LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE o u V R A G F S D U JI 1~ M E A U T E U H ...
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LA FRANCE
POLITIQUE ET SOCIALE




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o u V R A G F S D U JI 1~ M E A U T E U H


LlIHL\.ll\IE GEIDIEl. lL\ILLlf:lm ET Ci,'


Les Problemes de la nature (1861;. t YO!. in-18 de la lfiIJliut/I(]ljw01e 1JIU:-
losophie contemporainc . 2 50


Les Problemes de la vie (186'1). 1 \"()l. in-18 de la lJiIJlolhl;l/llC de philosn-
phic contemporaine. . '2 JO


Les problemes de l'ame (1868). 1 yol. iu-lb dc la fJ/[,liolf,l''f/lC de ¡!luloso- .,
phie contemporaine . 2 ~)n


Les Problemes (l'éunion des tl'ois YOIUlllCS ]Il'écédcnts).l \"01. ¡n-co. 7 50
La Voix, l'Oreille et la l'IIusique (1867;. 1 yol ill-18 de la Uilll/ol!u]r¡ne di' ~


philos0l'hie contempora i ne . '2 l.j.}--/
L'Optique et les Arts (18W), 1 \ul ill-U'; de la lJilJlilJ!!u!'jUC de'1'JÍlilu-


sophie contemporainc. .. .... 2 ;-)0
Les États-Unis pendant la guerre (souvcnÍl's penollr.Jls, 1861-18(5).


1 vol. in-18 de la BiIJliulhcljue d'histuire conlelr¡.loroilie.. 3 50
't\\~ \1\\\ttq ~t\\.\t~ q\\Ü\\'{, t\\t Wí\'i \\~\)\.\~\f.)). \ 'VD\. i\l-~,\ e~w~. ¡~. ü p.
Lord Palmerston et lord Russell (18/7,. 1 vol. ill-18 de la LJ ilJllo/ltcljllC


d'histoire con/em.poraine. . . :3 50
La France politique et sociale. (18/7), I "01. in-~",


LIBRAIRIE CAL:\I.\:-¡.'i-LÉVY


Grandes Figures historiques (18/5). 1 vul. iu-tc.


LIBRAlRIE HACHETTE ET c ie


L' Angleterre politique et sooiale (18/3). 1 vol. in-I i'.
Études solentifiques (1862). 1 vol. in-ti'.


LUlRAlHIE E. I'LO;,\ ET c ie


Italie, Sielle, Boheme, notes de voyage (187.2). .


LlBRAIRlE GAUTHlER-VILLARS


SJ.¡nt.])clli~. - Illlp, Gil. LU\BI-;I\T, t7, me de 1'J.l'i~.


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1 50


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LA FRANCE


l' A. n.


AUGUSTE LAUGEL


PARIS
L 1 B R Al H 1 E G E R ~I En B A 1 L L Il': H E E T Oc


108, HOULEVARIJ :;AI:\T-GER:\L\IK


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LA FRANCE
P o L 1 rr 1 Q u E E l' S O e 1 A L E


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CHAPITHE PREillIER


R.\CE. - FUIDL\TIO:\ 1>E L.\ R.\CE. - SES LHVEH.S
I~LI~:\IE:\TS.


Il cst malaisé de juger un peuple quelconque, plus
malaisé de juger son pl'opre pays. L'ignorance de soi
est plus profonde dans les nations que dans les indi-
vidus. Qui ose se fiatter de connaítre la France; les
sources de son génie, la lui de son développernent; de
dire meme avec exactitude Ol! et cornment elle a COl1l-
meneé, comment s'est formée dans la nuit de l'histoire
cette puissance a la fois idéalc et matérielle, qui a tenu
ettient encore une place unique dan s le monde? Cha-
que siecle, en renouvelant les études historiques,
recornmence en quelque fagon rhistoire, la colore,
rinterprcte, en rcfait la pbilosopbic an gré de ses pas-


LAljGEL. 1


,N' ...




2 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


sions, de ses désirs. Augustin Thierry a critiqué tous
ses devanciers et montré la vanité de leues systcmes: '
lui-méme avait-il raison quand il pensait qne tout le
mouvement de notre histoire tendait á amenel' ravé-
nement au pouvoir des classes moyennes et féta- •
blissement du régime constitutionnel? AHjour~'hui,
devenus sceptiques, nous sommes surtout occupés a
tirer de la poussiere du passé les documents originaux,
nous amassons, san s choix, des matériaux sans nom-
bre; mais ne sommes-nous pas, au milicu de tallt de
richesses en désordre, comme un homme a qui ron
montrer~it les pierres éparses d'un chantier, sans lui'
donner le plan de l'architecte? Nous usons nos furces,
nous nous oublions dan s mille détails, 110US recom-
men<jons mille vies, nous souffronsd'ulIe gestation qui
11 'a point de iin.L 'action est la loi de la vie : l.a jeullesse
le sent bien, guí dédaigne instincti vement les tl'tt vaux
historiques; la contemplation uu passé est uevenue le
plaisir des ames inacti ves, ou la ressource des {tmes
lassées, qui se consolent de leur impuissance par la
vue du lléant de la gluire.


Les sociétés humaines sont cunduites it len!' destinée
par des forces secretes: si elles cOllnaissaicnt ces forces,
elles pourraient lutter contre elles) COl11me l'inuividu
résiste h l'appel de ses passions. l\Iais commCl1t un
étl'e a mille tétes, mille VOl011tés) qui 11 'a ni commcn .
ccment ni fin, qui 11aH sans cesse et meurt san s ces se,
pourrait-il se connaitre et a voil' une conscience claire de




Fon~IATlON DE LA RACE. - SES DlVEnS ÉLÉ~IENTS. :3


soi? L'hq,mme peut devenir, pour ainsi dire, son propre
juge; iI a un idéal, une vie morale, une mesure; il se
glÍide par l'esprit, iI commande a ses instincts, les disci-
plinc, les regle. Nous voyons les nations, au con-
trairc; suivre presque fatalemcnt des instincts ;.e11es
n'ont qu'une conscience et une inte11igence diffuses,
peu capables de les en détourner. Le génie politique
ne consisw-t-il pas a deviner, au milieu de la confu-
8ion des intéréts privé s , les instincts nationaux les
plus profonds, les plus fixes, et a leur donner satis-
faction? L'homme d'l~tat; en incarnant les besoins
d'un peuple, se dépouillera presque forcément des
délicatesses, des doutes, des angoisses de la pure mo-
rale; iI est quelque chose, de plus et de moins qu'un
homme ordinaire: 1'égo'isme, l'oubli des injures, 1'in-
gratitude, tout sert a ses grandes fins.


lEen sans doute n'cst plus difficile que de discerner
les instincts nationaux sous le déguisement des lois,
des théories et des idées, dont le regne est souvent
aussí absolu qu'éphémere. Qui pourra écrire les « ca-


, racteres » dcs peuples, comrne La Bruy(;re a écrit ceux
des hommes ele son temps? L'entreprise est trop auda-
cieuse : et si ron arrivait a bien peindre une nation,
on n'aurait pas encore expliqué pourquoi elle existe.


On comprend qu'il n) ait qu'un peuple dan s une
ile: encore a-t-il fallu beaucoup de temps pour effacer,
par exemplc, les vieilles divisions de l'Angleterre et
de rÉcosse; mais, géographiquemcnt parlant, qu'est- ce




,.
:! LA FlIA:\'CE POLITIQUE ET :3nCIA LE.


que la France, Ol! sont ses frontieres naturelles'? Elle
a été de tout temps béante, po u!' ainsi dire, trouée h
rest et au nord, poussant ou l'eculant ses limites pré-
c~tires au gré des événements. Elle ne constitue pas
une province naturelle absolument close, comme rEs-
pagne, l'Italie. Le Rhin elÍt-il été longtemps sa fron-
tiere naturelle, elle n1en eút pas moins été un pays
plus accessible, plus ouvel't, cal' les fleuves arretcnt
bien moins que les 1110ntagnes les races, les langues,
les idées. La géologie a découvel't les traits qui don-
nent aux diverses contrées (les caracteres pal'ticuliers,
et réduit a de justes proportions le róle que les an·
ciens géographes attrilmaient aux vallées. Elle nous
montre le squelette ancien de la France duns le grand
plateau central de rancien pays des Arvernes, région
pauvre, sorte d1íle que le flot des invasions a res-
pectée, aussi bien que dans la Bretagne, autre ile gra-
nitique et asile des races celtiques. Dans la région
du nora de la France, les géologues ont tracé une
série de bassins fol'més par les couches jurassiques
et crétacées. Chacun de ces bassins se termine par
des falaises naturelles, et ces larges gradins sont les
défenses naturellcs et snccessives au centre desquelles
se trouve Paris. Le plateau central, a dit justement
,


Elie de Beaumont, est comme un póle répulsif, une
ten'i: plus solitaire et plus vierge; le grand bftssin
géologique du nord, uouccment creusé et ouvert lar-
gement ve1'S le llorel, est un pole attractif, ou les




FOR)IAT[()~ DE LA RAC,E. - SES DIVERS hÉ~IE~TS. ;)


émigrants et les conquérants sont venus chercher
l'abondance. e'est comme un immense golfe ouvert a
toutes les invasions. Au midi du plateau central,
la Ft1tnce est défendue par les Alpes et les Pyrénées;
mais Rome, maítresse de la Méditerranée, a aisément
conquis le littoral méridional de la France et le bassin
du Rhóne. Aucun obstacle sérieux ne la séparait, une
fois en Provence, de la vallée de la Garonne.


1


La distinction si ancienne du Nord et du Midi, ne
repose pas seulement sur les différences de latitude.
Les bassins du Midi ont été ouverts surtout a ]'in-
fiuence latine, le bassin du Nord a l'influence germa-
nique. La Bretagnc et l'Arvernie sont restées comme
des Hes celtiques longtemps impénétrables. Le bassin
de la Loire, placé entre le Nord et le Midi, allant de
l'Arvernie a la Bretagne, est devenu comme le point
de rencontre de toutes ces infiuences, le creuset des
trois races: la s'est développé d'abord un génie tout
particulier, frangais par excellence, d'abord frais et
tendre comme les jeunes blés, empreint d 'une grace
légere et toute nou velle.


Un ne saurait sans doute exagérer la part qui doit
étre attribuée a la vieille race celtique dans la forma-
tion du caractere frangais. Si la trace celtique est




(j LA FRA~CE POLlTJQUE ET SOCIALE.


encore SI profonde en Angleterrq, combien doit-elle
rétre davantage en France! Rome a tout modifié dans
la Gaule, mais elle n'a guere changé la race : elle a
été parmi nos aleux' ce qu'est aujourd'hui l'Angle-
terre dans rInde; les rajahs qui font le voyage de
Londres, et qui en copient les modes, ont-ils une
goutte de sang anglais dans les veines? Il faut distin-
gner pourtant entre la Ganle narbonnaise et le reste
du pays. Le long du littOl'al méditerranéen, le mariage
des races a dCt se faire incessamment, et ron rencontre
dan s le midi de la France un type qui ne se distingue
guere du type italien.


Nous voudrions bIen connaitre aujuste ces Gaulois,
dont le nom seul a quelque chose qui nons remue~
Les vainqueurs sont-ils toujours bon juges de~ vaincus?
« Les Gaulois, dit César, sont presque tous avides de
changement. On les a bient6t agités et poussés au
combato » Il les peint curieux, avides de nouvelles,
de récits, superstitieux, crédules. Leur courage touche
en maint endroit son creur sec et hautain. On sent dans
ce courage une sorte de folie; les guerriers se dépouil-
lent de leurs vétements, dédaignent les armures. Ils
semblent courtiser la mort: les gladiateurs gaulois
versent leur sang comme de rean. Rome admirait
sans le comprendre cet hérolsme dédaigneux; le bar_
bare aux cheveux rouges voyait au dela de cette vie,
il regardait dans l'infini. Ses foréts sacrées lui avaient
révélé le Dieu inconnn. Le génie celtiqúe dédaigne




Fon~IA TlO:\" DF. LA nACF.. -- SES DIVERS I~LÉMENTS. I


les faits, il les nie, les soufflette; il est insurgé contre
le temps et I 'histoire. Il convertít les défaites en vic-
toires, humilie les forts et grandit les faibles. Il
pardonne tout, hors la petitesse. L'esprit de la che-
valerie vit déja dans le barbare gaulois. Quelle no-
blesse dan s ce Vercingétorix qui, apres la défaite, se
donne en sacrifice aux siens; ( pUiSqll 'il fallait céder
á la fortune, il s'off'rait ponr tout ce qu 'OIl voudrait
faire de lui, ou apaiser les Homains par sa mort, ou
lenr etre livré vivant l. »


Les traits de la race la plus antique ont du se per-
pétuer presque á l'état de pureté dans la Bretagne,
dans l'Arvernie; quand César entra dan s les Gaules,
il ±'u.t sur~out en contact avec des peuples dont les
uns avaient déjh rC<ju fortement fempreinte germa-
nique, les autres celle de llome. Il parle avec mé-
pris des provinces amollies du Midi, comme un gou-
verneur de rInde ferait des habitants du Bengale.
La race dure, haineuse de l' Auvergne, fut la derniere
a lui résister; il se montra implacable pour les
Bretons: leur province est restée la nourrice d'une
race superstitieuse, reveuse, religieuse par excellence,
amoureuse du passé. Ce n'est pas la qu'il faut cher-
cher la gaieté gauloise, le gout de la déclamation et du
bien-dire qui florissait dan s la Narbonnaise; dans
ses landes resta le germe d'une poésie triste, vague,


t Ad ULt'UllHIue l'em se illis off'errc, ~cu mol'te suB. R omanis satis·
facere, ~(m vivurn tl'an:-:tlnl'n vdinL




8 LA FfiANCE POLlT1QUE ET SOCIA LE.


douloureuse, qui ne ressemble en rien h ceHe des
anciens. La harpe galloise résonne tant6t comme un
cri de guerre, tant6t chante comme le vent dans la
bruyere ou sur la cime des chénes. Lamennais, Cha-
teaubriand, ont, de nos jours, été les représentants de
ce génie triste et de cette poésie naturaliste, si dif-
férente de la poésie sensualiste de la Greee et de Rome.
Dans Pascal on sent quelque ehose d'un génie sombre
et disputeur, eelui des Arvernes, qui ne releve ni de
Rome ni de la Germanie.


L'ardeur aux chimeres, la soif de l'impossible, je ne
sais quelle déraison raisonnée, une vision tout a fait
subjeetive de l'histoire transformée en légende et en
roman, une ineroyable puissance d'illusion, tous ces
traits appartiennent en propre á la raee qui la pre-
miere. oecupa notre territoire. Elle porte dan s les
choses matérielles une sorte d'apreté parcimonieuse
et timorée, et dans les choses de l'esprit uneaudaee
qui défie toute logique. Elle vit a la fois pres de terre
et dans le ciel. Elle grandit ses héros hors de toute
proportion; elle a donné a Charlemagne et a ses
preux des contours surnaturels. Elle s'enivre de la
gloire et la boit jusqu'a la lie. Elle se releve des plus
grands désastres comme un ressort invincible, el1e a
une foi sans bornes dans ses destinées. Elle est pen
sonciense de progres, de luxe, des donceurs de la civi-
lisation; elle est moins attachée á la terre par ramonr
du gain que par des liens invisibles et mystiques. On




Fon.\I.-\T[():'.' DE LA RACE. - SES DIVEfiS ÉÜ!\lE:'.'TS. n


la gouverne moins bien en invoquant ses intérets
qu'en parlant a son imagination, a son amour des
grandes ehoses. Elle préfere les fleurs aux fruits, la
yictoire au butin.


11


Une double influenee a sans eesse contribué a trans-
former la population primitive de la Gaule, rinfluenee
latine OH romaine, l'inflaence germanique. A ne
juger que par la langue, il semblerait que la pre-
micre ait été dominante et irrésistible. Deux siecles
apres César, le latín avait déjá tout dévoré, et n'avait
laissé vivre la lallgne eeltique que dan s l'Armorique.
Un peuple peut toutefois perdre sa langue tres-promp-
tement quand iI ne posscfle auenne littérature éerite,
et les vieílles traditions eeltiques n 'étaient eonfiées
qu'a la mémoire. On peut it peine se figurer aujourd'hui
quelle terrible force d\lbsorption possédait Rome : elle
était sans rivale, la rnaitresse ineontestée du monde,
et 1'on n'apereevait meme ríen qlli put un jour lui
disputer la tonte-puissanee. Cette force écrasante bri-
sait tont, les ames, les eol'ps; elle opprimait jusqu'a
la pcns(~e. Cicéron, si courtois, parle avec mépris des
Gaulois de la province romaine : on ne peut s 'en
étonner, cal' le premier contact d'une civilisation supé-
rieure est toujOUl'S une souillure. Le Gaulois de la




10 LA FRANCE POLITIQUE ET ='OCIALE.


Provence venait aRome solliciter, faire des orglCs,
s~enfler du vil orgueil des esclaves. Imaginez ces bar-
bares en face de la grandeur romaine, qui, a travers
les siecles, nous émeut encore. C'est avec des auxi-
liaires gaulois que César conquit toutes les Gaules.
La civilisation romaine avait déjit pénótré tout le JJidi
quand il commenga ses étonnantes campagnes. Commc
une tache d'hnile, elle gagna par degrés les lointaines
régions du Nord. On s'étonne de voir avec quel petit
nombre d'hommes les Romains nssuraient leur con-
quete : mais l'Tnde nous montre anjourd'hui un phéno-
mene semblable, et, sans aller aussi loin, nous avons
vu en Europe que, lorsque des vaincus n'ont plus d'ar-
mée, les vainqueurs peuvent les garder cornme des
bergers gardent leurs troupeanx. La Gaule n'avait
pas de religion dogmatique, pas de littérature, pas
d'art véritable; Rome luí don na des temples, des
routes, des ponts, des théiltres, des lois; elle lui
apporta un idéal nouveau, la subordination de la
société religieuse a la société civile, du pretre au
magistrat, l'esprit du Forum. La poésie 'ceItique dut
fuir au dósert, chassée des temples d'une religion
matérielle et des demeures ou l'opulence gallo-romaine
étala son luxe provincial.


César remarque chez les Gaulois une grande faci-
lité iL s'adapter aux cllOses nonvelles : ils se plient vite
h la discipline des légions, ils envoient bientOt aRome
des maUres et pl'Ofp8Seurs d'éloquence, des podes.




FOmlATION DE LA RAG~. - SES DIVERS Éd~!\IE~TS. 11


Pétrone donne des legons de corruption aux maltres
en corruption de Rome. Hoscius, le plus célebre acteur
de l'antiquité, était sorti de la Narbonnaise. Sur toutes
nos scenes, vous trouvez encore l'acteur du Midi,
rhomme a l'reil vif, au menton bleu) au profil dur,
aux traits creusés et flétris. L'air de la Provence, qui
subtilise tout, nourrit un peuple de mimes et d'ora-
teurs. Le 11idi est resté une pépiniere de gens de 10i,
de jurisconsultes, d'avocats: gens habiles, souples,
insinuants, vivant d'une vie tout objective, prompts
á se glisser au pouvoir et a la fortune, d'un creur sec,
flammes sans chaleur, intelligences alertes, pleines de
grace et d'audace, de reflets, de mouvement, mais
san s profondeur. Sortis d'une métairie ou de quelque
arriere-boutique, ils entrent tout naturellement dans
réclat des capitales, traitent de pair avec ce qu'il y
a de plus grand ; ils sont les princes de la parole, de la
finance, de l'intrigue.


La corruption romaine atteignit bien vite les ames
faciles de la Gaule non chevelue : la Narbonnaise
fournit de célebres délateurs; lesjeux cruels de Rome,
des peuples entiers vendus en esclavage, le monde
servant a la luxure d'une ville, des élégances qui cou-
taient tant de larmes et de sang: un tel spectacle était
fait pour endurcir ceux qui en étaient les témoins
rapprochés. JI semble qu'il soit resté dans la val_o
lée du Hhóne quelque chose de la dureté romaine.
On sait les exces et les horreurs des 1Iarseillais á




1? LA FRA;o{r.E POLITIQUE ET SOCIALE.


Paris pendant la Révolution. Il y avait du romain
dans la race des l\firabeau, dans leur génie violent,
démesuré, lascif, monstrueux. Le fameux Fran~ois de
Beaumont, baron des Adrets, qui versa avec una
égale indifférence le sang catholique et le sang hu-
guenot, appartient au Dauphiné, comme ce terrible
seigneur de :Montbrun, si longtemps redouté, qui
pillait les bagages d'Henrí III en disant : « Les armes
et le jeu rendent les personnes égales. » Les tueries
et représailles des guerres de religion ne fupent l}ulle
part plus féroces. Quand Napoléon ¡el' fut conduit a
1 'ile d'Elbe, il fut contraint de revetir un uniforme
autrichien pour se soustraire a la fureur des rroven-
qaux. « C'est une méchante race que les Provenqaux,
dit-U au sous-préfet d'Aix; ils ont commis toutes
sortes d'horreurs et de crimes dans la Révolution, et
sont tout prets a recommencer 1. » Luí-meme était-il
nutre chose qu'un César qui s'était trompé de siecle, un
grand contempteur de l'humanité, pareil a ceux de
la Rome impériale?


Les hautes classes de la société gallo-romaine
devinrent promptement romaines ou affecterent de le
paraitre. Sous Claude, les principaux de la Gaule,
qui avaient des longtemps requ le droit de bour-
geoisie, demanderent et obtinrent d'éíre aclmis a la
dignité sénatoriale. La guerre civile avait décimé les


1 ltinéraire de Napo/¡;on de FOlltainebleau el l'ile d'Elbe, par J(
comte de \Valdhurg·TruchsesR.




F()U~IATIO~ DE L.\ IL\CE. - SES DIVEllS ÉLI~~lL\T:'. 13


rangs des patriciens, et le Sénat romain, méme avili,
semblait encore une sorte d'Olympe.


La Gaule ne connut point les beaux temps de la
liberté romaine : son idéal politique fut l'empereur,
despote bienfaisant, pere et protecteur des peuples,
servi par une administration sa vante, obéissante. L'ere
des Antonins fut son áge d'or, ses propres annales res-
tCl'ent vides. La Gaule s 'habitua a recevoir du dehors
et d'en haut ses lois, ses moJes, ses idées, elle ne
pensa plus; ses monuments, ses poetes, ses mceurs,
devinrent une contrefa(jon, une copie. Le fisc romain
ll'épuisa pas tant les provinces, uu moins pendant long-
temps, qu'eIles ne fussent encore capables de jouir
paisiblement des bienfaits de l'ordre et de la paix.
L'empereur, le maítre du monde, qui donnait et repre-
nait des couronnes, servi par un· peuple iIlustre de
sénateurs, de généraux, de jurisconsultes, de pontifes,
dut sembler aux populations de la Gaule comme une
sorte de dieu vivant. La Gaule s'habitua a vivre dans
les liens et sous la protection d'une administration
savante, a voir tomber du cielles p~éfets du prétoire,
les vicaires, les présidents, les recteurs, les juges, les
gens de l'empereur, armés de tous les pouvoirs, agis-
sant toujours seuls, librement, sous leur responsabilité
personnelle. La liberté n'avait· que les petits théátres
des curies, et Rome attacha bient6t aux fonctions mu-
nicipales des charges si redoutables, qu'elle les ren-
dit odieu:-.;es ct finit par les avilir.




'14 LA FHA~CE POLITlQUE ET SOCIALE.


A ridéal romain du principat administratif ajoutez
le principe germanique de rhérédité substitué a
radoption, et vous composerez le type de gouverne-
ment qui devait slincarnerdans la monarchie fran~aise.
Le principat administratif, que rAngleterre essaie
aujourd1hui dans les lndes, exclut les partis, les discus-
sions, les fluctuations; il slinspire dlune volonté sou-
veraine : ce n lest pourtant pas le gouvernement dlun
seul, car le prince n1est que l'agent le plus auguste
d\ule puissante corporation administrative, qui a des
traditions, des regles, une sorte de volonté difi'use,
séculaire et impersonnelle.


Sidoine Apollinaire raconte ainsi dans une lettre
les détails dlune journée : « La conversation était
donce, enjouée, plaisante, et, ce qnlil y a de mieux,
on ne parlait ni de l'autorité, ni des impáts; nulle
parole compromettante et personne qni put ctre com-
promis. )) Ce tr&it, et venant dlun Gaulois patriote,
montre une société bien doeile a ses maltres. L'esprit
de rixe, de jalousie, de défiance, d'indépendance
farouche, ne pouvait guere naItre aux lieux que
dépeint ainsi Salvien : c( Personne ne LIoute que la
eontrée occupée par les Aquitains et les Novempopula-
niens ne soit comme la moelle de la Gaule entiere,
comme une mamelle dlinépuisable fécondité, et non-
seulement de fécondité, de ce que ron préfere parfois
a la fécondité mcme, de beauté, dlagrément, de déli-
ces. Toute cette contrée est en effet tellcment entre-




FUR~IATION DE LA RACE. - SES DIVERS ÉLÉ~IENTS. 15


eoupée de vignobles, tieurie de prés, parsemée de
champs cultivés, plantée d'arbres a fruits, délicieuse-
ment ombragée de bosquets, arrosée de fontaines,
sillonnée de rivieres, chevelue de moissons, que
ses possesseurs semblent avoir obtenu en partage
une image du paradis plutot qu'une portion de la
Gaule. »


L'étrange docilité de la Gaule se note a toutes
les époques de l'histoire : on la voit souvent livrée
aux plus terribles désordres; mais ces désordres
mémes ne naissent que de la soumission des foules
aux audacieux. Les armées de la Ligue ni eeHes des'
huguenots ne furent jamais nombreuses. Les hommes
qui firent la Terreur dans toute la France, pendant sa
gl'ulHlc révolution, n'étaient peut-étre pas au nombre
de l:inq mille. Apres ses ficvres et ses orgies, le pays
~c Bent toujours repris d' une soif in vincible de repos; il
se. livre sallS réserve á qui peut lui donner la paix)
et retourne it son incurie. Il eherchc) pendant les
périodes troublées) quelque homme froid, silencieux,
énigmatique; q1lan<1 il ra trouvé, il raccable de ses
flatteries) hisse son idole aussi hallt que possible, et
semble lui dire : « Délmnasse-moi de moi-méme ». La
France, comme la Rome alltique) demande du pain
et des jeux. Elle aime le thétltre, les grands specta-
eles, les fétes. « Il faut que ceux qui marchent a la téte
d'une pareille natioll, dit Toequeville dans sa Corres-
pOHllallce, gardcnt toujours une attitude fiere, s 'ils




1G L\ FlU:\CE rULlTHJ::E ET SOCIALE.


ne veulent laisser tom bcr tres-bas le ni "eau des mreurs
nationales. »


Je ne vois d'autre so urce que Rome pour un certain
naturalisme grossier et obscene) qui filtre toujours
dan s notre littérature) sauf dans les moments oil un
grand souffie religieux l'épure. Il y a un certain tonr
d'esprit qu'on qualifie volontiers de gaulois, et qui
nous semble plutót italien que celtique. Il y faut
chercher sans doute aussi quelque chose de la crudité
nalve des conquérants germaniques. Mais il y a un
degré d'impureté que le monde latin avait seul connu
et qui a sali jusqu'a l'esprit grossier des barbares. On
peut suivre ce courant de naturalisme sensuel depuis
nos vieux cont~urs jusqu'aux fadeurs poétiques Ju
XVIlIe siecle et aux ordures des romanciers de la révo-
lution franqaise. Il y a une secrete parenté entre les
saletés de Tabarin et les Baisers de Doraf., entre Gau-
tier Garguille et Voltaire. Les Mazal'úzades et le Perc
Duchéne sont assaisonnés de méme fuqon. Sitót que les
régents d'opinion descendent de certaines hauteurs
morales, la mode glisse volontiers dans le cynisme
spirituel, ou au moins dans l'allusion, le dou1)le sens
impudique. ~lontesquieu sacrifie aux graces lascives
clans le Temple de Gnide. Il faut un Louis XIV pOUl'
fermer la bouche ft Bussi-Habutin. Le génie de Uabelais
se gaudit dans l'ordure, dans la saleté. Il n'a rien de ces
graces helléniques qui ont .passé des fables milésien-
nes il Pétrone, an Décamcl'oll, aux contes de la Fontainc.




Fon~IATION DE LA RACE. - SES DIVEHS ÉLÉME~TS. '17


L'Angleterre a eu aussi ses eyniques, ses roman-
eiers et ses po¡;tes dramatiques, plus ignobles, moins
spirituels que les nótres; mais l'impureté n'a dans la
littérature anglaise que des interregnes. Chez nous,
on la rencontre toujours, depuis les premieres {acé-
ti es jusqu'á Mlle de Maupin. Est-ee paree que nous
savons donner des graces plus déeentes a l'indéeence?
Nos cyniques sans esprit, en effet, tombent vite duns
l'oubli et le mépris. Nous ne sllpportons pus longtemps
un Rétif de la Bretonne; on n'a jamais osé mettre sur
notre sccne les saletés que goútait l'Angletel're sous
Charles JI. JI faut pourtant le eonfesser, il y a sur
notre littérature, a toutes les époques, une taehe d'in-
décence latine.


III


Au moment OÜ les armes romaines pénétrerent
dans la Gaule, les races germaniques en occupaient
déj~L tont le nord. Le temps était loin oú les peuples
eeltiques avaient fait irruption hors de la Gaule, oiL
ils avaient franehi le Rhin et les Alpes, pillé le trésor
de Delphes et mis Home a ran(jon. « Autrefois, dit
César, les Gaulois dépassaient les Germains en eourage
et ils portaient souvent la guerre chez eux; et paree
qu'ils manquaient de terre, eu égard a lenr grand nom-
bre, ils envoyaient des eolonies au del a du Rhin. » César


LAuGEL. 2




18 LA FHANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


distingue les Aquitains et les Celtes des Gaulois du
nord) on Belges. « Les Belges) dit-il) sont les plus
vaillants de ces peuples) parce qu'ils sont tres-élojgnés
du luxe et de la mollesse qui regnent dans la province
romaine. D'ailleurs, voisins des Allemands qui habi-
tent au dela du Rhin, ils sont continuellement en
guerre avec eux. ) Les Celtes avaient établi quelques
colonies au dela du Hhin, les Germains en avaient éta-
bli plus tard un grand nombre dans la .Belgique
actuelle et dans le nord de la France. César rapporte
que « les Belges descendaient ponr la plupart de ces
Allemands qui avaient passé le Rhin) ot qui s'étaient
fixés dans ces quartiers, a cause de la bonté du pays)
d'ou ils avaient chassé les habitants; qu'ils étaient
les seuls que les Cil11bres et les Teutons) arres avoil'
ravagé toute la Gaule) n'avaient osé attaquor) ce qni
les rendait tres-fiers. » Il cite les peuples du Beauvaisis
comme les plus guerriers) les plus nombreux) les plus
puissants. La race gerl11aniqne avait des longtemps
couvert comme une inondation le grand bassin pari-
sien, les Elanclres) l'Artois) la PicanEo) lo Vexin) lo
Vermandois) le pays de Caux; elle occupait la vallée
de la Meuse et le Luxembourg.


n faut bien se souvenir de ces faits : car) tandís que
rinfiu~nce latine pénétrait le lUidi) la race germaniqlle
s'étendait dans le Nord) elle s'y établissait, s'y fixait,
s'y l11élait aux Celtes ; ponr beaucoup de Gaulois) César
fut d'abord un libérateur. Ayant pénétré les armes a la




FlJlt:\IATIO~ DE LA RACE. - SES Di YEllS ÉLÉ~IENTS. 19


IÍlain dans le monde barbare, encore de mi -inconnu,
iI devina que Home n'était plus menacée par la Gaule,
mais par la Germallie. La Gaule n'était, a vrai dire,
qu 'tme expression géogl'aphique,et rien ne ressem-
blait llloins aux mmurs de Marseille et de Narbonne
que celles du pays Chartrain et de la Flandre. Il y
avait deux Gaules dans la GauIe, et la fatalité de l'his-
toire vonlut qu'a mesure que l'tme étendait les limites
idéales de sa civilisation d'emprunt, l'autre, qui ser-
vait d'avant-garde an monde barbare, avangát sans
cesse ses frontieres matérielles. Ce confiit douloureux
et sanglant dura plusieurs siecles : le christianisme ne
put y mettl'e fin, cal' ses uoctrines s'acco1ll11l0dent it
tous les états de la société, a la civilisation la plus
avancée comme :'t la plus profonde barbarie.


Rome elle-méme germanisait de plus en plus la
Gaule, Agrippa y transporta des multitudes de bar-
bares; ainsi firent Tibere, Germanicus: ces dépor-
tations en masse accroissaient la force germanique
dans le nord. Pendant qne les légions recrutées dans
la Gaule allaient en !talie ou ailleurs défendre la
puissance romaine san s cesse menacée, le ressort ger-
manique, qui pressait rIle-de-France, la Champagne,
la Bourgogne, se bandait de plus en plus. On vou-
drait savoir, au moins a peu prcs, clans quelles p1'O-
portions le sang germanique se méla au sang celtique
dans ces mouvernents de peuples qni précédcrent
le moyen (tge. Bi l'on ne reganlait qu'aux racines de




20 LA 1,'BANCE POLITIQUE El' SOCIALE.


notre langue actuelle, on serait sans doute porté a
diminuer grandement le role de la Germanie dans le
déve10ppement de notre race. La langue révele toutes
les invasions, celles des Franks, des Burgondes,
des Visigoths, plus tard celle eles Normands; mais
elle a rejeté, comme le mouvement vital rejette
les corps étrangers, toutes les racines qui n'expri-
ment pas quelque re1ation toute nouvelle créée par la,
conquete; il n'en est resté que cinq cents environ,
comme vassal, fief, etc. Les Germains ont conquis la
Gaule romanisée, mais le latín a chassé rallemand.
En. vain Charlemagne donna-t-il aux mois des noms
allemands. Louis le Débonnaire, en rendant le dernier
soupir a ~fayence, disait: « Aus, aus )), mais deux ans
apres, au camp d'Argentaria, quand Louis le Ger-
manique parlait allemand ~1 son armée, son frere
Charles le Chauve était obligé, ponr se faire com-
prendre de la sienne, composée de Francs, de Bur-
gondes, de Neustriens, d'Aquitains, de Proven<jaux,
de 1eur par1er un latin barbare: ce latin est devenu
notre langue.


Il est tout á fait impossible de chiffrer les peu-
pIes de race germanique qui ont occupé d 'abord la
Gaule belgique ou les tribus nombreuses des Francs
de la conquete. Les Francs ne vinrent que les uns
apres les autres, par bandes; ¡ls n'imposerent pas
leur dialecte allx vaincus. Notre langue actuelle était
déja llée au cinquieme sióde; au temps de Charle-




FORMHIÜN DE LA RACE. - SES DIVERS ÉLÉMENTS. 2'1


magne, tous les peuples dn nora de la Franee la
parlaient. N'oublions pas que les Sicambres, les
~aliens, les autres tribus des Francs, trouverent dans
la Ganle belgique des penples de race germanique qui
antient perdu leur langue, mais dont le sang était
resté vierge. Dans le midi de la France, au contraire,
les Goths se noyerent assez vite dans un milieu gallo-
romain; la rudesse barbare y fondit comme la neige
échauffée au soleil. Les G oths nomades n 'ajouterent
sans doute pas plus de 200/)00 habitants it la popu-
lation de la Gaule. Ataulfe portait la toge et révait
de restaurer l'empire. Sidoine-Apollinaire peint la
cour d'Eurik entouré (le Saxons aux yeux bleus, de
vieux ~icambres tondus, d'Hérules aux joues vertes,
de Burgondes géants, d'Ostrogoths suppliants et de
Homains courtisans du vainqueur : ( Rome, dit-il,
tu demandes iL la Garonne, maintenant belliqueuse
et puissante, de protéger le Tibre affaibli. » Les
Burgondes, comme les Goths, s'étaient établis dans la
Gal1le en vertu de íraités; íls partagerent les terres
avec les anciens seigneurs gallo-romains: leur loi
ne fut qu'une copie des lois romaines. Dans l'Est la
trace germaniclue reste cependallt plus visible que
dans l'Aquitaine.


L'inyasion des Francs fut d'autrc nature; leur con-
quéte fut terrible, violente) impitoyable : c'est dans
le non1 de la .France qu'il fallt chercher les effets les
plus direets de l'infiuence genllunique. 11 y a encore




LA FfiANl;!\: PIILIT lQUE ET Snr.IA LE.


anjourd'hni dans eette région des types de Germains
tout h fait purs, snrtout dan s les classes rurales, des
hommes blonds, a l'eeil d'acier, d'expression vague
et reveuse, aux mouvements lents et pour ainsi dire
animaux. L'érndition moderne a montré les Fruncs
sous leur vrai jour; elle ne nous représente plus un
Clovis affadi, entouré d'une cour polie, docile aux
legons de l'Église. Augustin Thierry a souffié sur le
roman de notre ancienne école historique, et fait
revivre sous nos yeux le Franc aux cheveux rougis,
aux mousfaches pendantes, le bandit cruel, ignorant
et faronche, qui a donné son nom a notre pays.


Ce moment de l'histoire est unique : Rome était
pareille au soleil, qui descend lentement sons l'hori-
zon. La Gaule du ~1idi restait ponr ainsi dire encore
dans la pénombre, quand la nuit s'était déja faite
sur la Gaule dn Nord. L'unité que l'aclministration
romaine avait créée se rompit; les traditions italiennes
ne survécurent en se déformant qu'au Sud; an Nord,
la conquéte détruisit les derniers vestiges uu passé,
et la barbarie germanique fieurit en liberté, eOillme
une plante qui trouve un sol bien préparé.


Avant le douzicme siccle, on peut dire que les
souverains du nord de la Loire ne firent pas recon-
naltre senlement cinquante ans ue suite lenr antorité
au sud du fieuve. Il y eut done deux histoires de
France, dont l'une seule nous est devenue familiere,
paree que le Nora finit par vaincre le Mi(li. Deux




langues se développcrent parallólcment rune tt hmtre,
sorties toutes dellx de 1 'idiome grossier des Gallo-
Homains, les langues d 'oc et d' 01], aussi différentes
rune de l'autre que la langue d'oc l'est de l'italien
ou de l'espagnol. La langue d'oc, parlée en Pro vence,
en Aquitaine, dans le Languedoc, le Quercy, le Limou-
sin, l' Auvergne, devait naltre, granelir et mourir en
quelques siecles. La langue el 'o'il se parla le long (le
la Loire, dans l'Anjou, le .Maine, la Picardie, la
Nellstrie, le pays wallon, la 1..orraine et jusque dans
la Bourgogne. L'esprit barbare inspira seul cette
littératul'e du Nord, et si nOllS voulons saisir sur le
vif le génie des conquérants, il faüt le chercher dans
cette ci vilisation naissante, originale et vierge qui ne
doit rien á la Gr(~ce, ni tl Rome, ni aux traditions
celtiques. Les conquérants germains perdent leur
propre langue, adoptent ceHe de leurs esclaves, la
fécondent, la grandissent, l'exaltent, et en fant un
notivel instrument de conquéte.


Le génie germanique fit) pour ainsi dire, explosion
dans ce qu' on nomme les « chansons de geste )), grandes
épopées chevaleresques et militaires, Ol! l'histoire se
marie toujours ü la légende. Nous y trouvons tout
l'idéal de nos aleux, politique et social. Le type du
hé1'os, c'est l'homme de haute taille, de force hercu-
léenne, tt la chair blanche, aux yeux bleus, aux che-
veux blonds, dont la vie est un perpétuel combato
Pour qui, pour quoi se bat- il? Pour une femme '?




LA FnA:'\CE POLITIQUE ET SOC1ALE.


Non, il connait l'an10ur, mais il est d'humeur dédai-
gneuse et farouche; il traite la femme comme un étre
inférieur, il va jusqu'a la frapper. Pour une patrie '?
Il n'a point de patrie; il ne sait ce que c'est que
l' État; il ne connait pas la royauté romaine, le prince
invisible, qui regne de loin, d'en haut. Il se hat pour
le chef connu qui le mime au combat, a qui il a juré
fidélité, qui lui donne en retour de ses services eles
armes, des chevaux, du butin, des bois, des prés, des
champs. Le lien de sa vie, c'est le fezulum, le pacte fait
ave e un autre homme; il Y puise l'idée d'obéissance,
d'hiérarchie; il Y puise aussi ceHe de ses droits.
Son obéissance est exigeante et impérieuse. Il se bat
pour le plaisir de se battre ; il se bat aussi pour punir
une trahison ,ponr vengel' un faible opprimé, un
orphelin spolié de son héritage. 11 a le sClltiment de la
justice. Ses haines et ses ,rcllgeance8 sont terribles. 11
est plus emporté que cruel, toujours comme ivre de
violence, de force, d'animalité.


Le génie germanique, inspiré par la conquéte, n'a
pas produit une épopée, il en a procluit vingt; accu-
mulant les légendes glorieuscs uutonr de ses héros, il
les a di vinisés, illeur a soumis tous les peuples, tmItes
les races; la chanson de Roland n'est qu'ull magni-
fique épisode du cycle de Charlemagne. Remurquez
le terrible sél'ieux de tous ces dompteurs de nations ;
l' élément comique fait tout a fait défaut uans les
chansons de geste. Elles ont une lHúveté sél'ieuse;




FORMATlO':; DE LA nACE. - SES DlVERS ÉLÉMENTS. 25


elles déforment rhistoire, la géographie, avec une
sorte de sincérité enfantine.


La foi religieuse des barbares dev'ait étre raisonneuse
comme leur fidélité au suzerain. Ils prétaient leur ame a
une religion, comme leur bras a un chef militaire. On
trouve dans toute race germanique une tendance na-
turelle a rheresie, a la limitation de la servitude
volontaire de l'esprit, un secret esprit de révolte qui
a de temps en tel11ps des reveils. Tandis que Pesprit
latin tend toujours á l'unité religieuse comme a
runité politique, l'esprit des conquérants, s'incarnant
en PicíLl'die, en Champagne, anima les premiers re-
forl11ateurs. Clovis fut le soldat des évéques catho-
liques, mais les Burgundes s'étaient faits ariens sans
difficulté. Calvin sOl'tit d'une race violente, tenace, dis-
puteuse que les conquérants avaient lllodelée a leur
gré. Les Goths de l'Aquitaine twaient, comme les
Burgundes, el11brassé l'ul'ianisme. La facilité mél11e
que les barbares mettrrient á se convertir avait guelque
chose el'inquiétant; ils changeaient de elogl11e comme
ils passaient, pendant les dernieres convlllsions de
l'empire romain) d'un parti dans fautre. Leur reli-
gíon conserve toujours quelgue chose de terrestre; elle
leur est une arme et un instrllment de dOl11ination,
ele richesse) de primauté morale: elle est agissante)
et ne se perd pas volontiers dans les chimeres. Leur
esprit lourel les attache á la terre; ils discutent
l'obéissance: il::; reconnaissent la grflCe ele Dieu, mais




20 L.\ FnANCE POLITlQUE ET "IlCIALE.
,


ils rinvoquent comme une récompense méritée ele
leur vaillance, de leur piété. !ls ignorent les voluptés
dangereuses du renoncement absolu, de roubli de
soi, de l'anéantissement de la liberté; ils font penser
a ce roi normand dont on voit l'image en mosalque
dans le chceur de :Monreale : il avait demandé l'inves-
titure au pape, mais, sur les murs de la magnifique
église, ce n'est point le souverain pontifc) c'est Jésns
lui-meme qui vient poser la couronne sur sa tete.






CIIAPITRI~ U.


C.\ RACT1~HES DE LA RACE.


La France est la seule nation du monde Ol! l'on
trouve en proportion aussi égale les trois éléments
celtique, latin et germanique: de lit sans doute son
cara etc re unique; le secret de son histoire doit étre
cherché dans la lutte si longue, et enfin dans la fusion
de ces trois éléments. Son génie est le plus riche qui
se puisse imaginer, puisqu'elle a 1'ris quelque chose a
toutes les races supérieures de l'humanité. Il est
comme le point de rencontre unique de ioutes les
forces qui remuent la maticre et l'es1'rit. L'Angleterre
lút pas emprunté autant au génie celtique, ni surtout
uu génie latin. L'Espagne n'a pas été imprégnée par
le génie germanique. L'Italie au temps de sa gran-
deu!', 1 'Allemagne actuelle, représentent des force s
trop nues, trap simples, des lumicres éclatantes, mais
qui ont moins de rayons.




28 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIA LE.
Que de temps n'a-t-il pas fallu pourtant pour


opérer le mariage de ces deux Frances, l'une ser-
vante des barbares, l'autre fidcle aux traditions
de Rome! Les deux régions étaient séparées par la
Loire et par le plateau central; les instincts de la
Gaule antique, comme des sources invisibles, n)
cesscrent jamais leur travail aveugle, obscur et pa-
tiento Mais l'esprit celtique se maria dans le Nord á
l'esprit germanique, dans le :Midi á l'esprit latin. Les
deux Frances eurent comme une double vie, une
double ame; quelque chose semblait devoir tou-
jours les rapprocher, quelque chose les séparait
toujours. L'idéal germanique était absolument con-
traire a l'idéal gallo-romain; tandís que le pre-
mier donnait ses fleurs dans une littérature épique,
le second engendrait une littérature lyrique, amou-
reuse a l'exces de la forme et de la gráce) sans
nalveté) ingénieuse, un peu factice) et destinée a mOll-
rir sans laisser de trace durable. Pendant ces florai-
sons, les eaux celtiques couraient toujours sous le sol,
et il restait comme d'énormes ilots Ol! l'idéal romain et
l'idéal germanique avaient a peine pénétré. La penséc
celtique, longtemps étouffée) eut un réveil magnifique
quand on pouvait le moins s'y attendre. Elle trouva
pour émissaires) par un hasard étrange) les Nol'-
mands) les derniel's venus parmi les conquérants bar-
bares; ils l'avaient surprise dans son dernier asile)
dans le pays de Galles) et la ramencrent dans l'Armo-




CARAcrtREs DE LA HACE. 29
rique. Le cycle d'Arthus est rexpression ingénue du
génie celtique opprimé, réfugié dans un monde de
miracles, prenant pour confident les pierres, les eaux,
les vents, féternelle nature, autrefois adoré e par les
druides. C'est nl qu'il faut chercher un sentiment reli-
gieux ardent, dédaigneux de la terre, plein et gonfié
de merveilleux, une sorte de déraison incorrigible qui
se moque des faits et ignore les lois naturelles, famour
des vaincus, de la faibIesse, de la souffrance, un défi
perpétueI au destin, fignorance plus forte que la
science) la fabIe préférée á fhistoire, la fantaisie a la
réalité, la superstition a la fOÍ) fillusÍon perpétuelle,
volontaire, sans bornes, sans treve, sans remede.


La fusion des races était déja bien avancée quand
parurent les derniers romans de la. TabIe ronde,
car les Normands avaient en le temps de recevoir
rempreinte de la civilisation gallo-romaine, trans-
formée par la conquete germanique. La France (il com-
men~ait a y avoir une France) était capable de
goúter des poemes oü ron chantait la victoire, d'au-
tres ou l'on chantait la défaite, l'apothéose de Charle-
magne et ceIle du roí Arthns. La guerre avec les
Anglais contribua á accélérer cette fusion, cal' ces
Anglais étaient les descendants de ceux qui avaient
suivi Guillaume de Normandie, et nulle parmi les
races du Nord n'était aussi plastique que la nor-
mande : avide et occupée a gaignel', grossiere a
la fois et souple, arabe en Sicile, italienne en




30 LA FHANCE POLITIQUE El' SOCIALE.


ltalie, fi'angaise en France, préte a tout, elle était
faite pour la diffusion des mCBurs et des idées.


Oli s'est opéré d'abord le mariage le plus intime
des races qui ont créé la France moderne? Ce n 'est
ni sur les grands 110ts celtiques de rArmorique et
de l'Arvernie, ni dans ces régions du Midi saturécs
des traditions latines, ni dans cette zone de rEst et du
Nord, que nulle barriere fixe ne séparait de la grande
famille germanique? Il semble que ce soit dan s les
régions basses, moyennes, qui s'étendent entre rAr-
morique et rAuvergne, et qui vont dermis le nonl
de la France jusqn\mx landes de Gascogne. La
Touraine en est comll1C le ccntre et le cceUl'; nulle
chaine de montagnes ne sépare le bassin ele la
Seine de celui de la Loire : entre Paris et Orléans, iI
n) a qu'une grande plaine qui a servi comme de trait
lrunion entre le Norel et le ~lidi. Le bassin du Rhin
et celui de la Scine ne sont pas aussi rapprochés)
ils sont séparés par le grand l'enflement des collines de
la Cóte-d'Or.


La premiere 110raison d 'un art fl'angais par excel-
lence s'est faite sur les bords de la Loire. Nous ne pou-
vuns pas revendiquer l'architecture gothique comme
une architecture nationale; l'art mystique qui a gardé
le nom des Goths a rempli de ses merveilles lItalie
du Nord, rAllemagne, la France, rAngleterre. Les
modeles de la Henaissallce italienne unt sans (loute
inspiré ceux qui Ollt élevé les cháteaux des bords




CARAcr~RES DE LA HACE. 31


de la Loire; mais le génie francais, qui commengait a
naltre, y a ajouté quelque chose de propre, d'original,
d'inconnu, une grfLCe un peu fluette, une fantaisie
mesurée, une liberté sans désordre, je ne sais quoi
d'aimable, de facile, d'exquis, qui respire le conten-
tement et s'harmonise a merveille avec une nature OU
les lignes sont douces plutót que majestueuses. Plus
la littérature devint véritablement frangaise, plus elle
se rapprocha aussi du centre, du creur de la France.
Les conquérants germains et normands avaient adopté
le langage des vaincus, et le premier mariage du génie
celtique et du génie des barbares s'opéra dan s une
littérature confuse et hizarre qui n'a ni la simplicité
nalve et sérieuse des chansons de geste, ni le carac-
tere surnaturel des romans de la Table ronde. On
trouve encore dans cette littél'ature nOllvelle le cal'ac-
tere épique; mais l'épopée n'est plus agissante et
vi vante, le cycle de Charlemagne est fermé, le souffle
héro'ique enile vainement des récits fabuleux: la
guerre troyenne, les origines de llome, les exploits
d'Alexandre le Grand; enfin, il meurt dans les épo-
pées héro'i-comiques, les parodies, les fabliaux. Le
roman du Renart est déjit la vengeance inconsciente
des opprimés, la comédie de la chevalerie et da
moyen áge. Le rire, les gaítés populaires, couvrent le
bruit des armes. Guillaume de Normandie n'eut point
son cycle, et les croisades n'inspircrent en France aH-
cune véritable épopée. Pendant que la poésie épique




32 LA FHANCE l'OLITIQUE ET SOCIALE.


s'éteignait, la poésie lyrique, qui n'avait cessé de régner
dans la France du midi, devenait aussi maÍtresse du
Nord.


On sent encore quelque chose du souffle épique
dans Ronsard, le prince des poetes; mais que sa Frmz-
ciade est terne et vide a cóté ele tant d'admirables
effusions lyriques! La langue fran9aise chcrehe
encore sa forme la plus parfaite : elle a les ton s riches
et joyeux des floraisons printanicres. Ronsard garde
les coupes variées, les rhythmes savants de la littéra-
ture proven9ale, mais son génie n'est pas étouffé par les
entraves romaines et déborde avec une sorte de dé-
mence passionnée, de « grecque fureu1' » ; il a la pas-
sion réveuse des CeItes pour la natul'e, iI donne une
áme aux foréts, au rosier, a l'aubépine, á l'alouette.


J e fuy les grands cltemins ü'ayés du lJolJulail'e
Et les villes oil sont les peuples amassés;
Les rochers, les fOl'éts, déja s<;avcnt assez
Quelle trempe a ma vic estrange et solilail'c,


C'est a Vendóme, au CCBUl' méme de la Toul'uine,
que se forma ce génie, le plus surprenant peut-étre de
notre littérature et le plus hardi, sans égaI, pareiI á ces
beaux enfants qui sont les fruits des amours défenclucs.
Je ne fais pas un tableau des lettres fran9aises; je les
vois seulement donne1' lcur íloraison dans ees plaines
oü la fusion des races s'est faite le plus vite. Honsard
est Vendómois, Rabelais est né tL Chillon, et fut




CAlUUTElIES DE LA HACE. 33


« noufl'i jeune au jardin de France. » Ces deux noms
sont comme des sommets d'ou l'on aper~oit un vaste
pays. Il sembIe qu'on . voie déja marqués dans l'mu-
vre de ces grands hommes, surtout dans ceHe du pro-
sateur, les traits définitifs d'une nouvelle société.
Qu'on y remarque, tout d'abord, l'urbanité, ou, pour
mieux dire, rhumanité. Le sentiment national est
déja tres-vif, mais il n'a rien de hautain, d'amer, de
défiant, il n'est pas a rétat de révolte perpétuelle.
L'amour de la paix inspire Rabelais; son horizon
s'étend jusqu'aux royaumes d'utopie. Il s'occupe moins
de faire des soldats, des héros, que des hommes. Il com-
menee le reve que devaient continuer FéneIon, Rous-
seau, les socialistes modernes. Entrons a l'abbaye de
Théleme pour connaítre son idéal de société : « Tous
lloblement étaient appris, qu'il n'était entre eux celui
ni celle qui ne sút lire, écrire, chanter, jouer (rins-
truments harmonieux, parler de cinq a six langues,
et en elles composer tant en vers qu'en prose. Jamais
ne furent vus chevaliers tant preux, tant galants,
tant adroits a pied et a cheval, plus ve~'ts, mieux
remuant, mieux maniant toutes sortes d'armes que
ceux qui la étaient. - Jamais ne furent vues dame s
tant propres, tant mignonnes, moins facheuses, plus
doctes a la main, a l'aiguille, a toutacte honnete
et libre, que ceHes qui lit étaient. »


LAUGEL. 3




34 LA FBANCE POLlTIQU¡'; El' :'OCU.LE.


1


La sociabilité, voila le trait dominant du peuple nou-
veau : le goüt des belles compagnies, des plaisirs parta-
gés; ramour sans tristesses ni langueurs, la science
sans pédanterie, une politesse exquise et toute nou-
velle, grace des forts et protection des faibles; le
besoin de se répandre, de n'étre jamais seul) de louer)
d'étre loué; je ne sais quel sentiment de ütiblesse) de
débilité personnelle qui se réfugie sans cesse et tend a
se plonger dans les grandes forces sociales; la crainte,
et pour ainsi dire rhorreur des génies solitaires) tristes
et fiers, raudace naturelle des paroles et la prudence
des actes ; des vies enfin plus objecti ves que subjec-
tives, qui préfcrent le bonheur á la liberté, rordre tL la
passlOn.


La sociabilité est tont autre chose que le goút des
affaires dites publiques, cal' la discussion de ces affaire s
est une contention, et 1 \lrbanité fuit tous les angles et
les chocs. On peut attribuer, je pense) a l'extréme
soeiabilité des Fran<;ais une pal't de lenr a version ins-
tinctive pour les luttes pulitiques ou l'eligieuses : elle
résulte aussi de leur admiration innée ponr ridéal
rUlllain de rl~tat) inspiré par une volonté unique et
mú par ruille VUIOlltés obéissantes. La liberté féoclale




CARACTERES DE LA RACE. 35


est une idée trop germanique, liberté turbulente, qui
mesure l'obéissance, qui oppose la révolte a toute
prétention nouvelle; liberté avide, sans générosité,
nourrie de haines, de vengeance, enflée de menaces. Il
y a a la fois plus de candeur, plus de faiblesse et de gé-
nérosité dans la tendance naturelle qui pousse notre
nation a se donner presque san s réserve. On s'étonne
de trouver tant de timidité, ou pour mieux dire de
détachement politique chez un peuple qui, dans notre
siecle, asemblé incarner l'esprit de désordre et de ré~
volution. Mais la révolutjon est autre chose que la
liberté; elle n'est pas le jeu perpétuel et pour' ainsi
aire naturel de forces réglées et durables, d'intérets
jaloux et pOllrtant respectueux les uns des autres. La
l'évolution est le réveil des obéissances qui ont perdu
leur idole, des volontés qui ont perdu leur guide.
Notre grande révolution frangaise, d'ailleul's, a bien
été faite pour le peuple, mais elle n'a pas été faite
par le peuple : préparée par une classe tres-peu nom-
breuse, elle a été achevée par une tourbe moins nom-
breuse encore.


Dans toute la partie de notre ancienne littérature
qni touche iL la politique, on trouvera tant qu'on
voudra la critique des abus, les invectives contre les
partis ou les chefs de parti; mais la conception poli-
tique qni domine la louange comme la remontrance,
c'cst l'idée l'omaine de l'État, arbitre, justicier, admi-
nistl'uteur, fontaine d'honneurs et de dignités.' Cett~




36 LA FRANCE POLITI(jUE El' SOCIALE.


idée n~était pas faite pour développer les vertus qui
naissent de la contention perpétuelle de partis sécu-
laires : la politique fut regardée comme la, fonction
naturelle et légitime de rÉtat; resprit resta témoin
plutot qU~~1Cteur dan s le drame des affaire s publiques,
il s'isola dans la famille, dans la société polie, clan s
la philosophie morale. C'est chose singuliere que notre
nation, qui semble se tant plaire !aux dehors) ait pour-
tant produit les plus grands moralistes : Charron,
~lontaigne) Pascal) la Bruyere, Vauvenargues, la
Rochefoucauld) madame de Sablé, tant d'autres. 11 e~t
vrai qu'ils ne descendent point volontiers) sauf Pascal,
dans les plus noires profondeurs de l'áme hnmaine,
ils racontent le monde, ou se racontent eux-memes.
:Montaigne a une curiosité insatiable, la Bruyere
fait défiler devant lui la cour et la ville, Saint-Simon
veut tout savoir, connaítre les plus petits ressorts des
événements. Notre histoire entiere a été écrite par
des témoins qui n'ont guere songé qu'a peindre les
alItres 011 a se peindre eux-memes : la sociabilité fran-
c;aise se répand pour ainsi dire 1101'S du tcmps; on
s'entretient avec soi la plume a la main, quand on ne
peut causel' avec personne. Chacun écrit ses mémoiresJ
moins poul' ipstruire que poul' plaire. Ces mémoires
ont un chal'me singulier, étant des confidences plutot
que des lec;ons; ils nous montrent le nu de l'histoire et
le déshabillé de rhornme. Une sociabilité délicate
aiguise et affine toutes les facultés d'observation : elle




CARACTERES DE LA RACE. 37


devient ainsi un guide plus aimable et souvent plus
osé qu'une psychologie ténébreuse. Vous trouverez le
moraliste chez presque tous nos écrivains, chez le
cardinal de Hetz, chez madame de Sévigné, chez
madame de la Fayette, chez ,la Fontaine, chez
madame du Deffand.


Le monde réel ne suffit pas ; on veut le retrouver
dans les miroirs du roman et du théfttre. Les passions
éternelles, les ridicules changeants des hommes, nous
sont un sujet d'intérét qui jamais ne s'épuise; ce sont
moins des le<ions que nous cherchons au théatre que
des impressions, des émotions, un drame oú nous soyons
a la fois témoins et juges.


Quel peuple possede une littérature dramatique aussi
abondante que la nótre, aussi souple, aussi mobile, et
ne pourrait-on pas écrire l'histoire de France depuis
trois siecles par le théfttre '? Nous avons, on peut le
dire, resprit dramatique, et nous donnons a toute chose
une forme, une allure théfttrales. On pose pour ses
amis, pour sa famille, pour le public, pour l'histoire.
Deux Anglais qui ne se connaissent pas étudient leur
silence, deux Fran0ais leurs paroles. De lá sans doute
un charme singulier chez un peuple qui se répand
et se prodigue sans cesse : une politesse sans pa-
reille, un art de la conversation aupres duquel tout
semble ailleurs lourd et grossier. Qui sait mieux
gllsser sans appuyer, effleurer les choses, en prendre
le miel, mettre (le la mesure dans la lonange, clans




38 LA FRANCE POLTTIQUE ET SOCTALE.


le blame; éviter, comme des crimes, l'importunité,
rexccs, la tristesse noire; donner quelque chose de
décent et de tempéré a la douleur meme? Notre vie
est moins subjective qu'objective; nous n'enfon~ons
pas lentement, comme 1'Anglais ou le Germain, le poi-
gnard d'une pensée dan s notre propre creur. Il ne nous
plait pas de descendre dans les abimes de notre propre
néant. Ne nous lassóns pas du spectacle de ce vaste
monde animé, étourdissons-nous de nos paroles et de
celles des autres, écoutons ou récitons eles roles;
que le drame sans commeneement ni fin de l'histoire
nous emporte, eomparses heureux dans nos oripeaux 1


Ce goüt du théátre explique assez l'importanee
extreme que l' éloquenee a prise dans notre histoire;
notre Midi latin est une éeole perpétuelle de rhé-
torique. Les jeunes GalIo-Romains de la Narbonnaise
ne prennent plus le ehemin de Narbonne, ils pren-
nent celui de Paris; depuis que l'épée a été vaincue
par la robe, le beau eliseur du lVIidi, au creur froid,
au langage ardent, tribun d'abord et puis eonsul, a
tenu dans ses mains nos destinées. ~firabeau sort de
la Provenee, Vergniaud de la Gironde, Guizot, Thiers,
sont des enfants du Midi. Dans toutes nos assemblées
politiques, vous verrez l'influence passer graduelle-
ment aux habiles aeteurs et diseoureurs. On sort d'une
assemblée législative en disant : Quelle belle séanee!
comme on dirait : Quel beau drame! Le sujet dont
on s'oeenpe est seeondaire : ce quí importe, e'est la




CARACTERES DE LA nACE. 39


maniere de le traiter et la personne qui le .traite.
Nous aimons les péripéties, l'inattendu, les coups de
théátre. Nous mettons l'histoire en tableaux : que
nous importe la vérité nue? On attache la pensée
a une sorte de vérité transcendante, qui condense
une foule de traits épars, comme une lentille de verre
réunit des rayons sur un foyer brillant. Louis XIV
est toujours le roi Soleil, nous le voyons dans
une perpétuelle apothéose. Napoléon 1"1' s'élance dans
la fuméc sur le pont d'Areole, - oú, gras, épaissi,
énorme, iI réve sur le rocher de Sainte-Hélene. L'his-
toire nous émeut et nous fascine seulement par son
cóté dramatique; dans le train ordinaire de la vie,
pendant le lent mouvement des années grasses, pro-
salques et heureuses, nous ne nous occupons pas volon-
tiers des grands intérets, qui restent comme voilés et
obscurs, et nous nous livrons tout entiers aux plai-
sirs continuels et faciles de la sociabilité. Qu'importe
apres tout la grandeur de la seene? La politesse ex quise,
la bonté du camr, l'amour de plaire, n'ont pas besoin
de vastes cadres. Les petits intérieurs domestiques,
illuminés par la grace, par l'art/ par la beauté, par
l'esprit, deviennent autant de petits mondes ou vit
un bonheur frele qui s'abrite quelque temps contre les
blessures du sort. Nos coteries, car nous avons ton-
jours eu l'esprit de coterie, sont des sortes de redoutes
contre le malheur; nous y trouvons des amitiés qui
pansent nos bies sures, des abris, des secours. Nous




40 LA. FRANCE POl.JTIQUE ET SOCIALE.


aimons les orages dans la politique, et la routine dans
la vie quotidienne.


La socÍabilité a fait de nous une nation d 'ar-
tistes. 11 n'en est pas Oll le goút soit plus universelle-
ment développé, OU le sentiment de la grace et de
la mesure soit ~:ussi instinctif. Des courtauds de bou-
tique déploient des étoffes, des tapis, cornme feraient
des peintres. L'ouvrier, surtout dans les deux der-
niers siecIes, n'a jamais été complétement isolé de
celui qui l'emploie. Le relieur cause avec l'amateur
du livre, l'imprimeur ave e l'auteur, le peintre ave e
l'encadreur : nous laissons la pacotille aux étrangers
et aux colonies, nous voulons que tout ce qui nous
entoure ait requ quelque chose de nous-memes; inspi-
rant ceux que nous employons, nous les élevons
a notre niveau : chaque homme répand autour de
soi une foule de germes qui prosperent et fructifient.
De Et vient l'incomparable supériorité de nos ouvriers
dans tout ce qui demande l'invention, le dessin,
l'agencement des formes et des couleurs. lIs aiment
l'ouvrage qui sort de leurs mains, ils s'y mirent, s'y
complaisent, ils sont consciencienx. 1I y a une sorte
d'esthétique qui sert comme d'atrnosphere a tout
le monde, que l'enfant respire en naissant, qui pénetre
et développe toute chose. L'esprit industriel tend it
tuer l'esprit artistique; mais nous n'en sommes pas
encore si pénétrés, qu 'on ne trouve chez nous des
artisans sensibles a la lonange, épris du bean, déli-




CARACTkRES DE LA RACE. 41


cats, désintéressés. Nous sommes plus économes et
moins avides que d'autres nations : il faut pen de
chose a qui vit par l'esprit, et ne s'enfonce jamais
complétement dans la lourde matiere.


Cette sociabilité charmante, qui donne partout a
l'esprit une primauté naturelle, qui use les angles de
l'égo'isme, et qui, a défaut de la vertu et de la sainteté,
nourrit du moins la politesse, la bonté, tontes les
graces extérieures de fhomme, a aussi son revers :
elle risque de toucher á la banalité et a la convention.
I)esprit de routine jette des racines profondes dans
un pays oú la peur de déplaire devient trop forte. « La
vraie politesse, dit la Bruyere, vient du camr. )) Il en
est une autre qui ne vient que de la prudence, qui ne
nie jamais, ne conteste jarnais rien; cornme un peuple
de roseaux, on nous voit nous incliner sous le meme
vent, non pas seulement sons une forte pression,
sous le souffie le plus léger de la mode. Le róle de
Phi linte n'est-il pas plus comrnode que celui d'Alceste?
Alceste a une conscience rebelle, quelque chose qui
dit : « Je ne veux pas.») Qu'il est difficile de elire :
« Je ne veux pas, » quand toute la vie est tissée de
sociabilité, et quanel ne pas plaire est presque l'égal
el'un crime!


La race fran~aise n'a pourtaht jarnais en ríen de
servile; elle est protégée contre .la bassesse par la
grtice et la finesse de son esprit, par ses goúts labo-
rieux, par son esprit d'éconornie, qui donne a chacun




LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIA LE.


le sentime-nt d'une inrlépendance relative. Il faut se
figurer, aux beaux temps de notre histoire, une fonle
cfexistences étroites, réglées, animées d'ambitions
humbles, heureuses de peu, parcimonieuses, soutenues
dans leur effort lllonotone par une gaité naturelle,
par les plaisirs de l'esprit, par l'amour de la famille,
enfin par la vision et les rayons de la gloire, de la
grandeur nationale.


L'amour de la famille n'est point une des vertus que
l'étranger nous attribue le plus communément : et
cependant qni étudiera bien la société fran9aise sera
frappé, non, si ron veut, de l'amour des époux les
uns pour les autres (bien qu'on puisse trouver chez
nous bien des unions heureuses), mais de l'amour des
parents pour les enfants, poussé a un degré vraiment
extraordinaire. L'esprit de clan et de race subsiste
dans toute son apreté. La femme, l'étrangere, re90it
les hommages; au fond, elle est l'esclave de la familIe.
Habelais raille perpétuellement le mariage; quand
Pantagruel est né, il nous montre Gargantua perplexe :
« car, voyant d'un cóté sa femme Badebec morte, et de
l'autre, son fils Pantagruel né, tout beau, tout grand,
il ne savait que dire ni que faire. » « Ho! ho! que
je suis aise! fait enfin Gargantua; buvons, laissons
toute mélancolie ... Hé! mon petit fils, mon peton,
que tu es joli, etc.! »
L~éducation de l'enfance a été une préoccupation


constante de nos pensenrs, de nos écrivains. On




~AnA~TtRES DE LA nACE. 43


"eut faire fortune, moins ponr soi que ponr ses en-
fants; iI semble qu'on leur doive encore la protection
du, fond du tombeau. Nous détournons la rude,
maladroite et dangereuse liberté de la jeunesse aussi
longtemps que nous le pouvons: notre enseignement
est une école de docilité. Ainsi tout s'unit depuis
l'enfance pour habituer l'homme a prendre une place
marquée dan s un grand et bel ensemble; les idées
d'ordre, de soumission, se respirent dans 1'air. La
nation aime a se réchauffcr au soleil de quelque gran-
deur visible. Il faut que son imagination soit satis-
faite. Louis XVI, gourmand, serrurier, menuisier,
lui gáta la royal1té. L'amour inné, congénital) de
l'orure se fait voir á tuut momento Montalembert
racontait que) deux jours apres les émeutes de
juin 1848) se trouvant enfermé dan s une salle d'at-
tente de chemin de fer, il demanda qu'on ouvrit la
fenétre : « On ne le peut pas a cette heure-ci fut la
réponse. - Et si je casse la fenétre) et vous donne
le prix d'un carreau?» dit Nlontalem bert a l' employé.
Il vit la foule se détourner de lui presque avec hor-
renr et le regarder comme un insurgé. Des gens
qui avaient entendu le canon pendant trois jours dans
Paris) s'effrayaient a la pensée de violer un reglement
et de casser une vitre.


L 'administration est une machine si bien huilée
qu'elle va toute seule; c'est la véritable force
motrice dn pays. Le gouvernement est comme les




44 LA FnA~CE POLITIQUE ET SOCIA LE.


figures dorées placées a la proue dn navire; la machine
est clans les flanes, puissallte et invisible. Depnis
la conquéte romaine, le peuple des campagnes n'a
connu que l'administration; il n'a jamais été représenté
jusqn'a, la findu siecle dernier. Il a appris pendant
des siccles la résignation, la docilité, rinclifférence;
ses instincts sont restés droits et sains : il n'a point de
fortes passions. Il est facile a, gouverner, quand il
comprend oü il va, OU on le mene. Des qu'il ne sent
plus le mors de la tradition et de la loi, il devient
comme fou, et il est d'autant plus terrible (IU'il ressent
plus de terreurs.


JI


Il Y a une sorte de contradiction naturelle entre les
vertus sociales et celles qui font les grandes races poli-
tiques : la race fran9aise a, on peut le dire, des
qualités sociales éminentes : elle est industrieuse,
consciencieuse, amoureuse du travail, économe,
modérée dans ses désirs et ses goftts, facilement heu-
reuse; on ne sanrait vanter assez sa grace, son goftt
ponr les choses de l'esprit, sa curiosité natnrelle, cette
urbanité exquise qui a longtemps servi de modele an
monde entier. Ce qui contribue a nous élever, si ron
ne regarde qn'aux mceurs, se tonrne contre nons, si




CAnAcrtREs DE LA nACE. 45


ron regarde a la politique, car les passions concen-
trées, imployables, haineuses, quí font les peuples
politiques, nous font défaut. Nous avons eu des poli-
tiques, et des plus grands; le peuple n'a jamais été
politique comme le peuple romain, comme le peuple
anglaís. Plus notre gouvernement deviendra démocra·
tique, plus nous courrons peut-etre de dangers de ce
cóté. Couver de longues haines jusqu'au jour Ol! on
peut les satisfaire, tendre patiemment des filets invi-
sibles, avoir l'mil ouvert sur tous les coins du monde,
chercher sans cesse le défaut de la cuirasse chez
l'ennemi, est une besogne trop loltrde a notre légéreté.
Nos ennemis de la veílle sont nos amis du lende-
maín; nons nous croyons meilleurs pour oublier les
illjures, ou notre indifférence n'en peut supporter
longtemps le ressentimellt. Notre race est trop éprise
(ridées, et se flatte qu'elle en a beaucoup répandu
dans le monde : elle n 'est pus assez amoureuse du
solide, de la terre, des provinces, de la grandeur
matérielle, de la force. L'ancienne monarchie a fait
mille folies pour de vains droits de suzeraineté en
ltalie, pour des conquétes dans le vide, impossibles a
garder perpétuellement : elle n'a pas commencé assez
tót le travail de taupe dalls ces provinces du Nord et
de l'Est qui étaient notre lot naturel, et quí nous
manquent toujours. Ce n'est pas le génie colonisateur
quí nous u manqué; nos uieux out fait des merveilles
dans rInde, au Canada. Ce quí nons a fait défaut, e'est




46 LA FRANCE POLITIQUE ET SOr:IALE.


l'ápreté dans la possession qu'on voit a l'Angleterre,
l'entétement a ne jamais lacher une proie, la déter-
mination a soutenir sur tous les coins du globe) ave e
toutes les forces de la France, le moindre lambeau de
terre ou flotte le drapeau fran<jais. Notre histoire n'a
eu d'idée fixeque pendant la période de la lutte contre
la maison d'Autriche. La révolution' frLLncaise ne fit
~


pas de vraies conquétes, elle ne fit que de la propa-
gande; elle voulait abolir les fronticres. Napoléoll
fut un politique, iI éonnaissait le prix de la terre,
du.sol; mais iI fut un politique a outrance : en éten-
dant trop loin le glacis, il perdit la place forte.
Sous le second empire, on vit toute la France app]au-
dir a une politique qui ne tendait a rien autre qu'it
entourer notre pays d'ennemis de plus en plus puis-
sants. On la flattait en lui disant qu'elle seulc
savait faire la guerre pour une idée. Il n'est pasjusqu'á
notre vif sentiment du ridicule et notre crainte de
l'ennui qui ne f~se de nous un peuple médiocrement
politiqueo Quand on nous a parlé d'une chose un pen
trop longtemps) elle nous fatigue : IlOUS craindrions
de ressembler a des professeurs d'Iéna, si nous savions
trop bien la géographie; les ressources des autrcs
nations, leur population, tout ce détail si nécessaire a
l'homme d'État, nous croyons que cela peut se deviner.
Les journaux commenoent seulement a devenir des
répertoires d'informations précises; mais, ú cóté de
quclques journaux consciencieux) combien y en a-t-il




CAHAcTERES DE LA ltACE. 47


qui débitent le mensonge au meme taux que la vérité,
qui tiennent boutique d'anecdotes, de fadaises, de
bons mots, de romans! Il semble que notre public soit
indifférent a la vérité : il veut qu'on l'intéresse et
qu' on l'amuse; mais le faux et le vrai nourrissent
aussi bien son esprit.


Les longues pensées, OU les trouvera-t-on dan s une
société qui n'a plus d'hiérarchie, ou les ambitions
personnelles sont comme une poussiere qui étouffe
l'ambition nationale? Tout se fait au hasard; les
gouvel'nements sont occupés a défendre leur exis-
tence, et quand ils entreprennent quelque chos~ au
dehors, c'est qu'ils songent encore au dedans. Il y
a dans tous les rangs de la nation un amour sincere de
la patrie, nous sommes toujours la « grande nation; »
mais s'entend-on encore sur les caracteres et les con-


_ ditions de cette grandeur? Est-ce une grandeur de fait
et matérielle, OH une simple grandeur d'imagination?


