidés, a faire .les ami~ ~e la liherté, ,dans
les royaumes deCord~ue et de Jae.n; 4G •
d' adresser au Uoi un exposé de la situation de
l'Espagne, et d' engager ce prince. a céder aux
vreux du peuple, en· acceptant la constitution




510


promulgüée' en J 8 r.2 a Cadix par l'assemblée
des:Cortes. " Toutefois , pour ne courir aucune
des chances anxquelles les perfidesconseils dont
le Roi était en'vironné pouvaient ex po ser , par
un refus, et I'État et lui-meme, iI fut décidé
qu'avant tout, on s'assureraitdes dispositions
de la garde royale et de la garnison de Madrid.


Ces propositions ne furent pas arretées avec
1110ins d'unaninlité que les 'premieres; nlais
l'exécution des une~ et des autres paraissait ex-
Ú'emement difficile. Les corps sur lesquel~ on
pouvaitcorilpter étaient séparés par de grandes
rlistances; 111ille obstacles pouvaient s'opposer
a leur réunion.D'ailleurs la Manche est une
province qui avait été soumise de tout temps,
a l'influence des ehaooines de Tolede; lesquels
s'étaient toujours montrés défenseurs ardens
du despotisme saeerdota'l et nlinistériel. 11 était
done plus que probable que, daos des circon-
stances ou il s~agissait pour eux d'un intéret
aussi 'puissant, ces pretres n'hésiteraient pas a
prodiguer- leurs immenses richesses pour sé-
duire les habitans de lit·Manche ,et les engager,
par tous les genres de promesses et demenaces
spirituelles, .a faire aux régimens,' désignés
eomtne devant contribuer le plus effi(~aCell1ent
2H rétablissenlent de la liherté nationale, eette




51 [
guerre de partisans qu'ils avaient soutenue
avec aut~nt d'acharnement que .. de valenr et
d'habileté ,contre les armées fran~aises, pen-
dan! laguerre de l'illvasion. Ancnnes de ces
consi~érations ne manquait de .. vérité et de
force, mais la cause qu'ils'agissait de défendre
était si éminemmentjnste·: chacun considérait
tellement cornme le plus sacré de tous les de--
vóirs de snivre le générenx exempledonné par
les armées de l'ile de Léon et de Galice; et
la nécessité d'une prornpte résolution parais-
sait teHernent évidente, afin de ~éterminer
toute l'Espagne a se décíder en faveur du ré-
gime constitlltionnel, que l' enthousiasnu~. prit
la place des délibé.'ations, et qu 'on ne songea
plus qu~a mettre a exécution le plan si hardi,
nlais si sagement con~n, que le comte de
I'Abisbal venait de développer. La journée
du 4_mars fut fixée pour le conlmencement des
opérations; le hataillou de l'impérial Alexandre,
cautonné a Ocagna, devait ce jour.la nl(~nle
proclamer la Constitution; et les chasseurs de ce
hatailldn, comrilandés par D. YIarion a~ Paros,
officier d'une valenr a toute éprenve, et dont
les príncipes étaient connus, devait s' avancer
en meme temps vers Arganda, ponr protéger
la réunion de quelques détachenleús, qui n' at-..




512


tCl1daient que ce signal, pour se mettre en mon-
,ve~ent et agir selou leurs Ínstructions. Cette
réunion opérée, la petite armée devait se di-
rjg~r sur Tembl~que, point le plus central de
la Manche, d' ou ron pouvait se mettre en
COlll111unication 'avec les troupes de Santa-Cru7S
de Mudela, et d~autres villages, dont·les conl-


.lnandans qui avaient assisté aux conféfences de
:Madrid, cünnaissaient le hon esprit et les dis-
positiüns. favürables.


Le 3 mars 1820. "Je cünlte de l'Abisbal sürtit
de :Madrid, accompagné, ~e son f .. ere Alexaridre,
de sQn aide de camp D. Cayeta~o Bol~, et,d'un
autre officier. Quelques gardes,du ~orps vinrent
se joindre a luí ,3. Aranjuez. Le 4, iI arriva a
Ocagna, et ce 111enle jour, a cinq heures apres
nlidi, le prenlier. hataillün de . l'impérial
.A lexandre ,-.se irouvant sons les armes daos la
place publique, le coulte tit reconnaitre l'au-
torité de la Junte supren1c de Galice; prüclama
la Constitu.tion; et donna ordl"e a toutlecorps.
de preler serOlent de {\délité. ,~ ce code poli-
tique ,\iéja reconnupar ~a plusgranéle .partie
de l'arIl:lée espagnole. Cet ordre, re~u avec les
plus" vives acclamations, fut exécut~ sur-le ...
chanlP; les' trois cents honlmes qui: compo-
salen.t le bataillon firent ~dater les, ,transports




5'l5
duo plus ardent enthousiasme ; un grand nombre
d'habitans suivirent cet exenlple; se présen-
teren! armés; et demanderent a etre admis a
l'honneul' de versel' leur sang poul' la liherté.
Le gouverneur de la place, et un 'ancien courti-
san qui se trouvait dans la ville, furellt ruis en
état d'arrestation; les autorités furent convo-
quées; et, comme le bataillon devait partir le
lendemain poul' se réunir a d'autres COl'pS mi-
litaires, on ajourna a I'époque de son retour,
.la promulgatiou de la Constitution par les ha-
·hitans, et I'inauguration de la pierre constitu-
. tionnelle.


LeS, lehataillon sortit; iI se dirigea sur
Tembleque, ou· il devaii se joindre aux autres
corps dont les cOnlmandans élaient d'intelli-
génce avec les 'chefs de l'insurl'ection j' filais
quel fut l'étonnement de ces militaires, quand
ils ne tl'ouverent qu'une seule compagnie de
chasseurs. Un si faihle secours était loio de


- suffil'e' poul' exécuter les grandes opél'atioos
- qU! avaien! é·té :pl'ojetées; d'ailleilr-s, ce petit


nombre' d'hornmes; d'infanterie, seuls daos
une plaine" inlmense, était exposé ·aux plus
grands dángers, si l'événement d'Ocagna ve-
nant a etre connu a Madrid, ce qni ue pou-
vait Ulao(fuer d'arriver d'un momeot a l'allh'e,




514
onenvoyaitde cette ville a leurpoursuite,
que)ques corps de cavale~ie. n fallait done se
réunir en toute hate, a quelqu'autre régiment
dont l'esprit constitutionnel fut hien connu.
Se rappelant alors que les officiers des troupes
en garnisofl a Santa-Cruz de Mudela, l'avaient
informé plusieurs fois des sentimens que pro-
fessait le corps q,u'ils commandaient, le géné-
ral se décida, sur-I~-champ, a ordonner qu'on
se mit en marche vers ce village. Toutefois,
le tetl)ps pressait; la distanee était longue; et
la troupe ét~it accablée de fatigue. On 'prit
)a détermination de faire une réquisition de
chariots; et la petite armée fut transporté e ,
en peu de teolps, jusque dans la place de
Santa-Cruz, ou les régimens, cantonnés daos
ce village, }'accueillirent avec des transports de
joie. Les habitans et les troupes preterent le
sernlent constitutionnel ; et la population s'em-
pressa, a l'envi, de fournir a ces hraves mi-
]itaires tous les genres de secours don~ ils PQU-
vaient avoir ¡hesoin pour continner leur patrio-
t.¡que entreprise.Bient~t des circulaires furen!
adressées a tOlltes les troupes qui occupaient la
province, et ron n'apprit pas sans indignation
que deux petits détachemens qui étaiént au 9a-
nleau de Santa-Elena, au pied des montagnes de




5,5
Sierra-Morena, loin de vouloir se joi~1(ite a
l'armée qui s'approchait, sedisposaient a dé-
fendre les défilés de Despegna Perros, dans le
cas ou le cómte de I'Ahisbal voudrait pénétrer
dans 1'Andalousie. Les forces que.,.le -conlte
commandait étaient· tellement supérieures a
ces deux détachemens que, sans doute, rien


_ n~e~t été plus facile 'que d'anéantir ecHe poi-
g.néedefactieux, armés contre la "olonté na-
tionale; -mais il aimamieux leur faire sentir
que Ieur résistarice 'eritrainerait leur ruine; et,
eri ~ffet" ces détach~mens s'éloig?erent, sans
toufefois se retirer tout-a-fai t, et en conservant,
COUlme on le verra bientot, les mauvaÍses dis-
positions dont ils étaient aninlés.


Cependant le-'nomh~e considérable de mili-
taires qui accouraient 'de to~tes 'parts a Santa-
Cruz, dédonlmageait amplement la petite
arulée du vide que lais~ait 'dans ses rangs]a
honteuse défection des deux détachemens. Des
officiers, des soldats de toutes arnles, arri vaient
successivement·, tantot en pelotons, tantot
isolés, nlais t01.18 remplis' d'enthousiaslne , et
p,'cssés du hesoin de fáirediversion aux forces
qui cernaie~t l'arnlée de l'ile de Léon,· et a
celles qu'on destinait a s~opposer au mouve-
filent de la Galice. Plusieurs milila-iresde: la




516
garnison de Madrid, qui avaient abandonné
leurs corps du Dloment ou ils avaient été in-
struits des projets du comte de l' Abisbal, vin-
rent se présenter a lui, et lui demanderent a
servir sous ses ordres.


Les habitans 'de la Manche ne cesserent, dans
ces cirCollstances, de rivaliser de. dévouement
avec les troupes; et ce fut ave e une grande
satisfaction que ron vit un grand nonlbre d'en-
tr'eux, parfaitenlent montés, s'offrir volontai-
remení. pour le service de ]a cavalerie. ~vec
ces secours' on put organiser un corps qui fut
nonlmé Colonne Volante de ,la Manche, et
dont ·le commandement fut confié au colonel
O'Donnel.


eette colonne sedirigea par Almagro sur
Ciudad-Héal, capitale de la province, dont les'
habitans répondirent, avec le plusvif enlpres-
sement, a 1'invitation qui Ieur fut faite- depl'o-
clamer la Constitution. Les soldats de la nlilice
provinciale q~li se trouvaient dans laville et
dans les alentours, se réunirent a la Colonne ;
et une nombreuse et brillante jeunesse se hata
de suivre Ieur exemple. On avait projeté d'a-
bord de créer une Junte extraordinaire, mais
on abandonna bientot cette idée, paree que
l' opiníon se propageait avec une telle rapidité,




51,
et toutes les. autorités se montraiellt sí emprcs ..
sées a se réul1ir au grand lnouvement qui se
développait, au nl{!llle instant, sur plusieurs
points de la péninsule, qu' on s'aUendait a ap-
prendre, SOllS peu de jours, le soulevement de
la capitale, et l'étahlissenlent du régime consti-
tutionnel qui en était la suite. En cfTet, tet évé-
nement était devenu inévitable, depuis que l'on
avait re~ll a Madrid la nouvelle de l'insurrection
des troupes de la Manche, dont la cour avait
espéré se servir pour les opposeraux armées
de rile de Léon et de Galice. Obligéede renon-
cer a ce dernier moyen de guerre civile, elle
. reconnaissait enlin qu'il était tenlpS de songer
a son salut, en cédant a la volonté nationale,
manifestée de toutes parts avec' un tel éclat,
que toute résistance, tout retard meme, 'pou-
vaient entrainer pour elle les conséquences les
pi us· fun estes.


Telle était la situation de :Madrid,' a finstant
ou:le corote de l' Ahishal, pour arri ver plus
promptenlentau hut qu'il se proposait, jugea
convenable de se me~tre' en comnlunication
avec Riego. Toutefois, quelque favorable que
ftlt l'aspectqueprenaient alors les afl~lÍres, ceUe
entreprise était a,udacieuse et ellvironnée de
dangers; car,· pour l' exécuter? iI fallait traver-'




318.
ser plusieurs corps de l'arnlée du généraJ Freyl,'e,
qui couvraient la partie supérieurede l'A:nda-
lousie . Un riche propl·iétaire. de Ciudad-it~al r
qui avait déja .. rendu de grands services a la
cause constitutionnelle, fut chargé. <:le ceUe diE ..
ficHe et honorable mission, et s'en acquitta ayec'
heaucoup de zele et d'intelligence. Une autre'
mission, non moins périHeuse, fut confiée ~
l'aide de caulp du général en chef, D. CayetanÜ'
:Bola; celuÍ-ci devait se rendre a la division
comrnandée par l'autre frere du conlte, D. José
Q'Donnel, pour engager ce généraI qui, cornme
011 l'a déja vu daos l'itinéraire de laCol,onne
mohile de l'ile de Léon ,poursui vait alors
Riego, a se réunir maintenant a ce dernier.
José Q'Donnel recevait en lllenle tenlpS pOUl'
instructions, de la part du conlte de l' Abishal , .
de répandre parmi les troupes sous ses ordres,
les principes libéraux et constitutionnels aux:-
quels se raUiait toute I'Espagne. Reconnu par
les détachernens qui s'étaient portés a, Santa-
Elena, pOOl' intercepter le p~ssage de la Sierra-
Morena, l'aide de camp Bola ne put remplir
5a missionet fut contraint de revenir au quar-
tiel' général. Des 10rs, on COl1(;ut de plus vas tes
projets, et ron décida de se rendre maitrcs du
~J!ateau de Las Pegnas de San-Pedro, ponr se




51 9
nl'ettre en conlmunication avec les libéraux de
Murcie, et passer ensuite a Cordoue 'et 3" Sé-
ville. Ceprojet était vas te ethien concerté;
nlaisil resta sans exécution, ]a nouvelle étant
parvenue au quartier gériéral,. que le roi
venái t 'de promettre solennellement de pre-
ter sel'meut a la Constitution. Peu de jours
apres, le généralJ' Ahishal ayant remis le com-
ulandement de la Colonne a ses lieutenans,
partit lui-meme pour se rendre a Madrid. Il
n'ignorait pas que son ancienne conduite a rile
de Léon , avait donné lieu, dans la capitale,
aQx jnterprétations les pltls défavorables et les
plus fausses de ses sentiillens et de sacon-
duite, daus les dernieres circonstances; aussi
s'yétait~ilfait précéder par quelques-unsde ses
nides de camp, afin d'etre bien inform~ de
l' état de l' opihion publique a son· arrivée, et de
pouvoir rendre un compte fidele de ses opéra-
tion~ " Sail& le&quelles il est maintenant hien
d~Ippntré que les. glerieux efforts des. Quiroga '-
des' Riego ,:~~s ;¡\cebedo et des Espinosa, o'eos. ..
sep! ame~~,.deJong-\emps encore> le'l1ésultat
inlportant el, décisif qui, seul, pouvait mettre
un terme, aux malheurs de I'Espagne.


Jetons maintenant un coup d'reil sur ce qui
venait de se passer a Madrid.




520
Depuis qnelque tcm ps l' espérance et la


crainfe's'étaient succédées ~ans cette capitale,
selon les nOl1velles favorables oufacheuses qui
parvenaient sur la"Colonne ulo"hile aux ordres
du généra¡ni~go. Le gouvernement lui-nleme
était livre a tous .les genres d'incertitudes ; et
si, d'une part," les événemens qui avaient eu
lieu en Galice, depuis le 21 février 1820 , lui
causaient de vives alarmes; de l'autre, l'issue
lllalhellreuse de 1a tentative de Riego lui avait
rendu quelquc sécurité. Telle était la sitllation
de"l\ladrid, dalls les :prenliers jours de mars
1820, a l'instant ou l'o~ y apprit que le comte
de l'Abisbal venait de faire proclatner )a Cons-
titution .... dans la provincede la Manche; qti.1il
interceptait la correspondancede l'arméeroyale
de l'Andalousie,; et que tont annonc;ait que 1'ar-:
mée a11ait se réunir a luí.


Ces événemens; aussi décisifs qu'ilsavaient
été inlprévus, " renverserent en bn instant le
dernier espoir d"u nliriisfere. A presavoir été
informé par le général Ban~teÍ'os" "qui "ne
s' éxpri~a pas: avec :moin"s de franchise" envers
le "Roi lui-meme: ({ que le gouvernement ne
pouvait plus compter sur UD seul des corps qui
formaient la :gal"'nison de la capitale, » ce mi ...
nistere inepte el" cruel sentit enfinqu'il ne lui




521


restait d'autre parti a prendre, pour sauver
le trooe et lui .. meme, que de décider le roi
a reconnaitre l'ordre constitutionnel, juré
depuis six ans par la Nation. Quelque facile
a effrayer que fUt Ferdinand, iI "ne crot pas
d' ahord le danger aussi pressant ; et, tandis que.
ceux de ses ministres qui voyaient de plus pres,
et appréciaient le mieux l'imminence des dan-
gers, lui conseillaient une prompte acceptation
de l'acte cQnstitutionnel, d'autres, plus aveu-
gles ou plus opiniatres, le détournaient de ce
dessein. Aiosiplacéentre des avis contraires,
ce prince prit un t.erme moyen, et fit des pro-
niesses évasives qui sans doute seraient res-
tées saos .e.x.écution, si la défection de l'armée
eut été moins sondaioe el moios unaoilne. Le
peuple' Tie se. trompa poiot a des démonstra-
boos dont le .. but était si mal caché; il vit que
la cour ne voulait que gagner du temps; et la
proposition faite par le roi d' adopter les bases
d'une constitution libérale) taodjs qu' on ne lui
demandait que· de reconnailr.e celle qui eJtis-
tait déja, neparut qu'un moyen adroit, employé
par le ministere, pour laisser a l'effervescence
populaire ·Ie tem'ps de se calmer, et rester
maUre des évéoemens. Loin d' avoir rempli ce
but, et les nouvelles des provinces devena,nt


21




522


de plns en plus décisives en faveur de la liber-
té, la cour sentit enfin qu'il fallaitse résigner
a la nécessité, et, des le 7 mars, un décret ,
rendu dans la nl~it lllenle, annon~a que le roi
était résolu a preter serment a la Constitution
prolllulguée par les Cortes, a Cadix, le 19 mars
I~I2. Le lendemain matin 8, l'étonnement
des citoyens fut au cOlllble , lorsqu'ils apprirent
par la gazette de la veille au soir, que le roi ,
a qui ceux qui n'étaient pas instruits de la
nlarche rapide des événeolens et de l'état ac-
tuel des affaires , étaient ,bien 10111 de supposer
eette pensée, venait de déc1arer qu'i_l était i1é-
ciclé a se soumettre a la 10i eonstitutionnelle
de la nlonarchie. Néanllloins, d'apres tout ce
qui s'était passé jusque-la et les preuves que
l'on acquérait achaque instant des nouv-elles
trahisons du ministere (1), iI était permis de


(1) Ce ministere était composé ainsi qu'i1 suit : Le
duc de San-Fernando avait le portefeuilIedes affaires
étrangeres; M. de Matta-Florida, celui de la justice;
M. Alos, celui de la ~uerre; M. de Cisnéros , eeluí de la
marine; et M. de Salman, celui des finances. Toutefois,
le duc de San-Fernando et M. de Matta-:Florida, soute-
nus de tout le crédit de la Camarilla, toujours soumise
a l'influence secrete de Lozano de Torres, dirigep.ient
véritablernent les affaires, agissant ensemble et toujours




523
n'ajouter foi, qu'avec une extreme circonspec-
tion, aux promesses royales. D'ailleurs, lepeu-
pie, parfaitement rassuré sur les dispositions
de la ·garnison de Madrid, n'ignorait pas que
les troupesf mises sous les atnl~S dans leurs
casernes, manifestaient hautement l'intention
de faire cause commune avec lui. Fort de cette
certitude : mécontent d'apprendre qu'au lieu
de preter serment-a la Consti¡ution , le roi s'é ...
tait borné a promettre ce serment : redoutant
tout des perfides conseillers qui entouraient ce
prince,. et convaincu que des magistrats,
jouissant de l'estime générale, et choisis par


·lui-Incme , ·devaient etre la garantie la plus
sure de sa liberté, iI se porta en foule Sur la
place de l'hotel de ville, pour y réclanler la
prompte formation d'un conseil municipal, qui
fut immédiatement organisé. eette éIection
terminée, le peuple se rendit avec le menle


,


de concert avec les ducs de l'Infantado et d'Alagon ; le
confesseur Ben-Como.; et, en seconde ligne, le valet de
chambre Ramires, et Vargas, trésol'ier de la caisse par ti-
cuJiere du roí. Il est done de toute justice d'écarter de
MM. Alos, Cisneros et Salmon, la terrible responsahi-
lité qui pese sur la· t~te des hommes qui gouvernaien t
l'Espagne ill'époque du 7 man 1820.




524
ordre dans les cours du palais; et, peu d'in-
stans ,apres, Ferdinand f le livre de la Consti ..
tutioI].a la main, ayant paru a11 grand halcon,
accepta solennellement le code constitutionnel
de la monarchie;, jura de lui etre fidele; ratifia
tous l~s choix que venait de faire le peuple;
pr&lllit la mise en jiherté, qui lui fut expres-
iénlent demandée, de tous les· individus


, détenus, pour le,ni ,opinions, dans les prisons
d' état, ou dans ceÍles du saint-office ; -et, pressé
par les plus 'Vives imtances, 5' engagea a preter,
provisoil'ementet i'usqu'a la reuníon des Cor-
tes, entre les mains' de la Junte supreme de
gouve'rnement, qui aMait etre nommée , le ser-
meot de fidélité et d,' obéissaoce a la loi consti-
tutionneHe de l'état (1).,


(1) A la tete de cctte Junte" Curent placés , comme
p .. ési4ent, le cardillM d~ Bourbon, archeveque de To-
lede , et comme vice-président, le général Ballesteros.
Les autres choix, faits par le peuple, répondirent au'!:
deux premiers. Il élut ·successivement membresdu-meme
conseil, l'éveque de M8~acan, 1). MttDuel Abad-y-
Queypo , dont il a été déjilpaTlé si honoi'81M-em-ellt dMls
cet ouvrage; D. Manuel Lavdiztilbat j n.Malteo Valde~
móres ; D. Vicente Sancho; :le -comte de Tabf)800 ; I~
Francisco Crespe .de Tejada; D.Eernar-do Tarri~ ;et
D. y gnacio de la Pkuéla.




325
.. Ce fut au moment ou le peuple revenait du
palais, qu'un courrier, arrivant. a l'instant de
Sarragosse, annonc;a la révolution qai s'était
opérée trois joursauparavant dans cette ville;
cet événement, qlli, senl, eitt suti daos les cir-
constances présentes, pour déterminer le mon-
vement de la capital e , redoubla l' enthonsiasme
publico A peine ton tes ces nonvelles furent~enes
répandues dHlS Madrid, que l'ivresse y devint
universelle; toutefois r ordre o'y fut pas trou-
hlé un seuI instant. Le souvenir des malheu~s
passés fut effacé ton! a coup; et pas un aete de
vengeance, exercé contre les anciens oppres-
seurs de la nation, ne troubla la }oie qu'inspi-
raít le grand événement auquell'Espagne aUait
devoir une existence nouvel1e. Les anli§ de la
liberté neperdirent pas ,UD nloment 'pour
auéantir le plus honteux , cornme le plus atroce
des ~onumens de la tyrannie qui venait de
floir; dans l'apres.midi, ces hommes généreux
s'étant présentés aux portes de l'inquisition,
brisereA\ les fers de tous les prisol1niers; et,
a.pres avoir placé ces inforfunés dans des
voitures, ils les promenerent en triomphe
dans la ville, en· cúmmeH<jant la marche par
les cours d u palais. Le llleme jour, et presque
en meme telups, le génél'al D. Francisco .8a1-




~i26
l~steros, envers lequel la patrie venait de
contr~cter de si grandes obligations, recevait
du roi, l'ordre de se rendre dans les diverses
prisons de la capitale, et d'y faire mettre en
liberté tous les individus, également détenus
pou!' leurs opinions poli tiques , mesure qu'un
décret royal, publié le lendemain 9, rendít
commune a toute I'Espagne. Le soil', toute
la viJle fut spontanément et unaninlement
illuminée. Pendant tous ces événemens, l' ol'dre
le plus parfait n'avait pas cessé de régner un
seul instant, sur lous les points de la capiútle,
et l'étranger qui serait arrivé alors·a Madrid,
n'eut jamais imaginé, qu'en ce moment nleme,
s'accomplissait une des plus nlémorables révo-
lutions . dont les annales hllmaines eussent
jamais fait mention, et que dix· millions
d'homnles venaient de passer, en quelques
heures, de la servitude a la liberté, sans
autre opposition que celle qui avait été pré-
parée par la tyrannie elle-meme: sans autre
vengeance de la part du peuple, contreses
ennemis, que la nécessité a laquelle ceux-ci
se trouvaient réduits de partager les transports
de sa joie, et le délire de son bonheur.


Le lendenlain 9, a six heures de l'apres.midi,
le roi, en présence de la Junte supreme et de




527
toutes les autorités, renouvela le sernlent qu'il
avait preté la veille devant le peúple rassemblé
s.ous le balcon de son· palais, et donna en me me
,tenips au général Ballesteros l' ordre de le faire
preter a l' armée , dont 1'i.nllnense nlajorité;
par sa conduite et ses principes bien connus,
avait déja prouvé comment elle saurait le rem-
plir. Une illumination nouvelle et le. hruit de
toutes les cloches ternlinerent encore cette
grande journée. Lejour suivant, 10 , les trou-
pes de la maison du ·roi et ceHes de la garni-
son, ayant été réunies au Prado, ou tout
Madrid paraissait etre rassemblé, y jurerent
. obéissance et fidélité a la Constitution de la
monarchie, et vinrent ensuite défiler sous les
fenetres du palais du roi. Le meme jour, un
décret royal pronon<;a la suppression de l'hor-
ribIe tribunal de l'inquisition, déja anéanti
par ~'opinion publique, et décJara eette insti-
tution harbare, incompatible avec le régime
constitutionnel. Un autre décret organisa la
liberté de la presse, ce premier droit du citoyen ;
d' autres, enfin, ordonnerent que les électeurs
fussent promptement réunis pour nommer
les conseils de ville et les alcades constitution-
nels.


Ainsi s'est terminée, en Espagne, cette-graude




528
lutte du despotisrne et de la liberté, dont le
résultat, en fondant le systeme représentatif
dans ce pays, l' a assis sur la senle hase solide
qu'il ·puisse avoir : la souveraineté nationale,
qui, malgré les déclamations de quelques écri-
vains, ou aveugles ou vendus, doit etre c6nsi-
dérée, bien moins comme une idée nloderne
que comme un fait, dont aucun paradoxe De
peut atténuer l'existence (1). L'unique état de
l'Europe, 00. le gouvernement représentatif
existe dans tonte l'acception du mot, l' Angle-
terre, a tellement admis ce príncipe, sans
qu'on s.e soit néanmoins encore avisé de dire


(1) Ce mot qui n' est, selon nous , un objetde díscus-
sion que pour l'esprit de parti , peut ctre . réduit aux
termes les plus simples. Soutenir que le pouvoir des rois
est antérieur, et par conséquent supérieur 11 celui des
nations, n'est-ce pas soutenir que l'effet existe avant la
cause? Or, naus ne pensonspás qu'une telle absurdité
puisse tomber dans la tete d'aucun esprit raisonnable.
Cette vérité de faít admise, la souveraineté nationale est
done établie?· Que, dans l'intéret me me des nations,
ceUe souveraineté puisse , dans quelques circonstances ,
etre déléguée au monarque ( dan s le droit de représenter
la nation au dehors, par exempte), et dans quelques au-
tres, partagée par lui (dans la proposition des lois, leur
confeetion et leur sanctioD), e'est ee que l'esprit de dé-




529
que la sureté des trones y était compromise
par lui et que la sainte-alliance. devrait armer
toutes ses forces pour I'y renverser, qu' on le
'retrouve dans toutes ses institutioDs, el que
rious ne voyons pas que l'action du pouvoir
exécutif en ait, dans ce pays, moins de force
et Dloins d'activité. Les hommes éclairés de
l'Espagne trouvaient, SaDS doute, dans leurs
anciennes Cortes, plusieurs jalons propres a les
guider dansla route de la liberté, qu'ils vou-
laient ouvrir a leur patrie; mais, quelque
remarquables que fussent ces pl'emiers ape~us,
a une époque OU le· despotisme militaire et


. nlonacal avait envahi I'Europe, ils étaient tout-
a·fait insuffisans dans un siecle oules lumieres,
répandues a grands flotspar l'imprimerie, et
jaillissant de' toutes parts, ont inondé mutes


magogie el d'anarchie pourrait seulcontester; mais pré-
tendre que, parmi toutes les autorités , toutes les magis-
tratures existan tes au milieu d'une nation, iI en est une
seule f{ui ne réleve pas d'elle, qui en est indépendante ,
qui meme, dans certains systemes, lui est supérieure ;
voilil ce que le plus simple hon sens n'admettra jamais ,
et quoi que l' on fasse, avaQt un siec1e , cette opinioft sera
devenue européenne, paree qu'il est d.e ]'essence de la
vérité et de la raison, de se répandre avec les lumiercs.




350
les classes de citoyens, sans pouvoir né;¡nmoins
pénétrer erieore jusqu'a la plupartdes honlmes
appelés a l'adlninistration des affaires publi-
ques. N'est-ce pas, en effet, un aveuglenlent
déplorable, et dont les eonséquenees peuvent
devenir bien' désastreuses, que eette coupable
opiniAtreté de quelques ministres, a ne pas
vouloir reconnaitre que le grand ehangement ,
graduellement opéré depuis troi"s siecles dans
les esprits, par la dissémination' des eonnais-
sanees hunlaines, doit amener d'importaIltes
modifications et des directions nouvelles dan s
la maniere de gouverner les homnles'! N ous
eoncevons, sans peine, que c'est préeisément
ceehangement qui est contesté, comme point
de fait, par certains hommes d'état qui ont
intért!t a le dissimuler aux prinees qu7ils ser-
vent, et dont ils rendent ainsi l'autorité
oppressive et odieuse; nous concevons ene ore
qu'il est pénible pour quelques autres d'etre
arraehés a la douee et longue illusion dalls
laquelle s' est écoulée presque toute leur vie :
nlais' comme la lumiere ne eesse pas d'etre
lumiere paree que les aveugles ne la voient'
point, ou paree que des individus, qui ont de
tres-hons yeux', s'ohstinent a'les tenir fernlés ,
DOUS noushornerons a interroger la bonne foi .




551
des hommes éc1airés et sages, qui fondent leur
opinion sur la raison et sur l' expérience ; tous,
en reconnaissant l'importante . vérité que nous
proclamons ici, avoueront que, s'il est un moyen
aussi assuré que loyal et facile de· prévenir les
révolutions, et les conséquences, quelquefois
hien funestes qu'elles entminent, c'est de faire,
a laraison des peuples, a la justice, et peut-
etre a la nécessité, des concessions qui seraient
tot ou tard arrachées par la force, et qui, par
cela seul, ne rempliraient plus qu'imparfaite-
ment le hut qu'on se serait proposé. 'Puisse
notre voix etreentendue; mais, nous l'avouons
. a vec douleur, dans r état actuel des cabinets de
l'Europe, le vreu que nous formons est loin
d' etre une espérance!


Comme nous n'écrivons point en style de
chancellerie, nous nous expliquerons franche-
ment, et nous citerons l'Espagne en preuve de
l'assertio~ que nous venons d'établir. N'est-il
pas évident que, si l'ordre constitutionnel qui
régit maintenant cette monarchie eut été l'effet
de la volonté spontanée, sincere, irrévocable"
forternent manifestée du prioce, par ses instruc-
tioos secretes non nloins que par ses actes
publics, cinq années de tyrannie et trois mois
ue guerre- civile eussent été épargnés a 1'E8-




5~2
pagné. Les massacres de Cadix, exécutés au
~m du roi, 11' aoraient pas' C(i)uvert de sang
quelque&-ufies des pages de l'hisloire de 5a glo-
rieüSe régénératioDi les conspiraoons de:Burgos,
d' A vila, de Valence,' et <eeUe foule d'intrigues
de palais, que chaque )eür voit Ilaitre et mou-
rir, n'auraient jamais existé~ Les sentimens
secrets ou présumés du monarque SOJll¡t tou-
jours la regle de eonduite des c6urlisans; leur
zele va rarement au deja de ee qu'ils supposent
lui etre agréable. Une marche frallche, de ]a
pal't de la. €OUl', eut done prévenu tous les inaI-
heurs q.u'un systeme eontraire a renQ'us inévi-
tables; et lorsque, apres avojr bien connu. le
caractere de ceUe nation, on apprend que
quelques secrets conseillers du trone, non
moios incapables que perfides, nlais qui n' ont
pas cessé de jouir d' une con:6ance quipeut
devenir si fatale a ceux qui la leur accordent,
aspirent au moment OU une intervention étran-
gere et armée oserait tenter de se pla~er entre
le peuple et le monarque ,. on ne peut que
déplorer la triste condition des pl'itlCes, qui ne
sont ni assez habiles ponr se diriger par eux-
m-emes; ni assez éclairés pour distinguer, dans
toutes les classes de citoyens, et appeler dans
leurs conseils, des hommes dont l'expérience




555
et le caractere offrent d'égales garanties; ()U
enfin, assez heur.eux pour que le hasard ait
placé ces hom,mes· autour d' eult.


Toutefois, la destinée de :l'Espa~e ne dé-
pendpas uniquement de ces circ~stanées. Les
élémens de sa liberté, de sa gloire, de SOI1
bonheor 'avenir, sont en eUe.~me; its sont
dam un territoire qui ,situé sousla plus ~lle
latitude de l'Europe, en,:-deviendra le plus fé ..
cond et le plus productif, du moment oU il
sera cultivé; ils sont, dans les lumieres de la
classeintermédiaire de la S()~iété, de cette
classequi a fait Ia·'révolution, et -qm con~it
toute l'importance d' en maintenir les prin-.
cipes, mais d'en éviter les exces; ils sont, dans
la docilité des classes ouvrreres, indJ.1Strjeuses,
vivant do travail dechaque jour, el qui 'oot ~
bon esprit de reconnattre qu' ea 6' OCCl1pant des
a1fair~s politiques, puisql1e ces affaires in té:...
ressent également tout ce qui porte le,nom es-
pagnol" i1 ne Ieur appartient cependant pa~,
d'ell diriger l'octiOA; ils sont" dau-s r~pp~l~
tous les é,t~n,gers, in~itú. :v:eni.r ,cber~ber, . en.
EipagQe, la jo:uis~aBce ,des d.roi~c; attachés aux
qualités d'homme el: de.eirtoyen , -qui ~enr 'serait
rerusée par le~ gotivernemens,· et la protec-
tiQn offérte a Ieur industrie; ils sont, entin.,




534
daos un caractere oational fortement prononeé 'J
qui attache profondément.l'Espagne a ses .insti-
tutions nouvelles, et qui, sans défendre néan-
moins ce pays de quelques-unes des agitations
inséparables de toutes les grandes commotions
politiques, le met, pour jamais, a l'ahri du
retour d'un ordre de choses qu'il rougit d'avoir
supporté trop long-temps , et dont le seul nom
inspire une horreur égale a toutes les classes de
sescitoyens (1).