" Devolls-llOUS régner par les armes, Ol! par l'esprit, ou
par nos fameux principes? Serons-nous des Rouverains
d'opinion ou des souverains véritables'( L'Europc, quí a
tant crié contre notre insatiable ambition, découvrira
un jour que nous n'avons jamais été assez ambitieux.
Nous avons trop souvent luché la proie pour 1'ombre,
le solide pour le brillant, le durable pour l'éphémere.
Nous nous sommes enivrés du sentiment de notre pl'i.
mauté sociale, et, dans les moments oú la fortune l10ns
accable, ce sentiment nous console encore et nons




48 LA FRANCE POLITIQUE El' SOCIALE.
trompe. Prenons garde de faire quelque jour en
Europe la figure que faisaient les Grecs dans la Rome
impériale, et de nous contenter de ce róle honteux
d:amuseurs de runivers! La France a possédé des
génies aussi sérieux qu'aucun peuple au monde; pour-
tant la jalousie des autres nations est toujOUl'S disposée
a nous refuser le sérieux. Nous affectons par mbments
de faire fi de nous-memes, de notre gloire si chere-
ment achetée, de notre histoire, de nos héros. Voltaire
se moque de Jeanne d'Arc, l'école révolutionnaire
déchire la pourpre de nos triomphateurs et invective
notre glorieux passé. Toute la littérature du dix-
huitieme est imprégnée d'ironie, la presse du dix-


'neuvieme a tout flétri, jusqu'a la langue frangaise.
Les nations ont besoin d'un ciment pour ne pas


devenir des poussicres humaines. Voyez l'Angle-
terre travailler incessarnment á rnaintenir sa pri-
mauté morale et sa puissance l1latérielle, qui ne lui selll-
ble que la récompense terrestre deses vertus. Chaque
grand peuple se donne une mission. Les J~tats-enis
ont ce qu 'ils nomment leul' l( destinée manifeste; ))
ils achevent la conquete d'un grand continent libre,
se gouvernant lui-meme, indépendant de l'Europe;
la Russie reve la conquéte de Constantinople, et se
donne comme la protectrice des chrétiens d'Orient.
L'Italie, rAllemagne, achevent leur unité. Que
veut aujounl'hui la France '? Doit-elle se contenter
d'avoir semé dan s le monde les formules de la premierc




C.-\l\.\CTEIIES D~ lUCE. 49
répuLlique? Il Y avait des répllbliques avant t 789. Lui
suffit-il de donncr des modes a l'univers, d 1avoir la
meilleure cllisine, de batir les plus grands théátres?
Ol) chcrche quelles nouvelles conquétes pourrait faire
son esprit révolutionnaire, sans les trouver. Ou regne
une égalité plus parfaite, ou les lois protégent-elles
mieux le plus humblc citoyen, OU les carrieres sont-
elles plus 011 vertes a tous? Que reste-t-il a détruire?
Sur quoi tournerons nous notre ardeur inquiete? Il est
Ü, craindrc, si la France renonce aux grands pro-
jcts politiques, que fesprit nouveau ne tue dans
les (tmes toute ambition impersonnelle et séculairc.
~ous pourrions étre á la fois riches et misérables, satis-
faits dc nous-mémes et méprisés de nos voísins, occu-
pés a orner notre maison pendant que les fondements se
l'uineraicnt. Notre primauté sociale est encore incon-
testable, mais elle ne résisterait pas longtemps a notre
décadence politiqueo


L.\t.:LiEL. 4




CHAPITRE lII.


Il Y a une sorte de dnel perpétuel entre la natlll'C
et "les hommes : la géographie montre Hne Gnllle
nettement limitée de tous cótés, sauf dn cóté dn nonl
et du nord-est; mais les races que l'invasion a jetées
sur ce territoire ont cherché pendant des siecles
l'ullité réelle qui constitlle une natíon. La conquéte
romaine n'avait opéré que l'anité administrative, et, la
protcdion de l{ome une fois devenue implli~santc) les
di verses parties de la Gaule resterent la proie hasar-
deuse de la force. Cherchez le príncipe mystérieux qui
a servi de centre a l'attraetion nationale, qUl a
triomphé des haincs) des coleres, des longues ranCUDes,
et préparé la nouvelle unité : ce n'a pas été In, religion,
bien que l'Itglise ait travaillé h cette grande ceuvre;
ni la langue, cal', pcndant tlcs !:iiudes) le ~úrd ct le




UNITÉ FRAl'iIjAbE. 51


Midi ont parlé des langues différentes; ni la législation,
car l'unité législative a été extremement tardive; ni
l'autorité des grands rois, car Charlemagne lui-meme
n'avait pas songé a serrer pour l'éternité le faisceau
que sa main avait tenu un instante L'unité s'est faite
sans dessein, sans parti pris, au moins an débnt, en
vertu d\ln principe barbare et grossier, mais d'une
force '2n quelque sorte inévitable: je parle du lien
féodal. Rien n 'est plus banal que d'entendre dire qne
l'unité fran~aíse a été une victoíre obtenue sulilfla
féodalité: ríen n'est cependant plus fanx. Le lien
féodal est ce lien a la fois mystique et matériel qui
unit strictement la terre et l'homme, qui asservit cette
terre et cet homme de la ·meme fagon, an meme titrc,
au méme degré. La terre est d'abord la récompense
d 'un service militaire rendu par un vassal a un suze-
rain: la confiscation est le chfttiment naturel de la
révolte. Des le moment ou les tenures, primftrv~m-;n't~·
personnelles, sont devennes héréditaires, le germe de
l'nnité nationale a été jeté dans le sol, cal' le temps
devait a la longue changer l'autorité mitigée dusuzerain
en pleine et véritable souveraineté. Toutes les tenures
vassales devaient peu a pen disparaítre, par les ma-
riages, les héritages, les rachats, les confiscations; la
tenure royale était immortelle. Dans l'idéal romain;
l'homme régit la terre, l'élection on l'adoption don-
nent le pouvoir, les honneurs et les offices; dans l'idéal
barbare, aU contraire, la terre régit l'holllme) elle le




52 LA FnANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


tient et l'épouse, elle se donne a lui, tant qtl'il cst
capable de la défendre les armes a la main.


La hiérarchie des armées fut le principe de la hié-
rarchie sociale. Ce furent les plus forts qui eurent
d'abord les meilleures parts. Des que l'ordre se fit, la
terre cessa de changer de maÍtre: tel domaine fit le
comte, tel autre le vicomte, tel autre le roi. Le petit
souverain du Nord se trouva posséder une autorité
mystique sur tous ceux quil'avaientsuivi de la M\use
aux Pyrénées ou en Bourgogne, et qui avaient re(;lde
lui une part de butin.


Les fiefs s'immobiliserent dans des familles, et
furent soustraits enfin aux convoitises de la force
et de l'ambition; ils devinrent les satellites de la
planete royale, et rien ne put les soustraire a une
attraction tantót plus forte et tantót plus faible,
mais qui finit par devenir irrésistible. Dans le sys-
teme romain, il n'y avait de solidité, de durée, que
dan s l'administration; aucun office, pas méme·l'office
impérial, n'était lié a l'idée matérielle de rhérédité,
de la propriété. Sous le régime brutal des barbares,
l'administration perdit ses regles et ses traditions)
la société fut com~e un grand corps qui se décom-
pose en éléments; mais des forces nouvelles com-
mencerent a agir sur ces éléments : l'unité ne fut
plus faite par l'administratioll, elle devint l\euvre de
la nature elle-meme, et sortit du lent l1louvement des
choses et du temps .




UNITÉ FRANGAISE. 53


Cette Imité trouva pourtant quelques instruments
,


conscients: nommons d'abord rEglise. Dans des temps
sombres et féroces, elle revait l'ordre universel, pro-
tégé par des émpereurs ou des rois dociles au roi
spirituel, au prince désarmé, au pere des fideles. En
travaillant a runité religieuse, elle favorisa la créa-
tion des unités politiques. Son instinct la servit mer-
veilleusement, et lui montra que les instruments
les plus énergiques pouvaient etre trouyés chez les
races encore vierges que la culture romaine n'avait
point corrompues. La barbarie l'effrayait bien moins
que rhérésie: le barbare se livrait sans réserve a des
guides qui lui offraient les royaumes de la terre en
meme temps que celui du cÍel. Le clergé gallo-romain
avait toujours conservé un grand respect pour les
anciennes gloires de Rome: il s'était montré tres-
dévoué a l'empire pendant ses longues épreuves; iI
avait une sorte de patriotisme romain. (Voyez Sidoine
Apollinaire.) Les premiers éveques chrétiens de la
Ganle avaient été des Italiens, des Grecs. La partie
érudite du clergé gallo-romain sortit longtemps du
cloltre de Lerins, báti sur un petit ilot pres d'Antibes,
et du cloitre de Saint-Victor de ~larseille; si pres de
11talie, elle se pénétrait de l'esprit romain.


Les gens d'Église avaient contemplé avec sérénité
les désastres de l'invasion : Saint Augustin montre
dan s sa « Cité de Dieu » que le triomphe des bar-
bares s'accommodait avec la doctrine du gouverne-




5'1 ' 1,.\ FRA~C¡;: POLTTIQITE ET ~Or.JAr.E.


ment de la Providence. Salvien prit hardiment parti
pour 'eux; la seule crainte des éveques était de les
voir épouser la cause de rarianisme. Ils virent dans


. .....


Clovis un nouveau Constantino (Voir Grégoire de
Tours.) « Sois, lui écri vit le pape Anastase, ponr cette
,


Eglise, pour cette nouvelle mere, une colonne de fer ;
et nous, louons le Seigneur (r a voir ainsi pourvu aux
besoins de son Églisc, en lui donnant pour défenseur
un si grand prince, un pl'ince armé du casque du
salut contre les efforts des impies. » Avitus, l'évéque
de Vienne, lui écrit : c( Chaque combat que vous livrez
est un triomphe pour nous. ») On renveloppa d'une
auréole miraculeuse. Le clergé catholique le soutint
contre Alaric. La bataille de Vouglé donna an nou-
vea u Gédéon les quatre cinqniemes du domaine que
les Visigoths possédaient dans la Gaule; elle lui li vra
tout le domaine compris entre la Loire et la Garonne
jnsqu'aux frontieres de la Septimanie. Les écrivains
ccc1ésiastiques ont dissimulé toutes les horreurs de
cette conquéte; la Gaule méridionale en con~ut une
haine profonde pour les Francs: mais Clovis rec;ut a
Tours de l'empereur d'Orient le titre de patrice ou de
consul. Il l'accepta des mains des évéques, dans
réglise Saint-Martin, en tunique bleue, et le dia-
deme an front. Saint Grégoire le peint sortant au
milieu d'une foule a laquelle il jetait 1'01' a pIeines
mains. Les éveques donncrent les premiers á ce
farollche homme du Nord ridée d 'une royauté ditfé-




55


rente de la royanté germaniqne, d'un ponvoir divin,
religieux, différent de la ,force. Il n'était plus, a la
fin de son regne, ce chef a qui un soldat pouvait récla-
mer brutalement une part du hutin : l'investiture
impériale l'avait grandi a ses propres yeux.


Pourtant l'idée d'un royaume indivisible n'était pas
encore entrée dans son esprit: les :Francs trouvai~nt
naturel que les fils partageassent par parties égales
l'héritage paternel, que ce fút un empire on un champ.
La partie germanique du royaume fut généralement
dévolue á 1 'ainé des héritiers; le reste fut coupé en
lots, et le roi germanique eut aussi sa part des fertiles
provinces d'outre-Loire. Les frcres s'aIlierent ou firent
la gnerre au gré de leurs pass ion s et de leurs convoi-
tises. La mort de chaque roi fut l'occasion de nou-
veaux partages. L'ardeur des conquérants s'usa dans
des luttes perpétuelles, des guerres intestines de parent
it parent, de leudes a rois.


Les trois fils de Clotaire ler eurent trois lots: l'Aus-
trasie, ou portion germanique; la Neustrie, ou la ma-
jorité de la population était gallo-romaine; laBurgon-
die, qui conservait une sorte d'individualité, et qui
avait ses loís propres. Paris étaít en Neustrie, mais
resta en quelque sorte indivis; il fut interdit a chacun
des rois d'y aIler sans le consentement de ses freres (la
Provence fut partagéc entre l'Austrasie et la Bur-
gondie, l'Aquitaine coupée en tl'ois, comme la No-
vcmpopulanie) .




56 LA FRANCE POLTTIQUE El' ~OCJA r.E.


Clotaire I1, apres le supplice de Brunehant, réunit
encore les trois couronnes sur sa tete, mais les
royaumes gardere~t lenrs noms et eurent des maires
du palais différents. Cette unité n'était plus qu'une
illusion, car la monarchie était affaiblie par raudace
croissante des leudes. Le midi de la Frunce se détacha


_du gouvernement des Th1érovingicns par lambeaux,
pour former des seigneuries indépendantes sons des
chefs soit gallo-romains, soit méme francs.


En luttant contre la royauté de la conquéte, les pre-
miers Carlovingiens secondcrent des instincts qu'on
pourrait déja presque qualifier de nationaux: pour-
tant leur triomphe fut en réalité celui d'une royauté
germanique, plus dédaigneuse que la précédente des
traditions de la monarchie latine. Elle maintint les
leudes par son génie milihúre, mais leur distribua
trop généreusement les récompenses. Charles Martel
recommen<ift l'invasion du Th1idi. « Partout, dit.M. Fau-
riel l , Oll les Franks passerent,' ils pillcrent a ou-
trance; partout ils enleverent une multitude immense
de captifs, qu'ils poussaient devnnt eux comme des
troupeaux, ou nccouplés deux á denx comme des
chiens, selon l'expression d 'un chroniqueur contem-
porain. Cette expédition a vait quelque chose de mé-
morable pour les Franks; il Y avait prcs de deux sic-
eles qu'ils dominaient aux bords de la Meuse) de la


t Histoire de la Ga1l1e meridirmale, t. III, p. 164. I




fl7


Seine, de la Loire, et c'était pour la premiere fois
qu'ils parcouraient et yoyaient a loisir la Septimanie,
ce noble foyer de la civilisation romaine dans la Gaule,
et don t les chroniqueurs franks ne nommaient les
cités qu'avec une sorte de respect pour leur antique
renommée. }flais ce malheureux pays ne gagna rien
a étre envahi le dernier par les Franks; il est dou-
teux que les guerriers de Clovis s 'y fussent montrés
plus barbares et plus inhumains que ne le furent ceux
de Charles 'Martel ; peut-étre seuIemen t faut· iI imputer
une certaine partie des cruautés de ces derniers a
l'horreur qu'ils avaient pour les Arabes t. »


Charles .Martel, rentrant dans la pure tradition
germanique, partagea les provinces de la monarchie
franque entre ses fils : il donna a Carloman l'Austrasie,
la Thuringe et la Souabe, a Pepin la Neustrie et la Bur-
gondie, a son batard Grippon des comtés pris dans ces
deux parts; l'Aquitaine ne fut pas nommée dans le
partage, elle n 'était pas regardée comme une portion
de ]a monarchie, ce n'était qu'une dépendance. Cette
province se mit en révolte ou verte. Les deux freres la
ravagerent de fond en comole. Plus tard Pepin la con-
quit sur un descendant de ~[érovée; mais sa conquéte
ne fut réunie qu'un moment au royaume franco Les
Aqllitains resterent un peuple distinct duns la GanIe.


I Les Ar-ubcs uyuicnt pris Nurbonne en 719, ct menaguient sans
ces se l' Arluituine et la Provencc.




5H LA FRAXCE POLITIQUE ET SOCIA LE.


1


Pepin devint, par la retraite volontaire de son frere
Carloman, le chef unique de la monarchie : son armée
était la plus grande force militaire de l'Europe chré-
tienne. Las de gouverner pour un fantáme royal
(Childeric IlI), il demanda fierement au pape Zacha-
rie qui devait étre roi, celui qui avait le pouvoir
ou celui qui avait le titre (751) : Zacharie rinvita
a mettre la couronne sur sa tete. Ce mariage d'une
dynastie usurpatrice et de la papauté, de la force et
du droit spirituel, est un moment solennel de rhis-
toire; les armées franques protégent contre les Lom-
bards la papauté encore menacée; elles neutralisent
Home, et n) laissent briller d'autre soleil que la
papauté. Rome, en revanche, li vre la France aux Ger-
mains, laisse le clergé frank, grossier et sans culture,
entre1' dans tous les évéchés et les monasteres. Tout
devient germanique; Charlemagne déteste les Aqui-
tains frivoles et turbulents; il aime les vieux chants
épiques d'outre-Hhin: il 1'efait la loi des Saliens, et tra-
vaille a la grammaire allemande. Il est le représen-
tant le plus imposant de la barbarie victorieuse de la
civilisation latine, mais efi'rayée d'elle-meme, et aspi-
1'ant ft faire régner l'ordre dan;;; un monde non vcall.




l1NITR FRANC.AI~E.


11 accepte le titre crempereur d'Occident, et reve de
restaurer l'unité par le double prestige des armes
et de la nouvelle autorité spirituelle, qu'il protége et
qui le protége. Il emprunte aux traditions de l'em-
pire l'institution des légats (missi domillici), adminis-
trateurs ambulants que rien ne fixe a la terreo Il par-
tage pourtant l'empire entre ses fils, conformément a
la tradition germanique: il est ainsi a la fois le repré-
8entant du monde qui s'en va et du monde en création.


Une part est faite de l'Aqllitaine, de la Provence,
d'une moitié de la Burgondie, pour' Louis le :Qébon-
naire. Une autre, son s le nom de Frankie, de l'Aus-
trasie, de la Neustrie, de la Saxe, de la Frise, d'une
partie de la Bourgogne et de l' Allemanie et de la Ba-
viere, grande masse compacte et principalement ger-
manique; une troisieme de l'Italie, d'une partie de la
navicre et de l'Allemanie. Nulle ídée de nationalité ne
préside encore tl ce partage. Les trois sou verains sont
égaux en puissance; ríen n'indique une hiérarchie
entre les couronnes (acte de partage de 806) •. Mais
l'Église poursui vait d'autres pensées, qui aux plaids
d'A ix-la-Chapelle, en 816 et 817, trouverent leur
expression dans la constitution impériale. Louis le
Débonnaire proposa aux Franks de faire un seul em-
pire, qui serait divisé en trois parts, formant un
royaume pour chacun des fils du souverain; l'idée
germanique d'égalité entre les fils était cette fois
vainclle, cal' les l'oyaumes des trois fils de Lonís le




/


60 LA FIlA~CE l'OLITlQUE ET SOCIALF..


Débonnaire ne devaient former qu 'un meme empire :
• deux des rois n 'étaient plus que des lieutenants de
l'empereur. Il fut décidé que) si un des rois laissait
plusieurs fils, un seullui succéderait, qui serait nommé
par les leudes assemblés. Si un roi mourait san s en-
fant) son royaume reviendrait a l'empereur. Celui-ci)
s'il n~avait pas d'héritier) pouvait adopter comme
successeur un de ses freres.


L'aspiration vers l'unité romaine est ici manifeste;
l'empire redevien~ une dignité mystique supérieure a
la royauté) un signe presque divin) le bras armé de la
nouvelle puissance spirituelle) qui domine toutes les
races et toutes les nations. Mais ce plan du parti sa-
cerdotal ne put pas s'imposer aux ambitions particu-
lieres: apres de longues discordes) les fils de Louis le
Débonnaire signerent le traité de Verdun (g43), qui
consacrait la rupture définitive de l'empire de Charle-
magne) et qui coupait arbitrairement la Gaule en deux
parts. Lothaire) l'empereur, eut la Gaule orientale)
depuis le Rhin et les Alpes jusqu'a une ligne tracée
de la Flandre a l'embouchure du Rhóne. 'fout le
reste) la plus grande partie de la Gaule) allait a
Charles le Chauve. La GauIe eut deux rois, un roi
lorrain, un roi frank (on ne peut dire encore un roi
frangais); tout le regne de Charles le Chauve s'use en
luttes contre les Aquitains, a qui il est contraint de
donner successivement deux de ses fils pour souve-
rains. Il est déja l'ennemi de l'Allemagne) il n'est pas




,1


I:.'HTÉ FRANI.{.-\l::iE. 61


encore le représentant de la France; il va chercher a
Home le titre d'empereur, mais il est obligé de consa-
erer au plaid de KierS'i (877) le principe de l'hérédité
des grands offices, désormais liés a des fiefs.


La éonquéte, par ce principe, prenait son assiette
définiti ve: les races dominantes se fixerent au sol.


.


Au moment méme oll l'unité semblait se rompre a ja-
mais, elle trouvait en réalité une base plus forte, plus
tenace que le hasard des batailles ou que la dignité
impériale. Fauriel écrit avec raison : « La prétendue
10i de Charles le Chauve n 'est que la reconnaissance,
que l'expression pure et simple d'un fuit des lors tres-
commun, et qui tendait a devenir général. Partout oú
les comtes avaient été favorisés par les localités ou
s'étaient trouvés étre des hommes de capacité et
d'énergie, partout) dis-je, ces comtes s'étaient approprié
leurs comtés; et n'étaient pas rares ceux d'entre eux
qui en possédaient plus d'un et méme plus de deux.
Il est vrai que ceux de leurs fils qui leur succédaient
leur succédaient parfois en vertu d'une élection, d'une
confirmation, d'une concession royale; mais il est
vrai aussi qu'en général cette concession, cette confir-
mafion, étaient de pure forme, d'autant plus aisément
accordées par les 1'ois que ceux auxquels ils l'accor-
daient en a vaient réellement moins besoin l. » Le mor·
cellement de l'empire carlovingien en royaumes, celui


t Ili1;toire de la lJaule méridionale, tOlll. IV, pago 28::1.




6:> LA FUANCE l'UL1Tl\.lUE El' SIlC1ALE.
des royaumes en grands fiefs, devait étre suivi du mor-
cellement des grands fiefs eux-mcmes; la di vision fat
poussée aussi loinquepossible,jusqu'a ce qu'un nouveau
principe d'affinité vint opérer en sens inverse et consti-
tua des unités géographiques et naturelles a la place de
l'ancienne unité, devenue factice et impnissante. Les
liens de l'empire d'Occident étaient tous usés; la race
carlovingienne était épuisée; c'est a ce moment que
l 'on vit le midi de la Gaule, détaché de la monarchie
franke, se couvrir de seigneuries iridépendantes. On
vit se manifester aussi la sépal'ation entre les Franks
restés Teutons et les Franks latins ou demi-latins.
Tandis qu'un royaume de Provence se fondait, que le
royaume d'Aquitaine devenait une mo~a'ique de petits
,


Etats, le Nord trouvait son centre d'attraction dans
l'Ile-de-France et dans une dynastie quí n'était plus
la dynastie teutonique et conquérante, qui sortait des
entrailles mémes de la race celtique, rajeunie et fé·
condée par les Franks. Sitót que cette famille provi-
dentielle parait, elle concentre sur soi tous les rayons
de l:histoire de France. Les Franks, qui n'avaient
plus que du mépris pour les descendants dégénél'és de
Charlemagne, choisirent pour roi Eudes, fils de Ho-
bert, comte de Paris. L'Aquitainc, le midi de la Gaule,
n'eurent aucune part a cette élection. Eudes fit trois
expéditions en Aquitaine, mais il renonfja a y établir
son autorité; il se contenta d'acheter sa reconnais-
sanee conune roi du Nord, en luissant l'indépendance




U:\lTÉ FHANI';Al~E. 63


aux smgneurs du )lidi et méme aux comtes d 'Ar-
.


verme.


Les derniers Carlovingiens avaient tenté pendant
un siecle de reconquérir les provinces sitllées au midi
de la Loire et de rIsere. Le l\1idi repoussait cette
monarchie défaillante ; on ne reconnaissait plus que
son titre, sans vouloir accepter son autorité. Charles
le Simple s'intitulait encore roi des FranJes et des
Aquitains; le titre de duc d'Aquitaine passa aux
comtes d'Arvernie, de Toulouse, de Poitiers. Ce titre
et tous les titres semblables, devinrent les agrafes
auxquelles la petite royauté du Nord rattacha plus tard
un á un les morceaux de la Gaule.


Le principe germanique de la subdivision des héri-
tages était vaincu ; le dnc de France, devenu roí, avait
un petit domaine enveloppé de grands fiefs sur les-
quels sa suzeraineté n'était gucre que nominale :
mais rien ne put étre soustrait désormais a perpétuité
au domaine royal.


ti


Le vieil instinct germanique dut se contenter de la
création des apanages, portions données aux princes,
mais qui devaient, :'t l'extinction de lenr race, faire
réversion au domaine. « En la maison de France, dit




64 L.\ FlL\:\"CE l'ULITI0lJE El' SOCIALE.
Hageneau 1) n'y a partage) mais apallage) it la volonté
OH arbitrage du roí pere ou du roí frere régnant) et ce,
depuis le couronnement de la troisieme ligne de rois
de France) cal' auparavant l'empire s'est partagé. »


L'institution des apanages agissait iL reboúrs des
forces qui tendaient a agrandir et a consolider le do-
maine royal; la faiblesse de certains I'ois/ défaisait
ce qu'avaJt fait l'ambition ou la fortune des autres.
L'unité nationale oscillait comme un aimant entre
deux forces contraires; mais l'amvre du temps est


\
d'autant plus durable qu'elle a été plus lente.


La législation se roidit graduellement contre les
apanages : jusq u 'a saint Louis) ils purent passer aux
collatéraux) aux filIes et méme a des étrangers; apres
saint Louis, et jusqu'a Philippe le Bel) ils ne furent
plus concédés a ces derniers; les légistes de Phi-
lippe le Bel exclurent enfin les filles) et rendirent
males tous les fiel1; apanagés. L'histoire de France
n'est, pendant des siecles, que la lutte du roi contre
les grands vassaux et les prinees apanagés. On
n'aper<joit au début aueun plan) aucun grand des-
sein dan s les efforts de la royauté. Elle se défend bien
plus souvent qu'elle n'attaque, et la guerre lui est
aussi souvent funeste qu'utile.


C'est en qualité de suzerain qlli punit un vassal que
Philippe-Auguste confisque les propriétés fran<jaises


I Glossaire du droit franfais.




"


l;.'iITÉ FHA~t;AlSE. 65


de Jean sans Terre, rAnjou, le :Maine, la Normandie,
la Guienne, le premier comté d'Auvergne, relevant
Ull duché d'Aquitaine. La royauté confisque sur
r:douard III le comté de Ponthien, plus tard les biens
dll connétable ue Bonrbon rebelle, le Dauphiné d'Au-
vergne, le Bourbonnais, le Beaujolais, le !Torez, la
:Jlal'che.


Les mariages donnent au domaine royal la Cham-
llflgne (dot de la femme de Philippe le Bel\, la Bre-
tagne (dot de la femme de Franqois re r ).


Ln couronne obtient par ·héritage le Perche,
une partie dn Langnedoc) l'Anjou, le :Maine, la
Pl'ovence, le second comté (r Auvergne (légué par
Anne de la TOlll'-d'Auvergne á Catherine de ~lédicis,
et par Marguerite de Valois a Louis XIII), par achat
direct, le Berri : elle obtient la Bourgogne, une pre-
llliere fois par héritage, une seconde fois par réversion
{rapanage, le Dauphiné, par cession.


L'a,·énemcnt de Philippc de Vnlois njoute au do-
maine royal le comté de Valois, rAnjou, le :Maine;
cdui de Henri IV .. la Naval're, le Limousin, le Béarn,
le comté de Foix, les comtés d'Armagnac et de Rodez,
toutes les possessions des maisons de Bourbon-Ven-
dome et d'Albret. Les guerres et les traités quí les
sllivent ne n011S donnent définitivement qu'une moin-
(lre part: le Langucdoc, le Poitou, la Saintonge,
l'Aunis, l'Angoumois, la Guienne, la Gascogne, le
Lyonnais, le Dauphiné, l'Artois, et quand rere féodale




LA .FHANCE l'ULlTIQUE ET SUt:IALE.


était déja terlllinée dermis longtemps) la Bresse) la
Flandre, la Franehe-Colllté, rAIsaee, la Lorraine, le
Roussillon, le eOllltat 'T enaissin., la Corseo


A voir les ehoses d'ensemble, on peut dire que le
eorps de la Franee s'est eonstitué par le droit féodal,
cal' les guerres avee les Anglais et les grands prinees
apanagés, tels que les dues de Bourgogne, sont des
revendieations du droit féodal; on n'a demandé au
droit de eonquéte proprement dit que des limites au
nord et a resto La Franee s 'est done formée en vertu
du principe germanique; et, une foís forméc, elle
n'a pu vivre qu'en se fortifiant par les armes eontre la
lo urde masse germanique qui renveloppe, la presse et
la menaee, Jepuis les Alpes jusqu'aux embouehl1rcs
du Rhin.


Pendallt la premicre période, le domaine s'aeeroÍt
ou se resserre an gré d\~vénements qu10n pourrait Jire
fortuits : il est a peine Ulle provinee qui, une fois obte-
nue) ll'ait été reperdue 1. Si lente que fút l'reuvre des


f La 1'1'OY8nCe, a<.:qui~e par ll\"l'itage une pl'emiel'e fois, entra par
la maison d'Anjon dans le 1'0yauJ1te de Naples, ot revinL par l'adop-
tion que Jeanne de Naples iit de Louis d'Anjon, Ligo de la <lenxii~me
maison de ce nom, et par le legs fait par Clwl'lcs du Maine i:t Louis XI;
celui-ci légua aussi au roi l'Anjou, obtenu par cOtlfb<.:atioll e11 1204,
donné en apan::lge par saint Louis a l'un de ses frcl'es, apporté en dot
a Charles de Valois, dont le fils c1evint roi de France, remis en apa-
uage pom' le chef de la seconde nltlison cl'Anjou; la BOUl'gogne, ob-
tenue par héritage, en 1002, cédée au second ílls du l'oi HolJert C11
1032, revenue par l'éver::iion au roi J ean, donnée en apmwgc ü Phi-
lipl1e le Hal'lli, l'evclllliquéc COll1me /ief male a la morl de Charle;,; le
Témél'ail'c.




Ul'i'lTÉ FUANljAI::iE. Ui


rois, elle était encore trop prompte en mainte circons-
tance au gré des populations. Les allteurs normands
nous ont donné récho des cris de fureur que poussa la
Normandie, quand elle se vit confisquée par Philippe-
Auguste. Le jlidi rendait aux rois du Nord haino
pour mépris. Les Proven~aux se réjouirent sans
Yergogne de la captivité du saint Louis, ils détes-
taient ceux qu'ils nommaient les sires « Provinciales
Francos habcl1t odio úlell((l'rabili l. » Une inimitié sécu-
laire séparnit la Gaule l'omaine de la Gallle franqueo
Les rms carolingiens avaient considéré les peuples du
midi de la France comme une race inférieure, sans
gravité, sans constan ce, traltresse, adonnée a tous les
vices. Les premiers Capétiens les connaissaient a peine,
et se cantonnaient dans le Nord. Les guerres des Al-
bigeois durent paraitre au Midi comme des invasions
des barbares. Philippe-Auguste n) prit point une
part directe, mais son fils commanda la derniere croi-
saele contre les hérétiques et accepta l'héritage de Guy
de :Montfort) le fils du cruel ~imon de .Montfort. (Celui-
ci était un petit gentilhomme des environs de Paris,
fanutique et de rnamrs austeres. (¿uand le légat du
pape offrit les ten'es des vaincus aux seignellrs Cl'oisés
du Nord, Montfort seul accepta; aUClln noble iIlustre;
ni le comte de Haint-Pol, ni le romte de Nevers, no
daigna prendre Hne part des dépouilles, soit qu'ils nc


I jlalhicu l'al'i::" Jlisl. angi., LOllJilli W40. t. 11, p. 05~.




68 LA FIL\;-.ICE PULITIULJE El' ~UCIALE.


voulussent point d'établissements parmi les peuples
méprisés du ~fidi, soit qu 'ils obéissent simplement au
respect féodal de la propriété). 11 faut songer que cette
gnerre horrible des Albígcois, Ol! le sang fut versé a
flots, touche au regne du pUl' et bon saint Louis. On
se battait contre les Latins du ~Iidi ave e autant d'ar-
denr que contre les Sarrasins. Les horreurs et les
périls de la guerre de Cent ans pnrent seules amortir
tant de haines et ()ter sa pointe á l'esprit de vengeance.


111


La loi salique a-t-elle servi d'instrument a l'unité,
ou a-t-elle été du moins l'expression d'un sentiment
national hostile a l' étranger '? Cette loí, comme loí
politique, excluallt les femmes du tróne, ne date que du
XIVe siecle. Sous le régimc féodal, les fernrnes, :'t défaut
d'héritiel' male, héritaient des tiefs, et la couronne
ne fut longtemps qu'un fief souverain. Le code des
Saliens portait un article ainsi COll<jU : « De la terre
salique, qne nulle portion d'héritage ne vienne á la
femme, mais que l'héritage de toute la terre parviellne
au sexe viril. ) Cet article, antérieur h l'établissement
de la monarchie fl'anque, devait- iI réglel' l'ordre de
succession dans la monarchie '? La question, quand
elle se posa, fut résolue par la force. Louís X ne laissa





1l.'íITr.: FRAl'\GAISE. (jg


qu1une filIe, ,Jeanne; quand illllourut, sa femme était
enceinte, elle accoucha d\Ul fils qui ne vécut que cinq
jours. Philippe, comte de Poitiers, roncle de Jeanne,
se fit sacrer á Heims, au milieu de ses soldats;
Jeanne était une enfant, on la maria au comte


,


d'Evreux, et on lui fit signer un acte de renonciation
au tróne de France. Philippe V, en se conduisant ainsi,
ne bl~ssa point ropinion populaire; il fut acclamé á
Paris par le peuple des halles) et se mit aisément
craccord avec l'Église.


La question de la succession h la couronne fut sou-
levée une seconde fois quancl la race de Philippe le
Bel, maudite par Boniface VIII, et frappée de coups
répétés, se trouva éteinte; il fallut choisir entre
rancienne regle féodale et la nouveHe. Qui serait
roi? Philippe, fils de Charles, frere de Philippe IV,


,


ou Edouard lII, roi d1Angleterre, fils d1lsabelle, filIe
de Philippe IV? Les douze pairs et les hauts barons
de France donnerent le tróne, crun commun accord,
au neveu en ligne masculine. « Et ainsi, dit Frois-
sart, alla le royaume, ce semble á moult de gens,
hors la droite ligne. )) Ainsi, tandis que les plus grands
fiefs continuerent a étre régis par les lois sur la
propriété, la royauté cessa d1étre regardée comme un
fief ordinaire; en se défendant contre les femmes, elle
se défendait en fait contre les maltres du dehors. La
France naissante ne voulut pas se donner aux maris
étrangers des filIes de ~ang royal. Les fiefs resterent




7u L.\ Ffl.\;,{CE POL1TIQUE ET SOr.L\.LE.
,


sonmis anx anciennes regles; mais on f()l'c;a, an profit
de la nation, le sens d'nne loi presqne oubliée, et
la monarchie pnt s'incarner ainsi clans une race
frangaise t.


Les grands regnes de Philippe - Auguste, lle saint
Louis, de Philippe le Bel; avaient donné a la France
conscience d'elle-meme; rien ne ponvait plus triom-
pher de ces sentiments nonveaux et confns qui l'lmis-
saient ü une dynastie nationale. La coalition de la
Bourgogne, des villes des Flandres, de rAngleterre,
semblait devoir yenir a bout de la royauté frangaise;
mais les épl'euves de la royauté étaient devenues ceHes
de la nation, et le malheur acheva ce qu'avait COill-
meneé la gloire. La sanglante défaite de Crécy et la
capitulation de Calais, n'empechent pas Jean de
succéder a son pere, Philippe de Valois. Lorsque
Jean est fait prisonnier a Poitiers, la France semble
encore une fois perdue. Le prince Noir tient sa cour
magnifique a Bordeaux, la France du :Midi applaudit


1 Au point de vue du dl'oit féodal, il semble que Philippe de Yalois
fút l'usupal'teul'; pour les fiefs ol'dinaires, on pouvait, par une dispo-
sition testamentaire, renoneer a la loi saliquo et instituel' des mIes
héritieres. La Guyenne, la Normandie, le Ponthiou, Montreuil, étaient
venus au roi d' Angleterre par des femmes; les com tés de Toulouse,
de Provence, étaient tombés entre les mains des femmes. Philippe de
Valois, qui s'arma de la loi salique contre Édouard III, soutint en
Bretagne contre Montfort les droits d'une femme, de Jeanne, qui
épousa Charles de Blois. Les prétentions <l'l~douard d'Angleterre
étaient cependant invalidées par cette considération que, dans son
systeme, les trois derniers rois de Franee étaient des usurpateurs,
en tant au moiusque les descendants múles de leurs filies avaient plus
de droits que lui-meme.




maTÉ FRANQAISE. 71


a ses triomphes; il punit la révolte de Limoges par-le
massaCl'e de tons ses habitants; il est maitre absolu
de toute rAquítaine.


Le traité .de Brétigny (13GO) fut longtemps comme
une épée que les roi8 ang lais tenaient sans cesse
suspendue sur notre téte : les Plantagenets ne per-
daient aucune occasion de ressaisir les possessions que
ce traité leur attribuait. On put désespérer de la France
quand elle eut un roí en démence et qn'elle fut
déchirée par les deux factions de Bourgogne et
d'Orléans. Fant-iI rappeler l'assassinat dn duc d'Or-
léans par les ordres du duc de Bourgogne, le meurtre
de Montereal!, la sanglante défaite d'Azincourt? Le
sang de la nob]esse n 'avait jamais coulé a flots plus
abondants. La reine Isabelle de Baviere eut rim-
pudeur de se déclarer contre son propre fils; le parti
de Bourgogne se donna aux Anglais et lenr livra
Paris et Tours. Henri V, retourné en Angleterre
apres sa courte campagne, dicta les termes du traité
de Troyes (21 mai 1420). Le roí d'Angleterre épon-
serait Catherine de Valois; Charles VI conserverait
la couronne sa vÍe dnrant; a sa mort, elle reviendrait
an roi d'Angleterre, reconnu comme héritier dn
royanme de France. Charles, « qni s'intitu]e Dan-
phin, » était accusé de haute trahison et frappé de
forfaiture. Le roí anglais célébra ses fifln~ailles avec
Catheríne a Troyes, fit son entrée triomphale h Paris
et aUa occuper le 1.011vre, trainant apres soí le roí de




7"2 LA FfiANCE POLlTIQl;E ET SOCIALE.


France, il11bécile; iI convoqua les états, qlll pre-
terent serment entre ses maíns.


La France, duns les jours de doulcul', rcporte lcs
yeux sur ce quí suivit, coml11e pour se convaincre
que sa destinée a quelque chose de l11iraculeux, et que
des forces invisibles la protégent. Une fernme triom-
pIla de tout : de París rebelle, de l'Anglais illsolent, da
Bourguignon hautain, des tiúleul's, eles lc'Lehetés, eles
trahisons des gens de guerre et des gens d'l~glise ; la
force fut vaincue par la faibl~sse. Aucune histoire
montre-t-elle une héro'ine plus touchante que ,Jealll1e
d'Arc? La France mystiqne, celtique) se retrouva cn
elle; elle a toujours été., elle restera toujours une
énigme. Elle résume la fidélité, la foi, le courage,
la pureté, la dóuceur, les vertus simples et fortes, qlli
croissent comme des fleurs dans les sillons de la terre
gauloise. Elle reconnut le Dauphin; le penple de
France reconnut aussi son vrai souverain, et préféra
le petit roi de Bourges au'grand roi d'Angletel're.


IV


On vit pendant la guerre avec les Anglais le dan-
gel' des grands apanages : l'apanage bourguignon,
détaché du domaine royal, était devehu une sorte
de royaume indépendant; le chúteau, les tombeaux des




UNITÉ FRAi'iGAISE. 73
ducs de Bourgogne, donnent encore qnelque idée des
splendeurs de la conr de Dijon : l'art des Flandres
la remplissait de mcrvcilIes. Les dncs avaicnt des
veneurs par centaines, des ménestrcls, des astrolognes;
les roles de dépense, conservés a Dijon, comptent pour
11ne honppelande de Philippe le lIanli (1302) vingt-
deux saphirs, yingt-deux rubis, cent soixante-seize
perles; son échul'pe cst (In prix de ccnt mille écns,
brodée de balais, de saphirs, de feuilles (fol'. La char-
treuse, oil se voitl'admirable « Puits de l\101se, ) riva-
lisait avec Haint-Denis. n put sembler un moment que
la race de Philíppe le Hardi ferait de Dijon le centre
ele la France. Jean sans Peur fut le maHre ele París,
et le peuple lni jetait des fieurs : ( NoCl, vive le dnc
de Bourgogne, qni abolit les impóts! » n y tronva
jnsqu'ü des théologiens ponr justifier l'assassinat
du duc d'Orléans. La Bonrgogne était prospere, malgré
les coúteuses expéclitions du dnc Jean, cal' la guerre
alors nourrissait le soldat. Jean, implacable envers les
rebelIes des Flandres, fiattait la popnlace turbulente
de Paris. Avec plus d'audacc, iI aurait pu élever ses
prétentions :1U tronco


Quand Donglas ct ses Écossais vinrent offrir leur
épéc ü .Jean san s Penr, on signa un traité (2 avril1412)
Olt se lit : « Les deux parties jurcnt sur le fust de la
vraye croix par eulx touché et les saints Évangiles
de Dieu de s'aidel', conforter ct défendre contre tout
venant, meme de Frrwce. » LOJ'sque les Écossais




,


7 11 LA FRANCE POLlTH)TJE ET SOCIALE.


passerent an service de France, la cour se remplit
crAngIais. Le conseil de ville répugnait ponrtant a
preter serment a Renri d'AngIeterre, devenu l'allié
de Philippe le Bon. Il avait déja le sentiment confus
de la patrie, et semble protester dans la formule de
son serment: « Nous jurons et promettons que a telle
personne que nostre tres-redoutable seigneur, mon-
seigneuI' le dnc de Bonrgogne, obéira et tiendra
pour Roy, comme h Roy de France, nous semhlahIe-
ment le tiendrons et aurons ponr Hoy. » lls ne se
résignent que sur l'exprcs commandement du duc.
L'Angleterre eut ses ambassadeurs ú Dijon, quí vit
célébrer en grande pompe les noces du dnc de Bedfort,
quí prenait le titre de régent, avec la duchesse de
Guyenne, sreur du duc de Bourgogne.


Philippe le Bon avait une excuse: iI voulait venger
sur la France le meurtre de son pere, assassiné a ~lon­
tereau; íl finit par avoir lui-meme pitié de son po,ys :
l'insolence anglaise blessait les Bourguignons; l'Eglise,
toute-puissante dans une province qu'elJe avait cou-
verte d'églises et d'abbayes magnifiques, inclinait le
creur de Philippe vers la France, et des qu'il revint a
la cause du roí légitime, celIe de l' AngIeterre fut
perdue. Les troupes royales rentrerent a Paris en
criant: « Vive la paix! vívent le roí et le duc de
Bourgogne! » Les bourgeois rebelles tendirent en
vain leurs chaínes et lancerent quelques pierres
inoffensi ves aux soIdats. En perdant Paris, le roi


\




\


UNTTt; FnA;\;QAISE.


d'Angleterre redevenait un vassaI du roi de France.
J.,e traité d'Arras porta la Bourgogne au combIe de


la puissance. Le regne de Philippe le Bon reste ror-
gueil de cette province : elle se souvient de la rangon
de Louis lfOrléans, captif des Anglais) payée de ses
mains, du pardon accordé au peuple de Bruges, des
sujets défendus contre la violence des seigneurs, de
Van Eyk et .Tehan de la Yerta appelés a la cour, du
palais ducal, da trésol', qui contenait quatre cent
mille écus (rOl', douze mille mares d'argent) deux
millions de pierreries et de vaisselle d' 01'.


La race chevaleresque de Philippe le Hardi eut au
supreme degré les qualités et les défauts des Valois,
artistes) magnifiques, héro'iques, bons ou crueIs par
acces et sans raison. Elle eut l'abord facile) le cou-
rage) le grand luxe, tout ce qui peut toucher ou séduire
les peuples, et ne se perdit que par son amour immo-
déré de la guerreo Elle garda longtemps le creur de Paris,
mais elle ne putjamais souder ses possessions flamandes
aux provinces bourguignonnes; son empire resta ainsi
coupé en deux trongons. Elle foula les petites démo-
craties du Nord, qui auraient pu devenir ses instru-
ments) jusqu'a ce que des paysans suisses mal armés
anéantirent, dans deux batailles) une puissance qui
était alors une des plus grandes de rEurope. La dy-
nastie bourguignonne fut trop romanesque ; elle pass a,
cornrne fivresse d'un vin généreux. Elle n'avait pas
été assez nationale : elle avait trop oscillé entre




76 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE,


l'Angleterre et la France. Charles le Téméraire écri-
vait encore aux Anglais de Calais : « Par saint Georges,
il n'était meilleur Anglais que lui) désirant plus le
bien de lenr pays et se ressouvenant du glorieux sang
de Lancastre qui était en lui. »


v


Il Y avait d'autres apanages que la Bourgogne:
Louis VIII en avait créé trois pou!' ses trois fils
puinés: l'Artois) le:Maine et l'Anjou, le Poitou, l'Aunis
et la terre d'Auvergne. Saint Louis les avait con-
firmés et en avait donné d 'autrcs h ses fils, dont le
dernier fut Robert, comte de Clermont) en Beauvoisis)
qui acheta la seigneurie de Bourbon. Philippe le Bel
céda en apanage a son fils le Poitou, qui avait fait
réversion a la couronne. Il donna á un de ses fils le
comté de Valois, le comté d'Alen(jon et le Perche, u un
autre, le comté d'Évrenx.


Quand Louis XI monta sur le tróne, il n'y avait pus
moins de sept prillces capétiens apanagés: le dnc de
Bourgogne; le comte de Provence (qui possédait la
Provence, l'Anjou et le :Maine); le duc de Bourbon
(qui avait le Bourbonnais, les comtés' de Clermont et
de Montpensier, le Forez, la principauté de Dombes,
le Dauphiné d'Anvergne, le Vendómois); le dnc de


,




,


7,
Bretagne; le duc d10rléans (qui avait le duché d'Or-
léans, les corntés de Blois et de Valois); le duc d'Alen-
<]on; le cornte de Nevers, cadet de Bourgogne .


.A cóté d'eux, les grands feudataires étaient les sei-
gneurs de la Tour, en Auvergne, les corntes d'Arrna-
gnac, de Foix, de Comminges, le sire d'Albret, maitre
du Béarn, de la Navarre, et depuis, par mariage, des
corntés de Limoges et du Périgord. Louis XI laissa en
mourant une France assez pea différente sur les cartes
de la France actuelle, mais le domaine royal, les apa-
nages, les tiefs des grands vassaux, y forment une
vraie mosalque. Ce roi réunit a la couronne les trois
apanages de Bourgogne, de 13erri, d'Anjou et du
:Jlaine, la Provence, l'Armagnac, le duché de Bar, le
Houssillon, la Cerdagne. L'apanage d'Orléans revint
a Louis XII (duché d'Orléans, comté de Blois et comté
de Valois), qui ne remit en apanage que le Valois.
Fl'al1(jois ler, en montant sur le tróne, rendit cet apa-
nage avec son comté d'Angouléme; iI confisqua les
possessions du connétable rebe11e; lui-méme, et apres
lui Henri Il, en rendirent une partie a la branche de
BOllrbon-Montpensier (le comté de ~lontpensier, la
pl'incipauté de Domhes, le Beaujolais, le Dauphiné
d'Auvergne, le duché de Chatellerault). Les apanages
subsistaient toujours, mais ils diminuaient d'impor-
tance.


Aprcs que les mariages eurent ajouté la Bretagne a la
France, reffort nationaI se porta instincti vement vers




L.\ FUASeE !'üLITlljUE El' SüCIALE.


la frontiere germanique. Les guerres cl'Italie sont en
quelque sorte des épisodes latéraux dans notre histoire;
on s'y battait moins pour des provinces italiennes que
pour la possession de la Flandre, de l'Artois, de la
~ourgogne.


Il faut bien qu~on l'avoue pourtant, tant de sang
fran~ais versé au delh des Alpes, en Piémont, clans le
~1ilanais, sur tous les points de la péninsule, coula a


. peu pres en vain; les Valois, race' d'artistes, étaient
toujours entl'ainés v~ les pays du soleil : c'est an
Nord qu'il fallait regarder et cheminer. Lisez dans les
Discours politiques et militaires tout le chapitre « que
cette grande affection que les Franqais ont d'aller
chercher les guerres étrangeres leur est maintenant
plus nuisible que profitable l. » Les protestants dé·
tournerent les premiers la France des aventures ita-
liennes; les guerres de religion donnerent un aliment
h la vaiIlance de la nobles se ; les huguenots d'aillenrs
avaient les yeux tournés surtout vers les Pays-Bas,
l'Angleterre, du cóté des princes allemands. 011 oublia
un peu l'Italie.


La conquete des trois évéchés, faite sous Henri R,
et la reprise de Calais par Fran~ois de Guise, marque-
rent le début de l'ere nouvelle. Tous les politiques)
Coligni) IIenri IV, Richelieu, :Mazarin, penserent
moins a aIler chercher fEmpire an clelil drs Alpes


I La :\oue. Editioll Je Gcncvc, iGS7, 11. líl".


,




U.'HTÉ FRAL\t.;AlSE. 7U


que dans les Pays-Bas et les provinces rhénanes.
La France, maitresse de :Metz, fortifiée en Lorraine,


avait presque trouvé runité territoriale, elle n 'avait-pas
encore trouvé son territoire. Elle était comme le jeune
Hercule, qui, apres avoir étouffé des serpents dans son
berceau, grandit et cherche des monstres a vaincre.
Gest un lieu commun européen d'accuser l'ambition
de la France : qu'a-t-elle fait autre chose pendant des
siecl~s que de chercher une frontiere défensive natu-
relle, une arrnUl'e un peu solide? Qu'on se représente
cette France, déchirée a l'intérieur par les factions,
par l'arnbition <c: princes, par les guerres religieuses,
menacée sur ses cOtes par l'Angleterre, enveloppée de
toutes parts sur le continent par la maison d'Autriche,
conduisant des guerres continuelles contre les deux
branches de cette maison, sur les Pyrénées, dans les
Flandres, sur le Rhin. Il n'y a pas un village, pas une
bourgade, pas un champ, du\ coté oil notre territoire
est troué et ouvert aux invasi~ns, qui n'ait coúté des
miUiers de vies humaines : nous luttions pour vivre, et
nos guerres ofl'ensives étaient encore des guerres de
défense, cal' souvent on ne se peut défendre qu'en
attaqnant. Les haincs nationales, telles qu'on les a
vues depuis, n'existaient pas; la jalousie des races
princieres en tenait la place; l'orgueil des rois se con-
fondait avec les intéréts des peuples. En acceptant
comme sa mission historique l'humiliatiot de la maison
d'Autriche, la llluison ele Bourbon ~'était donné une




80 LA Fl\A:\'CE 1'0LlT.1VUE ET SO(~L1LE.


tache nationale : sa grandeur devenait notre gl'an-
deur; une communauté séculaire de gloire et de
malheur l'attache á la France. Jamais peut-étre l'his-
toire n'avait montré une race ftllssi tenace, aussi fé-
conde, aussi longtemps capable de grandes choses. te
sang de Clovis, celui de Charlemagne, s'étaient promp-
tement appauvris; le sang des Bourbons garda sa ri-
chesse assez longtemps pou!' qu'illeur fflt permis de
donner a la France, outre des fronticres qui puren t
sembler définitives, presque tout ce qui fait vivre une
nation, un certain idéal, en religion, en politique, en
Hl't, en littérature, en législatiüH.


Dans ce long effort de notre grande monarchic,
qui lui fit obstacle? Quel était son adversaire,
depuis la mer du Nord et la Manche jusqu'aux


,


Alpes? Etait-ce un grand peuple, tout rempli du sen-
timent de ses droits, une Germanie unie, ficre, libre?
L'Allemagne était dépecée en morceaux, et des prin-
cipautés de toute nature et de toute origine formaient
notre frontiere, pareilles a un cordon de perles. L'em-
pire, ce grand corps insaisissable, ne nous touchait
pour ainsi dire pas; nous trouvions partout ses armées,
nous ne le trouvions nulle parto Les populations,
serrées dans les liens féodaux, n'éprouvaient pas la
haine de la France. Leurs princes grossiers devin-
rent les singes de nos rois. Nous avions une litté-
rature égale aux plus belles littératures de l'anti-
quité, un art nouveau, original, qual1d le gél1ie de




U.'\ITÉ FRAN(jAbE. 81


l'AlleuHtgne sOlllmeillait encore. Sur nos frontieres
indéuises, nous trouvions des États que nos ducs bour-
guignons avaient possédés, et qui n'avaient jamais
fitit que changer de maítre, d'autres provinces a l'état
pour ainsi dire atomique) indécises entre l'attraction de
la France et ceHe de l'empire. Il était non-seulement
naturel) il était nécessaire que la monarchie franqaise
tentát sans cesse de se fortifier au nord et h resto Les
frontieres qu'elle y cherchait n'étaient que des dignes
opposées a la grande marée des peuples du Nord. e'est
lIloins une frolltiere naturelle que nous voulions
qu \we fi'ontiere artificielle, cal' le grand bassin dont
París est le centre n'a aucune ii'ontiere naturelle
du cóté du nord-est. La grande plaine gauloise)
couverte naguere d'une forét non interrompue d'Or-
léans anx Ardennes, est sans dófense. Les vallées qui
descenllent au Rilín sont les routes des invasions.
Il faut poussel' jusqu'au Rhin pour trouver un grand
fossé; mais, de toute antiquité) les Germains l'a vaient
passé et avaient refoulé les Celtes sur la rive gauche
de ce fieuve. Les deux races se sont disputé pen-
dant des siecles et n 'ont pas encore achevé de se
disputer ces pays, qui sont le point d'attache toujours
saignant de l'Europe latine et de l'Europe tudesque.


Ce sera l'étel'nel honneur de l'antique monarchie
fran(jaise el'a voir incessallllllent tra vaillé tt repousser
un peu plus 10in au l\"onl et il rEst la frontiere que
l'empire chcrchait inCe:3;:allllllCl1t il refouler sur le creur


1-6




L.\. FHA:-iCE l'ULlTlljUE Kl' SUCIA LE.


mume de la France. C'est aussi un honneur (favoir
réussi dans ce grand ouvrage sans fouler les peuples ~.
et sans abnser de la loi du plus fort. Au mornent Olt
éclata la Uévolution de 1789) détestait-on la France
en Belgique, elans les paisibles électorats ecclésiasti-
ques '? Nous avions fait le « dégát » dans le Palatinat)
mais la méme il n'y avait plus de co16re contre notre
pays. La royauté avait religieusement tenu les cnga-
gements pris envers l'Alsace; envers 8trasboul'g.
Elle ~ vait été tolérante pour la coufession el 'Augsbourg;
elle avait respecté les m03Ul'S) la langue) les traditiollS
de sa derniere et plus belle conquéte. La monarchie)
qui avait attaché si solidement a la .France la Flandre)
l\letz) la Lorraine) l'Alsace) lui avait fait comme un


/


rempart d'llnechaíne d'Etats Olt son infiuence péné-
trait aussi naturellement que les eaux vont a la mero
La France n'était pas la Gaule) elle n'avait pas poussé
ses conquétes durables jusqu'au lülÍn; mais du moins
elle ne sCl1tait pas sur toute sa fl'Ollticl'e du nord la
pointe de répée germani(lue. La Hévolution hérita de
la t'ortunc séculaire amassée si péniblernent par les
armes et par la diplomatie des rois; elle couvrit)
con~me une alluvion) toute cette lisiere de petits États
qui nous entouraient. l\lais ses crimes) ses folies et ses
violen ces finirent par nous aliéner l'Europe entiere) et
la chute de Napoléon fut saluée comme une délivrance
pell' la Helgique et par les anciens élcctorats.


La Francc se trouva l'cjetée dans ses u,llcielllles




U~ITÉ FI\A~(.,:A1SE. 83


fl'ontieres) avec cette diflerence qu\tU lieu de pressel'
en quelque sorte contre l'Europe) c'est l'Europe qui
commenga a presser incesstll1ll1lent contre elle. Nous
avons cOl1lbattu pendant des siccles ponr avoir une
fronticre naturelle) n011S ne l'avons pas encore.


Le premier empire nous laissa la France des Bour-
bons.


Le secona el1lpire nous donna la Savoie et Nicc) et
nous fit perdre l'Alsace) Strasbourg) :!\letz. Nos vuin-
qlleurs nous ont reproché nos continuelles invasions
en AI1emagnc. ~"ous étions) paraít-il) trop lllena~ants.
Un n pris nos unciennes provinces po u!' en faire un
glacis contre la Fl'ftnce. L'Allel1lagne est une forteressc
(luí se défend eontre nous. Strasboul'g) l\letz) sont
devenues ses dCllli-lulles. Ce ll'est pas dans un lívl'e
(pt'on peut l'éllondl'c il ces <liseoul'::J.




CH.APITIU~ IV.


DE;; CARACTl~RES DE L.\. XUULESSE Fl~.\.:\('.\.lSE.


1


Il n'y eut au délmt que cleux SOUl'ces de noblesse :
10 les offices impériaux , 2° les concessiolls de terre, ou
bénéfices militaires. Charlemagne chercha toujüurs a
tenir ces bénéfices séparés : il ne réunit plusieul's
fiefs que sur la téte de quelques dncs dans les lllar-
ches ou fronticres de son empire; sous son l'¿>,gne, le
béndice (nlOnneur) resta viagel'; tl la mort du bénéfi-
eiaire, il l'entrait dans le domaine. L\tCte de partage
de ~06 défelldit aux leudes de rece\roir des bénéfices
dans deux royaumes différents. Le noble fut donc un
serviteur ou un soldat du prince. La lloblesse eut ainsi
une double origine, et ne fut pas seulement lié e ~t la
possession de la terree L'affaiblissement du pouvoir
impérial fit toutefois rentrer dans l'ombre ce qu'on
pourrait nomIller la lloblessc idéale, ce He qui ll'était
qu'une émanation de la gl'ttmlcur <Iu sonvcl'ain; elle




DES C\n\CTI~nES DE LA ;'\OIlLESSE FTIANQ.\ISE. 85


devait en rcssortir plus tard ·par l'anoblissement des
offices; rnais pendant des siccles, l'idée de noblesse
ne s'attacha plus qu'il, la fonction rnilitaire. Quand les
fief.-, devinrent héréditaires, le noble fut le possesseur
du fief, l'homme d'arrnes, le représentant vivant de la
conquéte; et qnand, plus tard, la noblesse de robe tenta
de se h1sser au rang de l~ nob1esse d'épée, elle se
heurta eontre des préjllgés séculaires.


La noblesse franr;aise fut lI11e no1>le88c guerl'iere, bien
plutót qu'une lloblesse territoriale; cal' dans un pays
dont l'histoire a été une suite perpétuelle de guerres, ,
les cadets cornme les ainés restcrent hornmes d'épée :
ils ne se livrerent point au négoce, a la chicaneo La
cavalerie fut composée exclnsivernent de gentils-
homnfes. Dans 1 'inf~lnterie rnéme, ~Iontluc dit qu'il n 'y
eut jamais de compagnie sans qllarante gentilshommes
« Jl n'y avait jamais besogne bien faite que par eux. »
IIenri IV se vantait qu'it l'époque oil ses pourpoints
daient tronés, iI avait toujours pu réunir qllatre rnille
gentilshommes autonr de lui. Quand ils ne se battaient
pn.s, beancollp de nohles vivaient an Louvre, dans
les hótels des princes) logés dans des coins et des
combles : la conr des Valois en était remplie. Nlirabean
le pere définissait la noblesse « la partie de la nation
a ln.(luelle le préjngé de la valenr et de la fidélité est
le plus particulicrement confié 1. ))


1 r: Ji mi de,~ hnmmes, p. 87.




SG LA FRANCE POLl!l'IQUE ET SOCIALE.
« Les terres et répée, voilü tout le bien <le la 110-


blesse» dit Saint-Simon. Le courage était héréditaire
dans les familles, et la famille royal e en clonnait
l'exemple. « La force propre, dit :JIontaigne, et seule et
essentielle de noblesse en France, c'est la vocation mili-
taire t. » Le mot d'holllllle de bien n'a eu longtemps
qu 'un sens en France, i1 signifiait hOlllme de courage. La
rae e desllourbons a été prodigue ele son sang; 80 princes
de cette race ont trouvé la lllort sur les champs ele
bataille: la France n'eut pa~ compris un roi couurd.
Elle aime les souverains batailleurs, et ce Louis, que
« sa grandeur attachait au rivage, ») aUa jeune á la
guerre comme a une féte, aussi calme dan s la tran-
chée qu'a, la cour. L'épée était la marque de la qualité,
elle était l'embleme de la conquete et de la hiérar-
chie féodale, le signe aristocratique. Penclant des
siecles, on s'accoutuma a considérer le métier des
armes comme le seul métier noble: les jouissances
d'imagination, les préjugés, ont la dureté du diamant:
au moment me me oú la noblesse frangaise faisait si bon
ménage avec les philosophes, oú dan s les romans, an
théatre, le sentiment confondait tous les rangs, á la
veille de la révolution frangaise, l'armée restait une
caste. TI n roturier pouvait plus clifficilement devenir
officier sons Louis XVI que sous Louis XIV.


La SOlll'Ce clu courage resta toujours vive clans la


I Tomr Ir, p. 40. - l:~rliti()n 11r 144;).




DE:' ~.\r.\('Tb;RES DE LA \'OBr.ESSE FnAX<;AISE, 87


nohlesse franr,aise : re ron1'agc a (les m:uques spécialr:",
iI ne se fait point point p1'écéder de grandes coleres et
de sombres fureurs; il a quelclne chose de gai) de yif)
de témél'aire; iI est générenx apres la victoil'e: iI
laisse a rAnglais la rage, ~t fAllemancl la brutalité,
a l'Italien rastnce. Les enfants apprennellt a l'age oil
tont sourit [1 jouer avec la 'mort. Bussi fait cam-
pagne it Jouze ans clans le régimellt de son pcre: it
seize ans iI prend le régiment comme mestre de campo
Son courage a quelque chose de fon: au siége de ~far­
dick, sous les yeux du duc d'Enghien) iI essuie a vingt
pas les salves parrang d'un gros batail10n crEspagnols.
Le duc d'Enghien se bat clans la tranchée) et revient
avec la poignée de sa chemise tout ensang1antée.


Les guerres presque permanentes devaient donner
une primauté nécessaire a la nohIessemilitaire. L'a1'is-
tocratie anglaise, enfermée dans son He) conserva tou-
jours la tradition du courage) mais n'eut pas) comme
la frangaise, fobligation ou 1'0ccasion de tirer san s
cesse 1'é1'ée. Aussi devint-elle plus politiqne que mili-
taire: la noblesse frangaise fut plutót militaire que po-
litique. Elle s'habitna á obéir au roi comme á un chef
d'armée.


Chateaubriand l'a dit: « Toute aristocratie a trois
ages, celui des supériorités, celui des priviIéges, celni
des vanités. » Aucune n'a de chance de longue durée, si
elle ne se marie a la terreo Le régime de la terre fran-
Qaise nous occupera d'abord, cal' les priviléges de la




LA FnA:-;r,r. POLlTIQrm ET :;OCI.\LF.


nol,lcssc et les pl'i viléges de la terre ont ét(~ longtemps
ulle seule et méme chosc.


II II 'y eut jamais) comllle en Angleterre) une Jépus-
session systélllatique) complete et simultanée de tou-
tes les parties du sol. Le franc-alleu) la terre libre,
subsista :\ cótc~ du fief féoua1. Les franc-alleux s'inféo-
dórent fréquemment) pon1' obtenil' la protection d'lln
snze1'ain, ils ne dispa1'urent jamais complétement; p0U1'
les fiefs) ils devinrent) on le sait, héréditaires, mais
le conflit de 1 'esprit gel'manirple, de l'esprit de di vision,
appliqué au début au dOlllaine entier de la monar-
ehie, et de l'esprit latin, celui qui avait créé les
latilundía, et qni tendait a la conse1'vation des terres
dans la méme race, engendra un état de choses un pcu
différent de celui que les Normands établi1'ent en An-
gleterre. Il y eut toujours en France une disposition
naturelle h di viser la p1'opriété) et par conséquent :'t
affaiblir et a ruiner la noblesse. Les cadets, qui ne
¡;:ont rien en Angleterre au point de vue territorial,
conserverent en France une petite part de l'héritage
paternel; il se fonda ainsi h cMé des ainés une caste
de cadets) petits propriétaires un peu plus 1'approchés
des aÍnés achaque génération nouve11e; a cóté des
manoirs, eitadelles de la conquét~, on vit une multi-
tude de castels, de demeures nobles mais misérables. Si
cette seconde couche de propriétaires nobles avait pu se
fondre dans le gros de la nation, le pouvoir aristocra-
tique cút diminné tres-rapidement, malgré les avan-




DES r.ARACTERES DE LA :\'OBLESSE FR.\:\'[,:AISE. 8~J


tages du droit d'ainesse et les substitutions; mais les
cadets s'habituererrt h prendre les 110ms de leurs
habitations, ct ne se contenterent point de lenr 110m
de famille. Ils s'isolerent du peuple par les titres ; et
comme la puissance du titre est de pure imagination,
elle devint (rantant plus invincib1e que resprit public
se déshabitua de l'idée de voir associer la noblesse it
la fois ü la richesse et au commandement.


Gest uans nos vieillcs coutumes qu'il faut chercher
la preuve et le secret del\~trange révo1ution sociale qui
fit de la nob1esse fran(jaise une caste, en affaiblissant
Sílns ccsse les ainés des familles et en laissant toujours
anx cadets une part de rhéritage de la conquéte. Il faut
citer ici quelques textes . . I e lis, par exemple, dan s la
Coutume dn Bourbonnais : « En snccession de gens
nobles, le fils ainé on son fi1s ainé, apres son trépas,
emporte ponr son dl'oit d'ainesse le 110m et les armes
dn défunt, le chatel ou maison principale en préciput
et avantage, et peut ledit fils choisir et a lui tel manoil'
(Iue bon lui semble, tant paternel que maternel, si 101's
du partage la snccession ele la mere est advenue ponr
son dit droit d'ainesse.» (Al't. :100.) Et da11s un mItre
article « Droit d'ainesse s'entend s'il y a cháte1 ou
place forte et s'il y a fossé ou fossés un ou plusieurs
cnvironnants ladite place ou basse-court, et si dedans
la clóture dedits fossés i1 y a tranchées, estables OH
autres choses, ils demeurent á rainé comme desslls
est dit, et outre renclos desdits fossés 40 toises de




\)0 LA FRANCE POLITTQUR RT SOC:YALR.


terre h prendre dn bont des fossés de tontes parts. Et
s'il n'y a point fossés, il aura la maison et outre ce qni
est enclos de mur, de pal, 40 toises. » (Art. :-W2.)


Dans la coutume de Poitou, on lit: ee Entre nobles,
an regard des choses nobles, tant en snccession directe
que collatérale, le principal héritier mttle et qui le
représente prend pour son droit d'alsnesse le princi-
pal chastel ou hostelnoble qu'il veut eslire, avecques
les appartenances des vergiers et closures ancienncs
joignans audict hostel; pourveu que les elites closnres
n'excedent restimation de trois sexterces de terre ...
Et a le dict ainé les deux tiel's du surplus de toutes les
terres et revenus nobles qui sont obtenus d'icelle suc-
cession. Et tous les puisnés fils ou filles ou qui les
représentent, n 'y prennent que la tierce partie, a diyiser
égallement entre eux.») (Art. 221.)


La coutnme de Normandie dit : « En succession ele
fief en ligne directe, entre trois ou plusieurs enfants,
le fils aisné prendra par preciput un manoir ainsi qu'il
se comporte et poursuit, avec le vol d'un chapon, estimé
á un arpent de terre autonr du manoir, avec la moitié
de tous les héritages, rentes et revenus tenus en fief.
Et les autres enfants, soit fils ou fines, auront rautre
moitié, qu'ils partiront également, et aura autant
la fine que le fils. » (Art. 89 dn Titre des fiefs.) Les
alnés emportaient en Bretagne les deux tiers des biens
nobles; les cadets divisaient entre enx un tiers de
l'héritage. Chateaubriand raconte que son grand-pere




DES r.ABACT~~nES DI<: LA ~OBLESSE rnANGAISP.. DI


laissa ;),()OO Ii vres de rentes; l'ainé prit les oenx tiers,
et les trois cadets eurent 1,GG(j livres de rente a se
partager. Voilá Olt était tombée une famille qui avait
eu au onzieme sicele l'une des neuf baronnies bre·
tonnes.


La Coutume de Paris donne (( au fils ainé par pré-
ciput le cháteau ou manoir principal et basse-cour
attenante et contigue audit manoir ... et outre lui ap-
partient un arpent de terre de l'enelos onjardin joi-
gnant ledit manoir. )) (Art. 1:1 des :Fiefs.) Les deux
tiers des fiefs et héritages tenus nol;)lement, c 'est-
a-dire sujets a la foi et hommage', vont á l'ainé,
quand il y a deux enfants: quand iI y en a plu-
sieurs, l'ainé a, outre le manoir, la moitié seulement
des biens nobles. Dans la Coutume de Touraine,
« á l'aisné hoir masle appartient tons les meubles,
aussi les deux parts, tant en fief qu1en roture des
choses demeurées desdites successions directes, avec
l'advantage qui est le chastel ou hostel noble estanten
fief, et la pourprise d1iceluy avec une foy et hommage
si elle y est; et aux puinés appartient la tierce partie,
mis hors ledit advantage. » (Art. 209.) La meme
coutume stipule que « comté, vicomté et baronnie
ne se départ, pourveu que l'aisné ou aisnée ait de q uoi
récompenser ses puisnez et puisnée, en chastel ou
chastellenie de la méme succession; et s1il n) avait de
quoi récompenser en la maniere que dit est, lesdits
pllisnez auront leur portion par la main dudit aisné




92 LA FnA~CF; I'OLITIQUE ET ~OCIA LE.


011 aisnée, hormis le droit apartenant (1'a1Il(ls::::r. »
(Art.294.) Ce droit d'ainesse est ainsi défini: «( A
l'aisné ou aisnée desdits comté, vicomté et baronnie)
appartient le chastel, fossé et pourprise d'icelay ... »)


Nous ne multiplierons pas les te~des : en parconrant
les contnmes, OIl retrouve partollt l'rsprit d'ép:alitó
entre les ainés et les cadets en lutte ayec 1'esprit de
privilége : l'amonr de la famille n'cst pas la méme
chose que l'amollr de la race ; ce (lerniel' se coneenÍl'e
snr un seul inuividu an détriment de tout ce (lui 1'en-
toure. L'amonr de la famille semble plus fort dans le
Nord, et l'amour de la race elans le I\Iidi. On/ pent
s'étonner que les Normands, qlli en France se laissl~­
rent envahirpar l'esprit général qni régnait dans le
Nord, aient introduit en Angleterre le droit d'alnesse
le plus rigoureux, sans ancnne admission des cadets an
partage des fiefs, mais il ne fiUIt pas ollbJier Cjn'ils a1'-
riverent en Angleterre en COIHluérants; tenir les tief's
indivis, c'était une maniere de défendre le111' conqnUe
et ele maintenir 1'autorité de In, race dominante. En
France, les mémes raisons n 'agissaient pas; la fusion
des vainqueurs et des vaincus' était faite. Les fiefs
nobles tendaient incessamment á se rétrécir.


A cóté des terres nobles, il y en avait un grand
nombre qui n'étaient point tenues noblcment, et sur
ce domaine immense, dont on voudrait pouvoir assi-
gner la superficie, l'égalité ret1'ouvait tOltS ses droits.
Lisez la Coutnme du POitoll : (( On dict país, entre




les rotul'iel's, soit en meubles ou héritages, ue entre
les nobles, au regal'cl des choses irp.meubles ou héri-
tages rotnrier~, n'a aucune différence, soit en succes-
sion dirccte ou collatérale, soient fils ou filles, cal' tous
succedent : ]Jet capita et pro rala. » (Art. 214.) Voici la
C10UtUlllC ele París: « Lcs cnfants héritiers d~un défunt
víennent égalelllent a la succession d'icelui défunt,
1'o1's et excepté des héritages tenus en fief ou frane-aleu
noble. ) (Art. ~302.) eette coutumc niveleuse, plus
rigoureu::;e que la loi actuelle, empéchait d'avantager
un enfant de (Flelque maniere que ce fút: par donation
entl'e-vifs./ou ¡mI' testament; elle o bligeait les enfants
it rapporter tuut ce qui leu!' avait été donné a la suc-
ceSSlOn.


Dans laCoutulllc deTouraine: «Entre gens roturiers,
8uccessions directes ou collatérales se départent par
lde. Toutefois, s'il y a nucuns héritages nobles, acquis
de lJourse coutumicre et tombée en tierce foy, ils se
pal'tagent noblement entre rainé et les puisnés. »
(Art. 2U7.) Dans cette coutume, « personne ne peut,
directclllcntou indirectement) par contrat de donation,
eucore que ce fust en favenr de mariage, vendition,
ul'rentement, échangc ou alltrement par quelque autre
contrat que ce soit, faire la condition de l'un de ses
héritiers mcillcure ou pire que rautre. » (Art. 302.)
En Normandie, le droit d'ainesse nc s'exer0ait que sur
les hiens nobles, fiefs ou francs-alleus nobles, et la
coutume ne pel'lllcttait pas d'a vantager uu des enfants




LA FHA;,\CE l'ULlTIUUE El' SUCIALE.


plus que l'autre. Toute donation était réputée en
avancement d'hoirie et succession. (Art. ~73.) Il yavait
deux lois) l'une pour la propriété noble, rantre pOlIr
la propriété roturicre.


Qu'étaient au juste les bien s tenus noblement et les
biens roturiers? Quand Joinville n'était encore que
l'homme du comte de Champagne) saint Louis manda
tous ses barons a Paris pour ]eur faire préter serment
qu'ils garderaient foi et loyauté á ses enfants pendant
la croisade. « Il me le demanda; mais je ne voulus
point faire de serment) cal' je n'étais pas son homme. »
(Histoire de saint Louis.)


Le fref se cléfinissait pas le (elulum, par la foi) c'est-
a-dire par l'obligation clu ser vice militaire et par rllOlll-
mage. Le service militail'e ne tilt plus dtÍ qu 'an roi,
quand les guerres civiles eurent cessé. L'hommage resta
dü au suzerain, au seigneur . .!\Iais les fiefs, en certaines
provinces au moins, purent se démcmbrer. Le vassal
put) comme on disait) se jouer de son fief) le vendl'e
sans le consentement du seigneur) en tout ou en partie,
le bailler a cens, rente, tCl'l1le ou pension, pourvu qu1il
ne fit pas démission de sa füi, c'est-il-dire qll'il retint
quelque chose, quelque droit qui rappelüt l'ancien
feudum, la vassalité. Les terres qui passaient ainsi en
d'autres mains, en payallt des redevances en fhtits OH
en delliers, devinrent des héritages roturiers et subirent
tous la loi rotnricl'c de la subdivision. Les ent~tnts <les
censitail'es recevaiellt des pUl'tie::l égalc::l, et la tCl'l'l'




DES CAIL\CTJÚtES DE LA ""UBLES:m FIL\:'\IjAISE. \J~


alla ainsi en se morcelant. Pour les francs-alleux, iI y
en avait de deux sortes : et ceux-la seulement étaient
nobles, qui avaient une juridiction annexée et indé-
pendan te, ou desquels mouvaient d'autres héritages
en fief et en censive. Les autres, qui n'avaient point
de juridiction annexée, de fief dépendant ou censive,
étaient roturiers et se partageaient également comme
les rotures.


Nous voudrions connaítre la proportion des t~rres
qui se partageaient roturierement, et de celles oil
raíné prenait son droit d'aínes8e. Nous n'avons trouvé
llulle part les éléments d\ule telle recherche. Une
chose est certaine : c'est qu'il y avait une proportion
considérable de la terre frangaise soumise au droit
roturier. l/esprit d'égalité pén~tre toutes nos cou-
turnes : il est pour aínsi dire dans le sang de notre
race. L'esprit barbare, comme l'esprit celtique, ten-
dait san s cesse au partage égal, qui laisse au méme
rang tQUS les membres de la famille. Seu1, l'esprit
latin tendait au privilége, ou plutót ~ll'autorité du pere
de famille.


Si Ulle terre noble échoit a un roturier, iI faut trois
hOlllmuges suceessifs pOU1' qu'elle rentre clans la
catégorie des biens qui ne se divisent plus ]Jer ca]Jita.
Elle est, en quelque sorte, dégradée pendant trois
générations. Quand un bien noble était vendu, le
suzeraiu avait un droit de pl'eseription; il pouvait le
reprenurc eu l'cmuuursant le prix a r aeheteul'; e' est




~)(i LA FIL\:'i'CE PllLllIQUE ET SOCIALE.


ce qu'on nommait le l'ell'ait liguage?', le retoul' Ü la
lignée du d0nataire. Ce retrait était la seule force
féodale aux prises avec l\Lmoul' de la terre, qui pous-
sait la roture enrichie il mettre la main sur de nou-
veaux héritages.