Le caractere personnel des Espagnols n' ofl're
ni de moindres garanties de ]a stahilité de leurs
institutioQs, ni des obstacles moins insurmon-


(1) Il esthors de doute qu'il existe en Espagne des en-
nemis de l'ordre constitutionnel.Quand il ne faudrait
compter 'parmi euxque les individus qui viviliellt autre-
fois de tous les abus de l'ancien gouvernement, ccrtes,
le nombre en serait encore trop considérable; mais ces
ennemis manquent a la fois <le lumieres, de taleos et
d'audace; Ieurs intrigues 50nt aU5si mal cou~ues que mal
conduites ;iJs n'ont de point d'appui ni dans.le peuple
ni dans-l?armée. Faction ~éprisable /qui se compose de
quelques 'ei-généraux'd' oro res religieux, et d'un tres-
petit nombre de grands d'Espagne, imbécilles millibn-
naires qui prQdiguent leurs trésors a entretenir des
légions de moin~s et de valets, f!t n'ont, aiosi que leura
soldats, jamais paru sur un champ de bataille.




555
tables a l' esprit de faction,. que Ieur caractere
ilational. Plus réfléchis, plus reconnaissans,
plus justes, surtout, que ne se tnont~ent tant
de Fran«;ais, qui, amis sinceres, mais,impru ..
dens, de la liberté, nléconnaissent le premier
des devoirs que ce noble titre impose, et n' ont
pas encore appris, par trente ans de proscrip-
tions 'lui les ont frappés tour a tour, qu'il n'y
a point de liberté sans justice el poin~ de forc~
sans union, les sages Espagnols n'accue~llent
pas avec une précipitation fnneste et unecré-
dulité coupahle, ces calomnies, a la fois réyol-
tantes et absurdes : c~s diffamations syst~nia­
tiques, 'sc;mrdement répandues et accrédité~s ,
en Europe ~ par les irréconciliables ennemis de
I'ordre constitutionnel dont l'invasion menace
tOlltes les monarchies absolues,;, contre le$
hommes dont le dévouenlent, le courage' et l~s
~crits ont utilement servi leur patrie. Déja
affernlis dans les routes de I~ liberté, toujours
prets a soutenir, contre ses ennemis, une
accusatioD. publique fondée sur des faits posi-
tifs; mais 'ioujours en garde contre cell~s ,qui
sont l' reuvre de la haine ou de la prévention 1
les Espagrio}s saveÍlt ce qu'on parait ignorer
tout-a-fait en France, c' est qu'il est d'autant
plus difficile de se défendre des traiti empoi-




sonnés de la calomnie, que ceux qui les lancent
se cachent daos l' ombre; qu'ils refusent, Ion
meme que le défi le plus formelleur enest
adressé, de se faire connaitre, et d'apporter
une seule prellve, un seul indice de leurs inju-
rieuseset stupides allégations; qu'iJs ne laissent
ainsi, a la franchise et a rhonneur, aueun
moyen de .les repousser et de les confondre; et
qu' enfin , ils trouvent pouréchos, intéressés ou
complaisans, tout ce que la soeiété renferme
de méchans, de fripons et de sots ,toujours
promptS a spéculer sur to~s les genres de scan-
dale, et a lem- donnerun éclat a la faveur
duquel ils parviennent trop souvent a faire
remarquer leur malfaisan te et méprisable
existence.


Apres Q'Voir -renda ala natíon espagnole et
a ses guerriers le juste tribut d' admiration et de
reconnaissance que Ieur doit tout homme, aux
yeux duquella liberté civile et l'égalité ~e­
vant la loi sont les premiers des hiens(~), qu'il


" (1) Ces deux mots, tels que nous lesentendons, ren-
ferment tout te code du systeme représentatif , et méri-
tent une définition particuliere. Selon n~us., la liberté
ávile, avec tontea ses conséquences, n'existe que· la
euü ya rept:ésentation nationale, responsab¡lité des mi-




~57
nous soit permis, en pai'tageant .le ' respeet
reJigieux que tout citoyen ~Esp~gnol a' 'Voué
au code, poli tique , auquel iI' doit sa liber-
té, 'de nous exprimer avee fra~chise' sur
que]ques-unes de ses imperfeetions. :En 50U-
mettant nos óbservations aux représentans': de
eette noble 'el .grande nation, nous déclarons
expl'essément reconnaitre, 'autant qu' eux-
memes, combien serait 'pernicieuse et fataJe
toute Ínnovation immédiate daris sa Consti-tu-
tioD, ássurés, cornme le seront sans dou~~avec
nOus tous lesbons es'prits, quedans 1es eon-
jonctures 011 se trou'VeTEspaglU!, toute propo..;
sitioR ·de ',ce genTe ne pourraitetre faite que
par les ennemis de la liberté'; néanmoins,
comme des intérets politiques de la plus haute
importance peuvent se -rattacher"a 'cettediscus-
sion, et qu'il n'est pas sans vraisemblance q~e
les bases de ]a Constitution espagnole devien-
dront un jour europée~nes , ile?t a propos de
fixer l'attention de I'Espagne et· ccllede I'Eu-


nistres, jugement par jury ,liberté de la presse; et oh
ríen de tont cela n'est illusoire. Il n'ya d'égalité devant
la loi, que la ou le prince ne peut reconnaltre d'autre
droit aux fonctions publiques, et d'autre titre a la muni ..
ficence de l'état, que la vertu, les talen s et les services.


22




558
!.~R~.,;~urqq.~!que~·tlnes des améliorations dont
~~b~ct~ n~~s para!t susceptible.
, ': .~a, premier~ et la plus grave de toutes est
l:'el~tive a larepr.és.ep.tation nationale, qui nous
parait inlparfaite. sous quatre rapports essen-
tiels. 10. Elle De se compose. que d'une . cham-
hr~ ; 2°. eette ehanlbre. est trop peu nomh.reuse ;
50.; ell~, se fornlep~r trois degrés d' élection ;
4°. les députés ne. sont pas rééligibles.


N OlIS. ne rappellerons pas tous lesargumens
par lesquels iI a ~~é prouvé qu'un intermédiaire
enp-e les ~eprés~Dta!l.S du peuple el le trone,
étai t, ,pour .le . peuple, :u~e eonditipn., el' ordre ;
de' repos et de . h~nheur : pour' le' trone, une
condition expresse d'existence. Tout cela aété
t~llemen~ démontré, que nOUS.Re pensp~s .pas
qu'il existe un seul ~sprit éclairé el de honne
foí qui .ne.partage. cetteconviction aumeme
degré que nous.


Il convient de savoir maintenant, de. queIs
. élémens serait for~ée Ja pre~ier~ ·c4ambre.
N ous repoussons formellement toute' idée de
droit de 'naís~ánce-Ei-d;hérédité : ~~ais nous
arlIllettons toutes ce Hes de grandes notabilités
nati'onales; ainsi, si la naissance n' est point
considérée co~me ~n titre d'admission', elle
ne le sera pas davantage cornme un nlotif d' ex-




359
dusion. D'apres ce systeme, dont le royaume
des Pays-Bas off re déja l'exenlple, des listes
triples de candidats, choisis parmi les grands
de l' état, les propriétaires, les négocians, les
banquiers, les manufacturiers, les .plus riches et
jouissant d'une meilleure réputation; les juris ..
consultes les plus vertueux et les plus édairés;
les militaires les plus distingués par leurs ser-
vices, etc. etc., seraientformées par les colléges
électoraux, et adressées au roi, lequel nom ..
merait définitivenlent.


En soutenant,de toute la force de l'expérience
et denotre conviction personnelle, le principe
préservateur de la division du pouvoir législa"
tif, en deux chambres, nous ne nous faisons
aucune ilIusion sur les grands obstades qu'é ...
prouvera son introduction dans le systcme,con.
stitutionnel 'de l'Espagne; mais les argumens
sur l~squels se fondent ces obstades nous pa·
raissen t manquer également de vérité historique
etd'exactitude dans Jeur application ; essayons
de leprouver. C'est, disentles adversaires des
deux chambres, pour conserver l'institution
des Cortes dans toute sa pureté, el' rétablir
l'ancienne Constitutioll de la monarchie espa ..
guole, sans mélange d'aucune iunovation mo-
derne, qu'ils s' opposent a l'idée de diviser le




540
\


corps législatif : nlais cette allégation n' est pas
fQl1dée ; car, en premier lieu , dans l' ancienne
législation espagnole, les Cortes n' étaient
qu'uile assemblée consultative, qui ne pouvait
$aire exécuter ses décisions avant qu'elles eus-
sent été approuvées par la nation, tandis que,
dans l' état actuel des choses, cette assemblée
est délibérative et souveraine; ce premier
changement est déja d'une grande inlportance.
En second lieu, les trois ordres de l' état , le
c1ergé, la noblesse et le peuple étaient distinc·
teInent représenté.s dans les Cortes d'autrefois ;
ils ne le sont plus aujourd'hui, cal' la raison .,
l'esprit du siec1e, et la volonté des peuples exi-
geant qu'il n'y ait dans une nation d'autre in·
téret que eelui de la nation elle-meme , il ne
pouvait plus exister et il n' existe plus, en effet,
qu'une assemblée nationale, aninlée d'un seul
esprit et d'un seul intéret. Ce second ehange-
ment ne paraitra pas, sans doute, d'une nloin-
dre iUlportance que le premier. AillSi done,
nO\15 concluons de ces deux faits, que: les temps
et les intérets ayant randu néeessaires de grandes
modifications dans les principales bases de la
Constitution espagnole, et ces modifications
ayant été eonsenties sans difficulté, ceHe que
nous proposons, entierementconfornlC a




.. \


$4 1
l'esprit et au principe qui a faitadopter les
deux autres, mérite l' examen le plus appro-
fondi. Au reste, les représentans et les hommes
les plus éclairés de la nation espagnole n' auront
pas oublié que c'est, apres avoir rejeté, en
1789, avec une sorte d'indignation, l'idée
d'une premiere chambre (1), que. la France ,
dans sa Constitution républicaine de l'an 5
(1195), est revenue au príncipe conservateur de
la division du corps légisJatif en deux sections,
universellement reconnu alors, par les amis de
la liberté les plus éprouvés, mais les plus sages,
comU'le pouvant seulemettre un ternle aux agi-


. tatioos politiques. En effet, la Constitution de
1795, sagement con~ue dans ses dispositions
les plus importantes, et qui pourrait servir' de
modele en ce genre, n' a péri que par le con-
cours de diverses causes qu'il serait trop long
de rapporter ici (2), mais principalement par


(1) La premiere chambre proposée 1 a cette époque , a
l'assemhlée constituante de France, }lar MM. Mounier et
I.ally-ToIlendal, était une cnambre de paz"rs héréditaires,
et 1'00 voit assez combien est immeose la différenee qu'íl
ya entre eeHe institutioo, eontraire a tout~s les bases de
la constitution espagnole, et eeHe que nous proposons.


(2) La })l'emiere et la plus active de ces eausesétait la
faiblesse du pouvoir exécutif, divisé en cinq membres




542
la force des halonneUes a laquelle aucun gou ...
vernement, quelque légitime qu' on le suppose,
ne résistera jamais.


La'chamhre des représentans (les cortes) est
trop pen nombreuse ; par-la sa considération
extérieure est moindre; elle resselllhle trop a
un conseil d'état. Le peuple ne tronve pas en
elle ceUe masse inlposante et majestueuse qui
commande le respecto Peut-etre reconnaitrait ...
on nlieux ceUe vérité, si, ce qu'a Dieu ne
plaise, l'Espagne était destinée a éprouver
quelques- unes de ces terribles comnloti-ons
populaires qui ont' mis tant de fois. la Franca
sur le" hord de l'ahime. ( Quel mal o'ont pas
fait les assemblées poli tiques, >l diront quelques
hornmes., ennemis de toutes les institutions de la
liberté! ( OuÍ, sans doute; mais ils ne diront
pas quels maux plus grands elles ont enlpechés!
Si, au 10 aout et aux premiers jours de sep-
tembre 1792, l' assemblée legisla ti ve de France,
au lien d' efre compQsée de sept cent· quarante


- l ' - ,


annuellement renouvelés, et surtout, dans le droit,
refuséa ce pouvoir, de prononcer, dans de certaines
occa~io,ns, la suspension, et peut-etre meme la dissolu ....
tion de la chamhre élective, avec l'obligation d'e·n con. ....
VO<¡ller immédiatement une nouvelle~




545'
nlembres, ne l' eut été que de e'ent ,élll! etl~ été
infailliblement dispersée Oll' 'égorgé'e;: 'el'les
destructeurs du trone, réunis aux assas'sihs Ide
septembre, eussent fornlé un decemvirat de
hourreaux, qui, des ce moment, auraii orga-
nisé les massacres judiciaires qui n' ont com-
meneé qu'un an apreso Si, en octobre 1792
et en mars '1795, la convention nationale de
France n' eut pas été composée du meme non1-
bre de députés que l'assemblée législative, le
regne de Rohespierrecon1men~ait a rune et
l' autre de ces époques (l). n'a co~mencé
aussitot apres le 51 mai;' paree qUe, des Jor5,
,il n'a plus existé de convention natiQoale,


• l" ~


(1) On trouvera dans les moriitoofs; fran;!;ais :c:l~' ;~es
deux: époques la p~euve incont.eslable: .de'c~ f~t;. A)a'
premie re (29 octobre 1792) I Ro~spierre (t:!-t, ~é.~Qn~é p~r
Louvet, comme ayant voulu s'emparer de la di~t~t~~~:;
a la s.econde, un plan d'assassinat,)dirig~'c~ntre'l~s mém-
bres du coté droit de la conven·t~oh;, devaitdonrter < té
signaldes crimes qui ne s'accon1plirent qti~ trois mois
apres (31 mai 1793.) Ainsi, la convention ayant até
cons tituée le 21 septembre 1 7921 plu:sd~. hllit mois ,et
une persévérance dont le seulg~~ie du cl."ime ;est .pe~t­
etre capable, furentnécessaires a~x facti~~.x,.il u\1.eépo-
que oa íl n'existait plus ni morale pu~Iique ni 'autorit~s
répressives, pour consommer les attentats qui anéan-
tirent enfin la liberté. ' ~ .~ ~!.vr.r "~~~


.\-, "'-,


:~" ;""'"uO




~44
lnais sel,llement quelques tyrans et des esclaves.
Q~o¡que tout annonee que de semblables . hor-
;reurs soot impossibles en Espagne, et qu' aueun
danger ne menaeera ses asseolblée~, il faut
péanmoins se hate~ de les rendre plus nom-
breuses; en premier lieu, pour les nlettre plus
en rapport avec la populatioD:; en second líeu,
pour leur donner plus d'influence et de majesté
dans l' opinion du peuple; eoGn, paree que les
grandes assemblées offrent a la corruption des
obstacles heaucoup plus difficiles a vaincre, et
que, dans les cris.es politiques, elles déeident
presque toujourslavietoire en faveur de l'ol'dre
et de la liberté.


Nous avouons que les trois degrés d'électiOfl,
exigés par la constitution espagnole, ont don-
né les plus heureux résultats pour les deux pre-
mieres assemblées des Cortes. Les nlembres les
pluspopulaires de ce congres ne doutent
nlcme pas qu.e ce mode d'élection ne soit plus
enharmonie que tout autre systeme "avec les
habitudes et les mreur,s espagnoles; iI semble a
propos d' atteildre une troisieme épreuve pour
fixer son opinion sur ce point important; quant
a nous, il nous est évidemnlent démontré que,
la ou il n'y a poín.t d' élection direc;:te , il n'y a
point de véritable représentation nationale. Si I




545
l' Q!l prétend que le peuple est légalenlent repré-
·senté par l'homnle qui, pour exercer la qualité
d' électeur, a passé lui ... meme par la filie re de
trois élections différentes, il n'y a pas de raison
pour que celui qui aurait passé par trente, ne
secrut, a plus Jorte raison, également investí
du droít d'exprimer le vreu du peup1e : or, qui
a jamais songé a soutenir une absurdité pa-
reille? Répétonsdonc, avec l'un des plus illustres
amis dela liberté, Charles Fox, dont le nom se
raUache avec tant d'éc1at, a la fin du dernier
siecle et au COlllmencement de celui-ci, ame
plus imposantes discussions du parlenlent bri-


. tannique, (e qu'il n'y a de représentation vrai-
ment nationale, et de liberté, qu'avec l'élection
directe. » 'Au reste, nous serions tentés. de
trouver une preuve de plus de lavérité de cette
assertion, dansl'ardeurpassionnée avec laquelle
nou~ aVOl1S VU, a une époque.assez récente,
certains homnles d' état accueillir et défendre la
doctrine des deux degrés d' élection, en trai-
tant de factieux et presque de conspirateurs,
ceux qui soutenaient le' príncipe de l' électión
directe.