Si le privilége de rainesse eút été plus complet, si
les cadets avaient été, á chaqlle juridiction, violem-
ment détachés de la terre) jetés sans fortune dan s la
melée de la roture, la noblesse fran(jaise serait devenue
ce qu'est l'aristocratie anglaise, une grande puissance
politique; mais, tandis que les uinés ne furent jall1ais
assez riches, les cadets ne furent jamais assez pauvres.
Il se forIlla par degrés une caste, séparée de la roture,
attachée pourtant a la charrue, de gens vi vant cn
paysans dans des gentilhommieres, á la fois trop prcs
et trop loin du peuple. - « Nous ne saurions dans cette
province, dit madame de Sévigné en parlant de la
Bretagne, dénommer quelqu\ln sans titre. Cette p1'o-
vince est pleine de noblesse. » Jlirabeau le pcre,
parlant des nobles campagnards dit : « lis faisaient
consister toute leur science en sept 011 huit articlcs:
respecter la religion, ne point mentir, tenir sa parale,
ne faire rien de bas, ne rien souffrir, mettre son chcva1
sur le bon pied, connaitre et discerner In voie, ue
craindre ni la faim ni la soif, ni le chaud ni le froid ...
Ces gens-la ne laissaient pas de bien servir rÉtat dans
foccasion ; ils avaient meme quelquefois d'asse~ belles
idées de la vraie gloire. Par exclllple, lleul'i lV, qui






DES CAH.\UÚ¡I!;S DE LA SUilLESSE FHAS<;AISE. 97


fut élevé et nourri, jusqu'au temps oú il grisonna, en
vrai gentilholllÍne campagnard, fit, tI, peu de chose


... .


prcs, sa charge de roi aussi bien qu'un autre. »)
Une sorte d'égalité était entrée dans cette ruue


noblesse des temps anciens : elle ne connaissait guere
la uistinction des titres ; la parenté méme des rois ne
donna longtemps aucun rang particulier: témoin les
maisons de Dreux, de Courtenay, branches cadettes
de la maison de Bourbon; les Jlontlllorency ne
furent jamais plus grands que lorsqu'ils n'étaient
que de simples barons. La hiérarchie des titres ne
Íitt inventée que dans cet age de décadence que Cha-
teaubriand nomllle l'áge des vanités. Cherchons pour-
tant dans cette foule, dans ce peuple véritable de nobles
vivant au milieu du peuple roturier, les éléments de
qllelque puissance politique capable de tenir téte a la
royauté. Nous n'en trouverons d'autres que les princes
et la pairie.


II


Les princes du sang ne commencerent a avoir un
rang que sous lIenriJII, qui, pour défendie la cou-
ronne contre la maison de Guise, rendit une ordon-
nance qui leur donna rang au-dessus de tous les pairs
(1576). « Personne, dit Boulainvillers, n'ignore en


LAl'GEL. 1-7




L.\ F1L\"C¡': PULLTI\.1Ub El' SUCIA LE.


France (-lue le rang de messieurs les princes du sang,
tel qu~ils le possedent aujourd'hui, n'est pas d'une
institution fort ancienne. Nos peres ne connaissaient
de supérieur que ceux envers lesquels ils avaient
engagé leur foipar quelque hommage. Les peres, les
oncles) les cousins germains des rois faisaient corps
avec la noblesse. )) Dans les états généraux, les freres,
les cousins des rois, parlaient pour la noblesse. Les
Dreux, les Courtenay, issus de Louis le Gros) n'avaient
aucun rang de principauté, et s'étaient confondus
ave e la noblesse. Un Dreux fut valet tranchant de
Charles VI. Nombre de Bourbons furent de simples
gentilshommes.


La force des princes dn sang était en réalité p1'o-
portionnée a leur apanage; des apanages COlllllle le
duché de Bourgogne, étaient de vrais royaumes indó-
pendants. Leur institution représeutait encore le vieux
droit germanique; mais bientót l'apanage changea de
caractere : il ne fut plus autre chose qu'une sorte de
compensation légitime accordée aux cadets d'une race
royale dont l'ainé était contraint de tOllt donner a la
couronne. La constitution des apanages ne fut plus un
véritable démembrement du domaine royal; ils dimi-
nuaient en étendue, ils resterent assez grands pour la
splendeur des princes, ils ne le devinrent plus assez
ponr en faire les égaux des rois.


Les princes apanagistes étant des prinées du sang,
leurs intéréts "él'itables se confondaient ave e ceux de




la, monarchie. Leur opposition ne ponvait guCl'C a\Toir
que le caract~re de ces jalousics qu'on trouve dans
presque toutes les üUllilles. Yisant a dominer l~t
royauté, ils ne voulaient pas la diminuer; sa gran-
denr était leur grandeur. Ils étaient les ennemis-nés
des favoris, des ministres, de la puissance adminis-
trative, croissante et envahissante, qui tendait a tout
soumettre a la loi écrite. Leur action, par la méme,
était pur caprice et fantaisie, elle était le plus sou vent
inspirée par la vanité., ténébreuse et pleine de retours
soudains, sans grandeur, car elle était assurée de
l'impunité, usant les hommes pour les fins les plus
mesquines. La royauté n 'était pas pour eux rielole
idéale a laquelle tout devait étre sacrifié; il semble
que, si généreux que fussent len1's alnés) ils se soiellt
tOlljours considérés comme maltraités par eux. Le roi
était celui qu'un hasard a,vuit mis a leur place. On 11e
sent jamais le remords dans len1' sou!llission apres la
c011spiration et la révolte. Ils parlent encore en victimes
quand ils fOllt des victimes de leurs malheureux amis.
Ql1and ils traitent avec l'étrangcr contre le souvel'aÍn,
ils ne croient pas etrc inficleles ú la .France ; ne sont-ils
pas eux-mérncs la France? 11s sont inviolables, invul-
nérables, ils retournent tranquillement, la lutte llnie,
dans l'Olympe. 11s ne se croicnt pus de la méme étoffe,
je ne dis pas que le peuple, mais y'ne la noblessc la
plus titl'ée. Ils sont suzel'ains dans leur apanage : c'est .. ' "lO',; l. .


• -:'\.\~ ;.:e (~


a eux qU'oll cluit foi et hOllllllage. Ils ont des mUisonS~';>J/¿*t ~:i~::~:
: q ,;' 1,""'-,,;:' "


,.} r.:.~ ... · .. ,.·1 /;
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", ~ - llr \,~ h ~$if,r'


'\'" ~ óI!" ."'




100 LA ['llA:'\CE PJLlTIIJUE El' SOCL\LE.


militail'es et ci viles toutes pareilles ü ceHes de la lllaisoll
royale. I1s nOllllllcnt les ofüciers dans leurs l'égilllents)
ll1fLis sont forcés de lenr donlle!' des commissions (Iu roi.
L\Ldministl'ation est sans cesse en lntte avec eux : elle
limite gradueHement leurs juridictiollS, elle ne lenr
laisse tt la fin dans leurs pInces que le c1l'oit de llomi-
nation des gouverneurs) qui deviennent les gouver-
neurs du roi.


En somDle) les princes étaient trop pres du tro11e
pour devenir les guides politiques de l'al'istocl'atie;
trop riches) trop puissants pour que les plus noLles ne
scmblassent pas petits a coté d'eux; ils traitaient la
royauté en rivale) et les nobles en sujets. Dalls des
« articles et conditions ») convenus par ~fonsieul' et
lllonsieur le Prince pour l'expulsion du cardinal Ma-
zarin, on lit: « ~. A. H. et monsieur le Prince pl'O-
I1lcttent de maintcnir les parlements) les compagnies
sou veraines des royaumes, les principaux officiel's de
rÉtat, la noblesse et toutes les pe1'sonnes de condition
dans tous leurs priviléges, etc. )) (Art. 6 1 .) Tel.était le
ton des princes du sang.


Les Condé n'avaient jamais eu d 'apanage; il fallait,
pour y prétend1'e, ét1'e fils ou frere <In roi ou de
l'héritier présomptif de la couronne. Un apanage fut
constitué pour Gastoll) le frere de Louis XIII (dne
d'Orléaus, de Yalois) d'Alell(;oll) eomte de Bl018, de


t ,flclllOircs de }l. D. L. B.. Colognl' (1G~~1).




DES (;\nACT~:rn:S DE LA XOfiLESSE FR.\:-:(j\lSE. 101


.:\!ontll¡(!ry, de ~emoul's) haron d'Amboise, seigneur
de 1Iontargis). Les apanages ne descendaient plus
aux fcmmes, cal' la grande l\lademoiselle n'hérita que
des grands biens de su mere, l\larie de Bonrbon,
dnchesse (le l\lontpensiel' d'Orléans. Un apan~ge fnt
rétabli poul' Philippe, le frcre de Louis XIV (dnc d'üf-
ll~ans, de Valois, ele Chartl'cs), par lettres pat,entes ele
l()()l. Des lettres patentes de lG7"! l'auglllent(lrent du
duché de Nemollfs, des seigncnries de DOlúclan, Ho-
morantin) Coney, Yillers-Cotel'ets et Folembray; en
Hm:~) iI s 'aCCl'ut du duché de nlontpcnsier, et des
biens particnlier qne .MademoiseIle n 'avait pas été
contrainte de donner an clnc dn :l\Iaine; les apa-
nages donnaient ,1'1lsufrnit de certaines terres dont
la propriétc) restait a 1:1 conronne ,et 011 le fisc
conservait des droits spécifiés. On fit celni dn
comte de Provence (qni devint Louis X VIII )
avec les duchés d'Anjon et d'Alengon, les comtés
du ~laine et d11 Perche, de Senonehes et du Ven-
<16mois. Le comte d'Artois (qui devint Charles X)
eut le duché et comté d'Angoulcllle, le comté et
vicomté de Limoges, le marquisat de Pompadoul')
et plus tard le duché de Berry, le duché de Chú-
teauroux, le cornté d'Argenton) la seigneurie dTlen-
richement et le comté de Ponthieu, Indépendam.
ment des terres et domaines utiles) des droits
seigncurianx, des droits de foi ct hommagc) des parties
casuelles, le roí donna ü c:,hacun de ses petits-fils une




lO? LA Fn:\:\"t~F. prlr.TTII~l\'E ET SOl:f\LE,


rente de tl'OlS millions r.i 1Hl eent mille 1i vres :'t. pl'end1'e
sur le trésor annuellement. Les comtes de Provence pt
dlArtois ellrent 1en1's compagnies de gardes du corps,
leu1's Suisses de la garde ordinaire, leurs gardes de la
porte.


Chaque prince apanagé avait un conseil présidé pnr
un chancelie1', flui avait, an nOlll dn prince, droit de
nomination Ü tOllS les oflices de judicature et (l'admi-
nistl'ation dépelHlant de l'apanagn. Le chancelicr recc-
vait le sernwnt eles vassanx; il était traitc~ de monsei-
gneur, bien qulil ne mt parfois qu'un ancien intendant .
de général1té. On 1\1ppelait ( Votre Grandeul') » en 1ni
écrivant h la troisieme personne. Le comte de Pro-
vence avait un chancelier dont la finan ce était de
1;)0)000 Ii vres (ses gages et attributions montaient á
81)000 liyres)) et un surintendant dont la finance était
aussi éIévée. Il fhut Ere les anciens «États de la France,»
les a1manachs, pour voir quel monde gravitait autour
des princes apanagés.


On peut di re pourtant qula partir du xvne siecle, les
apanages avaient cessé d'avoir ancnne importance
politique, iIs étaient plutót une chalne dorée; ils don-
naient ropulence, ils n'assuraient plus rindépen-
dance.


Dans les rangs de la simple noblesse, qul est-ce quí
pouvait égaler les princes en faste, en patronage? Les
princes non apanflgés étaient les satcllites immédiats
de la royauté; ils avaient les fleurs de lis dans leur8




armes: c'étaient les Condé, les Conty, les légitilllés;
certains membres habitués en France de la maison
de Lorraine y avaient rang de princes, ainsi que
les seignellrs de la maison de Bouillon, les Rohan,
les la Trémouille. Un assez granel nombre de seigneurs
prenaient la qualité de princes iL canse de certaincs
terres qui avaient titre de principauté (.Toinville, la
Hoche-sur-YOll, Soubize, Talmont, Poix, etc.).


Le titre de prince ne donnait aucun privilége, a
moins qu'on ne compte p0111' une grande favenr le
pOUl' (les fourriers, qui mettaient seulement les noms
des gentilshommes sur les lop.'ements, ajontaient ponr
les princes la préposition ])0111' avant le nom). La
pairie était la seule distinction véritahle (bns la
nobles se fran~aise. On a beaucoup disputé sur ses
origines: le nom de pair s'j ntroduisit de ce que chacun
était jllgé par ses égaux. Chaque granel fief avait ses
pairs de fief: les pairs de France étaient les grands
feudataires qui tenaient lenr8 fiefs du roi, qui jngeaient
les causes de ces fiefs, et qui raidaient á les adminis-
trer. Les six pairs ecclésiastiq nes étaien t, en q uali té
de dncs, l'archeveque de Heims, l'évéque de Langres)
révéque de Laon; en qualité de comtes, les éveqnes de
Beauvais, de Chálons, de Xoyon. Les pairies lalques
les plus antiques furent les duchés de Bourges, de
Normandie, de Guyenne, les comtés de ChampaglH~)
de Flandre, de Toulouse. Dans les sacres, bien qne
crs grandes pairies s'éteignirent, des seigneurs conti-




10'1 LA FRANCR rnLlTIQFR RT SOCIA LE.


llllerent h en faire pour ainsi dire la fonetion, pour
représentel' l'uniol1 antique de la royauté et des grands
feudataires.


Le roi pouvait eonvoquer OÜ il voulait les prélats et
les grancls feudataires, et sans doute en tel nombre
qu'il lui plaisait: peu á peu la multitud e des affaire s
obligea les pairs a s'adjoindre des hommes de loi, des
conseillers, et avee le temps l'éeritoire se rendit plus
pnissante que l'épée. La eour des pairs devint le par-
1 ement. Les légistes siégeaient au début au pied des
pairs et des hauts barons, sur le marehepied de leurs
banes. D'un marehepied ils firent un bane, et de ce
bane ils passcrent aux hauts siéges. Le ehaneelier,
le seeond offieier de la eouronne, resta assis sans
dossier aux has siéges, La vénalité des eharges, la
multiplieité des affaire s , tout eontribua a grandir
l'importanee des gens de robe.


Qu'était au juste le pOUY011' des pairs? Noyés parmi
les légistes, ils furentpeu ~t peu réduits á n'étre que des
témoins et des ornements des lits de justiee. Dans les
éreetions nonvelles, les rois les qualifient de « tuteurs
des rois et de la eouronne, grands juges du royanme,
pierres préeieuses et fleurons de la eouronne, eolonnes


/


de l'Etat : » ils usent pour les grands toutes les expres-
sions de la lonange. Les prinees du sang sont, a partir
d'Henri lII, tous pairs de droit a partir de leur nais-
sanee. Les fiefs attaehés a la pairie sont de vrais
apanages. Louis XI déelara, en1 !d)4, clans l'éreetion




DF.~ r.ARACTEUES DE LA NOnLESSE FRANQAISE. 105


d'AngouIeme, que « de toute aneienneté les pairs tien-
nent leurs pairies en apanage. On lit danÉ; l'éreetion
d'Uzcs: « qu'avenant, a défaut de male, rév..ersion de
eette pairie á la eouronne, ledit dnehé-pairie pourra
ten ir líeu d'une partie d'apanage pour les derniers
enfants de Franee et Gtre eonvenable á leur grandeur
et dignité. »)


Rien n'était aussi grand qu~un due et pair, ear avee.
un fiefils avaient un offiee, et foffiee le plus important
du royaurne ; ils (~taient ainsi supérieurs en puissanee
aux mItres eatégories des dues: 10 les dnes vérifiés, qui
avait bien un fief, mais qui n'avaient point d'offiee,
(rnaison de Bar, de Lorraine, de Longueville, de Va-
lentinois); 21) les dnes non vérifiés, improprement
nornrnés dnes a brevet, qui n'avaient ni fief ni offiee
attaehé Ü leur titre. e'est de ces derniers que ~fazarin
disait qu'il en ferait tant <Jn'on serait honteux de
ne l'étre paso


Les dncs et pairs, les représentants de l'aristocratie
foneicre la plns puissante, n'eurent pas le merne sort
que le lord anglais! La royauté les usa par les lé-
gistes, et ils ne surent jarnais se défendre eontre les
les légistes que par leur zcle monarehiquc. La Cham-
bre des lords reste encore aujourd'hui une haute
cour de justiee; mais le pouvoir judiciaire n'a jamais
été que la plus petite part de sa prérogative; il n'a
jamais absorbé tout son temps, et les pairs légistes ne
forment qll'nne petite rninorité dans les rangs des




100 LA FI1:\:"C~; POLITIQTlE ET SOr.IALE.


représentants des vieilles races. Il en fut autrement
dans la cour des pairs devenue parlement : les hom-
mes d'épéefurent menés les yeux bandés clans un antre
de chicaneo Les légistes, simples conseillers au début)
devenus juges et magistrats) méme en présence du
roi et des pairs) semblerent toujours en apparence
tirer leur autorité de la présence des pairs. On con-
nait ces paroles consacrées: « la cour suffisamment
garnie de pairs») employées dan s les causes majeures.
~1ais le parlement) en tant que tribunal, ne pouvait
pas ne pas devenir la maison des gens de robe.


Pour le pouvoir légjslatif) jamais ils ne l'ont eu it
proprement parlero Le président dit au duc d'Orléans
(depuis Louis XII) mécontent de voir suivre la yolonté
de Louis XI)· qui confiait la régence ü une femme) que
le parlement était une cour de justice établie seule-
ment pour administrer la justice au nom du roi a ses
sujets) mais non pour se méler des affaires d'lttat et
des grandes sanctions du roi) si ce n' était par tres-exprcs
commandement de 8a ~rajesté. Quand le parlement
refusa d'enregistrer le traité de ::\[adrid) il obéissait a
Fran<jois Ier. Ni la noblesse fran<jaise, ni les légistes ne
comprenaient, ne souhaitaient une limitation perma-
nente de l'autorité royale. Lorsque :Marie de Médicis
réunit les pairs a Rouen) et déclara Charles IX majeur
a treize ans) avec leur consentement, le parlement de
Paris députa) et on lui répondit s(~chement que le roi
assemhlait les pnirs Ol! il lnl plnisait.




DRe; I~A nH:TJ~nR~ DE LA xon LE<;:SE FIlANQATSE. 107


l.e pal'lClllent parut plus puissant en d'autres mo-
lllcnts: iI fut, et trop souvent, un instrument actif
d'usul'pation, de rébellion, de guerre civile; il ne de-
vint pas un vél'itabIe organe de gouvernement~ L'exces
méllle de ses audaces le montrait peu assuré de ses
droits, ses hardiesses étaient encore de l'obéissance.


- ,


Henri IV assassiné, le duc d'Epernon, colon el général
d(~ l'infantel'ie, entoure le parlement de ses soldats, et
lui souffie le courage de proclamer la reine régente.
Anne d'Autriche lui fait aussi une douce violen ce pour
devenir régente, contrairement aux volontés de
Louis XIII; sous la Fronde, le parlement obéit aux
princes: iI se tait enfin devant le jeune roi qui vient, la
houssine a la main, tenir son lit de justice.


La Fronde est peut-etre le seul momeut oú le par-
lement ait eu chance de devenir une assemblée poli-
tique. Les nobles, les pairs, semblaient ligués sincere-
ment contre le favori, le ministre étranger. Gondi eut
comme la vision du gouvernement constitutionnel,
d'une autorité royal e réglée et réprimée par les Assem-
blées législatives: il n'eut pas pour les conseillers et les
légistes ce mépris souverain qui sans doute remplis-
sait tous les hommes d'épée, qui plus tard se donna
jour avec une éloquence si touffue, si débordante dan s
Saint-Simon.


Il devine bien cependant en quoi l'esprit du parle-
ment differe de l'esprit véritable politiqueo En par-
lant des troubles de la Fronde, iI dit: « Il est cons-




108 LA FRA:.'\CE POLITIQm: ET SOr.r.HE.


tant qu'il n'y en avait pas un, ele ton s cellX (111i
opérerent dans le cours de cette année an parlement
et dan s les autres cours souvel'aines, qui eút la 1110indre
vne, je ne dis pas seulement de ce qui s 'ensui vit,
mais de ce qui en pouvait suivre. Tout se disait
et se faisait dan s l'esprit du pro ces ; et commc iI
avait l'air de la chicane, il en avait la péc1anterie,
dont le propre essentiel ost l'opinifttreté, directe-
ment opposée á la flexibilité, qni de tontes les qua-
lités est la plus nécessaire ponr le :maniement des
grandes affaires. Et, ce qn'il a el 'admirable était
que le concert, qui seul peut remédier aux inconvé-
nients qu'une cohue de cette natu1'e pent produirc)
eftt passé dans cette sorte d'esprits ponr une cabale. '.1


Dans cette cohue, quelles étaient les visées des p1'in·
ces? Gondy attend le retonr de Lens avant de pous~el'
J\i. le Prince aux dernieres extrémités contre !\fazarin.


/


Condé veut se tenir entre l'Etat et la faction : iI dit h
Gondi: « Le parlement va trop vite ; s'il se ménageait
comme nons l'avions concerté) 1l01lS feriolls nos affaires
ensemble et celles dn pnblic. Il se précipite ; et si je
me précipitais avec lui, j'y ferais pent-étre mieux mes
::dfaires qne lui; mais je m'appelle Louis de Bourbon,
et je ne ven x pas ébranle1' la couronne. » OIém. de
Hetz.) Il s'emporte contre ces c( diables de honllets
quarrés qui vont sans cesse de la penr iL la rage.» Il ne
peut sonffrir par moments « 1 'insolence et rimperti-
nence de ces bonrgeois. )) En vain GontlÍ veut le pous-




DES C,\l\.\CrEl\¡';S !lE LA XOBLESSE FRA¡';0A1SE. iOa


ser duns une voie « plus Lelle et plus large que ceHe ou
messieurs de Guise, sortis J'une maison étrangere,
étaient entrés en s'unissant a vce l'Espagne, que ceHe
oú les premiers princes dc ConLlé avaient acquis tant
de renom. » Candé a respecté instinetivement ce que
G ondi nOlllme le « mysterc de l'État, » ce silence reli-
gieux et sacré dans lequel tous les droits s'abiment en
présence du droit royal. Il répugne a s 'embarquer
avec des gens de rien. Il n'entend rien, dit-il, á la
gucrre des rues, qu'il nomme la guerre des pots de
chambrc.


Ü11 songea un moment, pendant la Fronde, a réunir
les états généraux. ~r. le Prince répéta vingt fois
qu'un roi ni des princes clu sang n'en devaient jamais
souffrir. :.Mansieur caressait le parlement, mais il
n'avait rien dn gl'and politiqueo Chacun des seigneurs
avait des visées personnelles, et se réservait le droit
de faire avec la conr une paix séparée: le ~lazarin, si


. déctié, si Lafoué, finit par avoir raison de toutes ces
umbitions et ces convoitises décousues. Le filet de
l'autorité royale lui ramena tonto Les pairs ne firent
ríen, pendant la Fronde, en leur qualité de pairs: les
importants tiraient leur audace d'autre chose que de
la fonction parlementaire.




11U LA FgA1'iCE l'ULlTl\lUE El' SUCIAL/<:.


nI


SousLouis XIV, la pairie tOl11be au rang des vanités.
Les pairs sans doute conservent leur entré e et leur
voix délibérative toutes les fois qu'ils veulent prendre
séance au parlement; ils ont le droit d'y entrer avant
le roi, quand il y va, tandis que les officiers de la cou-
ronne ne marchent qu'apres lui; le roi les traite de
cousins. lIs opinent assis et couverts en sa présence, au
lieu que les présidents opinent á genoux et découverts.
Qui ne slest moqué des honnétes colcres de Saint-
Simon, qUÍ cherche a l11aÍntenir les mÍnces pri viléges
de3 pairs, mesure les places, compte les pas, note les
saluts, qui remporte de triomphantes victoires ou subít
de honteuses défaites dan s le grand rectangle de la
grand'chal11bre qu1il a décrit si minlltieusement? Tout
11 'est pas ridicule dans ses coleres: « Cela fait un eífet
un peu étrange de voir en séance les fils de Prance)
les princes du sang et les pairs debout pour un pair
quí entre et toute la robe quí ne fait que se découvrir
sans bouger ... II semble que ce soit un reste de ces
légistes sur le marchepied du banc des pairs, des
barons, des prélatfll, et qui ne se levaient peut Gtre pas
de si bas qu'ils étaient assis pour des nobles qui surve-
naiellt) eUllllllC ~i ~ubalternes et si llispI'oro]'tiollné~




PES C.\lL\CTEHE:' VE LA :-;UIJLESSE FllAr-;(j.\ISE. 111


qu'il ne s'agissait pas d'en étre saIué.» (l\lémoires)
tomo XXII, page3t) Saint Simon ne veut pas que l'épée
cede a la toge: iI ne s'effarouche pas de voir le roi
traiter de cousin les maréchaux de France venus du
plus bas lieu) comme on en a vu) et devenus nobles par
1eurs fonctions militaires; mais, pOllr lui, « iI est évi-
dent que rien ne peut dénaturer le légiste ni le tirer
du tiers état. » Il ne peut admettre la parité avec ces
membres légistes « de venus juges et magistrats sans
avoir changé de nature, qui n'ont plus que des offices
vénaux a qui en veut) héréditaires) et qui fout une
portion de leur patrimoine, tant par le sort principal
que par les gages) les taxations de vacations, d'épices
et toutes les ordures J'un produit auquel tous, depuis
le premier pl'ésident jusqll'au dernier du parlement,
tendent journellement la main. »


Une assemblée, OÜ la plupart des membres rece-
vaient un écn par heure de salaire a la sortie de cha-
que vacation, n'était point faite pour devenir une
assem blée poli tique) pour remplacer les états géné-
raux, et pour se comparer au parlement d'Augleterre.
La noblesse frangaise n'eut jamais a proprement parler
de représentation: elle n'eut ni chambre composée
uniquement de pairs} comme en Angleterre) ni
chambre basse OU I'on vít, comme dans lescommunes
anglaises, plus de gentilshommes et de cadets que
d'autres Jéputés. Elle fut inhabile, se consola trop
ui~élllent de sa ütÍbles~e l'olitique par ses mépris pou!'




1 t 2 U FHANCE POL1TIQUE E'l' SOCIALE.


ces homllles du tiers qui gagnaient plus a vec leu!'
encre qu'elle ne faisait avec son sango Elle attendit
trop de la monarchie, et la monarchie la livra enfin
ti ses ennemis.


La qualité de pairie a été attachée le plus souvent
a des terres portant le ti tre de duché, mais elle a été
aussi unie a des eomtés, des baronies et de simples
seigneuries. L'ancienne noblesse ne rceonnaissait
aucune hiérarehie de titres : eeux de baron et de sire,
étant parmi les plus antiques, marquaient de trcs-


,


grandes familles. Le l'ang des pairs était fixé par la
date de rérectioll ~L la pairie ; les pairi(:s ne prenaient
date que du jour de leur enregistrement. Ceux qui
avaient des duehés-pairies pouvaient substituer a
perpétuité le ehef-lieu, avec une eertaine partie de
leur revenu, jusqu'a 15,000 livres de rente, sans pou-
voir Gtre sujets a aucune dette ni distraetion. L'on
dérogeait en leur faveur aux ordonnanees d'Orléans
et de MouIins, qui bornaient les substitutions ordi-
naires; des rannée 1749, il n'y avait plus, outre les six
anciennes pairies eeelésiastiques, que einquante et un
duehés ou eomtés-pail'ies, dont voici rordre : Uzcs,
Elbeuf, :Montlugon, Thouars, Sully, Luynes, Brissae,
Hiehelieu, Anguien (ci-devant :Montmorency), Fronsae
(au due de Hiehelieu), Saint-Simoll, La Hochefoucauld,
La Force, Rohan, A1bret, Bourbonnais, Orléans,
Piney, Gramont, Yilleroy, l\1ortemart, Saint-Aignan,
Tresmes, Gesvres, AUlIlont, Nemours (qui appartenait




DES CAHACTEHES DE L.<\ l'iOlJLESSE FRAíXQAlSE. 113


uu tiue (rOrléans), Béthune, Charost, ~aint-ClouJ,
Eu, Montpensier (au due d'Ürléans), Aumale (qui était
uu eomte d'Eu, prinee de Dombes), Penthievre, Guise
(au prinee de Condé), Bouffiers, Villars, Hareourt,
Fitz-James, Antin, Hambouillet (au duc de Pen-
thicvre), Chaulnes, Hohan-Hohan, Hostun-Tallart,
Villars-Braneas, Valentinois, Nivernois, Biron, I.u
V alliere, Aiguillon, Chastillon, Fleury. Sur ce nom-
ore, les trois premicres seules avaient été érigées an
XVIC siecle. l\lettez de cóté les princes du sang, et voyez
queHe figure pouvuit faire ce petit bataillon devant les
groupes serrés des parlementaires au bonnet carré.


I.'uristocratie militaire, qui avait si mal défendu ses
intéréts politiques, ne sut pas mieux défendre sa
pureté originelle. Tout ce gui grandit autour d'elle se
frotta de noblesse, et en trouva le moyen dans la véna-
lité des offices. Car, pour accroltre le prix des offices,
on finit par y coudre les distinctions honorifiques, les
exemptions d'impót, tous les priviléges féodaux, qui
ll'avaient été si longtemps que le prix du sang versé sur
les champs de bataiHe et ponr la gloire du souverain.
I.'anoblissement ne fut point semblable a ce gu'on
voit en Angleterre; l'aristocratie n'attira point dans
ses rangs tout ce qui a quelque lustre nouveau. Elle
fut plutót comme une armée qui verrait ses rangs se
remplir d'étrangers et (rennemis. Il y a comI.lle un
abime entre ces deux mots : noblesse et vénalité. Les
gens de plume et de finance, les intendants enrichis,


LAljGE>L. 8




'114 L.\ FHASCE l'ULITIQUE .El' ~UCIALE.


les parvenlls de toute sórte glissés parmi les gens
de qualité, n'empecherent point que l'aristocratie
ne demeurát une caste. lls en outrerent seule-
ment les défauts, ajoutant la gourme a l'imperti-
nence, et mettant peu a peu l'argent a la place de
l'honneur.


« Dans un état constitué coml1le la France, il faut
que la noblesse soit fiere, brave, pauvre, et s· en pique. ))
Quand :Mirabeau le pere écrivait ces lignes, il y avait
longtemps que sur un point elles avaient cessé d'étre
vraies. Écoutez ce nleme :Mirabeau se plaindre des
l1lCBUrS de son tel1lps : «( Le genre de vie de la noblesse
call1pagnarde d'autrefois, qui buvait trop longtemps,
dorl1lait sur de vieux fauteuils ou grabats, montait a
cheval et aUait a la chasse de grana matin, se rassem-
blait a la Saint-Hubert, et ne se quittait qu'apres
roctave de la Saint-:Martin, cette vie, disais-je, faisait
peu de musiciens, moills de peilltres, de poctes et
d'acteursdeparade, mais on n'en avaitpasbesoin; la


,


noblesse menant une vie gaie et dure volontairement
,


coÍltait peu á l'Etat, et lui produisait plus, par sa rési·
dence et son fumier sur les terres nourricieres, que
nous ne lui volons aujourd'hui par notre goüt, nos
recherches, nos coliques et nos vapeurs. lls ne savaient
rien en comparaison de nous ... Nous nous connaissons
en voitures, en vernis, en tabatieres, en porcelaines.;
nous n'ignorons ni le l1lensonge, ni l'intrigue, ni l'art
de faire des affaires, ni celui de demander l'aumóne




DF.:t' C;\nACTEIU~S DE LA NUBLESSE FHAN(jAISE. 1'15


en talons rouges, ni ce que vaut le bien d'autrui, l'ar-
gent et les argentiers 1. »


De tout temps, on s'est éIevé contre la corruption
des mCDurs : Assurément les grands seigneurs du
XVIC siccle étaient aussi avides que ceux du xvne ou
du XYIIlc ; mais 1eur avidité servait l'ambition et non
la bassesse. Ils Ievaient dans le ressort de leurs charges
les sommes attribuées a leurs états et gouvernements,
mais ces levé es avaient de tout autres objets que les
pensions qui excitaient la cupidité d~ leurs . succes-
senrs. Lesdiguicres disait a un gentiIhomme du duc
de ~fontmol'ency : ~ Que votre maison se souvienne
qu'il n'est point de grand seigneur en France, s'il n'a
deux cent mille écus d'argent comptant dans ses cof-
fres et de quoi armer dix millc hommes dans ses mai-
sonso » Quunu Louis XIV parut, il n'y eut plus de lu-
micre que d'emprnnt : il ramena toutes les charges a
son propre service. La noblesse émigra a la cour, se
fit remplacer dans tous ses offices en province; le cour-
tisan sortait de son entre-sol de Yersailles, meublé a
roruonnance, et s'oubliait chez eles parvenus OÚ tout
ruisselait d' 01'. On rechercha les filIes eles riches parti-
sans ponr acheter de grosses charges et pour payer
ses dettes. Boileau l'a dit :


Mais, quan(l un hommc cst riche, il vaut toujours son prix,
Et l'eút-on vu portcl' la mandille a Paris,
~'cút-il de son vrai nom ni titre, ni mémoirc,
D'Hozier lui trouvera cent ayeux dans l'histoire.


t L'.4.mi des hOllllncs ou Traite dc la population. - Avignon, 1756.




'116 LA FRANeE POLITIQUE El' SOCIALE.


Le Jougur, de Regnard, fut donné en 16g6 : c'est done
a vant la fin du grand siecle que le public frangais a
applaudi l'hémistiche fameux: Allol1s! saute marquis!
Le faux marquis est démasqué, mais sa supercherie
semble toute natureIle :


Il est tant de traitans qu'on voit depuis la gucl'rc,
En modernes seigneurs sortir de dessous torre,
Qu'on ne s'étonne plus qu'un laquais, un pied plat,
De sa vieille mandille achéte un marquisat.


Le valet méme du joueur, s'il était seulement la-
quais d'un sous-ferll1ier, réve de devenir « un conseilIer
du roi. »


,


Le- jeune marquis de Grignan épousa la filIe d'un
fermier général (une Saint-All1and) qui lui apporta
!100,000 livres cOll1ptant. ~fadame de Grignan, en pré-
sentant sa belle-fille dans le monde, disait, en minau-
dant, et en radoucissant ses petits yeux, qu'il fallait
bien de temps en temps du fumier sur les meilleures
terres. La noblesse, habile a fondre et dissiper l'argent,
en avait sans cesse besoin. La législation l'appauvris-
sait lentement, tandis qu'une bourgeoisie économe,
patiente, tenace, se glissait, sé poussait par 1 'adminis-
tration, les emprunts, les charges et les rentes des
villes, la chicane et les proceso Blaise de Montluc
l'avait déja dit : « La noblesse s'est fait grand tort et
dommage de dédaigner les charges des villes, principa-
lement des capitales ... car, refusant ces charges ou les
laissunt p,renclre, les gens de ville s'ell1parent de l'au-




DE~ CARACTEnE~ DE LA ~OBLE~~E FRANQAJSE. 1 t 7


torité, et quand nons arrivons, iI les fant bonnet€l~ et
leur faire la cour. » (Comrnentail'es, livl'e VII.)


IV


La vónalité des offices a contribué de deux fac;ons á
affaiblir l'aristocratie fran<jaise, en donnant ft la ri-
~


ehesse une part de plus en plus importante uans l'Etat,
en múlnnt des eallX impures h la source ancienne de
nohlesse. A la fin uu dernier siccle, iI y avait quatre
mille offices qlli donnaient la noblesse avec tous ses
pri viléges l. Ce trafic avait quelque chose de honteux.
La noblesse allthentique se noyait dans la noblesse
bátarde, douteuse, achetée .


. Montesquieu, homme de robe, défend la vénalité
des charges : « La vénalité des charges est bonne dans
un état monarchique, paree qu~elle fait faire, comme
un métier de famille, ce qu'on ne voudrait pas entre-
prendre pour la, vertu. »


Voltaire critique vertement cette pensée de :Montes-
quieu : « Est-ce, dit-iI, ipar vertu que ron accepte en
Angleterre la charge de juge du banc du roi, qu'on
sol1icitait a Rome la place de préteur? Quoi ! on ne


t Il Y avait, en outrc, une inllnité <J'of1ices a vendre, ne conférant
point les privilóges nobiliaires. Le nOlllb¡'c en élait pror1iQ'¡eu'\:, et ils
formairllt lIne de~: rCRSOUl'ces de la fiRcalitó,




11~ LA FR.\;\'CF. POLlTIQ,'E ET __ OCIALE.


trouvait point de conseillers pour juges dans les par-
lehl€nts de France, si on leur donnait les charges gra-
tuitement ! » Il s'indignait de voir que la France fút
la seule monarchie de runivers qui flit « souillée de
cet opprobre de la vénalité, » que la fonction de rendre
lajustice, de disposer de la fortnne et de la vie des
hommes fút devenne un métiel' dr fiullille. l/abns, né
de rindigence des rois et de la vanité des sujcts,
devait sans cesse grandir: il était bien plus aisé de
créer des offices nouveaux que de rembourser ceux
qu'on avait vendus. Pendant que la plus pauvre no-
blesse et la plus oubliée continuait it se croire d'un
limon separé, rargent s'anoblissait) et s'emparait
d'une foule de charges dont les prix étaient excessifs
par rapport aux revenus. Les noms, les titres, les
rangs devenaient confus; les connaisseurs tenaient)
au dernier siecle, pour suspecte tonte noblesse dont
l'origine n~ét3:it pas tracée au delá de 14!jJ. Tout le
monde n'avait pas l'ame haute du maréchal de Fabert,
fils d'un libraire de ~fetz, qui refusa en 16621e cordon
de l'ordre, paree qu'il ne pouvait faire ses preuves de
noblesse.


Plus la nobles se perd de sa pnreté, plus elle se sépare
du peuple : cette contradiction n'étonnera pas le 1l1CH"í\;-
liste: la grandeur qui ne doute pas de sOl est toujollrs
la plus aisée, la plus accessible. Les états généraux ne
rapprochent plus les ordres, et les contacts entre la no-
blesse et la roture deviennent de plus en plus rares a




DE:- CARAr.TERES DE LA ;,<\OBLESSF, rnANQAISE. 119


mesure que les seigneurs sont dépouillés de radmi-
nistration provinciale. Dans beaucoup de provinces,
les gentilshommes vivent comme des sangliers. Le
Limousin, par exemple, avait une petite noblesse tres-
misérable. Il n'y avait pas, écrivait l'intendant de la
province, quinze gentilshommes ayant 20,000 livres
de rente.


« La noblesse de ce pays est assez bonne, écrivait
l'intendant de la Franche-Comté en 1750, mais fort
pauvre, et elle est autant fiere qu'elle est pauvre. La
politique n'est pas mauvaise de l'entretenir dans cet
état de pauvreté, pon1' la mett1'e dnns la nécessit(~ de
servir et(favoir hesoin de nons. Elle forme une COll-
frérie Olt 1'on n'admet que les personnes qui peuvent
faire prell ve de qnatre quartiers. Cette confrérie n' est
point patentée, mais seulement tolérée, et elle ne s'as-
semble tous les ans qu'une fois, et en présence de
l'intelldant. Apres avoir (liné et entendu la messe en- f
semble, ces nobles s~en retournent chacun chez eux,
les 11l1S sur leurs rossinantes, les autres a pied. Vous
verrez le comique de cette assemblée 1. »


La vraie noblesse, celle qui tenait au sol végétal,
devenait pauvre ; elle ne se mélait plus aux bourgeois,
comme aux siecles passés, elle fuyait les familles cita-
dines qui achetaient un a un les vieux manoirs, et qui
avaient pris depuis Louis XIV l'habitude de se décorer


1 Lettre citée par Tocqueville. L'Ancien réQime et la Révolution.
p.119.




120 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


uu nom des terres qu'elles possédaient. Elle vivait ue
droits seigneuriaux, de rentes foncieres. Elle ne payait
pas la taille, bien qu'elle ne fút plus assujettie a faire
la guerre a ses dépens; et pourtant elle s'appauvrissait
sans cesse. Elle payait la capitation, les vingticmes, les
taxes communes; rinégalité, en ce qui concernait la
taille, était souvent une apparence, el le gentilhomme
était atteint dans son tenancier.


Le noble ancien s'éloigne de plus en plus du peu-
pIe, et n'a qu'un accueil farouche pour le noble nouvean
qui, lui-méme, inspire a ses anciens égaux plus d'envie
et de haine que d'admiration. « A aucune époque de
notre histoire, dit Tocqueville, la noblesse n'a été aussi
facilement acquise qu'en 89, et jamais la bourgeoisie
et le gentilhomme n'ont été aussi séparés run de
fautre. ») Les nobles ne veulent souffrir dans lenrs col-
léges électoraux rien qui sente la bourgeoisie. Pendant
tout le XVIIle siecle, les gens d'épée se querellent
avec les gens de robe pour savoir si tous les magis-
trats, quelle que soit leur extraction, n'appartiennent
pas au tiers état 1. Au XVUC siccle, iI fallait Gtre hon-
néte homme pour étre :regu dans la bonne compagnie;


I La noblesse parlementaire ou de robe n'arl'ivait d'ordinaire a
une famille que quand la charge avait été remplie pendant deux gé-
nérations. De la le dire que « les conseillers étaient nobles et leurs
petits-iils gentilshommes. » La possession de tl'ois charges parle-
melltaires, par trois générations successives, suppléait a toute autre
preuve nobiliaire. Dans les pay8 nouvellemcnt réunis a la couronm',
la nobles8e était non gl'aduellC', mais de premier dcgré: elle étai t
acquise a toute famille dont le chef était arlmis l1an8 le Parlerncnt.




DES CARACTkRES DE LA NODLESSE FRANQAISE. 121


on tenait moins au titre qu'au mérite, au bel air, a un
je ne sais quoi qui sortait du eommun. Les Gramont,
les Turenne, les 1Ylortemart, les Guise, les Longueville
quittaient le roi pour voir Sarrasin et Gourville. Le
partieule de, séparée d'un titre, n'eut pendant long-
temps aueune signifieation, ear l'usage eonstant de
l'aneienne bourgeoisie (offieiers de basse et moyenne
jllstiee, corps des marehands) était de réserver aux Plll-
n~s des noms de fermes et de terres oú ils étaient nés,
méme oú ils avaient été nourris.


IJa eonfusion graduelle des noms, les usurpations
incessantes, le désordre augmenté plutót que réprimé
par les efforts de l'administration, la vanité du tiers,
tout devait contribuer a irriter ce qui restait de noblesse
pure et authentique, a la tenir en défiance continuelle.
La bourgeoisie ne lui inspirait que du mépris quand elle
la voyait acheter par milliers les offices qui l'exemp-
taient des charges publiques, de la milice, de la eor-
vée, de la taille, et lui disputer, avant toute autre
chose, ses priviléges en matiere d'imp6t.


Non-seulement les Parlements 1, les Chambres des


t La nobles se fut Dccordée aux présidents et conseillers du Parle-
ment de Paris (édit de 1G44), pourvu qu'ils (ussent servi 20 ans : on
leur' retira un moment la noblesse immédiate, pour leur accorc1€'r
seulement la noblesse gradueUe, consomméo a la secondo génó-
l'ation : puis on la leur rendit complete en 1690; on aUa jusqu'a
l'accorder au premier huissier et au greffier en chef criminel, puis
aux substituts. Des 1484, les secrétaires c1u roi sont réputés nobles
de quatl'e races et capables de recevoir tous les orc1res. La noblesse fut
accorrlé aux off1ciers et au conseil du Parlement de Dombes des i5'71 ;


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LA FnANCF. POLITIQUE ET SOCIA LE.


comptes et cours des aides, les bureaux de trésoriers
de France, le peuple des conseillers du roi, titre de-
venu si comffiun et vulgaire, jcuissaient de tous les
priviléges de la noblesse, du droit de franc-fief, de
l'exemption des logements de guerre, de l~exemption
de la taille, des dimes, octrois, péages, ils étaient dis-
pensés de la gabelle, de l'obligation d'acheter iL rÉtat
une quantité de sel déterminée a un prix fixé par les
ordonnances.


La noblesse se saturait de plus en plus de bourgeoisie
parvenue : les charges municipales tenaient lieu de
services militaires. Des 1373, sous Charles V, nous
voyons la noblesse attribuée aux maires et échevins
d'Angouléme; en 1380, la Rochelle obtient le méme
privilége: l'hótel de ville de Niort (J 41~),les capitouls
de Toulouse, les administrateurs de ~aint-:Maixent,
Angers, Lyon, Nantes) re(jurent les mémes faveurs.
On chercha parfois a arréter cette marée montante. En
1634, un édit décida que les maires, consuls, échevins
et conseillers des villes ayant privilége de noblesse,
ne pourront jouir de l'exemption des tailles que pen-


pendant le xvne siecle, a ceux du Parlement de Grenoble, ele J\Ietz, de
Desanyon, ele Dóle, a la chambre des comptes de Paris, a celIe de
Grcnoble, de Brctagne, a ceHe de l\lontpcllicr, a la cour des aides de
Pm'is, a ceUe de Bordeaux, a celle de Rouen, au grand conseil; dans
le XVIII" sícc1e, au Parlement de Flandres, a la cham])re des comptes
<1e Dólc, a ceHe de Dlois, aux secrétail'es des tinances et greftiel's du
grand conseil, au conseil supéríeur de Douay, au burcau des finances
et a la chambre du domaíne a París, a la COUl' des monnaies, au
Chátelet, aux commissaires des guerres.




DES CARACTERES DE LA NOBLESSE FRANQAISE. 123


dant rexercice de leurs fonctions, sans que leurs en-
fants puissentjouir d'aucun privilége de noblesse. En
1635, nous trouvons un édit qui oblige les maires et
échevins de Bourges a déclarer s'ils entendent vivre
noblemente Trois ans apres, on accorda a ceux de Lyon
de faire le négoce et trafic de marchandises en gros,
pourvll qu 'ils n' eussent point de boutique ou verte. Les
priviléges de noblesse des villes sontrévoqués en 166G,
et dans le méme édit, revendus contre de rargent. La
noblesse municipale devíent un véritable trafic : on la
revend encore une foís en 1750.


On remplirait des volumes avec le texte des édits
rendus contre les usurpations. La nobles se cessa de
bonne heure d'étre fixée á la terre, elle n'était attachée
a aucune fonction politique ; elle ne conférait ni le pou-
voir législatif, ni la possession séculaire d'une partie du
sol national. Elle était devenue en quelque sorte une
qualité idéale; elle pouvait se passer de la terre,
de la richesse. Elle était volatile, elle ne pouvait
plus, en une foule de cas, faire ses preuves en montrant
des champs, des tours, des foréts, des chftteaux; elle
montrait des arbres généalogiques, des parchemins,
des minutes. Les commissions instituées pour exami-
ner ces titres étaient corruptibles: en 1664, on exige a
des titres authentiques justifiant la possession de la
noblesse depuis 15f)O ; ceux qui ne pouvaient produire
des titres et des contrats que depuis et au-dessous de
1560 devaient étre déclarés roturiers, contribuables aux




124 LA. FfiANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


tailles et autres impositions. Ces grandes recherchcs ne
purent jamais purifier le corps aristocratique. CeHe
qni commen(ja en 1666, par ordre de Louis XIV, fut
suspendue en 1674 a cause des guerres. Quelques an-
nées apres, les usurpations s'étaient multipliées a tel
point qu'en 1696 une nouvelle enquéte fut ordonnée.
Aux termes de la déclaration de 1714, la prenve d 'une
possession centenaire fut considél'ée comme suffisante;
elle fit passer une foule de familles roturicres dans
rordre de la noble8se. Les regles de la dérogeance va-
riaient de province h province.


On n 'eut pas soin dans la grande recherche deI7(j(¡
de former un catalogue des familles déc]arées noblr8
OH roturieres. En Angleterre, les pairs sont un dc~
grands pouvoirs de rÉtat; il importe donc (Iue les
pairies aient des titres aussi solides que la propriété
elle-méme. Les grandes familles en AngIeterre fol'-
ment comme des systemes planétaires, dont le droit
d'ainesse est le centre. En France, on a vu sonvent des
branches cadettes étouffer complétement les ainées.


En 1788, le généalogisteChérin écrivait ce qui suit:
« Combien y a-t-il de nobles en France'? .Te l'ignore.
Cette supposition, pour qu'elle fút exacte, ne pourrait
étre que le résuItat d'une opération vaste et générale.
jIais ce dont je suis certain, c'est que, dans la' recher-
che de la noblesse faite en France en 1766, iI a été
troHvé environ 2,08/1: familles nobles dans ]a Bretagne,
environ 1,822 dans la généralité de Caen, environ




DES CAHACTEHES DE LA .NOllLESSE FHANQ.\lSE. 125


1,686 dan s la généralité d'Alenc;on, environ 514 dans
eelle de Champagne, environ 1,627 dans la province
du Languedoc, environ 766 clans la généralité de
Limoges, et en viron 693 dans la généralité de Tou-
ruine, Anjou et Maine 1. »


Ces chiffres montrent une France couverte de
familles nobles ou anoblies: une sorte de nation
dans la nation. En Angleterre, on compte seule-
ment, a rheure actuelle, 20 ducs, 21 marquis, 127
comtes, 30 vicomtes et 229 barons. Je sais bien qu'au-
dessous de ces 128 pairs, qui ont le privilége législa-
tif, iI Y a la gelltry, les baronnets, les gentilshommes
campagnards, tout ce qui vit noblement.


'lais dans cette classe, les baronnets seuls portent
héréditairement le titre de sir; 01', en comptant dans
le baronnetage de Debrett, je n'ai trouvé pour 1870
que R70 baronnets; il n'y a donc en'ce moment dans la
Grande-Bretagne que 1,298 familles qui aient un titre
héréJitaire, moins par conséquent qu'il n'y en avait
en 17(-i6 dans la seule généralité de Caen, ou dans celle
d 'AJcnr;on, ou dans la province de Bretagne. Il est in u-
tile de tenir compte des simples chevaliers anglais
{fu'on appelle aussi sir, mais qui n'ont qu'un titre
. .


vlager.
Il faut remarquer aussi que de tout temps, en Angle-


terre, les cadets des familles nobles n'ont porté aucun


I Ilm!gé cJtrOllulogú¡uc d'éditli, ctc. - París, 178~, p. ;:;.1.




126 LA FHANCE POL1TIQUE ET SOCIALE.


titre, ils n'ont eu que leur nom de f~lInille; mais en
France, les noms de famille ont été si négligés que
beaucoup sont tombés dans roubli ; on n'a laissé guere
subsister que ceux qui étaient précédés de la particulc
dite nobiliaire. Cette particule est devenue une mar-
que distinctive, elle a été préférée au vieux nom de
famille quand celui-ci avait rair roturier; les gens qU!
se tiraient a prix d'argent de la roture, étaient les plus
disposés a oublier le. nom de leur race et a s'affubler
de celui de quelque terreo


La noblesse avait perdu un a un tous les caractóres
qui constituent une aristocratie: elle n'avait jamais
eu de véritable organisation politique; les intendants
lui avaient graduellement enlevé le gouvernement et
l'administration des provinces; les justices seigneu-
riales avaient presque disparu devant la justice royale.
Plus du tiers de la terre fran<jaise appartenait aux
paysans; le clergé possédait des biens immenses. La
noblesse, appauvrie par les partages, par la cour, par
les guerres, était obligée sans cesse de laisser sortir
des terres de ses mains, en les chargeant seulement
de quelques cens ou droit misérable, pour maintenir
un droit de propriété nominal. Beaucoup de droits
féodaux n'étaient pas autre chose que les intéréts
d'une dette contractée par le tenancier en vers le sei-
gneur : la dette était oubliée, les droits semblaient
une charge inique, et finirent par le paraitre a la
noblesse elle-méme. La petite noble8sc, obligée de dis-




DES CAlt\.CTEI\ES DE LA NUllLESSE FHAN(j.\.ISE. 127


puter h des métayers les meilleurs fruits du sol, détes-
tait la noblesse vénale : elle s~isolait de plus en plus,
devenait plus arrogante a mesure qu'elle devenait
plus pauvre.


Dans les cahiers de la nobles se de 1789, on trouve
toujours ces VCBUX : suppression des anoblissements a
prix d'argent et par acquisition de charges; recherche
sévcre de la fausse noblesse; suppression de la véna-
lité des charges de la magistrature. - Ces cahiers
demandent le maintien de la nobles se et du clergé
comme ordres distincts; la jalousie contre le clergé y
paraít partout : on demande ouvertement la suppres-
sion des exemptions d'impót dont jouit le clergé, la
réforme des ordres monastiques, la réglementation ou
la suppression des dimes. - La noblesse offre crailleurs
de faire elle-méme le sacrifice de la plupart des droits
féodaux.


On sait avec quelle grandeur elle fit ce sacrifice:
elle le fit méme trop complet, car, dans beaucoup de
cas, l'aholition de tous les droits féodaux aboutit pra-
tiquement a une véritable spoliation, et tit les bles-
sures les plus profondes au dl'oit de propriété. La
nob1esse fran~aise fut, dans cette nuit fameuse, fidele
a son caractere historique : elle a été la noblesse la
plus généreuse de rEurope, la moins grossicrement
attachée a l'argent, a la ten 'e, a tout ce qui est maté-
riel; les fruits de 'la conquéte, que d'autres ont su
ganler avec un soin si jaloux et parfois si cruel, se




128 LA FlL\NCE POLITIQUE ET ~OCIALE.


sont COl11l1le évaporés entre ses doigts; elle a trop aimé
la vie d'aventurc) le jeu, la guel're) les hasards; elle a
eu des passions trop juvéniles et t.rop féminines) et a cru
assez se défEmdre contre les empiétements des petites
gens par des plaisanteries et des mépris. On la voit
impuissante enfin devant les gens du roi, de plus en
plus esclave d'un idéal de royauté construit par l' Église. -
La royauté ne luí laissait ni indépendance) ni vrais
droits; mais, en) 'el1lportant dans le tourbillon éblouis-
sant de sa propre grandeur,:elle ne lui permetta~t pas de
sentir son abaissement. Cette noblesse a été le derniel'
représentant de l'esprit chevalel'esque : elle a toujours
eu un certain emportement dans sa fidélité, dans son
dévouement) dans son courage, dans ses vices coml1le
dans ses vertus. On nepeut direqu'elleait été trop avide)
trop apre; elle a préféré les plaisirs légers et délicats
aux solides avantages que donnent le pouvoir) la force
et la richesse : iI faut voir en elle la fleur de la société
fran<jaise plutót que le tronc ou la racine; mais quel
Fran<jais pourrait lui en faire un reproche? Oil le monde
trouvera-t-il des modeles plus accomplis de gout, de di-
gnité, d'aisance) quelque chose de plus exquis dans la
bonté, de plus simple dans le rnalheur, de plus fier
devant les insultes du destin '? Dans d'autres pays) il
est resté jusque chez les grands quelque chose de vlll-
gaire : la noblesse fran<jaise a tellement raffiné les
sentiments et les rnceurs, que dermis longtemps iI n'y
a presque plus rien de bas dans le peuple.




CHAPITRE V.


DE:) CARACTERE:) DE L.\. l\lOKARCIIIE.


1


Les gouvernements sont l'ouvrage de la nécessíté
plutát que de la raison, et quand la raison s'y applique,
elle ne construit ríen de durable sí elle ne tíent compte
de la nécessité. La monurchie n'a pas eu en France le
méme sort qu'en Angleterre ; si, duns ce dernier puys,
elle s 'est faite parlementaire et constítutionnelle apres
la chute des Stuarts, c'est paree qu'elle étaitusurpatrice.
Les deux partis attachés a des dynasties différentes
sont devenus par degrés deux partís de gouvernement
capables de se succéder au pouvoir: la monarchie
étrangere, toujours menacée, ne pouvait affaiblir ses
protecteurs., et était obligée de chercher chez les plus
modérés de ses adversaires une protection contre des
ami s trop hautains et trop exÍgeants. Chose pareille se


LAUGEL.




130 LA FHANCE l'OLlTIQUE ET SOCIALE.


seruit peut-étl'e pl'oduite en France) si le tl'óne avait
été usurpé au xvn C siecle : mais c7est au moment méme
oü les Stuarts se perdaient) que la monarchie des
Bourbons, apres de longues guerres civiles) devellait
pour ainsi dire sacrée aux yeux de la nation frangaise.
Quand rAngleterre éprouva le besoin (raffaiblir la
monarchie) la France ne songeait qu7il, la fortifier. Ce
n


7
est pourtant la qu1une vue superficielle des choses;


car si la royauté des Stuarts fut expulsée (rAngleterre)
c


1
est paree qu'elle avait pris pour modele la l'oyauté


frawjaise: il faut done rechercher comment Sl étaitformé
cet idéal de monarchie, gui convenait á la France et
qui ne convenait qu7il, elle. La royauté fut) par la force
des cil'constances, rouvrier de runité nationale: tant
que rouvrage resta incomplet, la nation se confondit
avec elle. L\ulÍté politique fut établie de fort bonne
heure dans la petite He anglaise, séparée du continent:
les grands ne pouvaient s7unir il, des princes voisins
contre le roi; il ne fut clone pas nécessaire au roi de
complétement abattre le pouvoir aristocratique.


L'union des peuples et des dynastiesest un mariagc
mystique: combien ce lien ne doit-il pas devenir étroit
lorsque la dynastie a créé la nation et guand, il, travers
les revers) les retours miraculeux de la fortune) les
dangers· san s cesse renaissants, elles ont ensemble
grandi et triomphé de tous les obstacles! La fidélité qui
unissait le vassal au suzel'ain) celle des grands iEmda-
taires) des princes apanagés) était pl'ompte Ü la rébel-




!lES CAL\:\CTERES DE LA MO~AHCHl1L '131


lion; la fidélité du peuple, humble, instinctive, poéti-
que) nourrie de grands souvenirs, ressemblait davan-
tage a une dévotion, a une foi. Elle était sans cesse
nüurrie et entretenue par deux classes d'hommes, par
les gens d'~glise et par les gens de robe. L'Église con-
servait comme un héritage la tradition de la grande
monarchie romaine; si elle ne pouvait mettre sur le
ti'ont des rois de France la couronne impériale) elle
les plaqait pourtant au-dessus des autres rois: ils
étaient ses fils alnés, et avaient un caractcre sacré.
L'huile du sacre était descendue du cielo Elle avait mis
run d'eux au Hombre de ses saints. Elle pal'donnait a
LüuÍs XI ses cl'uautés en favenr ele sa dévotion.


Ponr les gens de robe, ils représentaient la force
croissante de la bourgeoisie et clu peuple : sans le roi, ils
n 'étaient rien; par lui, avec lui, ils pouvaient tout. En
face du droit féodal, fondé sur la force et la conquéte, ils
étaient les propagateurs du droit royal et de la justice
abstraite) les défenseurs des anciens vaincus, les instru-
ments tl la fois serviles et ambiti~ux d'une monarchie
paternelle et administrative; ils rédigeaieut les ordon-
nances etlesédits. S'inspirant des souvenirs de Home, ils
tévaient un despotisme bienfaisant) un pere du peuple
entouré de légistes) d'officiers tirant lenr grandeur de
la faveu}' royale plutót que de la gloire des a'ieux: au
gouvel'nement guerrier et militaire, ils voulaient sub-
~tituer un gouvel'nemcllt de police. Tout devait
s 'auaisser devant le roi : la jalousie des grands couvait




132 LA FRANCE PULITIQUE ET SOCIALE.


secrCtement dans le creur de tous les parvenus qui met-
taient leur travail opiniútre) leur intelligence subtile
au service de la royuuté. Le vieil esprit gallo-romain)
en révolte contre resprit germanique, inventa rhéré-
dité dans les branches masculines, le mal'iage du clroit
romain et des coutumes féodales, la concentration
graduelle de toute l'administration dans les mains du
pl'ince ou de ses représentants; il disputa obstinément
Ú l'aristocratie militaire toutes les prérogatives que
lui avaient données la conquéte) il réduisit enfin les
vassaux á n'étre que des serviteurs ..


Voici le jugement que Machiavel portait dans le
Prince sur la 11l0narchie frangaise,:1 une époque oil
elle n'avaitpourtant pas encore tl'ollvé son expression
achevée: « Entl'e les royaumes que nous voyons aujour-
d'hui, celui de France est l'un des mieux onlonués et
policés, dan s lequel se trouvellt p1usieurs bonnes loÍs
et constitutions, dont la liberté et l'assurance du roí
dépendent: la premiere desqneHes est le parlement et
rautorité qu'on lui a donnée. » Machiavel ne regardait
pas la 11l0narchie fl.'angaise comllle une 11l0narchie ab-
solue. « Le roi de France est cOllstitué qua si comme
uu milieu d'une ancienne compagnie de seigneul's)
lesque]s ayant des slljets propres, de qui ils sont aÍmés
et redoutés, tiennent dans ce royaume une prééminence
dont le roi ne peut les priver, sans crainte de sédition
et de tumulte. » Contenu par le parlement et par les
grands, ce roí peut tout faire cependallt pour le Ralut




DE::; C.\nACTItn.E~ DE LA }lO~Anr.HIE. 1:33


publico « (~uand Je conseil se tient dn sn1nt de In poli ce,
il n 'ya p1n8 anenne eonsidération de justiee, d'injns-
tice, de pitié, de enmuté, de fait louable ni honteux ...
qlli est chose imitée en dires et en aetions par les
Fran~ais, depnis qu'il est question de la mnjesté de lenr
l~oy et de la pnissanee du royaume. Ils disent que lenr
roí n 'est snjet :1 la honte, ni au déshonneur, quelque
d(~libéI'dion qu'il fltSSC, qu'il soit en prospere ou eon-
trúil'e fortulle, qu'il perde ou gagne; ils disent tou-
jours que c'est tour de Hoy. ))


La finesse de lHaehiavel peint iei les sentiments qui,
pendallt des siecles de guerres ot de lnttes, avaíent
enveloppé la royanté et avaient tissó la trame indes-
tructible de eette fidélité eivique, indifférente aux fai-
hlesses ot m&me aux erimes, qui n 'était. que la fidélité
tcnflce a la patrie; eette fidélité était heureuse et fiere
de trouver d'age en age quelque image vivante qui ne
fút pas indigne de la France.


La loi si rigide de la suceession an tróne fut eontes-
tée par la Ligue: le derniel' des Valois avait dit á Henri
de Navarre: « Vons ne serez jamais roy, si vous ne
vous faites catholique. )) La passion nationale sembla
llll moment elevoir le cécler ti la passion religieuse;
1'abjuration dTlenri IVles réconeilia. Jamais la nation
n'avait songé ü elloisi!' Ulle aatre raee pour y prendre
ses rois. Protestants, catholiques, politiques, défcll-
daient á 1'envi les droits de l'ancienne dvnastie. Tous


oJ


craignaient un roi étranger, une créature de l'Espa-


I




VH LA FRA:-íCE POLITIQCE ET ~OCIAr.E.


gne. Seuls, qnelques fanatiques parisiens pr(~chaient
la monarchie élective, la souveraineté populaire.


{( Le Roy que nous demandons, lit-on dans la Salyre
1)Unippée, est déjit fait par la nature, nay au vrai par-
terre des fleurs de lys de France: jetton droit et ver-
doyant du tige de S. LOy8. Ceux qui parlent d'en faire
un autre se trompent et ne sauraient en venir a bout;
on peut faire des sceptres et des couronnes, mais non
pas des Royspour les porter : on peut faire une mai.son,
mais non pas un arbre ou un rameau vert: iI faut que
nature le produise par espaee de temps, du suc et (1c
la mouelle de la terre, qui entretient la tige en sa sé\'c
et vigueur ... N ous reeonnaissons ponl' notre vray Hoy,
légitime, naturel et sonverain seigncur, lIenry de
Bonrbon, ci-devant Roy de Navarre. C'est luy seul, par
mille bonnes raisons, qne nous rceognoissons étre cupa-
ble de soustcnir rEstat de France, et la grandeur de la
réputation des Frangois: luy seul qui peut nous rele-
ver de notre cheute: qni peut remettre la couronne en
sa premiere splendeur, et nous doner la paix. C'est lui
seul et non autre, qui peut comme un I-Iercules naturel
nay en Gaule, deffaire ces membres hideux qui rendent
toute la France horrible et espouvantable a ses propres
enfants: c'est luy seul et non autre qui exterminera
ces petits demi roys de Bretaigne, de Languedoe, de
Lyonnais, de Bourgongne et de Champagne: qui dis-
sipera ces dues de Normandie, de Berry et Solongne,
de Reims et de Soissons; tous ces fantosmes s'évanoui-




¡¡E~ ".\ nACTJ~nES nE LA \IO:\'AHCrIlE. 1 J;)
rout au lustre de Sfl pr('>sence, qnflncl iI sera sis nu
tllrone de ses majeurs et en son lict de justiee quí llat-
tend en son Palaís-Royal t • »


La fidélíté nationale, qlli trou vait encore ele tels
accents apres les perverses folies des derníers Valoís,
fut récompensée par le don (run véritable grand
homme. Le type du roí pacificateur, protecteur du
peuple contre les factions et les grands, se grava
dan s le camr de la nation. l..Je roí était aussi le granel
justicier; le parlement, instítué comme haute conr
de justice, ne devint jamais une vérita1Jle assell1-:
blée délibérante, exer<junt une action régtlli{~re et
constante Sl1r la marche des uffaires publiques. Le
roi entouré des pairs était non-seulement juge, il était
législateur; sans sa présence expresse, les pairs eux-
mémes redevenaient de simples magistrats; iIs pa-
raissaient aux sóances ordinaires comme assesseurs,
aux mémes places Olt ils étaient les premiers juges,
(l1land le roí tcnait son lit de justice. Le roi était le
vrai législateur: renregistrement qui achevait en
quelque sorte la loi, était la seule prérogative dn par-
lement, avec le droit de ütÍrc des remontrances. Mais
le roi avait le dernier mot; quand il tenait le lit de
jnstice, rien ne ponvait lui étre refusé: iL la fin, il se
contenta de le faire tcnir par un prince du sang, ct
renregistrement devint une pure formalitó.


j Satyre jll(;nippée. -Hn.rn.ng'uc (le :\Iollsienl' (L\nbray pour le tiers
état.




1:1G LA rnA;'¡CE POLlTIQUE ET SOCIALE,


Les états généraux ne contribu(~l'ent pas pln8 Ilne
les parlements [1 dil1linuer la majesté et l'autol'ité
royale. ( Le nom d 'états) dit l'auteul' de l' l/istoire de
la ]Jalrie de France 1) semble donner ridée de je ne sais
quoi de granel; les peuples s'en forl1lent une idée si
avantageuse, qu'ils s'imaginent que le royanme doit
reprendre une nouvelle force'; mais lesucccs a tonjonl's
fait voir que e'est la rareté de cette sorte d'assemblée
qni fonde tant de vaínes espérances. Rien loin tren
angurer tant de rnerveilles) c'est plntót un signe de
tronble et de rnauvais temps, comme quan(lle soleiI se
H~ve clans un nne: cal' on ne s'avise gw\re de les con-
voquer si l'}~tat ne pátit, et iI ne pútit jamais clavan-
tage que quand le soleiI de 1'État, qui est le roi) souf-
fre quelque éclipse: c' est-a-dire qnand sa lumiere et sa
splencleur sont offusquées par la funeste intel'posítioIl
de qnelque partí, »


Le pays vit surtout rénnir les états apres de grandes
calamités; íls avaient été convoqnés nenf fois sous le
regne dn roi Jean, plus souvent encore sons Char-
les VII: on trouve des lacunes de cinquante ans) en
revanche, dans l'histoire ele ces grandes assel1lblées.
Elles ne semblent nécessaires qne dans les temps tron-
blés, pendant les minorités. Que lenr demande-t-on
toujours? De voter (le nouveanx impóts, mauvais
moyen de les rendre popnlaires. A peine savonS-llOllS
exactement comment se faisaient les élcctions anx


f Tome I, pnge 167, - Lourll'(\:-:. 171::>.




DF.S CAnAr.TErlRS DF. LA l\IO~Anr,Hm, 137


États et qnels intéréts représentaient les députés.
Avant Philippe le Bel, le tiers état 11) prit jamais ele
place; mais ce tiers méme, qu~était-il en réalité '?
Dans les villes prévótales, soumises au pouvoir
du roi, le pr~vót, l'homme du roi, choisissait le dé-
puté ou le désignait aux habitants. Dans les commu-
nes munies de chartes, les magistrats municipaux
formaient (rorclinaire des corporations assez étroites,
et faisaient l'élection.


Sous le roi .T can, les états mécontenís furent trcs-
hanlis, presqne révolutionnaires; ils demandcrent que,
pendant la captivité du souverain, les ministres dn
régent vinssent lenr rendre des comptes. La grande
ordonnance de 141 ~~, rendue sous le rcgne de Charles VI)
resta une lettre m orte.


Charles VII se servit plus utilement des états, il en
obtient une taille pe'rpétuelle destinée h l'entretien
d'une armée permanente.


JI semble que les regles qui servaient a l'élection des
députés aux états fussent bien arbitraires, car
Louis XI, en convoqllant cellX de Tours (1483), invite


,


gens d'Eglise, nobles et bourgeois a « élire trois pe1'-
sonnages notables de chaque sénéchaussée, et non
plns: c'est assavoir ung d'ltglise, ung noble 'et un de
del'estat commun. » « Le roi, c1it Comines en parlant
de ces états, tria bien les députés. » Il leur de-
manda une sorte de blanc-seing : ce Y ceux des états ont


<.0


accordé et consenti, accordent et consentent que le




1 ~t:í L:\ rTI\:'iCE pnLITIQCE ET ~OCIALE.


roy, sans attentlre autre assemblée et congl'l:'gatioll
des états, pour ce que aisément ils ne se pcuvcnt
assembler, y puisse faire tout ce C]ne ordre de poliec
le porte, promettant et accordant tous iceux états
de servir et aicler le Roi touchant ces matieres, et en


#


ce lui obéir de tout len1' pouvoir et puissanee et de
vivre et monrir avec lni en cette querelle. )) La ses-
sion dura huit jours, ce fut la seule sons ce grand
1'01.


Dans tmItes les électiolls qui suivent, de Louis XI tL
la minoriM de Louis XIV, des lettres de convocation,
pareilles aux writs anglais, sont ellV()y(~es :m nom
du roi aux gouverneurs des provinces, qui les trans-
mettent aux baillis et aux sénéchanx. Les trois
ordres étaient convoqnés iL rassemblée générale c1u
hailliage. Apres une séance d10uverture présidée par
l'homme du roí, ils tenaient des assemblées spéciales
h 11Hótel de vjlle. Chaque ordre ütisait son cahier et
non~mait des députés aux états. Le nombre <le ces
députés n'avait aucune importance, car aux états le
vote ne se faisait point par téte, mais par hailliage ou
par gouvernement.


On peut dire que la bourgeoisie acheta le droit
crentrer aux états, cal' on ne 1) appela que pou!'
obtenir fargent des villes c1ans les nécessités publi-


,qnes. Le tiers y apporta des vues snuvent excellentes
sur les finan ces, sur radministration de la justice, sur
le commerce : mais iI mettait en quelque sorte ses




DES CARACTERES DE LA :\IO~ARCHIE, 1 ~H


vues a couvert sous l'humilité de son obéissance au
roL L'I~glü;e lui accordait tout pourvu qu'il défendit
la foi. L'esprit de violence et de révolte, qui en se paci-
fiant devient l'esprit de liberté, n'avait en réalité
de représentants que dans les rangs de la noblesse.
lVfais entre celle-ci et le tiers, il y avait une barriere:
les uns étaient les fils des vainqueurs, les autres les fils .
des vaineus.


1.0rs méme que deux ordres eussent formé une
chambre et le tiers état une autre, íl n'y aurait pas eu
entre les deux chambres ces liens multiples quí ont de
tout temps uní laChumbre des lords a la Chambre des
communes. Dans la Bretagne, moíns pénétrée que
d'autres provinces de l'esprit germanique ou normand,
la nobles se rustique était plus pres du peuple; quatre
familles nobles avaient héréditairement le droit de
représenter le tiers aux états généraux. Presque
partout ailleurs, les classes étaient comme des peuples
différents: les cadets de la noblesse n'eussent pas été
choisis pour représenter Ta bourgeoisie, comme en
Angleterre.


La royauté, 1 'eut-elle voulu, ne pouvait devenir
neutre et arbitre; tout le monde la désirait vivante,
agissante, tutélaire, et personne plus que cette bour-
geoisie qni donnait an roí ses légistes, ses gens, cette
multitud e d'officiers civils occupés arogner et a ronger
sans relúche les priviléges des grands. Le gouverne-
ment parlementaire, avec ses ministres changeants et




140 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIA LE.


responsables) indépendants de la couronne tant (l1l~ils
font respecter la prérogative 1'oyale, est chose incom-
patible avec ce que ron nommait la cour : et la conr
a été longtemps ratmosphere naturelle de la royauté
franqaise. La venaient, comme les fieuves coulent
dais la mer, refiner de toutes les parties de la France
les ambitions) les convoitises) les gloires anciennes
OH nouvelles. Ce centre, ce point unique, attirait, vo-
latilisait tout. La cour n'était pas seulement la fon-
taine d'honneur, de faveur) de fortune : c\~tait une
force sociale plutót encore que politique, un creuset
oú se fondaient tons les éléments de la. civnisation la
plus brillante que le monde ait connue depnis Homc.
L'esprit franCjais, prompt, vif, souple, ingénieu.'~,
s'abima pour. ainsi dire dans les péripéties du drame
perpétuel de la cour : la France songea moins a jOHcr
sa prop1'e histoire qu'h la voir jouer sur de magnifiques
théfitres par des acteurs d'élite: elle s'onblie tou-
jours volontiers devant ce qui saisit puissamment
son imagination.


1 1




Ou donc pouvaient naitre les mccnrs, les tr:uli-
tions parlementaires? Ce n'était pus assurément dans
les états généraux, que tont regne henreux suppri-
mait. I~tait-ce du moins dans les états provinciaux?




DES C.\lL-\CTÉlU';S DE LA ~I')~.\[\CLIIE. 141


Voyons ec qu'étaient devenus, par exemple, les
dats tie la Bretagne. La encore les trois ordres
étaicnt sépurés; les états, a partir de 1630, se
l'éunissaient tous les deux ans : ils augmentaient
ou auaissaient a volonté la taille nommée le fouage
(census pro focis singulis), exigée pour chaque feu
cluns les bien s roturiers. Ils avaient obtenu rabonne-
lllent pour la taxe de capitation, et étaient seule-
mcnt tenus de payer uu trésor une somme con-
venue, qu'ils prélevaient comme ils voulaient. (La
noblesse uretonne ne s'était pas tout a fait exonérée
de l'impót; elle payait 7 p. 100 de la taxe de cap ita-
tiOll) le Parlement payait 4 p. lOO, les villes
20 p. 100, les campagnes 75 p. 100.) Les sessions
étaicnt des sortes de dietes polonaises, des jours de
fete et de gala. Voici ce qu'écrit :ñlme de Sévigné:
« Les états ne sont pas longs; on clit ce que veut
le roi, et voila qui est fait. Le gouverneur y trouva
plus de /10.000 écus qui lui reviennent. - Une
infinité d'autres présents, des pensions, des répa-
rations de chemins et de villes, quinze ou vingt
grandes tables, un jeu continuel, des bals continuels,
des comédies trois fois par semaine, une grande bra-
verie: voila les états. J'oublie quatre cents pieces de
vin qu'on y boit. » wlmc de Sévigné n'en parle vi~i­
blement qu'avec mépris, comme d'une chose basse et
populaire. La noblesse bretonnc envoyait pourtunt
l/O rcprésclltallts aux étuts, pour 70 députés du tiers




142 L.\ FllANCE POLlTIQUE ET SOCJALE.


et 22 de rÉglise. Le roi n) avait pas moins de 25 com-
missaires. Les Trémoille (comme barons de Léon) et
les Roban (comme barons de Vitré) présidaient alter-
nativement les états de Bretagne l. Le murmure de
ces petites assemblées n'était meme pas entendu a la
cour. Les états du Languedoc étaient moins aristo-
cratiques et ressemblaient davantage a des assemblées
populaires; les nobles n'y envoyaient que 24 barons
héréditaires et ;2 barons désignés tour a tour; le clergé
avait 19 éveques et 3 archeveques (celui de Nar-
bonne était président). Le tiers avait 64 députés
envoyés par 23 villes et par les 23 dioceses. Le roi
fitisait connaitre sa volonté par trois commissaires; le
gon verneur et les deux lieutenants généraux de roi
avaient entrée aux états et voix consultative.