L'une des erreurs les plus graves dans les ..
quelles sont tombés, selon DOl1S, les auteurs
de la constitution espagnole, erreur dont iI




546
nous semble que l'exenlple d'un pays VOlSln
devait les préserver, e'est d'avoir interdit ame
députés, dont les fonetions sont expirées, la
faeulté d' etre réélus. Cette disposition funeste
de la eonsti tution de 1791, a attiré sur la Franee
une grande partie des malheurs qui l' ont aeca-
bIée dans les premieres années de sa révolu-
tion. L'assemblée eonstituante, en se séparant,
apres avoir déerété I'inégibilité de ses membres
a l'assemblée législative, légua, en effet, a
eette assemblée, par eeHe exclusion totale
qui n'avait sa source que dans une déliealesse
mal entendue, tous les maux qui out résulté
depuis de l'inexpérienee de ses sueeesseurs : la
guerre civile;: toutes les fureurs révolution ...
naires ;et, enfin, le despotisme militaire, qui
a mis deux fois la Franee a la diserétion de.
l'étranger. Si la session de l'assemblée consti-
tuante se fUt pl'olongée de deux ans, ou si eeux
de ses menlbres que l'expérience avait le plus
éclairés, eussent été élus nlenlbres de l' ass:em-
blée législative (ee qui n' eut 'pas' été douteux
d'apres l'esprit qui animait alors la plupart des
départemens ), iI est présumable que les eon-
vulsions qui ont agité eeUe derniere assenlblée
auraient été prévues et éeartées, ou que, du
moins, les erreurs, les fautes, et les pe:rpé-




· 547
tuelles hésitations de l'infortuné Louis XVI,
auraient eu des conséquences beaucoup moins
désastreuses. Les Espagnols qui 11ront cet ou-


" d' vrage ne s etonne1'ollt pas, sans oute, qu un
Fran~ais, encore tout plein du souvenir de
tous les événemens dont iI a été le témoin, et
souvent la victime ~ ait cherché, dans l' expé-
rience des ulalheurs de son pays, les terribles
exemples qu'il offre a leurs méditations.


L'institution du jury manque eucore a la lé-
gislation crinlinellede l'Espagne, 'ou plutot,
cette législation elle-nleme n' existe point, s'il
faut . en j uger par la luarche lente, pénible J
embarrassée des afiaires. D'apres ce que DOUS
avons recueilli de la bouche de quelques-uns
des homnles les plus,recomnlandables du Con-
gres National, ce jury, lorsqu'il sera institué ,
répondraala grandeurde son objet, et n'offrira
pas ·un monstrueux mélange d'arbitraire et de
légalité; d'apparence de liberté et de dépen-
dance réelle, qui, en paraissant seulenlent le
nlodifier, en ·détruiraient l' essence, et change-
raient, dans les mains du pouvoir, en instru-
ment de tyrannie, l'arnle énlinemment destinee
a protéger la liberté. Un aussi grand rnalheur
n'est pas a craindre en Espagne; et la ma;niere




548 ,
avec laqueIle' le jury de censure (1) a été conl-
posé, en décembre 1820, donne les plus heu-
reuses espérances sur ceHe dont sera composé,
plus tard, le jury appliqué a la procédure cri-
minelle. En effet, l'empressement avec lequel
les citoyens ont exercé leurs droits, da'ns cene
premiere élection, démontre assez l'impor-
tance qu'ils attachent a l' exercice meme du
droit et a l'objet de l'élection. En réprimant de
coupables ou de dangereux écarts, en veil1ant
a ce que la religion, les lois, et les rnreurs soient
respectées, le jury de censure a décIaré qu'il
repousserait ces doctrines, scandaleusement
interprétatives, d'apres lesquelles l'écrivain le
plus sur de ses sentimens et de ses intentions ,
se verrait, a tout instant, a lamerci de tel
homme sot, vénal, ou méchant, dont le ha- '
sard ou la: faveur aurait faÍt un fiscal (2).


Lorsque l' époque sera arri vée OU I'Espagne,
éclairée par ses propres observations et déja


(1) Cette illstitution q~i, llar le fait, est beaucoup
moins effrayante que son nom, ne seraitcependant pas
sans de grands inconvéniens , si elle était confiée a des
hommes moins ~ecommandables que ceuxqui l'exercent.


(2) Ces fonctions répondent , en Espagne , a ce qu'Otl
pomme, en France , un procureur du roí.




549
affermie dans les voies constitutionnelles, vou ...
dra apportera sa, loi fondamentale les modifi-
cations dont l' expérience aura, fait reconnaitre
la nécessité, elle aura senti sans doute que son
pOllvoir ·exécutif manque, en que~ques parties,
de l'ensemble et de la force, iodi'spensables a
son action pour rendre ceUe action aussi effi-
cace qu'elle doit l'etre. Comme il est probable
qu'alors, un accord unanime entre tous les
vreux et toutes les volontés aura succédé aux
premieres défiances;que les institutions ne
seront plus jugées d'apres le caractere personnel
dequelques-uns des magistrats chargés de les
mettre en reuvre, mais hi~n d'aprcs le propre
mérite de'cesinstitutions: nous croyons devoir
réserver, ponr cette époque, les réflexions que
nous a suggérées la lecture de cette importante
partie du cade constitutionnel de l'Espagne,
convaincus, comme nous le somnles, qu' en ce
monlent ces réflexions se rattacheraient néces-
sairement a. des considérations iodi viduelles ,
qu'il serait .impossible de discuter sans blesser
trop vivement des intérets que le peuple espa-
gool a identifiés avec les siens, et que les con-
venances publiques commandent de respecter.
Un autre motif nous décide a refarder cet exa-
Olen : uile parfaite liberté doit regner dans des




550
discussions d'une aussi haute importance; et
conUlle eette liberté n'existe pas a l'instant ou
nous écrivons, il nons para!t utile d'attendre
qu'elle soit rétablie, et que eeux d'eutre les ca-
hinets de l'Enrope qu'égarent encore' de perfi-
des conseils, aient enfin reconnu que ce scrait
une inconséquenee indigne d'eux , qu'aucune
raison politique , solide ou honorable, ne pou-
raít justifier, et qui ne saurait etre excusée par
aueune suhtilité nlinistérielle, que· de procla-
mer, d'une part, l'indépendance des nations,
alors que, de l'autre, ils anéantiraietit les' in-
stit.utions de leurs choix; porteraient. sur leur
territoire la dévasta.tion et la mort ; et les asser-
viraient, par la pnissance, touiours douteuse et
jamais durable des balonnettes, dont l' effet' sur
la conviction politiqlle des peuples, n'est ni .
plus efficace ni moins odieux, que ne l' étaient,
sur lenr conscience religieuse, les buehers de
l'inquisition.


N ous reconnaissons conlhien la suppression
des grands nlajorats, en divisant lespropriétés
et en nlultipliant le nombre des propriétaires,
doit contribuer a l'augmentation de la popula-
tion; au perfectionnement de la culture; a
rendre les habitations plus nombren ses et les
communications plus fréquentes, par l'échange




55t
des besoinset des services mutuels; ?:tdonner
de la sureté aux routes; a introduire partout
l'aisance et le hien-etre; en un mot, ?:t rappe-
ler la vie dans toutes les parties du corps
social, et principalement dans les campagnes,
dont l'aspect inculte et dépeupIé présente. la
plus déplorahle iruage. Cependant ,en détrui-
sant l'abus des majorats, c'est-?:t-dire, ce que
cette institution avait de contraire a l'intéret de
l'état, par la concentration d'immenses capitaux
sur un seul individu., n'eut-iI pas été possible
d'en conserver ce qu'elle avait d'utiIe al'intéret
des familles, en perpétuant au nlilieu d' elles un
fonds, nlédiocre et inaliénable, tel par exem-
pIe, qu'un revenu de soixante nIille réaux (1),
sans que cette somme put etre, en aucun cas,
ni excédée ni cumulée par le fondateur? . Une
révolution comme celle de la France, ou toutes
le~ c~nséquences des principes de la. liberté et
de l'égalité, en dépassant de heaucoup, a une
époque, c~ que prescrivaient la raison, la jus-
tice et la prudenee; ont amené une longue
suite de réaetions mortelles pour la liberté :
une telle révolution ne devait pas épargner une
institution de eette nature; mais iI n'en est pas


(1) Quinze mille franes.




55.2
de meme en Espagne, ou le bon esprit national
s'est contenté d'améliorer san s détruire; et ou
DOUS ne voyons pas que, dans les plus pressans
hesoins de l'état, les Cortes aient adopté une
seuIe mesure réprouvée par la justice.


La derniere, mais non pas la moins impor-
tante de nos observations ~ porte sur l'~bsence
presque totale de toutepolioe, en Espague;
absence qui se faÍt sentir dans les campagnes, .
dans les viUes, et jusque dans la capitale.
N ous ne croyons pas nécessaire de dire qu'il
n' est ici question que de .ceUe police de sureté,
qui protége les citoyens,et Donde celte odieuse
police d'état, véritable inquisition politique,
qui, dans la plupart des gouvernemens de l'Eu-
rope, ne vit que de délations obscures, de
corruption, et de moyens souvent plus infames
encore. La poli ce dont nous entendons parler,
est la sauvegarde des sociétés, comme l' autre
en est la honte et l' effroi (1). Sa conception


(1) Lesysteméd'lln des ministres qui gouvernaien~l'Es­
pagne, et dont les nouvelles les plus récentes de ce pays
annoncent la re traite (M. Arguelles) , était d'accréqiter
l'idée qu'il gouvernait sans police. Nous aimons a rendre
justice aUK intentions vraimeut philanthropiques qui o~t
di~igé, pendant la durée de son administration, les pensées
de ce ministre, plus justement célebre, selon nous, par




S~3
est aussi" simple: q~e·. ses m oyen s' a' execution
sOI.l(faciles. Un magistral', intelligent ~t hon-
~~té'homine, sriffirait pour l'organiser 4~ns
chaqUé 'province; . il faud~ait un nlois a peine
pour ce ~ravail jet il no~s: est pé:nible de dire


toutes les, q~~lit~s de'l'exceUent cítoyen et du grand
oratenr, ciuepar ceUes de l'homme d'état; mais iI nous
est impossi~le de ne pas comhatlre une erreur grave,
sédaisanteau pr-emier aspect, et qui tend, en effet, a
encourage~ le' crime t par la 'Chance d"impunité qu' elle
lui prometo Pou1' '1ue lapolÚ!e( et l'onsait ce que nous
ent~ydo~ .~r ~e. mot) paisse ¡'accorder. avec la liberté,
?l fautq:y.~eJle soit presque uniquement ,préventive : or.,
pou;r, q~'eJ)~' puisse atteiodre ce but, iI importe que la
c~ass~ ~í.~d!~i~us s~r laquelle eHe s' exerce, soit profon-
déme.nt rrappee'de ridée de 'son. existence , puisque
cette: idee doit ~tre 5a plus grande force. C'est done se
priver d'uJ puisSant levierd'action, que de renoneer a
une'iftfluence morale ,. qui peut, dans un grand ,nombre
de circonstances , rendre itlUtiles les moyens de rigueur.
NOllS, ~e,d.olltons pas que I'abs~nce de cette influence et
la,lenteur d.escformes judiciaires ne soient les deux causes
p~ncipai~~' 'd~', grand\ nOID})r?, ~~, ~élit~t con.t'~e l' ordre
pub lié , . qui 'se soní' multiplíes ' ~eí)Uis que]que temps
daris la pénlnsule; mais nous :a~non!;ons avec plaisir, a
nos lecteurs ,que la voÍonté' ferme, invariable, bien
connue des Cortes ; est de s'occuper immédiatement de
ce grand intér~t social; et cette 'Tolonté 5eule est une
garantie certaine de sueces.




554
qu~, .dans un long voyage sur divers points
de,~ia p~ninsule,. n9us n'av()ns ras ,a.per~u la
moindre trace de ceUe institution .~~~ut~jre,
a laquelleon p(!n~e suppléeren éta~l~ssant
sur les grandes' route§, pes postes ~iJit~ires,
, chargés' de fourni~ 'des escortes aux vOJa-
geurs; moyen toujours insuffis~nt, dont les
moindres inco,nvé~iens sont d'assujettir le ,sol-
dat a un nlétier ind,igne de lui, et d'accoutu-
mer les citoyens ,a ne reco~naitre, d~lls le gou-
verneme~t, qu~ c~tte for~e matérieJle, qui


,:rappelle trap renfance ,des spciétés. Si 'quel-
,quefois ceontoyen 'est exeusable, 'c';e&t seúle-
luent dans·quelques circonstances 'graves, ou
l' ordre général é..ta~t tr.9uh1é ~ ceu~ <¡'Ji gouver-
nent se"voie,nt contraintS d~ s~b~~it~erl;t force
physiqq~ des p;ll()Opettes ~ l;¡ force '~or~ledes
institutions. llors de la, l'Qs~g~de tels moyen~
nous parait .irabir le secret de la faiblesse de
ce]ui qui les enlploie. C'es~ done sur l'établis-
semen! immédiat d'1:lne police d,es,Ttreté' qúe
qoiv.ent se fix~r ;les r~&arcI~~~ ho#1rii~s d'état
d~ l'&.pag~e~ TºlIt l~r ~n f~it un dev9ir,~ns
u~ mO.~~nt $llrtpvt OU il par;ttt hQr~ :ge dQijte
que)'aff~sta~i9Q. de ~,el'~~¡ns ~~f~it~Jll's, i!.l-
strumens reconOQS desennemis de l'ordre con-
stitutionnel, conduirait, dans peu, 'le gouver-




555
nen:tenta d'importantes d~~Quy~ert~$'~; l\wr se
pronlettre un sucd~s pr~~pt et certaill , ~l t~~-:­
drait sallS doute que l'organisation de lapolice
et ceU~ -de l'ordre judiciaire marchassent de
concert, : Car l' arbitraire nous esto tellement en -
horreur, que nous ne -nous pa~donnons' qu'a
peine d'en conseiUer l'-emploi, meme a fégard
deos ,hommes que Ieur conduite plac~ hors de
J';ordreso~ial;, mais l~src;tconstances son~ _-si
impérieuses, et le mal si,grand, qu'on~epeut
trop se hAter d'y porter re~e.4e (1;). ;.-


, (l) Nous le répétbos encore, justice n;e~t faitei:J,ql1e
. part. Les prisoDi de Burgos comptent pres de cent déte-
nus qui ne peuvent obtenir d'chre jugés ( dix a douze
¡'ont été depuis que ceci a été écrit); les assa~siIU de
Cadix sont, depuis pres d'un an., soos la main de laloi;
et le-s' memes _plaintes arrivent de divers points de l'Es-
pagne. Ntj)qs avoDSfall -connaitrc aiUeurs la ca~se de.- ces
retar~s ; oia1& e est précisé~ent paree qué cetle .cause peut
aubsister' encore long-temps; qu'eUe ne saúrait servir de
motif a une plus longue impunité des coupables. Cer~es!
personne1u'est pluséloigné qlle DOUS d'accu~~r les i~l¡en",
tions du ministere espagUQ1i- ",tete: <t~\l 1: á~r~it ;. ~n
cela" insra~~tud_e~~ahslll'dité; :q:tais il De s~~r;~i.~ exi:iter
pour lui~~~. o~lig~tions 1>lus p~essantes etpIus ~,a~f~és ,
que de faire. rendf~~Ia:.i.ustice,~~ de ~aintenir la -su¡~té
publique ,; Í9urnellemeDt .menacée ~ur quelque~unes -des
roQl4ts dela p~ni~ule; car, de la dé'peude!lt l'ét~blissé:-.




556
, ~01l~ n~éténdi'ons :}>as' phis ,loin n'os' observa-


tidrts'j nous naus sommes bornés a celles q~i
n0115 oot paru d'un intéret plus général, et 'elles
n'Ous :sant dictées par un sentimen't auquel plu-
sieurs des hommes · dont l'Espagn,e' honore le
plus les tale11s et le caractere 'ont déja rendu
justice. Surs dé la parfaité id~ntité' de princi-
pes que naus avons recónnue enthf 'ces'illústres
citoyens et naus, noos osans 'espérer) que si lá
partí e 'histOTique de' cet' oüvrage a droit a l'in-
téret de quiconque, aveé des nuartces d' opio ion
différentes, sent haUre son creur aux nams de
patrieet de liberté, (I}; les réfle~ions que naus
ment de la confia:rÚ:e ,:l'ahondante citculatioll des étran-
gersqui en est)a cónséq:uence nécessai,e, ,1 l'augmenta-
tion progressive des relations.


N. B. Le ministhe' ~ónt 'nous parlons'YieBt d'etre
renouvelé. Nous avons' :explique ,notrepeasée,sur
quelques-unesdes fautes de son administration;' mais.
nous souhait'óns sincerement'que -celui qui rlui succcde
hérite de son amour pour la patrie, et surtout'de'son
invi'llcibfe opposition .a·tonte· ,interven~iOD' ,étrangere
dans' les affaires de l'Es~gD&J"


(1) Ce n'estpas sans Une in~ention formelié'qUe nous
employons ici ces mots: u 'Avec des' nuancef': d~ opi"nion
» dilférEm te~. n ~e cardinal de~ Retz a dit dárisses Mé"
moires, dont la lectureest si ullte a Iá connáissarice ·au
(Q!úr bumain, et vingt-dnq all$ d'expérienceJde la révo-




557
SOl~mettonsaYauguste Congres"qui j~s~~fie ~~y~~,


, tant d'écla~ les espérances de l'Esp~gne , Íle.~ ..
ront peut-etre paso inutiles a ~ette ~ation, d()~t
l'histQire a déja huriné .Ie~, gl~ .. ieux.trav~qx sV'r
ses pages immortell~s, ebqp-E: ses ~fforts, SOI\
courage, ,et l'i~ébra~l~bl~ :persévérance de son
patriotisme, appellent aux plus ,hautes comm,e
aux pl~s/heure¿ses destinées~, ' ' , ,


P.s. A l'instan,t ;OU se termine l'impression
de cet ouvrage, le brllit se répand que de liou ..
velIes,notes out été adressées a l'Espagne, pour


"


lutionfran~ise nous ont, convaincu, It que rien n'est
i, plus funeste au succes d'une cause q~e les suhdivisions
" d'olJinions et d'intér'ets quí' s'iuúoduisent dans le llar ti
)1 qui:la' détend. "Le premie~ sbin" le premier dev~ir,
nous dirlons presque la premiere condition d'existence
pour tous les Espagnols qui portent dans leur creur rhor-
reur de I'arb~t~~ire et l'amour d,e la lilLerté, quelles que
soien t d' ailIeurs l' époque et les circon~tances dans lesquelles
its ai,ent manifesté ce sentiment, doit etre de se réconci-
lier,de ~'e~tendre, de faire a la raison, a la politique,
au soin de Jeur:cp:Q\i~rvati()n m~tuelle, ces c~ncessions
réciproques qui:, ne portant$~r:a~cu,n des points fonda-
mentaux d~ l~urs institutions, ,doivent nécessaircment
amener parmieux de salutaires rapproche~ens, et par-
la meme repdre l~ur: nouvel ordre social plus invulu,éra-
bIe. Dans n~tre pensée, nous n'excepions de ceUe am-
nistie moral e qu'u,n tres-petit nombre d'iudividus ;, car




558
JursYgriifier 'les résolutions des cabinets' réunis
a ~Troppau et a Laybach. Quoique ce qui se
passe tnaintenant en Itali'e rende tout vraisem-
hlable en ce genre ; 'il est néanmoins difficile
de éoncevoir un tel degl'é d'aveuglement daos
des ministres, qui peuvent bien fouler aux pieds
toutes les lois de la raison, de'la ¡usti,ce, de la
morale, et d'une saine politique, mais'qu'on ne
saurait accuser d'imprévoyance quand il s'agit
des intérets. de Ieur pouvoir. C'est done en ce
sens" et'Qon dans la supposition que ces !Di ...
nistres seraient revenus a des principes plus
conformes a la sureté et a la gloire des princes
dont ils exercent l'autorité, quenous nous re ..
fusoos encore a croire a l'existencedes notes


l->ersonne n'ignore que, meme sous l'horrible despotisme
dont elle était accablée, l' Espagne a compté deux ou
trois ministres qui, pendant leur administration, ont
osé faire entendre au monarque des paroJes d'humanité,'
de justice et de paix, dont la disgrace, la ~estitútíon ,
l' exil, et souvent meme 'les traitemeris les plus crueIs,
out été la récompense~ L'excéllent esprit national des
Espagnols, lá justesse naturelle de leurs idées, et sur-
tout la IIi()dération dontils ont donné tant d'exemples,
dans des circons.tances crítiques et récentes 2 permettent
d' espérer que ces conseils, inspirés par le plus pur dé ....
youement a Ieur noble ~ause, ne seront }las perdus. ..,'




559:, . '
dont ils'agit; mais si le f~lit était vtai ;' si, cé-
dant une; seconde fois a des conseiIs impru'd~ns
ou perfides, les níemes hommes qui oot aIlú ...
nié une g~erre impie contre la généreuse' Na-
tion Napolitaine, coupable dú ¿rime de vOulóÍ.t
conserver son indépendance, et son honrieur (J),


( J) Dans une des dernieres discussions qui ont eu lieu
dans le parlement britannique, au sujet des affaires de
l'Italie, lord Livcrpool a crupouvoir établir une grande
différeóce entre les causes q~i avaien~ ameiíelii révol~tiÓn
d'Espagne et ceHe de Naples. Cen~' dlstinctioÍl ne mari-
que pa$' de que11üe ádresse, surlónt, lorsqú' en derniere
analyse, on finit par se résumer en fáyeur du plus fort.
Or, c'est la .ce qu'a fait' le ministere britannique, en
essayant de próuver que les alliés avaient bién le, dróif
de renverser l~ gouvernement constitutionnél a Naples,
mais qu'ils devaient le respecter en Espagne. P~ouvons
mainteJuint l , ce qui' nesera pas . difficile, que N~ples
avait un dro~t peut-elre erico¡'~plus sacré que l'Espagne
a changer la' forme de sori gouvernement. Sans doute
la' 'tyran~ie 'sáriglante qúi opprimait ce' dernier pays,
n'ét~ndait~pasts?n hras~e,(ér sur le royaume de N~ples;
mais'; (]epuis' dix'ans', -l~-'ilatióri ávait fihi.iilément'tle:""
mande~ sou~ l~s tois J6a:ch~fu éi ferahi~n'd~ de jouir'd~s
bienfaits dO. systenierepréseriiatif; et, depuis di~iaris
ausfoi, l' Áulfiché s'était c~)llstamment élevéé, comm'é"un
mllr d'~irairi;, contre lé veDil dupeuple napolitain elles
désirs IDemc de ses rois, a qui les ¡ntérets d'une sagepo-




560
avaient con~u le chimérique espoir d'asservir
I'Espagne a leur odieuse politique: :~qu'i1s se.
désahusent; ils auraient appelé sur eux une
responsabilite nouvelle, plus terrible encore ,
s'il'~st possihle, que ¿ellequi menace d~ja leurs.
tetes, et dont le p'óids ne' 'tarderai t pas a les
éeraser. Trompes s~r I~ sit~atiori d~ l'Espagne,
comme ils 1'ont été pendant trente ans i comme


Jitique prescrívaient de souscrire au.xjustesdemaudes de
Jeurssuje,ts. Pour n~ pas régner p~r des échafauds , ]'ar-
hitraire ~'existait ~s ~oin~ a. N~ples q~~~~¡ Esp~gn~ ; el
d'ailleurs, l'horrible sou'V~nir des barbaries. d~ J :'199; et.
la possibilité de Jeur retou~ ,n'agitaJ~nt ... íl~ ¡pa~ encore
tous les esprits? Qu'a faitle cabinet de Vienne pour cal-
mer d'aussi justes craintes? pour adoucir d'aussi mortels
ressentimens? il a mis lUl:e garnison atitrichienne dans,
Naples , son amie et son alliée, el. a soumis le monarque
et le gouvernement de c~,'pays ~ l'épéed'.~iI gé~'éral 3U-
trichlen .. ~ ....... Nous demímdoDs maiIitenant a,lord Li-
verp~oi , s'il pense qu;¡l' ~uis~e exister,-l~o~r Iln~ 'na~ion,
un plus juste snjet de prendre les armes,; ~~e ,l~~~qut~l
s'agit. de~h~ser l'étranger de ~qn ·ter~i~oit.t! ;,~t., ~défaut
de !éponse :~~~~a~étlene ~,' ~ui'pe~ídoutér: d~''-¡'~~d~~a­
tion généreuse que maniffsterait la n9b1e natíon anglaise,
a la seuIe supposition qu~un teI exce~'d'hu,~~~~tion put
un' jour l'a~teindre; et de son adbé$ion .umini~ea l'hé-
l'olque conduitequ'ont da tenir ~esNapoIitaiDs ,.pour s'y
soustraire!....·· , , '"
~ . l.




361
ils ~e s6nt encore sur eeHe de la France, i15
expieraient bien eruel1ement, un jour, Ieur cri-
minelle el irréparable erreur. L'Espagne nous
est hien connue; il De sera pas plus facile de
la (aire fléchir que de la brjser,; luais nous
n'hésitons pas a le dire : du parti que ron preo-
dra a son égard peut dépendre le sort de l'Eu-
rope, qui, eette fOÍS, De serait pas décidé par
unebataille !






prECES JUSTIFICATIVES.


MA.NlFE~TE de la Junte provincia (e de Gatice; présidée
par -le mar6clta-l de camp D. \Juan DUz Portier,
ti la tl(ltion.upagnole (1).


( Page 16. )


ES'~GBots !. apres six aos d'une lutte aussi obstinée
qu e gIorieuse, soutenue pour l'hooneur et l'indépen-
dance de la nation, outragée dans la perSoone de son
chef; apres avoir fait d'irnmenses sacrifices, avoir vu
nos biens :ravagés, efprodigué par torrens le sang espa-
gnol, nous avions chassé rcnnemi qui se flattait de nous
suhjuguer; nous avions purgé notre sol de sa pr~sence,
et relevé le trane de nos rots; nous avions maintenu la
gloite nationale, rait respecternótré bom, et assuré
notr~ liberté ~ - la liberté, premier bien de tout peuple


(1) Celte picee est Jevenue tres-rara, stirtouten Espagne. Ol'l .
nei'y retl'ouve plus dans Ies.dép&tsofficiels d'ou le gouvernement,
tyrannique de cetemps-Ia avaiteu grand soin delafaire dispa·
nitre; et la' erainte des poursuites rigoureuses qui eussent été
infailliblementdirigées contre quiconque8Ótété convaincu de l'~­
vóir conservée, avaient décidé tous les particuliers qui l'avaient
~Q leur pouvoir, a détruire un docuÍDent aussi dángereuJ:.




qui sait en connaitre le prix, el qui veut le transmettre-
5ans tache a sa postérité.


Non,contens d'avoir défenrlu, au péril de nos jours,
'la terre qui nous a vns naitl'e, nous cherchion~ a assurer
5a prospérité future par des institutions nobles, el réta-
blil' nos anciens dl'oits, a écarter tout ce qui obstruait
Jessources de la félicité publique, el a garantir a toutes
les classes de citoyens la sOreté de leurs personnes et de
leurs biens, ainsi que le libreexercice de leur industrie
et de leurs talens.


Tandis que nos braves guerriers donnaient au mond~
les plus brillans exemples de constance et de courage,
nos législateurs, réunis en Cortes, et munis des pleios
pouvoir.s qpe, nops I~l,lJ; av~o.ns délég,ués,. ~'occupaient
des réform,es; qu'exigeait la sitpation ,de l'~tat, et po-
saient les fondemens de notre honheur á ,venir, ea con-
sacra,nt ~ dan~Uge constitution nou velle. nos aneiens
droits et prél'og~tives, ~ubliés et comme allnlllés pal'
le temps ':: e~,~n affr~nc~'issant, par,les plus sages dé-
erels, le pap.,vre.Iaboureur, l'honnete artisan, le fabri-
cant . ,indu'stl'ieux" ~u, joug ,odieux des priviléges, de
maniere el donne~ a la nation plus de vie et de mouve-
ment, en étenda,nt son commerce, ,et Ses r~latjons. In-
struits par I'expérience, convaincus que les ilitentions
droites desmeilleurs rois' et leurs institutions . tes plus.
'sages sont j~&u,flisa:Dtes ,lorsqu 'abandonnés el eux-memes
ils servent d'insti'ume'os i\ des conseilJers pedides et a de3
favorÍs cOl'róI11pus, nos représentans ne voulurent. pas ;
que la monarchie rot exposée de nou'veau a devenir la
pl'o\e a'un autre Alvares ou d'un second Godoi. lis vou-
lurent que, fondée sur des Iois stables , en harmooie ti la




Coi s neo nos anciene usages; et: a"eeles: progres qu'a
faits en Eu~opela scieilce du gouvernement"la sécurité
de l'état pfit se concilier 'avee celle de~ individus ,et lea
droits des citoyens avec ceux du moqJirque. .


Tels étaient nos vooux; et.les·l''epresentans ,que nous
a vions cheisis en rutent les' .6de:tes· interpretes % ·ib,eft
garantirent I'exécútion • par ces déerets auxquel~ nous
al'ons . tous juré' obéissance devant Dieu el' devant les
hoIJimes:: ét etHll'érDiissant' nos droits,Us avaient éga-
lement affermi' le' trone' du sou ferain, etla' 'religion da
I'~tat.


, Ail milieudes'dévast~itibns produites par les malheurs
de la guerre el des oppositions qu'avaitrencontrées la
réforme des abus, nous avions cepeadant'joui de la troo-
quillité intérieure ;~a:ucuh partí n'avait meÍlaeé de révo-
ltitionnel' l'Espagne;' aocune proS'cription o'avait porté
ralarme et le deuil dans les familles; calmes et, modérés';
notis eommencions a jouir des frllitsd~une.iberté:'sage,
el a suivre ce motivémént douxet régulier~'qui eSt:!la
vie des nations : de" sorte" qu~' vo.yánt nOffe' indepen¡"
dance assuree- pár ia ;valeur lle ne' soldats:, el< la :Iiberté
civile #abli€! p~rie's' '4é'éréts deS"(i;ottt69:;fnoui'n'avions
plus a désirer qu~' le l'et01Íri • dc:n()tre·toi: eaptif, ao
milié\J: de la' oatioü:qui i atait si bien su 'veoger 'les injuIrc$
qu'iI aVáil¡re9tt~:jd'nii:pdtlv(tirétranger.:; Nos, iIIasue!
guerrici'S s'áttendlaiertt A!'rec~r1a;rééompense, de'leur!
se'l'vides; 'el- a· y'oír :s~accótr1pnr tes 'décrets' des Cortes·' e~
léUr!thvéur, 'déc~tS¡ ·dont Jleürs . exploi~s: .réplamaient si
htuitement l'exénutioll.: '1!ous'les' gens íde¡bien'id~siráient
queJe pouvoir ex&utif acquit la fo'rcc:doht' it abesóin,
et qu'il De pouvait recevoir que d'un 1'oi; ils 'désirai~nt




que ¡too. évitAt ti 1'avenir toute déviation, ce dont on
D~avait pu se garantir dans le. cours de la révolutiooj
que l'on consolidat les réformes décrétées, ~¡. que 1"on
y ajoutat les mop,ifications dont la nécessité serait dé-
montrée par l'expérie.nce, el par la situation taot de
l',Espagne que defj ,aub.'es p~ys. ,Enñn, apres une loogue
attente, le roi enlra dans. Madrid, all; milieu des béné ..
di~tions de.tous les boos citoyen$, convaincus qu'iI
.allait aussit6t, de ,concert avec les députés de .la oation,
.s'o~cuper .des moyeos d;assurer le bonheur de ses sujets,
en sa.nctionnant quelques-uns des décl'ets rendus par les
-Cortes, en modifiallt ceux qui . ~eraientgénéralemeot
jugés susc~ptil;lles. de changement, el. en ajoutant de
DouvelleS lois: ~x.loi8 déjaexistantes t1orsque.la 'c~ose
serait nécessaire. 00 .refu!\ait d'~iouler CQi aux hruits qui
n'avaient pas tardé a. se répalldre" que le roi ne voulait
ni faire serment de fidélité a la· Constitution, ni ~atifier
rien de cequi avait été rait en son absenc.e; on attri ..
buait ces rapports a des .int~ntions malveillantes et a de~
-vuea intéressées: el qU6iqu 'on. v·it le ro~ entouré de ceUJE .
dont l'imprudence 0\1 la trAhison, l'av~ient conduit el
Bayonne, l'aTaienlremi& au ·,pQ'1,Jvoir ~~ S~$ :~noemis,
et avaient Ji vré la. nation a. toutes les .hoffeurs ele 1¡~a.J!llr'"
chie.,on se plaisait i. croire .qu'éc::lairé.par ~~e;lF!t'¡~J~
expérioocc, ilDe se laisserait..plp~~M~'pa .. · de*i c0:'l:-
.teillers pel'~ •. M.aie .l'j~qen~e:, qQe;. ~es traitrese,xer-
~aient sur lui depuis son eQfanct! coptinua a le d.omin,er :
Hile cessa poiot de .leur preterPprqi!le, . dese :h.ii~r
.guider par. leurs Alis, etbient.6t. JI: se pl.ong~a aveq J4
nation dans.l'ahime d'infortune OU nou$gémi-ssons depuis
liBe année.




567
e'est a. ces mis.érables quesant -dus lesdécrets qui


ont anéant.les Cortes: e'est a eUl: qu'eit do. le rétablis ..
selllent de toos le.s genres d'abus : e'est d'eux que Da.iS~
sent les perséeutioDs qu'ont éprouvées les n;présen~~s
de la nation, et tant de braves sQldats., el ~ant de loyaux
citoyens·: e'est d'eux que proviennent. le 4ésordre d.ei
finanees, la misere des troupes, le tra,fie ~es emplQis
pt,ililies , ~t. ~nfi~; l'~vi1isseD;lent ~e !a nation, qui, loin
4'e;~e honor~e et respeetée eomUle elle l'a,mérité par
ses s~crj6ees, est aujOt~rd'hui dégradé au.x.yeux de rEu ..
rope.


Ce petit nombre d'Espagnols dégénérés, auteurs de
tous nos mau~, s~ sont prostitués, il Y a ~i.x nos, ti I'op ..
pre~~eur de leUf Rftrie, ont ab~ndon~é III cau~eeo~­
JIlQ:p.e ,et fouIé. 8:UX pieds leur~ devoirs les plus


. sacrés. Avifles de richesses et d'honneurs, ils se son1 em-
pressés dereconnaitre eeluí qui paraissait pouvoir hmr
en ftssurer la pos~~ssion; .et loio de s~ io~ndrea c~~
4~ ·leur~ . eOQcit01.eps .qu.i da~ la capitale et daos toutes
l~s province13 avaient .rail l'etentir le cri. de l'indépen;"
d~nee , ,ils: s'~n ~Qnt .~ootrés l~s pl,:!s ~~eM ~Il~~ii,
jqsqu'au momeot on, 4~seapérant du '~~CRFs.,~ la cause
o~UCfuse qu'ils ~vaient ~mbrassée, ils crur~qt plus poli-
\~9~~ 4e ·l'~b~qdonner. Infideles a tous le$,partis, i~s
n'eo g~rd~91fl~¡ -JlM. ~p~s ,un es.prit. d'RB~sition' et d'i-
nim,j~iécop.tre .(f~~~~~\ n'av.~~ia~s 'cessé de dé-


. {codre· l~ c;:ªu~e· oatiooale. A cette cllt-sse dang~r.euse,
apparticnhent tous ceux qui entourltiertt ~t:diri.ge~ient le
_t:Qia Vale,p.ce, toq~ ((eq~ qui le dirigent epcore aujour-
d.'hui: les princi~l~s ch~rgesde l'état SQnt cl'llel1rs mains;
et ce,u~ Ill&ule.s .q'-li: QP ~8.Q8 fur~nt désignés par l'usu" ...