:Mme de Sévigné nons a donné de curieux détails
sur les états de Provence : son gendre y resta dix ans
pour le gouverneur, le dne de Venuome. Il est ques-
tion un moment de l'arrivée uu gonverneur: « Ven-
dome arrive affamé et fort bien intentionné d' écumer
ce quireste d'argent dan s cette province. )) Les états de
Provence font comme ceux de Bretagne leur don forcé
au roi 2. Ces petits centres d 'énergie locale étaient bien
peu de chose aupres du grand centre de la cour.


La royauté capétienne avait eu cette fortnne, qn'en


I En 1671, les états donnent 2 millions ct ()cllli de livl'cS au roí:
en 1630, ;) millions.


:.! En 1606, lcs étah de 1'1'oH'uc8 rlullllcnL iUU,OOO liVl'cS au ro]




DES CA1L\ CTJÚU':S DE LA }lONAHC HlE. 1/13


travaillant ponr soi elle avait satisfait tous les instincts,
hons on mauvais, de la nation. Il y avait eu des rois
incapables, mais les visées de la monarchie n'avaient


. jamais été oubliées : quand le roi sommeillait, le mi-
nistre veillait. A cóté du principat héréditaire, il y en
avait un autre, qui en était finstrument: c'était le prin-
cipat de resprit, du génie politiqueo A quelle marque
se reconnaissait-il ? On ne saurait le dire.A quoi se re-
connaít la beauté '( Un homme se trouvait, parfois un
étranger, souvent un homme d'Église) qui devenait.
l'llOrnrne du roi par excellence, qui gouvernait et ad-
rninistrait en son nomo Créature du hasard et de la
ütveur, iI devenait) sitót qu 'iI était investí de su
fonction) un ::mtre sonverain ; il entrait clans les 10ngs
desseins formés avant lui, illes développait) les múris-
sait : pape politique, il sortait de l'ombre et devenait
la lllmiere, il a vait quelque chose d'impersonnel; il
lllontait la garde de la France, jusqu'ü ce qu'une autre
sentinellr, vÍnt le relever. 8'il Y a quelque chose de
surprenant dan s l'histoire de la rae e capétienne, ce
n'est pas seulement qu'une meme race ait fourni tant
de grands rois, c'est qu'elle ait trouvé tant de gl'ands
ministres. La France doit autant a Richeliell, a ~fa_
zal'in, qu 'a Henri IV et á Louis XIV. Les deux forces
que l'humanité respecte le plus universellement, l'héré-
dité et l'esprit, loin de se disputer) se pal'tagent rau-
torité, s\tjoutent l'une a l'autre : ce n'était pas trop
peut-etre pou!' achcver 1 'WH vre difficile de l\mité




lH LA FUANCE l'ULlTIQUE ET SOCL\LE.


ffangaise. La force intellectuelle reste toutefois sou-
mise a la force matérielle de rhérédité; l'art de
gouverner les hommes, l'habileté diplomatique,
toutes les facuItés qui font l'homme d'État restent les
servantes d'une seule race, pour étre les servantes
de la France.


Un pamphlet de la Fronde qualifie ainsi l' office du
ministre : « Un venin doux et lent quí corrompt les
parties les plus saines de l'État, un charme trompeur
\


pour le peuple, un piége tendu á la royauté. » Le duc
J'Orléans, dans une séance du Parlement de cette
époque, dit : « Je reconnais que ce mot de ministre est
une usurpation depuis quelques années) et qu'il ne
devait point Gtre admis 1. » Le ministre était une force
encore nouveIle, qui dominait les princes du sang,
qui effrayait la nobles se militaire) qui souvent épou-
vantait la royauté e11e-méme, impuissante au sein des
honneurs et pauvre dans sa pompe, simple trépíed sur
lequel posait l'oracle. Ainsi, par la dono le force de
l'hérédité et de l'intelligence poli tique, la monarchie
s'écartait de plus en plus de son ancien type féodal :
le roi n'était plus un simple homme J'armes, entouré
d'autres hom111es J'armes dont robéissance passait vo-
lontiers a la révolte; un prince borné dans ses domai-
nes, entouré d'alliés exigeants, comme luí proprié-
taires, législateurs et juges. La royauté fi'anqaise peut


I Histoire de la pl'iSOll d ele la libcl'lé ele }l. le !'l'illCC. l'al'i~,
165i.




DES CAHACTEHES DE LA :\IONABCHIE. 145


se comparer a une médaille dont une face a été mode-
lée par 1 'l~glise, 1 \lutre par des hommes de loi la'iques:
elle devenait sacrée et presqlle divine, en meme temps
qu'administrative et prosa'ique. Elle ne gardait sa tradi-
tion chevaleresque que dans les camps; a la conr,
au Parlement, dans ses conseils, elle humiliait les des-
cendants des preux; les petites et les grandes en-
trées finirent par sembler la récompense supreme
du courage : la chevalerie se fit domestique et porta
la li vrée.


L'énergie du xne siecle frémissait encore dans
IIcllri Ir : París l'a vait connu, témoin impuissant
de ses sanglantcs fUrelll's) et mari outragé; iI avait
conquis son treme l'épée á la main et était entré dans
Paris par la breche d'une muraille; iI avait porté
des pourpoints troués, et vu « sa marmite sou-
yent renversée. » :Meme sur le tróne, il ne connaít
pas le reposo Quand les Espagnols sont a Amiens,
ü d.eux jours de París, il lui faut des écus, iI est
übligé de se quereller un mois avec la Chambre
des comptes ponr en avoír: (( il est prét a mettre son
peuple en chemise, et lui pareillement; » il prie, con-
jure, exhorte qu'on lui donne les moyens de chasser
l'ennerni « qui est dans nos entrailles. » Il est famiIier,
il tient plus a la gloire qU'iL la majesté. Il est tour-
menté du pressentiment d'une mort prochaine. Sa
figure, la plus grande peut-étre de notre histoir~, n'y
reste pourtant pas cornme l'image achevée de la


LAUUEL. 10




146 LA FHA~CE POLITIQUE ET SOCIALE.


royauté, calme) maÍtresse (rUn pays apaisé, sans au-
tres ennemis que rennemi du dehors. Cette image ne
parut qU\LpreS une période rempIie de hontes et de
désordres) apres les représailles terribles de RicheIieu
et les frél1lissements de la Fronde) dans la personne
<fun jeune roi que la France regarda bientót presque
comme un Dieu.


V oici comment la bonne Motteville raconte les dé-
buts du roi: « Il parut tout d'un coup politique dans les


/ /


affaires d' Etat) théologien dan s ceHes de l'Eglise, exact
en celles de finance; parlant juste, prenant toujours
le bon parti dans les conseils, sensible aux intéréts des
particuliers, mais ennel1li de l'intrigue et de la flatte-
rie, et sévere envers les grands de son royaume, qu'il
soupr;onnait avoír envíe de le gouverner. Il était ai-
mable de sa personne, honnéte et de facile acces a
tout le monde, mais avec un air grand et sérieux, qui
imprimait le respect et la crainte duns le public) et
el1lpéchait ceux qu'il considérait le plus de s'émall-
ciper dans le particnlier l. )) Lisez dans les Carac-
teres de La Bruyere ce portrait du souverain : « Que
de dons du del ne faut-il pas pour bien régner!
Une naissance auguste, un air d'empire et crauto-
rité, un visage qui remplisse la curiosité des pen-
pIes el~npressés de voir le prince, et qui conserve
le respect de la condition. Une parüüte égalité




Ü'hUlllCUl') un grand éloignement pour la raillerie
piquante) ou assez de raison pou!' ne se la per-
mettre point ... une puissance tres-absolue, quí ne
laisse point d'occasion aux brigues, a l'intrigue et a la
cabale; quí óte cette distan ce infinie qui est q uelque-
fois entre -les grands et les petits, qui les rapproche,
et sous laquelle tous plient également. Une étendue
de connaissances quí fait que le prince voit tout par ses
yeux, q u'il agit il1l111édíatement et par lui-méme; que
ses gónéraux ne sont, quoíque éloignés de lui, que ses
lieutcnants, et les ministres que ses ministres t. » « Le
caractere des Fran<jais, dit encore La Bruyere, de-
mande du sérieux dans le souverain 2. » Qui lllieux que
ce grand moraliste connaissait son pays, la cour et les
grands ? Louis XIV lui semble l'idéal du souverain,
et ses paroles ne sont point de basses fiatteries, car il
n'a rien du flatteur : son állle, haute et triste, n'est
point éblouie par les fausses grandeurs.


Louis se souvint toujours de sa triste enfance, de
raudace des princes, des entreprises du parlement.
Quand ceIui-ci le vit arl'iver entouré de quatre mille
hommes, iI enregistra tout ce qu'on voulut; plus tard,
le roi dédaigna de se rendre au parlement en per-
sonne, et n'y envoya plus que les princes du sango
Tout se tut, tout fut ébloui par le jeune prince, noble,
heau) rauieux danssesjustaucorps oLLil yavaitjusqu'a


1 ])u SO\l\"cl'ain ou de la Rélllt1l!iquc.
~ [/lid.




148 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


seize millionsdediamants. La France ne peut supporter
la parc,imonie ; elle aime les prodigues: elle (lressait
encore des statues a son roi, pendant la misere des
longues guerres de la fin dn regne.


III


Il n 'y a plus rien á dire de Louis XI V; son regne est
connu pour ainsi dire minute par minute: l'histoire
a cnregistré jusqu'á ses purgatiolls .. Mais OH peut
étudier en lui le type définitif de la royauté franguise,
(rUne part sacerdotale, de l'autre niveleuse et admi-
nistrative.


C1est dans Bossuet que je chercherai l'idéal sacer-
dotal : ill'a tracé dans sa « Politique tirée de l'Écri-
ture sainte : ») « L'autorité royal e est sacrée, seconde-
ment elle est paternelle, troisiemement elle est absoluc,
quatriemement elle est soumise a la raison. Elle est
paternelle, en ce sens que le roi doit pourvoir aux
besoins du peuple, et dans le peuple, ceux a qui le
prince doit le plus pourvoir, sont les faibles : la bonté
du prince ne doit pas étre altérée par l'ingl'atitude du
peuple; le prince ne donne rien au remereíment, ni a
l'honneur, il est humain et doux.


« L'autorité royale est absolue, en ce que le prince ne
doit compte a personne de ce qu 'il onlollue, iI n'y a




DES GAfL\CrERES DE LA .\IOl"ABCHIE. l1!I


point de jllgement contre le sien; les rois ne sont pas
ponr cela affranchis des lois, mais ils ne sont pas sou-
mis aux peines des lois. Le peuple doit craindl'c le
prince, mais le prince ne doit craindre que de faire
mal. Il doit se faire craindre des grands et des petits.
Son autorité doit étre invincible : la fermeté est un
caractere essentiel a la royanté; le vrai contre-poids
de la puissance est la crainte de Dieu. » Bossuet ajonte
que « rautorité royal e est soulllise it la raison : c 'est la
raisan qui donne la vraie fermeté, qui sauve les Ét:tts,
plutát que la force, qui inspire le respecto Quelle doit
Gtre l'étude du prince? 11 ne f¿LUt pas s'imaginer le
prince un livre á la main, avec un front soucieux
et des yeux profondément attachés h la lecture: son
li vre principal, c'est le monde l. » 11 doit savoir la loi,
cal' « iI est fait pour juger, » et c'est la premicre insti-
tution dc la royauté. S'il ne peut descendre aux 01'-
uonnances particulieres, qu'il sache du moins les
grands principes de la justice; il doit savoir aussi les
affaires, connaltre les occasions et les temps ; il doit
Gtre secret et prévoY!tnt. Le eonseil du roi doit rester
un mystere; le seeret qui regarde le salut de l'État a
quelque ehose de saeré : qu'il soit done peu nombreux,
ear les paroles éehappent aisément. Le roi doit écou-
ter, mais s'aeeoutumer a se résoudre par soi-meme.


« Cúnsidérez, dit-il, le prince dans son eabinet. De


1 Page !Gr,.




150 LA FRANCE POL1TIIJ[:E ET .";OCL\ LE.


la partent ses nnlres, qlli font aIler ele COlleert les
magistrats et les eapitaines, les eitoyens et lcs soldats,
les provinees et les armées par mer et par terreo e'est
rimage de Dieu, qui est mis dans son trane au plus
haut des cieux, qui fait a11er toute la nature 1. » Il
trouve des paroles admirables pour peindre la majesté
royale, et ee peuple immense róuni en une sculc
personne; eette puissanee sacrée, patcl'nel1e, absolue,
et la magnanimité, la magnificencc, tmItes les e1lOses
grandes qui conviennent ú la grandenr: « Taisez-
vous, pensées vulgaires : cédez anx pI'nsées royales 2. »


Parmi les emplois que le princc doit f~tire de son
autorité, Bossuet met tI 'abord la destruction des
fausses religions: « Le prince est ministre de Dien.
Ce n'est pas en vain qu'il porte l'épée : quiconque fait
le mal le doit eraindre, eomme le vengenr de son
erime; il est le protecteur du rep08 puhlie, qui est
appuyé sur la religion, et iI doit soutenir son tróne,
dont elle est le fondement. Ceux qui ne veulent pus
souffrir que le prinee use de rigueur en matiere
de religion, paree que la religion doit Gtre libre,
sont dans une erreur impie. 3 ) Les prinees font
sanctifier les fétes; ils ont soin des personnes eon-
saerées ~t Dieu et des biens destinés h leur subsis-
tanee; ils He doivent pas entrependre sur les droits


I Page 238.
:l Page 241.
:¡ Pagc 3m'




DB~ CARACT~:RE~ DE LA :\lOXARCHIE. 151


et 11antoritl~ du sacerdoce : « Le sacerdoce et l'empü'e
sont dcux puissances indépendantes, mais amies t.
'fout l'état du monde roule sur ces deux puissances,
et le roi de France h son sacre promet {rctre le tuteur,
le défenseur des églises et de leurs ministres, il jure
« d'exterminer de bonne foy, selon son pouvoir) tous


,


les hérétiques notés et condamnés par l'Eglise. »
Voila ce qu'est le roi pour l'Église; et il fant se


souvenir que l'Église était une grande puissance
territoriale. Elle avait conservé les anciennes subdivi-
sions romaines : dans la Viennoise, il y avait 3 arche-
véques etJ 3 (;véques ; dans la premicre Narbonnaisc,
2 archevéques et 1 (j (~végues; cluns la seconcle N arhOll-
naise, 1 archevéque et 5 évéques; dans la province
des Alpes-~laritimes, 1 archevéque et (j éveques; dans
l'Aquitaine 1, l'archevcque de Bourges et 11 éveques;
dans l' Aquitaine lI, l'archeveque de Bordea ux et
Déveques; dans l'Aquitaine nT, l'archeveque crAuch,
ct 10 éveqnes; (bns la Lyonnaise 1, l'archeveque de
Lyon et 4 éveqnes; dans la Lyonnaise II,l'archeveque
de Rouen et G éveques; dans la Lyonnaise nI, l'arche-
veque de Tours et 11 éveques; dans la Lyonnaise 1 V,
les 2 archevéques de Sens et de París et () évéqncs: dans
la Séquanie, l'archevéque de Besanqon et 3 évcqnes;
dans la Belgique 1, les éveques de :Metz, Ton1 et Ver-
dlln, étaient soumis a l'archevéqne ele Treves; la


t Page 352.




1 j:? L\ FHANC8 POLITIQUI<~ ET :':OCIALE.
Belgiqúe JI avait :) archevéques) h Reims) Cambrai
et Malines, et 13 évéques sur le territoire fran(jais.
L'ordre de Prémolltré avait 9~ monasteres ; les cha-
noines réguliers de Saillte-Genevicve en a vuient '119 ;
la congrégation de 8aint-:Maur '14'2; rordre de Cluny,
sous la regle de 8aint- Benoist, a vait '122 prieurés)
décanats, abbayes, sans compter des prieurés de petite
importance '. L'Église était h la fois une force maté-
rielle et la premiere des forees spirituelles. Elle mode-
bit la pensée de la jeunesse; elle retournait tout
naturellement anx souvenirs de Home, et cherchait
tonjours un Constantino


IV


Quand le roi ne se eontemplait pas dans le miroir
flue lui présentait la puissance sacerdotale et ne pre-
nait pas des le(jons de l'ltglise, iI pouvait en demander
a une autre puissance qui s'était hissée par degrés a
tous les étages de l'État, qui n'avait. pas encore de
nom quand elle était déja partout. Une hiérarchie
nouvelle s'était mise a la place de l'ancienne hiérar-
chie féodale; ne laissant a cette derniere que des appa-


f Specimen jUl'IS ecclesiastici. - Opera J. noujat. Pal'isiis, 1 G70.
- En 1/40, oncolllptait cn France 1,070 alJlJayes d'hülUllles,317 alJlJaycs
et Il1'icUI'és de fcmll1cs.




. 153 DES CARACTERES DE LA MONARCHIE.


l'cnces, elle aspirait :'t posséder la substance meme
du pouvoir. La France était couverte de véritables
mosalques superposées, qui représentaient les fonc-
tions particulieres de l'Église ou de l'État : dioceses,
ressorts des parlements, pays d'élection, pays d'état,
pays de grandes, de petites gabelles, provinces des
cinq grosses fermes, provinces réputées étrangeres,
officialités et justices ecclésiastiq Lles, amirautés, con-
nétablies, justices consulaires, commandements de la
marine. La main royale, san s effacer ces limites an-
cicnnes qui se croisaient et débordaient de mille fa(]ons,
tra(]a elle-méme les limites de la France administra-
ti ve. Les généralités ou intendances furent une créa-
tion factice de la volonté souveraine; elles n'étaient ni
les provinces, anciens fiefs petits ou grands, ni les
gouvernements, division purement militaire. Dans les
derniers, iI y avait eles places ou villes ayant des gou-
vernements indépendants ele celui de la province. Rien
de pareil dans les ~ntendances : l'intendant, homme
du roi, étranger au pays, est rancien proconsuI
romain; iI a toute l'administration civile et toute
1 'aclministration financiere dans les mains; sous ses
ordres sont des agents, des subdélégués. L'étendue du
territoire qu'il administre est la généralité; elle
s'adapte plus ou moins it d'anciennes subdi visiollS,
dioceses, prévótés, bailliages, etc.


La France a tellement oublié son passé, que Toc-
queville fit presque une clécouverte, en montrant dans





15'J LA FRANr.E PULITIQUE RT ';;OCIA LE.


les intendunts t les précurseurs des préfets de 1a Révo-
lution fran<jaisc. 11 fit voir que l'ancien régime avait
inventé ce qu'on nomme la centralisation. Commen-
gons par ce qu'on nommait le conseil. Les princes du
sang avaient coutume d'en Gtre. Mazarin les en fit
sortir, se débarrassa de l'ingérence de l\'1onsieur, de
Monsieur le Prince. Louis XIV suivit cette tradition.
Les secrétaires d'État devinrent les seuls membres


,


actifs, avec le roi; ces secrétaires (rEtat n'avaient été
au début que des secrétaires des finances, tirés du
corps des secrétaires du roi : et iIs rcsterent obligés
d'avoir une charge de secrétaire du roi. Louis XIII
fixa par un regIement les départements des quatre
secrétaires d'État : a la mort de Louis XIV, lenr nom-
bre fut réduit· a trois ; en 1718 on en fit cinq. Chacun
d'entre eux avait une foule de services. Le controlenr
général des finances était a la fois ministre des finan-
ces, du commerce, de l'intérieur, des travaux publics.
C'est lui qui correspondait avec les intendants. Le
conseil était une cour de justice, il cassait les arréts
des tribunaux ordinaires; un tribunal adminis-
tratif san s appel, il établissait les reglements d'ad-
ministration : il fixait et répartissait l'impot, in-
diquait le chiffre de la taille, faisait lever cette taille,
ainsi que l'impot de capitation et les vingtiemes, affer-
mait les mItres impots. Les seigneurs, les collecteurs


1 En tí84. íl Y avait 32 intendants.




DF.S CARACTERES DE LA )fO:\fARCHIE. 1;)5
próvinelaux, JeR trósoriers de Frunce, les élus, les pe1'-
eepteurs (le la taílle, étaient sonmis aux intendants,
qui étaient soumis au controleur général. Les inten-
dants fixaient les cotes de rimpót de capitation; ils
dirigeaient les ponts et chaussées, les corvées, et ne
Iaissaient aux agents locaux que les chernins vicinaux.
Par la maréchaussée, ils maintenaient l'ordre; ils fai-
saient tous les reglements de police; iIs s'occupaíent
des indigents des campagnes. L'on pouvait dire avec
d'Argenson : « Ce royanme de France est gonverné
par trente illtenclants, petits maÍtres des reqnétes
cornmis anx provinces. » On ne les voit point dans
l 'histoire : iIs sont comme dévorés par la lnenr que
jette encore une noblesse brillante, spirituelle, mili-
taire, et déja ils sont tout. Les gentilshommes les
dédaignent, et font fi de ces fonctions de scribes.
Ponr le conseil mérne, la royauté recherche de
prófé1'ence des gens de módiocre naissance, fles
hornmes muets, modestes, aux airs de néant, pou1'
se parer toute seule des résultats de leur irnmense
labeur.


Le gouverneur, de race illustre, et le lieutenant de
roi, représentent assez bien le lord-lieutenant des
corntés anglais : la substance de l'autorité appartient
á l'intendant et a son subdéIégué. « Jusque-Ia, dit
Bussí, dans ses mémoires, j'avais fait ma charge de
lieutenant de roy avec soin et exactitude : mais,
voyant que Ganmin la venait frlire:ce Guumin était




150 LA FRANCE PÜLITlQUE ET SOCIA LE.


un maltre des requctes envoyé comme intendant dans
le Ni vernais), et ne me sentant pas lit-dessns si docile
que beaucoupd'autres lieutenants de roy, qUl n'étaient
plus que les prévóts des intendants, je me disposai a
retourner a la cour •. » Richelieu, qui avait inventé
les intendants en 1635, avait trouvé le seCl'et de la
monarchie administrative.


Le regne des bureallX commen~ait: le principe
hiérarchique doublait de force par rhérédité, cal' la
vénalité des charges et les survivances finil'ent par
fonder des races bureaucratiques, oil se perpétuaient
les mémes traditions, la jalousie des grands, l'art de
mouvoir les ressorts cachés des affaires, le culte d'llne
royauté qui dispensait tOlltes les graces. Le roi se sou ~
venait par moments qu'il était le premier des gen-
tilshommes : quand Pontchartrain voulut mari el' son
fils a ~l11e de Ñlalause, « sa surprise fut grande 10rs-
qu'il entendit le roi lui conseiller de penser a autre
chose. Comme celle-Ia lui convenait, il insista telle-
ment, que le roi lui dit franchement que cette filIe
portait les armes de Bourbon, qui le choqueraient
accolées avec les siennes, (lU'illa vOlllait marier a son
gré, et qu'en un mot il désirait qu'il n'y pensltt plus.
La mortification fut grande. Les ministres n'y étaient
pas accoutumés. Peu a peu ils s'étaient mis sons ce
rcgne au niveau de tout le monde. 11s avaient pris


I Mémoil'es de Bussy, tome 1, page 296.




DES CAHACTEHES DE LA MONAHCHIE. 157


l'lmhit et toutes les manieres des gens de qualité.
Leurs femmes étaient parvenues a manger et á entrer


\ clans les carrosses par lVlmc Colbert) sous le prétextc
de suivre l\fme la princesse de Conti, qu'elle avait éle-
yée, et d'ailleurs extrémement bien avec la reine.
Douze ou quinze ans apres) Louvois l'obtint pour sa
femme, sous prétexte qu'elle était fille de qualité, et
par l'émulatíon qui était entre Colbert et lui l.» :M. de
Louvoís persuada au roí que l'on devait le Monseigneur
aux secrétaires d 'Ihat quí transmettaient les ordres
royaux. II savait que Louis XIV n 'aimait [las d'autre
grancleur que la sienne. Colbert avait été commis dans
les lmreaux de 1\1. LeteHier et de l\íazarin. Il avait
surveillé une ferme du cardinal. Le grand-pere de
Desmarets, qui fut contróleur des finances, était, « un
manant, gros laboureur pres de Noyon, et s'était
enrichi dans la ferme de rabbaye d'Üurscamps) qu'il
avait tenue bien des années, apres avoir labouré dans
son jeune temps 2. » On voit revivre dans Saint-Simon
tous ces parvenus qui se donnent l'air du monde et les
belles manieres) rapporteurs d'afl'aires, apres, élevés
par le mérite en méme temps que par la faveur, tou-
jours a la veille d'une chute, fiers, rusés) dangereux a
leurs ennemis, inquiets des races antiques, et jaloux
de s'y aUier. Colbert avait le pli du front redoutable;'
~lme de ~évigné écrit : « Quand on songe que c 'est


t J\Iémoira~ de Saint-Simon, tome V, page 5.
2 JlélllOil'es de Saiut-Simon, tome IV, p. 2;:)::>,




1:J8 L.\. FHANCE PÚLITIQUE El' SOCIALE.


une affaire qui dépend de ~L Colbert, on tl'emore 'l. »)
Leurs débuts sont ll10destes : Pelletier passe par les


charges de conseiller au parlell1ent; de prév6t des
,


marchands, de conseiller d'Etat¡ il devient rholllme
d'aff~es de M:. Letellier et de Louvois, leur arbitre


,


secret, puis contróleur général, et ministre d'Etat. La
prell1icre ambition de Pontchartrain avait été une
place de conseiller d'hoIlneur au parlement et une
maison dans le Cloltre-Notre-Dame. Colbert renvoya
aux états de Bretagne comme second commissairc du
roi; il Y fit les fonctions d'intendant, vint á bout des
Chaulnes, gui s'y croyaient les maÍtres. Pellctier 1 'en
tira pour le faire intendant des finan ces ; il ménagea
Louvois, et fut enfin nOll1mé contrólenr général et
chancelier de France. Chamillart avait débuté aussi
comme conseiller au parlement: il était fils d'un maÍtre
des requétes qui fut dix ans intendant a Caen. Il fnt
lui-méme intendant a Rouen, hOlllme d'affail'es de
nlme de Maintenon ponr les revenus et afI'aircs tem-
poreHes de Saint-Cyr, tIu dnc de Chevreuse, du duc
de Beauvillier.


,


Tous ces secrétaires d'Etat ont quelque chose du ta-
bellion, de l'intendant: ils se poussent en faisant les
affaire s des grands, jusqu'au jour oü les grancls men-
dient leur faveur. « Il semblerait, dit un peu nalve-
ment Saint-Simol1) que le roi aUl'ait aimé JL graude


1 Lettrcs de lll<l<ÍaHle de S(;\i':;'118, V(ll. \~ l' ..:10. Edil. 11ul'.JlcLk,




DES CAUA.CTEIU;S DE LA 1I1O;'{AIlCHlE. t 59


noblesse, et ne lui en voulait pas égaler d'autre : rien
moins '. » Le roi était plein de faiblesse pour ses
ministres, qui rabaissaient tout autour de lui, qui
lui attrilmaient toute chose, et semblaient avoir tout
appris de lui : ils habituerent le prince a l'air admi-
runt) dépendant, rampant, a ce que Saint-Simon
nomme si énergiquement « rair de néant sinon pas
lui. ) Les ministres, en sortant du conseil, gardaient
quelque chose pour eux-memes de cette grandeur qu'ils
s~exerc;aient a nourril', ú augmenter, a enfier démesuré-
mento


On sait aquel clegré d'insolenee :M. de Louvois en
vint a régard de la noblesse : il exigea que tout ce
(lllÍ n'était point due ni offieier de la eouronne lui
donn(tt du « .Monseigneur, » tandis que le derniel'
maitre des requétes ou conseiller au parlement lui
éerivait ene ore « ~Ionsieur. ))


Le long rcgne de Louis XI\~ tixe en quelque sorte
les traits de la monarehie "franc;aise : la splendeur de
la cour, le bruit des guerres, les vietoires, les con-
quétes, la gloire des lettres et des arts, tout ee eóté
en quelque sorte extérieur du regne dissimule
une vie eaehée, obseure, un « regne de vile bour-
geolsie, » eomme dit Saint-Simon dans un jour de
colere; une royauté qui n 'empIoie la vieille noblesse
flu'ú la guerre, et qui détrllit l'aristocratie par la cen-


I '!'(\Jlle XXl\, [la:.'" /;,


I




160 LA FHANCE POLITlQUE E'I' SOCIALE.


tralisation. Pendant que les armes de Louis XIV ache-
vaient l'unité territoriale, ses ministres et ses inten-
dants travaillaient á l'unité administrative. L'admi-
nistration sortait de la robe, m~is la dominait: ~'usage
s'établit que tout pro ces OU l'Etat était partie devait
Gtre porté devant des juges spéciaux, devant l'inten-
dant ou devant le conseil. Par ce qu'on non1Tíutit
l'évocation, le conseil pouvait toujours appeler une
affaire iL lui : l'administration 'fut d'abord formée de
gens qui quitterellt successivement 18 manteau, puis
le rabat, pu.is l'habit noir, avant de se vétir comme
les hommes de qualité. lIs in ventcrent la justicc
administrati ve, se souvenant qu'ils avaient été de robe,
et voulant Gtre quelque chose de plus que les magis-
trats. Tout ce qui, en Angleterre, est encore aujour-
d'hui resté aux mains d8 la nobltisse propriétaire fut
par degrés pris par les intendants. Les villes furent
mises en tuteHe, et ne _conservcrent de leurs anciennes
franchises que des apparences; quand l'ccuvre des
intcndants fut achevée, ti, la fin du XVIlIe siecle) les
paroisses rurales n 'eurent plus que deux fonction-
naires, le coHecteur et le syndic: en principe, ceux· ci
étaient élus, mais l'intendant pouvait suspendre OH
casser l'élection, il les nommait en réalité lui-méme.
« Une paroisse, dit Turgot, est un assemblage de ca-
banes et d'habitants non moins passifs qu'elles. »
~rusqu'au XVIUe sii'cle, les ::::eigncllrs eles fiefs conservc-
rent enCOl'e la haute, basse OH 1ll0yCll1l8 jnstice: ils




DE::; C.\lUCTl~lU~S DE LA ~lO~AnClllE. 1 G 1


nommaient eux-memes des juges, des lieutenants de
juges, des huissiers, des greffiers; mais les juges
royanx des bailliages avaient le véritable pouvoil'
judiciaire : les juges seigneuriaux devaient 6tre agréés
par eux. Les nobles dédaignaient de se mettre,
eomme les Anglais, sur le bane des magistrats; ils
ne demandaient pas pou!' eux-mémes la nomination
royale; ils ne tenaient qu'au droit féodal de nomina-
tion, ct les juges de leur ehoix avaient été réduits h
ricn. La nobles8e avait, la comme aiHeurs, lfiché la
proie ponr l'ombre.


Les villes, avant la Révolutioll, étaient tombées
en tuteHe; s"il y avait une provinee jalouse de ses
anciens priviléges, c'était la Bretagne : voiei pour-
tant une déelaration que le roi, le 24 février 1781)
faisait enregistrer au parlement de Rennes : « Louis,
par la grace de Dieu, nous avons dit et ordonné
par ces présentes, signées de notre main, disons,
ordonnons, voulons et nous plait que les commu-
nautés des villes de notre province de Bretagne ne
puissent demander aucune eoneession, prorogation
011 augmentation d'octrois qu'apres qu'il en aura été
délibéré par les habitants, dans la forme usitée ou
prescrite pour chaque ville; ordonnons que les de-
mandes desdits oQtrois nous seront adressées avec les
délibérations et l'état des re venus orclinaires et extra-
ordinaires pour lesquelles les oetrois ser,ont délibérés,
sans que, dans aucun cas, et sous aucun prétexte, les-


LAUGEL. 11




1 G:? L\ FH.\:\CE l'UL1TIQUE ET ~OCL\LE.


_ elites communautés puissent étI'e tenues de se poul'voir
préalablement aux États pour obtenir leur consente-
ment; nous réservant de statuer sur lesdites demandes
par lettres patentes qui seront adressées a notre Par-
lement et a notre Chambre des comptes de Bretagne,
dans la forme accoutumée, pour lesdites étre procédé a
leur enregistrement~ sans communication préalable


, . ,


aux Etats, sauf a nous d'entendre lesdits Etats sur
celles de ces demandes auxquelles nous jugerons
qu'ils peuvent avoir intérét par la nature des droits
qu'il s'agirait d'établir ... ordonnons que les comptes
desdits octrois seront désormais vus et vérifiés par une
cornmission composée de nos trois premiers commis-
saires et des présidents des ordres, la voix prépondé-
rante, en cas de partage, demeurant attribuée á nos


.. commÍssaires 1 ••• »
Plus de détails seraient superflus : il suffit d'ima-


giner, pendant la durée de denx siccles, reffet produit
sur une nation par la concentration graduelle de tous
les pouvoirs publics dans les rnains diune adrninistra-
tion qui tire toute sa force, noq des grands souvenirs,
des services antigues, du prestige personnel, mais de
l'autorité royale. Le roi ne donnait plus de fiefs, iI
donnait des offices, il en créait sans cesse de 110U-
veaux, iI les vendait, les revendait. ;Un souvc-
rain qui confisquerait les terres de son royaume j


f L'D.'lministl'atioll des Etats de BretéJ:-;nc .]e i4J3·1i00, p. 2G:l




/


DE:-; CAllACIERES DE LA ~lU,'iAHCllIE. 103


pour les donner a de nouveaux feudataires) ou les
laisser aux anciens a des conditions plus dures, ferait
sentir assez durement le poids de son autorité; la
vénalité des charges créait achaque génération de
nouveaux feudataires administratifs, plus dépendants,
plus serviles, plus nombreux. L'esprit d'égalité entrait
dans la nation sous une forme nouvelle; les vieilles
distinctions sociales subsistaient toujours, mais ceux
qui en souffraient s'abritaient sous la royauté; la
justice prenait la figure de rÉtat; le peuple attendait
la volonté royal e COl1lme le paysan attend la rosée,
la pluie ou le soIeil. Personne ne songeait a considérer
les réformes comme le prix d'une lutte audacieuse :
ni les grands, dan s la violence était usée) ni les ano-
blis, qui ne pensaient qu'ü tout acheter, ni les réfor-
mateurs, qui s'ollhliaieut aux utopies de justice uni-
verselle. Une religion qni commande l'obéissance, et
d'oü resprit de discussiol1 avait été si bien chassé,
que ~a révocation de 1 'éclit de Nantes fut applaudie des
plus nobles esprits) avait donné aux ames le pli de
la doueeur et de la patience. Les philosophes non-


,


seulement respectaient l'Etat) mais cherchaient h
8'en faire une arme. VolttLire est le courtisan des
rois tolérants et réforrnateurs, iI met tout a leurs
pieds.


L'enthonsiasme ele Voltaire pour Louis XIV est
sincere) 'et qui pourra le démentir quand il dit : « Je
porte les yeux sur toutes les natiolls du monde) ct je




1 (j'/: LA FHANCE POLITlIJUE ET SOCIALE.


n'en trouve aucune qui ait jarnais eu des jours plus
brillants qne la frangaise depuis 1665 jusqu'á 1704 1. »)
Le grand roi avait confessé lui-mérne ses fantes: il
avait trop ainié la guerre, il avait été trop prodigue .
.:\Iais cornrnent ne pas rester arrété par l'adrniratiol1
devant un regne si fécond en plaisirs délicats, de
magnificence si noble! Le génie de la France donna
alors ses -plus belles fieurs et ses plus beaux frnits.
Tant que notre langue ne sera pas une langue rnorte,
tUllt qu'il restera une pierre des grallds es:~aliers de
Versailles, tant que de la crete des Vosges on yerra
poindre dan s la bl'urne du Rhin la cathédrale de
Strasbourg, tout cceur bien né battra au norn d'Ull
roi qui eut la passion de la grandeur frangaise. Les
peuples ne vivent pas seulernent de politique; le
nótre fut longternps sa tisfait d'un gen re de primauté
qu 'on pourruit nornrner la prirnauté sociale. La cour
était une école de politesse, d'élégance, de gráce
sérieuse, de bel ordre. 011 imaginait le bon gouverne-
ment cornme une fete bien ordonnée, non cornrne une
lutte, une rixe. La politique n'est au fond que la
dispute du pouvoir : personne ne songeait encore a
arracher le pouvoir au roí ou a ses ministres. Les
affaires publiques ne se conduisaient point par d'autres
regles ni d'autres principes que les affaires particu-
lieres: on demandait tout a l'infiuence, it l'intrigue, á


• CEuvl'es de YoltaiJ'c, tume XX \'l1I, page i28.




jG;)


la favenr; les femmes ét.aient mélées :'t. tont. JI. de
Grignan trouvait bon que JPlle de Grignan allftt a
Versailles solliciter le roí en su fa venr, et lui demander
de l'argent. En rabsence de toute puissance élective,
iI ne ponvait en étre autrement. On n'avait rien a
demander au penple, a des partis, a des hommes
assemblés. Il fallait plaire, non menacer et lutter.
Tout le monde sollicitait, s'agitait pour soi ou ponr
-un autre, ou seulement pour faire croire a son impor-
tance.


Hien pent-étre ne peint mieux la conr de Lonis XIV
que ce tableau de la rnesse du roí (La Bruyere) : « Les
grands de la nation s'assemblent tous les jours a
une certaine henre dans un temple qn'ils nomment
église; il Y a au fond de ce temple nn antel consacré
Ú leur Dieu, Ol! un prétre célebre des mystcres qu'ils
appellent saints, sacrés et redontables; les grands
forment un vaste cercle antour de cet autel, et
paraissent debout, le dos tourné directement au
prétre et aux saints rnystcres, et les faces, élevées
vers leut' roi, que ron voit a genoux sur une tribune,
et a qui ils semblent avoir tout resprit et le creur
appliqués. On ne laisse pas de voir, en cet usage une
cspece de subordination; cal' le pcnp1e parait adorer
le prínce, et le prince adorer Dieu. » La royauté était
(lcvenue un culte, tont s'abaissait devant sa vivante
splendeur: la cour ondulait comme un peuple de
roseunx, il n'y avait plus de volontés rehelles. Le 1'01




1 Gü LA FIL\:;(~lc POLITIQUE ET SOCIALE.


sem blait 1 'artisan providentiel de la grandeur fran-
...


qaise, le guide choisi, inspiré par Dieu.
Tant qu'il y a de la grandeur dans le pouvoir, on


n 'apergoit pas l' effacement, la stérilité Il10rale que
produit l'extreme centralisation : la routine établit
son empire, les mreurs s'imprcgnent de banalité, d'une
douceur trompeuse : un tourbillon inutile de mots,
de phrases, d'effusions, de politesses, enveloppe les
caracteres de plus en plus affaiblis; et ces my-
riades de volontés fréles, obéissantes, timides, peu-
vent servir a exécuter les plus grands desseins.
Qu'arrive-t-il pourtant quand la volonté maitresse
s'éteint et quand la majesté royal e tombe dans la
médiocrité et la platitude? Les nations sont immor-
telles, les dynasties ont des éclipses. L'histoire du
XVIlle siecle est l'histoire parallele dn développement de
la centralisation et de la lente agonie de la royauté.
A mesure que la elasse bureaucratique, gens de loi,
gens d'affaires, administrateurs de tout rang, de tont
ordre, envahissait tout, elle sentait les renes de la
monarchie se desserrer: elle se trouva maÍtresse enfin,
sans savoir comment ni pourquoi, embarrassée de
ses droits, ignorante de ses devoirs. Tout était de-
venu médiocre. L'idée de sacrifice, sans laquelle
rien ne se peut faire de noble, était éteinte. Le
régent avait eu des visions de grandeur; le regne
de Louis XV fut un pale reflet du regne précédent :
la nuit se fit avec le malheurellx Louis XVI. TOllt




1 tii


fut perdu quanJ on vit un roi réfugié uans une loge
de rAssemblée nationale, pendant qn~on égorgeait ses
Suisses fideIes aux Tuileries) manger tranquillement
du poulet.


l/esprit barbare et chevaleresque avait été comme
extl'ait de la dynastie quanu elle prit la figure la-
tine et impériale; il n~y resta, par une sorte d~atavisme)
que sous la forme la plus enümtine et la plus na'ive.
Les rois de France avaient tont fait ponr abaisser la ,
noblesse; ils se souvinrent) an moment uu péril su-
preme, qu'ils étaient nobles; ils lierent leur destin
h nnecause vaincue) qu'ils avaient ruinée de leurs
propres mains. L'esprit d~hiérarchie, fondé sur eles
devoirs réciproques, était mort depuis longtemps: que
restait-il pour garder et défendre la monarchie mou-
rante'? n n'y avait plus de suzerain, plus de vassaux,
plus de fiJélité personnelle; le roi n'était plus que la
figure dorée qu'on met a la proue d~un navire: on
pouvait abattre cette figure sans que le vent cessát de
souffier dan s les voiles, et sans que la carene flit moins
solide. Tout était pret pour quiconque oserait mettre
la main sur le gouvernail et donner des ordres a
réquipage.


L'affaiblissement de la dynastie et le progrcs d'une
centralisation gui rendait toute usurpation facile, ne
suffisent pas cependant pour expliquer la Hévolution
fran~aise: ilfaut ajonter:\ ces deux causes: lo bt défaite
de la cause protestante en France; 20 l'ébranlement




1 GS LA FHA:'\r.E rOLlTIQI'E El' :'OCIALE.


produit par la philosophie du xvm e siecle. Les révolu-
tions politiques ne sont que de courts orages quand
elles ne sont pas précédées des révolutions morales.
- Nons parleronR (rahord opla Réforme.




CHAPITRE VI.


DES CARACTl~;RES DE LA RÉFORME FRANljAISE.


1


Il n'y a pas crhistoire plus tristernent tragique que
celle de la réforrne en France: on cherche en vain le
secret des siecles en Yoyant quelle maigre moisson a
levé sur les champs arrosés des fleuves d'un si noble
sango On ne voudrait pas blesser ce qni reste du petit
troupeau réforrné en France; mais que les protestants
se regardent eux-mernes et se demandent si leur part
est celle qu~avaient revée les premiers martyrs, et
Calvjn, et les orgueilleux Chátillon, et les prerniers
Condé. La réforrne a eu son áge hérolque; elle a sus.-
cité des grands hommes qui tenaient d'une main la
Bible, de rautre répée: l'abjuration d'Henri IV a
ferrné cette prerniere et glorieuse époque. Apres la
réforrne des princes, des gentilshornmes, des hommes
d'épée, est venue ceBe de~ ministres, apres la bataille




17U LA FRA:\r.E PClLITIQUE ET SnCIAI.E.


011 ron confessait la foi au soleil et a la lneur des épées,
la controverse fatigante, ennuyeuse, la persécution
H1che, enfin la lente agonie des causes vaincues.


Le jugement de l'histoire est facilemeI\t obscurci
quandil toucheaux choses de l'ordrereligieux. Ilsemble
cependant qu'on s'égare peu quand on affirme que la
cause de la réforme en France a été particulierement
liée a la cause aristocratique, et que cette solidarité a
été l'une des raisons de sa ruinefinale. Sans nul doute,
la nonvelle foi a trouvé des le premier jour des adeptes
dan s le peuple; partout oú parvenaient, par les soins
des éveques) des seigneurs ou des lettrés, des versions
de la Bible en langue vulgaire, cet.te foi put s'allumer
spontanément; les pretres les plus purs, séduits par ce
qui ne lenr semblait pas d'abord une hérésie, trou-
vaient les pauvres gens bien disposés a recevoir la
nouveIle doctrine. Briconnet, l'évéque de Meaux, en
serna les germes parmi les cardeurs de laine. Les ou-
vriers de Nleaux a vaient été les premiers disciples de
Lefevre d'Étaples qui prechait la lecture des livres
saints en langue vulgaire: Calvin avait été élevé dans
l'ombre de la cathédrale de Noyon. L'hérésie com-
mell(ja par les clercs; mais ses hardiesses eurent des




charmes inconnus aux clercs ponr la noblesse provin-
ciale. Guillaume Farel, le Bossuet protestant, repré-
sente un des premiers le vrai huguenot; il est d'une fa~
mille noble du Dauphiné alliée a celle de :Mirabeau.
(Certains le disent fils d'un notaire appelé Farean. Son




nom parait avoir dé Fareau des Farels.) Ainsi, cette
province devait fournir ses deux plus grands orateurs
aux deux plus grandes révolutions de notre histoire. La
noblesse, encore indépendante et hardie, ayant a choi-
sir entre une foi subie et une foi consentie, pouvait hé-
siter. Elle n'était pas dlhumeur tres-théologique, elle
ne voyait pas dans le protestantisme un régime anar-
chique, ou toutes les sectes jouiraient de la meme li-
berté. Elle croyait nalvement que la religion du peuple
devait Gtre celle des seigneurs; mais iI ne luí déplaisait
pas que les seigneurs eussent une part directe dans le
gouvernement des églises. Les gentilshommes hugue-
nots revaient confusément une Église~chrétienne natio-
nale, délivrée de l'oppression italienne, gouvernée par
des laIques aussi bien que par des clercs.


La royauté ne fut pas au début llennemie implacable
de ces desseins; un moment elle vacilla, et put meme
sembler pencher vers la foí nouvelle, vers la religion
aristocratique. La classe des légistes et la bourgeoisie
des villes conqurent, au contraire, de suite, pour les
huguenots une haine instinctive: pourquoi se serait-
elle mise du me me coté que la grande noblesse et que
les illustres let~rés? Elle n'avait pas les memes inté-
réts que les grands, qui songeaient a dépouiller le
clergé de ses prés, de ses champs, de ses bois, de toutes
ses propriétés. Les huguenots ne trouverent guere
dlappui dans les classes bourgeoises, sauf dans les
villes des cotes, sans cesse ouvertes aux idées an-




. -


1-,1 _ LA FRA~r:E POLlTIQlJE ET SOCIA LE .
glaises '. Le gros de lenr armée fut tonjours fonrni
par les gentilshommes: les parleme?taires, qui sem-
blaient considerer la lutte contre Rome comme une


r


fonction traditionnelle, ne se jeterent pourtant pas
dans le courant de la reforme. Le róle de moderateur,
ou triomphe resp~it de chicane, leur convenait mieux
que la revoIte ouverte. Ils se considéraient comme les
gardiens de rordre public: on les vit bientót slunir a
la Sorbonne contre les novatenrs; en J G25, une com-
mission extraordinaire composée de parlementaires et
de sorbonnistes commenc¡a les persécutions: Réda et
Duchesne en étaient 1'ame. Ce tribunal de sang
envoya au supplice Berquin, l'ami de .Marot, de Rabe-
lais, le protégé de la reine Marguerite : deux fois le roi
Franc¡ois pr l'avait sauvé, mais la commission profita
du moment ou le roi était le prisonnier de Charles-
Quint.


Le roi FranGois n'écoutait pas toujours sa sreur; Anne
de Montmorency, le cardinal de Tournon, le chan-
celier Duprat, conseillaient tonjours la rigueur. Les
supplices devinrent chose commune á la fin dn regne.


La noblesse entraÍna les habitants des campagnes
en plus d'une provinee : mais les grandes villes
resterent rebelles it son infiuence. Paris fut 1'en-
nemi mortel de la reforme; iI pressentait dans le triom-


I Parmi les premieres églises, furent celles de rile (l'Arvert, en
Saintonge; de rile de Ré, des iles l\Iarennes, Oleron, Allevcl't, de
la Rochelle, de Rouen, de Dieppe, de Saint-Lü, de 1::t Normnndie;
d~ la Bretagne, de Bordeaux.




DES CAIUCTERES DE LA HÉFUIt:\IE FH.\"'I;AlSE. 1i3


phe des Imguenots le regne dlune aristocratie priviIé-
giée; il avait plus de haine que de foi monarchique ou
catholique et était prét á se donnel' a tout ce qui fiat-
tel'ait sa passion démagogique et révolutionnaire.


I/église réformée de Paris fut pIantée, pour em-
ployer le langage de nos peres, par le sieur de la
Ferl'icre, gentilhomme du :Maine, qui slétait retiré
dans la capitale pour étre moins recherché a cause de
la religion; la petite assemblée se réunissait au Pré-
aux-Clercs, pour faire des prieres et des lectures de


/


rEcriture sainte. Fonder une église a Paris était chose
bien hardie, « ca!', out re la présence ordinaire du roi en'
iceHe, dit Théodore de Bcze 1, avec tous les plus
grands ennemls de la religion estant a ses ausreilles, la
chambre anlente du parlement était eomme un four-
neau vomissant le feu tous les jours. La 801'bonne tra-
vaillait sans cesse a condamner les li vres et les per-
sonnes; les moines et autres precheurs attisoyent le
feu de la plus estrange sorte qu1il estait possible; iI n'y
avait lJoutique ni maison tant soit peu suspecte qui
né fút fouillée; le peuple,. outre cela, estant de soy
méme des plus stolidcs de France, était enragé et for-
cené. »
~larguerite de Navarre nlavait pas déguisé son pen~


chant pour la réforme; elle a nlÍt fait imprimer en
franqais des Heures, par Guillaume Parvi, évéqne de


t Yol. 1, rngc 99 ..




111 LA FH.\:'\CE l'OLlTHJl:E .El' :-;UCI.\LE.


8enlis et confesseur du roiFranc;ois I"r; elle avait elle-
méme écrit le «( Jliroir de l'{l.me pécheresse, » OU il n l est
fait mention ni de saints, ni de saintes, ni de pur-
gatoire. La grand'salle du chfLteau de Nérac fut·
ouverte an préche, et la conr de Navarre devint un asile
ponr les réformés. Les premiers grands qui osercnt
embrasser ouvertement la nouvelle foi furent, apres
Antoine de Bourbon, Louis de Bourbon, prince de
Con dé, son frere, et Frangois de Coligny, sieur d'Ande-
lot, frere de Gaspal' de Coligny, amiral de France,
alors prisonnier aux Pays-Bas : ce dernier, pendant sa
captivité, se tourna aussi a la réforme. Le sieur d'Ande-
lot fut le premier missionnaire protestant en Breta-
gne, avec les trois freres de la maison de Beaulac.


n n'y avait pas de plus iIlustre famille que celle de
Coligny : elle était connue depuis plus de cinq siecles.
Le pere de l 'amiral avait épousé Louise de l\fontrno-
rency, la sreur d'Arine, connétable de France; celle- ci,
comme beaucoup de grandes dames de eette époque,
avait secrCtement adopté la nouvelle foi. Odet, le
fl'ere aíné de Coligny, avait été fait cardinal tl onze
ans par Clément VII. Gaspar fit la guerre de bonne
heure, fut fait commandant de toute l'infanterie fran-
gaise par le roi Henri II, et plus tard amil'al de France :
il était gouverneur de laJ:>icardie et de lIle-de-France.
Louis de Bourbon, qui avait épousé Éléonore de Royc,
alliée aux :JIontmorency et aux Chátillon, était assez
grand pour tenir tete aux princes IUl'rains: iI était)




DES C.\H.\CTElU":S DE LA HÉFÚH.\lE Fl\A.:\(,;AbE. 17S


apres le roi de N a varre, le premier des princes du sango
On ne prendra pas de tels noms pour ceux de simples
fanatiques, comme les malheureux que faisaient bruler
les parlements de France. Ces grands n létaient ni des
sectaires ni des hypocrites; ils se battaient pour leur
foi, mais leur foi méme étaitl'expression de leur fierté
native, de leur horreur du joug, de leur ambition. Les
femmes surtout étaient mues par une piété sincere;
la mere de Coligny s'était laissé séduire aux idées
nouvelles; sa femme, Charlotte de Laval, le réveillait
la nuit pour lui tenir les discours que rapporte d1Au-
bjgné: «Nous sommes ici couchés en délices, etles corps
de nos freres, chair de notre chair et os de nos os, sont
les uns dans les cachots, les autres par les champs, it la
merci des chiens et des corbeaux; ce list m1est un
tombeau, puisqu1íls n ~ont poi~1t de tombeaux: ces lin-
ceuls me reprochent qu1ils ne sont point ensevelis. )
I/amirallui montre les obstacles, lui demande si elle
pourra « digérer les desrontes généralles, les opprobres
de vos ennemis et ceux de vos partisans; les reproches
que font oruinairement les peuples, quand ilsjugentles
causes par les mauvais succes, les trahisons des vos-
tres, la fuite, l'exil en pays étranger; la les chocque-
ments des Anglais, les querelles des Allemands, votre
honte, votre nudité, votre faim, et qui est plus dur,
celle de vos enfans. Tastez encore si vous ponvez sup~
porter votre mort par un bourreau, apres avoir veu
vostre mari trainé et exposé h rignominie du vulgaire,




1""'/6 LA FH.\:'iCE PllLlTJVlJE El' ~OCIALE.


et pour fin, vos enfans infames valets de vos ennemis,
accreus par la guerre et triomphant de vos labeurs 1. »
Illui donne trois semaines pour réfiéchir. {( Ces trois
semaine.s sont achevées, » répond l'amirale.


Voila la réforme croyante, chevaleresque, prcte aux
grands sacrifices, il y en avait une autre mondaine,
turhulente ct politique; de méme, l'ambition desGuiEe
devenait l'arme de la dévotion catholique. Pendant
son áge héro'ique, la réforme entraÍna avec elle la
plus grande noh1esse: elle eut d'abord les Chátillon,
Fran(jois de Vendóme, qU'Oll appelait le vidame de
Chartres, le dernier d'une race antique; le prince
Portien (Antoine de Croy), Gramont (comte de Gra-
mont et de Guiche, beau-frere du vidame); La Roche-
foucanld, Genlis (d'Hangest, sienr de Genlis, d'illus-
tre famille picarde); Soubise (seigneur de Soubise, de
la maison de Parthenay, raleul du célebre Henri,
duc de Rohan); Rohan (vicomte de Rohanet deLéon);
Duras, :Montgomery, NIorvilliers, Vardes, )Iouy,
Clermont d'Amboise, d'Avaret. Dans le Quercy, le
Rouergue et l'AIbigeois, elle avait les sept vicomtes,
en Provellce ~fouvans, en Dauphiné Montbrun, en
Langnedoc (rAcier, un cadet de Crussol. La l'udesse
féodale frémissait encore en quelques hommes. Quancl
Henri III revint de Pologne pour prenclre la couronne
de France, il passa le pont de Beanvoisin ; l\1ontbrun


t D'Aubigné, yo1. 1, page 132. - 1GiG.




DES CARACTtRES DE LA RtFORME FRANQAISE. 177


le suivit et pilla son bagage. « Ce ne fut certes pas
par avarice, dit son biographe; car un homme qui
plusieurs fois avait généreusement abandonné tous
ses biens, ne pouvait pas avoir de si méchants senti-
ments : ce fut par une pure bravoure l. » 1\Iontbrun
osa di re a ce propos que « les armes et le jeu rendent
les personnes égales, » mot que plus tard il paya de sa
téte.


La cause qui avait entrainé tant de grande et de
petite noblesse, les plus célebres lettl'és, les plus gran-
des dames (outre ceHes qui ont été nommées,
citons seulement la duchesse de 1\fontpensier, Renée
de France, la fille de Louis XII et la beHe-mere du
duc de Guise, devenue duchesse de Ferrare; J eanne
d1Albret, la comtesse de Roye, Jeanne de Genouillac,
Aune de Bonneval, la marquise de Rothelin, l\Ial'ie
de Cleves, fille du duc de Nevers et de l\farguerite de
Bourbon, qui épousa le prince de Condé, Henri II),
avait aussi séduit a ses débuts beaucoup d1évéques et
de moines.


Si la Réforme ffanqaise avait conservé répiscopat,
comme la Réforme anglicane, elle aurait peut-étreeu des
destinées plus heureuses.1\lais, en dépit de son alliance
avec la plus haute aristocratie, et bien qu~elle prit ses
chefs parmi les princes du sang, elle revétit dú pre-
miel' conp un caractere étrangement républicain. Les


I Vie de Cllal'les Dupuy, seigneul' de l\1ontbl'un. - Grenoble, 16iG.
LAUGEL. 12




178 LA FRANCE POLlTIQUE ET SOCIALE.
~ .


Eghses étaient nées, avaient grandi seules, timides,
a l'écart. Le premier synocle général eut lieu a
Paris en 1559; c'est la que, d'un commun accord,
fut écrite la confession de foi et qu'on régla la disci-
pline ecclésiastique. « Dieu, par sa singuliere gráce,
~


inspira toutes les Eglises chrétiennes dressées en
France de s'assembler pour s'accorder en unité de
doctrine et discipline, conformément iL la parole de
Dien. » (Théodore de Beze, vol. 1, p. 172.) Le synode
fut tenu a Paris, dit expressément de Bcze, « non ponr
attribuer quelque dignité ou prééminence a cette
,


Eglise, » mais « ponr Gtre lors la ville la plus commode
ponr recevoir secretement beaucoup de ministres et
anciens.» La discipllne établie en 1559 fut des plus
~


simples: « NulleEglise ne pourra prétendre principauté
ou domination sur l'autre. » - « Les ministres amene-
ront avec eux au synode chacun un ancien on di acre
de lenr Église, ou plusieurs. » - « Les ministres
seront élus au consistoire par les anciens et diacres,
et seront présentés an ~euple pour lequel ils seront
ordonnés. » - « Les anciens et diacres sont le sénat de
l'Église, auquel doivent présider les ministres de la
parole. » Consistoires, synodes provinciaux, synodes
généraux, tout l'édifice repose sur les fidcles eux-
memes, sur les anciens, les diacres. Pas de patriarche j
pas d'éveques. Il n'y a au fond d'autre autorité spiri-
tueHe que le livre saint : le ministre « de la parole 'f)
n'a cl'autre mission que de l'interpréter : rien (rhu-


f




DES CARACTERES DE LA RE~'ORME FRANQAISE. 179


mmn ne s'interpose entre le chrétien et Dieu, qUl
Jui p:lrle d,'lnS PÉcriture.


Les dogmes de la Héforme étaient formulés, des la
premiere confession de foi de 1559, dans la belle lan-
gue du temps, si verte et robuste. Ils n'étaient que la
traduction des Écritures : « Ni l'antiquité, ni les cou-
tumes, ni la multitude, ni la sagesse humaine, ni les
jugements, ni les arrets, ni les édits, ni les décrets, ni
les conciles, ni les visions, ni les miracles, ne doivent
étre opposés a cette Écriture sainte. » Les religion-
naires y trouvaient la Trinité, le péché originel, les
enfants condamnés des le ventre de leur mere: « De
cette corruption et condamnation générale) Dieu retire
ceux lesquels en son conseil éternel et immuable il a
élus par sa senle bonté et miséricorde en Notre-Seigneur
J ésus-Christ sans considération de leurs CBuvres, lais-
sant les autres en réelle corruption et condamnation. »
De nature, l'homme ne peut avoir un seul bon mouve-
mcnt, ni affection, ni pensée, jllSqU'it ce que Dieu l'y
ait disposé. La grttCe secrete du Saint-Esprit est un
don précieux que Dieu départ a qui bon lui semble.
L'orare de l'Église est sacré et inviolable: nuI ne doit
se retirer a part et se contenter de sa personne : tous
ensemble doivent porter le joug de Jésus-Christ. Le
Seignenr Jésus est notre seul avocat aupres de Dieu :
« Nou8 rejetons tous autres 1110yens que les hommes
présurnent pour se racheter envers Dieu, cornme déro-
geant au sacrifice de la passion et de la mort de .Jésus-




,


'180 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


Christ. » Ils tiennent le purgatoire comme une illusion,
ainsi que les vamx monastiqlles) pelerinages, défenses
du mariage et de rusage des viandes, l~observation
cérémonieuse des jours, la confession auriculaire, les
inelulgences. La vraie Église doit avoir des pasteurs :
mais tous ces pasteurs ont meme autorité et égale puis-
sanee sous un seul chef, seul souverain et universel,
Jésus-Christ. Ils ne confessent que eleux sacrements
communs a toute l'I~glise, le baptCme et la sainte-
cene, témoignages elu lavement intérieur de l'(tme et
ele l'unité avec J ésus-Christ.


On s'étonne que l'esprit fran0ais ait si vite re9u,
comme une cire molle, rempreinte de la doctrine aus-
tere de Calvin. Fut-iI séduit par sa simplicité, par son
effrayante logiqllc? Fut-elle un refuge pour les ames
vertueuses contre la corruption d'un temps, dont le
souvenir épouvante l'esprit? L~art meme devait sem-
bler odieux a ceux qui le voyaient devenu l'esclave
des Valois. Le débauché avait besoin' de respirer le
sang; l'inceste remuait des chapelets; les poignards,
finement ciselés,' se cachaient sous des robes de moine.
La religion semblait devenue un carnaval. Les billets
d'amour se cachaient dans les beaux livres d'heures.
Les mignons déshonoraient jusqu'au courage.


Les fLmes les plus pures devaient etre naturelle-
ment disposées a se jeter aux dernieres extrémités
eles doctrines nouvelles. Si les éveques fran~,ais avaient
en masse adopté la ,Héforme, ils rauraient san s doutc




DES CAnACTEfiES DE LA nÉFuR:lfE FnA:\'I}AISE. 181


fait pencher du cóté des idées luthérienlles; la persé-
cutiol1, en isolant les églises et en les forgantlongtemps
it vi vre seuIes, presque ignorantes les unes des autres,
clevint la complice de Cal vin.1l restait dan s la Réforme
luthérienne, soutenue par des princes souverains,
quelque chose de plus terrestre, de plus matériel que
dans celIe de Calvin. Celle-ci était plus religieuse et, si
ron peut dire, plus idéale: elle était aussi plus logi-
que. L7Angleterre, fAllemagne, garderent ce qu'elles
purent du vieíl édifice catholique; resprit frallgais
divorga du coup avec le passé, avec sa symbolique
magnifique, avec ses cérémonies, avec tout ce qui atta-


,


chait l'Eglise a la terre, a l'histoire, a la patrie.
Ce fut a la fois la force et la faiblesse du calvi-


nisme: il créa une nouvelle religion uni verselle, il ne
,


se preta point aux exigen ces d'une Eglise nationale.
Mettre toute la religion dan s un livre, ou la mettre
dans un homme inspiré de Dieu, c'est également la
soustraire aux liens de la race, de la nationalité, des
dynasties. Les huguenots eurent des freres a Geneve,
en Hollande, en Écosse, en Suede, en Allemagne; ils
ne purent jamais se passer des alliances les plus dan-


,


gereuses.lls firent avec Elisabeth le traité de Hamp-
toncourt (20 septembre 1562), qui livrait le Havre a
l'Allgleterre: « Ils m'ont expressément prié de dire a
Votre Majesté, écrivait Throckmorton a sa souveraine,
que cela leur serait une grande note d'infamie, et
qu'ils seraient mal vus dans le royaume, si Votre \."


.. lt,~:~t~
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, .J t:{: .. - .~.' .. ~¡¡! éIoI''''~,·.·'/:'''' n "t,."
'.




182 LA FRANCE POLITIQUE ET ::;OCIALE.


l\1ajesté était par lenr moyen introduite dans le Havré,
Dieppe et Houen, avec six mille hommes, uniquement
pour garder ces pIaces et chasser ainsi le roi, leur sou-
verain, de la fleur du duché de Normandie t. ») Ils
n'auraient voulu qu'une sorte d'occupation mixte des


,


ports normands; mais Elisabeth ne comprit pas comme
·eux le sens du traité, et elle refusa, la paix conclue
entre les deux partis, de rendre le Havre; la noblesse
huguenote, avec Con dé, en fitlesiége avecles t.roupes
du connétable de i\lontmorency. « D'ici a Bayonne,
écrivait celui-ci, tout crie: « Vive la France! » Les
huguenots avaient fait entrer les mercenaires alle-
mands en France. D'Andelot avait tiré de Hesse des·
reitres et des lansquenets (trois mille trois cents che-
vaux et quatre mille lansquenets), gens qui incen-
diaient leurs quartiers et les villages sur leur route,
et qui ne savaient qu'un mot: « geld. » L'armée royale
avait, il est vrai, une grosse phalange de Suisses,
mais la France était depuis longtemps accoutuméea les
voir. A Dreux, les lansquenets allemands lacherent
pied, et leur couardise fit p:lsser la victoire des rangs de
Condé dans ceux de Guise.


En 1568, les Allemands reviennent: Condé va
les chercher a Pont-a-wlousson. Les reitres veulent
toucher, des leur entrée en campagne, 300,000 écus
(rOl'. Les gentilshommes huguenots se dépossedent de


t Histoire des princes de Condé par le duc d'Aumale. p. 163, yol. I.




Dr.~ CARACTERES DE LA REFORME FRANQAlSE. 183


leurs bijoux, de leurs anneaux, pour les satisfaire.
Apres trois mois de pillage, plutót que de combat, les
reitres repartirent leurs chariots pleins, avec l'argent
de Condé, rargent de la reine d'Angleterre et celui
de la cour.


L'année suivante, 14,000 Bavarois partis de Mont-
béliard passerent la Loire et rejoignirent Coligny: a
MOllcontour, ils arret(~rent court l'amiral au moment
de l'attaque en demandant leur solde. Les Suisses du
duc d'Anjou en tuerent une bonne pa.rt. Le reste
suivit Coligny dan s son extraordinaire retraite, vivant
de pillage dans les Cévennes, la vallée du Rhóne, la
Bourgogne. Les Ravarois et Coligny firent ensemble
plus de six cents lieues, marquant chaque étape par
un combato


Les Allemands revinrent au nombre de 18,000
hommes en 157o, vivant toujours en France comme en
PaYS conquis. Jean Casimir traversa la Bourgogne,
passa la Loire, et alla joindre le due d'Alen~on a
:Moulins. En 1587, ce fut bien autre chose: J ean Casimir
envoya, sous le commandement du baron de Dohna,
une armée de 36,000 hommes. Ces soldats trainaient
avec eux femmes, enfants, comme des émigrants.
Guise les surprit en Beauce i1l'heure du souperet en fit
un grand massacre. La cour voulut acheter encore
une fois leur départ: mais Guise, l'ennemi des Alle-
mands, les pourchassa ponr son compte et n'en laissa
sortir qu'un petit nombre de France.




,


'181 LA FRANCE POLlTIQUE ET SOCIALE.


Qu'on se figure rimpression produite sur l'imagi-
nation populaire par ces perpétuelles invasions! Com-
ment le peuple pouvait-il pardonner a ceux qui
appelaient sans cesse les pillards, les incendiaires,
« nouveaux Sarrasins, » comme les appelaient les pré-
dicateurs de la Ligue?


Les protestafits se défendaient de rechercher l'appui
de rétranger en représentant leurs ennemis comme liés
á une sorte de sainte~alliance catholique dont rEspa-
gne était la ~6te. A cette ligue, ils se croyaient en droit
d'opposer une autre ligue: les Bourbons en étaient les
chefs naturels, puisque la dynastie des Valois était
déjá expirante. La France, alliée aux Pays-Bas hol-
landais, aux princes allemands protestants, a l'Angle-
terre, eut peut-6tre réussi a trouver enfin ses frontieres
définitives dans les Flandres et dans les provinces de
l'Empire. Mais les grands desseins qui devaient se ré-
véler au génie de I-Ienri IV restaient voilés it la multi-
tude.


Si les réformés, dans le péril, se tournaient naturel-
lement vers la Hollande, l'Angleterre, les princes d'AI~
lemagne, le parti catholique n'était que trop souvent
disposé a appeler l'Espagne a son aide. Quatorze
enseignes d'Espagnols étaient a Dreux, dans l'armée
catholique, qui, du reste, ne voulurent pas combattre
et se couvrirent des chariots du bagage. Dans la ha-
rangue de 11. d'Aubray (Satire l\lénippée), laLigue qui
s'est mise aux filets du roi d'Espagne est comparée au




DES CAnAr.T~:HES DE LA RÉFORME FRANQAlSE. 1RS


cheval qni, p0111' se (léfendre du cerf, appelle rhomme
á son secours: « Nous savons trop bien que les Es-
pagnols et Castillans et Bourguignons sontnos aneiens
et mortels ennemis qui demandent de deux ehoses
l'une, ou de nous subjugner et rendre esclaves, s'ils
peuvent, pour joindre l'Espagne, la Franee et les
Pays-Bas tout en un tenant; ou, s'ils ne peuvent, pour
le moins nous affaiblir et mettre bas que jamais ou de
longtemps nous ne puissions nous relever et rebéquer
contre eux.» - « Allons! s'écrie 1\1. d'Aubray, ~l. le
légat, retournez h Rome... Allons! messieurs les
agents et ambassadcurs d'Espagne, nous sommes las
de vous servir de gladiateurs a outranee et nous entre-
tuer ponr vous donner du plaisir.)) Le due de Guise
promit au roi d~Espagne le royaume de Navarre et le
Béarn, avec les villages qui seraient a sa bienséance
en Picardie et en Champagne. Apres la mort du duc
d'Anjou, dernier prinee du sang de la tige des Valois,
Philippe 1I, put songer a mettre la main sur la ma-
gnifique suceession qui allait s'ouvrir, on á l'assurer
aux Guise pour en faire ses vassaux. Henri III
eomprit trop tard le danger de la France; iI l'avait
toujours mal servie: il ne voulut pas la trahir; il fit


,assassiner le duc de Guise, et il mourut dans le
camp de eeux qui comQattaient eontre l'Espagne et
les Lorraills.


Henri IV, an milieu des plus grands périls, se dé-
fendit toujours eontre les exigences d'Élisaheth: iI




186 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIA LE.


s'exposa a périr plutót que de lui livrer Brest; mais les
ligueurs s'étaient enticrement livrés a l'Espagne.
Jiayenne et Merereur étaient les lient~nants de Phi-
lippe II.


La foi protestante avait gagné de nombreux adeptes
dan s les régions qui sont au ereur de la Franee, dans
la Touraine, le Saintonge, l'Aunis; elle avait sou-
levé la Provenee, oú elle avait pris le earaetere le plus
úpre et le plus haineux ; mais les pl'ovinces qui avaient
nagncre été nnies sons le seeptre de la maison de
Bourgogne formaient eomme un mur eatholique im-
pénétrable du eóté m6111e oú on pouvait tendre la
main a la Hollande, au prinee palatin, a l'Allemagne.
Les prinees lorrains étaient le dernier anneau d'une
ehaíne eatholique qui allait du nord de la Franee a
la Bourgogne. La séverité huguenote allait mal au


, .


troupeau d'Epieure des provinees bourguignonnes, de
la grasse Pieardie, de Paris, ou fermentait une popu-
latíon aniourense des Guise, avide de pompe, de eéré-
monies, jalouse de la noblesse provineiale. La Ligue
prit naissanee en Pieardie. Dans le Béarn la Réforme
ne s'était iníroduite que de force; dans les provinees
mémes ou il y avait le plus de huguenots, le gros du
peuple n'allait pas a eux, sauf en quelques villes. Il
faut toute la force du pouvoir pour déraciner les
vieilles religions; la fureur ieonoelaste des nouveaux
ehrétiens insultait aux sou venirs les plus ehers au
menu pellple.




DES CARACTERES DE LA R~:FORl\fE FRAN(1AISE. 187


L'Église catholique frangaise, ü cette époque, avait
encore conservé quelque chose de national. Les
memes parlements qui brúlaient l~ hérétiques, se
faisaient gloire de lutter contre les empietements de
!tome, et repoussaient les décrets du concile de Trente.
Les services que les fils alnés de l' Église avaient rendus
a la papauté avaient été payés de certains priviléges
dont la nation se contentait. Elle était peu tournée a
1'indépendance spirituelle absolue, aux ennuyeuses
controverses, a la théologie, contente d'appartenir


/


a une grande Eglise séculaire, uni verselle, et de
conserver pourtant quelque chose de fral1(jais. Les pro-
blemes de la grilce, de la prédestination, épouvantent
les ilmes froides, frivoles) heureuses. Les grands sei-
gneurs huguenots, engagés dans une Fronde grandiose,
ne souffraient eux-memes qu'impatiemment les ser-
mons des ministres. La pUl'e doctrine de Calvin
n'entrait profondément que clans quelques ilmes fieres
et malheureuses ou dan s les communautés sauvages
que la nature avait préparées a la méditation et
á une vie intérieure. Elle les préparait a rhérolsme
inutile, aux sacrifices sans résultat, et les armait
de patience au milieu des plus grands tourments.
Ni d'un coté, ni de rautre, on ne comprenait la
tolérance. Les édits qui en portaient mensongere-
ment le nom n'étaient faits que pour étre violés:
c'étaient des traités que ron se promettait de
déchirer h la premicl'e occasion. Trop de sang d'ailleurs




'188 LA FRANCE POLlTIQUE ET SOCTALE.


criait vengeance: des crimes affreux donnaient aux
haines quelque chose de sacré. Les catholiques pleu-
l'aient leur duc de Guise, vainqueur de fEmpire et
de fAngleterre, tombé sous le pistolet de Poltrot de
lVréré; Condé était lachement assassiné sur le champ
<le bataille de Jarnac. Et que dire de la Saint-Barthé-
lemy? Il Y a des crimes auxquels le temps fait gráce,
et qu'il enveloppe d'oubli, d'autres que, loin de les ef-
facer, il semble grandil' et qui restent comme des bornes
d'infamie sur le grand chemin de fhumanité. Quand
tout le reste est tombé en poussiere, ces souvenirs
isolés semblent plus terribles. La Saint-Barthélemy et
la Terreur de '1793 sont de ce nom bre : ce sont des traits
que chaque siecIe enfonce plus avallt dans notre mé-
moire, et qui feront éternellement saigner rhonneur
frangais.


La fatalité semblait poursuivre la cause des ré-
formés; sous les derniers Valois, elle avait cherché
un appui chez les Bourbons, et quand elle crut triom-
pher avec le premier Bourbon qui conquit la couronne,
su victoire se changea en dé faite par fabjuration du
roi. Le parti était vaincu qui ne ponvait mettre et
maintenir sa religion sur le trone. Henri, converti au
catholicisme, et jaloux de l'autorité royale, dut se
méfier de la Trémoille, du vicomte de Turenne, de-
venu duc de Bouillon, tous deux alliés a ]a famille des
princes de Nassau. Sedan n'était plus a ses yeux une
place de sureté, c'était fulrere de Sedan: il ménageait




DES CAHACTEllES DE LA RÉFOHME FHANQAISE. 189


les princes protestants, mais iI ne pouvait pas encou-
rager les prétentions de la grande noblesse fran~aise,
toujours trop disposée h mettre ses intérets sous le
couvert de la religion. 'fous les huguenots n 'avaient
pas l'humeur fidcle de Philippe de l\10rnay ou de Sully.


L'édit de Nantes, les places de sureté, les synodes
reconnus, tout ce qu'Henri IV accorda aux sien s, ne
valaient pas pour les huguenots un roi protestant.
Henri mort, iI était aisé de prévoir que la royauté
catholique ne ferait pas longtemps grace aux protes-
tants. Plus les Bourbons avaient inspiré d'inquiétude


/


a l'Eglise, plus en quel'que sorte ils se sentaient tenus
de la rassurer; on les vit bientót donner aux princes
de l'Église une autorité que les princes du sang cher-
chcrent en vain a disputer. L'age de Nfazarin et de
Richelieu fut la lune de miel d'un mariage qui devuit
continuer ave e l'abbé Dubois et le cardinal Fleul'y
jusqu'aux approches de lal~évolution.


Il


La décadence de la Réforme fut prompte et, on
peut le dire, irrémédiable, quand la dynastie natio-
nale se déclara contre elle. Son age hérolque finit
avec Henri de Rohan; ce grand homme trop oublié de
la France, car iI fut aussi bon patrio te que bon




190 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


huguenot, pouvait écrire, en finissant ses mémoires
sur les dernieres guerres soutenues en France par
les réformés : « Nos pechés ont combattu contre nous
memes : aux deux dernieres guerres, les divisions ont
paru en quelques endroits parmi nous; en la dernicre
elles ont éclaté partout, n'y ayant eu aucun lieu oú la
corruption ne se soit glissée, et ou l'avarice n'ait paru
par-dessus la piété; jusqu'a ce point que, sans attendre
les recherches de nos ennemis, on allait se prostituer
pour vendre sa religion et trahir son party. N os peres
eussent écrasé leurs enfants des le berceau, s'ils les
eussent crus estre les instruments. de la ruine des
Églises, qu'ils avaient plantées a la lumiere des
büchers, et accreues malgré les supplices, et qui, par
leur persévérance et leur travail, leur avaient laissé la
jouissance d'un repos glorieux. »)


Apres la prise' de la Rochelle, le duc de Rohan ne vit
plus d'autre expédient que celui de la paix; il soutint
encore la luite dans le bas Lallguedoc et les Cévennes,
puis il eonvoqua ~t Anduze une assemblée de toutes les
communautés, pour les déterminer a la paix générale.
Les articles de cette paix font honneur a Hichelieu
(elle fut signée a Aletz, le 27 juin '1629), en voici la
substance : « Hétablissement de l'édit de Nantes,
reddition des temples et cimetieres, rétablissement de
toutes choses dan s les villes comme avant la guerre;
démolition de toutes les fortiiicatiolJs. » Les réformés
mettaient bas les armes; un prince de l' J15g1ise leur




DES CARACT~RES DE LA R~FORME FRANQAISE. 191


accordait le libre exercice de leur religion ; la parole
d'un roi devint leur place de súreté. Pourqnoi faut-il
que cette paro le n'ait pas été tenue? Les huguenots
resterent si invariablement fideles aux promesses
données par Rohan, qu'ils ne remucrent pas une fois
pendant les troubles de la Fronde. Le fier Rohan leur
avait donné l'exemple : il s' était exilé volontairement,
pour ne pas demeurer dan s son pays en vaincu;
mais il était resté le serviteur de la France : il combat-
tit pour le roi dan s la Valteline.


L'áge héroYque fini, on vit commencer celui des
vaines eontroverses, de la théologie monotone, des


. abandons, des láehetés, rúge de la langueur; les
grandes familles se détaeherent du vieux trone dé-
chiré, une a une, comme des feuilles qui tom bent á
l'automne; .la perséeution n'employa plus le poignanl
ou la flamme, elle surveilla les bereeaux, les tombes,
elle se fit laehe, patiente, doueerense.


La révoeation de l'édit de Nantes fut snrtout
l'muvre des intendants : la royauté, éblouie de ses
propres rayons, enivrée de l'eneens des peuples, des
grands, des prétres, des moralistes, entendit-elle
seulement les plaintes des hugl1enots, les soupirs
mélés au murmure de l'adulation universelle? Le
29 aoút lG56, Gaumin, maÍtre des requétes, avait
fait a Anne d'Autriehe une harangue oü il disait
« que jam~is la Franee ne sera dans une entiere puis-
sanee, llue les pl'inees ne fussent sans pouvoir" 1e:-;




192 LA FRANCE l'OLITIQUE ET SOCIA LE.


huguenots sans places et les parlements sans droit de
faire des remontrances. ») Louis XIV avait rempli
ces VCBUX; l'extinction de l'hérésie semblait aussi né-
cessaire que rabaissement des grands et des parle-
ments. On voulait l'unité dans la foi comme dans le
gouvernement. La révocation de l'édit de Nantes fut
bien plutót inspirée par l'esprit de centralisation que
par l'esprit de fanatisme. L'hérésie semblait asscz
écrasée par les écrits polémiques de Bossuet; elle,
inspirait plus de pitié que de haine : on ne compre-
nait pas que les religionnaires pussent tenir iL une
foi humiliée) désertée par le grand nombre) raisoll-
neuse, a peine assurée d'elle-meme, qui mettait l'es- .
prit a la gene et qui élevait des barrieres devant toutes
les ambitions légitimes.


Cet état d'esprit) dont on trouvera la preu ve chez
tous ceux qui ont écrit quelques lignes sur ce granu
événement, pro uve combien l'esprit protestant avait
peu réussi a transformer le gros de la nation. Le pro-
testantisme n~était devenu une grande puissance poli-
tique que par son alliance avec les grands; il n'a vait
été que l'arme d'un moment) saisie par des mains
hardies. Certes) on outragerait la vérité si l' on
osait dire que l'ardeur religieuse du xvr e siecle fut
sans influence sur notre caractere national : elle
échauffa la partie la plus originale de notre li tté-
rature) elle donna a nos prosateurs) a nos premiers
poetes) un tour hardi et auuacieux. La l~éforme ra-




DES CAHACTtUES DE LA n~FURME FRANQAlliE. 193


massa l'espl'it frangais sur le fumier des facéties, et
le porta vers les sommets les plus élevés du Parnasse.


11 est un homme dont la pensée reflete en quelque
sorte nüstoire religieuse de l'esprit frangais : c'est
Habelais. Longtemps on put eroire que, comme tant
ue ses illustres amis, iI s'enrólerait parmi les réformés.
Il s'éleve dan s quelques parties de son amvre contre
les pelerinages, les « cafards, » les imposteurs qui
préchent que les saints donnent ou guérissent les
malallies. 11 se moque des pClerins : ( Allez-vous-en,
pauvres gens, et uorénavant ne soyez faeiles a ces
paresseux et inutiles voyages. Entretenez vos familles,
travaillez ehaeun en sa voeation, instruisez vos enfants,
ct v~vez eomme vous enseigne le bon apótre saint
Paul. » 011 lit sur la porte de l'abbaye de Thelerne :


Cy n'entrez pas, hypocritcs higots.


Cy entrez, vous qui lo saint l~vangile
En sons agile annoncez, quoiqu'on gronde.
Céans aurez un refuge et Bastille
Contre l'hostile errour, qui tant postile
Par son faux stylo empoisonne le mondo:
~ Entl'cz, qu'on fondo ici la foy profonde.


. Puisqu'on confond et par voie ot par rollo
__ .ses enncmis de la sainte Parole,


La parole sainte
J a ne soit éteinte
En co lien tres-saint,
Chacun on soit ccint !
Clwcune ait enceinte ,,-
La paroUe sainto.


Il Y a uans ces ver:; une saveur huguenote: malS
LAUGEL. 13




1 Q í. LA FHA:-iCE POLIl'IQUI1 El' SOCIALE.


le géllie libre de Rabelais ne put etre contenu long-
temps dans les formulaires calvinistes .. n n'est
pas resclave du « Livre, » et se fait l'apótre de la
raison. Pas plus que les philosophes du XVIIle siecle,


'il n'admet le dogme du péché originel, la croyance a la
dépravation native de l'homme, la prédestination. La
sottise des moines ne lui déplait guere plus que le fana-
tisme sombre des calvinistes. Il aime et admire la na-
ture: « Physis, c'est Nature, en sa premiere partie
enfanta spontanément Beauté et Harmonie, comme
de Boi-meme elle est grandement féconde et fertile.
Antiphysis, laqnelle de tout temps est partie adverse
de Natnre, illcontinellt eut envie de ce tant beau et ho-
norable enfantement, et au rebours, enfanta Difformité
et Discordance ... Depuis elle engendra les matagots,
cagots et papelards ... les démoniaques Calvin impos-
teurs de Geneve, les insurgés Putherbes (Puits-Hcl'-
baut est le nom d'un moine ennemi de Rabelais),
briffaux, cafards, chatemites, cannibales et autres
monstres difformes et contrefaits en dépit de nature. »
Ainsi Habelais finit par rompre ouvertement avec les
réformés. Le curé de Meudon fut un épicuriell,
comme la Fontaine; il prenait son plaisir an grand
drame des passions humaines, au tableau changeant de
l'inépnisable nature : an dela de la mort, il ne
voyait qu'un grand « peut-etre. »


Certes, on ne peut dire el'un peuple qui a produit
Calvin) Descarte~ et Paseal qu'il soit un peuple légel' ;




DE~ C.\IL\.CTEl~ES DE L.\ lU~FUIL\IE FHAN(]AISE. 1 U:J


mais iI est impossible de ne pas reconnaitre que fes-
prit latin, quand iI n' est plus fixé á la vieille ra-
cine cathoIique, ne se laisse pas aisément enfermer
dans une orthodoxie. La Héforme ne pouvait triompher
qu1en s'attachant a des intérets politiques et ma-
térieIs; reléguée dans le domaÍne idéal, elle risquait
(rétre promptement abandonnée. Il y a chez les Fl'an-
~ais une logique redoutable et sans mesure; on ne peut
plus les liel' quand iIs ont rompu leurs liens; jetés ho1's
de l' ornicre de' la tradition, rien ne les arréte. Les let-
trés du XVI C siccle étaient ce qu'on nommerait aujour-
d'hui des libres penseurs ; illeur sembla d'abord que la
Réforme était la délivrance de l'esprit humain. Tandís
que ~aint-Gelais prophétisait un « déluge,» un temps
de « noises et débats, » Rabelais annon~ait un « temp!S
délicieux, plaisant, beau, sans compas» (1 C chapitre de
Garganlua). La guerre civile épouvanta les lett1'és :
comme les oiseaux rentl'ent dans leur nid pendant la
tempete, on les vit se rejeter dans le giron de la
vieille I~glise.Jlarot n'avait pas de goút pOUl' le mar-
tyre. U avait été enfermé a1l Chtttelet, pou1' a\'oir
seulement mangé gras un vendredí. « Prenez-Ie : iI a
mangé le lardo » Il ne se crut pas assez en súrcté ~L


/


Lyon, avec Etienne Dolet et ses amis, ni ú N~rüc) et
aUa chercher le repos :'t Ferrare, auprcs de Rcnée de
France, á Gencve, á Turin. Le sort affreux de Dolet
épouvanta tous les « humanistes. » La gen t lettl'ée sui-
vit les cOllseils donnés dans Paut rl[!I'IlC!: ( Homme de




'196 L.\ FHANC¡¡; POLITIQUE ET SOCIALE.


bien, frappe, féris, tue et meurtris tous rois et princes
du monde, en trahison, par venin ouautrement, quand
tu voudras, déniche des cieux les anges : de tout, auras
raison du papegaut. ~fais a ces sacrés oiseaux ne touche
d'autant que tu aimes la vie, le Pfofit, le bien, tant de
toi que de tes parents et amis, vivants et trépassés :
mGme ceux qui naitraient d'eux ensuite seraient in-
fortullés. )) (Palltag/'uel, V. 1Jassirn.)


La Réforme, qui d'abord avait fiatté les esprits
(~ libertins,» amoureux de nouveautés, impatients
d'entraves, sembla une nouveHe tyrannie aussi
sombre, dure et impitoyable qu'aucune de ceHes du
passé, quand elle eut trouvé sa formule théologique
dan s le catéchisme de Calvin, sa formule politique
dans le gouvernement de Geneve. Chez Calvin, chez
Farel, le puritain avait tué le lettré. L'idée de la tolé-
rance était inconnue a tant d'ámes, roidies par la
fureur théologique et par la vue des supplices. Tout
ce qui était royaliste s'attachait a. la pensée que la
religion du prince doit Gtre ceHe du peuple : Cujus prin-
cepsl'jus l'eligio. Le protestantismene pouvait triompher
s 'il ne mettait un roi protestant sur le tróne. Les doc-
trines nouvelles, qui avaient séduit tant d' esprits,
parurent trop dangereuses quand on ne put les épouser
sans devenir un rebelle.


La Réforme devint promptement séditieuse et répu-
blicaine : elle se brouilla tres-vite avec les éveques;
la haute Eglisc, ayant a choisir entre la royauté et les




llES CARAr,T~:RES DE LA RÉFOR:\fE FRA ~QAISE. 197


grands, se mit (In cóté de la royullté : elle ne brisa ras
son propre OH vrage, elle a vait tra vaillé incessamment it
óter a la monarchie son caractere germanique, et a lui
rendre le caractere de la domination romaine et im-
périale. La Héforme fut, chez les grands, la derniere
explosion de resprit féodal; chez les petits, elle fut
une manifestation de l'esprit républicain. Ces deux
forces si hostiles l'une á rautre s \ll1irent un mOl1lent,
mais elles étaient presque d'avance condamnées á
rimpuissance.


On ne peut pas ne pas Gtre extrel1lement frappé, en
étudiant la littérature fran<{aise, de voir combien les
idées de la Réforl1le y ont laissé peu de traces. Les
huguenots ont fourni peu de poctes a la pléiade : certes
d'Aubigné est a lui seul une légion; ses amvres dure-
ront autant que notre langne : notre temps l'a tiré de
l'oubli oú on l'avait laissé tomber, et a reconnu en luí


I


la marque du génie. l\1ais la muse terrible de d~Anbigné
est presque solitaire.


Sur le Parnasse protestant, il estjuste que l'on fasse
a coté de d'Aubigné une place pour Saluste du Bartas,
l'auteur de cette Sepma'ine, grandiose épopée qui a
inspiré l'auteur du Paradis perdu, et qui excitait rad-
miration de Goethe. 1fais quelle distan ce de du
Bartas a Milton! Du Bartas n'a jamais été popu-
laire : en vain il a arraché les muses a la luxure et an
sacrilége pour les transporter dans le ciel, on ne l'a
point suivi. Pouvons-nous compter Marot parmi les




19~ LA FRANCE POLITIQUE ET ~OCrALE.


poctes protestants? Il fut un paJen bien plutót qU\lll
chrétien. Il traduisit bien cinquante-deux psaumes
de David, mais Desportes en traduisit davantage.
Mal'ot termine ainsi ses « Articles de (oi: »


J e erois la s!linte ot catholiquo ~~gliso.


Il ll'embrassa jamais ouvel'tement la nou velle foi.
l{onsanl attaq ue le..; protestants a vec véhémence : il
déteste la « sede al'Hugel'e, » les « briseurs d'autels,
la1'1'ons de chapes, voleu1's de calices» (Discours sur les
miseres llu temps) ; il a horren1' des gne1'res civiles, et
ne veut pas d'une F1'ance « ma1'(Ltre aux siens et mere
anx étrangers: »


N'avions-nouspas assez engraissé la campagne
De Flandre, de Piedmont, de NapIes et d'Espagl\(~
De notre propre sang, sans tourncr les eouteaux


Contro toi, notre mero?


Il peint les nouveaux docteurs : barbe longue, le
front ridé, l'mil farouche, mal peignés, renfrognés,
paJes, les épaules couvertes d'un grand manteau,
« tournant au ciella prunelle en préchant. » Lui aussi,
dit- iI, il a autrefois goúté, dans sa jeunesse, « du
miel empoisonné de votre doux breuvage, ) mais il ra
l'ejeté. Il connalt et dénonce les abus de rÉglise; iI ne
lui plait pas (e qU\ll1 jeune homme soit évéque ou abbé,
ou cardinal de !tome; » il attaque les coureurs de béné-
tices: « Ho! princes, je sais bien que la plupart des
prétres: ne vaut :nen; » il demande un cOl1cile pour




DE~ CARACl'ERE¡;; DE LA HRFORME mA~QAISE. 19!:J
/


réformer les abus de rI~glise) mais iI ne veut pas (rune
réforme qui soit une hérésie. Les sectes nouvelles
lui semblent pareilles a un habit fait de haillons ra-
piécés:


Il s'échappe du préche,
Ainsí que du naufrage s'échappe le marchand ...


8es invectives contre les prédicants sont terribles.
(Lire la Réponse a quelques ministres.) Il est par-des-
sus tout patriote et royaliste. Quel vifsentiment natio-
nal respire dan s la « Prosopopée du (eu Fraurois ¡[e
Lorraine ! )


Pour tombe dressez-moi de Metz la grande ville,
Les grands murs de Calais et ceux de Tllionville.


Son idéal <iu roi est déjil celui du XVIle siecle :
01', sire, imitez Dieu, lequel vous a donné
Le sceptre, et vous a faít un grand Roi couronné,
Faites miséricorde a celui qui supplie,
Punissez l'orgueilleux qui s'arme en sa folie ...


(lnstitution pour l' adolescence du roi Tres-Chrét'Íen.)
On retro uve chez presque tous les poetes du XVlC


siecle les mémes instincts, la répugnance pour la con-
troversethéologique, rarnour de la paix, la fidélité au
roi, a la vieille religion. J odelle fut le champion poéti-
que de Catherine de Médicis; iI vante a satiété les
qualités qui « rnontrent que nous avons en une reyne
un roy.» Il rima des « sonnets contre les ministres de
la nouvelle opinion. ) Il n'était qu'un Iihertin, au di re




200 \ , LA FllA.NCE POLlTIQUE ET SOCIALIL


de l'Estoile, « paillard, ivrogne, sans auenne crainte de
Dieu, qui ne croyait que par bénéfiee (fin ventaire. »
La mort l'empecha a temps d'ajouter ti, son lourd bazar
poétique une apologie de la Saint-Barthélemy. Vall-
quelin de la Fresnaye n'a pas d'encouragements pOUI'
les huguenots; quand ils appellent les reitres alle-
mands, il fait appel á la France :


,


Reprends ta liberté, guél'is ta maladie


Sans toi, qui contl'e toi despite onvre le SCill,
Ces vcntrcs de lwrpic, ejnnés par soufl'l'ancc,
N'aul'aient jamais osé rasse!' le Rhill g'el'tlwin,


Desportes, bien qu'il flit prétre, est traité J'athée
par les auteurs de la Salyre Ménippée. « Pendant ce
mois est mort, de ma connaissance, éCl'it l'Estoile
(octobre 1606), :M, rabb,é de Tiron, en son abbaye de
Bonport, leqnel ne disait n'avoir non plus cru de pur-
gatoire que 1\1. de Bourges.» ])esportes paraphrasa
froidement David, mais on ne sent nulle part en son
creu!' le vrai souffle religieux. On connait la petite
piece bizarre de Tabouret: « J e ne peux plus -la
messe fréquenter, » vraie figure de Janus, catholique
d'un cóté, protestante de l'autre: incrédule et scepti-
que, ii fut pourtant un des souteneurs de la Sainte-
Union et de la Ligue. Du Perron, né huguenot, se fit
catholique et entra dans les ordres; il travailla a la
conversion d'Henri IV, et dans son diocósc d'~~vreux
montra le zele de tous les apostats. Passrrat était un




DES CARACn~HE" DE LA r.1~F()RME FUANQAlSE. :!Ol


royaliste passionné, un des inspirateurs de la Satyre
JIénipp¿e. 11 cMteste la Ligue:


Mais, dítes-moi, que signiíle
Que les ligueurs aient double CI'oix?
C'est qu'en la Ligne OH crucitie
J ésus-Christ encore une fois.


Il n'invective pas moins les reitres protestants :
Empistolés an visage noirci,
Dbbles du Rhin, n'approchez point cl'ici.


Yolez ailleu1's, mes~ienl's les hérétiques,
lcí n'y a ni c]¡apes ni reliques.


n:lpin, qui snivit les drapeanx cl'IIenri IV, et com-
battit:'t Ivry avant de travailler a la Satyre Méni¡J]Jée,
était un politique, un patriote.


Les grands prosateurs ne sont guere . plus que les
po(~tes enclins allX idées nonveHes. L~(¡me de la Bo(;tie,
impatiente de,tyrannie, aurait pn s 'attacher h la canse
ele la Réforme. Le traité de la Servitude 'L'ololltm're est
un hymne a la liberté; mais cette liberté est une
sorte de liberté classique, ce n'est pas ceHe qui
saigne dan s les rangs des huguenots. La Boetie a
une telle horreur des luttes civiles, qu'il pense un mo-
ment a s'expatrier an dela de l'Atlantique. Avant de
monrir, « iI oUlt la messe et fait ses Pacques, » il tient
a rester dans la foi « qni, de main en main, par succes-
sion de temps, a été apportée en France. » l\10ntaigne
ne veut pas etre acteur, il ne veut qu'étre témoin dn
grand drame qui ensanglante son pays. Les « Essais »




:!02 LA FRANCE POLlTIQPE ET SOC,IALE.


sont comme une oasis OU il s'est réfugié, OÚ iI s'on-
bIie; cette ame immortelle n'a point la marque du
siecle. L'esprit doux et ondoyant de :Montaigne ne sau':
rait se plaire aux rudesses théologiques; il ne s'enferme
point dan s l'horizon d'une secte. Il est homme avant
d'étre Fran~ais, ou catholique, ou réformé. Dans
son chapitre « des Prieres») (chap. LVI}) il s'excuse
d'avance « si rien se rcncontre ignoramment ou inad-
vertamment couché en cette rapsodie contraire aux
saintes résolutions et pr~scriptions de l'l~glise catho-
lique, apostolique et romaine, en laquelle je meurs et
en laquelle je suis né. » Cette précaution prise, iI nous
confie qu'il ne se. sert que d'une priere unique,


/


de la « patenostre. » L'Eglise peut diversifier les
prieres, c'est toujours meme substance et meme chose.
Aussi il répcte la patenostre an lieu d'en changer.
« D'oü il advient que je n'en ay aussi bien en mémoire
que cclle-Ia. » Sa critique frappe tantót á gauche, tan-
tót a droite. ee Aux vices leur heurc, son heure a Dieu, »
dit-il aux dévots. Illoue l'l~glise de défendre « l'usage
promiscue) téméraire et indiscret des saintes et divi-
nes chansons que le Saint-Esprit a dictées en David. )
Il n'aime pas qu'on « tracasse » le saint livre des
sacrés mysteres de notre créance. « C'étaient· autre-
fois rnysteres, ce sont a présent desduits et esbats. »
Il préfere ee l'ignorance pure et remise tout en autrui
a une science verbale, vaine, tumultuaire. »)


Montaigne ne vent pour le penple d'antre reli-




" ~O~ DES CARACTERES DE LA REFORME FRA~GAISE. _ tJ


gion que la religion des a'ieux, la religion coutumiere;
illui plairait d'exiler la théologie si haut qu'on ne pút
l'apercevoir. Il n'a rien du huguenot, il n'a rien non
plus clu ligueur. « En ce débat, dit-il, par lequella
France est maintenant agitée de guerres civiles, le
meilleur et le plus sur parti est sans doute celui qui
maintient et la religion et la police ancienne du pays.
Entre les gens de bien qui le suivent (car je ne parle
point de ceux qui s'en servent de prétexte pour en
exercer leurs vengeances particulieres, ou suivre la
faveur des princes, mais de ceux qui le font par vrai
zele pour leur religion et sainte affection; maintenir
la paix et l'état de leur patrie), de ceux-ci, dis-je, il
s'eri voit plusieurs que la passion pousse hors les bor-
nes de la raison. » (De la liberté de conscience.)


l\10ntaigne était quelque chose de plus et de moins
qu'un hérétique: il ne se révoltait pas, il échappait.
Vous chercherez en vain dans son ceuvre, ou fourmil-
lent les noms, celui d\ln saint de rÉglise. Il ne brise
pas leurs statues, illes ignore. S'il parle des miracles,
il dira: « J'ai vu la naissance de plusieurs miracles
de mon temps, » ou « Je n'ai vu monstre et miracle au
monde.,.plus expres que moy-méme. »


Vidée mere de la Réforme, c'est la justification par
la foi substituée ~t la justification par les actes; le
protestant doit chercher son Dieu: cet effort seul peut
le sauver et le tirer du gouffre de perdition. La
soumission, raccoutumance, tout ce que la théologie




204 LA FnA~CE POLITIQUE ET SOCIALR.


nomme les actes, sont eh oses plus faciles que la
lutte terrible d'une ame ave e le mal. La religion
des a'ieux est une religion aisée, poétique, patrio-
tique: elle triompha de la religion difficile, séditieuse,
qui mettait l'esprit a la torture et le pays en sango
Apres le xvre siecIe, les ames s'ensevelirent silencieu-


,


sement dans l'Eglise catholique comme les gouttes de
pIuie tombent dans la mero Huguenots et catholiques
s'étaient disputé la France, l'Europe, l'avenir du
monde: les huguenots vaincus, on s'amusaaux batailles
entrejansénistes etjésuites,jusqu'á ce qu'une nouvelle
réforme vint menacer non plus seulement le catholi-
cisme, mais toutes les orthodoxies. La philosophie ne
trouva devant elle, a cóté d\llle minorité protestante
obscure, qu'une religion d'oü resprit de prosélytisme
et de vie était sorti depuis qn'elle n'avait plus de sur-
veillants ni d'ennemis déclarés. Aujourd'hui, la foi
protestante reste sur notre sol comme une relique du
passé; le nombre des réformés demeure stationnaire,
si meme iI ne diminue point.




CHAPITRE VII.


DES CARAGTl~RES DE L'ÉGLlSE FRA!\(;AISE.


La diversité des sectes, meme en pays protestant,
dé cele une double tendance dans l'esprit humai~, qui,
sui vant les temps et les lieux, se trahit de faqon diffé-
rente, mais qui demeure éternelle: il y a des ames qui
ne se reposent et ne se complaisent que dans l'ortho-
doxie, d'autres qui ont besoin de cher0her leur foi, et
qui ne la demandent á aucune autorité humaine. Gest
en toute sincérité que Bossuet reprochait aux protes-
tants la variété presque infinie de leurs doctrines, ou-
bliant que l'essence de la Réforme était rnoins de
découvrir la vérité spirituelle que de la chercher
1ibrement. La nation franqaise, prise en gros, a toujours
considéré l'accord comme une condition nécessaire de
la vie religieuse: une foi traditionnelle, une hiérar-
chie sacerdotale invariable, je ne sais quoi de fixe,
de fort, de grand, d'invariable, qui semb1e tenir a




:206 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


l'éternité, et qui puisse braver tous les orages, voil~t
l'idéal religieux de notre race. Les huguenots eux-
memes ont eu au plus vif degré l'instinct de l' ordre
spirituel, ils n'ont fait que déplacer l'autorité reli-
gieuse : tandis que les catholiques la mettaient dans le
pape et les conciles, les protestants la mettaient dan s
un livre; mais ce livre, c'était Dieu lui-meme, et tout
l'effort de la volonté humaine devait s'épuiser a y cher-
cher la volonté du Tres-Haut. L' esprit de rébellion et
d'hérésie, qui dort dans l'homme, ne fut pourtant
jamais étouffé : pendant les guerres de religion et .
jusqu'a la défaite définitive des huguenots, il ne fut
guere visible que chez les religionnaires. Quand ceux-
ci se condamnerent au silence pour se faire oublier et
pour ácheter par leur humilité le droit d'exister, l'es-
prit d'hérésie commen~a a se montrer sous des formes
nouvelles an sein meme du catholicisme. Il v sommeil-


oJ


lait sous le nom de gallicanisme: au moment meme ou
les catholiques se gardaient de revendiqner des li-
bertés particulieres pour l'individu, Oll ils le soumet-
taient et l'écrasaient sous une autorité spirituelle
absolue, ils faisaient des réserves pour la nation) ponr
la France. Ils découvraient pour elle des droits mys-
~


térieux et sacrés) les libertés de l'Eglise gallicane. Ils
voulaient faire partie de l'Église universelle, mais ils
y réclamaient une place a part : les rois les plus pieux,
les parlements qui brulaient les hérétiqnes, se consi-
déraient comme les ministres d'une J15glise nationale.




L'autorité ultramontaine était toujours respeetée) mais
on négoeiait, on traitait ave e elle. La Franee ne vou-
lait pas etre gouvernée du dehors: elle diseutait jus-


,


qu'aux déerets de rEglise universelle réunie dans ses
conciles.


L'artiele 6 de la pragmatique sanetíon de saint
Louis dit : « Nous louons, approuvons et eonfirmons
par les présentes les libertés, franehises) immunités,
les prérogatives, droits et priviléges eoneédés par les
rois de Franee nos prédéeesseurs, d'illustre mémoire)
et ensuite par nous-meme aux églises, monasteres,
lieux saints de la religion, et aux eeclésiastiques de
notre royaume. » La pragmatique sanetion énongant
les droits des prélats et des patrons des bénéfiees, assu-
rait la liberté éleetorale aux ehapitres, s 'opposait aux
({ lourds impáts imposés par la eurie romaine ~l


,


l'Eglise, » et ne permettait que eeux qui étaient justi-
fiés par une cause « rationnelle, pieuse et urgente ou
par une néeessité inévitable, et avee le consentement
spontané et expres du roi et de l'Église (1268). »
Nous voyons naítre sous saint Louis la puissance
nouvelle des légistes, les ennemis-nés de l'autorité
ultramontaine, les représentants du gouvernement
laIque. Le texte un peu vague de la pragmatique sanco
tion leul' servit de theme pendant des siecles eontre la
mOllarehie pontifieale, telle que Rome pouvait la


,


rever; l'Eglise franqaise d'ailleurs applaudit elle-méme
a la pragmatique sanetion, elle lutta contre les




108 ~ LA FlL\NCE l'ULITlQUE El' SOCIA LE.


oJ'dres mendiants, collecteurs zélés de la papauté, et
défendit son bien contre la fiscalité romaine. Que
voulaient les légistes en s'im:urgeant contre Rome '?
Ce n'était pas seulement servir la royauté, la grandir,
la mettre hors de tuteHe : ils obéissaient a l'instinct
secret qui a toujours mis l'esprit lalq-qe en lutte contre
l'esprit religieux; il Y ti, dans cette guerre subtile de
l1l0ts et de textes qui s\lppelle la chiüane, quelque
chose qui rappelle la rage théologique. Les légistes et
les docteurs se sont partout disputé le gouvernement
des sociétés humaines, et leur accord a été rarement
tout a fait sincere.


Philippe le Bel fut le roi des légistes : il devina en
eux les ennemis-nés de la féodalité et de l'autorité
spirituelle; il ferma le parlement aux préIats, excIut
les prétres des justices seigneuriales, frappa d'impóts
écrasants les biens de mainmorte. Les hommes du roi
arriverent partout, juges, tabellions, maltótiers, rece-
veurs des gabelles : il entra en lutte ouverte avec
Boniface VIII. Il ne suffisait pasa Philippe et á ses
conseillers, le chancelier. Pierre Flotte, Guillaume de
N ogaret, professeur de droit h Toulouse, Pierre de
Cugnieres, Guillaume de Plasiau, conseiHer au parle-
ment, de vaincre la papauté, ils voulaient la déshono-
rer. « Le Christ est captif dans son vicaire; il est
moqué une seconde fois, et iI est de nouveau abreuvé
de fiel et de vinaigre : iI est mis h mort entre des bri-
gallds. ») ,Dante, Pllrgalaire). Sous les yeux de Nogaret,




Uolonna ti'appe tL Anagni de son gantelet ue fer le
vieillard sacré, revétu de ses habits pontificaux, assis
tiure en téte dans su chaire apostolique. Ce n'étuit
pas assez : Philippe fuit lui-méme un pape, illui arru-
che la condamnation des templiers) qui avaient a ses
yeux le double tort u'étre nobles et d'étre pretres; il
attache la papauté an sol de la France par une chuíne
qui ne clevait se briser qu1au bout de prcs d'un
siecle.


Philippe, monté jeune sur le tróne, dur, ambitieux,
avjde, fut un roi national. 11 se brouilla avec Boni-
face, quancll'évéché ue Pamiers fut donné a un mem-
ure uc la famillc des comtes de Toulouse, qui avait osé
parler de rétablir un tróne du Languedoc. Il leva des
armées immcnses ponr l'époque afin de conquérir les
Flandrcs; il confisqua les fiefs anglais; iI opéra la
réunion a la couronne de plusieurs provinces, par son
mariage et par ceux de ses enfants. Son ambition fut
insatiable et impitoyable : iI devina la monarchie
administrative, et fut le rude représentant d:un esprit
nouveau, hostile á l'esprit chevaleresque. Cei; esprit
n1était pas forcément contraire a l'Église; mais il le
devenait des que l"Église romaine, si dédaigneuse des
rois, affaiblissait chez les peuples resprit d'obéissance.
Pour a'Chever l'unité nationale, il fallait un pouvoir
in contesté, inviolable.


Les conciles de Constan ce et de Bále proclamcrent
rautorité des conciles généraux, et leurs décrets furent


UniF.L. 14




210 LA FnA~CE PúL1TlQUE El' SOC1ALE.


tres-favorables a rindépendance des Églises natio-
nales. Charles YII en profita pour donner, apres avoir
consulté le clergé frangais a Bourges, une pragmati-
que sanction en vertu de laquelle la liberté des élec-
tions était maintenue aux Eglises et aux abbayes, les
annates, réserves, expectatives étaient interdites, le droit
d'appel au pape était limité, les bulles du pape nc
pouvaient étre regues en France qu'avec rapprobation


/


du roi. Le haut clergé affirma le droit de l'Eglise fran·
gaise a « adapter les décrets des conciles aux usages,
circonstances et besoins du royaume et de la nation
frangaise. » A partir de Frangois pr, la France entra
dan s le régime des concordats. Le chancelier Duprat
négocia le premier: il donna au roi le droit de nommer
directement a toutes les dignités ecclésiastiques,
abolit les réserves, graces expectatives et appels en
cour de Rome, mais laissa an pape les annate~, et
renonga a la convocation périodique des conciles. On
se révolta en France contre les concessions de Duprat;
personne ne cria plus haut que le clergé, qui regret-
tait la pragmatique sanction: le concordat lui enlevait,
en effet, son droit d'élection, et permettait au roí de
disposer des ímmenses biens du clergé pour ses créa-
tures. Au moment OU la réforme corumengait a agiter
le monde, la papauté acheta la fidélité de la monar-
chie frangaise par un traité « par lequel, dit Bossuet,
les rois de France ont la conscience chargée d'un poids
terrible et le salut de leurs sujets entre leurs mains. ))






DES C.\.HACTEHES DE L'ÉL;LlS~; FHAl\QAlSE. 211


Le sort de rÉglise nationale était désormais fixé :
elle fut soumise au patronage royal) et devint un in-
strument d,e regne. '


Le concile de Trente réorganisa) en quelque sorte,
l'Eglise catholique) de tous cótés menacée par la ré-
forme; il centralisa l'autorité spiritueIle) fit des papes
les régulateurs de la discipline) les interpretes des
canons) les maítres des évéques. L'évéque de Home de-
venait le chef visible, in contesté de la catholicité; tous
les yeux pouvaient san s cesse se tourner vers lui, au
lieu de se porter sur des conciles nomades) divisés,
pénétrés de passions nationales. On sait que les ambas-
sadeurs de Charles IX appuyerent dans le concile
l'effort des évéques gallicans. Les Valois persécutaient
les huguenots) mais ne voulaient pas qu'on rognát les
ongles aux rois. On chercha quelque temps si ron ne
pouvait ramener les réformés dans l'Église univer-
selle. Le cardinal de Lorraine alla jusqu'a, demander
le mariage des prétres) la comIDunion sous les deux
especes, les prieres en langue vulgaire. La victoire de
son frere a Dreux précipita les décisions <;I.u concile :
on n'accorda rien a, l'esprit de la réforme. Sept éve-
ques fran{jais seulement signerent les décrets; mais
le parlement fran{jais refusa toujours de les enregis-


,


trer. L'Eglise frangaise adopta ce qui était de pure doc-
trine : ce qui ne tenait qu'a la discipline demeura
soustrait a l'autorité étrangere.


Cette distinction entre la doctrine et ce qui touche




,


a la matérialité de l'Eglise est fondamentale : une
Église si riche, maítresse el 'une grande partie du sol,
ne pouvait Gtre administrée du dehors. Elle défendit
mGme longtemps son domaine idéal, toujours prete a
introduire dans son enseignement ce qui était matiere
de foi, mais pen disposée á laisser le dogme nécessaire
se meler a ce qui n'était que légende ou dévotion
italienne.


Les huguenots avaient fait une Église trop nue, trop
sombre; mais iI y avait dans l'Église frangaise un sé-
rieux) un fond d'austérité et de virilité qui ne s'accom-
modait pas facilement d'une reIigion oú la foi eút été
comme étouffée dans .les parfums du culte. A coté du
dé sir tres-sincere, tres-ardent de rester fidele au catho-
licisme antique, universel et traditionnel, on voit long.-
temps chez les prélats, dans les 01'(11'es les plus lettrés,
dans les vieilles familles nourries de traditions, une
ce1'taine sauvagerie a l'endroit de ce grand nom de


,


Rome. La fille ainée de l'Eglise, ~L ses belles époques,
fait penser a ces jeunes filles qui, sorties du couvent
et retournées aupres de leur mere) sont partagées
entre leur affection et la vague terreur du monde.


Richelieu résolut en homme d'État les questions qui
touchent l'Église; prince de l'Église, il taxa les proprié-
tés ecclésiastiques : « Les besoins de l'État, osa-t-il
écrire) sont réels; ceux de l 'Églisc sont chimériques et
arbitraires. ~i le roi n 'a vait pas déúLit ses ennemis,
rI~glise aurait souffert bien el 'autrcs pertl's. » I1 abaissa




DJ<:S CATIAr.TI~nES DE L'Ér.LISE FTIA:\"(jAISE. 213


les protestnnts, et reprit la Rochelle : mais cela fait, (( la
ilifférence de religion ne f empéche pas de rendre aux
huguenots toute maniere de services, et la seule dif-
férence qu'il reconnaisse entre un Frangais et un autre
Frangais, c'est le degré de la fidéIité et du patrio-
tisme. » l ... e cardinal fut un Henri IV a rebours; catho-
lique, il protégea les protestants, comme le roí pro-
testant avait protégé les catholiques. Tous deux


,


voulurent surtout le bien de rEtat. Richelieu fit
hrúler par le parlement le pamphlet d'un jésuite qui
soutenait que les papes peuvent déposer les rois; mais
iI se refusa á bannir les jésuites, et en fit des instru-
ments de sa politiqueo


I...'esprit gallican ne fut pas étouffé avec le protes-
tantisme: févequc de Tournúi, chargé avec Bossuet
de rédiger la (( Déclaration du clergé, » soutint que les
papes eux-mémes peuvent tomber dans rhérésie. Bos-
suet contesta cette doctrine; il distingua entre l'indé-
{ectiúilité et l'infaillibilité, disant qU\ln pape peut étre
hérétique comme. hommc, mais non comme évéque de
l~ome. La déclaration faite dans cet esprit énonga l'in-
dépendance des souverains, l'autorité des décrets de
Constance et la subordinntion eles jugements du sou-
verain pontife ah consentement de rl~glise. Jamais


,


l'Eglise frangaise ne fut plus grande qu 'au xvne siecle.
Victorieuse de la réforme, elle montra au monde une
phalange de prélats, de sermonnaires, de moralistes,
de lettrés ; elle enveloppa la gloire de la France d\U1




..


:! 1'1 L.\ Fn\;';'CE POLITIQUE El' SOCIALE.


éclat l11ystique et incomparable. 8a doctrine, simple el
forte, devint en quelque sorte la conscience de la na-
tion.


Il


,Jamais un pays ne sembla plus pre5 de l'unité spiri-
tuelle: l'hérésie était partout étouffée, elle n'avait
que des retours et des réveils timides. Qu'étaient les
disputes sur le quiétisme auprcs des luttes terribles
du siecle précédent? On avait cru mettre d'accord et
pour toujours la science avec la foi, la conscience avec
la soumission. Pourtant quelques germes de révolte
fermentaient encore dans cette Église illustre, dans
les ordres religieux. La grande réforme avait été
un mouvement universel, cosmopolite; le jansé-
nisme fut un essai de réforme, on peut le dire, toute
franqaise. Il trouva des chefs, non, comme la
réforme, dans la grande noblesse, mais dan s les fa-
milles demi--patriciennes, dans la bourgeoisie patriar~
cale, austere, lettrée, chez les parlementaires; il fnt
une Fronde spirituelle. Laclasse qni, par les intendants,
s'emparait du gouvernement tenta, par l'éducation,
par la propagande religiense, de s'empHrer (le la reli-
gion nationale. Elle s'insurgea contre la foi de la conf,
la foi mondaine, celle qni, par les confesseurs et les




DES C\p..\ni,;rlF:S DE L'f,;¡,LlSE f[L\~(~AISE. 215


directeul'S, devenait la servante trop docile de Rome.
,


Pour s'élever dans l'Etat, elle se servait de la royauté;
,


pour s'élever dans l'Eglise, elle en avait un égal be-
soin. Mais le jansénisme ne snt gagner ni le roi ni le
peuple: il effrayait le roi, comme tout ce qui ressem·
blait a l'hél'ésie; les doctrines des snlitaires avaient
séduit les plus vertueux parmi les grands, les femmes
les plus pures; le roi n'y sentait pas l'esprit courtisan,
il n'y respirait pas l'encens que lui prodiguaient les
prélats. En vain l'abbé de Saint-Cyran, dans sa Question
royale, dit qu'il y a des cas oh le sujet doit de ses
propres mains sael'ifier sa vie pnur conserver celle du
prince. C'était assez que Condé vit lesjansénistes d'un
mil favorable, que leur retraite servit de refuge
contre la cour, que leur sainteté parftt toujours en
deuil.


Ces Messieurs étaient trop puritains. Boileau, dans
sa satire sur l' homme, dit :


La vertu n'était point sujette a l'ostracisme,
Et ne I";'appelait point alors un jansénisme.


Un évéque faisait des reproches ü nn abbé de con-
dition dont la vie n'était pas réglée : « Que voulez-
vous que l'on fasse? Si nous étions plus réglés, on
nous prendrait pour des jansénistes.» Le sérieux de
M. Arnauld était redoutable. L'esprit des Letlres
provinciaies séduisit un moment la France, mais
l'effet fut passager; la doctrine de .Tansénius tenait




21 (j . LA Fn.\:iCE POLITIQGE El' SOCr.\LE,


trop de la rndesse calviniste. On ne se plnt pflS long-
temps ü. une théologie qui n'abontissait point á la
dé.votion aisée.


Louis était bien rimage de la nation : iI n'aimait
pas le bruit des dissensions rel1gieuses; il soutenait
contre Rome son droit de régale (le droit de nommer
aux bénéfices dans les évechés dont les siéges étaient
vacants) ; il forgait les jésuites eux-mémes ~t se mettre
de son cóté dan s sa lutte contre le pape) mais iI ne
voulait pas d'innovations religieuses, ni e!l maticre de
dogme ni en matiere de discipline : iI fut dur aux
quiétistes, implacable flUX jansénistes. La douleur de
Fénelon exilé avait encore de quoi lni plairc; rnai s
toute sa puissance expirait devant la hauteur respec-
tueuse des jansénistes : ceux-cÍ flvaient des refuges
oú ron ne pouvait les atteindre.


L'Église catholiqne du XYU e siecle ne comprit pas
que rien ne pouvait mieux la défenc1re contre la cor-
ruption qui s'attache a toute chose que la présencr


/


d'autres Eglises jalouses) soupgonneuses) toujours
armées da fouet de vérité. Comme la royauté, elle
voulut faire taire toute opposition : elle crut qu'il
lui suffirait d'avoir un idéaI tres-éIevé de ses devoirs
et de ses obligations ; écoutez l\Iassillon : « Les biens
ecclésiastiques sont des c1épóts religieux et des aumónes
saintes; nous n 'en sommes donc que les dépositaires
et les dispensateurs... On regarde les revenus de


/


l'Eglise comme des biens á soí : .le vous prouverai que




vous n'en !?tes qne les économes; on les regarde eomme
des ressources pour soutenir la vanité du nom et de la
naissance: je vous montrerai qu'ils ne vous sont donnés
que comme les suppléments de votre indigence t. »
J:~~glise est la grande école d'égalité longtemps avant
la philosophie: « L'Église, dit :Massillon, n'a pas besoin
de grands noms, mais de grandes vertus : la noblesse
que demande la sublimité de nos fonctions, c' est une
noblesse d'áme, un CCBur hérolque, un courage sacer-
dotal que les menaces, les promesses, la faveur ou la
disgráce du monde trouvent également inébranlable :
la seule roture qui déshonore notre ministere, e'est une
vie souillée, des mCBurs profanes, des penchants 111on-
dains, un creur ltwhe et rampant 2. )) La vie de Bos-
snet ne fut qu'un long lallenr. Rien ne le rebutait, son
éloquence était toujours prcte; elle se prodiguait et
jetait dans les humbles églises du diocese de Meaux des
flammes aussi vives que dans la chapelle du grand roi.


Le clergé de France, si sain eneore en presque toutes
sesparties au xvne siecle, était ponrtant menacé de cor-
ruption : « Je vous le demande, s'écrie .:\fassillon, tout
eouverts de lepre comme vous ctes encore, et i~dignes
de paraítre meme au pied des autels avec les sim-
ples fideles, n'ayant ponr toute marque de vocation
aux honneurs du sanctuaire qu'un grand nom dans le


i Discours sur l'usage des revenus ecclésiastiques. CEuvres de Mas-
f;illon. Confércnces ccclésiastiques.


:) Conférence sm: l'ambition eles clercs.




218 LA mANeE POLlTIQUE ET SOCJALE.


monde, le seconu aujourd'hui dans la maison de votre
pere, les désordres d'une jeunesse licencieuse et des
désirscriminels de vous élever, vous avez la témérité
de prétendre a l'honneur supreme du ministcre saint,
pour lequel les anges memes ne seraient pas assez
purs! » Ce n'est pas le sentiment du devoir qui a
manqué au clergé de France, ni le sérieux, ni le don
de la pédagogie, ni l'art de diriger les consciences, ni
la science, ni le désir de protéger la religion contre
les fadeurs propres a la matérialiser et a l'amollir :
plus pauvre, elle se serait mieux défendne contre
resprit mondain et la frivolité; plus tolérante ponr
les hérétiqnes, elle flit restée plus sévere ponr elle-
meme. Elle poussa enfin les choses a ce point que
l'hérésie jeta le masque chrétien et devint la philo-
sophie. Les huguenots, lesjansénistfjs, reconnaissaient
une autorité spirituelle extérieure a l'homme : les
philosophes n'en reconnurent plus d'autre que la rai-
son hum,¡¡,ine. Cette raison, dont Pascal s'était épuiséá
montrer la vanité et le néant, devint le dieu d'un~
société enivrée de soi. Voltaire versa le ridicule sur le
livre sacré des réformés. Le XVUl e siccle se fit palen
et n'adora plus que la nature. On est tout surpris, en


,


étudiant sa littérature, de voir combien l'Eglise lutta
mollement contre ces hérétiques nouveaux. La chaleur
qui animait les Bossuet, les Fénelon, les solitaires de
Port-Royal, sembla éteinte. La France divor~a avec
le christianisme et fit sa religion de rirréligion meme.




OES C.\r.Ar:T~:nF:S DE L".f:GLTSE FnA~t:;AJSE. 219


Les temples sont encore dehout : rien n'est rompu des
liens de la magnifique hiérarchie catholique, mais
l'esprit des temps passés s'estenvolé. La révocation
de l'édit de Nantes avait porté ses derniers fruits.


Tocqueville s'est demandé comment Pirréligion put
devenir une passion dominante et générale chez les
Frangais du XVIUe siecle. « On atta qua avec une sorte
de fureur la religion chrétienne, sans essayer meme de
mettre une autre religion a la place. On travailla ar-
demment et eontimlment a óter des ames la foi qui les
avait remplies, et on les laissn vides. Une multitud e
d'hommes s'enflammerent dan s cette ingrate entre-
prise. I}incrédulité absolue en rnatiere de religion, qui
est si contraire aux instincts naturels de l'homme, et
met son ame dan s une assiette si doulo~reuse, parut
attrayante a la foule '.» Tocqueville estime qu'un si
grand revirement ne peut étre suffisarnment expliqué
par la rencontre de plusieurs grands écrivains ennemis


/


du christianisme, ni meme par les vices de l'Eglise : il
fexplique pnr ce fait que l'esprit d'opposition, chassé
de la politique, s' était réfugié dans la littérature; les
écrivains étaient des rebelles d'une nouvelle sorte;
vivant dans un domaine idéal, ils devaient s'attaquer
surtout aux idées. lIs pouvaient se flatter de modifier,
par degrés, l'~Stat, la législation, l' organisation sociale :
ils ne pouvaient modifier 1 'Église, ils chercherent a la
renverser. Ce quisembleinexplicable, c'est queJ1Église


t L'Anr:ien Régime et la Révolution.




2?O LA FflA~r.E POLlTIQUE ET SOr:TA LE.


se soit si mal défendue ('ontre les philosophes. En An-
gleterre, le clergé avait trouvé de nombreux avo-
cats : en France, l'~:glise eut peu de défenseurs. La
noblesse mit la philosophie a la mode; quand l'ar-
chcvÜ(lUe de Paris condamna l' tmile de Housseau, on
appl:~ndit á la réponse du citoyen de GenEwe. Voltaire
fnt une idole devant laquelle la grandeur, la beauté,
la vertu, brúlcrent leur encens. OÜ étaient les vrais
croyants, les chl'étiens fideles? La persécution méme
n'était plus qu'une grimace : on hríllait un livre
pour ajouter quelque chose an plaisir de le lire. La
noblesse, les parlements, la roynuté, semblaient frap-
pés de cécité. Rorace 'Valpole, qui voyait h Paris la
meilleure compagnie, fut tres-frappé de l'état irréli-
gieux de la Frunce: « Savez-vous, écrivait-il it Conway
(28 octobre 1765), ce que sont les philosophes, ce que
ce mot signifie? D'abord iI embrasse presqne tont le
monde; ensuite il désigne des hommes qui font une
guerre ouverte a la papauté, muis qui veulent presepw
tous le renversement de toute religion, et la destrue-
tion du pouvoir royal. - .J e vous assure, éerit-il :t
Brand (17 octobre 1765\ que le rire n'est plus a la
mode iei, pas plus que le bilboquet. On n'est oeeupé


. que de renverser Dieu et le roi; hommes, femmes,
sont dévotement employés a cette démolition. )) vVal-
pole n'est pas loin de s'accorder sur Rousseau avee le
docteur Johnson, qui disait ayec son sérieux ordinaire
a Boswell : « Ronsseau, Monsienr, est un méchant




hommc. Jc signerais aussi volontiers su sentence de
transportation quc celle d'aucun des crimincls entrés
Jepuis bien des années a la prison d'01d-Bailey. » 11 se
« la vc les mains » des philosophes fi'unCjais : « Ces
hommes, écrit-il tt Gray (25 janvier 1766), ont adopt~ ]a
gravité, la croyant philosophique et anglaise, ct n 'Ollt
rien acquis en échange de leur légereté et gaieté
naturelle. »


« Les savants, je leur demande pardon, les philoso-
phes sont insupportables, superficiels et fanatiques; ils
préchent incessamment, etleurreligion est l'athéisme :
vous BC sauriez croire aquel point cette doctrine cst
avouée. Voltair~ mémc ne les satisfait paso Une de
leurs grandes dé votes disait de lui : « Il est bigot,
e'cst un déiste. - Tout le monde est philosophe. »
Telles étaient les impressions d'un homme qui vivait
útmilierement avec l\llllc Geoffrin, ~lmc de :Wlirepoix,
.Jlmc de Bouffiers, la duchesse de Choiseul, la maré-
chale de Luxembourg, lVlme du Deffant. Il s'irrite contre
les savantes du grande monde, les hommes qui aban-
donnent la religion, uniquement paree qu'elle n'est
plus a la moele, contre l'impertinence des conducteurs
nouveaux ele l'opinion. La vieille société franc;aise se
dissout :'IOn8 ses yeux; elle renie ses anciens dieux ;
elle a honte de ses vieilles idoles; elle est ennuyée I
triste, sous une apparence defrivolité; elle boit alongs
traits une eau du Léthé, qui lui óte le sens et jus-
q u' au sou venir ti u passé prod igieux d 'oil elle est sorti~':k""";~'.;.},::, \,


.) /.. ~'- ~,._ ..... ~ .
. \f ),' I ',"'/f' " ~/' '>~, '0:r.;r.;'" ~ :-s'


'" .~'J. <,.v.,~"\.~) /f. -..
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¡ , ",,~f~~' y, ".. ~
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" f' ~/ .'
..... ~.;. .




:222 LA FlL\.~CE l'OLlTIQUE El' SOCIA LE.


Il est curieux de lire dans les cahiers de 8U ce que
la noblesse pensait du clergé. Elle demande que le
clergé n'aitpoint de priviléges d'impóts, que les ordres
monastiques soient réformés de fond en comble, et que
les dimes soient rendues moins dommageables ti l'agri-
culture (quelques bailliages parlent de les abolir). Elle


,


reconnait aux Etats généraux le droit de supprimer
certains ordres religieux et d'appliquer leurs bien s ti
d'autres emplois. Dix-sept bailliages affirment que les
États sont compétents pour réformer la discipline. La
nQblesse ne semble plus avoir le sentiment quel'Église
soit une force politique: elle la regarde comme un
propriétaire qui retient injustement dans ses mains
un sixieme du territoire national t.


Le clergé lui méme était profondement pénétré par
l'irréligion: les abbés de cour ne virent dans la
philosophie qu~une mode, une faqon de libertinage.
« Soyez bien sl1r que :Mme de Pompadour et M.l'abbé
de Bernis sont bien lo in de se d~clarer contre l'Ency-
clopédie. L'un et l'autre, je vous en réponds, pensent
en philosophes.» (Lettre de VoUail'e a d'Alembert, 23 fé-
vrier '1758.)


Des prétres appelaient Christ le « législateur des
chrétiens. » On sait le róle que joua au début de la
révolution Talleyrand, l'évéque d'Autun. JI porta la


,


hache sur rEglise, comme JIirabeau sur la noblesse.


• Au eommcneemcnt uu x YII' :-:iél'1c, rt~gli~e avait le qual't du
tCl'l'itoil'c.




Le véritable restaurateur de la foi en France, ce ne
fut pasBonaparte, ce fut le bourreau. Le pays se ressou-
vint qu'il était catholique quand il vit couler le sang
des martyrs: on ne détruit pas des dogmes avec des
Iois, on ne fonde pas une religion avec des décrets. La
violen ce u d'assez beaux, d'assez grands empires duns
le monde; il yen a un quí luí reste fermé: c'est celui
de la conscience. La foi, quí n'avait jamais été étouffée
dans les campagnes, qui dormait dans les presbyteres
de village, chez les humbles, les petits, les malheureux,
rejeta avec degoút les cultes nouveaux que lui offraient
les apótres de la raison. La révolution réussit i1 faire
ce miracle: elle arracha les vieilles racines gallicanes


,


du sol, elle déshonora jusqu'au mot d'Eglise nationale,
élle livra le clergé de France á Rome.


Qui s'en étonneraít? « Rendez a César ce qui est á
,


César, a Dieu ce qui est a Dieu. » L'Eglise de France a
subi trop de Césars, elle a courbé son front sous trop
de jougs, elle a fait monter l'encens devant des maltres
trop méprisés, elle a vu tom ber trop de gouvernements:
on l'a détachée de la terre par la confiseation, isolée
du monde par les lois; son creur n'appartient plus
qu'a un maltre divin et a celui que, sur cette terre;
elle regarde comme le représentant de Dieu. Elle se
console de la ruine, des mépris d'une bourgeoisie
vaine, des haines farouches de la démagogie, par la
vue d'une .Jérusalem céleste et lointaine, Olt brille une
vérité qui défie les peuples cornme les rois. Qu'est-ce






?!Í: LA Fi\A~CE PULlTiIJUl:: El' SOCIAL!!:.
que 1'ultramontanisme? C'est l' émigration des <lomes;
vous le trouverez partout oú la foi catholique a subi
des injures trop cruelles, en Irlande, en Pologne
comme en France.


Le clergé frangais, il faut le reconnaitre) a été épuré
par la persécution. Il n~en est peut-étre pas aujour-
crhui, dans le monde entier, de plus pur, de plus aus-
tere, de plus pénétré de la sublimité de sa mission.
Comment n'aurait-il pas repris quelque empire dan s
un temps comme le nótre '? Il représente, dans le
mouvement des intéréts grossiers, vulgaires, sans gé-
nérosité et san s merci, quelque chose d 'immuable, de
fixe, d'éternel; la soutane noire est la vraie livrée de
cette égalité, si chere a notre race; celui qui la porte,
serait-il sorti d'une chaumiere, pauvre, presque sans
culture, est au niveau de ce qn'il y a de plus riche et
de plus grand. Il absout, il condamne; il a lesmémes
prieres pour le faible et pour le f01't, pour ropulence
et pour la pauvreté. Il attend l'homme a toutes les
heures solennelles de la vie; on le trouve, toujours le
méme, pres du berceau, devant la chambre nuptiale,
~lU bord de la tombe.


Comment lutterez-vous contre ce qui ne se défend
pas? Cette force invisible, qui relie en faisceau des
millions d'ames dans le monde, est pour ainsi dire
irrésistible. L'Église le sait; elle jette ses filets dan s
la mer de l'humanité souffrante, ignorante, misé-
rabIe, eraintive, et elle les retire toujours chargés.




DES CARACnÚtES DE L'ÉliLISE FRANQAISE. 225


8i les nations étaient constamment heureuses) elles
oublieraient peut-étre le ciel ; si la science, la législa-
tion, l'économie politique, pouvaient dissiper tous les
maux, on les verrait mener leur vie triomphante, pa-
reilles a ces jeunes gens au sang échauffé' qui ferment
lenr áme an remords et se livrent avec une joie pres-
que féroce a leur égolste passion. Mais la dou~eur n 'est
pas pres de sortir du monde, et le malheur ramene
le;:; nations comme les individus au pied des autels.


On a vu dans un pays voisin de la France, et qui
lui ressemble en beauconp de points, deux partis de
gouvernement se classer sons les noms de parti catho-
fique et partí libéral. Qu'on le regrette ou non, ce phé-
nomene) qui s'est produit spontanément, sans pression
extérieul'e, prophétise notre avenir. Quand nos luttes
politiques seront finies, quand on ne disputera plus
sur la forme du gouvernement) quand des traités
respectés auront assuré notl'e indépendance natio-
nale aussi efticacement que la neutralité assure
celle de la Belgique, on yerra sans doute aussi
en }"'rance un parti catholique et un parti libéral
se succéder an pouvoir, se respecter tout en se com-
battant, s'arracher des concessions réciproques. e'est
une pensé e futile que ceHe d'isoler á perpetuité la so-
ciété religieuse de la société lalque ; la séparation com-


, /


plete de l'Eglise et de l'Etat n'aurait qu'un résultat :
elle ouvrirait toutes grandes J,U clergé catholique les
portes de la lJolitique.


Lfl.rGEL. 15




~2G L.\ FU\:)CE PULlTlIJCE El SUCIALI<:. .


L'éveque, qui aujourd'hui hésite a se montrer sur le
forum, y serait poussé malgré lui, lejour ou il ne serait
que le mandataire spirituel de son diocese. __


Pendant rage d'or du regne de Louis-Philippe,
1 'Église, respectée, vi vait d'une vie pour ainsi dire
intérieure, et n'entrait jamais en conflit avec la
société larque. Mais cette société ignorait encore ses
~


propres dangers; l'Université, le Conseil d'Etat et
l'éloquence des parlementaires, l'habileté des légistes,
ne purent la sauver d'elle-méme. L'Église fut arra-
chée a son reposo Elle aperc;ut, sous les pieds d'une
nation vaine et enivrée (relle meme, des abimes: sous
le pays légal, il y avait un pays ignoré; la philosophie
n'avait, pas plus que la religion, fait pénétrer sa lu-
miere dans ces foules avides, envieuses, terribles, qui
en un moment peuvent ébranler tout l'édifice nationaI.


Des trois grandes forees qui soutenaient l'édifice du
~


passé, une seule reste debout, c'est l'Eglise. Le trone a
été quatre fois déjá brisé dans ce siecle: la noblesse
franc;aise ne possede plus l'ombre d'un privilége; elle
avait, des le xvne siecle, perdu le souvenir de ses
~


origines et le sens de sa mission. L'Eglise est toujours
debout. Tous les jours vous verrez mettre sur la scene
franc;aise des rois et des nobles, on n'ose encore y
montrer Ütmilierement le prétre. Les ffireurs le pro-
tégent : l'esprit franc;ais, si moqueur, si implacable,
souvent si cruel, abdique ti ses pieds. Ce rire qui in-
sulte toutes les gl'andeuJ's terrestres n 'éclate par ue-




ViUlt lui. II faut done bien le'reconnaitre) les sources
de la vie religieuse ne sont pas taries en France. Et
qucls sont les caracteres nouveaux de cette vie reli-
gicuse? La France ne va plus depuis longtemps boire
aux claires et froides fontaines du calvinisme; elle
ne met plus sa gloire tL défendre au sein de rÉglise
catholique universelle des priviléges nationaux : elle
n'est plus gallicane. L'Église catholique entraine
ceux qui la suivent vers ce que ron nomme l'ultra-
montanisme.


La France a rempli de grandes missions dan s ce
monde: peut-étre travaille-t-elle aujourd'hui a son
insu a quelque grande ceuvre d'unité spirituelle dont
les siecles futurs verront l'accomplissement. Elle a
semé a pleines mains les idées d' égalité : son esprit
logique n'admet pas de frontieres dans le domaine de
la vérité. Toute doctrine qu'elle peut soutenir de sa
parole éloquente et de son enthousiasme) qu'elle peut
parer des rayons de sa vieille gloire) lui assure aussi
des amis, des complices clan s l'univers entier. Elle
oppose des légions invisibles aux force s brutales et
matérielles. Il faut toujours qri'elle regne quelque
part) et elle se console de perdre les royaumes de la
terre en envahissant le l'oyaume dé resprit. Elle le
veut tout entier; elle aspire a occuper non-seulement


,


les froides régions de la scicnce) mais l'Eden ou la
pensée religieuse s 'enivre perpétuellement du mys-
tere.




:?:?H LA FHANCE PULITlt.íUE ET :-;OCL\LE.


II faut bien faire attention que la civilisation ne se
nourrit pas seulement de choses matérielles : chemins
de fer, télégraphes, usines, machines, agriculture
intensive, hygicne, tout ce qui sert a transporter,
habiller, nourrir l'homme, á allonger peut étre la vie
moyenne, n'ajoute que peu de chose a la dignité et h
la grandeur de la vie morale. La science ne sauruit


u


llonner qu'a un petit nombre une morale et une mé-
taphysique. L 'homme nourri, chaufi'é, ser vi, courtisó
par mille es claves de fer, (racier et de bois, est
une brute, s'il n'a une vie idéale. On peut imaginer
une société qui soit admirablement outillée pour tous
les besoins, et OLt, cependant, tout le monde soit mi-
sérable : une. sorte de pénurie qui vienne de l'exccs
des richesses, une stérilité issue de la fécondité. Cha-
cun suera, remuera, peinera pour son compte; et le
premier choc fera tomber en poussicre cette masse
atomique, dont le ciment aura été dissous.


Qui peut craindre sérieusement aujourd~hui que la
société laIque devienne asservie a la société reli-
gieuse '? Depuis pres de cent ans, la France appar~ient
aux légistes. Les codes, les constitutions, les príncipes,
tant de lois et de rcglements, n'est-ce pas la une bar-
riere suffisante contre l'ambition cléricale? Quelle
doctrine politique pourra cependant faire ce miracle,
convertir les malheureux en résignés? et la majorité
des hommes se compose de llwlheureux. Quel roi,
empel'eur ou président de l'épublique, appol'tera




DR~ CARACTJ~;nE~ DE I:ÉGLISE FRANC,AlSE. ~:>9


:'t l':lme sOllffrante, meurtrie nes coups de la vie, elé-
couragée, hllmiliée, prete :'t la haine et á la vengeance,
ce qne le plus hnmble ministre du cid a toujours en
réserve, respérance y ous montrez au soldat le dra-
peau : qui lui donnera le sens du drapeau, qui
lui apprendra le renoncement, la servitude volon-
taire? Une nation d'oll le sentiment religieux est sorti
n'est pas encore tout á fait ruinée, elle conserve encore
longtemps les forces qui sortent uu sol, de la nature,
de la Iangue, des longues et glorieuses traditions: mais
on peut craind1'e qu'elle n'app1'oche de la décadence.


Quelque forme qu'ait prise ce sentiment, les politi-
ques prudents doivent la respecter, n'ytoucher qu'avec


/


la plus extreme prudence. I/Etat n 'a rien á faire avec
les dogmes : vous aurez beau faire des déclarations de
príncipes, comme la déclaration de 1682; on ne force
per80nne a c1'oire ou iL ne pas c1'oirc. L'intervention de


/


rEtnt devient légitime; elle peut devenir tres-utile
quand il s 'agit de la discipline, du recrutement dn
dergé. Il n'y aurait pas besoin de chercher longtemps
dans les vieilles regles crrnoniques pour trouver eles
remedes h l'arbitraire épiscopal, qui aujourd'hui est
presque san s limites. Les évéques pourraient ctre assis-
tés par des con8eils, les concours pourraient prendre
une certaine place dans le recrntement dn clergé.


Il faudrait rendre la vie, le mouvement aux diver-
ses parties d'un grand corps, CIll:i est peut-étre trop
immobile, tjgé dans la crainte de l'autorité épisco-




~:10 LA FRA~CE PÜLITIQlíE ET ~OCIALE.


pale; mais ces réformes doivent sortir du sein meme
,


de l'Eglise, comme le fruit sort de l'arbre. Toute in-
tervention brutale et maladroite, toute violen ce de


, ,


l'Etat ferait sur rEglise l'effet du doig\ sur ces ani-
maux marins qui se contractent au moindre tou-
cher.


On sera tres-frappé du changement profond qui
s'est opéré depuis un siecle dans le langage de nos
grands écrivains en parlant de l'Église. Ils ne sont plus
d'humeur a plaisanter sur les pretres, les moines, les


,


nonnes. Ceux memes que l'Eglise considere comme
ses ennemis les plus dangereux, ne parlent jamais des
choses religieuses que d'un ton tres-grave et sérieux.
L'esprit voltairien est sorti de la nation; Paul-Louis
Courier, Béranger, sont presque aussi loin de nous


, ,


que Rabelais : l'Eglise semble aux philosophes chose
redoutable, vénérable ; ceux memes qu' elle persécute
ou qui en redoutent les coups, n'éprouvent contre elle
aucune colere. Empeche-t-elle le naturaliste de cher-
cher le mystere de la création, le physiologiste de
scruter les lois de la vie? 'fous les savants courent
apres une ombre, une chimere. L'Église a aussi
sa chimere : ils la respectent. Dans ce long et ter-
rible effort de la vie, qu'importe si quelques atomes
\~


cristullisent uutour de quelque centre d'attraction!
Nous avons, en somme, une vue beaucoup plus phi-
losophique, et par la meme plus juste de ce qui est au
fond des religions humaines, de ce qui les explique,




de ce qui les maintient, en leR transformant d'age eu
A
age.


Quelles transformations 1 'Église de Franee est-elle
eucore destinée a subir? Qui oserait le dire? qui sait
ce que deviendra la papauté? L'Italie la gardera tou-
jours avec un soin jaloux; elle est trop habile pour
éteindre jamais de sa main un soleil qui, de Rome,
rayonne sur le monde! Quelles luttes nouvelles entre
le pape et fempereur verront les ages a venir?


L'avenir de la France est sombre. Qu'elle ne se dé-
chire pas de ses propres mains, qu'elle n'ajoute pas a
tant de causes de faiblesse une cause de faiblesse
nouvelle : soyons tolérants, meme pour ceux qui vou-
draient ne pas fétre. Nos ennemis riraient de notre
folie, si nous arrivions a nous détester les uns les au-
tres, plus que nous ne les détestons: donnons a


,


l'Eglise la liberté á laquelle elle a droit, elle donnera a
une grande partie au moins de la natiorfla force et, le
courage dont celle-ci a besoin.




CHAPITRE VIII.


LA SOClÉTÉ FRAN~A.ISE AVAXT LA RltVOLUTIOX.


1


Le vieil esprit aristocratique s'était lentement usé
pendant le regne de Louis XIV, qui avait duré soixante-
douze ans. On ne trouve plus rien a la fin de cette
longue période des passions q ui remplissaient les
d'~Spernon, les Bouillon) qui frémissaient encore clan s
le grand Con dé et dans Turenne. Saint- Simon lui-
méme n'apercevait plus d'autre mesure pour le degré
de la grande noblesse que les dates d'érection et
d'enregistrement des dllchés-pairies.


Le grand roi n'avait guere prisé chez ses gentils-
hommes que rair de néant et l'assiduité : « Je ne le
connais pas » était dans sa bouche une condamnation
sans appel. Il fallait rester a la cour, s'y ruiner, parai-
treo L'esprit d'antichambre tna l'esprit politiqueo Les




LA SOr.JÉTF: FRANQAI~R AV'ANT LA nÉV'OLlTTION'. ~3:-;


memes projets, el 'ailleurs, ne germaient point dans
la robe et dan s l'épée. Quels grands formaient encore
de vastes desseins 't Il faut les chercher dans la petite
cour du duc de Bourgogne; HL, quelques hommes et
quelques femmes, associées a leurs espérances, re-
vaient la monarchie vertueuse, affranchie du joug des
maltresses, occupée uniquement du bonheur des
peuples, une Salente, un royaume d'utopie, une
cour purifiée, une administration integre; les am-
bitions n'allaient pas au deHt de cette chimere.


Saint-Simon ne trouva pas d'écho quand, apres la
mort de Louis XIV, il parla au régent des États géné-


. raux. L'aristocratie n'aspirait pas assez a prendre
une place dans les assemblées nationales; elle était
plus jalouse des parlements que désireuse de partager
le pouvoir avec des légistes. Pour les parlementaires,
ils nourrissaient certainement en secret des desseins
politiques; ils se souvenaient du temps oú ils avaient
pu usurper sur la monarchie, et oú le pouvoir judi-
ciaire était devenu le pouvoir politiqueo Les États gé-
néraux leu!' faisaient peur toutefois, car ils savaient
bien que les gens de robe n'y pourraient paraltre qu'á
coté des gens d'Église et des gens d'épée. Ainsi tout


,


. s'unissait pour empécher la convocation des Etats gé-
néraux et leur transformation en assemblées politi-
ques permanentes. Les parlements tenaient a garder
le plus de pouvoir possible entre leurs propres mains;
mais les rois avaient toujours le moyen de briser leur




~34 LA Fn"Xr.E POLlTIVUE ET SOCrALE.


résistance. La noblesse se consolait de son abaissement
par l'humiliation des parlements. Le sérieux de
Louis XIV avait donné l'air de la grandeur a ce qui
se faisait chaque jour plus petit. Je ne sais quelle
gravité, quelle décence, quelle solidité imprime au
xvncsiecle une marque véritablement unique.


Apres le siccle de la grandeur, vint celui de la grace :
les retenues, a la gene pendant les dernieres années
du long rcgne, si assombries par les malheurs publics
et par la dévotion, se trouverent enfin délivrées. Que
pouvait devenir une noblesse inoccupée, sans besogne
politique ou administrative, des qu'elle ne sentit
plus de frein'? Elle se corrompit dans les plaisirs, et y
perdit enfinjusqu'au sentiment de sa propre conserva-
tion. Ce qui frappera le plus celui qui étudiera le
XVIII e siccle, c 'est le caractere faux et artificiel de l'idéal
qu'il s'était créé. Tous les instincts simples, naturels
et droits sont pervertis : toutes les institutions so-
ciales sont faussées. On vit dans la fantaisie : le
patriotisme farouche est de mauvais goüt ; la guerre
est regardée comme un jeu, une aventure; la noblesse
y fait toujours briller son courage, mais elle n'y
cherche plus que des láuriers. On se console de Ros-
bach en chansonnant Soubise et 11me de Pompadour.
Louis XV, pensant a Mme de Soubise, disait de son
général malheureux: « Il ne lui manque plus que
d' etre contento »)


La guerre, la diplomatie ne sont plus eh oses subjec-




tiYe~, si ron pent se servir dn moto On s'enthou-
~iasme ponr le grand Frédéric:; on semble avoir perdu la
notion du patriotisme. Tout sentiment trop uni est de
mauvais goút. Chacun sort du róle naturel que semblent
lui tracer le passé, la tradition, le devoir. La royauté
s'oublie: elle déserte les champs de bataille. Elle n'a
plus ni persévérance, ni audace. Elle se fait asiatique
et s'enferme duns ses petits appartements. La ville
prend peu a peu la place qu'avait tenue la cour; 01',
la ville, c'était Paris; ce n'était pas seulement la
noblesse, c'était aussi la finance, qui se frottait de
noblesse en achetant des brevets de secrétaire du roi,
qni achetait ou bíltissait de magnifiques hótels, qui
soudoyait et nourrissait la gent littéraire. Ne soyons
pas trop séveres pour nos anc(~tres, et ne nous figurons
pas qu'il n'y eüt dans ces années heureuses qui précé-


'derent la révolution qu'une débordante et universelle
corruption. Le vice laisse ses mémoires, la vertu ne
se raconte paso Dans les provinces, surtout dans les
vieilles régions celtiques, au foyer des maisons bour-
geoises, dans les rangs de la noblesse pauvre et dans
le menu peuple, on eüt trouvé encore les plus rares et
les plus pures vertus. La grande noblesse elle-meme
n'était pas aussi dissolue qu'elle aimait a le faire pa-
raltre : il y avait de l'affectation jusque dans ses vices.
Ce qui est certain, c'est qu'elle était frappée. d'une
étrange débilité; son vieil orgueil était devenu de
l'impertinence. Avait-elle encore des devoirs? Elle




?36 LA F'RAXCE POLll'IQT:¡;; El' ~OCIAr.F..


semblait rignorer. On jouait an /Jon seigllflll', it la bOllne
princesse; on n'en tenait pas moins a tous les droits
féodaux, moins par amour de l'argent, cal' la noblesse
fi'angaise n'a jamais été avare, que par goút des privi-
léges.


Le seigneur de village, entouré d'intendants, de
clients, d'nne vflJetaille tyrannique, aimait a se mon-
trer a eertains jours a ses vassaux eomme une sou-
riante providenee; sous un arbre de mai, dans des
fétes villageoises, il eouronnait desjeunes filIes et eher-
ehait sur leurs joues un rouge qui ne pút pas s'effaeer
á la main; il se eroyait meilleur quand iI avait été
attendri; il goútait la nature eomme on admire un
déeor de théátre. Il l'ornait, l'embellissait, taillait des
charmilles, mettait des bustes avee des fleurs aux dé-
tours des bois sileneieux, suspendait aux arbres des
guirlandes. On se promenait dans les grands pares
avee des bas bien tiré s et de fins souliers á boueles. Il
semble que la nature ne se montre plus aux hommes
sons ses aspeets séveres, grandioses, effrayants, elle
n'a que des sourires. Les roehers sont faits pour servir
d'abri aux amours; les arbres n'ont plus des trones fa-
ronches et des branehes noueuses : ils servent a mettre
un ciel-de-lit, demi-verdatre, demi-bleuatre, sur les
marquises poudrées, eouehées sur une herbe toujours
Inolle et semée de fleurs, au 8ein rebondi, au 80urire
éternel, a l'reil fin noyé de volupté. De petits temples
a l'Amou!' s'élevent pri's des belles eaux qni aecompa-




LA SOCIÉTÉ FRANfjAlSE AVANT LA RÉVOLUTlON. '237


gnent de leur murmure le chant des colombes amou-
reuses, la cornemuse et le chalumeau des bergers.
Cupidon est partout : c'est le seul dieu qu'on connaisse
encore. L'impudique enfant promene sa torche sous
les bosquets, dans les chaumieres, dans les palais; il
écarte les épais rideaux qui tombent des riches balda-
quins pour montrer a l'amant sa déesse préte pour le
plaisir; iI lll(~le ses fleches aux piques des héros; il
tient le miroir des Le1les qui se parent; iI caresse jus-
qu'aux coiffes des nannes et se blottit entre les grands
plis de leurs robes. Vous le trouverez : ici, avec un
casque empanaché et domptant des lions ; la, embras-
sant une urne funéraire: des Amours tiennent l'étrier
du jeune guerrier qui se sépare de sa maitresse , d'au-
tres lui offrent la lance et la cuirasse. Les sa vants les
laissent jouer avec les grands globes, les lunettes et
les cartes dépliées. lIs arrosent et plantent les jardins,
ils piquent les bceufs a la charrue. L'Amour est par-
tout, aux champs, a la ville : la France est une vaste
Cythere.