568
p4te:ür':p~'ur' c~mprimer le Dobb~ m.~uvemcl'lt des' pro ..
viudes ,: figrirent maintenant daos les tribunaux chatgés
-d~ juger les constitutionnels ,c'est-a-dlre c.eux qui, a
'l'époque "dont nous venons dé parler, avaient nóurri
daos ces memes provincesle feu s:acre :du pátriotisme.
1!st~il'da[fs"l'histoire' quelque choSeque l'onpúisse com;..
'parer' a celte indignité ~ , ; ,


:Lescrime$, les ~ffronts sans nombrédont "les Espa-
gnol's ont'éré I'Óbjet pen'dantlc' c?urs de"cette année,
leuraüraient 'depuis long:"temps arraché un cri de fu-
reur, sembJable a celui qui fut le signal de la guerre de
l'iridépendarice {si Ieur sagesse et Ieur amoUl' pour leur
pairie 'ne 'les 'a'Yaient ' engagés, avan! de l'exposer lt de
nouveUes cODvijlsioos';'¡\' etnllloyer tÓus 'I~s~oyens'de
'coÍlciliation possiblet5'; ~dans I'esp'oir: qu~e: le 'r'oi, ouvránt
enfin 'les yeux ,! . changerait de conduite, pUllirait" ses
coilseillers pertldes, el rendrait 'une"'justice écIatante i
une foule debons Espagnols injustement p~oscrits.


En vain, pe'ndantd~e" ailriée, nous avonsnour~i cette ,
. e'spérance : En vailltoute I'EUI'OPC a vu avec indigna-'


o .. ti'()flla condune da cabinet de lUadrid : envainplusieurs
souvcrains onl ádressé 'au roi des représenbltions 'sur le
p'eu de politique de son 'systeme, et I'injusticedoil(il


. le rendait coupahle en persécutant uÓ si; grand" ~ohitite
de' pairiott~s ': ,en vain de5cito'Y'én~ gé¡¡é~éhi oot o~é 'tui
dire la véi'itéotei~b(Jns~its de's uns ti "bnl: point été &ou-
tés, malgré le!d~gards dus a des alliés sirespectables, et
les autres olit été persécutés.


Le roi est ¡\, tel point dominé par les traitres qui I'en-
toul'ent, qu'oIi ne lui permet pas d'écouter de si impor-
tantes remonlrances , el qu'on ne lui laisse pas le temp,;;




569
deréfléchir sur la fausseté des assertions de ses con-
se~Uers; ils lui disent que les Cortes et la régence avaient
formé le dessein de le détroner : ils s'efrorcent d'égarer
l'opinion publique, en répandant qu'il existe un plan
secret pour propager l'irréligion et persécuter le clergé =
bref, ils mettent en usage des calomnies de toute es-
pece, qui ne peuvent etre inventées que par deshommes
aussi pervers. C'est ainsi que s'est écoulée une année
entiere, pendant laqueUe Hs ont seuls tenus les renes du
gouvernement ~ les députés, les membres de la régence ,
les personnes qu'ils avaient intéret de calomnier, out été
arretés aU milieu des ténebrcs : on a pu découvriJ:' leul's
secrets, connaítre Jeurs entreprises, et cependantces
recherches n'ont servi qu'a. manifester leur intégrité et
leurs vertus. Toute l'Espagne est convaincue de cette
vérité. Quelles preuvcs plus évidentes peut-on demander
a cet égard, que Jeurs jugemens me me et les sentences
rendues eontre eux? et si I'on envisage la chose sous le
rapport des droits publics et particuliers, combien ne
sera-t-on pas révolté de Pirrégularité de ces monslrúeuses
procédures, mi les magistrats foulent aux pieds les lois
mem~squ'ils prétendent faire exéculer; oil ron interdit
aux accusés le droit de se défendre; oil tout se fait avee
la plus violente précipitation; oil la plupart des juges
sont en meme temps accusateurs et témoins; oil eufin ,
altaquant eux-memes la validité desordres qu'iI::; out
donnés du temps des Cortes, ils ont offert au monde un
exemple inoui d'injustice et d'atrocité.


C'est ainsi que tantd'hommes vertueuxet dignes d'es-
lime : tant de pretres, respectabIes par Ieur caractere
~t leurs dignités : tant de militaires distingués, couverts
. ' 24




57°
de blessures, et illustrés par leurs services, maintenant
chargés de chaines et plongés dans des cachots, assoÚ ..
vissent la rage de leurs infames persécuteurs,qui jouis-
sent de leur infortunc, et esperent leur arracher la vie a
forces de tourmens et de douleurs. Et quelle en est la
cause, Espagnols P quels sont les: forfaits de ces victimes P
d'a\'oir voulu nous rendre heureux. ~'ilSSODt criminels,
nous le sommes : nous leur avions donné nos pleins
pouvoirs : nous avons reconnu, approuvé tout ce qu'ont
fait les Cortes. Leurs députés n'avaient d'autre ohjet que
la prospérité de l'Espagne; leurs décrets l'ont a~sez
prouvé. La religion catholique avait été déclarée la seule
religion de l'état : les priviléges de ses ministres avaient
été respectés : le gouvernement veillait au hien-etre des
soldats. Il Ieur accordait d'honorables distinctions : des
déerets' avaient été portés pour qu'il leur fdt distrib~é
des terres, aussitot que la paix serait concIlle : il avait
été créé des établissemens pour les invalides; et malgré
la pénurie des Bnances, malgré la longue occupalion
d'une partie considérable du territoire par les forces en-


. nemíes, les troupes étaicnt beaucoup moills négligées
-qu'dles ne ront été depuis, en pleine paix, et apres I'af-
franchissement total de la pénlllsulc. Le paysan était
délivré des gabeIles et de beaucoup d'autres ¡mpo!'! oné-
reux; l~ manufacturier voyait son industrie dégagée des
entraves d"un grand nombre de reglemens absurdes;
le négociant pouvait commercer et spéculer librement,
san~ etre assujetti a aucune de ces formalités outra-
geantes introduites par le systeme fiscal; le créancier. de
l'état avait respoir d'etre remboursé. Bref, tout recevait
une llouvelle vie, et la nation aUl'ait r.ecueilli le fruit de




57 1
ses souft'rances et de ses pertes, si I'on eQt suivi la route
tracéep~' les Cortes. Mais combien en differe celle que
1'0n a suivie., et quelle différence aussi duns les résul-
táts!


Malgré une année de paix et de ~ranquillité, nos
finances sont dans un état plus déploráble que jamais;
le crédit public est anéanti; les braves défenseurs de la
patrie sonl! nus, sans souliers, sans paie ; méprisés ou
proscrits; le laboureur gémit de nouveau sous le poids
des gabelles; le manufactnrier a vu reparaitre ses an-
ciennes entraves, et le commer9ant a perdu tOlla moyens
de circulation. Nos coIonies d'Arnérique sentent s'ac-
croilre chaque jour leurs ressentlmens ,en voyant leurs
dépntésemprisonnés, el le'!~pr()messes qu'on leur a fajtes
indignement. violées. D'un coté les eachots, de l'autre
la vengeance; partGut l'injustiee et le désordre : tel est
J'état de la malheureuse Espagne.


Concitoyens, iI fant que notre patrie périsse, on que
uous trouvions un remede a tant de maux. l/Euro.pe en-
tiere est interessée a ee que ce pays soit bien gou'"
verné : l'Europe entiere doit désirer devoir rétabJir un
gouvernement qui a tant contriblle a assurer l'indépen-:-
dance des autres peuples; un gouvernement qu'ont
reeonou les rois de Prusse et de Suede, ainsi que le
magnanime empereur de Russie, et avec lequel ils ont
traité. L'Angleterre, notre liremiere alliée, qui doit
son bonheur et sa richesse a sa constitution, et qui a vu
avec indignation la destruction de nalre systeme répré-
sentatif, et la persécution exercée envers Ieurs membres,
sera la premiere a louer notre patriotisme el notre éner4
gie, el a reconoaitre les Cortes.




57 2
Chacun nous applaudira, si notre eonduite conserve·


ee caractere de sagesse et de circonspection qui nous a
toujours distingués, el si, instruits pár l'expérience,
nous améliorons nos institutions d'apres· celles de nos
voisins.


Oui, concitoyens, nous agirons avec prudence : le
bien de notre pays sera notre seul objet; devant cet ob-
jet si grand, .si important, doi vent se taire nos opinions,
nos ri valités , nos ¡ntérets personnels.


Contraints par la nécessité; voyant que la vérité ne
peut parvenir .aux oreilles du Roí, toujours assiégé par
ses cOllseillers; a moins que cette vérité ne se présente
d'une maniere propre a la faire respecter; noos avons
enfin pris la·résolution terrible, mais'indispensable, de
réclamer les armes a la main ce qui a été r.efusé a na.
sollicitations.


Notre but, et eelui de toute l'Espagne, n'est autre
qu'une mon,ll'chie soumise a des loís justes el sages, et
constituée de maniere a garantir également les :préroga-
ti ves du trone et les droitsde la nation. Nous deman-
dons la con vocation de Cortes nommées par le peuple ,
el qui puisse faire, a la eonstitution proclamé e par les
Cortes extraordinaires, les changemens qu'exige nolre·
situation, que eo~mande I'expérience, et que. nous in-
diquent les lois eonstitutionnelles desmonarchies limi-
tées de l'Europe.


Elles rétabliront l'ordre dans nos finances; elles pren-
dront soin du sort des militaires, récompenseront leuri
ser vices, assureron~ leur existenee dans leurs vieux jours,
et feront, au dehors, estimer et respeeter la nation.


La noblesse, renon~ant a une légere portion de ses




37 5
priviléges, trouvera l'indemnité de ce sacrifice dans es
nouvelles dispositions constitutionnelles qui lui donnc-
ront une existcnce politiqueo Toutesles clas5es de la 50-
ciété verront s'améliorer leur situation ; les curés, dont
l'influence peut etre si utile, auront un traitement plus
élevé; l'agricuIteur, l'artisan, le comincr9ant, le manu- •
faciurier, jouiront de nouveau des avantages qu'ils
avaient commencé á retirer des changemcns faits en Ieur
faveur par les Cortes; et, grace a une sage administra-
tion des deniers publics, les créanciers de l'état pour-
ront espérer d'~tre indemnisés des avances qu'ils ont
faites et des pertes qu'i1s ont encourues, soit par leur~
sacritiees patriotiques; soit par leur contianee dans les
promesses du gouvernement.


Espagnols ! tels sont nos nlmx; tels seront aussi sans
doute ceux des Cortes, lorsqu'elles seront réunies. C'est
pour atteindre ce but sacré que la Galice invite toutes
ses soours a sejoindre a elle. Nous adressons la meme
invitation aux intrépides défenseurs de la patrie, a leurs
flignes officiers, a leurs illustres généraux, eufió aux Es-
pagnols de toutes les classes.


·}'ermes dans notre résolution, nous ne quittel'ons pas
les armes (si nous sommes obligés d'y avoir reCOUl'S )
avant d'avoir obtenu ce que nous demandons; et autant
nous serons disposés el serrer dans nos bras tout Espaguol
pret a se ranger SOtlS l'étendard national, aulant nous
serons implacables envers ceux qui, également ennemis
de leur pays . et de leur roi, aimel'aient mieux 1áisser
celuÍ-cí entre les mains de ses vils conseillers, que de
tenter de I'arracher a leur influence, et d'ouvrir ses yeux
sur leurs perfides intentions. Notre conduite serviraae




574
modele a celIe de nos adversaires. Les pr9priétés .ser.ont
respe.ctées , la liberté individuelle ne re~~vra aueune
atteinte. Mais malheur á ceux qui, ahusant de l'auguste
noro du Roi, se permettraient envers qui que ce ftlt,
Pinsulte ou la persécution ! lIs en répondraiept sur leQrs
tetes, et a défáut d'eux , cette responsabiJité retomherait
sur ceux. qui seraient jugés susceptibles d'etre pris en
otages. N ous sommes sQr.:i de la justice de la c"us~. que
nous défendons; et le monde verra que I'Espa«~~, qui
a su déployer tant de valeur guerriere pour le mai.otien
de son indépenclance contl'e l'étranger, est dispos~e a
la meme énergie pour protéger, au dedans, ses droits
et sa liberté.


21 sept~mbre 1815.


Ordre du jour de t' armée de !' Ue tú Léon, an-nonvant
te choíx raít par céttearmée, du coionel-Quiroga,
pOU'J' son g611,érq,l en chef.


(Page 87.)


LES officiers de l'armée d'outre-mer, tout dé'~Qé.6 alJX
intérets de l~pB:trie ~t d~s troup.es ... qu~ils .CGDunanden~,
ont résolu de prendre .les ~rmes. p,our empecher I' emb~r­
quement, et pour établir da1lS notre chbre E8pag~
un gouvernemen~ juste et. libéral, qui assure le bonheur
du peuple el des soldats. Un général qui ne d()it. pas . ses
grades au gouvernement qui ve~t nous s$crifier, pe"t
seul sauve~ l'armée et la patrie. Le. g~D~raJ choisi .p~r




515
t'armée elle-r;nemtb esHe colonel D. Antanio Quiroga ,
qui sera solennellement reconnu comll~e général en chef;
e'est a lui que chacun devra désormaisobéir.


Les soldats de l'armée expéditionnaire doi vent etre
convaincus des périJs auxqllcls ils seraient exposés s'ils
s'embarquaient sur des batimens a moitié pouris, afee
des vifres corrompus, sans autre espérance pour ceux
qui échapperaient aux tempetes (quandbien meme ils
seraient vainqucurs ), que de succomber a l'ardeur d'un
climat dévorant.


Lestroupes doivent se rappeler toutes les injustices
d'un gouvernement, qui a contraint a rester au service


. ceux d'entre les soldats qui,avaient accompli le temps
pour lequel ils s'étaient engagés; qui a trompé des ba-
taillons entiers, en les condl1isant par astuce jl1sque sur
les bords de la mero


Elles doivelit aussi etre persuadées, que tant que I'Es-
pagne sera sous I'empire de la tyrannie qui l'opprime,
il n'y aura paint de remede a tous les malheurs dont
nous sommes témoins. Elles doivent eofin se con'vaincre,.
qu'étroitement unies, et décidées a délivrer leur patrie ,.
elles ne seront heureuses que par l'établissement d'un
gouvernement modéré et paternel, et d'une constitution
qui assure.les droits de tous les citoyens. Alors- seulement
les soldats', COUl'erts de gloire, apres une campagne
aussi courte que décisive, 'rentrer<mt dails leurs- royers,.
oil ils recevrcmt les honneurs et les récompenses dus aux
services importans qu 'i1s auront rendus.


Les officiers oe séparel'ont jamais leur sort de celuí-
.les soldats qui, de Ieur cóté , doivent, en observan.t la:·
plus exacte discipline ,- développer la pI us grande énergie~




576
Le général qui marche a la tete des troupes , plein de


confiance dans les efforts de ses compagnons d'armes,
saurapunir avec justice ceux qui manqueraient a leur.
devoirs, et récompenser avec munificence, ceux qui se
signaleront dans une entreprise aussi noble dans son
principe, que faciJe dans son exécution.


Vive la Nation! Vive la Liberté! Vive le général
Quiroga. ,


Du 2 janvier 1820.


Proctamation du gllnéral Quiroga a l' armée.


(Page 11'.)


• SOLDATS!


» Placé a volre UHe par le choix des offieiel's de I'ar-.
mée, je vais vous parler avee )a franchise qui doit régner
entre des compagnons d'armes. Notre Espagne allait se
détruire, et votre ruine aurait entrainé eeHe de la pá-
trie; vous étiez destinés ti la mort, non pour réaliser,
la conquetc, déja im,possibte, Je l' Amérique, mnispour
déliVl'er le gouvernement de la terreur qu'iI a con~ue
de Totre valeur. Cependant vos familles seraient restées
dans l'esclavage le plus honteux, 50U5 un gouvernement
arbitraire et tyrannique, qui dispose a son gré des for-
tunes et de la liberté des malheureux Espagnols. SoIdats!
ce gouvernement devait s'anéantir avec la nation; il n'est
pos possible que nous le souffrions plus Iong-temps.




577
Violent el faibl~ a la fois, il ne pouvait inspirer que
l'indignation ou le mépris; et pour que la patrie Soíl
heureuse, il doit inspirer la contianee, 11 doit etre aimé
el respecté.