L'antique V énus était une vraie déesse : la nou-
velle n'était qu'une femme déshabillée. ~ous cette
tausse mythologie, on sent et l'on voit partout la vie
réelle, étrange, parée, enguirlandée, mais frisson-
nante et palpitante. C'est ce mélange inoul de conven-
tion et de réalité qui donne a l'art du XVIIle siecle son
Cal'aetere particulier. Cet art n'a absolument rien de
CUllllllUll avee celui (lui peuplait les vieux temples de




::3t) LA FHAi'iCE POL1Tl\jUE El' SUCL~LE.
formes agrandies et idéalisées : il n'aime ni la force)
ni la sévérité, rien de ce qui est auguste) grandiose)
mystique; il adore la gráce) la jennesse, ce qui est
exquis, fréle, éphémere. Il cherche la perfection dans
la petitesse; iI enveloppe la vie de toutes sortes d'ima-
ges voluptueuses et de formes onduleuses; il noie tout
dans sa lumiere doucement irisé e ; humble et do-
mestique, iI se contente d' orner les panneaux des
appartements, de modeler des cheminées, des pendules,
des fauteuils, des consoles; iI chiffonne, il brode, il fait
des nreuds; il grave) il cisCle les poignées d'innocentes
épées) il illustre et relie des Iivres. Tel quel, avec ses
défauts et ses qualités, cet art du XYlIIC siecle est bien
notre, et ron ne saurait rien tronver a lui comparer.
n n'émeut jamais, il charme toujours. Plus ses produc-
tions sont petites, plus elles sont admirables: siWt
qu'iI s'aventure dans le grand, iI se fourvoie et se
déroute: mais quelle súreté merveilleuse) quel esprit
charmant, quelle gaieté heureuse et aimable) qne d'élé-
gance et de souplesse dans ses innombrables ouvrage~J
tant qu'ils restent dans un cadre étroit !


11


il est plus ütcile assurément de s'élever contre le
déreglement des mceul'S an del'nier siecle que de vantel'
les vertus du siecle oü nous vivons. Ce qui fhtppt




LA SüCIÉTÉ FHA:\'ljALSE AVAl\T LA nÉVOLUTlü.\. 23D


celui qui étudie un peu attenti vement la vie intime
des générations qui ont précédé la grande révolution,
e' est pourtant moins la corruption des mreurs que celle
des idées et des principes sociaux. Le lien sacré du
mariage avait été sans cesse dénoué par les mains de
la royauté : on voyait les favorites jouer le róle de
ministres. La noblesse et la finance étaient trop dis-
posées a suivre ces exemples, et la ville eut, comme
la cour, a cóté de ses reines légitimes, des reines
illégitimes. Ce qui caractérise, on peut le dire, le
temps dont nous parlons, c'est le grand nombre des
mariages hors mariage) des unions illicites, arrall-
gées, consenties) reconnnes) et) faut-il le dire? sou-
vent respecté es par tout le monde. Et ces unions
n'étaient pas de vulgaires amours : les vertus qui
fuyaient le foyer domestique, et qui avaient honte
du ménage légal, se réfugiaient dan s le mariage cou-
pable. On trouvait tout simple que la liberté des
choix étudiés corl'igeat les arrangements pris par les
familles, cal' les mariages n'étaient plus autre chose.
~lme de Lafayette, dans sa notice sur sa mere, la du-
chesse d'Ayen, écl'it ceci : « Nous avions a peine douze
ans qu'on proposa a ma mere ~1. de Lafayette pour
l'une de nous: lui-meme n'avait que quatorze ans. ))
La duchesse d'Ayen gagna deux ans) et avec difficulté ;
elle fut contrainte de laisser marier sa filIe a quatorze
ans et demi. l\lme de Lafayette devint mere a seize
an~, peu apres avoir ütit sa premiel'ü cOl1l111union.




240 LA FRANCE POLlTIQUE ET SUCIALE.


Nous pourrions multiplier ces exemples a l'infini.
Saint Panl dit que tout est pur pour les purs. four


quelques femmes, telles que Millo de Lafayette, pro té-
gées par une sorte de sainteté native, combien d'au-
tres, enfants mariées a d'autres enfants, se trouvaient,
jeunes, sans appui, sans guide, prétes a écouter les
conseils d'un monde frivole, qui ne craignait plus
qu'une chose, l'ennui, et quí ne demandait au vice
que des dehors élégants et un masque aimable.


La corruption grossiere est a la longue moins dan-
gereuse qu'un état oil les fronticres du vice et de la
vertu deviennent tout a fait indécises. Quelques
grandes dames vivaient comme de vraies courtisanes :
témoin cette duchesse qUÍ, sur ses vieux jours, disait
a quelqu'un qui lui faisait des aveux tardifs : (( Que
ne parliez vqus? vous m'auriez eue comme les autres. »
1Iais le vice en général n 'était point cynique. Sur le
théfttre. on ne supportait pas l'adultere audacieux,
l'adultere sans masque; quand Beaumarchais osa 1)
mettre dans sa Mere coupable, il mécontenta le pu-
blic, et ron était déja en pIeine révolution.


La société élégante du XVIIIC siecle aimait les amours
faciles, mais ne les voulait pas trop faciles : ce qui
l'occupait surtout, c'était ces longs attachements qui
se formaient en dehors du mariage, et ou l'on portait
tout ce qui doit en faire le charme ou l'honneur: la fidé-
lité, les soins et les sacrifices mutuels, la tendresse qui
snrvit aux fievres de l'amour. vValpole appelait .Mllle de


/




L.\ SUGIETE FfiAN(jAISE A VA:'IT LA nÉVOLUTlON. 241


Hochefort l'amie décente du duc de Nivernois. Le mot
était fort bien trouvé: il est plus vrai que celui de
maítresse, qui ne fait penser qu'aux plaisirs des sens.
« L'amie décente » remplissait tmItes les heures de
celui qui s'était donné a elle: elle choisissait ses fami-
liers, ses convives, ses occupations; elle était tout ce
que doit étre une femme légitime. Quand elle avait
perdu son « ami, » elle était véritablement veuve, et
si elle se remariait, elle laissait passer le temps conve-
nable. L'homme est généralement plus doux a celle
(lui le choisit qu'a ce1le qu'il a choisie : aussi ne faut-il
pas s'ótonner de trouver les llOmmes un XVIIIC siccle
habitnés :'t servir) amollis, attendris, en un mot fémi-
nisés. 1180nt dáns tout leur étre, dans l'attitude, dans
le costume, dan8 le langage, dans les manieres, dans
le tour de l'esprit, une 80rte d'élégance affadie; ils ne
savent étre ni jennes ni vieux. 11s vivent, ponr ainsi
dire, sur le théfttre, dans une demi-hypocrisie conti-
nnelle; ils ne peuvent jamais Gtre eomplétement vrais.
Un sourire banal erre sur leurs lcvres décolorées; ils
ont fl'équemment des vapeurs, ne connaissent pas la
sombre et farouche mélancolie. 11s versent tres-faci-
lement des larmes; leur sensibilité est toute nerveuse.
11s échappent vite a la douleur, et ne lui donnent ja-


/


maÍs qn'une faible prise. Etourdis de paroles, occupés
de riens, ils s'ensevelissent dans des boudoirs ou des
salons, satisfaits de jouer conveilablemellt un role
uans rOlympe de quelque femme a la mode. Les séduc-


I LAUGEL. 16




:?4:! LA FHAl\CE PULlTi\jüE El' SOCIALE.


teurs du X. VIlIe siecle nous font un peu l' effet de luin
de jolies poupées; nous ne les trouvons pas assez sim-
ples, assez males.


Chaque femme tenait autour d'elle son tourbillon
d'adorateurs, d'amis, de commensaux, de causeurs, de
clients. Elle était le centre d'une constellation. Pen-
dant le regne de Louis XIV, l'éclat de la cour avait
eftacé toutes les petites lumieres. La bonne compa-
gnie allait chez Ninon de Lenclos, ets'amusaitaux sail-
lies spirituelles de cette enchanteresse qui, . dit Saint-
~~vremond, était, sans boire, « ivre apres la soupe. »
~lIIle t;carron avait eu son petit tourbillon avant d'6tre
enveloppée dans les rayons du roi-soleil. La cour
de la duchesse du ~faine s'entourait de beaux esprits.
Les « grandes nuits de Sceaux » furent le modele de
ces retes galantes, musicales, littéraires, quí devinrent
la grande affaire du XVIlle siecle.


Ce niest que par le détaíl et le menu qu'on peut
bien peindre la société du XVIlIC siccle, éparpillée
en une foule de petits groupes. Il faudrait la plume
exacte d'un naturaliste ponr en entreprendre la clas-
sification. Suivons vValpole dans ce]ui de 2\Ime du
Defi~tlld. Il nous fait voir la duchesse de Choiseul,
petite figure de cire : c( Oh! c'est la plus gentil1e, ai-
ll1a~le, civile petite créature qui soit jamais sortie
de l'ceuf d'une fée) et tout le monde l'aillle, excepté
son mari. » (Lettres de la 1narqllise du lJel/ll1ld, 1810, vul.
I, p. 13.)




LA SUCIÉTÉ FlLL\(jA1SE AVA;';'!' LA nÉVULUTlO.\. 243


La duchesse de Grammont) la S<Bur du duc de Choi-
seul) est une « amazone terrible) hautaine, qui aime
et hait arbitrairement. » Voici son jugement sur la
maréchale de Luxembourg : « Elle a été tres-belle, trcs-
abandonnée et tres-méchante; sa beauté s'en est allée)
ses amants sont partis) et elle croit que le diable arrive.
Cette tristesse l'a rendue assez agréable) car elle a
de resprit et de bonnes manieres. » Mme de Boufflers,
r « amie » du prince de Conti, celle que l\irue du Def-
fand appelle toujours 11dole du Temple (oú vivait
Conti), est ainsi décrite: « Il y a en elle deux femmes,
la supérieure et l'infcrieure. Il est inutile de dire
que l'infcrieure est galante et a encore des préten-
tions. La supérieure a beaucoup de bon sens, et une .
éloquence mesurée qui est juste et plaisante.» Sur
Th1 me de Beauvau, écoutons l\lmc dn Deffand elle méme:
« Mme de Beauvan, qui est toujours dans l'cnivre-
ment de ses succcs, qui, malgré son attachement pour
son mari, veut plaire a tout le monde, san s choix,
sans discernement. » Un matin, elle écrit a vValpole:
« J'admirais hiel' soir la nombreuse compagnie qui
était chez moi; hommes et femmes me parai8saient
des machines a ressort qui allaient, venaient, par-
laient, riaient, sans penser, sans refiéchir, sans sen-
tir; chacun jouait son role par habitude : Mnie la du-
chesse d' Aiguillon crevait de rire, Mme de :Forcalquier
dédaignait tout, Mme de La Valliere jabotait sur tout.
Les hommes ne jOllaient pas de meilleul's roles, et




244 LA }<'RANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


moi fétais abimée dans les reflexions les plus noires. ))
(Tom. 1, p. 76.) Voici le compte de la maréchale de
~lirepoix : « Sa figure suit la marche ordinaire, et elle
atteindra soixante ans au mois d'avril prochain ; rnais
son esprit rétrograde, et il n'a guere plus de quinze
ans (p. 100, t. 1). » l\lrne d'Houdetot est assez connue :
elle était la « décente amie» de Saint-Lambert, dont
Mme du Deffand dit qu'il était «( un esprit froid, fade et
faux; il croit regorger d'idées, et c'est la stérilité
rneme; sans les roseaux, les ruisseaux, les ormeaux, iI
aurait bien peu de chose a dire (torn. 1, p. ;108). »
M. d'Houdetot fut toute sa vie amoureux d'une autre
feml11e que la sjenne, et il la vit mourir dans ses
bras.


Tous les maris n 'étaient pas si détachés : 1\1. de
Choiseul-Stainvil1e apprend que sa femme connait
Clairval, un acteur de la Comédie fran<jaise: il l'em-
mene au couvent a N ancy. Et dans quel moment !
Quand Mme de Stainville répétait depu,s hllit jours
avec M. d'Hénin, pour un bal, chez 1\1 m e de Mirepoix :
« Il y a vingt-quatre danseurs et vingt-quatre dan-
seu ses ; les habits sont de caractere, chinois, indiens,
matelots, vestales, sultanes (p. lOC)). ~l. le due
de Chartres et l\lrne d'Egmont (une filIe du maréchal
de Richelieu) figurent dans une bande.» Il fallut
remplacer Mrne de Stainville : cette condllite fut jugée
du plus mauvais gotit.


Nous avons dit un mot du Temple, dont M1I1!; tIe




BOllffiers était l'idole. Elle'y présidait la cour aimnble
et spirituelle du prince de Conti. ~lme de Hochefort
était r « idole » du due de Nivernois 1. C'est a pro-
pos d'elle que \Yalpole écrivait: ( n faut ici la plus
grande curiosité ou la plus grande habitude pour
découvrir la plus légcl'e liaison entre les personnes
de sexe différent: aucune Ütmiliarité n'est permise
que sous le voile de l'amitié. »


Quand l\pne de Rochefort épousa le duc de Nivernois
(ce fut en 1782, quand mourut la duchesse), elle avait
c1éjh passé quarante ans a lui plaire, á le distraire, it
soigner ce seigneur vaporeux. Elle avait les plus ten-
(lres rapports avec la duchesse de Nivernois, avee sa
pieuse belle-mere (l\lme de Pontchartrain), avec les
deux filIes de son « ami». Dans son salon, nous trou-
vonsMme de Pailly, 1'« amie» du marquisde:Mirabeau,
les ~raurepas, les JIirepoix, les d'U ssé, les Flarnarens,
Bernis, le président Hénault, Duelos, le maréchal de
Belle-Is1e, les Cossé-Brissac, \Vatelet, et parfois son
« amie, » Mlle Lecomte. L'adultere ne tenait pas son
masque a la main ; mais, pourvu qu'il eút un masque,
il pouvait entrer a peu pres partout.


Les mémoires de lHme d'Épinay nous font entrer dans
le monde de la haute finance; on y trouve les memes
idées, les memes mamrs. Grimm, qui a succédé a
Dupin de Francueil dans les affections de Mme d'Épi-


1 :\Iadame de Rochefort, par 1\1. de Loménie.




246 LA FRANCE POLITIQHR ET SOCIALR.


nay, arri ve a lui écrire des choses comme celles-ci :
c( Une des choses, ma tendre amie, qui vous rend la
plus chere a mes yeux, est la sévérité et la circonspec-
tion sur vous-meme que vous avez surtout en pré-
sence de vos enfants ; il faut bien se résoudre a blamer
quelquefois devant eux ce qui fait au fond le bonheur
de la vie; mais c~est que la société et ses institutions
ont tout corrompu. » (Mém. de Mme (fÉpinay, tomo II,
p. 296.) Les grandes dames descendaient parfois jus-
qu1aux acteurs, aux chanteurs; elles aimaient en tal1':
~relyotte, le chanteur, racteur Larrivée, eurent plus
que des bonnes fortunes, des arrangements avec des
personnes connues. Certaines tetes semblaient prises
de folie: ceux qui ont pu lire la collection des lettres
de femmes reques par le maréchal de Richelieu, ont


.


été plus consternés qu1amusés. On trouve les plus
grands noms parmi les victimes du nouveau don Juan,
les soumissions les plus hum bIes. Personne ne se flatte
de le fixer, rune lui écrit : ( Celle qui fera en vous ce
changement est bien aimée de Dieu, et j laimerais mieux
cela que le beau paradis qu1il nous promet.» Le
XVIlle siecle a donné contre lui-meme des témoignages
accablants, et pourtant il semble qu1il se soit calom-
nié plus que de raison; iI a été moins fanfaron de
vices que coupable d1une sorte de dédain pour tou-
tes les rllgles antiques. Il est bien vrai qu ~une femme
du grand monde, comme l\'lme de Beauvau ou :Mm e de
Choiseul, se rendait presque singuliere par la fidélitr




conjugale. Cette grande vertu de la fidélité s'était ré-
fugiée dans les amitiés, qui jamais ne furent plus ten-
dres, plus ingénieuses et plus solides, et dan s les unions
irrégulicres. 11 yavait moins de caprice qu 'on ne croit
dans cette société frivole; elle avait trop de goút
pour étre ignoble, trop d'élégance pour se plaire aux
vices grossiers. Quand on lit les romans les plus nau-
séabonus de répoque, on est frappé d'y trouver
une sorte de candeur qui ferait hausser les épaules a
nos débauchés modernes. Il y a dans l'art et dan s la
littérature de la fin du siecle un trait qu'on ne saurait
pourtant lui pardonner : cette société usé e, lasse de
tout, flétrit la jeunesse; 1'amour adulte ne lui
suffit plus: iI lui faut rignoble Chérubin) la Cruche
cassée de Greuze; on cherche r éclair du plaisir dans
les yeux mourants d'enfants dont les charmes sont h
peine formés. Housseau, au nom de la nature, apos-
trophe les meres; mais non-seulement iI n'y a plus de
maternité, iI n'y a plus de virginité.


ITI


Ce qui donne encore quelque noblesse ü tant de VifS
artifieiellfs ct comme étouffées, c'est une vive préoe-
cnpation ors dlOSfS (le l'esprit. On n'y comprend pns
le plaisir purement sensueI; iI tant que lfs Muses tien-




248 LA FRANCE POLITIQITE ET SOCIA LE.


nent compagnie aux Graces : ett ,ce (llt'il y a de sillgn-
lier, c'est qn'on retrouve cette curiosité d'esprit cluns
tous les mondes, dans tmItes les coteries, dans la
plus grande noblesse, chez les financiers, dans la bour-
geoisie. II faut se figurer une foule de petits cénacles
oü 1'on faisait incessamment assaut d'esprit, oil tout
le monde yersifiait, chantait, ütisait de la musique.
On combattait l'ennui par mille moyens : on peignait,
on gravait, on brodait, on essayait des métiers: on
était luthier, tourneur, horloger, cuisinier. On s'Ín-
géniait a inventer des amusements ..


Ces petites cours) demi - galantes, demi - artisti-
gues, eurent un róle infiniment important; non-
seulement elles affinerent outre mesure tous les
esprits, elles préparerent une sorte de déclassement
avant la grande Révolution. La confusion des rangs
s'opéra dans les mamrs avant d'étre faite par les lois.
Prenez, une a une, toutes les coteries dont les sou-
venirs sont venus jusqu'a nous, et vous y trouverez
une sorte d'égalité nouvelle qui s'établit par l'esprit.
Il fallait des amuseurs a une noblesse qui ne son-
geait plus qu'aux plaisirs des sens et a ceux de
1 'intelligence. Partout se glissent les parvenus; les
financiers se frottent de nobles se en achetant des
charges de secrétaire du roi. On daignait oublier lenr
origine, souvent extrémement vile, dans leurs magni-
fiques demeures, embellies par un art ingénieux et
charmant.ll y avait encore beaucoup de distance entre




LA Snr.I~:T~~ F'RANGA1SE AVANT LA RRVOLUTION. 24D


les femmes des mondes divers: entre les hommes il
n) en avait plus gucre. Les grands seigneurs ne se
souvenaient plus gucre de leul's priviléges que pour
en abuser odieusement, pour faire enfermer un en-
nemi a la Bastille, OH f~tire biLtonner un pauvre diableo
L'orgueil n'était plus que de l'impertinence.


Les femmes sont forcément plus séveres que les
hommes sur la compagnie qu'elles frélluentent : nous
trouvons poul'tant l\pnc d'l~pinay aux fameux soupers
(( du bout du banc, » présidés par ~111e Quinault. On
pent lire dans ses mémoires les étranges conversa-
tions de la spil'ituelle actrice et de ses hótes, Duelos)
~aint-Lambert, Rousseau. Pendant un souper qu'elle
raconte, entre le prince de ***. « Ah! le voila! le voilit!
s'écrie ~1!IC Quinault, c'est le beau prince; c'est luí,
faisons-Iui place. Il a l'air d'un hean Philistin; il est
bean comme l'antique. )) Puis, se levant de nouveau h
moitié) s'appuyant des mains sur la table, les coudes
en rair, la téte inelinée sur son assiette, ave e l'air dn
respect le plus profond : « ~lon prince, lui dit-elle, je
suis votre tres-humble servante; voici :Nlme d'Épinay
qni a bien voulu nous faire l'honneur de manger le
fricot avec nous. Prenez done place. La Fleur ! Jean-
neton 1 ! )} Le prince et }\;lme d'Épinay rirent de cette
présentation : l'actrice avait le droit d'en rire un peu
plus fort. Dans ces débauches du bout du banc, on


f ~Iémoires de marlame d'Épinay, t. J, p. 381. - 1864.




~;)O 1.\ FRANCE POLITIQtJE ET ~OCIALE.


discute les plus hautes questions philosophiques, en-
tre une chanson poissarde de Vadé et la lecture d'une
piece de vers de Voltaire. Dans tous les mondes, on
inventait des amusements ingénieux, on jouait la
comédie de société : on ne se contentait pas des
pieces qui étaient déja au théfLtre, on en composait
de nouvelles pour des publics triés, a la fin difficiles
et complaisants; les muses fi:trdées, souriantes, sen-
suelles, avaient toutes sortes de temples discrets. Oil
étaient les acteurs? Devant la rampe'? Ou sur la
scene? la vie tout entiere n'était-elle pas devenue
une sorte de perpétuelle comédie? Les grands sei-
gneurs jouaient les valets, les abbés faisaient les
amoureux, les militaires s'affublaient en bergers :
savait-on encóre oú était la vertu, oú rinnocence,
oú la candeur, oú la pudenr? Toutes les passions
humaines étaient comme raccourcies et rétrécies a la
mesure des couplets du temps, toujours semblables
et toujours différents, croches et doubles croches qui
font autour des notes graves de la littérature du
XVlne siecle un bourdonnement aigu et monotone 1.


Quand on ne jouait pas la comédie, on lisait h
haute voix. Les Contes moraux de ~larmontel furent
el 'abord lus chez ~plle de Brionne; « les plus beaux


1 Le duc de Nivcrnois rimait encore aprei'l la Terreur :
,rai Vil de pl'es la guillotine;
"'Ion SOl't <ll'ait méchante mine, ('te,


(VOil' madame de Rochefort, p. 24tí.;




, , '2~1 L!\ SOCIETE FRANI;AISE AVANT LA REVOLUTIOj\'. tJ


yeux du monde, (lit l\1armontel, donnaient des larmes
aux petites scenes touchantes ou je faisais gémir la
nature et famour. ») II raconte avec quelle ardeur on
discutait son « Bélisaire, » que nous ne voudrions plus
lire aujourq.'hui. Le « Déserteur, » de Sedaine, fut
cl'abord donné chez la duchesse de Choiseul. Une faci-
lité heureuse et un peu banale impregne tous les écrits.
Quand on relit tout ce qu'enfanta la littérature badine
du XVIUR siecle, on s'étonne de trouver tant de
sottise spirituelle et une si féconde stérilité. n
semble que le talent soit devenu comme les caracteres;
il est de liége, remne et fiotte avec grace. Combien de
ces reuvres, qui firent les délices de la société élégante
vers 1770 ou 1780, seraient aujourd'hui'complétement
oubliées, sans l'art merveilleux des illustrateurs dll
temps, de Moreau, de Marillier, de Gravelot, d'Eisen
et de tant d'autres! Ces artistes sauverent de foubli
Dorat, Saint-Lambert, la Borde, Berquin, 1\1. de
Pezay et Imbert.


Les femmes faisaient de la musique, s~essayaient a
graver; elles rimaient, écrivaient, comme les hommes,
souvent mieux que les hommes, sur les memes sujets.
Elles étaient grivoises au besoin: « l\1me d'Houdetot,
écrit Diderot, fait de tres-jolis vers; elle m'en a récité
quelques-uns qui m'ont fait le plus grand plaisir. Il
y a tout plein de simplicité et de délicatesse. Je n'ai
osé les lni demander; mais, si je puis arracher un
(( hyrnne anx tetons, » qni petille de feu, de chaleur,




LA. FIUNCF: POLITlQUE ET SOCIA LE.


d'images et (le volupté, je vous l'enverrai. Quoi-
qu'elle ait eu le courage de me le montrer, je n'ai


I ,


pas eu celui de le lui demander. » ~lmc d'Epinay écri-
vait les « Conversations d'l~milie, » et travaillait á la
correspondance de Grimm. Un nombre incroyable de
femmes rimait, faisait des traductions de ranglais,
s'essayait au romano On lisait a haute voix toute pro-
duction nouvelle; on discutait philosophie, musique
de G luck ou de Piccini, parlement J\faupeou, a bátons
rompus, toujours avec un~ extl;éme passion.


« Bans fortune, écrit Grimm en parlant de MlIo de
Lespinasse (mai 1776), sans naissance, sans beauté,
elle était parvenue it rassembler chez elle une société
tres-nombreuse, tres-variée et tres-assidue. Son cercle
se renouvelait tous les jours, depuis cinq heures jus-
qu'a neufheures du soir. On était sur d'y trouver des
hommes choisis de tous les ordres de l'État, de l' l~glise,
de la cour; des militaires, les étrangers et les gens de
lettres les plus distingués. Tout le monde convient que,
si le nom de NI. d'Alembert) avec lequel NIlIO Lespi-
nasse vivait depuis plusieurs années, les avait attirés
d'abord, elle seule les avait retenus ... Il n'était rien
qui ne parut á sa portée, rien qui ne parut lui plaire
et qu'elle ne slÍt rendre agréable aux autres : poli-
tique, religion, philosophie, contes, nouvelles, rien
n'était exclu de ses entretiens. »


Thfme Geoffrin avait son diner des gens de lettres,
ou Mlle de Lespinasse était la seule femme admise.




L\ SOC1ÉTÉ FHAi:\Ij.\.lSE AV.\.i'\I LA. REVOLUTIO". 253


L'art de causer était merveilleux, a en juger par les
échos qui nous restent des conversations du temps,
dans les lettres et les mémoires. Les femmes ne per-
mettaient pas aux hommes d'etre pédants: les hommes
ne leur permettaient pas de n'etre que frivoles. Le bon
air et le bel esprit étaient partout.


Rien ne se peut imaginer de plus charmant qu'une
société qui ne vit pas uniquement pour les plaisirs des
sens, pour. le faste et la parade, oú une fete semble
ennuyeuse, si l'esprit n) a quelque parto Le temps
était passé des précieuses et des femmes savantes;
mais les deux sexes, vivant en constante et conti-
nuellefamiliarité, s'étaient comme pénétrés des memes
pensées et des mémes gOÍlts. Ils semblaient n'en plus
faire qu'un. La gráce, la légereté, la lUobilité temi-
nine avait fait invasion dan s la politique, dans l'art et
dans les lettres; l'esprit de salon était devenu l'esprit
de gouvernement. l\1ais les salons n' étaient pas de
simples boutiques de mode; ils étaient les centres
intellectuels, les foyers lumineux ou venaient con-
verger les forces qui commen(;aient a re muer la vieille
France.


L 'esprit était devenu le seul dieu de la société au
XVlIIe siecle : elle n'en connaissait plus d'autre; elle
ne vivait pas dans le monde des réalités et des
intérets concrets; elle était comme perdue dan s
toutes sortes de chimeres, d'enfantillages, de riens
charmants, de choses artificielles. Le choix des




"l.) 't. LA FILL,CE l'ULlTl(2UE El' ~UCIALE.
aJliances) les colonies, l'administration des provillces)
toutes les questions d'on dépelldait l'avenir du pay8)
semblaient choses trop vulgaires. L'esprits\~tait donné
mille besognes inutiles) et négligeait les besognes né-
cessaires. 11 se perdait dans les nuages et ne touchait
plus la terre; l'esprit de conversation était sorti de la
lloblesse : la reine, le comte d'Artois) .Ylme de Polignac
tourmenterent Louis XVI pour entenure le « .Mariage
de Figaro : » la pie ce fut d'aboru jouée a Gennevillier8,
chez .Mme de Vaudreuil) et la plus noble société s'amusa
au persirlage de l'insolent et indécent Beaumarchais.


Cette domination tyrannique de l'esprit fut cornrne
un interregne dans l'histoire de France: la nation
semblait ne plus exister cornme nation. Elle son-
geait a tout) sauf a soí. Toutes les forces qui avaient
formé) soutenu) affermi, agrandi la France) étaient
usé es : quand l'esprit lui-méme se corrompit) rien ne
fut plus assezfort ponr empécher la révolution. Comme
on voit dan s une inondation un bátiment) dont les
fondations ont été lentement minées par des forces
muettes) s'ébranler et s'écrouler tout d'un coup) le
vieil édifice monarchique) aristocratique et religieux
chancela enfin, et s'écroula avec Ull bruit qui épou-
vanta le mOlHte.




CHAPITRE IX.


LAR 1:; V O L U T 1 U ~ .


1


La philosophie avait changé, on peut le dire sans
exagération, ratmosphere morale de la Frunce. On en
a la preuve dan s le langage de ceux qui, a la fin du
siecle, rédigent les cahiers de la noblesse: ils ont tous
le jargon philosophique ; ils parlent des droits inalié-
nables de rhomme, du pacte social, des principes de la
politique, aussi absolus que ceux de la morale et ({ui
ont pour base comrnune laraison, du crime de lese-na-
tion. Ils épclent la grammaire de la révolution.


Cette révolution est le grand phénomene historique
UOllt les plus grands penseurs ont désespéré de trouver
le vrai sens et de découvl'ir les dernieres cOl1séquences.
(-lwwd un <lit la l'évulutioll de lG88 j OIl parle d\l1l
~l'alld cll<tllgew('nt pulitiqul' opéré en Angleterre;




256 LA FllANCE POLITlQUE El' SOCIALE.


quand on dit simplement « la Révolution, ») on parle
d'autre chose que d'un fait, on parle d'un esprit propre
a engendrer une suite de faits qui n'a point de fin. La
volonté humaine défiant la continuité historique, et
interrompant le mouvement des choses qui empor-
tait les générations successives ; la raison dressée de-
vant l'histoire; la négation hautaine du passé et la
nalve adoration d'un avenir dont on se croit le maltre
absolu; la tyranniede la force prenant la place de toutes
les anciennespuissances d'imagination; les sonffl'ances
des siecles vengées dans quelques heures: tout cela est


,


contenu dans ce rnot vague et redoutable de Hévolu-
tion. Les grandes forces sociales, nous l'avons vu,
avaient épuisé leur vertu : la nobles se était arrivée
u l'ftge des vanités ; l'Église s'était corrompue ; la mo-
narchie était usée. La mort de Louis XVI place son
souvenir a l'abri des critiques; mais il sera permis de
elire que la royauté, des Louis XV, n'avait plus de
traits héroYques ni sublimes : le génie vigonreux
d'IIenriIY, la majesté de Louis XIV, nvaient fait place
a la langueur. La royauté semblait s'abandonner, elle
oubliait sa grande mission dan s des plaisirs faciles et
monotones; elle se sentait stérile, et léguait it l'avenir
des difficultés qu'elle ne savait plus vaincre. « Arres
moi le déluge! » 8a principale fonction est d'ailleurs
aceomplie. L'unité nationale est faite: la Franee sou-
mise aux intendants est clevenue une bureaueratie;
eHe n'obéit plus ü des hommes, mais a des traditions




LA nÉVOLUTION. 257


et des reglements. Elle semble n'avoir plus de vive am-
bition guerriere : elle se sent assez assurée entre ses
frontieres, et le charme de sa civilisation crée au-
tour d'elle des sortes de vassalités idéales dont sa
vanité se contente: son espritrayonne de toutes parts,
il remplit les électorats ecclésiastiques, les Flandres, et
lui fait comme une sorte d'auréole a travers laquelle
'elle n'aper<;oit plus l'Europe.


Le peuple ne voit plus le roi : «Par oú, dit Mira-
heau le pere, le peuple connalt-il ses rois ? Depuis cent
ans, ils ne sont presque pas dans la capitale ni dans au-
cune ville principale du royaume. Leurs édits hUl'saux


,


sont timhrés de leur nom; leurs charités sont distri-
buées par des agents qui s'en font un district persono
nel; leurs graces sont sollicitées dans l'ombre du palais;
leurs bienfaits semblent la snite d 'nn courant indis-
pensable; leurs travaux sont ignorés du grand nombre;
leurs plaisirs sont vus de tous; leur bonté domestique
tombe sur des frelons : »


Imaginez Henri IV ou Louis XIV jeune a la place
de Louis XVI : ils n'auraient pas laissé l'État sans
guide, a la merci des hasards; ils n'eussent pas été ac-
cablés par quelques embarras financiers qui, de loin,
nous semblellt presque misérables. La royauté était
devenue trop pacifique: elle faisait encore la guerre a
l'occasion, mais sans ambition, sal1S apreté. Sa diplo-
matie était pleine de caprices, elle n'avait plus de lon-
gues pensées. La France) plus qu'aucune natíon) a


LAUüEL. 17




258 L.\ FRA:SCE POLlTlQUE El' SOC1ALE.


toujours besoin de suivre de grands objets : on avait
fini par prendre les colonies en dédain, oubliant l'art et
l'h~rolsme de ceux qui les avaient fondées au Canada,


_dans les Indes. Le cordon de petites souverainetés
impotentes qui entourait nos frontieres nous cachait
les forces qui pouvaient devenir un jour simenagantes
pour notre sécurité. Richelieu, Mazarin, Louis XIV,
avaient obstinément suivi la meme politiqueo Quelle
fut la politique du XVIIle siecle? Elle changea avec les
ministres, avec les maitresses.


La grande lutte philosophique, commencée par des
hommes de lettres et des oisifs, arracha la nation aux
intéréts vél'itablement politiques et nationuux. La phi-
losophie, sur un point, se rapprochait du catholicisme;
la nouvelle autorité spirituelle ne s'adressait ni a une
ruce, ni a une nation en particulier. Le philosophe est
un citoyen du monde. Cet orgueil, cette pudeur, tOU8
ces nobles instincts qu'éveille le mot de patrie lui
semblent étrangers. D'Alembertregoit une pension du
roi de Prusse. Il n'y a plus d'autres ennemis que « les
monstres de la superstition etdu fanatisme. » Voltaire,
bl'ouillé avec le roi de Prusse, écrit a d'Alembert:
« \r ous me pal'lez souvent d'un certain homme : s'il
avait voulu faire ce qu'il m"avait autrefois tant
pl'omis) pl'eter vigoureusement la main ponr écraser
l'inf ... je pourrais lui pardonner; mais je crois qu'il
faut un peu l1lodifiel' notre enthousia~rne puur le N ord :
il pl'oduit d'Ctl'anges philosorhes.») (7 septembl't' l jn 'l,'




LA Hf:VOLUTIOX.


Voltaire raeonte que) trois avant de partir pour la eon-
quéte de la Silésie) le roi de Prusse lui avait envoyé
un éerit politique dans lequel iI regardait la Franee
eomme l'ennemie naturelle et la déprédatriee de l'AI-
lemagne : iI était néanmoins devenu ehambellan du
roi qui devait triompher des nótres a Rosbaeh. L'es-
prit de salon avait óté toute pointe) toute féroeité au
patriotisme. Il n'y avait plus rien de virginal ni de
farouehe dans les ames.


L'esprit fi'an~ais s'était) eomme d'un eoup d'aile,
transporté hors des servitudes du temps) de l'histoire
et des vieilles institutions. Il avait emprunté ses pre-
mieres armes a Hobbes) a Loeke, aux libre~ penseurs
angIais. ~fais le mouvement philosophique prit en
Franee une importanee qu'il n'avaitjamais eue en An-
gleterre; dan s ce dernier pays) iI ne trouvait pas
devant lui une Église inflexible) impénétrable aux
nouveautés : la philosophie ne fut que l'amusement
d'une aristoeratie instruite au gouvernement et douée
de eette raison pratique que donnent les grandes affai-
res. En Franee) ii se forma un gouvernement d'opinion
a cóté du gouvernement véritable : et les philosophes ·
menerent ce qu'ily avait de plus éIevé dans la nation
dans un monde d'utopie.


L'Église enseignait depuis des sieeIes que l'homme
était déehu et dépravé; la réforme avait noirei l'ame
humaine. Les dogmes du péehé originel et de la pré-
destination se dissipcl'ent) eonuue des brouillards,




260 LA FR .. \i'íCE POLITIQUE ET SOUIALE.


devant la chaude lumiere du soleil philosophique. Une
école nouvelle considéra l'humanité comme capable
d'un progres indéfini : tous sés vices n'étaient que le
produit des mauvaises lois et des fausses religions.
V oltaire ne se demande pas par quelle fatalité l'homme
n'a jamais su se contenter des enseignements de la
raison, qu'il croit en soi si parfaite; pourquoi son
intelligence native ne l'a nulle part défendu contre
les théologiens. Housse~u considere l'homme comme
la victime de la société) sans chercher comment est
né ce monstre qui s'appelle l'État) comment toutes ces
pures vertus sorties des mains de la nature n'ont,
en s'unissant) produit que le crime) la corruption et le
malheur. Les conditions misérables des sociétés sont
un produit naturel de la nature humaine : mais les phi-
losophes) autant ceux qui portaient leurs coups sur la


,


religion que ceux qui outrageaient l'Etat, ne se préoc-
eup(~rent jamais de chercher ce qui avait engendré les


, '


religions et les Etats. Ils vivaient dans un Eden idéal :
les uns en chassaient la foi, les autres rétablissaient ce
qu'ils nommaient l'état de nature.


L 'idéal du grand siecle était renversé; on mit á la
place d'un idéal de vie religieuse et presque ascétique
le plaisir) l' obéissance aux passions, un épicuréisme
facile, heureux et satisfait; á la place d'un art
imposant, robuste et esclave de certaines formes, un
art caprieieux, bizarre et déréglé : la pensée secona
toutes lc~ entra ves; au vieil ol'dl'e l'ohtiquc, on réva




LA. flJ~\,()L UTI OX, 261


de snhstituernn état nonveau sans liens avre le pnssé.
Les encyclopédistes se crurent de honne foi des ap<'l-
tres: ils s 'éprirent de la seience, de 1 'humanité, de la
nature : l'humanité avait toujours fait fausse route, íls
allaient la guider vers de nouvelles destinées.


Montesquieu s'attacha a démontrer que les loís et
les institutions humaines n'avaient rien que de contin-
gent '. ~'il (~),)1,'anlait beaucoup de vieilles doctrines, il
comprenait du moins que rien n'est arbitraire dans le
monde; il donnait a la France de nouveaux modeles,
mais jI ne voulait pas la jeter brusquement hors du
courant qui l'avait si longtemps portée. Voltaire avait
concentré ses haines sur le fanatisme. Ronsseau pousse
jusqu'a leurs dernieres limites les conséquences des
princi{)es nouveaux : il est le Cal vin de la philosophie.
« I~e premier qui, ayant enclos un terrain, s'avisa de
clíre : Ceci est a moi, et trouva des gens assez simples
ponr le croire, fut le vrai fondatenr de la société ci-
vile. )) (Discours sur l'úlégalité des conditions, page 95.)
« L'inégalité morale est contraire au droit naturel
toutes les füis qu' elle ne concourt pas en meme pro~
portion avec rinégalité physique: distinction qui dé-
termine suffisamment ce qu'on doit penser a cet égard
de ~a sorte d'inégalité qui regne parmi tous les peuples
policés , puisqu'il est manifestement contraire á la loi
de la nature, de quelque maniere qu'on la définisse,
qu'un enfant commande a un vieillard, qU'p.n imbécile
conduise un hornrne sage ct qu'une poignée de gens re-




~(j:! LA FRANCE POL1TIQITE ET ~I)CL\1.E,


gorge de superfinités" tan di s que la ll1ultitude affamée
manque du nécessaire. » (}leme discours, page 1~3.)
Ces paroles s'adressaient a la société la plus aristo-
cratique de rEurope : et Rousseau ne craignait pas de
lui dire qu~un roí ne devrait pas hésiter a donner son
fils en mariage a la filIe du bourreau, s'il y avait entre
elle et lui conformité de goúts et d'humeur; il parla
le premier du peuple comme en devaient parler les
socialistes : « C'est le peuple qui compose le genre hu-
main; ce qui n'est pas peuple est si peu de chose, que
ce n'est pas la peine de le compter. L'hornme est le
meme dans tous les états; si cela est, les états les plus
nombreux méritent le plus de respecto Devant celui
qui pense, toutes les distinctions civiles disparaissent :
le peuple se montre tel qu'il est, et il n'est pas aímable;
mais il faut bien que les gens du monde se déguisent:
s'ils se montraient tels qu'ils sont, ils feraient horreur.
Respectez votre espece : songez qu'elle est composée
essentiellement de la collection des peuples; que quand
tous les rois et tous les philosophes en seraient ótés, il
n'y paraítrait guere, et que les choses n'en iraient
pas plus maL « (Émile, tome II, page 225.) Le Con-
trat social fut la Bible des conventionnels. Saint-Just,
le plus zélé disciple, osait dire : « Le désir de la ri-
chesse estuniversel, pourtant larichesse est un crime. »
L'esprit de la Convention est le mépris le plus absolu
du passé : un de ses rapports commence ainsi : « Il est
nécessaire de refaire un peuple qu' on veut faire libre,




LA RRVOLUTIOX, ')G') ~ .J


¡le détruire ses préjugés, de changer ses habitutlp3, de
limiter ses besoins, de déraciner ses vices, de purifier
ses désirs. Des force s puissantes doivent pour cela étre
mises en mouvement. » Cet esprit violent ne respecta
pas meme la géographie ni le calendrier; il coupa la
.France en morceaux. arbitraires, aussi égaux que
possible; il voulut chasser le nom des saints de la mé-
moirc populaire. Ainsi des mains brutales passeraient
une couche de chaux sur un tableau, paree qn'il
est noirci du temps, et qu'il n'a plus.sa premiere frai-
cheur.


« L'homme est né libre, et partout il est dans les
fers, » s'écrie Rousseau : puis, constrnisant un état so-
cial nouveau, il refait ponr l'homme une servitude plus
dure que celle qu'il ait jamais connue. « La souveraineté
est inaliénable, la souveraineté est indivisible. «( Ces
grandes maximes, devenues si familieres, aboutissentil


, ,


asservir l'homme tout entier a l'Etat : l'Etat lui-meme
est asservi a la multitude ; car « OU se trouve le repré-
senté, il n'y a plus de représentant » (Contrat social,
page 209) : maxime qui fait penser aux grandes jour-
nées OU le peuple défilait devant la Convention. « Les
députés du peuple ne sont ni ne peuvent etre ses
représentants, ils ne sont que ses commissaires; ils ne
peuvent rien conclure définitivement. Toute loi que
le peuple en personne n'a pas ratifiée est nulle; ce
n'est point une loí. Le peuple anglais pense étre libre;
il ne l'estpas, il nel'est quedurantl'élection des mem-




.264 LA FH.\.:'ir.E POLlTTQUF~ ET ;;OCIALF..


ores du Parlement; sitót qu'ils sont éIus, iI est esclavr,
il n'est rien. » (Page ~J 4.)


n


\Y oilil par q uelles maXlllles se corrompait l'esprit
¡¡uolic, aux approches de la révolution. Personne n 'en
apercevait encore la portée : pendant que l'esprit de
Yoltaire voltigeait devant une nobles se lasse et dé-
daigneuse, les idées de Housseau descendaient dans
les (tmes plébéiennes, et y éveillaient la haine, la co-
lere, la convoitise. En bas, en haut, on voulait du


/


nouveau. On essayait tout : apres l'Ecossais Law, le
Genevois Necker. En meme temps qu'on faisait les
reyeS les plus extravagants, on ne savait comment
résoudre les plus minces difficultés. On se jetait dans
miUe chimcres, et 1 'on reculait devant les réformes les
plus simples. Une moitié seulement du territoire payait
l'impót foncier; le commerce était gené par mille en-
traves; l'industrie n'était pas affranchie. e'est pour
combler un déficit de vingt millions (causé par l'aban-
don de l'impót dit du tl'oisieme víngtieme), qui s'ajou-
tait au déficit antérieur, qu'on assembla les notables
en 1787. Hien n'est plus singu1ier que le contraste
entre l'impotence, la débilité, la stérilité législative
de 1 'ancien régime expirant et l' exubérante audace de




LA nÉVOLliTION" 265


la pensée fi'an~aise h la fin dn XVIUe siecle. Les parle-
ments ont, en matiere économique, les idées les plus
niaises. Turgot, qui comprenait la fécondité des prin-
cipes de la liberté commerciale, vit rétablidt regret les
parlements: á peine rétablis, ceux-ci s'opposerent ü
la suppression des jurandes et maítrises, á l'abolition
des corvées en nature, a l'extinction (rune foule d'of-
tices inutiles. Les impóts étaient devenus écrasants
ponr le peuple, (léja accablé de droits et de devoirs
fl~odaux. La royanté s'était mise entre les mains des
llsuriers, et ne savait plus que faire des assignations
sur les revenns futurs.


On entassait mémoires sur mémoires : on cherchait
des palliatifs. Il n) avait qU\ln remf~de : la royauté
devait inviter et an besoin contraindre les classes pri-
vilégiées a rentrer dans le droit commun. Elle avait
abattu depuis longtemps le pouvoir insolent des grands;
depuis plus de deux siecles, l'esprit de révolte avait
fondu au soleil de sa toute-puissance. Elle avait
construit de ses mains cette machine el 'administra-
tion son s laquelle toutes les volontés particulieres
pOllvaient étre courbées. Ni le zele, ni l'intelligence
ne faisaient défaut a ses intendants; mais elle ne
savait plus les inspirer, ni choisir les ministres,
ni eléfendre ceux-ci contre les cabales. La royauté
avait éteint la noblesse fran~aise dans la cour; la
cour avait a son tour éteint la royauté, en la tenant .
séparée de la nation. Cet Olympe de fétiquette et des




266 LA FRANCE POLITIQUE ET "UCIALE.


vanités était fermé :1 une bonrgeoisie spirituelle, intel-
ligente, lettrée, dont les philosophes, les économistes,
les novatenrs de tont genre enflammaient les pas-
SlOns.


Nous pouvons juger, par lahaine qu'éprouve encore
aujourd'hui la bourgeoisie frangaise pour ce qu'elIe
nomme rancien régime, quels devaient etre ses senti-
ments a la veille de la révolntion. Si jamais l'aristo-
cratie anglaise doit périr, elle tombera aussi sous les
coups de la grande bourgeoisie : le vrai peuple ne dis-
tingue guere entre riches et nobles; mais l'opulence
roturiere a des trésors de haine pour les grandeurs que
l'argent ne peut acheter. Omettons les traits secon-
daires, les accidents : dans sa premiere partie, la révo-
lution franqaise a été surtont une lutte ouverte entre
la noblesse et la bonrgeoisie. La royauté ne fut pas
tout d'abord menacée. Chacun des deux partis voulait
la mettre de son coté. Le tiers était bien mieux pré-
paré a la lutte que les seigneurs : il avait aiguisé de-
puis longtemps son espritdans rétudedu droit; ilétait
retors, laborieux, dévoré d'ambition, infatigable et tou-
jours préparé. Il apportait des plan s, des systemes, de
vastes projets : la noblesse n'avait que des attitudes;
quelques-nns de ses membres étaientpleins de chimeres
et ne voulaient se laisser dépasser par personne dans
la voie des réformes. La nuit fameuse du 4 aoút fut un
duel plutót qu'une discussion. Tons les droits féodaux
furent emportés comme dan s nn tourbillon. Le lende-




L\ RÉVOLUTION. :.'67


main les nobles ne vinrent pas á l'Assemhlée, ils se
reposerent de leur générosité : les gens du tiers en pro-
fiterent pour rétablir tous les droits communaux abo-
lís la veille avec ceux des seigneurs: ( Le 25, raconte
le baron de Gauville, dans son journal, on agita l'inté-
ressante question du droit d'ainesse. Non content dele
détruire, ils glisserent dans le décret l'abolition de la
nobilité des personnes et des choses. Comme nous
nous opposions a cette surprise, Rrederer et Robes-
pierre vinrent dire aupres de moi : - Il resterait done
des nobles et des non nobles! - Sonffrez, leur dis-je,
impatienté, ce que vous ne pouvez empécher. Il vous
est tout aussi impossible de l'etre que d'enlever a celuí
quí l'est une qualité innée. - ~I. Prienr ajouta : -
Eh bien, nous ne sortirons pas d'ici avant qu'il en soit
ainsi et que les titres memes soient abolís et que cha-
cun ne puisse se distinguer que par des noms de
bapteme. - Vous pouvez, lui répondis-je, vous faire
appeler le comte Prieur, et personne n'y trouvera a
reprendre; mais quand 1\1. le comte de ~lontmorency
passera, l'opinion publique nous fera bonne justice de
vous ... Le bois de chene ne deviendra pas du bois
blanc par un de vos décrets.» Ce trait de conversation
montre au nu les sentiments qui animaient les Prieur,
les Rre4erer, en meme temps que la puérile et candide
impertinence de la noblesse. Elle était le bois de chene:
elle oubliaít que, par la vénalité des charges, les sour-
ces de noblesse étaient devenues fort impnres; elle




268 LA FRA:ír.E POLlTIQlTE ET SOr.IALF..


continuait it eroire :'t Res perfections, it se complail'e
dans son róle de N arcisse.


La noblesse était encore assez forte pourqu'il flit
aisé en 1789 de faire une chambre des pairs analogue
h la chambre anglaise. Elle n'avait pas été dépossédée,
c1éracinée; mais ni l'aristocratie, ni le tiers état, n'ad-
lllettaient lc partage du pouvoir. Jfontesquieu avait cn
vHin vanté aux Frangais le gou vernement anglais : le
tiers voulait tout dévorer : ( (-lue doit-il étre ? Tout, »
avait dit Sieyes : iI ne comprenait pas combien il était
utile d'associer au pouvoir législatif et a la cause de
la liberté parlementaire les représentants des grandes
familles. LanobIesse s'était laissé dépouiller par la
royauté de tout pouvoir véritabIe, et elle défendait
na'ivement une ombre, un rien, contre l'insolence de
la roture. On s'étonne de l'obstination avec laquelle
elle restait attachée tt la vieille forme des états
généraux. Dans les cahiers de 1789, tout le monde
demanda leur réunion a dates fixes : personne ne
songea a les remplacer par deux chambres. Hien
n'était pourtant plus propre a aiguiser et a cxaspé-
rer les passions régnantes que la réunion forcée des


, .


trois ordres dans les Etats. A peine les Etats réunis,
le tiers les convertit en une chambre unique, et
du jour au lendemain se trouva le maítre absolu de
la France. n brava la royauté : « J'ordonne, avait dit
le roi a l'Assemblée le 23 juin, que la distinction des
trois ol'dres de l'État soit conscl'vée en son entier; lps




LA RÉVULUTION. 269


députés, formant trois chambres, délibérant par ordre
et pouvant, avec rapprobation seule du souverain,
délíbérer en cornmun, peuvent seuls étre considérés
comme formant le corps des représentants de la na.
tion. » Le roi sorti, ~1. de Mirabeau prit la parole :
« Qui vous donne, dit-il, des lois impérieuses? Votre
mandataire! lui qui doit les recevoir de vous. » Le
roi mandataire! Le mot en dit assez : le tiers, dont
Mirabeau se faisait rorgane, et le roi, n'attachaient
plus le meme sens a la fonction royale.


Il est triste de penserque rienn~étaitplusfacile, avec
le concours de la royauté, que d'organiser, en 1789,
une monarchie constitutionnelle et libérale : mais si
la royauté ne sut pas satisfairele~ justes prétentions
du tiers, si la noblesse ne comprit point quelle force
llouvelle elle eút trouvée dans une Chambre des pairs,
partageant le pouvoir législatif avec une Chambl'e des
députés, il faut avouer aussi que le tiers manqua de gé-
nérosité et de prévoyance politique : il ne sacrifia point
ses ressentiments a la cause de la liberté, il voulut ti
tout prix humilier la royauté et surtout la noblesse, se
venger de son injuste abaissement, voir dans la pouso
siere ceux qui ravaient tenu dans la poussiere. Il se
livra avec une joie ignoble et presque sauvage aux
ivresses d\lll triomphe inespéré : iI déchaina des forces
dont il ne sou pgonl1ait pas la violel1ce; il ruina
rEglise antique, qui avait pourtant tenté un moment
de s'associer a son ccuvre. Il crut qu'on pouvait




9"0 ~, LA FHANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


vaincre des dogrnes avec des Iois, et jeta la France sur
une mer inconnue, sans boussole, avec des lettres de
marque sur toutes les puissances spirituelles et tem-
porelles du passé.


La Constituante était surtout composée de députés
de bailliages, anciens valets de seigneurie, légistes,
intendants, feudistes, praticiens, hommes d'affaires.
Ces gens furent d'abord assez timides. Tous les cahiers
du tiers furent copiés sur des cahiers imprirnés quí
circulaient en France, avec quelques additions qui
étaient ramvre des praticiens. « Dans les comrnunes,
en grand llombre, dont 1\1. le dnc d'Orléans était
seigneur, on avaít religieusement copié le cahier
rédigé par l'abbé Sieyes, et ce qu~on y trouvait quel-
que part ajouté formait d'étranges contrastes avec le
reste. Ainsi, apres avoir demandé la séparation
sévere du pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, la
liberté de la presse, le jugernent par jury, l'abolition
de toute servitude, les habitants insistaient pour que
leurs chiens de basse-cour furent délivrés du billot,
espece de piquet fort lourd qu'on suspendait par ordre
du seigneur au cóté de ces pauvres bétes pour les
empécher de saisir un líevre, si par hasard il s'offrait
á leur portée.» (Mémoil'e du comte Beugnot, tome 1,
page 136 l.)


i Le hailliagc de Chaumont nomma comme députés : pOUl' le ticl's:
le prOCUl'eUl' du roí, un médecin-apothicaire, et, de plus, facteul' Je
vins; un culti vateul', llol11mé pOUl' repl'é~entcl' J'agl'icnI tm'(': un aV(I-




LA UÉVOLUTlU~. ?71


L1élection de l'Assemblée constituante se fit a deux '
degrés pour le tiers. Les lettres de convocation por-
tent que les communautés devaient envoyer un dé-
puté par deux cents feux au bailliage, les villes
un député par deux cents habitants : des députés
furent attribués a toutes les corporations, a tous les
corps moraux. Gest ce gui explique la modération re~
lative de la Constituante : son inexpérience politique
n'a pas besoin d'explication. Paris devint prompte-
ment maltre de rAssemblée, et en fit son instru-
mento


Avec la prise de la Bastille, commence la longue
fete du ~aturne révolutionnaire; la royauté est pri-
sunnicre, la noblesse émigre et se prépare a la guerreo
Livrée á elle-meme, sous les yeux de fEurope silen-
deuse et neutre, la révolution se serait-elle modéréc,
aurait-elle, aprcs avoir fait quelques ruines, :construit
un édifice durable, aurait-elle été capable de pitié?
On voudrait le croil'c) sans oser raffirmer; car, si la
raison humaine a des bornes) la déraison a un empire
sans limites.


La guerre servit cl 1cxcuse et de manteau tL tous le~
crimes. Elle commenqa avec rémigratiol1) cal' les


cat; le clcrgé fut l'cjJréscllté par dcux cll1'és, hostiles aux moines, au
iJaut clorgé, et particulicremont lt l"abbé de Clairvaux. La noblessc
l'epoussa lo vicomte de Laval, l'Cprésolltant du duc d'Orléans 1 et lo
comto de Brienno, ot nomma deux gentibllCrnrne:5 honol'ahle:,: ct inf'i-
gniflanhi. Ab nno disce omites.


lJ y uyait G2\l d0j1lltét> dn tiel',-.




27'2 LA FIL\~CE POLITIQGE ET SOCIA LE.


nobleJs ne cacherent point leur intention de rentrer
en Frunce répée a la main. Ils étaient l1lenucés dans
leurs propriétés et leurs vies, et croyaient user un
droit de légitime défense. La royuuté n'attendit
bientót plus rien que de rEurope. Aujounfhui, quand
les roís fuient devant les peuples, on facilite leur
t'uite plus qu'on ne la géne : c'est qu'ils ne trou-
vent plus chez leurs voisins plus heureux que des
froideurs et de rindifférence. On s'émeut a la pensée
de ce pauvre roi qui ne pouvait ni exercer ni fuir
sa royuuté. En laissant échapper Louis XVI, la
révolution n 'eút pas ajouté de nou\'caux périls aux
dangers dont clle était menacée : mais elle ne voulait
pas perdre son souverain; elle était coml1le ces enfants
qui s'attachent aux morceaux du jouet qu'ils Ollt
brisé: pour se guérir enfin de sa faiblesse, elle déca-
pita Louis XVI, et fit mourí!' en prison rinnocent
Dauphin.


La vieille dynastie semblait morte, et a partir de
ce moment, la révolution devint ü son insu renfall-
tement douloureux d\lne dynastie llouvelle. La
destinée la cachait encore a tous les yeux : pel'-
sonne ne pouvait voir que tant de cOl1lmotions ten-
daient h préparer la France a un nouveau l1lariage
avec une race souveraine. Larévolution donnait á vil
prix au peuple les terres de la noblesse et du clergé. Les
possesseurs du sol 'sont toujours les vrais maitres d\Ul
pays; ceux (luí achetaient le~ biens dits nationaux fai-




LA RÉVOLUTION. 273


saient en quelque sorte une nouvelle eonquéte de la
Franee. Oppresseurs eomme tous les eonquérants, ils
détestaient les vaineus, et leur haine, aiguisée de re-
mords et de peur, devait naturellement ehereher un
proteeteur qui les mit a l'abri de toute revendieation.
Les grands effets soeiaux de la révolution produits, la
terre partout affranehie, l'égalité proclamée et entré e
dans les mreurs publiques, le peuple ne songea plus qu'a
jouir en paix des fruits de sa vietoire. De tout ee que
la révolutibn lui a vait donné, ee qu'il prisait le moins,
e'était la liberté parlementaire : le paysan qui voyait
pousser la moisson sur les ehamps de son aneien
maitre, ou qui vendangeait dans la vigne d'un aneien
monastere, eraignait ee qu'on nommait la eontre-ré-
volution : mais il attendait eomme le Messie l'homme
assez fort pour empecher la eontre-révolution, et en
meme temps pour tirer la révolution de l'anarehie et
du erime. Qu'était-ee que eette liberté quí ne faisait
que des vietimes? Le paysan, avide, amoureux de la
terre, avait aeeepté les dépouilles du elergé, mais il
tenait a la vieille religion par des liens qu'il ne savait
eomment briser. Illuí fallait un maitre qui relevat
les autels, qui remit tout dans l'ordre, dont les inten-
dants et les juges pussent protéger les droits nouveaux
contre toute usurpation.


L\CGEL. 18




111


Ainsi le dernier mot de la révolution devait Gtre
un empire fondé sur l'égalité des citoyens : un empire
démocratique, substituant a l'ancien patronage de la
noblesse et du clergé le patronage administratif.
Personne ne le souhaitait peut-étre autant que beau-
coup de ceux qui restaient les représentants officiels


• de la république. Ils avaient vu tomber tant ele té tes
qu1ils ne se croyaient jamais en sureté : ils s'étaient
faits persécuteurs pour n1étre pas persécutés; mais
ils ne pouvaient se flatter que leur cruelle lacheté ne
trouverait pas un jour des juges plus cruels et plus
luches qu'ils n1avaient été eux-mémes. Ils av~ient,
comme le pays entier, mais pour d1autres raisons,


. soif d10ubli et de reposo lIs avaient vécu sur un 8iwú
de démence, dans les éclairs et le tonnerre, et il leur
tardait qu10n leur montrát les Tables de la loi.


Mais qui donc serait assez fort pour museler la révo-
lution? Les fondateurs de dynastie ne peúvent étre
que des hommes de guerre; il Y a des époques trou-
blées ou les armées restent les seules forces col-
lectives; les hommes de la révolution sont comme une
poussicrc que le vent populairc souleve et dissipe.




L.\ nÉVOLUTION. 275


I/Europe en arrues ne put abattre ces gens de rien qui
défiaient toutes les monarchies; mais, en meme temps
que les terroristes organisaient la victoire, ils prépa-
raient la défaite de la· république. Une nouvelle no-
blesse se formait sur les champs de bataille, une no-
bIes se a laquelle ils ne pouvaient arracher ses titres,
rnilitaire, jeune, ardente, éprise de gloire et de gran-
denr, d'ambition ápre et impatiente. Faire des décrets
contre les émigrés était chose facile ; mais la nou velle
chevalerie, qui sortait du peuple, dont le sang coulait
chaque jour pour la France, n'avait rien a craindre
des clubs, ni des guerriers pacifiques de la capitale.
La nonvelle dynastie devait en sortir : elle en sortit.


U ne figure purement .latine personnifia le nouveau
type du gouvernement, fondé sur la primauté guer-
riere, la noblesse militaire et le patronage adminis-
tratif. Le profil de Bonaparte est antique. Son génie
l'attire toujours vers rItalie, le ramtme toujours a
la papauté : il la martyrise, mais il la reconnalt.
Il regarde la religion comme un engin de gou-
verneruent, pareil a ces empereurs incrédules qui
protégeaient les dieux de la Rome palenne. Il n'a
que du mépris pour les idéologues. Son esprit a la
souplesse a la fois et la dureté de l'acier. Il se sert
des religions, de la philosophie, des peuples, des rois,
des jacobins, des nobles, de toutes choses enfin comme
un ouvrier des instruments qui sont a. la portée de la
main : il se confond lui-meme avec la Providence; et




_~-/6 LA FRANCE POLITlQLJE ET :-;OCIALE.


se croit appelé iL jouer le l'óle de la fatalité. La politi-
que, e'est lui qui le dit un jour, la poli tique a remplacé
la fatalité antique : c'oest une force irrésistible, sans
entrailles, sans remords, san s émotions, pai'eille aux
grandes forees naturelles, au vent, aux tremblements
de terre, a la tempéte. Il en fut le repl'ésentant vi-
vant : le monde vit en lui a vec un mélange de terreur
et d'admiration un de ees étres prédestinés qui jettent
les nations hors des chemins oil elles se traínent, qui
tournent d'un doigt fiévreux les pages de l'histoire, et
qui sont lesinstruments demi-conscients, demi -incons-
eients de desseins inconnus.


Aux chefs de dynastie il faut, outre les qualités du
politique, une armée quileurpermette d'accomplir leurs
projets. La nobles se franqaise n'avait pas emporté la
vertu militaire a l'étranger. La nouvelle armée révo-
lutionnaire, eommandée par des parvenus qui ne de~
vaient rien qu'a la vaillance, fut la révolution triom-
phante; elle courut, comme une lave, de province
en province, terrifiant toutes les vieilles royautés.
Couronnée dans la personne de Napoléon, elle prit
et donna les eouronnes; elle humilia toutes les puis-
sanees, déchira tous les traités, troubla toutes les
nations; elle les arracha a un repos séculail'e, et les
forc;a de réfiéchir sur leurs propres destinées, á se
che1'che1', á se grouper, a penser. Le "ieux droit héré-
ditaire et féodal requt des coups terribles: les peuples
ne subirent plus le sort des pl'ovinces, les p1'ovinces




LA nÉVULUTIO.'i'. 277


subirent le sort des peuples. La révolution avait af-
franehi la glebe, le ehamp: Napoléon affranchit les
royaumes. n ne les délivra sans doute que pour les
opprimer lni-méme ; mais son oppression n'était qu'un
aeeident, elle devait eesser, et, lui disparu, il fallut
chereher des limites géographiques nouvelles. L'idée
de propriété fut détaehée de ridée de souveraineté :
les vainqueurs de Napoléon durent eux-memes inven~
ter une nouvelle Europe.


Tout a été dit sur Napoléon, et personne n'a miellx
que lui-müme expliqué son róle. On vit bien que les
temps étaient changés quand le meurtrierdu duc d'En-
ghien mit dan s son lit une filIe des Hapsburg, quand il
eut pour courtisans des régicides et des rois. La France
ne re fusa ríen it celni qui promenait les principes de 89
de capitale en capitale. Quand iI fut vaincu, ce fut
1 'école libérale qui redressa sa statue; poetes, histo-
riens, politiques, continuerent a glorifier en lui le re~
présentant d'une France nouvelle. Chateaubriand qui
a vait osé protester, dans le silence uni versel, contre le


. meurtre ciu duc d'Enghien, et qui, dans sa brochure
célebre: « Bonaparte et les Bourbons, » avait cherché a
réconeilier la Franee avee son ancienne dynastie, ne
snt pas lui-meme résister a l'attrait du génie.


Le souvenir de Napoléon fut le bélier avec lequel
]'opposition frappa sans ces se et ébranla l'ancienne dy-
llastíe, raIl1enée par les armées de rEurope. Les grands
hommes sont les lettres de l'alphabet populaire : de




2i8 LA FRA:\'CE POLITIQUE ET ~OC[ALE.


meme que nous ne savons pas exprimer no~idées sall~
des symboles, le peuple a besoin de résumer la poli- '
tique dans des figures et des noms : Bourbon, ce fut
l'ancien régime, le privilége; Napoléon d~vint la
figure de régalité. En 1820, Béranger mettait ces ver~
dan s la bouche du roi de Rome, écrivant a rhéritiel'
du tróne franqais :


Sur des laul'iel's je me coudlUi~,
La pourpre.seule m'environne,
Des sceptres étaient mes hocheb:;
Mon bourlet fut une couronnc.


Napoléon ne fut pas seulement puur les libéraux le
dieu de l'égalité, il fut le soldat de la liberté uni ver-
selle:


La. liberté mélait a la mitraillc
Des fers rom pus et des sceptrcs brisés.


Relisez les « Souvenirs du peuple ! » Que de foís ce
refrain a-t-il été répété: « Parlez-nous de lui, grand~­
mere! » Rien n'enracine une mémoiré dans les ames
populaires comme une fin terrible: que sait-on aujour-
d'hui d'Empédocle? (~u'il se jeta dans le cratere d~un
volean.


On put croire longtemps qu'il n'y avait pas de dan-
gel' a courtiser rombre de Napoléon; rancienue no-
blesse re<jut dans ses rangs la nouvelle noblesse d'épée)
s'allía a elle, crut la gagner. L'école libérale tressa
nalvement des couronnes au Napoléon des derniers
jours, réconcilié avec les institntions parIementaires.




L.\ BÉ\OLUTlU:l", ~79


Elle révait pourtant le gouvernement a l'ang1aise, avec
des ministres responsables, des rois « qui regnent et
ne gouvernent pas,» des chambres sonveraines; elle
ne compl'it pas que, s'i1 était difficile d'obtenir ce gou-
vernement d\ln Bonrbon, il était impossible de robte-
nir d'un Bonaparte. Le régime impérial n'avait de va-
leul' aux yenx du peuple que comme étant le contraire
du gouvernement anglais : Bonaparte personnifiait le
gouvernement simple, direct, conseillé, mais non mené
par des Chambres : la suite jnilexible des memes vues
personnelles, le patronage retiré a toutes les castes, a
toutes les corporations, a la noblesse, au clergé, a la
richesse meme, et devenu l'arme d'une administration
intelligente, active, équitable) soustraite a toutes les
influences locales, uniquement soucieuse des intérets
populaires. Cet idéal de gouvernement répondait aux
traditions de la France, habituée depuis pres de deux
siecles á tout demander aux intendants; il flattait l'en-
víe démocratique, en réduisant la noblesse a renoncer
méme au role qu'elle pouvait retrouver dans des as-
semblées libres et plus fortes que la monarchie. Le
gouvernement impérial choisissait ses instruments:
les plus pauvres, les plus obscurs, s'ils étaient tenaces
et laborieux, arrivaieN..t les plus vite. L'école li'bérale
n'avait chance de fonder et de consolider le go~ver­
nement constitutionnel que par une alliance s~ncere
avec l'ancienne nobles8e ; elle voulut an contraire "Se
faire une sorte de monopole du ponvoir. Elle reva un




280 LA FRANCE POLIT1UUE El' SOCIA~E.


gouvernement de parvenus, disons le mot, de bour-
geois, un gouvernement fermé de deux cótéb) du có~
de l'aristocratie comme du cóté du peuple. Non qu'elle
osat mettre l'exclusion en théorie, mais il est dans la
nature du parvenu de redouter tout ce qui peut porter
ombrage a sa fortune naissante. Les lettrés, les profes-
seurs, les journalistes, devenus pendant r~lge pacifique
qui succeda a rEmpire les conducteurs de ropinion
publique, s'unirent aux grandes fortunes sorties des
convulsions révolutionnaires et accrues par le négoce,
la banque, l'industrie, et crurent pouvoir se passer de
tout autre concours. Ils ne comprirent ni la force qui
restait attachée an principe de la légitimité, ni la puis-
sanee indéfinissable qui subsistait dans les vieux noms,


,


ni la nécessitéde rallier a la cause de la liberté l'Eglise,
épurée par tant de malheur; ils ne surent pas en fin ,
comme les libéraux anglais, satisfaire le peuple, sans
lui donner renvie de se satisfaire lui-meme. Le sou-
venir des échafauds les rendit trop timides devant la
populace, et ils n'obtinrent que des mépris en retour
de leurs complaisances. Ils crurent qu'on peut jouer
avec les passions humaines comme avec des mots et
des phrases ; ils manquerent de générosité envers tout
ce qui avait fait la grandeur de la France dans le passé ;
trop courageux devant les grandeurs tombées, on les
vit trop faibles devant les grandeurs encore informes
et monstruenses de la démocratie. Ils ne devincrent
pas qu'il y a un réservoir presque inépuisable de




I


LA RÉVOLUTlON. :>81


torces conserva trices dans les classes rurales, et qu'un
gonvernement fort peut toujours les opposer aux classes
turlmlentes des villes. L'éducation universitaire, con-
fiée a rintelligence pauvre, mécontente, ambitieuse
et irréligieuse, développa outre mesure les intéréts
l'évolutionnaires dans la bourgeoisie : on rhabitua a
préférer la parole a raction, llesprit au bon sens, les
parties externes du gouvernement aux parties internes
et vitales.


.,'


-i J' 1t~~,;~~~;'t,:>


"




CIL\PITRE X.


1


Quels ont été les effets de la Révolution frangaise
sur l'état social de notre pays? Les uns estiment qu'il
ya une France nou velle absolument différente de ran-
cienne; les autres, que la France est tL peine arrachée a
la routine de rancien régime; que, sou's les mouve-
ments tumultueux de la surface politique, un fond
est resté inaltérable, impénétrable. La vérité est en-
tre ces deux systemes. Comparons un moment la no-
blesse d'aujourd'hui á ce qu'elle était autrefois. Bien
qu'elle tienne encore par de nombreuses et profondes
racines á la terre et qu'en maints endroits elle ait re-
trouvé, parfois méme agrandi ses domaines, on peut
dire cependant que sa puissance, n 'étant plus fondée Sl11'
des priyiléges et des avantages matél'iels, est devenue




LA :-iOCIÉTÉ ISSUE DE LA IÜ;VOLL;TIU;'\. :28;3


une simple puissallce d 'imagination. Est· ce a dire que
eelle-ci soit petite? Non certes, cal' les forces d1imagi-
nation sont les plus tenaces; elles sont soustraites aux
lois, elles sont le roman de l'histoire, elles parlent a
l'esprit d1autre chose que du temps présent et d1in-
tél'ets vulgaires. Quand la vénalité des offices fut abo-
líe, les sources de nobles se furent taries, et les titl'es
devinrent un fruit défendu. San s doute, le désordre de
]a Révolution et l'indifférence des gouvernements suc·
cessifs contribuerent a óter a l'aristocratie toute mar-
que d1authenticité; mais la notoriété de certains noms
est assez grande ponr résister a ee discrédit général.


Les malheurs, les miseres de l' émigration firent pa1'-
donner les folies de Coblentz. Les écrivains libéraux
avaient beau représenter les émigrés comme les com-
plices de l'étranger, personne ne crut jamais sérieu-
sement qu'ils fussent des ennemis de la France.
Louis XVIII, avant de remonter sur le tróne, savait
faire encore respecter des rois alliés la dignité des
Bourbons. Jamais négociateur ne défendit les droits de
son pays avec plus de ténacité que le duc de Richelieu.
Les nobles avaient imité tant d1exemples donnés par
les grands du xvre et du xvnC siecle: mais tandis que
leurs aleux a vaient pris les étrangers comme de sim-
pIes auxiliaires, ils avaient eu la faiblesse de devenir
les auxiliaires de l'étranger. Au reste, ils avaient dis-
paru bien vite clans la melée des guerres révolution-
naires et dans la haine de l'Europe. L'infortune leur




?84 LA FHA~CE PULITIQUE ET SOCL\LE.


donna un sérieux inconnll i1 la fin du XVIlle siecle. Ce
qui leur restait de rancienne légcreté se changea en
vertu sto'ique dan s les greniers de Londres, dans les
boutiques de coiffeurs; on eut pitié de ces élégants
réduits a faire le métier de maltre a dan ser, de profes-


,


seur. On n'était plus disposé a philosopher, a s'amuser
des nouveautés, a jouer a l'Anglais ou a rAméricain.
Le temps était passé oú l\lonsieur, frere du roi,
tournait de petits vers :


A l'Europe rcdoutablcs,
Soyons libres a jamais,
l\Iais soyons toujours aimablcs
Et gardons l'esprit franyais.


(Réreil d' Epiménide.)


Les chansonsde Boufflers et de Parny étaient aussi
6ubliées que les gaudrioles de l'Almanach des muses,
oú s'essayerent les muses terroristes, un Pons de
Yerdun par exemple, celui qui fit exécuter les quatorze
vIerges.


La noblesse était transformée: elle trouva sa nou-
velle expression dans le génie sombre et religieux
d'nn Chateaubriand. Le souvenir et le renom renve-
lopperent comme un snaire. On lui avait pris tout ce qui
faisait sa force, on ne réussit pas iL lui prendre 1'11on·
neur; elle représentait toujours émincmment la fidé-
lité, le dédain des vulgaires richesses, ]e mépris dH
sncccs, la continllité du (lroit histori(111e.


Une aristocratie nouvelle s'était püurtant fürllléc




LA SOCIÉTÉ ISSUE DE LA RÉVOLUTION. :2~5


pendant les longues luttes de la Révolution et de
1 'El1lpire, l1lilitaire COl1lme toutes les aristocraties
naissantes, molJile comme il convenait aux temps
nouveaux. Des hommes s'étaient trouvés que la vic-
toire a vait mis hors de pr~ir. Des soldats heureux, de~
capitaines, sortís ue la roture, attirerent sur eux les
regarus ue la nation: et Napoléon, le plus grand de
tous, sentit bien vite le lJesoin de donner a la nouvelle
aristocratic militaire ce qui lui était nécessaire pour
éblouir une démocratie aussi jalouse de gloire que
d'égalité. Il mit dans la giberne de chaque soldat le
baton des maréchaux, et iI donna aux maréchaux des
titres et des dotations princieres. Plus le gou vernement
incline vers la démocratie dans un pays san s cesse me·
nacé de la guerre, plus le róle des hommes d'épée doit
grandir : car ils ne uéfendent pas seulement la nation
contre ses ennemis, ils la défendent aussi contre elle- .
méme.


Fidele a ses origines, l'ancienne noblesse admit
volontiers la nouvelle dans son sein. Si rebelle a toute
extension, a toute usurpation, elle n'eut pourtant que
des complaisances pour les lieutenants de Napoléon :
elle remplit bientót elle-méme les armées comme
autrefois. Aujouru~hui ses fils passent des examens,
ils cntrent dans les écoles militaires) ils sont jaloux de
montrer qu'ils n 'ont pas dégénéré. Dans les lamenta·
bIes événel1lents de 1870, on vit se former des légions
de gentilshommes pour défendre le vieux sol fran~ais,




:286 L\ FRANCE POLI'rJQUE ET SOCJALE.


et le pays reconnaissant les envoya en tel nombre
dans l ~Assemblée qui devait décider de son sort, que
le rétablissement de l'antique monarchie parut un
moment chose faciIe.


11


Le clergé est sorti de la Hévolution plus changé que
la noblesse; il s'est purifié en perdant ses immenses
richesses, qui nourrissaient naguere une fonle d 'oisifs
qni n'avaient du prétre qu~ la robe. Il n'y a san s doute
pas en ce moment dans le monde entier de clergé plus
sérieux que le nótre, plus pénétré de la grandeur de sa
mission, plus austere et plus dégagé des liens du sie-
ele. Ce caractere d'idéalité a été poussé peut-etre trop
loin, en ce sens que notre clergé n'est plus assez pri-
sonnier de la terre et des intéréts fningais. Le gallica-
nisme sel11ble mort: il ya peut-étre encore giL etHt quel-
ques homl11es attachés a rancienne liturgie, amoureux
d'une del11i-indépendance, caressant le reve d'une
l~glise qui ne soit pas á l'unisson exact de Rome. Ces
légeres dissonnances se perdent dans le chreur de
l'Église universelle. Ce que la Hévolution a tenté clans
l'ordre poli tique) l'Église romaine a réussi a l'accom-
plir dans l'ordre religieux. Elle a voulu) elle a obten u
l'unité; que valent quelques souvenirs archalques,




LA ~ocIÉTf~ ISSUE DE LA RÉVOLUTION. 287


qnelques traditions demi-oubliées anpres de cette no-
ble chimere présentée a l'esprit humain, une seule foi,
un seul drapean, un seul pasteur, une vérité qui n 'a
rien a craindre des disputes des écoles, immaculée,
éternelle, ·inaltérable '? Le clergé a l'reil sur le soleil
qui lnit au dela des monts, dans la ville éternelle; iI
s'éblouit de cette lumiere lointaine: comme la rosée
tombe sur tous les champs, illui semble que la vérité
doive descendre sur toutes les nations.


L'attraction puissante de Rome, longtemps contra-
rieSe par la royauté, par les parlements, par la 801'-
bonne, par la prélature elle-méme, devint presque
invin'cible apres la Révolution, cal' l'Église ne se sentit
plus assez protégée par rÉtat. On lui avait enlevé ce
qui faisait en partie sa force et son honneur, l'éduca-
tion populaire, l'assistance populaire. Des laIques lui
disputaient et lui prenaient les ames comme les corps.
Enfermée dans ses sanctuaires, elle ne pouvait plus
remplir les rues de ses mystiques splendeurs. Ses
princes ne tenaient plus les rénes du gouvernement,
la législation était remplie et comme saturée des
maximes d'une philosophie qui lui semblaÍt funeste.
La loi osait se dire athée. Le culte catholique était un


/


culte reconnu de l'Etat, et rien de plus. Cette tolérance
méprisante l'offensait presque autant que la proscrip-
tion l'avait meurtrie. Elle préchait toujours l'obéis-
sanee a César, mais César n'était plus Constantin.
1'Église a besoin de longues íidélités, et les gouverne-




288 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


ments se succédaient les uns aux autres, comme des
flots sur la greve. Elle reconnaissait toujours dans les


,


Bourbons les fils ainés de rEglise; apres leur chute elle
se soumit, sans pouvoir les aimer, a des gouvernements
qui lui parurent tous des gouvernements de hasard
et d'épreuve.


Il était tout simple que sa foi, sa confiance, sa fidé-
lité fussent entraínées hors du mouvement troublé des
choses terrestres et s 'attachasscnt, comme le lierre a la
vigne, a une souveraineté céleste. Ce transport de
l'J1Sglise vers Rome est un des phénomenes les plus
graves et les plus saiIlants de notre temps; il était
peu apparent sous le regne de Louis-Philippe: ce sou-
verain sortait de l'ancienne lignée de nos rois, et"tra-
vaillait sincerement a réconcilier la monarchie a vec
les príncipes de la Révolution. Il avait réussi a enfer-


,


mer respectueusement rEglise dans le domaine reli-
gieux; il semble que sa douceur, sa tolérance, aient
un moment gagné l'épiscopat. Quand' la monarchie


,


parlementaire tomba, rEglise se vit de nouveau a
la merci de la Révolution; elle ne chercha plus que
les moyens de se protéger et de garantir sa foi contre
des gouvernements éphémeres. On vit combattre sous
la meme banniere les hommes qui, par haine de la
Révolution, étaient préts iL donner au despotisme
l'appui de l'Église, et ceux qui, étouffés par le despo-
tisme, plagaient l'autorité spiritueIle au dehors pOH!'
ne pas tont li vrer an maítre <In dedans. Les HllS re·




LA SOCIÉTÉ ISSUE DE LA RÉVOLU'fION. 289


vaient l'alliance brutale du prétre et du gendarme,
les autres voulaient se défendre du gendarme avec le
prctre. Ainsi les instincts les plus bas et le~ plus no-
bles travaillaient de concert a isoler l'Église, u la
préserver de tout contact avec les impuretés révolu-
tionnaires, a y détruire toute influence laIque. Les
libéraux, comme Montalembert, redoutaient de voir
une nouvelle Église gallicane asservie a un empereur
ou a ses ministres. Les ennemis de la liberté pourchas-


,


saient la liberté partout, dans le sein de l'Eglise
comme hors de 1'1tglise.


Le catholicisme ne trouvait pas seulement des alliés
plus ardents dans les rangs des conservateurs comme
dans ceux des libéraux, jl profitait de la transforma-
tion profonde qui s'était opérée dans les écoles philoso-
phiques. L'incrédulité n'était plus arrogante ni
cruelle; on ne pOlrrait plus se servir vis-u-vis d'un
clergé qui avait fourni de nouveaux martyrs de
l'arme terrible de l'ironie. Les plaisanteries de Vol-
taire n 'étaient plus de mise. La philosophie était mon-
tée a dcs hauteurs d'ou elle regardait avec une équité
sereine toutes les manifestations de l'esprit religieux;
elle n'avait plus le caractere agressif, et ne soufflait
plus la haine contre les choses saintes. L'éternel élan
de l'áme vers l'inconnu, vers le surnaturel, vers le
terrible mystere qui enveloppe toutes choses, ne lui
semblait plus ridicule; elle ne voyait plus dans les re-
ligions une basse conspiration des classes sacerdotales


LAUGEL. 19




290 LA FR.\NCE POLI TIQUE ET SOCIALI1.


contre le peuple; elle les retrouvait partout, uans tous
les temps ; elles n'étaient á ses yeux que l'hommage
naIf de l'ignorance humaine ti cette vérité inconnue
qu'elle recherchait elle-meme avec ardeur. Comparez
le ton de Hegel, de Schopenhauer, de Comte, de He-
nan, a celui des disciples légers de Voltaire. La criti-
que religieuse, science toute nouvelle, n'attaque plus
les dogmes de front; elle montre comment ils se
créent et se transforment, sous la pression du temps)
des races, des instincts invincibles des peuples. On ne
peut pas dire qu'il y ait une véritable treve entre la


I


philosophie et rEglise, car ceUe-ci n 'épargne pas les
attaques aux nouvelles écoles; mais la philosophie
rend plus rarement les coups qu'elle rec¡oit, elle se
dérobe en quelque sor te, elle refuse u'engager le fel'.


I


Les haines que l'Eglise inspire encore nc SOllt plus
guere aiguisées que par des passions, par une perver-
si té qui n'a rien de commun avec la grande philoso-
phie et par cette furie révolutionnaire qui s'attaque ti


I


toute chose ancienne. L'Eglise a encore l'honneur de
fournir des victimes choisies it l'aveugle haine qui
éc1ate dans les grandes commotions sociales; mais
dans le train ordinaire des choses, elle n'a plus gUeTe
a redouter que l'indifférence et le silence. Elle reste
néanmoins une des grandes force s sociales, compacte,
disciplinée, capable des efforts les plus patients, des
desseins les plus suivis; elle n'est asservie iL aucune
forme de gouvernemellt, bien qu'elle penche plus lla-




L\ ~0C1ÉT~ I~SUE DE L.\ HÉVOLUT10N. 291


turellement vers la monarchie; il lui suffit que son
esprit entre par mille canaux dans la politiqueo Si la
France avait quelque jour un gouvernement durable,
les partis finil'aient san s doute par s) classer comme
ils ont fai t en Belgique, et le catholicisme donnel'ait
son nom tl l'un des deux partis du gouvernement.
Beaucoup de oons esprits redoutent cette perspecti ve;
mais la Belgique s'est fort bien accommodée de voir
les catholiques succéder aux libéraux, les libéraux aux
catholiques, et elle n'est pas pres de tomber dans la
théocratie. Il ne faut pas s'effrayer .des mots : changez
le 110m du padi catholique, vous ne changerez pas les
intérets, les tendances, les passions auquels il sert de
formule.


III


On a vu avec quelle ténacité la royauté avait dé-
pouillé la noblesse de ses fonctions administratives et
judiciaires: la Révolution ne fit que suivre des tradi-
tions séculaires quand elle encadra d'une maniere
permanente la grande armée administrative. L'État


,


prit la place du roi : servir fEtat devint l'ambition
tll1iverselle. Ce nouveau gen re de fidélité convient
admirablement a une bourgeoisie sceptique et ambi-
tieuse. En adorant l'État, c'est elle-meme qu'elleadore;




292 LA FHANCE POLlTIQUE ET SOCIALE.


en le grandissant, elle se grandit; l'idole imperson-
neHe a mille bras, a mille tétes) quí envoie partout ses
volontés) dont l'inertie défie les plus fortes volontés,
dont la patience use les résistances les plus fieres, c'est
son reuvre. Autrefois la bourgeoisie était obligée
d'acheter les offices; aujourd'hui elle les obtient sans
sacrifices, par le seul effort de son intelligence et de
sa volonté.


La grande armée des fonctionnaires n'a pour ainsi
dire plus de religion politique; elle est l'arme néces-
saire de tous les gouvernements : plus ceux-ci sont nou-
veaux, mal assurés, inquiets de leurs ennemis) plus ils
recherchent son appui. Les gouvernements tombent,
l'administration reste. Elle a ses traditions, ses mys-
tE~res; elle asservit les gouvernements despotiques et
résiste aux gouvernements libéraux. Elle forme pour
ainsi dire l'équipage d'un navire, a qui de temps a
autre l'on donnerait de nouveaux capitaines quí n'ont
jamais vu la mero


La caste des serviteurs de l'État, agents de toute
sorte, nourris par le budget, est-elle plus nombreuse
qu'autrefois't V oici quelques calculs de Boulainvilliers:
« En France, il y a 18 généralités, 178 élections et
20,000 paroisses taillables tout au moins. Dans les
18 généralités, il y a plus de 500 officiers (pour la levée
de la taille), et dans les 178 élections plus de 0,000 ;
dans les 20,000 paroisses, plus de 40,000 collecteurs
et 5 a 0,000 sergents. Les paroisses de la Bretagne, du


I




I


LA SOCIÉTÉ ISSUE DE LA RÉVOLUTION. 293


Languedoc, de la Pro vence et de la Bourgogne ne
sont pas compl'ises dans les 20,000 paroisses ci-dessus,
non plus que celles de la Franche-Comté, de rAlsace,
de la Lorl'aine. » Boulainvilliers estime donc á 52,000
les agents occupés á level' la taille.


Les huit cours des aides employaient, en 17-27, 500
officiers et 7,500 gens de service, en tout 8,000 per-
sonnes; lescinq grosses fermes environ 4,000 personnes;
les grandes et petites gabelles environ 36,000 personnes.
Commis, officiers de greniers, collecteurs, capitaines,
lieutenants, brigadiers, gardes a cheval, gardes a pied,
archers, la gabelle avait toute une armée. Boulain-
villiers arrive au chiffre de 100,000 personnes pour
le tisc seulement, et si nous en retranchons les col-
lecteurs municipaux de la taille, il reste encore
GO,OOO personnes.


Pour arriver a se formel' une idée approximative du
nombre actuel des fonctionnaires, on peut chercher
quel est le montant des sommes qu'ils prélevent sur le
budget. Voici les chiffres du projet du budget de
l'exercice 1876 :




2!H LA FRANCE POLITIQUE ET SOCrALE.


Pensions des grands fonctíonnaires de l'empíre.
Pensions civiles.
Ministere de la justice (personnel).
Ministere des affaires étrangeres (personnel).
Ministere de l'intérieur.
Ministre et personnel central.
Fonctionnaires des départements.
Inspections générales administratives.
Personnel des lignes télégraphiques.
Sureté publique.
Prisons, personnel.


1.346.600
4.910.500


197.000
10.247.550
12.141.051
5.065.283


33.907.984
Gouvernement civil de L'Algérie. - Administration con-


trale. - Administration provincial e, départementale
et cantonale. - Services diverso


Ministere des finances. - Administration
centrale.


Personnel des monnaies.
Cour des comptes.
Trésoriers-payeurs et receveurs des fi-


nances.


Ministere de l'instruction publique.
Agriculture et commerce.
Travaux publics.
Ministere des finances. Frais de Régie. -


Service administratif des taxes (per-


6.017.330
62.400


1.469.700


7.000.000


13.459.450


sonneI). 3.426.430
Personnel de l'enregistrement, domaines,


timbres. 16.313.250
PersonneI des forets.
PersonneI des douanes.
Contributions indirectes (personnel).
Manufactures de l'État.
Postes.


5.017.617
25.135.250
26.082.700


1.698.750
30.289.813


107.963.810


Total général. .............. .


215.000
45.300.000 .
27.457.890
6.780.000


33.907.984


13.549.450
35.355.76ti


650.400
10.534.500


107.963.8tO


245.ü99.330


Nous n'avons ajouté a ces chiffres ni le traitement
du chef de rÉtat, ni ceux des députés, ni meme les


I




LA SOCIÉTÉ ISSUE DE LA RÉVOLUTION. 295


pensions donnécs aux membres des anciennes assem-
blées politiques, ni le chapitre des cultes. En gros, on
peut dire que la France donne par an 2f)O millions aux
fonctionnaires de toute espeee. Ce chiffre correspond a
125,000 fonctionnaires, si 1'on admet une moyenne de
traitement de 2,000 franes, a 166)000 fonctionnaires
environ, si cette moyenne était de 1,500 francs. Les
fonctionnaires n'absorbent en somme que le dixieme
du budget, et ce n'est pas la une charge trop lourde
pour notre pays. On peut élever bien des critiques
contre l'administration fral1<jaise; qu'on nous compare
aux mItres peuples, [L l'Angleterre, a l'Allemagne, a
l'Italie, a la Russie, a l'Espagne, et qu'on dise s'il y a
un pays OU la vie et la propriété soient mieux garanties
qu'en France, oú iI Y ait une plus grande sécurité
sociale, oú les droits du dernier des citoyens soient
mieux défendus par la police et la justice, OLL l'impót
soit levé d'une fagon moins arbitraire, ou les repré-
sentants de ]a loi soient moins faciles a corrompre.
Ce qui frappe surtout dans certaines administrations
frangaises, c~est une probité si parfaite qu'elle n'a pas
conscience d'elle-meme. On est si accoutumé a trouver
la plus rigide honneteté chez les agents des foréts de
rÉtat, des ponts et chaussées, des mines, etc., qu' on
ne songe pas a leur en faire un mérite. En prenant
dans toutes les administrations, on pourrait réunir
toute une armée de fonctionnaires incorruptibles et
pauvres.




296 LA FRA~CE POLITIQUE ET SOCIALE.


Le grand mérite de radministration fran~aise est
dans son existence meme : elle permet a la nation de
traverser san s trop souffrir les crises révolutionnaires.
Quand tout s'émeut et s'ébranle dans l'ordre politique,
le monde administratif mene encore sa vie monotone,
silencieuse, ordonnée comme les saisons. Les guerres,
les invasions meme ne l'interrompent pas. l/impót va
dans les caisses publiques aussi naturellement que
l'eau á la mer; la justice continue á ctre rendue quand
on ne sait plus au nom de qui la rendre. Le reglement
administratifest le seul souverain inévitable. Le peuple
brise les tranes, et respecte la barriere de l' octroi.
Ce qui est contenu dans ce grand mot d'administration
lui inspire une sorte de religion superstitieuse : on y
voit la fontaine des graces, le recours des faibles, des
malheureux, des opprimés; la justice, qui ne connait
ni nobles ni riches; la puissance, qui gouverne tont,
qui commande a la nature et aux hommes; rreil, la
volonté, l'intelligence de la nation.


La bourgeoisie fran~aise s'est emparée du gouverne-
ment par l'administration: elle n'a plus de foi séculaire,
plus de principes poLitiques proprement dits ; elle re-
garde le pouvoir exécutif comme une sorte de décor,
la liberté parlementaire comme l'amusement et la
débauche des ambitions; le pouvoir est le centre de
grandes avenues dont elle tient toutes les entrées. Elle
domine radministration et la pénetre de son esprit.
Quand on parle de la hourgeoisie fran~aise, on ne parle




LA SOCIÉTÉ ISSUE DE LA RÉVOLUTION. 297


pas d'une caste, d'une classe fermée : il ya pourtant
un caractere, un esprit bourgeois bien définis. La
grande bourgeoisie frangaise est peut-étre la plus ex-
traordinaire qu'il y ait jamais eu; elle a hérité des
graces, de l'esprit et du goüt de l'ancienne noblesse,
en y joignant une culture plus libre, une urbanité plus
parfaite; elle aime la richesse, qui est le principe de
sa force et la seule distinction qu'elle reconnaisse vo-
lontiers, mais elle en tire des plaisirs délicats; elle
comprend la vie humaine comme uneféte bien arrangée,
oü tout est harmonieux et de bon goút; elle veut que
la vérité s'habille á la mode; elle aime tout ce quí est
prospere, ce qui s'élEwe, ce qui brille.


La vertu politique est un trop grand effort pour des
hornmes heureux, dé1icats, timides, qui ne veulent
pas avoir d'ennemis. Il faut d'ailleurs une idée, un
principe qui guide cette vertu; et la bonrgeoisie fran-
gaise, depuis qu'elle a conquis par la Révolution
l'égalité, et par la richesse la prirnauté sociale, semb1e
n'avoir plus de póle, d'idée maitresse pour se guider.
Qu'a-t-elle a demander? Elle a encore des craintes,
elle n'a plus de désirs. Elle redoute vaguement le so-
cialisme, ces forces aveugles et terribles qui remuent
dans les multitudes, mais elle n'a pas cloué sa fidélité
a une cause déterminée, a une race, a un systeme, a
des ambitions définies. Elle a eu pendant dix-huit ans,
les Bourbons tombés, le gouvernement de son choix;
elle n'a su ni le respecter ni le défendre. Elle est trop




2~)~ LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


sceptique et trop frondeuse pour jouer un rólc politique
suivi coml1le faristocratie, ou méme COl1ll1lC la bour-
geoisie anglaise; elle a trop d'intelligence pour ne pas
pénétrer les fictions du gouvernement, et n'a pas assez
de profondeur pour en cOl1lprendre 1 'utilité; elle
manque de générosité, et ne réussit pas encore a par-
donner au noble ses armoiries; elle l'écrase de son
luxe, l'humilie de son esprit, san s pouvoir lui par-
donner sa naissance; elle n'a jamais de foi politique
robuste; elle est arrivée a se persuader que les formes
de gouvernement nc sont rien, et qu'apres des crises
plus OH moins douloureuses, les grandes forces sociales
retrouvent toujours leur puissance. On l'a vue s'accom-
moder de l'empire tant que fempire lui a permis de
s'enrichir. La république, qui lui faisait si peuren 1~48,
ne l'épouvante plus aujourd'hui. On vit avec la poli-
tique comme avec le vent et la pluie. Il faut tendre
la voile du bon cóté, pousser ses enfants, se pousser
soi -méme, arrondir sa fortune, tirer parti de tout
changement, ménager l'avenir.


Les forces sociales ne sont pas considérées comme
devant servir a quelque grand dessein politique, trans-
mis de génération en génération cornme un legs,
auquel tous les esprits, petits et grands, apportent un
concours incessant, généreux et patient : la politique,
loin d'étre une auréole qui transfigure les intérets
privés, est presque toujours considérée comme un
serviteur ele ces intéréts. On s'en sert plutót qu'on ne




LA SUCIÉTI~ ISSUE DE LA RÉVOLUTION. 29~


la sert. Elle rloit doter les filles, placer les fils, les
ncveux, les cousins, protéger l'industrie ou décupler
les affaires des peres, grouper autour et au profit de la
famille toutes les petites forces qui émanent de l'État.


,


Peu importe au fond ce que sera cet Etat, tant qu'il
ne perdra rien de sa puissance et que son rayonnement
paisible ira de la capitale au département, de l'arron-
dissement au canton, du canton au village? La poli-
tique bourgeoise est toute négative; elle se résume
en deux mots : l'orure, qu'elle oppose au peuple; l'éga-
lité, qu'elIc oppose á la noblesse. Tout gouvernement
capable d'assurer rorare et de maintenir régalité sera
reconnu, serví, respecté, aimé, autant qu'elle sait aimer,
de la classe moyenne. La République flatte son goút
pour les fortunes soudaines et nouvelles, sa mobilité
naturelle, sa jalousie de toute grandeur historique;
elle ne ferait plus peur, si elle répudiait son passé
révolutionnaire, se faisait conservatrice, policiere,
administrative, répressive. Apres les affaires de Juin,
apres la. Commune : « Il n) a que la République qui
puisse réprimer de telles émeutes, ) était une phrase
banale. Dans l'esprit de beaucoup de monde, la mo-
narchie ne doit pas se tacher les mains dans le sang ;
il ne faut pas qu'elle fasse les sales besognes de la
politique : la République, le gouvernement anonyme,
peut tout se permettre, céder des provinces a l'étran-
ger, fusiller, déporter; elle est l'exécuteur des hautes
ceuvres. Les plus na'ifs croient qnr, la nappe mise par




300 LA FflANCE POLITTQUE ET SOClALE.


la République, la monarehie viendra manger le diner.
Au fond) il n) a presque nulle part de notion claire
sur le róle des gouvernements : on se figure volontiers
les gouvernements eomme des individus qui ont, les
uns, le don de pI aire) les autres, de faire peur) qu'on
peut traiter avee plus 011 moins de familiarité. L'idée
d'essayer des formes de gouvernement, eomme on fait
des habits, a paru un trait de génie dans le pays de
:Montesquieu. On demande au:t gouvernements toutes
sortes de vertus, exeepté la durée, sans laquelle ii n)
pas de gouvernement.


Ríen n'est done, au fond, moins doetl'inaire que la
bourgeoisie fran9aise. Elle a des eontonrs trop IfLehes,
des liens trop mllltiples avee tous les partis, des ori-
gines trop diverses pour qu'illui ait été aisé de eons-
truire une dogmatique politiqueo e'est toujours de
son sein que sortent les ehefs du parti populaire : et le
propre du parti populaire est de ne pouvoir jamais
Gtre satisfait.


IV


Il est impossible de tracer une limite politique ou
soeiale entre notre bourgeoisie et le peuple. Pourtant
on ne dit pas la meme chose quand on dit peuple OH
bourgeoisie. La bourgeoisie est un eorps homogene;




LA SOCIÉTÉ ISSUE DE LA RÉVOLUTlON. 301


le peuple se divise réellement en deux peuples: les
ouvriers des villes, et les paysans. Les premiers sont
~alariés ; les seconds ne re<;oivent, en grande majorité,
}las de salaire. Ce fait seul suffirait a expliquer pour-
quoi les ouvriers sont la grande force révolutionnaire
du pays, et les paysans la grande force conservatrice.
La Hépublique ouv,ricre de 1848 a été renversée par


,des plébiscites ruraux.
On explique souvent les sentiments du paysan fran-


<;ais par son ignorance; plus instruit, il ne cesserait pas
cravoir des instincts conservateurs, il serait seulement
un conservateur plus intelligent. Les ouvriers n'ont
pas de si grandes lumicres qu'il faille les considérer
comme les instruments du progres en toutes choses.
Travailler sans cesse a produire des richesses, quand on
se sent misérable et impuissant a soulever le poids du
destin, voila le sort de l'ouvrier. Tout ce qui vient souf-
fiel' sur l'envie et la haine que ce contraste fait naitre,
lui semble bon et lui semble juste. La tentation de
saint Antaine ne recommence pas tous les jours pour
le paysan; iI se sent d'ailleurs indépendant, il attend
plus de la terre que des)lOrnmes; il a les grands espa-
ces, les horjzons; sa besogne est fatigante, mais lente,
aisée : sa vie n'est pas une fievre. La charrue qui fend
lentement le sillon estuneimage de paix etd'espérance:
le lourd marteau-pilon qui écrase' le fer, les cisailles,
les tenailles, les forges flamboyantes, la rotation des
volants, le grincement des machines, les grandes ca-




J02 L.\ FHANCE POL1TIQ1JE ET SOC1ALi':.


sernes bruyantes, oü hommes, femmes, enfants,
remuent comme des insectes; les ateliers oü la main
est condamnée pendant des journées, des années) anx
besognes monotones, incommodes, souvent horribles;
les chambresdans les toits, parmi les briques, les tui-
les, les cheminées; les amours rapides, pri vées de loi-
sirs et de repos; l'ivresse prompte, an milieu d'incan-
nus, de voleurs, de femmes immondes, et, avec cela ..
des visions constantes du beau sous toutes les formes:
tout cela tient dans ce mot d' « industrie. »


La religion offre en vain ses secours a tant d'imagi-
nations en souffrance, que l'esprit révolutionnaire a
une fois captivées. Celui qui enseigne aux ouvriers
que toutes leurs souffrances viennent d'une mauvaise
organisation du travail, a bien plus chance de leur
pI aire que celui qui leur dit que l'homme doit se rési-
gner a ses maux. Aussi le socialisme est-il aujourd'hui
la grande force révolutionnaire : nous avons dépassé
du premier coup en politique tout ce que les novateurs
les plus hardis pouvaient demander. Que peuvent
offrir au peuple des tribuns ordinaires? L'égalité
devant la loi? Illa posscde! Le suffrage uní versel ? 11
l'a depuis 1848! Quelle liberté peut-on réclamer pour
lui? Le législateur n'a pas méme refusé aux ouvriers
la liberté des coalitions. Il n'y a pas (bns le monde
entier de pays Olt le salarié ressem 1Jle moins qu'cn
Frallce á un esclave.


Reste cette redouta1Jlc question tlu salail'e : 1 'avenir




LA SOCIÉTl~ ISSL'E DE L.\ l:¡;;YOLUTIOX. 303


lUolltrera si rou\rrier peut devenir un petit propl'ié-
taire industriel, comme le paysan est devenu un petit
propriétaire agricole.


Avant la perle de nos provinces (Alsace et :Metz), il
Y avait en France 52 millions d'hectares, divisés en
143,07U,5ti8 parcelles, dont 8,438,760 propriétés bá-
tieso Le tout représentait une valeur de plus de 100 mil-
liards et un revenu de ::1 milliards 200 millions, payait
un imp6t foncier de 168,300,000 francs réparti en
1·1,028,000 cotes foncieres, acquitté par 8,837,640 pro-
priétaires.


Hemarquez que le nombre des propriétaires est a
peu prcs égal a celui des maisons : le paysan proprié-
tairc, si misérable qu'il soit, veut avoir un toit; met-
tez environ quatre personnes par famille, et vous avcz
plus de trente millions de Frangais qui vivent et dor-
ment dans la maison paternelle, qui ne sont pas des
nomades, des locataires. Il n'y a guere que six million8
de Frangais qui paient des loyers; la classe des ouvriers
salariés est done bien loin de ce chiffre, car, dans ce
chiffre, il faut compter tous les bourgeois des vill~8
qui paient des loyers.


La classe qui vit de salail'es, et qui n'est' point at ...
tachée a la maison et au sol, n'est en réalité, on le voit,
qu'une petite minorité dan s la natioll. C'est dans cette
classe que la révolution cherche ses soldats : elle les
trouve groupés, enrégimentés, organisés dans les dis-
tl'icts industricls. Les paysans sont une force passive;




304 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


les ouvriers sous des chefs sortis de la bourgeoisie,
peuvent devenir des forces actives. Avec de petites


. armé es, on fait la conquéte de grands pays. Que peu-
vent contre la révolution vos 6 millions de petits
chefs de famille vivant dans des maisons qui ne valent
pas 1,500 francs 1 (en moyenne) et cultivant leur petit
domaine? Il ya 4,500,000 propriétaires qui ne paient
que de '1 franc a 50 francs de principal foncier : que
r~présente la cote moyenne, qui est de 25 fi'ancs'? Elle
représente 7 hectares et demi de propriété foncicre, un
revenude 400 francs, un capital de 12,750. Le YOilil, le
souverain de la Erance, cal' c'est toujours la terre qui
donne la souveraineté définitive; c'est le petit paysan
qui, sou a sou, a arrondi son terrain jusqu'it ce qu'il
possede sept hect ares !


Dans les batailles pacifiques des élections, qui lut-
tera contre lui? Combien compte-t-on de riches pro-
priétaires? A peine y a-t-il60,OOO propriétaires dont
la cote fonciere dépasse 300 francs de principal; et
cette somme ne représente qu 'une surülCe de 90 hecta-
res, 4,500 francs de revenu, 150,000 de capital.


Le champ de 7 hectares a sa voix tout comme le
champ de 90 hectares, et cette voix, multipliée par des


I Il n'y a dans les vilIes au-dessus de 5,000 ames que 828,000 mai-
sonso La eampagne et les petites villes au-dessous de ;),000 ames ont
6,750,000 rnaisons; déduisez-en les ehateaux et maisons de eampagur
de luxe, les usines, il reste environ 6,000,000 de maisons pOUt' les
paysans; la valeur vénale des 6,750,000 maisons est de 10 millial'ds:
en mOyCllllc, on peut clil'e que la maison ¡Jo nos petits paysilus pro-
]Jl'iétail'es no vaut pas plus de 1,500 franes.




LA SOClJ~T~~ lSSUE DE LA HÉVOLUTlON" 305


millions, engloutit tout, riches, bourgeois, ouvriers.
Les paysans constituent done une force passive irré-
sistible : avant l'élection, ils ne sont rien; le jour de
l'élection, ils sont tout. La moindre parcelle du sol na-
tional confere autant de puissance politique que le
plus grand domaine; mais la toute-puissance touche a
l'impuissance. S'il faut agir"et non voter, les électeurs
campagnards ne sont plus que des grains de sable dans
un désert; on peut les comparer a des soldats qui ne
pourraient quitter leur tente et q ui seraient trop loin les
uns des autres : les oluTiers, agglomé~'és, concentrés,
peu \Cent, ti, certaills moments, former des armées
contre les gou vernements.


c.;


La pll.issance des prolétaires est d'autantplus grande,
(lll'illeur a presque toujours suffi d'étre maltres de la
(',apitale pour tenir tout le pays a leurs pieds. Les sie-
des ont concentré les forces politiques actives dans
Paris. VIle-de-France est devenue le centre nerveux de
b France, bien que Paris ait aussi souvent contrecarré
tIue servi la uestinée manifeste du pays. Il a été an-
(rlais bour(fui O"non li O'ueur üondeul~ Il a pleuré les e , CI CI 'CI' •
Guise assassÍl!és comme il n'a vait jamais pleuré ses
rois. Des ser vices solennels furent ordonnés dans toutes
les églises; a la mort des souverains, on n'en faisait
qu'a Saint-Germain-l'Auxerrois et a Notre-Dame.
Toutes les femmes prirent le deuil. Paris a été moins
fidele ~L ta monarchie que le reste du royaume. En dépit
de ses violences, de ses trahisons et de ses caprices,


L\.I..iGEL. :20




30G LA FRANCE POLITIQUEET ~OCIALE.


il devint l'arbitre national; les rois eurent beau
s'éloigner de la tour du Louvre, promener les splen-
deurs de la cour de cóté et d'autre, Paris resta la ca-
pitale de resprit. Quand l\fazarin exila quelques
membres du Parlement: « un d'eux) dit la Lonne
l\fotteville (Ménwires, t. V, 179), fit pitié h tOllte la
compagnie, paree qu'il allait á Quimper-Corentin. »
Nous avons une maniere de dire « la provinee» in-
connue a tous les alItres pays.


Le titre de gentilhomme campagnard, si honoré en
Angleterre, était chez nous presgue ridieule : et « la
crainte du ridicule, disait ~liraheau le pere, ferait
passer un Franqais par le goulot d\ule bouteille. » l\lo-
liere ne plaisante pas seulement les marquis, il a le
plus grand dédain pour les barons de la Crasse, les
Sottenville, pourtout ce qui ne sent pas sa cour. Arthur
Young, qui visita toutes nos provinces, écrivait en par-
lant de ceux qui les habitaient: « Ils n 'osent pas meme
avoir une opinion, jusqu'a ce qu'ils sachent ce qu'on
pense a Paris. » Renri Reine, un des esprits les plus
pénétrants de no"tre temps, disait : « Les gens que fai
trouvés en provinee me faisaient reffet des bornes
miliaires qui portent sur le front leur éloignement de
la capitale. » Ailleurs, il écrit brutalement: « Ce que
pense la province importe aussi peu que ce que
pensent nos jambes. »


La dictature morale de Paris est) en quelque sorte,
irrésistible : les esprits les plus droits, les plus sains,




, , , 307 LA SOCLETE ISSUE DE LA UEVOLUTION.


finissent par se déforme1', par se volatiliser dan s son
atmosphere échauffante; depuis la Révolution fran-
9:1ise, il n) a pas en de véritable "élite investie de la
primauté sociale. Ce qu'on nomme le monde parisien
n' est plus un faisceau fortement serré par le temps et les
traditions; il Y a cent mondes différents, qui se détes-
tent san s se comprendre, et se jalousent sans se
connaltre. Paris tient les seules forces véritables d 'opi-
nion, qni sont le théátre et la presse; 01', il est impos-
sible de nier que ces deux forces tendent sans ces se á
jeter la raison publique hors d'équilibre. Quand le
thétLtre ne co1'1'ompt pas les mCBurs, il fausse a la lon-
gue l'esprit; il fait naltre le besoin de sensations,
d'émotions toujours nouvelles; il commence par le na-
turel, et finit par le lllonstrueux.


La presse ne reste pas longtemps dogmatique, elle
se fait dramatique, pour plaire a un public blasé, al-
coolisé; elle uevient un pugilat ou une parade. La
grande littérature meurt comme une belle plante
étouffée entre des chardons. La vie parisienne est pa-
1'ei11e ti ces fée1'ies auxquelles ne suffit plus, comme
aux anciennes tragédies cIassiques, la paisible lueur
des quinquets : iI faut que la lumie.re élect1'ique jette
ses rayons irisés et aveuglants sur un peuple fantas-
tiq ue et sur des mondes en métamorphose.


Dans tous nos mouvements 1'évolutionnaires, vous
tronverez le cavutin, qui croit continller son 1'óle;
mais le théútre n\'st pas senIernent propre a per-




308 LA FRANCE POLITIQUE El' SUCIALE.


vertir ceux qui foulent les planches; il a construit
une morale, une religion, des mCDurs de fantaisie pour
les millions d'esprits qui ne re<joi vent que ses ensei-
gnements. Dans quel autre pays que le nótre un grand
orateur aurait-il pu dire ces mots pour en accabler un
gouvernement: (( La France s'ennuie '? » C'est surtont
Paris qui ne sait pas, qui ne vel~t pass'ennuyer; il f~mt
que chaque jour lui apporte son drame, sa péripétie,
son héros, son martyre, son ridicule. Le journal et le
théiltre s'emparent de l'ou vrier sitót qu 'il quitte le
travail quotidien; le prolétaire parisien n'échappe pas
plus que le bourgeois a la maladie terrible, la peur de
l'ennui. Le journal a un son remplit son imaginatioll
de visions folles: au paradjs des grands théátres, dans
les cafés dorés, on chatouille ses sens de mille fa<jons;
il ne rentre pas, comme l'ouvrier des villes manufac-
tnrieres anglaises, dans sa petite maison de brique; il
peut errer en roi dans la plus belle ville de l'univers.
Chaque pas qu'il y fait lui rappelle un triomphe : ici
fut la Bastille! ici roultt la téte de Louis XVI! voil~t
le Génie ailé qui s'élance de la colonne de Juillet! Le
sang des guerres civiles a coulé partout; les poctes ont
brfrlé leur encens devant « la grande populace et la
sainte canaille. » Les tribuns ont appris ~t l'homme dn
peuple que «l'insurrection est le plus saint des devoil's.»
Le prolétaire, fusil en main, sur sa barricade de pavés)
s'est cru sincerement l'apótre de la civilisation. ~i
Paris n 'a vait que sa formidable pllissance révolution-




L.\ c\(¡CII~Tl~ ISSUE DE LA RÉVOLUTlON. 309


naire, iI serait déjü assez redoutaolc a tout gouverne-
ment; mais quand il ne orise pas les institutions, illes
use : ee qu'il ne déehire pas, ille dissout. Il est comme
une médaille ü deux faees : d'un e6té Capoue, de l'au-
tre J érusalem. Il veut etre la ville sainte de la liberté,
iI est aussi la ville du plaisir. Il peut étre hérO'ique, il
pcut étre bouffon; on lc voit tour a tour terrib}e et
aimablc, ernel et généreux.


Plaeez la primauté politique dans ce monstre mul-
tiple, dont l'orgueil est sans borncs, qui eonfond
na'ivement toutes ses volontés avee la justiee, qui se
cl'oit 1 'initiateur dc tout pl'ogrcs, le maltre de vérité,
infaillihlc, inattaquable, invincible, et vous compren-
drez pOllrqlloi tOllS nos établissements politiques sont
devenus si instables. On essaie les gouvernements
comme on ferait des aeteurs ou des domestiques.
L'idée de I'État ne s'identifie plus ni avee une dynas-
tie, ni avec une constitution : toute gene s~mble
odieuse; on ne veut rien attendre du temps, du lent
monvement des ehoses, de l'édueation. Toute médio-
crité, toute imperfeetion est insupportable; la poli-
tique est devenue une pieee de théatre : se sent-on
des devoirs envers les acteurs? l .. eur devoir a eux est
de plaire, d'intéresser, de passionner. Ainsi Paris est
ViS-~l-vis de ses gouvernants : ils lui doivent tout, il
ne leur doit rien.




,


CHAPITnE x 1.


T,'I;:T~\T PRESE:\T.


1


On ne peut parl(~r de son pays a vec le sang-fl'oid
du naturaliste qui décrit un genre OH une espcce.
Encore peut-on essayer de jeter sur le passé un regal'd
équitable et compatissant; mais quand il s'agit du
présént, on court le risque d'étre trompé trop gros-
sierement par les passions les plus hautes comme par
les moins avouables, d'étre Alceste OH d'étre Philinte,
de tomber dans le c1énigrement OH dans la Lallalité.
Les nations comme les individus ont une douLle vie,
une vie sllbjective et une vie objective. Si ron a bien
suivi la pensée qui se déroule dans ces pages, on aura
compris que la vie oLjecti ve de la France cst ce (luí
m'a préoccupé le plus vivement, je veux dire non-
seulement sa place et son róle clans le monde ci vilisé"




311


mais sa sécllrite) son unité) son existence. On ne peut
toutefois séparer la vie objecti ve d'une nation de sa
vi-e suLjective. 'fous les partís vont a elle et lui disent :
C'est nous qui te sapverons; ils disent tous : Le pays!
le pays! meme ceux qui ruinent) qui affaiblissent) qui
corrompent et déshonorent le pays. Il y a) ce men-
songe meme le démontre) une correspondance, une
relation fatal e et nécessaire entre le développement
interne d'un pays et son importance dans le monde.
Semez au dedans l'infamie, et vous ne récolterez pas
longtemps la gloire au dehors; tranchez les racines de
toute obéissance) et rarméene connaltra pas longtemps
la discipline; n'apprenez rien a la jeunesse que le
plaisir) et vous verrez bientót se faner l'honneur des
familles et le patriotismo, qui est l'honneurdes nations.


Il n) a donc pas d 'école plus néfaste que celIe qui
consiste it professer l'indifférence ou l' éclectisme en
maticre politiqne : h un moment donné de l'histoire)
il y a tclIes lois) telle organísation, tel ensemble
d 'institutions qui luí conviennent le mieux, qui luí
donnent le maximum de force dans le présent, qui luí
préparent le maximum de force clans l'avenir. Qu'on
differo sur la solution d'un probleme aussi difficile,
aussi complexo) dont les données ne se révelent qu'a,
la plus profolHle analysc) ríen n'est plus concevable;
mais (Pl'On déclare toute solution bonlle, c'est une
niaiserie, quand ce n 'est pas un calcnl. Nous avons
vu pOlÍrtant fonder, h ht suite ele nos nombreuses




312 L.\ FR\\CI~ PULlTl(jCE El' ~I)CL\LE.
/


l'évolutions) une école (llli a érigé ~l 1 'dat de (ludrinc
l'indifférence en lllatiól'e de forme de ~Ull\'lTnCllJl'llt.
,~


Pl'évost-Paradol écrivait Jans su «( Fruncc nouvelle ~ »
« Nous n'avons traité jusqu'a présent que des condi-




tions de rétablissement de la liberté clans la dérno-
cratie franqaise) san s avoir encore touché la question
de savoir si ce gouvernement démocratique et libéral
prendrait la forme monarchiqne on la formc répu-
blicaine. Non-seulement cette questioll n'n, pas dé
touchée" mais, en établissant les bases J'un gOllvel'ne-
ment clémocratique et libre) ct el] nons appl'OChallt
par degrés du falte de cette consüuction pulitiqul',
nous nous sommes particulicrement attaché iL n'y
admettre que des éléments également acceptables
pour une démocratie monarchique et pour une clémo-
cratie républicaine. La forme et l'exercice du droit de
suffrage, l'administration communale et provinciale,
l'existence et les attributions de nos deux assemblées
et de notre ministere responsable, sont également
compatibles avec une monarchie et une république. »
« J'appelle expressément, ajoute Prévost- Paradol, a
la fin du meme chapitre, bon citoyell) le Fl'un(jais qui
ne repousse aucune forme de gouvernement libre, qui
ne souffre point l'idée de troubler le repos de la patrie
pour ses am bitions et ses préférences particulieres)
qui n'est ni enivré ni révolté par les mots de monal'-
chie ou de république) et qui borne a un point ses
exígences : que la natíon se gouvcrne elle-rnéme,




31;1


SOllS le n0111 de république ou de monarchie, par le
moyen d'assemblées librement élues et de ministeres
responsables. » L'auteur de la « France nouvelle »
crut certainen1ent Ctre le « hon citoyen » dont il
parlait quand il sortit (les rangs de l'opposition et
consentit a servir le gouvernement impérial, des
que celui-ci parut accepter Ie~ principes dn gOllver-
nement parlementaire. La forme du gouvernement
était it ses yeux comme le double masque de Janus :
sous le nom de président, d'empereur ou de roi, il ne
pou vait plus y avoir qu'un « chef clu ponvoir exécutif.»
La « France nouvelle, » c'étaÍt une démocratie se gou~
vernant par e11e-méme. 8i ron réfiéchit aux doctrines
dont Prévost-Paraclol s'était rendn le soupIe et habile
interprete, on y trouvera l'explication de bien des
f~vénements contemporains : un pont a été jeté entre
deux rives, mais ce pont n'a jamais été traversé que
dans un sens. Car, si le parti républicain a tiré son
profit de l'éclectisme politique des anciens parlemen-
taires, il n'a lui-meme aucun goút pour l'éclectisme. Il
croit a rexcellence, a la supériorité cl'une forme par-
ticulicre de gouvernement : il a pour toutes les autres
une répugnance qu'il ne se donne point la peine de
déguiser.


Pendant les derniersjours du second empire, un des
représentants les plus éminents de l'école libérale ne
revait pas d'autre avenir ponr la France qu'nn réginie
démocratiqne. Vo~ons ce qn'an lendemain de nos




31!J: LA FR\NCE PO~lTIQUE El' SOCJALE.


désastres, un grand esprit conseillait a son pays.
Dans sa (( Héforme intellectuelle et morale de la
france, » Renan engage la France a imiter la con-
duite de la Prusse apres Iéna: « Cette voie serait
austere; ce serait celle_ de la pónitence. En quol con-
siste la vraie pénitence't Tous les Peres de la vie sri-
ritueHe sont d'accord sur ce point : la pénitence ne
consiste point a mener une vie dure, á jefmer, á se
mortifier. Elle consiste a se corriger de ses défauts,
et parmi ses défauts, a se corriger justement de ceux
qu'on aime, de ce défaut qui est presque toujours le
fonds ii:tvori de notre nature, le principe secret de
nos actions. Quel est pour la France ce défaut favori
dout il importe avant tout qu'eHe se corrige? C'est le
goút de la démocratie superficielle. TJa démocratie fait
notre faiblesse militaire et politique; elle f~tit notre
ignorance, notre sotte vanité; elle fait, avec le catho-
licisme arriéré, 1 'insuffisance de notre éducation natio-
nale. Je comprendrais donc qu'un bon esprit et un bon
patriote, plus jaloux d'étre utile a ses concitoyens que
de leur plaire, s'exprimat a peu pr8s en ces termes:
( Corrigeons-nous de la démocratie. Hétablissons dans
une certaine mesure la noblesse; fondons une solide
instruction nationale primaire et supéricllre ; rendons
l'éducation plus rude, le service militaire ohligatoire
pour tous; devenons sérieux, appliqués, soumis aux
puissances, amis de la regle et de la disdplinc. Soyons
humbles surtout. Détions-nous de la présomption. La




r: ÉTAT pnÉSENT. 315


Prusse a mis soixante-trois ans a se venger d'Iéna;
mettons-en au moins vingt a nous venger de Sedan;
pendant dix ou quinze ans, abstenons-nous compléte-
ment des affair.es du monde; renfermons-nous dans le
travall obscur de notre réforme intérieure. » (P. 64.)


Quelques-uns de ces conseils ont été suivis: mais
ce retour pénitent vers le passé, cet acte de contrition
de la démocratie frangaise, n'ont pas été obtenus. La
France s'est donné et en toute liberté un gouvernement
républicain; une assemblée sortie des entrailles memes
du pays, composée de tout ce qu1il ava}t de généreux,
de courageux, d'illustre, trouvant la table politique
rase, plus rase qu'elle n'avait été iL aucun moment de
notre histoire, victorieuse du plus violent et du plus
sanglant effort qu'aient jamais fait les passions déma-
gogiques de la capitale, a fait une constitution répu-
blicaine; elle n'a pas méme entrepris de détruire le
suffrage universel, elle a seulement cherché un frein
contre la Chambre isssue de ce suffrage dans une
Chambre qui ne représente pas le nombre, qui repré-
sente les communes frungaises, ou, si 1'0n veut, les dé-
partements. Elle a donné au président le droit de dissou-
dre la Chambre des députés ave e l'agrément du Sénat.
Cette constitution nouvelle a des parties fortes et
ingénieuses : son trait le plus original est ce Sénat
qui sort de l'élection, mais qui représente ces unités
territoriales, enticrement factices an début, mais ar1'i-
vées, au hout de prcs d'un siecle, a une sorte de vie




316 LA FRANCE POLITlQUE ET ~UCL\LI':.


propre et indcpendante. Un Sénat monarchiqllc doit
etre comme une émanation du souverain, ou tout au
rnoins la représentation d~unegrande aristocratie, dont
les intéréts sont indissolublement liés iL .ceux de la
dynastie. Les républiques sont nées presque toujours
duns des pays soumis au systeme fédératif, et, bien
que la France ne pnisse pas étre regardée comme une
confédération de départements, c'cst par une heureuse
inspiration qu 'on a fait sortir le Sénat de nos unités
territoriales actuelles; c'etait en mdtre les l'aeines
dans le sol rneme de la France, lui donner une force,
une indépendance et une dignité qui ont trop son vent
manqué a nos Chambres hautes.


Si enclin que l'on puisse Gtre iL admirer la nouvelle
constitution, on ne peut se faire iUusion sur ses im-
perfections : le premier de tous ses cléfauts, c'est ~a
nouveauté, défaut que le temps seul peut corriger.
N otre pays a déja eu trop de constitutions; jl y en a
dont il n'a pas meme eu le temps d'apprendre les ar-
ticles, et que des mains brutales ont déchirées san s
pitié. Par une malheurense contradiction) ce sontjus-
tement ceux qui ont dan s le principe républicain la
foi la plus profonde et la plus ardente qui éprouvent le
moins de respect pour les chartes écrites : la Hépu-
blique est pour eux une idole; c'est la déesse supé-
rieure a toutes les lois, la Pythie qui proclame les
volontés changeantes et toujoUl'S sonveraines de la
nation; c'est cette force redoutable et monstrneuse




317


qui se nomme b révollltion, et ils ne peuvent
se déshabituer de la pensée que la révolution a tou-
jours quelque chose a renverser. Les freins qu1une
constitution oppose aux caprices et aux passions de la
multitude, leur semblent comme les langes dan s les-
quels on voudrait emmaillotter Hercule. Trouvera-
t-on au moins chez les auteurs de notre constitu-
tion quelque chose de pareil au sentiment qui anime
les Anglais, les Américains, quand ils parlent de la
lenr, la foi, la dévotion, la croyance a I'excellence et
h la durée d1un ouvrage qui doit servir de lien a des
générations sans nombre '? Personne ne redoute peut-
Gtre plus l'effet du temps sur cette reuvre d 1hier que
r,eux qui l'ont édifiée; mieux que personne, ils savent
en effet qu1elle a eu a ses débuts une valeur pl~t6t
négati ve que positive : elle est née de rimpossibilité
Olt ron s'est cru de rétablir l'antique monarchie; elle
cst 1'enfant du désespoir et, on pourrait presque le dire,
de la stérilité. Elle a paru aux uns comme le refuge
el'un jour, oil pouvaient s'abriter quelque temps leurs
espérances dégues) aux autres comme une de ces for-
tifications passagcres Ol! ron plante son drapeau jus-
qu'au jour 011 ron est assez fort pour en sortir.


Ce caractere négatif de la constitution ne lui nuira
peut-étre pas dans l'avenir : il y a des enfants chétifs,
congus dans les larmes, la langueur et la vieillesse,
qui deviennent robustes : lnais ils ne peuvent le deve-
nir qU'iL force de SOillS, de précautions et de sollici-




318 LA FRANCE POLlTIQUE ET SOCIALE.


tude. 8ans entrer dans des dissertations anjourcnlui
devenues bien inutiles, je dirai seulement qu'une des
faiblesses de la nouvelle charte républicaine, c'est
la facilité qu'on peut trouver á la reviser, et non-
seulement dans un ele ses articles, á la reviser de fond
en combIe. Il semble qu'on ait voulu fixer cette tente
d'un jour dans le sol avec les piquets les plus légers et
les plus faciles h arracher. Au lieu que d'ordinaire les
faiseurs de constitutions paraissent vouloir travailler
pour l'éternité, cette fois on asemblé faire comprendre
au pays que ses destinées n 'étaient point réglées
définitivement.


Le véritable danger qui menace au reste toutes nos
chartes écrites, ce n'est pas telle ou telle dispo-
sitio n constitutionnelle : c'est la tendance secrete de
la nation a se laisser glisser, apres· une période
d'orages et de troubles, dans une invincible lan-
gueur, a prendre en dégoút les idoles qn'elle a pétries
de ses mains, a demander a un chef armé la garde
des biens qui lui sont chers. Une démocratie cou-
ronnée, personnifiée, remplissant sa cour de parve-
nus et caressant tous les instincts d'égalité, est une
forme de la dérnocratie que le peuple comprend
aisément, qui lui épargne les soucis, les fatigues, les
responsabilités de la vie publique. La République,
l\lontesquieu l'a dit depuis longtemps, demande la
vertu chez les citoyens : « Il ne faut pas beaucoup de
probité pou!' qu'lm gouvernement monarchique ou un




L'ÉTAT PRÉSENT. 319


gouvernement uespotique se maintiennent ou se sou-
tiennent. La force des lois dans run, le bras du prince
toujours levé dans rautre, reglent et contiennent tout.


,


~Iais dans un Etat populaire, il faut un ressort de
plus, qui est la vertu. » (Tome 1, page 3l.) Ailleurs,
iI dit : « Le principe de la démocratie se corrompt,
non-seulement lorsqu'on perd resprit d'égalité, mais
encore quand on prend l'esprit d'égaIité extreme, et
que chacun veut étre égal a ceux qu'il choisit pour
lui commander. Pour lors, le peuple, nepouvant souf-
frir le pouvoir meme qu'il confie, veut tout faire par
lui-méme, délibérer pour le Sénat, exécuter pour les
magistrats, et dépouiller tous les juges. » (Tome 1,
page 177.) V érités éternelles, qu 'on a répétées depuis
les Grecs et qu\nl a l'épétées vainement, cal' on peut
conseiller un homme, ou meme une assemblée, on ne
conseille pas un peuple. Autant vaudrait precher au
vent, a la tempéte, a la marée qui se soulcve. Des mil-
lions de volontés souveraines forrnent comme un tour-
billon dans lequel se perd toute sagesse humaine. Il
faut que ces volontés se disciplinent elles-memes,
qu1elles trouvent leur propre regle; c'est dire que la
démocratie vit surtout par la bonne éducation et par
les bonnes mceurs. Ne la priez point d'etre aimable : elle
ne sent pas le besoin d'étre aimée; ~achez qu'elle de-
vienne austere, qu'elle respecte ses propres lois, qu'elle
prenne en dégoút tout ce qui est bas, honteux ou me me
frivole. Tel sera le citoyen, telle sera la démocratie,




:120 LA FRANCE POL ITIQUE ET SOr.lALE.
cal' elle n'est, en l'absence (run principat, qu\me col-
lection de citovens.


"


n


8i rexpérience démocratique se faisait, pour ainsi
dire, en vase clo~, si un mur de la Chine nous entou-
rait, on poul'l'ait peut-Gtre uésespérer de voir étahlir
un gouvernement staole, in contesté) sür de lui-mGme
et sftr de ravenir. Notre histoire est) depuis soÍxante
ans, h un certain point ue vue, toujours la mGme : un
parti est au pouvoir, trois autres partis, trop faibles
séparémellt pour lui arrachel' le gouvernement, se
eoalisent et lerenversent. Un élément nonveau est tOH-
tefois entrédansnotre politiqne : la vie subjective de la
France est désormais non pas suool'uonnée asa vie 00-
jective) mais contrainte d'en ressentir plus directement
1 'influence. Le tróne de Louis XIV était aussi solide au
lendemain d'une défaite qu 'au lendemain d'une vic-
toire. Qu'est devenu Napoléon III apl'es Sedan? Nous
avons fait une découverte humiliante et terrible: ce
ne sont pas seulement nos gouvernements qui sont en
danger, nons pouvons Gtre en danger nous-mGmes. Ce
sentiment d'insécurité est chose nouvelle; on ne 1'a
éprouvé ni en 1814 ni en 1815, cal' alors on n'a repris
ú la France que des conquGtes qn'elle II 'a vait pus méme




en le telllps de connaltre; elle s'est sentie comme le
joueur qui perd aujourd'hui ce qu'il a gagné hiero A
1 'heure présente, elle est comme l'homme atteint et me-
nacé dans sa fortune patrimoniale. Elle se replie sur
elle-mcllle, et attend les coups du destino La lave révo- •
lutionnnire 11e coule plus au dehors, elle s'est refroidie
et figée. I\'ous cherchons ce que nous ont fait gagner
tant de guerres, d'agitations, de révolutions, et nous
11C le trouvuns pas; nous voyons ce que nous avons
pCl'du, ct iL peine cOlllprenons-nous pourquoi nous
l'a vons perdu.


A aucune époque ue. sa longue histoire, la France
II \t eu une oonne fronticre uu nord; elle a tou-
j ours été ouverte ct C0l11111e béante, et la plupart
de ses guerres ont été bien moins inspirées par
l'ambition que par de légitillles soucis. L'ancienne
lllonarchie a travaillé pendant d~s siecles a donner a
la France la double sécurité qui résulte d'une fron-
ticre faeile a garder et des bons voisinages. Louis-
Philippe était encore dans cette tradition quand iI
favorisait l'établissement du royaume neutre de Bel-
gique. Le principe des nationalités devait étre fatal
ü cette politique traditionnelle. l.'Allelllagne ne fut
pas longtemps sans comprendre que ce principe pouvait
étre retourné contre nous, qu'il nous promettaitpeu et
pouvait nous óter beaucoup, si on le poussait a l'exces .
et si 1'on profitait contre la France de cette générosité
qlli l'a toujours cmpéchée d'opprimer brutalement ses


LA I:GEL. :21




322 LA FRANCE POLITlQUE ET SOCIALE.


conquétes, et d'en arracher jusqu'aux racines des
vieille~ millurs et de la langue. Ce principe n'a pas seu-
lement des effets territoriaux, il a des effets moraux
d'une dangereuse portée. Le ciment de ce qu'on a


. appelé les nationalités, ce n 'est pas seulement une
langue, une littérature, c'est aussi la crainte des na-
tionalités rivales: les communautés idéales deviennent
promptement des communautés armées. Au temps des
petites guerres, des petits pays, des petits princes, on
ne ressentait rien de ces haines qui sont entrées uu-
jourd'hui dan s les ames des peuples, et qui ont pris
l'empire d'une religion aussi sl;wrée que celIe de 1'hon-
neur.


Un temps viendra san s doute oll rEurore ne for-
,


mera plus qu'un tres-petit nombre d'Etats, oil toutes
les petites unités sorties du moyen áge et du droit
féodal auront disparu: personne ne veut plus appar-
tenir a un petit pays, ce gui est une nouvelle forme de
la vanité humaine; mais jusqu'a ce que les grands pays
aient trouvé leur éqnilibre définitif et leurs fron-
ti eres naturelles, on peut prévoir pou!' notre vieux
monde une longue ere de luttes et de souffrances. Tout
se transforme a la fois, les doctrines politiques, les prin-
cipes ·qui servaient de hase aux traités et au droit des
gens, les opinions religieuses et philosophiques de


·l'humanité. Notre avenir n'est plus enticrement dans
nos propres maim;; nous avons contribué ü déchaíllel'
sur le monde eles torces (pti uujoul'd'hui llH~llaccllt




L'lb'A'f PUÉ::;ENT. 3'23


tout, dérangent tout, et qtii peuvent nous arracher a
chaque instant au repos qui nous serait si nécessaire.
N os illusions funestes ont fait place, je ne veux pas dire
u la crainte, mais au moins au doute, a la méfiance;
iI semble qu'un voile se soit déchiré : la réalité nous
est apparue, dure, pressante, pleine de dangers et de
menaces.


La democratie aura dans notre pays cette singuliere
destinée, qu'elle sera forcément militaire. Le journal
d'une école soeÍaliste aujourd'lnü ~ien oubliée, ceHe
da phalanstcre, a vait pris pour titre : La démocratie
pacifique. On ne saurait plus parler aujourd'hui de
démocratie pacifique; entourés de puissantes monar-
chies guerrieres, nous ne ponvons poser les armes,
nous sommes passés de l'offensive a la défensive; mais
cette défensive nons est imposée par les nécessités les
plus impérieuses, par le souci de notre propre conser-
vation. Autrefois le noir nuage des armées s'amonce ...
lait lentement; aujourd'hui, il ne faut plus qu'une
semaine pour équiper, armer, reunir et précipiter un
million d'hommes sur les points les plus vulnérables
d'une fronticre.


Le service militaire est devenu obligatoire en France
au méme moment oil la Republique devenait le gou-
vernement légal du pays. Tout citoyen etant soldat
pendant une partie de sa vi e, il arrivera forcement que
l'esprit de rarmée deviendra a la longue le méme que
celui de la société ci vile. Peut· on supposer une armee




324 LA FRANCE POLlTlQUE ET SUCIALE,


disciplinée, austcre, animée du plus pUl' sentil1lent de
l'honneur et du devoir, préte á tous les sacrifices, et
cOl1lposéedes l1lémes parties qu'une société frivole, dé-
réglée, anarchique, éprise servilel1lent de plaisirs et de
l'ichesses'? Ou le soldat apportera dans la vie ci vile
l'esprit d 'ordre et de sacrifice, ou le citoyen fera en-
trer dans l'armée l'esprit d'indiscipline et d'égo'isme.
L'nrmóe et la société civil e ne seront pas simplemcnt
voisines, j uxtaposées ; elles se composcront des mélllcs
éléments) seulel1lent réunis et groupés d 'une uutre
fagon.


C'est un problcme tout llouveau qUl se pose devallt
l'esprit du philosophe politique : Quelles regles de 1é-
gislation et de gouverncment s'appliquent le mieux á
un grand pays dél1locratique, centralisé et, par néccs·
sité absolue, militaire ?


Les tendances naturelles de b démocratie sont
pacifiques, parce que l'hol1lme du peuple, l'arti-
san, le paysan, aiment la paix, et ne peu vent
suivre ele grands elesseins traditionnels pareils á ceux
que congoivent les aristocraties ou les monarchies. La
guerre, méme la plus heureuse, est toujours un ter-
rible sacrifice, et l'esprit de sacrifice est plus facile iL
celui qui vit dans la richesse et la gloire accumulées
des siccles qu'a ceux qui mcnent une vie précaire,
difficile, ignorée, san s rayons, sans grandeur. La dé-
mocratic COUl't donc tOlljour:; le risque tIc glisser, !,fHIl'
ce qui est de la politiqlle étrangcl'c, dans l'incul'ic,




dans l'indifIul'cnce et, il iimt user le (lire, dans la
lmsillanimité. Elle trouvera toujOlll'S des tribuns qni
jetteront sur sa faiblesse, S011 ignorance et ses vagues
terreurs les huillons de la rhétorique humanitaire :
on yerra les lions dévoJ'ants au dedans se faire
ngneaux pour l'étranger. On peut tres-bien imagi-
ner une. démocratie Ol! l'esprit militaire ne serait
plus en honneur, oil le temps du service miIitaire
serait trop court pour qu'on pút former de vrais
soldats, oú, duns le débordement de la richesse uni-
verseIle, les officiers se trouveraient misérables sans
que leur misere füt honorée, oú la toge dédaigne-
rait l'épée, oú la caserne deviendrait un club, 011 tous
les liens de la discipline seraient dénoués. « Et qne
sert-il, disait la Noue dans ses Discours polit1'ques et
militaires, en parlant a la jeune noblesse de son
temps, d'apprendre a tirer une harquebouzade? sca-
voir que c'est de gardes, sentinelles et escarmouches,
ct montrer une brave contenance de soldats? si, de
l'autre cóté, en contrepoids, on s'abandonne a plusieurs
vices. Ceux qui sont la le plus en regne, sont les blas-
phémes contre Dieu, les querelles contre les amis, les
jeux jusques a la chemise et les ordes amours des
femmes impudiques et, pour le cumble du désordre,
une effrenée licence a battre, piller et manger le peuple
sans compassion.» La Noue parlait d'une armée gatée
par vingt ans de guerre civile, d'une petite armée
perdlle en quelque sorte dans la nation. Qu'arriverait-




326 LA FRA~CE POLlTIQUE ET SOCIALR.


iI si une armée nombreuse, comme le sont forcément
nos armées modernes, devenait dissolue et rebelle
a la disciplineantique? Elle serait promptement
plus dangereuse pour le pays que pour l'ennemi. Ce
qui lui resterait' de force, impuissant a assurer la
sécurité nationale, ne pourrait plus servir que les plus
mauvais desseins des factions.


Supposons, au contraire, une armée qui soit autre
chose qu~un troupeau d'hommes armés, animée dans
tous ses rangs d~une seule et unique pensée, la conser-
vation et la dignité de la France; fermant l'oreille
a tous ies bruits du forum, recevant dans ses rangs
les générations successives, san s excepter personne,
leur enseignant le silence, l'obéissance, le sacrifice,
les nuits sans sommeil, les journées sans repos, la
faim, la soif, le chatiment sévere suivant la plus
petite faute; ennoblissez toutes ces obéissances, toutes
ces humilités, toutes ces souffrances par la vue conti-
nueHe d~un grand et éternel devoir: comment conce-
vOlr que quelque chose de cet esprit chevaleresque ne
rentrera pas, ne restera pas dans la société civile? Ces
atomes, retenus pendant des années en gres et en ci-
ment, deviendront-ils des grains de sable que re-
muera le moindre vent? L~électeur ne se souviendra-
t-il pas du soldat? Dans le village ou dans l'atelier,
oubliera-t-iI cette patrie qui l'a couvert de son drapean
et qui lui parlait a toute heure, pendant qu'il en por-
tait la gIorieuse livrée?




~Iontesqllieu disait que la vcrtu était nécessail'e uu
gouvernement <Mmocl'atique. La vertu la plus indis-
pensable a la démocratie frangaise est la vertu mili-
taire; car elle peut rendre non-seulement la grandeur
a la patrie, elle peut étouffer l'esprit de sédition qui
dermis prcs d'un siecle remue non-seulement les
classes dangereuses, mais les classes que les révolu-
tions ont mises h la place ue l'ancienne noblesse. La
liberté est déja perduc quand elle ne cherche plus sa
force que dan s la faiblesse de la milice; elle n 'a rien a
craindre de farmée, lorsque l'armée n 'est autre
chose que le peuple plus obéissant.


Nos législateurs devront bien se persuader de cette
pensée: que les lois politiques et les lois militaires ne
sont pas faites, pour ainsi dire, pour deux peuples
différents. La liberté n'est qu'un mot, si elle ne se
change en servitude volontaire : il est vrai que la
servitude du soldat est plus dure que celle du
citoyen; mais le citoyen sert comme le soldat.
L'obéissance a la loi, voila le grand ressort du
gouvernement libre, que ce gouvernement s'appelle
monarchie ou qu'il s'appelle république. Osons-
nous ravouer a nous-memes, la rigidité de ce prin-
cipe nous déplaít : nous aimons a tourner la loi, a
rtIser avec elle quand nous ne l'offensons pas ouver-
tement. Ses agents prennent toujours pour nous la
figure de tyrans. Des générations successives ont
(~té menées a l'assaut de gouvernements successifs :




328 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


nous avons eu des faiseurs de roís) des faisenrs de
républiques. Les imaginatíons s'allument a ces jeux
hasardeux de la fortune) et il semble toujours qu'on
se grandisse en attaquant le pouvoir. Le mérne peuple
qui parfois demande a grands criEf un sauveur, n'a
pour l'ordinaire d'applaudissemeuts que pour ceux qui
le m~ment a sa perte. Il donne son oreille aux « dé-
testables flatteurs, » et se détourne de ceux qui lui
tiennent le langage de la raison, eomme l'écolier dn
maitre incommode.


Quand on lit les livres du XVU C siccle, Ol! l'o"n
trouve achaque page les témoignages du respect
presque superstitieux qu'inspirait la royauté, Oll
se demande si nous sommes toujours le méme peu-
pIe. Cette frayeur, cette émotion, ce tremblernent
qu'inspirait la senle vue de celui qui semblait
personnifier la France et ses destinées, qui de nous
les a ressentis? La foi qui a soutenu ponr un temps
nos gouvernements dans le siecle actuel n'a pas été,
comme ceHe des temps passés, une foi na'ive et con-
génitale; elle a été raisonneuse, discuteuse. Nous
brúlons aujourd'hui ce que nous adorions hiero On se
demande avec quelque terreur cornment la nation
pourrait s'accoutumer de nouveau au respect de rÉtat,


/


si les forces de l'Etat, au lieu d'émaner cornme des
rayons d'une sorte de soleil vivant, restaient~d'étatde
lumiere diffuse et de jour douteux, si des législateurs
o bscurs déléguaient leur puissance a des min istres




L'ÉTAT PR~~SENT. 32D


timi(les, si les fonctionnaires étaient SftnS cesse sou-
cieux du présent et inquiets de l'avenir. L'efface-
lllent du pouvoir n'a pas de résultats trop fácheux dan s
une délllocratie qui peut, COlllme ceHe des États-Unis,
se livrer sans nul souci aux travaux de la paix :
l'industrie, le commerce, l'agriculture, les arts libé-
raux, y deviennent la grande besogne; la politique
n'y compte presque pour rien, et n'y fait parler
d'elle que lorsque le législateur outrage grossierement
les intéréts généraux.


Il n'en pent étre ainsi en France : notre situation
particuliere nous impose des taches qui seraient ou
méconnues OH mal rempIies par des pouvoirs effilCés,
méprisés, méprisables : et on ne peut nier que la dé-
mocratie ne tende sans cesse a diminuer la force et la
dlLrée de tous les pouvoirs pubIics. On en obtiendra
(lifficilement la mesure, la modération, la sooriété, la
victoire sur soi, si l'on se contente d'opposer telle
classe de citoyens iL telle autre classe ,de citoyens, tel
intérét a tel intél'et, si ron ne remue jamais que ces
éternelles et fatigante s questions de la poli ce, des
réunions publiques, de la presse, des élections; on
l'obtiendra peut-étre si on réussit a lui donner la
conscience d'une grande tache nationale. C'est dans
l'armée que cette conscience est intacte, c'est la que
se conservent a I'état de pUl'eté les sentiments qlli
peuvent servir de lien a toutes les ames. L 'armée nous
apparait done comme une grande force sociale; elle




330 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALE.


n'est pas seulement destinée a servir (l'instrnment
au pouvoir exécutif, quels quesoient d'ailleurs le nom '
et la figure de ce dernier: elle sort de la nation et rentre
dans la nation; elle change et elle dure; son esprit
pénetre par mille rayons dans la société civile. Si
l'armée reste ce que nous la voyons aujourd'hui,
vierge de toute impureté, soustraite aux basses cupi-
dités et aux viles am bitions, uniquement éprise de
l'honneur national, nous pouvons attendre tranquille-
ment l'avenir. Si la gardienne de l'ordre et de
la patrie venait a se corrompre, la France n'aurait
qu'a s'envelopper la tete des plis de sa robe de pourpre
flétrie et qu'a attendre la mort. I




CHA PITRE XII. .


,


L AVENIR.


Quand on est sur la pente descendante de la vie,
on jette plus volontiers les yeux en arriere qu'en
avant. Les regrets sont encore plus permis quand
on a assisté au déchirement et all démembre-
ment de la patrie, quand les reyes longtemps cares-
sés sont évanouis, quand la réalité présente est
froide, dure, sans grandeur et san s gloire. Il faut pour-
tant se défendre contre la désespérance. Il arrive un
moment oú les ressorts de la vie intérieure se brisent
chez rhomme, ou il ne fait plus, pour ainsi dire,
qu'assister a sa propre ruine, ou il se regarde lui-


... meme comme on regarde le malade auquel on ne peut
plus apporter de remede. e'est l'heure ou l'espérance
est lasse et ou, suivant le mot du poete, « elle fait son
repos de sa stérilité. »


Cette heure sonne rarement pour les nations; elle




332 LA FRANCE POLlTIQUE El' SOCIALE.


n~a toujonrs pas sonné ponr la France, (1 tÚ n ~a jamais
dépIoyé davantage les rares qualités qui la carac-
térisent, 'resprit d'économie, une activité féconde,et
infatigable, un ressort snrprenant, la patience, la pru-
denee : vertus privées plutót que vertus publiques,
mais qui, par leur faiseeau, deviennent et pour ainsi
dire remplacent la vertu publique. La France n'a pas
désespéré d'elle-meme : il serait bien mal de lui dire
qu 'elle s 'est trompée, que tout son labeur est inutile,
que désormais l'impuissance est son loto Si, sortant
de nous-memes et de nos sombres pensées, nous nous
abandonnons a tout ee qui nous entoure; si nous nons
li vrons, pour ainsi dire, nous nons senton;:; emportés
par une marée qui monte plutát que saisis et trainés
par une marée descendante. Oli va pourtant ce grand
courant qui souleve encore les forees nationales '( N OU8
avouons ne pas le savoir au juste, et nous n'avons
aucun goút pour les prophéties. La forme des gouver-
nements n'est pas ehose qui se décide eomme un article
de loi. Les grandes révolntions qui la ehangent sont
des eoups du destin : tout ce qu'on peut dire, e'est que
désormais les accidents de la politique extérieure sont
san s doute appelés a agir plus qu'autrefois sur les pas-
sions et sur les grandes déterminations du penpIe. La
révolution, en tant que synonyme de révolution des
rues, est devenue presque impossible. 1\lais il peut
arriver des instants ou toutes les volontés de la natíon
rebroussent devant quelque obstacle et ehangent de




333


route: et iI n'y a rien aIors qui puisse longtemps leur
faire outacle, ni les détourner de leur but nouveau.
La Fr,U1ce, empire, monarchie ou répubIiqne, aime les
gOlwe1'llelll'S; mais, quand le gouverneur se trompe,
elle en veut un autre : quelques mois á peine séparen t
les derniers pIébiscites du second empire et ce qu'on a


. appelé la révolution du 4 Septembre. On peut affirmer
(lue les voix qui disaient oui dans les plébiscites sont
toujours la, en nombre probablement identique; ce
n'était pus a un homme, ni méme á un systcme,
q u 'elles répondaient oui; elles affirmaient lenr doci-
lité, leur amour de la tranquillité publique, leur crainte
cle3 f:lCtions. Ce fonds de force conservatrice, cette
terre végétale du gouvernement, subsiste toujours : les
peuples ne changent point, meme quand les événe-
ments changent : mole sua stat.


Tout gouvernement légal profite de ces dispositions
naturelles de la nation, de ces instincts que nous ne
pouvons qualifiel' autl'ement que de monal'chiques,
cal' ils ont grandi pendant des siecles de monarchie.
Le suffrage univel'sel, poul' étre a l'occasion la force
cOllservatrice p~Lr excellence, n'en présente pas moins
les plus sérieux dangers; trcs-propre a fondel' un gou-
vernement, iI est tres-impropre, si vous l'abandonnez
a lui-méme, a fuire de bonnes lois, unebonne admi-
nistration, une bonne police, une bonne armée. C'est
pourqnoi les autenrs de la Constitution actuelle ont,
ave e raison, mis a cóté de la Chambre du suffrage




334 LA FBANCE POL1T1QUE ET SUC1ALE.


universel un ~énat. La simplicité n'est pas le propre
des meilleurs gouvernements, non plus que des ma-
chines les plus parfaites. On s'étonne a bon droit qu'on
ait quelquefois osé offrir a la France, comme idénl de
gouvernement, une assemblée unique, déléguant le
pouvoir exécutif a un président san s cesse révocable.
11 faudrait aller vivre tres-Ioin d'un pays ou une telle
constitution serait en vigueur.


Nous avons déja parlé du Sénat, et pour en fhire
réloge. L'idée d'en faire la représentation de nos uni-
tés territoriales est tres-heureuse : il est regrettable
qu'on ait adjoint aux sénateurs des départements des
sénateurs dits inamovibles. Les deux modes de recru-
tement n'ont absolument rien de commun, et iI en ré-
sulte un peu de confusion. Le principe du recrute-
ment des corps par leurs propres membres, assez bon
dans certains cas, est généralement stérile : l' esprit de
corporation est un esprit étroit, bizarre, qui se guide
par des considérations trop personnelles. Il est a
craindre que les nominations aux siéges de sénateurs
inamovibles ne ressemblent trop souvent aux intrigues
et aux querelles d'une Académie. 11 se peut qu'un jour
la révision atteigne cette partie de notre Charte nou-
velle, et qu'on s'attache a donner a tous les membres
du Sénat le méme caractcre. Nous en doutons pour-
tant, car on a trou vé dans les fauteuils des sénateurs
inamovibles un appat commode pour l'universelle um-
bition. Tout le lllulHle ne peut empul'tcl' les suffi'uges




L'.\VENIR. 335


d'un département; chacun peut se íiatter qu'á une
certaine heure, il plaira assez a un petit nombre
d'hommes pour qu'on le préfere a un autre. On dit
communément aux États-Unis que chaque enfant qui
naít a une chance de devenir président: qui ne vou-
dra, chez nous, étre sénateur inamovible? Qui ne s)
croira propre, pour peu qu'il ait rendu quelques ser-


,


vices a l'Etat, ou meme, sans en avoir rendu, s'il a un
nom, ou une grande fortune, ou simplement des
loisirs?


Ce n 'est lit, au reste, qu'une critique de détail.
Comme l'esprit du corps électoral, passé dans la
Chambre des députés, finira toujours, a la longue, par
obtenir les satisfactions qu'illui plaira de rechercher,
on yoit bien que le point essentiel est de donner a res-
prit démocratique le plus de lumiere possible. « Il faut
apprendre ti, lire ti, nos maítres, » disait un orateur
anglais apres la derniere réforme électorale. Ce n 'est
pas assez de leur apprendre a lire, il faut leur don ner
aussi le goút des bonnes lectures.