• Soldats! nous allons employer pour nOliS et pour
nos freres, les armes qui assurerent notre indépendance
contre toute la puissance de Bonaparte. L'entreprise est
faciJe et glorieuse. Se trouvel'ait-il un soldat espagnol
qui s'y opposAt ? Non! dans les rangs memes de ceux que
le gouvernement s'efforce de rassembler ,vous ne trou-
verez que des frere~ qui s'uniront a nou5'; et s'U 8'Y ren-
contrait quelques &tres" assez viIs pour oser tourner leul's
.armes contre nos t~tes., 'exter~inons ces,satellites de la
tyrannie,indign.es du nom espagnol.· Sol~ats, je compte
sur vous. Soyez les dignes fils de la patrie, et méritez.


. ce nomo Je VOus recommande l'union et la discipline.
J'aurai le plus grand plaisir a récompenser ceux qui se
distingueront; cependant, si que Iq? 'un de vous man-
quait a son devoir, il apprendra que J'autorité dont
on ro'a investí ne ro'a pas été confiée en vain, et que
l'énergie da,:lS un gouvernement qui marche vers sa ré-
génération, est supérieure a celle des despoles.


D Soldats! la victoire nous attend, et avec elle la gloire
et les récompenses que la patrie nous dispensera avec
munificence.


) Au quartier général de San-Fernando, 5 janvier 1820.


)) Le général en chef de I'armée nationale ,


» ANTONIO QUlB.OGA ••




Lettri{ du g¿nérat Quiroga au Rul.


(Page 117. )


L'armée espagnole, dont le sanget les ~acrifices inou15
replacerent volre majesté sur le ·trone de ses' aneelres, et
sous I'égide de laqueUe la nationsanttionna le code qui
devait fixer a jamais ses destinées" se sentít hlessée dans
son honneur'et :dán& son :patriotisme,' le jour OU , foulal1t
aüx pieds les I&is'~de'la reconnaissanee'et,de la justiee, '
yotre majesté rénversa'ce monumentde sagesse ,'ét'qoa-
Jifia d'áttentat ce qui n'était que l'ejpressicm' desdroits
les plus légitimes.


Sis: anoées ne purent faire ehanger des!sentimens aussi
profonds.Des mouvemens insurrectionnels'suscités A
ditrérentes époques, et en diversendroits,ouroRl con ..
vaincu votre majesté que ces sentimensétaient grnesdans
tous les C<Burs,etque si S8 personne auguste avai! été un '
objet d'adóration, iI n 'en étaitpás ainsi de,son systenle de
gouvernement, et des personnages, qlJi s~etaientmd¡gne ..
ment emparés de sa confianee. Le génie ds'mal étouft'a
partout le cri géné~\lx'de 'Ia;patrie , el les braves qui les
firént entendre furent immolés a l'iniquité, toujours
inexorable a l'égard de quiconque ose déchirer le voile
dont elle se masque, aux yeux fascinés du vulgaire
ignorant et crédüle.


Un sort aussi fuoeste n'épouvanta pas lescorps de




l'armée , expéditiO'nnaire d'outre - iner, pour élever de
llDuveall unevoix chere a tout Espagnol digne de ce tit~e
pr~cieu~. Bire ,ils I'ont élevée solennellement cette voix,
le t eJ• janvier 1820; ils 1'ont ~levée ,bien décidés a
nepoint tr-ahir le serment que re~ut la .patrie. Rien De
saurait ébranler Ieur fidélité; et Ieur sang n'est qu'ull
faíble sacritice ponr .couronner leur glorieuse entreprise.
Rendre laviea la Constitution de l'Espagne, voilá Ieur
,bul ~:proclameÍ' quec~est seulément a la nation, légiti-
memerit représentée, qu'appartient le droit de se donner
des ~Iois , 'voil.\ ce qui leur inspire les aceens d'un sublime
enthousiasme.
. Les lumieres de l'Europe , Sire, repoussént I'idée que
les iHitlotiS soient'~\1te .. nées' comme siellesétaient la
proprié~é 'des rois.' Les peuples réclament d'autres insti-
tutions; el le gouvernement repré~erilatif est regardé'
, eomme le plU8 anatogUe aux grandes sociétés,' do~t les
inditid1is ne sai.lraient se rassem'bler tous pour promul-
guer leslois: c'est le gouvernement des nations le,s plus
'écJaif'ée~ ,cehii que t01.Ítes souhaitent, 'dontla possession
atánt''eodtede tiéng,)'etdont famllis peupIe'. ne,~ut .pl~s
digné quel'Bspágné. ,',' ,: "';';"';~ t :",t ~h'.·


Pourquoi done cette nation, 'Iapius favorisée' de la na-
ttire,'se voit-elle privée du don le plus précieux qu'on
púisse recevoil' de 'lama:in des 'hommes P Pourquoi lui
est-il refusé de respirer I'air de la liberté civiÍé ,~et air
pur, qui seul vivifie le corps d'un état P Eh quoi! de vieux
préjugés, des syslemes avortés par la violence, des pré-
rogati ves vaines et frivoles, propres seulement el flatter
l'orgucil de l'ignoranee, des suggestions perfides, d'o-
dieux ravoris qui n'opprimeot un iostant que pour etre




580
opprimés l'instant d'apres, seraient-ils done des moti!.
assez puissans pour violer les droits de la raison, de la
just¡(:e? .••••• Les rois appartiennent aux nations: ils oe
soot rois qu'autant que les nalions le veulent. Les lu-
mieres ont converti en axiomes des vérités aussi simples;
et si les gouvernemens afl'ectent d'autres pl'incipes , e'est
le langage de la fausseté, de l'hypocrisie, et non pai
eeluí de l'erreur ou de l'ignorance.


Les vreux et les desseins de I'armée, Sire, sont de
proscrire a jamais cet odieux langage : la nation partage
ces memes sentimens, malgré la digue que la crainte et
I'habitude de l'obéissance oot opposée a leur manifesta-
tion. Les braves, vi~noent de la rompre, ceUe digue: la
patrie la rompra de meme. Les pays protégés par Ieur
présence rempli~sent I'air de leurs ,a~~lamations, en pr{)-
mulguant de, nouveau ce code sacré? qui n,'aul'ait dü l'etre
qu'une seule fois. Ces cris reteotiront daos toute la pénin-
sule, convertie en théc1tre de vertu et d'héroisme. Mais si
d'aussi flatteuses ~spérances devenaient illusoires, si des
vmux aussi purs' n'étaienl point exaucés, I'armée n'aurait
pas encore perdu le prix de ~es trava,ux; et mourir pour
la cause 'de la liberté ¡ui semblera bien plus doux que
de Ia~guir so~s. !ejql1g et les capriees de ceux qui, sédui-
sant le coour de' Yotre· majes té , 1 'elltrainenta' saperte.
; ¡,: '~u, ~~afli~r ¡g*D~r;~.~f1 ~~!l, - Fernando, le ,jan-
Tiér 1820. t.,¡,~


Comme orgalle de l'armée,


ANtOl1":1 QUIROGA •
. ' ,




Manifestede t'4rméede títe de Lton au Peupk
Espagnot.


(Page 117. )


u Les soldats de l'armée espagnole, qui ont embrassé,
au commencement de l'année, la cause de la patrie,
eroient' devoir lui exposer les motifs de leur conduite,
les démarches qu'ils ont faites jusqu'a ce jour, les sen ti-
niens qui les animent, elles espérances qu'ils nourrissent
en faveur de la llation . dont ils sont les fils .


. » 115 ne rappelleront point ici au souvenir de celte na-:-
lion la gloire qu'eUe a acquise jadis par ses vertus;
J'histoire l'a fail assez eonnaitre; et les EspágnoJs d'au-
jourd'hui, quelque différens qu'ils soient de leurs an ...
cetres, se plaisent toujours á admirer les monume~s de
leur héroisme~


, » Le pays des -Pélage, des Alphonse-, des Fernand,
des Gonzalez , des Cid était célebre dans le monde; son
heau sol, le plus fertiJe de J'Europe, s'enorgueillissait
de la gloire dont le couvráient ses héros; il n'avait rien
a envier aux autres nations, en fait de succes dans les
armes, dans les arts, dans la législation,' dans l'indus ..
trie, dans les sciences et la littérature; il était meme
pour plusieurs un modele et un objet d'envie. Invin-
cible~ dans la guerre, généreux et aimables dans )a paix,
les Espagnols se distinguaient par Ieur esprit, par leur
¡ntelligence, par la profondeur de leur génie el les sen-




timens d'honneur qui étaient si profon~ément gravé!
dansleurs coours.


» Comment se fait-il que cette nation, jadis la pre-
miere de l'Europe, soit descendue, depuis trois siecles,
au rang des étah subalternes el insignifians ?Comment
se fait-il que la nation qui dominait jadis sur l'Italie. les
Pays-Bas, la cote d' Afrique, les'immenses el riches pro-
linces de l' Amél'ique , ait commencé a décliner, du mo-
ment mi elle eut acquis de si vas tes états et une puissance
si' formidable P Comment se fait-il que l'industrie, les
sciences, les arts n'aienl pas fail autant de progres chelo
nous que chez les autres Européens? que le caractere
nationaI se soít profondément aItéré, aux yeux de,l' oh-
servateur, exercé a saisir les tJ,'aits de la pbysionomie
des nations? qu'un pays, en un mot, .qui devrait j()uer
un role si important dans le m.onde, soit privé de tOUI
les avantagés dont iI était si dig.ne?


,. Espagnols! i1 est aisé de .'ésoudre ce probleme.
Quand les nations deviennent une fois la propriété ab-
soIue d'un homme, elles sont condamnées au dépé-'
rissement; le bien public n'occupe plus les. citoyens.
Le désir de se dévouer a la seul-e grandeur du prince I
.. emplace le patriotisme el le. sentirnent de la gIoire.La
séduction, J'iatrigue, les vues sordides, l~iin.posture,
l~ trahison et la pef;fidi~. sopt autaqt. de. mauvais gé-
Dies q~i entourent lesl'Qis absolus et arbitraires. L'Es-
pagne a plus soufl'ert de ces tléaux qll'aucune autre
nation, depuis l'époque OU Ferdinand V commen~a a
river ses chaines. Le~ priO:~es de la.maison d'Autviche se
sont efforcés d'élever le systeme du despoti~we dont
nous connaissons si bien les résuItats. Depuis ce teDlPS ,




585
les peuples n70nt pl'us été comptés dan~ la politique; le.
représentans qur défendaient Ienrs droits ont disparu.
Des lor!; aussi, le principal but des ouvrages du génie a
été de flatter les passions des rois, de lesremplir de
l'idée de leur toute-puissance; personne ne s'est plus
inquiété des droits de ,I'homme, du bonheur des peuples,
de I'énergie qui fait la force des états ,des vertus qui
élssurent Ieur félicité et Ieur gloire.


• C-'est en vain que la oalion s'est m()otrée grande et
digne de son nom, quand celui qui donnait des lois a
l'Europe, a préparé, pour I'asservir, de perfides machi-
nations; les armées qui portaient la terreur dans les
autres pays, ne purent étoufl'er la volx généreuse de
PEspagne. Le feu, le fer, la destruction, tous -les ftéaux
de cette guerre ¡nouie, ne parurent que de Jégers sacri-
tices quand ji fallut venger I'honneur insulté. Non eon-
lente de combattre contre ses ennemis extérieurs, la
nation voulut détruire des ennemis intérieurs encore
plus dangereux, au moyen d'un gouvernement qui as-
surat la liberté -civile et la propriété. La Constitution fut
juree en face des baionnettes ennemies. Ces baionnettes
disparurent do territoire, et fennemi vit la fin de son
pouvoir et de son triomphe.


D Mais qoels avantages le peuple a-t-i1 tirés de ses sa-
crifices et de sa valeur? Qu'est devenu l'éditice dont la
loi avait posé les foodemens, et qui aurait do. etre iné-
branlable? Le roi, qui devait le plus a sa nation, tit le
premieréssai de sa force en le renversant; les peres de
la patrie, qui I'avaient élevé, furent traités en criminels.
Aimer et désirer le gouvernement le plus avantageux a
I'Bspagne, ce fulun crime de haute trahison. Les insti ..




584
tutions repoussées par .'esprit humain, et quiavaient
provoqué la derniere invasion, furent rappelées avee
une sorle de fureur et exalté es avee une détestable hypo-
crisie. On inventa le crime de m¿contentement contre
la personne royale, erime inconnu en Europe jusqu'a-
lors; les pl'isons, l'exil, rurent la réeompense de
ceux qui avaient le plus mérité de Icur patrie; des creurs


. ouvefts aux inspirations de la gloire, se remplirent de¡,
. terreur; et, a l'esprit de la liberté qui donne la víe auX
états, suecéda le souflle empesté de l'esclavage, qui
porte la mort eivile partout 011 il se fait sentir .


• Non! jamais nation ne fut plus insultée, plus arbi-
trairement traitée. L'Espagne donna, dans ces circon-
stanees, un exemple de patience qui étonna ·I'Europe.
Ceux qui voulaient faire eroire que son. enthousiasme
eontre la France avait été I'effet de la superstition,
triompherent alors de ceux qui lui attribuaient des senti-
mens plus généreux. En effct, quel soup90n eeUe apa-
thie extraol'dinaire nc pou vait-elle pas faire naitre ? A vec
quelle rapidité retomba eeUe nation qui avait pris un·
~ssor si sublime! Comment souffrit-eIle que l'édifice
qll'elle avait cimenté de tant de sang, qui avait coOté
tant de tra vaux, ro t renversé? Cornrnent présenta-t-elle
la tete au joug, apres tous ses efforts pour le seeouer P


» Espagnols! eette funeste faute vpus a jetés dans l'es-
clavage; elle vous entrainera a vatre perte si vous oe
vous ré veillez pas. Vous mettrai~ je devan t les yeux le
triste tableau de ses conséqueoces ? lUais pourquoi I'eo-
treprendrai-je·~ puisque vous les avcz vucs vous-mernes él
Qui n'a pas resseoti douloureusement la faibJesse d'un
gouvernemerit, sans caractere, sans principes, sous le-




585
quella nation est nuUe dans la balance politique de l'Eu"
rop~? Qui n'a pas été indig4né de la corruption ode ses
agens, des abus criminels que tant de fonctionna!ros ptt-
blics ontfait du pouvoir déposé dans leurs mains; enfin,
de la métamorphose de l'Espagne en ~Q.- théatre de vol
et de pillage, ou celui qui faisait le plus de butin était le
plus estimé? Qui n'a pas éprouvé une pénible tristesse
en voyant ces sCEmesde calamités publiques, les champs
incultes, le commerce détruit, I'industrie paralysée, les
lois impuissantes; la licence impunie, la sOreté pu-
blique violée, les délateurs triomphans, et la misere
trainant partout a sa suite une affreuse . corruption; en
un mot, une natioll tombant comme que masse inerte,
des ses premiers pas, dan~ la roule des prospérités que
luiouvrait une nouvelle vie?


» Ces IDaux, dont nous De présentons qu'une faíble
esquisse, déchirent le creur de tous ceux qui soupirenl
au doux nom de patrie. De généreux Espagnols qui se
sont levés franchement pour les détruire, ont été victimes
de la perfidie °et de la force armée qui devient le fléau
des nations, quand les nations sont dans la servitude.
Les supplices, l'exil, 001 été les tristes fruits eJe letirs
efl'orts héroiques; le mécontentement croissait avec la
misere; les honnetes gens pIeuraient Ieurs dignes défen-
seurs, et répétaient leurs nom~avec les accens de l'ad.
miration el de l'affection qui le~uor sontdues.


)) Les malheufs de ces braves n'ont point intimidé le
corps de l'armé~ nationale, qúi s'est présentée bardi-
ment dans une arene si ferlile en célebres catastrophes ;
les miseres de la patrie ont arraché aux troupes la dé-
claratioo qu "elles ont faite de la re odre heureuse ou de .


25




586
mourir pour elle. Rétablir le pouvoir des lois, el faire
jouir la nation du droit de régler ses pI'opres intérets,
tels ont été les motifs qui seuls les 6nt engagées a arbo-
rer l'étendard national. Leur premiere démarche, en
prenant une tene résolution, a été de proclame!' la Con-
stitution poli tique de la monarehie espagnole, objet de
prédilection et d'amour pour tous ceux quiveulent ar-
demment le triomphe de la justice ; toutes leurs autres
actions ont été dirigées d'apres eette regle saerée.


» Les,désordres, la violence, n'ont point souillé .Ia
gloire et lavaleur qui distinguent les soldats de ectte
armée; les propriétés ont élé respectées; la tranquilJité
publique a été maintenue par la plus exacte discipline;
et I'on devait attendre des creurs espagnols le respeet de
loutes les inslitutions religieuses. L'armée elle-meme n'a
éprouvé d'autres changemens que eeux qui etaient abso ..
lument lléeessaires pour' son organisation. 80utiens el
boulevarts de la patrie, les soldat~ ne sont pas légisIa-
teurs ; ils consaerent leur valeur, Ieur énergie, leur sang
a la noble ambition de se soumettre aux lois fondées sur
l'équité et la raison.


» Peuple d'Espagne, peuple brave, génél'eux el grand,
peuple appelé par Totre destinée a etre le premier sur le
globe, unissez-vous a vos enfans; posez les bas,es des
lois qui constitueront votr~ prospérité et votre .grandeur ;
osez faire us~ge de vos c(roits, et retablir ce que vous
avez sisolennellemeot promulgué. Saos lois, il n'existe
plus d'étal; sans loís sanctionnées par des représclltans,
il ne peut y avoir de liberté dvile, le plus grand bien
dont puísse jouit un titoyen. RecueilIez , aujoul'd'hui ,
lei fruiti des lumieres et de l'expérience des siecles;




587
donnez au monde ce grand spectacle qu'i1 attend de la
mition , qui a communiqué le mouvement a l'Europe.