Hien assurément n' est plus louable que les efforts
faits aujourd'hui pour répandre rinstruction popu-
laire. L'instruction, gratuite si ron veut, obligatoire
s'il1e faut, ne fait pourtant que des individus, elle ne
fait pas la nation, elle ne fait pas meme la famille,
cette molécule élémentaire de la nation. Ce n'est pas
avec la grammaire, ou l'écriture, ni meme avec la
seience seule, si elevée II u 'elle puisse étre, q ne se COlll-




336 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIA LE.


pose cet ensemble d'idées, d'instincts, de traditions,
d'aspirations, qui constitue l'idéal d'un peuple, et qui
lui sert de conscience irnmortelle et confuse. Les
homrnes apparaissent, entrent et sortent comme des
atomes clans les corps vivants; quelqne rhose subsiste,
qui se transforme, il est vrai, mais qui se transforme
lentement. Un peuple a peu pres ignorant peut avoir
l'icléal le plus noble et le pl11s hant; un penple d'ar-
tistes peut avoir perdu toute virilité.


Ce que nous nommions tout ü l'heure l'idéal clUllS
une nation, ne s'aperqoit avec quelque clarté que duns
son histoire : la pénitence, pour les nations comllle
pour les individus, doit commencer pUl' l'examen de
conscience : l'histoire est cet examen de conscience.
Nous faisant voir d'ou nous venons, elle peut n011S
apprendre oú nous aUons. La France, tt travers ses
révolutions récentes, a trop oublié sa propre histoire.
On lui a a la fois dit trop de mal des temps passés et
trop de bien de son état présent. Des générations
entieres ont été élevées dans le dédain et dans
l'oubli des événements Olt sont, pour ainsi dire,
les racines de tout ce qni nous a faits grands. Cette
laborieuse conquéte de la France par elle-méme, cette
marche vers une unité toujours plus parfaite dans
l'ordre politique, dans l'ordré administratif, croit-
on qu'elles datent d'hier? Cette liberté de cons-
cience, dont nous SOilunes si justement fiers et si
jaloux, la doit-ün seulement aux phi10sop11es du




L'AVENlR. 33i


X \'lIle siecle? Et Ütuura-t-il compter pour rien les
martyrs de la réforme, Coligny, la Noue, Bouilloll,
Henri IV, Rohan'? oublier Dreux et .Moncontour,
et tunt d'autres batailles oil coula le sang le plus géné-
reux de la France? C'était la guerre civile, et on HOUS a
:lppris a regarder la guerre ci vil e a vec horreur; mais
nous avons eu depuis des guerres oü ron ne se battait
plus pour une foi, mais pour des appétits, ou nH~~me
simplement pour ramour du désordre et du sang:
plus quam civilia bella. Il semble qu'on se soit attaché
méchamment a nous óter la conscience de notre passé :
la lloblesse sait-elle bien ce qu'était la noblesse? la
monarchie ce qu'était la monarchie? l'Église ce
qu'était l'Église? Quand on entre dans l'histoire de
notre pays sans préjugés, en se dépouillant de toutes
les notions in ventées par l'école révolutionnaire,
on fait comme un 'voyage de découvertes. On
s 'étonne et on se réjüuit de trouver a toutes les épo .
ques, a ceHes qu'on nous a peintes le plus noires et
dénoncées comme le plus honteuses, tant de nobles
caracteres, des vertus si parfaites, des figures si pures;
on trouve toujoUl'S la méme trame, souple et solide á
la fois, sur laquelle l'histoire brode encore aujourd'hui.
Il s'est pourtallt trouvé un ministre de l'instruction
publique, un grand maitl'e de l'Cniversité, qui a ima-
giné de faire commencer l'histoire de Frunce au
xvue siecle dans les programmes du baccalauréat.
Nous avons le bonheul' de posséder quelqucs généra-


22




338 LA FRANGE POLITIQUE El' SOCIALE.


tions d'hommes qui ne connaissent pas les Valois. On
les a privé s de saint Louis. Charlemagne était usé. On
parlait beaucoup des nouveaux Césars, et quelquefois,
par une délicate flatterie, des anciens.


Le haut enseignement de l'Université frangaise
(sauf en ce qui concerne les sciences) était devenu, °íl
y a quelques années, il faut bien qu10n favoue, mé-
diocre et peu digne d1un grand pays; ce haut ensei-
gnement est le laboratoire dan s lequel se font les
théories, les doctrines qui servent d'aliment a tous les
esprits. L 1homme ne vit pas seulement de pain; ct les
richesses et les splendeurs d'une civilisation matérielle
peuvent couvrir longtemps la ruine morale, comme
des vétements jetés sur un corps matade et amaigri.
La force véritable d'une société est dans les idées dont
elle se nourrit et qui la font vivre. Les savants, les
penseurs, les philosophes, les historien s, les critiques,
les poetes, jettent la semen ce d10u sort tout ce qui fait
la grandeur et la force des nations. Supprimez quel-
ques livres, et vous découronnez l'humanité. Les
socialistes de l'école de Saint-Simon voulurent faire
des ingénieurs les conducteurs des penples; fécole
positiviste fait une place éminente an médecin, au
physiologiste, a celui qui arrache a la vie ses secrets :
ce sont la des exagérations d'une pensée juste et pro-
fondeo Le mathématicien obscur, inconnu" qui remue
des formules, sans application immédiate, amasse
peut-étre a son insu des milliards pour les g(~néra-




, .


L AVENIR. 339


tions qui le suiv ront. L'esprit mene le monde : lll~ns
agitat moTern..


On ne peut qu'appluudir a l'effort démocratique qui
se fait en faveur de la diffusion de l'instruction élémen-
taire : mais l' esprit est de son essence aristocratique;
celui qui fait une découverte, si mince qu'elle soit,
est supérieur a ceux a qui iI en fait don; le peuple
ll'est que le bois et l'écorce : les génies solitaires,
comme Newton, Descartes, Pascal, Laplace, sont des
ileurs et des fruits. l/l~tat doit incessamment porter
ses efforts et ses encouragements sur l'instruction
snpérieure; il faudrait qu'il fút convaincu que; quoi
qu'il ftLsse de ce cóté, il n'a jamais fait assez .


• Ce n'est pas assez de veiller an développement in-
tel1ectuel, il faut veiller encore au développement mo-
ral des nations. Ce n'est sans doute pas a l'~tat
ú se ftlire, le directeur des consciences, non plus
qu'il ne peut prétendre a étre l'inspirateur direct
des su vants et des écri vains. Les idées morales
S01'tent des religions et des pbilosopbies; mais ces
religions et ces philosophies inspirent la législation, et
l'l~tat est le défenseur et l'exécuteur de la loi. Les
mceurs sortent des lois, et les lois sortent des mamrs.


N otre temps n \l pas encore eu son La Bruyere : qui
oserait en peindre les caracteres ou les mreurs?
La Bruyere avait sous les yeux une société ordonnée,
posée, dnns un état d'équiliore stable : nous vivons
uans un (¡ge tnmolé) oil l'icn ne demeure longtemps a




340 LA FRANCE POLITIQUE ET SOCIALg,


sa place. Oil s'écrivent nos mceurs? Bur nos théatres,
dans nos journaux, dan s nos tribunaux, dans nos
convulsions civiles; le moraliste qui poursuit la vérité
est comme le musicien dont r oreille chercherait un
sen s dahs le tumulte des vents. Valons-nous mieux,
valons-nous moins que nos a'ieux? Bommes-nous ou
ne sommes-nous pas en décadence '? On ne sait com-
ment il faudrait répondre a ces questions; comment
peser les témoignages, mettre en balance tant de
vies humbles, pures, nobles, délicates, et tant de
vies 9riminelles. La vertu qui se cache pesera-t-elle
plus lourd que le vice audacieux? Les pleurs des
martyres caché s rachetent-ils les insolentes ivresses
du mal? Qui le sait? N otre société a des aspects
trop divers: et cette « comédie humaine» que Balzac
a tenté de raconter a des actes trop nombreux. La
fumée qui sort d'un toit rustique, et qui monte droite
et lente vers le ciel, se compare-t-elle a eeHe qui sort
a flots pressés d\me locomotive? Oil est la vraie
France? Dans nos campagnes ou dans nos villes? Dans
la capital e ou dan s la province? Dans nos familles ou
sur nos théatres, oil ron ne parle que d'adultere?


Quelques impressions se dégagent pourtant du chaos
de notre vie moderne : l'étranger croit généralement
que les bases de la famille ont été sapées par notre
loi de succession, et que toutes nos tentatives pour
fonder un état politique durable restent vaines, paree
que le principe d'autorité a été ébr,1l11é jusque dans




L'AVENm. 341


ses fondernents. Lepl'incipe de liberté a été sacrifié dans
la farnille an principe d1égalité; et la méme chose tend
toujours a se produire dans la grande famille natio-
nale. Les Anglais, qui nous observent san s cesse et qui
nous jugent volontiers avec sévérité, ne se lassent pas
de dénoncer dans la loi de succession la force ré-
volntionnaire qui est perpétuellement en action.


II E,st bien vrai que notre école révolutionnaire a
toujours regardé la loi de succession comme une
sorte d1arche sainte ; on ne discute pas avec celui qui
la discute; on le dénonce comme coupable de l(~se­
majesté populaire; sera-t-il permis de dire que la


. ,


liberté des successions existe aux Etats-U nis, que le
fidéi .. commis y est d1usage continuel et quotidien?


,


Nous ernpruntons beaucoup aux Etats-Unis, nous lui
avons pris son président, son sénat, nous cornmenQons
a lui emprunter ses mreurs électorales. Il est doutenx
que nous lui demandions des le(jons sur une question
plutót sociale que politiqueo Prévost-Paradol, qui
n1appartenait point a récole révolutionnaire, bien
qu'il cherchat théoriquement les lois du gouvernement
démocratique) écrivait : « Les lois civiles et les mreurs
d'une société démocratique slaccordent avec les idées
strictes de droit et de justice, et trou vent dans la
conscience humaine, aussi bien que dans les passions
du plus grand nombre, un puissant appui. Quoi de
plus équitable aux yenx de la pure raison que rhéri-
tage également partagé'? )) (Fmrlce nouvelle, page 18.},·>~.~.:'· .
~,,;.: ''r ~~.


lr.:. ', ..
, 1)) ~


"',~!~¡~j ..
. .




34::' LA FIL\;XCE PULlTIQUE ET SUCL\LE.


On peut juger par cette citation combien la pente des
e.)prits en France est peu tournée vers une réfol'me de
la loi des successions. L'auteur de la « France nou-
velle, ») qui cherchait une constitution ponr la démo-
cratie, ne cachait pas qn'il apercevait dan s cette
démocratie les signes les plus apparents de la déca-
dence: illes voyait dans l'affaiblissement du sentiment
religieux, dans la timidité polit.ique, toujours accrue
avec la fortnne, an lien d'étre vaincue p;1,1' la fortune,
dans les tendances socialistes ele la population ouvricre
et les déclamations démagogiques, enfin cluns le ralen-
tissement du mouvement de la population.


Depuis qu'il exprimait ses inquiétudes sur l'a venir
de la France, notre pays a subi les plus effroyahles
revers: son capital territorial a été fortement climinué;
son capital d'hommes a perdu une race forte, honnéte,
féconde, naturellement guerriere; son capital moral,
si le D,lOt était permis) a été entamé par la gnerre civile
la plus honteuse de notre histoire, car elle s 'est li vrée
sans cause, et sous les yeux d'un ennemi vainqueur.
Depuis ce temps, sachons l@reconnaitre, il semble que
le capital moral soit en voie de se reconstituer. Les plus
nobles exemples de patriotisme et de désintéressement
ont été donnés; le pays a vu les fils de ses aneiel1s
rois prendre lenr place dans ses armées et réclamer
comme un honneur l'égalité avec les servitenrs de la
patrie. L 'esprit de sacrifice et de dévouement á la chose
publique a pris le dessus sur l'esprit d'égolsllle; le




L AVE~lR. 343
point (rhonneur a été immolé devant l'honneur. Les
hOlllmes les plus sincerement attachés au principe
monarchique ont accepté san s arriere-pensée un gou-
vernement légal qui n'était point la monarchie; ils ne
se sont pas crus tous tenus d'en étre les représentants
ct les ministres, ils en sont devenus les obéissants ser-
viteurs. l/esprit chevaleresque des temps passés a ainsi
trouv(~ des formes nouvelles : les uns ont sacrifié leurs
amLitions, lcs autres leurs espérances, quelques-uns
ont fait des sacrifices plus couteux encore au bien
publico Laissons passer sur nons les derniers fiots et la
derniere écume d 'une corruption longtemps accumulée,
ne désespérons pas de nous-mémes; la liberté périllense
nons instruira mieux sans doute que la trompeuse
quiétude des gouvernements absolus, et nous fortifiera
contre les dangers de tout genre qui nous me-
nacent.


Ccs dangers sont les uns intérieurs, les autres exté-
riclus. Le danger intérieur est la démagogie et tout
ce qui raccompagne : l'avilissement graduel de radmi-
nistration, la útiLlesse et la corruption de la magis-
trature, la législation ignorante, niveleuse, esclave
de passions mo biles et sans frein ; les crises perpétuelles
dans le gouvernement, une sorte d'émigration a l'in-
térieur de tout ce qui est riche ou noble, ou cultivé,
refllsant de s'associer aux désordres et aux folies de la
politiqueo On se figure volontiers que la démagogie a
en derniere analyse un remede naturel et forcé, qui




:3 'I~ LA FllANCE rOLITIQlJE ET SOCl.\LE.


(~st un despotisme réparateur et hienfaisant. L'his-
toire montre en e~et des exemples fameux de nations
tirées de fimbécillité et de l'anarchie politiques par
des hommes de génie; elle montre, hélas! aussi de
grandes communautés humaines qui n'ont jamais
trouvé de sauveurs. De meme qu'il y a des hommcs
qui ne savent pas s'arreter dans la décadence morale,
flui, bien qu'effrayés de leurs mauvaises actions, se
sentent poussés a en commettre de nouvelles, de
meme iI y a des nations qui ne trouvent plus rien
qui les arrete sur la pente révolutionnaire. Ce II 'est
que par l'usage de ht liberté qu'on peut'se préparer
contre les dangers de la liberté; ne compter que sur
le hasard, fermer les yeux en attendant une sorte de
miracle, n 'est guere digne d'un grand peuple. Supposez
d'ailleurs le miracle accompli : on ne sauve pas un
pays tous les jours, iI faut vivre et vivre avec la liberté,
avec la démocratie, avec les partis, avec la presse,
avec les chambres. La 10i po1itique aura beau Gtre
sévere, elle ne le sera jamaís assez au gré des uns,
elle le sera toujours trop au gré des autres. Ce pro-
bleme du gouvernernent (ort, auque1 se sont app1iqués
tant de grands esprits dans notre siecle, est peut-etre
un probleme vain : ce qu'íl faudrait, ce sont des ámes
fortes. Il n'y a pas de gouvernement fort avec des fimes
faibles. Les constitutions inventent des freins contre
la passion populaire; mais a quoi sert un frein, quand
la main qui peut le serrer se trouve sans vigueur?




345


Tout nous ramcne done á cette pensée : que les institu-
tions politiques doivent tirer leur force des mamrs et
de l'éducation . .Elles n'ont pas toutes la meme valeur,
mais elles sont toutes sans valeur quand les caracteres
sont amollis, quand les lois éternelles de la morale ne
sont plus suffisamment respectées, quand la vertu se
tlécourage et que sa voix est étouffée par les clameurs
dlun monde enflé de chimeres et ivre de folies.


Pour lesdangersextérieurs, ils sont si visibles a tous
les yeux qula peine iI est besoin de les indiquer. :Mais,
si l'avenir est sombre, le devoir ne1'est paso La France
nla qula se replier sur elle-meme : le temps est passé
oú elle faisait la guerre pour des idées, pour répandre
des principes nouveaux dans le monde) pour affranchir
des peuples, pour protéger les opprimés et les faibles,
pour faire respecter des traités et des combinaisons
politiques qui ne 1'intéressaient pas directement. Il
faut qulelle slattache obstinément a la paix) a la neu-
tralité : restons a notre tour sur ces hauteurs sereines
dloú ron regarde la tempete. Trop souvent, trop long-
temps acteurs, nous allons étre témoins du grand
drame européen. Grace a nous, des forces nouvelles
sont nées, qui se tourneraient aisément contre nous :
si nous nous y dérobons, ces force s encore étonnées,
enivrées dlelles-memes, incapables de repos, se heur-
tel'ont sans doute a d'autres forces encore inaperques :
le destin nlen tient- il pas toujours sa réserve pour
punir les ambitions et les injustices?




3-'16 LA FH.\:\'CE PULITIQUE ET SUCIALE.


C'est pour la France un róle bien nouveau que celuÍ
du checur antique : llloraliser sur les événements, mé-
eliter sur les terribles leCjons de la force, regarder
rlüstoire-sans y prendre aucune part, estpeu conforme
it son génie spontané, arclent et mobile. 11 faut pour-
tunt qu'elle s'y résigne ou plutOt qu'elle s'y complaise.
11 sied a ceux qui ont été la victime d'une grande in-
jllstíce de garder le silence. Nous ne devons rien á
personne : qui nous a tendu une main secourable? Et,
si cela ne se pouvait, qui a seulement élevé la voix
pour qu'on diminuát notre chátiment? Ceux qui llons
devaient le plus ne nous ont-ils pus montré qu'ils
croyaient ne nous ríen devoir? Pour quí n'avions-
nous pas tiré l'épée? Et qui s'en est souvenu? 11 serait
puéril de jeter a des nations le reproche d'ingra-
titude; les peuples marchent a leur destinée comme les
grandes forces naturelles, qui n'ont ni conscience ni
remords. Mais iI y a des arréts forcés dans leur mar-
che, et nous sommes arrivés a une étape de repos: les
grands problemes politiques gui s'agitent au dela du
Hhin et en Orient peuvent se résoudre san s nous;
notre intervention, je dirai méme notre apparition,
changerait les condítions natul'elles de ces problcmes.
A quoi, par exemple, a servi notre guerre de Crimée,
sinon a retarder de quelques années une lutte fatale
entre la civilisation chrétienne et le monde mnslllman?
On voudra peut-étre nous entraíner de force chíns des
coniiits nouveaux; on nous menera encore sur la mon-




tagne et on nous montrera les royaumes de ce monde.
On ira h la France comme á une veuve préte ü voler
iL de nonvelles mnours. On nons croit onblienx) légers,
1ncapables de longues tristesses, impatients de silence
et de reposo e'est a nous de l1l0ntrer si ron nons juge
l)ien OH mal.


Qui n'a révé en regardant la Mélmlcolz'a d'Albel't
Diirer? Une femme est assise au bord de la mer; son
fl'ont porte la couronne en désonlre (rUne féte oubliée :
tout en elle respire une ineffable tristesse; tout, autonr
d 'elle, parle de mort) d' éternité, d' ennui : l'AmouI'
endormi et affaissé) le sable silencieux du c'epsydre, le
cristal aux facettes inaItérables, image d 'un ordre dur
et géométrique, que rien ne peut altérer, le rabot da
mennisier) symbole de l'usure donlonreuse et pour
ainsi (lire mécanique de rámeo


Les peuples ne connaissent point la mélancolie : ils
sont condamnés a l'action; pourtant ne peut-on di re
que la France cst aujonrd'hui) pour ainsi dire, au bord
de l'histoire? Elle porte aussi au front des fieurs fanées
et en désordre; elle est assise et accoudée, quand les
autres sont debout. Son repos ne sera stérile ni pour
les antres ni pour le monde, si elle retrouve) avec ses
forces) les vertus qui, seuIes, conservent les grandes
nations.


FI:\'".


"






TABLE DES MATIERES


Pages.


CHAPITRE 1. - Formationdelarace.- Sesdiverséléments. 1


n. - Caracteres de la race.
IlI. - Unité fran¡;aise.


IV. - Du caractere de la noblesse fran.;aise. .
V. - Du caractere de la monarchie. .


VI. - Du caractere de la réforme fran¡;aise.


VII. - Du caractere de l'Église fran9aise. .
VIII. - La société fran¡;aise avant la Révolution.


IX. - La Révolution.. . . . . . .


X. - La société issue de la Révolution.


XI. - L'État présent.
XII. - L'aveuir ..


Saint-Denis. - IrnfJrirnerie CH. LUIBEllT, i7, fue de París.



so


84
• 113


169
204
232


• 255
282
310


330






CATALOGUE
DE


LIVRES DE FONDS


OUVRAGES HISTORIQUES
ET PHILOSOPHIQUES


TABLE DES MATIERES
Pagcs. Pages.


COLLECTION HlSTORIQUE DES GRANDS 2 OUVRAGES DlVERS NE SE TROUVANT
PHlLOSOPHES ••••••••••.••••


Philosophie ancienne .•....
PhiJosophie moderne •.....
Philosophie écossaise ..... .
Philosophie allemande .... .
Philosophie allemande con-


temporaine ........... .
Philosophie anglaise contcm-


poraine ............. .


PAS DANS LES BIBLIOTHEQUES.. 13
2 ENQUETE PARLEMENTAlRE SUR LES


ACTES DU GOUVERNEMENT DE LA
DÉFENSE NATlONALE· •.••.•• " 22


2
3
3 ENQUETE: PARLEMENTAlRE SUR L'IN-


SURRECTION DU 18 MARS •.••• , 23
4 OOUVRES D' EDGAR QUINET... • • •• 25


OUVRAGES PROVENANT DE LA LI-
5 BRAlRIE PA&NERRE •••••••••• 26
6 BlBLlOTHEQUE UTILE. • • • • • • • • •• 27


REVUE PHILOSOPHIQUE ••• " • • • •• 28


BIBLIOTHEQUE DE PHILOSOPHIE CON-
TEMPORAINE •••••••••••••.•


BIBLIOTHÉQUE D'HlSTOlRE CONTEM-
PORAINE. • • • • . • . • • • • • • • • •. 9 REVUE HISTORIQUE •.•••••••••• , 28


BIBLIOTHEQUE SCIENTIFIQUE INTER- REVUE POLITIQU'E ET LITTÉRAlRE.. 29
NATIONALE ............... '. 11 REVUÉ SCIENTlFIQUE. • • • • • • • • •• 30


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1 vol. in-8 .............. 10 fr.


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teurs memes, en vue des intérels de la science, pour la popu-
lariser sous toutes ses formes, et faire connaitre immédiate-
ment dans le monde entier les idées originales, les directions
nouvelles, les découvertes importantes qui se font chaque
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de ces pars.


La BibliotMque scientifique internatwnale ne comprend pas seule-
ment des ouvrages consacrés aux sciences physiques et naturelles, elle
aborde aussi les sciences morales comme la philosophie, l'histoire, la
poli tique et l'économie sociale, la haute législation, etc.; mais les
livres traitant des sujets de ce genre se raUacheront encore aux sciences
naturelies, en leur empruntant les méthodes d'observation et d'expé-
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Étude sur la vie et les travaux de l'auteur, par 1\1. Mervoyer,
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CORTAl\1BERT (Lúuis). La religion du progl·cs. 18711, 1 vol.
in-18. 3 fr. 50


DAMIBON. lUémoil'es pour servir al I'hlstoh'e de la pbUo-
sophie 1m XVlll e sicele. 3 vol. in-8. 12 fr.


DAVr. I.es con~·entionnels de "Eure. Buzot, Duroy, Lindel, a
lravers l'histoire, 2 forts vol. in-8 (1876). 18 f1·.


DELAVILLE. (JOUI'8 pratique d'arbol'ieulture rrulUcre {lour
la région du nord de la France, ave e 269 fig. In-8. (j fr.


DELBOEUF. 1,1l psychologie eOlllllle Hcienee naturelle. 1. vol.
in-8, 1876. 2 fr. 50


OELEUZE. Inliltruetlon prlltique sur le mugnétisnle ani-
mal, précédée d'une Notice sur la vie de l'auteur. 1853. 1 vol.
in-1.2. 3 fr. 50


OELORD (Taxile). Distolre du seeond emph'e, :18"8-1.8'0.
6 fort~ \'olumes in-8 (1869-1875). 42 fr.


Chaquc volumc séparément. 7 fr.
D~Nf-'E\{T (colonel). Des droltM politiques del'illlilitair~s.


1874, in-8. 75 c.
DESJARDINS. 1,<,,1'0 jésuites et I'uuh'er!i1ité denlnt le I,arle-


JU<"nt de .-UI·.S au XVlc siéclc, 1 bl". in 8 (1877). 1 fr. 25
DL\RD (H.). Études sur le systeme pénitentiaire. 1875,


1 vol. in· 8. 1 fr. 50
aOLLFUS (Ch.). De la naturebumalne.1868) 1. v. in-8. 5 fr.
DOLLFUS (Charles). Lettres philosophlques. 3e édition.1869,


1. vol. in·1.8. 3 fr. 50




- 16 •
DOLLFUS (Charles). t::onsldératlons sur I'blstolre. Le monde


antique. 1872, 1 vol. in-8. 7 fr. 50
DOLLFUS (Ch.). L'Ame dans les pbénonu'nes de eonseienee.


1 vol. in-18 (1876). 3 fr.
DUBOST (Antonin). Des eonditions de gouvernement en


Franee. 1 vol. in-8 (1875). 7 fr. 50
DUCHAS:SAING DE FONTBRESSIN. Essai de pbys;olog:e et de


psyebologie. 1 vol. in-18 (187[1). 1 1r.
DUGALD-STEVABT. Éléplents de la pbilosopble de l'esp)'lt


bumain, traduit· de l'anglais par Louis Peísse, 3 vol. in-12.
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DUMONT (Léon). Tbéorie seientiflque de la sensibllité.
du p:aísir et de la doulellr. 1 \ 01. ín-8 de la Biblioth. scienti(. ,
interno 6 fr.


DUMONT (Léon). I.e sentiment du graeieux. 1 vol. in 8. 3 fr.
DUl\JONT (Léon). Des causes du rire. 1 vol. in-8. 2 fr.
DUMONT (Léon). Poétique ou IntrodueHon a I'estbétique,


traduit de l' allemand avec la collaboration de M. Alex. BUCHNER.
2 vol. in-8. 15 fr.


DUl\JONT (Léon). Haeekel et la tbéo)'ie de I'évolution en
# Allemagne. 1 vol. in-18 de la Biblioth. de philosophie contem[J.


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DU POTET. Manuel de I'étudlant magnétiseur. Nouvelle édi-


tion. 1868, 1 vol. in-18. 3 fr. 50
DU POTET; '('raué eomplet de magnétlsme, cours en douze.


le«;ons. 1856, 3e édition, 1 vol. de 634 pages. 7 fr.
DUPUY (Paul). Études politiques, 1874.1 v. in-8 de 236 pages.


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DUVAL-JOUVE. Traité de Logique, ou essai sur la théorie de


la science, 1855. 1 vol. in-8. 6 fr.
Éléments de seienee soelale. Religion physique, sexuelle et


naturelle, ouvrage traduít sur la 7 6 édítion aoglaise. 1 fort vol.
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ÉLIPHAS LÉVI. Dogme et rituel de la baute magle. 1861,
2 6 édít., 2 vol. in-8, ave e 24 fig. 18 fr.


ÉLIPHAS LÉVI. Dlsto're de la magie, avec une exposition claire
et précise de ses pr{)cédés, de ses rites et de ses mysteres. 1860,
1 vol. in-8, avec 90 fig. 12 fr.


ÉLIPHAS LÉVI. La se lene e des esprits, révélati~n du dogme
secret des Kabbalistes, esprit occulte de l'Évangile, apprécíatíon
des doctrines et des phénomenes spirites. 1865, 1 v. in-8. 7 fr.


ÉLIPHAS LÉVI. Pbilosopbie oeeulte. Fables et symboles, avec
leur explication OU sont révélés les grands secrets de la direction
du magnétisme universel el des principes fondamentaux du grand
reuvre. 1863, 1 vol. in-8. 7 fl·.


FAU. &natolllle des formes du eorps humaln, a l'usage des
peintres el des sculpteurs. 1866, 1. vol. in-8 et atlas de 25 p~an-
ches. 2 e éditíon. Prix, fig. noires. 20 fr.


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FERRIER. Les fonetions du emo,-eau. 1 vol. in-8, traduit de


l'anglais. (Sous pres5e.)
FEftRON (de). Tbéorie du pro.es (Histoire de l'idée du pro-


gres. - Vico. - Herder. - Turgot. - Condorcet. - Saint-
Simon. - Réfutation du césarisme). 1867, 2 vol. in-1S. 7 fr.




- 17
FERRON (de). La "uestlon des deux Chambrel!l. :1872, in-8


de lt5 pages. :1 fr.
EM. FERRIERE. I,e darwinlsme. 1872, :1 vol. in-18. 4 fr. 50
FIAUX. l:enseignCluent de la 1I1édecine en


'1 vol. in-8 (1877).
FONCIN, ES!'1ai SUI' le ministere de Turgot.


in-8 (1876).


Allcmagne,
5 fr.


1 vol. grand
8 fr.


FOUILLÉE (Alfred). I.a pbllosophie de SocI·ate. 2 vol. in-8.
16 fr.


FOUILLÉE (Alfred). I,a phll080pbie de Platon. 2 vol. in-S.
i6 fr.


FOUILLF:E (Alfred). La Iibertp. et le déterminlsme. i fort vol.
in-8. 7 fr. 50


FOUlLLEK (Altred). Platonls hipplas mlnor sive Socratica,
:1 vol. m-8, 2 fr.


FOX (W.-J.). Des idées religleuAes. i5 conférences traduites
de ¡'anglais. 1876. 3 fr.


FRÉDÉRIQ. Hygiime populaire. i vol. in-12. 1875. lt fr.
FRlBOURG. Du paupérlsme parlslen, de ses progre s depuis


vingt-cinq ans. 1 vol. in-18. 1 fr. 25
GÉRARD (Jules). Maine de Hit'au, essai sur sa philosophie,


suivi de fragments inédits. 1 fort vol. in-8. 1876. 10 fr.
GÉRARD (Jules). De idealismi apud Herkleiulll l'atioue et


pI·incil.io; hane thesim proponetlat facultati litterarum pari-
siensi. In-8. 1876. 3 fr.


GUILLAUl\IE (de Moissey). Nouveau traUé des seusationlol.
2 vol. in-8 (1876). 15 fr.


HAMILTON (William). Fragwents de Phllosopbie, traduits de
l'anglais par Louis Peisse. 7 fr. 50


HERZEN. (Euvres completes. Tome ¡tr. Récils el nouvelles.
187lt, i vol. in-18. 3 fr. 50


HERZEN. De l'autre Rive. lte édition, traduit du russe par
M. Herzen fUs. i vol. in-18. 3 fr. 50


HERZEN. Lettrcs de Frauce et d'U .. Ue. i87i, in-i8. 3 fr. 50
HUMBOLDT (G. de). ES8al sur les limites de I'act'on de


l'État, traduit de l'aIlemand, el précédé d'une Étude !'4ur la víe
el les travaux de l' auteur, par 1\1. Chrétien, doctp,ur en droit.
1867, in-18. 3 fr. 50


ISSAURAT. ltloments perdus de Pierre-.Jeau, observations,
pensées, reveries antipolitiques, antimorales, antiphilosophiques,
antimétaphysiques, anti tout ce qu' on voudra.1868, 1 v. in-18. l{ fr.


ISSAURAT. Les alarmes d'uu pere de famllle, suscitées)
expliquées, justifiées et confirmées par lesdíts faits et gestes de
Mgr Dupanloup et autres. 1868, in-S. 1 fr.


JANET (Paul). IIlstolre de la scieuce politlque dans ses rap-
ports avec la morale. 2 vol. in-8. 20 fr.


JANET (Paul). Études sur la dialectlquc dans Platon et dans
Hegel. 1 vol. in-8. 6 fr.


JANET (Paul). f1~u,'res philosophlques de Leibniz. 2 vol.
in-8. 16 fr.


JANKT (Paul). E!!I8al sur le médlateur plastique de (;ud-
wortb. 1 vol. in-8. 1 fr.


JANET (Paul).I,es caU!ióes Dnales.l fortvol. in-8, 1876. 10 fr.
*




- 18-
LABORDE. Les bOlllllles et les aetes de l'insurrecUon de


Paris devant la psychologie morbide. Lettres a lU. le docleur
Múreau (de Tours). 1 vol. in-18. 2 fr. 50


LACHELlER. Le fondelllent de I'induetion. 1 vol. in-S. 3 fr. 50
LACHELIER. De natua'a sylloglSllli; apud facultatem litterarum


parisiensem hrec disputabat. 1 fr. 50
LACOl\IBE. Mes droits. 1869, 1 vol. in-12. 2 fr. 50
LAlVIBERT. Hygiene de l'Égypte. 1873, 1 vol. in-18. 2 fr. 50
LANGLOIS. L'bolllllle et la Rholution. Huit études liéaiées a


P.-J. Proudhon. 1867.2 vol. in-18. 7 fr.
LAUSSEDAT. La SlIisse. Études médicale¡; et sociales. 2e édit.,


1875. 1 vol. ill-18. 3 fr. 50
LAVELEYE (Em. de). De I'avenil' des pellples eatboliques.


1 brochure in-8. 21 e édit. 1876. 25 c.
LAVERGNE (Bernard). L'ultralllontanisllle et I'État. 1 vol.


in-8 (1875). 1 fr. 50
LE BERQUlER. Le barreau Illoderne. 1871, 2e édition,


1 vol. in-1S. 3 fr. 50
LEDRU (Alphonse). Ol'ganisation, attributions et responsa-


bilité des eonseils de sUl'veiUanee des soeiétés en
eOllllllandite pm' uetions (loi du 24 juillet 1867). 1 \'01.
grand in-8 (1876). 3 fr. 50


LEDRU (Alphonse). Des publieains et des Soeiétés ,'eeti-
galiennes. 1 vol. grand in-8 (1876). 3 fr.


LE FORT. La eblrurgie Illilitaire et les Sociétés de secours en
France el a l'étranger. 1873,1 vol. gr. in-8, avec fig. 10 fr.


LE FORT. Étude sur I'organisation de la !tlédeeine enFrance
et a l'étranger. 1874, gr. in-8. 3 fr.


LEIBNIZ, fEuvres pbilosopblques, avec une Inlroduction el
des notes par M. Paul Janet. 2 vol. in-8. 16 fr.


LEIBNlTZ. Voyez page 2.
LEMER (Julien), Dossiel' des jésuites et des libertés de


I'Église gallieane, 1 vol. in-18 (1877). 3 fr. 50
LITTRÉ. AUl;uste (Jolllte et Stuart !tlill, suivi de StuaTt MiU


el la philo~oph¡e positive, par M. G. Wyrouboff. 1867, in-S de
86 pages. 2 fr,


LITTRÉ. Fraglllents de pbilosopbie. 1 vol. in-8. 1876. 8 fr.
LITTRÉ. Applleation de la pbilosopbie IJOsiUve au gouver-


nement des Sociétés. In-8. 3 fr. 50
LORAIN (P.).Jenner et la vaeeine. Conférence historique. -1870,


broch. in-8 de 48 pages. 1 fr. 50
LORAIN (P.).L'assistanee publique. 1871, in-lt de 56 p. 1 fr.
LUBBOCK. L'bolllllle prébistol'ique, étudié d'apres les monu-


ments et les costllmes retrouvés dans les différents pays de l'Eu-
rope, suivi d'une Description comparée des mreurs des sauvages
modernes, traduit de I'anglais par M. Ed. BARBIER, 256 figures
intercaJées dans le texte. 1876, 2e édition, considérablement
augmentée suivie d'une conférence de 1\1. P. BROCA sur les
Troglodyies de la Veze1'e. 1 beau ,el. in·8, broché. 15 fr.


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LUBBOCK. Les origines de la eivilisation. État primitif de


l'homme et mreurs des sauvages modernes. 1877, 1 vol. grand
Ín-8 avec figures et planches hors texte. Traduit de l'anglaís par
M. Ed. BARBIER. 2e édition. 1877. 15 fr.


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19


MAGY. De la sclence et tle la nature, essai de philosophie
premiere. 1 vol. in-8. 6 fr.


MARAIS (Aug.). Garibaldl et I'armée des Tosges. 1872,
f vol. in-t8. 1. fr. 50


MAURY (Alfred). Hlstolre des rellglons de la Grece antique.
3 vol. in-8. 24 fr.


MAX MULLER. Amour allemand. Traduit de l'allemand. 1 vol.
in- t 8 imprimé en caracteres elzéviriens. S fr. 5U


MAZZINI. Lettres a Daniel Stern (1864-1872), avec une leLtrc
autographiée.l v. in-18 imprimé en caracteres elzéviriens. 3 fr. 50


MENIERE. Clcéron médecln, étude médico-littéraire. 1862,
1 vol. in-18. 4 fr. 50


MENIERE. Les consultations de madame de Sévlgné, étude
médico-littéraire. 1864, 1 vol. in-8. 3 fr.
MERVOn~R. Étude sur I'assoclation des Idées. 1864, 1 vol.


in-8. 6 fr.
MICHAUT (N .). De l'imaglnatlon. Etudes psychologiques. 1 vol.


in-8 (1876). 5 fl'.
MILSAND. Les études classiques el l'enseignement publico


1873, 1 vol. in-18. 3 fr. 50
MILSAND. Le code et la liberté. Liberté du maringe, liberté


des testaments. 1865, in-8. 2 fr.
MIRON. De la séparatlon du temporel et du spirituel.


1866, in-8. 3 fr. 50
MORER. Projet d'orgonisotlon des cOlléges cantonaux,


in-8 de 64 pages. 1 fr. 50
MORIN. Du magnétlsme et des sciences occultes. 1860,


1 vol. in-8. 6 fr_
MORIN (Frédéric). Politique et philosophie, précédé d'une in-


troduction de !\l. JULES SlMON. 1 vol. in-18. 1876. 3 fr. 50
!\lUNARET. Le médecln des villes et des campagnes.


4e érlition, 1862, i vol. g;cand in-18. 4 fr,. 50
NAQUET (A.)_ La républlque radicale. 1873, 1 vol. in-18


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NOEL (Eug .. ). ¡'tIémoires d'un hllbéclle, av'ec une préface de


M. LITTHÉ. 1 vol. in-18. 2" éd. 1876, en cal'. elzéviriens. 3 fr. 50
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de I,eibniz, histoire et théorÍe de leurs rapports, 1 volume
in-8 (1875). ti fr.


NOLEN (D.). Quid I,eibnizius Aristotcli debueI·U. 1 br
in-8. 1 fr. 50


NOURRISSON. "~ssal SUJ" la philosophie de DOS8uet. 1 vol.
in-8. lt fr.


OGER. I.es Donaparte et les f;onlieres de la France. In-18. 50 c.
OGER. I,a népublique. 1871, brochure in-8. 50 C.
OLLt-LAPRUNE. I,a phllosophle de ¡'tIalebranche. 2 vol. in-8.


PARIS (comle de). Les associatlons ou\'ricl'es
terre (trades-unions). 1869, 1 vol. gr. iu-8.


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- 20 -


PELLET AN, .Jal'ousseau, le pasteur du désert. 1 vol. in-I R
en caracteres elzéviriens (1877). 3 fr, 50


PELLETAN. Élisée, ,royage d'un homl1le a la l'eehcI'ehe d~
lui-mcllle. 1 vol. in-18 en caracteres elzéviriens, 1877, 3 fr. 50


PETROZ (P.), J.'art et la erltique en Franee depuis 1822.
:1 vol. in-18. 1875. 3 fr, 50


POEY (André). Le posUivisme. :1 fort vol. in-12 (1876). f! fr. 50
PUISSANT (Adolphe), Erl'eurs et préJugés populaires. 1873,


1. vol. in-:18. 3 fr. 50
REGNAULT (f:liag). H'stoh'e de buit nns (1840-18f!8). 3e édit.,


3 vol. in-S, chaque yol. séparément. ·5 fr.
REYMOND (William). Histoire de I'art, 1874, 1 vol. in-S,


5 fr.
RIBERf (Léonce). EspI'U de la Constitution du 25 février 1875,


1 vol. in-l8, en caracteres elzéviriens. 3 fr. 50
RIBOT (PauI), Matérialisl1le et foIpiritualisme, 1873, in-R.


6 fr.
RIBOT (TIl.). 1,3 p",yebologie anglaise eonteu11,ol'nine


(James Mili, ~tuart MilI, Herbert Sppnccr, A. Rain, G. Lcwes,
S. Railey, J.-D. l\1orell, J. l\Iurphy) 1875, 1 vol. in-8. 2 C édit.


7 fr. 50
RIBOT (TIt.). Ue l'hérédité. :1873, 1 vol. in-8. 10 fr.
RICHTER (J.-P.). II-oi·tique, Ol! Int.·oduction it I,(·",tbétiflue)


traduitc de l'allemand, {lr('cédéc d'un Essai sur .Jean-PauI el i'a
lJoétiquc, suivic de noles el commentairr~s f>al' Alexalldrc B¡;CIINEII
et Léon DUlO:'ir. 2 vol. in-8 (1862). 15 fr.


filTTER (lIeuri), lIi",toire d(~ la philosophie moderne, lra·
duction franl,;uise précédée d'uue introduction par P. Challemel-
Lacour. 3 vol. in-S. ~O fr,
RITT~R (Henri). Distoire de la pbilosopble aneienne, trad,


par Tissot. f! vol. 30 fr,
ROBERT (Edmond). I,es domestiques, étude hislorique. 1 vol.


in-18, 1875. 3 fr. 50
SA1NT-MARC GIRARDIN, La chute du sceond l':ml)II'e,


111-4. f! fr. 50
SALETT A. PI'ineipe de logique posith'e, ou traité de scep-


ticisme posítif. Premiere partie (de la connaiss3nce en général).
1 vol. g;". in-8. 3 Ir. 50


SARCHl. Examen de la doet.'ine de Kant. 1872, gr. in-8. f! fr,
SCHELLING. Éel·its pbilosoJ)hiquc!it el morceaux propres a don-


ner une idée de son systeme, traduits par Ch, Bénard. In-8, 9 fr.
SCHELLiNG. Bruno ou du princi~e divin, trad. par Husson. 1 vul.


in-8. 3 fr. 50
SCHELLING, Idéalismc h'anseendental, traduit par Grirnblot.


:1 vol, in-8, 7 fr. 50
SIEGFRIEO (Jules). I,a Dlisc'we, son histoil'C, ses eause!'4, se",


remedes, 1 vul. gTand in-18 (i 8 77). 3 fr.
SIEHEBOIS, AutOl'Sie de Pame. Identité du matériaIisme el du


vrai sp\r'Úua\'lsme, '2~ ed'ú, \~J~, \ VO\. in-\~. ~ h. ~\)
SrEREBOIS. La morale fouillée dans ses fondements. Essai d'an-


thropodicée. 1867, :1 vol. in-8. 6 fr.




- 21-
SIÉHEBOlS. Ps)'chologic I'éalistc. Étude Stlr les éléments réels


de !'ame el de la pensée. 1 vol. in-18 (1876). 2 fr. 50
S:'IIEI<.: (A.). Mon jal'din, géulogie, botanique, histoire naturelle.


1876 1. magnifique vol. gr. in-8 orné de 1300 fig. et 52 pI. hors
texte, traduit de l'anglaís par M. BARBIER. 1876. Broché. 2t fr.
Cartonna~e ríche, doré sur tranches. 50 fr.


SOREL (ALBERT). I,c traUé dc POI'is du ao novemh)'c -Un¡¡.
Le~ons professées a l'École libre des sciences politiques par
M. Albert SOREL, professeur d'histoire diplomatique.1873, 1 vol.
in-8. 4 fr. 50


THULIÉ. I,a rolie ct la 101. 1867, 2 6 Mit., 1 vol. in-8. 3 fr. 50
THULIÉ. "ti manlc ralsonnantc du doctcur ()ampagne.


1870, broch. in-8 de 132 pages. 2 fr.
TIBERGHIEN. Les eommandements de l'humanUé. 1872,


1 vol. in-18. 3 fr.
TIBERGHmN. Enselgncment et philosophlc. 1873, 1 vol.


in-18. 4 fr.
TISSANDIER. Étodes dc Théodicéc. 1869, in-8 de 270 p. 4 fr.
TISSOT. PI'lncipcs de mOl'alc, leur caracthc rationnel et


uníversel, leur application. Ouvrage couronné par l'lnstitut.
1. vol. in-8. 6 fr.


V ACIl~HOT. Jlistoire dc I'Écol<." d' ~lcxandl'lc. 3 vol. in-8.
24 fr.


V ALETTE. ()ours dc (jodc c .... i1 professé a la Facullé de droit
de París. Tome 1, premíel'c année (Titre préliminaire - Livre
premier). 1873, 1 forl vol. in-18. 8 fr.


VALMONT. Vespion prusslen. 1.872, roman traduit de l'an-
glais. 1. vol. in-1. 8. 3 fr. 50


VAN DER HEST. Platon et "'ristotc. Essai sur les coromen-
cemenls de la science politiqueo 1 for! vol. in-8 (1876). 10 fr.


VÉBA. 8tl·"u/IIS. I,'anclcnne et la nouvclle rol. 1873, in-8.
6 fr.


VÉRA. ()a\'our ct l'Égllse libre dans I'État librc, 1.874,
in-8. 3 fr. 50


VÉRA. L'lIegélianisme et la pbilosopbic. 1 vol. in-18.
1861. 3 fr. 50


VÉBA. ltlélanges I)hilosopbiques. 1 vol. in-8, 1862. 5 fr.
VÉRA. )';!iisals de pbilosOI)bie bcgéUennc (de la Bz"bliothpque


de plálosophie contemporaine). 1 vol. in-18. 2 fr. 50
VÉRA. Platonis, ~ .. istotelis et Hcgelii de Dledio tm'mino


doctl·inB. 1 vol, in-S. 1845. 1 fr. 50
VILLlAUMÉ. La politique Dlodcl'nc, trailé complet de politiqueo


1873, 1 beau vol. in-8. 6 fr.
WEBER. Hlstoh'c de la pbllosopbie cUl·opéenne. 1.871,


1 vol. in-S. 10 fr.
YUNG (EUGENE). IICOl'1 .V, écrh'ain. 1 vol. in-8. 1855. 5 fr.
ZIl\1l\1ERMANN. De la solitudc, des causes qui en font naitre le


gout, de ses inconvénients, de ses avantages, et son influence
sur les passions, l'imagination, l'esprit el le creur, traduit de
l'allemand par N. Jourdan. Nouvelle édition. 1840, in-8. 3 fr. 5




- 22 -


ENQUETE PARLEllENTAIRE SUR LES AeTES DU GOUVERNE)IENT
DE LA DÉFENSE NATIONALE


DÉPOSITIONS DES TÉMOINS :
TOME PREMIER. Dépositions de MM. Thiers, maréchal Mac-Mahon, maréchal


Le Brenf, Benedetti, dne de Gramont, de Talhonet, aminl Rlganlt d.e Genollilly,
baron Jéróme David, général de Palikao, Jnles Brame, Dl'éolle, etc.


TOME II. Dépositions de MM. de Chandordy, Lanrier, Cresson, Dr(>o, Rane,
Rampont, Steenackers, Ferniqlle, Robert, Schneider, Bulfet, LeLretoIl el Hébert,
Bellangé, eolonel Alavoine, GervalS, Bécherelle, Robin, Mnller, Bontefoy,
Meyer, Clément et Simonnean, FontaiIlt', Jacob, Lemaire, Petetin, Gnyot-Montpay-
l'OUX, général Sonmain, de Legge, eolrlllel Vllbre, de Cri~enoy, colonel Ibos, etc.


TOME III. Dépositions militaires de MM. de Freyeinet, de Serres, le général
Lefort, le gpnéral Dnerot, le général Vinoy, le lientenant de vaisseau Farcy,
le commandant Amet, l'amiral Pothuau, Jean Brllnet, le g-én('l'al de Bean-
fort-d'Hautponl, le général de Valdan, le général d'Aurelle de Pllladines, le géné-
ral Chanzy, le général Martin des Pallieres, le général de Sonis, etc.


TOME IV. Dépositions de MM. le général Bordone, Mathien, de Laborie, Lllce-
Yilliard, ClIstillon, Debllsschere, Darcy, Chenet, de La Taille, Baillehache, de
Grancey, L'Hermite, Pradier, MiddletoD, Fl'édéric Morin, Thoyot, le maréchal
Balaine, le génl\ral Boyer, le maréchal Cllnrobert, etc. Annexe 11 la déposition
de M. Testelin, note de M. le colonel Denfert, note de la Commis~ion, etc.


TOME V. Dépositions complérnentaires et réclamations. - Rapports de la
préfectllre de police en 1870-1871. - CirClllail'es, proclamations et bulletins
dn Gouvernement de la Défeme nationale.- Snspension dn trihunal de la Rochalle;
r'l.pport de M. de La Boroorie; dépositions.


ANNEXE AV TOME V. Dellxieme déposition de M. CreSEon. É ... énements
de Nimes, affaire d'Ain Yagollt. - Réclamations de MM. le génét'al Bellot el
Engelhart. - Note de la Commission d'enqllete (f fr.).


RAPPORTS:


TOME PREMIER. M. Chaper, les proces-verhaux des séances dn Gonvel'-
nement de la Défense nationale. - M. de Sugny, lee événements de Lyon
sous le Gonv. de la DMense nat. - M. de Res6éguier, les actes dn Gouv. de la
Défense nat. dans le sud-ouest de la France.


TOME JI. M. Saint-Mm'c Girardin, la chutó! du second Empire.- M. de
Sugny, lps événeDlents de Marseílle sons le Gonv. de la Défense nato


TOME JII. M. le comte Daru, la politiqne du Gouvernement de la Défense
nationale 8. París.


TOME IV. M. Chaper, de III Défense nato an point de vue militaire 8. Paris.
TOME V. Boreau-Lajanadie, l'emprunt Morgan. - M. de la Borderie, le camp


de Coulie et l'armée de Bretag'ne. - M. de la Sico!i~re, l'affaire de Drellx.
TOME VI. M. de Rainneville, les actes diplomatiqlles du Gonv. de la Défer.se


nato - M. A. Lallié, les po~tes et les télégraphes pendant la guerreo - M. Delsol,
la ligne dn Sud-Onest. - M. Perrot, la défense en province. (1" partie.)


TOME VII. M. Perrot, les actes militaires du Gouv. la Défense nat. en pro-
vince (2" partie: Expédition de l'Est).


TOME VIII. M. de la Sicotiere, sur l'Algéríe.
TOME IX. Algérie, dépositions des témoins. Table générale et analytiqne


des dépositions des témoins avec renvoi aux rapports (10 fr.).
TO~IE X. ~J. Boreau-Lajanadie, le GOllvernement de la Défense nationale ti


Toms et a BOl'deanx. (5 fr.).


PIECES JUSTIFICATlVES
TOME PREMIER. llépeches télégraphiqnes officielles, premiere partie.
TOME DEUXIE~IE. Dépeches télégraphiques officielles, deuxieme partí"


Pieees iu~tificatives dn rapport de M. Saiut-Marc Girartlin.
Prix de chaque volume . •. t 5 fr.




23 -


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nationale, se vendant séparénlent :


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SAINT-MARC GIRARDIN. - La chute d'l seeond Empire.ln-4. 4 fr. 50
Picc~s juslificatives du rapporl de 11[. Sainl-Marc Gi1'ardill. f vol. in-4 5 fr.
DE SUGNY.- Marseille SOllS le Gouv. de la Défense nato In-4. 10 fr.
DE SUGNY. - Lyon sous le Gouv. de la Défense nat. 111-4. 7 fr.
DARU. - La politique dn Gouv. de la Défense nato iI. Paris. In-4. i5 fr.
CHAPER. -Le Gouv. dela Défense iJ. Parisan pointde vnemilitaire.ln-í. 15 fr.
CHAPER. - Proces-verbanx des séanel's du Gouv. de la Défense nato ln-4. 5 fr.
BOREAU-LAJANADIE. - L'emprunt Morgan. ln-4. .{. fr. 50
DE LA BORDERIE. - Le camp de Cnnlie et l'armée de Bretagne.in-4. fOf r.
DE LA SICOTlERE. - ¡:affaire de Dreux. ln-4. 2 fr. 50
DE LA SICOTIÉRE. - L' AIgérie sons le Gouvernement de la Défeme nationale.


2 vol. in-.t.. 22 fr.
DE RAINNEVILLE. Aete~ diplomatiqnes du Gou"\'". de la Défeme nato i vol.


in-4. 3 fr. 50
LALLIf:. Les postes et les tplégraphes pendant la guerreo i vol. io-4. f fr. 50
DELSOL. La ligue du Sud-Ouest. 1 vol. in-4. i fr. 50
PERROT. Le Gouvel'llement de la Défeme uationale en province.2 vol. in-4. 25 fr.
BOREAU-LAJANA Dm. Rapport sur les aetes de la Délégation dn Gotn'er-


nement de la Défense nationale iJ. Tour8 et iJ. BorJeaux. t vol. In 4. 5 fr.
Dép~ches télégraphiques officielles. 2 vol. ill-4. 25 fr.
Pl'oces-verbaux de 1,1 Comnwne. i vol. in-4. 5 f/'.
Table générale el analytique des dépositions des témoins. f vol. in-4. 3 fr. 50


LES ACTES DU GOUVERNEMENT
DE LA


DEFENSE NATIONALE
(DU 4 SEPTEMBRE 1870 AU 8 F~:VRIER 1871)


ENQUETE PARLEMENTAIRE FAITE PAR L' ASSEMBLÉE NATlONALE
RAPPORTS DE LA CO~DIISSION ET DES SoUS-COmIISSIONS


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L'INSURRECTION DU 18 MARS
1° RAPPORTS. - ~. DÉPOSITIONS de MM. Thiers, maréehal Mae-Mahon, général


Trochu, J. Favre, Ernest Picard, J. Ferry, général Le Fió, général Vinoy, colonel
J~ambert, colone! GailJard, général Appert, Floq'let, général Cremer, amiral Saisliet,
Sehcelcher, amiral Pothuau, colon'!l Langlois, etc. - 3° PIÉCES JUSTIFICATIVES.


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Révolution fran«;aise, études médicales et historiques, par M. le
docteur CORLIEU, 1 vol. in-18. 3 fr. 5(\


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glais, avec préface par M. SADi CARNOT, 1. vol. in-18 (IR75).


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Esprit de la ()onstltution dll 25 février 1875, par M. LÉtlNCE


RIBERT, 1. vol. in-18. 3 fr. 50
ltIémoires d'lIn imbéeile, par EUG. NOEL, précédé d'une pré-


face de M. Liare. 1 vol. in-18, 2e édition (' 876). :~ fl'. 50
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Élisée, ,'o)"nge d'un hOIlUl1e il la reehe .. ehe de Ini-mt~nl(~,


par Eug. PELLETA:'\, 1. vol. in-18 en caracteres elzéviricns
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tionaltl, 1. vol. in-1 8. 1 fr.
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nationale. 1 vol. in-18. 1 fr.
Garlbaldl et l'armée des Wosges, par M. Aug. MAHA1S. 1 vol.


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(,es Hourgeois gentilshommes. - I}arnlée d'lIenrl ".


L'arriel'e-ban de l'ordre moral, par A. Bouillet. 1 vol. in-18.
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L'espion pru!ilsien, roman anglais par V. VAUIONT, traduit par
I\L J. DUBRISAY. 1 vol. in-18. 3 fr. 50


La ()omnlune et ses IdéeM a travers l'lllstolre, par Edgar
BOIlRLOTON et Edmond H-OBERT. 1 vol. in-18. 3 fr. 50


nu prineipe autoJ'ltail'e et du prineipe .. aHonnel, par
1'11. Jean Chasseriau. 1873. 1 vol. in-18. 3 fr. 50


La aépublique I'adleale, par A. NAQUET, membre de l'Assem-
blée nationale. 1 vol. in-18. 3 fr. 50


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gine des Dieux. (Nouvelle édition.)
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nisme. - lntroduction a la Philo~o­
pllie de l'histoire de I'Humanité, nou-
vello édilion, avec pl'éface inédite,


n. - Le Christianisme et la Révo-
lution franr,ai"e. Exampn de la Vle
de JéslIs-Christ, par STRAUSS. -
Philosophie de l'hi"toire de France.
(Nouvelle etlition.)


IV. - Les Rél"Otutions d'Italia. (~ou­
vrllr é(hlioll.)


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La Grece modernc cl ses r¿lpports
avec 1'.\nti'lU ¡ti!.


n. - Ll'8 Rornains. - AlIcmaglw et
ltalie. - Mélanges.


VII. - Ashavérns .. - Les Tablettes
du Juif errant.


VIII. - Prométhéc. - Napoléon. -
Les Esclaves.


IX. - Mes Vacanees en Espag-ne. -
De I'Histoil'e de la POi'sie. - Des Epo-
pées frallt;aises illl:ditcs du XIIe siecle.


X. - HistOlre de mes idées. - 1815 et
1840. - Averti,selllent au pays. -
La France et la Sainte-Alliance en
Portugal. - a~u\Tes dil·erses.


XI. - L'Enscigncmenl uu peuple. -
La Rél"olution religicuse au XIXe sie-
ele. - La CI'oisad,) rOl1laine. - Le
l'anlhéon. - I'lébiscite el Concile.
- Aux Paysans.


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mentée d'éludes inédiles sur Montalembert, Lp.dru-Rollin, Jules
Favre, Dufaure, Cavaignac, Billaut et Rouher. 2 beaux vol. in-8
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Philippe, République, Second Empire. 1 beau vol. in-8 cava-
lier. 7 fr. 50


OUCLERC ET PAGNERRE. Dietionnaire politique. Ent:yclopé-
die de la science et du langage politiques par les notabilité .. de
la presse et du Parlement avec une introduction, par GARNIER
PoAGES atné, pub lié par Eug. Duclerc et Pagnerre. 1 fort vol.
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tenant plus de 2000 al,ticles. 7 e édition. 15 fr.


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documents nouveaux.


Tome I. Gaulois et Francks. - Tome JI. Temps féodaux.-
Tome III. Tiers état. - Tome IV. Guerre des princes. - Tome V.
Renaissance. - Tome VI. Réforme. - Tome VII. Guerres de
religion. (Sous presse.)


Prix de chaque volume, format in-S. 5 fr.
,fRANYI (D.) ET CHASSIN (CH. L.). Hlstoire. politique de la ré-


"olutlon de Hongl'ie (1847-1849).2 beaux vol. in-8. 10 fr.
LORENZOD'APO~TE. Mémoire8 de I.orenzo d'.~ponte, poete


vénitien, collaborateur de MOZART. Traduils de l'italien, par
M. C. D. de la Chavanne et précédés d'nne lettre de l'Il. de La-
martine. 1 beau vol in-8. 4 fr.


MARTIN BERNARD. Dix ans de prison au mont 8aint-lUlcbel
eta la citadelle de Doullens. i vol. in-18. 2 fr. 50


RICHARO (Ch.). Les lois de Dieu et I'esprit nloderne. Issue
aux contradictions humaines. 1 vol. in-18. 2 fr. 50


- Les révolutlons inévitables dans le globe et l'humanité.
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- 27-


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BIBLIOTHEQUE UTILE


60 centimes le vol. de f90 pages
1. - Morand. Introduction a l'étude des Sciences physiques.
11. - Cru,'ellher. Hygiene générale. 4 e édition.
1II. - Corbona De i'enseignement professionnel. 2e édition.
IV. - 1" Pichat. L' Art el lec; Artistes en France. 3e édition.
V. - Uuchez. Les l\lérovingiens. 3e édition.
VI. - Duchez. Les Carlovingiens.
VII. - F. Morin. La France au moyen age. 3e édition.
vm. - Uastide. Lutles religieuses des premiers siecles. 3e édi-


tion.
IX. - UasHde. Les guerres de la Réforme. 3e édition.
X. - E. PeIletan. Décadence de la Monarchie franvaise. lJe édi-


tion.
XI. - L. Urotbiel·. Histoire de la Terre. 4" édition.
XII. - Sanson. Principaux faits de la Chimie. 3e édition.
xm. - Turek. l\Iédecine populaire. [¡e édition.
XIV. - Morin. Résumé poplilaire du Code civil. 2e éditiol1.
XV. - Filias. L'Algérie ancienne el nouvelle. (Épuisé.)
XVI. - .t.. ott. L'lnde el la Chine.
XVII.- Catalan. Notions d'Astronomie. 2e édition.
X VIII. - Cristal. Les Délassements du Travail.
XIX. - Vietor Meunier. Philosophic zoologique.
XX. - G . .Jourdlln. La justice cl'iminelle en France. 2e édi-


tion.
XXI. - Ch. Rolland. Histoire de la Maison d'Autriche.
XXII. - E. nespois. Révolution d' Angleterre. 2e édition.
XXIII. - D. Gastineau. Génie de la Science et de l'Industrie.
XXIV. - H. I.ene,'eux. Le Budget du foyer. Economie domes-


tique.
XXV. - 1" Combes. La Grece ancienne.
XXVI. -- Fl·éd. I,oek. Hisloire dé la Restauration. 2e éditiull.
XXVII. - 1,. Drothier. Histoire populaire de la philosophie.
~e édition.


XXVIII. - E. Mal·gollé. Les phénomenes de la Mer. 3e édi-
tion.


XXIX. - L. Collas. Histoire de ¡'empire oHoman.
XXx.. - Zurcher. Les Phénomenes de l'atmosphére. 3e édi-


tion.
XXXI. - E. Ra}'mond. L'Espagne et le Portugal.
XXXII. - Eugene Noel. Voltaire et Rousseau. 2" édition
XXXIII. - .t.. ott. L'Asíe occidenlale et l'Egypte,
XXXIV. - Ch. Riehal·d. Origine et fin des Mondes. 3e édition.
XXXV. - Enfaniln. La víe éternelIe. 2e édition.
XXXVI. - L. Urothler. Causeries sur la mécanique.
XXXVII. - .t.lfred Doneaud. Histoire de la Marine fran!(aise.
¡XXVIII. - Fréd. Loek. Jeanne d'Arc.
1xXlx. - Carnot. Réyolution fran!(aise. - Période de création


(1789-1792).
XL. - Carnot. Période de conservation.
XLI. - Zureber et Margollé. Télescope et Microscope.




- 28 -


REVUE PHILOSOPHIQUE
DE LA FRANCE ET DE L'ETRANGER


Paraissant tous les mois
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La HEVVE PHlLOSOPHlQUE paraiL tous les mois, depuis le
1 er janvier 1876, par livraisons de 6 a 7 fcuilles grand in-8, el
forme ainsi a la fin de chaque année deux fOrlS volumes d'environ
680 pages chacun.


CHAQUE NUMÉRO DE LA REVUE CONTIENT :
1 0 Plusieurs artieles de fond; 2° Des analyses et comptes rendus de&


nouveaux ouvrages philowphiques fran~ais et étrangers; 3u Un compte
rendu aussi complet que possible des puólicatlOns pél"iodiques de l'é-
tranger pour tout ce qui concerne la philosophie; 40 Des notes, docu-
ments, observations, ponvllnt ~ervir de matériaux ou donner lieu a des
vues n')uvelle,;.


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de 1 'École normal e supériellre
AgTégé d'histoire,


Dil'cctcnr-adjoint iJ I'Ecole
pratique des Hautes - Etudes


Ancien élcve de l'École des Charles
Archiviste


allx Archives nationales
AlIxiliaire de 1'Institllt


La HEVUE HlSTORIQUE parait lous les dellx mois, depuio'i le
1er jamier 1876, par livraisons grand ill-8 de 15 a 16 feuilles,
de maniére 11 former a la fin de l' année deux beaux volumes de
900 pages chacull.


CHAQUE LIVRAISON CONTIENT :
l. Plusieurs artlcles de fond, comprenant chacun, s'il est possible,


un lra\'.ail completo 11. Des Métanyes el Variétés. composés de docu-
ments inédits d'une étendue restreinte et de courtes notices sur des
points d'histuire curieux ou mal connus. lB. Un Bulletin ltistorique de
la France et de l'étranger, fournissant des renseignements aussi complets
que possible sur tout ce qui touche aux études historiques. IV. Une ana-
lyse des publications périodiques de la France et de l' étranger, au point
de vue des études historiques. V. Des Comptes rendus critiques des livres
d'histoire nouveaux.


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REVUE
Polilique el Litléraire


(Revuc des cours littéraires,
2e série.)


REVUE
Scienlifique


(Revue des cours scientifiques,
2e série.)


Dlreeteurs : 111111. Eug. YIJlWG et Ém .... I.GI .... VE


La sepW~mc année de la Revue des (;ours IiUéruires et
de la Revue des C)ours selentlOques, terminée a la fin de j uin
t871, clót la premiere série de eette publication.


La deuxieme série a eommeneé le 1 er juillet 1871, et depuis
eette époque chacune des années de la colleetion cemmenee
a ceHe date. Des modifieations importantes ont été introduítes
dans ces deux publieations.


REV':E POLITIQIJE ET LITTÉR.,URE


La Revue polzülJue continue a donner une place aussi large
a la littératul'e, iL l'histoire, a la philosophie, etc., mais eHe
I), agralldi son cadre, afin de pouvoir aborder en meme temps
la politique el ks que~tions sociales. En eonséquence, elle a
augmenté de moitié le nombre des eolonnes de chaque numéro
(48 colonnes a u líen áe 32).


Chacun des numéros, paraissant le samedi, contient régu-
Iíerement:


Une Semaine politique ~t une Causerie potiiique ou sont ap-
préciés, a un point de vue plus général que ne peuvent le
faire les journaux quotidiens, les faits f{uí se produisent dans
la politique intérieure de la France, diseussions de l'Assem-
blée, etc.


Une Causerie littél'aú'e Ol! sont annoncés, analysés P-t jugés
les ouvrag'es récemment parus : livres, brochures, pie0es de
théatre importantes, etc.


Tous les mois la Revue po/itique publie un Bulletin r;éuqra-
phique qui expose les déeouvertes les plus récentes et apprécie
les ouvrages géographiques nouveaux tie la Franee et df\
l'étranger. Nous n'avons pas besoin d'insister sur l'importance
extreme qu'a prise la géogruphie depuis que les Allemands
en ont rait un instrument de eonquete et ile domination.


Oe temps en temps une Revue diplomatique explique uu
point de vue frunGais les événements importants survenus
dans les autres pays.


Un accusait avec raison les FranGais ilc oe pas observer
avec assez d'attention ce ([ni se passe iJ l'étraoger'. La Revue
remédie ü r.P. ~éhnt, Elle ".n~lysf\ IO't tnn.nit les JivrC5, articles,




- 30 -


discours ou conférences qui out pour auteurs les hommes les
plus éminents des divers pays.


üomme au temps ou ce recueil s'apptlait la Revue des COUl'S
litléraires (1864-1870), il continue a publier les principales
le(fons du Collége de France, de la Sorbonne et des Facultés
des départements.


Les ouvrages importants sont analysés, avec citations et
extraits, des le lendemain de leur apparition. En outre, la
Revue politique publie des articles spéciaux sur toute question
que .recornmandent a l'attention des lecteurs, soit un intéret
public, soit des recherches nouvelles.


Parmi. les collaborateurs nous citerons :
A rticles pfJlitiques. - MM. de Pressensé, Ch. Bigot, Ernest


Duvergier de Hauranne, Anat. Dunoyer, Anatole Leroy-Beaulieu,
Clamageran.


Diplornatie et pays étrangers. - MM. Van den Berg, Albert
Sorel, Reynaid, Léo Quesnel, Louis Leger.


PhilosupMe. - MM. Janet, Caro, Ch. Léveque, Véra, Léon Du-
mont, Th. Ribot, E. Boulroux, Nolen, Huxley.


Mora le. - MM. Ad. Franck, Laboulaye, Jules Barni, Legouvé,
Bluntschli.


Philologie et a/'chéologie. - MM. Max MüIler, Eugene Benoist,
L. Havet, E. Ritter, Maspéro, George Smith.


Littérature ancienne. - MM. Egger, Havet, George Perrot, Gaston
Boissier, Geft'roy.


LittéJ'ature jranr;aise. - MM. Ch. Nisard, Leníent, L. de Loménie,
edouard Fournier, Bersier, Gidel, Jules Claretie, Paul Albert, A. Feu·
gere.


Littérature étrangere. - MM. Mézitres, Büchner, P. Stapfer.
Histoire. - MM. Alf. Maury, Littré, Alf. Rambaud, G. Monod.
Géographie, Econornie politique. - MM. Levasseur, Himly,


Gaídoz, AIglave.
lnstruction publique. - Madame C. Coignet, MM. Buisson, Em.


Beaussire.
Beaux-a/'ts. - MM. Gebhart, C. Selden, Justi; Schnaase, Vischer,


Ch. Bigot.
CJ'itique lz'ttérail'e. - MM. Maxime Gaucher, Paul Albert.
Ainsi la Rcvue politique embrasse tous les sujets. Elle con-


sacre i chacun une place proportionnée a son importance.
Elle est, Pl1ur ainsi dire, une image vivante, animée et fidCle
de tout le mouvement contemporain.


REVUE S()'E~T'F'Qt.:E


Mettre la science a la porté e de tous les gens éclairés sans
l'abaisser ni la fausser, et, pour cela, exposer les grandes
découvertes et les grandes théories scientit1ques par leurs au-
teurs melllcs ;




- 31 -
Suivre le mouvement des idées philosophiques dans le


monde savant de tous les pay~,
Tel est le double but que la Revue sczentifique poursuit de-


pul s dix ans avec un succes qui l'a placée au premier rang des
publications scientifiques d'Europe et d'Amérique.


Pour réaliser ce programme, elle devait s'adresser d'abord
aux Facultés franc;aises et aux Universités étrangeres qui
comptent dans leur sein presque tous les hommes de science
éminents. Mais, depuis deux années déja, elle a élargi son
cadre afin d'y faire entrer de nouvelles matieres.


En laissant toujours la premiere place a l'enseignement
supérieur proprement dit, la Revue scienUfique ne se restreint
plus désormais aux lec;ons et aux conférences. -Elle poursuit
tous les développements de la science sur le terrain écono-
mique, industriel, militaire et politiqueo


Elle publie les principales lec;ons faites au Collége de France:.
au l\'Iuséum d'histoire naturelle de Paris, a la Sorbonne, 11
nnstitution royal e de Londres, dans les Facultés de France,
les universités d'Allemagne, d'Angleterre, d'Italie, de Suisse,
d'Amérique, et les institutions libres de tous les pays.


Elle analyse les travaux des So cié tés savantes d'Europe et
d'Amérique, des Académies des scíences de Paris, Vienne,
Berlín, Munich, etc., des Sociétés royales de Londres et
d'Édimbourg, des Sociétés d'anthropologie, de géographie t
de chimie, de botanique, de géologie, d'astronomie, de méde-
cine, etc.


Elle expose les travaux des grands congressclentifiques,
les Associations fl'anr;¡aise, brit'annique et américaine, le Congres
des naturalistes allemands, la Société helvétique des sciences
naturelles, les con gres internationaux d'anthropologie pré-
historique, etc.


Enfin, elle publie des arUcles sur les granJes questions de
philosophie naturelle, les rapports de la science avec la poli-
tique, l'industrie et l'économie sociale, l'organisation scienti-
fiq ue des dlvers pays, les sciences économiques et mili taires, etc.


Parmi les collaborateurs nous citerons :


Astronomie, météorologie. - MM. Le Verrier, Faye, Balfour-
Stewart, Janssen, Normann Lockyer, Vogel, Laussedat, Thomson r
Rayet, Secchi, Briot, A. Herschel, etc.


Physlque. - MM. Helmholtz, Tyndall, Desains, Mascart, Car-
penter, Gladstone, Becquerel, Cazin, Fernet, Bertin.


Chimie. - MM. Wurtz, Berthelot, H. Sainle--Claire Deville, Pas-
teur, Grimaux, Jungfleisch) Odling, Dumas, Troost, Peligot.
Cahours, Friedel, Frankland.


Géologie. - MM. Hébert, Bleicher, Fouqué, Gaudry, Ramsay,
Sterry-Hunt, Contejean, Zittel, Wallace, Lory) Lyell, Daubrée.




- 32 -


Z oologie. - 1\11\1. Agassiz, Darwin, lIaeckel, 1\1ílne Edwa rds,
Perríer, P. Rert, Van lleneden, Lacaze-Dutliíers, Giard, A. l\loreau,
E. Blanchard,


Aldlll'Oj,o!ofjic. - 1I11\1. Broca, de Qualrd:lges, Darwin, de ;\101'-
tillet, Virchow, LubllllCk, 1\. Yo~t.


Bljflliúl/Ile. - ~L\1. Bailloll, COfIlU, Fai\Te, Sprin7" Chatill,
Van Tieghem, Durharlrc.


Pliys70!U;¡le, IIltll/Uf/lle. - :\DJ. Cla\ld(~ Bernard, CIi;IUVe;l1J,
Charcot, ~lole,cltolt, Onillllls, HiLtpr, nO,e!ltIJ:I!, WUlldl, ¡'ollt'lid,
Ch. Robín, Vulpian, Virchow, P. Bert, du Bois-Itcymond, Helm-
holtz, ;\Iarey, Briicke.


Méder:il/c. - ?,D!. Chautfard, Cliauveau, Comíl, (;uliler, Le Fort,
Verneuíl, Broca, Liebreicli, Lascgue, G. Sée, Bouley, Cir::u'!-
Teulon, Bouchardat, Lépine.


Se/eltees IlI1ülllil'1!8. - l\l;\l. Laussedat, Le For!, Abel, .lef\oj,.,
:\lorín, Noble, Reed, CSijl1ill, -.\"'¡'.


p ltilusopllle se{el/ ti/irf1U'. - :\D1. Alglave, Ba,;'chol, Carpel! lt;r.,
Léon Dumollt, lIartmallll, lIerbert Spencer, Lu!Jbock, TYI}(\(¡II, C,¡-
varret, Ludwig, Bibot


Prix d'abonnement:
Une sculc Renlc sép~rélllellt
~ ix 11\' \i ... ~


20 1
~;)


l'rJ l:J.


l'ari, ..•....
D p pa r1l'llll'l1 b.
t.traIlS'cr ••••


P;ll'i, .••...


I )q'ill'Ít'11I ('/11:,.
Ell'illl!!('I' ....


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:30


L'abonnemenl part du 1 cr juillel, tlu 1 cr oCloorc, tlu in jallvicr
el du i cr aHíl de chaque alllléc.


Chaque volume tle la premicre série se vend : bl'oché ..... .
relié ....... .


Chaque année de la 2e série, formant 2 yol., se vClld : broché ..
relil' ....


1'ol'l des l'O/III11I'S á /a clliU'[J1' 1111 rll'slií/Illairl'


Prix de la coUection de la I)r('lni(~re !il(>ri(~ :


1 ;)
20
20
2;)


fr.
Ir.
Ir.
fr.


Prix de la colleelion complete tle la Rel'llC 111'1' ,:I,/U',,' 1IIIál/¡'J'(' \ 011 .le
la l!el.'/le Iles C'J/!)'S S"ll'ltltl"j/(P.I' (18tH-1870), 7 vol. in-l¡. 111;) 1".


Prix de la collectilJIl clJlllfiléle des lieux JiI'I'/II'S prises ell 1I1t~IIIC 1('llll's,
14 \,Q~, ill-[¡ .......................... , ...•.. , " -J:-;2 ¡'r,


Prh:: de la coHection cOluplctc dC!-l dcux sérh'~ :


[(Cl'lIe des C(¡IU'.) hltúnil'l:s et ne¡'ue jll,Ii/,'ljW! 1'/ li!tr;¡'Iu't'I', Oll íI, '¡ ,
¡fes ('IJIII'SÚ'/l'l/h/i1j/u'l et 111'('/11} SI'¡'CIt!I/i'I'IC (dt:cembI'c 180;) - i:'I!-
vierl 07 7), t 8 vol. lO-á ........ , . .. .. .. .. . .. .. ... 21:):".


La nel'ue 11(',' ('{l/U'\' Iitlál1i/'l's el la Hel'll!? ¡Hllill,!III' 1'1 /¡,!t';"/lII/', :I\:'C
la ¡¡I'I'/Ie dcs ('(¡/I/'" ,"';CII/I/ill""'\' et la ficI'uc sC,"(,l/h/i'jlU', :Hi \t;l!liI¡{"
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