» Ne souffrez pas que ron dise que I'apathie est votre
élément, et que les fers de l'esclavage peuvent seuls
vous convenii. Unissez-vous a vos fils qui n'aspirent
qu'~ l'honneur sublime de les briser. Leurs armes et leur
sang sont ¡\ vous; et des milliers de bras n'attendent
que votre ~ignal. Qu'attendez-vous? Quel obstacle vous
ancte? Qui s'opposera a Iavolonté de tout un peuple ?


» Espagnols, si VQu,s De prolltez. pas d'une pareille
occasion ; si vous ne sentez pas tout le prix du rayonde
bonheur qui commence a paraitre, 'ne soupirez plmi, ne
ne vous plaignez plus ~ vous aurez mérité de souffrir les
maux que vous éprouvez; les I arme s que vous versez
n'exciteront la compassion de personne. Si, 'par volre
pusillanimité, nous ne réussissions pas dan s une en-
treprise aussi noble, nous aurions dumoios la glorieuse
satisfaction de J'avoir commencée. Quel que soít notre
50rt, il devra etre envié de ceux meme qui sont abat-
tus sous le souffiede lacorruption, et qui, daos leur
ignomioie, n'échapperont pas aux poursuitei d'un re-
mOl'ds éternel.


» Corome chef et organe de l'armée ,


» ANTONIO QUIROGA. II


13 janvier 1810.




588


Of'df'e du jOUf' d'U générat Campana a la garnüon,
deCadiw.


(Page 20'.)
Cadix, 11 Uiars.


,VIVE L'E JlOI! Vive la Religion! Honneu!' aux braves el
Ioyales troupes de la garnison de Cadix! ' Leur fidélité et
Jamaniere décidée dont se sont conduites les troupel
de la garnison de cette place, dans la journée d'hi~r,"
J]léritent tQute la reconnaissance des sujets du ,Roi, et
cene du général qui a l'honneur de les comm,and~r.


Au nOIn de Sa Majesté, j'off're a Ml.\I. les chef s , olÍi-
ciera, el autres individus de la garnison, les plus virs
r{!mercimens, pour leur brillante conduite militaire


Signé CAMPANA.


Manifeste de la Junte suprémede" Galice.


(Page 226.)


GALlCIEl'(S géné'reux, illustres Espagnols des deux mon-
des, déja la perversité était parvenue a la5ser votre pa-
tience, a mettre le combIe a vos souff'rances. V ~us fO.tes
de tous temps, au.x yeux des nations, un parfait modele
de fidf:lité envers vos rois. La loyauté castillanne passe en
proverbe chez les nalions étrangeres, et ce renom glo-




389
rieuJ:deviendra l'admiration des sibcles, lorsque l'histoire
leur retrac'era, en caracteres de sang'1 I'heroisme de tant
de milliers de victimes, abandonnanl; dans le deuil et la
désolation, 'Ieurs peres, leurs épouses, leurs entans et
leurs freres, pour s'immoler sur l'autel de la patrie qui
les inspirait, non pas dans un intéretqui lui füt personnel,
car les nations ne perdent rien au changement des dynas-
líes, mais pour rachetcr un roi qui en était l'idole, au-
tant par les heureuses dispositions qu'il annon~ait, que
par les persécutions auxqueIles il avait été en but, lors-
qu'il était en.core presqu'au berceau~ Combien de peres
dont le fer de l'usurpateur moissonna les enrans, uniques
et chers appuis de leur vieillesse'! Combien de fortunes
dévorées par les sacl'ifices inspirés par l'amour du prince!
Rien ne Cut épargné; el les sources de la prospérité pu-
blique, que l'insatiable cupidité du dernier gouvernement
avait déja essayé de tarir, s'épuiserent dansles généreux
etrorts du patriotisme. Apres tant desacri6ces,. parmi les-
quels on ne compte pas te danger qui mena9ait él chaque
instant votre existence et troublait 'Votre repos, vous
TOU!! attendiez enfio él Toir luire le jout· de gloire qui,
en vous rendant un roi, unique el digne objet de vos
vooux, vous assurerait eh· tneme temps· le prix de vos
travaux dans le libre exel'cice de vos droits. Malheureux.
Espagnols , liélns t que vos espérances rurent cruellement
dé9ues! Une abominable' facllan d'égoistes s.'empara du
5ceptre pour le tremperdans le sang des hommes illus·
tres, immoI1alisés-, non moins par leurs vertus et leur
sagesse,. que par la modération et le désintéressement
qu'ils avaient déployés, en renon9ant, meme aux ré-
eómpenses dues aux services rendus par. eUI pendant et




59°
qnelque. temps apres t"exercice de leul!pouvoir; et i'in-
Ilombrables familIes furent enveloppées dans la persécu~
tion élevée par des ames crueUes,. viles, et inoocessibles
a taut sentiment d'honneur. La dictature d'un :Sylla. ne
-pl'ésen\e qu 'une faihle ébauche des- odieus-es pFoscriptions
qui nO\Js priverent de tant de citoyens chers a·la patrie,
de riches capitalistes; d'individas de tQut état; en u&
mat, de cette fouJe d'hommes rares, nés pour élev.er la
llation au tlegré- de pFospérité et d'opulence marqué par
la nature de SOft sol, et par sa posiooa gé&graphique. 00
ehercherait en vain la raison d'uBe mesure aussi impoli-
tique, auss'¡ abominable: aueuo. publiciste ne I'a prévue
ni con-signée dans ses écrits; mais Locke, le plus céle~re
peut-etre de ceux du derllier siccle, MUS apprend que-
lorsqu'une f0rce ennemie s'empare de la cour ou de la
métropole d'un état, le sang ne pouvant plus des lors
circulef- du coour aux extrémités du corp!; politique, ce-
lui-ci meurt,. et les individus qui le c<.>mposaient ren-
trent dans le droit naturel d'adopter le gouvernement
qui Ieur convient le mieux. Quel est done le crime de
tant d'infortunés , victimes de la fureur d 'une facti()o san-
guinaire P Serait-ce d'avoir organisé un gouvernement
apres la dissolution de eelui qui i'égissait I'Espagne., et
lorsque les cohortes de I'usurpateur occupaieot la capitale
et presque toute la péninsule P ~rait-ce d'avoir établi
lme constitution qui ,_ bien qu'elle ne soit point I'ouvrage
le plus parfait de l'espl'ithumain,ainsi qu'Adams qualifie
avee exagération ceHe de l' Angleterre, est cependant une
amélioration sensible de loutes eeHes des divers peuples
fJui composent aujourd'hui I'Espagne? Ser~it-ce enfio
d'avoir reconnu la d'ynaatie des BourhoftS dans la per ..




59 1
sonne ét la descendance de Ferdinand VII, quand nous
étiQns tout-a-fait libres d'en· reconnaitre un autre~ C'en
,aerait un plutot, sans doute : oui, c'tm serait un, que
d'avoir prodigué tant de sang et de trésors pour rétablir
le trune de ce prince, alors qu'<i un prix bien moins
onéreux ón e"Ot pu agréer .Joseph Bonaparte. Cependant..
de pedides conseils porterent Ferdinand a déchirer la
Charte constitutionnelle du 19 mars 1812, ou se trou-
vait consigné son premier, son unique droit a une cou ...
ronne que son pere et l~i-meme n'avaient pu conserver;
c'est ainsi que sans d'autre titre que la force, et a la fa-


,Vl.'!ur de son décret du 4 mai, par lequel on annon~ait
lme nouvelle con vocation des Cortes, qui n'eussent ja-


. mais été, en efret, qu'un vain simulacre de eeUe auguste
assemblée nationale, nécessaire 'pour voter l'impOt,
Ferdinand ,franchit violemment les degrés du trone!
Bientot l'efret de ses promesses devint illusoire, et six
années d'un gOl,lvernemenl arbitraire fournirent la preuve
qn'on n'avait voulu que tromper le peuple. D'abord, el
contre les meilleurs principes d'économie, on imposa
une contribution générale, directe, exorbitante, et sans
équité: on l'exige~ d'une maniere injuste et vexatoire ,
et non-seulement il ne fut pas question d'apporter une
réforme dans la fourmilliere d'employés des finances
(seul avanlage attacpéa la contribution directe ); mai!
oñ en ·grossit considérablement le nombre, en envoyant
dans les provinces, pour dévorer la subsistance du peu-
pIe, des troupes de commis, chargés de la formation
d'une prétendue statistique qu'ils ne connaissaient pas,
qui deyenait des lors impossible a établir, et qui,
toujours impal'faite, par cela meme qu'elle était suictte a




592
efes 'tariations q'ui se reproduisent a I'infini, a raison de
l'altération des valeurs, dugente et de la qualité des.cul.
tures, de la. transmission et de la divisio'D des domaines,
él du changement physique du territoire, exigerait en- .
core un siecle de tra ~"ail, comme ceHe de Milan, la seute
qu'on sache etre parvenueau degré le moins imparfait
qu'on puisse atteindre. En un mot, le désordre en ma-
tiere de finances parvint a son comble, et donna la me-
sure de celui qui s'était introduit dan s toutes les aulres
branches- de l'administration publique. C'est ainsi que .
par l'ineptie de nolre cabinet nous perdimes toute consi~
déralion chez les puissances étrangeres, alors meme que,
par notre vaillance, il nOllS eüt été permis de commander
les égards de l'Europe~ Naus nous trouvames ainsi ~ans
trésor, sans crédit, et surtont sans marine ,élémenl dont
nous avions un si grand besoin pour conserver nos Amé-
riques, et pourvoir a notre languissant commerce; notre
armée était découragée et vouée a la misere, pour prix
de l'héroisme qu' eIJe venait de développer dans la guerre
de l'usurpation ; l'administration de la justice, ce premier .
bienfait de la société, le plus cher des intérets qui prési-
derent a sa naissance, et"le seul qui puisse en garantir la
conservation, fut confiée aux mains chancelantes ,de ma-
gistrats plongés dans la détresse, tandis que le lmre de la
cual' élevait·de somptueux édifices qui éngloutissaient
les deniers publics. Les hommes de mérite rurent écartés
des affaires ,el délaissés dans I'obscurité, tandis que
les avenues du trone étaient obstruées par d'ineptes flat-
teurs qui accapa~aient les emplois et les dignités de l'état::
on vit alors les sicaires du despotisme jouir d'une faveur
saus bornes: les corps dépositaires d'une autorité légale~.




595
Jes fonctionnaires publics réduits a la nullité par la subro-
gation de ces camarillas, enfantées, et nourries dans
les téneb'res, et 'dont les membres, la plupart inconnus
et sans carar.tere, bouleversaient impunément l'ordre
public; le rétablissement des jésuites: dans des circon:..'
stances ou l'on pouvait a peine pourvoir a l'entretien in-
dispensablement nécessaire au cle'rgé: la provision des
grands bénéfices ecclésiastiques vacan s , lesquels for-
maient déja une des plus riches ressources de l'état; I'a'-
liénation ~'une partie de nos possesions d' Amérique ; la'
guerre contre nos freres, dans une vaste région du meme
continent: en un mot, la dissolution totale de toutes les
branches d'administration , le rel§chement de tous les
liens de la société, l'épuisement et l'obstruction de tous
les canaux de la prospérité publiqüe , les manreuvres se-
cretes, les inquisitions; les cachots encombrés de vic-
limes; les échafauds , toujours dressés pour éteindre les
étincelles du feu \du patriotisme, qui se manifestaient
avec une ardeur et une activité, égales a la stupidité et
a la barbarie d'un gouvernement qui s'obstinait a ne
pas reconnaitre qu'il fallait ou revenir sur ses pas,
ou périr dans les flammes.......... .


Espagnols, tels ont été les fruitsdetant de sangrépandu,
de tant de calumités supportées avec courage, et dans
le seul espoir d'assurer le rétablissement de Ferdinand !
Ce n'est pas lui toutefois qu'il faut accuser de pareils
désordres : non, jamais les rois ne sauraient agir sciem-
ment contre les intérets des peuples, qui sont aussi les _.
leurs. De~ ministres peners , ineptes et avides voila les
vrais, les seuls coupables, les seuls responsables des ma ux
qu 'ils ont causés a 'la nation. e 'est aussi contre eux, braves




soldats , Galiciens coürageux, que vous avez poussé re
cri de l'humanité qui vous preserit le devoir de la con-
servation. Oui, e 'est eette loi éternelle , ectte loi de la.
nattlre qui vous a inspiré le mouvement généreux, spon ..
tané, par lequel vous venez de proclamer votre . liberté et
votre fidélité au monarque , sous les anspiees de la Con-
stitution de 1812, promulguée, jurée et mise en vigueur
par le voou unanime de la nation el l'époque du retour
de ce pl'Ínee. Toute la Galiee, eette vasle provinee qui
compte deux millions d'habitans, vient de faire éclatcr
ces sentimens, qui sont ecux de tous les Espagnols des
deux mondes: eeux qu'a proclamés l'armée expédition-
naire qui ,. voyant au~menter journeJlement ses fC?fees
dans l'i)e de Léon, pal'court les Andalousies, el l)rotége
le systeme de liberté tivile que ·les peuples brülent de
de rétablir. CeUe explosion n'a pas coüté une goutte
de sang, et le meilleur ordre regne dans toute )'étendue
de cette vaste provinee; honneur a la civilisation 4!t aux
moours de ses hahitans, a l'uniformité de leurs .sentimens ,
et a la sainteté d'une cause marquée du seeau de la justice,. .
de eelui meme de notre auguste religion ! Que pourrait
désormais la perfidie eontre des vooux si solennels? Vai-
nement tenterait- elle d'égarer éncore la doeililé du roi
dans les sentiers de J'erl'eur. Lui-meme peut aujourd'hui
mesurer de. ses propres yeux toute la profondeur de ra-
bime qu'ont ereusé sous ses pieds quelques misérables,
qui n 'ont cherché qu'a satisfaire leur cupidité personneUe,
aux dépcns de 5a gloire et de l'amour de ses peuples.
Vainement ces pedides tacheraient-ils de. dénaturer vos
sentimens, et de· les lui présenter comme des atteintes .
portées a l'inviolabilité de sa personne. Espagnols , ce




595
pacte consacre en principe que la personne du roi est
'inviolable et sacrée, et qu'eJle n'est ,sujette á aueune
responsabilité; cel axiollle, dontnous avions juré le
maintien sur les saints É v3ngiles, est maintel\ant horl
toute atteinte. Vainelllent enfin ces hommescruc)s ose'"
raient-i1s nous résister, et se flatteraient-ils de la possi-
Mlité de maintenir avec leur puissance, le systcme de l'ar-
hitraire et du désordre... Qu'ils se désabusent; toute la
nation est prete, toute I'armées"estunanimementpronon-
cée. Malheur au misé rabie qui oserait opposcr une résis-
tan ce criminelle, a la volonté générale qui a proclamé l' or-
dre constitutionnel, pour assurer notre félicité avec celle
du monarque, et consolider cette union pr~cieuse dont
l'ineohérence de nos anciens reglemens avait relllché tous
lesliens t Qu'i1s tremblent, les monstres qui seraient
asscz téméraires pour se montrer hostilement aux yeux
de la nation! Et sous quel masque auraient-ils l'audace
de paraitre ? Essaierait-oll de révoquer en doute l'axiome
inattaquable et sacré, « que les peuples s'appartiennent a
eux-memes, qu'ils ne sont la propriété ni d'un hOlllme,
ni d'une famille 1» Voudrait-on méconnaitrc le droit im-
pre'scriptible qu'ils re9urent de la nature de se donner la
forme de goúvernement~ qui peut mieux Icur convenir,
sans toutefois porter atteinte au repos des autres
peuples ? Sous quel prétext~ viendrait-on les troubler
dans leur intérieur, quand ils se tiennent rcligieu-
sement dansles hornes de la motlération , qu'ils res-
pectent le droit des gens ? Leur contesterait-on· la
faculté de secouer le joug de I'arbitraire et du despo-
tisme ministériel, les moyens d'arracher un roi qu'ils
chér~sseDt aux sédllclions .de quelques conseillers per·




°96
lides, en horreur a la nation, et la douce consolation do
tui offrir un tr6ne dans leurs coours? Esp~gnot's ,. il n'y ~
que la fOf(;e qui puis1!e fouler aux pieds des droits aussi
sacrés: mais ct!Ue force n'existe point, el lors memo
qu'eIle existerait, elle serait encore impuissante contre le
voou bien pronoueé de quinze millions de braves, qui ne
veulent que la Constitution qu'ils ont jurée iI y a huit ans,
qu'ils avaient mise alon en vigueur, et qu'ils veulent
rétablir pour aS5urer le bonheur de la nation el du roi;
mais qu'ils rétabliront sans effusion de sang , san s vexa-
lions et san s désordre, prenant toujours pour guides la
modération, la' douceur et la fraternité. C'est l'assuranc6
que donne a tousles habitans des Espagnes le loyal et
brave royaume de Galice, et en son nom la Junie de
gouvernt!ment qui le préside.


A la. Corogne, le 5 mars 1820.


Pour la Junte Sl1pr~me ,


PIEl\DE DE AGAR, pr¿sident.


FIN.


ERRATA.


Page ,4~ lignee;6 et, : le souvenir de 1814était re-
devenu present a tous les souvenirs ; tisez: Le souvenir
de 1814 était redevenu présent a tous les esprits.


Page 86, ligne 12 : des lors se renouerent lesliens;
tisez : Des lors se renouerent, entre les officiers de tous
les grades, les Iiens etc.


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